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in 2010 witii funding from
University of Ottawa
littp://www.arcliive.org/details/biograplnieuniam37mich
BIOGRAPHIE
UNIVERSELLE,
ANCIENNE ET MODERNE.
RAL — RICHA.
DE L'IMPRIMERIE D'EVERAT,
RUE DU CADRAN, N°. l6.
BIOGRAPHIE
UNIVERSELLE ,
ANCIENNE ET MODERNE,
OU
UISTOIRE, PAR ORDRE ALPHABETIQUE, DELA VIE PUBLIQUE ET PRIVEE DE
TOUS LES HOMMES QUI SE SONT FAIT REMARQUER PAR LEURS ECRITS,
LEURS ACTIONS, LEURS TALENTS, LEURS VERTUS OU LEURS CRIMES.
OUVRAGE ENTIÈREMENT NEUF,
RÉDIGÉ PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ET DE SAVANTS.
On doit des égards atu vivants; on ne doit aux morts
que la vérité. ^ VOLT. , première Letlns sur Œdipe.)
TOME TREiSTE-SEPTIEME.
A PARIS,
CHEZ L. G. MICHAUD, LIBRAIRE - EDITEUR ,
PLACE DES VICTOIRES , N°. 3.
1824.
f BI5LIOTHKA'
^V^Oftavlenii»
\ fil
V.31
V*W%VVVVVVW«WAWVVVVVVVVV^^
SIGNATURES DES AUTEURS
DU TRENTE -SEPTIÈME VOLUME.
MM.
MM.
-TJ.
Beuchot.
Abel-Remusat.
h. audiffret,
Bernardi.
De Beauchamp.
Bocous.
Bea.tjlieu.
BUCHON.
PiLLET.
Catteau-Calleville.
CUVIER.
Depping.
Desgenettes,
De La Place,
Daukou.
Du Petit-Thouars.
DUROZOIR,
DUVAU.
Décrois.
Dezos de la Roquette.
Eméric-David.
Eyriès.
Fortia-dIJrban.
Friedlander.
FlÉvÉE.
Fabien Pillet.
FoissET aîné.
Théophile Fqisset.
Gence.
GuÉRARD.
hérisson.
Jourdain.
KUNTH.
I*. liEFEBVRB-CAUCHT.
^ B E. LaBOUDERIB.
L — DE. Lestrade.
L — M — E, Lamotte.
L — o. Léo.
L— P— E. HiPPOLTTE DE La PoRTE,
I'— Y. L'ECUT.
M — D, MiCHAUD aîné.
M — D j. MiCHAUD jeune.
M— ON. Marron.
M— -Y. MONSIGNY.
N— O. NiCOLO-PoULO.
Oz — M. OzANAM,
P C T. PiCOT.
P. D — T, Paul DupoRT.
P — E. Ponce.
P — NT. Pront.
P— s. PÉRIÈS.
P — X. PUJOULX.
B — D. Reinaud.
s. D.S T. SiLVESTRE DE SacY.
S. M— K. Saint-Martin.
S — R. Stapfer,
S- s — 1. SiMONDE SlSMONDl.
S — V — S. De Sevelinges.
s — T. De Salaberry.
T — D. Tabaradd.
V — B. Villeneuve-Bargemont.
V. s. L. Vincens-Saint-Laureht,
V VE. ViLLENAVE.
W — R. Walckenaer.
W— s. Weiss.
Z. Anonyme.
BIOGRAPHIE
UNIVERSELLE.
\^n>vvvvvvvvv^%vv\rvvvvvvvvvvvvvvvvv«vvvvvvvvvvvvvvvv^/vvvvvv^A(Vvvvvvvvvvv^
R
RaLEGH(i)(Walter), célèbre
par SCS découvertes dans le Nou-
veau-Monde, ses exploits sur terre
et sur mer, ses écrits , sa haute for-
tune et ses malheurs , naquit vers
l'année i552 , dans un lieu obscur ,
nommé Hayes , appartenant à la pa-
roisse de Budley , et situé sur cette
partie de la côte du Devonshire, où
la rivière Otter se décharge dans la
mer. C'est là , c'est à l'aspect des flots
de l'Océan que fut élevée son enfan-
ce : nous le remarquons à dessein
pour ceux qui connaissent l'influen-
ce des premières impressions sur
les destinées de la vie entière , et
parce que Ralcgh dut , en grande
partie, à sa passion pour les ex-
péditions maritimes , ses actions
les plus glorieuses et ses fautes les
plus déplorables , son élévation et
sa chute. Dans les années brillantes
de sa prospérité, il voulut racheter le
(i) C'est ainsi que ce nom doit être écrit. Cepen-
dant François Bacon , et Robert Vaunton, ont écrit
RawUigh ; le roi Jacques, Hookcr, plusieurs auteurs
resj>ect.<ble.s des seizième et dix-septième siècles, et
Carew Kalegb, proiire Gis de Walter Ralegh , ont
écrit /?nieii;/i ,■ mais les lettres originales désir Wal-
ter Ralegh , conservées dans la faibliothique Harléjè-
ne, et les lieux qui partent le nom deKalegb , dans
le Devonshire , dont la famille de Ralegh est originai-
re,ont Gxé invariablement l'ortlingniplie du nom de
ce grand homme. Ou peut voir, d'ailleurs, le /ôr
simile de sa signature dans \eBritish aulography^çt
dans la BibliotlicijHe universelle [ de Genève ) d*
mars j8i3 , p. a6o.
xxxvir.
domaine de Hayes, dont sou père n'a-
vait joui qu'en vertu d'un bail emphy-
téotique: mais le propriétaire auquel
il était échu après l'expiration de ce
bail , ne voulut pas consentir à le lui
céder;et Ralegh ue put réaliser le pro-
jet qu'il avait formé d'y bâtir un châ-
teau, et d'eu faire sa principale rési-
dence. Si les souvenirs do son enfan-
ce n'avaient tenu plus de place dans
son esprit que les noms de ses an-
cêtres , d'autres lieux auraient ob-
tenu la préférence. En effet , il des-
cendait d'une famille qui faisait re-
monter son antiquité plus haut que la
conquête de l'Angleterre par les Nor-
mands , et qui, autrefois puissante ,
avait donné le nom de Ralegh à des
villages, des bourgs et des villes du
Devonshire , du Somersetshire et de
l'Essex. Son père , seigneur de Far-
del, près de Plymouth, ne possédait
qu'une fortune médiocre; et Ralegh
était le quatrième enfant du troisiè-
me et dernier mariage qu'il avait con-
tracté avec Catherine Champeruon
veuve d'Otho Gilbert (a). Ainsi Ra-
legh avait pour frères , du côte ma-
(7.) C'est à toi t que l'auteur de la Vie de Ralegh ,
imp'.imée à Londres, en 1821 , et qui forme la ■>•.
partie du t. V de la collection ii.tituUe Select Bio-
graphy , donne à la mère de Ralegh le nom de Ma-
rie : ce nom était celai d'uue de ses scrars du second
lit.
2 RAL
ternel, Jean,Humfroi,et Adrien-Gil-
bert , tous trois illustres par eu\-
mêmes et par la noblesse de leur
origine. Ralegli fit ses études à Ox-
ford ; et quelques pièces de vers de
sa jeunesse , qui sont parvenues jus-
qu'à nous , prouvent qu'une ex-
cellente éducation avait dévelop-
pé en lui un talent remarquable
pour la poésie gracieuse et légère.
Par la suite , d'autres productions
plus importantes et plus solides le
placèrent au nombre des meilleurs
et des plus savants écrivains de son
temps. Mais la lente et tranquille
gloire des lettres ne pouvait suffire
à l'orgueil de sa naissance et à l'ac-
tivité de son ambition. Une taille
de près de six pieds , une figure
majestueuse , une consUtution robus-
te, un courage indomptable, le ren-
daient éminemment propre à l'état
militaire, qui , dans tous les temps
et dans tous les pays , offrit à la
fortune la carrière la pbis rapide et
la plus brillante. Élisabelb , dont
l'habile politique veillait, au dedans
comme au dehors , à tout ce qui pou-
vait être utile aux intérêts de l'An-
gleterre et à la consolidation de la
réforme religieuse , devenue néces-
saire au maintien de son autorité,
prit parti pour les Protestants, dans
les guerres civiles qui désolaient la
France sous Charles IX. En iSGg ,
elle leur envoya un secours en cava-
lerie et en donna le commandement
à Henri Champernon , pircnt dcRa-
legh. Celui-ci suivit Champernon en
France; et, simple volûnt;iire , il
montra dès - lors une valeur, un
sang -froid et une habileté dans les
combats, (|ui le rendaient digne du
commandement. Échappé à l'iior-
rible massacre de la Saint-liarthcle-
mi, il se trouvait encore en France
après la mort de Charles IX; uu
RAL
séjour de plus de cinq ans dans celte
contrée le mit à portée de connaître
le génie de ses habitants , l'état des
partis qui la déchiraient, et le carac-
tère particulier de ceux qui y exer-
çaient le plus d'influence. Ces diver-
ses connaissances lui furent, par la
suite, d'une grande utilité, lorsqu'il
put les mettre à profit auprès de sa
souveraiue. A peine fut-il de retour
en Angleterre, qu'impatient du re-
pos , il saisit la première occasion
de s'engager dans de nouveaux com-
bats. Don Juan d'Autriche, fils na-
turel de Charles Quint , avait été
fait gouverneur des Pays - Bas, et
s'était attiré la haine des peiqiles ,
qui se révoltèrent contre son autorité.
Cet homme, dont l'orgueil, selon
Ralegh, affVonfait les plus grandes
difiicultés, mais qui, par sa faibles-
se , ne pouvait triompher des plus
petites, avait conçu le projet de déli-
vrer la reine d'Ecosse de sa prison , et,
en l'épousant, de détrôner Elisabeth,
et de s'emparer de l'Angleterre. Eli-
sabeth sut le détourner bien eflicace-
nîent d e cette entrejDrise, en en voyant,
en iS-yS, un puissant secours aux
insurgés des Pays-Bas. Ralegh fut au
nombre des guerriers anglais qui s'y
rendirent. Il y servit sons le com-
mandement de sir John Norris ,
et partagea, avec les plus habiles
capitaines d'Angleterre , la gloire
de cette campagne, qui se termina
par la défaite et la mort de don
Juan. L'année suivante , le jeune
Ralegh saisit avidement l'occasion
de s'engager dans une expédition
maritime , et fit son ])rcmier essai
en ce genre sous son frère lliinifroi
(iilbert, qui entrepiit d'établir une
colonie à Terre - Neuve. Cette ex-
pédition écliona; mais Ralegh y trou-
va le moyen de se mesurer pour la
première fois sur l'Océan avec les
RAL
Espagnols , qui voulurent en vain
prendre le vaisseau qu'il mon-
tait. Son activité était devenue in-
fatigable ; et l'on sait qu'il était
parvenu, au milieu des camps , aussi
Lien que dans l'enceinte d'un vais-
seau, à régler son temps et ses occu-
pations. Sur les vingt-quatre heures ,
quelque loisir qu'il eût , il n'en don-
nait jamais que cinq au sommeil. Il
en réservait régulièrement quatre à
l'étude ; le reste était employé à l'ac-
complissement de ses devoirs ou aux
exercices propres à perfectionner ses
talents comme militaire et comme
marin. 11 partageait avec les matelots
et les simples soldats , les travaux
les plus pénibles , et tous les dangers
de la guerre et de la navigation.
Toutefois , après dix années de cam-
pagne sur terre et sur mer, il se
voyait, à vingt-huit ans, sans fortune
et sans rang. Une occasion se présen-
ta, quilefit sortirdcl'obscurilé dont
il s'indignait. A cette époque, comme
aujourd'hui , l'Irlande ne pouvait
rester indépendante, ou appartenir
à nue autre puissance que l'Angle-
terre, sans un danger imminent pour
celle-ci : et cependant l'opposition
qui existait dans les mœurs et les
habitudes de ces deux pays, produite
par une civilisation moins avancée ,
par la dissidence des opinions reli-
gieuses et parle caractère national,
faisait détester aux Irlandais le joug
de l'Angleterre : le gouvernement an-
glais, au lieu de cherchera vaincre
cette antipathie, ne connaissait d'au-
tre moyen pour se garantir de ses
eflcts , que l'emploi de la force et les
cruautés qu'elle entraîne. On disait,
au temps d'Elisabeth, que les Irlan-
dais , comme les orties , ne piquaient
que ceux qui les touchaient légère-
ment , et ne faisaient point de mai
lorsqu'on les écrasait. Vers le mi-
RAL 3
lieu de l'année i58o , rexcès del'op.
pression enfanta la révolte : sir Jac-
ques Desmond se mit à la tête des
insurgés de la province de Munster
qui furent bientôt soutenus par une
trouped'Espagnols et d'Italiens com-
mandés par Fitz Morris , et envoyés
par le pape et le roi d'Espagne. Eli-
sabeth s'empressa de leur opposer
une armée sous le commandement
de lord Grcy. Ralegh en faisait par-
tie , et avait le grade de capitaine.
Son bouillant courage , son habileté
et son adresse dans les négociations
l'audace avec laquelle il sut , à l'aide
d'uu petit nombre d'hommes , saisir
dans leurs propres châteaux et au
milieu de leurs vassaux , des conspi-
rateurs puissants et des ennemis dé-
grisés , et enfin les services de tout
genre qu'il rendit dans cette guerre
lui firent donner un commandement
dans la province de Munster. Il y
comprima les rebelles. De tels succès
attirèrent sur lui l'attention des mi-
nistres. Il entretint une correspon-
dance avec le plus puissant de tous
le comte de Leiccster , le favori de la
reine , et par son entremise , il fut
présenté à la cour. Lord Grey ayant
été nommé une seconde fois pour
commander en Irlande, Ralegh ma-
nifesta une opinion contraire à la
sienne sur les mesures à prendre
dans ce pays. Tous deux furent ap-
pelés au conseil , afin d'y exposer
leurs raisons. Ralegh y déploya une
éloquence si persuasive, que non-
seulement il triompha de son adver-
saire , mais qu'il s'acquit , dès ce
moment, restimedela reine. Elle le
récompensa magnifiquement, en lui
concédant douze mille acres déterre
dans la province de Munster, dont elle
avait fait un désert , et qu'elle aurait
voulu repeupler de colonies pure-
ment anglaises. Une avcuture frivole
4 RAL
vint encore augmenter la faveur dont
Ralegb commençait à jouir auprès
d'Elisabeth. Dans une de ses prome-
nades, elle fut tout-à-coup arrêtée par
un peu de boue qui était sur son pas-
sage ; elle hésitait et semblait vouloir
détourner sa marche, lorsque Ra-
legh , qui se trouvait présent , se dé-
pouilla subitement du riche manteau
pluché dont il é'.ùit revêtu , et Téten-
dit aux pieu, ae sa souveraine : sur-
prise , mais charmée de cette galan-
terie , elle franchit aussitôt sans
obstacle , sur ce moelleux tapis , le
sol fangeux qui arrêtait ses pas.
Bientôt après elle saisit une occa-
sion qui se présenta de témoigner à
Ralegh sa bienveillance, en le nom-
mant, en i58i , pour accompagner
à Anvers le duc d'Anjou , qu'elle
flattait de l'espoir de devenir son
niari( ^oy. Anjou , II , iH6 ). Ra-
legh,dans ce voyage, se fit connaî-
tre au prince d'Orange , qui sut l'ap-
précier , et qui le chargea de ses let-
tre pour la reme d'Angleterre. Par la
finesse et les grâces de son esprit ,
Ralegh aurait facilement acmiis, dans
le métier de courtisan , de nouvelles
richesses et de nouveaux honneurs ;
mais la fortune sans périls et sans
gloire avait peu d'attraits pour lui.
C'est au-delà des mers , c'est dans le
Nouveau -Monde où les Espagnols
avaient fait des conquêtes si vastes ,
si rapides et si faciles , que Ralegh
entrevoyait les moyens d'augmenter
la puissance de l'Angleterre , et d'a-
baisser celle de l'Espagne. Telle fut
la pensée principale de sa vie entière;
et il n'en fut pas détourné par le
peu de succès de la première expé-
pédition maritime de son frère llum-
froi Gilbert, à laquelle lui-même
avait pris part. Gilbert, avant l'expi-
ration de sa patente , crut devoir
faire une nouvelle tentative; il as-
RAL
socia Ralegh à son entreprise , et ce-
lui-ci lit construire et équiper, à ses
frais , un vaisseau de douze cents
tonneaux, qu'il joignit àlaflottillede
son frère. Cette seconde expédition
eut encore une issue plus funeste que
la première : Gilbert atteignit Terre-
Neuve , et en prit possession au nom
de l'Angleterre ; mais, à son retour ,
ses vaisseaux furent dispersés, bri-
sés par la tempête , et lui - même
y périt. Les désastres semblaient
fortifier de plus en p'us Ralegh
dans son inébranlable résolution.
Il enfanta de nouveaux projets ,
qui furent approuvés par la reine
et par son conseil. On lui déli-
vra , en conséquence , des lettres-
patentes qui lui concédaient, ainsi
qu'à ses héritiers , tous les droits de
juridiction royale sur les contrées
habitées par des peuples idolâtres et
païens, qu'il pourrait découvrir, soit
par lui-même , soit par ses agents ,
pourvu qu'elles ne fussent pas déjà
possédées par un prince chrétien.
Aussitôt Ralegh, avec le secours de
deux de ses amis, Richard Gran-
ville et William Saunderson, équi-
pa deux vaisseaux, dont il confia le
commandement à deux capitaines
expérimcntés,nommés Philippe Ama-
das et Arthur Barlowe. Ceux-ci mi-
rent à la voile le i'] avril i584; et ,
conformément aux instructions qui
leur avaient été données, ils se diri-
gèrent vers celte partie du Nouveau-
Monde, que Ralegh conjecturait de-
voir exister entre la Floride, décou-
verte par les Espagnols , et Terre-
Neuve , où son frère Gilbert avait
abordé. Les deux capitaines décou-
Viirent, en juillet , et après trois
mois de navigation , une contrée
d'une fertilité extraordinaire, cou-
verte de fruits et d'arbres odorifé-
rants, cl peuplcede nations sauvages,
BÂL
dont ils furent parfaitcmentaccueillis.
La courte mais intéressante relation de
leur voyage, qu'ils remirent à Ralec^b,
à leur retour et qui a etc' publiée
par son contemporain Hakluyt , est
le premier document de l'histoi-
re d'un pays aujourd'hui civilisé et
couvert de villes florissantes. Ce pays,
ou plutôt le district où les vais-
seaux de Ralcgh abordèrent , était
nommé par les indigènes TFingan-
dacoa , et le roi qu'ils avaient alors
portait le nom de JFiii^ina. Elisa-
beth , à laquelle Ralegh lit hommage
delarelation qui lui avait étéadressée
par les deux capitaines, nomma cette
contrée Virginia. Les détails de celle
relation appartiennent à l'histoire et
à la géographie; mais il est nécessaire
de remarquer ici que le lieu découvert
par les vaisseaux de Ralcgh , ne fait
pas partie de l'état de Virginie pro-
prement dit, et selon sa division mo-
derne : ce fut sur les confins méridio-
naux de cet état , sous le trente-
sixième parallèle et dans la grande
baie d'Albemarle, renfermée dans les
limites de la Caroline septentrionale,
qu'abordèrent Philippe Armadas et
Arthur Barlowe ; et ce fut ce ter-
ritoire qui reçut d'abord le nom de
Virginie, Le nom de la rivière Roa-
uoak , qui se décharge dans cette
baie , et d'autres circonstances , ne
laissent aucun doute à cet égard. Ou
remarque même avec intérêt , que la
capitale actuelle de la Caroline septen-
trionale , récemment fondée sous le
nom de Raleigh , doit être située à
peu de distance ou sur remplacement
même de la ville nommée dans la re-
Liliou Skicoak, qu'on dépeignit à nos
navigateurs comme la plus peupléeet
la plus considérable, mais (lu'iîs ne
purent visiter , parce (j.i'clle se trou-
vait trop éloignée de la côte. Celle
rclaliun nous apprend aussi que les
RAL 5
sauvages de ces contrées avaient du
fer qu'ils s'étaient procuré par deux
vaisseaux européens, dont l'un avait
fait naufrage vingt-six ans, et l'autre
vingt ans auparavant. Ces faits ont
pu être connus de Ralegh, et avoir
une grande influence sur ses pro-
jets et sur la découverte qui en fut la
suite. Le succès de cette expédition
acquit de la célébrité à Ralegh , et lui
attira de nouvelles faveurs de la part
d'Elisabeth. Un de ses frères, Adrien
Gilbert, donna le nom de Ralegh à
une montagne resplendissante de l'é-
clat métallique de l'or, qu'il vit dans
le détroit de Davis. La reine décora
Ralegh des honneurs delà chevalerie,
et lui accorda le privilège de faire
vendre du vin dans tout le royaume:
cette concession fut pour lui une
source abondante de richesses , qu'il
sut employer à l'exécution de ses
projets favoris d'établissements dans
le Nouveau- Monde. Aussitôt après
le retour de l'expédition qui décou-
vrit la Virginie , il en équipa une
seconde , composée d'une escadre de
sept vaisseaux , dont il conféra le
commandement à sir Richard Green-
ville. Cette expédition , ainsi que la
première, pril terre à l'embouchure
de la Roanoak, débarqua une centai-
ne d'hommes , et revint , après s'être
emparé de deux vaisseaux apparte-
nant aux Espagnols. La colonie que
sir Richard Greenville avait laissée
dans l'île de Roanoak , sous le com-
mandement de Ralph Lane , décou-
vrit une assez grande étendue de la
côte au nord et au sud , pénétra chez
les Chesapiens dans la baie actuelle
de Chesapeak , s'avança dans l'inté-
rieur, espérant y découvrir des mines
d'or , et scfr.iyer un passage dans la
mer du Sud; mais attaquée par les
sauvages , elle aurait fini par suc-
comber à la famine , si Drake , qui
6 RAL
passait dans ces parages , au retour
de son expédition contre Saint-Do-
mingue et la Floride , n'eût pris à
son bord tous ceux qui la compo-
saient et ne les eût ramenés en An-
gleterre , où ils arrivèrent le 27
juillet i586 , après un au de séjour
en Amérique. Cependant Ralegh ,
taudis qu'ils retournaient eu Euro-
pe, avait , à ses frais, expédié d'au-
tres vaisseaux pour leur porter des
secours et des provisions. Sir Ri-
chard Greenville , qui commandait
encore cette troisième expédition ,
ne retrouvant pas à l'île de Roanoak
la colonie qu'il y avait transportée,
se contenta de laisser quinze liommes,
avec des provisions pour deux ans ;
puis il revint en Angleterre, et en
chemin il pilla et mit à contribution
les Espagnols qui habitaient les îles
Açores. Ralegh , aussitôt après le
retour de sir Richard Greenville, fit
e'quiper trois autres vaisseaux pour
porter une nouvelle colonie en Vir-
ginie • il donna le commandement de
cette expédition à Jean Wright, lui
prescrivant d'aller à la recherche
des quinze hommes laissés dans l'île
de Roanoak , de fonder la colonie
dans la baie de Chcsapeak , et d'y
bâtir une ville sous le nom de Ra-
legh, En même temps , sir Walter
fréta d'antres bâtiments pour aller
combattre les Espagnols dans les
Açores , et s'associa au comte de
Cumberland pour envoyer contre
eux plusieurs vaisseaux dans la mer
du Sud. L'expédition contre les Aço-
res réussit complètement : on fit pri-
sonnier le gouverneur de l'île Saint-
Michel , et Pedio Sarmicnto , gou-
verneur du détroit de IMagellan.
L'expédition dans la mer du Sud
ne passa pas le quarante-quatrième
degré de latitude ; mais elle re-
vint après avoir fait quelques pri-
RAL
ses lucratives. La colonie envoyée
en Virginie , parvenue à l'île de Roa-
noak , y chercha vainement les quin-
ze hommes que Richard Green-
ville y avait laissés j et l'on apprit
qu'attaqués par les sauvages , plu-
sieurs d'entre eux avaient été tués,
et les autres obligés de fuir : on ne
put savoir ce qu'ils étaient devenus.
La colonie , se voyant , au bout
de quelque temps, dépourvue de vi-
vres et de minutions, força son chef
Jacques Wright de repartir pour
l'Angleterre, afin d'exposer ses be-
soins à sir Walter. Mais alors la
grande flotte que l'Espagne pré-
parait , sous le nom à' Armada ,
avait imprimé la terreur à l'Angleter-
re, efforçait celle-ci de réparer tous
ses vaisseaux pour sa propre défen-
se, Ralegh expédia cependant pour
sa colonie des provisions et des hom-
mes, sur deux petits bâtiments qui
mirent à la voile le in avril i588j
mais ils ne parvinrent pas à leur des-
tination , et furent pris par deux
vaisseaux Rochellois. Cet événement
et la guerre contre l'Espagne, qui se
préparait, et à laquelle Ralegh voulait
prendre part , le déterminèrent à
traiter de sa patente et de tous les
droits qu'elle lui concédait sur les
pays qu'il avait découverts, avec une
compagnie de négociants de Lon-
dres. Il se réserva seulement la cin-
quième partie des produits dans les
mines d'or et d'argent que l'on pour-
rait découvrir. Celles du Mexique
et du Pérou faisaient croire alors
que le sol entier de l'Amérique e'tait
composé de mines d'or et d'argent.
L'espoir de les concpiérir était le
grand véhicule de toutes les décou-
vertes, et la cause principale qui fai-
sait échouer toutes les entreprises
de colonisation. Ralegh avait dépen-
sé, pour les siennes, la soraKi^c de
RAL
quarante mille livres sterling: mais,
quoiqu'il n'eût obtenu pour lui-mê-
me aucun résultat im portant, il avait
illustré son nom; il avait ouvert à
sou pays une vaste carrière , et l'a-
vait fait entrer dans le partage des
richesses que le nouveau Monde pro-
mettait à l'ancien. Déjà de nouvelles
denrées, s'introduisant dans le com-
merce, manifestaient l'heureuse in-
fluence de ses efforts patriotiques.
C'est en effet à cette époque que le
tabac commença d'être connu en An-
gleterre; et l'on en attribua l'intro-
duction dans ce pays aux expéditions
de Ralegh,et surtout à l'usage fréquent
qu'il en fit. On rapporte à ce sujet,
qu'il dit à un de ses domestiques ,
qui n'était à son service que depuis
peu de jours, de lui aller chercher
de la bière : tandis que celui - ci
e'tait sorti pour exécuter cet ordre,
Ralegh alluma une pipe, et se mit
à fumer : lorsque le domestique fut
de retour, il aperçut , avec un éton-
nement mêlé de frayeur, qu'une fu-
mée épaisse sortait de la bouche de
son maître; il crut que le feu avait
pris à son corps , et , pour l'étein-
dre, il n'imagina rien de mieux que
de lui jeter au visage la bière qu'il
lui apportait. Les découveites de
Walter Ralegh , et les combats qu'il
livra contre les Espagnols , contri-
buèrent beaticoup à augmenter la fa-
veur dont il jouissait près de sa souve-
raine; mais ce qui y mit le comble , ce
furent les services qu'il rendit à Eli-
sabeth dans le parlement, dont il
fut plusieurs fois élu membre. Aus-
si, non - seulement celte princesse
accrut le privilège dont il jouissait
sur les vins, d'un nouveau privi-
lège sur le pesage et le mesurage ;
clic lui concéda les biens confisques
sur Antoine Babington, chef d'une
conspiration en f.weur de Marie,
RAL 7
reine d'Ecosse ; et elle le nomma
successivement grand-scnéchal des
duchés de Cornouailles et d'Exeter,
surintendant des mines d'étain des
comtés de Devon et de Cornouail-
les, lieutenant-général de cette der-
nière province, et enfin capitaine
de ses gardes. Tant de richesses et
de dignités accumulées sur Ralegh ,
attirèrent l'envie de tous les cour-
tisans, et surtout de ce Leicester,
qui avait d'abord contribué à son
élévation, et qui , depuis vingt ans,
jouissait sans partage de toute la
puissance d'un favori ; mais il avait
déplu à sa souveraine , en se faisant
nommer, par les états de Hollande,
au secours desquels elle l'avait en-
voyé , capitaine - général des Pro-
vinces-unies ; et le crédit de Ralegh
semblait s'accroître chaque jour sur
les ruines du sien. Leicester , qui
connaissait la cour et toutes les fai-
blesses d'Elisabeth , au lien de s'enga-
ger dans une lutte inégale , sut pre'-
veuir sa chute et perpétuer son pou-
voir , en introduisant auprès de la
reine son beau-fils , le jeuiîe comte
d'Essex, moins habitué au détail des
affaires, moins instruit, moius la-
borieux que Ralegh, mais aussi bra-
ve , aussi ambitieux , et plus jeune ,
plus généreux , plus franc , plus ai-
mable et plus présomptueux, Essex,
par ses qualités , et peut-être même
par ses défauts , sut encore mieux
que Ralegh se concilier les bonnes
grâces de sa souveraine : raffeclion
qu'il lui inspira , eut tous les carac-
tères de la passion ; et la faveur sans
borne qui en fut la suite , en exaltant
son orgueil , occasionna ses fautes
et sa fatale catastrophe. Mais lors-
qu'on i588 , Leicester eut cessé
d'exister , Ralegh eut d'abord dans
Essex un rival plus redoutable et
plus puissant que celui (jue la mort
8 RAL
venait de lui enlever. Aussi cbercha-
t-il alors à se procurer "lui appui
dans Robert Cecil , le plus habile
de tous les ministres de la reine
Elisabeth : de concert avec lui , il
s'opposa sans cesse à l'influence du
favori. Les nouvelles victoires que
Ralegli remporta sur les Espagnols,
avec des vaisseaux équipes à ses
frais , lui valurent de nouveaux élo-
ges et de nouvelles faveurs de la
reine , qui , à ce sujet, le décora d'u-
ne chaîne d'or. Essex , qui en fut
jaloux , parvint à l'éloigner de la
cour , et à l'envoyer en Irlande j et
c'est alors que Ralegh eut occasion
de resserrer les nœuds d'amitié qui
déjà l'unissaient au plus célèbre poète
de ce temps , Edmond Spenser , et
qu'il le ramena en Angleterre. Le
poète ne manqua ^loint de recon-
naissance envers Ralegh: il l'a chan-
té plusieurs fois dans ses vers , où il
lui donne le surnom ae Berger de
V Océan. Cependant la guerre de l'An-
gleterre contre l'Espf.gne continuait
toujours : la tempête avait dispersé
cette ilolte immense, cette invincible
Armada ; objet d'une si grande
terreur , et l'enthousiasme patrio-
tique que cet événement excita par-
mi les Anglais , enfantait tous les
jours des expj'ditions particulières
contre les Espagnols. Toutes n'a-
vaient pas une issue également heu-
reuse , et sir Richard Gieenville
permit la vie dans une tcnlalive de
ce genre. Ralegh , pour défendre la
mémoire de son ami , publia une
brochure , dans laquelle il enflam-
mait encore la baine de sa na-
tion contre les Espagnols, en tra-
çant le tableau de leurs usurpations ,
et en émiméraut toutes les cruau-
tés que l'avaiice et l'ambition leur
avaient fait commettre. Il ne s'en
tint pas, à des écrits, et. proposa
RAL
à la reine d'aller s'emparer de la
flotte qui transportait annuellement
en Europe les richesses du Mexique.
Elisabeth approuva le plan de celte
expédition , en conféra le comman-
dement à Ralegh , puis , lorsqu'il
eut mis à la voile, dépêcha Martin
Forbisher , pour lui ordonner de re-
venir. Ralegh , qui avait versé dans
cette expédition une partie de ses
fonds , et associé à sou entreprise
plusieurs de ses amis , continua sa
route, en supposant une autre inter-
prétation aux ordres d'Elisabeth; il
ne revint que lorsqu'il se fut emparé
du vaisseau nommé la Madré de
Dios , appartenant au Portugal ,
chargé de la plus riche cargaison
qui lût encore tombée au pouvoir
des Anglais. Le butin fut si consi-
dérable , que la reine ne dédaigna pas
de s'en approprier une partie. Le
succès lui fit oublier la désobéissan-
ce ; et Ralegh jouissait toujours au-
près d'elle de la même faveur , lors-
qu'un inciient, étranger à sa conduite
comme commandant d'escadre , al-
luma contre lui la colère royale. Au
retour de son expédition, Ralegh eut
occasion de voir à la cour, la jeune
Elisabeth Throckmorton , admise
depuis peu au nombre des filles
d'honneur de la reine ; il fut frappé
de sa beauté , en devint éperdument
amoureux, et parvint à la séduire.
Cette intrigue fut découverte , et
Throckmorton , le pi re de la jeune
personne , porta ses plaintes à la
reine : celle-ci punit sévèrement ua
afl'ront fait dans sa cour, et presque
sous ses yeux , à un serviteur fidèle
qu'elle considérait beaucoup eli qu'el-
le employait d;ins les plus diflicilcs
négociations. Elle fit arrêter les deux
heureux coupables, et les fit mettre
à la Tour de Lonùres. Lorsqu'on ne
saurait pas d'a'illeurs qu'Elisabeth
RAL
joignait aux qualités d'un grand sou
veraiu toutes les petitesses d'une fem-
me , on l'apprendrait par les lettres
que Ralegh e'crivit pour oLtenir
sa délivrance , et par les flatteries
singulières qu'il ne craignit pas de
se permettre envers une reine âgée
de près de soixante ans. « Gomment
supporter , écrivait -il à Cecil , le
chagrin d'être privé de sa présence,
moi qui la voyais conduire un che-
val comme Alexandre , chasser com-
me Diane, se mouvoir comme Vé-
nus , ou apparaître comme une nym-
phe dont le zéphir agite la cheve-
lure ondoyante sur ses joues virgi-
nales ; moi qui l'entendais chanter
comme les anges , ou faire résonner
comme Orphée les instruments sous
ses doigts mélodieux. » Dans une
autre lettre adressée à elle-même ,
il termine en disant : « Je jouis
par le souvenir de vos célestes beau-
tés dont la vue m'est interdite. »
Ralegh offrit de réparer , autant qu'il
était en lui , en épousant Elisabeth
Throckmorton , la faute qu'il avait
commise; et la constante fidélité de
cette épouse chérie , son héroïque
conduite dans des jours d'infortune,
prouvèrent à Ralegh que , dans le
choix d'une compagne , l'amour
l'avait mieux conseillé que l'ambi-
tion et l'intérêt n'auraient pu fai-
re. Par celte conduite honorable ,
il recouvra sa liberté après une an-
née de captivité. 11 fut de nouveau
élu mçmbre du parlement ; et, dans
les sessions de i Sg'i et 1 5g3 , il par-
la plusieurs fois , et contribua même
à faire voter les subside , que la reine
demandait. Il fut aussi employé à
rédiger plusieurs édits , et notam-
ment celui qu'Elisabeth fit promul-
guer contre les jésuites d'Espagne.
Un de leurs confrères , le père Par-
sons ( F. ce nom , XXXllI , 28 ),
RAL
9
publia un traité en latin, sous le nom
d'Andréas Philopater , pour répon-
dre à cetédit; et afm de se venger de
Ralegh qu'il savaity avoir pris part ,
il l'accusa d'athéisme. Rien n'était
moins fondé que cette accusation ;
car Ralegh , dans les nombreux ou-
vrages qu'd a fait imprimer, comme
dans les lettres ou papiers les plus
secrets, qu'on a trouvés écrits de sa
main , montre partout une ferme et
sincère croyance en Dieu , et une
pieuse confiance dans les décrets de
l'éternelle Providence. Cette accusa-
tion calomnieuse n'en a pas moins, d'a-
près Parsons , été renouvelée depuis
par les ennemis de Ralegh. Les nou-
veaux et importants services qu'il
avait rendus, lui attirèrentencore , de
la part d'Elisabeth , de nouvelles re-
compenses : elle lui concéda le domai-
nedeShelbornedanslecomtéde Dor-
set; mais il ne recouvra pas auprès d'el-
le la faveur dont il avait joui : elle lui
témoigna , au contraire , beaucoup
de froideur. Sa préférence pour son
rival Essex en était la principale
cause j et Robert Cecil lui - même ,
tout en employant contre le favori
les grands talents de Ralegh, en re-
doutait l'influence relativement à lui,
et s'opposait à son entrée dans le
conseil-privé, où il l'empêcha tou-
jours d'être admis. C'est alors que
Ralegh résolut de chercher , dans de
grandes expéditions maritimes , les
moyens de regagner les bonnes grâ-
ces de sa souveraine , et de satisfaire
son ambition d'une manière plus
glorieuse pour lui et plus profitable
pour sa patrie que les misérables
et stériles intrigues de la cour. Les
mines que les Espagnols avaient dé-
couvertes au Pérou , les richesses
qu'ds en rapportaient tous les ans ,
excitaient continuellement l'envie et
la cupidité des autres peuples de l'Eu-
10 RAL
rope : l'exagération des auteurs es-
pagnols relativement à la splendeur
et à la civilisation de l'empire des
Incas , contribuait encore à enflam-
mer l'imagination de tous les ambi-
tieux. On savait que, lors de la con-
quête de cette contre'e, un grand
nombre de naturels s'étaient sous-
traits à la mort et à l'esclavage , en
s'enfuyant dans l'intéiieur du con-
tinent Américain. On disait qu'un des
RAL
nomquelcs Espagnols la de'signaieni.
La relation de Jean Martinez fut de'-
posée , après sa mort , dans les ar-
chives de Porto -Rico. Dès-lors la
Guiane { non pas la contrée désignée
aujourd'hui sous ce nom , mais le
pays situé entre .'es parties supérieu-
res du cours de ' ■ >renoque et de celui
duMaragnon) : ut le théâtre de tou-
tes les fictions , et de toutes les il-
lusions fantastiques. C'est là qu'on
fils de l'LicaGuaynacapac, avait pé- plaçait les nouvelles Amazones, et
nétré, avec quelques milliers de sol- les peuples sans tête, aya't des yeux
dats , dans une vaste région située
entre l'Amazone et l'Orenoque , à la-
quelle on donnait le nom général de
Gidane; que cet Inca en avait fait la
conquête , et y avait fondé un empire
plus puissant que celui du Pérou;
que cette contrée était plus abon-
dante en raines d'or et d'argent que
toutes celles qui avaient été conqui-
ses par les Espagnols; qu'elle était
couverte d'un grand nombre de villes
populeuses, et que rien dans le monde
n'égalait la magnificence de sa ca-
pitale Manoa , où résidait l'Inca •
ville toute resplendissanted'oretd'ar-
gent, et située au milieu d'un vaste
lac, ou plutôt d'une mer intérieure
salée, qui avait deux cents milles de
long, Jean Martinez , condamné à
mort pour avoir laissé sauter , par sa
négligence, un magasina poudre dont
on lui avait confié la garde, et en-
suite , par commutation de peine
abandonné sur le fleuve de l'Oreno-
que dans lui canot , avec injonction
de s'avancer dans l'intérieur , était ,
ajoutait-oji, le seul Européen qui fût
parvenu jusque dans la ville de Ma-
noa. Pour l'introduire dans son <n-
eeinie, on lui avait bandé les yeux;
il y avait vécu sept mois ,ct il avait
clctcllonicntfrappédesricliessesipi'il
y avait vwcii , qu'il avait surnommé
celte ville El Vorado ; c'est sous ce
sur les épaules et une bouche à la
poitrine sans compter beaucoup
d'autres ] vodiges , qu'il serait trop
long d'éuimérer. C'est cette con-
trée merveilleuse , que Ralegh vou-
lait , à l'exemple des Cortez et des
Pizarre, découvrir et conquérir. Il
envoya d'abord un bâtiment sous le
commandement du capitaine Whi-
don , pour reconnaître la situation du
pays ; et après le retour de c.r- bâti-
ment, il partit lui-même, le 6 février
de l'année i5g5: il aborda, le 22
mars suivant , à l'île de la Trinitéj
s'empara du fort Saint - Joseph ,
que les Espagnols y avaientconstniit,
et fit prisonniers le commandant es-
pagnol Barro, ainsi que ses ofliciers.
Tous les caciques ou chefs de sau-
vages que Ralegh eut occasioiî d'in-
terroger , lui confirmèrent tout ce
qui lui avait été dit sur la Guiane,
sur le vaste empire de l'Inca , et la
vil.^ A^ El Dorado. Il apprit en ou-
tre par Barro et ses officict's que les
Espagnols avaient cherché à y péné-
trer , soit par le Pérou , soit par
la côte de l'Amérique méridionale ,
c'est-à-dire en descendant le Mara-
gnon , ou en remontant l'Ormoque ;
(ju'on ne comptait pas moins de
vingt-trois entreprises do ce genre,
dont on lui donna les détails, mais
dont aucune n'avait eu de succès. En
UAL
flamme par ces récits , Ralcgh laissa
son vaisseau à l'île de la Trinité' ;
et quoiqu'il n'eût qu'une centaine
d'hommes , il s'avança dans l'inté-
rieur du continent d'Amérique, vers
la région inconnue de la Guiane.
Après avoir fait une centaine de
lieues, les pluies des Tropiques ayant
commencé à grossir les rivières et
augmenté leur rapidité, il fut obligé
de retourner sur ses pas. Il rejoignit
son vaisseau à l'île de la Trinité;
pilla et rançonna , sur son passa-
ge , quelques établissements espa-
gnols sur la côte de Gumana et de
l'isthme de Panama , et fut de re-
tour en Angleterre, vers la fin de
l'été. Durant cette courte expédi-
tion , qui ne l'avait pas occupé plus
de cinq mois, Ralegh conçut une
haute idée de la beauté surprenan-
te des contrées qu'il avait visitées:
ce majestueux Orenoqueavec ses vas-
tes embouchures et cette multitude
de fleuves qui lui portent le tribut
de leurs eaux ; ces savannes , oia des
herbes aussi hautes que les arbres
de son pays , s'étendaient en vastes
plaines ; ces palmiers semblables à
des colonnes d'une élévation prodi-
gieuse ; ces oiseaux si brillants , ces
fleurs si odorantes , ces rochers res-
plendissants d'un éclat métallique ,
tout lui confirmait les récits merveil-
leux qu'on lui avait faits de la Guiane.
Il croyait sincèi'cment à leur exacti-
tude , lorsqu'il écrivit et 2'ublia la
relation de sa découverte. Il offrit à
sa souveraine d'aller conquérir pour
elle cet immense empire , dont l'ac-
quisition devait , selon lui , la rendre
plus puissante que le roi d'Espagne
et le grand-turc , plus riche que les
possesseurs des Indes. Six semaines
de naA^igation suffisaient pour arriver
dans ce beau pays qui , outre les
plus riches métaux, présentait le
RAL II
climat le plus salubreet le sol le plus
fertile qu'il y eût au monde : il était
d'ailleurs facile à conquérir , plus
facile à défendre. Dès qu'eu s'en se-
rait rendu maître , quehjues forts
bâtis aux embouchures de l'Oreno-
quc empêcheraient les Espagnols ou
toute autre nation d'y pénétrer ; en-
fin le moment était venu d'accom-
plir la prédiction qui avait été faite
aux Incas, qu'un jour ils seraient dé-
livrés par l'Angleterre du joug de
l'Espagne. Ralegh n'oublia rien de
ce qui pouvait transporter dans l'es-
prit de la nation et dans celui d'Eli-
sabeth l'enthousiasme dont lui mê-
me était animé pour cette entrepri-
se. Mais, à son grand étonneraent ,
ses propositions furent accueillies
avec froideur. On ne lui rendit mê-
me point l'exercice de ses fonctions
de capitaine des gardes , dont il avait
été suspendu lors de son emprison-
nement à la Tour de Londres. Ses ri-
vaux et ses ennemis parvinrent à
persuader que sa relation était un
tissu de fables imaginées dans le
but de reconquérir la faveur de sa
souveraine , et de se faire concéder
par elle de nouveaux privilèges et de
nouveaux honneurs; ils accréditèrent
celte opinion dans le public: et il est
étonnant qu'une pareille accusation
ait trouvé place dans les pages d'un
des plus judicieux historiens de nos
temps modernes , et qu'il n'ait pas
su discerner , dans la relation de no-
tre aventureux navigateur , tout ce
que celui -ci dit avoir vu par lui-
même , d'avec tout ce qui lui était
raconté par d'autres. Les détails
que Ralegh a publiés sur son propre
voyage, ne renferment rien d'exagé-
ré , rien qui n'ait été confirmé par les
voyageurs qui sont venus après lui :
ils sont précis , exacts, importants,
cl font autant d'honneur à sa sagacité
1 i. RAL
qu'à sa véracité. Quant au merveil-
leux qui se trouve dans les récils
qu'on lui a faits , ils composaient la
croyance des habitants de ces con-
trées • et Ralegh , parce qu'il y ajou-
tait foi , ne doit pas être jugé froide-
ment et avec les lumières du siècle
actuel. On doit se reporter au temps
où ces vastes régions étaient entière-
ment inconnues , et oîi la conquête
l'écente du Mexique et du Pérou par
une petite bande d'aventuriers , don-
nait un haut degré de probabilité à
des faits attestés dans le pays même
par uue foule de témoins. Une preu-
ve certaine de la sincérité de Ralegh
à cet égard , c'est que , malgré les
sommes énormes qu'il avait dépen-
sées dans sa première expédition ,
malgré le défaut d'encouragement de
la part d'Elisabeth et du public , il
n'en persista pas moins dans l'exé-
cution de ses projets. Il équipa des
vaisseaux pour uue nouvelle tenta-
tive ; et le lord trésorier et Robert
Cecil s'associèrent avec lui, et y mi-
rent des fonds considérables : ce qui
démontre que les esprits les plus
sages de ce temps partageaient en
partie les illusions de Ralegli. Il
confia le commandement de cette
seconde expédition à Laurent Key-
niis, qui mit à la voile en janvier
1 59G , explora en détail toute la
côte d'Amérique , comprise entre
l'embouchure du fleuve Amazone
jusqu'à i'Orenoque , qu'il appela Ra-
leana , en l'hqnneur de sir Walter
Ralegh. Keymis , dans la relation
qu'il publia , fit connaître les noms
et les positions de cinquante -deux
des principales rivières qui se débou-
chent sur cette côte , et aussi les di-
verses nations qui habitent sur leurs
rives. Il conlirm.i tout ce que Ralegh
avait appris sur les mines d'or que
renfermait l'iulcricur de ce pays.
RAL
Ou lui dit de plus, qu'il y avait à
une ou deux journées des sources du
fleuve Dessekebe ( V Essequibo ) , un
lac que les Jaros nommaient Ropo-
nowini , et les Caraïbes Parime.
Keymis ne douta point que ce ne fût
celui au milieu duquel était située la
ville de Manoa , V El Dorado des
Espagnols (3). Lors du retour de
Keymis en Angleterre , Ralegh se
trouvait absent : il était parti avec
le titre de contre-amiral pour l'at-
taque de Cadix, qui s'exécuta sous
le commandement d'Essex. Ralegh
y fut blessé , et contribua beau-
coup, par sa bravoure et son habileté
comme marin , au succès de cette
expédition si glorieuse pour l'An-
gleterre , et qui lui eût été plus pro-
fitable , si les conseils d'Essex eus-
sent été suivis. Aussitôt que Ralegh
fut revenu dans sa patrie, il s'occu-
pa d'un troisième armement pour la
Guiane , et en donna le commande-
ment à Thomas Masham , qui mit
à la voile le il\ octobre iSgô, mais
qui revint peu de temps après , parce
qu'il n'avait pas des forces suliisantes
pour se soutenir contre les Espagnols,
qui déjà commençaient à se fortifier
dans ces parages. La courte relation
de Masham n'apprit rien de nou-
veau; elle sembla seulement confir-
mer l'existence du lac Parima ou
Parime , et par conséquent celle de
la ville de Manoa , ou d'El Dorado ,
et toutes les illusions qui étaient at-
tachées à ce nom. Cependant Ra-
legh cherchait , par le secours de la
reine , à réparer les brèches que la
poursuite de ses grands projets
(S) Ce l:ii' , d'iiliiird dossiiii^ comme peu coiisijé-
rnhlc , «m- la Ciulc ilc d'Aiivillc , prit depuis une
Vii.stn rxifii.sii.u sur celle Je La Cru/.; et aprcs avoir
«■le longtciiip» l'ol>jel d'un problème pour le» gén-
unipliun , il a ilispani de» meilleures cartes luocjer-
iip.s , pour l'airi» place à plusieurs riviiux!9, doDt les
noms eUielit uuj)ai-.iVLiul, luciMiiuc.
ral
avnit faites à sa fortune : s'aper-
cevant qu'il ne pouvait lutter contre
le favori , il résolut de s'en faire un
appui ; il y parvint en s'interposant
entre lui et Cccil , qui , par la con-
fiance qu'inspiraient son habileté' , sa
sagesse et son expérience d.ins les
affaires , balançait auprès de la reine
le crédit d'Essex. Ralcgli réussit en-
fin , par sa souplesse et ses intrigues,
à se faire rendre sa place de capi-
taine des gardes : il reparut à la
cour; et rcelu membre du parle-
ment, il sut obtenir encore de nou-
velles faveurs , en employant ses
talents comme orateur à seconder ,
dans la chambre des communes, les
mesures propose'es par la reine. On
le nomma gouverneur de Jersey , le
16 août 1600. Mais avant cette der-
nière é|ioque, il s'était de nouveau
brouillé avec Essex: celui-ci souff"rait
impatiemment de ne pas avoir, dans
les conseils d'Elisabeth, l'ascendant
qu'il avait obtenu sur sa personne.
Il s'indignait de voir toutes les pla-
ces envahies , au détriïnent de ses
amis , par les créatures , les affidés
deCécil. Dansl'expéditionquieut lieu
contre les Açores, en i5f)7, Ralegh ,
qui commandait sous Essex comme
vice-amiral, avait attaqncet pris Fayal
sans attendre son chef , et recueilli
toute la gloire de cette expédition.
Essex, irritcpar cet affrontct par d'au-
tres circonstances encore, ne put sup-
porter la hauteur et la froideur dont sa
souveraine crut devoir punir ses em-
portements. Son caractère violent le
précipita dans des démarches incon-
sidérées, et enfin dans une révolte
ouverte. Elisabeth, pour le maintien
de sa dignité, et pour sa propre sû-
reté, fut obligée de livrer à la justice,
et de laisser périr sur l'échafaud ,
l'homme qui était l'oljjetdc ses plus
chères ancctions. Essex, allié par sa
RAL ,3
naissance à celle qui occupait le trô-
ne, victime des défauts qui tiennent
à un excès de franchise et à un noble
orgueil , aimé du peuple à cause de
sa bravoure, de son éloquence et de
sa générosité, excita par sa fin tra-
gique une pitié profonde et des re-
grets universels: l'animadversioupu-
blique se dirigea sur tous ceux qui
avaient contribué à sa pcite; et à la
tête on plaçait, à juste titre, Walter
Ralegh. Le sort voulut que , comme
capitaine des gardes, il se trouvât
obligé d'assister au supplice d'Es-
sex. Toutefois ne por.vant suppor-
ter cet affieux spectacle , il se ré-
fugia dans une chambre de l'ar-
senal située sur la place, et il ne
put s'empêcher de verser secrète-
ment des larmes sur la mort de son
rival. Mais sa présence au pied de
l'échafaud, et sa retraite dans un lieu
d'où l'on pouvait , sans être vu, con-
teraplerà loisir l'exécution, furent gé.
néralemcnt interprétées d'une maniè-
re défavorable pour lui; et la haine
qu'il inspirait déjà, fut portée à son
comble. Tels étaient les sentiments
publics à l'égard de Ralegh, lorsque
la reine Elisabeth mourut, et que
Jacques I^r. , roi d'Ecosse, et fils de
l'infortunée IMarie Stuart monta sur
le trône d'Angleterre. Par suite de la
position particulière d'une autorité
qui commence et qui a besoin de s'af-
fermir , les rois se plaisent , en géné-
ral, à signaler les premiers moments
de leur règne par des mesures popu-
laires, et s'étudient d'abord à ne pas
cinployerceux que l'opinion publique
réprouve. Ralegh, par cette seule con-
sidération, aurait dû se déterminer à
la retraite; mais jamais l'ambition ne
borne sa carrière : elle marche tou-
jours en avant, sans considérer les
précipices qui se préseulcnt devant
elle, sans écouter les conseils de la
i4
RAL
conscience sur les moyens qu'elle
emploie pour arriver à son but.
Ralegli, dans l'espérance de se jus-
tifier des préventions que le nou-
veau monarque pouvait avoir con-
tre lui, lui adressa un me'moire , où
il s'attachait à faire retomber sur
Gecil l'odieux de la mort d'Essex, et
où il faisait connaître la part que ce
ministre et son père avaient eue dans
la condamnation de Marie Stuart ;
mais ce coup fut sans effet, et se
tourna contre son auteur. Le ruse'
Cecil , à l'insu de Ralegb , avait, de-
puis long -temps, pris les devants :
il avait surpris une correspondance
secrète entre Esscx et Jacques P»". ;
et, loin de la trahir, il avait lui-
même lié avec le roi d'Ecosse, mais
d'une manière plus indirecte , une
correspondancedu même genre. Pour
complaire à cet héritier du trône, il
avait cherché à ralentir les poursuites
dirigées contre Essex. Raîegh , igno-
rant alors les motifs d'une telle con-
duite , crut qu'elle était due à la crain-
te qu'inspirait au ministre la famille
de l'accusé : il écrivit à Gecil pour le
rassurer à ce sujet, et pour l'exhorter à
accabler leur ennemi commun. Cecil
fit part de ses lettres au roi d'Ecos-
se ; et lorsque celui-ci monta sur
le trône d'Angleterre , il était déjà
parvenu à acquérir toute la con-
fiance du monarque, et à lui ren-
dre Ralcgh suspect. Cecil fut dès-
lors pour ce dernier un ennemi d'au-
tant plus redoutable , qu'il con-
serva le pouvoir et l'Hifluence dont
il avait joui sous le règne précé-
dent. Ralcgh , qui ne connaissait
pas le caractère versatile et pu-
sillanime de Jacques 1'^' ., fournit en-
core à ses ennemis de nouvelles ar-
mescontre lui, en se montrant parti-
san du système de politique suivi
par la reine Elisabelli, tandis que,
RAL
soit par faiblesse, soit par vanité ,
le roi en avait embrassé un direc-
tement contraire. Ainsi l'offre que
fit Ralcgh , au commencement du
nouveau règne, d'aller envahir l'Es-
pagne avec deux mille hommes sans
qu'il en coûtât rien à la couronne ,
déplut singulièrement à Jacques P^".,
dont le projet était de conclure la
paix avec cette puissance. Ralegli
mit le comble aux dispositions peu
favorables du roi à son égard ,
en publiant une brochure pour dé-
montrer que l'Angleterre devait con-
tinuer à faire la guerre à l'Espagne
et secourir les Pays-Bas. Vers la mê-
me époque, il conçut le projet de ma-
rierson fils aînéavecunede ses pupil-
les, riche héritière, et pouvant avoir
des droits éloignés au trône d'An-
gleterre, comme issue des Plantage-
nets. On profita encore de cette cir-
constance pour augmenter, dans l'es-
prit de Jacques P''. , la défiance et les
craintes que les talents et l'ambition
de Ralcgh avaient fait naître en lui. Il
lui ôta sa charge de capitainedes gar-
des, et il l'éloigna de la cour. Par cet-
te conduite, le roi jeta Ralegh dans
le parti des mécontents , toujours
nombreux et audacieux sous un prin-
ce faible. De ce nombre était un lord
Cobham , d'un caractère incertain ,
sans principes fixes, sans vertus et
sans talents, qui, lié avec Ralegh ,
entra dans une conspiration aussi in-
sensée par son but que par ses
moyens. Elle était formée iriiomracs
opposés par leur religion, leurs sen-
timents , leurs intérêts , et réunis
seulement par leur haine contre le
roi et ses ministres. Ils voulaient ,
par l'appui de l'Espagne et de l'Au-
triche , renverser du trône d'Angle-
terre Jacques I*^''. , pour y placer
une miss Arabella Stuart, pioche
parente du roi parla famille de Le-
RAL
nox, et issue e'galement de Henri VII.
Ce plan fut éventé presque aussitôt
que conçu; mais une correspondan-
ce avait eu lieu avec d'Aremberg ,
l'ambassadeur des Pays-Bas, et avait
été saisie. Les accusés avouèrent tout;
et les moius importants d'entre eux
par leur rang et leur naissance , fu-
rent promptement jugés et exécutés.
Le jugement de lord Grey et de lord
Cobham, qui paraissaient être les
chefs de cette conspiration , exigeait
plus de formalités. Cobham , se
croyant trahi parRalegh, auquel il
avait fait quelques confidences , l'ac-
cusa : Ralegh fut arrêté; on nomma,
pour le juger, une commission dans
laquelle liguraient ses plus grands en-
nemis, entre autres Ceci!. Voyant,
dès le premier moment , tout le
danger qui le menaçait, il écrivit au
roi pour le supplier de ne pas l'aban-
donner en des mains dont il ne pou-
vait échapper. La commission nom-
mée pour le juger s'assembla le 17
novembre iGo3. Le célèbre juris-
consulte Edouard Coke (/^. ce nom,
IX, 200) fut chargé, comme procu-
reur du roi, de soutenir l'accusation.
La seule charge qui s'élevât contre
l'accusé était la déposition de lord
Cobham ; mais cette déposition se
trouvait anéantie par une déclaration
solennelle de celui - ci , qui portait
que Ralegh était eniièrement inno-
cent de ce dont lui, Cobham , l'avait
accusé. Edouard Coke produisit , à
la fin des débats , une pièce inatten-
due , et qu'il avait tenue exprès en ré-
serve pour déconcerter l'accusé; c'é-
tait une troisième déposition de Cob-
ham, qui rétractait eu partie la dé-
claration qu'il avait faite en faveur
de Ralegh. Il l'accusait , dans ce nou-
vel écrit, d'avoir eu l'intention, par
l'entremise de D'Aremberg , de se
procurer une pension de quinze cents
RAL
i5
livres sterling, en s'eugageant à ins-
truire l'Espague de tout ce que l'An-
gletcrre pourrait enlreprendie con-
tre elle. Cette dernière déposition de
Cobham lui fut, dit - on , arrachée
par la peur et par les instances de
sa femme, à qui l'on avait fait ac-
croire que c'était le seul moyen de
sauver son mari. Quoi qu'il en soit,
Ralegh s'efforça de prouver l'absur-
dité d'une telle accusation contre un
homme connu pour sa haine contre
l'Espagne , qui avait tant de fois
versé son sang pour la combattre, et
dépensé, pour cet effet, plus de qua-
rante mille livres sterling de son
propre patrimoine. Il finit en réi-
térant la demande qu'il avait faite
vingt fois, dans le cours des débats,
d'être confronté avec son accusateur;
et il déclara (ju'il se soumettait d'a-
vance à sa condamnation , qu'il re-
nonçait même à la clémence du roi,
dont il se déclarait iudigne, si Cob-
ham soutenait, en sa présence, en
présence du tribunal et des jurés,
les faits faux et calomnieux dont il
l'avait chargé, et si au contraire il ne
les rétractait pas de la manière la
plus positive et la plus solennellco
Celte faveur, qui n'était qu'un acte
de justice rigoureux, fut refusée à
l'accusé; et le jury, après un quart-
d'heure de délibération, le déclara
coupable. A peine la terrible senten-
ce qui condamnait Ralegh au sup-
plice affreux des criminels d'état, fut-
elle prononcée, que, non -seulement
toute l'animosité qui existait contre
lui s'apaisa , mais qu'elle fit place à
la pitié, à Tintérêt, et même à l'en-
thousiasme pour ses éraincntes qua-
lités. On disait publiquement que
cet homme , qu'on accusait de con-
nivence avec l'Espagne , était sa-
crifié à la haine des Espagnols et
aux partisans de la paix avec l'Es-
i6
RAL
pagne ; qu'on voulait , en com-
meltaut une barbarie inouie , en-
lever à l'Angleterre un de ses plus
habiles marins , un de ses plus grands
capitaines , un de ses meilleurs hom-
mes d'état, celui enfin qui avait por-
té la gloiie du nom anglais jusque
dans le Nouveau -Monde, et ouvert
à son pays de nouvelles sources de
prospérité. On rappelait surtout avec
amertume cette procédure inique et
sans exemple dansles fastes judiciai-
res de l'Angleterre, où toutes les for-
mes prescrites par les lois pour la
protection de l'innocence avaient été
violées. On répétait avec indigna-
tion les surnoms d'athée, de traî-
tre , de vipère , d'araignée d'en-
fer , et toutes les injures , et tous
les ignobles tutoiements qu'Edouard
Coke s'était permis envers l'illus-
tre accusé (4) ; et l'on opposait
à ces fureurs, à ces injustices, à
ces violences , l'imperturbable sang-
froid du héros au milieu d'un si
grand danger; la noblesse de son
ton, la dignité de ses manières; sa
défense , si éloquente, si calme,
si touchante, si persuasive. L'opi-
nion publique fut, à cet égard, tel-
lement forte et unanime, qu'elle en-
traîna plusieurs membres du jury
qui avaient cond.iinné Kalegh. Quel-
qucs-ims versèrent des larmes , et
demandèrent pardon, à genoux, de
l'iniquité qu'ils avaient commise. Les
(4) C.c-s formes iiuoleotcs qu'employa Edouard
Coke ii'apparticDDint pas aux maiirs du tinips
comme Uuine le prétend ; elles cliuqucrcnt au
coutrairc leUemciit alors, que Shakspiare ''^s ridi-
culisa surlasiène, dans la j.ièce inlilulee Iwellli
KialU l»dmi7.iimeuuil, acte 111,'scciie IV.Lepntle
faitdireàfir Tnby Ikltb : .> tcristardimei.l ; il u'cst
«pas iié(es»airc d'être spirituel, pourvu une lu
» dise» bien des injures , surtout si tu employé» le
>i Iriiilt: tuloUmenl , cela fera uicrveille. » Slialis-
«care fait ici allusion ?. unepliiase d'ICdouard Ça-
te, daimle j.rocè» de RaleBli, ((u'ou avait particu-
lièrement retenue \ cause de »a siugulliie grinsie-
reté : El <"•' > 't'' ^"^* " ''«c:'"^ > " Cobbaui a agi
» ,iar ton imllKali.m , cqtendâ-«ii vipère , car je re
Il luloie toi Irailrt! »
RAL
historiens, pourvus, sur ce grand
procès , des nouveaux documents
que le temps a mis au jour, et dé-
pouillés des passions contemporai-
nes, sont convenus universellement
que les preuves alléguées contre Ra-
legh devant le tribunal qui l'a jugé ,
n'étaient pas suffisantes , et qu'il a
été injustement condamné : mais
quelques - uns ont élevé en même
temps des doutes sur son innocen-
ce. Plusieurs ont pensé que Ralegh
fut véritablement coupable de ce
dont il fut accusé, quoique les preu-
ves du fait manquassent alors et man-
quent encore aujourd'hui. En effet,
les aberrations de l'ambition sont
si étranges ; celte passion dévoran-
te jette l'homme dans de tels écarts ,
et fait tellement varier ses senti-
ments les plus chers , ses opinions
les plus prononcées , que les cal-
culs ordinaires se trouvent souvent
en défaut dansde telles circonstances.
L'improbabilité d'une connivence
coupable de la part de Ralegh avec
les agents des gouvernements espa-
gnols et français , ne doit donc pas
empêcher de prendre en considéra-
tion les indices qui tendent à prou-
ver que cette connivence a réelle-
ment eu lieu ( 5 ). Quant à nous ,
après avoir examiné tous les docu-
ments qui peuvent jeter quelque jour
sur ce problème historique, nous
pensons que la lettre écrite par sir
Walter au roi pour lui demander sa
grâce, contient sur ce point toute la
vérité. « Je me suis perdu ( dit - il
(5) Il n'y aurait au< un doute à cet égard, si Ton
nioulait foi é ce que disent à ce sujet DeThou dan» son
Histoire , et ("ayet , dans sa Chronologie septennairc :
mais leur» récits , fondés probableineut sur des bruits
populaires, sont complttenicnt faux et ne méritent
aui'une alteulion. Pour avoir les fiiits dans toute leur
exactitude , il faul recourir aux pièces mêmes du
procès ,qui »e trouvent dans les Sttite trials ; et en-
suite roiisiilter le» lettre» de lord Cecil et d'aulrc.i
personnage» conteiupvraiDs , sans oublier les Mémoi-
res de Sully.
RAL
(ians cette lettre ) , seulement ponr
avoir entendu sans avoir approu-
ve. » Ainsi Ralegli reçut du lord
Coliham la confidence de ses projets:
il n'y coope'ra point, il les de'sappron-
va peut-être; mais il ne les révéla
point. Il se conduisit au contraire de
manière à ne pas altérer la confiance
que Cobham avait en Ir.i , parce que
tout projet qui tendait à entraver la
marche d'un gouvernement dont
Ralegli avait encouru la disgrâce, se-
condait ses vues et pouvait amener
des chances fimestes à ses rivaux et
favorables à ses ambitieux désirs.
Quoiqu^il eu soit de ces conjectures,
sir Waiter, après sa condamnation ,
s'attendait de jour en jouràctre exé-
cute' : il demandait seulement à être
décapité, et à ne pas périr d'une ma-
nière ignominieuse. C'est alors qu'il
écrivit à sa femme une lettre tou-
chante. « Chère Elisabeth, lui dit-
il , je vous lègue mes conseils , afin
qu'ils soient toujours présents à vo-
tre mémoire; je a^ous lègue mon
amour, afin que je vive toujours dans
votre cœur après ma mort Ele-
vez votre fils dans la crainte de Dieu,
tandis qu'il est jeune encore; car la
crainte de Dieu croîtra avec lui , et
Dieu sera pour lui un père , et pour
vous un mari ; un mari et un père
que les hommes ne pourront jamais
vous ravir. » Cependant le roi in-
fluencé par le cri général qrû deman-
dait grâce pour Ralcgh, ordonna qu'il
serait sursis, jusqu'à nouvel ordre,
à son exécution , ainsi qu'à celles
de lord Grcy et de lord Cobham.
Ralegh fut transporté à la Tour de
ïjondres le i5 décend)rc iGo3, et
commença dans ce lieu une capti-
vité qui devait durer douze ans.
La gestion de ses biens , qui se
trouvaient , par suite de sa con-
damnation , confisqués au profit
XXXVII.
RAL
^7
de sa famille et de ses créanciers ,
fut donnée à deux de ses amis qu'il
désigna ; mais on profila de son
malheur pour lui en enlever une
partie. Sous le prétexte de quelque
défaut, de forme réel ou supposé, le
roi annula la concession que la reine
Elisabeth lui avait faite ciu riche do-
maine de Shelborne , et en gratifia
Robert Car , comte de Somerset ,
jeune fat qu'il avait pris dans une
singulière affection. Sir Walter s'ef-
força vaiuementde détourner le coup
qu'on voulait lui porter, en écrivant
une lettre à celui-là même qu'on
allait enrichir à ses dépens : cette
lettre , pleine d'une noble élo-
quence , ''ne fit aucun effet sur le fa-
vori. Les amis de Ralegh obtinrent
cependant qu'il serait donné à sa fa-
radle une somme de huit raille liv.
sterling , à litre de dédommagement
du tortquilui étaitfait. Lady Ralegh, •
beaucoup plus jeune que sou mari,
et devenue par sa condamnation pos-
sesseur de ses grands biens, avait
demandé, dès le premier moment de
sa captivité , à être enfermée avec
lui ; ce c{ui lui fut accordé. Elle n'a-
vait qu'un fils, nommé, comme son
père , Walter Ralegh : après dix ans
d'infécondité, comme une autre Epo-
nine , clic enfanta dans sa prison nn
second fils , qui reçut le nom de Ga-
rcwRalegh :scul il devait un jourper-
pétuer honorablement le nom de
son père, défendre sa mémoire ,
et hériter de ses luens et de ses
honneurs, sans éprouver ses in-
fortunes. Raleglx , placé comme
une victime toujours prête sous la
main de ses implacables ennemis ,
subissant une captivité dont le terme
ne pouvait être abrégé que par son
supplice, ne se laissa poi tu abattre
par une destinée aussi cruelle. Sa
grande anic sembla s'épurer , et ac-
i8
RAL
quérii' de nouvelles fcvces dans l'ad-
versité. Il trouva non-seulement des
consolations , mais dos jouissances
dans la tendresse de son épouse , dans
l'édncation de ses enfants , et dans
la cnlture des lettres et des sciences.
Il s'appliqua à la chimie , et décou-
vrit même un spécifique qui porta
son nom , eut une ç;rande vogue, et
sur lequel on a écrit des traités : on
l'a simplifié depuis, et il se trouve
inséré encore aujourd'hui dans la
Pharmacopée de Londres , sous le
titre de Confection aromatique. Ra-
legh écrivit aussi dans sa prison di-
vers traités sur la politique et la na-
vigation , pour se délasser d'un ou
vrage plus grand et plus important ,
par lequel i! se flattait, avec raison ,
de recommander son nom à la pos-
térité. C'était son Histoire univer-
selle. Le premier volume parut en
i6i4, et le fit mettre au nombre
des écrivains les plus érudits et les
plus corrects de l'Angleterre. Le
grand succès qu'obtint cet ouvrage
tut dû non - seulement à son mé-
rite intrinsèque, mais aussi à l'in-
lérèt qui s'attachait au nom de l'au-
teur. En effet , Ralegh , pour sa-
tisfaire son ambition, livrant sur
terre et sur mer de sanglants com-
bats , terrassant par ses intrigues
un puissant rival , se montrant insa-
tiable de places , de dignités et de ri-
chesses , avait excité l'envie et la hai-
ne: mais Ualegli captif; H.4logh , par
ses vertus, faisant te bonheur d'une
tendre épouse et de fils chéris ; Ra-
legh condamné à mort , s'adonnant
avec mie parfaite tranquillité d'es-
prit à de longs travaux, servant
l'humanité par ses découvertes , et
éclairant le monde par ses écrits,
était devenu un objet de respect, d'ad-
miraliun cl d'amour. Celui qui prit le
plusd'intcrclàsonsort,(jui lia même
RAL
avec lui une correspondance suivie,
fut le fils du roi , fut ce jeune Hen-
ri , qui s'annonçait avec toutes les
qualités d'nn héros. Lorsqu'on lui
parlait de l'illustre prisonnier , il di-
sait : « Si j'étais à la place de mou
père , je ne tiendrais pas un tel oi-
seau en cage. » Mais la mort pré-
maturée de ce prince priva l'illustre
captif d'un puissant protecteur, et
l'Angleterre d'un monarque qui au-
raitexercéuneglorieuseinflucucesur
ses destinées , et détourné probable-
ment les malheurs qui accablèrent
depuis la famille des Stuart. Ralegh,
cependant , après ce funeste événe-
ment, ne resta pas sans ajipui à la
cour. Le roi de Dduemark et la
reine d'Angleterre sollicitaient vive-
ment son élargissement : l'occasion
paraissait favorable; Cécil , son prin-
cipal ennemi, n'existait plus ; sir
Ralph Windwood , qui avait suc-
cédé à une partie des fonctions de
Cecil , se montrait contraire aux in-
térêts de l'Espagne , et approuvait les
proj' ts du héros de la Virginie , qui
proposait au roi d'aller venger en Amé-
rique les cruautés que les Espagnols
avaient exercées envers ses sujets , et
de joindre à sa couronne l'empire de
la Guiane et les mines d'or qui s'y
trouvaient. Enfin la longue captivité
de Ralegh eut un terme; et il sortit
de la Tour de Londres , le 17 mars
16 iG. Mais (nous en avons aujour-
d'hui la preuve ) , ce ne fut point à
l'intercession respectable d'une épou-
se cl d'nn roi , ce ne fut point à des
motifs d'intérêt national, ni à des
sentiments de miséricorde et de jus-
tice que Jacques l'^'". céda , lors-
qu'il donna l'ordre de mettre sir
Walter Ralegh en liberté. Il obéit à
l'influeucc de son nouveau favori ,
Vdliers , duc de Rnckingham, qui
fut assez vil pour exiger , corn-
RAL
me prix de son crédit , une somme
de quinze cents livres sterling. Ainsi,
gous un roi faible , le bien inùnc
est souvent un mal , parce qu'il ne
1)eut s'opérer que par des moyens
louteux. Ralegli , en obtenant sa li-
berté , n'avait pas obtenu son par-
don : cependant le roi non-seulement
avait approuvé le plan de son expé-
dition pour la Guiane , mais en avait
fait une condition de la grâce qu'il
lui accordait. Le duc de Buckin-
gbam et sir William John offrirent à
Ralegh s'il voulait ajouter sept cents
livres sterling à la somme qu'il leur
avait déjà donnée , de lui procu-
rer son plein et entier pardon , re-
vêtu de toutes les formes convena-
bles, et de plus la faculté de ne point
entreprendre l'expédition contre la
Guiane. Raiegli l'efusa : ni les glaces
de l'âge , ni sa longue captivité, n'a-
vaient pu amortir le feu de son
imagination, tu mcdérer sa fougueu-
se ambition. Il mit la plus grande
activité dans les préparatifs de son
expédition : il y consacra toute sa
fortune et une partie de celle de sa
femme; et le 28 mars 1617 , il mit
à la voile pour entreprendre sa qua-
trième expédition dans la Guiane ,
emmenant avec lui une escadre de
douze vaisseaux. Cependant la cour
d'Espagne avait depuis long-temps
employé toute l'habileté de sa politi-
que pour mettre le roi d'Angleterre
dans SCS intérêts: elle lui avait pro-
mis une infante pour le prince de
Galles; elle flattait sa vanité du titre
de roi pacifique. Les seuls préparatifs
de l'entreprise projetée excitèrent
en elle les alarmes les plus vives : elle
se plaignit à Jacques de ce qu'il vou-
lait troubler la bonne harmonie qui
existait entre les deux nations. Jac-
ques répondit que la commission
qu'il avait délivrée à sir Walter ,
RAL
»9
portait expressément qu'il n'entrc-
pieiidrait rien contre les puissances
avec lesquelles l'Angleterre était en
paix , et que comme il ne l'avait pas
relevé de la condamnation qui pe-
sait sur lui, il était certain qu'il n'ex-
céderait pas les pouvoitj qui lui
avaient été accoi\îés. La cour d'Es-
pagne ne s'en tint pas à cette décla-
ration ; et ,par les intrigues de sou
ambassadeur, le comte de Gondo-
mar , elle parvint à faire consentir
le faible Jacques h s'unir avec elle
pour perdre Ralegh. Celui-ci, avant
de partir , avait livré au roi , par ses
ordres, le plan de son expédition,
le lieu où il débarquerait , l'état des
hommes et des munitions de guerre
et autres , qu'il emportait avec lui.
Cet état , par une trahison infâme,
fut remis par le roi lui - même à
Goudoraar, qvii le fit parvenir à sa
cour : celle-ci l'envoya aussitôt aux
commandants de ses colonies en Amé-
rique. Tous les ports furent fortifiés ;
et l'on expédia une flotte chargée de
croiser dans ces jTarages. L'Espagne
eut d'autant plus le temps d'achever
ses préparatifs , que Ralegh , contra-
rié par les vents, n'avança que très-
lentement j la maladie et le mécon-
tentement se mirent dans son équi-
page , qui avait été exprès composé
d'hommes ignorants, insubordonnés,
et souillés de tous les vices. Enfin il
arriva néanjnoins sur la cote de la
Guiane, vers le milieu de novembre;
mais il était alors accablé par la ma-
ladie, et se trouvait dans un état de
faiblesse, qui le rendait incapable de
rien entreprendre par lui-même : il
envoya Keymis et son fils Walter à
la tête de ses meilleures troupes , en
leur donnant pour instructions de se
diriger droit vers le lieu où était la
raine d'or , située , selon lui , à deux
journées de la ville de Saint - Thomé
2..
10
RAL
Lâtic récemment par ics Espagnols
sur la branche de l'Orcnoqiic qu'a-
vait visitée Kcymis dans son premier
voyage. Les Espagnols s'opposèrent
à ce que les Anglais pe'ne'lrasscnt dans
iHî pays dont ils se prclendaienî. les
maîtres. Les Anglais alorsaltaqucrent
Sainl-Tlioraé , prirent cette ville, et
ja rciliiisircnt en cendres. Diego de
Palameca, qui portait le titre de gou-
verneur de la Giiiane, d'Ei-Dorado ,
et de la Trinité, fut tué dans celle ac-
tion : mais le jeune Walter y perdit
aussi la vie; etKeymis , affligé d'une
fà grande perte , mal obéi des siens ,
et ignorant si Ralegli n'avait pas
succombé à la violence de la mala-
die, revint snr ses pas, négligeant
cette partie de ses instructions qui
lui prescrivait d'aller en avant a
la recherche de la mine. Fortement
désapprouvé par son chef, Keymis
ne put supporter ses reproches , et
se donna la mort. Ralcgh revint
inconsolable de la perte de son fils,
entièrement ruiné , et obligé encore
de se défendre contre ceux qui, après
l'avoir abandonné au moment du
péril, prétendaient, pour couvrir leur
lâcheté , qu'il n^^vait formé cette
entreprise que pour s'enrichir par des
pirateries , et qu'il ne croyaità l'exis-
tence d'aucune mine. Dans la let-
tre qu'il écrivit h sir Ralph Wind-
wo»d, pour lui rendre compte de
l'issue malheureuse de son expédi-
tion, Ralcgh eut l'imprudence défaire
mention de la trahison dont le roi
l'avait rendu victime, en transmet-
tant aux Espagnols l'état de ses for-
ces. Il omit celte circonstance dans
son apologie ofllciellc , et se con-
tenta de répondre de son mieux
aux divers reproches qui lui étaient
faits. 11 cita tous les grands ca-
pitaines sur terre et sur mer qui
avaient éprouvé des défaites avec
RAL
des forces plus nombreuses et bien
disciplinées , tandis qu'à la réserve
de quelques amis qui l'avaient suivi
volontairement , son équipage et sa
troupe n'étaient composés que d'un
amas de misérables ou de repris de
justice. Aux premières nouvelles de
la prise de Saint-Tliomé, Gondomar
était allé trouver le roi Jacques I't.
pour lui demander vengeance de la
violation de la paix , contre un hom-
me enfin qu'il ne désignait plus que
sous le nom de l'infâme pirate. Non-
seulement la politique de sa cour ob-
ligeait Gondomar à poursuivre celle
affaire avec chaleur • mais Ralcgh
était pour lui un ennemi personnel :
Pedro Sarraiento , précédemment
fait prisonnier , et Palameca tué h
Saint-ïhomc, étaient tous deux les
proches parents de l'ambassadeur
espagnol. Lord Carew, et quelques-
uns des ministres de Jacques I<^'". ,
s'employèrent en vain pour Ralcgh.
Le monarque intimidé par les mena-
ces de l'Espagne, n'eut aucun égard
à leurs conseils ctàleurs prières. Il fit
paraître une déclaration, en date du
1 1 juin 1G18, clans laquelle il désap-
prouvait la prise de Saint-Thomé,
et toute attaque injuste qui pourrait
avoir été faite contre les sujets du
roi d'Espagne ; il ordonna en mê-
me temps que cette affaire fût ins-
truite dans son conseil privé. Ra-
lcgh, fort de son innocence, sachant
qu'il aA'ait risqué sa vie et perdu sa
fortune dans une entreprise conçue
principalement jiour l'intérêt de sa
patrie et de son roi, était revenu en
Angleterre : mais il s'aperçut bientôt
des fiicheuses dispositions de Jacques
h son égard ; et se repentant de ne
s'être pas soustrait à sa puissance , il
essaya de s'évader : ti\'ihi par celui-
là même auquel il s'était confie ,
il fut arrêté , cl de nouveau cmpri-
RÂL
souné. L'Espagne demandait sa tête;
le roi la lui accordait , et il n'était
plus embarrasse que de trouver un
moyen légal pour ordonner son sup-
plice. En effet, l'ambassadeur d'Es-
pagne-accusait le commandant an-
glais d'avoir viole le territoire es-
pagnol , d'avoir surpris , pdic et
brûle une ville espagnole , d'avoir
commis une infraction à la paix ,
outrepasse' les pouvoirs qu'il avait
reçus du souverain , et agi dans un
sens contraire à la lettre de ses ins-
tructions. MaisRalegh répondait que
c'e'taient les Espagnols qu'il fallait
accuser de s'être empare's d'un ter-
ritoire, qui appartenait à l'Angle-
terre , puisque, sous le règne cl'É-
lisabctb , des vaisseaux équipe's par
lui avaient les premiers pris posses-
sion de la Guiane au nom de l'An-
gleterre , et le roi Jacques lui-même
avait depuis reconnu cette prise de
])Osscssion , puisqu'il avait concède' à
M. Charles LcigL et, à M. Har-
court une portion des terres de la
Guiauc. Si donc Saint Thome' avait
clé prise et pille'e, c'est que les Es-
]>agnols qui l'habitaient avaient les
premiers attaque les Anglais , et s'é-
taient opposes à ce qu'ils pc'ne'tras-
-cnt jusqu'aux mines qui leurappar-
cuaicnt ; et lors même que Ralegh
iie se serait pas trouve' à cet égard
iians le cas d'une légitime défense ,
il aurait eu le droit de chasser les
Espagnols d'un territoire usurpé et
appartenant à l'Angleterre : que s'il
existait un traite de paix entre les
deux nations, tout le monde savait
que ce traite ne concernait que l'Eu-
rope; que relativement aux posses-
sions d'outre- mer , on n'avait pu
s'accorder sur rien , et que l'état
de guerre subsistait toujours en-
tre les deux nations dans ces con-
trées : ce qui le prouvait, c'fst ijue
RAL 11
les Espagnols en Amérique avaient ,
depuis la paix , massacré trente-six
Anglais faisant partie de l'équipage
d'un vaisscauang lais, et qu'ils avaient
livre des combats et exercé d'autres
cruautés contre des sujets anglais.
Ralegb', qui n'avait point attaqué les
Espagnols dans leurs possessions
d'Europe , n'avait donc point trans-
gressé les pouvoirs que le roi lui
avait accordés : il n'était donc pas
coupable; et les accusations dirigées
contre lui devaient être, à plus juste
titre, rétorquées contre ses accusa-
teurs eux-mêmes. Ces raisons , qui
eussent été rejetées par tout tribunal
espagnol , eussent été victorieuses
devant un jury anglais; et l'on eût en
vain espéré en composer un qui con-
damnât le chef d'une telle cxpé-
dilion. Comme Jacques 1^''. voulait
satisfaire la cour d'Espagne à tout
prix, on résolut de se servir delà con-
damnation à mort que Ralegk avait
encourue quinze ans auparavant ; et
sous le prétexte que , d'après les
lois anglaises , il n'était pas permis
d'actionner, pour quelque crime que
ce fût , celui qui se trouvait poursui-
vi pour crime dehautc-lraliisou, ou
requit contre sir Walter, pour pimi-
lion des nouveaux délits qu'on lui »«-
])rocliait, la condamnation à mort
dont il était passible. En vain oi^-
jecta-t-il qu'il était absurde de l'en-
voyer au suj)plicc pour avoir fait la
guerre à l'Espagne , eu vertu d'un
arrêt rendu pour cause de conniven-
ce avec l'Espagne; que le roi l'avait
relevé implicitement de sa condam-
nation, puisqu'il l'avait fait sortir
de prison pour lui donner un com-
mandement qui lui conférait droit
de vie et de mort sur les propres su-
jets de sa majcslé. Les juges du tri-
bunal lui déclarèrent que l'intention
du roi était que la cojidauiuatiuu
'i2 RAL
({n'il avait encourue , il y a quinze
ans , reçût son cse'cution , et ils
l'exliorlèrent à se préparer à la
mort. 11 s'y prépara en effet avec
un sang-froid et un courage di-
gnes d'admiration. La reine et plu-
hieurs personnages puissants inter-
cédèrent eu sa faveur , et chcr-
chcrent à obtenir sa grâce ; mais
Gondomar. réclama avec force au-
près du roi i'exéculion de l'enga-
gement contracté avec lui , et il
l'emporta. Ralegh apprit avec in-
différence les efforts que Ton fai-
sait pour lui sauver la vie. L'â-
ge , la fièvre, qui le tourmentait
alors , et les indignes traitements
dont il était l'objet, lui avaient ôté le
désir de prolonger son existence.
«Le monde, disait-il, n'est qu'une
D vaste prison , dans laquelle un
» grand nombre sont journellement
» choisis pour être exécutés par
« Li mort. » Il écrivit , la veille
du jour fixé pour son supplice, une
pièce de vers intitulée : Mon pè-
lerinage : il dressa ensuite une cour-
te déclaration pour attester devant
Dieu , qu'il était innocent des faits
dont on l'accusait; protestant que
jamais il n'avait formé aucun com-
plot, directement ni indirectement
avec le roi de France ou tout autre
prince étranger, et qu'il n'avait eu
d'autre projet, dans son expédition
de la Guiane , rfuc de s''era parer des
mines d'or qu'il croit exister à trois
journées de Saint-Tlioraé. Enfin , le
29 octobre 1G18 fut le jour lixé
pom- son exécution ; et , par une ren-
contre singulière, qui n'a eu lieu (pie
cette seule fois, ce jour était celui
de l'inaugiiralioM d'un nouveau lord
maire. Ualeç;li , conduit par les sclie-
rill's , marclia au sup|ilice, non-scule-
mentavcccalmeet dignité, maisav( c
rontentcmonl. Arrivé an lieu où l'é-
RAL
chafaud était dressé , il se félicita de
n'avoir pas succombé à sa maladie ,
et de n'avoir pas péri dans l'obscuri-
té d'une prison , mais de mourir au
grand jour en présence de ses amis
et de tant de personnes recoinman-
dables. Il les pria de s'approcher
tous de l'échafaud , aiin de mieux
entendre ce qu'il aurait à dire; et il
pron onça ensuite , d'une voix forte et
assurée, un long plaidoyer pour ré-
futer toutes les accusai.ions et foutes
les calomnies dont il avait été l'ob-
jet (5). Quand il eut fini son apo-
logie . il fit des adieux particu-
liers à chacun de ses amis, en leur
disant qu'il partait pour un long
voyage ; et il chargea lord Arundel ,
qui se trouvait présent, de supplier
le roi de sa part, de faire en sorte
qu'il ne fût publié aucun écrit pour
didamer sa mémoire. 11 fit ensuite
éloigner de l'échafaud tous ceux qui
s'étaient pressés autour de lui, et il
demanda à l'exécuteur de lui montrer
sa hache ; il en examina le tranchant,
et l'ayant trouvé tel qu'il le desirait,
il dit : a C'est un remède aigu , mais
» il guérit de tous les maux. » L'exé-
cuteur se mit à genoux devant
lui pour lui demander pardon. Ra-
legh posa une de ses mains sai-
son épaule, et déclara qu'il lui par-
donnait. Il se tourna ensuite succes-
sivement vers tous les assistants , et
les engagea à haute voix dff prier
Dieu pour lui; puis il mit sa tête
sur l'échafaud , et avec sou bras
(5) Iliimc ,))Our ôtcr toiilc leur valeur i des lisser-
ons laites BU pied de IVcliafauJ , pn tend que Bn-
■gli di'<;lara dans cette occasiuii , de la mauiè-
2 la plus solemiille , (ju'il n'avait on rien coopc»
i il la mort d'Iissex , tandis que ses lelti-cs prouvent
; euntraire. Mais cola n'est pas exact : dans son
|H)liii;io, RaleRli se jnslifie seulement île s'être rc-
dc la mort d'IDssex; il dit qu'il l'a pleuré, pre'-
vant bien lUic le
<\ KsMX di vieudraieii»
Kuletliuc dil rien de plu»; au con-
iciitAt le» sien». Huletli ne ilil ru'u ue plu»; au co
-aire, il avouo (jii'il était d'nu ynrtJ Contraire
RAL
donna le signal à l'exccutcur, qui
aussitôt, frappa le coup mortel. Ainsi
périt , à l'âge de soixante -six ans ,
Waltcr Ralcgb , qui eût été plus
grand et plus heureux, si , pour sa
fortune et pour sa gloire, il s'était fîe
à la seule puissance de son génie, et
s'il n'avait pas laissé dégrader en lui,
jiar le manège et les passions du
courtisan , les actions et les senti-
ments du liéros. Cette grande victi-
me, si lâclicmeut sacrifiée à une na-
tion rivale et abliorrée des Anglais,
augmenta encore leur animadversion
contre Jacques F"". , contre ce loi
rhéteur, ce pédant couronné, de-
venu méprisable ])ar sa faiblesse,
et ridicule par son savoir même.
L'opinion publique se prononça si
ënergiqueiuent contre cet acte brisse-
ment cruel, que Jacques crut devoir
publier une déclaration jusliiicative,
qu'il fit signer par six membres de
sou conseil-privé. 11 est éionnant
que Hume ait pu trouver, dans les
mensonges officiels que renferme cet
e'crit, les fondements de la vérité
historique , et qu'il se soit formé ,
d'après eux , nne opinion qui l'ait
rendu injuste envers l'un des plus
grands hommes que l'Angleterre ait
produits. Shirley , William Oldy et
Thomas Birch ont écrit des notices
sur Walter Ralegh , en tête de ses
OEuvres. M. Arthur Cayley a publié
à Londres , en 1 8o5 , une Vie de
fFalter Ralegh, en i volumes in-
4°. : son ouvrage n'est qu'un re-
cueil de pièces et de notes relati-
ves à Ralcgh, classées par chapitres,
mais pas toujours selon l'ordre con-
venable. En tête de cet ouvrage, qui
contient plusieurs morceaux curieux
et jusqu'alors inédits , est un portrait
de Ralcgh et ua fnc - iiinile de son
écriture. Iva seconde partie du cin-
quième volome de la collection in-
RAL
23
titillée : Select Biographj , in- i8,
publiée on \9>ii , contient nne Vie
de Ralcgh , compilée avec peu de ju-
gement. Parmi les nombreux ouvra-
ges sortis de la plume de Ralegh ,
V Histoire du monde est le princi-
pal. La onzième et dernière édition
de cet ouvrage, qui est aussi la meil-
leure, a été donnée par Oldy, infol.,
en i^SG.LedocteurThoraasBircha
publié les OEuvres diverses de Ra-
legh , en i-jSi , en u vol. in - 8". ;
mais il en a omis un assez grand
nombre, soit imprimées, soit manus-
crites,dontM. Cayley a donné la lis-
te, dans son tome n, p. 188-190.
11 en est qu'on n'a pu retrouver, mê-
me en manuscrit, et qu'on ne con-
naît que par les citations que Ralegh
lui-même en a faites; tel est son
Traité sur les Indes Occidentales^ et
celui sur la Tactique navale, dont
il fait mention au livre v, chap. 1 ,
scct. 6 de son Histoire du monde.
Gibbon commença, dans sa jeunes-
se, une Biographie de Ralegh; mais
il abandonna ce projet pour un au-
tre plus vaste. Ce beau sujet , qui
était digne de la plume d'un histo-
rien tel que Gibbon , reste encore à
traiter (6). W — r.
RALLIER DES OURMES (Jean-
Joseph), conseiller d'honneur au pré-
((!) Tous les diclionDaiics biagrapliiqiies français
oui ri pete <[iie Waitcr F.alenli a le preuiior ti-ans-
puité le cerisier en Irlaode, et qu'il fiit planté daus
I jardiu qui existe encore près de AVaterford. Ce
lait intéressant peut rtre
iqu
il s • trouve
daus des livres qui fourmillent d'erreurs sur Ralegh.
Cependant nous ne l'avons lu dans aucun des ouvra-
ges originaux qui nous ont servi de j;uide; et n'ayant
p.is le loisir de faire lis reclierches riécessaires , nous
ne |i iiivons ni Tadmettre ui le rejeter. 11 en est de
mèiMo d'nn autre fsit]>'us important , c'esl l'iiilro-
ducliun de la ponnue de terre , le présent le plus pré-
cieux que l'ani icMi monde ait reçu du nouveau. On
dit ((UH Ralegli l'a|)|>orta d'Aniériipie eu Irlande,
d'où il le pissa dans le ijancasliirc , où elle fut cul-
tiv.i- en i;rand,ct de P. poitée sur le continent.
C'est <lu uiuius l'opinion de l'armeutier. Quel-
ques plants eu avaient, il est vrai , été porte-, ante-
lieureuient en Italie ( /'. LkclUSE); maison ne les
y cultivait guère que comme im objet desimnlecn-
liosilé.
^4
UAL
sidial de Rcuiics , né le 26 mai 1 70 1 ,
n'a fait imprimer séparément aucun
de ses ouvrages; mais il s'en trouve
de dissémines en diflercîUs recueils ,
notamment dans rEucycIopédie et
dans les Mémoires des savants étran-
gers , que publiait tous les ans l'aca-
démie des sciences. Presque tout
ce qu'il a fourni à l'Encyclopé-
die est relatif à l'arithraétique. Tels
sont les articles , Echelle arithmé-
tique, Escompte, Intérêt j Pro-
■portiun , Progression. Un seul a
trait à la morale ; c'est celui du
Fœu conditionnel) mais ce morceau
suffit pour donner une idée de la
façon de penser de l'auteur et de sa
manière d'écrire. D'Alerabert parle
en plusieurs endroits , avec éloge , du
tribut que Rallier payait à l'Ency-
clopédie. Ou peut voir ce qu'il dit,
à roecasion de l'article Echelle
arithmétique , quoique lui - même
eût déjà fourni, sur la même matiè-
re , les articles, Arithmétique, Bi-
naire, Calcul, D ad jlonomie, Dé-
cimales , etc. Rallier a fourni aux
Mémoires des savants ètransiers :
1°. Mémoire sur les carrés magi-
ques ( tome IV , année 1763); — 2°.
Usage des diviseurs d\in nombre
pour résoudre un problème d^ arith-
métique (tome V, année 1 768); — 3".
Méthode facile pour découvrir tous
les nombres premiers contenus dans
un cours illimité de la suite des im-
pairs, et tout d'un temps , les divi-
seurs simples de ceux qui ne le sont
pas; — ,\^. Méthode nouvelle de divi-
iion quand le dividende est multi.
pie du diviseur, et d'extraction
quand la puissance est parfaite.
ilallier, faisant lui-même l'applica-
tion de sa méthode, avait rédigé des
Tables fort étendues des nombres
picmiers et des diviseurs sim])l(s de
ceux qui ne le sont pas. Ces Tables,
RAL
dont le manuscrit existe de sa main,
étaient destinées à l'impression; mais
l'ouvrage que M. Lidoune a publié,
en 1808, sous ce titre: Tables de
tous les diviseurs des nombres ,
calculés, depuis un jusqu'à cent
deux mille , rend désormais cette
publication superflue. Ces Tables
sont d'autant plus utiles, qu'avec
les nombi'cs premiers , on y trouve
encore leurs logarithmes. Rallier
des Ourmes a fourni aussi plusieurs
Mémoires à la société d'agricul-
ture, de commerce et des arts de
Bretagne , fondée en 1707 , et
dont il fut un des premiers mem-
bres. Il a laissé, sur la théurie des
probabilités appliquée aux jeux sou-
mis à l'influence du hasard, tels que
le ti-ictrac , et sur d'autres matières,
des écrits qui n'ont point vu le jour.
Il avait fait ses études chez les Jé-
suites ; et, fort jeune encore , il avait
élé tenté de se faire jésuite lui - mê-
me. Déjà il avait rempli , pendant
quelque temps , dan^ cette société ,
les fonctions de régent; et il était
sur le point de s'y engager pour tou-
jours, quand des raisons de famille
le détcrjuinèrcnt à rentrer dans le
monde. Un frère aîné , qu'il perdit
quelque temps après, lui laissa une
fortune délabrée, dont il sauva les
débris. II se maria ensuite; et, su
retirant dans une campagne, il y
consacra tons ses moments ou à l'é-
tude ou à l'éducation de ses enfants.
Non-seulement il apprit à son fds
ce que l'on apprend dans les collè-
ges; il l'avança même assez dans les
mathématiques pour le mettre en
état d'être reçu , à l'âge de seize ans ,
aux écoles d'application du génie.
Rallier des Onrmes est mort, le a3
juin 1771 , dans son modeste ma-
noir de la Rivière , près de Vitré.
LJ.
RAM
RAMAZZINI ( Bkrnard ) , mc-
dccm , naquit , en i633,àCarpi,
petite ville de l'état do Modcnc , déjà
célèbre par la naissance de Jacques
Berenger { V. ce nom ,1V, ^36 ) ,
qui, l'un des premiers , appliqua le
mercure au traitement des maladies
sypliilitiques, fit un secret de ce pro-
cédé, et gagna une fortune immense.
Ramazzini fit ses études au coUcgedes
jésuites deModène, et étudia , pen-
dant trois ans , la philosopliieà Par-
me. Son élocution était si pure et si
facile, que son père voulut l'engager à
entrer dans la carrière du droit et de
la législature; mais il se décida pour
la médecine, par uu goût particulier.
Il suivit les cours de l'université de
Parme , pendant quatre ans , et ,
après avoir reçu le bonnet de doc-
teur, en 1659, se rendit à Rome,
où il se mit au nombre des disciples
d'An t. Marie de Rossi , fils de Jérô-
me de Rossi , médecin du pape Clé-
ment VII : il pratiqua son art quel-
que temps dans cette capitale , et
obtint la place de meàico condotto
( médecin particulier ) de la petite
ville de Castro. Mais l'air peu salu-
brc de ce pays altéra sa santé , et l'o-
bligea de retourner dans sa patrie ,
oùil fut long-lcnips à se rétablir. Il
y exerça l'art médical avec distinc-
tion , jusqu'en 1 67 1 , époque à
laquelle il fut appelé à Modènc par
Je duc régnant. 11 y acquit , en peu de
temps, une grande réputation. Fran-
çois II , duc d'Esté et de Modène ,
ayant fondé dans cette dernière
ville une école de médecine , en
1678 , Ramazzini y fut nommé,
quatre ans après , professeur de
théorie. Il y enseigna pendant dis-
huit ans. Une maladie épidémiquc ,
de la nature de celles qu'on nom-
mait lièvres putrides et pétéchialcs ,
se manifesta , en 1G90 ,à Modènc, et
RAM
23
y causa de grands ravages , surtout
parmi les Juifs. Ramazzini eut beau-
coup de malades à soigner^ et il écri-
vit une histoire circonstanciée de
cette maladie. Ou prétend qu'il a été
le premier qui ait observé l'influence
qu'une éclipse exerce sur le corps
humain malade : à cette époque il y
en eut une de lune , pendant laquelle
beaucoup de malades succombè-
rent. L'universitéde Padoue jouissait
d'une juste célébrité. Ramazzini y fut
nommé, eu 1 700, à la chaire de mé-
decine pratique. Quoiqu'il eût alors
soixante-six ans, il n'en Ht pas moins
ses cours avec toute l'exactitude et
l'activitéd'unhûmmedauslaforcede
rage ; mais, trois ans après , une flu-
xion dont il fut attaqué , lui afTaiblit
les yeux , et il perdit la vue , en 1 7o5.
Le sénatde Venise lenonunaeni 708,
président du collège de médecine de
cette ville; et, l'année suivante, il
fut promu à la première chaire de
médecine pratique. Sou pelit-fils lui
servait de lecteur pour ses leçons ,
qu'il continua pendant six ans. Mais
le 5 novembre 1714» ^^ ^^^^ frappé
d'une apoplexie foudroyante qui ter-
mina ses jours , à l'âgede (pialre-vingt
un ans. Il était membre de l'académie
des Dissonanti de Modènc , de celle
des Curieuxde la nature , de la société
royale de Berlin et de l'académie des
Arcadiens de Rome. Ramazzini lut
un excellent observateur; mais il
adopta trop servilement les jirinci-
pes systématiques qui dominaient de
son temps dans les écoles d'Italie,
d'après lesquels on donnait une défi-
nition chimique à toutes les causes
des maladies ] dont il ne se permet-
tait, au reste , que rarement de don-
ner une définition catégorique. Ce-
pendant il parut toujours assez dis-
posé à regarder la coagulation du
sang opérée par Its acides, et sa dis-
u6
RAM
solution produite par les alkalis ,
comme les fouclemeuis des maladies
dominantes, appuyant cette théorie
sur des expériences relatives à l'in-
fusion. En conséquence de ce systè-
me , Raniazzini commença , dans
l'e'piiltmiede iGgi , à prescrire les
alkalis; mais comme il n'en relira
aucun avanuif^e , il eut recours aux
remèdes acides, tandis que , dans
l'ëpide'mie derannèe précédente, il
avait trouve' utiles les diapliorètiques
et les sels volatils. Deux seuls méde-
cins se montrèrent les adversaires de
la doctrine cliimique de Ramazzini:
ce furent Domenico Sanguinetti , de
Naplcs,qai écrivit, en iG99,uneDis-
sertation iatropliysique sur ce point;
et Joseph del Papa , premier méde-
cin du grand-duc de Toscane, qui
publia son livre De prœcipuis humo-
ribus. dans lequel il réfute, par des ar-
guments solides , la doctrine iatrochi.
Hiique.Ramazzinia beaucoup écrit;
le premier fruit de sa plume fut un
poème latin , composé entièrement
(le vers de Virgile, et adressé à Louis
XIV pour célébrer l'expédition de
Sicile ( r. DuQUESNE , XII, 33o ) :
1 . De bello Siciliœ cento ex Firgilio,
Modcne , 1677 , in-4". Le présent
que le roi lui envoya en récom-
pense , se perdit en route. II.
Exercilatlo iatro-apoloa,elica , seu
Jicsponsutii ad scripturain rjiiam-
dam AaaihaUs Cenni, doclorls me-
dici , Modène , i(J79, in-fol. III.
Fiehiziona sopra il parla e la morte
dellamarchese Marlellini. Modène,
1G81 , in-fol., I vol. Cet ouvrage
donna lieu à une controverse fort
étendue, dont Cindli donne le dé-
tail dans sa Bihlioteca volanle ,
IV, II 4. IV. De constitiUione
anni iHfjo, ac de epidemid quœ
Mulinensis av^ri colonns afjlixit ,
ibid., iOf)i, iu-4". V. De jonliuin
RAM
Mutinensium admirandâ scatu ri-
gine , ibid., 1691. VI. De morbis
arlificum diatriba , ibid. , 1700 ;
Utrecht , i7o3;Padoue 1718^ Ve-
nise , 1743; Leipzig, 1718; trad.
allemande, par Ackerman, Stendal,
1780-83, a vol in-8'^.Cet ouvrage,
le plus complet qui eût paru jusqu'a-
lors sur les maladies particulières à
chaque profession , a été traduit en
français parFourcroy, Paris, 1777,
ic-i'2, et pour ainsi dire refondu,
avec des additions assez considéra-
bles, parleD'. Pâtissier, ibid., 1822,
I vol. in-8°. VII. Orationes iatrici
argumenti , Padoue, 1708 , in-4°.
Ce sont des prolusions pour l'ouver-
ture des cours de médecine. VIII.'
Ephemeiides barometricœ, Modè-
ne, 17 10. IX. De principum va-
letudine tuendd commentalio , Pa-
doue, 17 10, in - 4°. X. De conta-
giosd epidemid quce in Patavino
agro in boves irrepsit , ibid. , 1712,
in-b°. , 1713; trad. en allemand à
Lunebourg , 174G , in-8'^. XI. De
abusa cliinœ dissertalio epislolaris
Padoue, 1714- Ramazzini se mon-
tra assez ennemi du quinquina , re-
mède nouvellement apporté de l'A-
mérique espagnole , et au sujet du-
quel il y eut de grandes controverses
parmi les médecins. Baglivi, de Ro-
me, qui était contemporain de Ra-
mazzini, fut l'iui des plus ardents
adversairesde l'emploi duquinquina;
tandis qucTorli, de Modène , qui vi-
vait à la même époque, écrivait, en
faveur de ce précieux médicament ,
son immortel ouvrage intitulé: Te-
rapeutice specialis ad febres pemi-
ciosas ac repente lethales , qui fut
imprime, pour la première fois, à
TModène, en 1709. Ramazzini j)u-
blia encore plusieurs autres écrits
qiu; l'on trouve dans les Recueils des
aclcs dc3 Curieux de la nature , et
RAM
dans sesOEuvres , dont la collection
fut imprimée à Genève , en 1717,
iii-4'^. , par les soins de Bartheleini
Ramazzini , son neveu; réimprimée
àPaflûue,en 1718, 4 vol. in-8"'.;
Londres , 1717; Naples , 1 789 , 2
vol. in-4". , fîg- '■ cette édition passe
pour être la plus complète et la
meilleure. M. E. Ettmuller publia ,
en 1 7 1 1 , l'opuscule de Ramazzini :
De -principum valetudine tuendd,
avec des commentaires ou notes ; et
il y ajouta une Vie de l'auteur, qu'E-
!oy a fait entrer ciaus son Diction-
naire historique de la médecine , et
que nous avons aussi dû consulter.
Nous avons de plus consulté , pour
la rédaction de cet article , les mé-
moires du temps, et l'Histoire prag-
matique de la médecine de Curt Spren.
vc\. On a aussi la vie de Ramazzini
])ar Michel-Ange Zorzi, parmi celles
des Arcadi illuslri ,¥1,77; par Fa-
broni, Filœ lialonun^iom. xiv; et
par Tiralioschi, dans la Bihlioteca
Modenese , iv, '240. Oz — m.
RAMBOUILLET (Chaf.les d'Aw-
GENNES, plus connu sous le nom de
cardinal de) descendait d'une ancien-
ne et noble famille/originaircdu pays
de ThimeraisdanslePerche.il naquit
en 1 53o , et, après avoir terminé ses
études avec succès , embrassa l'état
ecclésiastique. Il fut pourvu de l'é-
vèché du Mans , après la mort du
cardinal J. du Bellay , et en prit
possession en i56o. Pendant qii'il
faisait la visite de son diocèse , les
protestants s'emparèrent de sa ville
épiscopale, pillèrent les églises, et
mirent le feu dans plusieurs cou-
vents. Son absence , au moment du
danger , le fit soupçonner de quelque
intelligence avec les chefs des hu-
p;ucnots; on l'accusa même d'avoir re-
çu, pour sa part du butin, les statues
en argent des douze apôtres qui déeo-
RAM 37
raient sa cathédrale ; mais cette ca-
lomnie est si ahsurde, qu'on peut se
dis])enser de la réfuter. L'évêque du
Mans se rendit, en i563, au concile
de Trente , et fut l'un des prélats qui
assistèrent à la clôture de cette mé-
morable assemblée, où il s'était dis-
tingué par son éloquence. Il fut en-
suite nommé ambassadeur de France
à Rome , et mérita l'estime du pape
Pie V, qui le décora de la pourpre ,
en 1570. 11 eut part à l'élection de
Grégoire XIII , et se hâta de revenir
dans sou diocèse , où le rappelaient
les besoins de son troupeau. A son
arrivée . il s'empressa de pourvoir
les paroisses de pasteurs et des objets
nécessaires au culte ; et il contribua
beaucoup, par ses libéralités, à réta-
blir l'église cathédrale dans sa pre-
mière splendeur. Le cardinal de Ram-
bouillet fit un second voyage à Ro--
me , pour assister au conclave qui
plaçaSixteQuint sur la chaircde saint
Pierre. Ce pontife, qui connaissait ses
talents , le retint à sa cour, et, peu
de temps après, lui donna le gouverne-
ment de Corneto. Notre prélat mou-
rut en cette ville , le 33 mars i587 ,
à l'âge de cinquante-six ans , et fut
inhumé dans l'église des Cordcliers ,
où l'on voit son épitaphe, rapportée
par plusieurs auteurs. Le bruit se
répandit qu'il avait été empoisonné
par ses domestiques, auxquels il avait
légué la plus grande partie de sa
fortune ; mais ce fait n'est point
éclairci ( Voy. VlUst. des évêqnes du
Mans, par Le Courvaisier, p. 846 et
suiv.) Son frère , Claude d'Angennes
( P'of. ce nom ) , lui succéda sur le
sié^e épiscopal du Mans. Ou conser-
ve, à la b.bliothèquedu Roi, les Mé-
moires de l'ambassade du cardinal
de Uambouillct. Le Portrait de ce
prélat a été gravé par Ragot et par
Boissevin. W — s.
iS
RAM
R4MEAU ( Jean -Philippe ) , le
plus ccIcIjic des musiciens fiançais ,
nai[uit à Dijon, en iG83. Fils d'iui
organiste, il apprit la musique aussi-
tôt que la parole : à peine ses organes
commençaient-ils à se développer ,
(jue sou père lui posa les mains sur
un clavier. L'enfant y prit tant de
})Iaisir;, et ses heureuses dispositions
furent si bien exercées , qu'à sept
ans il était déjà conside're' comme un
très bon claveciniste. 11 apprit assez
facilement le iatiu au collège^ sans
toutefois y achever le cours des clas-
ses. Un instinct invincible le l'ame-
nait à la musique , et enfin il s'y li-
vra tout entier. Alors il s'exerça sur
divers instruments , entre autres le
violon , dont l'usage , par la suite,
lui fut utile en composant, pour éta-
blir le bon doigter dans sa musique
instrumentale , et s'assurer mieux de
l'expression dans la vocale. A l'âge
de dix -huit ans, il partit avec le
dessein de visiter l'Italie ; mais il
n'alla point au-delà de Milan , oi'ile
directeur d'un spectacle re'ussit à se
l'attacher , et ils s'établirent succes-
sivement dans plusieurs Aalles du
midi de la France, luimcau , lassé
de ce genre de vie, retourna dans
sa ville natale , où on lui ollVit
l'orgue de la Sainte-Chapelle. r>Iais
il aima mieux venir à Paris. Il s'em-
pressa d'y entendre les plus habi-
les organistes , et surtout le célè-
bre Marchand, dont il rechercha
l'apimi ( r. Maucuanu). Il en fut
d'abord accueilli avec beaucoup de
bienveillance. Hameau , après lui
avoir cominuni(jué plusieurs de ses
composiliojis , et les avoir exécutées
devant lui , ne tarda pas à s'a[»ercc-
voirqu'ilne montrait |)lus le même
cni|tressement à liu être utile. H
eut le désagrément de ne point ob-
tenir l'oigue de Saint Paul , quoi-
RAM
qu'il eût déployé uu talent extraor-
dinaire dans le concours , dont Mar-
chand était le juge prépondérant.
Irrité des obstacles qu'on semait à
l'entrée de sa carrière , son esprit
ardent lui fit (piitter la capitale avec
dépit. Il se rendit à Lille , où il tou-
cha pendant quelque temps l'orgue
de Saint-Etienne. Sur sa réputation,
on vint alors le presser d'aller pren-
dre celui de la cathédi-ale de Cler-
mout en Auvergne. C'est dans cette
ville , où il resta plus long - temps ,
qu'il acheva son Traité de l'Har-
monie. Trouvant trop de difficul-
té à l'y faire imprimer à cause des
nombreux exemples eu musique, il
revint à Paris , où cet ouvrage fut
publié en 1723. Dès-lors se fixant
daus la capitale, Rameau s'y distin-
gua entre les premiers organistes. Il
jouissait déjà de la réputation d'un
très-bon compositeur : son Traité de
l'harmonie lui assura celle d'un pro-
fond théoricien ; mais c'est au théâ-
tre lyrique qu'un genre de gloire
nouveau et plus brillant l'attendait ,
et que son génie allait se développer
tout entier. Les ouvrages de Lulii y
tenaient encore le premier rang. Ra-
meau sentit que le spectacle de l'O-
péra olï'rait au musicien uu vaste
cham|) où il pouvait déployer toutes
les richesses de sou art avec plus de
liberté , et produire de plus grands
elléls. Il reconnut, il est vrai, que
le récitatif établi par Lulli était
parfaitement adapté à la langue fran-
çaise , et que cette mélopée ou décia-
nialiou notée, susceptible d'expri-
mer très bien les accents des passions
et dusentiment, devait êlreconservée
et lui servir d'exemple. Mais il se
cruL en étal de donner à toutes les
autres parties de la nmsique dramati-
(jiieplusde perfeclion.il lui fallailun
[ioènic;Lal\Ioltc,Uoi,Dauchet,elc. ,
RAM
f{ui faisaicut des opéras pour les musi-
ciens de ce temps , se gardcicnt l>icn
de travailler pour un composilcur
dont toute la musique vocale ne con-
sistait alors qu'en des motets , des
cantates, et quelques fragments mê-
les de cliant et de danse , que son
compatriote Piron l'avait engage de
faire pour les pièces que celui-ci don-
nait à l'Ope'ra comique, telles que
Y Endriague , la7?o^e,lc Faux Pro-
dige , V Enrôlement cU Arlequin ; et
au Théâtre français , les Courses de
Tempe. C'étaient de trop faibles ti-
tres aux yeux de ces poètes , pour
qu'ils confiassent à Rameau un grand
ope'ra. Voltaire seul , qui avait en-
tendu de sa musique, sut appre'cier
son ge'nie, et pressentit ses succès
dans le genre dramatique : il lui
remit, sans balancer, sa trage'dicdc
Samson. La musique en fut cssaye'e
chez La Pouplinière , grand amateur
des arts , et on la trouva pleine de
beaute's neuves et brillantes ; mais
on empêcha la repre'sentation de
cette tragédie , sous prétexte que
c'eût e'te avilir et prostituer un sujet
tiré de la Bible. Rameau relira sa
musique , et en employa depuis quel-
ques parties dans l'acte des Incas ,
et dans la trage'die de Zoroastre.
Cependant le besoin de produire lui
fit chercher d'autres poèmes. Mais
on avait semé' tant de pre'ven lions
contre lui , qu'il n'y eut à la fin
que l'abbc Pcllegrin qui se hazar-
dât de lui en donner un. Il y a
loin de Voltaire à Pcllegrin : ne'an-
moins cet abbc , plus défiant que le
grand poète , ne consentit à livrer au
musicien sa tragédie à'flippoljte et
Aricie , que sous caution , et en
exigea d'avance un billet de cinq
cents livres. Vers la fin d'une répé-
tition du premier acte , Pellegrin ,
surpris et enchanté de ce qu'il ve-
RAM 29
naît d'entendre , court à Rameau ,
lui dit que celte musique peut se pas-
ser de caution , et déchire le billet à
SCS yeux. Ilippolyte fut représente
en 1733 , et son succès fut l'époque
d'un perfectionnement remarquable
en diverses parties du spectacle de
l'Opéra. Rameau dut y créer , pour
ainsi dire, dos chanlcurs et des sym-
phonistes* et c'est alors que notre
orchestre commença de se faire
celte réputation qu'il asi bien soute-
nue depuis, etdont il jouit encore (i ).
La tragédie (V Ilippoljte contenait
une foule de beautés singulières- et
Campra , le plus savant des succes-
seurs de Lulli, dit, en admirant
cette musique , qu'elle eût suffi,
par son abondance et sa richesse, à
la composition de plusieurs horg
opéras. Rameau avait alors cin-
quante-deux ans. Il est remarquable
que , dans un art tout d'imagination,
la sienne ait commencé à jeter son
plus grand éclat quand celle de la
jilupart des hommes penche vers son
déclin ; et ce qui étonne encore plus,
c'est que ce phénomène se maintint
durant trente années , qui toutes fu-
rent signalées par de nouvelles pro-
duct ions de ce brillant et fécond gé-
nie. Hippoljte fut suivi de près ,
des Indes calantes , de Castor et
Pollux , etc. C'est à la représenta-
tion de ce dernier ouvrage que le
musicien Mouret , dit-on , fut telle-
ment frappé du chœur énergique des
démons :
Qn'au feu tlii tonncn-c
Le tcu des enfers
Déclare Ja guerre? etc.
que sa raison, déjà trop niïoclée de
(i) L'orcLeslrc <Ic rojiéra doit surfont .'1 Gliiek
la réputation dout il jouit , et qui nVst ]>Ims la mê-
me , depuis (pi'il a été surpassé par celui de l'opéra
italien. C.luek eutiinc peiuc extrême A faire ex<'cu-
ler son f/z/ùffénie par les uiusicicus de l'cpocjuc de
Kanionu. S — V — S.
3o RAM
la perte rdcentc d'une partie de ses
revenus , s'e'clipsa tout à fait, et qu'à
Charentoii il ne cessait d'entonner ce
chœur dans ses accès de folie. La
plupart des poèmes mis en musique
par Rameau sont deCalinsac, poète
me'diocre , mais docile aux avis du
musicien , heureux dans le choix du
sujet de ses pièces , et surtout dans
l'art d'y amener à propos les diver-
tissements. Quelqu'un reprochant à
Rameau de s'attacher à cet écrivain
peu renommé : Qu'on me donne ,
icpondit-il,Zfl Gazette de Hollande^
et je la mettrai en musique ; ce mot,
que d'autres attribuent à Mondon-
ville,peintla haute idée qu'il avait de
son art ; et en effet , il (it tout réussir,
et l'on marchait avec lui de succès
Ou succès : son mérite, lon;];-temps
attaqué par l'envie , fut à la fin gé-
néralement reconnu. De justes ré-
compenses, des honneurs, en furent
la suite. Le roi avait créé pour lui la
charge de compositeur de son cabi-
net Plus tard, il lui accorda des let-
tres de noblesse , et le nomma che-
valier de Saint-Michel. L'académie
de Dijon l'avait depuis long-temps
reçu au nomi)re de ses membres;
elles magistrats de cette ville l'avaient
exempté de la taille , lui et sa fa-
mille, à perpétuité. Hameau mourut
plus (|u'octogcnaire , le \'x septem-
bre 1764. L'acadéniif^ de musique
lui fit célébrer, à l'Oratoiie, un ser-
vice solennel , dans lequel on avait
adapté plusieurs morceaux pathéti-
ques de ses compositions. Tous les
}iabiles artistes de Paris voulurent
prendre part à l'hommage funèbre
rendu à ce grand homme. Jamais peut-
être on n'avait entendu de musique
exécutée avec plus de pompe et de
])crfertioii. Rameau était d'une haute
stature , et d'une maigreur remar-
quable. Un bon tempérament, forti-
RAM
Hé encore par !a sobriété , et nn rè-
gime uniforme , lui permettaient de
se livrer à de grands travaux sans
en être incommodé. Sa vie fut celle
d'un vrai philosophe: probe, franc,
modeste ; satisfait d'une fortune mé-
diocre due à ses travaux ; aussi in-
capable de chercher à l'augmente^
par aucun autre moyen, que défaire
sa cour pour obtenir des faveurs : il
fallait qu'elles le vinssent chercher,
et sa renommée suffisait pour les
attirer. II était bon , mais vif, et
même un peu brusque lorsqu'on le
fatiguait de mauvaises objections. On
peut juger, parle nombre de ses pro-
ductions, s'il fut laborieux.il a tra-
vaille jusqu'à la fin de sa vie. L'objet
de son dernier écrit , non encore im-
primé , est de développer les avan-
vantages que la théorie de la musi-
que peut tirer de ses découvertes ,
dont nous allons donner quelque
idée au lecteur. Après Pythagore ,
les Grecs ont beaucoup écrit sur la
musique. Ou doit à Meibom le re-
cueil de ce que l'on a pu reti'ouver
de leurs ouvrages , indépendamment
du Traité de Plularque. Chez les mo-
dernes , Mersenne , Kircher, Zar-
lino, etc. etc., ont publié des volumes
sur celte matière; mais le nombre et
la diversité des opinions et des sys-
tèmes n'ont servi qu'à répandre sur
la science une plus grande obscurité.
Jusque A^ers la fin du dix-sepiicme
siècle , la composition de la musique
n'avait guère été qu'une sorte de
routine où l'oreille servait seule de
guide. Il suffisait de connaître la rè-
c^le de V octave , c'est-à-dire , quels
accords peuvent porter les notes do
la gamme en montant et eu descen-
dant; cl l'habileté du compositeur
consistait à faire marcher ensemble
ipialre parties avec plus ou moins
de justesse et d'agrément. D'anciens
RAM
pliilosophes avaient aperçu certains
rapports entre les sons et les nom-
bres, et même quelque analogie entre
la musique et d'autres sciences fon-
dées sur les proportions. On y com-
prit , d'après des idées chaldecnncs
et égyplienues , jusqu'à l'astronomie
et I'astroloc;ie. Les sept notes musi-
cales furent comparées aux sept pla-
nètes , et les douze semi - tons de
la gamme aux douze signes du zodia-
que. D'autres observateurs moins
cliimc'riques avaient entrevu une par-
tie des proprie'îe's du corps sonore ,
mais sans en tirer de fruit pour les
progrès de la science • il était reserve
à Rameau d'aprofondir ce ])liéno-
mcne , et d'y trouver le vrai fonde-
ment de riiarmoîiie. De ce qu^un
son , et surtout un son grave, tel que
celui d'une cloche ou d'un bourdon
d'orgue , fait entendre sa douzième
et sa dix - septième en dessus , au
lieu de sa quinte et de sa tierce,
il conclut d'abord que l'octave du
son générateur se confondait avec
lui, et que l'accord parfait, donné par
la nature elle-même, en était égale-
ment le résultat. De plus , ce corps
sonore, outre ses harmoniques en
dessus, fait entendre sa douzième et
sa dix.septième en dessous, que Ra-
meau appelle multiples ou aliquan-
tes. Une corde d'instrument mise en
vibration fiit frémir également celle
qui est montée à son unisson ,et à ses
octaves,surunautre instrument. Fort
de ces expériences, Rameau établit ce
principe que les octaves sont identi-
ques par rapport à l'harmonie ; que
le renversement des accords n'en
change point au fonds la nature , et
en modifie seulement l'effet ; que
l'accord direct, et l'accord renversé,
se composant des mêmes noies , ne
perdaient point leur rapport intime
par les divers arrangements de ces
RAM 3i
noies. Ces observations le confir-
maient dans son système delà basse
fondamentale ^ autre principe lumi-
neux dont il avait donr.é la première
rotion dès l'année I7'2'2, dans son
Traité de V harmonie ^qI que, d'fi])rts
ses nouvelles observations , il déve-
loppa depuis d'une manière démons-
trative. En voici l'idée succincte :
une multitude d'accorls , sous dif-
férents noms , en surchargeant inu-
tilement la mémoire , ne faisaient
qu'obscurcir et rendre plus difficile
l'étude de la musique. Rameau vit
qu'au fond tons ces accords pou-
vaient se réduire à deux , l'un con-
sonant ou parfait, l'autre dissonant
ou de septième. Le premier , dans
le ton d'ut , par exemple , se com-
pose de trois notes fondanienîales ,
ut , mi, sol, susceptiLlcs de deux
renversements : mi , sol , ut , et sol ,
ut , 7??/. Le second accord, par l'ad-
dition d'une tierce, a quatre notes et
trois renversements. Celui-ci se divi-
sant, comme le premier, par tierces,
Rameau en conclut que c'était l'ac-
cord primitif et fondamental de tou-
tes les dissonances , et que la mélodie
et l'harmonie procèdent également
de ces notes , dont les accords et leur
succession se trouvent invariable-
ment déterminés. 11 réduisit égale-
ment la multitude des modes à deux,
le majeur elle mineur, le premier
dérive naturellement des harmoni-
ques du ton ; et le second , de ses
multiples. Sans entrer dans les cal-
culs de l'auteur , ni développer ses
preuves , qu'il nous .<=ufilse d'avoir
indiqué le lîl qui le conduisit à cette
basse fondamentale , dont la décou-
verte seule eût immortalisé son nom*
et de montrer comment il a vu, dans
le phénomène du corps sonore , le
vrai principe de l'harmonie et de la
mélodie , et puise dans la nature
3'i
RAM
inênic le secret des pioduit.s ntlmira-
Lies résiiltnnls du concours de l'une
et de l'auUe (•3). Des connaissances si
neuves furent deux fois solennelle-
ment approuve'cs par l'acadcmic des
sciences de Paris ; la première en
1734, sur le rapport de Réaumur,
Mairan et Gamachcs ; la deuxième ,
en 17497 S"** '^ rapport très-e'tendu
de Mairan , Nicole et D'Alembert. 11
se termine ainsi : « La basse fonda-
» mentale , trouve'e par l'auteur et
■)} puisée dans la nature, estleprin-
» cipc de l'harmonie et de la mélo-
» die. Leurs lois , jusque-là assez ar-
» bitraires ou su£;gëre'es par une ex-
» pcricnce aveugle , sont devenues
» une science ge'ometriquc , et ta la-
» quelle les principes matVie'mati-
» qups peuvent s'appliquer avec ime
» utilité' plus réelle et plus sensi-
» ble. L'auteur , déjà célèbre dans
» la pratique de son art, a mérite,
» par ses recherches et ses décou-
» vertes, l'approbation et l'éloge des
» philosophes. » Les savants et les
plus habiles musiciens, tant en Fran-
ce que chez l'étranger , adhérèrent
presque unanimement à cette conclu-
sion de l'acadéiuie. On reconnut que
Rameau avait trouvé les vraies lois
de l'harmonie, comme Newton celles
du système du monde ; et l'on vit
(7.) Le sjslJ'nie <lr la Imsso foM.lamrnlalr rsl f.m-
dé sur im (ait vrai, mais ilmit Tautiur a tire ].lu-
^icurs coiisofincnces crroiircs. La lésoniiaiitc du
corps sonore , ce pIn'nonii''De naturel tant invoqué
^lar RnMicaii , paraît n'avoir pas «■te conipli Irnicnt
connu par lui. Il n'a jamais pu se persuader <pie la
spptiînic et la nen viè>nc fissent partie Je la j;<>néra-
tion des soos : il n'a voulu y voir i|uc l'accord
pariait , et a propagé l'erreur que la ipiinte est une
consonance parfaite comme l'octave ellc-niômc. Ce
qu'il n'a pu expliquer naturellement, ilaelierclié
à l'intcrpréler savamment : aussi a-t-il fait de
grands effort» pour fonder un .système, qui lui au-
rait peut-être moins coûté , et lui aurait l'ail éviter
dans ses partitions les f.iulrs(|u'nn y remarquerou-
trc se» propre* rèKles,B'il fut parti de l>ases plus
Rénerales , dont le» conséquence» eussent découlé
nalnrellemenlde ses principes. / (>} . I<» nrliclcs re-
latifs à la théorie de In nnisique , dans Vlinrycl.
"lithtiiUt/ue , i>ar Vauttxir de celto nuti'. M— Y.
RAM
sans ctonncmcnt, en plus d'une oc-
casion , associer les noms de ces
deux grands hommes. D'Alembert,
qui tenait de Rameau ses premières
connaissances en musique , fut long-
temps son ami autant que son admi-
rateur. Deux circonstances jelcrcnt
dans la suite du refroidissement en-
tre eux : i^. Rameau, presque septua-
génaire et très-occupé alors pour le
théâtre de l'Opéra , s^étant excusé
de se charger de tout le travail sur
la musique dans l'Encyclopédie ,
D'Alembert, éditeur de ce Diction-
naire , s'adressa , pour remplir cette
partie , à J.-J. Rousseau , en qui la
manie du paradoxe s'étendait même
jusqu'à la musique; détracteur connu
de celle des Français , et par consé-
quent de Rameau. Celui-ci voyant
des erreurs sur la musique dans les
premiers volumes de l'Encyclopédie,
se crut obligé d'en publier le préser-
vatif (3). 2°. D'Alembert fut scanda-
lisé de l'extension que Rameau sem-
blait donner aux prérogatives du
corps sonore , en écrivant que ce
phénomène , principe de la science
musicale, avait pu aussi conduire les
premiers observateurs à la connais-
sance des sciences exactes ; idée dont
on voit quelques traces dans l'anti-
quité. Le géomètre soutenait que le
corps sonore n'avait pu faire naître
que la science des sons , ni suggérer
que les premières règles de l'harnio-
nie. Le musicien ui prouvait que la
corded'inslrument mise en vibration,
parlait non - seulement à l'oroillc ,
mais encore aux yeux et au tact ;
qu'on la voit se partager en ]ilusieur5
evilc
ircur.s en me
(3) « Vous aln ir/, pu
» communic|uant vos manuscrits, que je Vous avais
» ollcrt d'examiner , après m'rlrc excu.se d'eulre-
• prendre tout l'ouvrage. « Jicpoiniile Rameau mix
cililciirs (le l'Iuirjrtloiivilie,sur hui ilciiiieravcrliS'
scmcnt ( du tome VI ), Londres ( Pari» ), 1757,
in-fi".
RAM
intervalles détermines , mesurables
au compas , et dont les nœuds ou
points d'intersection coïncident avec
les sons harmoniques ( dits Jlikés ) ,
engendrés du son fondamental et
constituant avec lui l'accord parfait,
donné par la nature. Rameau en in-
férait que la connaissance des pro-
priétés du son avait pu conduire à
celle des nombres, des proportions
et des mesures , et de là aux sciences
fondées sur leurs rapports. Les suc-
cès de Rameau sur le théâtre lyrique,
ne contribuèrent pas moins à sa célé-
brité , que les lumières nouvelles qu'il
répandit sur les principes de son art,
dont la théorie et la pratique sem-
blaient chez lui se confirmer l'une
par l'autre. Il prouva que la musi-
que était susceptible de produire de
plus grands effets sur la scène. S'il
ne fut que l'imitateur et l'éiuule de
Lulli dans le récitatif, c'est qu'il re-
connut qu'on ne pouvait adapter à la
langue française une mélopée ou dé-
claraatica notée plus vraie et plus
expressive ( F. Lulli ). Mais il em-
bellit et fortifia toutes les autres par-
ties delà musique théâtrale. Les com-
positeurs, avant lui, s'étaient presque
uniquement attachés aux agréments
de la mélodie. Il y associa les char-
naes plus puissants de l'harmonie.
On entendit des chants mieux carac-
térisés et plus brillants , des ouver-
tures offrant autant de tableaux neufs
et pittoresques , des chœurs admira-
bles , des airs de ballets de tous les
genres, variés à l'infini, et si parfaits
que les Allemands et les Italiens les
ont souvent transportés sur leurs
théâtres. C'est de l'assemblage et de
la juste proportion de toutes ces par-
ties, et du concours des autres arts ,
que se composait le magnifique spec-
tacledel'opérafraDçais, que Voltaire
peignait ainsi, eu 1736, en parlant
xxxvii.
RAM
33
du Mondain :
Damis se rend ;"i ce palais uiïjjique ,
Où les heaux vers, la daiue, la iimsit(iiû.
L'art de tromper les yiux par les couleurs
L'art plus Iieureiu de séduire les cœurs ,
De cent plaisirs font nn plaisir unique.
Il va siftler quelque opéra nouveau,
Ou, malgié iui , court admirer Bameau.
Si l'on a cessé tout-à-coup de repré-
senter les plus beaux ouvrages de
Lulli et de Rameau, ce n'est peut-être
point absolument au dégoût du pu-
blic qu'il faut l'attribuer. On a vu,
à leurs dernières représentations ,
autant d'affluence et d'applaudisse-
ments qu'en aucun autre temps. Ce
fut plutôt l'esprit de parti , l'in-
trigue, l'engouement vrai ou fac-
tice pour tout ce qui était étranger ,
qui privèrent la France de ces pro-
ductions du génie, qu'elle admirait
avec raison, et dont les jeunes gens
aujourd'hui ne peuvent se faire une
juste idée (4). OnadeRameau les ou-
vrages suivants : Sur la théorie de
son art : I. Traité de l'harmonie ,
I7'i'2, in-4''. II. Nouveau sjslème
de musique théorique , etc., 1726,
in-4°. m. Dissertation sur les dif-
férentes méthodes d'accompagne-
ment pour le clavecin , 1781, iu-40.
IV. Génération harmonique, ^l^ly
in-8°. V. Démonstration du princi'
pe de l'harmonie, 1750 , in-8°. VI.
(4) Relativement aux causes qui ont fait abau-
donuei' la représentation de ses pièces , nous ne
croyons pas qu'on doive l'attribuer à la preVuitiou
seule, qui auraitemj)èclié Rameau dedisputer lascè .
ne lyrique à Gluck , à SaccUiui, Picciuui , etc. , etc.
Ce ne peut ètie par un caprice soutenu, pendant
soixante années , qu'une nation qui sait Je mieux
rendre justice à ses hommes illustres , aurait éloigné
de la stcue lyrique les ])roductlons musicales de
Rameau. Les ouvrages de Handel et de ses conlem-
puraius eu Italie , eu Allemagne , ont survécu dan»
leurs parties e-sentielles ( dans les morceaux d'en-
semble , les grauds finals , les grands chœurs , etc. )
à des airs, à des foruies plus ou moins assujettis à
la mode du jour ou au giu'it du temps. Si au con-
tiaire, les pruductious lyriques de Rameau ont pu
vieillir, c'est peut-être que le talent de Rameau
n'avait pas, .Hun aussi liant degré , l'inspiration qui
produit ce ,'ieutimeut vif et profond, celte expres-
sion vraie et varie'e dos passions , qui sui"viveul à
toutes les autres formes, et qui uc peuvent périr
qu'avecl'art même, L — u.
34
RAM
Béjlexions sur In manière de for-
mer la voix et d'apprendre la mu-
sique , etc. , imprimées clans le Mer-
cure de France , octobre 1752, p.
87-100. VII. Nouvelles Piéjlexions
sur la démonstration du principe
de l'harmonie , 1752 , iu-8°. VIII.
Béponsek une Lettre d'Euler^ztr Vi-
dentité des octaves , 1753, in-8°.
IX. Observations sur notre instinct
pour la musique , et sur son prin-
cipe, 1754, in-8°. X. Erreurs sur
la musique pratique dans l'Ency-
clopédie , deux parties, 1755 et
1 756 , in-8'\ XI. Réponse aux édi-
teurs deV Encyclopédie sur leiirder-
nier avertissement ( du tome vi ) ,
1757 , in-S*^. XII. Code de musi-
que pratique , et Nouvelles Ré-
flexions sur le principe sonore, 1 760,
in- 4°.; traduit en allemand par
Marpurg. XIII. Origine des scien-
ces , suivie d'une controverse, etc. ,
1761 ,in-4''.XIV. Traité de la com-
position des canons en musique avec
beaucoup d'exemples , msc. XV.
Vérités intéressantes peu connues
jusqu'à nos jours , etc. msc. XVI.
Visseria lions et Lettres impr'unccs
dans les Mercures de France ,
Année littéraire et Journaux de
Trévoux. On peut y joindre les
Eléments de musique théorique et
pratique , suivant les principes de
Rameau, publies par d'Alembert ,
1754 , iu-è**. , et reimprimes plu-
sieurs fois. La belle et savante théo-
rie exposée dans ces divers ouvra-
ges ne pouvait naître que d'un ge'nie
heureux , doue de grandes connais •
sanccs mathématiques, et capabledes
plus profondes recherches , qualiti'S
(|ui accompagnent rarement le goût
et le talent. Une telle luiion était inti-
me dans Rameau , comme le prou-
vent, pour ceux (juiles connaissent,
ses oeuvres de mut>ique-prali(iuc, dont
RAM
voici la liste. Des Motets à grands
chœurs : In convertendo; Quàm di-
lecta; Diligam te; Deus noster refu-
gium, etc. Il est probable qu'il yen
a d'autres, l'auteur ayant e'té long-
temps attache à différentes e'glises
avant de commencer à travailler
pour le théâtre de l'ope'ra : aucun
n'a e'te grave. — Des Cantates fran-
çaises , dont deux seulement sont
grave'es. — Quatre livres de pièces
de clavecin, le dernier en concertos,
gravés en 1706, 1721 , 1726 et
1741. — iSrtm^ora, tragédie, i73'2.
liippoljte et Aricie , id. , 1783.
Les Indes galantes , opéra-ballet ,
1735. Castor et Pollux , tragédie ,
1787. Les Talents lyriques, opéra-
ballet, 1739. Dardanus ,lrai^éàiQ ^
1789. Les Fêtes de Polymnie, op.-
ball., 1745. La Princesse de Na-
varre , comédie avec intermèdes ,
1745. Le Temple de la gloire y
op.-ballet, 1 745. Les Fêtes deV Hy-
men etdeV Amour , idem, 1747'
Zdis , id. , 1748. Pigmalion , id.
1748. Nais, id. , 1749- Platée ^
opéra-bouffon, 1749- Z oroastre ,
trag., 1749- Acante et Céphise ^
pastorale héroïque, 1 751. La Guir-
lande , opéra-ballet . 1751. Daphné
et Eglé , id. , 1753. TÂsis et Délie ,
id. , 1753. La Naissance d' Osiris y
ou la Fête de Pamylie ,id. , 1754.
Anacréon, id. , 1754- Zéphire, id.
Nélée et Mirlhis, id. lo , id. (dates
incertaines), J^e Retour d'Astrée,
prologue, 17^7. Les Surprises de
Z'«moj<r, op.-balIct, «757. Les l^-
hariles , id. , 1759. Les Paladins,
com. -ballet , 1760. Ahuris ou les
Roréades , tragédie non représen-
tée. Linus , tragédie , paroles de La
l'ruèrc ; il iie reste de cet ouvrage
que la parlic; détachée du premier
violon , le reste ayant été égaré à Va
mort de la marquise de Villcroi ,
chez qui la'pièce veaait d'être rëpe-
tée. Il s'est trouve' encore dans les
portefeuilles de Rameau des vesti-
ges d'autres pièces, et un opéra
comique , intitule' le Procureur du-
pé. Ces ouvrages dramatiques, au
nombre de plus de trente , ont été
compose's en vingt-sept ou vingt-
huit ans ; ce qui prouve, chez l'au-
teur, autant de facilite dans le travail
que de fécondité, surtout si l'on con-
sidère que la plupart de ses profonds
traités sur la théorie ont été publiés
dans le même intervalle. De tous ces
opéras, il n'y en a que quatre ou cinq
qui n'aient pas été représentés à Pa-
ris ou à la cour ; et huit ou neuf
non graves. Tous les autres ne
l'ont été qu'en petites partitions ,
c'est-à-dire avec les seules parties
principales : moins heureux en cela
que les ouvrages de Lulli , qui , sous
Louis XIV, furent publiés en grandes
partitions complètes ou générales.
Il serait à désirer qu'on transmît à
la postérité une semblable édition
des OEuvres de ce grand musicien.
IMaret a publié un Eloge historique
de Rameau, Paris, 17G6, iu-S". ,
et dans le Nécrologe , ainsi que dans
le Recueil de l'académie de Dijon.
Un autre Eloge , par Chabanou ,
avait paru en i']64, in-ia. Gautier
Dagoty, fils (J. Btc. ), a donné en
1771, dans la Galerie française ,
in-fol. , la vie de Rameau , avec son
portrait , gravé par Benoît, d'après
Restout. Le Mercure, tom. i^r. ^
1764, contient un Essai d'éloge
historique de feu M. Rameau. Jean-
Franç. Rameau , neveu du musicien ,
a publié un poème en cinq chants,
intitulé : LaRaméide, 176(3, in-S*^.,
dont il parut, la même année, une
parodie sous ce titre : La nouvelle
Raméide , in-8°. , de 3o pag. , sans
division de cLanta. D — x.
RAM
3{
RAMEL (Jean -Pierre), com-
mandant de la garde des deux Con-
seils de la république française
sous le gouverueraent directorial
naquit à Gahors , en 1770. II ache-
vait à peine le cours de ses études ,
pendant lequel il s'était montré d'une
médiocrité désespérante, lorsque la
révolution vint lui ouvrir une car-
rière plus conforme à l'indépendan-
ce de ses goûts et au désœuvrement
de son esprit. Ramel s'y précipita
avec l'enthousiasme d'un jeune fou ;
mais, par un rare bonheur, il sut se
garantir des excès et des crimes qui
ne souillèrent que trop souvent cette
première époque de nos troubles.
Rangé sous les drapeaux de la réqui-
sition , il parcourut rapidement ,
grâce à l'exaltation mieux calculée
de son patriotisme , tous les grades
inférieurs de l'armée; et des 1792,
il était parvenu à celui d'adjudant-
général , dans lequel il a vieilli pen-
dant vingt -deux ans jusqu'au 25
novembre i8i4, époque à laquelle
il fut promu au grade de maré-
chal - de - camp , sous le ministè-
re de Soult. En 1794, Ramel com-
mandait dans le Val-d'Aran une
division de l'armée des Pyrénées-
Orientales, sous les ordres du géné-
ral Pérignon. C'est là qu'il fit , avec
le baron Poly , une connaissance qui ,
trois ans plus tard , devait devenir
si fatale , non moins à l'honneur de
l'un qu'à la liberté de l'autre. Les
événements de la guerre, à travers
lesquels Ramel marcha constam-
«ment sans lâcheté comme sans gloi-
re, le placèrent, en 1796 , dans l'ar-
mée de Rhiu-et-Moselle , sous les
ordres de Morcau , qui lui confia le
cora mandement du fort de Keli I , pen-
dant le bombardement de cette pla-
ce par les troupes du prince Char-
les. Vers cette époque , la Conven-
3..
36
RAM
tion nationale , déjà brisée flans sa
monstrueuse unité par la division
organique en deux Conseils, avait
commencé son mouvement de re-
traite à la faveur de la constitution
de l'an trois , œuvre informe d'une
politique de circonstance , bonne
seulement à servir de passage à la
monarcbie ; mais que les régicides ,
les constitutionnels et les orléanistes
montraient une égale ardeur à dé-
fendre , ceux-ci pour réaliser la clii-
raère d'une république mixte ou
d'une royauté bâtarde , ceux-là pour
se ménager , au besoin , un lieu d'a-
sile contre le juste châtiment de leur
crime. Les vieux jacobins s'étaient
les premiers mis en garde , en pla-
çant cinq montagnards ( i ) à la tète
du gouvernement ; et' dans la suite
l'on considéra comme un utile triom-
phe,dela part du second tiers juste-
ment noté de royalisme, d'avoir af-
faibli ce faisceau régicide, en y in-
troduisant un honnête homme (u).
On pouvait prévoir d'avance les dé-
chirements q\i'allait amener dans le
sein des Conseils et du directoire , la
lutte de ces divers partis, composés,
so\is le rapport des opinions et des
principes , d'éléments plus inconci-
liables peut-être encore , que les in-
térêts diamétralement opposés, dont
chacun fondait le triomphe sur la
ruine de ses adversaires. Dans un pa-
reil état de choses , le choix du com-
mandant en chef de la garde des
Conseils, de qui dépendaient en quel-
que sorte la sûreté, la liberté , l'exis-
tence même personnelle et collective
des députés et de la représentation
nationale, n'était pas sans une très-
grande impurlauce. On sentait , de
tous côtés , le besoin de ne couder
(i) BnrraK.l.iiicveillrrï-liClHiin .Ciiiiml, Lcloiir-
iioiirrt Ki-wln-U.
^m) BMitlielcii.v.
RAM
qu'à des mains sûres et dévouées, le
dépôt des ordres qui pourraient éma-
ner de commissions d'inspecteurs
éventuellement choisis dans une fac-
tion opposée, afin d'en subordonner
l'exécution , bien moins encore aux
règles matérielles de la discipline
mditaire, qu'aux exigences indiquées
par la position respective des par-
tis. Trop timides à l'égard les uns
des autres , aucun de ceux qui
partageaient les conseils ou qui con-
uivaient avec le Directoire , n'osa
porter à cette place un homme
dont le caractère , la réputation et
les talents eussent donné trop d'om-
brage à des tyrans soupçonneux.
On se détermina donc pour un per-
sonnage nul , ou du moins fort
obscur , et Rarael fut nommé. Au
reste , à défaut de célébrité poli-
tique et militaire , Ramel pouvait ,
sous certains rapports de position ,
voiler en partie ce que les motifs
d'une pareille préférence avaient en
eux-mêmes de peu flatteur pour sou
mérite. Atteint, dans sa personne et
dans sa famille , par le contre-coup
de celte même frénésie révolution-
naire dont il avait partagé les pre-
miers accès, il finit par recueillir
à son tour , sa part des malheurs
communs. Un de ses frères , oiTicier
au régiment de Wellesley, irlandais,
ayant refusé de prêter le serment
exigé des troupes après le lo août
1792, fut massacré à Cliâlons ])ar
des gendarmes. Un autre frère , l'aîné
de sa famille , ancien membre de
l'assemblée législative , où il vota
constamment avec le côté monar-
chique, fut , par ordre des représen-
tants (lu peuple en mission auprès de
l'armée des Pyrénées -Orientales ,
traîné à l'échafaud comme royaliste,
après s'être distingué à la tê;c d'un
régiment de dragons. Lui-même,
RAM
enfin , plongé seize mois dans les
cachots, n'avait dû son salut qu'au
j*e'i?éral Dugommicr, dont l'humanité
courageuse arracha plus de trente
mille citoyens aux fureurs du terro-
risme dans les départements fron-
tières du raidi de la France. Le pre-
mier janvier 1797 , Ramel fut pré-
senté au Directoire par le ministre
de la guerre , dans une audience so-
lennelle, où, bien étonnés, sans doute,
de se trouver ensemble , parurent
l'envoyé du dey de Tunis , le minis-
tre de la république des États-unis ,
et les ambassadeurs des cours de Par-
me, d'Espagne et de Turin. A l'ins-
tallation de Ramel dans son nouveau
poste, la garde législative , originai-
reriîent composée d'un bataillon de
huit cents hommes , venait d'être
portée à deux bataillons de six cents
hommes chacun , dont le fond était
celui des grenadiers de la Conven-
tion ; circonstance qui peut seule
faire juger de l'esprit qui y ré-
gnait , et de la nécessité d'une ré-
forme. Le nouveau commandant pa-
rut d'abord vouloir seconder , à cet
égard , le zèle des deux commissions
des inspecteurs de la salle , qui , sur-
tout depuis l'introduction du se-
cond tiers, en mai 1 797 , prévoyant
l'époque plus ou moins prochaine
d'un combat à mort entre le parti
^Z/cftie« (3) et la faction directoriale ,
sollicitaient une loi de complètement
et d'épuration , pour le recrutement
d'excellents grenadiers dans tous les
corps de l'armée , et pour l'adjonc-
RAM
37
(S) Ainsi appelé du lieu de S' s réunions particu-
lières, dans la maison d'un depiifi; située rue de Cli-
chi, A ce rasseinbleineut péril idique, dénoncé à l'in-
quisition soupçonneuse du Directoire, et devenu
troji noiubreux pour y préparer utilement les lois i
proposer et les plans à suivre , eu avait succédé un
autre plus intime , auquel ilaniel ne fut jamais ad-
mis , et dont les séauces se coutinucrcut saus iuler-
ruplioD jusqu'au 18 fructidor, chei le député (liU
hert-des-Alulières , .suis que les jucubius eu eicut
jamais pcoetré le secret.
tion de l'arme de la cavalerie et de
l'artillerie à celle de l'infanterie , qui
composait seule jusqu'alors la garde
des Conseils. Ce plan réalisé aurait
probablement épargné à la France
les désastres de fructidor ; mais con-
trarié par les cabales des Jacobins ,
il fut plus souvent encore gâté d'a-
vance dans les moyens qui devaient
en préparer l'exécution , par des
insignifiances de conduite de la part
de Ramel , dont le caprice , l'irapéri-
tie et la faiblesse , semblaient dicter
presque toujours à contre-sens les dé-
terminations et les ordres pour l'or-
ganisation et la discipline du service.
S'attachant, pour faire parler de lui,
à mettre le public dans la confidence
des détails les moins importants qui
étaient relatifs à ses fonctions , il
écrivait im jour, au sujet d'un duel
entre deux grenadiers de la garde ,
dont l'un avait été tué : « Il est mort...
)) Je le plains. C'est le seul regret
» qu'il m'inspire, ainsi qu'à ses ca-
» marades. Celui qui l'a tué , au con-
» traire, est un grenadier reconnu
» par sa bravoure et sa moralité: en-
i) fin c'est un grenadier ; et ce seul
» mot doit convaincre le public que
» jamais les lâches ne trouvent ni
» place ni grâce dans ce corps. »
Si ce galiraathias de style et de pen-
sée , que ne démentent point les au-
tres productions de la plume de Ra-
mel , et que l'on ne rappelle ici que
pour servir de point de comparai-
son avec la diction, en général pure
et correcte, d'un Mémoire quia paru
sous son nom , n'accuse encore chez
lui qu'un malheureux instinct de
gaucherie et de vanité, bien propre
à déconsidérer l'homme public, il
ne tarda pas à se montrer sous
des rapports moins excusables, en
descendant des fonctions de chef
d'un corps militaire au rôle d'agent
38 RAM
de police, et cela pour senir, au dé"
triment de son propre parti, ce mê-
me Directoire dont il avait tout à
craindre. A l'aide des premiers rap-
ports qu'il avait formes , en 1794 ,
avec le baron Poiy, à l'armée des
Pyrcne'es - Orientales , rapports que
leur séjour commun dans la capita-
le et l'habitude de s'y voir journel-
lement avaient rendus plus fre-
que^nts et plus intimes, il ne fut pas
diflicile à Ramel de recevoir de cet
officier, son ancien compagnon d'ar-
mes, des confidences qu'il traitait
lui-même de folies et de propos d'un
homme ivre , mais dont il ne laissa
pas de faire la matière d'une déla-
tion de commande, à laquelle il fut
en outre convenu , avec le directeur
Carnot et le ministre Cochon, de
rattacher , pour pîus d'effet , les ré-
vélations que le chef d'escadron Ma-
lo , ancien frère cordelier , s'était
chargé, de son côté, de surprendre
à la confiance de l'abbé Broticr , Du-
verne de Presle dit Dunan et Lavil-
leheurnois. Feignant d'entrer dans
leurs vues, pour concourir, de leur
personne et par les troupes sous leurs
ordres, au rétablissement de la royau-
té, ces deux moutons, payés à tant
par tête de conspirateurs, attirèrent
sans effort leurs victimes dans le piè-
ge; et, le 29 janvier 1797 , jour fixé
d'avance avec le ministre, pour ce
coup de main révolutionnaire, ils
les firent saisir , par des soldats
apostés secrètement, au sortir d'u-
ne conférence qui avait pour ob-
jet la communication de leurs pou-
voirs de commissaires du roi , et
d'autres pièces <pic l'on jugeait es-
•senliellcs à leur coudaranaîion. Ala
suite des couimunications officielles
que le Directoire s'empressa de faire
sur cet objet aux deux Conseils, dans
les scancis des 3 et 4 février , intcr-
RAM
vin! un décret portant que Ramel et
Malo avaient bien mérité de la patrie.
Cependant, dès le lendemain, le rap-
port particulier de Ramel au Di-
rectoire devint, au sein des Con-
seils , l'objet de débats tiès-orageus.
Argué de faux par Le Tellier et La-
marque , gens fort peu suspects de
royalisme, ce rapport fut défendu
par Henri Larivière , qui n'en était
plus à cette époque de sa vie politi-
que où d'aussi honorables soupçons
n'auraient pu l'atteindre. Ramel se
jeta dans la mêlée pour y laisser ,
selon son usage , quelque nouveau
débris de sa considération person-
nelle. Dans une lettre au Directoire,
qu'il ne manqua pas de publier , il in-
voquait, à l'appui de sa véracité, celle
de deux témoins qu'il s'était ménagés
dans ses conversations avec Poly. « Je
» suis bien fâché , ajoutait-il, ûen.'<i-
» voir pu avoir ce Fédouville, qui m'a
» révélé que c'étaient les royalistes
» eux-mêmes qui avaient fait guillo-
» tiner le parlement de Toulouse ,
» en haine de sa résistance à l'enre-
» gisticmcnt des édits du timbre et
» de l'impo^ territorial , et d'avoir ,
» psr leur opiniâtreté , provoqué
» l'assemblée des états -généraux. »
Passant ensuite à sa profession de
foi politique : « Dès les premiers
» jours de la révolution et avant,
» disait-il , j'ai professé les princi-
» pes de liberté et d'égalité. Aucune
» lévolution ne pcutm'empêcher de
» faire mon devoir. Je mourrai in-
» dépendant. » Entendu comme té-
moin dans l'aflaircde Brotier et La-
villehcurnois , et cité en confronla-
ticn avec Poly dans le cours de la
procédure , Ramel s'y exprima avec
tant de bassesse, qu'il provoqua plus
d'une fois les murmures de l'audi-
toire. S'il crut alors avoir sauvé la
république par le sacrifice de sou
RAM
honneur , il n'eut pas du moins la
pc'nible satisfaction tl'avoit porte le
dernier coup à ses victimes , dont ,
malgré toute sa puissance , le Direc-
toire ne put arracher la condamna-
lion capitale ( 4 ) ? même à des
commissions militaires composées
par lui ; tant l'opinion royaliste dé-
bordait alors toutes les l'cssources du
pouvoir, tant elle pressait d'un poids
mortel ce simulacre de république si
ma! soutenu par un gouvernement
inepte et tyrannique! Tout fumant en-
core pour ainsi dire de sa délation ,
contre des conjurés royalistes, en fa-
veur du Directoire , Raniel ne s'en
montra pas moins empressé à se réu-
nir à l'une des fractions (5j des mem-
bres dcsGouseils que le Directoire vou-
lait perdre, sans pouvoir néanmoins
obtenir, par cette brusque palinodie,
la confiance du parti Cliciiien , trop
justement prévenu contre lui par les
choquantes disparatesde sa conduite.
Il faut mettre de ce nombre la lettre
cuigmatique qu'il adressa , au com-
mencement de fructidor an v , aux
inspecteurs delà salle, sous le sceau,
disait-il, de la confidence ; ce qui n'e
l'empêcha pas de la répandre le len-
demain dans tout Paris par la voie
de l'impression. Au sujet de celte
lettre, teinte en apparence d'iui peu
de couleur clichienne , mais très-
propre, au total, à fomenter la divi-
sion dans les Conseds pour le seul
avantage du Directoire, il s'éleva aux
Cinq-cents une discussion très-ora-
(/|) On nvait force les jirctiiiers juges à voter la
mort. Mais un conseil de révision commua cpUejK-i-
iie eu celle du l.>auutssoiueut ; 011(111 , coiiiiue s*il eutetc
fat!);iié du poids de ces victimes, alors renfenuecs
nu 'retn|>le,le Directoire iiiia^iua de les rendre coiii-
]>lici*s des dé)>utés proscrits au ïS fructidor, et com-
prit l'ablie Ui-olier et LaviUehournois dans le dé-
cret de Jepurlution C|ui frappait leur déuoacialcur
Ramel ,
(5) Le parti des tcmporiscurs , dont le foyer c'Iait
aux Anciens , sous l' iiiQuence de uneUpies ailides tic
Caruot , et parmi lesiniels ou distinguait IMuiiiiuis
Lacuco
RAM
39
geuse, OH parlèrent tour-à-tour Har-
di , Dumolard , le général Jourdan ,
et dans laquelle on vit se reproduire
le même travestissement de rôles
qu'on avait remarqué quelques mois
auparavant lors du rapport sur la
conspiration Poly. Au reste, pou-
vait-il en être autrement à une épo-
que où la république n'existant déjà
plus que de nom , et la monarchie
n'ayant besoin que d'être nommée
pour reparaître, la société politique
en France n'était plus, à vrai dire,
qu'un grand bal masqué , où l'œil le
moins clairvoyant ne pouvait plus
être involontairement trompé par
les apparences? Aussi s'était-on ac-
coutumé à entendre tous les jours,
s;ins scandale et sans siirprise, les
CUchiens prêter serment de haine à
la royauté , qu'ils voulaient rétablir;
; , et parmi lesniiels nu distin^u
! , I)ul()huue<! , Kuvl'rc , etCt
les Montagnards crier contre l'anar-
chie, dont ils regrettaient le règne;
le Directoire protester de sa fidélité
à la constitution , qu'il s'apprêtait à
violer; tous les partis enfin psalmo-
dier des foimuks de zèle pour le sa-
lut de la république, sans croire à
la possibilité de sa conservation.
Vers le milieu de ce même mois de
fructidor , elle touchait à l'une des
crises les plus violentes , et dans la-
quelle Ramel allait terminer sans di-
gnité un rôle qu'il avait constam-
ment compromis par ses gaucheries
ou déshonoré par ses bassesses. Les
progrès de l'opinion publique, cha-
que jour plus marqués , en faveur
de la monarchie , par la double
influence des décrets réparateurs ,
qui sortaient des Conseils , et des
docuines analogues que répandaient,
avec autant de courage que de
succès , une foule de journaux roya-
listes , avaient donne au Directoi-
re la conviction et la mesure de ses
dangers. L'affaire de l'abbd Bro-
/•o
RAM
lier et de La Villelieurnois , dans
laquelle il n'avait pu saisir que quel-
ques instruments isolc's et partiels ,
lui avait découvert les ramifications
immenses d'une conjuration , qui ,
maîtresse déjà , par l'opinion publi-
que, des positions morales, d'où
elle pouvait dominer la société tout
entière, n'attendait plus que l'ave'-
nement du troisième tiers dans les
conseils, pour faire proclamer, par
une majorité' légale , le retour de la
royauté légitime, dont le vœu était
alors dans tous les cœurs , et trou-
vait, au sein du Directoire même,
un nouveau renfort, quoique à des
titres bien différents , dans Carnet
et dans Barthélémy (6). Le danger
pour la république était mortel de
sa nature; l'emploi de la force et
l'abus du pouvoir étaient seuls capa-
bles de le conjurer, au moins pour
un temps. Le triumvirat directorial
s'y décida avec une impudence de
publicité , capable d'accélérer sa
chute, sans cette espèce d'ensorcel-
lement politique qui tint ses adver-
saires constamment immobiles en
présence des préparatifs journaliers
que l'on faisait pour leur ruine. Cet-
te maladie des esprits les plus sages
en apparence, fut poussée à un tel
poiut de délire, que, malgré l'in-
troduction dans Paris de douze à
quinze mille hommes de Tarraéc de
Hoche, inconstitulionnellemcnt ap-
])clés par le Directoire; malgré les
(()) Rarlbelemy rtait sincèrcinent |ioite' piiiir l.i
royauli- : Caruut ne voulait en fnlendi« (jarlcr d'au-
cune maniire. D'un PS|irit hargneux et d'un carae-
Ure peu nialleahie , ci't hnniine clalt toujours de
r6|>|)0.sitiondan.s son propre parti. Sa ru|ilurc avec
fiarra» Put une ulTaired'Iiumcur , et non pas un <-Iian-
gement de principes. Sondé , au nom du parti Cli-
chien , par deui députés charges de connaître «es
véritihh-s di-positions , il avait répondu nettement :
« Le jour où l'on attaquera un membre du Direc-
» toire, quel qu'il loit ,jc dcviendraison défenseur:
» quant aux iiourhons , j'aurais dans ma poche ma
» Rriieo hien cimentée de la parole royale , que je
» ne m'y lierai» pas. I.e lencleinain de son éjév.-ition
>. an lrui'»,l« roi serait force de la révoqnor. •>
RAIVÏ
manœuvres peu secrètes , les jacfarr-
ces publiques , de ses partisans , et
lorsqu'enûn le canon d'alarme al-
lait tirer dans quelques heures, les
membres des deux Conseils n'en le-
vaient pas moins tranquillement leur
séance le i 7 à cinq heures du soir, se
rassurant à l'ordinaire les uns les
autres, par ces mots que l'histoire
doit recueillir : « Il n'y a rien de
» nouveau ; les choses en sont aa
» même point. » Déconcertée paT
cet indolent scepticisme, dans le-
quel se berçait la masse des dépu.
tés , la conjuration royaliste s'était
réfugiée tout entière dans le petit
cercle des inspecteurs de la salle ,
qui , d'après les dispositions natu-
relles de Ramel, ne crurent devoir
lui assigner qu'un rôle secondaire,
dans le plan d'opérations arrêté la
nuit même du 17 au 18 fructidor,
sur l'avis positif de l'ébranlement
des troupes caseruées à Popincourl
et dans d'autres quartiers, ainsi que
de leur marche vers les Tuileries.
D'après ce plan , qui devait deve-
nir offensif au premier acte d'hos-
tilité militaire contre la représenta-
tion nationale, il était convenu que
Willot et Pichegru , l'un à la tête
d'un corps d'élite composé de plu-
sieurs milliers de jeunes gens et d'un
grand nombre d'ofliciers Vendéens,
l'autre à la tête des grenadiers de la
garde, marcheraient droit au Luxem^
bourg pour en arracher les trium-
virs et les conduire à la barre des
Conseils , que d'autres membres de
la commission auraient eu le soin
de coiivoi|uer. Le temps qu'on per-
dit en allées et en venues, la faute
que firent les inspecteurs de ne pas
se réunir toute autre part que dans le
lieu ordinaire de leurs séances oîi de-
vaient naturellement se diriger les
premières forces des assaillants ,
RAM
mais surtout l'inconcevable rapidité
que mit Augereau dans le de'ploie-
mentdes troupes , firent toute'cliouer.
Dès trois heures et demie du ma-
lin , le 1 8 fructidor ( 4 septembre
•797 ) ' ^^^ premier bruit du ca-
non d'alarme, la révolution parut
to'it-à-coup termine'e, par l'inves-
tissement des Tuileries, l'irruption
dans l'intérieur du jardin de plu-
sieurs détaclieraents d'infanterie et
d'artillerie , qui avaient forcé le pos-
te du Pont-Tournant , et par l'arres-
tation des inspecteurs de la salle. Pen-
dant tout ce désarroi , Ramel ne
montra qu'une activité sans but et
sans résultat. Depuis deux heures
après minuit jusqu'à neuf du matin,
qu'il restait encore maître de sa trou.
pe, dont aucune marque d'insubor-
dination n'avait pu faire suspecter la
fidélité , il ne lui vint pas à la pensée
d'ordonner seulement une patrouil-
le, et de faire, au moins pour l'hon-
neur de son épée et de son drapeau,
une simple démonstration de résis-
tance militaire: et cependant , dans
ces moments de crise où l'ennemi
lui-même n'osait encore croire à ses
succès, une amorce brûlée à propos
pouvait suffire, en donnant le signal
d'un soulèvement royaliste , pour
convertir en triomphes les premiers
malheurs de cette journée. Tant de
lâcheté dans Ramel indigna sa trou-
pe. Aussi lorsqu' Augereau , sur la
terrasse des Feuillants, lui arracha
ses épaulettes, avec une brutalité
dont peut-être l'honneur français
doit l'absoudre , on vit les grena-
diers de la garde des Conseils, au
lieu de le défendre, se précipiter
aux cris de /^iVe la république! dans
les rangs des satellites du Directoire.
Conduit au Temple, Ramel y trou-
va, au nombre de quinze, les pre-
mières victimes de celle journée,
RAM
4»
qu'une loi dictée par le Directoi-
re venait de condamner à la dé-
portation à Caïenne , et parmi les-
quelles il put contempler les deux
hommes estimables dont il s'était
fait le délateur , pour servir ce mê-
me parti qui le proscrivait à son
tour. Traînées, plutôt que transpor-
tées, sur des espèces de cages roulan-
tes, pendant un long trajet de cent
soixante lieues, au péril continuel de
leurs jours, et parmi les traitements
barbares de leur escorte , commandée
par les adjudants Dutertre et Guil-
let , ces victimes fructidoriennes ar-
rivèrent à Rochefort le a i septem-
bre. Dès le lendemain, on les entassa
avec moins de ménagements que n'en
mettent les négriers pour les escla-
ves d'Afrique, dans les entre-ponts
de la corvette la Faillante, qui fit
voile aussitôt pour Caïenne , où elle
prit terre le lo nov. 1797, après 4*^
jours d'une pénible traversée. Ac-
cueillis d'abord avec bonté, par l'a-
gent du Directoire, Jcannet, homme
de l'ancien parti de Danton , dont il
était parent, les déportés virent, dès
le lendemain, après l'ouverture des
dépêches directoriales , se renouve-
ler contre eux la persécution dont
ils n'avaient cessé qu'un instant d'ê-
tre l'objet. Jetés dans les marais in-
salubres de Sinamari , où le retour
de la mauvaise saison allait rendre,
dans quelques mois , leur perte iné-
vitable; menacés même d'être bien-
tôt refoulés dans un canton encore
plus infect, sur la rivière de Vincent-
Pinçon , les députés n'avaient plus
qu'à choisir entre l'évasion et la mort.
Plusieurs d'entre eux semblaient s'ê-
tre résignés à ce dernier parti. D'au-
tres, au nombre de huit (7), et dont
(7) lîurlliolc iny , Pi. Iicsni , noMouvillc, Aiibir .
Oflurue , T.llier', Wlll..t tl Kamil.
42 RAM
Ramel faisait partie, résolurent au
coutraire de s'arracher à tout prix
de cette terre de désolation, qui avait
dévore le robuste Gollot-d'Herbois,
que souillait encore la présence de
Billaud-Varennes , et qui vit succes-
sivement périr de misère et de déses
poir Murinais, Tronçon du Coudray,
Brotier , La Villeheurnois et Rovè-
re. Pressés les uns sur les autres dans
les flancs étroits d'une frêle pirogue,
qu'un coup de mer pouvait à chaque
instant engloutir; n'ayant ni bous-
sole , ni carte , ni provisions ; Ra-
mel et ses compagnons d'infortune,
sous la conduite d'un nommé Bar-
rick , matelot américain , qui se dé-
vouait pour eux, s'abandonnèrent ,
dans la nuit du 3 au 4 i'ibi 1798,
à la merci des vents et des flots ,
sur une côte orageuse , couverte de
brisans et de rescifs. Après sept
j ours et sept nuits d'une pénible navi-
gation , pendant laquelle ils éprouvè-
rent tour-à-tour les tourments de la
faim et les horreurs du naufrage, ils
parvinrent enfin , à prendre terre
au fort de Monte - Krick , dans la
colonie hollandaise de Surinam , où
l'humanité du gouverneur ( le baron
de Cohorn ) leur fit trouver l'hos-
pitalité la plus généreuse. Embarqué
bientôt après , sur la frégate anglaise
la Grue , Ramel aborda en Angle-
terre, avec Pichegru, Delarue et Dos-
sonville, le '21 septembre, jour an-
niversaire de leur départ de Roche-
fort pour Cïicnne. Arrivés à Lon-
dres, le '27, ils furent présentés, dès
le lendemain , à M. Wickam, chargé,
sous le duc de Porlland, alors nii-
nislre de l'intérieur, de toutes les al -
faires rel.iùves aux. étrangers. Dans
les égards et les soins dus à un mal-
heur comniiui, Himcl reçut d'abord,
do la part des Anglais, une part éga-
le à celle de SCS coiapa^^uons :
RAM
mais l'humanité satisfaite, la politi-
que eut son tour. Le ministre pesa
les opinions et la conduite. Delarue
et Pichegru restèrent h Londres ; et
Ramel, à qui l'on prodigua tout, ex-
cepté des marques de considération
et d'estime , partit pour Hambourg,
oij il arriva , le 29 octobre 1798. Il
y retrouva Matthieu Dumas , son an-
cien ami, qui s'occupait alors de la
rédaction de son Précis des éi>éne-
ments militaires. On croit généra-
lement qu'après avoir travaillé en
commun , dans leurs conversations
journalières, les souvenirs de Caïen-
ue et de Sinaraari , il fut convenu
entre eux de les publier dans un
Mémoire auquel l'un prêterait sa plu-
me , et l'autre attacherait son nom.
En ce qui touche à la rédaction de
cette brochure (8) , dont la première
édition parut à Hambourg , vers la
fin de 1798, le pi-oblème bibliogra-
phique est d'avance négativement ré-
solu par rapport à Raracl, d'après
les échantillons qu'on a vus plus haut
de sa manière d'écrire. Mais si , sous
le rapport littéraire, le Journal de
Ramel n'a rien que ne puisse avouer
le talent du général Dumas , d'au-
tres doutes s'élèvent sur des points
pins graves. Qu'un oflicier connu par
de bons ouvrages sur la science mi-
litaire décrive sérieusement avec dé-
tail, l'enceinte, les lemparts, les
courtines , les fossés d'un fort de Si-
namari, oij il n'a jamais existé de
foi t; qu'un Français dont l'opinion
politique, quoique trop favorable à
la révolution, ne l'a jamais cepen-
dant détourné dans les sentiers im-
purs du jacobinisme, consente à prê-
ter sa plume à un délateur, pour dis-
tiller de nouvelles calomnies sur des
(3) Jotirii:il<lr l'inljudunt-ginéial liamel , in-fin.
RAM
hommes estimables , quelese'preuves
d'un malheur commun auraient dû
hii rendre plus sacre's , et pour s'a-
charner après avoir cause leur perle,
à poursuivre d'avance leur mémoire
dans l'avenir, c'est ce qui semblcde-
voir ramener ledoulesurleve'rilable
rédacteur du Journal de Ramel , oii
l'on trouve, sur plusieurs personna-
ges, mais principalement à l'égard
de Brolier et deLavilleheurnois , des
imputations aussi odieuses que men-
songères. Quoi qu^il en soit de cet-
te question, le Journal de Ramel,
qui parut sous les auspices de
rintérêt général qu'inspiraient alors ,
dans toute l'Europe , le sort et la
personne des déportés , obtint un
débit prodigieux , que ne pouvaient
ralentir les notes récriminatives pu- "
bliées par Jeaunet , en l'an viii ,
pour sa défense personnelle (9).
L'cflet que le Journal de Ramel
produisit sur l'opinion, alarma le
Directoire, et provoqua , parmi les
actes de son absurde tyrannie , un
nouvel arrêté, bizarre sur tous les
autres , de conception et de style ,
portant : a Que la dénomination de
déporté par la loi du 19 fructi-
dor an r, ayant quitté le lieu de
la déportation pour se rendre en
pays étranger, sera ajoutée, sur la
» liste des émigrés , aux noms des
» nommés Pichcgru , etc. » Ac-
compagné de la réputation dç son
écrit , qui n'est plus aujourd'hui que
d'un intérêt sccondaii'c depuis la pu-
blication d'un autre ouvrage ( i o), où
l'histoire pourra puiser la vérité
dans des sources plus pures, Ramel
parcourut divei'scs parties de l'Allc-
(()) Nntr.< sur ijucliiuts passages du Minwire de
linmut..'.. on Relevé des faux i/ui se trouvent dunt
ce nténnûi'c , in-8o. de ^>, pag,
(10) Ifistcrr. (/i»i8/W(t-//i/o/ , parleclievnlicrDe-
lai-uc, l'uu des clc|iiitc5 dt^orU's à Siimn^i, ?.
Tul.iii.8o., raiis,j8ai. ^^
RAM
43
magne , et rentra en France , par
suite de la journée du 18 brumaire
1799. La manière dont il s'était
montré dans celle du 18 fructidor ,
ne pouvait, sous aucun rapport , le
rendre recommandable auprès de
Buonaparte, qui repoussa long-temps
toutes ses demandes de services , et
finit néanmoins, sur les sollicitations
de Matthieu Dumas, par l'attacher,
sans augmentation de grade, à l'état-
major d'un des corps de l'armée de
Portugal. Plus heureux , en 181 4 •>
auprès du ministre du Roi, Ramel
fut fait maréchal-de-camp , le 25
novembre , et renoua dès-lors , avec
Fouché, des liaisons , qui lui valu-
rent 1 pendant les cent jonrs , le
commandement de la ville de Tou-
louse ; place qu'il conserva, après
le second retour du Roi, par la mê-
me influence qui la lui avait donnée.
Au premier bruit de la bataille de
Waterloo, et du retour des Bour-
bons , il se hâta de faire arborer le
drapeau blanc , avec des éclats d'un
zèle personnel qui , par un effet con-
traire à celui qu'il en attendait sans
doute , firent disparaîuc , aux yeux
du public , le royaliste de i8i5 ,
sous les traits du dénonciateur de
1797. A ce réveil d'anciennes mé-
fiances , se joignirent, bicnt6t.après,
des motifs de mécontentement pro-
pres à les aigrir , par le refus que
lit Ramel , avec raison sans doute ,
sous le rapport de la discipline mi-
litaire , de délivrer le mot d^ordre
aux compagnies dites de Verdets ,
spontanément créées par l'enthou-
siasme de la royauté , et préten-
dant se maintenir, sans organisa-
tion légale , par delà l'époque des
dangers publics, qui d'abord avaient
pu faire accepter leui's services. Ces
causes d'animadversion contre Ra-
mel se fortifiaient encore parla ccrti-
44
RAM
tude que l'oncriit avoir acquisedeses
relations avec Foiiche , qui dèslors
ne cachait plus son plan d'accom-
moder la royauté aux inte'rêts de la
révolution , et d'exploiter les grâces
et les faveurs du prince , au seul pro-
fit des anciens ennemis de la monar-
chie. De tous ces bruits , plus ou
moins fondés, résultèrent, contre Ra-
mel, des préventions qu'une circons-
tance , en soi-même indifférente et
de pure localité, fit bientôt écla-
ter de la manière la plus tragique. Ce
général occupait , à Toulouse , une
maison située sur la place de Rouaix,
où l'enthousiasme rassemblait tous
les soirs une foule considérable d'ha-
bitants , qui s'y livraient , parmi les
chants et les danses , à tous les trans-
ports de la joie publique. La présen-
ce de Rarael, souvent aperçu dans
ces rassemblements , qu'il était obli-
gé de traverser chaque jour pour
entrer chez lui , reveillant des souve-
nirs que la nature même et l'objet
de ces réunions rendaient plus fâ-
cheux , fournit l'occasion et le pré-
texte d'un crime que rien ne saurait
excuser. Le i5 aoilt i8i5 , jour où
la solennité de la fête avait occasion-
né une réunion plus nombreuse, Ra-
mel était à peine rentré chez lui ,
vers dix heures et demie du soir,
que des cris de mort se firent enten-
dre , en même temps que la foule pé-
nétrait déjà par la porte principale
(pj'on vcn.iit de briser. I.c général
tire aussitôt l'épée, et cherche à se
défendre. Percé parlefcr de plusieurs
cannes à lance , atteint d'un coup de
pistolet qui lui traverse le bas-vcn-
irc , il conserve toutefois assez de
sang-froid et do force, pour se traî-
ner jusque dans un grenier, et s'y
blotir sons un tas de paille. Guides
par les Ir.iccs de son sang, ses as-
sassins reviennent sur lui avec fu-
RAM
rie. On parvient à les éloigner; maïs
au moment où le chirurgien panse
ses premières plaies , ils se jettent
encore sur leur victime , et la per-
cent de dix-sept coups de baïonnet-
te , dont chacun paraissait mortel.
En proie à d'horribles souffrances ,
Ramel, après avoir reçu avec piété
les sacrements de l'Église , et refusé
constamment de nommer ses meur-
triers , expira le 1 7 août , le surlen-
demain de son assassinat , dont il
serait difficile d'assigner d'autres
causes que l'exaspération momenta-
née des esprits , dans une émeute
sans complot formé d'avance , ain-
si que l'indique une proclamation
publiée à cette occasion par M. de
Villèle , alors maire provisoire de
Toulouse. Ce triste événement don-
na lieu à des poursuites judiciai-
res devant le tribunal de Pau : el-
les eurent pour résultat la condam-
nation à des peines correctionnelles
de quelques personnes , déclarées
coupables d'avoir fait partie d'un
rassemblement séditieux , mais con-
tre lesquelles la prévention d'assas-
sinat ou de complicité ne parut pas
suffisamment établie. h — de.
RAMELLI ( Augustin ) , mé-
canicien , né vers i53i, à Maran-
zana , duché de Milan , fit de ra-
pides progrès dans les lettres et les
sciences, surtout dans les mathé-
matiques. Ayant embrassé la pro-
fession des armes, il servit sous les
onh'cs de Marignan , l'un des plus
habiles généraux de l'empereur
Charles-Quint ( F'ojr, Marignan ) ,
et se signala dans plusieurs occa-
sions. Après la mort de son pro-
tecteur, il vint en France , où il
fut accueilli ])ar le duc d'Anjou
( depuis Henri III ) , qui lui donn.i le
titrage son ingénieur. 11 suivit ce
prince au siège de la Rochelle , on
RAM
1573, y fut blessé grièvement, et
resta prisonnier. Dans celte circons-
tance , il reçut des témoignages
particuliers de l'attachement que lui
portait le duc d'An) ou: ce prince paya
sa rançon, et donna des ordres pour
qu'on prît soin d'un fils que Ramelli
avait laissé à Paris. Henri , appelé
peu de temps après au trône de Po-
logne , ne cessa pas de prendre le
plus vif intérêt à soningéuienr,et lui
adressa plusieurs lettres pleines d'af-
feclion ; enfin, devenu roi de Fran-
ce , il le fixa près de lui par une
pension considérable. Ramelli, pé-
nétré de recoimaissance pour les
bontés du roi, lui dédia son Recueil
intitulé : Le diverse ed arlificiose
machine , etc. , ital. - franc. , Paris ,
i588, iu-fol. avec ig5 pi. Ce volu-
me, rare et recherché des curieux,
contient la description de plusieurs
machines inventées ou perfection-
nées par Ramelli , pour élever les
eaux , soulever des fardeaux , cons-
truire des ponts, eic. Quelques-unes
de ces machines sont assez ingé-
nieuses ; mais elles seraient plus
utiles , si elles étaient plus simples,
Ramelli avait composé un Traité de
fortifications, dont le manuscrit lui
fut dérobé , et qu'il avait le projet de
refaire; mais il en fut empêche par
sa mort prématurée, arrivée vers
iSqo. Il était alors âgé d'environ
soixante ans. W — s.
RAMESSÈS est un nom commun
à plusieurs des rois de la dix-hui-
tième et de la dix-neuvième dynas-
tie égyptienne , toutes deux appe-
lées Thebaines, parcequ'elles étaient
originaires de Thèbes, et parce que
les princes de ces dynasties rési-
daient à Thèbes. Ce nom, que les an-
ciens nous ont conservé sous les di-
verses formes de Ramassés, Iluine-
sès j Ramisès , Âainsùs , Raiiipsès
RAM
45
et Ramestès, se prononçait en égyp-
tien Bamiii ou Rainésé jc'cst-k-dhe
enfant du soleil. C'est sous le règne
de ces princes que l'Egypte parvint,
vraisemblablementauplnshaut degré
de splendeur; aussiest-celeur nom qui
se retrouve le plus fréquemment ins-
crit en caractères hiéroglyphiques
dans les cartouches royaux qui dé-
corent les ruines des antiques monu-
ments de Thèbes et du reste de l'E-
gypte : on le voit aussi sur une mul-
titude de monuments de toute natu-
re qui ornent nos Musées ou nos coL
lections particulières. Scion Am-
raien IMarcellin ( lib. xvii , cap. 4 ),
le grand obélisque qu'Auguste avait
fait apporter d'Egypte et élever dans
le grand cirque à Rome, avait été
autrefois érigé à Héliopolis, par un
roi nommé Raniestès, qui fut sans
doute un des princes que nous avens
désignés. Cet historien avait inséré
en entier dans son ouvrage la tra-
duction grecque qu'un certain Her-
mapion avait faite des inscriptions
liiéroglyphiques tracées sur ce mo-
nument. Il n'existe plus maintenant
qu'une portion de cette traduction.
Elle paraît d'une grande fidélité : an
moins est-il certain que la plupart
des titres qui y sont donnés au roi
Raniestès , se lisent sur les mo-
numents grecs du temps des Ptolé-
mées; ils faisaient partie des pro-
tocoles ou formules qui accompa-
gnent toujours en Egypte l'énon-
ciation de la digniléroyale. Plusieurs
des obélisques qui existent encore à
Rome , présentent le nom de Ra-
messès ; mais aucun ne s'accorde as-
sez bien avec la dcsci'iption d'Am-
mien Marccllin, pour qu'on puisse
le reconnaître avec certitude. Il se-
rait possible que ce monument fût
un des obélisques qui sont encore
enfouis sous les restes de Rome an-
46 RAM
tique. On croit à Rome que le mo-
nument décrit par Âmraien Marcel-
lin est le même que celui de S. Jean
de Latran. D'autres pensent que cet
obélisque est celui de la porte du
Peuple. 11 est vrai que la triple sub-
division des inscriptions hiérogly-
phiques qui se voient sur chacune
des faces de ce dernier, s'accordent
assez bien avec les indications don-
nées par la traduction d'Herraa-
pion. H serait difficile de distin-
guer , dans les inscriptions égyptien-
nes , les divers princes qui ont été
appelés Bamessès , sans les surnoms
qui précèdent toujours leur nom , et
qui se trouvent disposés chronologi-
quement sur un monument copié à
Abydus dans la Haute-Egypte , par
1\IM. Baukes et Cailliaud, et qui con-
tient la liste des ancêtres de Sésos-
tris. Les restes de l'antiquité et les
auteurs nous font connaître sept rois
d'Egypte du nom de Ramessès: parmi
eux est le deuxième des princes égyp-
tiens connus sous la dénomination
de Sésostris , dont le nom propre
était Ramessès. 11 fut le cinquième.
— RamessÈs pr. , quatre-cent-viug-
tièrae roi d'Egypte , onzième de la
dix-huitième dynastie , fils d'Orus ,
succéda, en l'an iSjjo avant J.-C. ,
à sa sœur Chenchcrès. Les historiens
lui donnent ordinairement le nom
d'Alhoris, ou selon d'autres manus-
crits Rathosis : c'était, sans doute, la
prononciation du surnom qui pré-
cède son nom de Ramessès sur l'ins-
cription d' Abydus , et sur les autres
monuments de l'Egypte. L'iiistoirc
ne nous a pas conservé le souvenir
des événements arrivés sous sou rè-
gne: il fut rem])lacé, en l'an i58.i ,
par son fils Achcnchercs I'^'., après
avoir occupé le trône pendant neuf
ans. — Ramessls II , quatrc-cent-
vingt-quatrième roi d'Egypte , quin-
RAM
zième de la dix -huitième dynastie ,
était , probablement , fils d'Achen-
cherès P'". ^ et succéda, l'an i554
avant J.-C. , à Armais, qui était sans
doute son frère. Le règne de Rames-
sès II fut bien court ; il ne porta la
couronne que pendant un an et quatre
mois: son ûIsRamessèsIII lui succéda.
— Ramesses III, surnommé Miam-
inoiin , c'est-à-dire , aivié d'Ammon
ou de Jupiter, devint roi d'Egypte,
en l'an i553 avant J.-C. La longue
durée de son règne, qui fut de soixante-
six ans et quatre mois , nous fait pré-
sumer qu'il était encore fort jeune à
l'époque de la mort de son père.
L'histoire ne nous a formellement
conservé aucun renseignement sur
les événements de son règne; mais
les monuments anciens , et l'indi-
cation de plusieurs faits arrivés à
l'époque où il était sur le trône , *
jettent quelque lumière sur cette
période obscure de l'antiquité. Ra-
messès III est représenté plusieurs
fois, dans les ruines de Thèbes , sur
les murailles d'édifices à la construc-
tion desquels il paraît avoir con-
couru : on l'y voit monté sur un
char de bataille , vainqueur d'enne-
mis qui fuient au loin devant lui.
Nous ignorons quels furent les peu-
ples qui succombèrent sous ses ar-
mes ; mais il est permis de croire
qu'à l'exemple de ses prédécesseurs,
ses elTorts guerriers se dirigèrent
principalement contre les peuples
de race étrangère qui habitaient en-
core dans l'Egypte , dont ils avaient
été autrefois les souverains. C'étaient
les descendants des anciens pasteurs,
qui s'étaient maintenus dans les ré-
gions marécageuses qui terminent
l'Egypte du côté du nord: ils y étaient
dans une dépendance plus ou moins
absolue des monarques qui résidaient
h Thèbes. Depuis l'époque à laquelle
RAM
ils avaient été dépouillés de l'empirê
de l'Egypte, en 1792 avant J.-C,
ils étaient exposés de la part de Icnrs
vainqueurs à des persécutions plus
ou moins vives , qui donnaient lieu ,
de temps à autre, à des émigrations
vers la Grèce et la Phénicie. C'est
sous le règne de Ramesscs III qu'eu-
rent lieu les émigrations de Cadmus ,
en i5i6, et de Danaïis , en i5ii
avant J.-G, Nous devons les regarder
comme des conséquences et des preu-
ves des triomphes que la race égyp-
tienne obtint alors sur les descen-
dants de leurs anciens oppresseurs.
Ramessès III mourut , en l'an 1487
avant J.-C. , laissant la couronne
à son fils Aménopliis II , nomme
aussi Ramessès. Parmi les tombes
royales qui existent dans les exca-
vations des environs dcTlièbes, on
distingue celle qui contient les res-
tes mortels de Ramessès Miam-
moun : le fait est hors de doute j
il est attesté par ime inscription la-
tine , encore inédite , qui y a été
copiée par M. Bankcs. La grande
Description de l'Egypte, publiéepar
les ordres du gouvernement français,
renferme plusieurs planches qui of-
frent le détail de diverses parties de ce
vaste édifice souterrain. — Ramessès
IV, fils de Ramesscs Miammoim est
nommé Aménophis II par Mané-
thon ; les monuments assez nom-
breux qui rappellent son souvenir ,
lui donnent aussi ce surnom. Il pa-
raît que ce prince fit de grandes con-
quêtes dans l'Ethiopie; car c'est par-
ticulièrement sur les ruines des édi-
fices égyptiens qui existent entre
Méroé et l'Égyple , que l'on trouve
son nom. Le sixième de ses a'ieux ,
surnommé comme lui Aviénophis ^
est le même que le célèbre Memnon ,
si souvent mentionné dans les écrits
des anciens. C'est à cette identité de
BAM
47
surnom qu'il faut attribuer l'origine
de tous ces monuments de Memnon ,
que les Éthiopiens montraient dans
leur pays , au rapport de Diodore de
Sicile ( lib. 11 , cap. '11 ) , et qui ne
sont pas autres sans doute que les
édifices élevés par Aménophis II,
sur les rives Nubienne et Éthiopienne
du Nil , et dont les ruines ont été
reconnues et visitées par les voya-
geurs européens. Aménophis II de-
vint roi, eu l'an 1487 , et régna
dix-neuf ans et six mois : son fils ,
Ramessès V, lui succéda , en 1 468
avant J.-C. — Ramessès V: ce prince
est plus célèbre sous le nom de Sé-
sostris ( Voyez cet article ). — Ra-
messès VI, fils du précédent, quatre-
cent-vingt-huitièrae roi de l'Egypte ,
deuxième de la dix-neuvième dynas-
tie , devint roi en l'an i4ï4 'ivant
J.-C. Manéthon l'appelle Rampsès;
Diodore de Sicile, Sesoosis comme
son père Sésostris, et Hérodote, Phé-
ron , nom qui , comme le Pharaon
de l'Écriture , n^est autre chose
qu'une altération du mot égyptien
piouro ou phouro , qui signifie roi.
Nous ne rappellerons pas ici les
contes ridicules d'Hérodote au su-
jet de ce prince; ils ne sont d'au-
cune utilité: il paraît seulement que
ce roi fut aussi pacifique que son
père avait été guerrier ; sous son
règne la tranquillité de l'Egypte ne
fut point troublée. On lui attribue
l'érection de deux obélisques de la
plus grande dimension, placés devant
le temple du Soleil à Héliopolis.
Ramessès VI était vraisemblablement
un des derniers fils , ou peut - être
même le dernier des fils de Sésostris ,
et il dut naître dans la vieillesse de
son père ; car il régna fort long-
temps. Il devint aveugle sur la (in
de sa vie. Son rèjine fut de soixante-
six ans. Aracnophthis ou Méno-
48 RAM
phi es lui succéda en l'an i34o avant
J.-C. — Ramessks Vil , quatrième
roi de la dix-iicuviane dynastie,
succéda, en Tan i3io avant J.-C,
à Menoplirès; son règne fut de vini^t
ans ; et , in l'an 1 29 1 avant J, - C. ,
il fut remplacé par Aiumeuemès IV.
S. M— N.
RAMI-MÉHÉMET, grand-vézir
à Constantinople, au commencement
du dix-liuilième siècle, naquit dans
cette capitale, au faubourg d'Eioub,
de parents d'une basse condition. Il
s'appliqua à la poésie ; et l'académie
des poètes lui donna le nom de Ra-
mi , satirique , qu'il conserva toute
sa vie, selon l'usage de ceux qui cul-
tivent cet art , de se donner des
noms académiques, tels que Rascid,
\e Fidèle , Euverri, le Lumitieux,
Haïri , le Bon. Rami-Mébémet, sans
fortune , mais non pas sans talents ,
doué d'une folie figure et d'une belle
voix, fréquenta les tavernes publi-
ques , et , à l'aide de la musique , s'a-
donna d'abord à un métier obscur,
mais suffisant pour le faire subsister.
11 ne se permettait pas d'aspirer à
une plus haute fortune, lorsque le
fameux poète Nabi-ElTcndi , secré-
taire du divan, le fit renoncer à ce
genre de vie : il le produisit auprès
de quelques grands de l'empire, qui
surent apprécier ses talents. Le
grand - vézir El mas - IMéliémct-Pa-
cha,(itR;imi-Mchémct niuzahib ; le
grand-vézir Hussein-Pacha lui don-
na la charge de reis- eiïcndi. En cette
qualité, il fut joint à Maurocordato ,
])Our travailler à la paix de Carlo-
witz, eu 169;). Cette importante né-
gociation le mit, par sonsuccès, dans'
la plus haute favein- auprès du snl-
flian INIuslapha II. Iiéuni au mnphti
Fc/.uIlch-Elkiidi , il réu.ssit à perdre
le graud-vé/ir D.iltaben , à le sup-
planter et à s'enrichir de su dépouil-
RAM
le. Mais la révolte de 1 702 , qui ame-
na la déposition de Mustapha H,
força Ra mi -IMéh émet, devenu grand-
vézir, de se cacher. Il reparut quand
la sédition fut apaisée : il fut en-
voyé pacha en Egypte, au commen-
cement du règned'Achmct m. Dans
Tintention de se défaire de lui, legou-
vernement othoman le fit passer au
pachalic de Cypre ; espèce d'exil qui ,
jjar l'insalubrité du pays, laisse es-
pérer la mort de ceux dont on ne
veut pas se défaire avec éclat. La
force de son tempérament luttant
trop long temps contre le climat aux
yeux de ses puissants euncmis , un
capidgi, chargé d'un khatti chérif ,
vint lui apporter le fatal cordon, et
le mettre à mort : il expira de saisis-
sement au milieu des prières qu'on
permet à ces illustres condamnés ,
avant leur supplice. Rami-Méhéraet,
plein d'esprit et de talents, passa
pour un homme dont l'ame était fai-
ble et craintive. On attribua même
tout son génie, comme homme d'état,
au célèbre Maurocordato, qui le di-
rigeait dans toutes ses actions et ses
pensées. S — y.
RAMIRE II, roi de Léon, fils
d'Ordogno II, monta sur le trône ,
en 9'2'y , par l'abdication de son frère
Alphonse IV. Les commencements
de son règne furent très-orageuxj il
eut à combattre son propre frère et
ses neveux, et ne dut la conservation
du trône qu'à son activité, à sa bra-
voure et à sa prudence. Il tourna en-
suite ses armes contre les Maures ;
et ses exploits ellacèrent ceux de ses
plus illustres prédécesseurs. Après
avoir passé le Duero , en 98 1 , il at-
taqua et prit d'assaut la vdiedc Ma-
drid, devenue depuis la capitale de
la monarchie, menaça Tolède, défit
les INlaures dans les plaines d'Osma ,
et contraignit l'émyr de Saragote de
RAM
se reconnaître son vassal. Mais la
plus célèbre de ses victoires fut celle
qu'il remporta, le 6 août 989 , d.ins
les plaines de Siniancas, contre Ab-
derame 111, calife de Cordoue. Les
historiens espagnols assurent qu'il
resta quatre-vinjt raille musulmans
sur le champ de bataille. Ramire ne
fut pas moins heureux l'année sui-
vante aux environs de Salatuanque j
et il rentra dans Léon, sa capita-
le, chargé des dépouilles des ]\Iau-
res. Les comtes de Castille , assnjé-
tis, envers les rois de Léon, à une
espèce de vasselage , tendaient tou-
jours à se rendre indépendatits. Ra-
mire marcha en Castille, et fit pri-
sonniers Gonzalès et Nugiiez , qui
voulaient se soustraire à son autori-
té. Cette expédition ne fit que refar-
der celle qu'il méditait contre les
Maures, ses ennemis naturels. A la
tête d'une armée nombreuse , il
les attatfua sous les murs de Ta-
lavéra,et ne leur arracha la victoire
qu'après avoir chargé plusieurs fois
leurs bataillons à la tête de sa cava-
lerie. Ce fut la dernière batadlc que
livra ce prince : il mourut à Léon,
en 95o, après un règne de trente-
trois ans. Ramire fut aimé de ses su-
jets , et redouté de ses ennemis.
Vainqueur dans tous les combats, il
sut modérer son ambition pour ne
pas accabler son peuple. Il fonda un
grand nombre d'églises et de monas-
tères. — Son pelit-Ols, Ramire 111,
monté sur le trône en 967 , indigna
tellement ses sujets par ses débau-
ches et ses cruautés , qu'ils le chas-
sèrent en 980; il mourut en 982.
B— p.
RAMIREZ de CARION ( Ema-
NUEL ) , muet de naissance , né en
Espagne vers la fin du seizième
siècle , inventa en Espagne , on du
moins y pratiqua , seul de son
xxxvii.
R.\M 49
temps , au témoignage de Nicolas
Antonio {liihl. flispana ?JOt'fl), l'art
d'apprendre aux muets à lire, et
même à pionouccr quelques mots.
Cependant le même Antonio, dans
l'ouvrage cité, fait aussi honneur de
cette invention à Pierre Ponce ( Su-
periore sœcidu invenit artein do-
cenrli mut os verba prof erre , litleras,
lalinamq'ie Uiiguaniet scribere). Il
a vai t dit de Ra ni irez : Apudnos artem
iiwenit aut ccrtè solus exercuil œta-
te sua. On a de Ramirez, Mavavillas
de naturaleza , en que se contienen
dosmilsec:etos de cosasnaturales,
i6->.9, in-4". Antonio fait mention
d'une édition antérieure, mais moin-
dre de moitié, qu'il croil de i6i2.
Si c'est dans ce livre que Ramirez
parle de son invenlion , il avait été
devancé par J.. Paul Bonet ,qui , dès
1620, avait publié snr la même
matière un ouvrage que mentionne
aus'^i Antonio. ( /^. Ponce , XXXV,
338 340 ). A. B— T.
RAMLER (Cdarles-Guillaume),
poète et littérateur allemand , naquit
en 1725 , à Colberg en Foméranie.
Ses parents ne pouvant subvenir aux
frais de son éducation, il fut placé
à la maison des orphelins à Stelliu ,
puis, en 1740, dans celle de Halle,
onil demeuraquatrcans. Ilétudia en-
suite à l'universilé de la même ville.
Mais il paraît qu'il suivit les cours
avec peu d'assiduité, et qu'il se livra
sans réserve à la poésie , pour la-
quelle il avait, de bonne heure, ma-
nifesté nn penchant prononcé. Il
raconte lui - même, dans nnc des
notes de son Ode à Ljcidas , qu'il
faisait des vers dès i âge de dix
ans. Les cfluris de ses maîtres pour
détruire ce gont dominant , n'abou-
(irenl qu'à le fortifier, Horace de-
vint,, dès cette époque, son poèîe
favori et son modèle. Ce fut peu-
5o
RAM
dant son séjour à Halle , qnc s'é-
tablit entre lui, Gleiin et Uz , une
liaison fort avantageuse pour les trois
poètes. Ramier passa quelques an-
nées depuis dans sa ville natale. De
là il se rendit, en 1746, à Berlin ,
oii Gieim lui procura , dans deux
maisons , successivement , une place
de précepteur. Il y devint ami de
Kleist, Spalding , Snlzer et d'autres
hommes distingués. Encouiagc par
eus, Ramier cultiva la poésie et la
littérature avec une nouvelle ardeur.
Il attira bientôt l'attention du gou-
vernement, qui le nomma professeur
de logique et de belles-lettres auprès
du corps des cadets à Berlin. Soit que
Ramier se fût peu adonné aux scien-
ces philosophiques, soit qu'il pensât
que l'étude de la logique était d'une
utilité moins directe pour ses audi-
teurs , il paraît qu'elle fut exclue de
ses cours, qui embrassèrent les beaux-
arts , la littérature et la langue alle-
mande. Il n'était pas encore connu
du public comme poète. Quelques-
unes de ses poésies avaient été insé-
rées dans différents Recueils, mais
sans nom d'auteur. Au reste, de tous
ses premiers essais , il n'a conservé
lui même que son Ode à V Hiver
( Sehnsiicht nach dem WinUr ) ,
composée en 1 744- Ce fut quatre ans
plus lard , qu'il fit paraître, avec son
nom, V Ode à Apollon. C'est aussi
vers ce temps ([u'il publia sa traduc-
tion de Batteux. Il acquit prompte-
nient une grande réputation, qu'il
dut à SCS talents et à son enthousias-
me pour Frédéric II. Simple et mo-
deste, uniquement livré à ses goûts
littéraires, et vivant dans un ceiclc
très- resserré, il ne recherchait ni les
liomieurs , ni la fortune j et Frédéric
était loin de soupçonner que son nom
et son éloge fussent le sujet de poé-
.sies qui rehaussaient la gloire litlé-
RAM
raire de l'Allemagne. Les nombreuses
Odes de Ramier à la louange de son
liéros,ne lui valurent pas un regard:
mais il en fut dédommagé par l'ad-
miration toujours croissante du pu-
blic. La faveur exclusive accordée
à la langue et à la littérature fran-
çaises cessa enfin avec Frédéiic : les
lettres allemandes fr.rent vengées.
Ramier obtint une pension considé-
rable , fut nommé inembre de l'aca-
démie des sciences, et cha gé , en
1787, conjointement avec Engel ,
de la direction du théâtre natio-
nal de Berlin. Il ne jouit pas long-
temps des avantages de sa position.
Il se démit , en 1790 , de sa place
de professeur; et ses infirmités l'obli-
gèrent , en 1796 , de renoncer à la
direction du théâtre , dont il conser-
va toutefois les appointements. Peu
de temps après , il fut attaqué d'une
phthisie pulmonaire , et il mourut
le 1 1 avril 1 798. Ramier avait fait
son entrée dans le monde littérai-
le , peu après Fépoque marquée
par les premiers développements de
la littérature allemande. Plongée, de-
puis la mortd'Opitz, dans une es-
pèce de léthargie, elle venait enfin de
prendre l'essor. Klopstock avait con-
tribué le plus à faire sentir l'énergie
et la noblesse de la langue ; et Los-
sing préUulait au rôle de critique,
qu'il remplit pendant trente années ,
avec tant de succès. Ramier, sans
égaler ces deux hommes célèbres ,
participe un peu du mérite de l'un
et de l'autre. 11 n'a point l'élévation ,
l'abondance, la verve du premier:
néanmoins ces qualités ne lui sont pas
étrangères. Ce qui peut lui manquer,
sous ce rapport , est compensé par
une régularité qui ii'est point la roi-
deur , et par des formes antiques.
Nous avons dit qu'il s'était attache'
de préférence à Horace. On voit
KAM
qu'il en était nourri : il l'imite sans
cesse ; mais il imite moius ses ex-
pressions que ses tournures , sa mar-
che, et surtout son esprit. On ne
trouve pas dans le di-ciple ia légè-
reté , la grâce du maître ; mais il en
a souvent la noblesse. Le sentiment
qui respire le plus dans ses Odes ,
est l'amour de son pays. II en a
consiicré , comme nous l'avons
dit , im grand nombre à célébrer
Frédéric II , à qui il a dû plu-
sieurs de ses plus heureuses ins-
])irations. Nous indiquerons de pré-
férence les suivantes : Sur le retour
du Roi ( en 1 768 ) ; Prédiction de
Glaucus ; le Triomphe , etc. Ce
n'est pas que Ramier n'ait aussi mon-
tré un grand talent dans des sujets
d'une autre nature: ou peut en juger
en lisant les 0.!es à la Paix ( 1 760),
sur un boulet de canon , à la Con-
corde , à la Muse , adieu aux Héros ,
à Philibert^ Amrnte et Chloé ., à la
Paix, à son Médecin. à Lrcidas , à
Krause, le Chant du combat ( 1778).
11 s'est aussi exercé dans quelques
antres genres de poésie , avec plus
ou moius de succès. Ses Cantates ,
les Bergers à la crèche, et la Mort
de Jésus, nous paraissentsupérieures
aux autres. Celle de Sulamith et Eu-
sehia sur la mort deMendelssohn ,
laisse quelque chose à désirer: néan-
moins le ton en est simple , noble et
touchant. Le Moi'i de Mai est une
idylle fort gracieuse. Enfin ses chan-
sons ont contribué pendant long-
temps aux jouissances de la société
eu Allemagne. Plusieurs des meil-
leurs compositeurs de ce pays ont
mis en musique ses ouvrages , dont
quelques-uns sont encore exécutés.
Ramier ne se conienta pas n'imiter
Horace; il voulut aussi le nationa-
liser en Allemagne. La première édi-
tion de ses OEuvres , Berlin, un vol.
RAM
m
in-iB, i77'2, contient la traduction
de quinze Odes d'Horace ; il y en a
vingt dans la dernière, ibid. , 1800-
1801 , 2 vol. in-8". La traduction
complète des Odes fut publiée en
1800 , ibi l. , deux vol. in 8'\ Mais
il en avait déjà paru quelques-unes
dès 1768, dans les Mémoires de
Brème, etc. j et l'on doit les re-
garder comme la première tentative
heureuse faite dans ce genre en alle-
mand. Avant lui, Klopstock avait
révélé les ressources que possède
cette langue pour imiter les mètres
des anciens. 11 en avait même intro-
duit de nouveaux : mais les formes
des Grecs et des Romains pouvaient
suffire à tous les genres comme à
toutes les pensées et à tous les sen-
timents ; et ces inventions étaient
moins une richesse qu'un inconvé-
nient pour la langue allemande ,
dont la quantité , beaucoup moins
précise que celle de ces deux lan-
gues anciennes , pouvait prcter à
de nombreux- abus. Ramier se bor-
na presque exclusivement aux mè-
tres employés par Horace. Il faut
avouer qu'd est , sous ce rapport,
souventloin de son modèle; ses hexa-
mètres, ses saphiques , ses asclépia-
des mêmes , manquent fréquemment
de césure; on y voit jusqu'à trois
dactyles ou trochées de suite : ce
qui, joint au défaut presque complet
de spondées . inhérent à la langue alle-
mande,produit de la monotonie. Nous
ajouterons que quelques-unes doses
syllabes brèves renferment une com-
binaison de consonnes telle, qu'elles
ne peuvent être scandées qu'avec
beaucoup de difficulté. IMais ces dé-
fauts ne peuvent balancer le mérite
relatif de sa versification. 11 est plus
grand encore dans ses traductions ,
où il avait à lutter contre une diffi-
culté de plus. Sans doute on sent
5 >, RAM
assez souvent les entraves inse'para-
bles de ce genre de travail. Mais on
trouve des Odes entières qui peuvent
être lues comme des originaux, et
dans lesquelles le ])oète a su, en
conservant le sens du latin, genre de
mérite qui ne lui a point cte con-
teste' , sauf dans un très-pelit nom-
bre de cas , transporter dans la
strophe allemande les coupes , les
repos , les enjambements du latin ,
enfin , pousser quelquefois la fide'îiîe'
jusqu'à ne pas dépasser le nombre de
mots. Wieland avait montre, dans
son poème des Grâces et dans quel-
ques autres, combien celte langue, qui
paraît si rcfractaire, pouvait être
moelleuse sous une main habile.
Ramier lui - même, dans le Mois de
Mai ( 1 758) , et la Fête de Daplmis
et r/e/?rt^/ïHef( 1769), avait employé
et entremêlé avec succès quelques
mètres légers et gracieux. 11 n'av;iit
point encore été entrepris de lutte
aussi directe avec les anciens. Ram-
ier le fit; et, dans son début , il attei-
gnit souvent la perfection. Quelques-
uns de ses défauts ont été évités par
ses successeurs : ses qualités n'ont
peut-être pas élé surpassées. 11 n'est
point étonnant que, dans la croisade
dirigée , il y a vingt ans environ ,
contre quelques-uns des ])lus beaux
génies qui ont illustré l'Allemagne,
Ramier n'ait pas été épargné : mais
il est touchant de voir avec quelle
noble franchise il fut défendu par
celui de ses rivaux et successeurs
qui a été le plus loin dans la roule
que Ramic)' avait ouverte avec tant
de succès. ( Voyez Lcllixs critiques
sur Gotz et Iiainler , par J. H.
Voss , Manheim , iHoç) , un vol. in-
8''.) La traduction de Ramier causa
moins de surprise (pu- d'admiration,
Je public en ayant eu, pour ainsi
dire, un avant-goùl dans plusieurs
RAM
odes originales denoire auteur. Quoi
qu'il en soit, elle n'a pas rendu moins
de services que celles-ci à la litté-
rature allemande , dont elle doit
être regardée comme un des ouvra-
ges les plus utiles. Les poésies ori-
ginales et la traduction sont ac-
compagnées de notes, en général in-
téressantes , mais qui ont le défaut
d'avoir plus d'étendue que le texte;
et plusieurs peuvent tout au plus
être instructives pour des eomnien-
çanls. Ramier a consacré une grande
partie de son temps à revoir et cor-
riger les ouvrages de plusieurs poè-
tes de sa nation. Ce travail a été fait
sur quelques uns après la mort des
auteurs ; telles sont les épigrammes
de Logau ( F. ce nom ), qu'il publia
( 1759), avec Lessing; ou de leur
aveu, comme les poésies de Gotz,
Weisse, Lessing, Nicola'i, Kleist,
etc. Ce dernier avait adopté lui-mê-
me les changements dans ses poésies
proposés par Ramier et Lessing.
Mais il n'en fut pas de même des
corrections (ailes au Pi'inteinps , qui
menayaieiit ce poème d'une méta-
morphose presque complète ; et
Ramier ne les acheva pas. Dans tout
ceci la conduite de Ramier n'avait
rien de ré[)réhensible : mais il se per-
mit de disposer également des ou-
vrages de quelques autres auteurs,
sans leur aven. Les uns , comme
Lichtwer, eu furent fort olTcnsés :
d'autres, tels que Uz, ado])tèrent ses
changements. Cette espèce de manie
de réformation générale a été blâ-
mée avec raison. Peu de personnes
néa)iraoins ont supposé que Ramier
voulût établir par ce moyen l'idée
de sa supériorité. Cette inlenlion lui
était lout-à-fait étrangère. An reste,
quoique ses coneclions aient pres-
que toutes obtenu l'approbation gé-
nérale, et qu'elles aient clé utiles au
RAM
perfectionnement de la langue , la
plupart; des anciennes éditions sont
encore préférées à celles de Ramier.
Il eût donc été à désirer qu'il em-
ployât le même temps à composer
des originaux. Il se serait épar-
gné de nombreux désagréments ;
et nous aurions peut-être qurlqucs
chefs-d'œuvre de plus. Au reste,
il se montrait au moins aussi se-
vère pour lui - même que pour les
autres. Ou en peut juger en compa-
rant la deuxième édition de ses OEu-
vres à la première. Si traduction du
Cours de belles-lettres de Batteux
contribua sans aucun doute à réfor-
mer le goût et à introduire des idées
plus justes dans la littérature. Il l'ac-
compagna de beaucoup de remar-
ques, et prit avec raison ses exem-
ples daus des auteurs allemands; mais
il eut tort d'exclure près qu'entière-
ment les citations des autres langues.
Ce travail de Ramier fut , pendant
long-temps, le principal ouvrage clas-
sique des Allemands ; et c'est un mé-
rite qu'on ne peut lui refuser , quel-
que succès que ses compatriotes
aient obtenu depuis dans ce genre.
La première édition parut à Leip-
zig , en 1 708 , 4 "^'ol- 111-8°. ; la cin-
quième en i8j3. Chaque édition con-
tenait des additions plus ou moins
considérables. On peut conclure de
ce qui précède, que Ramier a agran-
di le domaine de la poésie alleman-
de, tout en la soumettant à des rè-
gles plus précises, et qu'il partage
avec Lessing la gloire d'avoir con-
tribué à fixer la prose de la langue
allemande. Nous alli)ns passer en i-e-
vueses antres principaux tri>vau\. I.
Chaiiscns [mhliées parlui et son ami
Krause : elles curent un très-grand
succès. II. Epi^ramines de Logau,
2°. édition, augmentée de 3 livres, cî
accompagnée de remarques, '2 vol.
RAM
53
petit in 8"., Leipzig, 1791- lïL
Chansons des allemands, le i'^'",
vol. sous ce titre, Berlin, 1766; le
2^. sous celui à'Antholope lyrique,
Leipzif^, 1774-'^? ^ tom. in-S*. Ce
Recueil contient des poésies de près
de cent auteurs , dont les plus mar-
quants étaient Burger , Gleim, Gotz,
Gottcr,Hagedorn, Kleist, Lessing,
Uz, Zachariœ, etc. Le dernier volu-
lume renferme des chansons, aux-
quelles Ramier avait fait subir plus
ou moins de changements. IV. Re-
cueil des meilleures épigrammes
des poètes Allemands (Flemming ,
Olearius , Tscherning , etc. ) i'*^.
partie, Riga, 176G, » vol. in-8°.
V. Recueil de fables , 3 vol. in-S". ,
Leipzig, 17QO, contenant des fables
ou contes, plus ou moiiis corrigés, de
plus de soixante auteurs, Gleim,
Gôckingk, Gotz, Hagedorn, Haller ,
Kœstner, Lessing, LichlAver , Nico-
laï, Weisse, etc. VI. Fables et con-
tes, etc., recueillis par Cli.G. Ram-
ier, et composés par lui-même,
Gotz, Lessing (fdbles mises en vers),
etc. Vil. Choix d'idylles deSal. Ces-
ner, mises envers, Berlin, 1787,
un vol. in-8°. VIII. Le premier na-
vigateur ( du même ), mis en vers ,
Berlin, 1789, un vol. petitin-8'^.IX.
Extraits de Martial , en latin et en
allemand, i^e.pait., Leipzig, 1787,
un vol.in-80.; 2e.- S*-*, part., Leip-
zig, 1788-91. Les quatre deniicres
parties sont traduites par Ramier;
l'autre a été seulement corrigée par
lui. Plus tard il fit paraître sa propre
traduction d'une plus grande quan-
tité de morceaux, et d.ms les mètres
du latin. Ce travail a été jugé diver-
sement. En général on a pensé qu'il
offrait une él\idc utile pour les jeunes
gens, mais que le choix n'avait pas
toujours porté sur des morceaux ca-
pables d'intéresser des lecteurs mo-
54
RAM
dernes. X. Mjthologie abrégée ,
etc. , Berlin, 1790, a vol. in 8'^. ,
2"^, édit. , 1808. Presque tous les ou-
vrages allemands de ce genre étaient
liiaiivais pour le fond ou le style :
aussi celui de Ramier fut accueilli
très-favorablement, XI. Extraits
de Catulle , en latin et en allemand ,
Leipzig, 1793, un vol. in-8''. Ce
travail çst fort estiuie'. Toulefoi-s on
reproche à Ramier d'avoir imite'
trop servilement les mètres de l'ori-
ginal; ce qui donne de la roideur à
sa traduction , et d'avoir abusé de
la faculté qu'a la langue allemande
de faire des diminutifs. XII. Odes
choisies d' Anacréon, et les deux
odes de Sapho, avec des R.eraarques,
par Ramier. Il nous paraît superflu
de parler d'une très-grande quantité
de pièces insérées dans des recueils
périodiques ou autres, de morceaux
de circonstance , etc. , qui n'ajou-
tent rien à la gloire de Ramier, Le
'2']'^. volume des OEuvres de Les-
sing contient quelques lettres de lui
et de Ramier : elles sont presque to-
talement dépourvues d'intérêt, et ne
répondent nnliementà la réputation
de deux hommes aussi distingués.
Si l'on excepte les désagréments
qu'il s'attira lui-même par sa ma-
nie de corriger , Ramier vécut heu-
l'eux. Doux, simple et sans pré-
tention , il n'offensa jamais per-
sonne de dessein prémédité , et se
trouva dans des rapports plus ou
moins intimes avec la plupart des
poètes et littérateurs de son temps.
IjC recueil de ses ))oésies, publié par
son ami Gockingk ( 1800-01 , 2
vol. in-8". ), est suivi d'ime Notice
biographique intéressante; et l'on
trouve dans Jordens des détails très-
étendus sur ses écrits. Son portrait
a souvent été gravé , notamment par
Ijaiisc, dans le lome m de la Phj-
lUM
siognom. de Lavater; et par Eckerl
et Rode, d'après Lisiewski. On l'a
aussi dans une belle médaille d'A-
bramson, 1775. D — u.
RAMOS ( Don Henri ) , militaire
et écrivain espagnol , était natif d'A-
licante. Il entra d'abord dans l'artil-
lerie , puis dans la garde royale es-
pagnole. Il servit avec distinction
dans les guerres d'Alger (1772), de
Gibi'altar (1780), contre la répu-
blique française ( 1794 ), et parvint
au grade de maréchal-de-carap. Son
instruction n'était pas moindre que
sa bravoure ; et il cultivait avec un
égal succès les sciences exactes et la
poésie. Il était surtout très instruit
dans la géométrie, et plaçait cette
science au premier rang des connais-
sances humaines. Il mourut à Ma-
drid , en 180 1 , âgé de soixante-trois
ans. Parmi ses nombreux ouvrages
nous citerons les plus connus :I. Elé-
ments sur V instruction et la discipli-
ne de V infanterie ^ Madrid, i776,in-
8°. II, Eiéments de géométrie, ibid.,
1787, m. Instruction piAir les élè-
ves d'artillerie, ibid., 1787, in-4*'.
IV, Eloge de Bayan, marquis de
SantaCruz , ibid., 1780, V. Gu:-
inan , tragédie en 3 actes , Byrcclo-
ne, i78o,in-8'>. VI. Pelage, ira-
gédie en 3 actes , Madrid , 1 784 , i»-
8°. Ces deux pièces obtinrent un
grand succès. Il existe une autre
tragédie de Pelage, par Quinta-
na. VII. Le triomphe de la vérité,
Madrid, 1796, in^"., poème en
douze chants, fort bien écrit, plein
de verve , et qui a mérité l éloge des
littérateurs espagnols. B — s.
RAMOS PAREJA et non PEREÏ-
RA ( BARTHiiLKnn ) , léformatcur
delà nnisique , naipiità Salamanque
vers i535. Il était aussi habile dans
la th(-orie que dans la prati(|ue de
cet art. Nicolas V ayant fondé à
RAM
Bologne une chaire de nausique, y
appela Pareja . en i582 , pour l'oc
cuper. Maigre les nombreux par-
tisans de Guido d'Arezzo, il eut le
courage de montrer à toute l'Italie
les inconve'nients du système de ce-
lui-ci; et il publia, pour le prouver,
son Traité de la musique, Bologne,
iSgS, qui, après avoir cte vivement
combattu parles Guidistes , fut gé-
néralement adopté, d'abord en Ita-
lie, et ensuite dans toute l'Europe.
Pareja a composé plusieurs savants
morceaux, comme des Motets, des
Psaumes , des Cantiques , etc. , qui
se conservent encore à Bologne. Le
célèbre P. iNIartiui en acquit une
grande partie, qui se trouvent à la
bibliothèque musicale du couvent de
Saint-François delà même ville. Pa-
reja y mourut en 1611. B — s.
RAMPALLE , littérateur , est
moins connu par ses ouvrages que
par ce seul vers de Boileau :
Ou ne lit guère j)lus Rampalle et IMesnardière.
( .-Jrl jjoét., cli. IV.)
Il avait cependant de l'esprit et de
l'instruction, puisqu'outre les lan-
gues anciennes, il possédait l'italien
et l'espagnol ; mais il manquait du
talent qui seul donne une réputation
durable. On conjecture qu'il était de
la même famille que le P. Pierre de
Saiut-André {F. Pierre, XXXIV,
394). Il s'attacha, dans sa jeunes-
se, à la maison de Tournon ; et
il paraît qu'il suivit à l'armée Just-
Louis de Tournon, son maître, tué
devant Philisbourg , en iG44- On
ignore les autres particularités de
sa vie , ainsi que l'époque de sa
mort , qi'.'on place vers 1660. Col-
letet parle de Rampalle avec éloge
dans son Discours du poème buco-
lique,^t. 3']. « Il savait, di!-il, le beau
» tour de vers aussi bien que pas un
» de ma counaissanccj et il a vcnou-
R.\M
55
» velé la gloire de l'idylle , puisqu'il
» nous en a donné plusieurs imitées
» du Prcti et de Marini. » On connaît
de cet écrivain : T. V Hermaphrodi-
te , poème , imité de Jérôme Preti ,
Paris, )G3g , in - 4°. H- Ij^ Erreur
combattue , discours oii il est prou-
vé que le monde ne va pas de mal en
pis, ibid,, 1641 , in - 8". III. Les
Evéneui eut s prodigieux de V^ém our,
nouvelles trad. de l'espagnol , de
Juan Pcrez de Montalvano , ibid. ,
1644 ■> '^ vol. in - 8°. IV. Discours
académiques , ibid. , 1647 ' ii"8''. ;
le dernier de ces discours est intitu-
lé : De l'inutilité des gens de lettres.
V. Idjlles, ibid. , 1G48 , in-40. et
in-i 2. Brossctic les trouve médiocre-
ment belles ; l'abbé Goujet en juge
encore plus défavorablement. VI.
La Chiromance naturelle , de Rom-
phile , traduite en français , ibid. ,
i653 , in-i2. Rampalle paraît être
le véritable auteur de Bélinde , tra-
gi-comédie, Lyon, i63o, in-80. ;
et de Saijite Dorothée , ou la Suzan-
ne chrétienne , pièce représentée et
imprimée à Lyon , en i658 , que le
bibliothécaire des Carmes ( Cosme
de Viiliers)attribue, par inadvertan-
ce , au P. Pierre de Saint-André.
W— s.
RAMSAY ( Andrk-Michel de ),
littérateur, d'une branche cadette de
l'ancienne et illustre famille de ce
nom, naquit, en 1686, à Ayr, en
Ecosse. Il montra, dès sa jeunesse ,
.un goût très-vif pour les sciences, et
s'appliqua surtout à l'étude des ma-
thématiques et de la théologie. Les
doutes qu'il conçut sur la vérité de
la religion anglicane , le déterminè-
rent à en faire un examen attentif :
il consulta les plus célèbres théolo-
giens de Glascow , d'Edinbourg et
do Londres ; mais aucun ne put
dissiper ses incerliludcs. 11 résolut
56 RAM
alors de n'obéir qu^à la raison , c'est-
à-dire , de ne reconnaître que lui-
même pour juge de sa croyance ; er
lour-à-îonr il jiassa du sociiiianis-
meàrindilTérence, et de l'indilleren-
ce au pyrrhonisme le plus absolu ,
sans toutefois recouvrer la tran-
quillité qu'il avait perdue. Fatigue de
cet état, il se rendit en Hollande ,
])0ur exposer ses doutes au célèbre
Poiret ( F. ce nom ) , ministre fian-
çais réfugié , dont l'éloquence ne
put le convaincre. Il eut enfin le bon-
Ijeur de trouA^cr , danc les eiitietiens
de Fénélon , la vérité qu'il cherchait
de bonne foi; cl, en 1709, il em-
brassa la religion catholique. L'il-
lustre archevêque de Cambrai con-
serva jusqu'à sa mort uneeslirne par-
ticulière pour son élève, dont il ap-
préciait les talents et la vertu. Quel-
ques opuscules avaient fait connaître
Rarasay d'une manière a^-antageuse,
quand il fut nommé gouverneur du
duc de Château -Thierri , et du prin-
ce de Tu renne , et chaigc ensuite de
l'éducation des princes , fils du pré-
tendant ( Jacques 111), réfugié à
Rome. Des intrigues l'éloignèrent
bientôt de cette petite cour. En 1780
il fit xm voyage en Angleterre, muni
d'un sauf- conduit du roi George ,
et il y fut accuei li avec les égards
dus à l'élèTe et l'ami de Fénélon. Il
fut admis à la société royale de Lon-
dres ; et il témoigna le désir d'être
reçu docteur de l'université d'Ox-
ford : la qualité de catholique y»
mettait un obstacle presque insur-
montable ; le docteur King fit cesser
tonte opposition, en disant: « Je
» vous présent*: l'élève du grand Fé-
» nclon ; ce snd titre répond à tout. »
{\oyv7.\' Histoire de Fénélun , par
M. de Raussel , m , •;>,()(). ) A sou
retour en France, Ramsay fut inten-
dant du prince de Tureunc , depuis
RAM
duc de Bouillon. Il mourut à Sainî-
Gcrmain-en Laie, le 6 mai 1743 , à
l'âge de cinquante-sept ans. Ses qua-
lités lui avaient fait un grand nom-
bre d'amis, entre lesquels on doit
citer J.-B. Rousseau, et Louis Racine,
qui lui adressa ses deux Epitres sur
Vhomvie. Outre les éditions qu'il a
données des Dialogues des morts et
des Dialogues sur V éloquence par
Fénélon, on connaît de Ramsay : I.
Discours sur le poème épique , im-
primé à la tête de l'édition du Télé-
maque, 1717, in-12, et plusitnirs
fuis depuis. Ramsay adopte 'es opi-
nions de La ftîotte sur la poésie en
prose , dans le dessein de re'ever le
mérite du Télémaque , et répond aux
critiques que Faydit et Gueudeville
avaient faites de ce chef-d'œuvre.
( F. FenÉlon. ) IL Essai philoso-
phique sur le gouvernement civil,
Londres , 1721 , in-12; ibid., 1722,
in-8°. ; réimprime sous ce titre, £5-
sai de politique , où l'on traite dos
bornes et des différentes formes de
1^ souveraineté , selon les principes
de l'auteur du Télémaque, la Haye,
sans date, deux parties in - 12. Cet
ouvrage n'est que le dévelop])ement
des conversations qu'eut Fénélon
avec le Prétendant , ])endant le sé-
jour que ce prince lit à Cand)rai,
dans le cours de la guerre de la suc-
cession. Il est difilcile, ajoute M. de
Rausset , de réunir sur la politique,
des idée.-» phis justes et plus saines;
de les présenter sous tnic forme plus
claire , et plus à la portée de tous
les esprits raisonnables; et de les dis-
cuter avec nue iriipartialité jdus
exempte de prévention et d'enlhou-
siasine. ( Voyez V Jlistoirt'. de Féné-
lon. )\\\. Histoire de lavie de Fran-
çois de Saliiinac de La Motte Féné-
Ion, la Haye, i7'.>.3, in-i'.>, , pu-
bliée aussi en anj^Iais, à Londres, la
RAM
même annde. Quoique fort abr^j^ée ,
clic eut Ijcaiicoiip de succès j mais,
dit ]M. de Bausset, l'auteur y f.iit
entrer, avec trop de de'lails peut-
être, le récit de ses rapports per-
sonnels avec l'arclicvcque de Cam-
hrai.lV. Deux Lettres dans le Jour-
nal des Savants, juin I7'i6, et
fe'vrier 17*27 , dans lesquelles Rani-
say prouve que V abrégé des Fies
des Philosophes, publié sous le nom
de Féneion ( F. ce nom , XIV, p.
Soi , col, I ) , n'est point l'ouvrage
de ce prélat. V. Les f 'otages deCj-
7its,a\ec un Discours sur ia mytho-
logie , et une Lettre de Frc'ret sur la
ciironoloj^ie de cet ouvra{2;e , Paris
et Londres, 17'27 , 2 vol. in-8'\;
idem en anglais , E linbourg, 1 n-ic) ,
iri-H", C'est moins un roman qu'un
système d'éducation pour un jeune
prince. Cet ouvrage, fait à l'iuiita-
tioîi du Télémaque, mais trop loué
par les amis de l'auteur, essuya plu-
sieurs critiques(i ),dontRamsaypro.
fîta pour le perfectionner, en mettant
en action ce qui était en récit. Le
style en est assez éégant, mais trop
charge d'érudition et de reflexions.
11 prend son héros depiu's sa seizième
année jusqu'à la quarantième , espa-
ce qie Xénopbon avait laissé vide ,
et le fait voyager pour avoir oc-
casion de peindre la religion , les
moeurs, la politique et les diverses
révolutions de la Grèce , de l'Egyj)-
tc, de Tyr et de Babylone:à propre-
ment parler il n'y a de romanesque
(1) On st'ra ^K-ut-i'-lre bien aise d*e'i trouver ici
les tities : Sniieil.- la X,<wdU Cyi nfiàle , ou Ri-
Jitxioiti (le ([ynis sur «ef yoyiiges , ArnstercJam
(Hoiu-n ) I7«8 , iii 8». Cette saliie viiulciile e>t ,
selouquel(jiiesbiugr^i|ibes , l'ouvrage de M"'" U'A-
Reuois, (le la princesse de Conli , du duc d'Aiguil-
lon et de l'ablie de Grecourl , etc. Knlrtt.t;n^ sur
UsVoyaiies de Crrus (par les abbés Desfontaineset
Grauet) , Nauei , 17»8, iu- i». Celte critique est
lieauciiup plus luodéiet^cfue la précédente, tnlin la
Bthlinthctjtic lUs /fi)/»n/j< , decenib. 177.Ï, <'nntient
nue Lettre du P. Viuot ,de l'Oratoire , sur<pnl<(ucs
l'ajsagei de Cyrus ,aTcc la Rcf/viise de Raïusay.
RAM
5-7
que le premier livre; les autres sont
jiurcineiU historiques. ( /'. Pernet-
Ti.) \ I. L'IIiitoire de Tureiine, Pa-
ris, I 735, '2 v,in-4°., ou 4 vol. in-12;
l'auteur ea donna aussi une éditiou
anglaise : elle est écrite avec ordre
et ]irccision ; mais elle ne fait con-
naître que le grand général, et non
l'hoinine doué de toutes les vertus
sociales. Vil. Deux Lettres à Louis
Racine, pourjuslificrPopedes repro-
ches adressés a son Essai sur l'hom-
me , à la suite du poème de la Re-
ligion. V^IIL Lettre au P. Castel ,
cuutenant V Eloge historique de Sic-
ne , ( dans le Journal des Sai>aiits ,
1 735 , p. 3'i6.) IX. Le P^ycomètre
ou Ri'flexioDs sur les différents carac-
tères de l'esprit , par un Milord
anglais: ce sont des remarques sur
le Characteristics de Shaftesbury.
X. Poèmes eu anglais , Edinbourg ,
173^, in-4°. Ces pièces, d'un gen-
re mystique, et d'un style trop enflé ,
furent publiées sans l'aveu de l'au-
teur. XL Deux ouvrages posthumes ,
en anglais , savoir :un Plan d'éduca-
tion , et Principes jlnlosophini^es
de la religion naturelle et révélée ,
développés et expliijués dans l'ordre
géométrique, Gla'îgow , 1749 < 2
vol. in-4*'. On trouve , dans ce der-
nier ouvrage, des opinions très-sin-
gulières sur la métempsycose, l'ani-
mation des brutes par les démons ,
la fin des peines de l'enfer, etc. Aus-
si quelquescriliqucs pensent ils qu'on
l'attribue faussement à cet écri-
vain, ou du moins que les éditeurs
l'ont altéré dans une foule de pas-
sages. On reprocha , de son vivant,
au chevalier de Ratnsay , un pédan-
tisrae qui lui donnait beaucoup de
ridicule dans la société; mais on fut
étonné de voir , sous la plume d'un
étranger, un style très pur, une ha-
bitude singulière de notre langue .
58 RAM
sans le moindre vestige de tomniiie
ou d'exprcssioii exotique. Peut être
ne sacrifiait-il pas assez aux grâces ,
surtout dans ceux de ses ouvrages où
l'utile ne passe et n'a droit de passer
qu'à la faveur de l'agre'able , comme
dans ses Voyages de Cjrus, qui fi-
rent dans le temps pins debruit qu'ils
n'auraient dû en faire, et qui sont peut-
être moins lus aujourd'lnii qu'ils ne
le me'ritent. Ramsay e'tait membre
de la société littéraire de Spalding ,
dans le Lincolnsliire , ( dont le ber-
ceau remonte à l'an 1710 ), et il
passait pour avoir beaucoup contri-
bué à la propagation de la franc-
maçonnerie en France (2). — Char-
les-Louis Ramsay, gentilhomme
{9.) lîarasav s*( tait lioaucoup occupé de Ja fraiic-
maronueric ; et il roulait dans son esprit de grands
piijjcfs sur cette iostitutiou dont il ttait le gi-a:id
cbaucelier ])Our le royaume de Fjance. D'abord il
voulait rétablir les cérémonies anciennes , dérivées ,
selou lui . d'une confrérie f jrmée en Palestine, du
teraps des Croisades, pour relever les églises détrui-
tes ]iar les Sarrasins, mais qui avaient dii éti'e m-t-
diliécs en Angleterre, afin de ne pas donner d'om-
hrage à la reine Elisabeth , qui ne voulait voir dans
les francs-maçons que de- papistes de^juisés. Dans
ce but, il se proposait de convoquer à Paris une dé-
putation de toute-* les loges de l'Europe; maisle car-
dinal deFleury le dissuada de ce projet Un précep-
teur (\u comte de Reuss, nommé Geusau , qui Ht ,
CQ i-^i , à Paris, connaissance avec Ramsay , et
s'entretint frénnemment avec lui . apprit de sa bou-
cHefceaucoup de détails du même genre , tels que le
jilau d'une souscriplionàdix louis par tète oflérte à
tous les liancs-marons en Europe , «values à trois
znille , et dont le ))rodait e!v d'abord été employé à
l'impression d'un aictionuaire universel en fiançais ,
qui devait comrrcndrcles quatre arls libéraux , ainyi
que les sciencc^bistoriques.Ramsay apprit eu outreà
Geusau que les francs-ujaçons de Paris avaient chaque
mois une réunifn où on lisait un Mémoire relatif à
nu des quatre arts, et qui était suivie d'un souper oii
tf)us les rangs étaient confondus , et où chacun ne re-
cevait qu'une mesure lixe devin. Un duc avant vou-
lu un jouroutre-pasBcr celle mesure, Bamsay avait
improvisé un discours snr la nécessité de la sobric*-
té, etc. Enfin Geusau apprit encoie quela re.sLiura-
tiondu trône royal d'Angleterre avait été préparée
par le» francs-maçons , auxquels appartenait Je gé-
néral Mourk; mais que Bamsay n'avait pas voulu
citer ce fait dans «on Histoire de la franc-maçonne-
rie (ouvrante proba!>lemi iit demeuré inédit } , dans
lacrainled'ixiioser sesconfrères au soupçon de s'oc-
<:u|H:r]ialiilnellcment de politique. /'. la Vie de Geri-
«au , dans les Hii^ffm/iliics de Huscliing ( t. m, p,
3ir)-33S). On trouve aussi des anecdotes sur Ram-.
»ay, dans le re<iieil d'anecdotis de .Speiice , qui a
rté public eu i8ïo, 4 Londres, par S. W'e'li r Siu-
B<-T. D— G.
RAM
écossais , probablement de la même
famille que le précédent , s'occupait
de chimie et de médecine, et tradui-
sit en latin un ouvrage de Kunckel
(/^. ce nom, XXII, 58(3, n». u );
mais il est principalement connu
par sa Tachéo graphie ou VAit d'es-
criie aussi viste qu'on parle , qu'il
publia en latin, dès 1678, et avec
une version française (par A. D.G.),
Paris, 1681, i683, 1688, 1690,
1692, in-x2 ; souvent réimprimé en
Allemagne, Leipzig, 1681 ; léna ,
i684; traduit en allemand, Leip-
zig, 1743,111-8''. Quoique dès i588,
beaucoup d'auteurs eussent publié
en Angleterre des livres sur celte
matière, l'art sténographiqne était
fort peu connu sur le continent. Le
P. Gaspar Schoit, danssa Technica
curiosa ( tora. 1, p. 533 , pi. 87 et
38 ), avait bien donné, en 1G64,
les principes de Shelton , publiés en
Angleterre dès i655; mais l'ouvra-
ge de ce jésuite, trop volumineux
pour se trouver dans beaucoup de
mains , était comme perdu dans la
poussière des bibliothèques. Jacques
Cos.sard, prêtre, avait fait imprimer
à Paris , en 1 65 i , une Méthode de
son invention , assez différente des
systèmes anglais, et dont un exem-
plaire sur parchemin fut déposé à
la bibliothèque du Roi (3). Cet opus-
cule,tiré à petit nombre, et fort rare
aujourd'hui, était lout-à-fait oublié;
et l'on peut dire que c'est dans celui
de Ramsay que l'Europe continenta-
le a pu prendre quelques notions
d'un art singulièrement amélioré de
nos jours , porté près de sa perfec-
tion, en 1788, par Coulon-ïhevc-
not, et devenu d'un usage commun
depuis la révolution. Au surplus,
(3^ Mer.l.r de Sainl - I.. .:;er ( Xnlu-c sur G.
Srîinll , p S; ], rlh- .ln^^i un .venipliirc de la 'Ja-
cUeugiaphie de Ramsay, impiiiuc sur vélin.
RAM
Rainsay ne se donnait point comme
inventeur; et sa mëlliodc de 1681 ,
est à peu de chose près la même que
celles que Th. Cross, en i6|5 , et
iShehon , dix ans après , avaient pu-
Llie'es en Angleterre. L'éJition de
i683 du livre de Ramsay est retou-
chée, mcrnedans le texte latin, pour
être mieux adaptée à la langue fran-
çaise. W — s.
RAMSAY (David ), médecin et
auteur américain , n'est connu que
par ses ouvrages. Nous n'avons pu
nous procurer aucun renseignement
sur sa vie : on sait seulement qu'il
était né à Charleslown , dans la Caro-
line méridionale , qu'il futmenibre
du congrès des Etats unis , pendant
les années 1782, 1783, 1784 et
1 785 , et qu'un de ses malades , qu'il
était allé visiter dans un hospice
d'aliénés, l'assassina en i8i5. Les
ouvrages de Ramsay qui ont été pu-
bliés, et qui jouissent d'une estime
méritée, sont: I. Histoire de la
révolution d' Amérique , en ce qui
concerne la Caroline méridiona-
le, 1791, 2 vol. iu-8''. , traduit
en français. IT. Discours pronon-
cé à Voccasion de V anniversaire
de l'indépendance américaine. III.
Revue des améliorations et de l'é-
tat de la médecine dans le dix -hui-
tième siècle, 1802, in^"^. IV. ^'e
de George TFashington , i vol.
in- 8". ; traduite en français par un
anonyme, Paris, 1809, i voLin-S"^.
Cette vie généralement bien écrite ,
paraît avoir été rédigée avec impar-
tialité et sur de bons matériaux : la
traduction française est pleine d'in-
corrections.— Ramsay (Jacques ) ,
chapelain dans la marine , et vicaire
de Teston dans le comté de Kent ,
auteur de sermons pour les marir-s
( Sea Sermons ) , in-8". , et de quel-
ques Traités sur la traite des nègres ,
RAM 59
mourut le 20 juillet 17B9, à 56
ans. D — z — s.
RAMSDEN ( Jessé ) , célèbre op-
ticien . naquit, en 1785 , à Halifax ,
dans le Yorkshire. Il était fils d'un
fabriquant de draps. La littérature et
l'histoire , les mathématiques et la
chimie, l'occupèrent tour à-tour dans
sa jeunesse; mais son père l'obligea
bientôt de renoncer à l'étude, et de
prendre sa profession. A l'âge de
vinst et un ans, il vint à Londres
chercher une occupation plus digne
de ses talents : apiès en avoir essayé
plusieurs, il se décida pour l'art de
la gravure, qu'il apprit de Burton.
L'imperfection qu'il remarquait dans
les instruments de mathématiques
qu'on lui donnait à graver , lui fit
naître le désir d'en procurer de meil-
leurs à ses compatriotes. Il sut bien-
tôt tourner, limer, et travailler le
verre ; et ayant fait connaître ses ta-
lents en ce genre , il épousa une fille
du fameux opticien Dollond , et éta-
blit une fabrique à son compte, en
1764. C'est alors qu'il forma le pro-
jet de passer en revue tous les instru-
ments d'astronomie pour corriger
ceux qui ne péchaient que ^^t la
construction , et remplacer les au-
tres. Il débuta par perfectionner le
quart de réflexion ou sextant de Had-
ley ( ^oj. ce nom ). Le besoin qu'il
avait d'une machine à diviser, lui en
fit imaginer une supérieure à celles
que l'on connaissait , et qui lui valut
line gratification de quinze mille
francs du bureau des longitudes. Il
avait commencé, dès 1768 , à s'oc-
cuper de cette machine : mais ce fut
en 1778 qu'il la perfectionna, au
point qu'elle e\'geait moins d'une
demi-heure pour diviser un sextant.
Le président Bochard de Saron , qui
lui acheta une de ces machines , par-
vint à l'introduire en France ( en la
6o
RAM
cachant dans le pied d'une table ron-
de construite exprès ) , et la fit
connaître aux artistes de Paris. Dans
le même temps Ramsden perfection-
nait le théodolite, devenu par ses
soins un instrument nouveau, qui sert
pour mesurer les hauteurs comme
pour lever les plans. Il fit diiïerentes
améliorations au baromètre, au py-
romètre, à la machine èlectri(pie,etc.
Il construisit une balance d'une telle
sensibilitè,({uechari^éededeuxliv. sur
chaque plateau , la cinq -millionième
partie de ce poids , suffisait pour lui
faire perdre l'équilibre. Mais c'est
l'optique surtout qui lui est redeva-
])le de grands perfectionnements: on
lui doit l'invention d'un micromètre
plus exact que celui de Bougucr ; il
a singulièrement perfectionné la lu-
nette des passages, le quarl-de-cer-
cle mural et i'equatorial. f^e grand
mural qu'il exécuta pour l'Observa-
toire de Blenheim , est une des plus
belles machines d'astronomie que
l'on connaisse. Quoiqu'il occupât ha-
bituellement soixante ouvriers , il
nepouvailsuffireauxdemandesqu'on
lui adressait de toutes les parties de
l'Europe. Ramsden était membre de
la société royale de Londres depuis
1786 ; il mourut à Briglithelms-
tonc , le 5 novembre 1800. La
pluj)art des machines inventées et
peifccîiomiées par Ramsden ont été
décrites: Descri/>lion(Vmie machine
])Our diviser les instruments de ma-
thématiques ( en angl. ) , Londres ,
1777, in-4''. ; traduite en français ,
par Lalrinde, Paris , 1770.10-/1". ,
de 1.4 pages, avec 4 gt". planclies.
— Descri|iiion du Nouveau Micro-
mètre de Ramsden ; dans le 68". vol.
des Transact. jiliilosojihiq. , année
1779. — Sur les Oculaires des lu-
vetles ; dans le 73'". vol. de cette
collection, année 1783. — Nouvel
R.\M
Instrument , cercle entier de Rams-
den , Journal des saA^anfs , année
1787. — Description du Théodolite,
dans le Treatise on P radical astro-
nomj , par M. Vince, 1790. — Des-
cription du Grand mural placé à
l'Observatoire de Milan , par de Ce-
saris , dans les Epheinerides annî
179.2. — Description d'un Equa-
torial d'une grandeur singulière ,
dans les Transactions philosoph. ,
1793 : l'axe de cet instrumenta huit
pieds , et les cercles, quatre pieds de
diamètre. On trouvera des détails
pleins d'intérêt sur le caractère de ce
grand artiste, et sur les services qu'il
a rendus à l'astronomie , dans une
Lettre adressée par M. Piazzi à La-
lande , et insérée dans le Journal des
Savants, novembre 1788. W-s.
RAMUS ( Pierre La Ramee ,
plus connu sous le nom latin de ) ,
célèbre philosophe, et l'un des pre-
miers qui tentèrent de substituer à
l'autorité des anciens celle du rai-
sonnement et de l'expérience, naquit
dans un village du Yermandois (i),
au commencement du seizième siè-
cle. La plu|)art des biographes pla-
cent sa naissance à l'année i5i5;
mais Joly et l'abbé Gonjet conjec-
turent avec beaucoup de vraisem-
blance , qu'elle eut lieu vers i5o2.
L'aïeul de Ramus était un gentilhom-
me du pays de Liège, qui , ruiné par
les guerres, se réfugia dans la Picar-
die , où il vécut, avec sa l'.imiile,
d'une exploitation de charbon. Son
père , trop pauvre pour lui don-
ner aucune éducation , l'employa
d'abord à paître les troupeaux; mais
cet enfant , tourmenté ])ar le désir
d'apprendre, s'enfuit à l'âge de huit
ans , et vint à Paris , d'où la misère
(0 A <;,.llir, mImii !.. i,liii...il <l.s I.;. Kr.i|il»-.-;
,„;.;, c- v.\h>y.'- M'.st i.li.s .onnii i„.,iulriiaul, illf
H.iTiIrot ( I/ul. '/<-■ S'iint-(,>iiciiun , y ïyo ).
RAM
l'eloigna bientôt. Un second voya-
ge ne fut pas plus heureux : enfin
un de ses oncles se chargea de payer
quelques mois sa pension dans une
école; et afin de pouvoir continuer ses
e'tudes, Ramus entra comme domesti-
que au collège de Navarre, où il fit ,
presque sans maître , de grands pro-
grès dans les langues et la littérature
anciennes. Après avoir terminé ses
humanités et sa rhétorique, ilfrc'quen-
Je cours de philosophie ; mais il ne
tarda pas à s'apercevoir que la scien-
ce qu'on décorait de ce nom , n'était
qu'un vain cliquetis de mois. La lec-
ture de Platon et de Xénophon, eu lui
faisant connaître la méthode socrati-
que , acheva de l'éclairer sur les dé-
fauts de l'enseignement ; et il se per-
mit de les attaquer dans toutes les
occasions. Quand il eut fini sou cours,
il se présenta pour recevoir le degré
de maître-ès-arts , et prit avec ses
juges l'engagement démontrer qu'A-
ristote n'était point infaillible {■?.).
Oa accourut en foule pour jouir de
la confusion du jeune audacieux :
mais llanius obtint un triomphe
complet, et réduisit tous ses adver-
saires au silence. Encouragé par ce
premier succès , il résolut d'exami-
ner à fond la doctrine et en particu-
lier la logique d'Aristote; il rapporta
tout à ce but, ses.lectures, ses études
et même les leçons d'éloquence qu'd
commençait au collège de VyJi>e Ma-
ria. Ramus fit paraitie, en i543,
une nouvelle Lo^i'iue, et des Remar-
ques sur celle d'Aristote. Ces deux
ouvrages soulevèrent contre lui tous
les partisans de la routnie , et exci-
tèrent de grands troubles dans l'é-
cole. Ant.Govca le |)eignit, dans ses
(7.) On veuf que Ramus s<' soit eogagt' ji prendi-e
le coiitro)>if'd u'Arislotc, ct^ soutcuir <juc partout
ce pliilusnplie s'ttait trompé ( Voy. ïllatoiie tie
Vuiiiveisilè , p. 3Sg , toiii. V ); mais rcla n'est ]iai
Ti'aiscialilaljle.
RAM
61
discours, comme un impie et un sédi-
tieux qui, par ses attaques contre
Aristote, préludait au renversement
des sciences cl de la religion. Le par-
lement informa; mais le roi évoqua
l'affaire à son conseil, et ordonna
que Gofea et Ramus choisiraient
chacun deux arbitres, qui feraient à-
la fois les fonctions de défenseurs et
de juges , et , après avoir entendu les
deux parties, prononceraient (3) sur
toute cette querelle. Ramus se soumit
à comparaître devant ce singidier
tribunal , et repoussa victorieuse-
ment tous les reproches de Govea.
Mais, après un si grand éclat, on ne
pouvait pas l'absoudre : les juges ,
sous !e prétexte de quelques défauts
de forme, lui proposèrent de recom-
mencer la discussion ; Ramus ne
voulut point y consentir , et quitta
la salle sur-le champ avec ses deux
arbitres. Ainsi les adversaires décla-
rés de Ramus devinrent seuls ses
juges ; et ce fut sur leur rapport , que
le roi reudit un arrêt qui le déclare
téméraire , arrogant et impudent d'a-
voir reprouvé et condamné le train
et art de logique , reçu de toutes les
nations ; supprime ses ouvrages ,
comme contenant des choses faus-
ses et étranges , et lui défend d'en-
seigner ou d'écrire contre Aristote,
sous peine de punition corporelle
(4). Cette sentence fut reçue dans les
collèges de Paris avec des transports
de joie incroyables; et Ramus, qu'un
arrêt réduisait au silence , se vit in-
sulté publiquement par ses ignobles
ennemis. Supéiieur a cette disgrâce.
(3) Danes et Fraurois Vicumcrcato furent les
deux arbitres 3e Govea ( F. DanES, X, 49* );
Kaiims chnisit pour les sieus Jean Quîutîn , docteur
eu droit, et Jeau de BeaumoDt, docteur en mêde*
CÎDe. Le roî iiouima , pour les départir, Jean de Sali-
gnac , docteur en tliéologie , et connu par sa haine
contre Kauius.
(.')) L'arrêt rendu contre Ramus a été inséré dans
l.s Memoirei de Niccrou, X1II,-<G(5.
62
RAM
il profita de ses loisirs pour se per-
fectionner dans la connaissance des
inalhe'inatiques , et prépai'er une e'di-
tion des éléments d'Euclide , dont
il offrit la dédicaça, en 1544? '"i"
cardinal de Lorraine. Quelques mois
après , la peste ayant éloigné de
Paris un grand nombre d'écoliers,
on lui conseilla de donner des leçons
de rhétorique au collège de Presics;
et ses talents y ramenèrent bientôt
des auditeurs. La Sorbonne voulut
l'expulser de ce collège, dont il venait
d'être nommé principal: mais le par-
lement le maintint dans l'exercice de
cette charge. Eu i545, le cardinal
de Lorraine fit annuler , par le roi
Kcnri II , l'arrêt qui défendait à Ra-
mus d'enseigner la philosophie ; et
aussitôt il ouvrit un cours de mathé-
matiques, science à laquelle il sentait
la nécessité de donner une plus gran-
de part dans les études. Ses ennemis
prétendirent qu'il n'était pas conve-
nable que le même professeur ensei-
gnât les règles de l'éloquence et les
principes du calcul , et voulurent l'o-
bliger d'opter entre deux sciences
incouipalibles. Le roi mit fin à cette
ridicule querelle, en le nommant , en
i55i , professeur de philosophie et
d'éloquence au collège de France ; ce
qui excita néanmoins des réclama-
tions ( r. P. Gam. AND , XVI , 345 ).
Raraus eut beaucoup de part aux dé-
bats qu'amenèrent les réformes dans
la prononciation de la langue latine
(5) ; et il soutint , avec autant défer-
ez) Cette r,U
V'
I,),u..,
closi!i>tincii's , d('{<liil à «l'aulrcs , f)ui drlendiriMil
avi'c chaleur l'.-iiiciciiDe pioiionrlatii/n. Un bciicli-
< itT fut privé Je SCS revenus, pour avoir pruiiuncu
Ohi.«</»;\ , (Juaiir/iiain , suivant la nouvelle ré/'oruie ,
.-m lieu tUi Kiikis , et Kaiikaii ; il êe pourvut au
parlenieiit contre ce décret: les pi-oiVsseurs royaux ,
craignant qu'il ne siiccoinliât sous le crédit de la
faculté, se rrrureiit oblii^és de le secourir; ils aile-
lent donc à l'audience, it représentirent si vive-
nieiil à la cour rindi);uilé d'un tel proci», que l'ar-
ciisé riil'al»ou«, et <|u'ij|i laissa la liberté de pro-
uoueer comme on viaidiait.
RAM
melc cpie de raison , que ce n'était
point au parlement de décider uu<;
question grammaticale dont la solu-
tion occupait tous les esprits. Il
voulut essayer d'introduire quelques
améliorations dans le mode d'ensei-
gnement , et fit part à ses auditeurs
du plan qu'il avait adopté pour le
cours de logique (i552). Les huées
et les sifflets l'interrompirent dès son
début; mais il attendit le retour du
calme , et acheva son discours, mal-
gré les cris de ses adversaires , avec
un sang- froid qui les déconcerta.
Leurs intrigues ne purent l'empêcher
de poursuivre l'exécution du projet
qu'il avait conçu pour le perfection-
nement des études. Dans l'espace de
dis ans, il publia de nouvelles Gram-
maires pour le grec , le latin et le
français , plusieurs Traités de ma-
thématiques , de dialectique et de
rhétorique ; et l'on ne peut douter
qu'il n'eût travaillé avec le même
zèle sur les autres parties de l'ensei-
gnementjs'il eût vécu dans des temps
moins agités. II piésenta , en i562,
au roi Charles IX, un plan pour la
réforme de l'université, dans lequel
on est forcé de reconnaître un hom-
me d'un esprit supérieur à son siè-
cle , et incapable de transiger avec
les abus qu'd siguale en indiquant
le moyen de les corriger (Voy. VBist.
de Vunwcrsité , par Crevier , vi ,
90-96). Depuis long -temps Ramus
partageait en secret les opinions des
novateurs : après l'édit qui permet-
tait aux prolestants le libre exercice
de leur culte , il enleva de la chapelle
du collège de Presles les images et les
représentations des saints. Cette im-
prudence anima contre lui la plu-
part dcsescollèguesqui demandèrent
sou exclusion de l'université. Char-
les IX lui fit oll'iir un asile à Fontai-
nebleau j mais, dans ces leuijis m;d-
RAM
lieureiix. , la protection royale était
insuffisante pour !e soustraire à la
fureur de ses cnuemis : pendant son
absenrc, on pilla ses meubles et la
riche bib!iothèque qu'il avait for-
mée. Il retint, en i563, à Paris,
et reprit aussitôt possession de sa
chaire au Collège royal , dans la-
quelle il se maintint malgré les me-
nées de quelques envieux. Jean Dam-
pestrc eut, en i565, le crédit de se
f;iire nommer professeur de ma-
thématiques ; mais Ramus , l'ayant
convaincu d'incapacité , l'obligea de
se démettre de sa charge, et s'op-
posa de tout son pouvoir à l'admis-
sion de Charpentier, avec quiDam-
pestre avait pris des arrangements
pécuniaires ( V^oy. Charpeatier ,
VIII , 240). Les troubles civils, qui
recommencèrent, en 1367, forcè-
rent Ramus de se réfugier dans le
camp du prince de Condé : la ba-
taille de Saint-Denis ayant été suivie
d'une paix avec les protestants , il
fut rétabli pour la troisième fois dans
sa chaire; mais l'avenir l'inquiétait,
et il demanda la permission de voya-
ger dans les pays étrangers , sous le
prétexte de sa santé. Il visita 1 Alle-
magne, en i568, et fut accueilli
partout avec les é^i^ards que com-
mande le talent : sollicité d'accepter
une chaire , il ne voulut prendre au-
cun engagement qui pourrait le re-
tenir éloigné de la France; il consentit
seulement à donner quelques leçons de
mathématiques à l'université de Hei-
delberg. Ce fut pendant son séjour en
cette ville qu'd lit profession publique
de la religion réformée ; mais il ne
partageait pas toutes les opinions des
disciples de Calvin , et il proposait,
dans le inodc d'administration des
e'glises , dillérents changements que
Théod. de Rèze fit rejeter par le sy-
node de Nîmes , comme trop favo-
RAM G^
rablos à la démocratie. I/araourde la
patrie l'avait ramené en France , eu
157t. On le pressa en vain d'aller
à Varsovie pour réunir les suffrages
de la diète sur le duc d'Anjou (Henri
III ) , l'un des aspirants au trône
de Pologne ; il refusa cette com-
mission lucrative , disant que l'élo-
quence ne devait pas être mercenaire.
Ramus avait trop d'ennemis pour
pouvoir échapper au massacre de
la Saint-Barthélenii. Les assassins,
l'ayant découvert dans le collège de
Presles , l'cgorgèrent , après avoir
touché le prix de sa rançon , et je-
tèrent par les fenêtres son cadavre
palpitant , qui fut traîné dans les rues
par les écoliers , et souillé de mille
manières (6). Telle fut la fin déplora-
ble d'un homme également distingué
par ses talents et par ses qualités
morales, mais auquel on a justement
reproché un goût trop vif pour les
nouveautés en tout genre. Il avait
des connaissances très-étendues, l'es-
prit juste, beaucoup de jugement et
d'éloquence ; et l'on ne peut nier qu'il
n'ait contribué , par ses écrits et par
ses exemples, au progrès des lu-
mières et de la saine philosophie
(7). Le service le plus éminent qu'il
ait rendu , c'est d'avoir travaillé à
détruire le culte superstitieux que
vouaient aux anciens des hommes in.
capables d'apprécier leurs ouvrages.
« J'admire les anciens plus que vous,
parce que je les connais mieux , di-
sait Ramus à l'un deses adversaires:
\ù) Tous le.-i Li.st.iiions accusent Cilwrppnlier d'a-
voir co'iduit Ini-momc les iissa.^siDs cliez Ramus, au-
quel il neiKiiiv,iitpaidcD;ier d'avoir voulu IVloif^nei'
duC'ilIr^e viiyal cjujuie incapable. Ccpendaut J.
Guill. de liouheiiu , écrivain contemporain, cilé
par Frrvtag ( Aiii;"ialiii lillernrius , p. 5li \ liit
que r.liarpeutier fut uou -.seulement t-tranger au
meurtre do Bannis, miis <)u' 1 (énioi^na la plus vive
douleur en apprenaulla njortd'un si grand liomme ,
l'oriicmcnt de i'universitc. (
.(") ^"} • 'a Di>sertalion de Chr. Breitliaupt : Oe
irihiis, logiciv inslnuiatoiibtis Ramo , Venilamio el
Cnrtefic , Icna , 17 lî , in-.'|0.
61
RAM
mais qu'Arlstote, Gicéron et Quinti-
]icn soient tels qu'on voudra , il ne
s'ensuit pas qu'on doive se mettre à
genoux devant eux , les regarder avec
des yeux idolâtres , ni les croire
excellents en tout , parce qu'ils ont
excellé en quelque chose {Distinctio
r/i(;<oncfF, 4). «Comme grammairien,
s'il n'a pas trouve' la meilleure me'-
tbode d'enseigner les langues, il a
mis sur la voie ceux qui sont venus
après lui ; c'est une justice que lui
rend D. Lanceiot dans la préface dq
la Méthode 'j/ecqiie de Port-Hoyal.
Meigret avait distingué le premier le
i de l'i ; c'est à Ramus qu'on doit le
V ( V. Meigret , XXVIII , 1 48 ).
Son Traité de logique a long-temps
élé suivi dans les écoles de Suisse et
d'Allemagne; mais on doit convenir
que ses éléments d'arithmétique man-
quent de la précision et de l'exacti-
tude si nécessaires dans les ouvrages
de ce genre , et n'ont point obtenu
l'accueil des géomèires ( Voy. VHist.
des mrt//iemrtf. de Montucla,!. 5']']).
