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Full text of "Biographies de l'honorable Barthélemi Joliette et de M. le Grand vicaire A. Manseau"

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BIOGRAPHIES 

DE 

L'HON.  BARTHÉLEMI  TOLIETTE 

ET  DE 

M.   LE  GRAND  VICAIRE  A.  MANSEAU. 


Enregistré,  conformément  à  l'Acte  du  Parlement 
du  Canada,  en  Tannée  mil  huit  cent  soixante- 
quatorze,  par  Eusèbe  Sexécal,  au  bureau  du 
Ministre  de  l'Agriculture. 


BIOGRAPHIES 


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L'HONORABLE 


M.  LE  GRAND  VICAIRE 


A.  MANSEAU 


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LIBRARIES        > 

MONTRÉAL 

EUSÈBE    SÉNÉGAL,   IMPRIMEUR-ÉDITEUR? 

RUE    ST.    VINCENT,    Xos   6,    8    ET    10 

1874 


7^ 


DEDICACE. 

A  Sa  Grandeur, 

MONSEIGNEUR  IGNACE  BOURGET, 

Évêque  de  Montréal. 
M  OX  SEIGNEUR, 

Je  viens  déposer  aux  pieds  de  Votre  Grandeur 
un  doux  et,  pour  mon  cœur,  trop  léger  tribut  de 
ma  filiale  affection  :  la  biographie  de  l'Honorable 
Barthéiemi  Joliette. 

L'hommage  de  cet  opuscule  destiné  à  rappeler 
le  souvenir  de  l'une  de  nos  plus  pures  gloires  reli- 
gieuses et  nationales,  vous  appartient,  Monsei- 
gneur, à  plus  d'un  titre. 

Plus  qu'aucun  autre,  vous  avez  intimement 
connu  l'homme  éminent,  l'objet  de  ces  lignes. 

Honoré  de  votre  amitié,  c'est  aidé  de  vos  sages 
conseils,  soutenu  par  vos  puissants  encourage- 
ments, que  le  fondateur  de  Joliette  a  opéré  de  si 
grandes  choses  pour  l'honneur  de  la  Religion,  la 
prospérité  et  le  bonheur  de  ses  concitoyens. 

En  daignant  donc  bénir  ce  petit  travail,  veuillez 
l'agréer  Monseigneur,  comme  l'humble  et  sincère 


offrande  d'un  cœur  rempli  de  l'admiration  de  vos 
vertus,  et  qui  ne  cessera  d'unir  sa  voix  à  celle  du 
clergé  et  des  fidèles  confiés  à  vos  soins,  pour  de- 
mander au  Ciel  la  prolongation  de  vos  jours  et  le 
triomphe  des  bons  principes  dont  vous  êtes,  depuis 
un  demi-siècle,  le  si  courageux  défenseur. 

Je  demeure  avec  le  plus  profond  respect, 
De  Votre  Grandeur, 
Le  très-humble  et  très-obéissant 
Serviteur  et  fils, 

JOS.'  BONIN,  Ptr*. 


Lettre  de  Sa  Grandeur, 
MGR.  L'ÉVÊQUE  DE  MONTRÉAL, 

Ex  B&POX8B  a  la  Pbécédextî:  Dédicace. 


MONSIEUR, 

Vous  me  faites  L'hommage  de  votre  Biographie 
de  V Honorable  Barlhélemi  Joïietle,  avec  nueaffec-, 
lion  toute  filiale.  J'y  suis  très-sensible.  J'en  ac- 
cepte donc  de  grand  cœur  la  dédicace  ;  pareeque 
je  vois  que  cet  opuscule  est  destiné  à  faire  vivre, 
jusqu'à  la  dernière  génération,  un  homme  dont  la 
vie,  quoiqu'assez  longue,  a  été  beaucoup  trop 
courte,  pour  lui  permettre  d'opérer  les  grandes 
et  belles  œuvres  qu'il  avait  en  vue,  pour  l'honneur 
de  la  religion  et  la  prospérité  de  la  patrie. 

Pour  ma  part,  j'ai  beaucoup  admiré  et  aimé  ce 
grand  homme,  pareeque  j'ai  pu  me  convaincre,  par 
les  rapports  fréquents  et  intimes  que  j'ai  eus  avec 
lui,  qu'il  comptait  surtout  sur  l'appui  de  la  reli- 
gion, pour  le  succès  de  ses  entreprises,  que  l'on 
peut  et  doit  assurément  regarder  comme  des 
gloires  religieuses  et  nationales. 

Aussi,  tous,  prêtres  et  laïques,  aimeront-ils  à  se 
procurer  cet  opuscule  et  à  le  lire  et  relire,  pour  que 
le  souvenir  de  ce  grand  citoyen  se  perpétue  d'âge 
en  âge  ;  et  que  nos  petits  neveux  bénissent  le  nom 
du  fondateur  de  Joliclle,  en  apprenant  qu'il  a  opéré 


10  RÉPONSE    DE    SA    GRANDEUR. 

de  si  grandes  choses,  pour  le  soutien  de  la  religion, 
la  prospérité  et  le  bonheur  de  ses  concitoyens. 

Comme  beaucoup  d'autres  jeunes  canadiens, 
vous  lui  devez  votre  éducation  ;  car  c'est  dans  le 
collège  qu'il  a  bâti  et  doté,  dans  l'ancienne  forêt, 
qu'a  remplacé  le  beau  Village  d'Industrie,  qui  s'est 
développé  en  si  peu  d'années  et  est  devenu  une  de 
nos  plus  jolies  petites  villes,  que  vous  avez  fait 
votre  cours  d'études. 

Cette  circonstance  nous  fait  comprendre  pour- 
quoi vous  avez  consacré  vos  petits  moments  de 
loisir  à  recueillir  et  à  consigner,  dans  votre  opus- 
cule, les  traits  les  plus  saillants  de  la  vie  de  ce 
généreux  fondateur  et  bienfaiteur  du  beau  Collège 
Juliette.  Vous  avez  voulu  payer  ainsi  à  cet  ami  de 
l'éducation  un  juste  tribut  d'amour  et  de  recon- 
naissance. 

En  cela,  vous  avez  donné  une  preuve  non  équi- 
voque que  vous  saviez  reconnaître,  pour  vous- 
même  et  au  nom  de  tous  les  élèves  de  cette  maison, 
les  précieux  avantages  que  vous  avez  retirés  de 
l'éducation  soignée  qui  s'y  donne. 

Je  vous  loue  et  vous  bénis  pour  cette  bonne 
action  qui,  vous  devez  l'espéner,  ne  restera  pas 
sans  récompense. 

Dans  ce  ferme  espoir,  je  demeure  bien  sincère- 
ment, 

Monsieur, 
Votre  très-humble  et  tout  dévoué  serviteur, 
+  la.  Ev.  de  Montréal. 


AU   LECTEUR. 


Nous  offrons  aujourd'hui  au  public, 
la  biographie  de  l'honorable  Barthé- 
leini  Joliette,  fondateur  du  village 
d'Industrie,  actuellement  la  ville  de 
Joliette. 

La  gloire  impérissable  attachée 
au  nom  et  •  aux  travaux  de  cet 
homme  extraordinaire,  ne  saurait 
dispenser  ses  concitoyens  d'apporter 
à  sa  mémoire,  le  tribut  de  leurs 
sentiments  de  reconnaissance. 

Joliette  surtout,  qu'il  a  entourée 
de  toutes  parts,  qu'il  a  environnée 
comme  d'un  réseau  de  bienfaits,  ne 
doit  pas  être  la  dernière  à  mêler  sa 
voix  dans  ce  concert  de  louanges  et 


12  AU  LECTEUR. 

de  gratitude  qui,  de  toutes  les  parties 
du  pays,  s'élève  en  l'honneur  de 
l'un  de  ses  insignes  bienfaiteurs. 

Pour  nous,  élève  du  Collège  de 
M.  Joliette,  nous  avons  pensé  nous 
acquitter  d'un  pieux  devoir,  en  re- 
cueillant les  détails  d'une  vie  si 
dignement  remplie. 

Malgré  les  minutieuses  recher- 
ches que  nous  nous  sommes  im- 
posées pour  arriver  à  la  vérité, 
malgré  les  modifications  que  nous 
avons  fait  subir  à  notre  travail,  il 
nous  arrivera  peut-être  de  donner 
dans  quelques  légères  erreurs.  Nous 
en  demandons  d'avance  pardon  à 
ceux  qui  daigneront  nous  lire. 

Ces  lecteurs  bienveillants  vou- 
dront bien  aussi  se  souvenir,  en  par- 
courant ces  pages,  qu'il  nous  a  fallu 
les  écrire  le  plus  souvent  à  la  hâte, 
et  cela,  à  travers  mille  interruptions 


AU  LECTEUR.  13 

qui  devront  quelquefois,  laisser  du 
décousu  dans  notre  essai. 

Les  traditions  orales  étant  les 
seules  sources  auxquelles  on  peut 
encore  recourir  avec  la  certitude  d'y 
trouver  d'exacts  renseignements,  il 
est  hors  de  doute,  que  si  on  eût 
remis  à  une  époque  plus  reculée  le 
soin  de  consigner  les  événements 
dont  les  détails  vont  suivre,  les 
difficultés  d'un  pareil  travail  au- 
raient été  beaucoup  plus  grandes,  et 
des  erreurs  plus  nombreuses  s'y 
seraient  immanquablement  glissées. 

Ce  dernier  motif  devra  servir 
d'excuse  à  notre  témérité  d'avoir 
ravi  une  tâche  si  délicate  à  une 
plume  plus  exercée  et  plus  habile 
que  la  nôtre. 

Il  nous  reste  un  devoir  à  remplir  ; 
nous  nous  empressons  d'autant  plus 
de  nous  en  acquitter,  qu'il  est  pour 
nous  un  besoin  du  cœur  et  l'occasion 


14  AU  LECTEUK. 

de  plus  d'un  agréable  souvenir  :  ce 
devoir,  c'est  d'offrir  nos  sincères 
remerciements  aux  personnes  bien- 
veillantes qui  nous  ont  fourni  de 
précieux  renseignements  sur  la  vie 
de  l'honorable  Joliette. 

A  ce  titre,  Mgr.  de  Montréal,  les 
RR,  F.  Doryal,  P.  D.  Lajoie,  E. 
Champagneur,  MM.  de  Lanaudière, 
G.  Baby,  M.C.C.,  Chs.  Panneton,  J. 
0.  Leblanc,  P.  C.  Léodel,  Ecrs.,  ont 
droit  à  toute  notre  reconnaissance, 
comme  à  celle  du  public  en  général, 
et  surtout  de  celui  de  Joliette. 

Puisse  le  consolant  témoignage 
d'avoir  fait  mieux  connaître  l'une 
de  nos  illustrations  canadiennes,  les 
récompenser  de  la  lumière  qu'ils 
ont  jetée  sur  cette  page  de  notre 
histoire  ! 

A  la  biographie  de  l'honorable 
Joliette,  nous  joignons  celle  du  re- 
gretté Grand  Vicaire  Manseau. 


M     LKCTEUR.  15 

Unis  pendant  plus  de  vingt  ans, 
pour  la  prospérité  matérielle,  intel- 
lectuelle et  morale  d'une  ville  fondée 
par  leur  énergie  et  leur  patriotisme, 
ces  deux  hommes  bienfaisants  ne 
doivent  pas  être  séparés  après  leur 
mort. 

Le  burin  de  l'histoire  doit  tracer 
en  caractères  ineffaçables  sur  la 
même  page,  ces  deux  noms  bénis, 
comme  la  reconnaissance  les  fera 
vivre  éternellement  dans  le  cœur 
de  tous  les  habitants  de  Joliette. 

Pénétré  de  cette  pensée,  nous 
avions  déjà  formé  le  dessein  d'es- 
quisser rapidement  la  carrière  de 
M.Antoine  Manseau  pour  enjoindre 
le  récit  à  celui  de  la  vie  de  l'hono- 
rable Joliette,  lorsque,  par  un  bon- 
heur inespéré,  nous  avons  vu  nos 
espérances  dépassées. 


16  AU  LECTEUR. 

Apprenant  que  la  biographie  de 
ce  saint  prêtre  avait  été  préparée,  il 
y  a  déjà  plusieurs  années,  par  le 
vénérable  Evêque  de  Montréal,  nous 
avons  fait  de  vives  instances  pour 
nous  la  procurer;  et  aujourd'hui, 
nonobstant  les  réclamations  dictées 
par  la  modestie,  nous  prenons  sur 
nous  de  la  publier  pour  la  satisfac- 
tion du  public. 

Maintenant,  que  le  lecteur  n'aille 
pas  se  scandaliser  de  notre  préten- 
tion de  placer  nos  humbles  essais  à 
côté  des  écrits  si  solides,  si  dignes, 
si  pleins  de  mérite  de  Sa  Grandeur, 
Mgr.  l' Evêque  de  Montréal.  Au 
sein  du  même  parterre,  la  rose  bril- 
lante, gloire  du  printemps,  et  la 
violette  à  la  modeste  parure  ne 
s'épanouissent-elles  pas  sous  les 
rayons  du  même  soleil  ?  N'enten- 
dons-nous pas  dire  tous  les  jours 
qu'il  faut  des  ombres  à  tout  tableau  ? 


AU  LECTEUR.  17 

Eh  bien  !  nos  écrits  seront  ces 
ombres  qui  feront  ressortir  d'avan- 
tager la  beauté  du  tableau  qu'a 
tracé  Monseigneur.  C'est  le  seul 
honneur  auquel  ils  aspirent. 


L'HONORABLE 
BARTHELEMI  JOLIETTE. 


Sortir  heureux  et  triomphant  de  tous  les  obs- 
tacles que  présentent  au  jeune  homme  orphelin, 
pauvre  et  sans  appui,  les  premiers  pas  de  la  vie  ; 
parvenir,  à  l'aide  de  quelques  leçons  élémen- 
taires, à  l'honneur  d'une  profession  libérale  ;  se 
concilier  pendant  quinze  ans,  la  sympathie,  l'es- 
time et  la  reconnaissance  d'un  vaste  district  ; 
puis,  après  ce  laps  de  temps,  braver  hardiment 
toutes  les  prédictions  sinistres,  s'en  venir,  sous 
l'inspiration  d'une  pensée  créatrice,  planter  sa 
tente  dans  l'épaisseur  de  la  forêt  qui  va  dispa- 
raître bientôt  pour  faire  place  à  un  riant  village  ; 
couvrir  de  moulins,  de  manufactures,  etc.,  le 
nouvel  établissement  qui,  comme  par  enchante- 
ment, a  surgi  sur  les  rives  pittoresques  de  la 
rivière  de  l'Assomption  ;  emprisonner  les  eaux 
dans  leurs  lits  ou  se  servir  de  leurs  chûtes  et 
de  leurs  courants  pour  transporter  sur  une  dis- 
tance de  60  à  80  lieues,  le  bois  des  Vallées  et 
des  Montagnes  du  Nord  ;  ouvrir  des   routes  à 


.   20  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

travers  la  forêt  et  les  marécages  ;  relier  ce  centre 
commercial  à  la  navigation  du  St.  Laurent,  par 
le  moyen  d'un  chemin  de  fer  ;  favoriser  puis- 
samment l'éducation,  par  -  la  fondation  d'ua 
collège;  enfin,  couronner  toutes  ces  œuvres  par 
la  construction  d'un  temple  splendide  :  solennel 
et  vivant  témoignage  de  foi  et  d'attachement  à 
l'église  ;  voilà  certes,  de  quoi  illustrer  plus 
d'une  vie;  et  pourtant,  tel  est  le  fruit  du  génie, 
du  dévouement  et  du  patriotisme  d'un  seul 
homme,  de  l'Honorable  Barthélemi  Joiiette. 
C'est  le  récit  aussi  fidèle  que  possible  des 
principales  phases  de  cette  belle  vie,  que  nous 
offrons  au  public  de  Joiiette.  Ce  n'est  pas 
que  les  citoyens  de  cette  localité  ignorent  leur 
bienfaiteur  ou  les  grandes  choses  qu'il  a  accom- 
plies, non  :  mais,  chacun  a  pu  l'éprouver,  il  y 
a  toujours  un  charme  nouveau  à  entendre  ré- 
sonner à  nos  oreilles  le  nom  et  les  louanges  de 
ceux  qui  nous  sont  chers,  et  l'on  pardonne  alors 
volontiers  au  narrateur  ses  défauts  de  langage, 
pour  ne  savourer  que  le  plaisir  qu'apporte  déli- 
cieusement au  cœur,  les  agréables  souvenirs 
qu'il  rappelle.  "  L'amour,  dit  Lacordaire,  n'a 
qu'un  mot,  en  le  disant  toujours  il  ne  le  répète 
jamais."  Parlant  de  M.  Joiiette,  à  une  popula- 
tion objet  de  sa  munificence  et  de  ses  bienfaits, 
nous  laisserons  couler  doucement  notre  plume, 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  21 

racontant  simplement  les  faits,  sans  nous  in- 
quiéter beaucoup  ni  des  ornements  du  style,  ni 
de  l'harmonie  des  périodes.  Le  sujet  que  nous 
traitons  devra  assez  intéresser  nar  lui-même 
sans  qu'il  soit  besoin  de  recourir  à  la  magnifi- 
cence des  images  pour  fixer  l'attention  du 
lecteur. 

I. 

Naissance  de  B.  Joliette. 

Barthélemi  Joliette  vit  le  jour  à  St.  Thomas 
de  Montmagny,  le  neuf  Septembre  dix-sept 
cent-quatre-vingt-neuf,  époque  mémorable  de 
la  révolution  française  qui  a  eu  un  retentis- 
sement dans  le  monde  entier. 
•  A  l'encontre  de  cette  phalange  de  révolu- 
tionnaires, hommes  sans  principes,  sans  honneur 
et  sans  foi,  mais  enivrés  du  vin  de  toutes  les 
mauvaises  passions,  et  qui,  comme  une  nuée  de 
vautours,  s'abattirent  sur  la  France  pour  la 
dévorer,  comme  ils  se  dévorèrent  eux-mêmes 
plus  tard  ;  Barthélemi  Joliette,  né  à  cette 
époque  de  troubles  et  de  bouleversements  so- 
ciaux, devait  à  lui  seul,  devenir  l'homme  d'une 
autre  révolution  :  révolution  pacifique  et  régé- 
nératrice, qui,  au  lieu  de  changer  la  patrie  en 
désert,  transforma  la  foret  et  le  désert  en  une 


22  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

ville  florissante;  qui,  au  lieu  de  décimer  les  ci- 
toyens par  le  fer  et  le  feu,  les  fit  prospérer  sous 
la  triple  influence  de  la  foi,  du  commerce  et 
de  l'industrie  ;  qui,  au  lieu  de  renverser  les 
autels  de  Jésus-Christ,  en  éleva  de  nouveaux 
sur  ce  sol  canadien  fécondé  par  le  sang  de  nos 
premiers  missionnaires. 

TT. 

Ancêtres  de  B.   Joliette. 

La  famille  Joliette  est  originaire  de  l'an- 
cienne province  de  Brie,  dans  cette  partie  du 
département  de  la  Seine,  connue  aujourd'hui 
sous  le  nom  d'arrondissement  d'Epernay. 

Ce  fut  sous  le  gouvernement  de  M.  de  Mont- 
magny,  qu'au  nombre  de  ces  émigrants  que  la 
mère-patrie  versait  chaque  année,  d'une  main 
avare,  sur  les  rives  lointaines  du  Canada, 
arrivait  au  pays,  Jean  Jolliet,  qui,  le  neuf 
Octobre  seize- cent -trente-neuf,  épousait  à 
Québec,  Marie  d'Abrancourt,  de  St.  Varx, 
près  de  Soissons. 

Le  nouveau  colon  n'était  ni  de  noble  extrac- 
tion, ni  favorisé  des  biens  de  la  fortune  ;  il 
était  tout  simplement  le  charron  de  la  Compa- 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  23 

gnie  des  Cent  Associés  ;  mais,  comme  tous  nos 
pères,  les  anciens  canadiens,  il  avait  de  la  foi, 
de  l'intelligence  et  du  cœur. 

Dans  ces  temps  de  luttes  continuelles,  où, 
disséminés  de  Montréal  à  Tadoussac,  deux 
cents  européens  devaient  défendre  le  pays  con- 
tre des  tribus  sauvages  qui,  par  milliers,  sem- 
blaient sortir  de  terre  pour  ravager  les  proprié- 
tés et  massacrer  les  habitants  de  la  colonie  ;  à 
cette  époque  de  glorieuse  mémoire,  où,  bien 
des  fois,  le  colon  dut  arroser  du  sang  de  l'enne- 
mi le  sillon  qu'il  traçait,  c'était  là,  les  plus 
beaux  titres  de  noblesse  et  le  plus  précieux 
apanage  qu'on  pût  posséder. 

Le  23  Avril  1651,  Jean  Jolliet  mourait  à 
Québec,  âgé  de  55  ans,  laissant  aux  soins  de 
sa  femme,  quatre  enfants  :  trois  garçons  et  une 
fille.  Voici  leurs  noms  :  Adrien,  Louis,  Za- 
charie,  Marie. 

Ce  fut  l'un  de  ces  enfants,  le  jeune  Louis, 
dont  les  RE.  PP.  Jésuites  découvrirent  la 
haute  intelligence,  qui  fut  instruit  par  leur 
zèle  et  leur  sollicitude,  et  que  nous  retrouvons 
plus  tard,  avec  la  soutane  et  le  titre  de  clerc 
minoré,  au  collège  de  Québec. 

Cependant,  cette  vie  toute  spirituelle  n'al- 
lant pas  à  son  caractère  et  à  l'activité  dévo- 
rante de  son  esprit,  il  se  tourna  vers  un  autre 


24  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

avenir,  et,  laissant  là  l'étude  de  la  théologie,  on 
le  vit  faire  ses  adieux  au  pays,  pour  s'en  aller 
à  travers  les  immenses  solitudes,  faire  la  traite 
des  pelleteries  au  sein  des  tribus  indiennes. 

Dans  cette  vie  de  courses  et  d'aventures,  il 
se  rendit  familiers  les  idiomes  des  nombreuses 
tribus  nomades  qu'il  visita.  C'est  ainsi  que, 
sans  s'en  douter,  il  se  préparait  à  l'avance,  les 
ressources  nécessaires  pour  la  grande  entreprise 
qui  couronna  son  existence,  en  attachant  à  son 
nom  un  impérissable  souvenir. 

L'histoire  nous  a  dit  comment,  en  compa- 
gnie du  père  Marquette,  et  au  prix  de  quels 
dangers,  Jolliet,  après  une  excursion  de  deux 
mois  dans  les  pays  de  l'Ouest,  découvrît  le 
fleuve  Mississipi. 

Ce  fut  en  récompense  de  sa  découverte  et  en 
considération  de  ses  connaissances  géographi- 
ques, qu'il  fut  nommé  hydrographe  du  roi  et 
qu'il  reçut,  à  titre  de  fief,  avec  pouvoir  de  haute, 
basse  et  moyenne  justice,  la  seigneurie  de  l'île 
d'Anticosti. 

Plus  tard,  en  l'année  1697,  le  roi  joignit  à 
ses  domaines,  la  seigneurie  de  Joliette  possédée 
aujourd'hui  par  quelques-uns  de  ses  descendants. 

Voici  les  détails  que  nous  fournissent  à  ce 
sujet,  les  note  précieuses  du  savant  abbé  Fer- 
land: 


LHONORABLE  B.  JULIETTE.  25 

"  Québec  a  le  droit  de  revendiquer  Louis 
Jolliet  comme  un  de  ses  enfants.  Après  avoir 
fini  son  cours  d'études  chez  les  Jésuites,  il  em- 
brassa l'état  ecclésiastique.  Le  16  Août  1662, 
n'ayant  pas  encore  17  ans  accomplis,  il  reçut  la 
tonsure  et  les  ordres  mineurs  dans  la  chapelle 
de  la  Congrégation,  au  Collège  des  Jésuites. 
Son  père,  Jean  Jolliet,  était  mort  en  1650  :  et 
en  1651,  sa  mère  avait  épousé  en  seconde  noce, 
Geoffroid  Guillot  de  Beauport.  Il  avait  reçu 
les  ordres  mineurs  depuis  plusieurs  années,  lors- 
qu'il termina  sa  philosophie  en  1666. 

"  Joliet  avait  encore  l'habit  ecclésiastique  en 
1667  et  demeurait  au  Séminaire  de  Québec. 
Ayant  tourné  ses  vues  d'un  autre  côté,  il  fut 
en  1673  chargé  parle  comte  de  Frontenac, 
d'aller  à  la  découverte  de  la  grande  rivière  que 
l'on  prétendait  se  décharger  dans  le  Golfe  de 
Californie,  et  le  père  Marquette  fut  invité  à 
accompagner  le  jeune  explorateur.  Ce  sont  les 
expressions  du  Révérend  Père  qui  continue  à 
parler  dans  les  termes  suivants  de  sou  compa- 
gnon de  voyage. 

"  Ils  ne  se  trompèrent  pas  dans  le  choix 
qu'ils  firent  du  sieur  Jolliet,  car  c'était  un  jeune 
homme  natif  de  ce  pays,  qui  a  pour  un  tel  des- 
sein tous  les  avantages  qu'on  peut  souhaiter  ; 
il  a  l'expérience,  la  connaissance  des  langues 


26  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

du  pays  des  Outaouacs,  où  il  a  passé  plusieurs 
années  ;  il  a  la  conduite  et  la  sagesse,  qui  sont 
les  principales  parties  pour  faire  réussir  un 
voyage  également  dangereux  et  difficile. 

"Enfin,  il  a  le  courage  pour  ne  rien  appréhen- 
der, où  tout  est  à  craindre.  Aussi,  a-t-il  rempli 
l'attente  qu'on  avait  de  lui,  et  si,  après  avoir 
passé  mille  dangers,  il  ne  fût  venu  malheureu- 
sement faire  naufrage  au  port,  son  canot  ayant 
tourné  au-dessous  du  Sault-St-Louis,  proche 
de  Montréal,  où  il  a  perdu  et  ses  hommes  et 
ses  papiers,  et  d'où  iî  n'a  échappé  que  par  une 
espèce  de  miracle,  il  ne  laissait  rien  à  désirer 
au  succès  de  son  voyage." 

L'on  voit  par  là  que  Jolliet  avait  déjà  fait  de 
longs  voyages  ;  il  s'était  occupé  de  la  traite  des 
pelleteries,  mais  en  tout  temps,  il  avait  conservé 
l'amitié  de  ses  anciens  maîtres  d'études. 

Deux  ans  après  la  découverte  du  Mississipi 
le  7  Octobre  1675,  Louis  Jolliet  épousa  Claire 
Françoise  Bissot,  née  à  Québec  et  fille  de  Fran- 
çois Bissot,  Seigneur  de  Vincennes,  de  Nor- 
mandie, et  de  Marie  Couillard,  de  Québec, 

En  1680,  il  reçut  en  récompense  de  ses  ser- 
vices, la  seigneurie  de  l'île  d'Anticosti  qui 
était  une  des  plus  considérables  du  pays  à 
cause  de  la  traite  des  pelleteries  qui  s'y  faisait 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  27 

sur  une  grande  échelle,  et  à  cause  de  sa  position 
avantageuse  à  l'entrée  du  fleuve. 

Louis  Jolliet  commença  alors  à  signer:  u  Louis 
Joliiet  d'Anticosti."  Il  fut  aussi  nommé  hy- 
drographe du  roi,  et  en  1697,  il  obtint  la  sei- 
gneurie de  Jolliet. 

Le  recensement  de  1681  donne  les  détails 
suivants  sur  sa  famille  demeurant  à  l'île  d'An- 
ticosti. "  Louis  Jolliet,  42  ans,  Claire  Bissot, 
sa  femme,  23  ans.  Leurs  enfants  :  Louis,  âgé 
de  cinq  ans;  Jean,  3  ans;  Anne,  2  ans;  Claire, 
un  an  ;  six  serviteurs  ;  6  fusils  ;  deux  bêtes  à 
cornes,  2  arpents  de  défriché. 

Nous  ne  connaissons  pas  la  date  précise  de  la 
mort  de  Louis  Jolliet  qui  est  arrivée  entre 
Mai  et  Octobre  de  Tannée  1 700. 

Louis  Jolliet  laissa  plusieurs  enfants  dont  les 
descendants  sont  nombreux  dans  le  district  de 
Québec  et  dans  celui  des  T rois-Rivières.  Les  nls 
de  Louis  Jolliet  paraissent  avoir  été  engagés 
dans  la  traite  des  pelleteries  et  avoir  principale- 
ment résidé  soit  dans  l'île  d'Anticosti,  soit  sur 
la  côte  voisine,  au  Nord. 

L'un  d'eux,  Jean  Jolliet,  prit  le  surnom  de 
Mingan  ;  il  maria  sa  fille  Anne  Jolliet  de  Min- 
gan  en  1742  au  sieur  Jean  Taché  de  Gangan- 
ville,  diocèse  de  Montauban,  fils  d'Etienne 
Taché,  commissaire  des  vivres  à  St.  Malo.  La 


28  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

famille  Taché,à  laquelle  appartiennent  Sa  Grâce 
Monseigneur  l'archevêque  de  St.  Boniface, 
Thonorable  receveur-général  et  le  représentant 
du  comté  de  Rimouski,  est  descendue  de  ce 
mariage. 

Claire,  fille  de  Louis  Jolliet,  épousa  le  11 
Mai  1702,  Joseph  Fleury  Deschambeault  ;  de 
deux  filles  nées  de  ce  mariage,  Tune  Marie- 
Claire,  épousa  Thomas  Jacques  Taschereau, 
trésorier  de  la  marine  en  ce  pays,  natif  de 
Tours  et  tige  de  la  nombreuse  et  respectable 
famille  de  ce  nom  (qui  a  aujourd'hui  Tinsigae 
honneur  de  compter  dans  son  sein  le  pieux  et 
savant  Archevêque  de  Québec.) 

L'autre,  Louise,  se  maria  avec  Pierre  Fran- 
çois Rigaud  de  Vaudreuil,  né  à  Québec  et  fils 
de  Philippe  Rigaud  de  Vaudreuil  et  de  Louise 
Elizabeth  Joybert  de  Soulanges. 

Après  la  prise  de  Montréal,  Pierre  Vaudreuil 
passa  en  France  avec  sa  femme  et  ses  enfants." 

Alliée  à  plusieurs  de  nos  nobles  familles  ca- 
nadiennes, celle  de  Jolliet  n'a  terni  l'illustra- 
tion d'aucune  d'elles.  Ce  nom  de  Jolliet 
s'unit  à  celui  des  Ta/shé,  des  Taschereau,  des 
Fleury  Deschambault,  des  Pierre  de  Vaudreuil 
dont  le  père  gouverna  longtemps  ce  pays,  et 
dont  le  fils  eut  l'honneur  d'être  nommé  gou- 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  29 

vcrneur  à  l'époque  de  la  lutte  suprême  de  nos 
pères,  en  dix-sept-cent  cinquante-cinq. 

En  descendant  l'arbre  généalogique  de  la 
famille  de  Louis  Jolliet,  découvreur  du  Missis- 
sipi,  l'on  trouve  à  la  cinquième  génération, 
Barthélemi,  fondateur  de  la  riante  petite  ville 
dont  la  reconnaissance  des  habitants  a  changé 
le  nom  primitif  d'Industrie  en  celui  de 
Joliette. 

Antoine  Jolliet,  père  de  Barthélemi,  exer- 
çait la  profession  de  notaire.  Nous  voyons, 
par  les  registres  ecclésiastiques,  qu'il  s'était 
marié  à  Berthier,  en  1785,  à  Demoiselle  Cathe- 
rine Faribeault,  dont  le  père  devint  plus  tard 
membre  de  notre  conseil  législatif.  Antoine  Jol- 
liet était  allé  se  fixer  à  St.  Thomas  de  Mont- 
magny  où  il  mourut  en  1789.  (*) 

Orphelin  dès  sa  naissance,  Barthélemi  fut 
élevé  en  compagnie  d'Antoine,  son  frère  aine, 
sous  les  soins  affectueux  de  sa  mère,  femme 
d'un  mérite  supérieur,  dont  la  piété  égalait  l'in- 
telligence et  la  persévérante  énergie. 

A  l'instar  de  la  plupart  des  anciennes  femmes 
canadiennes,  elle  était  douée  d'une  robuste 
constitution;  sans  cesse  sur  pied,  on  la  voyait 
travailler  le  jour  et  une  partie  des  nuits,  faire 
elle-même  sans  le  secours  d'autrui,  le  service 
de   sa   maison    toute   reluisante  de  propreté. 


30  LjHONORABLE  B.  JULIETTE. 

Elle  décéda  à  l'Industrie,  aujourd'hui  Joliette, 
en  1854,  à  l'âge  avancé  de  92  ans. 

Jusqu'au  dernier  moment,  elle  conserva  cette 
lucidité  d'esprit,  cette  heureuse  mémoire,  cette 
foi  et  cette  aimable  piété  qui  la  distinguèrent 
toute  sa  vie. 

III. 

La  Famille  Joliette  a  l'Assomption. 

De  St.  Thomas,  la  petite  famille  transporta 
successivement  son  séjour  à  Berthier  où  des 
parents,  des  connaissances,  et  tous  les  doux 
souvenirs  du  jeune  âge  attiraient  la  mère,  puis 
à  l'Assomption,  où  résidait  l'oncle  et  le  protec- 
teur des  enfants,  l'Honorable  Joseph  E.  Fari- 
beault  qui,  depuis  plusieurs  années,  y  exerçait 
sa  profession  de  notaire. 

IV. 

Première  Education  de  B.  Joliette. 

Ce  fut  peu  de  temps  après  sa  première  com- 
munion à  laquelle  il  fut  préparé  avec  soin,  et 
par  sa  mère  et  par  le  zélé  curé  de  l' Assomptiou, 
que  le  jeune  Joliette  commença  à  fréquenter 
l'éîole  du  village,  tenue  par  M.  Nepveu,  dont 
il  garda  toujours  un  excellent  souvenir. 

Dans  son  âge  mûr,  il  aimait  à  se  rappeler  ces 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  31 

douces  années  de  l'enfance  où,  en  compagnie 
de  ses  livres  bien-aimés,  il  passait  si  agréable- 
ment les  heures  de  la  veillée.  C'était  pour 
lui,  disait-il,  un  véritable  délassement  ;  car  ne 
sortant  que  rarement  de  chez  sa  mère,  il  avait 
fait  de  ses  livres,  ses  plus  intimes  amis.  Heu- 
reuse la  jeunesse  d'aujourd'hui  si  elle  se  for- 
mait sur  de  pareils  modèles  ! 

Bien  loin  de  partager  les  sentiments  et  la 
manière  de  voir  de  la  plupart  des  écoliers  pour 
qui  l'étude  est  un  supplice,  il  ne  se  contentait 
pas  des  leçons  ordinaires  du  professeur,  mais 
n'écoutant  que  son  ambition  de  s'instruire,  il 
s'imposait  des  tâches  surnuméraires  dont  il 
allait  rendre  compte,  en  sollicitant  l'explication 
des  passages  qu'il  ne  comprenait  pas  parfaite- 
ment. 

Une  estime  mutuelle  s'était  établie  entre 
l'enfant  et  le  précepteur  qui  ne  faisait  mys- 
tère à  personne,  du  bel  avenir  qu'il  présageait 
pour  son  jeune  élève. 


B.  Juliette,  Etudiant  en  droit. 

Cinq  années  avaient  passé  bien  rapidement , 
et  malgré  les  regrets  du  bon  et  dévoué  profes- 
seur, malgré  le  sacrifice  de  ses  inclinations  pour 


32  L'HONORABLE  B.  JOL1ETTE. 

l'étude,  Barthélemi  dût  faire  ses  adieux  aux 
classes  de  M.  Nepveu  pour  entrer  comme  clerc- 
notaire  chez  son  oncle,  M.  Joseph  Edouard 
Faribeault.  Là,  comme  à  l'école,  il  déploya 
la  même  ardeur  pour  l'étude,  la  même  applica- 
tion à  ses  devoirs. 

Toujours  assidu  au  bureau,  on  l'y  trouvait 
constamment  occupé.  Lorsque  dans  le  cours 
de  son  travail,  il  lui  survenait  quelques  difficul- 
tés, il  prenait  pour  pratique  de  ne  jamais  pas- 
ser outre,  sans  s'être  rendu  compte  des  obscu- 
rités qu'il  avait  rencontrées. 

La  science  et  le  jugement  de  son  estimable 
patron  étaient  pour  lui  une  précieuse  ressource 
qu'il  ne  manqua  pas  d'utiliser.  C'est  ainsi, 
qu'à  force  de  travail,  de  réflexion,  et  de  persé- 
vérance, il  se  préparait  une  belle  carrière  pour 
l'avenir.  A  cette  époque,  où  l'on  ne  comptait 
encore  que  deux  collèges  dans  le  Bas-Canada, 
où  l'éducation  classique  n'était  que  le  privilège 
des  grandes  villes,  il  fallait  aux  jeunes  gens 
placés  et  élevés  en  dehors  de  ces  centres,  une 
dose  de  courage  et  de  talent  plus  qu'ordinaire 
pour  aborder  les  professions  libérales.  Les 
intelligences  distinguées  seules  osaient  se  lancer 
dans  ces  carrières  heureusement  plus  redoutées 
qu'aujourd'hui. 

Aussi,  est-il  digne  de  remarque,  que  les  an- 


L'HONORABLE  B.  JOL1ETÏE. 


33 


ciens  officiers  publics,  nonobstant  l'instruction 
très-limitée  qu'ils  avaient  pu  recevoir,  étaient 
profondément  versés  dans  toutes  les  questions 
de  la  jurisprudence. 

Les  articles  qu'ils  ont  laissés,  bien  que  dépa- 
rés par  certaines  locutions  un  peu  bizarres,  et 
bon  nombre  de  fautes  d'ortographe,  sont  rédi- 
gés de  la  manière  la  plus  claire  et  toujours  ba- 
sés sur  l'exacte  interprétation  de  nos  lois. 

Ah  !  si  ces  hommes,  qui,  après  quatre  à  cinq 
ans  de  séjour  dans  une  pauvre  école  de  village, 
se  virent  obligés,  sans  aucune  autre  préparation, 
ù,  commencer  leurs  études  professionnelles;  si, 
dis-je,  ils  avaient  pu  jouir  des  avantages  des 
étudiants  de  notre  temps,  combien  ils  en  au- 
raient mieux  profité  que  quelques-uns  d'entre 
eux  !  et  combien  nombre  de  ces  derniers  auraient 
à  rougir  de  la  comparaison  des  connaissances 
des  anciens  avec  celles  des  contemporains  ! 

VI. 

B.   JOLIETTE    ADMIS   A    LA   PRATIQUE 

du  Notariat. 

Le  jeune  Joliette  avait  terminé  ses  études 
légales.  Muni  de  bonnes  recommandations  et 
des  certificats  flatteurs  de  son  digne  patron,  il 
partit  plein  de  confiance  pour  aller  se  soumettre 


34  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

aux  épreuves  de  l'examen.  Ce  jour  fut  pour  lui 
un  beau  triomphe  et  l'occasion  de  nombreuses 
félicitations  de  la  part  des  amis  que  sa  bonne 
conduite  avait  attirées  autour  de  lui. 

Ce  fut  le  trois  Octobre  mil-huit-cent-dix, 
qu'il  reçut  de  Sir  James  Craig,  sa  commission 
de  notaire.  Il  y  avait  près  de  C>  ans  qu'il 
avait  commencé  sa  cléricature. 

Combien;  en  entendant  les  réponses  si  justes 
de  son  protégé  et  les  compliments  que  lui 
adressaient  les  examinateurs,  le  cœur  du  bon 
oncle,  J.  E.  Faribault,  dut  battre  de  joie  et 
d'espérance  !  Il  aimait  son  neveu  comme  son 
fils  et  ce  qui  redoublait  son  affection,  c'est  qu'il 
était  payé  d'un  juste  retour. 

Une  nouvelle  ère  allait  donc  commencer  pour 
B.  Joliette.  Derrière  lui,  il  voyait  déjà  se  re- 
plier et  disparaître  les  scènes  riantes  de  son 
printemps.  Déjà  plus  de  vingt  années  avaient 
fui,  rapides  comme  l'éclair  ;  il  était  au  seuil 
d'un  nouvel  avenir  dont  il  lui  tardait  de  voir 
entr'ouvrir  les  portes. 

Le  jeune  homme  pauvre,  qui,  après  de  rudes 
épreuves,  beaucoup  de  fatigues,  de  travail  et  de 
soucis,  est  enfin  parvenu  à  vaincre  toutes  les 
difficultés  de  la  situation,  voit  enfin  poindre  ce 
jour   désiré  qui  réalisera  ses  plus  chers  espé- 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  35 

rances,  doit  sentir  palpiter  son  cœur,  sous 
l'effet  d'une  bien  douce  émotion. 

C'est  le  voyageur  empressé,  qui,  après  avoir 
franchi  les  déserts  et  les  solitudes,  aperçoit 
enfin,  du  sommet  d'une  montagne  qu'il  vient  de 
gravir,  la  patrie,  le  clocher  de  son  village,  le 
toit  de  ses  pères. 

En  effet,  celui-ci  n'a  pas  le  cœur  plus 
joyeux,  ne  respire  pas  plus  à  l'aise  que  l'étu- 
diant qui,  après  les  anxiétés  de  l'examen,  em- 
porte sur  son  cœur  le  parchemin  chéri,  désiré 
depuis  si  longtemps. 

C'est  le  premier  triomphe  de  la  vie  !  Quel 
suave  parfum  il  doit  apporter  à  l'âme  confiante, 
de  cette  jeunesse,  avide  d'honneur,  et  dont  le 
cœur  s'ouvre  aussi  naturellement  à  l'espérance 
du  bonheur,  que  le  calice  des  fleurs  aux  rayons 
du  soleil  qui  les  fait  s'épanouir  ! 

Et,  il  est  si  doux  de  se  bercer  que  ce  succès 
n'est  que  le  premier  anneau  d'une  longue  chaîne 
de  propérité!... 

Illusion  du  jeune  âge  !  Combien  il  serait  à 
souhaiter  que  tes  charmes  ne  s'évanouissent 
sitôt  ! 

Hélas  !  bien  souvent,  les  orages  du  cœur,  le 
vent  du  malheur  et  de  l'adversité  viennent  dé- 
chirer trop  soudainement  les  voiles  trompeurs 
qui    nous  laissent    entrevoir   la  vie,    comme 


30  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

un  Eden  délicieux,  où  nous  n'avons  qu  à  ten- 
dre la  main  pour  cueillir  les  fleurs  odorantes 
et  les  fruits  savoureux. 

Toutes  les  âmes  cependant  ne  se  prennent 
pas  du  même  enthousiasme; certains  esprits  plus 
sérieux  n'osent  se  flatter  que  le  chemin  de  la 
vie  sera  pour  eux  sans  épines  et  sans  douleurs. 
Barthélemi  Joliette  fut  du  nombre  de  ces 
derniers.  D'un  naturel  réfléchi,  il  entrevoyait 
l'avenir  avec  ses  phases  inconstantes,  variables 
à  l'infini  :  ses  alternatives  de  succès  et  de  revers, 
ses  sacrifices  tempérés  par  l'espérance,  ses  tra- 
vaux et  ses  souffrances  adoucis  par  les  joies  de 
la  vertu  et  le  témoignage  d'une  conscience  heu- 
reuse de  l'accomplissement  de  ses  devoirs. 

