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BIOGRAPHIES
DE
L'HON. BARTHÉLEMI TOLIETTE
ET DE
M. LE GRAND VICAIRE A. MANSEAU.
Enregistré, conformément à l'Acte du Parlement
du Canada, en Tannée mil huit cent soixante-
quatorze, par Eusèbe Sexécal, au bureau du
Ministre de l'Agriculture.
BIOGRAPHIES
cs/>
L'HONORABLE
M. LE GRAND VICAIRE
A. MANSEAU
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LIBRARIES >
MONTRÉAL
EUSÈBE SÉNÉGAL, IMPRIMEUR-ÉDITEUR?
RUE ST. VINCENT, Xos 6, 8 ET 10
1874
7^
DEDICACE.
A Sa Grandeur,
MONSEIGNEUR IGNACE BOURGET,
Évêque de Montréal.
M OX SEIGNEUR,
Je viens déposer aux pieds de Votre Grandeur
un doux et, pour mon cœur, trop léger tribut de
ma filiale affection : la biographie de l'Honorable
Barthéiemi Joliette.
L'hommage de cet opuscule destiné à rappeler
le souvenir de l'une de nos plus pures gloires reli-
gieuses et nationales, vous appartient, Monsei-
gneur, à plus d'un titre.
Plus qu'aucun autre, vous avez intimement
connu l'homme éminent, l'objet de ces lignes.
Honoré de votre amitié, c'est aidé de vos sages
conseils, soutenu par vos puissants encourage-
ments, que le fondateur de Joliette a opéré de si
grandes choses pour l'honneur de la Religion, la
prospérité et le bonheur de ses concitoyens.
En daignant donc bénir ce petit travail, veuillez
l'agréer Monseigneur, comme l'humble et sincère
offrande d'un cœur rempli de l'admiration de vos
vertus, et qui ne cessera d'unir sa voix à celle du
clergé et des fidèles confiés à vos soins, pour de-
mander au Ciel la prolongation de vos jours et le
triomphe des bons principes dont vous êtes, depuis
un demi-siècle, le si courageux défenseur.
Je demeure avec le plus profond respect,
De Votre Grandeur,
Le très-humble et très-obéissant
Serviteur et fils,
JOS.' BONIN, Ptr*.
Lettre de Sa Grandeur,
MGR. L'ÉVÊQUE DE MONTRÉAL,
Ex B&POX8B a la Pbécédextî: Dédicace.
MONSIEUR,
Vous me faites L'hommage de votre Biographie
de V Honorable Barlhélemi Joïietle, avec nueaffec-,
lion toute filiale. J'y suis très-sensible. J'en ac-
cepte donc de grand cœur la dédicace ; pareeque
je vois que cet opuscule est destiné à faire vivre,
jusqu'à la dernière génération, un homme dont la
vie, quoiqu'assez longue, a été beaucoup trop
courte, pour lui permettre d'opérer les grandes
et belles œuvres qu'il avait en vue, pour l'honneur
de la religion et la prospérité de la patrie.
Pour ma part, j'ai beaucoup admiré et aimé ce
grand homme, pareeque j'ai pu me convaincre, par
les rapports fréquents et intimes que j'ai eus avec
lui, qu'il comptait surtout sur l'appui de la reli-
gion, pour le succès de ses entreprises, que l'on
peut et doit assurément regarder comme des
gloires religieuses et nationales.
Aussi, tous, prêtres et laïques, aimeront-ils à se
procurer cet opuscule et à le lire et relire, pour que
le souvenir de ce grand citoyen se perpétue d'âge
en âge ; et que nos petits neveux bénissent le nom
du fondateur de Joliclle, en apprenant qu'il a opéré
10 RÉPONSE DE SA GRANDEUR.
de si grandes choses, pour le soutien de la religion,
la prospérité et le bonheur de ses concitoyens.
Comme beaucoup d'autres jeunes canadiens,
vous lui devez votre éducation ; car c'est dans le
collège qu'il a bâti et doté, dans l'ancienne forêt,
qu'a remplacé le beau Village d'Industrie, qui s'est
développé en si peu d'années et est devenu une de
nos plus jolies petites villes, que vous avez fait
votre cours d'études.
Cette circonstance nous fait comprendre pour-
quoi vous avez consacré vos petits moments de
loisir à recueillir et à consigner, dans votre opus-
cule, les traits les plus saillants de la vie de ce
généreux fondateur et bienfaiteur du beau Collège
Juliette. Vous avez voulu payer ainsi à cet ami de
l'éducation un juste tribut d'amour et de recon-
naissance.
En cela, vous avez donné une preuve non équi-
voque que vous saviez reconnaître, pour vous-
même et au nom de tous les élèves de cette maison,
les précieux avantages que vous avez retirés de
l'éducation soignée qui s'y donne.
Je vous loue et vous bénis pour cette bonne
action qui, vous devez l'espéner, ne restera pas
sans récompense.
Dans ce ferme espoir, je demeure bien sincère-
ment,
Monsieur,
Votre très-humble et tout dévoué serviteur,
+ la. Ev. de Montréal.
AU LECTEUR.
Nous offrons aujourd'hui au public,
la biographie de l'honorable Barthé-
leini Joliette, fondateur du village
d'Industrie, actuellement la ville de
Joliette.
La gloire impérissable attachée
au nom et • aux travaux de cet
homme extraordinaire, ne saurait
dispenser ses concitoyens d'apporter
à sa mémoire, le tribut de leurs
sentiments de reconnaissance.
Joliette surtout, qu'il a entourée
de toutes parts, qu'il a environnée
comme d'un réseau de bienfaits, ne
doit pas être la dernière à mêler sa
voix dans ce concert de louanges et
12 AU LECTEUR.
de gratitude qui, de toutes les parties
du pays, s'élève en l'honneur de
l'un de ses insignes bienfaiteurs.
Pour nous, élève du Collège de
M. Joliette, nous avons pensé nous
acquitter d'un pieux devoir, en re-
cueillant les détails d'une vie si
dignement remplie.
Malgré les minutieuses recher-
ches que nous nous sommes im-
posées pour arriver à la vérité,
malgré les modifications que nous
avons fait subir à notre travail, il
nous arrivera peut-être de donner
dans quelques légères erreurs. Nous
en demandons d'avance pardon à
ceux qui daigneront nous lire.
Ces lecteurs bienveillants vou-
dront bien aussi se souvenir, en par-
courant ces pages, qu'il nous a fallu
les écrire le plus souvent à la hâte,
et cela, à travers mille interruptions
AU LECTEUR. 13
qui devront quelquefois, laisser du
décousu dans notre essai.
Les traditions orales étant les
seules sources auxquelles on peut
encore recourir avec la certitude d'y
trouver d'exacts renseignements, il
est hors de doute, que si on eût
remis à une époque plus reculée le
soin de consigner les événements
dont les détails vont suivre, les
difficultés d'un pareil travail au-
raient été beaucoup plus grandes, et
des erreurs plus nombreuses s'y
seraient immanquablement glissées.
Ce dernier motif devra servir
d'excuse à notre témérité d'avoir
ravi une tâche si délicate à une
plume plus exercée et plus habile
que la nôtre.
Il nous reste un devoir à remplir ;
nous nous empressons d'autant plus
de nous en acquitter, qu'il est pour
nous un besoin du cœur et l'occasion
14 AU LECTEUK.
de plus d'un agréable souvenir : ce
devoir, c'est d'offrir nos sincères
remerciements aux personnes bien-
veillantes qui nous ont fourni de
précieux renseignements sur la vie
de l'honorable Joliette.
A ce titre, Mgr. de Montréal, les
RR, F. Doryal, P. D. Lajoie, E.
Champagneur, MM. de Lanaudière,
G. Baby, M.C.C., Chs. Panneton, J.
0. Leblanc, P. C. Léodel, Ecrs., ont
droit à toute notre reconnaissance,
comme à celle du public en général,
et surtout de celui de Joliette.
Puisse le consolant témoignage
d'avoir fait mieux connaître l'une
de nos illustrations canadiennes, les
récompenser de la lumière qu'ils
ont jetée sur cette page de notre
histoire !
A la biographie de l'honorable
Joliette, nous joignons celle du re-
gretté Grand Vicaire Manseau.
M LKCTEUR. 15
Unis pendant plus de vingt ans,
pour la prospérité matérielle, intel-
lectuelle et morale d'une ville fondée
par leur énergie et leur patriotisme,
ces deux hommes bienfaisants ne
doivent pas être séparés après leur
mort.
Le burin de l'histoire doit tracer
en caractères ineffaçables sur la
même page, ces deux noms bénis,
comme la reconnaissance les fera
vivre éternellement dans le cœur
de tous les habitants de Joliette.
Pénétré de cette pensée, nous
avions déjà formé le dessein d'es-
quisser rapidement la carrière de
M.Antoine Manseau pour enjoindre
le récit à celui de la vie de l'hono-
rable Joliette, lorsque, par un bon-
heur inespéré, nous avons vu nos
espérances dépassées.
16 AU LECTEUR.
Apprenant que la biographie de
ce saint prêtre avait été préparée, il
y a déjà plusieurs années, par le
vénérable Evêque de Montréal, nous
avons fait de vives instances pour
nous la procurer; et aujourd'hui,
nonobstant les réclamations dictées
par la modestie, nous prenons sur
nous de la publier pour la satisfac-
tion du public.
Maintenant, que le lecteur n'aille
pas se scandaliser de notre préten-
tion de placer nos humbles essais à
côté des écrits si solides, si dignes,
si pleins de mérite de Sa Grandeur,
Mgr. l' Evêque de Montréal. Au
sein du même parterre, la rose bril-
lante, gloire du printemps, et la
violette à la modeste parure ne
s'épanouissent-elles pas sous les
rayons du même soleil ? N'enten-
dons-nous pas dire tous les jours
qu'il faut des ombres à tout tableau ?
AU LECTEUR. 17
Eh bien ! nos écrits seront ces
ombres qui feront ressortir d'avan-
tager la beauté du tableau qu'a
tracé Monseigneur. C'est le seul
honneur auquel ils aspirent.
L'HONORABLE
BARTHELEMI JOLIETTE.
Sortir heureux et triomphant de tous les obs-
tacles que présentent au jeune homme orphelin,
pauvre et sans appui, les premiers pas de la vie ;
parvenir, à l'aide de quelques leçons élémen-
taires, à l'honneur d'une profession libérale ; se
concilier pendant quinze ans, la sympathie, l'es-
time et la reconnaissance d'un vaste district ;
puis, après ce laps de temps, braver hardiment
toutes les prédictions sinistres, s'en venir, sous
l'inspiration d'une pensée créatrice, planter sa
tente dans l'épaisseur de la forêt qui va dispa-
raître bientôt pour faire place à un riant village ;
couvrir de moulins, de manufactures, etc., le
nouvel établissement qui, comme par enchante-
ment, a surgi sur les rives pittoresques de la
rivière de l'Assomption ; emprisonner les eaux
dans leurs lits ou se servir de leurs chûtes et
de leurs courants pour transporter sur une dis-
tance de 60 à 80 lieues, le bois des Vallées et
des Montagnes du Nord ; ouvrir des routes à
. 20 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
travers la forêt et les marécages ; relier ce centre
commercial à la navigation du St. Laurent, par
le moyen d'un chemin de fer ; favoriser puis-
samment l'éducation, par - la fondation d'ua
collège; enfin, couronner toutes ces œuvres par
la construction d'un temple splendide : solennel
et vivant témoignage de foi et d'attachement à
l'église ; voilà certes, de quoi illustrer plus
d'une vie; et pourtant, tel est le fruit du génie,
du dévouement et du patriotisme d'un seul
homme, de l'Honorable Barthélemi Joiiette.
C'est le récit aussi fidèle que possible des
principales phases de cette belle vie, que nous
offrons au public de Joiiette. Ce n'est pas
que les citoyens de cette localité ignorent leur
bienfaiteur ou les grandes choses qu'il a accom-
plies, non : mais, chacun a pu l'éprouver, il y
a toujours un charme nouveau à entendre ré-
sonner à nos oreilles le nom et les louanges de
ceux qui nous sont chers, et l'on pardonne alors
volontiers au narrateur ses défauts de langage,
pour ne savourer que le plaisir qu'apporte déli-
cieusement au cœur, les agréables souvenirs
qu'il rappelle. " L'amour, dit Lacordaire, n'a
qu'un mot, en le disant toujours il ne le répète
jamais." Parlant de M. Joiiette, à une popula-
tion objet de sa munificence et de ses bienfaits,
nous laisserons couler doucement notre plume,
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 21
racontant simplement les faits, sans nous in-
quiéter beaucoup ni des ornements du style, ni
de l'harmonie des périodes. Le sujet que nous
traitons devra assez intéresser nar lui-même
sans qu'il soit besoin de recourir à la magnifi-
cence des images pour fixer l'attention du
lecteur.
I.
Naissance de B. Joliette.
Barthélemi Joliette vit le jour à St. Thomas
de Montmagny, le neuf Septembre dix-sept
cent-quatre-vingt-neuf, époque mémorable de
la révolution française qui a eu un retentis-
sement dans le monde entier.
• A l'encontre de cette phalange de révolu-
tionnaires, hommes sans principes, sans honneur
et sans foi, mais enivrés du vin de toutes les
mauvaises passions, et qui, comme une nuée de
vautours, s'abattirent sur la France pour la
dévorer, comme ils se dévorèrent eux-mêmes
plus tard ; Barthélemi Joliette, né à cette
époque de troubles et de bouleversements so-
ciaux, devait à lui seul, devenir l'homme d'une
autre révolution : révolution pacifique et régé-
nératrice, qui, au lieu de changer la patrie en
désert, transforma la foret et le désert en une
22 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
ville florissante; qui, au lieu de décimer les ci-
toyens par le fer et le feu, les fit prospérer sous
la triple influence de la foi, du commerce et
de l'industrie ; qui, au lieu de renverser les
autels de Jésus-Christ, en éleva de nouveaux
sur ce sol canadien fécondé par le sang de nos
premiers missionnaires.
TT.
Ancêtres de B. Joliette.
La famille Joliette est originaire de l'an-
cienne province de Brie, dans cette partie du
département de la Seine, connue aujourd'hui
sous le nom d'arrondissement d'Epernay.
Ce fut sous le gouvernement de M. de Mont-
magny, qu'au nombre de ces émigrants que la
mère-patrie versait chaque année, d'une main
avare, sur les rives lointaines du Canada,
arrivait au pays, Jean Jolliet, qui, le neuf
Octobre seize- cent -trente-neuf, épousait à
Québec, Marie d'Abrancourt, de St. Varx,
près de Soissons.
Le nouveau colon n'était ni de noble extrac-
tion, ni favorisé des biens de la fortune ; il
était tout simplement le charron de la Compa-
L'HONORABLE B. JULIETTE. 23
gnie des Cent Associés ; mais, comme tous nos
pères, les anciens canadiens, il avait de la foi,
de l'intelligence et du cœur.
Dans ces temps de luttes continuelles, où,
disséminés de Montréal à Tadoussac, deux
cents européens devaient défendre le pays con-
tre des tribus sauvages qui, par milliers, sem-
blaient sortir de terre pour ravager les proprié-
tés et massacrer les habitants de la colonie ; à
cette époque de glorieuse mémoire, où, bien
des fois, le colon dut arroser du sang de l'enne-
mi le sillon qu'il traçait, c'était là, les plus
beaux titres de noblesse et le plus précieux
apanage qu'on pût posséder.
Le 23 Avril 1651, Jean Jolliet mourait à
Québec, âgé de 55 ans, laissant aux soins de
sa femme, quatre enfants : trois garçons et une
fille. Voici leurs noms : Adrien, Louis, Za-
charie, Marie.
Ce fut l'un de ces enfants, le jeune Louis,
dont les RE. PP. Jésuites découvrirent la
haute intelligence, qui fut instruit par leur
zèle et leur sollicitude, et que nous retrouvons
plus tard, avec la soutane et le titre de clerc
minoré, au collège de Québec.
Cependant, cette vie toute spirituelle n'al-
lant pas à son caractère et à l'activité dévo-
rante de son esprit, il se tourna vers un autre
24 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
avenir, et, laissant là l'étude de la théologie, on
le vit faire ses adieux au pays, pour s'en aller
à travers les immenses solitudes, faire la traite
des pelleteries au sein des tribus indiennes.
Dans cette vie de courses et d'aventures, il
se rendit familiers les idiomes des nombreuses
tribus nomades qu'il visita. C'est ainsi que,
sans s'en douter, il se préparait à l'avance, les
ressources nécessaires pour la grande entreprise
qui couronna son existence, en attachant à son
nom un impérissable souvenir.
L'histoire nous a dit comment, en compa-
gnie du père Marquette, et au prix de quels
dangers, Jolliet, après une excursion de deux
mois dans les pays de l'Ouest, découvrît le
fleuve Mississipi.
Ce fut en récompense de sa découverte et en
considération de ses connaissances géographi-
ques, qu'il fut nommé hydrographe du roi et
qu'il reçut, à titre de fief, avec pouvoir de haute,
basse et moyenne justice, la seigneurie de l'île
d'Anticosti.
Plus tard, en l'année 1697, le roi joignit à
ses domaines, la seigneurie de Joliette possédée
aujourd'hui par quelques-uns de ses descendants.
Voici les détails que nous fournissent à ce
sujet, les note précieuses du savant abbé Fer-
land:
LHONORABLE B. JULIETTE. 25
" Québec a le droit de revendiquer Louis
Jolliet comme un de ses enfants. Après avoir
fini son cours d'études chez les Jésuites, il em-
brassa l'état ecclésiastique. Le 16 Août 1662,
n'ayant pas encore 17 ans accomplis, il reçut la
tonsure et les ordres mineurs dans la chapelle
de la Congrégation, au Collège des Jésuites.
Son père, Jean Jolliet, était mort en 1650 : et
en 1651, sa mère avait épousé en seconde noce,
Geoffroid Guillot de Beauport. Il avait reçu
les ordres mineurs depuis plusieurs années, lors-
qu'il termina sa philosophie en 1666.
" Joliet avait encore l'habit ecclésiastique en
1667 et demeurait au Séminaire de Québec.
Ayant tourné ses vues d'un autre côté, il fut
en 1673 chargé parle comte de Frontenac,
d'aller à la découverte de la grande rivière que
l'on prétendait se décharger dans le Golfe de
Californie, et le père Marquette fut invité à
accompagner le jeune explorateur. Ce sont les
expressions du Révérend Père qui continue à
parler dans les termes suivants de sou compa-
gnon de voyage.
" Ils ne se trompèrent pas dans le choix
qu'ils firent du sieur Jolliet, car c'était un jeune
homme natif de ce pays, qui a pour un tel des-
sein tous les avantages qu'on peut souhaiter ;
il a l'expérience, la connaissance des langues
26 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
du pays des Outaouacs, où il a passé plusieurs
années ; il a la conduite et la sagesse, qui sont
les principales parties pour faire réussir un
voyage également dangereux et difficile.
"Enfin, il a le courage pour ne rien appréhen-
der, où tout est à craindre. Aussi, a-t-il rempli
l'attente qu'on avait de lui, et si, après avoir
passé mille dangers, il ne fût venu malheureu-
sement faire naufrage au port, son canot ayant
tourné au-dessous du Sault-St-Louis, proche
de Montréal, où il a perdu et ses hommes et
ses papiers, et d'où iî n'a échappé que par une
espèce de miracle, il ne laissait rien à désirer
au succès de son voyage."
L'on voit par là que Jolliet avait déjà fait de
longs voyages ; il s'était occupé de la traite des
pelleteries, mais en tout temps, il avait conservé
l'amitié de ses anciens maîtres d'études.
Deux ans après la découverte du Mississipi
le 7 Octobre 1675, Louis Jolliet épousa Claire
Françoise Bissot, née à Québec et fille de Fran-
çois Bissot, Seigneur de Vincennes, de Nor-
mandie, et de Marie Couillard, de Québec,
En 1680, il reçut en récompense de ses ser-
vices, la seigneurie de l'île d'Anticosti qui
était une des plus considérables du pays à
cause de la traite des pelleteries qui s'y faisait
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 27
sur une grande échelle, et à cause de sa position
avantageuse à l'entrée du fleuve.
Louis Jolliet commença alors à signer: u Louis
Joliiet d'Anticosti." Il fut aussi nommé hy-
drographe du roi, et en 1697, il obtint la sei-
gneurie de Jolliet.
Le recensement de 1681 donne les détails
suivants sur sa famille demeurant à l'île d'An-
ticosti. " Louis Jolliet, 42 ans, Claire Bissot,
sa femme, 23 ans. Leurs enfants : Louis, âgé
de cinq ans; Jean, 3 ans; Anne, 2 ans; Claire,
un an ; six serviteurs ; 6 fusils ; deux bêtes à
cornes, 2 arpents de défriché.
Nous ne connaissons pas la date précise de la
mort de Louis Jolliet qui est arrivée entre
Mai et Octobre de Tannée 1 700.
Louis Jolliet laissa plusieurs enfants dont les
descendants sont nombreux dans le district de
Québec et dans celui des T rois-Rivières. Les nls
de Louis Jolliet paraissent avoir été engagés
dans la traite des pelleteries et avoir principale-
ment résidé soit dans l'île d'Anticosti, soit sur
la côte voisine, au Nord.
L'un d'eux, Jean Jolliet, prit le surnom de
Mingan ; il maria sa fille Anne Jolliet de Min-
gan en 1742 au sieur Jean Taché de Gangan-
ville, diocèse de Montauban, fils d'Etienne
Taché, commissaire des vivres à St. Malo. La
28 L'HONORABLE B. JULIETTE.
famille Taché,à laquelle appartiennent Sa Grâce
Monseigneur l'archevêque de St. Boniface,
Thonorable receveur-général et le représentant
du comté de Rimouski, est descendue de ce
mariage.
Claire, fille de Louis Jolliet, épousa le 11
Mai 1702, Joseph Fleury Deschambeault ; de
deux filles nées de ce mariage, Tune Marie-
Claire, épousa Thomas Jacques Taschereau,
trésorier de la marine en ce pays, natif de
Tours et tige de la nombreuse et respectable
famille de ce nom (qui a aujourd'hui Tinsigae
honneur de compter dans son sein le pieux et
savant Archevêque de Québec.)
L'autre, Louise, se maria avec Pierre Fran-
çois Rigaud de Vaudreuil, né à Québec et fils
de Philippe Rigaud de Vaudreuil et de Louise
Elizabeth Joybert de Soulanges.
Après la prise de Montréal, Pierre Vaudreuil
passa en France avec sa femme et ses enfants."
Alliée à plusieurs de nos nobles familles ca-
nadiennes, celle de Jolliet n'a terni l'illustra-
tion d'aucune d'elles. Ce nom de Jolliet
s'unit à celui des Ta/shé, des Taschereau, des
Fleury Deschambault, des Pierre de Vaudreuil
dont le père gouverna longtemps ce pays, et
dont le fils eut l'honneur d'être nommé gou-
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 29
vcrneur à l'époque de la lutte suprême de nos
pères, en dix-sept-cent cinquante-cinq.
En descendant l'arbre généalogique de la
famille de Louis Jolliet, découvreur du Missis-
sipi, l'on trouve à la cinquième génération,
Barthélemi, fondateur de la riante petite ville
dont la reconnaissance des habitants a changé
le nom primitif d'Industrie en celui de
Joliette.
Antoine Jolliet, père de Barthélemi, exer-
çait la profession de notaire. Nous voyons,
par les registres ecclésiastiques, qu'il s'était
marié à Berthier, en 1785, à Demoiselle Cathe-
rine Faribeault, dont le père devint plus tard
membre de notre conseil législatif. Antoine Jol-
liet était allé se fixer à St. Thomas de Mont-
magny où il mourut en 1789. (*)
Orphelin dès sa naissance, Barthélemi fut
élevé en compagnie d'Antoine, son frère aine,
sous les soins affectueux de sa mère, femme
d'un mérite supérieur, dont la piété égalait l'in-
telligence et la persévérante énergie.
A l'instar de la plupart des anciennes femmes
canadiennes, elle était douée d'une robuste
constitution; sans cesse sur pied, on la voyait
travailler le jour et une partie des nuits, faire
elle-même sans le secours d'autrui, le service
de sa maison toute reluisante de propreté.
30 LjHONORABLE B. JULIETTE.
Elle décéda à l'Industrie, aujourd'hui Joliette,
en 1854, à l'âge avancé de 92 ans.
Jusqu'au dernier moment, elle conserva cette
lucidité d'esprit, cette heureuse mémoire, cette
foi et cette aimable piété qui la distinguèrent
toute sa vie.
III.
La Famille Joliette a l'Assomption.
De St. Thomas, la petite famille transporta
successivement son séjour à Berthier où des
parents, des connaissances, et tous les doux
souvenirs du jeune âge attiraient la mère, puis
à l'Assomption, où résidait l'oncle et le protec-
teur des enfants, l'Honorable Joseph E. Fari-
beault qui, depuis plusieurs années, y exerçait
sa profession de notaire.
IV.
Première Education de B. Joliette.
Ce fut peu de temps après sa première com-
munion à laquelle il fut préparé avec soin, et
par sa mère et par le zélé curé de l' Assomptiou,
que le jeune Joliette commença à fréquenter
l'éîole du village, tenue par M. Nepveu, dont
il garda toujours un excellent souvenir.
Dans son âge mûr, il aimait à se rappeler ces
L'HONORABLE B. JULIETTE. 31
douces années de l'enfance où, en compagnie
de ses livres bien-aimés, il passait si agréable-
ment les heures de la veillée. C'était pour
lui, disait-il, un véritable délassement ; car ne
sortant que rarement de chez sa mère, il avait
fait de ses livres, ses plus intimes amis. Heu-
reuse la jeunesse d'aujourd'hui si elle se for-
mait sur de pareils modèles !
Bien loin de partager les sentiments et la
manière de voir de la plupart des écoliers pour
qui l'étude est un supplice, il ne se contentait
pas des leçons ordinaires du professeur, mais
n'écoutant que son ambition de s'instruire, il
s'imposait des tâches surnuméraires dont il
allait rendre compte, en sollicitant l'explication
des passages qu'il ne comprenait pas parfaite-
ment.
Une estime mutuelle s'était établie entre
l'enfant et le précepteur qui ne faisait mys-
tère à personne, du bel avenir qu'il présageait
pour son jeune élève.
B. Juliette, Etudiant en droit.
Cinq années avaient passé bien rapidement ,
et malgré les regrets du bon et dévoué profes-
seur, malgré le sacrifice de ses inclinations pour
32 L'HONORABLE B. JOL1ETTE.
l'étude, Barthélemi dût faire ses adieux aux
classes de M. Nepveu pour entrer comme clerc-
notaire chez son oncle, M. Joseph Edouard
Faribeault. Là, comme à l'école, il déploya
la même ardeur pour l'étude, la même applica-
tion à ses devoirs.
Toujours assidu au bureau, on l'y trouvait
constamment occupé. Lorsque dans le cours
de son travail, il lui survenait quelques difficul-
tés, il prenait pour pratique de ne jamais pas-
ser outre, sans s'être rendu compte des obscu-
rités qu'il avait rencontrées.
La science et le jugement de son estimable
patron étaient pour lui une précieuse ressource
qu'il ne manqua pas d'utiliser. C'est ainsi,
qu'à force de travail, de réflexion, et de persé-
vérance, il se préparait une belle carrière pour
l'avenir. A cette époque, où l'on ne comptait
encore que deux collèges dans le Bas-Canada,
où l'éducation classique n'était que le privilège
des grandes villes, il fallait aux jeunes gens
placés et élevés en dehors de ces centres, une
dose de courage et de talent plus qu'ordinaire
pour aborder les professions libérales. Les
intelligences distinguées seules osaient se lancer
dans ces carrières heureusement plus redoutées
qu'aujourd'hui.
Aussi, est-il digne de remarque, que les an-
L'HONORABLE B. JOL1ETÏE.
33
ciens officiers publics, nonobstant l'instruction
très-limitée qu'ils avaient pu recevoir, étaient
profondément versés dans toutes les questions
de la jurisprudence.
Les articles qu'ils ont laissés, bien que dépa-
rés par certaines locutions un peu bizarres, et
bon nombre de fautes d'ortographe, sont rédi-
gés de la manière la plus claire et toujours ba-
sés sur l'exacte interprétation de nos lois.
Ah ! si ces hommes, qui, après quatre à cinq
ans de séjour dans une pauvre école de village,
se virent obligés, sans aucune autre préparation,
ù, commencer leurs études professionnelles; si,
dis-je, ils avaient pu jouir des avantages des
étudiants de notre temps, combien ils en au-
raient mieux profité que quelques-uns d'entre
eux ! et combien nombre de ces derniers auraient
à rougir de la comparaison des connaissances
des anciens avec celles des contemporains !
VI.
B. JOLIETTE ADMIS A LA PRATIQUE
du Notariat.
Le jeune Joliette avait terminé ses études
légales. Muni de bonnes recommandations et
des certificats flatteurs de son digne patron, il
partit plein de confiance pour aller se soumettre
34 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
aux épreuves de l'examen. Ce jour fut pour lui
un beau triomphe et l'occasion de nombreuses
félicitations de la part des amis que sa bonne
conduite avait attirées autour de lui.
Ce fut le trois Octobre mil-huit-cent-dix,
qu'il reçut de Sir James Craig, sa commission
de notaire. Il y avait près de C> ans qu'il
avait commencé sa cléricature.
Combien; en entendant les réponses si justes
de son protégé et les compliments que lui
adressaient les examinateurs, le cœur du bon
oncle, J. E. Faribault, dut battre de joie et
d'espérance ! Il aimait son neveu comme son
fils et ce qui redoublait son affection, c'est qu'il
était payé d'un juste retour.
Une nouvelle ère allait donc commencer pour
B. Joliette. Derrière lui, il voyait déjà se re-
plier et disparaître les scènes riantes de son
printemps. Déjà plus de vingt années avaient
fui, rapides comme l'éclair ; il était au seuil
d'un nouvel avenir dont il lui tardait de voir
entr'ouvrir les portes.
Le jeune homme pauvre, qui, après de rudes
épreuves, beaucoup de fatigues, de travail et de
soucis, est enfin parvenu à vaincre toutes les
difficultés de la situation, voit enfin poindre ce
jour désiré qui réalisera ses plus chers espé-
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 35
rances, doit sentir palpiter son cœur, sous
l'effet d'une bien douce émotion.
C'est le voyageur empressé, qui, après avoir
franchi les déserts et les solitudes, aperçoit
enfin, du sommet d'une montagne qu'il vient de
gravir, la patrie, le clocher de son village, le
toit de ses pères.
En effet, celui-ci n'a pas le cœur plus
joyeux, ne respire pas plus à l'aise que l'étu-
diant qui, après les anxiétés de l'examen, em-
porte sur son cœur le parchemin chéri, désiré
depuis si longtemps.
C'est le premier triomphe de la vie ! Quel
suave parfum il doit apporter à l'âme confiante,
de cette jeunesse, avide d'honneur, et dont le
cœur s'ouvre aussi naturellement à l'espérance
du bonheur, que le calice des fleurs aux rayons
du soleil qui les fait s'épanouir !
Et, il est si doux de se bercer que ce succès
n'est que le premier anneau d'une longue chaîne
de propérité!...
Illusion du jeune âge ! Combien il serait à
souhaiter que tes charmes ne s'évanouissent
sitôt !
Hélas ! bien souvent, les orages du cœur, le
vent du malheur et de l'adversité viennent dé-
chirer trop soudainement les voiles trompeurs
qui nous laissent entrevoir la vie, comme
30 L'HONORABLE B. JULIETTE.
un Eden délicieux, où nous n'avons qu à ten-
dre la main pour cueillir les fleurs odorantes
et les fruits savoureux.
Toutes les âmes cependant ne se prennent
pas du même enthousiasme; certains esprits plus
sérieux n'osent se flatter que le chemin de la
vie sera pour eux sans épines et sans douleurs.
Barthélemi Joliette fut du nombre de ces
derniers. D'un naturel réfléchi, il entrevoyait
l'avenir avec ses phases inconstantes, variables
à l'infini : ses alternatives de succès et de revers,
ses sacrifices tempérés par l'espérance, ses tra-
vaux et ses souffrances adoucis par les joies de
la vertu et le témoignage d'une conscience heu-
reuse de l'accomplissement de ses devoirs.