Ramus était très laborieu-s , sobre ,
chaste , et d'un désintéressement ad-
mirable , partageant ses honorrii-
res avec ses amis et ses élèves. Par
son testameni , daté de i568, il lé-
guait au Collège royal une somme
annuelle de cinq cents livres pour
l'entretien d'un professeur de mathé-
matiques élémentaires. Le parlement
disposa d'abord de celte somme eu
faveur de Jacq. Gohorry, chargé de
la continuation de l'histoire latine
de Taul-Éraili {T^oj. ce nom): mais
eu iS'yOi, on revint aux inleislions
du fondateur, et Maurice Hressieu
fut pourvu de la chaiie de Ramus ,
qu'ont remplie quchpiefois des hom-
mes d'im vrai méiile , entre autres
Roberval. Ramus a [)ul)lié un grand
nombre d'ouviages , dont on trou-
vera les litres dans les tomes xiii et
RAM
XX des Mémoires de Niceron ; mais
on se contentera de citer ici ceux qui
présentent encore de l'intérêt : I.
ïnstitiitiones dialeclicœ m libris dis-
tmcfre, Paris, i543,in-8''. Cetlelogi-
que condamnéelorsdesa publication
a servi de base à l'enseignement dans
plusieurs académies , et a élé léira-
priméeun assez grand nombredefois,
avec des notes d^Omer Talon et de
différents professeurs allemands. Ni-
ceron cite une traduction française
de la Dialectique de Ramus, Paris,
i555,in-4''. II. yJnimaduersiones
in dialecticam Aristotelis , ibid. ,
i5/}3, in-8°. ; c'est l'ouvrage qui
soulcA^a contre notre auteur tous
les partisans du philosophe de Sta-
gyre. III. Rhetoricce distinctiones
in Qiiintilianum , ibid. , i549, ^^^~
8'^. Ramus borne la rhétorique à deux
parties , l'élocution et l'action , et
renvoie à la dialectique l'invention
des preuves et leur disposition. IV.
Arithmeticœ libri très , ibid., 1 555 ,
in-4°. ; réimprimés avec des com-
mentaires et des additions de Tobie
Siéger, LazareSchoner et Villebrord
Snellius. On lui reproclie une sura-
bondance de divisions et de subdi-
visions. V. In quatuor libros Geor-
S^icorumet in BucoUca FirgiliiprcB'
lectiones , ibid. , i555-5(i , 2 part,
in- 8°. ; i"^. édition , rare. VI. Cice-
rnnianus , ibid. , i556, in-8°.; c'est
la vie de l'orateur romain , tirée de
ses écrits , et entremêlée de précep-
tes d'éloquence, de remarques gram-
maticales et de réflexions sur la lan-
gue latine, sur l'état des éludes en
France et sur les reformes dont elles
paraissaient susceptibles. Ce curieux
ouvrage a été réimprimé à Râle, in-
8**., i557 et 1573, avec une pré-
face de .1. Th. Kreig. VII. Schoice
f^rnmmallca' libri duo , Paris , 1 559,
ia-8". VIII. Graniniuticu lalina),
RAM
ibid. J'S558, in-8o. IX. Gramma-
tica ç,rUi>a quntenùs à latind dij-
/erf,ibicl\, i56o, i6o5 , iu-S'^. ;
elle offre plus de méthode que celles
qui l'avaient précédée , et a été lonj^-
teraps en usage en Allemagne. X.
Gramere{fransoeze ) , ibid., i562,
in-8°. , chef-d'œuvre d'impression
pour la beauté et la netteté du carac-
tère; ibid. , 1572 et 1587 ' même
format , avec différentes additions.
Ramus propose de nouA^eaux carac-
tères pour les sons simples, compo-
sés de deux lettres , tels que au , eu,
ou , et de distinguer les trois sortes
d'e , ce qui porterait à dix le nombre
des voyelles. Sou orthographe paraî-
trait extrêmement bizarre , si l'on ne
la connaissait que par les exemples
que Régnier Desmarais en rapporte
dans sa Grammaire : mais on con-
çoit qu'un système général doit être
juge dans son ensemble, et non d'a-
près quelques traits isolés. L'édition
de 1572 est imprimée sur deux co-
lonnes, dont l'une contient l'ancienne
orthographe, et l'autre la nouvelle ;
elle est augmentée d'une Epître de
Ramus à la leine Catherine de Mé-
dicis : celle de 1587, faite sur la
précédente , contient , d'après l'avis
du libraire , quelques additions de
Tîoursct etde l'avocat Bergeron, deux
des meilleurs amis de l'auteui'. Cette
grammaire a été traduite en latin par
Pantal. Tbevenin, Francfort, i583,
in-8°. XT. Liber de moribus vete-
rum Gallorum , Paris , iSSg ou.
i562, in-8'*. ; trad. en français par
Michel de Casteinau , sous ce titre :
Traité des façons et coutumes des
Gaulois y 1559 ou i58i , in-B".
Ramus y compare les mœurs des
. Gaulois avec celles des Germains et
des Bretons ; et , par leur ressem-
blance, il prouve que les Gaulois ont
habité la Germanie et la Bretagne.
xxxvii.
RAM
65
CiCt ouvrag est très-curieux , sur-
tout dans la partie qui traite de la
forme du gouvernement. XII. Liber
de militid C- Julii Cœsaris , ibid. ,
iSSg, in-8*'. Ce traité , écrit d'un
latin élégant mais trop oratoire , se
trouve ordinairement joint au pré-
cédent , et n'est pas moins intéres •
saut ; Grœvius l'a inséré dans le to-
me X du Thesaur. antiquit. roma-
narum. XIII, Comment arius de re-
ligione christiand , libri if , Franc-
fort , 1576 , in-8''. Cet ouvrage est
précédé de la Vie de l'auteur , par
Theoph. Banosius : le premier livre
traite de la foi ; le second de la loi;
le troisième de la prière , et le qua-
trième des sacrements, c'est-à-dire
du baptême et de l'eucharistie, selon
le rit des réformés. XIV. Prœfatio-
nés , Lpistolœ , Orationes , Paris ,
! 577 , in-8°. ; ce recueil des Haran-
gues de Ramus contient aussi celles
d'Omer Talon , son ami ( V. Ta-
lon). L'édition de Marbourg, i Sgg ,
in-80., est augmentée de quelques
pièces , et de la Vie de l'auteur , par
Th. Frcig. Outre les deux Vies qu'on
vient de citer , on en a une troisiè-
me, par Nicol.Nancel(r". ce nom),
et une autre, par Chr. Fi'ed. Lenz ,
Disput. histor. literaria de Hislorid
P. Rami , Leipzig , 1 7 i3 , in-40. ;
réimprimée en 1 7 1 5 , avec quelques
additions. On peut encore consulter
les Mémoires de Niceron , tom. xni ;
V Histoire du collège royal par l'ab-
bé Goujet; les Dictionnaires (\elàaij\(i
et de Joly; et V Histoire critique de
la philosophie par Bruckcr , tora. v
et VI. Le portrait de Ramus , grave
dans différents formats , fait partie
de la Bibl. calcograph. de Boissard,
tom. 2 , et du Recueil de Desrochers.
W— s.
RAMUSIO on RAMNUSIO (Jean-
Baptiste) , historien italien, naquit
66 RAM
à Venise, en i485. Envoyé, encore
jeune, par la république en France,
en Suisse et à Rome , il se conduisit
partout avec une prudence et une sa-
gesse dignes d'éloges. Suivant le rap-
port de Paul Manuce, Ramusio gagna
les bonnes grâces de Louis XII , à
un tel point que ce monarque vou-
lait le retenir dans son royaume , et
l'invitait à le parcourir. Ramusio, de
retour dans sa patrie, fut récompen-
sé de ses services par la place im-
portante de secrétaire du conseil des
Dix. Son âge lui ayant fait demander
sa démission , il se retira dans la ville
de Padoue, où il mourut, le lo juillet
1 557. Très-versé dans la géographie,
animé d'un zèle ardent pour cette
science, il donna, en italien, une col-
lection de voyages intitulée : Navi-
gations et vojages, Venise, 3 vol.
in - fol. , imprimés par les Jimfes :
le premier, en i55o, fut réimpri-
mé en i554 î avant même que le se-
cond,publiéeniSSQ.etletroisièmeen
1 566, eussent paru. Quelques recueils
de voyages existaient déjà; un plus
grand nombre a succédé à celui de
Ramusio : on peut dire qu'il l'em-
porte sur les premiers , et qu'il n'a
été surpassé par aucun des autres ,
quel que soit d'ailleurs leur mérite.
Camus a dit , avec raison : a C'est
» une collection précieuse , peu van-
I) tée par les libraires , peu recher-
» chée des amateurs de beaux livres,
» parce qu'elle n'est pas ornée d'es-
» tampes , mais seulement de gra-
» vures en bois qui n'ont rien d'a-
» gréabic : elle est estimée par les
» savants , et regardée encore an-
» jourd'liui par les géographes com-
» me un des recueils les plus inipor-
» tanls. Ramusio avait, soit à raison
» des voyages qu'il avait faits lui-
» même, soit à raison de ses grandes
)» coniiiiissances dans l'iiistoire , la
RAM
» ge'ographie, les langues, soit enfin
» à raison de correspondances multi-
» tipliées avec les personnes qui pou-
» valent être de quelque utilité à son
» entreprise , toutes les facilités ne'-
» cessaires pour former uneexcellen-
» te collection. Il laissa les matériaux
» d'un quatrième volume ; mais son
» manuscrit périt dans l'incendie de
» l'imprimerie des Juntes, arrive au
» mois de novembre 1557. » Le pre-
mier volume de Ramusio contient la
description de l'Afrique et des pays
du Préiejan ; avec divers voyages
de la mer Rouge à Calicut , et enfin
aux lies Moluques d'où viennent les
épiceries , et la Navigation autour
du inonde : le second , V Histoire des
choses des Tartares et diverses ac-
tions de leurs empereurs ,par Marc
Pol et Ilajton ; différentes descrip-
tions , par divers auteurs ^ des In-
des orientales , de la Tartarie , de
la Perse , Arménie , Mingrelie ,
Zorzanie et autres provinces , etc. ,
et le voyage à la Tana , avec la
description des noms des peuples ,
villes , fleuves et ports autour de la
mer Majeure , au temps de l'empe-
reur Adrien , et beaucoup d'autres
relations sur l'état des Moscovites ,
Scythes , et Circassiens , ainsi que
d'autres nations barbares inconnues
des anciens , etc. : le troisième , les
Navigations au Nouveau-Monde ,
inconnu aux anciens , faites par don
Christophe Colomb , etc. , et les na-
vigations faites depuis auxdites In-
des , et ensuite au nord , avec des
cartes de géographie, des figures de
plantes , etc. On trouve , dans les
Mémoires de Camus sur les collec-
tions de Foyages de Debry et de
Thevenot , l'indicalion détaillée des
pièces que doit renfermer chaque
volume du Recueil. Nous nous bor-
nerons à nommer les principales :
RAM
1. Description de l'Afrique, de Jean-
Léon. Navigations de Cadamosto ;
de Pierre de Cintra; des Carlagi-
nois , par Hannon , traduit par Ra-
musio ; de Vasco de Gama ; de Pier-
re Aharès ( Cabrai ) ^ écrite par
lin pilote portugais : ( Alvarès par-
tit de Lisbonne, le g mars i5oo;
il découvrit , le 24 avril , la côte
d'Amérique ( an Brésil ) , y jeta
l'aucre, et eut , pendant quebpies
jours, des rapports d'amitié avec les
habitants ; il expédia un bâtiment au
roi de Portugal pour l'instruire de
sa découverte, piiiscontuuia sa route
vers le cap de Bonac-Espérance, at-
térit à Meliude et à plusieurs autres
lieux de la côte orientale; le i3
septembre , il entra dans le port de
Calicut. L'année suivante , il partit
pourCananor, et revint en Portu-
gal à la fin de juillet. On trouve, dans
cette relation, des particularités inté-
ressantes. ) — Lettres d' Améric Ves-
puce et Sommaire de ses nai>iga-
tions. — Navigation (ZeT bornas Lo-
pes aux Indes orientales. — Foja-
ge dans VInde, par Jean de Empo-
li. — Itinéraire de Louis de Bar-
thema. — Navigation de lamholus ,
traduite du grec de Diodore de
Sicile , liv. 1 1 , chap. 3i. (Ce lam-
bol , grec de naissance et commer-
çant , traversait l'Arabie déserte pour
arriver à celle qui produit les aro-
mates , lorsqu'il fut pris avec sa ca-
ravane par des voleurs. On le mit, avec
un de ses compagnons, à la garde des
. troupeaux ; des brigands d'Ethiopie
les enlevèrent et les conduisirentdans
leur pays. Pour satisfaire à un ancien
usage, les deux Grecs furent embar-
qués sur une nacelle , et, après avoic
été battus des flots pendant quatre
mois , abordèrent une île dont les
habitants les accueillirent : il est
inutile de répéter la description fabu-
RAM G7
leuse de cette espèce d'hommes. Au
bout de sept ans , lambol et son com-
pagnon furent renvoyés del'île; après
quatre mois de navigation. ilsécbouè-
rent sur les côtes sablonneuses des
Indes : lambol , après avoir perdu
son camarade, qui se noya , par-
vint heureusement à Palimbothra ,
dont le roi, qui aimait les Grecs,
le reçut parfaitement bien , et lui
donna une escorte pour les rame-
ner dans son pavs. Diodore avait
extrait ce récit de l'histoire com-
posée par îarabol ; ce voyageur avait
observé que l'île était un assemblage
de sept îles placées à égale distance
les unes des autres, et que les jours
y étaient constamment de même lon-
gueur. Ramusio pense, d'après l'en-
tretien qu'il a eu avec un Portugais ,
que c'était Sumatra ). — Lett. d'An-
dré Corsali. — Foyage en Ethiopie,
par François Alvarès. — ■ Naviga-
tion de Néarque , capitaine d'A-
lexandre - le - Grand. ~ Voyage
d'un comte vénitien , qui fut me-
né d'Alexandrie à Diu, dans l'In-
de , et son retour par le Caire
en i538 : ( ce Vénitien fut mis en
réquisition avec cinquante de ses
compatriotes pour servir sur la flot-
te de Soliman , pacha d'Egypte ,
qui, en i538, partit de Suez, le
'11 juin, avec une flotte pour al-
ler combattre les Portugais à Diu.
Le 10 octobre , on fut de retour
à Suez. On trouve, dans ce récit, des
renseignements assez curieux sur
cette campagne, sur la navigatioa
de la mer Rouge, et sur la partie ad-
jacente de la côte orientale d'Afri-
que). — Périple de la mer Rouge
( Erythrée ) , par Arrien. — Livre
d' Edouard Barhosa , sur l'Inde
orientale. — Foyage de Nicolas de
Conti. — Lettre de Maximilien de
Transylvanie, sur la navigation des
5..
68
RAM
Espagnols autour du monde, en
iSiQ. — Récit abrégé du voyage
de Magellan. — Voyage au tour
du monde , écrit -par M. A. Piga-
fetta. — Navigation d'un Portu-
gais, compagnon d'Edouard Bar-
bosa, qui fut sur le vaisseau la
Victoire. — Relation de Jean Gaé-
tan , sur la découverte des îles
Moluques. — Quelques chapitres do
l'histoire de Jean de Barros , tou-
chant la cosmographie. II. Voya-
ges de Marc Pol. — Histoire des
Tartares, par Hayton. • — De la
vie et des actions d' Ussun Cassan,
roi de Perse , par Jean-Marie An-
giolello. — Voyage d'un marchand
qui est allé en Perse: {ce voyage eut
lieu en iSo^, et dura jusqu'en iS'ïo.
L'auteur partit d'Alep; il se trouvait
dans l'armée d'ïsmaël-Cbali, lors-
que ce prince parcourait l'Asie-Mi-
neure, la Mésopotamie et l' Arménie;
il nous apprend qu'il a pu d'autant
plus facilement recueillir des ren-
seignements sur les pays qu'il a vus ,
que sa connaissance des langues tur-
que, arménienne et arabe, lui en don-
nait le moyen : en ofrct, son i-e'cit ne
manque pas d'intérêt.) — Voyage de
Josaphat Barbara à la Tana. —
Voyage d' Ambroise Conlarini , en
Perse. — Lettre d'yllbert Campeu-
se., au pape Clément vu, sur les
affaires de la Moscovie. — Récits
de Paul Jove, sur les affaires de
Moscovie , qui lui ont été faits par
Démétrius , ambassadeur de Basi-
le. — Lettre d'Arrien à l'empe-
reur Adrien., sur la mer Majeure
( le Pont-Euxin ). — Relation des
mœurs des Zychi , appelés Circas-
siens , par George Interiano , Gc'-
nois : ce morceau a paru assez
exact à M. Klaprotli pour méri-
ter d'être insère dans son voya-
ge au Caucase, dont il forme le 9.7*^.
RAM
chapitre du i^r. volume de l'origi-
nal allemand. ~ Navigation de
Pierre Quirino. — • Commentaire
sur la Moscovie et la Russie, par
Heherstein. — • Voyage de Cateri-
no Zeno, en Perse. — Relation de
la découverle des (les de Frislan-
de , Islande , etc. , par Nicolas
et Antoine Zeno frères. — Voya-
ges en Tartarie , par quelques moi-
nes de l'ordre des Frères-mineurs
envoyés en ambassade par le pa-
pe Innocent IV , en in^'j. Ca-
mus a , par me'gardc , e'crit Italie
au lieu de Tartarie; c'est la relation
de Plan-Carpin , telle qu'elle a e'té
traduite par Bergeron, i^e, édition
de sou recueil; la division des cha-
pitres n'est pas toujours semblable.
—v Voyage du bienheureux Ode-
rie de Portenau; Camus a oublié
de citer cette pièce. — Description
de la Sarmatie , par Alexandre
Guagnini. — Des deux Sarmaties ^
par Matthieu de Micheovo , cha-
noine de Cracovie. — Navigation
de Sébastien Cabot au Nord. III.
Récits sommaires tirés de l'His-
toire du Nouveau-Monde , par Pier-
re-Martyr d'Anghie'ra. — Sommai-
re de V Histoire des Indes occiden-
tales d' Oviedo ; Première partie
de cette histoire en vingt livres.
■ — Relation de la Nouvelle -Es-
pagne , par Fernand Corlez. —
Lettres d'Alvarado à Cortez; el-
les sont relatives à la découverte
et à la conquête de Vilatan. —
— Lettres de Diego Godny à Cor-
tez : elles retracent la conquête de
plusieurs villes de la Nouvclle-Es-
p.ignc. — Relation de la grande
ville de Temistitan ( Mexico ) ,
et autres villes de la Nouvelle
Espagne y par un gentilhomme de
Cortez : c'est une description des
mœurs du pays cl de la capita-
RAM
le ; elle est accompagnée d'une
planche lepiésentaut le Téocalli ou
grand Temple, et d'une carte du lac.
— Relation d'un vojage de la
côte de la Floride à la Nouvel-
le Galice, par Alvaro Nufiès Ca-
beza de Vaca , de iS'Ji^ à i536.
— Relation de la conquête de di-
i>erses provinces de la Nouvelle-Es-
pagne , par Nunno de Guzman ,
en iSaS. — Relation de la décou-
verte de la mer Fermeille , par
François UUoa, en i539. — Foya-
ges de frère Marco Nizza aux
sept villes de Cahola. ' — Fojage
de François Fasquez de Corona-
do, dans le nord de la Nouvelle
Espagne, en i53o. — Navigation
à la mer Fernicille , par Fernaud
Alarzon, eu i54o. — • Relation de
la conquête du Pérou , par un ca-
pitaine espagnol. — • Relation de
Jean Ferazzani sur la terre par
lui découverte. • — Discours d'un
grand capitaine français , de Diep-
pe, sur la navigation à la Nou-
velle - France , au Brésil , à la
Guinée, à Vile Saint- Laurent et à
Sumatra. ■ — Relations de la Nouvel-
le France , par Jacques Cartier. —
Foyage aux Indes Orientales , par
Ce'sardeFéderici. — Forageen V In-
de par la terre de Sourie. — Trois
navigations des Hollandais et des
Zélandais à la Chine , à la Nou-
velle-Zemble et au Groenland. Il
faut, disent les bibliographes, pour
avoir un exemplaire bien complet ,
choisir le premier volume de l'édi-
tion de ijGS, le second de i583,
le troisième de i565 , en ajoutant à ce
dernier un Supplc'raent de trois pic-
ces, qui sont de l'editioude 1G06. Ra-
musio ne s'est pas bornéà reunir un
si grand nombre de pièces, qui pres-
que toutes sont très-intcressantes ; il
y a joint des Introductions , et les
RAN
69
a entremêlées de Dissertations qui
font honneur à son savoir : nous
citerons particulièrement celles qui
sont relatives aux voyages de Marc
Pol, à la crue du Nil, aux diver-
ses routes par lesquelles les épi-
ceries ont été apportées en Euro-
pe depuis i5oo. Les volumes sont
précédés de Préfaces adressées au
célèbre médecin Fracastor, ami de
Ramusio , et par les conseils du-
quel il avait public sa précieuse col-
lection. La plus grande partie des
morceaux qui composent les pre-
miers volumes ont été traduits en
français, et forment le recueil de
Jean Temporal , intitulé , Descrip-
tion de V Jfrique , etc. , et impri-
mé en 1 vol. in-folio, Lvon , i556.
E— s.
RANGÉ ( Armand-Jean Le Bou-
TuiLiER DE ) , célèbre réformateur de
la Trappe , naquit à Paris, le 9 jan-
vier 1(326, d'une famille originaire
de Bretagne (1), qui remplissait les
premiers emplois dans l'État et dans
l'Église. 11 eut pour parrain le car-
dinal de Richelieu, et pour marrai-
ne la marquise d'Effiat, femme du
surintendant des finances. Ses parents
le destinaient à la profession des ar •
mes; mais, à dix ans , il reçut la ton-
sure pour pouvoir succéder aux ri-
ches bénéfices que laissait vacants
la mort de son frère aîné. Ce chan-
gement d'état fut un motif pour lui
de cultiATr avec plus de soin ses dis-
positions pour les lettres. H possé-
dait , à douze ans, les langues grecque
et latine ; et l'édition qu'il publia ,
dans un âge aussi tendre, des Poé-
sies iMAnacréon, sullit pour mon-
trer quelle avait été la rapidité de
ses progrès. Les études qu'il fit cn-
(i) Ln famille tUs Boitthilici tirait son iinm di'li
ctaigo tl'ccliniisou qu'elle avait cxcrcïf yni di;
duis de Brctaijiie.
70 RAN
suite au collège d' Fia rcoiirl , furent
très - brillantes. En terminant sou
cours de philosophie, il soutint des
thèses qu'il eut l'honneur de pre'sen-
ter à la reine Anne d'Autriche, qui
prenait à ses succès un vif inle'rêt.
L'astronomie , telle qu'on l'ensei-
gnait alors, le conduisit à l'astrolo-
gie judiciaire, qui comptait encore
beaucoup de partisans ; mais il fut
de'tournë de cette fausse science par
l'ëtude de la thc'ologie. Il s'appliqua
tout entier à la culture des saintes
Ecritures et des ouvrages des Pères,
et prit ses degrc's en Sorbonne avec
la plus grande distinction : il sollicita
ensuite la permission de prêcher ;
et , dès son début, il se plaça , par
son éloquence vive et nerveuse , au
premier rang des orateurs de la chai-
re. La mort de son père le laissa
maître, à vingt-cinq ans, d'une for-
tune considérable. Doue' d'une figure
agréable, douce, fuie, spirituelle,
d'un cœur aimant, et de tous les agré-
ments, de toutes les qualités, il se
vit bien; ôt recherché de toutes parts,
et se livra sans scrupule à ses pas-
sions, a Sa vivacité , dit un de ses
biographes (D. Gcrvaise), le portait
également et avec la même rapidité
vers l'étude et vers le plaisir.La chasse
était un de ses amusements favoris.
On l'a vu plus d'une fois , après avoir
chassé trois ou (pjatie heures le ma-
tii} , venir le même jour, en j)oste ,
de douze ou quinze lieues, soutenir
en Sorbonne, ou prêcher, avec autant
de tran(juillité d'esprit que s'il fût
sorti de son cabinet. « Il reçut les or-
dres sans cliangcr de conduite; et,
s'il refusa l'évcché de Léon , qu'un
bii odiil alors, c'est qu'il n'en trou-
vait pas les rcveims assez considéra-
bles, et que d'ailleurs il se flattait
de succéder à son oncle, archevêque
de Tours. Ce fut par le crédit de ce
RAN
prélat qu'il fut député, en 1655, à
i'assemijlée du cleigé. Il s'y distin-
gua par son éloquence, eut beaucoup
de part aux allaires importantes qui
s'y traitèrent, et fut prié de surveil-
ler l'impression à' Eusèhe et des au-
tres Pères grecs , dont on projetait
de nouvelles éditions. La faveur dont
il avait joui près du cardinal de Ri-
chelieu était un motif pour Mazarin
de ne point aimer l'abbé de Rancé.
Ses liaisons avec le cardinal de Retz
achevèrent de le perdre dans l'esprit
du ministre. Des avis vrais ou faux
qu'on tramait quelque chose contre
lui, le déterminèrent à quitter l'as-
semblée avant la clôture ; et il re-
tourna , dans sa belle terre de Veret,
reprendre le cours de ses divertisse-
ments. Des accidents auxquels il n'é-
tait échappé que par une espèce de
miracle, lui avaient fait faire plu-
sieurs fois de sérieuses réflexions sur
sa conduite. Cependant il ne son-
geait point à rompre des habitudes
coupables, quand la mort soudaine
de la duchesse de IMontbazon (2) ,
(71) M"^^. de l\Iùv:tbazon mourut de la rougenle ,
le 7.8 avril 1657. Daniel de Larroqne raconte que
cette d uue mourut pendant que l'ablicf de Rancé
ctait à la campagne, m Ses domestiques, dit-il, qui
ii'ij;noi aient pas sa passion , pi irent soin de lui ca-
cîier ce triste événement, qu'il apprît à son retour,
d'une manière fort cruelle : montant tout droit
il l'appartement de la dmhesse , où il lui était per-
mis d'entrer à toute beure, il y vil pour premier
objet uu cercueil qu'il jugea être celui de sa mai-
tresse , 0" remarquant sa tctc toute sanglante , qui
était parbasard tombée de dessous le drap dont on
l'avait couverte avec beaucoup de néglif;ence, et
qu'i n avait détacbée du reste Ou corps , afin de gagner
Ia"longueiu- du cuu , et éviter ainsi de faire uu cercueil
qui fut ])lus long que celui dont on se servait , et dont
on avait si mal pris la mesure, qu'il se trouvait trop
court d'un demi-pied ( l'rri hiblns motifs rie la
conversion de l'iih/'é tU lu Tin/ifjc- , y. ■>.■} ).>' Cette
anecdote est cntiiriment fausse. I.'abbc de Rancé
avaitpassé .auprès du lit de M""^. de Montbnxon , la
nuit où elle mourut , et l'avait exborti e vivement ù
remplir ses devoirs <lc leli^ion. C'est le réril do
Larroqne que liarlbe n préIVré , sans doute comme
plus i>oi lique , dans sa f.rllre tir l'n/ihé de Bancè à
lin iimi ( V. liAlt'JHK ). du sait que Laharpc fît iino
rtc/wnsc en veis i\ cette lettre; réponse qui lui »a.
lut de grands éloge» delà part de Voltaire. Ce der-
nier composa même «ouB le nom d'Abauxit une /Vc-
fucc qui u'npuiul été insérée d^s l'cditiou de KchL
RAN
qu'il aimait tendrement, commença
l'œuvre de sa conversion. Peu de
temps après , la mort de Gaston ,
duc d'Orléans, dont il e'tait premier
aumônier, le priva d'un protecteur
qui devait l'aider à réaliser les rêves
de son ambition. Il avait assiste' ce
prince dans ses derniers moments ;
et ce spectacle avait achevé' de l'e'-
clairer sur le néant des grandeurs
humaines. Il aurait voulu rompre
sur-le-champ avec le monde; mais
d'anciens et de nouveaux engage-
ments l'y retenaient encore. Il se re-
lira chez un ami qu'il avait dans
le Maine , pour refle'chir au parti
qu'il devait prendre ; et, après avoir
passe' six semaines dans cette soli-
tude, il revint à Veret, d'où il ban-
nit le luxe et les plaisirs qui y avaient
régné si long-temps. Il congédia le
plus grand nombre de ses domesti-
ques, vendit sa vaisselle et ses meu-
bles précieux , pour en distribuer le
prix aux pauvres ; régla sa table de
la manière la plus frugale , et s'in-
terdit jusqu'aux récréations les plus
innocentes , pour ne s'occuper que
de la prière et de l'étude des choses
saintes. Ni les railleries de ses an-
ciens amis , ni les représentations
de ses proches, ne purent le détour-
ner de la résolution qu'il avait em-
brassée. Regardant tous les biens
qu'il possédait comme le patrimoi-
ne des pauvres , il se hâta de les
leur rendre. Il se démit de tous ses
bénéfices , à la réserve de l'abbave
de la Trappe, qu'il obtint la per-
mission du roi de tenir , non plus
en commcndc , mais comme ab-
bé régulier, et s'y retira en 1662.
Son premier soin fut de remé-
dier aux abus qui s'étaient introduits
dans cette maison , par le relâche-
ment de l'ancienne discipline. Les
religieux ayant refusé de se souract-
RAN
tre à la réforme qu'il se proposait
d'établir, il ne voulut ponit les y
contraindre, et leur permit d'ha-
biter un quartier séparé, ou d'al-
ler dans d'autres couvents. Pour
accomplir son dessein de rompre
avec le monde , il s'enferma dans le
monastère de Notre-Dame de Per-
scigne, et y prit, le i3 juin i663,
l'habit de l'étroite observance de Cî-
teaux. Malgré la délicatesse de sa
santé, il se soumit à toutes les ri-
gueurs du noviciat; et élant tombé
malade, rien ne put le décider à se
relâcher de l'austérité de la règle. Il
guérit pourtant, contre l'opinion des
médecins et de tous ceux qui l'ap-
prochaient , et revint à l'abbaye de
la Trappe, où il avait résolu de finir
ses jours dans les pratiques de la pé-
nitence. Ce fut alors qu'il y jeta les
fondements de celte réforme fameu-
se, qui, dans un siècle tout chrétien,
excita l'admiration générale. Il se
borna d'abord à défendre à ses reli-
gieux l'usage du vin et du poisson,
et à leur prescrire le silence , et le
travail des mains , qu'il regardait
comme un devoir dont on ne pou-
vait se dispenser sous aucun piétex-
te. Dès l'année suivante ( i664), il
fut forcé de quitter sa solitude, pour
se rendre à une assemblée des supé-
rieurs de l'étroite observance de
Cîtcaux. Ses confrères le députèrent
à Rome, avec l'abbé de Valricher,
pour y soutenir la nécessité d'éten-
dre la réforme à tous les monastères
, de l'ordre : mais, malgré son élo-
quence, il ne put faire triompher
une cause qui comptait beaucoup
d'adversaires parmi les chefs mêmes
de l'ordre, et dans le collège des
cardinaux. De retour h la Trappe,
il assembla ses religieux, et leur fit
part de son projet de rétablir la rè-
gle primitive dans toute sa pureté.
7^ KAN
Tous y donnèrent leur consentement
avec joic, et s'empressèrent de re-
nouveler leurs vœux entre les mains
de l'abbé. Dès-lors on Adt renaître
dans cette maison les pratiques les
plus austères, et les religieux qui
l'habitaient retracer l'image des so-
litaires de laThcbaïde. Laprièrc, la
lecture , et le travail des mains , pai-
tagèrent tous leurs instants. Rancë
leur interdit toute espèce de récréa-
tion , et leur défendit même l'étude ,
comme une source de vaines dispu-
tes et de reldcbement. La vie péni-
tente de la Trappe y attira bientôt
des religieux des autres ordres en si
grand nombre, que les supérieurs
recoururent au pape, pour obtenir
un bref qui défendît de les y rece-
voir. L'aljbé de Rancé s'attachait de
plus eu plus à perfectionner son ou-
vrage : dans la vue d'étendre sa ré-
forme à quelques autres maisons, il
se rendit plusieurs fois à Paris : mais
toutes ses démarches, appuyées de
son éloquence et de sa réputation,
furent inutiles; et, fatigué de débats
qui pouvaient scandaliser le monde,
il se renferma dans son monastère ,
résolu de n'en plus sortir. Dès les
premiers temps de son administra-
tion, il avait rétabli à la Trappe
l'hospitalité si recommandée par
les premiers fondateurs; et quoique
l'abbàyc n'eùl pas dix mille livres de
reveu'.is, cette faible somme lui suf-
fisait pour subvenir aux dépcn.ses
des voyageurs qui venaient s'édifier
dans cette solitude, et pour fournir
aux besoins des pauvres du voisina-
ge. Souvent même il trouvait , dans
ses économies, les moyens de soula-
ger l'infortune dans des provinces
éloignées. Les vertus de l'abbé de la
Trappe ne purent le mettre â l'abri
des tracasseries. On essaya de lui faire
prendre un parti dans les divisions
RAN
qui troublaient l'Eglise; mais il se
contenta de signer le formulaire,
sans prétendre l'expliquer. Le si-
lence qu'il s'était imposé, fut inter-
prété diversement ; les uns lui l'e-
prochèrent d'abandonner les solitai-
res de Port-Royal, dans le temps
qu'ils étaient persécutés; et les au-
tres l'accusèrent de partager en se-
cret leurs opinions. Des maladies
qui se manifestèrent à diverses épo-
(jues dans la Trappe , furent attri-
buées à l'excessive sévérité de la rè-
gle qu'il y avait introduite: ses enne-
mis publièrent qu'en l'établissant, il
avait moins consulté l'intérêt de la
religion, que le désir de laisser la ré-
putation d'un réformateur (/^. l'art,
du duc de Nevers , etLamoque,
Véritables motifs de la conversion
de l'abbé de la Trappe). Des évêques
lui écrivirent pour l'engager à se re-
lâcher de quelques austérités ; mais ,
d'après l'avis de ses religieux, il
persista dans le plan qu'il avait adop-
té, et rien ne fut capable de l'en
écarter. L'affaiblissement de sa santé
l'ayant forcé de renoncer au travail
manuel, il employa ses courts loi-
sirs à composer ses dillérents ou-
vrages , qu'il destinait uniquement à
rédiOcation de ses fières, mais que
quelques personnes pieuses le déter-
minèrent à laisser imprimer. Son
Traité de la sainteté et des dei>oirs
de la vie monastique parut être la
critique des occupations studieuses
de la congrégation de saint Maur; et
•plusieurs savants s'empressèrent de
réfuter l'inflexible adversaire des
lettres, auxquelles il devait une par-
tie de sa gloire. Une Lettre qu'il
écrivit à l'abbé Nicaise sur la mort
d'Arnaud, lui attira de nouveaux dé-
mêlés avec les amis de ce docteur :
« Eufin , disait-il , voilà M. Arnaud
» mort : après avoir pousse sa car-
RAN
» rifcrc aussi loin qu'il a pu , il a
» fallu qu'elle se soit terminée; quoi
» qu'on dise, voilà bien des questions
» finies : son érudition et son auto-
» rilé étaient d'un grand poids pour
» le parti ; heureux celui qui n'en a
» point d'autre que celui de Jesus-
» Christ ! » Cette reflexion excita le
ze'le d'une foule d'écrivains; mais
Rance se contenta de répondre à Til-
lemont, qu'il regrettait de ne pou-
voir entrer dans ses sentiments , et
il garda le silence avec les autres.
Cependant ses infirmités toujours
croissantes ne lui permettant plus de
conserver l'administration de son ab-
baye, il demanda pour son succes-
seur dom Zozime ( Foisel ) , reli-
gieux d'une éminente piété. Malheu-
reusement dom Zozime mourut peu
de temps après , et fut remplacé par
lefameux dom Gervaise, qui, n'ayant
pas la prudence et la sagesse de ses
prédécesseurs, mit le trouble dans
i'abbaye. Rancé parvint à lui faire
donner sa démission , et l'éloigna
d'une maison où sa présence pouvait
causer de nouveaux scandales ( 1^.
Gervaise, XVII, 289 ). La paix
ayant été rendue à la Trappe, Rancé
ne s'occupa plus que de sa fin pro-
chaine; il s'y prépara par la prière
et par les austérités , et mourut sur
la paille et sur la cendre, le 27 octo-
bre 1 700 , à l'âge de soixante-quinze
ans, dont il en avait passé trente-
sept dans le désert. L'abbé de Ran-
cé possédait des qualités brillantes,
un zèle ardent, une piété vive , et
une grande fermeté de caractère.
Dans sa jeunesse, l'ambition avait
c'fc sa passion dominante; et il ne
put jamais se détacher entièrement
d'un monde dans lequel il avait lais-
sé beaucoup d'amis. Un grand nom-
bre de personnes le consultaient de
toutes parts ; et les lettres qu'il leur
RAN 73
adressait , l'occupèrent dans sa re-
traite. II s'était dispensé, comme lé-
gislateur, dit Voltaire, de la loi qui
force ceux qui vivent dans le tom-
beau de la Trappe, d'ignorer ce qui
se passe sur la terre; et en effet, le
nom de ce grand réformateur se
trouve mêlé à toutes les discus-
sions religieuses ou littéraires de son
temps. Comme écrivain, il avait une
rare facilité; son style, auquel on
reproche de manquer de concision,,
est noble, pur, élégant, et s'élève
souvent à la plus haute éloquence.
L'édition à'^nacréon, que publia
Rancé dans son enfance, est un phé-
nomène si remarquable , qu'on nous
pardonnera d'entrer à cet égard dans
quelques détails. Cette édition, im-
primée à Paris, en 1639, est un in
8°. de 145 pag. et 6 feuillets limi-
naires (3); elle est dédiée au cardinal
de Richelieu, par une Épître ( en
grec ), que Chardon de la Rochctte a
traduite en français. Le travail du
jeune commentateur , dit ce critique,
est en général bien fait. Les scholies
(insérées, depuis, par Maitlaire, dans
sonédit. d'^/mcreo«,Londres,i 740,
in-4°. ) embrassent la partie gram-
maticale, l'histoire, la mythologie
et les étymologies. C'est véritable-
ment un livre élémentaire qui méri-
leraitd'être réimprime; mais , ajoute
Chardon , il faudrait revoir le texte
d'Anacréou sur les éditions qui en
ont été données d'après le manuscrit
Palatin , et faire au commentaire
quelques corrections et additions.
Maupeou , curé de Nonancourt, dans
sa P^ie de fiancé ( Paris, 1700, in-
12), cite une nouvelle édition d'A-
nacréou, Paris, 1647 j ^^is les
(3) Il existe «les exemplaires ovcc quelques diflfc-
lences dans les piî'ces préliiuiiiaircs ( Voy. lo lUa-
nucldu librciire,\yai M.DruDet , au mot Anacréoti).
74 RAN
exemplaires qui portent celte diite,
ne diffèrent des premiers que par le
changement du frontispice; et s'ils
sont plus rares que les autres, c'est
<(u'aprcs sa conversion , Rance dé-
truisit tous ceux qui lui restaient. La
traduction française d'Anacrëon,
par Rancé , dont parle Baillet ( Ju-
gement des savants), et la version
latine et française que lui altrihue
Inguimbert (dans la Fie de Rancé ,
Voyez XXI, 221), sont imaginaires.
Les curieux peuvent consulter l'excel-
lente Notice sur l'Anacreon grec de
l'abbé de Rancé, dans le tome i*^'.
des Mélanges philologiques de Char-
don de la Rochelte. Parmi les ouvra-
ges de Rancé, dont on trouvera le Ca-
talogue dans le Diclionn. de Moreri ,
e'dition de 1759, on se contentera
de citer : L Lettre sur le sujet des
humiliations et autres pratiques de
religion, Paris, 1677, "^-12. II.
De la sainteté et des devoirs de la
vie monastique , Vark , iG83, in-
4°. , ou 2 vol. in-i2 (4). Il semble,
dit Richard Simon , qu'il ait pris
plaisir , dans ce livre , à décrier
les autres moines pour mieux faire
valoir sa nouvelle réforme. Le P.
Denis de Sainte-Marthe prit la défense
des Bénédictins , ainsi que D. Mcge ,
dans son Commentaire sur la règle
de Saint Benoît ( P^. Mège, xxviii,
I i3),etD.I\Iabillon, en 1691 , dans
son Traitédes Etudes moiiastiques.
D. Le Masson , général des Char-
treux , réfuta de sou côté quelques
assertions de l'abbc de la Trappe,
dans les Annales de son ordre. Ce-
lui-ci lui répondit par une Lettre à
un évêque , qu'il fit circuler en rna-
RAN
nnscril. C'est à cette lettre que Le
Masson opposa son Explication de
quelques endroits des anciens sta-
tuts de l'ordre des Chartreux ( V.
Lemasson , XXIV, 41 )• Cet ou-
vrage, que l'auteur ne communiquait
qu'aux pi leurs de son ordre , et à un
très-petit nombre d'amis , parce
qu'il l'avait fait imprimer sans pri-
vilège , est, selon Richard Simon,
une réfutation trop vive , mais so-
lide , des maximes outrées de l'ab-
bé de la Trappe (Voy. la Biblio-
thèque critique , chap. Sa). III.
Eclaircissements de quelques dif-
ficullés que Von a formées contre
le traité des devoirs , ibid. , iG85 ,
in-4°. ; 1G86, in-12. IV. Instruc-
tions de Saint Dorothée , traduites
du grec en français, avecsavie,'\\), ,
168G, in-S". ( F. St. Dobothee.)
V. La Règle de saint Benoit , tra-
duite et expliquée , ibid. , i G89 , 2
vol. in -4°. (5) VI. Réponse au
Traité des Etudes monastiques ( de
D. Mabillon ) , ibid. , 1G92 , in-4''.
VII. Relation de la vie et de la mort
de quelques religieux de Vabba^ye
de la Trappe , Paris , 1696 , 4 vol.
in-12. Cet ouvrage écrit d'un style
simple et plein d'onction , a été
réimprimé en 1755, 5 vol. in-12.
Cette édition, augmentée de quelques
Vies , contient en outre la Descrip-
tion de V abbaye de la Trappe ( par
Félibien ) , et la Relation d'un voya-
ge fait à la Trappe ( par Toussaint
Desmares). VI 11. Conduite chré-
tienne,adressée àmadame de Guise,
ibid., 1G97, in-12. IX. Conféren-
ces ou Instructions sur les Epitres
et les Evangiles , ibid. , 1G99 ,
'J\) F.'.iMi/ ,S;i1i;ili(i;i coii.niisiinr- mrpii-r s!n);u-
liiio «•M avançant .|u<! r..iivruKC de Tabbe <lcla iiap-
yv, ••ni. une ri fnlalii.ii du /;,,,/,; ,/,., éludes monas-
Uquct de Mahlll.m (Voy. l.s Tiois siçclrs lie la
Uuéralnre, arl. Kiiiicé ).
(5) Kl non lias in- 17. , comme le dit le IJirl. de
MorcTi de i^Sf), erreur qui n passé dans les Siècles
liUcrairei de Ucscssnrts et dans le Diciionnaiic
universel.
RAN
in-i'j. X. Réjlexions morales sur
les quatre Ei^augiles , ibid. , 1G99,
in-ii. XT. Lettres de piété écrites
à dijférentes personnes^ 1 -y 01 -05,
i>. vol. iu-i2. Elles respirent , dit
Sabatier , une e'ioqueiice noble , vive
et touchante , qui prend sa source
dans un cœur fortement pe'ne'trc des
vérite's qu'il y expose. XII. Pié^le-
ments généraux pour l'abbaye de la
Trappe, ibid., 1701 , 2 vol. in- 12.
Outre les auteurs cite's dans le cours
de cet article , on peut consulter
les Fies de Rancé , par Marsoi-
Jier ( F. ce nom, xxvii , 20 ) , et
par Lenaiu de Tillemont ( F. xxiv ,
75 ) , et les Ouvrages cite's dans la Bi-
bliothèque historique de la France,
tome i'^''. , no. iSiSG-iyy. Le por-
trait du réformateur de la Trappe ,
gravé dans tousles formats , fait par-
tie des Recueils de Desrochers et d'O-
dienvre. W — s.
RANCHIN ( François ) , né à
Montpellier vers i56o, y fut reçu
docteur en médecine, en i5g2. Il
se fit connaître avantageusement en
suppléant , dans ses leçons, André
Dulaurens ; il obtiut une chaire eu
i6o5 , et devint chancelier en 1612.
Ranchin était premier consul de
Montpellier en 1629 , lorsqu'une
lualadie pestilentielle ravagea cette
ville, à laquelle il rendit de grands
services. Une fortune considérable,
qui consistait surtout en trois béné-
fices ecclésiastiques , permit à Ran-
chin de satisfaire son penchant à
la libéralité j et quelques contem-
porains ont prétendu qu'il sacrifia
aussi à l'ostentation. 11 fit, du moins,
restaurer et orner les écoles publi-
ques de sa patrie; etilvoiiliif que
le souvenir de ces bienfaits fut con-
servé par des inscriptions un peu fas-
tueuses. Ranchin mourut en it)4i,
et laissa : I. Questions francoises
RAN
75
sur la chirurgie de Gui de Chau-
ZtrtC, Paris, 1604; Rouen, 1628,
in- 12. II. Opuscula medica utili
jucundaque rerum varietate refer-
ta ,Lyon , 1627, in-4». Ces opuscu-
les se composent des objets suivants:
y^pvllinare sacrum; —In Hippocra-
tis jusjurandmn commentarius ;
— Pathologia universalis cunicon-
troversiis in utramque parlem; —
De morbis virginum ; — De senum
conservatione et senilium morbo-
rum curatione; — De morbis subita-
neis ; - — De curatione morbciim et
sjmptmaalum quœ vitiosam purga-
tionem aut comitantur , aut conse-
quuntur; — De consullandi ratione,
III. OEm>res pharmaceutiques ,
Lyon , 1623 , in-i2. IV. Traités
divers et curieux en médecine ,
Lyon , 1640. C'est dans ce Recueil
que l'on trouve la description de la
peste qui désola Montpellier en 1629.
V. De morbis ante partum , in par-
la et post partum , et de purijica-
tione rerur.i infectarum post pesti-
lentiam , Lyon , i645 et i653,
in-80. D — G — s.
RANÇONNIER. (Jean) , mission-
naire , né dans le comté ae Bour-
cosne en 1600 , fut conduit en
Flandre par son père ; il acheva ses
études au collège de Malines , et y
embrassa la règle de saint Ignace ,
à l'âge de dix-neuf ans. Avant ob-
tenu de ses supérieurs la permission
d'aller prêcher l'Évangile en Amé-
rique , il partit, en 1625, pour le
Paraguay, et se rendit, en 1682 ^
. chez les Itatines , qu'il eut le bon-
heur de convertir à la foi catholi-
que. Il passa le reste de ses jours an
milieu de cette peuplade , dont il fut
l'apôtre et le législateur ( F. l'His-
toire du Paraguay par Charicvoix,
liv. VIII ) ; mais on ignore l'époque
de sa mort^ quelcsbibliotliccairesde
76 RAN
la Société , ( qui l'appellent Jacques
Ransonier ) placent ])ar inadver-
tance vers l'année lOBo, deux ans
avant son départ pour le pays des
Itatines. On a du P. Rançouuicr des
Lettres sur l'état des missions dans
le Paraguay , datées de 1626 et
1 627 : elles ont été publiées à Anvers,
i636,iu-8'^. Ce Piccueil ne peut être
que fort rare , puisqu'il n'est cité
dans aucun catalogue de bibliothè-
ques. Léon-Piuclo donne à entendre
( Epitome , col. 66i ) que ce n'est
qu'une version latine de ['Etat des
Missions du Paraguay , publié en
italien par le P. Nie. Mastrillo ,
1627 , tiré du Mémorial du P. Fr.
Purgis , et que le P. Duhalde a donné
en français dans le douzième recueil
des Lettres édifiantes. W — s.
RANFAING ( Marie-Elisabeth
DE ) , fondatrice de l'institut de N..
D*^. de Refuge en Lorraine , connue
sous le nom de Ven. Mère Elisabeth
de la Croix de Jésus , naquit le 3o
novembre iSqs, à Remiremont,
de parents nobles, qui, n'ayant point
d'autres enfants , cultivèrent avec
soin ses dispositions naturelles. Elle
joignait à une beauté peu commune ,
de l'esprit, du jugement, et une
grande piété. Bientôt elle se sentit
autant d'éloignement pour le monde
et ses vains plaisirs, que de goût
pour la retraite : mais ses parents la
forcèrent d'épouser un gentilhomme
grossier et brutal , nommé Dubois ,
qui la rendit la plus malheureuse des
femmes. Touché de la douceur inal-
térable de son épouse , son mari re-
connut enfin ses torts ; il mourut en
1616, laissant trois enfants et une
fortune délabrée. M""», de Ranfamg,
devenue libre , fit vœu de consacrer
à Dieu le reste de sa vie : elle quitta
ses habits de soie pour ou prendre
de laine , rompit tout commerce
/
RAN
avec le monde , et partagea son
temps entre les exercices de la plus
austère pénitence, et les soins qu'elle
devait à ses enfants. Un médecin du
voisinage, ayant eu l'occasion de voir
cette dame , conçut pour elle la pas-
sion la plus violente , et parvint à
lui faire avaler un philtre. Ce mé-
decin passait pour être fort instruit
dans les sciences occultes. On fut
persuadé qu'il avait eu recours à la
magie dans cette circonstance , et
que W^". de Ranfaing était dans un
véritable état de possession ( V. la
Bihl. de Lorraine de D. Calmet ).
En conséquence on lui fit son pro-
cès , et il fut brûlé, le 2 avril 1622,
avec une servante , regardée comme
sa complice (F. Pithois, XXXIV ,
53o ). M™»^. de Ranfaing guérit ; et,
pour ne plus s'exposer à de sembla-
bles accidents , elle résolut d'entrer
au plutôt dans un monastère : mais
des obstacles qu'elle ne put vaincre
s'opposèrent à sou pieux dessein ,
et la contraignirent de rester dans
le monde. Souvent elle avait gémi
sur le sort des jeunes infortunées
qu'une première faute condamne à
d'éternels mépris; elle offrit un asile
dans sa maison à ces victimes de la
débauche , et eut la satisfaction de les
voir persévérer dans leur repentir.
L'évêqac dcToul , frappe des avan-
tages que présentait un établissement
de ce genre, résolut de lui donner
une plus grande stabilité, par l'ins-
titution d'une commu^Jluté religieu-
se , sous le titre de N. D. de Refuge.
M"''^. de Ranfaing , entrant avec joie
dans les vues du prélat , accepta
toutes les conditions qui lui furent
imposées , et reçut l'habit monasti-
que le i*-'"". janvier i03i , avec ses
trois filles qu'elle avait facilement
décidées à suivre son exemple , et
sept de SCS pensionuaircs , dont elle
RAN
avait éprouvé la vocation. Le nou-
vel institut, approuvé par le pape
Urbain VIII, en i634, s'étendit
bientôt clans la Lorraine, le comte
de Bourgogne et les provinces méri-
dionales de la France , où la maison
d'Avignon fut fondée par ses soins.
Sa fille aînée en fut la première su-
périeure. Elle revint ensuite en Lor-
raine , et après avoir gouverné l'ins-
titut avec beaucoup de douceur et
de sagesse , donnant l'exemple de
toutes les vertus , elle mourut à Nan-
ti, le i4 janvier 16/(9 1 ^" odeur de
sainteté. Sa vie a été publiée par
Boudon , sous le titre de Triomphe
de la Croix en la personne de Ma-
rie Elisabeth de la Croix de Jésus,
Bruxelles , 1686 , in- 12 ( V. Bou-
don ) : elle a été abrégée par le P.
Frizon et par Collet.On peut encore
consulter l'Histoire des ordres mo-
nastiques , par le P. Hélyot, iv,
344-61. W— s.
RANGOUZE , épistolaire fran-
çais , du dix-seplième siècle , était
un homme sans études , et qui serait
resté tout-à-fait inconnu , s'il n'avait
poussé plus loin que personne , l'art
de multiplier les Épîtresdédicatoires,
et de se les faire payer chèrement. Il
se vantait, dit Sorel-, de ne composer
aucune lettre à moins de vingt ou
trente pistoles , n'en faisant guère
que pour les personnes de la plus
haute considération ( V. Bibliothè-
que française , page 119). Apres
avoir tiré de S€;jftlettres le parti le plus
avantageux , le bonhomme Rangouze
en publia le Recueil, qui lui rap-
porta , selon Costar , quinze ou seize
cents pistoles dans huit mois. Les
pages de ce volume n'étant pas chif-
frées , le relieur mettait colle que
l'auteur voulait, la première, en sorte
que tous ceux qui le recevaient , se
croyaient le plus obliges à lui témoi-
RAN
77
gner leur reconnaissance. Ce Recueil,
dont il n'existe qu'une îcule édition,
est extrêmement rare. II paraît ce-
pendant que l'industrieux auteur en
a renouvelé plus d'une fois le fron-
tispice. Il est indiqué dans le Cata-
logue de la Bibliothèque du Roi ,
sous ce titre : Lettres héroïques aux
grands de l'Etat , Paris , P. Mo-
reau, i645 , in-8°. : il reparut selon
Vogt ( Catalog. lihror. rarior. ) et
Freytag ( Analecta ) , en 1 648 , in-8°.,
de Timprimerie des nouveaux carac-
tères inventés par P. Moreau , sous
le titre de Lettres missives , ou de
Lettres panégyriques aux héros de
la France : enfin quelques autres bi-
bliographes ( F. Baxjer , Catal. li-
hror. ) en citent une édition de Pa-
ris , i65o , gr. in-8'', intitulée : Let-
tres panégyriques aux plus grandes
Reines du monde , aux princesses du
sang de France , autres princesses
et illustres dames des autres cours
de VEurope. L'abbé de MaroUcs
était un des Mécènes de Rangouze.
Bayle a recueilli dans son Diction-
naire , à l'article de cet écrivain ,
les passages de Sorel , Costar , et de
IVU^*'. Scudery qui lui sont relatifs.
W— s.
RANNEQUIN ou RENNEQUINj
c'est par l'un ou l'autre de ces deux
noms qu'on désigne , assez générale-
ment, eij France , Swalm Renkin ,
auteur du projet et constructeur de
la célèbre machine de Marli. Ren-
kin, né à Liège, en i644 (0> était
fils d'un charpentier, et suivit la pro-
fession de son père. L'exercice pra-
tique de sou art fut, à peu de chose
près, tout ce que son éducation lui
(t) C'est ]iar erreur que tlo3 biographes ont donne
.'1 sa naissance la date de lO/jS : l'inscripliou gravée
sur sa tombe, i.tlcslc qu'il est mort en 1708, îigé
il« snixnnte-qnatre ans.
78 UAN
fit acquérir. Le professeur Frédéric
Weidler, qui a vécu de sou tem ps, qui
a visité et décrit sa machine , peu
de temps après sa mort, et qui s'est
trouvé en relation avec ses collabo-
rateurs , amis et parents, dit de lui :
Erat intérim Èaimequiiiius fere
a-jxl'j>y.?-/izoç , sed manuarid arte
excellcns (2). L'épitliète grecque
analphabétos , qui rappelle le sty-
le bigarré des érudits des 16'"''. et
17™*^. siècles, annonce que Renkin
ne savait pas , ou savait à peine,
lire : mais il était doué d'une intelli-
gence peu commune j et on l'avait,
dès sa tendre jeunesse, constamment
employé aux charpentes des machi-
nes en usage pour les épuisements
des eaux souterraines qui gênent l'ex-
ploitation des houdlères, des tour-
iDières et des mines de charbon fos-
sile, parties importantes des pro-
duits du territoire liégeois. Lorsque
Louis XIV eut fait ])àtir le château
de Versailles , il donna ordre à Gol-
bert d'aviser aux moyens de pour-
voir cette demeure royale de l'eau
qui lui manquait. On trouva bien,
(laus les environs de Versailles, pour
fournir aux embellissements des jar-
dins, des eaux supérieures , propres
à remplir l'objet particulier de dé-
coration qu'on avait en vue. Les
hommes les plus habiles du temps ,
dans la science du nivellement et de
la conduite des eaux , furent cm-
j)loyés au projet et à l'exécution d'un
vaste système d'emmagasinement et
de conduite d'eaux , digne de remar-
que, et qii'il est important de con-
sei veiet d'entretenir. Mais ces eaux,
qu'on désigne par ré])ithèle de blan-
ches, considérées relativement à l'hy-
(j.) Jn. Fiidciici IVcidUii inulains de machims
'lydraiilicis loto tcirarttnioihc miiximis , Marlyen-
si et Londinensi j\S 'Mvmhvr^ y «718.
RAN
giène, sont d'une mauvaise qualile;
et il fallait , pour suppléer à ce dé-
faut, seprocurerdel'cau potable par
l'établissement d'un second système
hydraulique. Les renseignements pris
par Colbert , d'après les ordres du
roi, le déterminèrent à s'adresser au
chevalier Deville, Liégeois, proprié-
taire, dans son pays natal, du châ-
teau de Modave, où Renkin lui avait
fabriqué une machine à élever l'eau
du même genre que celle de Marli
et dont ou dit qu'il reste encore des
vestiges. Deville et Renkin vinrent
ensemble à Paris. Des examens et des
opérations préliminaires avaient fait
décider que les eaux potab/es de
Versailles seraient fournies par la
Seine, et que la prise d'eau serait
établie dans le voisinage de Bongi-
val, un peu au-de;ssous du village de
Lachaussée et vis-à-vis Louvecienne.
Il restait à trouver les moyens de
faire franchir au fluide le seuil éta-
bli par la nature, entre les points
de dérivation et d'affluence. Le pro-
jet de mécanisme fut présenté au mi-
nistre; et, pour avoir des données
certaines sur la puissance motrice,
on exécuta devant le roi , au châ-
teau de Saint-Germain, un essai en
grand de l'elFet dont est capable une
roue hydraulique, mue par le cou-
rant de la Seine , pour élever l'eau
prise dans le lit même du fleuve. Le
produit obtenu sur la terrasse qui
est en face du château, admiré jiar
le roi et par les autres témoins de
rex])érience, ne laissa aucun doute
sur le succès de la vaste entreprise
commencée , en 1G75, sous le mi-
nistère de Gulbert, et terminée, en
i68'i, sous celui de Louvois. Ou ,1
mis en question de savoir si la gloi-
re de la conception et de la compo-
sition du projet de la machine de
Marli appartenait à Deville ou à lien-
RAN
kin. Uu portrait du premier, qui a
été gravé, porte une inscription qui
lui attribue V invention; mais il est
hors de doute qu'il a été seulement
le promoteur, le négociateur de l'en-
treprise auprès du ministère et de la
cour. Weidler , qui a recueilli, à cet
égard , les renseignements les plus
authentiques , donnés par les con-
temporains et les coopératcurs de
Renkin , dit positivement , dans l'ou-
vrage ci-dessus cité : /j, aiitem, qui
initiis fabricœ interfuerunt, ({ffir-
mariinl milii ad uniim oinnes, Ean-
nequinium illius veruni auctorem et
fabricatorem , et P'illanum ( Devil-
le ) conimendatorem ajnid aidam ,
et veluti ergodioctem (3) extilisse.
Il a été inhumé dans l'église de I3ou-
gival. Le marbre qui recouvrait sa
tombcjdépldcé pendant la révolution,
se voit maintenant dans une auberge
sifuée près de la machine. II porte
une inscription dont voici les pre-
miers mots : « Ci gisseut honorables
» personnes , sieur Renuequin Sua-
)) lera, seul inventeur de la machine
» <Zeiy/rtrZ/,décédéie 29 juillet 1708,
» âgé de soixante-quatre ans, et da-
w me Marie Rouelle, son épouse, dé-
» cédée fe 4 mai 1 7 1 4, âgée de quatre-
» vingt-quatre ans, etc.» Le surplus
de l'inscription renferme des fonda-
tions pieuses. On peut réunir, à ces di-
verses autorités, la conduite du gou-
vernement envers la famille de Ren-
kiu , laquelle n'annonce pas qu'on le
regardât comme un simple fabrica-
teurou entrepreneur. Nous avons vu,
en 1783 , une demoiselle Lamboth ,
presque centenaire , logée au bâti-
ment de la machine , et jouissant
d'une pension payée sur les fonds
(3) Expression grecque latinisée [>ar Weidler, et
dérivée d'Epysjdta, «(«< signifie affaire , ni-
gnre.
RAN "jQ
affectés à l'entretien de l'établisse-
ment : cette demoiselle était petite
nièce deRenkin, du côté des femmes,
et fille de M. Lamboth , inspecteur
de la machine , qui devait vraisem-
blablement sa place à son alliance
avec la famille Renkin. Nous allons
donner une idée sommaire de la com-
position de la machine, qui est main-
tenant entièrement démolie ; on en
trouve une description dans le se-
cond volume de V Architecture hy-
draulique de Belidor , copiée ])ar
Desagulicrs, dans son Cours de phy-
sique : mais elle est plus complète-
ment décrite encore dans un Mémoire
publiée eu 1801 , avec des planches ,
et contenant le jugement porté par
une commission, dont l'auteur de
cet article était rapporteur, sur les
pièces d'un concours , ayant pour
objet la composition d'une nouvelle
machine propre à remplacer l'an-
cienne. Le barrage qui procure la
chute et la force motrice , a été
formé entre la rive gauche du fleu-
ve et les atterrissements ou îlots
Lalorge et Gauthier réunis. Toute
la longueur du fleuve , depuis le port
de Marli jusqu'à Bezons, était, avant
le dix-septième siècle, presqu'entiè-
rement divisée en deux bras par une
suite d'îlots, qui out été réunis pour
ne former qu'une seule digue longi-
tudinale de 1 01 5o mètres (environ
deux lieues et demie ) , et avoir ,
sur toute cette étendue , une grande
partie des eaux de la Seine, exclusi-
vement employée au mouvement de
la machine. Par cette opération, on
n'a laissé , du coté de la live droite,
qu'un canal difficilement praticable
à la navigation. Au-dessous de la
chute étaient établies quatorze roues
hydrauliques de 36 pieds de diamè-
tre chacune , mues par le fluide qui
se précipitait du haut de cette chute:
8o RAN
ce syslcmc de roues mettait en icu
soixante -quatre pompes, prenant
immédiatement l'eau du fleuve , et la
refoulant à un premier puisard , pla-
ce' sur le penchant de la montagne ;
l'eau élevée à ce premier puisard , y
était reprise par soixante-dix-neuf
pompes , et refoulée une seconde
fois jusqu'à un second puisard supé-
rieur au premier ; Là soixante-dix-
huit autres pompes achevaient d'o-
pérer l'ascension de l'eau jusqu'au
haut de la tour , dont la plate-
forme supérieure est élevée au-
dessus des eaux moyennes de la
Seine, de i54 mètres 7/0 (47^
pieds) , et qui se trouve placée à
l'iSG mètres (634 toises) de dis-
tance horizontale de la machine en
rivière , ou du premier mobile. La
tour est bâtie à l'origine d'un magni-
fique aqueduc de 643 mètres ( 33o
toises) de longueur, que l'eau élevée
parcourt avec la seule déclivité d'c-
coulcmcnl. Cet aqueduc fournil un
très-beau point de vue au pays envi-
ronnant ; mais sa dépense , qui a dû
être considérable , n'est motivée en
aucune manière , par des raisons hy-
drauliques. On voit, par ce qui pré-
cède, que le produit de la machine
était le résultat du travail de deux
cent vingt -une pompes placées tant
dans le lit du fleuve que danslcs deux
puisards établis sur le penchant de
la montagne (sans paricrdes pompes
auxiliaires, qui n'avaient pour ob-
jet que le jeu du mécanisme ). Or la
complication apparente de cette ma-
chine, son aspect gigantesque , qui
a principalement fait sa réputation,
tcnaicntà ce que les deux systèmes de
pompes qui re])renaient à mi-cô»e
l'eau refoulée immédiatement de la
Seine , ne pouvaient avoir de mou-
vement qu'en vertu de la force mo-
trice transmise du point inférieur,
RAN
du système général, et émanant des
eaux mêmes du fleuve. En conséquen-
ce , les roues hydrauliques , tournant
par l'impulsion de l'eau de ce fleuve,
avaient deux fonctions : l'une était
de faire mouvoir le système de
soixante-quatre pompes fournissant
l'eau reprise successivement par les
deux systèmes supérieuz's j l'antre,
de mettre en jeu les longues suites de
pièces de communication de mouve-
ment , au moyen desquelles les pom-
pes des deux systèmes supérieurs
pouvaient faire leur service* ainsi
les pompes du puisard le plus élevé,
agissaient en vertu d'une impulsion
donnée à des distances de ce puisard,
l'une verticale de 100 mètres ^(^
(3io pieds), l'autre horizontale,
de 67 I mètres ( 344 toises ). Cette
transmission de mouvement s'opé-
rait par l'intermède de plusieurs
couples de chaînes de fer, partant du
fleuve , et aboutissant aux points où
le mouvement devait être transmis ;
chaque couple avait ses deux chaînes
dans un même plan vertical, atta-
chées , d'espace en espace, aux ex-
trémités des balanciers, dont les axes
de rotation, places à mi -distance
entre les deux chaînes, étaient po-
sés sur des cours de lices établis sur
des chevalets. Des manivelles en fer,
fixées aux extrémités des axes des
roues hydrauliques agissaient sur les
chaînes , dans le sens de leur lon-
gueur , par l'intermède de pièces de
traction et de rotation désignées par
les noms de bielles et varlcts ; et
en résultat , lorsque la chaîne supé-
rieure d'une couple était tirée et se
mouvait dans le sens de la descente
de la montagne , l'infcrieurc se mou-
vait dans le sens de la montée , et ré-
ciproquement; ces allées et venues os-
cillatoires , qui se répétaient plu-
sieurs fois par minute , produisaient
RAN
des oscillations correspondantes dans
les pièces du mccauisme aux(fiicllcs
les points supérieurs des chaînes
étaient allaclics , et par suite l'as-
cension et la descente des pistons des
pompes de reprise des puisards. Ces
indications sommaires suffisent pour
motiver l'énorme quantité de fer et
de bois dont la montagne se trouvait
couverte sur une longueur d'envi-
ron 700 mètres : les mouvements
bruyants de toutes ces masses dont
on ne pouvait pas , sans instruction
et sans élude , saisir la correspon-
dance avec le premier mobile,
excitaient l'étonnemcnt et l'admi-
ration des hommes étrangers à la
science des machines; et cependant
le mécanisme, examiné dans ses dé-
tails, ne présentait, au fond, que des
procédés assez simples. Nous devons
ajouter que ces procédés étaient con-
nus et employés, dans l'exploitation
des mines , plusieurs siècles avant
Renkin ; on les désignait, en Alle-
magne , dans les mines du Hartz ,
etc. , par les noms de feldgestœnge
( tirailles ), et de kreutz (varlets);
les mineurs de Hongrie et de Suède
s'en servaient , et en tirent encore un
parti fort utile, lorsqu'il s'agit de
transmettre la force motrice de l'eau
à de grandes distances par-dessus de
hautes montagnes (4) : l'application
grande et mémorable que Renkin en
a faite est le résultat manifeste des
connaissances , sur les travaux des
mines , que cet homme avait acqui-
ses par une longue pratique, mais
qui , de son temps , n'étaient pas ré-
pandues en France. Il était naturel ,
d'après la grandeur du système mé-
canique qu'offrait la montagne de
(4) Voyez, le traité des mines de Delius, édition
française de Schreibcr, tome II , plaiirhc i4 , et la
Bichesse minénile de M. Hcron de Villit'obSC,to;u.
Ul, plaiicbe 33.
XXXVII.
RAN 81
Marll , de supposer qu'une immense
quantité d'eau franchissait le som-
met de cette montagne: malheureu-
sement les curieux qui avaient le
courage de monter au haut de la
tour, se trouvaient désenchantés à
l'aspect du mince filet d'eau qui arri-
vait à l'aqueduc. Nous pensonsque les
lecteurs nous sauront gré de leur faire
connaître ce produit effectif, et son
rapport avec celui qu'on peut obte-
nir de la force motrice fournie par
le bras inférieur de la Seine. D'a-
près les opérations faites , le 21
juin 1794, pai' l'auteur de cet ar-
ticle, pour parvenir à cette connais-
sance, la chute du fleuve , au bar-
rage, était de 1 mètre 6i5 milli-
mètres; et, d'après les méthodes de
jaugeage les plus exactes , il a trouvé
le volume d'eau qui tombait de cette
hauteur, pendant une seconde de
temps, égal à 55 mètres cubes 676
millièmes : en calculant, d'après
CCS données, et avec les réductions
convenables , l'elTet utile dont serait
capable une machine qui mettrait ;i
profit l'énergie entière de la force
motrice due à la chute et au volume
d'eau qui la franchit , il a reconnu que
cette machine pourrait élever au
sommet de la tour, ou à i55 mètres
de hauteur , 6920 mètres cubes
d'eau en vingt-quatre heures. Il con-
serve le manuscrit autographe d'une
vérification de ce calcul, faite par
le grand géomètre Lagrange , qui
était fort curieux de ces sortes de
recherches. Or, d'après les rele-
véï. faits sur plusieurs dixaines d'an-
nées, le produit effectif moyen de
l'ancienne machine n'excédait pas
la sixième partie du produit pos-
sible , c'est-à-dire, ïi5o mètres
cubes ou i,i5o,ooo litres en vingt-
quatrcheurcs, quantité très-suffisante
pour les besoins privés de i i5,ooo
82
RAN
habitants , dans un pays saluljre(5).
On a agité la question de savoir à
quel prix monétaire revenait un vo-
liiine d'eau déterminé, élevé par la
raîcliine de INIarli ; un des auteurs
qui ont parlé de cette niacliinc , pré-
tend qu'elle faisait acliclcrreau aussi
cîièreraeut que du vin , sans cepen-
dant rien prononcer sur la qualité
de ce vin, La donnée importante,
dans une pareille reclicrche , est le
montant du capital primitivement
dépensé pour la construction de la
machine , et pour tous les ouvra-
ges et établissements auxquels cette
construction a donné ]i( u : mais
cette donnée manque absolument ,
cnsorte qu'on ne peut rien statncrsur
les intérêts de la première mise de
fonds , qui devraient être ajoutés aux
frais annuels d'entretien et de régie;
ces derniers frais portaient : i°. sur
les réparations des diççues et barra-
ges établis dans le lit de la rivière ,
entre Bczons et la machine ; ri°, sur
les réparations de cette machine elle-
même , et de tons les objets compris
entre la rivière et la tour , !a direc-
tion des travaux et du mouvement
des eaux; 3**. sur l'entretien des ré-
servoirs, conduites , fontaines , etc. ,
existant entre la tour , sur laquelle
leseanxsontélevées ,et Versailles ,et
à Versailles même. Nous avons été à
portée desavoir à quoi se montait le
.second de ces trois derniers objets
de flépense annuelle : on a reconnu
qu'il ajoutait , seul , à tous les autres
articles inconnus , neuf deniers six
(5) Le» ii5o mt'Ires cube» d'eau eu vingt-qualre
heure», équivalent îi Go de» mesuret qu'un aiipclnit
fort inipTti\irenu-îil /lonccs d'eau oapuiicrs Jrjùii-
titinici. Le ra|i)iart du litnt » l'ancienne jiinle , csl ù
très-peu pri-s ci lui dian^?.! 1/31; en atsi^nanl n' li-
tre» d'eau ]>.'ir tête , pour les hesoiu.s usuel», nuuHfe-
ruD»rcuiuiqucr qu'avant le creuwiucnt du raual de
l'Ourcq , In di»ilril>uli<iu innrnaliirc de Piiri» ne
fournissait, tuut cuiupii», i(ue - litres par tète, à
tri:>-|>eu pri-».
RAN
dixièmes , par muid d'eau de huit
pieds cubes élevés au haut de la tour;
cette évaluation est ap{)licable aux
années antérieures à i •j8B. Après
avoir exj^osé les résultats des con-
ceptions du génie sans culture, pour
surmonter de grandes difficultés ,on
va dire , en peu de mots , comment
ces difficultés ont été récemment vain-
cues parles moyens que fournit l'état
perfectionné des sciences physico-
mathématiques. L'immense attirail
de mécanisme , de puisards , réser-
voirs , équipages de pompes établis
par Renkin sur le penchant de la
montagne de Marli, n'avait d'autre
motif que riinpossibi!i;c où il croyait
être de faire monter une colonne
d'eau depuis la Seine jusqu'au haut
de la tour , d'un seul jet , c'est-à-dire,
par un tuyau unique qui ne fût inter-
rompu nulle part entre ses points
extrêmes. Ce n'est pas qu'on man-
quât de la force nécessaire pour re-
fouler une pareille colonne , cette
force aurait été moindre que celle
qu'on dépensait avec un mécanisme
surchargé de masses inertes; mais
des raisons , tenant en grande partie
à la capacité de résistance du fer de
fonte, avaient déterminé Renkin à
sous-diviser la colonne ascendante :
il fallait , par conséquent , appliquer
à chaque point de sous-division ou
d'inteiruption , un appareil mécani-
que [)articulier , pour faire conti-
nuer à l'eau qui y arrivait , sa mar-
che ascensionnelle; et les appareils
intermédiaires ne pouvaient commu-
niquer que le mouvement (pii leur
était transmis par l'action inférieure
de l'eau du fleuve. De là l'énorme
(piantité des pièces de mécanisme
dont cette transmission était la fonc-
tion unique, et qui couvraient la sur-
face du sol sur plus de la moitié de
la distance entre «a machine infc-
RAN
rieurc , ou le premier mobile , et la
tour. Plusieurs essais avaient clc'
faitsaprès la mort de Renkiu.ctdaus
le cours du siècle dernier, pour cons-
tater la possibilité d'cleveri'eaud'uu
seul jet , depuis le bas de la cluUe de
la machine jusqu'au haut de la tour ;
par Camus , en 1708 ; Bockstaller ,
1747 ; Trois , Bossut , Moniucla et
Deparcieux , en 1775. Ces essais
avaient laisse' fort indécise la ques-
tion importante dont on cherchait
la solution , et qui n'a été' réso-
lue par le fait, qu'au commence-
ment du siècle présent. Noussommes
redevables de cet intéressant succès
à feu M. Brunet aîné, qui, par un
liasard singulier , était charpentier
comme Renkin , mais qui avait été
à portée de recevoir une éducation
et une instruction dont son prédéces-
seur manquait absolument. Les char-
pentiers , comme Brunet , sont à
Paris de gros entrepreneurs , dont
plusieurs jouissent d'une fortune
considérable : un Mémoire qu'il a
publié sur la cliarpcnte en fer de la
Halle-au-Bled , et plusieurs pièces
manuscrites qui restent de lui , at-
testent qu'il n'était nullement étran-
ger à la qéomélrie, à la mécanique
et à la physique. Il avait clioisi pour
roue d'essai , la quatorzième de la
machine , celle qui est tout-à-fait
en aval^ ou au-dessous du courant
par rapport aux autres. Voici ce qui
est dit dans un rapport rédigé par
l'auteur de cet article comme rap-
porteurd'unecommission où il avait
pour collègues MM. Monge et Cou
lomb , et qui a été lu à la classe des
sciences de l'Institut, le lôji'.in 1806:
il s'agissait d'une visite qu'ils avaient
faite delà machine de Marli. « Il est
» essentiel d'ajouter que sur les qua-
» tre-vingl-dix. pouces de fontaiu'cr
» ( produit de la machiuelcjo'irdcla
RAN
83
» visite ) , il y en avait seize on dix-
» huit fournis par la quatorzième
» roue, qui les refoulait dans unseul
•n tuyau sans aucune j-ejirise le Ion"
» de la montagne , et qui agissait ,
» de celte manière , depuis quinze
» jours sans interruption. » Ce fait,
qui établit l'antériorité du méca-
nisme de Brunet , est cité dans un
rapport postérieur, du 12 décembic
1814, lu à la même classe des scien-
ces , au nom d'une commission (de
MM. de Prony , Carnot et Poisson ),
chargée de constater les amélio-
rations que MM. Cécile, directeur
aciuel de la machine, et Martin,
artiste - mécanicien, avaient faites
au mécanisme de Brunet , dont
une des principales était d'assurer
la continuité du mouvement de
l'eau élevée , sans le secours d'un
réservoir d'air. Ce sont deux roues,
ainsi perfectionnées, qui, remplaçant
les quatorze roues anciennes , font
maintenant , et depuis plusieurs an-
nées , le service de la fourniture
d'eau de Versailles : mais elles ont
perdu , en bruit et en aspect , ce
qu'elles ont gagné en bonne construc-
tion; plus de tirailles, de longues chaî-
nes de fer , de balançoires , de cheva-
lets , etc. La montagne , qui en était
couverte , s'en trouve tout-à-fait dé-
barrassée. Nous ne serions pas éton-
nés ( si l'on connaissait le capital
dépensé pour l'établissement de l'an-
cienne machine, et pour la cons-
truction du magnifique et inutile
aqueduc ) , de trouver qu'avec une
année d'intérêts de ce capital, on au-
rait pu assurer la fourniture d'eau
de Versailles , en employant les
moyens mécaniques actuellement
couiuis et mis en pratique ; il est
vrai qu'un mécanisme simple et si
lencieux aurait pu échapper à l'at-
tention, à l'admiration du voyageur:
6..
84
RAN
nous avons plus d'un exemple de
rcntliousiasme excite par les pro-
duits de l'enfance de l'art, tandis que
ceux de sa maturité restent inaper-
çus. Ajouton-. à la digression pré-
cédente , sur un point curieux de
l'histoire de la mécanique appliquée,
que l'élévation, d'wi seul jet, des
longues colonnes d'eau , a ëte' ré-
cemment pousse'e , en Allemagne , à
des liauteiirs surprenantes; M. Junc-
ker , ingénieur du corps royal des
raines de France, nous a dit avoirvu,
à Jusang , près de Berclitesgaden ,
eu Bavière , une machine construi-
te, il v a environ trois ans , par le
célèbre Reiclienbacli , au moyen de
laquelle l'eau est clevo'e , d'un seul
jet, à une hauteur verticale de dou-
ze cent dix-huit pieds du Rhin, par
une chaîne de tuyaux , dont la lon-
gueur est de 35oG pieds. Celle ma-
chine est du genre de celles qu'on
appelle Machines à colonne d'eau.
Les nouvelles roues hydrauliques de
MM. Cécile et Martin n'ont que des
fonctions provisoires , attendu qu'une
machine à vapeur, placée près de
la machine hydraulique , et dont la
construction est bien avancée , doit
fournir désormais de l'eau potable
a Versailles. Le bras droit de la Sei-
ne , entre Bezons et le port de Mar-
li , va devenir disponible. Un des
premiers vœux a former dans une
pareille circonstance , est celui de
l'amélioration de la navigation , à
laquelle les travaux de Renkin ont
fait beaucoup de tort. On pourrait ,
en conservant aux arts industriels
le barrage et la chutcexislanls, fran-
chir celte chute par une écluse, qui
serait construite dans l'île , juxtapo-
sée au barrage ; ou a proposé plu-
sieurs autres projets , sur lesquels on
n'a plis encore aucune dctcrmina-
lion (lelinilive. P — nv.
RAN
R ANTZAU ( Henri , comte ) , fils
de Jean Rantzau, qui s'était distingue
dans les affaires publiques sous les
rois de Danemark Frédéric P»". et
Christian III, naquit en i526, fut
élevé à la cour d'Adolphe , duc de
Holslein , passa ensuite sept années
auprès de Charles-Quint , accompa-
gna cet empereur au siège de Metz ,
et fut gouverneur du Ilolstein. Ayant
acquis une grande fortune , il se
trouva en état de rebâtir somp-
tueusement son château de Ranzau
ou Ranzov , et de prêter des som-
mes considérables à l'empereur , à
la reine Elisabeth , au roi de Da-
nemark , aux villes d'Anvers , de
Lubeck , de Dantzig et de Ham-
bourg. Ami passionné des lettres, il
recueillit un grand nombre délivres,
en fit profiler les savants, et em-
ploya unepartie de ses richesses à
encourager la littérature. On disait
de lui, qu'il était le premier gentil-
homme d'Allemagne pour le grand
nombre d'enfants et de livres, et
pour son opulence. H s'était sur-
surtout appliqué à l'astrologie , et
croyait avoir lait d'importantes dé-
couvertes dans cette science chiméri-
que. Il publia lui-même plusieurs
ouvrages, tels que:I. Cftlalogus im-
peratonun , rcguîn et principnni qui
aitem astrologicani amarunt, An-
vers, i58o, in- lu de 109 pag.; ou-
vrage singulier, dont on peut voir
le long titre fort détaillé dans la
Bihliogr. astronom. de Lalandc ,
p. 109. II. De conservandd va-
letudine , Leipzig, 157G, in -8°.,
souvent réimprimé. III. Aorosco-
pog^raphia {ou consilération des cho-
ses invisibles ), Strasbourg, i585,
in-4". IV. Calendarium Banzovia-
num, tam ad n; um medicorum quàui
ustrologoriun , Hambourg, ifnjo,
in-fol. , reproiluit rn i^Qi , et rendu
ran
|)eri)cluel ( et j'erè peipeliniin ) en
\5g3 : souvent icimprimé. V. Ge-
nealogia Ranzoviana , Hambourg ,
i585, in-4°- ; on en connaît au
moins six éditions , et une version
allemande. \l. Historia belle Dith-
marsici { sous le nom de Chr. Ci>
licius), Bàlc , 1570, et dans la c/^ro-
nique d'Albert Krantz , i SgS , in-fol.
VII. Epigrammata et cannina va-
ria, Leipzig , i585 , in-4°., et des
Carmina selecta dans le Deliciœ
poëtarwn germanoniin.Ylll . Com-
vientarius bellicus , llhris ri dis-
tinctus , Francfort, i5g5, in-4''.
Henri Rantzau mourut le i*^'". jan-
vier iSgS. Son portrait a été gravé
en tête de l'édition qu'il doiuia eu
ï 593 , du Magia philosophica{\'oj.
Patrizi ,xxxiii, 145) Voyez, sur
sa. \ie, Henr. Ranzovii Fit a et res
gestce , Wittenberg , 1 567 , ( i ) in-
^^. — Un autre Henri ou Jean de
Rantzau , décoré du titre de che-
valier doré ( eques auratus ) , et
de la même famille, mort en 1672,
âgé de soixante-seize ans , écrivit la
relation du voyage qu'il avait fait en
i6ii3 et 1624, à Jérusalem , en
Egypte et à Coustantinople , Copen-
hague, 1669, in-4". 7 <^" danois;
Hambourg, 1704, in-8"., en alle-
mand. D — G.
RANTZAU ( JosiAS , comte de ) ,
maréchal de France , était de l'illus-
tre maison de ce nom dans le Hols-
lein ( Foy. sa généalogicdans leDict.
de Moréri , édition de 1 759 ). H en-
tra jeune au service de la Suède , et
signala sa valeur dans plusieurs occa-
sions. Le désir de voir la France l'y
amena, en iG35,àIa suite du chance-
lier Oxensticrn. A des dehors avan-
(i) l'.'isl i;,iiir 4111 fitu Cl- livre , ([ui n'fst point
d.iiis Id liihliolliccti liimiiviunu , tt duiit la dalc
|mruU tnoucc.
RAN
85
tageux , il joignait beaucoup d'esprit,
et parlait avec facilité les principales
langues de l'Europe. Ses manières
j)lurent à Louis XIII ; et ce prince ,
désirant s'attacher un olticier d'un si
rare mérite, le nomma maréchal-de-
camp et colonel de deux régiments.
Rantzau rejoignit, en Bourgogne, l'ar-
mée destinée à envahir la Franche-
Comté. La campagne s'ouvrit par le
siège de Dole, capitale de la province
{Voj. J. Boy VIN ) ; et il y reçut un
coup de mousquet , qui lui creva un
œil. Malgré cet accident , il ne quitta
point son poste un seul instant : la
sagesse de ses dispositions assura la
retraite des Français poursuivis par
les Impériaux; et il défendit ensuite
Saint-Jean de Lônc contre Galas, qu'il
força de lever le siège. Rantzau fît
toutes les campagnes de Flandre et
d'Allemagne , sous les ordres du duc
d'Orléans ou du duc d'Enghien ( le
prince de Coudé ). En 1 640 , il perdit
une jambe au siège d'Arras , et fut
estropié d'une main. 11 se trouva,
l'année suivante, à la double attaque
de la ville d'Aire, et montra le plus
grand sang-froid au milieu du dan-
ger. Mais, en i64'2 , il partagea les
revers des Français , fut fait prison-
nier au combat de Honnecourt ;et, à
peine échangé , se rendit en Allema-
gne, oîi il perdit la bataille de Tude-
lingen contre le duc de Lorraine ,
Merci et Jean de Wert , les trois
meilleurs généraux de l'Empereur.
En 1645, il assiégea et prit Grave-
lines, dont il fut nommé gouverneur;
et le 16 juillet de la même année , il
reçut le bâton de maréchal, après
avoir promis d'abjurer le luthéra-
nisme. L'année suivante , il fut fait
gouverneur de Dunkerque. En 1647 ,
il prit Dixmude , et réduisit Lens,
après la mort de Gassion ( For. ce
nom ) : dans cette campagne et la
86
RAN
suivante, il acheva de s'emparer de
toutes les villes maritimes de la Flan-
dre. Mais devenu suspect au cardinal
Mazarin par ses liaisons avec les
mécontents, il fut arrête' à Saint-
Germain, le 27 février 1649, et con-
duit à la Bastille, où il resta enferme
onze mois. Son innocence fut enfin
reconnue , et il recouvra sa liberté ;
mais il avait contracté, pendant sa
détention , une hydropisie , dont il
mourut , le 4 septembre i65o, dans
îin âge peu avance. Ses restes furent
déposés dans l'église des Minimes de
Chaillot , dont il était l'un des bien-
faiteurs , et où l'on voyait naguère
sou tombeau. Rantzau avait toutes
les qualités d'un grand général ; son
seul défaut était d'aimer le vin à
l'excès. On dit qu'il avait été telle-
ment mutilé dans les guerres , qu'il
ne lui restait plus qu'un œil , une
oreille, un bras et une jambe: c'est
ce qui donna lieu à l'épitaphe sui-
A'ante :
Du corps du gf aod Rantzau tu n*as qu'une des parts:
L'auticmrjitiii resta dans les plaines de Blars.
n dispersa partout ses membres et sa gloire.
Tout abattu qu'il l'ut, il demeura vainqueur :
Sou ^a^^ fut eu ceiit lieux le prix de sa victoire,
EtMarsnclui la ssariend'cutier quelecœur.
■Le portrait de ce maréclial a été
gravé in-folio, par Boulanger; il fait
aussi partie du Recueil in - 4°. de
Monlcornct. On a publié : Relation
de ce qui s'est passé à la mort de
Josias comte de Rantzau , Paris,
iG5o , in-4°.^ — Christophe de Rant-
zau, de la même famille, rentra aussi
dans le sein de l'Église catholique,
et publia les motifs de sa conversion
dans l'ouvrage suivant : Chr. Ran-
zovii , equitis flolsali , Epistola ad
Geo. Calixluni , qud sui ad Eccle-
siarii catholicain accessûs ratianes
exponit , Rome , typ. Propagand.,
l(J0'2 , in 8«. W— s.
RAOUL ou RODOLFR , duc de
Bourgogne , gendre de ce Robert qui
RAO
porta le titre de roi pendant le règne
de Ciiarles-le Simple, fut lui-même
appelé au trône de France, par un
parti puissant , lorsque Charles ,
abandonné de la noblesse , devint
prisonnier d'Herbert, comte de Yer-
mandois. 11 fut sacré le i3 juillet
9^3, régna sept ans pendant la vie
de Gharles-lc Simple , et six après la
mort de ce monarque. La couronne
était déjà sortie de la ligne diiccte des
fils de Charlemagne : l'ordre de suc-
cession n'était plus reconnu; et les
malheurs de la France engageaient à
élire celui qui, par l'étendue de ses
possessions et le nombre de ses par-
tisans, paraissait le plus capable de
rendre aux peuples la tranquillité
dont ils avaient un si grand besoin.
En acquérant le titre de roi, Raoul
n'augmenta pas beaucoup sa puis-
sance : ce qu'il possédait comme duc
de Bourgogne , était plus considéra-
ble que les apanages unis à la royauté,
depuis que les ducs et les comtes s'é-
taient rendus souverains dans leur
gouvernement ; car , indépendam-
ment du duc de Normandie, on comp-
tait dans le royaume plusieurs sei-
gneurs qui , par le nombre et la qua-
lité de leurs vassaux , par l'étendue
des pays soumis à leur domination,
remportaient en pouvoir sur les rois.
Trois concurrents se présentaient
pour la couronne, savoir : Raoul ,
duc de Bourgogne; Hugues-IeGrand,
son beau-frère, duc de France; et
Herbert , comte de Vermandois.
Hugues ayant laissé à sa sœur la
liberté de choisir entre lui et Raoul ,
elle aima mieux rec'onnaitre son
roi dans son époux plutôt que dans
son frère : Hugues n'appela point
de celte décision ; et unissant son
parti à celui de Raoul , ce dernier
fut élu. Le comte de Vermandois,
qui retenait Charlcs-lc-Siraple pri-
RAO
sonnicr , i"ai,sait trembler l'usurpa-
teur en menaçant de rendre la li-
berié au roi , et obtenait de grands
avantages ponr suspendre rexccution
d'une menace qu'il n'était pas de son
intérêt d'accomplir. Maigre' ces jus-
tes sujets d'inquiétude , Raoul éten-
dit sa puissance, se fit reconnaître
par les grands vassans. qui lui refu-
saient l'hommage , chassa de Fiance
les Hongrois appelés Bulgares , et sut
contenir les Normands dans le de-
voir : mais il eut le chagrin de per-
dre la Lorraine, qui rentra de nou-
veau dans le royaume de Germanie.
Ce prince, ([ui justiûa son usurpation
par un grand courage , beaucoup de
prudence , de douceur et de fermeté',
mourut sur le trône, l'an 986, sans
laisser d'enfant mâle. Il y eut un in-
terrègne parladifliculté de lui donner
un successeur : Hugues-le-Graiid , et
le comte de Vermaudois , ayant des
forces trop égales pour que le chois
de l'un ou de l'autre n'entraînât pas
une guerre civile , ils s'exclurent ré-
ciproquement , et firent offrir la cou-
ronne à Louis, fils de Charles-le-
Siraple , qu'on alla chercher en An-
gleterre, où la reine Ogive, sa mère'
l'avait conduit l'an g^S ; ce qui le
fit appeler Louis à Outremer ( F.
son article , XXV , 1 0-1 ). F — e.
RAOUL, duc de Normandie. F.
• RoLLON.
RAOUL , surnommé Ardent , à
cause de la vivacité de son esprit , et
de l'ardeur de son zèle, naquit dans
un village près de Bressuirc, en Poi-
tou. Il devint archidiacre de Poi-
tiers , et prédicateur de Guillaume IX,
duc d'Aquitaine, qu'il accompagna,
en 1 101 , dans son voyage d'outre-
mer. Les uns le font mourir pendant
le cours de celte expédition ; d'autres
le ramènent finir ses jours à Poiticra.
11 s'était fait un grand nom par un
RAO 87 ,
«avoir tiès-e'lendu , par la connais-
sance des langues, et surtout par sou
éloquence claire, nerveuse , dont il
se servait avec un zèle vraiinentapos-
tolique ; mais les Poitevins ne lui
pardonnent pas d'avoir dit que leur
cajactère distinctif était la gourman-
dise et le bavardage. Ses homélies
parurent à Paris, en 1567 > ^ ^'*^''
in-8". , et à Cologne , en 1604.
La 1'^. partie fut traduite en fran-
çais par frère Jean Robert, Paris ,
1575, in-8*'., et la seconde par frère
Fremin Gapitis. On attribue à Raoul
d'autres ouvrages manuscrits, ense-
velis dans la poussière des bioliolliè-
ques, T — E.
RAOUL deCaen, ainsi nomme
du lieu de sa naissance, partit, en
109(3, pour la croisade , et s'attacha
au célèijre Tancrède. On croit qu'il
est le même que le guerrier de son
nom qui s'acquit beaucoup de répiUa-
tion en qualité de gouverneur d'Acre,
sous Roger , neveu de sou patron :
mais il est plus certain qu'il mourut
jeune , avant de pouvoir terminer
l'histoire de cette croisade , qu'il ne
conduisit que jusqu'en iio5. Il lui
donna le titre de Gestes de Tancrède,
parce que son dessein principal était
de célébrer les exploits de ce héros ,
l'un des chefs de l'expédition. Cet
ouvrage, fait sur les lieux, sous les
yeux des acteurs et des témoins ,
passe pour très-authentique. On y
trou^e des faits et dcN circonstances
qui ne se lisent point ailleurs. Son
style, quoique alîecté, vaut encore
mieux que celui de ses contempo-
rains. On juge, par quelques endroits
écrits en vers , qu'il avait plus de
talent pour la versification que pour
la prose. H y traite de supercheria et
d'imposture ladécouvertc de la Sainte
Lanre (pie Raiinond d'Agiles , autrr
historien de celte croisade , donne
88
RAO
pour un événement miraculeux. ( V
P. R. d'Hautpoul, XIX. 5oi ). D.
Marlène publia cette histoire, restée
inconnue jusqu'alors , dans le m*^.
tome de ses Anecdotes. Elle areparu
dansia grande collection de Mu ratori.
rry ^
RAOUL GLABER. V. Glaber
XVII , 485.
RAOUX (Jean), peintre, ne à
Montpellier, en 1667, fut élève de
Ranc, et de Bon Boullogne. Après
avoir séjourné quelque temps en Ita-
lie , il revint à Paris , où il obtint la
protection et même l'amitié du grand
prieur de Vendôme, dont il fit le por-
trait en pied. Cet ouvrage, l'un des
plus remarquables qui soient sortis
de son pinceau , se distingue par
une espèce de fracas qui commençait
à devenir en vogue à cette époque, et
quel'on confondait avec le grandiose
et l'élévation du style. Le cardinal
Dubois , sur la réputation de Raoux,
lui proposa l'emploi de premier
peintre du roi d'Espagne Philip-
pe V. L'artiste , qui redoutait le
climat de ce royaume, refusa celte
offre , et fit envoyer à sa place Ranc,
fils de son ancien maître. Il se décida
toutefois à entreprendre te voyage
d'Angleteri-ej mais , après un séjour
de huit mois dans cctlc île , où il pei-
gnit quelques portraits, le mauvais
état do sa saniéle ramena en France. A
son retour, il exécuta, pourrélectcur
Palatin, deux tableaiix considérables,
représentant, l'un , la Conlinence de
Sciyion.^ l'autre, Alexaiuhe mala-
de , avec son médecin J'iulippc. II
peignit ensuite, pour le Régent, Télé-
viaque dans Vile de Calypso. Lors-
*jue ce tableau fut terminé, iegrand-
])rieur se chargea de le préseulerbii-
mcjnc au duc d'Orléans, ainsi que
l'auteur; et le prince fut tellement
satisfait de l'ouvrage, qu'il le pU-
RAO
ça dans son grand appartement,
Raoux, malgré ce succès , et l'impor-
tance qu'il attachait au titre de pein-
tre d'histoire, n'a jamais obtenu,
dans ce genre , qu'une réputation
secondaire. Son coloris ne manquait
ni de brillant, ni de (inesse ; il pos-
sédait une certaine grâce qui dégénère
en afféterie ; et sa fraîcheur manque ,
sinon de charme, du moins de vé-
rité : son dessin est incorrect , sou
style sans élévation; et la faiblesse
de ses conceptions trahit sans cesse
un artiste dont le génie ne pouvait s'é-
lever au-delà du portrait. Aussi est-
ce dans ce genre qu'il a mérité d'ob-
tenir un nom. Il ne s'y est jjoint
élevé, il est vrai , au niveau de Lar-
gillière et de Rigaud ; mais il est di-
gne , par plusieurs qualités , du rang
qu'il occupe parmi les meilleurs pein-
tres de portraits de l'école française.
Tous ses portraits sont historiés ; et
il aurait cru déroger à la dignité de
son art , en peignant un portrait en
buste. On connaît de lui des Noces
de 'village , des sujets de fantaisie ;
mais ces tableaux sont peu recher-
chés. Il fut admis à l'académie de
peinture, en 17 17, en qualité de
peintre d'histoire, sur un tableau de
P} f^nialion et de Galatée. La cor-
rection du dessin est loin d'y corres-
pondre au bon ton de la couleur.
On connaît de lui un grand nombre
de portraits remarquables sous le
rapport de l'arrangement des figures,
la jcssemblance et l'éclat du coloris:
mais il ne faut point y chercher l'ex-
j)rcssion ; c'est une qualité qu'il dé-
daignait. Il peignait de préférence les
femmes , et il est un des premiers ar-
tistes de son temps (|ui aient substi-
tué au naturel ces grâces de conven-
tion (pie Boucher , après lui , ne mit
que trop en vogue. Raoux mourut
à Paris, en 1734. P — s.
RAP
RAPHAËL DE VOLTERRE. F.
Maffei, XXVI , qg.
RAPHAËL D'UIIBIN. T-Sanzio.
RAPHELENG ( François Ra-
VLENGuiEN, plus coniiu SOUS le nom
DE ) , savant imprimeur , naquit en
i539, à Lanoy, près de Lille. Sa
mère , devenue veuve, le força d'in-
terrompre ses éludes, pour appren-
dre le commerce; des affaires l'ayant
ensuite conduit à Nuremberg, il
profita de ses loisirs pour étudier
les, langues anciennes , et il y fit des
progrès si rapides , que sa mère cessa
de contrarier ses goûts. Il vint en-
suite à Paris, pour se perfectionner
dans la connaissance du grec et de
riièbreu : mais les troubles qui de'-
solaient la France , le décidèrent à
passer en Angleterre; et il enseigna
quelque temps le grec à l'université'
de Cambridge. A sou retour dans
les Pays-Bas, il entra, comme correc-
teur, dans l'imprimerie de Christ.
Plantiu, qui, charme' de sa douceur
et de sa capacité, lui fît épouser, eu
i565, sa fille aînée, Marguerite. 11
rendit de grands services à son beau-
père, surtout pour l'impression de
la fameuse Bible yoJ^y glotte , dont il
revit les épreuves avec tout le soin
dont il était capable ( Voy. la P?-*?'-
y'flce d'Arias Montanus }. Plantiu s'é-
tant retiré à Leyde, avec sa famille,
pendant les guerres civiles des Pays-
Bas, Rapheleng resta seul chargé de
la direction de l'inipiimerie d'An
vers ( F. Plantin ). Il se rendit, en
1 585 , à Leyde , pour surveiller celle
que son beau-pèie y avait établie , et
qu'il lui légua. 11 apprit alors l'ara-
be avec le secours de quelques livres
que ses amis lui prêtèrent, et il y
devint bientôt fort habile. Les cura-
teurs de l'académie de Leyde le char-
gèrent d'y enseigner l'hélireu; et il
s'acquitta de cet cniploi pendant
RAP 89
quelques années, avec beaucoup de
distinction. La douleur que lui causa
la mort prématurée de sa femme , et
une paralysie dont il fut atteint, lui
rendirent la vie insupporlablc. Ra-
pheleng mourut le 20 juillet 1597.
Les éditions qu'il a publiées des clas
siques grecs et latins, sont aussi
correctes , mais moins belles que
celles de Plantin, dont il conserva
la marque typographique. Outre une
Grammaire hébraïque^ un Abrégé
du dictionnaire hébreu de Sanctès
Pagnini , un Dictionnaire chal-
dàique , etc. , insérés dans YA])-
paratus de la Polyglotte d'Anvers ,
on a de Rapheleng : I. La Tra-
duction latine de deux traites de
Galien ( De cljsteribus et de coli-
cd ), Leyde, i59i,in-8". IL Un
Nouveau Testament syriaque ( en
lettres hébraïques sans points ), avec
des variantes tirées d'un manuscrit
de Cologne, Anvers, i575, in-4°.
III. Un Dictionnaire arabe , Ley-
de, i6i3, in- 4". de plus de 700 p.,
avec des additions de Th. Erpcnius
( F. Erpenius, XIII, 273 ). Roter-
raund dit que ce livre est parvejiu
jusqu'à la i3". édition; c'est une er-
reur : il n'a jamais été imprime
qu'une fois. Les éditions de 1399 et
de 1610, citées par leuischj d'après
le P. Leiong , sont imaginaires ( F.
Schnurrer, Biblioth. arabica^ in-
8*^. , p. 27). Ce dictionnaire ,tiré en
grande partie du Thésaurus arabi-
eus ( inédit ) de Jos. Scaliger ( F.
ce nom ), n'est plus consulté depuis
que l'on a celui de Golius et d'autres
beaucoup meilleurs et plus com-
plets : il ne contient que Ô322 mots
radicaux ; et le Thésaurus de Scali-
ger, que Rapheleng avait eu pendant
deux ans à sa disposition , renfer-
me environ -20,000 mois , dont
8000 sont radicaux( Scaliger, E}nst.
90
RAP
302, ad Roh. St.) On conserve par-
miles manuscrits de la bibliothèque
de Leyde , un Herbier de Fr. Ra-
pheleng ( Voy. Catalogus lihror.
hiblioth. Lu^dun.-Baiav., p. i33).
Son portrait , place' dans une des
salles de l'acarléinic de cette ville, a
ëte grave' par Larraessin, et setrouve
dans V Académie de Bullart ,et dans
la Bibl. Bel^. de Foppcns. — Fran-
çois Rapheleng , fils aîné' du pre'cc'-
dent , et que l'on a souvent confondu
avec son père, me'rite une place par-
mi les e'rudils précoces. Il culliva la
littérature et les langues anciennes
avec beaucoup d'ardeur, et publia,
à l'âge de vingt-un ans : Elogia car-
miné eles,iaco in imagines quinqua-
ginta dociorum viromni, Leyde ,
1687, in-fol. On a du même auteur
quelques pièces de vers et -des No-
tes, insérées dans l'éd. de Séiièque,
publiée par Juste Lipse. On trouve
une Notice sur les Raplielcng, dans
le tome xxxvi des Mémoires de
Niceron. W — s.
RAPIN ( Nicolas ) , littérateur
Poitevin , naquit , vers i54o , à
Fontcnai-le-Comte, d'une famille dis-
tinguée. Après avoir achevé ses étu-
des à Poitiers, où il se lia d'une
araitié durable avec Louis et Scévo-
Ic de Sainte - Marllie , il fut reçu
avocatau parlement. Quelque temps
après, il fut pourvu de la charge
de vice- sénéchal de Fontenai ; et
il la' remplit avec une fermeté qui ,
dans ces temps de trouble, l'expo-
sait h de continuelles récriminations.
Ses ennemis travaillèrent à faire .sup-
primer sa place comme inutile, ou
du moins à la faire donne. -^ ijacl-
qu'aufre : mais il déjoua toutes leurs
intrigues ; cl (|U(h qu'en ait dit vSca-
liger , il n'eut pas de peine à démon-
trer son innooence et leur méchan-
ceté. Rapin assistait, en 1579, aux
RAP
grands jours de Poitiers , et il fut
du nombre des poètes qui célé-
brèrent la Fuceàc lypll*^. Desroches
( V. ce nom). Charmé de son esprit,
Le président Achille de Harlay ,
devint son protecteur , et , l'ayant
fait venir à Paris , lui procura la
charge de lieutenant de robe-courte.
Bientôt après, il fut honoré par Hen-
ri m de celle de grand-prévôt delà
connéfablie; et le zèle qu'il montra
pour le service du roi, lui suscita
de nouveaux ennemis. Ceux-ci, pins
adroits ou plus puissants que les
premiers , vinrent à bout de le faire
priver de son emploi , et bannir de
Paris ; mais il appela de cette sen-
tence , et fut réintégré dans ses
fonctions. Rapin embrassa le parti
de Henri IV avec ardeur ; il signa-
la son courage , à la bataille d'ivri ,
sous les yeux du maréchal d'Aumont,
et célébra cette victoire dans des
vers qu'il eut l'honneur de jirésenter
au roi. Il ne servit pas moins utile-
ment la cause royale en couvrant
de ridicule ses adversaires , dans la
fameuse Satyre Ménippée ( Voyez
P. Le Roy ), à laquelle il eut beau-
cou]) de part (i). Moins affaibli par
i'àgc que par ses travaux, il se dé-
mit de sa place , en 1 599 , et se re-
tira dans une jolie maison qu'il avait
construite près de sa ville natale. La
culture des lettres et les soins de l'a-
mitié y remplirent agréablement ses
loisirs. Ne pouvant résister h l'envie
de revoir encore une fois les amis
(t) Outre Inspiècos devers qu'il a fournies ^ celle
in;;tiiicuse Satire ( f^. PASS1-;RAÏ ) , on iiltribue ii
Uiipiu Ji's Iiaransjiu's du rccloiu' Hosc , de l'nrcbevr-
<|uc de Lyon ( Esninac ) , il d'Aii);oulcveiit. « Ou a
piinc ii coni(ircnare, dit tm critique, comment dos
irrivains se disant catlioliqiu'ii, s'amu.sèrciit à ridi-
culiser et à calomnier I» ligue ontlii>lit|Uc, .<ans mon-
Irer la moindre Iniiiu iir lonlrr' la ligue Inmiieuole ,
ijiii depuis long-trmi.i portait le 1er et le leu dans
toute la l'Yance : il ne Tant doue pas être snrpri.i si
Itapiu fut regarde par les callioVicpies comme iiu
tnigucnot di'ijuiïii. »
RAP
qu'il avait laissés à Paris , il se mit
en route pendant un hiver rigoureux:
mais il tomba malade à Poitiers , et
y mourut le 1 3 ou le i5 février
1608. Ses restes furent rapportés a
Foutenai , sans pompe, comme il
l'avait désiré. Il chargea, par son tes-
tament, Scévole de Sainte-Marthe et
Jacq. Gillot de rassembler ses poé-
sies et de les pubUer. Ce Recueil parut
sous le titre à' OEiiires latines et
françaises de N. Rapin , Paris ,
i6io , in 4°. ïl contient deux li-
vres d^Epigrammes latines, des £Ze-
giej, quelques autres petites pièces
(2) ; des Traductinns ou imitations
eu vers français des Satires et des
Epitres d'Horace , et de V Art d'ai-
mer d'Ovide ; ûesOdes, des Stan-
ces et des Sonnets sur divers sujets;
les sej)t Psaumes de la pénitence
(3) ; des Fers mesurés , rimes et
710/1 rimes , essai déjà tenté sans
succès par Baïf , Desperriers et au-
tres ( F. MoussET ) , et qui l'a été
depuis par différents poètes ( Forez
TuRGOT ). Viennent ensuite les OEu-
vres en prose , qui consistent en des
Traductions de la belle Préface
adressée par l'historien de Thou à
Henri IV ( F. Tuou ) , et de l' Orai-
son de Cicéron pour Marcellus.
JJ Eloge de Rapin , par Scév. de
Sainte Marthe , termine ce volume,
dans lequel on a réuni les vers la-
tins et français composés à sa louan-
ge , sous le titre de Tumulus N.
hapini. On estime beaucoup les Epi-
grammes latines de INic. Rapin: mais
ses vers français sont tombés dans
l'oubli ; et il faut , dit Brossette , es-
timer terriblement la poésie antique
(a) La plus grande partie des p()c'-,ips btiiips de
Rapin a otc iiisi-ree dans le tume UI des OelicicB
puëtar. OalLornm,
(3) Cette traduction des Psaumes , le pin» faible
dos ouvrages de Rapin , a lité impriulce séparcineut,
l'aiis, i588.iii-8n.
RAP
9»
pour s'amuser à les lire (Notes sur
les OEuvres de Régnier (4) ). Dreux
du Radier prétend , au contraire ,
qu'il n'était pas moins bon poète
français que latin , et que ses imita-
tions d'Horace ont le tour heureux,
naïf et délicat de l'original. Outre
les ouvrages compris dans le Re-
cueil dont on vient de donner l'ana-
lyse , on a de R^pin .\. Le vingt-
huitième chant de Rolandle furieux^
de VArioste , montrant quelle assu
rance on doit avoir aux femmes ,
Paris , 1572 , in-i2 ; cette traduc-
tion est écrite en stances de huit
vers. II. Les plaisirs du gentilhom-
me champêtre ; cette pièce fait par-
tie d'un volume intitulé : Les plai-
sirs de la vie rustique, Paris , 1 583,
in-iii. On peut consulter, ])0ur de
plus grands détails , Bayle et l'abbé
Jo!y , les Mémoires de Niceron ,
tom. XXV , mais surtout la Biblio-
thèque du Poitou , par Dreux du
Radier ( m , 1 1 8-1 5o ) , qui a cor-
rigé les erreurs et les omissions de
ses devanciers. W — s.
RAPIN ( René ) , jésuite et littéra-
teur , était né à Tours en 162 i : il
entra dans la compagnie de Jésus eu
1639, enseigna pendant neuf ans
les belles- lettres , et publia , depuis
1637 jusqu'en 1687 , nn grand nom-
bre d'écrits en vers et en prose , en
latin et en français. On a observé
qu'il composait alternativement des
livres de piété et des livres de littéra-
ture : aussi l'abbé La Chambre disait
qu'd servait Dieu et le monde par se-
mestre. La liste chronologique de ses
ouvrages justifierait jusqu'à un cer-
tain point cette observation ; mais on
doit reconnaître que ses productions
littéraires sont eu général très-reli-
(4) Rcgnirrlui adressa sa IX". ,Vn//re , et compo-
sa sur sa mort un Soiiiiel , dans letjuel il le mot »i-
desnu dea Grec» cl de» Lalius,
02
RAP
gieuses , et que l'homme de lettres se
retrouve dans ses œuvres théologi-
ques. Ses contemporains ont rendu
liommage à la douceur et à la poli-
tesse de ses mœurs : il eut pourtant
des de'mêles assez vifs avec Maim-
bourg, et surtout avec le P. Vavas-
seur; son zèle contre les janse'nistes
n'a pas été très-modéré. On raconte
aussi qu'il traita un peu brusquement
Duperrier et Santeul , qui faisaient
comme lui des vers latins , et qui ,
au refus de Ménage , l'avaient pris
pour juge du mérite de leurs poésies:
abordé par eux au moment où il
sortait de l'église , il leur reprocha
leur vanité, leur déclara que leurs
vers étaient détestables , et jeta dans
le tronc l'argent qu'ils avaient dépo-
sé comme enjeu, entre ses mains,
L'histoire de sa vie se réduit à ce
très - petit nombre de faits , et au
tableau de ses ouvrages , dont la
composition paraît avoir occupé pres-
que tout son icmjis. Il mourut à Pa-
ris, le 27 octobre 1687. Los trois
premières pièces de vers qu'il publia,
sont intitulées : Serenissimœ reipu-
hlicœ Venetœ trophœiun oh debel-
laliini Turcam et restitutamsocieta-
tein Jesu, 16.57; — Trophœum fa-
mœ eminent. Cavdinall Mazarino ^
1G57; — Lacrymœ in tumulumAl'
fonù Mancini , i658; toutes trois
imprimées à Paris, iu - fol. Rapin
avaitctéle préfet d'études de ce jeune
Mancini, dont il pleurait la mort
prématurée, et cpii élait neveu du
cardinal Mazarin. En nicuie temps
(lu'il mettait au jour ces trois essais,
qui n'annonçaient pas encore un
talent très - distingué, le P. Rapiu
composait un livre de théologie
poIémir[iie sous ce titre : De no-
va iloclriiui (lisscrtnlio , sea evan-
a^eUuni.lansenislainm^ Paris, i()58,
111-8". L'auteur suppose qu'un jausé-
RAP
nisle , prêchant l'Évangile à des
paiens , leur enseigne la doctrine de
la prédestination gratuite , et de l'im-
puissance du libre arbitre sans la
grâce efficace : ces païens en con-
cluent qu'on ne leur annonce qu'un
Dieu injuste , qui leur prescrit des
lois dont il sait bien que l'accom-
plissement sera impossible à la plu-
part d^entre eux. Le commencement
de la réputation littéraire de Rapin
date de lôSg , époque de la publica-
tion de ses E^logœ sacrce , accom-
pagnées d'une Dissertation sur le Poè-
me pastoral ( Paris, in-4'^-) On crut
retrouver dans ces Églogues l'art de
Virgile , et le vrai caractère du gen-
re bucolique: Costar décerna au poè-
te le nom de ïhéocrite second j San-
teul et Huet le comblèrent d'éloges:
depuis, les Jésuites eux-mêmes, ain-
si que Bayle l'a remarqué, ont jugé
ces Idylles sacrées avec moins d'in-
dulgence ; toutefois elles ont couseï'-
vé quelque réputation jusqu'à la fin
du dernier siècle : Pictro Alpini les
a traduites en vers italiens , en 1 790,
à Turin, in- 8'^. Elles furent suivies,
en 1G60 et 1662, de trois pièces de
vers, imprimées à Paris, in fol. ,
et qui ont pour titres: Pacis trium-
phaliuad Jid.Card, Mazarinwn^pa-
cificatorid iL'i'^atioiie féliciter gestd.
— Fax Themidis cuiii Musis. — Ad
Gidl. Liimontwn. — Fiei^iLud.xiy^
pacij'er Delphinus. Le Poème des jar-
dins { Ifortorumlibri ^ ), ])arut en
i665 , in-4''.; et, avec d'heureux
changements, en 166G, in-12. Entre
les éditions suivantes, qui sont nom-
breuses , nous ne distinguerons que
celles d'Ulrccht, 1672, in-8''. ; et
lie Paris , chez Barhoii , par les soins
de Brolicr , iu-i.i, 1780, Ce Poè-
me a été traduit en vers anglais,
par J.l'^vclyu (ils(^. ce nom, XIII,
558 ) , Londres , 1G73 , in-8". j eu
RAP
vers italiens , parle P. Giov. Piclro
Bergantini,servite;mais cette version
est restée manuscrite ( V. Mazzu-
chelli, t. II , part, ii , p. 947 ); en
français , par Gazon Doiirxignc,
Paris, 1773, in-12; et beaucoup
mieux par MM. Voiron et Gabiot ,
Amsterdam ( Paris ) , 1782 , in-8°.,
avec le texte latin. De tous les ouvra-
ges de Rapin, c'est le phis justement
renommé: la latinité en est pure, le
style plein de grâce , et la composi-
tion ingénieuse. On y a critique pour-
tant la profusion des détails mytho-
logiques ; et l'on s'est plaint du ca-
ractère profane et trop peu chrétien
qu'ils imprimaient à l'ouvrage. Mais
il suffit d'observer que c'est une
continuation des Géorgiques, et que
les traditions religieuses de Virgile
s'y replaçaient naturellement , ou
presque de nécessité. On pourrait
seulement reprocher au poèted'avoir
mêlé aux noms de tant de divinités
païennes , celui de Jésus-Christ , à
propos du lis et de la fleur de la
passion, et trouver assez faible l'ex-
cuse de Baillet, qui dit « que J.-C. pa-
raît en cet endroit sans action et sans
conséquence. » Quoi qu'il en soit ,
ces quatre chants sont si supérieurs
aux autres poésies de Rapin , qu'on
a prétendu qu'ils ne lui appartenaient
pas, et qu'il les avait pris dans un
manuscrit lombard , que possédait
un prince de iNapIes. Cette allégation
n'ayant pas été vérifiée , il n'y a pas
lieu d'en tenir compte. L'ouvrage fut
beaucoup recherché en 1782, quand
Delilie publia ses Jardins ; et l'on
s'efforça, selon l'usage , de préférer
le poème latin, accrédité depuis plus
d'un siècle, au poème français, qui
venait de voir le jour. Rapin avait
joint à ses quatre chants une Disser-
tation De unwcrsdhorlensis culturœ
discLplind, qui a été reproduite dans
RAP g3
la plupart des éditions. 11 y a des bi-
bliographes (Mercklin, Kbnig, etc. )
qui ont 'placé la Dissertation et les
quatre chants parmi les livres de bo-
tanique médicale; et les aut«»rs du
Dictionnaire historique italien , im-
primé à Bassano , disent qu'en con-
séquence René Rapin a un long arti-
cle dans le Dictionnaire historique
de la médecine , par Éloy , ce qui
n'est pourtant pas vrai. En repre-
nant la série chronologique des pu-
blications du père Rapin, nous ren-
controns , en 1G67, ses Odes h Clé-
ment IX, et au cardinal de Bouillon,
l'une et l'autre imprimées à Rome ,
in-4°.; et eu 1698, sa Comparaison
d'Homère et de Virgile , in-4''. , à
Paris. Ce morceau, dédié au premier
président Lamoignon , chez lequel il
avait été d'abord lu , a-fîxé l'atten-
tion des savants , et a été traduit en
latin par Paulraier de Grentemcsnil,
à la suite de son Apologie pour Lu-
cain, Leyde, 1704, in-8'^. Ménage
prétendait que Rapin n'avait pas
l'instruction nécessaire pour compa-
rer ces deux grands poètes , et que
Tannegui Lef evre , à la conversion
duquel il travaillait alors , lui avait
fourni les passages grecs. Au fond,
le résultat dece long parallèle ne con-
siste guère qu'en deux ou trois an-
tithèses: Homère avait plus d'esprit,
Virgile plus de jugement ; on aime-
rait mieux être Homère, mais on
s'applaudirait davantage d'avoir fait
l'Enéide , etc. Après avoir publié ,
en 1669 (Paris, in-fol.) , des vers en
l'honneur de Fr. Fouquct , archevê-
que deNarbonne, Rapin composa,
l'année suivante, une Comparaison
de Démosthène et de Cicéron (Paris ,
in-B».), réimprimée avec des correc-
tions en 1676, in- 12. C'était encore
une grave entreprise, que Plutarquc
avait évitée , en avouant qu'il ne sa-
94 RAP
vait pas assez le latin, et dont le P.
jésuite aurait pu , au dire des cri-
tiques , s'abstenir aussi pour une
autre raison. Gibert trouve ce mor-
ceau ti-<i<s-intcricur à la dissertation,
déjà bien imparfailc, du P. Caussin,
sur le même sujet. L'année 1671
■vit paraître un volume in- 12 , inti-
tule, Comparaison de Platon et d'A-
ristnle, avec les sentiments des Pères
sur leurs doctrines, et des reflexions
chrétiennes. D'autres écrivains mo-
dernes ont pénétré beaucoup plus
avant dans les théories de ces deux
anciens philosophes; mais Rapin se
croyait déjà en droit de conclure que
Platon avait une imagination plus
brillante ; Arisîote , un sens plus
droit et plus solide : que le premier
est un maître plus agréable aux
gens du monde ; le second un gui-
de plus sûr pour les écoles : résul-
tats qui peuvent sembler vrais, mais
qui avaient besoin d'être plus ri-
goureusement établis. Il s'est glissé
d'ailleurs dans ce livre plusieurs er-
reurs de fait queBaylea relevées ( Re-
marques A et T de l'article Aristo-
te ). Les Beflexions de Rapin sur
l'éloquence sont de 167^. (in-12 ).
Au milieu de beaucoup d'idées sai-
nes , mais très-générales et devenues
fort communes, Gibert y remai-que
des faits altérés , des textes mal
compris, et des notions inexactes.
En même temps, le laborieux jé-
suite publiait VEsprit du christia-
nisme , à Paris , in- 1 •! ; livre de piété
qui a eu deux autres éditions , dans
le même format, en 1674^* iG83.
11 est distinct de la Perfection du
christianisme, imprimé aussi in- 1 2,
d'abord en 1673 , puis en 1O77.
Un poème héroïque inlilulc Chris-
tus patiens , ^6']^, in- 8°., réim-
primé à Londres, chez Tonson , en
1 7 1 3 , in- 1 u , paraît être la dernière
RAP
production poétique de Rapin, Il
payait, en celte même année, un tri-
l>ut à la littérature profane, par ses
Réflexions sur la poétique d'Aris-
tote, et sur les ouvrages des poètes
anciens et modernes ( Paris,in-i'ji ).
jl y parlait des épigrammes avec
peu d'estime , et ne daignait pas nom-
mer celles de son confrère Vavas-
seur , qui en avait composé plusieurs
livres, et y avait joint un traité sur
ce genre de poésie. Vavasseur se fâ-
cha ; il fit des Remarques sur les
Piéjlexions , et appela son adver-
saire V Auteur réjiexif. Rapin répli-
qua : Lamoignon s'entremit entre les
deux jésuites, et les fit consentir à
supprimer, l'un ses remarques, l'au-
tre sa réponse; en sorte que les
exemplaires des éditions in - 12 de
1675 , en sont fort rares ; mais ces
deux écrits ont été insérés , en 1 70g ,
dans le recueil in-fol. des OEuvres
de Vavasseur. Les remarques de ce-
lui-ci ont été réfutées aussi par Jacq.
Lenfant, dans les Nouvelles de la
république des lettres , de février et
mars 1710. Pour faire diversion à
celte querelle, Rapin donna an pu-
blic, en 1G75, son traité de V Im-
portance du salut , petit volume in-
12, qui en était à sa 4*^. édit. eniôgo.
Cette étrange éj)ithète de réjiexif,
dont il avait été fort piqué, ne l'em-
pêcha ])oint d'imprimer , en 1G76,
des Réjlexioiis sur la philosophie
ancienne et moderne, et sur l'usage
qu'on en doit faire pour la religion
( Paris, in-r.î ). Il traitait là des ma-
tières qu'il avait peii a]irofondies. Il
semble croire, comme le lui a repro-
ché Gibert, que le dilemme se classe,
par sa nature même , au nombre des
sophismes méprisables. ¥a\ parlant
d'Epicure, il jirend à contresens,
ainsi que l'a montré Bayle , un pas-
sage dcPlutarque, et cite comme une
RAP
preuve de modestie , ce qui en est
une d'orgueil ; mais on aurait à re-
prendre des erreurs beaucouj) plus
graves dans ce traite'. Celui qui con-
cerne l'Histoire est de iG77,in-i2.
J.Davies l'a traduit eu anglais, Lon-
dres , 1680, iu-S".; et Lcnglet-Du-
fresnov l'a fort préconise. Rapin y
recommande à l'historien d'écrire
noblement , sensément , purement
et simplement ; ces quatre règles
sont bien vagues , et il ne les
explique ]>^s d'une manière très-
précise : il considère ensuite la ma-
tière de l'histoire, sa forme, et sa fin,
qui est, dit -il, d'instruire plutôt
que de plaire. Il s'approprie plu-
sieurs pensées de Lucien, en les ex-
primant quelquefois avec justesse,
et en y mêlant des observations qui
ne sont pas toujours impartiales : il
appelle Tacite « un grand biaiscur,
» qui cache un fort vilain cœur sons
» un fort bel esprit. » Reprenant, en
1679, 1680 et i68r, ses travaux
théologiques, il fit paraître successi-
vement, à Paris : la Foi des derniers
siècles, in-i'i ; une Lettre latine au
cardinal Cibo , Pro pacando Be'^a-
liœ jiegotio , in-S'^.; et les Arlijices
des hérétiques, ni- 1 '2.. Ce troisième
article n'est qu'une traduction libre
d'un livre latin du jésuite Gilles Es-
trix. L'Épître au cardinal Cibo fit
plus de bruit: les amis de l'évêquede
Pamiersréclamèrentconlrccequ'elle
leursemblailconteuird'iiijiirieux.àli
mémoire de ce prélat ( P'. Caulet,
VII, 4^7-4^9)* La traduction fran-
çaise de celte Lettre ( Cologne, 1 684 ,
in- 12 ) est si mal écrite qu'on ne
l'attribue pas à Rapin. Cet écrivain
s'occupa de littérature classique en
1681 : il compara Thucydide et Ti-
te-Live (Paris, in-12 ), et préféra
le premier comme plus exact, le se-
cond comme plus onté. Son dernier
RAP
95
livre de dévotion est la Fie des pré-
destinés dans la bienheureuse éter-
nité, Paris, 1684, in-4°. Mais de-
puis il a compose encore un Traité
du grand et du sublime dans les
mœurs, avec des observations sur
l'éloquence des bienséa?ices, Paris ,
1686, in-i2; et nn écrit intitulé le
Magnanime , oul'élogedu princede
Condc, in-12, en 1687, peu de mois
après la mort du héros. Le traité du
sublimedans les mœurs n'était (|u'uu
recueil de quatre éloges^ savoir de
ceux du roi Louis XIV, de Lamoi-
cnon, de Turenne et de Couiié lui-
même: mais ce prince s y était trou-
\é trop peu loué; et on avait cher-
ché à l'indisposer contre Rapin.
Quant à l'opuscule sur l'éloquence
des bienséances , Gibert n'y voit rien
de nouveau que la manière dont le
titre est tourné, et y reconnaît les
traces de l'inattention et de la négli-
gence que l'auteur a portées dans ses
autres écrits. On n'a point imprimé
une histoire du jansénisme , grand
owrage auquel il avait travaillé
pendant plus de vingt ans, et que
Dieu lui avait fait la grâce d'ache-
ver avant sa mort , à ce qu'assure
Bouhours. Aux éditions particuliè-
res de chacun de ses livres , que nous
avons indiquées , il faut ajoute* cel-
les où l'on a réuni toutes ses poésies
latines, Paris, 1681, 2 tomes iu-12;
ses Parallèles des grands écrivains
de l'antiquité, et ses Réflexions sur
l'éloquence , la poétique , etc. , Paris ,
1684, 'i- tomes in-40.; et Amster-
dam . 1 686 , a vol. in- 1 2 ; ses Trai-
tés de piété, Amsterdam, in-12,
1695. L'édition de la Haye, 1725,
en 3 vol. in-12 (i), comprend tous
ces traités , et les autres œuvres en
(1) Ou a pince .1 la {îii du jcr. de ces 3 viil. . lu
(.niiipiiiaisou de Pindarc et d'Horace , por François
liloudul ( y. ce nom , IV, jgS ).
96
RÂP
prose i'rançalsc , avec le poème latin
des Jardins. En joignant à ces trois
volumes les deux de i68r , qui
contiennent les Poésies, on a, le plus
complètement qu'il est possible, tous
les ouvrages de Rapin : il n'y manque
que V Ei'angelium jaiisenistarum,
la Lettre au cardinal Cibo, les Artifi-
ces des lièrctiques , et la Réponse à
Vavasseur. A notre avis , le poème
des Jardins assure à l'auteur qui
vient de nous occuper, un rang e'ini-
nent parmi les poêles latins moder-
nes , dans la foule desquels ses autres
poésies l'auraient laissé confondu.
Ses livres en prose française annon-
cent une riche littérature et un talent
d'écrire qui n'était pas très-commun
avant 1687, bien que dès-lors sur-
passé dans un petit nombre de chefs-
d'œuvre. La réputation des trai-
tés de Rapin ne s'est point accrue
depuis 1726; et nous ne croyons
pas qu'ils offrent une instruction
assez profonde , une j)récision as-
sez rigoureuse , une élégance ni
même une correction assez cons-
tante, pour redevenir jamais célèbres.
On peut s'étonner pourtant que La-
harpe n'ait pas daigné en dire un
seul mot. P^oj. sur René Rapin , son
Eloge par Bonheurs , et le compte
qui «1 est rendu dans l'Histoire des
ouvrages des savants, novembre,
1687, p. 4 '3; l'article de Bayle, et
celui de Niceron, t. xxxii, p. i52-
161. D — N — u.
RAPIN-THOYRAS ; Paul de ) ,
liistorien, neveu du célèbre Pellis-
son , naquit, en 1661 , à Castres ,
d'une famille originaire de Savoie ,
et qui s'établit en France à l'époque
de la réforme, (prdle avait embras-
sée. Son père , avocat à la chambre
mi-partie de Castres , le destinait à
la m ("-me carrière. Après avoir ache-
vé ses études avec succès, à Puylaii-
RAP
rcns et à Saumur, le jeune Rapin
se fît recevoir avocat ; mais la sup-
pression de la chambre mi-partielui
faisant craindre que les protestants
ne fussent bientôt exclus de tous les
emplois , il pria son père de lui per-
mettre de renoncer au barreau , et
d'embrasser la profession des armes,
pour laquelle il s'était toujours senti
de l'inclination. Son père , sans lui
refuser son consentement, ajourna
l'exécution de ce projet ; et Rapin
profita de ses loisirs pour se perfec-
tionner dans la connaissance des lan-
gues anciennes et des bons auteurs :
il s'appliqua, dans le même temps, à
l'étude des mathématiques , et culti-
va son goût pour la musique. La
mort de son pèie, que suivit la révo-
cation de l'édit deî^antes , le laissant
libre de prendre le parti qu'il desi-
rait, il se rendit en Angleterre, en
1686, avec son frère cadet. Il ne
put y trouver de l'emploi , et passa
en Hollande, où il fut admis dans
une compagnie de jeunes gentilshom-
mes français , que commandait sou
cousin germain. Peu de temps après,
il suivit , en Angleterre, le prince
d'Orange, depuis Guillaume III ( F".
ce nom); il obtint le grade d'enseigne,
puis une lieutenance dans un régi-
ment anglais, et devint ensuite aide-
de-camp du général Douglas , qui
commandait en Irlande. Blessé griè-
vement à l'assaut de Limmerick, il
ne put accoînpagner , en Flandre,
son général , dont il avait mérité la
confiance, et qui lui fit donner une
compagnie. A peine était-il guéri de
sa blessure , qu'il reçut l'ordre de
venir en Angleterre , où il apprit
que, sur sa réputation , on l'avait
nomme gouverneur du jeune duc de
Portiand. Il céda sa compagnie à
l'un de ses frères , et s'occu])a tout
entier de ses fonctions d'instituteur.
RAP
Quoiqu'il so fût marié pendant son
séjour à Londres , il accompagna
son élève dans ses voyages en Alle-
magne , en Italie et en France. L'é-
ducation du jeune lord terminée, Ra-
pin demeura , quelques années , à la
Haye , avec sa famille j mais son
défaut de fortune lui fit prendre le
parti de se retirer à Wesei, où il pou-
vait vivre avec plus d'économie.
C'est alors qu'il écrivit V Histoire
(V Angleterre , ouvrage pour lequel
il avait recueilli d'immenses maté-
riaux. Sasanté, naturellement robus-
te , ne put résister à sa trop grande
application au travail ; et il mourut
à Wesel, le 16 mai lyaS. Quoique
d'un caractère sérieux , Rapin n'é-
tait pas ennemi des plaisirs honnê-
tes. Il était excellent musicien ; il sa-
vait l'anglais, l'italien et l'espagnol,
et avait lu les meilleurs auteurs dans
ces différentes langues ; enfin il avait
des connaissances très-étend ues dans
les matliématiques et la fortification.
JJ Histoire d' Angleterre de Rapin
Thoyras, la Haye, 1724 , 8 vol.
in-4°., commence à l'établissement
des Romains dans la Grande-Breta-
gne , et finit à la mort de l'infortuné
Cliîtrles P''. David Dupud l'a con-
tinuée jusqu'à la mort de Guillaume
III ( V. Durand ). Elle a été réim-
primée plusieurs fois ; l'édition la
plus compièle et la meilleure est
celle qu'a publiée Lefevre de Saint-
Marc , la Haye ( Paris ) , 1749 et
années suivantes , 16 vol. in-4°. Ou-
tre la Continuation de Durand, elle
renferme des Mémoires très-détail-
Ic's sur les vingt prcmicres années du
règne de Gcoi'ge II ( par Dapard ) ;
les Remarques critiques de Nicol.
Tyndàl , et l'Extrait des actes de
Rjmer , inséré d'abord par Rapin
dans la Bibliothèque choisie de J. Le-
tlerc , et imprimé depuis séparé-
xxxvii.
RAP
97
ment , Amsterdam , 1728 , in-40
( F. RvMER ). Cette histoire a été
abrégée ( par Falaiscau ) , la Haye,
1730, 3 vol. in-4°. , ou 10 vol. iii-
12 ; et Nicol. Tyndal l'a traduite en
anglais. Le style de Raj^in , quoique
peu châtié , est clair et rapide : il
présente les f;. '.s avec ordre, dé-
crit bien les causes des événements ,
et a soin de citer ses autorités ;
mais il montre partout la partialité
la plus révoltante. Aigri par les per-
sécutions qu'il avait éprouvées com-
me protestant , Rapin semble n'a-
voir pris la plume que ponr venger
des injures personnelles , et décrier
la France, qu'il regrettait sans doute,
et son gouvernement. Saint-Foix a
essayé, dans ses Essais sur Paris,
de détruire quelques - uns des re-
procbes que cet historien fait à
nos rois. Ou a encore de Rapin , une
Dissertation sur les TFhigs et les
Toris , la Haye, 17 17, in -8°.;
elle est très-estimée. On trouvera,
dans le Dictionnaire de Chaufc-
pié , des détails curieux sur Ra-
pin : son portrait fait partie du
Recueil d'Odieuvre. — Philibert de
Rapin , sou aieul , surintendant de
la maison du prince de Coudé , avant
été envoyé à Toidouse, de la part du
roi , pour y porter , en 1 558 , l'édit
de pacification, y fut arrêté par ordre
du parlement, qui instruisit son pro-
cès en trois jours , et le fit décapiter
comme un des principaux auteurs
de la conjuration formée par les
protestants pour s'emparer de cette
ville , malgré l'amnistie que le roi
avait accordée. Les calvinistes fu-
rieux mirent le feu à touîes les fer-
mes et aux maisons de campagne des
membres de celte compagnie; et ils
écrivirent sur les masures , avec des
charbons fumants , vengeance de
Rapin. W — s.
7
98
i;aî>
RAPP ( Jean ), lieiUcn.int-géné-
ral , naquit à Golmar , le '2G avril
l'j'ja, d'une famille obscure. En-
traîne', à seize ans , hors de la maison
paternelle , par une sorte d'instinct
pour les armes, il s'engagea dans un
régiment de cavalerie, s'appliqua, et
devint sous-oflicier : presqu'au dé-
but de la révolution, il servit aux
armées du Rhin , et y fut blesse qua-
tre fois sous Custine, Pichegru, iVIo-
reau etDesaix. Parvenu au grade de
lieutenant au 10®. régiment de chas-
seurs à cheval, et s'étant fait remar-
quer par Desais, il devint l'aide-de-
carap du vainqueur d'OfFembourg ,
fit auprès de lui les belles campagnes
de 1796 et 1797, et acquit une cer-
taine connaissance de la théorie de
la guerre. Il suivit Desaix en Egyp-
te. A Sediman, ayant enlève, à la
tcte de deux cents braves, les restes
de l'artillerie des Turcs , il fut pro-
mu au grade de chef d'escadron , et
successivement à celui de colonel,
sur les ruines de Thèbes, où il fut
grièvement blessé. Revenu en Euro-
pe avec Desaix , il le suivit à Maien-
go ; et il était à ses côtés quand ce
général fut tué , au moment où il dé-
cidait la victoire. Buonaparle , qui
avait remarqué le zèle, la franchise
et l'intrcpldilé de Rapp, se l'atta-
cha comme aidedc-carap. Dès-lors
la fortune militaire de celui-ci pou-
vait ne plus avoir de bornes. On
sait que Buonaparte faisait de ses
aidesde-campscs missionnaires po-
litiques. En 180.2, il chargea Ra})p
d'aller annoncer aux Suisses la mé-
diation de la France dans leurs trou-
bles civils : celte médiation n'était
autre chose qu'une intervention ar-
mée. Rapp, au nom du premier
consul, vint sommer le général Bach-
raann et les insurgés de Berne, de
suspendre les hostilités , les mcua-
RAP
çant de l'entrée des troupes françai-
ses, si sa sommation était ineffica-
ce. Ayant fait évacuer Fribourg ,
il força la diète de Schwitz d'accé-
der à la médiation. Une députation
du sénat de Berne vint le remercier
de cette intervention j car tout pliait
déjà sous le joug. Le petit-conseil de
Coire , cité devant l'aide-de-camp
proconsulaire , fléchit également. De
retour à Paris , Rapp reçut des mar-
ques de la satisfaction de son maî-
tre, et l'accompagna dans son voya-
ge de la Belgique, en i8o3. Il partit
de là pour s'assurer de l'état des
bords de l'Elbe , afin d'y élever des
redoutes. A son retour, il tomba en
disgrâce , pour avoir voulu dissiper
les préventions de Buonaparte contre
le général Régnier, son ami, et pour
avoir écrit à Régnier une lettre où il
s'expliquait librement sur Buona-
parte, lettre dont ce dernier eut
connaissance : mais Rapp rentra
bientôt eu grâce, et épousa, par or-
dre du premier consul , la fdle du
fournisseur ^anderberg; ce maria-
ge ne fut pas heureux. Rapp se ser-
vit quelquefois du retour de son
crédit en faveur des royalistes, no-
tamment à l'époque de la conspira-
tion de George , où il obtint de Buo-
naparle la grâce d'un ancien major
Suisse, M. de Russillon, condamné
à mort comme complice de Cadou-
dal. Il était au camp de Boulogne
quand la troisième guerre d'Autri-
che éclata ; et il suivit Buonaparte en
Allemagne. A la journée d'Austerlitz,
la cavaleriei'usseétaitau milieu de nos
carres, et sabrait nos soldais; Buo-
naparle ordonne à R.ipp de prendre
les Mamcloucks , deux escadrons de
chasseurs , un escadron des grena-
diers de la garde, et de se porter en
avant ; celui-ci part au galop, et aper-
çoit le désordre: « Voyez vous, crie-
RAP
» t-il à sa troupe, nos frères, nos
» amis qu'on foule aux pieds j ven-
» geons - les ! vcngeous nos dra-
» peaux ! » et il se pre'cipile sur
l'ariillerie russe , qui est enlevc'e.
Les eharges recommencent : on com-
bat corps à corps; enfin la garde
impe'riale russe est mise en de'-
roule : Rapp fait de sa propre main
le prince Repnin prisonnier , et
vient rendre compte à son chef du
brillant succès remporte' sur l'élite
des troupes ennemies. Son sabre à
moitié cassé , sa blessure , le sang
dont il était couvert , inspirèrent
à Buonaparte l'idée du beau tableau
qui fut exécuté par Gérard. Napo-
léon éleva son aide de-camp, sur le
champ de bataille , au grade de gé-
néral de division, et il l'envoya au
château d'Austerlilz , pour soigner
ses blessures; il lui fit même plusieurs
visites. Dès que Rapp fut rétabli, il
reçut la mission d'aller d'abord à
Gratz, auprès du général Marmont,
ensuite à Laybach , auprès du maré-
chal Masséna , puis à Venise , et en-
fin à l'armée du général Saint-Cyr,
qui marchait sur Naples ; il avait
ordre de revenir par Klagenfurt , où
était le maréchal Ney : il rejoignit
Buonaparte à Munich. Pendant sa
tournée, la pais s'était faite à Vien-
ne; il revint à Paris avec Buonaparte,
qui jamais n'y fut accueilli avec au-
tant d'enthousiasme. Celui-ci eu vou-
lait aux Prussiens, et, épiant l'occa-
sion de tomber sur eux, il chargea
Rapp d'aller dans le Hanovre, qu'on
venait d'abandonner à la Prusse, et
d'explorer le nord de l'Allemagne.
De Hanovre, Rapp se rendit à Ham-
bourg; et revenant eu France, eu
passant par Miuistcr , Francfort ,
Wescljii rendit compte à Buona-
]iartc, de tout ce qu'il avait vu. Peu
de temps avant la guerre contre la
RAP
99
Prusse , Rapp alla prendre le com-
mandement de la division militaire
de Strasbourg, pour y organiser les
bataillons et les escadrons de mar-
che, et pour expédier l'artillerie. Il
correspondait directement avec le
chefde l'état, employant les estafet-
tes et les télégraphes : il le rejoignit
à Wurtzbourg. Le soir même de la
bataille de léna, il reçut l'ordre d'al-
ler , avec Murât , poursuivre les
débris de l'armée prussienne; et en-
trant pèlc-mèle avec les Saxons, à
Wcimar , il rassura la cour du grand-
duc effrayée ; puis il suivit son chef
en Pologne, où s'ouvrit la première
guerre de Russie. Le 29 octobre
1 806 , il combattit à Golymin , à la
tête d'une division de dragons : ex-
posé à la fusillade des voltigeurs
russes répandus dans les marais, il
eut le bras gauche fracassé d'une
balle. On le transporta dans Varso-
vie , où Napoléon vint le voir. « Hé
» bien Rapp , lui dit-il, tu es tou-
» jours blessé, et toujours au mau-
» vais bras? » C'était la neuvième
blessure qu'il y avait reçue : il fut
pansé par les chirurgiens de l'empe-
reur , en présence de ce dernier :
on évita de lui couper le bras ; et il
reçut le gouvernement de ïliorn,
pour se rétablir. Le 2 juin iBoy,
il fut installé gouverneur de Dant-
zig , avec le rang de général eu
chef. Après le traité de Tilsitt, Buo-
naparte, lui adressant des instruc-
tions particulières , lui ordonna
d'exercer une surveillance sévère sur
la Prusse et sur la famille royale.
Rapp correspondaitdircctement avec
son maître, qui, aux premiers revers
des Français en Espagne, lui pres-
crivit de redoubler de surveillance.
« Ne passez rien aux Prussiens , lui
» écrivait-il; je ne a'cux pas qu'ils
» Icvcnt la tête. » La quatrième
f BISLIOTHBCA )
100 RAP
guerre d' Autriche ayant éclaté eu
1809, Rapp reçut l'injonction de re-
joindre l'arme'e à Landshut : il trou-
va Buonaparte qui venait de rem-
porter la victoire de Ratisbonne.
A la bataille d'Esslin^^ , il vola au
secours de l'armée, à la tête de deux
bataillons de la jeune garde , et dé-
fendit Essling, malgré les instruc-
tions formelles de son maître, qui
lui en sut gré. Trois jours avant la
bataille de Wagram, accompagnant
celui - ci à l'île de Lobau , il ver-
sa dans une voiture, eut une épaule
démise et trois côtes fracassées. Re-
rais de cet accident, il suivit, après
les préliminaires de paix , le chef de
ï'empire, à Munich, où le roi de Ba-
vière lui témoigna la plus grande
considération et le logea dans son
palais ; de là passant à la cour de
Stultgard , il y fut traité avec magni-
ficence par le roi de Wurtemberg.
De l'etour à Paris, Rapp fut désigné
pour assister à la cérémonie du ma-
riage de Napoléon arec l'archidu-
chesse Marie-Louise. S'étant permis
quelques réflexions sur le divorce de
Joséphine , et n'ayant pas dissimulé
son attachement pour elle , il reçut
l'ordre d'aller reprendre le gouver-
nement de Dantzig , où il arriva le
10 juin i8io. Il devait particuliè-
rement surveiller la Prusse , trai-
ter les Russes avec égard, et rendre
compte de ce qui se passait dans les
por is de la Baltique. Là il lutta coura-
geusemenl contre l'administration
vexa toiredcBuonapartedans les pays
conquis ; et plus d'une fois il éluda
les ordres insensés de brûler les mar-
chandises anglaises, et de fouler les
habitants. Consulté , vers la fin de
181 1 , sur l'expédition que proje-
tait Napoléon au-delà du Niémen,
il répondit : « Si V. M. éprou-
» Vait des revers, Russes et Alle-
RAP
» mands , tous se lèveraient en
» masse pour secouer le joug j ce
D serait une croisade. » Buonaparte,
après avoir témoigné son mécon-
tentement de ce rappoi't , l'envoya
au maréchal Davoust , qui ne par-
tageait pas ces funestes pressenti-
ments. Quand la guerre fut résolue,
Rapp s'opposa de toutes ses forces
au projetde détrôner le roi de Prusse.
Napoléon vint à Dantzig avant de
joindre son armée sur la Vistule :
Rapp le combattit souvent alors avec
une grande liberté j il le suivit au-
delà du Niémen , augui'ant mal de
cette extravagante invasion. Il vint
retrouver Buonaparte près de Smo-
lensk , et ne le quitta plus jusqu'à la
Mojaïsk. La veille de la bataille , il
était de service , et coucha dans la
tente de Napoléon , qui , à trois heu-
res du matin, s'entrclenant familière-
ment avec lui , dit que la Fortune était
une franche courtisane j qu'il l'avait
souvent dit , et qu'il commençait à
l'éprouver. Pendant l'action , Rapp
reçut d'abord trois blessures légères;
mais bientôt un biscaïen , l'ayant
frappé à la hanche gauche , le jeta à
bas de son cheval : c'était sa vingt-
deuxième blessure. Buonaparte vint
lui-même le visiter, et le fit panser
par son chirurgien , comme à Var-
sovie. Transporté à Moscou , le
progrès des flammes le força d'er-
ler de logement en logement. L'em-
pereur envoyait presque tous les
matins le comte de Narbonne, sa-
voir des nouvelles de Rapp. Le
i3 octobre , commençant à mar-
cher, il parut au château du Krc-
raelin, où Buona])arte lui témoigna
beaucoup d'intérêt. Le 19, la re-
traite étant résolue, Rapp prit, avec
Buonaparte, la route deKalouga,sc
dirigeant sur Borusk, où l'on arriva
le quatrième jour. Le lendemain du
RAP
combat de Malojaroslawiiz , Napo-
léon , sur le point d'être enlevé' par
les cosaques , s'enfuit. Rapp, s'avau-
çaut à la tête de l'escadron de service ,
i'ut culbute; son cheval se renversa
sur lui après avoir reçu un coup de
lance, et il fut foule aux pieds par les
cosaques : mais Bessières vint le dé-
gager ; on le remit en selle , et
il rejoignit Napole'on , qui le combla
d'éloges dans son bulletin. Pendant
la retraite sur Smoleusk , il eut une
mission auprès du maréchal Ney , et
rattrapa Buonaparte à Smolensk; il
était exténué de fatigues , de souffran-
ces et de froid. Aux approches de la
Berezina , Napoléon se vit cerné sur
tous les points ; une fausse atta-
que sur Borisow et l'impéritie du
général russe le sauvèrent. Rapp
traversa la Berezina avec son maî-
tre , et ils se dirigèrent ensemble
sur Wilna. A Smorgoni , Buona-
f»arte lui confia^ qu'il allait quitter
'armée ; et il lui ordonna de retour-
ner à Dantzig , pour en reprendre
le commandement , après avoir tou-
tefois rallié l'armée , de concert
avec Ney et Mural. Rapp trouva tout
dans le plus affreux désordre à Wil-
na. Voulant partir sans délai pour
Dantzig , il loua deux Juifs qui le
couduisirentiusqu'au Niémen: il souf-
frait horriblement, ayant le nez,
une oreille et deuxdoigts gelés, Il ar-
riva enfin à Dantzig. Malgré l'in-
tensité du froid et la désorganisation
des forces qui venaient de se renfer-
mer avec lui dans la place , il la mit
bientôt en état d'opposer la plus no-
ble résistance. Le 5 mars i8i3, par
une sortie combinée, il repoussa les
Russes , qui commençaient à ser-
rer Dantzig, sous les ordres du duc
de Wurtemberg. Tout ce qui pouvait
en prolonger la défense , fut tenté
avec succès. Au mois de jviiii, arriva
RAP ICI
le capitaine Planât , porteur des dé-
pêches de Buonaparte , et de la nou-
velle que la guerre venait d'être por-
tée sur l'Oder , et que les alliés ,
vaincus dans deux batailles , avaient
demandé un armistice qui s'étendait
jusqu'à la Vistule et à Dantzig. Na-
poléon envoyait à Rapp le grand cor-
don de l'ordre de la Réunion ; ill'au-
torisait à faire des promotions , et
à conférer des grades. Les souverains
avaient réglé les conditions de l'ar-
mistice ; chaque place devait être ra-
vitaillée tous les cinq jours . Rapp
eut à lutter contre la mauvaise foi
des assiégeants , qui cherchaient, par
toutes sortes de moyens , à éluder
les clauses de l'armistice. A son ex-
piration , il y avait , devant la pla-
ce, soixante mille combattants et
deux cents pièces de gros calibre.
Les combats se renouvelèrent dans
toutes les positions autour de la ville.
En novembre , les Russes , profitant
de l'embarras produit par la crue des
eaux , élevèrent batteries sur batte-
ries , et en démasquèrent une ving-
taine. Leur flottille vint aussi s'es-
sayer devant les forts. La disette et
toutes sortes de privations commen-
çaient à se faire sentir cruellement
dans les murs de Dantzig. La popu-
lation était réduite aux abois. Dès
que les postes extérieurs furent eni-
loortés , la ville fut exposée aubom-
ÎDardement et aux incendies : elle
perdit ainsi presque tous ses maga-
sins. Le duc de Wurtemberg ne né-
gligeait rien pour ébranler le moral
des assiégés ; il employait à-la-fois
la force et la ruse : mais ses efforts
vinrent échouer contre leur constan-
ce et devant la fermeté de Rapp. Ce-
pendant le nombre des combattants
diminuait dans la place, et les vivres
étaient sur le point de manquer. Le
temps des glaces clant arrive , il a'J-
102
RAP
rait fallu vingt mille hommes pour
s'opposer aux progrès du siège , gar-
der les forts et maintenir le eonrs
des eaux : la garnison était réduite
à sept mille hommes effectifs. Kapp
proposa de suspendre les hostilite's,
et de remettre la place à i,n temps
convenu , si elle ne recevait aucun
secours. Le 29 novembre i8i3 , on
arrêta les bases d'une capitulatiou ,
où la faculté de rentrer en France
fut stipulée. Les forts étaient rendus
et une partie des conventions exécu-
te'e , quand on apprit que l'empe-
reur Alexandre refusait la ratifica-
tion. Les alliés réglèrent les choses
comme ils l'entendaient -et la vail-
lante garnison de Dantz>g prit le
chemin de la Russie. Ainsi finit ,
après un an de combats , la défense
la plus glorieuse. La garnison fut
conduite à Kiew ; c'est là, que Rapp
apprit les evéïî^ments riiraculcux de
la restauration. Le i4 juai 1854? il
envoya son adhésion aux actes qui
expulsaient Napoléon du trône de
France , et y rappelaient les Bour-
bons. De retour à Paris , au mois de
juillet , il y fut accueilli avec distinc-
tion par Louis XVIII , qui le créa
chevalier de Saint-Louis et grand
cordon de la légion d'honneur, 'jîapp
fut chargé du commandement du
premier corps d'armée , pour s'op-
poser à l'invasion de Buonaparte ,
en mars i8i5: mais la défection
des troupes, et la rapidité de la mar-
che de l'usurpateur, ne permirent au-
cune défense. Le 9.9 mars , celui-ci ,
après avoir cajolé Rapp , pour le
ramener à sa cause, annonça qu'il
lui donnait le commandement en
chef de l'armée du Kliin , et lui con-
féra le grand-aigle de la légion d'hon-
neur. Il lenomraa ensuite m.embrede
la chambre des pairs. La guerre con-
tre l'Europe étant inévitable , Rapp
RAP
alla occuper les lignes de la Lauter ,
ayant à peine quinze mille hommes
d'infanterie , mais renforcé par les
gardes nationales des Haut et Bas
Rhin, sous les ordres du général Mo-
litor. Soixante mille hommes , sous
les ordres du prince royal , au-
jourd'hui roi de Wurtemberg , dé-
bordèrent le 21 juin ce faible corps
d'armée. Après avoir soutenu plu-
sieurs combats , Rapp apprit que
l'armée alliée du Haut-Rhin marchait
sur Strasbourg. Sans perdre un ins-
tant, il se replia sur cette place im-
portante, qui servait de base à ses
opérations. Ce fut pendant cette re-
traite que ses soldats apprirent le
désastre de Waterloo , et la seconde
abdication de Buonaparte, que Rapp
leur avait long-temps cachés. Ces
événements produisirent la déser-
tion et un découragement universel.
Rapp eut le temps néanmoins d'ap-
provisionner Strasbourg, et de se foi'-
tifier dans ses positions, oîi il soutint
plusieurs combats. Enfin une con-
vention fut conclue; et les hostilités
cessèrent dans toute l'Alsace : on y
reconnut Louis XVIII. A peineRapp
eut-il reçu l'ordre de licencier l'ar-
mée, qu'une sédition éclata. Les trou-
pes mirent leurs chefs en arrestation,
et exigèrent qu'on psyat leur solde
arriérée. La fermeté de Rapp échoua
devant une mntinei'ie qui eut un ca-
ractère particulier d'ordre et de mé-
thode. Il écrivit au roi , et ne fut pa^
inquiété : pourtant il crut devoir se
retirer en Suisse , où il fit , en 1816,
l'acquisition du château de Wildcn-
stcinen Argovie. Cefut dans sa nou-
velle retraite qu'il reçut le présent
(^'nn superbe cheval (\c la part d'un
Anglais, qui, en i8i3, avait parié
dix mille guinces que la défense de
iJantzig se prolongerait jusqu'à une
époque détCDuinéc : l'Anglais crut
devoir au brave ge'ndial qui lui avait
fait gagner son pari, cet hommage
de sa reconnaissance. 11 ne restait à
Rapp qu'un débris de fortune. A l'c-
]ioque de la première abdication de
Buonaparte , il avait quatre cent
mille francs de revenus, tant en do-
tations qu'en gratifications et appoi n-
teraents , lui qui, à son retour d'E-
gypte, quatorze ans auparavant, ne
possédait pour toute fortune que
deux cents louis d'épargne. Il re-
vint à Paris, après l'ordonnance du
5 septembre , et obtint du roi une
audience particulière. Devenu mem-
bre de la chambre des pairs , en
1818 , ce ne fut pas pour lui le seul
témoignage de la faveur rovale (i)-
Sa santé s'était évanouie par suite
des blessures dont il était couvert :
il est mort le 2 novembre 1821,
laissant un nom honorable. Il avait
un caractère droit et franc , un ton
soldatesque qui s'alliait parfaite-
ment à son intrépidité. Après la
bataille de Wagrara , jouant un
jour au vingt-un avec ^Napoléon,
qui aimait beaucoup ce jeu, et qui
avait beaucoup d'or devant lui :
« N'est-ce pas , Rapp , lui dit son
« maître, que les Allemands aiment
w bien ces petits Napolcons. — Oui ,
» Sire, bien plus que le grand. —
» Voilà, répliqua le chef de l'em-
» pire , ce qu'on peut appeler de
» la franchise germanique. » On a
publié récemment, dans un recueil
de Mémoii-cs contemporains , depré-
(i) Rapp s'eUit Iranclioniciit attarJié aux Bour-
bons ; il taisait 'partie 'iu cote droit de la chambre
dos pairs, méprisant nièmi- les aucifos courtisans
de liiiooaparte, qui, jadia iiisttiinientk senriles du
di'Spote, se p.iraieot du nota de lib«'raux, et af-
fectaient des opinions républicaines. MaLt,aufoDd,
ses s-ntiment5, pour sou aijcieu protecteur , n'en
et.iient point altères : apprenant sa mort , uu jour
tpi'ij d'-ieûtiait avec le Koi , et ne pouvaul radier
»a seiuiitiiite , S. M. daigna lai dire •(u'elle l'iO rs-
tiuiait davantage. Kapp arait une ligure maie et
lUie constitutmu robu^e.
RAS
io3
fendus Mémoires du général Rapp
(2), auxquels ce général n'a eu aucune
part directe , mais qui paraissent
avoir été rédigés sur une partie de
ses notes et de ses papiers : on y
trouve tant de réticences et de lacu-
nes , qu'on est fondé à croire que les
véritables Mémoires , annoncés au-
paravant au public, et bientôt désa-
voués, ont été détournés, et que la
publication en a été renvoyée à une
autre époque. Dans ceux-ci on at-
tribue à Rapp , contre les royalis-
tes, des sentiments qu'il n'avait pas.
B— p.
RAS WELLETA SELASSÉ ,
vice-roi du Tigré en Abissinie , ne' ,
■\ers 1746, était fils deKefla-Jésous,
gouverneur du Tigré. A l'époque ou
Bruce voyagea dans ce pays (en
1770 ), Welleta Selassé était à la
cour de Gondar. Le premier poste
important qu'il obtint , fut celui
de balgudda ou protecteur des
caravanes de sel ; mais le ras ou
prince jMichel ayant repris le gou-
vernement du Tigré , Welleta Se-
lassi; s'enfuit dans le désert, et y vé-
cut de pillage jusqu'à la mort de ce
ras. 11 s'offrit à combattre à-la-fois
les deux chefs de l'armée de son en-
nemi. Deux ofhciers des plus bra-
ves de l'armée du ras Michel s'étant
donc présentés, Wellela Selasse', à
cheval et armé de deux épées , 5e
battit contre eux et les tua l'un et
l'autre : cet exploit lui valut une haute
réputation en Abissinie. Après la
mort de Michel , il revint dans le
Tigré; mais au lieu d'y être admis à
la cour, il fut jeté en prison : cepen-
dant s'étant évadé, il s'enfuit chez
les Gallas ,• il ilt ensuilc une invasion
dans la province d'Enderta , puis
(î^ Erril3 par liii-mfmf etpiihlic'par ta fiimlle ,
Pa»i», clicx IW>tnnj;e frère» , iii-S".
io4
RAS
dans le Tigre , vainquit les troupes
qui voulurent s'opposer à sa mar-
che , s'assura le gouvernement des
provinces à l'est du Tacazze' , et pla-
ça sur le trône de Gondar un prince
dont il était sûr. Il obtint et conserva
effectivement les charges de ras et de
hedwudet. « Ce dernier office , dit
M. Sait , paraît analogue , jusqu'à
nn certain point, à celui que Puti-
phar conféra à Joseph , lorsqu'il lui
dit : Ce sera vous qui aurez l'autorité
sur toute ma maison. » Le même
voyageur porte le jugement suivant
sur le caractère de ce gouverneux-
Abissin , avec lequel il eut des rela-
tions pendant sa dernière mission
dans ce pays : « Chaquefois que j'ai vu
le ras dans l'exercice de son pouvoir,
j'ai remarque' en lui une conception
vive , une expression animée , et uu
ton d'autorité' qui imposait à tous
ceux qui l'envii'Oiinaient. 11 a tou-
jours considère' avec la plus grande
indiffercncs , toutes les tentatives
faites pour se rc'volter contre lui.
On l'a vu pardonner deux fois de
suite aux m âmes personnes qui
avaient conspire contre ses jours; et
même il a permis eiux coupables dé-
tester à sa cour. ...» Fj éqnemment
je l'ai ouï dire:» Les hommes ne sont
insolents que lorsqu'ils onti'estomac
plein. » M. Sait se louebeaucoup des
attentions que Pxas Wellcta eut pour
lui ; il eut un libre accès auprès du
prince, et le vit toujours occupe' à
rendre la justice, à recevoir les hom-
mages des chefs du vaste empire
Abissin , ou à se de'lasser au jeu d'e'-
checs, qu'il aimait passionne'meut.
Quoique chrétien , il c'tait jaloux
comme un musulman ; et M. Sait ne
put visiter que clandestinement la
femme du ras, qui avait témoigne' le
dcsir de voir l'agent britannique. Le
voyageur anglais Pcarcc, qui d'abord
RAS
avait e'té simple matelot ( V. Pearce),
fut aussi très -bien accueilli parle
ras , et s'e'tablit dans son gouverne-
ment. Cependant Pearce ne trace pas
de lui un portrait aussi flatteur que
M. Sait. «Ras WalderSerlassey (c'est
ainsi qu'il l'appelle), est, dit-il, le
prince le plus puissant de l'Abissi-
nie , et solde pour son compte huit
mille cinq cents fusiliers , outre uu
grand nombre d'autres appartenant
à ses chefs ; il a deux mille chevaux
et environ vingt mille soldats avec
des boucliers : cependant il vit che'-
tivement comme un pauvre juif.
C'est un grand menteur; mais il est
clément envers les prisonniers , et se
bat supérieurement. » Au départ de
M. Sait , le ras lui remit une lettre
pour le roi d'Angleterre, et témoigna
le désir d'entrer en relation avec ce
pays. Toutefois il ne dissimula point
que l'état turbulent des provinces
d'Abissinie , et la barbarie des ha-
bitants, ne laissaient pas aux mar-
chands d'Europe l'e.spoir d'y faire
un commerce lucratif, surtout tant
que les Musulmans occuperaient les
bords de la mer Rouge. A l'égard de
la religion , il dit qu'il craignait que
les Abissins ne restassent dans les
ténèbreSjjusqu'àceque les Européens
vinssent les éclairer. Il desirait avoir
auprès de lui deux Européens pour
pointer les canons ; et , s'il avait si
bien accueilli Pearce , c'est parce
que ce matelot lui était utile dans ses
guerres : Pearce l'avait , en effet ,
bien secondé, en 1807 , dans la guer-
re contre les Gallas , c|ue le ras
vainquit com])lctcment : suivant l'u-
sage barbare des Abissins , après la
bataille, on mutila dix-sept cents en-
nemis tues, pour déposer leurs mem-
bres aux pieds du ras. Wellcta Sc-
iasse mourut vers 1816. On trouve
beaucoup de détails sur ce prince ,
RAS
dans !c Voyage en Abissinie , entre-
pris par H. Sait clans les années
1809 et 1810, traduit en français ,
par M. Henry, Paris , 1816, '^ vol.
iu-8". D— G.
RASCAS (Pierre-Antoine), sieur
Je Bagarris et du Bourguet , n'a
obtenu de mention d'aucun des bio-
graphes les plus connus ; et cepen-
dant il a rendu de vrais services à la
science des antiquite's. Les auteurs
des nobiliaires qui ont publié l'arbre
généalogique de sa famille, l'ont e'ga-
Jcmcnt oublié, par la raison, sans
doute , qu'il n'a figuré que dans le
monde savant. Cet habile antiquaire
naquit à Aix en Provence , vers l'an
1567. François de Rascas, son aïeul,
et Guillaume, son bisaïeul, avaient
occupé des charges de conseiller au
parlement d'Ais. Guillaume , sieur
de Bagarris , son père , fut premier
consul de la même ville, en iSga.
Pierre - Antoine , qui n'était que le
second fils de ce gentilhomme, em-
brassa la profession d'avocat. Il fit
son droit dans l'université d'Aix; et
il y fut reçu docteur , le 7.'] mars
i588( lïist. manuscr. deVunù'ersi-
té d'Aix) ; mais son goût , ou plutôt
sa passion, le portait vers l'étude
des médailles et des antiquités en
général. Il mit tous ses soins à
se former un cabinet, qui devint un
des plus curieux et des plus riches
de cette époque. En 1597 ' Peiresc ,
e'tant venu commencer son droit à
Aix, prit, en examinant la collec-
tion de Bagarris, l'amour des mo-
numents anciens , qui a fondé sa cé-
lébrité. Il employait , dans ce cabi-
net , tous les moments qu'il pouvait
dérober à ses autres études. Bagar-
ris, suivant le témoignage de Gas-
sendi, plaçait sous les yeux de Pei-
resc ses médailles les plus curieuses,
lui en donnait rexplicatioii sur le
RAS
io5
texte i.uônic des auteurs propres à
les éclaircir , et contribuait ainsi à
former le grand homme qui devait
à sou tour éclairer tant de savants.
L'année suivante , Peiresc , qui con-
tinuait son droit à Avignon , cor-
respondait avec Bagarris , au sujet
des médailles qu'il rencontrait dans
cette ville , et il recevait de lui
des explications qui excitaient de
plus en plus son ardeur pour l'é-
tude. Peu de temps après , Henri
IV , qui avait conçu le projet de
rassembler des médailles et des pier-
res gravées , pour servir à l'ins-
truction publique, appela Bagarris
auprès de sa personne, et lui confia
la direction de son cabinet. La col-
lection commencée parFrançoisP"'.,
continuée par Catherine de Médicis
et par Charles IX, avait été dilapi-
dée et presque anéantie pendant les
guerres civiles. 11 fallait recommen-
cer les acquisitions , c'est-à-dire, fon-
der rétablissement royal. Ce qui res-
tait des antiques de la couronne se
trouvait h Fontainebleau. C'est là que
Rascas de Bagarris fut placé, avec
le titre de maitre des cabinets, mé-
dailles et antiquités du roi ; et c'est
de cet acte d'Henri IV que date la
fondation de la collection royale.
L'auteur du Tableau historique de
la bibliothèque du roi dit que Bagar-
ris fut appelé à la garde du cabinet
en 1608; c'est une erreur. Une let-
tre que J, -Juste Scalîger lui adres-
sait à Paris, le 12 janvier iGo3, lui
donne le titre de maitre des cabi-
nets et antiques du roi. La nomi-
nation de Bagarris date, par con-
séquent, de 1602 ou de 1601. Ce
savant se fit une haute et juste idée
des devoirs de sa ])lace, ainsi que
des services iju'elle le mettait à portée
de rendre aux beaux - arts et à la
science des antiquités. Sa première
io6
RAS
pensée fut d'inviter Henri IV à faire
frapper, dans ses hôtels des mon-
naies , de vraje.s et parfaictes mé-
dailles, servant à cclc'brer les ëve'-
neraents de son règne. Celte concep-
tion le conduisit à une autre plus bel-
le encore , et entièrement neuve ; ce
fut de composer lui-même l'histoire
entière de ce prince , par des médail-
les qui en retraceraient les faits les
plus glorieux, et d'mcertfereff/r^i^er,
suivant ses expressions, les dessins
d'icelles sur ceux des médailles an-
tiques. Henri IV goûta ce noble pro-
jet, et chargea Bagarris de dresser
toute son histoire, tant escrite que
figurée ensemhlement , non - seule-
ment au long et continue dans un
grand volume, mais aussi de la ré-
duire en abrégé , par articles sépa-
rez et divisez, propres à être appli-
quez à ces médailles. Bagarris se li-
vra sur - le - champ h ce travail, et
s'occupa tout-à-I a-fois de deux au-
tres ouvrages que le roi lui avait aus-
si demandes. Le premier devait être
intitule': Idée des médailles. Il se di-
visait en trois parties. Dans la pre-
mière , l'auteur traitait de la con-
naissance élémentaire des médail-
les ; dans la seconde, des priw ipes
ou causes des médailles ; dans la
troisième, de la connaissance des
médailles au long. D ms le second
ouvrage, B.igarris s'attachait à 'dé-
montrer Vinsu[fisance de tous les
autres moniincnts à éterniser la
mémoire des grands princes, sans
Vaide des vrajes et parfaictes mé-
dailles. Au mois de novembre i6u8,
l'auteur présenta au roi les Dessins
des médailles de son histoire augus-
te figurée, non termines, m:ihbien
aU'ancez. Il lutaussi devant lui, /;»-
hlitpieincnt, son IMc'moirCiVHr la né-
ces <:i lé de rélaidir l'a >age de 'i mé-
dailles. Il invitait llciui IV, dans co
RAS
M(^moire , a. s'occuper de l'exécution
deson Histoire auguste ctà ne pas re-
mettre ce soin auhazard de ses suc-
cesseurs. Les gravures et l'impres-
sion allaient en elT'et commencer,
lorsque la mort du roi suspendit les
travaux. Bagarris (it de vains cfibrts
auprès de Marie de Medicis et du
jeune Louis XIII, pour obtenir l'exé-
cution du monument qu'il avait vou-
lu élever à la gloire de Henri - le-
Grand. 11 entreprit de publier, à cet
effet, im Extrait de son Mémoire,
intitulé : De la nécessité (le Vusage
des médailles , dans lequel il expo-
sait quels avaient été les projets du
feu roi, et les ordres qu'il en avait
reçus : mais ses représentations fu-
rent vaincs. Désespérant de réussir,
il arrêta la publication de son Mé-
moire; c'est du moins ce que l'on
peut conjecturer de ce que vingt-six
pages seulement ont été imprimées
( Paris, in-4°., i6i i ). Il abandon-
na ensuite Paris et sa place , en la
mêmeannée i6ii ,eta!la reprendre
à Aix la profession d'avocat. Jean
de Ghaumont, conseiller -d'état, lui
succéda dans la garde du cabinet.
Jacques de Bie, qui publia, en iG30,
son recueil intitulé: Les familles de
la France , illustrées par les mo-
numents des médailles anciennes et
modernes , ne suivit qu'imparfaite-
ment l'idée du savant antiquaire
d'Henri IV. Golbert recueillit le pro-
jel de Bagarris sur V Histoire auguste
du roi, et rexcVnla en rhonnej.ir de
LouisXIV. On sait (pic quatre mem-
bres de l'académie française furent
choisis, en iG(x), pour composer
V Histoire du roi par médailles. C'est
le projet de cet ouvrage, conçu d'a-
bord par Bagarris , ipii a occasion-
né cette réunion et donné naissance
à l'académie royale des in.>criptions
et belles-lettres. Bigarris, do retour
dans sa patrie , reçut de la cour ,
corume un de'dommagcment de la
place à laquelle il avait renonce, le
titre d'intendant des mers Atlanti-
ques du roi. 11 se maria, dans sa re-
traite, avec une demoiselle d'A'bert
de Regnssc; et il en eut deux fils ju-
meaux, nés le i5 dc'cembre 1619,
l'un nomme' Jean et l'autre Fran-
çois. Il mourut le i5 avril 1620,
étant primicler de l'université d'Aix.
Rascas de Bagarris avait apporté
dans cette ville la plus grande par-
tie des objets dont se composait son
cabinet. Quelques - uns ])assèrent ,
après sa mort, dans la collection de
Toussaint Lautliicr , apothicaire à
Aix • et ils sont venus de chez Lau-
thier dans le cabinet du Roi. Ragar-
Z'is \ en quittant Paris , déposa ses
manuscrits à la bibliothèque du col-
lège royal, dit de Clermont. II est
vraisemblable qu'ils ont été vendus
avec Les autres manuscrits de cet-
te bibliothèque, en 1764. L'auteur
qui a donné le plus de renseigne-
ments sur ce savant antiquaire est
Bouche ( François) , dans ses Noti-
ces sur les Provençaux célèbres, join-
tes à son Essai sur l'histoire de Pro-
vence.— Jean de Bagarris , l'un des
deux fils jumeaux de Pierre- Antoine,
paraît avoir été l'aïeul de J?an- An-
toine de Rascas, jésuite, natif d'Aix,
qui a composé un poème intitulé:
Oculorum sermo , le Langage des
/}eu.v, imprimé à Lyon, chez An-
toine Molin, 17 18, in-8 ', , de dix-
neuf pages. Ce poème est écrit en
vers élégiaqucs. Les auteurs des 3Ié-
vioires de Trévoux en ont rendu
compte, dans le numéro du mois
de juillet 17 18, page io3. « II faut
» beaucoup d'esprit, disent-ils, pour
» choisir un sujet si heureux ; il en
» faut encore plus pour le traiter :
» mais le Père de R.iscas est d'tmc
RAS 107
» famille où l'on n'en manque pas ;
» l'amour des lettres y est héréJilai-
» re. )> E — c D — D.
RASCHE (Jean -Christophe 'l ,
nuraismateallemand,naquiten 1783,
à Schoibda dans le cercle saxon d'Ei-
senach. On a peu de détails sur sa
vie ; seulement on sait qu'il fut crée
maître en philosophie , et nommé
adjoint au tribunal ecclésiastique du
baillage de Massfeld , et pasteur de
Bas-Massfcli auprès de INîeiningen;
enfin que plusieurs sociétés savantes
ou littéraires , telles que celles d'Al-
torf, Halle, léna et Cassel, l'admirent
au nombre de leurs membres. H
exerça le pastorat pendant quaran-
te- deux ans , et mourut le 2 i avril
i8o5. Rasche a publié un grand
nombre d'ouvrages, dont les princi-
paux traitent de l'art numismatique:
I. Histoire de Jean de Calais ,
Francfort et Leipzig, i755, '.i vol.
in-8°. II. Epislolarum ohscuronmi
viwrum volwnina omnia, Franc-
fort, 1737 , 2 vol. in-8°. III. Char-
lemagne , grand par ses ejjorts en
faveur des écoles allemandes , IMci-
ningen, 1760 , in-4". IV. L'art de
rédiger des lettres allemandes^ troi-
sième édition , Nuremberg, 1774 r
iu-S". V. Continuation du Traité
des proverbes de Sancho Pansa ,
deuxième édition , Leipzig, 1777»
in - 8°. VI. Lexicon ahruplionimi
quœ in numismatilms Roiuanoruni
occurrunt , Nuremberg, 1777,1"'"
8". VIL Nnmismnla rarissima Bo-
manorum à Julio Cœsare ad Ilera^
clium us'piè , ibid. , 1777 , in-8'^.
VIII. \j' Ancienne constitution de
Borne, ibid., 1778, in-8f, IX. La
connaissance des médailles anti-
ques , d'après les pnncipes de Jo-
hert et de T^a Bastie , ibid. , 1778-
79 , 3 vol. in-8''. avec fig. X. Lexi'
con universa' rei numariœ vetcrum ,.
io8 RAS
et prœcipuè Grœcorum ac Rvina-
noruni , cum ohservationihus anti-
quariis, geographicis, chronologicis,
historicis , crilicis , etc. , Leipzig ,
1 785-94 , six tomes cq i 1 vol. in-8**.
Heyne , qui a e'crit la préface de ce
grand ouvrage , l'appelle nn travail
operœ pertinacissimœ. Un Supplé-
ment a ce Dictionnaire , compre-
nant seulement les neuf premières
lettres de l'alphabet, a paru en deux
volumes , à Leipzig , en i8ou et
i8o5. Rasclie a fourni plusieurs mor-
ceaux au Magasin historique de Biis-
ching , et à d'autres Recueils pério-
diques , notamment un Traite sur la
toilette des daines romaines, im-
prime en 1777 , dans l'Alraanach
de Gotha, en français et eu allemand.
D— 0.
RASCIiED-BILLAH ( Abou-dja-
FAR alMansourI), So*^. khalife
Abbasside, reconnu du vivant de sou
père Mostarsched , fut, par ordre
dusultlian]\ïas'oud,proclamëàBagh-
dad , eu présence de vingt-un prin-
ces de sa famille, le 27 dzoulkadah
5'J.g (8 septembre i i35 ) , lors-
qu'on y eut appris la fin tragique de
son prédécesseur. Il suivit le systè-
me d'indépendance de Mostarsched,
refusa de payera Mas'oud les quatre
cent mille dinars consentis par ce
khalife; et ayant rompu avec ie sul-
than,ilchassadcBaglidad les parents,
les amis et les partisans de ce prince,
au nombre de cinquante mille, et
donna letitre de snllhanàDaoud, ne-
veu de Mas'oud. Renforces par les
secours de plusieurs princes voisins
(outre autres d'Einad-cddyn Zeiighy,
roi de Moussoul), Resched et Daoud
soutinrent un siège o])iniàtrc de
deux mois; mais, la division s'c-
tant mise entre eux , ils sortirent
delà ville, et Rasched se relira à
Moussoul avec Zcnghy. Mas'oud ,
RAS
maître de Daghdad , convoqua ( août
1 1 36 ) une assemblée, qui le déclara
déchu du khalifat, dont il n'avait pas
joui un an entier , et le remplaça par
Moktafy, oncle de Rasched ( JT.
Mas'oud, XXVII , 383, etMoKXA-
Fv, XXXIX, 274). Le khalife dé-
pose' ne se fiant pas à Zenghy , que
le sulthan avait gagné par des conces-
sions de terres et de titres honorifi-
ques , quitta Moussoul , et se rendit
auprès de Daoud dans l'Adzerbaïd-
jan, 011 ces deux princes, animés par
le même intérêt , formèrent une nou-
velle ligue conti'e Mas'oud. Leur ar-
mée lut vaincue; et Rasched, qui,
relevant de maladie , s'était arrêté à
Hamadan , ayant voulu gagner Is-
pahan , fut assassiné par ses esclaves
pendant son sommeil, le 25 rama-
dhan 532 ( juin 1 123 ) , à l'âge de
32 ans. A — T.
RASCHI ( Rabbi Salomon Jar-
cui) , le plus célèbre rabbin qui ait
paru en France , cl un des plus
grands hommes qui soit sorti du
peuple juif , naquit à Troyes en
Champagne, l'an io4o, suivant l'o-
pinion très-vraisemblable de l'abbé
de Rossi , et le témoignage d'un an-
cien manuscrit dont il s'appuie. II
était fils du rabbin Isaac, d'oi!i lui
est venu le surnom d'Isaaki. Le nom
de Raschi est un composé des initia-
les des mots Rahhi Salomon Itza-
haki , suivant l'usage des Juifs mo-
dernes ; et c'est sous ce nom qu'il
est généralement connu. Richard Si-
mon, Lacrozc, Wolfct (juelques au-
tres savants prétendent (juc les rab-
bins ne l'ont jamais cité sous le nom
de Jarchi; c'est une erreur démen-
tie par le .SerftT^^r/orô<« , le Schem
Aghedolim , et le Catalogue des
mamiscrils de l'abbé de Rossi , où
l'on voit qu'il est appelé Jarchi indis-
linclcuu'ut par les chrcticiis cl par
RAS
les hébreux. On a cm aussi qu'il était
de Luncl , parce que le mot Jarki si-
gnifie lunatique : cette conjecture est
entièrement de'truite par le tciuoiç;na-
f^e de la plupart des biographes juifs et
par Richard Simon, Bartolocci, Bas ■
nagect Rossi.Raschi, doucd'heureu.
ses dispositions pour l'e'tude , apprit
les langues anciennes , la philoso-
'' phie , la médecine et l'astronomie j
il devint très-habile dans l'Ecriture
sainte et dans la jurisprudence he'-
braïque : ses progrès furent si ra-
pides dans l'intelligence des Livres
saints et du Talmud , que ses con-
temporains le regardèrent comme
un prodige , et qu'il a été appelé, par
excellence et par antonomase, Viti-
terprète de la loi , le prince des
coimnentateurs.^onconlcnt d'avoir
entendu les hommes les plus ins-
truits que la France possédait alors ,
il voulut profiter des lumières des
étrangers; et, dans ce dessein, il
voyagea en Italie , en Grèce , en Pa-
lestine , en Egypte , en Perse , en
Allemagne; il visita toutes les villes
où il y avait des académies hébraï-
ques , et où florissaient les études. 11
interrogeait les professeurs, discutait
avec eux les articles les plus diffi-
ciles , et notait exactement les ré-
ponses qu'on lui faisait. Le tré-
sor d'érudition qui en résulta , lui
servit dans la suite pour compo-
ser ses ouvrages , qui furent reçus
avec enthousiasme par ses com-
patriotes , et qui sont encore re-
gai'dés comme ce qu'ils possèdent
de plus excellent. Raschi mourut
dans sa patrie , en i inS , à l'âge de
soixante-cinq ans. Jachia et quelques
auteurs juifs, toujours amis du mer-
veilleux , assurent que son corps
fut transporte à Prague, et qu'on y
voyait encore son sépulcre , de leur
temps. ïl« font aussi des contes sur
RAS
109
quelques événements , répétés par
Bartolocci, mais que le judicieux ab-
bé deRossi a jugés dignes d'un éter-
nel oubli. Rnschi eut un grand nom-
bre de disciples , qui lui firent hon-
neur, et qui répaudirent'sa doctrine
dans toutes les parties du monde. II
maria ses trois filles à des person-
nages les plus distingués dans sa na-
tion. On a de ce docte rabbin : I.
Comment ariiis inFentateuchum, en
hébreu, Rcggio , i475 ; Bologne,
1482; Soncino , 1487 ; Lisbonne,
1491 ; Naples, 1491 ; Constantino-
ple, i5o5 ; Prague , i5i8eti53i;
Thessalonique , i5'io , in -fol. , et
plusieurs fois depuis, avec ou sans le
texte. L'abbc de Rossi donne, sur
plusieurs édilionsde ce commentaire,
d'amples détails dans ses annales
hebrœo - tjpograph. xy sec. , Par-
me, 1795, et dans ses Ann. hehrœo-
tj'pograph. ah anno i5oi ad annum
i54o, Parme, 1799. Il décrit aus-
si , dans son Catalogue raisonné ,
soixante-six manuscrits qu'il possé-
dait , et dont quelques-uns offraient
des variantes considérables , ou des
particularités remarquables. Conrad
Pellican entreprit de traduire en la-
tin le Commentaire de Raschi ; mais
il ne l'acheva pas, et ce qu'il en avait
fait est resté inédit. Jean-Frédéric
Breithaupt eu a donné une traduc-
tion latine complète, de sa façon, avec
des notes excellentes , Gotha, 171 3
et 1714? in-4°', 3 vol. Raschi, dit
Richard Simon , est le grand auteur
des Juifs sur la Bible , parce qu'il
est savant dans leur théologie et dans
leurs traditions. Buxtorf , Lightfoot,
Morin , Jahn , Rosenraidler et Rossi
le regardent également comme uq
oracle sur les traditions judaïques ,
qu'il rapporte en historien , et sou-
vent sans y croire. En voici deux
échantillons : il soutient , d'après
110 RAS
Aben-Ezra , son maître , qiie le ser-
pcut teutalciir était siinpleinent une
l)ète;ilsiipposc qu'il marchait et par-
lai ta la manière des hommes: il ajoute
qu'ayant été témoin des caresses que
se prodic^uaient Adam et Eve dans !e
paradis terrestre ., le serpent conçut
de l'amour pour Eve , et ne forma le
projet de la tenlalion que dans l'es-
pérance de l'épouser , s'ima}:;inaijt
qu'Adam, mangeant le prejnier du
fruit défendu, mourrait sur l'heure.
Raschi raconte ailleurs qu'Abraham,
partant pour l'Egypte , enferma sa
femme dans uu colïre qui fit partie de
son bagage ; que les commis de la
douane voulurent ouvrir le coffre ;
qu'Abraliam n'ayant pus'endéfendre,
ils en tirèrent Sara, dont Pharaon
fut tellement épris , que le patriar-
che crut devoir la faire passer pour
sa sœur. Raschi ne se borne pas à
recueillir, dans son Commentaire,
les historiettes des anciens rabbins
€t les allégories des talmudistes ; il
s'attache principalement aux expli-
cations littérales des auteurs les plus
accrédités, dont il rapporte les ex-
pressions mêmes. C'est vraisembla-
blement sur le modèle des Commen-
taires de Raschi, que nos interprètes
du moyen âge ont composé leurs
Chaînes des Pères. Le style de ce
docte rabbin est concis , obscur ,
enigmaliqne. Le mélange continuel
des termes euipruntés à différentes
langues , à l'hébreu , au chaldaique,
au rabbinique , au français de ces
temps reculés, augmente l'obsciuitc
et la difficulté de l'entendre. La hau-
te estime dont il jouit, et le besoin
de le mettre à la portée de tous ,
ont engagé des rabbins modeines à
le commenter cl à l'érlaircir. Nico-
las de f^yra , Siméon de IMuis et plu-
sieurs autres Cliréti(;us l'ont souvent
mis à conlribulion dans leurs écrits.
RAS
II. Commentarius in Canticum, Ec'
clesiasten, Buth, Ester, Daniel,
Esdram, iV'e/zemun/jjNaples, 1487,
in-4°. Les cinq livjes appelés Me-
ghillot \)ar les Juifs, avaient déjà
])aru à Bologne, en 1482 ou i483,
in-fol. ; et, depuis ce temps, ils ont
eu un grand nombre d'éditions, ain-
si que les agiographes. Il paraît
que les Commentaires sur les Parali-
pomènes. Job et les Prophètes, im-
primés dans les grandes Bibles, sous
le nom de Raschi , ne sont pas de
lui. III. Commentarius in Talmud,
impriméavec le teste, Venise, i520,
in-fol. , et ailleurs. Raschi n'a don-
né que vingt-trois Traités. Les autres
ont été faits , dans le même esprit,
par Rabbi Samuel Meir. La plupart
de ces Traités ont été publiés sépa-
rément, dès l'origine de l'imprime-
rie, à Soncino et ailleurs. L'autori-
té de Raschi, dit Grosley, a tran-
ché une dispute très - vive , élevée ,
dans le dernier siècle, entre Vitrin-
ga et Rhenferd , professeurs de Fra-
nc ker , sur les dix oiseux des an-
ciennes synagogues juives. D'après
cette autorité, il est reçu entre les
rabbinisants , que ces dix oiseux
étaient dix personnes gagées pour
être toujours présentes aux priè-
res publiques, parce que, sans ce
nombre, que Jésus-Christ a réduit
à trois , il n'y avait ni synagogue ,
ni assemblée légitime, soit civile,
soit sacrée , et qu'on ne pouvait ré-
citer les formules de bénédiction.
IV. Commentarius in Pirkè ^l^olh,
Venise, i(>o5 , iu-4". H est douteux
que ce Traité lui a])p;utienne, quoi-
(pic plusieurs biographes le lui attri-
buent. V. Ol'Sen'ationes in Alplies,
avec cet ouvrage ef séparément , Ve-
nise, if")'.ii. Wolfu'cn parle pas dans
sa JJibliolh. hcb. VI. ()iia'sita et res-
ponsa j manuscrit, dans la biblio-
RAS
thcqiietrOppcnheirner, soas le nom
de Jaohia. VII. Pardès ( Paradis ),
luauiiscrit. Cet ouvrage se trouve
rarement en culicr ; mais il en exis-
te un abrège sous le titre de Lik-
ktuè pardès, Venise, 1 5 19, •Ams-
terdam , même année. C'est un Trai-
té des rits et cérémonies judaïques.
WW.Commentarius iriMedràs Rah-
bà, imprimé avec !c texte de la Ge-
nèse et le Commentaire de Ribbi
Abraham ben Ascer; ou doute qu'il
soit de Raschi. IX. Canticum de
unitate Dei. Ce Cantique est insère'
dans quelques i)/rtc/ia5or manuscrits.
X. Selichà, ou Commentaire sur le
Décalogue , dans les Macliasor. XI.
Un Livre de médecine, que Sabtai
assure avoir vu manuscrit dans la
bibliotbèque d'Oppenbeiraer. XII.
Commentarius in en Israël (OEiI
d'Israël), excessivement rare , sui-
vant Bdrtolocci. Rabbi Jacliia ])ré-
tend que, pendant son séjour en Es-
pagne, Raschi composa un ouvrage
intitulé, Parnas ou Régulateur: mais
il ne cite pas d'autre garant que Rab-
bi Meir de Padoue ; et il n'indi-
que aucune biLliotlicque où ce livre
puisse se trouver. Peut-être est-ce
le même que Grosley dit avoir vu
manuscrit chez un rabbin de Casai,
et intitulé le Conciliateur. Au di-
re de ce rabbin, le Conciliateur fut
écrit à l'occasion des disputes qui,
au temps de Raschi , partageaient
les rabbins sur les mystères de la
grâce , delà prédestination et du li-
bre-arbitre ; il se réduisait à cette
parabole : « Si, avec un mouchoir,
» vous voulez vous couvrir tout le
» corps , vous laissez voir ou le bus-
» te ou les jambes ; l'unique moyen
» de réussir dans ce dessein est de
» se rapetisser en s'accroupissaut.
» Usez - en de même à l'égard des
» mystères dont il s'agit : Ra^xîlis-
RAS i,T
» sez-vous, humiliez - vous devant
» Dieu, et adorez ce qui passe les
» bornes de votre intelligence. »
( OEuvres inédites de GrosUy, tome
II, page 3440 On est étonné que Bas-
nage et Boissi n'aient parlé qu'en
passant d'un rabbin aussi célèbre que
Raschi, et qui fait vraiment honneur
à !a France. L — b — e.
RASCHID ( Haroun el ). Foj:
Aaron, 1 , 5.
RASCHID- EDDIN, célèbre his-
torien persan, dont le véritable nom
est Fadhl-allah hen Emad - eddin
Abyikhaïr hen Aly Baschid-eddin^
nommé aussi quelquefois tout sim-
plement llaschid, naquit à Hama-
dan, ville de l'ancienne IMédie , au
treizième siècle de notre ère. Il était
d'origine juive, et médecin de pro-
fession. Cet état, qui, dans l'Orient,
mène souvent au comble des hon-
neurs , lui procura la faveur des
princes mongols qui régnaient en
Perse; et il devint vizir du sul-
than Ghazan-Khan. Il fut aussi mi-
nistre de son fils Oldjaïtou Khoda-
bendeh Mohammed. Il jouit d'un
grand crédit sous le règne cîeccs deux
souverains. Ce fut lui qui fit élever
les palais et les mosquées qui ornèient
la nouvelle ville de Soulthanych ,
élevée, par Oldjaïtou, sur l'empla-
cement du bourg obscur de Kongor-
lan. Cette cité, presque enlièrement
en ruines maintenant, devint alors
la résidence impériale des monar-
ques de la Perse. Après la mort d'OI-
djaïtou, arrivéeen l'.ui 1 3 1 7, sonfils
Bchadour-schah Abou-Saïd lui suc-
céda , à l'âge de quinze ans environ.
Raschid-edJin resta à la tête du mi-
nistère : mais ce ne fut pas pour long-
temps ; car il ne tarda j)as à périr
victime de la haine que lui portait
l'émir Djoub.iu, tuteur du jeune sou-
verain. Le grand ouvrage historique
112 RAS
qui a fait la rcputation de cet écri-
vain , est composé en persan ; il
est intitule : Djnmial -tcwarikh ^
c'est à-dire, Collection des annales.
Il fut entrepris à la soliicitation du
sulthan Ghazau-Klian, et porte en-
core le titre de TarikliMouharek-
Ghazanj , ou Histoire auguste de
Ghaznn. Ce prince mourut bien-
tôt après, lorsque Raschid-eddin
terminait la première partie de
son livre , qui fut aclievë par les
ordres d'Oldjaïtou. Cette histoire,
qui est fort étendue , traite de l'ori-
gine et de la division de toutes les
tribus mongoles et turques , dissé-
minées dans la Haute - Asie ; des an-
ciens rois issus d'Oghouz Khan , des
princes mongols ancêtres de Djen-
ghiz-Khan ; puis ildoune le récit très-
détaillé des actions de ce conquérant
et de ses descendants , soit en Chine ,
soit en Perse , dans la Tarfarie ou
dans le Kaptchak, et enfin une des-
cription du monde, comme oa pou-
vait le connaître alors en Perse. Cette
partie est ornée de cartes géogra-
phiques, et accompagnée d'une His-
toire des différents peuples , rédi-
gée d'après leurs propres annales.
Raschid - eddin ne négligea aucune
recherche pour perfectionner son
ouvrage et le rendre digne du prince
qui en avait ordonné la composition.
Le vizir profita des Mémoires sur
l'origine des Mongols et de la famille
impériale , qui avaient été recueillis
parun oflicier mongol , nommé Pou-
iad-Djinkesaak (i). II y joignit les
nombreux renscigncmenls que tous
les gouverneurs et les principaux
personnages de l'empire lui fourni-
(i) Ce nom q
vain» persans <l
si souvent flnii>iié par les éiM'i-
vaiiis persans de celle e;ioijue , à un grand tiorQ!>rc
de oeiiiiicnra mongols , irci.t pas autre chnse que U:
tifi'C L'iiinuis Tc/iinc-SiiDif; , c'est-^-dirc Minisire ,
qui pMfn alor» en Occident arec pliisieiii-s autres
cpialidcutiuus (lu inêue nvini\
RAS
rcnt, par les ordres de GhazanKhan.
Cet ouvrage est sous-divisé en trois
parties ou tomes. La première par-
tie comprend deux livres. Le pre-
mier , qui contient une introduction
et quatre grands chapitres subdivi-
sés en plusieurs sections, renferme
l'énumération de toutes les tribus
mongoles et turques , avec les dé-
tails que l'auteur a pu réunir sur
leur origine , leur histoire , les pays
qu'elles ont habités , et les chefs aux-
quels elles ont donne naissance. La
première section traite des vérita-
bles Turks , tels que les Ouïghour ,
les Kankly , les Kaplchak , les Kar-
louk et les Kaladj. Il y est aussi
question des anciens princes des
Turks et de leur généalogie. Dans
la seconde, l'auteur parle des Djé-
Idir , des Tatar , des Merkit , des
Kourlaout , des Bargliout , des Oui-
rat , des Tournât , des Ourasout
et de plusieurs autres peuples. La
troisième section est consacrée aux
Kéraït, aus. Naïman, aux Ankout,
aux nations du Tanghout, aux Kir-
kis et aux diverses nations turques
dont il a déjà été question dans la pre-
mière section. Dans la quatrième,
on parle des tribus désignées plus
particulièrement par le nom de Mon-
gols , telles que celles de Derlighin ,
d' Ouriankat , de Konkerat , à'Ar-
lat , de Ilouschin , de Seldouz , d'/Z-
dourkin , de Dourhan , de Narin ,
de Soudan^ de lasout, et bien d'au-
tres encore. Pans le second livre de
cette première partie, Raschid -ed-
din raconte l'histoire de Djenghiz-
Khan et de ses ancêtres , ainsi que
de tous les souverains de sa race ,
établis en Chine, dans leTurkeslan,
dans le Kaptchak et dans la Perse.
Il y suit une méthode biographique
étrangère à la littérature persane et
arabe , et qui semble rappeler la
RAS
manière des écrivains chinois , que
Raschiil-cddin a connus ccrfaine-
meut , sinon par lui - même , au
moins par le moyen des interprè-
fcs qui étaient à ses ordres. Ras-
cliid-cddiu divise l'iiistoirc de cha-
que personnage en trois sections.
Dans la première , il traite de la nais-
sance decliacundes princcsmongols,
ancêtres de Djeughiz, de sa femme,
de ses enfants, et de tous les dé-
tails personnels qui peuvent tenvràla
généalogie de la race impc'riale. Puis
vient l'histoire civile , militaire, ou
polititpie du prince, suivie de l'his-
toire étrangère ou du récit abrégé
des événements arrivés dans le mê-
me temps en Chine , dans la Tar-
tarie ,4a Perse et le reste de l'Asie;
ce qui forme la troisième partie.
L'auteur entre dans les plus grands
détails sur la vie et les expéditions
du fondateur de l'empire Mongol.
Comme tous ces récits sont tirés des
Mémoires mêmes fournis par la
branche de la famille impériale éta-
blie en Perse , ou ne peut douter
de leur exactitude , au moins en gé-
néral. Il est terminé par un résu-
mé chronologique de l'histoire de
Djenghiz- Khan , suivi delà vie
d'Oktaï, qui le remplaça sur le trô-
ne de Karakoroura ; vient ensuite
celle de Tchoutchy et de ses suc-
cesseurs dans le Kaptchak jusqu'à
Toukta. Raschid cddin parle encore
de Djaghatay et de ses descendants ,
puis de Touly , quatrième fils de
Djengkiz - Khan , père des princes
qui formèrent la branche des sou-
verains Mongols de la Chine et de
la Perse: avant eux, il fait con-
naître Ga'iouk , fils et successeur
d'Oktai, remplacé par Mangou fdsf
de Touly, qui laissa , en mourant ,
le trône à son frère Koublai , con-
quéiant de la Chine. On trouve dans
xxxvii.
RAS
ii3
cette partie qi'.clqucs détails sur les
expéditions enti'cpriscs par les or-
dres de ce dernier , contre le Japon
et l'île de Java , dont il est aussi
parle dans la relation de Marco Polo.
El!e présente encore des renseigne-
menls sur l'administration intérieure
de la Chine, les principaux ministres
dcKoubl.a, et enfin sur son fils Man-
gou-Timour, et sur le célèbre lama
Pasepa , fondateur Je la souverai-
neté pontificale du Tibet. Raschid
termine cette partie de son livre ,
par l'histoire des Î^Icngols de Per-
se, depuis Houlagou, frère de Kou-
blai, jusques et y compris Ghazan-
khan. La seconde partie de ce grand
ouvrage est subdivisée eu deux sec-
tions : la première comprend un
récit très circonstancié des actions
d'Oldjaïtou. La deuxième con-
tient l'histoire des prophètes , des
khalyfes , des religions et des dy-
nasties, depuis Adam jusqu'en l'an
700 de l'hégire ( i3oo et i3oi de
J.-G. ) avec les annales des peuples
delà Chine, delaTartarie,du Kasch-
mir , de l'Inde, des Israélites, des
Ismaéliens et des Franks, La troi-
sième division, souvent citée dans
le corps de l'ouvrage sous le titre de
Dsil { frange ou appendice ) , ren-
ferme une géographie universelle.
Le sullhan duKharizme Abou'lgha-
zy-Bayadour- Khan ( F', ce nom,
I , 90 ) , auteur d'une Histoire gé-
néalogique des Tatars , qui est
fort connue , a beaucoup profité de
l'ouvrage de Raschid ; il y a puisé
tout ce qu'il rapporte des origines
tartareset mongoles. On ne peut dou-
ter, après ces détails , que le Re-
cueil historique de Raschid-eddin
ne soit une des productions les
plus importantes qui existent en per-
san, et qu'il ne renferme efifecti-
vcmcut une multitude de renseignc-
8
M/l
RAS
ineiits prccicux , qui doivent en faire
vivement désirer la pul)lication ou
la traduction. Tctis de La Croix, le
fils, en avait exécute une, qui est per-
due , à ce qu'il paraît. On ne doit
pas la regretter beaucoup, si, comme
il est probable, elle a ctc faite sur le
manuscrit de la bibliolbèque du Roi,
n°. 08, qui ne contient qu'une por-
tion de l'ouvrage de Rascliid eddin ,
fort mal ccrite,k rcmpliede lacunes.
M. Etienne Qiiatrcmère, de l'acadé-
mie des inscriptions et belles-lettres,
s'est beaucoup occupe de ce livre
important; il a même communique
à cette académie quelpaes-uns des
résultats de ses recherches: ils font
regretter qu'il ne les ait pas en-
core publiés. La Bibliothèque roya-
le possède deux manuscrits de cet
ouvrage. Nous avons déjà parlé
du premier; le second , n*'. 68 A, en
uu gros volnmc in-fol., a été écrit en
l'an 837 dei'hégire(i4»^ <le J.-C):
il est fort beau ; mais malheureuse-
ment i! ne renrermeque l'histoire des
Mongols elde leurs princes : l'histoire
étrangère , et le Dut ou appendice ,
contenant la partie géographique, y
manquent. Ces deux portions sont
cxtrcmemeut rares dans l'Orient. On
trouve , dans ce même manuscrit i une
continuation de l'histoire des Mon-
gols de Perse , écrite sous le règne de
Schah-Rokh , fils de Tamerlan , par
un auteur inconnu : elle présente ,
dans le plus LMand détail, le récit des
cvcnements arrivés sous le règned'A-
bouSa'id, (ils et successeur d'Oldjai-
tou. Outre ce grand ouvrage histori-
que, Icvczyr Ùaschid-eddin a encore
composé une espèce de Somme théo-
lo'j^ujHC musidinane, intitulée, y>/<ï(//-
vwuarra.scln>'ia]i ( la collection de
Raschid), écriiecn arabe: il en existe
il la bibliothèque du Roi , sous le n^\
356, un suj)crbc exemplaire, qui
RAS
date de l'an 710 de Thégirc ( i3io
de J.-G. ) , du vivant même de l'au-
teur. S. M — N.
RASÉS , historien arab^d'Espa-
ç;nc, dont le véritable nom était ^^-
med hen Mohammed hen Mousa
Aboii bekr al lia:y, était originaire
de Réy , dans la Perse , comme son
nom de Razy l'indique : il naquit
à Cordoue , dans le neuvième siècle,
et vécut du temps Acs khalifes Om-
miades Abd-allah et Abd-errahman
III (888-961). Il paraît qu'il jouit de
l'estime de ces deux princes. On voit,
par les témoignages que Casiri a réu-
nis dans sa Bibliothèque arabe d'Es-
pagne , que cet auteur était fort,
csliraé parmi les savants de sa na-
tion. Il avait composé un grand ou-
vrage sur l'histoire et les expéditions
militaires des souverains musulmans
de l'Espagne , et une Description his-
torique et topographique de la ville
de Cordoue et de tous ses quartiers et
• édifices. Ce dernier livre , où il don-
niv' de grands détails sur les antiqui-
tés de sa patrie, était diviséen 5 tomes.
L'auteur l'avait entrepris à l'imita-
tion d'une ample Description de Bagli-
dad, exécutée par un certain Ahmed
beu Aby - ïalicr, qui vivait vers la
même époque. Ces deux ouvrages
sont perdus, à ce qu'il paraît: ils ne
se trouvent au moins dans aucune
de nos biî)liolhè(jucs; et rien n'indi-
que qu'ils existent dans l'Orient. Il
est probable qu'ils ressemblaient
beaucoup à la grande Description de
l'Ègvptc et du Caire, par Makrizy;
le titre )ncmc de ces deux ouvrages
])araît avoir donné naissance à celui
qu'on voit en tête du livre de Ma-
krizy. Les bibliogia plies espagnols
font mention d'un oiiviage liistori-
quc et géogra[)iii(]ue sur la situation
de l'Espagne, du temps des Gotlis
cl des premiers princes musulmans.
RAS
traduit de l'Arabe , qu'ils attri-
buent au même auteur. On pourrait
croire qu'il ne diffère pas des livres
écrits eu arabe dont nous venons de
parler: il est difficile de décider cette
question , parce que cette traduction
est restée inédite. Les notices que
ces bibliograplies en donnent, sont
si confuses et tellement mêlées d'in-
dications fabuleuses, fausses ou erro-
nées , que beaucoup de savants re-
gardent cet ouvrage comme un livre
fabriqué et décoré d'un nom illusti'e ,
pourluiprocurerplus de vogue. Nous
ne voyons pas néanmoins de raison
suffisante pour admettre une pareille
supposition; car ce qu'on reproche
à cet ouvrage manuscrit , peut venir
tout simplement de l'ignorance du
traducteur et des additions qu'il au-
ra eu la maladresse d'y joindre. Cet-
te traduction fut rédigée en portu-
gais, vers le treizième siècle, à ce
qu'il paraît; et, bientôt après, ou en
iit, sur le portugais, une version cas-
tillane. On cite plusieurs exemplai-
res de l'une et de l'autre traduction
qui existent dans divers monastères
del'Espagneet du Portugal. Resende
traduit ainsi une notice qui se voit à
la fin d'un manuscrit qui contient la
version castillane exécutée en l'an
1 320; ellefait connaître les interprè-
tes arabes et espagnols de ce livre : on
y voit qu'il fut traduit d'abord en por-
tugais jjerma^istruui Machomctum
Savracenum nohilem architectiim ,
et scribehat meciini .Egidius Pétri
clericus domini Pétri Joannidœ
Postelleiisis , patris domini Joan-
nis Avolini. S. I>I — n.
RASIS ou RHAZÈS. F. Razi.
RASORl ( j£Arf ), célèbre radle-
cin, naquit à Parme, en 17C7. Fils
d'un artisan , il annonça , dès son en-
lance , de si heureuses dispositions
pour les sciences, que dos personnes
RAS ,i5
bienfaisantes lui firent faire ses étu-
des au collège de celte ville. Ses pro-
grès ne démentirent pas les espéran-
ces qu'on avait conçues. L'infant duc
de Parme, son souverain, instruit des
talents et de l'esprit de ce jeune hom-
me, l'envoya , à ses frais , étudier
la médecine à Florence, à Pavie et
en Angleterre; et il l'entretint, pen-
dant sept ans, dans ces écoles. Ra-
sori revint dans sa patrie , après
avoir passé quelque temps à Paris,
dans le moment où la révolution
exaltait les têtes. Une imagination
ardente et une ambition démesurée
lui firent adopter les principes dé-
magogiques ; et il arriva à Parme
plein du désir de les propager. Il
avait aussi embrassé vivement la non-
velle doctrine médicale de Brown ;
et il conçut le projet de renver-
ser toute la science hippocratique ,
pour lui substituer les rêveries sys-
tématiques du médecin anglais. L'oc
casion s'en présenta bientôt ; et
son illustre protecteur lui obtint la
chaire de professeur de pathologie in ■
terne à l'université de Pavie, vers la
finde l'année 1794. Ce fut alors qu'il
fit connaître la doctrine médicale de
Brown , en publiant la traduction
italienne des ouvrages de ce profes-
seur, auxquels il ajouta une Préface
et des Notes que lui fournit IMalacar-
ne. Cette traduction et les leçons de
Rasori tirent beaucoup de bruit eu
Italie , et occasionnèrent de vives dis-
cussions dans les écoles. Le profes-
seur Vacca Berliughieri, de Pise, pu-
blia d'excellentes Observations eu
réfutation de la doctrine Brovvnien-
ne. Rasori promit de répondre; mais
il n'exécuta point sa promesse. Le
scandale que ses leçons excitèrent à
Pavie, l'obligea bieutôt de quitter sa
place. Mais lors de l'entrcc des Fran-
çais en Italie, il se rendit à Milan; et,
8..
ii6
RAS
s'adonnant twit eiirier à la |iditiqiic ,
il publia un Journal inlitulé : VA-
mico dellaliherth edelV ugun^licn*-
za^ flans lequel il se montra le plus
zèle' partisan du gouvernement rc'-
publicain et l'ami des patriotes.
Ce qui le rendit odieux et méprisa-
Lie à tous les honnêtes gens ^ ce fu-
rent les invectives qu'il lança contre
les princes, et surtout contre le duc
de Parme, son bienfaiteur. Il n'y mé-
nagea point les sarcasmes les plus
amers contre les professeurs de Pa-
vie, ses anciens collègues, et en ge'-
ne'ral contre tous ceux qui ne parta-
geaient pas ses opinions médicales et
républicaines. Il obtint ensuite l'era-
ploidc secrétaire centrai du ministre
de l'intérieur de la république Cisal-
pine, qui était alors un certain Ta-
dini, homme assez médiocre. Ra-
sori s'empara de son esprit, et lui
fit commettre beaucoup de fautes.
Grand nombre d'employés furent
renvoyés des bureaux du ministère,
pour faire place à des créatures du
secrétaire, qui devint l'objet He la
haine des Milanais. Les journalis-
tes l'accablèrent de tai * de ridicu-
le, qu'il fut obligé d donner sa
démission ; et il retourna à Pavic
dès la fin de 1 797 , avec le titre de
professeur de clinique interne et de
médecine pratique. Il n'ouvrit son
cours que vingt jours après la ren-
trée des écoles , et il fit, à ce sujet ,
luic prolusion des plus extravagan-
tes , intitulée -• Del preteso E^ejiio
rV fppocrate (Sur le prétendu génie
d'Hippocrate ). Ce Discours, impri-
me en 1798, est digne d'un nouveau
Paracelse. L'auteur cherche à réfu-
ter ou à tourner en dérision les apho-
rismes immortels du père de la mé-
decine. 11 n'épargne ensuite ni les sar-
casmes ni les invectives contre les
médecins dcl'atiliquité, tels qucGa-
RAS
lien, Celsc, etc.; coîilre les Syden-
hara , les Hofimann , les De Haën
des derniers siècles. Enfin tous les
médecins modernes les plus illustres
sont déchirés par sa p! ume satirique.
Il faudrait, selon lui , brûler tous les
livres de médecine, et s'en tenir aux
seuls principes qu'il enseigne. On peut
juger quelle impression fit sur les
auditeurs un tel discours. Les le-
çons qui suivirent , ne furent pas
moins bizarres ni moins dépourvues
de bon sens , et elles finirent par
perdre entièrement l'auteur dans l'es-
prit des élèves. Une comédie bur-
lesque et des plus injuiieuses pour
le professeur, intitulée : Il Rasori ,
fut imprimée, et même adressée au
Directoire exécutif de la république
Cisalpine. Une Epître non moins vi-
rulente, intitulée : Lettera d'uno stu-
dente di medicina pratica e di'cli-
nica neir imiversità di Pavia ad un
suo mnico, fut également mise sous
presse et répandue dans toute la vil-
le. Enfin des réclamations sans nom-
bre et une députation d'étudiants fu-
rent envoyés au Directoire, pour ob-
tenir le renvoi de Rasori; ce qui eut
lieu au bout d'un mois de leçons.
Il revint à Milan ; et , ayant reçu
de Londres la Zoonomie du doc-
teur Darwin, il en publia une tra-
duction, enrichie de notes. Com-
me cet ouvrage, qui traite des lois
de la vie organique, est ingénieux ,
et contient des hypothèses hardies et
des idées assez piquantes ; comme ,
d'ailleurs , il était dirigé contre
Brown, dont Darwin était l'ennemi
déclare , le traducteur fit tout - à-
coup volte-face au sysième du pre-
mier ; et il devint darwinien ou-
tre. Dans ses Annotations, il réfuta
la doctrine de Ibown , contre le-
quel il se répandit en injures cl en
sarcasmes. La traduction de la Zoo-
RAS
noraic est érrite d'un style pur cl
e'Ie'gant. Ce fat vers ce temj)s que
Rasoii conçut le projet de fonder un
nouveau système de médecine. Tout
eu blâmant Brown, il prit pour base
la doctrine des deux diathèses sténi-
çite et asténique de cet écrivain ( V.
Brown, au Supplément). Voici , en
peu de mois, l'esprit de la doctrine
rasorienne , ou du conlro • st'unolo ,
dont celle de M. Broussais semble
tirer sou origine. Sur cent maladies
qui afliigenl l'espèce bumaine , il en
est au moins quatre-vingt-quinze qui
dépendent d'une cause stimulante ,
tandis qu'il en est à peine cinq qui se
rapportent à une cause débilitante.
Mais ces causes , qui produisent un
e'tat qu'on nomme diatbèse stc'nique
ou aste'nique, peuvent avoir divers
degrés d'intensité : pour les combat-
tre, il faut employer des moyens con-
tre-stimulants dans le premier cas ,
et stimulanlsdans le second , divisant
ainsi la matière médicale en deuxcias-
ses. Cest ce que firent Rasori et Bor-
da de Pavie, dans leurs leçons de
llicrapeutique : dans la première
classe , étaient placés l'opium , le
quina , le musc , le camphre , l'al-
kool, le froid , etc. ... ; et dans la
seconde , tous les remèdes tirés du
règne minéral , tels que l'anlimoine
et ses préparations , les acides nitri-
que, sulfurique, prussiipie, l'arsenic,
le mercure , etc. ; la p'upart des vé-
gétaux, et surtout des poisons, com-
me la cigué , l'aconit, le laurier-
cerise, la bella-dona ; ainsi du reste.
L'emploi de ces remèdes doit être
dirigé à des doses capables de com-
battre et dedétruirc la diathèse mor-
bifique (i); ainsi , par cxeu)p!e , le
(i ) C'est l'eiioniiilc iiiusilt-e à laipn llo les conlra-
sliiiiiili.%ti's portent qiieliiucToi^ 1rs ilosi s ilis reuiù-
dnale^ plus actifs, qui a ^>urluut cuutriijUL' à décrier
Il ur système.
xxxvn.
RAS ,17
tartre éinétique , réptilé contre -sti-
mulant, est prescrit à doses progres-
sives, jusqu'à ce que, produisant des
évacuations , il annonce que le ma-
lade ne peut en supporter une dose
plus forte, et que la diathèse est
vaincue j alors on prescrit le remède
à doses décroissantes. Quant aux
symptômes nombreux qui compli-
quent les malaJies, le médecin con-
îre-stimulisle n'y attache aucune im-
portance , n'ayant égard qu'au seul
degré de la diathèse, et ne s'atta-
cbaut qu'à combattre celle-ci par des
remèdes qu'il juge propices. C'est le
contraria contrariis curanlur.W n'e ;t
pas dilliciie de voir combien peut être
nuisible un tel système, et à quelles
erreuas funestes il conduiiait. Cepen-
dant , il trouva en Italie \n\ grand
nombre du prosélytes parmi les jeu-
nes gens ; mais il eut un plus grand
nombre encore d'adversaires chez les
praticiens. Parmi ses partisans , on
distingua les professeurs Borda de
Pavie , Brera de Padoue , et Toraa-
sini de Bologne :ilsn'adopîèrent pour-
tant le système de Rasuri qu'en lui
faisant subir de grandes modifica-
tions , dont ia principale fut de créer
une nouvede diathèse, intermédiaire
des deux autres , qu'ils nommèrent
irrilaliva. Ils créèrent aussi pour
celte diathèse une troisième classe de
remèdes appelés calmants , et d'au-
tres assoupissants, C'étaiout les tor-
■pcnli de Darwin. Le professeur To-
masini a encore élaboré ce systèrae ,
et l'a , pour ainsi dire , recicé sous
une nouvelle forme, qu'il prétend
lui avoir été enlevée par le profes-
seur Broussais de Paris : adhuc suh
jiulce lis est ; ce qui prouve le peu
de solidité de ces systèmes, et les
erreurs funestes qu'ils peuvent faire
commettre aux jeunes médecii s. Go
n'est au surplus qu'une pure rap-
8 *
ii8 RAS
sodie de la doctrine des luelhodis-
tcs dont Theraison fut le cluf , et
dont la base était le fameux laxum ,
strlctum et médium , qui désignait
les trois états pathologiques dans
lesquels peut se troiiver la machine
animal vivanic. Quand les Austro-
Kusses reconquirent le Milanez , ea
1 799 , les re'volutionnaiics furent re-
cherchés par la police, qui en. fit
conduire plusieurs en exil aux Bou-
ches de Caltaro (2). Rasori avait
quitté Milan , et cherché un refuge à
Gènes, alors occupée par ia division
française sous les ordres de iMassena.
Une épidémie de typhus s'y mani-
festa ; Rasori y njit en usage sou
système médical , et publia une Re-
lation de cette maladie, en un volu-
me in 8". Cet Opuscule est bien écrit ,
et annonce un liomme érndit : mais il
fut vivement attaqué , pour la réalité
des faits cités, et les censé juenccs qui
en étriicnt déduites , par le docteur
William Balt,qui a écrit sur celte
inêmc maladie. Après la bataille de
IMarengo, Rasori revint à Milan, où il
obtint la place de prolomediro ( ar-
chiatre ) du gouvernemciit, celle de
médecin de l'hôpital militaire , et
celle de professeur de clinique dans
le grand hospice de Santa Corona.
Il publia ensuite un journal intitulé :
ytnnali di Medicina , par lecpicl il
se fit encore beaucoup d'ennemis , en
s'y livrant à tous les écarts d'une
])lume satirique et d'une imagination
exaltée : il fut obligé de l'interrom-
])re après le sixième cahier; et ce
lut alors qu'il publia sa traduction
de Darwin, dont nous avons parlé.
Le docteur Ozanam, médecin frau-
RAS
çiis établi à Milan , qui avait suivi »
pendant quinze mois , les leçons de
clini(pie du professeur, publia, en
1812 , un ouvrage intitulé: Cenni
sidla teoria è lapralica del contru-
slimol'j ( Aperçu sur la théorie et la
doctrine du contre-stimulus), où il
cherche à dcmo-itrcr, par des faits ,
les erreurs , la vanité et les dangers
d'un système qu'il regarde comme
vraiment homicide. Cet opuscule, à
la rédaction duquel on croit que le
professeur Moscati ne fut point, étran-
ger, parvintà la connaissance du mi-
nistre de l'intérieur , qui ordonna de
compulser les registres mortuaires
de l'ho pilai , et qui , ayant acquis la
certitude des faits avancés par ce
médecin , destitua le professeur de
clinique. Rasori rentra dans la classe
ordinaire des médecins, travaillant,
de temps à autre, à quelques articles
des Annales des sciences et des lettres,
que publiaient alors MM. Leoni , de
Parme, Ugo Foscolo, et Gherardini
fils , de Milan , l'un de ses plus zélés
sectateurs (3). L'empereur d'Autri-
che recouvra , en 18 1 4 , ses états de
Lombardie , et y rétablit une par-
lie des anciennes institutions. Raso-
ri, destitué de son protomédicat et
de sa chaire de clinique mililaiie,
n'ayant pu obtenir les lettres de na-
turalisation qu'il demandait , ne gai-
da que sa clinique à l'hôpital civil ,
place sans appointements. Vers la
lin de la même année ^ le gouverne-
ment autrichien découvrit la conspi-
ration dite des Carbunari. Des conci-
liabules s'étaient fonnésà Milan, pour
0])éior nu soulèvement général ,ilaus
r('s[)oir d'être soutenu par la France
victorieuse : mais la bataille de Wa-
{'■>.) De ce noiiil)!!,' lut M(iM:i!i , dont les iiid lignes
nvaiciit lieiiucou|) eoi.ti il)»c à )';iire (li;stitinr Rasm-i ,
aiii|il('l il ne ^wuvait p^iriloiincr l.ic.iiislicile des oh-
•t'rv»tiuii9 i.iili((ii. H i(ii'il uvail juiiiU» h suu Prclc-
>i> Çt7«tu d'li>jjm:iuti:.
(3) Quelques-uns de» milles <i>i.i Rusoii iiiseni
d^in.s <:u vfcuril uni ele Initluils un Inineiis i, vw h:
iloilcur J'uiiltiitillt» ) duus les /liilu^ni 'i<; iiti-
RAS
terloo dcjoiia loiiles ces manœuvres.
Plus de vingl individus furent arrê-
tes. Rasori se trouva de ce nombre
avec des gcne'raux. , des avocats et
même un eccle'siaslifjuc. Une cour
martiale , norame'e pour les juger,
les condamna à unedclentiou ])lus ou
moins longue , et une p.irtic fut reii-
feruicc dans la citadelle de IVlantoue.
Rasori ne recouvra sa liberté' qu'au
J)Dut de deux ans. II reprit alors
l'exercice de la médecine. Outre di-
vers articles qu'il a insëre's dans le
Concilialors , journal italien (4)»
nous cileionsde lui les ouvrages sui-
vants : I. Lellera al Dotto'e Biibi-
tti contenente un estratto del trat-
tato (h Undervood sa gUidcerl dél-
ie gamhe , Pavie , 1 79 i , in - 8".
If. Prolusiineletla , assumendo la
sr.uohi di /'«foZy^/rt , Milan, in-S".
m. Rapporto sullo slalu delV uni-
versilà di Pnuia , in-/jO. IV. Gior-
nale senza iildo. V, Couipendio
délia nuovct dottrina incdica di
Biown, trad, dalV inglese, 2 vol.,
179'), i8o5 , in-S". Vf. Analisi
del preteso genio d' Ippocrale , Mi-
lan, 1799, in-B". VII. Zoonotnia,
ovvero leggi délia vita orgnnica dal
prof. Darwin, trad. dalV inglese
cnn anncjtazioni , i8o3, 6 vol. in-
8*^'. VIII. Sloria délia febhre pe-
iccchiale di Gennva, Milan, i8o3,
I vol. in-8<». , souvent re'imprimé;
traduit en français par le docteur
Fontaneillcs , en 1822, avec des
notes. IX. Agatocle nssia lellere
scrittedi Roma e di Grecia , Milan,
1812 , 4 vol. in-i2. C'est la Ir.idiic
tioii d'un roman allemand de M"»".
(.'1) Un drs i)lii3 importants, ))ul)lioc>ii m.ivs i8if),
est un Tableau roiii|.ararif Jn la laiirtaliti^ cJc iu
tlini([iii: H riiôi>;i!ii dr Milan, mise < u parùlli' le avec
clic- d,s anlr.-.s s..II. s ,ln nuni<- clal,liss.ii„i,l : il en
r,M.ll,-,-..it ,jue |.rM,lal.l I l„ls rti.s (].■ Muti: I.- Il >inl)rc
fli's m,, ri» y avait cl(; d'un cinq. lii nie moii:drc «jue
a.iijs les salK's soi^iicis ji.if sca tunliircs.
HAS
l'O
Piklcr. X. Lelierc iulla niiuiica,
tiad. de l'aUcmaïul , d'Engcl , Mdau,
1818-19, '-* vol. iii-8". — lia aussi
tiaduit de la même langue (juclqucs
poésies de Schiller et de VVieland.
ibid. , 1822, in- 18. Z.
RASPE ( Rodolphe-Erjc ), anti-
quaire allemand, ue' à Hanovre , eu
1787 , fit ses études à Gbttinguc et
à Leipzig , et fut employé' successi-
vement aux bibliotbèques de Gotiin-
gue et de Hiuovre. En 1 7G7 , le land-
grave de liesse le noruma profes-
seur d'archéologie à Cassel , puis
inspecteur du c.ibinet des antiques et
médailles, et membre du conseil ; on
cre'a aussi pour lui une seconde place
de bibliothécaire. Les connaissances
vaiiées qu'il possédait, et dont il a
donné assez de preuves dans ses
ouvrages, pouvaient, dans sa po-
sition, lui attirer l'eslime généra'e ;
mais le goût de la dépense et l'es-
prit d'aventure le jetèrent dans des
écarts déplorables. Il sollicita l'au-
torisation de fouiller les archives
des couverts de l'évêché de Pader-
born, pour ychercher des documenis
historiques : cette entreprise coula
beaucoup , et produisit peu de chose.
Ensuite il voulut faire un voyage eu
Italie, afin d'enrichir le cabinet de
Cassel d'objets antiques : le landgrave
y consentit , et fournit les fonds né-
cessaires, Piaspc conduisit d'abord
sa famille à Berlin , et renvoya ru
route les clefs du cabinet qui lui était
confié. On lui répondit qu'il fallait
revenir pour assister à riuvenlaire :
il obéit j mais des que l'inventaire
fut commencé , il disparut ; et l'on
découvrit bientôt qu'il avait vole mic
bonne partie des richesses du cabi-
net : quchpies médailles avaient eic'
mises eu gage. La police publia aus-
sitôt son signalement , portant que
le conseiller Raspc, ayaut des che-
120
RiS
veux roux , et vêtu allcrnativcniriit
d'un liabit rouge , brodé en or, d'Jia-
Lits noir, bleu et gris, s'était évadé
après avoir volé le c.ibinel de mé-
dailles. On invitait , en conséquence,
les autorités à s'assurer de sa per-
sonne , et à le rcnvoj'er à Gasscl.
Arrêté à Claustlial , il s'évada d-ms
la nuit , s'embarqua pour l'Angle-
terre, et passa le reste de ses jours
dans ce royaume, faisant toujours
des projets , travaillant à des ouvra-
ges utiles , et gagnant sa vie, soit à
donner des leçons, soit à traduire
en anglais des livres allemands. En
in8i , il annonça son projet de voya-
ger en Egypte , pour y faire des re-
cherclies sur les antiquités. Pendant
quelque temps, il trouva de l'emploi
dans les mines de Cornouailles : en
Irlande il voulut diriger lui • même
l'exploitation d'une mine. La société
royale de Londres l'ayant rayé de la
liste de ses membres , il menaça de
faire imprimer avec les caractères
et dans le format des Fhilosophical
Transactions , les Unphilosnphical
Transactions des savants d'Angle-
terre. Il essaya même d'excuser , et
presque de justifier, dans une gazette
allemande, le vol commis à Cassel.
H mourut à Mucross , en Iilande,
à la fin de i 794 , aussi estime pour
ses talents que méprisé pour sa con-
duite. Voici ses principaux ouvra-
ges : \. OEuvres philosojiliiques la-
tines et françaises de feu M. de
Leibnilz^ tirées de ses manuscrits ,
fjui se conservent dans la bibliothè-
que royale à JJanovre , avec une
préface de Kœstner , Amsterdam et
Leipzig, 17G5 , in-4°. ( Voy. Lr.in-
wrrz , xxiii, ô/jo. ) II. Mémoires
pour servir à la plus ancienne his-
toire de J/essc-L'assel , i7'i4 ? •'•-
8". III. Vojnç^c en Jn^'Jetenc , sous
le rapport des manufwtures, des
BAS
arts , de Vindnslric , etc. , Berlin ,
17S5. IV. An account of some ger-
man volcanos and their produc-
tions , Londres, 1776. V. Essai
critique sur les peintures à l'huile
( en anglais ) , Londres , 1781 , iu-
4°. VI. A descriptive catalogue of
a gênerai collée lion of ancient and
modem engravedgems, cameos as
well as intaglios , etc. , Londres ,
1791 , deux vol. in-4°. , avec ciu-
quan'e-sept pi. Cette explication des
empreintes en soufre fournies par
le modeleur Tassie , panil aussi eu
français sous ce titre : Catalogue
raisonné d'une collection générale
de pierres gravées antiques et mo-
dernes , tirées des plus beaux cabi-
nets de V Europe; ce livie est rare
et recherché. Raspe tradui-^it en
allemand l'Essai d'Algarotli sur ia
peinture, Londres, i 777. Parmi ses
traductions angl.iises , on remarque
celles des Voyages minéralogiqufs
de Ferbcr , du IS'athan de Lessing ,
etc. 11 y a de lui , dans le tome
Li X des Transactions philosophiques
de Londres , une Dissertation De
ossibus et dentibus elephantum
aliarumque helluarum in America
septenlrionali aliisqueborealibus re-
gionibus obviis ; et il a fourni d'ex-
cellents articles sur des ouvrages
d'archéologie , signés Gs , dans les
tomes xin-xviii de VAllgemeinc
deutsche Bibliothek. D — g.
R ASTAL ( Jean ) , né à Londres ,
fit ses études avec succès dans l'uni-
versité d'Oxford , et revint dans sa
ville natale, oiiilctablitune imprime-
rie qui acquit ukc ajscz grande célé-
brité. Il épousa la sœiu- de Thomas
I\lore, qui tira de lui beaucoup de se-
cours pour la composition de ses ou-
vrages. Rastal mourut à Londres,
en ifJjG, avec la réputation d'un
homme d'une scN'ÙY probité, d'un
RAS
savant malhéîiiaticieu , d'un bon
historien et d'un habile controver-
sislc. On a de lui une comédie in-
titulée Natura naturata : c'est une
description dramatique de l'Asie, de
l'Afrique et de l'Europe , avec des
planches; — Canones astrologici ;
— Reguin Anglorum chronicon ;
— Dialogues sur le j'urgaioire ;
suivis d'uue défense de ces dialogues
contre Jeau Fryih; — Des Indulgen-
ces ; — Les Règles d'une bonne vie;
— Le Rosaire des bonnes œuvres.
— Guillaume Rastal , son fds , s'é-
tant livré à l'étude des lois dans le
collège des avocats de Lincoln's-lnn,
fat premier lecteur d'Edouard VI :
mais les chaiigemenis introduits
dans la religion l'obligèrent de se
réfugier à Louvain avec sa fem-
me. 11 revint dans sa patrie , à l'a-
vénemcnt de la reine Marie, et fut
nommé juge de paix des plaids-
communs. Sous la reine Elisabeth ,
il se retira de nouveau à Louvain ,
où il partagea tout son temps entre
l'étude et les exercices de piété, jus-
qu'à sa mort , arrivée le 27 août
1 565. Ou a de lui : I. Le Cartu-
laire ^ Londres, i534 et ï58o. IL
Table chronologique des rois d'An-
gleterre , depuis la conquête; Ou-
vrage destiné à faire connaître la
date des divers actes, Londres, i563,
iGo-j, iôSq, in-8°. m. Les Ter-
mes des lois anglaises. IV. Recueil
des statuts qui sont restés en vigueur
depuis la grande charte, etc., Lon-
dres, i55y-ir)83, in-fol. V. Fie de
Thomas More. — Un autre Guillau-
me Rastal , né à Gloccster, fut éle-
vé dans le collège de Winchester,
d'où il passa au nouveau collège
d'Oxford, où il se fit beaucoup de
réputation par son talent pour l'ar-
gumcntalion. Les changements opé-
rés dans la religion sous le rv^ne d'É-
HAS 124
Msabeth, l'obligèrent de se réfugier à
Louvain : il s'y s'appliqua entière-
ment à l'étude de la théologie, et à
composer des ouvrages de contro-
verse, principalement pour réfuter
ceux de l'évêque Jewell. Rastal, s'é-
tant rendu à Rome , y fut nommé
pénitencier, pour ceux de ses com-
patriotes que la persécution forçait
d'aller chercher un asile dans cette
capitale. 11 alla se faire jésuite à
Augsbourg, et devint recteur du col-
lège d'Ingolstadt. On ignore l'année
de sa mort. Les bibliothécaires de
la Société ont oublié de faire men-
tion de cet auteur. Ses ouvrages
consistent eu divers traités contre
Jewell. T — D.
RASTIGNAG ( Aymeri Ceapt
DE ) , d'une ancienne maison du Pé-
rigord , connue dès la fin du onzième
siècle , et dont l'origine remonte aux
sires, de Chabanais, fut successive-
ment selon Ughelli, trésorier de l'E-
glise romaine, ëvèque de Volterre
èvêque et gouverneur de Bologne ,
i36i , et prince de l'empire en 1 364.
11 établit à Bologne les Célestins et
les Camaldules, donna aux moines
du Mont-Olivet l'église de Saint-Mi-
chel del Bosco, et bâiit, en i3G7,une
partie considérable de la Chartreu-
se : il devint chancelier de l'université
de Bologne , dont il étendit la répu-
tation, en y attirant des savants de
tor.tcs paits; fut transféré, en 1371,
sur le siège de Limoges , nomme'
gouverneur delà vicomte de ce nom,
et mourut le 10 novembre iSgo. —
Raimond de Chapt de Rastignac,
que De Thon l'historien appelle uu
homme d'un courage infatigable ,
virum indej'essœ virtutis, était de
la même famille, seigneur de Mes-
silhac , capitaine de cinquante hom-
mes d'armes, iicutenaui-génèral de
la Haute -Auvergne, et cliievalicr de
122
RAS
l'ordre du Saint-Esprit. Tl se distin-
gua, dans son gouvernement, par sa
valeur et sa fidélité pendant les
tioubics de la Ligue; il enleva aux
ligueurs plusieurs places , gagna la
bataille d'Issoirc, contre le comte
de Raudau , en 1 5go , et celle de
Villemur, contre le duc de Joyeuse ,
en 1592. Après avoir rétabli la paix
en Auvergne , il attaqua , dans le Li-
mousin, les rebelles connus sous le
nom de Tard-venus, eu tua deux
mille près de Limoges, et mit le
reste en déroute : il fut tue lui-mê-
me, le 16 janvier iSgG, à LaFère,
en Picardie , où il était allé pour
conférer, avec Henri IV, des affaires
de son gouvernement. V — ve.
RASTIGNAC ( Louis - Jacques
DE Chapt de), arcbevêque de Tours,
de la même famille que le précédent,
Dedans le Pcrigord en 1684, fut
élevé au séminaire de Saint-Sulpice,
et parut avec éclat sur les bancs de
la Sorbonne. Il prit le bonnet de
docteur , et fut fait évcquc de Tulle,
eu 1723. Une tîièse sur les qua-
tre articles, à laquelle il présida,
excita le mécontentement de la cour
de Rome ; et l'on exigea du prélat
une sorte de satisfaction. 11 fut
transféré à l'archcvcclié de Tours,
en 1-^23. L'Église était alors trou-
Idée par les querelles qu'avaient ex-
citées les appelanls.Raslignac montra
un attacliement très-vif aux consti-
tutions des papes, et n'omit lieu pour
réduire les opposants dans son dio-
cèse. Benoît XIII le loua de son zèle,
par nu bref du 22 août 1725. Le
prélat surmonta les obstacles qu'il
trouva daus son chapitre , et j)id)lia
des inaiulciucuts en faveur du con-
cile d'Einlniui , contre la consulta-
lioM des ciii()Haiile avocats, et sur
d'-uilrcs inalièrcs. il assista aux as-
scnd)ltes du ckrgL' de 1 72 3, de 1 720
RAS
et de 1 734 , et parut faire cause com •
mune avec ses collègues pour la dé-
fense des droits et des décisions de
l'Egiise. Son esprit concibant , sa fa
cilité à s'énoncer, ses manières ai-
mables , le firent juger propreà diri-
ger les assemblées du clergé , lorsque
M. de Vintimille, arcbevêque de Pa-
ris, fut forcé , par l'âge et les infirmi-
tés, de se retirer des affaires. Rasti-
gnac présida l'assemblée du clergé
de 1745 et celles de 1747 et de 1748.
Dans la première , il fit un rapport
sur le livre de l'abbé Travers , les
Pouvoirs légitimes, et engagea l'as-
semblée à accorder un secours au
père Bertbier pour la coutiouatiou
de l'Histoire de l'Église gallicane. Il
dénonça plusieurs fois au roi les ef-
forts de l'incrédulité naissante. Ce
fut peu après , que des discussions
qu'il eut, dit-on, avec les Jésuites,
le jetèrent dans une route contraire
à celle qu'il avait suivie jusque - là.
Ce changement éclata lors de la pu-
blication du livre du père Pichon
( F. ce nom). Peu content de con-
damner cet ouvrage inexact, il don-
na successivement, en 174B et 1749»
trois Instructions pastorales, desti-
nées à combattre les principes des
Jésuites. Les deux premières , sur
la pénitence et la communion, fu-
rent également critiquées par les
Jésuites, et dans les Nouvelles ecclé-
siastiques, 1748, page (36. La troi-
sième Instruction pastorale produi-
sit plus de bruit encore ; elle était
datée du 23 février 1749» *^t »''^"-
lait sur la justice cluéticnnc, par
rapport aux sacremeuts de Péniten-
ce et d'Eucharistie. On sait (lu'cllc
fut composée par l'appelant Gour-
lin , sous la direction du docteur
JUtursier; et ils y insérèrent les ré-
(lexioiis cl les maximes les plus chè
rcs .xn\ appelants , Sur les plaintes
RAS
qui s'clevèrent, le carJinal deRohan
réunit, par ordre du roi, quelques
cvcques cl>argc's d'examiner l'Ins-
truction. Ces évèques étaient M^I.
lîerlin , évèque de Vannes ; La ïas-
te, c'vcquc de Bethléem; Robuste,
cvêque de Nitrie, et Billard, évê-
que d'Olympe, qui s'adjoignirent le
docteur Montagne, théologien de St.*
Sulpicc (i). On écrivit à l'archevê-
que de Tours pour l'engagera expli-
quer son Instruction. D'un autre cô-
té , un anonyme, qu'on dit être l'ab-
bé Cussac, ayant publié une Lettre
contre l'Instruction pastorale , l'ar-
chevêque condamna cet écrit, par
un mandement du 1 5 novembre 1 7495
et, peu après, dans nue lettre du 5
février i-jSo, il protesta qu'il était
soumis aux décisions de l'Église. Un
nouvel écrit de Cussac, sous le titre
de Réponse , excita les plaintes de
l'archevêque , qui le déféra aux )na-
gistrats et à l'assemblée du clergé.
C'est au milieu de cette dispute que
Rastignac fut attaqué d'une mala-
die grave, qui l'empoita en quehiues
jours. Il mourut au château de Vcret,
le 3 août 1750. Les bruits étranges
qui circulèrent sur le genre de sa
mort , atti'ibuée à un empoisonne-
ment causé par la méprise ou la ma-
ladresse d'un chirurgien, n'avaient
aucun fondement. Ce prélat était
d'ailleurs un homme distingué par
les grâces de son esprit , par l'amé-
nité de ses mœurs et par la géné-
rosité de son caractère. Outre son
siège, il jouissait de quatre abbayes.
P-C— T.
RASTIGNAC ( ArmandAnn e-Au-
GUSTE - AlVTOmii-SlOAlUi; DE CuAPT
de), neveu du précédent, na([uit ,
RAS
1^5
(i) On a en innniiscrit un projet de cmisnrc <U'
riiistru tiou pn^torale, ifui aele truuvo ilciiis les pa-
piers cl<! l'tvc'qtic do Nitrie; dans ce projet il y J<
vin^t-ciiu] propusitiuiLS rangées sous sept titres dit-
fi vents, et avec dc> ndics attachées .uix propositions.
en 1 7'26 , au château de Laxion, dans
le Périgord. Il fît sa licence en Sor-
bonnc avec beaucoup de distinction,
prit le bonnet de docteur , devint ah-
bé de Saint-Mesmin d'Orléans , pré-
vôt de S^nt- Martin de Tours,
grand-archidiacre et grand-vicaire
d'Arles. Député du second ordre aux
assemblées du clergé de 1755 et de
1760 , il vota , dans la première ,
avec la majorité, sur la question du
refus des sacrements aux adversai-
res de la Bulle Unigenitus. Dans la
dernière , il se distingua comme
membre du bureau de jiuidiction ;
mais une discussion qu'il eut avec
le président le fit juger peu propre
à l'épiscopat , dont ou cherchait à
écarter les sujets qui ne paraissaient
pas assez disposés à se plier aux
vues de la cour. On lui offrit cepen-
dant le petit évêché de Tulle, que
l'on pensait bien qu'il n'accepterait
pas. Député aux états - généraux de
1789 , il siégea constamment au cô-
té droit de cette assemblée. Mais,
comme la faiblesse de son organe ne
lui permettait pas de paraître à la
tribune , il se borna à composer plu-
sieurs écrits savants et solides sur les
matières qui y étaient agitées avec
tant de chaleur. L'étude qu'il avait
faite, toute sa vie, de la science de
son état , et la connaissance des Lan-
gues anciennes , qvi'il possédait à
fond , lui donnaient pour cela une
grande lacilité. Voici la liste de ses
écrits : I. Question sur la propriété
des biens ecclésiastiques en France^
1789, in-8°. IL Accord de la révé-
lation et de la raison contre le di-
vorce , 1791 , i'i-8*'. , avec cette épi-
graphe tirée de Hincmar : « Il faut
» que les lois publiques soient chré-
» tiennes dans un royaumcchréticn;»
ouvrage plein de recherches , et oii
l'auteiir prouve l'incompétence de
1^4 RAS
l'assemblée nationale en celte matiè-
re. 11 y ajouta une Discussion curicu-
^e sur l'usage de la Pologne à cet
égard , et fil voir que le divorce n'y
est point autorise par la puissance
cccle'siaslique. III, Traduction de la
Lettre sjnodale de Nicolas , pa-
triarche de Co/tstanti?itiple, à l'em-
pereur Alexis Comnène^ sur le pou-
voir des empereurs , relativement à
l'érection des métropoles ecclésias-
tiques , avec de savantes notes, 1 790,
in -8°. Tous CCS ouvrages, solide-
ment écrits, font honneur à l'erudi-
tiou de l'auteur , à la sagesse de ses
principes. Ses mœurs douces , son
caractère honnête, lui avaient acquis
une grande considération dans le cler-
gé. Le 26 août 1792, il fut enferme'
à l'Abbaye, et fut massacre le 5 sep-
tembre suivant. Au moment où il al-
lait tomber sous le glaive des assas-
sins, il parut, avec l'abbé Lcnfant,
à la tribune d'une chapelle où beau-
coup de détenus étaient renfermés. Ils
« nous annoncèrent, dit M. de Saint-
» Bléard, que notre dernière heure
M approchait , et nous invitèrent à
» nous recueillir pour recevoir leur
» liénédiction. Un mouvement élec-
» trique nous précipita à genoux; et
» nous la reçûmes les mains jointes.
» L'âge de ces deux vieillards, leur
w position au-dessus de nous, la mort
» planant sur nos tètes., tout répan-
« dait, dans cet instant, une teinte
» auguste et lugubre. » T — D.
RAI lîERT. Foj ez Radbert.
RATCIIIS , roi des Lombards,
fils de Pcji'.mone, duc de Frioul , lui
succéda dans ce duché , en 73^. 11
se couvrit de gloire , deux ans après,
par des victoires sur les Esclavons
de la Cainiole. Les Lombards, lors-
qu'ils déposèrent liildcbrand, (ils de
Luilprand,(n744, ne crurent point
pouvoir choisir \ni chef plus illustre
RAT
pour l'élever sur le trône. On con-
naît peu les actions deRatchis , parce
que son avènement à la couronne est
l'époque à laquelle Paul Warnefiid,
historien des Lombards , termine
son récit. Seulement on sait qu'en
749, provoqué par les Romains,
qui avaient violé la trêve conclue
avec eux, il envahit leur territoire,
et vint mettre le siège devant Pérou-
se. Mais le papeZacharie, qui, dans
d'autres occasions , avait éprouvé
son crédit sur l'esprit de Ratchis ,
vint au-devant de lui ,à la tclc de son
clergé et des seigneurs les plus distin-
gués. Il employa tour-à-tour les priè-
res , les exhortations et les menaces:
il frappa l'esprit deRatchis; il ébran-
la son imagination , et non seule-
ment il obtint , pour les Romains ,
une paix avantageuse , mais il enga-
gea le monarque , avec sa femme
Tasie et sa fille Ratrude , à renoncer
au monde , à suivre le pontife à
Rome , et à recevoir de lui l'habit
religieux. Ratchis alla s'enfermer au
couvent du mont Cassin , où une vi-
gne , qu'il cultivait de ses mains ,
conserva long-temps son nom. Les
deux princesses fondèrent , à Piom-
baruola , près du mont Cassin, uu
couvent de femmes , où elles se con-
sacrèrent à Dieu. Astolphe, frère de
Ratchis, lui succéda sur le trône ;
mais lorsque Astolphe mourut, en
750 , et qu'un étranger , Didier , pré-
tendit recueillir la succession que
Ratchis avait abdiquée , ce moine
sortit de son couvent , rassembla
une armée, et revendiqua ses droits.
Didier invoqua les secours du pape
Etienne 11 , et le décida en sa faveur,
eu lui promettant la lestitution des
villes de l'Exarcat. Etienne , en
cfiet , écrivit à Ratchis , pour lui
leproclier d'avoir rompu ses vœux;
et rc moine royal , docile à la voix
RAT
du pontife, rentra dans son couvent,
d'où il ne sortit plus. S. S — i.
RATCLIKF ( Raout. ) , issu d'une
ancienne famille du nord de l'An-
gleterre , fut clcve dans l'université
d'Oxford. Le goût qu'il y contracta
pour la littérature, lui fit obtenir
une place de re'gent dans un des col-
lèges de l'université , et le décida à
se livrer entièrement à cet état. Lors
de la suppression des Carmes de
Hitchit) , dans le comte' d'Here'fort,
en i538 , il e'tahiit , dans leur cou-
vent, une école' qui devint fameuse
par les exercices classiques et litté-
raires qu'il y donna j leur c'clat y
attira de nombreux élèves des fa-
milles les plus distinguées. A sa
mort , arrivée en i553 , il laissa une
grande fortune qu'il avait acquise
dans sa profession. La plupart de
ses ouvrages sont des Pièces de tlièâ-
tre , des Poèmes , des Harangues ,
pour les exercices de son coiie'ge.
On cite parmi les Corae'dies : Di-
ves et Lararns ; — l'Homme pa-
tient;— V Amilié de Titus et de
Gesippus ; — le Mélibëe de Chau-
cer. Parmi les Tragédies : les yJfjlic-
tinns de Job ; — Susanne délivrée
des Tnains des vieillards ; — V In-
cendie de Sodome ; de petits Poè-
mes : Pus,na noniinis et verbi. T-D.
RATDOLT ( Erhard ) , célèbre
imprimeur, né à Augsbourg, vers
le milieu du f,iiiuziènie siècle, tient
une place distiu^uce dans l'histoire
de l'art typogiapl'iqnc, pour y avoir
introduit di(rércii(0'> -améliorations,
entre autres l'usage d'imprimer ,
avec le texte, les figures de mathé-
matiques (i). Il s'établit d'abord à
(l) RatdoU ii'finj)I„v;nlqiie des i.I.-,„<,l..s en h..;,;
mais M. Finiiiii Didut est parTcnn, en i8o(>, A îm-
Vniner des plarxjlics gravées en taille-doiicc ,sous la
presse lyi>ogia,,liiqi,e , en même temps <pie le Icite.
Voy. lÉ la fin de sa tiad. des B„rnl,,/ucf de Virgile
>ine niilc sur ce n'nrveau prucede , p. 2G3.
RAT
120
Venise ; et il y publia , depuis 14^6
jusqu'en 1487 , en société, ou seul,
plusieurs éditions comparables à
celles des meilleurs imprimeurs de
cette ville , soit pour la beauté des ca-
ractères, soit pour la bonne distribu-
tion des parties. 11 revint ensuite
dans sa patrie, où il continua d'exer-
cer son art avec succès , jusqu'en
i5o5. On conjecture qu'il mourut
vers la fin de celle année. Le premier
ouvrage sorti des presses de Hatdolî
est le Kalendariitm de Regiomou-
tanus, 1476, iu-fol. ( F. Muller ,
XXX, 383.) Cette édition est dé-
corée d'un titre qui paraît avoir don-
né l'idée des frontispices que l'on
voit aujourd'hui à la tête de chaque
volume ; et Prosper Marchand pense
que l'on doit encore à Ratdolt la ma-
nière d'imprimer les leltres grises ,
les fieurons et les vignettes , qu'on
n'exécutait auparavant qu'au pin-
ceau, et avec beaucoup de temps et
de peine. Ce fut en i 482 , qu'il mitau
jour l'édition d'£'i/cZiV/e, la première
de cet auteur ( F. Euclide ) : il
tira quelques exemplaires avec une
encre qui imite la couleur de l'or; et
les amateurs du merveilleux en ont
conclu que Ratdolt se servait de ca-
ractères de ce métal ( F. le Diction.
Bibliolog. de M, Pcignot, m , 82 ).
Ratdolt s'est particulièrement occu-
pé de l'impression d'ouvrages de mu-
sique , de mathématiques et d'astro-
nomie; mais c'est à tort que quelques
écrivains l'ont fait auteur de VEx-
positio Jlonnn astrologiœ Apoma-
saris , sortie de ses presses , en
1488. Mailtaire adonné, dans ses
Annal, tjpograph. , la notice des
éditions de cet habile imprimeur ; et
ProsperMarchandl'acompIétéedans
nue note du curieux article qu'il a
consacré a Ratdolt dans son Diclion-
naire historique. VV s.
19.6
RAT
RATICri ( WoLFGANG ) , institu-
teur allemand, né en i57 1 , à Wuls-
ter dans le pays d'Holstein , étudia
d'abord la théologie • mais le désir
d'améliorer les méthodes d^enseigne-
mcnt lui fit entreprendre des voya-
ges en Angleterre et en Hollande. De
retour en Allemagne , il se présenta
auprès des gouvernements de plu-
sieurs petits étdts , et sollicita des
moyens pour exécuter ses projets sur
l'enseignement perfectionné. Il s'en-
gageait à apprendi'e aux élèves, dans
l'espace d'un an , le latin , le grec et
riiébren , sans les fatiguer par de
longues séances , par des dictées, des
efforts de mémoire, et des grammai-
res embrouillées. Ces belles promes-
- ses engagèrent plusieurs personnes
puissantes à lesoutenir;maislerésul-
tat ne répondit point à leur attente.
Après avoir erré dans plusieurs états,
promettant toujours plus qu'il ne
pouvait tenir , Raticli vint s'établir
■ à Erfurt , et il y mourut, le 27 avril
i6?>5. 11 paraît qu'il n'a rien publié
sur sa méthode ; mais on en peut
voir un aperçu assez détaillé dans
le Poljhistor de Morhof ( tome i ,
V. 45 1 ), qui convient que ce procédé
n'est point à mépriser, pourvu que
l'on trouve un précepteur doué d'as-
sez d'intelligence et de patience pour
le mettre eu pratique. Voyez la No-
tice sur fV. lîatich ,t[)iir J. G. Fors-
tcr , Halle, 1782 , in-S". , en alle-
mand. D G.
RATRAMNE.moinedel'abbayede
Corbie,se rendit célèbre , au ix'"*-'.
siècle , par le rôle qu'il joua dans
les disputes théologiques de cette
époque. 11 possédait une érudition ,
sacrée et jirofane , assez rare pour le
temps où il vivait. On voit parscsou-
vrages qu'il avait lu les Pères grecs ,
d'oi'i l'on conjecture qu'il savait leur
langue. Sun style est en général mcil-
RAT
leur que celui de ses contemporains ,
sur lesquels il l'emportait encore
par son talent pour la controverse.
Ou disputait alors avec beaucoup de
chaleur sur la manièredonlle corps
de Jésus-Christ est dans le sacrement
de l'Eucharistie ; ce corps qui , selon
les principes de la foi, est réellement
un corps humain par sa substance,
dont il diffère cependant par ses
qualités extérieures, tellement qu^on
peut dire que c'en est un , et que
ce n'eu est pas un, à divers égards ;
qu'en un sens , c'est le même corps
né de Marie , et qu'en un autre
sens , c'est un autre corps que Jé-
sus-Christ s'est fait lui-même par
sa parole ; qu'il est caché sous
des ombres et des figures , dont la
vérité est hors de la portée des
sens, et ne se découvre que par la
foi. Charles - le - Chauve , voulant
s'instruire sur cette dispute qui était
très-vive , chargea les principaux
théologiens de composer des traités
sur cette matière. Ratramne, le seul
dont l'ouvrage nous soit parvenu ,
soutint que le corps de J ésus- Christ ,
aperçu par les sens, est différent de
ce qu'il avait été sur la terre , et de
ce qu'il est dans le ciel. Paschase
Radbert , au contraire, disait qu'il
est le même dans l'Eucharistie que
celui qui est sorti du sein de la Vier-
ge. Chacim avalises partisans. Tous
étaient d'accord sur le fond du dog-
}ne , qui est la présence réelle et
substantielle; ils ne différaient que
sur la manière de l'expliquer. L'ou-
vrage du moine de Coibie, reste'
long-temps inconnu, fut cite pour la
première fois, en iSaG, par Fi-
shcr, cvcque de Rochestcr, cœUrc
OEcolampade.Mais comme l'autcui"
s'embarrassait quelquefois dans des
expressions obscures et .".mbigucs ,
les Zuinglicns s'en prévalu.reiit con-
RAT
trc la présence réelle et contre la
transsubstantiation : ils en multipliè-
rent les éditions et les traductions;
la première édition fut donnée , en
i532 , à Cologne , avec une préface
de Léon de Jiida. Ce traité trouva
des censeurs sévères parmi les catlio-
1 iques , qui en attaquèrent la doctrine
et l'authenticité. On le supposa fa-
briqué par les Prolestants ; et le tri-
bunal de censure établi par le con-
cile de Trente, le relégua daus la
classe (Tes livres prohibés. Mais D.
Mabillon en ayant découvert deux
exemplaires avec le nom de l'auteur,
l'un de huit cents ans, c'est-à-dire,
du siècle même où vivait l'auteur ,
de savants théologiens , tels que
Sainte-Beuve, Arnauld, Jacques Boi-
leau et autres , s'attachèrent à lever
toutes les difficultés qu'on avait for-
mées contre l'orthodoxie de l'ouvra-
ge. Il en avait paru, en 1673, à
Rouen, une édition latine et françai-
se, précédée d'un long avertissement
qu'on attribue à Allix, erreur dans
laquelle nous sommes tombés nous-
mème , à l'article de ce ministre. Ou
la donne comme une nouvelle édi-
tion de celle qu'il avait, dit-on , pu-
bliée en 1647, ^'^^^^^ '^"^ même ville,
sans faire attention qu'il n'avait guè-
re alors que six ou sept ans. Il est
bien vrai que celle de 1678 est inti-
tulée seconde édition; ce qui ne peut
se rapporter qu'a celle qui avait
paru l'année précédente à Roucjî.
Ou lit d'ailleurs, dans l'avertisse-
tnent, que c'est une nouvelle traduc-
tion faite sur le texte , revu et corri-
gé. D. Ccillicr pixiteud avoir eu sous
les yeux l'éilitiou de 1(378, portant
sur le frontispice , qu'elle se vendait
j^ à Grenoble chez Dumont ; mais il
. n'y a rien de semblable dans l'édition
de 1678, où l'on voit qu'elle a élc
inanimée jxir Jean Lucas , demeu-
RAT 127
rant à Rouen , et qu'elle se vend à
Quevillj. Comme, dans l'avertisse-
ment, il est parlé de la réponse d' Al-
lix aux Dissertations d' Arnauld sur
Ratramne, on en a conclu que ce
ministre était l'auteur de la traduc-
tion. On aurait bien dû s'apercevoir
qu'il y est cité comme différent du
traducteur. Les infidélités palpables
qui déshonoraient les éditions et les
traductions publiées par les Protes-
tants , engagèrent le docteur Boileau
à en donner une nouvelle, en 1686,
ini2, sur deux colonnes, l'uncpour
le latin et l'autre pour le français ,
d'après les deux manuscrits de D.
Mabillon. Elle avait en tête une sa-
vante préface, pour c\\ venger l'au-
thenticité et l'orthodoxie. Casimir
Oudin rapporte que M. de Harlay,
archevêque de Paris, voyant que les
Calvinistes continuaient à s'en pré-
valoir , fit retirer les exemplaires
de la circulation , quoiqu'elle eût été
généralement bien reçue des savants.
Boileau se borna donc, en 1712, à
faire réimprimer le texte, avec une
Dissertation et des Notes pour réfu-
ter Hopkins , qui, à la tête de sa tra-
duction anglaise, avait attaqué Ictra-
vail du docteur français. Les Pro-
testants ont donné, en 1717, une
édition à Amsterdam , en latin et
en français, avec une traduction de
la Dissertation de Hopkins. A la
suite de cet ouvrage on trouve dans
plusieurs éditions, un petit traité de
la Prédestination , composé de mê-
me par ordre de Charles-le-Chau-
ve, à l'occasion des disputes qui
existaient alors sur ce laystère. Ra-
tramne y soutient la prétlestination
des élus , et en conséquence celle des
réprouvés. Ce traité fut publié pour
la preniièrc fois , en iG5o, par
le président Mauguin , d'où il pas-
sa dans le xv**. tome de la Bi-
iiS
RAT
L'iiollièque des Pcros. Hincmar l'a-
vait attaque, clans un ouvrage dont
il ne nous reste que la préface. D.
d'Aclieri a insère , dans le premier
volume du Spicilége, un troisième
écrit de Ratramne, sur V Enfante-
ment de la Sainte- Fierge, où l'au-
teur combat avec beaucoup de viva-
cité ceux qui soutenaient que Jésus-
Christ n'est pas sorti du sein de sa
mère par la voie naturelle de la gc-
néralion, mais par une voie mira-
culeuse; question plus curieuse qu'u-
tile , agitée alors avec beaucoup de
chaleur. Celui de tous ses ouvrages
qui fut reçu avec le plus d'applau-
dissement , et qui n'eut point de con-
tradicteurs, est son Traitécontre les
Grecs. Il y établit solidement la pro-
cession du Saint-Esprit. Il l'avait
composé à la prière des évoques de
la province de Reims , pour combat-
tre les partisans de Photius. Ou le
trouve dans le second volume du
Spicilége. Le Masson a publié, dans
lesixiJrac tome de V Histoire criti-
que àc la république des lettres, une
Dissertation de Ratramne, sur les
Cjnocéphales , prétendus hommes
à deux têtes, dont les cris ressem-
blaient à l'aboiement des chieus.
L'auteur pense que ces monstres ap-
partenaient plutôt à la race des hom-
mes qu'à celle des animaux : mais
des modernes croient qu'il s'agit des
habitants de la Laponie, défigurés
par les relations de quelques voya-
geurs. Cette Dissertation a été réim-
primée dans le Recueil de Casimir
Oudin , avec d'autres pièces sur le
même sujeL-Parmi les autres écrits
de cet auteur qui ne nous sont point
parvenus, on dont on n'a que des
iVagmciils,!! yen avait nu ]iour la dé-
fense de celte strophe : Te TritiaJJei-
tas^ d'une ancienne hymne des mar-
tyrs, (|ui a été adoptée dans une de
RAT
celles de la fête du Saint-Sacrement.
L'auteiu' y réfutait Hincmar, (pii
prétendait que cette strophe établis-
sait trois dieux dans le mystère de la
Trinité, et qui voulait qu'on substi-
tuât le mot Sancta à celui de Trina.
Gotescalc avait composé nue pièce
de vers à l'éloge de Ratramne. T-u.