Il  était  en  droit  cependant,  d'envisager  d'un 
regard  confiant,  la  carrière  qui  s'ouvrait  devant 
lui,  sous  les  plus  beaux  auspices.  Sa  commis- 
sion professionnelle,  il  l'avait  bien  et  dûment 
acquise  par  six  années  d'un  travail  rude  et 
constant. 

Il  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre,  et  dès  la  pre- 
mière année  de  sa  vie  publique,  on  vit  dans  sa 
personne  et  dans  ses  actes,  l'homme  vertueux 
et  intègre  qui,  pendant  quarante  ans,  honora  la 
profession  de  notaire  par  une  conduite  sans 
reproche. 

A  cette  époque,  le  village  et  la  paroisse  de 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  37 

l'Assomption  étaient  déjà  florissants.  De  plus, 
l'état  d'aisance  dans  lequel  se  trouvait  la  popu- 
lation des  lieux  circonvoisins,  ayant  son  centre 
d'affaires  au  même  village,  contribuait  à  rendre 
plus  favorable  à  M.  Joliette,  les  succès  de 
l'avenir. 

La  confiance  publique  ne  tarda  pas  à  prou- 
ver au  jeune  notaire  combien  l'on  savait  appré- 
cier son  savoir,  sa  rectitude  de  jugement  et  sa 
probité. 

Son  bureau  était  le  rendez-vous  de  cinq  a  six 
paroisses.  Il  suffisait  qu'une  affaire  parût  em- 
brouillée pour  qu'on  recourût  au  discernement 
de  M.  Joliette. 

Ce  surcroit  de  labeurs  l'obligeait  à  passer 
souvent  les  jours  et  les  nuits  sans  sommeil  ; 
c'était  à  peine,  s'il  pouvait  expédier  cette  mul- 
titude d'affaires  dont  on  le  surchargeait,  de 
toutes  parts. 

Homme  de  conseil,  il  avait  la  patience  d'é- 
couter pendant  des  heures  entières,  les  raisons, 
les  disputes  des  deux  parties  qu'il  lui  fallait 
accorder.  C'est  ainsi  qu'il  exemptait  une 
foule  de  procès  insidieux  et  de  chicanes: 
source  de  tant  de  désordres  et  de  tant  d'impla- 
cables rancunes. 

Mais  ce  qui  est  admirable,  ce  qui  fait  le  plus 
bel  honneur  à  M.  Joliette,   c'est   sa   généro- 


38  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

site  et  son  désintéressement.  Jamais  on  ne  le 
vit  exiger  aucune  rémunération  pour  les  con- 
seils qu'il  donnait,  et  pour  lesquels  il  sacrifiait 
des  moments  si  précieux. 

Belle  et  précieuse  qualité  trop  rare  de  nos 
jours  ! 

VIL 

Barthélemi  Juliette,  major  de  milice. 
Campagnes  de  1812  et  de  1813. 

Mais  voilà  que  des  nuages  s'amoncellent  à 
l'horizon  politique  du  Canada.  La  république 
américaine  ayant  violé  le  blocus  continental 
imposé  par  la  Grande  Bretagne,  en  haine  de 
la  France  et  en  représailles  de  celui  qu'avait 
ordonné  Napoléon,  s'irrita  de  la  capture  de  ses 
vaisseaux  pris  en  flagrant  délit  et  confisqués  par 
les  Anglais.  N'écoutant  que  son  ressentiment, 
forte  de  la  puissance  numérique  de  ses  armées, 
elle  déclara  la  guerre  à  son  ancienne  métropole. 

On  sortait  alors  de  cette  époque  malheureuse 
de  fanatisme  et  de  persécutions  qu'avait  inau- 
gurée l'administration  de  Sir  James  Craig. 

L'Angleterre  effrayée,  comprit  alors  qu'elle 
devait  changer  sa  politique  envers  lesCanadiens- 
Français,  et  que  la  concession  des  droits  et  des 
privilèges  qu'ils  réclamaient  depuis  longtemps, 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  39 

lui  servirait  beaucoup  plus  avantageusement 
que  le  despotisme  de  son  autorité. 

"  D'heureuses  circonstances  favorisaient  ce 
retour  à  des  idées  plus  justes,  et  surtout  plus 
honorables  de  la  part  d'une  grande  et  puissante 
nation." 

La  politesse,  la  déférence  et  l'impartialité 
de  Sir  Georges  Prévost,  successeur  de  Sir 
James  Craig,  l'avaient  rendu  l'idole  de  la  popu- 
lation. De  plus,  la  nomination  aux  premières 
dignités  militaires  de  plusieurs  de  nos  compa- 
triotes distingués,  achevèrent  de  populariser  le 
gouverneur. 

Il  était  temps,  car  la  lutte  menaçait  d'être 
terrible  et  sanglante.  C'était  sur  nous  que 
devaient  tomber  les  premiers  coups,  et  cepen- 
dant, cette  prévision  n'épouvantait  personne. 
A  peine  la  déclaration  de  guerre  avait-elle  été 
signifiée,  qu'un  cri  universel  de  patriotisme 
souleva  la  poitrine  de  tous  les   Canadiens. 

A  ces  nobles  accents,  on  reconnaissait  les 
descendants  des  vaillants  soldats  de  1759  et  de 
1760. 

Non,  l'ardeur  guerrière  de  ce  peuple  de 
braves  qui,  à.  la  pointe  de  la  baïonnette,  avait 
purgé  le  sol  des  hordes  indiennes  et  sauvé  la 
patrie  des  invasions  redoutables  de  la  Nou- 
velle-Angleterre,   non   cette   fougue    chevale- 


40  L'HONORABLE  B   JOLIETTE. 

resque  ne  s'était  pas  éteinte  dans  un  lâche  et 
indolent  sommeil. 

A  l'appel  de  la  mère-patrie,  le  Canada  fidèle 
à  sa  foi,  fier  de  ses  vieilles  gloires,  se  leva 
comme  un  seul  homme  pour  voler  à  la  défense 
de  ses  frontières  menacées. 

De  toutes  parts,  accourait  se  ranger  sous  la 
bannière  nationale,  une  foule  de  nobles  cœurs, 
qui  tous,  brûlaient  de  donner  un  solennel  dé- 
menti aux  accusations  mensongères  portées 
contre  la  loyauté  du  peuple  Canadien.  Aux 
premiers  rangs,  figurait  le  jeune  notaire  de 
l'Assomption,  B.  Joliette. 

Nommé  enseigne  et  aide-major  par  Sir 
James  Craig,  en  mii-huit-cent-huit,  il  obtint 
successivement  les  grades  de  capitaine  et  de 
major,  sous  le  gouvernement  de  Sir  George 
Prévost.  C'est  sous  ce  dernier  titre,  qu'il  servit 
en  mil-huit-cent-douze  et  en  mil-huit-cent- 
treize,  dans  la  division  du  lieutenant-colonel 
Fleury-Deschanibault. 

Quelques  lettres  adressées  à  sa  famille,  vers 
cette  époque,  nous  donnent  quelques  détails 
sur  le  moral  excellent  des  soldats  placés  sous 
ses  ordres  : 

"  Xous  sommes  toujours  sur  le  Qui- Vive  ! 
écrivait-il  :  tous  brûlent  de  se  mesurer  avec 
l'ennemi,  et  j'espère  que  nous  aurons  bientôt 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  41 

l'occasion  de  satisfaire  notre  légitime  désir... 
Sous  1^  tente,  tout  n'est  pas  rose  :  il  arrive 
souvent  que  nous  manquons  du  plus  indis- 
pensable. Il  ne  faut  pas  s  en  plaindre;  c'est 
la  condition  du  soldat.  Deux  choses  cependant 
plus  utiles  que  les  autres  ne  nous  ont  jamais 
manqué  :  C'est  l'honneur  et  le  courage  de  nos 
bons  vieux  pères  !" 

VIII. 

Mariage  de  B.  Joliette. 

Dans  l'intervalle  qui  sépara  les  deux  cam- 
pagnes de  mil-huit-cent-douze  et  de  mil-huit 
cent-treize,  le  brillant  major,  de  retour  dans  ses 
foyers,  conduisait  à  l'autel  la  noble  demoiselle 
Marie  Charlotte  Tarieu  Taillant  de  Lanau- 
diôre  qui  devait  plus  tard  lui  apporter  en  dot 
une  partie  de  la  seigneurie  de  Lavaltrie.  Le 
mariage  fut  célébré  à  Lavaltrie,  le  27.  sept. 
1813. 

Mais  les  événements  se  piécipitaient.  Le 
lendemain  de  son  union,  le  jeune  officier  dût 
faire  ses  adieux  à  son  épouse  pour  courir  à  la 
tête  de  son  régiment  qui  repartait  pour  la  fron- 
tière. 

A  quelques  jours  de  là,  les  milices  cana- 
diennes remportaient  la  brillante  victoire  de 


42  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

Châteauguay  qui  jeta  sur  nos  armes  un  dernier 
reflet  de  gloire. 

Ce  triomphe  de  la  valeur,  de  la  tactique  sur 
la  supériorité  numérique,  nous  a  été  utile  sous 
plus  d'un  rapport.  Non-seulement,  il  a  légué 
à  la  postérité  le  nom  de  Salaberry  qu'il  a  cou- 
ronné d'une  gloire  immortelle,  mais  encore,  il 
nous  a  fait  reconquérir  dans  l'estime  des  peu- 
ples ces  titres  d'honneur,  de  bravoure,  d'iné- 
branlable fidélité  qu'un  certain  parti  d'une 
race  victorieuse  avait  voulu  injustement  nous 
ravir. 

Tous  nos  compatriotes  qui  marchèrent  alors 
à  l'ombre  du  drapeau  militaire,  peuvent  reven- 
diquer leur  part  de  gloire  dans  cette  mémora- 
ble journée.  En  effet,  si  tous  ne  furent  pas 
décorés  de  nobles  cicatrices,  si  tous  ne  rou- 
girent pas  leur  épée  ou  leur  baïonnette  du 
sang  de  leur  ennemi,  c'est  que  l'obéissance  et 
l'accomplissement  d'un  impérieux  devoir,  les 
retinrent  impatients,  loin  du  théâtre  du  com- 
bat auquel  Ha  assistèrent  tous  et  d'esprit  et  de 
cœur. 

Repoussés  sur  tous  les  points,  honteux  de  leurs 
défaites  multipliées,  Hampton,  Wilkinson  et 
leurs  troupes  avaient  repassé  la  frontière.  Le 
Canada  venait  d'être  sauvé,  encore  une  fois, 
par  la  valeur  de  ses  enfants. 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  43 

De  ce  moment,  les  volontaires  reçurent  leur 
congé  et  reprirent  joyeusement  le  chemin  de 
leurs  paroisses  respectives. 

Rendu  à  sa  famille  et  à  ses  amis,  Barthé- 
lemi  Joliette  se  livra  de  nouveau,  avec  ardeur, 
à  ses  travaux  professionnels  dont  le  fardeau 
allait  s'augmentant  tous  les  jours. 

La  gestion  des  affaires  de  la  seigneurie  de 
Lavaltrie  qu'on  lui  avait  confiée,  doublait  ses 
occupations. 

Cette  agence  cependant,  ne  lui  déplaisait 
nullement,  parce  qu'elle  lui  fournissait  l'occa- 
sion de  fréquents  voyages  bien  propres  à  forti- 
fier sa  santé  qu'altérait  la  vie  sédentaire  du 
bureau. 

Sur  ces  entrefaites,  une  épreuve  bien  dou- 
loureuse vient  assaillir  les  jeunes  époux.  Au 
mois  de  Juillet  mil-huit-cent-vingt,  la  mort 
toujours  cruelle,  toujours  sourde  aux  vœux  et 
aux  prières,  venait  leur  ravir,  à  l'âge  de  six 
ans,  leur  unique  enfant.  C'était  sur  cet  être 
chéri  que  reposait  leurs  plus  douces  espérances. 
Pétillant  d'esprit,  d'une  intelligence  au- 
dutbus  de  son  âge,  d'un  naturel  affectueux, 
aimable  et  bon,  le  jeune  Charles,  promettait 
de  devenir  plus  tard  l'honneur  de  sa  famille. 
Mais  les  calculs  de  l'amour,  les  espérances  d'a- 
venir, l'illusion  de  la  tendresse  et  de  l'affection, 


44  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

tout  fut  déjoué  ;  tout  s'évanouit  en  un  clin 
d'œil,  pour  faire  place  au  deuil  et  à  la  dou- 
leur. 

Néanmoins,  tout  en  ressentant  l'épreuve  qui 
les  blessait  dans  leurs  sentiments  les  plus  doux, 
M.  et  Madame  Joliette  s'y  soumirent  en  vrais 
chrétiens.  Leur  foi,  et  les  consolations  de  la- 
religion  leur  donnaient  la  force  du  sacrifice, 
voire  même  d'une  entière  résignation. 

Souvent  dans  la  suite,  à  l'évocation  du  sou- 
vonir  de  ce  jour  de  tristesse  et  de  torture  mo- 
rale, de  grosses  larmes  roulaient  brûlantes  sur 
les  joues  de  la  mère  au  cœur  si  sensible  ;  mais 
bientôt,  un  regard  plein  d'espérance  vers  le 
ciel,  une  parole  pleine  de  douceur  tombée  des 
lèvres  du  mari  bienveillant  et  affectueux,  ra- 
menaient la  sérénité  du  bonheur  au  foyer  con- 
jugal. 

IX. 
M.  Joliette,  député  du  Comté 

DE    LeINSTER. 

En  Tannée  mil  huit-cent-dix-sept,  M.  Joliette, 
cédant  aux  sollicitations  de  ses  nombreux 
amis,  s'était  porté  candidat  pour  le  comté  de 
Leinster,  en  oppositions  M.  Jacques  Lacombe, 
marchand  de  l'Assomption.     La  victoire  vail- 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  45 

lamment  disputée  de  part  et  d'autre  fut  rem- 
portée par  M.  Lacoinbe  à  une  majorité  de  36 
voix.  M.  Joliette  n'entra  en  chambre  qu'à  la 
suite  de  l'heureux  résultat  de  la  contestation 
de  cette  chaude  élection. 

Ce  fut,  paraît-il,  le  premier  exemple  d'un 
procès  de  ce  genre  en  Canada.  Est-ce  pour 
cette  raison,  que  la  corruption  électorale  n'y 
pût  triompher  de  la  justice  ? 

Mais  le  triomphe  du  député  légitime  du 
comté  de  Leinster  fut  de  bien  courte  durée, 
car  le  lendemain  de  son  entrée  à  la  chambre 
d'assemblée,  le  parlement  fut  dissous  par  l'ar- 
rivée de  la  nouvelle  de  la  mort  de  George  III. 

Comme  on  le  voit,  la  contestation  avait  duré 
trois  ans  ;  c'était  autant  de  temps  qu'il  en 
fallait,  pour  rendre  sur  la  cause  en  litige,  un 
jugement  prudent  et  pesé  au  poids  de  la  sa- 
gesse. 

Aux  élections  suivantes,  M.  Joliette  fut 
élu  aux  acclamations  unanimes  de  la  même 
division  électorale. 

Tout  le  monde  avait  confiance  en  son  dévoue- 
ment, sa  droiture  d'intention,  ses  talents 
solides  et  son  patriotisme  éclairé.  Il  ne 
brillait  pas  en  chambre  par  ces  éclats 
d'éloquence  qui  soulèvent,  passionnent, 
électrisent  les  auditeurs,  mais  sa  parole  facile, 


46  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

claire  et  raisonnée,  lui  donnait  une  place  dis- 
tinguée parmi  les  représentants  du  peuple. 

Aussi,  avait-il  conquis  le  respect,  l'estime  et 
la  confiance  de  ses  collègues  qui  le  consul- 
taient sur  une  foule  de  questions  relatives  au 
commerce  ou  à  l'industrie. 

Son  passage  à  la  chambre  d'assemblée  fut 
marqué  par  l'adoption  de  plusieurs  mesures  pro- 
tectrices de  nos  intérêts  commerciaux  et  indus- 
triels. C'était  lui  qui  en  avait  été  le  plus 
zélé  instigateur,  comme  le  conseiller  le  plus 
éclairé  par  l'expérience. 

Cependant  le  tracas  des  affaires  politiques 
n'allait  que  médiocrement  au  caractère  de  M. 
Joliette  :  il  résolut  de  s'y  soustraire  ;  à  l'expi- 
ration de  son  second  mandat,  il  annonça  à  ses 
électeurs  sa  détermination  de  renoncer  à  la 
charge  dont  ils  l'avaient  honoré. 

Dès  lors,  aucune  considération  ne  put  l'en- 
gager à  reprendre  ses  fonctions  de  député. 


Découverte  du   site  qu'occupe  aujour- 
d'hui la  Ville  de  Joliette. 

Nous  avons  dit  précédemment  qu3  M. 
Joliette  avait  été  chargé  de  l'administration  de 
la  seigneurie  De  Lanaudière  dont  il  était  l'un 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  47 

des  cohéritiers.  Sur  les  terres  de  St.  Paul,  à  la 
distance  de  deux  milles  de  remplacement 
qu'occupe  aujourd'hui  Joliette,  s'élevait,  au 
pied  de  l'une  des  cascades  de  la  rivière,  un 
vaste  moulin  à  farine  abandonné  depuis  1826 
et  tombé  aujourd'hui  en  ruine. 

La  surveillance  de  cet  établissement  amenait 
souvent  M.  Joliette  en  cet  endroit. 

Dans  une  des  visites  que  fit  le  jeune  sei- 
gneur sur  les  beaux  domaines  que  son  épouse 
lui  apportait  en  dot,  il  côtoya  un  jour  les 
mille  sinuosités  de  la  rivière  l'Assomption 
depuis  l'endroit  appelé  aujourd'hui  '•  Vieux 
Moulin,"  jusqu'aux  profondeurs  de  la  seigneu- 
rie de  Lavaltrie. 

Accompagné  d'un  ami,  il  s'avançait  silen- 
cieux à  travers  l'épaisseur  des  bois,  admirant 
les  cascades  murmurantes  de  cette  rivière  lim- 
pide qui  se  déroulait  sous  les  arceaux  de  la 
forêt  vierge,  en  ce  moment  toute  retentissante 
des  harmonieux  concerts  des  oiseaux. 

C'était  en  1823,  par  une  délicieuse  journée 
du  mois  de  juin.  Sous  le  ciel  serein,  le  soleil 
souriait  amoureusement  aux  fleurs  nouvelle- 
ment écloses,  versant  dans  l'atmosphère  par- 
fumée par  les  arômes  des  plantes,  la  douce  et 
vivifiante  chaleur  projetée  par  les  rayons  d'or 
de  son  disque  embrasé. 


48  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

La  nature  dans  toute  sa  fraîcheur,  étalait 
aux  regards,  le  spectacle  de  ses  rameaux  en 
fleurs,  de  ses  mousses  chatoyantes,  de  ses 
tendres  gazons,  de  ses  jeunes  ombrages,  des 
perles  de  la  rosée  scintillante  à  travers  le 
feuillage,  du  cristal  des  eaux,  reflétant  comme 
des  miroirs,  l'image  tantôt  gracieuse,  tantôt 
bizarre  des  plantes,  des  bois  et  des  rochers 
semés  sur  leur  cours  ;  en  un  mot,  elle  présen- 
tait, sous  l'éclat  de  sa  charmante  parure,  toute 
la  magnificence  de  sa  résurrection  printan- 
nière. 

Les  deux  explorateurs  foulaient,  en  ce  mo- 
ment, ce  sol  de  l'industrie  que  devaient  fécon- 
der tant  de  travaux  et  de  vertus. 

Tranquillement  assis  sous  les  riants  om- 
brages, nos  deux  voyageurs  contemplaient 
avec  délices  les  beautés  de  ce  site  solitaire  qui 
aurait  inspiré  les  poétiques  accents  de  plus 
d'un  amant  de  la  belle  nature 

Inclinée  vers  le  Sud-Ouest  par  un  gracieux 
détour,  la  rivière  qui  jusqu'alors,  coule  tran- 
quille et  profonde  sur  un  fond  uni  et  sablon- 
neux, change  subitement  d'allure:  parsemée 
de  cascatelles,  elle  roule  bruyamment  sur  un 
lit  de  cailloux,  ses  eaux  blanchissantes  d'é- 
cume. 

Sur   sa   rive  occidentale,  la   plaine  parfois 


LHONORABLE  B.  JULIETTE.  49 

légèrement  ondulée,  se  déroule  agréablement 
au  regard.  Un  riche  manteau  de  verdure 
semble  la  recouvrir  tout  entière,  dérobant  à  la 
vue,  le  triste  aspect  des  marécages  que  la  per- 
sévérance et  l'industrie  assainiront  bientôt. 

Sur  le  fond  du  paysage,  apparaissent  avec 
un  heureux  agencement  de  couleurs  et  de 
formes,  mille  ornements  divers  ;  ce  sont  les  verts 
érables,  les  pruches  aux  teintes  si  sombres,  les 
noirs  sapins,  les  ormes  aux  longs  et  flexibles 
rameaux,  les  hautes  épinettes  rouges  et  blan- 
ches, les  pins  gigantesques,  les  merisiers  touffus 
et  les  bouleaux  mobiles,  i 

De  ce  côté,  vis-à-vjis  du  premier  rapide,  le 
rivage  est  peu  élevé  ;■•  la  plaine  monte  insensi- 
blement jusqu'à  la  hauteuaf  d'une  quinzaine  de 
pieds  environ,  au-dessus-du  niveau  de  la  rivière. 
Dès  lors,  le  terrain  enfermé  dans  le  coude  for- 
mé par  les  eaux,  offre  sur  une  grande  distance, 
une  surface  plane  et  richement  boisée. 

C'est  là,  qu'on  abattra  plus  tard,  ces  pins 
superbes  qui  serviront  à  la  construction  du 
moulin,  premier  berceau  de  la  nouvelle  colonie. 
C'est  là  encore,  que,  dominant  les  têtes  vul- 
gaires, s'élevaient  les  fronts  altiers  de  ces  ormes 
magnifiques  qu'on  aurait  voulu  conserver,  mais 
qui  sont  disparus  dans  les  incendies  de  la 
forêt. 


oO  L  HONORABLE  B.  JULIETTE. 

Un  seul,  survivant  d'un  autre  âge,  a  échappé 
à  la  destruction  ;  il  a  été  laissé,  comme  un 
témoin  du  passé,  comme  un  poétique  souvenir 
des  gloires  de  ces  forêts  vierges. 

Il  est  là,  avec  sa  taille  d'athlète,  ses  rameaux 
séculaires,  ombrageant  majestueusement  le 
manoir  seigneurial  vide  et  désolé.  Comme  un 
saule  pleureur  penché  sur  le  bord  d'un  tom- 
beau, il  semble,  lui  aussi,  porter  le  deuil  de 
ses  possesseurs  d'autrefois. 

Sur  le  versant  oriental  de  la  rivière,  en  face 
de  St.  Thomas,  un  tout  autre  horizon  s'offre  à 
la  vue.  Dans  tout  le  parcours  extérieur  du 
circuit  dont  nous  avons  parlé,  les  rives  sablon- 
neuses s'étendent  d'abord  en  une  jolie  ter- 
rasse, puis,  un  peu  plus  loin, changeant  d'aspect, 
elles  commencent  à  s'élever  graduellement 
jusqu'à  une  si  grande  hauteur  qu'elles  domi- 
nent presque  les  sommets  des  bois  de  la  plaine 
opposée. 

Ces  coteaux  pittoresques  et  charmants  sont 
couronnés  eux  aussi  de  la  plus  luxuriante  végé- 
tation. Le  pin,  la  prûche,  les  bois  francs,  tels 
que  le  merisier,  le  hêtre,  le  bouleau,  et  surtout 
l'érable  et  le  plaine  y  croissent  abondamment. 
Quelle  impression  la  vue  d'un  pareil  tableau 
ne  dût-elle  pas  faire  sur  l'imagination  de  M. 
Joliette  !    quels  éclairs   durent  illuminer  son 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  51 

génie  hardi,  lorsque  les  rayons  radieux  du 
soleil  reflétés  sur  les  chûtes,  faisaient  jaillir  dans 
les  airs  mille  arcs-en-ciel  ravissants  !  De  quels 
rêves  d'or,  de  quels  brillants  projets  son  cœur 
et  son  esprit  ne  durent-ils  pas  être  bercés  et 
agités  à  l'aspect  de  cette  belle  rivière  d'un  par- 
cours d'une  centaine  de  lieues,  à  travers  les 
riches  forêts  de  la  vallée  et  des  sommets  des 
Laurentides  ! 

D'un  rapide  coup  d'œil,  il  avait  compris 
tous  les  avantages  d'une  position  si  exception- 
nelle. Placé  au  centre  d'un  territoire  très- 
étendu,et  déjà  en  partie,  ouvert  au  travail  de 
la  colonisation,  l'établissement  qu'il  projetait 
d'asseoir  en  ce  lieu,  ne  pouvait  manquer  de 
prospérer  rapidement.  Une  rivière  aussi  riche 
en  pouvoirs  d'eau,  aussi  avantageuse  pour  la 
descente  des  bois  dont  regorgeaient  les  monta- 
gnes et  les  plaines,  c'en  était  assez,  pour  faire 
concevoir  les  plus  belles  espérances. 

Quelques  heures  après,  les  deux  visiteurs  re- 
broussaient chemin  pour  retourner  à  St.  Paul. 

Dès  lors,  un  projet  unique  absorba  toutes  les 
réflexions  de  M.  Joliette. 


52  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

XL 

Moyens  de  M.  Joliette. 

Sa  fortune  n'éiait  pas  considérable  ;  néan- 
moins ia  nombreuse  clientèle  que  sa  réputation 
de  probité  lui  avait  acquise,  l'économie  de  son 
administration,  l'avaient  placé  dans  un  état 
au-dessus  de  l'aisance. 

D'un  autre  côté,  de  précieuses  et  inestima- 
bles qualités  devaient  suppléer  abondamment 
à  l'insuffisance  de  ses  ressources  pécuniaires. 
Doux,  affable,  bienveillant,  généreux  envers 
tout  le  monde,  d'une  exquise  sensibilité  dame, 
d'un  caractère  noble,  hardi,  persévérant,  d'une 
activité  dévorante  dont  la  mort  seule  a  pu  ar- 
rêter le  cours,  d'un  jugement  supérieur,  d'un 
esprit  observateur  et  inventif,  il  était  trempé 
pour  les  grandes  entreprises  dont  il  eut  l'ins- 
tinct dès  le  début  de  sa  carrière. 

Tel  était  le  fondateur  de  l'Industrie,  lorsque 
abandonnant  le  village  de  l'Assomption,  les 
amis  nombreux  qui  l'estimaient  si  haute- 
ment, il  s'en  vint  planter  sa  tente  au  plus 
épais  de  la  forêt,  sur  les  confins  de  la  seigneu- 
rie de  Lavaltrie. 

La  foi  et  le  patriotisme,  héréditaires  dans 
la  famille  Joliette,  lui  faisaient  entrevoir  dans 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  53 

son  entreprise,  une  nouvelle  glorification  de  la 
religion  et  un  immense  bienfait  pour  ses  com- 
patriotes. 

C'est  fortifié,  inspiré  par  ce  double  amour 
de  la  religion  et  de  la  patrie,  qu'il  devait  opé- 
rer ces  grandes  choses  qui  lui  ont  mérité  l'ad- 
miration et  la  reconnaissance  de  l'une  et  de 
l'autre. 

Et  qu'on  ne  perde  pas  de  vue  cette  vérité  : 
M.  Joliette  n'est  véritablement  grand  aux 
yeux  de  ses  concitoyens,  son  nom  n'a  mérité 
les  honneurs  de  l'immortalité,  que  parce  que, 
comme  tous  les  hommes  illustres,  il  s'est  ou- 
blié lui-même  pour  se  dévouer  au  succès  des 
deux  plus  nobles  causes  :  celle  de  la  religion 
et  celle  de  son  pays. 

XII. 

Premier  travail  dans  la  foret. 

Cinq  mois  après  l'exploration  dont  nous 
avons  parlé,  la  forêt  retentissait  encore  sous  les 
pas  de  nouveaux  visiteurs. 

Cette  fois,  ce  n'était  plus  seulement  deux 
touristes  qui,  longeant  les  bords  de  "  l'Assomp- 
tion," s'amusaient  à  écouter  les  murmures  des 
ruisseaux  ou  le  mugissement  des  chûtes. 

Ceux  qui  s'avançaient,  le  sac  au  dos,  la  hache 


54  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

à  l'épaule,  ne  s'enthousiasmaient  guère  de  la 
beauté  des  paysages,  de  ces  verts  érables  dont 
les  rameaux  embaumés  se  balançaient,  quelques 
mois  auparavant,  au-dessus  de  la  tête  des  pre- 
miers voyageurs.  Non,  ces  hardis  et  vigou- 
reux travailleurs  ne  venaient  pas  en  ce  jour, 
savourer  le  parfum  des  brises,  ou  écouter  les 
voix  harmonieuses  des  musiciens  des  bois. 

Voyez-les,  pleins  de  gaieté  et  de  courage, 
marchant  d'un  pas  rapide,  écartant  les  brous- 
sailles qui  obstruent  l'étroit  sentier  de  la  forêt, 
tout  en  faisant  retentir  les  échos  du  refrain 
populaire  : 

"  En  roulant  ma  boule," 

Derrière  chez  nous  y-a-t-un  étang," 

"En  roulant  ma  bouîe." 

M.  Joliette  est  à  leur  tête,  son  cœur  bondit 
de  joie  dans  sa  poitrine  ;  l'espérance  brille  dans 
son  regard  ;  sa  figure  si  calme  d'ordinaire,  s'est 
épanouie  ce  jour-là,  sous  l'impression  des  plus 
douces  pensées. 

A  un  signal  donné,  la  caravane  s'arrête.  Elle 
est  arrivée  à  la  tête  des  rapides,  situés  au-dessus 
de  la  ville.  C'est  ici  qu'il  faut  abattre  l'épaisse 
forêt,  déblayer  un  terrain  spacieux  pour  y 
asseoir  sur  les  bords  de  la  rivière,  un  splendide 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  55 

moulin  en  pierre  à  deux  étages,  de  cent  pieds 
de  longueur  sur  une  largeur  de  cinquante. 

Une  heure  plus  tard,  au  milieu  des  hourrabs 
enthousiastes  des  braves  travailleurs,  cent  échos 
sonores  roulant  de  cascade  en  cascade,  de  col- 
line en  colline,  repercutaient  au  loin,  la  chute 
des  pins  gigantesques  s'abattant  avec  un  bruit 
épouvantable,  entraînant  sous  leur  poids,  les 
rameaux  fracassés  des  arbres  voisins.  Ainsi 
tombaient  les  rois  de  la  foret  ;  ainsi  le  fer 
meurtrier  faisait  partout  de  larges  trouées 
dans  ces  bois  que  la  main  de  l'homme  avait 
jusque-là  respectés. 

C'était  au  mois  de  Décembre  de  Tannée 
mil  huit-cent-vingt-trois. 

En  quelques  heures,  un  chantier  de  bois 
rond,  calfaté  de  mousse,  recouvert  de  calles, 
était  élevé  sur  l'emplacement  où  se  trouve 
aujourd'hui  la  maison  du  meunier  du  grand 
moulin. 

Ce  fut  sous  ce  toit  rustique,  que  passèrent 
l'hiver  les  premiers  défricheurs  de  l'Industrie. 
Ces  colons  intrépides  formèrent  le  premier 
noyau  de  cette  population  laborieuse,  pleine 
d'intelligence,  d'activité  et  de  courage,  qui  a 
tant  aidé  le  fondateur  de  Joliette  dans  son 
œuvre  religieuse  et  nationale. 


56  L'HONORABLE  B.  .IOLIETTK. 

Braves  artisans,  qui,  les  premiers,  avez  été 
au  labeur  et  à  la  peine  dans  cette  grande  en- 
treprise, laissez-nous  vous  payer  une  juste  dette 
de  reconnaissance. 

Permettez  que  nous  répétions  encore,  ce  qui 
a  déjà  été'  dit  plusieurs  fois:  Honneur  au 
courage  et  à  la  persévérance  des  premiers  colons 
de  l'Industrie  ! 

XIII. 

Construction  du  moulin. 

Malgré  les  neiges  et  les  frimats,  malgré  les 
tempêtes  de  l'hiver,  la  hache  ne  cessait  son 
travail  d'impitoyable  destruction.  La  forêt 
cernée  de  toutes  parts,  attaquée  par  tant  d'en- 
nemis, tombait  entre-mêlée,  interceptant  tout 
paysage  à  travers  ses  immenses  ruines.  Les 
plus  gros  arbres  jugés  propres  à  la  construction 
étaient  coupés  en  billots  ;  puis,  traînés  sur 
l'emplacement  des  édifices  projetés. 

C'est  là,  que  des  ouvriers  actifs  fabriquaient 
les  madriers,,  les  planches  et  les  bardeaux,  etc., 
etc. 

Non  loin  de  l'emplacement  du  moulin  qu'il 
s'agissait  de  bâtir,  et  en  descendant  le  cours  de 
la  rivière,  s'étendent  sur  ses  bords,  de  vastes 
carrières  de  pierre  calcaire  d'une  qualité  supé- 


LHOXORABLE  B.  JOLIETTE.  57 

rieure.  Elles  furent  exploitées  immédiatement 
et  fournirent  les  matériaux  nécessaires  à  la 
construction  du  moulin. 

Les  cent  ouvriers  que  M.  Joliette  avait 
sous  ses  ordres  firent  tant  de  diligence  que  la 
Dâtisse  fut  achevée,  Tannée  suivante. 

Mais  cette  œuvre  avait  coûté  bien  des  tra- 
vaux, occasionné  beaucoup  de  sacrifices.  Il 
avait  fallu  asseoir,  élever  une  digue  puissante 
pour  intercepter  le  cours  de  la  rivière,  afin  que 
son  niveau  fût  en  harmonie  avec  le  mécanisme 
des  moulins  dont  elle  allait  régler  la  force  mo- 
trice. 

Cette  entreprise  conduite  par  M.  Joliette, 
dont  l'œil  attentif  veillait  scrupuleusement  à 
l'exécution  des  plans  médités  et  mûris  à  l'a- 
vance, s'exécuta  en  quelques  semaines. 

L'on  peut  juger  de  sa  solidité,  lorsqu'on  se 
rappelle  que,  depuis  cinquante  ans,  cette 
chaussée  est  restée  inébranlable  : —  résistant 
chaque  année,  à  l'inondation  des  eaux  refoulées 
par  la  pression  de  milliers  de  billots  qu'entasse 
sur  ses  jetées,  la  rapidité  du  courant. 

Dans  l'automne  de  1824,  un  moulin  à  fa- 
rine et  un  moulin  à  scie  fonctionnaient  par- 
faitement dans  cette  bâtisse  dont  nous  avons 
parlé,  et  que  devait  enrichir  plus  tard,  plus 
d'une  manufacture. 


58  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

La  plus  grande  activité  régnait  dans  tout 
le  chantier  de  M.  Joliette. 

Tandis  qu'un  parti  de  travailleurs  abat- 
taient les  pins  superbes,  les  longues  épinettes  et 
les  cèdres  odorants  pour  fournir  un  aliment 
quotidien  aux  scies  rapides  du  moulin,  d'autres 
pionniers  traçaient  hardiment  les  routes  :  ar- 
tères indispensables  qui  devaient  amener  jus- 
qu'au cœur  de  l'Industrie,  la  richesse  et  la  vie 
des  populations  d'alentour. 

XIV. 
Voyage  de  M.  Joliette  aux  Etats-Unis. 

Epuisé  par  ses  travaux  continuels,  M.  Jo- 
liette, sur  les  instances  de  ses  nombreux  amis, 
quitta  ses  occupations  pour  aller  redemander  au 
ciel  plus  doux  de  Philadelphie  le  rétablisse- 
ment de  sa  santé. 

Accompagné  de  son  épouse,  de  M.  Paul  De 
Lanaudière,  son  beau-frère,  du  Dr.  Henri 
Lœdel,  il  partit,  non  sans  adresser  à  regret,  un 
adieu  momentané  à  sa  chère  Industrie  où  il  se 
proposait  d'amener  bientôt  sa  famille. 

L'air  de  la  grande  République  lui  fut  salu- 
taire, et  trois  mois  après  son  départ,  parfaite- 
ment   reposé,     il    reprenait    joyeusement    le 


L'HONORABLE  B.  JOLIKTTB.  59 

chemin  du  pays,  et  surtout  de  sa  chère  colonie, 
l'objet  de  sa  constante  sollicitude. 

XV. 

Nouvelles    manufactures. —  Cloche  du 

MOULIN. 

v  Son  voyage  lui  avait  donné  l'occasion  d  une 
foule  de  précieuses  observations  qu'il  sut  bien- 
tôt utiliser. 

Aux  deux  moulins  dont  nous  avons  parlé, 
vinrent  s'en  adjoindre  d'autres  dont  il  avait 
pris  le  modèle  chez  nos  industrieux  voisius. 

Bientôt  des  manufactures  à  carder,  à  fouler, 
à  presser,  des  moulins  à  berly,  des  fabriques 
de  clous  et  à  bardeaux  vinrent  mêler  leurs  voix 
bruyantes  au  concert  déjà  assourdissant  des 
premiers  mécanismes.  Toutes  ces  manufac- 
tures, fabriques,  avaient  été  concentrées  dans 
la  grande  bâtisse  en  pierre,  appelée  :  "  le  grand 
moulin." 

Pour  compléter  la  toilette  du  nouvel  édifice, 
on  avait  couronné  son  sommet  d'un  riant  et  joli 
clocher.  Quelques  semaines  plus  tard,  une 
cloche  de  deux  à  trois  cents  livres  y  était  instal- 
lée aux  acclamations  de  tous  les  travailleurs. 

Ce  dût  être,  en  effet,  pour  eux,  une  jouis- 
sance bien  agréable,  que  d'entendre  retentir  au 


60  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

milieu  des  bois,  les  accents  sonores  de  l'airain 
qui.  dès  l'aube  matinale,  les  invitait  joyeuse- 
ment au  travail.  Cette  voix  qui,  trois  fois  le 
jour,  mêlait  son  harmonie  au  chant  des  oiseaux, 
au  mugissement  des  rapides,  aux  mille  bruits 
de  la  foret,  réveillait  dans  leurs  âmes  les  plus 
doux  souvenirs:  ceux  delà  paroisse  natale, 
du  clocher  de  leur  village,  des  parents  et  des 

amis  laissés  là-bas 

Et  lorsqu'aux  approches  du  soir,  la  cloche 
jetait  de  nouveau,  sur  l'aile  des  brises  ses  har- 
monieuses volées  que  répercutaient  au  loin  les 
échos  de  la  rivière,  l'outil  s'échappait  de  la 
main  des  ouvriers,  toutes  les  oreilles  étaient 
tendues  pour  savourer  délicieusement  ce  beau 
concert. 

XVI. 

Premières  habitations   du  Village 
d'Industrie. 

Aux  environs  du  moulin,  avaient  été  élevées, 
en  peu  de  temps,  plusieurs  élégantes  habita- 
tions que  l'on  voit  encore  sur  la  rue  De  Lanau- 
dière,  appelée  alors   "  le  chemin  de  St.  Paul." 

Ces  demeures  étaient  celles  du  meunier, 
celle  du  Dr.  Lcodel  occupée  actuellement  par 
Mme  Chaput,  celle  de  M.  François  Panneton, 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  61 

et  enfin,  celle  de  M.  Juliette  devenue  la  rési- 
dence actuelle  de  madame  Edouard  Scallon. 

En  outre,  à  travers  les  éclaircis  de  la  forêtj 
l'œil  apercevait  épars  ça  et  là,  une  quinzaine  de 
chantiers  occupés  par  les  travailleurs.  Quel- 
ques-uns d'entre  ces  derniers,  commençaient  à 
y  amener  leurs  familles. 

Les  cabanes  qu'ils  habitaient,  construites  à 
la  hâte,  et  presque  sans  aucune  dépense,  con- 
venaient à  la  situation  des  nouveaux  colons, 
car  à  cette  époque,  où  le  terrain  était  encombré 
de  débris,  de  branchages,  d'abattis  d'arbres,  des 
incendies  fréquents  balayaient  tout  sur  leur 
passage.  C'était  à  peine,  si  les  habitants  pou- 
vaient sauver  de  la  conflagration  les  quelques 
pièces  de  leur  modeste  mobilier. 

Mais  la  ruine  d'un  chantier  était  peu  de 
chose.  On  en  était  quitte  pour  un  jour  de 
travail  auquel  prenait  part  toute  la  colonie. 
C'est  à  qui  montrerait  le  plus  de  zèle,  le  plus 
d'empressement  à  secourir  le  pauvre  incendié. 

Qu'il  était  beau  ce  dévouement  !  On  aurait 
dit  une  famille  tendrement  unie  !  Touchante 
union  !  Bienveillante  sympathie  !  Honorable 
cordialité  qui  fait  encore  aujourd'hui,  le  carac- 
tère distinctif  des  citoyens  de  Joliette  ! 

En  ces  vertus,  comme  en  beaucoup  d'autres 
qui  tes  honorèrent,    les  anciens  habitants  de 


G-2  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

l'Industrie  ne  faisaient  qu'imiter  la  générosité 
du  seigneur  Juliette  dont  la  bourse,  ainsi  que 
celle  de  toute  la  noble  famille  seigneuriale, 
était  ouverte  à  toutes  les  infortunes. 


XVII. 

Pont  des  dalles. 

Mais,  hâtons-nous  de  suivre  l'infatigable 
fondateur  se  transportant  trois  à  quatre 
fois  la  semaine,  du  pont  qu'il  faisait  jeter  sur 
la  rivière  de  l'Assomption,  à  l'immense  chan- 
tier de  billots  organisé  par  ses  soins,  sur  la 
paroisse  même  de  l'Industrie. 

En  descendant  vers  son  embouchure,  à  la 
distance  d'un  demi-mille  du  moulin  de  pierre, 
la  rivière  engagée  dans  les  rapides,  se  précipite 
en  mugissant  sur  un  lit  rocailleux  :  ses  rives 
abruptes  et  élevées  se  resserrent  tout  à  coup,  ne 
laissant  au  passage  des  eaux  bouillonnantes 
qu'un  canal  d'une  soixantaine  de  pieds  de  lar- 
geur. 

Cet  endroit  fut  désigné  sous  la  dénomina- 
tion de  Dalles  de  la  rivière  ;  de  là,  le  nom  de 
Pont  des  Dalles,  donné  à  la  construction  qu'y 
fit  M.  Joliette. 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  63 

Par  cette  communication,  il  ouvrait  la  porte 
de  son  village  aux  paroisses  de  Ste.  Elizabeth, 
de  St.  Thomas  et  autres,  amenant  à  son  éta- 
blissement, le  commerce  de  ces  localités,  dont 
les  produits  étaient  auparavant  dirigés  sur  So- 
rel  et  Berthier. 


XVIII. 

Chantiers. 

Pendant  que  le  marteau  retentissait  sur  le 
pont  sonore,  deux  cents  bûcherons  échelonnés 
sur  un  espace  de  six  à  sept  milles,  s'attaquaient 
aux  pins  séculaires  qui,  débarrassés  de  leurs 
branches,  coupés  en  billots,  étaient  traînés  sur 
les  bords  de  la  rivière.  C'est  de  là,  qu'à  la 
débâcle  du  printemps,  les  draveurs  secondés 
par  les  courants,  devaient  les  diriger  jusqu'au 
hoom,  situé  un  peu  en  amont  de  la  chaussée 
du  moulin  à  scie. 