Il était en droit cependant, d'envisager d'un
regard confiant, la carrière qui s'ouvrait devant
lui, sous les plus beaux auspices. Sa commis-
sion professionnelle, il l'avait bien et dûment
acquise par six années d'un travail rude et
constant.
Il se mit aussitôt à l'œuvre, et dès la pre-
mière année de sa vie publique, on vit dans sa
personne et dans ses actes, l'homme vertueux
et intègre qui, pendant quarante ans, honora la
profession de notaire par une conduite sans
reproche.
A cette époque, le village et la paroisse de
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 37
l'Assomption étaient déjà florissants. De plus,
l'état d'aisance dans lequel se trouvait la popu-
lation des lieux circonvoisins, ayant son centre
d'affaires au même village, contribuait à rendre
plus favorable à M. Joliette, les succès de
l'avenir.
La confiance publique ne tarda pas à prou-
ver au jeune notaire combien l'on savait appré-
cier son savoir, sa rectitude de jugement et sa
probité.
Son bureau était le rendez-vous de cinq a six
paroisses. Il suffisait qu'une affaire parût em-
brouillée pour qu'on recourût au discernement
de M. Joliette.
Ce surcroit de labeurs l'obligeait à passer
souvent les jours et les nuits sans sommeil ;
c'était à peine, s'il pouvait expédier cette mul-
titude d'affaires dont on le surchargeait, de
toutes parts.
Homme de conseil, il avait la patience d'é-
couter pendant des heures entières, les raisons,
les disputes des deux parties qu'il lui fallait
accorder. C'est ainsi qu'il exemptait une
foule de procès insidieux et de chicanes:
source de tant de désordres et de tant d'impla-
cables rancunes.
Mais ce qui est admirable, ce qui fait le plus
bel honneur à M. Joliette, c'est sa généro-
38 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
site et son désintéressement. Jamais on ne le
vit exiger aucune rémunération pour les con-
seils qu'il donnait, et pour lesquels il sacrifiait
des moments si précieux.
Belle et précieuse qualité trop rare de nos
jours !
VIL
Barthélemi Juliette, major de milice.
Campagnes de 1812 et de 1813.
Mais voilà que des nuages s'amoncellent à
l'horizon politique du Canada. La république
américaine ayant violé le blocus continental
imposé par la Grande Bretagne, en haine de
la France et en représailles de celui qu'avait
ordonné Napoléon, s'irrita de la capture de ses
vaisseaux pris en flagrant délit et confisqués par
les Anglais. N'écoutant que son ressentiment,
forte de la puissance numérique de ses armées,
elle déclara la guerre à son ancienne métropole.
On sortait alors de cette époque malheureuse
de fanatisme et de persécutions qu'avait inau-
gurée l'administration de Sir James Craig.
L'Angleterre effrayée, comprit alors qu'elle
devait changer sa politique envers lesCanadiens-
Français, et que la concession des droits et des
privilèges qu'ils réclamaient depuis longtemps,
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 39
lui servirait beaucoup plus avantageusement
que le despotisme de son autorité.
" D'heureuses circonstances favorisaient ce
retour à des idées plus justes, et surtout plus
honorables de la part d'une grande et puissante
nation."
La politesse, la déférence et l'impartialité
de Sir Georges Prévost, successeur de Sir
James Craig, l'avaient rendu l'idole de la popu-
lation. De plus, la nomination aux premières
dignités militaires de plusieurs de nos compa-
triotes distingués, achevèrent de populariser le
gouverneur.
Il était temps, car la lutte menaçait d'être
terrible et sanglante. C'était sur nous que
devaient tomber les premiers coups, et cepen-
dant, cette prévision n'épouvantait personne.
A peine la déclaration de guerre avait-elle été
signifiée, qu'un cri universel de patriotisme
souleva la poitrine de tous les Canadiens.
A ces nobles accents, on reconnaissait les
descendants des vaillants soldats de 1759 et de
1760.
Non, l'ardeur guerrière de ce peuple de
braves qui, à. la pointe de la baïonnette, avait
purgé le sol des hordes indiennes et sauvé la
patrie des invasions redoutables de la Nou-
velle-Angleterre, non cette fougue chevale-
40 L'HONORABLE B JOLIETTE.
resque ne s'était pas éteinte dans un lâche et
indolent sommeil.
A l'appel de la mère-patrie, le Canada fidèle
à sa foi, fier de ses vieilles gloires, se leva
comme un seul homme pour voler à la défense
de ses frontières menacées.
De toutes parts, accourait se ranger sous la
bannière nationale, une foule de nobles cœurs,
qui tous, brûlaient de donner un solennel dé-
menti aux accusations mensongères portées
contre la loyauté du peuple Canadien. Aux
premiers rangs, figurait le jeune notaire de
l'Assomption, B. Joliette.
Nommé enseigne et aide-major par Sir
James Craig, en mii-huit-cent-huit, il obtint
successivement les grades de capitaine et de
major, sous le gouvernement de Sir George
Prévost. C'est sous ce dernier titre, qu'il servit
en mil-huit-cent-douze et en mil-huit-cent-
treize, dans la division du lieutenant-colonel
Fleury-Deschanibault.
Quelques lettres adressées à sa famille, vers
cette époque, nous donnent quelques détails
sur le moral excellent des soldats placés sous
ses ordres :
" Xous sommes toujours sur le Qui- Vive !
écrivait-il : tous brûlent de se mesurer avec
l'ennemi, et j'espère que nous aurons bientôt
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 41
l'occasion de satisfaire notre légitime désir...
Sous 1^ tente, tout n'est pas rose : il arrive
souvent que nous manquons du plus indis-
pensable. Il ne faut pas s en plaindre; c'est
la condition du soldat. Deux choses cependant
plus utiles que les autres ne nous ont jamais
manqué : C'est l'honneur et le courage de nos
bons vieux pères !"
VIII.
Mariage de B. Joliette.
Dans l'intervalle qui sépara les deux cam-
pagnes de mil-huit-cent-douze et de mil-huit
cent-treize, le brillant major, de retour dans ses
foyers, conduisait à l'autel la noble demoiselle
Marie Charlotte Tarieu Taillant de Lanau-
diôre qui devait plus tard lui apporter en dot
une partie de la seigneurie de Lavaltrie. Le
mariage fut célébré à Lavaltrie, le 27. sept.
1813.
Mais les événements se piécipitaient. Le
lendemain de son union, le jeune officier dût
faire ses adieux à son épouse pour courir à la
tête de son régiment qui repartait pour la fron-
tière.
A quelques jours de là, les milices cana-
diennes remportaient la brillante victoire de
42 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
Châteauguay qui jeta sur nos armes un dernier
reflet de gloire.
Ce triomphe de la valeur, de la tactique sur
la supériorité numérique, nous a été utile sous
plus d'un rapport. Non-seulement, il a légué
à la postérité le nom de Salaberry qu'il a cou-
ronné d'une gloire immortelle, mais encore, il
nous a fait reconquérir dans l'estime des peu-
ples ces titres d'honneur, de bravoure, d'iné-
branlable fidélité qu'un certain parti d'une
race victorieuse avait voulu injustement nous
ravir.
Tous nos compatriotes qui marchèrent alors
à l'ombre du drapeau militaire, peuvent reven-
diquer leur part de gloire dans cette mémora-
ble journée. En effet, si tous ne furent pas
décorés de nobles cicatrices, si tous ne rou-
girent pas leur épée ou leur baïonnette du
sang de leur ennemi, c'est que l'obéissance et
l'accomplissement d'un impérieux devoir, les
retinrent impatients, loin du théâtre du com-
bat auquel Ha assistèrent tous et d'esprit et de
cœur.
Repoussés sur tous les points, honteux de leurs
défaites multipliées, Hampton, Wilkinson et
leurs troupes avaient repassé la frontière. Le
Canada venait d'être sauvé, encore une fois,
par la valeur de ses enfants.
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 43
De ce moment, les volontaires reçurent leur
congé et reprirent joyeusement le chemin de
leurs paroisses respectives.
Rendu à sa famille et à ses amis, Barthé-
lemi Joliette se livra de nouveau, avec ardeur,
à ses travaux professionnels dont le fardeau
allait s'augmentant tous les jours.
La gestion des affaires de la seigneurie de
Lavaltrie qu'on lui avait confiée, doublait ses
occupations.
Cette agence cependant, ne lui déplaisait
nullement, parce qu'elle lui fournissait l'occa-
sion de fréquents voyages bien propres à forti-
fier sa santé qu'altérait la vie sédentaire du
bureau.
Sur ces entrefaites, une épreuve bien dou-
loureuse vient assaillir les jeunes époux. Au
mois de Juillet mil-huit-cent-vingt, la mort
toujours cruelle, toujours sourde aux vœux et
aux prières, venait leur ravir, à l'âge de six
ans, leur unique enfant. C'était sur cet être
chéri que reposait leurs plus douces espérances.
Pétillant d'esprit, d'une intelligence au-
dutbus de son âge, d'un naturel affectueux,
aimable et bon, le jeune Charles, promettait
de devenir plus tard l'honneur de sa famille.
Mais les calculs de l'amour, les espérances d'a-
venir, l'illusion de la tendresse et de l'affection,
44 L'HONORABLE B. JULIETTE.
tout fut déjoué ; tout s'évanouit en un clin
d'œil, pour faire place au deuil et à la dou-
leur.
Néanmoins, tout en ressentant l'épreuve qui
les blessait dans leurs sentiments les plus doux,
M. et Madame Joliette s'y soumirent en vrais
chrétiens. Leur foi, et les consolations de la-
religion leur donnaient la force du sacrifice,
voire même d'une entière résignation.
Souvent dans la suite, à l'évocation du sou-
vonir de ce jour de tristesse et de torture mo-
rale, de grosses larmes roulaient brûlantes sur
les joues de la mère au cœur si sensible ; mais
bientôt, un regard plein d'espérance vers le
ciel, une parole pleine de douceur tombée des
lèvres du mari bienveillant et affectueux, ra-
menaient la sérénité du bonheur au foyer con-
jugal.
IX.
M. Joliette, député du Comté
DE LeINSTER.
En Tannée mil huit-cent-dix-sept, M. Joliette,
cédant aux sollicitations de ses nombreux
amis, s'était porté candidat pour le comté de
Leinster, en oppositions M. Jacques Lacombe,
marchand de l'Assomption. La victoire vail-
L'HONORABLE B. JULIETTE. 45
lamment disputée de part et d'autre fut rem-
portée par M. Lacoinbe à une majorité de 36
voix. M. Joliette n'entra en chambre qu'à la
suite de l'heureux résultat de la contestation
de cette chaude élection.
Ce fut, paraît-il, le premier exemple d'un
procès de ce genre en Canada. Est-ce pour
cette raison, que la corruption électorale n'y
pût triompher de la justice ?
Mais le triomphe du député légitime du
comté de Leinster fut de bien courte durée,
car le lendemain de son entrée à la chambre
d'assemblée, le parlement fut dissous par l'ar-
rivée de la nouvelle de la mort de George III.
Comme on le voit, la contestation avait duré
trois ans ; c'était autant de temps qu'il en
fallait, pour rendre sur la cause en litige, un
jugement prudent et pesé au poids de la sa-
gesse.
Aux élections suivantes, M. Joliette fut
élu aux acclamations unanimes de la même
division électorale.
Tout le monde avait confiance en son dévoue-
ment, sa droiture d'intention, ses talents
solides et son patriotisme éclairé. Il ne
brillait pas en chambre par ces éclats
d'éloquence qui soulèvent, passionnent,
électrisent les auditeurs, mais sa parole facile,
46 L'HONORABLE B. JULIETTE.
claire et raisonnée, lui donnait une place dis-
tinguée parmi les représentants du peuple.
Aussi, avait-il conquis le respect, l'estime et
la confiance de ses collègues qui le consul-
taient sur une foule de questions relatives au
commerce ou à l'industrie.
Son passage à la chambre d'assemblée fut
marqué par l'adoption de plusieurs mesures pro-
tectrices de nos intérêts commerciaux et indus-
triels. C'était lui qui en avait été le plus
zélé instigateur, comme le conseiller le plus
éclairé par l'expérience.
Cependant le tracas des affaires politiques
n'allait que médiocrement au caractère de M.
Joliette : il résolut de s'y soustraire ; à l'expi-
ration de son second mandat, il annonça à ses
électeurs sa détermination de renoncer à la
charge dont ils l'avaient honoré.
Dès lors, aucune considération ne put l'en-
gager à reprendre ses fonctions de député.
Découverte du site qu'occupe aujour-
d'hui la Ville de Joliette.
Nous avons dit précédemment qu3 M.
Joliette avait été chargé de l'administration de
la seigneurie De Lanaudière dont il était l'un
L'HONORABLE B. JULIETTE. 47
des cohéritiers. Sur les terres de St. Paul, à la
distance de deux milles de remplacement
qu'occupe aujourd'hui Joliette, s'élevait, au
pied de l'une des cascades de la rivière, un
vaste moulin à farine abandonné depuis 1826
et tombé aujourd'hui en ruine.
La surveillance de cet établissement amenait
souvent M. Joliette en cet endroit.
Dans une des visites que fit le jeune sei-
gneur sur les beaux domaines que son épouse
lui apportait en dot, il côtoya un jour les
mille sinuosités de la rivière l'Assomption
depuis l'endroit appelé aujourd'hui '• Vieux
Moulin," jusqu'aux profondeurs de la seigneu-
rie de Lavaltrie.
Accompagné d'un ami, il s'avançait silen-
cieux à travers l'épaisseur des bois, admirant
les cascades murmurantes de cette rivière lim-
pide qui se déroulait sous les arceaux de la
forêt vierge, en ce moment toute retentissante
des harmonieux concerts des oiseaux.
C'était en 1823, par une délicieuse journée
du mois de juin. Sous le ciel serein, le soleil
souriait amoureusement aux fleurs nouvelle-
ment écloses, versant dans l'atmosphère par-
fumée par les arômes des plantes, la douce et
vivifiante chaleur projetée par les rayons d'or
de son disque embrasé.
48 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
La nature dans toute sa fraîcheur, étalait
aux regards, le spectacle de ses rameaux en
fleurs, de ses mousses chatoyantes, de ses
tendres gazons, de ses jeunes ombrages, des
perles de la rosée scintillante à travers le
feuillage, du cristal des eaux, reflétant comme
des miroirs, l'image tantôt gracieuse, tantôt
bizarre des plantes, des bois et des rochers
semés sur leur cours ; en un mot, elle présen-
tait, sous l'éclat de sa charmante parure, toute
la magnificence de sa résurrection printan-
nière.
Les deux explorateurs foulaient, en ce mo-
ment, ce sol de l'industrie que devaient fécon-
der tant de travaux et de vertus.
Tranquillement assis sous les riants om-
brages, nos deux voyageurs contemplaient
avec délices les beautés de ce site solitaire qui
aurait inspiré les poétiques accents de plus
d'un amant de la belle nature
Inclinée vers le Sud-Ouest par un gracieux
détour, la rivière qui jusqu'alors, coule tran-
quille et profonde sur un fond uni et sablon-
neux, change subitement d'allure: parsemée
de cascatelles, elle roule bruyamment sur un
lit de cailloux, ses eaux blanchissantes d'é-
cume.
Sur sa rive occidentale, la plaine parfois
LHONORABLE B. JULIETTE. 49
légèrement ondulée, se déroule agréablement
au regard. Un riche manteau de verdure
semble la recouvrir tout entière, dérobant à la
vue, le triste aspect des marécages que la per-
sévérance et l'industrie assainiront bientôt.
Sur le fond du paysage, apparaissent avec
un heureux agencement de couleurs et de
formes, mille ornements divers ; ce sont les verts
érables, les pruches aux teintes si sombres, les
noirs sapins, les ormes aux longs et flexibles
rameaux, les hautes épinettes rouges et blan-
ches, les pins gigantesques, les merisiers touffus
et les bouleaux mobiles, i
De ce côté, vis-à-vjis du premier rapide, le
rivage est peu élevé ;■• la plaine monte insensi-
blement jusqu'à la hauteuaf d'une quinzaine de
pieds environ, au-dessus-du niveau de la rivière.
Dès lors, le terrain enfermé dans le coude for-
mé par les eaux, offre sur une grande distance,
une surface plane et richement boisée.
C'est là, qu'on abattra plus tard, ces pins
superbes qui serviront à la construction du
moulin, premier berceau de la nouvelle colonie.
C'est là encore, que, dominant les têtes vul-
gaires, s'élevaient les fronts altiers de ces ormes
magnifiques qu'on aurait voulu conserver, mais
qui sont disparus dans les incendies de la
forêt.
oO L HONORABLE B. JULIETTE.
Un seul, survivant d'un autre âge, a échappé
à la destruction ; il a été laissé, comme un
témoin du passé, comme un poétique souvenir
des gloires de ces forêts vierges.
Il est là, avec sa taille d'athlète, ses rameaux
séculaires, ombrageant majestueusement le
manoir seigneurial vide et désolé. Comme un
saule pleureur penché sur le bord d'un tom-
beau, il semble, lui aussi, porter le deuil de
ses possesseurs d'autrefois.
Sur le versant oriental de la rivière, en face
de St. Thomas, un tout autre horizon s'offre à
la vue. Dans tout le parcours extérieur du
circuit dont nous avons parlé, les rives sablon-
neuses s'étendent d'abord en une jolie ter-
rasse, puis, un peu plus loin, changeant d'aspect,
elles commencent à s'élever graduellement
jusqu'à une si grande hauteur qu'elles domi-
nent presque les sommets des bois de la plaine
opposée.
Ces coteaux pittoresques et charmants sont
couronnés eux aussi de la plus luxuriante végé-
tation. Le pin, la prûche, les bois francs, tels
que le merisier, le hêtre, le bouleau, et surtout
l'érable et le plaine y croissent abondamment.
Quelle impression la vue d'un pareil tableau
ne dût-elle pas faire sur l'imagination de M.
Joliette ! quels éclairs durent illuminer son
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 51
génie hardi, lorsque les rayons radieux du
soleil reflétés sur les chûtes, faisaient jaillir dans
les airs mille arcs-en-ciel ravissants ! De quels
rêves d'or, de quels brillants projets son cœur
et son esprit ne durent-ils pas être bercés et
agités à l'aspect de cette belle rivière d'un par-
cours d'une centaine de lieues, à travers les
riches forêts de la vallée et des sommets des
Laurentides !
D'un rapide coup d'œil, il avait compris
tous les avantages d'une position si exception-
nelle. Placé au centre d'un territoire très-
étendu,et déjà en partie, ouvert au travail de
la colonisation, l'établissement qu'il projetait
d'asseoir en ce lieu, ne pouvait manquer de
prospérer rapidement. Une rivière aussi riche
en pouvoirs d'eau, aussi avantageuse pour la
descente des bois dont regorgeaient les monta-
gnes et les plaines, c'en était assez, pour faire
concevoir les plus belles espérances.
Quelques heures après, les deux visiteurs re-
broussaient chemin pour retourner à St. Paul.
Dès lors, un projet unique absorba toutes les
réflexions de M. Joliette.
52 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
XL
Moyens de M. Joliette.
Sa fortune n'éiait pas considérable ; néan-
moins ia nombreuse clientèle que sa réputation
de probité lui avait acquise, l'économie de son
administration, l'avaient placé dans un état
au-dessus de l'aisance.
D'un autre côté, de précieuses et inestima-
bles qualités devaient suppléer abondamment
à l'insuffisance de ses ressources pécuniaires.
Doux, affable, bienveillant, généreux envers
tout le monde, d'une exquise sensibilité dame,
d'un caractère noble, hardi, persévérant, d'une
activité dévorante dont la mort seule a pu ar-
rêter le cours, d'un jugement supérieur, d'un
esprit observateur et inventif, il était trempé
pour les grandes entreprises dont il eut l'ins-
tinct dès le début de sa carrière.
Tel était le fondateur de l'Industrie, lorsque
abandonnant le village de l'Assomption, les
amis nombreux qui l'estimaient si haute-
ment, il s'en vint planter sa tente au plus
épais de la forêt, sur les confins de la seigneu-
rie de Lavaltrie.
La foi et le patriotisme, héréditaires dans
la famille Joliette, lui faisaient entrevoir dans
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 53
son entreprise, une nouvelle glorification de la
religion et un immense bienfait pour ses com-
patriotes.
C'est fortifié, inspiré par ce double amour
de la religion et de la patrie, qu'il devait opé-
rer ces grandes choses qui lui ont mérité l'ad-
miration et la reconnaissance de l'une et de
l'autre.
Et qu'on ne perde pas de vue cette vérité :
M. Joliette n'est véritablement grand aux
yeux de ses concitoyens, son nom n'a mérité
les honneurs de l'immortalité, que parce que,
comme tous les hommes illustres, il s'est ou-
blié lui-même pour se dévouer au succès des
deux plus nobles causes : celle de la religion
et celle de son pays.
XII.
Premier travail dans la foret.
Cinq mois après l'exploration dont nous
avons parlé, la forêt retentissait encore sous les
pas de nouveaux visiteurs.
Cette fois, ce n'était plus seulement deux
touristes qui, longeant les bords de " l'Assomp-
tion," s'amusaient à écouter les murmures des
ruisseaux ou le mugissement des chûtes.
Ceux qui s'avançaient, le sac au dos, la hache
54 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
à l'épaule, ne s'enthousiasmaient guère de la
beauté des paysages, de ces verts érables dont
les rameaux embaumés se balançaient, quelques
mois auparavant, au-dessus de la tête des pre-
miers voyageurs. Non, ces hardis et vigou-
reux travailleurs ne venaient pas en ce jour,
savourer le parfum des brises, ou écouter les
voix harmonieuses des musiciens des bois.
Voyez-les, pleins de gaieté et de courage,
marchant d'un pas rapide, écartant les brous-
sailles qui obstruent l'étroit sentier de la forêt,
tout en faisant retentir les échos du refrain
populaire :
" En roulant ma boule,"
Derrière chez nous y-a-t-un étang,"
"En roulant ma bouîe."
M. Joliette est à leur tête, son cœur bondit
de joie dans sa poitrine ; l'espérance brille dans
son regard ; sa figure si calme d'ordinaire, s'est
épanouie ce jour-là, sous l'impression des plus
douces pensées.
A un signal donné, la caravane s'arrête. Elle
est arrivée à la tête des rapides, situés au-dessus
de la ville. C'est ici qu'il faut abattre l'épaisse
forêt, déblayer un terrain spacieux pour y
asseoir sur les bords de la rivière, un splendide
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 55
moulin en pierre à deux étages, de cent pieds
de longueur sur une largeur de cinquante.
Une heure plus tard, au milieu des hourrabs
enthousiastes des braves travailleurs, cent échos
sonores roulant de cascade en cascade, de col-
line en colline, repercutaient au loin, la chute
des pins gigantesques s'abattant avec un bruit
épouvantable, entraînant sous leur poids, les
rameaux fracassés des arbres voisins. Ainsi
tombaient les rois de la foret ; ainsi le fer
meurtrier faisait partout de larges trouées
dans ces bois que la main de l'homme avait
jusque-là respectés.
C'était au mois de Décembre de Tannée
mil huit-cent-vingt-trois.
En quelques heures, un chantier de bois
rond, calfaté de mousse, recouvert de calles,
était élevé sur l'emplacement où se trouve
aujourd'hui la maison du meunier du grand
moulin.
Ce fut sous ce toit rustique, que passèrent
l'hiver les premiers défricheurs de l'Industrie.
Ces colons intrépides formèrent le premier
noyau de cette population laborieuse, pleine
d'intelligence, d'activité et de courage, qui a
tant aidé le fondateur de Joliette dans son
œuvre religieuse et nationale.
56 L'HONORABLE B. .IOLIETTK.
Braves artisans, qui, les premiers, avez été
au labeur et à la peine dans cette grande en-
treprise, laissez-nous vous payer une juste dette
de reconnaissance.
Permettez que nous répétions encore, ce qui
a déjà été' dit plusieurs fois: Honneur au
courage et à la persévérance des premiers colons
de l'Industrie !
XIII.
Construction du moulin.
Malgré les neiges et les frimats, malgré les
tempêtes de l'hiver, la hache ne cessait son
travail d'impitoyable destruction. La forêt
cernée de toutes parts, attaquée par tant d'en-
nemis, tombait entre-mêlée, interceptant tout
paysage à travers ses immenses ruines. Les
plus gros arbres jugés propres à la construction
étaient coupés en billots ; puis, traînés sur
l'emplacement des édifices projetés.
C'est là, que des ouvriers actifs fabriquaient
les madriers,, les planches et les bardeaux, etc.,
etc.
Non loin de l'emplacement du moulin qu'il
s'agissait de bâtir, et en descendant le cours de
la rivière, s'étendent sur ses bords, de vastes
carrières de pierre calcaire d'une qualité supé-
LHOXORABLE B. JOLIETTE. 57
rieure. Elles furent exploitées immédiatement
et fournirent les matériaux nécessaires à la
construction du moulin.
Les cent ouvriers que M. Joliette avait
sous ses ordres firent tant de diligence que la
Dâtisse fut achevée, Tannée suivante.
Mais cette œuvre avait coûté bien des tra-
vaux, occasionné beaucoup de sacrifices. Il
avait fallu asseoir, élever une digue puissante
pour intercepter le cours de la rivière, afin que
son niveau fût en harmonie avec le mécanisme
des moulins dont elle allait régler la force mo-
trice.
Cette entreprise conduite par M. Joliette,
dont l'œil attentif veillait scrupuleusement à
l'exécution des plans médités et mûris à l'a-
vance, s'exécuta en quelques semaines.
L'on peut juger de sa solidité, lorsqu'on se
rappelle que, depuis cinquante ans, cette
chaussée est restée inébranlable : — résistant
chaque année, à l'inondation des eaux refoulées
par la pression de milliers de billots qu'entasse
sur ses jetées, la rapidité du courant.
Dans l'automne de 1824, un moulin à fa-
rine et un moulin à scie fonctionnaient par-
faitement dans cette bâtisse dont nous avons
parlé, et que devait enrichir plus tard, plus
d'une manufacture.
58 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
La plus grande activité régnait dans tout
le chantier de M. Joliette.
Tandis qu'un parti de travailleurs abat-
taient les pins superbes, les longues épinettes et
les cèdres odorants pour fournir un aliment
quotidien aux scies rapides du moulin, d'autres
pionniers traçaient hardiment les routes : ar-
tères indispensables qui devaient amener jus-
qu'au cœur de l'Industrie, la richesse et la vie
des populations d'alentour.
XIV.
Voyage de M. Joliette aux Etats-Unis.
Epuisé par ses travaux continuels, M. Jo-
liette, sur les instances de ses nombreux amis,
quitta ses occupations pour aller redemander au
ciel plus doux de Philadelphie le rétablisse-
ment de sa santé.
Accompagné de son épouse, de M. Paul De
Lanaudière, son beau-frère, du Dr. Henri
Lœdel, il partit, non sans adresser à regret, un
adieu momentané à sa chère Industrie où il se
proposait d'amener bientôt sa famille.
L'air de la grande République lui fut salu-
taire, et trois mois après son départ, parfaite-
ment reposé, il reprenait joyeusement le
L'HONORABLE B. JOLIKTTB. 59
chemin du pays, et surtout de sa chère colonie,
l'objet de sa constante sollicitude.
XV.
Nouvelles manufactures. — Cloche du
MOULIN.
v Son voyage lui avait donné l'occasion d une
foule de précieuses observations qu'il sut bien-
tôt utiliser.
Aux deux moulins dont nous avons parlé,
vinrent s'en adjoindre d'autres dont il avait
pris le modèle chez nos industrieux voisius.
Bientôt des manufactures à carder, à fouler,
à presser, des moulins à berly, des fabriques
de clous et à bardeaux vinrent mêler leurs voix
bruyantes au concert déjà assourdissant des
premiers mécanismes. Toutes ces manufac-
tures, fabriques, avaient été concentrées dans
la grande bâtisse en pierre, appelée : " le grand
moulin."
Pour compléter la toilette du nouvel édifice,
on avait couronné son sommet d'un riant et joli
clocher. Quelques semaines plus tard, une
cloche de deux à trois cents livres y était instal-
lée aux acclamations de tous les travailleurs.
Ce dût être, en effet, pour eux, une jouis-
sance bien agréable, que d'entendre retentir au
60 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
milieu des bois, les accents sonores de l'airain
qui. dès l'aube matinale, les invitait joyeuse-
ment au travail. Cette voix qui, trois fois le
jour, mêlait son harmonie au chant des oiseaux,
au mugissement des rapides, aux mille bruits
de la foret, réveillait dans leurs âmes les plus
doux souvenirs: ceux delà paroisse natale,
du clocher de leur village, des parents et des
amis laissés là-bas
Et lorsqu'aux approches du soir, la cloche
jetait de nouveau, sur l'aile des brises ses har-
monieuses volées que répercutaient au loin les
échos de la rivière, l'outil s'échappait de la
main des ouvriers, toutes les oreilles étaient
tendues pour savourer délicieusement ce beau
concert.
XVI.
Premières habitations du Village
d'Industrie.
Aux environs du moulin, avaient été élevées,
en peu de temps, plusieurs élégantes habita-
tions que l'on voit encore sur la rue De Lanau-
dière, appelée alors " le chemin de St. Paul."
Ces demeures étaient celles du meunier,
celle du Dr. Lcodel occupée actuellement par
Mme Chaput, celle de M. François Panneton,
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 61
et enfin, celle de M. Juliette devenue la rési-
dence actuelle de madame Edouard Scallon.
En outre, à travers les éclaircis de la forêtj
l'œil apercevait épars ça et là, une quinzaine de
chantiers occupés par les travailleurs. Quel-
ques-uns d'entre ces derniers, commençaient à
y amener leurs familles.
Les cabanes qu'ils habitaient, construites à
la hâte, et presque sans aucune dépense, con-
venaient à la situation des nouveaux colons,
car à cette époque, où le terrain était encombré
de débris, de branchages, d'abattis d'arbres, des
incendies fréquents balayaient tout sur leur
passage. C'était à peine, si les habitants pou-
vaient sauver de la conflagration les quelques
pièces de leur modeste mobilier.
Mais la ruine d'un chantier était peu de
chose. On en était quitte pour un jour de
travail auquel prenait part toute la colonie.
C'est à qui montrerait le plus de zèle, le plus
d'empressement à secourir le pauvre incendié.
Qu'il était beau ce dévouement ! On aurait
dit une famille tendrement unie ! Touchante
union ! Bienveillante sympathie ! Honorable
cordialité qui fait encore aujourd'hui, le carac-
tère distinctif des citoyens de Joliette !
En ces vertus, comme en beaucoup d'autres
qui tes honorèrent, les anciens habitants de
G-2 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
l'Industrie ne faisaient qu'imiter la générosité
du seigneur Juliette dont la bourse, ainsi que
celle de toute la noble famille seigneuriale,
était ouverte à toutes les infortunes.
XVII.
Pont des dalles.
Mais, hâtons-nous de suivre l'infatigable
fondateur se transportant trois à quatre
fois la semaine, du pont qu'il faisait jeter sur
la rivière de l'Assomption, à l'immense chan-
tier de billots organisé par ses soins, sur la
paroisse même de l'Industrie.
En descendant vers son embouchure, à la
distance d'un demi-mille du moulin de pierre,
la rivière engagée dans les rapides, se précipite
en mugissant sur un lit rocailleux : ses rives
abruptes et élevées se resserrent tout à coup, ne
laissant au passage des eaux bouillonnantes
qu'un canal d'une soixantaine de pieds de lar-
geur.
Cet endroit fut désigné sous la dénomina-
tion de Dalles de la rivière ; de là, le nom de
Pont des Dalles, donné à la construction qu'y
fit M. Joliette.
L'HONORABLE B. JULIETTE. 63
Par cette communication, il ouvrait la porte
de son village aux paroisses de Ste. Elizabeth,
de St. Thomas et autres, amenant à son éta-
blissement, le commerce de ces localités, dont
les produits étaient auparavant dirigés sur So-
rel et Berthier.
XVIII.
Chantiers.
Pendant que le marteau retentissait sur le
pont sonore, deux cents bûcherons échelonnés
sur un espace de six à sept milles, s'attaquaient
aux pins séculaires qui, débarrassés de leurs
branches, coupés en billots, étaient traînés sur
les bords de la rivière. C'est de là, qu'à la
débâcle du printemps, les draveurs secondés
par les courants, devaient les diriger jusqu'au
hoom, situé un peu en amont de la chaussée
du moulin à scie.