RATSCHKY (Joseph-François),
poète allemand, né à Vienne, en
1757, fut employé, en sortant de l'u-
niversité de sa ville natale , à l'oc-
troi, et ta l'inspection du marché au
bétail. Les poésies qu^il fit paraître
dans ces humbles emplois, atlii'èrent
sur lui Tattention des littérateurs ;
Boni et Sonnenfels le recommandè-
rent à la faveur de Joseph II. Ce
prince éclairé îe tira, en eifet, de ses
fonctions obscures. Il le plaça d^a-
bord, en 1783, dans la chancelleiie
impériale , et Tenvoya dans la même
année , avec le conseiller aulique de
Margelik, en Galicie etLodomérie,
pour y examiner et améliorer Tctat
de l'administration publique. Le rap-
port que Ratschkv adressa , après
son retour, à l'empereur, satisfît plei-
nement ce monarque, et valut à l'au-
teur une gratification. Un Poème
contre la démagogie et la démo-
cratie, qu'il publia, sous le titre de
Melchiur Striegel, Vienne, 1794
( réimprimé à Leipzig , 1 799 ) , aug-
menta encore son crédita la cour :
deux ans après ,iî fut nommé secré-
taire aulique, et commissaire auprès
de radiniiiislratioudela loterie, con-
seiller auliqr.e à la régie d(ts tabacs,
enfin conseiller d'état à la section de
l'intérieur. Dans tous ces emplois, il
montra une gtande aptitude aux af-
faires , beaucoup d'exactitude et
d'intégrité. Mais sa verve parut s'a-
faiblir depuis qu'il fut devenu liom-
njc public. 11 n'osa plus fronder
avec la méiue franchise les vices
RAT
domina nls , ni s'cspiimer avec la
même cnerj^ie. Aussi le premier Re-
cueil do SCS poésies, publie' à Vien-
ne, en 1785, et réimprime en 1791,
est prëfe'rable au second , qui parut
en 180.5. Ralschky avait une gran-
de facilité : sa veraification est exac-
te et naturelle; il a composé de jo-
lies romances , des épîtres plus ou
moins satiriques , dos chansons fai-
tes pour devenir populaires. Pai-mi
ses Odes , on distingue celle qu^il
fit sur Tesplosion du dépôt des
poudres à Vienne. Il a rédigé TAl-
raanach des muses Viennoises , de-
puis 1777 jusqu^en 1796; il y avait
travaillé en commun avec le poète
Blumauer, depuis 1780. Il écrivit
aussi pour le théâtre ; et il a fourni
des articles littéraires k plusieurs
ouvrages périodiques. Sa conversa-
tion était reclierchée, à cause de ses
saillies. 11 est mort le 3i mai 18 10.
D— G.
RATTE ( Etienne - Hyacinthe
DE ) , astronome, naquit en 1 72'i , à
Montpellier , d^une famille noble ,
originaire de Bologne , et connue
depuis le douzième siècle. Il mon-
tra , de bonne heure, un goût décidé
pour les sciences , et en particulier
pour les mathématiques , les étudia
toutes avec la même ai'deur , et
c'tonna bientôt les savants par ré-
tendue et la variété de ses connais-
sances. Admis, en 1741 ,àracadémie
de Montpellier, par une dispense
d'âge , il en fut nommé , l'année sui-
vante , secrétaire perpétuel ; place
qu''il remplit avec autant de zèle que
de succès , jusqu^à la suppression des
académies. La fameuse prédiction de
Halley sur le retour de la comète de
i68u ( r. Halley , XIX , 33<) ) ,
décida sa vocation pour l'astrono-
mie. Il voulut participer à la recher-
che de cette comète, et il la dccou-
RAT
109
vrit en eiTct , l'un des premiers , à sa
sortie des rayons du soleil. Depuis,
il observa en 17(31 , le passage de
Vénus, qui servit de base à ses im-
menses calculs sur la parallaxe du
soleil ; et il (it un grand nombre
d'observalioîis des past^ages de Mer-
cure, des éclipses, des satellites de
Jupiter, et des occultations d'étoiles.
Après !a mort de son père, en, 1770,
De Ratte , sur les instances de sa fa-
mille , se fit recevoir conseiller à la
cour des aides de Montpellier , et il
en exerça les fonctions de la manière
la plus disîingue'e, jusqu'à la suppres-
sion de ces tribunaux. Pendant la
terreur , il fut enfermé comme sus-
pect ; et peu s'en fallut qu'il ne
grossît le nombre des savants qui
périrent à cette époque sur Técha-
faud. Dès qu'il eut recouvré sa liber-
té , il se réunit à quelques amis des
sciences , pour rétablir l'ancienne
académie, sous le nom de Société li-
bre ; il en fut nommé , le premier ,
secrétaire perpétuel , et bientôt après
président. L'Institut de France s'em-
pressa de s'associer De Ratte; et plus
tard , il fut décoré de l'étoile de la
Légion-d'honneur. Il avait joui, dans
tout le cours de sa vie, d'une santé
que rien ne semblait pouvoir altérer :
il fut attaqué d'une rétention d'urine,
à la suite de laquelle survint une fiè-
vre qui l'enleva, le i5 avril i8o5 ,
à Tâge de quatre - vingt - trois ans.
Outre nn grand nombre d'articles
importants dans le Dictionnaire en-
cyclopédique, tels queFroid, Glace^
Gelée, etc.. De Ratte a publié , de
1766 à 1778, les Mémoires de la
société royale deMontpellier y qu'il
a enrichis des Eloges des membres
de cette compagnie , et de plusieurs
Dissertations intéressantes. Ses Ob-
servations astronomiques ont été re-
cueillies par M. Honore de Flau-
9
i3o
RAT
gorgues , son ncvcn, qui promet d'en
faire jouir le monde savant. On pont
consulter , pour de plus grands dé-
tails , VEloge de De Balte , par
Poitevin, Montpellier, i8o5, in-4''.
de 32 pag. Lalande en a donne' l'a-
nalyse dans V Histoire de V astrono-
mie pour i8o5. V. Magasin encj-
clopédique , 1806, 1 1 , 102. W — s.
RATTI ( Je AN- Augustin), pein-
tre , naquit à Savone , en 1699.
Après avoir e'tudie quelque temps la
peinture dans sa ville natale , il se
rendit à Rome , où il se mit sous la
direction de Benoît Luti. Doue d'un
caractère plein de gaîtc , il se fit une
réputation par ses tableaux de mas-
carades , de disputes^ de danses ^
etc., ainsi que par ses caricatures ,
que les amateurs recherchent soi-
gneusement. Son maître le regar-
dait, en ce genre, comme un des
meilleurs artistes de l'Italie, et il le
mettait au même rang ([ue le Ghezzi.
Mais son talent ne se bornait pas à
ce genre secondaire : il pei^^nait l'his-
toire d'une manière distinguée, com-
me on peut s'en convaincre par les
grandes compositions qu'il a esëcu-
te'es dans l'église de Saint-Jean, à Sa-
vone , et parmi lesquelles on loue
particulièrement une DécoUation de
saint Jean , qui fait partie d'une
suite de sujets tire's de la vie du saint
pre'curseur. 11 en est de même du ta-
bleau que l'on voit à Gènes dans
l'éj^lise de Sainte-Thérèse, tableau où
l'on reconnaît un disciple habile de
Luti. Il peignait aussi la Irescjucavec
succès; et il existe, dans le chœur des
Conventuels de Casai , nue perspec-
tive de INalali , de Crémone , qu'il a
orne'c de figures qui lui font un hon-
neur infini. IMais c'est dans les ta-
bleaux plaisants cpie son talent se ma-
nifeste cnlièrcMiient. Il avait, pour ce
genre de peinture, une imagination
RAT
vaste , féconde et ine'puisable en su-
jets nouveaux. Il a aussi gravé à
l'cau-forle quelques caricatures de sa
composition, recherchées par lesama-
teurs. Il mourut a Gènes , en 1775.
— Le chevalier Charles - Joseph
Ratti , fils et élève du précédent , na-
quit à Gènes vers l'an 1735. Quoique
avec moins de talent que son père, il
fut un des bons peintres de son temps,
ftlengslefit nommer directeur de l'a-
cadémie de Milan , et se l'adjoignit ,
ainsi que Pompeo Batloni, pour pein-
dre le Palais-Royal de Gènes. Pendan t
nn séjour de quatre ans , qu'il fit à
Rome , il n'eut pas d'autre maison
que celle de Mengs , sous la direction
duquel il exécuta plusieurs ouvrages
qui eurent beaucoup de succès : il esî
vrai que cet habile peintre y avait
mis la main. C'est surtout comme
copiste que Ratti se distingua ; et
Mengs voulut, à tout prix, acquérir
une copie du saint Jérôme du Cor-
rège , que Ratti avait faite h Parme.
Le pape Fie VI le nomma directeur
de Vacadem'iG Ligustica , et lui donna
la croix de chevalier. Ratti est connu
également par quelques écritssurson
art, dont voici les litres : I. Nolizie
stOriche sincère intorno la vit a e le
opère del célèbre pittore Antonio
Allegri da Corregin , Final , 1 78 1 ,
in-8°. Cet ouvrage fut publié sous le
nom de Mengs , qui se contenta d'y
faire quelques légères corrections.
II. Délie vile dé' pillori , sculloried
archilctli GejiOi'e.n. Cette a'uvre])0s-
ihume de Soj)rani n'allait que jus-
qu'à l'année i6(>7 , époque de la
mort du Torre ; Ratii le continua , et
en publia une seconde édition, qu'il
corrigea , augmenta et eniichil de
Notes. III. hlruzione di qiianlu pub
vcdersi di più hello in Gencva , in
jiitlura , scoltura cd architeltura ,
(jones , 1780, in-8". IV. ^ita del
RAT
Cav. Rnff. Menp;s , 1779. Le cliev.
Ratti est mort à Gènes, en 1 795. P s.
RATZ DE LANTHENÉE ( Le),
gentilhomme liégeois, et mathémati-
cien au dix-huitième siècle , est resté
si obscur, malgré ces titres, qu'au-
cun bingraphe ne donne de détails
sur sa vie. La France littéraire, en
1756 , lui consacra un article, qui
n'a point été conservé dans les édi-
tions de 1759, ni dans les postérieu-
res, demanière qu'on ne connaît point
la date de sa mort. Formey n'a fait
que copier ce qu'en dit la France lit-
téraire àe I 756. On a de Lanthenée :
I. Eléments de géométrie j i738.
in-8". ; ouvrage écrit avec une clarté
remarqr.able , et sur lequel on peut
voir les Mémoires de Trévoux , mai
1789, p. 41 5. IL Lettre à BI.de
Voltaire sur son écrit intitulé : Ré-
ponse aux objections contre la phi-
losophie de Kewton , 1739, in -8°.
in. Examen et réfutation de quel-
ques opinions sur les causes de la
réflexion et de la réfraction , répan-
dues dans l'ouvrage de M, de Baniè-
res contre la philosophie de Newton;
avec un essai sur l'impulsion appli-
quée aux phénomènes delà luuiière,
et quelques autres attribués àrattr-ic-
tion, Paris , Chaubert , 174^ > in-S".
de 5o pages. Jean Baiiicres , zélé
cartésien, avait publié un volumi-
neux Examenet réfutationdes Elé-
ments de la philosophie de Newton^
où il disait que chaque corps est en-
veloppé d'une atmosphère particu-
lière qui produit la réflexion et la
réfraction de la lumière. C'est cette
opinion que Le Ralz combat dans
son Examen : quant à V Essai sur
l'imindsion qui le suit , il décla-
re ipie ce sout les idées d'une autre
personne , et qu'il n'en est que le ré-
dacteur.TV. Nouveaux essaie dephy-
siqiie , 1 750 , in- l'i. A. B — t.
RAU
i3i
RAU, en latin Ravws (Chris-
tian), savant orientaliste, né, le 25
janvier i6o3, à Berlin, était fds d'un
pasteur de cette ville. Dans son en-
fance, il fut al teint d'une maladie con-
tagieuse qui causait de grands ravages:
on le crut mort , et toutes les disposi-
tions étaient prises pour son enterre-
ment , quand sa mère s'aperçut qu'il
conservait encore quelques restes de
vie; et, grâces aux soins maternels,
il fut rétabli promptement. Ses pre-
mières études furent marquées par
de grands progrès. A dix -sept ans,
il fut envoyé à l'université de Wit-
temberg, où il fit son cours de théo-
logie, et se perfectionna dans la con-
naissance des langues anciennes. Il
étudia, dans le même temps, la lit-
térature orientale. Le défaut de for-
tune l'obligea de donner des leçons
particulières pour subsister j et, dès
qu'il eut reçu le degré de maître-ès-
arts, il soutint des thèses, et pro-
nonça des sermons dans différentes
églises. Loser, maréchal de la cour
de Saxe , qui l'avait entendu prêcher,
lui fit une pension. Encouragé par
ce succès , il partit pour Hambourg,
visita la Suède et le Danemark, oa
il trouva de généreux protecteurs ,
et se rendit à Amsterdam, où il sui-
vit les leçons du célèbre Vossius, et
ensuite à Leyde, où il apprit l'ara-
be, de Golius. Il fit part à quelques
savants, qui lui temcignaicntde l'in-
térêt, de son dcsirde parcourir l'O-
rient. Sur leur recommandation, il
fut nommé secrétaire de raïubassa"
deur de Hollande à Coiistanlinoplc.
Avant de partir pour sa destination,
il fit le voyage de Londres, pourvoir
le fameux Edouard Pocock ( F. ce
nom ), dont il n'eut pas de peine à
g.igner l'amitié, et qui lui procura
les moyens de passer, en iG39, ^•'"■''
le Levant, sur un bâtiment anglais.
9-
i32 RAU
A son arrivée à Smyrne , il étudia
Tes langues les plus usuelles dans
l'Orient , et il apprit , eu fort peudc
temps , le turc , le persan, l'italien,
l'espagnol et le grec vulgaire. Pen-
dant son séjour dans cette ville, il
reçut du savant Uslier , primat d'Ir -
lande, le brevet d'une pension, et une
somme considérable destinée à l'ac-
quisition de manuscrits. Il rejoi-
gnit à Constantinople son ami Po-
cock, qui le plaça chez l'ambas-
sadeur d'Angleterre, dont la protec-
tion lui fut très - utile. En 1641 ,il
visita, dans la compagnie de quel-
ques seigneurs anglais, une partie de
la Haute- Asie; et il avait le projet
de pénétrer dans la Perse : mais il
fut obligé de se rembarquer précipi-
tamment pour l'Angleterre, où il rap-
porta plus de deux mille manuscrits
en toutes sortes de langues , dont plu-
sieurs rares et précieux. On le pres-
sait d'entreprendre un second voya-
ge: mais il avait besoin de repos; et,
après avoir enseigné quelque temps
l'arabe au collège de Gresham en
1042, il retourna en Hollande. H
obtint, en i644) une chaire de lan-
gues orientales à Utrecht ; et ses ap-
pointements furent portés successi-
vement jusqu'à six cents florins. Ce-
pendant il ne tarda pas de quitter
cette ville pour Amsterdam; et, en
1O47, ^' ï'cvint à Londres. Chargé
d'abord de donner des leçons , deux
fois la semaine, aux jeunes ecclé-
siastiques , dans le palais de l'évêque,
il fut ensuite nommé professeur dans
un des collèges d'Oxford , et chargé
de la bibliothèque et des archives de
l'université. Quatre ans après, sur
l'invitation de la reine Christine , il
vint professer l'arabe à l'académie
d'Upsal. A son arrivée, cette prin-
cesse lui fit présent de mille florins,
avec lesquela il acheta l'imprimerie
RAU
hébraïque de Manassès ben Israël.
Après l'abdication de Christine, le
roi Charles-Gustave appela Rau à
Stockholm , le nomma son biblio-
thécaire, et l'employa comme inter-
prète; mais, sur sa demande , il lui
permit d'aller reprendre ses fonc-
tions à l'académie d'Upsal. Il s'oc-
cupait alors d'une Chronologie de
la Bible , et il employait tous ses
loisirs à perfectionner un ouvrage
sur lequel il fondait sa réputation.
A peine l'eut-il publié , que Rau se
vit attaqué de toutes parts. Ne se
sentant pas assez fort pour résis-
ter à cette foule d'adversaires , et
voyant d'ailleurs que les honorai-
res qu'il recevait eu Suède étaient
insuffisants pour subvenir aux be-
soins d'une nombreuse famille , il
accepta la chaire qiv'on lui offrait à
Kiel. Il tenta, de concert avec Was
muth , d'établir en cette ville un col-
lège pour les jeunes gens destinés
aux missions orientales; et il se pro-
posait d'entreprendi-e lui-même de
convertir les Juifs : mais , sur ces
entrefaites, il fut rappelé par l'élec-
teur de Brandebourg, son souverain,
qui le nomma professeur d'arabe à
Francfort sur-l'Oder. Il prit posses-
sion , en 167'J, de cette chaire, qu'il
remplit aA'ec beaucoupdezèlejusqu'à
sa mort, arrivée le ui juin 1677.
Rau était un homme franc, ouvert,
obligeant, d'une simplicité antique
et d'un courage admirable dans l'ad-
versité; mais il avait trop de pré-
somption et de susceptibilité. Parmi
ses ouvrages , dout on trouvera les
titres dans le Trajeclum erudilum
de Burmann , et dans le Dictionnai-
re de Chaufcpié , on se contentera
de citer les plus remarquables : I.
De scribendo lexico arabico-latino
X)wcT(a£io, Utrecht, i(j43, in-4°.;
volume rare, tlont Jourdain donne
ftAÛ
Tlne description détailldc , dans le
Moniteur du lo août i8ia, p. 877,
eu rendant compte de la Biblioth.
arabica de Schnurrer. II. Panegy-
rica prima et secunda linguis orien-
talihus dicta ^ ibid., i644 , in " 4°v
ce sont deux harangues que Rau pro-
nonça à l'ouverture de son cours.
m. Obtestatio ad universarti Eu-
ropam pro discendis rébus et linguis
orientalibus , ibid. , i644? ^^ " f^'*
IV- Spécimen lexici arabico-persici
latini, Leyde , i645 , inconnu à
Schnurrer, mais cite par Adelung ,
Miihridat. , i , 282. V. Oithogra-
pjiiceet analogiœ vulgu etjmologiœ
ebrdicœ delineatio juxtà vocis par-
tes abstractas , Amsterdam , i64fi,
in - 4*^. Rail prëleiid que l'hébreu et
la pUipart des langues de l'Orient ne
sont que des dialectes d'une seule et
même langue. VI. Primcc tredecim
partium Alcorani arabico - latini,
versiones geminœ . etc. , ibid., 1646,
in - 4'^- Cet essai de traduction de
l'Alcorau est très-rare ( Voy. Vogt,
Catal. libror. rarior.) Le texte ara-
be, sans voyelles , y est imprime' en
caractères européens ( latins majus-
cules, minuscules, grecs), d'une ma-
nière qui se rapproche assez du pro-
cc'de' propose' depuis par Voluey.
Outre la version littérale interline'ai-
re, Ran y ajoute une espèce de Tda-
sore, dont ou peut voir la des-
cription dans Kl Biblioth. arab. de
Schnurrer. L'ouvrage est termine'
par un Catalogue de deux cent soi-
xante-un manuscrits arabes de la bi-
bliothèque de l'Escurial. VII. Ses-
quidecuria epistolarum adoptiva-
riim ex variis orbis partibus com-
missanim circà orientalium studio-
rum promovendorum curam , Lon-
dres, 1648, in- 12. VIII. A gênerai
Grammar , c'est-à-dire. Grammaire
gc'nc'ralc des langues hébraïque , sa-
RAU
i33
maritaine , chaldaïque , syriaque ,
arabe et e'thio])iqiie , ibid., iG5o,
in- 12. IX. Spoliuni Orientis , chris-
tiano urhi dicatum , seu Catalogus
400 codicum orientalium in omni
scribili , etc. , Kiel , «669, in - 8".
C'est le Catalogne d'une partie des
manuscrits que Raa avait rapportés
du Levant, et dont il cherchait à se
défaire. 11 y en a plusieurs qui font
partie aujourd'hui de la bibliothèque
de Berlin. X. La Traduction latine
des V, VI , vii'^. livres des Coniques
d'Apollonius de Perge , d'après une
version arabe, ibid-, 1GG9, in - S*'-
Rau ignorait que le savant Abraham
Echellensis avait déjà publié ces trois
livres {V. Apollonius). XI. Ad
Dei summi honorem et sacri fontis
hebrœi gloriam ex eodem , unica,
vera et infallibilis Chronologia bi-
blica, ibid., 1670, in-fol. Rau s'est
livré, dans cet ouvrage, à des con-
jectures très-hardies, et il donne les
écarts de son imagination pour des
règles certaines de critique. Son sys-
tème, vivement combattu par Abrah-
Calov , ÎMagnus Celsius et d'autres
savants, et proscrit dans la Saxe,
est maintenant oublié. Il plaçait la
naissance de Jésus - Christ à l'an du
monde /{i^o, et publia, de 1670 à
1676, neuf ouvrages ou opuscules,
tous in-fol. , pour soutenir sa Chro-
nologie.— Un autre Christian Rau,
professeur en droit à Leipzig , sa pa-
trie , où il est mort le 22 janvier
1818, âgé de soixante-quatorze ans,
a publié , de 1 768 à 1 807 , une tren-
taine d'Opuscules , presque tous eu
latin. Nous indiquerons seulement
ici les deux suivants, parce qu'ils
tiennent à l'histoire littéraire : I. De
Claudio TrjpJionino Je. romafw ,
Leipzig, 17G8. II. De variis Sa-
iurninis jureconsultis , ibid . , 1791,
iu-4-. W— s.
iS/t
lUU
RAU (Jj- an-Jacques ) médecin ,
naquit en i668,à Baden,en Souabe:
ses parents , qui y faisaient un petit
commerce de vin, le placèrent, dès
l'âge de quatorze ans, dans laboutique
d'un chirurgien de Strasbourg, où il
n'était probablement occupé, selon
l'usage du temps ^ qu'à faire la barbe
et à repasser les rasoirs. Ses parents
crurent cependant, au bout de trois
ans, qu'il devait assez connaître la
chirurgie pour se suffire à lui-même.
Le jeune Rau fut envoyé à Ham-
bourg, et y trouva par hasard un
chirurgien nommé Fraven^ qui par-
tait pour Bergen , et qui le prit com-
me aide dans son service. Le climat
de la Norvège, qu'il ne put suppor-
ter, le força de s'embarquer pour
Amsterdam , où heureusement il fut
reçu comme chirurgien d'un vais-
seau de guerre, commandé par le
comte de Bentheim ; et il passaj de-
puis sur un autre vaisseau qui suivait
le prince Guillaume d'Orange en An-
gleterre. 11 réussit à faire quelques
épargnes; et dès qu'il fut de retour
en Hollande, il se rendit à Leyde,
et s'y consacra à l'étude de la méde-
cine avec une ardeur peu commune.
Après avoir passé quelque temps à
Paris , pour s'y exercer à l'anatomie
et à la chirurgie , il l'ctourna , en
1694 , à sa première université ;
et , le i3 mars de la même année,
il soutint , sur la génération des
dents, une thèse publique, qui lui
valut le bonnet de docteur. Rau fixa,
bientôt après, sa demeure à Ams-
terdam ; et son adresse pour les
dissections anatomiques engagea le
magistral de celte ville a lui accor-
der , en iG()0 , la ])erraissiun de
les faire publiijuemcnt dans l'am-
p!-.ithéàtre. Vers ce temps-là , une
espèce d'ermite, frère Jacques Beau-
lieu ( V. Baulox), se rendit à Aras-
RAU
terdam, pour y pratiquer sa nou-
velle méthode de tirer la pierre
de la vessie , ainsi qu'il l'avait fait
en France. Rau assista presque tou-
jours à ses opérations, s'empara de
ses idées, et le condamna bientôt
hautement comme se servant d'ins-
truments peu convenables. Quoique
le magistrat désapprouvât cette con-
duite , on ne put cependant nier la
justesse de ses critiques, qui furent
confirmées par des événements fâ-
cheux : le frère Jacques se vit dans
la nécessitéde quitter la ville ; et Rau
acquit l'emploi de lithotomiste, en
rectifiant la méthode de la taille
avec un succès extraordinaire. Au
rapport de Morand , il se bornait
cependant à suivre la méthode de
Celse, avec quelques modifications
dans la construction de la sonde. La
mort de Bidloo, à Leyde, le fît ap-
peler, en l'j i3 , à la chaired'anato-
mie de cette ville, où il se distingua
tellement par ses dissections , que le
grand anatomiste Albinus ne dédai-
gna pas de publier, en 1725 , un ca-
talogue de la collection que Rau avait
préparée. Eu 17 18, il parvint au su-
prême degré d'honneur, celui d'êlre
décoré du titre de recteur. IMais ,dan&
une chute qu'il avait éprouvée quel-
ques années auparavant , il s'était
blessé le pied; ce qui l'obligea au re-
pos, et, quoique robuste, altéra sa
sauté. Dcsdclires mélancoliques, dont
il avait déjà éprouvé des attaques
deux ans avant sa mort, s'emparèrent
de lui au mois de juillet 1719; cl il
y succomba, le 18 scpîenibic sui-
vant. Ce fut Bernard Albinus qui
prononça son oraison funèbre. Ce
médecin ne s'appliqua point à écrire ;
on n'a de lui que les deux pièces sui-
vantes : Epistolœ duœ de septo scro-
ti ad liiij^schium, Amslerdain ,
1G99, iu-4". — De mclhodu diicert-
KA.U
di analuineii , LeyJe , 1 7 » 3 , iu - 4'^'
C'est le discours qu'il prononça lors-
qu'il prit possession de sa chaire
d'anatomie. F— d — r.
RAU TSkuald- Foulques -Jean),
lliéoloj;icu et orientaliste hoU.iudais,
i^aquit à Utrcclit, en inGS. Dès l'â-
qe de quatorze ans, il se fit remar-
quer par un Discours où il comparait
les héros d'Homère avec ceux de l'A-
rabie. A scizeaus, il chanta, en beaux
vers latins, sa ville natale; à dix-
huit, il publia Spécimen arahicum,
contiiiens descriptioncm et e.rcerpta
libri Ahmedis Teufachii de geinmis
et lapidihus , 1 784. Le cours de ses
e'tudcs académiques fini dans les ex-
cellentes écoles d'Utrccht et de Ley-
de, il se consacra à la prédication fran.
çaise; en 1787, il fut nommé pas-
teur de l'e'glise walocnc de Harder-
wyck, et, l'année suivante , de celle
de Leydc. 11 joignit aux fonctions
pastorales la chaire dethe'ologie, et,
eu 1 790 , à la mort d'Everard Schei-
dius , la chaire de langues et d'antiqui-
te's orientales. Cette dernière nomi-
nation, mise à ne'ant en 1795 parsui-
tedu changement de rc'gime acade'mi-
que , fut rétablie , eu 1799, avec de
nouvelles attributions relatives à la
])oé5ie et à l'éloquence sacrées. Dans
i'aprcs-dîuce du 8 janvier 1807, la
ville de Leydc fat atteinte d'une ca-
tastrophe épouvantable , par l'explo-
sion d'un bateau chargé de poudre ,
qui eut lieu dans un de ses canaux
les plus fréquentés. Le bateau était
amarré divant la maison de Riu ,
laquelle devint, en un clin-d'œil, avec
im grand nombre d'autres, un mon-
ceau de ruines et de cendres. Ce pro-
fesseur n'était point chez lui dans ce
fiuieste moiucut; mais il accourut
avec précipitation, pour tâcher de
sauver dcdessous les dcbiis, uuopar-
licdcsa faïuillcqu'il venait du quitta'.
hAU
i35
Il y réussit, du moins pour quelques
individus , notamment jmur son
épouse et le seul enfant qui fût auprès
d'elle; mais sa bibliothèque, ses ma-
nuscrits (ses Sermons exceptés), sou
mobilier , tout fut perdu sans res-
source. Une heure après , Louis
Buouapartc , qui était alors roi de
Hollande , étant déjà accouru de la
Haye sur cette scène de dévastation,
Rauserenditrinlerprctedcladouleur
publique; et il obtint de généreux se-
cours. Il en fut , en même temps ,
comblé de distinctions personnel-
les , et créé chevalier de l'ordre
royal de Hollande. Il est des secous-
ses morales que l'on n'éprouve pas
impunément ; et Rau n'a sujvécu
que onze mois au terrible désastre do
Leyde. Il y mourut le i*^'. décem-
bre 1 807. Ou a de lui , outre les pro-
ductions déjà citées : I. Cinq Dis-
cours académiques , qui raérifeul d'ê-
tre distingués dans la foule de cette
sorte de compositions littéraires, sa-
voir : De eo quod jucunduin est in
studio theologico, Leyde, 1788; —
De Jesu - Chrisli ingénia et indole
perfectissimis , per comparationem
citm mgenio et indole Paidi apos-
toli illustralis , ibid, , 1798; — De
poëseos Ilebraïcœ prœ Arabum prit-
stanlid , tani veritatis quam divini-
talis religionis,in veteri codice sa-
cra Iraditcc, argumenta ^\hïd.,\Hoo;
— De poeticœ facuUatts excellen-
tid et perfeclione , spectatd in tri-
bw; poelarani principibus , scriplore
Jobi, Ilomero et Ossiuno, ibid. ,
1800 (Ces deux derniers Discouis
ont paru ensemble; et le premier est
accompagné de savantes notes). —
De naturd uptinid eloquenliie sa-
crre magisird, i8o6, in -4"- ^L
Sermons, en trois volumes, publiés
par Josué Teissèdre L'Ange, pas-
leur à Aiuslcrdam, et auteur d'une
1 3() RAU
très-bonne Ouaison funèbre de ce
savant , en hollandais. Raii a eu le
puis brillant succcs dans la carriè-
re de la prédication. A une figui-e
imposante , il alliait un bel organe.
Des connaissances étendues se re'u-
nissaient, chez lui, à beaucoup d'i-
magination et de seusibllitë. Il lais-
se pourtant quelque chose à désirer
( ce qui n'est pas étonnant ) du côté
de la diction française. Il tenait de
son aïeul et de son père une ho-
norable succession de mérite et de
célébrité littéraire. — Sou père, Se-
bald Rau, qui lui a survécu, était
professeur de langues orientales à
Utrecht, et se fit connaître, dès l'â-
ge de vingt-trois ans (en 1 74'j ), par
nue Diatribe de ejmlo funebri gen-
tibus dando, in-S»^.; ù a pubKé un
grand nombre d'Opuscules philolo-
j^iques et d'érudition lîébraïque, dans
quelques-uns desquels il discute les
Prolégomènes du P, Houbigant. —
Jeau-Ebcrhard Rau, père de Sebald,
était né, en i69'j!,danslepays deNaS'
SHu-Siegen. Professeur à Kerborn et
académicien de Berlin, il fut égale-
ment un théologien et un orientaliste
distingué, auteur de nombreuses Dis-
sertations ctHarangues académiques.
Ilmouruten 1770.— RAu(Joachim-
Jnstc), ne à Berlin, en 1718, bon
théologien et orientaliste, fut piofes-
seur à Kœnigsberg, et mourut fort
jeune, le iç) août 1745. 11 a écrit en
latin sur la philosophie de Justin
inartyretd'Athcnagore(Iéua,i733);
surcelle dcLaclance, (ibid., 1737);
une Grammaire hébraïque , en lan-
gue allemande ( 1787 ), etc. M-on.
RAUCH FUSS. F. Dasypodius.
RAU COURT ( Françoise Marie-
Arn-oiNETTi; Sauceuotte ), actrice
du Tli'.'àlre-l'Vaiiçais , naquit à Naiici,
le 3 mars 175G, de l'iançois-Éloi
Sauccrolle, comédien de p.roviuce
RAU
( I ), eî d'une femme attachée au servi-
ce domestique du roi de Pologne Sta-
nislas : elle fut tenue sur les fonts de
baptême par M''^'^. de Graffigni. Son
père , qui avait débuté deux fois à la
Comédie-Française, sans pouvoir ob-
tenir un ordre de réception déOui-
tive , l'emmena avec lui dans ses ex-
cursions chez l'étranger; et l'on tient
d'elle qu'à peine dans sa douzième
année , elle avait déjà joué en Espa-
gne quelques rôles de tragédie. Vers
la fin de 1770 , Belloy, ayant fait re-
présenter à Rouen Gastonet Bajard,
qui n'avait point encore été donné à
Paris, eut à s'applaudir du choix
qu'on avait fait de la jeune Raucourt
pour le rôle d'Euphémie. On trouve,
dans le Mercure de janvier 1 7 7 1 , des
vers d'après lesquels il est permis de
croire que le succès de la pièce fut
dû , en grande partie, au talent de
l'actrice , âgée de quatorze ans et
detui. Le bruit de cette brillante
représentation, s'ctant répandu dans
la capitale , éveilla la curiosité des
premiers gentilshommes de la cham-
bre. Ils mandèrent la jeune Raucourt,
Ini firent donner des leçons par
Brizard ; et ce fut comme élève de
cet acteur , qu'elle fit son début à
Paris, le 23 septembre «772. Elle
joua le rôle deDidon. Le pul)lic l'ac-
cueillit avec un enthousiasme dont il
y avait eu peu d'exemples. Jamais ou
n'avait vu une plus belle femme; et
jamais actrice, à son âge, n'avait fait
brillerde plus heiireuses dispositions.
Elle joua ensuite les rôles d'Emilie,
d'idamé , de Monime; et, pendant
plus d'un an , ses débuts attirèrent au
théâtre une foule extraordinaire. Il
est facile de deviner qu'une vogue si
prodigieuse lui suscita plus d'une
(1) It tsi murl il'uiK' cliulr (pi'il fit ])ar nui' rriii-
Hi'-iî (lu ciiif{iiiî'i'io C'l»)t{«', (tiius la iriaÏKoii de l<i nu* tlo
TitijMfni, atltiiunt iiu (Uùi'itrc tîc l'Oléoii.
RAU
ennemie parmi les autres reines de
llicàtrc. M"»'^. Vestrcs, surtout , sem-
blait devoir eu être jalouse. Un jour
que la belle débutante débitait avec
feu le monologue d'Emilie ( de
Ciuna ) , un chat se mit à miauler
d'une façon si singulière qu'on ne
put s'erapêcber d'en rire : Je parie ,
cria un plaisant , que c'est le chat
de Madame Festris. Tous les au-
teurs dramatiques , suivant l'usage ,
s'empressèrent auprès de la nouvelle
Melpomène ; de graves acade'miciens
lui adressèrent de petits vers : Vol-
taire même lui écrivit un billet flat-
teur {i]. Le roi ,M™'^. la daupbiue ,
les plus grands seigneurs de la cour
lui donnèrent , à l'envi , des témoi-
gnages d'intérêt ; et l'on ne manqua
pas de remarquer, avec quelque ma-
lice, que M'^^. Dubarry lui fit un
jour de riches présents , en lui recom-
mandant d'être sage. Mais , parvenue
si rapidement à ce haut degré de pros-
périté , M^l°. Raucourt ne pouvait
tarder à éprouver l'inconstance delà
fortune. On s'attacha d'abord à lui
faire perdre la réputation de vertu
qui semblait ajouter à l'éclat de son
talent, et à laquelle, il faut l'avouer ,
elle mettait elle-même trop peu de
prix ; puis on alla jusqu'à lui suppo-
ser des travers qui la brouillèrent
avec ses adorateurs les plus disposés
à lui pardonner des faiblesses natu-
relles : enfin , soit que la calomnie lui
eût aliéné l'esprit public, soit qu'elle
eût réellement perdu, dans la dissi-
pation , le fruit de ses premières étu-
des , elle eut bientôt le chagrin d'en-
tendre le bruit du sifflet succéder aux
acclamations de l'enthousiasme ; et,
après avoir souffert pendant deux
(^) Tjc voliim'* ]'nl)lié en 1S7.0, sous le titre Je
f'ie /inv;cHe foliaire et de mail. Vuclialelct , cuii-
liVtjt une Icllrc en vers et en proso , Je Vdlfaîre ?»
M"". Raucourt , que Ton fluiiue eomme îuctiile. I#es
\eis avaient otc iiuiiriimi (lis 1773. A. B.— T.
RAU 137
ans et demi les affronts les plus hu-
miliants , elle prit le parti de quitter
brusquement la scène. Un peu avant
son départ , cependant , clic avait eu
un retour de fortune: on l'avait trou-
vée si belle daus le rôle de Galatc'e (de
Pygmalion ) que la foule s'était portée
au théâtre pour l'y voir. « Il est im-
» possible, écrivait à ce sujet La-
» harpe, d'imaginer une perspective
» plus séduisante que cette actrice,
» en attitude sur son piédestal , au
» moment où l'on a tiré le voile qui
» la couvrait. Sa tête était celle de
» Vénus , et sa jambe , à moitié dé-
» couverte , celle de Diane. » Mais
ceux- mêmes qui affectèrent le plus
de louer sa beauté divine , furent , ea
même temps , ceux qui décrièrent
avec le plus d'acharnement ses mœurs
et son talent. Ce fut en juini776 ,
que M^l"-". Raucourt disparut subi-
tement , laissant ses camarades dans
l'embarras pour la représentation
d'une tragédie nouvelle , et don-
nant à ses nombreux créanciers un
juste sujet d'alarmes. Ce qu'elle fît
dans l'intervalle de 5a fuite à son re-
tour, aurait peut-être quelque intérêt
pour les amateurs d'aventures gra-
veleuses : notre but n'est point de
révéler ces sortes de détails. Il nous
suffit de dire qu'après avait fait
une courte station dans l'enclos
du Temple , refuge des débiteurs
insolvables , la belle fugitive voya-
gea dans les cours du Nord, d'où
elle revint bientôt eu France pour
s'attacher à une troupe de comédiens
qui jouait devant la cour à Fontaine-
bleau. Elle eut le bonheur d'y recou-
vrer les bontés de la reine ; et , grâce
à la protection de celte auguste prin-
cesse , elle rentra au Théâtre-Fran-
çais , le 28 août T779 , par le rôle
deDidou , où elle eut de nouveau un
brillanl/succès. Cette rentrée , néon-
i38
RAU
moins , ne fut pas coraplctcinent
heureuse : la comédie était alors li-
vrée aux plus furieuses cabales. M'i".
Raucourt fut sifflce outrageusement
dans le rôle de Phèdre , non pour y
avoir mal joué son personnage, quoi-
qu'à la vérité elle n'eût jamais su ren-
dre avec un vrai 2)athétique les senti-
ments tendres et passionnés, mais
parce qu'on lui supposait des projets
hostiles contre deux actrices juste-
ment aimées du public (3). Elle eut
à ce sujet , le bon esprit de détruire ,
par une lettre modeste, insérée au
journal de Paris, la fausse idée qu'on
avait de ses prétentions ; et , à dater
de cette époque de sa vie, M"''. Rau-
court n'eut plus à se plaindre du par-
terre. Elle ne tarda même pas à ré-
parer , par des études sérieuses , le
temps qu'elle avait perdu jusque-là
dans les plaisirs ; et ses progrès ra-
pides furent généralement remarqués.
Ce fut dans ce temps que Dorât lui
adressa, sous le voile de l'anonyme,
l'Epître qui commence ainsi :
» Toi , la pîus bel'e des Didons ; »
petite pièce qui dut un moment de
vogue à,qLie!qucs idées licencieuses
revêtues d'une gaze légère. Dans les
jn-emiers temps de la révolution,
cette actrice , dont le cœur était bon,
et qui n'avait point oublié les bien-
laits de la cour , eut le courage de
s'en montrer reconnaissante : aussi
les Jacobins de l'époque ne man-
quèrent-ils pas de la comprendre dans
l'acte d'accusation dressé, en sep-
tembre i7()3 , contre la Comédie-
Franraise. Elle passa sis mois en pri-
son; et , comme plusieurs de ses ca-
marades, elle ne dut la vie qu'au xèle
acsinléressé d'un em[)loyé du comité
de Salut public ( Ch. Hipj)olyle La-
(*) ^'''y<-'sU Curi'i'sjiuujduvu de L^Luiih;, tuui,
tll , |Mg. t.
RAU
bussière), qui avait eu soin d'auéau-
tir plusieurs des pièces à la charge
des détenus. On sait quel fut ensuite
le sort des comédiens français: après
s'être réunis à l'Odéon , ils passè-
rent au lliéàtrede la lue Feydeau ; et
M"*^. Raucourt , suivie de quelques
dissidents, fonda , rue de Louvois ,
nn secondThéàtre-Français, dont elle
eut l'administration. Puissamment
secondée par Larive , Saint Fal et
Saint-Pris , et plus encore , peut-être,
par l'opinion publique, qui n'avait
jamais été aussi fortement pronon-
cée contre les révolutionnaires , elle
semblait devoir faire , en peu de
temps , une fortune brillante , lors-
que les événements du i8 fructi-
dor ( 4 septembre 1797 ) , renver-
sèrent toutes ses espérances. Eu haine
des sentiments qu'elle professait, le
Directoire exécutif se fit un devoir
de l'exproprier; et ce fut seulement
à la réunion générale des comédiens
français, «n 1799, que le sort de
cette actrice se trouva définitivement
fixé. Buonaparle, qui aimait le talent
profond et énergique de M''*'. Rau-
court , lai acc^l■da une protection
toute particulière. Non content de lui
donner, sur sa cassette, une pe'jsion
considérable, il la chargea de l'or-
ganisation des troupes de comédiens
français qui devaient parcourir l'Ita-
lie. Le la octobre 1 8o(i, elle fit l'ou-
verturedu théâtre de IMilan, par une
représentation d'Iphigcnic tn Au-
lide, où elle joua le rôle de Cly-
temueslre. Quelque gratitude qu'elle
témoignât pour un protecteur si
généreux , elle n'oubliait pas que
les princes de la famille royale
l'avaient , avant lui , comblée de
bienfaits; aussi fut-ce avec nue
grande joie qu'elle vit arriver le jour
(le la restauration. Présentée , en au-
dience parliculàic , à ]\lo^■sll^l/l■. ;
RAU
frère du Roi , alors lieutenant - géné-
ral du royaume , elle en reçut des
marques de bonté qui la pénétrèrent
de reconnaissance. Biais elle ne put
jouir long - temps de son bonheur :
attaquée presque subitement d'une
maladie inflammatoire , elle y suc-
comba, le 1 5 janvier i8i5,âgéede
cinquante-neuf ans. On prétend que
se voyant mourir , elle conserva assez
de sang-froid pour dire en souriant:
« Voilà la dernière scène que je joue-
» rai ; il fant la jouer d'une manière
» convenable. » L'infortunée était
loin de prévoir , sans doute , qu'un
autre rôle lui était encore réservé. Un
événement, dont la malveillance ne
manqua pas de se réjouir , donna aux
obsèques de celte actrice uu éclat
qui affligea profondément les hom-
mes sensés. Le clergé de Saint-Roch,
ayant refusé l'entrée de cette église
au corps de la défunte , eut la douleur
de voir une multitude égarée enfon-
cer les portes du sanctuaire, et se li-
vrer aux désordres les plus scanda-
leux. La foule accompagna ensuite
le convoi au cimetière du Père La-
chaise, où la sépulture de M^l*^. Rau-
court est maintenant indiquée par un
beau buste en marbre, qui reproduit
fidèlement les traits de cette tragé-
dienne. Peu de mots suffiront pour
donner une juste idée de son talent :
elle manquait de sensibilité ; mais
elle s'efforçait d'y suppléer par beau-
coup d'art, et cet art, joitt à ses
dispositions naturelles pour la fierté
et l'énergie , l'élevait a une très-
grande hauteur dans les rôles du
genre admira tif. Aussi ne l'a-t-on
])as encore surpassée dans ceux de
Cléo])âtre , de Viriate et de Léou-
line. M""^. Raucourt, dont la beau-
té fut si Ion g -temps célèbre , avait
beaucoup jtcrdu de ses avanl.iges
physiques dans ks d.[\ deruièrcs
R.\U i3o
années de sa vie. Elle était tou-
jours de la plus riche taille , et sa
démarche était encore pleine de ma-
jesté; mais ses formes, autrefois
svcltes et voluptueuses, s'étaient tel-
lement prononcées , et son organe ,
naturellement dur , était devenu si
voilé , qu'il eût été possible de pren-
dre ses habits de femme pour uu
déguisement. C'est ce que Chénier
exprime en termes beaucoup trop
injurieux dans celle de ses épigram-
mcs qui commence ainsi :
« O Phbdre , dans ton jeu que de ve'rité brUlc ! »
La conversation de Mll« Raucourt
était pleine d'esprit; c'était véritable-
ment celle de l'homme du monde le
plus aimable : elle se plaisait à parler
de son art , et elle en parlait avec un
goût exquis. Quoiqu'elle eût reçu des
leçons de W^". Clairon , dunt elle
rappelait souvent le jeu étudié, elle
n'aimait point cette grande actrice.
Il est vrai que W^". Clairon , dans
ses Mémoires, parle peu avantageu-
sement de sa jeune élève ; mde irœ.
C'est aux leçons de cette dernière
que Mil»-'. George , dont les débuts fi-
rent tant de bruit , dut en partie son
talent et sa réputation ; et, s'il tant
en juger par un drame en trois actes
( Henriette), qui fut joué et impri-
mé en 1783 , sous le nom de M'^'^.
Raucourt , celle-ci n'aurait point été
étrangère à l'art de composer des
pièces de théâtre. F. P — t.
RàULIN ( Jean ), né à Tonl , eu
1443, vint étudier à Paris, où il
prit le bonnet de docteur en théolo-
gie, en I 479. Dcjà il s'était fait cou
naître par un commentaire sur A ris -
tote, et par ses succès dans la prédi-
cation. Deux ans après, il fut
choisi pour diriger le collège de
Navarre ; et il s'acquitta de cette
fonction à la satisfaction dii pu-
blic. L'inspiration d'imc piclc aus-
i4o
RâU
tcre lui fit quitter cette honorable
destination, pour la vie du cloître :
il se retira dans l'abbaye de Clutii, et
entraîna plusieurs autres docteurs à
suivre son exemple. Le cardinal
d'Amboise jeta les yeux sur lui, en
ï5oi, pour introduire la reforme
dans les maisons de son ordre. Rau-
lin poursuivit cette tâche avec zèle ,
s''aidant à-la-fois de l'autorité de ses
mœurs et de l'e'clat de sa pre'dication,
jusqu'à sa mort, arrivée , à Paris, le
6 février i5i4. Ou a de lui : 1. Un
Commentaire sur tous les ouvrages
de logique d'Aristole^ Paris, i 5oo.
JI. Des Lettres en latin , suivies
d'une conférence pour la fête de
saint Louis, et d'une autre sur la
perfection de la règle de saint Be-
noît, Paris, iSao, in-4*'. in. Des
Sermons latins, Paris, i542, 2 vol,
in-8". Avant d'être ainsi recueillis,
ils avaient été publiés séparément
dans le même format. Tous les ou-
vrages que nous venons d'énumérer
ont été compris , avec quelques au-
tres, dans une édition générale don-
née à Anvers, 1612,6 vol. in- 4**.
Les Sermons de Raulin sont , comme
tous ceux de ses contemporains, au
niveau des ébauches dramatiques de
la même époque. A force de cher-
cher la méthode, il tombe dans la
sécheresse; ses tours sont laconi-
ques, SOS comparaisons triviales,
quand elles ne manquent pas de jus-
tesse. 11 ne perd jamais de vue les in-
térêts delà morale; mais il cntrc-
Tnclc ses citations de l'Écriture et
des scoIasti(jues , d'exemples cl d'his-
toriettes qui produiraient aujour-
d'hui un cflét tout autre que l'édifi-
cation, (k' n'est pas pourtant qu'il se
laisse aller à des bouironneries aussi
fréquentes que IcsBarlclte, les IVle-
aolctlcs Maillard : il garde au con-
traire, dans ses récits , une gravité
RAU
ingénue , qui ne le rend pas moins
comique. On trouve dans son Recueil
le germe de la fable des Animaux
malades de la peste. Le lion appelle
à se confesser au chapitre , le loup ,
le renard et l'âne. Chacun commen-
ce le récit de ses méfaits. Le loup
s'accuse d'avoir maintefois croqué
les brebis à belles dents. Le lion
prend alors un front sévère; mais le
pénitent carnassier allègue la pres-
cription , et l'usage immémorial de
ses ancêtres : sa faute lui est remise
moyeiuiant un paler noster. \icnt le
tour du renard. Il couvre de la mê-
me excuse ses ravages dans les pou-
laillers, et éprouve la même indul-
gence. L'âne vient confesser enfin
qu'il a porté ses dents téméraires
sur quelques brins de foin détachés
d'un charriot, et restés parmi les
ronces. Un cri général s'élève contre
le baudet. Il déclare en sus qu'il a
.semé des ordures dans le cloître des
frères. — Souiller une terre sainte !
que! crime! — Mais il est coupable
encore de s^êlre mis à ruer , puis à
braire avec les frères. — C'est met-
tre la communauté en discord ; c'est
semer la zizanie. Une telle coulpe ne
peut s'expier que par la flagellation,
et elle est infligée au pauvre hère.
Voici encore un conte de Raulin , as-
sez semblable à nos vieux fabliaux.
Une veuve veut se remarier, et va
sur ce point consulter son curé. Elle
expose , lour-à-tour, les aA%intages et
les inconvénients qu'elle espère ou
qu'elle craint d'un deuxième hymen.
L'homme d'église lui répond alter-
nativement -.Mariez-vous ; ne vous
mariez pas. Enfin , ]iour se sous-
traire aux imporiunités de la dame ,
il fait sonner les cloches , et l'invite à
être attentive an conseil qu'elle va en
jecevoir. La veuve préoccupée ne dis-
tingue dans le Iniiit des cloches q^jc
RAU
ces mots , Prends ton valet , prends
ton valet. Elle sort de sa perplexité',
et convoie. A quelque temps de là ,
elle revient au cure. « Vous m'avez
» trompée , luidit-elle: de maîtresse,
» je suis devenue esclave, et , qui pis
» est , je suis battue presque tous les
» jours. — Il n'y a rien de ma faute,
» repond le prêtre; les cloches ont
» parlé , vous aurez sans doute mal
» entendu. » Il les fait sonner de re-
chef, et la veuve entend cette fois :
Ne le prends pas, ne le prends
pas , et se retire convaincue de sa
méprise. Rabelais a tiré parti de
cette historiette , aux chapitres 9 et
27 de son Pantagruel. F — t.
RAULIN ( Joseph ), médecin , né
en 1708, à Ayguctinte, dans le dio-
cèse d'Auch, prit ses degrés à la fa-
culté de Bordeaux, et exerça d'abord
son art à Nérac, mais avec assez peu
de succès. Montesquieu , ayant eu
l'occasion d'apprécier ses talents,
engagea Raulin à s'établir à Paris ;
et il s'y fit bientôt connaître par des
ouvrages qui décelaient un observa-
teur judicieux et un habile praticien.
Dès ce moment, il fut consulté dans
tous les cas importants j et sa répu-
tation s'étendit de la capitale dans
toute la France. Nommé médecin
ordinaire du roi , et inspecteur des
eaux minérales , il fut chargé par le
gouvernement de rédiger différents
écrits propres à éclairer les jeunes
praticiens et à répandre dans les
campagnes des idées utiles. A des
connaissances étendues dans toutes
les branches de l'art de guérir , Rau-
lin joignait toutes les qualités du
cœur. Il mourut à Paris , le 1 2 avril
1784, regretté de ses confrères, et
des pauvres, auxquels il avait tou-
jours prodigué gratuitement ses
soins. 11 était membre de la société
royale de Londrcs, de l'académie de
RAU i4i
Berlin, et des Arcadiens de Rome.
Malgré les progrès que l'art médical
a faits, la phipait de ses ouvrages
peuvent encore êlre lus avec fruit, à
raison du grand nombre d'observa-
tions neuves qu'il y a consignées ,
presque toutes fondées sur sa pro-
pre expérience : le style en est d'ail-
lenr clair et concis , mais peu élégant.
On en trouvera le cataio;^uc dans le
Dictionnaire d'Kloy , et dans la
France littéraire d'Ersch. Les prin-
cipaux sont : I. Traité des mala-
dies occasionnées par les promptes
variations de l'air, Paris, 1702,
in- 1 2 : on doit trouver à la suite une
Lettre contenant des observations
sur le Tœnia. II. Traité des affec-
tions vaporeuses , ibid, , 1758, in-
12. III. Traité des Jleurs blanches,
avec la méthode de les guérir, ibid. ,
1766, 2 vol. in-12; traduit en alle-
mand par Riedeier , ÎSuremberg,
1793, in-8°. IV. De la conserva-
tion des enfants , ou moyens de les
fortifier et de les préserver et guérir
des maladies , ibid. , 1768, 2 vol.
in- 1 2 j nouvelle édit. , augmentée ,
1779, 3 vol. in-12; trad. en alle-
mand, Leipzig, 1769-70, grand in-
8°. V. Instruction succincte sur les
accouchements ,'\h\à. , 1769, 1770,
in-12; traduite en allemand, par
François Matthieu Alix , Langen-
salza, 1772; et Fulde, 1775, in-S".
VI. Traité des maladies des fem-
mes en couche , 1 77 1 , in-12 ; trad.
en allem., par Burdach , Leipzig,
1773 , in-8°. VIL Traité analj-ti-
que des eaux minérales, ibid. , 1772-
74, !i vol. iu-i2. VIII. Parallèle
des eaux minérales de France, avec
celles d'Allemagne, ibid., 1777, in-
12. IX. Examen delà houille, re-
gardée comme engrais, ibid., «775,
in-i 2. X. Traité de la phthisie pul-
monaire , 1782, in-8*^. , 2^. c'dit. ,
i42 RAtJ
1784 , 2 voî. in- 8^. C'est im des
meilleurs ouvrages de Raulin; il a
e'te traduit en allemand par Grun-
mann , avec des notes de B. Ch.
Voj;el,lena, 1784, in-8''. W— s.
RAUWOLF ( LÉONARD ), natu-
raliste et voyageur, ne à Angsbourg,
e'tudia la médecine; et en i56o, il
fit im voyage (n Italie et en France,
afin d'y connaître les botanistes les
plus célèbres de cette époque , et fut
ëlcve de Rondelet. 11 obtint le grade
de docteur, à Valence en Dauphinc,
parcourut ensuite la Suisse et plu-
sietirs parties de l'Allemagne, puis
revint dans sa patrie, où il rapporta
Tuie grande quantité de plantes et de
graines de végétaux rares , qu'il cul-
tiva dans son jardin. Il les distribuait
aux amateurs, et contribua ainsi à
répandre plusieurs plantes peu con-
nues. Le magistrat d' Augsbourg , re-
connaissant son mérite , le nomma
médecin de la ville. Cette marque de
faveur ne put empêcher Rauwolf de
céder à son inclination , qui le por-
tait à voyager pour trouver des
plantes nouvelles. Muni de la per-
mission du sénat , il partit , en
1573, pour le Levant. Son but prin-
cipal était d'y étudier les végétaux
dont les anciens ont parlé. Ce fut à
Marseille qu'il s'embarqua. Arrivé à
Tripoli do Syrie, il alla, par Alep,
juscpie sur les bords de l'Eupliraic.
il les suivit, passa par Racka et Ana ,
examina ce qui reste des ruines de
llibylone, et [)0ussa jusqu'à Bagdad.
Il traversa ensuite l'ancienne Assy-
rie et le pays des Kouriles. Au com-
mencement de 1575, il se trouvait
?» Mossoul, sur le Tigre. Il visita la
Mésopotamie, et retourna, par Orfa,
vers Alepct Tripoli. Le mont Lil)an
riait trop jinsdelui poui- qu'il nese
liàlâl ])as de le gr.ivir. ^)e là il voya-
gea dans la .Judée, vit .lérusalem et
RAU
les Lieux-Saints , revint à Tripoli ,
profita d'un navire qui allait à Veni-
se, et fut de retour dans sa patrie,
en février iSyO. Il y obtint la place
de médecin de l'hôpital des pestifé-
rés ; la remplit , durant plusieurs an-
nées, avec l'approbation générale,
et cependant fut obligé, ainsi que
plusieurs de ses compatriotes, de
quitter la ville , en 1 588, parce qu'il
ne voulut pas abjurer la religion ré-
formée pour le catholicisme. Bien-
tôt les états d'Autriche l'appelèrent
à Lintz , comme médecin de la ville:
probablement son caractère ne put
lui permettre d'y vivre tranquille ,
puisipie, malgré son âge avancé, il
suivit les troupes autrichiennes qui
allaient en Hongrie. Epuisé par les
fatigues, il termina sa carrière en
septembre 1596 ( i) , dans la forte-
resse de Hatvan, située sur le Zagi-
va, au comtat de Hevech. On a de
Rauwolf, en allemand : Belation
d'un voraç^^efait dans les pays de
V Orient, notamment en Sjrie , Ju-
dée, Arabie , Mésopotamie , Babj-
lonie , Jssjrie , Augsbourg, i58i,
in-4''., Francfort, i582; Lavingen,
1 583 , augmenté d'une quatrième
partie, qui porte un titre séparé:
clic renferme la description des plan-
tes curieuses qu'il avait observées en
Orient ; Rauwolf y joignit quarante-
deux figures en l)ois. Ce livre fut
traduit en hollandais, in-8''. de 898
I-ag., et dans letom. ix de la collec-
tion de Valider Aa, Une ATrsion an-
glaise fut publiée par Nie. Staphorst,
1693, in-S". , revue ]>ar J. Ray, et
reunprimée en 1 738. On parle aussi
d'une version latine qui n'a pas été
( 0 ( lillc d.iti' csl (l<imirc posilivcMicnl pur li- nui-
:!,-rln 'Vi>\u Cil"!' , <|"' l'' -"it".' il" s >•' 'IrrniirO
in.laillc ( l.il.. <'."l.ir, Ohser^-.il. r.Kliriit. (1er. .1 ,
i)h-. 8, V ^' ' l"i"n(r,,il. lOoC , I1.-8".) CVsl |.nr
l'iiinr i|ne Ja< lier , lliinUer, K.T.stiuT, elc. , Jila-
teiil l'.iHKine .le Mi l.mrt ."i l'.m l(i.i(J.
RAU
imprimée; peut-être ne comprenait-
elle que la quatrième partie, qui inté-
ressait les botanistes. La relation de
Rauwolf peut être consultée avec
fruit par les ge'ogra plies , à cause des
renseignements précieux qu'elle offre
sur les villes et sur leurs environs ,
sur la direction des chaînes de monta-
gneyet du cours des fleuves. Un me'-
rite qui lui est particulier, et qui le
distingue de ses contemporains, est
l'atteniion qu'il donne au commer-
ce, aiil^rts et aux métiers, aux
mœurs et aux coutumes des ha-
bitants. 11 est un des premiers qui
ait parle de l'usage de boire du café',
et eu ait décrit la préparation avec
exactitude. Rauwolf avait rapporté
du Levant un herbier fort riche, qui
éprouva bien des vicissitudes. Après
sa mort, cet herbier passa dans la bi-
bliothèque de l'électeur de Bavière.
La guerre de Trente-Ans le fit aller à
Stockholm, parce que les Suédois
s'emparaient des curiosités littéraires
des pays dont ils faisaient la conquête.
Christine l'ayant donné à Isaac Vos-
sius, celui-ci le porta on Angleterre,
où Ray, Mûrison,Pliikcnet et autres
savants botanistes !e consultèrent :
tous parlent avec reconnaissance des
renseignements utiles qu'ils en ont
recufillis. Après la mort de Vos-
sius, l'herbier revint en Hollande,
avec la bibliothèque de ce savant:
l'un et l'autre furent achetés pour la
bibliothè((ue de Leyde , où on les
conserve. Cet herbier est composé
de cinq gros volumes in-folio , et
contient les plantes recueillies par
Rauwolf en Fnuice, en Italie, en
Suisse et au Levant. Dans sa rela-
tion, ce voyageur en a nommé et
déterminé plus de 3.jo espèces. C'est
d'après sou Herbier, (jue J. F. Oro-
novius publia : L. Raiwolfii Flora
orienlalis, Lcydc , i^f).")", un vol.
RAV ,43
in-4^. Tons les botanistes ont rendu
justice au zèle infatigable de Rau-
wolf j il a eu soin d'indiquer dans
quel lieu et dans quelle saison il
avait trouvé chaque p'ante , et de
rapporter ce qu'il connaît de ses
usages dans la médecine, les arts
ou l'économie domestique. Comme
il n'était pas assez instruit dans
les langues orientales , il a écrit
fort incorrectement leurs noms. Plu-
mier, pour reconnaître les services
que ce savant a rendus à la bo-
tanique, nomma Raiwolfi a, im^cme
de plantes qui est le type d'une famille
particulière voisine de celle des apo-
cynécs. Ce genre renferme une di-
zaine d'arbrisseaux des parties les
plus chaudes de l'Amérique. Suivant
la manie que l'on avait alors de lati-
niser tous les noms-propres, Rauwolf
est quelquefois désigné sous le nom
de Dasjljcus. En 1G80, on publia,
sous le litre de Leonis Flamin'd Iti-
nerariiun per Pnlœslinam , Rotheu-
bourg, 1681 , iu-4''., une contre-
façon de son voyage , défigurée par
quelques omissions. On peut voir ,
dans les Annales des voja^es ( xm ,
96-109 ) , une notice sur ce voya-
geur. E — s.
RAVAILLAG ( François ) est
un de ceux dont le nom n'est reste'
dans les langues humaines que pour
y devenir une injure. On connaît
tout ceque rapportent nos liistoriens
sur la mort tragique de Henri IV ,
et les soupçons de complitité dans
cet altenlat, qui planèrent sui" les
])ersonnages les plus élevés de cette
époque. H ne reste, pour présenter
le procès , les indices ou plutôt les
conjectures , sous un jour différent ,
qu'.à consulter et à suivre, comme
nous l'avons fait, les registres du
liaricnjent de Paris. C'est l'unique mo-
tif, maisil était important, ([ui nous
i44 RAV
a détermines à donner une cer-
taine étendue à la biographie d'un
monstre qu'un grand crime pouvait
seul tirer de son obscurité'. Ravaillac
naquit à Angoulême , en 1678 ou
1579. La perte d'un procès avait
réduit son père à l'aumône. Il se
fit clerc et valet de chambre d'un
conseiller, nommé Roz.ières;travailIa
ensuite chez des procureurs, et
devinî , en même temps, praticien.,
solliciteur de procès et maître d'é-
cole. Il avait, dit-il, quatre-vingts
écoliers, auxquels il ensfignait « à
» lire , écrire et prier Dieu en la
» religion catholique, apostolique et
» romaine. » Quelque opinion qu'on
adopte sur la question de savoir
s'il eût , ou non , des complices ,
on ne peut s'empêcher de recon-
naître que Ravaillac était un de
ces fanatiques sombres , un de ces
visionnaires rares , ratmc au temps
des guerres civiles et religieuses du
seizième siècle , et qu'il était fa-
cile de pousser au meurtre en leur
montrant le ciel ; mais qui pou-
vaient aussi s'exalter d'eux-mêmes ,
et, sans impulsion directe, se lan-
cer dans le crime , quand un cerveau
troublé le leur présentait comme une
vertu , et peut-être comme un devoir.
• Ravaillac avait été long-temps àélt-
uw pour dettes à Angoulême (i). 11
avait eu, dans sa prison, des visions
comme des sentiments de Jeu , et
de souffre et d'encens. Une luiit qu'il
méditait, dans son lit, les mains
jointes et les pieds croisés , il avait,
disait-il, .sf'iiti sur sa face couverte,
une chose qu'il m put distinguer. Il
se mit alors à chanter le Miserere et
le JJe profundis. Il était minuit- « il
(1) yiiclqiiesliistorien» di*viit qu'il lui rotiim un
an prittoniiic'i- , |iour un Loiniciilc tlati.slcfjucJ iluvait
Irt-nipé ; iiiiiiglu j)rocc<Iuie n'oft're aucuiittiiice du tu
Oc^lit.
RAV
» lui sembla qu'il avait à la bouche
» une trompette , faisant pareil son
» que les trompettes à la gueiTC. »
Il se leva pour allumer du feu j et
tandis qu'il soufflait les tisons en-
flammés, « il vit incontinent , aux
» deux côtf's de sa face, des hosties;
î) et , au-dessous de sa bouche , un
» rouleau de la même grandeur que
» celui que le prêtre lève à la 'célé-
» bration du service divin. » Depuis
quatorze ans, Ravaillac avait fait, ■*•
comme solliciteur de pro^s , plu-
sieurs vovages à Paris , avijn'argcnt
qu'il recevait de ses écoliois. Dans
un de ces voyages, il prit l'habit de
frère convers ., rhez les Feuillants ,
et fut renvoyé, six semaines après,
comme visionnaire. N'ayant pu ob-
tenir de rentrer au couvent, même
en qualité Ae frère lai, il eut la vo-
lonté de se faire Jésuite; mais il
apprit qu'on ne recevait point , dans
cet institut, ceux qui avaient été en
d'autres j'eligions. 11 reprit donc te
chemin d'Angoulême. Il fréquentait,
dans cette ville, un nomméBcrlhault,
qui se mêlait de faire des vers ; et
Ravaillac se croyait poète lui-même.
Il avait écrit ce mauvais distique sur
un papier où étaient peintes les ar-
mes de France, ayant pour suppoit
deux lions quiportaienl l'un une clef,
l'autre une épée :
Ne souffre jias qu'on f.issB , en ta présence,
Aiiuniu de Dieu aucuue irrévérence, (aj
En signant un des interrogatoires de
son procès, il écrivit au-dessous de
sou nom :
Que toujours eu luou cœur
Jésus suit le \aiDqucur !
II voyait, à Angoulême , mi nommé
Relliard, et avait entendu dire chez
lui quel'aiiibassadeurde Ronu- ayant
(1) lie p.ipicr , tionvé sur Rnvnillae , était inlut
à la prucedure. \) déclara que le disticftic cxpriiujiit,
»n volonlé rivtuvr le rvi.
RAV
menace d'excommunier le roi , le roi
avait re'pondu : «Si le pape m'cxcom-
» munie , je le déposerai. » Celte
dernière menace lui fit prendre la ré-
solution de tuer le roi ; et c'est alors
qu'd écrivit sur un papier sou pre-
mier distique. Il fut encore fortifié
dans sa résolution par ce qu'il avait
entendu dire, dans Paris, à des sol-
dats, entre autres à un sieur de
Saint-George, que si le roi voulait
faire la guerre au pape, ils lui obéi-
raient, parce qu'ils y étaient tenus;
« mais que s'il la faisait mal-à-pro-
» pos, cela tournerait sur lui. » Dans
l'avaut-dernier voyaj^c qu'il fit à Pa-
ris, il chercha vainement à voir le
roi, pour le délerminer « à ranger à
» l'Eglise catholique , apostolique et
» romaine , ceux de la religion pré-
» tendue réformée. » Ilserendit plu-
sieurs fois au Louvre, demandant à
parler au roi. Un jour qu'il insistait
plus vivement, le sieur de La Force
lui dit « qu'il était un papet , et un
« catholique à gros grains. « Ravail-
iac le supplia encore de vouloir le
faire parler au roi , « afin de déclarer
» à sa Majesté, les intentions où il
w était depuis long-temps de le tuer,
» n'osant lo déclarera aucun prêtre,
)) ni à aucun autre, parce que l'ayant
i> dit à sa Majesté , il se serait désisté
)) tout-à-fait de cette raauA'aise vo-
)>louté; et avait cru qu'il était
» expédient de lui faire cette reraon-
» trance plutôt que de le tuer. »Ra-
vaiîlac se présenta aussi chez la du-
chesscd'Angoulème,poury t7igrc/ier
quelqu'un qui le pût introduire. Il
alla au loc^is du cardinal Du Per-
ron , et ne put ])arier qu'à ses au-
môniers. Il s'adressa encore à un
écuyerde la reine Marguerite, nom-
mé Fcrrare. Il lui parla de ses vi-
sions , comme il en av.iit déj.'i jiarlé
au curé de Saint- Séverin, à ini jeune
XXXVII.
RAV
145
cordelicr , nommé Lcfebvrc , au P.
d'Aubigny, jésuite , et au P. Marie
Madelcne, provincial des Feuillants -
mais l'écnyor, le curé et les trois re-
ligieux lui répondirent qu'il ne devait
point s'occuper de ces visions , et
qu'il ferait bien de retourner à An-
goulême. D'ailleurs il n'avait fait
part à personne de son dessein de
tuer le roi , parce que « s'il leur eût
» déclaré l'attentat qu'il voulait fai-
» re, c'était leur devoir de se saisir
» de sa personne, et le rendre entre
» les mains de la justice, d'autant
» qu'en ce qui concerne le public, les
» prêtres sont obliges de révéler le
» secret. » Déjà, en i(3o6, Ravaillac
avait donné , dans un de ses voyages
à Paris , des preuves du désordre de
ses idées; et il fui accusé, suivant
l'esprit du temps , tle sorcellerie et
de commerce avec les démons. Lors
de son procès poiir crime de régici-
de, le président Potier et les conseil-
lers commissaires lui demandèrent
si, plus de quatre ans auparayant ,
il ne s'était \r.isfait enfant du dia-
ble en invoquant les démons, qu'il
avait /«<t venir dans la chambre
d'un nommé Dubois. Ravaillac ré-
pondit qu'étant une nuit couché avec
d'autres personnes , dans un grenier
au-dessus de la chambre dudit Du-
bois, il entendit ce dernier l'appeler
par son nom, à minuit, en criant :
Ravaillac^ mon ami, descends en
bas , je suis mort. IMais il fut em-
pêclié de descendre par la frayeur
de ceux qui couchaient avec lui dans
ie grenier. Le lendemain matin, Du-
bois lui dit « qu'il avait vu, dans la
» chambre, un chien d'excessive
» grandeur et fort edroyable, lequel
» s'était mis les deux pieds de dc-
» vaut sur son lit ; de quoi il avait
» eu telle peur , qu'il avait pensé
» mourir, Ravaillac lui conseilla
i46 RAV
« d'avoir recours à la communion
■» ou à la celelnation de la sainte
» messe, et furent à cet effet au cou-
» vent des Cordeliers, faire dire la
» sainte messe, pour s'armer de la
» f^râce de Dieu contre les visions de
» Satan , ennemi des hommes. »
Tels sont les faits que le procès de
Ravaillac fait connaître comme an-
térieurs à son dernier voyage à Pa-
ris. Il communia le premier dinian-
clie du carême 1610, à Angoulcmej
et, le jour de Pâques, après avoir
fait célébrer une messe, il partit à
pied pour la capitale , où il arriva ,
quinze joiu'S on trois semaines avant
de consommer son crime. Il logea en
face de l'église Saint-Rocli, cà l'auber-
ge des TroisPigeons. Le même jour,
il avait volé sur !a table d'une autre
liôtelleric où l'on avait refusé de le
recevoir, un couteau qu'il mît dans
un sac en sa pochette. Il reconnut
depuis , dans ses inlerrogaloires ,
qu'il avait dérobé ce couteau dans le
dessein de tuer le roi. Cependant il
n'était pas encore bien affermi dans
cet horrible dessein : il parut y re-
noncer, et quitta Paris, pour repren-
dre le chemin d'Angoulême, Arrivé
devant les jardins de Chanîelonp, il
rompit la pointe de son couteau
contre une charettc; mais en entrant
dans le faubourg d'Étampes, il s'ar-
rêta devant l'image d'un J^cce homo ,
et sentit soudain renaître sa volonté
de tuer le roi, « parce qu'il ne con-
» vertissait pas ceux de la religion
» prétendue réformée, qu'il voulait
» faire la guerre au pape, et trans-
» porter le Saint- Siège à Paris. »
11 refit la jjoinle de son couteau
avec une pierre , revint à Pari'- ,
et attciidit ipie la reine eût été
couronnée , « estimant r|u'il n'y
)) aurait pas tant de confusion en
» France apiès le couioiiiicmenl. »
RAV
Le i4 mai, il entendit la messe à
l'église Saint- Benoît , dîna dans son
auberge avec son hôte, et un mar-
chand nommé Collelet. Il sortit en-
suite, et se rendit au Louvre. Il vou-
lait tuer le roi , entie les deuxporles ;
mais il ne put approcher du carrosse
lorsque le prince sortit à quatreheures
dusoir. Henri voulait voir les prépara-
tifs qu'on faisait alors pour l'entrée
de la reine. Dans le carrosse étaient
avec le monarque , les ducs d'Lper-
non et de Montbazon , les maréchaux
de La Force , de Roquelaure et de La-
vardin , le premier écuyer de Lian-
court, et le marquis de Mirebeau.
Les deux portières étaient ouvertes ;
la garde était restée au Louvre ; un
petit nombre de gentilshommes à
cheval , et quelques valets de pied ,
escortaient le carrosse : Ravaillac le
suivit. Lorsque le carrosse entra dans
la rue de la Ferronnerie , qui était
alors fort étroite , il fut arrêté par
un embarras de charrettes ; la plu-
part des valets de pied entrèrent dans
le cimetière des Innocents pour cou-
rir plus à l'aise : il n'en restait que
deux auprès de la voiture. Ravaillac
dit qu'à ce moment , « S. jM. étant
5) au fond, tournant le visage, et
» penché du coté de W. d'Épcrnou ,
» il lui donna dans le côté , d'un coup
» ou deux de son couteau , passant
» son bras au - dessus de la roue
» du carrosse. » (3) Aucun des sei-
gneurs ne vit frapper le roi , chose
sf/r/;re7ifl/ife.'ditL'Etoile. L'assassin,
ajoutc-t-il, eût pu s'enfuir sans être
reconnu, s'il n'était resté le couteau
(3) L'arrit porte que Henri fiit lue de deux coups
lie couteau dans le cor/is. L'Élnilu dil que le ]^vc-
iiiicr coui> fut dirige entre la sitondc cl lu troisième
Cille un peu au-dvaus du irtur, elle sccood dauf
lecirur, dont le roi rit mort, sans avoir pu jeter
iju'iin ^innd soupii , I.c im'iiic liislorien aJMiile que
I, sdiiiiil <:<>U|) ("iil suivi d'un Iriiiucnie qui ne ^iiirt.i
■ MIC d.1119 la iiiiinclie ilii duc de AIuii(1mz»ii.
RAV
à la main, comme pour se faire voir
et pour se glorifier du plus ^ranâ des
assassinats. On lit dans la V ic du duc
d'Épernoii, qu'un des î^cntilshoraracs
ordinaires, nommé Saint- Michel ,
mit l'épëe à la main , et allait en per-
cer le parricide , lorsque le duc d'E-
pernonlui cria : «Qu'il y allait de sa
» vie s'il tuait ce malheureux ; qu'il
n fallait seulement s'assurer de lui. »
Mais cette circonstance importante
n'est point dans la proce'dure. Ra-
vaillac se contenta de repondre ,
« que le couteau lui fut à l'instant
» ôte' par un genlilliomme qui était
)) à cheval. » L'assassin fut d'abord
conduit à l'hôtel de Ketz , et remis à
la garde du grand-prévôt. Lorsqu'on
le fouilla, on trouva sur lui un cha-
pelet , un papier où le nom de Jésus
était écrit trois fois sur divers plis
( le même peut-être où était le disti-
que qu'on a cité ) , et un cœur de car-
ton suspendu à son col. Ravaillac dé-
clara que ce cœur, béni par les Ca-
pucins d'Angoulème , lui avait été
donné par un chanoine de cette ville ,
nommé Guillebaut , comme un re-
mcdecontre lafièvre qui Ictravaillait
alors. Il soutint constamment , dans
les quatre interrogatoires qu'il subit,
le 1 4 '"^i 5 ^ l'hôtel de Retz , devant
le président Jeannin, et Bullion , con-
seiller; le T7 mai, au Palais, devant
le premier présideut Achille de Har-
lay , le président Potier, et les con-
seillers Courton et Bauvin , commis-
saires députés par la cour ; le 18 et
le 19, devant les mêmes commis-
saires, excepté le premier président
qui se trouva indisposé : qu'il n'avait
été induit par personne à entre-
prendre cet attentat ; qu'il avait
éprouvé des tentations de tuer le
roi ; que quelcpiefois il y cédait , et
d'autres non; qu'enfin il n'avait été
mu que par sa volonté seule , et
RAV
147
qu'il ne l'avait déclarée à personne.
On est étonné , en lisant les interro-
gatoires, du peu de fermeté, d'adresse
et d'instance avec lesquelles onachcr-^
ché ou paru chercher à découvrir
si Ravaillac avait des complices.
Bien des personnes avaient été nom-
mées par lui : un écuyer de la reine
Marguerite, les aumôniers du cardi-
nal Duperron , un jésuite , un corde-
licr, un feuillant, le curé de Saint-
Scverin , un chanoine et un poêle
d'Angoulème , un seigneur du nom
de La Force , un marchand nommé
Colletet, avec lequel il avait dîné le
i4 mai , et plusieurs autres : on ne
le confronta qu'avec le P. d'AuLigny.
Ravaillac soutint, dans cette con-
frontation , qu'après les fêtes de Noël
1609, il alla voir, à la maison des
Jésuites, rue Saint - Antoine, le
P. d'Aubigny, parce qu'il était l'ami
du P. Marie -Madelène , feuillant;
qu'il lui parla de ses grandes vi-
sions et imaginations ; qu'il lui dit
avoir senti des puanteurs comme de
soufre et de feu aux pieds , qui dé-
montraient le purgatoire , et avoir
vu la sainte hostie aux deux côtés
de sa face. Il ajouta avoir montre
un morceau de couteau où il y avait
uncœur et une croix, etdit, que leroi
devait convertir ceux de la religion
P. R. ; que le P. d'Aubigny lui répon-
dit : « que c'était plus imaginations
» que visions , qui procédaient d'un
)> cerveau troublé , comme sa face le
» démontrait; » qu'il lui conseilla
donc de manger de bons potages ,
de retourner en son pays , de dire
son chapelet et prier Dieu. Le P.
d'Aubigny, interpellé, déclara que
c'étaient toutes rêveries fausses et
menîeries, et qu'il croyait n'avoir
jamais vu Ravaillac. Mais celui-ci
insista , disant : « Vous me donnâtes
» un sol , que vous demandâtes à un
10..
ï/,8
RAV
» autre qui dtail là. » Le jrfsi'.isc rd-
piirpia que cela élail faux ; que ceux
âe sa compagnie y^mn/^ ne donnent
d'argent , et n'en portent point. Ra-
vaillac reconnut d'ailleurs qu'il n'a-
vait vu le P. d'Auhiguy 'jne cette
fois ; et le P. d'Aubigny le traita de
méchant , qui mentait , et aurait dû
se contenter de son crime, sans être
cause de cent mille qui arriveront ,
disait-il. Le 'i.'] mai, Ravailîac fut
déclare, par le parlement, criininel
de lèzc-majeste divine et humaine ari
premier cliel'; condamné k être te-
naillé, avec versement, dans les plaies,
de plorab lOudu , d'huile bouillante ,
etc. ; à avoir la main droite , tenant
ic ooulcau parricide , brûlée du feu
de soufre; à être ensuite c'cartelc ,
avoir les membres réduits en cen-
dres , et les cendres jetées au vent.
]! fut ordonné par le même arrêt,
que la maison où il était né serait
démolie; que son père et sa mère
sortiraient, dans quinzaine, du royau-
me , avec défense d'y rentrer , suns
i)einc à'v,\.vcpendnset étranglés ; en-
iiu , que ses frères , sœurs , oncles ,
etc. , «juitteraienl le nom de Ravail-
îac pour e'.i prendre un autre , à
quoi ils seraient tenus sur les mêmes
peines. Dans les tortures de la ques-
tion , qui suivirent l'arrêt, Ravailîac,
presse de révéler ses complices , ré-
pondit : « que sur la damnation de
» son arae, il n'y avait eu homme ,
» femme , ni autre , qui eût eu con-
» naissance de son dessein, en con-
» fession , ou autrement. » Deux
célèbres docteurs de Sorbonne , Fi-
lesac et Gamachcs , l'assistèrent dans
ses derniers moinenls. 11 leur déclara
n'avoir cédé qu'à la tentation du
Diable. Lorsque, le même jour '.17
mai , il allait sOrtir de la Concier-
gerie, il fut assailli par les )>rison-
iiiers en imiiulte , accablé d'iiijures
RAV
et de makîdiclions; et il eût ctc mis
on pièces , si les archers n'eussent
employé la force et les aimes pour
l'arracher de leurs mains. Il devint
bientôt plus difficile de le soustraire
à l'indignation cl à la fureur du peu-
ple. Le monstre priait sur l'échafaud
au milieu des tourments. Mais lors-
que les docteurs , découvrant leur
tête , commencèrent , à haute voix,
le Salve l'egina, la foule s'e'cria qu'il
ne fallait pas prier pour le méchant
damné, et contraignit les docteurs
de cesser. Ravailîac dit alors : « Si
» j'eusse pensé de voir ce que je vois,
» et un peuple si affectionné à son
w roi , je n'eusse jamais entrepris le
t> coup que j'ai fait , et m'en repens
» de bon cœur ; mais je m'étais for-
» tcment persuadé ( vu ce que j'en
» oyois dire), que je ferois un sa-
» crificc agréable au public , et que
» le public m'en auroit de l'obliga-
» tion , où au contraire , je vois que
» c'est lui qui fournit les chevaux
» pour me déchirer. » 11 demanda
l'al'Solution au docteur Filesac , qui
répondit : « Il nous est défendu de la
donner , en crime de lèse-œajestc , à
moins que le coupable ne révèle ses
fauteurs et ses complices. » — « Je
» n'en ai point ; il n^j- a que moi qui
» Vai fait ; donnez-moi l'absolution
» à condition , et vous ne pouvez
» ainsi la refuser. — Eh bien ! je
» vous la donne en ce cas , reprit le
» confesseur ; mais si le contraire
» était vrai , au lieu de l'absolution ,
» je vous prononce votre damnation
» éternelle ; et pensez-y, si vous
» voulez. — .le reçois l'absolution
» à cette condition. » Ce furent les
dernières paroles de Ravailîac. On lit,
dans le procès-verbal de l'exécution,
que le peuple voulut associer sa ven-
geance cà la vindicte des lois : « Plu-
» sieurs se &ontmisà tirer les cordes,
» avec iuk; IcUe . dcar , que i'iui lIc
» la noblesse , ijui était proche , ii
» fait mettre sou cliev;il pour mieux.
a tirer ; et cnQii par une graude lieu-
» re tirii , sans être démembre' , le
)> peuple de toute qualité s'est jeté
» avec des e'pe'es , couteaux , ba-
1) tons à frapper, couper et
» déchirer les membres du condam-
» ne , ardemment mis en diverses
» parties et pièces, les ont ravis à
» l'esécuteur , les traînant , qui çà
» qui là , par les rues , de tous côtés,
» avec une tc'.le fureur que lien ne
» les a pu arrêter , et ont etc brûlés
» en divers endroits de la ville. » — -
On a beaucoup écrit sur la question
de savoir si Ravaillac eut ou non des
complices de son crime : ceux qui
l'affirment, s'autorisent des Mémoi-
res de Sully, des Mémoires du maré-
chal d'Estrées surla régence de Marie
de Mcdicis , de l'Abréi^é chronolo-
gique de Mézerai , et du Journal de
IlenrilF, où L'Étoile dit, que, dans
le procès de l'assassin, la Idchelédes
ma^iitrais pour découvrir les au-
teurs cl complices , a été si i^ninde
« qu'elle fait mal au cœur de tous les
)) gens de bien , et particulièrement
» à moi, auquel la douleur que j'en
» ai, fait tomber la plume des mains
» pour n'en écrire davantage. » A
l'appui de l'opinion sur les compli-
ces , on cite encore la relation de
Pierre du Jardin, sieur de La Garde ,
l'accusation de la femme Coman ou
Descoman contre le duc d'Eperuon
et la marquise de Verneuil ; la dis-
grâce sans terme où tomba Maiie de
Médicis dans le cœur de son fils , et
l'abandon cruel où elle mourut sur
ime terre étrangère. On pourrait
remarquer encore que , le jour mê-
me de l'assassinat du meilleur des
rois ( I 4 mai), tout semblait ])réparé
d'avance pour nu nouveau gonverne-
RAV:
i49
ment. Henri IV n'claitsoili du Lou-
vre qu'à quatre heures ; et dcfà, avant
que cinq heures fussent sonnées , lo
duc d'Épcrnonavaiirassembiclcs gar-
des sur le Pont-Neuf, et le parlement
était investi; déjà ce seigneur avait
demandé la régence pour la reine , et
annoncé aux magistrats nu ilj allait
absolument et promptevient s'y ré-
soudre. Déjà Marie de Médicis était
déclarée régente par le parlement
assiégé. Le corps du roi était exposé
sur un lit de parade, entouré de
flambeaux ; et des religieux réci-
taient les vigiles ( Voy. Mézerai et
l'Etoile ). Enfin , dè>s le i 7 mai , on
criait le portrait en taille-douce du
nouveau roi ( Voy. V Etoile ). Or ,
comment, en deux fois vingt-quatre
heures, le portrait de Louis XllI
avait-il ])u être grave en taille douce,
et mis eu veule avec un trézaiu ? Ce
n'est pas sans raison que l'Etoile a
parlé des lâches procédures du par-
lement. Il paraît certain , non que
iiavaillac eut des complices, mais
que le parlement fut effrayé du dan-
ger d'en trouver. La relation du sieur
de La Garde ne mérite aucune con-
fiance : il fait venir à Naples P».avail-
lac, chargé de dépêches du duc d'E-
peruon; il déclare avoir vu, en 1O08,
Ravaillac tramant, aux confins de
l'Italie , la mort de Henri IV, avec
un jésuite nommé d'Alagon , oncle
du duc de Lei me , premier ministre
de la cour d'Espagne. Rien n'est plus
invraisemblable et plus ridicule que
le Manifesle et le Factum de ce mi-
sérable .iventurier , qui fut mis à la
Dastilie , d'où il ne sortit , après neuf
mois de détention , que pour être en-
fermé à la Conciergerie : il y était
encore en 1 6 1 5 ; et c'est là qu'il éci i-
vit son Factum , 4). L'accusation de
(.',) Il so.lll <l.i i.ii.s...! I^liu,'fsuiv»nl«, ...ilis avoir
uljtyiin mi arrêt Ju iltfcli.ii içe ; laM» il lui l'ut itmm'
]5o RAV
la femme Coman ou Descomaii, qui
jivait cte au service de la marquise
de Vcrneuil, fut jugée fausse et ca-
lomnieuse par arrêt du parlement ,
du 3o juillet i6ii ; et cette femme
fut condamnée à une prison perpé-
tuelle entre quatre murailles. L'É-
toile est visiblement anime d'une
haine violente contre les Jésuites.
Me'zerai e'crivait sous l'influence du
cardinal de Richelieu, implacable en-
nemi de la reine-mère. Sully dit que
ceux qui ont arméla main de Ravail-
lac, sont assez désignés parle cri pu-
blic j mais ce cri public pouvait être
le résultatde l'erreur. On remarque-
raqueRavaillac avait fait cent lieues à
pied j qu'arrivé à Paris , sans argent ,
il avait reçu un sol d'ajimône ; qu'il
avait volé l'instrument de son crime
dans une auberge, parce qu'il n'avait
pas , sans doute , les moyens de l'a-
cheter. Gomment concilier cet état
de dénuement avec l'opinion qui lui
donne des complices si riches et si
puissans! Péréfixe, a eu raison de di-
re , dans son Histoire de Henn-le-
Grand : « Que si l'en demandait qui
» avait inspiré cette damnable pensée
3) à ce monstre infernal ? l'histoire
n répond , quelle n'en sait rien ; et
» qu'en une chose si importante , il
•o n'est pas permis de faire passer
» des soMpçons et même des conjec-
» tures pour des vérités assurées j
» que les juges mêmes qui l'inlcrro-
» gèrent, n'en osèrent ouvrir la bou-
» che ; ils n'en parlèrent jamais que
» des épaules. » Le même jour où le
parlement rendit son arrêt contre
Ravaillac , l'archevêque d'Aix , le P.
Coeffeteau , dominicain , et plusieurs
autres personnages ayant représenté à
la cour que , lorsqu'ils avaient visité
le parricide dans sa prison , il leur
«in hrevcl ilc (i.n. Ilv. <!.■ |Hiislr,M , it .!■ s liltrue de
jirwùiuudv ixjulrùKuf dobivrcs h l'uris.
RAV
avait répondu conformément aux
maximes de Mariana , Becan et au-
tres , qu'il était permis de tuer les
tyrans ; un second arrêt ordonna que
la faculté de théologie serait assem-
blée « pour délibérer sur la confir-
» mation du décret d'icclle , du 1 3
» décembre 1 4i3 , résolu par la cen-
» sure de cent-quarante docteurs de
» ladite faculté , depuis autorisé par
» le concile de Constance, qu^il nest
1) loisible à aucun , pour quelque
» cause et occasion que puisse être ,
)) d'attenter aux personnes sacrées
1) des rois et autres princes souve-
» vains. » La faculté de théologie
s'assembla le 4 juin ? et , confirmant
sou ancien décret, statua qu'à l'ave-
nir les docteurs et bacheliers jure-
raient d'enseigner la vérité de cette
doctrine en leurs leçons , et de la
faii'e connaître au peuple dans leurs
prédications. Le 8 juin , le parlement
condamna le livre de Mariana , De
Re^e et Régis institutione , à être
brûlé par la main du bourreau , et
ordonna que ce décret de la faculté
de théologie serait lu chaque année,
à pareil jour , dans l'assemblée de
ladite faculté, et publié, le diman-
che suivant , au prône, dans toutes
les paroisses de Paris et de ses fau-
bourgs. C'est à cette époque que la
P. Cotton , confesseur de Henri IV ,
publia sa Lettre déclaratoire de la
doctrine des Pères Jésuites , con-
forme aux décrets du concile de
Constance. Celte lettre était adressée
à la rojne mère du roi, régente en
France ; et , tandis qu'elle était l'oc-
casion d'une foule de libelles sous le
titre dC Anti-Colon^ d' Anti-Mariana,
de la Sallade des iniquistés , etc. ,
etc. , le cœur de Henri IV était porte
au collège des Jésuites à La Flèche;
et le dernier acte d'un des plus ter-
ribles drames de uotrc histoire se
RAV
tcnniiiah dans un déluge d'oraisous
funèbres et de pamphlets. V-ve.
RAVALIÈRE (Pierre-
Alexandre Lévesque de la). Voj.
Lévesque , xxiv , 375.
RAVENNE (L'anonyme de). V.
P0RCQERON.
RAVENNE ( Jean de ) , l'un des
restaurateurs des lettres en Italie ,
était ne' vers i35o , de parents pau-
vres et obscurs , dans une terre silue'e
sur les bords de l'Adriatique, non loin
de la ville de Ravenne, dont il prit
le uom. Au sortir de l'enfance, il eut
le bonheur de se faire connaître de
Pétrarque, qui l'admit à son intimité,
et ne négligea rien pour lui ins-
pirer le goût de l'étude et l'amour de
la vertu. Aux dispositions les plus
heurenses pour les sciences, l'élève
de Pétrarque joignait des qualités
plus rares encore , beaucoup de dou-
ceur , de modestie , et un grand mé-
pris des richesses, D'apx-cs le conseil
de son maître, il prit l'état ecclésias-
tique : et, sur la recommandation de
Pétrai'que , l'archevêque de Ravenne
lui promit un modeste bénéfice dont
lé revenu devait sufïïre à ses besoins,
et lui permettre de cultiver en paix
la littérature. Il y avait près de qua-
tre ans que Jean habitait avec Pé-
trarque , et il était traité par lui
comme son propre fils , quand il lui
déclara qu'il voulait voyager pour
perfectionner ses connaissances et eu
acquérir de nouvelles. Ni les prières,
ni les larmes de son bienfaiteur, ne
purent changer sa résolution. Il pai'-
tit de Padoue , vers i3G8, traversa
l'Apennin dans la saison des pluies ,
et vint à Pise, où il attendit un bâ-
timent pour le transporter dans Avi-
gnon , devenu le séjour des papes. Ce
bâtiment n'arriva point: lesrcssour
cesde Jean dcKivenne s'épuisèrcnl;
et il prit le parti do revenir à Pavit>,
RAV i5i
oh Pétrarque s'empressa do le rejoin-
dre. Maislecœurdo cet hommegéné-
rcux avait été blessé profondément
de l'ingratitude de son disciple chéri.
« Votre éloiguement , lui dit-il , me
fait prévoir une nouvelle séparation ,
et je n'y mettrai plus aucun obs-
tacle. Quand vous voudrez partir,
je vous donnerai l'argent qui vous
sera nécessaire pour votre voyage ;
vous trouverez la porte ouverte , et
je ne me permettrai ni reproche , ni
plainte. » Jean ne tarda pas, en effet,
de reprendre le projet d'aller dans la
Cahibre chercher le tombeau d'En-
nius , et étudier la langue grecque.
Il partit avec des lettres de recom-
mandation de Pétrarque pour la rei-
ne Jeanne de Naples ; cl les bontés
de son maître le suivirent dans tous
ses voyages. Peu de temps après la
mort dePétrarqiie,il ouvrit une école
à Bellune , vers id']S : il fut renvoyé
de cette ville au bout de quewiues
années, parce qu'on le trouvait trop
savant pour enseigner les éléments de
la srammaire : et il se rendit à Pa-
doue , où ses talents commencèrent
à le faire connaître. Appelé , vers
i388, à Udine, il y reçut un traite-
ment annuel de quatre-vingt-quatre
ducats ; et l'on fit fermer l'école que
dirigeait un certain Grégorio , pour
donner plus d'éclat à celle de Jean
de Ravenne. Cependant, par suite de
son inconstance, il accepta les offres
qu'où lui fil pour l'attirer à Florence,
où il était en i3(ji. U se trouvait
encore dans cette ville eu t4'3; et
cette année même, il fut chargé,
pour la seconde fois, d'exjiliquer le
poème du Dante. L'abbé Mehus
conjecture que Jean mourut , vers
1.420, à l'àgc de soixante - dix
ans. Il était sorti de son école nu
si grand nombre do savants qu'on
l'a comparée au «hcval de ïroic ,
i5i RAV
d'où sortirent les Grecs les plus il-
lustres. Quelques critiques italiens
croient devoir distinguer deux pro-
fesseurs du même nom , dont l'nn en-
seignait à Padoue, et l'aulre à Flo-
rence. — On cite un autre Jean de
Ravemie , chancelier de François de
Carrare , qui paraîtrait , en effet , ne
pouvoir pas être confondu avec le
professeur. Selon Flavio Biondo ,
celui-ci se serait contente' de former
un grand nombre de disciples ; et les
ouvrages qu'on a sous le nom de
Jean de Havenne, doivent être attri-
Lue's au chancelier. On en trouve des
înanuscrits dans la bibliothèque du
Roi à Paris , dans celle du Vatican
et daîîs celle d'Oxford. Le Recueil
que possède la bibliothèque du Roi,
est intiiulc : Dras^malo^ia sive Dra-
viatologia , id est Dudogus Fene-
ium inter et Paduanum de elii;i-
hdl vitœ genei'c : — Cotiventio
Poàagram inter et Araneajn ( i ) :
— Liber rerum memor and arum :
— lîistoria Bagusii : — Histo-
ria familiœ Cairariensis { V. Co-
dic. Mss. Catalog. iv , -i^g , n».
64(54 )• Cette collection diffère de
celle qu'on trouve dans la biblioth.
d'Oxford : Jiationariiim vitce. —
De consolatiove in obitum fdii. —
yJjwlogia Jomm. Ravennatensis. —
De intvidlu ejiis in aidam. — De
forlund aulied. — Narratio vio-
latce pudicilice. — Dialogus cid
titulus : Dolosi astus ( Voy. Cat.
Mss. Angliœ , ii , 8 , n». 'igo ). Le
cardinal Querini a public, d'après
les Mss, du Vatican , les Prologues
de deux Nouvelles de Jean de Ra-
vcnne ; et ce sont les seuls frag-
racuis de cet écrivain qui aient cte
imprimes ju,s([u'à présent. On peut
consnlicr , pDur de plus grands dë-
(i ) > .'. si SI.,, -lop.l.. I, Mij, :L .le !.. l'^.Mc : A<x OouUc
il l'/lrui-^tiir , cil' Laloiitiiiiip, iir , H.
RAV
taik , la Storia délia letteratura de
Tiraboschi , v , 65^ - 6o , et \' Hist.
littéraire d^ Italie, par Ginguene',
H , 4*2 1 ; ni , 27g. W — s.
RAVESTEYN(Jean Van), pein-
tre , naquit à la Haye , vers l'an
i58o. On ignore à quel maître il
doit celte belle manière qui a fait sa
réputation , et qui surpasse tout ce
que les autres peintres de portrait
avaient offert jusqu'à lui , manière
dans laquelle il n'a d'égaux que Van
Dyck et quelques autres artistes privi>
le'giés. Les trois tableaux dont il a dé-
core' les salles du jardin de l'Arque-
buse à la Haye , et qui repre'sentent
les principaux officiers de cette con-
fré] ie , portent la date de 1616 et de
i6i8. Toutes les figures en sont vi-
vantes et bien groupe'es; et il a su
éviter avec adresse les poses qui au-
raient paru gênées. C'est à lui que l'on
doit également le tableau qui orne
l'hôtel-de-ville , et qui représente les
onze magistrats en charge durant
l'année i636. Ces grandes composi-
tions passent pour ses chefs-d'œuvre.
— Sonhls Arnauld VanRAVESTEïK,
né a la Haye , eu 1 6 1 5 , fut son élève ,
et se distingua également comme
peintre de portraits , quoique avec
moins de succès. Héritier d'une for-
tune considérable , il se contenta
d'exercer son art comme un amuse-
ment ; et c'est à ce motif qu'il faut
attribuer la rareté de ses ouvrages.
Les portraits qu'il a peints dans la
maison du prince de Hcsse Philip-
stadt, entre la HayeetSchevclinguc,
sufilraient pour faire la réputation
d'un artiste. H fut nommé, en i6()i
et i(36'i , chef ou doyen des peintres
de la Haye. — Nicolas Van Raves-
TE\N,dela mcnic famille, néà Roni-
mel, en it)6i , se distingua dans la
même carrière. A l'âge de qu;itre-
viiigtsans, il (It le portrait de son
RAV
gendre , de sa fille et de ses petits-
enfants ; et cet ouvrage ne se res-
sent en rien de la vieillesse. Ses
portraits sont, pour la plupart ,
historiés ; le dessin en est de bci
goût , le pinceau facile , la cou-
leur fraîche el vigoureuse : ils sont
bien poses , et la ressemblance est
un de leurs rae'rites ; rien n'y est fait
de pratique, et l'artiste consultait la
nature jusque dans les moindres ac-
cessoires. On connaît de lui quelques
tableaux d'histoire dignes d'être re-
marqués. On cite entre autres les
Quatre parties du monde, que l'on
regarde comme son chef-d'œuvre en
ce genre. Il amassa une grande for-
tune, et mourut le <) janvier lySo,
âge' de quatre-vingt-neuf ans. P-s.
RAVISIUS-TEXTOR(Jean-
TixiER DE Ravisi, plus counu sous
le nom de ) , habile humaniste , ne'
vers 1480, à Saint-Saulge , dans le
Nivernais, acheva ses e'tudes à Paris,
sous la direction de Jean Boluacus ,
son compatriote , recteur du collège
de Navarre , et obtint, au même col-
le'ge , la chaire de rhétorique , qu'il
remplit avec distinction. 11 perfec-
tionna dans cette école , alors la
plus célèbre de Paris , l'enseignement
des humanités : il composa plusieurs
ouvrages , destinés à faciliter aux
élèves l'étude de la langue latine et
de l'antiquité , et qui furent adoptés
dans la plupart des collèges de
France, d'Allemagne et d'Italie. Nom-
mé, en i5'io, recteur de l'univer-
sité , Ravisius fut enlevé par une
mort prématurée , le -^3 décembre
1 5if\ ( I ). Ses ouvrages , maintenant
oubliés, ont été réimprimés un grand
nombre de foispisqu'à la fin du dix-
septième siècle. Baillct en parle avec
(1) liavisiiis iiiouml n l'iiùpilal, silon I.a Mnii-
noye ( Notes sur les. /»^./». (/.s <.aviiiiis , di.-Riilli.-t,
)I, alii ) : mais t-el i n'i-'^ j)« vriiiseml-ljl.li-.
RAV i53
mépris ( Jugem. des Savants , 11 ,
iQi ) ; mais Crevier, juge bien plus
compétent , dit que le style en est pur
et élégant ( Histoire de l'université ,
IV, 443 )• Outre des éditions du
Z?/rtZog-«ed'tllricdeHutten De auld,
Paris , i5'29, in-4''. ; et des Lettres
d'Elisée Calenzio ( K. ce nom, VI,
5 1 4 ), et de Phalaris , ibid. , Chau-
dière, sans date, in - 4°. , on cite
de lui : I. Spécimen epithetorum ,
Paris , H. Estienne , i5i8, in-4'^. J
ibid,, P. Vidove , 1624, in-fol. ,
avec une Préface dans laquelle Ravi-
sius se plaint amèrement de la négli-
gence et de l'indocilité des impri-
meurs, dont il ne pouvait obtenir des
corrections , qu'en leur donnant du
vin et de l'argent ( F, Chevillier ,
Origine de l'Imprimerie , pag. 1 5g ,
et Maittaire, ^nnaZ. tjpograph. , 11 ,
3^4 et suiv. ) Ravisius mourut pen-
dant l'impression ; et ce fut son frère ,
Jacques Ravisius , qui rédigea l'Épître
dédicatoirc. Cet ouvrage eut un grand
succès ; il a été réimprimé plusieurs
fois à Bâle, à Genève, etc.; et l'on
en fit un Abrégé pour la commodité
des élèves. II. Deprosodid librijv.
ÎII. SjJiojvynia poëtica . à la suite
du Recueil d'épithètcs. IV. Officina
vel pnliusnaturœhistnria, in qudco-
piosè disposiUim est per locos quic-
quid hahent autores in divers! s dis-
ciplinis plurimi , quod et ad rerum,
historiarum et verborum cognitio-
nem ullo modofacere potest , Paris ,
i522(2):Bâ!e, 1 538, in- 40. ; Lyon,
i54i , même format ; nouvelle édi-
tion , corrigée , augmentée et mise
dans un nouvel ordre , par Conrad
Lycoslhèncs, Baie, i552, in-4°. ;
et revue par Jacques Grasscr, Bâle,
pu iliciluvrir les dates dis pr
ouvrages de Ravisius; il iip doit
(.)0«,.-a
les rdilious < ^ _
l>lu.s eu uxisti riri,'xeiu|iiaire3 , tons ayant ctedi-truits
l>i-oini)temeiil par les ult-vcs auxtjuuls ils vtaicut (l«i-
tiiiifs.
i54
RAV
et Genève, 1626, iii-B'^. C'est un
Recueil où Ravisiiis a prétendu ran-
ger, par lieux-comrnnns , tout ce que
les anciens auteurs ont dit de plus
rare et déplus important; mais Vos-
sius lui reproche de n'avoir fait que
copier les Commentaires de Raphaël
de Volterre ( Maffei ). Quoi qu'il en
soit , cette compilation n'eut pas
moins de succès que les précédentes.
Outre les différentes éditions qui se
succédèrent dans le seizième siècle ,
on eu trouve une de Lyon, i6i3 , 3
A'^ol. in-8°. V. Cornucopiœ epitome ;
imprimé à la suite de V Officina , et
séparément, Bâle, i536. Vï. De
memorahilibus et claris mulierihus
aliquot diversorum scriptorum opé-
ra , Paris , Coliues , 1 52 1 , in-fol. ;
rare. Ce volume contient les Traités
de Plutarque et de Jacques de Ber-
game sur les femmes illustres ; la Vie
de Sainte-Catherine de Sienne , par
Pins, évèque de Rieux ( F. Pins );
nne compilation sur les Femmes cé-
lèbres, dont l'auteur est inconnu;
des extraits de Bapt. Fregoso {F. ce
nom , XVI , 5 ), de Raphaël de Vol-
terre (Maffei), et de ï Of/icina de
Ravisius ; le poème de Valerand de
Varanes ou Varauius sur la Pucelle
d'Orléans , et les Vies de Sainte Clo-
tilde et de Sainte Geneviève, patrone
de Paris, Sallengre adonné l'analyse
de ce Recueil dans les Mémoires de
littérature , i , 1O5-72. VII. Epis-
toZ'C, Paris , i5'i'.i , in-i6; i5'.>.9,
in-8". On en connaît cinq autres édi-
tions du seizième siècle , et quatre
du dix-septième. Lapins récente est
celle de Berlin , 1G8G , in-iii. Elles
ont été traduites en français par Ant.
Tyron , Anvers, 1570, in-iG. Ra-
visinsavait composé ces Lettres pour
ses élèves; et toutes renferment quel-
ques leçons (le morale, ou des avis
surlesmoyena de hâlcr leurs proi^rèô.
RAW
Vin. Diahgi aliquot et epigram-
mata, Paris, i536, in - 8". Ces
dialogues sont en vers : ils ont été
réimprimes, avec les epigrarames et
les Lettres de Ravisius , Rotterdam ,
Leers, i65i, in-24, jolie édition. Ou
voit que Ravisius n'était point un
homme aussi méprisable que le drt
Baillet ; mais il faut convenir aussi
que Ghilini l'a beaucoup trop loué
dans le Teatro d'huomini letlerati ,
tome II , pag. 1 52-53 ; tandis que
Boileau, dans un Dialogue dont Bros-
selte nous a conservé les fragments
( tome m , pag. io5 de l'édition de
M. Saint-Surin, 1821), paraît le
prendre pour le type du pédantisme
scolastique. W — s.
RAVIUS. F. Rau.
RAVLENGHIEN. T.Rapheleng.
RAWENDY ( Ahmed ) , sectaire
du deuxième siècle de l'hégire ( hui-
tième de J.-C. ), débita une nouvelle
doctrine sur la métempsycose. Il déi-
fiait tous les hommes , et soutenait
que l'ame d'Adam, passant de corps
en corps, se trouvait alors dans ce-
lui de Mansour , khalyfe régnant , au-
quel il voulait que l'on rendît des hon-
neurs divins. Quelque absurde que
fut cette doctrine, elle ne laissa pas
de trouver de nombreux partisans ,
connus sous le nom de Rawendyéh.
De sectaires ils devinrent factieux ,
et furent combattus par le même
Mansour, objet de leur basse flatte-
rie. Rawcndy n'en était pas moins
nn savant distinguéctunhabile gram-
mairien. Outre plusieurs ouvrages
qu'il composa pour soutenir ses ex-
travagants principes qui attaquaient
la relif;lou de Mahomet, il a écrit
sur la langue arabe, dans laquelle il
a introduit quelques règles. 11 mou-
rut <ii 2()3 deriu't;.(c)o5()) J-N-
RAWLFX.llou'aiLEiGu (Wal-
TLB). r. UALliGU.
RAW
RAWLINSON (Ricoard), «avant
antiquaire anp,lais, fit ses études à
l'uuiversité d'Oxford, dont il fut,
par la suite, un des bienfaiteurs. 11
amassa d'immenses matériaux pour
la description de différentes provin-
ces , ainsi que pour la continuation
de plusieurs ouvrages importants ,
notamment VAthenœ Oxonienses
et y Histoire d' Oxford , par Wood;
et il facilita la publication d'autres
écrits du même genre. Lui - même
donna quelques ouvrages , qui lui ou-
vrirent en 1727 les portes de la so-
cie'lé royale de Londres et de celle des
antiquaires. Il mourut à Isliugton ,
le 6 avril 1755. On a de lui : L P^ie
d'Antoine I^Food , Londres, 171 1.
II. Le Topographe anglais, 1720,
in-8<*. , qui a eu du succès , et dont
le plan a été adopté, mais éteudu et
perfectionné, dans les deux éditions
de la Topographie anglaise de
Gough. III. Manière d' étudier V his-
toire , trad. de Lenglet Dufresnoy ,
1728, in-8<*. IV. Lettres d'Heldise
et d'Abailard, en latin. C'est moins
à ses travaux littéraires , quelle qu'ait
pu être, dans le temps , leur utilité,
que son nom doit d'avoir échappé à
l'oubli, qu'à sa générosité envers l'é-
cole célèbre où il avait été élevé. Il
y fonda un cours de langue saxoune
à perpétuité, et il fit aux collèges de
Saint-Jean Baptiste et d'Héréford , des
legs considérables , tant en terres
qu'en livres, tableaux, manuscrits,
médailles, sceaux, chartes et autres
objets rares et curieux. Une forte
teinte de bizarrerie se faisait remar-
quer dans son caractère; et c'était ,
en quelque sorte, un trait de famil-
le. Les anecdotes suivantes pourront
donner une idée de ses sentiments po-
litiques et de ses aversions nationales.
Il acheta fort cher la têtcd'nn avocat
exmitd comme ayant pris jwrt à
IIÂY 1 55
une conspiration contre George If*'.,
et recommanda de placer cette tête
k sa droite , dans son propre cer-
cueil. Ayant fait une donation à la
société des antiquaires , il la révo-
qua lorsqu'il apprit que cette com-
pagnie savante venait d'élire nn
Écossais pour son secrétaire. — Son
frère aîné, Thomas Ra\vlinson, était
un homme instruit et un fameux
bibliomane. Il mourut, en 1725,
a l'âge de quarante-quatre ans, lais-
sant une très -riche collection de
livres et de manuscrits. Occupant un
vaste appartement à Gray's-Inn , il
l'avait tellement encombré de ses li-
vres chéris, que sou lit, ne pouvant
plus y trouver place, était relcgud
dans un corridor. C'est lui, dit-on ,
qu'Addison eut en vue, lorsqu'il fit,
dans le n". i58 du T aller, le por-
trait de Tom Folio : mais on peut
penser que ce tableau a été fort char-
gé , pour le plus grand plaisir du lec-
teur*. D'ailleurs le noble caractère de
Rawlinsou , et la protection qu'il
exerçait envers des savants estima-
bles, semblaient devoir le garantir
de la flétrissure du ridicule. — Un
autre frère des précédents , Chris-
stopheRAWLiNSON, mort le 8 janv.
1733, très-versé dans la langue
saxonne et dans la littérature du
Nord , a donné une édition de la
Traduction de la Consolation de
Bo'éce , par le roi Alfred , 1 698, in-
80. L.
RAY (Jean) ou Jean Wray ,
en latin Raius , théologien anglais,
l'un des plus savants et des plus fé-
conds naturalistes du dix -septième
siècle , naquit à Black-Notley près
de Braintree, dans le comté d'Esscx,
le 29 novembre 1628, d'un forge-
ron. Envoyé d'abord à l'école de
Braintree, et ensuite à celle de Sainte-
Catherine , et au collège de la Tri-
t56 "RAY
nité à Cambridge , il obtint une bour-
se dans ce dernier établissement, en
même temps que le célèbre matlie'-
maticienlsaac Barrow , le maître de
Newton. Ces places ( que les Anglais
■nomment felluwship ) ne se quittent
point à la fin des e'tudes : on les con-
serve aussi long-temps que l'on ne
se marie point , ou que l'on n'obtient
pas un be'ne'ficc qui exige résidence;
et l'on peut , selon ses goûts , s'y oc-
cuper de l'enseignement ou de tout
autre travail litltéraire. Ray, se li-
vrant avec une ardeur égale aux
sciences et aux lettres , y fit de
si grands progrès , qu'on le choisit,
à vingt-trois ans , pour enseigner le
grec ; et que , bientôt après , il fut
chargé des mathématiques et des hu-
inanités : il se distinguait en même
temps par des sermons et d'autres
discours qu'il prononçait dans la
chapelle du collège , et dans lesquels
on remarque qu'il avait soin d'é-
viter la bouffissure et l'emphase
qui déparaient alors en Angleterre
l'éloquence de la chaire. Cependant
son étude favorite, dès ses premières
années , fut celle des œuvres de la
nature. Tous ses moments de loisir
étaient employés à des herborisa-
tions. Il se fit connaître, en 1660 ,
oonimebutnnisle, en faisant paraître,
en I vol. in-8'J. , le Catalogue des
plantes des environs de Cambridge:
c'était déj.à le fruit de dix, ans de re-
chciches. C'est au fond un ouvr.ige
de peu d'importance • mais il est
curieux , parce qu'il fait voir le
point d'où l'auteur partit pour ou-
vrir une des carrières les plus lon-
gues et des plus utiles qui aient été
parcourues cubotaniq\ic.i)ans sa pré-
face, qi:i mérite d'êlie lue, comme
tontes relies iju'il a écrites , il rend
compte des obstacles qu'il rencon-
tra , dont le piinripal était If manque
RAY
de guide qu'il pût consulter : il les
surmonta à force de patience et de
sagacité ; entre autres, il sut se faire
une méthode dont il ne se servit que
pour reconnaître les plantes qu'il
rencontrait ; car le Catalogue est ran-
gé par ordre alphabétique : mais à
la fin se trouve l'esquisse de celte
méthode ; et elle diffère peu de celle
de l'Histoire de Jean Bauhin : cet
ouvi'age capital venait de paraître,
et Ray est un des premiers qui le cite.
C'est lui aussi qui parla le premier
des travaux importants de Jungius ,
qui n'étaient encore que manuscrits.
Il trouve souvent le moyen de sauver
l'aridité d'un pareil ouvrage , par des
Notes curieuses non -seulement sur
les plantes et leur anatouiie, mais
sur les autres parties de l'histoire
naturelle, surtout celle des insectes,
et l'on voit qu'il les avait déjà étu-
diés ; il avait reconnu aussi l'herma-
phroditisrae du limaçon. Il donna,
en i663, un premier Supplément à
ce Catalogue , et un second, en
iG85. Ses talents comme prédica-
teur, et l'érudition qu'il avait acquise
dans les langues et dans la théologie,
devant naturellement lui procurer
de l'avancement dans l'Église, il se
fit ordonner, en 16O0, aussitôt après
la restauration de Charles II ; mais
lui scrupule de conscience vint bien-
tôt l'arrêter , et prévalut sur ses es-
pérances : il ne crut pas pouvoir
adhérer à l'acte d'uniformité , rendu
par le parlement, en iGG-i , et qui
prescrivait à tons les ecclésiasti-
ques de souscrire à certaines propo-
sitions qui avaient pour but d'écar-
ter les presliytéricns. Ce n'est pas
que Ray le fût ; au contraire , il est
toujours lestc attaché à l'Kglise an-
glicane, dans la communion de la-
<pielle il est moit : mais cette mesure
lui semblait contraire à la liberté ro-
RAY
ligieusc , et siu'iout aux promrsscs
(|ui avaient ete faites de maii)teiiir
cette liberté. Il résigna donc sa place
deCambridge ; ctilse serait peut-être
trouve' dans nue position embarras-
sante , s'il n'eût ete soulcnii par un
lie ses élevés dont le nom s'est de-
puis associe' avec le sien. C'c'fait
François Willougbby, gentilhomme
d'une ancienne maison anglaise, dont
plusieurs brandies sont décorées de
la pairie, et liériîier d'une assez
grande fort \)iie. Né en i635, il n'a-
vait que sei)t ans de moins que son
maître, et leur goût comraun pour
riiistuire naturelle les avait lies
d'uiic arailic tendre. Décidés à se
consacrer uuiijuoincntà cette science,
ils visitèrent ensemble , et avec deux
autres jeunes gei'.s, de i663 à 1666,
diverses j^artics cic l'Angleterre , la
France, l'Aîleruagne et l'Italie ; ils
recueillirent d'i mineuses matériaux
j)0ur les ouvrages dont ils avaient
conçu le plan : Willoughby s'.itta-
cliait particulièrement aux animaux,
et Ray aux végétaux. Une année
après leur retour ( en 1G67 ) , Ray
fut nommé membre de la société
Royale. Le célèbre Wilkins , évêque
de Chester, l'un <]c> fondateurs de
cette grande institution, travaillait,
à celte époque , à ce langage univer-
sel et philosophique dont il a donné
le plan sous le litre de Caractère
réel ( P^. WiMviNs). Il engagea Ray à
s'occuper d'une distribution métho-
dique, pour le règne végéta! , qui pût
concourir à compléter son projet.
Mais contrarié par le cadre él! oit que
lui avait jirescrit Wilkins , il voulut
donner un plus libre cours aux idées
qu'il avait déjà recueillies sur la clas-
silication des plantes; de là l'ouvrage
qu'il publia sons ce titre: Melhodus
plantaruni nova ^ Londres, 1682,
in - S**. Comme il le déclare , ce fut
RAY
157
en se servant des travaux de ses
prédécesseurs tels que Césalpin cl
Jungius , peu connus alors. Il dit
aussi qu'il avait profité, dans les écrits
de Morison , professeur à Oxford ,
de tout ce qui convenait à son sujet,
A Traidire,il ne faisait autre chose
que de reproduire la méthode per-
fectionnée de ce dernier, partant,
comme lui, de l'ordre dichotomique,
qu'il n'abandonna jamais. Comme
lui aussi , il divise les plantes en
ligneuses et en herbacées : il com-
mence par les ligneuses , et déjà l'on
trouve ici une amélioration , parce
qu'il ne soudivise cell^-sci qu'en deux
parties, les arbres et les arbrisseaux,
au lieu des trois que Morison avait
prises de Théophraste : encore dit-il
que c'était pour ne pas trop s'écarter
de l'usage général ; que sans cela il
les eût réduites à une seule : c'est ce
qu'il fit par la suite ; mais il s'arrêta
là , et s'y maintint fortement , parce
qu'il crut avoir trouvé dans la nature
le moj'cn de distinguer nettement les
arbres des hei'bes : c'était dans ht
présence du bourgeon , qu'il n'accor-
dait qu'aux arbres ; et il annonça le
premier que ces bourgeons étaient
de nouvelles plantes annuelles qui
recouvraient les anciennes ; mais il
resta à h moitié de sa découverte ,
ne voulant pas l'étendre aux herbes.
Ainsi, cette belle observation ne ser-
vit qu'à suspendre l'effort que venait
de faire Rivjnus pour débarrasse)- la
botanique d'une entrave qui persista
encore un demi-siècle, jusqu'à Linnéj
et ce fut un des principaux points
que ces deux savants discutèrent
ensemble. Nous en parlerons plus
bas ; mais un avantage réel pour
la botanique , résulta de ce travail,
des familles naturelles mieux cir-
conscrites, la distinction plus précise
des fleurs complètes et incomplètes;
i58
RAY
enfin la grande division des mono-
cotylédoncs et des dicotyle'doncs bien
établie. Il caractérisa plusieurs
classes avec uue grande précision,
et introduisit divers termes tech-
niques , très-utiles pour la clarté
du langage ; enfin il établit plu-
sieurs principes et lois générales sur
les méthodes, qui ont été généra-
lement adoptés depuis. Il donna, en
i^oS, uue nouvelle édition de ce
Methodus, avec des additions im-
portantes. Pendant qu'il méditait ain-
si sur les méthodes en général, Ray
n'avait pas négligé l'étude particu-
lière des espèces. Il s^était surtout
occupé de celles de sa patrie. Son
Catalogue des plantes de l'Angleter-
re, publié d'abord en 1677, d'après
l'ordre alphabétique , a été la base
des Flores de cette contrée. L'édition
de 1690, intitulée, Sj'iiopii s ,])asse
surtout pour un ouvrage excellent.
Elle est disposée d'après sa métho-
de; les synonymes des autres bota-
nistes y sont rapportés à leurs espè-
ces, avec une rare sagacité. Enfin
elle est enrichie d'un grand nombre
de plantes que l'auteur devait à plu-
sieurs botanistes de ses amis , tels
(]uc Dale, Sloane, Petiver , etc. Il
en donna une troisième édition, en-
core fort augmentée, en 169G. Dille-
nius fut l'éditeur d'une quatrième,
infiniment plus complète, en 17^4;
ctHilU'a arrangée, en 17(30, confor-
mément au système de Linné. Après
avoir fait connaître les plantes de
son pays , Ray entreprit de les com-
parer avec celles des autres contrées
de l'Europe; ce qu'il exécuta en re-
cueillant , dans un Catalogue , les
espèces qu'ilavaitrccucillics dans son
voyage , et qui ne se trouvaient pas
en Anglctei re. Cet ouvrage parut en
i(>73 : il s'aperçut (pi'il pourrait de-
venir d'ini iuléiH^t plii<» géïK-ral dans
RAY
ces diverses contrées , s'il réunissait
toutes celles qui avaient été obser-
vées ; en sorte que ce fut un nouvel
ouvrage qu'il fit paraître en 1694,
sous ce titre : Stirpium Europœarum
extra Britannias crescenlium syl^
loge. Il les réunit d'abord tontes
dans un premier catalogue par ordre
alphabétique; ensuite il reproduisit,
dans des catalogues particuliers ,
toutes celles qui appartiennent à des
cantons déterminés , d'après les au-
teurs qui les avaient observées. Delà il
résulte une esquisse très-curieuse de
la géographie botanique de l'Europe :
une synonymie exacte, des notes sou-
vent curieuses , quoique courtes , dis-
tinguent ce livre des simples catalo-
gues. La préface en est très-remar-
quable. D'abord c'est là que Ray re-
connaît pleinement le sexe des plan-
tes , eu répondant à une objection
qu'on avait déjà présentée , savoir :
que l'on voit des plantes bien déci-
dément femelles ,• produire des grai-
nes quoique séparées totalement
d'individus mâles. 11 répond à cela
par l'exemple des poules , qui pon-
dent, quoique séparées des coqs. Il
faut remarquer ici que Ray , natu-
rellement très - prudent , se mettait
bien au courant de toutes les décou-
vertes que l'on annonçait dans la
science qu'il cultivait de prédilec-
tion ; mais il n'en faisait usage qu'a-
vec précaution. Ainsi , dans le pre-
mier volume de son Histoire des
plantes, en lôSf), partant du pas-
sage où Grcw découvrait réellement
le sexe des plantes , en disant (|ue l'é-
tamiue , ou , comme il la nommait,
Vy/llireJUi\l la partie niàle,il se con-
tentait de dire que cela lui parais-
sait pr oh ahle : ce ii^est donc quepro-
grosivemcnt qu'il parut convaincu
de cette importante vérité, et qu'il
c.n devint le pixjmotcur. C'est là aussi
RAY
qu'il cuira en discussion avec Rivi-
nus. 11 commciîça l'attaque par vou-
loir prouver que cet auteur n'était
pas foudc à confondre les plantes li-
gueuses avec les herbacées , attendu
que les preni ières élaient gemmi p arœ ;
ensuite il lui reproche de séparer
des plantes qui ont des affinités évi-
dentes , seulement parce qu'elles va-
rient dans le nombre des pétales ;
comme la tormentille, qui a quatre
pétales , de la quintefeuille, qui en a
cinq. H fait la même observation au
sujet des fruits, qui servent, dans la
méthodedeRiviuus, à distinguer, par
le nombre de leurs loges, lesdivisions
secondaires ; mais c'est avec les
plus grands égards pour son adver-
saire qu'il expose son opinion :
Pdvini eqiddem opus vehemenler
lauclo , dit-il. Celui-ci répondit sur
le même ton , dans la lettre qu'il lui
adressa à ce sujet j il lui dit d'abord
qu'il le reconnaît pour le plus habile
botaniste qui ait encore existé : Et
hotanicorum quotquot Juerunt fa-
cile principem iioi>eram. Il se défend
d'abord sur la réunion de ces deux
classes , et il prend souvent des ar-
guments dans les propres paroles de
Ray. Quant à la séparation des plan-
tes , fondée seulement sur le nombre
de leurs pétales , ou des loges, de
leur fruit , il répond , comme a fait
depuis Linné, dont il a été le pré-
curseur, que son but n'est que de
donner les moyens de connaître fa-
cilement les plantes. Rivinus avait
fait imprimer celte lettre à Leipzig,
eu 1694. Ray fit paraître sa Répli-
que sous ce titre : Joannis Raii rcs-
ponsoria , en likjG. Elle est toujours
sur le même ton d'égards : on y
trouve un grand nombre d'observa-
tions curieuses ; niais s'il a quelque-
fois raison dans les détails , malgré
la subtilité de ses raisonnements , il
RAY
iSg
ne peut détruire la solidité des prin-
cipes de son adversaire. Par post-
scriptum , il parle des Éléments de
botanique de Tourncfort , qui ve-
naient de paraître, et c'est pour s'y
défendre : car, comme il le dit, par-
courant d'abord négligemment les
pages , « je m'y suis souvent vu ci-
» ter; et toujours pour me blâmer : »
cela surtout parce qu'il avait ajouté
au caraclcredes genres, des particula-
rités qui n'étaient pas nécessaires ( i ).
Ray se défendit d'abord sur ce que
ces particularités pouvaient servir
à faire reconnaître la plante; eu-
suite il usa de récrimination en
faisant voir que Tonrnefort en avait
agi de même souvent pour les gen-
res de second ordre. Tourncfort
lit à cela la meilleure réponse; ce fut
en faisant disparaître, dans ses Insti-
tutiones ces aggressions dont la répé-
tition était désagréable à celui qu'el-
les regardaient, et fastidieuse pour
le lecteur , et en professant , dans
toutes les occasions , la plus haute
estime pour Ray. Celui-ci réunit tou-
tes ces discussions dans sa Disserta-
tionoi'a de variis planlarummelho-
dis{ 1G96). La il attaque, avec plus
de suite, la méthode de Tonrnefort. Il
se répondit à lui même sans le vou-
loir , lorsqu'il fit paraître le Metho-
diis jilantaruin emendata et aucta ,
1703 ; car, au lieu d'y voir simple-
ment sa première métJiode corrigée,
c'en était une nouvelle, puisque, sui-
vant l'expression de Linné , è Fntc-
tistd Coiollista evasit , c'est-à-dire
(i) Le l'ait t-t ijup Tourncfort, ayant chcrcho i'i
ilcinoiiticr t[ue le caractirc îles geures devait être
tiré des parties seules de la fructification, a])rès avoir
expose le caiaclfre qu'il adopte, ue manque lias de
dire ; toutes ]ea Ibis <|ue l'occasion s'en preseule :
Aiii.i M. Rnya lorl tl'ajontcr telle pnticuliirilé.
Par exemple , à l'article Mandragore, il dit » <pi'il
» u isl pas essentiel a ce genre de ce que ses fl<>urs
o sortent de la racine sans tige , et d'avoir nue grosse
» racine, ainsi que M. Ray le vent; car on pourrait
>' eu trouver une <«|)Coe Jl tige i Icvou c* A raeino
•< mince. ■>
i6o RàY
qu'à l'exemple de Tournefort cl de
Rivinus , il prit pour première base
la corolle , eu considërant avec l'mi
sa figure, cl le tiombre de ses parties
avec l'aulre : de plus il corrigea le
caractère de ses genres; et maigre'
ces cLangements, il est certain qu'il
conserva moins de familles naturelles
que Tournei'ort. Au surplus, ces il-
lustres rivaux sortirent de cette lutte
avec honneur, parce qu'ils se respec-
tèrent rautuclleioent , et que l'on put
pro(iter des lumières qu'ils re'pandi
reut sans être obligé de moins esti-
mer l'im que l'autre. Ray , en pu-
bliant, en 1673, les observations
de tout genre faites pendant son
grand voyage , y avait joint des
Catalogues des espèces qu'il avait
observées , ou qui lui avaient ète
communiquées, La même année ,
il eu insera trois de plantes du Le-
vant , dans la Collection des voyages
de Rauwolf et de quelques autres
naturalistes, reproduite sous ce ti-
tre : Collection of curions Travels,
and vojages , Londres , 1 7u5 , in-
8». Mais son principal ouvrage sur
le règne végétal est son Histoire gé-
nérale des plantes, ea 3 vol. iu-fol.,
le premier de 1686, le second de
1688, et dont le troisième , qui est
le Supplément, n'a paru qu'en 1 704.
11 y recueillit avec ordre et y dé-
crivit avec métliode et clarté toutes
les plantes que ses prédécesseurs
avaient fait connaître, en y ajoutant
celles qui avaient été découvertes de
sou temps (2). Haller ,Sprengcl, et
tous ceux qui ont parlé de cet ouvra-
ge ,s'accordentà le regarder comme
(ï) Suiviiiit Adaiisoii, dans cet ouvrai;eiiiiiiicnae il
•otiouvc rilé iHlra;'> plautts diviiocs eu triutc-lrois
rlassca , dont six ?i peu jn is , (ou le ciuquii-inc) sout
natiirrlU'K; et crnl \iii|;t-ciiiq .sccliou^, demi qua-
raolc-lroift , (ou !<• lirrs) est iiaUircI; Vidée en était
I ri's-buuiie { <lIo cul uiivux ii'uiu>i, si l'aulcur tut
<'lc au!uH (!iHiid liiitniii»le , qu'il étj>i( savant cm'vaiu
il imiicicux i-iirupil lU'ur. D— P— S.
RAY
le produit d'un travail immense , où
règne beaucoup d'érudition, de cri-
tique et de sagacité, bien que, se
composant, pour la plus grande par-
tie, de faits empruntés à d'autres au-
teurs, il ne puisse être considéré
comme l'une des sources originales
de la science. Ray avait aussi étudié
la physiologie végétale : ou a de
lui, dans les Transactions philoso-
phif^iies , u°. 68, un Mémoii'e inté-
ressant sur l'ascension de la sève
dans les arbres; et il a rapporte',
en différents endroits de ses livres ,
des observations curieuses sur cette
partie des sciences physiques. Mais
dans le premier livre de son Histoire
des plantes , sous ce simple titre :
De Planiis in génère , Ray a eu le
rare talent de les rassembler eu uu
corps d'ouvicige : là se trouvent les
principales découvertes sur la na-
ture des plantes , faites par Cesalpin^
Colonna , Grew , Malpighi et Jun-
gins , auxquelles il a joint les siennes
propres; en sorte qu'il en a composé
ie Traité le plus complet qu'on ait
encore sur l'ensemble de la végéta-
tion. Il faut noter que, quoique ce
travail n'ait pas été souvent cité ,
c'est par lui que les doctrines de ces
auteurs se sont répandues , et sont
devenues , pour ainsi dire , popu-
laires dans la science : aussi nous
croyons que le plus beau monument
qu'on pourrait élever à la gloire de
Ray, serait d'isoler ce livre en le
réimprimaui à part. Ces nombreux
travaux ont fait époque en bota-
nique, et ont placé leur auteur dans
les premiers rangs de ceux qui ont
contribué aux progrès de l'histoi-
re naturelle des végétaux : néan-
moins les ouvrages postérieurs, et
surtout ceux (le Linné, par leur ter-
minologie pliis précise, et par leur
nomenclature plus commode, en ont
RAY
faitabandonncr l'usage : et ils xiescnt
plus p;uère parcourus aujourd'hui
que de ceux qui se livrent spéciale-
ment à l'histoire de la science. Les
ouvrages qu'il a composc's ou pu-
blies sur la zoologie , ont été en-
core plus importants et beaucoup
plus heureux ; car ils conservent
une utilité plus entière. On peut
dire qu'ils sont le fondement de tou-
te la zoologie moderne; et il est à
chaque instant nécessaire aux natu-
ralistes de les consulter pour écîair-
cir les difficultés que l'on rencontre
dans ceux de Linné et de ses copistes.
Ray ne fut cependant conduit à s'oc«
cuper de zoologie que par un senti-
ment de reconnaissance envers son
ami Willoughby. Celui-ci était mort
en 1672, à trente-sept ans, con-
fiant à-la-fois à Ilay l'éducation de
deux enfants qu'il laissait en bas âge,
et le soin de disposer en corps d'ou-
yrage les matériaux qu'il avait ras-
semblés sur les animaux , pour les
travaux que, dès leur première con-«
naissance , ils avaient projetés en
commun. Ray, s'étant consacré avec
ardeur à ce double devoir, composa
son Nomenclator classicus ,-çowv ses
élèves , dont l'aîné mourut jeune , et
dont le second devint dans la sui-
te pair de la Grande - Bretagne ,
sous le titre de lord Mid dicton. Il
mit autant de zèle que de fidélité
dans la rédaction et la publication
des deux grands ouvrages que Wil-
loughby avait entrepris. Ray aurait
pu, sans injustice, les regarder , en
grande partie , comme Ici; siens ,
puisqu'ils avaient été primitivement
conçus dans le même but que son
Histoire des plantes , et qu'il les
arrangea d'une manière à-[)cu-près
semblable : il n'est même pas dif-
ficile de voir qu'ils sont de la mê-
me main et écrits du même sty-
RAY
161
le : mais Willoughby , lors de la ré-
partition du txavail , s'était charge
de la partie des animaux; il les avait
recueillis et décrits pendant leurs
voyages. Bien que ces matériaux
fussent encore en désordre et in-
complets quand Ray en devint dé-*
positaire , il regarda comme une ob-
ligation étroite d'en élever un rao-
nument à la mémoire de son amj,
et de les mettre entièrement sous
son nom. Le premier, ou V Ornitho-
logie, parut en 1676 , i vol. in-
fol. Le second , qui avait exigé
encore plus de travail , et qui est
plus complet dans son genre , l'His-
toire des poissons , en 1 686 , en
'1 volumes également in-folio. Ou-
tre toutes les espèces de Belon ,
de Rondelet , de Gesner , d'Al-
di'ovanue , d'Olina , de Margrave,
on en trouve , dans ces deux his-
toires, un grand nombre que Wil-
loughby et Ray avaient observées
en Allemagne et en Italie. Les pois-
sons de la Méditerranée sur'out y
sont décrits avec une précision ra-
re ; et il est souvent plus facile de
les retrouver dans Willoughby que
dans Linné. A ces deux ouvrages
sont jointes beaucoup de figures ,
dont , à la vérité , le plus grand
nombre ne sont que des copies ,
mais parmi lesquelles il yen a plu-
sieurs d'ori"inalcs et de très-bonnes.
Celles même qui ne sont qu emprun-
tées de Belon et de Rondelet , pren-
nent de l'intérêt à cause des descrip-
tions (jui les accompagnent, et qui
sont bien supérieures à celles de
ces deux auteurs. On a de Ray ,
sous son propre nom, des ouvra-
ges de zoologie moins étendus , mais
dont l'influence n'a pas été moins
grande sur les progrès ultérieairs
de la science: i''. Sjnopsis vie-
thodica unimalium qnadriipeihmi
1 1
lG2
RAY
et serpent ini generis, in-8*'., Lon-
dres, 1693, où il rassemble, sous le
litre commun de quadrupèdes, les
mammifères et les quadrupèdes ovi-
pares.— ■î'^. Synopsis methodica
avium; et S''. Synopsis methodica
piscimn, 1718 : ces deux, derniers
sont posthumes^ et furent publies
par les soins do Derliam , qui s'ac-
quitta envers l'auteur du même de-
voir que Ray avait si bien rempli
envers Willoughby ; ils ofiVeiit dt^s
abrèges de cette ornithologie et de
cette iclityologie , qui avaient paru
sous le nom de Willoughby , avec
des additions importantes dues prin-
cipalement aux collections formées
à la Jamaïque, par Sloane, et que ce
savant médecin avait mises à la dis-
position de Ray. Les cétacés y sont
encore rangés parmi les poissons ,
et décrits d'après la Fhalœno gra-
phie de Sib])ald , qui venait de pa-
raître; mais il écrivait expressément
à Rivinus que ce n'était que pour se
conformer à l'usage. — 4"- Hisluiia
insectonim , 1 ■j 1 0 , ia-4°. , aussi pos-
thume , imprimée aux frais de la So-
ciété Royale, et sous l'inspection de
Derham. Martin Lister y joignit uu
traité sur les araignées et sur les sca-
rabés de l'Angleterre. Ce livre est
icmarquable par les innombrables
descriptions d'insectes (]u'il contient,
et dont une grande pariie était due
aussi aux travaux de Willoughby.
li'auteur y rejette L génération s[U)n-
tanée. Le caractère particulier des
travaux de Ray consiste dans des
mélhodcs plus claires, plus rigou-
reuses que celles d'aucun de ses
prédécesseurs , et appliquées avec
plus de constance et de précision.
Les distributions qu'il a introduites
dans les classes des quadrupèdes
et des oiseaux , ont été suivies par
les naturalistes anglais^ jucsquc jus-
RAY
qu'à nos jours; et l'on trouve des
traces sensibles de celle des oiseaux
dans Linné , dans Brisson , dans
Buffon, et dans tous les auteurs qiû
se sont occupés de cette classe d'ani-
maux. L'Ornithologie de Salerne
n'est guère (ju'uue traduction du Sy-
nopsis; et Bull'on a extrait de Wil-
loughby presque toute la partie ana-
tomique de son histoire des oiseaux.
C'est aussi en grande partie en tra-
duisant ses articles sur les poissons,
que Daubcnton et Hauy ont compo-
sé le Dictionnaire d'Iclityologie de
l'Encyclopédie méthodique. Ces tra-
vaux sur presque toutes les bran-
ches de l'Histoire naturelle , dont
l'immensité est faite pour eirrayer
l'imagination , ne détournèrent point
Ray de ses premières études en
théologie : il sut les combiner avec
celle de la nature, dans son traité
Pe la sagesse de Dieu , manifestée
dans les œuvres de la création ;
ouvrage dont il avait jeté les pre-
mières bases dans sa jeunesse, lors
de ses leçons à Cambridge, et qu'il
publia depuis, avec beaucoup de dé-
veloppement, eu 1G91 , un vol. in-
8". C'est un exposé des admirables
précautions avec lesquelles la Provi-
dence a disposé chaque être ])Ourles
fonctions qu'd floit remplir dans le
grand ensemble de l'univeis, et a
veillé, dans le degré convenable , à
tout ce qui est nécessaire à sa con-
servation. L'auteur y représente l'é-
tude de la nature comme un devoir
pour les hommes pieux , et cherche
à rendre vraisemblable qu'elle fera
partie des occupations d'une autre
vie. Ce fut aussi sur les leçons et les
sermons qu'il avait autrefois pronon-
cés à Cambridge, qu'il rédigea et pu-
blia , en iCq» , Trois discours phy-
sicothéulogitpics , sur le chaos , le
déluge, et la dissolution du monde j
RAY
lesquels présentent un sysième de
géologie aussi plausible qu'aucun de
ceux qui ont paru à cette époque et
long- temps après Ces deux ouvra-
ges ont joui pendant long-temps de
beaucoup d'estime en Angleterre; les
e'Hilions en sont nombreuses. Le pre-
mier a même été traduit dans plu-
sieurs langues. On l'a imprimé en
français , en 1714^ U treclit , in-8". ;
et la douzième édition de l'original
anglais parut à Londres en 1759.
On a encore de Ray , un Recueil
de proverbes anglais , l'un de ses
premiers ouvrages , et de tous le
plus populaire dans son pays : com-
posé dès 1669, ^^""^ parut cependant
qu'en 1672 et 1673. 11 donna un Re-
cueil des mots anglais peu usités , ou
que l'on n'emploie qu'eu certains
cantons. Ses ouvrages d'iiistoire na-
turelle sont tous purement écrits en
latin; il a moins employé que ses
successeurs cette multitude de ter-
mes nouveaux dont un si grand
nombre ne sert qu'à fatiguer la mé-
moire. Wilkins l'avait prié de tra-
duire en latin son Caractère réel;
et l'on assure que le manuscrit de
cette traduction existe encore dans
les papiers de la Société Royale. Bien
que d'une constitution faible, Ray
parvint à l'âge de soixante- dix-sept
ans; mais ses dernières années furent
très-pcuibles. Il fut attaqué d'ulcères
douloureux qui le privèrent de Tusa-
gede ses jambes. 1! mourut le 17 jan-
vier 1705 , à Black-Notley , son lieu
natal , où il s'était retiré depuis nojn-
bre d'années. Il s'était marié, en
JO73 ( à 45 ans ), à une personne
qui n'en avait que vingt; il en eut
quatre filles, dont trois lui ont sur-
vécu. Ses manières étaient douces et
ailabies; et il se montra toujours,
dans sa vie connue dans ses ouvra-
ges , pieux et; nlein de cliarilé. L'é-
RAY
163
vêcpieComptonlui fit ériger, dans le
cimetière de Black-Notley, un moniK
mcnt qui a été depuis transporté
dans l'église , et sur lequel on lit une
longue et élégante épitaphe latine de
la composition de Guillaume Coyte.
Quelques jours avant sa mort, Ray
avait donné tout ce qu'il avait en col-
lections d'histoire naturelle à Samuel
Dale, pharmacien deNorwich, con-
nu par quelques bonnes productions
dans cette science. On regrette qu'il
n'ai t point forméd'hei'bier; mais ceux
de quelques-uns de ses contempo-
rains, que possède le Muséum britan-
nique , donnent tous les moyens de
fixer les plantes qu'il a décrites.
Plumier lui consacra le genre Jan-
Raj a, 'nom que Linné, i^ar trans-
position changea en Rajana, plus
conforme à ses principes : on l'avait
réuni à la famille des asparaginéesj
mais on l'en a détaché avec plu-
sieurs autres^ pour eu former une
nou\elle , celle des Smilacinées.
Diverses espèces de poissons por-
tent aussi le nom de Ray, com-
me ayant été découvertes par lui.
George Scott a fait imprimer , en
I 7(Jo , la vie de Ray , composée par
Guillaume Derhaiu , et ce qui restait
d'intéressant dans ses papiers. Une
vie plus détaillée, rédigée par le che-
valier Smith, président de la société
linnéenne de Londres , a été insérée
dans la Cyclopœdia de Rces.
C — V — R et D — p — s.
RAY DE SALNÏ- GENIEZ ( Jac-
Quts - Marie), tacticien, naquit à
Saint - Gêniez , diocèse de Rodez, en
1712. Il embrassa, jeune, le métier
des armes , obtint une compagnie
d'infanterie, servit avec distinction
dans les guerres d'Italie et d'Alle-
magne , et fut récompensé par la dé-
coration de l'ordre de Saint -Louis.
Ayant pris sa retraite , il employa
II..
i64 RAY
SCS loisirs à l'cttidc de son art et à
celle derhistoire, et mourut le i5
mars 1777. On a de lui : I. \iArt
de la gueire pratique , Paris , 1 7 54,
'y. vol. in - 12. Cet ouvrage, oublié
depuis long -temps, eut beaucoup
de succès lors de sa publication , et
fut traduit en allemand , en anglais
et en espagnol. II. Histoire militai-
re de Loids-le-Juste , \']^S , 2 vol.
in- 12. III. Histoire militaire du rè-
gne de Louis-le- Grand, ïh\d., 1755,
3 vol. in- 12. IV. V Officier parti-
san, 1763-66, 2 vol.in-i2. V. Stra-
tagèmes de guerre des Français ,
ou leurs plus belles actions militai-
res depuis le commencement de la
monarcliie, 1769, 6 vol. in- 12, Cet
ouvrage est annonce' comme faisant
suite au pre'cédent. W — s.
RAYMOND ( Joachtm-Marie) ,
général distingué par sa conduite
dans l'Inde , où il devint chef du parti
français à la cour de Nizam - Aly ,
soubah du Décan , était fds de Fran-
çois Raymond et de Jeanne de Brcilh,
et il naquit le 20 septembre 1755, à
Sérignac,à six lieues d'Auch. Fran-
çois Raymond, qui jouissait d'une ho-
norable aisance, n'épargna rien pour
l'éducation de ses nombreux en-
fants. Son ûls suivit d'abord , à Tou-
louse , la carrière du commerce;
et , au bout de deux ans , il résolut
d'alIc tenter la fortune au-delà des
mers. Il se rendit, en conséquence,
à Lorient , avec une petite paco-
tille et quatre mille francs que son
père lui avait doni'ics en numéraire ,
et s'embarqua, au commencement de
1775, pour les Indes- Orient aies. Ar-
rivé à Pondicliéri, Raymond se dé-
fit des marchandises qu'il avait ap-
portées de France, et renonça bien-
tôt après aux spéculations commer-
ciales, pour suivre la vie active des
camps, qui convenait mieux à son ca-
RAY
ractère aventureux. On voit , en clTef ,
dans une lettre qu'il écrivait de Man-
galor à son père , sous la date du 1 '^'^.
novembre 1783, et que nous avons
sous les yeux , qu'il était entré dès
1777, dans le corps de Lallée,avec
le grade de sous-lieutenant. S'étant
distingué dans plusieurs affaires con-
tre les Anglais et contre les princes
indiens, il fut nommé lieutenant , et ,
le 1 5 avril 1783, élevé au grade de
capitaine aide -major , par le mar-
quis de Bussy, commandant-géné-
ral des troupes françaises dans l'I nde.
Peu d'années après , il fut nommé
major , et passa au service d'Hyder-
Aly, régent du Maïssour , qu'il quitta
en 1786, pour s'attacher à Nizara-
AIy,soubah du Décan. En 1791 , les
commissaires civils que le gouver-
nement français avait envoyés dans
rindc , lui accordèrent le grade de
général. Son crédit à la cour du
soubah du Décan , dont il avait su
acquérir la confiance , fît tant de
progrès , que ce prince , qui l'avait
mis d'abord à la tète de mille sol-
dats , lui confia le commandement
d'un corps de vingt-cinq mille hom-
mes d'infanterie , exercés à l'euro-
péenne , qu'il entretenait a. sa solde.
La plus grande partie des officiers
étaient européens ( i ) ; et en outre
un train de vingt-quatre pièces de cam-
pagne , avec cinquante - deux pièces
de grosse artillerie, était attaché
à ce corps , qui formait la principale
force du Décan. L'influence du parti
français, faisant chaque jour de nou-
veaux progrès cà la cour du soubah ,
quoique ce prince fût cncoreallié des
Anglais , Raymond, qui en était le
chef, conçut le projet de détacher
Nizam- Aly de leur alliance, et de
(i) t)ii (li.itinpuait (laiiiii eux nlu.iiciiis it(Ilcicr5
Jninç.iis (|iii «■taiciit ciilrr» .'i lu solJr (lu smilmli njirw
la IViiiestc évacuation de Pondichcri ,<;ii 1189.
RAY
le décider à eu coucliire une nou-
velle , sous les auspices de la Fran-
ce , avec Tippou-Saëb , sultlian du
Maissour , qui avait succède , en
1782, à son père Hyder-Aly: cette
alliance devait être cimentée par
le mariage de la fdle du soubali
avec le sultlian. Raymond ne pou-
vait mettre en doute l'assentiment
du gouvernement français , par-
ce qu'il sentait combien ce projet
devait être avantageux aux intérêts
de sa patrie : d'un autre côte' Nizam-
Aly paraissait l'approuver ; et tout
faisait présumer que le sultlian , qni
avait plusieurs fois témoigné le désir
de s'unir étroitement à la France,
pour chasser de l'Inde les Anglais
qu'il abhorrait, s'empresserait d'y
donner les mains. Un aveuglement
incroyable , ou plutôt un concours
fatal de circonstances qu'on n'avait
pu piévoir , empêcha l'accomplisse-
ment d'un plan si habilement conçu.
Tippou avait, en 1787, sollicité
l'alliance des Français : il renou-
vela ses démarches, eu 1791 , et
il demanda en même temps qu'on
lui envoyât un corps européen de
trois à six mille hommes , qu'il
voulait prendre à sa solde. M. de
Fresne, colonel du régiment de Bour-
bon , devenu , après l'évacuation de
Poudichéri, coinmanJanl en chef des
clablisscraents français dans l'Inde,
déni outra vainement les avantages
uicalculables qui devaient être le ré-
sultat de l'acceptation des olFrcs du
sulthan: les progrès de la révolution
fraDçai>e empêchèrent qu'on y don-
nât aucune suite. M. de Chermont ,
coloneldn régimentderîle de France,
qui avait, en 179"-*, remplace M. de
Fresne, ayant appris, au mois de mai
de l'année suivante , que la gneirc
était déclarée entre la France et l'An-
gleterre , renouvela le projet de sou
RAV
i65
prédécesseur, appuyant avec chaleur
auprès d'un conseil de guerre réuni
à Poudichéri, les propositions de
Tippou-SaëÎJ ,et le plan de triple al-
liance conçu par Raymond , dont
le résultat devait être l'attaque com-
binée des possessions anglaises du
Carnatc et de la côte d'Orissa. Mais
les commissaires civils , alors la pre-
mière autorité française dans l'Inde,
s'opposèrent à un arrangement qui
n'était pas dans leurs instructions.
L'abaissement de Tippou-Saëb, et la
perte de Pondichéri , furent la con-
séquence de celte funeste opposition.
Raymond n'en conserva pas moins
son crédit à la cour du Décau ; et ,
malgré ce contrc-tcraps fâcheux , il
aurait encore pu changer la situation
politique de l'Inde , s'il eût été se-
condé parles cii constances, et parles
dispositions des princes de la Pénin-
sule , auxquels il chercha vainement
à communiquer son ardeur et son
zèle pour la cause de le.ir indépen-
dance. Après la prise de Pondichéri
( 21 août I 793 ), l'influence de l'An-
gleterre augmenta, de jour en jour,
à la cour du soidjah , ainsi que le cré-
dit du visir Macliir-Mouknik , enne-
ini des Français. Juge.uît, dès lors,
au'fà la mort du vieux INizani-Aly ,
son second fils , gendre de Machir-
]\Io>iiuuk, monterait sur le trône
dn Décai! , au préjudice d'Alv - Bé-
bader, son fils aîué, qui ne cachsit
pas sou aversion pour la nation an-
glaise ( événement qui devait entraî-
ner la ruine du parti français), Ray-
mond crut devoir prendre à l'avance
des précautions ponr sa sûreté. Il
sollicita et obtint du soubah et de
Ïippou-Saëb , un caoul ou autorisa-
tion nécessaire pour acheter des ar-
mcsdansdesélatsdu sulthan ;et, sous
ce prétexte, il envoya des émissai-
res, à la cour de "Maissour , olhir
iG6 RAY
à Tippoii de passer à son service,
avec les troupes qu'il commandait ,
et accompagné du fils aînc' du sou-
bab. Le plan de Raymond était vaste
et bien conçu : une révolte simulée
tlu rajali de Salapour aurait éclaté ;
et le prince Béhader , sons prétexte
de l'etoufFer , aurait ma relié à la tête
de l'armée destinée à réduire le rajah,
et se serait dirij;é sur les confins des
e'îats du sultlian. De là passant dans
le Maïssour avec son armée , il au-
rait épousé «ne fille de Tippou , et
serait resté chez ce prince avec le
parti français , jusqu'à la mort du
vieux soubab. Alors l'héfitier du
Dccan aurait marché droit à Au-
rengabad , capita'e du royaume de
son père, toujours accompagné du
parti français , et il se serait emparé
du gouAcrnement qui lui était dévolu
par droit de naissance et de succes-
sion. IMais Tippou refusa d'accepter
ces propositions, par suite des insti-
gations de Mir -Saïd, son ministre.
Ce serviteur perfide , depuis long-
temps vendu aux Anglais, représenta
au sullhan que rintroduction dans
son royaimie d'une force auxiliaire
aussi redoutable , le mettrait à la
disposition de Raymond et du prince
Béhader, qui seraient vraiserabla-
])lement tentés de se rendre maîtres
de sa personne et de ses états. Quoi-
que le caractère noble et élevé de
Raymond , qui n'avait d'autre but
que de mettre à couvert le parti fran-
çais , et de disposer les événements
en faveur du fils aîné du soubah ,
rendît ces craintes puériles , Tip-
pou , cédant aux insinuations de
JVIir - Sa'id , consentit yenlemont à
prendre Raymond à son service,
dvec quatre mille hommes au lieu
de vingt-cinq mille; et ce projet,
qui eût peut-être sauvé le sultlian,
i'il avait clé exécuté, n'eut aucune
RAY
suite. Vers celte époque ( 1 794) , les
Mahrattes déclarèrent la gncrre à
Nizam-Aly . et réclamèrent le chout
( le quart des revenus net ) des pro-
vinces du nord. Ce prince, qui sen-
tait tout le parti qu'il pouvait tirer
de Raymond dans celte circonstance
difficile, s'empressa de se l'attacher
plus particulièrement , ainsi que le
corps dont il avait le commande-
ment en chef, en lui abandonnant
la régie de huit provinces pour la
solde de ses troupes , ce qui Icnr as-
surait un revenu fixe et indépendant.
Ayant ensuite convoqué tous ses na-
babs et rajahs, le soubab marcha en
personne contre ses ennemis à la tête
d'une armée forte de trois cent mille
combattants, dontR.aymond formait
l'avant-garrle , avec un corps de ca-
valerie d'élite de seize raille hommes,
et il établit son quartier général à Be-
dcr.LcsMahrattcs qui s'avançaient de
leur côté , parurent bientôt dans le
De'can, avec le peischwa à leur tête.
Une grande bataille se donna entre
les deux puissances ; la cavalerie
Mahratte ayant tourné l'armée dii
soubab , celle-ci prit honteusement
la fuite, et abandonna son artillerie,
ses bagages et ses trésors : mais tout
fut sauvé parRavmond, qui parvint
même à rejoindre l'armée fugitive
sans avoir été entamé. Nizam-Aly
crut devoir néanmoins demander la
])aix aux IMahraltes; et il ne l'obtint
qu'en s'cngageant à leur payer un
sidjside de deux courours de roupies
( environ cinquante millions de
francs ) , et en leur laissant pour
oîage Machir-Moulouk, son visir.
Peu de temps après ces événements,
le prince Aly - Béhader réclama ,
à titre de domaine, le distiict dcGou-
ty-Bcllary, dont il ambitionnait la
possession. Sur le refus du souL.ih ,
il se fit derviche, et vécut qu'Kp c
RAY
Ipmps tlans la retraite, sans doute
pour mieux fomenter une révolte
qu'il méditait contre son père. Il joi-
gnit en elTct le rajah Sadassorely,
avec un corps de troupes , et se re-
tira à vSangareJdy, dans l'espoir que
l'armëe entière du sonbali quitte-
rait ce prince, et le placerait lui-
même sur le trône. Dans ce péril ex-
trême, Nizam-Aîy mit toute sa con-
fiance dans le gênerai Raymond, et
lui ordonna d'aller combattre les re-
belles avec le peu de troupes qui lui
étaient restées fidèles. Le gênerai
français se trouvait place' dans nue
position fort délicate ; mais quel-
que attaclié qu'il fût au prince Bêha-
der , il n'hcsita pas entre son de-
voir et ses affections particulières; il
marcliacontreles révoltés, les miten
déroute , et fit prisonnier Béhader
lui-même. Ce fut en vain que Ray-
mond essaya de calmer le désespoir
de ce malheureux prince , en enga-
geant sa parole qu'il intercéderait
pour lui, et qu'il ne lui arriverait
aucun mal ; rien ne put dissij)er
les craintes que Béhader avait con-
çues sur les suites du ressentiment
du soubab , et il s'empoisonna à quel-
ques lieues d'Hyder-Abad.Son corps
fut porté à son père , et enterré ho-
norablement par les ordres de ce
prince, qui récompensa nobler/icnt
le service signale que Raymond venait
de lui rendre. II conféra au général
fiançais letitre de moulouk oupiince
du sang, et accorda celui de zing ,
qui répond au titre de comte, à trois
des principaux oiUciers de son ar-
mée. En donnant, devant toute la
cour, l'accolade musulmane à Ray-
mond , Nizam-Aly dit hautement :
« Voilà les roses de mon aimée;
» Raymond m'a sauvé de nies enne-
» mis, tandis que mon propre sang
» et tous les musulmans m'avaient
RAY 167
» abandonné. « Raymond continuait
d'assurer au parti français la pré-
pondérance à la cour du Décan , pré-
pondérance que les Anglais voyaient
avec autant de jalousie que d'in-
quiétude, lorsqu'ils furent délivrés
de ce redoutable adversaire, qui cessa
d'exister, à Hyder-Abad, le 6 mars
i-(j8. La mort de Raymond , qu'on
soupçonna généralement d'avoir été
liâtéepar le poison, marqua unchan-
gement d'époque et de système, qui
prépara la prodigieuse influence que
les Anglais exercèrent depuis chez le
soubah. Cegénéral joignait aux avan-
tages d'une bonne éducation , et à des
talents militaires peu communs, sur-
tout comme oflicier d'artillerie , une
bravoure à toute épreuve , une con-
naissance aprofoudie de l.'Inde et
des divers iulcrcts des souverains et
des peuples , et un esprit vaste , ca-
pable d'enfanter les projets les plus
hardis avec la prudence et la fer-
meté nécessaires pour les f.iire réus-
sir. La franchise et la lovaulé de son
caractère lui avaient fait obtenir
l'estime et l'amitié du soubah du
Décan, sentiments qui se forlifièrcnt
encore par les importants services
qu'il lui rendit. Sa conduite me-
surée, la cour assidue qu'il faisait au
soubah , et l'argent qu'il savait à pro-
pos répandre dans sa cour, assu-
rèrent son crédit , et le mirent à
portée de connaître exactement les
tlisposilions de ce prince et de ses
ministres. Plein d'un noble désinté-
ressement, et animé turlout par le
désir d'être utile à sa patrie , le géné-
ral Raymond chercha moins à ac-
quérir des richesses , qu'à établir la
pirépondérauce des Français dans
cette belle partie de l'hidc. Il y était
parvenu: mais, après sa mort , les
fautes multipliées de Pirron , qui de
son lieutenant devint sou successeur,
i68 BAY
détruisirent son ouvrage. (2). D-z-s.
RAYMONDI ( Mabc-Antoine ).
V. Raimondi.
RAYNAL ( Guillaume-Thomas-
François ) , né le 1 1 mars i-j 1 1 ^ à
Saint-Geuiez , dans le Rouergue, est
Tuii des philosophes du dix-huitième
siècle dont la réputation a jeté le
plus d'éclat. Son nom , associé à ce-
lui des Voltaire , des Rousseau , des
Montesquieu , fut un moment dans
toutes les bouches j et son Histoire
■philosophique , le seul de ses livres
qui ne soit pas oublié aujourd'hui ,
était alors dans les mains de tout le
monde : mais le temps , qui emporte
toutes les fausses renommées , n'a
pas fait grâce à la gloire usurpée de
l'abbé Raynal. UHistoire philoso-
phique a depuis long -temps cessé
d'être lue : elle n'est plus consultée
que comme dictionnaire ; et encore
les grandes révolutions qu'ont subies
les colonies , ont , sous ce rapport ,
ôté au livre de Raynal presque tout
son intérêt. Quel fut donc le secret
de l'éclatante célébrité dont l'écri-
vain a joui de son vivant? l'esprit de
parti d'abord , puis le talent de met-
tre à profit , pour sa réputation lit-
téraire , l'espèce d'influence qu'H
avait acquise dans la haute société.
Comme Voltaire, Raynal étudiachcz
les Jésuites , et puisa dans leurs le-
çons lies lumières dont il devait ,
par la suite , faire un si fimeste usage
(?.) Quelques mois s'i'taicril "i peine écoulés depuis
la luoit du Uaymoiid , que le visirMachir-MouIouk ,
etinciui secret des Fiançais, profitant liabileinent des
fautes et de rimprévoyance de Piiron , riait d(-jà
parvenu, sousdivcr» prétextes ,à disscniiiier Iccurps
auxiliaire !iur le pied européen. Les Anglais instruits
de ces disprisllioiis , (ju'ils avaient sans doute eux-
mêinia prej)ai< is , (irent entrer des force» considé-
rable» dans le Décan ; et l'année française au service
du soubah , menacée par Maobir-Mouloiik de voir
^>urncr i outre elle toutes le» forces de Ni*am-Aly ,
ni elle lirait un coup de fusil , fut obligée de capitu-
ler le 9.'i ocl. 1798. Cî'l «■véncincnt mil le sonbah
dans la dipendance absolue des Anglais , et pro-
para l'euvaliissciuciit dis étals de 7 i|p))ou.
RAY
contre la morale et la religion, A la
fin de ses études , il entra dans la
compagnie de Jésus , fut ordonne
prêtre , et obtint quelque succès dans
l'enseignement et dans la prédication.
La petite ville de Pézenas lui parut
bientôt un théâtre trop étroit pour
son ambition. Il quitta cette rési-
dence , ainsi que la compagnie ,
l'an 1747, pour venir à Paris , et
fut attaché , en qualité de prêtre
desservant , à la paroisse de Saint-
Sulpice. Le produit de quelques
messes fut d'abord son unique res-
source. C'est à cette partie de sa vie
que se rapporte l'anecdote fameuse
de cette messe qu'il disait chaque
matin pour huit sous ^ qui était payée
à l'abbé Prévost vingt sous , et que
celui-ci cédait pour quinze à l'abbé
de Laporte , lequel la cédait de la
troisième main à Raynal. On a ra-
conté la même anecdote de l'abbé de
Mably : malheureusement cette scan-
daleuse et misérable simonie n'était
j)as sans exemple dans un temps oîi
tant de médiocres littérateurs étaient
d'assez mauvais prêtres. A Paris ,
Raynal entreprit de prêcher. Malgré
la chaleur de son débita, l'orateur de
]Movince ne parut que ridicule , et il
renoHça bientôt à une profession qui
ne s'accordait , ni avec ses goûts, ni
avec ses opinions personnelles. Dans
la suite , quand il parlait à ses amis
de cette époque de sa vie , il disait
avec une sorte de naïveté méridio-
nale : Je né préchais pas mal, mais
j'avais un assent dé tous les diables.
Mais ce dont il n'avait garde de se
vanter , c'est qu'il fut chassé de la
paroisse de Saint-Sulpice pour plu-
sieurs actes de simonie , entre autres
pour n'avoir jamais enterre jjer-
sonnc sans avoir préalablement re-
çu des parents une rétribution se-
crète de soixante francs. Il se faisait
RAY
également payer pour inhumer des
protestants en terre sainte, comme
bons catholiques. La découverte de
ce honteux commerce le força de
renoncer au sacré ministère ; et voilà
ce qui fit de Raynal un philosophe.
( I ) Ce jésuite, qui avait jeté le froc à
un âge oîi les passions des hommes
du monde commencent à s'amortir,
ou du moins à se régler , apporta ,
dans la société, nouvelle pour lui,
tous les penchants d'une ardente
jeunesse : il voulait jouir enfin de la
liberté et des plaisirs faciles qu'une
fortune indépendante peut procurer
dans les grandes villes. A défaut de
bénéfices ecclésiastiques auxquels il
ne pouvait plus aspirer , et qui d'ail-
leurs lui eussent imposé quelque gêne
dans sa conduite privée , il se créa ,
par son savoir-faire , des revenus
certains. Tout-à-la-fois homme d'in-
trigue et de plaisir, il se fit le nou-
velliste officieux, l'ami complaisant
de MM, de Saint-Séverin , de Pui-
sieux , et de plusieurs seigneurs en
crédit. Parleur protection, il obtint
la rédaction du Mercure de France ,
et à toutes ces ressources il ajouta
l'entreprise de plusieurs compila-
tions dont il osa lui-même se faire
le libraire. Ce parti , que prennent
aujourd'hui tant d'auteurs , parais-
sait alors contraire à toutes les con-
venances , à toutes les idées reçues:
mais au moins le succès justifia la té-
mérité de Raynal. Il trouva le secret
de vendre plus de six mille exem-
plaires d'un ouvrage dont le plus ha-
bile libraire ne débiterait pas six
cents actuellement. Nous voulons par-
ler de son Histoire du Stathoudërat ,
aujourd'hui entièrement oubliée, et
qui mérite de l'être. C'est moins une
(i) VoYcx les Souvenirs de xnii^t an^ de sc/oiir ft
Berlin , par Dicudonuc Tliicbault , t. UI , p. iS3.
RAY
169
histoire impartiale _, qu'un mani-
feste contre les princes d'Orange. La
manie des portraits faits au hasard ,
y est portée à un tel excès , qu'on a dit
avec vérité que les personnages mis
en action par l'auteur pourraient
changer entre eux de portraits, sans
que le lecteur s'en aperçût. Le style,
à quelques morceaux près, qui annon-
cent quelque talent , estpleinde pré-
tention , métaphorique, hérisse d'an-
tithèses, en un mot , presque toujours
éloigné de la dignité historique. A
l'Histoire du Stathoudërat, publiéeen
1 748 , Raynal fit succéder, la même
année, celle du Parlement d'Angle-
terre , qui lui est fort inférieure.
Cette histoire n'offre ni recherches ,
ni critique, ni talent de style. On y
voit un homme qui ose prendre la
plume pour pciudre la constitution
d'Andeterre , avant d'en avoir étudié
ou compris les ressorts ; qui veut
j uger les révolutions de ce pays , sans
avoir acquis même les premières no-
tions de la politique générale. Il faut
remarquer que, dans cet ouvrage,
Raynal se montre partisan du pou-
voir absolu, tandis qu'en retraçant
la lutte des stathouders avec les ré-
publicains hollandais, il s^était mon-
tré l'apôtre fervent d'une liberté
sans limites. D'où provient cette
contradiction? Raynal avait com-
posé sa première Histoire pour flat-
ter les opinions nouvelles ; il écrivit
la seconde sous l'influence du minis-
tère. 11 publia ensuite plusieurs de
ces compilations qui , dictées par le
goût du public , font au moins
quelque chose pour la fortune d'un
auteur, si elles n'ajoutent rien à sa
renommée : tels sont le Mémorial
de Paris de l'abbé Antonini , aug-
menté, 1749; les Anecdotes litté-
raires, 1750. Ces titres prouvent que
Raynal n'était pas fort dillicilc sur
î^o RAY
le choix fîc ses sujets , pourvu que
la sppciilalion de li])rairie lui ofriît
des chances de bénéfice. II sut ainsi,
en peu d'années , non-seulement se
ineltre au-dessus du besoin, mais
arriver à une rapide fortune. Voue'
à des spécu'alions de plus d'un £;en-
re, il trafiquait sur les déniées co-
loniales eotnîne sur les productions
de l'esprit. Il trafiquait même sur le
corniiierce des noirs , contre lequel
il devait un jour s'élever avec tant
de force, dans son Histoire philoso-
phique. Un bio[;raphe, d'ailleui-s fa-
vorable à Haynal , Dcscssarts , auteur
des Siècles littéraires de la France,
lui reproche d'avoir fondé sa fortu-
ne sur cet odieux négoce. Cette par-
ticularité est une preuve de plus du
peu de fonds (nie l'on doit faire sur
toutes les jongleries des hommes de
secte et de parti. Mais suivons Ray-
nal dans ses travaux faciles , et
pourtant si lucratifs. 11 publia , en
1753, un livre intitulé : Anecdotes
historiques , militaires et politiques
deV Europe. Onze ans après , il don-
na le même ouvrage , avec des addi-
tions , sous le titre de Mémoires po-
litiques de l' Europe , l'jGi ; et, l'an-
née suivante, 17(33, il fit réimpri-
mer, sous un titre particulier, une
partie de cette même compilation :
c'est ['Histoire du divorce de Henri
y m, production vraiment distin-
çjuce, et qui aurait dû échappera
l'oubli. Ou y voit un tableau de
l'Europe, tracé avec beaucoup de
talent. Nous citerons encore , p.iriiii
les livres anccdotiqiies que Ray-
nal fabriqua plutôt qu'il ne les
composa, V j<jC(de militaire, \'^{y}. ;
recueil de traits détachés, où rail-
leur rassembla des exemples de lâ-
cheté comme de courage. Nous ne
)a|)|)(!ons celle compilation, mal
dij^ércc s'il cm fût jamais, que parce
RAY
que c'est encore un ouvrage que
Raynal publia par ordre du Gower-
nement , ainsi que le porte son titre.
Après une succession d'écrits aussi
médiocres , on aurait peine à s'ex-
pliquer le crédit et la renommée
dont jouissait alors leur auteur, si
l'on ne savait que Raynal frécpientait
tous les salons, qui, à cette époque,
étaient en possession de mettre un
écrivain en vogue , quelle que fût
d'ailleurs la nullité de ses titres litté-
raires. Doué d'une assez belle figure,
d'un csjirit étendu, ayant un carac-
tère décidé et une sorte de bonho-
mie apparente, il ne pouvait manque)'
de réussir dans un tem|)s où l'hom-
me de lettres qui s'enrôlait dans la
secte philosophique , était sûr de
trouver partout l'accueil le plus fa-
vorable. Rédacteur du Mercure ,
reçu chez les ministres, et de plus,
fort obligeant par caractère, il pou-
vait, mieux qu'un autre, rendre la
pareille à ses preneurs. II était aussi
des plus assidus aux réunions qui
avaient lieu chez Helvélius , chez le
baron d'Holbach, chez M'"". Geof-
frin. Il faisait continuellement ses li-
vres dans la société , poussant de
questions tout ce cpii l'appi-ochail ,
pour recueillir tontes sortes de do-
cuments (li). Cette méthode , qui le
dispensait de bien des méditations et
de bien des lectures , intéressait d'ail-
leurs Tamour-propre de ses amis au
succès de ses ouvrages. Aussi, plu-
sieurs années avant sa publication ,
son Histoire philosophique était con-
nue , et annoncée comme le chef-
d'œuvre du siècle. Cet ouvi-a^^e
parut enfin, en 1770, en quatre
volumes, et sans nom d'auteur. Ici
commence l'époque vraiiuenl iiilé-
ressanle de la vie de lîaynal ; ici iiais-
( a1 V„yu7. le» Mriii.MiCb .le I'.iMjc MorcUif.
sent pour lui les embarras d'une gloi-
re qu'on lui contesta dans le sein mê-
me de son parti. Le bruit se répan-
dit ge'ue'ralement qu'il n'était pas le
seul auteur de son ouvrage. On fai-
sait honneur à Diderot des morce.iux
les plus intéressants , et auxquels l'a-
mour - propre de Raynal tenait le
plus. Ces bruits, que la malveillan-
ce aurait accueillis, quand même ils
n'eussent pas êtë motives , ne se sont
que trop confirme's par le témoigna-
ge imanime de tous les contempo-
rains, et particulièrement de Labar-
pe et de Grimm , qui tous deux fu-
rent étroitement lies avec Raynal et
Diderot. On sait que ce dernier don-
nait la pins grande partie de son
temps aux ouvrages de ses amis :
« Peut-être , disait il, ne suis-jepro-
» digue de mon temps que par le peu
)) de cas que j'en fais : je ne dissipe
M que la chose que je méprise. On
« me le demande comme rien j je
» l'accorde de même. »> Gamm ob-
serve, dans sa CorresponJance, que
ce singulier motif soutint seul la
patience et le courage de Diderot ,
pendant les deux années entières qu'il
s'occupa uniquement de V Histoire
philosophique. « Qui ne sait aujour-
» d'hui , continue Giimm , que près
» d'un tiers de cet ouvrage lui ap-
» partleul { /'".Diderot, XI, S'ii)?»
Diderot ne fut pas le seul qui coopéra
à Vlliîtnire philosophique [3). On cite
encore l'auteur de Telt'phe , qui récla-
mait sans bruit sa bonne part de l'ou-
vrage de Raynal , et notar:imcnt des
pageséloqneiitessurla traite des noirs
( /^. Pecumkja). Au reste, on peut
dire que ce livre était bien à Raynal:
(i) M""", de Vandcuil, la fille de Oi.Ierot , pos-
îM'de lin expriiplaire do la preiiiîère (-'ditinii rip V His-
toire pliiltysofjhiaiie , où tous 1rs pass'.i;;rs qui* Ray-
nal ciiipriiiila à la iiliuiio cluqdcnte Ue Sun iiuiî buuf
tuiiiulic'Ubciat'ut iiidiijiii'S,
RAY 171
car il payait gc'ncreusenicnt ses col-
laborateurs (4). Mais il ne se borna
pas à ces emprunts volontaires: dans
les éditions suiAantes , il inséra des
pages entières d'ouvrages connus ,
sans qu'aucune indication désignât
ces passages comme des citations (5).
Un ouvrage fait par tant de mains
ne pouvait être qu'un mam'ais livre.
Pour se convaincre que les amis de
Raynal eux mêmes en avaient cette
opinion , il suffit de lire les critiques
bien motivées qu'ils en ont faites ,
soit dans les Mémoires q'i'ils ont
laissés, soit dans les correspondan-
ces imprimées après leur mort (6).
Ce qui choque généralement dans
y Histoire philosophique , ce sont ces
déclamations furibondes , ou ces lu-
briques peintures de scènes volup-
tueuses qui viennent à cha([ue ins-
tant interrompre l'ordre des faits.
Pa'issot a]ipel!e ces continuelles di-
gressions \\n placage appliqué sans
art. « On croit entendre, en lisant
«Raynal, un charlatan monté sur
» des tréteaux, et débitant à la multi-
(4) On cite c'ctre parmi eux Oiibrruil, La Rn-
qne , Xniscon, d'Holliacb , Tabljc Ma. lin . es-j<'siii-
tp, J. iJulasta , Paulz<? le fermier g( n. lai , les cui-
tes d'Ariinda et de Scmza , et DeUyie, qui a fait le
19^. livre ( Voy. le Dïct. des anonym.^ z^. cdit.,
l>. 546 ).
(5y Une anecdote rnrîcnse se trouve consignée , ?i
ce sujet, dans les Mériipires litlénth-es de Patiss t.
Pour prouver que Raynal ne fit, Ticiiir ainsi dire, que
mettre son nom à l'Histoire pbiIosonlii(|ne. Pali-snt
renvoie à la jirrface de la 4^- cdilîon ào. V Homme
tuerai*, imprimé à Paris , en i^S^iCbcz Dehure,
«M. Lf'vesque , dit- il, auteur de ret '-nvrapc,
» y démontre qu'il l'ixceiitiim de quelques lé-
» gers cliaugemenls de mots, des pa-es entières de
« ce livre se trouvent dans flIisUiire pliilosojiliique ,
%sans que rien les annonce eoninie des citatinns. La
« premicMC édition de Vllomme mcrr.l parut eu
>i 1773; et les passages dont il s'agit n'ont été ii;sé-
» rés que dansla dernière édition de l'Histoire phi-
>i losophiqno. » ( Palissot veut parler de celle de Ge-
Xïi ve , 1780, )
(G) Voye?, une lettre de Voltaire à Condorcet ,
dans laquelle il appelle l'Uisloire jiliilosopliiiiue, r//t
réihiiiiffc avec d, la dédamulimi ; la Muniiie d\'-
ciirc l liiitoire , par Wahly ; la Ciiiie</jni:d,incr de
fiiiirim .aitx années 177^ el 17S1; eniiii une lellic
tri's-i'urieiisc de Tnrpot, vcccmuicut publiée daiîs
les Mcniuircs de Morellct.
i7'i RAY
» lude clfaréc, des lieux - communs
» contre le despotisme et la religion ,
» qui n'ont rien de curieux que leur
» hardiesse (7). » Neuf années s'e-
coulèrent entre la première édition
de V Histoire philosophique et la réim-
pression, qui donna lieu à l'arrêt du
parlement de Paris, rendu le 'i i mai
1 78 1 , contre l'abbé Raynal et son li-
vre. On sera d'autant plus étonné d'u-
ne aussi longue tolérance , que , dans
sa première édition , l'auteur avait
ose, non-seulement attaquer la re-
ligion chrétienne , mais encore le
théisme , ce qui révolta un grand
uombrede philosophes d'Angleterre
et d'Allemagne , qui reconnaissaient
au moins un Dieu. Bien plus, Raynal,
sans trop de mystère, quoiqu'il ne
signât point encore son ouvrage , l'a-
vait fait réimprimer plusieurs fois ,
et aA^ec des additions considérables ,
soit à Genève, soit à Nantes, soit à
Neuchâtel , soit à la Haye. 11 était
bien connu , bien désigné ; mais un
gouvernement aveugle laissa l'au-
teur et le livre jouir de leur impuni-
té : « Nous ne pouvons nous em-
» pêcher de remarquer , écrivait
» Grimm , en i']']^ , qu'il y a une
» sorte d'étoile pour les livres com-
» me pour les hommes. Que d'ou-
» vrages brûlés et persécutés, même
» de nos jours , qui ne sauraient
» être comparés, pour la hardiesse,
» à V Histoire philosophique ! cc\)c\i-
» dant elle s'est vendue partout assez
» publiquement. Serait ce parce que
» ce livre attaque toutes les puissan-
» ces de la terre avec la même au-
» dace , que toutes l'ont supportée
M avec la même clémence ? » 11 est
(7) Celle cilalioii osl tirée de rouvrage de M. Se-
iiae de Miilliiiii , inliliilé ; Pu gouvenivitwnl , îles
mœurs cldct coiuUlions en Fiancu avant la rcvolii-
liiin; Art. Gens ilc Ultres. On v trouve un rajipio-
chc-iiieiit a»iM!7. pi(|iiaut cuire Vllisloire iihilusuphi-
</uo et le yojra^e du juunc Annchiirsis.
RAY
vrai que, ic 19 déceinbre 1779 , nn
arrêt du Conseil avait défendu l'in-
troduction de ce livre, comme im-
prime à l'étranger : mais Raynal ne
fut nullement inquiété ; et cette me-
sure ne rendit pas l'ouvrage plus dif-
ficile à acquérir. Cette sorte d'oubli
ne faisait pas le compte de notre
philosophe, chez qui l'âge n'avait
nullement amorti l'amour d'une dan-
gereuse célébrité. Il était moins char-
mé de ses premiers succès , qu'il ne
se sentait blessé de ce que toutes ses
déclamations séditieuses avaient été
écoutées sans humeur et sans scan-
dale. Pour arriver aux honneurs de
la persécution , il prépara une édi-
tion nouvelle': il rembrunit ses cou-
leurs , et hasarda des traits encore
plus hardis que les précédents. Ses
coopérateurs avaient beau lui repré-
senter que c'était trop fort ; il leur
répondait : « Faites toujours, je vois
» Iden que vous ne vous doutez pas
» du courage dont je suis capable :
5) vous verrez. » Raynal fit plus ; il
inséra dans son ouvrage des person-
nalités contre l'homme le plus puis-
sant alors dans le royaume, après le
roi ( le comte de Maurepas ) ; encore
le philosophe fut-il soupçonné de n'y
avoir hasardé ces personnalités, que
pour servir une intrigue de cour.
C'est dans cet état que lîaynal fit
imprimer cette nouvelle édition qui,
du reste , olFre quelques articles
exacts et plein d'intérêt , qui lui
avaient été fournis sur les colonies
anglaises , hollandaises , et sur la
Chine, dans un voyage qu'il avait fait
précédemment en Hollande et en An-
gleterre. Des documents sur les pos-
sessions espagnoles , lui avaient aus-
si été communiqués |)ar M.D'Arau-
da, ministre du roi d'Espagne. Avant
cette réimpression , Uaynal avait fait
faire à Paris, chez Stoupc, une édi-
RAY
tion particulière de V Histoire philo-
sophique, dont il ne fut tiré que trois
excmplaires.il en laissa un à l'impri-
raeur , garda le second , et envoya
le troisième ta Genève , pour y être
imprimé. Par ce moyen , il évita l'em-
barras qu'aurait occasionne la cor-
rection des épreuves, s'il eût envoyé
une copie manuscrite (8). Raynal
marqua le voyage qu'il fit alors en
Suisse , par quelques actes plus esti-
mables que lemotif qui leliii avait fait
entreprendre. A Genève , il travailla
à reconcilier les deux partis qui di-
visaient cette republique : mais il ne
fut pas plus heureux dans cette né-
gociation queue ravalent été les plus
habiles diplomates de l'Europe. Le
seul fruit qu'il en recueillit, fut, selon
Grimra , l'avantage de manger d'ex-
cellentes truites dans le cercle des
constitulionuaires et dans celui des
représentants. Étonné de ne trouver
en Suisse aucun monument érigé
en l'honneur de Furst , IMolcIital et
Stauffacher, les trois fondatci;rs de
la liberté helvétique, il s^engagca à
en faire élever un à ses frais , dans
l'endroit où ils avaient juré d'af-
franchir leur pays du joug de la
maison d'Autriche. La politique suis-
se permit à un Français d'accomplir
ce projethonorablc;et l'on voit enco-
re dans uneîle au milieu du lac de Lu-
ceraece monument, consacré aux hé-
ros de la liberté |ielvétique. Raynal
gâta peut-être le mérite de cet acte
généreux , eu voulant que son buste ,
sculpté parTassaert, fut placé à côté
de leur image. A Lausane, il fonda
trois prix , pour être décernés à trois
vieillards que leur conduite inlègrc
et leur vie laborieuse n'auraient pu
mettre à l'abri du besoin. Lors de
(8) OeUc anecdote est ti'rce de la Lelli<: de l'nnc-
koHCke. aux présiilaiits et électeurs de l'nris , 1701 ,
page ifl.
RAY ,^3
son passage à Lyon, il fut reçu mem-
bre de l'académie de celte ville; et il
reconnut cette distinction , en remet-
tant cà cette compagnie les fonds de
deuxprix, l'un de la valeur de six cents
livres , et l'autre du double de cette
somme. Il proposa , pour sujet du
premier , une question relative à ia
prospérité ni;Miufacturièro de Lvon ;
et, pour sujet du second, l'examen de
cette grande question qui se ratta-
chait à l'objet favori de ses études :
La découverte de l'Amérique a-telle
été nuisible ou utile au genre hu-
main'? De retour à Pari.s, Raynal
vit enfin fondre sur lui l'oiage qu'il
était alléchercher au pied des Alpes.
La nouvelle édition de l'Histoire
philosophique avait paru à Genève;
et quelque rigoureux que fussent les
ordres envoyés à toutes les frontiè-
res du royaume pour défendre l'en-
trée de ce livre , on trouva le moyen
d'en introduire un grand nombre.
Necker fut accusé d'avoir favorisé
cette fraude : divers pamphlets ap-
pelèrent même Raynal le Tim~
ballier du parti Necker ; mais la
vérité est que personne ne vit avec
plus de peine que ce ministre, l'in-
discrétion et la folie avec lesquelles
cet écrivain compromettait si gra-
tuitement le repos de sa vieillesse,
et forçait l'autorité à sévir contre
lui. Eu effet, pour ajouter au scan-
dale qu'il avait si bien médité, Ray-
nal ne se contenta pas de mettre son
nom à l'édition de 1 780 ; il fit encore
précéder l'ouvrage de son portrait,
dans lequel le peintre lui avait donne
une physionomie farouche : « Sot
n portrait ! s'écrie Grimm , dans sa
correspondance ( 1780), et qui lui
» ressemble si peu. » C'est ainsi
qu'après dix années d'impunité ,
Rnynal attira sur sa personne et sur
V Histoire philosophique , la perse-
174
RAY
cution qu'il avait triiit désirée. En-
core est- il probaljlc que ses vœux
n'auraient pas etd exaucés , si un en-
nemi particulier n'avait place, sur
le bureau de Louis XVI , un des
volumes de V Histoire philosophirjue,
relié de telle façon qu'il s'ouvrait
aux endroits les plus répréheusiMes.
Le roi tomba sur ces passages , les
lut avec indignation , et fit de graves
reproches au garde-dcs-sccaux et à
M. de Vergenncs , non-seulement
pour n'avoir pas fait poursuivre cet
ouvrage , mais encore pour y avoir
souscrit. Le ministère n'accomplit
qu'à moilié les intentions du moiiar
que : on usa envers Raynal de tous
les ménagements qui pouvaient neu-
traliser les rigueurs de la justice.
L'avocat-général Séguier , avant de
commencer ses poursuites , le lit
avertir de pourvoir à sa sûreté. Le
gouvernement ferma les yeux sur
la fuite de Raynal , qui put mettre
sa personne et sa fortune à l'abri de
toute atteinte. Le décret lancé contre
lui , l'arrêt de condamnation, du 2i
mai itBi , l'annotation de ses biens,
en un mot toutes les raesuies qu'un
antique usage prescrivait au parle-
ment , ne furent que de vaines forma-
lités. L'abbé Raynal perdit seulement
la pension (ja'il recevait du ministè-
re; et son ouvrage, brûlé, le '2() mai,
par la main du bourreau , au pied du
grand escalier du palais, n'en eut que
])lus de vogue. De Courbcvoie, près
Paris, où il résidait, il se rendit à
Spa : la plus brillante compagnie de
l'Europe se réunissait en ce lieu.
Raynal y trouva des admirateurs et
des amis. C'est là qu'd rencontra le
])rince Henri dePri;sse,quidevinlson
jaolectcur. Un ieuiiclk'lgemaniresla
son cnlliousiasme pour le celèbie
es.il(', en lui adressant une éjûlre in-
tilulce L(i iVj iiiphe de Sj>a à rabbé
RAY
Ilafnal(i)). Cette pièce, qui contient
l'expression de priiicipes démagogi-
ques et anti-religieux, fut censurée par
le prince-évèque de Liège, qui avait
moins pour but d'accabler l'impru-
dent admirateur de Raynal , que d'at-
taquer cet écrivain lui-même. En ef-
fet , le jeune auteur ne fut nullement
inquiété. Pour se venger , l'abbé
Raynal fit paraître , sous le titre
àeLetire à V Auteur de laNjmphe
de Spa, la Haye, 1781 , un écrit
contre les ecclésiastiques, et surtout
contre les évoques , qu'il appelait
des Busiris en soutane , dont la
conduite est , disait-il, absurde, ri-
dicule et horrible (10). Tandisque
Raynal soutenait cette guerre indé-
cente conire le prince évcque , dans
les étals duquel il avait trouvé un
asile, V Histoire philosophique était,
en France, l'objet des censures de la
Sorbonne , et de plusieurs prélats zé-
lés pour la religion , notamment de
l'archevêque de Vienne, Porapignan^
qui , à celte occasion , publia son
mandement du 3 août 1781. Mais
pendant que les personnes pieuses se
prononçaient contrcl'autenr de r/^j\y-
toirc philosophique, les Anglais, assez
indifl'crenls en matière de religion,
honoraient en lui l'écrivain qui , le
premier en France , avait porté
ses méditations sur le commerce
des deux Lides. La guerre d'A-
mérique était alors engagée. Le ne-
veu de Raynal, (|ui servait sur un
Làtinient français faisant partie de
l'escadre de SuHreu , fut ])ris et
conduit à Londrc-s. Le ministre, ap-
pi euant quel était l'oncle du ])rison-
(0) Ci;l écrit ]>')rli' siiilciutnit l'iiiiliale duuuiii de
l'iiutiur, ciuir.sl un li.
(10) r.ii ^Yl"|lll<: <lf ••/'" " ''"''/"'• fi'ijri'i'l se
tmiivc iiluipiiiiii-r il;in^ un miviagc ( tic lliiviml ),
:,Vi..a l-MUr lin.- Hc/U'iisr,, ht <-<-nu„e ,lc U, locdli
lie iliinloy, 'l de i 'ans , codIio l'IIiiloire /iluloioyhi-
RAY
nier, lui rendit la liberté, et annonça
cette nouvelle à Raynal ,dans les ter-
mes suivants : « C'est le moins que
» nous puissions faire pour un hom-
» me dont les e'crits sont si utiles à
» tontes les nations commerçantes. »
Pendant le voyage qu'il avait fait
à Londres pour perfectionner son
ouvrage , Raynal avait reçu plus
d'une distinction ilalleuse. : la So-
ciété Royale l'avait admis au nom-
bre de ses membres ; l'orateur de
Ja chambre des communes appre-
nant qu'il se trouvait dans la gale-
rie, fit suspendre la discussion jus-
qu'à ce que l'on eût accorde' une pla-
ce marquée au pliilosoplie français.
De Spa, où il commençait à ne plus
se croire en sûreté' , Raynal passa en
Allemagne, et se rendit auprès de la
duchesse de Saxe- Gotha , qui lui fit
l'accueil le plus honorable. De la il
fut conduit a Berlin par le desirde
voirie grand Frédéric. Mais ce mo-
narque ne partageait pas cet empres-
sement : il ne pardonnait point à
Raynal l'apostrophe sanglante que
cet c'crivain lui avait adressée dans
son Hislciie philosophique , et qui
commence par ces mots : O Fré-
déric , iii fus un roi a^uerrier , etc.
L'humiliation du pliilosophe eût été
à son comble, et le.butdeson voyage
tout-à-fait manqué, si Frédéric eût
persisté à ne pas lui accorder d'au-
dience. Depuis plusieurs mois, Raynal
était dans une attente cruelle : toutes
ses petites menées , pour être admis
auprès du prince sans paraître l'a-
voir sollicité, n'avaient produit au-
cun cfTet. Plusieurs fois Frédéric
était venu à Berlin , sans le faire ap-
peler ; et même , lorsqu'on lui avait
jiarlé de Raynal , il n'avait rien ré-
pondu. Enfin celui-ci, en désespoir
de cause , se rendit à Putsdam, de-
manda par écrit une audience, et
RAY ,75
l'obtnit. « INI. l'nbbé , lui dit le roi ,
» asseyons-nous; nous sonunes viens
» l'iui et l'autre : il y a bien long-
» temps que je vous connais de nom.
» J'ai hi , il y a de longues années ,
» etje m'en souviens bien, volrcHis-
» toire du Statliouderat , et votre
» Histoire du Parlement d'Angle-
» terre.» — Sire, dit l'abbé, j'ai fait
des ouvrages plus importants depuis.
— Je ne les connais pas , répondit le
roi. a Cette réplique, dit M. Thic-
» bault qui se trouvait alors à la
» cour de Berlin (11), fut vive cora-
)' me l'éclair , et elle eut le degré
» de fermeté nécessaire pour faire
» comprendre à l'abbé qu'il ne fal-
» lait pas parler de ces autres ou-
)) vrages plus importants. » Telle
fut la vengeance ingénieuse que Fré-
déric tira d'un écrivain qui , après
avoir fait le Brutus dans ses livres ,
venait dans le palais des rois faire le
courtisan. Raynal fut appelé une se-
conde fois auprès de Frédéric , qui
le laissa parler tout à son aise, pour
le mieux juger. A la suite de ce long
entretien , Frédéric écri\it à d'Alem-
bert : « J'ai vu votre abbé Raynal ;
» il parle beaucoup : à la manière
» dont il me parlait delà puissance,
» des ressources et des richesses
» de tous les peuples , je croyais
» m'entretenir avec la providence.
» Je me suis bien gardé de révoquer
» en doute l'exictitudedeses calculs :
» j'ai compris qu'il n'entendrait pas
» radierie sur un écu. » Les amis de
Raynal , en ne citant qu'uiie phrase
de cet éloge ironique , ont prêté
à Frédéric des sentiments d'admi-
ration que cet écrivain était loin
de lui avoir inspirés. Il faut sur-
tout se défier de la manière dont
(u) J\tcs som-cnirs tic v.n^l uni iL fcjuiii à Ber-
lin ,t. m, p. 173.
176 RAY
Grimm , dans sa Correspondance ,
raconte l'entrevue de l'auteur de
V Histoire philosophique avec le roi
de Prusse. Il fait jouer à son ami le
rôle dcDiogène vis-à-vis d'Alexandre.
Arencroire,FrcVlc'ric aurait témoigne'
le premier un vif désir de voir Ray-
nal ; ne'anraoius, comme l'usage de la
cour voulait que toute personne pré-
sentée écrivît pour demander une
audience, le philosophe aurait dit
avec stoïcisme : Cela étant ,je nirai
point ; je suis prêt à obéir au souve-
rain (jui in appelle . et dans les états
duquel je suis ; mais je n'ai rien à
dire au roi , ni à lui demander. Fré-
déric céda en ce premier point; et ,
Raynal , lorsqu^on lui annonça qu'il
lui faudrait rester debout et découvert
devant le monarque, osa dire : Je le
plierai donc, après T avoir salué , de
me renvoyer ou de me faire asseoir.
Frédéric céda encore, et promit de
faire donner un siège au philosophe.
On sent que Grimm a voulu faire
briller Raynal aux dépens d'un roi
dont le défaut n'était pas d'être si
débonnaire. Les prétentions de Ray-
nal , son caractère intéressé , ses fan-
faronnades, et sa conduite peu dé-
cente pour un ancien religieux, n'ins-
pirèrent pas une grande estime aux
personnes qui le connurent à Berlin.
Le sculpteur Tassaert, qui s'émit fait
un plaisir de lui offrir l'hospitalité ,
trouva en lui un commensal incom-
mode et assez peu délicat : il le vit
partir avec une grande joie, et il n'en-
tendit jamais depuis parler de Ray-
nal,sanss'c'crier: C'est un]iableur,un
gascon, najant que deVeJJronteric
et de la jactance. L'impératrice
de Russie , Catherine 11 , donna
aussi , à ce célèbre exilé , des mar-
ques d'iiilcrOl ; et il est curieux
d'observer que l'écrivain qui avait
le plus vivement attaqué l'autorité
RAY
des rois , ne fut mal traité par aucun
monarque. De Berlin, Raynal se rendit
en Suisse. Ce fut, dans ce deuxième
voyage en ce pays, qu'il eut occa-
sion de voir Lavatcr. 11 voulut
absolument que ce physionomiste
lui dît ce que les traits de son vi-
sage faisaient augurer de son carac-
tère. Le docteur suisse , après s'en
être long-temps f^éfendu , lui parla
en ces termes: « Cette grosse tête est
» celle d'un penseur : ces cheveux
» blancs et clairsemés prouvent que
» vous n'avez pas toujours été tem-
» pérant avec le beau sexe : ce front
5) saillant et large désigne lahardiesse
» et même l'efironterie ; ces sourcils
» arqués et bien fournis donnent
» de l'expression à votre physiono-
» mie ; ces yeux creux et vifs sont
» d'un homme spirituel et malin ; les
» nez retroussés , tels que le vôtre,
» appartiennent ordinairement aux
» impudents ; cette large bouche
» marque que vous n'avez pas été
» indifférent sur les plaisirs de la
» table. — Et mes dents, lui dit Ray-
» nal , ne sont -elles pas bien con-
» servées ? — Oui ; mais si elles
» mordent si bien à présent, elles
» ont dû encoi'c mieux mordre jadis.
» Quant au menton recourbé, ah !
)) c'est celui d'un satyre ; et les joues
« creuses et livides , celles de l'en-
1) vie. » Raynal , au lieu de se fâ-
cher , ne fit que rire du ]»ortrait. Il
avait laissé des amis en France; ils
obtinrent son rappel dans l'année
1787. Le gouvernement . dont la to-
lérance lui accordait cette faveur ,
n'avait pas le pouvoir de casser
l'arrêt du Parlement de Paris :
ainsi l'auteur de V Histoire jdiilo-
sophique ne put rentrer dans la capi-
tale, ni résider dans le ressort rie cet-
te cour souveraine. 11 se fixa d'abord
à Saint-Genicz , sa patrie; mais le be-
RAY
soin de livres et de société lui fît
bientôt quitter cette reiraite. Un de
ses amis lui ofTrit sa maison : c'e'-
tait Malouet, alors intendant de la
marine à Toulon. Raynal trouva ,
dans cet asile, tous les égards d'u-
ne touchante hospitalité. Ce fut à
cette époque de sa vie qu'en parcou-
rant la partie méridionale de la Fran-
ce, « il crut, selon l'expression d'u-
» ne de ses lettres , qui nous a été
» conservée, apercevoir un décou-
» rageraent entier dans les peuples
» des campagnes. Pour les ranimer,
» autant qu'il était en l-.ii , il donna
» à l'assemblée provinciale de la
» Haute- Guienne douze cents livres
» de rente perpétuelle , qui devaient
» être annuellement distribuées aux
» petits cultivateurs propriétaires
» qui auraient le mieux exploité leurs
î) terres. » Plus tard , les départe-
ments de l'Aveyron et du Lot de-
vaient se partager cette rente. Mais
déjà l'agitation qui se manifestait par
toute la France , annonçait à l'abbé
Raynal les conséquences funestes
des principes anarchiques que ses
propres écrits avaient contribué à
répandre. Les états - généraux fu-
rent convoqués. Nommé député du
tiers-état , de la ville de Marseille ,
il n'accepta point , à cause de sou
grand âge , et fit passer les suffra-
ges qu'il avait obtenus , sur Ma-
louet , qui se glorifiait du titre de
son disciple. Mais, dcs-lors, Raynal
avait été ramené , par la vue des
dangers de l'ordre social et de la
monarchie, à des idées plus saines
et plus modérées. Il avait reconnu
la faiblesse et l'extravagance de cet-
te fausse philosophie, par laquelle
lui-même s'était laissé égarer. L'un
des premiers actes de Malouet, com-
me législateur, fut de proposer , le 1 5
août 1790, un décret tendant à an-
XXXVll.
RAY
'77
nuler la sentence de prise de cori)s
et de confiscation de biens , pronon-
cée , en 1781 , contre l'abbé Raynal.
Cctteproposiiion passa, malgré l'op-
position d'un membre de la minori-
té, M. de Boual, évêque de Cler-
mont , qui observa que ce serait don-
ner à l'Europe l'exemple d'une tolé-
rance dangereuse, que de prononcer
la réhabilitation d'un prêtre qui ,
dans ses ouvrages, s'était fait gloire
d'attaquer la religion et d'abjurer la
prêtrise. En effet , Raynal avait osé
impiimer : Quand j'étais prêtre.
Cette marque d'improbation, don-
née par un évêque plein de zèle, dut
produire d'autant plus d'effet sur
Raynal, qu'il avait déjà les yeux ou-
verts sur l'abîme où des législateurs
imprudents entraînaient la France.
Sa façon de penser à cet égard était
déjà si bien connue, que, le 3o déc.
1790, on publia, sous le titre de Let-
tre de l'abbé Raynal à l'assemblée
nationale ( datée de Marseille, 10
déc. ), unebrochure pseudonyme (in-
8°. de g4 pag ) , dans laquelle on prê-
tait à l'auteur de V Histoire philoso-
sophique, des sentiments et un langa-
gage directement opposés aux idées
révolutionnaires {T. Malouet
XX\I,-4o5). Soudain des cris uni-
versels s'élevèrent. Les patriotes, pre-
nant fait et cause pour Raynal , le
vengèrent, dans leurs pamphlets,
de ce qu'ils appelaient une calomnie,
et allèrent jusqu'à supposer un désa-
veu de ce philosop]H\ Mais Raynal
était à la veille de tromper haute-
ment leurs espérances , et d'accom-
plir l'acte le plus honorable de sa
longue carrière. Le premier entre
tous les partisans des idées nouvel-
les, il devait les désavouer avec une
énergie qui u'a pas été surpassée. Il
adressa, bien véritablement , le 3r
mai 1 79 1 , à Bureau de Puzy , qui
12
i-jS RAY
présidait rassemblée nationale, cette
fameuse lettre qui offre une re'trac-
tation formelle des principes con-
signe's dans V Histoire philosophi-
que, et une de'sapprobation abso-
lue des doctriues et des actes des
nouveaux législateurs. C'est en vain
que quelques révolutionnaires in-
corrigibles prétendent encore au-
jourd'hui le contraire; en vain iis
nient le désaveu de Raynal : il n'est
pas une phrase de celle lettre qui ne
leur donne un démenti. « J'ose de-
» puis long - temps , disait Raynal ,
» parler aux rois de leurs devoirs.
» Souffrez qu^aujourd'huije parle au
» peuple de ses erreurs , et aux re-
» pi'ésentants du peuple des dangers
» qui nous menacent tous. Je suis ,
» je vous l'avoue , profondément at-
» triste des désordres et des crimes
» qui couvrent de deuil cet empire.
» Serait- il donc vrai qu'il fallût me
» rappeler avec effroi que je suis un
» de ceux qui , en exprimant une in-
» dignation généreuse contre le pou-
f) voir arbitraire , ont peut - être
)) donné des armes à la licence...?
« Que vois -je autour de moi ! des
» troubles religieux, des dissensions
» civiles, la consternation des uns,
» l'audace et l'emportement des au-
» très; un gouvernement esclave de
» la tyrannie populaire; le saucluai-
» re des lois, environné d'hommes
» effrénés, qui veulent alternalive-
» ment ou les dicter ou les braver ;
» des soldats sans discipline , des
» chefs sans autorité, des ministres
» sans moyens; un roi, le premier
» ami de son peuple, plongé dans
); l'amertume, outragé, menacé de
» perdre toute autorité; et la puis-
» sance puijlique n'existant plus que
» dans les clubs, où des hommes
» ignorants et grossiers osent pro-
» lionccr sur toutes les questions po-
RAY
» litiques » Après cette énergique
déclaration de principes, Raynal ar-
rivait aux actes de l'assemblée na-
tionale. « C'est en vous livrant aux
» écarts de l'opinion , disait-il, que
» vous avez favorisé l'influence de
» la multitude , et multiplié à Tin-
» fini les élections populaires
» Vous avez conservé le nom. du roi;
» mais , dans votre constitution , il
» n'est plus utile : il est encore dan-
» gereux. Vous avez réduit son in-
» fluence à celle que la corruption
» peut usurper. Vous l'avez, pour
r> ainsi dire, invité à combattre une
» constitution qui lui montre sans
» cesse ce qu'il n'est pas , et ce qu'il
» pourrait être... Comment souflrez-
» vous, après avoir déclaré le dogme
» de la liberté des opinions religieu-
» ses, que des prêtres soient accablés
» de persécutions et d'outrages, par-
w ce qu'ils n'obéissent pas à votre
» opinion religieuse? Comment souf-
)) frez-vous , après avorr consacré le
» principe de la liberté individuelle,
f> qu'il existe dans votre sein une in-
» quisition qui sert de modèle et de
» prétexte à toutes les iiu{uisitions
» subalternes ? Il est temps de faire
» cesser l'anarchie qui nous désole ;
» d'aricter les vengeances, les sédi-
» tiens , les émeutes ; de nous ren-
» dre enfin la paix el la cenfiance.
» Pour arriver à ce but salutaire ,
» vous n'avez qu'un moyen ; et ce
» moyen serait , en révisant vos de-
» crets , de réunir et de renforcer
)) des ])ouvoirs affiiblis ])ar leur dis-
» persion; de confier au roi toute la
» force nécessaire pour assurer la
» puissance des lois... Vous avez po-
» se les bases de la liberté de toute
» constitution raisonnable , en assu-
» rant au peuple le droit de faire les
» lois et de statuer sur l'impôt. L'a-
» narchic engloutira même ces droits
RAY
» dmineiits , si vous ne les mettez
» 8011S la garde d'un gouvernement
» actif et vigoureux ; et le despotis-
» rae nous attend si vous repoussez
» la protection tutëlaiie de l'aiitori-
» te' royale. » Cette lettre, admirable-
raent écrite, qui contenait le pre'scnt
et l'avenir de la révolution , occa-
sionna , dans le sein de l'assemblée ,
une des scènes les plus orageuses
que l'on y eût encore vue éclater. Ro-
bespierre et M, Rœdercr prirent la
fiarole contre le vieillard qui avait
e courage de dire la vérité aux dé-
magogues du jour, et de démas-
quer le pliilosophisme. Robespierre
demanda qu'on lui pardonnât en fa-
veur de sa vieillesse. Moins modéré
ou moins adroit, M. Rœdercr ne se
contenta point des^élever contre l'au-
teur de la lettre; il demanda le rappel
à l'ordre du président qui l'avait lue.
( F. le Moniteur du 3 \ mai 1791.)
Tous les journaux révolutionnaires
accablèrent Raynal de leurs injures j
et sa lettre donna lieu à une multitu-
de de pamphlets plus ou moins viru-
lents , et à une foule de caricatures
indécentes. Une d'elles le représentait
coiffé d'un bourrelet et avec des li-
sières , comme un enfant. Panni les
écrits qui parurent dans les journaux,
nous citerons, i*^. une Lettre cC An-
dré Chénicr (Moniteur, i5 juin
1791 ) ; a°. une Lettre d' Ana char-
sis Clootz à un de ses amis ( Chro-
nique de Paris, juillet 1791 ). Le
premier , encore imbu des idées ré-
volutionnaires qu'il devait abjurer
plus tard , reprochait à Raynal d'a-
voir apostasie la philosophie, com-
me il avait apostasie la prêtrise sous
l'ancien régime. Le second lui faisait
des reproches de plus d'un genre : il
l'accusait d'avoir vendu des nègres
aux colons de Saint - Domingue ,
et procuré des Laïs aux débauchés
RAY 179
de Paris ; d'avoir exercé le métier
d'espion de police. « Ce furet, dit-
V il , s'était tellement impatronisé
j> dans les maisons , qu'on n'osait
» lui fermer la porte au nez , czainte
» d'une lettre de cachet. Le sage
» Hclvétius avertissait les étrangers
» d'être circonspects devant Ray-
» na!. » Revenant sur les plagiats de
Raynal , Anacharsis Clootz ajoutait :
« Le plat auteur du Stathoudérat sc
» fit une superbe queue de paon avec
» la plume des Peehméja , des Du-
» breuil, des Diderot, des Naigeon,
» des Holbach , etc. , sans compter
»> tous les écrivains qu'il pilla mal-
» gré eux. Mon oncle (Pauw),rau-
» teur des Recherches sur les Amé-
» ricains , se frotta les yeux en
» voyant des pages entières de son
» ouvrage immortel , incorporées
» sans italique ni guillemets, dans
» l'ouvrage de l'entrepreneur Ray-
» nal. » Parmi les nombreuses bro-
chures auxquelles donna naissance
la lettre de Raynal, nous citerons ,
1°. L'avocat Manesse parmi ses
concitoyens , Réponse en parallèle
à L'ahbé Raynal aux états-géné-
raux , 1 791 , in-S*^. ; — 1°. Extrait
raisonné de V Histoirephilosophique
des deux Indes, à l'appui de V adres-
se de G. -T. Raynal aux états-gêné-
7Y/«.r,in-8°. - 3". Réponse à la lettre
de G. -T. Raynal, adressée à rassem-
blée nationale, etc., par M. Loiseau^
auteur du journal de constitution et
de législation, in-S"^. — 4°- Répon-
se à la lettre de Vabbé Raynal ,
anonyme, in-8°. Ces deux dernières
brochures , que nous avons sous les
yeux , sont remplies des plus gros-
sières injures : il semble que les ré-
volutionnaires aient pris à tâche de
justifier , à l'égard de Raynal , ces
mots de sa lettre : Dans ce temps de
délire et de faction , il n^y a que la sa-
li..
i8o
RAY
gesse qui soit dangereuse. Des bio-
graphes prétendent que la lettre de
Raynalfit peiurirapression sur l'opi-
nion publique; ils n'ont pas re'fléchi
que les écrivains révolutionnaires ne
se seraient pas si vivement acbarnc's
contre lui, sM n'avait porté à leur
parti un coup dangereux. Cette lettre
déconcerta beaucoup la ma|orité de
l'assemblée qui, à l'époque dont il s'a-
git, tombait dans un discrédit absolu
surl'opinion, ainsi que Raynal avait
eu le courage de l'insinuer lui-même.
Le crédit de cette majorité ne se ré-
tablit que par l'arrestation du roi à
Varennes. Raynal n'éraigra point ,
et vit se succéder les factions qui ,
tour-à-tour, ensanglanlèrentla Fran-
ce depuis 1 791 jusqu'en 1796. 1! est
difliciic d'expliquer comment il put
échapper à la fureur de ces hoaimes
de sang qui , proscrivant tous les
genres d'aristocratie et de supériori-
té , devaient être si peu disposés à
épargner celle du talent dans un prê-
tre. Si sa vie fut épargnée , il n'en
fut pas ainsi de sa fortune : pendant
la terreur , il se vit, à plus de quatre-
vingts ans , dépouillé de ses meubles
et de son argenteiie. Le jour de sa
mort, il n'avait chez lui qu'un assi-
gnat de cinq livres. Sa dernière heu-
re fut paisible: depuis quelques mois
il vivaitreiiréàMontlhéri : ayant fait
un petit voyage à Paris , et s'y trou-
vant depuis trois jours , il alla voir
nu ami à Chaillot; et ce fut là, qu'at-
taqué d'un catarrhe qui le loarmen-
tait depuis quelque temps, il expira
le 6 mars 1796 à six heures du soir,
peu de momenls après avoir fait des
observations critiques sur un article
de journal qu'on venait de lire devant
lui. Il avait accompli sa 83"^. année.
Le Directoire , qui s'occupait d'or-
ganiser rinslilul, l'en avait nom-
mé membre pour la classe d'histoire.
RAY
Peu de mois après la mort de Ray-
nal, le i5 germinal an iv, dans la
première séance publique de cecorps
littéraire, son éloge fut prononcé
par J. Lebreton , au nom de l'Ins-
titut. Raynal était aussi membre de
Tacadémie de Berlin. 11 préparait
une nouvelle édition de son Histoire
philosophique , et travaillait , sur des
matériaux que lui avait fournis le
Directoire , à mettre son ouvrage en
harmonie avec la nouvelle situation
des colonies: il se proposait surtout
de retrancher les déclamations qui
lui avaient A^alu de si déplorables
succès ; mais la mort l'empêcha
d'exécuter ce dessein. Peu d'hom-
mes de lettres ont su acquérir une
plus belle fortune que Raynal : sans
doute tous les moyens qu'il employa
pour y parvenir , ne furent ]ias éga-
lement honorables ; mais il sut du
moins faire im noble usage de ses ri-
chesses. Outre les fondations dont
nous avons parlé, il avait, sous l'an-
cien régime, doté l'académie françai-
se, l'académie des inscriptions et bel-
les-lettres , et l'académie des scien-
ces , chacune d'une rente perpétuelle
de douze centslivres, pour récompen-
ser les écrivains qui se seraient dis-
tingués. En 1791, la société d'agri-
culture de Paris reçut de lui une rente
])erpétuelle de douze cents livres ,
destinée h envoyer de bons modèles
d'instruments de labourage dans tous
les départements. Enlai, à la même
époque , il fit, à Sa lut- Gêniez , une
fondation pour assurer aux habi-
tants de son lieu natal, les bouillons
et les médicaments dont ils pour-
raient avoir besoin dans leurs ma-
ladies. Tous les contemporains de
Raynal s^accordentà lui reconnaître
un caractère obligeant , et les (pia-
lilos propres à se faire des amis.
Rousseau , qui, dans ses Confessioiis,
RAY
parle si mal de presque tous ceux
qui eurent des rapports avec lui ,
rend àRaynal le témoignage le plus fa-
vorable : « Je lui étais toujours reste
» attaché , dit-il , depuis un procédé
» plein de délicatesse et d'iionnê-
» teté qu'il a eu pour moi , et que je
» n'oubliai jamais. Cet abbé Raynal
r> était certainement un ami chaud. »
U Histoire du Stathoudérat parut
d'abord à la Haye ( Paris ) , un vol.
in- 1 2 , 1 74<^. Il en fut publié à Ams-
terdam , l'année suivante, une nou-
velle édition par Rousset , qui revit et
corrigea l'ouvrage de Raynal. Ce der-
nier n'eut aucune part à celte réim-
pression: mais, en i^SOjilfitlui-mê-
me réimprimer son ouvrage, en pro-
fitant r'es corrections de Rousset. Par
une spéculation de libraiiie difiicile
à caractériser, V Histoire du Stathou-
dérat a été reproduite en 1819, à
Paris , chez Baudoin frères , sous le
nom de Louis Buouaparte( cx-roi de
Hollande ) , avec des augmentations
tirées d'un ouvrage de Barère, et que
les éditeurs ont attribuées à Napoléon
Buona parte ( i -x). On a tiré des Anec-
dotes historiques de Raynal , V His-
toire du divorce de Henri Vlll ^
roi d'Angleterre , et de Catherine
d'Aragon, 1763, in-12, attribué à
l'abbé Irailh. \J Histoire philoso-
phique et politique des établisse-
ments des Européens dans les deux
Indes ne parut d'abord qu'en 4
vol. in-8°. , à Amsterdam, 1770,
sans nom d'auteur ; Raynal en fit
encore imprimer quatre ou cinq cdi-
lions anonymes, en six, puis en sept
volumes , jusqu'à la publication de
sa fameuse édition de 1780, Ge-
nève, To vol. in -S*'., ou 4 vol.
in-4". , avec un atlas, le nom et le
(11) Dictionn. t/es Anonymes, (Iciixièmc l'dil.
Il", 8i)5i.
RAY
181
portrait de l'auleur. L'édition de
Ncuchâtel , 1785, 10 a'^oI. in-8». ,
n'est pas moins estimée. En som-
me , l'Histoire philosophique a eu
plus de vingt éditions , et près
de cinquante contrefaçons. Nous
citerons encore l'édition de 1787,
Avignon , 8 vol. in-8°. , revue et
corrigée par un magistrat. \^éà\ûon
la plus récente est celle de Paris,
1820 , corrigée et augmentée , d'a-
près les manuscrits autographes de
l'auteur ; elle aura 1 1 vol. in-8°. ,
dont le dernier contiendra la situa-
tion actuelle des colonies, parM.Peu-
chet : ce volume est le seul qui n'ait
pas encore paru. Cette édition est
précédée d'une Notice biographique
et de considérations générales sur
les écrits de Raynal ^ par M. A. Jay,
qui est incomplète, et qui n'offre
qu'une seule anecdote nouvelle ( i3).
Quant aux corrections et augmenta-
tions d'après les manuscrits auto-
graphes, annoncées par le litre, elles
sont à-peu-près nulles; et c'est une
preuve de plus que Raynal n'eut pas
le temps de mettre la dernière main
à son ouvrage. U Histoire philoso-
phique a été abrégée , réfutée , tra-
« (i3) La secoude l'dition de THistoire pbiloBo-
« pliicjne avaitiiavu , ditBI. Jay, loisqucM. deLalIy-
» Toleudal publia les Mémoires qui justiiiaient la
» conduite de son père. Raynal regretta vivement de
» ne les avoir pas connus. Un jour le hasard luifit
« renco trer l'auteur de ces beauxMémoires. Ce fut
« dans l'itéde 1797., «rue celte reucontre eut lieuun
» jour (pie M. Toleudal avait dîne eu l'anjillecbcïson
» ami, feu M. Malouet , demeurant alors rue d'Ett-
» fer. Ce detnier , comme ou sortait de table , reçut
» la visite de Raynal et de plusieurs autres person-
» ncs. M. Malonct proposa à toute la compagnie de
« faire une promenade dans le jardin du Luxcm-
» bourg, sur lequel son jardin particulier avait ime
» ouverture : la proposition fut acceptée. M. deLal-
11 Iv étant reste en arrière , et sortant le dernier du
» petit jardin pour entrer d,ius le grand, M. Ma-
» fouet, qui avait gagne les devants avecl'abbc Ray-
» ual . se retourna , et dit à haute voix nu comte de
» Lally : m. 'li: I.itlly^ avez-vous fermé la porte et
tt/iiiita idij.' M. de Lally! s'écria Rayual avec
» Irauspoit. M. de Lally! puis s'i lançant vers le
» comte : Ah itfoHsieur, poursuivit-il , combien de
njois j'ai ileiiré de vous rcncvnlrer ; combien de
"Jôh j'ai Joimi le piojel d'aller vous trouver sans
l82
RAY
duite dans presque toutes les langues.
Parmi les meilleures rëfutattons , on
cite les Recherches historiques et
politiques sur les Etats-unis de
t Amérique septentrionale ,Gic. , par
un citoyen de Virginie (M. Mazzey),
4 vol. in-8°. , Paris, 1788 ou 1790.
Un Hollandais a publie , en 1 79 1 , un
extrait de l'Histoire philosophique
pour ce qui concerne le commerce
et les colonies de la Hollande, i vol.
in - 8°. Un académicien de Ber-
lin a refuie' ce qui paraissait inju-
rieux au roi de Prusse ( P^oy. Mou-
lines ). Le duc d'Almodovar , grand
d'Espagne, a donné moins une tra-
duction qu'un extrait de l'Histoire
philosophique, duquel il a eu soin
de bannir tout ce que cet ouvrage
offre de répréhensible sous le rap-
port des doctrines, en rectifiant
d'ailleurs plusieurs des erreurs échap-
pées à Raynal sur les colonies espa-
gnoles. Des libellistes qui spéculent
sur les plus coupables écarts de l'es-
prit humain, ont extrait V Histoire
yi jamais oser l'exécuter 1 f^oiis m'avez traité séfi-
7t renient dans vos écrits ; je le méritai^ : je vous
» ai blessé au cœur. J'écrivais dans le camp de vos
]i ennemis; je ne vous avais pai lu: quelle répara^
m tion vous faut-il? M. de Lally, touclie delà fian-
« chise et des regrets de Tabbé Raynal, lui rëpon-
» dit qu'il serait plus que satl^fdit , s'il avait la gcnë-
» rosite' de les publier un jour. L'abbé reprit avec
» la mcuie vivacité : C'eU trop peu que des regrets .
» monsieur : une amende lionorahle , je le répèle ;
» je la dois an père et au Jils. Elle ne me coulera
» pas envers le liéros de la nature , devenu le héros
ji de la patrie. M. de Lally picuant alors les mains
« de Rayiial , lui dit d'une voix émue : Monsieur,
t> je ne sens plus dans ce moment que lu reconnais.^
» sanre due à l'homme de génie , qui le premier
j> après Voltaire aJoudroyéV arrêt meurtrier de mon
y> père. Promettez-moi de rendre publiquenienl à
î» son caractère la même justice que vous avez ren-
m due à son innocence, et je vous jure île tout mon
» cceur autant d'amitié que vous m'avez inspiré
» malgré moi d'admiralum. Raynal promit solin-
» Dcllcmciitcc qu'on lui demandait. M. Malouet ,lcs
» yeux pleins de larmes, prit la main du comte et
> celle de l'abbé , 1 1 les joignit dans les siennes en
» disant : Je réponds de tous deux , et tous deux
» vont vous cudirasserez chez moi; maintenant
» promenons-nous , et ne faisons pas de scène; car
» on commence à nous regarder heaucoup. n Cette
•necdotc est consignée dans une lettre Écrite par
M. de Lully-Tolendol h feu Poi talis.
RAY
philosophique dans un toul autre es-
prit, en laissant de côté les faits pour
n'en conserver que les déclamations
impies et séditieuses, et l'ont publia
sous le tit/e à' Esprit de Rajnal, un
vol. in-8'^. ( F. HÉDouTN. ) Ce livre
fut proscrit par le garde-des-sceaux ,
en 1777. Ou a quelquefois attri-
bué à Raynal : I. Les Mémoires de
Ninon de Lenclos ; c'est une er-
reur : ils furent publiés par le che-
valier d'Oiixmcnil. IL Tableau et
révolutioîi des colonies anglaises
de V Amérique septentrionale , 1 78 1 ,
Amsterdam , 1 vol. in - 8"^. III.
Les Inconvénients du célibat des
prêtres , ouvrage dont le vérita-
ble auteur est l'abbé Gaudin ( Voy.
ce nom, XVÎ, 573). IV. Essai sur
l'administration de Saint-Domin-
gue, 1787 , qui n'est qu'une compi-
lation tirée de V Histoire jdiilosophi-
que. V. RéJle.xions et Notices sur la
traite des noirs. VI. Des assassinats
et des vols politiques, ou Des pres-
criptions et des confiscations , Ams-
terdam et Paris, an m, 1795. Cet
écrit énergique est du célèbre avo-
cat-général Servan. Sérieys a publié,
en i8o5 , sous ce titre , Eléments
de Vhistoive du Portugal , conte-
nant les causes de la décadence des
Portugais , leurs lois , leur com-
merce, les révolutions de ce royau-
me , un ouvrage qui avait été
composé par Raynal. En effet ,
cette production est moins une his-
toire qu'une série de considérations
générales tout-à -fait dans la ma-
nière de cet écrivain. Il est parlé ,
dans quelques Biographies, d'une
Histoire de la révocation de Vedit
de Nantes , par Raynal , et qui de-
vait avoir quatre volumes. Il est cer-
tain que , s'il a jamais songé à faire
cet ouvrage , il n'a pas eu le temps
d'accomplir ce projet. Enfin il pa-
RAY
TcTÎt prouva qu'il a dcilt des Mémoi-
res sur la Barbarie, qui , à sa mort ,
étaient entre les mains de ses lie'ri-
tiers , si l'on en croit une Notice
publie'e, en leur nom, dans le Mo-
niteur du 5 vende'miaire an v (i4)-
Le Journal des savants , d'octobre
1 823, annonce ( page 638 ) comme
devant paraître incessamment à Fa-
ris, chez Amable Costes, en 2 vo-
lumes in- 8°. , V Histoire philosophi-
que et politique des établissements
et du commerce des européens dans
VAJrique, ouvrage posthume de G.
T. i?flx«rtZ, avec des augmentations,
par M. Peucliet, concernant l'état
actuel de cese'tablisseraents. D-r-h.
RAYNAL (Jean) , né à Toulouse
en 1723, fut l'un des historiens de
cette ville. Destine' d'abord à l'état
ecclésiastique , il ne tarda pas à le
quitter; il se fit recevoir avocat au
parlement desacitéuatale, et plaida
même avec beaucoup de talent. Nom-
mé, en 1 767 , capitoul , et subdélé-
gué de l'intendant du Languedoc , il
se fit remarquer par ses talents ad-
ministratifs, etfut envoyé, en 1772,
pour porter à Versailles le cahier
des états de la province. Il eut le
bonheur de traverser , sans trouble ,
les temps orageux de la révolution,
et mourut à Argilliers, départemt. de
l'Aude, en 1 807 , le 28 juillet. On a de
lui une Histoire de la ville de Tou-
louse , avec une notice des hommes
illustres, une suite chronologique
des évêques et archevêques de celte
ville , et une table générale des ca-
pitouls depuis la réunion du comté
de Toulouse jusques à présent ,
Toulouse, 1709, in - 4°. Cet ou-
(i4)Tou.s ces jjiiiiits se tniuviiit i.xpjsus «t dis-
cutes dans trois arlitlcs insères dans \.\ Oaxcttc de
France, les 7 et » 1 d«'ceinl>n- iSia , et 21 lévrier
iSï3, et <(iii lenlernjinl <|nelt|iies UucuuicutS cii-
lieuisurl.iviuetK» eciila le Kaviial.
RAY i83
vi-age , très-sèchement écrit ( et dont
on peut voir l'analyse dans le Jour-
nal des savants de 1760 , p. 325 et
8o3) , n'est qu'un abrégé des Annales
de La Faille. Raynal n'a pas su même
déguiser son plagiat, en continuant ,
jusqu'au temps où il vivait , l'ou-
vrage qu'il avait entrepris. Son guide
s'arrête à la mort de Henri IV : lui
de même ne pousse pas sa course
plus loin. La liste des hommes illus-
tres qu'il a dressée , est encore plus
défectueuse. A peine iiomme-t-il la
dixième partie des personnages dont
il eût dii parler. Il ignore ce qu'il
devait savoir de ceux dont il s'occu-
pe. Moreri a été son seul guide ; il a
même voulu l'abréger. L — m — e.
RAYNALDI (Odebic). Foy. Ri-
NALDI-
RAYNAUD ( Le P. Théophile ),
célèbre jésuite , qu'on a long-temps
cru Français, était né, vers la fin de
i583 , à Sospello, dans le comté de
Nice. Ses études achevées , il em-
brassa la règle de saint Ignace à
Fàge de dix-neuf ans ; et après avoir
régenté les basses classes au collège
d'Avignon , puis professé la philo-
sophie et la théologie à Lyon, il se
rendit , en iG3i , à Paris, oii l'ap-
pelait le prince Maurice de Savoie,
qui l'avait choisi pour confesseur.
Peu de temps après, le cardinal de
Richelieu lui proposa de réfuter luie
théologienespagnol, quiblimait l'al-
liance conclue récemment ])ar la
France avec les protestants d'Alle-
magne : le P. Raynaud ne crut pas
devoir se rendre aux désirs du mi-
nistre , et se hiUa de retourner à
Lyon , d'où ses supérieurs l'en-
voyèrent à Chambcri. L'évêché de
Genève vint à vaquer, en 1637,
par la mort du frère de saint Fran-
çois de Sales, qui lui avait succé-
dé sur ce siège. Les membres du
i84
RAY
sénat de Chambëri, qui connaissaient
le zèle et les talents du P. Raynaud ,
demandèrent pour lui cette dignité ;
mais il désavoua leurs démarches, et
quitta raème la Savoie , où il ne re-
vint qu'en i63g. Le P. Monod, son
confrère, venait d'être enfermé dans
le château de Montmélian , sur les
instances du cardinal de Richelieu
( Fojez Monod , XXIX , 397 ) ;
Raynaud chercha tous les moyens
d'adoucir la captivité de son an-
cien ami : mais Richelieu, indigné
déjà contre lui, ne put croire que
ses relations avec un prisonnier
d'état fussent tout-à-fait innocen-
tes; il sollicita de la cour de Sa-
voie l'ordre de l'arrêter. Au bout
de trois mois , le P. Raynaud sortit
de prison ; mais craignant de nou-
velles persécutions de la part du mi-
nistre, il résolut de passer à Rome,
où il pourrait braver sa vengeance.
Malheureusement , les espions dont
il était entouré, rendirent compte
des moindres mots qui lui échap-
paient. L'ordre de l'arrêter, précéda
son arrivée à Avignon ; et il resta
six mois enfermé dans une chambre
du palais papal, ^qs ennemis , pen-
dant sa détention , avaient fait sus-
pendre l'impression d'un de ses ou-
vrages ( Ilcteroclita spirilualia ) ,
sous le prétexte qu'il renfermait des
propositions dangereuses. Des qu'il
fut libre , le P. Raynaud partit pour
Rome, emportant son manuscrit,
qu'il soumit à l'examen du P. Alé-
gainbe, nommé son censeur; et il
revint avec l'autorisation de le faire
imprimer. A son retour, il fut ac-
cueilli par le vice-légat ( Frédéric
Slorcc ) , qui ne négligea rien peur
bu f;iire ouljlier son injuste déten-
tion. Ce prélat, ayant été nommé
cardinal , eu iG/JS , partit pour Ro-
me avec le P. Rciynaud,cts'cmprcs-
RAY
sa de le présenter, au souverain pon-
tife et aux membres du sacié collège,
comme un des plus fermes défenseurs
des droits du Saint-Siège. Le pape,
voulant mettre ses talents à l'épreu-
ve , lui proposa d'entreprendre la
réfutation du traité : De concordid
sacerdotis etimperii ( Voy. Marca).
Le P. Raynaud n'osa pas refuser ou-
vertement une tâche si difticile , et
partit sans prendre congé du ponlife.
Sur Tinvitalion de son général , il.
retourna deux ans après à Rome , et
il y professa pendant quelques mois
la théologie positive : mais sa santé
ne s'accommodant point du climat
de l'Italie ,il demanda la permission
de revenir à Lyon , où il passa le
reste de sa vie, entre la direction des
âmes, l'enseignement, et la rédaction
de ses ouvrages. Il mourut d'apo-
plexie en celte ville, le 3i octobre
i663, à l'âge de quatre -vingt ans.
Le P. Raynaud avait toutes les qua-
lités d'un bon religieux , et il en
remplissait les devoirs avec un zèle
qui ne s'est point démenti. Dans le
temps que la A'illedeLyou fut affligée
par une fièvre contagieuse, on le vit
se dévouer entièrement au service
des pauvres malades , et braver tous
les dangers pour leur porter les se-
cours de la religion. Comme écri-
vain , il avait de l'érudition, de la
chaleur, et une grande fécondité :
mais il manquait de critique en ma-
tière de goût ; et son style trivial
et prolixe est défiguré par l'emploi
cnntiuuel de termes qui n'appar-
tiennent qu'à la basse latinité. Il a
laissé un grand iionibrc d'ouvra-
ges presque tous relatifs à la théo-
logie ; mais les uns sur des sujets
futiles ou singuliers , tels que , l'c-
logc de la brièveté , de l'usage des
chaises dans les églises ; s'il est per-
mis de prendre des lavenicnts de
RAY
jus de viande , etc. ; d'autres satyii-
qiies , et daus lesquels il n'e'pargne
ui les hommes les plus distingues,
ni les ordres entiers , ni même ses pro.
près confrères. Le succès qu'avaient
obtenu la plupart des écrits du P.
R^yuaud, fit croire à quelques spe'-
culaleurs qu'on enverrait le Becueil
avec plaisir. Le P. Bertet ( V. Let-
tres de Gui Patin , 3.^7 ) se chargea
de publier cette immense collection,
qui parut à Lyon, de i665 à 1669,
en 20 vol. iu-fol. Ledcrnier volume,
imprimé sous la rubrique de Craco-
vie , intitule u4popoinpeius ( c. à. d.
le Bouc émissaire ) , contient les
écrits , dont le P. Raynaud n'avait
point osé s'avouer l'auteur, comme
étant trop satiriques : cette édition
n'eut presque aucun débit; et le librai-
re tut ruiné : mais aujoui'd'hui qu'elle
est devenue rare, les exemplaires en
ont repris quelque valeur.Tiraboschi
compare le recueil des ouvrages du
P. Raynaud à ces magasins remplis
de toutes sortes de marchandises,
bonnes et mauvaises, anciennes et
nouvelles, utiles ou inutiles, dans
lesquels chacun , avec un peu de pa-
tience , finit par rencontrer quelque
chose qui lui convient ( f oy. la
Storia délia leltevatura italiana ,
VIII , iSa ) ; et cette comparaison
nous semble donner une idée assez j us-
te de cette vaste collection. Elle se
comjiose de quatre-vingt-treize ou-
vrages , dont on trouvera les titres
dans le tome xxvi des Mémoires
de Niceron, Joly a fait quelques ad-
ditions et quelques corrections à ce
Catalogue , dans ses Remarques sur
le Pict. de Bayle. Nous nous conten-
terons de citer ceux de ces ouvrages
qui méritent le plus l'attention : L In
J. Barnedi dissertationem advenus
lequivocaliones indices très : va-
cum barbaratvm {des injures); vo-
RAY i85
cum grœcanicarum ( des menson-
ges ) ; rerum notabilium ( des im-
pertinences ) ; Lyon , 1627 , iu-S"*.
(/^o>. BarnÈs,iii, 3q\. ) IL De
orlu infanlium contra naluram jier
sectionem cœsaream tractatio, ib.,
iG3o , in-8'':; livre singulier et cu-
rieux. IIL Heteroclita spirltualia
et anomala pietalis cœleslium . ter-
restrium etinfernorum, Grenoble ,
1647 , i'J-8'^. ; deuxième édition ,
augmentée, Lyon, i654, in-4°.
C'est un Recueil des pratiques sin-
gulières introduites dans la religion
par l'ignorance , la superstiîion et le
relâchement. IV. Erotemata de
bonis ac malislihris ; deque justd
aut injustd eorumdem confixione,
Lyon , i653, in-4°. Il composa cet
ouvrage à l'occasion de son Traité
De martjrio yer j estem , dans le-
quel il soutenait que ceux qui s^expo-
sent en assistant les pestiférés , sont
de véritables inartMS. Cette propo-
sition aA'ait été censurée par la con-
grégation de l'index. Le P. Raynaud
établit, dans son nouveau Traité^
qu'on peut condamner les meil-
leurs livres au moyen de fausses
interprétations ( Voy. le Dict. des
anonjm. , n». 9, 167 ); et il prescrit
aux censeurs les règles qu'ils doivent
observer : ce n'était pas le moyen
de se réconcilier avec ses juges •
et il eut le chagrin de se voir une
seconde fois condamné. Néanmoins
cet ouvrage est plein d'érudition
et de recherches curieuses ; c'est
de tous ceux de l'auteur celui dont
les savants font le plus de cas. V.
Tractatus depileo, cœterisque ca-
pilis tcgminihus tàm sacris quàm
profanis , ibid. , i655, in-4°., sous
le nom ^ Anselmus Solerius Cemc-
liensis; Amsterdam , 1672 , in-12 ,
fig. ; et dans le tome vi de Thesaur.
anliquit. Bomanar. ( Voyez Sal-
i86 RAY
lengre, Mém. de litter. , i, 174 ).
VI. Eunudii nati ,facti , mystici ,
ex sacra et humand litteraturd il-
lustrati ,T)'\\on , i655 , in-4°. , sous
le nom de Jean Hëribert Cemeliensis.
Son but est de réfuter Zacli a rie Pas-
qiialigo, qui , dans ses Décisions mo-
rales , avait soutenu que les parents
ont le droit de mutiler leurs enfants
pour conserver et développer leur
vois; mais , suivant sa coutume , il
se livre à toute sorte de digressions
et traite de tout ce qui regarde les eu-
nuques. VII. Ilipparchus de religio-
so negociatore , Francopoli (Cham-
béri), i64'2 , in-8'^. Cet ouvrage sa-
tirique a été traduit en français sous
ce titre : Hippnrque , du religieux
marchand{ par Tripier, précepteur
des enfants naturels du duc de Sa-
voie ) , 1 645 , in- 1 2. Il en existe une
autre traduction, intitulée le Moine
marchand, ou traité contre le com-
merce des religieux , Amsterdam ,
1714, in- 8''. \i\l. De immimitate
aulhorum cyriacorum à censura
( vers 1662 ) , in -8°. C'est l'ouvra-
ge le plus virulent qui soit sorti de
la plu^e du P. Raynaud ; il fut
conlamné au feu par les parlements
d'Aix et deToulouse, comme impie,
et renfermant des propositions in-
jurieuses à l'honneur de la sainte
Vierge , de saint Thomas d'Aquin ,
de sainte Catherine de Sienne, et de
l'ordre entier des Frères prêcheurs.
On prétend que sa haine contre cet
ordre venait du dépit d'avoir vu
quelques-uns de ses ouvrages flétris
par l'inquisition. J^e même esprit
d'iiilolérancc avait tourné sa |)lume
contre Ijollandiis , qui ne s'était pas
trouve d'accord avec lui sur la date
(le la mort d'un saint lyonnais. IX.
Jlagiohif^iuiii lAigdunense. C'est le
litre particulier (lu huitième volume
de SCS œuvres, cnlièrcnicnt consacré
RAZ
à Fégliec de Lyon. Les dix ouvrages
qu'il contient offrent des recherches
curieuses : on trouve , vers la fin ,
une Table des saints , disposée par
ordre d'états, de professions, d'em-
plois et de métiers : les détails qu'elle
offre, sontremarquables par leur sin-
gularité. Le P. Raynaud , dans un
momcntde loisir , avait écrit sa Fie^
que l'on conservait parmi les manus-
crits de la bibl. des jésuites de Lyon.
On sait que le P. Oudin avait formé
le projet de la compléter, et de la
publier avec ses corrections ; et l'on
lie peut que regretter qu'il ne l'ait
pas exécuté ( V. Michault, Mélang.
philolog.^ II, 346 ). W — s.
RAYNEVAL ( Jos.-Math. Ge^
EARD DE ). F. Gérard.
RAZI (Mohammed Abou - Bekr
Ibn-Zagaria ), célèbre médecin ara-
be, reçut le jour à Rey, (l'ancienne
Rages , dans le Khoraçan ) , d'oîi lui
vint le surnom de Razi ou Rbazès ,
sous lequel il est connu. Dans sa jeu-
nesse, il s'occupa de musique et d'a-
musements frivoles ; mais à mesure
qu'il avança en âge, il sentit le be-
soin d'une profession utile; et il se
livra dès-lors avec ardeur à l'étude
de la médecine et de la philosophie.
A l'exemple des grands médecins de
l'antiquité , il joignit la pratique à
l'étude des principes de son art; et
il dirigea successivement les hôpi-
taux de Bagdad et de sa ville natale.
Léon l'Africain le fait voyager en Sy-
rie , en Egypte, et jusqu'en Espagne.
11 a même prétendu que Razi se
journa long -temps à Cordoue, et
s'y acquit la ])Ius grande réputa-
tion; mais son récit est mêlé d'ana-
chronismcs si grossiers, qu'on ne sait
s'il mérite la moindre confiance ( 1).
On sait , il est vrai , par Abou'lféila ,
(0 Fiiliiiciiis , Dililiotli, j^rmc. , Xlll , lO'J.
RAZ
que notre auteur mourut fort âgé ;
mais on est incertain de l'anne'e de
sa mort , qu'Abou'lféda et d'autres
placent à l'an 3io de l'hëgire ( 928
de J.-C/, tandis que quelques-uns la
reculent de dix années. Au reste, les
écrivains orientaux s'accordent sur
un point , c'est dans l'éloge qu'ils
font de Razi. Abou'lfëda assui-e qu'il
fut comme l'imam ou le corypbe'e
des savants de son temps, et qu'il
mérita d'être montré au doiç.t pour
ses talents. Voici un trait qui semble
prouver qu'il était plein d'un noble
enthousiasme pour son art : nous
l'empruntons d'Abou'lfarage. Dans
sa vieillesse, Razi ayant perdu la vue,
ne voulut pas se faire traiter de la
cataracte, à moins que son médecinne
lui dît combien l'œil avait démembra*
nés; et, comme le médecin ne put
résoudre cette question, il le repous-
sa , en disant : « Allez , un liomme
» comme vous, qui ignore ces dé-
» tails , ne mérite pas de me trai-
» ter. » Cependant l'oculiste insis-
tant, et demandant à être mis à l'é-
preuve , Razi répliqua : « En vérité,
» j'ai si bien vu ce monde , que j'en
» suis dégoûté. » Un point plus in-
téressant à connaître , c'est que Ra-
zi était naturellement bon, généreux,
se dévouant au service des pauvres.
Malgré sa science et sa droiture, il pa-
raît qu'il ne sut pas se préserver des
travers de son siècle : c'est du moins
ce qui résulte de ses ouvrages , et qui
est confirmé par le trait suivant ,
que nous tirons encore d'4bou'lfara-
ge. Unjour quelqu'undilàRazi : «Tu
» prétends posséder trois grandes
» sciences, et tu es le plus ignorant
» des hommes. Tu crois connaître
» l'alchimie , et cependant tu n'as
» pu tiouver le moyen de payer à ta
» femme les diK pièces d'argent que
») tu lui avais promia en dot ; tu t'es
RAZ 187
» même laissé mener en prison pour
» une aussi petite somme. Tu fais le
» médecin , et tu n'as pu conserver
» ta vue. Enfin, à t'en croire, tu es
» instruit dans la science des étoiles
» et delà nature ; et tu croupis dans
» la misère. » Voici un autre trait
qui est rapporté par Ibn-Khal-
kan (i) : Razi, ayant composé un
Traité sur la chimie ou plutôt l'al-
chimie , alla le présenter à l'émir
Almansour, prince du Rhoraçan.
L'émir fut enchanté, et lit donner
à l'auteur mille pièces d'or pour ré-
compense; ensuite il lui dit : « Ce
n'est pas le tout ; je voudrais que tu
fisses devant moi l'expérience des
belleschoses qui sont dans celivre. »
Razi répondit qu'il lui serait facile
de le satisfaire, pourvu qu'on lui
fournît les instruments et les ma-
chines nécessaires à ses expériences.
« Qu'à cela ne tienne , reprit l'é-
mir , je me charge de la dépense. »
Il fit donc faire, à grands frais , les
machines que lui avait demandées
Razi; mais quand il fut question
d'en venir à l'épreuve , celui-ci ne put
tenir sa promesse. Alors le prince
furieux lui dit : « Je n'aurais pas cru
qu'un docteur comme vous prît plai-
sir à se faire l'artisan du mensonge;
je vous ai fait donner mille pièces
d'or pour votre livre : maintenant
il est juste que je vous récompense
de vos expériences ; )> là dessus il prit
le livre , et en fit donner des coups
à Razi , sur la tête , jusqu'à ce que le
livre fût tout en pièces. L'auteur
arabe ajoute que c'est ce traitement
violent qui occasionna la fluxion dont
Razi fut affligé dans sa vieillesse,
et qui le rendit aveugle; d'autres as-
siîrucntà cet accident une cause toute
{^^ Maunscrils arali.5 <le la liiliUollii (|nc- .lu voi ,
n°. 78«, ol. 333, recto, à l'art. 7UoAummt(i-/{u«.
i88 RAZ
différente. Il est certain d'ailleurs
que Razi e'tait loin d'être exempt de
superstition et de préjuges. Dans un
de ses ouvrages sur la chimie, il dit
que cette science est plutôt possible
qu'impossible; ce qui ne se peut guè-
re entendre que des rêveries de l'al-
chimie : car on sait que le mot chi-
mie n'a pas toujours eu le sens qu'il
a aujourd'hui. Dans un autreendroit,
Razi se déclare partisan de l'astro-
logie. Enfin , dans son Traité des
médicaments, il n'a pas manqué de
recommander l'usage des coraux rou-
ges et des pierres précieuses ; opi-
nion qui remonte aux temps les plus
anciens , et qui s'est maintenue jus-
qu'aux siècles modernes. Malgré ces
défauts, Razi jouit long -temps de
la plus grande réputation. Ses écrits
furent mis à contribution par Avi-
cennc , et il exerça son influence jus-
qu'en Europe. 11 y a tel de ses trai-
tés qui servit jadis de texte dans les
universités de France, d'Italie etde la
Germanie. Ses ouvrages furent tra-
duits en hébreu, en latin, et eurent
pendant long - temps la plus gran-
de vogue : maintenant ils sont ou-
bliés. Une révolution si singulière
dans l'esprit humain exige une cour-
te explication. A mesure que les
ténèbics de la barbarie se répan-
dirent sur l'Europe, tout souvenir
de la littérature grecque s'effaça; les
livres d'Hippocratc , de Galicn et
àcs autres maîtres de la médecine
grecque, ne furent plus lus ni en-
tendus : et d'ailleurs comment se
les serait-on procurés ? Les chefs
des universités d'Italie et d'autres
pays tioiivèrcnt plus commode de
faire traduire en latin les écrits des
Arabes. A cette épo(|ue , les Musul-
mans de l'Asie, de l'Afrique et de
l'Espagne, claienl comme en posses-
sion (le toutes les scicjiccs. Non-scu-
RAZ
lement ils avaient dans leur langue ,
des traductions d' Aristote, de Galien,
de Dioscoride , etc. , mais ils pas-
saient pour avoir perfectionné et
étendu leurs découvertes. C'est alors
qu'un Gérard de Crémone ( Voy. ce
nom ), et d'autres savants , aflèrent
s'établir en Espagne. Là ils puisè-
rent la connaissance de la langue
arabe , et répandirent leurs traduc-
tions dans toute l'Europe. Razi fut
du nombre des auteurs dont les écrits
passèrent ainsi en latin ; mais dès
que le goût des bonnes études com-
mença à renaître , on se dégoûta de
ces traductions. On s'aperçut qr.e les
Arabes n'avaient été , en général, que
les copistes des Grecs. On recourut
donc à ces grands modèles ; on les
goûta , on médita leurs écrits : on
abandonna les Arabes. II arriva ain
si ce qui arrive presque toujours :
on alla d'un extrême à l'autre. On
accorda d'abord aux Arabesunelrop
grande importance ; ensuite on ne
leur en accorda pas assez. Ce qui
contribua surtout au discrédit où
tombèrent les versions latines des
écrits des Arabes, c'est qu'elles sont
inexactes, infidèles, barbares. Casi-
ri , qui a eu occasion d'en comparer
quelques-unes avec l'original arabe,
les appelle des peiversioiis et non des
versions. Il déclare qu'en confron-
tant le texte et la traduction, il a cru
lire deux ouvrages différents. Pour
décider sur de telles matières , par-
ticulièrement en ce qui regarde Ra-
zi, et sur le mérite respectif des
Grecs et des Arabes , il faudrait que
nous eussions de nouvelles traduc-
tions , plus exactes que les premiè-
res , ou du moins que les originaux
arabes se trouvassent dans nos bi-
bliothèques , afin de les consulter au
besoin. Par malheur il en est autre-
ment. Ccn'cstgucrequ'à labibliothè-
RAZ
que de l'Escurial que l'on trouve les
plus importants des ouvrages de Riizi.
Ne serait-il pas digne de notre siècle,
oùla critique a fait tant de progrès,
de pouvoirconnaîtreau justece qui ,
dans les sciences médicales, appar-
tient en propre aux Arabes ; détermi-
ner ce qu'ils ont emprunte des Grecs;
en un mot faire la part de chacun.
On sait , par exemple , que ce sont
les Arabes qui les premiers ont in-
troduit dans la pîiarmacie l'usage
des minoratifs ou purgatifs doux ,
tels que la casse , le tamarin , etc. ,
et c'est à Razi surtout qu'on en est
redevable ; c'est encore le même
auteur qui a le plus contribué à
l'emploi des pre'paratious chimi-
ques dans la médecine. Razi a passe'
pour l'inventeur du selon , dont il
faisait un fréquent usage. Il se mon-
tra plus analomiste que les autres
médecins de sa nation; et il distingua
le nerf laryngé' d'avec le récurrent ,
qui est parfois double du côté droit,
découverte qu'un moderne a voulu
s'attribuer. Ce qui prouve que les mé-
decins arabes , et particulièrement
Razi, ne méritent pas tout-à-fait l'ou-
bli où ils sont maintenant, c'est l'esti-
me qu'on a montrée pour le Traité
de ce dernier sur la petite-vérole et
la rougeole , du moment qu'on en a
eu une traduction exacte, il est re-
connu du reste que Razi, en général,
s'en est tenu aux écrits des Grecs, et
surtout de Galien, Il avoue, dans un
de ses ouvrages , que , lorsqu'il a trou-
vé de la différence parmi ces auteurs,
il s'est rangé à l'opinion du médeciude
Pergame. Razi a beaucoup écrit; et
ses ouvrages sont très-nombreux. Ou
en peut voir l'énuméralion dans la
Bihliotheca Hisp. arabica, par Ca-
siri,tome i, p. sô'.i, d'aprèsuu biogra-
phe arabe. Nous allons nous borner
à indiquer ceux qui ont été traduits
RAZ 189
en latin , cl qui ont joui chez nous
de plus ou moins de vogue. On sent
bien qu'il n'entre pas dans notre su-
jet de présenter un tableau détaillé
de la doctrine du médecin arabe. On
peut consulter, à cet égard, THis-
toire de la médecine, par Freind, et
celle de Curt-Spreugel. J. Havi seu
Continejis ,ojdinalus et correciiisper
clar. doct. magiitnmi Ilierovymum-
Surianum , B rescia , 1 486, 2 vol. in-
4°. ; Venise , 1 609 , 2 vol. , in - fol.
Le titre arabe Havi revient à -peu-
près à ce que nous entendons par le
mot de Pandectes. L'ouvrage ainsi
nommé n'a pas été rédigé par l'au-
teur tel qu'il esta présent. Plusieurs
passages sont en contradiction avec
la doctrine bien connue de Razi. Ce
médecin /est même quelquefois cité
à la troisième personne. On sait d'ail-
leurs , par la Chronique syriaque d' A-
bou'lfarage, que Razi mourutavant
d'avoir rais la dernière main à son
travail; et qu'après sa mort, ses ma-
nuscrits passèrent entre les mains de
ses disciples, qui publièrent le Havi
dans l'état où il est aujourd'hui : il pè-
che surtoutpar le défaut d'ordre. II.
Un Traité delà petite-vérole et de la
rougeole. Ce Traité est précieux ; on
le consulte encore à présent. Il a été
mis à contribution par les médecins
de toutes les nations , et , entre autres,
par le médecin grec Synésius. C'est là
qu'on trouve, pour la première fois,
une description exacte et étendue de
ce terrible fléau de l'espèce humaine.
George Valla en donna une Aversion
latine , d'après la traduction grec-
que. Plaisance, 1 498. Robert Estien-
ne publia la version grecque de ce
Traité, en i548, avec les correc-
tions de Jac. Goupil : Sébastien Co-
lin le publia en français , Poitiers ,
1 556. Il en parut plus tard une nou-
velle version latine , faite sur Tara-
IQO
RAZ
l>c, par nn Syrien nommé Salomon
Negri , aidé de Gagnier et de ïlio-
inas Hunt. Elle fut publiée par le
docteur Mead , conjointement avec
un autre Traité du médecin anglais
sur le même sujet , sous ce titre: De
variulis et mnrbillis ^Londres, 1 747.
Quelque temps après, un apothicai-
re de Londres, nommé Channiug ,
lit faire une nouvelle vei'sion latine
du Traité de Razi,sur un exemplai-
re arabe plus correct de la biblio-
thèque de Leyde, et la publia avec
le texte , sous le titre de : Bhazès de
variolis et morhillis cum aliis non-
niilUs ejusdem argumenti, Londres,
1766, in - S'*. Cette édition est
très-correcte, selon le savant Rus.
sel , qui , dans ses voyages en Orient ,
avait eu occasion de la comparer
avec les originaux. Cetle même ver-
sion latine a été reproduite par Hal-
1er, dans le tome vu de ses ylitis
medicœ principes^ Lausane, 1772.
Enfin il en a paru une traduction
française, par Paulet, à la suite de
V Histoire de la petite-vérole , Pa-
ris, 1703,2 vol. in.i2. lll.Jd Al
jnansoremlibri decem,\ cnkc^i 5 1 o,
in-fol. On a disputé jusqu'à présent
pour savoir quel était cet Alman-
sour à qui Razi dédia son ouvrage. Il
serait trop long de répéter ce qui a
été dit à ce sujet. Nous dirons seule-
ment, d'après INIirkhond, historien
persan, que cetAlmansonr était fils
/ d'Ishak , de la maison des princes
Samauides , qui régnèrent, pendant
le dixième siècle, sur la Transoxia-
ne et le Khoraçan. 11 commandait
dans le Khoraçan , sous l'auto-
rité de la branche principale desSa-
manides. Il essaya de s'y rendre
indé|)endai!t, et mourut à-peu près
dans le m^nic temps ([ue nuire au-
teur. Ainsi l'on ne sera plus étonné
que Razi ait donné celle marque de
RAZ
respect h un prince son confcmpo-
rain qui, à la vérité, l'en récompensa
bien mal, s'il en fautcroire l'anec-
dole rapportéeparIbnKhalkan.Cet
ouvrage renferme en abrégé l'ensem-
ble de la doctrine médicale des Ara-
bes. C'est de tous , sans contredit,
celui qui a fait le plus d'honneur à
Razi : il brille surtout par l'ordre
et la métliode. Ce n'est pas , du reste,
une simple descriptiondes misères de
l'homme : l'auteur a entremêlé son
récit de quelques réflexions fort sa-
ges. Par exemple, il conseilleaux mé-
decins de ne pas négliger les anciens,
et de s'aider de l'expérience des au-
tres , ajoutant que, dût - on vivre
mille ans , on ne pourrait jamais
voir par ses yeux ce qui a été ob-
servé dans la suite des temps et
dans les diverses régions de la ter-
re. Il a consacré un chapitre parti-
culier aux charlatans en médecine :
car il y en avait aussi de son temps ;
et ce chapitre a été traduit parFreind,
dans son Histoire de la médecine.
C'est dans cet ouvrage qu'il est ques-
tion pour la première fois de l'eau-
de -vie. L'auteur y parle aussi de
plusieurs espèces de bières , fai-
tes avec de l'orge , du riz et du sei-
gle. Razi , dans ses Aphorismes, s'est
beaucoup trop éloigné de la simpli-
cité d'Ilippocrate, 11 y a telle obser-
vation qu'il répète jusqu'à deux ou
trois fois ; il s'y montre même par-
tisan de l'astrologie. Cependant on
y trouve quelques maximes qui ne
manquent pas de sens , par exemple
celle - ci : Défiez -vous du médecin
qui décide facilement ; et cetle au-
tre : Les médecins à systèmes, ceux
qui veulent faire à leur tête, les jeu-
nes ^ens sans expérience , sont de
vrais assassins. En voici une troi-
sième qui ])ourrail trouver son ap-
plication ailleurs : Le médecin doit
RAZ
se ménager de telle manière qu'il
ne se livre pas tout entier aux ajjf ai-
res de ce monde, ni quilj soit tout-
à-fait étranger. Plusieurs des on-
Au'as^es de Razi ont etë traduits aussi
en iiëbreu : ou trouvera l'indication
de ces traductions dans la Bibliothè
que hébraïque de Wolf , et dans le
Catalogue des manuscrits hébreux
de M. de Rossi, n°s. 3i2, 347 et
iSSg. R — D.
RAZOUX ( Jean ) , docteur en
médecine de la faculté de Montpel-
lier , et •Tgré<:;é au collège royal des
médecins de Nîmes , naquitdans cette
dernière ville, le 6 juin 17^3. Avant
de se livrera l'exercice exclusif de sa
profession, il occupa ses loisirs à
des recherches d'archéologie. Il
avait entrepris , avec le marquis de
Rochemore, sur les antiquités de son
pays, un grand ouvrage, qui n'a pas
été achevé, mais dont un Mémoire
surles Fulces Arécomiques, etc., qui
en faisait partie, et qu'on trouve
dans le Recueil de l'académie royale
de Nîmes, de 1756, donne une idée
assez avantageuse. On a conservé en
outre, de Razoux seul, un Mémoire
sur les consécrations des anciens ,
etc ; et un autre sur les grands che-
mins des Romains , sujet oîx il n'y
avait plus qu'à glaner après les tra-
vaux généraux de Bergier sur cette
matière ^ et ceux d'Astruc , plus par-
ticuliers , sur les voies romaines du
Languedoc. Les prompts succès de
Razoux dans la pratique de la méde-
cine , et l'étendue de ses relations
avec les hommes les plus savants
dans son art, ne lui laissèrent bientôt
plus de temps pour d'autres objets.
On a de lui : I. Lettres jihjsiques et
anatomiques sur l'organe du goût,
1755. II. Lettre à M. Belletéte ,
surles inoculations faites à Ninies,
J764, in-^*'. III. Tables nosologi-
RAZ
191
ques et météorologiques, pXc, Bâle,
1767. 1/académie royale des scien-
ces accueillit ce livre avec la plus
honorable distinction. IV. Essai sur
Vusage de la douce amère ( Sola-
num scandens ) dans les maladies
dartreuses. V. Dissertatio epistola-
ris de cicutd , stramonio , hyoscia-
mo et aconito , Nîmes, 1781 , in-
8°. VI. Mémoire sur les éjndémies ,
1786, pour lequel une médaille d'or
fut décernée à l'auteur par la so-
ciété royale de médecine de Paris,
Razoux était de la société médico-
physique de Bâle, correspondant de
l'académie des sciences, de la société'
de médecine de Paris, de la société
des sciences de Montpellier, et se-
crétaire perpétuel de l'académie de
Nîmes. Il mourut , au lieu de sa nais-
sance, en 1798. V, S. L.
RAZYAHou RADHIAT-EDDYN,
reine de Dehly, était fille de Chems
eddyn Iletmich , et fut reconnue
souveraine par tons les ordres de
l'état , l'an 634 de l'hégire ( 1 -236 de
J.-G. ), après la déposition de son
frère, Rokn-eddyn Fyrouz-Chah ,
qui s'était rendu méprisable ( Voj.
FiROUZ-GuAH l'T, ) C'est l'uni-
que exemple , dans les annales de
l'islamisme, d'une femme élevée au
rang suprême par le choix d'une na-
tion. Razyah était digne de cette
distinction. Elle n'avait aucune des
faiblesses de son sexe, et possédait
toutes les qualités d'un bon roi. Elle
entreprit plusieurs expéditions mili-
taires , dompta tous les rebelles de
ses états , et mit à la raison les prin-
ces voisins qui voulurent l'inquiéter.
Redoutée audehors, elle sut par un
gouvernement sage, mériter l'amour
de ses sujets, et fut la gloi-.c de sa ra-
ce. Elle portait le tadj oulacouron-
ne sur la tète, comme les sullhans:
mais un voile lui cachait le visage,
ÎQI
RAZ
lorsqu'elle paraissait en public; ot
elle ne se découvrait que pour ilon-
ner ses audiences et rendre la justice.