Devant  nécessairement  parler  du  commerce 
de  bois,  branche  d'industrie  qui,  habilement 
exploitée,  devint  pendant  vingt-cinq  ans,  la 
source  où  M.  Juliette  puisa  abondamment 
de  quoi  subvenir  aux  frais  de  ses  grandes 
entreprises,  nous  arrivons  tout  naturellement 


64  L'HONORABLE  B.  JOLTETTE. 

à    quelques    détails    sur   l'organisation    d'un 
chantier. 

Lorsqu'un  exploita teur  a  résolu  de  faire 
chantier,  il  commence  par  réunir  le  nombre 
d'hommes  voulu,  pour  conduire  à  bon  terme 
son  entreprise.  Les  uns  sont  engagés  comme 
bûcherons,d'autres  sont  loués  avec  leurs  voitures 
comme  charretiers. 

Au  jour  indiqué,  la  caravane,  composée  de 
cent  à  deux  cents  hommes  ou  plus  encore,  s'em- 
barque sur  les  sleighs  surchargés  de  toute  une 
cargaison  de  piques,  de  haches,  de  scies,  de 
raquettes,  de  pelles,  de  quarts  de  fleur,  de 
lard,  de  couvertures,  et  aussi,  n'allons  pas  l'ou- 
blier, d'une  batterie  de  cuisine  ;  le  tout  en 
rapport  avec  les  besoins  et  les  exigences  indis- 
pensables des  lieux. 

Soudain  la  voix  redoutée  àuforemcui  se  fait 
entendre. 

"  Vite,  vite  Pierrot  !  dépêche-toi  Baptiste  !  " 
Il  faut  partir  malgré  les  attraits  de  Bacchus  ; 
il  faut  dire  adieu  à  l'auberge,  et  se  jeter  ou  être 
jeté  sur  les  traîneaux  qu'entraînent  avec  vi- 
tesse, les  chevaux  aiguillonnés  par  le  fouet 
dont  leurs  flancs  sont  labourés.  Tous  les  char- 
retiers en  effet,  ne  sont  pas  en  état  de  mesurer 
leurs  coups.  Nonobstant  les  précautions  et  les 
défenses  sévères  des  conducteurs,  les  têtes  sont 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  G5 

échauffées  sur  plusieurs  points.  De  tous  côtés, 
s'échappent  les  éclats  de  rire  qu'accompagnent 
les  joyeux  refrains  de  la  chanson  des  voyageurs  : 

"  Dans  les  chantiers  nous  hivernerons, 
"  Dans  les  chantiers  nous  hivernerons. 
"  A  Bytown,  c'est  une  jolie  place, 
"  Mais  il  y  a  beaucoup  de  crasse,  etc. 

XIX. 
Dans  la  forêt. 

Les  travailleurs  sont  arrivés  au  milieu  de  la 
forêt.  Ça  et  là,  sur  les  sommets  et  le  versant 
des  montagnes,  au  fond  des  humides  vallées, 
dominant  avec  majesté  le  faite  des  bois,  appa- 
raissent par  groupes,  les  pins  géants  qui  ba- 
lancent orgueilleusement  leurs  têtes  verdo- 
yantes. Voilà  les  ennemis  auxquels  il  faut 
s'attaquer  et  dans  cette  guerre  contre  ces  rois 
de  la  forêt,  il  faut  frapper  sans  pitié,  jusqu'à  la 
dernière  tête. 

Mais  auparavant,  il  s'agit  d'asseoir  le  chan- 
tier. La  troupe  se  divise  par  bandes  de  vingt 
à  trente  hommes.  Chacun  de  ces  corps  doit 
pourvoir  à  son  habitation  respective.  Eche- 
lonnée sur  une  dislance  de  quatre  à  cinq  milles, 
et  plus  encore,  chaque  nouvelle  famille  de  bû- 
cherons se  met  hardiment  à  l'œuvre. 


66  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

En  quelques  heures,  une  foule  de  cabanes 
en  bois  rond  surgissent  comme  par  enchante- 
ment dans  l'épaisseur  des  bois.  Des  colles 
ou  planches  de  pin  fendues  avec  la  hache  et  le 
coin,  recouvrent  ces  palais  forestiers  dont  les 
fentes  sont  calfatées  avec  de  la  mousse  ou  avec 
l'écorce  des  arbres. 

Au  centre  de  ces  toits  rustiques,  on  a  eu  soin 
de  pratiquer  une  large  ouverture  afin  de  facili- 
ter le  passage  de  la  fumée  qu'exhale  sans  cesse 
le  feu  dévorant  du  foyer. 

Entrons  dans  le  chantier  ;  voyez-vous  tout 
autour  de  la  nouvelle  demeure,  ces  larges 
bancs  recouverts  de  branchages  !  Ce  sont  les 
lits  des  travailleurs  dont  la  paille,  les  rameaux 
de  cèdre  et  de  sapin  forment  le  plus  moelleux 
édredon. 

Malgré  la  fureur  des  vents,  le  craquement 
épouvantable  des  bois,  le  hurlement  des  loups, 
les  cris  sinistres  du  hibou  perché  au-dessus  du 
chantier,  c'est  là,  que  l'on  dort  d'un  sommeil 
non  interrompu  j  que  l'on  repose  légèrement, 
bercé  par  les  songes  les  plus  doux. 

D'énormes  quartiers  de  roches  posés  les  uns 
sur  les  autres  et  disposés  en  cercle  constituent 
la  cambuse  ou  foyer  qui,  durant  tout  l'hiver, 
ressemble  à  une  forge  embrasée. 

C'est  là,  que  le  cook  (cuisinier)   d'une  pro- 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  67 

prêté  souvent  équivoque,  armé  d'une  pelle  en 
fer,  bouleverse  dans  la  profonde  chaudière,  le 
lard,  les  pois  et  le  blé-d'Inde  entassés  ;  du  sein 
de  la  marmite  bouillonnante,  s^élèvent  dans  les 
airs,  en  parfumant  la  cabane,  les  odeurs  savou- 
reuses de  la  soupe  du  soir.  Ce  succulent  po- 
tage dont  les  voyageurs  seuls  ont  le  secret,  se 
sert  trois  fois  le  jour  dans  de  larges  écuelles  en 
ferblanc  dont  les  parois  portent  souvent  l'em- 
preinte des  soupes  et  des.  ragoûts  de  la  veille, 
quelquefois  môme,  des  semaines  et  des  mois 
précédents.  Affaire  de  détail  ;  personne  n'y 
fait  attention. 

Voilà  pour  l'intérieur  du  chantier  ;  franchis- 
sons un  intervalle  de  quinze  à  vingt  pas,  et 
nous  examinerons  le  style  des  écuries.  Leur 
architecture  ne  diffère  en  rien  de  celle  des 
chantiers,  à  la  seule  exception,  que  les  fentes 
en  sont  calfatées  plus  soigneusement  et  que  la 
porte  en  ferme  plus  exactement. 

Tournons  maintenant  le  dos  à  ces  élégants 
édifices  ;  laissons  le  cooh  et  ses  aides  occupés  à 
préparer  le  repas  du  soir,  pour  suivre  lefore- 
man  et  ses  hommes  marchant  bravement  à 
l'assaut  d«s  premières  redoutes. 

Levez  les  yeux.  Yoyez-vous  ces  pins  de 
quatre,  de  cinq  et  même  de  six  pieds  de  dia- 
mètre ?   Ce  sont  ces  Goliaths  de  l'armée  fores- 


G8  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

tière  qu'il  faut  renverser,terrasser  et  dépouiller. 
Les  bûcherons  disposés  par  couples,  au  pied  de 
chaque  géant,  saisissent  leurs  haches  tran- 
chantes. Le  signal  est  donné  :  Les  coups  re- 
doublés et  terribles  résonnent  en  cadence,  fai- 
sant jaillir  de  toutes  parts,  les  larges  copeaux 
qui  parsèment  le  blanc  manteau  dont  l'hiver  a 
recouvert  la  ferre. 

Tout-à  coup,  on  voit  frémir  et  s'agiter  les 
têtes  des  arbres  ;  les  colosses  s'ébranlent.  Holà  ! 
Holà  !  prenez  garde  !  prenez  garde  !  s'écrient 
les  bûcherons,  en  prenant  la  fuite.  En  même 
temps,  et  au  milieu  du  roulement  d'un  ton- 
nerre épouvantable,  les  pins  s'abattent  pêle-mê- 
le sur  le  sol  qui  tremble  sourdement  sous  leur 
poids  énorme.  A  l'instant,  les  ébrancJieurs 
s'élancent  sur  leur  tronc  pour  les  dépouiller  ; 
les  scieurs  se  sont  armés  du  Godendard  pour 
les  séparer  en  billots  :  les  charretiers  les  roulent 
sur  les  traîneaux  pour  les  transporter  à  la  rivi- 
ère, tandis  que  les  abatteurs,  fiers  de  leur  suc- 
cès, courent  à  de  nouvelles  conquêtes. 

C'est  ainsi  que  se  passent  les  jours  à  l'ho- 
rizon desquels,  durant  tout  l'hiver,  on  ne  voit 
jamais  apparaître  l'aurore  d'un  lendemain 
nouveau. 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  69 

XX. 

Amusements  au  Chantier. 

Cependant  on  ne  s'ennuie  pas  au  chantier. 
Après  les  rudes  travaux  de  la  journée,  lorsque 
les  mets  succulents  du  souper  ont  réconforté 
les  estomacs,  les  hommes  du  chantier  s'amusent 
joyeusement  autour  du  foyer,  où  flamboient  en 
pétillant,  le  hêtre  à  la  flamme  bleuâtre,  le  pin 
résineux,  le  sapin  et  le  cèdre  odorants. 

Les  histoires  les  plus  comiques,  les  contes 
les  plus  étranges,  les  histoires  de  revenants, 
toujours  piquantes  d'intérêts,  les  légendes  de 
chasse-galerie,  de  loups-garous,  de  feux-follets, 
de  bêtes  à  la  grandqueue,  font  passer  les  audi- 
teurs de  l'hilarité  la  plus  désopilante  au  frisson 
de  la  plus  vive  frayeur  ;  d'autres  fois,  aux  ac- 
cents mélodieux  d'un  violon,  la  cabane  se  trans- 
forme soudain  en  une  bruyante  salle  de  bal. 

Les  réels  à  huit,. les  gigues-simples,  les  me- 
nuets, les  chansons  canadiennes  se  succèdent, 
pendant  une  partie  de  la  nuit,  avec  un  entrain 
qui  ne  permet  pas  d'envier  de  plus  éblouissants 
théâtres.  Telle  est,  durant  1  hiver,  la  vie  des 
hommes  de  chantiers. 

Il  va  sans  dire  que  nous  passons  sous  silence 
les  orages  du  cœur  et  des  passions  qui  n'épar- 


70  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

gnent  pas  ces  rudes  natures  que  le  mission- 
naire a  fini  pourtant  par  apprivoiser.  Néan- 
moins, le  blasphème,  les  paroles  licencieuses, 
l'immoralité  exercent  trop  souvent  leurs 
ravages  chez  un  certain  nombre  de  ces  robustes 
artisans. 

XXI. 

Descente  des  billots. 

Lorsqu'à  la  fonte  des  neiges,  il  faut  s'em- 
barquer dans  les  canots  pour  dégager  et  con- 
duire à  travers  les  roches,  les  battures,  les  ra- 
pides, les  mille  détours  de  la  rivière,  cette  im- 
mense armée  de  billots,  c'est  encore  un  travail 
incalculable,  ainsi  que  la  source  de  mille  dan- 
gers. 

Au  début  de  son  commerce  de  bois,  M.  Jo- 
liette  n'avait  pas  besoin  de  s'éloigner  pour 
exploiter  les  belles  forêts  de  pins  qui  abon- 
daient jusqu'aux  alentours  de  son  domaine. 
Mais  lorsqu'aprèsune  dizaine  d'années,  il  fallut 
remonter  jusqu'au  lac  des  Français,  puis,  à 
celui  de  l'Assomption  distant  de  60  lieues  de 
l'Industrie,  les  dépenses  de  l'exploitation  du- 
rent augmenter  considérablement. 

L'opération  la  plus  pénible,  la  plus  dange- 
reuse est  celle  appelée  :  le  dravage  des  billots. 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  71 

Sur  le  chemin  que  doivent  parcourir  les  dra- 
vcurs,  sont  échelonnés  de  nombreux  rapides  qui, 
presque  chaque  année  engloutissent  quelques 
victimes.  Les  plus  célèbres  chûtes  de  la  rivière 
de  l'Assomption,  sont  celles  de  Montapeine  et 
celle  des  Sept. 

La  première  s'engouffrant  d'abord  dans  un 
canal  rétréci  et  profond,  précipite  ses  eaux  fu- 
rieuses pour  les  laisser  tomber  ensuite  du  haut 
d'un  rocher  perpendiculaire  de  cinquante  à  soi- 
xante pieds  d'élévation. 

Son  bruit  est  assourdissant  comme  celui  du 
tonnerre  ;  sur  ses  bords  escarpés,  ne  croissent 
que  les  mousses  humides,  les  plantes  grimpan- 
tes au  milieu  desquelles,  rares  et  dispersées, 
apparaissent  tristement  les  têtes  des  sapins  ra- 
bougris. Ces  lieux  arides  offrent  à  l'œil  un 
aspect  désolé  et  étrangement  sauvage.  La 
nature  ici,  semble  avoir  horreur  d'elle-même  : 
l'alouette  à  la  chanson  matinale,  le  délicieux 
rossignol,  la  douce  fauvette,  la  grive  mélodieuse, 
tous  les  aimables  chantres  des  bois  se  sont  en- 
volés loin  de  ces  sombres  bords. 

Seuls,  perçant  les  éternels  mugissements  de 
la  cataracte,  les  cris  lugubres  des  corneilles  et 
des  hiboux  révèlent  en  ce  lieu,  la  présence  d'ê- 
tres vivants.  Ces  oiseaux  sinistres  semblent 
tinter  le  glas  funèbre  des  infortunés  devenus 


72  L'HONORABLE  B.  JOLTETTE. 

la  proie  du  torrent,  et  dont  ils  ont  dévoré  les 
cadavres  revomis  sur  le  rivage. 

Là,  au  pied  du  torrent,  creusé  par  les  eaux, 
dans  les  flancs  déchirés  du  rocher,  sont  des  en- 
foncements profonds,  où,  chaque  année,  une 
quantité  de  billots  s'engouffrent  pour  ne  plus 
réparaître. 

Dans  la  chute  des  Sept,  située  en  amont  de 
la  première,  sept  rapides  étroits  obligent  à  dra- 
ver  les  billots  sur  un  long  trajet.  Joignez  à 
cela  les  sinuosités  capricieuses  d'une  rivière  qui 
semble  se  jouer  à  travers  les  montagnes  et  les 
plaines,  qui,  par  exemple,  dans  un  circuit  de 
neuf  milles,  revient  à  neuf  pas  de  son  point  de 
départ,  formant  une  presqu'île  appelée  a  la 
Pointe-à  neuf  pas,  "  et  vous  aurez  une  idée  de 
l'énergie,  de  la  persévérance  qu'il  faut  déployer 
pour  y  conduire  à  terme  heureux,  un  chantier 
de  billots.  C'est  ce  que,  pendant  vingt  ans, 
entreprit  et  exécuta  avec  les  plus  magnifiques 
succès,  le  père  et   le  fondateur  de  l'Industrie. 

De  son  temps,  lorsqu'à  la  crue  des  eaux  du 
printemps,  le  bois  encombrait  la  chaussée,  les 
moulins  redoublaient  de  vitesse,  roulant  nuit 
et  jour,  ils  transformaient  en  madriers,  en 
planche?,  en  lattes,  etc.,  les  vingt  à  trente  mille 
billots  enlevés  chaque  année  aux  forêts  sécu- 
laires.    C'était  le  travail  de  l'été. 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE,  Ï3 

Ces  bois  de  service  étaient  de  nouveau  ternis 
à  flot,  les  draveurs  reprenaient  leurs  leviers, 
leurs  piques  et  leurs  gaffes  pour  l'escorter  jus- 
qu'à l'embouchure  de  la  rivière  de  l'Assomption. 
C'est  de  là,  qu'embarqué  sur  des  barges,  il  était 
dirigé  vers  Québec  pour  y  être  livré  aux  ache- 
teurs. 

Tant  de  labeurs  de  la  part  de  M.  Joliette 
devaient  bientôt  avoir  leur  couronnement. 
Dans  la  pensée  de  cet  homme  éminent,  s'enfan- 
taient déjà  toutes  ces  merveilleuses  créations  qui 
ont  rendu  son  nom  si  cher  à  ses  compatriotes. 

Tout  en  dirigeant  avec  intelligence  les  tra- 
vaux  de  ses  chantiers  dont  il  suivait  de  l'œil 
les  moindres  détails,  on  le  voyait  s'occuper  des 
dispositions  topographiques  de  son  établisse- 
ment naissant.  C'est  ainsi  que  dans  la  prévi- 
sion de  l'avenir,  il  traçait  dès  1826,  au  milieu 
des  souches  et  des  bruyères,  l'alignement  des 
rues  de  la  cité  future,  qui  ne  comptait  guère 
alors,  plus  de  dix  à  douze  colons  résidants. 

XXII 

Manoir  seigneurial. 

Quelque  temps  après,  en  18*28,  il  jetait  les 
fondations  du  splendide  manoir  que  l'on  ad- 
mire encore  aujourd'hui.     Au  moment  où  les 

3 


74  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

heureux  possesseurs  de  cette  demeure  vraiment 
princière  allaient  en  faire  la  solennelle  dédicace, 
un  accident  imprévu,  en  retarda  d'une  année 
la  cérémonie. 

Le  jour  de  Noël,  pendant  que  la  famille  Jo- 
liette  et  tous  les  habitants  du  Village  d'Indus- 
trie s'étaient  transportés  à  St.  Paul,  pour  as- 
sister à  l'office  divin,  l'incendie  se  déclara  tout- 
à-coup,  au  manoir. 

Le  feu,  d'après  toute  probabilité,  s'était  com- 
muniqué du  poêle  aux  planches  et  aux  madriers 
que  l'on  avait  rangés  au-dessus  afin  de  les  faire 
sécher  plus  promptement.  Malgré  l'activité  et  la 
diligence  des  courriers  qui  coururent  porter  l'a- 
larme dans  l'église  de  St.  Paul,  l'incendie  dévora 
en  quelques  heures,  les  plafonds,  les  toits  et  tout 
le  bois  accumulé  dans  les  appartements  du  châ- 
teau ;  le  mur  d'arrière  fut  si  endommagé,  qu'il 
croula  pendant  l'embrasement. 

Loin  de  se  décourager,  M.  Joliette  se  remit 
à  l'œuvre,  fit  refaire  à  neuf,  ce  que  le  feu  avait 
détruit,  et  en  1830,  il  put  célébrer  avec  ses 
amis,  la  fêté  du  premier  de  l'an,  dans  le  manoir 
seigneurial,  devenu  plus  brillant  qu'auparavant. 
Dès  lors,  il  ne  quitta  plus  ce  séjour,  que  lors- 
qu'il dut  dire  à  la  vie  le  dernier  et  solennel 
adieu. 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 


XXIII. 


75 


Construction  de  nouveaux  moulins  en 
1835  et  en  1836. 

Le  fondateur  de  l'Industrie  poursuivait  les 
travaux  et  les  améliorations  qui  devaient  assurer 
à  sa  fondation  un  avenir  prospère.  Sur  les 
bords  de  la  rivière,on  vit  s'élever  deux  nouveaux 
moulins  ;  le  premier  destiné  à  la  mouture  des 
avoines  et  appelé  pour  cela  :  u  moulin  à  avoi- 
ne." Il  n'existe  plus  aujourd'hui  ;  un  incendie 
l'a  ruiné  de  fond  en  comble,  vers  Tannée  1863. 
A  la  droite  du  manoir  seigneurial,  un  monceau 
de  ruines  indique  seul  l'endroit  où  il  a  été  bâti. 

Quant  au  second,  il  fut  construit  sur  la  rive 
opposée  de  la  rivière;  il  était  destiné  à  aider  le 
premier  moulin  à  scie,  dans  la  manufacture 
des  bois  de  service,  il  a  conservé  sa  destination 
primitive  et  ne  cesse  ni  jour  ni  nuit,  de  remplir 
son  industrieuse  mission. 

XXIV. 

Canal  pour  la  descente  du  menu  bois 
en  1837. 

Cependant  les  Américains  que  l'on  rencon- 
tre partout  où  il  y  a  une  industrie  nouvelle  à  ex- 
ploiter, les  Américains  avaient  envahi  à  leur 


76  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

tour,  les  bords  de  l'Assomption,  et  faisaient,  par 
leur  comnierce'de  bois,  une  rude  concurrence  à 
M.  Joliette. 

Outre  les  billots  de  pin,  ces  compagnies 
étrangères  faisaient  descendre  une  quantité  de 
menues  pièces,  telles  que  perches,  piquets,  bois 
de  corde,  etc.  L'accumulation  de  ce  bois  obs- 
truait les  abords  des  booms  qui  ne  pouvaient 
que  difficilement  lui  livrer  passage,  vu  l'énorme 
quantité  de  gros  billots  qui  les  encombraient  à 
l'avance.  Afin  de  remédier  aux  plaintes  émises 
à  ce  sujet,  M.  Joliette  chargea  son  agent,  M. 
Chs.  Panneton,  de  diriger  les  travaux  d'un  ca- 
nal qui,  prenant  le  plus  court  chemin,  devait, 
après  un  parcours  d'une  dizaine  d'arpents, 
venir  déboucher  en  aval  de  la  chaussée.  Par 
ce  moyen,  les  bois  légers  trouvant  une  facile 
issue,  tomberaient  immédiatement  dans  les  ra- 
pides pour  poursuivre  leur  course  sans  aucune 
interruption. 

Ce  canal  de  six  pieds  de  largeur  sur  trois 
ou  quatre  de  hauteur,  et  que  l'on  prit  soin  de 
boiser  en  madriers,  fut  parachevé  dans  le  court 
espace  de  vingt-cinq  jours. 

Malheureusement,  il  ne  produisit  pas  le  ré- 
sultat désiré,  car,  à  cause  de  la  nouvelle  éléva- 
tion de  la  chaussée,  ses  eaux  ne  coulant  plus 
sur  un  plan  assez   incliné,  le  bois  ne  pouvait 


I/HONORABLE  B.  JULIETTE.  77 

s'écouler  qu'avec  le  secours  d'un  grand  nombre 
de  bras.  Ce  défaut  le  fit  abandonner,  et  au- 
jourd'hui, il  n'en  reste  plus  que  quelques  vesti- 
ges, au  milieu  des  marécages  situés  en  arrière 
du  Collège  et.  du  Noviciat  des  Clercs  de  St. 
Viateur. 

XXV. 

Perte  de  vingt  mille  billots. 

Ce  ne  fut  pas  le  seul  échec  qu'éprouvèrent 
les  affaires  de  M.  Joliette,  en  cette  année  de 
1837. 

Au  moment  où  tous  les  billots  de  ses  chan- 
tiers d'hiver  couvraient  la  rivière,  aux  alentours 
des  moulins,  une  crue  extraordinaire  des  eaux, 
refoulée  par  un  vent  violent,  rompit  les  chaînes 
qui  retenaient  les  booms.  Alors  une  débâcle 
effroyable  eut  lieu.  Vingt  mille  billots  s'ébran- 
lèrent, et  se  précipitant  les  uns  sur  les  autres, 
culbutèrent  de  la  chaussée  dans  les  rapides. 

Une  digue  s'était  formée  au  pont  des  dalles  ; 
un  instant,  on  avait  conservé  l'espoir  de  voir 
s'arrêter  ce  torrent  débordé.  T\Iais  à  peine  un 
quart  d'heure  s'était-il  écoulé,  que  le  pont,  cé- 
dant à  l'énorme  pression  des  eaux  envahissantes, 
se  disloqua  avec  un  craquement  épouvantable, 
laissant  un   libre  passage^aux  billots  qui,  bon- 


78  L'HONORABLE  B.  JOLIETTË. 

dissant  sur  les  rochers,  reprirent  leur  course 
effrénée. 

Dès  lors,  tout  fut  perdu,  et,  de  cette  im- 
mense quantité  de  bois,  une  partie  s'égara  sur 
les  rives  de  l'Assomption,  tandis  que  l'autre, 
suivant  le  cours  des  flots,  fat  entraîné  dans  le 
fleuve  St.  Laurent. 

Un  si  grand  malheur  n'altéra  en  rien  la  sé- 
rénité d'âme  de  M.  Joliette.  Lorsqu'on  vint 
lui  annoncer  cette  triste  nouvelle,  il  répondit 
au  messager  :  Eh  bien  !  c'est  le  bon  Dieu  qui 
l'a  voulu  !  tâchons  de  nous  résigner  à  sa  vo- 
lonté ! 

XXVI. 

Construction  d'un  marché  en  1837. 

Sous  lïnfluence  de  son  fondateur,  le  village 
d'Industrie  prenait  chaque  jour  de  nouveaux 
développements.  Les  habitants  des  paroisses 
de  Ste.  Elizabeth,  de  St.Thomas  et  de  St.  Paul, 
oubliaient  un  peu  la  route  d'autrefois,  pour  s'y 
acheminer.  . 

C'est  alors  que  l'on  songea  sérieusement  à  la 
construction  d'un  marché  assez  vaste  pour  les 
besoins  de  la  population  et  les  développements 
du  commerce. 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  79 

D'après  les  conseils  de  M.  Juliette,  M.  Chs. 
Panneton  et  feu  le  docteur  Barbier  érigèrent, 
sur  les  bords  du  canal,  une  bâtisse  devant  en 
tenir  lieu,  et  qui  dura  jusqu'en  1854. 

A  cette  époque,  les  habitants  de  la  localité 
comprirent  la  nécessité  de  remplacar  ce  marché 
primitif  qui  n'avait  qu'une  cinquantaine  de 
pieds  de  longueur,  par  un  autre  plus  spacieux, 
mais  qui,  n'en  déplaise  à  son  architecte,  ne 
semble  guère  plus  élégant  que  le  premier.  L'é- 
rection de  cette  nouvelle  construction  fut  le 
sujet  d'une  opposition  assez  vive  entre  quelques 
citoyens  du  village,qui  voulaient  le  marché  sur 
le  terrain  occupé  aujourd'hui  par  M.  Cléments. 
Le  premier  choix  fut  maintenu  et  les  contes- 
tants durent  céder.  Disons  qu  ils  le  firent  d'as- 
sez bonne  grâce,  et  que  l'harmonie,  un  instant 
troublée  par  ces  quelques  contestations,  reprit 
heureusement  son  empire  sur  le  village  d'In- 
dustrie. 

XXVII. 

Troubles  de  1837  et  de  1838. 

Cependant  un  cri  de  liberté  avait  retenti  d'un 
bout  à  l'autre  du  Bas-Canada. 

Excitée  par  la  parole  ardente  et  enthousiaste 
de  MM.   Papineau,  Lafontaine,  Nelson  et  au- 


80  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

très,  la  population  de  la  rive  droite  du  St. 
Laurent,  s'était  soulevée  en  masse,  pour  venger 
ses  droits  méconnus. 

Une  foule  de  révolutionnaires  sillonnaient 
en  même  temps  le  pays,  dans  le  but  d'enrôler 
des  volontaires  pour  la  cause  sacrée  de  l'affran- 
chissement de  ce  qu'on  appelait  la  tyrannie 
anglaise.  Dans  un  grand. nombre  de  localités, 
la  voix  des  Evêques,  les  conseils  des  hommes 
sages  retinrent  les  habitants  dans  les  limites 
du  devoir. 

A  l'Industrie  et  à  St.  Paul  les  tentatives  des 
fils  de  la  liberté  échouèrent  complètement, 
grâce  à  l'intelligence  et  au  dévouement  de  M. 
Joliette.  Faisant  taire  la  voix  d'une  ancienne 
amitié  pour  n'écouter  que  celle  de  sa  cons- 
cience, il  répondit  aux  avances  du  chef  de  Top- 
position  Bas-Canadienne  par  une  énergique 
protestation  de  fidélité  à  la  couronne  d'Angle- 
terre. u  Plutôt,  disait-il,  briser  mille  fois  les 
"  liens  de  notre  amitié  que  de  me  déshonorer 
"  au  point  de  forfaire  à  mon  serment  d'allé- 
"  geance." 

Pendant  que  sur  plusieurs  points,  les  agita- 
teurs semaient  ces  étincelles  qui  devaient  allu- 
mer les  funestes  incendies  de  St.  Charles,  de 
St.  Denis  et  de  St.  Eustache,  M.  Joliette  par- 
courait son  districtjCalmant  partout  les  passions 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  81 

surrexcitées.  Aux  cris  de:"liberté,"et  de:u  à  bas 
les  Anglais"  il  opposait  le  cri  du  devoir,  la 
doctrine  de  la  soumission  au  pouvoir  établi,  les 
conséquences  désastreuses  de  l'insurrection,  cou- 
ronnant toutes  ces  exhortations  en  exigeant 
des  citoyens  la  prestation  du  serment  de  fidélité 
au  gouvernement  Auglais. 

Aus.-i,  après  les  effusions  de  sang  qui  cou- 
vrirent de  deuil  plusieurs  villages  du  Bas- 
Canada,  M.  Joiiette  reçut-il  les  plus  chaleu- 
reux remerciements  de  la  part  de  ses  conci- 
toyens qu'il  avait  préservés  de  la  contagion  de 
la  révolte. 

La  divergence  d'opinions  politiques  qui  pen- 
dant les  troubles,  avait  opéré  une  scission 
entre  lui  et  ses  anciens  collègues  du  Parlement, 
n'avait  laissé  dans  son  esprit  aucun  sentiment 
d'aigreur. 

Dix  ans  après  les  malheureux  événements 
dont  nous  venons  de  parler,  un  de  nos  plus  il- 
lustres patriotes  de  l'époque  descendait  à  son 
manoir  pour  s'acquitter,  de  ce  qu'il  appelait, 
une   répara  lion  envers   les  devoirs  de  l'amitié. 

M.  Joiiette  versait  des  larmes  de  bonheur 
en  recevant  dans  ses  bras  ce  vieil  ami  qui,  après 
un  long  exil,  rentrait  dans  la  patrie  qu'il  avait 
conduite  à  l'abîme  en  voulant  la  sauver. 

14  Mon  cher  ami,  lui  dit  le  nouveau  venu, 


82  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

avant  de  franchir  le  seuil  de  votre  demeure,  de 
me  livrera  la  joie  de  notre  intimité  d'autrefois, 
j'ai  à  vous  demander  pardon  de  notre  refroidis- 
sement apparent  et  dont  mon  long  silence  a  été 
la  cause.  Hélas  !  que  d'événements  depuis 
dix  années  !  Je  le  sais,  on  m'a  accusé  de  tous 
Jes  malheurs  qui  ont  fondu  sur  nos  infortunés 
concitoyens  ;  on  m'a  reproché  d'avoir  ensan- 
glanté la  patrie  et  d'y  avoir  semé  la  tempête. 
Je  ne  puis  répondre  à  ces  graves  et  terribles 
accusations,  qu'en  protestant  de  mon  amour 
pour  mon  pays  ;  je  ne  voulus  jamais  sa  ruine  ni 
son  malheur,  puisque  j'ai  travaillé  toute  ma 
vie  pour  sa  gloire  et  sa  liberté.  Mon  patrio- 
tisme a  toujours  été  sincère  et  si  nous  n'avons 
pas  réussi  dans  notre  entreprise,  il  n'en  faut 
accuser  que  le  sort  qui  nous  a  été  contraire  !  " 

Assez,assez,  reprit  M.  Joliette,  tirons  un  voile 
sur  ces  malheurs  que  vous  n'avez  pas  prévus. 
Rappelons  des  souvenirs  plus  heureux. 

Et  l'entretien  se  poursuivit,  sans  qu'une  allu- 
sion tant  soit  peu  pénible  n'attristât  le  front 
déjà  si  pensif  de  notre  grand  orateur  cana- 
dien. 

Plus  d'une  fois,  dans  la  suite,  M.  Papineau 
se  donna  la  jouissance  d'une  visite  aux  aimables 
seigneurs  du  manoir  de  Joliette. 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 


XXVIII. 


M.  Juliette,  juge  et  père  de  la  popula- 
tion DE  SON  VILLAGE. 


Durant  le  laps  de  temps  qui  suivit  sa  rési- 
gnation de  mandataire  du  peuple,  M.  Joliette 
fut  sollicité  plus  d'une  fois,  d'entrer  de  nouveau 
dans  la  politique.  Il  refusa  constamment  de 
se  rendre  à  ces  instances.  Uu  but  unique, 
constant  lui  faisait  concentrer  toutes  ses  res- 
sources matérielles  et  intellectuelles  vers  le 
charmant  village  qui,  comme  une  fleur  bien- 
aimée,  croissait  sous  sa  tutelle  protectrice  et 
s'épanouissait  sous  le  regard  de  son  amour. 

Nous  avons  déjà  dit  que  M.  Joliette  avait 
cessé  l'exercice  de  sa  profession  de  notaire. 
Cet  office  était  rempli  par  un  citoyen  dont  la 
ville  de  Joliette  a  appris  à  respecter  l'intégrité, 
le  dévouement  et  cette  aimable  modestie  qui  est 
le  caractère  distinctif  du  vrai  mérite.  Cet  ho- 
norable monsieur,  que  personne  ne  saurait  mé- 
connaître sous  ce  portrait,  est  M.  J.  0.  Le- 
blanc, Ecr.,  ex-régistrateur  du  Comté  de  Joli- 
ette. 

Quant  au  fondateur  de  l'Industrie,  il  n'en 
rendait  pas  moins  à  l'égard  des  habitants  de  la 


84  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

localité,  les  services  qu'on  pouvait  attendre  d'un 
notaire  savant  et  dévoué. 

Pendant  de  longues  heures,  il  se  prêtait  de 
la  meilleure  grâce  du  monde,  à  écouter  les  de- 
mandes qu'on  lui  adressait  sur  les  questions 
litigieuses.  Il  se  montrait,  tout  à  la  fois,  le 
père  dévoué  et  le  juge  impartial  de  cette  popu- 
lation qui  se  groupait  autour  de  son  manoir. 
Il  arrêtait  les  procès  ;  admonestait  les  citoyens 
coupables  de  quelqu'injustice  ;  les  engageait  à 
la  réparation  des  torts  qu'ils  avaient  causés  : 
faisant  le  tout,  avec  tant  de  bonté,  d'esprit  de 
justice,  de  prudents  ménagements,  que  chacun, 
renonçant  à  sa  prétention  ou  à  son  ressentiment, 
se  trouvait  heureux  de  se  rendre  à  ses  raisons 
et  à  ses  avis  paternels. 

Sa  patience  était  admirable  ;  car,  malgré  les 
manières  rudes,  les  répliques  parfois  grossières 
et  injurieuses  des  parties  dont  il  avait  à  régler 
les  différends,  jamais,  ni  le  ton  de  ses  réponses, 
ni  l'altération  de  son  visage,  ne  laissaient  aper- 
cevoir l'indignation  ou  l'impatience  qui  aurait 
éclaté  chez  un  caractère  moins  trempé,  moins 
accoutumé  à  réprimer  ses  saillies. 

Et  lorsqu'au  sortir  de  ces  longs  entretiens, 
après  l'heureux  dénouement  d'une  affaire  em- 
barrassée, on  venait  lui  demander  ce  qu'il  exi- 
geait pour  sa  peine  :  "  Ce  n'est  rien,  mes  amis, 


L'HONORABLE  B.  JOL1ETTE.  85 

leur  disait-il  ;  soyez  toujours  unis  ;  je  serai  assez 
récompensé  de  mes  conseils,  si  j'apprends  que 
vous  vivez  en  paix  et  que  vous  êtes  toujours 
de  bons  citoyens  et  surtout  de  bons  chré- 
tiens.1' 

SA    CHARITÉ. 

Ce  n'était  pas  seulement  par  sa  douceur 
qu'il  s'attirait  l'affection  de  la  population,  car 
sa  charité  n'était  pas  moins  admirable  que  sa 
bienveillance. 

C'est  un  fait  publiquement  avéré  par  tous 
ses  contemporains,  que  jamais  un  malheureux 
n'a  frappé  en  vain,  à  la  porte  de  son  manoir. 

Il  allait  jusqu'à  prévenir  les  demandes  des 
nécessiteux  en  leur  envoyant  avec  libéralité  de 
quoi  soulager  leur  misère. 

Rencontrait-il  un  homme  sans  occupations, 
il  l'arrêtait  sur  le  champ,  l'amenait  avec  lui,  et 
lui  mettant  en  main  un  instrument  de  travail, 
il  lui  disait:  u  Eh  bien!  mon  ami,  voici  un 
moyen  de  gagner  honorablement  ta  vie  et  celle 
de  ta  famille.  Fais  cette  besogne,  tu  viendras 
ensuite  recevoir  la  récompense  de  ton  labeur. 
Il  en  sera  ainsi  tant  que  tu  n'auras  rien  à  faire 
chez  toi." 

Comme  tous  les  grands  cœurs,  M.  Joliette 
aimait  à  garder  le  secret  de  ses  bonnes  œuvres. 


86  L'HONOP.ABLE  B.  JOLIETTE. 

Mais  c'était  en  vain  que  sous  le  voile  de  sa 
modestie,  il  s'efforçait  de  les  dérober  à  tous 
]es  regards,  leur  parfum  les  ré  vêlait  et  les 
faisait  bientôt  découvrir. 

Souvent,  vers  le  soir,  on  le  voyait  se  diriger 
vers  une  ou  deux  des  plus  pauvres  habitations 
de  son  établissement.  A  son  aspect,  la  joie  re- 
naissait dans  l'âme  de  la  mère  affligée; les  petits 
enfants,  le  front  rayonnant  de  bonheur,  s'appro- 
chaient avec  confiance  de  celui  qu'ils  chéris- 
saient comme  un  père.  Après  quelques  unes 
de  ces  douces  paroles,  qui  tombaient  sur  les 
plaies  du  cœur,  comme  un  baume  bienfaisant, 
après  avoir  glissé  quelques  pièces  d'argent  dans 
la  main  tremblante  de  la  mère  reconnaissante, 
l'heureux  seigneur  repartait,  au  milieu  des  bé- 
nédictions de  cette  famille  consolée,  emportant 
dans  son  âme  plus  de  bonheur  que  s'il  eût  ga- 
çné  une  fortune. 


XXIX. 

Madame  Juliette. 

Nous  devons  ajouter  à  l'honneur  et  à  la  juste 
louange  de  sa  noble  épouse  qu'elle  ne  lui  en 
cédait  guère,  sous  ce  rapport.  Digne  héritière 
de  la  noblesse  d'origine  et  de  sentiment,  de  la 
charité  proverbiale  de  la  famille  de  Lanaudière, 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  87 

jamais  on  ne  vif,  son  cœur  et  sa  bourse  fermés 
devant  l'infortune  ou  la  misère. 

Type  de  la  femme  forte  et  accomplie,  on  la 
voyait  dès  l'aurore,  occupée  aux  soins  de  sa 
maison  qu'elle  dirigeait  à  la  tête  de  ses  ser- 
vantes. Un  pauvre  frappait-il  a  la  porte  du  ma- 
noir ?  Elle-même  allait  s'informer  et  du  motif  de 
sa  visite  et  des  détails  de  son  indigence.  Elle  s'af- 
fligeait avec  lui,  au  récit  de  son  malheur  ou  de 
ses  privations.  Là.  ne  s'arrêtait  pas  sa  sym- 
pathie et  sa  charité  ;  car,  après  l'avoir  fait 
manger  en  le  servant  elle-même,  elle  ne  man- 
quait pas  de  le  gratifier  encore  d'une  abondante 
aumône. 

Un.  jour  c'était  en  l'absence  de  son  époux. 
La  seigneuresse  assiégée  par  un  certain  nombre 
de  mendiants,  n'avait  su  résister  à,  l'entraîne- 
ment de  son  bon  cœur  :  d'une  aumône  à  l'au- 
tre elle  avait  donné  jusqu'à  quatorze  minots  de 
blé  !  A  la  fin  de  la  journée,  réfléchissant  qu'elle 
avait  peut-être  plus  consulté  sa  générosité  que 
sa  discrétion,  elle  craignait  de  recevoir  des 
reproches  ù  cause  d'une  pareille  prodigalité. 
Son  inquiétude  était  assez  vive.  Pour  prévenir 
la  réprimande,  elle  avait  chargé  un  ami  d'aver- 
tir son  époux  de  ce  qui  était  arrivé. 

En  apprenant  cette  conduite,  celui-ci  vint  la 
trouver,  et  la  félicitant  sur  sa  bonne   action  : 


88  L'HONORABLE  B.  JOL1ETTE. 

"  fais  à  l'avenir,  lui  dit-il,  selon  que  te  le  con- 
seillera ton  cœur  généreux,  tout  ceci  t'appar- 
tient, ajouta-t-il,  en  lui  désignant  du  geste,  le 
manoir  et  les  environs."  Digne  et  noble  ré- 
ponse, qui  entoure  de  la  même  gloire,  et  la  cha- 
rité de  l'épouse  et  la  grandeur  d'âme  de  l'é- 
poux. 

Dans  une  autre  circonstance,  madame  Juli- 
ette, dont  l'œil  vigilant  surveillait  tout,  s'était 
transportée  auprès  du  vaste  four,d'où  l'on  reti- 
rait en  ce  moment  le  pain  qui  devait  nourrir  sa 
nombreuse  famille  de  serviteurs.  Sur  ses  pas, 
comme  d'habitude.les  pauvres  étaient  accourus 
demandant  l'aumôme.  Emue  jusqu'aux  larmes 
à  la  vue  des  haillons  qui  les  couvraient,  de  la 
misère  peinte  sur  leur  figure,  la  noble  dame 
leur  distribua  toute  la  fournée  de  pain.  Le.s 
mendiants  s'en  retournèrent  en  bénissant  son 
nom  et  celui  de  son  époux,  tandis  qu'en  sou- 
riant, elle  donnait  des  ordres  pour  une  nouvelle 
fournée. 

XXX. 

Etablissements  Religieux. 

Au  milieu  de  la  prospérité  matérielle  de  son 
village,  *M.  Joliette  n'oublia  pas  les  établisse- 
ments religieux  dont  la  fondation  devait  cou- 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTL.  89 

rainer  sa  belle  carrière.  Il  était  profondément 
péiétfé  de  cette  conviction  qu'une  société, 
quune  association  quelconque  ne  saurait  pros- 
pérer sans  la  religion.  Il  reconnaissait  que 
cette  dernière  est  la  base,  le  fondement  indis- 
pensable de  tout  progrès  véritable,  comme  de 
toute  verlu  et  de  toute  grandeur. 

Aussi  l'aimait-il  de  tout  son  cœur,  cette  reli- 
gion pour  l'honneur  de  laquelle  il  sacrifia  une 
partia  de  sa  fortune.  Il  la  vénérait  dans  la 
personne  de  ses  ministres  dont  les  plus  mar- 
quants figuraient  au  nombre  de  ses  amis  les 
plus  chers. 