Devant nécessairement parler du commerce
de bois, branche d'industrie qui, habilement
exploitée, devint pendant vingt-cinq ans, la
source où M. Juliette puisa abondamment
de quoi subvenir aux frais de ses grandes
entreprises, nous arrivons tout naturellement
64 L'HONORABLE B. JOLTETTE.
à quelques détails sur l'organisation d'un
chantier.
Lorsqu'un exploita teur a résolu de faire
chantier, il commence par réunir le nombre
d'hommes voulu, pour conduire à bon terme
son entreprise. Les uns sont engagés comme
bûcherons,d'autres sont loués avec leurs voitures
comme charretiers.
Au jour indiqué, la caravane, composée de
cent à deux cents hommes ou plus encore, s'em-
barque sur les sleighs surchargés de toute une
cargaison de piques, de haches, de scies, de
raquettes, de pelles, de quarts de fleur, de
lard, de couvertures, et aussi, n'allons pas l'ou-
blier, d'une batterie de cuisine ; le tout en
rapport avec les besoins et les exigences indis-
pensables des lieux.
Soudain la voix redoutée àuforemcui se fait
entendre.
" Vite, vite Pierrot ! dépêche-toi Baptiste ! "
Il faut partir malgré les attraits de Bacchus ;
il faut dire adieu à l'auberge, et se jeter ou être
jeté sur les traîneaux qu'entraînent avec vi-
tesse, les chevaux aiguillonnés par le fouet
dont leurs flancs sont labourés. Tous les char-
retiers en effet, ne sont pas en état de mesurer
leurs coups. Nonobstant les précautions et les
défenses sévères des conducteurs, les têtes sont
L'HONORABLE B. JOLIETTE. G5
échauffées sur plusieurs points. De tous côtés,
s'échappent les éclats de rire qu'accompagnent
les joyeux refrains de la chanson des voyageurs :
" Dans les chantiers nous hivernerons,
" Dans les chantiers nous hivernerons.
" A Bytown, c'est une jolie place,
" Mais il y a beaucoup de crasse, etc.
XIX.
Dans la forêt.
Les travailleurs sont arrivés au milieu de la
forêt. Ça et là, sur les sommets et le versant
des montagnes, au fond des humides vallées,
dominant avec majesté le faite des bois, appa-
raissent par groupes, les pins géants qui ba-
lancent orgueilleusement leurs têtes verdo-
yantes. Voilà les ennemis auxquels il faut
s'attaquer et dans cette guerre contre ces rois
de la forêt, il faut frapper sans pitié, jusqu'à la
dernière tête.
Mais auparavant, il s'agit d'asseoir le chan-
tier. La troupe se divise par bandes de vingt
à trente hommes. Chacun de ces corps doit
pourvoir à son habitation respective. Eche-
lonnée sur une dislance de quatre à cinq milles,
et plus encore, chaque nouvelle famille de bû-
cherons se met hardiment à l'œuvre.
66 L'HONORABLE B. JULIETTE.
En quelques heures, une foule de cabanes
en bois rond surgissent comme par enchante-
ment dans l'épaisseur des bois. Des colles
ou planches de pin fendues avec la hache et le
coin, recouvrent ces palais forestiers dont les
fentes sont calfatées avec de la mousse ou avec
l'écorce des arbres.
Au centre de ces toits rustiques, on a eu soin
de pratiquer une large ouverture afin de facili-
ter le passage de la fumée qu'exhale sans cesse
le feu dévorant du foyer.
Entrons dans le chantier ; voyez-vous tout
autour de la nouvelle demeure, ces larges
bancs recouverts de branchages ! Ce sont les
lits des travailleurs dont la paille, les rameaux
de cèdre et de sapin forment le plus moelleux
édredon.
Malgré la fureur des vents, le craquement
épouvantable des bois, le hurlement des loups,
les cris sinistres du hibou perché au-dessus du
chantier, c'est là, que l'on dort d'un sommeil
non interrompu j que l'on repose légèrement,
bercé par les songes les plus doux.
D'énormes quartiers de roches posés les uns
sur les autres et disposés en cercle constituent
la cambuse ou foyer qui, durant tout l'hiver,
ressemble à une forge embrasée.
C'est là, que le cook (cuisinier) d'une pro-
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 67
prêté souvent équivoque, armé d'une pelle en
fer, bouleverse dans la profonde chaudière, le
lard, les pois et le blé-d'Inde entassés ; du sein
de la marmite bouillonnante, s^élèvent dans les
airs, en parfumant la cabane, les odeurs savou-
reuses de la soupe du soir. Ce succulent po-
tage dont les voyageurs seuls ont le secret, se
sert trois fois le jour dans de larges écuelles en
ferblanc dont les parois portent souvent l'em-
preinte des soupes et des. ragoûts de la veille,
quelquefois môme, des semaines et des mois
précédents. Affaire de détail ; personne n'y
fait attention.
Voilà pour l'intérieur du chantier ; franchis-
sons un intervalle de quinze à vingt pas, et
nous examinerons le style des écuries. Leur
architecture ne diffère en rien de celle des
chantiers, à la seule exception, que les fentes
en sont calfatées plus soigneusement et que la
porte en ferme plus exactement.
Tournons maintenant le dos à ces élégants
édifices ; laissons le cooh et ses aides occupés à
préparer le repas du soir, pour suivre lefore-
man et ses hommes marchant bravement à
l'assaut d«s premières redoutes.
Levez les yeux. Yoyez-vous ces pins de
quatre, de cinq et même de six pieds de dia-
mètre ? Ce sont ces Goliaths de l'armée fores-
G8 L'HONORABLE B. JULIETTE.
tière qu'il faut renverser,terrasser et dépouiller.
Les bûcherons disposés par couples, au pied de
chaque géant, saisissent leurs haches tran-
chantes. Le signal est donné : Les coups re-
doublés et terribles résonnent en cadence, fai-
sant jaillir de toutes parts, les larges copeaux
qui parsèment le blanc manteau dont l'hiver a
recouvert la ferre.
Tout-à coup, on voit frémir et s'agiter les
têtes des arbres ; les colosses s'ébranlent. Holà !
Holà ! prenez garde ! prenez garde ! s'écrient
les bûcherons, en prenant la fuite. En même
temps, et au milieu du roulement d'un ton-
nerre épouvantable, les pins s'abattent pêle-mê-
le sur le sol qui tremble sourdement sous leur
poids énorme. A l'instant, les ébrancJieurs
s'élancent sur leur tronc pour les dépouiller ;
les scieurs se sont armés du Godendard pour
les séparer en billots : les charretiers les roulent
sur les traîneaux pour les transporter à la rivi-
ère, tandis que les abatteurs, fiers de leur suc-
cès, courent à de nouvelles conquêtes.
C'est ainsi que se passent les jours à l'ho-
rizon desquels, durant tout l'hiver, on ne voit
jamais apparaître l'aurore d'un lendemain
nouveau.
L'HONORABLE B. JULIETTE. 69
XX.
Amusements au Chantier.
Cependant on ne s'ennuie pas au chantier.
Après les rudes travaux de la journée, lorsque
les mets succulents du souper ont réconforté
les estomacs, les hommes du chantier s'amusent
joyeusement autour du foyer, où flamboient en
pétillant, le hêtre à la flamme bleuâtre, le pin
résineux, le sapin et le cèdre odorants.
Les histoires les plus comiques, les contes
les plus étranges, les histoires de revenants,
toujours piquantes d'intérêts, les légendes de
chasse-galerie, de loups-garous, de feux-follets,
de bêtes à la grandqueue, font passer les audi-
teurs de l'hilarité la plus désopilante au frisson
de la plus vive frayeur ; d'autres fois, aux ac-
cents mélodieux d'un violon, la cabane se trans-
forme soudain en une bruyante salle de bal.
Les réels à huit,. les gigues-simples, les me-
nuets, les chansons canadiennes se succèdent,
pendant une partie de la nuit, avec un entrain
qui ne permet pas d'envier de plus éblouissants
théâtres. Telle est, durant 1 hiver, la vie des
hommes de chantiers.
Il va sans dire que nous passons sous silence
les orages du cœur et des passions qui n'épar-
70 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
gnent pas ces rudes natures que le mission-
naire a fini pourtant par apprivoiser. Néan-
moins, le blasphème, les paroles licencieuses,
l'immoralité exercent trop souvent leurs
ravages chez un certain nombre de ces robustes
artisans.
XXI.
Descente des billots.
Lorsqu'à la fonte des neiges, il faut s'em-
barquer dans les canots pour dégager et con-
duire à travers les roches, les battures, les ra-
pides, les mille détours de la rivière, cette im-
mense armée de billots, c'est encore un travail
incalculable, ainsi que la source de mille dan-
gers.
Au début de son commerce de bois, M. Jo-
liette n'avait pas besoin de s'éloigner pour
exploiter les belles forêts de pins qui abon-
daient jusqu'aux alentours de son domaine.
Mais lorsqu'aprèsune dizaine d'années, il fallut
remonter jusqu'au lac des Français, puis, à
celui de l'Assomption distant de 60 lieues de
l'Industrie, les dépenses de l'exploitation du-
rent augmenter considérablement.
L'opération la plus pénible, la plus dange-
reuse est celle appelée : le dravage des billots.
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 71
Sur le chemin que doivent parcourir les dra-
vcurs, sont échelonnés de nombreux rapides qui,
presque chaque année engloutissent quelques
victimes. Les plus célèbres chûtes de la rivière
de l'Assomption, sont celles de Montapeine et
celle des Sept.
La première s'engouffrant d'abord dans un
canal rétréci et profond, précipite ses eaux fu-
rieuses pour les laisser tomber ensuite du haut
d'un rocher perpendiculaire de cinquante à soi-
xante pieds d'élévation.
Son bruit est assourdissant comme celui du
tonnerre ; sur ses bords escarpés, ne croissent
que les mousses humides, les plantes grimpan-
tes au milieu desquelles, rares et dispersées,
apparaissent tristement les têtes des sapins ra-
bougris. Ces lieux arides offrent à l'œil un
aspect désolé et étrangement sauvage. La
nature ici, semble avoir horreur d'elle-même :
l'alouette à la chanson matinale, le délicieux
rossignol, la douce fauvette, la grive mélodieuse,
tous les aimables chantres des bois se sont en-
volés loin de ces sombres bords.
Seuls, perçant les éternels mugissements de
la cataracte, les cris lugubres des corneilles et
des hiboux révèlent en ce lieu, la présence d'ê-
tres vivants. Ces oiseaux sinistres semblent
tinter le glas funèbre des infortunés devenus
72 L'HONORABLE B. JOLTETTE.
la proie du torrent, et dont ils ont dévoré les
cadavres revomis sur le rivage.
Là, au pied du torrent, creusé par les eaux,
dans les flancs déchirés du rocher, sont des en-
foncements profonds, où, chaque année, une
quantité de billots s'engouffrent pour ne plus
réparaître.
Dans la chute des Sept, située en amont de
la première, sept rapides étroits obligent à dra-
ver les billots sur un long trajet. Joignez à
cela les sinuosités capricieuses d'une rivière qui
semble se jouer à travers les montagnes et les
plaines, qui, par exemple, dans un circuit de
neuf milles, revient à neuf pas de son point de
départ, formant une presqu'île appelée a la
Pointe-à neuf pas, " et vous aurez une idée de
l'énergie, de la persévérance qu'il faut déployer
pour y conduire à terme heureux, un chantier
de billots. C'est ce que, pendant vingt ans,
entreprit et exécuta avec les plus magnifiques
succès, le père et le fondateur de l'Industrie.
De son temps, lorsqu'à la crue des eaux du
printemps, le bois encombrait la chaussée, les
moulins redoublaient de vitesse, roulant nuit
et jour, ils transformaient en madriers, en
planche?, en lattes, etc., les vingt à trente mille
billots enlevés chaque année aux forêts sécu-
laires. C'était le travail de l'été.
L'HONORABLE B. JOLIETTE, Ï3
Ces bois de service étaient de nouveau ternis
à flot, les draveurs reprenaient leurs leviers,
leurs piques et leurs gaffes pour l'escorter jus-
qu'à l'embouchure de la rivière de l'Assomption.
C'est de là, qu'embarqué sur des barges, il était
dirigé vers Québec pour y être livré aux ache-
teurs.
Tant de labeurs de la part de M. Joliette
devaient bientôt avoir leur couronnement.
Dans la pensée de cet homme éminent, s'enfan-
taient déjà toutes ces merveilleuses créations qui
ont rendu son nom si cher à ses compatriotes.
Tout en dirigeant avec intelligence les tra-
vaux de ses chantiers dont il suivait de l'œil
les moindres détails, on le voyait s'occuper des
dispositions topographiques de son établisse-
ment naissant. C'est ainsi que dans la prévi-
sion de l'avenir, il traçait dès 1826, au milieu
des souches et des bruyères, l'alignement des
rues de la cité future, qui ne comptait guère
alors, plus de dix à douze colons résidants.
XXII
Manoir seigneurial.
Quelque temps après, en 18*28, il jetait les
fondations du splendide manoir que l'on ad-
mire encore aujourd'hui. Au moment où les
3
74 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
heureux possesseurs de cette demeure vraiment
princière allaient en faire la solennelle dédicace,
un accident imprévu, en retarda d'une année
la cérémonie.
Le jour de Noël, pendant que la famille Jo-
liette et tous les habitants du Village d'Indus-
trie s'étaient transportés à St. Paul, pour as-
sister à l'office divin, l'incendie se déclara tout-
à-coup, au manoir.
Le feu, d'après toute probabilité, s'était com-
muniqué du poêle aux planches et aux madriers
que l'on avait rangés au-dessus afin de les faire
sécher plus promptement. Malgré l'activité et la
diligence des courriers qui coururent porter l'a-
larme dans l'église de St. Paul, l'incendie dévora
en quelques heures, les plafonds, les toits et tout
le bois accumulé dans les appartements du châ-
teau ; le mur d'arrière fut si endommagé, qu'il
croula pendant l'embrasement.
Loin de se décourager, M. Joliette se remit
à l'œuvre, fit refaire à neuf, ce que le feu avait
détruit, et en 1830, il put célébrer avec ses
amis, la fêté du premier de l'an, dans le manoir
seigneurial, devenu plus brillant qu'auparavant.
Dès lors, il ne quitta plus ce séjour, que lors-
qu'il dut dire à la vie le dernier et solennel
adieu.
L'HONORABLE B. JOLIETTE.
XXIII.
75
Construction de nouveaux moulins en
1835 et en 1836.
Le fondateur de l'Industrie poursuivait les
travaux et les améliorations qui devaient assurer
à sa fondation un avenir prospère. Sur les
bords de la rivière,on vit s'élever deux nouveaux
moulins ; le premier destiné à la mouture des
avoines et appelé pour cela : u moulin à avoi-
ne." Il n'existe plus aujourd'hui ; un incendie
l'a ruiné de fond en comble, vers Tannée 1863.
A la droite du manoir seigneurial, un monceau
de ruines indique seul l'endroit où il a été bâti.
Quant au second, il fut construit sur la rive
opposée de la rivière; il était destiné à aider le
premier moulin à scie, dans la manufacture
des bois de service, il a conservé sa destination
primitive et ne cesse ni jour ni nuit, de remplir
son industrieuse mission.
XXIV.
Canal pour la descente du menu bois
en 1837.
Cependant les Américains que l'on rencon-
tre partout où il y a une industrie nouvelle à ex-
ploiter, les Américains avaient envahi à leur
76 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
tour, les bords de l'Assomption, et faisaient, par
leur comnierce'de bois, une rude concurrence à
M. Joliette.
Outre les billots de pin, ces compagnies
étrangères faisaient descendre une quantité de
menues pièces, telles que perches, piquets, bois
de corde, etc. L'accumulation de ce bois obs-
truait les abords des booms qui ne pouvaient
que difficilement lui livrer passage, vu l'énorme
quantité de gros billots qui les encombraient à
l'avance. Afin de remédier aux plaintes émises
à ce sujet, M. Joliette chargea son agent, M.
Chs. Panneton, de diriger les travaux d'un ca-
nal qui, prenant le plus court chemin, devait,
après un parcours d'une dizaine d'arpents,
venir déboucher en aval de la chaussée. Par
ce moyen, les bois légers trouvant une facile
issue, tomberaient immédiatement dans les ra-
pides pour poursuivre leur course sans aucune
interruption.
Ce canal de six pieds de largeur sur trois
ou quatre de hauteur, et que l'on prit soin de
boiser en madriers, fut parachevé dans le court
espace de vingt-cinq jours.
Malheureusement, il ne produisit pas le ré-
sultat désiré, car, à cause de la nouvelle éléva-
tion de la chaussée, ses eaux ne coulant plus
sur un plan assez incliné, le bois ne pouvait
I/HONORABLE B. JULIETTE. 77
s'écouler qu'avec le secours d'un grand nombre
de bras. Ce défaut le fit abandonner, et au-
jourd'hui, il n'en reste plus que quelques vesti-
ges, au milieu des marécages situés en arrière
du Collège et. du Noviciat des Clercs de St.
Viateur.
XXV.
Perte de vingt mille billots.
Ce ne fut pas le seul échec qu'éprouvèrent
les affaires de M. Joliette, en cette année de
1837.
Au moment où tous les billots de ses chan-
tiers d'hiver couvraient la rivière, aux alentours
des moulins, une crue extraordinaire des eaux,
refoulée par un vent violent, rompit les chaînes
qui retenaient les booms. Alors une débâcle
effroyable eut lieu. Vingt mille billots s'ébran-
lèrent, et se précipitant les uns sur les autres,
culbutèrent de la chaussée dans les rapides.
Une digue s'était formée au pont des dalles ;
un instant, on avait conservé l'espoir de voir
s'arrêter ce torrent débordé. T\Iais à peine un
quart d'heure s'était-il écoulé, que le pont, cé-
dant à l'énorme pression des eaux envahissantes,
se disloqua avec un craquement épouvantable,
laissant un libre passage^aux billots qui, bon-
78 L'HONORABLE B. JOLIETTË.
dissant sur les rochers, reprirent leur course
effrénée.
Dès lors, tout fut perdu, et, de cette im-
mense quantité de bois, une partie s'égara sur
les rives de l'Assomption, tandis que l'autre,
suivant le cours des flots, fat entraîné dans le
fleuve St. Laurent.
Un si grand malheur n'altéra en rien la sé-
rénité d'âme de M. Joliette. Lorsqu'on vint
lui annoncer cette triste nouvelle, il répondit
au messager : Eh bien ! c'est le bon Dieu qui
l'a voulu ! tâchons de nous résigner à sa vo-
lonté !
XXVI.
Construction d'un marché en 1837.
Sous lïnfluence de son fondateur, le village
d'Industrie prenait chaque jour de nouveaux
développements. Les habitants des paroisses
de Ste. Elizabeth, de St.Thomas et de St. Paul,
oubliaient un peu la route d'autrefois, pour s'y
acheminer. .
C'est alors que l'on songea sérieusement à la
construction d'un marché assez vaste pour les
besoins de la population et les développements
du commerce.
L'HONORABLE B. JULIETTE. 79
D'après les conseils de M. Juliette, M. Chs.
Panneton et feu le docteur Barbier érigèrent,
sur les bords du canal, une bâtisse devant en
tenir lieu, et qui dura jusqu'en 1854.
A cette époque, les habitants de la localité
comprirent la nécessité de remplacar ce marché
primitif qui n'avait qu'une cinquantaine de
pieds de longueur, par un autre plus spacieux,
mais qui, n'en déplaise à son architecte, ne
semble guère plus élégant que le premier. L'é-
rection de cette nouvelle construction fut le
sujet d'une opposition assez vive entre quelques
citoyens du village,qui voulaient le marché sur
le terrain occupé aujourd'hui par M. Cléments.
Le premier choix fut maintenu et les contes-
tants durent céder. Disons qu ils le firent d'as-
sez bonne grâce, et que l'harmonie, un instant
troublée par ces quelques contestations, reprit
heureusement son empire sur le village d'In-
dustrie.
XXVII.
Troubles de 1837 et de 1838.
Cependant un cri de liberté avait retenti d'un
bout à l'autre du Bas-Canada.
Excitée par la parole ardente et enthousiaste
de MM. Papineau, Lafontaine, Nelson et au-
80 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
très, la population de la rive droite du St.
Laurent, s'était soulevée en masse, pour venger
ses droits méconnus.
Une foule de révolutionnaires sillonnaient
en même temps le pays, dans le but d'enrôler
des volontaires pour la cause sacrée de l'affran-
chissement de ce qu'on appelait la tyrannie
anglaise. Dans un grand. nombre de localités,
la voix des Evêques, les conseils des hommes
sages retinrent les habitants dans les limites
du devoir.
A l'Industrie et à St. Paul les tentatives des
fils de la liberté échouèrent complètement,
grâce à l'intelligence et au dévouement de M.
Joliette. Faisant taire la voix d'une ancienne
amitié pour n'écouter que celle de sa cons-
cience, il répondit aux avances du chef de Top-
position Bas-Canadienne par une énergique
protestation de fidélité à la couronne d'Angle-
terre. u Plutôt, disait-il, briser mille fois les
" liens de notre amitié que de me déshonorer
" au point de forfaire à mon serment d'allé-
" geance."
Pendant que sur plusieurs points, les agita-
teurs semaient ces étincelles qui devaient allu-
mer les funestes incendies de St. Charles, de
St. Denis et de St. Eustache, M. Joliette par-
courait son districtjCalmant partout les passions
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 81
surrexcitées. Aux cris de:"liberté,"et de:u à bas
les Anglais" il opposait le cri du devoir, la
doctrine de la soumission au pouvoir établi, les
conséquences désastreuses de l'insurrection, cou-
ronnant toutes ces exhortations en exigeant
des citoyens la prestation du serment de fidélité
au gouvernement Auglais.
Aus.-i, après les effusions de sang qui cou-
vrirent de deuil plusieurs villages du Bas-
Canada, M. Joiiette reçut-il les plus chaleu-
reux remerciements de la part de ses conci-
toyens qu'il avait préservés de la contagion de
la révolte.
La divergence d'opinions politiques qui pen-
dant les troubles, avait opéré une scission
entre lui et ses anciens collègues du Parlement,
n'avait laissé dans son esprit aucun sentiment
d'aigreur.
Dix ans après les malheureux événements
dont nous venons de parler, un de nos plus il-
lustres patriotes de l'époque descendait à son
manoir pour s'acquitter, de ce qu'il appelait,
une répara lion envers les devoirs de l'amitié.
M. Joiiette versait des larmes de bonheur
en recevant dans ses bras ce vieil ami qui, après
un long exil, rentrait dans la patrie qu'il avait
conduite à l'abîme en voulant la sauver.
14 Mon cher ami, lui dit le nouveau venu,
82 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
avant de franchir le seuil de votre demeure, de
me livrera la joie de notre intimité d'autrefois,
j'ai à vous demander pardon de notre refroidis-
sement apparent et dont mon long silence a été
la cause. Hélas ! que d'événements depuis
dix années ! Je le sais, on m'a accusé de tous
Jes malheurs qui ont fondu sur nos infortunés
concitoyens ; on m'a reproché d'avoir ensan-
glanté la patrie et d'y avoir semé la tempête.
Je ne puis répondre à ces graves et terribles
accusations, qu'en protestant de mon amour
pour mon pays ; je ne voulus jamais sa ruine ni
son malheur, puisque j'ai travaillé toute ma
vie pour sa gloire et sa liberté. Mon patrio-
tisme a toujours été sincère et si nous n'avons
pas réussi dans notre entreprise, il n'en faut
accuser que le sort qui nous a été contraire ! "
Assez,assez, reprit M. Joliette, tirons un voile
sur ces malheurs que vous n'avez pas prévus.
Rappelons des souvenirs plus heureux.
Et l'entretien se poursuivit, sans qu'une allu-
sion tant soit peu pénible n'attristât le front
déjà si pensif de notre grand orateur cana-
dien.
Plus d'une fois, dans la suite, M. Papineau
se donna la jouissance d'une visite aux aimables
seigneurs du manoir de Joliette.
L'HONORABLE B. JOLIETTE.
XXVIII.
M. Juliette, juge et père de la popula-
tion DE SON VILLAGE.
Durant le laps de temps qui suivit sa rési-
gnation de mandataire du peuple, M. Joliette
fut sollicité plus d'une fois, d'entrer de nouveau
dans la politique. Il refusa constamment de
se rendre à ces instances. Uu but unique,
constant lui faisait concentrer toutes ses res-
sources matérielles et intellectuelles vers le
charmant village qui, comme une fleur bien-
aimée, croissait sous sa tutelle protectrice et
s'épanouissait sous le regard de son amour.
Nous avons déjà dit que M. Joliette avait
cessé l'exercice de sa profession de notaire.
Cet office était rempli par un citoyen dont la
ville de Joliette a appris à respecter l'intégrité,
le dévouement et cette aimable modestie qui est
le caractère distinctif du vrai mérite. Cet ho-
norable monsieur, que personne ne saurait mé-
connaître sous ce portrait, est M. J. 0. Le-
blanc, Ecr., ex-régistrateur du Comté de Joli-
ette.
Quant au fondateur de l'Industrie, il n'en
rendait pas moins à l'égard des habitants de la
84 L'HONORABLE B. JULIETTE.
localité, les services qu'on pouvait attendre d'un
notaire savant et dévoué.
Pendant de longues heures, il se prêtait de
la meilleure grâce du monde, à écouter les de-
mandes qu'on lui adressait sur les questions
litigieuses. Il se montrait, tout à la fois, le
père dévoué et le juge impartial de cette popu-
lation qui se groupait autour de son manoir.
Il arrêtait les procès ; admonestait les citoyens
coupables de quelqu'injustice ; les engageait à
la réparation des torts qu'ils avaient causés :
faisant le tout, avec tant de bonté, d'esprit de
justice, de prudents ménagements, que chacun,
renonçant à sa prétention ou à son ressentiment,
se trouvait heureux de se rendre à ses raisons
et à ses avis paternels.
Sa patience était admirable ; car, malgré les
manières rudes, les répliques parfois grossières
et injurieuses des parties dont il avait à régler
les différends, jamais, ni le ton de ses réponses,
ni l'altération de son visage, ne laissaient aper-
cevoir l'indignation ou l'impatience qui aurait
éclaté chez un caractère moins trempé, moins
accoutumé à réprimer ses saillies.
Et lorsqu'au sortir de ces longs entretiens,
après l'heureux dénouement d'une affaire em-
barrassée, on venait lui demander ce qu'il exi-
geait pour sa peine : " Ce n'est rien, mes amis,
L'HONORABLE B. JOL1ETTE. 85
leur disait-il ; soyez toujours unis ; je serai assez
récompensé de mes conseils, si j'apprends que
vous vivez en paix et que vous êtes toujours
de bons citoyens et surtout de bons chré-
tiens.1'
SA CHARITÉ.
Ce n'était pas seulement par sa douceur
qu'il s'attirait l'affection de la population, car
sa charité n'était pas moins admirable que sa
bienveillance.
C'est un fait publiquement avéré par tous
ses contemporains, que jamais un malheureux
n'a frappé en vain, à la porte de son manoir.
Il allait jusqu'à prévenir les demandes des
nécessiteux en leur envoyant avec libéralité de
quoi soulager leur misère.
Rencontrait-il un homme sans occupations,
il l'arrêtait sur le champ, l'amenait avec lui, et
lui mettant en main un instrument de travail,
il lui disait: u Eh bien! mon ami, voici un
moyen de gagner honorablement ta vie et celle
de ta famille. Fais cette besogne, tu viendras
ensuite recevoir la récompense de ton labeur.
Il en sera ainsi tant que tu n'auras rien à faire
chez toi."
Comme tous les grands cœurs, M. Joliette
aimait à garder le secret de ses bonnes œuvres.
86 L'HONOP.ABLE B. JOLIETTE.
Mais c'était en vain que sous le voile de sa
modestie, il s'efforçait de les dérober à tous
]es regards, leur parfum les ré vêlait et les
faisait bientôt découvrir.
Souvent, vers le soir, on le voyait se diriger
vers une ou deux des plus pauvres habitations
de son établissement. A son aspect, la joie re-
naissait dans l'âme de la mère affligée; les petits
enfants, le front rayonnant de bonheur, s'appro-
chaient avec confiance de celui qu'ils chéris-
saient comme un père. Après quelques unes
de ces douces paroles, qui tombaient sur les
plaies du cœur, comme un baume bienfaisant,
après avoir glissé quelques pièces d'argent dans
la main tremblante de la mère reconnaissante,
l'heureux seigneur repartait, au milieu des bé-
nédictions de cette famille consolée, emportant
dans son âme plus de bonheur que s'il eût ga-
çné une fortune.
XXIX.
Madame Juliette.
Nous devons ajouter à l'honneur et à la juste
louange de sa noble épouse qu'elle ne lui en
cédait guère, sous ce rapport. Digne héritière
de la noblesse d'origine et de sentiment, de la
charité proverbiale de la famille de Lanaudière,
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 87
jamais on ne vif, son cœur et sa bourse fermés
devant l'infortune ou la misère.
Type de la femme forte et accomplie, on la
voyait dès l'aurore, occupée aux soins de sa
maison qu'elle dirigeait à la tête de ses ser-
vantes. Un pauvre frappait-il a la porte du ma-
noir ? Elle-même allait s'informer et du motif de
sa visite et des détails de son indigence. Elle s'af-
fligeait avec lui, au récit de son malheur ou de
ses privations. Là. ne s'arrêtait pas sa sym-
pathie et sa charité ; car, après l'avoir fait
manger en le servant elle-même, elle ne man-
quait pas de le gratifier encore d'une abondante
aumône.
Un. jour c'était en l'absence de son époux.
La seigneuresse assiégée par un certain nombre
de mendiants, n'avait su résister à, l'entraîne-
ment de son bon cœur : d'une aumône à l'au-
tre elle avait donné jusqu'à quatorze minots de
blé ! A la fin de la journée, réfléchissant qu'elle
avait peut-être plus consulté sa générosité que
sa discrétion, elle craignait de recevoir des
reproches ù cause d'une pareille prodigalité.
Son inquiétude était assez vive. Pour prévenir
la réprimande, elle avait chargé un ami d'aver-
tir son époux de ce qui était arrivé.
En apprenant cette conduite, celui-ci vint la
trouver, et la félicitant sur sa bonne action :
88 L'HONORABLE B. JOL1ETTE.
" fais à l'avenir, lui dit-il, selon que te le con-
seillera ton cœur généreux, tout ceci t'appar-
tient, ajouta-t-il, en lui désignant du geste, le
manoir et les environs." Digne et noble ré-
ponse, qui entoure de la même gloire, et la cha-
rité de l'épouse et la grandeur d'âme de l'é-
poux.
Dans une autre circonstance, madame Juli-
ette, dont l'œil vigilant surveillait tout, s'était
transportée auprès du vaste four,d'où l'on reti-
rait en ce moment le pain qui devait nourrir sa
nombreuse famille de serviteurs. Sur ses pas,
comme d'habitude.les pauvres étaient accourus
demandant l'aumôme. Emue jusqu'aux larmes
à la vue des haillons qui les couvraient, de la
misère peinte sur leur figure, la noble dame
leur distribua toute la fournée de pain. Le.s
mendiants s'en retournèrent en bénissant son
nom et celui de son époux, tandis qu'en sou-
riant, elle donnait des ordres pour une nouvelle
fournée.
XXX.
Etablissements Religieux.
Au milieu de la prospérité matérielle de son
village, *M. Joliette n'oublia pas les établisse-
ments religieux dont la fondation devait cou-
L'HONORABLE B. JOLIETTL. 89
rainer sa belle carrière. Il était profondément
péiétfé de cette conviction qu'une société,
quune association quelconque ne saurait pros-
pérer sans la religion. Il reconnaissait que
cette dernière est la base, le fondement indis-
pensable de tout progrès véritable, comme de
toute verlu et de toute grandeur.
Aussi l'aimait-il de tout son cœur, cette reli-
gion pour l'honneur de laquelle il sacrifia une
partia de sa fortune. Il la vénérait dans la
personne de ses ministres dont les plus mar-
quants figuraient au nombre de ses amis les
plus chers.