Elle protégea les gens de mérite,
particulièrement les savants. Son
frère Bahram, jaloux de la voir oc-
cuper un rang auquel il prétendait
seul avoir des droits, excita contre
elle une conspiration parmi les mé-
contents qui se plaignaient de son ex-
cessive sévérité. L'an 687, Razyali
assiégeait en personne Melik Altou-
nia , roi de Serliind , dans sa capi-
le , lorsque deux omralis de la sul-
tlianc entreprirent de la livrer à son
ennemi. Leur complot fut décou-
vert , et ils furent mis à mort par les
troupes : mais leurs partisans, s'étant
saisis de Razyah, la renfermèrent
dans un cliâteau , et mirent sur le
trône de Dehly, Moezz-eddyn Bah-
ram-Chah. Le roi de Serhind , plein
d'admiration pour cette princesse ,
d'ennemi qu'il était, se déclara son
vengeur, 11 vint à la tête d'une ar-
mée, la délivrer de sa prison, l'é-
pousa solennellement, et marcha
vers Delily pour la rétablir sur le
trône. Après divers combats, Ra-
zyali et son époux furent vaincus
dans une grande bataille, par les
troupes de Babram-Chab. Ils y per-
dirent la vie, ou, suivant une autre
version , ils furent massacrés dans
leur fuite, par des Indiens idolâtres.
Razyah avait régné trois ans et de-
rai. Elle eut pour successeur son frè-
re Bahram, qui , ayant péridansune
révolte , après un règne de deux ans,
fut remplace par son neveu Mas'oud
IV ( f^oj-, ce nom ). A — t.
BAZZI (Jean-Antoine), peintre,
plus connu sous le nom de chevalier
SonoMA , naquitvcrs 1 479, selon les
uns à Verceil , en Piémont , selon les
autres à Vcrgclli , village du pays
de Sienne. Ce qu'il y a de certain ,
RAZ
c'est qu""!! reçut le droit de cité dans
ceîtedernièreville. Vasaridit expres-
sément qu'il fut amené à Sienne par
des agents de la noble famille Span-
nochi: du reste il le fait naître à
Verceil. Le coloris de ses chairs ,
son goût de clair-obscur, et quel-
ques autres qualités inhérentes à l'an-
tique école de Milan et du Gioveno-
ne, qui florissait à Verceil durant
les premières années de Sodoma ,
laissent apercevoir des traces du
style de ce maître, surtout dans
les ouvrages que l'artiste a exé-
cutés à l'époque où il commen-
çait à obtenir de la célébrité. JJ His-
toire de saint Benoit , qu'il a })e:n-
te^vers l'année i5o2, au Montc-
Oliveto , a été décrite d'une manière
satisfaisante par GiuUo Perini , se-
crétaire de l'académie florentine.
Une partie des ouvrages qu'il exécuta
sous le pontificat de Jules II , à Ro-
me, existe encore. Il avait peint deux
grandes compositions au Vatican ;
mais le pape ne les ayant pas trou-
vées à son goût, elles furent jetées
bas; et Raphaël y substitua de nou-
velles peintures : il conserva cepen-
dant avec soin les grotesques qu'il
avait peints. Le Sodoma exécuta en-
suite dans le palais Chigi, dit aujour-
d'hui la Farnesine , plusieurs sujets
tirés de la vie d'Alexandre-le Grand,
parmi lesquels on distingue les ISoces
de Roxane. On n'y retrouve ni l'élé-
gance, ni la grâce, ni la noblesse
des têtes qui caractérisent l'école de
Léonard de Vinci; mais on y re-
marque sa science du clair-obscur,
que les peintres lombards s'elFor-
çaient d'imiter. La perspective, que
l'on regarde comme l'héritage qu'il
avait laissé aux artistes de ce pays,
V brille d'une nianièrc cmiuenlc.
L'invention en est riante; et les grou
pes d'amours lançant des flèches ,
RAZ
qu'il y a introduits, donnent im
grand charme à sa composition.
Toutefois, c'est à Sienne, que, riche
des études qu'il avait faites à Rome,
et d'un talent mûri par l'iige et l'ex-
périence , il a exécute ses meilleurs
ouvrages. L' Epiphanie ^queV on voit
dans l'église de Saint-Augustin , sem-
ble un ouvrage de Léonard de Vinci j
et quelques amateurs même préfè-
rent sa Flagellation du Christ , son
chef-d'œuvre, qui se voit dans le cou-
vent de Saint-François, au même su-
jet peint par Michel Ange. On lui
compare aussi le Saint Sébastien
qui se trouve dans la galerie de Flo-
rence, et qui passe pour une copie
du torse antique. \j' Évanouissement
de sainte Catherine de Sienne , qu'il
a peint à fresque dans une des cha-
pelles de Saint-Dominique, n'est pas
indigne de Raphaël . Le Peruzzi disait
que personne n'avait su rendred'une
manière aussi parfaite l'expression
d'une pei'sonne qui s'e'vanouit : aussi
Razzise distingue-t-il ge'iie'raleraent
par une variété d'airs detêle, où l'on
ne reconnaît aucune imitation j et
Vasari , qui , dans sa prévention, le
regarde habituellement comme un
peintre médiocre, ne peut s'empêcher
d'admirer en lui cette qualité. L'in-
juste partialiié de cet écrivain envers
le Sodoma fut, selon le P. Délia
Vallc, la source de l'aversion que
ce grand peintre avait conçue pour
les écrits de Vasari ; aversion qui
put accroître à son tour l'animosilé
jalouse du disciple de Michel-Ange
contre le peintre émule fie son maî-
tre. Le Sodoma travaillait souvent
sans étude préliminaire, et de pra-
tique seulfment , surtout lorsque de-
venu vieux, et manquant de tra-
vaux à Sienne , il all;t en chercher
à Pise , à Lucques , à Vollerra :
toutefois, dans ses productions mc-
xxxvii.
RÉ
igi
me les moins soigue'es , on recon-
naît le cachet d'un homme de ta-
lent, qui dédaigne de mieux faire,
mais qui ne saurait faire mal. Pen-
dant le long séjour que le Razzi fit
à Sienne , il forma un grand nom-
bre d'habiles élèves, parmi lcs({uels
on cite Mastro Riccio. Ou a vu,
en i8i4, au musée du Louvre ,
un tableau du Sodoma , représen-
tant le Sacrifice d' Abraham , qu'il
avait peint pour la cathédrale de
Pise. Quoique ce tableau 'aissât à dé-
sirer sous le rapport de la distribu-
tion delà lumière répandue en trop
j)etites masses, on y admirait beau-
coup d'intelligence dans le nu , et
une grande vérité d'expression dans
les figures. 11 a été rendu à la Tosca-
ne , en i8i5. Le Sodoma mourut
en r554. P — ^•
RÉ ( Philippe ) , agronome
italien , né, en 1763, à Reggio ,
d'une famille noble , fit ses études
au collège de cette ville avec distinc-
tion. La lecture des Géorgiques de
Virgile décida son penchant pour
l'agriculture , que son professeur
acheva de développer, en lui faisant
traduiredes passages des anciens na-
turalistes. Après avoir terminé son
coursde philosophie, il étudia !a phy-
sique sous la direction d'un li.ibile
raaître(leP. BonaventiueConti), qui
lui fit faire de grands pio;;rès dans
cettcscience; cl, eu quittantle collège,
il ol)tintle titre de Principe di Let-
tere. Admis à l'académie des sciences
de sa ville natale, il rapporta dès-
lurs toutes ses études à sa science fa-
vorite , enrichit d'un grand nombre
de plantes rares le jardin établi par
sou frère , le comte Ré ( depuis gon-
A'prncur de Rrggio ) , et se mit on
correspondance avec les amateurs les
plus distingués de la botanique. Sa ré-
putation fit créer à Reggio , en l 'jq'i )
i3
Î9+
RE
luve chaire d'agriculture, qu'il rem-
plit d'une manière brillante j mais
les ëve'ncmenls qui chaugèrcnt un
instant la face de l'Italie, arrachè-
rent noire agronome à ses paisibles
fonctions. Crée recteur de l'univer-
sité deRcggio , il fut, bientôt après,
nommé membre de la régence de
Modène. Phdippe s'acquitta des nou-
veaux devoirs qui lui étaient impo-
sés, avec une rare sagesse; et à la sup-
pression de la régence , il rentra
dans la vie privée , emportant l'es-
time et les regrets universels. Il fut
appelé, peu de temps après ( i8o3),
à la chaire d'agriculture de Bologne ,
et il publia différents ouvrages qui lui
valurentdcslémoignagesd'estiraedes
savants îes plus illustres , et qui éten-
dirent sa renommée dans toute l'Eu-
rope. Lors de la réorganisation de
l'université de Modène , en i8i4 , il
fut engagé par S. A. R. François IV ,
à venir y reprendre la chaire d'a-
griculture et de botanique ; et ce
prince , dont il reçut des preuves
mullipliées de bienveillance, le força
d'accepter en outre la surintendance
des jardins royaux. Dans un voyage
qu'il fit à Reggio pour diriger la
plantation d^nn chemin public , Ré
tomba malade , et mourut le 26
mars 181 7. 11 avait une érudition
immense , beaucoup de mémoire et
de goût , et surtout une persévé-
rance admirable dans tout ce qu'il
entreprenait. 11 était membre des
académies les plus célèbres de l'Ifa-
lie. Outre un grand nombre d'0])us-
culcs siu l'agriculture , on a de lui :
I. Propoiizioni teorico - jiratiche di
fisica ve'^ctale , Reggio , »7u'^.
Elles furent soutenues et dévelop-
pées par M. Jules Monlanara , de
l\Iiran(lole, son élève. On doit re-
marquer <|ue notre professeur est le
premier qui ail fait soutenir en Italie
RE
des thèses publiques sur l'agriculture.
11. ElemenLi. di agricollura,Viiime,
1798, iu-8°.; Venise, i8o'i,4 vol.
in -8'^. ; 3"^. édition , revue et aug-
menté , ibid. , 18 16 : c'est le pre-
mier ouvrage italien dans lequel les
principes de la cliiuiie aient été ap-
pliqués à l'agriculture pratique avec
méthode et clarté. 111. Elementi di
econoniia campestre , ad uso del
re^nod'Ilalia , Milan, 1808, in 8°.
IV. Annali d'As^ricoltura , Bo-
logne , 1807- 181 4 ; ce journal est
estimé. V. Viziovario ragionato dé'
libri d'agricoliura , veterinaria e di
altri rami d'economia campestre ,
Venise, 1808-09, 4 vol. in-16,
formant ensemble plus de i3oopag.
Cette Bibliographie d'agriculture,
que l'auteur n'a pas eu l'intention
de rendre com])lète, mais dans la
quelle il ne parle que des ouvrages
qu'il a vus , et sur lesquels il donne
des jugements précis et motivés ,
comprend environ 1 4oo articles ran-
gés par ordre alphabétique des noms
d'auteurs ( d'Adami à Zwingerus);
elle est précieuse , surtout pour la
connaissance qu'elle donne des agro-
nomes d'Italie. Elle est d'ailleurs
beaucoup plus étendue que la Biblio-
teca georgica de. Lîjstri , Florence ,
1787 , in-4". , laquelle ne contenait
qu'environ G40 articles, et ne citait
que des agronomes italiens. Ré avait
déjà publié, dans la deuxième édi-
tion de ses Eléments d'agriculture ,
un Essai ( Sagç^io di Bildiografta,
georgica) fort abrégé, et n'indiquant
que les titres des livres : les journaux
ayant critiqué son plan et son trop
de brièveté , il crut devoir déférer
à leur avis en coniposant^e nouvel
ouviage , regardé comme l'un des
meilleurs de ce genre. VI. Flora
yliestina; c'est la flore d'Esté. VIL
Les Eloges de P. Crcsccn/.i , Bolo-
RE
j^ne, i8i'3,et de Sëlxast. Corrado.
AjC?, Annales encj^clopédiques à' Aoùl,
1817 ( IV , 3 1 u ) , couticnncnt une
Notice sur Phil. Ré , traduite du
Journal encjclupédique de Naples ,
pag. 337. W — s.
REAl) ( IMarie ) , fliljustièrc an-
glaise , e'taitnee vers 1680, Sa mère
avait e'pouse' uii raariu qui , peu de
temps après son mariage , partit
pour un voyage de long cours , la
laissant enceinte d'un Gis. Cette fem-
me s'ennuya bientôt de son veuvage;
et e'tant devenue grosse une seconde
fois, elle accoucha secrètement d'une
fiile qu'elle substitua à son fds, raort
dans liutervalle. Lorsque Marie fut
«n peu grande , sa mère lui rc'vela le
secret de sa naissance, en l'engageant
de continuer à cacher son sexe. De-
venue orpheline à l'âge de treize ans,
elle entra chez une dame comme
valet de pied: mais elle ne tarda pas
à se lasser de cette condition ; et se
sentant autant de courage que de
force , elle embrassa l'e'tat militaire ,
comme un moyen de fortune. Après
une campagne sur mer, elle servit
en Flandre, dans la cavalerie, et
s'acquit l'estime de ses chefs par son
exactitude et par sa valeur. Ayant
conçu Tamour le plus violent pour
wn jeune Flamand , son camara-
de , elle lui fit partager sa pas-
sion , reprit les habits de femme ,
et l'e'pousa. Ad bout de quelques an-
nées , elle devint veuve , quitta l'au-
berge qu'elle tenait près de BreJa ,
et s'engagea dans l'infanterie; mais
la paix ne lui laissant aucun espoir
d'avancement , clic demanda son
congé, et s'embarqua pour l'Amé-
rique. Le vaisseau qu'elle montait ,
fut capture , dans la traversée, par
des pirates anglais ; et Marie consen- ■
tit , sans peituf , à rester avec eux.
Il» Cl iuent devoir acceiilcr l'amnis-
REA ,c)5
tie que leur offrait le roi d'Angle-
terre , à condition de se retirer dans
quelque endroit pour y vivre tran-
quillement. Marie , qui se trouvait
sans ressource, offrit ses services au
gouvcrneurde l'île de la Providence^
occupé d'armer contre les Espa-
gnols. Les équipages entièrement
composés d'aventuriers , se révol-
tèrent , et reprirent le métier de
pirates. Les nouveaux flibustiers ,
sous les ordres du capitaine Rackara,
firent des prises considérables ; et
Marie partagea les profits commeles
dangers de l'association. Personne ne
soupçonnait son sexe; mais elle ne
put s'empêcher d'être sensible aux
charmes d'un jeune Anglais , prison-
nier des pirates , et lui sauva la vie,
en exposant la sienne dans un duel
contre un flibustier. Les deux amants
se jurèrent alors une fidélité éternelle,
et attendirent avec impatience l'oc-
casion de quitter les pirates pour se
retirer dans quelque île écartée, oîi
ils vivraient tranquilles. Mais la for-
tune ne leur permit pas d'exécuter
cette résolution. Le capitaine Rac-
kam fut surpris par les Anglais , et
conduit, avec son équipage, à Port-
Roj'al de la Jamaïque. Son procès et
celui de ses compagnons furent ins-
truits rapidement. Tous furent con-
damnés à mort, le iG noA^embre
1720. Marie , ainsi qu'Anne Buuny,
maîtresse de Rackam , déclarèrent
qu'elles étaient enceintes. Leur exé-
cution fut suspendue ; mais , peu de
temps après , ]\rarie toralia malade,
et mourut en prison , âgée d'environ
quarante ans. On trouve des détails
sur ces deux avenlu!icrcs,dansr///\j-
toire des pirates anglais , par Cli.
Johnson , trad. en français , 17^5 ,
qui forme le quatrième volume de
V Histdiic des fUbusticrs , par Ocx-
laelin ( /'. ce nom ). VV — s.
196 RE A
REAL DE CURBAN ( Gaspar
DE ) , publiciste ;, né en 1682 , à Sis-
teron , d'une famille noble , s'appli-
qua, dès sa jcimcsse, à rc'tutle de la
politique , négligée alors en France
plus que dans les autres états de l'Eu-
rope. 11 fut pourvu de la charge de
graiid-sénéchai de Forcalquicr , et
liomrné conseiller du roi en ses con-
seils. Ses talents lui méritèrent l'es-
time du roi Stanislas , dernier duc
de Lorraine, et des publicistes les
plus éclairés de son temps. Il mou-
rut à Paris, le 8 février 1 7 5s4, quel-
ques n3ois après avoir terminé le
livre auquel il doit sa réputation, et
qui lui avait coûté plus de trente ans
de travail. 11 est intitulé : Luicience
du gouvernement ^ ouvrage de mo-
rale , de droit et de politique , qui
contient les principes du comman-
dement et de V obéissajice ,elc. , Aix-
la-Chapelle ( Paris, 1751-64 ), in-
4°. , 8 vol. ; les deux premiers trai-
tent de la formation et des avanta-
ges des sociétés civiles , des anciens
gouvernements et de leius défauts, et
des gonvernements modernes. Le
troisième volume contient Tidée du
dioit naturel; le quatrième , l'idée
du droit public; le ciuquième, l'idée
du droit des gens; le sixième, l'idée
de la polili'iuc et le tableau des inté-
rêts des divers états de l'Europe; le
septième, l'idée du droit ecclésiasti-
qiic; et enfin le huitième, la biblio-
ihi'que des auteurs du droit public
avec l'examen de leuis principaux
ouvrages. Le style de Real est agréa-
ble , quoique diffus ; et son livre peut
cire encore consulté utilement. —
Réal de Curban ( Baltasar DE ),
neveu du prccéHent, connu sous le
nom de l'alibéde /jm/'/^?, naquit à Sis-
leron , le (j janvier 1701 ; il embras-
sa l'clat eccjfsiastique , et (ut pourvu
de (piciques bcnébic.s. Il est l'éditeur
REA
des six derniers volumes de l'ouvra-
ge de son oncle; et il a publié : Dii-
sertalion sur le nom de j'amille de
l'auguste maison de Fiance , Paris,
1762, in-4''. de 8 pag. , et dans le
Mercure de la même année, octo-
bre, II'', vol. Cette pièce, dans la-
quelle l'auteur s'attache à prouver
que le véritable nom de la maison de
Bourbon est de France , comme Du-
hailhin l'avait établi deux siècles au-
paravant, fait partie d'un Recueil
de Mémoires et Dissertations sur
le même sujet ( par de Sozzi ), Ams-
terdam, 1769, in- 12. L'abbé de Bur-
le était chanoine du chapitre de
Saint-Médéric , à Paris, et mourut
dans cette capitale , le 9 novembre
17-74. ' W— s.
REAL (Saint). T. Saint Réal.
REA LIN 0 ( Le vénérable Ber-
nardin ) s'était fait un nom comme
littérateur , avant de s'illustrer par
la sainteté de sa vie , et mériterait
une place parmi les savants préco-
ces. Il naquit à Carpi, le i*"". dé-
cembre i53o, d'une famille patri-
cienne. Au notn de Bernardino qu'il
reçut au baptême , on ajouta celui
de Louis , parce que son père était
alors au service de Louis de Gouza-
gue , surnommé le Rodomont. Il
étudia d'abord le latin et le grec tant
a Carpi qu'à Modènc, et puisa, dans
les hçons de Grillenzone et de Cas-
telvetro , le goût des bonnes études
et des recherches de l'antiquité.
IMalgré le règlement qui défendait
aux sujets du duc de Ferrare de fré-
quenter les écoles étrangères , il ob-
tint la permission d'aller continuer
ses études à Bologne ; et , après
avoir terminé ses cours de logique
e*. de philosophie, il re'solut de
s'appliquer à la médecine. Une de-
moiselle, aussi vertueuse que belle,
qu'il a célébrée dans ses vers , sous
REA
le nom de Chloris , lui fit changer
de dessein; et, pour lui plaire, il
e'tudia la jurisprudence avec beau-
coup d'ardeur , mais sans négliger
la culture des lettres , qui faisait
son unique délassement. Un Com-
mentaire qu'il publia, dans sa ving-
tième année , sur les Noces de Thé-
tis et de Pelée , poème de Catulle,
le fit connaître avantageusement des
savants , dont plusieurs le traitaient
déjà comme un ami. Les talents
qu'annonçait Réalino ne pouvaient
manquer de lui mériter la laveur du
duc de Ferrare, quand un événe-
ment aussi malheureux qu'imprévu
vint tout-à-coiip changer sa destinée,
et lui fit encourir la disgrâce de son
souverain. Après la mort de sa mère,
un de ses parents lui suscita un pro-
cès injuste, pour le dépouiller d'une
partie de sa fortune. L'affaire fut
portée devant les tribunaux de Fer-
rare ; et Réalino , qui se rendit aus-
sitôt en cette ville, y fut accueilli
par le prince d'Esté , évêque de Fer-
rare et depuis cardinal, avec la plus
grande bienveillance. Comme le
procès traînait en longueur , ou prit
le parti d'en remettre la décision à un
arbitre. Celui-ci, sans se donner la
peine d'examiner l'affaire, condam-
na Réalino , qui n'avait pas même
été entendu. Quelque temps après ,
Bernardino vint à Carpi passer les
vacances , et , ayant rencontré son
arbitre, eut avec lui une altercation
si vive, que , dans la colère , il tira
son poignard et lui fit une blessure
au visage. Cette violence ne pouvait
rester impunie. Bernardino fut con-
damné à avoir la main coupée , et à
payer 200 livres d'amende. 11 s'en-
fuit pour se soustraire à l'exécution de
cette sentence , et revint à Bologne ,
où il 1 éprit ses études du droit, et
reçut le laurier doctoral eu i55G.
REA
'97
La même année , il obtint , par !a
protection du cardinal Madrucci ,
gouverneur du IMilancz , la place de
podestat de Felizano , poste dans
lequel il se conduisit avec beaucoup
de sagesse et de prudence. Il fut en-
suite pourvu de la charge de fiscal
d'Alexandrie; et enfin le marquis
de Pescara , devenu son protecteur ,
après lui avoir confié différents em-
plois , lui donna l'intendance géné-
rale des vastes domaines qu'il possé-
dait dansle royaumedeiNaples. Mais
Bernardino , qui nourrissait depuis
long-temps le projet de renoncer au
monde pour se consacrer à Dieu,
ne tarda pas d'exécuter ce pieux
dessein. Ayant réglé ses affiiires et
remerrié le marquis de Pescara , il
distribua aux pauvres tout ce qu'il
possédait , et prit l'habit de saint
Ignace, en 1064 , dans la maison des
Jésuites , à Naples. Après avoir ter-
miné son cours de théologie, il entra
dans les ordres sacrés , et se dévoua
dès-lors à la prédication et à la di-
rection des âmes , avec une ferveur
que ne purent affaiblir ni l'âge ni les
maladies dont il fut affligé fréquem-
ment. Sa piété , sa douceur , sa pa-
tience dans les doulcui-s , et sa cîiaritc
pour les pauvres , le rendirent l'objet
de la vénération publique. En 1 5'}4 ,
il reçut de ses supérieurs Tordre
d'établir un collège à Lecce ; et pen-
dant lung-temps il resta seul chargé
d'instruire les élevés qui venaient eu
fùulese ranger sous la discipline d'un
maître également propre à les diri-
ger dans les sciences et dans la vie
spirituelle. Il gouverna ce collège
penda/it quaianie-deux ans, avec uu
zèle et une patience infatigables, et
mourut à Lecce, le 1 juillet 1616, à
r.igc de quatre-vingt six ans, en
odeur de sainteté. Sur la demande
de ses confrères, une enquête solen-
igB RE A
iiellc fut commencée pour et;iljlirscs
droits à la beali(icalion;mais la cour
de Rome n'a point encore statué
sur cet objet. Le père Beinardino ,
dans un accès de zèle , brûla tous les
ouvrages de sa jeunesse, et chargea
son frère de détruire tous les manus-
crits qu'il lui avait laissés ; heu-
reusement cet ordre ne fut pas exé-
cuté à la rij:;ueur. Ou a de lui : In
niiptias Pelei et Thelidis Catul-
lianas commentarius ; item. Ad-
notationes in varia scHpioruin lo-
ca , Bologne, i55i,in-4". Les
Remarques de Realino sur \es an-
riens auteurs ont été insérées par
Gruler , dans le tome ii du Thesaur.
crilicus. On conserve de lui, dans la
bibliothèque du collège de Lecce ,
des Poésies latines et italiennes, et
plusieurs recueils de Lettres , ainsi
que des Traités de théologie , et
quelques Oiwrai^cs ascétiques. Il
avait composé beaucoup d'autres
Opuscules , dont on trouvera les ti
très dans la Bibl. Soc. Jesu, p. 1 16,
et dans la Bibl. Modenese deTirabos-
chi, 323-a5, tome iv: la Trad. la-
tine, en prose, de V Odyssée d'Ho-
mère et du Plittus d'Aristophane;
des IS'otes sur Salluste; un Commen-
taire sur les Sonnets de Pétraïque
et de Berabo; un Traité sur le livre
d'Aiistote , De somno et vigilid ;
des Discours sur le Maiiage, cl sur
le Néant du monde ; deux Dialo-
gues,Vun sur V Honneur et l'autre
sur la Grammaire ; un Traité de
l'union de la Sagesse et du Pouvoir,
sous ce titre , Pallas armata; un li-
vre d'Jùnblèmes , à l'imitation de
ceux d^\l<;i,it; des Pastilles, ou pe-
tites Notes sur les OEmnes de Pla-
ton et sur toute la Bible ; un Com-
mentaire sur les Elégies de Ga|lus ;
un Traité de droit iur les Contrats,
etc. On a [tlusicuis Kies du P. Ber-
REA
riardino. La plus détaillée est celle
qu'a publiée, en latin, le Père Leo-
nardo di Sant-Anna, i65G, in- 4°.
Tiraboschi préfère celle du P. Fuli-
gati, Viterbe, i644, in-8°., en ital.,
et trad. en latin , par Baeivoet, An-
Ters. 1G45, in-i'j. W — s.
RÉAUMUR ( René - Antoine
Fep.chault de ) , l'un des plus in-
géuicux naturalistes et physiciens que
la Fraiice ait produits , naquit à la
Rochelle , en i683. Il était fils d'un
conseiller au présidial de cette ville.
Apres y avoir commencé ses études ,
il les continua sous les Jésuites , à
Poitiers , et fit son droit à Bourges :
mais une grande passion pour l'ob-
servation de la nature , l'entraînait
dès-lors ; et comme il jouissait d'une
assez belle fortune, aucun obstacle
ne l'empêcha de s'y livrer avec l'ai'-
deur naturelleà son âge. Il s'y jjrépara
par une étude sérieuse des mathéma-
tiques ; et lorsqu'il se sentit assez
fort pour se mesurer avec les natu-
ralistes et les physiciens de profes-
sion , il se rendit à Paris, C'était en
1708; et il n'avait pas vingt ans:
mais le président Hénault , son pa-
rent , lui procura promptement des
occasions de se lier avec les savants ;
et, dès 1708 , à l'âge de vingt-quatre
ans, ayant présenté à l'académie des
sciences quelques Mémoires de géo-
métrie, celte compagnie s^empressa
de l'admettre dans son sein. 11 en
a été,pcndantprès decinquanteans,
l'un des membres les plus actifs et
les plus utiles : ses travaux embras-
sèrent alternativement les arts in-
dustriels , la pliysiijue générale, et
riiistoiie naturelle ; et, depuis son
euirée à l'académie, il ne s'écoula
]ires(|ue aucune année , où il n'ait pu-
blié soit des IMémoires soit des ou-
vrages d'une granch- iniporlauce , ou
d'un grand inléjcl. 11 s'était, do
REA
bonue lieure , cliargé de concourir à
la description des ai ts et melicrs , à
laquelle l'acade'mic travaillait; et ne
.se bornant point à faire connaître
l'etat où se trouvaient les arts qui lui
étaient c'clins en partage , il clierclia
toujours à les perfectionner , et ren-
dit ainsi à l'industrie française des
services aussi nombreux, que varies,
par des applications de la physique
et de l'histoire naturelle; en même
temps que par des observations sur
les procédés des arts , il eut souvent
occasion d'ajouter aux connaissances
sur les propriétés des êtres naturels,
ou sur les phénomènes de la nature.
Dans ses recherches sur l'art du cor-
dier , en 1 7 1 1 , il prouva , contre
l'opinion commune , et néanmoins
par des expériences concluantes, que
la torsion diminue la force des cor-
des. En 17 i3 , eu décrivant l'art du
tireur d'cr , il eut occasion de faire
voir quelle prodigieuse ductilité pos-
sèdent certaines matières. En 17 i5 ,
en examinant les procédés par les-
quels on colore les fausses perles, il
apprit à connaître la substance sin-
gulière quidonue l'éclat aux écailles
des poissons , et s'occupa même de
la formation et de l'accroissemwit
de ces écailles. A ces rcclierches se
lièrent celles qVil avait f.iiles dès
1709, sur la formation et l'accrois-
sement du test des coquillages , qu'il
prouva ne point se développer par
intus-susccption. Plus tard, en 171 7,
il examina la formation même des
perles , et rechercha si l'on ne pour-
rait point forcer les coquillages d'en
produire. Eu décrivant, en 1715, les
mines de turquoises du midi de la
France, et les moyens qu'on emjduie
pour leur faire ])iendre leur couleur
bleue, il reconnut que ces pierres
n'étaient que les dents d'im grand
animal (celui qui a clé décrit, daus
REA
'99
ces derniers temps , sous le nom de
Mastodonte). Mais ses travaux les
plus importants en ce genre , ceux
qui eurent le plus d'influence sur le
perfectionnement de l'industrie , fu-
rent ses recherches sur le fer et sur
l'acier , qu'il publia dans un ouvrage
séparé, en 17^2, sous le titre de
Traité sur l'art de convertir le fer
en acier , et d'adoucir le fer fondu.
Nos forges étaient alors presque dans
l'enfance; et nous ne faisions point
d'acier : tout celui qu'exigeaient les
différents métiers , nous venait de
l'étranger. Réaumur n'arriva qu'a-
près d'innombrables essais , à en dé-
couvrir les procédés , et il s'empressa
de les rendre publics. Le duc d'Or-
léans , régent , crut devoir récom-
j)enser ce service par une pension
de douze mille livres. Nous ue fai-
sions point non plus alors de fer-
blanc , et il ne nous venait que
de l'Allemagne. Réaumur parvint
aussi à le faire par des moyens peu
coûteux , qu'il fit connaître en 1725.
Dans ses nombreuses expériences, il
eut, plus d'une fois, occasion do
voirqneles méfauxfondus prenaient,
en se figeant , des formes régulières ;
et il donna ainsi, en 17 '^4 ? "" V^^~
uiier aperçu de cristallographie me'-
tallitiue. La fabrication de la porce-
laine l'occupa aussi beaucoup : il fit
venir de la Chine les matériaux que
l'on emploie dans ce pays , et s'ef-
força d'en trouver de semblables
en France. Ses Mémoires , à ce
sujet, datent de i7'-i7 à I7'i9:
il ne réussit point complètement;
mais c'est d'après ses indications que
Darcef , et surtout Macquer, ont été
plus heureux , et sont parvenus à
déiouvrir la terre qui produit cette
belle porcelaine dure , dont nous
avons aujourd'hui tantilc fabriques,
r^tanmoius Rcaiimur trouva un pro-
•ioo REA
cède qui n'est pas sans utilité j celui
de procurer au verre une blancheur
et une opacité qui le fait ressembler
à quelques égards à la porcelaine;
et c'est cette sorte de verre que l'on
nomme encore à présent porcelaine
de Réaumur. Il la fit connaître en
1 789. On lui doit encordes premiers
essais faits en France , de l'incuba-
tion artificielle pratitjuée de temps
immémorial dans l'Egypte, et que
l'on A'ient d'introduire de nouveau
parmi nous avec avantage. Il a indi-
qué la manière de conserver les œufs
en les enduisant de graisse ; celle
d'empêchfr l'évaporation des li-
queurs spiriluouses par le mercure ;
et beaucoup d'autres procédés d'une
utilité plus ou moins étendue. Il
a perfectionné la suspension des
voitures et l'emboîtement des es-
sieux. 11 a retrouvé, en 171 1 , un
coquilLige dont le suc fournit une
teinture analogue à la pourpre des
anciens. Il n'est pas jusqu'à la soie
des araignées dont il n'ait cherché à
tirer quelque parti ; et ce qui est sin-
gulier , c'est que son Mémoire à ce
sujet, qui est de 1 7 1 o , fut traduit eu
mantchoupar lcpèrcParroniu,àlade'
mandede l'empereur de la Chine, qui
avait voulu lire en sa langue un écrit
dont le titre piquait sa curiosité ( V.
Bon et Parremn ). En physique gé-
nérale, le nom de Réaumur est prin-
cipalement célchrc par son thermo-
mètre,qu'il fit connaître en 1 731. Sa
construction repose sur le choix des
deux points extrêmes de la gradua-
tion, celui de la congélation de l'eau,
et celui de son ébullitiou, points tou-
jours fixes dans les mêmes circons-
tances. La division de cet intervalle
eu 80 degrés , fondée sur ce que l'es-
prit de vin à un certain étal de recti-
fication se dilate de 80 millièmes ,
était une disposition plus arbitraire,
REA
et que l'on a pu abandonner pour la
division centésimale jmais on ne s'é-
cartera pas des deux bases dont nous
venons déparier, en sorte qu'au fond,
tous les thermomètres pourront tou-
jours cire regardés comme de Réau-
mur : toutefois il faut avouer que l'i-
dée primitive en appartient à New-
ton. Dans les nombreuses expérien-
ces qui lui furent nécessaires pour
une invention de cette importance,
il fit des remarques curieuses sur l'ac-
croissemout ou la diminution de vo-
lume et de chaleur que prennent cer
taines liqueurs quand on les mêle , et
sur les mélanges frigoriHques. Il re-
cueillit aussi, avec grand soin, les
observations sur la chaleur faites
en différents lieux par le moyen de
son thermomètre, et commença à
donner de l'activité à cette branche
de la météorologie. Il a remarqué,
vers ce même temps, que la gelée
n'empêche pas l'évaporation de la
neige. Malgré l'importance et l'u-
tilité de tous les écrits dont nous ve-
nons de donner une indication bien
sommaire , il y a plus de nouveauté
et d'intérêt encore dans ceux qu'il a
publiés sur l'histoire naturelle. In-
dépendamment de ce que nous avons
déjà rapporté de lui sur les écailles
des poissons, sur l'acçroissemcntdeâ
coquilles et sur les dents pétrifiées,
il a fait connaître , en 1710, les
moyens par lesquels beaucoup de
coquillages , les étoiles de mer, et
d'autres mollusques ou zoophyles,
exécutent leur mouvement progres-
sif. Eu 17 «'2 , il à consUUé les phé-
nomènes curieux de la reproduction
des pattes des écrcvis^cs et des hp-
mards. En 1 7 i5 il a décrit avec pré-
cision l'action singulière de la tor-
pille, et l'organe au moyen duquel
elle l'exerce : mais les phénomènes
de l'électricitc étaient alors trop peu
RE A
connus pour qu'il pût en saisir la
véritable explication. 11 examiua
plusieurs de nos rivières qui roulent
de l'or avec leur sable , et en donna
uu Mémoire en 17 i8. Ces immenses
bancs de coquillages fossiles, connus
en Tourainesous le nom de Falun,
ne lui avaient point e'chappé;et il
les décrivit en 1720. La lumière
que répandent quelques coquilla-
ges , et principalement les dails
ou pliolades, fut, eu lyuS, l'ob-
jet de SCS observations. 11 n'était
pas étranger à la physiologie. C'est
par ses expériences aussi iugéniea-
ses que décisives , que l'on apprit,
en 1732, la dllférence étrange qui
a lieu, pour la digestion , entre les
oiseaux de proie , dont l'estomac
n'agit sur les aliments que par un
liquide dissolvant , et les oiseaux
granivores , chez lesquels un gé-
sier inusculeux très -puissant exer-
ce une pression assez forte pour
écraser et pulvériser mécaniquement
des corps fort durs. Mais de tous
les ouvrages de Réaumur , le plus
reniai quable , celui qui ne pourra
ces.-er d'être étudié avec le plus
vif intérêt par ceux qui voudront
se faire une idée juste de la nature
et de la merveilleuse variété des
moyens qu'elle emploie pour con-
server ses productions en apparen-
ce les plus frêles et les moins ca-
pables de résistance , ce sont ses
Mémoires pour servir à V histoire
des insectes , dont 6 vol, in-4°. ont
paru de 1784 à i']\.i' L'auteur y
porte au plus haut degré la sagacité
dans l'observation et dans la décou-
verte de tous CCS instincts si csnipli-
qués et si constants dans chaque es-
pèce, qui luaintitunent ces faibles
créatures. 11 pique sans cesse la cu-
riosité par des détai'is nouveaux et
singuliers. Son style est un pcudilRis,
REA.
20 ï
mais d'une clarté' qui rend tout sensi-
ble ; et les faits qu'il rapporte sont
partout de la vérité la plus rigoureu-
se. Cet ouvrage se fait lire avec l'inlc-
rêt du roman le plus attachant. Mal
heureusement il n'est pas terminé; et
le manuscrit du septième volume ,
laissé, après la mort de l'auteur, à
l'académie des sciences, s'est trouvé
si en désordre et si incomplet, qu'il
a été impossible de le publier. Il
devait y parler des grillons et des
sauterelles ; et les coléoptères au-
raient rempli le huitième et les sui-
vants. Les six volumes qui ont pa-
ru , traitent des autres ordres d'in-
sectes allés. Dans les deux premiers,
il est question des chenilles, de leurs
formes et genres de vie , de leurs
métamorphoses en papillons , des
insectes qui les attaquent , ou qui
vivent dans leur intérieur et à leurs
dépens. Le troisième roule sur ces
petites cbenilles nommées teignes
ou fausses teignes, qui habitent dans
l'intérieur des substances qu'elles
dévorent, ou qui se font des étuis
et des vêtements pour se mcllre à
Tabii : il contient aussi l'histoire si
remarquable des pucerons qui su-
cent les arbres, et des insectes ana-
logues. Les mouches qui produisent
les noix de galle des arbres; les vers
dont naissent les mouches à deux
ailes , et qui ont des genres de vie si
diversifiés, depuis le cousin, qui
habite plusieurs années dans l'eau
avant de prendre des ailes, jusqu'à
Voestre , qui se tient dans la chair
des animaux vivants ou dans leur es-
tomac , ou dans les fusses les plus
profondes de leur gorge ou de leurs
narines , et leur cause des douleurs
effroyables , occupent le quatiième.
On trouve dans le cinquième, après
différents genres d'insectes assez cu-
rieux , l'histoire de la merveilleuse
203 REA.
république des abeilles et de son sin-
gdlicr guLivenieineiit. Rcatiraiir avait
demande aux géomètres d'expliquer
quel avait e'ie le motif de la figure
déterminée des rhombes qui forment
le fond de chaque cellule d'un rayon
de miel ; et Kœnig résolut ce problè-
iue, en prouvant que c'était de tou-
tes les formes possibles, dans les
conditions données^ celle qui épar-
gnait le plus la matière de la cire.
Nous devons dire ici que les recher-
ches de Scbirach, et surtout celles de
M. Huber, ont infiniment ajouté à
tout ce que les découvertes de Réau-
mur avaient déjà d'étonnant; mais
l'histoire qu'il a donnée n'en est pas
moins très-riche eu faits curieux,
et le produit d'observations fai-
tes avec autant d'esprit que d'as-
siduité. Des républiques moins po-
puleuses et moins recherchées dans
leurs ouvrages , celles des bourdons,
des frelons, des guêpes, les indus-
tries remarquables de diverses guê-
pes et abeilles solitaires, remplis-
sent le sixième volume , qui est
un des plus curieux de l'ouvrage.
Rcaumur y annonce la découverte
surprenante que Trembley venait
de faire du p'oîype, et de sa faculté
de se reproduire de chacun de ses
tronçons. Déjà dans un de ses volu-
mes précédents, il avait fait con-
naître celle de iionnet , sur la facul-
té qu'a le puceron, de se reproduire
plusieurs générations -de suite sans
accouplement. Ces naturalistes, jeu.
nés encore, avaient été excités par
son exemple; et c'était en marchant
sur ses traces qu'ils avaient observé
des faits si curieux. Il eut un autre
imitaicur dans Charles de Gcer ,
seigneur suc-dois, qui a aussi donné,
sur les insectes, 6 vol. in-^"., où l'on
trouve beaucoup d'additions à ce que
Kcaumtir avait observé à leur sujet
REA
(F, Geer). L'Histoire des insectes
avaitplacé Réaumur au premierrang
des naturalistes , lorsque les pre-
miers vol urnes de l'Histoire naturelle
de BuiTon vinrent un peu éclipser ,
par l'éclat de leur style , ce que sa
réputation avait de populaire. Il pa-
raît qu'il eut la faiblesse d'en être
jaloux, et qu'il ne fut pas étranger
à la publication des Lettres à un
Américain , ouvrage anonyme d'un
oratorien nommé de Lignac,mn de-
meurait dans le voisinage de la terre
de Rcaumur , et vivait souvent chez
lui ( f^oj-. LiGNAG ). Bullbn, et son
collaborateur Daubenton, y furent
traités avec indignité , tandis que
l'on y exaltait Réaumur , ses ouvra-
ges et ses colIections.il était, en effet,
le premier en France qui eût formé
des collections impeucomplèles dans
le règne animal. Brisson, qui en était
le conservateur, y a puisé les prin-
cipaux matériaux de son ouvrage
sur les quadru]ȏdes , et surtout ceux
de sa grandeOinithologie,en G vol.
111-4". 7 '^^o'ît^ lotîtes les descriptions
originales 'sont prises des oiseaux
de Réaumur. Ces mêmes oiseaux ,
bien que préparés encore assez im-
parfaitement , et la plupart simple-
ment scchés au four, ont passé.,
après la mortdu ])ropriétaire, aiica-
binct du Roi , et en ont fait, pendant
bien long-temps , le fonds principal ,
pour ce qui concerne celte «'lasse.
C'est souvent d'ajirès eux qu'ont été
dessiné(îs les planches enluminc'esdc
Bullbn; ce qui explique la ressem-
blance de plusieurs des ligures de
cet ouvrage et de celui de Brisson.
Du rc^c , la vie do Réaumur se |)as-
sa fort traiiipiilleiuent , tantôt dans
ses terres en Sain.'ongc, tantôt dans
sa maison de ctin pagne de Bercy,
près Paris. H ne prit point d'cjnploi,
et cousactd tous Sfs moments aux
sciences. La conside'ration publique,
et une grande déférence de la part
du gouveruemeut, suflirent à ses de-
sirs. Pour rendre service à un de ses
parents , que certaines circonstances
empêchaient de conserver la place
d'intcndantde l'ordre de Saint Louis,
il avait acheté' cette charge: mais
content d'en porter la décoration,
il en remettait les émoluments k ce-
lui qui avait été obligé de s'eu défai-
re. Ou ne voit point qu'il ait été
marié. Une chute faite, en 17^7 ,
au cluitcau de la BermonJicre, dans
le Maine, où il était allé passer les
Vacances , accéléra sa fin. Il mourut
le 18 octobre (i) 1767 , âge de
soixante - quatorze ans. Outre les
nombreux Mémoires qu'il a insérés
dans le Recueil de l'académie , ;où
l'on trouve [vol.de 1757, u. p.
201 ] , son éloge par Grand) eau de
Fouchy),etles autres ouvrages dont
nous avons parlé;il laissa centtreute-
huit porte- feuilles remplis d'ouvra-
ges complets ou commencés , d'ob-
servations , et d'une infinité d'au-
tres pièces. On y a trouvé la plus
grande partie de l'Histoire des arts ,
presque en état d'être publiée , et
quantité de Mémoires sur le reste.
G— V K.
REBECQUE. F. Constant.
REIJECQUI ( F. Trophime ) , né
à Marseille , fut l'un des principaux
moteurs des troubles de sa patrie.
Poursuivi en raison de ses délits ,
et sur le point d'être jugé par la
cour prévôtale , il trouva un pro-
tecteur dans Mirabeau , (jui deman-
da et fit décréter, le H décembre
1789, par l'assemblée constituan-
te, le renvoi de la procédure de-
vant la sénéchaussée de I\Iarseille.
(1) C'est la date iiuc Jniiueiit Foin Ijy rt le joiir-
nHl <le V,.,d„u : l'al,l)r R.rtwr , dan» Ivs TuhUs do
l'acddiiuiic dcti scicocco dit le i8 uuvtmbic.
REB
2o3
Ces lenteurs sauvèrent Rcbecqui; et
il dut bientôt sa liberté aux instan-
ces de la municipalité de cette ville.
Nommé membre du direcloiie du
département des Bouches du-Rhone,
il se montra le zélé défenseur des d(-
vastateurs du Comtatet des assassins
d'Avignon ( F. Jourdan et Matn-
viELLE ). Sur le bruit que les Mar-
seillais avaient projeté de venir les
délivrer , les commissaires civils en-
voyés par le roi pour opérer la réu-
nion de tes pays à la France avaient
obtenu la coopération de dix com-
missaires choisis parmi les adminis-
trateurs de cinq départements voi-
sins. Tous se réunirent dans Avi-
gnon, en février ihq'I , à l'exception
de ceux des Bouches-duRhôue. Re-
becqui et Bertin , au mépris des pou-
voirs qu'ils avaient reçus à ce sujet,
s'érigèrent en généraux d'armée ,
marchèrent sur Arles, à la tête de
quati'e ou cinq bataillons de gardes
nationales , et y rendirent la supé-
riorité à la faction jacobine; puis,
ils ramenèrent eu triomphe , dans
Avignon, les prévenus des crimes
des "16 et 17 octobre ( F. LescÈ.ne
DES Maisons ). Rebecqui, mandé à
la barre de l'assemblée législative ,
pour rendre compte de sa con-
duite, et pour se justifier d'un en-
lèvement de grains dont il était ac-
cusé par la municipalité d'Arles, y
parut le 8 juin , répondit avec assu-
rance , oilrit de produire le tableau
dé sa vie politique , depuis 1789,
et s'honora de l'opiuiun ([ue Mi-
rabeau avait eue de lui. Un décret
lui ayant ordonné de se rendre à Or-
léans, pour y être jugé par la haute
cour , il y fut acquitté par l'in-
fluence de ceux qui avaient pro-
voqué l'amnistie eu faveur des assas-
sins d'Avignon; et un autre décret
le réintégra dans ses fonctions d'ad
204
REB
ministrateur du déparlement. Nom-
me, en septembre, de'pulé des Bou-
ches-dii-Rhône à la Convention na-
tionale . ses liaisons avec Barbaroux ,
et la reconnaissance (ju'il devait aux
Girondins , le mirent dans leur par-
ti : mais malgré le changement subit
qui s'était opéré en lui, et quoique
dans le procès de Louis XVI, il eût
voté l'appel au peuple , il opina
pour Ja mort, et contre le sursis. Il
était alois membre du comité de sû-
reté générale. Le II mars 1793, la
section de Bonconsed ayant deman-
dé sa tradition au tribunal révolu-
tionnaire, il écrivit, le 8 avril, la
lettre suivante à la Convention : « Il
» existe une loi qui condamne à mort
» quiconque oserait porter atteinte à
» la liberté en vous proposant un
•» roi. Robespierre vous a proposé
» un chef, un régulateur; et il n'a
» pas porté sa tête sur l'échafaud.
» Vous avez décrété la peine de mort
» contre quiconque attenterait à la
» représentation nationale : eh bien,
» le 27 décembre et le 10 mars der-
» niers , on a formé aux Jacobins le
» projet d'assassiner les représcn-
» lanls du peuple; et tous ces crimes
» sont impunis. Comme je ne puis et
» ne veux siéger plus long-temps
» dans une assemblée, qui n'a pas le
» courage de punir les coupables, je
» donne ma démission. )> Elle fut
acceptée snr-lc-champ. Mis Lors la
loi par suite de la journéo du 3i
mai , Rcbccqui s'enfuit à Marseille,
et s'y mit à la tête des fédéralis-
tes qui soutenaient le parti des (îi-
rondins ; mais lorsqu'il apprit que
Baibaroux et Ouadet avaient été exé-
cutés à Bordeaux en juin I704) '' ^^
noya dans le port de Marseille. A-r.
lU^lil'M-. P^Ojy-. FllANCOKl'R.
REIJIÙNTISCM ( JicAN-Fr.Kni'Ric),
chirurgien et botaniste allemand ,
REB
sur la personne et la vie duquel Meu-
sel ( Gel. TeutschL, e'dit. 181 1 ),
ni aucun des biographes que nous
avons consultés, nefournissent aucun
détail, s'est fait connaître par quel-
ques ouvrages assez importants : I.
Prodroiniisjlorœ Neomarchicœ se-
cundàm sjstema proprium , etc.,
Berlin , i8o4, un vol. in-8°. , avec
20 fig. ; accompagné d'une préface ,
par Willderow. Cedernier morceau
est, en grande partie , consacré à
l'exposition d'une nouvelle division
de la cryplogaraie, ou vingt-quatriè-
me classe de Linné ( /^. Willue-
Now ). Dans une seconde préface ,
Rebentisch explique ce qu'il appelle
son système. Il consiste à diviser le
règne végétal en deux grandes sec-
tions : la phénogamie et la crjpto-
garnie , dont la première est réduite
à onze classes. Comme dans Linné,
la division des classes est fondée sur
le nombre des étamines : vionan-
drie ; — polyandrie : la dndécati'
drie est supprimée; et les ordres
sont établis d'après le nombre des
pistils. L'idée de sa réduction appar-
tient à Vvibcl, qui en avait déjà fait
l'application dans sa Flore de TVer-
theim. L'exécution de cette partie
de l'ouvrage mérite peu d'éloges. On
y trouve des rapprochetacnts qu'il
est impossible de justifier: la plu-
part des orchidées font partie. de la
monandrie&yce. le cliara, etc. Pres-
que toutes les sjnf^énésiques sont
réunies aux penlandriques , propre-
mcnt'ditcs , etc., etc. La crypioga-
mie est traitée avec beaucoup plus
de soin. Sa division rentre à-peu-
près dans celle de Willdenow ; cl il
profite égalcmiiil dos travaux des
auties cryptogamislcscélèbrcs. Mais
cette section contient, outre quelques
observations intéressantes, un assez
grand nombre d'espèces nouvelles ,
REB
et plusieurs genres nouveaux. Qua-
tre planches lepiésentent les des-
.sins colories de vingt cryptogames,
très-bien exécutes. II. Index plan-
tarumcinùmBerolinum sponle nas-
cenlmm, etc., ibid. , i8o5, un vol.
in -8°. Cet ouvrage, qui n'est , en
grande partie , qu'un catalogue , est
donné comme un complément du
Prodromus force Berolinensis de
Willdenow, et contient iSgi plan-
tes. La seconde partie, qui contient
les cryptogames , offre quelque in-
térêt, par la description de près de
trente nouvelles espèces de cham-
pignons. D — u.
REBKOW (Epro de). F. Ebko.
REBOLLEDO (Bernardin,
comte de), littérateur, dont les pro-
ductions marquent la décadence de
la poésie espagnole, naquit, en T5g7,
à Léon , capitale du royaume de ce
nom , d'une ancienne et illustre fa-
mille. Il embrassa fort jeune la pro-
fession des armes , et servit d'abord
contre les Turcs, en Italie : quelque
temps après , ayant obtenu le com-
mandement d'une galère , il fut em-
ployé dans la guerre contre les Gé-
nois , et signala sa valeur à la prise
d'OneilIe, du port Maurice et du châ-
teau de Vinlimille, Il rentra depuis
dans l'armée de terre, et se distingua
devant Nice , en 1626 , ainsi qu'à la
prise de Casai, où il fut blessé griè-
vement. Il commandait, en 1682,
un corps de lanciers dans les Pays-
Bas. En i636, il fut chargé de con-
duire des secours à l'empereur Fer-
dinand II , vivement pressé par les
Suédois ( Foj. Banier ) , et mérita
l'estime de ce prince, qui le créa
comte de l'Empire et gouverneur du
Bas-Palatinat. Dix ans après , il fut
récompensé de ses services par la
Î)lacede capitaine-général de l'arlil-
erie en Allemagne. Le roi d'Es-
REB 2o5
pagne , en 1649? '^ nomma son am-
bassadeur en Danemark ; et il ren-
dit d'importants services à son pays
dans cette place , qu'il remplit treize
ans, de manière à se concilier l'af-
fection des Danois , ainsi que celle
de ses compatriotes. Il fut enfin rap-
pelé dans sa patrie en 1 66 f, et élevé
à la dignité de président du conseil
de guerre de Caslille. 11 mourut à
Madrid, comblé de gloire et d'hon-
neurs, en 1677 , à l'âge de quatre-
vingts ans. Rcbolledo avait un ta-
letit remarquable pour la poésie ;
mais , dit Sismondi ( Hist. de la
lia. du midi , iv , 98 ) , il ne sa-
vait pas distinguer ce qui peut ap-
partenir à l'inspiration de ce qu'il
faut laisser au raisonnement. C'est
dans les loisirs que lui laissait son
ambassade, qu'il a composé la plus
grande partie de ses vers espa-
gnols , qu'il publia dans Tordre sui-
vant : I. Seli>as militares et po-
liticas , Cologne ( Copenhague ) ,
1602, in-i6. Il a réuni dans cet
ouvrage tout ce qu'il savait sur la
guerre et sur le gouvernement. II.
Sebas Danicas , ibid. , i655 ,
in-4°. C'est l'Histoire rimée et la
Géographie du Danemark. 111. Sel-
vas sagradas , Cologne ( Copenha-
gue ) , 1637 ; Anvers, 1661 , in-4°.
C'est une imitation des Psaumes^
dans le genre commode des Sibes
(Forêts) , où le poète, affranchi de
toute contrainte, ne met aucune ré-
gularité dans sa marche, et, sous le
prétexte de donner plus de variété
à ses compositions , ne reconnaît
ni forme métrique déterminée , ni
cette vérité d'idées sans laquelle
tout ouvrage ne présente qu'un
amas confus de disparates et d'inco-
hérences , dont malheureusement
les ouvrages de Rcbolledo peuvent
donner une idée. IV. La constan-
2o6 REB
cia victoriosa , egloga sagra , y los
irenos , Cologne ( Copcnliague ) , in-
4". C'est une paraphrase en vers du
livre de Job, et des Lamenlations
de Jerémic. V. Ocios (Loisirs) , ib. ,
1660 , in-,4°. Ce Recueil est divise'
en cinq parties; les deux premières
contiennent des sonnets , des épîtres,
des romances , des cpigramuies et
des madrigaux, parmi lesquels on
en dislingue de très gracieux ; la
troisième , une tragi-coraèdic , inti-
tulée , Y Amour hnwe les dangers ,
qui ne manque pas d'intérêt ; la qua-
tricuic, l'Abrégé en vers de l'Histoi-
re des rois de Danemark ; et la cin-
quième , diverses pièces de morale et
de piété. La meilleure e'dition des
poésies de ReboUedo , est celle de
Madrid, 1778 , 4 vol. in-S». W — s.
REBOULET ( Simon ) , historien
avignonais , naquit en 1087. Après
avoir terminé ses études avec succès
sous la direction des Jésuites, il sol-
licita son admission dans la société ;
mais il ne tarda pas d'en sortir, à
cause de la faiblesse de sa santé. La
même raison, l'obligea plus tard, de
renoncer à la carrière du barreau ,
dans laquelle il se distinguait. C'est
alors qu'il se livra tout entier à la
culture des lettres et de l'histoire.
Il se maria en 1 7 18 , goûta, pendant
trente-quatre ans, les douceurs d'une
union assortie, et mourut le •Jt7 fé-
vrier 1752. Outre les Mémoires de
Forbiii , qu'il ndigea sur les jnanus-
crits de ce célèbre maiin ( P\ Fou-
ciN ) , on a de lui : L Histoire de la
Coiigrégalion des Filles de V En-
fance de N. S. J.-C. , Amsterdam
(Avignon), 1734, '-^ vol. in-iu.
Cette congrégation , fondée à Tou-
louse, en iGCrx , par M""^. (le Mon-
dunville, fut suppiiniéc par ordre
de la cour, en i()S(). L'ouvrage de
Rcbuulel est écrit avec beaucoup de
REB
vivacité et d'agrément j mais comme
il contient des traits peu honorables
à la mémoire de la fondatrice , l'abbé
de Juliard , neveu et héritier de cette
dame, obtint, en «735, un arrêt du
pailement de Toulouse , qui con-
damne cette histoire au feu , et il en
publia d'ailleurs la réfutation ( P\
MoNDONVlLLE , XXIX , 35(5 ). II.
Béponse au Mémoire de Vahhéde Ju-
liard , etc. , ibidem , 1737 , in- 12.
C'est une défense virulente de l'ou-
vrage précédent : elle fut condamnée
de même, en 1 738 ; et selon Lenglet-
Dufresnoy , elle ne méritait pas une
autre réplique. IIL Histoire du
règne de Louis XIF, Avignon ,
1742-44» 3 vol. in-4°., ou 9 vol.
in 12. Quoique supérieure à celles de
Larrey et de La Martinière , cette
histoire n'en est pas moins très-
médiocre. Les faits y sont exposés
avec assez d'exactitude et de vérité,
mais avec trop de sécheresse : elle
n'est d'ailleurs point exempte d'er-
reui's ; le style en est sec , embar-
rassé , et souvent inégal. IV. Ilis-
toire de Clément XI , pape , ibid. ,
1752, 2 vol. in-4°. Cette histoire,
plus complète que celle qu'avait pu-
bliée le P. Lafitan , fut supprimée en
France sur la demande du roi de
Sardaigne,dontle père( Viclor-Amé-
dée) y est fort maltraité. ( F. le Dic-
tionnaire des livres condamnés au
feu, par M. Pcignot , 11, 80. ) Re-
boulet a laissé quelques ouvrages en
manuscrit : des Traités de Contro-
verse , et V Histoire des douze pre-
miers Césars. On trouve des détails
sur Rcboulct et ses ouvrages , dans
les ]\[émoires delitlérature àaV sAiVé
d'Artignv. W — s.
m<:BOlJRS ou LE REBOURS
( (jiiii.r-AUMi: ), chevalier, soigneur
de Bertrand-Fosse, Châtillon , Pru-
ncle , etc. , issu d'une famille noble,
REB
établieàVire avant i35o,n,iquiivors
i54i^. D'abord jncsideiit à la cour
des aides en 1578 , puis maître des
requêtes de la reine Citlierine de
Me'dicis le 4 mai 1^87 , il resta
dans Paris , pendant que Henri IV
en faisait le siège, et ne négligea rien
pour ramener les habitants de celte
ville sous l'obéissance du roi. EfTec-
tivement « le mardi i(3 juin 1 OQO ,
» il eut, dit l'Étoile [Mémoires ,
)> tome II , p. 1 3, e'dilion de 1 7 1 9 ) ,
» pendant une assemblée qu'il tenait
» à cet ellet dans la chambre de M.
» de Roissi , la jambe rompue d'un
» boulet de canon tiré du Mont-des-
» Martyrs, par ceux du roi ( et dont
» il fut malade un an ) ; et pour ce
» que Guillaume Rebours était tenu
» pour royal , les prédicateurs di-
» saicnt en chaire : que les coups des
» rojaux allaient tout à Rebours. •»
Ces faits sont constatés par des let-
tres-patentes très - honorables, des
9.8 juillet iSgietsSjuin i5()^,par
lesquelles le roi rétablit Guillaume
Le Rebours dans son olïice , et dans
tous ses biens, qu'il avait perdus
lors de la rébellion de Paris. Henri
IV lui accorda , en outre, le i i jan-
vier 1^97 , la place de couseiller-
d'c'tat, en réconpcuse de ses services
et de sa fidélité. Il mourut le 2 août
1(519. — Rebours ( Jean-Baptisto-
Auguste le), seigneur de Saint-Marl-
sur-le-Mont , Noirlieu, Varimont et
Poix en Champagne^ cinquième des-
cendant du précédent , naquit le q
novembre 174^, à Paris. Il fut con-
seiller au parlement de celte ville ,
en 1767, et président le 8 juillet
178.1. Distingué, comme magistrat,
par l'esprit le plus éclairé cl le ca-
ractère le plus conciliant , olFiant,
dans sa vie privée , le modèle de
toutes les vertus, il semblait n'è re
occupé que du bonheur des autres.
REB 207
Le président Le Rebours, d'accord
avec les lêles froides du parlement
de Paris ,futloin d'approuver, quel-
que temps avant la révolution , des
démarches dictées par des intentions
pures , mais trop favorables aux
novateurs du siècle. Il en craignit
les suites, et sortit de France aA'ec sa
nombreuse famille. Les lois sur l'é-
migration le forcèrent d'y rentrer
pour conservera ses six enfants des
moyens d'existence. Royaliste zélé ,
Triais moins heureux que Guillaume
Le Rebours , il ne tarda pas à per-
dre sa fortune et la vie. Condamné
par le tribunal lévoluliounaire , il
reçut le coup fatal avec nue résigna-
tion que peut seule donner la reli-
gion , le 1 4 juin 1794. L — p — e.
REBOURS ( Charles Le ) , d'a-
bord adjoint au professeur en langue
latine de l'Ecole royale militaire,
puis contrôleur-général des postes,
raorteni776,futaussidirecteurdela
Gazette du commerce, iu-^o., com-
mencée en 1 765. On a encore de lui :
I. Observations sur les manuscrits
de feu M. Vujnarsais, avec quelques
réjlexions sur V éducation ., '7^)0,
in- 12. II. Des Mémoires sur les
moyens d'éclairer PariS;, et sur d'au-
tres objets. — Marie - Angélique
Anel , sa femme , lui survécut qua-
rante-cinq ans, étant morte, à l'Ar-
che près du Mans , le 5 août 182 1 ,
dans sa quatre-vingt-dixième année.
M'"ï'=. Le Rebours est connue par
son Avis aux mères qui veulent
nourrir leurs enfants , 1 767, in- 1 2 ;
1770, in-12. Un Supjilément , ou
Observations sur le danger et l'inu-
tilité de préparer pendant la gros-
sesse le sein des femmes qui se pro-
posent de nourrir leurs enfants ,
parut en 1772. Ce Supplément c.st
refondu dans les éditions de r_-/t'/.v ,
publiées en 1775 et 1783, et toutes
aoS * REB
les deux intitulées Troisième édition:
il n'en existe point avec le titre de
quatrième. La cinquième est de l'an
VII ( 1799), ui^ vol. in- 12. Cet ou-
vrage , irès-estimé , a été traduit en
allemand et en danois. A. B — t.
REBUFFI ( Pierre ) , jurisconsul-
te , naquit, eu 1487, au village de
Baillargues, à deux lieues de Mont-
pellier. 11 enseigna successivement
le droit dans celte ville, à Cahors,
à Poitiers cl à Paris. Il s'acquit une
si grande réputation, que le pa}»e
Paul m voulut le faire auditeur de
rote , et qu'on lui oflrit en France
plusieurs places importantes dans la
magistrature ; mais il préféra le re-
pos de son cabinet aux embarras
des affaires publiques. Il n'eut ce-
pendant aucun succès au barreau,
lorsqu'il voulut s'y présenter. Il finit
par embrasser l'état ecclésiastique ;
et il fut fait prêtre à soixante ans
( en i547 )• ^' possédait l'hébreu, le
grec et le latin. Son style ne se res-
sent pas moins de l'ancienne barba-
rie La jurisprudence n'était point en-
coie parvenue, de son temps, à cet
éclat que lui donnèrent les fameux in-
terprètes qui vécurent dans la derniè-
re moitié du seizième siècle. Rebuffi
était plutôt praticien que juriscon-
sulte ; chose que l'on ne confondait
point alors. Il s^ippliqua surtout aux
matières bénéliciales , science encore
peu connue de son temps , ctque la ré-
voluiiouafait oublier. 11 a écritaussi
sur quelques sujets du droit civil , et
surlcs ordonnances de nos rois; mais
il a été clfacé par ceux qui, après
lui, se sont occupés des mêmes ma-
tières. Du Moulin n'eu parle pas avec
beaucoup d'estime. Il mourut le '2
novembre 15^7. Toutes ses OEuvres
ont été recueillies en 5 vol. in-fol.,
Lyou , i58(). Sa Praxis bencjicio-
rurn a été réimprimée à Paris, iG(i4
REG
cl 1674. Voyez sa Vie, à la tète de
la troisième édition de son Commen-
taiie De verborum sigjiijicatione.
B— I.
RECAREDE Jer., surnommé le
Catholique , fut le dix - septième roi
desVisigoths en Espagne. Associé au
tronc dès le règne de son père Leu-
vigilde , il battit les Francs en Pro-
vence et en Languedoc. Devenu roi
en 586 , il les battit de nouveau de-
vant Carcassonne. Donnant ensuite
tous ses soins à l'établissement de la
religion , il convoqua une assemblée
du clergé arien et des nobles , se dé-
clara catholique, et exhorta les dé-
putés présents à suivre son exemple.
JjCS Ariens, mécontents, conspirèrent
plusieurs fois contre ses jours; mais
ce prince n'opposa d'abord que sa
clémence et sa générosité naturelles à
leurs complots répétés. Les F'rancs
étant venus, au nombre de soixante
mille, ravager la Gaule Gothique ,
Recarède , à la tète de son armée ,
les battit complètement près de Car-
cassonne , et il accorda la paix aux
vaincus. Cette même année 58H ,son
chambellan Argimond forma une
nouvelle conspiration pour le détrô-
ner. Sa magnanimité n'ayant pu dé-
sarmer ses ennemis, il ordonna qu'Ar-
gimond aurait la tête rasée et la main
coupée. L'année suivante , il convo-
qua une assemblée générale à Tolède,
où. de nouveaux décrets, ratifiés par
saint Grégoire- le-Graud , assurèrent
la stabilité de l'Église catholique. Les
Vascoiis , sortis de l'Espagne, sous
le règne de Lcuvigilde, revinrent dé-
soler les frontières : Recarède les re-
poussa. Pendant sa dernière maladie,
ce juincc se lit admettie à la péni-
tence publique, selon l'usage de ce
temps ; il mourut à Tolède, eu (ioi ,
regretté de ses peuples, dont il était
cliéii , à cause de sa justice , de sa
REC
modération et de sa cic'mcnce : aussi
riiistoire le place t-elle au nombre
des bons rois. L'établissement de
l'Église catholique en Espagne fut
le but constant de ses efforts, sans
qu'il se soit jamais montré persé-
cuteur. Malgré son amour pour la
paix, Recarcde sut mettre ses états
à l'abri de l'insulte , et se faire res-
pecter. Ce prince est le héros d'un
puème latin de P. J. Mayre. ( F. ce
nom ). B — p.
REGCHI,(Nardo-Antonio),
médecin , né à Montecorvo dans le
royaume de Naples , vers le com-
mencement du seizième siècle , s'est
acquis une sorte de réputation com-
me botaniste , parce que son nom
figure en tête d'un ouvrage re-
marquable sur les plantes du Mexi-
que. Les opinions se sont trou-
vées partagées sur son mérite réel :
car les uns lui ont attribué la décou-
verte des plantes rares qu'il fait con-
naître ; les autres , au contraire , ne
l'ont regardé que comme un compi-
lateur , qui, non content de profiter
du travail d'autrui , l'a mutilé pour
cacher son plagiat : l'une et l'autre
opinion est également éloignée de la
vérité , que le titre de l'ouvrage eût
suffisamment manifestée. C'e^t ce-
penilant sur le titre seul qu'on s'était
appuyé pour juger l'ouvrage entier :
mais comme il n^est pas très-répan-
du , on s'en était tenu à la citation de
ce titre fort altéré, faite par Manget
dans sa Bibliothèque de médecine.
11 suffit de le donner dans son inté-
grité pour bien établir ce que l'on
doit réellement à Recihi : il se trou-
ve sur un cartouche qui occupe 4c
milieu d'un beau frontispice gravé
par l'rédéric Grcutcr : Ueminmedi-
cinuUuin novœ llispan'up thésaurus,
etc. , dont voici la traduction : Tré-
sor des objets concernant la méde~
xxxvii.
REC
209
cine de la Nouvelle-Espagne , ou
Histoire des plantes, des animaux et
des minéraux du Mexique, recueillis
et mis en ordre , sur les Mémoires
écrits dans la ville même de Mexico
par François Hernandès , médecin
en chef du Nouveau- Monde , par
Nardo-Antonio Recchi de Monte-
corvo , médecin de sa Majesté ca-
tholique , et archidtre-général (pre-
mier médtcin ) du rojanme de Na-
ples, sur V ordre de Philippe II
célèbre roi d'Espagne et des Indes •
éclaircis par les Notes de Jean
Terentius , Lyncée , allemand, de
la ville de Constance , docteur en
philosophie et en médecine : livré
pour la première fois an public , en
faveur des amateurs d'histoire na-
turelle, par les veilles des Lyncées
dont les travaux sont énojicés par
une table synoptique dans la pa^e
suivante ; divisé en deux tomes in-
fulio , Rome, i65i. Ou voit donc
d'abord que Recchi , par les deux
places qu'il a occupées,étaitdislingue'
dans sa profession; que c'était par
Tordre exprès de Philippe II , qu'il
avait puisé, dans les écrits que Her-
uandès avait rapportés du IMexi-
que, les matériaux qu'il présentait
au public. Il s'explique encore plus
clairement , dès la première page de
cet ouvrage , où il dit que Philippe
II, regrettant que les dépenses qu'il
avait faites pour faciliter à son pre-
mier médecin Hernandès les moyens
de recueillir tout ce que le Mexique
pouvait contenir de curieux pour
l'histoire naturelle , restassent inuti-
les, parcequ'atleudii sa mort préraa-
tmée, les matériaux nombreux quece
médecin en avait rapportés, n'avaient
pu être rais dans un ordre convena-
ble pour leur publication ; il dé-
sirait du moins qu'eu attendant que
celle du tout pût avoir lieu , on fît
4
1 I o REC
counaîlre d'avance, dans un abrégé ,
ce qui intéressait la médecine; et que
ce prince lui avait donne' cette com-
mission. 11 examina donc avec
soin tout ce qu'avait laisse' Hernan-
dès , distribue' en vingt-quatre livres
concernant les plantes , douze volu-
mes de ligures, et un d'animaux; il en
détacha tout ce quiluiparaissailutiie
pour la matière médicale, et rangea
ces objetsense modelant sur Diosco-
ride , suivant leurs j)ropriëte's médi-
cales. Ou ne dit point par quel mo-
tif i'aulenr quitta l'Espagne pour re-
tourner dans sa patrie; mais on voit
qu'il prenait le litre de premier
médecm du royaume de Naples. 11
emporta avec lui son mauuscrit :
peut-être espérait -il avoir pins de
facilité pour le publier en Italie.
Quoi qu'il en soit , il mourut avant
de l'avoir entrepris. Avec lui le
manuscrit tomba dans l'oubli; mais
heureusement que le prmce Fré-
déric Ccsi ( Foj. son article ) en
eut connaissance. En fondant la so-
ciété des Lyncées , il avait pour prin-
cipal olqet de faire concourir au mê-
me buttons les membres qui la com-
posaient ; il cherchait donc des su-
jets qui pussent servir de point de
réunion pour les travaux de toute
société : le mamiscrit de Recchi
lui parut être dans ce cas. 11 é(ait
tombé, par héritage, entre les mains
de Pctiiius, neveu de Recchi , et ju-
risconsulte à Montecorvo : le prince
n'épargna rien pour le tirer des
mains de son insouciant propriétaire.
Des qu'il l'eut en son pouvoir, il
s'occupa des moyens de le mettre
le plutôt possible au jour , et il
voulut que tous les Lyncées y con-
tribuassent en apportant , chacun
dans son genre , tous les rclaircisse-
nicnls qui sembleraient nécessaires.
Mais il dut s'a percevoir bientôt que ce
REC
n'était pas le moyen de hâter la beso-
gne, que de la faire dépendre du con-
cours de tant de volontés. C'est en
i6i2que le travail fut entrepris; et ce
ne fut qu'en iG'îfî qu'il se trouva prêt
à paraître ; car déjà les permissions
d'imprimer étaient accordées. Mais
quelques nouveaux obstacles survin-
rent; et le prince Cési étant mort,
en iG3o, Recchi et Hernandès re-
tombèrent de nouveau dans l'obs-
curité ( Voyez Stelluti ). Cepen-
dant déjà l'existence de cet Abré-
gé avait été annoncée ainsi à l'Eu-
rope par Joseph Acosfa , jésuite,
dans son Histoiredu Mexique , publiée
en iSgo : « Le docteur Hernaiulès ,
dit-il, a composé, par ordre du roi ,
un grand ouvrage sur les plantes , et
sur les sucs et autres objets utiles à
la médecine , dans lequel toutes les
plantes du Mexique , au nombre
de 1200, sont dessinées sur le vi-
vant. On dit que 6o,ooo ducats
ont été dépensés pour cet ouvrage ,
dont le docteur Nardo. Antonio a com-
posé , avec beaucoup de som , un
Abrégé:» cela ne pouvait donner qu^u-
ne ircs-icgere idée de ce traA"ail. Mais
on fut plus heureux dans le Nouveau-
Monde ; car tandis que le prince Cé-
si et ses Lyncées s'occupaient en
Europe du manuscrit de Recchi , une
copie en était parvenue à Mexico,
par les soins du père François Xi-
menez, qui la tracluisit en espagnol ,
et la lit imprimer sous ce titre : De
la Naturalezay virtudes de las ar-
boles, piaillas j animales de la Nue-
va Esjmuna , en esjiecial de la pro-
vincia de Me.tico , (/ne se aprovecha
lamedecina, i vol. in-4''. , i6i5.
C'est déjà une singularité qu'un ou-
vrage imprimé à Mexico, Cette édi-
tion n'est pas brillante , comme on
peut croire; mais elle est passable:
ilparaîl qu'il n'en est parvenu que peu
REG
d'exemplaires en Europe ; aussi les
Inbliograplies n'ont-ils pu donner
beaucoup de renseignements sur ce
livre. Linné' dit, dans sa Bill, botani-
que, qu'il est en idiome mexicain,
Séguier n'en parle pas; et Plaller ne
le cite que d'après un discours de
Hotton. 11 manquait dans la biblio-
thèque de Banks : mais il existe dans
celle de M. de Jussieu. C'est dans la
pre'face , que le père Ximeuez cite le
nom de Recchi. H y a quelque diffé-
rence pour la division des livres : au
fond, c'est le même ouvrage; mais
il n'y a pas de figures , soit qu'elles
n'aient pas ete copiées , soit qu'il
n'y ait pas eu au Mexique d'artistes
exerces dans ce genre. Les noms
mexicains conserves auront pu la
rendre de quelque utilité dans ce
pays , tandis qu'en Europe , pour le
plus grand uomlire des lecteurs , la
bizarrerie de ces noms devait préve-
nir contre l'ouvrage. Ce fut en 1 65 1 ,
vingt ans après la mort du prince
Ce'si , près d'un • siècle après celle
de Hernandez , qu'on ])ut se faire
quelque ide'e des travaux de ce \Qya.-
geur. Des deux, volumes qui for-
ment l'ouvi'age dont nous avons don-
ne' le titre plus haut, le premier seul
appartient à Recchi. Des dix livres
qui le composent, les huit premiers
concernent les plantes. Le premier
n'offre que les Prolégomènes, Après
dix chapitres , qui forment une es-
pèce de préface , on en trouve trois
qui contiennent des généralités sur
les plantes et leurs propriétés , pui-
sées dans les ouvrages des anciens,
surtout dans Dioscoride et Galien ,
plutôt que dans l'observation de
la nature. Suit rénumération des
plantes , partagées en sept classes j
chacune occupe un livre, divisé en
autant de chapitres que déplantes,
dont le plus grand nombre est ac-
REC 1 I ,
compagne d'une planche en bois.
Dans le second livre, sont hs aro-
matiques ; le 3". donne les arbres
le 4'^- , les arbrisseaux ; le 5«. , les
beibes acres; le 6''., les herbes
amcres ; le 7^. , les herbes douces •
enfin , le 8<=. , les herbes acerbes
et acides. On trouve dans les sept
classes, ^\i plantes décrites , dont
35o sont figurées. C'était-là seule-
ment celles que Recclii avait pu rap-
porter à ses classes. Il avait en ou-
tre extrait d'Hernandès un Recueil
de 3oo autres plantes , ne contenant
que leur figure, avec le nom mexi-
cain : elles formant une sorte d'ap-
pendice ; mais uu des Lyncées , Te-
rentius, se chargea d'y ajouter les
descriptions, en les tirant de la fi-
gure même. Déjà Ton avait pu appré-
cier ses connaissances botaniques ,
dans des préambules qu'il avait mis
en tèlede chacun des livres deRecchi,
et dans des notes sur les plantes dont
il croyait pouvoir indiquer les ana-
logies avec les espèces connues. Par
la manière dont il s'acquitte de cet-
te tâche, il montre autant de saga-
cité que de prudence ; car il s'est
borné sagement à ne parler que de
celles qui pouvaient fonder ses con-
jectures ; et elles sont en petit nom-
bre : car à peine pourrait-on, même
à présent, en déterminer 100 es-
pèces. Il a suivi la même marche
pour les deux derniers livres de
Recchi. Le neuvième , qui concerne
les animaux , ne contient que ^^o
chapitres, avec a5 figures; rriais,
quoique dans le dixième , qui traite
des minéraux, il y ait 25 chapitres ,
ce livre est beaucoup plus court.
Quant au second volume, c'est le re-
cueil des travaux des Lyncées. Le
premier qui se présente, est Jean
Faber, Allemand, né à Bamberg,
et médecin du pape Urbain Y 111. Il
312 REC
commente seulement le Hvre ix de
Recchi, lequel concerneles animaux.
Ce n'est qu'un prétexte pour amener
ses propres observations sur les ani-
maux. Elles composent un traité aus-
si étendu que l'ouvrage même de Rec-
chi , auquel il est presque toujours
e'tranger. Le second Lyncée com-
mentateur est le célèbre Fabio Co-
lonna ; il ajoute quelques notes à cel-
les de Terentius. On a rendu comp-
te, à son article (IX, 3ci5), de ce
qu'il a fait à l'occasion de Rccclii.
11 eu est résulté une description par-
faite de l'extérieur des plantes. En-
fin ce Recueil est dignement cou-
ronné parles Tables pliytoscopiques
du prince Cési , ouvrage étonnant
qui place son au leur à côté de Bacon,
Ainsi, par cet abrégé , on put pren-
dre une idée des travaux d'Hernan-
dez; etl'onavait lieu d'espérer que la
sensation qu'il produirait détermine-
rait la publication de l'ouvrage en-
tier : il était déposé dans la biblio-
thèquede l'Escurial; mais on apprit,
en 167 I , qu'il venait d'être la proie
des flammes avec une partie de ce
monument; on fut donc réduit à son
abrégé ; bientôt on parut oublier
qu'on n'avait qu'un simple extrait
ou un échantillon du travail d'Hcr-
mandcs, etquesa composition datait
de près d'un siècle : on ne fit pas
toujours attention à ces circonstiui-
ces pour l'apprécier. Ainsi , l'on fut
d'abord repoussé par la nomcnclatu-
re, que l'on trouva des plus barbares.
Mais quand on l'examine avec atten-
tion , on voit que c'est un monument
précieux de la langue des iMcxi
cains, et que, comme chez tous les
peuples anciens , elle est toute signi-
ficative, exprimant par des compo-
sés, soit les (jualilés naturelles, soit
Ifsusagesfies objets qu'ils désignent ;
ainsi le mot de Xochilt y signifie
REC
fleur, et celui de Patl, médicament ;
et ils sont souvent employés. C'est
donc absolument le mode de nomen-
clature employé par les Hébreux
( dans l'Écriture), par les Grecs
( dans Théophrasle et Dioscoride ) ,
et celui des différents dialectes de
l'Inde, recueillis par Rheede, et des
Malais par Rumpli. Pour les figu-
res , qui étaient gravées en bois ,
on les a rangées parmi les plus
mauvaises : on ne pouvait que bien
rarement les comparer avec la na-
ture même; aussi plusieurs d'entre
elles avaient des formes si bizar-
res , qu'on les a cru supposées. Ce-
pendant il y en a un certain nom-
bre qui nous sont devenues assez fa-
milières pour nous mettre à même
de reconnaître l'exactitude des ar-
tistes mexicains ; telles sont les
deux espèces les plus communes de
tab ic, la belle de nuit, les tagetes ou
œillets d'Inde. Ces figures, pour la
vérité et l'expression , laissent peu
à désirer. Nous citerons encore le
maïs, à cause de quelques détails
qui s'y trouvent. Ou verra que,
dans tontes , le port est si bien saisi ,
qu'elles doivent avoir été dessinées
sur le vivant. Dodoens nous avait
déjà mis, sans le savoir, à même de
f;iire celte comparaison. Dans ses
Purpanliuin , publiés en 1574, on
trouve, page 47^» la figure d'une
plante sous le nom de Flos tigri-
dis; et à la page suivante celle do
la capucine : et il ne les connais-
sait que par ces figures , qui lui
avaient été données par Jean Bois-
sot. On les retrouve toutes deux
dans Recchi, mais meilleures :1a se-
conde, peu de temps après, s'intro-
duisit dans tous les j.irdins d'Euro-
pe; et Dodoens fui obligé d'en faire
graver mie nouvelle (igure, tant la
première était mauvaise; elle est eu-
REC
core inférieure à celle d'Hernaiidès.
Quant à la première, qui n'a été re-
trouvée que plus tard , on était ten-
té delà regarder comme imaginaire;
mais Joseph de Jussieu ayant rap-
porté une nouvelle figure du Pérou,
il a bien fallu admettre son existen-
ce : depuis elle est venue elle-même
embellir nos jardins, sous le nom de
Tigridia Pavonia ; par-là on a en-
core été convaincu que le graveur
d'Hernandès était supérieur à celui
de Dodoens : successivement on a
été forcé de regarder comme vrai,
tout ce qu'il y avait de plus extraor-
dinaire dans cette collection. Ain-
si, la fleur la plus magnifique que
Terentius regardait comme un mi-
racle de la nature, à cause de sou
élégance , et que , sous le nom de
Ljncea, il voulait dédier au prince
Ciési , est reconnue pour une plante
orchidée, qui paraît être du genre
AuQuloa. Eufin cet arbre des Mani-
nos ou des mains, représentant une
main ou griffe sortant d'un calice,
qui semblait devoir êtrerelégué dans
les espaces imaginaires, près du Bo-
ramets (ce fameux agneau de Tarta-
rie) , est actuellement le Cheiranto-
stemon de Huraboldt. On ne peut
donc raisonnablement fonder aucun
doute sur l'existence des six cent-cin-
quante plantes figurées dans Recchi ;
et nous devons espérer que le com-
plément des travaux de MM. Riiiz
et Pavon, surtout de M. de Hum-
boldt et de ses dignes coopéra -
leurs Bonpland et Knnth, sera de
ramener toutes ces plantes à la no-
menclature classique. Nous avons
donc déjà l'obligation à Recchi de
nous avoir conservé ces précieux
restes de Hernandcs : il les a em-
ployés de son mieux ; d'ailleurs
nous ne savons pas ce qu'il aurait
pu ajouter de son propre fonds
REC
2l3
pour les perfectionner, s'il eût ve'cu
plus long temps. Quant à Hcrnandès,
en voilà assez pour justifier sa répu-
tation. Remarquons d'abord que ces
figures , qui sont au moins aussi bon-
nes que celles de ses contemporains
ne sont cependant parvenues dans cet
ouvrage que par le travail au moins
d'une troisième main ; car, copiées
en Espagne , elles ont dii être reco-
piées en Italie , pour être livrées au
graveur; celui-ci en a fait une troi-
sième copie. Les originaux étaient
des peintures exécutées par les natu-
rels du Mexique. Les copies rappor-
tées en Italie étaient paredlement des
peintures ; car un des soins de Te-
rentius, dans ses notes, c'est d'ex-
primer les couleurs de chaque par-
tie. On voit, par ses expressions,
que les nuances étaient très-variées.
On sent que , pour les ramener à
desimpies traits, elles ont dû per-
dre de l'exaclitude de leurs con-
tours. Il y a apparence aussi que
dans les originaux, les objets étaient
représentés de grandeur naturelle ;
on en a la preuve dans un cierge, ou
cactus, qui est représenté en entier,
par conséquent très-réduit, tandis-
que sa sommité est de grandeur natu-
relle à la page 457 ; il en est de mê-
me du Cheirantostemon. Voilà donc
des causes qui ont dû nécessairement
altérer la vérité des figures. Quant
au texte , on pouvait eu prendre l'i-
dée par la manière dont il avait été
raccourcidanslelivre ixqui concerne
les anima^ix ; car l'ouvrage complet
d'Hernandès est imprimé à la 'fin du
second volume, mais sans figures.
Il estdiviséen 6 traités, qui sont au-
tant de classes , à - peu - près telles
qu'on les reconnaît depuis Aristote :
le premier renferme les quadrupèdes,
4o chapitres et autant d'espèces ; le
deuxième, les oiseaux, 329 j le iroi-
2l4
REG
siciiie , les reptiles , 57 ; le quatrième,
les insectes, 3o; le cinquième, les pois-
sons , ou animaux aquatiques, 56:
Je sixième traite est celui des iiiiue'-
raux , ue 36 chapitres. Loug-temps
on n'a pu que former des conjectu-
res sur ce que devait être le texte
qui contenait les plantes ; enfin ou
put se satisfaire pleinement. Muîîoz
trouva , dans l'ancienne bibliothèque
des Jésuites à Se'ville , cinq volu-
mes manuscrits offrant le texte com-
plet des travaux d'Hernandès , et
corrige's de sa main : car on savait
que, des 17 volumes qu'il avait lais-
sés, l'i contenaient les figures des
plantes ; et , depuis , l'inipression en
a cte' ordonnée. Le ce'icbre Ortèga
fut chargé de la surveiller , et l'im-
primeur Ibarra l'a exécutée eu trois
volumes qui , pour l'apparence ,
ne sont qu'in-4'*. , mais qui, sui-
vant l'usage d'Espagne, sont réel-
lement in-folio , avec ce titre : Iler-
nandis opéra cùm édita tiun ine-
/fifrt, Madrid , î 793. Là se trou-
vent les 24 livres abrégés par Rec-
chi. Ils sont divisés en chapitres
])lus ou moins nombreux; et chacnn
«feux ayant pour titre unnom mexi-
cain, contient, en espagnol, une des-
(uiption assez étendue d'une seule
piaule. Il n'y a aucune apparence
de classification. Le nombre (.\es
chapitres est fort inégal ; quelques
livres on contiennent plus de !2oo, les
aulies à peine 4» : le total se mon-
te à '2672 plantes décrites ; mais
il ne s'y trouve aucune figure , parce
que, vraisemblablement, elles n'a-
vaient pas été copiées. On aurait pu
citer, à leur défaut, celles de Rccchi;
mais il paraît qu'on ne les en a pas
jugées dignes. En général, i! estfort
maltraité dans la courte préface qui
est en tète , et d'une manière injuste;
car on semblerait l'accuser d'avoir
REC
voulu s'attribuer tout le mérite de
l'ouvrage qu'il a publié : ce qui ,
comme on l'a vu , est faux. Il n'y a
encore aucun détail sur la vie d'Her-
nandès , mais on en promet pour le
quatrième volume ; et le cinquième
doit contenir ses autres ouvrages,
entre autres une description en vers
latins du grand temple de Mexico.
C'est peut-être de là qu'on est parti
pour lui attribuer une histoire des
églises du Mexique. Il cultivait avec
succès la poésie latine, comme on
le voit par un épître mise en tête de
cet ouvrage, et dans laquelle il décrit
à .'.on ami Arias Montano quelques
paiticularités de son voyage : il lui
dit , entre autres , qu'il a mis sept
ans pour l'exécuter. Hernandez pa-
raît donc ici sous un jour plus fa-
vorable qu'on ne l'a encore pré-
senté. S'il eiît pu surveiller lui-mê-
me l'impression de son ouvrage , et
qu'il eût été secondé aussi magnifi-
fiquement par son souA^erain pour sa
publication , qu'il l'avait été pour en
acquérir les matériaux ; n'eut-il rap-
porté que 1200 plantes figurées,
comme l'avait annoncé Acosta , il
en serait résulté le recueil déplantes
exotiques le plus considérable qu'on
eût vu jusque dans ces derniers temps;
car il aurait dépassé à lui seul le
nonibrc des objets qui sout décrits
soit dans Y JIoilus Malaharicus, soit
dans V Ilerhariuin Amboinense , les
deux ouvrages les plus magnifiques
connus en ce genre. Ses descriptions
paraissent aussi complètes tjuc celles
de leurs auleurs Rhcede et Rumpb.
D— p— s.
RECIMER. Voj. RiciMEn.
RECORD ( Robert ) , natif du
pays de Galles ( 1 ) , fit ses éludes
(1) !..• iMinvcAii Dntioru. hiMor. , crin,/, rt hilU.
|iiir une bc'vuu qui |iuuiT<iit uiirallru iiiii(;iil>î'iu ni
Cfltï coinpilaliuii iivil t'U f.iit» avec moim <!<■ pn'-
REG
f^aiis rmilvc'isitéd'Oxfoîd, où il oc-
cupa long-temps une chaire publi-
que de mathématiques. Il prit ensuite
le grade de docteur en médecine à
cellede Cambridge. C'était un homme
à projets , qui finit par se ruiner en
voulant les réaliser. Il mourut, en
i558, dans la prison du banc-du-
roi , où il était détenu pour dettes.
Il passe pour être le premier qui ait
composé un Traité d'algèbre eu an-
glais. On a de lui : I. Les Principes
des arts , dont la plus ample édition
est celle de i6.i3, in-8''., augmentée
par divers savants. II. La Pierre à
aiguiser les esprits , Londres, 1 557,
iu-4°. m. Le Chemin de la science^
contenant les premiers principes de
la géométrie. IV. Le Château de la
science , ou Explication de la sphè-
re , etc. , Londres , i55G et iSqG ,
in-4". V. \j Urinai de la médecine.
M. Traité d'an atomie. VII. Ulnia-
ge d'une véritable république. VIII.
Traité de l'Eucharistie. IX. Traité
de la confession auriculaire. Ces
deus. Traités sont dirigés contre les
protestants. T — d.
RECUPERO (Alexandre), sa-
vant numismate, né vers 1740 , ^
Catane , dans la Sicile , d'une famille
noble , quitta son pays , à la suite
d'une affaire fâcheuse , et changea
sou nom contre celui d'Alexis Motta.
L'élude de l'antiquité devint sou
unique consolation ; il visita les prin-
cipales villes de l'Italie, et parvint à
former une riche collection de mé-
dailles consulaires, dont la classifi-
cation et l'examen attentif l'occupè-
rent plus de trente ans. Aussi per-
sonne avant lui n'avait mieux connu
les familles romaines, leurs diffé-
rentes branches , et les signes qui les
cipilaliuii , \r Kill nnîti-r 'i Camliriil^c , on i.ï^ï ; ce
<(i>i ne lui duuucrait nue ticixe dus dévie!.'
REC 2i5
distinguaient. Il avait aussi rassem-
blé un grand nombre de médailles ou
tessères de plomb , sur lesquelles il
a f.iit un Traité, fort intéressant (en
italien ) , qu'il n'a malheureusement
pas eu le loisir de terminer. Recn-
pero mourut à Rome , au mois d'oc-
tobre i8o3 : il était membre de l'a
cadémie des antiquaires de Véletri ,
et de celle deCortone. Outre quelques
Dissertations dans les Journaux lit-
téraires d'Italie , ou a de lui une
Lettre curieuse écrite à M. de Saiut-
Vincens,sur ses différentes collections
de médailles, insérée dans le i)/agrtjm
encjfclopédique , année 1797 (tome
i'"'\,34o-63). Il a laissé en manus-
ciit divers ouvrages qu'il «etouchait
et coriigeait sans cesse; ce sont : I.
P^era as.'iumoiigo , natwaet cetas.
W. Insùtuiiostevimatica swe deve-
rd stcmmatum yrœsertim Romano-
rum naturd atque difj'erentid. III.
annales familiarnm Bomanarum.
IN . Annales gentium histvricn-nu-
mismaV.ca , sive de origine gentium
seu familiarum Romanamm Dis-
sertntio. V. Fétus Eomanonim nu-
merandi modus nunc primùm dé-
tectas. On peut consulter, pour plus
de détails, V Éloge de Recupero, par
iM.deSaiutVinceiis,dansle7Vrt£;rt>m
cncjclvpédiqne. Sa belle collection,
composée d'environ seize cents mé-
dailles grecques en bronze , la plu-
part de Sicile et de la Grande Grèce,
a été acquise , en 1806, pour le ca-
binet du roi de Danemark ( F. le
même journal, j8ob , i , 397 ). —
Recupero ( Dom Joseph ) , frère du
précédent , et savant minéralogiste ,
embrassa l'état ecclésiastique, et fut
pourvu d'un cauonicat de la cathé-
drale de Catane. Il s'attacha parti -
culièreiuentà décrire les phénomènes
que présente l'Etna , dont il se pro-
posait d'écrire l'histoire. D'après ses
ti6
REC
calculs, dit Brydone, la première
éruption de ce volcan aurait eu lieu,
il y a 14000 ans; découverte qui l'em-
barrassait beaucoup , ajoute le même
voyageur anglais , par la difficulté
de concilier celte date avec la Genèse
( Vojage en Sicile, Lettre vu) ; mais
il est faux que dom Recupero ait été'
mis en prison pour avoir émis cette
opinion : cette table, rapportée dans
la traduction du Voyage de Swin-
burne , a été refutée par Dolomicu
( Bléin. sur les îles Ponces ) ;Ie roi
de Napîes lui avait, au contraire,
accordé une pension ( V. le Journal
des Savants ,Ae\\\iu i-ySS, p. 4:^7 )•
Ce bon chanoine était d'ailleurs un
Lomme d^esprit , d'une société très-
aimable ; et il fut le conseil et le guide
de tous les voyageurs qui parcouru-
rent, à cette époque, la Sicile, tels
que Brydone , le baron de Riedesel ,
l'abbé de Saint-^^on , Houël, etc.,
qui tous le citent d'une manière ho-
norable. Le chanoine Recupero a
publié la Carte orj-ctographique du
mont Gihel ; c'est d'après un Mé-
moire qvC'i\ avait lu à l'académie des
Etnéens, que Houël a décrit l'érup-
tion de ce volcan , arrivée en 1755
( Fojage de Sicile , 11 , p. 64 ) : en-
fin il mettait la dernière main à
V Histoire naturelle deV Etna ,m\nïià
il mourut à Catane, en 1787 , dans
un âge peu avancé. Le piince de Bis-
cari , connu par son zèle pour les
progrès des sciences , avait recueilli
les Manuscrits de Recupero , qu'il se
proposait de donner au public ( F.
la Trad. des Lettres de Sestini sur
la Sicile , i , 870 ) ; mais il paraît
que les savants seront privés d'un ou-
vrage qu'ils attendaient avec une vive
impatience. W — s.
HICDI'^P.N (Le comte SroiSMowD-
EiiREMMicn Dt ) , né à Berlin vers
J715, fut grand- maréchal de la
RED
cour de la reine douairière , mère
de Frédéric II, et, long - temps
après , de la cour de Frédéric
Guillaume II. Après la mort de
Maupcrtuis , qui était son ami ,
il fut nommé curateur de l'acadé-
mie des sciences de Berlin , et fit
paraître , dans le Rerneil de cette
société , plusieurs Mémoires sur les
Terres Australes. Prévenu en fa-
veur du système colonial , qu'il re-
gardait comme nécessaire à la pros-
périté d'une puissante monarchie,
il s'occupa , pendant plusieurs an-
nées, de l'établissement d'une com-
jiagnie des Indes à Erabdcn , fit
beaucoup de voyages à cette occa-
sion , et réunit un nombre suffisant
d'actionnaires pour former celte
compagnie , dont il fut nommé pré-
sident. Mais elle ne put tenir long-
temps contre l'esprit fiscal de Fré-
déric II , qui ne parvint jamais à
comprendre le mot de lord Hind-
ford, ministre d'Angleterre à Berlin :
Frédéric lui demanda un jour ce que
c'était que le commerce ? L'Anglais
répondit: Sue ^ c'est une houle de
neige qui se fond lorsque le soleil
la regarde. Dans le cours de ses
voyages, lecomtedcRedern vin'à Pc-
tersbourg cl à Paris. L'impératrice
C-atherine II lui donna l'ordre de
Sainte Anne , et Louis XV le natu-
ralisa Français , par lettres du mois
de janvier 1 769. 11 est mort dans ses
terres de Saxe , en i 'j8q. Z.
REDHWAN (Fakr-el Molouk),
sulthan seldjoukidcd'Alcp, nommé
Brodoan par les historiens des croi-
sades , élail le fils aîné de Toutousch
(ou Tauacli)qni s'empara de la Syrie,
et périt dans une bataille ,ran4S8
de l'hég. ( 109,') d J.-C. ), en vou-
lant disputer le trône de Perse à sou
neveu, le snlllian Baïkyaroc ( /'. ce
nom ). Rcdbvvan , qui gouvernail
KED
alors Damas , s'empara d'Alep , y
fut reconnu souverain , et fit pe'rir
deux de ses frères. Suivi de Yaghi
ou Baglii-Sian , ërayr d'Antioclie ,
e'pouiç de sa mère, il fil !a guerre aux
princes ortokidcs ,dansle Diarbckr,
e'choiia devant Saroudj, et prit Edes-
se, q'.i'il donna à cet ëmyr, avec le-
quel il se brouilla bientôt. Dans le
même temps , Chamsel molouk De-
kak,autre frère de Redliwan, s'enfuit
d'Alcp, échappa aux poursuites des
troupes de ce prince , et lui enleva
Damas. Pour recouvrer cette ville,
le sulthan d'Alep consentit à suppri-
mer, dans la kliollibali, le nom du
khalyfe abbasside deBagbdad, et à
reconnaître pour suzerain Moslàly ,
khalyfe fathcmide d'Egypte , qui lui
avait promis des secours. Mais ,
repousse de devant Damas , qu'il
avait cru surprendre , et irrite' con-
tre Mostàly , qui lui avait man-
que' de parole ;, il rétablit le nom
des Abbassides dans les prières pu-
bliques. Il ne réussit pas mieux con-
tre Jérusalem , qu'il vo\ilut enlever
aux Ortokidcs , en 489 ( 1 096 1 : il
fut obligé de retouiiser à Alep. At-
taqué par Dekak et par Yaghi-Sian,
il les vainquit près de Kennesrin , et
obtint que son nom fût proclamé à
Damas , dans la khothbah. Cepen-
dant les croisés, sous la conduite
de Godefroi de Bouillon, après avoir
pris Nicée et traversé l'Asie-Mineu-
re, vinrent assiéger Antioche. Redh-
\van et quelques autres princes mu-
sulmans de Syrie envoyèrent des
troupes au secours de Yaghi - Sian.
Elles Turent battues par les Chrétiens
qui s'emparèrent d'Antioclie par tra.
bison, l'an 1098, après un siégcde
neuf mois. L'cmyr tomba de cheval,
en fuyant; et on lui conpa la tèle.
Tandis que les croisés attaquaient la
citadelle, ils l"urci;t investis cax-mè-
RED 217
mes par l'armée du sulthan de Perse,
commandée par Korbouga , auquel
s'étaient joints tous les princes mu-
sulmans de Syrie et de Mésopota-
mie. Korbouga fut vaincu ; et les
Chrétiens restèrent maîtres d'Antio-
che {for. Korbouga, au Supplé-
ment). Redhwan, dont les étals se
trouvaient alors exposés à leurs pi'c-
miers coups , implora vainement le
secours du khalyfe IMosthadher et du
sulthan Baïkvaroc. Au retour d'une
expédition contre un émyr rebelle,
que les croisés avaient secouru à-
pt opos , il fut encore battu par ceux-
ci, qui lui prirent El-Eir et quelques
autres places , respectèrent Alep ,
réunirent leurs forces contre Jéru-
salem, el enlevèrent, l'an 49'i ( 1 099),
cette ville célèbre au khalyfe d'E-
gypte, qui. Tannée précédente, en
avait chassé les Ortokidcs. Redh-
wan prit peu de part aux troubles
qui agitèrent la Syrie; et tandis que
son frère , le roi de Damas , combat-
tait les Francs , il faisait périr l'é-
myr d'Hemèse, l'un des plus braves
défenseurs de l'islamisme. L'an 498
(iio5), il rompit les liaisons d'a-
mitié qu'il avait eues avec Tancrè-
de , légent d'Edesse et d'Antioche ,
et marcha , à la tête de trente mille
hommes, pour assiéger cette derniè-
re place; mais il fui v;iincu prèsd'Ar-
tcsie, par Tancrède, qui n'avait que
dix mille hommes, et il perdit sou
étendard , avec une grande partie de
ses bagages et de ses troupes. Ayant
renouvelé la paix avec ce prince, il
l'observa avec une fidélité bien re-
marquable. Lorsqu'en 5o5 ( i 1 1 i ) ,
M.iudoud, roi de Moussoul , vint
en Syiie, à la tête de l'armée du sul-
than de Perse, Redhwan refusa, non-
seulement de se joindre aux IMusul-
mans, mais même de recevoir dans
Alep leurs femmes et leurs enfaut».
2l3
RED
II promit seulement de rester neutre,
et leur donna son fils eu otage. Ils
voulurent alors exiger ce qu'ils
avaient demande , et menacèrent de
couper la tête au jeune prince. Redh-
wan, moins par excès de scrupule ,
peut-être , que par crainte , garda
ses serments, et laissa périr son fils.
Sa défection fut une des causes du
S eu de succès de l'expédition de Mau-
oud ( F. ce nom , XXVII , 497 )•
Redhwan mourut le i 4djoumady 2''.
5o8 ( i5 novembre 1 1 14 ), après un
règne de viugt ans, haï des Musul-
mans , à cause de son avarice et de
ses injustices , mais plutôt à cause de
son peu de zèle pour l'islamisme et
de ses liaisons avec les Chrétiens et
lesBathéniens ou Assassins^ dont il
protégeait ouvertement la secte.
Deux de ses fils en bas âge occupè-
rent , successivement après lui , le
trône d'Alep, qui tomba, au bout
de trois ans, au pouvoir des Orto-
tides. A — T.
REDI (François), l'un des plus
ç;rands observateurs de son siècle,
naquit, le 18 février 1626, d'une fa-
)uille patricicnncd'Arezzo.II acheva
ses éludes à l'université de Pise , où
il reçut le laurier doctoral en méde-
cine et en piiilosophie; et il s'établit à
Florence, où il se fit bientôt couDaî-
ire comme un habile médecin. Les
succès qu'il obtint dans la pratique
(!e son art, lui méritèrent la con-
iiance du grand-duc de Toscane Fer-
dinand II, qui le nomma son ar-
chiatre ; et il fut confirmé par Corne
III dans ce poste honorable. Les de-
voirs que lui imj)0.sait celle charge,
ne l'ciu péchèrent ni de cidliver les
Ictlres et' la poésie , ni de se livrer à
son goùl pour les expériences physi-
ques ; (tjd.-ins des genres si variés ,
dont (jnclrincs-tiiis même semblaient
s'cxcliuf , il s'acquit une répu'aliou
RED
que le temps a confirmée. Comme
médecin, il rendit d'importants ser-
vices à l'art de guérir , en simpli-
fiant la pratique, en proscrivant l'a-
bus des remèdes composés, et surtout
en faisant sentir à ses confrères la
nécessité de l'observation. Redi fut
du petit nombre des littérateurs ita-
liens du dix-septième siècle, qui su-
rent se préserver de la contagion du
mauvais goût, et prendre les anciens
pour modèles; il contribua beaucoup
à maintenir la pureté de la langue,
et eut une grande part à l'édition de
1G91 du Dictionnaire de la Crusca,
dans laquelle ses ouvrages sont cités
comme autorité. Mais c'est surtout
comme physicien-observateur que
Redi s'est acquis des droits à la re-
connaissance et à l'estime de la pos-
térité. Il fit une étude particulière des
insectes , et, par une suite d'observa-
tions ingénieuses , dont l'exactitude
est constatée, démontra qu'aucune
espèce n'est reproduite par la pour-
riture , comme on l'avait cru jus-
qu'alors presque sans examen: mais
il eut le tort inexcusable de suppo-
ser aux espèces dont il n'avait pas
découvert les organes sexuels , uue
amc seusitive , à laquelle il attribuait
le pouA'oir de la reproduction , sys-
tème insouleuable , et qu'il ne put
faire adopter. On a des observations
neuves et intéressâmes de Redi, sur
la vipère, sur les larmes de verre,
connues sous le nom de larmes bala-
viques , sur les sels artificiels , sur les
vers intestinaux, sur Teau commune
employée pour arrêter les hémorrha-
gics, etc. Enfin , il a porlé la lumière
tians presque touUs les j)arties de la
physique, de l'iiistoire naturelle et
de l'analomie; et quoiqu'il ait com-
mis (piclqucs erreurs , ou ne peut
nier qu'il n'ait ouvert la seule route
qui pouvait conduire èi la vérité. Redi
RED
s'empressait de faire part de ses de-
couvertes à l'acadétaie del Cimento,
dont il était le principal ornement :
il répétait ses expériences en pré-
sence de ses confrères , dont il ac-
cueillait les avis et faisait valoir les
observations , ne consultant jamais
que l'inlérêt delà science. C'est ainsi
qu'il publia les Observations de Ces-
toni sur les insectes qui vivent sur le
corps de l'homme ( Foj. Cestoni ,
Vil , 589) ; observalious dont il re-
connut la supériorité sur les siennes.
Quelques attaques d'épilcpsie , qu'il
éprouva sur la fin de sa vie , ne ra-
lentirent point son ardeur pour l'é-
tude. Cependant, d'après le conseil
de ses amis, il se rendit à Pise, pour
s'y délasser de ses travaux , et y res-
pirer un air plus pur. On le trouva
mort sursonlit,le i^r. niars 1694.
Il était âgé de soixante - huit ans.
Son corps fut conduit à Arezzo , et
déposé dans un tombeau que son ne-
veu décora d'uiie épitaphe , remar-
quable par sa simplicité (i). La dou-
ceur de Redi , sa modestie , son dé-
sintéressement et sa complaisance
inépuisable , lui avaient acquis de
nombreux amis. Ménage déclarcqu'il
doit beaucoup à Redi pour son travail
sur les étymologies de la langue ita-
lienne. Redi était membre de plusieurs
académies , entre autres des Felati
de Bologne et des Arcaài de Sien-
ne, où Salvini prononça son éloge.
On a de lui : I. Ossen>azioni inloino
alla vipera , Florence, 1664 , in-
4°. ; il y soutient que le venin de la
vipère morte , introduit dans le sang,
peut causer la mort ( F. Fontana.)
Charas combattit ce sentiment ( f^.
CuARAS , Vni , 7'-i ) : Redi le défen-
dit jtout en rendant justice à son ad-
(i) Fkancisco Rkdi Patiutio Aretino
Grewrius Fkathis Fu,n».
RED
aig
versaire , par une Lettre imprimée
en 1C70 , in- 4". II. Esperienze in-
torno alla generazione degVinsetti,
ibid. , 1668, in-4°. , et plusieurs fois
depuis ( Forez Dati , x , 565 ) :
ouvrage curieux et l'un des plus
importants de Redi. III. Espe-
rienze intorno aile diverse case na-
turalise parlicolarmente h quelle che
cl sonportatedelV Indie , ib. 1671 ,
in - 4°. C'est une Lettre adressée au
P. Kircher ; l'auteur y démontre
l'inutilité de plusieurs médicaments
étrangers , et la facilité de les lem-
placer par des produits indigènes.
IV. Esperienze intorno a queW ac-
qiia che si dice de stagna, ibid. ,
1673 , in-4''. Redise propose , dans
cet opuscule , de montrer le danger
de l'emploi des eaux styptiques dans
le traitement des blessures. V. Lette-
ra sopra Vinvenzione degli occhiali,
ibid., 1678, iu-40. Dans cette Let-
tre , adressée à Paid Falconieri , il
attribue l'invention des lunettes à
Spina , d'après la Chronique de
frère Barthelemi de San Con onlio ;
Manni a réclamé depuis l'honneur
de cette découverte pour Salvino
Armali ( F. Manni , xxvi , 5oo ).
La Lettre de Redi , traduite en fran-
çais, forme la lô*^. dissertation du
Recueil de Spon , intitulé : Recher-
ches curieuses d'Antiquités ( P".
Spon). VT. Osservazioni intorno
agli a^imali viventi che si trovano
negli animali viventi , ibid. , 1684 ,
in -4". Il y traite principalement
des vers imestinaux , et indique le
mercure comme le meilleur moyen
de les détruire. Les Observations
d'Histoire naturelle , et les Expé-
riences de Redi , sur la physique , ont
été trad, en latin , Amsterdam ,
1670-88, 3 vol. in-i'.i; ibid., 1686-
88, même format; et Lcydc , 1729 ,
3vol. in-i'i. "SW.Baccoin Toscana,
110 RED
ditirambe , conannotazioni , Flo-
rence, 1685 , in-4".j belle édition,
dont il existe des exemplaires , grand
papier , qui sont trcs-rechercliés des
curieux. C'est l'éloge des vins deTos-
cane. Les critiques italiens regardent
ce dithyrambe comme un chef-
d'œuvre qui n'a point encore eu
d'égal et (jui n'en aura peut - être
jamais ( F. Tiraboschi, Storiadella
letteratura ilaliana , viii , 4^7 )•
VIII. iSo/ie/fi, ibid., 170.2, in-ful.,
fjg., magi'iOquc édition , imprimée
aux frais du grand -duc de Toscane ;
elle ne contient qu'une soixantaine de
Sonnets , avec autant d'estampes ,
îrès-bicn exécutées. Les poésies de
Piedi sont remarquables par la grâce,
l'élégance et la légèreté. IX. Lettere,
ibid. , 1724-27, 3 vol. in-4°. ,ou
*77',)"9^ , 3 vol. in-4°. Les Lettres
de Redi sont remplies d'observations
intéressantes sur toutes les branches
de l'histoire naturelle. Les deux édi-
tions qu'on vient de citer, sont les
seules qui soient recherchées. X. Or-
tografia iiiodenta italiana , Pa-
doue, i7'.>.i , in^". Ce volume con-
tient toutes les remarques gramma-
ticales de Rt'di ; elles font partie
d'un Recueil inlitulé : Foci , maniè-
re di dire e osseivazioni di Toscani
scrittori , Brescia . i 7(j() , in-S*^. XI.
Consultimedici , Florence, l'jiCy'iÇ)^
2 vol. in-4''. Les OEiwres complètes
de Redi , publiées à Venise^ 17 12
et années suivantes , in S''. , précéd.
de son Eloge, par Salvini , ont été
impriiaées n: grand nombre de fois
avec des corr. 'ions et des additions.
La meilleure édition est celle de ]Na-
))Ies , 1741-^2, G vol. in-4°. Celle
dcMilan, iHoij , 9 vol. in-8°. , fait
partie de la collection des Classi(jues
itidicns. Fabroni a publié la Fie de
ce gland naturaliste dans le tome m
des f'ù.c illuslriuDi Italorum ; cl le
RED
comte Gorani , son Eloge , avec ce-
lui de Salluste-Ant. Bandini , sous
ce titre : Elogidi due illuslri scopri-
tori Italiani, Sienne, 1786, in-8'^.
On trouve dans le Musœum Maza-
chelli anum {lomeu , pi. \^i ), l'em-
preinte des trois médailles que le
grand -duc Cômelllafait frapper
en l'honneur de Redi. W — s.
REDI ( Joseph), peintre, naquit
à Florence en i6G5, et fut élève de
Gabbiani. Il se distingua surtout
par la correction et l'élégance de son
style, et fut envoyé à l'académie
florentine, que la libéralité du grand-
duc Côme III entretenait à Rome , où
Ciro Ferri et Carie Maratti le perfec-
tionnèrent dans son art. A son retour
il orna de ses ouvrages les palais du
grand-duc, et plusieurs églises de
Florence. Ses compositions allégo-
riques décèlent un génie fécond et
poétique. L'Angleterre possède de ce
maître plusieurs beaux tableaux , tels
que V Apparition de César à Briitus,
Cincinnatus nommé di dateur , et la
Continence de Scipion. Redi peignait
le portrait dans le meilleur style. Il
parcourut une partie de l'Italie, pour
y dessiner les restes les plus remar-
quables de l'antiquité. Ses dessins
ont été parla suite gravés et publiés.
Le czar Pierre, dans ses voyages,
ayant eu l'occasion de voir quelques
ouvrages de Redi , en fut tellement
charmé que, de retour dans sou pays,
il envoya quatre jeunes gentilshom-
mes à Florence , pour qu'ils appris-
sent la peinture sous cet habile maî-
tre, et pussent introduire le goût des
beaux- arts en Russie. Lorsqu'ils re-
vinrent <à Moscou, l'empereur, extrê-
mement satisfait de leurs progrès ,
résolut d'ériger, dans celle ville,
une académie de peinture, et d'en
confier la direction à Redi. 11 lui
ollrit uu traitement cousidcrablc ,
RËD
pour l'engager à se rendre en Russie;
mais l'artiste fut retenu par les ins-
tances de ses arais. Il mourut à Flo-
rence , en 1726. Outre que son des-
sin est ële'gant et correct , sa cou-
leur a de la suavité' , et offre un
heureux mélange des qualités de
Carie Maratti , et de Giro Ferri. Ses
poses sont bien choisies ; ei ses por-
traits expriment à un haut degré le
caractère de ses modèles. Enfin, dans
toutes les parties de son art , il mon-
tre une imagination féconde , une
grande liberté de main , et une en-
tente particulière de la com position.
P— s.
REDING ( Aloys , baron de ) ,
landamman et général suisse , né en
1755 , fît ses premières armes en
Espagne , y devint colonel , et quitta
le service en 178B, pour se retirer
dans son pays, le canton de Scliwitz,
où il fut nommé landshauptmann.
Il n'eut pas occasion de faiie parler
de lui , jusqu'à l'invasion française
de 1 798. Les cauteassdémocratiques
conservèrent alors leur indépendance
au milieu de la servitude devenue
générale dans l'antique république
Hclvétieune : Sclnvitz surtout était
décidé à marcher au secours de Ber-
ne qui avait succombé dans sa lutte
contre Tarmée du Directoire exécu-
tif de France. Rediug dirigea les
dispositions militaires de ses compa-
triotes, qui repoussaient obstinément
le genre de liberté qu'on prétendait
leur donner, et vouLiieut commen-
cer par réunir leurs cITorts à ceux des
milices de Zug et d'Undcrwaldeu.
Leur premier contingent partit le i i
février. D'après un plan arrêté dans
le conseil de guerre que le i.inds-
hauptmanu présidait , ccKii-ci (lcv;iit
commander le centre de la petite ar-
mée qu'on avait levée ,ct qui n'allait
pas à dix mille combattants ; il de-
RED 111
vait , avec .m*s cent cinquante braves
s'emparer de Lucerne et de tout son
canton, Rediug, pour exécuter ce
plan , s'était fait précéder d'une pro-
clamation qui , rappelant aux Lu-
cernois la gloire et le bonheur de leur
ancienne confraternité d'armes avec
les autres Waldstettens ^ excita chez
eux , au plus haut degré , l'enthou-
siasme de la liberté commune , de
la véritable liberté. Le ag avril , au
point du jour, la petite troupe de
Schwitz parut sur le sommet du
Wesemli , et de là , en peu d'instants ,
au pied des remparts de Lucerne.
L'officier chargé de porter aux nou-
velles autorités l'injonction de se
rendre, revint avec une capitulation
signée. Les soldats de Rediug prirent
en conséquence position j n)ais bien-
tôt il fallut se replier. Les Français,
qui avaient passé la Reuss , et occupé
la ville de Zug, s'avançaient à grands
pas. Entrés dans Lucerne , le 3o
avril , ils menaçaient presque toutes
les frontières du canton de Srhv\'ilz.
Ce fut alors que se prépara , de tou-
tes parts , la d' fense la plus coura-
geuse, la plus héroïque , et que Re-
ding , qui était l'ame de l'armée des
confédérés , résolut de s'en.vevelir
sous les ruines de sa patrie , si ,
malgré ses efforts, il ne pouvait la
sauver. Il partit d'Arlh , où siégeait
le conseil de guerre. Le jour com-
mençait à poindre, lorsqu'il arriva
auSchorno,dans le moment oii cinq
cents hommes d'Uri , vcnairiit se
joindre au quatrième bataillon de
Schwitz, et se rendaient maîtres de
cet important défilé du Sehorno ,
ainsi que des hauteurs de INfurgar-
ten;mais quelques soldats d'Uri et de
Zug éiaieut le seul secours sur le(|nel
])ùt compter le canton de Sch^vitz ,
livré à SCS propres forces. Ou vit
en cet instant uu dévouement pro-
•îii RED
(ligieux. Zschokke , dans son Uis-
taire de la lutte et de la destruction
des républiques démocratiques de
Schwitz, Uriel Unterw alden ^ rap-
porte le discours que Reding pro-
nonça au poste de Morgarten , et à la
suite duquel tous jurèrent , à l'exem-
ple de leur chef, la mort et pas de
retraite. Avec quelques centaines de
montagnards, il livra bataille aux
Français , qui étaient fort supe'ricurs
en nombre , enfonça leurs lignes , et
les chassa de ces champs déjà si
fameux par la victoire remportée ,
dans le même lieu , sur les Autri-
chiens , en i5i5 , sous la direction
d'un autre Reding , le landamraan Ro-
dolphe Reding de Bibcregg. Mais le
succès devait avoir un terme prompt:
la lutte était trop inégale. On fut
forcé de demander un armistice au
général Schauenbonrg , qui posa les
bases de la capitulation que l'on de-
sirait. On la voulait honorable , et
contenant l'assurance positive qu'au-
cune levée, d'hommes ni d'argent ne
serait jamais faite dans le canton de
Schv^itz. L'assemblée du peuple fut
convoquée dans la nuit du 3 au 4
mai , pour eu délibérer, Reding ne
put s'empêcher de donner le conseil
d'accepter celte capitulation. 11 fut
un des quatre commissaires qui ,
dans la soirée du 4 , portèrent au
général français la détermination du
peuple de Schwitz, de se soumettre à
la nouvelle constitution helvétique ,
sous la condition que le libre exer-
cice de son culte, la sûreté des per-
sonnes , la conservation des arrhes
et des propriétés lui seraient garan-
tis par la nation française. Schauen-
bonrg retira , aussitôt après , ses
trouj>cs des frontières du canton de
Schwilz. Rccling joua ensuite im
grand rôle dans les troubles civils
qui curent lieu successivement en
RED
Suisse. On en vint à le prendre pour
chef du gouvernement central. Ce
fut le -il novembre i8oi , qu'il fut
nommé premier landamann de la
Suisse. Il fit , bientôt après , un
voyage à Paris , dans l'espoir de
fixer définitivement les grands inté-
rêts de sa patrie. Lorsqu'il était le
plus occupé de l'organisation du
nouveau gouvernement, il fut des-
titué , par suite des intrigues du parti
qui voulait le sisteme unitaire. Il se
mit alors encore une fois à la tête des
confédérés de Schwitz. Ce canton
était, comme au temps delà premiè-
re insurrection formée contre les op-
presseurs armés de la Suisse, le centre
d'oii partaient tous les mouvements
dirigés contre les chefs et contre les
institutions qu'on avait données à leur
pays, naguère libre et gouverné con-
formément à ses inclinations et à
ses habitudes. Reding sut imprimer
à cette nouvelle confédération Vé-
nergie de son arae et l'activité de
son caractère ; mais les Français
intervinrent dans des démêlés qui
étaient, pour ainsi-dire, devenus mie
a (Taire de famille. Les confédérés bat-
tirent plusieurs fois les troupes ré-
glées du gouverneur central suisse.
Le général Ney qui était entré eu
Suisse pour comprimer le parti de
Reding , ordonna le licenciement
des milices , et fit arrêter ce chef, le
7 novembre, avec quelques autres
personnages importants de cette mê-
me république Suisse , dont Buona-
partc s'était déclaré le médiateur,
c'est-à-dire, qu'il vouliil constituer
à sa volonté. Reding fut conduit
à la forteresse d'Arbourg : mais on
lui rendit sa liberté au bout de
quelques mois ; et l'acte de médiation
ayant, malgré le vice de son origi-
ne et les vues secrètes de son au-
teur , mi? fin aux plus grands mal-
RED
lienrs cîes Helvëtiens , il fut t'in ,
eu i8o3 , laudamman du canton de
vSchwilz , et reparut dans le conseil
suprême de son pays. Après les de-
sastres militaires de la France , en
i8i.i et i8i3, Reding ne dissimula
plus sa haine pour Buonaparte ; et
l'on croit qu'il ne fut pas etianger
au passage du Rhin , efTectué par les
troupes alliées sur le territoire suisse.
Il mourut à Schwitz , dans les pre-
miers jours de février 1818. Sans
ôter au me'ritc re'el d'Aloys Reding ,
il est permis de dire que l'historien,
que nous avons cité, a dessine' peut-
être trop en grand la figure de cet
illustre Helve'tien. Zschokkc , poète
dramatique, et écrivant l'histoire de
la destruction de la ligue suisse ,
avait besoin d'un he'ros qui s'élevât
beaucoup au-dessus de ses conci-
toyens. C'est un peu au détriment de
ceux-ci , qu'il a trace' le portrait du
landamman de Schv\'itz , qui était
bien plus remarquable par son ame,
que par ses moyens d'esprit, et dont
l'énergie républicaine ne fut pas une
vertu extraordinaire, foute particu-
lière chez lui, mais un sentiment
toujours actif dans son pays. En plus
d'un occasion , Reding paralysa , ou
du moins rendit stérile, son dévoué-
mentaux intérêts de ceux qu'il com-
mandait ou qu'il représentait. Ses
fautes tenaient au défaut de lumières,
à l'imprévoyance, à la précipitation;
mais enfin il a laissé un nom qui
ne doit pas mourir dans la mémoire
des hommes. — Plusieurs autres
officiers , de la même famille , ont
figuré avec honneur au service de
France , à diverses époques. L-p-e.
REDJEB PACHA, séraskier de
Romé'.ie, de chef de brigands dans la
Natolic , fut élevé au commande-
ment de la Romélie par Soliman HT,
dans la guerre de iG8(). 11 se fit
REE
2a3
battre à Passarowilz, par le prince
Louis de Bade, le vainqueur de Sa-
lankemen. Bientôt après il essuya
sous les murs de Nissa une seconde
défaite qui ouvrit la Bulgarie aux
impériaux. Recljcb fut puni de ses re^
vers et de son incapacité : son maî-
tre le fit étrangler ; et sa justice fut
guidée par un motif religieux , qui
mérite d'être remarqué. Le crédule
Redjeb menait cà sa suite un astrolo-
gue qu'il ne manquait jamais de con-
sulter avant de former une entrepri-
se on d'engager une action. Le sulthan
pouvait lui envoyer demander sa tê-
te pour avoir combattu malgré les
ordres contraires les ])h!S positifs :
cependant Redjeb ne fut pas rais à
rDort pour avoir été vaincu ou pour
avoir désobéi, mais parce qu'il avait
transgressé la loi de Mahomet , qui
défend d'avoir recours cà la magie
et à la divination ; superstition aussi
absurde et aussi générale que con-
damnée religieusement chez la nation
othomane. S — y,
REED ( JosEPu ) , auteur drama-
tique anglais, naquit, en i'jiS , à
Stockton sur le Tees dans le comté
de Durham. Son père était cordier;
et ses ancêtres depuis trois généra-
tions ., n'avaient su, dit-il lui-même,
ni lire , ni écrire. Après avoir fait
quelques études , il fut destiné à sui-
vre la profession paternelle. Domi-
né par un goût vif pour la littéra-
ture dramatique, il eut cependant le
bon esprit de subordonner son pen-
chant à son intérêt. 11 était très-
laborieux : a Je déteste l'oisiveté ,
» a-t-il dit quelque part. Il faut que
» ma tête ou mes bras travaillent :
» quand ma corderie est en activité,
» les Muses m'appellent en vain ;
» mais quand mon métier languit ,
» oh ! alors j'ai du plaisir à écouter
» ces dames. » Aussi fit-il , dans sa
2'34
REE
profession, une fortune conside'rable.
Il avait déjà publie', en 1745^ "ne
comédie intitulée le Galant 5«rrtn-
ne, composée à dix-neuf ans, et un
poème iiir la mort de Pope, lors-
qu'il vint s'établir près de Londres.
Ayant confié, en l'jSS , sa comédie
intitulée le Bureau d'enregistrement
( the Remisier office ) , à Foote , qui
lui avait promis de la faire repré-
senter, celui ci, dont la conscience
était fort peu timorée, trouvant dans
cette pièce un rôle à sa convenance,
ne fit point difficulté de s'en empa-
rer, pour l'introduire, quatre années
après , dans sa propre comédie du
Mineur. Reed, in^igué, reclierclia
la protection de Garrick , mais avec
si peu d'adresse, qu'il s'en fit un
nouvel ennemi. Sa pièce néanmoins
fut jouée et applaudie: mais la re-
présentation fut précédée et suivie
d'une foule de tracasseries. Les mê-
mes embarras se renouvelèrent à
l'occasion de sa tragédie de Didon ;
et le public l'en vengea également
par l'accued qu'il fit à cette produc-
tion , en 1767. Toni Jones, opéra
qu'il dolina en i76(), eut encore
plus de succès. Son dernier ouvrage
dramatique, joué en 1776, a pour
litre les Imposteurs , ou Remède
contre la crédulité ; le sujet est tiré
du roman de Gil-Blas. Après s'être ,
à diverses reprises , brouillé et re-
concilié avec Garrirk, leur liaison se
rompit encore; et cette fois ce fut sans
reto\ir. Cependant , dans la (lucrelle
viraleiite qui s'éleva entre l(R.osciiis
anglais et l'irascible Keniirk , Reed
se [)roiionça noblement en faveur du
premier, et même avec ta!it de clia-
leur , que les lettres qu'il publia dans
ce dcniêié , fuient attribuées à Gar-
rick lui-même. Jose[di Reed mou-
rut le i5 août 1787. On a aussi de
lui le Guide du marchand , espèce
REG
de barème, 176.1, in-12, fortusît^
en Angleterre ; des tragédies bur-
lesques, et divers parapblels. L,
REED ( LsAAC ), savant critique
auglais du dix-huitième siècle , mort
à Londres en 1807 , était particuliè-
rement versé dans la connaissance des
ouvrages dramatiques anglais des
temps gothiques. Ses principaux
travaux sont les notes dont il a en-
richi dillërentcs éditions de Shaks-
peare ; il a donné, en l 'jS'i , une édi-
tion , considérablement augmentée ,
de la Biographia dramatica. On lui
doit aussi la publication du Recueil
d'anciennes pièces de théâtre, con-
nu sous le nom de Recueil de Dods-
ley , 1780, 12 volumes in 8°. H
avait été, pendant nombre d'années,
l'éditeur de V Europe an magazine.
Ses cnliqsies annoncent autant de
bonne-foi que de discernement et de
goût. L.
REENHIELM ( Jacques ) , an-
tiquaire suédois , naquit, en i644 »
à Upsai. Il avait d'abord choisi la
carrière militaire, et avait obtenu
le grade de lieutenant. En 1675, il
passa tout-à-coup à l'étude des an-
ti(p>ités , et devint antiquaire du
royaume de Suède. Les talents qu'il
développa dans sa nouvelle carrière,
lui firent obtenir des lettres de no-
blesse. Il a publié deux Sagas is-
landais, ceux de Torsten fP'ikinsç-
sofi , et d' Olof Trjgwascn, Upsal,
i()8o , et iG()i. les notes (pii ac-
coïupagnent le texte, sont remplies
d'érudition. Reeidiielm mouiiit ea
i()()i , et fut enterré dans l'c'glise de
laTiiniléà Upsal. Z-^. Vander-Harlh,
//(dinia litterata,Ql le Dictionnaire
biographique de (îezelius. C — v.
RKGtA ( Henri-Josei'u), docteur
en médecine, naquit à Lonvain ,
le '^() avril iGr)o. Ses parents le
firent élever avec beaucoup de soin
REG
dans les collèges les plus ce'lèbres
de la ville; et il ue manqua pas
d'y obleuir bientôt les premières
places. Son goût l'ayant porte vers la
médecine , il fut admis , dès 1 7 l '^ ,
an rang de professeur. Il se rendit
bientôt après à Paris, et commença
d'y travailler à son traite De Sjm-
pathid , ouvrage qui a fonde sa re'-
putation. Nous ne parlerons pas de
tous les honneurs académiques qu'il
obtint encore dans sa viile natale ;
mais nous dirons qu'il était d'un dë-
sinle'resseraent, d'une générosité ex-
traordinaire, et qu'il refusa les of-
fres des grands , afin de pouvoir
mieux donner tous ses soins aux
malheureux, et profiter des moments
de loisir qui lui restaient pour se
livrer à l'étude , dans sa grande bi-
bliothèque. Il mourut célibataire
le 11 juillet 1754, léguant une
partie de sa fortune pour la fon-
dation de deux bourses destinées
aux étudiants en mélecine, et plu-
sieurs milliers de florins à la biblio-
thèque de l'université. Outre son
ouvrage sur la sympathie , publié
à Harlem en 1721 , in- 12 , et à
Leipzig en 1762 , nous ne citerons
de ses écrits que la thèse suivan-
te : Disserlatio medica de aquis mi-
neralibus fontis Maviniontensis in
comitatuHannonicE, Louvain, 1740,
in-i'i, traduite en français par S. A.
Devillers , sous le titre d'Analyse
des eaux minérales de Marimont ,
Louvain , 1741 , in i'2. On y avait
joint les analyses des fontaines ap-
pelées le Roidemont , et le Montai-
gu , faites par le professeur Sissenus.
Ce travail valut à Rcga le titre de
conseiller-médecin de l'archiiluclies-
se Marie-Elisabeth, gouvcrnantedes
Pays-Bas, avec d'autres titres et des
présents. INou;; rilerons aussi Disser-
latio medico - chrmica qud de-
xxxvii.
REG
225
monstratur sanguinem humanum
nullo acido vitiari, Louvain, 1744,
in-8°. Elle montre les traces du sys-
tème de Sylvius, qu'on eut encore à
cond)atlre dans ce temps-là. F-d-r.
REGANHAO ( Geraud Valet
DE ) naquit à Cahors en 171 g. Après
avoir fait de bonnes études , il se re-
tira dans une campagne , oi!i il parta-
gea sa vie entre les soins qu'il devait
à sa famille et la culture des lettres.
11 remporta quatre prix à l'acadé-
mie des jeux floraux j deux d'élo-
quence, eu 1752, par nu discours
sur cette question: Si l'esprit philo-
sophique est plus ulile que nuisible
aux belles - lettres ; et eu 1 7 58 , par
un discours sur ces paroles : Il est
honteux d'avoir plus de ménagement
pour les vices que pour les ridicules.
Cette même année , il eut le prix de
l'ode. 11 oblint, en 1757 , un nou-
veau triomphe ; et l'académie dut
s'associer un littérateur dont elle
avait couronné tant de fois les ou-
vrages. C'est particulièrement dans
le genre lyrique que s'est exercé Re-
ganhac ; une étude aprofondie d'Ho-
race avait déterminé cette préfé-
rence. Dans ses OJes , où il a célébré
quelques-uns des événements les plus
brillants du règne de Louis XV, on
trouve du feu , de la verve , de la
noblesse: mais des beautés d'un or-
dre supérieur y sont déparées par
des négligences et par des fautes de
goût. Reganhac était l'ami de Lefranc
de Pompignan , son confrère à Ta-
cade'mie de Montauban. H est mort
en 1784. On a de lui : 1. Etudes
lyriques d'après Horace , Villefran-
chc de Boucrgue , 1 775. in 8°. Sous
ce titre, l'aulenra donné la traduction
en prose, avec une imitation eu vers,
d'une trentaine d'Odes d'Horace , son
autour favori. II. Traduction des
Odes d'Horace , avec des ohserva-
i5
226
REG
lions critiques , et poésies lyriques ,
siwies d'un discours sur V Ode , et
de quelques autres -pièces de prose ,
Paris, 1 -8 1 , 2 vol. in- 1 2. Le premier
contient la traduction en prose du
lyrique romain , et des remarques
très jadicieuses sur les traductions de
Bacier , Saïuidon et Batteux. ; le se-
cond volume offre les imitations en
vers , que l'auteur avait déjà pu-
bliées sous le titre d'Etudes lyriques:
il les a iait suivre de ses Odes et de
quelques imitations des Psaumes ;
d'un discours sur l'Ode , prononcé
en 1761 , à l'académie des jeux flo-
raux ; des deux discours couronnés
par cette académie, et enfin d'une
Lettre au marquis de Beauteville,
dans laquelle il soutient , comme il
l'avait fait dans son Discours , que
l'esprit philosophique est nuisible
aux lettres. Ce Recueil peut être lu
avec fruit par les jeunes littérateurs.
( Voyez-en l'extrait dans le Journal
des savants, de novembre 1 782 , p.
7 43. ) — Un fils de Reganhac a pu-
blié V Eloge de Louis XII , père du
peuple. Palis, 17B2, et a rempor-
té, en 1787, le prix, au jugement de
l'académie de Montauban , de VE-
lage de J. J. Le Franc de Pompi-
gnan W — s.
RÉGEMORÏES. Il y a eu trois
ingénieurs de ce nom ( Louis de
Rcgemorlcs le père , et ses deux
fils NoLL et Louis ) , attachés ,
ou conjointement , ou successive-
ment, à la maison d'Orléans , pour
la direction (les grands travaux hy-
drauliques que les princes de cette
maison ont fait exécuter. Le canal
de Briare, terminé, en i64'i (•)»
(j1 Le raiiîil (Je Driarp p»l lo prcinlcr qui nil i«-
maint'lc rucoiilc à /«un/ (/c f>ail(n;c\ c'chl-'i-diic,
joiiisoiDl de U |>r'>|>ri<'t<! <IVtal>llr, au inuyi'ii d'un
fnmin^a^iiiPinriil flVaiiT siHM*rii'iiri»s , Jn roinmiini-
■ ntioii iiiwin<ihlr inli"' l<"> llIls^inll de di-iix (Icnvf.i ,
m raiaaiit Criiniliir ;iin l>»liiiu< li' |il;ilisiii posi' par
REG
amenait dans la rivitre de Loing ,
sous Montargis, les bateaux de Loi-
re, qui naviguaient ensuite sur cette
rivière , jusqu'à la Seine, à Saint-
Mamert, d'où ils descendaient à Pa-
ris, en suivant le cours du fleuve.
Louis XIV , pour augmenter les
avantages de cette communication
de la Loire et de la Seine, con-
céda au duc d'Orléans , son frère ,
par un édit de 1679, enregistré en
ï68o , le privilège de faire construi-
re , à ses frais , un canal partant de
la Loire, près d'Orléans, et aboutis-
sant au point de jonction du canal
de Briarc et de la rivière de Loing.
Ce canal, rendu navigable, en 1692,
après avoir été cédé et recouvré par
la maison d'Orléans, lui revint défi-
nitivement en 1702. L'affluence des
bateaux que la réunion des deux ca-
naux de Briare et d'Orléans amenait
dans le Loing, rendit bientôt sensi-
ble la nécessité de canaliser celle ri-
vière, oii la navigation se faisait par
des perluis également incommodes
et dangereux. Régcmortes père. Hol-
landais d'origine, et qui avait tra-
vaillé , sous Vauban , aux fortifica-
tions de Neuf-Brisac, fut chargé
de cette entreprise. Aidé par son
fils aîné, il dressa les projets des
travaux jiécessaircs pour arriver
à ce but, et il en dirigea l'exé-
cution. Le canal de Loing , établi
en vertu de lettres de 1719, était
naviciible en i^^S. C'est son cxé-
la naturp |)Our srparer ces liassiii'^. Les ccluses u'.-i-
vaicnt servi jusqu'alors qu'.^ modérer la tioj) grande
décliviteclrapiditédesrivières.à fuuriiir des moyens
de défense militaire, etc. FjC> Ciiiiaux de Languedoc
et d'Urleaus ont été proietes sur le modèle de c< lui
de Hriare ; aiusi la !• lance a produit , dans le cours
du dix-septième siiele, trois monuments hydrattli~
i/iiits de la plus liaule imjiortnuoc et d'une et/zèce
iiniivclle; cependant on ne voit coiumnni ment , dans
ces niouiiment», que des creusements de fosses et
des constructions iPecluse», sans rellichir qu'on a
fait , de res moyens connus , un emploi (out-!l-rait
irii oniui «vaut le dix-sepliiine sièel*.
REG
cutioii qni a commence à rcmlre le
nom de Rëgemortes un nom hislori-
qiic('2). Le canal d'Orlcaiissctiouvait
tort de'grade en \']'î'i. Rogcmorfes,
qui fut nomme dircctcur-geiieral de
ce canal, en 1726, y a fait exécuter
des ouvrages de réparation cl d'amé-
lioration tellement importants, que
c'est à lui qu'on est principalement
redevable de l'ctist de prospérité où
la nivigaùon d'Orléans à Moniaigis
s'est trouvée depuis près d'uu siècle.
M. d'Argcnson, d'abord chancelier
du duc el'Orlcans ( fds 'lu régent),
entra au ministère de la guerre, le
i^i-. janvier 1743. Il avait apprccié-
Ic mer Je de Muël de Rcgouîoitcs et
il en (it le premier commis de son dé-
partement. Celui-ci ne perdit pas de
vue po^lr cela les travaux qni inté-
ressaient la maison d'Oilcans, à la-
quelle il était fort attaché ; mais la
place d'ingénieur des turcies et le-
vées de la Loire, dont il jouissait,
fut donnée à Louis de Rëgemortes,
son frère cadet , sur lequel nous re-
viendrons tout-à -l'heure. Lorsque
M. d'Argenson quitta le ministère,
en 1757, Noël reprit la direction
des canaux d'Orléans et de Loing ,
et s'adjoiguit Louis, son frère. Cet-
te adjonction allégea assez son travail
pour lui procurer la facdiié de ré-
sider dans une propriété territoriale
qu'il avait près de Strasboing; i:iais
Louis étant mort, vers 17 75 ou 1776,
Noël se trouva de nouveau chargé
de tous les détails de la direction. Il
en suivit les opérations, sans se dépla-
cer, tant pour l'administration que
pour la partie d'art , avec autant
(■») Quatre iiorsonnagfs (le celte f.iinille s\ tiieni du-
)à fait cunuaitred.iDs les Icltics : Ainl)roi6Ci taltpro ■
fcsseiir de grec cl d'hébreu îiFjcyde, eu i6no : l'icr-
le, 8UU cousin , a écrit sur la pijlilujiw: : Assuerns
exerça la niédcciiic ?i Londres, et a euinposo plu-
sieiirs ouvrages ( /'oy. Gl.lssON ) : un antre méde-
cin du même nom j>raliquHil su» art à Norlolck.et
nioufulen iG'i. C. M. !'.
REG
227
d'activité et de présence d'esprit que
s'il eilt habité Orléans , dont il était
éloigné de plus de cent lieues. Eu
1786, à la mort du duc d'Orléans,
aïeul du prince sctiie!,Noël aban-
donna tout- à-fait les travaux d'ingé-
nieur, li est mort, vers 1 790, âgé d'en-
viron quatre - vingt - dix ans • ce qni
placerait sa naissance vers l'année
1700. Toutes nos recherches pour
avoir, à cet égard, des dates plus
précises , ont été infructueuses.
Noël de Rogcmortos avait un ooût
particulier pour la botanique. On le
legarde comme ayant introduit en
France les premières boutures de
peupliers d'Italie, qii'il envoya, dans
des boîles de fer -blanc, à JMontar-
gis, où elles furent plantées.en 1740,
sur les bords du canal de Loing, eu
un lieu appelé les Belles-Manières.
Louis de Rëgemortes , frère cadet de
Noël , avait donné, dès 1750 > dans
ses fonctions d'ingénieur, des preu.
ves de mérite telles, qu'il fut jugé ca-
pable de projeter et d'exécuter un
monument hydraulique, auquel ildoit
une célébiité bieu justement méri-
tée, le pont de Moulins sur l'Allier.
Les grandes difficultés de la cons-
truction de ce pont portaient princi-
palement sur la manièi'c de le fonder;
et voici à quoi tenaient ces difficultés.
L'Allier est une rivière torrentueu-
se, dont les eaux parcourent un sol
très-suscoptible d'érosion, et coulent
sur une couche très éfiaisse, d'allu-
vion, composée de sable extrêmement
mobile : la largeur de cette couche
est beaucoup plus considérable que
celle du lit, vu les fréquents cliange-
ments de la direction des eaux dans
la valléequi constitue le fond de leur
bassin. Rëgemortes trouva , dans
une de ses fouilles, une grande quan-
tité de gros bois courbés hori/.onta
Icment, parai v^ant appartenir à un
i5..
aaS
REG
ancien chantier, et qui étaient ense-
velis sous les alluvions (3) : il vou-
lut connaître exactement quelle était
l'o'paisseur de la couche qu'elles for-
ment, et il fit son expérience parla
méthode employée pour creuser les
puits artésiens , qu'on dislingue aus-
si par le nom de fojitaines forées ;
cette épaisseur a été reconnue de i5
mètres y, o (4? P'f^tls ), et les ma-
tières aréneuses , ainsi traversées ,
étaient sensiblement homogènes. Il
est à remarquer qu'un pieu de mé-
diocre grosseur, battu dans le lit de la
rivière, avec des moyens tellement
puissants que , faute de force suffi-
sante pour le retirer, on avait été
obligé de le récéper pour qu'il ne
formât pas un écueil , n'avait pu pé-
nétrer dans le sable que d'environ
5 mètres ( i5 pieds ). Il est mani-
feste qu'une construction quelconque
établie sur une pareille base , sans
les précautions convenables, se trou-
vait exposée, ou, pour parler plus
exactement, destinée, à une prompte
ruine. Il ne faut donc pas s'étonner
si plusieurs ponts construits à Mou-
lins avant celui de Régemortes, n'ont
eu qu'une duréeépliémère. Ou cite un
pont de bois renversé en 1676 ; un
pont de pierre bâti en i685 , et dé-
truit en 1689 , sous les ruines du-
quel on a découvert les vestiges d'un
pont de pierre plusancien que lepont
de bois ; ces travaux avaient peut-
être été confiés à des constructeurs
peu éclairés ; mais ce qui est bien
plus concluant, pour la difliculté de
l'entreprise, est d'y voir échouerun
homme d'un mérite éininent en ar-
' :i l.'anUiir dp rctaiticlc fit, en 178-, unn pa-
riillc r»>iicontrc en <'r(Mi<iaii>l la culeeJioi e du jjui.l
<\o [>oi)tK XVI : li>sl)ois a\hû'nt coiism'i: leur foriiu-;
mal» liMir orgauiVatidii iuUTicurc ttait druaturic de
Ip.anii'rc (jii'on u'y iicouimissait plus do dircrtiou
«II- librcu. Une iinfo f|ii'il adressa au Journal de
l'ari», coutii'lit 1rs détails de cpUp decouvort»-.
REG
chitecture , le célèbre îlardouin
Mansard, La première pierre d'un
pont qu'il avait été chargé d'établir
à Moulins , fut posée le 3 septembre
1705.- toutes les parties de ce pont,
situées au-dessus des eaux , étaient
d'une exactitude d'appareil, d'une
pureté de formes sans exemple à
cette époque: le 8 novembre 1710 ,
les arches étaient entièrement fer-
mées ; et quoiqu'elles fussent encore
soutenues par les cintres, une crue
occasionna la chute de la plus gran.
de partie du pont, et mit le gouver-
nement dans la nécessité d'en cons-
truireunautrc. Louis deRégemortes,
éclairé par des exemples aussi frap-
pants, se prépara, et par une médita-
tion profoiideet par des observations
soignées, à la solution du problème
difficile qu'il avait à résoudre. Ayant
reconnu, 1°. que le sable sur lequel
il devait s'établir était homogène
sur toute la profondeur qu'il avait
explorée par la sonde; -2°. qu'im vo-
lume déterminé de ce sable, renfer-
méde manière à ne pouvoir s'échap-
per, ne diminuait pas sensiblement
sous une grande compression ; il ré-
solut de profiler de celte dernière
propriété pour donner delà stabilité
à son monument. En conséquence,
il couvrit la surface entière sur la-
quelle le pont devait être élevé, par
un large et épais radier général en
maçonnerie ( qu'on peut comparer
à un mur couclié horizontalement ) ,
dout la largeur excédait considéra-
blement celle du pont: et, sous toute
la longueur ducpiel il fit battre cinq
rangs de palplanches ( esjièces de
grosses cloisons ), savoir deux rangs
au-.lessus et trois au-dessous du
p'jnt: de plus il donna à l'eau, sous
ses arches, une somme dedéboucliés
plus que double de celle que fournis-
sait le pont Mansard, afin de dinii-
REG
nuer, par la grandeur de la section
transversale, la vitesse et la force
e'rosivc du courant dans les crues.
Ainsi, d'unepart, les procautions pri-
ses pour empêcher le «leplacement
du sabh , garantissaient la construc-
tion contre les ajjoidllements ou
excavations inférieures ; d'une autre
part, l'inconipressibilité de ce sable,
ainsi retenu , rassurait contre la
crainte des tassements ou affaisse-
ments verticaux, qui ont lieu dans
les terrains compressibles. Le devis
dressé par Régemortes , porte la date
du 26 novembre 1752: les travaux,
commencés l'année suivante, oiat
été terminés en 1763. Le pont est
composé de treize arches , de forme
ovale , dont chacune a 19 mètres et
y'i ( 10 toises) d'ouverture; sa lar-
geur totale , d'une tête à l'autre , est
i3 mètres Vio ( 7 toises ). Louis de
Régemortes publia, en 1771, un
ouvrage très-intéressant (4) , conte-
nant tous les détails du projet et de
la construction de son pont : la des-
cription qu'il y donne des procédés
et des machines qu'il y a employés ,
et dont une partie a été perfection-
née par lui , a fourni d'utiles leçons
aux ingénieurs qui ont construit de
grands ponts depuis 1760. 11 n'a
Survécu que quatre ou cinq ans à la
publication de cet ouvragc:àsa mort,
il était , depuis plusieurs années ,
premier ingénieur des turcies et le-
vées. P NY.
RECiGIO ( François ) , célèbre
astronome , naquit en 174^, à Gènes,
d'une famille pa'ricienne. Il em-
brassa la règle de saint Ignace à l'âge
de quinze ans, et, après avoir terminé
ses études , fut chargé d'enseigner la
théologie au collège de sa ville na-
(^/{) Dcsi:ri/>tioii rlu nouveau pnnl de pierre cons-
Ifiill sur In rit'iérc (l'Allier, à jl/ou^ms , île. ,1771 ,
lii-ful. avec jO |)I.
REG 229
taie. Après la suppression des Jé-
suites , il s'adonna tout entier à l'é-
tude des mathématiques et de l'astro-
nomie , dont il n'avait fait jusqu'alors
qu'un délassement , et ses progrès y
furent rapides. 11 devint le com-
pagnon des travaux de Oriani et
de Cesaris , employés à Milan , à
l'observatoire de Brera. E'i 1776,
il détermina la latitude et la longi-
tude de Pavie et de Crémone , et éta-
Idit en même temps la différence du
méridien de ces deux villes , avec ce-
lui de la capitale de la Lombardie. Il
leva , de concert avec ses deux col-
laborateurs, la carte des triangles de
la Haute-Italie, terminée eu 1794 ,
et que les astronomes italiens se pro-
posaient de joindre à ceux du Pié-
mont et de la France ( F. la Bibliogr.
astronomiq. de Lalande , p. G3t) ).
D'autres travaux, d'autres observa-
tions l'occupèrent le reste de sa vie.
Il mourut à Milan, le 10 octobre
1804. Le P. Reggio était membre
des académies de Turin , de Man-
touc, et d'un grand nombre de so^
ciété littéraires. On a de lui une
foule de Mémuires et d' Observa-
tions , insérés dans les Efemeride
astronomiche , de M. de Cesaris , de-
puis l'année 1775, et dont on trouve
les titres dans le Supplément du P.
Caballero à la Bibl. Soc. Jesu ,11*^.
part. , p. 85 et 86 : on se contentera
de citer les Mémoires sur V Anneau
de Saturne , 1775 ; — sur les Dia-
mètre^ du soleil et de la lune, 1 776;
— sur les Instruments de f Observa-
toire de Milan , 1 782 ; — sur l' O-
bliquité de VécUptique , et la hau-
teur mojenne du thermomètre et du
baromètre à Milan, 1785 ; — des
Observations sur les planètes de
Piazzi et d' Olbers , 1802, etc.
RÉGILLIEN ( Q. IS^omus Re-
GILLIANUS OU ReGALIANVS Au-
23o REG
GUSTus), l'un des tyrans éphémères
<jui troublèrent l'empire sous Gai-
lien , e'tait originaire de la Dace , et
parent, à ce qu'on croit, de Dëce-
Lale , dont il avait licritë la valeur et
les autres qualite's ( F. Décebale ,
X , 6.i8 ). Revêtu par Vale'rien des
premiers emplois mililaires , il si-
5^ua!a SOS talents dans la guerre con-
tre les Sarmates , qu'il vainquit et
repoussa plusieurs fois. TreLellius
Polliou nous a conserve la lettre que
Claude ( depuis empereur ) écrivit
à Rëgillien , pour le féliciter de la
«iouble victoire qu'il avait «emportée
sur les baibares piès de Sf upi ( Sco-
pia ou Uicopia , dans la Bulgarie ) ;
il la termine ainsi : « Envoyez-moi,
ilégillien, des armes de Sarmates ,
et dcuxsayes avec les agraOes , puis-
que je vous en ai envoyé des nôtres. »
( Voy, Histor. ^-Juguit. sciiptor. )
Régillien commandait les légions sta-
lionnécs dans l'IUyrie , iorsqu'Inge-
nuus ( Foj^. ce nom ) prit la pour-
pre, vers la fin de !'an 260. Après un
règne de quelques jours, celui ci per-
dit le trône et la vie ; et les habitants
lie la Mœsie, redoutant la cruauté
de Gallien ( Fo/. ce nom , XVI ,
364 ) j durent empereur Régillien
( I ) , au commencement de l'an id i .
Ce prince continua de faire avec suc-
cès la guerre aux Sarmates; c'est tout
ce qu'on sait de son règne, qui ne fut
pas sans gloire. Pollion prétend que
les Il'yriens , de conceit avec les
sol .als , le tuèrent dans l'espérance
d'oblenir , à ce ])rix , leur pardon
de Gallicu ; ni.iis Aurélius Vic-
(1 ) Sçloii l'i.Uion , c'csl ù un j.'u <lu muls <juf lU-
lîilliin Cul rcdivablf tic reirjj,ii'L-. Un .suir uu'il soii-
iiuil avec f|».I(jiii-s-ijn»dc se- olllciers , le IriLuii V;i-
Jcriariiis s'avisa <lc tlcmuiider d'où vouait le nom de
Bcgillieu? — IJe rui ou de ii!t;uer, ii|.uudit l'un
d Milrir «MU. Tons IiB convivis saisirent avec <in-
J)rf»»i-n»nt . .IIl- ijluslon; et loistiuf R. (;lllifn uuiut
Je Icndiniain U la 1,1.- d<s Ir-gion», .Jlc» le saluîirnt
en,|«T.ui-. il ist inutile d'»)i,nler(|iii> cette ane<,>lule
»>l diililni» (le toute vi-aiseDililante.
REG
tor dit que Régillien trouva la mort
dans un combat que Gallien lui livra
au mois d'août -263. Les médailles
de ce prince sont excessivement ra-
res. Le cabinet du Roi en possède
quelques - unes en argent ; mais il
n'est pas bien certain qu'elles soient
antiques ( Foj\ le Traité des mé-
dailles romaines , par M. Mionnet ,
pag. 807 ). W — s.
REGILLO. F. PORDENONE.
RÉGIWON, abbé de Prum, dans
le diocèse de Trêves , lut l^un des
plus savants hommes du neuviè-
me siècle. On ignore l'époque et le
lieu de sa naissance. Il embrassa la
règle de saint BenoîtàPrum, dans un
temps où les sciences y florissaient ;
cl il fit de grands et rapides pi ogres
dans la théologie et le droit canoni-
que. 11 parvint aux premières char-
ges deTabbaye; et, en 885, il coupa
les cheveux au prhice Hugues, fils
du roi Lothaire , qu'on y avait re-
légué après lui avoir crevé les yeux.
L'abbaye de Prum fut pillée en 89'.*
par les Normands; l'abbé Farabert,
qui s'était enfui , se démit de sa di-
gnité : Réginon fut élu son succes-
seur. Des intrigues , dont les mo-
nastères mêmes ne sont pas exempts,
le forcèrent d'abdiquer en 899 j et
il alla vivreauprèsdeRatbod, arche-
vêque de Trêves, qui, connaissant
SCS talents et sa capacité , l'établit
abbé de Saint-Martin. On croit qu'il
suivi tAdalbcron, archevêque d'Augs-
bourg , dans un voyage que ce prélat
fit , en 908 , à l'abbaye de Saint-
Gall. Peu de temps après, il se retira
dans le monastère de Saint-Martin ,
à Trêves , et il y mourut en 915.
On a de Réginon : 1. Une Chroiwjue,
divisée en deux livres. Le premier
commence à la naissance de J.-C. ,
et finit à l'année ■; 18 : le second con-
tient la suite de l'histoire , depuis la
REG
mort de Charles Martel , en 74.1 ,
jusqu'à l'an 907 ; elle est trcs-iu-
tëressante , surtout pour ce qui con-
cerne l'Allemagne. La Chronique de
Réginon a e'te' continuée successive-
ment par deux écrivains, jusqu'à
l'année 977. Les auteurs de Vllist.
littér. de la France en citent une
e'd. de Strasbourg, i5i8, in-fol. ;
mais Vogt et d'autres bibliographes
regardent comme la première, celle
de Maïence , iSii , même format.
Simon Schard publia de nouveau
cette Chronique ^ dans un Recueil de
pièces, Francfort , i5ti6; et Pisto-
rius l'a insérée dans le tome i'^"'. des
Jîeruin gennaiiicar. .çcr//Jtor., ibid.,
i583 ( F. PisTORius . Ces différen-
tes éditions sont plus ou moins dé-
fectueuses. André Duchêuea publié,
dans les Historiœ Nurmannovwn
scriptor. antiqui , un long fragment
delà Chronique de B.é<^iuon. II, Un
Recueil des canons des Latins, ran-
gés par ordre de matières. On rcmar-
qiie que notre auteur est le premier
qui ait suivi cet ordre , et qu'il a
joint aux décrets des conciles , les
sentences des Pères et les lois civi-
les; de sorte qu'on pourrait donner
à ce Recueil le titre de nomocanon.
Joach. Hildebraud l'a publié sous ce
titre : De disciplina ecclesiasticd
'veterurn, prcesertiin Germanoruni,
libriduo, Hclmstadt , iG5q , in 4°- ;
mais Balu'zc enamis au jour une se-
conde édition qu'il a intitulée , De
disciplinis ecclcsiasticis et religione
Chtistiand , Paris, i'^"'7', in-8^. ,
et ornée d'une savante Préface , de
Notes et de divers Appendices. Le
preiuier livre traite des devoirs des
ecclésiastiques , et le second des obli-
gations des laïcs. 111. De harmo-
nica institutione MonUum. C'est une
Lettre adressée par Rcginon à l'ar-
chcvcqiie Ratbod, sur la nécessite'
REG 23 I
de réformer le chant dans sou église,
et qui servait de préface à un opus-
cule intitulé : Tonarius sive oclo
toni musicœ ariis cum differentiis.
Celte lettre a été publiée par Gerbert,
dans le tome 1'' . des Scriptor. eccle-
siasticide musicd{ 23o-47 ) ', va.'Às
le savant éditeur n'a pas \)\\ se pro-
curer l'opuscule dont elle est l'intro-
duction , et dont il existe deux co-
pies , l'une dans la bibliolhèqup de
Leipzig, et rautrc à Ului. Du Bou-
lay ( Hist. univ. Paris. , 1 -'294 ) at-
tribue à Rpginon un Coininentaire
succinct sur l'ouvrage de Martianus
Capella : De nuptds philoloi^iœ et
Mcrcurii ; mais ce prétendu com
menlairc n'est autre chose qu un
chapitre de la Lettre qu'on vient de
citer, et que Du Boulay n'a connue
qu'imparfaitement. Tritheim parle
des Sermons de l'abbé de Prum , et
d'un Pvecueil de ses Lettres qui
n^existent plus. On peut consulter la
Vie de Réginon dans VHist. littér.
de la France , vi , i5o-54. W — s.
REGIOMONÏANUS. ^.Muller.
REGIS (St. Jkan^François) na-
quit le 3i janvier 1597 , de parents
nobles , au village de Foncouverte ,
diofcse de Narbonne. Dès son en-
fance , on remarqua en lui un attrait
pour la piété, que fortifiait l'exem-
ple de sa famille , et qui présageait
ce qu'il devint depuis. A cela se joi-
gnaient des goûts graves et un éloi-
gucment pour les amusements de
cet âge. Aussitôt que se développa
sa raison, on l'envoya faire ses étu-
des à Beziers, dans le collège des
Jésuites. Il s'y distingua par des
progrès rapides, mais plus en--
corè par sa vie exemplaire. Cité
pour modèle à ses condisciples,
charmé des vertus qu'il admirait
dans ses maîtres, il prit pour leur
institut une eslime singulière , et, à
232
REG
rage de dix-nenf ans , sollicita la fa-
veur d'être admis parmi eux. On juge
hien i\ne les désirs d'un tel sujet ne
trouvèrent aucun obstacle ; il fut ad-
mis au noviciat, à Toulouse, le 8 dé-
cembre 1616, et y prononça ses pre-
miers vœux, en 1618. Il contiiuia ses
études à Cahors et à Tournon avec
une égale régularité. En 1621, Ré-
gis commença le cours d'enseigne-
ment en usage dans la Société. Il
professa les humanités pendant sept
ans , à Billon , à Auch , et au Puy-en-
Velai. En 1628 , ses supérieurs
l'envoyèrent , à Toulouse , faire son
cours de théologie : il s'appliqua à
cette science avec ardeur, sans né-
gliger ses pratiques de dévotion.
On le surprit se dérobant la nuit,
après un court sommeil, et allant
prier dans la chapelle du collège.
Après avoir donné quatre ans à l'é-
tude de la théologie, il reçut l'ordre
de se préparer à i ecevoir la prêtrise,
et s'y disposa par le jeûne, la retraite
et la prière. A peine avait-il été or-
donné piètre , quele fléau delà peste
se déclara dans Toulouse, et y exer-
ça ses ravages. Régis obtint la per-
mission de se dévouer au service des
malades ; et la charité qui l'ani-
mait , lui fit toujours choisir sa
place où il y avait le plus de dan-
ger. Il sortit sain et sauf de celte pé-
rilleuse épreuve. C'est vers ce temps
qu'il prononça ses deiniers vœux ,
et qu'il se voua au ministère de la
chaire. Montpellier fut le premier
théâtre de ses prédications , que sui-
vait un auditoire nombreux, com-
posé de personncsdc toutes les condi-
tions. Un incident vint les interrom-
pre. Des aiïaires de famille exigeaient
sa présence à Foncouverte. Il s'y
rendit; et son premier soin, en ar-
rivant dans sa patrie, fut d'aller
visiter les malades , et de leur por-
REG
ter des consolations. Le matin il ca-
téchisait lesenfauls. 11 prêchaitdeux
fois par jour poui- le peuple. Il re-
cueillait les aumônes des riches, et
allait les distribuer aux indigents.
Son séjour à Foncouverte fut une
véritable mission. Il se sentait porté
h cette œuvre , et demanda de s'y
livrer tout entier. Il débuta par
Sommières, petite ville du Bas-Lan-
guedoc , alors peuplée , en grande
partie , par des Calvinistes. Il y
régnait une extrême ignorance de
toute religion, et par conséquent
beaucoup de vices. Régis parvint à
dissiper l'une , et à corriger les au-
tres. En i633, l'évêque de Viviers,
l'appela dans son diocèse , centre du
calvinisme, 11 y produisit d'admira-
bles fruits. ]\Iais l'ardeur de sa cha-
rité le f lisait aspirer à de plus péni-
bles travaux. Il écrivit au général
de la Société , pour être employé
aux missions chez les Hurous et les
Iroquois. Quoique la permission lui
en fût d'abord accordée, le supé-
rieur-général jugeant ses soins né-
cessaires pour la conversion des cal-
vinistes , finit parle retenir dans le
pays oîi il avait fait tant de bien , et
où il en restait encore beaucoup à
faire. Alors le Vêlai devint le prin-
cipal objet de son zèle apostolique.
I^cndant l'été, il prêchait dans les vil-
les. Lorsque les travaux des champs
avaient cessé, il allait annoncer la
parole sainte dans les campagnes.
Ni les mauvais chemins ni la rigueur
de la saison ne l'arrêtaient dans ses
courses pédestres, à travers les bois,
les montagnes et les torrents. Dans
une de ces ex/jéditions il se cassa la
jambe. Cet accident ne l'empêcha
point de se faire transporter à l'é-
glise pour y prêcher et cojifesser.
Rien n'égalait l'austérité de sa vie.
Il ne donnait chaque nuit que trois
REG
heures au sommeil , et souvent
qu'une seule; le reste e'tait employé
à la prière. Une simple planclie , ou
la terre nue, lui servait de lit. Il s'é-
tait interdit l'usage de la viande, du
poisson , des œufs cl du vin. Sa nour-
riture consistait en des le'giimcs cuits
à l'eau, sans assaisonnement. Il por-
tait un rude ciliée. I/onction de son
éloquence, tantôt douce, tantôt vé-
hémente , était toujours entraînante,
et accompagnée de larmes. Une pa-
tience imperturbable, une douceur
angélique, désarmaient ceux qui l'in-
sultaient, et firent plusieurs fois tom-
ber à ses pieds des malveillants qui
en voulaient à sa vie. Tel était Ré-
gis ; il avait passé quatre ans à
evangéliser le Vêlai. Il venait de
terminer ses travaux d'été par la pe-
tite ville de Monîfaucun, et il avait
annoncé pour la Loiivesc une mis-
sion aux derniers jours de l'avent de
i64o. Il partit du Piiy, le 11 dé-
cembre, pour s'y rendre, et après
une marche pénible , harassé de
fatigues , et saisi par le froid et la
fièvre , il arriAM enfin à la Loiivesc ,
la veille de Noël. Il se rendit aussitôt
au confessionnal , et n'en prêcha pas
moins trois fois le jour de la fcte, et
autant de fois le lendemain. T.^nt
d'efforts épuisèrent ses forces. Son
état empira ; et an milieu de dou-
leurs aiguës qui ne lui arrachèrent
pas une plainte, il expira doucement,
le 3 1 décembre vers minuit. On assu-
re que des miracles se fii-ent à son
tombeau ; et vingt-deux évéi|nes du
Languedoc l'attestèrent à Clément
XI , qui le béatilia en i -j 16. Clément
XII , après des i'nformations juridi-
ques, d'où il résulta que Régis avait
pratiqué les vertus chrétiennes dans
un dcgrëhéroiq ne, sur les instaures du
roi de France Louis XV, de Philip-
pe V, roi d'Espagne, et du clergé
REG 233
de France , assemblé à Paris , en
1735, le mit en 1737 au rang des
saints. Sa fête se célèbre le iGde
juin ( F. G. Daubenton ). L — y.
REGIS PlEltRL SlLVAlN ) , ]ihi-
losophe cartésien , naquit en i(332 ,
à la Salvctat de Blanquefort , dans le
comté d'Agenois. Cadet d'une famil-
le nombreuse, et destiné par ses pa-
rents à l'état ecclésiastique , après
avoir achevé ses cours avec éclat au
collège de Cahors , il étudia la théo-
logie à l'université de cette ville , et
s'y rendit assez habile pour que ses
maîtres le sollicitassent de recevoir
le bonnet de docteur ; mais il ne s'en
jugea pas digne , et vint, à Paris ,
étudier en Sorbonne. Son professeur,
d'ailleurs homme de mérite, le re-
buta par ses longueurs ; et ayant eu
l'occasion d'entendre Rohault ( F.
ce nom ) , il prit du goût pour la
philosophie de Descartes , dont il
devint bientôt un zélé partisan. Il
quitta Paris , dit Fontenelle , avec
une espèce de mission de son maî-
tre , et se rendit, en i665, à Tou-
louse pour y propager les principes
de la nouvelle philosophie. Il s'ac-
quitta si bien de cet emploi , que le
magistrat de Toulouse lui fit une
pension pour le retenir en cette
ville; événement , dit encore Fonte-
nelle , presque incroyable dans nos
mœurs , et qui semble appartenir à
l'ancienne Grèce. Cependant Régis ,
qui s'était lié , dans le même temps,
avec le marquis de Vardes , exilé en
Languedoc, obtint, non sans peine,
la permission de le suivre dans sou
gouveinemenl d'Aiguës - Mortes ,
j(uis à Montpellier, où il eut les mê-
mes succès qu'à Toulouse. Il revint
à Paris , en 1680 , et y fit des confé-
rences chez Lemery; mais son ap-
partement , quoique spacieux , ne
l'était pas assez pour contenir les
234
REG
auditeurs qui se portaient à des le-
çons dont la nouveauté formait le
moindre agrément. Ce succès était
trop éclatant : Tecole de Régis fut
fermée par l'ordre de l'archevêque
de Paris ( Harlay ) , qui restait alta-
clié à l'ancieuuc philosophie. Il vou-
lut profiter de ce loisir pour faire
imprimer son cours ; mais il ne lui
fallut pas moins de dis ans pour sur-
monter toutes les oppositions que
rencontra celte entreprise. Des ré-
ponses aux adversaires du cartésia-
nisme , et des discussions avec ftla-
lebranche , dans lesquelles Régis
n'eut pas le bonheur de soutenir la
vérité qu'il aimait tant, l'occupèreni*
long-temps etusèrent sa santé. Ses in-
firmités finiient par ne plus lui per-
mettre aucun travail. Nommé mem-
bre de l'académie des sciences, lors
deson renouvellement, il ne put assis-
ter àses séances. Il mourut le 1 1 j^nv.
i'jo7,dans l'hôtel du duc de Rohau,
gendre du marquis de Vardes , le
plus constant de ses protecteurs. Ou-
tre des Réponses aux objections de
Huet et de Duhamel contre le carté-
sianisme ( Paris, 1691 , 1692, 2
vol. in-i'2 ) , et des Lettres à Male-
branchc , sur la grandeur apparente
du soleil et de la lune à l'horizon ;
— sur la manière dont nous voyons
les objets; — et enfin sur les plai-
sirs des sens, insérées dans le Jour-
nal des savants , et réunies en 1 6g4 ,
in-/|". , on a de Régis : I. Système
de philosophie^ contenant la logi(|iic,
la métaphysique , la physique et la
morale, Paris , 1690, 3 vol. in-4". ;
réimprimé l'année suivante, à Ams-
terdam , précédé d'un Discours de
P. Goste sur la philosophie ancienne
et moderne. H. ïj'Usaf^e de la rai-
son et de la foi , ou V accord de la
foi et de la raison , ibid. , 1 70^ , in-
4**. , tiré principalement des luanu-
REG
scrits de dora Desgabets ) Fojyi. ce
nom), m. Discursus philosophicus
in fjuo historia philosophice antiquœ
et recentioris recenselur , 1705 , in-
\'i : livre inconnu à INiceron, mais
qui existe dans la liibliothèque du
Roi. L'auteur a joint à cet ouvrage
nn Traité de V amour de Dieu, ma-
tière q'.ii venait d'être agitée par des
hommes supérieurs ; et la Réfuta-
tion du système de Spinosa ( f^. ce
nom ), Les écrits de Régis sont tom-
bés avec le cartésianisme. F. VE-
loge de ce philosophe par Fonte-
nelle , et l'article que Niceron lui a
consacré dans le tome vi de ses Mé-
moires. — Pierre Régis , médecin , né
à Montpellier en i(i56, pratiqua son
art dans sa ville natale , jusqu'à la
révocation de l'éJit de Nantes. Il
choisit alors Amsterdam pour sa ré-
sidence , et y mourut , le 3o décem-
bre 1720. Outre les Opéra posthuma,
de Malpighi dont il fut éditeur, en
1697 ( f^. Malpighi, XXVI, 4 '^ ),
on a de lui une Lettre sur la pro-
portion de la condensation de l'air,
une observation anatomk[nc sur dc\i\.
])etits chiens nés avec le cœur situe*
hors de la capacité de la poitrine , et
quelques autres opuscules. P^ojy. Ni-
ceron , Mém. t. VII , p. 8. W — s.
RÉGIS ( Jean Baptiste ) , jésuite
français, missionnaire à la Chine,
et habile géographe, doit être comj>-
lé parmi les savants religieux qui ont
fait le plus d'honneur à cette mission
de la Chine, si fertile en hommes
distingués dans tous les genres de
connaissances. L'épotpie précise et
le lieu de sa naissance, ainsi que les
autres circonstances de sa vie, nous
sont peu connus; car , comme plu-
sieurs des missionnaires dont on a
déjà eu l'occasion de rechercher et
d'écrire la vie, et dont la modestie
égalait les talents , il ne semble s'être
REG
occupé que d'ctre utile, s'embarras-
sant peu d'être connu; et tout ce qu'on
sait de lui, se borne à ce qu'il a fait
de glorieux pour les sciences et d'ho-
norable pour son p.iys. l.c P. Régis
çomnieuça de se livrer à ses travaux
gëograpbiqnes, en i 708 , époque oà
l'empereur Kliang-Ili conçut l'idée
de faire dresser la carte générale de
ses étals , et chargea de ce travail les
missionnaires européens, dont ii a-
vait reconnu l'habileté. Ce fut par la
«rande muraille et les iJays situés aux
environs que les jésuites debutcicnt
dans cet immense ouvrage. Les PP.
Bouvet ( Foy. ce nom) , Régis et Jar-
toux (i) , entreprirent d'en détermi-
ner la sitution exacte; et le P. Bouvet
étant tombé malade après deux mois
de travail, les PP. Régis et Jartoux
continuèrent leur opération, qui les
retint pendant toute l'année 1708.
Ils revinrent à Peking, au mois de
janvier 1709. La carte qu'ils rappor-
tèrent avait plus de quinze pieds, et
elle fut fort bien reçue de l'empereur ,
qui voulut en avoir de semblables de
toutes les provinces de son empire.
Dès le mois de mai suivant, le P. Ré-
élis , av€C les PP. Jartoux et Fridelli,
allèrent lever la carte du pays des
Mandchous , puis celle du Pc-tchi-
li , ou de la province de Peking , et
celle du pays qui est aux environs
du fleuve Noir. Ce travail les occupa
pendant l'année 1710. En 171 i , le
P.Régis, accompagné du P. Cardo-
(i) Le père Pierre JartoUX , mort ù la Chine,
îe 3o uovembre 179,0, âge de ciiK|uaute atis, ctaprès
vingt années de travaux apostolique, est principale-
ment connu pyr une Lelln^ sur le Giu-scug ( nu Jin-
cltcn des Oiinois ), insérée dans le joo. rec-ueil des
f^ettres étlijitintcs, iVvsi la meilleure description que
l'on cul jusqu'aloi.s eu liurope, de cette piaule ( f^ .
LafiTAU, XXIIl , iïo,not. 1 ). On a encore de lui
une Lettre sur l'élut de la religion à lu Chine . où
il décrit Teglise bâtie par les Jesuiles, dans le palais
inêiue de l'euipereur( Lett.idf., tom.XI, He.lett.),
et des ObsctvHtiitns astrorwntif/ites , dans le recueil
du P. Suuriit. Voy. la prcfnrc du t'^me XV dviLell.
*il[f' , publie in i-7.a.
REG
235
so, fut chargé de la carte du Chan-
toung. Plus tard, il fut assisté des
PP. de Maillac ( Foj. Maillac )
et Henderer , pour celles du Ho-
uan, de Nanking , du Tche-kiang
et du Fou-kian; et après la mort
du P. Bonjour, survenue en 1715
( F. Bonjour ), il fut encore en-
voyé dans le Yun-nan , et en ache-
va la carte. Quand elle fut finie , il
se rejoignit au P. Fridelli, et ils dres-
sèrent ensemble les cartes des pro-
vinces de Kouéï-tcheou, et celle de
Hou kouang, correspondant au Hou-
pe et au Hounan de la dynastie ac*
tuelle. Le P. Régis a donné, sur la
manière dont fut conduite cette belle
et importante opération , des détails
que nous a conservés Duhalde (-2). Il
en exécuta lui-même la plus grande
partie; et quand on songe qu'une
entreprise géographique, plus vaste
qu'aucune de celles qu'on a jamais
tentées en Europe , fut achevée par
quelques religieux en huit années ,
on ne peut s'empêcher d'admirer cet
effet d'un zèle qui n'était pas unique-
ment celui de la science, quoiqu'il
en servît si bien les intcièts. Le tra-
vail si vaste auquel se livra le P.
Régis, les voyaget, qr.'il lui fallut
faire, n'absorbèrent pas tout son
temps. Il lui eu resta pour recueillir
une foule d'observations curieuses
sur les pays qu'il avait visités , ou
dont il avait eu connaissance , et
ses Mémoires ont été fort utiles au
P. Duhalde. Celui-ci , semblable sur
ce point à beaucoup de compila-
teurs, a trop souvent négligé d'in-
diquer les auteurs des matériaux
qu'il avait recueillis, comme si son
(») Dans la pn race do sa nescription de la CUine ,
on y voit que les Jésuites trouvèreut une inegabte
sensible dans la longueur du degré du méridien du
4ie. au 47«. parallèle, mais ils ne purent la reron-
naitrc avic assc7. de précision, leur instrnmiMit
n'avaut que deux pieds de l'ayou.
236
REG
nom pouvait tenir lieu delà garantie
qu'eussent offerte les noms des écri-
vains originaux. Jl s'est toutefois dé-
parti de cette mauvaise habitude à
l'occasion de deu^ fragments de Ré-
gis, l'un sur la Corée, l'autre sur le
Tibet; tous deux insérés dans le
quatrième volume delà Description
de la Chine. Le preuiier renferme
tout ce qu'on sait jusqu'ici de plus
positif sur les mœurs des Coréens;
l'autre fournit de curieux détails sur
les divisions hiérarchiques des La-
mas. Régis avait acquis une connais-
sance aprofondic de la langue chi-
noise ; et il s'en servit pour rédiger
une traduction latine du I-King , le
plus ancien, le plus authentique,
mais aussi le plus obscur et le plus
diflicile à entendre de tous les livres
classiques des Chinois. Il joignit à
sa traduction d'amples eVlaircisse-
mens, et des notes, dont plusieurs
sont de véritables dissertations , sur
le sens de passages relatifs à la religion
et aux antiquités. Un rnauu>crit de
ce précieux ouvrage est conserve à
la bibliothèque du Roi. Une antre
copie que l'auteur avait envoyée à
Fiéret, a passé à la bibliothèque du
Bureau des longitudes; mais elle est
malheureusement devenue incora-
j)lète, la deuxième des trois parties
dont l'ouvrage est composé en ayant
été distraite. La même bibliothèque
du Bureau des longitudes possède
encore d'autres manuscrits du même
auteur. Le P. Régis vivait encore en
Ï7'i4 ; car il prit part aux discus-
sions que les missionnaires eurent
à soutenir devant l'empereur Young-
tchii.g, lors de la proscription du
christianisme à la Chine. A. R— t.
RhClS ( Josi-rn-CuARLLs de ) ,
jésuite , et neveu du précédent, na-
quit à Jstres, le iti mars 1718.
l'M 1706 , il alla régenter les basses
REG
classes au collège de Dole , enseigna
ensuite la rhétorique à Marseille , et
occupa cette chiire jusqu'à l'extinc-
tion de la Société. Retiré depuis dans
sa ville natale, avec un de ses frères ,
ex-jésuite comme lui , \\ y mourut le
l'i mars «777. Achird ( Dict.de la
Provence ) , cite du P. Régis quelqi)es
pièces de théâtre à l'usage des col-
lèges ( le Lazare , Fenance , Her-
cule , le Testament de V Avare ^ les
Fêles marseillaises, etc.); il promet-
tait la description d'une excavation
singulière que le P. Régis avait fait
faire dans une colline , et qui prou-
ve, dit il, le goût de ce religieux pour
l'histoire naturelle. C. M. P,
REGIUS (Louis). F. Leroy.
REGNARD( Jean -François),
poète comique, naquit à Paris, le 8
février i655, d'un marchand, bour-
geois de Paris , demeurant sous les
Piliers des Halles. Il perdit son père
après avoir achevé ses exercices aca-
démiques ; et le premier usage qu'il
fit de sa liberté fut d'aller en Italie.
Ce voyage doit dater de 1676 ou
1677; d fut très - heureux. Re-
gnard joua beaucoup, et gros jeu.
Ses gains furent si considérables que
les frais de son voyage payés, il lui
resta dix mille écus. II en avait
eu quarante mille à la mort de son
père ; ce qui faisait une assez belle
fortune pour le temps. Retourné en
Italie, en 1678, il s'y passionna
pour une Provençale qu'il avait
rencontrée à Bologne ; cette da-
me , revenant en Fi ance avec son
mari , décida Régna rd à les accom-
pagner. De Civita-Vccchia, ils fai-
saient voile pour Toulon , lorsque, le
4 octobre 1678, <î la vue de ^'icc,
leur vaisseau fut attaq\u; par deux
corsaires barbaresques , et ])ris après
trois hciues de cotrdjat. Les ]iiratcs
étaient d'Alger :1a prise y fut cmme-
REG
née. Regnard fut vendu quinze cents
liv. ,1a Provençale mille liv. Mene's à
Constantinople par leur nouveau pa-
tron , ils y subirent, pendanl environ
deux ans , une captivité assez rigou-
reuse : on raconte, cependant, que
le talent du captif pour faire la cui-
sine , lui gagna les bonnes grâces de
son maître ; ce qui lui valut sa liberté',
et celle de sa maîtresse, moyennant
une somme de douze mille francs, que
safamilleavaitenvoye'e. Regnard rap-
porta en France la chaîne qu'il avait
traînée dans son esclavage , et la con-
serva toujours dans son cabinet. Il ne
resta pas long temps dans sa patrie;
le 26 avril 1681 , il partit pour la
Flandre, alla en Hollande, en Da-
nemark, en Suède , en Laponie. Il
avait pour compagnons de voyage
deux compatriotes nommes Fercourt
et Corberon , qui avaient voyage' en
Asie. Arrivés à l'église appelée lu-
kas-jerfvi (i) ,du-delà deTornéo, les
voyageurs y laissèrent ces quatre
vers gravés sur un morceau de bois,
sous la date du 1 8 août 1681 :
GaHirt nos genuli : vidit nns Africa : Gangem
Hfiusimus , Eurppnmqne ocitîis liisirav'nuis omnem :
Casibiis et vnrii- acli lerrâr/iie marir/iie ,
Hic tandem stetimus nobis ubi defuit orbis.
Ils continuèrent leur route, s'embar-
quèrent sur le Torneotra'sk (lac de
Tornéo), et s'avancèrent de sept ou
huit lieues près d'une montagne
qui surpassait toutes les autres en
hauteur. Après l'avoirgravie, disent-
ils, pendant quatre heures, ils se
trouvèrent au sommet d'où ils aper-
çurent toute l'étendue de la Laponie,
et la mer Septentrionale. Ils y biis-
sèrent gravés sur une pierre leurs
quatre vers latins, avec la date du -il
août. En voici la Traduction par
Laharpe :
(1) RrgD^rd a écrit Chuscades.
REG 237
Nés Français, éprouvés par cent périJs divers.
Le Gacgenous a vus inooter jusqu'à ses sources;
L'Afrique affronter ses diserts,
L Europe parcourir ses climats et ses mers :
Voici le terme de nos courses,
Et nous nous anètuus où finit l'univers.
La montagne où Regnard et ses ca-
marades s'arrêtèrent, n'est |iourtant
que sous le 68*=. degré 3o minutes
de latitude nord, d'oîi ils n'ont pu
même voir le cap Nord qui est par
le 71'=. degré 10 minutes. Regnard a
donc |)arlé en poète , et non en géo-
graphe, quand il dit être allé jus-
qu'aux extrémités du monde. De re-
tour à Stockholm , le 27 septembre,
les voyageurs en partirent le 3 octob.
i68r (2), se rendirent à Dantzig , et
quittèrent cette ville le 2 ), pour vi-
siter la Pologne. Ils étaient dans ce
pays, le 25 novembre (jour de la
Sainte-Catherine); et lorsqu'ils furent
rendrisà Vieime, l'empereurét.iità la
diète d'Oedeubourg pour les affaires
de Hongrie (/^.Tekeli). Regnard dit
qu'il entra dans la capitile de l'Au-
triche , le vin^t septembre. L'empe-
reur arriva deux jours après à Vien-
ne; « et, ajoiite-t-il, nous revînmes
» avec lui de Hongrie. » Le voyage
de Hongrie avait été 'le courte durée.
Il paraît que Regnard ne séjournait
pas long-temps dans ses voyages. II
ne dit pas en quelle année il revint
en France. Si , comme nous le pré-
(•>) Toutes les éilitlons de Regnird , p liliées jiis-
(pi'à ce jour portent it)S3 jionr d.^le de >otï depî.rt
de Stockholm; mais ce ne peut être qu' mie faute t
car, 1". Regnard ne dcnicura pas di ux ans :'i Stoc-
kholm ; ti^- une ou deux pages plus loin , il dit (|u'il
V eut tiois ans le 'e-idemain qu'il avait été pris jïar
les corsaii'es . ce qui, si l'on adopta t \G^'i , pour -lé-
part de Sui'de ,p nierait sa ciptnre à 1(180. Mais si
sa captivile avait commencé en octo'.n-e i(iSo .com-
ment aurait-il pu, aprisles aventures qui lui arrivi?-
rent, repartir le 9.6 avril itiSi , date qu'il a mise au
commcDCi nient de son grand voyage. 11 n'y aurait
pas sejit mois d'ime époque .': l'autre. Tous les bio-
graphes mettent sa capture à ifj-8; et cette dite
coïncide avec le dépai t deStocklioIra , en idfii, S*'-
Si d'ailleurs il était parti de SiocMfcolm , le 3 octo-
bre i683 , ce ne .-.erait que pins lard encore qu'il
aurait paru à Vienne; et, par le texte même de soa
vovage, noua prouvons qu'il y passa avant juillet
it)83.
:i38
REG
sumons, au lieu du 7>ingt septembre,
il faut lire znji^t décembre ( 1681 ) ,
pour la date de son anivc'e \ Vienne,
on peut croire qu'il était de retour
au commencement de 1682. Dans
le cas où la date du vingt septembre
serait exacte , elle ne pourrait se re-
porter au-delà de iGBi.Dans ce qu'il
,dit de Vienne , il ne parle que du
sié;;e de tS'îq; et l'on sait qu'en
juillet i683 . cette ville soutint, de
îa part des Turcs, un second siège ,
que Rfgnard ne mentionne pas , par
la raison qu'il est postérieur à son
vovage. Dans le premier cas , l'ab-
sence de Regnard aura dure huit ou
neuf mois ; dans le second , dix-huit
ou dix-neuf; et non pas,/'Z«5 de trois
années , comme le disent Niceron ,
le More'ri de 1739, etc., induits en
erreur par la fausse date du départ
de Stockholm, L'auteur lui-même ,
àsiXis \a Provençale , où les choses
stmt dénaturées ou exagere'cs , dit
que son voyage avait duré deux ans.
Fixé à Paris , Regnard y acheta une
charge de tre'jorier de France , au
bureau des finances de Paris. Sa mai-
son , située au bout de la rue de Ri-
chelieu, devint le rendez -vous des
amateurs de labonne chèrectdes plai-
sirs. Les princes dcGondéetdeConti
fui'ent plusieurs fois au nombre de
SCS convives. Dès l'âge de douze ans,
il avait fait des vers : on a de lui
qi.elques |)oésics imprimées sans da-
te, à la réserve de deux ou trois, et
qui sont les moins importantes. Son
Epitre à M. le marquis de. . . . est
le même sujet que la satire iv de
Boileau, qui avait été publiée en iG6/j,
lorsque Ucguard n'avait que neuf ans.
INon conleiilde refaire Boilcau , il l'a
quchpiefois copié ; el c'est peiitttrc
a cela qu'est duc l'inimitié qui ré-
gna entre ces deux auteurs. Boi-
leau ayant publié sa satire con-
REG
tre les femmes ( 1694), Regnard
composa la Satire contre les maris ;
et, quelque temps a\)r'es,\e Tombeau
de M. Boileau Despréaux, autre sa-
tire. Les deux poètes se racommodè-
rentpourtanl bicnlôt; et ce fut à Boi-
leau que Regnard dédia ses Ménecli-
mes. Si ces poésies formaient tout
le bagage littéraire de l'auteur, il
serait oublié depuis loJig- temps;
mais Regnard a travaillé pour le
Théàtre-Itaiicn , de 1688 jusqu'à
1696, et pour le Théâtre-Français,
de 1694 à 1708 : à ce dernier tliéà-
tre, il a pris la première place après
Molière. Boileau qui, dans son Epî-
tre X, en 1693 , avait accolé Regnard
à Sanlecque et Bellocq , retrancha
ces trois noms en 1698, depuis leur
réconciliation , et il disait que Re-
gnard n'était pas médiocrement plai-
sant. Voltaire pensait que cehd qui
ne se plaît point aux ccm.édies de
Regnard, n'est pas digne d'admirer
Molière. Ces deux grands suffrages
assurent la gloire de cet auteur. <v Ce i
» n'est , dit Laharpe , ni la raisoa j
» supérieure , ni l'excellente mo- i
» raie , ni l'esprit d'observation , ;
» ni l'éloquence de style , qu'on ad-
» mire dans le Misantrope , dans le
» Tartufje , dans les Femmes sa-
» vantes : ses situations sont moins
» fortes ; mais elles sont comiques ;
» et ce qui le caractérise surtout ,
» c'est une gaîlé soutenue, qui lui est
» parliculièie , un fonds inéj)uisa])!c
» de saillies , de Irails plaisants : \\
» ne fait pas souvent penser, mais
» il fait toujours lire, w Outre sa
maison de Paris, Regnard possédait
la terre de Grillon près de Dourdan:
il y passait la belle saison, avec
d'autant plus d'agrément, qu'ama-
teur de la chasse , il avait acquis les
charges de lieutenant dos oaux-et-
forêts , et des chasses de la forêt de
REG
Doiirdaiî: il se fit même recevoir
bailli au siège royal de Doiirdan. Il
avait beaucoup embelli sa terre ; et
dans les séjours qu'il y (aisait , il écri-
vit la relation de ses voyages et la
plupart de ses comédies. Ce fut aussi
là qu'il mourut : Voltaire prétend que
ce fut de chagrin ; et l'on a cru pou-
voir le repéter après lui. Il paraît
que ce fut tout simplement d'une
indigestion , à la suite de laquelle il
eut l'imprudence de prendre une
médecine trop forte , ou d'aller à
la chasse le jour mêaie qu'il l'a-
vait prise. Son extrait mortuai-
re , transcrit par M. Belfara , dans
sa Lettre à M. Crapelet , porte
qu'il a été inhumé le 5 septeudjre
1 709 , au milieu de la chapelle de ia
Vierge de la paroisse de Saint-Ger-
main à Dourdan. Voici la liste de ses
ou.vrages: I. Au Théâtre-Italien , le
Divorce , comédie en trois actes et
en prose , 1688 ( /^q/. GhÉrardi,
Avii , 277 , 278 ) ; — la Descente
de Mezzetin aux enfers , comédie
en trois actes et en prose , avec des
scènes italiennes , 1689; — \ Hom-
me à bonnes fortunes , comédie en
trois actes et en prose, avec des scè-
nes italiennes , 1690; — la Critique
de V Homme à bonnes fortunes , en
un acte , i (390 ; — les Filles erran-
tes, ou les Intrigues des Hôtelleries,
en trois actes et en prose, 1G90; —
la Coquette, ou V Académie des da-
mes,enliols actes et en prose, 1691;
— (avec Dufresny ) les Chinois, en
quatre actes et un prologue, 1G92 ;
— (avec le même) la Baguette de
Fulcain, en un acte, dont le com-
mencement est en prose et la fin en
vers, 1G93; — (avec le même) V Aug-
mentation de la Baguette de Ful-
cain, en un acte, dont le commen-
cement est eu prose et la Un en vers,
1G93; — la Naissance d'Amadis,
REG 239
en un acte, 1694 ; — (avec Dufres-
ny) la Foire Saint- Germain , eu
trois actes , contenant une Parodie
d'Acis et Galathée , et Lucrèce, tra-
gédie burlesque, 1695 : le succès fut
tel, que Dancourt composa , sous le
même titre, pour le Théâtre- Fran-
çais, une pièce, qui tomba 5 — la Sui.
te de la Foire Saint- Germain, ou
les illomies d'Egypte, en un acte ,
TG9G. II. Au Théâtre- Français, la
Sérénade, comédie en un acte et en
prose, représentée le 3 juillet 1694;
— Attendez -moi sous Vorme , co-
médie en un acte et en prose : on n'est
pas d'accord sur la date de cette co-
médie; quelques personnes la croient
de Dufresny: il est probable qu'elle
est des deux auteurs , alors amis; —
le Bal, ou !e Bourgeois de Falaise^
comédie en un acte et en vers, jouée
le i4 juin 1696; — ]e Joueur, co-
médie en cinq actes et en vers , re-
présentée le 19 décembre 1G96; sans
contredit le chef-d'œuvre de Regnard,
qui avait été joueur. On a prétendu
qu'il avait volé cette pièce à Dufres-
ny ; il existe une Épigramme de
Gacon, qui prononce que
Regnard al'HTaotage
D'avoir été le bon larron.
Gacon prétendait même avoir tra-
vaillé à la pièce, pendant un voyage
à Grillon , où Regnard , dit-il, l'en-
fermait jusqu'à ce qu'il eût rais en
vers la prose dont on lui donnait le
canevas ( Voy. les Récréations lit-
téraires de Cizeron Rival, p. 192 ).
Ainsi c'est pour s'en f.iire honneur ,
que Gacon conteste à Regnard jus-
qu'à sa versification. Malheureuse-
ment pour cette prétention, on re-
connaît, dans cette pièce, le style
des autres comédies de Regnard;
et, quant à l'accusation d'avoir dé-
robé le sujet à Dufresny ( Foj. ce
nom, XII, 157): « Il faut, dit Vol-
Î240
REG
« taire , se connaître peu au génie
» des auteurs pour penser que Re-
» <^nard ait dérobé cette pièce à Du-
» l'resny ; » — le Distrait, comédie
en cinqacles et en vers, jouée le 2
décembre 1697 5 — Démocrite amou-
reux , comédie en cinq actes et C'U
vers, jouée le 12 janvier 1700 ;- — ■
le Retour imprévu , comédie en un
acte et en prose , jouée le 1 1 février
j ,- ou ; — les Folies amoureuses, co-
médie en trois actes et eu vers, pré-
céilée d'un prologue en vers libres, et
suivie d'un divertissement intitulé ,
Mariage de la Folie ; le tout joué le
i5 janvier 1 704 ; — les Ménechmes,
ou les Jumeaux, comédie en cinq
actes et en vers , jouée le 4 décem-
bre 1705 , pièce que l'auteur a imi-
tée de Plaute, mais en maître ; —
le Légataire universel, comédie eu
cinq actes et en vers, jouée le 9 jan-
vier 1708. Quoiqce les détails suient
pleins de gaîié, d'un comique, il est
vrai, qucl(iiicfois burlesque, l'inven-
tion du sujet n'apiiarlicnt point à R -
gnard , mais aux Jésuites ( Voy. une
note à la suite des Jammahos de Fal-
baire, reproduite, depuis long-temps,
eu tète du Légataire); — la Critique
du Légataire , comédie en un acte
et en prose, jouée le 19 février 1708.
III. Quatre autres Pièces : les Sou-
haits, comédie en un acte et en vers
libres, non représentée; —les Ven-
danges, ou le Bailli d'Anières, co-
médie en un acte et en vers , repré-
sentée , pour la première fois , cent
quatorze ans après la mort de 1 au-
teur , sur le théâtre de la Poite Sairil-
IVIartin , le i5 mars i8'i3 : elle
ji'a pas eu de succès; — ^S«;)or, tra-
gédie en cinq actes, non représentée,
et dont la lecture est insoutenable;
— le Carnaval de Venise, en trois
actes , joué à l'Opéra , au mois de
mai 1G99. IV. Quelques Poésies : la
REG
versification en est négligée, prosaï-
que , incorrecte ; réserve y est mis
pour rimer à grève, et énormes à
cornes : mais il y a des traits heu-
reux , des morceaux agréables et fa-
ciles. V. Vojage en Flandre, Hol-
lande, Danemark, Suède , L^aponie,
Pologne , Allemagne , imprimé ,
pour la première fois, en 1731 , sur
un manuscrit défectueux, ou plutôt
sur des notes informes , sans aucun
soin de la part des éditeurs. La plu-
part des noms-propres sont estro-
piés ; quelrjues-uns sont en blan:^
les dates fautives ou non indiquées,
les répétitions fatigantes : ce qui con-
cerne la Laponie , quoique présentant
les mêmes imperfections , a encore
de l'intérêt ; mais c'est le seul mor-
ceau qui en ait. L'auteur raconte
qu'en Danemark les nobles pouvaient
tuer un bourgeois ou un paysan, en
mettant un écu sur le corps du dé-
funt, et que Frédéric III, ne voulant
pas leur ôter ce privilège , ordonna
que quand un bourgeois on un paysan
tuerait un noble , il serait tenu de
mettre deux écus sur son cadavre.
VI. La Provençale ,\ii?,\.onene , pu-
bliée aussi en 1731 : c'est une partie
des aventures de Regnard en Italie,
et jusqu'à son retour d'esclavage ;
mais comme il a tû quelipies faits , et
embelli les autres , cet Opuscule doit
être rangé au nombre des contes ou
romans; et c'est trop légèrement, ce
nous semble, que beaucoup de bio-
graphes ont vu, dans le récit des
Aventures f!-' Zebnis , le récit des
Aventures de Regnard , et ont rap-
porté comme des circonstances de sa
vie , ce qui n'est qu'un jeu de son
imagination. VIL V or âge en Nor-
mandie , en prose et en vers , bien
inférieur au Voyage trop vanté de
Chapelle et Rachaumont. Les qua-
torze coupleîs qui coupent la prose
REG
lie Rcgiiard , sont tous de Ja même
mesure; et rimiforuiitc est le moin-
dre de leurs défauts. Vlli. Fojage
de Chaumojit , en quarante couplets.
Tous CCS ouvrages de Rcj^nard sont
imprimes , mais non dans toutes les
e'dilious de ses OEuvrcs. Ainsi que
cela se pratiquait alors, les premières
éditions des OEuvres de Hegnard
étaient lout simplement la reunion
des pièces impriuiees isolement, et
chacune avec sa date : on taisait seu-
lement les frais des frontispices pour
Jes volumes. Les cdilions de 1708,
1714, et 1729, chacune en deux
tora. in-i'2 , ne comprenaient encore
que les pièces jouées au Théâtre-
Français, quoique celles que Rcgnard
avait donnéesauTliéàtrc-Italien, fus-
sent, depuis 1700, imprimées dans
la collection de Gilérardi. Ces pièces
ne se trouvent même pas dans l'édi-
tion de 1731, cinq vol. in-[2, où
l'on imprima, pour la première fois,
les Fojages et la Provençale. Il
existe une conî refaçon de ces cinq
volumes , dans laquelle le texte, déjà
très-mauvais , des Voyages , est en-
core étrangement défiguré : Tédilion
de 1786, S vui. in-i'2 5 ne cojitient
rien de plus. Celle de 1750, 4 vol.
petit in - 15 , est la première qui
contienne le Carnaval de Fenise
opéra imprimé isolément dès 1699 ,
in-4"- , et dans le Recueil général
des Opéras, 17 vol. in- 12. C'est
l'abbé de la Porte (jui a dirigé l'édi-
tion de 1770, 4 vol. in-r2. Ch.
G. Th. Garnier ( F. ce nom , X Vï ,
488 ) donna les éditions , avec des
rcmanpies , de i 789-90 , et de 1 790,
(i vol. in-8"., dont les deux denuers
conliemjcnt les j)ièces du Théàtrc-
Italicn ; le travail de Garnier laisse
beaucoup , pour ne pas dire tout , à
desir(!r. C'est la contrefaçon de 178 1,
qucGarnicra prise pourcopie; et on
XXXVH.
REG 24 1
lui doit rendre la justice qu'il a fidè-
lement reproduit toutes ses incor-
rections , qu'il n'avait sans doute
pas aperçues ; car il n'en a cor-
rigé , ni même signalé aucune. Les
éditions de 1810,6 vol. in-S". , P.
Didot aîné, 1820, 4 vol. in 8<>.
(sans le Théâtre-Italien), et Haut-
cœur , 1820 , 6 vol. in-8°. , sont do
simples réimpressions de l'édition de
Garnier. Celte même année, 1820
vit paraître l'édition en G vol. in-80.
publiée par M. Lcquien, qui, tout eu
prenant l'édition de Garnier pour
base de son travail , a collationné
le texte des comédies sur les édi-
tions originales , et a fait des cor-
reclions importantes. M. Crapelet,
qui a donné, en 1822 , une édition
de Destouches et de Regnard , tirée
à cent exemplaires , a fait , sur les
mêmes foi'ines , une édition du Re-
gnard , en 6 vol. in-8\ , sous le mil-
lésime de 1823. C'est peut-être la
première fois que l'on a eu recours à
l'édition origiiiale de 1781. Maison
n'a j)as rempli les blancs , ni rectifié
les noms. Ce qui manque encore à
une édition de Regnard , c'est un
commentaire sinon critique et gram-
matical, du moins historique. Mais
nous sommes déjà si éloignés des
temps de l'auteur qu'il sera impos-
sible de remplir tous les noms laissés
en blanc , et d'obtenir tous les ren-
seignements qui rendent parfaits les
travaux de ce genre. Aux exemplai-
res de 1 823, des éditions de Regnard,
est jointe une Lettre de M. Bc/fara,
contenant des Recherches sur les
époq'ies de la naissance et de la
mort de T. F. Regnard , qui pa-
raissent enfin bien établies. Regnard,
a eu , comme nos meilleurs auteurs
comiques , le privilège de ne pas être
de l'académie française. On serait
tculé de croire qu'ils étaient aussi
16
■2.\x REG
frajipes par le préjuge de la socic'te
contre les comédiens. T/Institut a éle
moins rigoureux queracade'mie. Mo-
lièic fut loue dans l'académie , cent
ans après sa mort. Il y a plus \iMV^-
temps que Regnard est mort ; et sou
Éloge n'a encore ëtc propose par au-
cune société savante. Cet auteur a
place dans les Mémoires de Niceroii,
tome XXI. IM. Picard lui a consacré
im très bon morceau littéraire dans
la Galerie française , tome m, li-
A'raison première. Le lo floréal an
8 ( 3o avril 1800 ) , on représenta,
sur le théâtre des Troubadours , Re-
ffiard à Jla,er ^ vaudeville en deux
actes, par MM. G. Duval , Armand
Gouffé , Cliazet , Dupaty , Cadel-
Gassicourt , Creuzé , etc. , non im-
primé. iVl. Febvé a fait jouer sur le
théâtre du Vaudeville, le 1 3 février
1808 , et imprimer la même année ,
Res^nard et Duj'resnj à Grillon , ou
la Satire contre les maris, vaude-
ville en un acte , qualifié Fait histo-
rique , quoique les anachronismes
n'y soient pas épargnés. Enfin , le 7
août i8i5 , on a joué, sur le niême
théâtre, une comédie- vaudeville de
MM. George Duval et Roehefort,
intitulée : Regnard esclai>e à Alger,
non imprimée. A. B — t.
REGN AULT ( 1 ) ( Gilbert ) , sei-
gneur de Vaux , était né vers le com-
mencement du seizième siècle, dans
le Challonais , d'une famille noble ,
ou du moins à qui la fortune donnait
le rang de la noblesse. Après avoir
achevé ses études à Paris , il se fit
recevoir avocat , <t obtint la charj:;e
de juge-mage de l'abl^aye de (auni.
Quoique 7,élé protestant , il justifia
la confiance dont l'honorait le car-
dinal de FiOrraine, et lui fut fort
(i) Oiitrouve aussi te uom tcrit fle;;HniiW et /fc-
REG
utile. Cependant le cardinal , sonp- I
çonnant Regnault d'avoir livré aux ■
protestants les reliques de son ab-
baye , le fit arrêter et conduire dans
les prisons de Mâcon , où il res-
ta onze mois. L'amnistie qui sui-
vit ia paix de i5G3, lui rendit la
liberté ; mais, pendant sa détention,
sa maison avait été pillée, et le car-
dinal avait disposé de la charge
que Regnault remplissait depuis plus
de trente ans d'une manière irré-
prochable. Celui - ci soutint qu'on
n'avait pas ledroit de l'en dépouiller ,
et osa demander justice au parle-
ment de Paris.. Les troubles de 1 5G7
arrêtèrent l'instruction du procès j
et Regnault , forcé de s'expatrier ,
trouva, dans les terres du duc de Sa-
voie , un asile où il se flattait d'être
à l'abri des vengeances qui signalè-
rent cette déplorable époque. Les
gens du cardinal de Lorraine par-
vinrent cependant à se saisir de Re-
gnault , qui fut amené prisonnier à
Saint-Clément près de Mâcon; mais
ses amis réussirent à le tirer des
mains de Trémont , gouverneur du
Mâconais , en payant une somme
de mille écus. Le malheureux Re-
gnault se tint long-temps caché, tan-
tôt à Paris, et tantôt dans la Bour-
gogne : à l'en croire, il n'échappa
que par une espèce de miracle au
massacre de la Saint-lîarthélemi, et
aux assassins que le nouvel abbé de
Cluni ( Claude de Guise ) avait
chargés de le tuer. Après la paix de
1576 , il s'établit a Mâcon : (|uoi-
(lu'alfaibli par Tâge et les chagrins,
il reprit sa ])rofessiou d'avocat,
et se fit le défenseur des sujets de
C;luni , que tourmentaient sans cesse
l'abbé et ses oflicicrs. Papillon attri-
bue à Regnault la Satire intitulée: Z<?-
sende de D. Claude de Guise, con-
tenant ses j ails et gestes depuis sa
REG
nalwilé. ( ^. Guise, XIX, aoi).
Cette satire, selon de Thon et d'Au-
bigne , avait pini dès 1074; ^t ces
deux historiens en font auteur Da-
goneau , mort en 1 58o ( Voj. Dago-
NEAu, X, 43o ). En supposant l'exis-
tence de l'édition de 1074, fp^'i sem-
ble douteuse, maigre les autorités
imposantes qu'on A'ient de citer, il
paraît certain que l'on doit à Re-
gnault celle de i58i , à laquelle il
dut faire des additions considéra-
bles , et dont il composa la Dédi-
cace , où il annonce une suite , qui
n'a point vu le jour. Rcguault était
alors d'un âge très avancé; et on peut
conjecturer qu'il survécut peu de
temps à la publication de cet ou-
vrage (2). W — s.
REGNAULT (Noël), jésuite,
était d'Arras, où il naquit, en i683.
Eu terminant ses cours, il embrassa
la règle de saint Ignace, et suivit la
carrière de l'enseignement. Il s'ap-
pliqua surtout à l'étude des sciences
exactes, et remplit long-temps, avec
distinction , la cliaire de rautliéma-
tiques au collège de Louis-le-Grand.
C'était un zélé partisan de la métho-
de de Descartes; et il a contribué,
par ses ouvrages, à répandre en Fran-
ce le goût de la physique. Le P. Re-
gnault mourut à Paris, le i4 mai
(ol) L'abbe Pa,iillou dit, dans sa.Bihl.de Bourgi—
gne ,que « D. Claude apprenantqoe la Légenile ciait
Mlle Regnault, voulut le déposer de la j'idicature
« de Cluui : tuais , u'iouti-t-il , iiognaultfut maintenu
>i]ïararrèl;; et le leudeiunîn , il tint une audience ,
» après laquelle il jeta les provisions de sou emploi
» au milieu du parquet, etc. « Tout ce ricit n'est
qu'uu tissu d'erreurs. Ke^nault, comme un l'a vu ,
lut privé de son emploi, en lâU», par le carJin;J
de Lorraine , abbe de lllimi. La Ui^cuUil ■ D. Clau-
de (le Oitiae , canse de la disgrâce de Regnault , sui-
vant l'apilloD , qui nie ( pente tre .ivec rsrisou ) l'édi-
tion de 1374 , '"-■ parut en eli'et qu'eu i58i ; et cetle
légende, t.uvrage de Keguault , nous apprend qu'il
remplissait, depuis plusieurs années, let fonctions
d'avocat à Màc:uu ; juais ou n'y voit ui le maintien
de Regnault dans sou emp.loi, ni l'abandon volon-
taire qu'il eu l'ait le lendemain, tontes eireonstanees
importantes, qu'il n'aurait point omises dans un li-
vre <pi'il destinait autant à se justjUcr qu'à rendre
odieux l'abbé de Cluui.
REG
243
1 762. On a de lui: I. Entretiens phj-
siques d'Ariste et d'Eudoxe , ou
Physique nouvelle en dialogues ,
Paris , 1755,5 vol. in- 1 2. C'est la
meilleure édition de cet ouvrage, qui
eut un très-grand succès , mais qu'où
ne lit plus depuis long - temps. 11 a
été traduit en angLis , par Tho-
mas Dale, médecin, et en italien.
II. Orii^ine ancienne de la phj-
iique nouvelle , ibid. , 1734 , 3 vol.
in-i'2. L'auteur y réclame, en fa-
veur de l'antiquité , ia gloire d'im
grand nombre de découvertes impor-
tantes. Avant lui, Pasrhi'is , dans
son Traité De novis inventis ( Foj'.
Paschius ), et, depuis Rfgn-iulî, Du-
tens , dans ses Becherches sur l'ori-
gine des découvertes ( f^. Dltens),
ont essayé de dépouiller les physi-
ciens modernes de quelques-uns de
leurs titres les plus brillants à l'esti-
me de la postérité. Ce dernier, dans
sa préface, a , suivant l'usage , taxé
son prédécesseur de manquer sou-
vent de critique et d'exactitude. III.
Lettre d'un physicien sur la Philo-
sophie de Newton mise à la portée
de tout le inonde par 31. de f^ol-
taire, ih\(\., i 738, in- 13 de 4O pag. ;
c'est une critique. ( F. la Lettre de
Voltaire à Thiriot , du 2 auguste
1 738. ) IV. Logique en forme d'en-
tretiens , ou ['Art de trouver la vé-
rité, ibid. , 1 74^ , in- 12. V. Entre-
tiens mathématiques , ibid., 1744?
3 vol, in- 12, Ce sont des éléments de
géométrie et d'algèbre. W — s.
REGNAULT ( Michel -Louis-
Etienne ) , ne à Saint-.Iean d'Auge'-
li , embrassa la profession d'avocat,
et devint lieutenant de la prévôté
de la marine à Rochefort. De pre-
miers succès au barreau l'ayant fait
remarquer, il fut, quoique fort jeu-
ne, député aux états-généraux par
le tiers -état du pays d'Aunis. Rc-
iQ..
^44
REG
gnault avait ce qu'il fallait poiir
réussir dans la vaste carrière qui
allait s'oiiviir devant lui : un exte'-
rieur avantap;enx. , uiieélocutiou fa-
cile, un son de voix net, sonore , et
des /alents assez distiiip,i!es. Il se pré-
senta d'abord avec circonspection
dans cette assemb'ee, où il ne fut guè-
re question de lui avant le 17 juin
^nSQ, époque de la dissolution des
ctats -généraux. Tl chercha d'abord
à se faire connaître par la publica-
tion d'une feuille quotidienne intitu-
le'e : Journal de Versailles , dont on
le savait l'auteur, quoique cette feuille
ne portât pas son nom (i). C'est un
tableau fidèle des opérations de l'as-
semblée.On y aporçoitsans doute une
tendance prononcée pour le système
qui s'établissait; mais on n'y trouve
point les violences démagogiques qui
déshonoraient déjà la liberté de la
presse, à peine sortie de son ber-
ceau. Le Journal de Versailles cessa
de paraître, lorsque l'assembléccons-
tituante vint tenir ses séances à Pa-
ris , où Regnault donna des notes
pour une petite feuille intitulée : le
Poslillon par Calais , résumé extrê-
mement succinct des délibérations
de chaque séance. Ce journal , qui
paraissait le soir, ne se fit guère re-
marquer que par les cris des colpor-
teurs , qui le proclamaient dans les
rues avec beaucoup de fracas. A près
le 17 juin , Rcgnault sortit de sa ré-
serve , ctpritsouvcul la parole, mais
ne prononça pas de discouis éten-
dus. Bien que conformes à l'esprit du
(1) r)uelc|iii'5 l)ioïi;ipliesqnl ont. iIoiidp d<■^ iinti-
ces inexact):» .sur lti');)idiilt, oui confondu le JniiinaL
di: ycnnillcs ;ivec le Couiiirr de Versnilles : il
n'y eut de commun entre ces deux joiirnauï que W -
poqne de leur publication ; les principes n'étaient
point les nièine:! : le Journal de Versailles était re-
ftimialeur; et le Courrier, révolutionnaire très-vio-
lent : celui-ci était rédiçé par Corsas ( y. ce noiu ) ;
ce fut relie feuille qui dénonça le fameux repns des
nardes-du-corii» aux révolutionnaires de Paris, et
donna le signal de rinsurrcclion des 5 cl (ioclobrc.
REG
temps , ses opinions étaient cepen-
dant modérées. La crise du 1 4 juillet
ayant chassé de leurssiéges, ou ré-
duit à une nullité complète , toutes
les anciennes autorités , les hommes
les plus fougueux se mirent à leur
place sans le consentement des pou-
voirs supérieurs , entièrement pa-
ralysés , et continuèrent le désordre,
au lieu d'y porter remède. Pour fai-
re cesser ce système d'anarchie, Re-
gnaultfut d'avis qu'avant de s'occu-
per d'une nouvelle conslilution, l'as-
semblée instituât, de concert avec le
roi , les autorités municipales et pro-
vinciales, par la raison , disait - il ,
qu'ayant reçu une forme légale , el-
les inspireraient aux peuples plus de
confiance et de respect. Mais ce n'é-
tait pas le règne de l'ordre et de la
paix qu'on desirait: on voulait ren-
verser l'édifice social de fond en
comble , pour bâtir sur un terrain
7i/VeZe et défoncé de toutes parts: au
lieu de pouvoirs légaux, on établit
des clubs, qui se mirent à l'œuvre
avec une activité que tout le monde
a connue. Plus tard, on entendit Re-
gnault dénoncer avec force les libel-
les qu'on répandait dans l'armée
pour faire révolter les soldats; mais
ces révoltes étaient aussi un des
moyens d'exécution du nouveau sys-
tème, parce qu'on savait qu'avec une
armée fidèle et disciplinée, la révo-
lution eûtété impossible. Cependant,
malgré ses protestations contre l'a-
narchie, Rcgnault soutenait le parti
qui la fomentait, et marchait sou-
vent d'accord avec lui. 11 alt.iqua,
dénonça les parlements, et demanda
que celui de Rouen fût m-indé à la
barre , pour avoir méconnu l'autori-
té du pouvoir souverain , qui , dans
son opinion , appartenait à l'assem-
blée. Il défendit de bonne-foi le sys-
tème de finances de Ncckcr , que Mi-
REG
rabeau defcutiit aussi, mais avec les
armes de la plus sanglante irouio ,
pour le iliscreditcr avant (ju'on le
mît à exe'cution. Kn 1790, Rcgnanlt
vota pour la réduction des pensions,
qui , à la vérité' , n'étaient pas toutes
très -légitimement acquises; mais il
s'intéressa pour les créanciers de l'É-
tat , et demanda que, préalablement
à Tepoque inconnue d'une liquida-
tion incertaine, on leur accordât des
à-comptes. Il fut partisan très-pro-
noncé des réformes ecclésiastiques ,
et demanda que les cvêques et les cu-
rés qui refuseraient de prêter ser-
ment à la constitution civile du cler-
gé, fussent immédiatement rempla-
cés: mais il combattit, comme trop
sévère, la motion d'un de ses collè-
gues, très-opposé, depuis, au sys-
tème de la révolution, qui insistait
pour que les religieux fussent privés
du droit de cité; opinion plus que
sévère, qui rejetait ,dans les derniè-
res classes de la populace, des hom-
mes instruits et bien élevés. Regnault
s'intéressa aussi pour les i^eligieuses,
et demanda qu'on leur accordât des
pensions qui les missent à l'abri du
besoin. Dans d'autres circonstances,
il se montra réellement républicain,
bien que sa conduite ait depuis prou-
vé que l'institution d'une républi-
que , dans un pays tel que la France,
était fort loin de sa pensée. Lors des
débats sur la question de savoir à
quel pouvoir serait attribué le droit
de faire la paix et la guerre , il adop-
ta le système dePétliionet de Barna-
vc, et soutint avec eux , que le roi ne
devaitfaireaucuneenlreprise hostile
sans le consentement de la nation, sys-
tème qui l'aurait mise à la merci de
l'étranger, ou à la disposition de quel-
ques factieux île l'assendjléo , com-
me on l'a vu en 179"».. Le 4 septem-
bre, lors de la retraite du ministre
REG 245
Necker, il combattit, quoiqu'indi-
rectement , le système des assignats,
qui devait être le principal levier
de la révolution. Il voulait que cette
funeste opération fût ajournée. Le 7
mai de l'année 1791, il se rangea
dans le parti de ceux qui deman-
daient que le di'oit de cité dans les
colonies a|)partînt immédiatement
aux affranchis, quelle que fût leur
couleur , noire ou sang mêlé. Sou
collègue Barnave , beaucoup plus ré-
volutionnaire que lui dans toutes
les autres questions politiques, avait
repoussé cette concession de toutes
ses forces , en soutenant que si elle
devait être faite , il ne convenait pas
que ce fût par la métropole, mais par
les assemblées coloniales, auxquelles
dans sou système, il fallait conser-
ver une entière initiative dans une
question aussi délicate. Cette opinion
de Barnave est une de celles où ce
jeune homme développa le plus de
talent et d'idées saines. Le 17 juil-
let 1791 ,lors du malheureux voya-
ge de Louis XVI pour Montmédi,
itegnault fit décréter que les auto-
rités du royaume et les gardes na-
tionales arrêteraient toutes les per-
sonnes qui sortiraient de France ;
qu'on s'emparerait des convois d'ar-
mes et d'argent , des chevaux et
des voitures; enfin (ju'on prendrait
toutes les mesures pour empêcher
la famille royale de poursuivre sa
route. Après le retour du roi , Re
gnanlt se jeta dans le parti feuillant,
qui paraissait vouloir maintenir la
constitution et sauver ce qui restait
de la royauté. 11 ne quitta poinî la
capitale, et devint capitaine de gre-
nadiers nationaux. Pendant la ses-
sion de rassemblée législative , il
fournit divers articles au Journal de
Paris , dont André Chénier était un
des principaux coopéralcurs; mais il
246
REG
travailla plTis particulièrement aune
feuille hebdomadaire, intitulée: 1'^-
mi (les patriotes , dont la liste civile
faisait les frai?. Échappe à la pros-
cription du io août 1792 , il se tint
prudemment à l'écart; mais, après le
3i mai 1793, il fut découvert, et mis
.sous la surveillance d'un gendarme
qui le suivait partout. Il lui échap-
pa , et s'enfuit ; mais , reconnu à
Douai , et jeté' dans les |-iisoiJS de
cette ville , il n'en sortit qu'apri^s
la révolution du 9 thermidor. Pou
de temps après, il fut nomme ad-
ministrateur des hôpitaux de l'ar-
mée d'Italie, oîi il eut de premiers
rapports avec le ge'ne'ral en chet'Buo-
naparte. En 1796, il s'attacha en-
tièrement à la fortune de cet homme
extraordinaire , qui , lui-même , lui
reconnaissant des talents et une gran-
de aptitude pour le travail, n'oublia
pas , depuis , de l'employei- dans
les circonstances les plus difficiles,
Regnault fit imprimer à Milan, et
particulièrement dans les intérêts de
Buonaparte , un Journal qui fut trc.s-
le'pandu dans l'armée. Il suivit le
gênerai à Malte, et ne l'accompagna
pas en Egypte ; mais il fut pourvu,
à Malte, d'un emploi de commis-
.saire directorial : si l'on en croit
Mallet-Dupan , il y régissait l'admi-
nistration du pillage, et composait
line Gazette rcvolutionnaiie pour l'î-
le et l'archi}iel. Revenu à Paiis, Re-
gnault continua de servir Buonapar-
te avec un très- grand y.clc , et fut un
des heureux conspirateurs qui pré-
parèrent la révolution du 18 bru-
maire , et contribuèienl le plus à
la faire réussir. On sait que cette
iournée fut la dernière de la rc'pu-
l)liquc. I.cs fondements de la monar-
chie la plus absolue commencèrent à
être posés j ri Regnault, qui avait jus-
qu'alors professé des princij^cs oppo.
REG
ses, devint un de ses agents les plus
utiles et les plus actifs. Buonaparte
le nomma ])résident de la section de
l'inférieur de son conseil - d'état , et
porta les honoraires de c tte place à
trente -six mille francs. Il le prit en
outre pour auxiliaire dans les tra-
vaux de son cabinet particulier, et
le rétribua généreusement pour cette
autre occupation. Regnault eut alors
un l'iès-grand ascendant sur tout le
ministère; et il est juste de dire ici
que le nouveau souverain avait assez
bien placé sa confiance. Son protégé
avait une expérience exercée par les
grands événements qui s'étaient pas-
sés sous ses yeux; il y avait souvent
j)i is part , et savait que la science
de l'administration consiste princi-
palement dans la connaissance des
hommes. Il fallait , surlout alors ,
avoir observé ceux qui avaient joué
rai /Ole dans la révolution, parce
qu'ils étaient les plus difficiles à con-
duire. Regnault avait vu leurs ma-
nœuvres , av.iit été initié à plusieurs
de leurs combinaisons, etil était cen-
sé savoir comment on devait s'y
prendre pour tirer parti de leur ma-
chiavélisme , au profit du nouveau
gouvernement. Il avait d'ailleurs ,
comme on l'a dit, le travail extrê-
mement facile ; et c'est ce qu'il fal-
lait pour servir un homme qui ^
voulant sur - le - champ tout em-
porter de haute lutte, exigeait que
ses projets fussent exécutés aussitôt
qu'ils étaient conçus : lorsqu'au mi-
lieu de la nuit, dans les intervalles
du sommeil , il lui en venait quel-
ques-uns dans la pensée , il dépê-
chait un messager à Regnault, qui
accourait au grand galop de ses che-
vaux , écoutait, jetait par écrit ,
à ])eine éveillé, les conceptions du
miîtrcqu'il fallaitdeviner la plupart
du temps , et en essuyait les brusque-
REG
lies, qui, toutefois, étaient irès-bieii
paye'es. 1! fut comblé de bienfaits
et d'honneurs, même littéraires : en
i8o3, il fut nommé membre de l'a-
cadémie française , qu'il présida en
1804. Lors de ia création de la no-
blesse impériale , il reçut le titre de
comte, et fut nommé, au mois de
juillet i8o4 , procureur - général
près la haute -cour impériale, et
grand-ofîicicr de la légion d'hon-
neur. En 1810, Buonaparte l'atta-
cha plus parliculièremcnt à ses iîî-
térêts , en créant pour lui URe place
de secrétaire de l'état de la famille
impériale. Chargé , en cette qua-
lité , d'annoncer la dissolution du
mariage de l'ecipereur avec José-
phine Bcauharnais, et sa prochaine
union avec l'archiduchesse Marie-
Louise, it déclara , le 20 avril 18 10,
dans une séance extraordinaire du
sénat, que ce mariage, en perpé-
tuant la nouvelle dynastie , assurait
la prospérité de la France , et pré-
sageait la pais du monde. Dans tou-
tes les circonstances , et surtout dans
les plus diflicilcs , Regnault fut le dé-
fenseur obligé de tous les projets de
l'empereur; et l'on sent assez que
nous ne pouvons le suivre dans une
telle carrière :il nous suffira dédire
que son nom se rattache à toutes les
grandes époques de ce règne , unique
peut-être dans l'histoire. La créa-
tion des sénatoreries , le rétablis-
sement de la traite des noirs , la
défense de la nouvelle procédure
criminelle , les immenses levées de
soldats qui devaient asscivir l'Euro-
pe; tels furent les objets dont il eut
ordre de demander la sanction. Voi-
ci un aperçu des levées d'hommes
qu'il fil apjirouver par le sénat : le
4 septembre 1806, quatre - vingt
mille hommes sur la conscription
de 1807 • ^^ ^807, la levée d^uu
REG 247
pareil nombre de soldats , sur la
conscription de 1808; et en i8nB,
autant sur celle de 1809 : iç 8 sep-
tembre de la même année , la le-
vée de 1810 et du reste des quatre
classes précédentes , c'est-à dire, la
formation de ce'te belle et immense
armée qui devait périr dans les gla-
ces de la Pvussie ; enfin, après la ba-
taille de Leipzig, il Cl ordonner
quH trois cent mille hommes , le
reste de la jeunesse de la France,
fussent rais à la disposition du mi-
nistre de la guerre. Ce serait cepen-
dant une erreur de croire que Re-
gnault approuvât les mesures vio-
lentes que Buonaparte lui ordonnait
de justifier. Dès l'ouverture de la
campagne de Russie , il s^aperçut
que Buonaparte compromettait sa
fortune, que lors du traité de Til-
sitt il avait crue assurée : après la
bataille de Leipzig, il en désespéra.
A celte époque , des émissaires de
la maison de Bourbon cherchaient
à rallier à la cause du roi des hom-
mes qui pouvaient la servir utile-
ment ; et il paraît certain qu^'on fit des
démarches auprès de Regnault , par
l'entremise d'une Anglaise , nommée
Bishop, à laquelle il avait rendu quel-
ques services. Cettefemmeeutladan-
ge! euse ha/ diesse de lui faire quelques
ouvertures ; elle pénétra même assez
avant dans sa politique , pour voir
qu'au moins il n'était point l'ennemi
de la famille royale. Mistriss Bis-
hop reçut pour réponse de Regnault,
« que tout ce qui porte le caractère
» d'une trahison lui était odieux;
» mais que si le temps amenait la ca-
» tastrophe dont le gouvernement
» était menacé , lui Regnault , libre
» alors de tout engagement , se dé-
» vouerait aux intérêts de Louis
» XVIIÏ ,etluiolTrirail pour garant
» de sa conduite, les proscriptions
248
REG
» qu*il avait essiiyccs , et l'alIiaRcc
» qt/j' avait contractée avec une fa-
» mille cit'youëe à ce prince lui-mê-
» me (i). » hors du départ de Buo-
iiaparte , pour ];i campagne de i8i3,
il fît connaître le décret impérial
qui déclarait Marie-Lonisc régente
de l'empire, décret qui ivait pour
î)ut d'attirer l'empereur d'ÀJitriche
dans les intérêts de la France, oa, si
l'on veut , de riiomme qui en éiai;
encore le maître. Le 8 janvier 1 8 1 4,
Rcgnauit fut nommé commantlant
d'une des légions de la garde natio-
nale de Paris , et le 3o mars il sortit
hors des barrières pour combattre
les troupes alliées : :.iais il s'en sé-
para bientôt , et l'on peignit cette
retraite comme une làclieté ; mille
brocards plus oITensants les uns que
les autres tombèrent sur lui : ce-
pendant le général Dessolcs, depuis
commandant de la garde natio-
nale , rendit publique une délibéra-
tion du conseil de discipline, qui jus-
tifiait Rcgnauit de toute imputation
de làclieté , et fit entendre que d'im-
portants intérêts politiques avaient
motivé sa rentrée dans la capitale :
en effet, il était parti le 3o pour
Rlois , où, après quelques contra-
riétés, il s'élail rendu auprès de Ma-
rie-Louise ; il y était resté jusqu'au
8 avril , jour de l'arrivée du com-
te de Schouwaloff, envoyé auprès
de la princesse , en qualité de com-
missaire des puisances alliées : il
partit de là pour Clermont en Au-
vergne, avec la cocarde blanche,
et ])lâma les autorités du pays de
ne l'avoir pas encore prise. Cette
démonslraliou paraissait annoncer
la résolution de Rcgnauit, de servir
la raonarcliie des Rourbons. On rap-
I) R.KM.iiill iiviilt <y:,Mv Mil". <lo nomiciiil , flniit.
Ji' |)c !« lui iilt.-irlic , \i\T «ou Kcrvice , i Monsieur
mii<iiir(l'hui Ui>i.
REG
pela aux personnes qui avaient cher-
ché à Patlirer dans les intérêts du
Roi , la réponse qu'il avait faite aux
insinuations de Misfriss Bishop ;
mais il fut répondu nettement qu'on
n'avait pas besoin de lui : on con-
çoit dès -lors comment il rentra
dans le parti de Buonaparte , qu'il
semblait avoir abandonné. Se trou-
vant néanmoins président de l'acadé-
mie, il célébra, lorsdela réception de
JM. Cam.penon, le descendant d'Henri
IV , et félicita la France du retour
d'un riii si long-temps désiré. Ce
langage, qui s'accordait peu avec ce-
lui qu'il avait ifuu peu de temps au-
paravant, excita des murmures dang
toute la salle ; et le lendemain , les
journaux s'attachèrent à le morti-
fier à celte occasion , et n'en fi-
rent pas un royaliste pliîs zélé.
Au '10 mars i8i5 , il rentra dans
ses prérogatives , et prit part à
toutes les raesiues qui avaient pour
but d'assurer le pouvoir de Buona-
parte : il attaqua surtout avec beau-
coup de violence la déclaration du
congrès de Vienne , du i3 mars , et
soutint que les clauses du traité de
Fontainebleau n'ayant été exécutées
ni à l'égard de Buonaparte , ni à l'é-
gard de Marie - Louise , le premier
n'était point tenu de remplir les en-
gagements qu'il avait souscrits, II
vanta ensuite la modération de Buo-
naparte en l'opposant à la déclara-
tion royale qui avait mis l'ex-empe-
reur hors de la loi. 11 fut nomme,
par son département, député à la
chambre dite des représentants , et
y parla plusieurs fois, toujours dans
les intérêts de l'usuipateur , tantôt
comme député, tantôt comme minis-
tre d'étal. Après la bataille de Wa-
î(!rloo , Buonaparte ne tarda pas à
l'appeler auprès de lui ; et il paraît
queRrgnault ne chercliapoint h l'abtu
REG
scr sur la situation désespérée où il
se trouvait. Le 22 juin , il se chargea
d'annoncer à la chambre la rcsoliition
de Biionaparte d'abdiquer en faveur
de son fils. Quelques députés ayant
alors propose de déclarer le trône
vacant , Regnault s'opposa fortement
à cette motion , qui rejetait la France
dans l'anarchie de 1792 et 1798.
a Je n'ai plus ici d'intérêt personnel,
» dit-il ; je n'appartiens plus à aucun
» parti : je ne vois que la patrie et ses
» dangers ; je vois que notre premier
» besoin est de la conserver et de la
» maintenir. On vous propose de
» faire table nette , de vous livrer à
» une création entière d'éléments
» nouveaux , et de vous entourer de
» débris , pour vous occuper ensuite
» à reconstruire. N'avons - nous pas
V eu assez de peines pour établir ce
B qui existe? Recommencerons-nous
» la carrière des innovations et de
» l'inexpérience? » Il demanda en sui-
te que le bureau fût chargé d'expri-
mer à l'ex-orapereur la reconnaissan-
ce du peuple français pour le sacri-
fice qu'il faisait à son indépendance.
Cette proposition étant adoptée, il
renouvela ses efforts pour faire dé-
clarer le jeune Napoléon successeur
de son père , et demanda que l'assem-
blée décrétât l'abolition de la no-
blesse, motion ab irato , et absolu-
ment sans objet. Ce fut ainsi que
Regnault termina sa carrière po-
litique. Compris dans l'ordonnan-
ce du -24 juillet i8i5, il eut ce-
pendant, sous la police de Fouché,
la faculté de rester dans sa maison de
campagne près Pontoise : niais une
nouvelle ordonnance du 17 janvier
1816 l'obligea de sortir de France,
et il passa eu Amérique Plusieurs
voyageurs nous ont dit l'avoir ren-
contre à ÏNew-York : son imagina-
tion s'était frappée; ce qui a fait dire
REG
249
qu'il avait l'esprit aliène': c'est une
exagération. Ennuyé du séjour d'A-
mérique, il n'y demeura guère qu'une
année; il revint en Europe, en 1817:
mais il ne lui fut pas encore permis
de rentrer en France ; et il fit , pour
cela , d'inutiles réclamations. Il pa-
raît qu'il fut redevable de cette sévé-
rité à la conduite, au moins impru-
dente, de quelques-uns de ses amis
et même de ses proches, qui avaient
écrit des choses injurieuses contre
la famille royale dans une corres-
pondance qui fut saisie. Enfin , une
ordonnance ayant rappelé tous les
exilés , à l'exception des régicides ,
Regnault, quoique très-malade , se
mit sur-le-champ en route pour Pa-
ris , où il arriva le 12 mars 1819,
et mourut en rentrant chez lui ; il
n'avait pas encore soixante ans. Peu-
d'hommes , dans ces derniers temps,
ont été l'objet de plus de jngcmeuts
de toute espèce : on l'a fait passer
pour uneame vénale et corrompue,
dont on pouvaittout obtenir avec do
l'or , et son maître le lui a même
plus d'une fois reproché en face.
On ne connaît de lui aucune produc-
tion littéraire (3). Ses Discours et ses
Rapports , sous le règne de Buona-
parîe, pourraient former un gros
volume. Il sont tous bien éciits, et
annoncent un homme qui n'était pas
indigne du fauteuil académiqiie. B-u.
(3) H n'a |)asm('me prononce de discours pour sa
réception àl'lnslitut. 11 a cela de conunmi , au reste,
non-soulemeiitavco les qualre autres de ses collègues
nommés par Tarrète des cousuIsdu3 pluviôse au XI,
mais ci.cot e avec les huit personnes cniécs membres
de l'académie l'raneaise , par l'ordonnance royale au
21 mars 1816. Colbert avait été , en 1 067, reçu sans
discours de réception ; mais Colbert était ministre.
Racine, reçu eu 1673, prononça un disours, qu'il
i>e lil point imprimer. M. Maret, successeur dcSaint-
Lanibert, en i8o3 , était alors ministre, et a fait
comme Colbert. Le discours <fue n'a pas prononça
M. de CUracaubriand , a été imprimé sans le con-
Sc-nieiiieni de l'auteur. Trois autres membres actuels
de l'académie, quoiqu'élus , n'ont p.iiut prononcé
de discours. La Uepunse académique de Rc^uaiid ■"i
Bl. Caiiipenon, e«t peut être son seul morceau bt-
téraire, A. U — T.
a5o
REG
REGNIER ( Louis ) , sieur de la
Planche, l'un des plus zélés parti-
sans de la reforme au seizième siè-
cle, était petit-fils du lieutenant-ge-
ïie'ral de Poitiers, et neveu des Dutil-
Ict, dont l'un fut successivement e'vc-
({ue de Sainî-Brieuc et de IMeanx , et
l'autre remplit , avec distinction , la
charge de greflierdu parlementdePa-
ris.Réguier embrassa, dans sa jeunes-
se , les opinions de Calvin ; mais , si
l'on en croit Florimond deEasmond,
il n'était poiut de bonne foi, et la po-
litique l'occupait plusquela religion.
La Planche, dit-il, s'est fait signa-
ler comme r.n des grands négocia-
teurs du parti, et néanmoins, quant
à leur doctrine, leur ennemi, té-
moin le livre par lui composé, qu'il
appela les Consistoriaux ( V. Hist.
de rhéréiie , liv. vu , ch. xi ). On
peut conjecturer que cet ouvrage
était la critique de ce qui se passait
dans les consistoires; mais, quel-
ques recherches qu'on ait faites ,
on n'a pu se le procurer. Admis à
l'intiuiité du raaréchal de Montmo-
renci, Régnier devint son confident,
et le servit de tout son pouvoir con-
tre les Guises dont touslesbons Fran-
çais redoutaient l'ambition. C'était ,
ditMézorai , un esprit adroit et pé-
tillant, mais malin et imbu des opi-
nions de Calvin, etc. Quelque temps
après la conjuration d'Araboise ( F.
Kenaudie ) , la reine Catherine de
Wédicis , voulant effacer les soup-
çons que les Guises avaient conçus
contre elle, fît venir Régnier dans
son cabinet , où elle avait fait ca-
cher le cardinal de Lorraine , et le
pressa de lui déclarer naïvement la
cause des troubles qui venaient d'c-
claîer dans le royaume, et de lui in-
diquer les moyens de les apaiser, Rc-
gnicr, s'imaginant que Catherine,
guérie de ses préventions çtour les
REG
Guises, ne cherchait que des mo-
tifs plausibles pour les éloigner, lui
répondit que la religion n'était pas
le prétexte des révoltes , mais que
la haine des grands contre d'orgueil-
leux étrangers en était la cause , et
que la France ne jouirait d'aucune
tranquillité tant qu'ils resteraient à
la tête du gouvernement. Après quel-
ques questions insidieuses , et aux-
quelles Régnier fut embarrassé de
répondre , Catherine lui reprocha
de taire la vérité , et ajouta qu'il
avait trempé dans la dernière con-
juration , et qu'il n'obtiendrait sa
grâce qu'à la condition de livrer l'é-
cossais Stuart et ses autres compli-
ces, dont il connaissait la retraite.
Régnier lui répondit avec fermeté,
qu'il était prêt à rendre au roi tous
les services qui s'accorderaient avec
l'honneur; mais qu'il la priait -d'ê-
tre bien persuadée qu'il ne ferait ja-
mais les fonctions de prévôt de ma-
réchaussée et d'espion. Catherine, in-
terdite, donna l'ordre de mettre Ré-
gnier en prison; mais elle le fit re-
lâcher quatre jours après. L'histoire
contemporaine ne nous apprend au-
cune autre particularité sur Régnier;
mais on lui attribue les ouvrages
suivants : L Du e;rand et loyal de-
voir, fidélité et obéissance de MM.
de Paris envers le roi et couronne
de France , 1 565 , in-S'». ; le but de
l'auteur est de justifier le maréchal
de Montmorenci de s'être opposé à
l'entrée du cardinal de Lorraine à
Paris. On y trouve quelques faits cu-
rieux. L'imprimeur annonçait une
seconde partie qui devait paraître
trois jours après la première ; mais
elle n'a pas été publiée. H. Béponse
à V Epilre de Charles de Faude-
mont , cardinal de Lorraine , prin-
ce iinai^inairc des jojauines de Jé-
nisalem et de Naples^duc et comte
REG
par fantaisie d^ Anjou et de Pro-
vence , et maintenant simple gen-
tilhomme de Hainaiit , i565, in-
8°. L'éciit que réfute noUe auteur ,
était intitulé : Lettre d'un seigiieur
de Hainaut ; la re'ponse est très-
vif^oureuse, et vient, dit Bayle ,
d'une plume mieux taillée que celle
de l'apologiste du cardinal. III. La
Légende de Charles , cardinal de
Lorraine et de ses frères ( sous le
nom de François de Li^le ) , Reiras
( Genève ) 1 574 ( ou 1 576, i 5^9 ) ,
in-8°. Cette satire très- piquante a
été' réimprimée par Lenglet Dufrcs-
noy , dans le Supplément aux Mé-
moires de Condé ( V. Lenglet ).
IV. Histoire de l'état de France ,
tant de la répullique que de la reli-
gion , sous François II , 1 076 , in-
8°. Quelques personnes veulent ôter
cet ouvrage à Régnier , ])Our le don.
ner à La Planche , ministre dont
parle Bèze dans sou Histoire ecclé-
siastique , p. 743- Quoi qu'il en soit,
cette histoire , assez bien écrite ,
contient des faits singuliers et cu-
rieux sur les Guises et la reine Cathe-
rine de Médicis. W — s.
REGNIER ( Mathvrin ) , le pre-
mier satirique français qui se soit
approchédes anciens, naquit à Char-
tres , le 21 décembre i573 : il était
neveu, par sa mère, du fameux
Desportes , abbé de Tiron , qui dut
à son talent pour les vers une fortu-
ne extraordinaire pour un poète
( P^. Despcrtes ). L'exemple de son
oncle dut avoir et eut en effet une
grande influence sur Régnier. Dès
son enfance, il montra du goût pour
la poésie, et en mémo temps un pen-
chant pour la satire, que son père
ne put réprimer (i). Sans consulter
(i) Et likn que jeune enfanl mou pcrc inctiinçH,
Lt Je vefges souvent mes rliausuo.^ niciiaçùt ,
REG 25 I
sa vocation, ses parents le firent
tonsurer à onze ans, pour le mettre
en état de succéder à quelques-uns
des bénéfices de son oncle : mais
bientôt , emporté par un goût effréné
pour le plaisir, il se livra sans re-
tenue à des excès que peut excuser à
peine la licence des mœurs dans ces
temps de troubles et de désordres.
Pour échapper à la surveillance et
aux reproches de ses parents, il sui-
vit le cardinal de Joyeuse, à Rome,
en i5()3. Régnier nous ajtpreud lui-
même qu'il fut attaché pendant dix
ans à ce prélat, sans obtenir de lui
la moindre récompense (2). Quoi-
qu'd fut rebuté de l'état de courtisan,
il relourna cependant à Rome , en
1601 , avec le duc de Béthune, am-
bassadeur près du Saint-Siège; et la
protection de ce nouveau Mécène,
frère de lami de Henri IV, fut
moins stéiile pour lui que ne l'a-
vait été celle du premier. En i6o4,
il fut pourvu d'un cauonicat de la
cathédrale de Chartres ; et , deux
ans après, il obtint une pension de
deux raille livres sur l'aubaye de
Vaux de Cernai, Satisfait de sa for-
tune, recherché des grands pour ses
talents , et aimé de tous ceux qui cul-
tivaient les lettres , pour la douceur
de son caractère , Régnier aurait pu
Me disant de dépit, etboufii de colère :
Kadin , quitte Its vers, et que penses-tu faire? etc.
Salue IV.
(î) J'allai , vif de courage , et tout cbaud d'espcrance ,
Eu la cour d'un prélat , qu'avec mille dangers
J'ai suivi, courli-'an , aui pays étrangers.
J'ai chanjié mou humeur , altéré ma nature.
J'ai bu chaud, mangé froid, j'ai couche siirla dure.
Je rai , sans le quilter , à toute heure suivi.
Donnant ma liberté je me suis a^sei-vi ,
En public, à reglise , à la chambre, à Ja table;
Et pour avoir été maiuteft is agréable ,
niais instruit par le temps , à la fin j'ai connu ,
Que la fidélité n'est pas grand revenu ;
Et r|n'.'i mou temps perdu, sans nulle autre espérance
L'Iiooncur d'rtie sujet tient lieu de récompense; ,
î*i ayant ,aulrc intérêt de dix nns jà passes,
Sinon que sau9 regret je I«9 ai dépensés.
Satire 11.
i5a
REG
jouir d'un doux repos ,.8i des infir-
mités précoces , tristes suites de ses
débauches , n'eussent altère sa santé'.
La poésie seule avait le pouvoir de
calmer ou de lui faire oublier les
douleurs incurables auxquelles il
fut en proie dès l'âge de trente ans,
31 revint alors à la religion , qu'il
avait négligée , et consigna, dans
quelques pièces de vers , le repentir
tardil" de ses fautes. Dans un voyage
qu'il fit à Rouen , son mal empira ;
et il mourut dans l'hotelleriede î'ïlcu
d'Orléans, le li octobre i6«3, à
l'âge de trente-neuf ans et dix mois.
Ou plaça ses entrailles dans l'église
de Sainte-Marie de Rouen; et son
corps , enfermé dans un cercueil de
plomb, fut rapporté, comme il l'a-
vait demandé , dans l'abbaye de
Royaumont , près de Paris. Régnier ,
qui s'est représenté comme un
liomme mélancolique et pou com-
municatif (3), était au contraire fer-
tile en bons mots et en reparties vi-
ves et plaisantes , qui faisaient les dé-
lices des sociétés qu'il fréquentait.
Naturellement insouciant , il était
toujours vctu d'une manière fort né-
gligée, et souvent même mal-pro-
pre; mais il faisait oublier ce défaut
par les agréments de son esprit , et
par cette espèce de bonhomie , l'un
des plus grands charmes de Lafon-
lainc, et que les amis de Régnier lui
reprochaient avec la certitude de ne
pas l'en coriiger (/|). Une fois , He-
gnier sj fâcha contre Malherbe, qui,
.se trotivant à la table de Desportes,
dit brutalement à ce dernier , qu'il
fai ait plus de cas de son j)ot.igcqMC
( .i) Ce n'es l pas mon liumcur , jo «uis méluncoliqiie ;
J«uc eui» puiiit tiili-:mt, luu façcju fst iusli(|uc.
S.Uin- 111.
(/|) la le nnrni.iii clr /.on, i,,.' v:i t'..ii r.|)r<,r(.nT,l,
n'aiiUHilqu«-ii.n'i,i|,iii,|'cH,„ii aVlic inccliiiut.
Xiiliir III.
REG
de son Imitation des Psaumes ( F.
Malherbe, XXVI, 876 ). Il ne
voulut plus le revoir, et composa
contre lui sa neuvième satire , adres-
sée à Nicolas Rapin ( F. ce nom ) : il
aurait sans doute montré moins
d'humeur si le trait de Malherbe
l'eût affecté personnellement. Jamais
il ne répondit à ses critiques ; et il
poussait l'insouciance si loin à l'é-
gard de ses ouvrages, qu'il n'eut au-
cune part aux diverses éditions qui
s'en firent de son temps , et qu'il ne
songea même pas à corriger les fau-
tes dont elles sont tontes plus ou'
moins remplies par l'ignorance ou
l'inattention des imprimeurs (5). Les
OEuires de Régnier se composent
de seize Satires , trois Epures , cinq
Elégies , d' Odes , de Stances , d'E-
pigrammes , etc. Nourri de la lec-
ture des anciens poètes latins , il
leur a emprunté les sujets de la plu-
part de ses satires , qui contiennent
de fréquentes imitations d'Horace,
de Perse, de Juvénal, d'Ovide , de'
Martial, etc., ainsi que des poètes
italiens. Son style est à-la-fois plein
de naturel, d'enjouement et de viva-
cité. La facilité la plus heureuse
en est le véritable caractère. Il
excelle par la vérité des descrip-
tions et par la fidélité des por-
traits. Aussi , quoique ce poète ait
vieilli, il compte encore de nombreux
lecteurs ; et sans doute il en compte-
rait un plus grand nombre, s'il n'eût
])as bravé la décence, en portant
dans ses ouvrages la licence de ses
mœurs (G). Personne n'a plus loue
(.')) Tout le iiiundc comiiiit l*i'/"'"/'/'e <(»« Rc-pnicr '
s'itait CDiopo.src; i'li<' i'ii|)i)clle , par riiicuiic qu'elle
aiinonre clan.< l'auteur , celle que se lit uutio iiiiiiiita-
Iilo Laloiitaine.
(()) lli iu'eux!>i .'îc,"i discours craints du clia.sifi lecteur
Ne »!■ seiifiiieiil des lirni ejue IVe(|uenlnit l'nutcur •
]:t .si du bou liardi de .ses linu-fl <;^ui(pi( .1
II u'olurmait «ouvtutle» 01 cilles iiudique».
Arlpuilii/ue , »«. ch.
REG
Régnier que Boiloau, si dij^nc dcl'ap-
pre'cier, et qui l'a plus d'une fois
imite , mais en homme supérieur :
(i C'est , dit-il , le poète français
qui , du consentement de tout le
Jiioude, a !e mieux connu, avant
Molière , les mœurs et le ca-
ractère des hommes ( Réjlex. criti-
ques sur Longin, y^. ) » La pre-
mière édition des OEuvres de ce
poète est celle de Paris , 1608, in-
4".; elle ne contient nue dix Satires,
et le Discours en vers , au roi Hen-
ri IV; mais les suivantes sont les
seules que recherchent les curieux:
Satires et autres œuvres, Leyde,
Elzevier, 1642, in-12 ; elle est plus
rare, mais moins complète que celle
qu'ont publiée les mêmes impri-
meurs, ibid., i652, in-12, — ;- Lon-
dres, i729,in-4°., avec dos Eclair-
cissements historiques , par Bros-
sette(Foj'. ce nom ); ibid., 1733,
in-4°. , cadres rouges, et dont il a
e'te tire' des exemplaires petit in-fol. ;
rares. Ces deux éditions renfeimcnt
les poésies de Motin , Berthelot , et
autres poètes contemporains de Ré-
gnier. Ou assure que Lenglet Diifres-
coya pris sointîe l'èdilionde i733,
Londres ( Paris ) , 1 746, ou Amster-
dam (Paris ), 1700, 2 vol. in-12.
Il vient d'en paraître une nouvelle
Cvliliou avec les Commentaires, re-
vus , corrigés et augmentés, précc'-
de'e de V/Iistoire de la satire en
France, par M. Vioilet le Duc, Pa-
ris, 1822, iu-i8,et i823,in-8°.
Celle de Lequien, Paris , 1822, in-
8". , oifre le texte le plus soigné.
La Notice que Brossellc a publiée
sur Régnier, a été insérée dans le to-
me M des Mémoires de Nicerou. Son
Portraits été gravé iu-4"., parScil-
1er Schastins. W — s.
REGNIER (Jacques) , né à Beau-
ne, le 6 janvier 1 58() , eut pour père
REG 253
un avocat, qui le laissa sans fortune.
Obligé de se créer des ressources
hors d'une carrière indépendante,
il se chargea de réducation de quel-
ques jeunes gens de qualité , et se
fit ensuite correcteur d'imprimerie.
Fatigué de ce métier , qui n'avait
pas rendu sa condition meilleure ,
il f.nit par se livrer à l'étude de la
médecine, et prit le bonnet de doc-
teur à Cahors , eu 1G24. Sou pro-
]ne corps , affligé de continuelles
maladies, oftVit une amp'e matière
aux études de sou art. Ses douleurs
physiques étaient encore aggravées
par l'état de misère dont il ne put
sortir. Il y succomba le iG juin
j653. li faisait diversion à ses maux
en cultivant la poésie latine ; et il
soumettait ses essais à Charles Fe-
vret, son ami, qui pourtant n'a lais-
sé qu'une réputation de jurisconsul-
te. Les Poèmes manuscrits de Ré-
gnier, dont le plus considérable était
sur la Passion, sont perdus. Il ne
fit imprimer qu'une seule de ses pro-
ductions: Apologi Fhœdrii ,ex ludi-
cris J. Regneri B. D. M. ( Belnen
sis doctoris medici), Dijon, iG43,
in-12; trad. en français, ])ar Dau-
baine, i685, in-12 {Dict. des ano-
nymes,'i*". édit. , n°. G588.) F — t.
REGNIER DESMARAIS (i)
( François - Séraphin ) , grammai-
rien et littérateur estimable, naquit
à Paris , en iG52 , d'une famille ori-
ginaire du Poitou, Il était le sixiè-
me de onze enfants, dont sept mou-
rurent en bas âge, et les trois au-
tres embrassèrent la vie religieuse,
A huit ans , il fut mis au séminaire
(i) « Des seigneuries appurtmiinles ù mon ^)ére ,
« il ne iu*fu est demeure que ie .surnom de Desma~
). rets , c]ue sans y prendre gnrde j'ai lonJDurs écrit
j> Oe^marais , autrement que mon père , avant aussi ,
» sanssavoir puurquui retranché le de du nom de Re-
» Ruier, aulieu que, depuis ce temps-là, beaucoup de
s g«D3 oot ajoute uu <i<;àleurnom. » Mcnioir., y. i
254
REG
de Nanterre, ou il fit ses études ,
sous la direction des chanoines rc-
g;nliers de Saint-Auf^uslin , dont le
P. Faure, son oncle maternel, après
en avoir été le réforinatenr, e'tait de-
venu le directciir-gf'neral ( V . Fau-
re , XIV, 198). Dans toutes ses
classes, le jeune Régnier renaporta
les prix de prose et de vers ; mais il
fut inoins heureux au colle'ge de
Montaign , où il étudia deux ans la
philosophie. Le peu d'attrait qu'il
trouvait aux leçons de ses maîtres
tourna ses ilées vers la littérature ;
et il était encore sur les bancs quand
il traduisit en vers burlesques la Ba-
trachomyomachie d'Horacre. Il fut
attaché successivement à diiïcrents
seigneurs , fit quelques voyages à leur
suite , et employa ses loisirs à étu-
dier l'italien et l'espagnol , qu'il ap-
prit par le seul secours des livrés.
En 1662, il accompagna le duc de
Créqui à Rome , avec le titre de se-
crétaire d'ambassade; fut chargé de
la coirespondance italienne , et en-
suite de la négociation relalive à
l'affaire des Corses ( V. Gp.equi ,X,
•^29 ). Après son retour en France ,
il continua d'entretenir un commer-
ce de lettres avec les amis (pi'il avait
laissés en Italie. Ayant adressé à l'ab-
bé Strozzi une Canzone, celui -ci la
donna comme une pièce qu'Allatius
venait de retrouver dans le manus-
crit de Pétrarque de la bibliothèque
Valicane. Chacun le crut; et quand la
chose fut éclaircie, l'académie de la
Crusca s'empressa d'adopter le poè-
te dont les productions npprocliaient
assez de celles de Pétrarque pour
lromj)cr des juges exercés. Régnier
n'avait nul dessein de s'engager dans
l'état ecclésiasiiquc; mais, en i6(j8,
le roi lui ;iyant donne le prieuré de
Grammont , pour le récompenser
des services qu'il avait rendus à Ro-
REG
me , il prit les ordres sacrés , et se
conduisit depuis avec la même régu-
larité que s'il n'eût fait que suivre
sa vocation. L'académie française
lui ouvrit ses portes en 1670, quoi-
qu'il n'eût donné jusqu'alors aucun
ouvrage en français ; mais la con-
naissance qu'il avait des langues sa-
vantes devait le rendre très - utile à
la composition du Diclionnaire dont
cettecompagnie s'occupaitavec beau-
coup d'activité. Quoique employé
par les ministres ou par le roi lui-
même , dans diverses missions de
confiance , il répondit si bien , par
son zèle , au\ espérances de l'acadé-
mie , qu'en 1684 , après la mort de
Mézerai, il fut élu secrétaire perpé-
tuel. Régnier, en cette qualité, rédi-
gea tous les Mémoires qui parurent
au nom de l'académie, dans le pro-
cès qu'elle eut à soutenir contre Fu-
retière, qui s'était approprié le tra-
vail de la compagnie ( F. FuretiÈ-
RE ). Le Dictionnaire attendu si
long-temps, et auquel Régnier avait
eu tant de part (2), était sur le point
de paraître. Il en avait rédigé la Pré-
face et V Epitre dédicatoire an Roi.
Mais, per-dant un voyage qu'il fut
forcé de fdrc en Touraine , Ch. Per-
rault, Charpentier, et quelques au-
tres académiciens , curent assez de
crédit pour faire préférer une autre
Préface et une autre Dédicace à cel-
les que Régnier avait composées. Ré-
gnier, justement indigné, fit, sur les
Flpîtres de Perrault et de Charpen-
lier , des remarques critiques , quel-
quefois bien fondées', mais plus sou-
vent trop sévères (3;. L'infatigable
[■>.) M. liiirliicr illt(|iu' licjjiiina rcHigéiiim-aiide
i>:iilicla s.cuiidi- «diluJii ilii niclioinitiiic di- l';ic.id.
t'iaiiç. , iin))riiiiéc en 171S; mais il est ccrlniii qu'il
avait ru drj.'i l)c'aucou|i di- part à la premicre , qui
iir parut tju't'n i(ii)(i , viu|;l-(|iuitrc ans npiis son ud-
iijihbion dans ce l'iu'ji.s littt-i-aiio.
(3) n'Alrnilxit u insc^n; dans les notes de l'iVog»
de cet acadciuicicu, les /l'/^i'/rt-i nu rui de Cli. Pvr-
REG
académicien se chargea eusuite de
re'diger la Grammaire qui devait
développer les principes dont le Dic-
tionnaire n'était c{iie l'application ,
el former , avec cet ouvrage, un corps
complet de langue française. Il y em-
ploya, comme il le dit dans sa Pré-
face , « tout ce qu'il avait pu acqué-
» rir de lumières, par cinquante ans
» de l'éflexions sur notre langue, par
» quelque connaissance des langues
» voisines, et par trente-quatre ans
» d'assidiiité dans les assemblées de
« Tacadémic , où il avait presque
» toujoursteuula plume. » LaGram-
maire de Régnier ne comprend que
le détail des parties de V Oraison: il
se proposait de traiter à part de la
Syntaxe. Trop prolixe pour les élè-
ves, elle n'est pas sans utilité pour
les savants; et, quoique peu consul-
tée maintenant, elle n'en est pas
moins une mine abondante, que ses
successeurs n'ont pas inauqué d'ex-
ploiter. Une des parties les plus in-
téressantes de ce livre est le traité de
V Orthographe. L'auteur y expose
avec détail les divers chaugeiuents
proposés depuis J. Dubois (Sylvius)
jusqu'à LesclacLe, pour rendre l'é-
criture française conforme à la pro-
nonciation ; et ce tableau n'a pas été
reproduit en entier, dans le travail,
beaucoup plus ample, que Goujct a
donné sur le même sujet ( Biblioth.
franc. ^ i, ^G-iS-i ). La Grammaire
de Tabbé Régnier fut l'objet d'une
critique assez maligne , de la part
du P. Buffier, à qui l'on doit une
'Grammaire, jugée meilleure que
celle de Régnier ( selon les JMèmui-
res de Trévoux , octobre , noG ).
rault et de Charpeiilier , avec les Notes de Regiiier-
Desiiiarais. La Piéluce qu'avait composée Ke^uier,
et celle de Char|)eDtier, se tiouveut dans le lirrueil
de pièces curieuses ,:t nouvelles , la Haj c , MoetjeDs ,
1G94 , toin. i". , fi27--8. Voy. le DitJl. ries anunj-
REG
255
L'académicien fit au jésuite uue ré-
ponse plus vive que solide, et dans
laquelle il eut le tort de prétendre
avoir toujours raison. D'Alembert
conjecture que cette querelle dégoû-
ta Régnier d'achever ia tâche qu'il
s'était imposée. 11 revint à la poé-
sie , qu'il n'avait pas cessé de cul-
tiver , quoique avec peu de succès
( surtout dans le genre élevé), 'et à
la traduction , genre dans lequel il a
mieux réussi. Régnier mourut , le
6 septembre 1713,3 l'âge de qua-
tre-vingt-un ans. Il eut Lamonnoye
pour successeur à l'académie. D'un
caractère ferme et inébranlable dans
l'amitié, d'une proliité à toute épreu-
ve , et portant l'amour du vrai jus-
qu'au scrupule .'4), Régnier n'eut
d'autre défaut qu'un entêtement dé-
placé. Furetière dit que ses confrè-
res lui avaient donné le nom d'ab-
bé Pertinax. Un jour qu'il soutenait
avec chaleur son opinion contre un
de ses confrères, uue dame, présente
à ce débat , leur dit : Messieurs , con-
venez de quelque chose, fût-ce d'une
sottise. Outre des Traductions ita-
liennes du Panégyrique de Louis
XIV , par Pellisson , JG71 , etde la
RclationdeBossucl sur le quiétisme ,
1698, in 8°., on a de Régnier: I.