Le  Vénérable  Evêque  de  Montréal  avait  en 
grande  estime  ce  généreux  citoyen.  Cette 
haute  considération, qui  ne  souffrit  jamais  d'at- 
teinte, ne  manqua  pas  d'être  payée  d'un  juste 
retour  de  la  part  de  l'Hon.  Joliette. 

Ce  fut  en  témoignage  de  son  dévouement 
pour  l'Eglise,  ainsi  que  pour  remplir  le  vœu 
de  la  population  dont  il  était  le  père,  que  dans 
l'automne  de  1S41,  il  suppliait  Monseigneur  I. 
Bourget  de  lui  permettre  d'ériger  à  l'Industrie, 
un  temple  dont  il  ferait  tous  les  frais  de  cons- 
truction. 

En  attendant  que  le  nouvel  édifice  put  être 
livré  au  culte  divin,  il  sollicitait  pour  son  vil- 


90  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

lage,  la  faveur  d'avoir  l'Office  divin  tous  les  di- 
manches et  les  fêtes.  Le  prélat,  qui  connaissait 
ses  bonnes  dispositions,  lui  accorda  de  grand 
cœur,  ce  qu'il  avait  déjà  sollicité  en  vain, auprès 
de  feu  Mgr.  Lartigue. 

"  Nous  permettons,  disait  l'Evêque  dars  un 
décret,  nous  permettons  qu'une  chapelle  soit 
bâtie  par  contribution  volontaire,  sur  la  terre 
que  l'Honorable  Jolielte  et  sa  femme  promet- 
tent de  donner  pour  sa  fondation." 

Le  curé  de  St.  Paul,  qui  s'était  offert  pour 
desservir  la  nouvelle  mission,  reçut  en  même 
temps  que  M.  Joliette,  la  réponse  favorable  de 
l'Evêque. 

Voici  un  extrait  de  la  lettre  que  Sa  Gran- 
deur, Monseigneur  Bourget  lui  adressa  à  cette 
occasion. 

Montréal,  7 -Décembre  1841. 
Monsieur, 

u  Pour  récompenser  les  généreux  sacrifices 
qu'ont  fait  et  que  veulent  encore  faire  vos 
seigneurs  et  seigneuresses,  et  encourager  le  zèle 
et  les  bons  sentiments  du  village  d'Industrie, 
je  me  rends  à  vos  demandes  instantes  et  réité- 
rées, en  vous  permettant  de  biner  tous  les  di- 
manches et  fêtes,  à  la  chapelle  située  au  dit  vil- 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  91 

lage  d'Industrie;  cette  permission  est  pour  un 
an,  à  commencer  du  8  décembre  courant.  Ne 
manquez  pas  de  remercier  la  Vierge  Imma- 
culée, car  c'est  à  Elle  que  vous  êtes  redevable 
de  cette  faveur.  J'espère  qu'elle  bénira  ce 
pauvre  village  et  qu'elle  en  fera  un  village  de 
saints,  ce  qui  est  très-digne  de  sa  grande  misé- 
ricorde, et  ce  que  je  lui  demande  de  tout  mon 
cœur." 

j  Ig.  Eveqve  de  Montréal. 

Rev.  F.  M.  Turcotte,  curé  de  St.  Paul. 
Construction  d'une  Eglise. 

Quelques  jours  après,  dans  le  haut  du  mou- 
lin le  plus  voisin  du  château,  (le  moulin  brûlé 
en  18f>3),  une  chapelle  fut  préparée  pour  rece- 
voir, chaque  dimanche,  les  habitants  de  la  loca- 
lité. A  chaque  solennité,  c'était  toujours  un 
nouveau  et  édifiant  spectacle,  que  la  vue  de 
cette  fervente  population  appelant  les  bénédic- 
tions célestes  sur  elle  et  sur  ses  bienfaiteurs. 
Mais  la  modeste  chapelle  devait  faire  place  à 
un  temple  plus  digne  de  la  future  paroisse  de 
St.  Charles  Borromée.  C'était  là,  Je  plus  vif 
désir  du  fondateur  du  village  d'Industrie. 

Avec  son  activité  ordinaire,  il  s'était  déjà 
mis  à  l'œuvre.     Des  riches  carrières,  qui  bor- 


92  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

dent  la  rivière  de  l' Assomption,  sortit  bientôt 
la  pierre  nécessaire  pour  l'érection  de  la  nou- 
velle Eglise.  Au  printemps  suivant,  tous  les 
matériaux  étaient  rendus  sur  place.  On  se 
mit  au  travail  avec  une  incroyable  ardeur. 

L'activité  fut  si  grande  qu'au  treize  juin, 
cédant  à  la  sollicitation  de  M.  Joliette,  Mgr. 
Bourget  put  venir  faire  la  bénédiction  de  la 
première  pierre  de  l'Eglise  de  St.  Charles.  Le 
jour  de  la  cérémonie  s'annonça  d'abord  sous 
les  couleurs  les  plus  tristes.  Il  pleuvait  à  tor- 
rents. M.  Joliette,  qui  se  promettait  tant  de 
joie  pour  la  circonstance,  désespérait  de  l'arri- 
vée de  l'Evêque,  lorsqu'à  travers  les  brouil- 
lards et  l'orage,  il  aperçut  sa  voiture  s'arrêtant 
à  l'entrée  du  manoir.  Un  cri  do  joie  et  de  re- 
connaissance s'échappa  de  sa  poitrine.  Merci 
Monseigneur,  du  bonheur  que  vous  me  procu- 
rez en  venant  aujourd'hui  bénir  notre  Eglise  ! 
"  Mon  cher  monsieur  Joliette,  reprit  l'Evêque 
avec  un  doux  sourire,  convenez  qu'il  faut  bien 
vous  aimer  pour  vous  faire  visite  en  un  jour 
comme  celui-ci  ;  mais,  poursuivit-il,  nous  devons 
nous  réjouir,  car  cette  pluie  abondante,  c'est  la 
rosée  du  ciel  qui  fécondera  la  bonne  semence 
que  vous  venez  de  jeter  sur  le  sol  de  l'In- 
dustrie." 

Malgré  le  mauvais  temps,  un  grand  concours 


L'HONORABLE  B.  JOL1ETTE.  93 

de  peuple  assistait  à  la  cérémonie.  Monsei- 
gneur ne  put  s'empêcher  d'adresser  la  parole  à 
cette  population  qui  était  accourue  pour  le 
voir  et  entendre  sa  voix  toujours  aimée.  Lors- 
qu'après  avoir  expliqué,  avec  son  onction  ordi- 
naire, les  cérémonies  imposantes  de  la  bénédic- 
tion, il  en  vint  à  parler  de  l'immortalité  des 
œuvres  entreprises  pour  la  gloire  et  l'honneur 
de  l'Eglise,  de  la  grandeur  du  citoyen  qui  se 
sacrifie  pour  sa  religion  et  sa  patrie,  un  mur- 
mure approbateur  parcourut  l'assistance  trans- 
portée :  tous  les  cœurs  palpitaient  sous  le  coup 
d'une  violente  émotion,  et  l'on  vit  tous  les  re- 
gards pleins  d'admiration,  d'amour  et  de  re- 
connaissance se  diriger  vers  M.  Joliette,  l'objet 
de  ces  justes  éloges. 

Pendant  ce  temps-là,  confondu  dans  la  foule, 
baissant  humblement  la  tête,  le  noble  seigneur 
ajoutait,  par  sa  modestie,  un  nouvel  éclat  à  la 
gloire  si  pure  de  ses  vertus  de  foi,  de  dévoue- 
ment et  de  patriotisme. 

Ce  zèle  ardent,  cette  générosité  inépuisable 
qu'il  montrait  pour  la  construction  de  son 
Eglise  devinrent  contagieux  pour  la  population 
de  son  village  qui  ne  voulut  pas  rester  en  ar- 
dans  une  si  belle  œuvre.  Les  habitants  étaient 
pauvres  :  ils  donnèrent  de  leur  pauvreté  ;  on 
les  vit  offrir   le   secours  de  leurs  bras,  de  leurs 


94  L'HOXOHABLE  B.  JOLIETTE. 

chevaux,  de  leurs  voitures  pour  "aider  à  la 
construction  de  leur  temple. 

Leurs  efforts,  couronnés  splendidement  par 
la  générosité  de  la  famille  seigneuriale  de  La- 
naudière,  eurent  un  résultat  si  efficace,  que  le 
treize  Octobre  1843,  l'Evêque  de  Montréal 
descendait  de  nouveau  à  l'Industrie  pour  pro- 
céder solennellement  à  la  bénédiction  de  l'édi- 
fice religieux.  Pour  le  plaisir  de  nos  lecteurs, 
nous  leur  mettrons  sous  les  yeux  le  compte- 
rendu  de  la  circonstance,  publié  dans  le  temps, 
dans  les  "  Mélanges  Religieux.  " 

Il  y  a  dans  ces  lignes  d'intéressants  détails 
qu'il  importe  de  conserver. 

"  Mercredi,  douze  courant,  Monseigneur  de 
Montréal  avait  consacré  l'autel  de  l'Eglise  de 
St.  Paul  avec  toute  la  solennité  d'usage  ;  le  soir 
du  même  jour,  le  seigneur  Joliette  envoya  son 
carosse  traîné  par  deux  chevaux,  pour  trans- 
porter l'Evêque  au  village  d'Industrie.  Il  y 
arriva  vers  le  couchant  du  soleil  par  un  très- 
beau  temps.  Tout  le  village  avait  un  air  de 
fête  et  ses  habitants  se  trouvaient  sur  la  rive 
principale,  où  passa  l'Evêque  suivi  d'un  nom- 
breux  cortège.  Ce  fut  le  lendemain  qu'eut 
lieu  la  bénédiction  de  l'Eglise. 

L'Eglise  de  St.  Charles  est  bâtie  d'après  un 
très-beau  plan  et  des  proportions  telles  qu'elles 


L'HONORABLE  B.  JOLIETÏE.  95 

rendent  cet  édifice  un  des  plus  élégants  du 
pays.  Elle  a  cent-dix  pieds  de  long,  trente- 
deux  de  haut,  et  cinquante  de  large.  Elle  a 
deux  rangs  de  fenêtres  ;  le  deuxième  rang  de 
moindre  dimension  sert  à  éclairer  les  galeries 
latérales  qui  se  prolongent  jusqu'aux  angles  des 
chapelles.  Un  beau  jubé  est  construit  au  bas 
de  l'Eglise.  Le  portail  de  l'édifice  est  en 
pierres  de  taille  exploitées  et  taillées  sur  le  lieu 
même. 

A  la  suite  de  l'Eglise,  et  aux  murs  mitoyens, 
sont  la  sacristie  et  un  presbytère  à  deux  étages, 
de  quarante  pieds  sur  trente,  ce  qui  forme 
cent-cinquante  pieds  de  maçonnerie.  Les  ou- 
vrages doivent  se  continuer  immédiatement,  et 
au  mois  de  mars,  l'Eglise  sera  complète  ;  voûte 
en  plâtre,  murs  imités  en  marbre,  galeries  dé- 
corées, bancs  du  meilleur  goût,  sanctuaire  orné, 
etc.,  On  couvre  maintenant  le  clocher  en  fer- 
blanc  ;  il  y  a  place  pour  trois  cloches  qui  ne  se 
feront  pas  attendre  longtemps  ;  j'ai  compris 
qu'elles   arriveraient  dans  le  cours  de  l'année. 

Le  presbytère  doit  aussi  être  fiai  au  mois  de 
mars.  Une  ferme  sur  laquelle  l'Eglise  est 
bâtie  est  donné  par  le  seigneur  Joliette  pour 
aider  à  la  subsistance  du  curé  auquel  cent 
louis  sont  assurés  annuellement,  outre  lecasuel, 
le  revenu  de  la  ferme  et  quelques  dîmes. 


9G  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

Quelques  minutes  après  huit  heures,  com- 
mença la  cérémonie  qui  se  fit  avec  toute  la  so- 
lennité possible,  au  milieu  d'un  concours  tel, 
qu'au  moins  un  tiers  des  assistants  ne  pût  trou- 
ver place  dans  l'Eglise.  Il  était  plus  de  onze 
heures,  lorsque  la  consécration  de  l'autel  fut 
terminé.  M.  Quiblier  avait  été  invité  pour 
faire  le  discours  dans  cette  circontance.  Quoi- 
qu'il eût  accepté  l'invitation,  une  indisposition 
l'empêcha  de  s'y  rendre.  Il  fallut  qu'un  des 
prêtres  présents,  M.  le  Grand- Vicaire  Manseau 
montât  en  chaire  et  improvisât  un  discours  de 
circonstance. 

Le  seigneur  Joliette,  le  seul  auteur  du  bel 
établissement  au  Village  d'Industrie,  méritait 
la  reconnaissance  publique  :  les  habitants  du 
village  n'ont  fourni  que  quelques  matériaux 
bruts  :  bois  rond,  pierre,  chaux,  sable,  point 
ou  presque  point  d'argent.  L'orateur  les  lou- 
ant sur  le  zèle,  la  piété,  la  générosité  démontrés 
par  leur  superbe  édifice  dont  la  première  pierre 
avait  été  bénite  quatre  mois  auparavant,  s'est 
arrêté  et  a  repris  :  La  vérité  et  la  justice 
demandent  de  moi,  dans  ce  moment,  quelque 
chose  de  plus.  Je  dois  le  dire,  cet  édifice  ma- 
gnifique est  le  fruit  des  efforts  généreux  d'un 
honorable  citoyen  bien  connu  de  tout  cet  audi- 
toire, d'un  citoyen  dont  la  grande  âme  a  conçu 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  97 

et  réalisé  un  projet  sans  précédent  et  unique 
quant  aux  moyens  qu'il  a  employés, — unique, 
par  l'esprit  de  bienveillance  et  de  vraie  philan- 
tropie  qui  a  présidé  à  cette  œuvre  admirable, 
oui,  œuvre  admirable  que  je  ne  peux  louer  que 
faiblement,  mais  qui  sera  louée  et  mieux  appré- 
ciée par  la  génération  présente,  et  par  toutes 
celles  qui  la  suivront  ;  elle  doit  être  appréciée 
surtout  par  tous  les  citoyens  de.  cette  localité 
qui  doivent  en  tirer  le  principal  avantage. 

C'est  à  eux  surtout,  qu'est  imposé  le  devoir 
d'une  reconnaissance  continuelle,  et,  ils  le  rem- 
pliront ce  devoir  par  les  égards,  la  franchise  et 
la  probité  qu'ils  apporteront  dans  leurs  rapports 
avec  leur  commun  bienfaiteur,  etc. 

Le  village  d'Industrie  contient  quatre-cents 
communiants.  L'exploitation  des  bois,  les 
moulins  à  carder,  à  fouler,  etc.,  etc.,  tout  cela, 
produit  par  le  génie  de  M.  Joliette,  doit  faire 
surgir  dans  cette  place  une  ville  à  l'avenir. 
Ce  monsieur  est  comme  le  père  nourricier  de 
toute  la  population. 

"  Jeudi,  treize  courant,  le  tout  s'est  terminé 
par  un  banquet,  où  une  cinquantaine  d'amis 
prirent  place. 

Village  d'Industrie,  18  Octobre  1842. 
Les   commentaires  sont    ici    inutiles  ;  qu'il 


98  1/ HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

suffise  de  faire  remarquer  avec  le  regretté 
Grand  Vicaire  Manseau,  que  la  gloire  dont 
l'Hon.  Joliette  a  entouré  sa  vie  par  la  fon 
dation  d'une  ville  et  la  construction  d'une 
Eglise,  vivra  à  jamais  dans  le  souvenir  des 
citoyens  objets  de  sa  munificence. 

Nonobstant  les  immenses  sacrifices  déjà  ac- 
complis, le  bienfaiteur  de  l'Eglise  voulut  para- 
chever son  œuvre.  La  voûte,  les  galeries,  les 
peintures  des  murs,  les  autels,  les  décorations 
du  chœur,  les  bancs,  la  chaire,  etc.,  tout  fut 
terminé  au  printemps  suivant  : 

A  ces  dépenses  considérables,  le  généreux 
donateur  avait  ajouté  celle  d'une  maison  pour 
le  public,  d'une  cuisine  au  presbytère,  des 
granges,  remise,  hangar  pour  l'usage  du  curé, 
de  l'entourage  du  cimetière,  des  cours,  des 
jardins,  etc.,  etc.  Joignons  à  cela,  l'achat  des 
vases  sacrés,  des  ornements  sacerdotaux,  des 
parures  de  l'autel,  et  nous  aurons  une  idée  des 
sacrifices  qu'il  dût  s'imposer.  Il  semblait  que 
sa  bourse  ne  devait  pas  plus  s'épuiser  que  la 
générosité  de  son  cœur. 

Jusqu'à  cette  époque,  l'Eglise  du  village 
d'Industrie  n'était  qu'une  succursale  desservie 
par  le  curé  St.  Paul.  Cet  état  de  choses  ne 
pouvait  durer.     Au  premier  janvier  de  l'année 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  99 

1843,  M.  Neyroa  fût  nommé  curé  résidant 
de  la  paroisse  de  St.  Charles  Borromée.  Le 
nouveau  curé  ne  remplit  ses  fonctions  que 
pendant  dix  mois,  après  l'écoulement  desquels, 
il  fut  remplacé  par  le  Eévd.  Antoine  Manseau, 
l'un  des  Grands  Vicaires  de  Mgr.  l'Evêque  de 
Montréal.  Deux  mois  après  l'installation  du 
deuxième  curé  de  l'Industrie,  le  23  décembre 
1843,  Monseigneur  Bourget  laDçait  le  décret 
de  l'érection  canonique  de  la  paroisse  de  St. 
Charles. 

La  nouvelle  circonscription  ecclésiastique 
comprenait  une  étendue  de  territoire  de  forme 
irrégulière,  d'environ  huit  milles  de  longueur 
sur  deux  milles  de  largeur.  L'érection  civile, 
demandé  par  l'Honorable  B.  Jolictte,  n'eut 
lieu  qu'en  juin  1845. 

XXXI. 

Don  de    trois  cloches  a   l'Eglise,  par 

LA   FAMILLE    DE   LaNAUDIÈRE. 

Cérémonie  de  la  bénédiction, 
le  6  Sept.  1843. 

Quelque  chose  manquait  encore  a  a  temple 
splendide, — témoin  vivant  de  la  foi  de  son  fon- 
dateur. Ce  brillant  et  gracieux  clocher,  qui 
dominait  majestueusement   les   habitations  du 


100  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

village,  ne  disait  pas  au  cœur  ce  quon  pouvait 
en  espérer  ;  il  était  resté  sans  voix.  Cette  voix, 
dont  les  accents  mystérieux  se  mêleront  bientôt 
à  ceux  de  la  cité  et  de  la  famille,  il  pour  en 
consacrer  les  joies,  en  pleurer  les  douleurs,  en 
en  rappeler  les  devoirs,"  ce  sera  celle  de  la 
cloche  catholique,  objet  d'amour  et  d'espé- 
rance pour  toutes  les  âmes  chrétiennes. 

Quel  langage,  en  effet,  plus  éloquent  et  plus 
doux,  plus  fort  et  plus  tendre,  plus  mélanco. 
lique  et  plus  suave  que  celui  des  cloches  de 
nos  Eglises.  "  On  dirait  la  voix  de  l'ange  tuté- 
laire  que  la  foi  nous  montre  à  côté  de  chaque 
homme,  guidant  ses  pas,  inspirant  son  cœur, 
souriant  à  ses  innocents  plaisirs,  sympathisant 
avec  ses  souffrances,  gémissant  sur  ses  erreurs. 
"  C'est  elle,  qui  à  notre  entrée  dans  la  vie,  nous 
salue  d'une  voix  maternelle,  et  annonce  par  ses 
joyeux  carillons,  un  nouveau-né  à  la  famille,  un 
citoyen  à  la  patrie,  un  élu  pour  le  ciel.  Du 
haut  de  sa  flèche  aérienne,  elle  est  comme  une 
sentinelle  dont  le  regard  protège  les  champs  et 
les  cités.  Si  les  orages  et  les  tempêtes  dévas- 
tent les  campagnes,  si  des  toits  de  nos  maisons 
jaillit  la  flamme  de  l'incendie,  c'est  elle  qui  ré- 
unira la  population'  et  sauvera  les  vies  et  les 
propriétés  en  péril. 

"  C'est  par  la  cloche  que  la  terre  chrétienne 


L'HONOIîABlE  B.  JULIETTE.  101 

fait  monter  vers  le  ciel,  ou  ses  gémissements  ou 
sa  reconnaissance. 

11  Ainsi,  elle  symbolisera  la  communauté  de 
biens  spirituels  ;  sa  voix  imposante  proclamera 
dans  les  airs,  la  majestueuse  union  de  foi,  d'es- 
pérance et  de  charité  que  l'Eglise  seule  a  reçu 
mission  de  réaliser  parmi  les  hommes." 

Le  bienfaiteur  de  l'Eglise  de  St.  Charles 
avait  deux  raisons  de  soupirer  ardemment 
après  le  beau  "jour  où  le  temple  qu'il  venait 
d'élever  à  Dieu,  chanterait  à  sa  manière,  la 
gloire  de  l'Eternel,  transportant  jusqu'au  ciel, 
sur  les  notes  de  l'airain  sonore,  l'hymne  pieux 
de  sa  foi  et  de  sa  reconnaissance. 

Voix  imposantes  et  harmonieuses  des  cloches, 
lorsque  vous  éclaterez  pour  la  première  fois, 
vous  redirez  encore  d'autres  louanges  ;  car  vous 
publierez  en  même  temps,  et  la  gloire  du  fon- 
dateur de  l'Industrie,  et  la  générosité  de  la  fa- 
mille qui  vous  aura  installées  dans  votre  de- 
meure aérienne  ! 

C'était  la  noble  famille  de  Lanaudière  qui 
s'était  réservé  l'honneur  de  fournir  au  prix  de 
six  mille-cinq-cents  francs,  le  joyeux  carillon, 
qui  fut  importé  d'Angleterre.  Ajoutons  que 
ce  ne  fut  pas  le  seul  sacrifice  qu'elle  s'imposa 
pour  seconder  la  bienfaisance  de  l'Honorable 
Jolictte  et  de  sa  dame. 


102  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

Combien  l'âme  de  ces  personnes  généreuses 
dût  tressaillir  de  bonheur  en  la  fête  joyeuse  de 
la  bénédiction  de  ces  trois  belles  cloches  aux- 
quelles la  reconnaissance  donna  le  nom  de 
leurs  donateurs  et  donatrices  ! 

Chaque  vibration  de  l'airain  consacré,  reten- 
tissant sous  les  voûtes  pavoisées  du  temple, 
devait  faire  palpiter  leur  cœur  sous  l'effet  de 
mille  souvenirs  attendrissants. 

Aussi,  le  Père  Boné,  prédicateur  de  la  cir- 
constance, ne  manqua  pas  de  faire  là-dessus  de 
touchantes  et  spirituelles  allusions  auxquelles 
tout  l'auditoire,  plein  d'émotion,  applaudissait 
de  cœur,  d'âme  et  de  regard. 

XXXII. 

Témoign/ge  d'honneur  et  d'estime  ren- 
du a  l'honorable  B.  Joliette,  par 
la  Cour  de  Rome. 

Les  éclatants  témoignages  que  l'Honorable 
Joliette  venait  de  donner  de  sa  foi  et  de  son 
attachement  à  l'Eglise  lui  avait  attiré  les  féli- 
citations de  ses  compatriotes  catholiques  dont 
il  se  montrait  le  si  glorieux  modèle.  Les  jour- 
naux du  temps  ne  tarissaient  pas  d'éloges  à  son 
adresse. 


t'HONOÈABLE  B.  JOLIETÎË.  103 

Au  milieu  de  ce  concert  des  catholiques  et 
de  toute  la  presse  canadienne,  la  voix  de  Rome 
se  fit  entendre  pour  proclamer  les  services 
éminents  rendus  à  la  cause  religieuse  par  le 
fondateur  du  village  d'Industrie.  Cette  pièce 
fait  trop  d'honneur  à  un  enfant  du  Canada 
pour  être  passée  sous  silence.  Nous  nous  fai- 
sons un  devoir  de  la  reproduire,  persuadé  que 
la  lecture  de  ce  document  sera  un  véritable 
plaisir  pour  tous  les  citoyens  de  Joliette. 

"  Très-Illustre  Monsieur." 

i:  C'est  avec  la  plus  grande  satisfaction  que 
la  Sacrée  Congrégation  de  la  Progagande  de  la 
Foi  a  appris  que,  parmi  les  sacrifices  que  fait 
votre  Seigneurie  pour  le  soutien  de  la  religion, 
sacrifices  que  vous  continuez  encore  avec  la 
même  ardeur,  vous  avez  bâti  à  grands  frais  une 
magnifique  Eglise,  pour  y  célébrer  dignement  le 
culte  divin  et  procurer  le  salut  des  âmes. 

Quoique  nous  sachions  bien  qu'en  tout  cela, 
vous  avez  recherché  non  les  louanges  des  hommes 
mais  la  plus  grande  gloire  de  Dieu,  et  que  votre 
zèle  bien  connu  n'a  pas  besoin  d'être  excité  } 
cependant,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher, 
au  nom  de  la  Sacrée  Congrégation,  de  louer 
dans  le  Seigneur,  votre  amour  ardent  et  votre 


104  L'HONORABLE  B.  JOL1ETTE. 

piété,  de  vous  témoigner  notre  affecteuse  estime 
et  de  vous  exhorter  en  même  temps,  à  conti- 
nuer de  protéger  et  soutenir  de  toutes  vos 
forces  la  sainte  religion  catholique. 

A  cela,  nous  ajoutons  un  petit  cadeau  en 
argent,  savoir  :  une  médaille  de  l'œuvre  pré- 
cieuse de  la  propagation  de  la  foi,  que  vous 
recevrez  volontiers,comme  gage  de  notre  attache- 
ment et  de  notre  considération. 

Nous  prions  Dieu   qu'il  conserve  longtemps 
votre  seigneurie  et  la  préserve  de  tout  danger. 
De  Votre  Seigneurie, 

Le  très-affectionné, 

J.  Th.  Franzoni,  Préfet. 

Rome,  25  juillet  1844. 

Des  paroles  aussi  flatteuses  et  tombées  de  si 
haut,  redisent  trop  éloquemment,  le  zèle,  le 
dévouement,  la  générosité,  la  modestie  de 
l'Honorable  B.  Joliette,  pour  qu'il  soit  besoin 
d'y  joindre  le  tribut  de  nos  faibles  éloges.  Et 
pourtant  ces  belles  actions  qui  lui  valaient  ces 
pompeuses  louanges,  n'étaient  encore  que  le 
prélude  des  œuvres  vraiment  admirables,  qui 
jetteront  sur  le  soir  de  sa  vie  de  si  brillants 
reflets  de  gloire. 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTF.  105 

XXXIII. 

Idées    de    l'Honorable    Juliette    sur 
l'Education. 

Avec  son  jugement  si  sûr,  la  haute  intelligence 
dont  il  avait  donné  des  preuves  si  convain- 
quantes, le  seigneur  Joliette  comprenait  qu'il 
manquait  quelque  chose  d'essentiel  à  la  pros- 
périté de  son  établissement  et  au  bonheur  de  la 
population  qui  s'y  acheminait  chaque  année. 

Il  comprenait  que  son  œuvre  resterait  inache- 
vée, s'il  ne  réussissait  à  doter  sa  ville  naissante 
d'une  maison  d'éducation  dont  le  programme 
des  études  fut  en  rapport  avec  les  besoins  du 
temps. 

"  Rendre  lajeunesse  heureuse  en  développant 
ses  perfections  morales  et  intellectuelles  pour 
la  rendre  utile  à  ses  semblables  et  à  elle  même, 
pour  la  former  aux  luttes  et  aux  devoirs  de  la 
vie  publique  et  privée,"  telle  était  l'idée  que 
cet  illustre  citoyen  avait  conçue  de  la  mission 
de  cette  éducation  qu'il  se  proposait  de  faire 
donner  à  ses  compatriotes.  Avant  tout,  catho- 
lique sincère,  il  voulait  que  cette  éducation 
fût  essentiellement  religieuse.  11  était  persuadé 
que  sans  cette  condition,  elle  ne  saurait  être 
bonne  et  utile  à  la  société. 


106         L'HONORABLE  B.  JOLIETTË. 

A  son  langage  et  â  ses  actes,  on  voit  que, 
contrairement  à  l'opinion  d'un  certain  nombre 
de  nos  prétendus  esprits  forts,  il  était  convaincu 
que  l'éducation  qu'il  fallait  à  notre  jeunesse 
canadienne,  n'était  pas  celle  donnée  si  impru- 
demment à  la  génération  française  du  dix- 
huitième  siècle,  et  qui,  aux  jours  radieux  de 
la  foi,  aux  sublimes  dévouements,  fit  succéder 
les  tempêtes  sociales,  et  amena  le  débordement 
de  toute  les  mauvaises  passions  au  sein  de  la 
société  que  l'on  corrompait  dans  sa  source. 

Non,  élevé  dans  les  principes  du  plus  pur 
christianisme,  habitué  dès  son  enfance  à  la 
pratique  de  ses  devoirs  religieux,  l'Honorable 
Joliette  sentait  le  besoin  de  répandre  autour 
de  lui  les  bienfaits  de  cette  religion  d'amour 
qui,  en  grandissant  les  sentiments  du  cœur  de 
l'homme,  lui  procure  en  même  temps,  de  si 
douces  consolations  aux  heures  mêmes  de  ses 
sacrifices. 

Il  croyait  à  bon  droit,  que  le  premier  devoir 
de  la  société  était  de  donner  à  l'enfant  avant 
toute  autre  connaissance  la  connaissance  de 
Dieu  et  du  bien,  et  qu'elle  la  lui  devait,  pour 
lui-même  d'abord,  et  pour  elle  ensuite. 

lo.  "  Pour  lui-même,  afin  qu'il  ne  s'engageât 
pas  sans  boussole  sur  cette  vaste  obscurité  de  la 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  107 

vie,  afin  qu'il  ne  demeurât  pas  sans  consolation, 
sans  secours,  durant  ces  naufrages  auxquels 
sont  communément  réservées  les  plus  chères 
espérances  du  cœur,  et  que,  frappé  dans  ses 
biens,  dans  son  esprk,  dans  son  âme,  dans  son 
corps,  un  indescriptible  appui  restât  à  son  âme 
immortelle,  et  la  sauvât  du  désespoir.  Cet 
appui,  il  le  savait,  il  le  proclamait,  c'est  Dieu. 

11  Où  l'homme  le  prendra-t-il,  s'il  ne  le  con- 
naît pas  ?  Où.  trouvera-t-il  son  unique  refuge, 
s'il  n'a,  dès  la  jeunesse,  dès  l'enfance,  contracté 
l'habitude  salutaire  d'y  porter,  avec  la  soumis- 
sion d'un  égal  amour,  l'offrande  de  sa  joie  et  de 
ses  pleurs. 

11  II  souffrira  en  vain,  tout  sera  funeste  dans 
sa  vie;  ce  peu  de  bonheur  amer  qu'il  arrachera 
à  la  morne  âpreté  de  son  destin,  ces  fruits  rares 
et  chétifs  qui  pendent  aux  buissons  de  la  mau- 
vaise vie, — mauvais  comme  elle,  tromperont  la 
soif  de  son  cœur,  et  chargeront  son  âme  d'un 
aliment  empoisonné. 

M  2o.  Pour  elle-même.  Cette  connaissance,  la 
société  la  doit  encore  pour  elle-même  ;  car  un 
jour,  face  à  face  avec  les  graves  et  austères 
devoirs  de  la  vie,  le  jeune  homme  sera  appelé 
à  secourir  ses  frères,  à  diriger  une  famille. 

Il  devra  donner  le  bon  exemple  à  ses  infé- 
rieurs,  la    soumission  aux   lois,  le  respect  aux 


108  L'HONOKABLE  B.  JULIETTE. 

supériorités  ;  il  faudra  que  l'humanité  règle 
ses  entreprises,  que  la  chasteté  gouverne  ses 
sens,  qu'une  rigide  probité  le  guide  dans  les 
affaires,  que  la  religion  reçoive  publiquement 
ses  hommages.  Il  faudra  tout  cela,  s'il  ne  veut 
produire  autour  de  lui  une  effrayante  démora- 
lisation." Voilà  l'homme  tel  que  la  société  a 
droit  de  le  demander  à  l'éducation  du  Collège 
et  de  l'Académie.  C'est  ainsi,  que  voulut  le 
donner,  et  que  le  fit  instruire  l'Honorable 
B.  Joliette. 

XXXIV. 

Fondation  du  Collège  Joliette  "en 
1845. 

Depuis  longtemps,  le  projet  de  bâtir  une 
grande  maison  d'éducation  germait  dans  son 
esprit.  Il  n'attendait  que  l'occasion  favorable 
pour  réaliser  ce  vœu  de  son  cœur. 

Bientôt,  à  côté  de  l'Eglise,  sur  un  vaste  ter- 
rain qui  devait  servir  de  dot  à  la  nouvelle  fon- 
dation, on  vit  s'élever  les  murs  d'un  édi- 
fice de  quatre-vingts  pieds  de  longueur  sur 
quarante  de  largeur  ;  c'était  le  futur  Collège 
Joliette.  Commencé  en  1845,  cette  bâtisse  en 
pierre  de  rang,  à  deux  étages,  se  terminait  l'an- 
née suivante. 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  109 

Quelques  semaines  plus  tard,  dans  le  joli 
clocher  qui  en  couronnait  le  toit,  la  cloche  du 
grand  moulin  changeant  de  domicile  et  de 
mission,  appelait  dans  l'enceinte  du  Collège 
naissant,  l'intéressante  jeunesse  du  Village 
d'Industrie. 

Le  bienfaiteur  de  l'institution,  qui  voulait 
imprimer  à  son  œuvre  le  cachet  de  la  stabilité, 
s'était  proposé  de  confier  le  soin  de  cette  maison 
d'éducation  à  une  communauté  religieuse. 
Dans  ce  but,  il  entreprit  plusieurs  démarches 
auprès  de  Mgr.  Bourget  qui,  avec  son  zèle  or- 
dinaire, seconda  puissamment  son  dessein. 

En  attendant  que  le  projet  en  question  pût 
être  effectué,  l'Evêque  chargea  le  Rév.  M. 
Rester,  MM.  Barret  et  Dequoy,  ecclésiastiques, 
d'aller,  en  compagnie  de  quelques  professeurs 
laïques,  ouvrir  les  classes  du  Collège.  (1) 

Mais  auparavant,  il  était  juste  que  Inaugu- 
ration d'un  établissement  fondé  sous  l'inspira- 
tion d'une  pensée  de  foi,  empruntât  à  la  reli- 
gion quelques-unes  de  ses  splendeurs. 

En  fait  d'entreprises  religieuses,  l'Honorable 
B.   Joliette  ne   faisait   rien  sans  les  conseils  et 


1  IL  Rester  n'était  que  clerc  à  son  arrivée  au  Collè- 
ge, mais  il  fut  ordonné  prêtre  quelques  semaines  plus 
tard,  à  Joliette,  par  Mgr.  Gaulin,  ancien  Evêque  de 
Kingston. 

-4 


110  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

la  direction  de  son  Evêque.  La  construction 
de  l'Eglise,  l'érection  de  son  Collège  et  la  direc- 
tion qui  y  fut  donné  ne  passèrent  de  l'état  de  pro- 
jet à  celui  de  faits  accomplis,  qu'après  beaucoup 
de  consultations  dans  lesquelles  il  se  fit  tou- 
jours remarquer  par  sa  docilité,  son  humble 
soumission  aux  intentions  et  aux  désirs  de  Mgr. 
de  Montréal  qu'il  aimait  et  vénérait  comme  un 
bon  fils  aime  et  vénère  son  père.  L'affection 
et  l'estime  dont  l'entouraient  son  Evêque,  le 
payaient  largement  de  retour. 

Le  22  Septembre  1846,  fut  un  jour  mémo- 
rable pour  la  paroisse  de  St.  Charles.  Feu  Mgr. 
Prince,  alors  coadjuteur  de  Mgr.  Bourget, 
s'était  transporté  au  Village  d'Industrie  pour 
y  faire  la  bénédiction  du  Collège  qui  venait 
d'être  achevé. 

Il  était  accompagné  de  feu  M.  le  Grand-Vi- 
caire Truteau,  d'heureuse  mémoire.  Il  y  eût 
ce  jour-là  à  l'Eglise  de  St.  Charles,  messe  ponti- 
ficale solennelle.  En  cette  circonstance,  comme 
au  jour  de  sa  bénédiction,  ce  temple  tapissé 
de  tentures,  de  verdure  et  de  fleurs,  tout  reten- 
tissant de  chants  pieux,  semblait  n'avoir  qu'une 
voix  pour  chanter  en  l'honneur  de  son  fonda- 
teur l'hymne  de  la  reconnaissance. 

Après  l'Evangile,  l'Evêque  monta  en  chaire 
et  dans  un  discours  plein  de  force  et  d'onction, 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  111 

il  développa  devant  la  foule  que  l'Eglise  pou- 
vait à  peine  contenir,  les  inappréciables  avan- 
tages de  l'éducation  et  surtout  de  l'éducation 
religieuse  et  catholique. 

L'encouragement  constant  donné  au  Collège 
de  M.  Joliette  prouve  suffisamment  que  ces 
paroles  avaient  été  comprises  de  la  population. 
L'office  terminé,  au  son  des  cloches  et  au 
bruit  du  canon,  Mgr.  se  rendit  au  Collège  pour 
en  faire  la  bénédiction  solennelle. 

Les  prières  de  l'Eglise  étaient  achevées,  et 
la  foule  nombreuse  qui  encombrait  la  cour  du 
Collège  attendait  encore  quelque  chose.  Dans 
sa  muette  attitude,  dans  ces  regards  affectueux 
dirigés  vers  l'Honorable  Joliette,  elle  semblait 
supplier  l'Evêque  de  se  faire  auprès  de  son 
bienfaiteur,   l'écho   de  l'universelle  gratitude. 

Le  cœur  de  Mgr.  Prince  avait  compris 
et  ressenti  lui-même  ce  vif  et  profond  sen- 
timent qui  agitait  la  multitude.  Aussi,  il 
ne  se  fit  pas  prier  ;  sa  bouche  parla  de  l'a- 
bondance de  son  coeur.  Sa  pensée  pleine  d'heu- 
reux aperçus  et  d'ingénieux  rapprochements 
se  traduisit  par  une  brillante  improvisation 
qui  laissa  dans  les  âmes  un   profond  souvenir. 

Gomme  on  le  présume  aisément,  M.  Joliette 
ne  fut  pas  épargné,  et  sa  modestie  dût  subir 
en  silence,   tous  ces  éloges  mérités  qu'accueil- 


112  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

laient  les  nombreux  et  bruyants  applaudisse- 
ments de  la  foule. 

Après  avoir  parlé  des  bienfaits  de  l'éduca- 
tion religieuse  et  avoir  félicité  les  citoyens  de 
l'Industrie  de  l'heureuse  fortune  d'avoir  au 
sein  de  leur  village  un  établissement  aussi  pré- 
cieux qu'une  maison  dirigée  par  les  membres 
d'une  communauté  spécialement  dévouée  à 
l'instruction  de  la  jeunesse,  Mgr.  Prince 
termina  en  disant  :  "  En  quittant  ce  Collège 
qui  doit  ouvrir  ses  portes  aux  jeunes  gens  de 
cette  paroisse  ainsi  qu'à  ceux  des  paroisses 
d'abntour,  j'emporte  dans  mon  cœur  la  douce 
pensée  qu'il  ne  cessera  de  prospérer,  et  qu'il 
deviendra  plus  tard,  une  des  plus  florissantes 
maisons  de  cette  province." 

L'œuvre  patriotique  et  religieuse  de  M. 
Joliette  allait  commencer  à  produire  des  fruits. 
Bientôt  cinquante  élèves  recrutés  dans  le  vil- 
lage et  la  campagne  environnante,  animèrent 
joyeusement  les  salles  de  la  nouvelle  institution. 
Tout  allait  bien  sous  la  direction  du  prêtre 
zélé  et  intelligent  que  l'Evêque  avait  placé  à 
la  tête  du  Collège  naissant. 


L'HONORABLE  B.  JOLTETTE.  113 

XXXV. 

Arrivée  des  Religieux  de  St.  Viateur. 

M.  Joliette  n'en  poursuivait  pas  moins  son 
premier  plan,  celui  d'avoir  des  religieux  pour 
son  établissement. 

Seeondé  des  conseils  du  Grand-Vicaire  Man- 
seau  et  du  zèle  infatigable  de  Mgr.  Bourget,  il 
négocia  les  principaux  arrangements  du  contrat 
qu'il  proposait  à  la  communauté  des  clercs 
de  St.  Viateur. 

Au  printemps  de  1847,  l'Evêque  de  Montréal 
revenant  d'un  voyage  à  Rome,  passa  par  Vour- 
les,  leva  les  difficultés  qui  restaient  encore  et 
amena  avec  lui,  trois  religieux  de  cette  com- 
munauté : — noyau  fécond  de  cette  association 
naissante,  qui  aujourd'hui,  au  nombre  de  cent 
membres,  répand  ses  bienfaits  dans  le  diocèse 
de  Montréal,  étendant  ses  ramifications  jus- 
qu'à la  lointaine  Colonie  Canadienne  de  Bour- 
bonnais (près  de  Chicago.) 

Nous  reproduisons  ici,  une  lettre  que  Mgr. 
Bourget  adressa  alors  à  l'Honorable  B.  Joliette, 
pour  lui  rendre  compte  du  succès  de  ses  négo- 
ciations. Elle  dira  aux  habitants  de  Joliette 
qui  pourraient  l'ignorer,  que  dans  l'établisse- 
ment des  religieux  de  St.  Viateur  au  sein  de  leur 


114  L'HONORABLE  B.  JOL1ETTK 

ville,  le  vénérable  et  saint  Evêque  de  Montréal  a 
aussi  des  titres  bien  chers  à  leur  reconnaissance. 

"  Honorable  Monsieur," 

"  En  revenant  de  Rome,  je  me  suis  arrêté  à 
Vourles,  pour  conclure  avec  Monsieur  Querbes, 
curé  de  Yourles,  l'affaire  de  la  fondation  des 
Frères  de  St.  Yiateur,  à  St.  Charles  de  l'In- 
dustrie. J'ai  pris  sur  cette  Congrégation  nais- 
santé  toutes  les  informations  possibles,  et,  autant 
que  j'ai  pu  en  juger,  elle  remplira  parfaitement 
vos  vues  généreuses  et  bienveillantes.  J'amène- 
rai avec  moi,  au  mois  de  mai  prochain,  trois 
de  ces  Frères,  et  un  quatrième  suivra  de  près. 