Le Vénérable Evêque de Montréal avait en
grande estime ce généreux citoyen. Cette
haute considération, qui ne souffrit jamais d'at-
teinte, ne manqua pas d'être payée d'un juste
retour de la part de l'Hon. Joliette.
Ce fut en témoignage de son dévouement
pour l'Eglise, ainsi que pour remplir le vœu
de la population dont il était le père, que dans
l'automne de 1S41, il suppliait Monseigneur I.
Bourget de lui permettre d'ériger à l'Industrie,
un temple dont il ferait tous les frais de cons-
truction.
En attendant que le nouvel édifice put être
livré au culte divin, il sollicitait pour son vil-
90 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
lage, la faveur d'avoir l'Office divin tous les di-
manches et les fêtes. Le prélat, qui connaissait
ses bonnes dispositions, lui accorda de grand
cœur, ce qu'il avait déjà sollicité en vain, auprès
de feu Mgr. Lartigue.
" Nous permettons, disait l'Evêque dars un
décret, nous permettons qu'une chapelle soit
bâtie par contribution volontaire, sur la terre
que l'Honorable Jolielte et sa femme promet-
tent de donner pour sa fondation."
Le curé de St. Paul, qui s'était offert pour
desservir la nouvelle mission, reçut en même
temps que M. Joliette, la réponse favorable de
l'Evêque.
Voici un extrait de la lettre que Sa Gran-
deur, Monseigneur Bourget lui adressa à cette
occasion.
Montréal, 7 -Décembre 1841.
Monsieur,
u Pour récompenser les généreux sacrifices
qu'ont fait et que veulent encore faire vos
seigneurs et seigneuresses, et encourager le zèle
et les bons sentiments du village d'Industrie,
je me rends à vos demandes instantes et réité-
rées, en vous permettant de biner tous les di-
manches et fêtes, à la chapelle située au dit vil-
L'HONORABLE B. JULIETTE. 91
lage d'Industrie; cette permission est pour un
an, à commencer du 8 décembre courant. Ne
manquez pas de remercier la Vierge Imma-
culée, car c'est à Elle que vous êtes redevable
de cette faveur. J'espère qu'elle bénira ce
pauvre village et qu'elle en fera un village de
saints, ce qui est très-digne de sa grande misé-
ricorde, et ce que je lui demande de tout mon
cœur."
j Ig. Eveqve de Montréal.
Rev. F. M. Turcotte, curé de St. Paul.
Construction d'une Eglise.
Quelques jours après, dans le haut du mou-
lin le plus voisin du château, (le moulin brûlé
en 18f>3), une chapelle fut préparée pour rece-
voir, chaque dimanche, les habitants de la loca-
lité. A chaque solennité, c'était toujours un
nouveau et édifiant spectacle, que la vue de
cette fervente population appelant les bénédic-
tions célestes sur elle et sur ses bienfaiteurs.
Mais la modeste chapelle devait faire place à
un temple plus digne de la future paroisse de
St. Charles Borromée. C'était là, Je plus vif
désir du fondateur du village d'Industrie.
Avec son activité ordinaire, il s'était déjà
mis à l'œuvre. Des riches carrières, qui bor-
92 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
dent la rivière de l' Assomption, sortit bientôt
la pierre nécessaire pour l'érection de la nou-
velle Eglise. Au printemps suivant, tous les
matériaux étaient rendus sur place. On se
mit au travail avec une incroyable ardeur.
L'activité fut si grande qu'au treize juin,
cédant à la sollicitation de M. Joliette, Mgr.
Bourget put venir faire la bénédiction de la
première pierre de l'Eglise de St. Charles. Le
jour de la cérémonie s'annonça d'abord sous
les couleurs les plus tristes. Il pleuvait à tor-
rents. M. Joliette, qui se promettait tant de
joie pour la circonstance, désespérait de l'arri-
vée de l'Evêque, lorsqu'à travers les brouil-
lards et l'orage, il aperçut sa voiture s'arrêtant
à l'entrée du manoir. Un cri do joie et de re-
connaissance s'échappa de sa poitrine. Merci
Monseigneur, du bonheur que vous me procu-
rez en venant aujourd'hui bénir notre Eglise !
" Mon cher monsieur Joliette, reprit l'Evêque
avec un doux sourire, convenez qu'il faut bien
vous aimer pour vous faire visite en un jour
comme celui-ci ; mais, poursuivit-il, nous devons
nous réjouir, car cette pluie abondante, c'est la
rosée du ciel qui fécondera la bonne semence
que vous venez de jeter sur le sol de l'In-
dustrie."
Malgré le mauvais temps, un grand concours
L'HONORABLE B. JOL1ETTE. 93
de peuple assistait à la cérémonie. Monsei-
gneur ne put s'empêcher d'adresser la parole à
cette population qui était accourue pour le
voir et entendre sa voix toujours aimée. Lors-
qu'après avoir expliqué, avec son onction ordi-
naire, les cérémonies imposantes de la bénédic-
tion, il en vint à parler de l'immortalité des
œuvres entreprises pour la gloire et l'honneur
de l'Eglise, de la grandeur du citoyen qui se
sacrifie pour sa religion et sa patrie, un mur-
mure approbateur parcourut l'assistance trans-
portée : tous les cœurs palpitaient sous le coup
d'une violente émotion, et l'on vit tous les re-
gards pleins d'admiration, d'amour et de re-
connaissance se diriger vers M. Joliette, l'objet
de ces justes éloges.
Pendant ce temps-là, confondu dans la foule,
baissant humblement la tête, le noble seigneur
ajoutait, par sa modestie, un nouvel éclat à la
gloire si pure de ses vertus de foi, de dévoue-
ment et de patriotisme.
Ce zèle ardent, cette générosité inépuisable
qu'il montrait pour la construction de son
Eglise devinrent contagieux pour la population
de son village qui ne voulut pas rester en ar-
dans une si belle œuvre. Les habitants étaient
pauvres : ils donnèrent de leur pauvreté ; on
les vit offrir le secours de leurs bras, de leurs
94 L'HOXOHABLE B. JOLIETTE.
chevaux, de leurs voitures pour "aider à la
construction de leur temple.
Leurs efforts, couronnés splendidement par
la générosité de la famille seigneuriale de La-
naudière, eurent un résultat si efficace, que le
treize Octobre 1843, l'Evêque de Montréal
descendait de nouveau à l'Industrie pour pro-
céder solennellement à la bénédiction de l'édi-
fice religieux. Pour le plaisir de nos lecteurs,
nous leur mettrons sous les yeux le compte-
rendu de la circonstance, publié dans le temps,
dans les " Mélanges Religieux. "
Il y a dans ces lignes d'intéressants détails
qu'il importe de conserver.
" Mercredi, douze courant, Monseigneur de
Montréal avait consacré l'autel de l'Eglise de
St. Paul avec toute la solennité d'usage ; le soir
du même jour, le seigneur Joliette envoya son
carosse traîné par deux chevaux, pour trans-
porter l'Evêque au village d'Industrie. Il y
arriva vers le couchant du soleil par un très-
beau temps. Tout le village avait un air de
fête et ses habitants se trouvaient sur la rive
principale, où passa l'Evêque suivi d'un nom-
breux cortège. Ce fut le lendemain qu'eut
lieu la bénédiction de l'Eglise.
L'Eglise de St. Charles est bâtie d'après un
très-beau plan et des proportions telles qu'elles
L'HONORABLE B. JOLIETÏE. 95
rendent cet édifice un des plus élégants du
pays. Elle a cent-dix pieds de long, trente-
deux de haut, et cinquante de large. Elle a
deux rangs de fenêtres ; le deuxième rang de
moindre dimension sert à éclairer les galeries
latérales qui se prolongent jusqu'aux angles des
chapelles. Un beau jubé est construit au bas
de l'Eglise. Le portail de l'édifice est en
pierres de taille exploitées et taillées sur le lieu
même.
A la suite de l'Eglise, et aux murs mitoyens,
sont la sacristie et un presbytère à deux étages,
de quarante pieds sur trente, ce qui forme
cent-cinquante pieds de maçonnerie. Les ou-
vrages doivent se continuer immédiatement, et
au mois de mars, l'Eglise sera complète ; voûte
en plâtre, murs imités en marbre, galeries dé-
corées, bancs du meilleur goût, sanctuaire orné,
etc., On couvre maintenant le clocher en fer-
blanc ; il y a place pour trois cloches qui ne se
feront pas attendre longtemps ; j'ai compris
qu'elles arriveraient dans le cours de l'année.
Le presbytère doit aussi être fiai au mois de
mars. Une ferme sur laquelle l'Eglise est
bâtie est donné par le seigneur Joliette pour
aider à la subsistance du curé auquel cent
louis sont assurés annuellement, outre lecasuel,
le revenu de la ferme et quelques dîmes.
9G L'HONORABLE B. JOLIETTE.
Quelques minutes après huit heures, com-
mença la cérémonie qui se fit avec toute la so-
lennité possible, au milieu d'un concours tel,
qu'au moins un tiers des assistants ne pût trou-
ver place dans l'Eglise. Il était plus de onze
heures, lorsque la consécration de l'autel fut
terminé. M. Quiblier avait été invité pour
faire le discours dans cette circontance. Quoi-
qu'il eût accepté l'invitation, une indisposition
l'empêcha de s'y rendre. Il fallut qu'un des
prêtres présents, M. le Grand- Vicaire Manseau
montât en chaire et improvisât un discours de
circonstance.
Le seigneur Joliette, le seul auteur du bel
établissement au Village d'Industrie, méritait
la reconnaissance publique : les habitants du
village n'ont fourni que quelques matériaux
bruts : bois rond, pierre, chaux, sable, point
ou presque point d'argent. L'orateur les lou-
ant sur le zèle, la piété, la générosité démontrés
par leur superbe édifice dont la première pierre
avait été bénite quatre mois auparavant, s'est
arrêté et a repris : La vérité et la justice
demandent de moi, dans ce moment, quelque
chose de plus. Je dois le dire, cet édifice ma-
gnifique est le fruit des efforts généreux d'un
honorable citoyen bien connu de tout cet audi-
toire, d'un citoyen dont la grande âme a conçu
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 97
et réalisé un projet sans précédent et unique
quant aux moyens qu'il a employés, — unique,
par l'esprit de bienveillance et de vraie philan-
tropie qui a présidé à cette œuvre admirable,
oui, œuvre admirable que je ne peux louer que
faiblement, mais qui sera louée et mieux appré-
ciée par la génération présente, et par toutes
celles qui la suivront ; elle doit être appréciée
surtout par tous les citoyens de. cette localité
qui doivent en tirer le principal avantage.
C'est à eux surtout, qu'est imposé le devoir
d'une reconnaissance continuelle, et, ils le rem-
pliront ce devoir par les égards, la franchise et
la probité qu'ils apporteront dans leurs rapports
avec leur commun bienfaiteur, etc.
Le village d'Industrie contient quatre-cents
communiants. L'exploitation des bois, les
moulins à carder, à fouler, etc., etc., tout cela,
produit par le génie de M. Joliette, doit faire
surgir dans cette place une ville à l'avenir.
Ce monsieur est comme le père nourricier de
toute la population.
" Jeudi, treize courant, le tout s'est terminé
par un banquet, où une cinquantaine d'amis
prirent place.
Village d'Industrie, 18 Octobre 1842.
Les commentaires sont ici inutiles ; qu'il
98 1/ HONORABLE B. JOLIETTE.
suffise de faire remarquer avec le regretté
Grand Vicaire Manseau, que la gloire dont
l'Hon. Joliette a entouré sa vie par la fon
dation d'une ville et la construction d'une
Eglise, vivra à jamais dans le souvenir des
citoyens objets de sa munificence.
Nonobstant les immenses sacrifices déjà ac-
complis, le bienfaiteur de l'Eglise voulut para-
chever son œuvre. La voûte, les galeries, les
peintures des murs, les autels, les décorations
du chœur, les bancs, la chaire, etc., tout fut
terminé au printemps suivant :
A ces dépenses considérables, le généreux
donateur avait ajouté celle d'une maison pour
le public, d'une cuisine au presbytère, des
granges, remise, hangar pour l'usage du curé,
de l'entourage du cimetière, des cours, des
jardins, etc., etc. Joignons à cela, l'achat des
vases sacrés, des ornements sacerdotaux, des
parures de l'autel, et nous aurons une idée des
sacrifices qu'il dût s'imposer. Il semblait que
sa bourse ne devait pas plus s'épuiser que la
générosité de son cœur.
Jusqu'à cette époque, l'Eglise du village
d'Industrie n'était qu'une succursale desservie
par le curé St. Paul. Cet état de choses ne
pouvait durer. Au premier janvier de l'année
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 99
1843, M. Neyroa fût nommé curé résidant
de la paroisse de St. Charles Borromée. Le
nouveau curé ne remplit ses fonctions que
pendant dix mois, après l'écoulement desquels,
il fut remplacé par le Eévd. Antoine Manseau,
l'un des Grands Vicaires de Mgr. l'Evêque de
Montréal. Deux mois après l'installation du
deuxième curé de l'Industrie, le 23 décembre
1843, Monseigneur Bourget laDçait le décret
de l'érection canonique de la paroisse de St.
Charles.
La nouvelle circonscription ecclésiastique
comprenait une étendue de territoire de forme
irrégulière, d'environ huit milles de longueur
sur deux milles de largeur. L'érection civile,
demandé par l'Honorable B. Jolictte, n'eut
lieu qu'en juin 1845.
XXXI.
Don de trois cloches a l'Eglise, par
LA FAMILLE DE LaNAUDIÈRE.
Cérémonie de la bénédiction,
le 6 Sept. 1843.
Quelque chose manquait encore a a temple
splendide, — témoin vivant de la foi de son fon-
dateur. Ce brillant et gracieux clocher, qui
dominait majestueusement les habitations du
100 L'HONORABLE B. JULIETTE.
village, ne disait pas au cœur ce quon pouvait
en espérer ; il était resté sans voix. Cette voix,
dont les accents mystérieux se mêleront bientôt
à ceux de la cité et de la famille, il pour en
consacrer les joies, en pleurer les douleurs, en
en rappeler les devoirs," ce sera celle de la
cloche catholique, objet d'amour et d'espé-
rance pour toutes les âmes chrétiennes.
Quel langage, en effet, plus éloquent et plus
doux, plus fort et plus tendre, plus mélanco.
lique et plus suave que celui des cloches de
nos Eglises. " On dirait la voix de l'ange tuté-
laire que la foi nous montre à côté de chaque
homme, guidant ses pas, inspirant son cœur,
souriant à ses innocents plaisirs, sympathisant
avec ses souffrances, gémissant sur ses erreurs.
" C'est elle, qui à notre entrée dans la vie, nous
salue d'une voix maternelle, et annonce par ses
joyeux carillons, un nouveau-né à la famille, un
citoyen à la patrie, un élu pour le ciel. Du
haut de sa flèche aérienne, elle est comme une
sentinelle dont le regard protège les champs et
les cités. Si les orages et les tempêtes dévas-
tent les campagnes, si des toits de nos maisons
jaillit la flamme de l'incendie, c'est elle qui ré-
unira la population' et sauvera les vies et les
propriétés en péril.
" C'est par la cloche que la terre chrétienne
L'HONOIîABlE B. JULIETTE. 101
fait monter vers le ciel, ou ses gémissements ou
sa reconnaissance.
11 Ainsi, elle symbolisera la communauté de
biens spirituels ; sa voix imposante proclamera
dans les airs, la majestueuse union de foi, d'es-
pérance et de charité que l'Eglise seule a reçu
mission de réaliser parmi les hommes."
Le bienfaiteur de l'Eglise de St. Charles
avait deux raisons de soupirer ardemment
après le beau "jour où le temple qu'il venait
d'élever à Dieu, chanterait à sa manière, la
gloire de l'Eternel, transportant jusqu'au ciel,
sur les notes de l'airain sonore, l'hymne pieux
de sa foi et de sa reconnaissance.
Voix imposantes et harmonieuses des cloches,
lorsque vous éclaterez pour la première fois,
vous redirez encore d'autres louanges ; car vous
publierez en même temps, et la gloire du fon-
dateur de l'Industrie, et la générosité de la fa-
mille qui vous aura installées dans votre de-
meure aérienne !
C'était la noble famille de Lanaudière qui
s'était réservé l'honneur de fournir au prix de
six mille-cinq-cents francs, le joyeux carillon,
qui fut importé d'Angleterre. Ajoutons que
ce ne fut pas le seul sacrifice qu'elle s'imposa
pour seconder la bienfaisance de l'Honorable
Jolictte et de sa dame.
102 L'HONORABLE B. JULIETTE.
Combien l'âme de ces personnes généreuses
dût tressaillir de bonheur en la fête joyeuse de
la bénédiction de ces trois belles cloches aux-
quelles la reconnaissance donna le nom de
leurs donateurs et donatrices !
Chaque vibration de l'airain consacré, reten-
tissant sous les voûtes pavoisées du temple,
devait faire palpiter leur cœur sous l'effet de
mille souvenirs attendrissants.
Aussi, le Père Boné, prédicateur de la cir-
constance, ne manqua pas de faire là-dessus de
touchantes et spirituelles allusions auxquelles
tout l'auditoire, plein d'émotion, applaudissait
de cœur, d'âme et de regard.
XXXII.
Témoign/ge d'honneur et d'estime ren-
du a l'honorable B. Joliette, par
la Cour de Rome.
Les éclatants témoignages que l'Honorable
Joliette venait de donner de sa foi et de son
attachement à l'Eglise lui avait attiré les féli-
citations de ses compatriotes catholiques dont
il se montrait le si glorieux modèle. Les jour-
naux du temps ne tarissaient pas d'éloges à son
adresse.
t'HONOÈABLE B. JOLIETÎË. 103
Au milieu de ce concert des catholiques et
de toute la presse canadienne, la voix de Rome
se fit entendre pour proclamer les services
éminents rendus à la cause religieuse par le
fondateur du village d'Industrie. Cette pièce
fait trop d'honneur à un enfant du Canada
pour être passée sous silence. Nous nous fai-
sons un devoir de la reproduire, persuadé que
la lecture de ce document sera un véritable
plaisir pour tous les citoyens de Joliette.
" Très-Illustre Monsieur."
i: C'est avec la plus grande satisfaction que
la Sacrée Congrégation de la Progagande de la
Foi a appris que, parmi les sacrifices que fait
votre Seigneurie pour le soutien de la religion,
sacrifices que vous continuez encore avec la
même ardeur, vous avez bâti à grands frais une
magnifique Eglise, pour y célébrer dignement le
culte divin et procurer le salut des âmes.
Quoique nous sachions bien qu'en tout cela,
vous avez recherché non les louanges des hommes
mais la plus grande gloire de Dieu, et que votre
zèle bien connu n'a pas besoin d'être excité }
cependant, nous ne pouvons nous empêcher,
au nom de la Sacrée Congrégation, de louer
dans le Seigneur, votre amour ardent et votre
104 L'HONORABLE B. JOL1ETTE.
piété, de vous témoigner notre affecteuse estime
et de vous exhorter en même temps, à conti-
nuer de protéger et soutenir de toutes vos
forces la sainte religion catholique.
A cela, nous ajoutons un petit cadeau en
argent, savoir : une médaille de l'œuvre pré-
cieuse de la propagation de la foi, que vous
recevrez volontiers,comme gage de notre attache-
ment et de notre considération.
Nous prions Dieu qu'il conserve longtemps
votre seigneurie et la préserve de tout danger.
De Votre Seigneurie,
Le très-affectionné,
J. Th. Franzoni, Préfet.
Rome, 25 juillet 1844.
Des paroles aussi flatteuses et tombées de si
haut, redisent trop éloquemment, le zèle, le
dévouement, la générosité, la modestie de
l'Honorable B. Joliette, pour qu'il soit besoin
d'y joindre le tribut de nos faibles éloges. Et
pourtant ces belles actions qui lui valaient ces
pompeuses louanges, n'étaient encore que le
prélude des œuvres vraiment admirables, qui
jetteront sur le soir de sa vie de si brillants
reflets de gloire.
L'HONORABLE B. JOLIETTF. 105
XXXIII.
Idées de l'Honorable Juliette sur
l'Education.
Avec son jugement si sûr, la haute intelligence
dont il avait donné des preuves si convain-
quantes, le seigneur Joliette comprenait qu'il
manquait quelque chose d'essentiel à la pros-
périté de son établissement et au bonheur de la
population qui s'y acheminait chaque année.
Il comprenait que son œuvre resterait inache-
vée, s'il ne réussissait à doter sa ville naissante
d'une maison d'éducation dont le programme
des études fut en rapport avec les besoins du
temps.
" Rendre lajeunesse heureuse en développant
ses perfections morales et intellectuelles pour
la rendre utile à ses semblables et à elle même,
pour la former aux luttes et aux devoirs de la
vie publique et privée," telle était l'idée que
cet illustre citoyen avait conçue de la mission
de cette éducation qu'il se proposait de faire
donner à ses compatriotes. Avant tout, catho-
lique sincère, il voulait que cette éducation
fût essentiellement religieuse. 11 était persuadé
que sans cette condition, elle ne saurait être
bonne et utile à la société.
106 L'HONORABLE B. JOLIETTË.
A son langage et â ses actes, on voit que,
contrairement à l'opinion d'un certain nombre
de nos prétendus esprits forts, il était convaincu
que l'éducation qu'il fallait à notre jeunesse
canadienne, n'était pas celle donnée si impru-
demment à la génération française du dix-
huitième siècle, et qui, aux jours radieux de
la foi, aux sublimes dévouements, fit succéder
les tempêtes sociales, et amena le débordement
de toute les mauvaises passions au sein de la
société que l'on corrompait dans sa source.
Non, élevé dans les principes du plus pur
christianisme, habitué dès son enfance à la
pratique de ses devoirs religieux, l'Honorable
Joliette sentait le besoin de répandre autour
de lui les bienfaits de cette religion d'amour
qui, en grandissant les sentiments du cœur de
l'homme, lui procure en même temps, de si
douces consolations aux heures mêmes de ses
sacrifices.
Il croyait à bon droit, que le premier devoir
de la société était de donner à l'enfant avant
toute autre connaissance la connaissance de
Dieu et du bien, et qu'elle la lui devait, pour
lui-même d'abord, et pour elle ensuite.
lo. " Pour lui-même, afin qu'il ne s'engageât
pas sans boussole sur cette vaste obscurité de la
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 107
vie, afin qu'il ne demeurât pas sans consolation,
sans secours, durant ces naufrages auxquels
sont communément réservées les plus chères
espérances du cœur, et que, frappé dans ses
biens, dans son esprk, dans son âme, dans son
corps, un indescriptible appui restât à son âme
immortelle, et la sauvât du désespoir. Cet
appui, il le savait, il le proclamait, c'est Dieu.
11 Où l'homme le prendra-t-il, s'il ne le con-
naît pas ? Où. trouvera-t-il son unique refuge,
s'il n'a, dès la jeunesse, dès l'enfance, contracté
l'habitude salutaire d'y porter, avec la soumis-
sion d'un égal amour, l'offrande de sa joie et de
ses pleurs.
11 II souffrira en vain, tout sera funeste dans
sa vie; ce peu de bonheur amer qu'il arrachera
à la morne âpreté de son destin, ces fruits rares
et chétifs qui pendent aux buissons de la mau-
vaise vie, — mauvais comme elle, tromperont la
soif de son cœur, et chargeront son âme d'un
aliment empoisonné.
M 2o. Pour elle-même. Cette connaissance, la
société la doit encore pour elle-même ; car un
jour, face à face avec les graves et austères
devoirs de la vie, le jeune homme sera appelé
à secourir ses frères, à diriger une famille.
Il devra donner le bon exemple à ses infé-
rieurs, la soumission aux lois, le respect aux
108 L'HONOKABLE B. JULIETTE.
supériorités ; il faudra que l'humanité règle
ses entreprises, que la chasteté gouverne ses
sens, qu'une rigide probité le guide dans les
affaires, que la religion reçoive publiquement
ses hommages. Il faudra tout cela, s'il ne veut
produire autour de lui une effrayante démora-
lisation." Voilà l'homme tel que la société a
droit de le demander à l'éducation du Collège
et de l'Académie. C'est ainsi, que voulut le
donner, et que le fit instruire l'Honorable
B. Joliette.
XXXIV.
Fondation du Collège Joliette "en
1845.
Depuis longtemps, le projet de bâtir une
grande maison d'éducation germait dans son
esprit. Il n'attendait que l'occasion favorable
pour réaliser ce vœu de son cœur.
Bientôt, à côté de l'Eglise, sur un vaste ter-
rain qui devait servir de dot à la nouvelle fon-
dation, on vit s'élever les murs d'un édi-
fice de quatre-vingts pieds de longueur sur
quarante de largeur ; c'était le futur Collège
Joliette. Commencé en 1845, cette bâtisse en
pierre de rang, à deux étages, se terminait l'an-
née suivante.
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 109
Quelques semaines plus tard, dans le joli
clocher qui en couronnait le toit, la cloche du
grand moulin changeant de domicile et de
mission, appelait dans l'enceinte du Collège
naissant, l'intéressante jeunesse du Village
d'Industrie.
Le bienfaiteur de l'institution, qui voulait
imprimer à son œuvre le cachet de la stabilité,
s'était proposé de confier le soin de cette maison
d'éducation à une communauté religieuse.
Dans ce but, il entreprit plusieurs démarches
auprès de Mgr. Bourget qui, avec son zèle or-
dinaire, seconda puissamment son dessein.
En attendant que le projet en question pût
être effectué, l'Evêque chargea le Rév. M.
Rester, MM. Barret et Dequoy, ecclésiastiques,
d'aller, en compagnie de quelques professeurs
laïques, ouvrir les classes du Collège. (1)
Mais auparavant, il était juste que Inaugu-
ration d'un établissement fondé sous l'inspira-
tion d'une pensée de foi, empruntât à la reli-
gion quelques-unes de ses splendeurs.
En fait d'entreprises religieuses, l'Honorable
B. Joliette ne faisait rien sans les conseils et
1 IL Rester n'était que clerc à son arrivée au Collè-
ge, mais il fut ordonné prêtre quelques semaines plus
tard, à Joliette, par Mgr. Gaulin, ancien Evêque de
Kingston.
-4
110 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
la direction de son Evêque. La construction
de l'Eglise, l'érection de son Collège et la direc-
tion qui y fut donné ne passèrent de l'état de pro-
jet à celui de faits accomplis, qu'après beaucoup
de consultations dans lesquelles il se fit tou-
jours remarquer par sa docilité, son humble
soumission aux intentions et aux désirs de Mgr.
de Montréal qu'il aimait et vénérait comme un
bon fils aime et vénère son père. L'affection
et l'estime dont l'entouraient son Evêque, le
payaient largement de retour.
Le 22 Septembre 1846, fut un jour mémo-
rable pour la paroisse de St. Charles. Feu Mgr.
Prince, alors coadjuteur de Mgr. Bourget,
s'était transporté au Village d'Industrie pour
y faire la bénédiction du Collège qui venait
d'être achevé.
Il était accompagné de feu M. le Grand-Vi-
caire Truteau, d'heureuse mémoire. Il y eût
ce jour-là à l'Eglise de St. Charles, messe ponti-
ficale solennelle. En cette circonstance, comme
au jour de sa bénédiction, ce temple tapissé
de tentures, de verdure et de fleurs, tout reten-
tissant de chants pieux, semblait n'avoir qu'une
voix pour chanter en l'honneur de son fonda-
teur l'hymne de la reconnaissance.
Après l'Evangile, l'Evêque monta en chaire
et dans un discours plein de force et d'onction,
L'HONORABLE B. JULIETTE. 111
il développa devant la foule que l'Eglise pou-
vait à peine contenir, les inappréciables avan-
tages de l'éducation et surtout de l'éducation
religieuse et catholique.
L'encouragement constant donné au Collège
de M. Joliette prouve suffisamment que ces
paroles avaient été comprises de la population.
L'office terminé, au son des cloches et au
bruit du canon, Mgr. se rendit au Collège pour
en faire la bénédiction solennelle.
Les prières de l'Eglise étaient achevées, et
la foule nombreuse qui encombrait la cour du
Collège attendait encore quelque chose. Dans
sa muette attitude, dans ces regards affectueux
dirigés vers l'Honorable Joliette, elle semblait
supplier l'Evêque de se faire auprès de son
bienfaiteur, l'écho de l'universelle gratitude.
Le cœur de Mgr. Prince avait compris
et ressenti lui-même ce vif et profond sen-
timent qui agitait la multitude. Aussi, il
ne se fit pas prier ; sa bouche parla de l'a-
bondance de son coeur. Sa pensée pleine d'heu-
reux aperçus et d'ingénieux rapprochements
se traduisit par une brillante improvisation
qui laissa dans les âmes un profond souvenir.
Gomme on le présume aisément, M. Joliette
ne fut pas épargné, et sa modestie dût subir
en silence, tous ces éloges mérités qu'accueil-
112 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
laient les nombreux et bruyants applaudisse-
ments de la foule.
Après avoir parlé des bienfaits de l'éduca-
tion religieuse et avoir félicité les citoyens de
l'Industrie de l'heureuse fortune d'avoir au
sein de leur village un établissement aussi pré-
cieux qu'une maison dirigée par les membres
d'une communauté spécialement dévouée à
l'instruction de la jeunesse, Mgr. Prince
termina en disant : " En quittant ce Collège
qui doit ouvrir ses portes aux jeunes gens de
cette paroisse ainsi qu'à ceux des paroisses
d'abntour, j'emporte dans mon cœur la douce
pensée qu'il ne cessera de prospérer, et qu'il
deviendra plus tard, une des plus florissantes
maisons de cette province."
L'œuvre patriotique et religieuse de M.
Joliette allait commencer à produire des fruits.
Bientôt cinquante élèves recrutés dans le vil-
lage et la campagne environnante, animèrent
joyeusement les salles de la nouvelle institution.
Tout allait bien sous la direction du prêtre
zélé et intelligent que l'Evêque avait placé à
la tête du Collège naissant.
L'HONORABLE B. JOLTETTE. 113
XXXV.
Arrivée des Religieux de St. Viateur.
M. Joliette n'en poursuivait pas moins son
premier plan, celui d'avoir des religieux pour
son établissement.
Seeondé des conseils du Grand-Vicaire Man-
seau et du zèle infatigable de Mgr. Bourget, il
négocia les principaux arrangements du contrat
qu'il proposait à la communauté des clercs
de St. Viateur.
Au printemps de 1847, l'Evêque de Montréal
revenant d'un voyage à Rome, passa par Vour-
les, leva les difficultés qui restaient encore et
amena avec lui, trois religieux de cette com-
munauté : — noyau fécond de cette association
naissante, qui aujourd'hui, au nombre de cent
membres, répand ses bienfaits dans le diocèse
de Montréal, étendant ses ramifications jus-
qu'à la lointaine Colonie Canadienne de Bour-
bonnais (près de Chicago.)
Nous reproduisons ici, une lettre que Mgr.
Bourget adressa alors à l'Honorable B. Joliette,
pour lui rendre compte du succès de ses négo-
ciations. Elle dira aux habitants de Joliette
qui pourraient l'ignorer, que dans l'établisse-
ment des religieux de St. Viateur au sein de leur
114 L'HONORABLE B. JOL1ETTK
ville, le vénérable et saint Evêque de Montréal a
aussi des titres bien chers à leur reconnaissance.
" Honorable Monsieur,"
" En revenant de Rome, je me suis arrêté à
Vourles, pour conclure avec Monsieur Querbes,
curé de Yourles, l'affaire de la fondation des
Frères de St. Yiateur, à St. Charles de l'In-
dustrie. J'ai pris sur cette Congrégation nais-
santé toutes les informations possibles, et, autant
que j'ai pu en juger, elle remplira parfaitement
vos vues généreuses et bienveillantes. J'amène-
rai avec moi, au mois de mai prochain, trois
de ces Frères, et un quatrième suivra de près.
En faisant les frais de cette fondation, vous
vous proposez de propager d'une manière efficace
l'éducation et l'industrie, dans votre ville nais-
sante, et dans tout le pays. Or, je crois que
vous trouverez dans les Frères de St. Yiateur
des hommes capables d'exécuter ce double pro-
jet si beau et si digne de vous
Veuillez présenter mes respects à toute votre
honorable famille, et me croire avec une haute
considération,
Monsieur,
Vctre très-humble serviteux,
Ig., Ev. de Montréal
A l'Hon. B. Joliette.