Pratique de la Per ection chré-
tienne, par Rodriguez, traduit de
l'espagnol en français, Paris, 1676,
3 vol. in-4°. (5), et souvent réim-
primée depuis dans différents for-
mats. Il avait entrepris cette traduc-
tion à la prière des Jésuites. Il accuse
les solitaires du Port Royal, d'avoir
(4) Un jour qu'on le pressait de mentir en faveur
d'un homme puissant : J'aime mieux, dit-il, me
brouiller at'ec lui iju'avec moi.
(5) La Traductioti de la Perfection clirc'tienne
de Ilodriguex ne parut f|u"eu 1(170, six ans après
la réception de Kignier à l'académie française; ce-
peudaut Tabbé Sabaticr dit (lue ce fut otté traduc-
tion qui lui valut sa plate .1 l'académie (Voy. ks
Tiuis siècles de la liltciulure).
2 5G
REG
altère le teste espagnol dans plu-
sieurs endroits de leur version de cet
ouvra"-c , et surtout dans le dixiè-
me chapitre du premier traite , où,
dit-il, en parlant de la grâce, on
prèle à l'auteur des termes tout con-
traires aux siens. II. Description
du Monument érigé à la s^loire du
Jîoi , ]>nr le maréchal de la Feuil-
lade ^ avec les inscriptions , ibid.,
16SG, in- 4"- Rfgnicr avait com-
pose' toutes les inscriptions excepte
celle : F iro immort ali{ V, Lafexjil-
LADE, XIV, 457 )• ni. Le Poésie
d\4nacreonle tradotîein verso Tos-
cano , e d" annota zioni illustrate ,
ibid. , 1 693, in-S".; Florence, lôgS,
in-i2, avec deux autres traductions
d'Anacrcon , par Bartcl, Corsini et
l'abbeSalvini. IV. Lepremierlivre de
l'Iliade^ en vers français , avec une
Dissertation sur cpiclques endroits
d'Homère, Paris, i-joo.in-H'^ Dans
cette Dissertation, il réfute les pa-
radoxes des détracteurs d'Homère
et de l'antiquité; mais il prouve, par
ses vers , qu'on peut admirer les an-
ciens sans parvenir à rendre leurs
beautés (6). V. Traité de la Gram-
maire française , ibid. (7 ) , 1 70^ et
1706,' iu-4".; ibid. , 1706, m-\i;
Amsterdam , 1707, in-i'2. L'auteur
de l'approbation ( Foutenelle ) loue
la netteté et la solidité qui régnent
dans cet ouvrage. VI. Remarques
sur l'article 187 des Mémoires de
Trévoux, ibid., 1706, in-4>'. , de
54 pa"^. C'est la llcponse à la cri-
ti([uc du P. Bullicr ; ou la trouve
à la suite de la Grammaire, dans les
((>) Di-sprcaux parle avec un trop jiislp di-dain de
ccUc tr^iduction {OEuvics de lioileaii-Pesfticanx ,
l'.iris, J.-J. Biaise, 187.1 , toiuelV, p. 31)8, LclUc à
IlruswUu, du 8 septembre 1700).
(7) Ledilimi de iG7fî, -x vul. io-n , cilec par
DrsenKarli , l'riidhuiiime , Feller , et inènic diina
VHiiluire de Ui tangue Jhtnritiso , est iiiiagiunii'i'.
I,u iiriimiiiiiire de Uiguic» parut pour la j>roii>iire
luit VII 1705 , iii-4".
REG
exemplaires in-4'*. , avec la date de
1706. VII. V Histoire des démêles
de la cour de France avec celle de
Borne , au sujet de V affaire des
Corses^ ibid., 1707, in-4". , avec
une planche représentant la pyra-
mide que le roi fit élever pour per-
pétuer le souvenir de cet événement
et qu'il fit ensuite abattre. Les faits
sont rapportés dans cet ouvrage
avec beaucoup d'exactitude; mais la
Tiarialion manque de vie et de mou-
vement. VIH. Poésies françaises^
italiennes , latines et espagnoles ,
ibid., 1707-8, 2 vol. in- 12. Les
Poésies françaises' ont été réimpri-
mées , la Haye, 17 16, 2 vol. in-i2,
précédées des Mémoires de Ke^nicr
sur sa vie, qu'il avait rédigés pour
satisfaire à la demande de l'acadé-
mie de la Crusca. On assure que les
Italiens et les Espagnols font beau-
coup de cas des ATrs que Régnier a
composés dans leur langue; mais ses
vers français sont très-médiocres: ou
y distingue cependant quelques pièces
écrites d'un style naturel (8) , et la
traduction d'une fameuse scène du
Pastor fido ( V. Guabini , xviii ,
596 ). Le succès qu'obtint ce mor-
ceau, dans la nouveauté , nuisit , dit-
on , aux vues d'avancement que Ré-
gnier avait formées , et il eût obtenu
les honneurs de l'épiscopat sans les
scrupules que cette traduction donna
au roi. IX. Les Deux Livres de la
Divination de Cicéron , irad. en
français , ibid. , 1720 , in- 12 ; cette
traduction est (idèle , et les Remar-
ques en augmentent le prix. L'abbé
d'Olivet a relevé t[uclques erreurs
échappées à Regtdor, dans une Let-
tre à Fraguicr, imprimée réccm-
(8) Cependant mi iic doit point lui :itli-il>uer avec
li'9 auteurs du nouveau liicl. Inil.,ciil. et bildiog.,
lo i<>li (|iialiaiu sur la vioUtte , <pii est de Uesina-
rcl» du Saiut-Sorliu ( K. DliSMAKETS , XI , »o3 ).
REG
ment (-3aiis V Album Franc-Comtois
(novembre i8.>.3 ).X. Enlreliens de
Cicëron , sur les vrais biens et sur
les vrais maux ( De finihus ho-
noriiin et malorum ) , ibiJ. , 1 7 >. i ,
in- 1'2. On trouve à la Hn, la Traduc-
tion d'une partie de l'Oraison pour
Muiaena. De tous les académiciens ,
Régnier était celui qui s'était oppose'
avec le plus de force à toute espèce
de clianjjenient dans rortbot:;r.iplie :
mais les innovations nécessaires ob-
tinrent malf^rcitii !a sanction de l'usa-
ge (g) ; et lorsque, buit ans après sa
mort , on voulut fJonuerau public sa
dernière Traduction , l'éditeur pré-
vint que , pour s'accommoder k la
pratique de l'imprimeur , ou avait
e'ië forcé de suivre la nouvelle ortbo-
grapbe, sans quoi l'on n'eût jamais
fini ( F. la fin de V Apertissement ].
Reculer a laissé en manuscrit une
Traduction en vers italiens des Qua-
trains de Pibrac , dont il envoya la
copie à la grande-ducbcsse de Tos-
cane ; et un Poèmeen quatre cbanls
sur le Règne de Louis XIF { 10). Il
avait recueilli ses Lettres à Maga-
lotti , et à ses amis d'Italie , en 'i vol.
in fol . Outre les Méuicires de sa vie,
dont on a déjà parlé, et qui furent
imprimés,poiirlapremièrc fois, dans
les Mémoires de liltérature , par
Sallcngrc , tome i*^''. , on peut con-
ig) Ou d(»it avouer iiraniiiuins i|ii'f:nrecoiinais'satit
lui-mcme qcie l'usage <'t.iit le maître de tout eu ma-
tière de laugue ( pag. i ij de sa Oni'iiinaire , édi-
tiou de i-o(j, 111-17. ) , il coiiveoait cju'il serait (lent-
ê(rfedîflicile de coudami'er la ^iippres.siou de !'>■ dans
beaucoup de luob» où eelte lettre ne se proDouce
jias : et ce fut eu ellet la plus grande réforme qui
h'iutrodiiisit à celle époque dans l'oi tLogra|>l)C , et
qui dtviut bieutiit générale. G — UE.
(10) Le roi ne voulant pas que cet ou'rrnae |iarùt,
à cau-'C des tudruits désobligeants (|ui .s'v trouvent
pour les nation^ avec li Mnielles ii el.iit < n paix , le
lit mil ver inroitinrUt ajins la mort de l'auleur. I,e
pni-teleiiille où était et t <Hïvragc, avec plusieurs au-
liTS plu) courts qui ont eu le même sort, l'ut rcm-s ,
par ordre de si. Majeslc, entre les mains de M. le
duc de iN'oailIes. Ai'fiti^sciiu-nt des Poésies J'ranç,
de Regnier-Uesniarais, cd.de I7ifj, p V.
ÏXXVTI.
REG
2:^7
sultcr i\7ceron , tome v , et son Eloge
par d'Alerabert , dans V Histoire des
membres de l'académie française ,
m , '201-99. W — s.
REGMIER ( Claude- Ambroise j,
djic de Massa, né à Bla mont en Lorrai-
ne , le 6 avrd 1736, exerçait avec
succès la profession d'avocat à Nan-
ci, lorsque les premiers symptômes
de la révolution se manifestèrent.
Quoiqu'il eût la rcputationd'un bom-
mc sage et instruit , il ne put échap-
per à la séduisante théorie qu'on
avait résolu de mettre en pratifjuc:
néauTGoiiis il ne s'y livra qu'avec
réserve. Nommé députe aux états-
généraux , il ne prit point part, au
moins ostensiblement , aux auda-
cieuses délibérations qui consommè-
rent la dissolution de cette assemblée.
Sous la constituante, Régnier ne s'oc-
cupa guère que de tjucslions judi-
ciaires : ainsi , ce qui est un mérite
assez rare, il sut se mettre à sa place^
et en cela , il ne fut pas imité par la
plupart de ses collègues. Les vio-
lences qui agitèrent l'assemblée ,
en 1 789 , l'effrayèrent , sans doute ;
il se tint à l'écart jusqu'en 1790 , et
ne parut à la tribune, que lorsqu'il
fut question de l'établissement défi
nouvelles autorités judiciaiies. Ou
voulait introduire le jury jusque dans
les procès purement civils ; le 7 avril,
Régnier attaqua cette innovation
au moins bizarre, et concourut à
la faire rejeter. Ou voulut aussi ins-
tituer l'ambulance des juges d'ap-
pel : il combattit ce système, qui avait
beaucoup de partisans, et qui fut éga-
lement écarté. KnOu Régnier exa-
mina la question délicate de savoir
s'il ne serait pas convenable d'accor-
der des indemnités aux personnes
poursuivies comme criminelles, lors-
qu'un jugement aurait prononcé leur
absolution : l'ailirmativc lui parut
'7
'258
REG
évidente j mais on trouva de gran-
des difficulte's dans l'application , et
sa proposition n'eut pas de suite. Lors
de l'insurrection de la garnison et du
peuple de Nanci , il délendit la mu-
îiicipalilé de cette ville , accusée de
n'avoir rien fait pour prévenir le
désordre et le comprimer : il ap-
prouva aussi la conduite du marquis
de Bouille dans cette désastreuse
journée , et repoussa les attaques
dirigées contre lui par le parti jaco-
Lin. Ou doit regarder ces premières
hostilités comme l'époque de la scis-
sion entre les démagogues et les
constitutionnels : dès ce moment, ils
ne cessèrent de se faire une guerre
à outrance. Le 28 août , Régnier at-
taqua vivement le vicomte de Mira-
beau , et demanda qu'il fût décrété
d'accusation , pour avoir cherché à
flétrir le régiment qu'il commandait,
en emportant les cravates de ses en-
seignes. Il s'occupa encore de quel-
ques questions administratives , où
il ne fut pas remarqué, et il travailla
beaucoup dans les comités. Lors du
départ du roi, en 1791 , il fut en-
voyé,enqualitéde commissaire, dans
les départements de la Lorraine et
de l'Alsace , pour y prévenir ou faire
cesser les désordres qu'un tel événe-
ment aurait pu faire naître. Voilà,
à-peu-près , tout ce qui nous a paru
digne d'être rappelé de la conduite de
Régnier pendant la durée de l'assem-
blée constituante.Qjiant à ses opinions
politiques , elles furent constamment
modérées , comme nous venons de
l'indiijuer : cependant on le voyait
voter le plus habituellement avec le
côté gauche, dont sûrement la mo-
dération n'était pas le principe; mais
il avait sans doute prévu que le côté
opposé succomberait et que les pros-
criptions seraient la conséquence de
sa chute : d'ailleurs Régnier était
REG
plébéien , et devait être uaturelle-
ment l'adversaire d'un parti que
l'on dénonçait chaque jour com-
me l'oppresseur de la caste plé-
béienne. Régnier ne parut plus sur
la scène politique, après la session
de l'assemblée constituante ; et l'on
n'entendit point parler de lui apros
les événements du 10 août: il par-
vint à se faire oublier pendant le
règne de la Convention ; mais la ré-
volution du 9 thermidor ayant re-
trempé les esprits et ranimé les cou-
rages, les hommesles plus réservés ne
purent rester dans riuertie,et Régnier
se jirésenta pour jouer nn rôle nou-
veau. La Convention fut enfin forcée
de terminer sa carrière : la constitu-
tion, dite de l'an trois, s'établit, et
Régnier futnommédéputéau Conseil
des Anciens , par le déparlement de
la Meurthe. Nous sommes obligés de
rappeler qu'ici , il se montra plus
sévère que dans l'assemblée consti-
tuante : dans le Conseil des Anciens,
il combattit l'opinion qui rappelait
au corps législatif Jean- Jacques Ay-
mé ( 1 ) , qui en était membre par
droif d'élection , et il fut un des défen-
seurs de la fameuse loi du 3 brumai-
re, odieux résidu de la tyrannie con-
ventionnelle. Il fut aussi l'adversaire
des prêtres déportés ou exilés de
France , et se rangea du parti de
ceux qui s'opposaient à leur retour.
Régnier fit j)lns d'effet au Conseil des
Anciens qu'à l'assemblée constituan-
te ; mais aussi le Conseil des Anciens
avait beaucoup moins d'ascendant
sur le public que la constituante , et
moins encore que le Conseil des Cinq-
cents. Régnier fut tour-à-tour secré-
taire et président du Conseil des
(i 1 Li's ri voluliiiiici.iiics, i)Our lo nudrc ridicule,
avnii'iit .substitue le ii»m du Job u celui du Jcan-
J.irijucs , rt Tavaieiil si souvcut reprit! , que ce nom
de Jol) Jui fut eiFcclivciiHiut touscrré.
REG
Anciens : il ne prit point part aux
événements du i8 fructidor; el s'il
ne défendit pas ceux qui en furent les
victimes , au moins il ne les attaqua
point. Mais il se fit honneur eu re-
poussant l'odieuse proposition de
Boulay de la Meurtlie , qui voulait
qu'on expulsât de leur patrie non-
seulement tous les nobles qui n'a-
vaient pas donné des gages à la ré-
volution, mais toutes les personnes
qui , ayant occupé quelque place
importante dans l'ancien gouverne-
ment , n'auraient pas donné un gage
pareil au nouvel ordre de choses.
Régnier, dont les pouvoirs étaient
expirés, fut , en 1799 , nommé une
seconde fois , par son département ,
député au Conseil des Anciens : il fut
du nombre de ceux qui , convaincus
que le pitoyable Directoire ne pou-
vait plus se soutenir , projetèrent de
hâter sa chute, et de le remplacer par
un ordre de choses plus tolérable.
Déjà l'attaque avait été faite par le
parti jacobin : un club (2) , où l'on en-
tendait les mêmes vociférations que
dans la société de 1 798 , s'était établi
près du Conseil des Anciens. Les
gens sages voulaient bien être dé-
barrassés du Directoire ; mais ils
craignaient que les Jacobins ne re-
prissent leur cruel empire. Courtois
dénonça vivement les nouveaux clu-
Listes, etdemanda qu'ils fussentchas-
ses d'un lieu qui était sous la police
du Conseil .Régnier appuya Courtois :
la majorité se décida , et les clubis-
tes expulsés ne purent s'établir ail-
leurs. Enfin Régnier se réunit à ceux
qui , au retour de Buonaparte , réso-
lurent avec lui de renverser un gou-
vernement dont les débcis croulaient
de toutes parts. Les mesures étant
(a) Ce club est connu dans l'histoire de I.i rt-vo-
lutiuD, sou.s le nom de club du Manège.
REG
■^59
prises et les batteries préparées , Ré-
gnier, et son collègue Cornet, comme
lui membre du Conseil des Anciens,
furent chargés , d'après une con-
vention qui avait eu lieu chez Le-
mercier , président du Conseil au
18 brumaire , jour correspondant au
9 novembre 1799, de demander que
le siège des deux Conseils fût trans-
féré à Saint-Cloud. Il prononça un
discours sur les dangers qui envi-
ronnaient le Corps législatif , et s'op-
posa formellement à 1 explication
des motifs qui avaient exigé que les
deux Conseils sortissent de Paris. On
sait que tout se passa comme l'avaient
désiré les heureux conspirateurs ( f^.
Buo-VAPARTE, au Supplément ). Les
services qu'avait rendus Régnier au
nouveau çrouvernement et à son chef,
ne pouvaient rester sans récompense :
il fut d'abord président de la com-
mission intermédiaire nommée pour
travailler à une nouvelle constitu-
tion. Après l'établissement du con-
sulat, il devint membre du con-
seil-d'état, dans la section des finan-
ces, où il fut chargé de divers rap-
ports à présenter au corps législatif :
ce fut lui qui fit rétablir la flétris-
sure de la marque pour les cri-
mes de faux. Le 14 septembre 1802,
Buonaparte le nomma grand-juge ,
ministre de la justice, et joignit à ses
attributions, la police, qui était aussi
un ministère. Ce fut lui qui dirigea,
en 1 804 , toutes les poursuites contre
Georsre et Pichcgru ( For. ces deux
noms ). Régnier réunissait ainsi les
plus éminentes fonctions de l'état,
après la puissance souveraine , et la
place la plus difficile , en qualité de
grand-juge ou garde-des-sceaux : on le
vit, renouvelautles anciennes solenni-
tés du parlement, présider les magis-
trats de la cour de Cassation, revêtus
de leurs robes rouges, et assister aux
17..
cciemouies rcUg,v€iiscs, qiie l'impicté
des révolutionnaires avait proscrites.
Cependant, soit que les occupations
de ministre de la justice et celles de
ministre de la police exigeassent un
travail au(]uel un seul homme ne
pouvait suffire , foit qwe Buona parte
eût besoin, pour la police, d'un agent
plus initie' dans les myslèies de la
révolution , le ministère delà police
fut disirait des attributions de Ré-
gnier , et rendu à Fouclié. Régnier
conserva le litre de grand-juge avec
le ministère de la justice , qu'il exerça
sans exciter personnellement au-
cune plainte. Buonaparte, qui avait
pour principe d'élever aux plus hau-
tes dignités ceux auxquels il confiait
des places érainentes, nomma suc-
cessivement Régnier grand - officier
delà Légion d'honneur, sénateur, et
duc de Massa. Le portefeuille de la
justice lui fut ôté en novembre 18 1 3,
et il devint président du corps-lé-
gidatif , place qu'il occupait encore
lorsque Buonaparte abdiqua , en
181 4- Il écrivit, le 8 avril , au gou-
vernement provisoire, pour savoir
s'd serait continué dans ces fonc-
tions. On ne lui fit aucune réponse ;
et dès-lors aussi affligé de la chute
de son maître que de ses propres
disgrâces, il vécut dans le chagrin.
et mourut à Paris, le 24 j"'" «8 14.
Son fils a hérité de son titre de duc
de Massa , et siège aujourd'hui à la
chandire des pairs. B — u.
RKGNIER. Foj. Reymer.
HÉGUl.US (MarcusAtilius ),
consul romain , s'est distingué dans
la première guerre punique : l'illus-
tralion de sa famil'e remontait à l'an
de Rome 3 1 o ( 4^4 avant J.C ) On
élut alors, jiour rempl.icrr les con-
suls , lr<iis tribuns militaires , qui
furent pris, dit-on , dans l'ordre pa-
tricien, quoique les plébéiens eussent
REG
été déclarés éligilles , et au nombre
desquels se trouvait un Atilius Lon-
gus. En ScjBuvantnotre ère, un second
Atilius Longusdcvint tribun militaire,
et fut réélu l'an 393 : on voit ensiàte
un troisième Atilius, mais surnom-
mé Régulus , consul en 335; un qua-
trième avec le même sui nom, en iQ^;
un cinquième en 16'] ; et c'est celui
auquel cet article est consacré. Nous
pouvons supposer, que selon la loi ou
l'usage, il avait environ quarante-
trois ans , quand il obtint les fais-
ceaux consulaires, et que par consé-
quent il était né vers 3ioj mais l'on
dira plutôt 32o ou 3.i5 , si l'on ob-
serve que son fils Caius , élu consul
en 'i.5'] , a dû naître vers 3oo. Mar-
cus Régulus batiit les Salentins ,
s'empara de Blindes, et reçut , avec
son collègue Julius Libo , les hon-
neurs du triomphe , le '21 décembre
267. Son secoid consulat est de l'an
256. On avait d'ahord nommé, avec
Manlius Vulso , Quintus Cœdilius ;
mais celui-ci étant mort fort [eu de
temps après l'élcciion , Régulus le
remplaça : c'était la neuvième an-
née de la première guerre punique.
Les deux consuls vainquirent sur
mer les Carlhagiiiois commandés par
Amilcaret Hannon, prirent soixan-
te-trois vaisseaux , en coulèrent à
fond trente autres , et perdirent
vingt - (|ualre des leurs : il leur
en restait trois - ceiit - six ; et ils
avaient réduit la flotte ennemie à
deux cent cinquante-sept vi iles. Po-
lyl)c place cette bataille navale pr s
du !Mont Ecnonie , sur la côte méri-
dionale de la Sicile, entre Agrigente
et G(la. Le même historien nous ap-
prend que Us Romains, ayant radou-
l)é les vaif.seauK qu'ils avaient piis
,iUS. Cailhaginols , et porté ainsi la
(lotte romaine à p'us de trois cent
soixante naviies , cinglèrent vers
REG
l'Afiiijuc, et se rciici'ivnt maîtres
du port d'Aspib ; que, sur l'orJre
du scnat , qui rappelait l'un des
consuls , Manlius Vulso recondui-
sit à Rome la plus p;ranJc pirîic
de la flotte ; et que Reguîus resta en
Afrique, avec quarante vaisseaux,
cinq-ce!i!s c.ivi'iers et qiiuze mille
fantassins. Les Carthaginois se dou-
iiôreut trois commandants , Boslar,
Asdrubal, filsdeHannon,cl Amiicar,
qui ramenait d'Ii'iracle'e cinq cents
hommes d'infanterie et cincj cents
chevaux. Regulus emporta d'assaut
les villes non forlifiees , cl assiégea
les antres : il gagua, près d'Adis, une
victoire éclatante , et prit Tunis; les
auteurs latins élèvent à deux cents le
nombre des places qu'il soumit. Déjà
il se croyait maître de Garlliage, où
re'gnaient la discorde , la famine et
la terreur. Pour prévenir, dit Polybe,
le retour de son collègue , et ne par-
tager avec personne la gloire de ter-
miner cette guerre, il offrit la pais
aux Carthaginois , mais à des condi-
tions intolérables , plus humiliantes
et plus dures que toutes les défaites. Le
sénat de Cartilage n'y put consentir ,
et s'enhardit d'autant mieux à tenter
encore la fortune des combats , qu'il
venait de recevoii' un renfort de ]jH-
cédémoniens volontaires , conduits
par Xanthippe.Lcsauteurs modernes
qui renvoient au proconsulat de Re-
gulus , en '255 , la j^ataillc d'Adis , la
prise de Tunis , et les propositions
de paix , contredisent Polybe , et
coramellcut ])robable:nent une er-
reur. C'est mcMne au consulat et non
au proconsnlal de Regulus, qu'Aulu-
gcUe , d'après Tubéron , ra])poi'lc
l'histoire de cet éu()rmcscrpc]:t,qut,
sur les boids du fleuve Bagrada , se
montra , dit-on , plus formi'1;d)lc aux
Romains , que n^ l'avait été l'armée
canhagi'ioisc , et contre lequel il
REG
rt.Gi
fallut employer des michincs de
guerre. Ce récit ne se lit point dans
Polybe ; mais Valcre-Maxime', Flo-
rus , Siliusltalicus , Orose, etc. , l'ont
transmis aux compilateurs moder-
nes. Xanlhippe, jusqu'alors inconnu,
e'tait un habile capitaine : lorsqu'il
eut appris les détails des revers qu'a-
vaient essuyés les Cartliaginois,i! osa
leur dire qu'ils avaient été vaincus
par l'impéritie de leurs propres gé-
néraux, bien plus que par le^ Ro-
mains. On lui confia le commande-
ment d'une arraéecomposéedc douze
mille fantassins , quatre mille cava-
liers et une centaine d'éléphants. Il
rangea ces animaux sur une pre-
mière ligne, derrière laquelle il plaça
la phalange; distribua une partie des
troupes mercenaires dans l'aile droi le;
et jeta les plus agiles sur l'une et
l'autre aîlc avec la cavalerie. Regu-
lus n'était plus que proconsul ; et
quelques historiens, parmi lesquels
n'est pas compris Polybe , assurent
qu'il avait instamment prié qu'on
voulût bien le décharger du com-
mandement mditaire : c'eût été pour
lui et pour Rome un très-grand bon-
heur. Mais en vain écrivait-il qu'un
valet ayant enlevé les charrues de
l'unique champ qu'il possédait , sa
présence était nécessaire à la cul-
ture de son héritage et à la subsis-
tance de sa famille ; on décrc'la que
ses charrues seraient renouvelées,
son champ cultivé et sa famille ali-
mentée aux frais de la république:
les Latins ont jeté dans leurs anna-
les le plus qu'ils ont pu de détails dg
cotte espèce. Quoi qu'd en soit, ReV
gulus accepla la bataille qti'on s'é-
tait disposé à lui livrer près de Tu-
nis : il mit au front ses troupes lé-
gères ; derrière elles, la grosse in-
l'antcric,cl la cavalerie sur les ailes;
en sorte que le corps d'armée , moins
263 REG
étendu qu'à l'ordinaire, avait plus
d'épaisseur. C'était une disposition
excellente pour résister au choc des
éléphants : mais elle ne laissait point,
ajoute Polybe, assez de moyens de
défense contre la cavalerie ennemie,
beaucoup plus nombreuse que celle
des Romains, Aussi Régulus perdit-
il la bataille , et tomba-t-il entre les
mains des Carthaginois , avec en-
viron cinq cents soldats, compa-
gnons de sa déroute. Il laissait le
reste de son armée , écrasé sur le
champ de bataille , à l'exception de
deux raille hommes qui se réfugiè-
rent, comme par miracle, dit l'his-
torien grec , à Clypéa ou Aspis.
Xanlhippe avait perdu huit cents
soldats étrangers; mais il ramenait
les Carthaginois dans leur ville ,
traînant après eux les dépouilles des
morts , cinq cents prisonniers , et ce
général Régulus, qui, naguère intrai-
table, se voyait réduit à implorer une
pitié qu'il n'avait pas eue; c'est en-
core une réflexion de Polybe. Eu-
trope a porté à trente mille le nom-
bre des Romains exterminés en cette
journée, et à quinze mille celui des
prisonniers. On raconte ensuite que
Régulus demeura captif à Carlhage,
jusqu'en 25o ou même jusqu'en 'i\'];
qu'à l'une ou l'autre de ces époques,
il accompagna des ambassadeurs
Carthaginois envoyés à Rome pour
négocier la paix; qu'il avait promis,
si elle n'était pas conclue, de venir
reprendre ses fers; qu'il opina dans
le sénat contre la paix, et mcme
contre l'échange des prisonniers;
que son discours détermina les séna-
teurs à rompre tonte négociation ;
que, malgré le grand-pontife qui pré-
tendait le dégager d'un serment ex-
tonjiié par la violence, malgré les
larmes de sa famille et de tous ses
concitoyens , il remplit sa promcs-
REG
se , repartit pour Carthage , et se
remit aux mains de ses ennemis;
qu'enfin ceux-ci le firent périr au
ruilieu des plus affreux supplices ,
soit en lui coupant les paupières et
en le privant du sommeil , soit en le
tirant d'un sombre cachot pour l'ex-
poseraux rayons d'un soleil briilant,
soit en l'attachant à une croix, soit
en l'enfermant dans un coffre ou
tonneau de bois hérissé de pointes
de fer : car les livres nous ollrent
toutes ces variantes, à moins qu'on
ne dise, avec Florus et Rolliu, que
Régulus a souffert tous ces tourments
l'un après l'autre. Nous devons avouer
que, sauf ces différences , presque
tous les auteurs Latins, et trois his-
toriens grecs, Appien, Dion-Cassius
et Zonaras, s^accordent sur le fond
de ces tragiques aventures. Cice'ron
en fait mention dans son traité De
Officiis , et dans sa Harangue contre
Pison ; c'est le sujet de la magnifi-
que Ode d'Horace, Cœlo tonantem,
etc. Le dévouement et le supplice
de Régulus sont indiqués dans le
sommaire du i8<^. livre de Tite-Li-
ve ; Valère Maxime les cite avec une
pleine confiance; Silius Italiens les
célèbre; l'auteur de l'opuscule De
viris illustribus et les autres abrévia-
tturs classiques se gardent bien deles
omettre. A tant de textes positifs ,
nous ne pouvons opposer que le si-
lence de Polybe et de Diodore de Si-
cile , qui donnent beaucoup d'autres
détails sur ce personnage. Polybe
aurait éténaturcllemententraîné, par
le cours de sa narration, à rapj)elcr
au moins , des faits si mémorables ,
s'il en avait eu connaissance. Diodo-
re de Sicile, en parlant des cruautés
exercées sur les Carthaginois par les
fils de Régulus, dit qu'ils y étaient
excités par leur mère ( Marcia ), qui
supportait avec peine la mort de son
'
REG
mari , et qui l'imputait à leur négli-
gence. Ces paroles prouvent, selon
Paulmier deGrentemesnil, que Re'gu-
lus est mort d'une maladie mal soi-
gnée. Terrasson, an contraire, tra-
duit : « La mère des jeunes Atilius ,
» qui attribuait à la négligence de ses
» fils la mort cruelle de son mari ,
» leur persuada de s^en 'vefiger
» sur deux prisonniers carthaginois
» ( Bostar et Amilcar ) qu'ils avaient
» à Rome; » et ce passage , ainsi
rendu, devient une preuve de la fin
tragique de Rcgulus : mais , en se
reportant au texte grec , on n'y
trouve rien qui exprime l'ide'e de
vengeance , rien qui corresponde au
mot cruelle. Une des plus graves in-
fide'lite's qu'un traducteur puisse
commettre , est d'attribuer tout ex-
près à l'auteur qu'il interprète, des
expressions qui favorisent une tra-
dition contestée , et que cet auteur
n'e'nonce point. Les meilleurs criti-
ques du dernier siècle , et particuliè-
rement Wesseling , ont embrasse'
l'opinion de Paulmier de Grentemes-
nil , sans daigner faire mention de la
paraphrase et du commentaire de
Terrasson. Le P. Petau, dans ses
grandes Tables chronologiques , n'a
date' que la défaite de Régulus près de
Tunis , et a passé sous silence le sup-
plice de ce général. Toland , Beau-
fort et Lévesque, en reléguant tout
ce récit parmi les fables ;, ont joint
aux indications tirées du silence de
Polybeet du texte deDiodore, celles
qui résultent, soit des variantes ou
contradictions des auteurs latins ,
soit aussi de la conduite humaine et
généreuse des Carthaginois à l'égard
du consul Scipion, qu'ils avaient fait
prisonnier au commencement de la
première guerre punique. Du reste
le tableau de Tambassade , du dcvoû-
ment et de la mort de Rcgulus , rem-
REG
i63
pHt la plus grande partie du livre
qui tient la place du 18". de Tite-
Live ,dans les supplémentsdeFrcins-
heim j et il a passé de là dans tous
les livres modernes d'histoire romai-
ne : il a été transporté sur le théâtre
lyrique italien , par Métastase ; sur
la scène française, par Pradon , par
Dorât , et récemment , avec plus de
su ccès, par M Arnault fils. A vrai di-
re, on ne connaît de la vie d'Atilius
Régulus , que ce qui concerne son
premier consulat en 0167,10 second
en 256 , et son proconsulal en 255 :
à celte dernière époque, il pouvait
avoir soixante- cinq ans, et nous
ignorons combien de temps iJ a sur-
\/e'cu à sa défaite; les plus sûrs ren-
seignements surson histoire se trou-
vent dans le premier livre de Po-
lybe, et dans ce qui reste des livres
xxiii et XXIV de Diodore de Sicile.
— Nous avons indiqué au commen-
cement de cet article, quatre Atilius,
plus anciens que lui : ceux qui ne pa-
raissent dans l'histoire qu'après sou
premier consulat , n'ont pas tous
porté le surnom de Régulus. Atilius
Calatinus est consul en 258 , etdic-
tateur en 258; mais le Gains Ati-
lius Béguins Scrranus , qui obtint
les faisceaux en 257, et en 25o , est
le fils du personnage dont nous ve-
nons d'esquisser la vie. On trouve
ensuite Gaius Atilius Balbus , consul
en 245 et 235 ; le surnom de Bégu-
ins reparaît en 227, attaché aux
noms de Marcus Atilius, et de son
fils Gains Atilius : le premier exerça
la puissance consulaire en 227 et
217, et la censure en 2 1 4 : le second
parvint au considat en 225. Trois
autres Atilius, consuls en i7t, 187
et 107 (i) ( année de la naissance de
(1) 'i'oiites les dates cnoncécs daus cet article sont
couii>rines aux rcsultiits de l'exceDent travail d'Al-
bert sur la chronologie romain^ daus l'Art rie vi^
Jier tgs date) avant J.-C.
3G/i
REG
Cicëron ) , ne sont surnoramc's que
Serranus, mot qnc Virgile et Pline
font venir de serere, semer ( ef te
sulco, Serane ^serentem). La famille
Alilia a subsislé jusque sous les em-
pereurs, illustrée surtout par les di-
gnités qu'avaient occupées , depuis
Vavï l^l^f^ avant notre ère , jusqu'en
107, les treize personnages désignés
dans cet article. D — iv — u.
REHNSGliOLD ( Charles-Gus-
tave , comte DE ) , sénateur et fcld-
maréclial de Suéde , appelé mal-à-
propos Reinsclîild par quelques écri-
vains , lut un des généraux les plus
distingués de Charles XII. Né à Stral-
suud, en iG5i , d'une famille origi-
naire du pays de Munster , et dont
le nom primflif était Reffcnbrinck ,
il passa en Scanie , pour faire fcs
études à l'université de Lund. En
1673 , il entra a-u service militaire,
et se fit remarquer par son courage
et son dévoûment pendant la guerre
que Charles XI eut à soutenir contre
les Danois. Après avoir ou part à
l'expédilion de Charles XII dans
l'île de Sélande , à la bataille de Nar-
wa , au siège de Riga , il obtint le
commandement d'une année en Po-
logne. Ayant pris, en 1708, la ville
de Thorn, par assaut, sans perdre
\m seul liomme, il poursuivit Augus-
te , remporta sur l'armée de ce prin-
ce, une vicloire éclatante , à Frauon-
stadt , et répandit la terreur ])ar-
lui les Saxons et les Polonais. Char-
les XII le nomma sénateur et fcld-
laaréchal , et lui donna le titre de
comte. Kchnscliold accompagna le
inonarqufî victorieux dans son expé-
dition contre Pierre 1''. Il futchar-
j^é dti commandement de l'armée
^uédoise à la bataille de Pultawa ,
Charles ayant été blessé , et ne pou-
vant commander on ])ersonne. Selon
les Mémoires qui ont paru en Suéde,
REI
ce furent les mcsinteiligencos qui
éclatèrent entre le fcld-marcchal et
le général Lev>enhau[)t, qui occasion-
nèrent la perte de la bataille. Rehn-
schold fut fait prisonnier par les Rus-
ses , el ne recouvra sa liberté qu'au
bout de neuf années. Le czar , en la
lui rendant , exigea qu'il prît par écrit
l'engagement de ne pas servir dans la
suite contre les Russes. Relinschold
alla rejoindre Charles XII , qui était
en Norvège. Après la mort du mo-
narque , il eut un commandement eu
Scanie. 11 avait assisté à douze ba-
tailles rangées , et à trente combats;
son corps était couvert de blessures ;
et il mourut des suites de celle qu'il
avait leçue dans la poitrine , pen-
dant les campagnes de Pologne. Une
hémorrhagie violente termina ses
jours , le 2g janvier 1722. Ce fut le
docteur Noibcrg , auteur de l'his-
toire de Charles XII , qui prononça
l'oraison funèbre du feld-maréchal ;
et Frédéric I^'". , successeur de Char-
les , honora les obsèques de sa pre'-
sence. C — u.
REICHARD ( Henri-Godefroi ),
philologue allemand , né à Schlciz ,
en i74'-i , s'est distingué ] ar ses
traductions en latin. Il n'avait ja-
mais parlé cette langue, lorsqu'élant
obligé , à l'université de Leipzig, de
disputer sans préparation , il fut
étonne lui-même de la facilité avec
laquelle il débitait des phrases lati-
nes. Depuis ce moment celte langue
fut pour lui un i'iiome favori; et
à l'exception de ses Discours alle-
mands, assez médiocres, il a tou-
jours écrit en latin. Avant de quitter
licip/ig , il publia une Disserta-
tion, /^e arlis bette scribcndi ori-
gine el fatis usque ad annum 1 4 53,
( Lcij)zig , 1 760 ), qu'il Ht suivre d'une
lettre à Garve,/)e causis Jiuii^ni-
tudinis vcteruin et recentiorum in
BRI
omni liheraliori doclrinâ ejfeclrici-
hiis , ibid. Ayant eié uoiumc maî-
tre au collège de Griraina , il donna
nne édition d'un auteur de l'école
platonique, Gcraislus Plctho , avec
cicsnoîcs , Lcip/.ig, 1770. Une inon-
dation arrivée à Grimina, en 1777 ,
lui fournit le sujet d'un poènje lalin ,
Cataclj sinus Grimme/isis , oui! imi-
te assez heureusement Ovide; mais
faute d'imagination, il y dcvicnl pro-
saïque. Bien qu'il n'eût guère d'au-
tres idées en théoloj::;ie que celles qu'il
avait puisées à l'école d'Eriiesti son
maître à Leipzig, il ca publia pour-
tant uu Manuel, sous ce lilie : Initia
docirince christionce inusinn sliidio-
sœ juventulis , Leipzig, 1778; se-
conde e'dition , i 794. Quoiqu'il eût
d'abord écrit, De instilutiove jme-
rili Dialogus, Leipzig, 1777 , con-
tre la nouvelle méthode d'enseigre-
raent mise en vogue jiar Basedow,
il traduisit néanmoins , dans la suite
en latin , un ouvrage élémentaire de
l'école de cet instituteur , fFvlkii
commentarius in tabulas centum ele-
vieutares œri incisas, Leipzig, i 784,
1789. Il eut l'idée de publier un
journal pour l'éducation , LpJicme-
rides Lipsicœ, 1786-87 ; ce journal
cessa au bout de l'année. Los jihilo-
Jogucs furent très -satisfaits de sou
édition de VAlexandra ou Cassan-
dra de Lycophron , où il montre
une profonde connaissance de la lan-
gue grecque; mais son érudition l'a
trompé sur le méri'e de cet ouvrage
antique, qvi'il élève beaucoup trop
haut ( Fof. Lycopju'. o^, xw,
5i I ) : Reichard prit même la peine
d'en faire une imitation allemande ,
qu'il ajouta, par une disparate assez
singulière , à un poème sur le jiége
do Magdebourg.il avait plus lieureu-
sement imité, en latin, le poème
allcmaud de Fhaéton, par Zaclia-
REl aG5
rias , Leipzig , 1780, dont il
avait déjà paru une autre tiaduclion
d'Avenarius , traducteur de Murncr
aux enfers , Brunsv^ick , 1 77 1 . Dans
son zèle pour les traductions latines,
il fit le même honneur à un mauvais
poème prétendu héroï jue , le Giena-
dierou Giistafelyloustache.lWiuii-
tu!a, dans la langue de Virgile: Gits-
taviadios libri xii , poemation epi-
cum, Leipzig, i 790. Cette traduciion
ne prouve point en faveur de son
goût ; et pour nn homme aussi fami-
liarisé avec les classiques , ce fut
une entreprise qui étonna le public.
Kcichard fut ajiprouvé davantage en
tradi.isaiit eu latin l'histoiie de la
guerre de Sept-Ans, par Al clunhollz,
1790; seconde édition, 1792: mais
ce fut surtout dans sa traduction du
ISouvcau-Testament, que l'en recon-
nut l'habile latiniste; elle parut à
Leipzig , eu 1 799 , et eut beaucoup
de succès , du moins auprès dos sa-
vant*. Il avait esposc sa méthode de
traduction dans une Dissertation De
adornandd Ncvi Testam. venione
'yere/rt</«r/, Leipzig, 1 79O. Reichard
n'était parvenu dans sa Irès-mcdcste
position , à l'école de Grimraa , que
jusqu'au titre de oo-recteur; et il
mourut le 22 mai 1801. Un de ses
confrères , Stcver , fit paraître , la
même année, Lessus in obitum If.
G. Beichardii. Lenz dit, dans le
ISécrologe de Schlichtegroll , que la
science de Rricl.ard était le fruit de
la mémoire plutôt que du jugement.
D— G.
REICHARDT ( jEAN-Fr.Éntnic ),
compositeur , né en 1 7r)'2 , à Kœnis-
berg en Prusse, aj>]Mit la musiq'.ie-
dès son enfance, et, à l'âge de dis
ans, se fit .entendre puljliqucment,
sur le violon cl le piano , dans les
villes d'Allemagne : mois entraîné
par son g'»ût pour les lettres, il fil
266 REI
ses éliides à l'université de sa ville
natale , sous la direction de Kant ,
et alla les achever à Leipzig;. Ayant
fait ensuite un voyage en Allemagne,
il revint en Prusse, et obtint une
place de secrétaire à la cliambre des
domaines. Son talent musical ne tar-
da pas à le conduire dans une autre
carrière. Ayant e'të appelé à Berlin ,
par Frëde'ric II, pour diriger l'opé-
ra italien , il se voua tout entier à la
musique , et organisa des concerts ,
oia il fit exécuter les compositions
des maîtres italiens Jomelli, Sac-
chini , Piccinni , etc. : dans les no-
tices qu'il distribuait pendant les
concerts , il mettait les auditeurs al-
lemands au t'ait du genre et du mé-
rite de chacun de ces maîtres. Il vi-
sita lui-même l'Italie, en l'jSi; mais
il n'y fit qu'un court séjour. Trois
ans après, il alla donner des concerts
à Londres : il y fit entendre ses com-
positions, consistant en psaumes,
scènes italiennes, et la Passion de
Métastase. Il les fit exécuter ensuite
à Paris, où il s'était rendu en quit-
tant l'Angleterre, ivcichardt y eut du
succès; et l'académie royale de mu-
sique lui confia deux poèmes , le Ta-
merlan de Morel, et le Panthée de
Berquin. L'année suivante, il revint
à Paris , avec la composition entière
du premier de ces opéras , et la moi-
tié delà seconde. Il allait faire exé-
cuter plusieurs scènes italiennes dans
les concerts de la reine à Versailles ,
lorsque la mort du roi de Prusse le
força de retourner dans ce pays en
toute hâte , afin de mettre en mu-
sique la cantate funèbre du marquis
de Lucchesini. Quoicjue pressé par
le temps , Reichardt réussit par-
faitement dans cette tâche ; et sa
cantate , exécutée aux funérailles
du roi à Potsdam , fut fort goûtée
du public : la partition en a été
REI
gravée à Paris, en 1787. Le suc-
cesseur de Frédéric II confia au
compositeur la direction de l'orches-
te royal, uni à celui du prince de
Prusse. Les meilleurs exécutants y
furentappelés : l'opéra italien fut bien
soutenu; et Reichardt composa plu-
sieurs opéras sérieux, et des ballets :
Son Atidromède et son Brenmis ,
parurent à cette époque. Dans ces
grands opéras , il avait l'intention
d'unir le style savant de Gluck aux
agréments du chant italien. Cepen-
dant Reichardt n'avait pas de génie;
et il ne réussit que médiocrement
dans le grand style lyrique : seule-
ment on voit qu'il avait bien étudié
Gluck , qu'il se proposait toujours
pour modèle. Il regardait Brennus
comme sa meilleure composition :
loin d'être de son avis , les connais-
seurs n'y trouvèrent ni verve , ni ori-
ginalité, ni grâce. II réussit mieux
dans l'opéra-comique, pour lequel il
composa quelques pièces. Un second
voyage qu'il fit en Italie, en 1790,
afin de recruter des sujets pour le
théâtre loyal de Berlin , le fati-
gua au point, que ne pouvant ache-
ver , pour le carnaval , son opéra
d' Olympiade , il se brouilla avec la
cour, et se retira, dans une terre
auprès de Halle, d'où il fut rappelé
promptement pour faire jouer cet
opéra, pendant les fêtes célébrées,
à l'occasion du mariage de deux
princesses. Ayant fait, en 1792, un
troisième voyage à Paris , il prit un
vif intérêt aux événements de la ré-
volution, et déposa ses sentiments
dans SCS Lettres familières , écrites
pendant un voyage en France , eu
1 792 , -2. vol. in-S". 11 n'en fallut pas
davantage pour le faire considérer ,
dans une cour ombrageuse , comme
un partisan de la révolution. Dé-
pouillé de sa direction de l'orches-
r
REI
ti'e, il se retira, en 1794» ^ Ham-
bourg, et acheta une terre dans le
Holstein. 11 rédigea un ouvrage pé-
riodique, sous le titre de La Fran-
ce. Cependant le gouvernement prus-
sien, ayant senti qu'il étail injuste de
destituer pour des opinions politiques
un maître de chapelle, le dédom-
magea par une place de directeur
des salines à Halle , où Reichardt
avait toujours sa terre. A l'a vënement
de Fi édéric Gudlaume III , il re-
prit la direction de l'orchestre. On
donna , à la fête du sacre, un de ses
meilleurs opéras : Vile des esprits.
En 1798. il composa l'opéra italien
de Rosemonde : l'année suivante , à
l'anniversaire de la naissance de
Frédéric II, il fit exécuter les odes
de ce prince, qu'il avait mises en mu-
sique ; vers le même temps , on joua
à Berlin le Tamerlan do Reichardt
avec des paroles allemandes. Pour
l'ouverture du théâtre national , il fît
représenter l'opéra de la Forêt en-
chantée, dont Kotzebue avait écrit le
poème. Il composa plusieurs mor-
ceaux des Croisés , du même poète,
ainsi que la musique de deux pièces
dramatiques de (joeÛ\e {E gmont , ç,t
Jery et Bœthely ). Il avait précé-
demment mis en musique les chan-
sons de Goethe, pour lesquelles il
réussit bien mieux que pour celles
de Klopstock, Herder et Schiller. On
regarde comme une excellente com-
position la musique que fît Reichardt
pour la scène des sorcières 'dans la
tragédie de Macbeth. Son séjour à
Paris lui avait donné l'idée de trans-
planter sur la scène allemande, le
genre tout-à-fait français des vaude-
villes. Comme les poètes allemands
n'en avaient pas une idée exacte ,
Reichai'dt fît lui-même une piècedont
le sujet , du genre sentimental , était
tiré des anecdotes de la révolution :
REI
267
pour les airs il choisit les chansons
de Goethe et autres , qu'il avait mi-
ses eu musique. Ce premier vaude-
ville allemand , intitulé Amour et
Fidélité, eut beaucoup de succès;
il en donna deux autres, intitulés
Juchhei , et VJrt et V Amour , qui
ne furent pas si bien accueillis. Ayant
fait, en i8o3, un quatrième voyage
à Paris, il y fut nommé correspon-
dant de l'Institut, classe des beaux-
arts. Il profîta de ce séjour pour re-
cueillir beaucoup de renseignements
sur les événements publics et les
hommes marquants du jour; et à son
retour en Allemagne, il fit paraître
de Nouvelles lettres familières,
écrites pendant son voyage en Fran-
ce, dans les années 180 3 et 180/4 , 3
vol. in- 8". Cet ouvrage est plein
d'anecdotes intéressantes, et il fit
une vive sensation. A l'approche de
l'armée française, en 1806, Rei-
chardt quitta la ville de Halle ,
pour se réfugier dans le royaume
de Prusse , d'où il fut obligé de
revenir ensuite pour faire sa cour
au nouveau roi de Westphalie, con-
server sa terre, et solliciter une
indemnité pour la place de directeur
des salines. Il était sur le point d'ob-
tenir une sous-préfecture , quand le
roi Jérôme lui confia la direction
des théâtres français et allemand à
Cassel. Reichardt composa pour les
fêtes de la nouvelle cour plusieurs di-
vertissements, et mit en musique un
petit opéra français : V Heureux nau-
frage. Étant allé à Vienne pour re-
cruter des bouffes, il y reçut des of-
fres brillantes , et se chargea de com-
poser l'opéra de Bradamante , pa-
roles de Colin. Pendant qu'on mon-
tait cette nouveauté, la guerre éclata
entre l'Autriche et la France; et Rei-
chardt n'ayant fas conservé la di-
rection des théâtres de Cassel, se
2G8 REI
relira dans sa terre, prcs de HaMc,
Il y écrivit des Lettres familières
sur Vienne, aussi intéressantes que
celles qu'il avait données sur Paris :
aussi fiireat-ellcs trcsLicn accueil-
lies du public. Il est mort dans sa
retraite, îe 27 juin 1814. Il avait
perdu, en 1783, sa femme, excfl-
lente canîatrice, et fille du composi-
teur Benda. Une des filles de Rei-
cliardt, Louise, opouse du poète
Tick, a compose' plusieurs airs. Rei-
cLardt joignait à beaucoup d'esprit et
de souplesse daus sa conduite, une
vanité excessive , qui le brouilla sou-
vent avec les personnes qui étaient
en relation avec lui. Il raisonnait
très-bien sur la musique lyrique : on
en trouve des preuves dans la Ga-
zelle musicale,c[u''û lëdigeait àBer-
iiin, en 180,^ et i8o5. D — g.
REID ( Thomas ), ])rofesseur de
pliilosopliie morale à l'université de
Glasgow, naquit, le 26 avril 1710, à
Strachan, dans le comté de Kincar-
dine ( ou Mearns ) en Ecosse, à vingt
milles d'Aberdeen. Quoique Rcid ait
cté le fondateur d'une ère nouvelle
<lans l'histoire de la plùlosoplnc mo-
derne, sa vie n'oflre aucun de ces
événements remarquables qui exci-
tent la curiosité ou l'intéiêl des hom-
mes. Dans l'obscurité d'une retraite
studieuse , étranger aux agitations
de l'ambition , et ne s'occupant ja-
mais de sa gloire littéraire , il vc-
fAxl, à son insu, en vérita])lc philo-
sophe, faisant le plus de bien possi-
ble à ceux qui l'entouraient, et con-
centrant toute l'activité de son intel-
ligence sur l'étude la plus utile à
rhoniine , c'est à-Jire, la connais-
sancedc riioiri'neincuie. Anrisavoir
passédeux ans à l'écolede sa paroisse
de Kincardiue, il fut envoyé à Aber-
<ieen ; (t après qud(]ue prépiralion
.sous dcfort bons uiaî'rcs , àl'à^cdc
REI
douze à tieize ans , il entra au colle' •
ge Maréchal d'Aberdeen , où il fil sa
philosophie , sous le docteur George
Turnbull , avantageusement connu
par un ouvrage \n\\\.y\\é ., Principe s de
philosophie morale , et ]>ar un volu-
mineux traité , maintenant oublié ,
sur la peinture antique. Il rési-
da un peu plus long-temps que l'é-
poqncordiuaireà l'univeisité, dont il
avait été nommé bibliothécaire. Ce-
pendant , en 1 7 3G , il résigna cet ein-
ploi, fit un voyage en Angleterre,
visita Lo)idrcs , et les deux uni-
versités d'Oxford et de Gaml)ridge,
et se lia avec les professeurs les plus
distingués de cette époque. A son
retour , en 1787 , il fut promu,
par le collège royal d'Aberdeen, à
un des bénéfices qui étaient sous le
patronage de l'université, New-Ma-
char , dans le comté d'Aberdeen,
Reid était alors n peu habitué à la
composition, il était si modeste et
se défiait tant de lui même, qu^iu
lieu de lire ses propres sermons à ses
paroissiens , il se contentait de leur
lire ceux de Tillotson et d'Evans. Il
paraît néanmoins que le petit nom-
bre de sermons qu'il a composés , an-
nonçaient déjà un cprit élevé et un
jugement sain. Ce fut pendant qu'il
était ministre cà Ne\v-!\Iachar , qu'il
fit insérer, dans lesTiausactions phi-
losophiques de la société royale de
Londres, pour l'année 1748, un
Essai sur V/ipplicati<m des mathé-
viatiques à la morale. Fitcairn et
Cheyne venaient d'essayer récem-
ment d'appliquer les mathématiques
à la médecine , lorsque Hutcheson ,
professeur à Glasgow, dans ses Re-
chei'ches sur l'oiiginc de nos idées
de beauté et de vertu , voulut en
faire aussi ra])plication au sujet
qu'il traitait. Suivant lui , le bien
produit par un individu dépend ca
R'Et
partie de sa bienveillance et en par-
tie de ses dispositions ; la relalion
entre ces diverses ide'cs morales pent
être exprimée algébiiquement : de là
il conclut que la bienveillance ou
mérite moral d'im accent est pro-
portionnelle à une fraction qui au-
rait le bien produit pour numéra-
teur, et les dispositions de l'agent
pour dénominateur. Roi l , après
avoir examine, dans son Kssaija na-
ture des me'iliodes malliemaliques ,
et les matières auxquelles on les avait
applique'es, prouve qu'elles ne pon-
vaient nullement convenir à la mo-
rale, parce que ces ve'iités ne se rap-
portent pas aux mêmes faculté>.
D'Alembert a depuis traite le même
sujet avec une giande supériorité
d'esprit. Le second ouvrage que fit
paraître Reid, est nne Analyse de la
Lo-^ique d' Aristote ^ qu'avait publiée
Hume, En i'j5'2,les professeurs du
collège royal d'Aberdecn élurent le
docteur Reid, professeur de philo-
sophie dans lemêice collège, en té-
moignage, est-il dit dans la lettre de
nomination , de la haute opinion
qu'ils avaient conçue de ses lumiè-
res et de ses talents. Le profes-eur
de philosophie devait alors ensei-
gner, comme on le faisait dans nos
collèges avant la révolution , les
sciences mathématiques et physiques
aussi bien que la logique et la racra-
le. L'extension doiujée aujourd'hui à
chacune de ces sciences , rendait in-
dispensable d'eu diviser l'enseigne-
ment; et c'est une amélioration réel-
le in'roduile en France, aussi bien
qu'en Ecosse. A peine le docteur
Reid était-il établi à Aberdeeu , qu'il
conçut l'idée d'une association litté-
raire, qui subsista fort long - temps ,
et qui paraît avoir eu d'heureux
elTets sur la direction des étu les phi-
losophiques dans le nord de lÉcos •
se. Celle sociélé s'assemblait ime fois
par semaine ; et les membres y
soumettaient réciproquement les uns
aux. auties les fruits de leurs tra-
vaux. Rapporter les noms des Reid,
des Giegory, des Campbell, des
Beattie,des Géiard, tous meuibres
de cette association, c'est en faire
un suffisant éloge. De tous les ouvra-
ges publiés par quelques-uns des
membres, le plus original et le plus
profond est incontestablement le
livre publié par Reid en 17(54 ,
sous le titre de Recherches sur l'es-
prit humain. Ce fut-là la premiè-
re attaque directe contre les con-
séquences du scepticisme de Hume.
Reid avait commencé par admettre,
avec Berkeley, que rien ne pouvait
être perçu , s'il n'était dans l'esprit
qui le percevait, et que nous n'aper-
cevions pas les choses extérieures,
mais uniquement les images et les
représentations de ces objets : éton-
né pourtant lui - même des consé-
quences qu'on pouvait rigoureuse-
ment tirer de ce système , il en vint
à se demander quelle preuve , au-
tre que l'autorité de Berkeley et de
Hume-, il avait pour croire que
tous les objets de nos connaissances
étaient des idées imprimées dans
notre esprit. Dès ce moment , il
sentit la nécessité d'une méthode
exacte et sévère. Il eu fit l'appli-
cation au siijet qu'il traitait, pé-
nétra au cœur du système , et cher-
cha à réfuter la théorie idéale, com-
plètement admise alors dans les éco-
les, et sur laquelle il pensait que
toute la philosophie de Hume, aussi
Lien que tous les raisonnements de
Berkeley contre l'existence de la ma-
tière , étaient fondés. Cette réfuta-
tion delà Théorie idéale , formait
selon lui son principal mérite. U
consiste plutôt dans la méthode cm-
270
REI
ploye'e pour parvenir à ce résultat ,
me'thode que le docteur Reid sui-
vit toujours pour les recherches
qu'il entreprit par la suite. S'il ne
fut pas le premier à concevoir l'i-
dée de poursuivre l'étude de l'es-
prit humain sur un plan analogue
à celui qui fut si heureusement adap-
té aux sciences physiques par les
disciples de Bacon, il fut du moins
le premier à le mettre à exécu-
tion dans ses ouvrages. Si l'im-
pression produite sur le public par
les travaux de Reid, ne se fit pas
sentir d'une manière ostensible;
c'est que la multitude est hors d'état
en effet d'avoir un avis sur de tels
sujets : mais le petit nombre de ceux
qui étaient habitués aux recherches
analytiques de l'école Newionienne
rendit justice à l'étendue de ses ap-
perçus; et l'université de Glasgow se
hâta de l'appeler dans son sein, en
lui conférant, en 1763 , la chaire de
philosophie morale, vacante alors
par la résignation d'Adam Smith.
Cette place était, à tous égards, fort
avantageuse ; le revenu en même
temps était beaucoup plus considéra-
ble que celui qu'il pouvait se faire à
Aberdeen : il entrait enfin en rapport
avec des hommes du plus haut méri-
te ; et l'objet de ses leçons, tracé d'a-
vance avec discernement , lui permet-
tait de concentrer son attention dans
ses études favorites. Arimitation d'A-
dam Smith, son prédécesseur, il divi-
sa son cours en quatre parties. Adam
Smith avait reçu cette méthode de
Th. Craigie, auquel il avait succédé;
et celui-ci n'avait fait que suivre en
cela le plan tracé par le célèbre
Hutchcson, son prédécesseur immé-
diat. La première partie de ce cours
comprenait la métaphysiqne ; la se-
conde, la morale proprement dite;
la troisième traitait de la jurispru-
REI
dence ou du droit naturel; et enfin
dans la quatrième partie , Reid s'oc-
cupait du droit politique. En faveur
de la jeunesse qui assistait à ses le •
çons , il fit aussi un cours de rhétori-
que , dans lequel il exposa la philo-
sophie du beau , et ses théories sur
l'éloquence et la rhétorique. Nous
n'avons plus ni sa politique, ni son
droit naturel, ni son cours de rhéto-
rique. Il ne nous reste que ses Essais
sur las facultés actives de l'homme,
publiés en 1788, et son premier ou-
vrage iitcZe^ facultés intellectuelles,
publié en i785.Dugald Stewart lésa
réunis en un seul volume , qu'il a
donné sous le titre de Philosophie
de Eeid, en plaçant en tète une No-
tice sur la vie et les ouvrages de son
maître, d'où nous avons principale-
ment tiré les matériaux de cet arti-
cle. Ces deux ouvrages sont à eux
seuls un traité complet de philoso-
phie. Reid a divisé la partie méta-
physique en huit sections, et a pro-
bablement eu l'intention d'y donner
une liste complète des facultés sim-
ples. Dugald Stewart, son disciple,
chercha plus tard à remplir les la-
cunes laissées par son maître. Reid
n'avait compris, dans son énuméra-
tion des facultés de l'esprit, que la
mémoire, la conception, la faculté
de composition et de décomposi-
tion, le jugement, le raisonnement
et le goût; Dugald Stewart y ajouta
la perception externe , l'attention ,
l'abstraction , l'association des idées
et l'imagination. Reid improvisait
rarement ses leçons. 11 avait coutu-
me de les lire; et son débit ne con-
tribuait nullement à relever la sim-
plicité un peu sèche de son style. Ce-
pendant tel était le respect que son
caractère et son talent inspiraient .î
son jeuneauditoire ,que louslesjours
le nombre de ses disciples augmen-
REI
tait , et que tous ont conserve de ses
leçons le plus agréable souvenir. Il
connaissait fort peu les travaux faits
avant lui dans les branches de la
science dont il s'occupait ; mais ce
défaut d'érudition donnait à ses le-
çons une empreinte d'unité et de sim-
plicité caractéristique , qu'on cber-
cherait vainement dans aucun autre
auteur. Cette inde'pcndante unifor-
mité de pensée est souvent la meil-
leure garantie de la bonne-foi d'un
écrivain. Les Essais sur les facultés
actives de l'homme terminèrent sa
carrière littéraire. Il continua cepen-
dant à étudier encore avec toute
l'ardeur de la jeunesse, et composa
de temps à autre quelques Essais des-
tinés à être lus et discutés dans une
société philosophique dont il était
membre. Les plus importantes de
ces dernières productions , sont : Un
Examen des opinions de Priestley
sur l'esprit et la matière ,- des Ob-
sensations surVUto'iie de Thomas
More; quelques Réjlexions physio-
logiques sur le système musculaire.
Ce dernier essai paraît avoir été écrit
par l'auteur dans sa quatre-vingt-
sixième année, et il en fit la lecture
à ses associés , quelques mois avant
sa mort. L'étude des mathématiques
qu'il avait cultivées dans sa jeunesse,
avait aussi repris ses premiers char-
mes à ses yeux. C'est au milieu de
ces studieux loisirs qu'il fut surpris
par la maladie , à Glasgow, vers la
fin de septembre 1796. Le 7 octo-
bre suivant, le docteur Reid avait
cessé d'exister. Il avait conservé jus-
qu'à la Gn l'usage de toutes ses fa»
cultes: quelques jours avant sa mala-
die, il pouvait encore faire plusieurs
milles en se promenant; et il aimait
à cultiver son jardin. Sa mémoire
seule commençait à ne plus être aussi
ferme; et ses dernières compositions
REI
271
manquent de celte liaison parfaite
qui ajoute une si grande force de
conviction aux productions de l'es-
prit, et qui est une des marques les
plus certaines d'un génie vigoureux
et d'un jugement sain. Les ouvrages
de Reid ont été insérés dans les
Transactions philosophiques , ou
ont été réunis par son disciple Du-
gald Stcwart, qui , après lui, a don-
né un lustre nouveau aux doctri-
nes toutes bienveillantes et toutes mo-
rales de la philosophie écossaise.
Les Recherches de Reid sur l'enten-
dement humain, d'après les princi-
pes du sens commun, ont été tradui-
tes en français, et imprimées à Ams-
terdam, 2 vol. in-i 2 , en 1 76S ( elles
avaient paru en anglais , en 1763).
DugaldSlewart a publié un Mémoire
sur sa vie et ses écrits, prononcé
dans différentes réunions delà société
royale d'Edimbourg, en 1802. M.
Victor Cousin, dans le cours qu'il
faisait à l'académie de Paris , a tracé
à grands traits, et avec cette force
de talent qui le caractérise, la nais-
sance et la marche de la philosophie
de Reid. La direction actuelle des es-
prits vers les saines idées philosophi-
ques doit faire accueillir la traduc-
tion complète des ouvrages de Reid
annoncée par M. Thurot. Bu— n.
REIFFENBERG ( Frédéric de ),
jésuite, naquit en 1719, dans le pays
de Trêves , d'une ancienne et noble
famille. Après avoir terminé ses
premières études avec succès , il prit
l'habit de saint Ignace, et se rendit
à Rome pour y étudier la théologie ,
et se perfectionner dans la connais-
sance des langues et de la littéra-
ture anciennes. Il s'y fit bientôt con-
naître par son talent pour la poésie,
et fut admis à l'académie des Arca-
diens , sous le nom de Mirtishius
Sarpedonius. De retour en Allema-
'21 ■!
REl
gnc, il fut charge de la direction du
noviciat de la société, et s'attacha
surtout à former d'habiles profes-
seurs pour les collettes que les Jestù-
tespossedaicnt dans le Palaiinat cl la
Westphalie. Les recherches histori-
ques et la culture des lettres occu-
pèrent tous ses loisirs. Quelques ou-
vrages déjà p::hliés faisaient conce-
voir des espci auces qu'il aurait sans
doute ré lUsécs , quand il fut enlevé
par une raort prématurée, en i-yô^.
Outre la Traduction latine , de
l'ouvrage de Scipion Maffei sur la
Grâce , le Libre arbitre, et la Pré-
destination , précédée de YElcge
de l'auteur ( i , , et du Catalogue de
ses Ouvrages , et suivie de la Réfu-
tation des critiques qui en avaient
paru , Mi'ience et Francfort, 175G,
in-fol. , on a <\e lui : T. De verd Jt-
ticorum promincialione ad Grœcos
intrà ur'oem Dissertatio , qud càm
ex histurid, tàm ex veterum Grœ-
corum , Latinorumque testimoniis
perspicuè ostenditurquhm longé ho-
dierna Grœcorum pronunciatio à
'vetere discesiit , Rome , i75o,in-
4". de 52 pages. ReifTcnberg publia
cette savante Dissertation sous son
nom académique de Mirtisbius Sar-
pedo. Il y soutient , centra le sen-
timent de plusieurs savants , et entre
autres de Grégoire Piaccnlini ( F. ce
nom), que la prononciation des
Grecs modernes diffère beaucoup de
celle des anciens. II. Des Préceptes
moraux, en grec et en latin , suivis
d'Exemples tirés des mcillcius his-
toriers ai ciens et modernes , 5 vol.
iii-8". Ce Recueil, destiné aux. collè-
ges do la Société , est fait avec goût.
111. Des Poésies latines, avec une
(i) L'Wof,"^ de Ttl,if/-i , par l<- P. K( lUri.l rig , .1
cte ii>«Jic d:iii» le A'ii/t/jlémcnt de Si-I>. DiniaLi ^J'i
novuiit iheiaiirum vclrrum iiixeriiitiuiiuiii MuiaU-
ni, Lueiimat, i^GS, xxi-xxxii.
REl
Dissertation sur le slj le lapidaire ,
in-S". IV. \À yi'pologie des Jésuites ,
en allemand , iu-8'\ V. Historia
Soc. Je:u al Blienum injeriorem
è Mss. codicibus , principum ur-
bium diplomatis eruta , ad hiita-
riampatriœillastrandainaccommo.
data, Cologne, 1764, in-fol. On
désirerait dans cette histoire , dit
Feilcr , pli'.s de critique, un style
plus précis et plus noble. W — s.
RLIIj (jEAN-CnRETIETf), profcS-
scur en médecine, conseiller tt che-
valier de l'Aigle - Rouge de Prusse ,
(te, naquit, le 28 féviier 1759 ,
à Rhandeu, dans l'Ost Frise. 11 était
fils du pasteur de sa ville natale, qui
le voua à l'état ecclésiastique; mais
il manifesta de bonne heure un goût
particulier pour la médecine. Après
avoir fini ses premières étu'les au col-
lège de Naerden, il se rendit à l'uni-
versité de Gôtlingue, et ensuite à Halle,
oii iljouissait de l'auiilié du célèbre
anatomisteI\reckel le père, et de cel-
le du professeur Goldhagen , hom-
me éclairé, qui le guida dans ses étu-
des. Créé docteur le 9 novembre
1782 , il se livra à la pratique jus-
qu'en 1787 , où il fut nommé pro-
f( sseur en chef de la clinique de l'u-
niversité de Halle , et médecin des
pauvies de la ville, ayant l'inspec-
tion de tout ce qui a rapport aux
épidémies et à la police médicale
( médecin - physicien , suivant l'ex-
prcssiun reçue de ce pays ). Reil se
fit remanpier par une activité peu
commune. Son esprit, très - vaste ,
s'étindait avec un égal succès aux
sujets de pure spéculation , comme
aux objets de pratique et d'expc-
lience. 11 n'était étranger à aucun
des systèmes de philosophie qui agi-
tèient, [cndant sa vie, les écoles de
rAllcmagnc,chcr(liant à en profiter
pour éclairer les théories médicales,
REI
mais conservant un jugement pur
et sain auprès du lit du malade.
On le vit , après la bataille de le-
na, exciter son (ils à courir aux
armes sous les drapeaux de son roi,
dans un moment où tout le monde
pliait avec dc'couragcincnt sous le
jou|^- du conquérant qui envahissait,
en 1806, la Prusse entière. Devenu
assez riche par une pratique étendue,
il employa sa fortune, pendant ces
tfemps de malheurs, à encourager l'in-
dustrie, et à établir dans sa ville ,
devenue pauvre , des bains , où sa
réputation attirait des malades. En
i8io , lorsqu'on établit l'univer-
sité de Berlin , le l'oi l'appela dans
la capitale , où , malgré la con-
currence, il soutint sa grande ré-
putation. On le chargea, en i8i3 ,
de la direction des nombreux hôpi-
taux militaires que nécessita la ba-
taille de Leipzig. Étant allé visiter
un de ses confrères et de ses anciens
élèves , attaqué du typlius , il gagna
la maladie, et y succomba, le 12
novembre 181 3. Reil était d'une sta-
ture a«sez grande et d'une indépen-
dance , d'une élévation de caractère
très-remarquable. Profitant des pro-
grès des sciences anatomiques et phy-
siques, il a contribué, plus que per-
soime , à mettre en rapport les con-
naissances physiologiques avec celles
de la pathologie ; et il s'efforça sur-
tout d'éclairer , par ses connaissances
en psychologie, les phénomènes qui
se présentaient dans la pratique. On
trouve des détails sur sa vie dans
une Biographie publiée en 181 5,
par M. Stelfens. Voici la liste de ses
travaux : I. Traclalus de polr-
cholid , et fras^menla metachenia-
tismi polfcholiœ , '2 parties , Hal-
le , 1 783 , in - 8°. II. Histoire de la
maladie du professeur Goldhagen,
Halle, 1788 , en allemand. U].Me.
xxxvii.
REI 373
morabilium clinicorwn medico-vrac-
ticorum , vol. i ; fasciculus pri-
raus, i790jsecundus, 1791 ,• teriius,
I7g3; seconde édition, 1798. IV.'
Archii>e5 de physiologie^ ouvrage
périodique , pubiié en allemand , de
179J à 181 5, 12 vol., et continué ,
après sa mort , par d'autres profes -
seurs. Ce précieux Piecucil a beau-
coup contribué à répandre en Al-
lemagne le goût de la physiologie
et des expériences. Il servira tou-
jours de répertoire pour son époque.
Depuis ledixième volume, Reils'était
associé, pour la rédaction , M. Au-
thenrictb de ïubinguc. V. Exerci-
tationum anatomicarum fasciculus
primas , de structura nerçorum ,
1796, in-fol., avec trois planches.
L'auteur a eu l'ingénieuse idée d'em-
ployer des agents chimiques pour
distinguer les divers éléments dont
se composent les nerfs. Il a, par
ce moyen, présenté les nerfs com-
me des tubes analogues aux autres
organisations vasculaires; ctil les re-
garde comme les conducteurs d'un
fluide particulier. Ces expériences
assez difllciles, ont cependant réussi
à beaucoup de professeurs , entre
autres, à J\[. Chaussier. VI. Rha-
psodien , etc. ( Pensées détachées
sur l'application de la méthode psy-
chologique au traitement des aliénés,
dédiées au professeur Wagnitz ) ,
Halle, i8o3; ouvrage trcs-estimé et
très - remarquable. \\\. Pépinière
pour l'instruction et la formation
des routiniers en médecine ^ comme
besoin de l'état , dans sa position
acUielle,lïa\le, 1804, en allemand.
Ici l'auteur ci'oit que l'étude de la
médecine devient si vaste, qu'il fau-
drait séparer ceux qui sont destinés
àravancemcntdela science, de ceux
qui , par leur capacité et leur posi-
tion, ne peuvent exercer que la pra-
18
274
REI
tique ordinaire. Cette idée, qui a (^t«
souvent discutée et débattue , a été
exécutée en France, par la loi qui a
créé les ofiiciers de santé, loi dont
on rossent tous les jours l'inronvé-
nient. Un grand nombre de Mémoi-
res de ce professeur ont été réunis
en deux volumes, à Vienne, en i8i i;
et en un volume, à Halle, en 1817.
Le portrait de Reil se trouve dans
le XLVii"^. volume de la Bibliothèque
universelle allemande. F — D — e.
REI M AN. V. Reimmann.
EEIM AR(JS ( Herman-Samuel ),
savant philologue , n'est pas moins
distingué pir les services qu'il a ren-
dus aux sciences naturelles et à la
saine philosophie dans le dix-hui-
tième siècle. Né à Hambourg, le li.
décembre 1694, il s'a|»pliqua, dans
sa jeunesse , à l'étude des langues, et
acquit une profonde connaissance du
latin, du grec et de l'hébreu. En ter-
minant ses cours à l'académie de
"Willemberg, i! soutint, eii 17 17, des
thèses , De difjerentiis vociim he-
braïc arum, c[m donnèrent une haute
idée de l'érudilion et de la sagacité
dn jeune candidat. Il parcourut en-
suite nue partie de rÀUernagne, et
s'arrêta quelque temps à Weiraar ,
où, prolitantde ses loisirs, il revit et
publia le recueil de ses Opuscules.
Après avoir satisfait sa curiosité,
qui s'était exercée sur une multitude
d'objets, i! revint à Hambourg , et ,
en i7'/'-7 , obtint une chaire de ])hi-
losophie à l'académie de cette ville,
dont il fut l'im des principaux or-
nements pendant quarante - un ans.
R'imarus avait épousé Jeanne Frc-
dcrique, la troisième (illc du savant
J. Alb. Fabricius ; et jamais union
ne fivt mieux assortie. 11 se fil un
plaisir, encore plus qu'un devoir,
de seconder les travaux philologi-
«fac* de bon bcau-pèrc; et dans ses
REI
fréquents entretiens avec cet homme
si respectable, il puisa de nouveaux
motifs de confiance et de soumis-
sion aux volontés de la Providence.
Sur la fin de sa vie , Reimarus con-
sacra ses loisirs a l'élude de l'histoire
naturelle; mais cette science ne fut
pas pour lui, comme pour tant d'au-
tres, la fasii lieuse et stérile énumé-
ration de plantes, de pierres, de mé-
taux , etc. Sans dédaigner les métho-
des , qui seules peuvent assurer les
progrès , puisqu'elles sont le résul-
tat de l'expérience, il porta cons-
tamment dans l'étude de la nature
l'idée de son auteur, et ce sentiment
religieux , qui a fait deviner des con-
sonances, des harmonies et des se-
crets que nos orgueilleuses lliëories
n'eussent jamais découvertes. On ne
peut trop regretter qu'il n'ait pu ren-
dre publics tous les résultats de ses
recheiches et de ses observations.
D'un tempérament faible et d'une
santé délicate, Reimarus av^it été
forcé à de continuels ménagements
pour lui-même : l'habtlude de souf-
frir lui fit supporter, avec une es-
pèce d'iudifïéience, les maux delà
vieillesse j el il mourut , avec la fer-
meté d'un philosophe chréiien, le
i*^"". niars 1768. Il était membre
de Tacadémie impériale de Péters-
borirg , elde la plupart des sociétés
littéraires d'Allemagne. On lui doit
la meilleure édition de Dion Cassius,
Hambourg, i'j5o-5-i, 1 vol. infol.,
pour laquelle il se servit des nom-
breux matériaux recueillis par Fa-
bricius, son beau-père, et dont il
olïiit la dédicace au savant cardinal
Querini , qui lui avait fourni pour
ce travail les variantes tirées d'un
précieux manuscrit du Vatican ( V.
DionCassius , XI , 3()8). Outre dif-
féiculs Morceaux insérés dans les
Journaux el les Recueils littéraires
REI
de sou temps , on cite encore de Rei-
luanis: I. Primitia JFisincirieiisia ,
Weiiuar, 1728, iu 4'*« Parmi les
opuscules que renferme ce volume ,
ou (lis lingue une Dissertation, dans la-
quelle Reimarus prouve que le génie
de Socrate n'était autre chose que la
prévoyance ( Animi prœsagitio )
dont ce sage était doué; et une réfu-
tation des principes irreligieux de
l'auteur de la Fable des Abeilles ( F.
B. DE Ma>'deville ). II. De vild
et sciiplis Jo. Alb. Fabricii com-
mentarius, Hambourg, 1737, in-
S»^. Celte excellente biogiapliie est
divisée eu trois parties : les deux
premières contiennent la Vie de Fa-
bricius, et le Catalogue chronologi-
que de ses ouvrages; dans la troisiè-
me on a réuni des Extraits de sa cor-
respondance avec le^ savants. III.
Eyiitola ad cardinal. Quirinum ,
qud, occasione edendi Dionis Cas-
sii, ad Nicolai Carminii Falconis
editioncm Irium idtimorum Dionis
libroj-um, ex antlquissimo codiceres.
iitutoruiii animadversiones noiinul-
Las protulit, ihid., i746,in-4°. IV.
Dissertatio de assessoribus syne-
drii magni lxx linguaruin peritis,
ibid. , 1751 , in-4". V. Tracté des
principales vérités de la religion
naturelle (en allemand ), ibid.,
j 754 , in-8°. ; 2^. édit. , 1 772, mê-
me format. VI. Observations physi-
ques et inorales sur l'instinct des
animaux , leur industrie et leurs
mœurs , ihid. , 1760, 2 vol. in 12.
(Cet ouvrage eut le plus giand suc-
cès en Allemagne ; il a été traduit en
français, sur la seconde édit., par Re-
neaume de La Tache, avec un Appen-
dice de l'auteur, et des Notes du tra-
ducteur ( F. RE^•EAL'ME ), Amster-
dam, 1770, 2 vol. iii-i2. Après
avoir défini l'instinct et donné des
notices particulières de chaque cs-
REI 275
pèce d'instinct qu'on observe dans
les animaux, Rcimaïus passe aux
instincts qu'il appelle industrieux ,
et qui font l'objet spécial de son li-
vre. Il démontre que l'instinct qu'a
reçu chaque auimal tend au bien-être
et a la conservation de son espèce; et
il expose rapidement les sentiments
des anciens philosophes sur le mê-
me objet. Dans la seconde partie,
il expose et réfute les systèmes
des plus célèbres philosophes mo-
dernes sur les animaux, tels que
Cudworlh , Descartes, Leibnitz ,
Malebranche, BulFon, et Condillac,
dont il adopte quelques idées, mais
confie lequel d soutient que l'indus-
trie des animaux est innée , et que
l'exercice ne perfectionne point leurs
opérations. Cet ouvrage, écrit avec
autant de clarté que "de méthode,
est plein de recherches curieuses et
d'idées neuves, que l'auteur se pro-
posait de développer si son âge et
ses inlirinités le lui eussent permis.
U Appendice contient une réponse
solide aux objections présentées con-
tre l'ouvrage, parun anonyme , dans
le Journal de Berlin, VII. On attri-
bue à Reimarus les fameux Frag-
ments^ publiés eu 1774 et i7''7,
dans les n"Js. ui et iv des Mémoires
hist. et lift, tirés de la bibliothèque
de fFolfenbuttel ( Voy. Lessi>g ,
XXIV, 3 1 0 ), qui excitèrent une si
grande fermentation dans la théolo-
gie protestante en Allemagne. Ou
peut consulter, pour de plus grands
détails, les diffeients auteurs cités
par Sax, dans le tome vi de V Ono-
masiicon litterarium. W — s
R E I M M A N N ( Jacques - Fr£-
DERic), savant et laborieux biblio-
graphe , naquit le 2'i janvier 1668,
à Grœningen, dans la principauté de
Halberstadt. Sou père, qui remplis-
sait les fonctions de recteur de l'é-
276
REI
cole de cette ville, mais qui était pau-
vre et charge' de famille , après lui
avoir enseigné les cléments de la
grammaire , l'envoya continuer ses
études dans différents gymnases, où
le jeune homme , à force d'applica-
tion , empruntant des livres partout
où il pouvait , en faisant des extraits ,
les copiant même souvent en entier,
et chargeant de notes les marges de
ceux qii il pouvait se procurer, ac-
quit des connaissances trcs-étendues
dans les langues et la liltérature an-
ciennes. A l'âge de vingt ans , il se
renditàracadémie de Icna, qui jouis-
sait alors d'une grande célébrité; il
y apprit l'hébreu , et fit en même
temps , avec distinction , ses cours
de philosophie et de théologie. Il fut
ensuiteadmisausaintministère:mais
son goûl le portant vers la carrière
de l'enseignement , il se chargea de
la direction de quelques petites éco-
les. En 169'i, il fut nommé recteur
du gymnase d'Osterwick; et, l'année
suivante , il fut appelé à Halber-
stadt , et y prit la direction du gym-
nase Joannin ou de Saint -Jean,
qu'il abandonna, six ans après, pour
celle de l'école Martinienne ou de
Saint-Martin. Reimmann , en 1 704 ,
quitta la can'ièrc de l'enseignement ,
et fut élu premier pasteur de la pro-
vince d'Ermsleben. Un incendie dé-
truisit , en 1710, la plus grande
partie de sa bibliothèque : mais il
supporta ce malhenr , un des plus
affligeants cpie puisse éprouver un
bommc de lettres , avec beaucoup
de résignation ; et il s'occupa de
former une nouvelle collection de
livres, plus belle et plus nombreuse
que celle qu'il avait perdue. En
1714 , il accepta la place de biblio-
thécaire du chapitre de Magdcbourg.
Peu de tem])s après son arrivée en
cette ville , il tomba malade assez
REI
gravement; et les journaux littéraires
de l'Allemagne annoncèrent même
sa mort : il se rétablit pourtant , et
reprit ses travaux ordinaires. Enfin ,
en 17 17 , il fut nommé pasteur de
la ville de Hildesheim , et bientôt
après , surintendant des églises, et
inspecteur des écoles luthériennes de
cet arrondissement. Il partagea dès-
lors tous ses moments entre les de-
voirs du saint ministère et le travail
du cabinet. Quoique l'excès du tra-
vail auquel il s'était livré dans sa
jeunesse eût, debonneheurc, affaibli
sa constitution , il jouit , sur la fin
de sa carrière , d'une assez bonne
santé , qu'il atliibuait à la coutume
qu'il avait de lire et d'écrire debout
( 1 ) , mais qu'il dut sans doute aussi à
sa grande sobriété ; et il sortait si
peu qu'il resta quinze ans sans entrer
une seule fois dans un jardin qu'il
possédait sous les murs de Hildes-
heim. Il vécut heureux dans sa fa-
mille , estimé de ses concitoyens et
des étrangers , et parvint à un âge
avancé sans éprouver aucune des in-
firmités de la vieillesse. Reimmann
mourut le !«•'. février 174^ : il avait
eu, de son mariage, quatorze enfants,
dont plusieurs lui survécurent , et
ont cultivé les lettres avec quelque
succès. Outre un assez grand nom-
bred'articlcs et de Dissertations dans
les Observationes selectœ Halen-
siwii ( F. Jacques Thomasius ) , on
a de Reimmann : I. Exercitatio
parergica de fatis studii ^enealo-
^ici apud Hehrœos , Grœcos , Bo-
inanos et Gennanos , Halberstadt ,
1694 , in 4*'' ( F. \e Journal des
savants , 170'i , pag. G88 et suiv. )
II. Histoire critiqtie de la Los^ique
( en allemand ) , Francfort, 1699,
(1) I'(;iii- HP (liis <"lir Iditx- lie contrevenir ?i la loi
(ju'il .s'( tait iiii|>uséo , il |>as.sn ))lii.s tlo trente ana snns
avvir de elinises ni dn limteuils dans son cnbinel.
REl
ia-d'*. Il ne conduit cette histoire
qne jusqu'au commeucement du dix-
septième siècle , et promet la suite
eu annonçant qu'il a déjà recueilli
200 Logiques du siècle qui lui reste
à parcourir. III. Hisloria litteraria
de fatis studii genealogici apud
Hebrœos , Grœcos , Romanos et
Gennanos ; in qud scriptores ha-
mm gentiuinputissiini enumerantur,
et lotus genealogiœ cursus ah orbe
condito usque ad nostra tempora
deducitur , Ascherfleben ( Asca-
niœ ) , 1702, in-S**. Reimmaun pu-
blia une nouvelle édition de cet ou-
vrage , augmentée d'une seconde
partie , sous ce litre : Ilistoriœ lit-
terariœ exolericœ. et acroamaticœ
parlicula, sive de lihris genealogicis
vulgatioribus etrarioribus commen-
tatio , Leipzig, 17 10, in-S". , de
1 18 et 25o pag. IV. Fersuch einer
Einleitung, c'est à-dire, Essai d'une
Introduction à l'Histoire littéraire
en général , et particulièrement à
celle de l'Allemagne, Halle, 170B,
6 vol. in-S". Ce n'est guère qu'une
compilation ; et les critiques alle-
mands en parlent d'une manière peu
avantageuse. V. Versucli einer ^ etc.
c'est -à-- dire , Essai de critique du
Dictionnaire de Bayle , ibid; , 1711,
in-8°. Outre quelques Observalious
générales sur le style et le plan de
l'ouvrage , la critique de Rciramann
porte principalement sur l'article
fVoujVER.W. Libliolheca acroama-
iica comprehendens recensionem
specialem omnium codicum Mss.
hibliolhecœ Vindoboneasis olimàP,
Lambecio et Dan. ISesselio conges-
ta , nunc in epiiomen redacla ; ac-
cessit Dissertatio prœliminaris in
qud de spissis Lamhecii et Nesselii
voluminibus accuratà disserilur,lia-
novrc,' 1 7 1 2 , in-S". , rare. Cet abré-
gé du Catalogue des Manuscrits de la
REI
'77
Bibl. imper, de Vienne est fort esti-
mé. Dans le Discours préliminai-
re, Reimmannjuge avec beaucoup
d'impartialité l'immense travail de
Lambecius , et de son abréviatcur j
et tout en lui donnant des éloges
qu'on ne peut refuser à son érudition,
il relève quelques fautes qui lui sont
échappées ( f^. Lambecius et Nes-
SEL ). VII. Idea systematis antiqui-
tatis litterariœ generalis et specia
lioris , desiderati adhuc inrepublicd
evuditorum litterarid , Hiidesheim,
1718, in-8°. Cet ouvrage est divisé
eu trois parties : dans la première ,
Tautcur , après avoir tracé son plan,
traite des différentes sectes de savants
et de philosophes , de leur doctrine
et de leurs disciples ; des moyens
employés par les anciens pour con-
server les productions de l'espiit, et
des personnes occupées à les trans-
crire , telles que les anagnosles , les ,
calligraphes , les tachygraphes et les
chrysographes chez les Grecs ; les
scribes , les notaires , les tabulaires,
etc. , chez les Romains : la seconde
partie renferme la Notice des écoles
et des académies , des différents mo-
des d'enseignement , et des voyages
lilléraires : enfin la troisième^ qui est
la plus étendue, et qui est divisée eu
sections, à cause de la variété des ma-
tières , contient des détails sur la
doctrine des anciens, sur leur disci-
pline scolastique , leurs bibliothè-
ques , les récompenses décernées aux
savants , et les peines qui leur ont
été infligées , etc. L'ouvrage est
terminé par une histoire littéraire
des Égyptiens, dans laquelle il élab;
plus d'érudition que de critique , et
s'efforce d'élayer , contre Con ring , le
système de Boirichius sur l'impor-
tance de la chimie des anciens Égyp-
tiens, ou Je la philosophieherméliquc
( F. Boaiucuius ). VllI. IntrodiiQ'
278 REI
tio ad historiam vocabidorum lin-
guœ latince, Halle, 1718, in-S". Ce
n'est qu'un essai qui roule sur sept à
huit cents mots. Ce sujet a été' de-
puis traite avec bien plus de détail
( F. FuNCR, XVI , i85 ). IX. Jlis-
toria unwersalis atheismi et aiheo-
riim falsb et merilb suspectorum
apud Judœos , Ethnicos , Christia-
nos , etc. , Hildesheim , i7'-i5 . in-
8°. Il y a de l'érudition dans cet ou-
vrage ; mais on reproche à l'auteur
des inexactitudes , des omissions im-
portantes et des jugements hasard-is.
X. Ilias post Homerum , hoc est , in-
cunahula omnium scientiarum ex
Homère eruta et systematicè des-
cripta , Lemgo , 1 7*^8 , in - 8". Ce
livre, auquel Reimmann attachait la
plus grande importance, et qui lui
avait coûtébeaucoup de peine, futim
primé en son absence; et Ton négli-
gea de corriger les épreuves d'après
f sa révision : aussi les fautes d'impres-
sion qu'on y laissa, sont en si grand
nombre, que cela suffit pour le dé-
goûter de publier trois autres ouvra-
ges auxquels ce volume devait servir
d'introduction : Incunalula theolo-
Ç^ce ethmcce , jurisprudentiœ et me-
dicince, ex H ornera erula. XI. Ca-
talogus bihliotliecœ theologicœ sjs-
tematico crilicits, m qiio lilni thco-
îogiciin hihïioth. aucloris extantes,
editiet inediti, in ceitas classes di-
gesti qud fceripoluit solerlid enume-
rantur, Hildesheim, 1731, in-8*\,
de plus de douze cents pages , avec
le portrait de l'auteur. C'est le Cata-
logue raisonné de sa bibliothèque.
Une ample table des auteurs facilite
les recherches dans ce livre vrai-
ment précieux par sa classification
méthodique, et par la précision des
jugements que l'aulcur y porte sur
les didorenis éciiv.iins de sa com-
munion. Queltyies - uns de ces jugc-
REI
racnts ont été vivement censuras par
les rédacteurs des Acta etuditorran
Lipsens., ann. i 782 , 877 84. H faut
joindre à ce volume : Âccessionês
iiheriores ad catalagum hihliothec(S
theolopiccs systematico - criticum à
sectione 1 iisqiie ad sectionem ri ,
Brunswick, i747,in-8°., déplus de
5oo pag. Ce Supp!ément a été publié
par J. - Guill. Reimmann , après la
raort de son père; il en promettait
la suite : mais elle n'a point paru.
XII. Bibliotheca historiœ litterariœ
critica , eaque generalis , hoc est ,
Catalogi hibliolh. auctoris systema-
tico - critici tomus secundus , Hil-
desheim , 1739, in-8°. XIII. Ilis-
toria litteraria Babjloninntm et Si-
nensium , Brunswick, 174' 5 in-8".;
livre savant et curieux. Reimmann a
laissé différents ouvrages en manus-
crit , entre autres , une Histoire lit-
téraire de la principauté de Hal-
berstadt, depuis Charlemagne. Les
Mémoires qu'il avait composés , eu
allemand, sur sa vie, ont été termi-
nés et publiés par Fréd.-Hcnri Theu-
neg, son beau -frère, inspecteur des
écoles du duché de Magdebourg
Brunswick, 1 74^>, i« 8>'. On y trouve
quelques détails inléressanls. W — s.
REINliCCIUS ou REINECK
(Rf.inier), l'un dos restaurateurs
des études historiques en Allemagne,
naquit, en i54i , à Stcinhcim ,dans
le diocèse de Paderborn. Il eut pour
maîtres Mélanchthon et Glandorp ,
qui lui firent faire de grands et ra-
pides progrès dans les langues grec-
que et latine. Après avoir leiniiné
ses études , il fut pourvu de la chaire
de belles - lettres à l'académie de
Francfort, et la remplit long-temps
avec disliuction , sans inlcrroinpie
les recherches historiques auxquelles
il consacrait tous ses loisirs. 11 pro-
fessa, depuis , la littérature et l'his-
RE[
loire, à racadémie dcHelmstadt, ef
mourut en cette ville, le 16 avril
1 595 , par suite d'une chnfe , à l'âge
de cinquante-quatre ans. On trouvera
la liste trè^-étendue de ses ouvrages
dans les Eloges de Tels- 1er , 1 v, '^Si
et suiv. Il a publie de bunnes édi-
tions des Annales Saxones de Wi-
tickind , moine de l'abliaye de Cor-
vey , Francfort , iS^S, in-fol. ; de
la Chronique de Dilhinar, ibid. ,
i58o , in-fol. ; de la Chronique des
Slaves , par Helraold , prêtre de Lu-
bec k , ibid., i58i , in-fol. 5 de la
Chronique d'Albert ou Alberic, cha-
noine d'Aix , Helmstadt , 1585 , 2
vol. in-4°. ( F'- Albert , I , 4'9 ) 5
de la Chronique d'Albert , abbé de
Stade , ibid. , 1587 ; de V Onomas-
ticon historice romance ( P^. Glan-
DORP ) ; et enfin de V Histoire de Fi-
pert , marquis de Lusace , par un
anonyme , moine de Pcgau , Franc-
fort , 1589, in-fol. Parmi les ou-
vrages de tieineccius , on se conten-
tera de citer : I. Historia Julia sive
sjntagma heroïcum continois his-
toriam Chaldœurum, Assyriorurn ,
etc., Helmstadt, iSg^, 95, 97,
3 vol. in-fol. ; c'est l'édition la plus
complète et la plus estimée de ce
livre , très - savant et plein de re-
cherches curieuses , sur les anciennes
dynasties. C'est le premier ouviage
où l'on ait traité séparément , et
d'après les sources originales , l'his-
toire des divers peuples de l'aniiqui-
te'. L'auteur l'intitula: Historia Ju-
lia , par allusion au nom de l'uni-
versité de Hilmstadt ( appelée en
latin Academia Julia), dans la-
quelle il était professeur. M. Brunet
a donné la description de ce livre
dans le Manuel du libraire. II. La
Chronique des margraves de Bran-
debowg , hurgraves de Nuremberg
( eu allemand ), WiUembtrg, ij8o,
REl 579
iu^". HT. Origines siirpis Branden-
buigicœ , Francfort , i58i , in-fol.
IV. Melhodus legendi, cognoscendi-
que historiam , Helmstadt, i583,
lu-fol. Ce n'est guère qu'une compi-
lation ; mais on y trouve des choses
utiles. V. Ej>iHolœ duœ de Fltic-
kindo magno ,cum appendice, ibid.
1 583 , iu fol. VI. Annalium de ges-
tis Caroli Magni imperatoris , libri
V, opus auctoris incerti , etc. , ibid, ,
1594, in -4''. Première eailion de
cette chronique versifiée , compo-
sée sous le règne de l'ompTeur Ar-
noul , par un moine de Padcrbnrn,
désigné quelquefois par le titre de
Poêla saxo : elle s'étend de l'an 771
à 814 > <-'t a été reproduite dans les
collections de Duchêne, de Lcibnitzet
dedom Bouquet. VII. Historia oriert-
talis seu de rébus in Oriente gestis
à Christ ianis , Saracenis et Turcis ,
etc., Francfort, 1095 ou 1596,
in-fol. C'est un Recueil de divers au-
teurs. Reineccius adressa , quelques
mois avant sa mort, à Henri Mei-
bom , une courte Notice^sur sa vie
( Narratio de vitd sud) : cette pièce
fait partie des Opuscula varia de
IFestphalid , publiés par Jean Goes,
Helmstadt , 1668 , in 4"- ; et elle a
été insérée depuis dans les Memorice
philo ophonim de Roliius , Leipzig,
1710, in 8^^. On peut encore consul-
ter, pour de plus grands détails, le
Programme de Franc. DouiiMique
Haeberliii : De R. Reineccii mertis in
omnem historiam, ut et academiam
Juliam,prolusio academica, Helm-
stadt, i 746, in 4"- VV — s.
REINECCIUS ( Chrétien ), phi-
lologue et théologien allemand, ne',
en iGOS, à Gross - Muhlingen en
Saxe, où son père était pasteur, élu •
dia aux universités de Rostock et de
Leipzig, et enseigna, dans la derniè-
re, les langues cl la philo60['lue. De
a8o
REI
Leipzrc , il fut appelé à Weissenfels ,
où il obtint le rectorat du gymnase,
et le litre de conseiller du consistoi-
re. Ayant reçu sa retraite, en 1743,
il mourut le 18 octobre i752,apiès
une vie très -laborieuse et consacrée
tout entière aux lettres. Ses e'crits ,'
dont il a publié lui-même la Notice,
sont en grand nombre. Ou estime'
particulièrement ceux qui sont re-
latifs à l'ctude de la langue hèbt:aï-
que. I. Disputalio de septem dor-
inienlihus , Leipzig, 1702, in - 4".
II. Universœ de termino graîice pe-
remptorio controversiœ Epitome , 2
part. , Leipzig , 1702- 1703, in- 4"- '
III. Poccchii notœ miscellaneœ ,
ibid. , 1705, in-4°. IV. Christiani,
Judœi conversi , Perjudische Glau-
he iind ^berglaube, cian pnvj'at. de
co7iversione Judœonun , ibid .,1705.
V. Concordia germanico - latin a ,
ibid,, 1708, 1735, in-4". Les Pro-
testants d'Allemagne regardent ce
Recueil de formules de concordan-
ce comme un des meilleurs ; aussi
a-t-il été approuvé par plusieurs fa-
cultés de théologie, VI. Biblia qiia-
drilinguia Novi-Teslamenti , Leip-
zig, 1 7 1 3 , in-fol. , et , avec un nou-
veau titre, 1747- I-'S texte grec se
trouve entre la version syriaque et la
grecque moderne; et, en regard, on a
imprimé la version latine de Scliraid
et la version allemande de Lu-
tlier : au bas sont les variantes grec-
ques ; et à la marge de la version al-
lemande, Reineccius a rnpporté les
passages analogues; enfin il a joint
des notes à celte version. VII. Biblia
hebraica ad optitnas quasque cdi-
tiones expjcssa , cum v.oiis masore-
thicis et numeris distiiictionum ,
Leipzig, 1739, in -4". Celle édition
du texte licbrcu de l'Aurien - Testa-
iiK'nt , avec les points voyelles, a re-
paru par les soins de J.-Doderlein et
REI
de J.-H. Meisner, enrichie d'une im-r
mense quantité de variantes (d'après
Kennicott et De Rossi ) , Halle , mai-
son des Orphelins, 17Ç)3, 4 parties
in - 8", , formant 1424 P^g- > tiré à
dix mille exemplaires. On y a mis ,
en 1818, un nouveau litre , en y joi-
5;nant une Préface de G. -G. Knapp.
VIII. F etus-Testamentinn grœciim
ex versione zxx inlerpretum , unà
cum libris apocrjphis, secundiim
exemplar T'aticanwn, ib. , 17305
réimprimé plusieurs fois. IX. Au-
gustana conjessio germanica et la-
iina , cum versione grœcd Pauli
Dulscii solutd et Laur. Mhodoman-
ni metjicd, addita quoque est exer-
citatio histor. de P. DolsciiversiO'
ne grœcd, ibid., 1730. X. Biblia
sacra quadrilinguia Feteris-Testa-
menti hebiaïci , cum versionibus è
regione positis, utpole versinne grœ-
cd Lxx irderpretum ex codice ma-
iiuscripto AlexandrinOy noviter ré-
visa, et tt'xiuihebrœo curatiùs ac-
commodatd, et germanica Lulheri,
adjectis notis masorethicis et grœ-
cœ versionis lectionibus codicis Va-
iicani, notisque philologicis et exe-
gcticis , Leipzig, i743, 3 vol. in-
iol. Reineccius a été aussi l'éditeur de
la Bible en allemand , Leipzig, 1 708,
in-4°. ; des Concordantiœ bibliorum
germanico-ebrdico- grœcœ , Lei]>zig
et Francfort, 1718, 2 vol. in-fol. ;
de la Traduction latine de l'Alco-
ran, par Maracci, Leipzig, 1721 ,
in-8". , et du Nouveau-Tesfnuient en
grec, Leipzig, 1725, i733, 1745.
11 a écrit environ cent cinquante pe-
tites Dissertations académiques, ap-
pelées, en Allemagne, Programmes;
on y remarque les suivantes : JJescho-
lis //ebraorum , 1722; De origine
arlis medica', 1 724 ; De anliquitale
bibliolhecarum , 172C); De antiqui-
late et vrif^ine jubilœorum , 17805
REI
De ignorantid et barbarid papatus
tempore beati Liitheri , 17'jo; Car-
miiia sihyllina , prout hodiè extant,
covficta esse à christiano , et noci-
va fuisse Ecclesiœ ji'^^o. D — g.
REINEGGS ( Jacques ) , voya-
geur allemand, e'tait fils d'un barbier
d'Eisleben en Saxe, nommé Ehlicli.
Ce ne fut qu'après être sorti de l'Al-
lemagne^ que le fils prit le nom de
Reineggs. Ne en 1744? i^ partit, à
l'âge de dix-huit ans , pour Leipzig,
en qualité de garçon barbier ; étu-
dia la médecine et la chimie ; puis ,
ayant fait des dettes , disparut dans
un état assez pauvre. Au bout de quel-
que temps, on le vit revenir ayant
tout en abondance : après un court
séjour, il repartit, et joua la comé-
die à Vienne. II y avait au théâtre
un jeune homme qui avait quitté,
comme lui , ses études de médecine ,
pour être comédien. Une dame à
qui un ami avait parlé de l'étourderie
de ce jeune médecin , s'offrit à payer
pour lui les frais d'étude : on vint
de sa part chercher an théâtre l'étu-
diant en médecine. Reineggs seprésen-
te, joue fort bien le rôle de son cama-
rade , reçoit les secours pécuniaires ,
va achever ses études en Hongrie, et
y pi-endreîes degrés dedocteur. Avec
ce titre, il alla s'établira Vienne;
mais n'ayant pas assez de patience
pour attendre des malades, il renon-
ça à la médecine, et se fit donner un
chétif emploi dans l'administration
des mines de Schemnitz. Dans cette
petite ville , il se livra , avec une ar-
deur peu commune, à l'étude de l'his-
toire naturelle, et y fit des progrès
rapides. Mais, dégoûté de sa position
subalterne , il ne rêva qu'aux moyens
de faire fortune. L'Orient lui sembla
un théâtre 00 nvcnableà ses desseins.
H étudia la langue turque, et reprit la
niedeciiie : on dit même quexlans la
RÉI 281
suite, pour mieux jou€r le turc , il
se fit musulman. S'étant embarqué à
Venise, pour Smyrne, il erra en
Turquie , parut à la cour du prince
Héraclius,en Géorgie, et devint son
médecin et son favori. C'est là que
ses rêves commencèrent à se réali-
ser. Faisant part aux Géorgiens des
sciences d'Europe, il devint le bien-
faiteur de la contrée. Il y perfection-
na la fabrication de la poudre et la
foute des canons. Il fit établir une
imprimerie à Tiflis; et l'on y publia
les principes d'économie politique
du ])ublicisle autrichien Sonnenfels,
traduits en persan par Reineggs, et de
cette langue en géorgien , par le prin-
ce Héraclius, qui voulait même les
faire meltrcenpratiqucpar Reineggs,
dans ses états. Le voyageur allemand
qui introduisait ces réformes, fut com-
blé de présents j on inscrivit son nom
en lettres d'or sur la fonderie auprès
de Tiflis , et Héraclius l'éleva au
rang de bey. On ne sait ce qui lui fit
entreprendre, en 1782, un voyage
à Pétersbourg ; ce fut probablement
une mission de sou maître. Mais le
gouvernement russe n'eut pas beau-
coup de peine à gagner Reineggs , et à
en faire son agent auprès de celui-là
même dont i! devait défendre les in-
térêts. 11 traversa cinq fois le Cauca-
se avec des missions russes, et hâta ,
en 1785, la soumission du prince
Héraclius a^i sceptre de Catherine,
et la perte de l'indépendance de la
Géorgie. Le mystère dans lequel on
enveloppe en Russie les affaires
du gouvernement , fait que l'on con-
naît très-peu la vie politique de Rei-
neggs, quoiqu'on la devine. Pour
le récompenser de ses services se-
crets, il fut nommé conseiller du
collège impérial , directeur de l'ins-
titution des élèves en chirurgie , et
secrétaire perpétuel du collège im-
282
REI
périal cie médecine. Il passa le reste
de sa vie à Pe'tersboiirg , et y mourut
en mars i tqS. En arrivant dans
cette capitale, en 178,1, Reincggs
avait apporte une histoire manus-
crite de la Géorgie : il la communi-
qua au célèbre Pal las; ce savant ju-
gea que c'était la meilleure histoire
de ce pays, et l'inséra au tome u de
ses Nordische Bejlrœge , avec de
grands éloges pour l'auteur. Piei-
neggs n'a rien publié, lui-même;
mais, après sa mort, on trouva dans
ses papiers une Description histori-
que et topographique du Caucase ,
qu'il n'avait peut-être pas regardée
comme assez complète, ou qu'il n'a-
vait pas cru prudent de publier, crain-
te de se compromettre auprès d'un
ç;onvernement ombrageux. Cepen-
dant Sclirœderle publia Cii allemand.
Gotha, i796,.>voLin-8<'.L^ouvrage
intéressa vivement les géographes,
tant à cause du pays qu'il décrit, que
parle grand nombre de notions cu-
rieuses que l'auteur y avait consi-
gnées. Cependant en Russie, où l'on
était à portée d'en mieux jiiger , la
description de Reineggs fut re-
connue très - fautive ; et lorsqu'en
1807, M. Klaproth fut envoyé au
Caucase, un des motifs de celte mis-
sion fut de vérifier la relation de
Reineggs, pour y démêler le faux d'a-
vec le vrai. C'est ce qu^a fait M. Kla-
proth : il déclare, dans la préface du
tome i^"". de son Foyoge au Cau-
case , que la description de ces mon-
tagnes, donnée par Reineggs, est écri-
te Irès-Iégèreinent; que la moitié en
est fausse ou inexacte; qu'elle a été
tronquée d'ailleurs par un éditeur
ignoiaiit, et qu'elle ne peut servir
jusqu'à un certain jioint qu'à celui
qui, cotuiaissant déjà le Caucase,
est en état d'apercevoir les erreurs
<iu*tllc contient. M. Klaproth assu-
REI
re que l'aventurier Reineggs était
venu au Caucase avec le comte hon-
grois Cohary, dont il devint l'héri-
tier à Tiflis. D — G.
REINESIUS (Thomas), méde-
cin , philologue, antiquaire, naquit
à Gotha , le i3 décembre 1587 ' ^*
fit des progrès si rapides dans ses
premières études , qu'à douze ans
il savait déjà le grec et le latin. L'em-
barras de sa prononciation le ren-
dant peu propre au ministère évan-
gelique , il résolut de s'appliquer à
la médecine, et fréquenta successive-
ment les académies de Witlemberg
et de léna. Après avoir terminé ses
cours , il visita la Bohème , l'Allema-
gne, l'Italie , afin de perfectionner ses
connaissances et en acquérir de nou-
velles. Il s'arrêta quelque temps à
Padoue, pour suivre les leçons des
célèbres professeurs de cette ville ;
et , en passant à Bàle , il prit le doc-
torat, dans l'espoir que Gisp. Hof-
mann , son parent , lui ferait obtenir
une chaire alors vacante à l'acadé-
mie d'Altorf. Piqué de la préférence
accordée à l'un de ses concurrents ,
il refusa de faire de nouvelles dé-
marches , et s'établit dans le mar-
quisat de Barcith , où il partagea son
temps entre la pratique de son art ,
la cidture des lettres et les recher-
ches d'antiquité. Bientôt après, le
margrave de Bareith le nomma son
médecin , et lui confia l'inspection
des écoles publiques établies dans
ses états. En i6'^.7 , Rcinesius ac-
cepta la place de médecin de la ville
d'Altenbourg , où il demeura plu-
sieurs années, et parvint à la dignité
de bourgmestre. L'électeur de Saxe
l'ayant nommé l'im de ses coiisiil-
lers , Rcinesius vint habiter Leip-
zig, où il mourut, le 17 janvier (1)
(1} 0\i le i3 fivricr, «uiïaiil Baylc , oti le l\
•L'iun JoirluT.
REI
1667 , à l'nge de quatre-vingts ans,
laissant la réputation d'un habile
critique, et d'un antiquaire très-
distingué, mais d'un caractère foi t
bizarre et d'une humeur difficile (2).
Ce fut l'un des savants étrangers que
les bienfaits de Louis XIV allèrent
chercher dans leur patrie. Reinesius
te'inoigna sa reconnaissance à Col-
bert, de l'avoir indique au choix du
monarque, en lui dédiant ses Obser
valions sur Pétrone. Malgré les de-
voirs de son état , et ses nombreuses
occupations , il entretenait une cor-
respondance suivie avec la plupart
de ses compatriotes qui cultivaient
avec quelque distinction la mctlerine
ou l'archéologie On a publié le Re-
cueil de ses Lettres à Gaspar Hof-
mann et André Kupert , Leipz g ,
1660, 10-4".; à Jean Vor>tius ,
Coin , 1667 ' i""4°' ; 3UX deux Nes-
ter , père et fils, Leipzig, 1670,
in 4*^.; à Clirist. Daura, léna, 1670,
13-4". ; cl à Je-n- André Bose , ibid. ,
1700 , in- 12. Toutes ces Collections
sont très-cstimées. Reinesius avait
été marié deux fois : les eiifants qu'il
eut de son premier mariage , mou-
rurent tous en bas âge ; et il n'en
eut pas du second , de sorte que sa
bibliothèque et ses manuscriis pas-
sèrent à des collatéraux. Par son
testament, il demanda d'èlre enterré
sans aucune pompe; mais en a fait
un repro he aux Leipzicois de s'être
confoiméstropscrupulcuseineutàses
dernières volontés. Outre des Notes
sur Manilius , insérées dans Tédiliou
de ce poète, Strasbourg, i ()">■), in-
4°., et des Observations sur Pétrone,
Leipzig, iCGG, in - 8''. , dont on a
parlé plus liiut, on citera de Heine-
(») Oïl r^i miinc lin suj- 1 i"i t|iii' <|iii'.i ai ri> <l tii-
Hp, d'aprrs les gr^tiuls pcl'ts de rire aiixqiu-ls ■ i» l'en-
tendxit quelnmlois se livrer qiiaii'l il m- tniiivail seul
dsas sa blbliotlil'Uiie, et qu'il d< couvrait quclc|iia
Kronxi bcTuC dans les auteurs qu'il consultait.
REI 283
sius : I. De Diis Syns sive de numi-
nibus commentitiis in ■veteri Testa-
mento memoralis sj ntagma , Leip-
zig, 1623, in -4°.; cet ouvrage,
quoique savant, est moins complet
que celui que Selden a publié depuis
sur la même m.itière(/"'. J. Selden).
IL De Deo Endovellico ex inscrip-
tionibus in villd T^izosd (3) Liisila-
niœ reperds comment atioparcrgica,
Altenbourg , 1637 , in-4°. C'est une
divinité des anciens Lusitaniens , la
même que Mars , ou selon d'autres,
que l'Amour. \W . Ilistoroumena lin-
i^uœ punicœ , errori populari ara-
hicain et pur.icam esse camdern.
opposita , ibid., 1637 , in-4". Cette
curieuse Dissertation a été insérée ,
ainsi que la précédente , par Giac-
vius dans le Syntagma variar. Dis-
sertât, rariorum , Utiecht , 1701 ,
in- 4". IV. Variarwn lectionum li-
bri très priores , in quihus de scrip-
torihus sacris et profanis , classicis
plerii,que disscrilur , ibid. , i64o ,
in-4°- Ces trois premiers livres de-
vaient être suivis de trois autres qui
n'ont point paru (4)- Quelques-unes
des explications de Reinesius furent
attaquées avec beaucoup d'aigreur ,
par André Rivinus , qui ne rougit pa?
d'employer ensuite toute soi te de
moyens pour empêcher son adver-
saire de lui répondre, jusqu'à vou-
loir intéresser les magistrats à une-
discussion toute littéraire. Reinesius
vint cependant à l'out de df'jouer ces
intrigues, et fit par.iîtiesa réplique
sous ce titre : De ensio Fa'iarum
lectionum contra ce' siiram poël(e
L. ( Laureali ) , Rnstock , 1 653, in-
4°. ( r. A. HiviNus. y V. Inscriptio
vêtus Auguitœ Findflicor. erula et
(î^ Viseo , dans la province de Peira.
(4) Fr' ytag a dunnr nnc b»nue description de r.t
RtcucU daus V.-ld/jaratu3 litlerariut , III ,G97-'7o.5.
^84 REI
commentario illustrata, Leipzig,
i655,in-4o. VI. jEnigmati Pata-
viiio OEdipus è Germanid, hoc est,
marmoris Patavinl interpretalio ,
ibid. , 1661 , in-40. ; Paris , 1G67 ,
in-4°' 1 par les soins de Ferd. Brum-
mier. C'est une nouvelle explication
de la fameuse epitaphe à'jElia Lœ-
lia Crispis, qui a tant et si inutile-
ment occupé quelques erudits ( Foy.
Malvasia , XXVI , 4i8). VIT. De
palatio Laleranensi ejusque comi-
tivd commenlatio parergica ; acce-
dit Georg. Schubarti de comilihiis
Palalinis ccesareis exercitatio his-
torica, lëna, 1679, in-40. YIII.
Sjntagma inscriplionum antiqua-
rum , Leipzig , 1682 , in-fol. Ce Re-
cueil ne renferme que les inscrip-
tions omises ou mal explique'es par
Gruter ( Foy. ce nom). Les savants
regrettaient que l'éditeur n'eût pas
publié en même temps un ar.tre ou-
vrage de Reincsius ( Êponymolo-
gium criticum ), qui ne pouvait man-
quer d'éclaircir une foule de passages
encore obscurs des auteurs grecs et
latins. Le manuscrit autographe se
trouvait, en 17 17, dans les mains
de Th. Fritsch , libraire à Leipzig j
et on se flattait qu'il répondrait aux
vœux de tous les philologues en le
mettant bientôt sous presse ( Foy.
Klefeker , Biblioth. eruditor. prœ-
cociuin , p. 3i3 ) : mais leurs espé-
rances , à cet égard , ne se sont pas
réalisées. IX. Dissertatio critica de
sihjllinis oraculis , léna , 1 702 , in-
4**.; à la suite d'un ouvrage de Georg.
iSchubarl : Enarvatio parer gica Me-
tnmorphoseos Ovidianœ de dilmio
Dcucalionis. X. Jiidicium de col-
leclione Mss. chemicoram gnvco -
rum fjuœ extal in biblioth. Gothand,
i nséré dans le Catal. des liiss. de la
h iblioth. de Gotha , Leipzig , 1714,
\ n-4'>. , pag-. 88 , cl dans la Biblioth.
REI
grecque de Fabricius , tome xii ,
p. 748. On trouve quelques Lettres
de Reinesius, à la suite de son Éloge ,
dans les Elogiaclaroriim Altenbur-
gensium , par Fred. Gotth. Gotter ,
léna , 1 7 1 3 , in-8'^. Bayle , dans sou
Dictionnaire , et Niceron dans le
tome XXX de ses Mémoires , lui ont
consacré des notices intéressantes.
La Fie de Reine sius , e'crite par lui-
même , en allemand , et trouvée dans
ses manuscrits , a servi à la Notice
donnée par Witlen , Memor. philo'
soph. dec. VIII, p. ^Qi et suiv. Jac.
Brucker en a inséré une plus dé-
taillée, en allemand , dans son Tem-
ple d'honneur de la littérature ger-
manique y dec. m , p. 1 10 , Augs-
bourg, 1747 , in-4*'- W — s.
RÈINHARD ( François -VoLK-
MAR ), célèbre prédicateur protestant,
naquit, en 1753, à Voheustrauss ,
dans le duché de Sulzbach. Jusqu'à
l'âge de quinze ans, son père, pasteur
de ce bourg, fut son unique institu-
teur. La Justesse et la régularité des
pians qui distinguaient les discours
oratoires du père, et son admiration
des anciens , née d'une connaissance
aprofondie de leurs écrits, exercèrent
une grande influence sur les études
du fils et sur le genre de corapositioii
que celui-ci adopta dans la suite pour
ses sermons. Dans la langue natio-
nale, qui n'olTrait pas encore de mo-
dèles', Reiuhaid s'attacha au petit
nombre des restaurateurs delà litté-
rature allemande qui commençaient
à se faire un nom , surtout à llaller :
le style nerveux et concis de ce poète,
plus remarquable par la richesse des
pensées que par la pureté ou l'élé-
gance de la diction , fit sur son es-
prit une impression dont les traces
se retrouvent dans plusieurs des ou-
vrages de Rcinhard. Son père, sen-
tant sa santé décliner , et picsagcaut
REÏ
sa fin , lui procura une place au
gymnase de Ratisbonne. La Messiaâe
étant tombée dans les mains du jeune
•homme , Klospstock s'empara bien-
tôt de son imagination avec autant
de force que l'avait fait Haller ; et la
lecture des auteurs classiques de l'an-
tiquité l'occupa, encore long-temps,
beaucoup plus que les e'tudes ne'ces-
saires à l'état auquel il se destinait.
La Bible avait , toutefois , été pour
lui, dès l'âge le plus tendre , un objet
de vénération et de vif intérêt. Mais
une santé chancelaute, qui paraissait
s'opposer à ce qu'il suivît la vocation
qu'il se sentait pour le saint minis-
tère , lui fit prendre la résolution
d'employer tout son temps à l'acqui-
sition de connaissances utiles dans
toutes les professions libérales ; et
pendant son séjour à Ratisbonne, la
philosophie, la philologie, l'histoi-
-e, furent l'objet de ses travaux plus
habituellement que les sciences théo-
logiques proprement dites. Après
un séjour de près de cinq ans au
gymnase de Ratisbonne, il se rendit,
en 1773, à l'université deWiltem-
berg ; et quelques essais de prédica-
tion lui ayant prouvé que sa poitrine
pourrait supporter les fatigues du
ministère de la chaire , il se livra
dès-lors avec ardeur à toutes les étu-
des du théologien. La lecture des ser-
mons de Saurinsurla Passion, fit sur
lui une impression profonde , et pa-
raît avoir surtout contribué à tour-
ner son attention vers l'éloquence de
la chaire et les qualités essentielles
de l'orateur sacré. Sa réputation, et
les amis qu'il s'était acquis, lui procu-
rèrent , en 1 782 , la place de profes-
seur en théologie à l'université où
il avait terminé ses études. Aux fonc-
tions qu'elle lui imposait, il joignit ,
en 1 7 84 , celles de prédicateur de l'é-
glise universitaire, et d'assesseur du
REI
a8:
consistoire. Dès 1777, il avait ouvert
des cours de philosophie, qui furent
suivis par un grand nombre d'audi-
teurs; et de 1778a i784,ilpartagea
son enseignement académique entre
cette science et la théologie , en don-
nant chaque jour quatre ou cinq heu-
res de leçons. A dater de 1 784 , il eut,
indépendamment de ces travaux , à
prêcher tons les dimanches et les
jours de fêles. Ses forces et son temps
semblaient croître avec la multiplicité
de ses occupations. Cédant aux ins-
tances des étudiants', il consentit à
présider les exercices pour la prédi-
cation , auxquels se livraient tour-à-
tour les membres d'une société Jio-
milétique , formée sous ses auspices.
Il dirigeait aussi les discussions en
langue latine , auxquelles les plus
avancés d'entre ses élèves prenaient
part , leur prodiguant ses conseils, et
les recevant à toute heure. Un grand
nombre de ses disciples s'est illustré
depuis dans différentes carrières.
Nous ne citerons ici que G. - E.
Schulze, l'un des plus célèbres défen-
seurs du scepticisme, et l'un des méta-
physiciens les pins subtils des derniers
temps , qui lui dédia son Esquisse
des sciences philosophique s . Toutes
les leçons de Reinhard étaient médi-
tées d'avance. Hédigécs par des au-
diteurs instruits , elles étaient fort
recherchées en manuscrit, de même
que le furent plus tard ses sermons
recueillis j)ar des tachygraphes à
Dresde , où Reinhard fut appelé en
i79'2 , pour remplir les places de
premier prédicateur de la cour de
Saxe, de conseiller ecclésiastique, et
membre du consistoire suprême. C'est
là qu'il trouva l'occasion de déployer
toutes les ressources de son esprit ,
toute la rectitude de son jugement ,
toutes les richesses et la variété de
son instruction , toute la fécondité
286 REI
et la souplesse de son talent , et
tout l'ascendant de ses vertus. C'est-
làque, pendant vingt ans, les ser-
mons qu'il |)rononça dans l'église
du chàleau, firent l'a liniralion d'un
auditoire choisi et l'édification de
son troupeau, jusqu'à sa mort, ar-
rivée le G septembre iSi^. C'est
à Dresde que du haut de la chaire
e'vange'iique , et dans des moments
dillicilcs, il adressa aux états de son
pays , à Touverture de leurs se.>-sions
périodiques , ces discDUis s^i ])leins
de hautes vues et de nobles mouve-
ments qui , plus d'une fois, relevèrent
le courage abattu des représentants
de la uaiiou , prévinrent des dissen-
sions pièles à s'élever , étO'.frèrent
des germes de méconlentemeuf et
de discorde , rapprochèrent les es-
prits, concilièrent des intérêts divisés.
A sa voix, le calme et la conliance
en Dieu rentraient dans les âmes ; le
feu sacré de l'ainonr de la patrie ,
alluniéau flamLeau de l'Évangile, pé-
nétrait les cœurs et les disposait à une
généreuse lutte de sacrifices. Depuis
i-jQj, il publia, chaque année, le Re-
cueil des discours qu'il avaitpronou-
cés l'année précédente. 11 en est lésulté
une Collection fort étendue, compo-
sée de plus de six cents sermons, es-
pèce d'encyclopédie morale et reli-
gieuse, égaieuient utile au prédicateur
et au simple laie. A ces travaux
d'orat'^ur sacré, se j>iignaieul des
occupations admiuisiratives multi-
pliées. 11 était non-seulement le mem-
bre prépondérant el le plus laborieux
du conseil d'où relèvent toutes les
causes eccicsias iques du royaume de
Saxe, mais encore examinait ur en
chef des candidats du saint ministère,
et des pasteurs qui aspiraient à ua
emploi plus éh vé. Son influence ad-
ministrative se manifesta , par des
amclioralious dans toutes les bran-
REÏ
ches de l'enseignement scolaire et
religieux , par une organisation nou-
velle des séminaires destinés à la
formation des maîtres d'école , par
des changeiucufs utiles apportés aux
livres de liturgie et de chant pour
les églises , ainsi qu'au choix des
textes bibliques , qui sont prescrits
aux pasteurs en Saxe, et dont il aug-
menta le nombre ou distribua mieux
les séries. Il s'efforça de rendre l'ins-
truction offerte à la jeunesse dans
les universités et dans les trois col-
lèges royaux , plus étendue, plus so-
lide et mieux graduée. Le seul re-
proche qui lui ait éié fait , c'est
d'avoir, d'abord, à Wjtlemberg, ex-
clu de son cours de philosophie, com-
me ailministrateur , et peu favorisé
ensuite , la pédagogique, cette bran-
che iuipoMante delà psychologie, de
la logique et de la morale appliquées.
Peut-èlre la circonstance de n'avoir
jamais eu d'éducation privée à diriger
ou à surveiller, contribua- 1- elle à
détourner son attention des inté-
rêts d'une science à laquelle l'Al-
lemagne lettrée assigne aujourd'hui
un des premiers rangs parmi les
objets de l'enseignement académi-
que. On devrait croire que tout
son temps était absorbé par la com-
position de ses sermons , et par les
occupations d^me vie publique fort
active , augmentées encore par une
correspondance étendue sur des cas
de conscience, ou sur des projets lit-
téraires que s'empressaient de lui
comrnunic|uer une foule d'hommes
de letties et d'anciens disciples , avi-
des d'obtenir ses encouragements et
ses conseils. C'est aux dépens de
ses récréations , qu il se ménagea
le moyen de refondre ou de perfec-
tionner les ouvrages qu'il avait pu-
bliés à Witlemberg , surtout son
Trailé de morale , cl ses Considéra-
f
REl
lions sur le plan du fondateur de
l'Eglise chrétienne , iucontestable-
ment les principaux d'entre ses
ëcri'.s. I. Les deux premiers volumes
de son Sjstème de la morale chré-
tienne , parurent à Wittemberj; , eu
1788 et 1789, chez S. G. Zimmer-
mann ; le troisième, en i8o4; le
quatrième, en 1810 ; et le cinquiè-
me , trois ans après sa mort. La
même année (181 5), le premier
volume fut réimprimé pour la cin-
quième fois. Chaque édition nou-
velle a été considérablement aug-
mentée par Tauteur lui-même , de
son vivant , ou, après son décès, par
les soins de ses amis, dépositaires de
ses notes manuscrites. S étant pro-
posé de montrer la prééminence de
la morale évauj^élipie sur celle des
sages de l'antiquité' et des philoso-
phes modernes , et d'exposer ses
rapports avec les facultés de l'hom-
me, il commence par leur descrip-
tion , peut - ê:re un peu trop dé-
taillée : traçant ensuite l'image du
chrétien accompli, il le suit dans
toutes les relations qui le lient à son
créateur et à ses semblables , et pas-
se , enfin , à l'énumération de tous
les moyens pro[)res à nous faire
entrer et à nous guider dans la route
qui conduit à ce bu! élevé. Malheureu-
seuieut cetfetroisième partie n'est pas
terminée. Toutefois l'ouvrage, dans
l'état ou !a mort de l'auteur l'a laissé,
et ma'gré les défauts qu'on lui a re-
prochés , est encore letibleau le plus
complet, le plus philosophique de
la nature humaine, et des secours de
perfectionnement que son divin au-
teur lui a ménagés, par l'organisa-
tion de SCS facultés et la promulga-
tion des lois de l'Evangile. Peut-être
Reinhard a-:-il accordé une trop gran-
de iuipoitancc aux pouvoirs intellec-
tuels de l'homme dans l'œuvre de sa
REI 287
rége'ne'ralion. Ce n'est {!as aussi sans
quelques inconvénients, dignes d'at-
tention, qn'il lui impose pour loi su--
prême un perfectionnement indéfini
et harmonique de toutes ses facultés,
difficile à réaliser par des efforts rai-
sonnés et graduels. Le principe fon-
damental qu'il adopte, manque de
simplicité. L'idéal de perfection qu'il
propose à notie imitation, est un
guide moins sûr que les préceptes du
Sauveur, et n'a qu'une fécondité ap-
parente. Les inronvcnicnts qui en lé-
sultent, ont été signalés par le doc-
teur Slàudiin, dans ses Mélanges de
philosophie et d'histoire de la reli-
gion et de la morale (tomes 3, 4 et
5 ). On a aussi blâmé Reinh.ird d'a-
voir donné trop d'étendue aux em-
prunts qu'il a fdits aux sciences phi-
losophiques, surtout à la psycliolo-
logie. Mais il est juste de dire qu'il a
voulu présenter l'enséinble des ob-
servations et des raisonnements qui
peuvent éc'airer le uioralisie et mo-
tiver ses jitgcmen s ; et l'on ne peut
qu'admirer r..pplication qu'il en fait
aux occupations diverses de la vie,
aux rel.itions sociales, aux senti-
ments , aux penchants de l'homme ^
à toutes les situations morales oij
il peut se 'ronver, à tous les écarts
ou infractions aux règles du juste
et aux lois de la saine raison, dans
lesquels l'entraînent le fanatisme^
la superstition , le quic'tisnie . l'in-
crédulité, maladies de l'a rue, que
Reinhard traite avec une profonde
connaissance des hommes et une mo-
dération digne d'éloges. Paitout des
traits d'histoire relatifs aux matières
en discussion , des citations tirées
dids principaux moralistes et des
mystiques les plus célèbres , viennent
écl tircir et confirmer les décisions
de l'auteur. Cet ouvrage , unique
dans son genre , mériterait d'être
288
REI
traduit en français. II. L'idée fon-
damentale de l'Essai sur le plan
formé par le fondateur de lareligion
chrétienne pour le bonheur du genre
humain (imprimé quatre fois, dans
des éditions successivement augmen-
tées, de 1781 à 1798), est plus claire-
ment énoncée dans le titre de la Dis-
sertation latine qui fut comme le gcr-
roedc ce bel ouvrage : Consilium hene
vierendl de unii'erso génère huma-
no iiigenii suprà hominem elati do-
cumentwn , 1780, in-4''. Reinhard
examine les travaux et l'influence des
sages et des législateurs qui, avant
Jésus-Clirist , ont tâché de répandre
des idées saines sur la Divinité , et
d'améliorerl'état moral de leurs com-
f>atriùtes. Après avoir m-ontré que
eurs projets de réforme n'embrassè-
rent jamais l'universalité du genre
linraain ; qu'ils n'eurent même pas
l'idée de leur donner cette étendue;
il prouve que l'auteur du christia-
nisme , dans des circonstances plus
que décourageantes , et avec des mo-
yens d'exécution , selon l'apparence
humaine, très-inférieurs à ceux dont
disposèrent ses devanciers dans la
carrière d'une réforme religieuse,
s'est (le premier entre les hommes)
élevé à la sublime conception d'un
plan d'association fraternelle, s'é-
tendant sur le genre humain tout en-
tier dans ses générations contem-
f)oraines et futures , et formée sous
es auspices d'un père commun, maî-
tre de l'univers et arbitre de nos des-
tinées. Ensuite il fait voir que cette
seule conception, lors même qu'elle
n'eût pas été réalisée, assignerait à Jé-
sus-Christ le premier rang entre les
hommes et cutre les bienfaiteurs de
l'humanité; et il développe les cou-
séquences que nous sommes en droit
de tirer de son exécution inattendue,
rapprochée des diflicultés inonics
REI
qu'elle eut à surmonter , et des qua-
lités qu'elle suppose dans l'être sur-
prenant qui l'entreprit et qui y per-
sévéra avec le plus de confiance, au
moment même où ses espérances pa-
raissaient devoir s'ensevelir dans la
tombe quiallait le recevoir. Cette apo-
logie neuve , intéressante et ingénieu-
se de la religion chrétienne et de son
auteur ( traduite en français , par M.
J. L. A. Dumas , pasteur à Dresde ,'en
17QC);, a fait époque en Allemagne
dans l'importante branche des scien-
ces théologiques, à laquelle l'ouvrage
de Reinhard appartient. Ou lui a sa-
vamment et subtilement contesté la
vérité du fait qui lui sert de point de
départ. On a nié que Jésus - Christ
eût, dans sa pensée, embrassé la ra-
ce humaine tout entière, et formé
le projet de la régénérer par les moyens
qu'il mit en œuvre, subjuguant par
leur action , et convertissant en ins-
truments subordonnés à son plan su-
blime, tous les événements de l'his-
toire et toutes les conquêtes de la ci-
vilisation. Mais une discussion pro-
fonde et luminiuse , à laquelle les
premiers théologiens de l'Allemagne,
et dernièrement encore, le docteur
G.- J. Planck, ont pris une vive part,
a confirmé la justesse de l'exégèse
de Reinhard , et répandu le plus beau
jour sur les immenses résultais qui
en découlent , pour l'appréciation
des rapports du fils de Marie avec le
reste des humains, alors même que,
pour un moment , on se condamne-
rait à ne l'envisager que comme un
simple mortel. III. La Collection des
Sermons de Reinhard est peut - être
le plus considérable de tous les re-
cueils de ce genre ; elle forme trente-
neuf volumes in-8'^., publiés dans
riutervallede 1736 a 181 3. Les deux
premiers comprennent les Sermons
prononces à Wittcuibcrg , imprimés
REt
en 1786 et 1 798 (ib.), chez Ziinuicr
mann ; tons les autres à Siil^bacli ,
chezSeidel.Les quatrcclerniers volu-
mes sont posthumes , et ontc'té rais
au jour parles soins de son collègue ,
Icdocteur Hacker. Ces discours, où rè-
gne le ca'me d'une raison forte et su-
périeure, planant avec majesté sur le
présent et sur l'avenir de l'homme,
ne sont point dépourvus de chaleur,
et s'élèvent souvent à des mouve-
ments d'une haute éloquence; mais
ils s'adressent, en général , plus à
l'esprit et à la conscience qu'à l'irna-
f^ination et au cœur. On a reproché à
Reinhard une marche trop rigoureu-
sement logique , une trop régulière
distribution des matières, et un cer-
tain goût pour la symétrie des divi-
sions , qui donnent à des discours ,
d'ailleurs élégamment et purement
écrits , un air de gêne et de séche-
resse, et qui exigent une mesure
d'attention fatigante pour les lec-
teurs d'un esprit moins cultivé. Mais,
dans ses Lettres sur sa carrière
de prédicateur , il justifie bien sa
manière de prêcher , tout en se
jugeant lui - même avec sévérité.
« L'habitude de la méthode, dit-il ,
)) ( p. 81 et suiv. ), que j'avais con-
» tractée comme professeur, m'ac-
» compagna dans la chaire. Je défi-
» nissais, divisais, argumentais dans
» mes sermons comme dans mes le-
» çons , et j'offrais à la pieté de mes
» auditeurs, dans l'église, des dis-
1) eussions en forme , comme à l'al-
» tentiou des étudiants dans l'audi-
» toire théologique. Je prêchais dans
» l'église de l'université , et un grand
» nombre de mes auditeurs étaient
» des savants , des hommes capa-
» blés de saisir l'ensemble d'un dis-
» cours , et de suivre l'enchaîneinent
» des idées. Ti'expérieiicc m'a con-
» vaincu que celte manière de prc-
XXX.VI1.
REI
a8o
>^ cher e'tait fort utile aussi pour le
» commua des auditeurs. 11 est vrai
» qu'il fallait renoncer pour cela à
» bien des beautés oratoires; mais
■» je n'ai cessé d'envisager le minis-
» 1ère de l'Evangile, bien p'.usendoc-
» teur qu'en orateur; et j'ai toujours
» été de plus en plus convaincu , par
» un long exercice, qu'undiscours ain-
» si comp;)sé n'en est pas moins sus-
» ceptible de recevoir de lavie et des
» formes agréables. » Les sermons
de Reinhard sont comme les déve-
loppements des paragraphes de sa
Morale , qui en est pour ainsi dire
le répertoire et le classement. Pour
faciliter l'usage de cette granle col-
lection, pour en étendre l'utilité et
l'approprier à des positions sociales
ou à des situations d'esprit particu-
lières, on y a fait un choix , tantôt
de sermons entiers , relatifs à des
matières spéciales, tantôt de mor-
ceaux détachés , éclair cissant des
points de doctrine intéressants ou
des passages importants de l'Écritu-
re , et on a formé ainsi des manuels
adaptés aux besoins de différentes
classes déterminées de lecteurs. Le
docteur Ernest Zimmermann , aidé
de Reinhard lui-même, a donné, en
4 vol. (Francfort, 1812-18211 ) la
Table de toutes les matières traitées
dans les sermons de Beinhard , sur
les péricopes évangéliques et épis-
tolaires ( textes obligés des pasteurs
dans les églises de Saxe ). Un sem-
blable extrait a été publié par M. le
pasteur J.-L.Ritfer, en 2 part., Leip-
zig, 181 3. Des Réjlexions prépara-
toires à la digne célébration de la
sainte cène ( par C.-F. Dietzsch , ?.•=.
édit. , Francfort , 1821 ); des Élé-
vations à Dieu sur les vérités les
plus importantes du christianisme ,
par M. J.-K. Weikcrt(Cheranitz,
1818); une Explication pratique
«9
190
REI
des principaux passages des saintes
Ecritures ( par C.-F .B;iilzsch , l'au-
teur de la Table des matières de la
Morale de Reinliard . Leipzig ,1817),
ont élé tirées des œuvres do Reiu-
hard , et spécialement de ses ser-
mons. Lui-même en a fait imprimer
im clioix intitulé : Sermons sur les
moyens de développer le sens mo-
ral,et déporter V attention du chré-
tien sur l'état de soncœur , deuxiè-
me édition, Leipzig, 1 80a. IV. lieiu-
hard rend compte des éludes pré-
paratoires qu'il a faites pour se for-
mer à la prédication évangélique,
des difficultés qu'il a rencontrées ,
et du résultat de ses efforts comme
orateur sacré , dans un écrit dont
nous avons une excellente traduction
sous ce titre : Lettres de F. - F.
Reinliard , sur ses études et sa, car-
rière de prédicateur^ traduites de
l'allemand, par J. Monod., 1816,
in -8". Reinliard, dans cet expo-
sé des travaux auxquels la carriè-
re de prédicateur l'a appelé , soit
en la fournissant , soit avant d'y en-
tier, s'arrête beaucoup plus sur ce
qu'il a négligé, sur ce qu'il n'a pas
atteint, sur ses mécomptes et ses dé-
fauts, que sur les difficultés qu'il a
vaincues ou les succès qu'il a obte-
nus. On y voit , sinon le spectacle
grand et sublime de la lutte du juste
avec l'adversité, du moins le tableau
atlacliant et instructif de l'homme
de bien, COU) parant incessamment ses
progrès avec l'idée qu'il s'est faite
de ses devoirs , et combattant avec
persévérance les difficidtésqu'il trou-
ve à les remplir. Animé du désir de
satisfaire sa conscience et des'appro-
clicr de plus en plus de son type de
perfeclion , il s'accuse, sans allècta-
tioii, de tout ce (jui lui a manqué, et
signale avec franchise, à chaque pas
de sa marche , les écucils que la di-
REI
rection de ses études et la nature de
ses moyens ne lui ont pas permis
d'éviter. On citerait difficilement ,
dans la multitude de rhétoriques
sacrées et de plans d'études qui ont
été publiés par d'éloquents orateurs
et des littérateurs habiles, un écrit
qui, en si peu de pages, offrît des con-
seils aussi sages et aussi salutaires,
des observations aussi judicieuses et
aussi utiles , des leçons d'un goût au-
si pur et classique. Une des parties
les plus intéressantes de l'ouvrage de
Reinliard est celle qui offre le tableau
des efforts qu'il fit poursortirdu péni-
ble scepticisme riîj il s'était vu plongé
par l'élude des différents systèmes de
philosophie. En parlant des médita-
lions auxquelles il s'était livré pour
se former un plan qui satisfît entière-
ment sa raison : « J'essaierais, vai-
» nement, dit-il, de vous décrire le
» cliagrin , le trouble, l'angoisse qui
» me poursuivaient, chaque fois
» que je préparais mes leçons... Sou-
» vent l'heure qui m'appelait à l'a-
» cadémie avait déjà sonné, que j'é-
» tais encore à me promener dans
» ma chambre, les yeux en pleurs,
» et demandant à Dieu , de toute
» l'ardeur de mon ame, de me diri-
» gèr de manière qu'au moins il ne
» m'échappât rien qui pût être dan-
» gercux pour la religion et pour la
» morale... Au milieu de cette incerti-
» tude,....je m'attachai àdeux prin-
» cipes , auxquels je fus inébranla-
» blement fidèle : l'un de ne rien ad-
» mettre en philosophie qui fût en
» opposition avec mon sens moral;
» et l'autre de ne rien soutenir en
» théologie , qui fût contraire aux
» déclarations claires et positives de
» l'Écriture sainte. » Sa bonne foi et
sa persévérance dans la recherche de
la vérité reçurent leur récompense, et
son exemple vérifia le mol de Bacon.
REI
Ses premières éludes philosophiques
avaient jeté dans son esprit des dou-
tes sur tout ce qui lui avait paru le
phis assiirë : des réflexions plus apro-
fondics produisirent cette conviction
intime que respirent tous ses ouvra-
ges , et dont la profession , aussi
touchante qu'énergique, tiiée de la
Préface de la troisième édition de sa
Morale (p. xxx-xxxv) , a été re-
produite, dans une Note, par le tra-
ducteur de ses Lettres ( p. i 1 7- 1 24 )•
Parmi les autres écrits deReinhard,
nous ne ferons mention que de ceux
qui offrent des vues neuves , et qui
sont les pins répandus en Allemagne.
Il était très -élégant latiniste; ses
opuscules latins ont été rassemblés
dans une collection intitulée : V.
Opuscula academica , Leipzig ,
1808 et 1809, a vol. in 8°. , de
Siô et 528 pag. La plupart des
Dissertations comprises dans ce Re-
cueil fuient les premiers germes
d'ouvrages plus importants , rédi-
gés en allemand par l'auteur lui-
même. Nous en indiquerons les plus
saillantes : Utràm ad judiciuin de
miraculis reqidratur unwersœ na-
turœ accurata cognitio ? Le succès
de cet écrit, dans lequel il examinait
une des objections les plus épineuses
alléguées contre l'argument tiré des
miracles, l'eng^igea à en développer
les idées dans un Traité plus étendu,
dont il n'a, mallieureusement, paru
que la partie théorique, sous ce titre:
VI. Essalpsycholos,i<]ue sur le mer-
veilleux, 1782, in 8". de3')4pp.La
seconde était destinée à en f lire l'ap-
plication à la défense de l'histoire
évangélique. — Deviqud resparvœ
ûfficiunt animum. Ce Traité , qui
remplit les pages 58-288 du second
volume des Opuscula, expose les
idées de l'auteur sur les ressources
que l'homme sincère dans ses réso-
REI sgi
huions vertueuses, trouve dans les
petites circonstances de la vie , et sur
la manière la plus sûre d'écarter les
obstacles qu'il rencontre dans l'œu-
vre de son pcrfectionnenent moral.
La traduction allemande, par .T. C.
F, Eck , enrichie des additions de
l'auteur, a plusieurs avantages sur l'o-
riginal laiin ; elle est intitulée: VIL
De Limportancedespelites choses en
morale, Berlin, 1798. Pour prévenir
l'abus qu'on pourrait faire des ma-
ximes recommandées dans cet écrit,
Reinhard en accompagna la seconde
édition, d'un petitTraité(réimprimé,
en t8o2, avec de nouveaux dévelop-
pemenls ) : VllL-Sur l'esprit de mi-
nulie dans la morale. IX. Nous si-
gnalerons encore le morceau : De
prœstanlid religîonis christianœ in
consolandis miseris { p. '.>.89-493 )•
traduit en allemand, sous ce titre :
Injluence du christianisme sur Va'
doucissement du malheur, par J.-S.
Fest. La seconde édition, 1798, of-
fre des suppléments dus à l'au-
teur. X. Les Leçons de théologie
dogmatique ^ recueillies de la bou-
che de Reinhard, par J.-G.-Era. Ber-
ger, out déjà été reimprimées quatre
fois. La première édition est de 1801
( 704 pp. ) '• la dernière (de 1818)
contient des notes bibliographiques
de la main de MM. Berger et Schott
(Sulzbach, chez Seidel ), XI. Une
Traduction des Psaumes , publiée
après sa mort, i8i3,in-8'', vol.de
33() pag. Reinhard a eu deux bio-
graphes distingués, M. C.-A. Boet-
liger et K.-H.-L. Poelitz. La Notice
du premier ( Uiesde, i8i3, in-
4°. ) renferme de cinieux détails
sur la manière dont Reinhard dis-
tribuait son temps, et en doublait
la mesure par une régularité cons-
tante et calculée. La Biographie pu-
bliée par le professeur Poelitz ( Aras-
19..
29^
REI
lerdam, Brockhaus, i8i5, a vol.
in-S"*. ) , est un expose instructif des
travaux de Reinliard et du bien qu'il
a opère. Une Notice i,nteressante par
Blessig est jointe à sa traduction du
Sermon prononce par Reinliard , à
l'occasion de la fêle anniversaire de
la reformation , le 1^=^'. novembre
1807 ( De Vinjluence de la relis^ioii
prolestante sur les relations de la
vie civile et domestique , Paris et
Strasbourg , 1808 ). On trouvera le
Catalogue raisonne de ses OEuvres à
la suite des Lettres citées plus haut ,
que M. Monod a traduites , et son
portrait, en tête de sa Morale, de ses
Opuscules latins et de sa Biographie,
par Boettigcr. S — R.
RElNiMAR l'Ancien , poète alle-
mand, issu d'une famille noble dont
le château héréditaire était auprès du
Rhin , florissait au commencement
du treizième siècle. II vivait à la
cour du duc Lcopold VII d'Autriche,
qu'il accompagna, en 1217 , à la
croisade , en Palestine. A la mort de
son maître , en 1200 , Reiamar ex-
prima sa douleur dans ses poésies. Il
reste un bon nombre de ses pièces de
vers; elles offrent du naturel, du senti-
ment ; les tournures sont assez déli-
cates , et l'expression a de l'harmo-
nie. Elles se trouvent dans la col-
lection de Manesse , dont le manus-
crit est à la bibliothèque du Roi , à
Paris. — ReinmarIc Jeune , qui pa-
raît avoir été' fds du précèdent , c'tait
également poète ; et ses pièces de
vers se trouvent en assez grand nom-
bre dans le même Recueil. Elles sont
du genre religieux, moral et sati-
rique ; on y trouve moins de poésie
que de pensées , et elles annoncent
dans leur auteur beaucoup de con-
naissances et assez de lumières pour
son siècle. Ileinmar le Jeune fut dis-
tingué à la cour d'Otlocar, roi de Bo-
REI
hème : les éloges qu'il donne an roi
Eric de Danemark, et à Louis-le-
Sévère , duc de Bavière , font sup-
poser qu'il avait reçu des distinc-
tions de ces souverains. D — g.
REINOSO (Don Antonio -Gar-
cia ) , peintre , né à Cabia en Anda-
lousie , fut disciple de Sebastien
Martinez , son compatriote, dont il
n'imita point la manière franche et
naturelle : il avait plus de ficilité
que de goût. On voit un grand ta-
bleau de cet artiste à Andujar , dans
l'église des Capucins : il occupe tout
le fond de la chapelle principale; il
représente la Trinité et une foule de
patriarches, et dans le bas du tableau,
saint Michel et saint George, armés:
son maître Martinez, et plusieurs au-
tres l'ont admiré. Ou voit de lui à Li-
narez un tableau de Susanne dans le
bain , au sujet duquel on répète l'an-
cienne anecdocte des oiseaux qui
becquetèrent la grap])e de raisin de
Parrhasins. On raconte que Garcia
ayant placé son tableau dans la cour
de la maison pour le faire sécher, un
moineau, voj-ant du haut du toit, les
arbres et le b.issin représentés sur
la toile , vint plusieurs fois chercher
à se baigner dans cette eau qui lui
semblait naturelle, et que cet hom-
mage, non suspect, assura la gloire du
peintre. Garcia fut également bon ar-
chitecte. On trouve, à Jacn, différents
monuments de cet artiste; les jjIus
estimés sont à Andujar et ta Martos. II
mourut à Cordouc,en 1G77, âgé de
cinquante-quatre ans. Z.
REINSCHILD. r. Reunscuold.
REISEN. P'of. Cii. Christian.
REISER ( Antoine ), théologien
protestant, né à Augsbourg, le 7
mars iG28,meiia une vie fort agi-
tée. Après avoir fréquenté plusieurs
universités, il exerçait le p.istorat
dans la commune luthérienne de
REI
Presboi:rg , lorsque celte église em-
brassa le calvinisme eu 1672. llavait
e'té im des plus fermes opposants à
cette variation; dépouillé de tout ,
emprisonne, condamne à mort, élar-
gi euûn par grâce, et cliassé du pays
avec sa famille, il revint dans sa
ville natale, exerça quelques emplois
obscurs dans le ministère, jusqu'en
1678 , oîi il fut nommé pasteur de
l'église de Saint- Jacques à Ham-
bourg : il y mourut le 27 avril 1 686.
Ses écrits théologiques, au nombre
de trente-;>ix ( dix-sept en latin et
dix-neuf en allemand ) , dont on trou-
ve la liste dans le dictionnaire de
Jocclicr , sont maintenant oubliés,
et n'ont fait quelque bruit dans le
temps que par la singularité du sys-
tème de l'auteur , qui prétendait
prouver que saint Augustin, saint
Thomas d'Aquin , etc. , avaient sou-
tenu la même doctrine que Luther ;
et que le docteur Lauuov était un
fort bon protestant. Son Joh. Lau-
noius... testis et conjessor veritatis
ei'angelicœ... vindicatus , Amster-
dam, i685, in-4*'. ( ^. Launot,
XXIII, 445 )> f"!^ sévèrement dé-
fendu à Paris , et la saisie en fut or-
donnée par arrêt du conseil du 4 juin
1685. Nous mentionnerons encore
ses trois Sermons sur la comète ( en
allemand ); sa dissertation De fui-
mine ; son traité De origine, jiro-
gresiii et incremento anti-theismi
seu Alheisnii , Augsbourg, i66g,
iu-8^. ; et son épître , De claris ijui-
biisdani œvi hujus tlieologis, mise
en tête du Tcmplum honoris resera-
tum, de Spizcl, 1673, in-4°. Le
seul de ses ouvrages qui ait conservé
de l'importance pour les bibliogra-
phes, est son catalogue des manus-
crits de la bibliothèque publique
d' Augsbourg, Index manuscripto-
rum bibliolhecc Angtistanœ , 1 67 5,
REI
293
iD-4". de 174 pag. Il est plus com-
plet et mieux rédigé qus ceux qui
avaient paru antérieurement , et d'ail-
leurs d'un format plus commode que
celui d'Eliingcr , qui avait la hauteur
d'un infolio, mais aux numéros du-
quel il se rapporte comme au plus
authentique ( /^.', Ehiivger ). Quoi-
que l'on ait beaucoup écrit dans le
dix-huitième siècle sur la bibliothè-
que d' Augsbourg ( i ) , on lî'a pas
réimprimé le catalogue de ses ma-
nuscrits , pour la connaissance des-
queK on n'a point de meilleur guide
quele livre de Reiser. Il y a joint, par
forme d'appendice, 1°. ( page qS )
la liste sommaire des principales édi-
tions du quinzième siècle, qui se
trouvent dans la même bibliothèque j
1°. (p. 119) l'indication des livres
imprimés soit dans la viile d'Augs-
bourg , soit d'après les manuscrits
de sa bibliothèque. On y trouve ,
ainsi que dans le catalogue, quelques
notes bibliographiques , et en géné-
ral beaucoup de négligences. Reiser
publia cet ouvrage pour servir d'in-
troduction à une Histoire littéraire
et bibliographique de la ville d'Augs-
b»urg, travail dont il s'occupait,
mais qui n'a point paru. Parmi les
autres fruits de sa plume , qui sont
demeurés inédits, nous citerons son
Martjrologium Hungarice, et une
relation De rapind hibliothecœ suce.
Voyez sa Vie , ])ar un anonyme ,
dans le Memoria theologoruni de
PipiÛDg, dec. II, p. i4' et suiv.
^^ ^ C. M. P.
REISKE ( Jea>-Jacql-es ) naquit
le 2.5 déc. 1716, à Zoerbig .petite
ville de Saxe , située pi es de la prin-
cipauté d'Anhalt , à l'endroit où se
(i) JeW.ine-Andr.; MciUii» a public driix dissrr-
lalious iu-tolio , De hibUoihecj! au^usianx cinul:^,
n-TJ et i7'5 ; et nue autre en allemand , sur la B"
hU,.1hi,f,.e'tU la vilU J'Au^ibaurp, i:83 , ia-6p~
294
RET
croisent les deux routes de Leipzig
à Hambourg et de Halle à Berlin,
Son père était tanneur, et il pa-
raît qu'il tirait son origine de la
Bohème. Ses parents , après lui
avoir procure un bon commence-
ment d'instruction dans les langues
grecque et latine, l'envoyèrent, en
1728 , à la maison des Orphelins
de Halle , où il passa près de cinq
ans. n y eut, pour compagnon d'é-
tudes, Michaëlis , devenu si célè-
bre dans la suite. Quoique Reiske ,
dans sa vie écrite par lui-même,
n'approuve pas la discipline sévère
et presque monastique de cet établis-
sement , il reconnaît que les études
y étaient bonnes , et l'enseignement
confié à d'habiles professeurs. Tou-
tefois il n'emporta guère de cette
école qu'une connaissance solide de
la langue latine ; et encore avoue-t-il
lui-même avoir moins formé sa
latinité sur les modèles que Rome
nous a laissés , que sur le style de
Muret, de Gnnœus , de Cellarius ,
et d'autres écrivains modernes. Ce
ne fut même qu'à l'âge de 4o ans,
qu'il commença à bien connaître et
à goûter la lalinité des beaux siècles
de Rome. H passa, en 1733 , à l'uni-
versité de Leipzig, l\ y demeura cinq
années , étudiant sans plan , sans
direction . sans but , et par conse'-
qucnt avec peu de profit. Ce fut
une sorte de bonheur pour lui que
le hasard tournât son goût vers la
littérature arabe, et que ce goût
devînt en peu de temps une véri-
table passion. Si les connaissances
qu'il acquit en ce genre, ne fu-
rent pas pour hii la source de grands
avantages du côlé de la fortune, el-
les eurent du moins l'heureux effet
de fixer son caractère irrésolu , et ne
contribuèrent pas peu , par la suite ,
à fonder sa réfiutation. Il s'était ans-
'REI
si livré à la littérature rabbinique ;
et l'inclination qu'il montrait alors
pour ce genre de littérature , lui va-
lut , pendant les dernières années de
son cours d'humanités , nn modi-
que secours dont il avait grand be-
soin. Au reste, il abandonna sans-
doute bientôt cette étude, dont on a-
perçoit peu de traces dans ses écrits.
Quoiqu'il eût réussi , par la plus sé-
vère économie, à se procurer pres-
que tous les livres arabes qui avaient
été imprimés jusqu'à lui , cela
était loin de pouvoir satisfaire la
soif dont il brûlait pour cette littéra-
ture. 1\ lui fallait , à quelque prix
que ce fût , obtenir l'accès à une ri-
che collection de manuscrits ; et l'on
ne doit pas être surpris que le désir
de jouir des trésors de ce genre que
possédait l'université de Leyde , lui
fit souhaiter ardemment de visiter la
Hollande. H réalisa ce projet en 1738^
sans que la diillculté extrême de sa
position , les conseils de ses amis ,
et ses propres reflexions pussent l'en
dissuader, ou du moins le détermi-
ner à en remettre l'exécution à un
lem ps plus convenable. Arrivé à Ams-
terdam sans aucun moyen d'existen-
ce pour le présent ni pour l'avenir ,
et muni seulement de quelques let-
tres de recommandation , il trou-
va une ressource inattendue dans
la proposition que lui fit le célè-
bre d'Orville , de rester auprès de
lui eu qualité de secrétaire , avec
un traitement annuel de Coo florins.
]\Iais le même enthousiasme , ou si
l'on veut , la même folie qui lui
avait fait entreprendre le voyage de
Holl;indi', sans songer aux moyens
d'y subsister , lui fit repousser la
main qui lui olliait nn secours si
opportun , et en même temps si in-
dispensable. C'était pour la ville de
Levdc , pour sa bibliothèque, pour
REI
ses maniisci'its arabes , qu'il était
venu en Hollande : tout ce qui le
détournait de ce but , ne pouvait
trouver aucun accès aupi'ès de lui.
D'Orville surpris , et même irrite'
jusqu'à un certain point de ce re-
fus, ne pouvait manquer cependant
de porter un juste inte'rêtà un zèle
si noble , quoique très-inconsidéré.
Son humeur se fit sentir au jeune
voyageur, auquel il refusa une lettre
derecommandation pour Pierre Bur-
mann : mais une preuve qu'il sut ap-
précier les niolits de sa détermina-
tion, c'est qu'il ne tarda pas à faire
pour lui , secrètement, ce qu'il lui
avait d'abord refusé; et que, dans
la suite, il ne le perdit jamais de vue
tant qu'il habita la Hollande. C'é-
tait à Leyde que Reiske devait ,
pour la première fois, ouvrir les
yeux sur la profondeur de l'abîme
dans lequel il s'était précipité, A pei-
ne se fut-il présenté chez les profes-
seurs Schiûtens et 'sGravesande ,
pour lesquels il avait des lettres de
recommandation, qu'il reconnut que
tous les moyens sur lesquels il avait
trop légèrement compte pour son
existence et pour le succès de son
entreprise , n'étaient que des illu-
sions , et que , sans argent , il de-
vait s'attendre à manquer de tout ,
et mêiue à voir immanquablement
fermée pour lui cette bibliothèque,
l'unique objet de ses vœux. La Pro-
vidence ccpendantvin t à son secours :
on le chargea de la correction des
épreuves du Dicliounaiie d'Hesy-
cîiius , que publiait Alberli. Le li-
braire Luzac fournit à la nourriture
et au logement de Reiske , pendant
la première année de sa résidence à
Leyde; et Reiske déclare lui-même
avoir lieu de croire que Luzac n'était
que le canal par lequel A. Schultens
fournissait , sans se faire connaître,
REI 395
à ses besoins. Peu après , il trouva
quelques autres ressources dans le;»
leçons de latin ou de grec qu'il
donnait à de jeunes étudiants de l'u-
niversité, et dans la eonliance de P.
Burmann,qui le chargea delà correc-
tion des épreuves des ouvrages qu'il
faisait imprimer. Au milieu de ces
travaux , il ne négligeait pas son but
piincipal. Il suivait les leçons d'A.
Schultens; s'exerçait habituellement
avec Schultens le fds , qui succéda
depuis à la chaire de son père •
jouissait des manuscrits arabes de
la bibliothèque publique , et les em-
portait même dans sa demeure , sans
que Schultens fît semblant de s'en
apercevoir. 11 paraît que l'édition de
la Moallaka de Tarafa , que Reiske ^
publia en 1 74*^ 5 '^ I^'^T'^*^ ' avec une
tiaduction latine , et un commentai-
re dans lequel il s'éloigna de la mé-
thode de Schultens , fut la première
cause d'un refroidissement entre le
piofesseur et l'élève. On voit pour-
tant , par la préface de Reiske , que
tout son travail avait été soumis à
Schultens ; et il y témoigne la plus
vive reconnaissance peur le savant
professeur hollandais : mais si Ton
prend la peine de consulter la pre-
mière lettre de Schultens à Menke ,
on demeurera convaincu que ces
protestations de soumission et de
gratitude ne compensaient pas , aux
yeux du professeur , l'obstination
avec laquelle l'élève avait rejeté
et méprisé ses conseils. Peut-être
Schultens appréheuda-t-il que le jeu-
ne étranger ne fût un jour un obsta-
cle à l'avancement île son propre fils,
qu'il destinait à lui succéder. Reiske
eut alors une occasion favorable de
prendre une exacte connaissance des
manuscrits orientaux de la biblio-
thèque de Leyde ; il fut chargé de
les ranger , de les numéroter , cl
296
REI
d'en faire un nouveau catalogue ma-
nuscrit , moins systc'inatique que ce-
lui qui avait éle imprime en 1716,
mais pius approprié au service d'une
bibliothèque publique. Les curateurs
de la bibliothèque lui accordèient ,
pour ce travail , une indemnité ,
qui n'avait aucune proportion avec
la peine qu'il lui avait coûté; et Reis-
ie fut très sensiWe à celteinjiislice ,
qu'il attribua sans doute au change-
ment des dispositions de Schultcns.
Bientôt un autre désagrément , qu'il
ne devait guère imputer qu'à luiniê-
me , rendit encore sa position plus
critique. Chargé de la correction
de la seconde édition du Pétrone
de Burmann , il se permit d'y faire,
à l'insu de Burmann, et encore plus
après sa mort , survenue dans le
cours de l'édition , un grand nom-
bre de changements , parmi les-
quels il en est que lui-même plus
tard n'eût pas admis. Cette légère-
té' qui, comme Reiske l'a reconnu
lui-même dans la suite , peut être ta-
xée d'infidélité , lui fut durement
reprocliée jjar le fils de Burmann ,
dans la Préface qu'il mit à la tête de
cette édition , et elle eut des suites
très-fâcheuses pour lui. Elle lui alié-
na les esprits, éloigna ses amis,
le priva de tous les élèves qui le fré-
quentaient auparavant, et dos res-
sources qne lui fournissait la cor-
rection des épreuves ; enfin elle le ré-
duisit à un tel dénûment , qu'il fut
obligé, pour vivre, de vendre la bi-
bliothèque qu'il avait formée. Reiske
a' cherché à atténuer ses torts, dans
la justification qu'il a insérée au si-
xième volume des MiscellaneaLip-
siensia r,o\>a. Toutefois il faut con-
venir que ce n'était pas en publiant
le trav.iil d'nii autre, qu'il devait .'■0
livrer à sr n prnrhaiil ])Our la rrili-
quccoujccturale, et qu'il a donné, en
REI
agissant ainsi, un exemple très-fâ-
cheux. Les 1 dations de Reiske avec
d'Orville lui procuraient beaucoup
d'avantages: mais il fallait les ache-
ter par des complaisances infinies j
et Reiske, dont le caractère était peu
propre à se plier aux fantaisies d'au-
trui , finit par s'attirer une i upture
qui contribua encore à le dégoûter
du séjour de la Hollande. On trouve
dans le Chariton de d'Or\nie, qui ne
parut qu'en 1750, des traces delà
mésintelligfuce qui brouilla Reiske
avec lui. L'indépendance qui faisait
un des traits principaux du carac-
tère de Reiske , et son insouciance
sur l'avenir , lui firent refuser , en
I 74^ , une place au collège de Cam-
pen , place que lui eut procurée la
recommandation de Hemsterhuys
et de Valkenacr, et qui vraisembla-
blement, en l'atlachant pour tou-
joursàla Hollande, l'aurait conduits
obtenirplus tard une chaire dans une
des universités des Provinces-unies.
II refusa encore celte fois le secours
que la Providence lui offrait: par la
suite il se re])rochait cette détermi-
nation comme une faute , et il dési-
rait que son exemple servît de leçon
aux jeunes gens, et les engageât à
suivie, sans hésiter, la première
voie que le Ciel semblerait ou-
vrir devant eux. Convaincu enfin
que la philologie ne l'introduirait ja-
n)ais elle seule dans une carrière ca-
pable de lui procurer, pour le reste
de ses jours, une honnête existence,
il résolut , par le con.'cil de Schul-
tcns , d'étudier la médecine, et de
prendre des degrés dans cette facul-
té. L'étude de la médecine devint
donc sa pjincipalc occupation pen-
dant les quatre dernières années de
sou séjcr.r en Ib^llandc; et il fut re-
^11 docteur en 1 7/1(^1 non pourtant
;ans quelques dilTicnltcs , à cause de
REI
certaines propositions qu'il avait ba-
sardc'es dans sa thèse , et qui le firent
soupçonner de matérialisme. Reiske
s'était permis de critiquer et de ridi-
culiser l'usage que Scluiltens faisait
des connaissances qu'il avait acquises
dans la langue et la littérature arabe.
Ce'professeur ne l'ignorait pas : ce-
pendant il rendit à Reiske un service
essentiel ,en lui faisant accorder sans
frais legradede docteur. Il fautavouer
que les critiques de Reiske n'étaient
pas sans fondement , et que la mé-
ihode de Scluiltens pouvait nuire à
l'étude solide de la largue arabe:
entre les mains mêmes de ce savant,
elle n'était pas sans inconvénient ;
et imitée par des hommes qui n'a-
vaient qu'une légère teinture de la
langue arabe, elle a produit quelque-
lois des conséquences plutôt ridicu-
les que dangereuses. Mais Reiske
avait trop d'obligations à Schidtcns
pour ne pas devoir user de beaucoup
de discrétion et de ménagement en-
vei's lui; et ce qu'on peut dire i! e mieux
pour atténuer ses torts, c'est qu'il
les a reconnus franchement et sans
détour dans les Mémoires qn'il a
laissés sur sa vie. Reiske s'embar-
qua, pour quitter la Hollande, le lO
juin 1746 , après huit ans de séjour
dans ce pays ; et. vers la fin de la
même aniiée , il fixa son séjour à
Leipzig, sans aucune perspective d'é-
tablissement : il n'avait pas même
l'espoir de se former une ressource
par la pratique delà médecine, parce
que son caractère l'éloignait de la
société, et qu'il ne pouvait prendre
sur lui de se soumettre à aucune des
démarches qui eussent été nécessaires
pour se produire dans le monde, et
obtenir de la confia» ce. En 1747, il
reçut le titre de professeur dans la fa-
culté de philosophie , et en 174^3, il
fut nommé professeur extraordinaire
f^I 297
de langue arabe. Il prit possessiou de
cette chaire le s>.i août 1748, par
un discours sur l'utilité de l'étude de
cette langue. Ce discours suffirait
pour prouver l'étendue de ses con-
naissances dans la littérature arabe;
mais la latinité en est très-barbare,
et l'on y trouve quelques traits qui
pourraient justifier les soupçons qui
se sont élevés plus d'une fois sur ses
sentiments en fait de religion. Au
reste , il ne réunit jamais au titre de
sa chaire ni fonctions effectives, ni
aucun émolument. Une très-modique
pension , mal payée , fut, pendant
plusieurs années, le seul revenu fixe
qu'il possédât; et pour subvenir à sa
subsistance , à l'achat des livres
dont il ne pouvait se passer , et à l'im-
pression de divers petits ouvrages
qu'il publiait à ses frais et dont il
ne vendait jamais la dixième partie ,
il n'avait que ce qu'il gagnait en don-
nant cl' ~ leçons particulières , en tra-
duisant des ouvrages de diverses
langues en allemand, en rédigeant
des articles pour plusieurs journaux
littéraires , en corrigeant des épreu-
ves , et par d'autres travaux du même
genre. Étranger à toute économie,
il se trouvait souvent dans la plus
grande détresse. Cet état de gêne se
prolongea pendant douze années
après sou retour en Allemagne ,
c'cst-à-diie , jusqu'en 1758. Les arti-
cles que Reiske fournissait à quelques
recueils littéraires , furent souvent
pour lui une cause de chagrins et de
tracasseries, ctliii firent de nombreux:
ennemis , parmi ceux- mêmes qui
avaient été ses amis. Ses critiques ,
lors niême qu'elles étaient bien fop-^
dées, furent presque toujours, comme
il en est convenu depuis, accompa-i
gnées de formes dures, et d'unsenli-r
ment d'aigreur qui leur donnait l'ap-
parence de la passion , de l'orgueil y
298 REI
de l'injustice , de l'envie de nuire, et
dans certains cas , ce qui est encore
plus fâcheux, d'une ingratitude ré-
voltante. Sans parler des sujets de
plainte qu'il fournità plusieurs hom-
mes de lettres avec lesquels il avait
eu des liaisons étroites en Hollande,
tels que Lenncp , Kuypers et Lette ,
et svir lesquels il sembla vouloir se
vengerdcsdisgracesqiii l'avaient con-
traint à quitter ce pays pour revenir
languir en Allemagne, il suffit de
rappeler la rigueur avec laquelle il
traita le professeur Schultens auquel
il devait tant de reconnaissance , en
rendant compte, dans^les Acta erudU
îomm,en 17 48 et 17491 de deux ou-
vrages de ce savant ; nous voulons
parler des poésies arabes, extraites du
Haraasa, et que Schultens a jointes
à son édition de la Grammaire d'Er-
pénius , et de son commentaire sur
les Proverbes de Salomon. L'impar-
tialité exige qu'on recounaisse que
la critique était en général bien fon-
dée; mais, quel qu'en eût été l'auteur,
elle aurait dû être écrite avec plus
d'é^^ards pour un homme dn mérite
de Schultens : sortie de la plume de
Reiske , elle portait un caractère de
malignité et de vengeance , qui dut
affliger tous ceux qui s'intéressaient
à lui. Plus tard , mûri par l'âge et
la réflexion , il souhaitait que les
instants où il avait mis par érrit ces
deux articles de critique , fussent
rayés des jours de sa vie. Schultens
lui répondit avec amertume par deux
lettres adressées à Mcukc , le direc-
teur des AcLa erudilortua , et qui
furent imprimées à Loydc en 1749.
Elles forment ensemble un volume ,
petit iri-40., de près de -^00 pag. ,
dans k(juel on est fâché de voir le
professeur irrite , mêler à une ques-
tion de littérature ,luule sorte d'in-
urcs, d'outr.iges personnels, ctd'im-
REI
pulatious hasardées, et nuire ainsi à
sa propre cause. Ou ne peut se dis-
simuler que Schultens avait conservé
une sorte de ressentiment contre
Reiske , de ce que celui-ci , pendant
son séjour à Leyde, ne s'était pas
abandonné entièrement à sa direc-
tion: peut-être aussi Reiske avait-il
aliéné de lui le savant et pieux Hol-
landais , par des sentiments trop li-
bres en matière de religion. Il serait
trop long d'entrer ici dans le détail
des travaux divers qui occupèrent
Reiske , et qui le faisaient connaître
deplusenpius, niaissansaméliorersa
situation, jusqu^à l'époque où , par
une réunion de circonstances impré-
vues , et malgré des obstacles et des
intrigues qui auraient pu rendre inu-
tiles les efforts de ses protecteurs , il
obtint, au mois de juin 1758,1a place
de recteur du collège de Saint-Nico-
las , à Leipzig; et il commença dès-
lors à jouir d'une aisance et d'une
tranquillitéd'esprit qu'il n'avait point
connues jusque-là. En 1764, il
épousa Ernestine-Christine Millier ,
lîlle du docteur Auguste Mùllcr, pré-
vôt et surintendant à Keraberg, pe-
tite ville peu éloignée de Wittenbcrg.
Reiske avait eu occasion de la con-
naître lors d'un voyage qu'elle avait
fait à Leipzig, en 1700; et ils avaient
conçu une estime et m\ attachement
réciproques. Cette union, qui contri-
bua beaucoup au bonheur de Reiske,
pendant le reste de ses jours , a eu
ifiissi des suites avantageuses pour la
littérature ; et M'"*^. Reiske a mérité
d'occuper imc place distinguée dans
les fastes de l'érudition. Pour soula-
ger son mari , en partageant avec lui
ses travaux , elle apprit le grec et le
latin , et fut bientôt en état d'euteu-
dre les poètes et les orateurs. Elle
s'associa dès ce moment à tous ses
t»-avaux d'éditeur , de commenta-
REI
leur et de critique. Elle copiait pour
lui des manuscrits, les collationnait,
mettait eu ordre les variantes qu'il
avait recueillies , et le soulageait
pour la lecture et la correction des
épreuves. Son attachement pour lui ,
son respect pour sa mémoire, sont
fortement empreints dans la suite
des Mémoires qu^il a écrits sur sa
vie, et qu'elle a complétés depuis le
1^'". janvier 1770, jusqu'au décès
de son mari. La reconnaissance de
Reiske , et la vivacité de ses senti-
ments pour celle qui ne vivait que
pour lui, ne sont pas moins Ibrte-
iQent exprimés , et dans les Mémoires
dont nous venons de parler , et dans
quelques-unes des Préfaces de ses
ouvrages. Depuis l'année 1765, le
travail qui occupa le plus constam-
ment Reiske , ce fut son édition des
Orateurs grecs , dont le i'^''. vol. vit
le jour en i 770, et les trois derniers
ont été publiés après la mort de ce
savant. Il fît paraître, en 1774?
peu de mois avant son décès , deux
volumes de Denys d'Halicarnasse ;
Maxime de Tyr en deux volumes ,
et le I'''. volume des OEuvres de
Plutarque. Malgré le mauvais état de
sa santé , il s'était chargé de surveil-
ler , pour le compte du libraire
Georgi , de Leipzig, les éditions de
ces trois auteurs , et d'y joindre des
notes. Ce travail forcé augmenta
de plus en plus le dérangement de
sa santé, et accéléra même sa mort,
qui anùva le i4 août 1774- On peut
juger parlcsdétails dans Icsqueisnous
sommes entrés , que le caractère de
Reiske qui l'éloiguait de la société,
et semblait incompatible avec les
ménagements et les égards récipro-
ques sans lesquels on ne peut vivre en
bonne harmonie avec les hommes,
a beaucoup contribué aux contradic-
tions dont sa vie a été remplie , et l'a
REI 299
empêché de jouir du bonheur qui
accompagne ordinairement des jours
consacrés aux lettres. Incapable, par
la droiture de son coeur, de se faire
illusion à lui-même, comme de cher-
cher à en imposer aux autres, il sen-
tait vivement ses torts ; et la cons-
cience qu'il en avait, empoisonnait
ses jours , et augmentait sa disposi-
tion à la mélancolie et à une sorte
d'hypocondrie. La détresse dans la-
quelle il vécut pendant plusieurs an-
nées , et qui le força souvent à se li-
vrer à des travaux contraires à ses
inclinations , tendait à fortifier ces
fàcheuscsdispositions. On fut souvent
injusteenverslui;etilleressentitvive-
ment : mais il n'avait pas su se faire,
dans la jeunesse, une violence salu-
taire , et sacrifier à ses véritables in-
térêts un peu de cette indépendance
et de cette inflexibilité de caractère,
qui, renfermée dans de justes bornes,
élève et ennoblit l'ame, mais qui,
poussée à l'excès , rend injuste envers
les autres , prend le caractère irrita-
ble de l'amour- propre, et répand
l'amertume sur toute la vie. C'est
sans doute à cela qu'il faut attribuer
les préventions qui éloignèrent de
Reiske des hommes faits pour l'esti-
mer , ou lui firent des ennemis de
ceux qui l'avaient d'abord accueilli,
et qui auraient pu être ses rivaux
sans cesser d'être ses amis , tels que
Schultens, d'Orville , Gcsner, Er-
nesti , Michaëlis , etc. D'ailleurs ,
passionné pour les progrès des let-
tres, toujours prêt à aider de ses
conseils , de sa bibliothèque , de ses
propres travaux, tous ceux qui étaient
animés du même désir , bienfaisant
jusqu'à une sorie de prodigalité en-
vers les malheureux , compatissant
à tous les maux de l'humanité, inca-
pable de déguisement , plein de con-
fiance en la Providence divine , siip-
3oo
REI
portant avec courage l'injustice de
la fortune , il eût été digne d'un sort
plus heureux. Peut-être en eût -il
joui, s'il eût contracte plutôt l'al-
liance qui adoucit ses dis dernières
années. — Nous allons maintenant
donner la liste des ouvrages qu'il a
fait imprimer de son vivant , ou qui
ont été publiés depuis sa mort , en
commençant par ceux qui appar-
tiennent à la littérature orientale.
I. Abi Mohammed el Kasem Bas-
rensis viilgb Hariri consessus xxri
Rakdahs. varie gatus dictas : ècod.
ms. cum scholiis arahicis et versio-
ne la'iiiid, Leipzig, 1737 , in-4°.
Reiske n'avait que 2 1 ans quand il
fit imprimer ce morceau de Hariri,
N'ayantjàraais vu cet opuscule, nous
ne pouvons en apprécier le mérite ;
Keiske plus avancé en âge en faisait
lui-même peu de cas. Toutefois nous
ne saurions croire qu'il juslifiàt la
critique violente qu'en a faite Schul-
tens dans sa première lettre à Menke.
La manière dont Sclmltens , au mê-
me endroit , parle de l'ouvrage dont
il va être question, fait voir que sa cri-
tique est très-passionnée. 11. Thara-
■phœ Mnallakah cum scholiis Nahas
et versioae lati?id,lieyde, 1742, in-
4°. Ce futpour plaire à Sclmltens que
Reiskesedétermina à publier un mor-
ceau de poésie arabe. Le prologue et
les notes de ce poème sont remplis
d'érudition , et prouvent que l'éditeur
avait bien mis à profit son séjour k
Leydc , et les trésors que lui ofliait
la riche bibliothèque de l'université
de cette ville. Le texte du poème est
imprimé sans voyelles; ce qui le rend
peu utile aux étudiants, La traduc-
tion latine est souvent inintelligible ,
et n'est pas exempte de fautes. On
ne doit pas reprocher à Reiske de
n'avoir traduit (jue les scholics ara-
bes des 14 premiers vers : ces scho-
RET
lies sont à-peu-près inutiles à qui-
conque a besoin d'une traduction
pour les entendre. Le Prologue est
écrit d'un style alfecté, singulière-
ment mêlé de grec et de latin; et
Reiske y a trop laissé percer son hu-
meur chagrine et son aversion pour
quelques personnes dont il croyait
avoir à se plaindre, notamment pour
Clodius, dont il fit, sans le nommer,
un portrait hideux. H eut le tort de
laisser subsister cette caricature ,
malgré les remontrances de Schul-
tens ; et cet entêtement lui nuisit dans
l'esprit du savant hollandais. 111,
Miscellaneœ ohseivationes medicœ
ex Arabum monumentis. Disputa-
tio pro gradu doctoris,Lej(ie, 1 746,
in-4°. Ce morceau, précieux pour
l'histoire de la médecine , a été
publié de nouveau , après la mort de
Reiske , par Christ, God. Grûner ,
avec un traité de la manne des Hé-
breux , de J. Ern. Faber , sous ce
titre : /. /. Reiske , et J. E. Fa-
hri opiiscula medica ex monu-
mentis Arahum et Ebrœorum , Hal-
le, 1776, in-8'*. Griiner a déJié ce
volume à madame Reiske. IV. De
principibus Muhammedanis , qui
aut ab eniditione , aut ab amore
litlerarum et litteratonim clame
mut , Leipzig, 1747 , in-4°. Ce fut
à l'occasion de celte petite Disserta-
lion de vingt pages d'impression ,
que Reiske obtint le titre de piofes-
seur. 11 l'avait dédiée au prince hé-
réditaire de l'élcctorat de Saxe. V.
De Arabum epoclid veluslissimd
Sail ol Arem,i, e. rupiurd cata-
ractœ Marebensis , Leipzig, 1748,
iu-4°. Ce fut par cette Dissertation ,
imprimée sous formede programme,
que Reiske annonça sou entréeen pos-
session de la chaircd'arabe, Los tex-
tes arabes joints à cette dissertation
furent imprimés à Halle, dans riin-
REI
primerie de V Institut judaïque de
Galleiibcrg. Reiske a cru pouvoir
Cxer à l'au 3o ou 4o de J.-C.,l'«îpo-
que de la rupture des digues de Ma-
reb , si fameuse dans l'histoire de
l'Arabie. C'est vraisemblablement lui
accorder encore beaucoup trop d'an-
tiquité. VI. Ahilfeclv annales Mos-
lemici, Leipzig, i'^54,iu-4'\ Ce vo-
lume contient la traduction des An-
nales d'AbouUeda, depuis la naissan-
ce de Mahomet jusqu'en Tan 4o6
de l'he'gire : ce n'est guère que les
deux cinquièmes de la partie de l'ou-
vraged'AbouIfe'da qui concerne l'his-
toire musulmane. Reiske n'avait point
traduit la première partie de cet ou-
vrage , qui a pour objet l'histoire
ancienne, c'est-à-dire celle des temps
antérieurs à Mahomet. Dans la Pré-
face, placée à la tête de ce volume ,
Reiske a fait connaître tout l'ensem-
ble de son travail sur Aboulféda, et
les motifs qui le déterminaient à pu-
blier successivement et par parties ,
sa Traduction, ses Notes , son Com-
mentaire historique , et les divers
Index qui devaient rendre l'usage de
ces Annales plus commode et plus
étendu. Il éprouvait, et avec raison,
un vif regret de ne pouvoir pas faire
imprimer le texte, comme il s'en
était flatté. Le débit de ce volume
fut tellement au-dessous de ce qu'il
avait espéré , qu'il renonça à donner
la suite. Ce mauvais succès ne doit
être imputé ni à l'ouvrage ni au pu-
blic: Reiske semblait négliger par
système tous les moyens qui pou-
vaient faciliter la vente des livres
qu'il faisait imprimer à ses fi ais ; et
ensuite il attribuait à l'insouciance
du public, à la négligence de ses
amis , ou aux intrigues de ses enne-
mis , ce qui était l'elTct nature! de la
mauvaise méthode de publication
qu'il avait adoptée. Heureusement
REI
3oi
le public jouit aujourd'hui , grâce à
la générosité de M. de Suhm , de cet
important travail , qui seul aurait
sulli pour assurer à Reiske la recon-
naissance du monde savant. Les An-
nales d' Aboulféda ont été imprimées
en arabe et en latin, par les soins
de M. Adler, sous ce titre: Abulfedce
Annales Musleinici , arahicèet lati-
ne, à Copenhague , en cinq volumes
in-4°. , de 1789 à 1794. La traduc-
tion de Reiske dégénère souvent eu
paraphrase , ce qui n'empêche pas
que les personnes qui ignorent la
langue de l'original , ne puissent en
faire usage avec confiance ; et les
notes historiques qui y sont jointes ,
y ajoutent un très-grand prix. La
seule chose qu'on peut regreiter, c'est
que i\l. Adler n'ait pas donné une ta-
ble de tous les noms-propres que
contiennent ces Annales. Une pareil-
le table serait d'une utilité infinie à
tous ceux qui s'occupent d'histoire
et de littérature orientale. VII. Tho-
graï's sogenanntes Lamlsches Ge-
dlcht , etc., Friedrichstadt, 1756,
in-4''. C'est une traduction alleman-
de du poème de Tograï , morceau
connu sous le nom de Lamiat ala-
rab , et qui a été publié en arabe et
en latin , par Ed. PocoLk , à Ox-
ford , en jÔ6i. A sa traduction Reis-
ke a joint un Essai sur la jioèsie ara-
be. VIII. Abllwalldl Rlsalet s.
Eplstollum, arablcè et latine, cum
noiulls, Leipzig, i 705, in-4''. Aboul-
walid , fils de Zcïdoun , visir d'un
prince arabe de Séville , a com-
posé cette lettre sous le nom d'une
femme de naissance illustre , qui
refuse les propositions d'un homme
par lequel elle avait été recherchée
en mariage. Ce qui rend cette lettre
très-curieuse , c'est qu'elle n'est pres-
(pie qu'un tissu de proverbes, ou d'al-
lusions à des faits anciens de l'his-
Soi REI
toire des Arabes. Elle a ete' commen-
tée par un écrivain nommé Abou-
becr Mohammed , fds de Nobata.
Reiske avait traduit aussi !e com-
mentaire; mais il n'a publié que la
lettre, avec une traduction latine.
J. Fr. Hirt ou Hirtius , dans ses Ins-
titutiones arabicœ Imguœ, données
à léna , en 1770 , a réimprimé en
partie le texte de cette lettre , avec la
traduction de Reiske , et quelques
pages du commentaire de Moham-
med, fils de Nobata, auxquelles il
a joint aussi la traduction que Reis-
te lui avait communiquée. Récem-
ment, M. Jauus Lassen Rasmussen,
professeur de langues orientales à
Copenhague, a donné au public une
partie considérable du commentaire
d'Ebn-Nobata , en arabe et en latin ,
dans un volume intitulé : Addita-
menta ad Hisloriam Arabum antè
lilamismiim, etc. , Leipzig , i8.i i ,
in-4°. ; mais il ne paraît pas que la
version latine qu'il y a jointe , soit
celle de Reiske. On peut voir à ce su-
jet le Journal des savants , cahier
de novembre 1821 , p. 683 et suiv.
IX. Sammlung einiger arabischcn
Spriïchworler die vunStecken oder
Stœben liergenommen sind, c'est-
à-dire, Recueil de quelques pro-
verbes arabes , pris des bâtons
ou des verges, Leipzig, 1758, in-
4**. X. De Actamo philosopha ara-
bica, ibid., 1760, in-4°.; ce n'est
qu'un Programmcdc quelques pages.
XI. Probeii der arahischen Dicht-
kunst, etc. , c'est-à-dire , Morceaux
de poésies arabes, soit erotiques, soit
élégiaques, extraits de Moténabbi,
en arabe et on allemand, avec des
notes, Leipzig, 17G5 , in-4°' Reiske
avait copié, pendant son séjour à
Leyde , le Recueil entier des ])oésies
de Moténahbi, avec des Scholies.
Une traduction en allemand de ce
REI
Recueil fait partie des manuscrits
qu'il a laissés en mourant. C'est de
là qu'il a pris les morceaux qui com-
posent le petit volume dont il s'agit,
et qui a g4 pages. Il se divise en deux
parties, dont la première est dédiée
à M°is. Reiske, et lui est olFerte com-
me un présent, à l'occasion de l'an-
niversaire de sa naissance. Un autre
Poème de Moténabbi a aussi été
donné par Reiske, avec une version
latine, dans les notes qu'il a jointes
à la Description de la Syrie d'Abou'l-
féda , publiée en arabe et en latin ,
parKcehler, à Leipzig, en 1766,
sous le litre de Abulj'cdœ Tabula
Srriœ , etc., in - 4°. XII. Abilfe-
dœ opus geographicum. Cette tra-
duction de la Géographie d'Abou""!-
féda se trouve dans le Recueil de
Biisching, intitulé : Magazinfûrdie
îieue Historié und Géographie , to-
mes IV et V. Malheureusement Reis-
ke était entièrement dépourvu des
connaissances mathématiques néces-
saires pour bien entendre la jtarlie
syslémali(jue d'un tel ouvrage. Il se-
rait à souhaiter qu'un homme ins-
truit dans ces matières traduisît
de nouveau les Prolégomènes d'A-
boii'lféda, rétab'ît partout les longi-
tudes et les latitudes omises par
Reiske , et publiât celte Géogra-
phie , avec le texte arabe. XlII.
Marai, desSohns Josephs,.... Ge-
schichle der Regenten iiiEgjplen ,
c'est-à-dire. Histoire des princes qui
ont gouverne l'Egypte, traduite de
l'arabe, de Maraï , le fils de Joseph.
Celte traduction a été insérée, par
Biisching , dans le tome v du
Recueil dont on vient de parler.
XIV. Frodidagmata ad tiagji
Chalifœ libriim memorialem reriim
à Mnhnmmedanis gestarwn, exhi-
benlia introditctionem generalem
in historiam sic dictnm orientalem.
REI
Cette Introduction à la connaissance
de l'histoire de l'Orient a été impri-
mée à la suite de la Description de
la Syrie d'Abou'lféda , publiée par
Koehier , et dont on a déjà parlé
sous le u". XI ; c'est un morceau
très -précieux. Les Tablettes chro-
nologiques de Hadji-Khalfa, intitu-
lées : Takwim altawarikh , et im-
primées à Conslantinople, en 1733,
ont été traduites par Relske; mais
cette traduction n'a point été im-
primée: il en existe une copie ma-
nuscrite dans la bibliothèque de M.
Langlès. XV. /. -/. Reiske conjec-
îurœ in Johum et Proverhia Salo-
monis, ciim ejusdem oratiune de stu-
dio arahicœ linguce^ Leipzig, 1779,
in 8". C'est M"»K Reiske qui a pu-
blié ce -volume, après la mort de
son mari. Le Discours joint aux
Conjectures sur Job et les Prover-
bes , est celui par lequel Reiske en-
tra en possession, en 1747, de ^^
chaire de langue arabe. On en a dé-
jà parlé. Les conjectures sur Job et
les Proverbes n'ont pas obtenu l'as-
sentiment des critiques. Ce volume
a été dédié par M"^'^. Reiske à M.
de Suhm. XV L Briefe iiher das
arabische Miintzwesen , c'est-à-
dire, Lettres sur les Monnaies ara-
bes. M. de Suhm ayant acquis tous
les manuscrits laissés par Reis-
ke , remit ces Lettres à M. Eich-
horn , qui les a publiées , dans
son Repertorimn fur bihlische und
tnorgenldndische Litteratur, parties
9, 10 et 1 1. M. Richter , conserva-
teur du cabinet des médailles et des
antiquités de Dresde, avait invité
Reiske à lui donner l'explication des
légendes de toutes les monnaies ara-
bes de ce cabinet. Il transmit suc-
cessivement toutes ces monnaies à
Leipzig j et Reiske les lui renvoyait
avec leur explication. Ce travail de-
REI 3o3
vînt l'occasion des lettres dont il
s'agit, qui sont adressées à M. Rich-
ter. Par suite de ce travail, Reiske
fit , en 1756, un voyage à Dresde ,
pour classe^" chronologiquement les
monnaies arabes, qu'il avait d'abord
expliquées isolément. Ces Lettres
peuvent être considérées comme un
ouvrage fondauiental pour la numis-
matique musulmane. Dans l'ouvrage
de M. Eichhorn , intitulé Monumen-
ta antiquissima hisiorice Arabuni ,
Gotha , 1775, in-8°. , on trouve de
Reiske : Animadversiones criticœ
in Hamzœ Hisloriam regni Jocta-
nidarum ab A. Schultensio edi-
tnm. Dans l'édition de la Biblio-
thèque orientale de d'Herbelot, don-
née à la Haye, de 1777 à 1799,
en 4 vol. in-4°. , on a réuni environ
quatre-vingts pages d'Additions ou
d'Observations de Reiske, auxquel-
les H. A. Schullens en a joint
quelque - autres. On doit regretter
que ces additions ne soient pas en
plus grand nombre ; elles n'ont pa-
ru qu'en 1782. — Passons aux ou-
vrages de Reiske qui ont pour objet
laliltérature grecque et latme, et dont
nous nous bornerons presque à in-
diquer les titres , parce qu'ils sont
beaucoup plus connus que ses au-
tres ouvrages. XVII. Constantini
Poq^hjrogenelœ libri duo de cœri-
vioniis aulœ Byzanlince , gr. etlat.,
Leipzig , 2 voî. in -fol. L'édition de
cet ouvrage avait d'abord été confiée
au professeur Leicb. Sa mort pré-
maturée fit passer le travail de cette
édition ci Reiske. Le premier volume
paruten 1751 , et le second en 1754.
Ce second volume ne contient qu'u-
ne partie des Remarques de Reiske.
Le reste devait se trouver dans le
troisième tome , qui n'a jamais été'
publié. Ce livre , et les Annales
musulmanes d'Abou'lféda, sont, de
3o4 REÏ
tous les écrits de Reiske , ceux
où il a montré le plus d'érudition.
XV m. Animadversiones ad Sopho-
cle m , Leipzig, 1753, in-B*^. XIX.
Animadversiones ad Eiiripidem et
Aristoplumem , ihidem, 1754, in-
8". XX. Antliologiœ grœcce , à Cons-
tantino Cephala ediùœ, libri très,
ibid, , 1754» in-8°. ; réimprimé à
Oxford, en 1764. XXI. Animad-
versiones ad grœcos aulores , Leip-
zig, 5 vol,in-8''=, publiés en 1757,
1759, 1761 , 1763 et 1766. C'est
celui de ses ouvrages sur !a littéra-
ture classique auquel Reiske attaciiait
le plus d'importance. Il avait enco-
re des matériaux pour plusieurs vo-
lumes ; quelques - uns de ces maté-
riaux ont trouvé leur pl.ice dans les
ouvi-ages qu'il a donnés plus tard.
Ses Notes sur Artéiuidore ont été
réimprimées dans le tome n de l'Ar-
tétiîidorede M. Rciff, Leipzig, i8o5.
XXII. M.-T. Ciceronis Tuscidana-
riim disputalionum libri quinque ,
Leipzig, 1759, in-i2. XXIII. De
Zenohio sophistd Ant.iucJieno, ibid.,
1759, in-4«>. XXIV. De quibus-
dam è Libanio repetitis argumentis,
adhistoriamecclesiasticamchristia.
nampertine7itibiis,impiimisdeopti-
mo episcopo , ibid., 1709, in-4''.
XXV. De rébus ad scholam Nico-
làitanam Lipsiensem pertinentibus,
expositio , i'bid. , 1739, in - 4°-
'XX.W.Delinguarumvcterumscien.
iid maxime necessarid , sludiiqne
grammalici utilitale , versione qno.
rumdam locoriim Malachiœ illus-
trald, ihià., 1759, in-4". XXVII.
Theocrili reliquiœ cum scholiis
grœcis et commentariis integrix
variorum , tribus libris animadvcr-
sionum et indicibus , ibid. , 176G,
2 vol. in-4". Celle édition de Tliéo-
crilc a été l'objet de critiques sévè-
res : on a reproché à Reiske d'avoir
REI
hasardé beaucoup ds conjectures in-
conciliables avec la prosodie grec-
que. Ce tort , bien réel , tient à l'i-
gtiorance des règles de la proso-
die; règles qu'il n'est pas permis
de négliger, quand on veut appliquer
la critique aux ouvrages de poésie,
et pour lesquelles Reiske ne témoi-
guailquedu mépris. XXVllI. Ora-
tores grœci, Leipzig;, 12 vol. in-8°.,
dei77oài775. C'est M"^''. Reiske
qui a pub'ié les trois derniers volu-
mes. XXI XI, Apparatûs crilici ad
Demosthenem vol. 1, 11, jii^ qucc
T'Folfianas , Taylorianas et Beis •
kianas notas continent , ibid. ,
1774 et i775,in-8''. XXXI. Indi-
ces operuni Demosthenis , ibid. ,
1775, in-B''. XXX. Plutarchi quce
supenunt omnia gr. et lat, ihid. ,
ï'i vol. in- 8°., de 1774 à 1782. Il
n'y a que le premier volume qui ait
paru du vivant de Reiske; mais l'é-
diteur des volumes suivants a don-
né fidèlement les notes de ce savant,
sariS s'y permet! reaucun changement.
XXXII. Maiimi Tji ii Dissertatio-
nes è recensione Davisii ,editio al-
téra, oui Marclandi notœ accesse-
runt : recudi curavit et annotatiun-
culas addidit J.-J. Reiske, Leipzig ,
177 4 et 1 775, '.ivol. in.8^ XXXIIl.
Dionjsii Halicamassensis opéra
omnia gr. et lat, , cum annotatio-
nibus II. Stephani Hudsoni et
Reiskii, ibid., 6 vol. in -8"., de
1774 à 1777. Les quatre derniers
vuiiiines n'ont été publics qu'après
la mort de Reiske. XXX IV. Liba-
nii sophistce orationes et declama-
tiones , Altenburg, 1783 à 1787 ,
4 vol. in-8'\ C'est à M'"^. Reiske
qu'est due cette édition posthume
(lu travail de son mari sur Liba-
nius. XXXV. Dionis Chrjsosto-
mi orationes ex recensione J. J.
Reiske , Leipzig , 1 784 , 2 •volumes
REI
in-8o. M™«. Reiske , à qui l'on doit
éi^alcinent la publication de cette
c'dilion , l'a dédiée au célèbre Pitt.
ileiske avait tout piej)are' dès l'année
i'^G7 , pour la publication des 02u-
vres de Dion Clirysoslome. Sa veu-
ve en mcKant au jour ce travail , a
eu soin de n'inscrer aucune des cor-
rections conjectuiales de Reiske ',
non pas même lorsqu'elles lui pa-
raissaient indubitables. A ces ouvra-
sses, il faut joindre : XXXVI. Une
Traduction allemande des Haran-
gues tirées de Thucydide , l.cip-
zig, i76i,in-8\; et XXXVII. La
Traduction alle:na;ide des Discours
de Démoslliène et d'Escliiue, publiée
à Lemgo, en 1764, en 5 vol. in 8°.
Celte Traduction a été l'objet de vio-
lentes critiques ( Voy. KIotz, .ucta
litteraria,tO]n.x\ ,.png. '24oel 343;
Mo rus , dans sa vie de Reiske ) ; et il
semble que l'intelligence du leste
est le seul mérite qu'on ne peut lui
refuser. Reiske a eu plus ou moins
de part à diverses tiaduclions alle-
mandes , telles que celles des Mé-
moires d'Arclienliolz , concernant
Christine reine de Sue Je; de l'histoire
de l'académie des inscriptions et bel-
les-lettres; du 6'^. toine de l'Hi./toire
universelle de Gulhiie , Grey , etc.
Nous n'avons point parlé de la
Traduction latine du Roman grec
de Charitou, ]»arce que lleiske l'a
faite pour d'Orville, et que celui-
ci en a usé comme d'im bien qui
lui appartenait , sans mccotuiaître
pouriaiit le service que Reiske lui
avait rendu. Dans l'édition du Trai-
te d<' Porphyre : De abstinentid
ah esu aninialium , donnée par Jac-
ques de Hlioer, à Utreclit, en 17O7,
iu-4"., il se trouve des Notes de
Rei-skc, qui avait coUaiiunné , pour
l'éditeur , un manuscrit du texte
original. Li V^ie de Reiske, jus-
XXXVil.
REI
3o5
qu'au commencement de 1770, a
été , comme on l'a déjà dit , écrite
par lui-même en allemand , et con-
tinuée jusqu'à sa mort , par M"»'^.
Reiske, qui y a joint une Liste exac-
te de tous ses travaux , imprimés
et manuscrits. Elle a paru à Leip-
zig, en 1783, sous ce titre : 1).
■ J. J, Tieiskens von ihni sclOst aiif.
gestzte Lebensbesc/weibuTig. Le mê-
me volume contient la correspon-
dance de divers savants , allemands
et étrangers , avec Reiske. Du vivant
même de Reiike , une Notice biogra-
pliiq-.ie de ce savant , composée par
George Eccius , a été insérée dans le
tome vin du Recueil de Th. Cbr.
Karles, intitiiic : De P'itisvhdoloizo-
rum nostra œtale clanssimorum.
Sara. P. Natli. Morus , professeur à
Leipzig , a écrit en lalin une Vie de
Reiske, qui a paru d'abord à Leip-
zig , 1777, in-8". , et a été réimpri-
mée dans le Classical Journal , tome
xxTV , «o. 47- Il y 3 im grand nom-
bf'e d'articles deReiske dans les Acta
eruditorum , les Miscellanea Lip-
siensia , les Zuverlcessige Nachrich-
ten de 1748 à 1755, la Bibliothè-
que britannique ( Die Britische Bi-.
hliothek ), tom. i , 11 et m , et le Ma-
gasin de Hambourg {Das Hambiir-
gische Magazin ). Les programmes
et autres petits ouvrages deReiske.
ceux surtout qui appartiennent à la
littérature orientale , sont devenus
ti'ès- raies ; et il est surprenant que
jusqu'ici personne , en Allemagne,
n'ait songé à les réunir en un ou deux
volumes. Un pareil Recueil serait
bien reçu du public, aujourd'hui sur-
tout qu'on cultive avec plus de zèle
les langues et la littérature de l'O-
rient. On ne doit point craindre
d'afiirmer que Reiske a été , de tous
les orientalistes de son temps, celui
qui a le mieux connu la langue et la
20
3g6 REI
littérature arabes. Quanta ses travaux
critiques relatifs aux auteurs grecs ,
nous renverrons les lecteurs qui dé-
sireront connaître l'opinion des sa-
vants à ce sujet , à ce qu'en a dit , à
l'occasion de ses conjectures sur
Plutarque , le célèbre Wyttenbach,
dans sa Bibliotheca crilica , part.
XI , pag. 38 , et dans la préface
de son édition des OEuvres mo
raies de Plutarque , p. cxxviii et
suiv. Ruhnkcnius a dépasse toutes
les bornes de l'équité et de la modé-
ration en parlant de Reiskc , dans
une lettre à Ernesti , du 37 décembre
1753 ( Voy. Dai>. Bulinkenii, L. C.
Valkenarii et aliornin ad J. A.
Ernesti, Epistolœ ;\jc\\>û^, ^77^?
in 8". Voy. aussi D . Ruhnkenii opiis-
cnla , etc. , Leyde , 1823 , tom. 1 1,
p. 788 ). Klotz lui a rendu plus de
justice ( Voy. Acta litter. , tome 11 ,
pag. 'i9'2et343j tome vi, pag. 453).
Ou peut aussi consulter ce qu'eu a dit
Larcher , dans la préface qu'il a
mise à la tête de sa Traduction du
roman de Chariton. — M"^*^. Reiske ,
outre la part qu'elle prit aux travaux
de son mari , et les éditions de Li-
banius et de Dion Chrysostomc
qu'elle a données après le décès
de Reiske , et dont nous avons dé-
jà parlé, a publié elle-même divers
ouvrages , dont un, intitulé Hellas y
en 1 vol. iu-S*^. , a paru à Mitau ,
en 1778 et 1779 ; et un autre, qui
porte pour titre Zur Moral { Dcssau
et Leipzig, 1782, in-8''. ), contient
divers ouvrages moraux , traduits
par elle du grec en allemand. On
peut consul ter, sur ce dernier ouvrage,
la Bibliotheca critica de Wytten-
bach , partie vin , pag. \^'X. Elle a
aussi fourni à M. Bodcn , pour son
édition du roman grec d'Achilles Ta-
tius ( Leipzig , 177G, in-8°. ), les
variautcs d'un manuscrit par elle
REI
collationnc. Son respect pour la mé-
moire de son mari l'a entraînée vrai-
semblablement trop loin , dans la
querelle qu'elle a eue avec le célèbre
Michaëlis. M™*^. Reiske , après avoir
habité successivement depuis la mort
de son mari , Leipzig , Dresde , une
campagne près de Brunswick, Bruns-
vick même, et enfin Kemberg , lieu de
sa naissance , est morte , dans cette
dernière ville, d'une attaque d'apo-
plexie,le 27 juillet 179S : elle y était
née le 'i avril 1735. S. de S — y.
REIZ ( j*t:AN-FBEDERic) , en latin
Reitzius philologue, était l'un des
trois fils du pr édicateur de la cour ,
Jean - Henri Reiz , à Braunfels, en
Wctteravie. Ils furent tous les trois
professeurs et philologues. Jean Fré-
déric naquit eu 1G95, étudia la mé-
decine et la littérature ancienne à
Utrecht,fut, en 17 19, maître au gym-
nase de Rotterdam , en 1 724 co-rec-
teur àUtrccht,cten 1745 professeur
à l'université de cette ville : il mourut
le 3 1 mars 1 778. On a de lui des Dis-
cours latins, ainsi qu'une édition De
ambi^uis , mcdiis et contrariis ,
Utrccht, 1730, in-8''. Il a concouru
aux éditions d'auteurs anciens et mo-
dernes. C'est ainsi qu'il donna : Grœ-
ccB litiguœ dialecti Maittairii, cum
prœfat. et fragmenta inédite Apol-
lonii Dyscoli, ibid., 1738 ; et Ro-
sini antiquitates , cum prœfat. et
emendat. , Amsterdam, 1743, in-
4". Il fut éditeur de diverses réim-
pressions de Nieuport Explicatio
rituum Boman. ; et il coopéra à l'é-
dition faite, en 174^, «i Amsterdam,
des OEuvres de Lucien, 3 vol. in-
4«. ( F. Lucien , XXV , 36 1_. ) Ce-
pendant les notes qu'il y a jointes
ont été trouvées très-inférieures à cel-
les de llemsterhuis et de Gessner. Il
a fait ['Index, très-délaillé, de cette
édition , conjointement avec son frè-
REI
fe , Charles - Conrad Reiz , né en
1708, qui était recteur du gymnase
deHarderwyk. — Celui-ci avait pro-
fessé, avant 1747 -, à Middelbourg ,
Goess et Gorkum. Il a publié, com-
me son frère , des Discours latins ,
ime Elegia de ilinere Zelandico , et
d'autres ouvrages peu importants.
Charles-Conrad mourut en 1773. —
Le troisième frère, Guillaume-Olton
Reiz , né à OfFeubach en 1702 , fut
professeur d'histoire à Middelbourg,
et mourut en 1769. Ses ouvrages
pi'ouvent une grande érudition : I.
Bela.a grœcisans , Ro tterdam , 1780,
in -8°. II. Annotationes sporades ,
1789, in -8''. III. Variantes lec-
tiones in Institut. Justiniani, i744"
45. IV. Theophili paraphrasis grœ-
ca Institutionum ^ la Haye, 1751,
in-4''. Il a donné, au tome v du
Thésaurus juris civilis et canon, de
Meermann , Basiliconan lib. iv ine-
dili, nempe, xlix, l, li et lti ( V.
Fabrot). C'est aux soins de Cappe-
ronier que l'on doit la publication
de ces quatre livres , tirés d'un ma-
nuscrit de la bibliothèque du Roi , à
Paris. D — g.
REIZ ( Frederig-Wolfgang ) ,
philologue allemand , né à Winds-
heim en Franconie, l'an 1783, pro-
fessa successivement à Leipzig, la
philosophie, le latin et le grec, et
enfin la poésie , et fut directeur de
la bibliothèque de l'université de
cette ville. Après avoir fait ses étu-
des à Leipzig, il s'était chargé de
l'éducation particulière dans quel-
ques familles, et avait dirigé, dans
l'imprimerie de Breitkopf , l'impres-
sion de plusieurs ouvrages. Reiz con-
naissait à fond la littérature classi-
que , et il écrivait le latin avec une
grande facilité. C'est dans cette lan-
gue qu'il correspondait avec les sa-
vants, et qu'il composa un poème
REI 307
sur les inventions du dix-huitième
siècle : Sœculum ah inventis clanim.
Il la parlait même plus facilement
que sa langue maternelle : dans ses
cours, il était quelquefuis embar-
rassé de terminer ses phrasosj alors
il se tirait d'affaire par le latin. Il
savait exactement si telle expression
ou telle tournure latine se trouvait
dans les auteurs de la bonne latinité ;
et il citait les exemples, comme s'il
eût appris tous les classiques par
cœur. Son école de philologie a pro-
duit de bons élèves ; et en publiant le
texte de divers auteurs anciens , il
a donné l'exemple d'une critique ju-
dicieuse, qui ne corrige que dans les
cas d'une nécessité absolue, et ne pro-
pose de nouvelles leçons que lorsque
les plus fortes raisons les appuient.
Souvent il préférait le changement
de la ponctuation à celui du texte;
et par ces corrections, légères en ap-
parence, il est parvenu à rendre clai-
res et naturelles des phrases et des
constructions qui paraissaient obs-
cures. 11 travaillait avec tant de
conscience , qu'il avançait très-len-
tement, et que, malgré une vie très-
laborieuse, il n'a laissé qu'un petit
nombre d'ouvrages. Ayant plus de
savoir que d'imagination, il appré-
ciait mieux les prosateurs que les
poètes. L'édition iisuelle qu'il a don-
née d'Hérodote n'a pas été achevée;
on s'accorde ta la regarder comme un
modèle : elle parut sous le titre de He-
rodoti historiarum libri ix, textus
Wesselingianus passim refictus ,
etc., opéra Reizii, vol. i"-'». , part, i ,
Leipzig, 1778 ; réimprimé en 1807
et 18 1 6. La seconde partie du i<^'.
volume fut publiée par Schœfer, qui
donna ensuite un Hérodote d'après
ses propres travaux critiques. L'é-
dition d'Hérodote publiée à Oxford,
1809 et 1814, 3 vol. in-80. , a été
uo..
3<kS REI
faite sur le texte de Wcsscling , col-
la tienne' avec ceux de Rciz et de
i)clia;fer. Rciz a donné aussi de bon-
nes cdilioiis classiques, de la Rlietoii-
que ( 177:4)1 et de la Poétique (1786)
d'Aristote,ain!-i que de Perse (1789),
et du Rudeiis de Plauîe ( même an-
née ). 11 a publie, sur l'art métrique
des anciens, deux Dissertations, ^«r-
manniim de Benlleii doctrind me-
troruni Tereniianorwn judicare
non potidsse , 1787; et De proso-
dice grœcœ accentûs inclinatioiie ,
curante F. A. IVolfio , Leipzig,
1791 , in-S**. Reiz ne calculait ni
le temps ni la peine pour rendre
service : pendant dix-huit mois , il
veilla, de deux nuits l'une, auprès de
son maître Christ , qui était malade.
Il aidait de sa bourse les écoliers
pauvres, loin d'en rien exiger pour
SCS cours : quoique sans fortune , il
renonçait à ses appoiiUenients de bi-
bliothécaire, pour augmenter la bi-
bliothèque qui lui était confiée. Son
élève Bauer a publié une brochu-
re sur lui. Reiz mourut le 'i février
1790. D G.
RELAND ( Adrien ) , savant très-
versé dans la coimaissance des lan-
gues orientales, naquit le 17 juillet
rGjG , auprès d'Alkmacr, dans la
Nord- Hollande, au village de Ryp ,
cù son père était ministre. Celui-ci
vinlensuiles'etablir à Amsterdam :1e
jeune Reland y étudia sousdes maîtres
qu'il ne larda pas à surpasser. Il de-
vint en peu de temps fort habiledans
l'intelligence des langues saintes, et
de l'arabe ; il v joignit le persan et le
malai , dont il fut le premier à faire
usage dans des discussions scientifi-
ques. Il possédait aussi la littéra-
ture rabbiniqiie , trop vantée autre-
fois , trop négligée maintenant, et
dont il ne fil jamais qu'un sage em-
ploi. Avec tant de connaissances, il
REL
n'aurait été pent-ttro qu'un savant
fort ordinaire : il est difficile que l'é-
lu le des langues orientales, tonte
seule, produise drs résultats im-
portants; mais il y joignit la scien-
ce des ant;(|uités grecques et ro-
maines , qui n'a jamais été commu-
ne parmi les orientalistes , et qu'il
acquit sous la direction du célèbre
Graevius. On pense bien qu'avec un
tel maîtie, il ne s'arrêta point aux
futilités de la littérature ancienne.
C'est vers la science véritable qu'il
dirigea ses cffurls : il ne voulait pas
êlre écolier ou régent de collège ; il
dédirait être un savant , il ne tarda
pas à le devenir. On reconnaît dans
tous ses écrits une bonne et solide-
érudition. L'alliance des connais-
.^ances classiques et des lettres orien-
tales jette une grande variété dans
ses ouvrages , trop peu^ nombreux à
cause de la courte durée de sa vie.
Reland avait déjà refusé une place de
professeur à Lingcn. quand, en 1 699,
il en accepta une à Harderv\'ick , qu'il
quitta bientôt après pour une chaire
de langues orientales et d'antiquilés
ecclésiastiques, à L'trecht. Il l'occupa
dix-sept ans, et mourut de la petite
vérole, dans cette vide, le 5 février
1718, âgé de quarante-deux ans , à
l'époqne même où l'on devait atten-
dre les ineiîienres productions de son
savoir. Nous ne nous arièterons pas
aux f-rcaiiers essais de sa jeunesse
( Galatea lusus poëticus , Amster-
dam , 1701 , in 8". ), publiés à sou
insu ; ils furent re'iinprimés trois
fois. Outre diverses Dissertations de
peu d'cîendue, et d'un intérêi assez
borné , telles qu'un Discours sur
la langue persane ( Oralio pro Iingua
Fersica, Uirerht, 1701 , iii-4". ),
une nouvelle édition du Mamiel arabe
de Zernoukhy ( Knchiiittion .studio-
si ), Ulrecht, 1709 , in-8^. {Foj-ez
REL
Bor.'.iA>-ED DiN ); rne coiirlc intro-
diicliitu à la Grammaire bebra'ique
du professeur Jacques Altiiig, avec
une édition du livre de Rulh, accom-
pagnée d'un comracutaite rabhiui-
que, UtrecLt, 17 io,in-8'J.; une édi-
tion du Rlanuel d'Epiclète, et du Ta-
bleau de Ccbès , commencée par I\lei-
bom , Utrccht , 1 7 1 1 , in - 4". ; une
Di.-sertation sur les dépouilles les
plus remarquables de Jérusalem , fi-
gurées sur l'arc de TiUis à Rome,
Utrecht , 1716, in-8^. , etc., etc.,
TOUS remarquerons plus particiiliè-
remenllcs Ouvrages suivants: I. .Jna-
lecta Rabbinica , Utreclu, 1702,
in-8°.; collection utile qui contient
plusieurs Ouvrages estimés, relatifs à
la littérature rabbinique , et devenus
la les , tels que Vlsagoge Rahhinica
de Genebrard ; la Grammaire rabbi-
uique ou Rahbinismus de Cellarius ;
Je Traité d(S particules cbaldaïques,
syriaques et rabbiniques de Drusius ;
la Vie des plus célèbr^srabbins , par
Bartolocci , et un Commentaire de
Kimchi , sur les dix premiers psau-
mes. II. Di^sertaiiones quinque de
mimis veterum Hchrœonnn , qui
ob inscriptanmi litterarum forma
sainaiitani appellantur , etc. ,
Utrecht, 1709, in-8°. Les trois pre-
mières de ces Dissertations avaient
déjà paru séparément, en 1701 et
1704, à Amsterdam. C'est le pre-
mier ouvrage un j)€U considérable
qui ait été enlrejJtis sur les monnaies
antiques des princes Asmonécns : les
travaux de ral)bé Baiîliclemy, de
i'erez Bayer , et de quelques autres
antiquaires, ontpcu ajoute au\ obser-
vations de Relaud. IIJ. De Rtligione
Muhamedicd libri duo, Utrecht,
170J, in-H". L'auteur en doima , en
1717, in-8". , une nouvelle édition,
bien plus étendue , et ornée de quel-
ques figures en taille - douce. C'est
REL 3oQ
dars ce Traite fort savant, tout
entier tiré des sources oriçii.atcs (et
piincipaleriientd'Aboi!-Siliodjaa;quc
l'on a puisé lesnotions sui la religion
musulmane répandues dans un grand
nombre d'ouvrages. L'auteur y a in-
séré beaucoup de passages extraits
des livres orientaux, et il s'attache sur-
tout, dans .'•a Préface , à réfuter les
écrivains qui , pour décrier le inaho-
méiisme , lui attribuaient une foule
d'absurdités iusoutcnaliles : aussi des
théologiens d'un zèle peuéclaiiél'ont-
ilsaccuséd'avoir par-la chcrchéà jus-
tifier cette religion , et à lui faire des
prosélytes , tandis que son Ijut n'était
que de la faire mieux connaître , afin
de la combattre avec plus d'avan-
tage. Le livre est terminé par le ca-
talogue raisonné de vingt-quatre ma-
nuscrits arabes dont l'auteur s'était
servi , suivi d'un index assez ample,
d'un errata , et de la généalogie du
sultan Achmet III depuis Adam ,
tirée d'un manuscrit turc, et conte-
nant soixante-dis-huit générations.
Les patriarches , depuis Adam jus-
qu'à Japhet , y sont conformes à la
Genèse, à l'excepliou qu'Enoch y
est nommé Idris , suivant l'usage des
Orientaux. Cette production de Re-
land fut bien accueillie des savants ;
et Ton s'empressa d'en faire, sur la
première édition , une Traduction
allemande. Il en existe une autre en
français , faite sur la seconde édition,
et publiée après la mort de Relaud ,
à la Haye , 17Î1 , i vol. iu-iu , par
David Durand. Celte Traduction pi-
lovable ne dispense ])as de possé-
der l'original. Le bel-esprit (jui s'a-
visa de travestir , en français , le
savant ouvrage de Relaud, retran-
cha ou mutila la plus grande
partie des Koles de l'antcur , fit
j)eaueoup de suppressions dans le
corps mune du livre, croyant bien
3io BEL
dédommager ses lecteurs par l'im-
pertinente addition de quelques mau-
vais vers français de sa façon ; le
tout prérédë d'une longue Préface,
dans laquelle il s'efforce, dans un sty-
le plaisamment ridicule , de justifier
les importants services qu'il croit
avoir rendus au livre de Reland.
Comme le traducteur n'a pas jugea
propos d'indiquer, par un signe quel-
conque, les passages qu'il a ajoutés à
son texte , ce qui , dit-il , fera frémir
le peuple enductriné, on est perpé-
tuellement exposé à prendre les re-
marques qu'i7 a cousues dans sa tra-
duction ( c'est lui qui s'exprime ain-
si), pour des observaàons de Reland.
Il n'est pas de si mauvais livre qui
ne contienne quelque chose d'utile :
nous remarquerons donc que l'au-
teur de cette traduction , y a joint
un petit Traité intitulé : Confession
de foi des Mahomet ans. Ce Traité ,
fort court , est tiré d'un manuscrit
latin , traduit sur un original espa-
gnol, écrit en caractères arabes (i),
IV. Dissertationum miscellanea-
rum partes très , Utreclit , 3 vol.
in- 8*'. Les trois volumes de ce Re-
cueil furent publiés sTiccessivement
en 1706, 7 et 8 j et bientôt, en 17 13,
ils obtinrent les honneurs d'une se-
conde édition. Ils contiennent treize
Dissertations, toutes fort intéressan-
tes, et remplies d'une érudition aussi
solide que variée. Ces petits ouvrages
ont été plus souvent pillés que cités;
et beaucoup de savants y ont puisé,
sans peine , nombre de citations , de
rapprochements et d'élymologics ,
dont ils ojjt enriclii leurs composi-
tions. Les plus intéressantes de ces Dis-
sertations sont : De Samarilanis; De
( I ; f )n ppiil. voir, sur !.■« iiinniiKriiti espagnols l'criJs
<ii IrUrr» iiii.br», une Nolicc <!.; M. Sylvestre do
.Saijy, loctni-daiisli; loine iv <l.»Notit:ii cl extraits
KEL
reliquiis veleris lin^uœ persicœ ; De
persicis vocnhulis Talmudis; De lin-
guis insularum quarumdam, orien-
talium. C'est dans cette Dissertation
que furent remarqués, pour la pre-
mière fois , les rapports du malai
avec la langue des habitants de Ma-
dagascar. V. Antiquiiates sacrœve-
terumffebraorum, Utrecht, un vol.
in-80, ; cette édition fut suivie de
plusieurs autres , en 17 1*2, 1714»
17 17 et 1741 , in-8". , et de celle
que G.-J.-L. Vogel a donnée, avec
des augmentations , Halle, 1769,
in -8". C'est le Recueil le plus com-
plet , le plus concis et le plus mé-
thodique qui existe sur cette ma-
tière. VI. Palestina ex monumentis
veteribus illustrata et chartis geo-
graphicis accuratioribus adomata ,
Utrecht, 1714,2 vol. in 4'^. , avec
onze cartes; Nuremberg, 1716 , in-
4". Ce Recueil de tous les renseigne-
ments géographiques que les anciens
avaient transmis sur la Terre-Sain-
te, est le plus considérable des ou-
vrages de Reland. Tous les passages
originaux s'y trouvent : c'est plutôt
une compilation , qu'une description
raisonnée ; cependant il faut conve-
nir que l'auteur a tiré le meilleur
parti possible des documents qui
étaient à sa disposition : s'il n'a pas
fait plus , on ne doit en accuser que
l'état d'imperfection dans lequel se
trouvait, de sou temps, la science de
la géographie. J. C. Haremberg {V.
ce nom ) a donné , dans le tome v des
Miscellanea Lipsiensia nova , qua-
tre suppléments à la Palestina.
Voyez, pour plus de détail, le Tra-
jcctum erudilum de Rurmann, p.
'ji^S-Soi , et le Diction, de Chau-
fcpié. — Reland fut encore éditeur
d'un ouviagc posthume de son frère
Pierre Reland , avocat pension-
nai) e de la ville de Harlem, mort en
REL
i-j i5 : Pétri Relandi, Fasti consu-
lares ad illuslrationem codicis Jus-
tinianei et Theodosiani secundùm
rationes temporum digesti , etc. ,
Utrecht, 1715, in-8". Adrien Re-
laud fit plusieurs additions impor-
tantes à cet utile ouvrage. S. M-n.
RELY (Jean de ), l'un des ora-
teurs les plus éloquents de son siècle,
était ne, vers i4-^o, d'une ancienne
famille d'Arras (i ). Après avoir ter-
miné ses études à Paris , il embras-
sa l'état ecclésiastique , et fut pour-
vu d'un canonicat de l'église de No-
tre Dame , dont il devint chancelier
et archidiacre , et d'une chaire de
théologie à l'université. Ce fut lui
qui, en 1461- rédigea les remon-
trances que présenta le parlement
à Louis XI pour le maintien de la
Pragmatique sanction (i). Il rem-
plit , en 147 ï j les fonctions de
recteur de l'université , et fut re-
çu docteur de Sorbonne en 1 478. Dé-
puté par le clergé de Paris aux états-
généraux de Tours en i483, il y si-
gnala son zèle pour la répression des
abus , et fut chargé de présenter à
Charles VIII le résultat des délibé-
rations de l'assemblée (3). Ce jeune
prince , charmé à^. son éloquence, le
retint à sa cour, en le nommant son
aumônier. Rcly bénit , en cette qua-
lité , le mariage de Charles avec An-
ne de Bretagne (1491)- H était, de-
puis quelques mois , évêque élu d'An-
(i) Suivant le Gallia christiana , Jean de Rely
«tait ]p graud-oncle de Fr. Baudouiu , cêU'bre juris-
coiisulte ( y. Baudouin ).
(ï) Ces Remontrances sent écrites avec une vi-
gueur remarqurible. On en cite une édiï. in-4*'. , sans
date , mais qui paraît être do la fin du qnÎDzicme
siècle : elles ont été réimprimées j)Iusieurs fois en
français et en lalin , de la version de Duaren , dans
les ÙEuvies de ce jurisconsulte ( F. DUARKN ).
(î) On peut consulter VOrilre tenu et ^ardi en
Rassemblée des trois états de France , convoqués à
'Tours par Charles FUI , contenant les proposi-
tions Jaites par Jean de lieiy^ chanoine de Paris j
Uupré , in- 4" 1 sans date; et dans le Rccuvil dcï
•iat» , Paris , Quiutl, iGâl , )n-4°-) l'- 4'J-
REM
3ii
gcrs ; mais il ne prit possession de
ce siège qu'en i49'2- H suivit le
roi dans son expédition à Naples,
et remplit avec succès les missions
dont on le chargea près du pape
Alexandre VI. La mort prématurée
de Charles affligea profondément le
bon évêque d'Angers. Il accompagna
les restes de son maître à Saint -De-
nis, oîi il prononça son oraison fu-
nèbre ; et il quitta la cour, résolu de
consacrer le reste de sa vie au soin
du troupeau que la Providence lui
avait confié: mais, dans la première
visite qu'il fit de son diocèse, il fut
frappe d'apoplexie, et mourut à Sau-
mur, le 27 mars i 499 (4)- Parmi
les Lettres de Pic de la Mirandole ,
on en trouve une adressée à Jean de
Rely (liv. ix, 3 ). Jacques Lefèvrc
d'Estaples lui dédia son Commentai-
re sur la Morale d'Aristote. Rely re-
toucha , d'après l'exprès commande-
ment de Charles VIII, le style de la
Traduction des Livres historiaulx
de la Bible, par Guyart des Moulins,
et la fit imprimer à Paris, vers i495
( F. Moulins). On conserve, au ca-
binet du roi, le portrait de Jean de
Rely, in-fol,, dessin à la pierre noi-
re. W— s.
REMBRANDT ( Paul ) dit Van-
PuN , l'un des peintres les plus re-
nommés de l'école hollandaise , na-
quit, en i6oG, à peu de distance de
Leydc , sur les bords du Rhin ( entre
les villages de Leyendorp et de Kou-
kerck ). Son nom de famille était
Gerretsz. Son père , qui s'était en-
richi dans l'état de meunier , voulut
lui faire apprendre le latin ; mais
n'ayant que peu de dispositions pour
ce genre d'étude , et montrant plus
de goût pour le dessin, le jeune
^4) Son épltaplie ra))i)oiUe dans le G.dlia chri<-
tluna , porte ii\()'!<i innls ou sait que l'iiunce ne coiu-
raeuvail alors qu'à l'âqucs.
3ta
KTM
Rerabrariilt obtint la permission
d'enlrer dans l'atelier d'un peintre
de la ville voisine ( Jacques Van-
Zviancnhurj:!; ) , chez lequel il resta
trois ans. Il se rendit ensuite à Ams-
terdam , pour y étudier successive-
raciit sous Pierre Lastraan , et Jac-
ques Pinas, qui avaient alors quelque
réputation. De retour au moulin de
son père , il ne voulut pins avoir
d'autre maître que la nature; et il
5e mit à copier , presque sans choix,
tous les objets qui s'offraient à ses
regards. Un tableau qu'il composa
dans cette campagne, y fit assez de
sentation pour piquer la cuiiosite'
des gens de la ville. On engagea le
jeune peintre à partir pour la Haye,
oi'i cet ouvrage lui fut paye cent
florins. Puissamment encourage par
ce succès inespéré', Rembrandt fixa
.son séjour dans la capitale de la Hol-
Jande, où , non content de multiplier
ses tableaux et ses gravures avec une
activité surprenante , il établit une
ccole de peinture, dont il tira le plus
grand profit. Ses richesses , néan-
moins , ne lui inspiraient pas le de-
sir de se répand) e dans la société des
liommes éclairés. Il épousa une sim-
])lc paysanne, et ne vécut habituclle-
îuent que parmi les gens du bas-peu-
ple. Ce n'est pas Vhor.neiir que je
cherche^ disait -il; cest le repcs
d'esprit et la liherlé. Il aurait pu
ajouter c'est l'arf^ent ; car ce fut
.surtout sa sordide avarice qui lui
imposa l'obligation de fuir le lu-se
ft tontes les occasions de dépense.
Ses meilleurs repas ne se compo-
saient que de harengs secs ou de fro -
mage ; et peu satisfait de ses écono-
mies, il inventait sans cesse de nou-
veaux moyens jiour se procurer des
gains plus considérables. On dit
qu'en chargeant son fils de vendre
ses estampes et ses dessins , dont on
REM
faisait grand cas , il e?iigeait que ce
jeune homme feignît de les lui avoir
dérobes. D'intelligence avec sa fem-
me , qui partageait son avarice il
s'avisa un jour de quitter Amster-
dam , et de se faire passer pour
mort. Qu'on se fgurc l'empresse-
ment des amateurs à venir acheter
ses ouvrages , dont le prix fut bien-
tôt quadruplé (i). Au bout de quel-
que temps , il reparut ; et l'on vou-
lut bien ne voir qu'une innocente
plaisaîiterie dans cette ruse qui , de
nos jours, sans doute, serait jugée
plus sévèrement. Pour se venger de
sa lésinerie , ses élèves s'amusaient
quelquefois à peindre des pièces de
monnaie sur des morceaux de carte,
qu'ils répandaient ensuite dans la
chambre, et que Rembrandt man-
quait rarement de ramasser avec un
niouvcment d'avidité si comique ,
qu'il finissait par en rire lui-même.
Ce fut dans cet état de privations
continuelles , et pour ainsi dire d'ab-
jection , que ce grand peintre passa
tout le reste de sa vie. Il mourut en
i6'j4 7 ^S^ ^^ soixante huit ans. Son
fils unique , nommé Titus , n'hérita
que de ses richesses , et demeura
dans l'obscurité. Comme tous les
peintres dont l'originalité n'était
pas dirigée par un goût très-pur,
Rembrandt , loué avec enthousias-
me par quolqnes amateurs , a été
durement critiqué par d'autres. Il
ne faut chercher dans ses ouvra-
ges ni sévérité de dessin , ni élé-
gance de formes , ni élévation de
pensées. L'io^norance absolue du cos-
tume histoiique , et l'habilnde de
copier exactement la nature dans un
pays où elle n'est pas exempte de
(0 f>ll<^ a.icrtiolp nfomiii Ir suiri rl<- n.niliniidt
nii l:i Iriilr (iprrt liens , Hiiniir on ifl.M>. Mil (liifitiB
dis Trniilmdour-i , jiarMIU. S<rviiT« , Morci , Mora»
REM
trivialité, se font sentir jnsqfiie dans
les tal.leaux où il a déployé le plus
de talent. Il avait , dans son atelier ,
de vieilles armures , de vieux instru-
ments , de vieilles élofTes ouvra-
p;écs , et il disait ironiquement que
c'étaient -là ses antiques. IMais par
combien de qualités si;péiieures ne
balançait-il pas ces défauts de goûll
QiieMC iutellig(nce du clair-obscur,
quelle magie de couleur, que'le naï-
veté , et quelle force d'cxpn ssion I
Rembrandt est quelquefois compara-
ble aux mai nés de l'école vénitienne,
pour la fraîcheur et la vie des carna-
tions. Sa touche lui est si particu-
lière , que l'œil le moins exercé peut
la reconnaître. Extrêmement fine et
fondue dans quelques parties de ses
tableaux, elle e.'t , le plus souvent,
heurtée, irrégulière, laboteuse ; et
il serait peimis de croire , comme ou
l'a dit, qu'il employait souvent le
couteau de sa palette au lieu de pin-
ceau , pour marquer plus vivement
les points de lumière. On va jusqu'à
prétendre , pour donner une idée de
l'épaisseur de sa couleur , qu'il cher-
chait plus à modeler qu'à peindre, et
qu'il avait fait une fois une tète dont
le nez avait presque autant de saillie
matérielle que ce'ui du modèle vi-
vant. Aussi avait-il intérêt à repéter
chaque jour qu'on ne devait jamais
examiner de près l'ouvrc^e d'un
peintre. Un tableau , disait-il , nest
pas fait pour c'irejlairé ; l'odeur de
l'huile n'est pas saine. Une autre
luis il disait , dans le même sens : Je
suis peintre et non teinturier. On
raconte, enfin, que ne trouvant point
un jour le degré de noir dont il devait
former une omlue très-épaisse, il
creva sa toile d'un coup de poing
pour suppléer à l'insuflisance de sa
palette; mais , en rapportant cette
vieille anecdote, nous sommes loin
REM
3i3
d'y ajouter fui. Autant sa touche ir-
réguiière perd quelquefois à être vue
de près, a-tant, à une distance con-
venable , elle est d'un effet harmo-
nieux. Aucun peintre n'a si rpassé
R<nil)randt dans l'art de donner du
relief aux o) jets par le jeu des op-
positions, et d'accroître l'intérêt de
ses sujets en le concentrant sur un
seul point , comme il augmentait l'é-
clat de ses lumières, en les resserrant
dans un petit espace. Il est , pour
ainsi dire , de règle en peinture , que
le plus grand jour soit dirigé vers le
milieu du tableau. Rembrandt a vou-
lu faire mieux : il n'a souvent em-
ployé qu'une seule masse de lumière,
presque toujours étroite et acciden-
telle. Son atelier n'était e'claiié que
par un trou , comme l'est une cham-
bre noire; aussi remarque t-on, dans
presque tous ses ouvrages , que des
ombres plus ou moins épaisses cou-
vrent les trois - quarts de la toile.
Cette méihodea, sans doute, l'avan-
tage, de produire des effets piquants;
mais elle dégénérait chczBembrandt
en une sorte de pratique habituelle,
qu'il eût été dangereux d'imiter.
11 a laissé un bon nombre de ta-
bleaux d'histoire, dont on admire
l'ordonnance pittoresque et l'expres-
sion, et parmi lesquels il faut di.*:-
f'upuer Tohie et sa famille ( l'un
des chef-d'œuvres du Musée royal )»
Mais c'est surtout dans le portrait,
qu'il parvenait à rendre la nature
avec une étonnante vérité. Ayant
un jour pkre' le portrait de sa ser-
vante dans l'embrasure d'une croi-
sée , il eut la satisfaction de voir
toutes les personnes du dehors être
dupes de l'iliusion , au point de trou-
ver très - extraordinaire le silence
et l'immobilité de celte fdlc , ordi-
nairement vive et labillarde. Ce
n'est pas ser.lcnicnt comme peintre
3i4
REM
que Rembrandt s'est rendu célèbre j
il est compte au nombre des plus
habiles graveurs. La mêate singula-
rité de travail qu'on remarque dans
ses tableaux, se retrouve dans ses es-
tamj es. Loin de chercher l'éclat et
la propreté que donnent à la gra-
vure des tailles parfaitement régu-
lières, il semble n'avoir presque ja-
mais voulu se servir du burin , ou ,
du moins , il lui préférait la pointe
sèche , dont il faisait l'usage le ])lus
libre et le plus original. Rien
d'aussi difficile à saisir que sa ma-
nière d'employer cet outil, et d'eu
combiner les effets avec ceux d'une
eau-forte vive et hardie. Il paraît
n'avoir voulu suivre aucune règle ;
et , malgré cette apparence de dé-
sordre , il trouvait presque toujours
le moyen de donner à ses estampes
les plus égratignées , un aspect très-
. harmonieux. Quelques-unes d'entre
elles portent pour remarque , le nom
de Venise, et la date de i636;
ce qui fait supposer, qu'eu i636,
Rembrandt avait parcouru l'Ita-
lie : mais la vérité est, qu'il n'a
jamais quitté la Hollande. Son uni-
que but , eu gravant ainsi le uom
d'une ville éloignée sur quelques-unes
de ses planches , était de leur donner
plus de prix aux yeux de certains
amateurs. Son caractère était aussi
bizarre que sa mine et ses mœurs
e'taient basses. Un jour qu'il s'occu-
pait à peindre toute une famille no-
ble dans un gionpc , on vint lui an-
noncer la mort d'un singe pour le-
quel il se sentait beaucoup d'afïèc-
tion: il lui prit aussitôt fantaisie de
représenter cet animal sur le devant
même du tableau; et, malgré le mé-
contentement des peisonncs à qui
cette singulière apolbéosc paraissait
une ollènse , il aima mieux remjior-
terchcz lui son ouvrage que d'en ef-
REM
facer la figure du singe. Le nombre
de ses tableaux, de ses estampes et
de ses dessins est si grand, qu'il se-
rait dilïïcile, pour ne pas dire im-
possible, d'en dresser une liste exac-
te (2). 11 est peu de collcctionsd'arts
en Europe , particulièrement en
Hollande et en Angleterre , où l'on ne
soit à peu-près sûr d'eu trouver ; et
cependant , ses moindres produc-
tions conservent toujours, dans le
commerce , une valeur assez élevée.
De Piles, dans sa balance des pein-
tres , où il divise son plus haut poids
en vingt degrés, apprécie de la ma-
nière suivante les diverses parties du
talent de Rembrandt : composition ,
1 5 degrés j dessin , 6; coloris, 17;
expression, 12. Il le place ainsi,
pour le coloris, à côtédeRubens et
de Van-Dick. Gérard-Dow , Flinck
et Eeckhoutz furent les élèves de
Rembrandt. Van-Vliet, dans le dix-
septième siècle , et , de nos jours , M.
Denon , sont comptés au nombre des
graveurs qui ont reproduit le plus
spirituellement sa manière d'em-
ployer l'eauforte. Un auteur moder-
ne, Sobry , qui a fait nue Poéti-
que des arts , dit que Rembrandt est
le Shakspeare de la peinture , et
Shakspeare , le Rembrandt de la
poésie. « Point de goût (dit-il, en
» suivant le parallèle), mais tant de
)) vérité ! point de noblesse , mais
» tant de vigueur! point de g'âcc,
» mais tant de coloris !» 11 y a évi-
demment entre ces deux hommes
célèbres un autre rapport non moins
sensible : c'est que ni l'un ni l'autre
ne se sont fait scrupule d'introduire
des trivialités jusque dans les sujets
les plus graves ; et qu'aimant à tra-
vailler sur des fonds noirs , ils
(;.) Oïl |.cnl <Tiirii.l:ii.l .■..iiMillir le- ( ;.,l.,l.i^iii- ic-
ili -. ]i,ii- Oi ihaliil, <1 \r Sii|i|.li imiil .", te cnUlotuc ,
l'iiLlic j>jrl'K»it ^vtr il'AuJsUTiJauj.
REM
ont su en tirer tous deux de grands
cfîets, qu'on pourrait appeler fan-
tasmagoriques, II est juste d'ajouter
néanmoins que Rembrandt ne s'est
jamais élevé' par la pensée à toute la
hauteur de Shakspeare. F. P-t.
REMER (Jules-Auguste ) , né à
ErunsAvick, en 1736, se livra parti-
culièrement à l'étude de l'histoire, à
Helmstaedt et Gôttingue, et profes-
sa cette science d'abord au collège
Carolin de Brunswick, puis à l'uni-
versité de Heirastaedt , où il occupa
la chaire d'histoire, depuis j 1787
jusqu^à sa mort, arrivée le 26 août
i8o3. Remer s'est fait un nom par
des Manuels historiques , dont l'uti-
lité pour l'étude a été généralement
reconnue, et où l'on trouve, non-
seulement les principaux faits his-
toriques brièvement indiqués , mais
aussi une foule de renseignements
littéraires, archéologiques et géogra-
phiques, qui se rapportent à l'his-
toire. Celui de ses ouvrages qui a eu
le plus de succès, est son Manuel
deVhistoire universelle , qui parut à
Brunswick . en 1 783-84 , 3 vol. in-
S°. , consacrés , le premier à l'his-
toire ancienne, le second à celle du
moyen âge, et le troisième à l'histoire
moderne. La quatrième édition vit
le jour dans les années i8oi-i8o3.
Le style de Remer a peu de couleurj
et ses vues ne sont pas d'une grande
profondeur: mais il choisit judicieu-
sement ses matériaux, et les coor-
donne bien. Son livre olFre d'ailleurs
l'avantage d'indiquer exactement, à
chaque chapitre , les sources origi-
nales les plus authentiques , et les
livres où l'on peut trouver les plus
grands développements. Voici ses au-
tres ouvrages : I. Lii>re cV enseigne-
ment de l'histoire universelle, pour
les académies et gymnases , Halle ,
ï8oû ; continué jusqu'en 1810, par
REM
3i5
Voîgtel , 1 8 1 1 . II. Aperçu de la vie
sociale en Europe jusqu'au com-
mencement du seizième siècle^
Brunswick, 179'-^. 11 avait entrepris
ce travail pour une traduction libre
de l'Histoire de Charles - Quint de
Robertson. III. Archives américai-
nes ^ Brunswick, 1777, 3 vol. in-
8**. IV. Petite Chronique du royau-
me de Tatoïaha, Francfort et Leip-
zig, 1777, in-8°. V. Manuel de la
politique des principaux états d'Eu-
rope , Brunswick, 1786. Remer a
continué un autre Précis histori-
que utile : c'est V Histoire des prin-
cipaux événements de l'Europe mo-
derne, par Krause, dont les cinq pre-
miers volumes avaient paru à Halle,
1789-98, en 5 vol. in -8^. Remer
publia le sixième et le septième en
1802. Il a traduit, du français et de
l'anglais, plusieurs ouvrages d'his-
toire et de géographie. Il a rédigé la
Gazette de Brunswick ,àe\>\x\?, 1778
jusqu'en 1 786, et le Portefeuille his-
torique , 1787 et 1788. Il a aussi
coopéré à VAllgemeine deutsche
£ihlintekdc\)ms l'j'jg. D — g.
REMERVILLE. F. Mervesin.
REMI ( Saint ) , archevêque de
Reims, et l'apôtre des Français, na-
quit, vers 438, de parents nobles ,
qui faisaient leur demeure à Laon ou
dans les environs de cette ville. Dès
sa première jeunesse, il fit de rapi-
des progrès dans les lettres, et se ren-
dit recommandable par la sainteté
de sa vie. Son mérite parut uu
motif suffisant pour le dispenser de
l'âge prescrit par les canons; et, à
vingt-deux ans, il fut placé, malgré
lui (i), sur le siège pontifical de
Reims. Le nouveau prélat s'occupa
dès-lors , avec une ardeur incroya-
IC9 d lliucui^r.
tlccius i ce sont li.«toi->
3i6
REM
Lie, des fondions de son ministère.
Il priait et méditait; il éclairait le
peuple confié à ses soins, Rerni dut
à ses vertus la faveur de Clovis, dans
îe temps même que ce prince piofes-
sait un culte etranj:;er ( F. Clovis ,
IX, i33). Il parvint enfin, avec le
secours de sainte Clotilde, à toucher
le cœur de ce monarque; l'instruisit
dos myslèies du cliiislianisme, et le
baptisa , dans l'e'f^lise de Reims , la
veille de Noël , l'an 496 ( F. Clovis,
IX , i35 ). Trois mille seigneurs
français suivirent l'exemple de leur
maître; et bientôt, dans toutes les
Gaules, on vit la croix s'élever sur
les ruines du paganisme. Rcmi, pour-
suivant son ouvrage, fonda des égli-
ses, les pourvut de pasteurs et de
tous les objets nécessaires à la pom-
pe du culte divin. En 499, un sei-
gneur français , nommé "Éuloge , fut
condamné à mort et privé de ses
liieus , pour crime de lèze - majesté.
Le saint pontife obtint, par ses priè-
res, la remise de la peine ; et Eulo-
ge, reconnaissant, voulut le forcer
d'accepter un de ses domaines (2);
mais Rémi ne consentit à recevoir
celte terre qu'en payant , pour sa
valeur, cinq mille livres d'argent,
et en fit don à sa catbédrale. On ne
voit pas sans surprise, dit D. Rivet,.
quel'arcbevêquedcRcinisn'ait assis-
té à aucun des conciles qui s'assem-
blèrent si fréquemment, desontemps,
dans les Gaules. Cependant il tint, en
517, un synode, dans lequel il eut le
bonheur de ramènera la foi catholi-
<]uc un e'vèque arien, qui était ve-
ïHi pour disputer contre lui. 11 écri-
^'^t , en Sy.J , au pape Hormisdas,
pour le féliciter sur son élection ;
mais sa Ictli c ne nous est connue que
(.^ <.'<tiiil 1^1 liTicii'/'.'yjc/noi, «ni vaut les «ulciiii
'en (,il(ia chr.iiinnu.
REM
par la réponse du pontife. Avec l'au-
torisation du Saint -Siège, il établit
des évèques à Tournai, Laon, Arras,
Terouenne et Cambrai, En 53o , il
consacra saint Mrdard, évoque de
Noyon ( Vrnez Médard ), Ce vé-
nérable prélat mourut , suivant l'o-
pinion la plus probable, lei3 jan-
vier 533, cà l'âge d'euviron-quatrc-
vingt-quinzeans , dont il avait passe'
plus de soixante- 1ix dans Tépiscopat.
Ses reliques furent placées, l'an 852 ,
dans une église de Reims, le 1*='', oc-
tobre , jour où l'Église célèbre sa fê-
le. Les Normands ayant fait une ir-
ruption eu Champagne, Hincmarse
lelira dans Épernai, emportant le
corps de saint Rcmi ( F. Hincmau ,
XX, 395 ), Enfin le pape Léon L\,
en 1099, le transféia dans l'abbaye
qui porte le nom de ce glorieux apô-
tre*. Saint Rémi avait compose plu-
sieurs écrits, entre autres, des Ser-
mons, que Sidoine Apollinaire, qui
s'en était procuré une copie, regar-
dait comme un trésor inestimable ;
mais il ne nous reste de lui (pie
Quatre Lettres , insérées dans les
divers Eecueils de conciles et d'ac-
tes relatifs à l'histoire de France ,
ainsi que dans Y Histoire de la mé-
tropole de Beiins, par Warlot ( P^.
ce nom ), Les deux premières sont
adressées à Clovis; dans l'une, saint
Rémi cherche à le consoler de la
mort de la princesse Alboflèdc , sa
sœur, qui n'avait survécu que quel-
ques mois à son baptême. Dans l'au-
tre, il lui donne de sages avis pour
bien gouverner son peuple. La troi-
sième est une réponse à quelques évc-
qiies (pii lui avaient reproche son in-
dulgence à l'égard d'un prêtre nom-
mé Claude , coupable d'une faute
grave , et que saint Rémi s'elait con-
tenté d'admettre à la pénitence, au
lieu de le dégrader : elle respire U
REM
plus vive cliaritc. Dans la quatriè-
me enfin , saiul Rerni reproche à
Fa'coii , ëvêqtie de Tougres , d'avoir
incooiinu les droits de suii me'tropo-
litaiu. Ou a , sous le nom du saint
pre:at, un Testament, par lequel il
inslilue l'Église de Keiius son beri-
lière. D. Rtvet regarde cette pièce
comme supposée; mais ]\Libiilon ,
Ducaiige et Ccillior en soutiennent
l'authenticité. Quelques editci.rs at-
tribuent à saint Reiui un Cninmen-
taire sur les Epttres de saint Faut,
publié, dès le seizième siècle, sous
le nom de Haiaion, èvèque de Hai-
berstadt, puis de Priraase, évèquc
en Afrique. Le savant Villalpaud l'a
revendiqué pour l'archevêque de
Reims, dans l'élition de Rome, i5c)8,
in -foi. On l'a donné depuis à saint
Rémi, archevêque de Lyon: mais
on sait que c'est l'ouvrage de Rémi ,
moine de rab])aye de Saint Germain
d'Auxerre. II existe un grand nom-
bre de /^i<?5 de saint Rcmide Reims;
mais il n'en est malheureusement au-
cune qui puisse satisfaire un lecteur
judicieux. Celle qu'on trouve dans
les OEuvres de Fortnnat est abrégée
d'une plus ancienne, dont elle a peut-
êîie causé la peite. Ou trouvera les
titres de celles qu'ont publiées Kinc-
inar, Marlot, Cerisiers, le P. Dori-
gny , elc. , dans Za Bibliutk. histor.
de France ,1.9^1 5 29 ; mais on doit
consulter piincipalement ['Histoire
littéraire de France^ m, i5ji63;
le GalUa chrïAiana , et le Recueil
de Godescard. W — s.
R.Bi>II ( Saint ) , archevêque de
Lyon , était d'origiise giuloise, et
naquit au commencement du neu-
vième siècle. Il ren)plissait les fonc-
tions de grand-maître de la chapel-
le ( i) delempereur Lothaire, quand
(i) <'.eitc cliargc, veliiii Du Pcviat, rci.ouJuit à
telle de grand aumùuiir de France.
REM 317
ce prince, qui connaissait ses talents
et sa capacité' , le chargea d'admi-
nistrer le diocèse de Lvon pondant
la vacance du siège. C'était le dési-
gner aux sulTr.iges du clergé et du
peuple ; au-;si Renii fuî-il élu le suc-
cesseur d'Ainolon , en 803. On le
A'it aussitôt s'occiqier de remcdier
aiix maux (ji.i désolaient l'église de
France. Il lit adopter, par le con-
cile de Valence , qu'il présida eu
855, les règlements les plus propres
à faire cesser les abus dont il gémis-
sait , et à ranimer le goût et la cul-
ture des lettres. Ces sages mesures
furent confirmées en 859, dans les
conciles de Langres et de Savoniè-
res , près de Toul , dans lesquels le
saint prélat tint la première place.
Son zèlepour l'anciennedisciplineet
pour la pureté de la foi ne lui permit
que très-rarement de se dispenser
d'assister à ces assemblées , qui fu-
rent fréquentes dans ce .siècle, et ou
son tilre de primat des Gaidcs, ses
talents et ses vertus lui donnaient une
grande influence : mais il n'y parut
le plus souvent que comme un sim-
ple évêque, et il refusa l'honneur de
les présider. II assistait, en 87 i , au
concile de Douzi , près de Reims ;
mais il ne prit aucune part a. la con-
damnation d'Hincmar , évêque d&
Lion ( r. HiNCMAR, XX, 395 ),
Occupé des intérêts généraux de l'E.
glise , Rémi ne négligea pourtant
point ceux de son diocèse. Il tint ,
eu 8y3 et 8^5 , des conciles à Chal-
lon , et se servit de la faveur dont
il jouissait près de Lothaire et de
Charles-le-Chauve , pour obtenir la
confirmation de divers privilèges ac-
cordés à son église , et la restitution
des biens dont elle avait été dépouil-
lée pendant les guerres. Saint Rémi
mourut le 28 octobre 875 , et fut
inhume dans l'église de Saiut-Just,
3i8
REM
qu'il avait enrichie. Ses reliques
ayant e'té de'couvcrtes en 1287, elles
furent transfe're'es , le 16 de'cembre,
dans la cathédrale. On trouve le nom
de ce saint pre'lat dans quelques
martyrologes ; mais il ne paraît pas
que sa mémoire ait jamais été hono-
rée d'un culte public. Nous avons de
saint Rémi : une Réponse aux trois
lettres adressées à l'église de Lyon
par Hincmar, archevêque de Reims,
Pardul , évêque de Laon , et Raban
Maur , touchant la condamnation
de Gotescalc. Ce prélat y soutient
la doctrine de l'église sur la prédesti-
nation ; mais il blâme les rigueurs
inutiles dont on avait usé à l'égard
de Gotescalc ( V. ce nom , XVIII ,
1 54). Cette réponse a été publiée par
le président Mauguin (2), dans la
Bibliothèque des Pères , avec de
courtes notes d'André Duval ; elle
est suivie d'un autre Opuscule du
saint prélat , intitulé : Résolution
d'une certaine question touchant la
condamnation générale des hom-
mes par Adam , et la délivrance
spéciale des élus par J.-C. ; et d'un
troisième, portant, comme les pré-
cédents , le nom de Véglise de
Lyon , et qu'on attribue , pour cette
raison , à saint Rémi : Qii'il faut
s'attacher inviolablement à la véri-
té de l'Ecriture sainte , et suivre
fidèlement l'autorité des Pères de
l'Eglise. Ces différents opuscules
sont écrits avec force et clarté. Ils
ont été insérés dans le quinzième
volume de la Bihlioth. magna Pa~
trum. Quant au Commentaire sur
les Epitres de saint Paul , attribué
par quelques éditeurs , au saint ar-
(a) I>e ])r('i(!d(-nt Mnuguia l'a iiisi'rr'c dans le i"-'.
vol. de «a Difin^e de la piideslinnlion cl de la
grdcc , t)u'il |iiilili!i nul!» ce lilrc : yelcrum scri/ito-
rum r/ui in IX firrnln de grnliâ scrifjscre opéra ,
l'ari» , lOSo 1 1 vul. ■u-4".
REM
chevcque de Lyon , on sait mainte-
nant qu'il est l'ouvrage de Rémi ,
moine d'Auxerrc. On peut consulter,
pour de pins grands détails, le Gal-
lia chrisiiana , {'Histoire de Lyon-
par le P. Colonia , et V Histoire lit-
téraire de France , tom. V, 449"
Oi. W- s.
REMI, en latin Remmius ^
(Abraham), dont le véritable nom
était Ravaud , naquit, en 1600 , à
Rerai , village du Beauvais is , fut
professeur d'éloquence au Collège
royal, et mourut en 1646. On a de
lui un Recueil de poésies latines , di-
visé en deux livres , sous ce titre :
Abrahami Remmii , eloquentiœ pro-
fessons etpoëtœ regiipoèmata , ad
ChristianissimumregemLiidovicum
^ir, Paris ,chez J. Libert , i645,
in- 1 2. Il y a de la verve , de la clar-
té, et une grande pureté de style. On
estime surtout la description du châ-
teau , des jardins et du parc de Mai-
sons , que le président René de Lon-
gueil faisait construire du temps de
ce poète , dont les vers méritent d'ê-
tre lus et réimprimés. Voy. Goujet,
Hist. du collège rojal. J — t.
REMOND ( François ) , littéra-
teur , né à Dijon en i558 , était fils
d'un conseiller au parlement de
Bourgogne. Après avoir achevé ses
premières études , il visita l'Italie
pour perfectionner ses connaissances,
et reçut le laurierdoctoral à l'univer-
sité de Padoue. Il embrassa la règle
de saint Ignace à Rome , en 1 58o ,
et professa la phdosophie et la théo-
logie dans différents collèges de l'ins-
titut. Le duc Ranucio Farnèse, le
chargea , en iGoo, de la direction
des études à l'académie de Parme ,
nouvellement reformée. Quatre ans
après , Rémond revint en France ,
et professa la théologie au collège de
Bordeaux, avec le plus grand éclata
REM
Il fut ensuite appelé à Mantoue ,
oïl il enseigna dis ans les lettres
sacre'es , et ne se distingua pas
moins par son e'rainente pieté , que
par son zèle pour les progrès de
l'instruction. Pendant le siège de
cette ville , il fut atteint de la fiè-
vre contagieuse , qui désolait les
hôpitaux, et mourut , le 1,4 nov.
i63i. On a de lui :I. Orationeswi ;
— Epigrammatumlihri duo; — De
dh'inis amorihus elegiœriii ; — .</-
lexiasElegicE vu. Ces différents ou-
vrages , imprimés séparément, ont
été réunis , Anvers , i6i4 , et
Rome, 1618 , in- \'i. Ces deux
éditions sont les plus complètes.
U Alexiade insérée par le P. Labbe
dans les Sacranim elegiarum deli-
ciœ , Paris , 1648, in- 1 2 , a été tra-
duite en français par Colletet ( P^, ce
nom ) ; on trouve plusieurs pièces
du P. Remond dans le Deliciœ poë-
tar. gallonim. II. Panegiricœ ora-
tiones xv, desanclo Lojold; et xr,
de sancto Francisco Xaverio; Epi-
tome vitœ eorum ; una de sancto
Carolo Bonoineo cum aliquot cla-
ronun virorum elogiis , Plaisance ,
1626, in 4^- On a corrigé, dans cet
article, quelques inexactitudes écliap-
pées à l'auteur de la Bibliothèque de
Bourgogne { V. Papillon ) , et mê-
me au P. Sotwel , Bihl. societ. Jesu.
W— s.
RÉMOND DE SAINTE-ALRtNE
(Pierre) , littérateur, né à Paris en
i699,ioignaitàuneinstruction variée,
du goût, et un esprit d'analyse qui le
rendait très-propre à rédiger un jour-
nal. Dès 17 18, il devint un des col-
laborateurs de l'iiuro^eiafa/ite ( V.
Saint-Hyacintue ) } et il travailla
depuis , successivement , à la Ga-
zette de France (de 1 733 à 1 749 ,
en 1 75 1 , etc.) , et au Mercure , dont
il fut quelque temps le rédacteur ea
REM 319
chef. D'un caractère doux et même
un peu faible , il fut étranger aux in-
trigues et aux querelles des gens
de lettres , et n'eut d'autre part aux
faveurs de la cour , que le titre de
censeur royal , avec une modique
pension. Boindiu disait que Rcniond
avait de l'esprit , quand on lui en
donnait le temps : en c/Tct, sa con-
versation n'offrait ni traits, ni saillies;
il s'exprimait bien , mais lentement ,
et se contentait de montrer du bon
sens et du jugement, Rémond mou-
rut à Paris, le 9 octobre 1778; il
était membre de l'académie de Ber-
lin. Indépendamment de deux comé-
dies : V Amour au village , et la
Convention téméraire /insérées dans
le Mercure de 1749 , et des nom-
breux articles qu'il a fournis aux
journaux, parmi lesquels on cite une
Lettre à Desforges Maillard , sur un
ancien poète français ( Nicolas Fre-
nicle ) , et une à JM^e. ja comtesse
de *** sur la comédie du Méchant,
on a de lui : I. Mémoire sur le la-
minage du plomb , Paris , 1731 ,
in-40.; ibid., 1746, 1748, in-i2.
II. Le Comédien, ibid., 1747; se-
conde édition augmentée , 1749, in-
8**. : c'est à ce livre que l'auteur doit
toute sa réputation • il contient des
remai-ques judicieuses et des leçons
pleines de goût sur la vérité théâ-
trale et sur l'art de la déclamation; et
on le lit encore avec intérêt , même
après les ouvrages de Riccoboni,
d'Hannetaire et de Larive.ni.^Z»re-
gé de l'histoire du président De
Thou, ibid. , 17^9 , 10 vol. in-12.
Quoique assez bien fait , cet abrégé
n'eut pas de succès. W — s.
RÉMOND DE SAINT MARD
(Toussaint), littérateurmédiocre, né
à Paris, en 1682, était frère deMont-
mort de l'académie des sciences,
connu par son Essai d'analyse
320
REM
{•2.) sur les jeux de hasard ( Foy.
Mo>TMORT , XXX , 27 ). D'une san-
té délicate , et jouissant d'une grande
fortune, il nerouliitni se maiicr,ni
prendre d'e'lat , et partagea sa vie en-
tre la cidlure des lettres et la société
des beaux -esprits. 11 dut moins en-
core au régime dout il vivait, qu'à
sou indolence excessive, une exis-
tence longue et paisible , et mourut le
28 oct. 1 n 57 .Quoiqu'il aireclàt de lan-
cer des traits contre Fontcnelle, il n'en
appartient pas moins à l'ecolc de cet
homme célèbre. Ebloui par le suc-
cès éphémère des Dialogues des
morts, etdcs Lettres galantesdu che-
valier d'Her cesontles modèles
qu'il a choisis, en outrant les défauts ,
comme c'est l'usage des coinstes.