En  faisant  les  frais  de  cette  fondation,  vous 
vous  proposez  de  propager  d'une  manière  efficace 
l'éducation  et  l'industrie,  dans  votre  ville  nais- 
sante, et  dans  tout  le  pays.  Or,  je  crois  que 
vous  trouverez  dans  les  Frères  de  St.  Yiateur 
des  hommes  capables  d'exécuter  ce  double  pro- 
jet si  beau  et  si  digne  de  vous 

Veuillez  présenter  mes  respects  à  toute  votre 
honorable  famille,  et  me  croire  avec  une  haute 
considération, 

Monsieur, 

Vctre  très-humble  serviteux, 
Ig.,  Ev.  de  Montréal 
A  l'Hon.  B.  Joliette. 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  llô 

En  faisant  à  ses  frères  bien-aimés  les  adieux 
du  départ,  le  Père  Querbes  remettait  de  son 
côté,  au  frère  Etienne  Champagneur,  pour 
l'Honorable  Joliette,  les  lignes  suivantes  : 

"Honorable  Monsieur," 

"  C'est  pour  seconder  vos  généreux  desseins 
que  nous  envoyons  trois  de  nos  frères  dans 
vos  contrées.  Monseigneur  de  Montréal  m'as- 
sure que  vous  êtes  disposé  à  faire  de  grands 
sacrifices  dans  l'unique  vue  de  procurer  le  bien- 
être  religieux  et  temporel  de  vos  concitoyens. 

J'ai  l'espoir  que  nos  frères  y  répondront. 
J'ose  les  recommander  à  votre  généreuse  bien- 
veillance. Leur  reconnaissance  sera  partagée 
par  tous  les  membres  de  leur  institution  et  par 
leur  supérieur  en  particulier  qui  est  avec 
respect," 

Honorable  Monsieur, 
Votre  très-humble  et  très-obt.  servt, 

Querbes,  Ptre. 
Vourles,  17  Avril  1847. 

Le  28  Mai,  après  une  heureuse  traversée 
les  religieux  annoncés  arrivèrent  à  l'Industrie 
où  ils  furent  reçus  à  bras  ouverts  par  MM. 
Manseau  et  Joliette. 


116  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

En  attendant  que  l'année  scholaire  commençât, 
ils  furent  logés  au  Collège.  En  Septembre,  ils 
prirent  la  direction  de  cette  maison  qui,  selon 
les  prévisions  de  Mgr.  Prince,  n'a  cessé  de  pros- 
pérer, bien  que  son  ciel  n'ait  pas  toujours  été 
exempt  d'orage' 

Tranquillisé  sur  le  sort  de  sa  fondation,  se 
reposant  entièrement  sur  l'habileté  des  reli- 
gieux pour  le  soin  et  l'impulsion  à  donner  aux 
études  dont  il  avait  pourtant  tracé  le  programme, 
le  fondateur  n'apparaissait  au  Collège  que  pour 
y  applaudir  au  travail  et  aux  succès  de  ses 
chers  enfants,  pour  y  surveiller  les  améliora- 
tions temporelles  dont  sa  générosité  prévoyante 
ne  se  lassait  pas  de  poursuivre  le  cours. 

L'amour,  le  respect  et  la  confiance  dont 
l'entouraient  les  professeurs  et  les  élèves  "  le 
dédommageaint  amplement,  disait-il,  des  petits 
services  qu'il  avait  essayé  de  rendre  à  la  jeu- 
nesse de  sa  localité.  " 

Il  faut  entendre  parler  lesjeuuesgens  d'alors 
qui  eurent  le  bonheur  de  le  voir,  de  l'entendre, 
de  jouir  de  sa  présence. au  milieu  d'eux,  pour 
se  faire  une  idée  de  rattachement  filial  et  de 
l'admiration  qu'il  inspirait  à  tous,  par  sa  con- 
duite si  pleine  de  noblesse,  de  bonté  et  d'affec- 
tueuse tendresse. 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  117 

XXXVI. 

Etablissement  d'une  Distillerie 

Au  milieu  des  préoccupations  que  lui  cau- 
saient le  coût  et  la  surveillance  des  travaux  de 
l'Egli.'e  et  du  Collège,  M.  Joliette  n'avait  dé- 
tourné en  rien,  le  cours  de  ses  entreprises 
industrielles.  Le  commerce  du  bois  qu'il  con  ' 
tinua  jusqu'aux  dernières  années  de  sa  vie,  lui 
procurait  les  ressources  nécessaires  à  ses  pieuses 
fondations. 

D'autres  entreprises  avaient  occupé  quelque 
temps,  cette  intelligence  qui  ne  pouvait  rester 
en  repos. 

C'est  ainsi  qu'en  1840,  de  concert  avec  31. 
E.  Scallon,  il  avait  établi  une  distillerie  de 
whisky  qui  donnait  de  l'occupation  à  une  tren- 
taine de  personnes.  Pendant  une  année,  elle 
fonctionna,  rendant  un  bénéfice  au-delà  de 
toute  espérance,  lorsque  tout-à-coup  une  incen- 
die la  détruisit  de  fond  en  comble,  [/élément 
destructeur  arriva  d'une  manière  si  inopinée, 
envahit  si  rapidement  l'édifice  qu'on  ne  put 
rien  sauver.  Tonneaux  d'eau-de-vie,  machines, 
appareils  distillateurs,  tout  devint  la  proie 
des  flammes.  On  ne  voit  pas  que  ni  M.  Joliette 


118  I/HONORABLE  B.  JULIETTE. 

ni  M.  Scallon  aient  eu  l'idée  de  tenter  de  nou- 
veau la  fortune  sur  ce  point. 

Quelques  personnes  trop  sévères  sans  doute, 
ont  reproché  à  M.  Joliette  sa  coopération  à 
rétablissement  de  cette  distillerie.  Telle  n'est 
pas  notre  opinion,  et  voici  pourquoi  :  M. 
Joliette  poursuivait  un  but  noble,  digne  de  son 
srand  cœur  et  de  sa  haute  intelligence  :  la  fonda- 
tion  d'un  village  et  l'établissement  d'une  pa- 
roisse. Il  usait  ainsi  les  forces  vives  de  son 
âge  mûr,  pour  la  prospérité  de  son  pays  et  la 
gloire  de  l'Eglise.  Dans  ce  dessein,  et  pour  se 
procurer  les  ressources  pécuniaires  nécessaires 
à  l'avancement  de  ses  œuvres,  il  encourageait 
toutes  les  industries  honnêtes,  toutes  les  légi- 
times entreprises  commerciales. 

La  fondation  d'une  distillerie  opérée  dans  le 
but  de  procurer  à  sa  population  une  plus  grande 
somme  de  travail,  de  faire  un  commerce  hon- 
nête, ne  lui  semblait  pas  une  entreprise  blâ- 
mable. L'abus  probable  d'une  chose  bonne 
en  elle-même,  ne  saurait  être  une  raison  d'en 
condamner  le  raisonnable  usage.  M.  Joliette, 
en  homme  sage  et  éclairé,  que  le  préjugé  et  le 
fanatisme  ne  pouvaient  ni  égarer,  ni  jeter  dans 
les  extrêmes,  croyait  qu'il  était  permis  de  se 
livrer  à  cette  exploitation  et  qu'il  ne  saurait  y 
avoir  de  faute,  à  faire  des  liqueurs  fortes  un 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  119 

usage  nécessaire  ou  utile,   pourvu  que  cet  usage 
fût  prudent  et  modéré. 

D'ailleurs  tout  le  monde  sait  que  ce  n'était 
pas  le  goût  des  boissons  enivrantes  qui  l'avait 
tourné  et  poussé  vers  C3tte  branche  d'industrie. 

Sa  sobriété  était  exemplaire.  Il  ne  prenait 
jamais  d'eau-de-vie  ;  dans  les  repas,  les  petites 
réunions  de  famille  ou  d'amis,  il  n'usait  que 
d'un  peu  de  vin.  Lorsque,  dans  ces  circons- 
tances, on  portait  des  santés,  un  seule  verre  de 
vin  lui  suffisait  pour  toutes.  Il  détestait  sou- 
verainement les  ivrognes  qu'il  renvoyait  impi- 
toyablement de  son  service,  lorsqu  après  deux 
ou  trois  avertissements,  ils  retombaient  dans 
leurs  premières  habitudes. 

Quelque  temps  après  la  construction  de  sa 
distillerie,  il  avait  songé  à  l'établissement 
d'une  manufacture  de  verre.  L'entreprise  était 
résolue,  mais  les  conseils  de  ses  amis  le  détour- 
nèrent de  ce  projet  qui  resta  abandonné  pour 
toujours. 

Cependant  une  autre  entreprise  plus  vaste 
que  les  précédentes  préoccupait  l'esprit  du  fon- 
dateur de  l'Industrie  :  cette  entreprise,  qui 
devait  épuiser  ses  forces  et  le  conduire  au  tom- 
beau, c'était  un  chemin  de  fer  destiné  à  relier 
son  village  au  fleuve  St.  Laurent. 


120  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

XXXVII. 

Chemin  de  Fer. 

Situé  à  quatorze  lieues  de  Montréal  et  à 
douze  milles  au  nord  du  St.  Laurent,  le  "  Vil- 
lage d'Industrie.  "  isolé  au  milieu  des  campagnes 
encore  peu  défrichées,  se  voyait  privé  de  com- 
munications faciles  avec  les  grands  centres  de 
commerce.  Il  ne  pouvait  prospérer  que  par 
son  industrie  locale,  par  l'exploitation  des 
chantiers,  par  les  travaux  incessants  qu'exécu- 
tait l'homme  extraordinaire  que  la  Providence 
y  avait  suscité. 

Ces  ressources  venant  à  manquer,  advenant 
la  mort  de  ce  protecteur,  rétablissement  au 
berceau,  aurait  été  condamné  à  languir  dans 
son  isolement,  partageant  le  triste  sort  de  ces 
villages  stationnaires  que  le  défaut  de  commu- 
nication ou  d'initiative  retient  dans  l'engour- 
dissement, empêche  de  progresser  et  de  grandir. 

Plein  de  sollicitude  pour  une  œuvre  en 
faveur  de  laquelle  il  avait  consacré  les  forces 
de  sa  vie,  l'Honorable  Joliette  ne  songeait  à 
rien  moins  qu'à  relier  par  une  voie  ferrée,  son 
établissement  avec  le  St.  Laurent. 

Déjà  un  plan  avait  été  conçu  ;  déjà  sur  ses 
cartons,  une  route  avait  été  tracée  de  l'Indus- 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  121 

trie  à  l'Assomption,  lorsque  les  marchands  de 
ce  dernier  Village,  créèrent  à  ce  projet  une  si 
vive  opposition  qu'il  dût  s'adresser  à  meilleure 
enseigne.  Il  se  tourna  vers  Berthier  :  il  offrit 
d'y  diriger  son  Chemin  de  Fer,  à  la  condition 
que  le  Village  souscrirait  une  certaine  somme 
en  faveur  de  l'entreprise  ;  mais  les  citoyens  de 
cette  localité,  à  l'instar  de  ceux  de  l'Assomption, 
ayant  refusé  ses  avances,  il  ne  se  découragea 
pas. 

Ayant  tenté  de  faire  déboucher  son  chemin 
à  Lavaltrie,  de  nouveaux  obstacles  surgirent 
et  l'empêchèrent  d'effectuer  ce  dessein.  Il  y 
avait  de  quoi  réfléchir.  Il  résolut  alors  de 
choisir  la  voie  la  plus  courte,  malgré  les  im- 
menses travaux  que  devait  nécessiter  son  ter- 
rassement. 

Le  village  de  St.  Thomas,  qui  ne  comptait 
alors  que  quelques  maisons,  et  celui  de  Lanoraie 
furent  les  jalons  de  cette  artère  féconde  qui, 
avec  le  commerce,  amènerait  à  Joliette,  le  mou- 
vement, la  vie  et  la  prospérité. 

En  quelques  mois,  sous  sa  présidence  et  par 
ses  soins  intelligents,  une  compagnie  puissante 
est  formée  ;  une  charte  est  sollicitée  et  octroyée 
Enfin,  au  printemps  de  1848,  deux  cents 
travailleurs,  la  hache  et  la  pioche  à  la  main, 
opéraient  à  travers  la  forêt,  une  large  trouée  que 


122  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

devaient  bientôt  parcourir  de  lourds  chariots, 
descendant  au  fleuve  géant,  les  produits  du 
Nord. 

Le  touriste  à  qui  il  a  été  donné  de  faire  le 
trajet  de  Lanoraie  à  Joliette,  qui  a  promené 
son  regard  sur  ces  immences  savannes  mouvan- 
tes et  bourbeuses,  couvertes  d'eaux  stagnantes 
que  la  persévérance  a  assainies  ;  qui  a  vu  ces 
coteaux  sablonneux  à  travers  les  flancs  desquels 
il  a  fallu  tracer  un  sillon  profond  ;  .qui  a  consi- 
déré ces  dix  milles  d'abattis  qui  ont  été  faits  ; 
qui  a  examiné  les  terrassements  élevés  qu'a 
nécessités  l'ouverture  de  cette  voie  ferrée,  peut 
se  faire  une  idée  des  difficultés  qu'a  dû  vaincre 
M.  Joliette  pour  parachever  son  œuvre. 

Président,  conducteur,  aviseur,  il  était  tout 
à  la  fois  ;  qu'il  fit  beau  ou  mauvais  temps,  que 
le  ciel  fût  sombre  ou  qu'un  soleil  de  juillet  em- 
brasât l'atmosphère,  il  était  là,  au  milieu  des 
ouvriers,  dirigeant  toutes  les  opérations  ;  rien 
n'échappait  à  sa  sagacité. 

S'il  arrivait  à  quelqu'un  de  ne  pas  com- 
prendre sa  tâche  ou  de  la  remplir  négligemment, 
il  pouvait  être  assuré  de  ne  pas  échapper  à 
l'œil  du  maître.  Une  première  et  douce  répri- 
mande suivait  cette  première  maladresse  ou 
cette  première  faute.  Si  l'admonition  ne  suffi- 
sait pas  pour  amender  les  coupables,  ils  devaient 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  123 

s'attendre  à  recevoir  poliment  leur  argent  et 
leur  congé,  sans  plus  de  cérémonie. 

M.  Joliette  n'aimait  pas  à  perdre  son  temps 
dans  les  contestations  inutiles.  Très  affable  et 
très-conciliant  pour  ses  employés  qui,  après 
leurs  manquements,  promettaient  de  mieux 
s'acquitter  de  leurs  devoirs,  il  était  inflexible 
envers  les  ivrognes,  les  paresseux  et  les  scanda- 
leux qu'il  refusa  toujours  d'admettre  ù  son 
service. 

Six  mois  d'infatigable  labeur  avaient  englouti 
dans  l'entreprise  la  somme  de  825,000.  Au 
printemps  suivant,  les  travaux  furent  repris 
avec  une  nouvelle  vigueur.  Aux  derniers 
jours  de  la  saison  d'automne,  signalés  par  une 
noire  colonne  de  fumée,  les  chars  nouvellement 
apparus  dans  ces  régions  solitaires  se  prome- 
naient du  St.  Laurent  au  village  de  St.  Thomas. 
EnfiD,  au  printemps  de  1850,  au  prix  de 
$55,300,  la  ligne  du  village  d'Industrie  au  St. 
Laurent  se  trouvait  parfaitement  organisée,  et 
fonctionnait  à  merveille,  à  l'extrême  satisfaction 
de  l'Honorable  Joliette. 

Mandé  pour  la  circonstance,  Monseigneur 
Bourget  qui,  en  tant  d'occasions,  s'était  rendu 
à  l'Industrie  pour  bénir  les  travaux  et  les  en- 
treprises de  M.  Joliette,  voulut  encoie  cette 
fois,  condescendre  au  vœu  général  de  la  popu- 


124;        L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

lation,  et  venir  procéder  lui-même  à  la  béné- 
diction du  nouveau  chemin  de  fer.  Cette 
belle  cérémonie  eut  lieu  le  dimanche,  dans 
l'après-midi,  au  milieu  d'un  immense  concours 
de  peuple.  L'Evêque  y  prononça  une  belle  et 
touchante  allocution. 

Entr'autres  censidérations  du  plus  haut 
intérêt,  il  peignit  à  grands  traits,  avec  des 
éloges  mérités,  les  œuvres  de  Y  Honorable  fon- 
dateur du  village  d'Industrie. 

Puis,  parlant  de  l'alliance  intime  de  la  Reli- 
gion avec  le  progrès  des  arts,  des  sciences  et  de 
l'industrie,  il  rappela  que  c'était  au  foyer  sacré 
de  la  Religion  que  s'était  rallumé,  au  moyen- 
âge,  le  feu  du  génie,  et  que  sous  son  inspiration 
créatrice,  avaient  été  enfantés  ces  chefs-d'œuvre 
que  la  vieille  Europe  est  aujourd'hui  si  fière 
d'offrir  à  l'admiration  du  monde. 

"  Cependant,  a-t-il  ajouté,  si  bien  des  fois,  à 
la  vue  des  merveilles  de  l'art  chrétien,  le  cri 
de  :  u  Gloire  à  nos  pères  !  "  s'est  échappé  de 
nos  poitrines,  nous  pouvons  répéter  aussi  : 
gloire  à  nos  concitoyens  qui,  par  leurs  tra- 
vaux et  leurs  sacrifices,  ont  procuré  le  bien 
être  matériel  et  religieux  de  leurs  frères  !  gloire 
au  génie  qui  rapproche  les  distances,  suspend 
des  ponts  dans  les  airs,  et  qui,  par  la  puissance 
de  la  vapeur  donne  à  de  lourds  chariots  l'agilité 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  125 

de  l'aigle  et  la  rapidité  de  la  flèche  qui  fend 
les  airs. 

Amie  constante  du  progrès,  la  Religion  ap- 
plaudit au  succès  de  l'homme,  se  fait  un  bon- 
heur de  rendre  un  solennel  hommage  aux  cré- 
ations du  génie.  Voilà  pourquoi  elle  vient 
aujourd'hui,  entourée  de  sa  pompe  et  de 
ses  vœux,  imprimer  le  sceau  d'une  salutaire 
consécration,  à  ce  magnifique  chemin  de  fer, 
triomphe  de  la» persévérance  et  du  patriotisme 

d'an  grand  citoyen Tout  en  encourageant 

ce  progrès  matériel,  elle  demande  qu'il  soit 
uni  au  progrès  religieux  et  moral  ;  elle  nous 
fait  ressouvenir  qu'il  ne  faut  pas  oublier  la 
main  généreuse  qui  bénit  les  entreprises  hu- 
maines et  leur  accorde  un  heureux  couronne- 
ment. C'est  ce  qu'a  compris  le  fondateur  du 
beau  Village  d'Industrie  qui,  en  nous  appelant 
pour  bénir  chacune  de  ses  entreprises,  s'est 
rappelé  la  parole  des  livres  saints  :  Nïsi  Domi- 
nus  œdificaverit  domum,  in  ranum  îaborave- 
runt  qui  œdificant  eamP 

Par  cette  nouvelle  voie  de  communication, 
le  coût  exhorbitant  de  la  descente  du  bois  de 
sciage  qu'il  fallait  auparavant  conduire  au 
fleuve  par  les  interminables  sinuosités  de  la 
rivière,  fut  considérablement  réduit.     Il  en  fut 


126  L'HONORABLE  B.  JOL1ETTE. 

de  même  des  produits  de  l'agriculture,  qui,  par 
des  routes  à  demi^ébauchées,  devaient  être 
transportés  soit  à  Berthier,  soit  à  l'Assomption. 
Dès  lors,  le  Village  d'Industrie  prit  un 
nouvel  essor.  Dès  ce  moment,  son  commerce 
quadrupla,  et,  en  moins  de  cinq  années,  le 
chiffre  de  sa  population  fut  doublé. 

XXXVIII. 

Vue  de  Joliette. 

Lorsque,  dans  la  belle  saison  d'été,  le  voya- 
geur, entraîné  par  le  vapeur  sur  le  chemin  de 
fer  de  Lanoraie  à  Joliette,  entendant  le  siffle- 
ment aigu  de  la  locomotive,  signe  précurseur 
de  l'arrivée  au  terme  de  la  course,  promène  son 
regard  sur  la  ville  et  ses  alentours,  il  voit  se 
dérouler  devant  lui  un  ponorama  riant  et 
gracieux. 

A  l'avant-scène,  et  comme  une  brillante 
émeraude  sur  un  champ  d'or  et  d'azur,  se  pré- 
sente le  joli  bocage  d'érables  couronnant  si  pit- 
toresquement  les  rives  de  l'Assomption. 

A  ses  côtés,  vers  le  Sud-Ouest,  s'étendent 
les  campagnes  cultivées  dont  les  replis  onduleux, 
suivant  parallèlement  le  cours  de  la  rivière, 
vont  se  perdre  du  côté  de  St.  Paul 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  127 

Ea  face  du  débarcadère,  apparaît  la  limpide 
rivière  de  l'Assomption.  Descendant  les  rapides, 
ses  eaux  courent  avec  vitesse,  battant  les  rives 
sonores  qu'elles  inondent  de  blanchissante 
écume. 

Sur  la  rive  occidentale,  s'étend  la  grande 
plaine  aux  frontières  de  laquelle  s'élève  pour  la 
dominer,  l'industrieuse  cité  de  Joliette. 

Bâtie  en  parallélogramme,  Joliette  ressemble 
beaucoup  aux  petites  cités  américaines  qui  se 
présentent  à  l'œil  avec  un  air  de  jeunesse, 
d'aisanae  et  de  coquette  élégance.  Avec  ses 
rues  larges,  parallèles  et  ombragées  en  plusieurs 
endroits,  ses  places  spacieuses,  ses  maisons  res- 
plendissantes de  propreté,  ses  moulins,  ses  ma- 
nufactures, ses  nombreux  magasins  de  tout 
genre,  ses  édifices  publics,  tels  qu'Eglise, 
chapelle,  collège,  couvent,  école,  hôpital,  palais 
de  justice,  institut  littéraire,  cette  petite  ville 
canadienne  se  dessine  aux  regards  de  l'observa- 
teur sous  l'aspect  d'un  tableau  plein  d'anima- 
tion et  de  vie. 

Au  sortir  des  chars,  le  premier  objet  qui 
attire  l'attention  de  l'étranger,  est  le  manoir  du 
seigneur  et  fondateur  de  la  ville  :  l'Honorable 
Barthélenii  Joliette. 

A  une  demi-lieue  de  distance,  le  touriste 
avait  déjà  vu  se  dessiner  à  l' horizon  le  dôme 


128  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

brillant  qui  couronne  cet  édifice.  A  mesure 
que  les  espaces  s'effacent,  il  a  vu  le  manoir 
s'élever,  par  degrés  et  apparaître  plus  distinc- 
tement. 

Comme  sur  l'Océan,  un  vaisseau  lointain 
dont  on  n'aperçoit  d'abord  que  l'extrémité  de 
la  mâture  semble  perdu,  naufragé  cUds  Ja 
plaine  liquide,  mais  qui,  en  se  rapprochant, 
grandit  à  vue  d'oeil  et  se  dresse  bientôt  fière- 
ment sur  les  flots  qui  le  balancent  majestueu- 
sement, de  même,  le  manoir  dont  on  n^  voit 
d'abord  que  le  faite,  paraît  surgir  du  sol,  en 
grandissant  peu  à  peu  ;  les  ailes  se  découvrent 
et  un  quart  d'heure  après,  à  travers  les  magni- 
fiques ombrages  qui  l'encadrent,  il  rayonne  dans 
tout  son  éclat. 

Construit  en  1828,  sur  un  plan  moderne 
dont  on  peut  retrouver  le  modèle  à  Phila- 
delphie dans  la  vue  du  château  du  prince  Joseph 
Bonaparte,  le  manoir  de  Joliette  est  assis  sur 
le  bord  des  bruyantes  cascades  de  la  rivière, 
au  milieu  des  ondulations  du  coteau  où  prend 
naissance  la  rue  de  Lanaudière. 

C'est  un  édifice  à  deux  étages,  de  cent  pieds 
de  longueur  sur  une  largeur  de  quarante. 
Deux  ailes  de  vingt-cinq  pieds  de  largeur  sur 
une  cinquantaine  de  profondeur,  laissent  saillir 
de   cinq  à  six  pieds,  le  corps  principal  qui, 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  129 

orné  d'un  fronton  semblable  à  celui  des  ailes, 
revêt  par  toutes  ses  proportions  un  air  de 
force  et  d'élégance  peu  communes. 

A  l'instar  de  celles  des  châteaux  féodaux  du 
moyen-âge,  ses  ouvertures  sont  larges;  les 
portes  à  double  battant,  ainsi  que  les  larges 
fenêtres  placées  au-dessus  d'icelles,  se  terminent 
par  une  ellipse  à  leur  partie  supérieure.  Avec 
ses  toits  en  fer-blanc,  sa  solide  structure  en 
belle  pierre  bleue,  cet  édifice  grandiose  et 
vraiment  princier  peut  durer  plusieurs  centaines 
d'années. 

Après  un  demi-siècle  d'existence,  il  est  en- 
core aussi  brillant  qu'aux  beaux  jours  de  son 
inauguration  :  alors  que  dans  son  enceinte 
pompeusement  décorée,  une  société  d'élite  se 
pressait  autour  de  son  hospitalier  et  très-noble 
seigneur. 

Malgré  le  deuil  qui  l'environne  aujourd'hui, 
le  manoir  de  Joliette  a  le  privilège  d'attirer  à 
ses  alentours,  les  pas  du  promeneur  pensif  et 
solitaire. 

Lorsqu'au  déclin  du  jour,  dans  les  délicieuses 
journées  de  l'été,  celui-ci  se  dirige  vers  cet  en- 
droit écarté  et  silencieux,  il  ne  peut  s'empê- 
cher de  contempler  longuement  le  tableau  qui 
parle  si  éloquemment  à  son  imagination  et  à 
son  cœur. 


130  L'HONORABLE  B.  JOLTETTE. 

Outre  l'aspect  mélancolique  des  ruines  co- 
lossales d'un  ancien  château  jadis  rival  de 
celui  de  M.  Joliette,  mais  dont  les  décombres 
épars  ça  et  là  sur  le  sol  rappellent  sans  cesse  à 
l'esprit  les  vers  du  poëte  : 

"  Les  plus  belles  choses  ont  le  pire  destin  ; 
"  El  rose,  il  a  vécu  ce  que  vivent  les  ros*:js, 
■•  L'espace  d'un  matin. 

Outre  ce  tableau,  dis-je,  ce  palais  désert  au 
sein  duquel  règne  le  silence  de  la  tombe,  ces 
jardins  qui  n'ont  conservé  que  de  légers  ves- 
tiges de  leur  splendeur  primitive,  ces  mûrs  d'en- 
ceinte lézardés  et  délabrés,  ces  sombres  peu- 
pliers qui  murmurent  sous  la  brise  du  soir, 
tout  en  ce  lieu,  porte  l'empreinte  de  la  tristesse 
et  semble  porter  le  deuil  des  anciens  bienfai- 
teurs de  la  ville. 

Au  bruit  continuel  des  chûtes,  aux  notes 
plaintives  des  oiseaux  nocturnes,  joignez  le 
spectacle  du  soleil  couchant,  qui,  à  travers  les 
branches  des  arbres  fait  miroiter  ses  rayons  sur 
les  toits  et  les  vitraux  de  l'édifice  abandonné 
en  y  projetant  les  lueurs  de  l'incendie,  et  vous 
aurez  une  idée  des  indescriptibles  sentiments 
qu'un  pareil  spectacle  doit  inspirer  aux  âmes, 
tant  soit  peu  impressionnables  et  sensibles. 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  131 

XXXIX. 

Donation  de  L'Eglise,  du   Collège,  du 

Noviciat  et  des  terrains 

avoisinants. 

Jusqu'alors,  l'Eglise,  le  Collège,  le  Noviciat 
et  les  terres  qui  en  constituent  les  dépendances, 
étaient  demeurés  la  propriété  personnelle  de 
l'Honorable  B.  Joliette. 

En  consultant  les  archives  de  la  paroisse  de 
St.  Charles,  on  voit  que  jusqu'à  la  fin  de 
l'année  1849,  il  avait  tenu  lui-même  les  comptes 
de  l'Eglise.  C'est  ainsi  qu'il  avait  pris  le  soin 
d'administrer  au  profit  de  ces  établissements 
religieux,  les  revenus  qui  en  étaient  les  fruits. 
Les  affaires  n'en  pouvaient  aller  que  mieux, 
car  si  la  dépense  courante  excédait  la  recette, 
l'administrateur  généreux  comblait  le  déficit 
de  ses  propres  deniers. 

Malgré  les  dépenses  considérables  de  la  fon- 
dation, des  réparations,  de  l'ornementation,  de 
l'ameublement  de  ces  vastes  établissements,  il 
arriva,  qu'au  jour  où  le  donateur  passa  le 
contrat  des  uns  à  la  Corporation  Episcopale  de 
Montréal  et  des  autres  à  la  communauté  des 
religieux  de  St.  Viateur,  ces  legs  pieux  se 
trouvèrent  libres  de  toutes  dettes  et  redevances. 


132  L'HONORABLE *B.  JOLIETTE. 

Ce  fut  au  commencement  de  Février  de 
l'année  1S50,  qu'eut  lieu  la  donation  solennelle 
faite  par  l'Honorable  B.  Joliette  et  sa  géné- 
reuse épouse.  Mais,  laissons  parler  un  témoin 
oculaire  qui  va  nous  donner  d'amples  détails, 
sur  la  valeur  de  ces  splendides  cadeaux,  sur 
l'imposante  grandeur  de  la  cérémonie,  et  sur- 
tout, sur  le  magnifique  discours  de  Monseigneur 
I.  Bourget,  descendu  à  l'Industrie  pour  la 
circonstance. 

Cette  correspondance,  publiée  dans  les  jour- 
naux du  temps,  corrobore  en  tout  point,  les 
faits  que  nous  avons  puisés  aux  sources  les 
plus  autorisées. 


"  Monsieur  l'Editeur 


"  Ayez  la  bonté  d'enregistrer  dans  vos  co- 
lonnes, pour  une  perpétuelle  mémoire,  un  trait 
de  générosité  trop  sublime  pour  qu'il  me  soit 
permis  de  le  qualifier.  Tous  connaissez  le 
génie  créateur  de  celui  dont  la  main  hardie 
posa  naguère  les  fondements  du  Village  d'In- 
dustrie, la  Palmire  de  notre  Canada. 

Vous  avez  sans  doute  visité  plus  d'une  fois 
ce  magnifique  Village,  et  admiré  l'Eglise  de  St. 
Charles  Borromée,  ainsi  que  le  Collège  Joliette 
qui  en  fait   le  principal  ornement.  Ces 'deux 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  133 

beaux  édifices  ne  coûtent  pas  moins  de  170,000 
francs,  y  compris  leurs  ornements  et  les  deux 
terres  qui  leur  servent  d'emplacement. 

Un  carillon  mélodieux  de  trois  belles  clo- 
ches, annonce  toutes  les  fêtes  joyeuses  qui  s'y 
célèbrent  avec  transport,  par  les  pieux  habi- 
tants que  la  Religion  y  a  régénérés.  Trois 
membres  de  la  famille  seigneuriale  ont  élevé  cet 
harmonieux  monument,  qui  rend  si  cher  au 
cœur  de  la  population,  le  clocher  de  sa  paroisse. 
Car  ces  cloches  ont  été  données  :  la  première 
par  le  seigneur  Gaspard  de  Lanaudière,  du 
poids  de  1105  livres  et  du  prix  de  2,652  francs  : 
la  deuxième,  par  demoiselle  Almésime  de 
Lanaudière,  du  poids  de  793  livres  et  du  prix 
de  1,903  francs  ;  la  troisième,  par  dame  Antoi- 
nette de  Lanaudière,  épouse  du  Dr.  Leodel, 
du  poids  de  782  livres  et  du  prix  de  1,876 
francs. 

Les  habitants  de  cette  heureuse  localité,  pour 
avoir  part  au  mérite  qu'il  y  a  de  bâtir  un 
temple  à  la  divine  Majesté,  se  sont  mis  à  con- 
tribution pour  4,400  livres  fournis  principale- 
ment en  travaux  et  en  main-d'œuvre  ;  car  alors, 
ils  étaient  généralement  très-pauvres 


134  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

11  Mais,  j'arrive  au  trait  de  magnanime  gé- 
nérosité dont  je  vous  prie  de  faire  part  à  vos 
lecteurs,  pour  qu'ils  sachent  que  notre  pays, 
tout  jeune  qu'il  est,  produit  des  hommes  à 
grandes  vues,  tels  qu'en  produisait  le  moyen- 
âge  que  l'on  méprise  tant  aujourd'hui,  tout  en 
profitant  de  ses  immenses  sacrifices. 

Jusqu'ici,  le  Collège  et  l'Eglise  avec  leurs 
dépendances  appartenaient  à  M.  Joliette  et  à  sa 
vertueuse  dame.  Il  vient  d'en  faire  un  don  pur 
et  simple  à  la  Religion  et  à  l'éducation  de  la 
paroisse  dont  il  est  le  père. 

Dimanche,  trois  du  courant,  Monseigneur 
l'Evêque  de  Montréal  annonçait  avec  toute 
l'émotion  d'une  âme  reconnaissante,  aux  heu- 
reux habitants  de  l'Industrie  ce  que  faisaient 
pour  eux,  leur  seigneur  et  seigneuresse  en  don- 
nant à  leur  jeune  paroisse,  une  si  magnifique 
Eglise  pour  qu'ils  apprissent  à  y  être  de  bons 
chrétiens,  et  un  si  beau  Collège,  pour  que  leurs 
enfants  s'exerçassent  à  être  de  bons  citoyens. 
Sa  grandeur  observait  que  ce  don  si  magna- 
nime était  tout  à  fait  gratuit  et  sans  aucune 
espérance  de  redevance,  de  la  part  de  ces  géné- 
reux bienfaiteurs.  Mais  s'ils  n'exigeaient  rien, 
ils  ne  pouvaient  empêcher  la  Religion  et  l'édu- 
cation de  se  donner  la  main  pour  leur  payer 
un  si  juste  tribut  de  reconnaissance. 


'  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  135 

A  cette  fin,  l'Eglise  fera  chanter,  chaque 
année,  une  messe  solennelle,  pour  Madame 
Joliette,  le  jour  de  la  St.  Charles,  qui  est  la 
tête  patronale  de  la  paroisse  et  celle  de  cette 
bonne  dame  ;  et  le  Collège  en  fera  célébrer 
une  autre  le  jour  de  la  St.  Barthélemi,  patron 
de  l'Honorable  seigneur  donateur.  De  plus,  il 
sera  dit  chaque  mois,  une  messe  basse  pour  ces 
deux  bienfaiteurs. 

A  leur  mort,  la  terre  qu'ils  ont  ensemencée 
de  tant  de  largesses,  s'ouvrira  gratuitement 
pour  recevoir  leurs  restes  mortels.  Ainsi, 
l'Eglise,  élevée  par  eux  à  la  gloire  de  Dieu, 
couvrira  leurs  tombes  et  les  ombragera  bien 
mieux  que  le  plus  beau  saule-pleureur. 

Alors,  l'Eglise  quittera  ses  habîts  de  joie 
pour  reprendre  ses  ornements  de  deuil,  pour 
accompagner,  par  ses  chants  lugubres,  des  âmes 
si  justement  chères  à  son  cœur,  et  les  présenter 
avec  confiance  à  Celui  qui  a  promis  de  récom- 
penser un  verre  d'eau  froide  donné  pour  son 
amour. 

Toutes  les  familles  de  la  paroisse  furent  in- 
vitées par  Monseigneur  l'Evoque,  à  prier  chez 
elles,  tous  les  jours,  et  à  se  réunir  aux  époques 
ci-dessus  mentionnées,  dans  la  magnifique 
Eglise  que  leur  avaient  bâtie  des  seigneurs  si 
bienfaisants,  afin  de  prier  pour  qu'ils  reçussent 


136  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

le  centuple  promis  ici-bas  à  ceux  qui  honorent 
Dieu  de  toutes  leurs  forces,  et  le  repos  éternel 
réservé  au  travail  et  au  sacrifice,  dans  la  terre 
des  vivants.  "  Sa  Grandeur,  s'adressant  alors 
aux  donateurs,  leur  dit:  "  Monsieur  le  sei- 
gneur et  madame  la  seigneuresse,  la  bouche  ne 
doit  s'ouvrir  dans  l'Eglise  que  pour  louer  Dieu  ; 
mais  la  reconnaissance  est  un  devoir  de  la  Reli- 
gion; je  puis  donc  m'en  acquitter  dans  le  lieu 
saint  et  l'offrir  à  Dieu  comme  un  hommage  qui 
lui  appirtient  et  donc  il  est  jaloux. 

Souffrez  donc,  qu'au  nom  de  tous,  de  la 
Religion  et  de  la  Patrie,  des  Pasteurs  et  des 
brebis,  de  la  génération,  présente  et  de  la  géné- 
ration la  plus  reculée,  je  vous  remercie  de 
l'immense  sacrifice  que  vous  faites  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  l'amour  de  vos  frères.  Veuil- 
lez bien  croire,  qu'en  ma  qualité  de  Pasteur, 
je  veillerai  soigneusement  à  ce  que  vos  inten- 
tions bienveillantes  soient  scrupuleusement 
respectées. 

"En  attendant,  les  mains  de  tous  se  lèvent 
vers  le  ciel,  pour  y  aller  chercher  d'abondantes 
bénédictions  pour  vous  et  pour  toute  la  famille 
seigneuriale. 

Dans  mes  voyages,  j'ai  bien  des  fois  admiré 
la  foi  vive  des  anciens  bienfaiteurs  de  l'Eglise 
qui  s'est  peinte  elle-même  dans  les  magnifiques 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  137 

vitraux  qui  décorent  les  riches  cathédrales  du 
Moyen-âge.  Car  on  les  voit  représentés  à 
genoux,  dans  un  petit  coin  de  tableau,  offrant 
humblement  au  Seigneur,  ces  élégantes  pein- 
tures dont  le  temps  tout  destructeur  qu'il  est 
des  beaux  monuments,  a  cependant  respecté  les 
vives  et  fraîches  couleurs. 

Ici,  il  y  aura  quelque  chose  de  mieux,  car 
quelqu'admirables  que  '  soient  ces*  ouvrages  de 
l'art,  ce  ne  sont  toujours  que  des  peintures,  au 
lieu  que  vous  aurez  toujours  quelque  chose  de 
vivant  pour  dire  au  temps  à  venir,  ce  que  votre 
cœur  vous  fait  faire  pour  Dieu  et  le  pays.  Car 
dans  ce  coin  du  beau  Village,  qui  est  le  ta- 
bleau que  vous  peignez  à  grands  traits,  se 
verra  cette  Eglise  toujours  si  fréquentée  par  de 
pieux  fidèles  qui  béniront  votre  mémoire,  et  ce 
Village  plein  d'une  ardente  jeunesse  qui,  dé 
votre  vivant,  déposera  à  vos  pieds  ses  lauriers, 
et  plus  tard,  ira  couvrir  votre  tombe  de  ses 
regrets  et  sïnspirer  sur  vos  cendres  pour  pro- 
pager à  jamais  l'industrie  religieuse  et  cana- 
dienne, et  vous  faire  vivre  après  votre  mort." 

•w  Le  lendemain,  toute  la  famille  seigneuriale 
se  réunit  pour  applaudir,  par  un  acte  public  et 
eolennel,  à  la  généreuse  donation  de  Monsieur 
et  de  Madame  Joliette,  et,  pour  en  donner  une 
preuve   non   équivoque,    Monsieur  G.  de  La- 


138  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

naudière,  Mr.  et  Madame  Léodel,  Monsieur  et 
Madame  Voyer  firent  de  bon  cœur,  remise 
des  droits  d'indemnité  qu'ils  pouvaient  exiger 
d'après  la  loi  des  mains-mortes. ' 

Aussi,  seront-ils  compris,  eux  et  leur  enfants, 
dans  les  suffrages  que  ne  cessera  de  faire,  com- 
me une  bonne  mère,  la  S  te.  Eglise,  pour  de  si 
bons  et  de  si  généreux  bienfaiteurs." 

Ce  grand  acte  de  générosité  de  M.  Joliette, 
fut  la  dernière  œuvre  imposante  uj  sa  vie.  Il 
semblait  qu'un  secret  pressentiment  l'avertissait 
de  ne  pas  s'engager  dans  de  nouvelles  entreprises. 
En  effet,  quelques  mois  plus  tard,  ruiné  par 
les  travaux  et  les  inquiétudes  d'une  carrière  si 


*M.  Gaspard  de  Lanaudière,  co-seigneur  de  La- 
valtrie,  a  contribué  pour  beaucoup  dans  les  diver- 
ses entreprises  de  l'Hon.  Joliette,  son  oncle.  Il  a 
généreusement  sacrifié  des  sommes  considérables 
dont  celui-ci,  qui  était  en  même  temps  son  tuteur, 
avait  l'administration.  Ainsi  Ton  voit  que  ce  Mon- 
sieur doit  avoir  une  large  part  dans  la  reconnais- 
sance des  citoyens  de  Joliette.  En  plusieurs  de  ses 
entreprises,  If.  Joliette,  a  été  généreusement  se- 
condé par  les  membres  de  la  famille  seigneuriale 
de  Lanaudière.  On  ne  saurait  faire  assez  l'éloge 
de  leur  libéralité  lorsqu'il  s'est  agi  de  la  fondation 
de  l'Eglise  et  de  son  ornementation. 

De  plus,  si  nous  ne  craignions  pas  de  répéter  ici 
ce  que  personne  n'ignore,  nous  dirions  que  la  popu- 
lation indigente  de  Joliette  ne  pourra  jamais  oublier 
les  bienfaits  journaliers  dont  elle  a  été  l'objet  delà 
part  de  cette  honorable  famille. 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  139 

laborieusement  parcourue,  il  se  sentait  descen- 
dre lentement  vers  la  mort  qu'il  entrevoyait 
sans  crainte. 

XL. 

Maladie  de  M.  Joliette. 

Dès  les  premières  atteintes  de  sa  maladie 
encore  peu  grave,  ses  parents,  ses  amis,  M.  le 
Grand-Vicaire  Manseau  à  leur  tête  lui  propo- 
sèrent de  passer  soit  en  Europe  soit  aux  Etats- 
Unis,  pour  aller  redemander  à  la  température 
d'un  climat  plus  doux  la  conservation  d'une 
santé  si  précieuse  à  toute  la  population  ;  mais 
il  leur  répondit  :  li  Mes  bons  amis,  si  le  bon 
Dieu  veut  opérer  ma  guérison,  il  le  fera  bien 
sans  le  secours  de  ce  voyage.  D'ailleurs,  je  ne 
me  sens  pas  assez  de  courage,  pour  quitter 
mon  Village  et  m'exposer  au  danger  d'aller 
mourir,  sans  consolations,  sur  une  terre  étran- 
gère. . . .  Avec  la  grâce  de  Dieu,  je  rendrai 
mon  dernier  soupir  sur  ce  sol  si  cher  à  mon 
cœur." 

Il  ne  souciait  guère  de  recourir  aux  secours 
que  la  médecine  aurait  pu  lui  procurer.  A 
plusieurs  reprises,  il  empêcha  ses  parents  d'al- 
ler quérir  pour  lui,  les  médecins  les  plus  habiles 
de    Montréal,  parceque,  disait-il  :  u  ils  ne  peu- 


140  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

vent  rien  faire  pour  moi  dont  la  constitution 
est  ruinée  et  épuisée." 

Enfermé  daus  son  manoir,  cet  homme  dont 
l'énergie  extraordinaire  s'était  déployé  sur  un 
si  vaste  théâtre,  ne  s'occupait  plus  d'aucune 
affaire  temporelle. 