L'HONORABLE B. JULIETTE. llô
En faisant à ses frères bien-aimés les adieux
du départ, le Père Querbes remettait de son
côté, au frère Etienne Champagneur, pour
l'Honorable Joliette, les lignes suivantes :
"Honorable Monsieur,"
" C'est pour seconder vos généreux desseins
que nous envoyons trois de nos frères dans
vos contrées. Monseigneur de Montréal m'as-
sure que vous êtes disposé à faire de grands
sacrifices dans l'unique vue de procurer le bien-
être religieux et temporel de vos concitoyens.
J'ai l'espoir que nos frères y répondront.
J'ose les recommander à votre généreuse bien-
veillance. Leur reconnaissance sera partagée
par tous les membres de leur institution et par
leur supérieur en particulier qui est avec
respect,"
Honorable Monsieur,
Votre très-humble et très-obt. servt,
Querbes, Ptre.
Vourles, 17 Avril 1847.
Le 28 Mai, après une heureuse traversée
les religieux annoncés arrivèrent à l'Industrie
où ils furent reçus à bras ouverts par MM.
Manseau et Joliette.
116 L'HONORABLE B. JULIETTE.
En attendant que l'année scholaire commençât,
ils furent logés au Collège. En Septembre, ils
prirent la direction de cette maison qui, selon
les prévisions de Mgr. Prince, n'a cessé de pros-
pérer, bien que son ciel n'ait pas toujours été
exempt d'orage'
Tranquillisé sur le sort de sa fondation, se
reposant entièrement sur l'habileté des reli-
gieux pour le soin et l'impulsion à donner aux
études dont il avait pourtant tracé le programme,
le fondateur n'apparaissait au Collège que pour
y applaudir au travail et aux succès de ses
chers enfants, pour y surveiller les améliora-
tions temporelles dont sa générosité prévoyante
ne se lassait pas de poursuivre le cours.
L'amour, le respect et la confiance dont
l'entouraient les professeurs et les élèves " le
dédommageaint amplement, disait-il, des petits
services qu'il avait essayé de rendre à la jeu-
nesse de sa localité. "
Il faut entendre parler lesjeuuesgens d'alors
qui eurent le bonheur de le voir, de l'entendre,
de jouir de sa présence. au milieu d'eux, pour
se faire une idée de rattachement filial et de
l'admiration qu'il inspirait à tous, par sa con-
duite si pleine de noblesse, de bonté et d'affec-
tueuse tendresse.
L'HONORABLE B. JULIETTE. 117
XXXVI.
Etablissement d'une Distillerie
Au milieu des préoccupations que lui cau-
saient le coût et la surveillance des travaux de
l'Egli.'e et du Collège, M. Joliette n'avait dé-
tourné en rien, le cours de ses entreprises
industrielles. Le commerce du bois qu'il con '
tinua jusqu'aux dernières années de sa vie, lui
procurait les ressources nécessaires à ses pieuses
fondations.
D'autres entreprises avaient occupé quelque
temps, cette intelligence qui ne pouvait rester
en repos.
C'est ainsi qu'en 1840, de concert avec 31.
E. Scallon, il avait établi une distillerie de
whisky qui donnait de l'occupation à une tren-
taine de personnes. Pendant une année, elle
fonctionna, rendant un bénéfice au-delà de
toute espérance, lorsque tout-à-coup une incen-
die la détruisit de fond en comble, [/élément
destructeur arriva d'une manière si inopinée,
envahit si rapidement l'édifice qu'on ne put
rien sauver. Tonneaux d'eau-de-vie, machines,
appareils distillateurs, tout devint la proie
des flammes. On ne voit pas que ni M. Joliette
118 I/HONORABLE B. JULIETTE.
ni M. Scallon aient eu l'idée de tenter de nou-
veau la fortune sur ce point.
Quelques personnes trop sévères sans doute,
ont reproché à M. Joliette sa coopération à
rétablissement de cette distillerie. Telle n'est
pas notre opinion, et voici pourquoi : M.
Joliette poursuivait un but noble, digne de son
srand cœur et de sa haute intelligence : la fonda-
tion d'un village et l'établissement d'une pa-
roisse. Il usait ainsi les forces vives de son
âge mûr, pour la prospérité de son pays et la
gloire de l'Eglise. Dans ce dessein, et pour se
procurer les ressources pécuniaires nécessaires
à l'avancement de ses œuvres, il encourageait
toutes les industries honnêtes, toutes les légi-
times entreprises commerciales.
La fondation d'une distillerie opérée dans le
but de procurer à sa population une plus grande
somme de travail, de faire un commerce hon-
nête, ne lui semblait pas une entreprise blâ-
mable. L'abus probable d'une chose bonne
en elle-même, ne saurait être une raison d'en
condamner le raisonnable usage. M. Joliette,
en homme sage et éclairé, que le préjugé et le
fanatisme ne pouvaient ni égarer, ni jeter dans
les extrêmes, croyait qu'il était permis de se
livrer à cette exploitation et qu'il ne saurait y
avoir de faute, à faire des liqueurs fortes un
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 119
usage nécessaire ou utile, pourvu que cet usage
fût prudent et modéré.
D'ailleurs tout le monde sait que ce n'était
pas le goût des boissons enivrantes qui l'avait
tourné et poussé vers C3tte branche d'industrie.
Sa sobriété était exemplaire. Il ne prenait
jamais d'eau-de-vie ; dans les repas, les petites
réunions de famille ou d'amis, il n'usait que
d'un peu de vin. Lorsque, dans ces circons-
tances, on portait des santés, un seule verre de
vin lui suffisait pour toutes. Il détestait sou-
verainement les ivrognes qu'il renvoyait impi-
toyablement de son service, lorsqu après deux
ou trois avertissements, ils retombaient dans
leurs premières habitudes.
Quelque temps après la construction de sa
distillerie, il avait songé à l'établissement
d'une manufacture de verre. L'entreprise était
résolue, mais les conseils de ses amis le détour-
nèrent de ce projet qui resta abandonné pour
toujours.
Cependant une autre entreprise plus vaste
que les précédentes préoccupait l'esprit du fon-
dateur de l'Industrie : cette entreprise, qui
devait épuiser ses forces et le conduire au tom-
beau, c'était un chemin de fer destiné à relier
son village au fleuve St. Laurent.
120 L'HONORABLE B. JULIETTE.
XXXVII.
Chemin de Fer.
Situé à quatorze lieues de Montréal et à
douze milles au nord du St. Laurent, le " Vil-
lage d'Industrie. " isolé au milieu des campagnes
encore peu défrichées, se voyait privé de com-
munications faciles avec les grands centres de
commerce. Il ne pouvait prospérer que par
son industrie locale, par l'exploitation des
chantiers, par les travaux incessants qu'exécu-
tait l'homme extraordinaire que la Providence
y avait suscité.
Ces ressources venant à manquer, advenant
la mort de ce protecteur, rétablissement au
berceau, aurait été condamné à languir dans
son isolement, partageant le triste sort de ces
villages stationnaires que le défaut de commu-
nication ou d'initiative retient dans l'engour-
dissement, empêche de progresser et de grandir.
Plein de sollicitude pour une œuvre en
faveur de laquelle il avait consacré les forces
de sa vie, l'Honorable Joliette ne songeait à
rien moins qu'à relier par une voie ferrée, son
établissement avec le St. Laurent.
Déjà un plan avait été conçu ; déjà sur ses
cartons, une route avait été tracée de l'Indus-
L'HONORABLE B. JULIETTE. 121
trie à l'Assomption, lorsque les marchands de
ce dernier Village, créèrent à ce projet une si
vive opposition qu'il dût s'adresser à meilleure
enseigne. Il se tourna vers Berthier : il offrit
d'y diriger son Chemin de Fer, à la condition
que le Village souscrirait une certaine somme
en faveur de l'entreprise ; mais les citoyens de
cette localité, à l'instar de ceux de l'Assomption,
ayant refusé ses avances, il ne se découragea
pas.
Ayant tenté de faire déboucher son chemin
à Lavaltrie, de nouveaux obstacles surgirent
et l'empêchèrent d'effectuer ce dessein. Il y
avait de quoi réfléchir. Il résolut alors de
choisir la voie la plus courte, malgré les im-
menses travaux que devait nécessiter son ter-
rassement.
Le village de St. Thomas, qui ne comptait
alors que quelques maisons, et celui de Lanoraie
furent les jalons de cette artère féconde qui,
avec le commerce, amènerait à Joliette, le mou-
vement, la vie et la prospérité.
En quelques mois, sous sa présidence et par
ses soins intelligents, une compagnie puissante
est formée ; une charte est sollicitée et octroyée
Enfin, au printemps de 1848, deux cents
travailleurs, la hache et la pioche à la main,
opéraient à travers la forêt, une large trouée que
122 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
devaient bientôt parcourir de lourds chariots,
descendant au fleuve géant, les produits du
Nord.
Le touriste à qui il a été donné de faire le
trajet de Lanoraie à Joliette, qui a promené
son regard sur ces immences savannes mouvan-
tes et bourbeuses, couvertes d'eaux stagnantes
que la persévérance a assainies ; qui a vu ces
coteaux sablonneux à travers les flancs desquels
il a fallu tracer un sillon profond ; .qui a consi-
déré ces dix milles d'abattis qui ont été faits ;
qui a examiné les terrassements élevés qu'a
nécessités l'ouverture de cette voie ferrée, peut
se faire une idée des difficultés qu'a dû vaincre
M. Joliette pour parachever son œuvre.
Président, conducteur, aviseur, il était tout
à la fois ; qu'il fit beau ou mauvais temps, que
le ciel fût sombre ou qu'un soleil de juillet em-
brasât l'atmosphère, il était là, au milieu des
ouvriers, dirigeant toutes les opérations ; rien
n'échappait à sa sagacité.
S'il arrivait à quelqu'un de ne pas com-
prendre sa tâche ou de la remplir négligemment,
il pouvait être assuré de ne pas échapper à
l'œil du maître. Une première et douce répri-
mande suivait cette première maladresse ou
cette première faute. Si l'admonition ne suffi-
sait pas pour amender les coupables, ils devaient
L'HONORABLE B. JULIETTE. 123
s'attendre à recevoir poliment leur argent et
leur congé, sans plus de cérémonie.
M. Joliette n'aimait pas à perdre son temps
dans les contestations inutiles. Très affable et
très-conciliant pour ses employés qui, après
leurs manquements, promettaient de mieux
s'acquitter de leurs devoirs, il était inflexible
envers les ivrognes, les paresseux et les scanda-
leux qu'il refusa toujours d'admettre ù son
service.
Six mois d'infatigable labeur avaient englouti
dans l'entreprise la somme de 825,000. Au
printemps suivant, les travaux furent repris
avec une nouvelle vigueur. Aux derniers
jours de la saison d'automne, signalés par une
noire colonne de fumée, les chars nouvellement
apparus dans ces régions solitaires se prome-
naient du St. Laurent au village de St. Thomas.
EnfiD, au printemps de 1850, au prix de
$55,300, la ligne du village d'Industrie au St.
Laurent se trouvait parfaitement organisée, et
fonctionnait à merveille, à l'extrême satisfaction
de l'Honorable Joliette.
Mandé pour la circonstance, Monseigneur
Bourget qui, en tant d'occasions, s'était rendu
à l'Industrie pour bénir les travaux et les en-
treprises de M. Joliette, voulut encoie cette
fois, condescendre au vœu général de la popu-
124; L'HONORABLE B. JOLIETTE.
lation, et venir procéder lui-même à la béné-
diction du nouveau chemin de fer. Cette
belle cérémonie eut lieu le dimanche, dans
l'après-midi, au milieu d'un immense concours
de peuple. L'Evêque y prononça une belle et
touchante allocution.
Entr'autres censidérations du plus haut
intérêt, il peignit à grands traits, avec des
éloges mérités, les œuvres de Y Honorable fon-
dateur du village d'Industrie.
Puis, parlant de l'alliance intime de la Reli-
gion avec le progrès des arts, des sciences et de
l'industrie, il rappela que c'était au foyer sacré
de la Religion que s'était rallumé, au moyen-
âge, le feu du génie, et que sous son inspiration
créatrice, avaient été enfantés ces chefs-d'œuvre
que la vieille Europe est aujourd'hui si fière
d'offrir à l'admiration du monde.
" Cependant, a-t-il ajouté, si bien des fois, à
la vue des merveilles de l'art chrétien, le cri
de : u Gloire à nos pères ! " s'est échappé de
nos poitrines, nous pouvons répéter aussi :
gloire à nos concitoyens qui, par leurs tra-
vaux et leurs sacrifices, ont procuré le bien
être matériel et religieux de leurs frères ! gloire
au génie qui rapproche les distances, suspend
des ponts dans les airs, et qui, par la puissance
de la vapeur donne à de lourds chariots l'agilité
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 125
de l'aigle et la rapidité de la flèche qui fend
les airs.
Amie constante du progrès, la Religion ap-
plaudit au succès de l'homme, se fait un bon-
heur de rendre un solennel hommage aux cré-
ations du génie. Voilà pourquoi elle vient
aujourd'hui, entourée de sa pompe et de
ses vœux, imprimer le sceau d'une salutaire
consécration, à ce magnifique chemin de fer,
triomphe de la» persévérance et du patriotisme
d'an grand citoyen Tout en encourageant
ce progrès matériel, elle demande qu'il soit
uni au progrès religieux et moral ; elle nous
fait ressouvenir qu'il ne faut pas oublier la
main généreuse qui bénit les entreprises hu-
maines et leur accorde un heureux couronne-
ment. C'est ce qu'a compris le fondateur du
beau Village d'Industrie qui, en nous appelant
pour bénir chacune de ses entreprises, s'est
rappelé la parole des livres saints : Nïsi Domi-
nus œdificaverit domum, in ranum îaborave-
runt qui œdificant eamP
Par cette nouvelle voie de communication,
le coût exhorbitant de la descente du bois de
sciage qu'il fallait auparavant conduire au
fleuve par les interminables sinuosités de la
rivière, fut considérablement réduit. Il en fut
126 L'HONORABLE B. JOL1ETTE.
de même des produits de l'agriculture, qui, par
des routes à demi^ébauchées, devaient être
transportés soit à Berthier, soit à l'Assomption.
Dès lors, le Village d'Industrie prit un
nouvel essor. Dès ce moment, son commerce
quadrupla, et, en moins de cinq années, le
chiffre de sa population fut doublé.
XXXVIII.
Vue de Joliette.
Lorsque, dans la belle saison d'été, le voya-
geur, entraîné par le vapeur sur le chemin de
fer de Lanoraie à Joliette, entendant le siffle-
ment aigu de la locomotive, signe précurseur
de l'arrivée au terme de la course, promène son
regard sur la ville et ses alentours, il voit se
dérouler devant lui un ponorama riant et
gracieux.
A l'avant-scène, et comme une brillante
émeraude sur un champ d'or et d'azur, se pré-
sente le joli bocage d'érables couronnant si pit-
toresquement les rives de l'Assomption.
A ses côtés, vers le Sud-Ouest, s'étendent
les campagnes cultivées dont les replis onduleux,
suivant parallèlement le cours de la rivière,
vont se perdre du côté de St. Paul
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 127
Ea face du débarcadère, apparaît la limpide
rivière de l'Assomption. Descendant les rapides,
ses eaux courent avec vitesse, battant les rives
sonores qu'elles inondent de blanchissante
écume.
Sur la rive occidentale, s'étend la grande
plaine aux frontières de laquelle s'élève pour la
dominer, l'industrieuse cité de Joliette.
Bâtie en parallélogramme, Joliette ressemble
beaucoup aux petites cités américaines qui se
présentent à l'œil avec un air de jeunesse,
d'aisanae et de coquette élégance. Avec ses
rues larges, parallèles et ombragées en plusieurs
endroits, ses places spacieuses, ses maisons res-
plendissantes de propreté, ses moulins, ses ma-
nufactures, ses nombreux magasins de tout
genre, ses édifices publics, tels qu'Eglise,
chapelle, collège, couvent, école, hôpital, palais
de justice, institut littéraire, cette petite ville
canadienne se dessine aux regards de l'observa-
teur sous l'aspect d'un tableau plein d'anima-
tion et de vie.
Au sortir des chars, le premier objet qui
attire l'attention de l'étranger, est le manoir du
seigneur et fondateur de la ville : l'Honorable
Barthélenii Joliette.
A une demi-lieue de distance, le touriste
avait déjà vu se dessiner à l' horizon le dôme
128 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
brillant qui couronne cet édifice. A mesure
que les espaces s'effacent, il a vu le manoir
s'élever, par degrés et apparaître plus distinc-
tement.
Comme sur l'Océan, un vaisseau lointain
dont on n'aperçoit d'abord que l'extrémité de
la mâture semble perdu, naufragé cUds Ja
plaine liquide, mais qui, en se rapprochant,
grandit à vue d'oeil et se dresse bientôt fière-
ment sur les flots qui le balancent majestueu-
sement, de même, le manoir dont on n^ voit
d'abord que le faite, paraît surgir du sol, en
grandissant peu à peu ; les ailes se découvrent
et un quart d'heure après, à travers les magni-
fiques ombrages qui l'encadrent, il rayonne dans
tout son éclat.
Construit en 1828, sur un plan moderne
dont on peut retrouver le modèle à Phila-
delphie dans la vue du château du prince Joseph
Bonaparte, le manoir de Joliette est assis sur
le bord des bruyantes cascades de la rivière,
au milieu des ondulations du coteau où prend
naissance la rue de Lanaudière.
C'est un édifice à deux étages, de cent pieds
de longueur sur une largeur de quarante.
Deux ailes de vingt-cinq pieds de largeur sur
une cinquantaine de profondeur, laissent saillir
de cinq à six pieds, le corps principal qui,
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 129
orné d'un fronton semblable à celui des ailes,
revêt par toutes ses proportions un air de
force et d'élégance peu communes.
A l'instar de celles des châteaux féodaux du
moyen-âge, ses ouvertures sont larges; les
portes à double battant, ainsi que les larges
fenêtres placées au-dessus d'icelles, se terminent
par une ellipse à leur partie supérieure. Avec
ses toits en fer-blanc, sa solide structure en
belle pierre bleue, cet édifice grandiose et
vraiment princier peut durer plusieurs centaines
d'années.
Après un demi-siècle d'existence, il est en-
core aussi brillant qu'aux beaux jours de son
inauguration : alors que dans son enceinte
pompeusement décorée, une société d'élite se
pressait autour de son hospitalier et très-noble
seigneur.
Malgré le deuil qui l'environne aujourd'hui,
le manoir de Joliette a le privilège d'attirer à
ses alentours, les pas du promeneur pensif et
solitaire.
Lorsqu'au déclin du jour, dans les délicieuses
journées de l'été, celui-ci se dirige vers cet en-
droit écarté et silencieux, il ne peut s'empê-
cher de contempler longuement le tableau qui
parle si éloquemment à son imagination et à
son cœur.
130 L'HONORABLE B. JOLTETTE.
Outre l'aspect mélancolique des ruines co-
lossales d'un ancien château jadis rival de
celui de M. Joliette, mais dont les décombres
épars ça et là sur le sol rappellent sans cesse à
l'esprit les vers du poëte :
" Les plus belles choses ont le pire destin ;
" El rose, il a vécu ce que vivent les ros*:js,
■• L'espace d'un matin.
Outre ce tableau, dis-je, ce palais désert au
sein duquel règne le silence de la tombe, ces
jardins qui n'ont conservé que de légers ves-
tiges de leur splendeur primitive, ces mûrs d'en-
ceinte lézardés et délabrés, ces sombres peu-
pliers qui murmurent sous la brise du soir,
tout en ce lieu, porte l'empreinte de la tristesse
et semble porter le deuil des anciens bienfai-
teurs de la ville.
Au bruit continuel des chûtes, aux notes
plaintives des oiseaux nocturnes, joignez le
spectacle du soleil couchant, qui, à travers les
branches des arbres fait miroiter ses rayons sur
les toits et les vitraux de l'édifice abandonné
en y projetant les lueurs de l'incendie, et vous
aurez une idée des indescriptibles sentiments
qu'un pareil spectacle doit inspirer aux âmes,
tant soit peu impressionnables et sensibles.
L'HONORABLE B. JULIETTE. 131
XXXIX.
Donation de L'Eglise, du Collège, du
Noviciat et des terrains
avoisinants.
Jusqu'alors, l'Eglise, le Collège, le Noviciat
et les terres qui en constituent les dépendances,
étaient demeurés la propriété personnelle de
l'Honorable B. Joliette.
En consultant les archives de la paroisse de
St. Charles, on voit que jusqu'à la fin de
l'année 1849, il avait tenu lui-même les comptes
de l'Eglise. C'est ainsi qu'il avait pris le soin
d'administrer au profit de ces établissements
religieux, les revenus qui en étaient les fruits.
Les affaires n'en pouvaient aller que mieux,
car si la dépense courante excédait la recette,
l'administrateur généreux comblait le déficit
de ses propres deniers.
Malgré les dépenses considérables de la fon-
dation, des réparations, de l'ornementation, de
l'ameublement de ces vastes établissements, il
arriva, qu'au jour où le donateur passa le
contrat des uns à la Corporation Episcopale de
Montréal et des autres à la communauté des
religieux de St. Viateur, ces legs pieux se
trouvèrent libres de toutes dettes et redevances.
132 L'HONORABLE *B. JOLIETTE.
Ce fut au commencement de Février de
l'année 1S50, qu'eut lieu la donation solennelle
faite par l'Honorable B. Joliette et sa géné-
reuse épouse. Mais, laissons parler un témoin
oculaire qui va nous donner d'amples détails,
sur la valeur de ces splendides cadeaux, sur
l'imposante grandeur de la cérémonie, et sur-
tout, sur le magnifique discours de Monseigneur
I. Bourget, descendu à l'Industrie pour la
circonstance.
Cette correspondance, publiée dans les jour-
naux du temps, corrobore en tout point, les
faits que nous avons puisés aux sources les
plus autorisées.
" Monsieur l'Editeur
" Ayez la bonté d'enregistrer dans vos co-
lonnes, pour une perpétuelle mémoire, un trait
de générosité trop sublime pour qu'il me soit
permis de le qualifier. Tous connaissez le
génie créateur de celui dont la main hardie
posa naguère les fondements du Village d'In-
dustrie, la Palmire de notre Canada.
Vous avez sans doute visité plus d'une fois
ce magnifique Village, et admiré l'Eglise de St.
Charles Borromée, ainsi que le Collège Joliette
qui en fait le principal ornement. Ces 'deux
L'HONORABLE B. JULIETTE. 133
beaux édifices ne coûtent pas moins de 170,000
francs, y compris leurs ornements et les deux
terres qui leur servent d'emplacement.
Un carillon mélodieux de trois belles clo-
ches, annonce toutes les fêtes joyeuses qui s'y
célèbrent avec transport, par les pieux habi-
tants que la Religion y a régénérés. Trois
membres de la famille seigneuriale ont élevé cet
harmonieux monument, qui rend si cher au
cœur de la population, le clocher de sa paroisse.
Car ces cloches ont été données : la première
par le seigneur Gaspard de Lanaudière, du
poids de 1105 livres et du prix de 2,652 francs :
la deuxième, par demoiselle Almésime de
Lanaudière, du poids de 793 livres et du prix
de 1,903 francs ; la troisième, par dame Antoi-
nette de Lanaudière, épouse du Dr. Leodel,
du poids de 782 livres et du prix de 1,876
francs.
Les habitants de cette heureuse localité, pour
avoir part au mérite qu'il y a de bâtir un
temple à la divine Majesté, se sont mis à con-
tribution pour 4,400 livres fournis principale-
ment en travaux et en main-d'œuvre ; car alors,
ils étaient généralement très-pauvres
134 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
11 Mais, j'arrive au trait de magnanime gé-
nérosité dont je vous prie de faire part à vos
lecteurs, pour qu'ils sachent que notre pays,
tout jeune qu'il est, produit des hommes à
grandes vues, tels qu'en produisait le moyen-
âge que l'on méprise tant aujourd'hui, tout en
profitant de ses immenses sacrifices.
Jusqu'ici, le Collège et l'Eglise avec leurs
dépendances appartenaient à M. Joliette et à sa
vertueuse dame. Il vient d'en faire un don pur
et simple à la Religion et à l'éducation de la
paroisse dont il est le père.
Dimanche, trois du courant, Monseigneur
l'Evêque de Montréal annonçait avec toute
l'émotion d'une âme reconnaissante, aux heu-
reux habitants de l'Industrie ce que faisaient
pour eux, leur seigneur et seigneuresse en don-
nant à leur jeune paroisse, une si magnifique
Eglise pour qu'ils apprissent à y être de bons
chrétiens, et un si beau Collège, pour que leurs
enfants s'exerçassent à être de bons citoyens.
Sa grandeur observait que ce don si magna-
nime était tout à fait gratuit et sans aucune
espérance de redevance, de la part de ces géné-
reux bienfaiteurs. Mais s'ils n'exigeaient rien,
ils ne pouvaient empêcher la Religion et l'édu-
cation de se donner la main pour leur payer
un si juste tribut de reconnaissance.
' L'HONORABLE B. JOLIETTE. 135
A cette fin, l'Eglise fera chanter, chaque
année, une messe solennelle, pour Madame
Joliette, le jour de la St. Charles, qui est la
tête patronale de la paroisse et celle de cette
bonne dame ; et le Collège en fera célébrer
une autre le jour de la St. Barthélemi, patron
de l'Honorable seigneur donateur. De plus, il
sera dit chaque mois, une messe basse pour ces
deux bienfaiteurs.
A leur mort, la terre qu'ils ont ensemencée
de tant de largesses, s'ouvrira gratuitement
pour recevoir leurs restes mortels. Ainsi,
l'Eglise, élevée par eux à la gloire de Dieu,
couvrira leurs tombes et les ombragera bien
mieux que le plus beau saule-pleureur.
Alors, l'Eglise quittera ses habîts de joie
pour reprendre ses ornements de deuil, pour
accompagner, par ses chants lugubres, des âmes
si justement chères à son cœur, et les présenter
avec confiance à Celui qui a promis de récom-
penser un verre d'eau froide donné pour son
amour.
Toutes les familles de la paroisse furent in-
vitées par Monseigneur l'Evoque, à prier chez
elles, tous les jours, et à se réunir aux époques
ci-dessus mentionnées, dans la magnifique
Eglise que leur avaient bâtie des seigneurs si
bienfaisants, afin de prier pour qu'ils reçussent
136 L'HONORABLE B. JULIETTE.
le centuple promis ici-bas à ceux qui honorent
Dieu de toutes leurs forces, et le repos éternel
réservé au travail et au sacrifice, dans la terre
des vivants. " Sa Grandeur, s'adressant alors
aux donateurs, leur dit: " Monsieur le sei-
gneur et madame la seigneuresse, la bouche ne
doit s'ouvrir dans l'Eglise que pour louer Dieu ;
mais la reconnaissance est un devoir de la Reli-
gion; je puis donc m'en acquitter dans le lieu
saint et l'offrir à Dieu comme un hommage qui
lui appirtient et donc il est jaloux.
Souffrez donc, qu'au nom de tous, de la
Religion et de la Patrie, des Pasteurs et des
brebis, de la génération, présente et de la géné-
ration la plus reculée, je vous remercie de
l'immense sacrifice que vous faites pour la
gloire de Dieu et l'amour de vos frères. Veuil-
lez bien croire, qu'en ma qualité de Pasteur,
je veillerai soigneusement à ce que vos inten-
tions bienveillantes soient scrupuleusement
respectées.
"En attendant, les mains de tous se lèvent
vers le ciel, pour y aller chercher d'abondantes
bénédictions pour vous et pour toute la famille
seigneuriale.
Dans mes voyages, j'ai bien des fois admiré
la foi vive des anciens bienfaiteurs de l'Eglise
qui s'est peinte elle-même dans les magnifiques
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 137
vitraux qui décorent les riches cathédrales du
Moyen-âge. Car on les voit représentés à
genoux, dans un petit coin de tableau, offrant
humblement au Seigneur, ces élégantes pein-
tures dont le temps tout destructeur qu'il est
des beaux monuments, a cependant respecté les
vives et fraîches couleurs.
Ici, il y aura quelque chose de mieux, car
quelqu'admirables que ' soient ces* ouvrages de
l'art, ce ne sont toujours que des peintures, au
lieu que vous aurez toujours quelque chose de
vivant pour dire au temps à venir, ce que votre
cœur vous fait faire pour Dieu et le pays. Car
dans ce coin du beau Village, qui est le ta-
bleau que vous peignez à grands traits, se
verra cette Eglise toujours si fréquentée par de
pieux fidèles qui béniront votre mémoire, et ce
Village plein d'une ardente jeunesse qui, dé
votre vivant, déposera à vos pieds ses lauriers,
et plus tard, ira couvrir votre tombe de ses
regrets et sïnspirer sur vos cendres pour pro-
pager à jamais l'industrie religieuse et cana-
dienne, et vous faire vivre après votre mort."
•w Le lendemain, toute la famille seigneuriale
se réunit pour applaudir, par un acte public et
eolennel, à la généreuse donation de Monsieur
et de Madame Joliette, et, pour en donner une
preuve non équivoque, Monsieur G. de La-
138 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
naudière, Mr. et Madame Léodel, Monsieur et
Madame Voyer firent de bon cœur, remise
des droits d'indemnité qu'ils pouvaient exiger
d'après la loi des mains-mortes. '
Aussi, seront-ils compris, eux et leur enfants,
dans les suffrages que ne cessera de faire, com-
me une bonne mère, la S te. Eglise, pour de si
bons et de si généreux bienfaiteurs."
Ce grand acte de générosité de M. Joliette,
fut la dernière œuvre imposante uj sa vie. Il
semblait qu'un secret pressentiment l'avertissait
de ne pas s'engager dans de nouvelles entreprises.
En effet, quelques mois plus tard, ruiné par
les travaux et les inquiétudes d'une carrière si
*M. Gaspard de Lanaudière, co-seigneur de La-
valtrie, a contribué pour beaucoup dans les diver-
ses entreprises de l'Hon. Joliette, son oncle. Il a
généreusement sacrifié des sommes considérables
dont celui-ci, qui était en même temps son tuteur,
avait l'administration. Ainsi Ton voit que ce Mon-
sieur doit avoir une large part dans la reconnais-
sance des citoyens de Joliette. En plusieurs de ses
entreprises, If. Joliette, a été généreusement se-
condé par les membres de la famille seigneuriale
de Lanaudière. On ne saurait faire assez l'éloge
de leur libéralité lorsqu'il s'est agi de la fondation
de l'Eglise et de son ornementation.
De plus, si nous ne craignions pas de répéter ici
ce que personne n'ignore, nous dirions que la popu-
lation indigente de Joliette ne pourra jamais oublier
les bienfaits journaliers dont elle a été l'objet delà
part de cette honorable famille.
L'HONORABLE B. JULIETTE. 139
laborieusement parcourue, il se sentait descen-
dre lentement vers la mort qu'il entrevoyait
sans crainte.
XL.
Maladie de M. Joliette.
Dès les premières atteintes de sa maladie
encore peu grave, ses parents, ses amis, M. le
Grand-Vicaire Manseau à leur tête lui propo-
sèrent de passer soit en Europe soit aux Etats-
Unis, pour aller redemander à la température
d'un climat plus doux la conservation d'une
santé si précieuse à toute la population ; mais
il leur répondit : li Mes bons amis, si le bon
Dieu veut opérer ma guérison, il le fera bien
sans le secours de ce voyage. D'ailleurs, je ne
me sens pas assez de courage, pour quitter
mon Village et m'exposer au danger d'aller
mourir, sans consolations, sur une terre étran-
gère. . . . Avec la grâce de Dieu, je rendrai
mon dernier soupir sur ce sol si cher à mon
cœur."
Il ne souciait guère de recourir aux secours
que la médecine aurait pu lui procurer. A
plusieurs reprises, il empêcha ses parents d'al-
ler quérir pour lui, les médecins les plus habiles
de Montréal, parceque, disait-il : u ils ne peu-
140 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
vent rien faire pour moi dont la constitution
est ruinée et épuisée."