Sans goût, sans chaleur, sans ima-
gination , il n'a guère fait que revêtir
des idées communes, d'un style pré-
cieuxet maniéré, qui rend insupporta-
ble la lecture de ses ouvrages Quel-
ques citations prises au hasard, prou-
veront que ce jugement n'est point
trop sévère. Eu commençant sa Dis-
sertation sur V Élégie, il s'adresse à
son correspondant imaginaire : « Il
faut, dites-vous , que je vous parle
de 1 Élégie. J'y consens. Monsieur;
mais je vous promets que je vous en-
nuierai. » Dans ses réllexions sur la
Satire, après avoir placé Régnier
au-dessus de Boilcau , il ajoute :
a Vous me direz peut-être que Des-
prérfux est plus correct, plus élé-
gant. Je le sais bien; mais vous ne
savez pas que j'aime mieux qu'on
soit naturel , parce qu'il est fort dif-
fi) Fontcnelle, <lans VjUnt^r àe Montmurt , dit
Sii'il il .il lil» d'un c;ciijer. Suivant Grnslpy, le J'i i e
cRriiiMiil .1.- Moiilniort elde Ueiiioud de Saiiit-
Mard,flBiirermicTgriieial,<'l originaire dp Troyc».
Il avait lin tiolsii-iiii' fil» , Ri'moiid dit li- Grer , au-
teur d'un Diiilv^iir sur lu Tnluiili, qu'iib liMiMve
].anni Ic5 Œtunia <l:^rr<r< d'IlHioiltoii ( Vny.l'/viri-
meii rrilir/ue des dtcliunnaircs , \>ai M. Uarbier ,
art. lléloiic ).
REM
fîcileà l'élégant d'être naturel. » 11
cite, on ne sait pourquoi , dans ses
Réflexions sur V Ode ^ le beau vers
de Corneille , dans Surena :
Nuu , je ne pleure ]>as , Ma^lane , mais je meurs.
Cela est d'un grau 1 beau, Hit-il; et voi-
là ce que j'appelle du neuf en grand ;
et plus loin : « Examinez bien le
mui de iMédée, tournez le de tous les
côtés , vous le trouverez de la même
nature que les autres traits de subli-
me que vous connaissez. » Rémond
de S.iint-Mard convient que le subli-
me va à merveille à quantité de mor-
ceaux répandus dans l'Histoire uni-
verselle de Bossuet : cependant il
n'est pas content de l'ouvrage; et si
quelqu'un avait voulu le refaire, il
lui aurait donné de bons avis. Ail-
leurs il compare l'imagination à un
tamis. ... Il veut que la chanson
<7isZi7Ze la joie , etc. Ces citations,
qu'on pourraitfaciicment multiplier,
doivent sufiire pour donner une idée
du genre d'esprit et du style de cet
auteur. On a de lui : I. Nouveaux
Dialogues des dieux , avec un dis-
cours sur la nature du dialogue, et
des éclaircissements , Paris , 17 i i ;
nouvelle édit., publiée par Jean Le-
clerc, Amsterdam, 171 i , ou sous
la rubrique de Cologne , P. Marteau,
1 7 1 3 , in- 12. L'abbé Sabatier trou-
ve qu'ils sont pleins de délicatesse et
de gaîté, dans le goût de Lucien (F",
les Trois siècles de la littérature ).
Dans le premier dialogue , rvimoi^r
dit à Plutus : « Ce doit cire une jolie
condition que la vôtre; » et Plutus
lui réj)ond : « Ou se figure que pour
faire un usage agréable de mes ri-
chesses , il est nécessaire que j'en
fasse part aux autres. «Dans un au-
tre dialotrue, llercide dit à Mor-
phée : « 11 est vrai, j étais assez ni'c-
chanl quand je m'y mclt.iis. » Certes
ce n'est point là le style de Lucien ,
REM
ni même de Fonteiicllo. II. La Sa-
gesse, poème, 1712; cette petite
pièce, d'environ cent vers, a c'te' in-
se'rcc dans trois ou quatre recueils
sous le nom de La Faro. « Je l'ai re-
vendique'e, dit Saint-Mard , toutes
réflexions faites. Ou tient au peu
qu'on a quand on n'est pas riche. »
On y trouve quelques vers heureux.
Toutes les idées en «sont empruntées
aux anciens poètes. C'est un disci-
ple d'Épicure qui parle; mais il faut
être bien morose pour dire avec
Fellcr, que ce poème, fruit d'une phi-
losophie très-corrom pue, devrait être
intitule' : la Démence ( Voy. le Dict.
hisloriq. de Fellcr ). III. Lettres
calantes et philosophiques de 31""'.
de *** , suivies de son histoire , Pa-
ris , 1721 , in- ri; 1737. Dans un
avertissement que l'auteur écrivit à
l'âge de soixante-dix ans , il ne trou-
ve qu'un seul défaut k ces lettres :
« Elles ont trop d- éclat , dit-il , mais
que voulez-vous? on n'est pas jeune
impunément , et je l'étais quand je
les composai. » L'abbé Sabalier pen-
se que l'auteur aurait mieux fait de
composer tout bonnement des trai-
tés , que d'imaginer un commerce
chimérique, dont le lecteur n'est ja-
mais la dupe. IV. Examen philoso-
phique de la poésie en général ,
i72(), in -12. Cette Dissertation de
vait faire partie d'une Poélique d'un
goût nouveau , où l'auteur promet-
tait de monircr la source du plaisir
que donne chaque espèce de poésie.
( V^oy. le Journal des savants, 1 729,
p. 197 et suiv. ) V. RéJIexions sur
la poésie en général, sur l'églogue,
la fable , V élégie , la satire, l'ode ,
le sonnet , et tous les petits poèmes,
avec des Lettres sur la naissance,
les progrès et la décadence du goût,
ibid., 1729, 1733, in- 1*2. Uéiuond
de Saint-Mard attribue la dctadoncc
REM
321
de goût en Fralice, à la folle envie
de briller, cala satiété de bonnes
choses, à Fontcnelle, dont il expli-
que en gros la mécanique de stvle , à
La Motte , et enfin au système de
Law. VI. Réflexions sur l'opéra ,
ibid., 174', iu-i2. C'est une apolo-
gie de ce spectacle. Les OFMvres de
Rémond de Saint-Mard ont été pu-
bliées à la Haye (Paris), 174 2, 3
vol. in-i2,et i7âi, 5 vol. in-12.
Cette dernière édition est augmentée
de pièces de vers, de lettres et de
dissertations, mais n'offre pas plus
d'intérêt que la précédente. W — s.
RÉMOAD. Foj. MONTMORT
et R^ISIOND.
REMONDINI (Balthasab-Ma-
rie) , prélat italien, naquit en 1698, à
Bassano, d'une famille patricienne et
qui remplissait les premières char-
ges de la magistrature. Après avoir
achevé ses études au séminaire de
Padoue , il suivit les cours de l'uni-
versité de cette ville , où il prit ses
degrés eu droit civil et canonique ,
et reçut le laurier doctoral. Le
hasard l'ayant conduit à Vicence ,
il se chargea d'y enseigner gratuite-
ment la rhétorique au séminaire épis-
copal , dont les revenus étaient in-
suffisants pour payer des profes-
seurs. 11 reçut les ordres en 1719,
et revint à Bassano , où il dicta ,
pendant quelque temps, un cours
de théologie aux jeunes clercs. Dé-
sirant se perfectionner dans la con-
naissance des langues orientales et
de l'antiquité , il se rendit à Rome ,
et s'y produisit bientôt d'une maniè-
re avantageuse. Clément XII le re-
vêtit, en 1736, de la dignité d'é-
vêquc de Zante et de Céphalonie : le
prélat s'occupa d'abord de reparer
suu église cathédrale, que des trem-
blements de terre avaient presqu'cn-
tlèremcnt renversée , l'enrichit de
3'î'i
KÉM
vases et d'ornements précieux , et y
ramena les clianoincs qui s'étaient
dispersés. Il établit à Zautc nu sémi-
naire à ses frais, et y fonda >in certain
nombre de bourses en faveur des jeu-
nes - gens sans fortune qui se desti-
naient à l'état ecclésiastique. Dans
les visités fréquentes qu'il faisait de
son diocèse , il travaillait sans re-
lâche à détruire les abus intro-
duits par l'ignorance et le rclâclir-
raent , et rappelait les pasteurs à
l'ancienne discipline. En 1747 H fît
ini second voyage à Rome ; et le pa-
pe Benoît XI V , pour le récompenser
du zèle qu'il avait montré, voulut lui
donner un des plus richesévêchés des
états romains; mais Remondini refusa
cette faveur par attacliement ponr
le tronpean qne la Providence lui
avait confié; et après avoir pas-
sé quelques jours au milien de sa
famille qn'il ne devait plus revoir, il
retourna dans l'île de Zanle. Le ver-
tueux prélat continua de gouverner
son diocèse avec beaucoup de sa-
gesse, et mourut presque octogénai-
re , le 5 ocîobre 1777. Malgré les
devoirs q>>e lui imposait sa dignité,
Remondini n'avait pas cessé de cul-
tivcrlcs Icllres, etde se livrer aux re-
cberclieshistoriques.il possédait une
colleclion précieuse de manuscrits
grecs, dont il légua plusieurs à la bi-
bliollièipic Valicane. Oatredes Man-
deinenls et des Lettres pastorales,
on a de lui : I. À\ Marci monachi ,
qui sœculo (juinto floruit , sennones
de jejunio et de Melchisedech , qui
deperditi pulabantur , mine pri-
màm cum latind inlerpretatione
prdnli, Rome, i74'>, in 8°. La
plupart des bibliographes ecclé-
siaslicpics ont confondu cet écri-
vain avec nu autre Marc, cité par
Zonarcis, et rjui vivait au dixième
siècle. Le savant éditeur a revu le
REM
texte grec sur de bons manuscrits ,
et a joint à sa Version latine des
notes pleines d'intérêt. II. De Za-
cyntld aniiqidtalibus et forlund
comment arius , Venise, i75G,in-8^.
('ette Dissertation est trcs-estiraée.
L'auteur se proposait d'écrire V His-
toire de l'île de Zante, et il avait re-
cueilli dans ce but de nombreux ma-
tériaux ; mais il* n'eut pas le loisir
d'exécuter son projet : il a laissé
plusieurs ouvrages en manusciit ,
parmi lesquels on cite une Traduc-
tion , du syriaque en latin , des flo-
mélies de St. Isaac le Syrien , évè-
que deNinive au cinquième siècle. —
Jean-Etienne Remondini , religieux
somasque, d'une famille napolitaine,
originafre de Padoue, est connu par
une savante Histoire de l'Eglise de
Noia en Campanie ( Délia Nolana
eccle.siastica istoria, Ndples, 1 747-
5l-57 , 3 vol. in-fol.) Le deuxième
volume contient une élégante Tra-
duction, en vers et en prose, de tou-
tes les OEuvres de saint Paulin. Be-
noît XIV avait beaucoup d'estime
pour le P. Remondini. W — s.
REMUSAT ( Pierre -François
DE ) , né en Provence , d'une famille
noble, le 4 octobre 1755 , avait oc-
cupé des places administratives dans
plusieurs liospiccsde Marseille, lors-
que , pour échapper aux oragesdela
révolution ,il alla se réfugier à Smyr-
ne en i7()2. Il ne revint cpi'en i7<)5,
et fut nommé député au Conseil des
anciens en l'an v ( 1797 ). Il y sié-
gea du 1*^'. prairial au 17 fructidor.
Le 18 fructidor, son élection fut dé-
clarée nulle : Remusnt ne fut pas du
nombre des proscrits dans celle jour-
née ; mais il fut arrêté le 10 octobre
1 797 , et, peu de jours après, conduit
au Temple, où il resta vingt -deux
mois, H y contracta une maladie de
foie , qui le conduisit lentement au
REM
tombeau ; il mourut à Marseille le
7 février i8o3.0na imprime', après
sa mort , ses Poésies dii'erses , sui-
vies du Comte de San frein , ou
l'Homme pen>ers , comédie en 3
actes et en vers , et d'iui Mémoire
sur sa détention à la prison du
Temple, 1817, in-S». On trouve
un curieux extrait de ce livre dans la
Quotidienne , du i4 octobre 1817.
A. B— T.
RENARD (Simon), négociateur,
naquit à Vesoul , au commence-
ment du seizième siècle. Ayant ter-
mine' ses e'tudes à l'université de
Dole, il prit ses degrés en droit, et
fut pourvu, bientôt après, de la cliar-
ge de lieutenant-général au bailliage
d'Amont (i). Son mérite et sa capa-
cité' le firent connaître du cliancelier
Perrenot de Grauvelle , et de son
fils l'ëvèque d'Arias, devenu célèbre
sous le nom de cardinal de Granvelle.
Par leur protection , il obtint une
place de maître des requêtes au con-
seil de Flandre , et parvint rapide-
ment aux premiers emplois. Nommé
d'abord ambassadeur en France , il
fut ensuite envoyé à Londies pour
conclure le mariage de l'infant don
Philippe avec IMarie , reine d'An-
gleterre. Renard montra beaucoup
d'iiabilclé dans cette négociation , et
triompha de tous les obstacles qui
s'opposaient à une alliance vivement
désirée par l'évêque d'Arras , et que
la France ne voyait pas sans inquié-
tude. Depuis il fut employé dans
diverses affaires importantes , et eut
part au traité de Vaucclles ( i55G) ,
dont les conditions furent jugées rui-
neuses pour l'Espagne. Renard , dans
cette circonstance , s'é;ait écarté des
ordres qu'il avait reçus de sa cour;
_ (i ^ Lu iKilIll^ise <r Ainout c.iiposalL l.i j...! Ilu .le la
l'rauclif-C^oir.tu <iiii turiuc aujourd'hui le ilipai te-
uieal Je la U.iule-Saoue.
REN 323
et le roi Philippe II lui en témoigna
son mécontentement. Persuade que
Granvelle l'avait desservi , Renard
s'unit aux ennemis de ce ministre, et
vint <à bout de soulever contre lui la
noblesse de Flandre. II se permit,
à l'égard de son bienfaiteur, les rail-
leries les plus indécentes (2), et finit
par pousser les mécontents à le dé-
nonce,^ au roi, comme l'auteur des
troubles des Pays-Bas. Granvelle fei-
gnit long-temps d'ignorer les menées
de Renard ,• enfin ne pouvant plus se
les dissimuler , il se contenta de lui
écrire pour se plaindre de son ingra-
titude : « Ne vous souvenez - vous
plus , lui mandait il , que c'est moi
qui vous ai toujours soutenu , dé-
fendu et protégé partout? . . . Est-ce
ainsi que vous reconnaissez mes bon-
tés , et que vous récompensez mon
amitié ? . . . . Pensez à vous-même ,
et je serai toujours prêt à vous ser-
vir (3). » Loin de profiler de ces
sages conseils , et de reconnaître ses
torts , Renard se fldtta qu'aidé par le
prince d'Orange et par le comte
d'Egmond , il viendrait à bout de
faire renvoyer le cardinal, et peut-
être de lui succéder dans l'adminis-
tration des Pays-Bas. Granvelle per-
dit enfin patience , et crut devoir
punir un ingrat. Un des domestiques
de Renard , convaincu d'avoir vendu
les secrets de l'État, avait été con-
damné à mort par le parlement de
(2) An baptême du fils du comte de Mansfield,
oulituueniascMiade daus laquelle iinhumme LabiJiJ
en caidinalctait chasse )>aruii clialjleavcc desqueues
de Renard. Granvelle, dit l'ijihé Boisot , oe fit
qu'eu rire; mais le roi u"y ent,ndit })oint raillerie.
(3) Celle lettre, qui i)rouve et la mu-Jeration du
cardinal cl son allarlcmcnt sine ère pour Renard est
imprimée dans les Mcmoiies paru seivirà L'Iiiiioi,^
lU OrrwvsUe, par Lcvesque , I, 327. L'abhé lioi-
sot en a publié une autre, dans I.iquelle le cardinal
oflVe de l'argent à Renard : « Vous me le pr)urrei
r.ndre, lui dit-il, après, avec votre commodité, on
je le recpuirerai avec le temps , .sur vos gages d'Es-
pagne : carje désire <(iie vous soyez accommodé et
VOLS pousser tout outre le plus que je pourrai. » '
UI..
3'i4 REN
Dole. Dans ses interrogatoires , il
avait laissé échapper quelques mots
qui pouvaient compromettre son
maître , mais qu'on avait nép,ligé
d'éclaircir. Le cardinal fit recher-
clier les pièces , et parla au conseil
des cliarp;esqai existaient contre Re-
nard. Celui-ci se plaignit qu'on vou-
lût faire suspecter sa fidélité , de-
manda des commissaires pour le
juger , et déclara qu'il ne rentrerait
point au conseil avant qu'on lui eût
rendu justice. L'emportement qu'il
mit dans ses plaintes , déplut à la
cour ; et il reçut l'ordre d'aller ser-
vir dans le comté de Bourgogne.
Renard refusa d'obéir , prétextant
que sa santé ne lui permettait pas de
supporter les fatigues d'un si long
voyage : mais voyant que les sei-
gneurs flamands n'osaient pas le
soutenir hautement , il prit le parti
d'aller en Espagne , où il espérait
trouver des amis plus capables de
servir sa haine contre Granvelle.
Avant son départ , il avait eu l'im-
prudence d'adresser au roi , Philippe
IT , une requête par laquelle il lui
reprochait de laisser ses services
sans lécompcnse , et qu'il terminait
rn donnant la démission de sa charge
de consciller-d'état, demandant, pour
toute grâce , d'être payé de ses ap-
pointeiïicnts arriérés. Le roi , cho-
qué de cette requête , le reçut irès-
froidemcnt , et , après une courte au-
dience , le congétlia. Renard languit
plusieurs années à Madrid , dans la
misère , et y mourut , dit l'abbé
Bûisol,de chagrin ou aulrement{^),
(/|) I/al)bi! Boisot veut saii.s iloiiic Oilir n Iciidre
ijuc RoiiHrd étiàit ,ioui)fout>ii d'avoir Irrmlni- lui-
incniti tc»)in)rs : le bruit m courut rlnnssii province;
xiioifi il ne s*c«l lias confirme. Ou n'a }>as manqué
d'nrciucrlc rardmnl de (Ir.invelle , d'nviir f;iit os-
(aasiner Btnard ; mais, au ciiutrairc, il donna des
l.'iriiies ^ sa nioil, et s'nnpie.ssa d'ufiVir &os âirvîce.s
'i 5a vcuTc cl à «f» enfinls.
REN
le 8 août 1575. ( Voy. Projet de
la Vie du cardinal de Granvelle ^
pag. 106 ). L'écrivain qu'on vient
de citer , fait ainsi le portrait de ce
négociateur : « C'était un homme
fort habile, ardent , beau parleur,
mais railleur et turbulent. » Les Am-
bassades de Renard , 3 volumes in-
fol. , font partie de la collection des
Mémoires du card. de Granvelle ,
conservés dans la bibliothèque de
Besançon. W — s.
RENAKD ( Jean-Augustin ) ,
architecte , naquit à Paris , le 'xH
août i744-I^^sli"6 d'abord à la pein-
ture, il fut placé sous la direction
de Halle, peintre de l'académie: mal-
gré ses progrès dans cet art , il ne
put résister à la passion qui l'en-
traînaitvers l'architecture. Admis au
nombre des élèves du professeur Le
Roi, il ne tarda ])as à concourir pour
le grand prix d'architecture, qu'il
remporta en 1778. Arrivé à Rome,
il se mit à dessiner , avec un tel suc-
cès, les monuments et les antiques ,
qui se rencontrent à chaque pas
dans cette terre classique , que l'ab-
bé de Saint-Non , qui s'occupait
alors de sa belle édition du Voyage
pittoresque d'Italie , le choisit pour
l'un de ses collaborateurs. Un nom.bre
considérable de gravures de cette
belle collection , exécutées d'après
les dessins de Renard, suffirait pour
assurer la réputation de cet ar-
tiste. De retour en France, il fut
nommé , en 1 784 , à la jilacc d'ins-
pecteur des bâtiments du roi , et ,
l'année suivante , à celle d'adjoint à
l'inspection des carrières , dont son
beau-père , Guillaumot , était titu-
laire : enfin , en 179'-», l'académie
d'architecture, peu de temps avant
sa destruction , lui ouvrit ses portes.
La révolution lui ayant ravi ses pla-
ces , il en obtint d'autres des non-
REN
veaux gouvernements , et fut nommé
successivement architecte du dëpar
temeutde la Seine , l'un des trois ins-
pecteurs de la grande voirie, et mem-
bre du comité' de consultation des
bâtiments impe'riaux. Ce fut au mi-
lieu des occupations que lui don-
naient toutes ces places , et l'exccu-
tionde diftërciits projets dont il était
chargé, qu'une maladie aiguë vint
terminer sa carrière , le 24 jan-
vier 1807. Parmi les diffërents tra-
vaux de cet artiste , on distingue
les deux grandes écuries que Louis
XVI a faitbàfir à Sèvres et à Saint-
Germain-en-Laie , et le comble vitré
du salon d'exposition au Louvre ,
qui est un chef-d'œuvre dans son
genre. Renard a décoré aussi les ap-
partements de l'hôtel d'Orsav , rue
de Varenne ; ceux du prince de Bë-
uëvént , rue d'Anjou. Il a cous'ruit ,
rue du Bac, une galerie à l'hôtel
qui était alors celui des relations ex-
térieures. Le château de Vaiençay
Ini doit son embellissement el un ac-
croissement considérable. En géné-
ral , cet artiste avait un talent et un
goût particulier pour les décorations
intérieures ; et tout ce qu'il a exé-
cuté en ce genre, porte le cachet de
son auteur. P — e.
RENAU D'ELIÇAGARAY (Ber-
nard ), célèbre marin, naquit dans
le Bëarn, en i652, d'une famille
noble, mais peu favorisée de la for-
tune. Il entra fort jeune chez Colbert
de Terron , intendant de Rochefort ,
qui le traita comme son propre fils, et
lui conseilla d'apprendre les mathé-
matiques; science dans laquelle Re-
nan fit dcgrandsprogrès , moins par
la lecture quepar la méditation. Il étu-
dia la philosophie dans la Recher-
che de la vérilé j et devint l'ami du
P. Malebranchc, dont il s'honora
toute sa vie d'être le disciple. Sur la
REN 325
recommandation de Colbert de Ter-
ron , Scignelay lui fit obtenir, en
1679, une place près du comte de
Vermandois , amiral de France ,
avec un traitement de mille écus. Il
assista , la même année , aux confé-
rences dans lesquelles furent discu-
tés les différenls projets pour perfec-
tionner la construction des vaisseaux:
il y développa sa méthode , qneDu-
quesue fit adopter en sacrifiant ses
vues à l'intérêt de l'état {F. Duques-
NE, XII , 33 1 ) , et il fut chargé de la
mettre en pratique dans les ports, où,
par ses soins , se formèrent bientôt
un grand nombre d'habiles construc-
teurs. En 1680, les Algériens ayant
déclaré la guerre à la France, Renan
proposa de bombarder Alger; et,
malgré l'opposition que cette idée
trouva dlis le conseil , le roi lui don-
na Tordre de faire constiuire cinq
galiotes à bombes, deux à Dunker-
que et trois au Havre. S'ëtant em-
barqué sur un de ces nouveaux bâti-
ments pour aller rejoindre le restt
de la flotille à Dunkerque, il fut ac-
cueilli par un coup de vent des plus
furieux , qui rompit les digues de la
Hollande , et submergea quatre vingt-
dix vaisseaux le long de la côte : ce-
pendant la galiote, cent fois abîmée,
échappa contre toute apparence sur
les bancs de !• lessingue , et parvint à
sa destination. 11 se transporta ensui-
te devant Alger, triompha, par sou
couiage,de tous les obstacles , et im-
posa silence aux envieux , qui fini-
rent par reconnaître qu'on lui devait
la prompte soumission des Algé-
riens. Après la mort du comte de
Vermandois, Renau se crut dégagé
de la marine, et alla joindre Vauban,
en Flandre; mais il fut bientôt rap-
pelé par Seignelay, qui devait com-
inaiuler rex.pëdiliou contre Gènes
( F. COLJJEUT DE SeKIINELAY, IX,
326
REN
225 ). Dès qu'elle fut lerminde , il
parût pour la Catalogne, où il prit
Cadequiers ou quatre jours ; de là il
retourna près de Vauban , occupe'
de fortifier les frontières de Flandre
et d'Allemagne. Il le suivit, en i6S8,
devant Phiiisbourg, dont Vauban
devait faire le siège; mais le roi lui
ayant défendu de s'exposer , Renau
en eut seul la conduite, et prit dans
la même campagne Manhcim et
Frankendal. La France allait êlre en-
gagée dans une guerre contre toute
TEiirope: Renau soutint seul la pos-
sibilité' de résister sur mer aux for-
ces reunies de l'Angleterre et de la
Hollande , et fît agrc'er ses plans par
le roi , qui le récompensa de ses ser-
vices par le brevet de capitaine de
vaisseau et la placft d'ias|iectenr-
gcndral de la marine, aWc douze
mille livres de pension. La mort de
Seignelay faillit rendre inutile la
bonne volonté du roi. N'étant pas
connu du nouveau minisire delà ma-
ftne ( Pontcbartrain ), Renau quitta
Paris, sans lui demander même une
audience , et s'empressa de retourner
servir avec Vauban, qu'il regardait
moins comme son chef que comme
un ami. Mais le roi, ayant voulu
examiner les projets pour la campa-
gne de 169J, demanda celui de Re-
nan, le fit cherclicr, et lui dit que
son intention était qu'il continuât de
servir dans la marine; ce qui ne
rempcchcrait pas de servir aussi sur
terre. II arcompagna Loin's XIV au
sie'gc de Mons, et de là se rendit à
Brest, pour expliquer les noiiveilcs
manœuvres aux officiers de marine:
ceux-ci refusèrent d'obéir à l'inspec-
Jcur; et, malgré les prières de Re-
nau, le ministre se crut obligé de
casser «.'eux olhciers, pour prévenir
les suites de cette insubordination.
De Brest, Renau vint devant Namiu-,
REN
que le roi assie'geait en personne ; el
il courut ensuite, à Saiut-Malo, sau-
ver cette \ille et trente vaisseaux
échappés du combat de la Hogue ( F.
Toup.viLLE ). Ayant monté, pour
l'essayer, un vaisseau construit d'a-
près ses plans, il s'empara d'un bâ-
timent anglais de soisatitc-seize ca-
nons, sur lequel il trouva des dia-
mants pour plus de quatre millions;
et quoiqu'ils lui appartinssent d'a-
])rès l'usage établi dans la marine , il
s'empressadeles remettre auroi, qui
le força d'accepter, comme une légè-
re gratification , ime rente de neuf
mille livres sur l'hôtel de ville de Pa-
ris. Sur le même bâtiment était une
nièce de l'archevêque as; Canter-
bury. Cotte dame avait tout perdu
]iar le pi'Iage du vaisseau ; Renau
se crut oblige de pourvoir à ses be-
soins, tant qu'elle fut prisonnière:
il on usa de même à l'égard du capi-
taine; et il lui en coûta plus de vingt
mille livres pour les avoir pris. Il fit
un voyage en Amérique, pour l'exé-
cution d'un grand dessein qu'il avait
formé: mais la peste le contraignit
de levenir , en 1697; et après la
paix de Ryswick, il y retourna pour
mettre en sûreté les colonies fran-
çaises. Philippe V, à peine arrivé à
Madrid, demanda Renau pour visi-
ter les principales villes d'Espagne,
et en réparer les fortifications , rui-
nées par la négligence du gouverne-
ment, lienau s'empressa d'accéder à
colle invitation ; mais ne pouvant ob-
tenir les fonds qu'on lui promettait,
il dit franchement au roi la vérité
sur ses ministres, qui ne lui pardon-
nèrent point du s'être montre ])lus
ami de leur pays qu'eux-mêmes. Re-
nan ne laissa pas de rendre de grands
services à l'Ivspagne. II sauva l'ar-
gent des galions d'Améri(pie, réfu-
giés dans le port do Vigo, où les
REN
Ai)|:;lais vinrent les aU.iqiicr, comme
il l'avait prcvu ( V. Chateau-Re-
gnaud) : il fit transporlerccs trésors
à Lugo sur des chariots, et conserva,
par son activité, plus décent millions
au trésor royal. Il assiégea Gibral-
tar, en 1704; et il aurait enlevé ce
point important aux Anglais, sans
i'arrive'e imprévue d'une flotte qui
lit lever le siège. 11 emprunta de l'ar-
gent en son nom pour l'c'parcr les
fortifications de Cadix ; et après cinq
ans de séjour en Espagne, il se vit
forcé de réclamer son congé, faute
de pouvoir y subsister plus long-
temps. Quand il revint en France ,
il avait une seule pistoledans sa po-
che, et le brevet de lieutenant-géné-
ral des armées du roi catholique,
dont il n'avait jamais touché les
ap[)ointements. Les pensions dont
il jouissait en France, étaient mal
payées. Il ramassa les débris de sa
fortune, satisfit ses créanciers, tt
attendit , sans se permettre une seule
plainte, des moments plus favora-
bles. IMalfe se crut menacée par quel-
ques armements des Turcs ; et le
grand maître fit demander Renan ,
pour défendre cette île. L'alarme se
trouva fausse, et Renan revint à Pa-
ris. Pendant son absence, Louis XIV
était mort : mais le légent con-
naissait ses talcHts et ses services ;
il le nomma conscillerd'état pour la
marine, et le décora de la grand'
croix de l'ordre de Saint-Louis. Ce
prince le chargea de faire, dans l'é-
îection de Niort , un essai de la taille
proportionnelle imaginée par Vau-
ban ( V. ce nom ) , et Renan icmplit
cette commission avec le zèle qui l'a-
nima toute sa vie. Depuis quelque
temps il était sujet à une rétention
d'urinc,ponr laquelle il se transporta
aux eaux de Pougues. L'usage de
ces eaux ayant augmente son mal, il
KEN
CÎ2^
voulut essayer un remède qu'il avait
appris du P. Malebranche, et qui
consistait à boire une grande quan-
tité d'eau de rivière assez chaude.
Mais , malgré l'excellence de ce re-
mède, dont il racontait des effets
merveilleux, il mourut le 3o sept.
1719. Sa mort, dit Fontenelle , fut
celle d'un religieux de !a Trappe. Il
était membre honoraire de l'académie
des sciences , depuis 1699. La nature
l'avait fait géomètre : mais il n'aA'ait
pas eu le loisir d'acquérir de l'érudi-
lion ; et il convenait de son ignoran-
ce avec une franchise qui lui coûtait
peu. D'une taille très-petite , mais
lien proportionnée, il était vif,
adroit, spirituel , plein de courage,
de probité, de désintéressement,
mais d'un tel entêtement , que ja- ^
mais il ne revenait d'une opinion qu'il
avait une foisadoptée. On a de lui: La
Théorie de la manœuvre des vais-
seaux , imprimée par onire du roi,
Paris. iG<S9, in-8'\,et des Lettres
dans le Journal des savants, pour
répondre aux objections que Huy-
gens et Jean Bernoulli fnisaient cou-
tic quelques-uns de ses principes.
L'ouvrage de Renan a été surpassé
par celui que J. Bernoulli a publié
sur le même sujet , Bàle, 1714, in-
4". , ou dans le tome 11 de ses Œu-
vres complètes. On peut considter ,
pour de plus grands détails, V Elo-
i^e de Renan, par Fontenelle, et le
Dictionnaire de Chaufe|iic. W — s.
RENAUD ou plutôt REGNAULD
( ValÈre ) , en latin Falerius Begi-
naldns , jésuite , naquit , en i543,
à Usic , bailliage de Pontarlier ,
de parents jianvres , Uîais qui ,
voyant ses heureuses dispositions,
s'iuiposcrcnt des sacrifices pour les
cultiver. Après avoir achevé ses étu-
des, à Paris , ave(Tbeaucoup de suc-
cès, il embrassa la règle de saint
3iS
REN
Tenace , et fut charge d'enseip;iier la
philosophie à Bordeaux. L'intérêt
qu'il sut donnera ses leçons , y attira
un grand nombre d'élèves; et quoi-
que prive de livres et de tout autre
secours , il réduisit au silence le pro-
fesseur du collège d'Aquitaine , qui
l'avait iraprudeniment attaque', dans
l'espoir de ramener la foule à son
ccole ( F. la Bibl. Soc. Jesii). Le
P. Renaud soutint et accrut sa re'pu-
tation dans les différentes chaires
qu'il remplit à Pont-à-Mousson , à
Paris , et enlin à Dole , où il pro-
fessa vingt ans la théologie morale ,
de la manière la plus brillante , et
avec une affluence d'auditeurs qui
accouraient pour l'entendre de toutes
les parties de la France, de l'Alle-
magne et des Pays-Bas. lî mourut
à Dole, le i4 mars i6j3, à l'âge de
quatre-vingts ans , dans de grands
sentiments de piëlé. On a de lui : I.
Praxis jori pœiiitentialis ad direc-
tionem conjessarii in usa sacri siii
muneris ^ Lyon, 1G20; Cologne,
1622, 2 vol. in fol. , e'dit. corrige'e
et augmentée. II. De prudeiitid et
cœleris in conj'essario requiitis ,
Lyon, i6to, in-S**.; Cologne, 161 ï,
in-i2 ; cet Ouvrage a été' réimprimé
plusieurs fois ; il a été traduit en
i'rançais par Etienne La Plonce-Ri-
chete, chanoine de Grenoble, Lyon,
1G16 ou 1619, in-8°. III. Tracta-
tus de officio pœnitenlis in usii sa-
cranienli pœnitenliœ , Lyon , 1618;
.Maicnce , lôrg, in- 12. L'auteur a
refondu ces deux Traités dans son
grand Ouvrage. IV. Compendiaria
praxis dijficiliorum casunin conSr
cientiœ, Lyon, 1G18; ibid. , 16 19;
ibid. , 1G23 ; Douai , tG25 , in-12 ;
trad. en franc. , par le P. Jacques
Jacquet , religieux carme , Lyon ,
1623 , in- !■.>.. Paft-al a lire , des ou-
vrages de notre auteur, qu'il noinrae
REN
leP.Reginaid, plusieurspropositions
qu'il présente comme des exemples
de celte morale relâchée qu'on re-
proche aux Jésuites ( F. les Lettres
provincicdes ) ; mais on en a repro-
duit un bien plus grand nombre dans
les Extraits des assertions soute-
nues et ensei fanées par les Jésuites ,
ouvrage que I\I. Barbier attribue à
Roussel de La Tour , aidé des abbés
Minard et Goujet. F. le Diction-
naire des Anonymes , deuxième
édition , n". G427. W — s.
RENAUD ( Louis ) , né à Lyon ,
vers 1690 , était dominicain , doc-
teur deSorbonnc, prédicateur du roi;
il avait été grand vicaire de Beauvais,
et est mort le 20 juin i-j-y i ; on a de
lui : I. Un discours latin, prononcé
à Beauvais , à l'occasion de l'exalta-
tion du pape Benoît XIll, en 1724.
II. Oraison funèbre du maréchal de
Filleroi , prononcée dans l'église
de la Charité, à Lyon , le 1 5 sep-
tembre 1730, et imprimée dans la
Desciiptiun de la pompe funèbre de
M. le maréchal de Filleroi , Lyon ,
i73o,in-fol. m. Oraison funèbre
du duc d'Orléans, Paris, 1752,
in-4". Les Sermons du P. Renaud
eurent un grand succès quand il les
débita : mais ils n'ont point été im-
primés ; et l'auteur a conservé la ré-
putation de grand prédicateur que
l'impression fait perdre le plus sou-
vent. A. B — T.
RENAUDIE (GoDEFRoi (i) de
Barri , seigneur de la), chef de la
conjuration d'Amboise, descendait
d'une ancieinie famille de Périgord.
Il jouiss.'iit delà rcjmlation d'un bra-
ve et vaillant capitaine; et, selon
Bclleforest, c'était l'un des plus clo-
(pienls honiîiics du royaume, (|uoi-
(i)r.oiiU-e rimiiiioii de la plii|)art des lilsloriuus,
},!■ f.aljuurinr dit qu'il se nomiiinit Jean. Voy. se»
AdiUtionf aux Mcmviivs de Cnstelnnii.
REN
que sans c'ruriition ( V. Histoire de
France, ii, 1608 ). Jean Du Tillet,
grelUerau parlement de Paris , ayant
eu l'occasion d'examiner les tilres
de cette famille , trouva que La Re=
iiaudie posse'dait illicitcmcnt un ri-
flie bénéfice, et l'en fit dépouiller
pour le donner à son frère. La Re-
naudie appela de cette décision au
parlement de Bourgogne. Dans le
cours du procès, il altéra son titre
de possession, dont on lui avait fait
apercevoir le vice. 11 fut poursuivi
alors comme faussaire par Du Tillet;
et il aurait couru risque de la vie , si
» le duc de Guise , gouverneur de Bour-
gogne , ne l'eût fait évader , le jour
de la Fête-Dieu ('2). Il s'enfuit à Ge-
nève, y em]ir<(3sa le calvinisme, et
ensuite habita Lausanne , où il se
maria. S'étaut lie facilement avec
les réfugiés français, qui tous sou-
piraient après un ordre de choses
qui leur permît de revoir leur patrie,
tl vint à bout de leur persuader qu'il
avait trouvé le moyen d'abréger leur
exil. Muni de lettres de recomman-
dation , il parcourut l'Allemagne et
les Pays-Bas, pour reconnaître la dis-
position des esprits et pouretablir des
rapports entre les hommes les plus
considérables du parti protestant,
dont il devint ainsi l^^gent général.
La réflexion le convainquit bientôt
que de malheureux réfugiés , privés
de la plus grande partie de leurs re-
venus, ne pourraient jamais former
nu parti capable de lutter avec avan-
tage contre leurs ennemis , et qu'il
fallait lier la cause des Protestants
à celle des grands seigneurs que
l'ambition et la jalousie éloignaient
de la cour. 11 recourut donc au duc
(:*) fVefft ïjrantùiiie (juî rapporlc ces particulari-
tés qu'il (lit teuir du «lue de Gui.ie lui-nicuie; mai»
selon De Tliou , La Keuaiidic avait l'tc cuudainué ù
uiio grosse- amende , et banni pour un temps ( liv.
xxrv;.
REN
3-29
de Guise , dont il avait ^prouvé la
bienveillance; il obtint , par son cré-
dit , des lettres de révision , et put
revenir en rrance sans être inquiété.
Mais, au lieu de s'occuper de sou
procès , il parcourut les provinces
méridionales, sous le nom de Lafo-
rèt, visitant les églises réformées ,
s'instruisant de leurs ressources , et
ouvrant partout des liaisons avec
les hommes les plus en état de l'ai-
der dans le projet qu'il avait conçu
de renverser les Guises , à qui l'on
atti'ibuait généralement les persécu-
tions contre les Protestants et tous
les malheurs de la Fiance. Quand il
fut assuré du dévouement et de la
discrétion d'un certain nombre
d'hommes marquants, il les réunit,
et leur développa le plan de la con-
juration, qui fut adopté. On lui ad-
joignit , pour l'exécution , trente ca-
pitaines expérimentés , qui devaient
l'aider de leurs conseils , et avec les-
quels il était invité de correspondie.
La mort de Henri II , loin de rien
changer dans les projets de La Re-
uaudie, le confirma dans l'espérance
du succès. En quittant l'assemblée ,
il se rendit ta Genève, oîi l'on croit
que fut rédigée la fameuse consulta-
tion portant que , sans blesser sa
conscience , ni manquer à la majesté
royale, il était loisible de recourir à
la force pour soustraire le roi h la
domination des Guises. La Renaudic
colporta cette pièce dans le reste de
la Suisse et nue partie de l'Allema-
gne, tant pour demander des signa-
tures que pour recueillir le produit
des collectes faites par les associés.
11 revint ensuite à Lyon, où il ren-
dit compte aux principaux conjurés
dn résultat de son voyage, et indi-
qua une assciiiblce à Nantes, pour
le i''". février i56o. La Renaudic
l'ouvrit par un discours que De Thou
33o
REN
nous a conservé ( liv. xxiv). Après
avoir montre la triste situation de la
France , abandonnc'c à la tyrannie
des Guises , il annonça qu un grand
nombre de gentilshommes avaient
résolu d'unir leurs efforts pour faire
cesser un état de clioscs qui deve-
nait de plus en plus intolérable, et
qu'ils devaient agir sous la direction
d'un prince qui l'avait nomme' son
lieutenant, mais dont il ne lui était
pas encore permis de révéler le nom.
Il assura que le seul but des conjurés
était de délivrer le roi de Toppres-
sion des Guises , et termina par pro-
tester de son profond respect pour
la personne sacrée du monaïqne ,
ainsi que pour sa famille. Cette
protestation , accueillie avec en-
thousiasme, fut rédigée sur-le-champ,
et signée par tous les membres de
l'assemblée. On convint ensuite de
choisir des députés chargés de pré-
senter au roi une requête pour lui
demander l'éloignement des Gui-
ses et le libre exercice du calvinis-
me ou la convocation des états-gé-
néraux. Comme ces députés pou-
vaient être exposés , on décida de
leur donner une escorte qui ga-
rantît leurs personnes de toute in-
sulte ; et La Renaudie fut autorisé à
lever cinq cents cavaliei's et quinze
cents fantassins. Il se dirigea aussi-
tôt sur Paris , afin de rendre compte,
dit-on, au prince de Condé, de ce
qui venait de se passer à Nanles,
et de conférer avec les anciens de
V Eglise sur la somme qu'elle four-
nirait pour le succès d'une entre-
prise qui paraissait devoir décider
de l'existence des Protestants en
France, il alla loger chez un avocat
nomme Pierre des Avenelles , qui te-
nait, au faubourg Saint- Germaiii ,
un IkIIcI garni , fré(|uenté par les re-
ligionnaircs fjue leiirs aflaircs a]>pe-
KEN
laient à Paris. Avenelles , étonné de
l'afTlucncc des étrangers qui venaient
dans sa maison le jour et la nuit,
les observa plus attentivement, et
devina qu'il se tramait quelque cho-
se d'extraordinaire. Il fit part de ses
soupçons à La Renaudie, qui cr*
pouvoir sans danger lui révéler une
partie de son plan. Avenelles, pro-
testant zélé , reçut avec joie cette
confidence ; mais bientôt , effrayé
des suites que ])Ouvait avoir une en-
treprise si hardie, il alla trouver le
secrétaire du duc de Guise , et lui
découvrit tout ce qu'd venait d'ap-
prendre. La cour faisait alors sou
séjour ordinaire à Blois , ville qu'u-
ne simple muraille ne mettait pas
à l'abri d'un coup de main. Dès
qu'il connut l'existence de la con-
juration , le duc de Guise fit con-
duire la famille royale au château
d'Amboise , (]ui pouvait offrir quel-
que résistance. Les conjurés , quoi-
que découverts , se rendent (par pe-
tits détachements, pour détourner
les soupçons), au lieu que La Re-
naudie leur a désigné; mais, à me-
sure qu'ils arrivent, ils sont enlevés
par le duc de Nemours , conduits
aux prisons d'Amboise, si l'on en
espère des révélations , ou pendus
aux créneaux du château. La Renau-
die , instruit de ces désastres, cher-
cliait à rassembler ses différentes ban-
des pour attaquer Amboisc et l'en-
lever de vive force. Mais , tandis
(ju'il se portait sur tons les points
où sa pi éscnce était nécessaire , il
est recontré , dans la forêt de Châ-
teau-Renaud , par le jeune Pardail-
lan , son cousin , qui court sur lui
le pistolet à la main. La Renaudie,
plus leste, saute à bas de son che-
val , et le renverse de deux coups
d'(-pée; mais un page de Pardaillan
l'étend moi I, d'iui coup d'ari|uebuse,
REN
sur le corps de son maître. Cet éve'-
ueiuent arriva , selon De Thon , lo 1 7
mars 1 56o. Le cadavre de ce mallieu-
reiix fut apporté daus Amboise, et
attache à une potence élevée au mi-
lieu du pont , avec cette inscription :
La Renaudie, dit Lafoiv't, chef des
rebelles. La Bigne, sou secrétaire,
fut pris avec son cliiffrc et ses pa-
piers, et, se croyant dégage de. son
serment, par la mort de son maître,
révéla toute la conjuration. Ce fut
La Bigne qui déclara que le prince
de Condé en éîait le véritable chef:
mais on sait avec quelle fermeté ce
prince repoussa celte accusation (^,
CoNDE, IX, 387 ) ; et, malgré tous
les soupçons qui semblent s'élever
contre lui , il n'existe aucun doru-
mcut d'après lequel ou puisse affir-
mer que Condé ait eu des conféren-
ces avec La Uenaudie, et moins en-
core, comme l'ont avancé quelques
historiens , qu'il se serait mis k la
tète des rebelles, si le complotent
réussi. Outre l'Histoire du tninnlte
d'Jmhoise , 1 56o, in - 8°. , insérée
dans le tome i'^'". des Mémoires de
Condé, p. 4o^ ' ^^' ^^ '74^' 0"
peut consulter, pour de plus grands
détails , la plupart des historiens
contemporains. Ys — s.
RENAUDOT ( TnÉopnuASTE ) ,
méilecin , et fondateur de la Ga-
zette en France (i), naquit à Lou-
dun , en i584 ? et vint fort jeune à
Paris, oi!i il étudia quelque temps
SOUS un maître en chirurgie. Il se
rendit à Montpellier, eu ttioG, s^y
fit recevoir docteur en médecine ,
dans l'espace de trois mois ; et après
avoir voyagé plusieurs années pour
acquérir de nouvelles connaissances ,
(1) \\ existait , depuis li; sei'/.iinic siîclc , des joar-
D.111X eu Unlic, et inciiic en Kspugnc : on Irs a|i|ie-
lail gazettes, du mim de In pièce de luouuaiu ( Ga-
zelta ) <[u'ou iiavaif pour les lire.
REN
33 ï
rçviut daus sa ville natale , où il
pratiqua son art avec tant de suc-
cès , que sa réputation s'étendit
bientôt dans tout le Poitou et les
provinces voisines. Les ennemis de
Renaudot prétendent , au contrai-
re , qu^en quittant ]\lontpellier , ce
docteur improvisé reprit le che-
min de Louduu , pour y exercer
son état, et que, faute d'occupa-
tions , il fut obligé , pour vivre , de
se faire maître d'école. Quoi qu'il en
soit, Renaudot revint à Paris, en
1 6 1 2 ; et , si on l'en croit , il obtint
sur-le-champ le brevet de médecin
du roi , avec un traitement de huit
cents livres : mais ses adversaires
suutieuuent que cette prétendue char-
ge de médecin du roi n'était qu'un
vain titre qui s accordait alors avec
la plus grande facilité ; qu'il ne fut
jamais admis au serment, et qu'à Pa-
ris, comme à Louduu, il ne subsista
d'abord qu'en tenani une école et pre-
nant des pensionnaires. Toutefois il
faut bien convenir que Renaudot ne
manquait ni d'esprit, ni d'activité, ni
de ressources dans l'iinagiuatiuu. Il
se fit connaître du cardinal de Riclie-
lieu , protecteur zélé de tous ses com-
patriotes qui se distinguaient par
quelques talents ; et ce fut par le
crédit de ce ministre (2), qu'il obtint
V Office de commissaire-général des
pauvres valides et invalides du royau-
me ; celui de maître général des bu-
reaux d^adresses , et enfin le privilège
pour l'établissement de la Gazette.
En qualité de commissaire des pau-
vres , il reçut l'autorisation d'établir
une maison de prêt ou mont-dc-
(7.) ('nmniciit croire que lîciiauriot ail fait r,//>o-
lo^ic d'Urbaiu Graiidier, et publie plusieurs f.i-
bcUes ciiulre le cardinal de liicbcliiu, sou bien-
faiteur? Au suri>Uis, Dreux du Radier est le seul
écrivain qui eu parla ( daus la hihl. du l'oiloii .
lom. IV ), et il ne cite aucune preuve à l'appui de
celle assertion.
332
REN
pie't^ (3) , qiii devait lui valoir das
sommes considérables , puisqu'indé-
pendamment des bénéfices légitimes,
on lui reprocha, dans la suite, d'a-
voir fait des prêts usuraires , et
augmente le nombre des pauvres en
feignant de les soulager (4), Les bu-
reaux d'adresses ont été remplacés
jpar les feuilles d'avis ; et l'ou peut
juger ce que devait produire cette
nouvelle branche d'industrie , à une
époque où le commerce commençait
à;prendreunegrandeactivité. Enfin la
Gazelte seule, quoique la lecture n'en
fût pas alois un besoin comme elle
l'est devenue par les progrès de la
civilisation, devait guflire pour pro-
curer à Renaudot une fortune rapide
et considérable. 11 ncvoulutpas s'en
contenter. Malgré ses occupations
commerciales et littéraires, il con-
tinua l'exercice de la médecine , et
se servit avec succès de différents
remèdes chimiques tirés de l'anti-
moine. C'était braver la faculté de
médecine, qui, de tout temps, s'était
opposée à remploi de ces remèdes
( F. Mayerne-ïurquet ) : mais il
ackeva de se brouiller avec elle , en
donnant des consultations gratuites
aux indigents , et en annonçant qu'il
avait obtenu du roi la concession
d'un terrain près de la porte Saint-
Antoine , sur lequel il devait cons-
truire un hôte! pour les consultations
(3j Desctahlisscments de ce genre avalent tte for-
mes en Italie , dès le <juin7.ième siècle, \,ant rem-
placer les maisons des Loinhards ; mais ils uk pu-
rent s'y soutenir malgré l'utilité qu'eu retirait le
]>ul>lic et malgré la ))rotectIon di'S |i.i)>es. Voy. 1'///$-
luire des Alunis de yiélé , par Oerreti, l'adoue ,
ijSa , in-ia.
('!) <>u lui reprorhait d'avoir un domestii|iie, qui
recevant dans une bocte le prix de ses pnteiulues
«.'ousultations gratuites , et d'excrci r une usure ému-
ine daiiason Moot-de-picic. 11 ne se faisait, à la v('-
rite. payer qu'à raison de trois pour cent jiar un :
mai» il prenait un droit d'eurcgistrcnient , ne nrc tait
qnfleLer» de rotiu.aliou , et eonllM|„ail les cil, I,
lor»f;uon ne se présehiait pas à jour uoinuH' poin-
payer le., int.Ml,. J ml s ces lait» , cnonce^ dai,> le
|>Iaidi>yer de se» prirtits, ne suut iiuiot (xinlridit»
uiiu» a<'9 rcpuuses.
REN
charitables. D'après les anciens re'-
glements , nul ne pouvait exercer la
médecine à Paris , s'il n'avait reçu
ses grades à l'université de cette ville.
La faculté demanda donc l'interdic-
tion de Renaudot ainsi que des mé-
decins de Montpellier et des autres
universités de province , qu'il s'é-
tait associés pour ses consultations
et pour la distribution des remè-
des secrets. Ce procès produisit beau-
coup d'éclat ( 5 ). Renaudot pro-
duisit un grand nombre de té-
moins, pris dans toutes les classes,
qui déposèrent en faveur de ses ta-
lents et de l'excellence de ses remè-
des : mais , malgré ses démarches et
celles de ses protecteurs pour obte-
nir l'évocation de l'affaire au con-
seil , la cour du Châlelet rendit, le 9
décembre i643, une sentence qui
lui défendit , ainsi qu'à ses adh.é-
rents , d'exercer la médecine dans
Paris , et de s'assembler, sous quel-
que prétexte que ce fût , à psi ne de
cinq centslivres d'amende, payables
par corps. Renaudot appela de cette
sentence , et ne négligea rien pour
la faire casser : mais tous ses efforts
furent inutiles , et le Parlement le
traita puis mal encore que n'a-
vait fait le Châlelet; car non-seu-
lement il confirma , par son arrêt
du i*^'. mras i644î toutes les dispo-
sitions prises contre lui ; mais il
supprima sa maison de prêt , comme
un établissement nuisible au public ,
et ordonna que tous les effets qui s'y
trouvaient déposés seraient rendus à
leurs propriétaires , sans pouvoir
exiger aucun intérêt. Renaudot con-
servait encore le Bureau d'adresses
et la Gazelle , dont il avait le privi-
(".)().. L.uvera la liste des l'.ifhinn qui lurent
|iulilies de part et , l'autre lors de ce lanu'ux procè»
dans la VibL hisluiiif. da lu Fiante, u". 44855 cl
REN
légc depuis i63i : n'était plus qu'il
n'en fallait pour occuper un homme
moins actif; mais , iude'pendam-
ment de quelques spéculations litte'-
raires , il n'en continua pas moins
d'exercer la médecine avec succès , et
de distribuer ses remèdes , malï^ré
les oppositions de la faculté, qui ne
put parvenir à le surprendre. Il
vécut assez Ion;:; - temps pour voir
triompher Vémélique des préjugés
de Gui Patin , et de Moreau , ses
deux plus grands adversaires à la fa-
culté de Paris , et il mourut le 25 oc-
tobre i653. Gui Patin dit que Renau-
dot était peu riche; mais , selon d'au-
tres auteurs , il laissa une fortune
honnête. Dans sa jeunesse, il avait
été lié, d'une étroite amitié, avec
Scévole de Sainte-Marthe , dont il
prononça ' Oraison funèbre à Lou-
dun,en 1623 ( P^. Sainte - Mar-
the ) ; et dans la suite , ses quali-
tés et son obligeance lui procurè-
rent beaucoup d'amis. On a de
lui : I. La Gazette de France , de-
puis i63i , jusqu'à sa mort, in- 4".
(6). Ce Journal , continué jusqu'en
1792, forme une collection de 162
vol. in-4°. , à laquelle il faut joindre
une Table des i35 i^''^. vol. (par
Genest) , 1766, 3 vol. (7) 11. La
(6) C'est, dit M. Barbier, !.n celMire gcni^alogiste
P. d'Hozier , qu'on r st redevable de l'etabh'sseiuent
lie la Giizelte rie Fiance. Comme il avait de graji-
■ des oiiiTespoiidancfS an-dedans et au- lehor? du
royaume, il était exactement informé de ce qui s'y
passait, n communiquait les nouvelles qu'il a])|)re-
nAit, a Th. Rcuaudot, son ami; et ils formèrenten-
tfe eux le plan de la Ga/.ettc . commencée si bcureu-
srment en it)3i. Voy. le Dicl. d^s anonymes , io.
edit., no.fip^Q.
(7) Ou a vivent dit que Renaudot avait d'abord
recueilli ses bulletins pour amuser ses malades avant
<l<î songer à en faire un papier public. Le cardinal
ministre y prit un intérêt tout particulier. Il v en-
voyait souvent des articles entiers; il y faisait'insé-
rer les traiiés d'alliance, les capitulations , les re-
lations de sièges et des batailles , écrites par les gi'-
neraux , et les dépècbc» Jes ambassadeurs , lors-
qu'elle» contenaient des laits que l'.in vculait faire
'avoir A toute l'Europe. Louis XIII ne d^aignait
pu lul-nièmc de composer des aiticle.t pour les ga-
REN
333
Continuation du Mercure Français
i635 ( F. J. Richer), Le libraire
qui travailla le premier à cette com-
pilation historique , y recueillait les
pièces originales tel les qu'elles avaient
paru ; mais Renaudot se contenta
d'en donner des analyses et des ex-
traits , qui ne remplacent qu'impar-
faitement les pièces mêmes. Ce-
pendant les volumes qu'il a publiés ,
sont les plus recherchés de la col-
lection , à cause de leur rareté. "^
in. Abrégé de la vie et mort du
prince de Condé {Henri II ), 1647 >
in -4''. IV. La Fie et la mort
du maréchal de Gassion , ibidem,
1647 ' i"-4°- V- La Fie de Michel
Mazarin , cardinal de Sainte-Cécile,
ibid. , 1648 , in-4". On a le Portrait
de Renaudot, gravé par Mich. Lasne,
in-4°. — Renaudot avait deux fils ,
IsAAC et EusÈbe , qui ont joui de
quelque réputation comme méde-
cins. Ils éprouvèrent de grandes dif-
ficultés lorsqu'ils se présentèrent
pour prendre leurs degrés ; et il
fallut un ordre du parlement pour
obliger la faculté à leur conférer le
doctorat. Avant de les admettre au
serment, on les obligea de désavouer
la conduite de leur père , et de pro-
mettre qu'ils renonceraient au Bu-
reau d'adresses ; mais on leur permit
de continuer la Gazette dont ils
avaient le privilège. Isaac, reçu
docteur en 1647 ' mourut en 1G80,
Eusèbe, le cadet, admis à la faculté,
dans les premiers mois de i(j^8 , de-
vint premier médecin de M'"^. la
dauphine, et mourut le 19 octobre
1679. Indépendamment de la Ga-
zette, il a publié : I. Spicilegiuni
sive historia medica mirabilis spi-
cœ gramincce extractœ è latere œ-
7.etles ; aussi sont-elles d'une grande autorité pour
le règi.e de ce piincc ; rt l'un y trouve d'cxtellcuts
matériaux pour niistuiie.
334 REN
gri pleuritici fini eam antè menses
duoincautèvoraverat, Paris, 16^7,
111-4". I^- ï^'yJ'itimoine justifié et
triomphant, ibid. iG53 , in- 4°.:
opuscule qui fut vivement attaqué
par Merlet , Pcrreaiid et d'autres
anciens docteurs de la faculté. On
croit aussi qu'il a eu beaucoup de
part au Recueil général des ques-
tions traitées es conférences du Bu-
reau d'adresse , sur toutes sortes
de matières, 5 vol. in-8°. Euscbc
est le pcre du savant abbé Rcnaudot,
dont l'article suit. W — s.
RENAUDOT (Eus^be), savant
aussi distingue par ses connaissances
dans les langues orientales que dans
la théoloîiic, naquit à Paris, le 20
juillet 1G46: il était l'aîné de qua-
torze enfants. Dès son jeune àqe,
il manifesta le vif amour qu'il avait
pour l'étude ; afin de s'y livrer sans
contrainte , il embrassa l'état ec-
clésiastique , plus en rapport d'ail-
leurs avec son goût pour la théo-
logie : il y joiguit bientôt les lan-
gues orientales, et particulièrement
celles qui, comme l'arabe, le sy-
riaque et le copte, pouvaient lui être
utiles dans la recherche des ori-
gines de l'histoire ccclésiastiqiie. La
place que son père occupait à la
cour, lui donna d'illustres protec-
teurs : le prince de Condé , les deux
princes de Conti , Bossuet , Montau-
sier et la maison deColbert, l'ho-
noraient de leur familiarité ; et il
acquit une telle considération , que
Louis XIV permit plusieurs fois à
ses ministres, lie liredans soncouseil,
dos Mémoires rédigés par le savant
3bl)é. Ij'académie française l'admit
parmi ses membres, en 1689; et,
deux aus après, il remplaça ( hiinault
à l'aradc'mie des inscriptions. En
1700, il suivit à Rome le cardinal
de Noailles , cl assista au conclave
REN
où fut élu Clément XI, qui le força
d'accepter un prieuré en Bretagne.
A son passage à Florence , il fut fort
bien traité par le grand-duc ce Tos-
cane ; et l'académie de la Crusca lui
décerna le titre d'associé. 11 mourut
à Paris , le 1*='. septembre 1720. Re-
naudot avait rassemblé un grand
nombre de manuscrits orientaux ,
qu'il légua, par son testament, à
l'abbaye de Saint-Germain des-Prés,
d'où ils ont passé à la bibliothèque
du Roi. Ses travaux multipliés sur
l'histoire sacrée de l'Orient, ne lui
avaient pas fait négliger entière-
ment la littérature moderne. Il était
lié avec les plus illustres d'entre les
beaux-esprits de son siècle, surtout
avec Despréaux, qui lui adressa son
Epître sur l'amour de Dieu. Il prit
même soin de l'édition des Œuvres
posthumes de ce poète , avec Valin-
cour. Gomme sa conversation était
vive , agréable , assaisonnée d'une
foule d'anecdotes (\\\q ses vastes lec-
tures lui fournissaient , on le voyait
avec plaisir et avec intérêt dans la
société ; mais il s'y était rendu re-
doutable aux frondeurs. Les qualités
du cœur relevaient en lui les talents
de l'esprit: ami sincère, plein de
charité, ses aumônes allaient aussi
loin que sa modique fortune pou-
vait le comporter ; il vit supprimer
sans murmure, par le chancelier de
Voisins , !a pension que Coucherai
lui avait fait assigner sur le sceau.
Ses mœurs étaient sévères, et sa piété
solide et éclairée. Voici la liste de ses
ouvrages : à l'exception du premier,
il les a tous publiés dans un âge
avancé. I. UncTraductiou l.itinefaiîe
à vingt-cinq ans, des Témoignages
des églises d'Orient , écrits en grec
vulgaire, en arabe, en copte, en
syriaque et en étliioj/icn, concernant
leur croyance sur l'Eucharistie. Ces
REN
tcnioignages qiiiavaieute'té transmis
à Arnauld de Pomponne, parNohi-
tcl , ambassadeur à Constantinoplc ,
fiircnliuse'resdans le livre du docteur
Arutiuld ,sur la perpétuité de la foi.
II. Défense de la Perpétuité delà
foi contre les Monuments authenti-
ques de la relis^ion des Grecs par
Jean Ajmon , Paris , 1 708 , in- 8*>.
C'est la réfutation du livre fautif de
ce prêtre dauphinois , qui apostasia
eu Hollande ( Voy. Aymon , m ,
187 ). III. Gennadii patriarchœ
Constantinopolitani , Homiliie de
Eucharistid ; Melstii Alexandri-
ni , Nectarii ïlierosoljmitani , Me-
letii Srrigi et aliorum de eodem
argumenta opuscula , grec et latin,
Paris, 1701), in-4°- Ces ouvrages
sont accompagnés d'un docte Com-
mentaire , de Notes et de Disserta-
tions, pour mieux faire connaître la
véritable doctrine admise par l'E-
glise grecque. Il y réfute plusieurs
fois les opinions émises sur le même
sujet par le savant Léon Allatius.
IV. La Perpétuité de la foi de V E-
gli.se catholique touchant V Eucha-
ristie , tome IV, Paris , 17 1 1 , in-
4°. V. La Perpétuité de la foi de
V Eglise sur les sacrements el au-
tres points que les premiers réfor-
mateurs ont pris pour prétexte de
leur schisme , prouvée par le con-
sentement des Eglises orientales ,
Paris, 1713, t>, vol. in-4°. Ces deux
ouvrages contiennent im grand nom-
bre de professions de" foi grecques ,
et de passages traduits des auteurs
orientaux. VI. llistoria Patriarcha-
ruiïl Ale.xandrinorum Jacohitaruni
à I). Marco , usque ad jîneni sce-
culi xin , Paris , 1713, in- 4°. C'est
le pins connu et le plus savant des
ouvrages de l'abbé Rcnaudot , et le
Recueil le plus complet que l'on
possède sur l'histoire ccclcsiasli-
REN 335
que de l'Egypte et de la nation Copte.
Renandot a pris pour base de son
travail, l'histoire des patriarches d'A-
lexaudrie, écrite eu arabe, par Sé-
vère , évèque d'Aschmouncïn , con-
tinuée par ]Michel, cvêque de Tanis,
par Mauhoub , fils de Mansoiir , par
Marc , fils de Zaraa , et par un ano-
nyme , jusqu'à Cyrille , soixante-
quinzième patriarche , mort en l'an
1243. Il ne fit que la traduire enlatiu,
en l'abrégeant quelquefois , et en y
intercalant souvent des faits trouvés
dans d'autres auteurs. Il est fâcheux,
que Renandot n'ait pas consulté l'his-
toire des monastères de l'Egypte ,
écrite , au quatorzième siècle , par
le moine arménien Abou-Selah,
et qui contient une multitude de
renseignements curieux sur l'histoi-
re ecclésiastique de l'Egypte. L'ab-
bé Renandot profita encore des ou-
vrages composés par Eutychius ibn
Batrik , patriarche Melchite d'A-
lexandrie , par Elmacin , par Gré-
goire Abou'Ifaradj , par Abou'lbir-
k.at,et par plusieurs autres écrivains:
il n'a pas négligé non plus les au-
Ipurs musulmans , et en particu-
lier Makrizy , dont les écrits sont
une mine si féconde pour tout ce qui
est relatif à l'Egypte sous la domi-
nation musulmane. On trouve aussi^
dans le même ouvrage , sur la Nu-
bie , l'Ethiopie et l'Arménie, nn
Q;rand nombre de notions qu'on
chercherait vainement ailleurs. L'au-
teur y a joint encore des détails sur
l'histoire des princes de l'Orient,
sous ce titre : Epilome historiœ
Mnhamedanœ ad illustrandas res
.Egyptiacas ; mais ils sont distri-
bués chronologiquement dans le
cours de son livre : enfin il termine
par une liste accompagnée de quel-
ques détails historiques sur les pa-
triarches Jacol)ites d'.Vkxaudrie, de-
336
REN
puis Cyrille, jusqu'à Jean Toukliy,
qui vivait au commencement du dix-
huitième siècle. VÏI. Liturgiarum
orientalium collectio , Faiis , 1716,
2 vol. in-4''. Cet ouvrage, fort im-
portant pour l'étude de l'histoire ec-
clésiastique, et qui fut rédigé pour
servir de preuves à la Perpétuité de
la foi , contient la traduction d'un
grand nombre de liturgies ou de ri-
tuels , écrits en copte , en arabe et
en syriaque, en usage parmi les chré-
tiens Jacobites, Melchites ouNesto-
riens, répandus dans les diverses
parties de l'Orient. L'abbé Renau-
dol y joignit (juatre Dissertations sur
l'origine et l'autorité des liturgies
orientales, sur celle de l'église d'A-
lexandrie en particulier, et sur l'ori-
gine, l'antiquité et la nature de la
langue copte. Il réfute, dans la der-
nière , plusieurs opinions émises
par Kirchcr , par Vossius, et par Lu-
dolf dans son histoire d'Ethiopie.
L'Histoire des patriarches d'Alexan-
drie , cl le Recueil des liturgies orien-
tales, animèrent vivement, contre
leur auteur , le zèle des théologiens
protestants; et il faut en convenir,
ce ne fut pas toujours sans raison:
ces ouvrages n'éprouvèrent guère
moins de critiques de la part des ca-
tholirpics , et souvent de personnes
fort en état de les bien juger , comme
le savant Assémani, par exemple.
Le désir de retrouver la pure doc-
trine catholique partout, et dans
tous les auteurs , même dans ceux
dont les opinions sont le plus sus-
pectes, l'entraîna trop loin , et lui fit
traduire, d'une manière trop confor-
me à ses opinions, des expressions un
peu ambiguës. Ces crilicjucs furent
.si nombreuses ctsi viok'iiles, qu'il se
crut obligé de publier : VIIL Une
Défende de ces deux ouvrages , Pa-
ris, 1717, in- 12. \^. Anciennes re-
REN
lations des Indes et de la Chine
de deux -voyageurs mahométans ,
(/ni y allèrent dans le neuvième siè-
cle, traduites de l'arabe, Paris, 1718,
in-8°. Ce sont les récits dedeus voya-
ges entrepris par des marchands ara-
bes, qui, selon l'usage de leurs com-
patriotes, étaient venus commercer
dans le raidi de la Chine, vers les
derniers temps de la dynastie des
Tang. Cet empire, alors déchiré par
les guerres civiles qui amenèrent la
chute de cette famille, était loin du
degré de splendeur où il s'était vu
deux siècles auparavant. Le pre-
mier de ces voyages est de l'an 287
de l'hégire ( 85i de J.-C. ), et l'au-
tre de l'an 264 de la même ère ( 877
de J.-C. ) , et fut exécuté par Abou-
Zeïd Hasan de Siraf. Comme ces
marchands arabes se rendaient à la
Chine par les mers de l'Inde, ils
parient naturellement dans leurs ré-
cits, de la côte de Malabar, des Mal-
dives, de Ceylan, des Andamans ,
des îles IMalaises et du continent In-
dien , depuis Malaca jusqu'à la Chi-
ne ; seulement il est fort difficile et
souvent impossible de reconnaître
ou d'appliquer les noms corrompus
donyés par ces voyageurs. Malgré
les fables ridicules et les erreurs pro-
duites parla crédulité, l'amour du
merveilleux et l'ignorance des au-
teurs , ces relations contiennent ce-
pendant un certain nombre de notes
intéressâmes sur la Chine. Elles s'ac-
cordent, en général, avec ce que les
Chinois nous apprennent eux - mê-
mes. Pour les autres , on sent aisé-
ment qu'on doit préférer des détails
circonstanciés fournis par des indi-
gènes, à des récits mensongers ou
inexacts, recueillis pardcs voyagcuis
assez jieu instruits par eux - mêmes
et peu versés dans la langue du |)ays.
En un mot, CCS relations sontforl eu-
REN
rieuses • mais elles ne me'ritent pas en
tout i;i confianee que l'abbé Rcnaii-
dot leur accordait trop Icgcrcment.
Ce savant joignit à sa traduction des
Notes fort crudités, et quatre Mémoi-
res assez considérables , intitulés :
Eclaircissements touchant la pré-
dication de la religion chrétienne à
la Chine ; touchant l'entrée de<: Ma-
hométans dans la Chine ( qu'il place
à l'an 780 ) ; touchant les Juifs qui
ont été trouvés à la Chine ; sur les
sciences des Chinois. En publiant
son livre , l'abbé Renaudot igno-
rait que l'original arabe qu'il avait
traduit , n'était qu'un fragment du
célèbre ouvrage de Masoudy, inti-
tulé :iybrof<^i!y -e^<^/ie/ie& (/^. Masou-
DY , XXV II , 387 ) , fragment qui no
con tenait qu'une copie lacérée H u cha-
pitre dans lequel cet auteur fait la des-
cription de la Chine et des régions
de l'Inde qui l'avoisinent vers les
mers du Midi. C'est ce que l'auteur
de cet article a découvert, en com-
parant le manuscrit dont Renaudot
s'est servi avec l'ouvrage même de
Masoudy : c'est la même i^'daction.
Comme en publiant §a traduction ,
le savant théologien avait négligé de
faire connaître avec précision le ma-
nuscrit qu'il interprétait, se conten-
tant de dire vaguement qu'il faisait
partie de la bibliothèque du comte de
Seignelay, fils de Golbert, les savants
doutèrent assez long-temps de l'au-
thenticitéde ces relations, sinon, pour
la totalité, au moins pour quelques
parties. Ils étaient d'autant plus fon-
dés à concevoir cette opinion , que la
préface et les longues notes du tra-
ducteur laissaient voir trop évidem-
ment qu'il n'était pas fâché de trou-
ver dans ce livre des renseignements
qui semblaient déiuonlrcr la fausse-
té ou l'exagération des relations don-
nées par les missionaircs jésuites
xxxvii.
REN 337
sur la Chine, Ces doutes subsistcrent
jusqu'en 1 787, quand Dcguignes par-
vint enfin à retrouver le texte tra-
duit par Renaudot , dans un manus-
ci it arabe de la bibliothèque royale
du fonds de Colbert , qui porte actuel-
lement le n°. 597. 11 inséra une No-
tice à ce sujet, dans le premier vo-
lume des Notices et extraits des
manuscrits de la hihlwthèque du
Roi. Le savant académicien n'eut
pas de peine à se convaincre de la
fidélité du travail de Renaudot; mais
il ne reconnut pas que cetcxte n'était
qu'imfragmentdel'ouTragedeMasoU'
dy , sur lequel il avait doinic une No-
tice, dans le même volume. Diverses
assertions répandues dans la préface
de cet ouvrage et dans les éclaircis-
sements qui le terminent , avec l'in-
tention évidente de dénigrer les Chi-
nois et de jeter du doute sur les ré-
cits des missionnaires et des sa-
vants qui en faisaient l'éloge , atti-
rèrent plus d'une critique au livre
de l'abbé Renaudot. On distingue
particulièrement celle du sa")janf P.
Prémarc , insérée dans le vingt-uniè-
me volume des Lttlres édifiantes
( T^oy. Premare , wxvi, Sq ). X.
On possède encore du même auteur
plusieurs Mémoires ,qui se trouvent
dans les deux premiers tomes de la
Collection dcTacadéniie des inscrip-
tions. Ceux qui traitent àoV Origine
de la sphère et de l' Origine des let-
tres grecques , n'ont pas une grande
importance. Les Eclaircissements
sur les incriptions de Palmrre , et
sur le nom de Septimia joint à celui
deZénobie, valent mieux. XT. Long-
temps auparavant, l'abbé Renaudot
a vait composé un ouvrageintiîulé;///-
gement du public, particulièrement
de l'abbé Renaudot , sur le Diction-
naire de Ray le, Rotterdam, 1(597 '
iii-'i''. Cet examen , fait, par ordre du
■2-2
333
REN
pliaiioclior ( i ), tomba cnire les mains
tic Jiiiicu, (iiii m: niaïKiua pas de !e
hiicer conlic Biyle. Celui-ci y ré-
pondit; et Juiicii se chargea Je lui
rcnliiiuer. L'abbé Reuaudol témoi-
cna l'exlrême me'conteuteiacnt qu'il
éprouvait de se voir cng.ige dans
celte querelle liltcraiic ; et De Wilt,
sou an)i, ménagea sa réconciliation
avec Bayle. Saint - Évi emont s'était
rangé du côte de ce ptilosopte; et
il jeta, dans ces discussions, une
critique maligne contre le docteur
de Soibonne. Outre tous ces écrits ,
l'abbé Kcnaudôt avait encore com-
posé divers ouvrages plus ou moins
terminés , dont on trouve la liste
dans le Mercure de janvier 1^3 ï.
Les principaux sont une Histoire de
Saludin, tirée des auteurs orientaux;
\uie Histoire des patriarckes Syriens
de la secte Nes'oriennc, sous ce ti-
tre : S^U'ipsis historit' pairiarcha-
rum ccclesiœ Nestorianœ adannnm
inillesiniiimtrccenlesimum; un Trai
lé de rKgl.ise d'Élliiopie, en latin ;
une édition grecque cl latine de V'En-
ihiridion de Dusitliée, patriarche
de Jciusaleni.Tous ces travaux sont
conservés en manuscrit à la biblio-
tlicque du Roi. Voyt'Z VElog^ de Rc-
naudot , par de Buzc ( Acad, des
iiiscr. , V , 38^) ; INiceron ( tom. 1 2
et uo ) , et le Moréri de i 7 :k).
S. M— N.
RKNAUDOT ( Clalol ). histo-
rien, r;é vers 1730 à Vcsoul , ai Le-
va ses études à Paris, où il se fit rece-
voir avocat ; mais il ne fréquenta
( i) Dans (Cl /î.iviH/t» .Itciiauilot iiv;iii(ni <iiic Haylc
ii'iiviilt lu les ancio i> que dans Us cll.ili'ins .Ic-s mu-
dirn<'>; . l inii- , d.ins les article» .riliidilinii un peu
U-.Imi'I, s, Il r.dsi.il |.l..s df limlrs .|i...- le Anuvri
cpiM n .i;,|.Mil : il lui l.pi iJcI.iul hmsm lr> lurj.l. le» .t
lin iil»i < uiié- i< |i;iii(l>u'> dans ce diclioiiujire. Huyle
»tf juslili I , ciiniiuc il ).ul , Mil- < L»dtiui.iMT)n"tU('»;
lirdn il ne ri|.ciudil rien Bill- le» pi c:iiii r.^ , avouant
ipi'iln'uv!iill'»<i »i 'lUi^ viaiN savi.tit» tjue des ooiupi-
lùlion» mil j^et/us ■/ iia^iciinjs (Juuni. dis uvanïs ,
i748,i«. 53jcI»u:v.)
REN
point l(; barreau, et consacra toute
sa vie à la culture des lettres et de
riiisloiie. On connaît de lui : I. y^r-
hre chrunol'jfftjne de Vbisloiie uni-
verselle , Paris, 17G5, iii-fol; cet
ouvrage, que l'auteur lut admis à
présenter an duc de Berri ( Louis
XVI ) , lui mérita l'estime de ce
prince , qui lui accorda , sur sa cas-
sette , une pension de douze cents li-
vies. 11. Eéi'olutions des empires,
royaumes , républiques , et autres
élut s considérables du monde , de-
puis la création , ibid. , 1769, 1.
vol. , petit in -8^., aACc une caite
qui n'est qu'une copie réduite de la
précédente. Ce livre est un assez bou
abrégé d'histoire ancienne et modei-
ne ( Yoy. la Méthode de Lenglcl-
DulVcsnoy , in-i 2, tom. X, p. i3o).
Il piraît tiré principalement de la
grande Hisloiie universelle traduite
de l'anglais rmais iliisloirc de Fran-
ce y occupe un espncc proportion-
nellement trop étendu. La carte re-
présente un aibie qui, au lieu de-
fruits, est chargéde médaillons por-
tant les noms et les dates d'' fonda-
tion , etc. , de fhaqne état : rcflTct en
est agréable et l'idée ingénieuse ;
mais on y trouve moins de détails ,
de précision et de vraie instruction
qiiedaiis celles de Pricsticy, deChan-
trcau et -utres, faites à l'imilalion
de la Mipi'cmondc historiijue de
Baibeau-la-Bruyère ( F. ces noms )..
111. AiinaU's historiques et périodi-
ques , où l'on donne une idée exacte,
Il Jèle et succincte de tout ce cpii s'est
passédc plus iuiéressaut d.wisic mon-
de , dejmis le i^''". septembre 1708,
jusqu'à la fin d'août 17(19, ibid.,
1771 , in- 1-2 de 754 pag. ( Voy. le
Jo'irnal des savants, de mars «770,.
p. 1.S7 ).\W Abrégé deVhistoire^é-
nénloi^iquc de France, ibid., 1 779,
iii-i'».. On cyiijccliire ([ue Renaudot
REN
mourut à Paris , vers 1 780 , dans \m
âp,r peu avance. W — s.
REN AZZI ( Philippe - Marie ) ,
jurisconsulte , ne à Uoine ou 174? 7
enseigna le droit dans sa ville natale,
avec une réputation qui s'étendit bien-
lètdans toute l'Italie. Les avocats les
plus di^lingtie's le consultaient sur les
points les plus dilliciles. et suivaient
ses décisions. Venise, Florence, 13o.
logne , lui firent offrir des cliaires
dans leurs universités, on desempluis
Lonoiables; mais il les refusa par
attachement pour son pays. Entouré
de l'estime publique, et toujours fidè-
le à ses principes, Reuazzi traversa,
sans être inquiété, la révulutiou qui
troubla l'Italie, et qui força le pape
a s'éloigner raonîcntanément de ses
c'tats. Il mourut à Rome , le 29 juin
ibijS. On a de lui plusieurs ouvraj^es
de droit fort estimés de ses compa-
triotes (i); mais on ne connaît en
France , que ses Eléments de droit
criminel, Rome, 1773, 3 vol. in-S»'.
Ce livie , entrepris dans le même but
que le fameux traité de Becraria ,
»'ent pas moins de succès eu Italie :
il eu existe cinq éditions en italien ;
il^ été traduit et commenté dans la
plupart des langues de TEurope.
Parmi les ouvrages qu'il a laissés on
manuscrit, on cite une Réfutation
du Contrai social de J.-J. Rous-
seau. Il se disposait à la faire im-
primer; mais il en fut empêché, dit-
on, par le succès mérité qu'obtint
une autre Réfutation de cet ouvrage,
attribuée à un religieux italien, 177g,
iu-isi. AV — s.
RENÉ d'.-^NJOU est dq petit
uombrc des princes dont la mémoire
a ^nryccu a leufs bienfaits , et dont le
myn est devenu, en qu?l(|uc ior-
(1) On i-n |)i-,it voii- laU^ll■, ou ik.ii.I.ic do sl\ pii
laliii , il .liliuil cil i(:.l.cii, il.iu:. le Journul dvs c:i-
lir, J^ 2^ juillet lSu3.
te , le synonyme de la bonté la
plus touchante. Ai rièrc- petit - fils
au roi Jean ( et petit-fils de Louis ,
premier duc d'Anjou , comte de Pro-
vence , roi titulaire de Sicile et de
Jérusalem', qui fut déclaré Jégent
pendant la minorité de Charles VI,
son neveu), il naquit au château
d'Angers , le 16 janvier i4t'9, de
Louis II , duc d'Anjou , etc. , et
d'Yolande, fille du loi d'Aragou,
peu de temps après l'assassinat du
frère du roi de France, par Jean-
Sans-Peur, duc de Bourgogne. Ainsi ,
le berceau de ce prince fut , pour
ainsi-dire, entouré de ces dissen-
sions qui devaient avoir tant d'in-
fluence sur toute sa vie. René , qui
jjorta en naissant le litre de comte
de Guise , avait un frère aîné ( P^.
Louis III d' Anjou , XXV, 24o),
auquel la succession entière de leur
pèi e était dévolue ( i ) : de sorte que
rien ne pouvait lui laisser entre-
voir qu'il fût appelé à jouer dans
l'histoire un autre rôle que celui d'uu
prince sans états. Le sort eu décida
autrement; mais la fortune, en pa-
raissant se plaire à combler Uené de
ses faveurs inattendues , ne lui (n
accorda aucune qui ne fîit la source
ou le signal de quelque nouvelle ad-
versité. Les historiens n'ont rien re-
cueilli de particulier sur les prp-
liuères années du comte de Guisç ,
qui fut clcvé sous les veux de sa
mère à Angers , et à la cour de Frai^-
ce , où ses dispositions , et son ap-
plication peu commune à l'élude, ne
tardèrentpasàctreremarquéesdeson
grand-oncle maternel , Louis, cardi-
nal de Bar.fv^'redcla reine d'Aragon.
Ce piiiice le prit dans nue tendre af-
( I ) Ucuc rut encore pour fri re , Cliiulcs d'Aii'iou ,
xiniti du Miiiur. Ses 5n;urs furent , ^JhiÎb d'Anjuu ,
i|ui épousa Cliu: les VU ; < l lolaude , uiurîi c ù t'iau •
^uij i|c ^u^t^y|l , diu: <le Ui'ctague.
34o
REN
fection , obtint que son éducation lui
fût confiée ; et , s'attacliant tous les
jours davantage à lui, le désigna
hautement comme le successeur que
son cœur avait clioisi , lorsqu'il fut
devenu duc de Bar. L'active solli-
citude de ce prince envers son jeune
pupille , ne se borna pas à vouloir
lui laisser l'héritage de ses états :
guidé par l'intérêt qu'il lui portait ,
autant quepar des considérations po-
litiques , il forma le projet de faire
épouser à René l'héritière duduchéde
Lorraine, et de mettre pour toujours
un terme aux divisions qui ensanglan-
taient depuis long-temps la Lorraine
et le Barrois , en réunissant ainsi sur
unemême tête ccsdeux souverainetés.
Une négociation aussi importante de-
vait rencontrer de grands obstacles
de la part du duc de Lorraine, si
l'on considère l'état déplorable de
la France à cette malheureuse épo-
que, où les événements de la guerre
et l'ascendant du duc de Bourgogne
avaient amené, jusqu'au sein de Paris,
Henri V, roi d'Angleterre. Charles ,
duc de Lorraine , avait été un des
plus zélés partisans de Jean-Sans-
Peur , ennemi déclaré de la maison
d'Anjou , à laquelle il ne pouvait par-
donner le renvoi de sa fille Catherine,
promise à Louis III , frère aîné de
René. Le meurtre récent du duc de
Bourgogne avait réveillé toutes les
haines , rallumé toutes les passions ;
et ce fut peu de temps après , que le
cardinal de Bar forma la demande
de la main d'Isabelle de Lorraine
pour son petit-neveu. Son habileté
triompha de tous les ressentiments ,
de toutes les oppositions; et ce maria-
ge , si politique et si désiré , fut cé-
lébré en i4'20. Cependant Antoine ,
comte de Vaudcmont ( fils du frère
puîné de Charles, duc de Lorraine),
prétetxlail que, la loisaliquc étanten
REN
vigueur dans sa famille, la Lorraine,
fief masculin , ne devait , sous aucun
prétexte , tomber en quenouille , ni
sortir de sa maison par un mariage.
Ne pouvant obtenir la révocation du
testament de son oncle en faveur de
René et d'Isabelle, il annonça qu'il
ferait valoir ses droits aussitôt après
la mort de Charles , et qu'il saurait
conquérir, les armes à la main , l'hé-
ritage dont on voulait le frustrer.
Ces menaces obligèrent le duc de
Lorraine à faire prêter serment à la
noblesse de ses états , qu'elle ferait
exécuter ses dispositions testamen-
taires ; et sa fille fut couronnée com-
me son héritière immédiate. Ce prin-
ce , depuis le mariage de René , s'é-
tait chargé de l'administration de
ses biens cédés par le cardinal de Bar,
et du soin de la personne de son
jeune gendre , qui fit , tant avec lui
qu'avec son grand-oncle , plusieurs
expéditions militaires , où il annonça
autant de bravoure que d'ardeur et
d'activité , contre des brigands qui
infestaient leurs domaines , contre
quelques seigneurs rébelles , et plus
tard contre le comte Antoine de
Vaudemont , dont René croyait de-
voir prévenir les aggressions. En
1429 , ce prince était occupé à blo-
quer la ville de Metz , assiégée par
le duc de Lorraine , vers le temps
où Orléans venait d'être délivrée par
un secours miraculeux. René , dont
les liens qui l'attachaient au roi Char-
les VII son beau-frère , et le propre
penchant pour la France , avaient
dû céder à l'impérieuse loi de la po-
litique quilui commandait la neutra-
lité, ne put résister au désir qui l'en-
traînait vers l'armée française ; et il
courut la rejoindre dans les plaines
de Cham])agne , où se trouvaient
déjà SCS deux frères Louis 111 et
Charles d'Anjou. On peut dire que
REN
René quitta le siège de Met» furtive-
ment , et maigre les exhortations du
duc de Lorraine et du cardinal^ de
Bar . trop expérimentés l'un et l'au-
tre pour ne pas prévoir les maux
dont leurs propres états étaient me-
nacés , si les Anglais et les Bour-
guignons réunis leur déclaraient la
guerre. Mais les progrès du roi de
France justifièrent la démarche de
René. Ce prince arriva auprès de
Charles Vil, le 16 juillet 14-29,
la veille du jour où ce monarque,
si brillant alors , fut sacré dans
l'antique basilique de Saint-Denis. Il
l'accompagna ensuite, avec autant de
fidélité que de dévoûment , dans cette
mémorable campagne qui ne fut
qu'une suite de conquêtes et de triom-
phes. 11 osa lutter, à cette époque,
qiioiqu'à peine âgé de vingt - un
ans, contre les avis du puissant La
Trcmouille , et se prononça plus
d'une fois avec Jeanne d'Arc , le duc
d'Alençon , Dunois , etc. , pour le
parti le plus énergique et le plus sa-
ge. Il se lia dès - lors avec tous les
grands capitaines de l'armée fran-
çaise , Poton, La Hire, le duc de
Bourbon , etc. , niais plus étroite-
ment encore avec Arnaud de Barb.i-
zan , surnommé le Chevalier sans re-
proche, avec lequel il aniva soi.s les
murs de Paris, après s'être distingué
particulièrement, à la lêtedeses pro-
pres troupes , par la prise de Chap-
pes en Champagne , la victoire de la
Croizette près Châlons-sur-Marne ,
etc. La mort du vertueux cardinal
de Bar, arrivée en i4io , força René
à quitter le roi de France , sous les
drapeaux duquel il venait de s'illus-
trer ; et il se rendit à Bar, où il ho-
nora la mémoire de son oncle par
des regrets sincères et de magiiifi(|ues
obsèques. Mais à ])einc avait-il saisi
les rênes de l'adiiiinistration de ses
RE«
Hi
nouveaux Aats , qu'il eut nw.ore à
déplorer la perte du dnc de Lor-
raine , son beau-père , et à entrer en
possession d'un vaste pouvoir. De-
venu duc de Lorraine et de Bar , et
reconnu solennellement par la no-
blesse et le clergé des deux états ,
René , après les premiers actes d'un
gouvernementpaterncl et prévoyant,
dut songer à se garantir des pro-
chaines attaques du comte de Vau-
dernont , qui, nourri dans les camps
et s'etant trouvé à plus de huit ba-
tailles rangées , redoutait peu un
prince aussi jeune que René, et se
disposait à lui enlever la Lorraine.
René , ayant reçu le renfort de trou-
. pes françaises qu'il avait demandé
à Charles VII , et à la tête duquel
était le brave Barbazan , se ren-
dit , sans perdre de temps , devant
la capitale de son compétiteur , et
en pressa le siège. Le comte de
Vauderaont rassemblait, de son cô-
té, un corps nombreux fourni par le
duc Philippe de Bourgogne , et com-
mandé par Antoine de Tuulongeon,
qui brûlait du désir de se venger de
René et de Barbazan qui l'avaient dé-
fait devant la forteresse de Chappes.
Leur armée s'avança versVaudemont;
et ils provoqué) eut René au combat,
en ravageant une partie de ses états.
Le duc de Lorraine , touché du mal-
heur de ses peuples, et impatient
d'en venir aux mains pour terminer
tous ses différends par une victoire
décisive , quitta le blocus de Vaude-
mont , et vint à la rencontre de ses
ennemis, dans nue plaine où le comte
Antoine s'était furlemcnt retranché.
Les deux armées se trouvèrtntenprc-
sence le '2 juillet i/^'ii , dans 1;i
plaine de Bulgneville, près de Neuf-
château: le succès du combat eût été
du moins douteux, si l'artillerie du
comte de Vauderaont , disposée avec
343 REN
beaucoup d'habilefé , derrière drs
cl)ariots qui s'ouvrircnltout-à coup,
ncùt foudroyé eu un inslaiit l'armée
lorraine, qui s'ëbranla sur-le-cliamp,
et fut mise en déroiite en moins
d'une heure. Baibazan fut tue ; et
René , 5»!e.ssé lui-même , fut oblige
de se rendre : le maréclial de |Tou-
lono;eon le fit conduite en toule
bâte en Bourgogne. Transféré d'a-
bord au cbâtcau de Talant ( près
Dijon), puis en celle ville (dans une
tour du palais des ducs de Bourgo-
gne, qui poi te encore le nom de Tour
de Bar), et ensuite dans la forte-
resse de Braron près Salins , ce
malheureux René, qui voyait s'éva-
nouir , dès leur naissance, toutes ses
piemicresidées de bonheur, dcgîoire
ei de pouvoir, ne put obtenir qu'aux
conditions les plus dures , et en don-
nant ses deux fils en otage, un premier
élargissement. Mais l'état déplorable
de la Lorraine, la douleur de sou épou-
se et desa vertueuse mère, Marguerite
de Bavière, réclamant impéiicuse-
inent sa présence, il souscrivit au
Traité provisoire que fit rédi<^er le
duc Philippe; et il sortit de prison
vers le l'^'.mai i43'2, en promettant
d'y rentrer à pareil jour de l'année
suivante. Après avoir apaisé les
troubles survenus dans ses états pen-
dant son absence , soumis quelqiics
révoltés , et obtenu une pro!ong;iti(.n
de liberté , René se i cndit à Bà'e , le
34 avril 1/^34 , ainsi (jue le eojule
Antoine de Vandomont, afin de faire
dc-'ridcr leurs droits respectifs à la
souvcrainel»' de la Lorraine , ]iar
l'empereur Sigismoud. Ce monarque
ayant ordonu(= que l'investiture de la
JiOrrainc fût donnée à René, le comte
de Vauflemonl refusa d'accéder à la
sentence, et obtint du duc de Bour-
gogne qu'il sommerait son heuiciix
lival d'.dirr n'j)r(ndre ses feis. Rei,é
REN
reçut cet ordre rigoureux au milieu
de la joie que la décision de l'em-
pereur faisait éclater dans sa famille
et parmi ses sujets. On lui ofiTrit
de combattre pour sa liberté. Tout
fut inutile : \\ se sépara de ses affec-
tions les plus chères , et préfora se
soumettre aux chances de l'avenir le
plus pénible, plutôt que d'enfreindre
la parole qu'il avait donnée. Conduit
aussitôt sons une forte escorte au
château de Bracon , il y demeura T?r-
fermé plus étroitement qu'aupara-
vant, soumis à une surveillance plus
sévère , et sans nouvelles des siens.
Ce fut alors , que se croyant du tout
oublié de ses amis , dit Du Haillan ,
il peignit, tout an tour des murs de la
chambre ou sur des verres, des oublies
d'or , comme un emblème de Fisole-
ment dans lequel il setroiivaif plongé.
René, qui venait de conquérir ainsi
l'estime même de ses ennem.is en se
résignant à languir, à la fleur de l'âge,
dans une désespérante captivité, ap-
prit, dans la forteresse de Bracon , la
perte de Louis III d'Anjou, son frère,
mort le a4 octobre i434î p" l'd
laissant tous ses états , et , peu de
tetnps après, celle de Jeanne îl ,
reine de INaples, qui, confirmant
les dispositions que le roi niême avait
adojitées , transmeltait également à
René tous SCS droits au royaume de
Sicile. Pifais cette élévation inalten-
due, cet avenir fait pour flatter un
cœur ami)itieux , loin d'accélérer la
liberté du roi prisonnier, ne servi icnt
([u'à lendre le duc de Bonrgngrc
jilus exigeant. Ne pouvant oî)tenir
de tempérer sa rigueur, René prit
le parti d'envoyer en Italie, avec
le titre de sa lieutenanfe - géné-
rale, la reine Isabelle , son épouse ,
afin d'v entretenir le pape <\. le duc
de Milan dans ses iiitérêts , d'y rani-
mer le /èle du parti aug( vin , et de
REN
dcjoiicr ainsi les iiilrij^itcs d'Alfon-
8e , roi d'Aragon , qui , ayant c'ic
adopte avant Louis III , par la
reine Joanna , ne ne's^ligeait aucun
moyen de faire valoir ses prétendus
dr.iiis au trône de Sicdf. La coura-
geuse Isabelle partit de Lorraine,
avec Louis , marquis de Pont-à-lMous-
?on, leseconddcscsfiis, et arriva eu
Provence, où les preuves les moins
équivoques d'aîtaclicmcnt lui furent
prorligue'es, ainsi que des secours,
m^lj^re l'cpuiscinent du pays. IH'e
s'embarqua ensuite pour Naplcs; et,
secondée du duc de Milan et du pape
Eugène IV, fUc sut bientôt , par «a
conduite hén/ique, balancer l'influen-
ce que commençait à prendre le roi
d'Aragon. Pendant son absence, les
négociations entamées pour la déli-
vrance de Renc ne se ralentissaient
point, par le concours dcCharlcs VIT,
des princes du sang, du connétable de
Richemont , d'une foido de seigneurs
dévoués et de la régence de Lorrai-
ne : elles furent enfin ratifiées par le
duc de liourgo^ne , moyennant des
sacrifices de tout genre, une.'onîmc
énorme, la cession de plusieurs vil-
les; et René put sortir de Bracon, le
'^5 novembre i436. Son premier
.soin fut d'aller remercier les états de
Lorraine et de Bar de tout ce (pie
l'on avait fait pour sa délivrance, et
d'y pourvoir à l'organisation d'une
régence qui pût le remplacer. Il se
rendit ensuite à la cour du roi de
France , et de là en Anjou , où il
traita le mariage de ,Tean d'Anjou ,
duc de Calabre , son fils, avec IMaric,
fjlle du duc de Bouibon. René partit
enfin d'Angers pour la Provence, où
•il fut reçu avec un entliousiasnie gé-
néral. Il ne tard.i pas à gagner de
plus en plus l'afTection de ses nou-
veaux sujets; et elle lui fut matiifes-
téc par des sccouis eu honiiaes cl en
REN
3.i3
argent. Puis, ayant por.rvu , par des
loi-i sages et des règlements pleins
de vues paternelles, aux besoins d •
celte contreV , il mit <à la voile .i
IMarscille , prit à (îèncs de nouveaux
renforts , s'y lia d'amitié avec Frc-
gose, l'un des doges les ])Ius illus-
tres qu'ait eus cette république, et
ariiva, en i438, à Naples, où la
ville enlière le reconnut pour sou-
verain. René, dès son avènement an
trône de Sicile, justiHa pleinement
la haute réputation qui l'y avait pré-
cédé: mais la face desairaires y avait
pris une nouvelle direction ; et quoi-
que le roi Alfonse eût été quel juc
temps prisonnier du duc de Milan ,
le nombre de ses partisans n'avait
cessé de grossir de jour en jour. Re-
né le trouva rentré en flalie, et à la
tête d'une armée nombreuse , avec
laquelle ce piinccs'éîait avance dans
l'intérieur du royaume. Il ne se dé-
couragea pourtant point; et, ayant
repris tous ses avantages , sa glorieu-
se campagne dans l'Abbruze lui eût
soumis peu-à-peu toutes les autres
provinces rebelles , si la traliison
d'Antoine Caldora, qui n'avait mal-
heureusement point hérité de la fi-
délité de son père , n'eût fait évanouir
toutes ses espérances. René, abandon-
né de ses cajîitaines, qu'avaient cor-
rompus l'or d' Alfonse, fut obligé de
s'enfermer à Naples, malgré i'afiVcu-
se famine qui y exerçait ses ravages;
et, a^ant renvoyé en Provence la rei-
ne et ses enfants , il se préparait à
se défendre jusqu'à la dernière ex-
trémité. Mais une nouvelle trahison
vint livrer sa capitah; à sou rival;
et, investi la nuit par des Aragonais
parvenus à s'y introduire par le mê-
me aqueduc qui, neuf siècles aupa-
ravant , avait servi à Bclisaire jiour
s'en rendre maître, René n'eut que
le temps de se fuirc jour l'épec à la
344
REN
main , ot de gaj^ner le château Neuf;
de là il s'eiub^irqua, deux jours après,
pour se rendre, par Florence et Gè-
nes y à Marseille, on il arriva à la
fin de i442- J-'CS troubles survenus
eu Lorraine dans le courant de cel-
te malheureuse expédition, ayant
empêché René de prolonger sou se'-
jour en Provence, il vint à Nan-
ci , et eut bientôt à soutenir, contre
les Messins , une nouvelle guerre ,
dans latpielle Charles VII , qui desi-
rait occuper aclivenient son armée,
se niontr.i plein d'ardeur pour le sou-
tenir. A la suite de la j)aix qui fit
cesser le siège de Metz , Rcne plaça
saillie jMarguorile sur le trône d'An-
gleterre ; et Yolande épousa Ferri
de Lorraine, (ils du comte de Vau-
demont. Il accompagna le roi de
France à Chàlons-sur-IMarne ; et ce
fut pendant la continuation des tour-
nois et des l'êtes qui avaient signale
le mariage de la reine d'Angleteire,
qu'il conclut, avec Isabelle de Por-
tugal , duchesse de Bourgogne , un
traiic définitii' , qui terminait les
discussions sans cesse renaissantes
au sujet de l'entier paiement de sa
rançon. René , se trouvant alors en
pleine paix , pour la première fois
de sa vie, goûta enfin quelques an-
nées d'un repos si chèrement ache-
té , eu Se livrant à son goût pour
les fêtes chevaleresques , dont il em-
bellit sa coui' , tant en Anjou qu'en
Provence, et à l'élude des lettifij et
des arts , qu'il n'avait cessé de cul-
tiver dans ses rares moments de loi-
sirs. Ce fut vers la même époque
( '44^ ) > <lii'i' institua l'ordre mili-
taire et pieux du Croissant ( que le
jKipe Paid II supprima en i 4'->4 )•
La rin)lurc de la trêve conclue en-
tre le roi d'Angletene et Clurlcs
VII , arracha René à de si doui;es
distractions : étant accouru au se-
REN
cours de son beau -frère, à la tête
de la noblesse provençale et de ses
troupes aguerries, il se distingua
dans celle glorieuse campagne , et as-
sista encore à l'entrée triomphale du
roi de France à Rouen, Caen , etc. En
145'"} , il prit de nouveau les armes ,à
la sollicitation du duc de Milan ( F.
Sforce) et des Florentins, ses anciens
alliés, attaqués alors par le roi d'A-
ragon et la république de Venise. Re-
né se laissa ébranler par l'espérance
dont on le berçait de chasser Alfohse
d'Italie; et il repassa les Alpes , don-
nant toujours des preuves debravoure
et de talents. IMais les intrigues se-
mées par Aifonse dans le camp des
IMilanais et des Florentins, des ri-
valités injustes , des prétentions in-
soutenables , le forcèrent de revenir
en France. A son retour, il céda le
duché de Lorraine à son fils, et épou-
sa , eu secondes noces , Jeanne de
Laval, fille du comte Gui XIII et
d'Isabelle de Bretagne. Ayant paru
renoncer, dès centoment, à tout pro-
jet de conquête , René conduisit sa
nouvelle épouse en Anjou et en Pro-
vence , partageant ses loisirs entre
l'administration de ses états et les
délassements que lui offraient à-la-
fois les sciences , la poésie, la pein-
ture et la musique. Mais il était
dans la destinée de ce bon prince de
ne pouvoir jamais goûler cette tran-
quillité qui échappait sans cesse à ses
vœux constants. De nouveaux événe-
ments le rappelèrent en Italie, où le
duc de Lorraine, son fils unicpie , ai-
dé de ses secours et de ceux du roi de
ITrancc, avait espéré un moment voir
flotter ses étendards sur les murs de
Naples : mais celte expédition ne fut
pas plus heureuse que les précéden-
tes. Jean d'Anjou eut à lutter contre
le [).ipe,le fameux Scanderbeg, et
Fcrdinaii-l d'Aragon, qui , en succé-
REN
daut au trône que lui laissait , eu
moiiraiit, le roi Alfoiise, son père
uaturcl, sembla égalémentavoir héri-
té de tout le bonlicur dont le premier
avait constamment joui. Pie II se
montra très-ardent pour le soutenir:
René , voulant user de représailles ,
crut pouvoir alors défendre , dans
ses états , qu'on reconnût aucun acte
émané de la cour pontificale. A pei-
ne cette guerre se terminait - elle,
qu'à la douleur de perdre Charles
VII et Marie d'Anjou, sa sœur, se
joignit, pour René , celle de voir son
fils se prononcer dans cette guerre
qu'on avait cherché à colorer du
prétexte du bien jniblic , mais qui
n'était au fond excitée que par l'am-
bitiou des grands. René employa en
vain ses conseils pour dissuader leduc
de Lorraine , qui avait réellement à se
plaindre du roi de France, son cou-
sin ; et il demeura fidèlement at-
tache à la cause royale. Toutefois
Louis XI lui fit un crime du parti
embrassé par son fils , et l'envelop-
pa dès-lors dans la haine qu'il vouait
à Jean d'Anjou, auquel il venait ce-
pendant de s'engager , par le traité
deSaint-Maur-les-Fossés ,à fournir le
nombre de troupes et l'argent néces-
saires pour recommencer prompte-
ment une nouvelle expédition dans le
royaume de Naplcs. Ces promesses
solennelles furent violées, dès qu'on
en réclama l'exécution; et l'on peut
assigner au refus du monarque fran-
çais le revers qu'éprouva le duc
de Lorraine dans la campagne de
Catalogne , où l'avait appelé le vœu
libre et unanime des Catalans, com-
me héritier , par son père , des
droits d'Yolande d'Aragon. Ce jeune
hc-ros mourut à Barcelone , en 1470,
vers la même épo{|uc oîi les désas*
très de Marguerite d'Anjou, sa sœur,
déchiraient le cœur sensible de René.
REN
345
Bientôt ce monarque infdrtune' eut à
déplorer de nouveaux malheurs , de
nouvelles pertes. Une de ses filles ,
Charles d'Anjou, son frère, le duc
INiculas d'Anjou, son petit-iils , des-
cendirent presqu'à - la - fois dans la
tombe , ainsi que Ferri de Vaude-
mont. René paraissait près de suc-
comber k Texcès de sa douleur. Ce
fut ce moment que choisit Louis XI
pour s'emparer ouvertement de l'An-
jou , sous les prétextes les plus injus-
tes. Chassé du berceau de ses aieux,
et ayant supporté cet outrage avec
une fermeté stoïque, René tourna ses
regards vers la Provence, où il avait
reçu, dans tous les temps , un accueil
fait pour toucher son cœur ; et il
ne tarda pas à y fixer son séjour,
vers la fin de l'année i473, empor-
tant les regrets universels des Ange-
vins , qui avaient appris à vénérer
ses vertus et à chérir ses rares qua-
lités. L'année suivante ( i474)i il
déclara son héritier Charles du Mai-
ne , fils de Charles d'Anjou, et espé-
ra que rien désormais ne pourrait
plus troubler le repos de ses dernières
années. IMais Louis XI , qui n'avait
cessé d'avoir les yeux sur lesmoindres
démarches de René, sut que, dans les
premiers moments d'une juste indi-
gnation, ce prince avait eu l'idée d'ap.
peler à son secours et à sa succession
le fameux Cliarlesle-Témérairc; et,
irrité d'un projet sans efVct, qu'il
qualifiait de crime de lèse-majesté,
il cita le vénérable vieillard , son
oncle , devant le parlement de Paris,
qui, intimidé lui-même, fit décréter
René de prisedecorps , et le somma
decomparaître. Ces menaces n'eurent
pourtant aucune suite, soit que Louis
n'osât pas s'exposer au blâme géné-
ral qu'il eût encouru , soit plutôt
parce qu'on lui donna la ccrtitnjje
(pic la Provence serait réunie à sa
34G
REN
couronne, après la mort du comlc
du Maine , qui n'avait pas d'enfants,
et dont la s.mte n'annonçait pas uu
règne bien prolonge'. Louis XI cher-
cha même, peu de temps après, à
faire oublier à Rend ses injures rc'-
caiites , dans l'cnlrevue qu'ils eurent
ensemble à Lyon , en 1476» et ou il
le combla d'égards , de respect et
même de îendressc. Les lellres et les
arts avaient charme la jeunesse deRc-
ne , et ajouté un nouvel éclat à son il-
lustration. L'adversité' et la vieillesse
lui firent encore plus appre'cier les
avantages de ces intéressantes occu-
pations. L'agriculture lui dut une
expérience pour naturaliser la can-
ne à sucre, et l'introduclion de plan-
tes inconnues en France , telles que
lu rose de Provins, l'œillet de Pro-
vence, le raisin muscat, et de plu-
sieurs espèces d'animaux, r.ircs, entre
autres , des paons de diverses cou-
leurs. 11 donna d<s soins particuliers
à l'art de la verrerie et à la culture
des mûriers, à l'art de tisserles draps,
à la lilature de lalainc. On doit dater
surtout du moment où il vint se fixer
pour toujours parmi eux, la reconnais-
sance que les Provençaux ont vouée
à sa mémoire, il s'était efTecliveraent
con>iacré en entier à faire fleurir la
justice en Provence, h y encourager
l'agriculture, le commerce, l'indus-
trie et les arts ; et pendant qu'il ré-
gnait en monanpic dont chaque jour
était compîc par des bienfaits nou-
veaux , René vivait on sage et eu
philosophe chrétien , oubliant, dans
les exercices de piété, ou dans l'étu-
de et les méditations , les nombreu-
ses adversités dont sa vie orageuse
.'ivait été traversée. Plus affaissé par
.ses longs travaux et ses malheurs
que par son âge , il tomba mala-
<l^! à Ai\, au conimencenjculde l'an-
née i4y*->,y mourut , le iojuiUi,t,
REN
âge de scLxanle-donze ans, cl après
uu règne de quarante - six , avec
les sentiments d'un véritable chié-
ticn. Quoiqu'il eût ordonné , par
son testament, que son corps serait
transporté à Angers, l'affection que
lui poi laient les Provençaux était tel-
le, qu'ils s'opposèrent de force à son
enlèvement. Mais, Tannée suivanle,
l6 cercueil , qui avait été déposé à la
métropole d'Aix, en attendant l'érec-
tion d'un magnifique mausolée , or-
donné par les états de Provence,
fut secrètement trans])orté par eau à
Angers , où on l'ensevelitdans le tom-
beau de la reine ïsabelledeLorraii'c,
qu'il avait lui-même orné de pein-
tures allégoriques. Ses entrailles res-
tèrent à Aix ; et son cœur fut déposé
dans l'église des Cordeliers d'Angers.
Le président Hénault a été aussi sé-
vère envers René d'Anjou, que dans
le jugement qu'il a porte sur Charles
VII ; et plusieurs antres historiens,
excepté toutefois ceux de rAnjou et
de laProvencc, Tontégalement Irailé
avec rigueur et injustice : on peut
cependant direde cet excellent prince,
qu'à uu courage chevaleresque, à une
loyaulé qui ne se démentit jamais ,
à la probité la plus sévère , à r.ne ad-
mirable résignation dans l'infortune,
il joignait un esprit solide, profond ,
cultivé, une rare instruction pour le
temps où il vécut , cl des talents va-
riés, qu'on est peu habitué à l'cmar-
quer dans un souverain. Outre les
Autours du Bercer cl de la Jicr^cre ^
sorte d'idylle pastorale (|u'on lui at-
tribue , René a laissé plus eurs Ou-
vrages en vers, tels ([ue des ron
dcaux , ballades , etc. ; on en vers et
en prose, comme le MvrLifiemenl
de vaine FlaisaiiLcric , ou Traité
d'entre Vaine dtvote et le ccvitr , la
Conijucste de la Doidce Mr.rcj , et
WlOuit^ en cuur qui n'est point resté
REN
manuscrit {'i). On connaît encore
de l'ii son Traité des Tournois , et
ses Sta'ids de l'ordre du Croissant.
Lu plupart de ces ouvrages exis-
tent à la bibliolbcqiie du Roi , et
sont enrichis de snperhcs ininiaUires
exr'cnte'cs par René. Ce prince avait
décoré Angers, Sannnir, Lyon, Avi-
gnon, Marseille, et Aix , d'un très-
grand nombre de tableaux ou de por-
traits, ffuiannonçaicntuu talenlsupé-
rieiir pour son siècle. 1! composa aussi
di vers m o'cts qu'on a longtemps chan-
tés dans les églises de Provence ; et
on le croit également auteur des ^irs
delà fameuse procession d'Aix ( f^.
Haitze ) , dont on lui allribue l'ins-
titution , ainsi que de celle qu'on ap-
pelait communément IciS'rfcré? d" An-
gers. René avait ti'availlé à plusieurs
mystères ou pièces dramatiques, qu'il
se plaisait à faire représenter avec la
plus grande pompe. Ce bon prince
était grand, bien fait, d'un visage
ouvert et gracieux , et plein de ma-
jesté. Sa simplicité était telle, à la fin
de sa vie , que la dépense de sa mai-
son n'excédait guère quinze raille
fr. ( cent quarante - quatre mille fr.
de notre monnaie actuelle ). Il
voyageait dans ses états comme un
simple particulier , et passait une
grande partie de ses journées àlacam-
pagne. Une de ses jouissances était
dese promener pendant riiivcrd«ns
les endroits les plus exposés au so-
leil ; et l'on désigne encore sons le
nom de cheminée du bon roi René ^
ses promenades favorites.... A cette
simplicité de goût, qui le rendait po-
pulaire, René réunissait une cha-
(9.) VMusé en cou,l ,1 et,; Imp.iri.é ;n, „„,;,„
quntre fois dans )e XV<'. slpcle.Oniniil voir l';iii.ilv.so
lie ce livre singulier dans la fiihUflli. iiiiii'. ilrt'rn-
iiiaiis, mars 177S, p. i8).-î(cii. La Coiunifflc ,/ii'urig
rlin'.iliersfiiiioiiiméle cu-nid'aiiiiiiin ffn< fil d'uiie
'/ 'nui ui>iii-lèc lloiilre ]\2,ny, a aussi fli- ;Mi|.n'imr ,
lJo3, in-40. ( Voy. \ii SltiHucL du Idiiuiic. )
REN 347
rite' inépuisable , une active piété ,
nue sensibilité exquise , un esprit
vif et original , et une douce philo-
sophie, que ne purent altérer ni les
malheurs , ni les injustices qu'il eut
à essuyer tour -à-tour. Il est vrai que
sa bonté dégénéra souvent en fai-
b'esse , et sa générosité en prodiga-
lité. Une gloire qu'on ne saurait
lui contester, c'est celle d'avoir pro-
tégé l'instruction publique, les scien-
ces , les lettres et les arts; de leur
avoir fait f.iire de grands progrès;
de les avoir mis en honneur, et de
les avoir cultivés lui-même d'une
manière très-remarquable. Ces goûts,
qui environnent d'une sorte de pres-
tige le souvenir des princes qui en
ont apprécié les avantages et les
douceurs , subiraient pour faire con •
sidérer René comme le précurseur
de fiéon X et de François V^. Une
statue en marbre a été érigée au bon
roi René , en mai i8.>,3 , sur la plus
belle place de la ville d'Aix. Le P.
Bicais, de l'Oratoire, a laissé une
histoire manuscrite de ce priîice;
mais Fauris de Saint-Vincens, qui la
possédait , ne l'avait pas jugée digne
d'être mise au jour. Nous avons un
Précis historique sur la fie de René
d Anjou ^ par M. Boisson de la Salle,
Aix, i8'.io , in-8°. , suivi d'un autre
Précis par le préfet des Bouches-di;-
Rhone. M. Raynouard a donné, sur
ce livre, unarticleinlércssant dans le
Journal des Savnnls àe:\\\\\\(^l iS'jir ,
pag. 4 17. On trouve cnlin de curieux
détails sur ce prince , dans le tome iv
des Recherches historiques stirAn-
gers et le Bas-zlnjou , jwr J.-F. Bo-
din, Saumur, i8'23 , in-8". , etdans
l'extrait de ce livre inséré an Journal
des Savants , d'octobre i8>.3, pag.
G'24- V. B. ■
RENÉ II, duc de Lorraine. /.
Lor.RAlNE.
348
REN
RENEAULME(Paul), médecin
français , né à Blois , vers 1 56o ,
mort vers iGif\ , s'appliqua aussi à
la botanique ; et il paraît qu'il s'était
ouvert une route nouvelle, qui l'avait
mis à même de devancer son siècle ;
mais les circonstances ne lui permi-
rent que de l'indiquer dans l'ouvrage
suivant : Paiili Renealmi Blœsensis
docloris medici spécimen historiée
plantarum. Flantœ Ijpisiinpressce^
Paris, chez Beys, iGii , in-8°. de
i5o pages , avec vingt-cinq planches,
contenant cinquante - deux plantes.
C'est par ce seul ouvrage que Re-
neaulme a mérité la reconnaissance
de la postérité. Ou trouve réunies
souvent dans le même volume deux
autres productions de Reneaulme ,
peu dignes d'attention , et qui peu-
vent donner une assez mauvaise
idée de son caractère : car ce sont
des réponses à une attaque diri-
gée contre lui par les médecins
Fournier et Boissieu. Il y descend
contre eux aux pins basses injures ;
on en peut juger par le titre seul: Ad
Furnerii et Diixerii medici o-^Ooo-j
MaTTt? , c'est-à-dire , E'ouet contre
le braiement des médecins Fournier
et Boissieu; il les traite continuelle-
ment d'ignorants et d'ânes; il y fait
parade de son érudition, et surtout
de sa connaissance du grec : mais on
voit , par quelqncs j)assagcs , qu'il
avait eu des démêlés avec la faculté
de Paris, qui lui avait fait promeltie
de ne plus se servir des remèdes par-
ticuliers qu'il avait cherché à accré-
diter 'dans son Traité Ve curalio-
nibus ohsen^atioimiii liber, Paris,
lOoG, in-8'^. (i) C'est là (pi'on trou-
(i) (Jri TuMIgia dcsimicr In prutcslatioii siiivaiilc
F.^o /'auliis II, iieaiUmc ninfilcur iii/ud ilcrniiiim cl
REN
ve indiqué , pour la première fois ,
l'usage intérieur de la ciguë , comme
un puissant remède. Ses adversaires
lui reprochaient d'avoir manqué à
sa parole ; mais Reneaulme répliqua
que la faculté n'ayant pas tenu elle-
même ses promesses , il se croyait
dégagé de ses serments : il paraît
qu'il en était résulté un procès , et
qu'il y avait eu un arrêt du parle-
ment de Paris , qui lui permettait
l'usage de ses remèdes. 11 traite, à
son tour, ces médecins de parjures,
et reproche à l'un d'eux d'avoir ab-
juré deux fois la religion catholique ,
et d'être toujours prêt à recommen-
cer. Gen'estpas par de tels écrits que
Reneaulme aurait pu se rendre re-
commandable; mais il n'eu est pas de
même de son Spécimen. Dans son
Épître dédicatoire , au cardinal Du-
perron , il expose brièvement son
but. 11 commence par se plaindre
de l'impéritie des médecins , qui ,
ne connaissant pas les plantes qu'ils
prescrivent , en donnent d'un clTct
contraire et souvent pernicieux :
c'est ainsi qu'il assure avoir vu
employer la racine de napci , au
lieu de celle de l'hellébore. Pour ob-
vier à ce grave inconvénient, il dit
qu'd avait entrepris , depuis nombre
d'années , d'examiner avec attention
chaque plante , de la compaier avec
ccjijue les anciens avaient écrit sur
ce sujet , de l'éprouver enfin sur
lui-même, quand il le fallait; ensuite
qull avait donné aux genres et aux
espèces anonymes des noms puisés
dans l'observation de leur noie na-
turelle ; qu'il n'avait pu terminer
ce travail , parce que difFérenles
'■ mojil
,lucl„ret- /'nrislonfh scLl.l-
inriliU un/ili'^ in lihn, Ohit
l„, c,l,l„,u-,l /„rl,„um mr.i
t/ftlU
uiiu^mtiti HSHiltin /■(.-
tiouiim imuiruin 1} -
iinilluii //,,,.
/iuciatu et GuLjii duciulu il formulas à ichulu- l'a-
risicnsii mcilicis prolnilas ri iisurpalas, Datiim l.ii-
letim die ■ai feln., jUon. CcUc firoti'sliitioii , «nrlciix
in..i]iiincMl "lie l'iuloli laiic mrdici.lr lUi ci Ile rpo-
<{M0, a |M'.>luil.l<iii.'i>l iloiilK' li<u aux r.>i<i'.i,ue Mu-
licrc a lait entrer ilaus 9uii lUalailu iiun(;iiiaire.
1'-— 1)— R.
REN
tempêtes l'avaient arraché du port
où il se croyait en sûreté' ; mais que
s'y voyant rentré de nouveau, il vou-
lait donner l'idée de son travail , en
présentant un exemple pris dans cha-
cun des livres qui composaient son
ouvrage,: effectivement, comme son
titre de Spécimen l'indique , on voit
que ce sont des parties détacLécs ou
des espèces isolées ; on ne peut donc ,
par leur moyen , qu'entrevoir son in-
tention : par-là on aperçoit qu'il s'é-
tait tracé une route assez sûre et qui
devait le conduire à d'heureux résul-
tats. Ce sont donc des articles sé-
parés j chacun d'eux commence par
un nom de plante , avec une discus-
sion sur les auteurs anciens qui s'en
sont servis le plus souvent : il en for-
me un particulier, qu'il tire du grec;
mais ce nom devient commun à plu-
sieurs espèces : nomen erit generis.
Ensuite il expose la note caractéris-
tique qui le distingue : voilà donc le
genre établi exactement , tel qu'on
le reconnaît aujourd'hui ; car son
nom est simple, et sa détermination
est fondée sur l'examen de la nature.
Viennent ensuite sous le nom species
l'énuraératiou des espèces qu'on pas-
se successivement en revue , et dé-
crites chacune dans un article sous le
titre de formœ ; enfin , sous celui
de temperamentum et de vires , Re-
neaulme expose brièvement les ver-
tus ou qualités médicinales des plantes
qui composent ce genre : souvent le
genre est partagé en d'autres groupes
secondaires, toujours sous le nom
àe species; et comme ils compren-
nent plusieurs espèces , il en résulte
des genres d'un second ordre : enfin
dans les planches sout représentées
le plus grand nombre des espèces
dont il parle. On voit que le fond de
sa méthode d'exposer l'histoire de
chaque plante , est à-peu-près celle
REN 349
de tous les autres auteurs qui l'ont
précédé: elle en diffère parla maniè-
re dont il caractérise chaque genre ,
qu'il fonde sur l'observation des dif-
férentes parties , mais surtout de la
fleur et du fruit ; et, dans la descrip-
tion , il passe en revue les particula-
rités les plus saillantes du reste de
la plante. Ainsi , il examine avec
soin le calice et la.corolle , compte
les étamines, fait attention à leur for-
me , élargie à la base dans l'ornitho-
gale , considère leur proportion , fait
remarquer qu'il y en a deux plus lon-
gues et deux plus courtes dans le
plilomis et autres labiées. Celles du
chou et autres crucifères ne lui échap-
pent pjs; enfin dans les genêts ou
légumineuses , il constate leur réu-
nion. 11 a donc saisi dans la nature
le plus grand nombre des considé-
rations sur lesquelles Linné fonda
son système , plus d'un siècle après.
Il suit de là qu'il démêle souvent
avec justesse le caractère essentiel
de chaque genre , et que c'est lui
qu'on doit regarder comme le créa-
teur de celte première division des
êtres naturels : ainsi , suivant lui ,
l'œillet qu'il nomme phlox , a pour
note générique : caljculuslongus eut
subest hj'pocal}cium;folia iji caiili"
bus bina et Icnga , diioque umbili-
co stjli fljjixi. Sous ce caractère ,
Reneaulme présente une vingtaine
d'espèces d'œillets sans aucun mélan-
ge: mais parmi elles il trouve des va-*
riétés; il lesdiviseet subdivnseen plu-
sieurs sections. Quelquefois il réunit
plusieurs genres, et donne des sec-
tions naturelles; de ce nombre est le
groupe des Geniiana. 11 décrit fort
bien la flein- des plantes qui le
composent, fait voir que leur fleur
varie dans le nombre de ses parties
de quatre à huit, mais que les étami-
nes sont toujours en nombre égal
35o REN
avec les divisions de la corolle; il
saisit parfaitement leiii" caractère
essentiel , qui consiste dans le stig-
mate bifide; par ce moyen , il y rap-
porte le Centaurium minus , et le
-perfoliatum, qnijusque là en avaient
été écartés, et depuis en ont été long-
temps séparés. Ce n'est que Linné qui
a reformé ce genre , tel queUeneaiil-
me l'avait conçu, en le liant avecplu-
sieurs autres genres ; il caractérise
aussi bien tous les autres : si quelque-
fois il y rapporte des espèces étrangè-
res, c'est avec connaissance de cause:
car c'est seulement pour ne pas tou-
jours s'écarter des opiu'ons reçues.
Ainsi , à l'occasion du Brassica , il
perle de deux plantes connues sous le
nom Acchou marin, pour les écarter,
l'une comme toul-.'i-fait étrangère ,
étant un liseron, l'autre comme for-
mant un genre voisin distingué par
son fruit, ne contenant qu'une grai-
ne ; c'est le cramhé: c'est par la mê-
me laison qu'il mk\K\vs phlonii s aux
verbascinn , puisqu'il trace très-bien
leur différence. 11 tient compte des
variétés produites parla culture. Par-
tout il se montre excellent observa-
teur. Il détermine aussi quelques gen-
res dont il ne connaît qu'une seule es-
pèce, comme lelilas, qu'il nomme
caZi7^'5f'j>'5. Le plus grand nombre des
plantes qu'il lait p.isser en revue, peu-
vent être reconnues par les descrip-
tions mêmes; d,e puis il y a iijoulé
plusieurs figures parfiilenient dessi-
nées, très-bien gravées, et supérieu-
res non-seu!emeutà celles qui avaient
ctc faites auparavant , mais au plus
grand nondjrc de celles qui ont jiaru
(iciHiis. On voit bien qu'elles ont clé
d'jssinées d'après nature: deux di-
f;Milsempr:i:lient néanmoins qu'on en
reconnaisse le mérite au premier
coup-d'oiil ; d'abord , parce qu'elles
sontsuuvenlliop confuses, plusieurs
REN
figures se trouvant sur la même plan-
che ; ensuite le cuivre n'a pas été bien
nettoyé, ce qui rend le blanc bar-
bouillé d'une manière désagréable.
Cet ouvrage était fait, sous tous les
rapports, pour produire une vive
sensation; mais il paraît qu'il n'en a
fait aucune. A peine est-il cité par les
contemporains. Gaspar Banliin le
nomme , à la vérité , dans la liste des
auteurs qui se trouve en tête de son
Pinax ; mais il ne le cite que très-ra-
rement : on peut croire qu'il en a été
détourné par im grand obstacle ,
c'est que Reneaulme, se contentant
du nom ancien , soit de Dioscoride ,
soit de Théophraste, qu'il croit re-
connaître, ne donne aucune synony-
mie des noms qu'il forge; par-îà il
est souvent diiïicile de détei miner
les plantes qu'il a en vue. A peine
parle-t-il dans un petit nombre d'oc-
casions des auteurs prcfcdents: Clu-
siuset Dodocns sont rarement nom-
més. C'est un grand défaut dans cet
essai; mais, malgré cela , on regret-
te que son auteur n'ait pas publié
l'ouvrage complet. S'il l'eût fait, et
qu'il eût montré autant d'habiletc
]iour l'ensemble qu'il en a fait voir
dans les détails , il en fût résul-
té un ouvrage vraiment original ,
dans lequel , se mettant au-dessus de
tous ses contemporains, Reneaulrac
aurait exécuté à lui seul ce qu'à peine
on a pu faire dans deux siècles. Ainsi
il aurait donné une nomenclature
simple, fondée sur la natuie, com-
posée d'un seul mot pour les espèces
rattachées aussi à des genres uuivo-
ques , et probablement les sections:
il en serait résulté une nomencla-
ture homogène. Cependant tout dans
cet essai n'est pas également neuf:
on voit que , bien (ju'il n'en dise rien,
il consiilleles auteurs contcinjiorains.
C'est ainsi <pie son premier article,
REN REN 35 r
qui comprend l'instoirc du cliône , chan[, dans son Speciesplantaritm ^
est piis cil partie de l'Histoire des tout son travail des Gcmianes et
Plantes de Dalccharap ; il a copie adoptant le nom et le genre de CA/orfl-,
pareillement les Luit figures qui On peut sujiposer aussi qu'Adanson
composent la première planche: sept n'avait pas apprécié tout de suite le
sont prises du même ouvrage , et la mérite de Reneaulnie ,• car , dans sa
liuitièiue, qui représenlela fleur mâle, Préface, il se contente de citer sèche-
est copiée du Plij topiiiax de Bauhin. ment sou nom parmi les auteurs qui
On peut croire que , dans l'ouvrage ont ëciit sans méthode: mais, dans
complet , il eût indiqué les sources un Supplément à ses Familles, il fit
où il avait pui^é , et qu'il eût ainsi voir, ]iar ces mêmes Gentianes, le cas
rendu justice à chacun de ses prcdé- qu'il faisait de cet auteur, puisqu'il
cesseurs. Pour lui, il n'a pas été admit , comme section naturelle, les
heureux de ce côté: on l'a laissé dis- sept genres qu'il en avait composés,
jiaraître sans payer le moindre tribut en conservant leur nomenclature,
àsamémoire. Tournefort lui-même, Ha!Ier,dans sa Bihlioth. hotan. , fit
qui, dans son Isagoge, atracé une sentir tout le mérite de Reneaulmc,
histoire si complète de la science, quoiqu'en peu de paroles. Ou peut
ne fait pas mention de Reneaulme. présumerque si son livre a été si peu
Dans le Catalogue qu'il donne des cité, il a été néanmoins utile à plus
auteurs , on trouve bien ce nom d'un de ses successeurs , notamment
( Foy. l'art, suivant ) ; mais c'est le à Morison , dont le tessera, ou r.olc
j-etit-fils de Paul, Plumier a cher- caractéristique des genres , paraît
filé à le venger de cet oubli, en calqué sur les caractères de Reneaul-
dounaut le nom de Etneahnia à me; et il ne sciait pas impossible
un beau genre qu'il a fuiuié en Amé- que Morison , avant vécu dis ans
rique : mais , depuis , sir B. Bro^vn, àBlois , eût eu connaissance des ma-
ne le trouvant pas bien distinct , nubcrits qu'a dû laisser Reneaulmc.
en a consacré un autre à sa mémoire, Les ouvi'agcs de ce dernier fournis-
en prenant l'occasion d'exposeibriè- sent peu de détails sur sa vie pri-
vement tout son mérite. Linné n'a vée. On sait qu'il avait voy^Tgé en
cité Reneaulmc, dans son Cri/ica io- Suisse, en Italie; parcouru les Al-
tanica , (|ue pour le blâmer d'avoir pcs , visité le IMont - Vcnloux , et
e'crit dans un ouvragelatiu, en carac- enfin heiborisé autour de Paris,
tères grecs, les noms génériques, quoi- L*Opuscu!e dont nous av(;ns parlé ,
qu'ils fussent tirés de cette langue, semble ])iouvcr que son caractère
Linné pouvait avoir raison en cela ; était assez irascible. On peut croire
mais il s'est montré injuste , en que ses démêlés avec la faculté de
ajoutant que cet auteur était plus médecine 'ont nui à ses travaux; iF
habile en grec qu'en botanique : 7/m- paraît cependant qu'il fut lié avce
jor œUimator lingUiP grœc<e (juhiii des personnes tiès leco^nmaiidables^
scienliœ bolaniccp , (pag. 1 27 . On telles que le cardinal Dupcrron, coui-
peut croire que, rebuté d'abord par me le témoigne sou Ejûtie dédi-
teltc nomenclature singulière , il ne caloire , mais surtout avec le pré-
s'était pas donné la peine de lire sidciit de Tliou. Celui ci a laissé nu
l'ouvragc;mais depuis il prouva qu'il témoignage luui éijuivoqne qu'il goii-
ctail rcveuu de cette préveulioii , eu tait sa manière d'envisager l'cludc
352
REN
des plantes : ce sont quatre pièces de
vers latins, dans lesquels il décrit poc'-
tiquenient quatre plantes sous les
noms que leur avait donne's Rc-
neaulme j celui-ci les a ajoutées avec
raison à son ouvrage. P — p — s.
RENEAULME de La GARANCE
(MicuEL-Louis) , médecin , arrière-
petit- fils du précédent, naquit à
"Blois, vers 1O75, fut reçu à l'aca-
démie des sciences , comme botanis-
te , en 1699 , et mourut le 27 mars
1739, Ou a lieu de croire qu'il fut
l'élève ou l'ami de Tournefortj car
celui-ci le cite dans le Catalogue des
auteurs de botanique, qui est en tête
de ses Institutions, quoiqu'il n'eût
encore rien produit dans cette scien-
ce ; mais il le signale par cette phrase
magnas ai'ittv virtutis spes j'aciens.
C'est probablement sur sa parole
que Reneaulme fut reçu à l'académie;
il était alors docteur-régent de la fa-
culté de médecine de Paris. Il s'é-
tait fait connaître par un Discours
prononcé lors de l'ouverture de l'é
cole de chirurgie, et il faisait impri-
mer un Recueil des tlicses qu^il avait
fait soutenir. Ce qui prouve les liai-
sons intimes qu'il avait eues avec
Tournefort , c'est que l'académie le
chargea de rédiger les ouvrages maj
nuscrits qu'avait laissés cet illustre
auteur , et de les publier. Il fit con-
naître la manière dont il voulait
s'acquitter de cette honorable com-
mission , en donnant , en 1709 , le
plan des vingt-cinq volumes qui de-
vaient contenir ces précieux restes :
depuis cette époque , on n'en a plus
entendu parler ; et lui-même n'a mar-
qué son existence , que par un petit
nombre de Mémoires, peu impor-
tants pour la plupart , insérés dans
ceux de l'acadéniie ; en 1699, ^"^
le siic miellé qui découle en cer-
tain temps des feuilles d^érablc: en
REN
1701 , il décrivit un noyer à feuilles
découpées ; en 1707 , il exposa sa
manière d^expliquer l'ascension de
la sève , ou , comme il la nomme , le
suc nutritif des plantes. 11 n'est pas
tiès-heureux dans son explication ;
mais il s'appuie sur quelques obser-
vations particulières , dont il avait
fait le plus grand nombre à une mai-
son de campagne qu'il avait près de
Blois ; c'est la qu'il dit avoir vu le
tronc d'un noyer abattu près de la
superficie du sol , fournir pendant
trois ans , à l'époque de la sève, une
grande abondance de suc ; ce qui ,
selon lui , iuslifiait la pratique des
bûcherons de cette contrée, qui, lors-
qu'ils voulaient obtenir des rejets
des souches qu'ils venaient d'étron-
çonner , ne manquaient pas de re-
couvrir la plaie de terre huniide.Dans
un second Mémoire sur ce sujet,
présenté en 1711 , il entre en dis-
cussion avec Parent , qui soutenait
une opinion contraire. En 1708, il
écrivait sur la conservation des
blés ; en 1710, il apporta une figure
et une description de l'éponge fluvia-
tile rameuse ; il donna aussi deux
descriptions de plantes , qui sont
mentionnées seulement dans l'Histoi-
re de l'académie: l'une est très-com-
mune , car c'est la sanicula • la se-
conde , le perceneige , mais présenté
sous le nom d'éranglia ( le nom que
lui avait imposé son bisaieul ). C'est
le seul tribut qu'il paye à sa mémoire;
mais on ne ])eut soupçonner que le
petit- fils eût hérité de quelque par-
celledeson génie classificateur, si ce
n'est le Mémoire qui ofiic des obser-
vations sur les systèmes debotanique,
et sur rulilitéd'élablir des genres se-
condaires. C'est par une 3''. descrip-
tion de plantes , mentionnée dans le
vol. de 17-io, que sa cariiJ;re bota-
nique se trouva terminée. 1) — v — s.
REN
RENE^ULME (Paul- Alexan-
dre de), frère du précèdent, né à
Blois, vers 1672, était d'une famille
noble , originaire de la Suisse , et
illuslrée p.ir ses alliances. 11 entra
dans l'ordre des chanoines régu-
liers de Sainte-Geneviève de Paris ,
fut d'abord prieur de P.Iarclienoir ,
diocèse de Blois , et ensuite de Theu-
vy , à trois lieues de Chartres, où il
mourut, eu 1 749- T-^e goût des sciences
semblait être inné dans cette famille;
mais tes ancêtres de Paul-Alexandre
s'attachèrent de préférence à la mé-
decine. Dans l'espace de près de deux
siècles, la ville de BK-is posséda cinq
médecins du nom de Reneauline. On
connaît les ouvrages que ])lusieurs
d'entre eux ont publiés. Beaucoup
de Reneaulme ont laissé des manus-
crits, monuments de leur vaste éru-
dition, de leurs travaux et de leurs
recherches continuelles ( 1 ). Paul-
Alexandre suivit les traces de ses
aieux. Livré surtout à l'histoire , à
la botanique et à la médecine, il
n'exerça cette dernière science qu'en
faveur des pauvres. Connu par sa
bienfaisance , il a laissé une mémoi-
re encore respectée. Les recherclies
historiques et littéraires commen-
çaient a acquérir un grand degré
d'intérêt. L'impulsion avait été don-
née par les savants Bénédictins de la
congrégation de Saint- Maur, dans
leur Histoire littéraire de France , et
d'autres ouvrages célèbres. Reueaul-
iiie conçut le Projet d'une Bibliothè-
que universelle. Son dessein était im-
mense; il annonçait l'érudition la plus
étendue et les connaissances les plus
varices : la vie seule de l'homme ne
suliiraitpaspourrexécuter. llcrovait
(_il Voyez, le» urtide- C.rt ilitai?les que le V,o:n\
dei7Sr|, duiiiie sur .MaltUicu de HeNEAULJïE ,cjui
vivi.it eu lâSo; sur P;iul l<-'., iii-iv dit botanisle , et
>ur l« rote de la t'auiiilc.
REN
353
que son zèle doublerait ses forces, et
ne calculait pas même l'action du
temps. Rassembler en un même
corps d'ouvrage, par ordre alpha-
bétique et chronologique, les noms
de tous les auteurs qui ont écrit , eu
quelque langue que ce soit, recher-
cher leur pays, leur âge, leur état,
y joindre un précis de leur vie, don-
ner les titres de leurs ouvrages, tant
imprimés que manuscrits , le nom-
bre des éditions, des traductions,
analyser ces ouvrages , tel était le
plan que Reneaulme s'était propo-
se'. Déjà il avait employé plus de
vingt années à cette immense coni-
})osiîion, lorsqu'il eiî fit jiaraître le
Projet, en 1788, annonçant que
{1) l'ouvrage aurait pour titre :
Essai aune bibliothèque universel-
le. Alors les trois premiers volumes
( l'e format infol. ) étaient prêts à
paraître, et les autres étaient fort
avancés. Mais ce travail, qui aurait
été d'une si grande utilité , désiré
depuis long-temps , et qu'on n'a ja-
mais pu exécuter , n'est connu que
par le seul Prospectus ou Projet ; il
ne fut point rendu public : peut-être
la santé de l'auteur, devenue languis-
saute dans ses dernières années , en
fut-ciUe le motif. Reneaulme laissa une
très - belle bibliothèque, qui passa,
de même que tous ses manuscrits ,
aux chanoines réguliers de Saint-
Jean de Chartres. Le Projet de la
bibliothèque universelle paraît aussi
perdu , a moins qu'il n'ait été trans-
féré à la bibliothèque de Sainte-Ge-
neviève. H — R N.
RENE AU AIE DE LA TACHE
( ),. naturaliste estimable, né
vers 1720, à Laon , était fils d'un
anciei! et brave militaire, qui , ayant
(■>y J'o). Jouiu. de Verdun, août 1738, p. iS3-
23
354
REN
obtenu la cliargc d'aide -major du
cliâtcau de Bouillon , s'établit avec
sa famille dans cette ville, et ne né-
gligea rien pourfaire jouir ses enfants
des avantages d'une bonne éducation.
Doue d'heureuses dispositions , le
jeuneRcncauinc fit de rapidesprogrès
dans les sciences et les lettres, qu'il
continua de cultiver quand il eut em-
brasse'la profession des armes , à la-
quelle son ])cre le destinait. Il par-
vint au grade de cap.talne dans un
régiment d'infanterie étrangère , fut
fait chevalier de Saint-Louis , et se
retira avec une modeste pension. Il
possédait, dans l'Ardenne, une ferme
qu'il s'occupa d'améliorer et d'em-
bellir, et partagea ses loisirs entre l'e'-
tude des lettres et celle de l'histoire
naturelle. Il fut long-temps l'un des
rédacteurs du Journal Encyclopé-
dique , désigne souvent par le nom
de Journal de Bouillon^ parce qu'il
s'imprimait dans cette ville; et selon
M. Barbier ( Dict. des Anonymes ,
V^. édit. , IV , 349 ) , il continua la
Gazette des Gazettes : mais il est
principalement connu par l'excel-
lente traduction qu'il a publiée de
l'ouvrage allemand de Reimarus :
Observations physiques et morales
sur l'instinct des animaux, Amster-
dam , 1770, '2 vol. in -12 ( F.
Reimarus ). Il a enrichi cette tra-
duction de notes pleines d'intérêt,
dans lesquelles il explique, et quel-
quefois combat les opinions de son
auteur. Les remarques de Reneaume
sur les amours des papillons , sur la
teigne, sur la ponte du coucou, sur
l'industrie du castor , dénotent un
bon observateur , et sont fort cu-
rieuses. On ignore l'époque précise
delà mort dcRcncaurac, quoIM. Bar-
bier place vers 178 1. W — s.
REINÉE DE FRANCE, duchesse
de Ferrare, princesse qui doit à son
REN
amour pour les lettres une grande
célébrité , était fdle de Louis XII et
d'Anne de Bretagne , et n.iquit à
Blois , le 25 octobre 1 5 10. Promise,
dans sou enfance, à l'infant Ferdi-
nand, à l'archiduc Charles d'Autri-
che , et ensuite au roi d'Angleterre ,
des intérêts politiques rompirent
tons ces projets d'union ; et elle fut
mariée , en 1 5^8 , à Hercule II , duc
de Ferrare, dont l'alliance parais-
sait devoir assurer aux Français la
possession du IVliîanez ; elle lui porta
en dot les duchés de Chrirlres et de
Montargis. Peu favorisée de la na-
ture sous le rapport des dons exté-
rieurs , mais douée d'une ame forte ,
et d'un esprit aussi pénétrant qu'é-
levé , cette princesse aimait l'étude
et les sciences ; elle apprit l'histoire ,
et les mathématiques : Luc Gau-
ric lui enseigna l'astrologie (i) :
elle savait le grec et le latin; et
on voit par une Lettre A' koxi\n& Pa-
learius, qu'elle fit instruire dans ces
deux langues ses filles Anne et Lu-
crèce. La protection qu'elle accor-
dait à tous les talents, rendit plus
brillante la cour de Fei rare , oîi elle
attirait tous les hommes célèbres
que ses libéralités pouvaient attein-
dre, tels que Lilio Giraldi , Célio
Calcagnini , etc. Olimpia- Fulvia
Morata lui dut son éducation.
Calvin , obligé de s'cxpatriA' , fut
accueilli par Renée, comme l'étaient
tous les savants : elle voulut sa-
voir de lui les motifs qui l'avaient
engagé à se séparer de l'Eglise ro-
maine (2); et cette fatale curiosité'
(1) .< J<- rai vue , dit nnintome , fui l sav.intn et di-
courir fort hautement et gravement de toutrsscien-
ces jusqu'à l'iistrologie et la connaissance des .istres ,
dont je 1.1 vis entretenir un jour la reinenière ( Ca-
tlicrinc de Mètlicis ), qui, l'oyaut ainsi ))arler , dit
que le plus (•mnd pliilosoplie rlu monde n'en saurait
mieux parler { Olùivres , 1 , 3»3 , éd de 17^0 ).
(») ]'n avançant en âge, dit r.iuf iiené ( Histoire
liliériiirr fi'Finlir , IV. f)G). elle s'enfonea dans les
. Iiulrs les pliisniisiraités, <t 1 ut le mall'irui d'aller
REN
Iroiihla le repos du reste de sa vie.
Renée , disposée en faveur des pro-
lestants par Calvin ( Foy. ce nora ),
fut confirmée dans leurs principes
par Marot , qui a\ait aussi clierchc'
un refuge à Ferrare, et qu'elle choi-
sit pour secrelaire ( Voy. Marot ,
XXVII, 241 )- « Peut-être, dit
» Brantôme , que se ressentant des
» mauvais tours que les papes avaient
» faits au roi son père , en tant de
» sortes, elle renia leur puissance, et
» se sépara de leur obéissance , ne
» pouvant faire pis , étant femme.
» Je tiens de bonne source qu'elle le
» disait souvent. » L'attachement
que Renée montra pour les erreurs
de Calvin , excita la colère de son
mari. Le duc de Ferrare chassa de
sa cour , avec Marot , tous les Fran-
çais , ainsi que les autres étrangers
soupçonnés de partager les nouvelles
opinions , et remplaça les femmes
de la princesse par des Italiennes
chargées de surveiller sa conduite ,
et de lui en rendre compte. Sur sa de-
mande, le roi Henri II fit partir pour
Ferrare, un certaiîi Oriz, qui remplis-
sait en France les fonctions d'inqui-
siteur de la foi , avec la commission
de travailler à ramener Renée à la foi
catholique , autorisant ce docteur ,
en cas d'obstination , a. prendre , de
concert avec son mari, des mesures
pour la ranger à la raison par la ri-
gueur et la sévérité ( Voy. les Addit.
de Laboureur aux MémoiT. de Cas-
telnau , i , 7 1 7 ). On fut obligé d'en
venir aux moyens de rigueur insi-
nués par le roi : on priva Renée de
la vue de ses enfants qu'elle aimait
tendrement , et on la retint prison-
nière dans son palais : mais rien ne
put vaincre sou obstination, ni lui ar-
|usqu*?i la ttcologie. Or , Calvin qui l'instruisit
«■Ite srienrc, était îi l'errarp , eu i535 et R
n'avait alors que vioal-ciuq nus.
dans
cuve
REN 355
racher un désaveu (3). Au retour de
la funeste expédition contre Naples
en 1557 ( F. Guise, XIX , 187 ) ,
elle sauva, dit Brantôme, plus de dix
mille Français, qui sans elle seraient
morts de faim. Après la mort du
duc de Ferrare , Renée revint en
France , où elle arriva dans le mois
d'octobre i56o, et sur-le-champ elle
se rendit aux états-généraux assem-
blés à Orléans. Ayant appris que le
prince de Condé venait d'être arrêté,
elle prit hautem.ent sa défense , « et
» dit et remontra au duc de Guise ,
» son gendre , que quiconque avait
» conseillé ce coup au roi , avait
» failli grandement » ( Brantôme ).
Cette princesse n'approuvait cepen-
dant pas que la religion servît de
prétexte à des révoltes; et elle cessa
de voir le prince de Condé , ifiand il
fut devenu le chef des protestants
armés pour réclamer la liberté de
conscience. Dans les temps de trou-
bles et d'anarchie , ses domaines
furent l'asile de tous les proscrits ,
qu'elle aidait . secourait et nourris-
sait de tout son pouvoir. Le duc
de Guise l'ayant fait sommer de lui
livrer quelques gentilshommes cal-
vinistes qui s'étaient réfugiés dans
son château de Montargis , la mena-
çait, en cas de refus , d'assiéger cette
place; Renée répondit à son envoyé:
« Avisez bien à ce que vous ferez ;
sachez que personne n'a le droit de
me commander que le roi même , qt
que si vous en venez à l'exécution
(^) Les dcsagri nients que Rcm'e l'piouva de la
part de son mari , sont rup[>oi les par îWuiatoii , An-
tirh. Est. ,11, 38(). On peut lire aussi le Cantique
que Blarot adressa de Venise, en i536, à Margue-
rite, reine de Navarre , dans lequel il deplure d'une
manière furt touclianle , la souiiVan' e
Du noble coeur de Rcnc'c de France.
iVInriit avait cél« hre' le mariage de cette princesse
ji.u- un F.pilhalame cin'on trouve dans ses OF.iifret,
ainsi que VLfiîire qu il lui adrassa en arrivMit dans
>es états.
23..
35G
REN
de vos menaces , je rae mettrai la pre-
mière à la brèche , où j'essaierai si
vous avez l'audace de tuer une fille
de roi , dont le ciel et la terre se-
raient obliges de venger la mort sur
vous et A'otre lignée , jusqu'aux en-
fants au berceau. » Renée mourut ,
le 12 juin 1075, à .^lontargis , ville
qu'elle avait ornée de plusieurs beaux
édifices. On trouve dans le volume
86 des Mss. de Dupuy, à la biblio-
tbèque du Roi , une Lettre autogra-
phe de cette princesse à Calvin , très-
étendue et fort curieuse. Elle avait
eu , de sou mariage avec le duc
de Ferrare , deux t"ds , Alfonse II
et lecaidinal Louis d'Esté ( F. Este,
Xllî, 377), et trois filles, Anne,
mariée au duc de Guise , et ensuite
au duc de Nemours; Lucrèce, du-
chesse d'Urbin , et Le'onore que Ton
suppose , mais sans preuve , avoir
inspiréauTasse une passion qui causa
les malheurs de ce poète. Voy. la
Fie de Benée de France , par Cal-
leau, Berlin, 1781 , in-8^. W — s.
RENI(GuiDo). r. Guide.
RENKÏN : Savalm ) , ou RENNE-
QUIN. /^. Ranmequin.
RENNEFORT Urbain Sou-
cuu DE ) , voyageur français, avait
été trésorier des gardes-du corps du
roi. Cette place ayant été supprimée,
il fut pouivu de la charge de secré-
taire du conseil souverain de la
France orientale , qui devait être éta-
bli à Madagascar ; ces disposilious
enreut lieu , lorsque l'on fonda , en
1664 , une coinj)agnic des Lides-
Orientales. Rennetort s'embarqua le
7 mars ifi65, sur un des quatre
vaisseaux (pii firent voile de Brest.
On attéiit,lc 10 juillet, à Madagascar,
où l'on prit possession , au nom du
roi, du fort et du comptoir que le
iiiaréclial tie la Mcilleraie v possédait.
La division s'établit bientôt entre
REN
les chefs de la colonie et Rcnneforl :
il fut , en quelque sorte, mis de côté;
ou lui fit essuyer des passe-droits :
il raconte même qu'il courut risque
de la vie. Rebuté de tant de contra-
riétés , il demanda la permission de
quitter P.Fadagascar, et partit de celte
île le '20 février 16G6 , sur un vais-
seau qui était en si mauvais état , que
l'on pariait qu'il ne pourrait jamais
arriver en France. Cependant ce vais-
seau était parvenu heureusement eu
vuedcGueruesey, le 9 juillet, lorsqu'il
fut pris par un bâtiment anglais :
il coula à fond peu de moments
après que Rennefort eut été conduit
à bord de l'ennemi. On mena ce
voyageur en Angleterre ; au mois
d'avril 1667, ii revint en France.
Avant son départ de Madagascar , il
avait gagné la confiance de La Case,
aventurier établi depuis long-temps
dans cette île ( F. La Case, VII,
265 ). Celui-ci avait chargé Renne-
fort de communiquer aux intéressés
de la compagnie les renseignements
qu'il jugeait utiles au succès de leurs
affaires. Rennefort , arrivé à Paris , fit
à la compagnie les propositions de
La Case ; mais elles ne furent pas
mieux reçues par les directeurs ,
qu'elles ne l'avaient été par le con-
seil de Madagascar. On n'écouta pas
non plus ce qu'il dit pour appuyer
l'établissement de celte île , et fai-
re réussir l'entreprise des Indes. Il
reconnut même que la compagnie
avait peu d'envie de l'indemniser
des pertes qu'il avait soufFerlessi son
service. On a de Rennefort : I. Be-
latioii du premier Forage de la
compagnie des Indes- Orientales^ en
Vile de Madai^ascar ou Paiiflnne ,
Paris, i(j(i8, in- 12. \\. Jlistoire
des Indes- Orientales , ibid. , 1 (j88 ,
in-4*'. Le premier ouvrage contient
ce que le titre annonce ; par consc-
REN
qiienl des faits dont rautcur a été
témoin : il y parle à la première
pcrjonue. Le second , divise eu deux
livres, re'pf te d'al)ord, d'nne manière
plus abrogée, le même écrit ; mais
Renneiort se nomme à la troisième
personne, et donne, sur plusieurs
points , de plus grands développe-
ments , surtout pour ce qui con-
cerne les affaires de la compagiiie:
le deuxième livre renferme Tex-
péditiou de la compagnie aux In-
des , en 16G6; le Voyage de Ca-
ron et celui de Delahaye; enfin , tout
ce qui se passa jusqu'à l'abandon de
[Madagascar. On trouve, danslesdcux
ouvrages de Rennefort, de bons ma-
tériaux pour l'histoire du commer-
ce français dans les Indes-Oricntales,
et des Notices exactes sur Madagas-
car : ses réflexions sur l'entreprise
des Indes sont d'un bomme sensé';
et les conseils qu'il doime , peuvent
encore être bons à suivre. E — s.
RENNEVILLE ( Re.mî-Auguste-
CoNSTAiVTiN DE ) , littérateur, moins
connu par ses ouvrages que par les
malheurs qui troublèrent sa vie , na-
quit à Cacu , vers 1 6jo, d'une famille
très- ancienne de l'Anjou. Il était le
cadet de dix frères, tous militaires ,
etdontscpttrofivèrcnt sur le champ
debatadle nue mort glorieuse. Doué
de quelques dispositions et d'une
grande vivacité d'esprit, il fit ses
c'iudes avec succès, embrassa la pro-
fession des armes , servit , dans le
corps des Mousquetaires , obtint sa
reiraite, et fut nommé directeur des
aides et domaines à Carentan, par la
protection de M. de Cliamillart ( V.
ce nom ) qui l'avait employé d^ns di-
verses affaires de conîiance. Il se ma-
ria peu après , et passa plusieurs
années fort tranquille , partageant
son temps entre les dcvoirsdcsapla-
j ce et la culture des lettres. L'espoir de
REN 357
procurer un établissemcul à sa famille
dans les pays étrangers, elle désir
de professer librement la religion
calviniste qu'il avait embrassée lors-
qu'elle était proscrile , le condui>i-
rent en Hollande, en 1699. ^''ayallt
pas trouvé loutcs les facilités dont il
se flattait , il prêta l'oreille aux pro-
])Osilions de M. de Chamillart , qui
l'engageait à revenir en France ,
lui promettant un emploi plus lucra-
tif que celui qu'il avait quitté. Il par-
tit d'Amsterdam, le 1 3 janvier 1702,
après avoir assuré l'existence de sa
famille, qu'il laissait en Hollande. A
sou arrivée à \ersaillcs , il fut re-
çu par son protecteur avec des té-
moignages de bienveillance qui sur-
passèrent son attente. Le ministre
lui offrit le choix d'une place dans
l'administration de la guerre ou dans
les finances : mais Renueville ayant
montré le désir de s'attacher à sa
personne , il lui fit expédier sur-le-
champ le brevet d'une pension de
mille livres, et lui donna la promesse
du premier emploi qui vaquerait dans
ses bureaux , avec un traitement de
mille écus. Cette faveur ne manqua
pas d'exciter l'envie. Ou fit tomber
dans les mains de M. de Torcy ( V .
CoLBERT , IX . '^1'] ) , des bouts-ri-
mes que Renueville avait remplis,
plusieurs années auparavant, d'une
manière injurieuse à la France. L'a-
veu de sa faute lui mérita son par-
don; mais une lettre que !c même
ministre reçut de la Hollande , quel-
ques jours après, le confirma dans
l'idée que le protégé de 1\T. de Cha-
millart pouvait n'être qu'un espion,
et qu'il entretenait des correspondan-
ces criminelles avec les puissances
étrangères. Torcy expédia l'ordre de
s'assiuer de la personne de Renne-
ville , ainsi que de tous ses papiers ;
et il fut conduit à la Bastille , le lO
35B REN
mai \'joî. La première clianibre de
la tour du coin , dans laquelle il fut
enferme' d'abord , était celle où le
duc de Montmorenci, les mare'cliaux
de Biron et de Bassompierre avaient
été de tenus, et où le Slaistre de Sacy
avait traduit la Bible en français : et
c'est dans cette même chambre que
Voltaire commença , depuis , la Ilen-
î'iade. ^lais pendant onze ans et deux
mois que Renneville resta prisonnier,
il babita successivement presque tous
les cachots delà Bastille. Durant les
premières années , il n'eut point à se
plaindre de la conduite des ofliciers
de cette forteresse à son égard; mais
après l'e'vasion du comte de Buc-
quoi , qu'on le soupçonna d'avoir
favorisée ( F. BucQuoi , VI , 'ni ),
il fut jeté dans un cachot , dont on
le relira demi -mort ; et depuis , il ne
cessa pas d'être traité de la manière
la plus rigoureuse. Sa résignation
soutint cependant son courage, La
prière et la lecture de quelques livres
dérobés à la surveillance de ses sar-
diens, abrégeaient l'ennui de ses jour-
nées. Enfin, il avait trouvé le moyen
de faire de l'encre avec du noirdefu-
raée qu'il détrempait dans du vin; et
de petits os taillés lui servaient à écri-
re des vers, et même des ouvrages
de longue haleine , qui lui furent en-
levés, et qu'il n'a jamais pu recou-
vrer. Renneville sortit de la Bastille,
le 1 6 juin 17 i3, et reçut en même
temps l'ordre de quitter la France,
où il lui était défendu de rentrer. Use
rendit en Angleterre , où il eut le
bonheur d'être accueilli par le roi
George !'='■. , qui lui donna une pen-
sion. Assuré de la protection de
ce prince, i! rédigea ses Mémoires
sur la Bastille , qu'il publia, en
1715, sous le titre (.V Histoire
de V Inqtdsilion francoise. Cet ou-
\iagc , ipioique mal écrit , excita
REN
vivement la curiosité publique , par
la description du régime intérieur
d'une prison d'état , fameuse dans
toute TEmope , et par le récit
des rigueurs qu'on y exerçait en-
vers les détenus. Ce qui augmenta
l'intérêt que son sort ins|)irait aux
ennemis de la France , c'est qu'on
crut , d'après son récit , que les
liommes dont il mettait au jour
les abus d'autorité , cherchaient à se
venger , et que c'était à leur instiga-
tion qu'il avait été attaqué dans les
rues de Londres par trois assassins ,
qu'il fut assez heureux pour mettre
en fuite. On ignore cequedevintRen-
uevdle depuis cette époque ; mais il
est probable qu'il n'a pas vécu beau-
coup au delà de 1724: il devait avoir
alors au moins soixante-dix ans. On
a de lui : L Becueil des voyages
qui ont servi a rétablissement et
aux progrès de la compagnie Hollan-
daise des Indes- Orientales , Ams-
terdam , 1702 - o5, 5 vol. in- 12.
Cette compilation était terminée
quand l'auteur fat mis à la Bastille •
il l'a dédiée à M. de Chamillart : elle
a été réimprimée aA'^ec des addi-
tions , Amsterdam, 1780, 10 vol.
iu-i'2 (i). n. \J Inquisition fran-
çaise ou Histoire de la Bastille ,
Amsterdam, 1715, in- la. Cette
première édition fut contrefaite, mê-
me en France, malgré toute la sur-
veillance de la police, et traduite en
anglais, en hollandais, en allemand.
Renneville en ])ublia une nouvelle
édition, Amsterdam, 1724, 5 vol. in-
12, semée d'un grand nombre d'a-
necdotes et d'iiistoires particulières,
qu'il assure avoir recueillies de la
(i)M. Roiiclicrdc laBicharderic.qiii ne dràignc
l'éditeur de ce Recueil, i\ue jiar le nom de (îoiistan-
liii. en cite deux autre» editiuii» : ruiic de raris,
j-ofi, 10 vol. iu-m, et l'autre d'Anisli rdain , 1707-
10, eu (ivo). (Vov. lu Bibliolh. des vnjua,es , 1 , 8li. j
RM
bouche iu!metl('S prisoiiniers, mais
qnisont peu vraisemblables. Le lome
cinquième contient V Ilisloire de Vin-
quisilioii de Goa ( Voy. Dellon ) ,
précédée d'une longue Dissertation
sur l'origine de ce tribunal et les
condamnations eccle'siastiques. 111.
Cantiques de V Ecriture sainte, pa-
raphrasés en sonnets , Amsterdam ,
17 i5 , in-8"\ IV. OEuvres spirituel-
les contenant diverses poésies chré-
tiennes ^ ilud. , 17'i'J, in-8". C'est
peut être une reimpression de l'ou-
vrage piccedent avec des additions.
Renneville nous apprend qu'il avait
compose' dans sa prison un Traité
des devoirs du fidèle chrétien , qu'il
écrivit dans les interlignes d'un li-
vre ; un grand nombre de Sonnets
et de Vers ; et enfin un Poème de
V amour et de V amitié , qu'il prête-
rait à tous ses autres ouvrages , et
qu'il réclama , promettant , si on le
lui rendait, de supprimer son Flis-
toire de la Bastille. W — s.
RENNIE (John ) , mécanicien et
ingénieur, naquit le 7 juin 1761 ,à
Phantassie, paroisse de Prestonkirk
eu Ecosse. Son père , fermier, de la
classe de ceux qui jouissent , dans les
îles Britanniques , d'une considéra-
tion méritée, laissa, en 1766, sa
mère veuve avec neuf enfants , dont
John était le plus jeune. Une circons-
tance ppu digne de remarque , si on
l'isole de l'inlluence qu'elle a eue sur
sa destinée, détermina ou développa
le goût, la passion pour les arts,
qu'il a ensuite cultivés avec tant de
succès. Sa maison paternelle était
séparée de l'école où il apprenait à
lire , par un ruisseau , qu'on traver-
sait , dans les temps ordinaires, sur
\\n petit pont rustique ; mais, dans la
saison des orages et des crues , il fal-
lait aller par un détour, jusqu'à la
iruinufaclurc d'un M. Aiidrcw Mei-
REN 359
kle , connu , en l'.cosse, comme in-
venteur de la machine à battre le blé,
où l'on tiouvailun bateau pour passer
le torrent. Les fréquentes occasions
qu'eut Reunie de parcourir et d'exa-
miner les ateliers de celte manufac-
ture , ne furent pas perdues pour le
génie naissant : les divers travaux
qu'il y vit exécuter, fixèrent forte-
ment son attention ; il eut le bon-
lieur d'inspirer quelque intérêt aux
cliefs d'atelier , qui lui donnèrent
des instructions et li:i prêtèrent des
outils. A l'âge de dix ans , il avait
déjà construit des modèles de mou-
lin à vent, de machine à bUttre les
pieux, et de machines à vapeur, dont
une partie , conservée dans sa fa-
mille, est remarquable par la per-
fection de la main-d^œuvre. Ainsi un
des plus grands ingénieurs dontl'An-
eleterre ait à s'honorer , n'aurait
peut-être etequ un homme ordinaire,
un simple fermier , si , dans son en-
fance , il eût pu se rendre , sans ba-
teau , chez le pédagogue de son vil-
lage. 11 était âgé de treize ou qua-
torze ans, lorsqu'il alla étudier , à
Dunbar , sous le professeur Gibson ,
les sciences mathématiques et physi-
ques : ses progrès , après deux ou
trois ans de travail , furent tels, que
Gibson, nommé à une autre chaire,
deraanda instamment le jeune Ren-
nie pour son successeur ; mais celui-
ci , bridant du désir de donner à ses
connaissances en physique tout le
développementdont elles étaient sus-
ceptibles , partit pour Édinbourg ,
où il suivit les cours des professeurs
Robison et Black. Il forma , avec
le premier, une étroite liaison , à la-
quelle il a dû les premières occasions
de faire connaître et apprécier ses
talents et son mérite, Robison l'in-
troduisit auprès de Watt et Bolton ,
établis à Suho, près Birmingliamj là
}Go
REN
il fut occupe pendant douze mois , et
fit exécuter plnsiciirs machines qui ,
après quarante ans d'usap;? , sont en-
core rej^ardc'cs comme des modèles
dans leur ç;enrc. Walt et Bolton au-
raient désire le retenir à Solio , pen-
dant trois ans; mais Rennie , qui
avait le sentiment de son mérite,
Toulnt se montrer sur nn plus grand
tlie'àlrc , et résolut de se rendre à
Londres. La direction de route qu'il
avait suivie en allant d'Édiubourg à
• Soho , lui avait procuré les moyens
de A'isiter plusieurs monuments de
me'canique et d'architecture hydrau-
lique , |)nrmi lesquels il faut distin-
guer le canal de Bridgewater : il
continua ses examens d'olijets d'art
et de science , en allant de Soho à
Londres. Peu de temps après son
arrivée dans cette capitale , il y fut
employé , par Watt et Bolton , à la
construction des machines de l'ëta-
blissemeiu connu sous le nom dViZ-
hion Mills ; et il fit preuve d'une ha-
bileté à laquelle Watt a rendu les
témoignages publics les plus authen-
tiques : des pièces de mécanisme jus-
qu'alors exéculées en bois , le furent
en fer fondu ; et de ce changement ,
résultèrent d'importantes améliora-
lions dans les machines : celles de
Rennie , calculateur et praticien ,
étaient remarquables par une préci-
sion de mouvement, une proportion,
une harmonie entre leurs diverses
parties , qui les faisaient générale-
ment regarder comme des modè-
les ; et , à ces qualités, se réunissait
la qualité, plus essentielle encore ,
d'employer la force motrice avec
un grand avantage. Les moulins
(ïyll'nan sont sujets à l'a cl ion des
marées ; et c'est , vrai.sembla])le-
mcnt , m s'en occupant, qiu- Réunie
fit, des grandes conslruclinns hy-
drauliques, l'objet de ses méditations
REN
particulières. Il fut d'abord dirige,
dans cette haute partie de la science
de l'ingénieur , par les conseils et les
exemples du célèbre Smeaton : bien-
lot il devint l'émule de son maître;
et aucun ingénieur n'était capable
d'être le sien , lorsque Smeaton fut
enlevé aux srienccs et aux arts. C'est
à cet agrandissement des connais-
sances de Rennie , que l'Angleterre
doit trois monuments : la jetée ou
Breakwater de Piymouth , le pont
en fer de Southwark , et le pont
de Waterloo , dont chacun suftirait
pour faire la réputation d'un ingé-
nieur : mais , avant de parler de ces
grands ouvrages , il faut donner un
aperçu des autres travaux postérieurs
à ceux d'Albion Mills. Immédiate-
ment après l'achèvement de ces tra-
vaux , en i-jSô ou 1787 , la réputa-
tion de Rennie , comme mécanicien ,
lui attira un grand nombre de de-
mandes: il construisit des moulins à
sucre pour la Jama'i(|ue et les autres
îles des Indes Occidentales ,avec une
supériorité qui lui valut presque le mo-
nopole de ces dispendieuses machi-
nes; un moulina poudre àTunbridge;
un grand moulin à farine, à Wands-
worth , etc. L'association de ses
talents à ceux de ses amis Watt et
Bolton , a produit des pièces de mé-
canique qu'on peut, à tous égards,
considérer commedes chefs-d'œuvre:
ces derniers se chargeaient de four-
nir la force motrice avec les ma-
chines à vapeur, de l'invention de
Watt, auxquelles Rennieadaptait les
mécanismes destinés à opérer les
effets utiles. On voit les résultais de
cctteprécicuse association aux hôtels
des monnaies de ToAver-Hill , de
Saint-Pétersbourg , de Copenhague:
un hôtel des monnaies projeté pour
Calcula devait cire fourni de machi-
nes a l'instar des précédents ; Rennie
REN
est mort avant leur cxcciition. Les
forges a'ancrcs , et l'arsenal de ma-
rine de Woolwicli, offrent des pièces
de mécanisme ge'ncralement a'Imi-
rees. Le mérite dcRennie, si bien
connu et apprécie aux Indcs-Occi-
dentales , ne l'élait pas moins aux
Indes-Orient.'i!os : mais il fit voir ,
dans ses relations avec celles-ci ,
que les calculs de stahililé lui réus-
sissaient plus lienreuseraont au physi-
que qu'au moral. Un pont en fer de
fonte lui fut demande de la part du
nabab à' Oude ( ou Aond) , pro-
vince situe'c au nord de Be'narès ,
poyr être établi sur la rivière Goom-
tr h Luknow : les pièces âc ce pont ,
compose de trois arches, dont les
ouvertures étaient de quatre-vina;t-
dix pieds anglais pour la centrale ,
et quatre-vingts pieds pour les latc'ra-
les , furent embarque'cs avec un in-
génieur charge de les mettre en pla-
ce. L'ingénieur et le pont firent un
voyage inutile : l'inconstant nabab,
ayant changé de résolution, ne vou-
lut ni de l'un ni de l'autre. Le canal
de Lancasîre , un des plus beaux
monuments de son genre qui aient
été entrepris , doit être cité parmi les
nombreuses preuves de la grande ha-
bileté de Rennie en architecture hy-
draulique: on y distingue particuliè-
rement l'aqueduc navig ible qui tra-
verse le fleuve Loyne, aussi remar-
quable par la beauté des formes que
par le mérite de la construction. Ce
travail avait clé précédé par celui du
canal de Crinian en Ecosse, dont le
creusement offrait de grandes difïl-
cnltés. L'enthousiasrne pour les com-
munications navigables intérieures,
ou, suivant l'expression d'un bio-
graphe anglais , the ra^e for ca-
riais , prenait chaque jour un carac-
tère pi us prononcé; et Rennie se trou-
vait accablé, de toutes parts, de dc-
REN 36 1
mandes de projets, à tel point, qu'en
peu d'années il connut la topogra-
phie, le système hydraulique du sol
anglais, dans ses plus minutieux dé-
tails. Quelques-uns des plus impor-
tants projets dont il ait dirigé l'exé-
cuiion , sont ceux d'Aberdccn , Brc-
chin ,Grandwestern ,Kennctetavon ,
Portsmouth, Birmingham, Worces-
ter , etc. Les ressources de son esprit
se sont montrées avec toute lenr
force dans la construction des ma-
gnifiques docks (i), dont le com-
merce et la navigation retirent une
utilité infinie, ctque Londres compte
parmi ses ornements. Huit , Gree-
nock, Leith, Liverpool et Dublin
ont aussi des docks , construits sur
ses plans : les ports deQueensferry,
Berwick , Howth , Holyhead, Dun-
leary ( maintenant appelé port
Kingstown), lui doivent leur com-
modité et leur sûreté. Cependant ces
travaux le cèdent en beauté et en mé-
rite , aux arsenaux royaux de Ports-
mouth , Chatam et Shecrness. Ce
dernier , surtout , a ofrort des diffi-
cultés d'art, qu'on n'aurait jaruais
tenté de surmonter, sans l'extrême
importance de sa position au point
d'alîluence , dans les bouches de la
Tamise, de la principale des deux
branches de la Medway qui enve-
loppent une partie de Tîle de Shep-
pey. Là , au milieu d'un fond sans
consistance , de quarante pieds d'é-
paisseur , parsemé de débris de na-
vires , il a fallu créer une base fixe
fà d'immenses constructions ; fonder,
éleveret rcndrestable une grandelon-
gueur de murs de granit; rendre étan
c/ie5 dévastes bassius(c'està-dirc leur
former une paroi imperméable), etc.
L'aspect imposant de ce magnifique
arsenal frappe d'admiration lesper-
(i)Iîassiiisil\iiti(pril jiourlisvjisscnin m:ircbaiid;'-
36;
REN
sonnes les plus c'trangères à l'arclii-
tectuie hydraulique (a). Réunie avait
fait le projet d'un nouvel arsenal
maritime à Pembroke , et un autre
projet de même espèce, mais beau-
coup plus considérable, pour Nortli-
fleet, sur la Tamise, cajjable de
tenir à flot les deux licrs de la ma-
rine anglaise , avec des formes où
l'on aurait pu mettre en construc-
tion , ou en radoub , les vaisseaux
de tous les rangs. On présume que la
grandeur de la dépense a empêché
l'exécution de ce projet. Nous sup-
primons, pour abréger, même les
simples indications d'une multitude
de travaux de Renuie, en machines,
jionts , canaux et dessèchements de
marais; et, avant de passer aux trois
grands monuments dont nous avons
parlé précédemment, nous nous bor-
nerons à citer les importants usages
qu'il a faits de la cloche de plongeur,
pour les travaux sous-marins. L'a-
cadémicien et ingénieur français Cou-
lomb avait publié d'ingénieuses re-
cherches sur cette cloche : Smeaton
l'avait adaptée à la pratique des tra-
vaux-et Rennie, en l'améliorant en-
core, a fait une application de l'ins-
trument, ainsi perfectionné, au port
deHov\th, et une autre, très-remar-
f|uable, au musoir de la jetée du port
deRamsgate. Il s'agissait de réparer,
àio, II, 12 et i3 pieds au-dessous
de la basse-mer, des airouil'ements
qui mettaient en danger la stabilité
de la jetée entière : ces réparations
ont été faites de manière à mainte-
nir complètement et même à aug-
(») La ilcsciiplioD de ce moimnieiil, arcoinpagnc'e
de i«laiicliis, a etc doiiiiec juir M. Dupin , de I acii-
(Icinie des sciences, etc.( /'oynge île lit GiuiiiU B/c-
taglit, etc., tome 1) , ■x". jiartie, nage l3ï el suivan-
te»), M. Uiipin a heaiicuiip contribué à faire couiiaî -
trc cl a|i|ire< ier en rraucc le mérite de Henuic , et
|i«r IVjnvrn("e qn'i.n vient de citer , accompagne d'nnc
tie»-inlereii«ui, te Notice , et par nu ouvrage preee-
deul aiiy Ub ponlsel cluiii-scej d'Anj<!clem'.
REN
menterla solidité initiale de la cons-
truction. On prétend que les ouvriers
irlandais piéfèrent le travail sous la
cloche au travail en plein air , s'y
trouvant plus au frais eu été et moins
froidement en hiver: il est plutôt à
présumer que le vrai motif de la pré-
férence est l'augmenlaliou de paye
allouccpour les travaux sou.'-marins.
Nous allons maintenant parler de la
jetée , ou hreakwater de Plymoulh,
et des ponts de Southwark et Wa-
terloo. Plyniouth est situé au fond
d'une rade de l'espèce de celles qu'on
appelle rades foraines ^ dont la lon-
gueur est de 3 V, o milles maij|ns
( G3oo mètres ) , et la largeur moyen-
ne de 2 y,o milles marins ( 4^74
mètres) (3 , entre les embouchures de
deux fleuves , le Pljm et le Tamer,
emboucliures qui fournissent de vas-
tes bassins désignés par les noms de
Catwater et Hamoase. Une quanti-
té immense d'établissements de ma-
rine et de constructions militaires
remplissent le fond et garnissent les
rives de cette rade. Une de ces cons-
tructions est élevée sur une petite
île située en face de Plymouth , qu'on
a appelée île de Drake, pour hono-
rer la mémoire du célèbre naviga-
teur de ce nom. Plymouth fut , en
1577 ,1e pointde départ de son voya-
ge autour du monde. L'ouverture de
la rade se trouve à son extrémité
méridionale; et son axe longitudinal
est dirigé du sud au nord. Bien abri-
tée, sur les V4 de la rose des vents ,
par les montagnes de Cornouailles
et du Devonsliu e , ses eaux n'en sont
pas moins sujètes à être violemment
agitées ])ar l'action de la lame, que
favorisent l'évaseuïcnt de l'ouverture
(3) I/'i)iivLilurc il la mer ist prcMpie double île
I lie liirgeni INI yenne.ljn mille luariu , on nne nii-
ule du nii'iidiïn leireslre, vaut l85i inrhcs ;
■ ojioo milre.v vali nt i4 uidles malins.
REN
mcridionale, et la nudité de la mer ,
devant laquelle cette ouverture est
placée. Pour procurer au fond de
cette rade et au bassin d'Haraoase le
calme qui leur manquait, MM. Réu-
nie et Whidby ont fait le projet d'un
barrage transversal eu euiocberaent,
désigne en Angleterre par le nom de
break-water ou brise- vague ^ pla-
cé vers l'origine et un peu en avant
de la partie re'tre'cie de la rade. D'a-
près des profils fournis par M. Whid-
by, au mois de mai dernier (i8.i3),
la longueur du break - water est de
538o pieds anglais ( lôSg mètres )
(4). Cette longueur n'est pas exacte-
tement en ligne droite : les parties
extrêmes fout, avec la partie moyen-
ne, des angles très-obtus, rentrant
du côté du fond de la rade ; et de lar-
ges passes, très-praticables aux vais-
seaux , sont réservées entre la digue
et les rives est et ouest. Les dimen-
sions transversales de cette digue ,
dans la partie la plus profonde , sont,
d'après les profils ci-dessus cités, de
290 pieds anglais (68 mètres ) de
largeur à la base , réduits à 55 pieds
anglais ( 16 mètres ) au sommet ,
sur 62 pieds anglais ( 18 mètres ) de
hauteur. La largeur, à la base, est ré-
duite sensiblement d'un quart, et la
hautenrd'untiers, dans les parties les
moins profondes , le sommet se trou-
vant partout au même niveau, La ma-
tière de l'enrochement est du mar-
bre extrait des collines qui bordent
la rive gauche du Plym, un peu au-
dessous de Plymouth. D'énormes
blocs, dout le poids, suivant M.
(4) i555 métros suivant Dupin et Diitoiis; i3G.'|
mètres suivant Cacliin : il est ù pn sucjk r <jue ce» iii-
géoieiirs ayant pris leurs mesures uvaiit i|uc l'enro-
chenient fût clciidu sur la ligue ciititrc de l.i digue,
n'eu (int pas eu la véritable lungueur. Dutens et Ca-
chiD ont aussi donne des' dimensions transversales
moindres que celles des profils de M. \Vhidby.
REN
363
Dnpin , va jusqu'à dix mille ki-
logrammes , sont extraits , trans-
portés et placés, par des moyens
que nous ne pouvons pas décri-
re ici , mais qui font beaucoup
d'honneur aux auteurs du projet.
M, Whidby, digne collaborateur de
Rennie, après avoir partagé la gloi-
re de la conception de l'entreprise ,
aura exclusivement celle de la ter-
miner. La comparaison du break-
water de Plymouth et de la digue ou
break water de Cherbourg , a donné
lieu à des discussions dans lesquel-
les les auteurs anglais (le reproche ne
porte point sur Rennie) ont réuni, au
tort de n'être pas toujours justes, ce-
lui d'employer parfois des ex pressions
inconvenantes (5). M. Cachiu , ins-
pecteur-général des pouts-et-chaus-
sées, qui a dirigé les travaux de Cher-
bourg , a très-bien répondu aux im-
putations anglaises, dans un Mémoire
fort étendu, publié en 1820. Il est
bien reconnu , par tous les hommes
instruits et impartiaux , que la digue
de Cherbourg , qui a suggéré l'idée
de celle de Plymouth , et qui est
construite sur des dimensions plus
considérables ( F. Cessart ) , n'a été
conduite, ni avec moins de talents ,
niavec moins d'économie, que cellcà
laquelle elle a servi de modèle. — Le
pont de Southwark, projeté et cons-
truit par Rennie , sur ia Tamise , à
Londres , dans l'intervalle compris
entre les ponts de Londres et de
Blackfriars , est, sans contredit, le
monument le plus remarquable de
son genre qui ait jamais existé. Ce
pont, commencé en 181 4 et termi-
né en 1818, est composé de trois
travées, eu fer de fonte, contrcbu-
(.^) « Tlie multitude employed on tLehrcakwatcr
)> i)f Clierliourj; ,thc timc occupied by that uuderta-
)i king, andthe /minile andosle.tlalion with whiclj
■1 it was ciiuducled. {ICnrycloiiéilie Bit<a«»j./(ii-. )
364
REN
tees et supportées par deux cule'es et
deux piles en maçonnerie. La travée
du milieu a 240 pieds anglais ( 78
mètres ) (6) de corde ou d'ouvertu-
re, sur 24 pieds ant^Iais ( 7 yio mè-
tres) de flèche. Chacune des travées
latérales a 2 lo pieds anglais (64 mè-
tres) de corde ou d'ouverture, sur
21 pieds anglais (6 Yio mètres) de
flèche. L'épaisseur de chaque pile
étant de 24 pieds anglais, la longueur
totale entre les culées est de 708
pieds anglais (à très -peu -près 216
mètres ) ; et depuis l'entrée jusqu'au
milieu du pont, on ne monte que de
10 pieds anglais ( 3 mètres), c'est-
à-dire, des "^1000 environ de la dis-
tance horizontale. La largeur totale
du pont est de l^i pieds anglais ( 12
y,o mètres ) ; et, sur cette largeur ,
se trouvent deux trottoirs , chacun
de sept pieds anglais ( 2 'Vioo mè-
tres ). Le système de construction a
le rare et bien précieux mérite de la
grande simplicité : il est établi , au-
tant que la différence des matières
peut le permettre , à l'imitation des
systèmes de voussoirs des ponts de
pierre , et il en offre l'aspect. Ce
sont de longues et épaisses pla-
ques de foute qui font l'office de
voussoirs : chaque travée en a i3
sur le périmètre de son arc, compo-
sant ce qu'on appelle une ferme; et
huit fermes pareilles sont placées
sur la largucur , ce qui fait , en tout ,
104 plaques ou voussoirs métalli-
ques, pour chaque travée, dont le
système est maintenu avec toutes
les précautions d'art nécessaires. Le
poids du fer employé dans cette
construction est de 4585 tonneaux
( 4j655,oi7 kilogrammes ), dont
(G) Le piocl «rigliils vaiil 3o/|8 dix iiiilliùmrs di-
inî'tri'jautreiucut, louou i>ic(l9 anglaia valent 3 0^8
lul'lrcs.
REN
50,763 kilogrammes seulementsont
en fer forgé. On se bornera à ces
détails descriptifs , pour ne pas excé-
der les bornes dans lesquelles une
notice biographique doit être ren-
fermée. On avait redouté , pour le
pont de Southwark , eu égard à ses
très-grandes dimensions , les effets
pyrométriques de contractions et
de dilatations successives , produits
par l'alternative du froid et de la
chaleur : les lecteurs pourront, à ce
sujet , lire avec quelque intérêt , la
traduction suivante d'un passage
d'une lettre écrite par Rennie à l'au-
teur de cet article : « C'est, pour
» moi, un grand plaisir de vous ap-
» prendre que toutes les parties de
» cet ouvrage ( le pont de South-
» wark ) ont pleinement répondu à
» mon attente; je n'ai encore remar-
» que aucune altération dans sa fnr-
» me primitive, ni la moindre frac-
» ture dans aucune des pièces qui le
» composent. Mou fds , qui a suivi ,
» avec une scrupuleuse attenlion,
» les effets de la dilatation et de la
» contraction, causées parla chaleur
» et par le froid, est dans l'intention
» de publier, un jour, les résultats
» de ses observations : en attendant,
» je vous dirai que le milieu de l'ar-
» che s'est élevé , verticalement ,
» d'environ Vi o de pouce ( 8 milli-
» mètres ) par chaque augmentation
» de 10 degrés de chaleur, tellement
» que du point zéro jusqu'au po*'. dc-
w gré du thermomètre de Fahren-
» heit, rexhaussement de l'arc se-
» rait de 2 7/,o pouces ( Ggmillimè-
» très ). La dilatation s'opère gra-
» duellement; et le temps employé
» par le système des pièces de l'av-
» che , à se mettre à la température
» de l'atmosphère est ( avant la pose
» du plancher ) de 3 /» à 4 heures;
» mais après la pose du plancher , ce
REN
» syslc'.nc, qui presectera une plus
» grande masse de matières, exige-
V ra , nécessairement , plus de temps
» pour suivre les didercnles varia-
» lions de la température. » D'après
des mites remises à l'auteur de cet
article par feu ]M. Panay, ingénieur
en chef des ponts-et-chaussces , qui
connaissait très-bien tous les monu-
ments hydrauliques de Londres , où
il a fait de longs et fréquents A'oya-
ges , les travaux du pont de Soulh-
v\'ark auraient été adjugés pour une
somine revenant à n, 680,000 fr. ,
non compris les abords, dont la dé-
pense devait être des deux tiers de
cette somme. — LepontdeWateiIoo,
projeté et construit par Rennie , sur
la Tamise , à Londres , à peu-près au
milieu de la distance qui sépare le
pont de Westminster du pont de
Blackfriars, doit être mis au rang
des plus beaux ponts existants eu
Europe, et fort au-dessus de tous les
ponts en pierre construits en An-
gleterre jusqu'à ce jour. Il est établi
de niveau, comme celui de Neuilli,
et composé de 9 arches ovales, cha-
cune de 1 20 pieds anglais ( 36 ^^,00
mètres ) d'ouverture , et de 35 pieds
anglais ( 10 '''M 00 mètres ) de mun-
tée , depuis le niveau des naissances
de la vovitc jusqu'à la clef: ainsi le
surhais sèment ,0X1 le rapport de la
invntée à l'ouvertuie, est entre le
tiers et le quart. Nous observerons ,
en passant , tiue chacune des arches
du pont de Neuilli a aussi i-io
j)ieds d'ouverture; mais il s'agit ici
du pied français , qui excède le pied
anglais d'environ % de pouce, et le
surbaissement n'est que de ^/l^. Cha-
que avant et arrière-bec des piles du
pont de Waterloo, forme un socle
angulaire portant deux colonnes ac-
couplées, d'ordre Fœstum , et d'un
effet à-peu-près semblable à celles
REN 3G^
du pont de Blackfriars. La largeur
du pont entre les parapets est de
42 pieds anglais; celle de chaque
trottoir , de 7 pieds ; et celle de la
chaussée, de 28. Les parapets ont 5
pieds de hauteur. Il est construit eu
pierres de granit blanc des carrières
d'Ecosse : la beauté de l'appareil ne
laisse rien à désirer. Une des cir-
constances les plus remarquables de
la construction de ce monument est
la méthode suivie pour sa fondation.
L'ingénieur La Bélye, qui a bâti le
pont de Westminster, l'a fondé par
caissons, procédé qr.i n'exige point
qu'on isole , dans le lit du fleuve, et
qu'on mette àsec les espaces sur les-
quels il faut asseoir les fondations ,
ainsi qu'on le pralicpie au moyen
d'enceintes appelées batardeaux. Le
procédé des caissons a eu plusieurs
applications en France, qui n'étaient
pas toutes aussi bien motivées que
celle dont La Bélye a donné l'exem-
ple , déterminé , sans doute , par
la difficulté et la dépense exces-
sive que devaient entraîner l'éta-
blissement des hdLardeaux , et les
épuisements qu'exige l'emploi de
cette méthode, à une grande profon-
deur , sur un sol vaseux , et dans une
localitésujète aux marées, qui s'y élè-
vent à une grande hauteur. Rennie
n'a point été effrayé par de pareils
obstacles, et a fondé par batardeaux
et épuisements. C'est , sans doute, à
ce mode de fondation qu'il faut at-
tribuer une partie de l'énorme dé-
pense du pont de Waterloo, qu'on
évalue à vingt-cinq millions de francs
(autant, à-peu-près, qu'ont coûte
ensemble, les cinq ou six plus beaux
ponts de France ); et il n'a pas encore
à ses abords , tous les débouchés né-
cessaires , qu'on n'obtiendra qu'avec
un nouveau sacrifice de capitaux
considérables, il est tout simple que
366
REN
les Anglais soient cntliousiasles de
ce superbe pont , qu'ils regardent
comme snpérienr à tous les monu-
ments de même genre, tant pour
la solidité que pour la beauté des
formes ; et l'on peut affirmer avec
confiance , que, surle premier point,
le pont de Waterloo i emplit toutes
les conditions exigibles : jnais les in-
génieurs qui sont pénétrés de l'esprit
de l'école française , regrettent que
Réunie , à qui la faculté de créer ne
manquait pas , ait imité , du pont de
BlaktViars , les colonnes placées
au\ extrémités de ses piles. D'après
la manière de voir et de sentir de
l'école dont on vient de parler, l'en-
semble d'une construction , consi-
déré même dans les détails de pure
décoration , doit se présenter à l'œil
comme formé d'éléments qui con-
courent à un but commun : il faut
que toutes les parties du système pa-
raissent tendre à ce but, en se prê-
tant des secours mutuels , qui les
rendent , si l'on peut s^cxprimer
ainsi , solidaires les uns pour les
autres. Or ce principe de goût , ou ,
si l'on veut, de convenance, n'ad-
met point des colonnes oiseuses ,
adossées f^Aus fonctions utiles , aux
véritables supports de l'édifice , et
dont l'existence n'est motivée par
aucune condition de stabilité : les
conditions de cette espèce sont ce-
pendant les premières auxquelles
un pont doit satisfaire, celles dont
la garantie doit être aperçue dans
chacpie pierre du monument. H y a
plus : l'application , aux ponts , du
système architectural des colonnes ,
n'a pas été goûtée en France, même
en remplissant Icsconditions requises
de stabilité. Perronet , après avoir
bâti le ])()iitde Saiuto-]\Iaixcncc sui-
vant ce système, aurait voulu l'adap-
ter au pont de Louis XVI : mais
REN
cette partie du projet a été rejetée
par le conseil-général des pontset-
cliaussées;et l'on a construit , suivant
la manière ordinaire , des piles à
parements lisses. Le pont de France
qui a 1j plus d'analogie avec celui
de Waterloo , est le pont de Neuilli :
la hauteur des arches de celui-ci est
moindre, par rapport à leur ouver-
ture , que celles du premier ; et de
plus, des évasementsqueles construc-
teurs désignent par le nom barbare
de cornes de vache, donnent au pont
de Neuilli un aspect de légèreté qui
produit un effet très -agréable. Le
spectateur , en même temps qu'il
éprouve un sentiment de plaisir , dû
à l'élégance des formes extérieures ,
éprouve aussi un sentiment de sé-
curité , en apercevant , dans l'om-
bre , les cintres primitifs qui lui
garantissent la stabilité de l'édifice.
11 faut convenir que ce pont , consi-
déré quant à ce qui frappe les yeux ,
prouve que la sévérité des convenan-
ces fait ressortir, plutôt qu'elle ne
gêne, un goût sûr, un tact fin et
délicat : la sagesse de son ordon-
nance, la pureté de ses proportions ,
n'ont point encore été surpassées ,
nous oserions presque dire égalées.
Il V a environ quarante ans que sa
solidité fut violemment attaquée
dans un écrit présenté à l'académie
royale des sciences , qui fit quelque
sensation ; c'est à l'occasion de cet
écrit , et avec une réfutation en main,
que l'auteur du présent article com-
parut , pour la première fois de sa
vie, devant le savant aréopage : mais
le monument laissera en arrière, <î
une distance de bien des siècles , et
ses détracteurs, et ses apologistes.
Kennie avait projeté un pont en rem-
placement du juuit de Londres , sur
des dimensions supérieures à celles
de tous les ponts connus. On con-
REN
serve ce projet , auquel une commis-
sion de la chambre des communes
a donne' la préférence sur trente
autres présentes pour remplir le
même ulijet. Ce grand ingénieur a
été enlevé aux sciences , aux arts et
à ses nombreux amis , le 16 octobre
icSii. Il c'ait venu en France, en
1819: le gouvernement et les inge'-
nieurs français s'étaient empresses
de l'accueillir , et de lui fournir toute
les facilités désirables pour remplir
l'objet de son voyage , qui e'iait l'exa-
men de nos principaux monuments
hydrauliques. Il laisse deux fils ,
dont l'aine' s'est de'ja distiuguë dans
la direction de travaux importants :
le plus jeune a été' occupé, sous l'ins-
pection de son père , à l'érection
des nouveaux ponts de Londres ;
c'est de lui qu'il est question dans le
fragment de lettre cité plus haut.
P NY.
REXOU ( A?îT0iNE ) , secrétaire
perpétuel de Tancienne académie de
peinture, naquit à Paris, en l'^Si , fit
d'excellentes études, et obtint souvent
des couronnes à l'université. Ce-
peniantun penchant irrésistible, qui
portait son génie vers les arts du des-
sin, ledécida pourla peinture. Pierre
et Vien furent les maîtres qui diri-
gèrent ses rapides progrès. Déjà il
avait remporté le second prix de
peinture , et il était à la veille de con-
quérir le premier , lorsque, vers l'an
\'-j6o . il fut appelé à la cour du roi
Stanislas , comme peintre de ce
prince. Estimé et distingue par ce
bon roi, recherché par toute !a cour,
il devint, par la diversité do ses con-
naissances , l'ame des plaisirs de
cette cour. Doué d'une belle figure ,
d'un bel organe et d'une taille avan-
tageuse , il brillait à Lunéville , scit
qu'il prît le masque de ïhalic , la lyre
cl'Anacréon , ou le pinceau d'Anelle.
REN
3G-?
A la mort de Stanislas , Rcnou revint
à Paris , et se livra plus que jamais
à la peinture. Il se fit agréer à l'aca-
démie , en fjGô , sur un tableau re-
présentant Jésus parmi les docteurs^
et recevoir, en 1781 , sur un des
tableaux du- plafond de la galerie
d'Apollon , représentant VAurore.
L'Académie ayant été supprimée à
la révolution , Renou fut aitachc
aux écoles spéciales de peinture ,
avec le titre de secréîaire et de
surveillant des éludes. Parmi ses
productions pittoresques , on dis-
tingue :1e Tableau à' Agrippine , dé-
hanpiant à Brindes , avec l'unie
contenant les cendres de Germa-
nicus; un autre représentant une An,'
nonciation, qui se voyait dans une
église de religieuses à Saint Germain-
en-Laie. Il a peint aussi un plafond
pour l'hôtel des Monnaies de Paris ,
et un autre , qui n'existe plus , au
théâtre Favart. En général, les com-
positions de Renou sont d'une belle
ordonnance. On y reconnaît une éru-
dition profonde et un génie éclairé.
Peut-être aussi s'aperçoit-on un peu,
qu'il n'avait pas vu les chefs-d'œuvre
de l'Italie. Il venait d'à rriver de Luné-
ville, et jusque-là il n'avait regardé
la poésie que comme un amusement,
lorsqu'un jour, se trouvant en société
avec des hommes de lettres connus ,
la discussion s'établit sur les difficul-
tés de la poésie et celles de Ii pein-
ture.Lemierre. présent à celtedispute,
prend chaudement la défense de la
poésie, et soutient sa suprématie:
Renou, pousse à bout, défie Lcmierre
de faire un tableau, et s'engagea com-
poser une tragédie. Latragrdie fut fai-
te, c'est celle de Térée et Philomèle;
cette pièce, qui fut jouée an Théà
tre Français , en «773, est im-
primée. Ce premier triomphe de
Rcnou, ainsi que l'airaiblissement
363
REN
de sa vue, le de'termiiicrcnt à cultiver
la litteValure : il entrcpiit la traduc-
tion eu vers du poème latin de Du-
fresnoy sur la peinture. Il était là
dans son domaine : aussi cet ouvra-
ge , surtout pour les Notes, a-t-il
obtenu l'estime des artistes , et celle
des couuaisscurs. Encouragé par ce
succès , Renou entreprit de traduire
en vers la Jérusalem délivrée. Déjà ,
quatre chants étaient terminés, lors-
qu'il perdit son manuscrit ; mais , ne
se laissant pas abattre par cet acci-
dent, il les recommença, et acheva
même entièrement sa traduction ,
dans laquelle il y a d'assez beaux vers.
Toujours dévoué aux arts , Renou ne
laissait jamais passer une exposition
publique , sans éclairer les amateurs
par quelques brocliures. On se rap-
pelle encore la Lettre du marin , et
celle de M. Bonnard , marchand
bonnetier. Ses critiques , loin d'être
décourageantes , étaient très-gaies ,
et aussi instructives pour les artistes
que pour le public. Parvenu à l'âge de
soixante-seize ans, plus occupé des
lettres et des arts , que des calculs de
l'intérêt , il termina sa carrière eu
décembre 1806 , laissant une veuve
et deux enfants sans fortune. Il exis
le, dans le Moniteur de juillet 1809,
une Notice beaucoup plus étendue
sur Renou , par l'auteur de cet arti-
cle. P— E.
RENOU i)E CHAUVIGNÉ. F.
Jaillot.
REiNTI (Gaston Jean-Baptiste,
baron de ) , l'un des fondateurs de la
sociétédes frères cordonniers, naquit
eu iGi 1 , au château de Béni, dans
le (iitjcèsede Baieux, d'une ancienne
famille originaire de l'Artois. Après
avoir achevé ses éludes au collège de
Navarre, et sous les Jésuites à Cacn,
il revint a Paiis, à l'àgc de dix-sept
ans , cunipltter son éducation à l'a-
REN
cadéraie de la jeune noblesse, où il
se rendit bientôt très -habile dans
tous les exercices du corps. Il apprit
eu même temps les mathématiques ,
y fit des progrès remarquables , et
composa sur cette science plusieurs
Traités restés en manuscrit (i).
Naturellement pieux , la lecture de
l'Imitation de Jésus -Christ ache
va de le désabuser des vaines gran-
deurs du monde; et il résolut d'em-
brasser la vie religieuse dans l'oi'-
dre des Chartreux , si connu par
son austérité. Ses parents , qui n'a-
vaient pas d'autre enfant , combat-
tirent ce dessein , et lui firent épou-
ser la fille du comte de Graville ,
jeune personne qui joignaità la beauté
beaucoup d'esprit et de vertus. Mal-
gré sa modestie , le baron de Renti
fut député par la noblesse aux états
de Normandie , où il se fit remarquer
par une prudence et une sagacité que
ne donne pas toujours l'habitude des
aiTaires. Il avait acheté , pour plaire
à ses parents , une compagnie de ca-
valerie ; et il servit dans les guerres
de Lorraine, avec une distinction qui
lui valut les éloges de Louis XIII,
et l'estime de plusieurs grands capi-
taines , entre autres du duc de Wei-
mar. Insensible à des prévenances
dont tant d'autres aur.ùeut été flattés,
le baron de Renti ne soupirait qu'a-
près la retraite, et menaità la cour,
comme au milieu des camps , une
vie détachée et pénitente. Enfin , à
l'âge de vingt-sept ans , il se démit
de ses emplois pour se consacrer uni-
quement a Dieu , et prit pour direc-
teur le P. Condren , supcrieur-géné-
(i) L. JosseLcclcrc, cl.iiis la Bil'Hotlià/ue de Riche
le! ( f^. LeCLEKC ), croit |ii)uvoir uUiibuei- .'. Reu-
ti : Vliilrodurtatr en lit Co>iiiOjjni/jliie , par G. J.
B. I). H. , (■ditioii rcviic, coriinee vt ninjiiiciilre de
|)lus dia diiii lieii, par I.oui»<'.i)ulou , Paris, i645,
3 vol. iri-R». Lt'S iiiilialcii 6 >iit illiclivciucut celle»
(lu Ciustuii-Jcau-liaptistv de Umti,
REN
rai de l'Oratoire , qui lui fit faire de
grands progrès dans la picte. Son
inépuisable charité s'exerça Lien lot
sur tous les maliicureiis qu'elle pou-
vait atteindre: outre lessccours abon-
dants qu'il distribuait hii-mcinc dans
ses terres , on qu'il faisait parvenir
à de pauvres familles, il étendit ses
libéralités jusque sur les cotes d'A-
frique, où il fit racheter un grand
nombre de Chrétiens qui gémissaient
dans l'esclavage. Il se dévoua, dans
les hôpitaux, au service des malades ,
et ne connut aucune misère qu'il ne
s'empressât de la soulager. Il devint
l'ami du vénérable Buch, surnommé
le bon Henri ( f\ Bucn, VI , 'ioo ),
l'encouragea dans son projet de la
sociélédes frères cordonniers, dont il
fit les premiers fonds , et qu'il se
proposait de doter d'une manière
convenable. Les austérités qu'il pra-
tiquait aflTaiblirent sa santé : mais il
ne voulut pas s'en relâcher; et il mou-
rut à Paris le 24 avril i649 ' ^g^ ^^
trente-sept ans. Son corps fut porté
à Citri, qu'il avait habité dans ses
dernières années , et inhumé sans
pompe ; mais, en i658 , l'évêquc
de Soissons le fit déposer dans un
tombeau de marbre, que sa veuve lui
avait érigé devant le mnîtrc-aulel de
l'église paroissiale. Le baron de Renti
laissa de son ni.iriage quatre enfants ,
deux garçons et deux filles, qui finent
les héritiers de ses vertus. Le P. de
Saint Jure, ]ésuite, a publié la Fie
de Renti, Paris , iOji , in-4". , ré-
imprimée huitoudix fois, in-12, et
traduite en italien et en r.nglais. On
peut aussi consulter V Histoire des
Ordres monastiques par Helyot ,
vin , 184 et suiv. , et les Vies des
Fères , par Godcscard , au 25 octo-
bre. Le Portrait du baron de Renti ,
a été gravé par Louis Audran , in-
fol. W— s.
REP 3G9
REPKOW. Vox. Ebco.
REPNIN (Nicolas Wasi-
LiEwiTScn, prince ) , feld - maré-
chal russe, né en 1784, clait fils
du prince de ce nom , qui comman-
da uu des corps d'armée de Pierre
I<=r. , dans les guerres contre Char-
les XII , s'empara de Stettin , en
1 7 1 3 , et mourut le 3 1 juillet 1 7 48.
— Le fils embrassa la mêmecarriè-
re, et s'y distingua par une valeur
brillante et par des talents peu com-
muns. Durant la guerre de Sept- Ans,
il avait fait presque toutes les cam-
pagnes avec les Français , comme
volontairedans leurs armées, et était
venu passer ses quartiers d'hiver à Pa-
ris. « Là , dit Ruiliière, dans la liber-
)) té des conversations françaises oii
i. toutes les opérations du ministère
» et les événements d'une guerre mal-
» heureuse étaient représentés com-
» me le dernier période de la déca-
» dence de la nation, oii tout ce qui
» était étranger était louépar une op-
» position satirique cl tout ce qui se
» faisait dans le pays, Repnin, quand
» leaouvernement français comraen-
» çait déjà à tomber dans le mépris,
» n'avait pas conçu une grande opi-
» niondc la puissance française. En-
» voyé ensuite , par Pierre III , à la
» cour de Berlin, dans uu temps où
» le roi de Prusse clierchait à dispo-
» ser de toutes les forces de la Rus-
» sie , il s'était vu l'objet des atten-
» tions séduisantes de ce héros. »
Tout chez l'étranger avait donc con-
tribué à exagérer, dans son imagina-
tion, l'idée de la puissance russe. Ces
dispositions, jointes à un dévoue-
ment aveugle aux volontés de sa sou-
veraine, età un caractère altier, le
firent choisir, en 1764, peu après la
mort d'Auguste III , pour aller se-
conder l'ambassadeur Kayserling ,
dans l'élection de Stanislas Poiiia-
24
370 REP
lowski. Neveu du comte Panin prin-
cipal ministre de Catherine, Repniu
reçut de lui des iustri>clions secrètes,
bien plus positives et plus pressan-
tes que celles même de cette princes-
se. Initié d'ailleurs dans le secret des
liaisons qu'elle avait avec ce seigneur
polonais, le libertinage les ayant
unis eux -mêmes d'une sorte d'ami-
tié , Repnin éprouvait de la joie à
penser qu'il pourrait faire roi un an-
cien confident ou compaç:non de ses
désordres, un homme sous le nom
duquel il espérait rép;ner; car l'extrê-
me faiblesse de Poniatowski autori-
sait ceux qui agissaient en sa faveur
à concevoir cette espérance. Cathe-
rine avait chargé Kayserling de com-
muniquer à tous les grands une lettre
dans laquelle elle énonçait ses mo-
tifs pour exclure l'élecleur de Saxe.
Kaysetling mit beaucoup de ména-
gements dans cette communication :
il flattait les Polonais pour les domp-
ter; et maniant habilement leurs
passions, il n'en parvenait pas moins
sijrementà son bul par sa feinte mo-
dération, tîcpnin au contraire vou-
lut, des les premiers jours de son ar-
rivée à Varsovie, renveiser tous les
usages de la république, nommer le
roi avant la dicte de convocation ,
avant la tenue des diétines. Enfin,
l'un par son adresse , l'autre par ses
menaces, arrachèrent l'élection de
Poniatowski (le 7 septembre 1 764 ).
Kayserling, depuis long-temps ma-
lade , expira le jour même où ce
prince commença de régner. Repriiu
lui succéda, maigre les Czartorinski,
comme ambassadeur. L'élection de
Poniatowski était bien le principal ,
mais non runi(|ue objet de ses ef-
forts ainsi que de ses instructions.
La fauu'UM- all'airc des dissidents in-
téressait également Catherine, et
fournissait à sa politique l'occasion
REP
ou plutôt le prétexte de perpétuer soTi
intervention dans le régime intérieur
delà Pologne. Le 1 4 septembre 1 764 ,
Repnin présenta u«e note pour de-
mander que la diète accordât aux
dissidents le libre exercice de leur
religion , et les admît à posséder des
charges et des dignités à l'égal des
catholiques : la diète de 1765 refusa
de se prêter aux vues de Catherine
à cet égard. Il s'opposa également
aux divers règlements que les Czar-
torinski et le grand chancelier vou-
laient introduire dans la constitu-
tion pour rétablir l'ordre dans l'ad-
ministration sans restreindre le pou-
voir monarchique, et notamment à
la funeste disposition qui exigeait
l'unanimité des votes pour la for-
mation de la loi , disposition qui
était la source de tous les abus qui
avaient perdu la république. N'i-
gnorant pas que les Czartorinski s'e'-
taienl plaints de lui à l'impératrice,
et avaient essayé de traverser sa no-
mination comme ambassadeur, il
s'efforçait d'arracher de leurs mains
toute l'autorité du nouveau règne, et
s'appuyait sur l'opposition de la jeu-
ne noblesse, naturellemcntportéeàse
moquer de l'exigeante austérité de ces
vieillards , et envieuse de leur crédit.
Bientôt même brouillé avec le roi
par une rivalité de galanterie, il ac-
cusa, avec une égale animosité, au-
près de Catherine, et Stanislas et ses
deux oncles. Stanislas se brouilla de
son côté avec ces derniers; en sorte
qu'un concert de plaintes, d'accusa-
tions et de récriminations des uns et
des autres entre eux et contre l'am-
bassadeur, fut porté jusqu'aux pieds
du trône de rimperatrice. Saldeni
fut chargé de réconcilier la cour de
Varsovie. Il écouta avec une patien-
ce et une iniparlialité apparentes les
griefs du loi tonirc ses oncles, ceux
de ces princes et du monarque con-
tre Repnin , les engageant mcrac à
adresser leurs plaintes directement
au comte Panin. Mais connaissant
l'extrême affection de ce dernier pour
Repnin, le ruse médiateur écrivait
lui même à ce ministre delà maniè-
re la plus favorable sur le compte de
l'ambassadeur. La médiation de Sal-
dern ne fit qu'assoupir les ressenti-
ments. La diète approcliail. Repnin,
craignant l'influence de Soltik , ëvè-
que de Cracovie, le fit menacer, s'il
persistait dans son opposition aux
intérêts de la Russie, de voir ses ter-
res ravagées, les revenus de son ëvé-
ché séquestrés, sa personne exposée,
et ses parents même rendus respon-
sables de ses actions. Ces menaces ,
comme on le verra , n'ébranlèrent
point le prélat, qui se plaignit au roi
de la tyrannie exercée par le minis-
tre d'une puissance étrangère. Les
autres évêques, à qui Repnin fit défen-
die de parler à la diète sur les dis-
sidents, répondirent que leur dignité
d'évêques et de sénateurs leur inter-
disait le silence. Repnin parut inquiet
et embarrassé; mais se sentant fort
de l'appui de quarante mille Russes
qui bordaient la frontière , tout
prêts à se joindre aux vingt mille
déjà répandus sur le territoire po-
lonais , il publia une déclaration en
faveur des dissidents , Grecs , Luthé-
riens, Calvinistes, dans les termes
de celle du 17 septembre 1764,
y ajoutant seulement que la czarinc
était résolue à employer la force
contre les oppositions qui se rcncon-
tieraient.Du reste, il se taisait sur un
autre point litigieux entre les deux
états, concernant la démaicaliondes
limites, et sur la propositicui qu'il
avait précédemment faite d'une al-
liance offensive. Les raisons contra-
dictoires furent exposées à Pcters-
REP 371
bourg même, par l'ambassadenr de
Pologne, et par un émissaire des
dissidents. Sans examiner ces rai-
sons, rimpératrice fit rédiger une
note où les prétentions de ceux-ci
étaient un peu modifiées , et dit, en
la remettant à l'ambassadeur : « Si
» on ne ra^accorde pas ce que je de-
» mande ici , mes demandes n'au-
» ront plus de bornes. » Les résolu-
tions des évêques et delà plupart des
députés rappelèrent Stanislas au soin
de sa propre dignité : il promit de
seconder la résistance qu'on se pro-
posait de faire dans la diète ; il l'an-
nonça même à l'ambassadeur russe,
dans •une audience publique. Mais
les intrigues de Repnin ne tardèrent
pas à faire avorter chez ce prince
de généreuses déterminations. Lais-
sant assoupir l'affaire delà religion,
ce ministre encouragea ceux qui mon-
traient de l'opposition anx desseins
de la cour, et leur promit la protec-
tion de la Russie , en même temps
qu'il fit ravager par sixmille Russes,
appelés auprès de Varsovie , les ter-
res des députés qui refusaient de se
courber sous sa verge de fer : il en-
voya même des troupes vivie à dis-
crétion, dans les domaines du roi. La
czariue, ayant appris avec indigna-
tion les déterminations courageuses
dcStanislasJui reprocha hautement
d'avoir fait une affaire de religioix^de
ce qui, suivant elle, n'était qu'une
affaire de politique : elle signa la
promesse d'appuyer , a main ar-
mée , les efforts qu'allaient faire
les dissidents, en se confcde'rant
pour obtei.ir par la force ee que la
république leur refusait , les assu-
rant que cet appui serait de 4o.ooo
hommes. Repnin, qui eut ordre de ne
plus modifier les demandes déjà fai-
tes, obtint une audience de la diète,
et lui présenta unmémoirercmplidcs
372 REP
prétentions les plus exap;crées. EnGn
le roi et les Czartorinski, craignant
de se perdre , et la patrie avec eux,
par une plus longue résistance ,
avaient pris le parti de céder; mais ,
feignantuneinclisposition , Icprince
Auguste s'absenta de la diète. L'ara-
hassadeur russe , qui assistait aux
séances, et examinait tout de sa tri-
bune, placée au-dessus du trône,
alla lui-racine le chercher, et triom-
pha de ses refus, autant par ses pro-
messes que par ses menaces. Ce
prince se rendit à l'assemblée , ex-
posa les demandes de la cour de
Russie, et conclut à cequeTaugmcn-
talion de l'armée, ni aucune imposi-
tion, ne pussent avoirlieuàlaplurali-
tédes voix. Il fit ensuite décréter que
l'opposition d'un seul nonce suffi-
rait pour rendre nulle toute déli-
bération relative aux affaires d'é-
tat. Le lendemain , l'évèque de
Cracovie fit passer, par forme de
concessi'on , quelques dispositions
favorables aux dissidents, sur la ba-
-e des modifications proposées an-
rieureraent par Repnin. Mais les
L mps étaient changés ; ces conces-
♦ ns, qui terminèrent les travaux de
diète, ne satisfirent ni les dissi-
.nts , ni Repnin , mécontent de ce
'fnc l'alliance offensive, et la non-
le démarcation des limites , n'a-
ient pas été seulement proposées,
rage qui grondait sur la Pologne
; lit donc point détourné. Catheri-
nsistant pour la totalité des de-
. des des dissidents , fit outrer qua-
'';millc hommes en Pologne à l'ef-
soutenir leur confédération, qui
le 'io mars i-jG^jàTliornctà
(;n Lithuanie. Le I oi, ne rccon-
'\ pas dans la noblesse dissi-
" droit de se confédcrer, refu-
■iccà la députât ioi). Nouvelles
. de Repnin , de commencer
REP
sur Icchamp les hostilités ; ces me-
naces étaient déguisées sous le nom de
représentations amicales. Toujours
faible , Stanislas a recours à des sub-
tilités , et reçoit les députés comme
envoyés par le corps des dissidents,
et non comme membres d'une confé-
dération. Mais c'était en vain que les
dissidents s'étaient confédérés , si la
nation refusait de s'assembler pour
juger leurs plaintes. Repnin , pro-
fitant du mécontentement qu'une
partie de la nation ressentait delà
faiblesse et des tergiversations du roi
et des Czartorinski , dont les cons-
titutions avaient détruit plusieurs
prérogatives de la noblesse , eut l'i-
dée de réunir ensemble , sous la mé-
diation russe , les deux ligues , l'une
catholique , composée du corps de
la noblesse , et l'autre dissidente.
Il répandit une déclaration de Cathe-
rine , qui promettait protection à ces
mécontents, portait d'ailleurs des
paroles de paix et de réconciliation
aux divers partis , et les engageait à
former une association légale, ou ,
en d'autres termes , une confédéra-
tion extraordinaire : Frédéric II
émit une déclaration semblable. La
haine contre les Czartorinski , la
promesse faite secrètement, au nom
de Repnin , par des émissaires rus-
ses, de détrôner le roi , enfin l'espoir
de la vengeance, entraînaient la plus
grande partie de la noblesse. Cepen-
dant dès la première conférence avec
Repnin , les républicains virent avec
effroi l'autorité qu'il prétendait s'ar-
roger dans leurs assemblées : il sem-
blait ne vouloir que sanctionner, par
leur présence, des résolutions déjà
prises. Le plan d'une confédération
générale et d'une confédération par-
ticulière était dressé. Ou promettait
d'y accéder à toutes les demandes
des dissidents. On y faisait supplier
REP
Catherine par les confédérés , d'e'-
tcndre sa garantie à tous les actes
du gouvernement ; enfin ces pre-
miers actes étaient remplis de pro-
testations de respect envers le roi.
Gomme on sut que Repnin avait
chaque jour , avec lui, des entretiens
secrets , on le crut vendu à ce prince ;
et les confédérés , se persuadant que
l'impératrice le désavouerait , se
flattèrent qu'une fois formée , la
confédération générale serait assez
puissante pour que la Russie en
respectât l'autorité. Repnin lui-mê-
me semblait le pressentir ; car il
disait au palatin deKiovie : « Tout
» ce que vous demanderez au nom
» de la nation confédéiée , on vous
» l'accordera. » On dissimula avec
lui ; et il fut décidé que , le 24 mai
1767, toutes lesconfedérations écla-
teraient à-la- fois , et se réuniraient à
Radom , à huit lieues de Varsovie,
pour y signer la ligue générale. Le
roi fit déclarer à Repnin , par ses
ministres , qu'il convoquerait une
diète extraordinaire , dont la session
commencerait le 5 octobre suivant.
En moins de huit jours , plus de
soixante mille gentilshommes eurent
donné aux mécontents leur parole et
leur signature. Repnin porta au roi
toutes les listes qu'on lui avait en-
voyées des provinces , et dit , en
les lui montrant : « Vous voyez bien
V que je suis votre maître ; votre
» couronne ne tient plus qu'à votre
» soumission. « Mais l'empresse-
ment se changea en défiance à la
seule lecture du manifeste , dans le-
quel on demandait à la czarine de
garantir les lois à faire; et presque
partout il futrcjelé. Repnin multiplia
ses intrigues et ses ruses pourconser-
ver son influence : il les employa au-
près du grand-général Branicki,pour
le tenir eu sa puissance. Ce sage
REP 373
vieillard s'arrêta à quelques lieues
de Varsovie , et ne donna point dans
le piège. Les troupes russes s'appro-
chèrent de Radom ; et le comman-
dant fit signer de foi'ce , par l'ordre
de Repnin , un acte contenant tou-
tes les dispositions du manifeste re-
jeté. La trame de cette opération
fut concertée avec Podoski , que
Repnin avait fait nommer primat,
et qui, en cette qualité, signa le
premier. Ce fut le prélude d'au-
tres exigeances de la part de l'am-
bassadeur. Poniatowski , tremblant
pour les prérogativesde sa couronne,
prit le parti d'une soumission entiè-
re aux volontés de la Russie : il
céda sans résistance , à Repnin, le
droit d'accorder toutes les grâces ,
se réservant à peine celui de recom-
mander. 11 devint, en quelque sorte,
un de ses flatteurs et de ses plus dan-
gereux émissaires. Saisi, pour ainsi
dire, de l'autorité royale , cet autre
duc d'Albe obligea, par les plus
horribles violences, la plupart des
nonces , à signer entre ses mains
l'engagement d'obéir on tout à hi
Russie. Peu de jours avant l'ouver-
ture de la diète , il rassembla chez
lui les évoques , et leur annonça qne
quiconque persisterait dans sa l'ésis-
tance , s'en repentirait : ces véné-
rables prélats parurent résolus à se
laisser enlever pour la Sibérie, dont
il les menaçait. Le primai seul éluda
de répondre. — ■ Enfin la diète s'as-
sembla; l'évèque de Cracovic qui
avait réglé les ailaires de son diocèse
et les siennes propres , au cas qu'il fût
exilé, s'éleva avec force et résigna-
tion contre les projets de la Russie ;
et son discours fut appuyé par le
comte Rzewuski , palatin de Craco-
vie. Après cette première séance ,
des détachements russes allèieut ra-
vager les terres du palatin et de l'é-
374
REP
vcque. Cela n'arrêta pas le zèle de
Zaluski , ëvèque de Kiovie , et du
nonce de Podolie Rzewuski, dans la
séance suivante. De son cote' , Kra-
sinski , e'vêque dcKaminieck, avant
de se rendre à la diète , agit auprès
de la Porte pour l'excitera la guerre,
si la czarine ne retirait pas ses trou-
pes de la Pologne. Cette princesse
avait copie des lettres et des mémoi-
res de Krasinski; et Repnin, n'osant
l'envoyer enlever sur les frontières
turques , l'attendait à Varsovie pour
le faire arrêter. Les envoyés de la
confédération h Moscou , firent de
vains efforts ponr éclairer Catherine
sur le despotisme extravagant de
Repnin. On leur répondit qu'il avait
sa confiance , et des pleins-pou-
voirs. « L'impératrice est une grande
» princesse, leurdisait le ministre Pa-
» nin ; le prince Repnin est mon ne-
» veu , et vous serez heureux mal-
» gré vous. » Soutenu aussi efficace-
ment, Repnin annonça qu'il nese dé-
partirait pas de sesdemandes, et que,
pour s'y soustraire, il fallait l'enter-
rer lui et les quarante mille Russes
qui étaient en Pologne : il ne put
obtenir la pluralité des voix. Il avait
suspendu son projet d'enlèvement
des chefs de l'opposition , jusqu'à
l'arrivée de Krasinski : mais celui-ci
n'eut garde de se montrer. Il se ca-
cha dans un faubourg de Varsovie ,
et fit proposera l'évcque deCracovic
une conjuration secrèle de toute la
Pologne, à la suite de la protestation
d'un nonce contre les décrets de la
diète : il recommandait d'attendre,
pour éclater, les mouvements hos-
tiles des Turcs, dont il se croyait as-
suré. L'évêquede Cracoviese pressa
de confier à ses amis l'exécution de
ce dessein : des rapports vagues le
portèjenl à la connaissance du roi ,
qui, soupçonnant le préiat d'avoir
REP
voulu e détrôner , informa aussitôt
Repnin de ces mesures. L'enlèvement
des évêques de Cracovie et de Kiovie,
et de VVenceslas et Severin Rzevrus-
ki , depuis long-temps médité, eut
lieu le soir même; et dès le lende-
main on leur fit prendre la route de
Smolensk : plus tard , quand les
confédérations éclatèrent , ils furent
transférés en Sibérie. A près cette vio-
lation du droit des gens , Repnin ne
garda plus de mesure. La diète ayant
fait demander si elle ne pouvait pas
espérer quelques modifications? «Au-
» cune , » répondit-il avec la fierté
d'un satrape. Depuis les moindres em-
plois jusqu'aux dignités les plus con-
sidérables, tout fut conféré, non-seu-
lement à sa recommandation , mais
sur sa simple désignation. Ses secré-
taires vendirent publiquement les di-
plômes de toutes les charges polo-
naises : il se permit avec Stanislas
des procédés si humiliants, que, mal-
gré leur haine contre ce prince , tous
les Polonais s'indignaient de voir
avilir à ce point un homme qu'on
les forçait d'appeler encore leur roi.
(i)La dicte , intimidée , chargea une
commission d'arranger à l'amiable,
avec l'ambassadeur russe , les con-
testations relatives aux dissidents. Le
traité du 24 février 1768, et deux
actes séparés de la même date , éta-
blissant, le premier, les droits des
dissidents, et quelques principes sur
la religion dominante, le second,
les lois constitutives de l'état, et no-
tamment le ridicule et abusif liberum
veto , furent le résultat de ces négo-
ciations. La diète fut terminée le 5
mars 17O8, et la confédération de
(l) Un jour fpir Sluiiislns l'Iall nn si«rln<lf, r.-,ni-
lin>s.idiiir tarda 1iimuc(iii|) .'. s'y rriijif. Vcivanl qu'il
ne venait pas , on leva la toile, e( l'<in oininicnça. On
lii liait lU•j.^ au dciixiènie acte, Ior.i<|Uc Rc^iniiiarr»-
ve, piciué de ce i|ii'on ne l'a pas attendu, il fait in-
teiTonipre le s|ii'ctaclc, et rtcmuiiiciiccr la pièce.
REP
Radom dissoute. Mais la paix iie
s'ensuivit pas : tous ces actes de
souveraineté exerce's en Pologne par
Catherine II , ou en son nom , avaient
soulevé les esprits ; et l'orgueilleuse
violence de Repnin n'avait fait que
les exaspérer davantage. Les confé-
dérés n'avaient pas encore quitté
Radom, que le bruit de la formation
de la confédération de Bar était déjà
répandu. La première réunion avait
commencé le 29 février. Le comte
Krasinski et les cinq PulaAvski se
mirent à la tète de celte ligue. Rep-
nin, personnellement attaqué dans
le manifeste qu'elle publia , fut outré
de colère, et menaça de faire massa-
crer les confédérés par les troupes
russes , ou de les faire périr du der-
nier supplice. 11 força les sénateurs
restés à Varsovie, d'implorer, au
nom de la république , les secours
de la Russie. Quelques uns s'absen-
tèrent et firent des protestations : la
majorité trembla devant le mot .St-
bérie , sorti de sa bouche. Dès-lors,
l'armée russe marcha contre les con-
fédérés ; ils obtinrent sur elle quel-
ques avantages : Repnin , qui atten-
dait des ordres de Pétersbourg sur
cette levée de boucliers , crut devoir
se prêter à une nouvelle résolution
du sénat , de députer vers eux Mo-
kranowski pour écouter leurs griefs.
C'était un homme droit, courageux
et populaire. Des conférences furent
demandées, et les hostilités suspen-
dues. Dans ces entrefaites , arriva le
frère de Repnin , qui lui apportait,
avec la ratification du traité du 24
février , des signes éclatants de la
satisfaction de l'impératrice, l'ordre
de Saiut-Alcxandre, une gratification
de cinquante mille roubles, le brevet
delieulenant-gc'héral, etc. Il lui remit
aussi une déclaration de Catherine
contre les confédérés de Bar , qu'elle
REP
575
regardait comme lebelles à leur pa-
trie et ennemis de son empire : elle
ordonnait au roi de joindre ses trou-
pes aux Russes , sons peine de voir
dévaster la Pologne par le fer et le
feu. Repnin, profitant de la sécurité
des confédérés , les fit attaquer aus-
sitôt sur divers points; et le roi eut
la faiblesse de consentir à ce que ses
troupes se réunissent aux Russes. Le
désespoir opéra un soulèvement dans
toute la Pologne. Dans sa défiance,
Repnin s'emparait même des muni-
tions de guerre des Polonais de son
parti. Sa tyrannie ne fit qu'augmen-
ter après la découverte du complot
de Dzirzanowski , qui s'était chargé
de l'enlever , et qui avait osé propo-
ser cette courageuse entreprise au
timide Stanislas. Les confédéra-
tions se multipliaient au milieu des
massacres : celle de Cracovie faillit
entraîner le bombardement et la
ruine de cette ville, qui tomba après
ui. siège desix semaines. La longueur
de ce siège , et les menaces de guerre
de la part de la Turquie, avaient don-
né à Catherine des inquiétudes; et
Repnin , chargé par elle de tenter ton-
tes les voies d'accommodement, avait
mandé les chefs des dissidents, pour,
en sauvant la honte d'un pas rétro-
grade, les faire renoncer eux-mêmes
aux prérogatives qu'il leur avait fait
accorder. On regarda comme certaine
la disgrâce de Panin , qui, peu au-
paravant , avait promis le main-
tien de la paix avec la Porte ; et les
courtisans se flattaient que la dis-
grâce de l'oncle entraînerait celle du
neveu. Mais l'impératrice , satis-
faite de s'cHie justifiée aux yeux de
son peuple par un mécontcuteracnt
ostensible , conserva Panin au mi-
nistère. Quant à Repnin, elle fit an-
noncer partout que son ambassade
allait finir , et affecta de se plaindre
37G REP
d'avoir toujours élc mal infor-
mée des dispositions des Polonais.
Malgré ces plaintes simulées ou
réelles , il osa donner à l'impéra-
trice l'espérance d'armer contre les
Turcs la nation polonaise. Il voulait
faire cette proposition dans la diète,
qui était prochaine. Catherine agréa
le projet , et le chargea d'offrir au
roi, à cette condition , le comman-
dement des armées. 11 fallait qu'elle
eût un profond mépris des hommes,
ou qu'elle s'aveuglât d'une manière
bien étrange sur le degré d'ascendant
que Pooiatowski avait conservé sur
sa propre nation. Il ne se fît pas il-
lusion j car il répondit par ce vers :
■ Connais-tu quelque Dieu qui fassa un tel prodige?»
Repnin eut beau lui représenter que
c'était au roi nommément que les
Turcs faisaient la guerre, qu'ils at-
taquaient son élection dans leur ma-
nifeste , et le déc'laraicnt indigne de
régner. Stanislas, se renfermant dans
les limites d'une politique circonspec-
te , X'ef usa de se prêter à ce rôle dange-
reux : l'abandon total que Calberine
lui signifia })our se venger de ce re-
lus, et les outrages de Repnin, ne
purent le détourner de sa résolution.
Toiitau reste, dans Varsovie, opposa
une égale résistance à ce projet in-
sensé^le Repnin. Bientôt il abandonna
a son successeur les afl'aires qu'il avait
amenées à la plus horrible confusion,
et se rendit à l'armée. Il obtint le
commandement diui des princi-
paux corps de celle du couite Rou-
manzofT, et seconda clîiraceihcnt ce
grand général , soit dans les batailles
de K.irtal et de Kagoul (en 1770),
soit en s'empaïaiit d'Ismailow. Sou
heureuse coopération, pendant toute
la durée de cette guerre , fit jeter les
yeux sur lui pour la négociation de
la paix. 11 signa le traité de Kaï-
REP
uardgi(3i juillet «774), comme
plénipotentiaire de Catherine, qui
le nomma ensuite son ambassa-
deur à Constantinople. Il réussit,
dans ce nouveau poste, à empêcher
une nouvelle rupture. La construc-
tion d'une forteresse entre Kertsch
et lenikalé , la protection accordée
aux rebelles de Crimée , l'élection
de Sahin-Guera'i à la dignité de khan
par la protection des Russes , leurs
usurpations enfin, avaient singulière-
ment irrité le divan. Le grand-visir
déclara lui-même au prince Repnin
qu'à moins que le khan ne rentrât
sous la domination de la Porte, et
que la Russie ne restituât Kertsch et
lénikalé , la paix ne serait pas
de durée. 11 importait à la cza-
rine de détourner une nouvelle guer-
re , au moins jusqu'à ce qu'elle y fût
préparée ; et son ambassadeur rem-
plit très-bien ses intentions, en cal-
mant les ressentiments de la Porte.
Le roi de Prusse engagea la Fran-
ce à conseiller au divan un arran-
gement, qui eut lieu, et fut consa-
cré, postérieurement à la mission
du prince Repnin , par la convention
explicative du traité de Kaïnardgi ,
signée à Constantinople , le 21 mars
I 779- Reconnaissante du service que
lui rendait Frédéric II, Catherine,
à son tour , s'interposa pour termi-
ner les différends ipic la succession
de Baviire venait d'occasionner en-
tre Marie-Thérèse et ce prince ; et ,
pour appuyer son intervention di-
plomatique , elle fit marcher vers
les frontières de la Gallicic, une ar-
mée de trente mille hommes , sous
les ordres du prince Repnin. Il arri-
va leiodéc. 177H, à Breslau, déploya
le double caractère de général et
d'ambassadeur, et proposa la média-
tion de sa cour pour parvenir à un
accumodemcnt. En même temps une
REP
déclaration conforme à cette pro-
position fut adressée an prince de
Kauuitz : les dëraonstratious guer-
rières de la Russie , et les instances
du cabinet de Versailles , ayant
amené' Marie- Thérèse à l'accepta-
tion de la médiation française et
russe , un congrès fut indiqué à Tes-
chen. Le prince Repniu s'y rendit,
comme plénipotentiaire médiateur
de la part de la Russie ; et le liarou
de Breteuil comme plénipotentiaire
médiateurde la France : ils signèrent
tous deux, en cette qualité, le 1 3 mai
1779, le traité qui prit le nom du
siège de la négociation. Durant la
campagne de 1789 contre les Turcs,
le prince Repnin fut chargé du com-
mandement de l'armée d'Ukraine ,
après la démission du comte Rou-
raanzoff. i^e io septembre , il battit
une armée othomane qui avait passé
leDanube auprès d'ismaïl. En 1790,
il chassa les Turcs des bords de la
Solska , et fit le blocus d'ismaïl :
mais ce fut SouwarofF qui eut les
honneurs de la conquête de cette pla-
ce , après l'assaut le plus meurtrier
qu'on eût jamais vu. Ils reçurent
tous deux de ricbcs présents de l'im-
pératrice. Enfin , le 10 juillet 1791 ,
Repniu , à la tête de la grande armée
russe , forte de quarante mille hom-
mes , mit en déroute , auprès de
Matzin ou Maczyn , plus de cent
raille Othomans , commandés par
le grand - visir Youssonf , si fa-
meux par les succès cpi'il avait obte-
nus sur les Autrichiens , dans le
Bannat. Ces victoires amenèrent la
conclusion de la paix de lassi, dont le
prince Repnin et le grand-visir signè-
rent les préliminaires, à Galacz, le
1 1 août 1791. C'était en l'absence du
général en chef Potenikiu, et pendant
(pic ce favori se livrait à ses plaisirs à
Pctersbourg , que Repnin , sou licu-
REP 377
tenant, avait subitement passé le Da-
nube , et, par une marche rapide,
avait surpris et battu le visir à Mat-
zin. La nouvelle de cette victuireavait
réveillé Potemkin de ?a léthargie.
S'arrachaut à des jouissances indi-
gnes de sa gloire, il était revenu à son
armée, nepouvant contenir son eu vie
et son ressentiment d'un succès im-
portant obtenu sans lui et malgré lui;
car il avait ordonné que les troupes
gardassent leurs positions. Son abord
fut terrible; Repnin le soutint avec
plus de fermeté qu'on n'eût dû l'at-
tendre de sa longue habitude d^une
complaisance obséquieuse et presque
servde envers l'orgueilleux amant de
sa souveraine. « Comment, lui dit
» Potemkin, eu faisant allusion à son
» zèle pourlemartinisme, comment,
» petit prêtre IMartin que tu es, oses-
» tu , pendant mon absence , cntre-
» prendre tant de choses? Qui t'en a
» donné les ordres? » Repf)iii, indi-
gné de cette apostrophe, et d'ailleurs
enhardi par la victoire, réjiondit :
« J'ai servi mon pays; ma tête n'est
» point en ton pouvoir, et tu es un
» diablequc jenecrains plus. » Après
cette scène violente, il le quitta, en
lui jurant une haine implacable. Po-
temkin ne survécut que quelques se-
maines : mais , avant sa moi t , il
avait obtenu la disgrâce de sou rival;
et l'ascendant que sa mémoire exer-
çait encore sur Catherine assura le
maintien de cette déterininalion. A
peine Repnin eut - il fini sa négo-
ciation des piéirminaires , qu'il se
retirai Moscou. 11 y établit un club
de inarliiiisles : c'est le nom d'une
secte d'illuminés ( Foy. Martinez
Pasqualis ); mais ce fut, à pro-
prement parler, un club de mécon-
tents , dans lequel le principal ti-
tre d'admission consistait dans la
manifestation de sentiments d'op-
378 REP
position contre la cour. On a pré-
tendu qu'on s'y occupait bien moins
de rêveries et d'idées mystiques que
de politique, et qu'il s'agissait de dé-
trôner Catherine, et de mettre Paul
à sa place. L'impératrice en fut bien-
tôt instruite; elles membres du club,
arrêtes , dépouillés de leurs charges et
de leurs ordres, subirent, la plupart,
la peine de l'exil, les uns en Sibérie,
les autres dans leurs terres. Repnin ,
mandé à Saint-Pétersboiug , se crut
perdu. Soit qu'elle gardât le souvenir
de ses anciens services , soit qu'elle
en attendît de nouveaux, Catherine
dissimula , fit un bon accueil au prin-
ce, et le nomma gouverneur-général
de la Livonie, d'où, après le dernier
partage de la Pologne, il passa au gou-
vernement général de la Lithuanie.
Alors il transporta sa résidence à
Grodno , oi!i se trouvait l'infortuné
Stanislas Poniatowski ; rapproche-
ïiient qui, s'il n'était dû qu'au ha-
sard, peut paraître un des jeux bi-
zarres de la fortune; car il plaçait,
vis - à - vis du monarque déchu ,
l'homme qui , après avoir été l'un
des principaux instruments de son
élévation, avait sapé le premier, de-
puis 1765 jusqu'en i7()8, les fon-
dements de son trône. Lors de l'inva-
sion qui amena les derniers démem-
brements delà Pologne, Repnin se
trouvait le seul général de réputation ,
à la tête des armées russes. Cathe-
rine se vit dans la nécessité de l'em-
ployer. Mais sa marche méthodique
et piudentc contrariant les vœux im-
patients de cette princesse, le com-
mandement lui fut retiré et donné à
SoMvvarofr,qui, la veille, était sousses
ordres , et qui, étant nommé feld-
maréchal, dcvintson supérieur. Rep-
nin supporta ])aliemment cette hu-
miliatiun. Il fut ensuite chargé des
fonctions de ministre de Catherine ,
REP
en Pologne, et ce fut pour déposer
le faible Poniatowski. Il lui remit
une lettre de cette princesse , por-
tant en substance , « que l'effet
» des arrangements pris à l'égard de
» la Pologne, étant la cessation de
» l'autorité royale , on lui donnait à
» juger s'il n'était pas convenable
» qu'il abdiquât formellement. » Un
conséquence, et d'après les insinua-
tions , pour ne pas dire l'ordre de
Repnin, Stanislas Auguste signa, le
25 novembre 1 795 , son abdication.
Peu de jours après l'avènement de
Paul P"". , le prince Repnin fut enfin
élevé, leaonovembre 1796, au grade
de feld-maréchal. Après la paix de
Campo-Formio , l'Autriche ayant
annoncé , à Rastadt, des vues sur la
Bavière, comme indemnité de la Bel-
gique, la Prusse manifesta son oppo-
sition à ce projet. Paul I®'. crut de-
voir envover à Berlin , l'ancien plé-
nipotentiaire médiateur deTeschen.
Repnin arriva dans cette capitale, le
18 mai 1798, avec une nombreuse
suite , composée de son neveu , le
prince Wolkonsky, d'un secrétaire
français , nommé Aubert , précédem-
ment attaché à l'ambassadeur de
France en Pologne M. Descorches
de Sainte- Croix , de plusieurs aides-
de-camp, du martiniste Thiemann ,
etc. Son entrée fut presque triom-
phale. Il avait le caractère et les
moyens qui pouvaient répandre le
plus d'éclat sur sa personne ; et l'em-
pereur avait pensé qu'un homme
comme ce feld-maréchal, jouissant
en Russie et dans le Nord d'une hau-
te considération, prendrait de l'as-
cendant sur un roi jeune et encore
sans expérience, et sur un ministère
incertain, vacillant par caractère et
par piincipes. Repnin ne déploya
pas le titre d'ambassadeur, ni aucun
autre titre diplomatique. Celui de
REP
simple voyageur, à cause de l'ëti-
qucttc de cctîe cour, lui rendait plus
faciles ses relations avec le roi et les
princes. La garantie du traite de Tcs-
chen, au sujet du démembrement de
la Bavière, demandé par l'Autriche,
paraissait l'unique objet de sa mis-
sion : il e'tait bien aussi question, de
la part des deux cours de Berlin et
de Vienne, d'un abandon mutuel de
tout droit d'indemnité' en Allema-
gne ; la proposition en avait été faite
par la Prusse, qui se serait contente'e,
pour la maison de Nassau-Orange ,
de quelques bailliages peu impor-
tants , eu dédommagement de ses
pertes à la rive droite du Rhin. C'é-
tait-là le terrain patent et avoue sur
lequel devait porter la négociation.
Mais elle avait un objet secret beau-
coup plus important. L'Angleterre,
l'Autriche et la Russie préparaient
la deuxième coalition contre la
réptdjlique française , et voulaient
y faire entrer la Prusse. Déjà Paul
faisait annoncer l'enroi dans la Bal-
tique et dans le Sund , d'une flotte
de vingt - deux vaisseaux russes,
destinés à proléger le commerce an-
glais contre les corsaires du Direc
toire ; et l'armée de Souwaroffse met-
tait en marche pour la Gallicie. Les
premières demandes de Repnin, ap-
puyées par l'ambassadeur d'Angle-
terre, tendaient évidemment à re-
nouer la grande coalition européen-
ne sous un nom différent, par exera-
])le , celui de la garantie de la paix
de V AlleTnagne : le cabinet prussien
répondit qu'il avait besoin de garder
sa neutralité, et qu'il la garderait.
Le négociateur russe se contenta en-
suite de vouloir rallier les cours de
Berlin et de Vienne, sous la média-
lion de la Russie, à l'effet de défen-
dre eu commun la constitution de
l'empire , soit dans l'hypolLcse de
REP 379
son intégrité territoriale, soit dans
celle de quelques indemnités indis-
pensables* pour les deux cas. Cette
négociation s'embrouilla dans ses dé-
veloppements; on ne s'entendit point.
Les ministres prussiens ne cessaient
de porter la délibération sur le sort
de la Bavière , sans en prononcer
le nom , mais seulement en décla-
rant l'inviolabilité des états héré-
ditaires. L'Autriche voulait que l'on
s'entendît sans l'intervention humi-
liante de la France, et que la lésis-
tance aux prétentions exagérées de
ses ministres à Rastadt fût concertée
entre les deux cours. La Prusse
faisait observer qu'elle s'était mon-
trée avec le plus de vigueur à ce
congrès contre les exigeances du
Directoire français, et persistait à y
voter séparément. Repnin ne put ar-
racher aucune modification à ces ré-
solutions , dans les conférences qu'il
eut avec les ministres du cabinet,
auxquels le roi avait adjoint le feld-
maréchal Moellendorf , le seul qui
parût entrer dans les vues des Rus-
ses , et dans leur haine pour la répu-
blique (2). 11 se plaignit au contraire
beaucoup du comte de Haugwitz,
qui déclara son intention de mainte-
nir la Prusse dans une invariable
neutralité. Ce ministre était, d'un
autre côté, harcelé par le fameux
Sieyes, que le Directoire avait en-
voyé à Berlin , et qui se flattait de
conclure avec la Prusse une alliance
offensive et défensive, Haugwitz, qui
craignait la république, louvoyait ti-
midement entre Repnin et Sieyes,
(7.) A la suite d'une fcte dounro ii Repu'ii , parle
gcncial Moellendorf ,leprince, ayaut parlcd'uoi- rpc'e
»|u il avait reçue de Paul I**»". ^ Je maréchal , à son
tour , eu munira une Irès-riclic , que le roi de
l'iMwe lui avait donnée : « Monsieur le maréchal,
>» dit Re|inin , <|uand pourrons-nous , vous et moi,
» unir ces deux épt-es contre les repxiblicains? »> —
,1 Ah ! ce serait le plus grand buubeur de ma vie, »
répondit le utariicLul,
38o REP
sans rien accorder ni à l'un ni à l'au-
tre. « Vous n'avez pas à nous repro-
» cher , disait-il un jour uu prince
» russe, d'avoir manqué ni à nos al-
» liés ni à nos amis; nous ne nous
» brouillerons ni avec vous ni avec
» la république. Soyez sûr que nous
» n'avons pas voulu nous allier avec
» elle. — lit vous avez bien fait, ré-
» pondit Repnin ; car la Russie re-
» garderait la signature d'un tel Irai-
» té comme une déclaration deguer-
» re. » Il ajouta que les armées rus-
ses sauraient combattre les ennemis
de son maître, et même ses faux
amis. Le 10 aoilt 179B, il déclara
que, conformément aux traités, trente
raille Russes allaient entrer en Gaili-
cie, comme auxiliaires de l'Autriche j
et il partit le i5 pour Vienne, d'où ,
après quelque séjour, il retourna à
Péler^bourg. On prétend qu'à son
retour, Paul P''. le disgracia, pour
avoir échoué dans sa mission , et
pour avoir employé un Français, son
secrétaire Aubert , qui s'esquiva avec
une partie des papiers et des secrets
de la légatioii. Le prince Repnin se
relira à Moscou , et y mourut le 12
mai 1801. Peu de vies se rattachent
à d'aussi grands événements que la
sienne. Si, militaire et diplomate à-
la-fois, il fit la guerre avec de bril-
lants succès, et se (it Vemarquer à
Teschcn par une condmte judicieu-
se, prévoyante, et animée d'une no-
ble fermeté , l'inexorable liistoire ne
peut manquer d'imprimer le sceau
liu blâme sur celle qu'il tint en Polo-
gne, comme ministre de Catherine :
ce fut lui qui y fomenta l'anarchie et
la guerre civile ; ce fut lui qui prépara
ces déchirements politiques dont les
conséquences , compliquées avec les
cvcncments de la révolution fran-
çaise, ont ensanglanté l'Europe, et
long-lcuips dbranlé l'édifice de la
REP
civilisation. Voici le portrait qii'en
a tracé Ruihières. « Le prince Rep-
» nin était né dans le temps de
» la dernière élection ( celle d'An-
» guste III ), au milieu d'une ar-
» mée qui ravageait la Pologne.
» Les Polonais dispersés , l'incendie
» de leurs châteaux, le pillage de
» leurs terres , furent les premiers
» objets qui frappèrent ses regards,
» Il comptait parmi ses grand'raères
» une Tartare Kalmouke* et les tra-
» ces de celte origine se reconnais-
» saient encore dans ses mœurs aussi
» bien que dans ses traits, dont la
» bizarrerie n'était pas sans agré-
» ment. Sa physionomie était vive
» et altière, son esprit intrigant et
a brouillon, autant qu'on peut l'èfre
» dans une cour despotique. Parmi
» les jeunes Russes , aucun , à la honîe
» de celte cour, n'annonçait de plus
■n heureuses dispositions 11
» portait, dans la société familière,
» une sorte de gaîté assez vive, et de
» plaisanterie assez spirituelle. Il s'a-
» bandonnait quelquefois à ces pre-
» miers mouvements de bonté qui
» échappent aux plus méchants na-
» turels, et qui servent à excuser la
» bassesse de ceux que l'intérêt rap-
» proche de pareils hommes. Il n'é-
» tait pas entièrement dépourvu de
» sagacité dans les affaires ; mais
» tout ce qu'il avait vu jusqu'alors
)> avait plus gâté son esprit qu'ajon-
» té à son expérience. « Ce portrait,
que nous abrégeons , est peu t- être
trop sévère : il est plein des im-
pressions qu'a dû i-esscnlir Ruihiè-
res en déroulant le tableau de l'a-
narchie polonaise. S'il [icint à lar-
ges traits les défauts de Repnin, il
esquisse trop légèrement ou même
dissimule ses qualités et celte supé-
riorité de moyens qu'il annonçait
déjà, et qu'il développa plus tard
REP
dans les camps et dans le cabinet.
Le major Masson, auteur des Mé-
moires secrets sur la Russie , publies
eu 1801 , ouvrage qu'on ne peut ac-
cuser de partialité en faveur du prin-
ce Repnin, loue ses talents militai-
res et politiques, sa politesse, son
humanité' , après avoir blâme' ses fai-
blesses, telles que son orgueil , son il-
luminisrae, et son humiliant enchaî-
nement au char de Poterakin d'a-
bord, puis à celui de Zoubo\v,dont
il fut, dans sa vieillesse , un des cour-
tisans assidus. Suivant cet auteur, Rep-
nin avait de la noblesse dans la figu-
re , dans les manières , et dans les pro-
cédés de détail. Il se montra sou-
vent compatissant et généreux j et la
Litliuanie lui eut , ainsi qu'au prin-
ce Galitzin, l'obligation d'être pré-
servée d'une ruine totale. . . Après
le massacre de Praga , la haine de
Catherine étant devenue plus forte
contre quelques familles polonaises,
leurs terres furent les premières con-
fisquées : le prince Repnin les deman-
da à l'impératrice, et les rendit plus
tard aux anciens propriétaires , en
leur disant qu'il ne les avait accep-
tées que parce qu'elles auraient été
données à d'autres , et qu'il n'aurait
pu les leur conserver. Comment con-
cilier ces traits généreux avec son
ancienne conduite en Pologne , en-
vers cette même noblesse, si polie ,
si vaillante, et à laquelle il avait fait
endurer tous les dédains d'un orgueil
intraitable ? Faudrait - il chercher
dans sa singulière transition au mar-
tinisme, l'explication de ces contra-
dictions, et croire que les idées mys-
tiques, source d'erreurs pour l'es-
prit , avaient pourtant assoupli le ca-
ractère et attendri le cœur de cet il-
lustre guerrier? — Le prince Nicolas
Repnin , qui se distingua à la bataille
d'Austerliti, et dans la campagne de
REQ 38i
1819., et fut fait gouverneur de Leip-
zig , puis en 181 4, administrateur-
général de la Saxe, est fils du feld-
maréchal. G — r — d.
REQUENO Y VIVES Vincent),
savant littérateur et numismate, na-
quit, en 1743, à Calatraho, dans
r Aragon, et, à l'âge de quatorze ans,
embrassa la règle de Saint - Ignace.
Lors de la suppression des Jésuites,
il s'embarqua pour l'Italie, avec un
grand nombre de ses confrères , et
s'établit à Rome, oii il ne tanla pas
à se faire coiinaîlre par son éru-
dition et son goût pour les anti-
quités. Il profila de la permission ac-
cordée aux jésuites espagnols de ren-
trer dans leur patrie, et fut nommé
membre de l'académie royale des
sciences d" Aragon , et conserA'ateur
du cabinet de médailles de cette so-
ciété. Informé du rélablisscraent des
Jésuites dans le royaume des Deux-
Siciles , il se hâta de retourner en
Italie, dans le desscinde se réunira
ses anciens confrères; mais il mou-
rut à Tivoli, le 17 février 181 1,
à soixante-huit ans. Outre un ou-
vrage ascétique ( Esercizj spiri-
tiiali , Rome , 1 8o4 ) , on a du P.
Requeno : I. Saggio sul ristahili-
mento delV anlica arle de' grecie
de"" romani pittori, Venise, 1784,
in-4°. Sous le titre modeste d'essai,
le savant auteur donne un traité com-
plet de la peinture chez les anciens,
et des divers procédés employés par
les artistes grecs et romains. Cet ou-
vrage, plein de recherches et d'ex-
périences curieuses, a été réimprimé
avec des additions et des corrections,
Parme , 1 787 , 'J. vol. in-8°. II. Prin-
cipi, progressi , perfezione, perdit a
et ristabilimenlo delV antica arte
diparlare da liingi in giierra, etc.,
Turin , 1 790 , in-S». ; c'est un Trai-
té des signaux des anciens. Depuis
382
REQ
la renaissance des sciences , un grand
iiombx'e desavants s'étaient occupes
de recherches sur cet objet impor-
tant; et plusieurs même avaient len-
te' des expériences dont le résultat a
produit enfin la découverte du Télé-
graphe, qui fera passeravec honneur
le nom de Chappe à la postérité ( F.
CiiAPPE , VIII, (5Q). III. Scoperta
délia chirûiiomia , ossia delV arte
di gestire colle mani , Panne, 1 797 ,
in-8°. La manière de se faire enten-
dre par le moyen des doigts est fort
ancienne. On trouve , parmi les OEu-
i'res de Bède , (éd. de i G88) , un Opus-
cule : De loqueld per gestiaa digi-
torurti , avec des gloses. Fabricius a
rapporté, dans la Bihlioth. latin.,
les différentes éditions de ce Traité ;
et à cette occasion, il indiquetous les
auteurs parvenus à sa connaissance,
qui ont écrit sur l'art de parler avec
les doigts. Cet art, perfectionné par
Pereire , dans le siècle dernier ( F.
Pereire, XXXIII, 348), est pres-
que sans utilité, depuis que l'abbé de
l'Épée et Sicard ont trouvé une mé-
thode bien supéiùeure pour instrui-
re les sourds et muets ( F. l'Épée
et Sicard). Toutefois celte métho-
tle n'a acquis elle-même une vérita-
ble perfection qu'à l'aide du langage
gesticulé qu'em])loienlnalurcllement
entre eux de jeunes sourds-muets
élevés ensemble; langage qu''ont dû
finir par étudier les maîtres eux-mê-
mes , pour étendre celui de leurs
élèves. Par-là disparaît , en grande
partie, le merveilleux d'une rnétlio-
de qui supposait des individus in-
capables, sans elle, de notions abs-
traites , parce qu'ils sont privés de
l'idée des sons. ( Voy. la note de la
pag(! 55 de V Ode sur l'Etre injbii ,
Paris, 1806, in 8". ) IV. Suggi iuV
rislahilimenLo delV arle di dipinge-
re alV encuusto degli anlichi, ibid.^
REQ
1798, 1 vol. in - 8". Caylus s'était
occupé le premier, avec succès, de
la recherche des procédés qu'em-
ployaient les anciens pour peindre à
l'encaustique ( Foy. Caylus , vu ,
469 ) : mais le P. Requeno a fait de
nouveaux essais très-intéressants , qui
rendent sou ouvrage précieux pour
les artistes. 11 faut joindre aux deux
volumes qu'on vient d'indiquer, un
Appendice ^ Rome, 1806, in-8^. V.
Saggio suV riitabilimento delU ar-
te armonica de' greci e romani can-
forf, ibid., 1798, 2 vol. in-80.; ou-
vrage curieux et plein de recherches,
comme tous ceux de l'auteur. VI.
Medallas ineditas anliguas existen-
tes en el museo de la real sociedad
Aragonesa , Saragoce , 1 800 , in 4".,
imprimé aux frais de l'académie. Cet
ouvrage est divisé en deux parties ,
dont la première contient des Remar-
ques sur des explications données par
quelques numismates , et de nouvel-
les conjectures sur diverses médail-
les. VII. Tamburo, stromento dipri-
via nécessita per regolamento délie
trappe , perfezionato, Rome, 1 807,
in -8". L'auteur y présente les
moyens de changer le bruit du tam-
bour en sons harmonieux , et pro-
pres à se marier avec la voix (Voy.
le Magaz.encjclop., 1807, v, i85 ).
VIII. Osservazioni sulla chiroti-
pografia, ossia antica arte di stam-
pare a iiiano , Rome , 1 8 1 o , in- 1 2;
il y a des exemplaires sur vélin.
Dans cet Opuscule, le P. Requeno
cherche à prouver que l'iniprimerie
était connue et pratiquée bien avant
le quinzième siècle, quoiqu'elle n'eût
pas atteint la perfeclion à laquelle
l'ont portée Guttembcrg et Schœfier
( F. ces noms ). On trouve une No-
tice sur Requeno, dans \e Supplément
de Caballero à la Bihlioth. .soc. Jesu;
mais elle est iucomplèlo. W — s.
REQ
REQUESENS ( Louis de Zuniga
Y ), grand-corainandeur de Castillc,
a été l'un des plus braves et des
meilleurs capitaines du seizième siè-
cle. Pendant sou ambassade à Rome,
en 1 564, il disputa le pas à l'ambas-
sadeur de France, dans les cérémo-
nies publiques : mais le pape ( Pie
IV) ayant maintenu la pre'se'ance à
notre ambassadeur , Requesens pro-
testa contre cette décision , el quitta
Rome, sans prendre con^é du pon-
tife, laissant au cardinal Pacheco la
conduite des affaires. En 1570, lors-
que le conseil de Castille eut résolu
d'achever l'expulsion des Maures du
royaume de Grenade , Requesens fut
chargé de ramener d'Italie les galè-
res espagnoles. A l'entrée du golfe de
Lyon, il fut assail'i par une vio-
lente tempête , qui dispersa sa flotil-
le et détruisit une partie de ses bâ-
timents. II arriva cependant , avec
vingt-quatre galères, devant M.daga :
il établitune croisièrepourempèober
les Maures' de recevoir des secours
d'Afrique ; et , ayant effectué un dé-
barquement pour seconder les opé-
rations de l'armée de terre , comman-
dée par D. Juan d'Autriche, assiégea
les Grenadins daus Fresiliano , qu'il
leur enleva. Requesens, nommé lieu-
tenant-général de D. Juan, le suivit
dans son expédition contre les Turcs,
et signala sa valeur à la fameuse
journée de Lépante. il était d'avis de
continuer la guerre et de profiter de
la consternation des Musulmans pour
les chasser de l'Europe: mais la ja-
lousie des chefs empêcha cet avis de
prévaloir , et laissa le temps aux
Turcs de réparer leur désastre. Re-
quesens, nommé gouverneur du Mi-
lanez, s'attacha surtout à soutenir la
dignité de son gouvernement , et n'é-
pargna aucun soin pour s'opposer à
tous les actes dans les([uels il croyait
REQ
383
voirqnelque empiétement de i'autori-
téecclésiatique. Il eut, àcesujet,devi.
ves discussions avec le pieux cardinal
saint Charles Borromée. Il succéda
au duc d'Albe dans le gouvernement
des Pays-Bas, où il arriva le 17 no-
vembre 1573. Forcé de continuer la
guerre contre les rebelles, qu'avaient
de plus en plus exaspérés les rigueurs
de son prédécesseur, il s'occupa d'a-
bord de secourir Middelbourg, as-
siégé par les confédérés : mais il ne
put sauver cette place, et il eut le
chagrin de voir détruire entièrement
sa flottepar l'amiral hollandais Louis
Boisot. La victoire que D. Louis d'A-
vila , l'un de ses lieutenants , rem-
porta , près de Nimègue, sur Ludo-
vic de Nassau ( F. Orange, XXIII,
45 ), aurait peut - èlie réparé cet
échec; mais la mutinerie des soldats
es|^agnols fit perdre tout le fruit de
celte brillante journée. L'armée, qui
réclamait le paiement de quinze mois
de solde , décampa , malgré les priè-
res et les menaces de ses généraux ,
et marcha sur Anvers, où elle fut
reçue, dans la citadelle, parla gar-
nison, qui se joignit aux séditieux.
Requesens, accouru dans cette ville
pour apaiserJe désordre, emprun-
ta quatre cent mille florins , qu'il
fit distribuer aux soldats pour dix
mois de solde , et leur paya les cinq
autres avec des étoffés et des soieries
que les négociants s'empressèrent
d'offrir, pour sauver leurs magasins
du pillage. Apres avoir calmé cette
révolte , Requesens fit publier l'am-
nistie que le roi d'Espagne accor-^
dait à ceux de ses sujets qui con-
sentiraient à rentrer dans le sein
de l'Église : mais elle ne produi-
sit aucun effet; et la guerre con-
liinia, de part et d'autre, avec la
même ardeur. IN'e pouvant contenir
ses soldats, qui traitaient en cnue-
384 REQ
mis les habitants les plus paisibles ,
Requesens autorisa les paysans à re-
pousser la force par la force. Cette
mesure , qu'on lui a reprochée , et
qui coûta sans doute la vie à beau-
coup d'Espagnols, montra cependant
aux Flamands que le roi n'approu-
vait point le brigandage de ses trou-
pes, et ellcdut contribuer à les retenir
dans la fKiclitc. 1/inondation de la
Hollande rclarda la prise de Lcyde,
dont les habitants se délVndirent jus-
qu'à la dernière extre'raité. Encou-
rages par (juelqiies succès , les Espa-
gnols triomphent de tous les obsta-
cles que leur opposaient la mer et
le désespoir des confcdere's, enva-
hissent la Zelande , et mettent le siè-
ge devant Ziriczee. Requesens , in-
certain du succès de ce sie'ge , et
tourmenté par les inquiétudes que
lui donnait l'indiscipline de ses trou-
pes , court à Bruxelles pour apai-
ser inie nouvelle révolte qui s'était
manifestée dans la cavalerie espa-
gnole, et meurt, cinq jours après,
d'une fièvre violente , qui l'enleva
le 5 mars iS^ô. Le i juillet sui-
vant , Ziriczee ouvrit ses portes ;
mais les Espagnols, qui ne connais-
saient plus de chefs , abandonnent
la Zélande , pillent les villages et les
villes qui se trouvent sur leur pas-
sage, et se livrent aux plus odieux
excès. Les Flamands prennent les
armes, et se réunissent aux confé-
dérés, pour se délivrer des troupes
espagnoles. T/anarchie la plus af-
freuse désolait les Pays-Bas , à l'ar-
rivée de D. Juan d'Autriche, nom-
me successeur de Requesens , dans
le gouvernement de ces malheureu.
ses provinces C V. D. Juan, XXII,
84 ). Rcqncscns joignait à une va-
leur éprouvée beaucoup de pruden-
ce, de modération et de douceur;
mais il n'eut ni Ie« moyens ni le
REQ
loisir de réparer le mal qu'avait
fait la cruauté du duc d'Albe. Les
Flamands ne sentirent que les char-
ges de la guerre , qui continuait;
à peine purent-ils s'apercevoir qu'ils
avaient changé de gouverneur. W-s.