La  pensée  de  l'éternité  absorbait  toutes  les 
facultés  de  cette  puissante  intelligence.  Sa 
méditation  était  parfois  si  profonde,  qu'il  ne 
s'apercevait  pas  de  l'entrée  de  ses  amis  qui  ve- 
naient le  visiter.  La  tête  appuyée  sur  sa  main, 
il  songeait  à  la  vanité  de  la  vie,  et  à  la  futilité 
de  la  gloire  mondaine,  à  la  seule  grandeur  de 
la  vertu  qui  donne  l'immortalité  et  les  joies  du 
ciel.  Perdu  dans  ces  réflexions,  ils  n'en  était 
tiré,  que  lorsqu'il  entendait  son  nom  résonner  à 
son  oreille.  Alors,  faisant  effort  sur  lui-même 
il  reprenait  un  visage  plus  joyeux,  accueillant 
tout  le  monde,  avec  son  urbanité  accoutumée. 

Ce  qu'il  pensait  des  mauvais  Livres. 

Quoique  habituellement  peu  causeur,  sa  ma- 
ladie, son  isolement  qui  le  privaient  de  ses  dis- 
tractions ordinaires,  l'avaient  rendu  plus  com- 
municatif.  Il  n'aimait  guère  à  parler  d'entre- 
prises industrielles,  mais  il  s'occupait  volontiers 
de  sujets  moraux  et  religieux.  Un  jour,  en  pré- 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  141 

seuce  de  son  neveu,  le  seigneur  de  Lanaudière 
et  de  son  agent,  M.  Chs.  Panneton,  il  fit  tomber 
la  conversation  sur  l'état  moral  de  la  société. 

Après  que  ces  deux  amis  purent  exprimé 
leur  mutuelle  opinion  sur  les  causes  de  l'im- 
moralité toujours  croissante  parmi  la  jeunesse, 
il  garda  un  instant  le  silence,  puis  il  repiit 
douloureusement  :  "  Oui,  cela  n'est  que  trop 
vrai,  l'immoralité  de  la  société  a  sa  source  mal- 
heureuse dans  la  lecture  des  romans  irréligieux, 
fruits  délétères  de  l'impiété  et  de  la  corruption 
du  cœur.  Rien  de  plus  funeste  pour  les  jeunes 
âmes,  que  le  poison  distillé  de  ces  coupes  mau- 
dites sur  les  bords  desquelles  on  parsème 
traîtreusement  les  fleurs  séduisantes  d'une 
littérature  abâtardie  et  souillée  dans  sa  source. 

Une  fois  dans  ma  vie,  et  c'est  trop,  j'eus  le 
déplorable  malheur  de  promener  mes  regards 
curieux  sur  une  de  ces  productions  séductrices 
du  jeune  âge.  Cet  écrit  me  faussa  les  idées,  et 
il  me  fallut  toute  l'autorité  des  sages  et  pater- 
nels avis  d'un  inappréciable  ami,  tout  l'ascen- 
dant de  l'éducation  religieuse  de  ma  première 
jeunesse,  pour  ramener  mon  esprit  au  droit 
sentier  de  la  vérité.  Mes  amis,  ojouta-t-il,  gar- 
dez-vous, comme  du  plus  subtil  poison,  de  la 
lecture   des  écrivains   impies   et  immoraux.  " 


142  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

Son  jugement  sur  les   reformes. 

Dans  une  autre  circonstance,  il  s'entretenait 
des  religions  réformées,  causant  longuement  sur 
la  position  de  nos  frères  séparés,  en  Canada.  Il 
lui  semblait  presqu'impossible  que  les  protes- 
tants lettrés  ne  reconnussent  pas  la  divinité  de 
la  religion  catholique,  dont  les  preuves  sont  si 
frappantes  pour  tout  esprit  réfléchi.  "  S'ils  en 
nient  la  bonté  et  la  divinité,  disait-il,  c'est 
parce  qu'ils  ne  veulent  pas  rendre  témoignage 
à  la  lumière  ;  car  il  est  impossible  qu'ils  demeu- 
rent dans  la  bonne  foi,  s'ils  se  donnent  tant 
soit  peu  de  peine  pour  chercher  la  vraie 
doctrine.  " 

XLI. 

Il  reçoit  les    derniers  Sacements. 

Cependant  la  maladie  poursuivait  son  travail 
de  désorganisation  sur  cette  constitution,  hier, 
si  robuste  encore. 

M.  Joliette  n'attendit  pas  qu'on  l'avertit  du 
danger  que  courait  sa  vie,  pour  songer  à  se 
préparer  saintement  au  grand  voyage  de 
l'éternité. 

Le  Vénérable  curé  de  St.  Jacques,  le  bon 


L'HONORABLE  B.  JOL1ETTE.  143 

et  vertueux  M.  Paré,  dont  une  plume  exercée 
vient  de  retracer  la  belle  carrière,  M.  Paré,  dis- 
je,  avait  toujours  été  en  rapports  intimes  avec 
l'Honorable  Joliette.  Il  conservait  à  l'égard 
de  ce  grand  citoyen,  une  estime  et  une  admira- 
tion que  les  années  ne  purent  altérer.  Ce  di- 
gne ecclésiastique  ne  passait  jamais  à  l'Indus- 
trie sans  aller  au  manoir  pour  faire  visite  à  son 
ami. 

De  son  côté,  M.  Joliette  aimait  sincèrement 
et  respectait  grandement  ce  saint  prêtre  qui 
répandait  autour  de  lui  le  suave  parfum  de 
toutes  les  vertus  sacerdotales. 

u  M.  Paré,  disait-il  à  ses  amis,  est  un  véri- 
table saint  ;  de  tous  les  prêtres  que  j'ai  connus, 
c'est  le  plus  humble  et  le  plus  attaché  à  son 
ministère.  " 

Ce  fut  ce  saint  prêtre,  qui,  sur  la  demande 
de  M.  Joliette,  vint  recevoir  l'humble  et  der- 
nier aveu  de  ses  fautes,  et  M.  le  Grand-Vicaire 
Manseau  lui  administra  les  sacrements  de 
l'Eglise. 

Ceux  qui  furent  témoins  de  la  piété  de  M. 
Joliette  en  cette  circonstance,  ne  peuvent  ou- 
blier l'impression  que  ce  touchant  spectacle  fit 
sur  leur  esprit.  Plus  grand  par  sa  foi  et  son 
inaltérable  patience  qu'aux  jours  de  sa  pros- 
périté,  il    semblait,  à   ses  derniers   moments, 


144  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

ne  plus  vivre  sur  cette  terre,  tellement  ses 
pensées.et  ses  sentiments  ne  se  nourrissaient 
plus  que  de  la  contemplation  et  de  l'espérance 
des  joies  éternelles. 

Ses  dernières  conversations. 

Lorsque  les  prêtres,  les  religieux  et  les  laï- 
ques allaient  le  voir,  il  les  entretenait  des  beau- 
tés et  des  consolations  de  la  Religion.  "  Oh  ! 
qu'elle  est  belle  !  disait-il,  qu'elle  est  douce  à 
l'âme  cette  Religion  d'amour  qui  protège  le 
berceau  du  chrétien,  charme  les  jours  de  son 
exil,  et  lui  montrant  le  ciel,  le  console  des  ou- 
blis du  tombeau.  " 

Lorsqu'on  le  plaignait  à  raison  de  l'ennui 
qu'il  devait  éprouver  en  se  voyant  dans  l'im- 
possibilité de  se  transporter  sur  le  théâtre  de 
ses  travaux  accoutumés,  il  répondait  :  j'ai  assez 
travaillé  pour  la  terre  ;  laissez-moi  réparer  le 
temps  perdu,  et  travailler  un  peu  pour  le  ciel. 
Je  m'ennuie,  et  je  souffre,  c'est  vrai  ;  mais 
Jésus-Christ  n'a-t-il  rien  souffert  pour  nous  ? 

Lorsque  sa  tête  alourdie  par  la  fatigue,  se 
trouvait  assez  reposée  pour  supporter  la  lecture, 
il  priait  quelqu'un  de  lui  lire  la  passion  du 
Sauveur.  Souvent,  à  ce  récit,  des  larmes  cou- 
laient de  ses  jeux.  D'autres  fois,  il  interrompait 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  145 

le  lecteur   pour   commenter  les  endroits    qui 
l'avaient  frappé  davantage. 

Sur  la  fin  de  sa  maladie,  ses  yeux  tournoy- 
aient ;  d'intervalle  en  intervalle  on  voyait  dis- 
paraître le  crystallin,  et  il  n'ar  paraissait  plus  à 
leur  surface,  que  deux  larges  taies  qui  les 
recouvraient  entièrement.  Cela  était  dû  à  la 
fatigue  excessive  qu'il  avait  endurée,  en  passant 
des  semaines  entières  exposé  aux  ardeurs  du 
soleil  afin  de  surveiller  les  travaux  du  chemin  de 
fer. 

Personne  ne  l'ignorait,  c'était  l'épuisement, 
causé  par  les  veilles,  les  travaux  du  corps  et 
de  l'esprit   qui  le  conduisait  au  tombeau. 

Le  21  Juin  1850,  après  avoir  reconforté  son 
âme  par  les  suprêmes  consolations  de  l'Eglise, 
après  avoir  donné  ses  avis  à  sa  famille,  fait  à 
son  épouse,  à  ses  parents,  à  ses  amis  en  pleurs, 
les  plus  touchants  adieux,  il  expira  doucement 
en  murmurant  une  dernière  prière.  Il  était 
âgé  de  62  ans,  et  en  avait  passé  25  à  Joliette. 

XLII. 
Portrait  physique  de  M.  Joliette. 

Traçons  en  quelques  mots  le  portait  de  cet 
homme  qui  restera  grand  aux  yeux  de  la 
postérité. 

5 


146  L'HONORABLE  B4  JOLIETTE. 

M.  Joliette  était  de  taille  moyenne,  mais 
d'une  charpente  fortement  constituée  :  épaules 
larges,  membres  musculeux,  poitrine  bombée, 
tête  élevée  et  majestueuse  ;  c'était  un  bel  hom- 
me dans   toute  l'acception  du  mot. 

Il  avait  l'ailure  assez  dégagée,  et  sa  toilette, 
toujours  propre  et  soignée,  ne  dénotait  pourtant 
chez  lui,  aucune  affectation  ni  vanité.  Des 
traits  réguliers,  mais  très  accusés,  des  yeux 
bruns  et  pleins  de  feu  révélaient  son  énergie, 
son  courage  et  la  perspicacité  de  son  esprit. 

Sa  chevelure  était  abondante  et  d'un  noir 
d'ébène  ;  son  teint  d'un  brun  clair  disparais- 
sant légèrement  sous  les  couleurs  plus  vives 
d'un  tempérament  bilieux-sanguin.  Sur  son 
large  front  rayonnait  l'intelligence,  tandisque  la 
douceur  et  la  bonté  se  lisaient  sur  les  coutours 
de  sa  bouche  souriante.  En  un  mot,  sur  cette 
figure  douce,  calme,  sereine,  ouverte,  expres- 
sive et  pleine  de  noblesse,  se  reflétaient  comme 
dans  un  fidèle  miroir,  la  beauté  de  son  âme, 
la  générosité  de  son  cœur,  l'élévation  de  ses 
sentiments  et  la  grandeur  de  son  génie.  " 

Vertus  morales. 

Nous  avons  vu  par  les  œuvres  qu'il  a  accom- 
plies pour  la  gloire  de  l'Eglise,  quels  étaient  sa 
foi  et  son  attachement  à  la  Religion  Catholique 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  147 

dont  il  reçut  les  félicitations  durant  sa  vie  et 
les  consolations   à  l'heure  suprême  de  la  mort. 

Son  dévouement  envers  toutes  les  généreuses 
entreprises  ne  fut  pas  moins  pur  que  sa  vertu 
de  religion.  Jamais  homme  ne  fut  plus  dé- 
sintéressé pour  lui-même  et  pour  sa  famille. 
Toute  son  ambition  était  de  faire  du  bien  à  ses 
semblables.  Il  semble  que  toute  sa  vie  a  été 
vouée  au  bien-être  de  ses  concitoyens.  Dans 
ce  but,  il  a  dépensé,  sans  y  regarder  :  talents, 
travail,  fortune,  forces  physiques  et  morales, 
tout,  jusqu'à  sa  vie. 

Parlerais-je  de  son  humilité  qui  s'effrayait 
des  moindres  éloges  que  l'admiration  ou  la 
reconnaissance  inspirait  à  ses  compatriotes  ? 
qui  lui  faisait  baisser  le  front,  garder  le  silence 
en  toutes  ces  circonstances  où  il  était  fait  men- 
tion de  ses  œuvres  et  de  ses  nobles  sentiments  ? 

Comment  louer  dignement  cette  sagesse  et 
ce  discernement  qui  le  guidèrent  si  heureuse- 
ment toute  sa  vie,  en  firent  une  des  lumières  du 
conseil  législatif,  et  pendant  vingt-cinq  ans, 
comme  le  mentor  et  le  père  de  la  population 
qu'il  a  entourée  des  marques  si  sensibles  de  sa 
bienfaisance  et  de  son  amour  ? 

Sa  douceur  et  sa  patience,  comme  nous 
l'avons  vu,  n'étaient  pas  moins  dignes  de 
louanges.     Ces    qualités    ne    se   démentirent 


148  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

jamais.  D'une  humeur  toujours  égale,  il 
plaisait  à  tout  le  monde  par  son  affabilité  et 
ses  bonnes  manières. 

XLIII. 

Vertus  Sociales. 

Il  était  le  type  du  gentilhomme.  Son  urba- 
nité et  sa  politesse,  toujours  prévenantes,  lui 
gagnaient  tous  les  cœurs.  Quant  à  sa  libéra- 
lité et  à  sa  générosité,  tant  à  l'égard  des  pau- 
vres qu'envers  ceux  qui  requéraient  son  assis- 
tance, elles  ne  se  fatiguèrent  jamais  de  rendre 
service.  Il  semblait  plus  heureux,  chaque  fois 
qu'il  avait  eu  l'occasion  de  faire  plaisir  à  quel- 
qu'un en  allégeant  sa  peine  ou  en  soulageant 
sa  misère. 

Il  serait  difficile  d'énumérer  toutes  les  ex- 
cellentes qualités  de  cet  homme  estimable  et 
véritablement  grand;  nous  ajouterons  pourtant 
un  mot  de  souvenir  touchant  la  fidélité  qu'il 
conserva  à  ses  amis. 

Ni  le  temps,  ni  la  diversité  des  emplois,  ni 
la  divergence  d'opinions  politiques  ou  religieu-  * 
ses  ne  l'empêchèrent  de  rester  fidèle  à  ce  devoir 
si  touchant  et  si  honorable  de  l'amitié.  Aussi, 
lorsque  dans  son  splendide  manoir  le  digne 
seigneur,  entouré,  comme  d'une  couronne  d'hon- 


L'HONORABLE  B.  JOLÏETTÊ.  149 

neur,  des  membres  de  sa  famille  distinguée, 
accueillait  ses  hôtes,  c'était  un  spectacle  digne 
d'envie  que  ces  réunions  amicales  et  joyeuses 
qu'animaient  sa  présence  et  sa  douce  gaieté. 
Quoiqu'il  prit  ordinairement  peu  de  part 
aux  divertissements  bruyants,  et  qu'il  aimât 
mieux  causer  tranquillement  avec  quelques 
amis,  il  encourageait  les  autres  à  s'amuser, 
riait  franchement  et  de  bon  cœur  de  leurs  jeux, 
et  de  leurs  bons  mots. 

XLIV. 

Titres  d'honneur  accordés    a    l'Hono- 
rable B.  Joliette. 

Bien  que  sa  modestie  ne  lui  ait  jamais  per- 
mis d'entreprendre  aucune  démarche  pour  sol- 
liciter les  faveurs  gouvernementales,  M.  Joliette 
devait  joindre  à  ses  titres  de  notaire,  de  fon- 
dateur de  la  ville,  de  seigneur  de  Lavaltrie, 
ceux  de  lieutenant  colonel  de  milice,  de 
membre  du  conseil  législatif,  ainsi  que  du  con- 
seil spécial  en  1840,  où  il  eut  le  bonheur  de 
siéger  à  côté  de  son  oncle  et  de  son  protecteur, 
l'Honorable  Joseph  Edouard  Faribeault,  décé- 
dé en  juin  1859. 
••  Voici  l'ordre  chronologique  des  différents 
grades  militaires  qui  lui  furent  conférés  en  ré- 


150  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

compense  de  son  mérite  et  de  ses  services.  Le 
20  décembre  1808,  il  fut  nommé  Enseigne  et 
Aide-Major  de  milice  de  la  paroisse  de  l'As- 
somption dans  la  division  de  Lavaltrie.  Le 
quatorze  Janvier  1812,  Sir  George  Prévost 
l'éleva  au  grade  de  Capitaine  pour  la  même  di- 
vision. 

Le  22  Février  1814,  le  même  gouverneur  le 
créa  Major.  Enfin  le  1er.  Mai  1827,  il  reçut 
du  comte  de  Dalhousie  le  titre  de  Lieutenant- 
Colonel  pour  le  deuxième  bataillon  de  Warwick. 

Quanta  ses  fonctions  de  conseiller  qu'il  rem- 
plit en  1832  et  en  1840,  qu'il  nous  suffise  de 
dire,  qu'il  y  apporta  ces  belles  qualités  qui  le 
distinguèrent  toute  sa  vie,  cet  esprit  juste  et 
pratique,  cette  intelligence  élevée  que  semblait 
ne  borner  aucun  horizon,  cette  noblesse  de 
sentiments  qui  en  firent  une  des  lumières  des 
deux  conseils  du  Bas-Canada. 

Ses  collègues  aimaient  à  écouter,  à  recevoir 
ses  suggestions,  ses  avis  toujours  marqués  au 
coin  du  dicernement,  toujours  assaisonnés  de 
la  plus  exquise  politesse. 

Tous  les  membres  du  conseil  l'entouraient  de 
leur  respect  et  de  leur  estime  ;  plusieurs  d'en- 
tre eux  lui  avaient  voué  une  amitié  dont  la 
mort  même  n'a  pu  briser  les  liens  affectueux.    , 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  loi 

XLV. 

Deuil  de  sa  mort. 

Il  serait  difficile  de  peindre  la  consternation 
que  répandit  par  tout  le  village,  la  funeste  nou- 
velle de  sa  mort.  Pendant  les  trois  jours  de 
son  exposition,  un  morne  silence  régna  sur  l'In- 
dustrie plongée  dans  le  deuil.  On  vit  les  scè- 
nes les  plus  attendrissantes.  Une  foule  de  mal- 
heureux, pour  qui  M.  Joliette  avait  été  une 
seconde  Providence,  accouraient  tout  désolés  au 
manoir.  Là,  après  s'être  mis  à  genoux  pour 
prier,  ils  demandaient  qu'on  enlevât  le  suaire 
qui  recouvrait  les  traits  de  celui  qui  les  avait 
tant  aimés  et  secourus.  A  la  vue  de  leur  bien- 
faiteur inanimé,  ils  éclataient  en  sanglots  ; 
leur  douleur  n'aurait  pas  été  plus  grande,  s'ils 
avaient  perdu  leur  propre  père. 

Mais  ce  n'était  pas  seulement  la  classe  indi- 
gente qui  venait  épancher  sa  tristesse  et  ses  re- 
grets sur  la  tombe  cntr'ouverte  de  l'Honorable 
Joliette.  Toutes  les  classes  de  cette  société 
dont  il  avait  été  l'ami,  le  protecteur  et  le  con- 
seiller, manifestèrent  publiquement  leur  pro- 
fond chagrin.  A  peine  le  glas  funèbre  eut-il 
porté  au  sein  des  familles  la  navrante  nouvelle, 
que   sur-le-champ,   les  travaux    cessèrent,  les 


152  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

boutiques  et  les  magasins  furent  fermés;  et 
même,  lorsque  la  terre  eût  recouvert  la  dé- 
pouille mortelle  du  seigneur  de  Lavaltrie,  les 
citoyens  du  village  d'Industrie  s'engagèrent  à 
porter  le  deuil  pendant  un  mois,  à  s'abstenir  du- 
rant ce  temps,  de  toute  réunion  bruyante,  de 
chant  et  de  musique  "  comme  gage  du  senti- 
ment de  profonde  tristesse  dont  ils  étaient  sin- 
cèrement pénétrés." 

Ce  ne  fut  pas  seulement  au  village  d'Indus- 
trie que  fut  pleuré  et  regretté  l'Honorable  Ju- 
liette. De  toutes  les  parties  du  pays  s'élevè- 
rent en  sa  faveur,  des  témoignages  de  profond 
regret.  Ce  fut  pour  rendre  un  hommage  so- 
lennel à  ses  vertus  politiques,  qu'à  sa  mort,  sur 
la  proposition  de  son  Président,  la  chambre 
d'Assemblée  fut  ajournée,  et  que  durant  la  ses- 
sion, les  orateurs  les  plus  distingués  firent 
l'éloge  de  la  belle  et  utile  carrière  de  monsieur 
Joliette. 

Inspirée  par  la  reconnaissance,  la  poésie  vint 
aussi  à  son  tour,  jeter  quelques-unes  de  ses 
fleurs  sur  la  tombe  du  Fondateur  de  l'In- 
dustrie. 

Ses  accents  plaintifs  dûs  au  talents  d'un  jeu- 
ne protégé  de  31.  Joliette  sont  un  si  fidèle  écho 
de  la  douleur  commune,  que  je  ne  puis  résister 
au  désir  d'en  citer  quelque  chose. 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  153 

Village  inconsolable,  ô  plaintive  Industrie  ! 
Vierge,  dont  la  beauté  par  les  pleurs  est  flétrie, 
Prends  tes  habits  de  deuil  et  suspends  tes  travaux 
Pour  prier  et  gémir  au  milieu  des  tombeaux  ! 

Cet  homme  qui  faisait  ta  gloire  et  ton  bonheur, 
Déjà  n'est  plus  pour  toi  qu'un  sujet  de  douleur  ! 


Son  nom  est  immortel,  son  mérite  et  sa  gloire 
Inscrits  en  lettres  d'or,  brilleront  dans  l'histoire. 


"  Ah  !  quand  je  reverrai  ce  palais  magniSque, 
"  Où  le  grand  homme  assis  au  foyer  domestique, 
•'  Avec  les  compagnons  de  ses  rudes  travaux, 
"  S'égayait  avec  eux,  comme  avec  des  égaux, 
"  Ou  laissait  volontiers  même  une  affaire  urgente 
"  Pour  consoler  le  pauvre  ou  la  veuve  indigente. 
"  Ah  !  quand  je  reverrai  la  rapide  rivière 
"  Qu'une  digue  retient  dans  son  lit  prisonnière, 
"  Et  dont  chaque  printemps,  le  cours  capricieux 
"  Entraîne  un  pont  flottant  d'un  bois  si  précieux  ! 
"  Quand  j'entendrai  rouler  ces  machines  bruyantes, 
"  Et  tourner  sourdement  tant  de  meules  bruyantes! 


'  Quand  je  voyagerai  sur  ces  routes  de  fer 
"  Dont  l'effroyable  bruit  semble  imiter  l'enfer, 
<  Et  dont  les  chars  brûlants,  fidèles  à  leurs  traces, 
"  Par  un  élan  rapide,  effacent  les  espaces  I 

11  Et  quand  je  reverrai  ce  collège,  orgueilleux 
'  De  porter  à  jamais,  un  nom  si  glorieux  ! 

'  Et  quand  j'irai  prier  dans  le  riche  et  saint  temple, 

1  Où  le  fidèle  adore  et  le  prêtre  contemple 

1  Le  Dieu  qui  tous  les  jours  descend  sur  nos  autels 


154  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

"  Enfin  quand  je  prierai  sur  les  restes  livides 

"  De  l'auteur  libéral  de  tant  d'œuvres  splendide3, 

"  Mon  cœur,  comme  en  proie  aux  tourbillons 

"  Que  tournent  en  grondant  les  fougueux  aquilons, 

"  Sentira  bouillonner  la  source  de  ses  larme3 

'  '  Comme  au  jour  où  sa  mort  a  causé  nos  alarmes  1 


"  Pleurez  riches,  pleurez  cet  homme  estimable  ! 
"  Le  meilleur  citoyen,  l'ami  le  plus  aimable, 
"  Vengeur  de  l'opprimé,  défenseur  de  la  paix, 
"  Heureux  du  seul  plaisir  de  semer  les  bienfaits  ; 
"  Digne  ami  du  savoir,  protecteur  de  l'étude, 
"  Comprenant  tout  l'Etat  dans  sa  sollicitude  ; 
"  Traitant  comme  les  siens,  vos  plus  chers  intérêts 
"  Il  a  bien  mérité  vos  plus  cuisants  regrets. 

"  Pleurez  surtout,  pleurez,  ô  fils  de  l'indigence  ! 

"  Vous  que  le  sort  partage  avec  moins  d'indulgence 

"  Car  vous  ne  serez  plus  l'objet  de  ses  soins  j 

"  Hélas  !  il  a  cessé  d'entendre  vos  besoins  ! 

11  Le  vieillard  en  lambeaux  a  vu  mourir  son  frère, 

'•  La  veuve  son  époux,  l'orphelin  son  père, 

"  L'infirme  le  soutien  de  ses  pas  incertains, 

"  Le  malheureux  l'ami  qui  lui  tendait  les  mains. 


"  Oh  !  qui  que  vous  soyez  que  la  douleur  anime. 

"  Qui  voyez  dans  cet  homme  un  titre  à  votre  estime, 

"■  Gardez  son  souvenir  et  donnez-lui  des  pleurs, 

u  Faites  monter  vers  Dieu,  l'encen3  de  la  prière. 

"  Allez-y,  quand  le  jour  vient  ouvrir  sa  carrière  ; 

"  Allez  y,  quand  le  soleil  baissant  vers  son  coucher, 

"  Donne  plus  de  hauteur  à  l'ombre  du  clocher. 


La  prière  du  coeur  que  l'Eglise  commande, 
Est  le  dernier  devoir  que  le  chrétien  demande, 
En  passant  de  la  mort  à  l'immortalité, 
Et  du  séjour  des  maux,  dans  la  Félicité. 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  155 

XLVI. 

Funérailles. 

Les  funérailles  du  regretté  défunt  se  célé- 
brèrent avec  une  solennité  imposante.  En  sa 
qualité  de  lieutenant-colonel,  l'Honorable  Juli- 
ette avait  droit  aux  honneurs  militaires  acoordés 
en  pareille  circonstance.  Accompagnés  d'une 
foule  immense,  ses  restes  funèbres  furent  portés 
à  l'Eglise  par  les  officiers  du  bataillon  de  Ber- 
thier. 

Monseigneur  Ig.  Bourget  qui,  en  maintes 
occasions,  était  descendu  à  l'Industrie  pour  bé- 
nir ses  couvres  et  encourager  ses  efforts,  ne 
manqua  pas  en  ce  jour  de  solennel  hommage. 
Sa  grandeur  fit  l'oraison  funèbre  ;  Elle  laissa 
parler  son  cœur  et  couler  de  ses  yeux  ces  lar- 
mes sincères  de  l'amitié  et  de  la  reconnaissance. 
Pendant  une  demi-heure,  l'Eglise  qui  ne  pou- 
vait contenir  que  la  moitié  de  la  multitude,  ne 
cessa  de  retentir  des  accents  de  cette  poignante 
douleur  que  partageait  tout  l'auditoire. 

Le  service  divin  achevé,  la  dépouille  mortelle 
de  l'Honorable  Joliette  fut  descendu  dans  le 
caveau  de  la  famille  situé  au  pied  du  cœur  de 
l'Eglise.  C'est  là  que  depuis  vingt  ans,  ce 
grand  citoyen  dort  du  sommeil  des  justes. 


15G  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

C'est  là,  qu'en  1871,  à  la  mort  de  son  épouse, 
dame  Charlotte  Tarieu  Taillant  de  Lanaudi- 
ère  déposée  à  ses  côtés,  on  ouvrit  le  cercueil 
scellé  depuis  un  quart  de  siècle.  Fait  étonnant  ! 
on  y  trouva  intacts,  et  le  corps  et  les  habits  de 
l'Honorable  Joliette.  Sa  figure  avait  conservé 
son  expression  primitive  et  même  plusieurs  de 
ceux  qui  ne  connaissaient  ses  traits  que  par  les 
portraits  qu'il  nous  a  laissés,  l'ont  reconnu  im- 
médiatement. 

De  nouveau,  le  tombeau  des  deux  personna- 
ges bienfaisants  qui,  à  l'Industrie,  passèrent 
11  en  faisant  le  bien,"  a  été  renfermé  et  3cellé  ; 
et  cette  fois,  pour  ne  s'ouvrir  qu'au  jour  du  ju- 
gement, où  ils  sortiront,  nous  en  avons  la  con- 
fiance, pour  vivre  dans  la  gloire  et  dans  l'im- 
mortalité. 

XLVII. 

Souvenir  reconnaissant  envers 
l'Hon.  Joliette. 

En  attendant,  le  souvenir  de  l'Honorable 
B.  Joliette  vivra  dans  le  cœur  des  habitants  de 
Joliette  et  de  tout  le  peuple  Canadien. 

A  Joliette  surtout,  où  chaque  édifice  public, 
chaque  industrie  utile  au  progrès  de  la  localité 
rappelle  son   zèle,  son  intelligence  et  sa  sollici- 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  157 

tude,  son  nom  se  trouve  dans  toutes  les  bou- 
ches. 

Il  n'y  a  pas  de  démonstrations  nationales, 
pas  de  séance  littéraire  publique,  pas  d'assem- 
blée importante,  sans  que  le  nom  du  Fondateur 
de  la  ville  ne  soit  évoqué  avec  amour.  D'épo- 
que en  époque,  les  élèves  du  collège  qu'il  a 
fondé,  se  font  un  devoir  de  manifester  par  des 
discours  publics,  la  reconnaissance  dont  ils  sont 
pénétrés  envers  cet  ami  et  cet  insigne  bienfai- 
teur de  la  jeunesse. 

Parmi  ces  nombreux  témoignages  de  grati- 
tude, nous  en  citerons  un  qui,  pour  être  celui 
de  la  date  la  plus  reculée,  n'en  est  pas  moins  pré- 
cieux pour  l'histoire.  Tout  en  nous  donnant 
une  idée  des  sentiments  de  tristesse  qu'avait 
provoqués  dans  toutes  les  âmes  la  mort  de  l'Ho- 
norable Joliette,  ce  joli  morceau  littéraire  jus- 
tifie notre  préférence  à  un  autre  titre  ;  c'est 
qu'il  nous  semble  un  résumé  fidèle  de  tout  ce 
que  nous  avons  pu  dire  sur  la  personne  et  les 
entreprises  du  Fondateur  de  "  l'Industrie." 

M.  G.  Baby,  l'honorable  maire  de  la  ville  de 
Joliette,  comme  le  digne  représentant  du  comté 
du  même  nom,  voudra  bien  nous  pardonner 
d'ajouter  aux  notes  précieuses  qu'ils  nous  a 
transmises  avec  tant  de  bienveillance,  cette 
fraîche  et  charmante  production  qui,  outre  son 


158  L'HONORABLE  B.  JOLJETTE. 

utilité  pour  notre  sujet,  pourra  être  pour  lui- 
même  une  douce  réminiscence  de  ses  belles 
années  de  collège. 

Discours  de  M.  G.  Baby,  élève  de  philosophie, 

prononcé  en  présence  de  Mgr.  VEveque  de 

Montréal,  aux  examens  du  collège 

Joliette  en  Vannée  1850. 

Monseigneur,  respectable  assemblée, 

u  II  n'y  a  que  peu  de  jours,  une  déplorable 
catastrophe  jetait  tout  le  monde  dans  l'abatte- 
ment, dans  la  consternation,  frappait  tous  les 
cœurs  de  la  douleur  la  plus  vive.  Tout  ici, 
semblait  anéanti  sous  le  poids  d'un  désastre 
terrible  et  inattendu  :  L'homme  revêtu  du  ca- 
ractère sacré,  soupirait  en  adorant  les  décrets 
irrévoquables  de  Dieu  ;  le  commerçant  cessait 
son  calcul,  l'industriel  interrompait  ses  travaux, 
l'étudiant  en  pleurs,  oubliait  ses  loisirs  et  ses 
livres  ;  la  cognée  s'échappait  des  mains  du  jour- 
nalier, le  laboureur  sentait  faiblir  son  courage 
et  le  pauvre  désolé  versait  des  larmes  en  abon- 
dance ;  tous  ces  lieux  semblaient  frappés  de 
stupeur  à  la  pensée  du  malheur  qui  venait  de 
les  atteindre. 

Quel  était  donc  cet  événement  qui  produisait 
une  impression  si  profonde  dans  toutes  les  clas- 
ses de  la  société  ?     Ah  !   vous  le  savez  comme 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  159 

moi...  ;  la  mort,  l'implacable  mort,  nous  avait 
tous  frappés  au  cœur.  L'Honorable  Barthé- 
lemi  Joliette,  membre  du  conseil  législatif,  sei- 
gneur et  père  de  ces  lieux,  n'était  plus  !  Ou 
plutôt,  cet  homme  si  aimé,  si  vénéré  succombait 
à  une  maladie  opiniâtre  qu'il  avait  supportée 
avec  le  calme  d'un  héros  et  la  piété  d'un  chré- 
tien. Le  ciel  sourd  à  nos  prières,  l'arrachait  à 
une  épouse  chérie,  à  des  parents  désolés,  à  des 
concitoyens  consternés.  Sans  égard  pour  ses 
grandes  œuvres,  la  mort  l'enlevait  à  son  pays, 
comme  le  hardi  chasseur  enlève  à  ses  petits  la 
mère  qui  les  soigne,  le  père  qui  les  nourrit. 

Il  semblait  que  cet  homme  ne  devait  jamais 
mourir,  tant  il  était  utile  et  nécessaire  à  sa  pa- 
trie. Mais  hélas  !  les  pensées  des  hommes  ne 
sont  pas  les  pensées  du  Tout-puissant.  Ac- 
quittons du  moins  à  sa  mémoire,  le  juste  tribut 
d'éloges  que  nos  cœurs  lui  ont  voué. 

Monsieur  Joliette  se  faisait  remarquer  par 
son  génie  protecteur  et  infatiguable,  par  son 
caractère  réfléchi  et  entreprenant,  par  son  ima- 
gination féconde,  et  par  son  esprit  vaste  et  pé- 
nétrant, qui,  d'un  seul  coup  d'œil,  embrassait 
en  même  temps  qu'il  les  aplanissait,  toutes  les 
difficultés  et  les  entraves  qui  pouvaient  sur- 
gir dans  le  cours  de  ses  nombreuses  entre- 
prises. 


160  L'HONORABLE  B.  JOL1ETTE. 

Par  exemple,  considérons  un  instant  ce  beau 
et  florissant  village  de  l'Industrie,  si  je  ne  puis 
l'appeler  ville.  Qu'était-il,  il  y  a  vingt  ans  ? 
Une  forêt  inculte  et  impénétrable,  vrai  repaire 
des  bêtes  sauvages.  Quel  courage  !  quelle  per- 
sévérance n'a-t-il  pas  fallu  à  cet  homme  infatiga- 
ble pour  convertir  ces  lieux,  en  ce  que  nous  les 
voyons  aujourd'hui  ?  c'est-à-dire  pour  rendre 
ce  qui  était  sauvage,  inculte  et  stérile,  populeux, 
riche  et  riant. 

Le  voyageur,  à  l'approche  de  ce  charmant  vil- 
lage si  gracieusement  assis  sur  cette  rivière  pit- 
toresque qui  fait  mouvoir  ces  nombreux  mon- 
lins  qui  répandent  tant  de  vie  et  tant  d'activité; 
à  la  vue  de  ce  temple  magnifique  qu'il  a  élevé 
à  Dieu  qui  l'avait  toujours  protégé  et  béni,  à 
ce  Dieu  qui  lui  avait  donné  ce  génie  et  ces 
qualités  dont  il  fit  un  si  noble  usage;  à  la  vue 
de  ces  majestueuses  demeures,  les  manoirs  sei- 
gneuriaux qui  nous  reportent  au  temps  de  la 
féodalité  ;  à  la  vue  de  ces  belles  habitations  qui 
portent  le  caractère  distinctif  du  goût,  de  l'ai- 
sance et  de  la  propreté  ;  à  la  vue  de  ce  chemin 
de  fer  qui  est  comme  la  clef  et  le  chef-d'œuvre 
de  toutes  ces  entreprises,  le  voyageur,  dis-je> 
pourrait-il  s'empêcher  de  s'éerier  avec  le  plus 
profond  étonnement,  avec  l'enthousiasme  le 
plus  vif?  Oh  !  quel  est  donc  ce  génie  créateur  ! 


L'HONORABLE  B.  JULIETTE.  161 

Où  est-il  afin  que  tous  ses  compatriotes  lui 
rendent  un  hommage  universel  de  reconnais- 
sance et  d'admiration. 

Dans  sa  carrière  parlementaire,  M.  Joliette 
se  fit  estimer  par  sou  jugement  profond  et  ses 
principes  invariables.  Il  n'était  pas  doué  d'une 
éloquence  brillante,  mais  il  savait  par  sa  pru- 
dence et  sa  sagesse  produire  l'effet  qu'il  désirait. 
Aussi  le  parlement  provincial  lui  a-t  il  rendu 
un  tribut  d'hommage  par  la  bouche  de  ses  plus 
illustres  orateurs. 

Dans  le  sein  de  sa  famille,  M.  Joliette  était 
d'un  abord  facile  et  possédait  quelque  chose 
d'entraînant. 

Il  avait  un  tempérament  doux  et  sensible,  et 
était  doué  d'une  conversation  agréable  et  tou- 
jours instructive.  Toute  personne,  après  l'avoir 
vu,  était  frappé  de  son  caractère  affable,  de  ses 
manières  aisées,  franches  et  honnêtes. 

Aussi  je  ne  craindrai  pas  d'affirmer  ici,  que 
cet  homme  si  estimable,  n'avait  pas  un  seul 
ennemi,  dans  toute  la  province. 

Ainsi,  soit  que  nous  considérions  sa  vie  pu- 
blique ou  sa  vie  privée,  nous  le  voyons  le  même, 
c'est-à-dire,  un  homme  au-dessus  de  tout  éloge 
pas  ses  vertus,  par  ses  talents,  par  ses  lumières 
et  surtout  par  ses  œuvres  ! 

Oui,  nous  pouvons  pleurer  la  perte  que  nous 


162  L'HONORABLE  B.  JOLIETÏE. 

avons  faite  en  la  personne  de  ce  grand  homme. 
Le  pays  perd  en  lui  un  de  ses  plus  beaux  orne- 
ments ;  la  religion,  un  de  ses  membres  les  plus 
utiles  ;  l'éducation  un  de  ses  bienfaiteurs  les 
plus  constants  ;  l'industrie,  le  commerce  et  les 
arts,  un  protecteur  infatigable  ;  mais  surtout  le 
pauvre,  l'infirme,  la  veuve,  l'orpbelin  ont  vu  dis- 
paraître leur  support  et  leur  consolateur.  Tous, 
grands  et  petits,  riches  et  pauvres,  trouvaient 
en  lui  un  cœur  ouvert  à  tous  leurs  chagrins,  à 
toutes  leurs  infortunes.  Il  savait  répandre 
par  ses  avis  salutaires,  un  baume  bienfaisant 
sur  les  plaies  envenimées  de  la  société. 

Combien  de  familles  n'a-t-il  pas  protégées  et 
sauvées  d'une  ruine  imminente,  en  vidant  Jeurs 
différends  d'une  manière  paternelle  ?  Combien 
de  malheureux  n'a-t-il  pas  arrachés  à  une  mort 
certaine,  par  sa  bienfaisance,  sa  charité  1 
Mais  c'est  surtout  sur  la  jeunesse  que  se 
portait  toute  son  affection  ;  elle  n'avait  pas  un 
ami  plus  sincère.  Il  l'aimait  cette  jeunesse,  il 
ne  cherchait  que  son  bonheur  et  ce  qui  pou- 
vait la  rendre  utile  et  glorieuse  à  son  pays.  Ce 
superbe  Collège,  élevé  par  sa  munificence  et 
sous  sa  direction  le  prouve  assez  ;  et  n'y  au- 
rait-il que  ce  seul  monument  pour  attester  son 
génie  et  son  cœur,  ce  sol  de  l'Industrie  aurait 
déjà  un  monument  impérissable  qui   redirait 


L'HONORABLE  B.  JOL1ETTE.  163 

aux  générations  les  plus  lointaines,  combien  le 
nom  de  Juliette  doit  être  cher  à  la  jeunesse  ca- 
nadienne. Qu'il  vive  donc  à  jamais,  ce  nom 
chéri  de  notre  bienfaiteur  ! 


XLVIIL 

UNE  DERNIERE  PENSÉE. 

"  Qu'il  vive  donc  à  jamais  ce  nom  chéri  de  notre 
bienfaiteur  !" 

Voilà  la  parole  sur  laquelle  nous  nous  per- 
mettons d'arrêter  nos  réflexions.  Nous  ne  l'i- 
gnorons pas  ;  la  reconnaissance  des  citoyens 
de  Joliette  a  élevé  depuis  longtemps,  un  mo- 
nument impérissable  à  la  mémoire  du  bienfai- 
teur de  cette  localité  :  ce  monument,  c'est  son 
nom  vénéré,  son  souvenir  si  cher,  gravé  en  ca- 
ractères ineffaçables  dans  le  cœur  de  cette  po- 
pulation si  distinguée  par  son  bon  esprit,  sa 
cordiale  entente,  et  son  zèle  bien  connu,  pour 
toutes  les  entreprises  charitables  et  généreu- 
ses. Cependant,  ce  n'est  peut-être  pas  encore 
tout  ce  que  les  enfants  de  l'Honorable  Joliette 
pourraient  faire  pour  honorer  sa  mémoire.  Ne 
serait-il  pas  à  désirer  que  le  sentiment  de  re- 
connaissance qui  les  honore,  se  manifestât  pour 


164  L'HONORABLE  B.  JULIETTE. 

l'exemple  et  l'instruction  de  la  jeune  généra- 
tion, si  elle  devenait  oublieuse  de  son  devoir. 

Dans  tous  les  temps,  la  gratitude  des  peuples 
a  élevé  des  statues,  des  monuments,  pour 
transmettre  à  la  postérité,  le  souvenir  des 
hommes  exceptionnels  qui  ont  brillé  au  milieu 
de  leurs  concitoyens. 

Naguère  encore,  on  parlait  avec  raison,  d'é- 
riger des  monuments  de  ce  genre,  en  l'honneur 
de  trois  des  plus  illustres  défenseurs  de  notre 
nationalité  canadienne  :  les  Honorables  Lafon- 
taine,  Morin  et  Cartier.  Eh  quoi  !  l'honora- 
ble Joliette,  après  vingt-cinq  ans  de  sacrifices 
pour  la  fondation  d'une  ville  aujourd  hui  floris- 
sante, n  aurait  pas  mérité  cet  honneur  ?  N'est- 
il  pas  une  de  nos  gloires  nationales  les  plus  pu- 
res ?  Son  intrépidité,  son  indomptable  énergie, 
son  dévouement  à  toute  épreuve,  rfon  intelligen- 
ce d  élite,  ne  l'élèvent-ils  pas  au  rang  de  nos 
illustrations  canadiennes  ? 