Enfermé daus son manoir, cet homme dont
l'énergie extraordinaire s'était déployé sur un
si vaste théâtre, ne s'occupait plus d'aucune
affaire temporelle.
La pensée de l'éternité absorbait toutes les
facultés de cette puissante intelligence. Sa
méditation était parfois si profonde, qu'il ne
s'apercevait pas de l'entrée de ses amis qui ve-
naient le visiter. La tête appuyée sur sa main,
il songeait à la vanité de la vie, et à la futilité
de la gloire mondaine, à la seule grandeur de
la vertu qui donne l'immortalité et les joies du
ciel. Perdu dans ces réflexions, ils n'en était
tiré, que lorsqu'il entendait son nom résonner à
son oreille. Alors, faisant effort sur lui-même
il reprenait un visage plus joyeux, accueillant
tout le monde, avec son urbanité accoutumée.
Ce qu'il pensait des mauvais Livres.
Quoique habituellement peu causeur, sa ma-
ladie, son isolement qui le privaient de ses dis-
tractions ordinaires, l'avaient rendu plus com-
municatif. Il n'aimait guère à parler d'entre-
prises industrielles, mais il s'occupait volontiers
de sujets moraux et religieux. Un jour, en pré-
L'HONORABLE B. JULIETTE. 141
seuce de son neveu, le seigneur de Lanaudière
et de son agent, M. Chs. Panneton, il fit tomber
la conversation sur l'état moral de la société.
Après que ces deux amis purent exprimé
leur mutuelle opinion sur les causes de l'im-
moralité toujours croissante parmi la jeunesse,
il garda un instant le silence, puis il repiit
douloureusement : " Oui, cela n'est que trop
vrai, l'immoralité de la société a sa source mal-
heureuse dans la lecture des romans irréligieux,
fruits délétères de l'impiété et de la corruption
du cœur. Rien de plus funeste pour les jeunes
âmes, que le poison distillé de ces coupes mau-
dites sur les bords desquelles on parsème
traîtreusement les fleurs séduisantes d'une
littérature abâtardie et souillée dans sa source.
Une fois dans ma vie, et c'est trop, j'eus le
déplorable malheur de promener mes regards
curieux sur une de ces productions séductrices
du jeune âge. Cet écrit me faussa les idées, et
il me fallut toute l'autorité des sages et pater-
nels avis d'un inappréciable ami, tout l'ascen-
dant de l'éducation religieuse de ma première
jeunesse, pour ramener mon esprit au droit
sentier de la vérité. Mes amis, ojouta-t-il, gar-
dez-vous, comme du plus subtil poison, de la
lecture des écrivains impies et immoraux. "
142 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
Son jugement sur les reformes.
Dans une autre circonstance, il s'entretenait
des religions réformées, causant longuement sur
la position de nos frères séparés, en Canada. Il
lui semblait presqu'impossible que les protes-
tants lettrés ne reconnussent pas la divinité de
la religion catholique, dont les preuves sont si
frappantes pour tout esprit réfléchi. " S'ils en
nient la bonté et la divinité, disait-il, c'est
parce qu'ils ne veulent pas rendre témoignage
à la lumière ; car il est impossible qu'ils demeu-
rent dans la bonne foi, s'ils se donnent tant
soit peu de peine pour chercher la vraie
doctrine. "
XLI.
Il reçoit les derniers Sacements.
Cependant la maladie poursuivait son travail
de désorganisation sur cette constitution, hier,
si robuste encore.
M. Joliette n'attendit pas qu'on l'avertit du
danger que courait sa vie, pour songer à se
préparer saintement au grand voyage de
l'éternité.
Le Vénérable curé de St. Jacques, le bon
L'HONORABLE B. JOL1ETTE. 143
et vertueux M. Paré, dont une plume exercée
vient de retracer la belle carrière, M. Paré, dis-
je, avait toujours été en rapports intimes avec
l'Honorable Joliette. Il conservait à l'égard
de ce grand citoyen, une estime et une admira-
tion que les années ne purent altérer. Ce di-
gne ecclésiastique ne passait jamais à l'Indus-
trie sans aller au manoir pour faire visite à son
ami.
De son côté, M. Joliette aimait sincèrement
et respectait grandement ce saint prêtre qui
répandait autour de lui le suave parfum de
toutes les vertus sacerdotales.
u M. Paré, disait-il à ses amis, est un véri-
table saint ; de tous les prêtres que j'ai connus,
c'est le plus humble et le plus attaché à son
ministère. "
Ce fut ce saint prêtre, qui, sur la demande
de M. Joliette, vint recevoir l'humble et der-
nier aveu de ses fautes, et M. le Grand-Vicaire
Manseau lui administra les sacrements de
l'Eglise.
Ceux qui furent témoins de la piété de M.
Joliette en cette circonstance, ne peuvent ou-
blier l'impression que ce touchant spectacle fit
sur leur esprit. Plus grand par sa foi et son
inaltérable patience qu'aux jours de sa pros-
périté, il semblait, à ses derniers moments,
144 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
ne plus vivre sur cette terre, tellement ses
pensées.et ses sentiments ne se nourrissaient
plus que de la contemplation et de l'espérance
des joies éternelles.
Ses dernières conversations.
Lorsque les prêtres, les religieux et les laï-
ques allaient le voir, il les entretenait des beau-
tés et des consolations de la Religion. " Oh !
qu'elle est belle ! disait-il, qu'elle est douce à
l'âme cette Religion d'amour qui protège le
berceau du chrétien, charme les jours de son
exil, et lui montrant le ciel, le console des ou-
blis du tombeau. "
Lorsqu'on le plaignait à raison de l'ennui
qu'il devait éprouver en se voyant dans l'im-
possibilité de se transporter sur le théâtre de
ses travaux accoutumés, il répondait : j'ai assez
travaillé pour la terre ; laissez-moi réparer le
temps perdu, et travailler un peu pour le ciel.
Je m'ennuie, et je souffre, c'est vrai ; mais
Jésus-Christ n'a-t-il rien souffert pour nous ?
Lorsque sa tête alourdie par la fatigue, se
trouvait assez reposée pour supporter la lecture,
il priait quelqu'un de lui lire la passion du
Sauveur. Souvent, à ce récit, des larmes cou-
laient de ses jeux. D'autres fois, il interrompait
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 145
le lecteur pour commenter les endroits qui
l'avaient frappé davantage.
Sur la fin de sa maladie, ses yeux tournoy-
aient ; d'intervalle en intervalle on voyait dis-
paraître le crystallin, et il n'ar paraissait plus à
leur surface, que deux larges taies qui les
recouvraient entièrement. Cela était dû à la
fatigue excessive qu'il avait endurée, en passant
des semaines entières exposé aux ardeurs du
soleil afin de surveiller les travaux du chemin de
fer.
Personne ne l'ignorait, c'était l'épuisement,
causé par les veilles, les travaux du corps et
de l'esprit qui le conduisait au tombeau.
Le 21 Juin 1850, après avoir reconforté son
âme par les suprêmes consolations de l'Eglise,
après avoir donné ses avis à sa famille, fait à
son épouse, à ses parents, à ses amis en pleurs,
les plus touchants adieux, il expira doucement
en murmurant une dernière prière. Il était
âgé de 62 ans, et en avait passé 25 à Joliette.
XLII.
Portrait physique de M. Joliette.
Traçons en quelques mots le portait de cet
homme qui restera grand aux yeux de la
postérité.
5
146 L'HONORABLE B4 JOLIETTE.
M. Joliette était de taille moyenne, mais
d'une charpente fortement constituée : épaules
larges, membres musculeux, poitrine bombée,
tête élevée et majestueuse ; c'était un bel hom-
me dans toute l'acception du mot.
Il avait l'ailure assez dégagée, et sa toilette,
toujours propre et soignée, ne dénotait pourtant
chez lui, aucune affectation ni vanité. Des
traits réguliers, mais très accusés, des yeux
bruns et pleins de feu révélaient son énergie,
son courage et la perspicacité de son esprit.
Sa chevelure était abondante et d'un noir
d'ébène ; son teint d'un brun clair disparais-
sant légèrement sous les couleurs plus vives
d'un tempérament bilieux-sanguin. Sur son
large front rayonnait l'intelligence, tandisque la
douceur et la bonté se lisaient sur les coutours
de sa bouche souriante. En un mot, sur cette
figure douce, calme, sereine, ouverte, expres-
sive et pleine de noblesse, se reflétaient comme
dans un fidèle miroir, la beauté de son âme,
la générosité de son cœur, l'élévation de ses
sentiments et la grandeur de son génie. "
Vertus morales.
Nous avons vu par les œuvres qu'il a accom-
plies pour la gloire de l'Eglise, quels étaient sa
foi et son attachement à la Religion Catholique
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 147
dont il reçut les félicitations durant sa vie et
les consolations à l'heure suprême de la mort.
Son dévouement envers toutes les généreuses
entreprises ne fut pas moins pur que sa vertu
de religion. Jamais homme ne fut plus dé-
sintéressé pour lui-même et pour sa famille.
Toute son ambition était de faire du bien à ses
semblables. Il semble que toute sa vie a été
vouée au bien-être de ses concitoyens. Dans
ce but, il a dépensé, sans y regarder : talents,
travail, fortune, forces physiques et morales,
tout, jusqu'à sa vie.
Parlerais-je de son humilité qui s'effrayait
des moindres éloges que l'admiration ou la
reconnaissance inspirait à ses compatriotes ?
qui lui faisait baisser le front, garder le silence
en toutes ces circonstances où il était fait men-
tion de ses œuvres et de ses nobles sentiments ?
Comment louer dignement cette sagesse et
ce discernement qui le guidèrent si heureuse-
ment toute sa vie, en firent une des lumières du
conseil législatif, et pendant vingt-cinq ans,
comme le mentor et le père de la population
qu'il a entourée des marques si sensibles de sa
bienfaisance et de son amour ?
Sa douceur et sa patience, comme nous
l'avons vu, n'étaient pas moins dignes de
louanges. Ces qualités ne se démentirent
148 L'HONORABLE B. JULIETTE.
jamais. D'une humeur toujours égale, il
plaisait à tout le monde par son affabilité et
ses bonnes manières.
XLIII.
Vertus Sociales.
Il était le type du gentilhomme. Son urba-
nité et sa politesse, toujours prévenantes, lui
gagnaient tous les cœurs. Quant à sa libéra-
lité et à sa générosité, tant à l'égard des pau-
vres qu'envers ceux qui requéraient son assis-
tance, elles ne se fatiguèrent jamais de rendre
service. Il semblait plus heureux, chaque fois
qu'il avait eu l'occasion de faire plaisir à quel-
qu'un en allégeant sa peine ou en soulageant
sa misère.
Il serait difficile d'énumérer toutes les ex-
cellentes qualités de cet homme estimable et
véritablement grand; nous ajouterons pourtant
un mot de souvenir touchant la fidélité qu'il
conserva à ses amis.
Ni le temps, ni la diversité des emplois, ni
la divergence d'opinions politiques ou religieu- *
ses ne l'empêchèrent de rester fidèle à ce devoir
si touchant et si honorable de l'amitié. Aussi,
lorsque dans son splendide manoir le digne
seigneur, entouré, comme d'une couronne d'hon-
L'HONORABLE B. JOLÏETTÊ. 149
neur, des membres de sa famille distinguée,
accueillait ses hôtes, c'était un spectacle digne
d'envie que ces réunions amicales et joyeuses
qu'animaient sa présence et sa douce gaieté.
Quoiqu'il prit ordinairement peu de part
aux divertissements bruyants, et qu'il aimât
mieux causer tranquillement avec quelques
amis, il encourageait les autres à s'amuser,
riait franchement et de bon cœur de leurs jeux,
et de leurs bons mots.
XLIV.
Titres d'honneur accordés a l'Hono-
rable B. Joliette.
Bien que sa modestie ne lui ait jamais per-
mis d'entreprendre aucune démarche pour sol-
liciter les faveurs gouvernementales, M. Joliette
devait joindre à ses titres de notaire, de fon-
dateur de la ville, de seigneur de Lavaltrie,
ceux de lieutenant colonel de milice, de
membre du conseil législatif, ainsi que du con-
seil spécial en 1840, où il eut le bonheur de
siéger à côté de son oncle et de son protecteur,
l'Honorable Joseph Edouard Faribeault, décé-
dé en juin 1859.
•• Voici l'ordre chronologique des différents
grades militaires qui lui furent conférés en ré-
150 L'HONORABLE B. JULIETTE.
compense de son mérite et de ses services. Le
20 décembre 1808, il fut nommé Enseigne et
Aide-Major de milice de la paroisse de l'As-
somption dans la division de Lavaltrie. Le
quatorze Janvier 1812, Sir George Prévost
l'éleva au grade de Capitaine pour la même di-
vision.
Le 22 Février 1814, le même gouverneur le
créa Major. Enfin le 1er. Mai 1827, il reçut
du comte de Dalhousie le titre de Lieutenant-
Colonel pour le deuxième bataillon de Warwick.
Quanta ses fonctions de conseiller qu'il rem-
plit en 1832 et en 1840, qu'il nous suffise de
dire, qu'il y apporta ces belles qualités qui le
distinguèrent toute sa vie, cet esprit juste et
pratique, cette intelligence élevée que semblait
ne borner aucun horizon, cette noblesse de
sentiments qui en firent une des lumières des
deux conseils du Bas-Canada.
Ses collègues aimaient à écouter, à recevoir
ses suggestions, ses avis toujours marqués au
coin du dicernement, toujours assaisonnés de
la plus exquise politesse.
Tous les membres du conseil l'entouraient de
leur respect et de leur estime ; plusieurs d'en-
tre eux lui avaient voué une amitié dont la
mort même n'a pu briser les liens affectueux. ,
L'HONORABLE B. JOLIETTE. loi
XLV.
Deuil de sa mort.
Il serait difficile de peindre la consternation
que répandit par tout le village, la funeste nou-
velle de sa mort. Pendant les trois jours de
son exposition, un morne silence régna sur l'In-
dustrie plongée dans le deuil. On vit les scè-
nes les plus attendrissantes. Une foule de mal-
heureux, pour qui M. Joliette avait été une
seconde Providence, accouraient tout désolés au
manoir. Là, après s'être mis à genoux pour
prier, ils demandaient qu'on enlevât le suaire
qui recouvrait les traits de celui qui les avait
tant aimés et secourus. A la vue de leur bien-
faiteur inanimé, ils éclataient en sanglots ;
leur douleur n'aurait pas été plus grande, s'ils
avaient perdu leur propre père.
Mais ce n'était pas seulement la classe indi-
gente qui venait épancher sa tristesse et ses re-
grets sur la tombe cntr'ouverte de l'Honorable
Joliette. Toutes les classes de cette société
dont il avait été l'ami, le protecteur et le con-
seiller, manifestèrent publiquement leur pro-
fond chagrin. A peine le glas funèbre eut-il
porté au sein des familles la navrante nouvelle,
que sur-le-champ, les travaux cessèrent, les
152 L'HONORABLE B. JULIETTE.
boutiques et les magasins furent fermés; et
même, lorsque la terre eût recouvert la dé-
pouille mortelle du seigneur de Lavaltrie, les
citoyens du village d'Industrie s'engagèrent à
porter le deuil pendant un mois, à s'abstenir du-
rant ce temps, de toute réunion bruyante, de
chant et de musique " comme gage du senti-
ment de profonde tristesse dont ils étaient sin-
cèrement pénétrés."
Ce ne fut pas seulement au village d'Indus-
trie que fut pleuré et regretté l'Honorable Ju-
liette. De toutes les parties du pays s'élevè-
rent en sa faveur, des témoignages de profond
regret. Ce fut pour rendre un hommage so-
lennel à ses vertus politiques, qu'à sa mort, sur
la proposition de son Président, la chambre
d'Assemblée fut ajournée, et que durant la ses-
sion, les orateurs les plus distingués firent
l'éloge de la belle et utile carrière de monsieur
Joliette.
Inspirée par la reconnaissance, la poésie vint
aussi à son tour, jeter quelques-unes de ses
fleurs sur la tombe du Fondateur de l'In-
dustrie.
Ses accents plaintifs dûs au talents d'un jeu-
ne protégé de 31. Joliette sont un si fidèle écho
de la douleur commune, que je ne puis résister
au désir d'en citer quelque chose.
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 153
Village inconsolable, ô plaintive Industrie !
Vierge, dont la beauté par les pleurs est flétrie,
Prends tes habits de deuil et suspends tes travaux
Pour prier et gémir au milieu des tombeaux !
Cet homme qui faisait ta gloire et ton bonheur,
Déjà n'est plus pour toi qu'un sujet de douleur !
Son nom est immortel, son mérite et sa gloire
Inscrits en lettres d'or, brilleront dans l'histoire.
" Ah ! quand je reverrai ce palais magniSque,
" Où le grand homme assis au foyer domestique,
•' Avec les compagnons de ses rudes travaux,
" S'égayait avec eux, comme avec des égaux,
" Ou laissait volontiers même une affaire urgente
" Pour consoler le pauvre ou la veuve indigente.
" Ah ! quand je reverrai la rapide rivière
" Qu'une digue retient dans son lit prisonnière,
" Et dont chaque printemps, le cours capricieux
" Entraîne un pont flottant d'un bois si précieux !
" Quand j'entendrai rouler ces machines bruyantes,
" Et tourner sourdement tant de meules bruyantes!
' Quand je voyagerai sur ces routes de fer
" Dont l'effroyable bruit semble imiter l'enfer,
< Et dont les chars brûlants, fidèles à leurs traces,
" Par un élan rapide, effacent les espaces I
11 Et quand je reverrai ce collège, orgueilleux
' De porter à jamais, un nom si glorieux !
' Et quand j'irai prier dans le riche et saint temple,
1 Où le fidèle adore et le prêtre contemple
1 Le Dieu qui tous les jours descend sur nos autels
154 L'HONORABLE B. JULIETTE.
" Enfin quand je prierai sur les restes livides
" De l'auteur libéral de tant d'œuvres splendide3,
" Mon cœur, comme en proie aux tourbillons
" Que tournent en grondant les fougueux aquilons,
" Sentira bouillonner la source de ses larme3
' ' Comme au jour où sa mort a causé nos alarmes 1
" Pleurez riches, pleurez cet homme estimable !
" Le meilleur citoyen, l'ami le plus aimable,
" Vengeur de l'opprimé, défenseur de la paix,
" Heureux du seul plaisir de semer les bienfaits ;
" Digne ami du savoir, protecteur de l'étude,
" Comprenant tout l'Etat dans sa sollicitude ;
" Traitant comme les siens, vos plus chers intérêts
" Il a bien mérité vos plus cuisants regrets.
" Pleurez surtout, pleurez, ô fils de l'indigence !
" Vous que le sort partage avec moins d'indulgence
" Car vous ne serez plus l'objet de ses soins j
" Hélas ! il a cessé d'entendre vos besoins !
11 Le vieillard en lambeaux a vu mourir son frère,
'• La veuve son époux, l'orphelin son père,
" L'infirme le soutien de ses pas incertains,
" Le malheureux l'ami qui lui tendait les mains.
" Oh ! qui que vous soyez que la douleur anime.
" Qui voyez dans cet homme un titre à votre estime,
"■ Gardez son souvenir et donnez-lui des pleurs,
u Faites monter vers Dieu, l'encen3 de la prière.
" Allez-y, quand le jour vient ouvrir sa carrière ;
" Allez y, quand le soleil baissant vers son coucher,
" Donne plus de hauteur à l'ombre du clocher.
La prière du coeur que l'Eglise commande,
Est le dernier devoir que le chrétien demande,
En passant de la mort à l'immortalité,
Et du séjour des maux, dans la Félicité.
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 155
XLVI.
Funérailles.
Les funérailles du regretté défunt se célé-
brèrent avec une solennité imposante. En sa
qualité de lieutenant-colonel, l'Honorable Juli-
ette avait droit aux honneurs militaires acoordés
en pareille circonstance. Accompagnés d'une
foule immense, ses restes funèbres furent portés
à l'Eglise par les officiers du bataillon de Ber-
thier.
Monseigneur Ig. Bourget qui, en maintes
occasions, était descendu à l'Industrie pour bé-
nir ses couvres et encourager ses efforts, ne
manqua pas en ce jour de solennel hommage.
Sa grandeur fit l'oraison funèbre ; Elle laissa
parler son cœur et couler de ses yeux ces lar-
mes sincères de l'amitié et de la reconnaissance.
Pendant une demi-heure, l'Eglise qui ne pou-
vait contenir que la moitié de la multitude, ne
cessa de retentir des accents de cette poignante
douleur que partageait tout l'auditoire.
Le service divin achevé, la dépouille mortelle
de l'Honorable Joliette fut descendu dans le
caveau de la famille situé au pied du cœur de
l'Eglise. C'est là que depuis vingt ans, ce
grand citoyen dort du sommeil des justes.
15G L'HONORABLE B. JOLIETTE.
C'est là, qu'en 1871, à la mort de son épouse,
dame Charlotte Tarieu Taillant de Lanaudi-
ère déposée à ses côtés, on ouvrit le cercueil
scellé depuis un quart de siècle. Fait étonnant !
on y trouva intacts, et le corps et les habits de
l'Honorable Joliette. Sa figure avait conservé
son expression primitive et même plusieurs de
ceux qui ne connaissaient ses traits que par les
portraits qu'il nous a laissés, l'ont reconnu im-
médiatement.
De nouveau, le tombeau des deux personna-
ges bienfaisants qui, à l'Industrie, passèrent
11 en faisant le bien," a été renfermé et 3cellé ;
et cette fois, pour ne s'ouvrir qu'au jour du ju-
gement, où ils sortiront, nous en avons la con-
fiance, pour vivre dans la gloire et dans l'im-
mortalité.
XLVII.
Souvenir reconnaissant envers
l'Hon. Joliette.
En attendant, le souvenir de l'Honorable
B. Joliette vivra dans le cœur des habitants de
Joliette et de tout le peuple Canadien.
A Joliette surtout, où chaque édifice public,
chaque industrie utile au progrès de la localité
rappelle son zèle, son intelligence et sa sollici-
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 157
tude, son nom se trouve dans toutes les bou-
ches.
Il n'y a pas de démonstrations nationales,
pas de séance littéraire publique, pas d'assem-
blée importante, sans que le nom du Fondateur
de la ville ne soit évoqué avec amour. D'épo-
que en époque, les élèves du collège qu'il a
fondé, se font un devoir de manifester par des
discours publics, la reconnaissance dont ils sont
pénétrés envers cet ami et cet insigne bienfai-
teur de la jeunesse.
Parmi ces nombreux témoignages de grati-
tude, nous en citerons un qui, pour être celui
de la date la plus reculée, n'en est pas moins pré-
cieux pour l'histoire. Tout en nous donnant
une idée des sentiments de tristesse qu'avait
provoqués dans toutes les âmes la mort de l'Ho-
norable Joliette, ce joli morceau littéraire jus-
tifie notre préférence à un autre titre ; c'est
qu'il nous semble un résumé fidèle de tout ce
que nous avons pu dire sur la personne et les
entreprises du Fondateur de " l'Industrie."
M. G. Baby, l'honorable maire de la ville de
Joliette, comme le digne représentant du comté
du même nom, voudra bien nous pardonner
d'ajouter aux notes précieuses qu'ils nous a
transmises avec tant de bienveillance, cette
fraîche et charmante production qui, outre son
158 L'HONORABLE B. JOLJETTE.
utilité pour notre sujet, pourra être pour lui-
même une douce réminiscence de ses belles
années de collège.
Discours de M. G. Baby, élève de philosophie,
prononcé en présence de Mgr. VEveque de
Montréal, aux examens du collège
Joliette en Vannée 1850.
Monseigneur, respectable assemblée,
u II n'y a que peu de jours, une déplorable
catastrophe jetait tout le monde dans l'abatte-
ment, dans la consternation, frappait tous les
cœurs de la douleur la plus vive. Tout ici,
semblait anéanti sous le poids d'un désastre
terrible et inattendu : L'homme revêtu du ca-
ractère sacré, soupirait en adorant les décrets
irrévoquables de Dieu ; le commerçant cessait
son calcul, l'industriel interrompait ses travaux,
l'étudiant en pleurs, oubliait ses loisirs et ses
livres ; la cognée s'échappait des mains du jour-
nalier, le laboureur sentait faiblir son courage
et le pauvre désolé versait des larmes en abon-
dance ; tous ces lieux semblaient frappés de
stupeur à la pensée du malheur qui venait de
les atteindre.
Quel était donc cet événement qui produisait
une impression si profonde dans toutes les clas-
ses de la société ? Ah ! vous le savez comme
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 159
moi... ; la mort, l'implacable mort, nous avait
tous frappés au cœur. L'Honorable Barthé-
lemi Joliette, membre du conseil législatif, sei-
gneur et père de ces lieux, n'était plus ! Ou
plutôt, cet homme si aimé, si vénéré succombait
à une maladie opiniâtre qu'il avait supportée
avec le calme d'un héros et la piété d'un chré-
tien. Le ciel sourd à nos prières, l'arrachait à
une épouse chérie, à des parents désolés, à des
concitoyens consternés. Sans égard pour ses
grandes œuvres, la mort l'enlevait à son pays,
comme le hardi chasseur enlève à ses petits la
mère qui les soigne, le père qui les nourrit.
Il semblait que cet homme ne devait jamais
mourir, tant il était utile et nécessaire à sa pa-
trie. Mais hélas ! les pensées des hommes ne
sont pas les pensées du Tout-puissant. Ac-
quittons du moins à sa mémoire, le juste tribut
d'éloges que nos cœurs lui ont voué.
Monsieur Joliette se faisait remarquer par
son génie protecteur et infatiguable, par son
caractère réfléchi et entreprenant, par son ima-
gination féconde, et par son esprit vaste et pé-
nétrant, qui, d'un seul coup d'œil, embrassait
en même temps qu'il les aplanissait, toutes les
difficultés et les entraves qui pouvaient sur-
gir dans le cours de ses nombreuses entre-
prises.
160 L'HONORABLE B. JOL1ETTE.
Par exemple, considérons un instant ce beau
et florissant village de l'Industrie, si je ne puis
l'appeler ville. Qu'était-il, il y a vingt ans ?
Une forêt inculte et impénétrable, vrai repaire
des bêtes sauvages. Quel courage ! quelle per-
sévérance n'a-t-il pas fallu à cet homme infatiga-
ble pour convertir ces lieux, en ce que nous les
voyons aujourd'hui ? c'est-à-dire pour rendre
ce qui était sauvage, inculte et stérile, populeux,
riche et riant.
Le voyageur, à l'approche de ce charmant vil-
lage si gracieusement assis sur cette rivière pit-
toresque qui fait mouvoir ces nombreux mon-
lins qui répandent tant de vie et tant d'activité;
à la vue de ce temple magnifique qu'il a élevé
à Dieu qui l'avait toujours protégé et béni, à
ce Dieu qui lui avait donné ce génie et ces
qualités dont il fit un si noble usage; à la vue
de ces majestueuses demeures, les manoirs sei-
gneuriaux qui nous reportent au temps de la
féodalité ; à la vue de ces belles habitations qui
portent le caractère distinctif du goût, de l'ai-
sance et de la propreté ; à la vue de ce chemin
de fer qui est comme la clef et le chef-d'œuvre
de toutes ces entreprises, le voyageur, dis-je>
pourrait-il s'empêcher de s'éerier avec le plus
profond étonnement, avec l'enthousiasme le
plus vif? Oh ! quel est donc ce génie créateur !
L'HONORABLE B. JULIETTE. 161
Où est-il afin que tous ses compatriotes lui
rendent un hommage universel de reconnais-
sance et d'admiration.
Dans sa carrière parlementaire, M. Joliette
se fit estimer par sou jugement profond et ses
principes invariables. Il n'était pas doué d'une
éloquence brillante, mais il savait par sa pru-
dence et sa sagesse produire l'effet qu'il désirait.
Aussi le parlement provincial lui a-t il rendu
un tribut d'hommage par la bouche de ses plus
illustres orateurs.
Dans le sein de sa famille, M. Joliette était
d'un abord facile et possédait quelque chose
d'entraînant.
Il avait un tempérament doux et sensible, et
était doué d'une conversation agréable et tou-
jours instructive. Toute personne, après l'avoir
vu, était frappé de son caractère affable, de ses
manières aisées, franches et honnêtes.
Aussi je ne craindrai pas d'affirmer ici, que
cet homme si estimable, n'avait pas un seul
ennemi, dans toute la province.
Ainsi, soit que nous considérions sa vie pu-
blique ou sa vie privée, nous le voyons le même,
c'est-à-dire, un homme au-dessus de tout éloge
pas ses vertus, par ses talents, par ses lumières
et surtout par ses œuvres !
Oui, nous pouvons pleurer la perte que nous
162 L'HONORABLE B. JOLIETÏE.
avons faite en la personne de ce grand homme.
Le pays perd en lui un de ses plus beaux orne-
ments ; la religion, un de ses membres les plus
utiles ; l'éducation un de ses bienfaiteurs les
plus constants ; l'industrie, le commerce et les
arts, un protecteur infatigable ; mais surtout le
pauvre, l'infirme, la veuve, l'orpbelin ont vu dis-
paraître leur support et leur consolateur. Tous,
grands et petits, riches et pauvres, trouvaient
en lui un cœur ouvert à tous leurs chagrins, à
toutes leurs infortunes. Il savait répandre
par ses avis salutaires, un baume bienfaisant
sur les plaies envenimées de la société.
Combien de familles n'a-t-il pas protégées et
sauvées d'une ruine imminente, en vidant Jeurs
différends d'une manière paternelle ? Combien
de malheureux n'a-t-il pas arrachés à une mort
certaine, par sa bienfaisance, sa charité 1
Mais c'est surtout sur la jeunesse que se
portait toute son affection ; elle n'avait pas un
ami plus sincère. Il l'aimait cette jeunesse, il
ne cherchait que son bonheur et ce qui pou-
vait la rendre utile et glorieuse à son pays. Ce
superbe Collège, élevé par sa munificence et
sous sa direction le prouve assez ; et n'y au-
rait-il que ce seul monument pour attester son
génie et son cœur, ce sol de l'Industrie aurait
déjà un monument impérissable qui redirait
L'HONORABLE B. JOL1ETTE. 163
aux générations les plus lointaines, combien le
nom de Juliette doit être cher à la jeunesse ca-
nadienne. Qu'il vive donc à jamais, ce nom
chéri de notre bienfaiteur !
XLVIIL
UNE DERNIERE PENSÉE.
" Qu'il vive donc à jamais ce nom chéri de notre
bienfaiteur !"
Voilà la parole sur laquelle nous nous per-
mettons d'arrêter nos réflexions. Nous ne l'i-
gnorons pas ; la reconnaissance des citoyens
de Joliette a élevé depuis longtemps, un mo-
nument impérissable à la mémoire du bienfai-
teur de cette localité : ce monument, c'est son
nom vénéré, son souvenir si cher, gravé en ca-
ractères ineffaçables dans le cœur de cette po-
pulation si distinguée par son bon esprit, sa
cordiale entente, et son zèle bien connu, pour
toutes les entreprises charitables et généreu-
ses. Cependant, ce n'est peut-être pas encore
tout ce que les enfants de l'Honorable Joliette
pourraient faire pour honorer sa mémoire. Ne
serait-il pas à désirer que le sentiment de re-
connaissance qui les honore, se manifestât pour
164 L'HONORABLE B. JULIETTE.
l'exemple et l'instruction de la jeune généra-
tion, si elle devenait oublieuse de son devoir.
Dans tous les temps, la gratitude des peuples
a élevé des statues, des monuments, pour
transmettre à la postérité, le souvenir des
hommes exceptionnels qui ont brillé au milieu
de leurs concitoyens.
Naguère encore, on parlait avec raison, d'é-
riger des monuments de ce genre, en l'honneur
de trois des plus illustres défenseurs de notre
nationalité canadienne : les Honorables Lafon-
taine, Morin et Cartier. Eh quoi ! l'honora-
ble Joliette, après vingt-cinq ans de sacrifices
pour la fondation d'une ville aujourd hui floris-
sante, n aurait pas mérité cet honneur ? N'est-
il pas une de nos gloires nationales les plus pu-
res ? Son intrépidité, son indomptable énergie,
son dévouement à toute épreuve, rfon intelligen-
ce d élite, ne l'élèvent-ils pas au rang de nos
illustrations canadiennes ?