REQUIEK( Jean-Baptiste), né
en Provence , en 1715, entra d'a-
bord dans la congrégation de l'O-
ratoire , et débuta dans la carrière
littéraire par une Ode sur la conva-
lesccnre de Louis XV ; elle obtint un
accessit de l'académie de Marseille.
Il fut quelque temps inspecteur des
études à l'École royale militaire de
Paris. Le gouvernement le chargea
ensuite de la traduction des Mémoi-
res secrets de Vittorio Si ri, dont il a
laissé vingt-quatre Aolumes in-i'^,
après avoir publié la Traduction du
Mercure du même auteur, en 18 vo-
lumes aussi in-i'i. Il est auteur d'une
Vie de Peiresc, 1770, in-i'i, qui
parut !-ous les auspices du parle-
ment de Provence , dont Peiresc
fut un illustre membre. On a de
lui : L'Esprit des Ivis romaines ,
traduit du latin de Gravina , 1 776,
3 vol. in - 12 , etc. — les Iliéro-
^ryphes dits de Horapolle , tra-
duits du grec, Paris, '779, iu-
12, et une multitude d'autres ou-
vrages dont on peut voir la liste
dans la France littéraire de Ersch,
t. m, p. 1 35, et dans le Supplément
de 1 802 , p. 3g2. Sa vie privée mé-
rila la parfaite estime de tous ceux
qui le connurent : i! vécut eu sage
dans sa modeste retraite, et termina
sa longue carrière au commence-
ment de 1799. F — A.
RESENbÉ(LTJCius(T) André ),
le restaurateur des lettres dans le
Irr Taii-
(i) Ou dit tiii'il se ilomia liii-ini'uic cv y
par aiuoiir pmir l.iiil rc qui i>oiivail lui ra|i|.<
(iquitc'.Daiis ses jircuiiei» erriK.il prend aussi cinel-
<pi. l'ois II- pniioiii d'/Ziifi'- . <1" >i">» d'' '" "'•■''* *"•
Kela-Leonur Vasou de <ioc>.
RES
Portugal , naquit, en 1498 , à Kvo-
ra , de parents nobles. Sa mère ,
restc'e veuve de bonne heure , vou-
lant le mettre à l'abri des se'ductions
du monde, lui fit prendre ,dans son
enfance, l'habit de saint Dominique,
et confia son éducation aux. religieux
de cet ordre. Il alla continuer ses
e'tudes à l'acade'mied'Alcalà, sous le
célèbre Ant.Nebrissensis( ^.ce nom,
XXXI, 4)> et ensuite à Salamanque,
où il lit de grands progrès dans les
langues , la littérature ancienne, et
dans la théologie . que sa mèi c , ainsi
que ses supérieurs, lui conseillèrent
d'étudier comme la clef des autres
sciences. Le désir d'étendre ses con-
naissances le conduisit en France.
S'etant arrêté près de deux ans ,
tant à Marseille qu'à Aix , où il re-
çut les ordres sacrés , il vint à Pa-
ris suivre les leçons des plus célèbres
professeurs de l'université. Après
avoir achevé ses cours, il se rendit
à Louvain , dont l'académie brillait
alors du plus grand éclat , et se fit
bientôt connaître des savants par
sou érudition et son talent pour la
poésie. liC comte de Mascarenhas ,
ambassadeur de Portugal près de
l'empereur Gliarles - Quint , enga-
gea Resende à venir le trouver à
Bruxelles , et le combla de témoi-
gnages d'estime et d'amitié. Il ac-
compagna son Mécène, en i5^9,
dans l'expédition contre les Turcs qui
menaçaient Vienne ( V. Soliman II),
et resta l'année suivante tlans la Hon-
grie. Ayant appris la mort de sa
mère, qu'il aimait tendrement, il se
hâta de reprendre le chemin d'Evora,
le cœur navré, baigna de ses pleurs
la tombe qui recouvrait déjà l'objet
de ses regrets , et la décora d'une
cpitaphe également honorable pour
tous les deux. Son dessein était de
fuir pour jamais des lieux qui lui
xxxvii.
RES 383
rappelleraient sans cesse une perte
si douloureuse : mais le roi Jean III ,
et ses frères le cardinal Alfonse et
l'infant D. Henri, se réunirent pour
conserver à la patrie un homme qui
devait rend re au Portugal de si grands
services. Honoré du titre de gouvei-
neur des infants, il obtint du Saint-
Siège la permission de quitter l'habit
religieux, qu'il portait depuis près
de trente ans , et fut pourvu d'un ca-
nouical de la cathédrale d'Évora , et
de plusieurs autres bénéfices. Il tra-
vailla sans relâche à 1;; réforme des
études dans le royaume, et ouvrit
lui-même une école, d'où sont sortis
un grand nombre de savants et de
littérateurs distingués , parmi les-
quels on cite surtout Achille Estaço
( V. ce nom). Zélé pour la gloirede
la religion non moins que pour celle
des lettres, il se servit de son crédit
pour faire disparaître les abus qui
s'étaient introduits dans la discipline
ecclésiastique; il donna de nouvelles
éditions du Bréviaire , purgées des
erreurs grossières qui déparaient les
précédentes, et chercha, par son
exemple , à bannir de la chaire ce
goût de turlupinades , dont les pré-
dicateurs italiens avaient infecté tou-
te l'Europe. Sur la fin de sa vie, Re-
sende se livra piesqu'entièrcracnt à
l'étude et à la recherche des antiqui-
tés. Il orna sa maison et son jardin
d'inscriplions et de monuments qu'il
s'était procurés à grands frais, ou
qu'il avait recueillis lui même; car il
portait toujours dans ses excursions
quelque outil pour creuser la terre
dès qu'il apercevait des vestiges
d'anciennes constructions. Ce grand
homme mourut le 9 décembre lô^S ,
à l'âge de soixante -quinze ans,
et fut inhumé près de sa mère ,
dans la salle capitniaire des Domi-
nicains d'Évora. Resende est le
9.5
38G
RES
premier auteur portugais qui se
soit occupe d'antiquités; et, sous
ce rapport, il mérite une gloire du-
rable. Comme poète , ses compa-
triotes le couiparent à Lucain ; mais
ses vers sont oublies depuis long-
temps , tandis que ses ouvrages his-
toriques sont toujours lus et cités
avec cloge. On a de lui : I. Dever-
horiim conjugatione commentai ius^
Lisbonne, i54o , in-4'^. Cette gram-
maire, bonne pour le temps , est
d'autant plus rare qu'elle ne fait point
partie du Recueil des œuvres de l'au-
teur. II. Vincentiiis levlta et mar-
tyr, ibid. , 1545, in-4**. C'est un
poGîne héroïque en deux livres ,dans
lesquelles Resende cherche à prou-
ver que les Portugais possèdent le-
corps de saint Vincent. III. Episto-
lœ très carminé ; duce ad Lujmm
Scintillam jurisconsullum peritis-
simum; iina ad Petreium Sanctium
poëtam; item Epistoli prosa onitio-
ne pro colonid Pacensi ad Joann.
Fassœum , virum doctissim. , ibid.,
i56i , in- 4"-; (îdit. rare et recher-
chée des curieux. La pièce la plus
intéressante de ce Recueil est la
Dissertation adressée à J. Vasséc
sur la colonie nommée Pacensis ,
parce que la paix avait permis de
la former, et qui est aujourd'hui
Bragance. IV. ProSS. Christi inar-
tjribus Vincentio Olyssoponen.si
patrono , Fincenlio Sahina et
Chrislelide , Ehorensihus civihus ,
Epistola adBarthol. Kehed. ibid. ,
15G7 ; Evora, 1670, in-4". V.
Ad epistolam Ambros. Moralis ,
Respunsio de variis patriarum anti-
qidlatum monumentis , Evora ,
I .'J70, in-4". Dans celte Réponse, on
trouve des détails curieux sur le pont
d'Alcautara , dont la construction
est attribuée à Trajan; sur le nom
de Flavius, adopte par les rois goths
RES
d'Espagne ; sur les deux Récarè-
des ; sur l'usurpateur Acosta ; sur le
concile d'Emerita ou Merida; sur
une médaille d'Évora ; et enfin sur
l'inscription d'iui temple situé près
de Lézanamum. VI. Ad Philippum
maximum Hispaniarum regem ,ad
maturandam adversu s rebelles Mau-
ros expeditionem cohortatio, Evo-
ra, 1C70 , in- 4°' Cette pièce est en
vers héroïques. VII. Antiquitatum
Lusitaniœ libri iv et de municipii
Eborensisantiquitateliberr,Èvora,
1 593, in- fol. ; éd. rare. L'ouvrage
était resté en manuscrit ; il fut pu-
blié par Jacq. Mendez deVascoucel-
los, qui le fit précéder de la Fie de
l'auteur. Les quatre premiers livres
traitent de l'origine du nom de la
Lusitanie ; des limites de cette con-
trée et de ses premiers habitants ; des
différents peuples qui l'ont occupée
par droit de conquête, et spéciale-
ment des Goths ; et enfin des ancien-
nés voies militaires. Le cinquième
livre , qui ne concerne que les anti-
quités d'Évora , composé par Re-
sende eu portugais, fut trad. en latin
par André Schott. Ce curieux ouvrage
fut réimprimé à Rome , en 1 097 , iu-
8°, , par les soins de Gonsalve Men-
dez de Vasconcellos , avec queFques
autres pièces de Resende, et entre au-
tres une dissertation De œrd His-
prtm'crt, adressée a J.Vassà.VIlI. Vi-
da do infante dom Duarte, Lisbone,
1789, 'in-8". Cette Vie de l'infant
dom Edouard , frère du roi Jean
III, qui était demeurée inédite,
fut publiée par l'académie de Lis-
bonne ; mais elle est défigurée par
tant de fautes d'impression , que
l'authenticité eu fut quelque temps
révoquée en doute. Les OEuvres
de Resende ( à l'exception des n^s,
I et VIII ) ont été réunies dans
l'édiliou de Cologne , lOoo , 2 v. in-
RES
8<>. Le jn-crnier vol. contient les Ou-
vrages historiques; et le second , les
Poésies , parmi lesquelles on remar-
que, outre les pièces déjà cile'es, des
Odes, V Eloge de la ville de Lou-
vain, celui d'Erasme , etc.; et deux
J9/5co«7'iprononcés par Resende, l'un
à l'académie de Coïmbre , en i55i ,
le jour anniversaire de son inaugura-
tion , et l'autre en i5G5, au synode
d'Evora. Ce Recueil a reparu , dans
la même ville, en i6i3, sous le ti-
tre de Deliciœ Lusitano-Hispanicœ
{•i). Enfin les pièces historiques qu'il
contient ont été insérées dans le tome
n de y Hispania illustrata ( Fof.
Andr. Schott ). Ou trouvera , dans
la Bibliothèque des PP. Quetif et
Ecliard ( tom. ii, 'ii5 et suiv. ), la
liste de plusieurs ouvrages inédits de
Resende, parmi lesquels on dislin-
gue une Trad. portugaise du Traité
d'architecture de Léon-Bapt. Al-
berti; mais on doit remarquer qu'il
en est plusieurs qu'on ne connaît que
par l'indication que Resende en a
donnée lui-même, et que par consé-
quent leur existence est très-problé-
matique. Voyez, pour de plus grands
détails, les ouvrages cités.— Garcia de
Resende, historiographe de Portu-
gal , a publié, à Evora , en 1 554, une
Fie du roi Jean II , suivie de celle
de l'infante Bcatrix de Savoie, et de
quelques autres pièces; idem, Lis-
boime , 1690, 1607 , 1622, in-fol.
W— s.
RESENIUS (Pierre), savant et
laborieux écrivain , né à Copenha-
gue, en i6.i5 , était fils de Jean
Resenius , professeur de morale à
l'université de celte ville , et depuis
évêquc de l'île deSceland. Api es avoir
achevé ses cours de philosophie et
(■») Les biogrnpliisu'uul p.is in^iiK|iir jusqu'ici de
faire de ce recueil, dniil il^ ii'iiidi(|iuiit tiiie le pre-
ujjer vuliime, iiu ouvrage particulier de Kesi-udi.'.
RES
387
de théologie , il exerça , pendant
un an , les fondions de régent au
gymnase; mais, désirant perfection-
ner ses connaissances par les voya-
ges , il résigna sa chaire, et partit
de Copenhague , au mois de niai
1647. ï' ^^ rendit d'abord à Eeyde,
où il suivit , quatre ans , les leçons
de Keinsius , de Boxhorn , de Vin-
nius et des autres professeurs qui ré-
pandaient alors tant d'éclat sur l'a-
cadémie de celle ville. 11 parcourut
ensuite la France , l'Espagne et l'Ita-
lie, et s'arrêta quelque temps a Pa-
doue, où il recul, en i653 , le lau-
rier doctoral, dans la faculté de droit.
De retour à Copenhague, il s'occupa
de l'étude des antiquités danoises,
avec beaucoup d'ardeur , et recueil-
lit un grand nombre de monuments,
de livres précieux et de manuscrits
sur les pays du Nord. Eu 1657, il
fut nommé professeur de morale; ef,
en 1662 , il obtint la seconde chaire
de droit à l'université. Il fat en outre
revêtu de divers emplois honorables ,
et mourut le i'^'". juin 1688. N'ayant
pas d'enfants , il avait donne , quel-
ques années avant sa mort, sa riche
bibliothèque h. l'université de Copen-
hague ; il eu publia lui - même le
Catalogue, en iG85, in-4'"., précé-
dé d'une courte , mais intéressante ,
Notice sur sa vie. On doit à Rese-
iiius : I. Edda Islandorum , anno
Christi 1 2 1 5 islandicè conscriptuper
Snorronem Sturlœ , nunc primwn
islandicè j danicè et latine ex anti-
quis Mss. cudicibus édita, cuinprœ-
fatione duplici -.unade quatuor ra-
tionihus docendi etldcam scriptori-
husque cumplurimis ethicis ; alté-
ra de Eddœ Sainundi et Snorronis
e^ù/one, Copenhague, 1 665-7 3 , 4
parties in-4°. On sait que les Edda
sont des recueils d'anciennes poésies
islandaises, renfermant toute la my-
u5..
388 RES
thologie Scandinave. Le premier fut
rccli<:;c par Sacniond Siçifnrson, sur-
noiiunc Frode, ou le Savant , qui vi-
vait en io.')7 ; et le second par Suor-
ro Slurleson , ne l'an 1 179 ( Foj\
Snorro ). L'édition de Reseuius eon-
ticnt le texte de l'Edda de Suorro ,
une version latine, par un savant cc-
cicsiaslique islandais, nomme Su'pli.
OiauN; la version danoise de l'iiisto-
riograplieStephanius,el des varian-
tes tirées d'une version inédite de
Magnus Olaus. Le savant éditeur re-
vit le texte avec le plus grand soin ,
sur plusieurs manuscrits de labiblio-
tlièiiue royale de Copenhague ( dont
un, entre autres , passe pour le pins
ancien de tous , et paraît elle du
treizième on du commencement du
quatorzième siècle), et il le fit précé-
der d'uncDissertation fort étendue et
pleine de rcclierches curieuses; mais
on lui reproche , avec raison , de n'a-
voir pas enrichi ce Recueil de notes
et d'explications d'autant plus néces-
saires , que les mœurs et les usages
auxquels les vieux poètes islandais
font de continuelles allusions , sont
presque entièrement inconnus. La
quatrième partie de ce Recueil con-
tient le poème intitule: Voluspayhil.
antiqidsslma iwrvego-daiiica, Irad.
en latin, par Gudmundus Andréas
{P"'. GuDMimnus, XIX, 6). Cette
édition de l'Edda, dont on trouvera
la description dans le Catalogue de
Gaillard, n*'. 29.95, est d'autant plus
rare , que tous les exemplaires qui
rv'>slaient en magasin ont ctc détruits
dans le grand incendie de Copenha-
gue, eu 1728. C'est sur le texte cor-
rige par Resenins , que ÎNL-illet a pu-
blic sa traduction française de VEd-
da ( f. Mai.let). il Inscriptiones
hafnienses , lalince , danicœ et i:^er-
man'icœ ; unà cuin inscriptionibus
aniauiemihits , uranibur^icis et stel-
RES
lœburgicis , syiiopsi item vitœ Ty-
chonis Brahœi è Gassendo aliisque
collecta^ duabusque epistolis nec-
dîun editis,una Tychonis Brahœi ad
G. Feitcerum; altéra sororis ejus
Sophiœ, victrica latina, ad J. Lan-
ç,iwn , jbid. , 1 GG8 , in - 4". ; rare et
recherche. IIL Jus aulicum regum
uonvagorum et danoruin i.sland.
danicèel Int., cuin antwlatiombus,
ibid, , 1673, in -4". IV. La Chroni-
que de Frédéric II , roi de Dane-
inai'k , tirée de divers manuscrits
( en danois ) , ibid, , 1680, in - fol. ;
c'est la continuation de V Histoire de
Harald Huitfeldt. Y. Jura antiqua ci-
vitatum Dainœ , Ilafniensis et Ri-
pensis [ lat. , dan. et allem. ), ibid.,
1 683 , in- 1 2. VL Le Recueil des lois
civiles et ecclésiastiques de Chris-
tian II, roi de Danemark (en da-
nois ) , ibid. , 1 684 , in - 4"> ^^es dif-
férentes compilations sent larcs, et
très-importantes pour l'histoire des
pays du Nord. On doit encore à Re-
!-cnius de courtes Descriptions de
Copenhague et de l'île de Sarasoe, et
l'édition du Lexicon islandicuni de
Gudmundus Andrcœ, iG83, in 4''',
avec des corrections et des addi-
tions. On peut consulter , pour de
plus grands détails , outre la Notice
déjà citée, les Mémoires de Niceron,
tome xxxvi. W — s.
RESNEL DU BELLAY ( Jean-
François DU ), ne à Rouen, le 5g
juin i()92, fit ses études chez les
Jésuites , dans sa ville natale, et
entra dans la congrégation de l'O-
ratoire. Son ardeur pour le travail
était telle, que sa santé en fut al-
térée pour le reste de ses jours. Les
langues savantes l'avaient surtout
captivé. Envoyé à Boidogne par ses
supérieurs , il s'y familiarisa avec
la langue anglaise. Lors(prd quitta
l'Oratoire, ce fut pour s'attacher au
RES
duc d'Orléans, dont la protccliou
lui valut l'abbaye dcScpt-Foiitaities.
L'abbe Du Resnel obtint des succès
dans la chaire ; mais un crachement
de sang l'obligea de renoncer à la pré-
dication. Il se livra tout entier aux
belles-lettres. La place d'associé de
l'acadéinie des inscriptions qu'occu-
pait l'abbé Paris , ayant été déclarée
vacante pour cause d'absence , en
i'^33, fut donnée à Du Resnel. Ce
ne fut que vingt-troisans après, qu'il
eut le titre de pensionnaire. II avait
été reçu le 3o juin \']^'2, membre
de l'académie française, à la place
de ral)bé Du Bos. Il mourut le 25
février 1761, et eut Saurin pour
successeuràl'académie française. On
a de lui : I. Essai sur la critique ,
traduit de M. Pope , 1 780 , in- 1 2 ;
traduction en vers , qui a tu du suc-
cès. II . Panégyrique de saint Louis,
i73'i. m. Les Principes de la mo-
rale et du ^oilt , en deux poèmes ,
traduits de l'anglais de M. Pope ,
1787 , in-S"^. ; c'est une réimpression
de V Essai sur la critique , suivie de
l'Essai sur V homme. On a reproché
à Du Resnel de s'être trop affranchi
des servitudes de la traduction, de
s'être accordé trop de liberté dans
l'emploi des équivalents, et de s'être
permis jusqu'à des tianspo.'-itions
d'idées. Il a partagé en quatre
livres V Essai sur la critique, qui
n'en a que trois en anglais. Quoi-
que sa version, pure c* correcte, soit
souvent aussi faible qu'infidèle, on
y remarque plusieurs morceaux qui
ont du mérite; mais on doit dire
que Voltaire avouait avoir fait la
moitié de ses vers ( F", sa Lettre à
Thibouvillc , du 20 février 1769).
IV. Six Dissertations dans les Mé-
moires de l'académie des inscrip-
tions : l'une traite des Poètes cou-
ronnés, une autre des Prix proposés
RES
389
aux gens de lettres, parmi les Grecs
et les Romains. V. Discours de ré-
ception à l'académie, x-^ l\'i , m- !^° . ,
et dans le Recueil des harangues de
l'académie , où l'on trouve encore
son Complimenta M. de Machault,
en i74(J, el sa Réponse au maré-
chal de JjeUe-lsle,en ^ 749. Du Res-
nel a été l'un des collaborateurs au
Journal des savants. Ses Sermons
n'ont point été imprimés. M. P. J.
E. V. Guilbert , dans ses Mémoires
biographiques sur les hommes qui se
sont fait remarquer dans le dépar-
tement de la S< ine- Inférieure, dit
que Du Resnel a aussi traduitde Pope,
la Boucle de cheveux , et d en cite
même des passages. Mais ces mor-
ceaux sont de la traduction deMar-
montel. L'Éloge de Du Resnel est
imprimé dans le Si*', volume des
Mémoires de l'académie des ins-
criptions. Un autre Eloge, p;*r Du
Boiilay , est conservé manuscrit à la
bibliothèque de Lyon. A. B — t.
RESN1ER( ), revers
1757, s'adonna d'abord à !a littéra-
ture, et fut sous-bibliolhécaiie delà
bibliothèque Mazarine. 11 embrassa
ensuite la carrière de la diplomatie,
devint un des rédacteurs du Moni-
teur, fut envoyé de la république
française à Genève, puis archiviste
des relations extérieures. Lors de la
mise en activité de la constitution
consulaire de l'an viii ( 1800 ) , il
fut nommé sénateur ; ainsi il n'a
jamais fait partie du Tribunat , dont
la formation n'eut lieu (pie deux
jours après , et à laquelle il doit
avoir participé. 11 est mort le 8 oc-
tobre 1807. On a de lui : I. ( Avec
MM. Desprez et Piis ) La Bonne
femme ou le Phénix , parodie d'^Jl-
ceste , en deux actes , en vers , mê-
lée de vaudevilles , jouée le 7 juil-
let 177O, et imprimée la même au-
390 RES
née, in-S**. L'héroïsme de celle Bon
ne femme consiste à vouloir s'en-
rôler dans la milice à la place de son
mari : un voisin, nommé Barbarico,
fait l'Hercule de la pièce; et Arlequin
remplace Apollon. II. (Avec les mê-
mes ) U Opéra de province , nouvel-
le parodie d'Armide , en deux ac-
tes et en vers , mêlée de vaudevil-
Zei', jouée le 17 décembre ly-j-j, im-
primée la même année,in-8°. Resnier
avait, avec M. Piis , composé les
Adieux de Thalie, compliment de
clôture, joué au théâtre Italien, le
4 avril 1778, mais qui n'a point
été imprimé. A. B — t.
RESTAURAND (Raimond),
médecin , mal - à - propos quali-
fié par Sprengel , de professeur à
î\Ionf])cllier, naquit au Pout-Saint-
Esprit , exerça sou art dans la ville
de Nîmes , avec beaucoup de succès,
et se fit , par ses ouvrages , un nom
honorable. Les premiers parurenten
1657; les derniers furent publiés en
1681 : presque tous sont en latin. La
plupart de ces pi oductions, dit l'his-
torien allemand de la médecine, sont
des hommages rendus à Hippocrale;
ils offrent de l'intérêt , et ne pèchent
que par un peu d'exagération. Hal-
Icr a loué celui qui a pour objet de
f)rouverrulilitédu vin émétique dans
es fièvres malignes. Dans le 3Iag-
nus Ilippocrates Colis redivivus ,
Lyon, 1681, in-ici, l'auteur pro-
fessa , l'un des premiers en France ,
ladocliinedcla circulation du sang;
et , dans le cours de sa carrière , il
n'eut guère à combattre que pour la
défense de sa Dissertation sur les
principes du fétus, attaquée par le
docteur Graindorge , médecin de
l'archevêque de Narbonne. La date
de sa mort n'est pas plus connue que
celle de sa naissance; mais , j)ar l'é-
poque et !a durée de ses travaux, on
RES
est autorisé à croire qu'il vécut plus
de soixante ans. V. S. L.
RESTAUT ( Pierre ), grammai^
rien français , fils d'un marchand
drapier de Beauvais , naquit dans
cetie ville, en 1G96, selon la Notice
historique qui est en tête de sa gram-
maire, et non en 1G94 , comme on
le lit dans plusieurs dictionnaires
historiques.il étudia d'abord au col-
lège de son pays, et s'y fit remar-
quer par son application et ses pro-
grès : il vint ensuite à Paris, et, ses
parents le destinant à l'état ecclésias-
tique , il entra au séminaire deSaint-
Sulpice ; mais il y renonça quelque
temps après, et passa au collège de
Louis-le-Grand, où il fut chargé de
veiller à l'éducation de quelques en-
fants de famille. Le séjour qu'il fit
dans cotte maison, qui était dirigée
par les Jésuites, le mit en relation
avec les pères de La Rue , Bufiier ,
Ducerceau, Sanadon,Porée, et d'au-
tres membres célèbres de la Société.
Ce fut néanmoins pendant qu'il y de-
meurait , qu'il traduisit , du latin en
français, un petit ouvrage intitulé :
Monarchie des Solipses , 1721 , in-
12. C'est une satire allégorique du
gouvernement des Jésuites, qu'on a
quelquefois attribuée au P. ïnchofer
{F. ce nom ). Après sa sortie du col-
lège de Louis-le-Grand , Restant se
livra à l'élude de la jurisprudence,
et fut reçu avocat au parlement,
puis aux conseils du roi, eu 1740»
« Je voudrais , lui dit à cette occa-
» sion le rliancelier d'Aguesseau ,
» trouver toujours des sujets serabla-
» blés à vous. » Restaut a composé
qiiehpies Mémoires écrits avec clar-
té et précision. Mais l'ouvrage qui
lui a lait le plus de réputation est
sa Grammaire française^ dont la
première édition jîarut en 1730, et
à laquelle il ajouta, en 1737., un
RES
traite de la versification. Cet ouvra -
f;e , eulrepris d'après le vœu du ce'-
èbre Rolliu, fut accueilli avec em-
pressement : l'université' l'adopta
comme classique, et il s'en fit neuf
éditions pendant la vie de l'auteur.
L'abre'gé qu'il en publia lui-même en
i']3'i, en faveur des commençants,
et qui servit à l'éducation des enfants
de France, eut aussi beaucoup de
succès j mais il est trop concis. Res-
tant a revu la qualrième édition du
Traité de l'orthographe française ,
en forme de dictionnaire (i), im-
primée à Poitiers, 1764, in-8°.; et
au moment de sa mort , il s'occu-
pait à retouclier le Dictionnaire de
Trévoux. Les sciences et les beaux-
arts ne lui étaient pas étrangers :
c'étaient les délassements de ses tra-
vaux ordinaires , ainsi que la société
d'un petit nombre d'amis choisis ,
entre lesquels il faut compter l'abbé
Mésenguy, son compatriote et son
allié, qui ne composait aucun ou-
vrage sans le consulter. Restant mou-
rut à Paris, le i4 février 1764.
Comme grammairien, il jouit enco-
re d'une certaine célébrité; long-
temps sa Grammaire fut le seul livre
élémentaire sur la langue française :
il est vrai que ces ouvrages n'étaient
pas alors multipliés comme ils le
sont aujourd'hui où la science gram-
maticale a été analysée et traitée avec
plus de détail et d'étendue. Aussi,
Restant est bien moins suivi qu'il ne
(i) Cel ouvrage , plus connu sons !e nom de Dic-
iionnaire de Poitiers , est dû à Charles Leroy, prote
chez. Faulcon, imprimeur .'i Poitiers. La première
édition parut en i-3p; et l'auteur mourut pei; de
temps après. Son Uiclionnaire a été rèinipvimc plu-
sieurs fois, avec des corrections et des augmenta-
tions, et a été recherche pendaut qu'il était le seul
dictiouoaiie nortatil" de la langue française : l'édition
la plus complète est relie de 1775 , eii un gros vol.
in-8«. On en a fait un alucgc in- ix.I^' Abrège deBi-
cluUt. p..r W;,illv, et les l).cli.,..n,iires de C.allel,
<j<- Hoiste, de Catine.oi, de MaigueiY, de. , cli. ,
1 ont totalem. ni lait oublier.
RES 391
l'a été ; on lui reproche des omissions
importantes, et même quelques rè-
gles fautives : la forme des déclinai-
sons latines qu'il a conservée pour
l'usage des classes dans la langue
française, a été rejetée par la plupart
des grammairiens modernes; et sa
méthode d'explication par deman-
des et par réponses, quoique soula-
geant la mémoire, a paru longue et
monotone. On peut ajouter que la
syntaxe étant fondue ou mêlée avec
la partie élémentaire , rend le tout
un peu prolixe et confus. Z.
RESTIF DE LA BRETONNE
( Nicolas-Edme ) , écrivain cynique
et bizarre par système, fut à coup
sûr l'iui des plus singuliers réforma-
teurs que produisit le xviii''. siècle.
Il naquit le 22 novembre 1734, à
Sacy , près d'Auxerre , de bons
et honnêtes cultivateurs ( i ). La
délicatesse de sa santé le rendant
peu propre aux travaux de la cam-
pagne, ses parents résolurent de
l'envoyer à l'école , afin de le met-
tre en état de remplir quelque em-
emploi. Il n'eut guère d'autre maî-
ti'e que son frère aîné , curé de Cour-
gis , respectable ecclésiastique, qui
lui donna des leçons de grammaire
française et latine. Au surplus , il
montrait un grand désir d'appren-
dre, et dévorait indifle'rcmmcut tous
les livres qui lui tombaient entre les
mains. A dix ans, il comjjosait déjà
de petits romans qu'écoutait , avec
beaucoup d'intérêt , son auditoire ,
formé de domestiques et de ses ca-
marades d'école. Son tempérament
ardent se développa de bonne heure;
(1) Malgré l'aversion de Ke.stif pour \es /iréjiis,és ,
il n'était jiointinsenbib'e aux avantages tle la naissan-
ce; il revient souvent sur sa généalogie, et apprend
à ses lecteurs qu'il comptait parmi ses ancêtres des
Cœnrs-de-roi, des lîertro,et même des Coui-tenai.
Ailleurs il veut prouver qu'il descend de rempcreur
7'(//i;(.'.i , piiiM|nr ce nuit n'a p.'s d'aulix sens eu la-
tin que celui de ;é/(yeufi-«ny.<is.
3Qi RES
et il n'avait pas quinze ans lorsque
ses parents furent forces dcTeloigner,
pour medie fin à des intrigues qui
pouvaient avoir des suites fâcheuses.
Piacé, comme apprenti, chez un im-
primeur d'Auxeiie , il séduisit la
femme de son maître , fut chassé ; et
n'osant pas retonruerdans sa famil-
le , il vint à Paris avec fort peu d'ar-
gent , mais apportant le plan de
quelques ouvrages dont il se flattait
de tirer un grand parti. La misère,
à laquelle il se trouva bientôt réduit,
l'obligea de former des liaisons et
de contracter des habitudes avilis-
santes , dont il ne put jamais se cor-
riger, et qui n'ont eu que trop d'in-
fluence sur ses compositions. Apres
avoir vécu quelque temps du produit
de divers métiers ignobles , il finit
par trouver de l'ouvrage dans une
imprimerie j et il profita des facili-
tés que lui donnait sa position , pour
publier quelques romans mal écrits
et mal digérés , mais dans lesquels
on reconnaît néanmoins de la sensi-
bilité , de l'imagination , et nn style
à-la-fois naturel et énergique. Le suc-
ces de ses premières produclions
acheva de lui tourner la tête. Se re-
gardant comme nn homme d'un gé-
nie supérieur, il quitta l'imprimerie
pour faire des livres qui lui coûtaient
d'autant moins qu'il était persuadé,
comme le dit Laliarpe ( Correspond,
russe ), que tout ce qu'il avait vu ,
tout ce qu'il avait pensé , tout ce
qu^il avait appris , méritait d'être
imprimé. Admirateur passionné de
J. J. Rousseau, dont il affectait tou-
tes les singularités {'i) , il l'accusa
pourtant d'avuir perdu l'éducation
en France , par le relâchement de
l'autorité paternelle, et il eut la vani-
(ï)H)n l'a aiipelc, (juvlifuc part, le Huniieiiu Uu
luisseau.
RES
té d'o[)poser à V Emile , les Lettres
d'une fille à son père , en déclarant
que cet ouvrage était un présent ines-
timable qu'il faisait à la patrie , à son
siècle et à la postérité (3). La mode
était alors de s'occnper de reformes
dans le gouvernement : chaque jour
voyait éc.lore de nouvelles brochu-
res ; et leurs auteurs proposaient
d'admirables projets dont l'exécu-
tion , en assurant à jamais le bon-
heur de la France, ne pouvait en-
traîner le moindre inconvénient.
Restif crut ( et il eut raison eu cela )
que la réforme des mœurs devait
précéder celle des institutions. Il pu-
blia , soiis le titre d'Idées singuliè-
res , ses vues sur les maisons de dé-
bauche , le théâtre , l'éducation des
femmes et des hommes , et enfin les
lois. Ces cinq ouvrages devaient être
suivis d'un sixième , intitulé : le
Glossographe ou Projet de réforme
de la langue , qui n'aurait sans doute
pas été le moins curieux (4 . Celui
qui fit le plus de bruit fut le Porno-
graphe, ou la Prostitution réformée,
dans lequel il propose de donner une
espèce d'existence légale aux filles
publiques , pour prévenir les suites
de la débauche (5). Le silence que
garda la police sur ce livre rempli
de détails obscènes , fit croire as-
sez généralement qu'elle n'était pas
étrangère à sa publication. Dans le
Miniographe , ou de la Réforme du
(31 n ne crut ccpenctaiit pas i.Tuir éclipsé Rous-
seau J puisqu'on tioave dans la liite des .uiragc»
qu'il se proposait de loiuposcr : le Contre— EiiiUc,
et la CvtiIre-S'om'elU Ilétoisf , en autant de lettres
que la ventalile; et Cluire d'Orbe oh le fjenJanl do
la Nouvelle HcloUe.
(4^ J'ai, dit-il sur notre langue et sur notre ortho-
graplie de» idées alisolunienl neuves et très-singu-
liire» , qui n'entrent pas dans toutes les tètes ( An-
dio^rofilic, p. i5). t)n trouve un échantilluu de son
<n llionruphe , dans les Nuits de Paris , tome XIII ,
p. 3ou(i etsuiv.
(fi) Cette idée n'était pas nouvelle ( /''. GUILLAU-
ME IX, duc d'Aquitaiue, XIX, l4>).
RES
ihéàlre, l'antcur a pour but non-scu-
lemcnt de faire rendre aux comc-
diens le rang qu'on leur icl'usc dans
la sociélc , mais encore de réfuter la
Lettre de Rousseau sur les spectacles.
11 y donne aussi ses vues sur tout ce
qui concerne le théâtre, depuis la
construction des salles et la distri-
bution des luges, jusqu'au prix des
places et aux appointements des ac-
teurs , ainsi (pie ses idées sur le
choix des pièces , dont il voudrait
rayer un grand nombre du répertoi-
re, telles que le Légataire , la Fem-
me juge et partie, etc. Le Gjno-
graphe et V Anlhro]ingraphe con-
tiennent des projets pour l'éducation
des femmes et des hommes , et leur
conduite dans les différents états de
la société. On y trouve quelques ob-
servations pleines de justesse , et des
aperçus neufs. Mais l'exécution de
son plan est impraticable , bien que
l'auteur dise naïvement que rien
ne serait plus facile , si tous les sou-
verains du monde voulaient s'enten-
dre à cet égard. Quant au Thesino-
graphe ou de la Réforme des lois ,
c'est un ouvrage du même genre que
les Écrits politiques de Mercier , et
qui ne mérite pas un plus sérieux
examen. Restif, si passionné pour le
bien pu'.jlic , ne remplissait pas trcs-
scrupuleuscment ses devoirs de père
et d'époux. Après vingt-cinq ans
d'une union mal assortie , il se sé-
para d'avec sa femme , et joignit à
ce scandale celui de mettre le public
dans la confidence des rcproclies
qu'il croyait avoir à lui faire. Saiille
aînée s'était mariée malgré lui , avec
un homme méprisable. La désobéis-
sance de sa fille , ses. malheurs et les
désordres de son gendre, lui fourni-
rent les sujets de nouveaux romans,
dans lesquels il ne rougit pas de se
mettre lui-même en scène, entouré,
hES 393
comme il l'clait dans le monde , des
personnages les plus vils ; et quand
on lia rcj)rocha cet oubli de toutes
les convenances , il crut se justifier
en disant : Je me sacrifie, moi et ma
famille, à l'instrucîion de uîcs conci-
toyens ( Lettre à Grimod de la Rey-
nière). Quoique arrivé depuis loug-
teinpsà l'âge mur, ilncfré(piciitaitque
les tavernes, les petits spectacles et les
lieux de débauche, pour y t rou ver des
sujets de composition , (ju'il traitait
avec beaucoup de clialeur et une in-
concevable rapidité. Il ne faut cher-
cher ni plan, ni conduite dans les
romans que Restif fit paraître à cette
époque ; et le style bas et trivial ,
les détails ignubics , sont loin de
racheter la nullité du fond. Ce-
pendant ces priiductions informes
étaient recherchées avidenu;nt, sur-
tout dans hs pays étrangers , où on
les regaidait comme des peintures
fidèles des mœurs de Paris. Les di-
verses compilations qu'il a publiées
sous le titiedes Cunteinj.oranies^ des
Provinciales , V Jnnee des daines
nationales , etc. , ne sont que des
répertoires d'anecdotes scandaleuses
où le cynisme semble le disputer au
mauvais iroût. A des noms obscurs
et méprisables, il a eu I impudence
de joindre ceux de plusieurs femmes
que des erreurs de jeunesse n'empê-
chaient pas d'êtie estimables, et dont
quelques-unes moulurent de cliagriu
d'avoir vu révéler des fautes qu'elles
croyaient cachées , et (pi'ellcs avaient
d'ailleurs expiées par un long re-
pentir et une conduite à l'abri de
tout leproche. Cependant on doit
convenir que Restif avait un but
utile , et qu'en peignant les désor-
dres qui sont la suite des mauvaises
mœurs , il se proposait de les corri-
ger ; et enfin , qu'il dut être persuade
ic premier que ses livres u'olïraient
394 RES
rien de r^prchensiblc , piïîsqu'il uc
les publia qu'avec l'autorisation de
la police. Restif , qui se vanta depuis
d'avoir prépare la révolution par ses
écrits , en vit les commencements
avec peine. Deux banqueroutes qui
le privèrent du fruit de toutes ses
économies , et les contrefaçons que
firent de ses derniers ouvrages d'a-
vides imprimeurs affranchis de toute
surveillance, lui rendirent odieux un
ordre de choses qui tolérait des abus
dont il était la victime. Son gendre
l'ayant dénoncé pour ses opinions ,
il fut poursuivi plusieurs fois à coups
de pierre parla populace, et mandé
devant les commissaires de sa sec-
tion. Forcé, pour subsister, de repien-
dre son état d'imprimeur, et de tra-
vailler comme un simple ouvrier , il
s'exprimait ainsi sur les événements
dont il élait le témoin : « Je suis le
seul auteur qui m'occupe de littéra-
ture dans ces temps de trouble. J'ai
le cœur serré aujourd'hui en compo-
sant ceci sans copie (6). » C'était le
7 août 179.)., que Restif semblc(it
compatir aux maux qui menaçaient
la France et le trône; mais trois mois
après, il changea de langage, fit l'apo-
logiedela journéeduioaoûl, des mas-
sacres de septembre , etc. ; et quand
on lui reprocha d'avoir , par cette
palinodie , lié sa cause à celle des
plus fougueux révolutionnaires, il ré-
pondit : « Lorsque les circonstances
changent , il faut bien que je change
aussi; si j'allais me compojter com-
me en 1789, je serais un insensé
( Lettre à Grimod de La Reynicrc ). »
Il se flatlait d'être député à la Con-
vention par le département de l'In-
dre ; mais il assure que ses ennemis
(G) Lf iiuiivel avcrlisDciiK ni «m- mju tliiâlic. Kt»-
lif rom/;»!,,// v.uvi-iil de» pas-uiges ciilitr» sans iii;i-
liu><.'rit;rt «"j * morceaux rtuicnt, ii.toti :ivis,lc9 ukH-
luirf , le» luii-ui écrits , lc-5 luiiiii pcuscs.
RES
empêchèrent son élection. Sa ftrame
ayant été assassinée par son gendre
le 3o juin «793, il se remaria , l'an-
née suivante, avec une femme de
soixante-trois ans , qu'il n'avait pas
cessé d'aimer , dit- il , depuis sa pre-
mière jeunesse ; et bien que, pour se
conformer au temps , il se montrât
l'un des plus grands adversaires du
christianisme , il fit bénir sa nou-
velle union par un ecclésiastique. Ce
fut alors qu'il publia , malgré les
observations de ses amis , s'il pou-
vait lui en rester encore , la i5e-
maine nocturne et les Filles du Pa-
lais-Rojal , deux productions infâ-
mes ; et le Drame de la vie , qu'il
déclare , dans la préface , être l'ou-
vrage le plus extraordinaire qui ait
encore paru. Dans ce prétendu drame
dont il est lui-même le héros , il fait
la longue énumération de toutes les
turpitudes dont il s'était couvert
dans le cours de sa vie : c'est ce qu'il
appelle se mettre au-dessus des pe-
titesses et delà sottise chatouilleuse
de l'ancien régime. Cependant il ob-
tint , en 1795 , par un décret de la
Convention, un secours de deux mille
livres , comme auteur de plusieurs
écrits de morale : mais quand il se
mit sur les rangs , lors de la création
de l'fnstilut , pour faire partie de la
seconde classe , il fut repoussé géné-
ralement avec indignation. Quelques
années après , ses infirmités ne lui
permettant pas de continuer d'écrire,
il obtint un cni])loi subalterne dans
une administration , et mourut pres-
que inconnu dans Paris , l'un des
premiers jours de février 1806 ,
à l'âge de soixante-douze ans. Res-
tif est , à coup sûr, le plus fécond
de tous les romanciers: il a jiublic
plus de deux cents volumes, pies-
(jiie tous oubliés maiiilenaul. C'é-
tait un homme d'une orgauisalioa
RES
singulière; et sa conduite, comme
SCS écrits , offre un mélange conti-
nuel (le folie et de sagesse, de sottise
et de raison. On ne peut lui refuser
iii de l'esprit, ni du talent ; mais il
eu a fait le plus déplorable usage,
par suite de sou man(pie d'éducation
et de sou excessive vanité. H ne com-
muniquait ses plans à personne, pas
même à son ami IVIercier, son plus
grand admirateur (7), et ne corri-
geait jamais ses ouvrages. Quoiqu'il
se vante souvent de sou imagination,
et qu'il s'étonne quune seule tête hu-
maine ait pu produire tant de cho-
ses sans être épuisée , il a fait un
aveu qu'on doit recueillir : « Je n'ai
presque rien imaginé ; je me suis
raconté : ma vie est si remplie d'é-
vénements , que j'en ai fait plus de
vingt -quatre volumes {Drame de
la vie , p. 1201 ). » Il se croyait au
moins l'égal de Voltaire [8) , et Lieu
supérieur à Buffon, qu'il appelle une
taupe. « On ne se doute pas , dit-il ,
que j'ai le plus beau des systèmes ,
plus raisonnable que celui de Buffon,
plus hardi, plus vraisemblable que
celui du géomètre Newton,... (ibid.,
p. 1 176;. » Comme ce modeste écri-
vain a pris soin de donner lui même
vingt ou trente fois la liste de ses
ouvrages , on se contentera de citer
ici les principaux. : I. Le Pied de
Fanchctte , ou le soulier couleur de
rose, Paris, 17G8, 3 vol. in-12,
cinquième édition , 1800 : on y
(7) Mercier drclara , dans son Tableau de Paris ,
que le génie ori};iiial et crcalciir de Reslif de la
bretonne , était après lui-même c:e qu'il admirait le
|>Ius. Rcstif lui donna de grands éloges à .-ou tour.
Voyez surtout , diius les Nitits tic Paris , le morceap
qui commence par ces mots : Mercier ! ô rare et su-
blime courage! p. ^8f)-.
(8) Keslir ]>ensait que si Voltaire, au lieu de naî-
tre à Paris, lût ne dans la Bassr-Bourgogue , il aurait
8urj>as?é tous IfS grands ('crivaius derantiquitt'.Sou
unique défaut, dit-il, pî l'ai vivcnieut senti , est
d'être né Parisien; ('e.-t ce qui Vn JHvotisé ^ a^ré~
memi , sufcrficielliii , elc. 7 héâtrt , m , i>. 4»8.
RES 3g5
trouve de l'ortginalité, et des si-
tuations attachantes. Dans le i«r.
volume ( pag. lo ) , Restif annonce
toutes ses prétentions : héritier du
cynisme de Mezerai , dit-il , j'ai la
modestie de me croire ridirule. II.
Le Porjiographe ou Idées d'un hon-
nête homme sur im projet de règle-
ment pour les prostituées , Londres,
1769, in-8°. Cet ouvrage , dit-il, si
mal apprécié par nos puristes , de-
mandait des recherches ; celles que
je Gs étaient dangereuses ( F", le
Drame de la vie , p.ôSg ) (g). III.
Lettres d'une fille à son père , 1772,
5vol.iu-i2. «C'est, dit toujoursl'au-
teur, un système d'aclièvement d'é-
ducation , capable de produire les
fruits les plus heureux ; mais ce n'est
pas le seul mérite de la Correspon-
dance que j'ai publiée : elle est un
chef-d'œuvre de sensibilité , un tissu
de lumières et de vertus. » IV. La
Femme dans les trois états de fille
d'épouse et de mère ^ '77^, 3 vol.
in- 12. V. U Ecole des Pères, 1776,
3 vol. in-i2. C'est encore une espèce
de traité sur l'éducation , une singe-
.rie à' Emile, dont le seul résultat est
de faire sentir la supériorité de Tou-
vrage de Rousseau. VI. Le Paysan
perverti, 1776, 4 vol. in- 12. C'est le
meilleur ouvrage de Restif, et celui
qui a fait sa réputation. Dans ce ro-
man , dit Laharpe , rien n'est digéré ,
rien n'est motivé, rien n'est bien
écrit ; et cependant au milieu de ce
chaos, on est tout étonne de trouver
des morceaux qui prouvent de la
sensibilité et de l'imagination. Il
y a , dans ce mauvais roman , de
(9) Ce vciliinie est le seul des JiJces singul ères
qu'on I eclierchc encore; Tdici les titres des autres
ouvrages cpà coinplèteut cette collection ; Le Mimo-
grnphe ou le Théâtre reformé, 1770, iu-80.; — liC
Cynographe un la Femme reformée, 1777, iu-8". >
— f'Aiitliiopoqra/jheim l'Homme reformé, »78?. ,
in-S". ; — Le i'A<-tmoj,'rflp/;e ou les Lois réformées ,
1 781) j iu-S". Ce dernier voluuiu est rare»
3f;6 RKS
quoi eu faire deux ou ! rois bous,
si les matériaux avaient elc mis en
œuvre par uu homiuc d'un vrai ta-
lent {Corresp. russe). » VI 1. La Faj--
sanne pervertie , ibid., 177G, 4 vol.
in- 12. C'est une suite de l'ouvraire
précèdent , mais très - mlérieure.
VIII. Le Nouvel ^Jhailard, ou Let-
tres de deux amants qui ne se sont
jamais vus, 1778, 4 vul. in-iti. IX.
La f^ie de mon père , 1779 , 'X vol.
in-i2 ; 3*^. édit. , 1788. Quoiquele
fonds de cet ouvrage soit d'une sraude
siraplicilë, la lecture en est trcs-
altacLante. On y trouve des détails
pleins de vciité , et d'une naïveté
pre'cieuse. X. \jA Malédiction paler-
nelle , Lettres sincères et véritables
de Dulis , etc., 1779, 3 vol. in l'Jt,
XI. Les Conlempoi aines , ou Aven-
tures des plus jolies femmes dei'àge
présent, 1780, et année suivante,
42 vol. iu- 1 '1 , fig. « C'est , dit l'au -
leur, un ouvrage de médecine mo-
rale; si les détails en sont licencieux ,
les principes en sont honnêles , et le
but en est utile. Qu'est-ce qu'un ro-
mancier ? le peintre des mœurs. Les
mœurs sont corrompues, devais -je
peindre les mœurs de l'Asirée? »XII.
La Découverte australe , par un
homme volant , 1780 , 4 vol. in- 12.
C'est une imitation des f^ojages de
Gulliver et de l'Ile inconnue ( /^.
Swift et Guivel ) : elle n'eut aucun
succès. L'auteur s'en plaignit sans
se décourager: « J'ai entendu diieà
quelqu'un que dans ce siècle esprité ,
personne ne l'avait compris à Paris ,
excepte deux médecins , MM. Gui-
bcrtdePréval, etLcbègiic dePresle.»
XIIL Théâtre, 1784-93, 7 vol. in-
i'2. Ou y trouve dix-sept pièces de
didérents genres , dont quelques-unes
ont été essayées sur les théâtres
forains, mais sans succès. L'auteur
<i'cu était pas moins persuade qu'elles
RES
étaient toutes des chefs-d'œuvre. En
{Menant, ilit-il , les pièces de mon
ihéàtie, deux bagatelles exceptées,
les comédiens auront du monde et de
l'argent , encore que je tombe à cha-
que prcmièie représentation. XIV.
Ingénue Saxancourt , ou la Femme
■séparée, 1780, 3 vol. in- ici ; c'est
l'histoire de sa fille aînée. XV. La
Femme infidèle ^ 1786, l^yo\.m-
1 2. Il a publié ,sous le nom de Ma-
ribert Courtenay ( 1 o), ce roman, qui
contient le tableau le plus hideux des
désordres de sa femme. XVI. Les
Feillées du Marais , ou Histoire du
grand prince Oribeau , et de la ver-
tueuse princesse Onbelle, «786, 4
vol. in- 12. Il regardait cet ouvrage
ennuyeux et mal écrit , comme très-
propie à diriger l'éducation d'un
prince destiné au trône; et il le lit
reparaître sous le titre de l'Institu-
teur du prince rojal, 1791 , 4 ^'^^'
in-i'j, XVII. Les Nuits de Paris,
ou le Spectateur nocturne, 1787,
14 vol. in- 12; recueil d'anecdotes
insipides ou scandaleuses. XVIII.
Lcà Provinciales , 1789-94, 12 vol.
in-i'2 ; c'est le pendant des Contem-
poraines. XIX. Le Drame de la vie,
conlenant un homme tout entier,
pièce en tieize actes, des Ombres
Chinoises , et en dix pièces ré!;u-
lières, 1793 ,5 vol. in- ri. (11) XX.
Le Cœur humain dévoilé , 1 794-97 ,
16 vol. in- 12. C'est un tissu de
sottises. L'auteur , après l'avoir
terminé, écrivit sur une pierre de
rile Saint-Louis: Je puis mouiir ,
(10) (Ce qui signifie que n.;;//,. Coiirlaiiny 7,turi ,
<s railleur d<' riiuviase ). U est fort singulier quVii
ait altiiluic -.1 lu l'eiuine elle iilèlue un livre dans
lequel elle esl traitée d'une manière odieuse.
(11) 1,'auicur l'a f.iit précéder de ce riiurl aver-
lisseuicnt : Lenteur I iiez le f/lui i/itciessaiU des
ouviaf^cs , sans craindie le scandule. C est parmi
les pièces juslilicatives imprimée» i Insiillr , que so
ti.iuve la leltrc à Grimod do la Rcjuièru, tileui<lu-
sieur] fuii clins le corps de l'artidv.
RES
y ai fini mon grand ouvrage. XXI.
La philosophie de M. Nicolas, 1 796,
3 vol. in- 12. Tout ce qu'on en peut
dire , c'est que ce n'est pas celle du
sens commun ( F. l'analyse de cet
ouvraf;e , dans le n°. 34 du Journal
littéraire àeQé\ntn\.). Le portrait de
Rcstifa etej;;ravë in-4°. (12). W-s.
RESTOUT (Jean), peintre, né
à Rouen , en 169'i , puisa dans sa fa-
mille l'amour et la connaissance de
son art. Son père , nommé Jean
comme lui , était un peintre d'un
talent distingué ; sa mère, était sœur
de Jouvenet , el cultivait elle-même
la peinture avec sucres. Ayant per-
du son père d'assez bonne heure, il
reçut de son oncle tous les conseils
que réclamaient ses heureuses dispo-
sitions. Sa modestie ne l'empêcha
pas d'être bientôt connu; et, en 1720,
trois ans après la mort de Jouvenet ,
il fut reçu de l'académie , sur un ta-
bleau rcpt éscntant Aréthuse se déro-
bant à la poursuite d'Alphée , dans
les bras de Diane. Il n'en continua
pas moins de se livrer assidûment
à l'étude du modèle , et présenta ,
comme à l'ordinaire , son dessin au
professeur. Un jour il lui en avait
soumisun que le professeur approu-
vait d'abord sans regarder l'artiste;
mais , ayant levé les yeux , il recon-
(ti) Les Posthumes, lettres écrites nprès la mort de
son mnrif parsajemme qui le croit à Florence, ifio5i,
4 vol. in-12, furent publiées sons le nom de Cazotte ,
et saisies pas la police, qui ne sai-issait alors que
très-rarement. Cubières-Palaiéxeaux a puUlit" Y niS'
taire des campagnes de Marie , ou Episode d'une
jolie femme, ouvrage postluuue de Restif , i8ii . 3
vol. iu-i2. Restif de la Bretonne a fait le texte des
Monuments du costume pliisi/jiie cl moriil de la
fin du dix-huitième sii-rle , in-fol. , orné de vin^l-
riuatre planclies de IVlorrau le jeune. J'ai donné,
dhns ^n Oécade f)hilo'ophii/ue , du ii avril iSoU,
une Notice sur fîestif: le numéro du 2l> juin con-
tient une lettre de Jouvneau-Deslo^rs, sur ic rnè-
mc pirsonnage En 1796, Restif fit placarder dan»
Paris une alîicbe , cjui est conservée dans le Maga^
sin encjrclopèilitf ue , deuxième année , tome III, p.
55i. Elle se termine ainsi: m N. Restif a élé .1011»
» doute oublié dans la première formation de Tins-
» titut oatioual : on avait oublie l'article Paris
>> dans r Encyclopédie. » A. U — T.
RES 397
nut Reslout, et lui fit des excuses.
Monsieur , répondit modestement
l'artiste, « je n'ai pas fait assez de
» progrès , depuis quatre jours que
» j'ai l'honneur d'être de l'académie,
» pour que vous cessiez de me don-
» ner les avis que vous me don-
» niez avant cette époque. » C'est
par ce même principe de modestie
que, se trouvant recteur de l'acadé-
mie, au moment où Carie Vanloo
venait d'être nommé premier peintre
dn roi, il voulut lui céder son rang
avant d^'avoir rempli le temps de sa
charge, proposition qui fut refusée
par Vanloo, Restouta obtenu succes-
sivement toutes les dignités de l'aca-
démie, depuis celle de simple acadé-
micien jusqu'à celle d'ancien direc-
teur et de chancelier. On a de lui
plusieurs vastes compositions, telles
que Saint Paul imposant les mains
à Ananie , le Plafond de la biblio-
thèque de Sainte- Geneviève, et la
Présentation de la Fierge , qu'il
fit pour la ville de Rouen, et que
l'on regarde comme un de ses plus
beaux ouvrages. Il existe de ce
peintre, dans le château de Fontai-
nebleau , deux tableaux représentant,
l'un Flore, l'autre Bacchus ; et,
dans celui du Grand ■ Trianon, un
tableau de chevalet , dont le sujet est
la Conjiance d' Alexandre dans son
médecin Philippe. Les leçons et
l'exemple de son oncle avaient dé-
terminé le genre de son talent. U se
livra presque exclusivement à l'exé-
cution des grandes compositions ,
dans lesquelles il pouvait déployer
la fécondité de son imagination. Mais
il outre les défauts de son maî-
tre : sa touche vague et molle, son
style dépourvu de noblesse et de
grandiose, son dessin maniéré, lourd
et incorrect, signalent une des épo-
ques les plu.s déplorables de l'école
^
RES
française. La négligence lifi parais-
sait de la facilite ; les accessoires
sont entièrement sacrifie's à uu effet
de convention, qui ne laisse aperce-
voir que le peu de soin de l'artiste.
Eniin son coloris terne et couleur de
brique racheté rarement ce que le
dessin offre de défectueux. Cet ar-
tiste cependant e'tait regardé, quand
il vivait, comme un des plus grands
peintres dont l'école française pût
s'enorgueillir. Il mourut en i']hS.
— Jean-Bernard Restout , fils du
précédent et son élève, cultiva égale-
ment la peinture, mais sans atteindre
même au talent de son père. Le Mu-
sée du Louvre possède cependant de
cet artiste un morceau d'étude de pe-
tite dimension , qui représente Saint
Bruno en prières dans le désert. Voy.
la Notice sur sa vie , par J.-B.-C.
Robin ( Magas. encycl. , 2*^. ann. ,
VI, 443% ^ P— s.
RÉSTY ( Junitjs-Antotne , com-
te de ), né, en 1755 , dans la répu-
blique de Raguse , y fit ses études ,
chez les Jésuites , avec succès ; et ,
aprèslesavoir terminées, se vouaà la
carrière politique. Il avait fréquenté
le barreau, lorsqu'à trente-sept ans,
il entra , en 1792, au sénat de sa pa-
trie. 11 fut, en 1797, mis à laléte de
la république. Lorsque les armées
françaises se furent emparées de Ra-
guse, Resty se retira à la campagne,
et s'y occupa de littérature. 11 ne
revint à Raguse qu'en 181 4, et y
mourut le 3i mars de la même
année. On a publié , après sa mort ,
un Recueil de ses poésies latines,
sous ce litre : Junii Antonii co-
mitis de Resliis , pntricii Ragu-
sitii, carinina , in-8'*. On y trouve
vingt-cin(| Satires, neuf l'ilégies, des
ii[»îtres , des Odes , des Poésies mê-
lées ( Voy. le Journ. des savants des
mois de juillet et novembre 1B17 ).
RET
— Un autre GiugnoRESTi, mort en
1735 , fut poète et historien. Il
était dépositaire des écrits de Gon-
dola ( F. ce nom ). On connaît de
lui sept pièces de vers, imprimées à
la tête de la version des Psaumes en
slavon, par Bartli. Belterra ; et une
Histoire de Raguse , écrite en ita-
lien, et la plus récente que l'on pos-
sède : elle est divisée en treize li-
vres, mais se termine à l'an i45i.
Vladislas Gozzc , qui survécut onze
ans à son ami Resti, est l'auteur de
la Préface ( Appenduii, Star. lett. di
Ragusa^y). i4et239). A. B — t.
RÉTIF DE LA BRETONNE. F.
Restif.
RETZ ( Gilles de Laval, sei-
gneur DE ) , trop fameux sous le nom
de maréchal de Retz, né vers l'an
1896 , était l'aîné des fils de Gui de
Laval, deuxième du nom, seigneur de
Retz , cadet de la maison de Laval ,
et de Marie de Craon de La Suze. Il
])erdit son père, en i4ï6, servit
d'abord le duc de Bretagne, son sou-
verain ; et l'on voit son nom cité
dans l'histoire, en 14^0 et \f^i5.
Etant passé au service du roi de
France Charles VII , il emporta
d'assaut , en i 4^7 , le château du Lu-
de, dont il tua le commandant. Il re-
prit encore aux Anglais la forteresse
de Rcnnefort, et le château de Mali-
corne, dans le Maine. En \f\'i.Ç), il
fut un des principaux capitaines qui
aidèrent Jeanne- d'Arc à faire en-
trer des vivres dans Orléans , et il
se distingua à la prise de Gergeau.
Il était, ainsi que son frère Re-
né, sire de Laval, l'un des chefs
de l'armée qui accompagna le roi
à Reims, celte année, pour y être
sacré. Le sire de Laval fut fait
comte dans celte occasion , et il
est probable que le sire de Retz fut
nommé aussi maréchal de France.
RET
En relevant si jeune à cette dignité,
peu prodiguée alors, on ne considé-
ra pas moins son mérite et ses ser-
vices que sa naissance. Il est certain
qu'il était décoré de ce litre, au sa-
cre de Charles VII , et que ce fut lui
qui apporta la sainte ampoule, de
l'abbaye de Saiut-Remià l'église mé-
tropolitaine. Il était de plus conseil-
ler et chambellan du roi. Il se signa-
la, en i 43o , à la prise de Melun , et
l'année suivante, à la levée du siège
de Lagni par les Anglais, En i433,
il commandait, avec le marécLal de
Rieux , l'avant-garde de l'armée fran-
çaise , sous les ordres du connétable
de Richemont: cette armée étantarri.
vée devant Sillédansle Maine en pré-
sence des Anglais, les deux partis se
.séparèrent sans combattre. Ici paraît
finir la carrièi'e militaire et honora-
ble du maréchal de Retz. Il ne nous
reste plus que la tâche pénible d'of-
frir le tableau des extravagances, des
vices et des crimes monstrueux qui
ont plus contribué que ses exploits
à sa malheureuse célébrité. Héritier,
à vingt ans, d'un patrimoine considé-
rable, et marié, quatre ans après, à
Catherine de Thouars, qui lui avait
apporté plusieurs terres en dot, il
était devenu l'un des plus riches sei-
gneurs du royaume, en 1482, par
la mort de son a'ieul maternel, Jean
de Craon, seigneur de la Suze , de
Chantocé , d'Ingrande, etc. On éva-
luait sa fortune à trois cent mille
livres de rente , qui feraient plus
d'un million aujourd'hui, sans comp-
ter les profits de ses droits seigneu-
riaux , les émoluments de ses char-
ges, et un mobilier de cent mille écus
d'or. Mais il en eut bientôt dissipé
la plus grande partie par ses prodi-
galités, son faste et ses débauches.
Il eut d'abord une garde de deux
cents hommes à cheval , dépense que
RET 399
les plus grands princes pouvaient à
peine soutenir dans ce temps-là- el
il traînait en outre à sa suite plus de -
cinquante individus , chapelains , en-
fants de chœur, musiciens , pages
serviteurs, etc., la plupart agents
ou complices de son liberiinage , et
tous montés et nourris à ses dépens.
Sa chapelle était tapissée de drap
d'or et de soie. Les ornements, les
vases sacrés, étaient d'or et enrichis
de pierreries. Il avait aussi un jeu
d'orgues, qu'il faisait toujours por-
ter devant lui. Ses chapelains, ha-
billés d'écarlate doublé de menu
vair et de petit gris, portaient les ti-
tres de doyen , de chantre , d'archi-
diacre, même d'évèque; et il avait de
plus député au pape , pour obtenir
la permission de se faire précéder
par un porte-croix. II donnait, à
grands frais, des représentations de
Mjstères, les seuls speclacles con-
nus alors. Pour se livrer à ces pro-
fusions , il aliéna une partie de ses
terres à l'évèque de Nantes, aux cha-
pitres de la cathédrale et de la col-
légiale de cette ville. En i434, il
vendit à Jean V, duc de Bretagne,
les places de Rlauléon, Saint-Étien-
ne de Malemort, le Leroux -Bote -
reau , Pornic et Chantocé. Sa fa-
mille, alarmée, obtint un arrêt du
parlement de Paris , qui défendait au
maréchal d'aliéner ses domaines. Le
roi n'ayant pas voulu approuver les
ventes déjà faites , le duc de Bretagne
s'opposa à la publication de ces dé-
fenses , et refusa d^en donner de sem-
blables dans ses états. Les parents
du maréchal, irrités de ce refus , tâ-
chèrent de conserver ces places dans
leur maison, et résistèrent au duc :
mais il les reprit, ôta au comte de
Laval, son gendre, la lieutenancc-
générale de Bretagne, et en revêtit
le maréchal de Retz, avec lequel il
4oo
RET
consomma tons ses marcLes , en
1437. Ces ressources ne suffisant
pas à Gilles de Relz, il avait depuis
long-temps cherche d'autres moyens
pour s'en procurer. Assez instruit
pour son siècle, il eut recours à l'al-
chimie. De prerendus adeptes lui ap-
prirent le secret de fixer ks métaux;
mais il manqua le s,rand œuvre. De'-
goûtë de l'art d'Hermès , il se jeta
dans la magie. Un Anglais , nomme
Messire Jean, et l'Italien François
Prelati, furent successivement ses
maîtres , et l'aidèrent dans ses con-
jurations. On dit (pi'il promettait
tout au diable, excepte son ame et
sa vie. Mais tandis qu'il prodiguait
l'encens au démon, et qu'il faisait
l'aumône en son honneur, il conti-
nuait ses exercices pieux avec ses
chapelains, alliant ainsi une extrême
superstition aux pratiques les plus
impies , et à la dépravation de
mœurs la plus criminelle. En effet,
ce fut à cette époque , qu'il com-
mença d'immoler des enfants, soit
pour mettre plus de raffinement dans
ses plaisirs abominables , soit pour
employer leur sang, leur cœur, ou
quelques autres parties de leurs corps,
dans ses charmes diaboliques. Ses
gens, attiraient dans ses châteaux,
par quelques friandises , des jeunes
filles, mais surtout des jeunes gar-
çons du voisinage, et on ne les en
voyait plus sortir. D'autres agents,
qui arcumpagnaient ce seigneur dans
ses tournées en Bretagne, persua-
daient aux artisans pauvres qui a-
vaientde beaux enfants, de les con-
fier au maièciial, qui les admettrait
])arnii ses pages, et se chargerait de
leur sorr. Des parents , des amis du
sire de Retz, mi Gilles de Sille, un
Prinç.iy, un Roger fh; Briqueville,
sciûbleiil même avoir e'ie les com-
plices de SCS liorribles débauches ,
RET
soit en lui procurant des victimes ,
soit en maltraitant ou en menaçant
les parents pour e'touffer leurs plain-
tes. Enfin le scandale fut si public,
et les réclamations si nombreuses,
que Gilles de Laval fut de'fereà la jus-
tice. Arrêté au mois de septembre
i44o , il fut renfermé dans le châ-
teau de Nantes ; et le duc de Bre-
tagne chargea son commissaire Jean
de Toucherond, de commencer une
enquête. Deux de ses gens furent
arrêtés, Henri et Etienne Corillaut,
dit Ponton ou Poitou. Prelati ne vi-
vait plus. La mor*. ou la fuite avaient
dérobé les autres au supplice qu'ils
avaient mérité. Confronté avec ses
deux complices , le maréchal deRetz
les désavoua pour ses serviteurs , et
dit qu'il n'avait eu que d'honnêtes
gens à son service : mais la menace
de la torture le fit changer de lan-
gage, et il confirma leurs déclarations
par un aveu général et circonstancié
de tous ses crimes. On frémit d'hor-
reur en lisant les détails obscènes
et atroces de cet épouvantable pro-
cès , dont rinslruction dura un mois,
et dont il existe dix manuscrils à la
bibliothèque du Roi , et un aux ar-
chives du Château de Nantes. Jamais
les tvrans les plus sanguinaires n'ont
imaginé de cruautés plus exécrables
que celles qu'il mêlait à ses infâmes
voluptés. Les innocentes victimes de
sa lubricité , âgées de huit ans jus-
qu'à dix-huit, furent toutes sacrifiées
à sa férocité. Le nombre en paraîtra
incalculable , si l'on considère que
ces massacres curent lieu, presque
sans relâche , dans ses châteaux de
Machecoul , deChantocé, deTiiïIin-
ges, dans son hôtel delà Suze,à Nan-
tes , et dans la plupaitdcs villes où
il passait; et qu'ils durèrent huit ans,
suivant ses jnopres aveux , ou (|ua-
lorzc ans, suivant la déclaration d'un
RET
lie SCS complices. Pour dérober les
traces de ses forfaits, il faisait prcv
cipiter les cadavres dans les fosses
d'aisances , quand il était en voyance:
mais , dans ses châteaux , il les brû-
lait , et en jetait les cendres au vent.
P*Ial::;re' ces précautions, on en trouva
quarante-six à Cliantoce', et quatre-
vingts à iMachecoril. Le mare'chal de
Retz s'e'tait en outre rendu coupable
du crime de félonie. A près avoir vendu
àsonsouvcrainlaplacedeSaint-EtieiJ-
ne de Malemort , il s'en était remis en
posses'^ion , en menaçant le gouver-
neur d'égorger son frère s'il ne la lui
livrait pas. Convaincu de tant de
forfaits, (iiiles de Laval fut jugé et
condamné à mort avec ses deux vils
agents , par un tribunal que présida
Pierre de l'Hôpital , sénéchal de Bre-
tagne(i). Pour satisfaire , avant de
mourir , un de ses goûts favoris , il
demanda et obtint d'être conduit eu
])rocession , par l'cvèque de Nantes,
jusqu'au lieu du supjilicc. Le mare'-
chal témoigna un repentir sincère,
demanda pardon aux parents des
enfants qu'il avait immolés , exhorta
ses complices à la mort et à la péni-
tence , leur dit adiei; , et promit de
les rejoindre en paradis. L'exécution
eut lieu le '^5 octobre 1440 (et non
pas le ^5 décembre, comme l'ont dit
Mez.erai et Moréri ) , dans la prairie
de Biesse , remplarée par une rue
qui porte aujourd'hui ce nom , à
l'eiilrée du pont de la Madelène. Le
criminel fntéîranglé;;nais, par '"ou-
sidération pour sa naissance , ses
services et son repentir , le duc de
Bretagne permit que son corps , qui
devait cire brûlé et jeté au vent , ne
(i) Guimar, dnns ses Amiales uaiitaises , tli( que
1 cvèqiic (le Nniitis cl le rninniiss^iirc d'i ;;i:iiirl-iiH|iii-
sitetir d^ Fr;ince furent nu iinniliredes jiigt-s du ma*
réclia]. Le t'ait ii'e.it pas impossible, il s> Irniive
|ieut-clre dans le manuscrit de Vantes; mais dous
11*1-11 avons dtc'invert anriin indice dans cens cpic
i»«iis avons coiisult<'S.
XXXVII.
RET 40,
dcraeunit qu'un instant sur le bûcjjer,
et fût rendu à sa famille , qui le
fit porter dans l'église des Car-
mes , oi!i il fut enterré. Le maréchal
de Retz ne laissa qu'une fille , Marie
de Laval, mariée deux fois, et morte
sans enfants, en i458. Son oncle
René de Laval, hérita de la seigneu-
rie de Retz . mxK sa fdie unique,
Jeanne de LaWt , légua par testa-
ment, en 1481 , à François II, duc
de Bretagne. Nous avons rectilié ,
dans cet article , les erreurs des com-
pilateurs, dont la principale donnait
lieu de croire qu'il mourut en i438
ou 1442. Desessarts, qui a copié
plusieurs de ces erreurs , dans ses
Procès fameux ^ ne donne point la
date de celui du maréchal de Retz.
A — T.
RETZ (Albekt dh Go'di , plus
connu sous le nom de maréchal de)
naquit à Florence, le 4 riovembro
i5i2 , d'une famille ancienne, et
qui, d'après les généalogistes, rem-
plissait, depuis plusieurs siècles, les
premiers emplois dans le gouverne-
ment. Mais ses ennemis (et sa fortu-
ne lui en fit un grand nombre ) lui
donnent une origine beaucoup moins
relevée ( i). Amené fort jeune à Lyoi:,
où son père tint quelque temps une
maison de banque, il fut d'abord
commis d'un financier , et ensuite
employé' dans les vivres. Sa mère
avant obtenu la ||J)argc de gouver-
nante des enfants de France , que
bu fit donner la reine Catherine
de Médicis , dont elle avait gagné
la confiance , iutioduisit Aibert à
la cour, où elle l'avança rapidement.
II fut placé près du jeune roi Char-
les ^l^X; et, selon Brantôme , « il le
(ij Vov. le Uisi-oiiri mcivcilletix de Catherine
.le lilcJirlf , |..-r Henri Ksliei.ne. < Ii. ,T, , on il dit
ipie C.ondi, Floreulin, .(ait is^ide races .le Marn-
nt-i ^ (>t Ijls d'un banquier, qui iwir dent fi-is avart
(".lit l.anqiHT.uile àI,\on . etc.
4o'jt
RKT
pervertit lîu tout, et lui fit oublier
et laisser toute la bonne nourriture
qnc lui avait donnée le ]>r-ive C;p:er-
re {'2.) » ( F. ce nom, VIII, 57^ ).
Gliarles le créa premier gentilliom-
rae de sa chambre et grand -cliam-
l)ellan, cl le chargea de différentes
missions honorables. Gondi com-
mandait cent liomij^td'armcs à la
iournée de Saint-D^s ; et il se si-
gnala , dit- on, à la bataille de !V!on-
rontour. On ne cite pas de lui d^au-
tres services militaires; et il ne jouit
pas de la réputation d'un gr,'ind ca-
pitaine. Il se rendit, en iS^o, à
Spire, pour épouser, au nom du
roi, l'archiduchesse Elisabeth d'Au-
triche, qu'il eut l'honneur de rame-
ner à Paris. 11 passe, avec Ta van-
nes ( F. ce nom), pour avoir con-
seille le massacre de la Saint -Bar-
thclemi ; et on l'accuse même d'avoir
fait c'trangler Lomënie ( F. ce nom ),
dans sa prison , pour s'emparer de
ses dcpouiiles. Il reçut, en 1073 , le
bâton de marc'chal, suivit , au sie'ge
de la Rochelle , le duc d'Anjou , et ac-
compagna ce juince en Pologne, d'où
i! parvint à le faire évader, après
la mort de Charles IX. Il représen-
ta le connetible au sacre de Henri
m , qui le fit successivement gé-
ne'ral des galères , chevalier du Saiul-
Esprit lors de l'institution de cet
ordre, duc de Bciie-Isie, gouverneur
de Provence , de juntes et de r\refz,
sous-licutenant au marquisat de Sa-
luées, et enfin généralissime. Retz
avait assez d'adresse pour cacher son
{■>) Lv Laljoiiteiii- , d:ias »(S .Itlilil.-MX Hîinui.
«l- C;islelnaii, lo/j , avtilit qu'il finit lire lirai
inc nvi'i' jirecaiiliuii , our re ini'il dit dii in:iut
i(c Uc(7. : u'ayaul pas iilili-iiti du sou alli^iuce liu»
a»aiila^o cji.'il sVn «•lait jirimiis jiinii- lui <l pinii
liiuisun , il a pris à tùcbe d>- le duciiiT °t de lui i
jiiilçi- mil- |NMliidii uihuvai» gouvcriicinent i-l di
iiMuv.ilsc cduc.iticu dis enlauls de l"i;iiitc-. M:
ajoiitp !.<• I.ali.,rii.i,r, .>ii |<i nt dire ijuc Uclz ii'
auciinr pail <'ii Tuu ni en i'aulrc , [unir u 'avoir
ni iiiini.vtic-d'i.(al , ni ^l,uver^K■ul• des |iriiic:(S.
RET
avidité sous l'apparence de la mo-
dération. Il ne ])arlait jamais de son
crédit, qu'il avait l'air d'ignorer ou
de n'employer que pour les autres ,
et il ne faisait 'jbsta( le à personne.
S'étant aperçu que le duc de Joycu-
se le remplaçait dans la confiance
de Henri 111 , il se présente un jour
à la porte du cabinet oiile roi était
enfermé avec le nouveau favori.
L'huissier lui déclare qu'il a reçu
l'ordre de ne point le laisser entrer.
Retz insiste, promet deux mille écus,
pénètre dans le cabinet; et , sans
laisser au roi le temps de se re-
mettre de sa surprise : « Sire, lui
w dit-il, je \iens vous prier de me
» faire une faveur; vous n'avez en-
» core rien donné à M. de Joyeuse,
» gentilhomme le plus accompli qu'il
» y ait dans votre cour : permeîtez-
» moi de lui faire présent de ma char-
» gedegentdhommcde la chambre.»
Le roi finit par lui donner la per-
mission qu'il demandait avec instan-
ce; et joyeuse ne sut par quel témoi-
gnage récompenser ce don , sinon
avec mille protestations d'amitié et
de faveurs ( ( Voyez le Journal de
i'Estoile, 1 , 352 ). Quelquefois Retz
savait faire entendre au roi le lan-
gage de la vérité. On rapporte
qu'ayant vu Henri 111, dans un mo-
ment de colère, frapper un de ses
geiililshommes , il sortit de la cour,
et ne voulut jias y reparaître que le
roi n'eût fait des excuses à l'ofTensé.
11 contribua beaucoup à réunir ce
j)riiicc avec le roi de Navarre pour
tâcher d'ctoufTcr la Ligne; et il em-
';* brassa , l'un des premiers , le parti
iiai de Henri IV , qu'il servit fidèlement,
'" et dont il recul de grandes inanjiics
u>- de confiance. Il était, avec le chan-
ïi,'- celicr Chiverny , et Rcautien Ruzé ,
""S secrélaire-d'élal , l'un des trois com-
ité . .
juissaires nommes pour traiter avec
\
RET
ie duc de Guise , qui demandait à
faire sa soumission, moyennant quel-
ques garanties. La duchesse do Gui-
se se plaignit au roi qu'il lui eût mis
en tête trois hommes qui allaient ,
par trois chemins dilTerents , à ne
rien conclure : le premier ( Chiver-
ny ) ne disant jamais rien de plus
précis q^ie ces mots : il faut voir ,
il faut aviser, faisons mieux; le se-
cond ( Retz ) ne s'eniendatit pas lui-
mêiiie , quoiqu'il parlât prcsaue con-
tinuellement ; et le Iroisièraè ne sor-
tant jamais du ton grondeur. Le roi,
touché r!e ses prières , chargea de
cette afiaiie Sully (Voyez ses 3Ié-
nwires, !iv. iv). Le poète Despor-
tes , abbé de Tiron , donne la même
idée du maréchal de Rclz : « C'était,
dit-il, un hoinme sans esprit, par-
lant beaucoup, mais ne disant rien.»
Cependant ilîigtirc parmi les auteurs
dont se compose la Bibliolhique de
Lacroix-du-Maiue, qui loue son élo-
quence, en rcgreltant qu'il n'eût en-
core rien mis en lumière de ses com-
positions. « 11 mourut, dit l'Estoile,
chargé d'ans et de biens , mais d'une
étrange et cruelle maladie (3) , le
12 avril (4) 1602 , laissant une ré-
putation fort équivoque. » Il fut in-
hume dans l'église Noire-Dame, où
l'on voyait son tombeau en marbre,
surmonté de sa statue <à genoux. On
trouve la représentation de ce monu-
ment, ainsi que son portrait, dans
le tome 11 de V Histoire de la maison
de Gondi , par Corbinelli. En 1 5G5,
il avait épousé Claudc-Citherine de
Clermont, veuve de Jeand'Annebaut,
baron de Retz (5). Celte dame joi-
(3) n lut attuiué d'uu clKincie qui lui lutijj.a U
figure. Lf.t proU'stauts lie iuaui|uc'iL-iit pas de voir
dans cette maladie uu ju^tc cliûtimrnt du Dieu.
(/|) Par une transpositiin de cliilIVc, CorbiucIIi
dit le 9.1 avril ; et (eUe erreur n passe dans le Diil.
de Mon ri, et de là dans les autres dictionnaires.
(5) Ce fut celte dame nui jiorta celte tcne à soo
«econd mari.
RET
4o3
gnait à une rare beauté , beaucoup
d'esprit et de savoir; mais elle pas-
sait pour aimer le plaisir et l'intri-
gue. Lorsque les ambassadeurs polo-
nais vinrent en France annoncer au
dnc d'Anjou son élection an trône de
Pologne, la maréchale de Relz leur
servit d'interprète, et s'entretint avec
eux en langue latine. Elle savait aus-
si le grec; et, dit Lacroix du-Maine,
elle composait en vers et en pro-
se. Dorât et les autres poètesdu temps
ont célébré ses grâces et son esprit.
Elle mourut , le aj fév. 1 6o3 , à l'âge
de cinquante-huit ans , suivant l'Es-
toile , qui dit que cette dame fit une
belle fin , et mourut bonne chrétien-
ne et rcpemante. Elle fut enterrée
dans l'église de l'AveMaria, oii l'on
voyait son épilaphc. Philippe Cos-
pean y prononça son oraison funè-
bre W— s.
RETZ ( Pierre de Gondi , car-
dinal DE ) , frère du précédent , na-
quit à Lyon , en 1 533 , fit ses études
dans les universités de Paris et de
Toulouse, et ayant embrassé l'état
ecclésiastique, dut à la protection
de Catherine de Médicis un avance-
ment rapide. Nommé, eu i565, évê-
quc de Langres , il fut transfère
sur le siège de Paris, en 1070,
revêtu de la dignité de chancelier et
de grand-anuiônier de la reine Elisa-
beth d'Autriche , et créé chef du
conseil de Charles IX. Après la
mort de ce prince , Elisabeth lui
confia l'administration des domaines
qu'on lui assigna pour son douaire,
dans le Bourbonnais et le Forez eu
lui recommandant. surtout denepcyint
vendre les emploi.', publics , et de n'y
nommer que des gens capables c't
d'une probité non suspecte. Sa vo-
lonté fut exécutée fidèlement. I3el
exemple , dit De Thon , qui ne sera
pas imité ( L'ist. liv. lx ). Gondi
'26..
4o4 RET
conliinia de jouir de la plus liante
faveur sous Henri 111 , qui le décora
du collier de l'ordre du Saint-Esprit,
lors de son institution. Ce prince lui
donna la commission délicate de né-
gocier, avec la cour de Rome , l'au-
torisation d'aliéner pour cincpiante
mille e'cus de rente de biens ecclé-
siastiques, il rapporta la permission
d'en vendre yiour cent mille; et le
clergé, dit l'Estoile , lui sut très-
mauvais gré d'avoir si bien réussi
{ Journ. de Henri III, i, 177
et 480). Chargé de la direction de
toutes les affaires de l'Église , Gondi
fut envoyé plusieurs fois en ambas-
sade près de Grégoire XIll et de
Sixte V, qui le créa cai'dinal , en
1587. Quoiqu'il pencLàt secrètement
pour le roi de Navarre, il fit fondre,
en I Sgo , l'argenterie des églises pour
apaiser les murmures qu'excitait la
rareté du numéraire. Cependant il
ne se crut pas en sûreté dans Paris ,
et il se retira , sous le préteste de
sa santé , dans le château que son
frère possédait à Noisi. Les Seize,
pendant son absence, ordonnèrent le
séquestre de ses revenus , dont ils se
proposaient de gratifier l'évêque de
Senlis , expulsé de son siège , à cause
de son attachement à la Ligue ( Foj.
Rose ). Le cardinal de Gondi refusa
de prêter le nouveau serment de l'u-
nion qui donnait l'exclusion du trône
à tous les princes delà famille royale,
et rendit compte de ses motifs dans
une Lettre , que les écrivains de la
Ligue réfutèrent avec un emporte-
ment extraordinaire. Dans le désir
de hâter la conclusion de la paix , il
rrut devoir entamer quelques négo-
ciations avec Henri IV ; mais ce
prince n-çut fort mal des proposi-
tions '|ui blessaient sa dignité , et qui
mettaient en question ses droits à la
couronne. Cependant , en i5g9> ,
RET
Henri , désirant se re'concilier avec
l'Eglise, chargea le cardinal de Gon-
di de faire part au pape de ses in-
tentions : mais le pontife , instruit
de son arrivée en Italie , l'obligea de
rétrograder. Après l'abjuration de
Henri IV, Gondi fit partie de l'ambas-
sade solennelle qu'envoya ce prince
à Clément VIII : tandis que le duc
de Nevers sollicitait vainement une
audience ( For. Nevers , XXXI ,
108 ) , U attendait à Recanati les or-
dres du pape , et il n'obtint la per-
mission de se rendre à Rome , que
sous la condition de ne point se
mêler des affaires qui divisaient la
France et le Saint-Siège. Son exces-
sive économie le fit choisir, en i5()6,
pour présider le conseil de raison ,
qui devait rétablir promptemcnt l'or-
dre dans les finances ; comme si , dit
Sully ^ l'Etat se conduisait par les
mêmes lois qu'un particulier. Mais
au bout de quelques semaines , il se
trouva tellement embarrassé, qu'il
s'estima très -heureux de pouvoir
faire accepter sa démission ( F. les
Mémoires de Sidlj , livre viii ). De-
puis long-temps le cardinal de Gondi
demandait un coadjuteur, à raison
des affaires importantes dont il était
chargé, et qui ne lui permettaient
pas de veiller aux intérêts de son dio-
cèse. On lui permit, en 1 698, d'en re-
mettre l'administration à son nevfu
Henri de (ioudi , qui lui succéda. Ce
prélat mourut , le 17 février iGiG, à
quatre-vingt quatre ans , avec la ré-
putation d'un honnête homme, mais
faible, trop parcimonieux, et sans
talent. Le P. Goiithier , jésuite . pro-
nonça son Oraison funèbre à Notre-
Dame , où Gondi fut enterré dans la
chapelle de sa famille. On a son Por-
trait , avec une courte Notice, dans
le lomo II de V Histoire de la maison
de Gondi, par Coibinclli. W-s.
RET
RETZ ( Jean-François-Paul de
GoNDi , cardinal de ) , petit-neveu
du précédent , né à Moutmirail, m
Brie, au mois d'octobre 1 6 r 4, était le
deuxième fils de Pliilippe-Emanuel de
Gondi, général des j:;alèrcs de France,
sous Louis XÏII. jaloux de conser-
ver rarchcvêclié de Paris dans sa l'a-
mille , son père le destina , des sa
naissance , à l'épiscopat. Mais le jeune
chanoine répondit assez mal aux
soins de saint Vincent-de-Paul , son
précepteur. A peine échappé à l'en-
fance , il tenta d'enlever IM^^*. de
Retz, sa cousine, et crut trouver,
dans l'éclat de ses galanteries et de
ses duels, un moyen sûr de rompre,
à force de scandales, les projets de sa
maison. Trompé dans cet espoir, il
résolut de se faire un nom par la
Sorbonne, qui avait commencé la ré-
putation et la fortune de Richelieu.
RET
4o5
se faire assassiner pour une nouvelle
intrigue. 11 parut à Rome avec éclat,
se lit admirer dans les écoles , et res-
))ecler dans le public. La perspec-
tive de l'archevêché de Paris le ra-
mena en France. Ses études ecclé-
siastiques fuient reprises avec ar-
deur. Il prêcha son premier sermon
devant la cour; cl ce début d'un
prédicateur de vingt-deux ans fut
justilié par le succès. Cependant ses
liaisons publiques avec le romie de
Soissons l'avaient ouvertement ran-
gé parmi les mécontents. Une riva-
lité de galanterie avec Richelieu ,
acheva de lui tourner !a têle : l'abbé
de Gondi se laissa aller , non sans
répugnance , à uu complot contre
la vie du premier ministre; mais il
voyait de la gloire à changer , même
par un assassinat , les destinées de
l'Europe. Un grand péril , de grands
Toutefois ses études theV.ogiques ne exemples, lui parurent honoier le
furent pas tellement exclusives, qu'il aime. V ancienne Ruine, dit - il ,
ne pût s'abandonner à des inspira-
tions bien dilFérenies , et qui exercè-
rent une tout autre influence sur la
partie la plus orageuse de sa vie. L'an-
tiquité républicaine , pleine de con-
jurations et de troubles politiques ,
Rome surtout , avec ses factions
et ses tribuns, p.irlaicnt bien plus
haut à son imagination que les véri-
tés douces et simples de l'Evangile.
C'est sous l'inspiration de tels souve-
nirs qu'il écrivit, à dix-huit ans, laCiOU-
juration du comte de Ficsque, visible-
ment calquée sur les formes senlen-
tieuscs de Salluste. Richelieu la lut ,
et il s'écria : Follà un dangereux
esprit. Le jeune abbé s'était excusé
plusieurs fois d'être présenté au mi-
nistre. 11 osa même disputer le pre-
mier rang à l'un de ses protégés dans
les exercices publics de la Sorbonne ,
l'emporta sur ce rival, et s'enfuit
à Venise , où il ne tint pas à lui de
V aurait admiré ; et , quelques li-
gnes plus bas, il ajoute : « J-e suis
» persuadé qu'il faut de plus grandes
» qualités poiir êlic un bou chef de
)) parti , que pour être einpereur de
» l'univers. » "Toute la première moi-
tié de sa- vie est dans ces paroles.
Heureusement l'occasion manqua aux
meurtriers. IMais , consulté sur la
levée de boucliers du comte de
Soissons , Gondi qui l'avait d'abord
combattue , n'y vil bientôt qu'une
illustre issue pour échapper à lE-
glise. Là commencent ses liaisons
avec les chefs de quartier de Pa-
ris, sa popularité , ses aumônes se-
crètes. La mort du comte de Sois-
sons, à la bataille de la Marfée, vint
rompre toutes ses mesures , et le
fixer dans sa profession. Ses éludes
devinrent plus suivies. Il s'attacha
Seu-à-pcu Us chanoines et le clergé
0 Paris, et prit habitude a^ec touL
4o6 RET
ce qu'il y avait de gens de science et
de piété dans la capitale. Il eut
même avec Rîestrezat , ministre pro-
îcstaut, des conférences qui i'ment
couronnées par !a conversion d'un
pjenlilliomrae de Poitou ; et Louis
XIÏI en fut si frappe , qu'il le dési-
gna en mourant pour la coadjutore-
rie de Paris. La rep;ente, en confir-
mant ce choix, offrit au père du
nouveau coadjuteur la place de pre-
mier ministre. Un mot de Pliilippe-
Emanuel pouvait cLanger la des-
tine'e de son fils. Il refusa ; Mazarin
fut nomme' : on pressent le reste.
Gondi commença ses fonctions arcliie'-
piscopaies , « avec une ferme résolu-
» tion de remplir scrupuleusement
5) tous ses devoirs extérieurs , et
5) d'e'tre aussi homme de bien pour
■!) le salut des autres qu'il pourrait
» être méchant pour lui-même » {Né-
Tïioir.'S, p. 85 ). Tout son diocèse ap-
plaudit en le voyant prêcher l'avent
lui-même, dans une des paroisses de
Paris. L'empire qu'il prenait sur les
esjirits fit ombrage à Mazarin, qui
Je traversa dans ses projets de re'-
formes eccle'.siastiques. Le rôle que
joua le coadjuteur, à l'assemblée du
cierge' de iG45, le rendit suspect.
Un point de cérémonial qui touchait
les droits de la cathédrale de Paris,
un autre qui tenait à la préséance
archiépiscopale , achevèrent de le
brouiller avec la cour. Il avait refusé
de s'associer à la cabale des Impor-
tants : mais, persuadé qu'il ne pou-
vait se soutenir san5 se ciécr une
position indépendante, il eut l'ira-
])rudence d'inquiéter sou cJinemi par
des libéralités sourdes, qui toute-
fois n'étaient nullement secrètes ; et,
comme on lui reprochait ses prodi-
galités : hon ! répondit-il , César à
vion d^e devait six fois plus que
moi! Cependant la Fronde commcn-
RET
çait à petit bruit dans le parlement ,
qui jusque -là n'avait jamais paru à
la tête de nos mouvements politiques.
Les premières années de la régence
avaient été comme emportées par
l'impulsion rapide que le ministère
dcPiichclieu et les victoires du grand
Condé avaient donnée à l'autorité
royale. Mais, dans une monarchie
où les lois avaient passé dans les
mœurs , il était plus aisé de faire
taire les anciennes maximes que de
les faire oublier. La guerre et la cen-
tralisation du pouvoir avaient accru
les besoins du trésor. L'impôt ordi-
naire était presque nul ; le crédit pu-
blic était encore à naître ; et certes,
on l'aurait appelé en vain sous un
surintendant des finances qui disait
en plein conseil que la bonne-foi n'é-
tait qu'une A'ertu de marchands ( F".
Emery, XIII , 1 1 5 ). Une suite d'é-
dits bizarres ( F. Mazarin , XXVIII,
8 ) , affranchis des anciennes formes,
c'est-à-dire exécutés sans avoir été
vérifiés au parlement, produisit une
secousse dans les esprits. « Le parle-
» ment gronda j et, sitôt qu'il eut
» seulement murmuré, tout le monde
» s'éveilla : on chercha comme àtâ-
» ton les lois ; on ne les trouva plus.
» On s'effara, on cria , on se les de-
» manda; et dans cette agitation, le
» peuple entra dans le sanctuaire :
» il leva 1q voile qui doit toujours
V couvrir tout ce que l'on peut dire ,
» et tout ce que l'on peut croire du
» droit des peuples et du droit des
» rois , qui ne s'accordent jamais
» mieux ensemblcquedans le silence.
» La salle du Palais profana tous
w ces inystères, » ( Métn. de Rclz. )
Peu d'historiens ont assez connu la
Fronde, pour lui conserver ce ca-
ractère : c'est surtout dans son juge-
ment sur cette singulière époque, que
l'auteur du Siècle de Louis XIV a
RET
encouru le l'cprochc dclc'gèrele. «Oii
ne savait, dil-il, pourquoi on était
en armes ». On le savait très-bien :
les princes regrettaient leur place ou
leur autorite d-ius le conseil ; les
grands réclamaient, comme un droit,
les grands oiKces de la couronne: les
uns et les autres se dc'batlaient con-
tre le système crée par Richelieu ,
qui les éloignait des afïaires publi-
ques , au mej>ris des coutumes de la
monarchie. Le parlement défendait
les traditions légales, mais en exagé-
rant ses prérogatives ; et l'opinion
générale était soulevée contre le pre-
mier ministre , par le souvenir cn-
coVe récent des deux régences si peu
{"rynçaises de Catherine et de Marie
de Médicis. 11 faut se rappeler toutes
ces prétentions et toutes ces craintes,
pour bien juger la conduite du coad-
juteur. Ce qui le frappa surtout dans
le grand mouvement qui se prépa-
rait , ce fut la possibilité pratique
(les grandes choses dont la spécula-
tion Valait touché beaucoup dès
son enfance. D'abord il résista, plus
par convenance peut-être que par
devoir , aux iustances journalières
des mécontents , qui , presque tous ,
étaient ses amis. Il avertit la cour
de l'agitation des esprits. La reine
ne vit dans cette démarche qu'une
bravade dans la bouche d'un hom-
îne qui venait de dépenser , en
îjioins de ciu(] mois , 36,ooo écus
( plus de '.),oo ooo iV. ) d^iumônes ,
pour s'attacher le peuple de la capi-
tale. Ses avis fuient reçus avec ai-
greur. 11 offrit de nouveau ses bons
olïlces , le jour des barricades ; et
Mazarin , qui n'était pas fâché de
compromettre la popularité de son
ennemi , le força de promettre aux
séditieux la liberté du conseiller
Rrour.sel, promesse qu'il se réservait
d'éluder quand l'insurrection serait
RET 407
calmée. Lecoadjuteur , renversépar
la foule , blessé d'un cou[) de pierre,
n'échappe à la moit que par une
présence d'esprit singulière : il par-
vient à dissiper les séditieux et à pré-
venir le pillage de Paris ; rapporte
au ])alais royal les vœux de cette
nudiilude désarmée, et n'obtient de
la reine que ces paroles pleines d'a-
mertume: .4/^e:; vous reposer , Mon-
sieur ; vous ai'cz bien travaillé^'
c'était lui mettre les armes à la m4p*
Instruit , dès le soir même , que la
cour voulait l'exiler ou l'arrêter le
lendemain , comme auteur de la
révolte : pressé par ses amis , et
ne voyant de sûreté pour lui que
dans une nouvelle émoiion populai-
re , il se laissa chatouiller par ce
nom de chef de parti , qu'il avait
toujours honoré dans les Fies de
Plutarque ; et entraîné par l'espoir
de couvrir , de l'éclat de son rôle
politique , les dérèglements de sa vie
privée, il dit à ceux qui partageaient
sa fortune : «Demain, avant qu'il soit
midi,jeserai maître deP.ais. » Quel-
ques heures avaient fait de lui un fac-
tieux décidé. On peut voir, à l'article
MoMÎ , comment tombèrent ces se-
condes barricades. La reine crut ré-
parer l'imprudence de sa conduite ,
et rappeler Gondi à la cour , par un
accueil qu'il reçut avec un peu moins
de sincérité que de respect ; et IMa-
zarin ne fut pas plus heureux dans
SCS caresses. Cependantle parlement,
qui avait obtenu une déclaration
royale favorable aux libertés publi-
ques , s'emportait , au delà de toute
mesure , sur quelques infractions
qu'il reprochait à la cour. Coudé ,
jusque-là reste neutre , s'emporta
à son tour centre V impertinence de
ces bourgeois , c'étaient ses termes ;
et le siège de Paris fut décidé. la-
coadjutcur avait un pied daui, l'abî-
4o8 rî::t
me. Il accusait tout bas rcirervcs-
cenco du i)arlcmciit , et il n'osait ni
accepter , ni repousser les avances
des Espagnols qui , accoutumés, de-
])uis Philippe II , à mettre la maiu
dans toutes nos discordes , épiaient
la marche des chois de la Fionde ,
pour s'en emparer. Il avait refusé
les offres insidieuses de Mazarin
pour l'acrjuittement de ses dettes ;
mais il s'éîait laisse éblouir par l'es-
jpr dugouvernenienî. de Paris, que
la cour ne lia montrait que pour le
perdre avec les Frondeurs. Nulle dé-
ception ne pouvait étie plus sensible
au coadjuleur. Entré dans la Fronde
avec une ostentation de désintéresse-
ment peu commune, il ne pardonna
point au miiustre d'avoir tûicurc sa
popularité : mais celte leçon ne fat
point perdue ; et l'histoire doit à
Gondi ce témoignage, qu'il fut le seul
<jiii cherchât , dans ces troubles , la
j'épulation et non la forlune. Le dé-
part de la cour venait de lui ouvrir
la carrière. Jaloux de sauver les ap-
parences , il se (It arrêter par le peu-
ple pour ne pas aller à Sainl-Gtr-
main ; et des ce moment il futranic
de tous les conciliabules qui organi-
sèrent la révolte dans le parlement et
dans les halles. C'est dans ses Mémoi-
res qu'il faut voir l'incroyable acti-
vité de cette politique tracassicrequi
gouvernait Paris avec des sermons ,
des aumônes et des couplets. Le coad-
jiiteur était ])arlout, sans se montrer
nulle j)art. 11 écliaufl'ait le peuple ,
rassurait les bourgeois épouvantés
d'un siège (pie Condé commençait
avecluut mille honunes , et trompait
la conscience monarchique du par-
lement, qu'il entraîna par ses amis à
lever le premier l'elendard, avant
même d'être appuyé par aucun prince,
(^eux (pu commencèrent la Fi onde ,
étaient les hommes les plus vulgaires
RET
de tout le corps. Tout se disait et se
faisait dans l'esprit des procès. La
faction avait lesformes, nous dirions
presque la pédanterie, de la chicane.
Goudi, qui avait besoin d'un nom
pour en imposer aux magistrats et
aux troupes , le trouva dans le prin-
ce de Conti, frèie du grand Condé.
Ce n'était qu'un enfant ; mais cet en-
fant élait prince du sang. Le ccad-
juteur s'en était emparé par madame
de Longueville , sa sœur, l'une des
femmes les plus étonnariles de cette
époque et de ce siècle ; et il s'était
promis que toute la Norm.andic se
lèverait à la voix du duc , son mari,
qui en était gouverneur. Dès que la
révolte eut des chefs , l'agitation l'e-
vint générale. Les parlementa d'Aix
ei de Rouen s'uidrent à celui de Pa-
ris. Plusieurs des bonnes villes du
ioyauuie prirent les armes. Gondi
fit nommer, par la grand'-chambre,
les généraux d'une armée qu'en n'a-
vait pas. On décirla (ju'il occuperait,
dans l'assemblée des chandHcs , la
place de rarchevê(pje , son oncle ,
qui s'était enseveli dans un de ses bé-
néfices. Le coadjtiteur était depuis
long-temps maître du ])euple; mais
la mitre archiépiscopale ne pouvait
paraître à la tête d'une émeute. « 11
» me fallait , dit-il , un fantôme (pie
» je pusse mettre devant moi. Par
» bonheur pour moi , il se trouva
-,) que le fantôme était pctit-fils de
» Henri le Grand, qu'il parlait comme
» on parle aux halles , et (ju'il eût de
» grands cheveux bien longs cl bien
» blonds : on ne saurait imaginer le
» poids de ces circonstances , et con-
» cevoir l'eilét (pi'ellos firent dans
» le peuple, w Cefanlôme était le duc
de Ik-aufort. En multipliant ses ins-
liuments, Gondi espérait s'absoudre
du reproche d'avoir dirigéla révolte.
Pour maîtriser le parlement^ il le
H ET
précipita dans les cabales , lui fit re-
fuser d'entendre A Lerault du roi,
sous pre'texte qu'on n'envoyait des
liéraulls qu'à des ennemis ou à des
égaux, et lit recevoir, deux jours
après, un envoyé de l'archiduc, 11
se croyait irréprochable parce qu'il
lie traitait pas lui-même directement
avec l'Esp.igiie. Du reste , il ne t>e
faisait ])as illusion sur l'instalnlité
des esprits. C'est encore dans ses Mé-
moires qu'il faut voir toutes les res-
sources de son génie , tout ce qu'il
déploya d'activité , de présence d'es-
prit, de dextérité, de prévoyance
et de supériorité dans les allaires ,
pour lutter au parlement contre l'as-
cendant de Mole et la pénétration
du président de Mesmes; hors du
parlement , contre les prétentions
des généraux , les rivalités des gen-
tilshommes qui s'étaient joints au
parti , la tiédeur ou l'égoïsme des
bourgeois, elles violences toujours
aveugles de la multitude. Deux
traits d'une générosité remarqua-
ble ont honoré cette époque de
sa vie : il protégea , contre la fu-
reur du peuple, le chevalier de la
Valette, i\\n avait ordre de l'assassi-
ner, et s'opposa hautement à la
vente des meubles et de la l-ibliothè-
que du cardinal. Dans le même temps,
il obtenait du parlement un secours
pour la veuve de Charles I<^''. , dont
la cour oubliait le dénuement à Paris.
Toul-à coup une réponse modérée
de la reine, et l'influence de Mole,
tournèrent tous les esprits vers la
paix. Le parlement députa à Ruel ,
où était le premier ministre. Dans
ces circonstances désespérées, M™*^.
de Bouillon , belle-sœur deTurenne,
presse le coadjuteur de s'unir aux
Espagnols. Mais il avait trop d'ave-
nir dans l'esprit pour se séparer de
ces grands corps judiciaires dont
RET 409
l'aiitorilé était te\k, qnil temblait
(ju'(H>ec eux les jmrticuliers ne pou-
vaient faillir. Il ne voulut pas se
charger , dans la iicstérité , du re-
proche d'avoir livré Paris aux enne-
mis de la France, pour devenir l'au-
mônier de Fiiensaldngne qui gouver-
nait les Pays-Bas sons rarchiduc. 11
refusa uelleaient de soulever le peu-
ple contre les magistrats ; et . séduit
par l'idée d'attacher sou nom à la
paix générale, qui ét.iit le besoin et
le vœu de tous , il proposa le seul
parti qui pût donner de la dignité à
la Fronde : c'était d'y contraindre
la cour par la crainte de l'interven-
tion étrangère, et par l'organe du
parlement. Mais, cette fois, il ne per-
suada point les chefs de la Fronde ,
trop dominés par l'amliition person-
nelle, et ne put que rduser sa signa-
ture au traité secret qu'ils conclureut
avec l'archiduc. Cependant les dépu-
tés du parlement , qui, de leur coté,
avaient signé la paix avec la cour ,
après l'expiration de leurs pouvoirs,
faillirent être mis en pièces par le
peuple. Le coadjuteur couvtit Mole
de son corps ; mais il déclara haute-
ment qu'il ne voulait point d'amnis-
tie , et qu'il ne se réconcilierait avec
la reine qu'après l'expulsion de Ma-
zarin. Tribun par choix , mais trop
grand seigneur pour aimer long-
temps les mouvements populaires ,
dès qu'il fut placé entre la paix et la
nécessité d'accabler le p irlement par
le peuple , il n'hésita plus à calmer
les esprits. Le retour du roi à Paris,
sembla son ouvrage. Toutefois il se
maintint dans une neutralité mena-
çante , refusant avec (juclque liaulcuv
les libéralités de l'Esjiagne , et pa-
raissant dédaigner les faveurs de la
régente. ParticeUi avait repris l'ad-
ministralion des linances ; et les
renies de l'hôlcl-dc-villc , les seuls
4io
REï
fonds iiuMics de ce temps, n'avaient
pas toujours c'te respectées par la fis-
oaîitcdii ministre, J.es rentiers récla-
mèrent, nommèrent des syndics,
• invoquèrent liantcmcnt la protection
du duc de Beaiifort et du coadjuleur.
Une partie des Frondeurs crut entraî-
ner le parlement par l'assassinat si-
mule' de Joli , l'un des syndics , de-
puis secrétaire de Gondi , qui avait
repousse vivement ce coup de parti.
Mazarin risqua , le même jour , une
tentalivede même nature, en faisant
tirer sur le carosse de M, le Prince ;
ce qui produisit une bien autre com-
luotiondans les esprits. Le procureur-
î^cnëral accusa solennellement le coad-
iuteurde complot contre le premier
prince du sang; le président de Mcs-
mcs rappela la conjuration d'Am-
boise : tous les courtisans crurent
Gondi perdu. Il parut inopinément
devant les chambres assemblées, ac-
compaç;nê d'un simple aumônier ;
mais sûr de trouver au palais les
membres les mieux titres de sa fa-
mille ; et relevant , en très-pen de
mots, mais avec noblesse, l'invrai-
semblance des dépositions produites
contre lui, il demanda si le coadju-
teur de Paris pouvait être soupçon-
ne' de meurtre sur les oui-dires de
témoins brevetés par le cardinal pour
accuser ses ennemis , et dont plu-
sieurs e'taient condamnés à la roue :
« Voilà , ajouta-t-il, tout ce que je
sais de la moderne conjuration (i'Ara-
boisc. » Dès ce moment , il fut absous
])ar l'indignation ])ub!ique. ftlolé ,
qu'il avait lécusé sans motif ;, n'ob-
tint qu'une faible majoiitc pour res-
ter au nombre des juges. Plus de
([iiatrc-vingls voix oj)inèrent à con-
server aux accuses la ])lacc qu'ils
occupaient sur les (leurs de lis. Me-
nacé j»ar !a noblesse qui formait le
cortège du piince,le coadjuleur ne
FxET
niaicîia plus au^alais qu'à la têle
de cent cinquaffle gentilshommes.
C'est en ce moment de crise que ses
amis le forcèrent de cacher un poi-
gnard sous ses habits. Le duc do
Beaufort trouva plaisant de le pu-
blier , en disant tout haut: « Voilà le
bréviaire de notre archevêque. » Pen-
dant que Condé , toujours dupe de
la cour , s'obstinait à celte accusa-
tion ridicule , Mazarin concertait sa
perle avec le coadjuleur qui , dans la
conscience qu'il avait de sa force ,
n'hésita pas à se rendre , la nuit , à
l'invitation de la reine, refusa le car-
dinalat qui lui fut offert , obtint ce
qu'il voulut pour ses amis, et promit
de ne pas s'opposer à l'arrestation
des princes. 11 préféra sa popularité
à de nouvelles offres de la régente, et
reconnut bientôt qu'il n'y avait au-
cune sùrelé dans son rapprochement
avec la cour. Calomnié tout- à -la-
fois dans l'esprit de la reine et dans
celui des Frondeurs, par les confidents
les plus intimes du cardinal , cette
fausse ])osilion pesait à l'homme qui
avaitbalancéla fortuncdu premiermi-
nislre. Gaston, oncle du roi ,quiaAfait
besoin d'être gouverné , venait de lui
abandonner sa confiance. Gondi s\^n
servit vainement pour s'opposer aux
diverses translations des princes. Le
chapeau qu'on l'avait vu refuserdcux
fois, lui fut, à sou tour, refusé, dès
qu'il le demanda. Persuadé qu'il ne
pouvait ])Ius être que chef de parti
on cardinal, menacé d'aireslation et
d'assassinat, il s'unit étioitemenl à
la Palatine; et la liberté des princes,
malgré la victoire de Rhélcl, et mal-
gré Gaston lui-même, fut le chef-d'œu-
vre de leur ])olitiquc. C'est dans le
cours de celle n('gociation épineuse
(pie , dénoncé ofliciellemeul dans une
déclaration rédigée par le garde des-
sccaux Ghàteauneuf , cl signée des
RET
quatre sccrctaircs d'ëtat , il impro-
visa devant le parlement cette cita-
tion si heiueusc: In difficillimis rci-
jniblicœ temporibns urbem non de-
senii ; in prosperis nihil de publico
delibavi ; in desperatis jiihil timui ;
et, sans autre apologie , il conclut à
des remontrances pour l'éloignemcnt
de IMazarin , qui n'osa pas les atten-
dre. Quelque temps auparavant ,
Cromwell l'avait fait souder par u;i
de ses aflldes ; mais alors mê-
me , Gondi avait une liaison e'troite
avec le comte de Montrose , si célè-
bre par son hc'roïsme et son de'voue-
ment aux Stuarts. Il fit même accep-
ter à Charles II un secours d'argent
dans sou exil ; et Clarendon rend
liommaçie, daus ses Mémoires, au res-
pect du coaf.'juteur pour cette royale
famille. L'envoyé du protecteur le
trouva inaccessible à toute séduction;
CromT^'ell dit publiquement : Il ny
a quun homme en Europe qui me
méprise ; cest le cardinal de Retz.
L'habileté supérieure que celui-ci
venait de déployer pour la cause
des princes , ne put lui rendre leur
confiance. Toules les conditions du
traité qui les avait délivrés , étaient
éludées ou trahies. Gondi , trop fier
pour se plaindre, s'enferme dans le
cloître de INotre-Dame , y loge une
foule de gentilshommes dévoués à ses
intérêts ; et , résolu de faire sentir
qu'il peut encore redevenir redouta-
ble , il s'a])pli(jue à regagner la con-
fiance des peuples par sa régularité
archiépiscopale. Lasse des hauteurs
de M. le Prince^ la reine ne tarda
pas à se rejeter dans les bras du
coadjuteur : elle (it briller à ses yeux
la simarre de premier ministre, qili
pouvait éblouir un homme moins
clairvoyant , et la pourpre de cardi-
nal que Mazarin se promettait de lui
enlever par les obstacles ipi'il prépa-
RET
4m
rait à Rome. Gondi n'accepta que la
pourpre , et commença contre le
grand Condé une guerre de plume ,
dont l'avantage resta à l'ancienne
Fronde, sur l.-.quelle n'avait cessé de
s'appuyer !e coadjuteur. Harcelé daus
le parlement parles amis de son ad-
versaire, fatigué au-dehors par .'es
manœuvres , Condé quitta un mo-
ment Paris , et n'y rentra que pour
se plaindre au parlement des conseils
qu'on donnait contreluiàla reine. C'é-
tait désigner Gondi aux soupçons de
la Fronde et à la haine du peuple de
Paris. Le coadjuteur enchérit sur
ces plaintes, et opina sur-ie-champ
à poursuivre les créatures de IMazarin,
et à commettre le procureur-général
pour informer contre ceux dont les
conseils compromettaient la sûreté de
M. lePrince. Condé neput s'empêcher
de sourire ; et cet avis passa tout
d'uue voix. Cette lutte singulière,
qui plaisait à l'esprit aventureux du
prélat , ne pouvait se prolonger. Une
foule de seigneurs se pressaient sur
les pas du prince lorsqu'il mardi. lit
au palais.Le coadjuteur, fort de la pro-
tection de la reine, se vanta de ne cé-
der le pavé qu'auroi. C'est dans unede
ces rencontres que , vaincus par les
prières et les AcrtusdelMolé, le prélat
et le prince allèrent inviter leurs amis
à ne pas assiéger le temple de la jus-
tice. Gondi, comme il rentrait dans
le vestibule de la grand'chambre, se
trouva pris entre les deux battants
de la porte; et , s'il faut l'en croire,
le duc de la Rochefoucauld , qui le
tenait serré dans cette position, don-
na ordre de le tuer. La Rocliefou-
cauld s'en défend, dans ses ]\Iénioi-
res : peut-être ne fut-ce qu'une me-
nace. Quoi qu'il en soit, le coadju-
teur était perdu, si Champlalreux.
fils d'j président Mole , ne l'eût
tiré des mains de ce duc. Ce service
4ia RET
le pciidtra de reconnaissance ; et ,
quand Mole vint le prier, au nom
de la nine, de cesser d'exposer sa
vie , en ne reparaissant plus au pa-
lais , ils se jurèrent amitié; et depuis
ils se liîîrent parole. Cependant Gon-
dé se laissait entraîner à 'la guerre
civile; et la cour, pour éclairer de
plus près ses mouvements , se di-
rigea vers la Guienne. Ui)e des plus
grandes faules du coadjuteur est de
n'avoir pas prévenu ce voyage , qui
alFrancliit la rpine de la crainte des
Parisiens , et ramena IMazarin à la
tête du conseil. Aigri contre la reine,
mais irréconciliable avec le ministre',
Gondi fut réduit à un rôle tempori-
seur et équivoque, le plus contraire
à son génie, en fondant ce qu'on ap-
pela le tiers - parti , qui repoussait
toute alliance avec Condé et avec
Mazarin. Il espérait sauver sa popu-
larité, sans compromettre ses espé-
rances à la pourpre; car sa nomina-
tion n'était pas encore sanctionnée
par le pape. Mais il ne put dominer
l'indécision deceuxqiii s'étaient juints
a lui; et, dans un accès de découra-
gement, il dit k Gaston : Fausserez
fils de France à Blois , et moi car-
dinal à Fincennes. Ce mot se trou-
va prophétique Saforlune,bf>aucoup
plus que son adresse, lui donna le
chapeau , malgré Mazarin. 11 saisit
cette occasion pour cesser de se mon-
trer au parlement ; et , menacé d'en-
lèvement par les amis des princes et
par Condé lui-même, il se cantonna
dans son archevêché, et songea un
moment à s'ensevelir dans ses digni-
tés et dans l'inaction. Ses amis ,'qui
avaient toujours spéculé sur son im-
J)orlance politique , lui (ircnt honte
de reculer devant le premier prince
du sang. Gondi décocha contre lui
de nouveaux pamphlets, aujourd'hui
compiclcmcnt oublies, malgré les
RET
noms do Portail et de Patru , les ora-
cles du barreau, qui prêtèrent leur
plume et leur réputation au coadju-
teur. Celte petite guerre fut termi-
née par une députation solennelle de
tout le clergé de Paris à Louis XIV,
pour le prier de revenir à Paris. Le
cardinal de Retz eut tout l'honneur
de cette démarche; et la cour fît les
olfres les plus brillantes, pour obte-
nir qu'il s'éloignât , avec le titre d'am-
bassadeur à Rome. Obsédé par ses
amis , il demanda pour eux davan-
tage. Tout ce qui lui donnait un air
de hante lutte l'entraînait à son insu;
et, pendant qu'il s'amusait à négo-
cier avec des ministres qu'il bravait,
il fut arrêté au Louvre^ le it) décem-
bre i652, s«ns que le peuple, las de
la guerre civile , prît la moindre at-
titude de résistance. Son père, reti-
ré, depuis plus de vingt ans, à l'O-
ratoire, dont il avait adopte la rè-
gle , fut, contre toute justice , enve-
loppé dans sa disgrâce. Le cardinal
fut enfermé à Vincinues ; on n'oublia
rien pour lui rendre sa prison insup-
portable. Il n'obtint sa translation
au château de Nantes qu'en donnant
sa démission de l'archevcché de Pa-
ris , dont la mort de sou oncle le
laissait le maître. L'histoire ofl're j)eu
d'exemples d'une évasion aussi har-
die que la sienne.- Il se sauva à la vue
de ses gardes, résolu d'aller à Paris
se concerter avec le parti de IM. le
prince , et de s'emparer des cir-
constances. La fortune de Mazarin
le sauva de ce péril. Une chute de
cheval força le cardinal de Retz de
se réfugier en Espagne, d'où il partit
pour Rome, sans vouloir traiter avec
le cabinet de Madrid. 11 parut avec
honneur dans le conclave, soutint
partout sa dignité , malgré les car-
dinaux attachés à la France, et dé-
cida l'élection du pape Alexandre
RET
Vil. Il avait révoqué sa démission ,
avant de quitter la France ; et les der-
nières années de sa carrière arcliié-
piscopale se consumèrent à maintenir
ses grands vicaires dans l'adminis-
tration de son diocèse , en dépit des
efforts de la cour. Il mena long-
temps , en Hollande et dans les Pays-
Bas , une vie errante , poursuivi par
la haine de Mazarin , qu'il menaçait
encore , dit Bossr.ct, de ses tristes et
intrépides regards. Il vit, à Bruxel-
les , le roi Charles II et le grand
Condé, et ne se démit de son ar-
chevêché qu'après avoir stipulé pour
les intérêts de tous les amis qui
lui étaient restés. Louis XIV lui don-
na en échange l'abbaye de Saint-De-
nis et quelques autres avantages ,
et lui fit même l'honneur de le con-
sulter et de suivre son avis pour
la réparation de l'insulte faile au
comte de Ciéqui , son ambassa-
deur. Cependant il l'admit assez tard
en sa présence, le reçut avec froi-
deur, et le renvoya à Rome, où le
conclave allait s'as>cmbler pour l'é-
lection de Clément IX. Ce fut le der-
nier acte de la vie politique du car-
dinal. Sa vie privée fut encore plus
étonnante; et la retraite qui la cou-
ronna , fut la plus éclatante de tou-
tes ses actions. Il vendit généreuse-
ment ses deux souverainetés , se ré-
servant à j)eine vingt mille livres de
rente, et abandonnant le reste de sa
fortune à ses créanciers. C'est ainsi
qu'il acquitta onze cent dix mille
écus de dettes ( plus de quatre mil-
lions de notre monnaie ) , sans re-
noncer au plaisir de créer des ]/en-
sions pour ceux de ses ainis qui en
avaient besoin. Il fixa sa demeure à
Saint-Mihiel en Lorraine, où il r<f-
digea ses Mémoires , pour satisfaire
aux iustances de ceux qui lui étaient
attachés. Sorti un moment de sa re-
RET
4i3
traite pour retourner à Rome, il ne fut
pas étrangerà l'exaltationdeClément
X, et revint à Paris , où il étonna ses
amis mêmes , à force de piété, de
désintéressement et de bienfaisance.
T\[me_ deSévigné, qui, dans ces der-
niers temps, jouit plus que d'an très, de
la douceur et de la sûreté de son com-
merce , loue avec entraînement les
charmes de sa conversation, l'éléva-
tion deson caractère, sa bonté, sa mo-
dération, ses habitudes paisibles et
bienveillar tes. 1! avait voulu deux fois
renvoyer la pourpre, par humilité
chrétienne; mais le pape lui défen-
dit d'insister. Il mourut à P.iris , le
u4 août '679, honoré des larmes
de ses amis , et béni jiar ses domes-
tiijues et par les pauvres. On afaitet
refait bleu des fois son portrait; mais
ceux qui l'ont peint, éiaicnt presque
tous des hommes prévcntfs , et par
conséquent suspects. Le président
HénaullIecomparctour-à-touràCicé-
ron , avec lequel il n'eut rien de com-
mun, et à Catilina , auquel il ne res-
semblait guère davantage. Toutefois
la postérité a retenu plusieurs des
traits sous lesquels il trace la physio-
nomie politique du cardinal : a Esprit
» hardi, délié, vaste et un peu roma-
» nesque; cherchant quelquefois <à se
» faire un mérite de ce (pi'il ne de-
)) vait qu'au hasard, et ajustant sou-
» vent après coup , les moyens aux
» événements ; magnifique, bel-
» esprit, turbulent, ayant plus de
» saillies que de suite; déplacé
«dans nue monarchie, et n'avau'
» pas ce qu'il fallait pour être repa-
» blicain .'. Ce qui est ctonn;inf
» c'est que cet homme, sur la i4 dn
» sa vie, n'était plus rietî le t0"t o.-
» là, et qu'il devint dou:^ . t.anquii-
» le, sans intrigue, «^ l'amour le
« tousles honnêtes geus deson emps,
» comme si toute son ambition d'au-
4i4 RET
» Irefois n'avait e'ic qii^unc debaii-
» che d'esprit et de ces toms dejeu-
» ncssc , dont on se corrige avec
» l'àgo. M L'hisloii'c impartiale doit
recueillir aiis^i, sur ce personnage ex-
traordinaire, quelques-uns des sou-
venirs du duc de la Rocliefoucauld ,
qui, comme ou sait , ne flattait pas
les liommes , et, comme on l'a vu ,
n'était pas de ses amis. « Paul de
» Gondi, dit l'auteur des yl/«.nmei,
» a beaucoup d'e'levatiou, d'étendue
» d'esprit, et plus d'ostentation que
» de vraie grandeur de courage. Il a
» une mémoire extraordinaire, plus
» de force que de politesse dans ses
» paroles, l'humeur facile , de la
» docilité et de la faiblesse à souffrir
» les reproches de ses amis Il
f) parait ambitieux sans Vélre ; la
» vanile lui a fait entreprendre de
!) grandes*choses, presque toutes op-
)> pose'es à sa profession. Il a susci-
» té les plus grands désordres dans
1) l'état , sajis dessein formé de s'en
» préi'aloir; et , bien loin de se dé-
» clarer l'ennemi de Mazarin , pour
» occuper sa place , il n'a pensé qu'à
» lui paraître redoutable , et à se flat-
» ter de la fausse vanité de lui être op-
M posé. Il a souffert sa prison avec
j) fermeté , et n'a dû sa liberté qu'à
» sa hardiesse 11 est entré dans
» divers conclaves ; et sa conduite a
)) toujours augmenté sa réputation.
» Sa petite naturelle est l'ois. vctc; il
» travaille avec beaucoup d'activité
» dans les affaires qui le pressent, et
» se repose nonchalamment dès qu'el-
» les sont ruùes...Gequia le pluscon-
» tribué à sa réputation , est de sa-
» voir donner un beau jour à ses dc-
» fauts Incapable d'envie et d'a-
» varice, il a plus emprunté de ses
» amis qu'un particulier ne pouvait
» espérer de leur rendre. Il a senti de
)» la vanité à trouver tant de crédit,
RET
» et à entreprendre de s'acquitter. »
On ne saurait trop louer sa fidélité
dans ses engagements politiques. Il a
changé plusieurs fois de parti, et n'eu
a trahi aucun. Peu d'hommes ont su
mieux concilier la passion des affai-
res et celle des plaisirs. Tout ce qui
e'tait hasardeux lui plaisait , par
le danger même , au premier coup-
d'œil ou au second ; mais ceux qui
n'ont vu en lui qu'un révolutionnai-
re , n'ont étudié ni son caractère ni
sa conduite. Des amis comme Tu-
renne , Lamoignon , et Mole lui-mê-
me, répondent à bien des accusa-
tions. Ils prouvent assez que sou
grand tort fut d'avoir été jeté, par
sa famille , hors de sa sphère natu-
relle. Pour avoir l'esprit de sa posi-
tion sociale, il lui manquait surtout
les vertus de son état. On a, du car-
dinal de Retz, outre un grand nom-
bre de brochures , qui n'ont pas sur-
vécu aux circonstances : la Conjura-
tion de Fiesque , traduite, en partie,
de Mascardi, avec plus de maturité de
style qu'on n'en pouvait attendre de
son âge. La France n'avait alors aucun
morceau historique qu'elle pût com-
parer à celui-là , pour le nerf de la dic-
tion , qui a néanmoins un peu vieilli.
Il y a long-temps que tout est dit sur
ses Mémoires ^ écrits, dit Voltaire,
avec un air de grandeur , une impé-
tuosité de génie et une iuégalilé, qui
sont l'image de sa conduite; son ex-
pression, quelquefois incorrecte, sou-
A'ent négligée, mais presque toujours
originale, raj>pclle sans cesse à ses
lecteurs ce qu'on a répété tant de
fois des Commentaires de César :
Eodeni anima scripsit rjun hellavil.
Le désordre et les longueurs de la
composition ne nuisent point à l'in-
térêt, parce que, sous la plume du
cardinal, ils font, pour ainsi dire,
partie de la vérité du récit. Aussi
I
RRT
ce livre esl-il rcsle un livre à part,
dans la foule des Mémoires qui gros-
sissent les matériaux de l'histoire
de France. Il ne faut pas perdre de
vue que lagloirc d'ëcrivainsiipcrieur,
qui lui est si jnstcmcnt restée, est,
comme l'obseive Laharpe, celle à
laquelle iIsonc;eait le moins, et qu'il
adresse ses Mémoires à une amie,
comme une confidence épistolaire.
On a trop insisté sur les antithèses de
quelques -unes de ses portraits, sur
la partialités de quelques autres. Dans
une causerie pleine de feu, de sail-
lies, et de traits qui révèlent une
force de tète peu commune, il était
excusable de ne point parler froide-
ment de ses contemporains. Person-
ne ne conteste qu'il n'ait eu a un haut
déi:;ré le talent de raconter et de pein-
dre. Aussi son livre est-il resté un
livre à part dans la foule des IMé-
moires qui grossissent les maîériaux
de l'Histoire de France. Il parut pour
la première fois, en 1717; on l'a
souvent réimprimé depuis avec les
Mémoires de Joly, et de la duches-
se de Nemours ( G vol. in- 12 \ Les
légères lacunes qui s'y trouvent se
rapportent aux galanteries du cardi-
nal. Son confesseur exigea de lui le
sacrifice de tous les passages dont la
publication pouvait être un scandale
public. Dans ses Recherches his-
toriques sur le cardinal de Betz ,
publiées en 1807 , M. de IMus-
sct-Pathay a tenté de le justifier
d'une partie des reproches qui pè-
sent sur sa vie politique. M. Le-
montey a publié dans la Galerie
Jrflnçv/tVe deux Notices j;>!cines d'a-
perçus ingénieux sur le cardinal de
Retz et sur I\I'"<^. de Longucvillc.
Adr. Lezay- Marncsia a publié des
Pensées choisies du cardinal de
Rrtz( r. Lezav , XXIV, 406 ).
F — T i.
REU
4K)
REUCHLIN ( j£AN ) , philologue
allemand , naquit , en 1 455, à Pforz-
hcim, alors résidence du margrave
de Bade, de parents honnêtes et très-
attentifs à l'éducation de leui s enfants.
Il apprit, à l'école de cette ville, tout
ce qu'on enseignait à cette époque.
Son goût pour le chaut le fit placer
parmi les enfants de chœur de li?
chapelle du margrave. Charjné de ses
progrès dans la grammaire, ce prince
l'attacha à son fils Frédéric, qui fut
dans la suite évêque d'Utreclit. Dans
le voyage que le jeune margrave fit à
Paris, en i473, Reuchlin l'accom-
pagna , et y continua ses études sous
Jean de Lapierre, qui enseignait la
grammaire, sous Guillaume Tardif
et Robert Gaguiu, qui donnaient des
leçons de rhétorique, et sous Gré-
goire Typhernas , professeur de
grec. Obligé de retourner en Allema-
gne à la suite de son patron , il re-
vint aussitôt à Paris, où il reprit ses
études de langue giccquc, sous Hcr-
monymede Sparte, qui avait succé-
dé à Grégoire Typhernas. N'avant
plus son protecteur, il fut réduit à
copier des livres grecs pour subve-
nir aux frais desonséjour. Eu i474i
il se rendit à Bâle, et s'y fit recevoir,
trois ans api'ès. docteur en philoso-
phie. Les fréquentes conférences qu'il
eut dans cette ville avec Andronic
Contoblacas , le fortifièrent dans la
langue grecque ; il l'apprit si bien,
qu'il fut en état d'en donner des le-
çons publiques. Il mit également à
profit la bienveillance de Jean VVc-
sel de Groningue, avec lequel il se
lia d'amitié; et il apprit de lui les élé-
ments de la langue liébraïque. Yera
le mcmc temps, il lédigea, pour le
fameux imprimeur Amcrbach , quel-
ques ouvrages destinés à rinstrucliou
dclaicuncss'^. En 1478, son penchant;
irrésistible pour les sciences le r.imc-
4i6 REU
na en France. Il étudia le droit à Or-
léans , tout en y donnant des leçons
de p;rcc , dont le produit, assez con-
sidérable, suffisait lionorableracnt k
son entrelien. De là, il vint à Poi-
tiers, où il obtint , le i4 j"'" '4^' ^
un diplôme de licencié en droit, avec
la fac'iltc expresse de se faiie rece-
voir docteur partout où il voudrait.
Le 9 décembre suivant, Reuchlin se
fit inscrire sur les matricules de l'uni-
versité de Tubingue, dans l'intention
de prendre le bonnet de docteur, et
peut-être aussi dans l'espoir d'obte-
nir une place que son mérite, déjà
connu, lui donnait droit d'attendre.
Cependant il se mit à exercer la pro-
fession d'avocat au barreau de cette
ville. Une circonstance assez singu-
lière ne tarda pas à le produire sur
un autre théâtre. Des envoyés du pa-
pe attendaient à Tubingue une ré-
ponse au nom de leur maître. Le
cbancelierde l'université fut chargé
de la faire: mais la manière barbare
dont il prononçait le latin , empêcha
de l'entendre. Les nonces protestè-
rent que le discours du chancelier
ne pouvait passer pour une réponse.
Dans cet embarras , quelques-uns des
assimilants déclarèrent que Reuchlin
parlait et prononçait parfaitement la
langue laiine, et que lui seul pouvait
répondre. On appela Pieuchlin , qui
s'acquitta très-bien de la commis-
sion dont il était chargé. Cette anec-
dote, racontée par Gasjiar Bûcher,
n'est pas en tout conforme au ré-
cit de Mélanchlhon, parent de Reu-
chlin. Quoi qu'il en soit, Eberhard,
alors comte de Wurtemberg, cl de-
puis duc de Suuabc, cnchantédc l'es-
prit et des talents de Reuchlin, le
piit avec lui eu qualité de secrétai-
re intime, dans le voyage qu'il lit
à Rome, en 1482. Ce docte phi-
lologue visita les monuments de la
RED
capital* du mondechrctien, des prin-
cipales villes d'Italie, et notamment
de Florence, qui était devenue l'a-
sile des sciences et des arts , pros-
crits de l'ancienne Grèce. Il mit
encore plus d.'empressemenl à voir
les savants qui illustraient ces con-
trées : George Vespuce, Ange Po-
litien, Marcile Ficin , Démétrius
Chalrondyte et Hermoîaùs Barba-
re. On prétend que ce dernier lui
conseilla de se faire appeler Cap~
nion , espèce de traduction grecque
de son nom allemand (i). Reuchlin
reçut partout 1 accueil le plus flat-
teur; sa réputation l'avait devancé,
et lui avait préparé les voies. La
cour de Florence se distingua par sa
courtoisie; elle grand-duc, Laurent
le IMagnifique, lui donna des témoi-
gnages d'une estime toute particuliè-
re. A son retour en Allemagne, il
s'établit à Sîuttgard, auprès du duc
Ebherard. En 1484^ il fut nomme'
assesseur de la cour suprême; et l'an-
née suivante , il prit , à Tubingue , le
degré de docteur. On l'envoya, en
i486, à la dicte de Francfort ; et, en
14B7, au sacre de l'empereur Fré-
déric III. Plus tard, il fut employé
])0ur concilier les différends qui s'é-
taient élevés entre le duc Eldierard et
son frère de même nom. Cependant,
en 1 490, son traitementannuel n'était
encore que de quatre-vingt dix flo-
rins, quoiqu'il eût la promesse d'une
augmenta lion dans quatre ans. En
1 49'-i . on le chargea de négocier au-
près de l'empereur la raîilicatiitn de
la transaction d'Esling. 11 obtint tout
le succès quon espérait; et la tran-
saction fut ratifiée le 18 octobre.
Pour lui témoigner sa satisfaction ,
l'empereur lui conféra le titre de
(I^ Jitviirhlin rst lin diiniiiiilir du mot ntlrninnd
liaucli, qui ni^niiti: Juin h;
REU
comte palatin , avec la noblesse ,
iransmissible à ses descendants :
raais cet honneur lui fut purement
personnel, puisqu'il ne laissa pas de
postérité. Reuchlin profita de son
séjour à la cour impériale pour ac-
croître ses connaissances dans la
langue hébraïque, en prenant des le-
çons du juif Jacob Jecliiel Loans ,
médecin de l'empereur. On remar-
quecomme une preuve de son amour
pour la littérature hébraïque, et de
la haute faveur dont il jouissait au-
près du chancelier d'Autriche , le
présent qu'on lui Ht d'une Bible ma-
nuscrite, estimée trois cents florins
par Mélanchthon. Amené à la diète
de Worms, par le duc Ebheraid ,
il se distingua parmi les savants
qui brillaient à la cour de ce prince.
Après la mort d'Ebherard, Reuchlin
se retira des aii'aires , pour éviter
des persécutions qu'il prévoyait de-
voir essuyer de la part des ministres
du nouveau prince. Heidelberg lui
offrit un asile; et jouissant de toute
la faveur de l'évêque de Worms ,
chancelier de rélecteur palatin , il
trouva , dans sa riche bibliothèque,
tous les secours qu'il pouvait desii er
pour ses travaux littéraires. Il v
composa une satire très-mordante
contre Holzinger, moine augustin ,
qu'il avait autrefois fait mettre en
prison, et qui, depuis l'avènement
d'Ebherard II , était devenu son
persécuteur le plus acharné; mais il
ne la publia pas. L'électeur palatin
avait alors quelques démêlés a^ec les
moines de Weissembourg: ceux-ci
euient recours au Saint-Sicgc, qui
nomma des coramissaii es pour l'exa-
men de l'affaire. Le prince ne voulut
pas reconnaître leur juridiction, et
refusa de se justifier : d'après sou re-
fus de comparaître, il fut déclare
coupable, et excommvmic. 11 envoya
xxxvu.
REU
417
Reuchlin à Rome, comme la per-
sonne la plus propre à défendre ses
intérêts. Le 7 août 1/Î98, ce savant
homme prononça, devant le pape et
les cardinaux, un discours dans le-
quel il demandait la levée de l'excom-
munication, et le renvoi de l'affaire
au tribunal de l'empereur et des
princes de l'empire , seuls juges com-
pétents. Ce Discours, écrit avec beau-
coup de sagesse , de force et de di-
gnité , obtint l'approbation la plus
générale. Reuchlin ne négligeait au-
cune occasion de s'instruire: ayant
rencontré à Rome le rabbin Abdias
Sporno , il le prit pour maître d'hé-
breu. Ou assure qu'il donnait ua
florin pour chaque leçon d'une heure.
Il y vil aussi le savant Argyropule
qui , ne pouvant comprendre qu'un
Allemand parlât la langue grecque
avec tant de pureté , s'écria un jour :
Grœcia iwstra exilio transvolavit
^Z/7e5. Pendant l'absence de Reuchlin,
il était arrivé de grands changements
dans le gouvernement de Souabe -
Ebherard II avait cédé la souverai-
neté au jeune Ulrich , son neveu et
avait nommé un conseil de régence
pour gouverner jusqu'à la majorité'
du nouveau souverain. Ce conseil
était composé d'anciens serviteurs
d'Ebherard P'.Reuchlin n'ayant plus
rien à redouter de la haine d'Holzin-
ger , revint à Stuttgard , laissajit
sa femme à Heidelberg. Aussitôt
après son arrivée, il fut envoya'
en ambassade vers l'empereur Maxi-
milien, qui était à Inspruk. La \\<^\xq
de Souabe, renouvelée en i5oo
avait été partagée en trois classes :
la première, composée de l'empereur
comme archiduc d'Autriche, des
électeuis et des princes ; la seconde ,
des prélats , des comtes et des ba-
rons ; la troisième, des villes impé-
riales. Chaque classe devait nommer
9.7
4i8 REU
un juge pour former un tribunal
chargé de terminer les différends qui
surviendraient entre les membres de
la ligue: le lien où devait siéger ce tri-
bunal était laisse' au choix des deux
premières classes. Tubingue jouit de
l'avantage de le posséder pendant
douze ans. En 1 5o2,Reuclilin fut nom-
me' par la première classe , aA'ec un
traiteraentannuel de 200 florins. 11 oc-
cupa cette place pendant onze ans , à
la satisfaction de tout le monde , et
avec beaucoup d'agrément pour lui-
même. Il était établi à Stuttgard, où
il avait sa maison, son jardin, sa
bibliothèque ; les fréquents voyages
qu''il était tenu de faire à Tubingue ,
lui étaient faciles et agréables ; il s'y
trouvait au milieu de ses admirateurs
et de ses amis. Mais lorsque le tribu-
nal de la ligue fut transféré à Augs-
bourg, tous ces avantages s'évanoui-
rent; et Keuchlin . ne pouvant en sup-
porter la perte , donna sa démission.
Cependant un orage violent grondait
déjà sur sa tête. Un juif de Cologne ,
nommé Pfeffcrkorn , qui s'était fait
baptiser, obtint de l'empereur, un édit
pour faire brûler tous les livres juifs
qui contiendraient quelque chose de
contraire à la religion chrétienne.
Cet édit est daté du 19 août iSog.
Il y est enjoint à tous ceux qui peu-
vent avoir de ces sortes de livres , de
les portera la maisondcvillede leur
habitation respective , et de les sou-
mettre à l'examen de Pfeffcrkorn ,
assisté du pasteur et des principaux
habitants du lieu. Le zélé personnage
se rendit, en if)io,à Stuttgard, et
engagea Keuchlin à faire une toui-
nc'e avec lui dans les cercles du Rhin
pour l'exécution de l'édit. Keuchlin
était trop instruit pour se rendre à
une pareille invitation : il en fit sen-
tir l'inconvenance, et insista sur quel-
ques défauts de forme dans les pou-
REU
voirs dont le commissaire était por-
teur. Celui-ci exigea que ces ob-
servations fussent mises par écrit; et
Reuchlin s'y prêta sans difficulté.
Cette même année, il reçut, par l'in-
termédiaire de l'électeur de Maïence,
l'ordre impérial de donner son avis
sur la question de savoir s'il est juste
et utile à la foi chrétienne d'enlever
aux Juifs tous leurs livres , excepté
la Bible. Reuchlin eut le courage de
défendre les droits imprescriptibles
de la propriété , dans sa consulta-
tion du 6 octobre i5io. On ne
pouvait , disait-il , enlever justement
aux Juifs, que les livres composés
pour insulter Jésus-Christ et sa sainte
loi ; mais ces livres sont en petit
nombre. Il déclarait ne connaître le
Talmud , que sur le rapport d'autrui ,
n'ayant jamais pu se le procurer ,
malgré les avances qu'il avait faites-
Cet ouvrage contenait vraisemblable-
ment, selun lui, plusieurs passages
contre Jésus-Christ et ses apôtres ,
et plusieurs qui devaient paraître bi-
zarres et ridicules : mais au lieu de
brûler le Talmud , ne valait-il pas
mieux chercher à le com])rendre
pour le réfuter ? Serait-il honorable
de le détruire sans l'avoir examiné ?
Quant aux livres cabalistiques , il ne
pensait pas qu'on dût les supprimer.
La commission nommée par Alexan-
dre VI avait examiné l'Apologie de
la cabale par Pic de la Mirandolc ,
et avait déterminé ce pontife à l'ap-
prouver parson bief de i/jqS. Léon
X avait accepté la dédicace du livre
de Reuchlin de arte cahalisticd. Les
Commentaires de laliiblclui parais-
saient indisjM'usables pour l'intelli-
gence du sens littéral ou grammati-
cal ; et il citait à l'appui de son opi-
nion Nicolas de Lyra ,qui avait tant
emprunté de Raschi , et à qui on ne
laisserait (|iic quelques feuillets, si on
REU
le dépouillait de tout ce qu'il devait
à ce docte rabbiu. Les livres destines
aux offices divins , les prières elles
rituels ne pouvaient pas être enlevés
aux. Juifs sans injustice, puisque les
empereurs et !cs papes leur avaient
accorde' le libre exercice de leur cul-
te , et qu'il leur était impossible de
l'exercer sans Machasor. Passant
ensuite aux ouvrages qui traitent des
sciences et des arts , il faisait voir
qu'ils étaient dans le même cas que
les ouvrages du même genre écrits
en grec , en latin ou en allemand. Au
lieu d'enlever aux Juifsles livres qu'ils
possédaient en leur langue, il pro-
posait à l'ciTipereur de les engagera
les rendre publics par la voie de l'im-
pression; de prendre des mesures
pour que chaque université d'Alle-
magne pût avoir , pendant dix ans ,
deux professeurs d'hébreu chargés
d'instruire les jeuues-gens et de les
rendre capables de réfuter les erreurs
judaïques; enfin d'amener, parladoii-
ceur , même les plus entêtés d'entre
les Juifs , à reconnaître la vérité ca-
tholique. Tel est le sommaire de la
consultation de Reuchlin, qui fut en-
voyée à l'électeur de iMaïence , et
dont Pfefferkorn se procura une co-
pie. Comme elle contrariait son plan,
ilpublia, pendant le carême de i5i i,
le Spéculum manuale , dans lequel
il s'attachait à combattre les rai-
sons de Rcuchlia , et à le faire passer
pour un homme entièrement étranger
à la connaissance de la langue hébraï-
que. Reuchlin lui opposa, la même
année, son Spéculum oculare (Tu-
bingue , in- 12 ]. 11 y raconte d'abord
l'origine de la querelle; il y rapporte
ensuite la Consultation qu'il avait ré-
digée par ordre de l'cmpcrear , et y
joint un supplément , dans lequel il
fortifie , par de nouvelles preuves , les
motifs qu'il avait allégués , et réfute
REU
419
très-bienics objections contraires; en-
fin il relève trente- quatre faussetés
qu'on avait avancées contre lui , dans
le Spéculum mannalc. Les docteurs
dcColognene tardèrentpasà prendre
une part publique dans la discussion:
ils chargèrent Ai'uold de Tongres
de censurer le Spéculum oculare,
Reuchlin, en ayant été averti, écri-
vit à ce docteur, le i^"". novembre
i5i I , une lettre respectueuse, dans
laquelle il témoignait ses regrets de
ce que ses opinions ne s'accordaient
pas avec celles de la faculté de théo-
logie. Il protestait qu'il croyait tout
ce que l'Église croit , et que, s'il avait
erré sur quelque point, il était prêt
à se laisser redresser. Il conjurait
Arnold de l'instruire avec douceur ,
plutôt que de le condamner brusque-
ment. 11 le priait aussi de le re-
commander à la bienveillance de la
faciUté. Il écrivit une lettre sembla-
ble à un autre théologien de l'ordre
de Saint-Dominique. Au commence-
ment de i5i2, la faculté lui envoya
une liste des passages de son livre qui
avaient été jugés scandaleux, avec in-
jonction de les expliquer ou de les
rétracter au plutôt. Reuchlin , après
avoir réitéré l'assurance de sa sou-
mission à l'Église, demanda qu'on
lui envoyât, par un messager, à ses
frais , les explications des proposi-
tions attaquées , telles qu'on voidait
qu'elles fussent rédigées. La faculté'
ne lui accorda pas sa demande : elle
déclara que Reuchlin devait , avant
tout, empêcher la circulation des
nouveaux exemplaires de son livre ,
et manifester ensuite son lioireur
pour les livres blasphématoires des
Juifs, sous peine de se voir citer
pour se défendre. Reuchlin répondit
que l'ouvrage n'était pas à lui , mais
au libraire qui l'avait imprimé , et
que, par conséquent, il ne dépendait
27..
4^0
REU
pas de lui d'eiv arrêter la vente ; que
tout ce qu'il pouvait faire pour té-
moigner son repentir, était de tradui-
re en allemand les explications et les
preuves de ses opinions , et de les pu
blier , avec les additions nécessaires , à
la foire prochaine. Illefit; mais il ne
contenta pas les théologiens, qui vou-
laient une rétractation et non une
apologie. Arnold de Tongres écrivit,
en leur nom, une réfutation violen-
te des sentiments de Reuchlin , sous
le titre de : ArticuU, sive propositio-
nes de judaïco furore suspectœ.
Orlwinus Gratins osa aussi entrer
dans la lice, en jetant dans le public
une satire en vers latins , que l'auteur
des Epistoîœ ohscuronim viroruni
{F. HuTTEN, XXI , 88) a justement
couverte de ridicule. Le i*^^'. mai
1 5 1 3 , Reuchlin fit paraître sa Dé-
fense, dédiée à l'empereur, comme
le livre de ses adversaires. Erasme
eu a blâmé avec raison les emporte-
ments et les divagations , qui ache-
vèrent d'aigrir les théologiens. Le
grand-inquisiteur de Ma'ieuce, Jac-
ques Hoogstraten , le somma , dans
le mois de septembre i5i3, de com-
paraître , dans le terme de six jours,
pour être présent au procès intenté
contre lui , au sujet du Spéculum
ocidare. Reuchlin , ne trouvant pas
ce terme assez long pour un homme
de son âge, et suspectant d'ailleurs
Hoogstraten de partialité, envoya un
procureur chargéde le récuser. La ré-
cusation ne fut pas admise; et le pro-
cureur en appela au Saint Siège. Alors
lascènechangea.Iloogsti'atcn,de juge
qu'il était, devint accusateur, de-
vant le tribunal qu'il avait présidé :
personne ne comparut pour le con-
tredire. Il fut décidé que, le l'i octo-
l)re, l'arrêt déiinitif serait rendu , et
le Spéculum oculare bridé ; mais le
chapitre prévint à temps Reuchlin ,
REU
qui se rendit à Maïence , assisté de
deux savants distingués, que lui avait
donnes le duc Ulrich. Frive de tout
espoir d'accommodement , il pro-
testa contre la commission , et en
appela au pape. L'appel fut admis.
Le Saint-Siège renvoya l'affaire à
l'évêque de Spire, qui assigna les
parties pour le 'lo décembre. Reu-
chlin comparut en personne; Hoogs-
traten envoya un frère dominicain
pour le représenter : ses pouvoirs
n'ayant pas été trouvés suffisants ,
im nouveau délai fut accordé. Cette
fois Hoogstraten ne jugea pas à pro-
pos d'intervenir ; et la sentence du
i4 avril i5i4 le condamna aux
dépens : elle portait , en outre , que
le Spéculum, oculare n'était , ni dan-
gereux pour l'Église , ni favorable
au judaïsme. Dans le même temps,
les théologiens de Cologne , sans se
mettre en peine de ce qui pourrait
arriver au tribunal de l'évêque de
Spire , condamnèrent cet ouvrage ,
comme hérétique , à être brûlé pu-
bliquement : ce procédé obtint l'as-
sentiment des universités de Louvain,
d'Erfurt , de Maïence et de Paris.
Reuchlin chercha vainement à ga-
gner celle-ci par des marques de
soumission et de déférence, en lui rap-
pelant même qu'il avait étudié dans
son sein ; vainement aussi le duc
Ulrich s'intéressa en sa faveur: après
quarante-sept séances, elle déclara^
par sa délibération du mois d'août
i5i4 , qu'elle adhérait à la censure
delà faculté de Cologne (V. Collect,
judiciorum de novis erroribus, tome
I , part. 2 , pag. 35o ). Reuchlin, ef-
frayé de tant de contradictions , et
craignant que le dominicain Hoogs-
traten neparvînt à le faire condamner
à Rome , résolut d'y ])orler lui-
même .«a cause , et d'en confier la dé-
fense a Jcau de Wyk , aucicn syndic
REU
fleBolièrae. Cette longue afidire sem-
blait toucher à sa fin , et la seutence
allait être rendue, le 20 juillet i5i6,
après des discussions suivies, quand,
au moment où l'on s'y attendait le
moins , émana du Saint - Père un
Mandatum de siipersedendo ; et
depuis , dit d'Argenlré , les troubles
de la réforme et des disputes plus
importantes ne permirent pas de re-
prendre celle-ci. On conjectura que
le jugement de Rome eût été favora-
ble à Reuclilin ; et c'est ce qui excita
des savants du premier ordre à pren-
dre sa défense , et à tourner en déri-
sion les démarches de ses antago-
nistes. Luther se prononça vivement,
soit que Reuchliu eût exposé ses pro-
pres sentiments , soit que ce sectaire
voulût entraîner ce savant homme
dans son parti : aussi quelques reli-
gieux , moins instruits que zélés , ne
manquèrent pas de l'accuser d'un cer-
tain penchant aux idées nouvelles, et
d'être luthérien dans le cœur. Erasme
prit soin de le venger d'une si odieuse
imputation ; et il est certain que ,
malgré les persécutions qu'il essuya
de la part des moines , malgré les
insinuations de Mélanchthon et de
quelques autres de ses amis qui
avaient embrassé le parti de la ré-
forme , malgré les censures et les
violences de ses ennemis , plus pro-
pres encore à faire trébucher un
homme qui n'aurait pas été assez
ferme , Reuchlin ne rompit ja-
mais le lien de l'unité , et fit tou-
jours profession de la foi catho-
lique. I^es Dominicains, harcelés par
les écrits piquants des partisans de
Reuchlin , se rapprochèrent de lui ,
remboursèrent les frais du procès de-
vant l'évêque de Spire, et promirent
d'anéantir celui qui était pendant
à la cour de Rome. Les conquêtes
qu'il faisait de ce côté le consolaient
REU
42»
un peu de la disgrâce dans laquelle
il était tombé auprès d'Ulrich, pour
être resté attaché à la famille de Jean
Hutten, que le duc avait tué de sa
propre main , et pour avoir blâmé ,
dans sa correspondance, la tyrannie
de ce prince. En i5i8, il accepta
les chaires de grec et d'hébreu à l'u-
niversité de Wittenberg , qui lui fu-
rent offertes par l'électeur de Saxe.
Dans la guerre que la confédération
de Souabc et le duc Ulrich se firent ,
en ToiQ, Reuchlin eut beaucoup à
souffrir de part et d'autre, quoiqu'il
eût un puissant protecteur parmi
les confédérés. Son humeur pacifi-
que l'ayant porté à demeurer à Stutt-
gard , lorsque les autres conseillers,
ses collègues, avaient pris la fuite,
d'après ses avis ; on lui en sut très-
mauvais gré : on lui suscita même
quelques traverses a ce sujet. A la
reprise de Stuttgard par les confédé-
rés , le duc Guillaume de Bavière le
prit sous sa protection spéciale. Pour
s'éloigner du théâtre de la guerre, il
accepta les propositions de ce prin-
ce , et se rendit à Ingolstadt , où
il ressentit bien vivement la priva-
tion de sa bibliothèque et de certai-
nes aisances auxquelles il était ac-
coutumé. La pénurie dans laquelle il
se trouvait l'obligea, en i52o, d'en-
seigner le grec et l'hébreu , moyennant
un traitement annuel dedenx cents flo-
rins: mais son cours académique ne
dura pas un an entier. Diverses cir-
constances le forcèrent de retournera
Stuttgard, où il était à peine arrivé,
que deux envoyés de l'université de
Tubingue vinrent l'engager à conti-
nuer , dans cette ville , le cours qu'il
avait commencé a. Ingolstadt. Reu-
chlin accepta ; et l'université lui pro-
cura toutes les facilités qui pouvaient
donner du lustre à son enseignement.
Les étudiants accouraient en foule
422
REU
de toutes îes parties de l'Allemagne :
mais sa santé , très -affaiblie , ne lui
permit pas de professer long-temps.
Il mourut à Stuttgard , le 3o juin
i522 , et fut enterre dans le cime-
tière de l'hôpital. Reuchlin jouit en-
core de la réputation d'un des plus
savants hommes de son temps. Il
était l'ornement et la gloire de l'Al-
lemagne, à cette époque; et l'Italie
avait peu de rivaux à lui oppo-
ser , pour l'érudition et l'éloquence.
Nous avons de lui au grand nombre
d'ouvrages , actuellement peu re-
cherchés. Voici les principaux :
I. Lihev de verbo mirijico , in-
fol. , sans date et sans rubrique;
Tubingue , i5i4 , in foi. , Lyon,
I 522 et i55'2, in-i6; et ailleurs.
Ce livre est une explication des noms
sacrésdontonseservaitdanslesrays-
tèresdela cabale, chez les Pythago-
riciens , chez les Hébreux , les Clia!-
déens , et même chez les Chrétiens.
II y a trois interlocuteurs qui discu-
tent la matière alternativement :Si-
donius , épicurien ; Baruch , Lsbreu ;
Capnion, chrétien. Ils traitent aussi,
par occasion, de la science des cho-
ses divines et humaines, de l'opi-
ion , de la foi , des miracles , de la
vertu des paroles et des figures, des
secrètes opérations , etc. Il est dédié
an chancelier de l'électeur palatin,
et précédé d'une courte préface ,
composée par Conrad Lcontorius^
qui célèbre les rares connaissances
de Reuchlin dans les langues la-
tine , grecque et hébraïque. Cet
opuscule n'est pas sans intérêt. II.
Scenica progjmnasmnta , Stras-
bourg, 1497; ^^^'^ > '4o8, in-4**;
Pforzheim , i5o8, in-4*'. Tubin-
gue, i5ii, i5i2, i5iG, in-4'';
J.cip/.ig, i5o3 , 1514, i5i5,in-4°.j
et plusieurs fois ailleurs. L'auteur
avait composé une Satire très-vio-
REU
lente contre le dominicain Holzin-
ger ; mais l'électeur palatin , qui
craignait les moines , lui défendit de
la publier. Reuchlin ne voulant point
se donner aux yeux du public le tort
d'avoir écrit trop vivement au juge-
ment de son protecteur, substitua
cette pièce à la première. C'est une
faible imitation de la Farce de maî-
tre Palhelin / et on la regarde com-
me le premier essai de comédie ,
composé à l'usage de la jeunesse al-
lemande. Reuchlin passe en effet pour
avoir le premier , eu Allemagne ,
introduit les représentations drama-
tiques dans les collèges. III. Ora-
tio ad Alexandrum FI. Pont. M.
pro Pliilippo Bavariœ duce, Venise,
1498, in-8°. et in- 12. IV. Liber
congestorum de arte prœdicandi.
Pforzheim , 1 5o4 , in-4°- V. Rudi-
menta hébrdica , Pforzheim , 1 5o6,
in-fol. 'Reuchlin a donné aussi uu
Lexicon hehraïcum. Ces ouvrages
élémentaires furent estimés dans
leur temps ; maintenant ils parais-
sent bien médiocres. VI. Septcm
Psalmi pœnitentiales hebraïcè cinn
grammaiicd tralacione lalind , Tu-
bingue , i5i2 , in-8°. C'est le pre-
mier livre hébreu , imprimé en
Allemagne. VIL Defensio contra
calumniatores suos Colonienses ,
Tubingue, i5i3 et i5i4, in-4°.
VIII. Rabbi Joseph Hjssopœus Per-
pinianeiisis^Jndœoriaii poêla diil-
cissimus , ex hebràicd lingiidin la-
tinain traductiis , Tubingue , 1 5 1 2
et i5i4, in-4". IX- De arle caha-
lislicd libri très , Hagueuau , 1 5 1 7
et i53o, in fol. jdans différents Re-
cueils de traités cabalistiques , et à
la suite de l'ouvrage de Galatin De
arcan'is calJioUcd' vcritctis. On lui
doit la Traduction de plusieurs ojhis-
culesdesaiutAthauase,d'Ilipi)Ocralc
et d'autres écrivains grecs : on en
REU
peut voir le Catalogue dans la Bio-
graphie des savants de Tubingue
qui ont cuUivé la littérature hebra'i-
que , par Chr.-Frëd. Sclinurrer ,
Ulm, 1792 ,in-8o. Jean-Henri Mai,
qui a compose une vie de Reuchlia ,
en latin, Dourlach, 1687 , in-B». ,
est diffus et inexact. L — B — e.
REUILLY ( Jean de ) , voyageur
français, naquit, en 1780, d'u-
ne famille noble, qui habitait la Pi-
cardie. Dépouillé de sa fortune par
suite des bouleversements politiques,
Reuilly eut assez de force d'ame pour
travailler dans une imprimerie, com-
me correcteur d'éiireuves. Quand la
tranquillité reparut , il obtint une
place, parvint , par ses efforts soute-
nus , à fixer rattcnliou du chef du
gouvernement, el , eu 1802, fut
chargé d'une mission en Russie.
Après un séjour de deux mois , il
quitta Saint - Pétersbourg, dans les
premiers jours de février i8o3, et
partit pour la Crimée, avec le duc
de Richelieu , qui venait d'être nom-
mé iiouvenieur d'Odessa. Durantson
séjour dans la capitale de l empire
russe , il avait reçu de grands témoi-
gnages d'amitié, et avait été traité
avec beaucoup de bonté. Son séjour en
Crimée, dont nous ignorons la durée,
ne laissa pas dans son esprit des sou-
venirs moins précieux que celui qu'il
avait fait à Saint-Pétersbourg. ^ Je
» Cuis en avouant avec reconuais-
» sance , dit-il , que le titre de Fran-
» çais a été pour moi une excellente
» recommandation auprès de tons
» les militaires et de tous les marins.
» Je voudrais pouvoir eu dire autant
» des employés civils; je dois cepen-
» dant en excepter IM. de Milora-
» dovitch , gouverneur de la Tauri-
» de, qui m'a accueilli avec une bien-
» veillance parliculièic. » Le natura-
liste Pallas fui aussi uu des hommes
REU 4^3
qui comblèrent Reuilly de marques
d'intérêts , et auxquels il témoigna
hautement sa gratitude. Aidé des
conseils de cet homme célèbre, qui
lui traça l'itinéraire de son voyage ,
il parcourut la péninsule Taurique;
et passa même le détroit de Cafa.De
retour en France, Reuilly reçut, du
gouvernement, !a décoration delà
Légion d'honneur, etfut nommé, en
i8o5, auditeur au conseil-d état ,
section de marine. Il obtint , en
1807 , la sous- préfecture de Sois-
sons, et devint, eu 1808, correspon-
dant de l'institut (classe de littéra-
ture ancienne ). Plus tard , !a Tos-
cane ayant été réunie h la France,
il fut élevé à la préfecture du dépar-
tement de l'Arno, fait maître de
requêtes, et baron. Une maladie de
poitrine , suite d'une blessure qu'il
avait reçuedausun duel, le força d'al-
ler prendre les eaux, de Pise. Il mou-
rut dans cette ville , le 11 fév. 18 10.
On a de Reuilly : I. J^ojage en Cri-
mée et sur les bords de la mer Noi-
re , pendant l'année i8o3, Paris,
180G, in-8°. , avec cartes , planches
et vignettes. L'auteur , en revenant
de la Crimée , communiqua ses ob-
servations à Pallas , qui eut la bonté
de les corriger et de les enrichir de
ses notes: ainsi on peut compter sur
l'exactitude de ce livre; c'est le pre-
mier qu'un Français ait publié sur cet-
te contrée. Reuilly dit que la forme du
Forage en Sjrie et en Egypte, par
Voiney, lui ayant paru réunir plu-
sieurs avantages, il l'avait adoptée.
On ne peut le blâmer d'avoir suivi
cette marche. Toutefois on aurait dé-
siré qu'il eût imité l'exemple de J.-R.
Forstcr, qui a fait précéder ses ex-
cellentes Observations sur un voya-
ge autour du monde, d'un itinéraire
de l'expédition. Par ce moyen, ou
sait quels pays le voyageur a vus, c
4-24 REU
à quelle époque il les a observe's.
Reuillytraitesuccessivcraent de la géo-
graphie et de l'histoire naturelle
de la Crimée, de son histoire et de
son comiJiercc. Il convient des em-
prunts qu'il a faits aux Voyages de
Pallas dans les provinces méridio-
nales de la Russie, à la Description
de la Tauride , par Hablizl ; à celle de
la Crimée, parThoumann- à l'His-
toire de la Tauride, par Sestrencevicz;
auPrécissur les khans deCrimée, par
M. Langlès. Il a très-habilement fon-
du les divers matériaux qu'il a joints
à ses propres observations. La lecture
dece livre, écritavec éléganceetsans
prétention , est amusante et instruc-
tive. Des médailles anciennes et des
monnaies que Reuilly avait apportées
de son voyage, ont donné lieu à la
publication de deux Mémoires , Tun
de Miliin , l'autre de M. Langlès, qui
précèdent l'itinéraire tracé par Pal-
Jas. Le volume est terminé par un
Mémoire sur le commerce de la mer
Noire, et des Notes sur ses princi-
paux ports commerçants • elles sont
accompagnées de tableaux. Il paraît
que Reuilly avait composé un Mé-
moire sur les relations commercia-
les de l'Inde avec TEuropepar lecon-
tment ; et il y avait donné quelques
motifs sur la possibilité d'une expé-
dition par terre en Asie. Cette j)ro-
duction , remise an chef du gouver-
nement, n'a pas vu le jour. La carte
est exacte et bien gravée: les vignet-
tes rendent avec beaucoup de vérité
l'aspect du pays. II. Description rlu
Tibet , d'après la relation des lamas
Tongouses établis parmi les Mon-
gols, traduit de V allemand , UK'ec
des notes, Paris, 1808, un vol. in-
8". (^.Pallas, xxxii, 445.) Ce
petit ouvrage est intéressant; c'est
lin des plus exacts que l'on possède
sur une contrée peu connue. III.
REU
Notice sur les travaux agricoles de
MM. J. Brayer et Danzé ( dans
le Mag. encjcl. , 1 807 , v . 1 gS)
E— s.
REUSNER ( Nicolas ) , juriscon-
sulte , ])oète et compilateur , naquit
le 2 février i545 , à Lœvv'enberg , ou
Lemberg , en la Silésie , d'une des
familles les plus distinguées de cette
province. Il annonça de bonne heure
des dispositions peu communes pour
les lettres ; et l'on assure même qu'à
onze ans il faisait des vers latins fort
agréables. Après s'être perfectionné
dans la connaissance des langues an-
ciennes , il se rendit à Wittenberg ,
attiré par la réputation de Mélanch-
thon. Ce savant mourut avant l'ar-
rivée de Reusner en cette ville, oii
celui-ci fit néanmoins son cours
de philosophie ; et il alla ensuite étu-
dier le droit à Leipzig. La curiosité
le conduisit, en i565, à Augsbourg,
pour voiries cérémonies de la diète;
mais l'ouverture de cette assemblée
ayant été prorogée d'un an , pour ne
pas rester oisif, il se chargea de don-
ner des leçons de littérature latine.
Quelques pièces de vers qu'il offrit
aux principaux membres de la diète,
le firent connaître avantageusement;
et le duc de Bavière le nomma pro-
fesseur de belles -lettres au collège
qu'il venait d'établir à Lauingen , et
dont Reusner devint recteur par la
suite. Il retourna , pour la seconde
fois, en 1 582, à la diète d' Augsbourg,
et y fut accueilli par les plus grands
seigneurs, avec les égards que l'on
doit aux talents. L'année suivante, il
se fit recevoir docteur eu droit à l'u-
niversité de Bàlc; et aussitôt il fut
revêtu de la dignité d'assesseur de
la chambre impériale de Spire , et
nommé professeur à l'académie de
Strasbourg, où il remplit, pendant
cinq ans, la chaire des Institutcs.
REU
Sa rcpulation le fit appeler ', en
î589,à l'académie dclena, dont il
fut deux fois recteur,et à laquelle il ren-
dit d'importants services. L'empereur
Rodolplie II lui décerna la cou-
ronne poe'tique dans une assemble'e
solennelle , et le cre'a comte palatin.
Il fut de'putè de l'ëlectorat de Saxe,
en iSqS , à la diète de Pologne , où
les princes allemands formèrent une
ligue contre les Turcs. Rcusner mou-
rut , pendant son second rectorat , à
Iéna,le l'i avril 1602. 11 fut inhume'
dans un tombeau qu'il s'était fait
construire, et qu'il avait décoré d'une
epitaplie peu modeste. Niceron a
donné, dans le tome xxvn de ses Mé-
moires , le catalogue de cinquante-
trois ouvrages de Rensner ; ils sont
tous assez rares , mais peu sont re-
cherchés. Ses compilations et ses
Traités de droit sont oubliés , même
en Allemagne. Parmi ses autres pro-
ductions, on ne citera que celles qui
peuvent encore mériter l'attention
des curieux : I. Descriptio oppidi
Lavingœ ad Danuhiuni , additis in
fine aliquot elogiis , Lauingen ,
1567 , in-4°. II. Piincipum et du-
ciim Fenetorum liber, ibid. 1579,
in-80. III. Poljanthea siveParadi-
siis poëticiis , Bâle , 1579, in-8''.
Cette compilation est divisée eu sept
livres : le Verger , le Parterre , la
Métairie, le Jardin, la Volière, le
Vivier et la Grotte. IV. Hodœpo-
ricoriiin sive itinerum tolius j'erè
orhis lihri septem, ibid. , 1 58o , in-8°.
très-rare. Freytag a donne la descrip-
tion de ce Recueil vraiment intéres-
sant , dans YAdparntas litlerarius.
îii , 370-90. Il renferme soixante
et quinze Voyages d'auteurs anciens
et modernes , tous en vers , excepte
ceux de Pétrarque dans la Palestine ,
et de Félix Petancius dans la Turquie.
V. Emhlematum lihri iv , et A^al-
REU 4^5
matum sive emblematum sacronim
liher unus ; accesserant stemmatiim
sive annornm gentilitiorum lihri
très , Francfort , i58i , in- 8**. ; re-
cueil digne de l'attention des ama-
teurs , à cause des belles estampes
en bois de Virgile de Solis , et de
Jost Amon. VI. Icônes seii imagines
viroruin litteris illustrium , quorum
Jide et doctrind religionis et hona-
rum litterarum studio , nostrd pa-
trumque memorid , in Germanid
prœsertim , in integruni sunt resti-
tuta ; additis eorunidem elogiis di-
versorum auctorum , Strasbourg ,
1587 ; ibid. , îSyo, in-8''. C'est un
Recueil de cent portraits ( y com-
pris celui de Reusner , le premier en
tète ) , de-sinés et gravés en bois
par Tobie Stimmer , excellent artis-
te. Reusner a mis un distique au bas
de chaque portrait , et l'a fait suivre
de l'épitaphe monumentale du per-
sonnage,en style lapidaire, ou d'une
courte notice , tirée de Paul Jove, de
Théod. de Bèze , etc. , accompagnée
d'éloges eu vers , extraits de divers
auteurs dont il donne la liste. Vil.
Icônes sive imagines vivœ litteris
clarorum virorum Italiœ , Grœ-
cice , Germanice , Gallice , An-
gliœ , Hungariœ , cum elogiis va-
riis, Bàle , 1589 » iu-^". Ce volume
contient quatre -vingt et onze por-
traits , gravés par le même artiste.
Il est moins rare en France que
le précédent , avec lequel Nicerou
paraît l'avoir confondu; mais tous
les deux méritent également d'être
recherches par les amateurs. VIII.
JEnigmatologia seu sjlloge œnig-
matuni et grjphorum cnnvivalium ,
Strasbourg , 1589 , in-S". ; compi-
lation singulière. IX. Operapoëtica,
Icna , 1.593, in-8°. Ce volume ren-
ferme des élégies , des sylves , des
épigrammes , dont un livre d'épi-
4'i6 REU
grammes grecques , des odes , des
épodes , des cpîtres , et plusieurs
poèmes. Les meilleures pièces de
Reusncr ont ète insérées dans le tome
Aales Deliciœ poétar. germanoruni.
X. Oraliones panegjricœ , le'na ,
1595,2 vol. in-S». : le premier con-
tient qi-iinze discours sur des sujets
de morale, et le second quinze sur
l'utilité de la jurisprudence et les
diiïerenles méthodes d'étudier cette
science. XI. Epislolarum turcica-
rum variorum auclorum libri xiv ,
Francfort, i548,in-4'». XII. De
urhihus germanite liberis sive impe-
rialibus libri duo ; inquibusprœtev
earum descriptiones , variorum auc-
lorum leguntur elogia, ibid. , 1 G02,
in-b". XIII. ^nagrammatos.ra-
phia , accessit GuiLBlanc libellus
de ratione anagrammatisuii, léna,
iGo'2, in-8'5. XIV. Narrationes re-
runi mcinorabilium in Pamwnid
sub Turcarum imperatoribus à captd
Constantinupoli u^rjue ad ann. t5oo
gestarum , Francfort , i6o3 , in-40.
OnpeulconsuIlcr,pourdeplusç;rands
détails , les Mémoires de Niceron.
Le Portrait de Nie. Rcusner fait par-
tie du tome ie>-. de la Biblioth. cal-
cographicn de J.-J. Boissard. W-s.
RhUSNER ( Elie ) , antiquaire
et historien , ne à Lemberg, en i555,
était frère du précédent. D'une san-
té^ délicate , mais doué d'un esprit
acti! , il s'appliqua de bonne heure
a l'élude, fréquenta les académies
de Wittembcrg, Strasbourg ct'lJàle,
et fit de grands progrès dans les
laiigues anciennes , l'histoire , la
politique et les sciences naturelles.
Vm 1591 , il fut admis au nombre
des piofesseurs de l'académie de
Ic'na , pour la philosophie. Il reçut,
la même année , le grade de licencié
on médecine ; niais il ne paraît pas
qu'il ait jamais ])raliquécelarl. 1/cn-
REU
seignemcnt , et le travail du cabinet,
suffirent pour occuper tous ses ins-
tants Quelques années avant sa mort,
il composa son épitaphc , et la fit
graver sur la ])ierre qui devait re-
couvrir son tombeau. Il termina sa
carrièrehonorable et paisible, àléna,
le l'^r octobre 1612. Ses ouvrages ,
dont on trouve une liste assez élen-
iue, mais incomplète et inexacte ,
dans le Recueil de J. Gasp. Zeumer ,
Fit ce prof essor, academ. lenensis
( pars IV, p. 55 ) , sont tombés
dans l'oubli. Les principaux sont :
I. G enealogicon romanum de (ami-
liis prœcipuis reguia , principum ,
Cœsarum , imperatorum, consuluJTiy
etc., Francfort, Wechel , iSgo,
in fol. C'est une compilation que
LengletDufresnoy trouvait bonne et
qu'on pourrait peut être encore con-
sulter utilement. II. Opus genealo-
gicum cntholicuin de prœcipuis fa-
miliis imperatoruui . regum , prin-
cipum , aliorumque orbis christiani
pracerum , ibid. , \5(^'i. , in fol. III.
Ephemerides Hve Diarium in cpio et
epitome omniuin fastorum et anna-
liutn làm sacrorum quàm profano-
rum , ibid. , iSgii, in-4°. IV. Ge-
nealogia regum , electorum , du-
cum , etc. , qui origines suas à TVit-
teckindo deducunt , léna , i5'j'] ,
in fol. — Jéréraie REUSNtr-, , frère
des deux précédents , et éditeur des
Emblemata elhica, phjsica, his-
torica et hiero^lyphica, et des Slem-
mata seu arma gentilitia d'Elie ,
fut conseiller du j)rincc ue Liegnitz ,
publia un Traité De uswpationi-
bus , et ne doit pas être confondu avec
deux autres Jérémie Reusner , ju-
risconsultes , et natifs de Lœwen-
bcrg comme lui , connus aussi par
quelques écrits, l'tin né en i557 >
mort en i!)()^i ; l'autre né en i5<)o ,
mort en i(i5?,. W — s.
REV
RÊVAI (Nicolas) , savant hon-
grois , né en 1751 , religieux des
Écoles pies, professeur delitlératurc
à l'université de Pcsth , est mort dans
la même ville , le i'^'". avril 1807.
Le Recueil de ses ouvrages a paru à
Raab , en i 787. Il était poète , phi-
lologue et grammairien; SCS poésies
sont inégales , et l'on n'y observe
pas toujours ce génie oui caractérise
le vrai poète. Parmi ses ouvrages en
prose , on ]ieut remarquer ses Anti-
quités hongroises , et sa Grammaire
hongroise , ou Elahoralior grain-
matica hungarica , ad genuinam
patrii sermonis indolent fideliter
exact a, affiniumque linguanun ad-
miniculis locupletiàs illustrata ,
Pesth , i8o5, '1 vol. in -4°. C'est
Rêvai qui a principalement répandu
en Hongrie l'esprit de recherches et
de critique , qui distingue depuis
quelque temps les savants de ce pays.
Voyez un article de M. Beroni, dans
le Mercure étranger , en 181 3 , n".
6. C— u.
REVEL (Jean), fils de Gabriel
Revel, peintre qu'employait Lebrun,
naquit à Paris , le G août 1684. II
vint à Lyon , en 1710 , et ne tira
que de faibles ressources de ses por-
traits et de ses tableaux d'iiistoire ;
mais il appliqua bientôt ses talents
à la fabrique des étolKs de soie. Il
ne dédaigna pas de se faire dessina-
teur ; et .ses travaux ont fait époque
dans l'histoire des manufactures.
Joubertde L Hiberderic en parle sur
un ton qui paraît trop élevé , dans
la préface de son Dessinateur pour
les fabriques d'étojes: mais celate-
naitau méprisdoplacéque l'onadec-
tait assez souvent pour tout ce qui se
rattachait aux arts mécaniques. C'est,
dit Pernelli , à Revel qu'on est re-
devable des points rentrés pour faire
les couleurs : cet art consiste à mé-
REW 427
1er les soies dont les nuances cou-
pent trop. C'est encore lui qui a
troijvé le secret de placer les om-
bres du même côté , et de produire
devrais tableaux sur les étoffes. Re-
vel mourut , le 5 décembre 1751.
A. B— T.
REWBELL ( Jean-Baptiste ) ,
néà Colmar ,cn 1746, était avoratau
conseil souverain d'Alsace , et bàto-
nier de son ordre , avant la révolu-
tion : il en embrassa très-vivement
le svstème , et fut député aux états-
généraux par le tiers-état de sa pro-
vince. Dès son arrivée à Paris , il se
lança sans réserve danslepartilc plus
violent, et manifesta un républicanis-
me prononcé , mais en même temps
une politique présomptueuse , em-
portée , tranchant toutes les ques-
tions au lieu de les résoudre , et , par
cette raison, plus propre à constituer
le despotisme que favorable à la li-
berté dont il s'annonçait comme un
des plus fervents apôtres. On sait que
la première question débattue dans
la chambre du tiers-état , fut celle
de savoir si les délibérations des
trois ordres auraient lieu dans une
seule assemblée. Rewbell soutint l'af-
firmative, mais sans se faire remar-
quer par aucmie adresse dans la dis-
cussion. Ou fit assez peu d'attention
à lui, avant l'établissement des co-
mités que l'assemblée forma sous le
prétexte apparent de préparer ses
travaux , mais, dans la réalité, pour
paralyser le gouvernement du roi ,
s'emparer de ses attributions , et en
faire une simple machine exécutan-
te. Le nombre, la nature et l'espèce
de ces comités, sans y comprendre
les clubs , qui étaient aussi ije teiri-
blcs comités , sont des points capi-
taux sur lesquels l'histoire de la ré-
volution ne manquera pas de s'éten-
dre : nous ue devons parlci' , dans
428
REW
cet article , que du comilé que pro-
posa Rewbell , de concert avec son
collègue Robespierre. Pour de'jouer
ce qu'ils appelaient les perfidies et
les trahisons de la cour , ils en vou-
laient un qui eût la mission spéciale
de de'cachcler les lettres suspectes :
quelques personnesaccueillircnt cette
lâche motion par des applaudis-
sements • toutefois il est juste de
dire qu'elle excita l'indignation de
la pluralité' de l'assemblée, même
des révolutionnaires les plus fou-
gueux : Mirabeau surtout la cou-
vrit d'opprobre. Sans doute des
despotes ombrageux ont pu pren-
dre de pareilles mesures ; mais on
n'en a pas vu d'assez dehonte's pour
l'avouer à leiu-s sujets : cependant
comme aucune idée tyrannique ne
devait, être perduedans la révolution,
la motion de Rewbell fut reprise
et mise à exécution. Après le lo
août , la commune de Paris envoya
publiquement des commissaires à la
poste , pour décacheter les lettres
suspectes. Au surplus ce serait une
erreur de croire que Rewbell , qui
devait un jour arriver au plus haut
degré de l'échelle révolutionnaire ,
raoutràtdes talents dignes d'une telle
fortune. Pendant tout le règne de la
constituante , il n'en déploya que
de médiocres ; mais il prit part
à presque toutes les délibérations
qui atlaqiiaient le plus violemment
la monarchie: il fut un des pre-
miers à élever la question de sa-
voir si les décrets de l'assemblée ,
considérée comme constituante , de-
vaient être soumis à la sanction ; et il
soutint la négative. Beaucoup de
personnes pensaient que la déclara-
tion des droits ne pouvait être que
l'initiative de l'anarchie, dans un pays
surtout où l'on voulait conserver le
gouverucracut monarchique : Rcw-
REW
bell fut un des partisans les plus dé-
terminés de cette déclaration ; et il
combattit Mirabeau qui , pour ne
pas se faire suspecter d'aristocratie,
n'osait pas précisément rejeter ce
système dangereux, mais disait que
si l'on voulait absolument faire une
telle déclaration, cequ'il croyait fort
inutile , il ne fallait s'en occuper
qu'après l'achèvement de l'acte con-
stitutionnel , dont elle devait être le
corollaire et non pas le préambule.
Les princes allemands possessionnés
en Alsace étaient , avant la révolu-
tion, les plus utiles clients de Rew-
bell : dès qu'elle eut commencé son
cours , il devint leur adversaire le
plus prononcé; le 18 septembre et
le 9 octobre 1789, il les peignit
comme autant de petits tyrans , qui
étaient te fléau do sa province, et il
demanda leur spoliation : dans toutes
les circonstances oii il trouva l'occa-
sion de les attaquer, il tint le même
langage. On sait que la cause de ces
princes occupa beaucoup les politi-
ques , et qu'elle donna lieu à des
explications très-sérieuses entre l'em-
pereur d'Allemagne et le gouverne-
ment français. Rewbell voulait qu'il
ne fût point question de négociations
dans cette affaire , et qu'en Alsace ,
ces princes fussent assimilés aux pos-
sesseurs français , et ne pussent pré-
tendre à aucune indemnité. Le 14
octobre , il combattit vivement la
mise en liberté du baron de Bezen-
val , et profita de la discussion éle-
vée à ce sujet , pour demander la
formation d'un comité des recher-
ches , institution honteuse , qui fut
bientôt établie , et dont il fut un
des membres, f^c caractère emporté
de Rewbell semblait devoir le rendre
étranger aux méditations de finance;
il s'en occupa cependant ^ mais en
suivant un système plus propre à
REW
tourmenter les contribuables qu'à
remplir le trésorpnblic. Le 19 dé-
cembre,il essaya de faire rejeter tous
les plans financiers qui avaient ële'
indiqués , et proposa d'y substituer
un emprunt force sur tous les pos-
sesseurs de numéraire , et , pour en
obtenir la rentrée, de contraindre
les notaires à donner un état des es-
pèces qu'ils auraient inventoriées :
mais, comme cette mesure ne pou-
vait être que fort incomplète, il
demanda qu'en outre on chargeât
les municipalités d'arbitrer la quo-
te-part que chaque propriétaire de-
vrait verser dans l'emprunt. Lors-
qu'au mois de déceiribre 1789, il fut
questionde régler l'état ci vil des Juifs,
une grande partie de l'assemblée ,
notamment des révolutionnaires ,
se déclara en leur faveur : Rewbell
se montra Tadversaire impitoyable
des malheureux Israélites. Il avança
qu'en Alsace surtout , cette classe
d'hommes était généralement pros-
crite , et que le prétendu bienfait
qu'on réclamait pour eux, ne pour-
rait que les compromettre. Le décret
qui les plaçait dans la catégorie des
autres citoyens , ayant passé , mal-
gré ses réclamations , il revint à la
charge , peu de temps après , pour
le faire rapporter , mais ne put y
parvenir. Pendant toute la session ,
il suivit son plan de destruction
de l'autorité royale. Au commence-
ment de 1790, il demanda que les
pouvoirs des commissaires du roi
fussentdiminués. Quand ondiscuta la
question de savoiràqui serait dévolu
le droit de faire la guerre et la paix ,
Rewbell soutint, avecopiniàtreté, que
ce droit devait appartenir aux seuls
représentants de la nation ; et parmi
ces représent.ints , il refusait de re-
connaître le roi, auquel on ne don-
nait que la simple qualité de premier
REW
429
magistrat, sous la dénomination de
chef suprême du pom'oir exécutif
( I }. A cette époque , l'opinion gé-
nérale en Alsace n'était point fa-
vorable à l'assemblée. La spolia-
tion du clergé y passait pour une
mesure inique ; et s'il faut en croire
Rewbell , elle avait donné lieu à plu-
sieurs protestations ; il les dénon-
ça avec aigieur /ainsi que les fana-
tiques et les aristocrates qu'il en
supposait les instigateurs : il nom-
ma même le cardinal de Rohan ,
l'accusa de manœuvres coupables
en ce genre , et proposa qu'il fût
mandé à la barre pour y être
interrogé sur sa conduite , quoi-
qu'il fût membre de l'assemblée. Par
amour pour les assignats , il eut
l'absurde prétention de vouloir dé-
créditer l'or et l'argent , en faisant
la singulière motion, que les espèces
métalliques ne pussent être admises
en paiement des domaines nationaux,
et que ces paiements fussent faits ex-
clusivement avec le nouveau papier,
qui certainement n'avait pas besoin
d'une mesure législative pour jouir
de ce privilège. Rewbell demanda
que la culture du tabac fût libre , et
que les impôts sur cette substance ,
l'un des moins oppressifs que le fisc
ait pu imaginer , fussent diminués
chaque année, et définitivement abo-
lis. En 1791 , il poursuivit les prê-
tres insermentés , et sollicita leur
remplacement. A cette époque , il
recommença ses attaques contre les
princes allemands, et fit passer à un
ordre du jour au moins impolitique,
s'il n'était pas insultant , sur une
(1) (^ette cjualificatioD étrange chez tine ontiouqut
voulait cousei-^-er le ^ouvernoiueiit inonarcliique , tut
proposée et soutenue par Tliourt't. ;ju nom du co—
inltc (le constitution ; et ccpeudaut Thourct était
aussi habile qu'instruit , et Pun des membres les plus
illsliiigués de l'assemblée. Rarnave le combattit , et
fil déclarer que le roi était le repréwotaiit licrédi-
taire d« la uatioii.
43o
REW
réclamation très-modcrée de l'erape-
reur d'Allemagne en leur faveur : il
s'opposa ensuite à ce qu'on livrât au
gouvernement autrichien trois par-
ticuliers réfugiés en France, et qucl'on
réclamait comme contrefacteurs des
billets de la banque de Vienne. Rew-
bell fut un des députés de l'extrême
gauche , qui sollicitèrent , avec ie
plus d'acharnement , une loi contre
l'émigration; et on l'entendit apos-
tropher Mirabeau , qui jurait de dé-
sobéir à une pareille loi , si jamais
elle était portée : il s'était déjà plu-
sieurs fois trouvé opposé au député
de Provence , et toujours avec une
assurance beaucoup au-dessus de
ses forces. Ce fut lui qui, le i5 mai
1791 , après une discussion très-
animée et souverainement impoliti-
que, fit rendre, sur les colonies, une
loi portant que leurs assemblées res-
teraient organisées telles qu'elles l'é-
taient ; mais qu'à l'avenir les gens
de couleur nés de pères et de mères
libres , auraient le droit d'y être ad-
mis à l'égal des blancs. Rewbell eut
pour auxiliaires dans celle discus-
sion , qui doit occuper une place
importante dans l'histoire des colo-
nies, ses collègues Lafayelle , de La
Rochefoucauld , de Tracy, Dupont ,
Grégoire , Pélhion , Robespierre et
quelques autres. Les trois derniers
qu^on vient dénommer, prirent le
parti des hommes de couleur , avec
une chaleur incroyable: Barnave les
combattit de tous ses moyens , en
demandant qu'on s'en tînt au décret
précédemment porté , et qu'il ne fût
rien statué de législatif sur les colo-
nies , que sur l'initiative des colons.
Cette discussion mit h; feu à Saint-
Domingue, déjà livre aux violences
révolutionnaires; les gens de couleur,
se voyant soutenus , se soulevèrent
contre les blancs; les nègres esclaves
REW
s'en raclèrent , assassinèrent leurs
maîtres, brûlèrent leurs habitations,
etfaent de Saint Domingue un théâ-
tre d'horreurs. Environ trois mois
après , Barnave vint à bout de faire
rapporter ce décret : mais il n'était
plus temps ; la colonie était perdue
sans ressource. Dans la matinée du
21 juin i']Ç)f , lorsque l'assemblée,
formée à peine du quart de ses mem-
bres , délibérait sur le départ du roi ,
Rewbell voulait que le marquis de
Lafayelle fût appelé pour rendre
compte des mesures qu'il avait dû
prendre pour empêcher ce départ,
et il fit entendre que le général pou-
A'^ait l'avoir favorisé. Alors La-
fayelle parcourait les rues de Paris,
au milieu des cris de, àbasLafayette
et de vive Lafajeltel La motion de
Rewbell , dans une pareille circons-
tance, pouvait faire égorger le géné-
ral par la populace , que le club des
Cordeliers mettait en mouvement de
toutes parts. Barnave fit voir com-
bien la soupçonneuse proposition de
son collègue était dangereuse : aussi
fut elle repoussée par un assentiment
tuianime. Le motionnaire ne put la
développer. Au mois d'août , peu de
temps avant la fin de la session , il
fit un véritable appel à la guerre, en
dcmandantque les troupes françaises
occupassent les gorges de Porenlrui.
Rewbell aurait voulu que les députésà
la constituante pussent faire partiede
l'assemblée législative, ctil parla avec
chaleur sur cette question , qui , si
elle eût été résolue allirmalivement ,
auraitau moins changé le coursdela
révolution. Après la session, Rewbell
fut nommé procureur-syndic du dé-
parlement du Haut-Rhin, où il fut en-
core le propagateur des principes ré-
publicains. Après le 10 août , il
contint l'cITervesccncc que cette mal-
heureuse journée avait fait naî-
REW
tre, et fut député pnr son dépar-
tement à la Convention nationale,
où il développa ses opinions ré-
•volutionnaires , avec une nouvelle
énergie , et recommença ses dénon-
ciations contre les aristocrates , et
tous ceux qui étaient supposés les
amis delà royauté; contre leraarqiiis
de Toulongeon ,entie autres, qu'il lit
décréter d'accusation : il essaya ce-
pendant de soustraire la Convention
à l'influence de la commune de Pa-
ris, qui l'entraînait cliaque jour dans
une série de crimes époiivantabies.
Rewbcll se plaignit de l'espèce d'ini-
tiative que cette commune prenait
snr toutes les délibérations ; et il
parut en cela se rapprocher du parti
Girondin : mais il s'en sépara dans
le procès du roi, a (Taire dont ce parti
aurait voulu se débarrasser. Les ac-
cusations les plus odieuses et les
moins motivées retentissaient cha-
que jour à la tribune contre ce mal-
heureux prince : Rewbell y ajouta de
nouveaux griefs, exigea qu'ils fis-
sent partie de l'accusation , et que le
royal accusé fût jugé sans désempa-
rer. Cependant les circonstances em-
pêchèrent qu'il ne coopérât au der-
nier des crimes : il avait été envoyé
à Maïence , en qualité de représen-
tant du peuple , et pouvait garder le
silence dans cette odieuse affaire ;
mais il voulut y participer , au-
tant qu'il était en lui, et adressa une
lettre ta la Convention, où l'on trouve
ce passage : «Nous sommes entourés
» de morts et de blessés ; c'est au
» nom de Louis Capet , que les ty-
» rans égorgent nos frères , et nous
» apprenons que Louis C,T])ct vit en-
» core ! » Pendant le siège, son col-
lègue Merlin de Thionvillc et lui
avaient adopté les formes militaires,
et laisse croître de longues et épais-
ses moustaches. Lors do !a rcddilion
REW
43i
de la place, ils jurèrent qu'ils ne les
quitteraient pas que Rlaïence ne fût
reprise.... Rewbell accompagna dans
laVendéelagarnisondecette ville, qui
périt presque tout entière dans le
pays , mais après avoir fait essuyer
aux insurgés des pertes qu'ils ne
purent réparer. Re^^bell se mon-
tra le défenseur de l'inepte géné-
ral Rossignol , espèce de brigand
en uniforme , qui avaiî été desti-
tué , et deman.'a sa réintégration ,
qu'il n'obtint pas. Il fut très-vive-
ment accusé , en pleine assemblée,
de s'être approprié l'argenterie et
autres effets de l'électeur de I\Liïence:
cette dénonciation fit beaucoup de
bruit ; il la repoussa audacieuse-
ment,etobtint l'ordre du jour.Bien-
tôt, épouvanté du terrible ascendant
que prenait Robespierre , Rewbell
eut l'adresse de se faire donner des
missions pendant presque tout le
règne de la terreur ; et l'on ne dit
pas qu'il y ait commis les cruautés
reprochées à un si grand nombre
de ses collègues : il garda le silen-
ce pendant la crise qui précéda
le 9 thermidor , et ne défendit ni
n'accusa Robespierre. Après celte
journée , il se jeta dans le parti ther-
midorien ; et les Jacobins ne trouvè-
rent plus dans leur collègue, qu'un
ennemi qui allait les poursuivre à
outrance : il attaqua d'abord la cor-
respondance de leurs clubs , en fit
voir les dangers . et mit sous les
veux de l'assemblée les malheurs
dont ces factieux avaient été cause.
Lors du procès de Carrier , dont
il fut un des accusateurs , il les
traita encore avec moins de mé-
nagement, lia grande terreur avait
cessé : un attroupement de trois ou
quatre mille hommes , formé par
l'indignation universelle , et parti du
Palais-Royal et des rues adjacentes.
A3i
REW
avait attaque les clubistes dans le
lieu de leurs séances , et les en avait
chassés. Cependant ils y étaient re-
venus , ayant à leur tête une dou-
zaine de conventionnels : mais un
nouvel attroupement entourait leur
salle ; le sang allait couler: la force
armée intervint , et la salle fut enco-
re une fois évacuée. Le lendemain ,
les députés jacobins dénoncèrent ce
fait , et demat dèrent vengeance.
Rewbell fut cliargéd'un rapport sur
cette affaire : les clubistes croy&ient
qu'il leur serait favorable ; voici
comme il réalisa leur espérance :
<i Où la tyrannie s'est elle organisée ?
» Aux Jacobins. Qui a couvert la
» France de deuil , porté le déses-
» poir dans les familles , peuplé la
» république de bastilles , rendu le
» régime républicains! odieux qu'un
» esclave courbé sous le poids des
» fers eût refusé d'y vivre ? Les
»> Jacobins. Si vous n'avez pas le
» courage de vous prononcer eu ce
w moment , vous n'avez plus de ré-
» publique , parce que a^ous avez des
» Jacobins. » L'orateur justifia en-
suite les insurgés , et brava les in-
jures que ses collègues de la monta-
gne ne lui ménagèrent pas : la Con-
vention adopta ses conclusions , et
décréta que le club serait provisoire-
ment fermé. Il le fut définitivement,
quelque temps après; le local qu'il
ocrupait fut démoli. A cette époque,
Rewbell fut nommé présiilent ; et
il obtint , parmi ses collègues ,
plus d'influence qu'il n'en avait
eu jusqu'alors : il fut envoyé en
Hollande , avec Sieyes, pour traiter
de la paix avec cette république. On
sait qu'avant de se dissoudre , la
Convention décréta que les deux tiers
de ses membres feraient parlie des
deux Conseils , cl qu'elle s'en réserva
le choix. Rewbell fut du nombre des
REW
élus , et ensuite nomme membre du
Directoire, dont il devint le premier
président. On l'a considéré comme
un des plus grands travailleurs de ce
gouvernement inepte, où chacun des
cinq directeurs s'était chargé d'une
administration spéciale; le présomp-
tueux Rewbell s'attribua les affaii-es
étrangères , auxquelles , par ses for-
mes brusques, ses manières tranchan.
tes , il ne pouvait être que parfaite-
ment étranger. Cependant il avait pris
beaucoup d'ascendant sur ses collè-
gues , qu'il apostrophait comme s'ils
eussent étédans sa dépendance; le seul
Barras le mettait à sa place et luifaisait
baisser le ton : il paraît que, malgré
l'habitudedes'arroger le premier rô-
le dans les grandes délibéiations poli-
tiques, Rewbell ne joua que le second
dans le coup d'élat du 18 fructidor.
D'ailleurs les manœuvres qu'on dut
mettre en jeu pour arriver à cette ca-
tastrophe, n'avaient point lieu dans
le palais du directoire. Les conspira-
teurs auxiliaires, qui n'élaienl pas
les moins zélés ni les moins actifs ,
tenaient leurs conférences dans des
réunions particulières et aussi dans
de riches hôtels, oîi des ])ersonnes
qui n'étaient pas étrangères au gou-
vernement , ou qui avaient beau-
coup d'influencedans le public, pous-
saientà la rouede tous leurs moyens.
On croit même pouvoir alTirmerque
certaines dames , et des intrigants
étrangers , que l'on vit aflluer en
France , pendant nos désastres , pour
en faire leur profit , préparèrent
très-activement ce drame déplora-
ble : quelques - uns même s'en sont
vantés , lorsqu'ils se croyaient vain-
queurs sans retour; et l'on peut les
croire sur parole. Ce fut Rewbell
qui détermina ses collègues h enva-
hir la Suisse : peut - cire Buona-
parte , pour facditcr l'cxpédiliou
REW
d'Egypte, en s'emparant du trésor
de l'élat de Berne, avait mis en tète
à RewbcU ce projet , qui était une
injustice aussi odieuse qu'impoiiti-
que , et qu'aucune raison d'état,
aucun principe révolutionnaire mê-
me , ne pouvaient excuser ni moti-
ver. D'ailleurs , Rewbeîl avait une
inimitié' personnelle contre la ville
de Berne , où , étant venu plaider
une cause, dans le temps où il n'é-
tait encore qu'un simple avocat de
Colmar , i.l avait éprouvé une hu-
miliation d'amour-propre qu'il ne
pouvait parJonner. On.envoya,pcur
taire la police dans le pays révo-
lutionné , et surtout pour y lever des
contributions, Rapinat , beau-frère
de Rewbell. On fit sur ce Rapinat,
l'épigramme suivante :
« Un pauvre Suisse qu'on ruine
« Demandait que Ton décidât
» Si Rapiuat vient de rapine,
» Ou rapine de Rapinat. »
Rewbell sortit d« Directoire , au
mois de mai 1791) , par la voie
du sort , un peu aidé , dit on , et
fut remplacé par Sieyes , qui arri-
vait de l'ambassade de Berlin avec
le projet concerté de dissoudre le
gouvernement dont il allait faire par-
tie. Rewbell descendit du trône di-
rectorial, qui n'avait plus que peu de
jours à exister, et entra dans le con-
seil des Anciens. A peine y eut-il
paru que les plus vives dénoncia-
tions attaquèrent sa conduite admi-
nistrative : tous les anciens griefs con-
tre lui furent renouvelés. Il se défen-
dit avec cou rage, même avec hauteur,
et défia ses cnnemiis de prouver ce
qu'ils avançaient : trois ou quatre
comités secrets eurent lieu sur la
question de savoir s'il serait mis en
accusation. La négative fut décidée,
Rewbell ne se mêla point de la révo-
lution du 18 brumaire, et se rcti-
XXXVII.
REW 433
ra incognito des affaires publiques
Nous l'avons vu à Paris, après sa
retraite, dans un costume des plus
négligés , sans domestiques , sans
voiture, quoiqu'il passât pour avoir
une très-grande fortune , en sortant
d'une place des plus éminentcs, dont
le traitement public était de six cent
mille francs , indépendamment du
logement , de raïucubleraent et des
fournitures de toute espèce. Nous
l'avons vu même se tenant à la porte
des bureaux de la préfecture , à la
<jf «eue suivant l'expression populaire,
et attendant son tour pour solliciter
un léger dégrèvemciit de ses contri-
butions. Il est mort dans l'obscurité
en 1801. Rewbell est fort m^iltraite'
dans les Mémoires publiés par Car-
not sur les événements du 18 fruc-
tidor :. celui-ci le présente comme
un homme crapuleux , ignorant ,
ivrogne et brutal. Mais comme c'est
le rival proscrit qui juge son anta-
goniste et son proscripteur , il ne
faut pas adopter un tel jugement
sans défiance; car il est difficile de
croire qu'un avocat dans u* con-
seil souverain , bâtonnier de son
ordre , et qui avait une clientelle
nombreuse et distinguée , député
à une assemblée qui réunissait de
très grands talents, n'eût que les vi-
ces les plus bas , et fût absolument
sans moyens. B — u.
REWICZKY ( Charles-Emeran-
cupjDE Revissikve, comtc DE ), cé-
lèbre bibliophile, naquit en Hongrie,
le 4 uov. 1737. Après avoir achevé
ses études à Vienne , il visita les prin-
cipales cours del'Europe , et parcou-
rut, en savant et en observateur, les
contrées classiques de l'Asie. Il avait
une facilite singulière pour appren-
dre les langues. Outre le grec et le
latin, il parlait et écrivait également
bien le français , l'allemand , l'iia-
28
434 REW
lien , l'anglais , l'espagnol , et la plu-
part des dialectes du Nord et de l'O-
rient. Ses talents et son caractère le
firent connaître aTautageuseracnt à
la cour de Vienne. Marie-Thérèse le
nomma son ambassadeur extraordi-
naire à Varsovie ; et Joseph II le
rap])ela de Pologne pour l'envoyer à
Berlin, dans un temps où les minis-
tres d'Autiiclie n'y jouissaient d'au-
cune espèce de faveur. RtAviczkypar-
A'int à faire oublier assez promple-
raent qu'il e'iait l'agent d'une cour
livale. La franchise de ses m.inièjcs
et sa politesse lui gagnèrent bientôt
la confiance des ministres prussiens.
La culture des lettres était poiir lui
Icplusi^oux délassementdes travaux
diplomatiques j et il accueillait avec
empressement les savants, les ar-
tistes et les littérateurs , qui trou-
vaient des ressources abondantes
dans sa conversation , et dans sa bi-
bliothèque , l'une des plus belles et
des mieux choisies qu'aucun particu-
lier eiît jamais possédées. Il contri-
bua beaucoup à répandre dans Ber-
lin i(5*goût des bons livres et des
belles éditions^ et il publia lui-même
une édition de Pétrone { 1784, petit
in-8''. ) , qui signala , d'une manière
Ires-remarquable, les progrès de l'art
typographique en Prusse. Peu de
temps après, Rewiczky fut transféré
à l'ambassade d'Angleterre: il justi-
fia encore, dans ce nouveau poste ,
la confiance de son souverain ; lo^is
l'allhiblisscment de sa santé l'obli-
gea de renoncer , en 1 790 , à tou-
tfs fonctions publiques. 11 refusa
l'aniliassadc de Naples ; vendit à
lord Spencer sa riche bibliothèque ,
moyennant une pension viagère , et
niournl .'1 Vienne, eu août i 793. De-
nii'a nous apprend (jnc Uewiczky se
fit connaître , dans sa jeunesse , par
la Traduclion , en veis latins, d'un
REW
Poème persan ( V. la Prusse litté-
raire , tome m ). Plus tard, il tra-
duisit, du turc en français , un Trai-
té de tactique, par Ibrahim effcndi,
Vienne, 1769, in- 12. Mais il doit
toute sa réputation au Catalogue
qu'il a publié lui-même de sa biblio-
thèque, sous le nom de Periergus
Deltophilus , et dont on ne sera pas
fâché de trouver ici le titre exact ,
quoique un peu étendu : Bibliotheca
a,rœca et latina , coinplectens auc-
tores ferè oinnes Grœciœ et Latii
veteris , cwn delectueditionum tàm
primariarinv^ et rarisshnaruni quant
etiamsplendidissimarumatqueniti-
dissimarwn , quas usui ineo paravi
Periergus Deltophilus , Berlin , Un-
ger , 1 784 , grand in-8°. Cette pre-
mière édition , qui n'a été tirée qu'à
un petit nombre d'exemplaires , dis-
tribués en présents , a été décrite
avec beaucoup d'exactitude par M.
Peignot, A&iïi\G Répertoire biblio-
graphique universel, pag. 193. Ce
Catalogue a été réimprimé à Berlin,
en 1794» in-8°. , avec l'indication
des ouvrages que Rewiczky avait
ajoutés à sa bibliothèque dans Tes-
pace de dix ans. C'est donc cette édi-
tion que doivent choisir les vérita-
bles bibliophiles ; mais les biblioma-
nes donnetont toujours la préféren-
ce à la première , à cause de sa gran-
de rareté. W — s.
REY ( Jean ) , l'un des précur-
seurs de la théorie actuelle de la
chimie pneumatique, naquit vers la
fin du seizième siècle , à Bugue, dans
lePérigord. Après avoir reçu le bre-
vet de docteur en médecine, il vint
habiter la forge de Rochebcaur.iiit,
que possédait son frère, et consacra
ses loisirs à l'élude de la chimie et de
laphysi(|ue. Il entretenait unecoires-
pondance scientifi([ue avec Brtict et
Dcschanips , l'un apothicaire et l'an-
REY
ïre médecin à Bergerac , avec Ra-
phaël Triclict DiitVesne, avocat à
Bordeaux, d'une famille qui a produit
plusieurs hommes de me'riic , et avec
le célèbre P. Mersenne ( F. ce nom ),
La poursuite d'un procès criminel ,
et ses affaires donicsliques, le détour-
nèrent mallicareusemcnt de ses utiles
occupations ; et depuis long-temps
il avait cessé de cultiver la chimie,
science dans laquelle il avait lait des
progrès étonnants , quand il mourut
A'ers 1645. Quinze ans auparavant ,
Rey avait publié le résultat de ses
expériences sous ce ù^^itr-. Essais sur
la recherche de la cause pour la-
quelle l'étnin et le plomb augmentent
de po: as nuand on les calcine , Bazas ,
i63o, in^''. , de i/jî pag. l/auteur
nous apprmd, dans sa Préface , que
t'est à la prière de Brun , maître
apothicaire à Bergerac , qu'il s'est
occupé de ce phénomène dont per-
sonne n'avait encore donné d'expli-
cation satisfaisante. Le livre est di-
visé en vingt-huit chapitres ou es-
sais. Dans les quinze premiers , après
avoir traité de la pesanteur des corps,
il indique divers moyens de constater
oel'e de l'air et du feu. Dans le
seizième, il prouve que l'augmenta-
tion du poids de l'étain et du plomb
par la calcination , est le résultat
de la combinaison de ces métaux
avec l'air atmosphérique. Il emploie
le reste de son livre à réfuter les
opinions contraires à ce sentiment ,
que les expériences des chimistes
modernes ont confirmé . entre autres
celles du célèbre et malheureux La-
voisier. \j ouvrage de Key , devenu
très-rare, était presque inconnu, lors-
que Gohet en donna une seconde
édition , revue et augmentée d'.iprès
les manuscrits de la bibliuthlque du
Roi , Paris, 1777 , in S", de 2i()
pages. L'éditeur l'a fait pixicéderd'un
REY 435
Avertissement , et d'une Lettre de
Baycn à l'abbé Rozier, sur les décou-
vertes de Rey. En outre , il y a joint
de^x Lettres du P. Mersenne, avec
les réponses de Rey , et deux autres
Lettres de Brun , tirées des ma-
nuscrits de la bibliothèque des Mi-
nimes de Paris ; la Manière de ren-
dre l'air visible , par P. Moitrel
d'Elément, avec la liste des décou-
vertes de cet hiibile physicien, ou-
blié dans tous les Dictionnaires, et
qui mérite d'èlrc connu ; — et enfin
lin Extrait de la Dissertation da P.
Chénibin d'Orléans, iMrZ'i/nper/Hert-
bilité du verre, etc., imprimée à
Paris, en 1G79 et en 1700 , in-ia
( F. CuERUBiN, Vlll, 343-44).
John Murray a donné une notice
sur les Essais de Jean Rey, dans le
Fhilosophical Magazine ( de Td-
loch),août i8'^.3. W — s,
REYBAZ ( Etienne-Salomon ) ,
naquit en 1739, à Vevai , sur les
bords du lac Léman , et fit de Ge-
nève sa seconde patrie. Il y fut
consacré au ministère évangélique,
en 1765 ; et ses sermons y eu-
rent un brillant succès. Cependant,
comme i! n'exerçait pas de fonc-
tions pastorales proprement dites ,
il quitta cette ville, après les trou-
bles politiques de 1782 , et finit par
se fixer à Paris, où il résida pres-
que constamment jusqu'à sa mort,
arrivée le u3 oct. 1804. Vers les
commencements de la révolution,
il écrivit quehpics articles dans les
journaux , et passa même pour
un des nombreux coli.iboraleurs
de Mimbeau. Il eut surtout occa-
sion de déployer ses qualités dans
le poste, souvent difficile, de re-
présentant de la répub!i<pic de Ge-
nève près de la république française.
Plus tard , il concourut , par ses
conseils, à la préparation des articles
■i8..
43G REY
organiques du culte protestant , fai-
sant partie de la loi du 1 1 gcrralnal
an X {'Z avril 1802 ). Rentré dans la
vie privée , il reprit son goût poul" la
littérature ; et il revit ses Sermons
dont il publia un choix , avec des
Hymnes analogues à chaque ser-
mon , et une Lettre sur l'art de la
prédication, Paris, 1801, '2 vol.
in-8'^. Quel que soit le mérite réel de
ces discours , on comprend , en les
lisant , ce que disent ceux qui ont
entendu Rcybaz , que le charme de
son débit eut part aux succès qu'il
obtint à la chaire. Dans la Lettre
dont nous venons de parler, où l'on
trouve d'excellents préceptes , tracés
avec la justesse de pensées et d'ex-
pressions qui caractérisait le talent
de Reybaz , il exprime toute l'im-
portance qu'il attache à l'éloquen-
ce extérieure, d'accord, en cela,
avec les maîtres de l'art. Il avait
donné, en 1777, dans l'Année lit-
téraire (nos. 21 et a-î ) , une Lettre
sur la déclamation théâtrale , où
l'on remarqua un parallèle entre les
acteurs tragiques , I.ckain et Au-
fresne.Ona loué un poème sur V^rt
de prêcher, qu'il avait lu dans les
sociétés , et qui est resté inédit. Les
amateurs ont conservé le souvenir
de ses Stances sur la mort de J.-J.
Rousseau, et de quelques autres piè-
ces de vers, non imprimées. Il a
publié une Ode à M. Necker, 1788 ,
in-4°. , et une Epître à J. Balmat ,
pour revendiquer en faveur de ce
villageois de Chamoni, l'honneur
d'avoir le premier atteint le sommet
du Montbianc, le 8 août 1786. Saus-
(1) Ccllo jiremu-rfi asconsioii fut cntrojirisc et dî-
rigcfl par le mérlccin Pactard ; ce f|u'nu pocle a
cxpriiiii.' nsscx licurcuscincnl par ces vers :
De Siiissiirc ."1 la cime est onivé Irop tard,
ttdi-ji le Moul-lllanij était le Moul-H.iccard.
( Ubiidc, l'cyiigt ,in lilint-Blurc , pag. n. )
REY
sure n'y monta que l'année suivante
(\) { F. Saussure ). La fille unique
de Reybaz a épousé M. Baggescn,
poète danois fort connu. Z.
REYMOND (Henri), évêqne de
Dijon ^ né le 21 novembre 1737, à
Vienne en Dauphiué, lit ses pre-
mières études dans cette ville , et
prit ses degrés dans l'.université de
Valence. Lorsque les Jésuites furent
renvoyés du collège , on le nomma
professeur de philosophie. II devint
ensuite curé de Sainl-George, à Vien-
ne. Deux procès qu'il eut à soute-
nir contre le chapitre noble de Saint-
Pierre de Vienne, paraissent avoir
contribué à l'exaspérer contre le
haut clergé. Son premier écrit :
Droits du curé et du paroissien ,
1776 , in -8". , fut supprimé par
ordre du parlement de Grenoble;
mais il a été réimprimé en 1791,
3 vol. in - 12. Reymond se fit dé-
puter à Paris , par les curés de la
province, pour réclamer l'augmen-
tation des portions congrues. Il pu-
blia un Mémoire sur cette affaire , en
1780, et un autre écrit intitulé:
Droits des pauvres, 1781. L'un et
l'autre étaient dirigés contre les gros
décimateurs. Reymond se mit enco-
re à la tcte des curés, pour réclamer
des places dans la chambre des dé-
cimes. 11 fit, pour cela, le voyage de
Paris, obtint ce qu'il souhaitait , et
fut nommé député. Ces écrits et ces
démarches avaient fait connaître le
curé de Saint-George dans la provin-
ce, et l'avaient misenoppositionavcc
le haut clergé. Au commencement
de la révolution , il se signala par
une Analj^se des principes consti-
tutifs des deux puissances , avec
une Adresse aux curés. On trouve
des Observations sur cet ouvrage ,
dans le tome vu de la Collection
ecclésiastique publiée sous le nom
REY
de l'abbé Barruel ; et l'on y accuse
l'auteur d'avancer que la dislincliou
des liie'rarchics est d'invention hu-
luaine. Reymond prêta le serment en
i-jQi , et tut élu, rannéc suivante ,
e'vcquc de l'Isère , à la place de Pou-
chot, qui n'avait siégé qu'un an. Il
fut sacré, le i5 janvier 1793, par
Savincs , évèque de Viviers, Mais
bientôt les progrès de la terreur s'é-
tendirent aussi sur le clcrj^é consti-
tutionnel. Pveymond fut arrêté, et pas-
sa près d'un an en prison. Après
la chute de Robespierre , il se retira
dans sa famille, et fut quelque temps
sans vouloir reprendre ses fonctions.
Aussi , dans les Annales de la reli-
gion, journal des constitutionnels, ré-
digé par Dcsbûis,se plaignait-onde sa
négligence. Ces plaintes réveillèrent
apparemment le zèle de l'évêquc de
l'Isère , qui adhéra aux encycliques ,
assista aux conciles, et prit même
part à quelques actes du comité dit
des Réunis. On le chargea de pu-
blier les actes du concile de 1.797 ,
et de rédiger quelques pièces rela-
tives à cette assemblée. Il donna sa
démission, en 1801 , comme tous
ses collègues , et fut promu l'an-
née suivante, au siège de Dijon. Ses
amis a%(urent qu'il refusa de se ré-
tracter devant le légat; mais il si-
gna, en i8o4, la formule prescrite
par le pape. On lui reproche néan-
moins d'avoir favorisé constamment
le parti constitutionnel ; et les An-
nales de la religion citent de lui ,
tome XVII, page 117, un Discours
qui montre ion attachement aux mê-
mes principes. D'un autre côté, l'é-
vêque, dans un Mémoire qu'il com-
posa depuis ( nous dirons à quelle
occasion), se vante d'avoir i établi
la paix partout , d'avoir rouvert son
séminaire dès la première année ,
pourvu aux plus pretsanls besoins
REY
437
du culte divin , fait des conférences
dans son église , pendant tout un
carême , lesquelles conférences fu-
rent depuis imprimées. 11 assure
qu'il ])ublia plus de quatre-vingts
Mandements ou Lettres pastorales.
Ce prélat ne fut pas toujours heureux
dans ses démarches et ses écrits. Eu
181 4, il refusa de faire chanter un
Te JJeum pour le retour du roi. Le
si'2 avril 181 5, il publia une Lettre
pastorale , où il présentait le retour
de Buonaparle comme un bienfait
de la Pi ovidence : cette Lettre était
suivie d'un jwst- script um fort sin-
gulier , oii Reymond , se livrant à des
discussions politiques, prouvait di-
sertcment qu'une nouvelle coalition
était impossible. Il vint à la céré-
monie du Champ-de-Mai, et signa
l'acte additionnel. Après le second
retour du roi, il fut mandé à Paris,
et on l'y retint un an. Ce fut alors
qu'il composa un Mémoire où il al -
lègue des raisons tout au plus spé-
cieuses pour sa justification. Ce Mé-
moire, qui a été inséré dans la Chro.
nique religieuse , to?ne iv, page
404, offre une espèce de biographie
du prélat, et nous y avons puisé
quelques traits. En 1817 , l'évê-
que obtint de retourner dans son
diocèse. Une circulaire qu'il publia
le 1 4 septembre de l'année suivante,
pour dispenser ses diocésains de l'abs-
tinence , excita beaucoup de rumeur.
( Voyez, sur cet objet , ['Awi de la
religion^ tom. xvii,pag. 3g5.)Rfy-
mond mourut subitement, le 20 fe'-
vrier i8'40 , au moment où il allait
se mettre au lit. P — c — t.
REYNARD ( Juslmicn ) , profes-
seur de physique à Amiens , né le 4
février 174^, mérite une place dans
la Biographie universelle , comme
ayant contribué à donner l'impul-
sion à une branche de la science ,
438 REY
en sortant de la sphère étroite de
îa plupart des professeurs de son
temps. Il fut un de ceux qui , après
la suppression des Jésuites , les rem-
placèrent le plus honorablement au
collège de celte ville, oîi il eut pour
confrères l'abbcDelille et Sé!is. Rey-
ïiard avait fait ses études au même
collège, et les avait achevées à Pa-
ris , an séminaire de Saint - Sul-
pice. Il y était devenu maître des
conférences , suivant !a Notice inse'-
rc'e dans le Journal de la Somme ;
et il fut reçu rioctcur de Sôibonne
en 1767. Il fiit alors appelé par
M. Doriéans La Mothe, pour pro-
fesser, à Amiens , la philosophie,
qui comprenait la logique et la phy-
sique. Le choix, du prélat annon-
çait tout ce qu'on pouvait attendre
du jeune professeur; mais, d'une
complexion délicate, il finit par se
renfermer dans l'enseignement de la
physique, dont la carrière embrassait
les malhématiqces, la chimie, et mê-
me l'anatomie ( 1 ); Il fut l'un des pre-
miers à donner, eu français, dans les
collèges, des leçons publiques d'une
science qui, se composant de faits
nouveaux . demandait une nomencla-
ture nouvelle. Ceux qui ont assisté à
ses cours, se rappellent, ainsi que
l'auteur de cet article, avec quel inté-
rêt il enseignait, et avec (|uelle facilite
d'éloculion et quels soins prévenants
il savait inspiier le goût de la scien-
ce à ses élèves. Sa physique générale
n'était point unc|nireel sèche théorie
mathématique; elle était surtout ap-
puyée , dans ses résidtats, par la
physique expérijnentale , et par l'a-
(j) Afin <!<■ mieux rcninlir «es divers t'{iiiis, il se
nitinisMiit d'inslruniei.t» ;i ses frais; et c'i Ini» aux
di')ii-ii!i (lif Hfiii npris qu'il inépaiiiil sps I<coii5.
Prmr lin p>ij ni-rdic ilc Iciiid» , la veille (rniie
cIciiiiiiittn.tiMi, ir,)..|é.,lr,pie, il .s'ncciiliait de in»»eiii-
hler louiez li « )iaitii>5 d'nn «cjuilile : mais, t-Dinnio
sa L'Iiaiiilire etail liè».|i(tile , il jinsnit le siiuelito
nui' «lu lit , et dorinail sur un l'aiiteiiil.
HEY
nalyse chimique. Si sa santé et des
circonstances ultérieures lui eussent
permis de continuer l'enseignement
publie de cette science dans un âge
plus avancé, il lui eût appartenu
sans doute de développer et de pro-
pager les nouvelles expéiiences d'un
de ses anciens auditeurs , expériences
qui doivent faire de l'optique une
science toute nouvelle , si les obser-
vations sur lesquelles elle se fonde ,
donnent en effet le lésultat qu'elles
annoncent, et qui paraît entièrement
contraire au système mathématique
de Newton {•2). Re)nard, apiès plus
de vingt années d'un professorat pé-
ni])le , quitta sa chaire, en 1 787 , et
vint dans la capitale se livrer avec
moins de fatigue à l'éducation parti-
culière. Quoi(ju'd eût ouvert avec suc-
cès un cours pour quelques élèves ,
il les menait prendre part, avec lui,
aux expériences de Lavoisier , dont
il avait , le prenuer , professé , à
Amiens, la nouvelle théorie chimi-
que.-Suivant la notice insérée au
Journal d'agriculture de la Somme ,
ce fut Rî-ynard qr.i détermina IM.
Vauquelin, jeune alors, à faire son
premier cours de chimie appliquée
.uix arls, ei qui , par le giand nom-
bre d'élèves qu'il lui prociiib , con-
courut à établir sa réputation. Key-
nard , considérant surtout la scien-
ce sous ses rapports d'nlilité, s'oc-
cupa également de suivre et de fai-
re connaître les nombreuses expé-
riences de Parmentier sur l'art de
la boulangerie; et ce fut d'après ses
démarches auprès du comte d'Agay,
intendant de Picaidie , que ce sa-
vant fut attiré à Amiens, où sa pré-
sence féconda cet art, qui, jusqu'a-
(ï) Viiy<-/. le Nnnnrl (/'../iZ/'/we r.t/iériiiuniiile ,
ynrMA.ù. Hihii geeii^ , et le compte c)iii eu e.st rendu
fiai]» le IliiUrtin universel (le M. de Ttriisiiac, loiu.
REY
lors , avait fait peu de progrès dans
l'une des provinces les plus fertiles
en blés. L'abbé Reyuard voyagea d'a-
bord en Italie, avec quelques An-
glais, pendant les premières années
de la révoiutiou ; et, à son retour, il
fut l'instituteur de M. Lecouleux Du-
niolay fils , depuis préfet de la Côic-
d'ur. Il l'accompagna eu Espagne,
avec le comte de Pilos , plus connu
sous le nom d'Olavidé, dont il oou-
tiibiia sans doute à rappeler ou à
fortifier les sentiments religieux. De
retour en France, amenant avec lui
de jeunes Espagnols sans fortune,
il institua , dans sa vieillesse , à
l'exemple du maître de Rollin ( T^.
Hersan), une école pour les enfants
pauvres. Il resta une année à Baïon-
ne , pour y faire l'essai de sa méthode
desimplilicilion de lectuie et d'écri-
ture , eu combinant les movens prati-
ques de l'abhé Gaultier et deFréville
avec ceux du cbevalier Paulet; mais ,
afin de mieux instruire ces enfants en
les amusant, il leur faisait, non-seu
lement prononcer de concert , mais
chanter en mesure les lettres et les
syllabes de l'alphabet , et ensuite
de petites phrases rime'es , qui leur
inculquaient, par de courtes sen-
tences ou maximes , les premiers
principes de l;i morale et de la reli-
gion. Cet essai d'un homme simple
et désintéressé ne fut pas heureux.
Vivant à peine d'une pension qu'il
devait à la reconnaissance d'élèves
distingués, et qu'il pailageait avec les
plus pauvres , incapable d'intriguer
pour faire valoir ses services , il s'a-
dressa au ministère, et vint même à
Paris , mais ne put attirer sur sa mé-
thode l'attention du gouvernement,
livré alors à des vues politiques bien
difierentes. Retiré enfin à Amiens ,
dont l'évcque , M. de Mandolx , sui-
vant une Notice nécrologique sur
REY
t39
ReyDard(3) avait été un de ses élè-
ves à de Saint Sulpice , il fut nom-
mé chanoine honoiaire de la cathé-
drale de celte ville, où il mourut,
le 9 mai 1818. G — et.
REYNAUD ( Marc - Antoine ) ,
écrivain appelant , né vers 17 17 , à
Litnoux en Languedoc, se destina
de bonne heure à l'état ecclésiasti-
que, et entra comme novice , à Tab
baye de S;iint i'olycarpe de Razès ,
qui avait été réformée par l'abbé de
LaFite-Maria: mais les troubles sur-
venus dans cette abbaye ayaut porté
l'aulorilé à renvoyer, en 1741 , les
postulants et les novices, Reynaud fat
obligé de se retirer, et trouva un asile
dans le diocèse d^Auxerre , où l'évé-
(!ue,M. deCayiiis, accueillait les op-
posants des parties les plus éloignées
du royaume. Le prélat conféra les
ordres à Rrynaud, et lui donna la
cure de \ aux, prèsd'Auxerre, place
que celui-ci occupa environ quarante
ans. II s')' montra toujours fidèle
aux opinions de son patron. Tous
les ans , il venait à Pans; et l'on dit
qu'il ne manquait pas d'aller en pè-
lerinage sur les ruines de Port Royal.
Ses éciits annoncei'tun homme vif et
même pétulant , et le style en est peu
soigné : ils peuvent se diviser en
quatre classes , dont la première
contient ceux en faveur de l'appel et
des objets qui s'y rattachent; la se-
conde , quelques ouvrages contre la
philosophie naissante ; la troisième ,
les écrits contre les convulsions et
les secours; et la quatrième, ceux
contre la constitution civile du cler-
gé. Reynaud montra de i'ardeur dans
ces dilicientes controverses , et sur-
tout dans celles sur les convulsions
(3) Vov.le Journal d'n^iirullure au déparUment
de la Xoniiiie , mai 18:8 , et l'extrait qui en * paru
dans les Aniuilct crrycloptdiifues. lll. i'iï.
44o liiiY
et les secours. Les convulsions , ne'es
autrefois sur le tombeau du diacre
Paris, continuaient encore dans l'om-
bre , à la lionte du parti qui favori-
sait ces coupables folies relies avaient
enfante les secours , nom que l'on
donnait à des cruautés horribles
cxercc'cs envers les convulsionnaires.
On les frappait avec des barres de
fer , on les perçait à coups d'ëpe'e ,
ou du moins on essayait de les per-
cer , on les crucifiait même j car on
alla jusqu'à cet excès, et cela s'appe-
lait les secourir (i). On doit sans
doute rougir que de tels scanda,
les aient eu lieu parmi des gens
qui alficLaicnt des principes sévères.
Reynaud fut un des plus ardents à
s'élever contre ces scènes insen-
sées , et il en signala les turpitu-
des avec une franchise et une persé-
vérance qui lui font honneur. Celui
qu'il attaqua le j)lus vivement à ce
sujet , est le Père Lambert , domini-
cain , qui n'a pas craint de se faire
l'apologiste des plus honteux excès.
Reynaud, ayant été obligé de quitter
sa cure pour refus de serment, passa
deux ans en prison , et se retira en-
suite à i'hôlel-dieu d'Auxcrre , puis
dans une maison particulière de cette
"ville , oîi il mourut, le 23 octobre
1796. Ou a son Eloge funèbre, pro-
noncé à Paris, dans l'église Saint -
Etienne - du -Mont , le 19 janvier
1797 (2), par l'abbé Saillant, diacre
aussi attaché au parti de l'appel.
Nous joignons ici une liste des écrits
de Reynaud : I. Un Abrégé de la
vie de Nicolas Cveusot , curé d'Au-
(i) Voyez , sur ces ridicules pratiques , Vffiitinre
dc( serin rt-liff ruses, par M. Grégoire , I , 378, et
lurtoiil la NoIiiM de i'œuvre ihs euiwulsioiis et des
secours [ jiùrle P. Crêpe ),i-89, iii-iî.
(ï)DansretA7,.ge, lenom du ruré «le Vaux (st
«'crit R.guaiiri ; il cKo (aule a passe de là dan» le
Vict. des anuiiymes ^ ol dous d'autres bibliogra-
phies.
REY
xerre, 1764, in-12. IL Le Philo'
sophe redressé , ou Béfulation du
livre De la destruction des Jésui-
tes ])a.v d'Alembcrt, 1 7G5 , in-ia.
( Foj'. MiRASSoN ). m. Traité de
la foi des simples , 1 770 , in - 1 2.
IV. Lettre aux auteurs du Mili-
taire philosopha , du Sjstème de la
nature, etc., 2vol. in- 12. V. LeDé-
lire de la nouvellephilosojihie^ou Er.
rata delà Philosophie de la nature ,
par un Père picpus , «775, in-12.
VL Histoire de l'ahhaje de Saint-
Polrcatjje, 1775. VIL Lettre aux
cordicoles , 1 78 1 , in- 1 2 ; la seconde
cciilion parut sous le titre de Lettre
aux alacoquistes dits cordicoles.
Vin. Lettre au R. P. L. P. D. ( la
Plaigne ou Lambert) , du i5 aoîit
1784, in- 12. IX. Seconde lettre
aux secouristes; 11 février 1785,
in - 12. X. Troisième lettre aux
secouristes , principalement à leur
chef, le B. P. L. P. D., 5 avril
1785, in- 12. XL Quatrième lettre
aux secouristes, \ i novembre 1 785,
in-12. XIL Cinquième lettre aux
secouristes , 8 décembre 1786 , in-
12. XIIL Le mj stère d'iniquité dé-
voilé, 1788, in-12 de 36o pag. ;
ouvrage curieux pour l'histoire des
convulsions et des secours. XlV.
Lamentations amèj'es , et derniers
soupirs des écrivuins secouristes ,
inême année, in- 12, XV. Béponse
d'un curé de campagne à la mo-
tion scandaleuse d'un prêtre ( l'abbé
Cournaud ) , '79^1 iu-12. XVL
Lettre à une religieuse sortie de
son couvent, 22 septembre 1790 ,
in-12. XVIL Lettre d'un curé d'A-
vignon à un curé de campagne ,
auteur delà Constitution et laBeli-
gion parfaitement d'uccord , 9 dé-
cembre i7f)' , in- 12. XVII L Bé-
ponse à V Avis aux fidèles pat' un
janséniste jérosolomilain y 1791 j la
REY
Béponse et W'ii'is n'ont (ine 8 pag.
in- !'->,. Ji\X.. Epitres et Evangiles à
l'usage des malades. Il paraît que
Reynaud avait encore compose un
Supplément à la vie de M. Sainson ,
]e Secourisme détruit , et un Cate'-
cbisme pour prouver que la religion
chrétienne est utile dans toute es-
pèce de gouvernement ; on ne sait
si ce dernier écrit a été imprimé. On
trouve une Notice plus étendue sur
Reynaud dans VAmi de la religion ,
tome XXXV, pag. Sg. P — c — t.
REYNEAU ('ChIrles (i) ), ha-
bile géomètre, naquit en i656, à
Brissac, dans l'Anjou, et, après avoir
terminé ses études , entra dans la
congrégation de l'Oratoire ^ à Paris.
Il professa la philosophie à Toulon ,
à Pézenas , et ensuite les mathé-
matiques au collège d'Angers , pen-
dant vingt deux ans, avec un tel suc-
cès , que l'académie de cette ville ,
nouvellement fondée , s'empressa de
se l'associer, honneur qu'elle n'a ja-
mais fait depuis à des membres d'au-
cune congrégation. Sa vie , dit Fon-
tenelle , a été la plus simple et la plus
uniforme qu'il soit possible : l'étude,
la prière , et deux ouvrages de ma-
thématiques, en sont tous les événe-
ments. 11 se tenait fort à l'écart de
toute affaire , et encore plus de toute
intrigue , et il comptait pour beau-
coup cet avantage si peu recherché
de n'être de rien. Seulement il se mê-
lait d'encourager au travail , et de
conduire, quand il le fallait, des jeunes
gens auxquels il trouvait du talent
pour les mathématiques ; et il ne re-
cevait guère de visites que de ceux
avec lesauels il ne perdait pas son
temps , parce qu'ils avaient besoin
de lui. Aussi avait-il peu de liaisons ,
peu de commerce. Ses jM'incipaux
(i) Charles-René , iuiyautVabhé Goujct.
REY 44 I
amis furent le P. Malebranche, dont
il adoptait tous les principes , et le
chancelier d'Aguesscau. Le P. Rcy-
ncau mourut à Paris, le a 4 février
1728. Il était, depuis 17 iG, associé
libre de l'académie des sciences ; et
quoiqu'il eût l'ouïe assez dure , il se
montra fort assidu à ses assemblées.
On a de lui : I. U Analyse démontrée
ou Maniè'e de résoudre les problè-
mes de maihéiiiati'jues, Paris, 1 708,
2 vol. in 4°. ; réimprimé avec beau-
coup d'additions, ibid. , 1736, 2
vol. in- 4". L'auteur a recueilli dans
cet ouvrage les principales théories
répandues dans les OEuvres de Des-
cartes , Leibnitz, Newton , les Ber-
noulli , etc. , et démontré plusieui s
méthodes qui ne l'avaient pas été jus-
qu'alors , du moins assez clairement
ou assez exactement. II. La Science
du calcul des grandeurs en général,
ou Eléments de malhématiijues ,
ibid. ,171 4-35 , 2 vol. in-4°. Le se-
cond volume fut publié par le P. de
Mazières , connu par un prix rem-
porté à l'académie des sciences (2) ;
il est tel à-peu-près qu'il se trouvait
dans les papiers du P. Reyneau , l'édi-
teur ayant regardé comme inulile,
de compléter l'ouvrage , en traitant
une matière que Guisnée venait d'é-
puiser dans sou Application de l'al-
gèbre à la géométrie { V. GuisivÉe }.
Il est précédé d'un Eloge du P. Rey-
neau , p ir l'abbé Goujet , qui ren-
ferme quelques détails négligés par
Fontenelle. Ces deux Ouvrages , dit
Montucla , bons , à certains égards
pour leur temps , pèchent par trop /
de prolixité {F. V liist. des Mathé-
matiq. , 11 , 169. ) Le nouveau Vict
hist. crit. et bibliogr. attribue en-
core au P. Reyneau , la Logique ou
{■y.\yî.n i72G,sur ciHe «jiKslinn : Quelles s.iiit loa
lois du cbuc des corps à rwaorl j>av l'ail ou iiiiii.ir-
fiiit?
4'.^
RE Y
i ^frt de raisunner , i:i-i2 ; petit
Tniite qui est du P. Nocl Reç>nault
[f'or. paç. -2^1 ci-dessus ). W — s.
REYNIER ( Jean-Louis-Ebene-
ZER ) , géiie'ral fiançais , ne à Lau-
sanne, le i4 janvier 1771 , dans la
religion protestante , fut porté, par
son goût, à l'étude des sciences exac-
tes , et se préparait à entrer dans
le génie civil , Jor.Hjue la révolution
de France lui ouvrit une autre car-
rière. Il lit . en l 'jg'i. , comme a.djoint
à l'état-niajor , la campagne de la
Belgique : élevé au raig d'adju-
dantgénérai , il contribua aux suc-
cès des armées françaises, sous les
ordres de Pichegru , à Menin, Cour-
trai , etc. Nommé général de bri-
gade , pendant la conquête delà Hol-
lande , en 1794, il se distingua au
passage du Walial. Lors des préli-
minaires de la paix avec la Prusse ,
il fut choisi, jeune encore, pour fixer
la démarcation des cantonnements,
et il étonna les vieux généraux prus-
.'^itns par sa sagesse et ses connais-
sances. Il passa ensuite à l'armée du
Kliin, sous Moreau , comme chef
d'état major, et il y dcAcIoppa beau-
coup de talents. C'est dans ce pos-
te qu'il pouvait rendre les plus
grands services : manquant quel-
quefois du sang-froid et du coup-
d'œil qui font les grands capitaines
sur le champ de bataille , Keynicr
savait, mieux qu'auciui aulre, donner
les ordres et distribuer le service
d'un état- major général. Ce fut sur-
tout aux divers passages du Rhin,
aux batailles de Rastadt , de INéres-
heim , de Eriedberg , de Riherach ,
à la rctiailc mémcuablc de la même
année, 179'), et au siège de Kelil ,
qu'il eut de nombreuses occasions de
déployer ce genre d'iiabilclé. Dans
cette invasion de l'Allemagne , il
avait fait connaître la noblesse de son
REY
caractère. L'envoyé du margrave de
Baden lui ayant proposé de dimi-
nuer d'un million ce qu'on exigeait
de ce pays, et de recevoir pour lui
cent mille florins, eut ordre de quitter
sur-le-champ leterritoire occupé par
Tarraée française. L'envoyédela ville
de Bruchsal lui ayant fait une offre
du même genre : «Puisque vouspou-
« vez , lui dit Reynier , m'offrir 5oo
» louis , vous n'avez qu'à les ajouter
» à votre contribution » ; et il fit , en
effet , payer cette augmentation à la
ville. Ecarté du service par une in-
trigue , Texpédiiion d'Egypte , en
1798, le remit eu activité : il con-
tribua , dans ce pays , à la victoi-
re des Pyramides , occupa la pro-
vince de Charkié , sur la lisière du
désert de Syrie, et parvint , parmi
mélange de sévérité et de clémence ,
et par son attention à être toujours
juste, à se faire aimer d'un peuple
barbare. Dans la campagne de Syrie,
il pissa le ])iemier le désert , culbuta
l'avant-garde ennemie , et fit le siège
d'El - Arisch. Vingt mille Turcs,
accourus au secours , furent atta-
qués et dispersés par quatre batail-
lons dans le silence de la nuit : leur
chef fut tué; et les Français vécurent
des approvisionnements qui étaient
dans son camp. Heynier se trouva
au siège de Saint- Jean d'Acre , dont
il eut le commandement pendant que
Buonaparte se portait sur le Mont-
Tabor. Enfin , il îixa la victoire à
la bataille d'HéliopoHs , en enfonçant
l'élite des Janissaires. Après l'assas-
sinat de Klèber, qui l'avait envoyé
commander dans le Kelionbcth , il
revint au Caire ; et c'est de cette
cjto(pic que datent ses premières
j)laiiiles contre IMenou. La rivalité
du commandement , la dillèrence
des plans cl du caractère , tout con-
courut à les aigrir l'un contre l'autre.
REY
L'approche des Anglo-Turcs Jjc put
même les re'tinir ; et la fameuse ba-
taille du -20 mars 1800, dans laquelle
Rcynier donna encore des preuves
d'une valeur peu commune , fut per-
due pour les Français , par suite de
ces funestes divisions. Enfin , dans
la nuit du -zS au 24 floréal ( avril
1802 ) , quatre cents hommes in-
vestirent sa maison par l'ordre de
Menou , et le conduisirent à boid
d'iui bâtiment prêt à partir pour
la France, où Bnonaparte , alors
premier consul , qui avait approuve
lesopérationsdeMenou( ^. cenom),
le reçut fort mal. Son ouvrage sur
l'Egypte , qu'il publia peu de temps
après , et dans lequel il traita sans
ménagement Menou et d'autres gé-
néraux , aiouta encore au mécon-
tentement du consid ; et le livre fut
saisi par ses ordres. Une qucrclleque
Eeynier eut , en i8o3 , avec ie ge'-
néral Destain , qui avait aussi à se
plaindre de quelques assertions de
l'auteur, et qu'il tua dans un duel,
le fit exiler de Paris. Cependant ,
en i8o5 , il fut remis en activité
par Buonaparte , qui le chargea d'un
commandement à l'armée d'Italie.
Il était à Castel-Franco, dans le mois
de novembre de cette année ; et les
Autrichiens l'y ayant attaqué avec
impétuosité , il repoussa plusieurs
fois leurs eiforts , de la manière
la plus courageuse. Peu de temps
après, il passa à l'armée qui s'em-
para du royaume de Naples , sous
les ordres et au profit du nouveau
roi Joseph Buonaparte. Rentré dès-
lors complètement en faveur , il
fut nommé grand-ofiicier de la Lé-
gion d'honneur , puis grand-digni-
taire de l'ordre des Deux - Sicilcs.
Cependant il fut battu , le 4 juillet
1806 , à Maida , par le général an-
glais Sluart , et se vit oblige d'cva-
REY 443
cuer la Calabre ultérieure, (|u'il oc-
cupa de nouveau bientôt après. Il
prit le comm.'indenient de l'armée
de Naples après le départ du maré-
chal Jourdan : en 1809, il eut
une mission auprès de Buonap.irte ,
qui venait d'envahir les états au-
trichiens , et il combattit auprès
de lui à Wagram. Le corps auxi-
liriire des Saxons fut ensuite pla-
cé sous ses ordres; et les oj)érations
qu'il dirigea à la lêle de cette troupe,
lui valurent le titre de commandeur
de l'ordre de Saint Henri. Il fit en-
core , dans la même qualité , la
campagne de Russie, en 1812, et
fut chargé de couvrir la droite de la
grandcarmée, eu Pologne; ce qui
l'empêcha de se trouver à la désas-
treuse retraite de Moscou. En 181 3,
il fut fait prisonnier à la bataille de
Leipzig. Après son échange , il vint
à Paris , et mourut dans cette ville ,
le 27 février i8i4, d'un accès de
goutte. Le général Rcynier avait
épouse, en 1812, M^'^'. de Cham.bau-
donin. C'était , sans aucun doute , un
desmilitaireslesplns instruits (pi'eus-
senties armées françaises. H s'occupa
beaucoup, dans la guerre d'Egypte,
de recherches scieritifiques. On a de
lui :ï. De VÉ^jpte après la bataille
(V Héliopolis , et Considérations gé-
nérales sur r organisation physique
et politique de ce pays , Pa 1 is , 1 802,
in 8». , carte. Cet ouyrage , dont il
parut la même année une Traduction
anglaise, (Londres, Robison , in 8")
est le livre saisi cpii a été mentionné
plus haut: il est devenu lare. II. Con-
jectures sur les anciens habitants de
VEffpte, Paris, i8o4, in-8°. III:
Sur les Sph-) nx qui accompagnent
les pyramides d'Egypte , i8o5 ,
in-8°. M — D j.
REYNOLDS ( Guillaime ) , né
près d'Exelcr , dans le Dtvtnshiic ,
44
REY
manifesta un grand zèle pour la pré-
tendue réforme, pendant qu'il faisait
ses études dans le nouveau collège
d'Oxford ; ce qui lui occasionna de
fréquentes disputes avec son frère
Jean , élève du collège du Corfius
CAmfj,et qui n'était pas moins zélé
catholique. Le résultat de ces dispu-
tes, dans lesquelles les deux athlètes
se trouvaient souvent hors d'état de
répondre aux objections qu'ils se fai-
saient réciproquement , fut que Guil-
laume embrassa la religion catholi-
que , et que Jean se fit protestant ,
et se précipita depuis dans le purita-
nisme. Selon une autre version , le
premier ayant entrepris de traduire
eu latin les ouvrages de l'évêqueJewel,
y découvrit tant de mauvaise-foi
dans la citation des textes des Hères,
qu'il passa, de l'indignation contre
l'auteur , à une extrême défiance
pour sa religion , et qu'il embrassa
le catholicisme. C'est dans cette
disposition qu'il se rendit à Rome,
où il y fut confirmé par le cardinal
Allen, entre les mains duquel il fit
son abjuration solennelle. Quelque
temps après , ayant été nommé pro-
fesseur de théologie , puis de langue
hébraïque , à Reiras , il y fut d'un
grand secours à Grégoire Martin,
pour la version de la Bible, Rey-
nolds obtint ensuite une cure à An-
vers,où il mourut, le ^4 août i5y4)
en odeur de sainteté. 11 avait montre
beaucoup d'ardeur pour la Ligue , et
avait mèiiie écrit pour en faire l'apo-
logie. 11 est auteur des ouvrages sui-
vants : I. Réfutation (h; Gudlauinc
iyhaaker,on il justifie la découverte
des altérations faites par les héiéli-
(pics, (jue leiu- avait reprochées Gré-
goire iMarlin , Paris, i583,in-8".
II. De jusld rciimhlicii' christiauœ
in re^cs im/àos et hœrcticos aiicto-
ritule, ibid., ijijo; Anvers, i5<vi,
REY
m-Q°. m. Traité du sacrement de
l'eucharistie contre l'hérésie des Be-
rengariens , renouvelée dans un ser-
mon de Robert Bruce, Anvers ,
I SgS , in-8o. IV. Traduction latine
deV apologie du cardinal Allen j jour
les séminaires. V. Calvino-Turcis-
mus , ou Calvinisticœ perfidiœ cuni
Mahumetand collatio , et dilucida
ulriusque sectœ conjutatio. Cet ou-
vrage a été terminé par Guillaume
Gilïbrd , Auvers, 1697; Cologne,
i6o3. VI. Appel aux protestants.
II a laissé eu manuscrit une Para-
phrase du Nouveau-Testament , et
une Traduction latine des ouvrages
du docteur Harding. T — d.
REYNOLDS ( SÎr Josue ) , célèbre
peintre anglais, naquit eu 1723, à
Plymton, près Plymoufti. A peine
sorti de l'enfance , eu copiant les
gravures qu'd trouvait dans les li-
vres de sou père , il manifesta sou
goût pour l'art dans lequel il devait
s'dluitrer. A l'âge de luilt ans , il ap-
prit de lui-même les leçons de perspec-
tive du cours du collège des Jésuites ,
et exécuta, d'après les règles, une vue
de l'école de grammaire de Plymton,
que son père dirigeait. Mais ce qui
éveilla tout - à - fait en lui l'amour
de l'art, ce fut la lecture du Traité
de Richardson sur la peinture. 11 eu
fut tellement transporté, qu'il ne pen-
sait plus qu'à Raphaël , qu'il regar-
dait comme le plus grand peintre des
temps anciens et modernes. Après
avoir tenté, en divers lieuxduDcvon-
sliirc , quelques essais que l'on y voit
encore , mais dans lesquels l'œil le
plus prévenu trouverait dilficilement
le germe de ce talent qu'd développa
dans la suite, son père qui voulait lu
pousser dans cette nouvelle carrière,
le plaça, vers 17 io, sous la directiou
de Iludsou, l'artiste le plus distingué
de ccttcépoquc. Il ne tarda pas, auprès
REY
de ce maître , à se rendre habile ; mais
auboutdetroisans , s'étaot brouille
avec Hudsoii, il revint, en 1743, dans
le Devonshire , où il avoue lui-même
qu'il passa trois années , travaillant
très-peu , et ne faisant nul progrès ;
et par la suite il s'est toujours vive-
ment reproche cette perte de temps.
Cet aveu, cependant, se concilie dif-
iicilement avec les progrès remar-
quables qu'on ne peut s'empêcher
d'apercevoir dans quelques-uns des
tableaux qu'il a peints en 1746 ,
entre autres celui d'un/ewne garçon
lisant à la lueur d'un flambe au. Cette
production, qui ne laisse à désirer
qu'un peu d'adresse dans le pinceau ,
ne le cède en rien, sous la plupart des
autres l'apports, aux ouvrages les
plus parfaits qu'il ait exe'cutès • et lui-
même l'ayant revue trente ans après,
en fut frappé de surprise , et témoi-
gna le regret d'avoir fait si peu de
progrès durant un si long espace de
temps. En 1 7 49 , le capitaine, depuis
amiral , Keppel , Temmenaen Italie:
la direction que donna Reynolds à
ses e'tudes pendant trois ans de séjour
dans cette contrée, est peu connue; et
Tattenlion qu'd apporta aux chefs-
d'œuvre des anciens et des modernes,
les études profondes qu'il en fit , à
l'exception toutefois des ouvrages de
l'e'cole vénitienne, s'aperçoivent bien
plus dans ses écrits que dans sa pein-
ture. Peut-être trouverait-on, dans
quelques-uns de ses ouvrages de cette
e'poque , une certaine ituitation de
Michel-Ange et du Corrège ; mais
tout l'emploi de sa vie fut de lâcher
d'atteindre au coloris des Vénitiens.
Dans les notes qu'il a jointes au
poème de Dufresnoy sur la peinture,
il rapporte l'artilicc ingénieux dont
il se servit pendant son séjour à Ve-
nise, pour découvrir ks procédés du
clair-obscur employés par les peiu-
RÉY 445
très de cette école. Dans un autre en-
droit , il avoue qu'il fut tout étonné,
et tout honteux, la première fois qu'il
vit les ouvrages de Raphaël au Vati-
can , de s^aperçevoir qu'il n^avaiteu
jusque-là que de fausses idées du ta-
lent de ce grand peintre , et de se re-
connaître incapable uïême de goûtci
l'excellence de ses plus célèbres pro-
ductions. « Mais, dit-il , en les re-
» gardant et en les copiant sans
» relâche , en alFectant même de les
» admirer plus que je ne le faisais
» réellement, un nouveau goût et de
» nouvelles lumières commencèrent
» à se développer et à s'allumer en
» moi. Je demeurai convaincu que
» je m'étais primitivement formé une
» fausse opinion de la perfection de
» l'art ; et ayant depuis profondément
» réfléchi sur ce sujet , je crois fer-
» mement aujourd'hui , que le sen-
» timent des vraies beautés de l'art ,
» est un goût que l'on acquiert, et
» que personne ne saurait posséder
» sans une longue étude , un travail
» assidu et une attention infaliga-
» ble ». Il y a lieu de croire cepen-
dant que Reynolds n'employa pas un
temps bien considérable à copier les
chefs-d'œuvre dont il sentait enfin
tout le mérite ; car, dans im fragment
de ses écrits, il dit : « L'homme de
» génie, an lieu de perdre un temps
» précieux , comme la plupart des
» artistes vulgaires , quand ils sont à
» Rome, soit à mesurer les statues
» antiques , soit à copier les tableaux,
» se hâte de se livrer à ses propres
» inspirations , et tâche d'atteindre à
» la hauteur de ce qu'il a vu. En gé-
» néral , ajoute-t-il , je regarde l'usage
» de faire des copies comme un genre
» d'études illusoire. L'élève se con-
» tente de paraître faire quelque chose,
» etcourtainsiiedaiigerd'imitersans
» choix , et de travailler sans but
446
KEY
» déterminé. Comme cela n'exige
» aucim effort d'esprit, il s^cnrlort
» sur son ouvrage ; et cette pjiissancc
» d'invention et de composition ,
» dont le dévcloppcinciit devrait ètra
» l'objef p.aliculicr de tous ses tra-
« vaux , reste engourdie, et perd son
» énergie faute d'exercice. Ceux qui
» passent leur tempsà copier les ou-
» vragesd'autrui sonlincapables de
» rien produire d'eux-mêmes : c'est
» une observation bien connue de
» tous ceux qui s'occupent de notre
» art. » Quant à la pratique , Rey-
nolds devait y avoir fait de grands
progrès avant de visiter l'Italie ; et
l'on ne peut douter qu'en compa-
raison de beaucoup d'autres artistes
son goût ne fût extrêmement cultivé.
Quoiqu'il puisse être vrai que plu-
sieurs personnes qui visilaient les
salles du Vatican, se soimit adres-
sées aux gardiens pour les prier de
leur faire voir les tableaux de Ra-
phaël , il est difticile de croire qu'un
homme tel que Reynolds, qui proba-
blement devait avoir vu des tableaux
de ce grand peintre , ou du moins
des gravures faites d'après ses ouvra-
ges , ait pu se former une idce aussi
peu exacte et aussi erronée de ce
qu'il était allé voir à Rome. A son
retour d'Italie , il loua une vaste
maison eu INew-Port-Street ; et le
premier essai qu'il donna de son ba-
bilelé, fut une Tike de garcoji coiffé
d'unturban. Ce tableau, d'une grande
richesse de couleur , et peint dans le
style de Rembrandt , attira tellement
l'attention d'Ilndson, qu'il ne passait
pas un jour sans venir voir oii il en
était. Cependant n'y apercevant au-
cune trace de sa manière franche , il
s'écria : « Par Dieu, Reynolds, vous
» ne peigne/, plus aussi l)ien que lors-
» que vous ave/, quitté l'Anglctene. »
Un Porlrail en pied de V amiral
REY
Keppel , qu'il exécuta bientôt après ,
fixa sur lui l'admiration générale^
et il fut considéré , dès ce moment ,
comme le premier peintre de por-
traits de son temps. Certes, loisque
l'on examine jusqu'rà quel point l'art
avait dégénéré à cette époque, on ne
saurait trop louer l'artiste qui savait
unir au talent de rendre la ressem-
blance celui d'exprimer la physiono-
mie de son modèle ; à une variété iné-
puisable d'attitudes , un naturel plein
de grâces j à des fonds riches et piî-
toresques , des effets ne-jfs et frap-
pants,tirés du contraste des lumières
et des ombres , et à une couleur
brillante et harmonieuse une douceur
pleine de charme. Un tel homme,
sans doute, mérite un titre plus re-
levé que celui de simple peintre de
portraits. Il n'avait point encore at-
teint cependant la perfection que l'on
admire dans ses dernières produc-
tions. Il fut un de ces artistes privi-
légiés , dont les progrès ne s'arrêtent
qu'avec leur vie ; on lui a souvent
entendu dire qu'il n'avait jamais
commencé un tableau sans avoir l'in-
tention que ce fût son meilleur ou-
vrage; et il n'a jamais cessé de jus-
tifier cette maxime qu^il se plaisait
à répéter : « Que rien n'est impossi-
» ble à un travail bien dirigé. « Hors
cette assiduité infatigable qui frap-
pait tous les yeux , il serait difficile
de préciser par (|uelle méthode il
])arvint à ce degré de perfection au-
quel il a su atteindre. Toutefois on
pourra en déeouviir quelque trace
dans les fragments d'un écrit que
l'on a trouve dans ses papiers après
sa mort, et ({ui , sans doute, de-
vait être inséré dans un discours
académique. Il y Jiarle de ses quali-
tés et de ses défauts, ave(- une mo-
destie et une candeur bien rares.
« N'ayant pas eu , dit-il , l'avantage
REY
>) de recevoir de bonne heure une
» éducation académique , je n'ai ja-
» mais possédé cette facilité à dcssi-
» ner le nu, qu'un ai liste doit avoir.
» Ce fut lors de mon voyage en Ita-
» lie, que je m'en apeiçiis; mais il
» était trop tard. Je commençai, dès
» ce moment , à sentir mon insufii-
» sauce, d'une manière trop forte
» pour chercher même à acquérir
» cette facilité d'invention qui me
» manquait. Je me consolai cepen-
» dant, en remarquant que ces in-
» ventenrs si expédilifs étaient ordi-
» nairemeut sujets à tomber dans
» l'imperfection, et que si je ne pos-
« sédais pas leur facilité, j'éviterais
» peut-être le défaut qui l'accompa-
» gne trop souvent, une invention
» plate etvulgaire... J'avais toujours
» présente à l'esprit la crainfe de
» tomber dans ce vice; aussi me suis-
» je toujours efforcé d'éviter les atti-
» tudes et les inventions communes,
» eu. quelque genre que ce soit. » Il
ajoute, dans un autre endroit, que
le meilleur usage qu'il croyait pou-
voir faire de son argent , était d'a-
cheter des portraits de Van-Dyck ,
de Titien, de Rembraudt, afin de
former son goût sur ces excellents
modèles. Reynolds, ayant ainsi, de
bonne heure , pour parler le langage
énergique de Johnson , renversé tous
les obstacles qui s'offraient devant
lui, et laissé en arrière l'émulation
hors d'haleine, obtint ce qu'il regar-
dait comme le comble de la félirité,
la première place dans son art. Jus-
qu'à l'époque de sa mort , la vie de ce
peintre ne fut <]u'un tissu de travaux
etd'éludes continuelles. 11 rapportait
tout à la peinture ; c'était son premier
besoin et son unique plaisir, sa seule
consolation dans le chagrin et dans
la maladie. Les heures qu'il ne pou-
vait se dispenser djc donner au repos,
REY 447
il se plaisait à les passer au milieu
de ses nombreux amis. S'élant aper-
çu que son genre de profession l'em-
pêchait de se livrer à une étude ré-
gulière et de tous les jours, il avait
adopté l'usage de rassembler à sa ta-
ble les personnages les ])lus distin-
gués des trois royaumes ; et c'est
ainsi que, p'endant trente années, il
jouit de la société de ce qu'il y avait
de plus illustre dans les arts et la lit-
térature, dans la chaire et le bar-
reau, dans le parlement et dans l'ar-
mée. Lors de l'établissement de i'a-
cadémie royale de> arts , à la fonda-
tion de laquelle il avait puissamment
contribué ( i), il en fnt unanimement
nommé président. Pendant tout le
temps que duia sa présidence, il ne
cessa d'embellir, chaque aiuiée , les
expositions de l'académie, d'un grand
nombre de ses productions : plu-
sieurs morceaux d'histoire, qui en
faisaient partie , n'étaient pas dé-
pourvus de mérite ; mais ses por-
traits y tenaient toujours le pre-
mier rang. Depuis 1769 jusqu'en
1 790, ou fait monter le nombre des
ouvrages qu'il a exposés. à deux cent
quarante- quatre au moins. Quelque
temps après la fondation de l'acadé-
mie, le roi, pour donner {ilus d'im-
portance à celte nouvelle institution,
honora Reynolds du titre de cheva-
lier baronet. La tâche qu'il s'était
imposée de prononcer des discours
sur les diverses parties de la peinture,
dans les séances publiques de l'a-
cadémie , ne faisait point partie des
ilevoirs de sa charge ; mais il s'y
était soumis par zèle pour son art.
Son assiduité autravail lui permettait
(i) Dr» 17G4 ) R'Vnolds avait Torine, avec les
Sam. Juhnsnn , lîurke", Goldsmilli , Gsirick, Sterne
et antres beaux-espiiU , unesuciete qui, long-temps
;i|>res, prit, lors des obsèques de Garrick , le nom de
Clidi ùlttraire. Dès vj5q , il avait publié , sur la
peinture, trois lettres insérées dans l'IdUr , feuille
liebdomadaire rédigée pnr Joliiuun.
448
REY
à peine quelques absences momenta-
nées , pendant lesquelles il allait pas-
ser deux ou trois jours à sa campagne
de Riclimond-Hill , ou visiter les
terres de quelques lords de sa con-
naissance: mais il n'était janiais plus
heureux que quand il pouvait venir
reprendre ses travaux accoulurae's ,
et rejoindre cette société dont son
esprit avait besoin , et qu'il ne pou-
vait trouver qu''à Londres. Toutefois,
dans l'été de 1783, il résolut de
faire un examen aprofondi des pro-
ductions des plus célèbres maîtres
de l'école flamande et hollandaise.