Sans  lui,  que  serait  la  cité  qui  porte  son  nom? 
Peut-être,  encore  une  forêt,  ou  tout  au  plus,  un 
champ  à  demi-défriché,  dont  le  sol  avare  pro- 
duirait à  peine  de  quoi  nourrir  ses  habitants  ? 

Non,  la  gratitude  des  citoyens  de  cette  ville 
ne  sera  pas  stérile,  mais  elle  apparaîtra  tôt  ou 
tard,  dans  l'érection  d'un  monument  digne  de 
son  nom,  digne  de  sa  générosité  ! 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  165 

En  exprimant  ce  vœu,  nous  craignons  d'autant 
moins  de  ne  blesser  aucune  susceptibilité,  que 
nos  paroles  ne  sont  que  l'écho  fidèle  d'un  pro- 
jet qui  a  déjà  été  agité,  plusieurs  fois.  De- 
puis plus  de  vingt  années,  cette  idée  généreuse 
germe  dans  le  cœur  des  citoyens  de  Joliette. 

Durant  cet  intervalle,  bien  des  voix  ont  redit 
éloquemment,  et  les  titres  de  M.  Joliette  à  cet 
honneur,  et  les  motifs  des  citoyens  pour  le  lui 
rendre.  Voici  entr'autres  documents,  un  ex- 
trait d'une  pièce  poétique  inspirée  par  ce  sujet  ; 
elle  est  trop  précieuse  pour  notre  cause  pour 
qu'il  nous  soit  permis  de  la  passer  sous  silence. 

Pour  honorer  un  nom  si  cher  à  la  Patrie. 
Qu'on  répète  souvent  par  toute  l'Industrie  ; 
Il  faut  un  monument  où  l'on  fasse  exposer 
Les  travaux  que  cet  homme  a  voulu  s'imposer. 
Qu'on  y  grave  ces  mots  :   "  Par  son  noble  courage, 
11  a  fondé,  fait  croître  et  fleurir  ce  village." 
C'est  ainsi  que  Québec  veut  honorer  Champlain 
Et  que  Napoléon  repose  sous  l'airain, 
Quand  luira  le  soleil  de  la  race  future, 
L'étranger,  qui  lira  cette  antique  gravure, 
Apprendra  qu'en  ces  lieux,  un  parfait  citoyen, 
Un  ami  du  pays,  un  vrai  canadien, 
N'a  cessé  d'employer  ses  talents  et  son  zèle 
A  doter  le  pays  d'une  ville  nouvelle. 
L'enfant  dont  le  génie  a  déjà  pris  l'essor  ; 
Qui  voit  dans  la  vertu,  plus  d'appas  que  dans  l'or  ; 
Qui  sent  que   pour  1  honneur,  son  jeune  cœur  bouil- 
lonne, 
Retrempera  son  âme  au  pied  de  la  colonne, 
En  admirant  le  nom  du  mortel  merveilleux 
Que  la  Grèce  payenne  eût  mis  au  rang  des  dieux. 


166  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

Des  feux  encor  cachés  que  sou  âme  recelle, 
11  sentira  soudain  jaillir  une  étincelle 
Qui  réchauffant  bientôt  de  la  plus  vive  ardeur, 
Le   couvrira  plus  tard   de  gloire   et  de   splendeur. 
C'est  ainsi  qu'Alexandre,  aux  plages  de  l'Egée, 
Après  avoir  gravi  les  hauteurs  de  Sigée 
Du  vainqueur  d'Ilion  admirant  le  tombeau, 
Désirait  devenir  un  Achille  nouveau. 
Oh  !   puisque   c'est   pour  toi  qu'il  prolongeait    ses 

[veilles 
Et  que  son  grand  génie  enfantait  des  merveilles  ; 
Puisque  pour  ta  grandeur  il  prodiguait  son  or, 
Et  qu'il  te  promettait  de  l'enrichir  encor. 
Tu  dévias.  Industrie,  après  ces  jours  funestes, 
Tacquitter  des  honneurs,    que  tu  dois  à  ses  restes  !" 


Disons-le,  encore  une  fois,  l'organisation 
seule  a  manqué  à  cette  entreprise  qui  entoure  - 
ra  d'une  même  gloire,  et  le  Fondateur  de  l'an- 
cienne Industrie  et  les  citoyens  de  Joliette. 
Par  cette  solennelle  manifestation,  ces  derniers 
prouveront  une  fois  de  plus,  que  s'ils  savent 
faire  fleurir  chez  eux,  la  science  et  les  arts,  le 
commerce  et  l'industrie,  ils  n'oublient  pas  d'y 
cultiver  aussi  avec  in  soin  particulier,  la  plus 
belle,  la  plus  embaumée  des  vertus  :  la  re- 
connaissance. 

En  attendant  ce  beau  jour,  où  chacun  se  fe- 
ra un  devoir  pieux  d'apporter  son  offrande  pour 
élever  la  pierre  monumentale  qui  rappellera  la 
Vie  et  les  œuvres  de  l'honorable  B.  Joliette,  où, 
réunis  dans  un  même   sentiment  d'affection  et 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  167 

de  gratitude,  les,habitants  de  la  paroisse  de  St. 
Charles  Borromée  rendront  un  dernier  hom- 
mage à  leur  bienfaiteur  ;  saluant  une  dernière 
fois,  cette  grande  figure  de  l'histoire  qui  vient 
de  passer  sous  nos  yeux,  nous  ferons  des  vœux 
ardents  pour  que  la  jeune  cité  de  Joliette,  née 
sous  l'inspiration  de  la  foi,  du  dévouement  et 
du  patriotisme,  ne  cesse  de  se  montrer  la  digne 
héritière  des  vertus  de  son  illustre  Fondateur. 


GENEALOGIE 

DES  FAMILLES  JoLIETTE  ET  DE  LANAUDIÈRE. 


Nous  somrae3  heureux  de  pouvoir  donner 
ici,  la  généalogie  complète  des  deux  familles 
Joliette  et  de  Lanaudière. 

Monsieur  l'Abbé  Cjprien  Tanguay,  l'auteur 
du  savant  dictionnaire  des  familles  cana- 
diennes, voudra  bien  agréer  le  témoignage  de 
notre  reconnaissance  pour  cet  intéressant  tra- 
vail qu'il  a  eu  l'obligeance  de  faire  pour  nous. 


Généalogie  de  la  famille  Joliette. 

JOLLTET. 

I. — Jean,  fils  de  Claude  Jolliet,  né  en  1596,  à  Se- 
zanne,  Province  de  Brie,  Département  de  la 
Seine,  charron  de  la  Compagnie  des  Cenl  Asso- 
ciés, marié  à  Québec  le  9  Octobre  1639,  à 
Marie  D'abancour,  fille  d'Adrien  D'abancour 
dit  Lacaille  et  de  Simone  d'Orgeville.  (Dict. 
Gèn.  P.  324)  de  St.  Vaux,  diocèse  de  Soissons. 

1 1.— Adrien, fils  du  précédent,. (et  frère  de  Louis 
Jolliet,  hydrographe  du  Roy.  qui  en  1673  dé- 
couvre le  Mississipi,)  marié  en  1664  à  Jeanne 
Dodier,  fille  de  Léon  Dodier  et  de  Françoise 
Leraaire,  desTrois-Rivières.  [Dict.  Gén.  P. 324.) 


170  L'HONORABLE  B.  JOLIETTE. 

TH. — Jean-Baptiste,  fils  du  précédent,  né  en  1667, 
marié  à  Jeanne  Cusson,  fille  de  Jean  Cusson 
et  de  Marie  Foubert,  des  Trois-Rivièrps, 
Bixt.  Gén.P.  151.) 

IV. — François,  fils  du  précédent,  marié  le  1 1  No- 
vembre 1 7-48  à  Montréal,  à  Cécile  Papin,  fille 
de  Gilles  Papin  I1)  et  de  Marie  Bernard. 

V. — Antoine,  fils  du  précédent,  marié  le  30  Mai 
1785  à  Ste  Geneviève  de  Berthier,  à  Marie 
Catherine  Faribault,  (fille  de  Barthélemi  Fa- 
ribault,  Notaire  et  de  Catherine  Véronneau.) 

VI. — Barthélemi,  fils  du  précédent,  né  le  9  Sept. 
1789  à  St.  Thomas  de  Montmagny,  marié  le 
27  Septembre  1813  à  Lavallrie  à  lielle  Marie 
Charlotte  Tarieu  de  Lanaudière  et  décédé  à 
Juliette  le  21  Juin  1850. 


GÉNÉALOGIE 
DE   LA     FAMILLE     DE     LANAUDIÈRE     A     LA- 
QUELLE APPARTENAIT  MADAME  JOLIETTE. 

TARTEU  DE  LANAUDIÈRE. 

I. — Thomas,  fils  de  Jean  Taneu  de  Lanaudière, 
chevalier  de  l'Ordre  royal,  et  militaire  de  St. 
Louis,  et  de  Jeanne  de  Samalins,  de  N.  D.  de 
Mirande,  diocèse  d'Auch,  en  Gascogne, 
épouse  à  Québec  le  16  Octobre  (672,  Margue- 
rite Denys,  fille  de  Pierre  Denys  Sieur  de  la 
Ronde  et  de  Catherine  L^neuf. 

II. — Pierre  Thomas,  fils  du  précédent,  chevalier  de 
l'Ordre  royal  et  militaire  de  St.  Louis,  né  en 
1677,  épouse  en  1706  Marie  Madeleine  Jarret 
de  Verchères,  fille  de  François  Jarret  de  Ver- 
chères  (2y  et  de  Marie  Perrot.  (3) 


(1)  Fils  de  Gilles  Papin,  Dict.  Gén.  P.  460. 

(2)  Seigneur  de  Yerchères. 

(3)  Fille  de  Jacques  Perrot- Vildaigre.  (Die.  Gén.  P.  47). 


L'HONORABLE  B.  JOLIETTE.  171 

III. — Charles  François-Xavier,  fils  «lu  précédent, 
chevalier  de  l'Ordre  royal  et  militaire  de  St. 
Louis,  épouse  en  1764  à  Montréal,  Marie  Ca- 
therine Lemoyne  de  Longueuil,  fille  de  Charles 
Lemoyne  de  Longueuil,  second  baron  de 
Longueuil  et  administrateur  en  1752.  (l)  Sa 
mère  Catherine  Charlotte  était  fille  de  Louis 
Joseph  Le  Gouès,  chevalier  Degrais,  et  capi- 
taine d'un  détachement  de  troupes.  (2) 

IV. — Gaspard,  fils  du  précédent,  épouse  en  1792, 
Suzanne  Antoinette  Margane  de  la  Valtrie, 
fille  de  Pierre  Paul,  Seigneur  de  la  Valtr  ie  <3) 
et  d'Angélique  De  Chajpt  de  la  Corne;  f4) 

Y — Mademoiselle  Charlotte,  fille  du  précédent, 
épouse  le  27  Septembre  1813,  Barthélemi 
Joliette. 


(1)  Dict.  Gén.  P.  380. 

(2)  do        P.  371. 

(3)  Petit-fils  de  Séraphin  Margane.  (Dict.  P.  411.) 

(4)  F. Ile  de  Louis  De  la  Corne,   Seicmeur  de  Terrebonne 
et  d'Eliaabeth  de  Eamezay.  (Dict.  P.  167.) 


^/Monsieur  le  pRAND  "Vicaire 

A.  MANSEAU 


Monsieur  le  Grand  Vicaire  A.  Manseau. 


M.  Manseau  naquit  à  St.  Antoine  de  la 
Baie  du  Fèbvre,  district  des  Trois-Rivières,  le 
12  Juillet  1787,  et  il  reçut  le  nom  d'Antoine, 
au  baptême  qui  lui  fut  administré  le  même 
jour. 

Comme  il  n'y  avait,  à  cette  époque,  aucune 
école  régulière  établie  dans  sa  paroisse  natale, 
il  dut  sa  première  éducation  au  curé  du  lieu, 
Monsieur  Victor  Archambault,  qui,  un  an  au- 
paravant, avait  été  transféré  de  la  cure  de 
Lavaltrie  à  celle  de  la  Baie  du  Fèbvrt. 

Ce  digne  prêtre  était  né  à  la  Pointe-aux 
Trembles,  et  avait  été  compagnon  de  classe  de 
feu  Mgr.  Panet,  de  sainte  mémoire.  Il  reçut 
ses  premières  leçons  à  l'âge  de  six  ans,  en  ré- 
compense de  son  exactitude  à  se  rendre  tous 
les  matins  à  l'Eglise  pour  servir  la  messe  de  son 
bon  curé  1 

Ayant  perdu  cet  instituteur  zélé  qui  mourut 
à  la  fin  de  l'année  1796,  il  ne  fut  plus  question 
de  son  éducation  jusqu'à  l'âge  de  16  ans.  Il 
avait  alors  neuf  ans  ;  et  il  lui  fallut  s'appliquer 


178      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

comme  tous  les  autres  membres  de  sa  famille  aux 
travaux  de  la  campagne,  chez  son  père  qui  était 
un  bon  cultivateur  fort  à  l'aise  et  père  de  huit 
enfants  :  cinq  garçons  et  trois  filles. 

Ce  métier  lui  répugnait  beaucoup,  parce 
qu'il  se  sentait  fortement  appelé  à  un  autre 
état.  Son  père  le  comprit  de  bonne  heure  ;  et 
pour  se  conformer  au  goût  de  son  fils  pour 
quelque  profession  libérale,  il  le  mit  en  1803, 
sous  brevet,  chez  Monsieur  Etienne  Ranvoizé, 
notaire  aux  Trois-Rivières. 

Tout  en  remplissant  ses  devoirs,  le  jeune  étu- 
diant en  loi  put  suivre  les  écoles  anglaises  du 
lieu  :  car  bientôt,  il  se  fit  remarquer  par  des 
talents  et  par  une  application  sérieuse  à  Tétude. 
Cependant,  ce  genre  de  vie  lui  offrait  des  dan- 
gers, il  s'en  dégoûta.  Il  pensa  donc  sérieuse- 
ment, après  trois  ans  d'épreuves,  à  ce  qu'il 
pourrait  faire  de  mieux.  Car  le  dégoût  et 
l'ennui  d'une  profession  à  laquelle  il  ne  se  sen- 
tait pas  appelé,  le  rendaient  très-malheureux. 
Mais  il  se  trouvait  lié  par  un  brevet  et  par  la 
volonté  d'un  père  absolu  et  sévère  qui  avait 
appris  de  bonne  heure  à  ses  enfants  à  ne  rien 
faire  sans  sa  permission,  pas  même  aller  se 
promener  chez  un  voisin.  Il  se  décida  toute- 
fois à  informer  ses  parents  du  fâcheux  état  au- 
quel il  était  réduit,  et  de  son  ardent  désir  de 


ANTOINE  MANSEAU.  179 

faire  des  études  régulières,  pour  pouvoir  se 
consacrer  à  Dieu  dans  l'état  ecclésiastique.  A. 
sa  grande  satisfaction,  son  père  entra  volontiers 
dans  ses  vues.  En  conséquence,  il  obtint  la 
résiliation  de  son  brevet  et  fit  tous  les  prépara- 
tifs nécessaires  pour  son  entrée  au  Collège. 
C'était  au  mois  de  mai  1806  qu'il  abandon- 
nait ainsi  l'étude  de  la  loi,  et  le  15  juin  suivant, 
il  commençait  ses  études  classiques  au  Collège 
de  Nicolet.  Il  était  alors  dans  sa  dix-neuvième 
année. 

Au  moyen  de  quelques  leçons  privées,  il 
put  en  deux  mois,  faire  avec  un  succès  remar- 
quable, les  éléments  de  la  grammaire  latine. 
L'on  ne  s'étonnera  pas  de  ce  progrès  rapide 
dans  la  science,  si  l'on  fait  attention  à  ses  ta- 
lents distingués  et  à  l'application  avec  la- 
quelle il  se  donnait  tout  entier  à  une  étude 
qui  était  si  conforme  à  ses  inclinations  et  qui 
faisait  ses  délices. 

Il  était  doué  malgré  son  âge,  dune  très- 
heureuse  mémoire,  et  son  jugement  était  déjà 
exercé  par  d'autres  études  sérieuses.  Son  amour 
pour  l'étude  était  avec  cela  excessif.  Aussi, 
ne  perdait-il  jamais  un  moment,  même  pendant 
les  vacances,  qui  étaient  pour  ses  condisciples 
un  temps  de  délassement  et  de  repos  bien  mé- 
rités.    Avec  de  telles  dépositions,  il  put  faire 


180      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

en  cinq  ans,  d'excellentes  études,  et  dans  le 
mois  d'Août  1811,  il  avait  fini  son  cours  d'étu- 
des classiques. 

Au  mois  d'Octobre  suivant,  de  l'avis  de  mon- 
sieur l'Abbé  de  Calonne,  frère  du  ministre  de 
l'infortuné  LouisXVI,  mort  aux  Trois-Rivières, 
en  odeur  d'une  éminente  sainteté,  il  descendit 
à  Québec  pour  y  recevoir  la  tonsure.  Mgr. 
Plessis,  alors  Evêque  de  cette  ville,  eut  bien- 
tôt découvert  le  mérite  et  la  capacité  du  jeune 
clerc.  Il  lui  donna  de  suite  sa  confiance,  en 
l'appelant,  après  quelques  semaines  de  Grand 
Séminaire,  au  Secrétariat,  à  la  place  de  Mr. 
Flavien  Turgeon,  devenu  plus  tard  Archevêque 
de  Québec,  qui  venait  de  s'agréger  au  Sémi- 
naire de  cette  ville.  Il  remplit  donc  l'oflice 
de  secrétaire,  à  la  grande  satisfaction  de  ce 
digne  Evêque  et  de  son  Clergé,  jusqu'au  com- 
mencement de  Janvier  1814. 

Voici  les  époques  de  ses  ordinations  :  11  reçut 
les  ordres  moindres,  le  21  Décembre  18 1 1  ;  le 
sous-diaconat,  le  13  Mars  1813  ;  le  diaconat, 
le  30  Octobre  de  la  même  année  ;  et  la  prêtrise, 
le  2  Janvier  1814.  Il  avait  alors  vingt-six  ans 
et  demi. 

Le  jour  même  de  sa  prêtrise,  il  fut  nommé 
Vicaire  de  Mr.  Griand,  curé  de  Ste.  Anne  de 
la  grande  Anse.     Arrivé  à  son  nouveau  poste, 


ANTOÎNE  MANSEAU.  181 

il  comprit  qu'il  était  plutôt  desservant  que 
Vicaire,  car  son  curé  était  malade  depuis  plu- 
sieurs mois  et  incapable  de  remplir  son  minis- 
tère, ne  pouvant  pas  même  sortir  de  sa  maison, 
et  il  mourût  le  2  mai  suivant,  ù  1  âge  de  56 
ans,  avec  toutes  les  infirmités  de  la  décrépitude 
la  plus  avancée. 

Mr.  Manseau,  se  trouvait  donc  seul  chargé 
de  la  desserte  d'une  cure  qui  comptait  alors 
1300  communiants.  Pour  surcroit  de  besogne 
et  d'affaires,  il  lui  fallut  préparer  la  paroisse 
à  la  visite  pastorale,  que  M.  Plessis  fit  cette 
même  année,  et  donner  en  conséquence,  des 
instructions  à  tous  les  enfants  qui  avaient  fait 
leur  première  communion  depuis  4  à  cinq  ans, 
afin  de  les  bien  disposer  à  recevoir  le  sacre- 
ment de  la  Confirmation. 

Aussi,  se  trouva-t-il,  à  la  fin  de  la  visite  de 
l'Evêque,  très  fatigué,  ce  qui  ne  surprendra 
pas  ceux  qui  savent  ce  qu'il  en  coûte  de  solli- 
citude à  un  nouveau  prêtre,  pour  conduire  seul 
une  grande  paroisse,  et  y  faire  faire  les  Pâques, 
puis,  préparer  les  enfants  à  la  première  commu- 
nion et  à  la  Confirmation.  Cependant  son 
Evêque  annonça  qu'il  l'enverrait  bientôt  dans 
les  missions  lointaines,  quoiqu'il  eût  à  peine 
sept  mois  de  prêtrise. 

Il  fut  en  effet,  à  la  fin  du  mois  d'Août  1814, 


182      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

nommé  Missionnaire  de  Tracadie,  Pomquette 
et  Hâvre-à-Boucher,  sur  la  Nouvelle-Ecosse, 
et  aussi  de  Chétican  et  do  Mâgré,  sur  le  Cap- 
Breton.  Ces  missions  se  trouvaient  à  une  tren- 
taine de  lieues  l'une  de  l'autre. 

Quelque  difficile  que  pût  lui  paraître  cette 
nouvelle  tâche,  il  n'y  avait  pas  à  reculer  de- 
vant la  volonté  de  son  Evêque.  Aussi,  l'ac- 
cepta-t-il  de  bon  cœur  ;  et  même  il  se  crut  trop 
heureux  d'avoir  été  ainsi  choisi  pour  travailler 
à  la  plus  grande  gloire  de  Dieu,  en  procurant 
le  salut  des  âmes. 

Tous  ses  préparatifs  étant  terminés,  et  ses 
adieux  faits  à  ses  parents  et  amis,  il  s'embar- 
qua avec  la  bénédiction  de  son  bon  Evêque,  à 
bord  d'un  brick  anglais,  qui  devait  le  débar- 
quer à  la  Pointe  à  la  Croix,  au  milieu  du 
détroit  de  Canso.  C'était  vis-à-vis  ce  point  du 
Cap-Breton  que  commençait  la  mission  du 
Hâvre-à-Boucher,  en  remontant  de  là,  sur  la 
Nouvelle-Ecosse  jusqu'à  Pomquette,  sa  troi- 
sième mission. 

Mgr.  Plessis  lui  avait  donné  un  excellent 
compagnon  de  voyage  dans  la  personne  de  Mr. 
Joseph  Cécil  qui,  après  avoir  rétabli  sa  santé, 
fut  ordonné  prêtre.  Tannée  suivante,  et  devint 
lui  aussi,  missionnaire  dans  l'Ile  du  Prince- 
Edouard  où  il  passa  six  ans.     Puis,  étant  rcn- 


ANTOINE  MANSEAU.  183 

tré  dans  le  Diocèse,  il  gouverna  plusieurs  Cures 
et  mourut  au  cap  St.  Ignace  en  1859  ou  en  1860. 

Durant  le  voyage,  ils  furent  témoins  d'un 
singulier  combat,  celui  de  la  baleine  avec  un 
espadon  dentelé,  qui  se  livra  à  une  quinzaine 
d'arpents  du  vaisseau  et  dura  plus  d'une  demi- 
heure.  On  en  fut  averti  par  un  grand  bruit 
que  firent  les  combattants,  et  tout  le  monde 
courut  sur  le  pont  pour  jouir  d'un  spectacle 
aussi  curieux  que  terrible. 

La  baleine,  qui  n'a  que  sa  queue  pour  se  dé- 
fendre de  son  ennemi,  cherchait  à  le  saisir  pour 
l'écraser  d'un  seul  coup.  Comme  apparemment, 
l'espadon  échappait  à  ses  coups,  à  cause  de 
son  agilité,  elle  entra  en  fureur,  et  les  coups 
qu'elle  frappa  sur  l'eau,  ainsi  que  ses  mugis- 
sements faisaient  un  fracas  épouvantable.  A  la 
fin,  l'espadon  bondit  en  l'air  et  retomba  sur 
son  adversaire  en  présentant  le  dos.  Il  parut 
d'une  longueur  de  quinze  pieds,  et  il  s'éleva  à 
environ  dix  pieds  en  l'air.  A  ce  moment,  le 
combat  cessa,  du  moins  on  ne  vit  plus  rien,  et 
le  bruit  ne  se  fit  plus  entendre. 

Arrivé  à  Tracadie,  où  il  devait  hiverner,  le 
nouveau  Missionnaire  y  trouva  encore  son  pré- 
décesseur, Mr.  Pichard,  prêtre  français,  qui  y 
résidait  depuis  plusieurs  années.  Comme  on 
était  alors   au  10  Novembre  et  qu'il  n'y  avait 


i84      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

plus  moyen  pour  ce  vieux  et  Vénérable  prêtre 
de  partir  pour  Québec  où  l'appelait  son  Evê- 
que,  Mr.  Manseau  prit  le  parti  d'aller  passer 
l'hiver  à  Chétican  qui  est  à  trente  lieues  de 
Tracadie.  Il  en  fit  avertir  les  habitants  de 
cette  mission,  par  un  nègre  qui  dut  faire  le 
trajet  à  pied,  et  qu'il  fallût  en  conséquence 
payer  fort  cher. 

A  la  nouvelle  d'un  Missionnaire  qui  allait 
résider  au  milieu  d'eux,  les  bons  Acadiens  pous- 
sent une  goélette  à  flot,  lui  rendent  ses  agrès  et 
se  mettent  en  route  pour  Tracadie,  où,  douze 
jours  après,  ils  arrivent  à  pleines  voiles. 

Comme  tout  le  petit  bagage  du  Missionnaire 
était  prêt,  i1  ne  se  fit  pas  attendre;  on  remit 
donc  à  la  voile  sans  perdre  de  temps,  et  dès  le 
lendemain  an  soir,  on  jetait  l'ancre  dans  le 
Havre  do  Chédcan. 

C'était  le  28  Novembre,  et  il  était  grand 
temps  d'arriver  au  port,  car  dès  la  nuit  sui- 
vante, l'hiver  s'établit  tout  de  bon  par  un  vent 
de  foudre  accompagné  de  neige  et  avec  une 
des  plus  furieuses  tempêtes  qu'on  puisse  voir 
sur  cette  plage. 

Pourtant,  on  ne  s'étonnera  pas  que  cette 
tempête  ne  se  soit  ainsi  élevée  qu'après  l'arri- 
vée du  missionnaire  ;  car  tous  les  dévots  Aca- 
diens s'étaient  mis  en  neuvaine  pour  lui  obtenir 


ANTOINE  MANSEAU.  185 


».••..  j 


une  bonne  et  heureuse  navigation  ;  et  au  der- 
nier jour  de  ce  pieux  exercice,  le  vaisseau  en- 
trait dans  le  Havre,  ce  qui  ne  s'était  jamais  vu 
dans  une  saison  si  avancé'e. 

Aussi  les  bons  Acadiens  étaient-ils  dans 
une  grande  anxiété,  en  le  voyant  exposé  si 
tard,  à  toutes  les  fureurs  des  vents  et  de  la 
mer.  Quelle  ne  fut  donc  pas  leur  joie  en  appre- 
nant l'heureuse  traversée  de  leur  Missionnaire. 
Du  Havre  à  la  Chapelle  qui  en  est  distante 
d'une  demi-lieue,  ce  n'était  qu'une  procession 
continuelle  de  ces  fervents  chrétiens  qui  accou- 
raient à  sa  rencontre  pour  se  prosterner  à  ses 
pieds,  et  recevoir  ses  premières  bénédictions. 
Cher  Monsieur,  lui  disaient-ils,  dans  leur  lan- 
gage naïf,  je  sommes  bien  aise  de  vous  voir 
terrir  (arriver)  ;  j1  étions  bien  évantés  du  temps 
que  n'y  avait  de  vous  voir  tenir  la  mer  si 
tard.'' 

Ce  fut  le  premier  dimanche  de  l'Avent,  que 
le  Missionnaire  se  trouva  pour  la  première  fois, 
environné  de  ses  nouveaux  paroissiens.  Ce 
fut  une  scène  vraiment  touchante  et  pleine 
d'émotions. 

La  joie  la  plus  pure  se  peignait  sur  toutes 
les  figures  ;  et  il  ne  manquait  rien  au  bonheur 
du  pasteur  qui,  longtemps  après,  en  était  en- 
core tellement  impressionné,  qu'il  avouait  que 


186      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

dans  ce  moment,  il  se  sentait  parfaitement 
heureux.  Tant  il  est  vrai,  qu'un  bon  peuple 
fait  le  bonheur  de  son  pasteur  ! 

Il  passa  six  mois  au  milieu  de  ces  braves 
gens  qui,  par  leur  docilité,  leur  foi  et  leur 
piété,  adoucissaient  et  lui  faisaient  même  ou- 
blier tout  ce  qu'il  y  avait  de  pénible  dans  sa 
position.  Il  se  trouvait  placé  entre  deux  mon- 
tagnes qui  ne  lui  laissaient  voir  le  soleil  que 
depuis  10  heures  du  matin  jusqu'à  deux  heu- 
res de  l'après-midi,  ces  montagnes  ne  se  trou- 
vant qu'à  cinq   à   six  arpents  l'une  de  l'autre. 

Mâgré,  où  se  trouvaient  des  chrétiens  aussi 
fervents,  est  situé  à  6  lieues  de  Chétican.  M. 
Manseau  devait  se  rendre  à  cette  mission  au 
moins  toutes  les  trois  semaines,  y  faire 
l'Office  le  Dimanche,  y  cathéchiser  les 
enfants,  y  administrer  les  malad3S,  y  faire  faire 
les  Pâques.  Or,  toutes  le3  excursions  devaient 
se  faire  à  pied,  accompagné  seulement  d'un 
homme  ou  de  deux. 

L'hiver  se  passa  à  voyager  ainsi  d'une  mis- 
sion à  l'autre,  à  instruire  les  enfants,  à  admi- 
nistrer les  sacrements  aux  adultes  et  à  donner 
des  leçons  de  chant  à  de  bons  jeunes  gens  qui 
devinrent  pour  ces  missions,  d'excellents  chan- 
tres. 

Enfin,  au  commencement  de.  Mai   1815.  il 


ANTOINE  MANSEAi:.  181 

vint  se  fixer  à  Tracadie  que  venait  de  quitter 
le  vieux  Missionnaire.  Il  eut,  sur  ces  entre- 
faites, la  douleur  de  perdre  Mr.  Cécil  qui  s'en 
retourna  à  Québec,  pour  son  ordination,  mais 
il  en  fut  dédommagé  par  la  consolation  qu'il 
eut  de  rencontrer  à  Arichat ,  Mgr.  Plessis  qui, 
par  ses  bonnes  paroles,  releva  son  courage  et  le 
ranima  dans  la  pratique  de  ses  devoirs  de 
Missionnaire. 

L'Evêque  de  Québec,  en  faisant  en  1815,  la  vi- 
site des  missions  du  Golfe,  avait  amené  avec  lui 
Mr.  Rémi  Gaulin,  qui  est  devenu  depuis 
Evêque  de  Kingston.  A  son  retour,  il  laissa 
ce  Monsieur  au  Golfe  et  le  chargea  de  la  des- 
serte d' Antigonish  et  de  plusieurs  autres  missions 
sur   la  Nouvelle-Ecosse  et  sur  le  Cap  Breton. 

Ce  fut  alors  que  Mr.  Manseau  se  vit  obligé 
de  desservir  plusieurs  postes  sur  l'Atlantique  ; 
ce  qui  lui  fut  très  pénible,  parce  qu'il  était 
forcé  de  n'exercer  le  ministère  qu'en  Anglais; 
ce  à  quoi,  il  n'était  point  encore  accoutumé  ; 
et  il  lui  fallut  en  outre,  parcourir  pendant 
deux  ans,  des  postes  éloignés  ks  uns  des  autres 
de  près  de  60  lieues.  Un  de  ces  postes  était 
Sidney,  capitale  du  Cap- Breton,  qui  a  25 
lieues  dans  sa  plus  grande  largeur. 

Après  ses  trois  années  de  missions  dans  le 
Golfe,  c'est-à-dire    en     1817,     Mr.     Manseau 


188      M0NSIEUR2LE  GRAND  VICAIRE 

se  rendit  à  Québec  vers  la  fia  du  mois 
d'Août,  et  dans  le  mois  de  Septembre  suivant, 
il  fut  nommé  à  la  cure  des  Cèdres.  Cette  pa- 
roisse avait  alors  un  territoire  très-étendu  qui, 
divisé  plus  tard,  a  été  trouvé  suffisant  pour  for- 
mer sept  paroisses  savoir  :  Les  Cèdres,  ou  St. 
Joseph  de  Soulanges,  St.  Ignace,  St.  Clet,  St. 
Polycarpe,  St.  Zotique,  St.  Thimothée  et  Ste. 
Cécile.  La  population  de  ce  vaste  territoire 
était  alors  de  3,800  âmes,  donnant  2,400 
communiants. 

Il  fallait  parcourir  5  et  6  lieues  pour  visiter 
les  derniers  habitants.  D'autres  se  trouvaient 
au  Sud  du  St.  Laurent  dont  la  traversée  est 
très-pénible  en  cet  endroit,  à  cause  de  la  rapi- 
dité des  courants.  Ces  difficultés  et  d'autres 
encore  que  le  nouveau  Curé  rencontra  dans 
l'exercice  de  son  ministère,  lui  firent  regretter 
ses  bonnes  missions  du  Golfe,  et  plusieurs  fois, 
il  se  repentit  de  les  avoir  quittées  si  tôt.  Tou- 
tefois, il  fut  déchargé  en  1819  de  la  desserte 
de  St.  Polycarpe  qui  fut  confiée  à  Mr.  Pierre 
Nicolas  Leduc.  Deux  ans  plus  tard,  on  bâtit 
une  chapelle  à  St.  Timothée  qui,  cependant, 
resta  à  la  charge  du  Curé  des  Cèdres  jusqu'en 
1826. 

Il  est  à  remarquer  ici  en  passant,  que  Mr. 
Manseau    accompagna   en    1821  Mgr.  Plessis 


ANTOINE  M  ANSE  AU.  189 

dans  la  visite  Pastorale  qu'il  fit  dans  la  Baie 
des  Chaleurs  ;  et  qu'en  1822,  il  descendit  aux 
Trois-Rivières  pour  assister  à  la  Consécration 
de  Mgr.  Provancher,  Evêque  de  Juliopolis, 
fondateur  et  premier  Evêque  des  Missions  de 
la  Rivière-Rouge.  En  1823,  il  fut  nommé 
Grand-Vicaire  et  Visiteur  de  toutes  les  mis- 
sions du  Haut-Canada,  pendant  l'absence  de 
Mgr.  Alex.  McDonell,  qui  était  allé  en  Europe 
pour  affaires  importantes,  malgré  toutes  les 
objections  qu'il  pût  faire  pour  ne  pas  être  char- 
gé d'une  responsabilité  qui  lui  paraissait  acca- 
blante. Comme  bientôt  après,  l'Evêque  de 
Québec  le  pressait  de  partir,  il  l'informa  qu'il 
ressentait  au  bras  un  mal  qui  semblait  préluder 
à  la  paralysie  et  que  pour  cette  raison,  il  retar- 
derait son  départ.  L'Evêque  lui  répliqua: 
u  Nous  n'avons  pas  le  temps  d'être  malade  ; 
partez  sans  délai.  '; 

Nous  partirons  donc,  répondit-il,  puisque 
nous  n'avons  pas  le  temps  d'être  malade. 

Le"  docile  administrateur  se  mit  donc  en 
route  pour  faire  sa  visite  ;  et  il  put  pendant 
les  deux  années  qu'il  fut  chargé  de  cet  impor- 
tant office  parcourir  toutes  les  missions  qui 
existaient  alors  dans  le  Haut-Canada ,  et  il 
disparut  ensuite  pour  toujours,  après  le  retour 
de  Mgr.  McDonnell. 


190      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

En  l'année  1826,  Mgr.  Panet,  qui  était 
devenu  Evêque  de  Québec,  offrit  à  Mr.  Man- 
seau  sa  cure  de  la  Rivière-Ouelle  ;  mais  comme 
cette  paroisse  était  considérable,  il  crut  devoir 
prier  l'Evêque  de  ne  pas  le  charger  de  ce  far- 
deau. 

Mais  en  1827,  il  accepta  la  cure  de  Contre- 
cœur, avec  beaucoup  de  reconnaissance  par- 
cequ'elle  était  plus  petite  et  qu'elle  ne  lui  pa- 
raissait pas  au-dessus  de  ses  forces,  et  que 
d'ailleurs,  il  y  retrouvait  dans  la  belle  simplicité 
de  ses  habitants,  ses  bons  Acadiens,  qu'il  conti- 
nuait à  affectionner  tendremeLt.  Pendant  les 
sept  ans  qu'il  demeura  avec  eux,  ces  bons  pa- 
roissiens lui  donnèrent  constamment  la  même 
satisfaction. 

Comme  avec  une  bonne  santé,  il  avait  du 
loisir,  il  se  mit  à  faire  l'école  à  six  jeunes 
gens  du  Village  auxquels  il  enseigna  le  chant, 
la  grammaire,  et  les  premiers  éléments  du 
latin. 

Il  établit  une  bonne  école,  car  il  n*y  en  avait 
point  quand  il  arriva  dans  cette  paroisse.  Il 
consacra  une  partie  de  ses  loisirs  à  former  son 
chœur,  car  alors,  il  n'y  avait  pas  chez  lui 
un  seul  enfant  capable  de  servir  même  une 
messe  basse.  De  son  école,  sont  sortis  quatre 
Notaires.     Il  a  donc  bien  réparé  la  perte  qu'il 


ANTOINE  MANSEAU.  191 

avait  pu   causer   au  Notariat   en  abandonnant 
cet  état,  comme  il  a  été  dit  plus  haut. 

Aux  Cèdres,  il  s'était  également  chargé  de 
l'éducation  de  jeunes  gens  choisis  dont  l'un 
est  devenu  prêtre  et  l'autre  Shérif  de  l'un  de 
nos  districts. 

Cependant  les  supérieurs  ecclésiastiques  trou- 
vaient que  le  curé  de  Contrecœur  n'était  pas 
occupé  selon  ses  forces  et  ses  talents  distin- 
gues. Ils  voulurent  donc  le  tirer  de  l'état  un 
peu  obscur  dans  lequel  ils  lu  voyaient  placé 
dans  la  modeste  cure  de  Contrecœur.  La 
bonne  opinion  qu'avait  conçue  de  sa  capacité 
Mgr.  Signai  lui  fit  croire  que  la  cure  de  Qué- 
bec était  un  théâtre  digne  de  lui,  et  il  la  lui 
offrit  ;  mais  il  éprouva  de  la  résistance  de  la 
part  de  co  prêtre  qui  ne  cherchait  qu'à  se  ca- 
cher. Il  fait  là  dessus  connaître  ses  vrais 
sentiments  en  des  termes  aussi  modestes  que 
plaisants,  et  nous  les  reproduirons  ici  avec 
complaisance. 

11  C'est  avec  une  sorte  do  confusion,  et  pour 
dire  toute  la  vérité,  puisqu'on  m'y  oblige,  que 
j'avoue  que  Mgr.  Signai"  m'a  offert  la  cure  de 
Québec,  lorsqu'il  l'a  quittée  pour  s'occuper 
plus  particulièrement  de  ses  nouveaux  devoirs. 
Certainement  qu'une  cure  aussi  importante  ne 
va  pas  à  ma  taille,    c'est    évident.     LEvêque 


*192       MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

devait  savoir  qu'il  pouvait  faire  mieux,  comme 
en  effet,  il  l'a  fait  en  nommant  Mr.  Baillargeon. 

Le  premier  choisi  a  dû  refuser,  et  on  a  heu- 
reusement trouvé  ses  excuses  plausibles.  J'en 
ai  remercié  le  bon  Dieu  qui  n'a  pas  voulu 
m'exposer  sur  un  si  brillant  théâtre." 

Cependant,  Mgr.  Lartigue  répétait  en  toute 
occasion  au  curé  de  Contrecœur  qu'il  n'était 
pas  assez  occupé,  et  qu'il  menait  la  vie  d'un 
paresseux,  quoiqu'il  fût  seul  à  desservir  une 
paroisse  de  treize-cents  communiants.  Voyant 
que  c'était  un  parti  pjis  de  le  tirer  de  sa  cure, 
pour  le  faire  passer  à  une  autre  plus  grande  et 
qui  lui  imposerait  plus  de  travail,  il  exposa  à 
Mgr.  Signai  qu'il  se  chargerait  de  la  cure 
de  Longueuil  devenue  vacante  par  la 
mort  de  Mr.  Chaboillez.  L'Evêque  le  prit 
au  mot,  et  le  nomma  en  1834  à  cette  cure  im- 
portante. Il  la  gouverna  pendant  six  ans  au 
milieu  de  toutes  les  sollicitudes  que  lui  causè- 
rent les  événements  de  1837  et  de  1838  que 
tout  le  monde  connait.  Dans  la  pensée  que 
son  ministère  ne  pouvait  plus  être  aussi  avan- 
tageux à  cette  paroisse,  il  demanda  à  en  être 
déchargé. 

L'Evêque  actuel  de  Montréal,  qui  voulait 
attirer  auprès  de  lui  un  homme  aussi  éminent, 
lui   accorda   volontiers   sa   démission,    en  lui 


ANTOINE  MANSEAU.  183 

offrant  une  place  honorable  à  l'Evôché.  Il  fut 
très-sensible  à  cette  nouvelle  marque  de  con- 
fiance. Aussi,  écrivait-il,  plusieurs  années 
après  :  u  La  reconnaissance  exige  que  je  dise 
que  j'ai  toujours  été  traité  avec  bonté  par  les 
Evêques  de  Montréal.  Mgr.  Lartigue  m'a  fait 
son  Grand  Vicaire  en  1837,  et  après  sa  mort, 
son  successeur  me  continue  dans  cette  qualité 
et  me  témoigne  toujours  la  plus  grande  con- 
fiance." Sa  raoiestie  la  empêché  d'ajouter  que 
le  premier  Evoque  de  Montréal  lui  donna  en 
18  J6,  une  nouvelle  preuve  de  si  confiance  en 
voulant  faire  de  lui  son  coadjuteur  et  son  suc- 
cesseur :  honneur  qu'il  trouva  encore  moyen 
d'éviter. 

Ainsi,  à  l'époque  de  la  St.  Michel  en  1840, 
le  curé  de  Longueuil  se  rendit  à  l'Evôché  pour  - 
prendre  possession  de  son  nouveau  poste  qu'il 
considérait  comme  heureux  et  très  honorable 
pour  lui.  Aussi,  désirait-il  que  ce  fut  sa 
dernière  demeure  dans  ce  bas  monde.  Mais  il 
n'en  fut  pas  ainsi,  comme  on  le  verra  bientôt. 

Cependant  Mgr.  de  Montréal,  qui  avait  été 
autorisé  par  le  St.  Siège  à  établir  un  chapitre 
dans  sa  Cathédrale,  se  trouva  en  mesure  de 
réaliser  ce  projet,  environ  un  an  après  qu'il  eût 
pris  possession  de  son  siège.  Ce  fut  le  21 
Janvier    18-41,    que    se   fit   l'installation    des 


194      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

premiers  Chanoines  par  le  célèbre  Evêque  de 
Nancy,  Mgr.  Forbin-Janson  qui,  à  cette  épo- 
que, terminait  la  grande  mission  qu'il  avait 
donnée  à  Montréal,  et  qui  a  produit  de  si 
heureux  fruits,  comme  tout  le  monde  sait. 
Ces  six  premiers  Chanoines  furent  MM. 
Manseau,  Hudon,  Prince,  Trudeau,  Lavoie  et 
Paré.  M.  Manseau,  qui  était  le  plus  ancien 
d'âge  et  de  prêtrise,  et  qui  déjà  était  Grand 
Vicaire,  devint  tout  naturellement  doyen  du 
nouveau  chapitre. 