Sans lui, que serait la cité qui porte son nom?
Peut-être, encore une forêt, ou tout au plus, un
champ à demi-défriché, dont le sol avare pro-
duirait à peine de quoi nourrir ses habitants ?
Non, la gratitude des citoyens de cette ville
ne sera pas stérile, mais elle apparaîtra tôt ou
tard, dans l'érection d'un monument digne de
son nom, digne de sa générosité !
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 165
En exprimant ce vœu, nous craignons d'autant
moins de ne blesser aucune susceptibilité, que
nos paroles ne sont que l'écho fidèle d'un pro-
jet qui a déjà été agité, plusieurs fois. De-
puis plus de vingt années, cette idée généreuse
germe dans le cœur des citoyens de Joliette.
Durant cet intervalle, bien des voix ont redit
éloquemment, et les titres de M. Joliette à cet
honneur, et les motifs des citoyens pour le lui
rendre. Voici entr'autres documents, un ex-
trait d'une pièce poétique inspirée par ce sujet ;
elle est trop précieuse pour notre cause pour
qu'il nous soit permis de la passer sous silence.
Pour honorer un nom si cher à la Patrie.
Qu'on répète souvent par toute l'Industrie ;
Il faut un monument où l'on fasse exposer
Les travaux que cet homme a voulu s'imposer.
Qu'on y grave ces mots : " Par son noble courage,
11 a fondé, fait croître et fleurir ce village."
C'est ainsi que Québec veut honorer Champlain
Et que Napoléon repose sous l'airain,
Quand luira le soleil de la race future,
L'étranger, qui lira cette antique gravure,
Apprendra qu'en ces lieux, un parfait citoyen,
Un ami du pays, un vrai canadien,
N'a cessé d'employer ses talents et son zèle
A doter le pays d'une ville nouvelle.
L'enfant dont le génie a déjà pris l'essor ;
Qui voit dans la vertu, plus d'appas que dans l'or ;
Qui sent que pour 1 honneur, son jeune cœur bouil-
lonne,
Retrempera son âme au pied de la colonne,
En admirant le nom du mortel merveilleux
Que la Grèce payenne eût mis au rang des dieux.
166 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
Des feux encor cachés que sou âme recelle,
11 sentira soudain jaillir une étincelle
Qui réchauffant bientôt de la plus vive ardeur,
Le couvrira plus tard de gloire et de splendeur.
C'est ainsi qu'Alexandre, aux plages de l'Egée,
Après avoir gravi les hauteurs de Sigée
Du vainqueur d'Ilion admirant le tombeau,
Désirait devenir un Achille nouveau.
Oh ! puisque c'est pour toi qu'il prolongeait ses
[veilles
Et que son grand génie enfantait des merveilles ;
Puisque pour ta grandeur il prodiguait son or,
Et qu'il te promettait de l'enrichir encor.
Tu dévias. Industrie, après ces jours funestes,
Tacquitter des honneurs, que tu dois à ses restes !"
Disons-le, encore une fois, l'organisation
seule a manqué à cette entreprise qui entoure -
ra d'une même gloire, et le Fondateur de l'an-
cienne Industrie et les citoyens de Joliette.
Par cette solennelle manifestation, ces derniers
prouveront une fois de plus, que s'ils savent
faire fleurir chez eux, la science et les arts, le
commerce et l'industrie, ils n'oublient pas d'y
cultiver aussi avec in soin particulier, la plus
belle, la plus embaumée des vertus : la re-
connaissance.
En attendant ce beau jour, où chacun se fe-
ra un devoir pieux d'apporter son offrande pour
élever la pierre monumentale qui rappellera la
Vie et les œuvres de l'honorable B. Joliette, où,
réunis dans un même sentiment d'affection et
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 167
de gratitude, les,habitants de la paroisse de St.
Charles Borromée rendront un dernier hom-
mage à leur bienfaiteur ; saluant une dernière
fois, cette grande figure de l'histoire qui vient
de passer sous nos yeux, nous ferons des vœux
ardents pour que la jeune cité de Joliette, née
sous l'inspiration de la foi, du dévouement et
du patriotisme, ne cesse de se montrer la digne
héritière des vertus de son illustre Fondateur.
GENEALOGIE
DES FAMILLES JoLIETTE ET DE LANAUDIÈRE.
Nous somrae3 heureux de pouvoir donner
ici, la généalogie complète des deux familles
Joliette et de Lanaudière.
Monsieur l'Abbé Cjprien Tanguay, l'auteur
du savant dictionnaire des familles cana-
diennes, voudra bien agréer le témoignage de
notre reconnaissance pour cet intéressant tra-
vail qu'il a eu l'obligeance de faire pour nous.
Généalogie de la famille Joliette.
JOLLTET.
I. — Jean, fils de Claude Jolliet, né en 1596, à Se-
zanne, Province de Brie, Département de la
Seine, charron de la Compagnie des Cenl Asso-
ciés, marié à Québec le 9 Octobre 1639, à
Marie D'abancour, fille d'Adrien D'abancour
dit Lacaille et de Simone d'Orgeville. (Dict.
Gèn. P. 324) de St. Vaux, diocèse de Soissons.
1 1.— Adrien, fils du précédent,. (et frère de Louis
Jolliet, hydrographe du Roy. qui en 1673 dé-
couvre le Mississipi,) marié en 1664 à Jeanne
Dodier, fille de Léon Dodier et de Françoise
Leraaire, desTrois-Rivières. [Dict. Gén. P. 324.)
170 L'HONORABLE B. JOLIETTE.
TH. — Jean-Baptiste, fils du précédent, né en 1667,
marié à Jeanne Cusson, fille de Jean Cusson
et de Marie Foubert, des Trois-Rivièrps,
Bixt. Gén.P. 151.)
IV. — François, fils du précédent, marié le 1 1 No-
vembre 1 7-48 à Montréal, à Cécile Papin, fille
de Gilles Papin I1) et de Marie Bernard.
V. — Antoine, fils du précédent, marié le 30 Mai
1785 à Ste Geneviève de Berthier, à Marie
Catherine Faribault, (fille de Barthélemi Fa-
ribault, Notaire et de Catherine Véronneau.)
VI. — Barthélemi, fils du précédent, né le 9 Sept.
1789 à St. Thomas de Montmagny, marié le
27 Septembre 1813 à Lavallrie à lielle Marie
Charlotte Tarieu de Lanaudière et décédé à
Juliette le 21 Juin 1850.
GÉNÉALOGIE
DE LA FAMILLE DE LANAUDIÈRE A LA-
QUELLE APPARTENAIT MADAME JOLIETTE.
TARTEU DE LANAUDIÈRE.
I. — Thomas, fils de Jean Taneu de Lanaudière,
chevalier de l'Ordre royal, et militaire de St.
Louis, et de Jeanne de Samalins, de N. D. de
Mirande, diocèse d'Auch, en Gascogne,
épouse à Québec le 16 Octobre (672, Margue-
rite Denys, fille de Pierre Denys Sieur de la
Ronde et de Catherine L^neuf.
II. — Pierre Thomas, fils du précédent, chevalier de
l'Ordre royal et militaire de St. Louis, né en
1677, épouse en 1706 Marie Madeleine Jarret
de Verchères, fille de François Jarret de Ver-
chères (2y et de Marie Perrot. (3)
(1) Fils de Gilles Papin, Dict. Gén. P. 460.
(2) Seigneur de Yerchères.
(3) Fille de Jacques Perrot- Vildaigre. (Die. Gén. P. 47).
L'HONORABLE B. JOLIETTE. 171
III. — Charles François-Xavier, fils «lu précédent,
chevalier de l'Ordre royal et militaire de St.
Louis, épouse en 1764 à Montréal, Marie Ca-
therine Lemoyne de Longueuil, fille de Charles
Lemoyne de Longueuil, second baron de
Longueuil et administrateur en 1752. (l) Sa
mère Catherine Charlotte était fille de Louis
Joseph Le Gouès, chevalier Degrais, et capi-
taine d'un détachement de troupes. (2)
IV. — Gaspard, fils du précédent, épouse en 1792,
Suzanne Antoinette Margane de la Valtrie,
fille de Pierre Paul, Seigneur de la Valtr ie <3)
et d'Angélique De Chajpt de la Corne; f4)
Y — Mademoiselle Charlotte, fille du précédent,
épouse le 27 Septembre 1813, Barthélemi
Joliette.
(1) Dict. Gén. P. 380.
(2) do P. 371.
(3) Petit-fils de Séraphin Margane. (Dict. P. 411.)
(4) F. Ile de Louis De la Corne, Seicmeur de Terrebonne
et d'Eliaabeth de Eamezay. (Dict. P. 167.)
^/Monsieur le pRAND "Vicaire
A. MANSEAU
Monsieur le Grand Vicaire A. Manseau.
M. Manseau naquit à St. Antoine de la
Baie du Fèbvre, district des Trois-Rivières, le
12 Juillet 1787, et il reçut le nom d'Antoine,
au baptême qui lui fut administré le même
jour.
Comme il n'y avait, à cette époque, aucune
école régulière établie dans sa paroisse natale,
il dut sa première éducation au curé du lieu,
Monsieur Victor Archambault, qui, un an au-
paravant, avait été transféré de la cure de
Lavaltrie à celle de la Baie du Fèbvrt.
Ce digne prêtre était né à la Pointe-aux
Trembles, et avait été compagnon de classe de
feu Mgr. Panet, de sainte mémoire. Il reçut
ses premières leçons à l'âge de six ans, en ré-
compense de son exactitude à se rendre tous
les matins à l'Eglise pour servir la messe de son
bon curé 1
Ayant perdu cet instituteur zélé qui mourut
à la fin de l'année 1796, il ne fut plus question
de son éducation jusqu'à l'âge de 16 ans. Il
avait alors neuf ans ; et il lui fallut s'appliquer
178 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
comme tous les autres membres de sa famille aux
travaux de la campagne, chez son père qui était
un bon cultivateur fort à l'aise et père de huit
enfants : cinq garçons et trois filles.
Ce métier lui répugnait beaucoup, parce
qu'il se sentait fortement appelé à un autre
état. Son père le comprit de bonne heure ; et
pour se conformer au goût de son fils pour
quelque profession libérale, il le mit en 1803,
sous brevet, chez Monsieur Etienne Ranvoizé,
notaire aux Trois-Rivières.
Tout en remplissant ses devoirs, le jeune étu-
diant en loi put suivre les écoles anglaises du
lieu : car bientôt, il se fit remarquer par des
talents et par une application sérieuse à Tétude.
Cependant, ce genre de vie lui offrait des dan-
gers, il s'en dégoûta. Il pensa donc sérieuse-
ment, après trois ans d'épreuves, à ce qu'il
pourrait faire de mieux. Car le dégoût et
l'ennui d'une profession à laquelle il ne se sen-
tait pas appelé, le rendaient très-malheureux.
Mais il se trouvait lié par un brevet et par la
volonté d'un père absolu et sévère qui avait
appris de bonne heure à ses enfants à ne rien
faire sans sa permission, pas même aller se
promener chez un voisin. Il se décida toute-
fois à informer ses parents du fâcheux état au-
quel il était réduit, et de son ardent désir de
ANTOINE MANSEAU. 179
faire des études régulières, pour pouvoir se
consacrer à Dieu dans l'état ecclésiastique. A.
sa grande satisfaction, son père entra volontiers
dans ses vues. En conséquence, il obtint la
résiliation de son brevet et fit tous les prépara-
tifs nécessaires pour son entrée au Collège.
C'était au mois de mai 1806 qu'il abandon-
nait ainsi l'étude de la loi, et le 15 juin suivant,
il commençait ses études classiques au Collège
de Nicolet. Il était alors dans sa dix-neuvième
année.
Au moyen de quelques leçons privées, il
put en deux mois, faire avec un succès remar-
quable, les éléments de la grammaire latine.
L'on ne s'étonnera pas de ce progrès rapide
dans la science, si l'on fait attention à ses ta-
lents distingués et à l'application avec la-
quelle il se donnait tout entier à une étude
qui était si conforme à ses inclinations et qui
faisait ses délices.
Il était doué malgré son âge, dune très-
heureuse mémoire, et son jugement était déjà
exercé par d'autres études sérieuses. Son amour
pour l'étude était avec cela excessif. Aussi,
ne perdait-il jamais un moment, même pendant
les vacances, qui étaient pour ses condisciples
un temps de délassement et de repos bien mé-
rités. Avec de telles dépositions, il put faire
180 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
en cinq ans, d'excellentes études, et dans le
mois d'Août 1811, il avait fini son cours d'étu-
des classiques.
Au mois d'Octobre suivant, de l'avis de mon-
sieur l'Abbé de Calonne, frère du ministre de
l'infortuné LouisXVI, mort aux Trois-Rivières,
en odeur d'une éminente sainteté, il descendit
à Québec pour y recevoir la tonsure. Mgr.
Plessis, alors Evêque de cette ville, eut bien-
tôt découvert le mérite et la capacité du jeune
clerc. Il lui donna de suite sa confiance, en
l'appelant, après quelques semaines de Grand
Séminaire, au Secrétariat, à la place de Mr.
Flavien Turgeon, devenu plus tard Archevêque
de Québec, qui venait de s'agréger au Sémi-
naire de cette ville. Il remplit donc l'oflice
de secrétaire, à la grande satisfaction de ce
digne Evêque et de son Clergé, jusqu'au com-
mencement de Janvier 1814.
Voici les époques de ses ordinations : 11 reçut
les ordres moindres, le 21 Décembre 18 1 1 ; le
sous-diaconat, le 13 Mars 1813 ; le diaconat,
le 30 Octobre de la même année ; et la prêtrise,
le 2 Janvier 1814. Il avait alors vingt-six ans
et demi.
Le jour même de sa prêtrise, il fut nommé
Vicaire de Mr. Griand, curé de Ste. Anne de
la grande Anse. Arrivé à son nouveau poste,
ANTOÎNE MANSEAU. 181
il comprit qu'il était plutôt desservant que
Vicaire, car son curé était malade depuis plu-
sieurs mois et incapable de remplir son minis-
tère, ne pouvant pas même sortir de sa maison,
et il mourût le 2 mai suivant, ù 1 âge de 56
ans, avec toutes les infirmités de la décrépitude
la plus avancée.
Mr. Manseau, se trouvait donc seul chargé
de la desserte d'une cure qui comptait alors
1300 communiants. Pour surcroit de besogne
et d'affaires, il lui fallut préparer la paroisse
à la visite pastorale, que M. Plessis fit cette
même année, et donner en conséquence, des
instructions à tous les enfants qui avaient fait
leur première communion depuis 4 à cinq ans,
afin de les bien disposer à recevoir le sacre-
ment de la Confirmation.
Aussi, se trouva-t-il, à la fin de la visite de
l'Evêque, très fatigué, ce qui ne surprendra
pas ceux qui savent ce qu'il en coûte de solli-
citude à un nouveau prêtre, pour conduire seul
une grande paroisse, et y faire faire les Pâques,
puis, préparer les enfants à la première commu-
nion et à la Confirmation. Cependant son
Evêque annonça qu'il l'enverrait bientôt dans
les missions lointaines, quoiqu'il eût à peine
sept mois de prêtrise.
Il fut en effet, à la fin du mois d'Août 1814,
182 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
nommé Missionnaire de Tracadie, Pomquette
et Hâvre-à-Boucher, sur la Nouvelle-Ecosse,
et aussi de Chétican et do Mâgré, sur le Cap-
Breton. Ces missions se trouvaient à une tren-
taine de lieues l'une de l'autre.
Quelque difficile que pût lui paraître cette
nouvelle tâche, il n'y avait pas à reculer de-
vant la volonté de son Evêque. Aussi, l'ac-
cepta-t-il de bon cœur ; et même il se crut trop
heureux d'avoir été ainsi choisi pour travailler
à la plus grande gloire de Dieu, en procurant
le salut des âmes.
Tous ses préparatifs étant terminés, et ses
adieux faits à ses parents et amis, il s'embar-
qua avec la bénédiction de son bon Evêque, à
bord d'un brick anglais, qui devait le débar-
quer à la Pointe à la Croix, au milieu du
détroit de Canso. C'était vis-à-vis ce point du
Cap-Breton que commençait la mission du
Hâvre-à-Boucher, en remontant de là, sur la
Nouvelle-Ecosse jusqu'à Pomquette, sa troi-
sième mission.
Mgr. Plessis lui avait donné un excellent
compagnon de voyage dans la personne de Mr.
Joseph Cécil qui, après avoir rétabli sa santé,
fut ordonné prêtre. Tannée suivante, et devint
lui aussi, missionnaire dans l'Ile du Prince-
Edouard où il passa six ans. Puis, étant rcn-
ANTOINE MANSEAU. 183
tré dans le Diocèse, il gouverna plusieurs Cures
et mourut au cap St. Ignace en 1859 ou en 1860.
Durant le voyage, ils furent témoins d'un
singulier combat, celui de la baleine avec un
espadon dentelé, qui se livra à une quinzaine
d'arpents du vaisseau et dura plus d'une demi-
heure. On en fut averti par un grand bruit
que firent les combattants, et tout le monde
courut sur le pont pour jouir d'un spectacle
aussi curieux que terrible.
La baleine, qui n'a que sa queue pour se dé-
fendre de son ennemi, cherchait à le saisir pour
l'écraser d'un seul coup. Comme apparemment,
l'espadon échappait à ses coups, à cause de
son agilité, elle entra en fureur, et les coups
qu'elle frappa sur l'eau, ainsi que ses mugis-
sements faisaient un fracas épouvantable. A la
fin, l'espadon bondit en l'air et retomba sur
son adversaire en présentant le dos. Il parut
d'une longueur de quinze pieds, et il s'éleva à
environ dix pieds en l'air. A ce moment, le
combat cessa, du moins on ne vit plus rien, et
le bruit ne se fit plus entendre.
Arrivé à Tracadie, où il devait hiverner, le
nouveau Missionnaire y trouva encore son pré-
décesseur, Mr. Pichard, prêtre français, qui y
résidait depuis plusieurs années. Comme on
était alors au 10 Novembre et qu'il n'y avait
i84 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
plus moyen pour ce vieux et Vénérable prêtre
de partir pour Québec où l'appelait son Evê-
que, Mr. Manseau prit le parti d'aller passer
l'hiver à Chétican qui est à trente lieues de
Tracadie. Il en fit avertir les habitants de
cette mission, par un nègre qui dut faire le
trajet à pied, et qu'il fallût en conséquence
payer fort cher.
A la nouvelle d'un Missionnaire qui allait
résider au milieu d'eux, les bons Acadiens pous-
sent une goélette à flot, lui rendent ses agrès et
se mettent en route pour Tracadie, où, douze
jours après, ils arrivent à pleines voiles.
Comme tout le petit bagage du Missionnaire
était prêt, i1 ne se fit pas attendre; on remit
donc à la voile sans perdre de temps, et dès le
lendemain an soir, on jetait l'ancre dans le
Havre do Chédcan.
C'était le 28 Novembre, et il était grand
temps d'arriver au port, car dès la nuit sui-
vante, l'hiver s'établit tout de bon par un vent
de foudre accompagné de neige et avec une
des plus furieuses tempêtes qu'on puisse voir
sur cette plage.
Pourtant, on ne s'étonnera pas que cette
tempête ne se soit ainsi élevée qu'après l'arri-
vée du missionnaire ; car tous les dévots Aca-
diens s'étaient mis en neuvaine pour lui obtenir
ANTOINE MANSEAU. 185
».••.. j
une bonne et heureuse navigation ; et au der-
nier jour de ce pieux exercice, le vaisseau en-
trait dans le Havre, ce qui ne s'était jamais vu
dans une saison si avancé'e.
Aussi les bons Acadiens étaient-ils dans
une grande anxiété, en le voyant exposé si
tard, à toutes les fureurs des vents et de la
mer. Quelle ne fut donc pas leur joie en appre-
nant l'heureuse traversée de leur Missionnaire.
Du Havre à la Chapelle qui en est distante
d'une demi-lieue, ce n'était qu'une procession
continuelle de ces fervents chrétiens qui accou-
raient à sa rencontre pour se prosterner à ses
pieds, et recevoir ses premières bénédictions.
Cher Monsieur, lui disaient-ils, dans leur lan-
gage naïf, je sommes bien aise de vous voir
terrir (arriver) ; j1 étions bien évantés du temps
que n'y avait de vous voir tenir la mer si
tard.''
Ce fut le premier dimanche de l'Avent, que
le Missionnaire se trouva pour la première fois,
environné de ses nouveaux paroissiens. Ce
fut une scène vraiment touchante et pleine
d'émotions.
La joie la plus pure se peignait sur toutes
les figures ; et il ne manquait rien au bonheur
du pasteur qui, longtemps après, en était en-
core tellement impressionné, qu'il avouait que
186 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
dans ce moment, il se sentait parfaitement
heureux. Tant il est vrai, qu'un bon peuple
fait le bonheur de son pasteur !
Il passa six mois au milieu de ces braves
gens qui, par leur docilité, leur foi et leur
piété, adoucissaient et lui faisaient même ou-
blier tout ce qu'il y avait de pénible dans sa
position. Il se trouvait placé entre deux mon-
tagnes qui ne lui laissaient voir le soleil que
depuis 10 heures du matin jusqu'à deux heu-
res de l'après-midi, ces montagnes ne se trou-
vant qu'à cinq à six arpents l'une de l'autre.
Mâgré, où se trouvaient des chrétiens aussi
fervents, est situé à 6 lieues de Chétican. M.
Manseau devait se rendre à cette mission au
moins toutes les trois semaines, y faire
l'Office le Dimanche, y cathéchiser les
enfants, y administrer les malad3S, y faire faire
les Pâques. Or, toutes le3 excursions devaient
se faire à pied, accompagné seulement d'un
homme ou de deux.
L'hiver se passa à voyager ainsi d'une mis-
sion à l'autre, à instruire les enfants, à admi-
nistrer les sacrements aux adultes et à donner
des leçons de chant à de bons jeunes gens qui
devinrent pour ces missions, d'excellents chan-
tres.
Enfin, au commencement de. Mai 1815. il
ANTOINE MANSEAi:. 181
vint se fixer à Tracadie que venait de quitter
le vieux Missionnaire. Il eut, sur ces entre-
faites, la douleur de perdre Mr. Cécil qui s'en
retourna à Québec, pour son ordination, mais
il en fut dédommagé par la consolation qu'il
eut de rencontrer à Arichat , Mgr. Plessis qui,
par ses bonnes paroles, releva son courage et le
ranima dans la pratique de ses devoirs de
Missionnaire.
L'Evêque de Québec, en faisant en 1815, la vi-
site des missions du Golfe, avait amené avec lui
Mr. Rémi Gaulin, qui est devenu depuis
Evêque de Kingston. A son retour, il laissa
ce Monsieur au Golfe et le chargea de la des-
serte d' Antigonish et de plusieurs autres missions
sur la Nouvelle-Ecosse et sur le Cap Breton.
Ce fut alors que Mr. Manseau se vit obligé
de desservir plusieurs postes sur l'Atlantique ;
ce qui lui fut très pénible, parce qu'il était
forcé de n'exercer le ministère qu'en Anglais;
ce à quoi, il n'était point encore accoutumé ;
et il lui fallut en outre, parcourir pendant
deux ans, des postes éloignés ks uns des autres
de près de 60 lieues. Un de ces postes était
Sidney, capitale du Cap- Breton, qui a 25
lieues dans sa plus grande largeur.
Après ses trois années de missions dans le
Golfe, c'est-à-dire en 1817, Mr. Manseau
188 M0NSIEUR2LE GRAND VICAIRE
se rendit à Québec vers la fia du mois
d'Août, et dans le mois de Septembre suivant,
il fut nommé à la cure des Cèdres. Cette pa-
roisse avait alors un territoire très-étendu qui,
divisé plus tard, a été trouvé suffisant pour for-
mer sept paroisses savoir : Les Cèdres, ou St.
Joseph de Soulanges, St. Ignace, St. Clet, St.
Polycarpe, St. Zotique, St. Thimothée et Ste.
Cécile. La population de ce vaste territoire
était alors de 3,800 âmes, donnant 2,400
communiants.
Il fallait parcourir 5 et 6 lieues pour visiter
les derniers habitants. D'autres se trouvaient
au Sud du St. Laurent dont la traversée est
très-pénible en cet endroit, à cause de la rapi-
dité des courants. Ces difficultés et d'autres
encore que le nouveau Curé rencontra dans
l'exercice de son ministère, lui firent regretter
ses bonnes missions du Golfe, et plusieurs fois,
il se repentit de les avoir quittées si tôt. Tou-
tefois, il fut déchargé en 1819 de la desserte
de St. Polycarpe qui fut confiée à Mr. Pierre
Nicolas Leduc. Deux ans plus tard, on bâtit
une chapelle à St. Timothée qui, cependant,
resta à la charge du Curé des Cèdres jusqu'en
1826.
Il est à remarquer ici en passant, que Mr.
Manseau accompagna en 1821 Mgr. Plessis
ANTOINE M ANSE AU. 189
dans la visite Pastorale qu'il fit dans la Baie
des Chaleurs ; et qu'en 1822, il descendit aux
Trois-Rivières pour assister à la Consécration
de Mgr. Provancher, Evêque de Juliopolis,
fondateur et premier Evêque des Missions de
la Rivière-Rouge. En 1823, il fut nommé
Grand-Vicaire et Visiteur de toutes les mis-
sions du Haut-Canada, pendant l'absence de
Mgr. Alex. McDonell, qui était allé en Europe
pour affaires importantes, malgré toutes les
objections qu'il pût faire pour ne pas être char-
gé d'une responsabilité qui lui paraissait acca-
blante. Comme bientôt après, l'Evêque de
Québec le pressait de partir, il l'informa qu'il
ressentait au bras un mal qui semblait préluder
à la paralysie et que pour cette raison, il retar-
derait son départ. L'Evêque lui répliqua:
u Nous n'avons pas le temps d'être malade ;
partez sans délai. ';
Nous partirons donc, répondit-il, puisque
nous n'avons pas le temps d'être malade.
Le" docile administrateur se mit donc en
route pour faire sa visite ; et il put pendant
les deux années qu'il fut chargé de cet impor-
tant office parcourir toutes les missions qui
existaient alors dans le Haut-Canada , et il
disparut ensuite pour toujours, après le retour
de Mgr. McDonnell.
190 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
En l'année 1826, Mgr. Panet, qui était
devenu Evêque de Québec, offrit à Mr. Man-
seau sa cure de la Rivière-Ouelle ; mais comme
cette paroisse était considérable, il crut devoir
prier l'Evêque de ne pas le charger de ce far-
deau.
Mais en 1827, il accepta la cure de Contre-
cœur, avec beaucoup de reconnaissance par-
cequ'elle était plus petite et qu'elle ne lui pa-
raissait pas au-dessus de ses forces, et que
d'ailleurs, il y retrouvait dans la belle simplicité
de ses habitants, ses bons Acadiens, qu'il conti-
nuait à affectionner tendremeLt. Pendant les
sept ans qu'il demeura avec eux, ces bons pa-
roissiens lui donnèrent constamment la même
satisfaction.
Comme avec une bonne santé, il avait du
loisir, il se mit à faire l'école à six jeunes
gens du Village auxquels il enseigna le chant,
la grammaire, et les premiers éléments du
latin.
Il établit une bonne école, car il n*y en avait
point quand il arriva dans cette paroisse. Il
consacra une partie de ses loisirs à former son
chœur, car alors, il n'y avait pas chez lui
un seul enfant capable de servir même une
messe basse. De son école, sont sortis quatre
Notaires. Il a donc bien réparé la perte qu'il
ANTOINE MANSEAU. 191
avait pu causer au Notariat en abandonnant
cet état, comme il a été dit plus haut.
Aux Cèdres, il s'était également chargé de
l'éducation de jeunes gens choisis dont l'un
est devenu prêtre et l'autre Shérif de l'un de
nos districts.
Cependant les supérieurs ecclésiastiques trou-
vaient que le curé de Contrecœur n'était pas
occupé selon ses forces et ses talents distin-
gues. Ils voulurent donc le tirer de l'état un
peu obscur dans lequel ils lu voyaient placé
dans la modeste cure de Contrecœur. La
bonne opinion qu'avait conçue de sa capacité
Mgr. Signai lui fit croire que la cure de Qué-
bec était un théâtre digne de lui, et il la lui
offrit ; mais il éprouva de la résistance de la
part de co prêtre qui ne cherchait qu'à se ca-
cher. Il fait là dessus connaître ses vrais
sentiments en des termes aussi modestes que
plaisants, et nous les reproduirons ici avec
complaisance.
11 C'est avec une sorte do confusion, et pour
dire toute la vérité, puisqu'on m'y oblige, que
j'avoue que Mgr. Signai" m'a offert la cure de
Québec, lorsqu'il l'a quittée pour s'occuper
plus particulièrement de ses nouveaux devoirs.
Certainement qu'une cure aussi importante ne
va pas à ma taille, c'est évident. LEvêque
*192 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
devait savoir qu'il pouvait faire mieux, comme
en effet, il l'a fait en nommant Mr. Baillargeon.
Le premier choisi a dû refuser, et on a heu-
reusement trouvé ses excuses plausibles. J'en
ai remercié le bon Dieu qui n'a pas voulu
m'exposer sur un si brillant théâtre."
Cependant, Mgr. Lartigue répétait en toute
occasion au curé de Contrecœur qu'il n'était
pas assez occupé, et qu'il menait la vie d'un
paresseux, quoiqu'il fût seul à desservir une
paroisse de treize-cents communiants. Voyant
que c'était un parti pjis de le tirer de sa cure,
pour le faire passer à une autre plus grande et
qui lui imposerait plus de travail, il exposa à
Mgr. Signai qu'il se chargerait de la cure
de Longueuil devenue vacante par la
mort de Mr. Chaboillez. L'Evêque le prit
au mot, et le nomma en 1834 à cette cure im-
portante. Il la gouverna pendant six ans au
milieu de toutes les sollicitudes que lui causè-
rent les événements de 1837 et de 1838 que
tout le monde connait. Dans la pensée que
son ministère ne pouvait plus être aussi avan-
tageux à cette paroisse, il demanda à en être
déchargé.
L'Evêque actuel de Montréal, qui voulait
attirer auprès de lui un homme aussi éminent,
lui accorda volontiers sa démission, en lui
ANTOINE MANSEAU. 183
offrant une place honorable à l'Evôché. Il fut
très-sensible à cette nouvelle marque de con-
fiance. Aussi, écrivait-il, plusieurs années
après : u La reconnaissance exige que je dise
que j'ai toujours été traité avec bonté par les
Evêques de Montréal. Mgr. Lartigue m'a fait
son Grand Vicaire en 1837, et après sa mort,
son successeur me continue dans cette qualité
et me témoigne toujours la plus grande con-
fiance." Sa raoiestie la empêché d'ajouter que
le premier Evoque de Montréal lui donna en
18 J6, une nouvelle preuve de si confiance en
voulant faire de lui son coadjuteur et son suc-
cesseur : honneur qu'il trouva encore moyen
d'éviter.
Ainsi, à l'époque de la St. Michel en 1840,
le curé de Longueuil se rendit à l'Evôché pour -
prendre possession de son nouveau poste qu'il
considérait comme heureux et très honorable
pour lui. Aussi, désirait-il que ce fut sa
dernière demeure dans ce bas monde. Mais il
n'en fut pas ainsi, comme on le verra bientôt.
Cependant Mgr. de Montréal, qui avait été
autorisé par le St. Siège à établir un chapitre
dans sa Cathédrale, se trouva en mesure de
réaliser ce projet, environ un an après qu'il eût
pris possession de son siège. Ce fut le 21
Janvier 18-41, que se fit l'installation des
194 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
premiers Chanoines par le célèbre Evêque de
Nancy, Mgr. Forbin-Janson qui, à cette épo-
que, terminait la grande mission qu'il avait
donnée à Montréal, et qui a produit de si
heureux fruits, comme tout le monde sait.
Ces six premiers Chanoines furent MM.
Manseau, Hudon, Prince, Trudeau, Lavoie et
Paré. M. Manseau, qui était le plus ancien
d'âge et de prêtrise, et qui déjà était Grand
Vicaire, devint tout naturellement doyen du
nouveau chapitre.