"  La  sympathie,  écrivait  à  ce  sujet  M.  Man- 
seau, qui  existait  entre  tous  les  chanoines  et 
les  autres  habitués,  faisait  de  l'Evêché  un 
séjour  charmant,  disons  mieux,  délectable."  Sur 
le  printemps,  tout  allait  à  l'ordinaire,  pour  le 
mieux,  excepté  la  santé  du  doyen  du  chapitre, 
qui,  accoutumé  à  une  vie  active,  ne  pouvait 
guère  s'accommoder  de  la  vie  sédentaire  qu'il 
lui  fallait  mener  à  l'Evêché. 

Cependant,  il  lui  fallut  se  charger  de  l'ad- 
ministration du  Diocèse,  pendant  le  premier 
voyage  que  Monseigneur  fit  à  Rome  et  qui 
dura  depuis  le  mois  de  Mai  jusqu'au  mois  de 
Septembre.  Mais  au  retour  de  l'Evêque,  il  se 
déchargea  de  l'administration  dont  il  s'était 
acquitté  avec  succès,  comme  de  tous  ses  autres 
devoirs,  et  il  se  retira,  avec  les  titres  de  Vicaire- 


ANTOINE  MANSEAU.  195 

Général  et  de  Chanoine  honoraire,  d'abord  à 
Longueuil,  chez  son  neveu  M.  L.  M.  Brassard 
qui  lui  avait  succédé  dans  cette  cure,  et  ensuite 
chez  son  intime  ami,  M.  Primeau,  curé  de 
Varennes. 

Sa  santé  s'étant  rétablie  parfaitement,  et 
son  zèle  ne  lui  permettant  plus  de  demeurer 
inactif,  il  se  fit  un  devoir  d'exposer  àl'Evêque 
qu'il  se  croyait  capable  de  se  remettre  au  tra 
vail.     C'était  au  mois  d'Octobre  1843. 

L'Evêque  lui  offrit  la  cure  de  St.  Charles  de 
l'Industrie,  qui  était  la  seule  vacante  j  et  il  lui 
dit  gracieusement  que  plus  tard,  il  pourrait  lui 
procurer  un  autre  poste  plus  convenable.  Mais 
le  fait  seul  de  la  pensée  de  lEvêque  à  cet  égard, 
lui  fit  croire  à  une  inspiration  du  ciel,  et  lui 
persuada  que  c'était  le  bon  Dieu  qui  le  voulait 
à  l'Industrie. 

Il  accepta  donc  cette  nouvelle  paroisse  qui 
n'avait  encore  été  desservie  que  pendant  18 
mois,  par  voie  de  mission.  Elle  offrait  peu 
d'avantages,  humainement  parlant. 

L'église  était  la  propriété  privée  de  l'Hono- 
rable Joliette,  qui  l'avait  construite  à  ses 
propres  dépens.  Elle  n'avait  donc  ni  frabrique, 
ni  fabriciens.  Ce  ne  fut  qu'en  1850,  que  ce 
Monsieur  en  fit  don  à  la  corporation  épiscopale 
de  Montréal,  qui  en  est  depuis  ce  temps,  l'uni- 


196      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

que  propriétaire.  Les  Curés  en  administrent 
les  revenus  sous  la  direction  de  l'Evêque,  et 
les  paroissiens  ont  droit  d'y  être  desservis  et 
inhumés. 

L'Evêque  seul  fait  les  règles  qui  doivent  y 
être  suivies  ;  le  donateur  lui-même  ne  s'était 
pas  réservé  le  droit  d'intervenir  dans  cette 
administration. 

Le  principe  de  cet  homme  vraiment  sage 
dont  le  monde  connaît  et  admire  les  grandes 
œuvres,  était  :  "  Tout  pour  le  peuple,  rien  avec 
lui."  Ce  système  a  parfaitement  fonctionné 
jusqu'ici  à  Joliette,  parce  qu'il  ferme  la  porte  à 
de  fâcheuses  divisions  qui  souvent  bouleversent 
les  autres  paroisses.  Pour  aider  à  supporter 
les  charges  de  cette  nouvelle  cure,  M.  Joliette 
avait  encore  donné  100  arpents  de  terre,  qui, 
divisés  en  lots  ou  emplacements,  formeront  avec 
le  temps,  une  dotation  honnête  pour  le  soutien 
de  rétablissement. 

Lorsque  M.  Manseau  arriva  à  l'Industrie  en 
1843.  on  n'y  comptait  que  1400  âmes  et  800 
communiants.  Au  recensement  de  1862,  il 
s'y  est  trouvé  4.200  âmes  et  2,400  communi- 
ants. 

Le  village  seul  contenait  plus  de  3,000  âmes. 
Cette  paroisse  n'était,  pour  ainsi  dire,  qu'une 
terre   on   friche,   et   sans  culture.     Il  ne  d'y 


ANTOINE  MANSBAU.  197 

trouvait  qu'une  petite  école  qui  ne  tint  que 
quelques  mois.  Point  de  chantres  pour  les 
offices  publics  ;  point  d'enfants  de  chœur 
exercés  pour  les  cérémonies  de  l'Eglise. 

L'Eglise  elle-même,  quoique  bien  bâtie,  man- 
quait de  mobilier  :  point  d'autel  décent,  point 
de  tableau,  point  de  rétable,  point  de  stalles, 
point  de  tapis.  La  sacristie  était  aussi  dénuée 
d'ornements,  de  linges  et  de  tout  ce  qui  con- 
tribue à  donner  de  la  solennité  aux  saints  offices. 

Le  nouveau  curé  comprit  donc  tout  d'abord 
qu'il  avait  une  rude  tâche  à  remplir  et  qu'il 
lui  fallait  se  multiplier,  s'il  voulait  répondre  à 
tant  de  besoins. 

Il  commença  par  établir  une  école  dans  la 
sacristie,  où  il  réunit  une  demie  douzaine  de 
jeunes  garçons  à  qui  il  donna  lui-même  des 
leçons  de  lecture,  d'écriture  et  de  chant,  en 
insistant  surtout  sur  les  cérémonies  de  l'Eglise 
qu'il  apprit  à  ses  heureux  élèves  à  bien  exécu- 
ter. Ce  moyen  lui  réussit  à  merveille,  puis- 
que dans  l'espace  de  quelques  mois,  il  put  se 
procurer  le  personnel  absolument  nécessaire 
pour  célébrer  décemment  les  saints  offices.  Il 
continua  cette  école,  deux  fois  par  jour,  pen- 
dant quatre  années.  Par  ce  moyen,  il  put 
doter  son  Eglise  de  chantres  et  de  servants 
très-habiles. 


198      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

Le  village  ayant  pris  un  accroissement  très- 
considérable,  les  rues  se  trouvaient  remplies 
d'enfants  qui  ne  pouvaient  que  se  démoraliser 
en  errant  et  en  vagabondant  à  l'aventure,  parce 
qu'ils  n'avaient  aucun  moyen  d'éducation.  Il 
fallait  en  conséquence  penser  sérieusement  à 
fonder  un  établissement  scholaire.  M.  Joliette, 
dont  les  vues  étaient  si  profondes  pour  tout  ce 
qui  tenait  ù  la  prospérité  de  son  village  d'In- 
dustrie, comprit  qu'il  fallait  le  doter  d'un  vaste 
édifice,  qui  put  répondre  pour  un  temp3  donné, 
aux  besoins  présents  et  à  venir.  C'est  ce  qui 
Tengaga  à  bâtir  un  Collège  à  deux  étages  de  80 
pieds  sur  40,  connu  aujourd'hui  sous  le  nom  de 
Collège  Joliette.  Mais  il  fallait  d'habiles 
maîtres  pour  en  prendre  la  direction.  M.  le 
Grand  Vicaire  Hudon  fut  chargé  d'en  chercher 
quand  il  passa  en  Europe  en  1843  et  en  1844, 
mais  il  ne  put  en  obtenir.  Ce  fut  Monseigneur 
l'Evêque  de  Montréal  qui,  dans  son  second 
voyage  d'outre-mer  en  1846  et  en  47,  fit  des 
arrangements  avec  M.  Querbes,  curé  de  Vour- 
les,  (près  de  Lyon,)  et  fondateur  des  Clercs 
paroissiaux  de  St.  Viateur,  pour  faire  un  établis- 
sement de  ses  frères  à  l'Industrie. 

Trois  ou  quatre  de  ces  religieux  suivirent 
l'Evêque  à  son  retour  au  Canada,  et  arrivèrent 
dans  le  mois  de  mai  1847. 


ANTOINE  MANSEAU.  199 

Deux  prêtres  de  ki  inêmc  Congrégation, 
savoir  :  le  Père  Thibeaudier  et  le  Père  Lahaje 
qui,  après  avoir  demeuré  six  ou  sept  ans  à  St. 
Louis  de  Missouri,  s'en  retournaient  en  France, 
se  réunirent  à  leurs  frères  du  Canada  qu'ils 
étaient  venus  visiter  en  passant.  Au  mois  de 
septembre  1847,  ils  prirent  possession  du 
Collège  Joliette  qui  était  depuis  un  an  en 
opération,  sous  la  direction  de  trois  ecclésiasti- 
ques que  Mgr.  l'Evèque  de  Montréal  y  avait 
envoyés  pour  en  prendre  soin,  en  attendant 
l'arrivée  des  frères. 

Cet  établissement,  si  modeste  dans  son  prin- 
cipe, est  devenu  avec  le  temps,  un  Collège 
classique,  où  Ton  comptait  en  1863,  150  élèves, 
faisant  un  cours  d'études  régulier,  en  y  étu- 
diant le  latin,  le  grec,  le  français  et  l'anglais. 

Il  restait  à  faire  pour  les  filles  ce  qui  avait 
été  accompli  avec  succès  pour  les  garçons.  M. 
Joliette  y  avait  pensé,  mais  la  mort  l'ayant 
surpris,  en  1850  au  milieu  de  ses  vastes  entre- 
prises, le  curé  se  trouva  seul  chargé  de  mettre 
ce  projet  à  exécution  ;  malheureusement,  il 
n'avait  pas  à  sa  disposition  les  mêmes  moyens 
pécuniaires. 

Toutefois,  il  se  mit  à  l'œuvre,  en  comptant 
sur  les  fonds  que  la  divine  Providence  laisse  à 
la  disposition  de  ceux  qui  mettent  en  Elle  tout« 


200      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

leur  confiance.  Moyennant  une  somme  em- 
pruntée à  la  banque,  et  quelques  souscriptions 
qu'il  recueillit  dans  le  village,  il  put  bâtir  en 
1854,  un  petit  couvent  qui  fut  ouvert  l'année 
suivante,  sous  la  conduite  de  cinq  sœurs  de  la 
Providence  qui  avaient  à  instruire  les  petites 
filles,  à  élever  les  orphelins  et  à  visiter  les 
malades  à  domicile. 

Ce  modeste  couvent  prit  bientôt  des  dévelop- 
pements considérables  ;  et  dè3  l'année  1863, 
250  filles  y  recevaient  une  bonne  éducation  chré- 
tienne: Huit  orphelines  y  étaient  entretenues 
et  instruites,  et  on  prodiguait  les  soins  de  la 
charité  à  huit  pauvres  femmes  et  à  deux  vieil- 
lards infirmes.  En  outre,  les  sœurs  de  la  Pro- 
vidence de  Joliette,  comme  celles  de  Montréal, 
font  des  visites  journalières  chez  les  riches 
pour  en  solliciter  les  largesses,  et  chez  les  pau- 
vres pour  faire  couler  dans  leur  sein  les  sources 
de  la  charité  qui,  au  sein  de  cette  nouvelle 
ville,   sont    vraiment  intarissables. 

Elles  ont  recours  pour  les  faire  jaillir,  à  des 
bazars  et  autres  moyens  qu'invente  une  charité 
vraiment  ingénieuse.  Un  hôpital  a  été  bâti 
sur  le  terrain  de  l'Asile  de  la  Providence.  On 
doit  ce  nouvel  établissement  à  la  générosité  de 
feu  M.  Ed.  Scallon  et  de  sa  dame.  La  ville 
est  aussi  intervenue  pour  sa  part,  à  cette  belle 


ANTOINE  MANSEAU.  201 

œuvre.  Des  conférences  de  St.  Vincent  de 
Paul,  une  Association  de  l'Union  St.  Joseph 
et  une  des  dames  de  la  charité  y  fonctionnent 
parfaitement  bien.  Feu  M.  Ed.  Scallon  a 
laissé  une  riche  succession  pour  y  fonder  plus 
tard,  une  maison  d'Industrie. 

La  nouvelle  ville  de  Joliette  que  l'on  a  vue 
si  petite  quand  M.  Manseau  en  fut  nommé 
curé  en  13-A3,  se  trouve  donc  maintenant  riche- 
ment dotée  d'établissements,  et  en  voie  de 
progrès.  Son  Collège  ne  pouvant  plus  suffire 
au  grand  nombre  d  élèves  qui  y  affluaient  de 
toutes  parts,  il  a  fallu  y  ajouter  d'abord  une 
aile,  puis  l'élever  d'un  étage,  et  bientôt  il  sera 
nécessaire  de  lui  donner  une  seconde  aile. 

C'est  ce  zélé  pasteur  qui  a  heureusement 
dirigé  les  opérations  qui  ont  amené  de  si  grands 
résultats.  Son  amour  ardent  pour  son  peuple 
et  son  zèle  constant  pour  la  religion  ont  sou- 
tenu  son  courage  au  milieu  des  épreuves  qui  ne 
lui  ont  pas  manqué  ;  car  elles  sont  et  doivent 
être  le  cachet  des  œuvres  de  Dieu  dont  elles 
assurent  le  succès  et  la  permanence. 

Mais  enfin,  ce  bon  pasteur  voyait  ses  forces 
diminuer,  et  craignant  que,  avec  ses  forces 
physiques,  le  feu  divin  qui  l'avait  toujours 
animé  pendant  sa  longue  carrière  dans  le  sanc- 
tuaire, ne  vint  à  s'éteindre, il  songea  tout  d'abord 


•202      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

à  sa  retraite,  et  la  demanda  avec  instance  à  son 
Evêque.  Il  voulait  après  plus  de  cinquante 
années  d'exercice  et  de  travaux  dans  le  saint 
ministère,  se  recueillir  quelque  temps,  pour 
méditer  les  années  éternelles  dans  la  paix  et  le 
calme  delà  solitude. 

Ayant  obtenu  sa  démission  le  2  Février  1864, 
il  se  prépara  à  quitter  Joliette  et  à  venir  à 
l'Hospice  St.  Joseph,  pour  y  mourir  tranquille 
au  milieu  'des  vétérans  du  sanctuaire.  En 
demeurant  dans  sa  cure  où  tout  devait  humai- 
nement parlant,  le  retenir,  il  aurait  été  dans  la 
nécessité  de  voir  beaucoup  de  monde  et  de  rece- 
voir de  fréquentes  visites.  Or,  il  voulait  être 
seul  avec  Dieu  seul,  pour  se  mieux  préparer  à 
la  mort  afin  d'entrer  dans  son  éternité  avec 
une  humble  confirmée  dans  les  infinies  miséri- 
cordes de  Dieu. 

D'ailleurs,  il  voyait  avec  bonheur  que  son 
successeur  dans  la  cure  de  Joliette  remplissait 
parfaitement  ses  vues  par  les  succès  qu'obtenait 
son  zèle  ;  ce  qui  lui  faisait  croire  dans  son 
humilité,  qu'il  pourrait  réparer  toutes  les 
fautes  qu'il  y  avait  commises.  En  outre,  il 
voulait,  en  venant  finir  ses  jours  à  Montréal,  se 
rapprocher  de  son  Evêque  qui,  disait-il,  ne 
manquerait  pas,  en  l'assistant  à  la  mort,  d«  lui 


ANTOINE  MANSEAU.  203 

donner  une  bonne  passe,  pour  se  présenter  au 
souverain  juge  et  eu  être  bien  reçu. 

Il  entra  avec  de  si  beaux  sentiments  à  l'Hos- 
pice de  St.  Joseph,  le  1er  d'Octobre  1864,  et 
depuis  ce  momeut,  il  ne  cessa  de  se  préparer 
plus  prochainement  au  grand  passage  du  temps 
à  l'éternité. 

Il  se  familiarisa  tellement  avec  la  pensée  de 
la  mort,  qu'il  en  était  tout  préoccupé.  Cepen- 
dant cette  sérieuse  pensée,  loin  de  l'attrister, 
en  le  rendant  sombre  et  mélancolique,  sem- 
blait ajouter  un  nouvel  agrément  à  son  carac- 
tère naturellement  enjoué  et  aimable.  Aussi 
parlait-il  de  sa  mort  prochaine,  comme  on  parle 
d'un  jour  de  fête  et  s'entretenait-il  avec  ceux  qui 
le  visitaient,  comme  d'un  événement  qui  ne 
l'aurait  pas  regardé. 

Tous  ont  admiré  en  lui,  jusqu'à  ses  derniers 
moments,  ce  calme  profond  dans  lequel  son 
âme  était  si  solidement  établie.  Il  pouvait 
dono  dire  avec  St.  Jérôme  :  "  C'est  bien  à  tort, 
ô  mort,  que  l'on  te  représente  si  terrible  ;  car 
je  ne  te  considère  que  comme  une  bonne  sœur 
avec  laquelle  je  vais  entrer  dans  mon  éternité." 

Avec  un  homme  si  bien  disposé,  il  ne  fallait 
pas  user  de  beaucoup  de  ménagements,  pour 
l'avertir  qu'il  était  temps  de  recevoir  les  der- 
niers saorements.  A  la  nouvelle  que  lui  en  donna 


204      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

l'Evêque,  il  se  recueillit  quelques  instants, 
puis  fit  sa  confession  après  laquelle  il  reçut  le 
St.  Viatique  et  l'Extrêtne-Onction.  Avant  de 
recevoir  la  sainte  communion,  il  sembla  s'abi- 
mer  devant  son  Sauveur  qui  venait  à  lui  avec 
tant  de  bonté.  Il  lui  adressa  de  touchantes 
paroles  pour  lui  exprimer  sa  foi,  son  amour  et 
sa  reconnaissance.  Il  lui  demanda  pardon  de 
toutes  ses  fautes,  en  lui  représentant  qu'il 
s'appuyait  sur  la  puissante  protection  de  la 
Bienheureuse  Vierge  Marie  qu'il  avait  toujours 
aimée  et  dont  il  n'avait  jamais  cessé  de  répan- 
dre la  dévotion.  Il  témoigna  aux  assistants  qu'il 
regrettait  beaucoup  de  n'avoir  pas  toujours  été 
aussi  édifiant  quïl  aurait  dû  l'être.  Enfin,  il 
remercia  les  sœurs  qui,  pendant  sa  maladie, 
l'assistaient  avec  tant  de  charité. 

Il  vécut  encore  huit  jours,  après  avoir  reçu 
les  derniers  secours  de  l'Eglise,  conservant  sa 
parfaite  connaissance,  excepté  les  deux  der- 
nières journées  qui  furent  pour  lui  des  jours 
d'une  agonie  longue  mais  douce.  Enfin,  il 
expira,  ou  plutôt  il  s'endormit  paisiblement 
dans  le  Seigneur  le  7  Avril  1866,  à  9  heures 
et  dix  minutes  du  matin.  Il  était  âgé  de  79 
ans,  et  avait  passé  cinquante-deux  ans  au  ser- 
vice de  l'Eglise. 

Un  premier  service  lui  fut  chanté  par  Mon- 


ANTOINE  MANSEAU.  205 

seigieur  Bourgct  dans  l'Eglise  de  la  Providence 
le  dix  Avril,  ap*rès  lequel  son  corps  fut  trans- 
porté à  Joliette  et  inhumé  dans  l'Eglise  parois- 
siale, le  douze  du  môme  mois.  C'est  là  que 
sa  mémoire,  qui  est  celle  du  juste,  sera  éternelle. 
In  memoria  œterna  erit  justus  ;  ab  auditione 
mala  non  timebit. 

Pour  la  satisfaction  du  lecteur,  nous  donnons 
ici,dans  toute  son  étendue,  le  compte  rendu  des 
funérailles  solennelles  que  lui  firent  les  citoyens 
reconnaissants  de  la  ville  de  Joliette. 

Ce  morceau,  publié  dans  le  temps,  dans  les 
journaux,  et  dont  l'auteur  a  voulu  disparaître 
sous  le  voile  de  l'anonyme,  renferme  des  détails 
trop  touchants  pour  ne  pas  intéresser  vivement 
tous  ceux  qui  ont  connu  le  regretté  M. 
Manseau. 

11  Elle  pleure,  elle  verse  des  larmes  amères, 
cette  patrie  pleine  de  foi,  sur  un  membre  dis- 
tingué du  clergé,  sur  monsieur  le  Grand-Vi- 
caire Manseau,  Chanoine  honoraire,  ancien 
curé  de  Joliette,  et  retiré  depuis  deux  ans,  à 
l'hospice  de  St.  Joseph.  C'est  dans  cet  asile 
béni,  qu'assisté  de  Monseigneur  de  Montréal  et 
de  plusieurs  piètres,  il  a  rendu  sa  belle  âme  au 
Dieu  dont  il  s'était  efforcé  de  répandre  partout 
la  gloire. 

La  mort,  qui  le  frappa  le  sept  de  ce  mois,  à 


206      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

neuf  heures  et  dix  minutes  du  matin,  fat  loin 
dô  l'effrayer.  Les  témoins  de  ses  derniers  mo- 
ments pleins  de  calme,  furent  plongés  dans  la 
plus  grande  douleur  ;  de  profondes  angoisses 
accablèrent  les  Messieurs  Brassard. 

Cette  triste  nouvelle  affligea  aussi  profondé- 
ment bien  d'autres  coeurs.  Les  citoyens  de  Jo- 
liette,  avertis  que  leur  ancien  pasteur  est  aux 
prises  avec  la  mort,  se  lamentent,  se  désolent, 
leur  douleur  s'accroit  quand,  par  la  voie  télégra- 
phique, ils  apprennent  qu'il  n'est  plus  de  ce 
monde. 

Ils  manifestent  alors  un  vœu  bien  légitime, 
celui  de  posséder  au  milieu  d'eux  les  restes  mor- 
tels de  celui  qui,  pendant  vingt-deux  ans,  avait 
été  pour  eux,  un  bienfaiteur  et  un  père.  Mr. 
le  Curé  en  fait  part  à  Sa  Grandeur,  et  reçoit 
aussitôt  une  réponse  favorable  de  sa  bonté. 

Le  huit,  la  ville  de  Joliette  députe  à  Mont- 
réal, M.  C.  Beaudry,  directeur  du  Collège  ; 
M.  de  Lanaudière,  maire  de  la  ville,  et  M.  J. 
W.  Renaud,  Conseiller.  Beaucoup  de  person 
nés  désirent  les  accompagner  ;  mais  que  faire 
dans  une  pareille  saison  et  par  de  pareils  che- 
mins ! 

Le  neuf,  un  service  solennel  est  chanté  dans 
la  chapelle  de  la  Providence  ;  Monseigneur  lui 
même  célèbre  et  fait  l'oraison  funèbre;  les  mem- 


ANTOINE  MANSEAU,  207 

bres  du  clergé  présents  sont  au  nombre  de 
trente. 

Le  dix,  le  corps  du  vénérable  défunt  laisse 
Montréal  pour  être  transporté  à  Joliette. 
Quelles  difficultés  occasionnées  par  la  fonte  des 
neiges  n'ont  pas  à  surmonter  les  hommes  géné- 
reux chargés  d'apporter  ce  précieux  dépôt  ! 
A  peine  sont-ils  partis  deMontréal,que  le  corbil- 
lard se  brise  ;  à  Terrebonne,  où  ils  passent  la 
nuit,  ils  sont  obligés  de  louer  celui  de  St.  Fran- 
çois de  Sales.  Avant  d'arriver  à  St.  Roch, 
le  corbillard  verse,  et  le  choc  fait  briser  le 
cercueil.  A  St.  Roch  et  à  St.  Jacques,plusieurs 
citoyens  de  Joliette  attendent  les  restes  de  leur 
vénérable  pasteur,  leur  nombre  s'acercit  peu  à 
peu,  et  bientôt,  ils  forment  une  suite  nombreu- 
se et  imposante. 

A  force  de  persévérance,  d'énergie,  les  dif- 
ficultés sans  nombre  sont  vaincues  et  le  convoi 
atteint  Joliette  vers  les  six  heures  du  soir.  Un 
courrier  est  détaché  pour  informer  les  gens  de 
la  ville  de  l'arrivée  de  leur  père  chéri. 

Toutes  les  cloches  se  mettent  en  mouvement  ; 
la  voix  de  la  tristesse,  du  deuil,  de  la  mort  se 
fait  entendre  partout.  Le  cortège  funèbre 
s'avance  dans  les  rues  de  la  ville.  Oh  !  quelle 
scène  déchirante  se  présente  en  ce  moment  à 
tous  les  regards  ! 


208       MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

Plusieurs  riches  citoyens  et  surtout  un  grand 
nombre  de  pauvres  sont  là,  de  chaque  côté  du 
chemin  ;  quelques-uns  sont  à  genoux,  d'autres 
montrent  à  leurs  enfants  le  cercueil  :  tous  pleu- 
rent, tous  font  entendre  des  sanglots. 

C'est  ainsi,  qu'entouré  du  peuple  en  pleurs, 
le  cercueil  parcourt  les  rues  de  Lanaudière,  St. 
Charles,  Notre-Dame  et  va  déposer  dans  la 
grande  salle  de  l'Hôpital,  les  dépouilles  mor- 
telles de  M.  le  grand  Vicaire  Manseau. 

Aussitôt,  la  bière  est  ouverte,  et  l'on  voit 
avec  bonheur,  que  les  traits  du  regretté  défunt 
se  sont  bien  conservés,  et,  qu'à  la  grande  satis- 
faction de  tout  le  monde,  il  pourra  être  expo- 
sé jusqu'au  lendemain. 

Quel  n'est  pas  l'empressement  de  ces  bra- 
ves gens  à  venir  contempler  les  traits  vénérables 
de  leur  père  et  à  répandre  de  ferventes  prières 
pour  le  bonheur  de  son  âme,  ou  plutôt  à  l'in- 
voquer, tant  il  est  considéré  comme  un  saint. 
Dire  combien  d'objets  ont  touché  les  mains  de 
ce  saint  piètre,  est  chose  impossible.  Pendant 
toute  la  nuit,  il  reçut  mille  témoignages  d'affec- 
tion, d'estime  et  de  vénération. 

Le  lendemain,  les  cloches  annoncent  la 
solennité  funèbre.  Le  vénérable  curé  de  Ber- 
thier,  Messire  J.  F.  Gagnon,  fait  la  levée  du 
corps,  accompagné  des  élèves  du  collège  et  d'un 


ANTOINE  MANSEAU.  209 

grand  concours  de  prêtres  parmi  lesquels 
on  remarque  les  Révérends  :  Champagneur, 
supérieur  des  Clercs  de  St.  Viateur,  N.  Barret, 
supérieur  du  Collège  de  PAssomptioD,  E.  La- 
belle,  F.  Dorval,  M.  Charron,  C.  A.  Loranger, 
D.  Laporte,  J.  0.  Chicoine,  L.  Brassard, 
M.  Brassard,  J.  Barret,  L.  J.  Martel,  A. 
Dupuis,  H.  Coutu,  F.  X.  Laberge,  A.  Brien, 
P.  Beaudry,  A.  Gravel,  J.  St.  Aubain,  D. 
Maréchal,  E.  Laporte,  J.  Michaud,  L.  Lan- 
glais,  L.  Lévesque  et  nombre  d'autres  dont 
les  noms  échappent  à  mon  souvenir. 

La  procession  funèbre  commence  sa  marche 
solennelle.  Les  sociétés  de  "  Secours  mutuels  v 
et  de  "  Bienfaisance,"  le  chœur,  le  corps  porté 
par  quatre  cultivateurs  et  quatre  citoyens  de 
la  ville,  la  foule  silencieuse  et  recueillie  forment 
un  spectacle  imposant.  La  figure  de  ce  vieil- 
lard plein  de  mérites  qui,  à  Joliette  comme 
ailleurs,  a  passé  en  faisant  le  bien,  se  montre  à 
tous  les  regards.  Qu'il  est  touchant  de  le  voir 
parcourir  pour  la  dernière  fois,  les  rues  de  la 
ville  qu'il  a  vu  grandir  par  les  efforts  de  son  zèle  ! 

Le  cercueil  est  déposé  sur  le  catafalque  élevé 
au  pied  du  chœur. 

En  peu  de  temps,  l'Eglise  est  remplie  do  fi- 
dèles. Tout  l'intérieur  du  temple  est  pavoisé 
de  symboles  de  deuil,  d'emblèmes  de  la  mort 


210      MONSIEUR  LE  GiiAND  VICAIRE 

Un  dais  surmonté  d'une  couronne  est  suspendu 
au-dessus  du  maître-autel,  une  autre  au-dessus 
du  tombeau.  La  messe  commence;  elle  est 
célébrée  par  M.  le  Grand-Vicaire  A.  Truteau 
assisté  de  31  M.  J.  L.  Huot  et  C.  Beaudry  fai- 
sant les  fonctions  de  diacre  et  de  sous-diacre. 

La  religion  dans  la  personne  de  quelque  >  ci- 
toyens et  des  élèves  du  Collège  fait  alors  en- 
tendre ses  plus  tristes  comme  ses  plus  solennels 
accents. 

Sa  voix  pleine  de  majesté,  de  puissance, 
de  douceur  et  d'espérance  excite,  remue  tous 
les  cœurs.  Les  terreurs  du  jugement  dernier 
les  espérances  du  ciel  exprimées  dans  les  paro- 
les sacrées  assiègent  tour  à  tour  les  esprits  des 
assistants. 

Tout  à  coup  le  silence  sa  fait  dans  l'église. 
Un  prêtre  paraît  dans  la  chaire.  Un  manteau 
romain  couvre  ses  épaules,  sur  sa  figure  se  lit 
une  profonde  tristesse  ;  c'est  M.  P.  Lajoie,  suc 
cesseur  de  M .  A.  Manseau  à  la  cure  de  Joliette. 

Après  la  lecture  d'une  lettre  de  Monseigneur 
de  Montréal,  dans  laquelle  Sa  Grandeur  per- 
met, quoiqu'à  regret,  aux  bons  paroissiens  de 
Joliette  de  garder  au  milieu  d'eux  leur  digne 
pasteur,  l'orateur  commence  l'oraison  funè- 
bre. 
Il  montre  M.  A.  Manseau,  tantôt  enfant  au  sein 


ANTOINE  MANSEAU.  SU 

de  sa  famille,  tantôt  au  collège,  tantôt  secré- 
taire de  l'Evêque  de  Québec,  tantôt  mission- 
naire chez  les  Acadiens.  Puis,  arrivant  aux 
dernières  années  de  cette  carrière  si  dignement 
remplie,  il  le  dépeint  curé  aux  Cèdres,  à  Lon- 
gueil,  à  Contrecœur,  et  enfin  à  l'Industrie. 

Jl  fait  assister  l'auditoire  à  toutes  les  scènes 
de  cette  vie  pleine  de  dévouement,  de  sacrifice, 
de  cette  vie  sanclifiée  par  toutes  les  vertus  sa- 
cerdotales. 

On  voit  briller  tour  à  tour,  uu  grand  amour 
de  l'Eglise,  surtout  une  charité  et  une  humi- 
lité sans  bornes.  L'orateur  est  en  famille;  il 
parle  à  ses  enfants  bien-aimés  ;  sa  parole  va 
droit  aux  cœurs  ;  les  pleurs  coulent  de  tous  les 
yeux.  Il  leur  dit  de  bien  cousidérer  cette  tête 
vénérable  qui,  sans  la  profonde  humilité  du 
regretté  défunt,  serait  ceinte  de  la  mître.  Il 
ne  leur  reste  plus  que  quelques  moments  et  la 
tombe  va  se  refermer  sur  l'objet  de  leur  amour. 
Avant  de  terminer,  il  exprime  une  pensée  qui  le 
frappe.  Ce  vieillard  aimé  dont  ils  considèrent 
avec  vénération  les  traits  augustes,  se  lèvera 
de  sa  poussière  au  jour  du  jugement  et  dira  à 
Jésus-Christ  qu'il  a  déployé  tout  le  zèle  possible 
pour  le  salut  de  leurs  âmes.  Conseils,  exhorta 
tions,  larmes,  prières,  supplications,  rien  n'a 
été  épargné  :   Qu'auront-ils  à  répondre  ? 


212      MONSIEUR  LE  GRAND  VICAIRE 

Cette  pensée  est  restée  dans  les  esprits  com- 
me un  trait  de  flamme.  Les  larmes  augmen- 
tent, les  sanglots  redoublent. 

Que  de  ferventes  prières  s'élèvent  des  cœurs  ! 
que  de  gémissements  et  de  soupirs  s'échappent 
des  poitrines  oppressées  !  Après  l'absoute,  M. 
le  curé  annonce  à  l'assemblée  que  pour  sa  satis- 
faction, M.  le  Grand- Vicaire  Manseau  restera 
exposé  jusqu'à  quatre  heures  de  l'après-midi. 
Les  généreux  citoyens  ne  peuvent  se  rassasier 
de  voir  leur  père  tendrement  aimé. 

Enfin  à  quatre  heures,  les  Vêpres  des  morts 
sont  chantées  solennellement.  Le  Libéra  a  lieu 
encore  une  fois,  et  Monsieur  le  curé  Lajoie 
adresse  de  nouveau  la  parole  aux  assistants. 
Il  leur  parle  de  la  dévotion  à  St.  Joseph,  du 
regretté  défunt.  Puissent  tous  imiter  ses  ver- 
tus !  La  main  sur  le  cercueil  il  dit  adieu  à  son 
vénérable  prédécesseur  et  lui  demande  les  se- 
cours de  ses  lumières  pour  conduire  au  port  du 
salut,  les  fidèles  confiés  à  ses  soins. 

A  cette  pensée  qu'ils  ne  reverront  plus  leur 
ancien  pasteur,  les  assistants  fondent  en  pleurs. 
Mais  il  faut  se  résigner  ;  la  tombe  se  ferme,  on 
la  descend  au  caveau,  et,  c'en  est  fini,  c'en  est 
fini  pour  toujours  ici-bas  !  Ah  !  ville  inconso- 
lable !  pleure,  pleure,  car  tu  ne  le  reverras  plus 
celui  qui  t'a  prise  au  berceau  et   t'a  rendue  si 


ANTOINE  MANSEAU.  213 

florissante  ;  celui  qui  t'a  réchauffé  tant  de  fois 
sur  son  cœur  brûlant  de  l'amour  de  Dieu  l 
pleure,  car  tu  ne  le  reverras  plus  celui  qui  t'a 
conservé  une  belle  communauté  de  religieux, 
qui  t'a  doté  d'une  belle  et  florissante  maison 
d'éducation  pour  les  jeunes  personnes  !  pleure, 
car  tu  ne  le  reverras  plus  celui  qui  pendant  vingt- 
deux  ans  a  été  le  père  des  pauvres,  le  soutien 
de  la  veuve,  le  bâton  de  l'infirme,  l'œil  de  l'a- 
veugle, la  douceur  du  malade,  la  consolation 
de  l'affligé,  la  joie  et  le  bonheur  de  tous  ! 

Mais,  à  ces  sentiments  de  douleur,  se  mê- 
lent aussi  des  sentiments  de  joie  ;  car  si  son 
corps  déposé  dans  le  sein  de  la  terre  doit  se  dis- 
soudre en  poussière,  son  âme  embellie  de  l'au- 
réole de  la  sainteté,  sera  là-haut,  au  séjour  des 
bienheureux. 

Dans  son  amour,  elle  veillera  sur  toi,  te  pro- 
tégera comme  une  mère  protège  son  enfant,  et 
appellera  sur  tes  habitants  la  bénédiction  du 
Ciel. 

Pour  vous,  citoyens  de  Joliette,  vous  garderez 
toujours  dans  vos  cœurs  le  souvenir  de  votre  an- 
cien pasteur  ;  ce  souvenir  si  précieux  vous  le 
transmettrez  à  la  postérité. 

Vous  direz  qu'un  saint  a  été  le  second  fon- 
dateur de  Joliette  ;  que  sous  sa  main  charitable, 
elle  a  fait  de  grands  pas  dans  la  voie  du  progrès 


214      MONSIEUR  LE  GRAND  VICA[Rtë 

spirituel,  comme  sous  la  main  de  l'Honorable 
Barthélemi  Joliette,  dans  la  voie  du  progrès 
matériel. 

Voilà  ce  qu'ont  fait  pour  M.  Manseau  ses 
anciens  et  chers  paroissiens. 

Ils  ont  montré  que  dans  leurs  cœurs  sont 
vivaces  les  sentiments  du  devoir, les  sentiments 
de  l'honneur,  les  sentiments  de  la  reconnais- 
sance. 

Au  nom  donc  de  la  religion,  au  nom  de  la 
patrie,  remercions-les  de  leur  dévouement. 
Leur  conduite  est  digne  d'être  publiée  partout, 
et  d'être  signalée  comme  un  modèle  d'attache- 
ment à  leur  vénérable  pasteur." 

Achevons  de  faire  le  portrait  de  ce  digne 
prêtre,  qui  fut  en  même'  temps  un  citoyen  si 
distingué  !  Tout  annonçait  chez  lui  l'homme 
de  génie  et  destiné  à  de  grandes  choses. 

Sa  taille  était  avantageuse,  ses  traits  nobles, 
son  front  majestueux,  sa  voix  harmonieuse,  sa 
démarche  grave  et  bien  dégagée.  Ses  manières 
étaient  engageantes  ;  sa  conversation  pleine  de 
charmes,  ses  reparties  vives  et  piquantes.Aussi, 
tous,  prêtres  et  laïques,  riches  et  pauvres,  vieux 
et  jeunes  aimaient-ils  à  se  trouver  en  rapport 
avec  cet  aimable  vieillard. 

Sa  charité  pour  les  pauvres  était  sans 
bornes.     Aussi  n'avait-il  rien  à  lui,  et  donnait- 


ANTOINE  M  ANSE  A  t-,  $15 

il  atix  nécessiteux  jusqu'au  dernier  sou.  Après 
52  ans  passés  dans  l'exercice  du  saint  ministère, 
il  laissa   à   peine  de  quoi   satisfaire  pour  sa 
pension   et  pour  ses  frais  funéraires.     Tout  le 
reste  se  trouva   déjà   déposé  d'avance  dans  le 
céleste  trésor  et  caché  dans  le  sein  des  pauvres. 
On  a  pu  remarquer  dans  cette  courte  biogra- 
phie quel  fut  son  amour  pour  l'Eglise,  pendant 
tout  le  temps  de  sa  longue  carrière  ;  avec  quel 
zèle,   il  s'acquitta   de  son   ministère,  dans  les 
pénibles   misssions  qu'il  eût  à  desservir  ;  quel 
était  sa  défiance  de  lui-même,  et  son  extrême 
modestie  chaque  fois  qu'il  s'est  agi  de  le  placer 
sur  un  plus  grand   théâtre  ;  combien  il   était 
habile  pour  manier  les  esprits  ;  de  quelle  estime 
il  fut  toujours  honoré   de  la  part  de   ses  supé- 
rieurs ;  quelle  affection  lui  portèrent  les  fidèles 
quil  eut  à   conduire   dans  les  voies  du  salut. 
Paitout   enfin,    on    a  vu  le   bon  pasteur  qui 
aime  ses  brebis  et  qui  se  sacrifie  pour  son  trou- 
peau.    En   récompense,   il    sera,   espérons-le, 
entré  dans  la  joie   du  Seigneur,  et  il  aura  été 
mis  en  possession  de  la  terre  des  vivants. 

FIN. 


TABLE  DES  MATIERES. 

Page 

Dédicace ..* 7 

Lettre  de  Sa  Grandeur,  Mgr.  de  Montréal,  en 

réponse  à  la  Dédicace 9 

Au  Lecteur 16 

L'honorable  Barlhélpmi  Juliette 11 

1  — Naissance  de  B.  Joli^tte 21 

IL— Ancêtres  de  B.  JoliKte 22 

III—  La  famille  Jolielte  à  l'Assomption  3C 

[V. — Première  Education  de  B.  .loliette  30 

V—  B  Joliette,  Etudiant  an  droit 31 

VI.— B.  Jolielte,  admis  à  la  pratique  du 

Notariat 33 

VIL— B    Joliette,   Major  de  Milice  — 

Campagnes  de  '812  et  de  1813  38 

VIII.— Mariage  rieB.  Juliette 41 

IX.— M.  Juliette,  Député  du  Comté  de 

Leinsler 44 

X. — Découvertes  du  site  qu'occupe 

aujourd'hui  la  ville  de  Jolielte  46 

XL— Moyens  de  M.  Jolielte 52 

XII.— Premier  travail  dans  la  forêt 53 

XI  IL— Construction  du  moulin 56 

XIV. — Voyage  deM.  Jolielte  aux  Etats- 
Unis 58 

XV.— Nouvelle?     manufactures.— Clo- 
che du  moulin 59 

XVI.— Premières  habitations  du  Village 

d'Industrie 60 

XVIL—Ponl  des  Dalles 62 

X  VU  I— Chantiers 63 

XIX.— Dans  la  Forêt 65 

XX. — Amusement  au  Chantier 09 

XXL— Descente  des  billots 70 

XXIL— Manoir  seigneurial 73 

XXIII. — Construction  de  nouveaux  mou- 
lins en  1835  et  en  1836 75 

XXIV.— Canal  pour  la  descente  du  menu 

boisen  1837 7:» 

XXV.— Perte  de  vingt  mille  billots 77 


218  TABLE  DES  MATIERES. 

XXVI. — Construction  d'un   marché    en 

1837 78 

XXVIÎ.— Troubles  de  1837  et  de  1838 79 

XXVIII.— M.  Joliette,  Juge  et  père  de  la 

population  de  son  village 83 

XXIX.— Madame  Juliette 86 

XXX.— Etablissements    Religieux 88 

XXXI. — Don  de  trois  Cloches  à  l'Eglise, 

par  la  famille  de  Lanaudière.     99 
XXXII. — Témoignage  d'honneur  et  d'esti- 
me rennu  à  l'Hon.  B.  Juliette, 

par  la  Cour  de  Rome 102 

XXXIII. — Idées  de  l'Honorable  Juliette  sur 

l'Education 105 

XXXIV.— Fondation  du  Collège  Jolielte  en 

1845 108 

XXXV. — Arrivée    des    Religieux    de  St. 

Vialeur 113 

XXXVI—  Etablissement  d'une  Distillerie.  117 
XXXVII.— Chemin  de  Fer. 

XXXVIII.— Vue  de  Juliette 126 

XXXIX— Donation  de  l'Eglise,  du  Collège, 
du  Noviciat  et  des  terrains  avoi- 

sinanls 131 

XL.— Maladie  de  M.  Joiietle 139 

XLI. — Il  reçoit  les  derniers  Sacrements.  142 

Ses  dernières  conversations 144 

XLII. — Portrait  physique  de  M.  Joliette..  145 

Vertus  Morales 146 

XLIIL— Vertus  Sociales 148 

XLIV. — Titres    d'honneur    accordés    à 

l'Hon.  B.  Joliette 149 

XLV—  Deuil  de  sa  mort 151 

XLVI.— Funérailles 155 

XLVII. — Souvenir  reconnaissant    envers 

l'Hon.  Jolielte 156 

XL VIII. — Une  dernière  pensée 163 

Généalogie  des  familles  Joliette  et  de  Lanau- 
dière    169 

M.  le  Grand  Vicaire  A.  Manseau 177 


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