" La sympathie, écrivait à ce sujet M. Man-
seau, qui existait entre tous les chanoines et
les autres habitués, faisait de l'Evêché un
séjour charmant, disons mieux, délectable." Sur
le printemps, tout allait à l'ordinaire, pour le
mieux, excepté la santé du doyen du chapitre,
qui, accoutumé à une vie active, ne pouvait
guère s'accommoder de la vie sédentaire qu'il
lui fallait mener à l'Evêché.
Cependant, il lui fallut se charger de l'ad-
ministration du Diocèse, pendant le premier
voyage que Monseigneur fit à Rome et qui
dura depuis le mois de Mai jusqu'au mois de
Septembre. Mais au retour de l'Evêque, il se
déchargea de l'administration dont il s'était
acquitté avec succès, comme de tous ses autres
devoirs, et il se retira, avec les titres de Vicaire-
ANTOINE MANSEAU. 195
Général et de Chanoine honoraire, d'abord à
Longueuil, chez son neveu M. L. M. Brassard
qui lui avait succédé dans cette cure, et ensuite
chez son intime ami, M. Primeau, curé de
Varennes.
Sa santé s'étant rétablie parfaitement, et
son zèle ne lui permettant plus de demeurer
inactif, il se fit un devoir d'exposer àl'Evêque
qu'il se croyait capable de se remettre au tra
vail. C'était au mois d'Octobre 1843.
L'Evêque lui offrit la cure de St. Charles de
l'Industrie, qui était la seule vacante j et il lui
dit gracieusement que plus tard, il pourrait lui
procurer un autre poste plus convenable. Mais
le fait seul de la pensée de lEvêque à cet égard,
lui fit croire à une inspiration du ciel, et lui
persuada que c'était le bon Dieu qui le voulait
à l'Industrie.
Il accepta donc cette nouvelle paroisse qui
n'avait encore été desservie que pendant 18
mois, par voie de mission. Elle offrait peu
d'avantages, humainement parlant.
L'église était la propriété privée de l'Hono-
rable Joliette, qui l'avait construite à ses
propres dépens. Elle n'avait donc ni frabrique,
ni fabriciens. Ce ne fut qu'en 1850, que ce
Monsieur en fit don à la corporation épiscopale
de Montréal, qui en est depuis ce temps, l'uni-
196 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
que propriétaire. Les Curés en administrent
les revenus sous la direction de l'Evêque, et
les paroissiens ont droit d'y être desservis et
inhumés.
L'Evêque seul fait les règles qui doivent y
être suivies ; le donateur lui-même ne s'était
pas réservé le droit d'intervenir dans cette
administration.
Le principe de cet homme vraiment sage
dont le monde connaît et admire les grandes
œuvres, était : " Tout pour le peuple, rien avec
lui." Ce système a parfaitement fonctionné
jusqu'ici à Joliette, parce qu'il ferme la porte à
de fâcheuses divisions qui souvent bouleversent
les autres paroisses. Pour aider à supporter
les charges de cette nouvelle cure, M. Joliette
avait encore donné 100 arpents de terre, qui,
divisés en lots ou emplacements, formeront avec
le temps, une dotation honnête pour le soutien
de rétablissement.
Lorsque M. Manseau arriva à l'Industrie en
1843. on n'y comptait que 1400 âmes et 800
communiants. Au recensement de 1862, il
s'y est trouvé 4.200 âmes et 2,400 communi-
ants.
Le village seul contenait plus de 3,000 âmes.
Cette paroisse n'était, pour ainsi dire, qu'une
terre on friche, et sans culture. Il ne d'y
ANTOINE MANSBAU. 197
trouvait qu'une petite école qui ne tint que
quelques mois. Point de chantres pour les
offices publics ; point d'enfants de chœur
exercés pour les cérémonies de l'Eglise.
L'Eglise elle-même, quoique bien bâtie, man-
quait de mobilier : point d'autel décent, point
de tableau, point de rétable, point de stalles,
point de tapis. La sacristie était aussi dénuée
d'ornements, de linges et de tout ce qui con-
tribue à donner de la solennité aux saints offices.
Le nouveau curé comprit donc tout d'abord
qu'il avait une rude tâche à remplir et qu'il
lui fallait se multiplier, s'il voulait répondre à
tant de besoins.
Il commença par établir une école dans la
sacristie, où il réunit une demie douzaine de
jeunes garçons à qui il donna lui-même des
leçons de lecture, d'écriture et de chant, en
insistant surtout sur les cérémonies de l'Eglise
qu'il apprit à ses heureux élèves à bien exécu-
ter. Ce moyen lui réussit à merveille, puis-
que dans l'espace de quelques mois, il put se
procurer le personnel absolument nécessaire
pour célébrer décemment les saints offices. Il
continua cette école, deux fois par jour, pen-
dant quatre années. Par ce moyen, il put
doter son Eglise de chantres et de servants
très-habiles.
198 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
Le village ayant pris un accroissement très-
considérable, les rues se trouvaient remplies
d'enfants qui ne pouvaient que se démoraliser
en errant et en vagabondant à l'aventure, parce
qu'ils n'avaient aucun moyen d'éducation. Il
fallait en conséquence penser sérieusement à
fonder un établissement scholaire. M. Joliette,
dont les vues étaient si profondes pour tout ce
qui tenait ù la prospérité de son village d'In-
dustrie, comprit qu'il fallait le doter d'un vaste
édifice, qui put répondre pour un temp3 donné,
aux besoins présents et à venir. C'est ce qui
Tengaga à bâtir un Collège à deux étages de 80
pieds sur 40, connu aujourd'hui sous le nom de
Collège Joliette. Mais il fallait d'habiles
maîtres pour en prendre la direction. M. le
Grand Vicaire Hudon fut chargé d'en chercher
quand il passa en Europe en 1843 et en 1844,
mais il ne put en obtenir. Ce fut Monseigneur
l'Evêque de Montréal qui, dans son second
voyage d'outre-mer en 1846 et en 47, fit des
arrangements avec M. Querbes, curé de Vour-
les, (près de Lyon,) et fondateur des Clercs
paroissiaux de St. Viateur, pour faire un établis-
sement de ses frères à l'Industrie.
Trois ou quatre de ces religieux suivirent
l'Evêque à son retour au Canada, et arrivèrent
dans le mois de mai 1847.
ANTOINE MANSEAU. 199
Deux prêtres de ki inêmc Congrégation,
savoir : le Père Thibeaudier et le Père Lahaje
qui, après avoir demeuré six ou sept ans à St.
Louis de Missouri, s'en retournaient en France,
se réunirent à leurs frères du Canada qu'ils
étaient venus visiter en passant. Au mois de
septembre 1847, ils prirent possession du
Collège Joliette qui était depuis un an en
opération, sous la direction de trois ecclésiasti-
ques que Mgr. l'Evèque de Montréal y avait
envoyés pour en prendre soin, en attendant
l'arrivée des frères.
Cet établissement, si modeste dans son prin-
cipe, est devenu avec le temps, un Collège
classique, où Ton comptait en 1863, 150 élèves,
faisant un cours d'études régulier, en y étu-
diant le latin, le grec, le français et l'anglais.
Il restait à faire pour les filles ce qui avait
été accompli avec succès pour les garçons. M.
Joliette y avait pensé, mais la mort l'ayant
surpris, en 1850 au milieu de ses vastes entre-
prises, le curé se trouva seul chargé de mettre
ce projet à exécution ; malheureusement, il
n'avait pas à sa disposition les mêmes moyens
pécuniaires.
Toutefois, il se mit à l'œuvre, en comptant
sur les fonds que la divine Providence laisse à
la disposition de ceux qui mettent en Elle tout«
200 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
leur confiance. Moyennant une somme em-
pruntée à la banque, et quelques souscriptions
qu'il recueillit dans le village, il put bâtir en
1854, un petit couvent qui fut ouvert l'année
suivante, sous la conduite de cinq sœurs de la
Providence qui avaient à instruire les petites
filles, à élever les orphelins et à visiter les
malades à domicile.
Ce modeste couvent prit bientôt des dévelop-
pements considérables ; et dè3 l'année 1863,
250 filles y recevaient une bonne éducation chré-
tienne: Huit orphelines y étaient entretenues
et instruites, et on prodiguait les soins de la
charité à huit pauvres femmes et à deux vieil-
lards infirmes. En outre, les sœurs de la Pro-
vidence de Joliette, comme celles de Montréal,
font des visites journalières chez les riches
pour en solliciter les largesses, et chez les pau-
vres pour faire couler dans leur sein les sources
de la charité qui, au sein de cette nouvelle
ville, sont vraiment intarissables.
Elles ont recours pour les faire jaillir, à des
bazars et autres moyens qu'invente une charité
vraiment ingénieuse. Un hôpital a été bâti
sur le terrain de l'Asile de la Providence. On
doit ce nouvel établissement à la générosité de
feu M. Ed. Scallon et de sa dame. La ville
est aussi intervenue pour sa part, à cette belle
ANTOINE MANSEAU. 201
œuvre. Des conférences de St. Vincent de
Paul, une Association de l'Union St. Joseph
et une des dames de la charité y fonctionnent
parfaitement bien. Feu M. Ed. Scallon a
laissé une riche succession pour y fonder plus
tard, une maison d'Industrie.
La nouvelle ville de Joliette que l'on a vue
si petite quand M. Manseau en fut nommé
curé en 13-A3, se trouve donc maintenant riche-
ment dotée d'établissements, et en voie de
progrès. Son Collège ne pouvant plus suffire
au grand nombre d élèves qui y affluaient de
toutes parts, il a fallu y ajouter d'abord une
aile, puis l'élever d'un étage, et bientôt il sera
nécessaire de lui donner une seconde aile.
C'est ce zélé pasteur qui a heureusement
dirigé les opérations qui ont amené de si grands
résultats. Son amour ardent pour son peuple
et son zèle constant pour la religion ont sou-
tenu son courage au milieu des épreuves qui ne
lui ont pas manqué ; car elles sont et doivent
être le cachet des œuvres de Dieu dont elles
assurent le succès et la permanence.
Mais enfin, ce bon pasteur voyait ses forces
diminuer, et craignant que, avec ses forces
physiques, le feu divin qui l'avait toujours
animé pendant sa longue carrière dans le sanc-
tuaire, ne vint à s'éteindre, il songea tout d'abord
•202 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
à sa retraite, et la demanda avec instance à son
Evêque. Il voulait après plus de cinquante
années d'exercice et de travaux dans le saint
ministère, se recueillir quelque temps, pour
méditer les années éternelles dans la paix et le
calme delà solitude.
Ayant obtenu sa démission le 2 Février 1864,
il se prépara à quitter Joliette et à venir à
l'Hospice St. Joseph, pour y mourir tranquille
au milieu 'des vétérans du sanctuaire. En
demeurant dans sa cure où tout devait humai-
nement parlant, le retenir, il aurait été dans la
nécessité de voir beaucoup de monde et de rece-
voir de fréquentes visites. Or, il voulait être
seul avec Dieu seul, pour se mieux préparer à
la mort afin d'entrer dans son éternité avec
une humble confirmée dans les infinies miséri-
cordes de Dieu.
D'ailleurs, il voyait avec bonheur que son
successeur dans la cure de Joliette remplissait
parfaitement ses vues par les succès qu'obtenait
son zèle ; ce qui lui faisait croire dans son
humilité, qu'il pourrait réparer toutes les
fautes qu'il y avait commises. En outre, il
voulait, en venant finir ses jours à Montréal, se
rapprocher de son Evêque qui, disait-il, ne
manquerait pas, en l'assistant à la mort, d« lui
ANTOINE MANSEAU. 203
donner une bonne passe, pour se présenter au
souverain juge et eu être bien reçu.
Il entra avec de si beaux sentiments à l'Hos-
pice de St. Joseph, le 1er d'Octobre 1864, et
depuis ce momeut, il ne cessa de se préparer
plus prochainement au grand passage du temps
à l'éternité.
Il se familiarisa tellement avec la pensée de
la mort, qu'il en était tout préoccupé. Cepen-
dant cette sérieuse pensée, loin de l'attrister,
en le rendant sombre et mélancolique, sem-
blait ajouter un nouvel agrément à son carac-
tère naturellement enjoué et aimable. Aussi
parlait-il de sa mort prochaine, comme on parle
d'un jour de fête et s'entretenait-il avec ceux qui
le visitaient, comme d'un événement qui ne
l'aurait pas regardé.
Tous ont admiré en lui, jusqu'à ses derniers
moments, ce calme profond dans lequel son
âme était si solidement établie. Il pouvait
dono dire avec St. Jérôme : " C'est bien à tort,
ô mort, que l'on te représente si terrible ; car
je ne te considère que comme une bonne sœur
avec laquelle je vais entrer dans mon éternité."
Avec un homme si bien disposé, il ne fallait
pas user de beaucoup de ménagements, pour
l'avertir qu'il était temps de recevoir les der-
niers saorements. A la nouvelle que lui en donna
204 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
l'Evêque, il se recueillit quelques instants,
puis fit sa confession après laquelle il reçut le
St. Viatique et l'Extrêtne-Onction. Avant de
recevoir la sainte communion, il sembla s'abi-
mer devant son Sauveur qui venait à lui avec
tant de bonté. Il lui adressa de touchantes
paroles pour lui exprimer sa foi, son amour et
sa reconnaissance. Il lui demanda pardon de
toutes ses fautes, en lui représentant qu'il
s'appuyait sur la puissante protection de la
Bienheureuse Vierge Marie qu'il avait toujours
aimée et dont il n'avait jamais cessé de répan-
dre la dévotion. Il témoigna aux assistants qu'il
regrettait beaucoup de n'avoir pas toujours été
aussi édifiant quïl aurait dû l'être. Enfin, il
remercia les sœurs qui, pendant sa maladie,
l'assistaient avec tant de charité.
Il vécut encore huit jours, après avoir reçu
les derniers secours de l'Eglise, conservant sa
parfaite connaissance, excepté les deux der-
nières journées qui furent pour lui des jours
d'une agonie longue mais douce. Enfin, il
expira, ou plutôt il s'endormit paisiblement
dans le Seigneur le 7 Avril 1866, à 9 heures
et dix minutes du matin. Il était âgé de 79
ans, et avait passé cinquante-deux ans au ser-
vice de l'Eglise.
Un premier service lui fut chanté par Mon-
ANTOINE MANSEAU. 205
seigieur Bourgct dans l'Eglise de la Providence
le dix Avril, ap*rès lequel son corps fut trans-
porté à Joliette et inhumé dans l'Eglise parois-
siale, le douze du môme mois. C'est là que
sa mémoire, qui est celle du juste, sera éternelle.
In memoria œterna erit justus ; ab auditione
mala non timebit.
Pour la satisfaction du lecteur, nous donnons
ici,dans toute son étendue, le compte rendu des
funérailles solennelles que lui firent les citoyens
reconnaissants de la ville de Joliette.
Ce morceau, publié dans le temps, dans les
journaux, et dont l'auteur a voulu disparaître
sous le voile de l'anonyme, renferme des détails
trop touchants pour ne pas intéresser vivement
tous ceux qui ont connu le regretté M.
Manseau.
11 Elle pleure, elle verse des larmes amères,
cette patrie pleine de foi, sur un membre dis-
tingué du clergé, sur monsieur le Grand-Vi-
caire Manseau, Chanoine honoraire, ancien
curé de Joliette, et retiré depuis deux ans, à
l'hospice de St. Joseph. C'est dans cet asile
béni, qu'assisté de Monseigneur de Montréal et
de plusieurs piètres, il a rendu sa belle âme au
Dieu dont il s'était efforcé de répandre partout
la gloire.
La mort, qui le frappa le sept de ce mois, à
206 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
neuf heures et dix minutes du matin, fat loin
dô l'effrayer. Les témoins de ses derniers mo-
ments pleins de calme, furent plongés dans la
plus grande douleur ; de profondes angoisses
accablèrent les Messieurs Brassard.
Cette triste nouvelle affligea aussi profondé-
ment bien d'autres coeurs. Les citoyens de Jo-
liette, avertis que leur ancien pasteur est aux
prises avec la mort, se lamentent, se désolent,
leur douleur s'accroit quand, par la voie télégra-
phique, ils apprennent qu'il n'est plus de ce
monde.
Ils manifestent alors un vœu bien légitime,
celui de posséder au milieu d'eux les restes mor-
tels de celui qui, pendant vingt-deux ans, avait
été pour eux, un bienfaiteur et un père. Mr.
le Curé en fait part à Sa Grandeur, et reçoit
aussitôt une réponse favorable de sa bonté.
Le huit, la ville de Joliette députe à Mont-
réal, M. C. Beaudry, directeur du Collège ;
M. de Lanaudière, maire de la ville, et M. J.
W. Renaud, Conseiller. Beaucoup de person
nés désirent les accompagner ; mais que faire
dans une pareille saison et par de pareils che-
mins !
Le neuf, un service solennel est chanté dans
la chapelle de la Providence ; Monseigneur lui
même célèbre et fait l'oraison funèbre; les mem-
ANTOINE MANSEAU, 207
bres du clergé présents sont au nombre de
trente.
Le dix, le corps du vénérable défunt laisse
Montréal pour être transporté à Joliette.
Quelles difficultés occasionnées par la fonte des
neiges n'ont pas à surmonter les hommes géné-
reux chargés d'apporter ce précieux dépôt !
A peine sont-ils partis deMontréal,que le corbil-
lard se brise ; à Terrebonne, où ils passent la
nuit, ils sont obligés de louer celui de St. Fran-
çois de Sales. Avant d'arriver à St. Roch,
le corbillard verse, et le choc fait briser le
cercueil. A St. Roch et à St. Jacques,plusieurs
citoyens de Joliette attendent les restes de leur
vénérable pasteur, leur nombre s'acercit peu à
peu, et bientôt, ils forment une suite nombreu-
se et imposante.
A force de persévérance, d'énergie, les dif-
ficultés sans nombre sont vaincues et le convoi
atteint Joliette vers les six heures du soir. Un
courrier est détaché pour informer les gens de
la ville de l'arrivée de leur père chéri.
Toutes les cloches se mettent en mouvement ;
la voix de la tristesse, du deuil, de la mort se
fait entendre partout. Le cortège funèbre
s'avance dans les rues de la ville. Oh ! quelle
scène déchirante se présente en ce moment à
tous les regards !
208 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
Plusieurs riches citoyens et surtout un grand
nombre de pauvres sont là, de chaque côté du
chemin ; quelques-uns sont à genoux, d'autres
montrent à leurs enfants le cercueil : tous pleu-
rent, tous font entendre des sanglots.
C'est ainsi, qu'entouré du peuple en pleurs,
le cercueil parcourt les rues de Lanaudière, St.
Charles, Notre-Dame et va déposer dans la
grande salle de l'Hôpital, les dépouilles mor-
telles de M. le grand Vicaire Manseau.
Aussitôt, la bière est ouverte, et l'on voit
avec bonheur, que les traits du regretté défunt
se sont bien conservés, et, qu'à la grande satis-
faction de tout le monde, il pourra être expo-
sé jusqu'au lendemain.
Quel n'est pas l'empressement de ces bra-
ves gens à venir contempler les traits vénérables
de leur père et à répandre de ferventes prières
pour le bonheur de son âme, ou plutôt à l'in-
voquer, tant il est considéré comme un saint.
Dire combien d'objets ont touché les mains de
ce saint piètre, est chose impossible. Pendant
toute la nuit, il reçut mille témoignages d'affec-
tion, d'estime et de vénération.
Le lendemain, les cloches annoncent la
solennité funèbre. Le vénérable curé de Ber-
thier, Messire J. F. Gagnon, fait la levée du
corps, accompagné des élèves du collège et d'un
ANTOINE MANSEAU. 209
grand concours de prêtres parmi lesquels
on remarque les Révérends : Champagneur,
supérieur des Clercs de St. Viateur, N. Barret,
supérieur du Collège de PAssomptioD, E. La-
belle, F. Dorval, M. Charron, C. A. Loranger,
D. Laporte, J. 0. Chicoine, L. Brassard,
M. Brassard, J. Barret, L. J. Martel, A.
Dupuis, H. Coutu, F. X. Laberge, A. Brien,
P. Beaudry, A. Gravel, J. St. Aubain, D.
Maréchal, E. Laporte, J. Michaud, L. Lan-
glais, L. Lévesque et nombre d'autres dont
les noms échappent à mon souvenir.
La procession funèbre commence sa marche
solennelle. Les sociétés de " Secours mutuels v
et de " Bienfaisance," le chœur, le corps porté
par quatre cultivateurs et quatre citoyens de
la ville, la foule silencieuse et recueillie forment
un spectacle imposant. La figure de ce vieil-
lard plein de mérites qui, à Joliette comme
ailleurs, a passé en faisant le bien, se montre à
tous les regards. Qu'il est touchant de le voir
parcourir pour la dernière fois, les rues de la
ville qu'il a vu grandir par les efforts de son zèle !
Le cercueil est déposé sur le catafalque élevé
au pied du chœur.
En peu de temps, l'Eglise est remplie do fi-
dèles. Tout l'intérieur du temple est pavoisé
de symboles de deuil, d'emblèmes de la mort
210 MONSIEUR LE GiiAND VICAIRE
Un dais surmonté d'une couronne est suspendu
au-dessus du maître-autel, une autre au-dessus
du tombeau. La messe commence; elle est
célébrée par M. le Grand-Vicaire A. Truteau
assisté de 31 M. J. L. Huot et C. Beaudry fai-
sant les fonctions de diacre et de sous-diacre.
La religion dans la personne de quelque > ci-
toyens et des élèves du Collège fait alors en-
tendre ses plus tristes comme ses plus solennels
accents.
Sa voix pleine de majesté, de puissance,
de douceur et d'espérance excite, remue tous
les cœurs. Les terreurs du jugement dernier
les espérances du ciel exprimées dans les paro-
les sacrées assiègent tour à tour les esprits des
assistants.
Tout à coup le silence sa fait dans l'église.
Un prêtre paraît dans la chaire. Un manteau
romain couvre ses épaules, sur sa figure se lit
une profonde tristesse ; c'est M. P. Lajoie, suc
cesseur de M . A. Manseau à la cure de Joliette.
Après la lecture d'une lettre de Monseigneur
de Montréal, dans laquelle Sa Grandeur per-
met, quoiqu'à regret, aux bons paroissiens de
Joliette de garder au milieu d'eux leur digne
pasteur, l'orateur commence l'oraison funè-
bre.
Il montre M. A. Manseau, tantôt enfant au sein
ANTOINE MANSEAU. SU
de sa famille, tantôt au collège, tantôt secré-
taire de l'Evêque de Québec, tantôt mission-
naire chez les Acadiens. Puis, arrivant aux
dernières années de cette carrière si dignement
remplie, il le dépeint curé aux Cèdres, à Lon-
gueil, à Contrecœur, et enfin à l'Industrie.
Jl fait assister l'auditoire à toutes les scènes
de cette vie pleine de dévouement, de sacrifice,
de cette vie sanclifiée par toutes les vertus sa-
cerdotales.
On voit briller tour à tour, uu grand amour
de l'Eglise, surtout une charité et une humi-
lité sans bornes. L'orateur est en famille; il
parle à ses enfants bien-aimés ; sa parole va
droit aux cœurs ; les pleurs coulent de tous les
yeux. Il leur dit de bien cousidérer cette tête
vénérable qui, sans la profonde humilité du
regretté défunt, serait ceinte de la mître. Il
ne leur reste plus que quelques moments et la
tombe va se refermer sur l'objet de leur amour.
Avant de terminer, il exprime une pensée qui le
frappe. Ce vieillard aimé dont ils considèrent
avec vénération les traits augustes, se lèvera
de sa poussière au jour du jugement et dira à
Jésus-Christ qu'il a déployé tout le zèle possible
pour le salut de leurs âmes. Conseils, exhorta
tions, larmes, prières, supplications, rien n'a
été épargné : Qu'auront-ils à répondre ?
212 MONSIEUR LE GRAND VICAIRE
Cette pensée est restée dans les esprits com-
me un trait de flamme. Les larmes augmen-
tent, les sanglots redoublent.
Que de ferventes prières s'élèvent des cœurs !
que de gémissements et de soupirs s'échappent
des poitrines oppressées ! Après l'absoute, M.
le curé annonce à l'assemblée que pour sa satis-
faction, M. le Grand- Vicaire Manseau restera
exposé jusqu'à quatre heures de l'après-midi.
Les généreux citoyens ne peuvent se rassasier
de voir leur père tendrement aimé.
Enfin à quatre heures, les Vêpres des morts
sont chantées solennellement. Le Libéra a lieu
encore une fois, et Monsieur le curé Lajoie
adresse de nouveau la parole aux assistants.
Il leur parle de la dévotion à St. Joseph, du
regretté défunt. Puissent tous imiter ses ver-
tus ! La main sur le cercueil il dit adieu à son
vénérable prédécesseur et lui demande les se-
cours de ses lumières pour conduire au port du
salut, les fidèles confiés à ses soins.
A cette pensée qu'ils ne reverront plus leur
ancien pasteur, les assistants fondent en pleurs.
Mais il faut se résigner ; la tombe se ferme, on
la descend au caveau, et, c'en est fini, c'en est
fini pour toujours ici-bas ! Ah ! ville inconso-
lable ! pleure, pleure, car tu ne le reverras plus
celui qui t'a prise au berceau et t'a rendue si
ANTOINE MANSEAU. 213
florissante ; celui qui t'a réchauffé tant de fois
sur son cœur brûlant de l'amour de Dieu l
pleure, car tu ne le reverras plus celui qui t'a
conservé une belle communauté de religieux,
qui t'a doté d'une belle et florissante maison
d'éducation pour les jeunes personnes ! pleure,
car tu ne le reverras plus celui qui pendant vingt-
deux ans a été le père des pauvres, le soutien
de la veuve, le bâton de l'infirme, l'œil de l'a-
veugle, la douceur du malade, la consolation
de l'affligé, la joie et le bonheur de tous !
Mais, à ces sentiments de douleur, se mê-
lent aussi des sentiments de joie ; car si son
corps déposé dans le sein de la terre doit se dis-
soudre en poussière, son âme embellie de l'au-
réole de la sainteté, sera là-haut, au séjour des
bienheureux.
Dans son amour, elle veillera sur toi, te pro-
tégera comme une mère protège son enfant, et
appellera sur tes habitants la bénédiction du
Ciel.
Pour vous, citoyens de Joliette, vous garderez
toujours dans vos cœurs le souvenir de votre an-
cien pasteur ; ce souvenir si précieux vous le
transmettrez à la postérité.
Vous direz qu'un saint a été le second fon-
dateur de Joliette ; que sous sa main charitable,
elle a fait de grands pas dans la voie du progrès
214 MONSIEUR LE GRAND VICA[Rtë
spirituel, comme sous la main de l'Honorable
Barthélemi Joliette, dans la voie du progrès
matériel.
Voilà ce qu'ont fait pour M. Manseau ses
anciens et chers paroissiens.
Ils ont montré que dans leurs cœurs sont
vivaces les sentiments du devoir, les sentiments
de l'honneur, les sentiments de la reconnais-
sance.
Au nom donc de la religion, au nom de la
patrie, remercions-les de leur dévouement.
Leur conduite est digne d'être publiée partout,
et d'être signalée comme un modèle d'attache-
ment à leur vénérable pasteur."
Achevons de faire le portrait de ce digne
prêtre, qui fut en même' temps un citoyen si
distingué ! Tout annonçait chez lui l'homme
de génie et destiné à de grandes choses.
Sa taille était avantageuse, ses traits nobles,
son front majestueux, sa voix harmonieuse, sa
démarche grave et bien dégagée. Ses manières
étaient engageantes ; sa conversation pleine de
charmes, ses reparties vives et piquantes.Aussi,
tous, prêtres et laïques, riches et pauvres, vieux
et jeunes aimaient-ils à se trouver en rapport
avec cet aimable vieillard.
Sa charité pour les pauvres était sans
bornes. Aussi n'avait-il rien à lui, et donnait-
ANTOINE M ANSE A t-, $15
il atix nécessiteux jusqu'au dernier sou. Après
52 ans passés dans l'exercice du saint ministère,
il laissa à peine de quoi satisfaire pour sa
pension et pour ses frais funéraires. Tout le
reste se trouva déjà déposé d'avance dans le
céleste trésor et caché dans le sein des pauvres.
On a pu remarquer dans cette courte biogra-
phie quel fut son amour pour l'Eglise, pendant
tout le temps de sa longue carrière ; avec quel
zèle, il s'acquitta de son ministère, dans les
pénibles misssions qu'il eût à desservir ; quel
était sa défiance de lui-même, et son extrême
modestie chaque fois qu'il s'est agi de le placer
sur un plus grand théâtre ; combien il était
habile pour manier les esprits ; de quelle estime
il fut toujours honoré de la part de ses supé-
rieurs ; quelle affection lui portèrent les fidèles
quil eut à conduire dans les voies du salut.
Paitout enfin, on a vu le bon pasteur qui
aime ses brebis et qui se sacrifie pour son trou-
peau. En récompense, il sera, espérons-le,
entré dans la joie du Seigneur, et il aura été
mis en possession de la terre des vivants.
FIN.
TABLE DES MATIERES.
Page
Dédicace ..* 7
Lettre de Sa Grandeur, Mgr. de Montréal, en
réponse à la Dédicace 9
Au Lecteur 16
L'honorable Barlhélpmi Juliette 11
1 — Naissance de B. Joli^tte 21
IL— Ancêtres de B. JoliKte 22
III— La famille Jolielte à l'Assomption 3C
[V. — Première Education de B. .loliette 30
V— B Joliette, Etudiant an droit 31
VI.— B. Jolielte, admis à la pratique du
Notariat 33
VIL— B Joliette, Major de Milice —
Campagnes de '812 et de 1813 38
VIII.— Mariage rieB. Juliette 41
IX.— M. Juliette, Député du Comté de
Leinsler 44
X. — Découvertes du site qu'occupe
aujourd'hui la ville de Jolielte 46
XL— Moyens de M. Jolielte 52
XII.— Premier travail dans la forêt 53
XI IL— Construction du moulin 56
XIV. — Voyage deM. Jolielte aux Etats-
Unis 58
XV.— Nouvelle? manufactures.— Clo-
che du moulin 59
XVI.— Premières habitations du Village
d'Industrie 60
XVIL—Ponl des Dalles 62
X VU I— Chantiers 63
XIX.— Dans la Forêt 65
XX. — Amusement au Chantier 09
XXL— Descente des billots 70
XXIL— Manoir seigneurial 73
XXIII. — Construction de nouveaux mou-
lins en 1835 et en 1836 75
XXIV.— Canal pour la descente du menu
boisen 1837 7:»
XXV.— Perte de vingt mille billots 77
218 TABLE DES MATIERES.
XXVI. — Construction d'un marché en
1837 78
XXVIÎ.— Troubles de 1837 et de 1838 79
XXVIII.— M. Joliette, Juge et père de la
population de son village 83
XXIX.— Madame Juliette 86
XXX.— Etablissements Religieux 88
XXXI. — Don de trois Cloches à l'Eglise,
par la famille de Lanaudière. 99
XXXII. — Témoignage d'honneur et d'esti-
me rennu à l'Hon. B. Juliette,
par la Cour de Rome 102
XXXIII. — Idées de l'Honorable Juliette sur
l'Education 105
XXXIV.— Fondation du Collège Jolielte en
1845 108
XXXV. — Arrivée des Religieux de St.
Vialeur 113
XXXVI— Etablissement d'une Distillerie. 117
XXXVII.— Chemin de Fer.
XXXVIII.— Vue de Juliette 126
XXXIX— Donation de l'Eglise, du Collège,
du Noviciat et des terrains avoi-
sinanls 131
XL.— Maladie de M. Joiietle 139
XLI. — Il reçoit les derniers Sacrements. 142
Ses dernières conversations 144
XLII. — Portrait physique de M. Joliette.. 145
Vertus Morales 146
XLIIL— Vertus Sociales 148
XLIV. — Titres d'honneur accordés à
l'Hon. B. Joliette 149
XLV— Deuil de sa mort 151
XLVI.— Funérailles 155
XLVII. — Souvenir reconnaissant envers
l'Hon. Jolielte 156
XL VIII. — Une dernière pensée 163
Généalogie des familles Joliette et de Lanau-
dière 169
M. le Grand Vicaire A. Manseau 177
€|, csp.
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