En conséquence il fit , en Hollande
et en Flandre, un voyage , dont il
rédigea la relation, dans laquelle il
consigna les observations , pleines
d'une excellente critique , qu'il avait
faites sur les ouvrages de Rubens , de
Van-Dyck et de Rembrandt, qu'il
avait vus dans les églises et les plus
riches cabinets des Pays-Bas , ainsi
que dans la galerie de Dusscldorf.
Cette reUition, qui a été publiée après
sa mort , avec le reste de ses ouvra-
ges , est terminée par un portrait de
Rubens, tracé de main de maître.
En 1783 , lors de la suppression de
plusieurs maisons religieuses de la
Belgique, ordonnée par Tempeieur
Joseph II , il visita de nouveau la
Flandre, pour y acheter quelques ta-
bleaux de Rubens ; il profita on ou-
tre de cette circonstance pour exa-
miner et étudier d^nie manière plus
aprofondic les chefs-d'œuvre qui l'a-
vaient tant frappé à son premier
voyage. C'est dans cette même année
i-yHS , que Masson publia sa traduc-
tion du poème dcDufresnoy sur la
peintiu-e. Reynolds y avait ajouté
des Notes , dans Ic-quelles il avait
déposé le résultat de ses observa-
lions , et expliqué les règles données
par le poète. I/anuçe suivante , il fut
REY
nommé peintre ordinaire du roi, en
remplacement de Ramsay, qui venait
de mourir. 11 avait joui d'une excellen-
tesanté jusqu'en 178^2 , où il ressentit
une attaque de paralysie, qui heureu-
sement n'eut point de suite ; mais en
1789, comme il s'occupait du por-
trait de lady Beauchamp , sa vue
s'affaiblit tellement , qu'il eut peine à
terminer son ouvrage, et qu'il per-
dit entièrement l'œil gauche. Bientôt
après, sou autre œil s'affaiblit égale-
ment : il se vit forcé d'abandonner
ses travaux , et il n'eut plus d'autre
distraction que de se faiie faire la
lecture à haute voix. Vers la fin de
1791 , son esprit commença à bais-
ser; et il cessa de vivre, le ri 3 février
1 79'2 , dans sa maison de Leicester-
Fields. Ses funérailles eurent lieu
avec la plus grande pompe : la no-
blesse la plus distinguée de l'Angle-
terre y assista ; et il fut inhumé dans
l'église de Saint -Paul de Londres.
On évaluait sa fortune à plus de
soixante mille livres sterling. Comme
il rapportait tout à ses études, il
avait recueilli, dans sa maison, une
grande quantité de fragments anti-
ques , de tableaux, de dessins et de
graviu-es de tous les maîtres et de
toutes les écoles. C'était là qu'il al-
lait puiser ses inspirations. Ses ou-
vrages ont un éclat qui éblouit. Le
coloris en est la qualité la plus émi-
nente; c'est celle à laquelle il a sacrifié
toutes les antres. Quoique moins bril-
lant que Rubens et Paul Veronèse,
moins vigoureux que le Titien et
Rembrandt , moins frais et moins
vrai que Velasqnezet Van-Dyck, il a
cependant possède toutes ces diverses
qualités dans un degré assez marqué
pour se former un style qui lui est
propre et qui lui assigne un rang dis-
tingué parmi les peintres de portraits
des autrcsccolcs.clle premier parmi
REY
cens, de sa nation. Son talent, comme
peintre d'histoire, n'a rien de bien re-
HiarqtuiLle : il consiste dans une imi-
tation scrupuleuse de la natui'e;et l'on
Y sent toujours la crainte qu'il a de
s'abandonner à sou inspiration. Le
dessin, comme il l'avoue lui-même,
est la partie daus laquelle il laisse le
plus à désirer. Pour pallier ce de'-
faut , et peut-être aussi pour obtenir
des effets plus piquants, il découpe sa
composition , et distribue sa lumière
d'uue manière tranchée, afinde mieux
faire saillir ses figures. Ce défaut,
cependant, se laisse moins aperce-
vuir daus ses tableaux de chevalet ,
et surtout dans ses portraits les plus
soignes , oii le contraste des lignes,
et la distribution des masses de lu-
mière et d'ombre, sont toujours en-
tendus avec goût et intelligence. Son
exécution manque de fermeté et de
chaleur : mais l'eusemWe de ses ou-
vrages a une douceur et un charme
qui séduisent. Ses portraits sont tous
frappants de ressemblance : comme
il était peu sûr de la forme , ce n'était
qu'à force de retoucher , qu'il parve-
nait à l'alteindre. Ce défaut donne à
ses ouvrages un air de travail qui
exclut le naturel , mais qui peut-être
ajoute à l'éclat et à l'harmonie de
sa couleur. 11 chercha toujours ,
en vain , à acquérir un style gran-
diose : dans la théorie, il vantait sans
cesse Raphaël, dont- il s'éloigua sans
cesse dans la pratique; mais c'est
qu'il è'crivait d'après ses idées , et
(pi'il n'avait plus que son talent quand
il peignait. Son mérite, comme au-
teur , a beaucoup d'analogie avec
celui qu'il cit comme peintre. Les
discours académiques qu'il eut de
fréquentes occasions de prononcer ,
sont écrits d'une manière aisée et
agréable : ils renferment des vues
philosophiques et d'excellents prin
xxxvu.
REY
446
cipes j la critique en est judi-
cieuse , et les conseils qu'il don ne
sont sages et utiles : mais comme il
les composait pour la circoostance,
sans avoir suffisamment aprofondi
son sujet, ou du moins sans eu dé-
velopper assez clairement le mo-
tif , ils offrent parfois des pas-
sages obscurs ou peu intelligibles,
et qui semblent se contredire. En
résumé , si Reynolds n'est pas un
des plus grands peintres de l'Euro-
pe , il est incontestablement le pre-
mier de l'école anglaise; et, comme
écrivain théoricien, on peut le met-
tre au premier rang des artistes ob-
servateurs et philosophes (2). P — s.
REYRAG ( François - Philippe
DuLAURENS DE ) , poètc et littéra-
teur , naquit en i 734 , aa château de
Longeville en Limousin , d'une fa-
mille noble , illustrée par les ar-
mes , mais peu favorisée de la for-
tune. Disposé à la vie religieuse
par nue piété solide et par l'amour
des lettres , il entra , dès l'âge de
seize ans , dans la congrégation des
chanoines réguliers de Chancelade ,
où il fit profession et reçut les or-
dres sacrés. Il se consacra, pen-
dant quelques années , à la prédica-
tion. Une éloquence douce et per-
suasive, mi st}de pur, un goût sévère,
lui présageaient des succès, ftîais son
exces^ive timidité , et une mémoi-
re ingrate , ^élevèrent des obsta-
cles qu'il n'eut pas la force de sur-
monter. Cependant le Panégyri-
que de Saint-Louis , qu'il prononça
dans les chaires de Toulouse et de
Bordeaux, décela bientôt l'orateur
h.) La collection de s<;s Discours a «té traduite en
frauçais en 1788, in-S». , par Janseii , aiii les a re-
il"nt)cs eu xSoG , a vol. îu-R". , avec la collectiuu des
Oli^uvi'es de Keyiiolds, traduites U'a^irès l'édition
anglaise publiée par iMidone , Loudres , i8o5 , 3 vol.
iii-S<>. , coutcuautuue Notice biographique sur l'au-
teur.
29
45o
REY
clistiaj;iie , et les portes des acadé-
mies de ces dciiK grandes villes lui
furent ouvertes. I! devint successive-
ment membre de l'académie deCaen,
de la société' royale d'agriculture
d'Orléans, associé-correspondant de
l'académie des inscriptions et belles-
lettres de Paris, censeur royal, et
inspecteur-général de la librairie pour
l'Orléanais, Nommé, en i ■^65, prieur-
curé de la paroisse de Saint-Maclou
d'Orléans , les devoirs de son mi-
nistère et la culture des lettres oc-
cupèrent désormais tous ses moments.
Doué d'une ame sensible et affectueu-
se, qui se peignait sur sa physiono-
mie , et n'avant d'autre passion que
celle d^ètre utile , il sut se faire des
amis, les conserver, et offrir aux
jeunes littérateurs indulgence , con-
seils et encouragements. Il aimait la
campagne ; et ce fut toujours en se
promenant seul avec la nature , sur
les belles rives de la Loire et du
Loiret , qu'il créa ces riantes com-
positions pour lesquelles il osa em-
prunter les pinceaux de Féuélon ,
dont il avait l'aimable caractère et
l'exquise sensibiiité.Dans sa jeunesse,
l'abbé de Reyrac, en s'essayant dans
]a poésie , s'était fait illusion sur la
nature de son talent en ce genre j
il ne lui fut pas donné de s'élever au-
dessus du médiocre. Ses Poésies ,
tirées des saintes Ecritures , olFrent
souvent de l'onction, quelquefois des
traits heureux, mais jamais l'enthou-
siasme, l'énergie, le coloris , quali-
tés sans lesquelles on ne doit guère
se permr-ttre de toucher les cordes
de la lyre du roi prophète. Ce qui a
acq\iis à l'abbé de Reyrac une répu-
laliou que le temps a peu diminuée,
•i'cst le talent de revêtir notre pro-
se poétique de tous les ornc;:icnts,
de tous les charmes , dont ce genre
est susceptible, talent quia uicritc
REY
à ses écrits une place honorable après
le Télémaque, le Temple de Gnide ,
et les délicieuses compositions du
chantre pastoral de la Suisse. A l'i-
mitation de Montesquieu , il publia
d'abord son Hjmne au soleil com-
me la traduction d'un manuscrit grec
nouvellement découvert ; et l'on cijt
pu s'y tromper , grâce à la manière
heureuse dont il avait reproduit les
nobles pensées et les belles formes de
la littérature d'Athènes à sa plus
brillante époque. Dans ce poème , les
images les plus grandes , les descrip-
tions les plus majestueuses, les pein-
tures les plus variées , sont offertes
au lecteur dans un style pur et cor-
rect ; l'art si difficile des transitions
est porté à une perfection rare ; par-
tout les fleurs sont répandues sans
être prodiguées; et l'apparition d'un
ouvrage ainsi conçu dut faire ime
vive sensation dans un temps oii le
bel-esprit et les faux ornements por-
taient au bon goût de trop fréquentes
atteintes. Ou remarque les mêmes
qualités dans les productions ana-
logues de l'abbé de Reyrac, son Poè-
me de la création , et ses Poèmes
champêtres. Parmi ces opuscules ,
nous signalons la Gelée d'Avril ,
le Fermer , la Promenade, la Nuit,
le Tombeau ; mais , par-dessus tout,
les Begrets sur la mort d'un frè-
re, et le Chant funèbre sur celle de
l'abbé de Condillac , parce que ces
deux derniers écrits honorent autant
le cœurque l'esprit de leur auteur. La
liaison de Reyrac et de Condillac ,
formée dans le midi , devint plus in-
time par le séjour que te dernier fil
à sa terre de Flux, dans l'Oricanais,
où il m; urut en 1780. Ce fut j)our
remplir les intentions de son ami,
que Reyrac fit meltrc dans les minu-
tes d'un notaire de B.iugeuci ,1c ma-
nuscrit cacheté <[ue J.J. Rousseau
REY
avait confié à Condillac, pour n'être
ouvert qu'au commencement du dix-
neuvième siècle. Lorsqu'eu 1800, ou
rompit légalement l'enveloppe qui le
contenait , ou ne fut pas médiocre-
ment surpris, en découvrant que cet
écrit qui, depuis long-temps, tenait
la curiosité publique en éveil, n'était
autre que les Dialogues intitulés ,
Rousseau juge de Jean- Jacques, dé-
jà imprimés dans les OEuvres du plii-
iosophe genevois , parce que son au-
teur, y attachant une importance que
le public était loin de lui accorder ,
en avait multiplié les copies confi-
denlielles , et n'avait pas apparem-
ment assujéti tous les dépositaires au
même délai de publication. Une poi-
trine très -délicate, quelques désor-
dres dans la région du cœur^ faisaient
à i'abbé de Reyrac, quoique encore
dans la vigueur de l'âge , un besoin
du repos. Il avait entretenu , toute sa
vie, d'honorables relations avec ce
que le saint ministère et la littérature
offraient alors de personnages recom-
raandables. Quelques pensions, accor-
dées à son mérite modeste, lui pro-
curaient un devenu médiocre , mais
suffisant pour les désirs d'un sage.
Afin de vivre libre de tous soins , il
avait fait choix , à Paris , d'une ha-
bitation commode, près le Luxera-
bourg elles Chartreux. Là il se pro-
posait de jouir , au sein même de la
capitale , du spectacle de la nature,
des charmes de la solitude, des dou-
ceurs de l'amitié , et ii espérait ter-
miner une traduction ébauchée de
l'Enéide de Virgile, en prose poéti-
que : il se disposait à quitter Orléans,
lorsqu'il mourut dans cette ville, pres-
que subitement , le 22 déc- 1782.
L. P. Bérenger, alurs professeur d'élo-
quence au collège d'Orléans , a con-
sacré à la mémoire do Fabbc de
Reyrac, dans l'intimité duquel il
REY 45 1
avait vécu, un Éloge remarquable
par la douce sensibilité dont' il
est empreint, Orléans, 1783, in-
8''. , de 32 pages. Les ouvrages im-
primés de l'abbé de Reyrac sont : \.
Epîlre au comte de Fareilles ( on-
cle de l'auteur), sur le vrai bonheur
de l'homme, 1708. II. La Vertu ^
ode à ^î. leducdeMortemart, lySg.
IIJ. Lettres sur V éloquence de la
chaire, 1760. IV. Discours sur la
poésie des Hébreux , 1 760. V. Les
Charmes de la vie privée , épître à
un ami de l'académie de Bordeaux ,
Paris, i76r , in - 12. VI. Discours
prononcé dans Véglise de Pompi-
gnan, le jour de sa dédicace , sui-
vi d'une Lettre sur la bénédictien de
cette église, Vilefranche de Rouer-
gue et Paris, 1762, in-8°. VII. La
Philosophie champêlre , ode tradui-
te de l'italien . avec des Réflexions
sur la poésie et sur quelques poètes ,
Villefranche de Roucrgue, in - 8*^.
y III. Poésies tirées des saintes
Ecritures , dédiées à M'»e_ |^ ^^^_
phine , Paris (Orléans), 1770, in-
8**. IX. Hymne au Soleil, en quatre
divisions, traduit du grec, Orléans,
1777 , in- 12. Cet ouvrage en prose,
dont l'abbé de Reyrac s'avoua l'au-
teur dès l'année suivante , a été cor-
rigé par lui, augmenté de différents
morceaux de prose du même genre
et de quelques poésies fugitives , à
chacune des éditions successivement
publiées , en dilïércnts formats et
avec beaucoup de soins typographi-
ques, à Paris et à Orléans , en 1778,
1779, 1780, 1781 et 1782. En 1783,
il eu fut fait, à l'imprimerie royale,
une édition de la plus grande beauté,
devenue rare , parce qu'elle n'a été
tirée que pour quelques amis. Deux
éditions des OEuvres de Reyrac , con-
tenant seulement ses écrits en prose
poétique et quelques vers choisis ,
29..
452
REY
ont été publiées à Paris , en 1 796 et
t8oo, in-8**. L'Hymne au Soleil a
€lé traduite en plusieurs langues.
La traduction en vers latins, par
l'abbé Melivier, principal du col-
lège d'Orléans, suivie de la Traduc-
tion aussi en vers latins , de divers
morceaux de poésie française, avec
les textes en regard, mérite d'être
citée; elle a été imprimée à Or-
léans, 1778, in-8''. (i) X. Rey-
rac a inséré dans les Almanachs
des Muses de 1775 à 1783, plu-
sieurs Épîtres, Stances, Fables et
Poésies fugitives, qui ne sont pas dé-
nuées d'intérêt. XI. Enfin , en com-
posant et faisant imprimer le Ma-
jiuale clericorum , un vol. in-12,
ouvrage qui respire la plus saine
morale, il a prouvé qu'il savait con-
cilier les goûts du littérateur avec
les éludes et les devoirs du théolo-
gien. D. L. P.
REYRE (Joseph) , né à Eyguiè-
res , en Provence , Je -iîS avril 1735,
fit ses éludes au collège des Jésuites
d'Avignon , et , aussitôt après les
avoir achevées , entra dans leur so-
ciété. Dès que son noviciat fut ter-
miné, on l'envoya professer au petit
collège de Lyon. 11 passa de Là au
pensionnatd'Aix, dont il fut nommé
préfet. Résolu dose consacrer au sa-
cerdoce , il retourna sur les bancs ,
étudier la théologie , au collège d'A-
vignon , et fut ordonné prêtre, le
'28 juin 1 763. Les circonstances
avaient fait hâter son ordination
et celle de plusieurs autres de ses
confrères. Iju société des Jésuites
touchait à la fin de son existence en
France , où elle fut supprimée par
arrêt du parlement de Paris , le 0
(0 M. J.ll.v;,toi-Olf,oy, epicÙT.a fait i.npii-
mrr i' l/yiiinc nu soleil , <l /jlmiciirs niiirccaux du
niime (fcnrc ixis en vcn ( )'iai»cai» ) , Paria. iSïs ,
REY
août 1 762 ; mais elle continua d'exis-
ter dans le Gomtat. En faisant ses
vœux de profès , Reyre fît aussi celui
d'aller prêcher la foi aux idolâtres ,
si ses supérieurs le lui ordonnaient.
Un panégyrique de Sainl-Pierre d'Al-
cautara , prononcé à Carpentras , et
une Oraison funèbre du Dauphin ,
prononcée à Avignon, furent ses dé-
buts dans la carrière de la chaire.
Lors de l'occupation du Gomtat par
les armées françaises , Reyre se re-
tira au sein de sa famille , mais n'y
resta pas oi«if. 11 s'occupa de quel-
ques ouvrages , et surtout de ser-
mons : il eut bienlôt composé un
Avent et un Carême / et ce fut avec
succès qu'il prêcha successivement à
Arles, Alais, Nîmes, Moutpelier,
etc. : on l'appellail le Petit Massil-
lon. Etant venu à Paris , en 1785, il
y publia son Ecole des jeunes De-
vioiselles ; ce qui lui fit accorder une
pension par l'assemblée du clergé.
Pendant son séjour dans la capitale ,
Reyre s'établit dans la communauté
des Eudistes , et se livra au ministère
de la chaire. Distingué par l'archevê-
que, il fut chargé de jffêcher , dans
la cathédrale , le carême de 1788. Il
allait même être prédicateur du roi,
lorsque la révolution arriva. Dès les
commencements, Reyre revint à Ey-
guières : il s'y tenait tranquille ; mais
il n'en fut pas moins incarcéré sous
le régne de la Convention. Il recou-
vra sa liberté au neuf thermidor , an
ji(i794), jour de la chute de Robes-
pierre : il vint alors à Lyon, auprès
d'un neveu , et donna des soins à l'c-
ducation et à rinstruclion de sa fa-
mille. Ce fut pour ses pelits-neveux
qu'il rédigea plusieurs de ses ouvra-
ges : mais le climat de Lyon ne con-
venant plus à son âge, il alla défini-
tivement habiter Avignoii. Là, mal-
gré quelques infirmités , ellets de la
REY
vieillesse, il continua de travailler.
Outre les volumes qu'il a publie's à
cette époque, il composa. pour l'usage
d'un ecclésiastique dont les talents
n'égalaient pas le zèle, un carême
tout entier , et un cours de prônes ,
tout différents de ceux qui ont vu le
jour. Il mourut le 4 février i8iii.
Sa carricren'a pas été brillante ; mais,
ce qui vaut Lien mieux , elle a été
utile: c'était toute son ambition. Ses
nombreux ouvrages sont depuis long-
temps dans les mains de la jeunesse :
U plupart ont eu plusieurs éditions;
en voici la liste : I. IJAini des En-
fants , l'yôo, in- 12 : ce n'était alors
qu'un petit volume ; Sédition de
1777 a été revue et augmentée par
liisouard , maître de grammaire à
Dijon. Eu revoyant et augmentant
son livre, l'auteur l'intitula le Men-
tor de <: Enfants, ou Recueil d'ins-
tructions , de traits d'histoire et de
fables nouvelles , propres à former
l'esprit et le cœw des enfants ,
1 786 , in- 1 '2 : la quatorzième édition
est de i8'2i. II. Oraison funèbre
du Dauphin, Avignon, I7ti6, ou-
vrage non mentionné dans la Bibl.
hist. de la France. III. 1/ Ecole des
jeunes demoiselles, ou Lettresd'une
Mère vertueuse à sa fille , avec le^
réponses de lajdlc à sa mère, 1 78G,
2 vol. in-1'2 ] la sixième édition est
de \.'6i'6.\N .Aiiecdotes chrétiennes
ou llecueil de traits d'Histoire
choisis, 1801 ,in->'2. La troisième
édition ( en deux volumes ) a paru
en 1810; la cirjqiùcmc;, en 1819.
Quelques-unes de ces anecdotes étaient
inédites : les autres sont tirées des
sources les ]ilus authentiques. V. Le
Fabuliste des Enfants et des Ado-
lescents , i8o3 , in-i 2 , en quatre li-
vres ; i8o5 , en cinq livres : la qua-
trième édition est de 1812, et en
bcpt livres. G.' n'est pas une compi-
REY 453
lation de fables de divers auteurs ;
toutes les fables sont de Reyre , qui
n'avait pas la prétention d'être poète,
mais qui voulait donner des leçons
profitables : il atteignit son but. Trop
souvent le conteur immole la morale
aux grâces ; Reyre a quelquefois né-
gligé les grâces pour la morale. Mais
si son style n'est pas toujours élé-
gant, il est toujours pur, correct,
facile , clair et naturel. L'auteur
avait inséré plusieurs de ses apo-
logues dans son Ami ou Mentor des
Enfants ; et Bérengcr en avait rais
quelques-unes dans son Fablier de
la Jeunesse et de l'dge mur, publié
en ! 8u I . VL Bibliothèque poétique
de la Jeunesse ou Recueil de Pièces
et de morceaux de poésie , i8o5 , "x
vol. in- 12. VII. Prônes nouveaux
en forme d' Homélies ou Explication
courte et familière de V Evangile, de
tous les dimanches de Vannée, pour
servir à l'instruction du peuple
des villes et des campagnes , 1 809,
2 vol. in-12; la troisième édition
est de i8i2. Ces Prônes ont été tra-
duits en italien. VIII. Petit Carême
en forme d'Homélies , 1809, 2 vol.
in-12. IX. Supplément aux Prônes
nouveaux , et au Petit Carême en
forme d'Homélies , ou Instructions
courtes et familières sur les princi-
pales fêtes de l'année, 1 8 1 1 , in- 1 2.
Ces trois derniers ouvrages ont été'
réunis et réimprimés sous le titre
à' Année pastorale, i8i3,5vol. in-
12. X. Méditations évangéliques
pour tous les jours de l'année , 1 8 1 3,
3 vol. iu-12; ouvrage posthume, en
tête duquel est une Notice sur la Fie
et les Ouvrages de l'auteur. Son
Panégyrique de saint Pierre d'Al-
canlara, les Sermons qu'il prccba
luiraêrae , ceux qu'il composa pour
lui ami , les petits traités d'histoire,
de grammaire , de géographie , qu'il
454
REY
avait rédigés pour ses petits-neveux ,
n'ont point e'té imprimes. Peu de
temps avant sa mort, il avait com-
mence' un second Recueil de Prônes ;
il n'enavait écrit que quarante pages,
quand il' cessa de vivre. A. B — t.
REZZONICO( Antoine- Joseph,
comte DE LA Tour ) , savant littéra-
teur, naquit à Corne, en 1709, d'une
famille patricienne, féconde en liom-
mes de mérite, et qui s'honore d'avoir
donné un pape à l'Église ( Clément
XI fl ). Après avoir terminé ses élu-
des avec succès , il embrassa l'état
militaire , et servit avec distinction
en Espagne et en Italie. 11 conserva
le goût des lettres au milieu des
camps , et mit à profit ses voyages ,
en visitant les bililiotlièques , et re-
cueillant des matériaux pour une
nouvelle édition de Y Histoire natu-
reZZede Pline. Ses services militaires
furent récompensés par la croix de
Tordre de Saint-Jacques , et par le
grade de brigadier des armées du
roi d'Espagne. A son retour en Ita-
lie , il fut nommé chambellan du duc
de Parme. Il n'avait pas cessé d'em-
ployer tous ses loisirs à la culture
des lettres , et il s'était déjà fait con-
naître par quelques productions , qui
lui ouvrirent les portes des acadé-
mies et des sociétés littéraires. La
publication de ses recherches sur
Pline , l'occupa le reste de sa vie ;
mais , avant d'avoir terminé cet im-
portant ouvrage , il mourut , le 16
mars 178;) , dans la citadelle d(' Par-
me , dont il était gouverneur depuis
vingt ans. On cite de cet écrivain :
I. JJe supposililiis militarihus ilijien-
iliis Uenedicti Odescalchi , <jid pon-
iijex maximus y anno 1G76 , Innn-
ceniii A I prœnomine fuit anmincia-
<j/5 , Côme , i7/i'2, in fol. de i3'i
pag. Dans celte Dissertation, il s'at-
tache principalement à démontrer
REZ
la fausseté des anecdotes rapportées
par plusieurs historiens sur la jeu-
nesse d'Innocent xi , et à venger ce
pontife de leurs calomnies ( V. In-
nocent xï , tom. XXI , 241 ). II.
Ludovico adamato, Galliar. etD/a-
varr. rei^i christianissimo , oh Mino-
rem forlissimamqiie Balearinm à
Gallis expugnatam musarum epi-
nicia , etc. , Parme , 1757 , in - 4**-
C'est un Recueil de vers relatifs à la
prise de Minorque ( F'of. L.-F.
Armand de Richelieu ) , avec
des notes historiques sur cette île,
depuis les Romains. III. Disquisi-
iioiies Plinianœ , in qidhusde utrius-
que Plirùi patrid , scriptis, codici-
hus , editionibus alquc interprelibus
agitur , ibid. , 1763 G7 , 2 vol in-
fol. Les quatre premiers livres con-
tiennent des recherches sur la fa-
mille Fliiiia, établie à Come, ainsi
que le prouvent les monuments et les
inscriptions qu'on y a découverts
( P^. Pline, xxxv, G7); et les mo-
tifs qui doivent faire penser que cet-
te ville fut le berceau de ce célèbre
naturaliste. Le cinquième livre ren-
ferme la vie détaillée de Pline, d'a-
près les documents les plus authen-
tiques ; le sixième , le plan et l'a-
brégé de son Histoire naturelle ; le
septième, la réfutation des critiques
qu'Aulu-Gelle , et divers savants, de-
puis , ont faites de cet ouvrage; le
huitième . la Lettre de Pline à Titus ,
servant d'introduction à l'Histoire
naturelle, corrigée d^'après plus de
vingt-cinq manuscrits, avec une Ver-
sion italienne, en regard, et des no-
tes; le neuvième, des corrections et
des variantes, tirées de manuscrits
incoliuus au P. Hardouin , ou qu'il
n'avait pas jiu consulter, des biblio-
thèques de Milan , de Rome, de Na-
j)les , de Turin, de Lucques, de Ma-
drid , del'Escurial et dcTolètle. Enfin
REZ
les deux derniers livres coiilieunenl la
Notice de tous les manuscrits connus
de l'Histoire naturelle , avec le Cata-
logue clironologiquc des éditions et
des traductions qui en ont ëte' pu-
bliées dans les langues modernes.
L'ouvrage est termine par une Let-
tre deilezzonico au P. Jacquier, sur
le fameux obélisque qu'Auguste fit
élever à Rome, dans le Champ -de-
Mars , pour servir de gnomon ( V.
Manilius , XXVI, 49^)- C'est un
trésor d'érudition et un modèle de
bonne critique ; et il sulîit pour as-
surer à son auteur une place distin-
guée parmi les savants du dix - hui-
tième siècle. IV. Discoisi accade-
mici , Parme, 1772 , 2 vol. in - 8°.
C'est le Recueil des morceaux que
l'auteur avait lus dans les différentes
socie'ies littéraires dont il e'tait mem-
bre. V. Fersi sciolti, Parme , 1774»
in- 4". , contenant quinze Sonnets ,
sc[)l Odes anacre'ontiques et quatre
petits Poèmes en vers blancs: l'un sur
les progrès de l'art draînatiquc en Ita-
lie ( il y promet à sa patrie des Cor-
neille , des Racine et des Molière ) ;
le second est consacre à la me'moire
du savant P. Leseur ( F^. ce nom ) ;
le troisième est une traduction du
Vcnseroso de Milton ; et le quatriè-
me a ])Our objet l'astronomie. Rezzo-
nico fut agrège, en 1773, à i'acadë-
mie de Berlin, par Frédéric, qui lui
cciivit, à ce sujet, une lettre , insère'c
dans les journaux, W — s.
RHABAN ou HRABAN MAUR.
Voy. Raiîan.
RllADAMÉADIS régnait dans
le Bosphore Cimmc'rien , au com-
mcnccmcut du quatrième siècle de
notre ère. Son origine nous est in-
connue; mais il eslprobablequ'il ap-
partenait à la rac*; de ces rois barba-
res , tels qu'lninlhiineyus, Arèan.sès,
Tirancs et ïholhorsès , que les mc-
RHA 455
dailles seules nous font connaître , et
qui partageaient, à ce qu il paraît,
le Bosphore avec la dynastie des Sau-
romates et des Rhescuporis. L'exis-
tence de Rhadamèadis nous a été
récemment révélée par quelques me'-
dailles d'un travail fort barbare , qui
ont été observées pour la première
fois par M. le colonel Stcmpkovsky
( I ). Ces monuments sont si mal exé-
cutés et si mal conservés , que c'est
par la réunion seule de plusieurs mé-
dailles,qu'on a pu seprocurer lalégcn-
de entière,B A2I AEY2 PAAAMEA/iI2.
La lecture n'en est pas moins cer-
taine : M. Kohier, qui en conteste
l'exactitude, prétend que ce prince
devait s'appeler Rhadamsès ; ce se--
rait-là une bien légère différence , si
iéellement elle était fondée: mais il
est à présumer qu'elle a été produite
par des médailles mal conservées, oii
la légende tronquée ne présente que
les lettres PAAAM , suivies d'un E
qu'on peut également prendre pour
un 2 à cause de la forme lunaire qu'à
cette époque on donnait à ces deux
lettres. Ce n'est pas là une raison
suffisanle pour regarder comme ima-
ginaire la découverte de ce nouveau
roi du Bosphore (2). Les médail-
(i) Ce savant a publié une Notice sur ce sujet,
donucf 'ip,al et insi-rre aussi dausies ^iitli/iulésgrec-
i/iies du Uoiphore Cimmérien , par M. Raoul-Ro-
cliclle, |i. ?.i()-235.
[9.)Remaiqiies sur un ouvrage intilulé les AntiqtU-
tis grec^ufs du Bosphore Cimmérien , Pclersbourg ,
187,3 , p. 5 1 1 108. M. Kœ'iiler avait déjà public , en
187.1 , à S. Pcler.'bourg , une brochure iu 8". , in-
titulée Médailles greci/ues , U la lin de laquelle ou
trouve uii paragraphe qui, sous celte désignation ,
D'un loi iiirunnu du Bosphore Cimmérien, traite
«les médai.'hs du roi Rhadamèadis. L'auteur cun-
tistu la découvii te faite par M. Steinpkovsky , et
chcrilie à la revendiquer , en essayant de prou-
ver que les uionumenls de ce prime appartiennent
à un roi nommé réellcncnt Rhadamsès. Les rai-
sons qu'il allègue sont assex peu concluantes, sur»
tout si l'on fait atlentnm que le er.tique néglige de
parler de la lu.iiallle sur laquelle M. Sl( uipkovsky
a lu distinelenient l.i iiu du nom de Rhadamèadis :
si cette médaille avait été mal lue ou mal décrite ,
on n'aurait sans doute pas uiauqué d'en taire la re-
marque. Comme elle devait former le polut esseu-
456 RHA
les connues de Rhadameadis por-
tent les dates de l'an 607 et de
l'an 6 1 5 , de l'ère du Pont usitée
dans le Bosphore, qui re'pondent aux
années 3 1 1 et 3 19 de J.-C. Ce prince
e'tait donc contemporain de Constan-
tin , et son règne fut au moins de
neuf années. Les médailles font voir
que, vers la même époque, il régnait
encore dans le Bosphore un prince
nommé Rhescuporis ; c'était le sixiè-
me de ce nom. La plus ancienne mon-
naie de ce dernier est de l'an 61 3 de
l'ère pontique ( 3! 7 de J.-C. ) : elle
a étépubliéepir M. Sestinl (3), quia
été suivi parVisconli (4). M. Stemp-
kovsky , qui la croit mal lue (5) ,
pense qu'on doit l'attribuer à Rha-
dame'adis • d'où il résulterait que ces
deux princes n'auraient pas régné en
même temps, mais que Rhescuporis
Vlauraitété le successeur deRhada-
méadis. Quand même il en aurait été
de cetîeracdaille comme le pensait M.
Stempkovsky , son système n'en se-
rait pas , au fond , plus admissible ;
car Sestini (6) fait mention d'un
monument du même prince, daté de
l'an 610 (3i4 de J.-C.) Rien ne
s'oppose donc à ce qu'il puisse en
exister de l'an 61 3 : nous avons vu ,
en elTct, la médaille regardée comme
mal li:c ; elle se trouve dans la col-
lection de M. Allier de Hauîcrochc:
elle est léellcmcnt de R'iescuporis
VI, et de l'an 61 3. 11 est donc bien
constant que les deux princes ont été
contemporains : seulement il paraît
que Rhadameadis régnait un peu
avant Rhescuporis. S. M — n.
licl dans cette dincusiioii, il rêMiUe de ce silence
qu'on ne peut rcfu/ier d'admettic dans la liste des
r<ii.i du Hoipliurc Cimuicrien , uu prince iiuiumé
1\ba<Suméailis.
(3) Lrlti re nunUsniatiche , t. 1, p. /|/|. — (4) C'IaS-
tM gcn/;n?fl,t, J,p. 34.
(4) /<■"«"(,■'■. (jrecf/. , t. JF, p. 175.
(5) /iiiiù/. grecif. du Do'pli, Cimmèr.\f. aSS.
(G) Clasict scn<-rn<«, p, i^'j, HoTi-nce, iR»i.
RHE
RHADAMISTE. F. Pharasma-
r«E, XXXIV, 7.
RHASISouRHASÈS(Abubeter).
r. razt.
RHEEDE ( Henri-Adrien Draa-
RENSTEiN Van), Hollandais, d'une
naissance illustre , s'est rendu cé-
lèbre moins par le zèle et l'habi-
Iclé avec lesquels il remplit les pre-
miers emplois civils et militaires
dans les établissements de sa patrie
aux Indes , que par le soin qu^il a
pris de faire connaître les plantes
les plus remarquables de cette con-
trée , dans un des plus magniû-
ques ouvrages qui eût encore paru ,
VJ/ortus Malaharicus , douze volu-
mes in-folio , publiés de 1678 à
1703, avec 7<)4 plancbes. Malgré
tant de titres à l'illustration, l'on ne
connaît de sa vie privée que le peu
qui se trouve disséminé dans sou
ouvrage : ainsi l'on ignore les dates
de sa naissance et de sa mort , et le
lieu précis de sa naissance ; on peut
conjecturer seulement qu'il était de
la province d'Utrccht. Dès l'âge de
quatorze ans , il quitta la maison pa-
ternelle pour s'embarquer , et com-
mencer sa carière politique, en sorte
qu'il fui à portée de parcourir tous
les établissements hollandais dans
les deux Mondes. S'il n'eut pas le
temps de recevoir l'éducation que
demandait sa naissance , il y suppléa
par son esprit naturel , qui le portait
à observer, avec soin , tous les objets
qui le frappaient. S'élevant de grade
en grade , il devint gouverifeur-génc-
ral de la côte du Malabar. Ce fut
avec beaucoup d'activité qu'il remplit
celle ])lace éminenlc, eu sorte qu'il
parcourut , à différentes reprises ,
tous les districts qui dépendaient de
son commandement. Il ne put tra-
verser saus admiration ces campa-
gnes SI varices par Icur;^ ]n"oduc-
RHE
lions naUirelles : ici des plaines im-
menses , dont le sol aride et bi ùle
était cependant couvert d'nne abon-
dante vpije'tation ; I.^ des forets si
diversifiées ipie, dans leur vasle e'ton-
due , on y rencontrait avec peine
deux, fois le même arlire ; de plus , ils
se trouvaient liés entre enx par des
lianes dont on ne pouvait demcler les
deux extrémités: d'autres foissur un
seul tronc d'arbre, ou trouvait cin-
quante parasites, qui le couronnaient
d'une verdure étrangère sans nuire
à sa végétation. Il entreprit de com-
muniquer à sa patrie quelques-unes
des sensations qu'il avait éprou-
vées à cet aspect , et de faire con-
naître ces magnifiques végétations ;
à cet effet , il employa tout le crédit
que lui donnait sa place pour asso-
cier à son entreprise tous ceux qu'il
crut propres à y concourir : il devint
donc un point de réunion pour les
éléments les plus liétérogèucs en appa-
rence ; tous les préjugés se turent de-
vant lui : d'aboi'd ayant appris qv.'un
respectable missionnaire catholi{ue,
le père Matthieu de Saint- Joseph ,
carme déchaussé de N.-îpIes , avait
des connaissances très -étendues sur
les plantes , il mit tout en usage pour
le déterminer à quitter <ia velraitc
et avenir s'établir à Cochin. lieu
de sa résidence. Quoique sexagénaire,
le bon religieux se rendit à ses sol-
licitations , vers 1673. Cet homme
vénérable était passé on Orient , vers
1644 7 et avait remj)li avec zèle
tous les devoirs de sa profession dans
une grande partie de l'Inde : il avait
recueilli avec soin , dans le seul in-
térêt de l'humanité , tous les remè-
des qu'il avait vn employer nvec.
quelque succès; et , dans ses heures
de loisir, il s'occupait à dessiner les
plantes dont ils étaient composés.
Van-Rhccde ne lui demanda pas au-
RHE 437
ire chose que de mettre plus de suite
dans ses travaux. Le P. Matthieu
se prêta de son mieux à ses vues.
Pour ailler sa mémoire, il avait con-
servé des feuilles et des fleura des
plantes les pins remarqualiles : aidé
parce faible secours , son imagina-
tion reformait l'ensemble du végé-
tal , que sa main retraçait avec assez
de vérité ponr le faire reconnaître ;
mais on sent bien que les détails de-
vaient manquer: de plus, comme il ne
se servait que de la plume pour exécu-
ter ses dessins, il pouvait ilii'licile-
menten faire ressortir le relief par les
ombres. Van Rheede sentit, [tar lui-
même, que ce travail n'atteignait
pas son but. 11 en était de même des
dissertations qui accompagnaient les
figures ; elles consistaient presque
uniquement dans l'cnuméralion des
vertus qu'on allribuaità chaque plan-
te: il fut confirmé dans cette opinion
par le célèbre Paul Herman-, qi/i , lors
de son retour en Europe après son
voyage à Ceylan , séjourna quelque
temps à Cochin. Le bon religieux,
avec toute la modestie de son cloî-
tre , convint lui-môme que son talent
était au-dessous de la tâche qu'on
lui avait donnée, et s'empressa de re-
tourner à ses traA'anxapostoli(jiies. Ou
peut prendre uric idée de la manière
de dessiner du père Matthieu, dans
l'histoire des plantes rans de Zanoni,
publiée en 1675. VanKheedo lei'cm-
plaça par un jeune ministre protes-
rant, établi à Cochin , nommé Casea-
rius : ce dernier était initié dans ton-
tes les sciences , excepté justement la
botanique: mais Rhecde lui inspira
son zèle , et , après quelques essais ,
Casearius finit par faire des descrip-
tions aussi complètes que celles qui
étaient usitées à cette époque ( i ) Il fal-
(«) f^Ojr. l'arf CASEAKII'S, VII. ■xGG.
458 RHE
lait des dessinateurs: Rhcedc les trou-
va parmi les naturels; accoutumes de
temps immémorial à copier fidèle-
ment la nature, il ne fallut que les gui-
der pour en créer des peintres habi-
les. On interrogea aussi les médecins
les plus instruits: dom IManuel Gar-
neiro, interprète du gouvernement,
traduisait dans ïa propre langue ( le
portugais), ce que ces Indous lui dic-
taient en malsibare; et le secrélaire
du gouvernement, Cli rétien -Dornep,.
le retraduisait en latin. C'est par ces
différentes filières que passèrent les
connaissances recueillies par Rlieedc
sur les plantes de l'Inde. Il était
î'ame de cette réunion ; mais il ne se
contentait pas des ressources qu'il
avait autour de lui : il s'en ména-
geait au loin par les correspondances
qu'il entretenait avec les princes al-
liés de la compagnie des Indes j il
faisait rechercher les plantes les
plus rares; on lui en envoyait de
soixante lieues , dans toute leur fraî-
cheur , grâce à la rapidité des cour-
riers. Lui- même ^ durant les voya-
ges qu'il entreprenait pour son ad-
ministration, se faisant accompagner
par toute la socictéqu'il avait formée,
s'occupait d'acquérir de nouveaux
matériaux : pendant les haltes, il en-
gageait les Indiens qui l'accompa-
gnaient , à se répandre aux envi-
rons pour y recueillir des plantes;
il excitait leur zèle par des prix ac-
cordés à ceux qui rapportaient les
plus curieuses ; et ils étaient telle-
ment animés , que souvent ils ras-
semblaient , en une journée , plus
d'objets qu'on ne pouvait en dessiner
et décrire dans un mois. Dès qu'il
cul mis eu ordre les matériaux qui
pouvaient compléter un volume , il
les (it passer en Europe pour les pu-
h\ky. Arnold Sycn et Jean Com-
mcliu , les plus habiles botanistes
RHE
qu'il y eût alors en Hollande, se char-
gèrent de surveiller l'impression, et
d'y ajouter des Notes ; le premier
volume parut en 1678 , sous ce titre:
Ilortus Indicus Malabaricus , etc.
( Jardin du Malabar, contenant les
plantes les plus célèbres du royaume
de Malabar, avec les noms mala-
bares, arabes et brames.) Il est dédié,
au nom de Rheede et de Casearius ,
à Jean Matsuykcr, gouverneur-géné-
ral de l'Inde ; ainsi !c luxe de la
végétation indienne se préseuta, pour
la première fois , aux yeux de l'Eu-
rope : la scène s'ouvre par le coco-
tier. Le format in-folio parut trop
étroit pour le représenter : on em-
ploya des planches d'une dimension
double, qui sont pliées ; et quatre
feuilles de même format suffisent à
peine pour développer les parties de
ce palmier : le volume contient 67
planches consacrées à d'autres ar-
bres aussi curieux, mais moins cou-
nus. Rhecdc fit passer promptement
les matériaux d'un second volume.
C'était encore Casearius qui l'avait
rédigé ; mais il venait de mourir à la
fleur de l'âge. Le volume Contient des
arbustes, la plupart ayant des fleurs
remarquables par leurs couleurs ou
leurs parfums : ils sont décrits et fi-
gurés dans cinquante - six planches.
Rheede apporta lui-même le troi-
sième volume en Europe : il avait
remplacé Casearius ])ar le secrétaire
Dornep ; mais oblige de quitter Co-
chinpour venir à Batavia , il y trou-
va le docteur Ten Rliyne. C'était uu
très-habile médecin , qui revenait du
Japon , où il avait été envoyé par la
compagnie des Indes , pour y traiter
l'empereur d'une maladie que les
médecins du jiays avaient jiigée incu-
rable. (/^. Ru Y NE.) 11 eut part à la ré-
daction de ce voliune, et du reste de
l'ouvrage. Rhcedc enfit faire une co-
RHE
pie coraplèle pour remplacer, en cas
de naufrage, l'original qu'il emportait
avec lui , lorsque des affaires subites
le forcèrent de revenir en Hollande.
II dédia ce volume , qui parut en
i689>, à ini des nababs allies de la
compagnie des Indes , qu'il nomme
Noitviïle Virola , et dont la famille
posse'dait, depuis deux mille ans , la
souveraineté. C'est dans l'avertisse-
ment mis en tète de ce volume, que
Rhecde rend compte des moyens qu'il
a employés pour composer son ouvra-
ge: il parle surtout des secours qu'il
a tirés des médecins malabares : il en
nomme, entreautres, quatre qui l'ont
cidé plus spécialement : Itti Aclnm-
dem , Rangaubetto,Vinaiquc et Jnppu
Botto de la caste des Brames. Ils s'en
occupèrent de iHn3 à 1674- Mais
il en rassemblait un plus grand nom-
bre, quand il en trouvait l'occasion :
il dit qu'il en a vu jusqu'à quinze
réunis , discutant gravement sur le
nom ou les propriétés d'une plante.
Suivant son plan , ce volume de-
vait être le second ; car il continue
l'énuciération des arbres commen-
cée dans le premier : il débute
par le gigantesque Todda Paria , qui
met cinquante ans pour acquérir
toutes ses dimensions, fleurit pour
la première et dernière fois , et
reste accablé sous son immense fruc-
tification : douze planches suffi-
sent à peine pour offrir toutes les
particularités de ce superbe pal-
mier : dans celle qui le représente
en son entier, des personnages ré-
pandus autour servent d'échelle
pour donner une juste idée de son
élévation : dans une autre on voit
une douzaine d'Indiens abrités par
une seule de ses feuilles ; d'autres ar-
bres aussi étonnants l'accompagnent
comme le ia(piicr , dont les fruits dé-
passant souvent le poids de soixante
RliE
459
livres , sont suspendus tout le long
du tronc. On y reconnait les figuiers
mentionnés déjà par Pline . formant
à eux seuls des forets , et servant
d'asile aux gymnosophistes. Le doc-
teur Jean Muuichs avait remplacé
Arnold Syen , pour la rédaction de
l'ouvrage. On voit que Van Rheede
éprouvait des difficultés pour sa pu-
blication : ses libraires ne se sentant
pas en état de l'entreprendre, il était
obligé d'y subvenir ; et, malgré les
grandes places qu'il avait occupées ,
il avait peine à y suffire. Dans le
quatrième, sont réunis les fruits les
plus exquis de l'Inde , les manguiers,
les limons, le litschi , représentés sur
60 planches. Dans le cinquième , qui
paruten i685, se trouveut des arbus-
tes dont la plupart n'étaient pas en-
core connus de nom en Europe^, quoi-
que quelques-uns fournissaient de-
puis long-temps , au commerce, des
drogues précieuses : soixante plan-
ches. Le sixième, dont la rédac-
tion , abandonnée par Munichs , fut
confiée à Th. Janson Almeloven ,
contient les arbres légumiueux, com-
me lescancficicrs,lesaoacias,lesbau-
hines, des malvacées arborescentes:
il parut , en 1686 , et contient
soixante-une figures. A partir au
septième, la rédaction appartient à
Abra'nam Pott , qui la continua jus-
qu'au dernier volume. Il parut, eu
1687 : ce volume comprend ces lia-
nes gigantesques qui caractérisent la
végétation des tropiques ; parmi les
plus utiles se trouvent les poivriers ,
le bétel, les salsepareilles : d'autres,
comme le meîhonica, sont des plus
magnifiques. Le huitième volume,
publié en 1688, commence les plan-
tes herbacées ; ce sont les espèces po-
mifèrcs et grimpantes : elles semblent
nous ramener en Europe , car on
y trouve les cucurbitacces , diffc-
AGo
RHE
rentes espèces de haricots ; mais
ce n'est que le pins ptMif nomluc
que nous avons pu nous procurer
avec beaucoup de peine dans nos
jardins, tandis qu'on s'aperçoit, au
grand nombre de leurs espèces, et au
luxede leur vc'f^ctation, qu'elles sont là
dans leur pays natal. Le neuvième
contient l'èniimeration des herbes*
il parut en 1G89 • c{"eJq'ies-unes sont
encore tellement gigantesques,qu'ellcs
sont à l'etroitdans le double in-foiio.
Telleest une apocynèe qui représente
un vaste candélabre , ce que Linné a
cxpiime par le nom de Ceropee,ia ,
qu'il a donne' au genre qui la com-
prend : quant aux autres , ce for-
mat devient graduellement mieux
proportionne aux objets qui doivent
s'y présenter; mais, comme ils de-
viennent de plus en plus petits, il
finiraient par être perdus dans l'es-
pace. Il scmWe que les dessinateurs
aient voulu obvier à cet inconvénient,
en renforçant de plus en plus les
proportions à mesure que les plantes
diminuaient; ce qui lesdënature. G^Ia
irest pas encore bien sensible dans
ce volume; car le plus grand nom-
bre est étranger à nos climats ; telles
sont les scnsitives, et autres lëgumi-
ufuscs singulières , qui sont repré-
sentées en soixante -sept planches.
Mais c'est dans le dixième, publie en
1 G90 , que l'on voit ])araî(rc un assez
grand nombre de plantes dont Je port
ne nous est plus étranger; on y
reconnaît les groupes ou familles
les plus communes dans nos clijnats,
comme les labiées, les composées.
Le onzième nousramcnedanslespays
cquatoriaux, en débutant par l'a-
nanas; niais Rhecde ne donne pas
hs moyens de décider la question
tic son pays natal. Suivent lés j)lan-
tes de la famille des amomccs , les
aroïdcs : pnr les pl.inle.s uquati-
RHE
ques, on revient à des formes connues,
comme les re'miphars ; quelquesplan-
les paraissent identiques comme l'a-
conis des peuples septentrionaux;
mais, jiar les liserons, on revient au
luxe asiatique. Enfin, ledouzième vo-
lume termine ce superbe ouvrage :
il continue la description désherbes ;
là se trouvent ces parasites singu-
lières , telles que plusieurs orchidées
de là nommées épidendres,qui n'ap-
partiennent qu'aux tropiques ;des fou-
gères et des graminées. Linné et
Haller placent la date de ce volume
à lOfjS; Seguicr , Banks, etc., la
placent en l'joS. Cet ouvrage, dans
ses 19. volumes, a i5i2pag. et 794 fi-
gures, représentant à-peu-près un pa-
reil nombre de ]ilantes ; car si plu-
sieurs figures ,daus les premiersvolu-
mes,appartiennent aune seule plante,
dans les derniers ilsetrouve plusieurs
plantes sur la même })lanche. Si l'on
compare l'ordre dans lequel il est
rédigé avec les méthodes auxquelles
nous sommes accoutumés, on pour-
ra le jfiger fort imparfait ; mais si
nous faisons attention au temps oTi
il a élé conçu, nous trouverons que
Rl'icede a montré i)eaucoup de saga-
cité dcins la manière cloni.il a déta-
ché les groupes qui composent cha-
que volume : il ])aiaît qiie c'est à
lui seul qu'on le doit, car formant
successiveuîcnt ceux qu'il employait,
il ne pouvait recevoir d'eux que les
détails du plan qu'il avait conçu ; et
c'est au milieu de ses courses qu'il
l'avait saisi dans la nature. Ce qui
distingue Van Bheede, c'est qu'ayant
de grands moyens en puissance et en
richesses , il n'en abutait pas pour
tourner à son seul avantage les lia-
vaux qu'il faisait exécuter : il ne
cherchail([uedcscollaboialeurs,avec
lesquels il s'empressait de partager
toute la gloire qui ]»ouvait provenir
RHE
du plus beau travail qu'on eût encore
publie (2) : car il fit connaître à l'Eu-
rope plus de plantes que les anciens
n'en avaient décrit ; il re'véla les
sources d'où le commerce tirait, de
temps immémorial , les aromates et
les drogues les plus précieuses : non-
sciilement il nommait honorable-
ment tous ceux qu'il avait enga^ijes
à venir le seconder, et qu'il avait,
pour ainsi dire , cree's botanistes ;
il s'empressait de payer, de plus,
à leur rae'moire le tribut de ses élo-
ges. Jusqu'au dixième volume , il
parle en son nom dans des préfaces
ou des épîtres dédicatoires adressées
à ses collaborateurs : dans le onziè-
me, il ne paraît plus que sur le
titre ; mais cians ledouzièuîe, la for-
mule Pùb menioriœ , qui précède son
nom, indique qu'il u'exisiait plus. Ou
ignore l'année et le lieu de sa mort ;
on sait seulement qu'il élait retour-
né dans l'Inde. Aux douze volumes
de VHortùs Indiens Mnlaharicus ,
on ajoute le Flora Itîalabnrica
( F". Gasp. CoMMELiN ) , dont l'a-
vertissement fait voir qucRliecde vi-
vait encore en 1690; mais il ne vi-
vait plus en 1703, année où l'on a
mis de nouveaux litres aux derniers
volumes de Vllortiis Indiens. Ce
grand ouvrage , dont le dessin et
le texte avaient été achevés en moins
de deux années , se publia en quinze
ans , et passa dans les mains de plu-
sieurs libraires. La version hollan-
daise, commencée, en 1689, P^t
Abraham Pott, n'alla que jusqu'aux
deux premiers volumes j et l'in-
fatigable J. Hill , qui donna, en
1774, le !'='■. volume d'une Traduc-
tion anglaise , n'alla pas plus loin ,
(juoiquc , pour diminuer les frais de
(») Celui d'Hciuandès était en grande partie iuw-
dit ( /'. Reocui , i>ag, ai/, ti-Jwsus ).
EHE 46i
gravure , il l'eût réduit a,, format
in-40. Plumier a consacré à ce bo-
taniste un genre formé d'un arbre
de la famille des GuLtifères , et qu'il
nomma Van-Pihecdia, iiom que Linné
changea en Rlieedia. D — p s,
RHEITA (Le P. Antoine- Marie
ScHYRLE DE ), capucin , né dans la
Bohème, vers la lin du seizième siè-
cle, se fit une réputation assez éten-
due, comme théologien et comme
prédicateur. L'aj'chevêque de Trêves
l'honora du titre de son confesseur ,
et l'employa dansdillérentcs affaires'
où le P. Rbeita se con-lnisit avec
beaucoup de prudence et d'habileté.
Son goût le portait xv.rs l'étude des
mathématiques et de l'astronomie; et
il y consacrait tous ses loisirs, ll'se
trouvait à Cologne eu iG/i'i et i643-
et Weidlcr nous apprend que, dans
les observations astronomiques qu'il
y fit, il crut voir cinq nouveaux sa-
tellites de Jupiter, etc. (i); décou-
verte dont il s'empressa de faire hom-
mage au pape Urbain Vlll, en leur
donnant le nom d'aslresurbanocta-
viens {y oy. Foiitenelle , Eloge de
Cassini ) : mais on reconnut bientôt
que c'étaient des étoiles du Verseau
( Voy. Bist. astrojiom., pag. 475).
Il fut appelé à Rome parle siipérieur-
général de son ordre , s'établit en Ita-
lie, et mourut, en 1660 ^ à Ravenue
à l'âge de soixante - trois ans. Il est
surtoutrecommandablccommeayant
construit le premier la lunette astro-
nomique actuelle, à quatre vcrrca
convexes C un oculaire et trois objec-
iijs ) j tt il est le premier qui ait cm-
(i) Voyez le livre intitula : Noi;-m stelLv circùJo-
veiit, ciica Satunuim sex,circii Mnrtcni nonnuUce
^' 4"'.' ^^'''i ilctcrtce et snleliitihiis aUjudicitla:
VciisiJiuUcium P. Gassendi, et J.Caramuel Lcb-
kowUx. ejusdcmjudlcii censura. Ofius novum,astro-
noimcd eiliditionc plcntim... publtcabat t'ianciicus
Pcniiemaii , Diirensis lel. , Louvain , Bonvct, i(i43,
in-»îdci5C|iaij.,{Gat.biljl. du Roi, 111-12, v.î33j)-
/i62
RHE
ployé CCS deux, mots , qui sont res-
tes. Keppler avait dojà propose ce
<;ciiie de télescope, mais n'avait pii
l'exécuter. Le P. Rheila est aussi
l'inventeur du télescope binocle, que
le P. Chérubin d^Orléans tenta de re-
mettre eu crédit, plusieurs années
après, et que Montucla croit trop
négligé ( F. Chérubin, Yll'i, 343).
On a de lui : T. Oculus Enoch et
Elice, sive radius sidereo-rnysticus,
Anvers , i645, 'i part, in-fol,, fig. ;
rare et singulièrement curieux. Daus
la première partie , l'auteur expose
les révolutions des planètes, d'après
le système de Copernic et celui de
Ticlio-Bralié , dont il s'efforce d'é-
tablir la supériorité. Il en propose
un troisième, qui lui semble encore
préférable , mais qui n'est au fond ,
selon l'expression de Delambre, que
le sytème de Tycho retourné. Il in-
dique ]es causes les plus probables
du flux et reflux de la mer, et donne
ensuite la description d'une macliine
qu'il nomme pianétologie mécani-
que, au moyen de laquelle on peut
facilement faire comprendre le sys-
tème de l'univers aux personnes les
plus étrangères aux connaissances
astronomiques, La seconde partie
contient une théologie astronomi-
que, offrant les preuves de l'exis-
tence de Dieu par les merveilles de
l'astronomie. II. Fasciculus sacra-
runi deliciarunt , sii>e indulgentiœ
stalionuiii uibis à Paulo V conces-
sce , Anvers, i(j4(). Il a laissé, en
manuscrit, un Commentaire sur la
Genèse et une Explication de l'A-
pocalypse. Le nouveau Diclionn.
hisl. critiq. et hiogr. fait , du P,
Rheila, deux personnages différcnls,
l'un r)pticien, l'autre capucin. Ws.
UHKMKTALCÈS !«•. , roideïhra-
ce, frère de Cotys IV, avait suivi le par-
ti d'Antoine contre Octave. Après la
RHE
bataille d'Actium , en l'an 3i avant
J,-C. il abandonna le triumvir, et
passa du coté du vainqueur. Après
la mort de Cotys , qui arriva vers
l'an i6 avant J.-C. , Rhémétalcès fut
tuteur de ses enfants , Rhescuporis
II , et un autre dont le nom est in-
connu. Les Besscs , peuple de la
Thrace , qui avaient conservé leur
indépendance, attaquèrent les provin-
ces tliraces dépendantes des Romains.
Ceux-ci parvinrent à repousser ces
barbares avec le secours de Clau-
dius Marcellus , qui fut envoyé en
Thrace par Auguste. Quelques an-
nées après , (l'an lo avant J,-C. ) ,
Rhémétalcès , et son neveu Rhescu-
poris II , furent encore attaqués
par les Besses. Cette guerre fut plus
sérieuse que la précédente: les Bes-
ses étaient conduits par Vologèse,
grand - prêtre de Bacchus , que sa
dignité élevait au-dessus des rois.
Ce pontife avait rempli ses compa-
triotes d'un fanatisme exalté, qui les
rendit bientôt redoutables à tous
k-s peuples de la Thrace. Rhcscu-
poris fut vaincu et tué : Rhémétalcès
fut aussi mis en déroute ; ses soldats
frappés de terreur , et persuadés que
les dieux secondaient les efforts de
Vologèse , prirent la fuite sans com-
battre , et Rhémétalcès se réfugia
dans la Chersonèse , où les Besses le
poursuivirent et commirent de grands
ravages. Toute la Thrace resta au
pouvoir de ces barbares , qui portè-
l'cnt mcuie leurs armes dans la Ma-
cédoine, et en Ai^ic{Florus, lib. iv,
cap. 12 ). L. Pison , qui commandait
dans la Pamphylie , fut choisi pour
conduire cette guerre , qui fut aussi
longue que cruelle : Alroxin Thra-
cid hélium or luni, dit Paterculc(lib.
Il, cap. 98). Les Thraccs étaient
accoutumés à combattre à la maniè-
re des Romains : T/iracum maximus
RHE
-populus desciverat, dit Fiorus ( iib.
is. , cap. 12 ). Ille harharus et sig-
nis militaribus , et disciplina , ar-
inis etiam romanis assueverat. Pi-
son fut vaincu dans un premier com-
bat ( Dion Cassins , Iib. liv, §. 34) ;
mais bientôt il reprit l'avantage , et
ilvainquitlesBcsses ainsi que tous les
peuples qui avaient pris leur parti :
mais il lui fallut trois anne'es , trien- ■
nio cunihis bellavit (Paterc, Iib. ii,
cap. 98 ), pour achever de les sou-
mettre. Pour pris de ses services,
dans cette guerre, Pison reçut les
honneurs triomphaux. On trouve
dans l'Anthologie grecque plusieurs
pièces de vers composées sur cet-
te guerre, en Thonneur de Pison,
par Antipater de Thessalouique ,
poète fort attache à ce gcue'ral. Ce
ne fut qu^après la destruction des
Besses, en l'an 7 avant notre ère,
que Rhe'métalcès devint roi de Thra-
ce , à la place de son neveu Rhcscu-
poris , et du frère de ce prince , qui
avait sans doute péri dans ces
combats. Eu l'an 6denotreère,Rhé-
me'talcès se joignit avec ses frères
aux a»me'es d\\. Gœcina Severus, et
de Silvaaus Plautius , qui comman-
daient dans la IMœsie et la Thrace,
afin de x'epousser lesDalmates et les
nations Pannoniennes qui s'étaient
révoltés contre l'empire. Rhémétal-
cès fut assez heureux pour rempor-
ter sur eux divers avantages , et les
chasser de la Macédoine. Il vain-
quit, dans une rencontre, leur général
Batou. Ces services éclatants lui mé-
ritèrent la bienveillance d'Auguste,
et ses médailles en olFrcnt quelques
marques. Plusieurs monuments nous
apprennent que le rui de Thrace
portait les prénoms romains de
Càiiis JuUus^{\\n lui avaient sans dou-
te été donnés par Auguste, et qu'il
avait été nommé archonte éponr-
RHE
46:
me par les Athéniens. Le P. Corsini
[Fast. Altici, 1. 11 , p. 194, et t. n ,
p. 147 ) place sa magistrature en
l'an 9 de notre ère. C'est une déter-
mination qui aurait encore besoin
de quelques preuves plus solides
que celles qui ont été alléguées par
le savant jésuite. Rhémétaiccs P"".
mourut, à ce qu'il paraît, vers l'an 10.
Ses états furent alors partagés en-
tre son frère Rhcscuporislll, et son
fils Cotys V. S. M— N.
RHÉMÉTALCÈS II, fds de Rhes-
cuporis m, fut mis, eu l'an 19, eu
possession de la Thrace, dont sou
père avait été privé par Tibère, eu
punition du meurtre de Cotys V,
Rhe'métalcès fut redevable de la cou-
ronne à l'opposition qu'il avait mon-
trée contre les desseins de son père.
L'empereur maintint donc en sa fa-
veur le partagede laThrace qui avait
été ordonné par Auguste après la
mort de Rhémétalcès I*^''. Rhémé-
talcès II succéda à son père, elles fils
de Cotys V furent mis en possession de
leur héritage , sous la tutelle de Tre-
bellienus Rufus. Thracia in Rhœme-
talcenfdium , quem paternis consi-
liis adversatum constabat inrjue li-
béras Cotj-is dii>iditiir [TàÙL Annal.
Iib. II , cap. 67 ), Sous son règne ,
il éclata plusieurs révoltes dans la
partie delà Thrace qui était soumise
aux Romains et dans les états alliés :
les services que Rhémétalcès rendit
en ces diverses occasions , lui méri-
tèrent de nouvelles faveurs de Ti-
bère et de Caiigula ; et celui-ci , en
l'an 39 de notre ère, lui donna,
au rapport de Dion Cassius ( Iib.
Lix, ^'. 12), le royaume de Cotys
V , son cousin , qui obtint en cchan-
gela petite Arménie. Rhémétaiccs II
fut ainsi le seul souverain de la p ir-
tie de la Thrace , qui, sous la domi-
nation romaine , avait cpitservé nn
4<H
RHE
reste d'indépendance. Un événement
tragi({ue termina la vie de ce prince :
le vif amour qu'il avait conçu pour
sa nièce , excita contre lui la jalou-
sie de sa l'emme, qui trouva moyen
de lui donner elle-même la mort.
Cet événement, dont le souvenir
nous a été conservé par les fragments
grecs d'Eusèbc qu'a publiés Scaligcr ,
p. 79, arriva en l^ati /^Gdcnotreère,
la sixième année du règne de Claude.
Lameution de ce fait ne se retrouve
point dans la version arménienne
d^Eusèbe. A la mort de Rhémélalcès
11, la Tlirace fut réunie à l'empire ,
selon le témoignage du même auteur.
Les fragments grecs et la version
arménienne s'accordent à placer cet ■
te révolution sons le règne de Clau-
de. Une médaille, de la belle collec-
tion de feu M. Toc]; on , présente
le portrait autlienti(jue de Riiéme'- .
talcès llï. Son effigie est accom-
pagnée de la lè'gendc de BA2I-
AEYl POrMIlTAAKAS, leroiRhé-
viétalccs , et au revers, l'image de
Caligula , avec ces mots TAIil KAI-
2APi 2EBA2Til, à Cdius-Cesar-
^uguste ( Fof. Visconti, Icono-
graphie grecque, tom. ii , p, 3o3et
3o4 ). S. M— N.
KHÉMÉÏALGÈS, roi du Bos.
pliore Cimmérien , vivait au milieu
du deuxième siècle. Ses mcdaillcs
nous font voir qu'il monta sur le trô-
ne en Tau 428derèrcduBosphorc,
( i3'2 de J.-C. ); car il ou existe
avec la même date qui appartiennent
à Cotys III, son prédécesseur. C'est
sans doute par Hadrien qu'il lut dé-
clare roi ; e;;r un passage du Périple
d'Arricu nous apprend qu'après la
mort do CotyslII, qui peut-être mou-
rutsaiis enfants, cctcmpereur dispo-
sa du \^^i^^\^orQ:{k\•nAu . Fcripl.Eux .
p. i8 ). Rliémétalccs eut, à ce qu'il
paraît, un compétiteur dans la per-
RHE
sonne d'un certain Eupator ; et il
semble par un passage de Capitolin
{in Anionin. , cap. 9), qu'il fut
obligé de venir à Rome pour défen-
dre ses droits , sous le règne d'An-
tonin,quilerenvoya dans son royau-
me. Les dernières mcdadics deRhe'-
métalcès portent la date de l'an ^5o
de l'ère pontique ( i54 de J.-C. ) II
est probable qu'il ne régna pas long-
temps après cette éj)oque , car il
existe des monnaies d'Eupator , da-
tées de l'an I^5'2. {i5G de J.-C.)
S. M— N.
RHENANUS ( Beatus ), Tun des
pliilologues qui ont le plus contri-
bué aux progrès des lettres en Alle-
magne, naquit, en i485, à Schlett-
staflt,de parents originaires de Rliei-
nach , petite ville , dont il prit le
nom (i ). Son père acquit une fortu-
ne considérable , eu exerçant l'é-
tat de bouclier, et parvint dans la
suite aux dignités de sénateur et de
bourgmestre. Devenu veuf , il ne vou-
lut point se remarier, et ne ne'gligea
rien pour procurer à son fils unique
tous les avantages d'une bonne édu-
îion. Beatus , doue des dispositions
les plus licureuses, après avoir fré-
quente les'écoies deSchlettstadt, vint
à Paris, où il étudia, sous d'habiles
maîtres, la langue grecque, la dia-
lectique, la physique, la littérature,
et fit de grands progrès dans ces dif-
férentes branches. 11 se rendit ensui-
te h Strasbourg , pour perfectionner
ses connaissances , par la fréquenta-
lion des savants , puis à Bà!e , où il
se lia de l'amitié la plus étroite avec
Erasme (2 ) et Gelenius. Dans le tem ps
(1) Son pcro se nommait Antoine BiliU.
(ï) Gui Potin dit que 1!. UUenanua fut )>ourvii
d'un c.iuonir.->t|dii iliapilie de 15e^an^.•on,»Ul• Ih rccom-
iiiiindalii)ii d'iiiasiiic ; mais c'est unr cireur. Au sur-
jiliis vuici 1c pnssani; de Pal in : B. Ithciiaiiiis , qui
f'iœrtU ci tiiHuniicii^is et cujus CytinnicinLilioiicJac-
(lis est CANONICUS VESUNTINUS , cju) vitam
icri/jul.
RHE
qu'il habitait Paris , il avait travail-
le , comme correcteur, dans l'atelier
de Heuri Esticnne ( Voy. les Annal.
de Maittaire, ii , 88 ); et il remplit
les mêmes fonctious à Baie, dans les
imprimeries d'Araerbach et de Fro-
hen. Il perdit son père en iSso; et,
maître d'une fortune qui le rendait
inde'pendant , il ne s'en livra qu'avec
plus d'ardeur à son goût pour l'étu-
de et pour la retraite. Ses talents et
sa capacité lui firent ollrir divers em-
plois : mais il les refusa tous ; et il
sollicila même de l'empereur Char-
les-Quint un privilège qui l'exemp-
tait de toutes les charges publiques.
Bcalus avait résiste' constammentaux
instances de ses amis , qui le pres-
saient de se marier. Il finit cepen-
daut par prendre une compagne dont
l'âge s'accordait avec le sien. Mais,
peu de mois après son mariage, ses
infirmite's l'obligèrent d'aller prendre
les eaux de Bade, qui, loin de le
soulager, aggravèrent son malj et il
se fit conduire à Strasbourg , où il
mourut , le 20 mai i547 , à l'âge de
soixante deux ans. Son corps fut rap-
porté à Schlettstadt, et inhumé d'une
manière honorable. Comme il n'avait
pas fait de testament , ses biens pas-
.scrent à d'obscurs héritiers, et sa bi-
bliothèque fut laissée à son domesti-
que. Rhénanus était un homme pleiu
dedouceur, simple, modeste et d'une
rare probité. Son économie l'a fait
accuser de lésine, mais injustement.
Quoiqu'il reconiu'it, avec plusieurs
de ses amis , ([u'il s'était glissé bien
des abus dans l'Église romaine, il ne
voulut jamais s'en séparer ; aussi
les Protestants lui reprochèrent-ils
sa timidité. Il était en correspon-
dance avec les littérateurs les plus
savants de l' Allemagne , tels que
Pirckhcymer, Rcuchlin , Jean de
Lasko,etc.Il a publié un grand uom-
xxxvii.
RHE 465
bre d'éditions , avec des Notes , des
Commentaires , des Dissertations ,
dont ont profité tous ceux qui ont
travaillé depuis sur les mêmes au-
teurs. C'est à lui qu'on doit la prc/-
mière édition de Faterculus : mais
le manuscrit dont il s'est servi n'é-
tait pas complet ( P'^oy. Patercu-
Lus, XXXIII, l'-io ). Parmi les au-
tres éditions qu'il a données, on
citera celles de TertulUen ( Vqy.
ce nom), di Eusèbe et des auteurs
de l'Histoire ecclésiastique, àcMaxl
me de Tjr, de Tacite , de Ti-
te\- Lwe , de Quinte - Curce , de
Pline le naturaliste, etc. Toutes sont
plus correctes que celles qui avaient
précédé. Rhénanus a publié , en ou-
tre , la première édition des OEiivres
d'Erasme, précédée de la Vie de l'au-
teur ; quelques Opuscules de Pilto-
rio, de Th. More, et de divers au-
teurs du moyen âge. Il a traduit en
latin quelques Homélies de saint Ba-
sile, de saint Grégoire de Nazianze ;
enfin il est auteur des Opuscules sui-
vants : I. Frœfatio in Marsilii De-
fensorem pacis pro Ludovico IV
imperalore, adversics iniquas eccle-
siaslicorum usurpationes. Cette Pré-
face, que Rhénanus publia sous le
nom de Licenlius evangelus sacer-
dos, a été insérée, par Gcldast,dans
le tome i*^''. du Recueil intitulé : Mo'
narchiaS. Romani iinperii. II. Illj-
rici , provinciarwn iitrique impe-
rio, cùm Romano tùin Constanlino-
politano servientis , descr iptio, Paris,
1602 , in-8°.: dans la Aotitia dicni-
tatuni iinperii Romani, III. Rerum
Gennanicarwn libri très , Baie ,
1 53i , in-fol. , précédés de la Fie de
l'auteur, parSturm, et suivis de
dilîérenles pièces inédites, ibid. ,
1 55 1 , in - fol. j nouv. éd. , avec des
notes , par Jacq. Olton , Ulm , 1 693,
in-4"., ouvrage savant et plein de rc-
3o
466
RHE
cherches curieuses. On peut consul-
ter, pour de plus grands de'tails , la
Notice sur Rhenanus, dans le tome
xxxviii des Mémoires de Niceron ,
et les auteurs cités à la suite. Son
Portrait , <;;ravé par Th. de Bry, fait
partie du Recueil de Boissard, et se
trou\ e aussi , avec une Notice éten-
due sur sa vie , dans V Ehrentempel
(Monument , etc. ) , de Brucker , tome
I, p. 10 , 1747, in-4^- W — s.
RHENFERD ( Jacques ), savant
très-versé dans la connaissance des
langues orientales , et particulière-
ment dans la littérature hébraïque et
rabbinique, naquit à Mulheira , dans
le duché de Berg,lc t5 août i654.
Il étudia à Meurs , à Ham et à Gro-
ningue, d'où il alla, en 1678, à
Amsterdam : il fut nommé recteur
à Francker, en 168c; et en i683,
professeurdeslangues orientales et de
philologiesacrée dans la même ville:
iloccupa cette place jusqu'à sa mort,
arrivée le 7 octobre 1712. Il avait
été trente ans professeur , et trois
fois sous -recteur de l'université de
Franekcr.Rhenferd obtint, parmi ses
contemporains, une grande réputa-
tion de savoir; et il publia beaucoup
de petites Dissertations , toutes sui-
des objets de médiocie importan-
ce. Ce professeur n'aimait pas à exer-
<;er son érudition sur des sujets à la
portée de tout le monde: il préférait
les détails obscurs échappés aux ob-
servations de ses devanciers. Il les
tirait d'un oubli souvent bien juste ,
pour faire d'autant plus briller sa
science. Il n'y a pas complètement
réussi ; cl ses Dissertations , qui ne
sont guère plus i m portantes que les
sujets dont elles traitent , sont bien
digues de ce mèiue oubli qu'elles
n'ont pu éviter. Il est assjz inutile
de rapporter le titre de tous ces
ouvrages : on peut les voir dans les
RHE
Mémoires de Niceron, tome i , p.
164-169. Nous nous arrêterons ce-
pendant un peu sur les travaux que
Rhenferd entreprit pour expliquer
les inscriptions Palniyréniennes. En
se servant des copies inexactes rap-
portées par les voyageurs anglaisqui
visitèrent Palmyreà la fin du dix-sep-
tième siècle, il crut qu'd serait possi-
ble d'en donner une interprétation
satisfaisante. Rhenferd était de ces
savants qui croient qu'avec beaucoup
d'hébreu et un peu d'imagination ,
on peut expliquer tous les mystères
de l'aniiquité; et il s'engagea témé-
rairement dans une de ces entreprises
qui demandent moins de science que
de sagacité, et qui dépendent plutôt
d'un certain hasard , qui n'est pas ,
il est vrai , réservé à tout le monde ,
que d'un travail assidu et de profon-
des connaissances. Il publia donc ,
en 1704 , son ouvrage intitulé: Pe-
ricidum Palmyrenum, sive litlera-
turœ veteris Palmjrenœ indagan-
dce et eruendœ ratio et spécimen ,
Franeker , un vol. in-4°. « Ce serait
i> un spectacle amusant , dit le sa-
» vaut abbé Barthélémy (i), s'il ne
« convenait pas mieux de le regarder
» comme une leçon utile, de voir les
» efforts inouis qu'a faits Rhenferd
» pour établir une correspondance
» vague eiitre une inscription palmy-
» rénienne et une inscription grec-
» que. Il court à perte d'haleine après
» un fantôme dont il n'approche ja-
» mais ; et tous ses pas, marqués par
» des chutes, le coiuluisent dans des
» défiles impraticables, où il ne lui
» reste que les ressources du déses-
» poir. Tantôt c'est une leltre qu'il
I) faut suppléer ou retrancher, dont
)) il faut clianger la forme ou la
(i) licjlexioiis sur l'ul/jhiilirl cl sur l,i /nngiie
dont on sn scn'nit autrefois à l'nlmyrr, Mvvn. de
racacl. dis iiiMri|i. , I. XX\ I, |i . 677 , M.
RHE
» valeur ; tantôt c'est un mot entier
» dont il ffut transposer tous les
» éléments ; d'autres fois , c'est une
» expression inusitée dans la langue
» de Paimyre , et dont il cherche la
» signification dans celledes Arabes,
» des Juifs , et même des Romains...
» C'est par de pareilles opérations ,
» qu'il parvient à construire un al-
»> phabet. A peine l'a-t-il achevé ,
» qu'il se présente une autre inscrip-
» tion dont les lettres mal dessinées
» ne ressemblent point à celles de la
» précédente : aussitôt , nouvelles
» conjectures , nouveaux tours de
» force , nouvel alphabet aussi incer-
•n tain que le premier. » Ces ré-
flexions seraient applicables à bien
d'autres livres. On peut en dire
autant de tous les travaux entrepris
avant Barthélémy pour retrouver
l'antique alphabet de Paimyre. Ces
tentatives infructueuses ne découra-
gèrent pas Rhenferd; et deux ans
après , en I "y 06 , il publia un ouvra-
ged'aussi peu d'utilité sur l'ancienne
écriture phénicienne , sous le titre:
Periculum Phœniciuin sive littera-
turœ Phœniciœ , qiiœ latè oliin per
Asiam , Africam et Europam pa-
tiiit , eruendœ spécimen , Franeker ,
un vol. in - 4". ( f^of. Vricmoet,
Athence Frisicce , p. 64 1-490
S. M— N.
RHESCUPORIS P^, princeThra-
ce , est souvent mentionné dans le
récit des guerres civiles entre César et
Vompée , puis dans la guerre des
triumvirs contre Brutus et Cassius.
Selon le témoignage d'Appien( De
Bellu civil. ^ lib. iv , cap. 87 et io5),
il régnait sur les Thraccs Sapéens ,
et il possédait touiela région mari-
time située à l'orient du Stryraon
jusqu'à la chersonncsc de Tlirace.
Les auteurs anciens écrivent bien di-
versement son nom :dans César (J9e
RHE 467
Bel. civil, m , § î ) ? 'i est appelé
Bascjpolis; Rhascnupolis dans Ap-
pien : on lit Bhasipolis dans Lucain
( lib. V, V. 55), qui appelle ce prince,
le roi des rivages glacés :
• .. et gelidœ domlnum Hhasî/jolin orœ.
Le même nom est écrit Thrasc^'
polis dans Suétone ( in Tiber. , cap.
37 ). Les médailles nous font voir
qu'il faut réellement le prononcer
PA2;KOYnopi2 ou PAisKornopis,
selon le dialecte dorique répandu
dans les villes grecques de la Thra-
ce. En l'an 49 ■> avant notre ère ,
Rhescuporis vint, avec plusieurs
autres princes Thraces , au se-
cours de Pompée ; il lui amena, au
dire de César, deux cents cava-
liers d'une valeur éprouvée : cet au-
teur les nomme Macédoniens, sans
doute parce que la partie de la
Thrace possédée par Rhescuporis,
avait été autrefois annexée à la Ma-
cédoine. Plus tard(an4'2 avant J.-C.)
le même prince embrassa le parti
de Brutus, qu'il vint joindre avec
trois mille cavaliers , tandis que son
frère Rhascus , affectant contre lui
une haine qui n'était pas dans son
cœur , se rangea du côté des trium-
virs. Ignorant de quel côté la fortune
pencherait , les deux frères vou-
laient s^assurer un intercesseur dans
le parti vainqueur , et conserver la
possession de leurs états. Rhescupo-
ris servit avec zèle les républicains ,
tant que l'avantage fut disputé: mais
aussitôt après leur défaite , il se joi-
gnit à son fière, qui le fit rentrer en
grâce auprès de Marc- Antoine et
d'Octave. Depuis, il n'est plus ques-
tion de ce roi dans l'histoire. — Rhes-
cuporis II , (ils de Colys IV , et
peut-être petit-lils du précédent,
était mineur quand, avec un de ses
frères dont le nom nous est incon-
3o..
46B
RHE
nu , il succéda à son père sous
la tutelle de son oncle Rheinetalccs.
En l'an i6 avant uotre ère , Clau-
dius Marcellus fut envoyé en Tbrace
par Auguste, pour défendre ces jeunes
princes et leur tuteur , contre les
attaques des Besses , peuple redou-
table qui avait conserve son indé-
pendance , et (jui e'iait jjresque tou-
jours eu guerre avec les Romains ,
et les rois leurs allies. Les Besses
furent repoussés , mais non sonrnis.
Eu l'an 1 1 avant J.-C. , Vologèse ,
prêtre de Bacclius , excita cette na-
tion à reprendre les armes ; elle fit
alors une nouvelle irruption dans les
états de Rhescuporis, qui fut tué. —
Rhescuporis III , était frère de Rlié-
métalcès I^"". , et également oucle du
précédent. En l'an G de notre ère, lui
et son frère , se joignirent;, avec des
troupes auxiliaires, à l'armée de Ti-
bère , qui faisait alors la guerre aux
Dalraates , révoltés et soutenus par.
plusieurs nations pannoniennes. Rhes-
cuporis et Rliémétalcès les battirent
dans la Macédoine, où ces peuples
avaient fait une invasion. Après la
mort de son frère, arrivée vers l'an i o,
Rhescuporis obtint d'Auguste le titre
de roi, et la possession des régions
montagneues de laThrace : la partie
maritime et civilisée par le voisinage
des villesgrecqucs,fut donnée .àCotys
V, fils de Rliémétalcès. Il semblerait
même que ces deux princes exerçaient
en commun la diguiié royale ; car il
existe des médailles qui, d'un côté, of-
frent la légeudeBA^ilAEVS KOTYS {le
roiCotjs) et son efligie , tandisqu'au
revers ou lit : UA^TAEaS PAlSIvOT-
llOl'lAOi; {(kl roi Rhescuporis) , et le
type de la Victoire. La même chose
pou irait se déduire d'une médaille des
By/aulins , BVZANTIillN , frappée
sous la magistrature de Matrodorc ,
fils d'Heroxènc , ElU MATl'OAOPOY
RHE
HPOHENOY, et qui porte les mono-
grammes répétés K et|P, initiales
du nom des deux princes. On pour-
rait en inférer encore, que la ville de
Byzance, qui avait conserve son auto-
nomie , et jilusieurs autres cités grec-
ques de la Tlirace , é; aient dans une
dépendance quelconque des princes
de ce pays. Rhescuporis ne se con-
tenta pas long- temps de cette auto-
rité partagée : il voulut posséder tout
le royaume de son frère , et il fit des
courses dans les cantons qui for-
maient le partage de son neveu Go-
lysV. Cependant, comme il craignait
le courroux d'Auguste , il n'osait
s'emparer de son royaume : mais la
mort de l'empereur, arrivée en l'an
1 4 , le débarrassant de toute inquié-
tude , i! fit ouvertement la guerre à son
neveu. Tibère voulut interposer son
auloritépour meitrefinà cette guerre:
il ordonna aux deux partis de poser
les armes. Cotys congédia ses trou-
pes j Rhescuporis feignit de suivre son
exemple : il proposa une entrevue à
son neveu , qui s'y rendit sans de'-
fiance. Au milieu d'un festin , Rhes-
cuporis le chargea <le chaînes , et
s'empara aussitôt de ses états : puis
il l'accusa de trahison , auprès de
Tibère. L'empereur ordonna d'a-
mener Cotys à Rome, pour recon-
naître s'il était elïeclivement coupa-
ble ; mais Rhescuporis le fit tuer, et
répandit le bruit qu'il s'était donné
la mort. Tibère, qui n'ignorait pasce
crime , et qui voulait le punir , pre'-
féra la ruse à la force. Flaccus Pom-
pon ius , personnage consulaire , qui
était très-coniui de Rhescuporis , fut
nomme gouverneur de la Mœsie ,
et envoyé en Thrace , pour s'empa-
rerde la personne du roi. Poniponius
parvint à l'attirer dans son camp par
des promesses insidieuses , et le fit
conduire à Rome, où il fut accuse
RHE
par la veuve de Cotys , fille de Py-
thodoris , reine de Pont. Le roi de
Thrace, jugé par le sénat, et con-
damné à une prison perpétuelle , fut
envoyé à Alexandrie en Egypte :
peu après il y fut rais à mort , pour
avoir tenté de s'échapper. C'est en
l'an 19 , que Rhescuporis III fut
dépouillé de ses états. Cotys VI et
son frère succédèrent à leur père Co-
tys V; et Rliémétalcès II fut investi
des états de son père Rliescuporis.
Ce prince est le seul des rois de
Thrace de ce nom dont il nous reste
des médailles. S. M — n.
RHESCUPORIS est encore le
nom de plusieurs rois du Bosphore
Ciramérien, dont les médailles seu-
les nous ont conservé le souvenir.
On doit regretter que les auteurs
anciens , ou plutôt les ravages de
la barbarie , ne nous aient pas lais-
»é plus de détails sur ces princes ,
dont l'histoire serait d'un haut in-
térêt. La longue série de leurs nom-
breuses médailles, celles d'or surtout
remarquables par un poids et un ti-
tre très-élevés , sont des indices cer-
tains de la puissance des rois qui les
firent frapper , et de la prospérité
des pays qu'ils gouvernaient. Tout
le commerce de la mer Noire était
entre leurs mains. Au milieu des
Scythes , dont il surveillait tous les
mouvements, ce royaume, placé à
l'extrémité du monde civilisé , for-
mait la barrière qui séparait les
Romains des Barbares qui , plus
tard , envahirent leur empire. Les
empereurs comprirent facilement
que ce poste avancé serait mieux
gardé par des rois particuliers inté-
ressés à conserver l'indépendance
qu'on leur laissait , qu'il ne l'aurait
été par de garnisons romaines trop
éloignées du centre de l'empire
pour être bien soutenues. C'est-là ce
RHE
4(5a
qui expliquelalonguedurée du royau-
me du Bosphore Cimméricn, Tant
qu'il subsista, lesRomainslui fourni-
rent des subsides, et leurs provinces
asiatiques furent à l'abri des incur-
sions des pirates, Scythes ou Goths,
qui les désolèrent quand cet état vint
à tomber en décadence. L'histoire
et la succession de ces souverains
offrent de grandes difficultés ; et
ce n'est que par des conjectu-
res que l'on peut suppléer au dé-
faut de monuments , et aux in-
certitudes que présente l'explica-
tion des médailles où se retrou-
vent les portraits, souvent assez mal
exécutés, de ces rois inconnus. Tous
les jours de nouvelles découvertes
viennent changer, rectifier ou modi-
fier les combinaisons des antiquaires.
Tel a été le sort des travaux entre-
pris sur cette matière par des sa-
vants aussi distingués que Vaillant
(î), le P. Souciet (2) , Cary (3),
Visconti (4), et d'autres encore (5):
tel sera, nous n'en doutons pas, le des-
tin des travaux plus récents de MM.
R.ioul-Rochette((3) etKohIcr (7). Ils
n'ont pas eu d'autre avantage les uns
sur les autres que de pouvoir succes-
sivement se servir d'un plus grand
nombre de monuments; ce qui pro-
duit assez souvent de nouvelles diffi-
cultés, au lieu des lumières qu'on
devrait en attendre. Il est peu de raa-
[x) Achœmemdarum imperium , auct. Vaillaut ,
Paris, 1725 , iri-40.
(2) Histoire chronologique des lois du Bosphore ,
Paris, 1^36, in-/|f.
(3) Histoire des rois de Thrnce , et de ceux du
Dospliore , Paris, i^Sa , in-4".
(4) Datisr/co«og. g/-er(/i/c ,t. II , p. 1^1-177.
(j) De lio7.c .FrœlicL , HcUiel , l'abbc Belley, c\.c.
(()) Antiquités grecques du Bosphore Cirrtmérien ,
Paris, 1822, iu-8".
(7) Disseitntion sur le monument de Conwsarye ,
Pilcrsliour^ , i8o5 , iii-80. — \JUcdaillcs grecques ,
Pitersbourg , i8iï , -iu-S". — Remarques sur un ow
vnige intitulé Antiquités ç,recques du Bosphore
Cimméricn , Pvlcrsbourj^ < iSiS, lu-S''.
470
RHE
ticre aussi propre à exercer et à fai-
re briller la sagacité des antiquaires;
mais aussi, comme tout y est con-
jectural , sinon dans le fond , au
moins dans les combinaisons, on ne
doit pas considérer comme décidé-
ment erronés les systèmes de ses de-
vanciers, puisque de nouvelles dé-
couvertes peuvent ramener à des opi-
nions abandonnées. Nous ne nous
astreindrons donc pas à suivre le
système d'aucun des savants que
nous venons de citer; nous jom-
drons à leurs observations nos re-
marques personnelles qui pourront
les modifier ou y ajouter. — Rhes-
cupoRis I"., roi du Bosphore Cim-
mérien, vivait au commencement
du premier siècle de notre ère.
On ignore comment ce prince, dont
il n'est question dans aucun des
écrivains anciens que nous pos-
sédons, devint souverain de ce royau-
me. Une inscription, trouvée en Cri-
mée, par Waxell (8), et publiée par
lui en i8o3, reproduite et commen-
tée depuis par MiM. Kbhler (g) et
Visconti ( lo), est jusqu'à présent le
seul monument qui atteste son exis-
tence. Cette inscription , faite en
l'honneur de son fils Tiberius Julius
Sauroraates , est conçue ainsi : BA-
ZIAEA BA2IAEn]N' MEFAN Toj raN-
Tos Boosnopor tibepion lor-
AION(7aupwp.ATIINY10NBASIAEf22;
PHSKOYIIOPIrJoç 'fàoy.cdlAVA KAI
4)IAOPnMAtov, c'est-à-dire, le grand
roi des rois de tout le Bosphore , Ti-
berius Julius Snuromates , fils du
roi Rhescuporis, ami de César et ami
des Romains. Visconti et M. Kœhler
ne comptent pas ce prince au nom-
bord, ,U lu Ah,-lS„„c, en , ;c,7 et i yji , Berli,, , In-
/|"., itismpt. u". i5.
(9) Visse, l. ,ur le monument de Comosarye . ni.
Viu.p. 7ai'l 73. y » r •
(10) Iconogr. greej,,, , t. j, , p. i5o.
RHE
bre des rois du Bosphore; ils le
mettent hors de la série des person-
nages de ce nom, parce que, selon
eux , il fat seulement roi d'une des
peuplades Sarmates du Bosphore
(11). Mais, quand même il en au-
rait été ainsi, ce ne serait pas une
raison suffisante pour le retrancher
de la liste de cette dynastie, puis-
qu'il en est évidemment le chef.
11 est même permis de penser qu'il
fut le conquérant du Bosphore Cim-
mérien, soiid'abord après la mort de
Polémon P«". , soit quelques années
plus tard. Nous sommes, en ce
point , de l'avis de M. Raoul-Rochet-
te. L'origine de Rhescuporis I^"^. nous
est inconnue; il paraît seulement, par
uneaiitre inscription ( 12), érigée en
l'honneur de son fils SduromatesP""^^
qu'il appartenait à une antique race
royale , peut-être alliée à l'ancienne
dynastie des rois du Bosphc»re , qui
avait cédé l'empire au célèbre Mi-
thridate Eupator. Cette inscription
est un témoignage de la reconnais-
sance d'un certain Julius Anestratus,
revêtu de la dignité de chiliarque ,
envers son maître , le grand roi des
rois, Tiberius Julius Sauroraates:
TO^^ AnO nPOrONHN B ASIAsYovra,
régnant par ses aïeux, c'esl-à dire ,
en vertu des droits qu'il tenait de
ses ancêtres. Ces mots ne me parais-
sent pas avoir été bien entendus par
les savants qui se sont occupés, avant
nous , de l'explication de ce monu-
ment, dont l'interprétation laisse en-
core à désirer. S'il en était comme nous
le pensons, ce serait un trait de lumiè-
re pour cette partie de l'histoire du
(1 1) Visconti, /<-o«ojjr. greo/, t. II, p. i5i; — Kuli-
1er, Dits, sur Coiiwuiiye , p. ^3; et Keiiiarques
sur lei antiq. gr. du Bosphore Cimmirien , p. 8u et
lo.'i.
(m) Kalilcr, D'iss. sur Comosarye, pi. VIII, p
6<>. — Visfttiili, /cotiogr. grecq.j t. Il, p. i5i.—
Raoiil-Roilicll<; , Anliij. grec,/, ilii Uo^pli. , pi. VUl,
rf. 5; — Kœliler , Hemarr/., etc., p. lag.
RHE
Bosphore , qui est environnëe des
plus épaisses ténèbres. Nous igno-
rons les événements arrivés dans ce
royaume, après la mort dePolémou
Ief.,qiii périt, eu l'an 1'=''. de notre
ère, en combattant contre les Aspur-
gilains , peuple barbare, qui habi-
tait entre la tuer Noire et la mer Cas-
pienne ( V. PoLEMON I*^'". ) Tout ce
que nous savons sur ce point , c'est
que cette partie de ses états ne fut
pas possédée, après lui , par sa veu-
ve P>thodoris, ni par son fils Polé-
mon 11. On entrevoit seulement qu'il
se fît une révolution dans ce royau-
me; mais on ignore comment une
nouvelle dynastie parvint à s'y éta-
blir. La défaite et la mort de Polé-
mon I*^"". avaient sans doute livré le
Bosphore aux barbares : la couronne
de ce prince fut peut- être le prix de
leur expulsion ; et leur vainqueur dut
être le chef de la nouvelle dyuasiie.
Le nom de Rhescuporis celui de
Cotys , qui fut porté par plusieurs
rois de la même famille , celui en-
coredeRhémétalcès , pourraient fai-
re croire que ces nouveaux princes
étaient parents ou issus des rois de
Thrace , qui portaient des noms
semblables, et qui avaient eu, à ce
qu'il paraît, des alliances et des rap-
ports de consanguinité avec les rois
du Bosphore antérieurs au grand Mi-
thridatc. Ce n'est , au reste , qu'une
supposition , assez vraisemblable ,
mais dont rien nedémontrc la certitu-
de ( i3). Ou comprendrait alors com-
ment SauromatesI'^''.,fils de Rhescu-
poris P""., sedisRitroi ,du chef de ses
aïeux ; peut-être voulait-il par-là se
(i3) ^'. Uanul-RoclicUc a riiiis uuc opinion îi-pen-
piTsscinl)lal)lo (, i>uvr. déi'i i iU' |>. l'ii et i'|»).EiIe
cstvivpiiR-nl combattue par M. Rœli!ei( ouvr. cite ,
114-117 ), qui u'alli'nuc cfiipud^iut i i<n «le |)lausilile
pour la rejeter, et qui se trompe en assurant qu'il
n'y eut jamais qu'un roi de Tliracc noiume Rltescu-
porit , tandis que rhistoirc uou» en fait connaître
trois bicp distiurls
RHE
471
distinguer de quelques rivaux actuel-
lement inconnus , qui n'avaient pas
de tels titres en leur faveur. Il existe
plusieurs médailles, dont les légen-
des, presque effacées, ont donné lieu
à beaucoup de discussions entre lessa-
vants; mais des exemplaires mieux
conservés, nouvellement découverts,
nous ont appris qu'elles appartien-
nent réellement à un roi de la même
famille que les Rhescuporis et les
Sauroraates , et aussi peu connu des
historiens. Ces médailles que Cary
( 1 4), Eckhel ( 1 5) etV isconli ( 1 6), at-
tribuaient à Sauroraates P^, appar-
tiennent réellement à un roi nom-
mé Cotys ; ce qui avait déjà été
avancé , long-temps avant eux , par
le P. Hardouin (17). M. Kœhler
pense (18) que ce prince est le
même que Cotys , frère de Milhri-
dates , contemporain de Claude,
de Néron et de Vcspasien , tandis
que M. Raoul-Rochelte (19) les croit
frappées pour un peisonnage du
même nom qui vivait dufempsd' Au-
guste , par conséquent de la même
époque que le fondateur de la nou-
velle dynastie bosphorienne. 11 le
regarde comme un frère de Rhescu-
poris pr. Cette opinion , qui n'est
après tout qu'une conjecture assez
])lausible , est assez faiblement com-
battue parM.Kohler (20). Il est cer-
tain en clfcl que les médailles en
question offrent bien plus de ressem-
blance avec les monnaies des uns ,
qii'aA'cc celles des autres. Elles pré-
sentent de même des insignes roya-
(151 Histoire rh-s rois de Thrace du Bosphora
Ctiiiniérien , p. 4(1 et 4t.
(i5) Doclrina numorum veterum , t. 11, p. Z^M
(i(i) Iconographie j^recr/iie , 1. 11 , p. i40'
(1;) Num-po/iiil. p.i4i-
(!«■) licmnrqiiet fur un ouvrage intitulé : Antim
(juiléf (lu Bosph. Cimmirien , p. 98-HO.
(ici') Antiquités du Bo'ph. Cimmér., p. I>4-»S4«
(io) Bemarques ttc. ,p. fl9 et 99.
472 RHE
les et des marques honorifiques dé-
cernées par les empereurs ; et les
légendes qui les accompagnent sont
toutes semblables ( au nom près ) à
d'autres qui ne se voient que sur
les médailles des premiers vois du
Bosphore. C'est là une cii'constance
assez importante. On y lit : TEI-
MAI BAo-Aî&jç KOTY02 TOT A2-
norprOY , les honneurs du roi
Cotjs , fils à'^spwgus , comme
sur des médailles de Sauroraates
I", ^ on voit TEIMAI BAIIAEiii:
2ATPOJIATOY , les honneurs du
roi Sauromates , et sur d'autres de
Ehesouporis II, TEIMAI ^jy.rjCkzoiç
PHZKOYnoPIAOS , les honneurs du
roi Rhescuporis. On ne conn^it rien
de pareil sur les monnaies des au-
tres princes du Bosphore. La plu-
part des antiquaires ont regardé les
mots TOY ASnOYPrOY, comme un
surnom destiné à incliquer l'origine
deceltedynastie, qu'ils considéraient
comme Âspur plaine , la supposant
descendue des chefs Aspurgitains ,
vainqueurs de Polémon I"^"". 11 n'est
guère présumable que les Romains,
alors dans toute leur puissance ,
eussent laissé aux barbares les dé-
pouilles d'un roi leur allié ; et si par
hasard il en eût été ainsi, il n'est
pas très-probable qu'un surnom na-
tional , tout-à fait nouveau et inso-
lite dans les monuments numismati-
ques , eût été exprimé en ces termes.
Ccttcinterprétation serait granimali-
calcmenl sujette à des difTicwItés ,
tandis qu'il n'y en a aucune si l'on ad-
met que ces mots contiennent le nom
du père tic Colys P''. ('.ii); ainsi,
sur les médailles d'Alexandre, roi
d'Épire , on lit : AAEliAA'APOY
TOY NEOIITOAEMOY, d'Alexan-
dre fils dcNéoptolème. Ce Colys I*^' .
(;»i) Cary .-. d.):. .xyrhm- 11.,.,. n|.M,l,..i ,.a,cillc
(«dt, aci ruis au bo>/ili, Ciinmcr, , y. ifi).
RHE
devant indubitablement être pla-
cé parmi les premiers princes de
la nouvelle dynastie bosphorien-
ne ; comme il ne peut être frère
ni de Sauromates 1*=''. , ni de Rhes-
cuporis II ,il serait possible qu'il
eût été réellement frère , et asso-
cié , de Rhescuporis I^''. : nous au-
rions là sur ce dernier un renseigne-
ment de plus , qui ne nous appren-
drait pas, il est vrai , son origine;
mais qui augmenterait d'un degré la
généalogie des rois de sa race. Plu-
sieurs médailles , qui portent le nom
d'un roi appelé Rhescuporis, accom-
pagné des prénoms romains Tiberius
Julius , ont été attribuées à Rhescu-
poris pr. (22) Comme il ne paraît
pas que ce prince ait prolongé son
existence jusqu'au temps de Tibère,
il n'est pas présumable qu'il ait pris
de tels surnoms sous le règne d'Au-
guste ; les raisons qu'on alh gue en fa--
veur de celte opinion ne sont pas
bien concluantes ('^3) : d'ailleurs
l'inscription que nous avons citée
prouve qu'il n'en fut pas ainsi. Ce mo-
nument date certainement du règne
deTibère , puisque Sauromates P' . y
prend les prénoms de Tiberius-Ju-
lius j tandis que rien de pareil ne
précède le nom de son père Rhes-
cuporis^ mort à cette époque, et au-
quel on n'aurait pas manqué de
donner des dénominations romai-
nes, s'il en avait jamais eus {'i^).
Les médailles avec la légende TI»
BEPI02: lOi'AIOS BA3IAEY2;, PIIS:-
KOYllOPIi: , présentent les traits
d'iui prince beaucoup moins âgé
qu'il ne déviait l'être si ces mo-
numents ollVaient l'image du père
de Sauromates I"^''. : ils apparlien-
(»?.) lîiioul-UodicUp, Aiilii/. i^rcrt/. ilii Bosphore
Ciniuiér. , (1. 1 18 et i3G.
(a3) Viscimli , Ironogr.grcct/. ,1. II ,i). 177.
(24) IVœhlcr, Rcmarriucs l'Ic, i>. WJttgS,
RHE
lient donc à Rhescnporis II , fils
de ce dernier. Une médaille de Rhes-
cnporis II, datée de l'an 3i3 de l'è-
re pontique introduite dans le Bos-
phore par Mithiidate Eupator , qui
répond à l'an l'j de J.-C, nous ap-
prend que c'est entre l'an i*^^. et cette
même année 17 qu'il faut placer la
mort de Poleraon P'". , l'élévation
d'une nouvelle dynastie en la per-
sonne de Rhescuporis I"^"". , ou de
Sauromates I""". , les règnes de ces
pi'iuces 1 et même celui de Gépépy-
ris , femme de Sauromates : car les
médailles de cette dernière nous
donnent lieu de croire qu'elle a joui
du pouvoir souverain, ce qui pourrait
indiquer que Rhescuporis II e'tait
parvenu assez jeune au trône. Gé-
pépyris alors aurait pris la couron-
ronue , à l'exemple de Pythodoris ,
qui régnait dans le Pont. Voilà
bien des événements pour si peu de
temps , surtout si l'on y joint le
règne de Cotys 1'=''. , fils d'As-
purgus; car rien encore ne prouve
que l'année 3 1 3 du Bosphore ait été
la première de Rhescuporis II. D'un
autre côté, cet espace de temps est
aussi limité par de belles médail-
les d'or, datées des années 3o4 et
3o5 ( 8 et 9 de J.-C. ), qui nous pré-
sentent des têtes et des monogram-
mes de chefs inconnus pour nous.
On ajouterait beaucoup à toutes ces
difficultés, si ,avec M. Kohler (ao)
on plaçait encore, dans ce court es-
pace de temps , un autre Sauromates
et un autre Rhescuporis, dont lien
ne démontre l'existence, et qu'on ne
doit pas distinguer de Sauromates
I*^''. et de Rhescuporis II. On con-
çoit sans peine que nous avons en-
core grand besoin que de nouvelles
découvertes viennent jeter du jour
(ij) Ibid. , p. i34-i45.
RHE
47S
sur tous ces faits. Ce qu'il y a seu-
lement de constant , par le témoi-
gnage de Strabon (2G), c'est que tous
les princes qui régnaient dans le Bos-
phore , avaient été établis par les Ro-
mains : xat vûv vt:o TOtç twv BoffTro-
pct-jMV ^xatXîïxjtv y ovç ai) Pwfzatoi
xaTa^ïjffwfftv , az-avTa êçt. S. M-— N.
RHESCUPORIS II (TiBERiusJu-
Lius) (i), successeur et sans doute
fils de Sauromates P>"_ çi ^q ja rei-
ne Gépépyris , régna sur le Bospho-
re, au moins pendant vingt -deux
ans , depuis l'an 3 1 3 de l'ère du Bos-
phore , qui répond à l'an 1 7 de J.-C,
jusqu'en l'an 334 (38 de J.-C),
sous les règnes de Tibère et de Cali-
gula , dont les noms se trouvent sur
plusieurs médailles de ce prince. On
sait que la numismatique du Bospho-
re offre, pour cette époque, deux sor-
tes de monnaies. Les monnaies d'or
sont les seules qui portent des dates,
avec des monogrammes destinés à
rappeler le nom du prince régnant et
des têtes impériales. Les effigies des
souverains, avec ou sans légende, ne
se voient que sur les monnaies de
bronze. M. Kohler (ajapartagétous
ces monuments entre deux princes
qu'il appelle, l'un Tiberius - Julius
RLescupoiis P""., et l'autre Rhescu-
poris II. Touteslesmédaillesd'orsans
portraits sont attribuées par lui à
Rhescuporis II, quoique, dans sonhy-
polhèse, elles dussent nécessairement
apparlenir à deux rois. 11 n'a , pour
distinguer les unes des autres, que des
principes qui pourront paraître fort
arbitraires. Les différences de style
et de fabrique ne prouvent rien pour
un espace de temps aussi court; el-
les peuvent provenir de la plus ou
(-u) LU), vu,].. 3i7..
^i)ll i\sl nomniti lUiosriiporis I^r. , par Viscou
ti , Icoiivgi. grecf/. , t. JI , p. i5ï.
^2) Jliinarijues clo. , p. i4i-l''|5.
474
RHE
moins grande habileté des artistes et
de ladiversité des lieux où ces médail-
les ont été frappées. Plusieurs de ces
monnaies sont d'un fort mauvais tra-
vail : alors, quelle confianceaccorder
aux difïerencos de traits ou aux res-
semblances qu'on croit y apercevoir,
pour y tiou ver deux personnages dis-
tincts ? pourquoi d'ailleurs ces dif-
férences n'appnrtiendraient-elles pas
à la diversité des âges ? Les médailles
d'or, toutes sans effigie, ne sont d'au-
cune utilité dans cette recherche.
Pour les autres, elles offrent , tantôt
les traits d'un prince imberbe et
assez jeune , tantôt une tête bar-
bue ou avec des moustaches. Les
unes alors seraient du commence-
cément, et les autres de la fin du
règne de Rhescuporis II. Si l'on en
juge par les objets figures sur le re-
vers de plusieurs des nombreuses
médailles de bronze de Rhescuporis
II, ce règne , sur lequel l'histoire
nous a fourni si peu de renseigne-
ments,aurait étérempli par de grands
événements : elles présentent des si-
gnes évidents de victoires remportées
par ce roi , ou des surnoms que lui
décernèrent les empereurs. "Toutes
ont pour légende les mots TIBEPIOS
lOrAIOSBASIAEYSPHSKOrnOPIS.
Les unes ont , au revers, le roi Rhes-
cuporis la couronne en tête , armé
en guerre , la lance à la main , et de-
bout devant un trophée, foulant aux
pieds Acws. ennemis suppliants de-
vant lui. D'aulrcs présciUcnt les rem-
parts d'une ville, avec une statue
équestre sur la poric principale. 11
en est qui porlcnlune Victoire avec
une couronne dans la main droite
et une palme dans la g-mclie. Quel-
ques luies font voir, d'un côté, Rhes-
cuporis assis sur une chaise curulc,
et vêtu à la romaine; et, au revers,
un bouclier , une lance, une épéc, cl
RHE
divers signes d'honneur que les Ro-
mains étaient dans l'usage d'envoyer
aux rois leurs vassaux , avec la lé-
gende TEIMAI |3a7â2wç PHZKOrno-
PIAo2, les honneurs du roi Rhes-
cuporis. 11 en est quelques autres
qui offrent, au revers, la tête de la
reine, femme de Rhescuporis. Pour
les médailles d'or, elles n'ont, avec
les têtes impériales, que les dates de
l'ère du Bosphore, et ce monogram-
me : BAP pour 'ÈkaCkt^z Prjir/.ouTTro-
pirJoq. Quelques médailles de cuivre
portent la tête du roi, avec un mo-
nogramme seulement, et, au reVers,
le portrait de l'empereur, avec les lé-
gendes: TIBEPIOY KAI2AP02 ou
EAIOV KAISAPOS TEPHANIKOT.
Rhescuporis II eut, à ce qu'il paraît,
pour successeur Polémon II , qui fut
investi de la couronne du Bosphore,
par Caligula , au préjudice de la fa-
mille de Rhescuporis. S. M — N.
RHKSCUPOKIS III régnait en l'an
38o du Bosphore , ou 84 de notre
ère , comme nous l'apprend une mé-
daille unique en or de cette année,
avec la légende BASIAEHS PHZKOY-
noPIAOS, et au revers, la tête deDo-
niitien. Il est le premier roi du
Bosphore dont le nom ait été inscrit
en entier sur les monnaiesd'or de ce
pays.CellesdeCotysIIjSon prédéces-
seur , n'ont encore que le monogra-
me BAK pour BA(7t),£&)ç Kotuoç ( i ).
Cet usage fut suivi jusqu'à la fin de la
monarchie. Rhescuporis 111 succé-
cécla, à ce qu'il paraît, àColyslI,
dont la dernière médaille connue
est de l'an 355 ( 6i) de J.-C. ) 11
eut pour successeur Sauromates 11,
dont la médaille la plus ancienne
poric l'an SqS du Bosphore , ()f) de
notre ère. — Rhescuporis IV ré-
gnait sur le Bosphore du temps de
(i) Visconti, Tconpgr, jrc(Y/,, t. n,Ji. iS^.
RHE
Caracalla , d'Heliogabale et d'A-
lexandre-Sévère. Il paraît qu'il
succéda à Sauromates III , dont la
dernière médaille connue est de
l'an 5o5 du Bosphore ( ^09 de
J.-C. ). La pins ancienne de Rlies-
cuporis IV est de l'an 5o8 (iia
de J. C, ) On croit qu'il cessa de
régner en l'/in 5'Jt5 de celle même
ère ( 229 de J.-G. ) ; caril existe des
médailles de celle année qni porlent
son nom , et d''autres de l'année sui-
"vanle , qui présentent la tête de Co-
tys V , qui fut sans doute son suc-
cesseur.— Rhescxjporis V régna peu
de temps après CotYsV,dont il exis-
te des monnaies de l'an S^.g du
Bosphore (233 de J.-C. ) La plus an-
cienne médaille de Rhesciiporis V
est de l'an 53i ( 235 de J.-C. ) Ce
prince ne fut pas seul roi de tont le
Bosphore. Il paraît qu'il partagea
l'empire avec un certain Ininthi-
méyns , resté inconnu à l'histoire,
mais dont nous possédons des mé-
dailles qui portent ia même date
53i. Long-temps , on crut que son
règne avait été fort conrt , et que
Rhescuporis V avait été son suc-
cesseur (2). Des dé< ouvertes nouvel-
lement faites montrent qu'Ininlhi-
méyus a porté plus longtemps le ti-
tre de roi, dans le temps même que
régnait Rhcscuporis V. Il existe des
médailles de ce roi , des années 532
et 535 de l'ère du Bosphore ( 236
et 239 de J.-C. ) (3). Il s'en trouve
une avec cette dernière date, dans
la collection de M. Allier de Hau-
teroche , à Paris. Ces monuments
font voirqnecet Ininlhiniéyus régna
(s) Seguin , ISiimUiiintn srlecln , p. /fi. — Carv,
Hisl. ilei rois du liosf/lwie ,y. ■^/^. — miuuwt ,Dès-
eript. de méitailli:s , t. n , u". i45— Viscdiiti, Iro-
nogi. grecf/., 1. ii , |>. i(!r), — Rauiil-R„clie(te, Au.
tiij. greo/. du nayilmin Cimminen ,^. inâ.
(3) Kœlilcr. Rcmarq, sur les antif. çrccij, du
Botfihore , p, -jt.
RHE 475
long-temps an moins dans uneparlie
du Bosphore. RhescuporisV prolon-
gea son règne jusqu'à l'an 564 (^68
de J. C. ) au moins, puisqu'il exis-
te de lui des monuments avec cette
date(4): il régna donc environ trente-
trois ans. M. Kœliler, se fondant
encore sur des différences de fabri-
ques, assez légères, avance qu'il faut
partager entre deux princes , qu'il
appelle RhescuporisV et VI, les
monnaies de ce roi. Il croit que
le personnage représenté sur la mon-
naie de l'an 5di , n'est pas le même
que celui qui est figuré sur les autres
(5) ; de sorte que , selon lui, Ininthi-
méyus aurait été en 53 1 ( 235 de
J.-C. ) , successeur de Rhescuporis
V , qui aurait régné très - peu de
temps, et prédécesseur de Rhescu-
poris VI monté sur le trône en 535
( 239 de J.-C. ) Le même auteur
avait déjà partage entre deux rois
les dernières médailles de Rhescupo-
ris II (6) , de sorte que depuis l'an
53 1 jusqu'en 564(235-268de J.-C),
il y aurait eu trois princes du même
nom. Des découvertes faites très-
récemment nous ont appris qu'ua
prince appelé Aréansès avait aussi
régné dans le Bosjdiore en 55o et
55 1 (254 et 255 de J.-C), et ainsi,
pendant la durée de l'espace que
nous venons d'allribuer à Rhescu-
poris V (7). Était ce un usurpa-
teur , un compétiteur ou un roi ,
qui, comme Iiunlhiméyns , occupait
uneautie partie du Bosphi-re? Nous
l'ignorons; mais les monuments qui
nous ont révélé son existence , et
d'autres qui sont connus depuis peu,
donneraient lieu de croire que le
(4) Kœlilcr, UlédniUcs grecques, Pctersbourg,
^fl■>^x , in-S". . p. 4'.
(5)lbiH.,p.7..'
(0)lbid.,p. 4ï.
(7)lLid.,x). i3.
4?^ RHE
Bosphore Cimmérien était alors
gouverne par plusieurs princes à-la-
fois; ce qui serait encore confirmé
par un passage de Zosime , qui se
rapporteprécisëment à cette époque,
sous le règne de Valérien et de son
fils Gallien (253-268). Les Bo-
rans , l'un des peuples Goths ou
Scythes, qui ne cessaient de fati-
guer, par leurs perpétuelles incur-
sions , les provinces romaines limi-
trophes du Danube , voulurent pas-
ser en Asie : les Bosphoriens leur
en fournirent les moyens plutôt par
crainte que de bonne volonté • ils
leur donnèrent des vaisseaux et les
conduisirent eux-mêmes. « Les ha-
» bitants du Bosphore, dit Zosime
» (lib. i,cap. 3i), avaient eu long-
» temps des rois qui s'étaient succé-
» dé de père en fils, et qui, soit à
» cause de l'amitié qui les attachait
» aux Romains, soit à cause du com-
» merce, soit encore pour les subsi-
» des annuels que leur fournissaient
» les empereurs , n'avaient cessé jus-
» qu'alors de s'opposer au passa-
» ge des Scythes en Asie. Mais en-
» suite la race royale étant venue à
» s'éteindre, des hommes vils et ah-
» jecls obtinrent le pouvoir { à^ja^ioi
» Tfj£;y.y.tàT:epp,.i^hoi rriç vjy s ixovixi;
» Y.aréçr,(j!y.-j y.ùpioi ) ; par crainte ils
» leur accordèrent le passage du
» Bosphore pour aller en Asie, où
» ils les conduisirent sur leurs
» propres vaisseaux. » Cet événe-
ment arriva en l'an 258, au temps
même où les médailles nous font
voir que Rhescuporis Y régnait dans
le Bosphore. Nous ignorons s'il était
un de CCS piinccs méprisables , qui
11 osèrent s'opposer au passage des
Scythes , ou s'il n'était pas plu-
tôt, comme son nom semble l'indi-
quer, im rejeton de. l'ancienne dynas-
tie fpii régnait en Asie dans une par-
RHE
tie du Bosphore , tandis que le reste
du royaume était au pouvoir des
Ininthiméyus , Aréansés , Tiranes ,
ThothorsèsetRhadaméadis, dont les
noms barbares diffèrent tous de ceux
qui étaient portés par les anciens rois
du Bosphore. Les Borans ravagè-
rent les côtes septentrionales de l'A-
sie-Mineure ; ils assiégèrent Pityunte
en Colchide, d'où ils furent repoussés
par le général Successianus ; ils y
revinrent l'année suivante, secondés
encore par les Bosphoriens. Succes-
sianus n'y était plus : ils prirentdouc
la place , passèrent le Phase , et
s'avancèrent jusqu'à Trébisonde ,
dont ils se rendirent maîtres. On
ignore si Rhescuporis V eut part à
ces événements , ou s'il faut attri-
buer la coopération des Bosphoriens
aux chefs barbares qui les comman-
daient. Il paraît qu'il eut pour suc-
cesseur Sauromates V , dont il existe
des médailles datées de l'an 572 du
Bosphore (276 de J.-C. ) Ce prince
était sans doute son fils ; et vraisem-
blablement il est le même que Sau-
romates , fils de Rhescupoiis qui,
selon Constantin Porphyrogenètc
( De administr. imper. ,"cap. 53),
sous le règne de Dioclélien , fit une
expédition dans l' Asie-Mineure , de
concertaveclcs Sauromates. — Rhes-
cuporis VI était pctil-fils du pré-
cédent, et successeur de Sauroma-
tes VI ; ses médailles nous font voir
qu'il régna dans le Bosphore, au
moins depuis l'an Gi3 du Bosphore
( 3i7 de J.-C. ) , jusqu'en l'an G24
( 328 de J.-C. ); il était donc con-
temporain de Constantin. Nous n'en
savons rien de plus; seulementles mé-
dailles nous apprennent que de son
temps il régnait dans le Bosphore
un autre roi nommé Rhadaméadis ,
dont on a reconnu depuis [)eu l'exis-
tence. S. M— N.
RHE
RHESE ( Jean ) , on RICE, qu'on
appelle quelquefois Davies, était ne
dans File d'Anglesey, en i534. Après
avoir fait de bonnes c'tudes dans l'u-
niversité' d'Oxford , il se rendit à
Sienne , prit le bonnet de docteur en
jne'decine, et devint ensuite princi-
pal du collège de Pistoie. Il acquit
une connaissance si parfaite de la
langue italienne, qu'on le mettait au-
dessus des meilleurs grammairiens
du pays. De retour en Angleterre , il
pratiqua la médecine dans le Breck-
nockshire. Son savoir dans les lan-
gues anciennes et modernes , et son '
goût pour la recherche des antiqui-
te's de la Grande-Bretagne, le mirent
en relation avec les hommes les plus
érudits , surtout avec Usher , qui en
fait un grand e'ioge dans ses ouvrages.
Rhese mourut en 1609. Ou a de lui:
I. Règles pour acquérir la connais-
sance de la langue latine, impri-
mé à Venise, en latin. II. Pe Ita-
licœ linguœ pro?iunciatione, Padoue;
ouvrage très - estime'. III. Camhro-
Briiannicœ , Camhricœve linguœ
institutiones et rudimenta , etc., ad
intelligenda Biblia sacra nunc in
cambro-britannicwn sermonem ele-
gajiter versa ,in-{o\. , Lond., i56^.
IV. Abrégé de la physique d'Àris-
tote, en anglais. Cet ouvrage est res-
te manuscrit. T — d.
RHETICUS. F"qr. George Joa-
CHiM, et Barth. Pitiscus.
RHIGAS,l'un des pitis ardents pro-
moteurs de l'insurrection grccrpie ,
naquit à Veleslina en Thessalie ,
vers 1753. Il fit d'excellentes études
dans les meilleurs collèges de sa pa-
trie ; mais n'ayant pas assez de for-
tune pour parcourir la carrière des
lettres , il embrassa celle du commer-
ce, se rendit, jeune encore, à Bucha-
l'est, et y resta jusqu'au commence-
mentdelarévolulionfrançaisc,parta-
Rlil 477
géant son temps entre les ope'rations
commerciales et ses c'tudes favorites.
C'est dans cette ville où l'on trouvait
alors des livres et dcshorames de rae'-
ritede différentes nations, que Rhigas
acquit des connaissances étendues.
L'ancienne littérature de la Grèce
échauffait son imagination. Les lan-
gues latine. française, italienne et alle-
mande, lui étaient familières ; il écri-
vait également bien en grec et en
français : il était à-la-fois poète et
musicien • sa plus agréable occupa-
tion était la géographie comparée.
"Il joignait à toutes ces connaissances
une passion presque déliranle pour
l'affranchissement de sa patrie. Cet-
te passion concentrée , qui exaltait
ses facultés intellectuelles , lui inspi-
ra, dit-on, ridée la plus hardie, celle
de former une grande société secrète
dans lehut de soulever toute la Grè-
ce contre la Porte , et de délivrer ses
compatriotes du joug des barbares.
Plein d'énergie et d'activité , possé-
dant au suprême degré le talent de la
parole, el jouissant d'une grandecon-
sidération: on prétend qu'il ne tarda
pas à former la société dont on vient
de parler , et qu'il entraîna dans son
parti des évéques, des archontes , des
négociants, des savants, des officiers
de terre et de mer, en un mot , la fleur
de la nation grecque , ainsi que plu-
sieurs étrangers de distinction. Mais
ce qui peut paraître incroyable en
Europe , c'est qu'il serait parveuuày
faire entrer aussi pi usieui s Turcs puis,
sanls , entre autres le f imeux Pas-
swan-Oglou. Après la formation de
cette société , Rhigas alla s'établir
à Vienne, en Autriche, où étaient
un grand nombre de riches négo-
ciants grecs , et quelques savants
émigrés de la mémo nation. C'est do
cette capitale qu'il aurait entretenu
une correspondance secrète avec les
478 RHI
principaux de ses confrères , répan-
dus en Grèce et en Europe. Il conti-
nuait en même temps de cultiver les
lettres etpabliaitnnjoinnal grecpour
l'instruction de ses compatriotes. 11
traduisait le Voyage du jeune Ana-
charsis ( dont quelques volumes ont
été imprimés ). 11 composa et mit au
jour un Traité de la tactique mi-
litaire^ un Traité élémentaire de
■physique à l'usage des gens du
monde. Il traduisit , en grec mo-
derne , un ouvrage français inti-
tulé : Ecole des amants délicats.
Dans celte traduction, il imita par-
faitement le style des archontes
de Gonstantinople, autrement ap-
pelés Phanariotes : ce livre eut un
très-grand succès. Mais ce qui va-
lut à Rhigas, dans toute la Grèce,
une réputation vraiment populaire,
ce furent ses poésies patriotiques ,
e'crites dans un style vulgaire , mais
propres à enflammer l'imagination
desjeunesGrecs,àlcurinspirerla hai-
ne la plus forte contre la tyran-
nie musulmane. Son imitation de la
Marseillaise {Allons, enfants de la
patrie ), que les Grecs chantent en-
core aujourd'hui , en combattant
contre leurs oppresseurs; sa belle
chanson montagnarde ; ilç tzots
Tra)>yix.âota va i^ov^î crà ^ouvâ ( Hé-
ros ! Jusques à quand vivrons-
nous sur les montagnes 7) , sont , de
toutes ses pièces , celles qui ont pro-
duit le plus d'ellct sur l'esprit d'une
jeunesse ai dente et pcnéirce d'admi-
ration pour les Miltiade, les Thcmis-
toclc et les Hériclès. Hhigas lit aussi
une grande carte de la Grèce, en dou-
ze feuilles , gravée à Vienne, dans la-
quelle il désigna , par les noms ac-
tuels et par les noms anciens, tous
les lieux célèbres dans l'histoire.
Celte carte, qui contient un giand
nombre de médailles antiques, a
RHI
fondé la réputation de [''auteur. Nous
sommes cependant loin de regarder
ce grand travail comme exempt de
fautes et d'incorrections. Vers le
commencement de mai 1798, un
traitre dénonça Rhigas et ses huit
collaborateurs , au gouvernement
d'Autriche , comme des conspira-
teurs. L'empereur d'Allemagne les fit
arrêter et livrer à la Porte , à l'excep-
tion de trois d'entre eux qui étaient,
naturalisés Autrichiens. Tous les
journaux de l'Europe retentirent de
cet événement Voici comment le
Moniteur ( an vi , n**. 271 ) en
parle, sous la rubrique de Semlin.
« Nous avons vu passer par cette
» ville les huit Grecs qui avaient été
» arrêtés à Vienne, comme auteurs
» d'écrits séditieux, et livrés à la
» Porte, comme sujets du grand-sei-
» gneur. Ils étaient liés deux à deux,
» et escortés par vingt-quatre sol-
» dats , deux caporaux , un officier
» supérieur et un commissaire. L'a-
» me du parti auquel ces Grecs ap-
» partenaient , était Rhigas , riche
» négociant , natif de Thessalie ,
» passionné jusqu'au délire pour la
» délivrance de sa malheureuse pa-
» trie, jadis habitée par des hom-
» mes libres. Quelque temps avant
» que la police de Vienne eût donné
» des ordres pour l'arrêter, Rhigas,
» averti par quelque pressentiment,
» s'éloigna de cette ville; mais il fut
» pris à Tricsle , oii il se donna un
» coup de poignard. Son bras trahit
» sa volonté : le coup ne fut pas mor-
» tel. 11 est au nombre des huit
» Grecs arrêtés, dont cinq seront li-
» vrés à la Porte , les trois autres , en
» qualité de sujets de l'empereur,
)> ayant été condamnés à un bannis-
)) sèment perpétuel. Rhigas n'était
» j)as seul à la tête du parti qu'il
» avait formé; il était puissamment
RHI
» secondé par Mawroyeni , neveu
» du fameux hospodar de ce nom.
» Mais Mawroycni, qui partit l'an
» passe' , est tranquille à Paris , tan-
» dis que l'infortune' Rliigas marche
» au supplice. » En vain lui et ses
compagnons demandèrent pour tou-
te grâce de n'clre point livres aux
tigres de Constantinople et de subir
la mort au sein de leur patrie.
Les gardes craignant que Passwan-
Oglou ne leur arrachât ces victi-
mes, les précipitèrent dans le Danu-
be, et leur épargnèrent le supplice
qui les attendait. Rhigas n'était âgé
alors que de quarante cinq ans. An-
thime, patriarche de Jérusalem ,
doyen des prélats grecs , publia ,
par ordre de la Porte , une Circulai-
re paternelle adressée à tous les
Grecs, et imprimée à Constantino-
ple ( i ). D;ins cet écrit, dicté par Sé-
lira III , alors empereur des Turcs ,
le patriarche conscdiait à ses core-
ligionnaires de lOrient, de rester fi-
dèles à la Sublime Porte, de regar-
der le grand-seigneur comme leur
souverain légitime, etc. Cette circu-
laire futcomplèlenient réfutée parun
ami de Rhigas, sons le titre suivant :
Circulaire fraternelle à tous les
Grecs soumis à l'empire Olhoman^
en réponse à la Circulaire paternel-
le, publiée à Constantinople , sous
le nom supposé du vénérable pa-
triarche de Jérusalem , Rome ( Pa-
ris ), 1798, in S'^. de 58 p^ges.
La mort de Rhigas fit naître quelques
opuscules, écrits en grec moderne,
dont le plus remaïquable est celui
qui porte le titre de Nvmocratia.
N— o.
RHO ( Jean ), jésuite , na(|uit , en
iSgo , à Milan , d'une famille patri-
cienne, féconde en hommes de mé-
(0 f^oy- lu Dcrridc philosophique , VIII«. Hiuice ,
4°- Iriincstre, y. 28;.
RHO ^79
rite. Son père e'tait un habile juris-
consulte, et a publié plusieurs ou-
vrages , dont Argelati rapporte les
litres, dans la Bihlioth. sciptor.
Mediolan. , tome ii. H embrassa la
règle de Saint-Ignace, en lermiuant
ses études , et fut aussitôt chargé de
professer la rhétorique au célèbre
collège de Brera. Dès qu'il eut reçu
les ordres sacrés , il sollicita la per-
mission d'aller prêcher l'Évangile
dans les Indes : mais ses supérieurs
jugèrent que son éloquence ne serait
pas moins utile à la religion en Italie;
et, pendant trente-sept ans , il remplit
avec un éclat extraordinaire les prin-
cipales chaires de Milan , de Floren-
ce, de Rome,deNapIes et de Venise.
Sur la fin de sa vie, il fut nomme'
recleur de la maison professe de Mi-
lan , puis provincial à Milan et à Na-
ples. Enfin , accablé d'années et d'in-
firmités , il termina sa carrière apos-
tolique à Rome, le lo septembre (i)
1662. Il a publié plusieurs Becueils
de Sermons, en italien ; deux Carê-
mes, des Panégyriques, des Livres
ascétiques et quelques Opuscules ,
soit dans la même langue , soit en la
tin , dont on trouvera les titres dans
la Bibl. soc. Jesu et dans argelati.
W— s.
RHO (LeP. Jacques), jésuite ita-
lien, frère du précédent, mission-
naire à la Chine et mathématic/e/j
né en iSqS, partit, en i6'io, avec
Nicol. Trigaut, chef des missions à
la Chine. Après avoir séjourné quel-
que temps à Goa , il vint à Ma-
cao. Les nouvelles qu'il y reçut de
la persécution qui venait d'éclater
en Chine contre les Chrétiens, l'ob/i-
gèrent de s'y arrêter; et ce fut un
bonheur pour cette ville, qu'il ga-
(i) Le 9 novembre ,suiv. Argelati; maison doit
croire que les auteurs de la Bibliothèque jésuitique
étaient mieux informes.
48o
RHO
rantit , en 1622 , d'être surprise par
les Hollandais, en apprenant aux ha-
bitants à se servir de leur artillerie ,
et qu'il mit ensuite à l'abri de toute
tentative, par de nouvelles fortifica-
tious. Ayant enfin pénétre dans l'in-
térieur de la Chine, le P. Rho s'ap-
pliqua sans relâche à l'étude de la
langue chinoise , qu'il parvint , en
peu de temps , à parler et à écrire
aussi facilement qu'aurait pu le faire
un lettré. Il arriva , en 1624, à Kiarg-
tcheou , dans la province de Chan-
si , pour y prêcher i'Évaugile. Sept
ans après , il fut mandé à la cour ,
pour y donner des soins à la rédac-
tion du Calendrier impérial. H s'oc-
cupa de ce travail, en société avec le
P. Adam Schall, jusqu'à l'époque de
sa mort. L'empereur voulut témoi-
gner sa satisfaction aux deux mis-
sionnaires, par des dignités : mais
ils le remercièrent ; et ce prince
les força d'accepter une somme d'ar-
gent , qu'ils employèrent à construi-
re une église. Le P. Rho fit servir
la faveur dont il jouissait, an triom-
phe de l'Evangile. H opéra , par ses
discours et par ses ouvrages , un très-
grand nombre de conversions. Mais
au milieu des succès qu'obtenait son
zèle , il fut atteint d'une maladie con-
tre laquelle échoua l'art des plus ha-
biles médecins ; et il mourut , le 27
avril i638, à l'âge de quarante-cinq
ans. Pendant son séjour à la Chine ,
il porta le nom chinois de Lo-ya-
kou et le surnom de i^reï - cJiao ;
ce sont ces noms qui sont inscrits à
la tète des nombreux ouvrages qu'il
a composés en langue chinoise. Ou-
tre deux Lettres écrites en italien ,
dans lesquelles le P. Rlio rend comp-
te de sa navigation et des remarques
qu'il avait faites, Milan, 1G20, in-
8". , on a de lui un grand nombre
d'ouvrages en chinois. Le P. Kir-
RHO
cher porte à plus de cent les ou-
vrages qu'il avait composés dans
cette langue, les uns sui l'astrono-
mie, les autres sur des matières de
piété (Voy. la Chiiie illustrée, page
i6r). La bibliothèque du Roi en pos-
sède plusieurs ; mais Fourmont les a
pour la plupart, mal indiqués dans
son Catalogue, en attribuant les uns
à un jésuite dont le nom est incon-
nu , et les autres à un missionnaire
franciscain. Voy. principalement les
numéros cxcvi , ccxxxvii, cclxiv.
On peut consulter, pour plus de
détails , la Bibl. Soc. Jes. du P. Sot-
wel,et Argelati. A.R— T,etW s.
RHODE ( Jean ) , en latin Bao-
Dius , médecin laborieux et savant
antiquaire, né vers 1687 , à Copen-
hague , continua ses études à Wit-
temberg, ( où il soutint , en 1612 ,
une thèse de philosophie ) , et à Mar-
purg. Il visita l'Italie, pour se per-
feclionner dans la connaissance des
langues et del'antiquité. Enchanté du
séjour de Padoue, il s'établit en cette
ville, et partagea tout son temps en-
tre l'étude des sciences et la prati-
que de son art, La crainte de com-
promettre sa liberté lui fit refuser
la chairedebotaniquc, qu'on luioffrit
en i632, avec la direction du jardin
des plantes. Quelques biographes
prétendent que Rhode fit , en 1640 ,
un voyage à Copenhague , que ses
compatriotes cherchèrent à le rete-
nir parmi eux, et le nommèrent pro-
fessciu- de ])hysique à l'université de
cette ville. Quoi qu'il en soit de cette
anecdote, démentie par Niceron , il
est certain que Rhode sVmpressa de
revenir à Padoue , où il mourut , à
l'âge de soixante-douze ans , le 24
février iGSq , et non pas 1058,
comme le marque Thomas Harlho-
iin , dam VEpitaphc qu'il a dressée
en sou honneur, ni eu i(iGo, comme
RHO
le disent Hallervordet KiJnig. Rhode
n'avait point ëte marié. Sa biblio-
thèqr.e et ses nombreux maunscrils
passèrent à Thomas Ban;^ , son pa-
rent, théologien à Copenhague; et,
après la mort de Bang , ses manus-
crits furent achetés par Barthulin ,
qui se proposait de les publier : mais
ils périrent presque tous , en 1670,
dans l'incendie de la bibliothèque de
ce savant ( /^. Bartholtn,IV, 45'2).
Rhode, qui cultivait les lettres sans
ambition , comme sans rivalité , ne
pouvait manquer d'être l'ami de tons
les littérateurs de Padoue ; et il est
cité plusieurs fois avec honneur dans
les Elos;es des hommes illustres ,
par J. Phil. Tomasini ( F. ce nom ).
Ou en doit conclui-e qu'il n'est point
l'auteur de ceséloges ; et quoi qu'en ait
dit Golomiés, sur le témoignage de
Vossius ( Voy. Recueil de parlicu-
larités , pag. 109), il est plus que
probable que jamais il ne les a reven-
diqués. Sa correspondance littéraire
ou scientifique était fort étendue ;
mais on n'en a conservé que dix Let-
tres à Gasp. HolTraann , insérées
dansY yJpj}endix des EpistolœGeor-
gii Richteri selecliores , Nuremberg ,
1662 , in-4'*. Outre les Editions du
traité de Juste Lipse de Re numvia-
rid, Padoue , 1G48, in-8\ ; des
Animads>crsiùnes medicce de Louis
Settala , ibid. , i6j2 , in-8'\ ; du
Traité de Scribonius Largus : De
coinpositioneinedicamentonim , ib, ,
i655 , in 4'^'. , avec des notes ( F.
Scribonius ) , et de l'ouvrage pos-
lliume de Fr. Frizimclica , de IJ/il-
neis metallicis artc parandis, ibid.,
1659, in-8''. , ou a de Rliodc : 1.
Libellas de iialurd niediciiiœ , Pa-
doue , 1625, in-4''. TI. De acid
dissertatio ad Cornel. Celsimentcui,
qud simul universie fibuLv ratio ex-
plicatur, ibid,, i<53ç) , in^*'- H y
xxxvii.
RHO 481
démontre , contre l'opinion de J. J.
Chifllet , et d'autres médecins, que
Celse employait, pour les sutures, le
Cl de lin , et non pas un fil de métal.
Thom. Bartholina réimprimé celte
curieuse Dissertation avec des cor-
rections , tirées des manuscrits de
l'auteur, Copenhague, 1672, in-4<\,
et y a joint deux Opuscules de Rhode,
encore inédits : un Traité des poids
et mesures , et la rie de Cebe. Ces
trois pièces font partie de l'édition
qu'Almeloveen a donnée de Celse ,
Amsterdam, i687,in-i2. III. Oh-
sen>ationum medicinalium centuries
très , Padoue , 1657 ' i"-8'. ; réim-
primé avec le Recueil de Pierre Bo-
relli : Historiarum et observât ionum
medico-phj sic arum ceniuriœ qua-
tuor , Leipzig, 1676, in-S'J. IV.
Mantissa anatomica , Copenhague ,
1661, in-S'^. ; à la suite des deux
dernières Centuries anatomiques de
Th. Bartholin. Y. De artis medicce
exercitatione consilia tria , iiisérés
parTh. Bartholin, dans la Cistame-
dica, Copenhague, 1662, in-8''. , et
réimprimés avec V Inlroductio in
universam artem viedicam , par
Hcrm. Conring , flelmstadt , 1687 1
in-4°. VI. Catalogus 60 auctoruin.
supposititiorum quo scriptores ano-
nyrni et pseudonymi complures ma-
nifcstantur ; à la tète du Theatriim
anonjmor. de V' incent Placcius ( V.
ce nom ). V^II. Observaiiunes me-
dicœposteriores ; dans les Jeta me-
dica Hafniensia, Copcnhag. , 1677,
iu-4°. Niceron a donné une Notice
sur Rhode, dans le tome xxxvin de
ses ATémoires. W — s.
RHODEvS ( Alexandre de ) , jé-
suite avignonais , missionnaire , na-
quit le i5 mars iSiji. Étant entre
dans la compagnie , il alla étudier la
thcologieàKomc, et, après quatre ans
de sollicitations, obtint, en 161 8,
3i
482 RHO
la permission de partir pour les In-
des. 11 fit par terre le voyage de Lis-
bonne , où il s'embarqua le 4 avril
1619. Arrivé à Goa , au mois d'oc-
tobre , il pensait à la mission du Ja-
pon ; ses supérieurs le retinrent quel-
que temps : il apprit le canarin; et
ce ne fut qu'après trois ans qu'ils lui
permirent de voguer vers les îles où
tendaient ses vœux. Après avoir
abordé à différents endroits des In-
des , il attérit a Macao , en iG-îS. Il
y employa un an à se rendre la langue
du Japon familière ; mais les nou-
velles que l'on reçut de celte contrée,
ne laissant plus l'espoir d'y pénétrer,
on l'envoya en Cochin chine , avec
plusieurs de ses confrères. « Lorï-
» que j'y arrivai , dit-il , j'avoue qu'en
» entendant parler les naturels du
» pays , particulièrement les fem-
5) mes , il me semblait entendre ga-
» zouillcr les oiseaux, et je perdais
» l'espérance de pouvoir jamais ap-
» prendre leur langue. » Il se mé-
fiait trop de ses forces : en six mois
il fut en état de prèclier. La plus
grande partie du travail de la mission
tomba sur lui , et fut d'autant plus
pénible, que des persécutions vinrent
l'entourer. Au bout de dix-huit mois
de séjour à la Cochinchine , il fut
chargé , en 1627 , de prêcher la foi
au Tonkin : i! y gagna la confiance
de plusieurs grands peisonnages, et
même celle du roi. Plus tard , les ca-
bales des eunuques la lui firent per-
dre ; et le monarque rendit un édit
foudroyant contre la religion chrc-
licmie. Il dcfendil au P. de Rhodes
de répandre sa doctrine , et lui en-
joignit de quilUrsesétals. DeUhodes
passadixansàMacao , où il professa
la théologie, parcourant de temps en
teni[)s la province de Canton. Eu
1G40, il lui renvoyé à la Cochin-
chine. Une persécution y intcrrom-
RHO
pit ses travaux ; il fut oblige' de s'ab-
senter deux fois , et enfin , arrêté ,
traîné devant les tribunaux , il fut
condamné à mort : mais on se con-
tenta de le bannir ( 1646 ), Ses con-
frères jugeant que -ce serait une
témérité de le faire partir de nou-
veau pour la Cochinchine, l'invitè-
rent à retourner en Europe. Etant à
Java , il y fut arrêté pendant qu'il
disait la messe chez un particulier ;
on le mit en prison , et il n'en sortit
que pour s'emb»rquer sur un navire
partant pour Macassar. Il revint
par Bantam , et descendit à terre à
Surate : en 1648, il débarqua sur ia
côte de Perse , et , en traversant ce
royaume , rencontra Laboullaye-Le-
Gouz ; puis il alla, par l'Anatolie et
l'Arménie , à Smyrne , où il prit par
mer la route de Gènes. Après trois
ans de séjour à Rome , il vint à Paris
faiie les préparatifs d'un voyage
qu'il avait proposé d'entreprendre
en Perse. lU'effectua, passa plusieurs
années dans ce pays , et y mourut le
5 novembre iGGo. On a du P. de
Rhodes : I. Diction arium annami-
ticum , lusitanumetlatinum , Rome,
i65i , in 4". IL Catechismus latino-
tunchinen sis, xh'ià.^ i652, in- 4". —
En italien : III. Histoire du royau-
me de Tunquin , et des grands pro-
grès que la prédication de V Evan-
gile y a faits , ibid. , 1 65o , in-4°. ,
traduit en français par AIbi ; Lyon ,
i65i , in-4". , et en latin, ibid. ,
i652. IV. Relation de la mort glo-
rieuse de saint André de Cochin-
chine , décapité jour la foi , Rome ,
i652, in 8", ; traduit en français,
Paris , i653 , in-B". V. Relation de
la bienheureuse mort du P. Antoine
de Rahini , et de ses compagnons
martyrisés au Japon , Rome , 1 652 ,
in-8''. ; traduit en français , Paris,
iG53,in-8o. — En français: VI. Re-
RHO
lationdesprogrès de la foi au ro Jan-
ine de Cochijidiine, Paris ,i65'2 , iii-
12. VII. Soininaire de divers Voya-
ges et missions aposloliques de i G 1 8
à i653, ibid. , iGj3, in-io. VIII.
Divers f'ojages et Missions en la
Chine , et autres royaumes de l'O-
céan , avec le retour en Europe par
la Perse et V. Arménie ,ihïi. , i653,
in-4°. IX. Relation de ce que les
P. P. de la Compagnie de Jésus ont
fait au Japon en i G\<.j , ibil. , 1 655,
in- 12. X. Relation de la nouvelle
Mission en Perse, lôSt), in-i2. Les
ouvrages du P. de Rhodes donnent ,
sur la Cocliincliine et le Tonkiu ,
des détails que confirment les rela-
tions postérieures, il a bien observe'
ce pays , et il rapporte plusieurs pai-
ticuiaritës de leur histoire , qui est
assez peu connue. 11 ne manque pas
de dire que leur nom commun est
Aanam, ainsi qu'on le savait déjà du
P. Borri. Le P. de Rhodes était un
Lorame animé d'un zèle ardent , qui
lui faisait braver tous les dangers.
— Bernard Ruodes , de la même
compagnie, fut un chirurgien ha-
bile. Ayant été envoyé dans les Indes,
il fut fait prisonnier par les Hollan-
dais , lorsqu'ils s'emparèrent de Pon-
dichcri,et conduit à Amsterdam, où
il resta détenu , jusqu'à ce qu'on
l'eût échangé. Arrivé à Paris , il se
consacra encore aux missions, et ne
balança pas d'entreprendre le vova-
ge de la Chine. Ayant été dépouillé
par des flibustiers dans l'île d'An-
jouan, il ne put arriver qu'en 1699
dans la province de Fo-kien, d'où il
fut conduit à la cour parles manda-
rins que l'empereur avait charge's
de cette commission. Ses talents lui
gagnèrent la confiance de tous ceux
quileconuurcnt; ilsiiivail l'empereur
dans ses voyage». Un excès de fati-
gue causa sa mort à Je hol , le 10
RHO
483
novembre 1714 ; il étoit âgé de
soixante-dix ans. E— s
RHODIGIxNUS ( CoELius ) , phi-
lolcgue italien , qui s'appelait en
réalité Louis Riccuieri, mais qui est
plus connu sous le nom latinisé du
lieu de sa naissance (i), naquit
à Rovigo , vers j45o. Après avoir
fait sou cours de philosophie à
Fcrrarc , sous Nicolas Léonicène , n
étudié le droit civil et canonique à
l'académie de Padoue , il vint en
France pour perfectionner ses con-
naissances par la fréquentation des
savants. Il retourna en Italie , en
1481, ct,s'étant fixé dans sa pa-
trie, obtint , en 1497, ""e place de
professeur, dans la;ji,elle il fut con-
firmé en i5o3 : mais, l'année sui-
vante, il perdit son emploi j et, en
i5o5 , il fut banni de Rovigo , par
un décret que ses emicmis arrachè-
rent au conseil public, portant qu'il
ne pourrait être rappelé sous aucun
])rétexte.Rhodiginus se rendit alors à
Vicence, où il ouvrit une école, qui
fut assez fréquentée. En vain le duc
de Ferrare , Alfonse I*'". , l'appela
dans cette ville , en i5o8: les guer-
res qui désolaTent l'Italie , l'obli-
gèrent d'en sortir, et de chercher
un asile à P.idoue, où il vécut du
produit des leçons particulières qu'il
donnait aux élèves de l'université.
Le malheureux Rhorliginus se trou-
vait, en i5i2,à Reggio. Une Chro-
nique manuscrite , citée par Tira-
boschi, nous apprend qu'il fit ser-
vir son éloquence à réconcilier les
principales familles de cette ville
divisées d'iulcrct et d'opinion. Fran-
çois !«'■. , maître d'une partie de
l'Italie , nomma Rhodiginus , en
i5i5 , professeur de littérature
grecque et latine à l'acadcmie de
(1) Du uom latin de Ruvigo, ïihodisittm.
Si.*
484
RHO
Milan. Les revers des Français for-
cèrent ce savant de retourner à Pa-
doue, en iSai. Deux ans après , il
fut rappelé' dans sa patrie par un dé-
cret , réintégré dans tous ses droits,
et député vers le doge de Venise, An-
dré Gritti , pour le complimenter
sur son élection. Rhodiginus mourut,
en iSaS, du chagrin que lui causa
la nouvelle queFrançoisI"=i",, son bien-
faiteur , avait été fait prisonnier à Pa-
vie. On a de lui : yintiquarum lectio-
nurti lihri xri , Venise , Aide , 1 5 1 6 ,
in -fol. Cette édition est rare et re-
cherchée; mais elle n'est point com-
plète. Celle de Paris , Badins , 1 5 1 7 ,
est calquée sur la précédente. L'ou-
vrage entier parut enfin , en 3o livres,
Bàle , 1 55o , in-fol. , par les soins de
Camille Ricchieri , neveu de l'auteur,
et de J. -M. Goretti, qui ajoutèrent
les quatorze derniers livres. Il a été
réimprimé dans la même ville , en
i566, et à Francfort, 1666. C'est
un recueil de notes sur une foule de
f)assages d'auteurs grecs et latins , à
'occasion desquels on discute divei-
ses parties des sciences, de l'histoi-
re , de la littérature et des antiquités,
mais principalement ce qui est rela-
tif à la médecine et à la botanique.
On y trouve plus d'érudition que de
critique. Il y a quelques observations
intéressantes sur les plantes , aux-
quelles on a peut-être fait trop peu
d'attention. Le comte Camille Sil-
vcstri de Rovigo a public la l ie de
Rhodiginus , à' a\)vh!i les documents
les plus authentiques, dans letoinc iv
de la Raccolla degli opuscoli scicn-
tifici e fdologici de Calogerà , p. 1 57-
2 1 3 , Venise , 1 780 , in - 1 2 ; et Ti-
raboschi en a donné l'extrait, dans
la Storia delhi letteralura ilulia-
na, vu, 878. W — s.
RHODION (EuciiARius). roj.
ROEfJLtlV.
RHO
RHODIUS ( Jean ). F. Rhode.
RHODOMAjNN ( Laurent ) , l'un
des restaurateurs de la langue grec-
que en Allemagne , naquit en 1 546 ,
à SassaAverf , dans le comté d'Ho-
henstein , de parents peu favorisés de
la fortune. Dès son enfance , il mon-
tra des dispositions si remarqua-
bles, que le comte de Stolberg se
chargea de son éducation. I! passa
six ans au gymnase d'ilfeld, où il
fit de grands progrès dans les langues
anciennes , sous Michel Neander ; et
il se rendit ensuite à Rostock , où il
suivit les leçons de David Chytrée ,
savant helléniste. Obligé de pren-
dre un état, il entra dans la carrière
de l'enseignement; et après avoir ré-
genté long-temps ou dirigé de petites
écoles , il fut nommé professeur de
grec à l'académie de léna. Sa répu-
tation attira bientôt à ses leçons des
élèves de toutes les parties de l'Alle-
magne. Il se démit cependant d'une
chaire qu'il remplissait depuis six
ans de la manière la plus brillante ,
pour accepter celle d'histoire à l'a-
cadéiniede Witteraberg. Pendant son
rectorat, il tomba malade, et mou-
rut, le 8 janvier 1606. Rhodomann
était fort laid ; et , si l'on en croit
Scaliger, ses manières avaient quel-
que chose de rustique : mais il joi-
gnait à beaucoup d'érudition une
modestie rare , et d'autres belles
qualités. Personne ne l'égalait dans
sa facilité à composer des vcrsgiecs.
Outre des Traductions latines tort es-
timées, deC)iiiiitu6Calaber( r. QuiN
tus), et des Fragments ilo Vhistoire
de Memnon, tirés de la Bibliothèque
de Photiiis et de Diodore de Sicile
( F. Memnon ) , on a de Rhodomann
un grand nombre de poèmes grecs
et latins , dont ou trouvera les titres
dans le tome xlii des Mémoires de
Niceron. Les plus recherchés sont :
RHO
I. Fita Lutheri grœco carminé des-
crifitu et latine reddita , Ursel ,
1579, iu-8°. ; rare. II. Ilfclda
Hercjnia descripta carminé grœco
et latino , Francfort, i58i , in-
8".; rare. J. Georg. Leuckteicl a
l'e'imprimé cet ouvrage à la suite des
Antiqidtales Ilfeldenses ( en alle-
Jiiand ), Qiiedliiibourg , 170g , iu-
4°. III. Anonrmi poëtœ grœci ;
Argonautica; Thebaïca sive hélium
ad Thebas Beolicasdcregno OEdipi
Thebani; Troïca S'i'e Belliun Troja-
num ; et Ilias parva , carminé he-
Toico grœco : necnoii Arion dictione
doricd. Troïcis subjicitur narratio
de Bello Trojano excerpta ex Cons-
tantini Manassis annalihus scriplis
carminé grœco poUtico et tune grœ-
cè adhuc inediiis , ]je\\)z\^, i588,
in 8°. ; recueil rare et précieux , pu-
blie par iMich. Ncamler , à la prière
de Rhodomann,qiu ne voulut pas se
déclarer c lileur de ces poèmes sup-
posés , peut-être afin de n'oire pas
soupçonné d'en être l'auteur. W,
Poéiis c'iri<:tiana ; Palestine^ seu
Historiœ sacrœ libri ix gr. et lat. ,
Francfort , 1089 , in 4°. ; rare. On
peut consulter , pour de plus grands
détails , la Fie de Rhodomana , en
latin , par Ch. H. Lang , co-rccteur
du gymnase de Lubeck , ibid., 1741,
in-8". de 38*2 pag. , et son Eloge ,
par Volboith , Gottingue, 1776 , in-
4°., en allemand. W — s.
RHOE (Thomas). r.RoE etRoA^E.
lîIIOUPEN 1er., surnommé le
Grand , fondateur de la dynastie ar-
ménienne qui régna dans la petite
Arménie et dans la Gilicic , du temps
des croisades, était un pirent de Ka-
kig II , dernier roi d'Arménie de la
race des Pagralides, qui périt assas-
siné par les Giccs , dans la Cappa-
doce , en l'an 1079. G'ost de lui que
cette dynastie reçut le nom de Rhou-
RHO
485
peniane ou Rupenienne. Quand Ka-
kig fut fait prisonnier, Rboupen , qui
l'accompagnait , parvint à s'échap-
per, ainsi que son fils Constantin ; et,
suivis de deux hommes seulement ,
ils cherchèrent un refuge dans les
parties les plus difficiles du mont
Taurus , où se trouvaient beaucoup
d'Arméniens , émigrés de leur pa-
trie , alors en proie aux dévasta-
tions des Turks. Rhoupen et Cons-
tantin parvinrent à les faire soulever
contre les Grecs ; et bientôt , à la tête
d'une troupe d'hommes déterminés,
les deux princes se rendirent maîtres,
en 1080, de la forteresse de Go-
bidarh,et peu après de celle de Pard-
serpert. C'est de cette époque que
date l'indépendance de Rhoupen. De
nouveaux essaims de réfugiés Armé-
niens vinrent grossir ses forces , et
l'aider à étendre ses possessions. Il
fit aussi alliance avec Basile, autre
prince de sa nation , qui s'était rendu
également indépendant à Khesouu
ou Kisctiouni , auprès de Marasch ,
et qui était très-rcdonté dans la Sy-
rie septentrionale. Rhoupen fut, toute
sa vie, occupé de combattre les Grecs:
il mourut en loga , âgé de plus de
soixante ans , et fut enterré au mo-
nastère de Gasdaghon. Son fils Cons-
tantin V"^. lui succéda. S. M-n.
RHOUPEN II , huitièuîe prince
arménien delà Cilicie, était fils aî-
né d'Etienne, frère de Thoros II ,
fils de Léon l^r. C'est par erreur que
hs historiens des croisades le font
fils de son prédécesseur Mélier, qui
était son oncle. Son père, Etienne,
pris dans une embuscade , par An-
dronic Eupliorbène , chef des ar-
mées grecques dans la Cilicie , en
l'an 1157, sous le règne de ïhoros
II, avait été lâchement mis à mort
par ce général. Ce racurlre devint le
sujet d^ine guerre cruelle. Plusieurs
486 RHO
villes tic l'Asie Mineure furent prises
par Tboros, qui c'quipa des vais-
seaux et porta ses ravages jusque dans
l'île de Gypre. Pendant ce temps,
Rhoupen et son frère Leou, trop
jeunes pour venger la mort de
leisr père , e'taicut élevés chez Pa-
gourau , prince arménien , qui s'e'-
tait attacliè à Etienne. Tlioros , moi t
en \ i^*"] , n'avait laisse qu'un enfant
d'un an . sous la tutelle d'un seigneur
Franc, nomme Thomas, qui était ve-
nu d'Antioche , et qui fut reconnu
pour régent par les grands du royau-
me. Mleh, que les écrivains occi-
dentaux appellent Mélier , et qui
était frère de Thoros , fut mécontent
de cette conduite 11 habitait alors à
Halep, sous la protection du sulthan
atabek Nour-eddin, lils de Zenchy,
auprès duquel u avait trouve un asi-
le, depuis (|u'il s'était révolté contre
son frère. Mleh reçut du sultiian un
corpsde troupes auxiliaires, avec le-
quel il entra dans la Cilicie, contrai-
gnit les Arméniens de le reconnaî-
tre pour leur souverain , et chassa
Thomas. Son gouvernement fut de
courte durée : sa conduite dure et ty-
rannique et son alliance avec les in-
fidèles Je rendirent odieux à sps su-
jets. Le meurtre du fils de Thoros
acheva de les soulever. Les prin-
ces prirent les armes, s'emparè-
rent de sa personne, et le mirent à
mort; puis ils placèrent sur le trône
son neveu Hhoupen, en l'an 1174.
Bien différent de Mleh, ce prince se
distingua |iar sa douceur, sa bonté
et sa justice. i,e premier acte de son
gouv'jinemenl fut de j)unirles mcur-
Iricrs de son oncle. H s'occupa en
suite de réparer les maux que ses
étais avaient éprouvés par les lon-
gues guerres des Arméniens contre
les Grecs. Il releva les forteresses ,
et les monasttres en ruines; et se fit
RHO
respecter de tous ses voisins. En l'an
I I 76, il ctntracta une alliance avec
Saiadin, et déclara , ])ienl6t après,
la guerre au sulthan d'Iconium ,
Kihdj-Ar^îlan, auquel il enleva quel-
ques places , eu l'ani 180. Un grand
nombre de tribus errantes de Tur-
koraans franchirent , vers la même
époque, le mont Taurus , et tentè-
rent de s'établir dans la Cilicic : ils y
furent vaincus par Hhoupen; leurs
femmes, leurs enfants, un grand nom-
bre de prisonniers et un butin con-
sidérable , restèrent entre les mains
des Arméniens. Cette victoire sus-
cita à cepiince un adversaire plus
terrible : Saiadin , qui venait de
contraindre le sulthan d'Iconium
à signer un traité honteux , sur les
bords du Sindjah , non loin de la Ci-
licie , voulut venger la défaite d'un
peuple musulman j et ses armées en-
trèrent danslesétals de Rhoupen. Les
troupes de reUii-ci furent battues ;
mais de grands présents , et la liberté
de cinq cents captifs, sulîirent pour
apaiser la colère du sulthan, qui fit
la paix avec le prince arménien, et
rentra en Syrie, où l'appelaientdes af-
faires plus importantes. Rhoupen
jouissait d'une grande considération
parmi les princes francs établis en
Asie. Il avait épousé Isabelle, fille
de Humphroi II, seigneur de Tho-
rnn , et d'Etiennette , princesse de
Mont-royal. Bohémond III , prince
d'Antioche , avait acheté de Mleh la
possession de Tarse, ville qui appar-
tenait légitimement à l'empire grec,
et dans laquelle ce prince entretenait
une garnison au service de l'empe-
reur. 11 rétrocéda ses droits à Rhou-
pen , en l'on 1 i8'2, pour une somme
considérable. Le souverain delà Peti-
te-Arménie était alorscn guerre avec
lesGrecs; et, ]>ouragrandir sesélats,
il cherchait à profiter des troubles
RHO
survenus après la mort de Manuel
Coranènc , arrivée en l'an 1180.
11 se rendit maître de Tarse et de la
forteresse de Mainesdia ou Mopsu-
este. Ces usurpations allumèrent la
guerre entre lui et Hetliouni , chef
arménien, qui était seigneur de Lam-
pron. Décore dn titre de sebaste, ce
dernier étail resté constammentfidèle
aux empereurs grecs, qui lui avaient
confié le soin de défendre le territoi-
re de Tarse. Rlioupenleva beaucoup
de troupes , et vint mettre le siège
devant Larapron , place très-l'ortc.
Après un blocus d'un an , Hetlioum
écrivit à Bohéuioud, prince d'An-
tioche , pour l'engager à prendre
sa défense. Celui-ci, qui n'osait ou-
vertement se déclarer contre Rhou-
pen , s'offrit pour médiateur : il
invita le prince arménien à un re-
pas , et le retint prisonnier. A cette
nouvelle , f^éon , frère de Rhou-
pen , prit les armes pour le venger ;
mais, aiin de ne pas compromettre
sa sûreté , il n'attaqua point la prin-
cipauté d'Antiocbe : il remit le siège
devant Lampron , pour contraindre
Hethoum à interposer ses bons ofli-
ces en faveur de Rlioupen. Son
entreprise réussit : Kethoum. fut
contraint de se rendre; et, par
sa médiation, Léon obtint la déli-
vrance de son frère, qui alors donna
sa fille Alix en mariage à Raimond,
comte de Tripoli, fils aîné de Bolié-
mond, à la condition que les enfants
qui en naîtraient posséderaient la prin-
cipauté d'Antiocbe. Ils curent , bien-
tôt après, un fils, qui reçut de sou
aïeul maternel , le nom de Rlioupen
ou Rupin ( F. l'article suivant). Le
prince arménien , de retour dans ses
états, y régna en paix, jusqu'à l'an
1 1 85 : il remit alors le gouverncinent
à son frère Léon; puis il entra dans
le monastère de Trazarg , où il prit
RHO
487
l'habit religieux : il avait occupe le
trône pendant onze ans. H mourut
peu de jours après , et fut enterre
dans le même monastère. Il n'avait
eu , de sa femme Isabelle , que deux
fill<s : Alix , dont nous avons parlé,
et Philippine, qui épousa l'empereur
grec TlicoJore Lascaris. S. M — n.
RHOUPEN , nommé Rupin par
les historiens européens , était fils de
Raymond , comte de Tripoli , fils aî-
né de Bohémond III, prince d'An-
tiocbe, et d'Alix, fille de Rhoupen
II , prince de la petite Arménie. Par
le droit de sa naissance, il était ap-
pelé à gouverner Antioche; mais la
mort piématurc'c de son père, son
nom étranger , et les intrigues de
son oncle, rempcchèrent de jouir
paisiblement de l'héritage paternel.
11 était encore mineur quand sou
père mourut, en l'an 1200 : celui-
ci, en quittant la vie, confia la tu-
telle , et le gouvernement du comte'
de Tripoli, a son frère Bohémond,
qui en usurpa la possession ; et ,
en l'an 1201, apris la mort de
son père Boliémond III, il y joi-
gnit la principauté d'Antiocbe, au
mépris des droits de son pupille,
que Bohémond III avait fait recon-
naître eu l'an 1200, comme son hé-
ritier présoniptif, et qui, eu cette
qualité, avait reçu l'hommage des
habitants d'Antiocbe. Le jeuncRhou-
pen fut ainsi dépouillé de tous ses
biens. Léon , depuis peu déclaré roi
d'Arménie par l'empereur Henri VI,
prit la défense de son petit-neveu; et
le II novembre de l'an i'2o3, il
s'empara d'Antiocbe , qu'il ne gar-
da que trois jours. Il fut plus heu-
reux deuxaîis après ; et Rhoupen fut
reconnu prince d'Antiocbe , par le
clergé et par les bourgeois de la vil-
le : la citailvllc seule resta au pou-
voir de Bohémond, qui fut oblige
488
RHO
de se contenter du comte' de Tripoli.
Cependant, l'an 1208, il parvint à
exciter unescdition contre Rhoupen,
qui fut contraint de se réfugier au-
près de Léon , et de laisser sa prin-
cipauté à son oncle. Le deuxième
exil de Rhoupen fut de huit années,
En 1 2 1 6, des intelligences pratiquées
dans Antioche, lui rendiient cette
ville ; et Léon le couronna solennel-
lement. Tant de bienfaits ne furent
payés que d'ingratitude : Rlionpeii fut
à peine en possession d'Antioche,
qu'il chercha les moyens de s'empa-
rer de la personne de Léon , pour
envahir ensuite la Cilicie , et la
joindre à ses états. Le roi d'Armé-
nie , averti de cette trahison par
lesTempliers, rentra dans son roya;v
me, indigné de la perfidie de son
neveu, qu'il regardait et qu'il trai-
tait comme son héritier présomp-
tif; car il n'avait qu'une fille unique.
Depuis lors, il cessa de le soutenir :
aussi, enl'an 1219, Bohémond étan^.
parvenu à reprendre Antioche ,
Rhoupen chercha encore un asile en
Arménie; mais Léon , alors au lit de
mort, ordonna qu'on le chassât de sa
présence. Rhoupen partit pour Da-
ïniette , assiégée par les Croisés ;
et, après la prise de la ville, il obtint
de Pelage, légat du pape , un secours
de troupes, avec lesquelles il se diri-
gea vers l'Arménie , pour se mettre
possession de la couronne. Ce pays
était au pouvoir d'Isabelle , fille
de Léon , que les grands de l'é-
tat s'étaient empressés de faire décla-
rer souveraine , quoiqu'elle Ji'eût que
seize ans. Adan, sei"ncJir des côtes
1 1 rf"i • • •
de la Cilicio , fut déclaré régent du
royaume. \\n l'an \:v>.o, il fut assassi-
né par des Ismaéliens : Rliuupcn ])ro-
fita de rot événement pour rentrer
en Arménie, Il se fit accompagner
par sa mère, fille du prince Khou-
RHY
penll, comptant que, par elle, il se
concilierait plus facilement l'afieo-
tion des Arméniens. Arrivé à Gori-
gos, il y fut joint par le baron Bsh-
ram , qui épousa la mère de Rhou-
pen, etpar plusieursautres seigneurs
Arméniens. Avec leur secours, il
prit les villes de Tarse , et d'Ada-
na , et marcha contre Mamesdia
( Mopsueste ) , où il fut vaincu par
le baron Constantin , prince du sang
des Rhoupénicns, qui avait rempla-
cé Adan dans la régence. Bientôt
assiégé dans Tarse, il y fut pris et
mis à mort avec tous ses partisans.
Rhoupen ne laissa que deux filles,
d'Helvis, fille d'Araauri, roi de Cy-
pre, qu'il avait enlevée, enl'an 1210,
à son mari Eudes de Dampierre.
S. M— N.
RHUNKENIUS ( David ). Foj.
RUHNEREN.
RHYNE ( Guillaume Ten ), mé-
decin et naturaliste, naquit àDevcn-
fer , vers i64o , et fit ses études à
Leyde , sous le célèbre Dubois de le
Boc ( F. ce nom, XII, 85 ). Son
amour pour les sciences , et ses ta-
lents , l'avaient fait connaître avanta-
geusement , quand il fut nommé mé-
decin de la compagnie hollandaise
des Indes-Orientales. Il s'embarqua
pour sa destination , dans les pre-
miers mois de l'année 1673 , s'arrê-
ta quelque temps au cap de Bonne-
Espérance pour observer les produc-
tions du pays et les mœurs des Hot-
tentots , et vint enfin à l'île de Java.
Bientôt il ouvrit des cours d'aiialo-
mie et de médecine à Batavia ; cl
ayant su inspirer à quelques jeunes
gens son goiit pour l'histoire natu-
relle , il fit avec eux , tant dans l'î-
le de Java que dans les autres îles
de la Sonde, des herborisations, qui
produisirent d'abondanles récoltes
de plantes inconnues en F2urope,où
RHY
Tcn Rhyue les envoya (i). Dans un
voyage qu'il fit au Japon, il traita
l'cinporeur d'une maladie grave , et
fut , dit-on, honore' par ce prince du
titre de son médecin, circonstance
qui est ne'anmoins contredite par
Kœmpfer. A son retour à Batavia,
en 1674 > Van Rheede ( V. ce nom,
pag. 458 , ci-dessus) K' prit avec lui
pour rédiger son fîortus sUalabari-
cus. L'e'poque delà moi tdeTen Rliy-
ne est reste'e ignore'e des biographes.
On voit , par le titre de son dernier
ouvrage, qu'il était membre du con-
seil de justice de la compagnie des
Indes. Les ouvrages que l'on con-
naît de lui, sont : I. Médit ationes in
magni Hipjwcraiis textum xxir
de vsleri inedicind ^ Leyde, 167'-*,
in- 12. II. Excerpta ex ohservatio-
nihiis japponicis de fiuctice thee ,
ciim fascicido rarionnn planlarum
in promontorio Bonœ Spei et Sar-
danlid sinu , anno 1678 collecta-
rum , atque dsmùm ex Indid , an-
no 1677 , '" Europam ad Jacob.
Brejninm trammissarum , Danlzig,
1678, in-fo!.; à la suite du Plan-
taruni exoiicannn centuria prima.
m. Dissert atio de nrthritide ; 3Ian.
tissa scliematica de aciipunctiird.
Orationes très : declijmiœ et hotani-
cœantiquitate et dii:,nitate; de phr-
siognomid ; et de nionstris. Siii'j^ula
ipsius auctnris notis ilhistrata, Lon;
dres , i683 , in-8'. Sa Dissertation
sur la go'.tîfe n'offre rien de remar-
quable ; mais l'auteur l'a fait suivre
de ses Observations sur le traitement
que les Chinois et les Japonais em-
(i) \\ les fit passer , <"i(re anlrcs , ri Rrcyn ( '". oc
nom, V. 571 l; ri reliii-ci le- imljlia <l;iiii ses Cen-
turies: c'est d'iil)ord une clescnptioji du camplirier,
a-vec des det.iils sur l.i rrc«dte du rampbie, hccoui-
pagne's d'une lî^nre; ensuite vieunenl des détails pré-
cieux sur letlitier , la manière d'apprêter ses feuilles,
arcoinpagm s de nièm ? d'une houue figure; euUti im
Çataloj(ue peu étcudu île {liantes cju'il avait recueil-
lies au oap de IJcuRe-Dstieimice. U — p — s.
RHY 48g
ploient pour cette maladie , et dont
il av.iit e'té à même de vérifier les
heureux effets : c'est, ou la brûlure
par le moxa, ou la ponction des
parties gonflées , au moyen d'une
aig'îille d'or et queltpiefois d'argent,
dont on fait de légères piqûres sur
toute la surface tuméfiée. Les cinq
figures qui accompagnent cette cu-
rieuseDissertation, ontéléreprodui-
tes parDnjardin, dans le tome i^'',
de son Histoire de la chirurgie. IV.
Schediasma de promontorio Bonce
Spei et de Hotlentotis , Schafousc ,
1686, in-i2 , de 76 pages. Le Cata-
logue de Falconct en cite une éJit.
de Baie , 1 7 i o , in-8 \ ( F. le Jonr,-
nal des savants , 174' •. pag- 345. )
Cet Opuscule fut publié par Henri
Screta , qui l'augmenta de quelqiies
notes : il est divi.>;é en '^7 chapitres ,
précédés du voyage de l'auteur au
cap de Bonne- Espérance. Chaque
chapitre traite de quelqu'un des ob-
jets les plus dignes de l'attentiond'un
naturaliste et d'un observateur. La
situation du cap; la zoologie et la
botanique; la conformation desHot-
tentets , leurs mœurs et leurs usages,
leur religion , leur gouverncmcmt ,
leur industrie, leur médecine et leur
langue, y sont décrits séparément,
mais d'une manière superfi^^iclle et
incomplète. L'ouvrage de Ten Rhy-
ne a été iraduit en anglais , et inséré
dans quelqu'une de leurs grandes Col-
lections Ac Voyages; mais il est de-
venu inutile depuis que Kolbe, Spar-
niann, Barrow, etc., ont donné sur
le cap de Bonne i^spérance des rela-
tions bien plus détadiées. W — s,
RHYZLI.IUS (Andkk), évêque
de Lindkœping, en Suède, né, en
1677, dans un village de Vestrogo-
thie, professa la théologie <à l'uni-
versité d'Abo, et devint aumônier de
Charles XII, archidiacre deLiudkoj-
490 RHY
ping , et ëvt'.]iie de la même ville.
La société royale des sciences d'Uji-
sal le compta parmi ses membres.
Il mourut vers 1755. Rhyzelius
avait étudie avec beaucoup de soin
les langues anciennes et les ami-
quite's de son pays. On a de lui plu-
sieurs ouvrages, dont nous indique-
rons les principaux : I. De sepultu-
rd vête mm Sueo-Gothorum, in-S".
( Voyez-en l'extrait, dans le Journal
des savants de 1709, p. 53.) II.
Brontologia theologîco - historica ,
en suédois, Stockholm, 17^1, iii-4<*.
III. Sueo-Gothia munita , ou Notice
liistorique des forts , forteresses et
cLâteanx de la Suède , eu suédois ,
Stockholm, i744,in-8°.IV.M/7ifl5-
tcriologia siieo-gothica, ou Descrip-
tion des anciens couvents de Suède,
en suédois, Lindkoping, 1740, in-S"*.
V. Mnemonica hisloriœ Sueo-gothi-
cœ epitome , ibidem , 1735 - I75"i.
VI. Episcopin Sueo-gothica, ou Chro-
nique des évéques de Suède, en sué-
dois, ibid. , 1752, in-40. VII. Crtr-
mina varia grœcolatina , publiés
à différentes époques, à Stockholm
et à Lindkœping. VllI. Un grand
nombre d'Oraisons funèbres , indi-
quées dans la Ëibliolhèque homilé-
tique de Stricker, pag. iio et sui-
vantes. C— u.
RIARÏO ( Jkrome ) , neveu du pa-
pe Sixte IV, seigneur de Forli et d'I-
mola , de 1473 à 148S, était natif
de Savone. A peine Sixte IV fut - il
monté sur le trône pontifical, qu'il
s'occupa de la grandeur de ses deux
neveux. Il destina l'aîné , nommé
Pierre, à la carrière religieuse , et le
cadet, Jérôme , à l'étal militaire. Le
premier fut nommé successivement
cardinal de Saint-Sixte, patriarche
de Constantinoplc , archevêque de
Florence, et légat du Saint- Siège
dans toute Tltalic. Il étalait, dans
RI A
ses voyages , une magnificence fas-
tueuse , et donna, en i473, deux
fe:^tins dont le luxe surpassait tout
ce que l'on avait jamais vu en ce
génie. La même année , il acheta
la ville et la principauté d'Imola,
de Taddéo Manfredi, pour le prix
de quarante mille ducats ; et il en
investit Jérôme Riario, son frère.
Peu de temps après son retour de
ses voyages, il mourut à Rome, le
5 janvier i474- Jérôme Riario, de-
venu seigneur d'iraola , s'était pro-
posé d'envahir les petits états voi-
sins , en profitant tour - à - tour
du crédit du pape son oncle, de son
habileté dans les intrigues, et de
l'obéissance des soldats de l'Égli-
se , qu'il commandait. Mais il trou-
va un obstacle à ses desseins ambi-
tieux, dans l'habileté de Laurent de
Médicis , chef de la république flo-
rentine, qui ne voulut point lui per-
mettre d'ojtprimer ou de dépouil-
ler les feudaiaires de l'Église. Ria-
rio, pour s'en venger, entra dans
la conjuration des Pazzi , en 1478;
et, comme Laurent Médicis ne tomba
point sous le poignard des conjurés,
Hiario fut chargé , par son oncle , de
lui faire la guerre. Il profita des trou-
pes qu'il avait rassemblées pour sur-
prendre, en i4î^o, la ville de Forli,
souveraineté de la maison Ordelafîi,
qui l'avait conservée pendant cent
cinquante ans. Quoiqu'il n'eût au-
cun droit à cette principauté , il
n'eut pas de peine à en obtenir l'in-
vestiture du pape, son oncle. Cette
conquête ne satisfaisait point en-
core l'ambition de Jérôme Riario.
Dans l'espoir de se rendre maître
du duché de Ferrare , il engagea Six-
te IV , en i48'2 , dans une ligue avec
les Vénitiens , contre le duc Hercule
I'^''. d'FlsIe. A la tête de l'armce pon-
tificale, il livra bataille, le 21 août
RIA
i48'2, au duc de Calabrc, qui s'a-
vançait au secours du duc de Fer-
rare ; et il le dcTit couiplèlement à
Campo IVIorto, près de VelleUi. Bien-
tôt après , il changea de système ,
croyant avoir de glus grands avan-
tages à espe'rcr de la ligue opposée
à celle qu'il avait formée. Le r2 dé-
cembre i48-î , il fit faire la paix en-
tre le pape et le duc de Ferrare; et,
le 25 mai suivant, le pape excom-
munia les Vénitiens, pour les forcer
à poser les aimes. Jérôme Riario ,
n'ayant point eu en Romagne les suc-
cès auxquels il s'attendait, tourna ses
forces contre les barons de Rome.
Tandis que L. Colonne , protonotaire
apostolique, arrête par ordre du pa-
pe , en 1484 5 sut la tête tranchée ,
Jérôme Riario , de concert avec les
Orsiui , s'empara de Mariuo , de la
Cava et d'auties forteresses possé-
dées par les Culoiinc,':. Mais , pendant
qu'il poursuivait ses conquêtes. Six-
te IV mourut. Tous les fiefs en-
levés aux Colonnes se révoltèrent, à
cette nouvelle , contre Jérôme Ria-
rio ; et celui - ci se vit en butte aux
attaques , comme <à l'exécration des
Romains. Après la mort de son on-
cle , Jérôme Riario vint s'établir à
Forli ; et il s'occupa d'orner cette
ville , ainsi qu'Imola , de magnifiques
édifices. Cependant il y comptait de
nombreux ennemis; et, une con-
juration s'étant formée , il fut assas-
siné le i5 avril i488. Il laissait v.ii
fils, nommé Octavien, à qui la valeur
de sa mère, Catherine Sforce , fille
de Galeas-Marie, duc de Milan, sau-
va sa principauté. Son neveu, Raphaël
Galeutto, connu sous le nom de car-
dinal Riario, succéda au chapeau du
cardinal Pierre, en décembre i477?
chercha (pendant le pontificat d'A-
lexandre VI ) un asile en France (où il
avait rëvêchc dcTrcguicr ), rctour-
RIB 491
na en Italie , fut impliqué dans la
coujuralion du cardinal Petrucci
sous Léon X, qui lui pardonna, et
mourut à Naples, le -j juillet i52i.
On prétend qu'il rétablit le premier à
Rome le luxe des représentations
théâtrales. {V. Fantuzzi, Scrittori
Bolo<i,nesi. ) S. S — i.
RIRADENEIRA ( Pierre ) , cé-
lèbre jésuite, né à Tolède, le i*^''.
nov. i5'27 , fut envoyé fort jeune à
Rome , pour y cuntiuiier ses élu-
des. Admis par S. Ignace au nombre
de ses disciples avant même que
leur institut eût reçu l'approbation
du Saint Siège , il vint, en lo^n. , à
Paris , suivre les leçons des plus célè-
bres professeurs de philosophie et
de théologie. Il se rendit , trois
ans après , à Padoue , où il ache-
va ses cours , et fut ensuite char-
gé de professer la rhétorique au
collège de Palerme. Son zèle pour
l'institut naissant , ses talents et
sa piélé, le firent chérir de saint
Ignace , et des PP. Lainez et Bor-
gia , qui succédèrent au vénéra-
ble fondateur , dans le gouverne-
ment de la compagnie : il con-
tribua beaucoup à son établisse-
ment dans les Pays-Bas , en Flan-
dre et en Espagne ; et il remplit
différents emplois tant en Sicile que
dans la Toscane et la Haute- Italie.
L'affaiblissement de sa santé lui fit
demander la permission de retour-
ner à Tolède; et , s'étant rétabli, il
se rendit h Madrid, pour recueil-
lir les matériaux d'un ouvrage qui
devait faire connaître les servi-
ces des Jésuites en Espagne et dans
les Indes. Il était occupé de ce
travail, quand il mourut, le i^'".
octobre 1611 , à l'âge de quatre-
vingt-quatre ans. Le P. JMariaua , sou
confrère et son ami le plus intime ,
a consacre le souwiiir de ses vertus,
492 RIB
par une ëpilaphcinseree dans la Bibl.
soc. Jesu , p. 694. C'était un hom-
me d'un zèle infatigable, naais d'une
crédulité' quelquefois puéiilc. Outre
divers ouvrages ascétiques et des
J'/'«'5?z/cf/ci«j. espagnoles de plusieurs
Opuscules d'All)ert-le-Graiid et de
saint Aîjgusiin , on a du P. Ribade-
neira : I. Les Fies de saint Ignace,
du P. Laiiiez, d'Aljih.Sahneron,
et de saint François Borgia ; ces
Vies , imprimées .séparément, ont été
réunies dans l'édition de Madrid ,
i59^,in-fol. Ribadeneira traduisit
la Vie de saint Ignace en latin (i):
elle a été vivement critiquée par les
protestants , entre antres par Simon
Sfenius, qui la fit réimprimer, en
1398 , in-S". , avec des Notes très-
piquantes ; le raalin éditeur s'était
caché sous le nom de Christianus
Sinio Lithus : il fut réfuté par le P.
Gretser, auquel il répondit; et celte
querelle produisit , de part et d'au-
tres , divers écrits, m.iintenant ou-
Lliés. Les Fies des PP. Lainez et
Borgia , tra.'luites en latin par André
Schott, l'ont été depuis en français
par Michel d'Esne, seigneur de Bet-
tancourt. IL Une Histoire du schis-
me d'.Jngleterre , Valence , i588 ,
in-8''. Elle a été traduite en latin ; on
y trouve jdusieurs pirticulirités que
Nie. Saunders (ou Sanderus) n'avait
pas connues ou qu'il avait négligé de
recueillir. III. Le Pnnce chrétien ,
Anvers, 1,^97 , in-8". ; c'est une ré-
futation du Prince de Machiavel : il
a été traduit en latin , Anvers, iGo/j,
et en français par Balinghcm, Douai,
lOio, in-H". Cet ouviage contient
bien des propositions hasardées.
L'Etoile en a rapporté (juciques-unes
dans le Journal de Henri IF, tome
(I) i.'..iii...„ i;,ii,.,, j'A,,,,.,,, ,{;,„. i„.r„i., est
or„, ,; ,1,. I,, ,.|,e|lt., ,.M«..i,us «jul la font rtc Iii-rchcr
uvs aiuiiteurii.
RIB
IV , i38 et suiv. IV. La Fleur des
Fies des saints, Madrid, i5gg-
iGio , 2 vol. in -fol. ; réimprimée
plusieurs fois à Madrid , et à Barce-
lone , et traduite cinq ou six fois en
français. C'est une compilation des
récits des anciens légendaires , dans
le goût de celle qu'avait publiée Jac-
ques de Voragine ( Foj . ce nom ):
quoique élégamment écrite dans sa
langue originale, elle est tombée tout-
à-fait dans l'oubli, même en Espa-
gne , depuis les utiles travaux des
Bollandistcs ( Fojez Boi.hÂTSDVs).
C^^st après avoir lu les fables rap-
portées dans cette légende parRibade-
neira, qu'Abel Servien ne le nommait
plus que le P. de Badinerria. V. Un
Traité de l'institut de la société de
Jésus, IMadrid , i6o5,in-4°. , en
espagnol : c'est une apologie de l'or-
dre. VI. Catalogus scriptorum so-
cietatis Jesu , Anvers , 1 (3o8 , in-S^.
Ce volume contient la liste des écri-
vains de la société, par ordre al-
phabétique de leurs noms de baptê-
me, avec les titres de leurs ouvrages
imprimés ou manuscrits ; deux ta-
bles fort commodes , l'une des noms
propres , et l'autre des matières ; la
liste des provinces de la société, avec
les collèges et les maisons qui en dé-
pendent ; et enfin la Notice des jésui-
tes morts pour la foi. Il fut réimpri-
mé à Lyon , en 1G09, augmenté des
articles des jésuites français que Ri-
badeneira n'avait pas connus; et en-
suite à Anvers , en i6i3, par les
soins du P. Schott , avec de nouvel-
les additions. Les PP. Alegambe et
Southwell ont refondu le travail du
P. Ribadeneira, avec d'importantes
additions , jusqu'en iG43 , et le se-
cond, jusqu'en 1G76 ( Foy. Ale-
GAMlili et '-ournAVELL ). W — s.
RIBALLIER ( Amdroise ). syn-
dic de la factdté de théologie de Pa-
RIB
ris, ne dans cette ■ville, en 17 12,
fut fait docteur de Sorbonne , et
procureur, puis giand-maître du col-
lège Mazarin. La faculté' de tlie'oloc;ie
de Paris avait élc en proie à quelques
troubles qui avaient engagé le gouver-
nement à suspendre l'élection d'un
syndic , et à désigner lui-même pro-
visoirement un docteur pour remplir
cette place. Gervaise , qui en faisait
les fonctions , élant inurt en 1765,
le roi nomma l'abbé Riballier pour
le remplacer. La faculté réclama ;
mais Riballier resta jusqu'à sa mort
syndic provisoire. On l'avait jugé
propre, par sa douceur et son esprit
conciliant , à diriger la faculté avec
prudence. Placé dans des circons-
tances diillciles , il eut à combat-
tre à - la - fois les pliiioso plies et les
jansénistes ; et les uns et les autres
l'ont fort ma! traité. Ayant été obli-
gé de se prononcer contre le livre
de Bélisaire , on sait à quel ])oint
Marmontel , Voltaire , et tous leurs
amis , se vengcient par des plaisan-
teries , tantôt sur toute la Sorbonne,
tantôt sur le syndic. Riballier publia
une Lettre d'un docteur à lai de ses
amis , au sujet de Bélisaire, 1768,
in-i'2. Il eut aussi part aux autres
censures portées de son temps contre
les livres philosophiques. Chargé,
en 1768 , d'approuver, comme cen-
seur royal , nnc collection de thèses
soutenues en pays étrangers, et qui
favorisaient les opinions nouvelles,
il y joignit des notes où il s'efforçait
de corriger des expressions dures,
et des principes outi es de ces thèses.
Il paraît que l'abbé Legraiid l'aida
dans ce travail ( P\y. Legrand
(Louis) , XX III, 57G); et ils répon-
dirent, par des lettresimprimées, aux
critiques que l'on fit de leurs notes :
ils s'attachaient surtout à montrer
combien le système des Augusliniens
RIB 4g3
c'tait différent de celui des appelants.
Une autre dispute dans laquelle Ri-
ballier se trouva engage , vint à l'oc-
casion d'un procès entre le chapitre
et le curé de Cahors. Le chaj)itre
dans un Mémoire, avait traité de
chimérique la prétention qu'avaient
les curés d'être de droit divin, et
de succéder aux soixante - douze
disciples. Les curés répondirent
par nn écrit , et consultèrent la
Sorbonne , où deux docteurs, Xau-
pi et BUIetle , donnèrent une dé-
cision en leur faveur. D'un autre
côté , Riballier et Legrand , dans
leur consultation , du 14 avril
I77'2 , tout en reconnaissant que les
curés sont de droit divin, furent
d'avis que ceux de Cahors avaient
montré des prétentions exagérées.
L'évêque de Cahors se plaignit de la
première décision; et Riballier , en
rendant compte de ces plaintes à la
faculté, provoqua l'examen du Mé-
moire de Xaupi et Rillctte, qui fut
censuré. Le parti jausénisîese décla-
ra vivement pour ces deux docteurs ,
et accusa Riballier d'avoir mis de la
partialité et de la précipitation dans
cette affaire. Mey et Piales donnè-
rent des consuliations en faveur de
Xnupi , qui adhéra cependant a la
censure. Riballier fut un des quatre
théologiens que s'adjoignit la com-
mission d'évêques et de magistrats
créée, en 1766, pour l'examen des
ordres réguliers; et il pidalia sur ces
matières uj e Lettre à l'auteur du
Cas de conscience sur la réforme
des réguliers, ^768, in- 12; et un
Essai historique et critique sur les
privilèges et exemptions des régu-
liers , 1769. Ce docteur était un
homme estimable par ses principes
et ses talents; il usa avec modé-
ration de l'influence que lui don-
nait sa place. 11 jouissait, depuis
494 RlB
1768, de l'abbaye de Chambon , au
diocèse de Poitiers, et mourut au
mois d'août 1785, La faculté eut
enfin après lui la liberté' de se choi-
sir elle-uiêrae un syndic; et les doc-
teurs nommèrent l'abbé Be'rardier,
docteur de Navarre, et principal du
colle'ge Louis-le- Grand. — Un frè-
re dcRiballier, employé dans les
fermes à Soissons, a composé (piel-
ques ouvrages cités dans le Diction-
naire des anonjmes. P — c — t.
RIBALTA (Francisco), pein-
tre espagnol , né à Castellon de la
Plana, en i55i , vint très-jeune à
Valence, pour se livrer à l'étude de
la peinture. Devenu amoureux de la
fdiede son maître, il la demanda en
mariage : mais le père la refusa, sous
prétexte que ce jeune homme n'était
point assez habile dans son art.
Ce refus détermina Ribalta à se ren.
dre en Italie, après avoir reçu de
sa maîtresse l'assurance qu'elle at-
tendrait son retour. Pendant son sé-
jour à Rome, Ribalta fit une étude
aprofoudiedes ouvrages de Raphaël,
des Ca rraches , mais "iurtout de Sébas-
tien del Piorabo, dont il copia plu-
sieurs fois les productions. Après
s'être ainsi perfectionné dans les par-
ties essentielles de son art, il se hâte
de revenir dans sa patrie ; se pré-
sente chez son ancien maître , qui
c'tait absent; entre dans l'atelier, et
aperçoit sur le chevalet un tableau
récemment esquissé ; il prend les
pinceaux , et termine le tableau.
Le maître rentre : il demeure frappé
d'étonneincnt a ras|)ect de cet ouvra-
ge , et dit à sa fille : « C'est à un ar-
» liste semblable que je te marierais
» volontiers , et non à ce misérable
» Ribalta. — Eh bien, mon |)ère,
» c'est Ribalta lui-même, lui ré-
» pond sa (îlle. » Cette aventure se di-
vulgua bientôt j cl le mariagcfut con-
RIB
clu. Ribalta ne tarda pas à se faire
une grande réputation dans Valence
et dans tout le royaume. Il exécuta .
pour Tarchevêque don Juan de Ri-
bera, une Cène, que ce prélat desti-
nait pour le maître-autel du collège
de Corpus Christi. Vincent Cardu-
cho, sur la réputation de ce tableau,
vint exprès à Valence , et fut tel-
lement dans l'admiration, qu'il en
fit une copie pour un couvent de re-
ligieuses de Madrid; mais, malgré
tout son talent, il ne put atteindre à
la perfection de l'original. La plu-
part des églises de Valence furent
ornées des tableaux de Ribalta , qui
en enrichit également sa ville l'atale.
Tolède, Ségorhe, Saint-Ilnéfonse ,
Madrid et quantité d'autres vil les vou-
lurent avoir de ses productions. Les
qualités qui distinguent cet artiste
sont un bon goût de dessin , un air
de noblesse et de grandiose peu or-
dinaire chez les artistes de sa nation,
et qu'il avait puisé en Italie. La com-
position est une des parties les plus
remarquables de son talent; et, ce qui
est également rare parmi ses compa-
triotes, il était grand anatomiste. Sa
couleur, qui offre quelquefois delà
dureté, est en général bien empâtée
et naturelle. Le Musée du Louvre a
possédé deux ouvrages de ce maître,
représentant l'un Saint Pierre , et
l'autre son fameux tableau de la Cè-
ne. Ils ont été rendus, en 18 15, à
S. M. C. Ribalta mourut à Madrid,
le ivi janvier \(y.iS. — Juan de Ri-
Bj\lta , fils et élève du précédent,
né à Valence , en 1 597 , manifes-
ta, au sortir de l'adolescence , les
dispositions les plus rares. A l'âge
de dix- huit ans, il exécuta le nia-
gnifique Cah'uire de San- Miguel
de los Rejes , (pii , depuis, a clé trans-
porté à Valence. Cette j)roduclion
est remarquable sous tous les rap-
RIB
porls; ctTon ne pourrait croire qu'un
ouvrage aussi parfait fût sorti de la
main d'un si jeune artiste, si l'ins-
cription qu'il y a mise ne faisait
connaître d'une manière incontesta-
ble l'époque à laquelle il a été peint.
Il n'a voulu éluder aucune des diffi-
cultés , pour avoir le mérite de
les vaincre toutes. Don Jacques de
Vich , amateur éclairé , lui com-
manda une suite de portraits des
hommes céKbres nés à Valence. L'ar-
tiste ne put en exécuter que trente un,
que Jacques de Vieil légua au mo-
nastère de Saint-Jérôme, avec les
figures de Saint Pierre , de Saint
Jacques , du Bon Larron, de Saint
u^uguitin, de Saint Sébastien, de
Saint Isidore , et deux autres ta-
bleaux représentant , le piemier un
Plat de Poissons; le second des
Mendiants qui jouerit aux cartes ,
tous peints par Kibalta. Il y joignit
en outre une Sainte Cécile , -pemlc
par les deux Ribalta, père et fils. Oq
a souvent confondu les productions
de ces deux artistes , qui peignaient
avec un égal talent. Cependant on re-
marque, dans celles du fils, une tou-
che plus légère et une couleur plus
suave. Il serait devenu un des plus
grands artistes de l'Espagne, s'il n'é-
tait mort ayant à peine atteint sa
trentième année. Il faisait aussi très-
bien les vers. P-s.
RIBASYCARASQUTLLAS(Jean
DE ) , dominicain, né à Gordoue, en
1612, se fit une grande réputation
comme prédicateur , et enseigna
long-temps , avec succès , la philo-
sophie et la théologie au couvent
de Saint-Paid , à Gordoue. Il fut
nommé directeur des études daus
toute l'Andalousie, et mourut dans
sa ville natale, le 4 novembre 1O87,
regretté de ses confrères, qui pu-
blièrent un Recueil , in - 4"- , de
RIB
495
vers et de discours à sa louange.
Outre quelques Sermons et des Opus-
cules ascétiques , sans intérêt , dont
on trouvera les titres daus la Bibl.
ord. Prœdicat. des PP. Quetif et
Échard , I! , 712, on lui attribue:
I. Teatro jesuitico,apologetico dis-
curso , con saludahlesj seguras do-
trinas necesarias à los principes y
seîiores de la tierra , Coîmbre ,
1654, in-4''. , de 1 76 p . : trad. en
hollandais, Amsterdam, i683,in-8^.
Get ouvrage parut sous le nom du
Dottor Francescon de la Piedad.
G'est la satire la plus virulente que
l'on connaisse contre les jésuites, aux-
quels l'auteur reproche les vices et les
désordres les plus honteux. ( Vov.
le Dictionnaire des livres condam-
nés, par M. Peignot, 11 , \S/\. ) Elle
fut brûlée par ordre de l'inquisition,
et supprimée avec le plus grand
soin. Vogt n'en connaissait qu'unseul
exemplaire, celui de la bibliothè-
que du Roi , le même qu'avait eu Le-
tellier , archevêque de Reims ( Voy.
Vo^t^Catal. libror. rariorum, pag.
364 ^; mais , depuis, on en a vu pas-
ser quelques autres dans les ventes ,
à Paris , où ils ont été portés à des
prix très considérables ( F. Brunet,
Manuel du libraire, au mot Pie»
dad ). Cet ouvrage , oublié mainte-
nant, fit beaucoup des bruit dans le
temps desquerellesdes jansénistes et
des raolinistes : il fut attribué, parle
P. Th. Raynaud, à Ildefonse de saint
Thomas , dominicain et évêque de
IMalaga ; mais ce prélat l'a désavoue'
dans un ouvrage intitulé , Qnerimo~
nia catholica , INIadrid , 1686 , in-
12, ( qu'il est bon, dit M. Brunet,
de réunir au Teatro) et, persuadé
que cette production ne pouvait
être sortie que de la plume d'un
prolestant, il enachargé Jurieu. Les
soupçons s'étaient portés aussi sur
49^
RIB
le P. Riloas ; et, maigre son constant
désaveu , l'aljbé Goiijct persiste à le
regarder comme le véritable auteur
de celte satire , et a rassemble' , dans
une courte Notice sur ce religieux ,
tous les motifs qui peuvent faire pre'-
valoir son sentiment ( Voy. l'art.
Bibas , dans le Dict. de IMorcri, éd.
de 1709 ). II. Suelclo al César j a
Dios su gloria, i()63, in-foi. ; spus
le nom de D. Joseph de Zais , cha-
pelain. Dans cet ouvrage, le P. Ri-
bas prouve que c'est à tort qu'on a
voulu ravira saint Thomas d'Aquin,
la Chaiue d'or ( Catena aurea ) ,
pour eu faire honneur au P. ijalo-
mon Carbonnet , franciscsin. III.
Barragan Botero ; c'est encore un
ouvrage contre les je'suites , moins
violent et moins connu que le Tea-
tro. Philippe IV, selon Goujet, le
trouvait si plaisant , qu'il se le fai-
sait lire après dîner , par forme de
récréation. W — s.
RIBAULT (Jean de), navigateur,
né à Dieppe, servit des son jeune
âge , dans la marine , et y ac--
quit beaucoup d'expérience. L'a-
miral Coligui ayant fait goûter à
Charles IX le projet de fonder une
colonie dans la Floride, où aucune
2)uissance européenne n'en avait à
cette époque, chargea de l'exécution
de ce plan Ribault , zélé calviniste ;
car il desirait quo l'élahiisseraent pût
servir d'asile aux protestants. Ribault
partitdcDieppe,le i81év. i5G2,avec
deux robcrges (bàlimcnls qui diffé-
laiènt peu des caravellesespagiiolcs).
11 avait des équipages choisis, et plu-
sieurs volontaires , parmi lesquels se
trouvaient des gens de bonne mai-
son et de vieux soldats. Ayant na-
vigué j)cndaîit deux mois sans tenir
la roule .iccoutumée des Espagnols,
il attérit à 3o" de latitude , près
d'un cap (pi'il ap[)ela le cap Frau-
RIB
çais. La côte était plate et boisée.
Il se dirigea vers le nord , et entra
dans un fleuve, sur les bords duquel
il fit élever, avec le consentement
des habitants, une colonne aux ar-
mes de France. Le i'^^'. mai , on vit
un autre fleuve , qui reçut le nom de
ce mois. Tous ceux que l'on lencontra
ensuite furent nommés d'après les
noms des rivières de France. Aibanlt
cherchait celui auquel les Espagnols
avaient apjdiqué la dénomination de
Jourdain. 11 avait aussi besoin d'en
trouver un dont l'embouchure bii of-
frît un havre pour ses vaisseaux.
L'ayant découvert ])ar Si" de latitu-
de, il l'appela Port-Royal. Le fleuve se
partagent en deux bras : le moins
considérable eut le nom de Clienon-
ceau. Ou construisit , sur une île ,
une redoute, qu'il appela Charles -
Fort , la première forteresse que les
Français aient eue dans l'Amérique
septentrionale. Ribault y laissa une
garnison, puis leva l'ancre, et con-
tinua de faire route au nord-est. A
quinze lieues de Port - Royal , il re-
connut une rivière qui n'avait qu'une
demi-bl-asse d'eau à son embouchu-
re. « Là les Français se trouvèrent
» en peine, disent les historiens, et
» ne savaient que faire, ne trouvant
» que six , cinq , quatre et trois bras-
» ses d'eau, encore (pi'ils fussent six
» lieues en mer. •>■> Ribault, ayant con-
sulté ses officiels, revint en France j
il rentra , le 'lo juillet, dans h port
de Dieppe. E.u i5G5 , Coligni ,
prévenu contre Laudonnière , qui
commandait en Amérirpie , donna
ordre ta Ribaultd'y retourner. Celui-
ci partit avec sept vaisseaux , et ,
après une traversée longue et péni-
ble, arriva , le 28 août, au fort Ca-
roline, cou^lruit sur les bords de la'
rivière de Mai. Les Indiens, ([ui le
recoumuent, liiiûreiit un accueil ami-
filB
cal. Il se préparait à augmenter les ou-
vrages (la fort, lorsque, le 4 septem-
bre , parut une escadre espagnole ,
commandée par Pedro Mcucxcz.Quoi-
que l'on fût en paix , ce dernier at-
•.'aqua quatre Ijâtiments français ,
mouilles à l'entrée du fleuve. Ceux-
ci, voyant leur infériorité , filèrent
leurs câbles , et gagnèrent le large.
Menezez, les ayant poursuivis inuti-
lement, revint vers le fort. La bon-
ne contenance des gens qui garnis-
saient le rivage, et qui tirèrent sur
ses vaisseaux, lui fit craindre d'être
pris entre deux feux. 11 s'éloigna
donc, et entra dans un fleuve plus
au sud. Les navires français , qui s'é-
taient écartés , l'y suivent, observent
sa position, et, le 8, vont en ins-
truire Ribault. Chacun était d'avis
de se fortifier sans relâche à Ca-
roline , et d'envoyer, par terre, un
gros détachement pour tomber sur
les Espagnols, avant qu'ils eussent
pu se retrancher. Ribault , n'c'cou
tant qu'une bravoure téméraire, vou-
lut aller combattre les Espagnols ,
avec ses quatre plus grands vaisseaux:
malgré les remontrances de Laudon-
nière et des principaux officiers , il
emmena la plus grande partie de la
garnison. Au momentoùil s'appro-
chait de l'enncnii , un coup de vent
de nord le força de s'éloigner de la
côte. La tempête dura jusqu'au aS
septembre, et jeta les navires de Ri-
bault sur des rochers, à plus de cin-
quante lieues dans le sud : tous fu-
rent brisés; la plus grande partie des
équipages se sauva. On parvint ,
après des fatigues inouies , à gagner
les environs du fort Caroline. Trom-
pés par les assurances d'amitié et les
serments des Espagnols, les Français
se fièrent à eux : ils furent tous égor-
gés. Quelques historiens rapportent
que Ribault fut écorché^etquesa peau
XXXVII.
fut envoyée en Enrojic. Les récits
des Français et ceux des Espagnols
dilièrent sur les détails de cette ca-
tastrophe ; mais il résulte de tous
leurs rapports qu'il fut , ainsi que
ses compagnons d'infortune , trai-
treusement assassiné. Les événements
de la vie de Ribault sont racontés par
Basanier, dans V Histoire de la Flo-
ride {F. LaxjdonniÈre), Sa mort
fut vengée par Gourgue ( F. ce nom,
XVIII, 195). Indépendamment de
tout ce qui est relatif à l'expédition
des Français, V/Iisloiie de la Flo-
ride contient beaucoup de renseigne-
ments curieux sur la nature du pays,
ses productions et ses habitants.
D'autres relations de ces entreprises
des Français avaient été publiées
avant le livre de Basanier, telles que:
De nauigatione Gallorurnin terrain
Floridam deque clade , anno 1 565,
ab Hispanis accepta, autore Levino
Apollonio Gandabru^ensi , Anvers,
1578 , in-80. Urbain Chauveton joi-
gnit à ses traductions latine et fian-
çaise de V Histoire du Nouveau-
Monde , de Benzoni , un Brief Dis-
cours et histoire d'un vojage de
quelques François en la Floride
et du massacre exécuté par les
Espagnols , l'an 1 565 , ensemble
une requête présentée au roi Char-
les IX, Paris , 1578 et 1579, iu-8'>.
Tous ces voyages sont aussi décrits
dans le premier livre de V Histoire
de la Nouvelle-France de Lescar-
bot. Le récit de la seconde expédi-
tion , celle de Laudonnière, et celui
de la catastrophe de Ribault, insérés
par de Bry dans la deuxième partie
de ses Grands voyages , ont été ré-
digés par Jacques Le Moyne, peintre
dioppois, qui avait reçu ordrede des-
siii(;r les côtes où l'on aborderait,
d'observer la situation des villes , le
cours et la profondeur des fleuves. Il
32
498 KIB
assure avoir rempli avec toiUe l'exac-
titude dont il était capable, la mis-
sion dont on l'avait charge. Arrive'
en Angleterre avec Laudonuière, il
s'occupa de la relation de son voyage,
ainsi que des dessins destine's à l'ac-
compagner. Théodore de Bry l'ayant
trouve à Londres, en l'année 1587 ,
l'eutendit souvent parler de ses
voyages , de ses manuscrits et de ses
dessins : il le vit mourir, et aclicta
de sa veuve ses productions. Les he'-
ritiers de Bry reimprimèrent, dans
la sixième partie de leur collection ,
à la suite de l'histoire de Benzoni ,
îe récit de l'expédition de la Floride,
et la traduction de la requête pré-
sentée à Charles IX , tels qu'on les
trouve dans l'édition latine donnée
par Chauveton. Le Recueil de Bry
contient aussi une Description topo-
grapliique de la Floride , qui n'est
qu'une compilation. Camus , auquel
on doit une partie de ces détails, fait,
sur ces ditFérentcs narrations , une
observ.'Uion très -judicieuse. «H ré-
» suite de leur examen, dit-il, que
» le but principal des expéditions
» faites à la Floride, et particulière-
» meut des trois premières , était de
» rechercher les riches mines que
)> l'on supposait exister au nord de
» l'Améritiuc. Ceux qui s'embar-
» quaient , n'étaient que des avenlu-
» ricrs qui avaient envie de faire
» fortune. De là le mécontentement
» qui se manifestait lorsqu'on ne
» trouvait pas de trésors , l'insu-
» bordiuation et l'indiscipline , les
» conspirations même contre les
» chefs des expéditions. De là aussi
» la multiplicité des relations d'ex-
» péditions dans lesquelles se trou-
» valent engagées plusieurs person-
» nés capables de les écriie. » La res-
semblance du nom du fort Caroline
avec celui d'un des étals de l'Union ,
RÏB
situé sur la même côte, a fait supposer
à tort que le dernier devait cette dé-
nomination aux Français. On se con-
vaincra que cette opinion est erronée,
en observant que le fort Caroline fut
bâti à l'embouchure de la rivière de
Mai (nommée ensuite Saint-Augus-
tin , et au\outà'\nn Saint- Jean ). Le
Cap-Français est la pointe de terre
qui , au-dessus de la ville de Saint-
Augustin, s'avance au sud. Charles-
Fort était sur l'île que l'Édisto , ri-
vière de la Caroline méridionale ,
forme à son embouchure. E — s.
RIBERA ( Anastase-Pantaléon
ue), poète castillan, pourrait être
appelé le Scarron de l'Espagne. Il
naquit à Saragoce , eni58oj étu-
dia d'abord pour entrer dans l'état
ecclésiastique, se fit moine; et, avant
de finir le noviciat, quitta son cou-
vent, etdevint littérateur. Ribera prit
ensuite le parti des armes , et se
distingua en 160 4 à la prise d'Os-
leude. 11 y reçut plusieurs blessu-
res ; son humeur était si joviale,
même dans les moments les plus dou-
loureux, que le chirurgien qui le pan-
sait, et qui ne pouvait pas s'empê-
cher de rire à ses bous mots , déclara
qu'il ne le soignerait plus , s'il ne fai-
sait pas trêve à ses plaisanteries; car
elles détournaient son attention du
soin qu'exigeait le pansement. Au
retour de la guerre, Ribera se con-
sacra tout entier à la poésie , et
entra, comme secrétaire, chez le
duc de Médina - Sidonia , qui fut
son constant protecteur. Ses poé-
sies sont pleines d'esprit et de sel.
Il était très-enclin à la satire ; et
il s'amusait à mettre en vers tou-
tes les historiettes et anecdotes ga-
lantes de la cour et de la ville. Sa
gaîté lui donnait entrée dans les
maisons les plus illuslies , où il
amusait par ses Naillics. On en avait
RIB
fait un Recueil, imprime à Madrid,
vers i63o, et qui est devenu très-
rare. Ribera excellait dans la Roman-
ce et les Redondilles ( couplets de
cinq vers de huit syllabes ) , et il y
tournait en ridicule tous les vices et
les travers qui le frappaient. Pendant
quelques mois, il fut admis au nom-
bre des beaux-esprits qui compo-
saient, eu grande partie , la cour de
Philippe IV ', mais , s'étant permis
une plaisanterie un peu trop vive sur
un des seigneurs les plus aime's du
roi, l'entrée du palais lui fut inter-
dite. Il mourut jjeu de temps après ,
en avril iGsg, à l'âge de quarante-
neuf ans. Ses Poésies furent impri-
mées à Saragoce (i), en i634,et
à Madrid, en 1646 , -i vol. in-8°.
B-s.
RIBERA. r. ESPAGNOLET.
RIBIT (Jean), en latin Ribittus,
philologue , sur lequel on n'a pu re-
cueillir que des renseignements très-
incomplets, florissait vers le milieu
du seizième siècle. Quelques biogra-
phes disent qu'il était de Savoie ;
mais Conrad Gesuer, son ami le plus
intime, lui donne le titre de Français
(natione Gallus). Il était très-savant
dans les langues anciennes; et il rem-
plaça Gesner, vers i54i , dans la
chaire de grec au collège de Lausan-
ne. Ribit a traduit en latin quel-
ques Opuscules de Xénophon : le
Traité des impôts, ou Moyen d'aug-
menter les revenus de l'Attique; Hip-
varque , ou du gouvernement de la
cavalerie, et le Sympose , ou Ban-
quet des philosophes. Ces versions
de Ribit ont été insérées dans les
éditions grecques et latines des OEu-
vrcs de Xénophon. On lui doit une
( ' ) Le Dictionnaire lilslorii/ue fait uu efrangc ana-
cliroiiisino, (juaiid il dit que ces pué.sies furent re-
cueillies par Pelliccr, ami de l'aiileiir ; ce savaut
éditeur étant ué loQ aus après la luurt de Ribera.
RIB
499
Edition grecque de Lucien, Râle
Isiugrin, i545, 2 vol. in-80., avec
une Préface latine , dans laquelle il
apprécie, avec autant de goût que
d'érudition , le mérite de cet écri-
vain, qu'il conseille de mettre entre
les mains des jeunes gens. Il a tra-
duit en latin un Recueil de sentences
tirées des Pères grecs , par Antoine
surnommé Melissa, moine du neu-
vième ou du dixième siècle. Gesner
publia cette version , avec celle qu'il
avait faite lui-même d'un Recueil du
même genre , d'un moine nommé
Maxime, sous ce litre : Sententia-
rum sive capitum theologicoru.'Ji
prœcipuè ex sacris et prof unis libris,
tomitres, Zurich, i546, in -fol.;
Anvers, i56o, in- 12. Enfin on a
de Ribit deux Opuscules : Explana-
lio loci ad Hebrœos vu : lex nihil
perfecit , Baie , 1 554 , iu-S». — Dis-
putatio an Judas cœnœ Domini in~
terfuerit, ibid. , i555, in -8°. On
conserve, parmi les manuscrits de
la bibliothèque du Roi, sous le n».
8641 , un Recueil de Lettres de J.
Ribit à ses amis, presque toutes eu
latin , et la plupart datées de Lau-
sanne ; il y en a en français et en
grec : le tout forme un petit volume
jin-4°. On ne sait sur quel fonde-
ment Fabricius ( Riblioth. grœca ,
viii , 822 ) dit que Ribit était Savoi-
sien : rien ne l'indique dans les ti-
tres et dans les préfaces de ses ou-
vrages , où l'on voit qu'il habitait
Lausanne et Zurich. L'Estoile , ou
du moins l'un de ses éditeurs (ij,
parle d'un Jean Ribit , professeur
de théologie à Genève , et qui fut le
père du fameux empirique Roch
LebaiUif , sieur de la Rivière, pre-
(i) Journal de Henri III , t. v , p. 'i()!^, Remar-
que sur le eliap. » de la Cm/ession de i'ancr. Voy.
l' Anli-Cavalier genevois , i'in|irimc en ilioO p.42,
où ce oui est dit de J. Riiiit paraît extrait des régis,
très de l'uuiversile.
32..
5oo RIB
mier me'dccin de Henri IV ( V. Ri-
vière ) : peut-être est-ce le même
personnage ; cependant on ne trou-
ve point ce nom dans la liste des
professeurs qu'a donnée M. Picot , à
la tête de son Histoire de Genève,
3 vol. in-8o. W— s.
RICARD (Dominique) , clianoine
tonoraire d'Anxerre , naquit à Tou-
louse , le 23 mars ï']^\ , de parents
pauvres , qui le confièrent à un reli-
gieux de cette ville , pour diriger sa
première jeunesse. Ricard avait e'te
son disciple, il devint son amij et,
jusqu'à la mort de cet homme res-
pectable, il entretint avec lui une
correspondance suivie , monument
de reconnaissance et d'un attaclic-
ment qui allait jusqu'à l'entlionsias-
mc. Entraîne par un goût domi-
nant vers l'èludo, Ricard devint , en
quelque sorte , son propre ouvrage.
Il était bien jeune encore , et déjà
reçu baclielier à l'université de Tou-
louse, lorsqu'il fut nommé profes-
seur d'éloquence au collège d'Auxer-
re. Eu 1766, à peine âgé de vingt-
cinq ans , il fut choisi pour pronon-
cer V Elo^e Junèhre du Dauphin, en
présence de toutes les autorités de
la ville. Cet Éloge fut imprimé la
même année à Auxerre, in-4°. En
1770 , l'abbé Ricard prononça , de-
van; les magistrats et le clergé de la
même ville , un Discours latin sur le
inariagedu nouveau Dauphin (depuis
Louis XVI ). Ce Discours éloquent,
dans lequel on trouve d'excellentes
maximes d'état , et des j)ortraits ha-
bilement tracés de plusieurs souve-
rains et ministres du temps , fut
imprimé à Auxerre, in- 4"- » sous
ce titre : Oralio ^ralnlalorla in Nup-
tias , etc. Les (pierelles religieuses
(|iii , depuis un siècle, agitaient le
clergé , la cour et le parlement, éten-
dirent leur funeste influence sur le
RIC
collège d'Auxerre. Le bureau d'ad-
ministration changea les professeurs,
sous prétexte qu'ils n'étaient pas
maîtres-èsartsderuniversité de Pa-
ris , ce qu'à la vérité prescrivaient
des lettres - patentes de 1768; mais
une déclaration du roi (1764) por-
tait que le changement n'aurait lieu
à Y\uxerre , qu'en cas de vacance des
places. On chercha donc un prétexte,
plutôt qu'on ne suivit une loi. Un
procès s'engagea (1772) entre les
professeurs du collège et le bureau
d'administration, qui comptait dans
son sein l'évêque et le sieur Choppin,
conseiller au bailliage d'Auxerre, On
trouve , dans le quatrième volume
de la Bibliothèque historique de la
France, l'indication détaillée de i-x
Consultations ou Mémoires publiés
dans cette affaire. Lecollége d'Auxer-
re ne tarda pas à être supprime.
I/abbé Ricard vint se fixer à Pa-
ris , 011 il se chargea de l'éduca-
tion du fils du président de Meslay.
Nul ne connaissait mieux que lui la
division et l'emploi du temps : il sut
mener de front avec les soins de
l'éducation qui lui était confiée , de
profondes études, et des relations de
société qui s'étei^direut rapidement.
Les ouvrages des anciensavaient tou-
jours eu pour l'abbé Ricard un char-
me inexprimable. Il regardait les au-
teurs modernes comme des héritiers
qui faisaient valoir le foi'ds qu'on
leur avait laissé, qui le retravaillaient
sans cesse, et dont l'art consistait
moins à créer de nouvelles riches-
ses , qu'à s'approprier, souvent avec
avantage, celles de leurs devanciers.
Aucun des grands auteurs de la Grèce
et de Rome ne lui fut étranger; mais
Plutarqueétait devenu son ami : il le
relisait sans cesse, comme s'il eût
retrouvé son propre caractire et ses
mceurs dansle sagcdcChéronéc.Bicn-
RIC
tôl il conçut le projet de le traduire
en entier; et pu rm i les savants dont les
conseils i'encouraï;crent , nous cite-
rons M"^*^. de La Ferle Imbanit, qui
avait extrait de Plutarque un recueil
de Maximes , bien digne des hon-
neurs de l'impression. Il n'existait
d'autre traduction complète des œu-
vres morales , que celle d'Amyot.
Sans doute la réputation de cet au-
teur, qui écrivait un siècle avant que
la langue française eût été fixée, pou-
vait effrayer un nouveau traducteur.
Mais , si la naïveté charmante du
langage d'Amyot peut plaire encore ,
de nos jours , aux oreilles accoutu-
mées à la prose de Pascal et de Féné-
Ion, et sensibles à l'harmonie des
vers de Racine et de Despréaux , il
faut avouer qu'une lecture suivie
de Plutarque , n'est pas soutenable en
une langue déjà vieillie dans l'expres-
sion et daus le tour, et qu'on ne peut
souvent entendre qu'à l'aide d'un vo-
cabulaire. D'ailleurs , il ne faut pas
oublier qu'Amyot travailla sur des
éditions grecques dont le texte était
si fautif, que Meziriac, (dit Pellisson
dans son Histoire de l'académie fran-
çaise ), avait remarqué en divers pas-
sages de la traduction d' Amjot ,
jusqu au nombre de deux mille fau-
tes très-grossières , de diverses sor-
tes. C'est donc Amyot, et non Plu-
tarque , qu'on aime à lire dans
cette antique version, dont le style
semble avoir un charme qui sub-
.siste toujours. Dans le siècle de
Louis XIV , deux académiciens
(Tallemantct Dacier) penscreni que
les Vies de Plutarque pouvaient en-
éore être traduites avec succès. Mais
la version deTallcraant ne fut pas plus
fidèle (|ue relie du grand aumônier
de Charles ÏX; et la durctédc sa plume
le lit appeler parDrspréaux : Le sec
traducteur du français d' Amrot.
RIC 5oi
Quant à la version de Dacier , elle
fut reconnue plus exacte; mais, écrite
sans chaleur et sans vie , elle justifie
ce mot, quil connaissait tout des
anciens^ hors la grâce et la finesse.
Une bonne traduction de Plutarque
manquait donc encore à la littératu-
re française , lorsque, vers la fin du
dix-huitième siècle, l'abbé Ricard se
sentit la force de l'entreprendre. Il
travailla sur des éditions plus correc-
tes , et eut à sa disposition les manus-
crits précieux que Louis XIV avait
fait acheter à grands frais, daus le
Levant , et qu'on trouve à la biblio-
thèque du Roi. Le premier volume
des OEuvresmorales\)3in\\.eii l'-SS:
« J'ose vous prédire , lui écrivit
wDusaulx, traducteur de Juvénal ,
» que vous fournirez glorienseiiient
» la carrière immense dans laquelle
» vous vous êtes jeté avec tant de
» courage. On dira , quelque jour, le
» Plutarque de Ricard, comme on
» a dit jusqu'à présent le Plutarque
» d'Amyot. » La Iraduction entière
des OEuvreS morales ( 17 vol. in-
12) ne fut terminée qu'en 1795. (1)
(i) Le renvoi qui se trouTC à l'ai lu le PLUTAR-
QUE nims irapoe l'oMigatifD défaire coiinaitre ra-
pidement enquoi consistent les ouvrases de cctécri-
vaiu. La grande variété drs objets traites daus ce
qu'un appelle les OEut'res morales , les a fait divi-
ser en plusieurs classes; et l'abbé Kicard eu a établi
dix : 1. Traités <le pure morale : ce sont les plus
intérrssants et les mieux écrits. On distingue celui
qui a pour titre de VÉduciflion ,ctoù, dans un court
espace , se trouve rassemblé ce qu'on peut dire de
mieux sur ce sujet important. Lcstraité- surlaWaniV-
re d'écouler ,saT\e Oiicernemeiii entre lejlatteur et
l'ami , contiennent d'excellents préceptes. On trou-
ve dans le trailé sur le JuL;ement des progrès qu'on
a faits daus la l'erlu , des règles sévères et une mi>-
rale sublime. F^a Consolation a Apollonius, sur la
mort de sou (ils , la Lettre de Cousulalion à_ sa
femme , sur l.i mort de sa fille , oftVeut paitoulVal-
liance honor ible des talents et des vertus domestiques.
Les Préceples lu maria^esouliia beau trailé de mo-
rale et même de undeciue. Le Banquet des sept sa-
ges contieut de bonnes maximes de politique et de
morale : mais la réputation des convives semblait
promettre de» questions plu-s imuortautis que celle»
qu'ils agiteut. Les traités de la Trcm/uilLté tle l'a-
ine ; sur les Délais que lu justice divine apporte >t
la punition des coupables; sur \'/iitscigneinenl de
la vcrlu ; sur la ycilu morale ; sur la Colère ; la
50 2
RIC
Les qaatre premiers volumes des
Vies furent imprimes aux frais de
l'abbé Ricard , dans des temps diffi-
ciles ( 1798-1799). Ce ne fut qu'a-
près vingt années d'un travail opi-
niâtre , qu'il termina, avec sa vie,
îa version entière de son auteur ,
en 3o volumes in-i'2. Les tomes v
et VI des Fies parurent en 1802.
Les tomes vu à xiii et dernier fu-
rent livres au public après sa mort
( i8o3 ). Les Notes qui accompa-
gnent partout le texte de Plutarque,
sont une mine féconde de saine cri-
tique et d'érudition ménagée avec
goût. Plutarque avait jugé trop sévè-
rement quelques écrivains de l'anti-
quité, surtout les poètes les plus cé-
lèbres : Ricard n'a pas craint de
réformer les jugements trop pas-
sionnés du pliilosoplie de Cliéronée.
Les Notes qui sont jointes aux trai-
tés obscurs et difficiles sur les Ora-
cles et sur V Inscription du temple
RIC
de Delphes^ suffiraient pour faire
apprécier la vaste et sage érudition
du traducteur. Les amis de Tabbé Ri-
card reconnurent qu'il s'était peint
lui-même , sans le vouloir, en tra-
çant le portrait de Plutarque , dans
l'excellente Vie de cet écrivain , qui,
après avoir écrit celles de tant d'hom-
mes célèbres, n'avait pas jusqu'alors
trouvé un historien digne de lui :
« 11 conserva toujours, dit Ricard,
w ia modération dans la sagesse , qua-
» lité si rare et si difficile. Il n'ensei-
» gna qu'une philosophie douce et
» raisonnable , indulgente avec fer-
» meté , conciliante sans mollesse ,
» invariable dans ses priucipes ,
» mais accommodante sur les dé-
» fauts ; qui ne transige jamais avec
» les passions , mais qui ménage
» l'homme faible pour gagner sa
» confiance , et le mener à la vertu
)' par la persuasion, w Si tel fut
Plutarque , tel fut aussi Ricard.
Démangeaison de parler, la Curivaité , l'Amour
des pères et des mères pour leurs enfants , Ips TVIal-
heiirs du vice, VViililé qu'on peut retirer de ses
ennemis; \es Inroni'énienls des amitiés trop multi-
pliées; V Avarice , la Fausse honte , YEni'ie et la
/laine , VExil et l'usure , et la Manière de se louer
soi-même sans ejcciler l'envie, placent Plularqup
flu premier ra-'g parmi les moralistes. M, Traités sur
la politlrpie. Qu'un pliilpsopLp doit toujours cunver-
sov avec les pi-inces; 0^'uu prince doit être instruit;
Si un vieillard doit s'occuper d'administration ))u-
Ijlîqrjei F'réceptes politiques sur les trois principa-
les sortes de ^gouvernement • ce nVsl qu'un frapmeiit.
Plutarque donne, comme Platon et Arislote , la
])rtTerence au gouvernement monarcliiquc : on re-
marquera que Platon et Arislotc vivaiciil dans des
républiques; Sur la nohlesse : il ne reste de ce traité
qu'un fragmiiil. 111. Ti ailés sur la pliysiipic et la
niélaphysique ; c'est la jiarlie la ])Ius faible des
<^>Euvres morales. Ces traites sont écrits sans métho-
de et sans «Tarte. Ou y trouve ])eu d'intérêt, lie:,u
coup d'erreurs. F..es Opinions des pliilosoplics sur les
principales questions de la physique, «ont luje <(jm-
]>ilatiriD aride, très-irtdif;ne de Plutarque, et que
]>1usieurs savants refusent de lui attribuer. Le traité
<lu Destin est obscur, et d'ailleurs incomplet, le
temps en ayant dévoré une partie. I.C! Questions uîi-
tnrcllesetresliedierdjes sur la cause du froid , con-
tiennent des erreurs (ju'll faut imputer en (grande
partie ?i l'.-lat peu avancé des sciences physiques .'.
J'époque où Plulartiuc i^crivait. I.i- Ir.iiti' "intitulé :
Quel est le plus util,- du feu ou de l'eau, est une
froide déclamation ccnleliant le pf.ur <t le eonlr.;
un plaidoyer ]>our le feu , un plaidoyer pr.ur l'eau,
"il sent qiH.- celle méthutle sert plu»' it olMcurcir In
vérité qu'à la faire connaître. Le traité de la Face
de la Lime ( que Voltaire appelle un fatras ) ,
est ccpeudaut curieux et plein d'érudition : celui
de l'Industrie des animaux est encore une déclama-
tion où deux avocats ]>laideut devant un arbitre qui
laisse le procès indécis. Leurs discours sont semés
d'ini grand nombre de petits contes , et de faits dont
plusieurs sont apocryphes : le Traite où Plutarque
soutient que les bêtes ont l'usage de la raison, est
un assez ingénieux badinage. Les Questions plafo-
nirpies sont obscures; leTraitésur la Création de l'a-
me, d'après le Timée de Platon, est difficile et sou-
vent inintelligible. H y a de l'emportement et de
aigreur , mais un grand amour pour la vertu , dans
les traités Contre les stoïciens et Contre les disci-
ples d'Iipicure. Dans un autre Traité , Plutarque
examine si les Epicuriens ont raison de dire qu'il
faut cacher .sa vie, et il soutient l'opinion contraire.
Le Traiié des Fleuves et dcsMontagnes est une mi.sé-
rablc compilation pleine de récits ahsurdes, incroya-
bles , et que les critiques s'accordent généralement
à ne point attribuer à Plutarque. IV. Traités my-
dioto^iffues^ Les Becberches sur l'inscription El
( fiu'on croit signifier "Tous clés un ) du temple de
Delphes , est un savai.t traité qui olfie beaucoup
plus d'intérêt que ne semble promettre le titre. Le
Traité d'Isis et d'Osiris, est le )ilu« complet que
l'anlicpiité nous ait transmis sur cette maliire. On
tiouve des digressions et de la varli te dans l'eianieu
de la ipiestion : Pourquoi la Pythie ne rend.iit |>lus
ses (uaeles eu vers. La Cause de la cessation des oi acies
od're aussi des digression»; maisie dialogue est inteiis-
.sant. V. Trailéùiltéraiies .ha plupart paraissent être
le )iremier fVnif de la jeunesse de Plutarque. L'un o
pour objet d'établir que la grandeur des Boniains a
RIC
Jamais Plutarquc ne fit, cnlic les
grands hommes de l'antiquité dont
il a écrit la vie , un Parallèle plus
juste el plus frappant que celui
qu'on pourrait tracer entre lui-mê-
me et son traducteur. L'abbé Ricard
employa les moments de loisir que
lui laissait la trop lente impression
de son Plutarque , à composer un
Poème de la Sphère^ qui lui assi-
gne une place distinguée parmi nos
l)oètes didactiques. Il eût pu , sans
doute, répandre plus d'intérêt dans
ses épisodes , et rompre avec plus
d'avantage la monotonie du sujet. Ses
vers ne sont pas toujours qssez châ-
tiés : on aperçoit partout un travail
trop facile ; mais assez souvent les
descriptions brillent d'une force poé-
tique, qui n'est jamais sacrifiée à
l'exactitude. Tout ce que la science a
de technique et de rebutant pour l'o-
reille s'embellit ordinairement par le
style , et prend la couleur et l'har-
ctc plutôt l'oiiïrage de la fiirliiiic que celui de la veilu :
l'antiHi- jirctcnd prouver tpi'Alcxandic a dû toute sa
puissance à sa seule vertu , et qu'il ne voulut coD-
<|uei-ii-lu monde que pour le civiliser. Ce n'est pas
là le'inoius ctran^e des paradoxes de l'antiquité:
l'ahlté Plutpiet a vainemout essayé de le rajeuuirfA'.
PluqLET y C'est encore un discours paradoxal,
que celiii ou Plutarque soutient qu'A llicnes doit plus
de gloire à se? guerriers qu'à ses orateurs et à se.s
historiens. Le Traité sur la Musique (^.|IjURKTTÊ )
est moins dogmatique qu'liistorique. Dans celui sur
la Manitre délire les ))oites, le sujet est envisage'
plus du cote de la morale <|ue de celui de la littéra-
ture. Ou lit avec intérêt la Comparaison d'Aristo-
)i liane avec Ménau Jre. Kii4in, le bon Plutarque se mon-
tre malin et même injuste dans son Traité Oe la Ma-
li ^iiilé d' Hùimlole. VI. Traites sur les mœurs et
.sur les coiilumcs. IVous ne connaîtrions pas biau-
*-oup de pratiques usitées chei les Kumains , et uièmc
< Lei les Grecs, si les Traités sur les usages des Ro-
mains , el sur les usages dis Orers , ne fussent pas
venu'î jusqu'à nous. VII. Traités hisloriques. Les
1 aralleles cl'hi.storieu"* Grecs et Koiuaius, ne peu-
vint tire l'ouvrage que d'un écrivain obscur et iiiep-
!■: , qui s'est caçbc sous un nom illustre. La Vie de?
dix jilus anciens On-leurs d'Atbîiies ( Antipbon,
^Vndoeidès, Lysias, IsQcratc, Isée, Escliinc, Lycur-
u'ue, Démostbi-ne, Uyiiéridi-S el IJ inarque ) eât eu-
< ore un ouvrage i)Seu<lonyme , où l'(>« ne trouve ni
• ritiqcc ni goût. 11 est vrai (|ue Plutarque avait com-
pose les vies dir ces dix orateurs; on n'eu peut dou.
ter d'après le (Catalogue de son lils f>amprias : mais
cet écril a péri, avec tant d'autres, dans le v.istc
iiaufrage do l'aiitiquitc-. VIII. Truilii en /lurlip liis-
ijrir/ucs , en /niiUe iiwruujc. Celui cpii est intitulé :
RIC 5o3
monie qui paraissaient ne pouvoir lui
convenir. C'est au milieu des ora-
ges de la révolution que, cherchant ,
à la campagne, un asile, du repos,
une distraction à ses peines, il avait
composé ce Poème de la Sphère^
qui fut imprimé à Paris, en 1796,
in-S". De retour dans la capitale, au
commencement de 1793 , lorsque
l'effroi du passé et l'inquiétude du
présent auraient pu lui faire redou-
ter l'avenir , Ricard conçut le no-
ble , mais téméraire projet de rap-
peler les Français à la religion
de leurs pères , et publia les dou-
ze premiers numéros des Anna-
les philosopliiques , morales et
littéraires , qui parurent d'abord
sous le titre de Journal de la reli-
f^ioii et du culte catholique. Il écri-
vit avec courage , éleva sa voix dans
le scindes tempêtes, eutpour colla-
borateur l'abbé Sicard , son ami , et
pour continuateur M. de Boulogne.
Du Démon de Socr^te, est dramatique el plein d'in-
térêt ; celui qui a pour titfe , De V Amour., est un
monument élevé à_ la gloire des femiues, et en par-
ticulier à celle d'Kpouiue, femme de Sabiuus. On y
trouve cinq autres aventures tragiques , qui retracent
les desordres et les crimes de l'amour. IX, Mélan-
ines. Les Propos de table sont un recueil varié, in'-
iruclif et amnsaut. X. Anecdotes , Maximes , Bons
mots. Les Apopbtbegmes ou jiaroles mémorables des
rois et des capitaines célèbres, ont paru indignes de
Plutarque à qucbpies critiijues cjui les croient d'un
autre écrivain: mais Erasuie ue balance pas à les
donner au sage de Cbéronée ; et l'abbe Ricard n'est
pas le seul qui ait partagé cet avis. Les Apopbtheg-
mes des Lacédémouiens, et ceux de leurs femmes ,
écrits avec négligence , saus goût et saus jugement,
peuvent avec plus déraison être attribués à un écri-
vain vulgaire. Eulin , dans un troisième Kecneil,
plus étendu que les précédents, Plutarque entre-
prend de prouver , par les faits, que les t'emmcs ne
le cèdent pas aux Immmes eu vertu. Dans cette col-
leitiou si vaste, il est donc sept à buit Traités dont
Plutarque n'est pas généralement recouuu l'auteur;
et, sur ce nombre , il en est deux dont la suppoii-
lion est universellement avouée. L'abbé llicard a
tout tiaduit. — Les Kies des grands bonmics, écri-
tes par Plutarque , sont au nombre de cinquante. Il
en est aussi qui sont perdues, entre autres celles
d'Aristomène et d'Epaniirondas. Ou n'a point, «le
la main lU PluUir(|uc. les comparaisons de 'riiemis-
toclc tl'de Camille, de Pyrrhus et de Marius, de
Phucion et de Catou d'Utique , d'Alexandre et de
César. Uu liaillau, nui a écrit sur Vllistoire de
France, les .suppléa du temps d'Aniyut. l'acier a
voulu aussi remplir celle lacune i el l'abbu Ricard a
5o4
RIC
En i8o4,il publia deux onvraç;;es
posthumes de Pluquct, sous le titre
de Traité sur la superstition et sur
l'enthousiasme ^ un vol. in-ia. On y
trouve une Notice sur la vie de l'au-
teur, et une savante Analyse de ses
ouvrages ( F. Pluquet ). II avait
fait imprimer, en l'jSgjSansynîettre
son nom , une courte brochure in-8<^. :
Sur les prophéties de M^^'^. Labi eus-
se. Parmi les manuscrits qu'a laisse's
l'abbé Ricard , sont : i *'. Une Traduc-
tion des Politiques d'Aristote. Il l'a-
vait terminée , et se proposait de la
livrer à l'impression , lorsqu'on pu-
blia celle de M. Champagne , qui ,
malgré le succès qu'elle a obtenu ,
laissera peut-être regretter un sacri-
fice qui ne put être commandé au
savant traducteur de Piutarqne que
par l'excès de sa modestie. — 2°.
Traductions de plusieurs Haracf^ues
de Démoslhèncs et de quelques piè-
ces de Sophocle et d'Euripide. — 3».
Traduction des plus célèbres Orai-
sons de Ciccion. L'abbé Augcr , qui
eut le manuscrit en communication,
s'en servit utilement pour sa Aversion
del'oraîeur romain. — 4°-Un Voya-
ge en Suisse, rédigé en forme de
suivi leur exemple , mais plus IieuTeusrmeiit. Ainsi
que le f it Dacier, il a lapprorlie, dans ses notes,
les récits des bistorieus Giecs et Koniaiiis de lanar-
ratioD de Plutarqne , luiscjue celle-ci en diffère
«oit dans le fond , soit dans les circonstances.
Il convient aussi avoir fait usage des noies de
Brottier et de Vauvilliers ; mais il n'a pas cru
devoir traduire les Vies d'Annihal et de Sci-
pion l'Africain , qu'on trouve dans quelques édi-
fions , et qui sont de Donat Ac(iajuoli ( c'est ce
qu'Arciajuoli nous apprend ])ar une lettre iuscreo
dans- la première édition du Plutarque latin de J.
A. Campanus, imprimée vers 1470, mais qui a e'Iô
retranchée dans la a', édition ) Charles L'Écluse
les traduisit du latin; et elles furent jointes au Plu-
tarque d'Amyol , imprimé par Vascosan, ijlj-] et
■no. suiv., iS vol. in-Ko. L'aljljé Ricard a dû négli-
ger aussi detr.iduirc les vie» omises par Plularque ,
etqiie 'IliomasKlii cou Rowe composa, versi7.'io.
Fr. Uellai.gcr en d.mna ( 1734 ) une version fran-
çaise, qui, dans plusieurs éditions de la traduction
de n.icier, f..rmc le dernier loliiiue. On trouve
«IIMI, dans d'aiilr.a édition» , les vie» d'Auguste cl
de rilos, par de La Bocbc, «t mêine une Vie de
Litarl«iiin|;nc , (rtidiiitp d'Arciaiuull. V— VS.
PIC
lettres. On y trouve d'agrcablcs ta-
bleaux des sites les plus pillorcs-
ques de l'Helvétie (2) , et des no-
tions satisfaisantes sur le gouver-
nement, les lois, les mœurs et les
coutumes de ses habitants. — 5°.
Un poème de plus de quatre cents
vers, Sur la révolution française ,
1790. L'abbé Ricard l'adressa en for-
me d'épître,à l'auteur de cet article.
— 6''. Un grand nombre de Poésies
fugitives,qu'il jugea ne devoir passur-
vivreauxcirconstances qui les avaient
fait naître. Il mourut à Paris, le 28
janvier i8o3. Le biographe qui se
bornerait à faire connaître , dans
l'abbé Ricard, le savant estimable ,
le modeste traducteur de Plutarque,
oublierait qu'en lui l'homme valait
encore mieux que le savant. Dans la
longue et pénibiecarrière qu'il s'était
tracée, et au milieu du monde qui
le recherchait , il ne cessa , jusqu'à la
fin de ses jours , d'exercer envers des
jeunes gens sans fortune et sans ap-
pui, une espèce de paternité (3). Un
grand nombre de familles honora-
bles ne voulait recevoir d'instituteurs
que de sa main. On le vit , dans des
temps de crise et de malheurs pu-
blics, peu occupé de ses intérêts et de
sa sûreté personnelle , remplir avec
courage les devoirs sacrés de l'ami-
tié, visiterdcs proscrits, les consoler,
et partager leur solitude ou leur exil.
Jamais on ne l'a vu rompre une liai-
son qu'il avait formée.. Son amitié
devenait même, pour ainsi dire, un
héritage de famille. Il comptait plu-
sieurs maisons avec lesquelles ses
rajiporls intimes étaient à la troi-
(a)II avait parcouru ce pays en 1784 avec le prési-
dent de Meslay.
(3) Je dois tout ii l'alihii Ricard ; il m'aima , pen-
diinl vinj;! ans , comme le pcre le plus tendre. (Ju'au
milieu dis leyrets de sa perle, i-e|;reLs (pie le leuqis
n'a pu d( truire , il me soit piriiiis de m'eiior^ueillir
d'avoir été son uiiii le plus elier.
RTC
sième génération. Parmi celles qu'on
pourrait citer , on remarque la mar-
quise de Froullay , la marquise de
Crëqui, sa fille, célèbre par son es-
prit, et M. de Crc'qui, fiîs de cette der-
nière, qui a péri victime de la révolu-
tion. Ricard avait des amis dans tous
les âges. Il savait trouver un point
de contact entre tous ceux qui rccher-
cbaient son amitié; et cetic heureu-
se disposition à saisir ce que chacun
avait de bon dans la société, lui avait
fait donner le surnom de V Abeille.
Parmi les savants avec lesquels il
était plus particulièrement lié , nous
citerons Mably, Barthélémy, Auger,
Dussaulx, Pluquet , Larclier , Sicard,
Garnier , IMM. Dacier , et Pastoret.
Il voulut accompagner à l'audience
du tribunal révolutionnaire , et il y
accompagna M™^. de Cornulier ,
qui vit tomber en un jour, sur le
même échafaud , son mari , M™^. de
Saint-Pern , sa mère, IM. de La Ba-
lue , son grand-père, presque tout le
reste de sa famille, et qui ne dut elle-
même la conservation de sa vie ,qu'à
un pieux mensonge do son époux.
L'abbé Ricard eut , comme savant et
comme écrivain, un bien rare avan-
tage : nul savant, nul écrivain , ne
fut son ennemi. On l'estimait invo-
lontairement et sans elTort. Les suf-
frages de tous les journaux , pendant
vingt années , furent à-Ia fois un
hommage rendu à ses vertus, et la
douce récompense de ses veilles. Il
avait désiré d'être admis dans l'aca-
démie des belles-lettres. Ses amis le
décidèrent , en i ^85 , à demander la
place vacante par la mort de M. de
Burigny ; il fit les démarches néces-
saires, et son attente fut trompée.
Trois ans apiès , M. de Barenliu ,
son ami particulier , fut nommé
garde - des • sceaux : alors les por-
tes de racadcmic parurent prêtes
RIG
5o!
à s'ouvrir d'elles-mêmes ; et Tabbc
Ricard écrivit à Tauteur de cet ar-
ticle ( i4 uov. 1788 ): « Mon parti
» est bien pris depuis long-temps ,
» de ne plus penser à racadénile; et
)) cette nouvelle démarche où je vois
» que l'espérance de plaire à un mi-
» nistre, qu'on sait me vouloir du
» bien, a tant de part, aurait suffi
« pour m'en éloigner , si ma rc'solu-
1) tion n'eut pas été prise d'avance
» irrévocablement. » On lui propo-
sa la continuation de V Histoire de
France, que Garnier ne pouvait plus
poursuivre dans sa vieillesse, et qui
se désista en faveur de Ricard ( lo
juillet 1801); mais Ricard recon-
nut bientôt avoir plus consulté son
zèle que ses forces, qui commen-
çaient à l'abandonner. A la fin de
1802 , il engagea l'auteur de cet ar-
ticle à se charger de ce fardeau.
Tandis que celui-ci rassemblait en-
core ses matériaux , Fantin des
Odoards se hâta de faire paraître une
continuation , dont le peu de succès
n'avait rien qui dût arrêter : mais le
découragement vint de l'impossibi-
lité reconnue d'écrire librement l'his-
toire sous le despotisme. L'entre-
prise fut donc abandonnée ; et c'est
de nos jours seulement que Gar-
nier a trouvé nu autre continua-
teur. Tout le bien que l'abbé Ricard
avait fait pendant sa vie, ne fut connu
qu'après sa mort ; dans le délire qui
précéda son agonie , il s'écriait, eu
agitant devant lui ses mains : Ouvrez
les parles à ces pauvres, laissez-
les tous entrer; donnez-leur tout
ce que vous avez. Ainsi, dans ce
terrible moment, Ricard trahis-
sait le secret de toute sa vie, qui
ne lut qu'iuic longue suite de bicu-
faits. V-VL.
RICARDO (David), l'un des
c'conomisics les plus distingués du
)o6
RIC
dix-ncuvicmesicclc , descendait d'imc
famille juive originaire de Lisbonne.
Il naquit à Londres, en 1772. Son
père y exerça pendant long-temps ,
etavec. succès, l'ëtat lucratif decour-
lierde change. David Ricardo,qni lui
succe'da parla suite , ne se borna pas
au travail presque me'canique de mar-
chand d'argent : après avoir reçu une
éducation libérale , il se livra , dès
î'àge de dix-huit ans, à l'élude del'é-
conoraic politique (i). Il trouva,
dans la bibliothèque de sou père , les
auteurs les plus estimés qui ont écrit
sur cette science si importante et
encore si peu avancée , et en fit sa
?ecture la plus assidue. Cène fut ce-
pendant qu'en 1 809 , à l'âge de trente-
sept ans , qii'il débuta comme écri-
vain par la publication de son Essai
intitulé : le Haut prix du Lingot
(buUion ) .preuve delà dépréciation
des hilleis de banque , in-8^. Cet
écrit, dont la quatrième édition,
qui a paru à Londres , en 181 r , est
accompagnée d'excellentes remar-
ques sur un article de V EdinburgJi
review , fit une grande sensation,
parce qu^il révélait la véritable cause
de la baisse du change anglais , et
de la dépréciation des billets de ban-
que (î). Ricardo démontra que ce
(i) L'auteur d'im aillclesur Ricardo , inséré dans
les Xuhiùtles universelles ( u». du 17 septem-
bie 1823 ) , assure qu'il i)C s'occupa que fort
tard d'économie politique, ri que oe fut iiiôuic
Jiar un cflct du liasaid. « Se trouvant un jour à la
«campagne clic/, un ami, le dcsœuvrcmeut lui
J' fit jeter Jes veux sur un volume de la Bichesse <le<
J) nations , d'Adam Smith. Il fut frap|)é de la vérité
» des observations de cet écrivain , acheta son ouvra-
" ge, le lut avec avidité , et ne cessa depuis te mo-
» ment de méditer et d'écrire sur l'iVono/n/e/^o//*/.
>j t/ne. » Les rentcigncracnts que nous avons recueil-
lis en Angleterre, auprès de quelques personnes qui
oui bleu connu Uicardo, nous mettent <n'élat d'aflir-
lucr <|ni- cette hi.sloriettc est controuvée C'est .Vpeu-
pres de la même maniire , et .sans plus de motifs ,
que ISulbi.'r.s ,1 dit que le maréchal de Munnich
.-ipprit les uiutlicmatiques dausl'tunui d'un quartier
u hiver.
{■>) Un sait qu'à cetle époque , et depuis 1797, I, s
Ldicl* delà l>..n, 'ctalent pas reu.l' our.alie, en
espèce» u presciitatuin.
RIC
n'était point à l'état de guerre , qu'il
fallait attribuer, comme on le sup-
posait assez généralement , le ren-
che'risscmcnt qu'avaient éprouvé tou-
tes les marchandises , mais plutôt à
la dépréciation dn papier-monnaie;
et i*l prouva que cette dépréciation
provenait surtont de ce que la ban-
que avait cru devoir donner des es-
comptes extraordinaires au com-
merce , dont les magasins se rem-
plissaient de marchandises qui trou-
vaient m.oins de débouchés , ce qui
produisait ainsi un double élément
de supcrfétation dans les billets de
cet établissement (3). De là naquirent
des craintes sur la solidité de la
banque (4) , et, par suite , de vives
attaques contre l'ouvrage de Ricardo.
Le ministère et ses alentours ne vou-
laient pas croire à la dépréciation du
papier : elle fut démontrée dans le
pamphlet de Ricardo, qui provo-
qua, en 1810, le fameux rapport
du Bullion committee. M. Hor-
ner, qui en fut le rédacteur, con-
vint que la démonstration était
sans réplique ; et lui - même prou-
va , par le change de Hambourg,
que ce papier perdait vingt cinq pour
cent. Ce fut alors que le chancelier
Vansittart prct.enla,en opposition,
une série de résolutions , et , entre
autres, celle-ci qui parut lout-à fait
inconcevable : « Qu'une hnnfjue-
» note et un scheling équivalaient à
» une guinée. » Aussi lul-cllc l'objet
des cridques les i^liis jiiquaiiles. JNous
avons dit que la brochure de Uicardo
(3) Ca Lie monnaie subissait le sort de toute mou-
naie trop abondante :Smllh avait déjà dit et prouvé
que lé canal de la circulation n'admet jamais que la
monnaie nécessaire.
((() Ricardo n'avait cependant jamais eu ni voulu
inspirer de craintes sur la solidité île la liampic , ipii
ne pouvait être conqu-futtise , dis.iil-il , <pic par
sa ronuexion avec le gonvi ruemrnl. La banipie , de-
venue indépend.inle , et.iil, .'i SCS Vcu.\, aubsi soli-
de-que le 10c de Gibridtur.
RIC
avait ctd vivement attaquée : il tte
laissa point sans re'ponse les e'crits
de ses antagonistes; et il publia, en
1 8 1 o , sa BépUque aux observations
de M. Bosanquet , sur le rapport du
Bullion committee, brocliure in-8".
de i4i p-ig. , suivie, quelque temps
après , d'un Appendix sur le haut
prix du lingot , in 8°. Ricardo pu-
blia , en 1 8 1 5 et en 1816, d'autres
Opuscules dont nous donnerons la
liste à la fin de cet article : mais ce
fut en 1817 qu'il fit paraître son ou-
vrage capital , celui sur lequel repose
principalement sa réputation comme
économiste, qnoiqueM. Ferrier pré-
tende que son principal défaut, et
en général celui de tous les ouvra -
ges de Ricardo, est d'être inintelligi-
ble. Ses Principes de V Economie
politique et de l'impôt, ( 1 8 1 7 in-8''.,
5^. édit. , 1821 ), ont élé traduits en
français , Paris, 18 19 ,2 vol. in-8'>.,
par F. S. Constancio, , avec des no-
tes explicatives et critiques par J. B.
Say(5), qui ne partage pas toujours
les opinions de Ricardo, auquel il
reproche surtout de donner à ses
propositions trop de généralité. Des
trois points principaux de la doc-
trine, traités par Adam Smith , la
rente , les salaires et le profit ( ou
• (^5)]Vr. Ferrier, l'un desaotagoiiistes les plus pro-
nouces et des plus habiles des ccn'vaius de l'école de
Smitli , prétend (dans son ouvrage ,' iS«/" le gouver-
nement, considéré ilan< ses rapports avec le com-
merce) , que Smith , Say , Ricardo et la plupart
des économistes , ont toujours raisonné sans avoir
égard à la séparation d'intérêts di-s dirTérentes na-
tions , et dans la supposition où il n'existerait qu'une
seule société d'hommes. H est vrai que l'ouvrage de
M. Ferrier a paru sous le régime contiiienliil , lequel
n'était pas précisément couforme à la doctrine de
Smith; mais cet écrivain n'a pas varié d'oninion sur
les cconomi.stes en général , et sur Ricardo eu par-
ticulier : « Ecrivant pour l'Angleterre, nous mande
>» M. Ferrier , Ricardu a dit sur le papier m'>n-
» naic des cho es jusies et prufondrs; mais lorsqu'il
» a voulu géiiéraliser sa }>cnsée . il est tombé dans
>' l'erreur , parce qu'il ue faut jamais juger d'un
>' penjde par un antre, (piand il s'agit d'instilu-
)> tiens qui reposent sur dit vieilles habitudes , snr
" de longs et uombrcux antéc" dents. »
RIO 507
mieux le revenu ) , le premier , que
Smith n'a pas traité avec sa supé-
riorité ordinaire , a été fort bien
développe par Malthus, dans ses Be-
cherches sur la nature et les progrès
de la rente , et sur les principes qui
lui servent de règle {An Inquirj on
the nature and progress ofrent and
the principles bj which it is regu-
lated ) , Londres , 18 1 5 , 61 pages.
Dans ce petit ouvrage , Malthus éta-
blit , d'une manière neuve et frap-
pante, la doctrine de la rente; et il
est à remarquer que , dans le même
temps , un membre de l'université
d'Oxford posait et développait les
mêmes principes : coïncidence ho-
norable pour l'Angleterre. JIMalthus
et Ricardo ne diffèrent que sur l'ex-
tension à donner à cette doctrine ,
et sur celle de son application pra-
tique. Voici , au reste , la théorie
foudamcnlale et distinctive du grand
ouvrage de ce dernier. Il clablit
d'abord , que la valeur d'une mar-
chandise dépend de la quantité de
travail nécessaire pour la produire ,
et non pas du plus ou moins de sa-
laire payé pour ce travail ; et secon-
dement , que les bénéfices d'un capi-
tal varient toujours dans la propor-
tion inverse du mouvement des sa-
laires , c'est-à-dire que les bénéfices
s'élèvent, lorsque les salaires bais-
sent , et baissent , lorsque les salaires
s'élèvent. Ricardodémoutreen outre,
que la valeur du produit brut , qui
forme la subsistance de la classe ou-
vrière , tend constamment et néces-
sairement à s'élever dans la propor-
t'.on du progrès de la civilisation,
par la nécessité d'étendre progressi-
vement les délVichcmculs et la cul-
ture sur des terrains d'une valeur
reproductive progressivement dé-
croissante ; or , comme le salaire de
l'ouvrier doit , de toute nécessité, s'é-
5o8 RlC
lever avec le prix des denrées ne'ccs-
cessaires à sa subsistance , il s'ensuit,
que , dans la marche progressive
de la société', la tendance naturelle
des salaires du travail est à la haus-
se, et celle des béncfircs des capitaux
à la baisse. Il cherche à établir , dans
le même ouvraj^e, que le profit que
fait un propriétaire foncier sur sa
terre, c\'st-a-dire, ce que lui paye
son fermier, ne représente jamais
que l'excédant du produit de sa terre
sur le produit des plus mauvaises
terres cultivées dans le même pays.
Cette dernière opinion , purement
spéculative , a été vivement attaquée
par plusieurs écrivains, entre au-
tres par Malthus, qui , toujours en
discussion avec Ricardo , n'en était
pas moins un de ses amis les plus in-
times. Celui-ci, qui avait, depuis
quelque temps abandonné la religion
de SCS pères pour se faire chrétien
anglican , et qui possédait de vastes
domaines, dont plusieurs lui don-
naient l'entrée au parlement, était,
en 1817, raembrede la chambredes
communes. Nous iguorons l'époque
précise de son début parmi les dé-
putés de la nation anglaise : nous sa-
vons seulement qu'il eut lieu assez
tard. Indépendant par sa fortune et
par son caractère , il se plaça sur les
bancs de l'opposition, qu'il ne dé-
serta en aucun temps. Il se prononça
fortement en faveur d'une réforme
parlementaire, et ne craignit pas de
prendre la défense du libraire Car-
lisle, convaincu d'avoir publié des
écrits irreligieux : c'était, dit-on,
une conséquence naturelle des prin-
cipes contenus dans un discours que
Ricardo avait prononcé à l'ajipui de
la pétition des dissenlcrs de Liver-
pool. C'irpeiidant les ()[)iuions de Ri-
cardo étaient en général modelées;
et il ne passait pas pour partager les
RIG
principes de l'homme dangereux
dont il s^ctait imprudemment fait le
champion. On peutdonc croire que,
dans cette circonstance, comme dans
quelques autres de sa vie politique ,
il se laissa égarer par les préjugés et
les passions souvent peu réfléchies
du parti qu'il avait adopté. Tous les
gens sensés et impartiaux pensent
avec lui, que la persécution est un
mauvais auxiliaire pour la religion;
mais ils pensent aussi qu'on ne peut
qualifier de persécution les mesures
que les gouvernements sont quelque-
fois obligés de prendre pour mettre
un frein à la licence de ces hommes
pervers et audacieux qui cherchent
à corrompre le moral des nations,
en détruisant toute idée religieuse.
On ne peut disconvenir en effet que
l'édifice social courût risque d'ê-
tre bientôt renversé, si les gou-
vernements avaient la faiblesse de
fermer les yeux sur des écarts aus-
si graves , et dont Thistoire de
notre nation nous a démontre que
les conséquences étaient si funes-
tes. Quoi qu'il en soit, les talents
et la bonne-foi de Ricardo étaient si
généralement reconnus ; on savait si
bien qu'il ne cherchait jamais que la
vérité et le bonheur de son pays , que
les ministres le consultaient toujours
sur les questions délicates d'écono-
mie politique. S'il faut en croire les
e'crivains anglais, peu de personnes
possédaient à un degré aussi supérieur
le talent de parler avec clarté et facili*
té sur les sujets les plus abstraits : il
n'avançait jamais une opinion , sans
y avoir profondément réfléchi ,
et sans l'avoir envisagée sous tou-
tes ses faces. Aussi , quoiqu'il fût
loin de posséder toutes les (jualilcs
qiii constituent le grand orateur, on
l'écoulait toujours avec un vif iytc-
rèt, surtout loi'squ'il traitait ([uelquc
RIC
question d'économie politique. Il
avait passé la plus grande j)artic de
sa vie à la bourse de Londres , où
son industrie, sa persévérance et ses
talents lui aviiient donné les moyens
d'accumuler une fortune considéra-
ble, qui s'élevait à sa mort à treize ou
quatorze millions (6j de francs. Mais
malgré les distractions d'une vie si
occ!!pée, il ne négligea jamais ses
recherclies spéculatives; et lorsqu'il
fut parvenu à l'opulence , il se retira
des affaires , et consacra tous ses mo-
ments à l'étule, surtout à celle de
la science intéressante dont on peut
le regarder comme le second créa-
teur, et à laquelle son nom est irré-
vocablement uni. Ricardo s'occupait
de mettre la dernière main à un Es-
sai sur la meilleure constitution
d'une banque nationale, qui était
presque terminé, lorsqu'il mourut, à
sa terre de Catcomb-Park, le ij
août i8'23 (7), Outi'C les deux ou-
vrages dont nous avons parlé , on
doit à Ricardo : I. Essai sur Vin-
Jluence du bas prix du blé sur les
profits ou le cours des fonds pu-
blics , i8i5 , in-8''. ( 5o pages. )
L'auteur y démontre que les obsta-
cles imposés par la légisîalion an-
glaise à l'introduction des blés étran-
gers sont une mesure impolitique,
dont l'cfiet a été de faire jeter beau-
coup de capitaux dans la culture
des maui'aises terres; mesure que
[6) C'est par erreur que ejuclques écrivains fran-
rais ont évalun à plus de quarante luilliou» de francs
Infortime de Ricardo.
(7) La maladie de Ricardo était un abcès à l'oreil-
Tc , dont le divelojipcmeut rap de résista à touiî les
remciles, et qui finit par crever et b'epaucber dans
l'intérieur. C'est donc faute d'informations sudisan-
tcs que M. Mac-rullocliaatlrilinéyainortMa forma-
tion d'un liydrocuphaic ( y. la Notice necrolojîiquc
qu'il lui a consacrée dans le .S'ro/smaH ). Tous les
journalistes anglais ont cimruis la même erreur. C'est
encore par nue faute d'impressicm i|iie la même No-
tice porte que Ricardo avait cinquautc-six arts,
lorsqu'il a cesse d'exister .- il n'avait pas cuniplété
sa cinquaute-deuiièmc ciinée.
RIC 509
le gouvernement est forcé de main-
tenir pour ne pas mettre ces capitaux
en péril. Il en résulte un désavan-
tage pour la main-d'œuvre, par
le haut prix comparatif des blés in-
digènes , qui provoque celui des sa-
laires. II. Projet d'un papier-mon-
naie économique et sûr, brochure de
1 28 pag. , 1 8 1 G et 1 8 1 8. Cet écrit in-
génieux, qui fit grand bruit, et dans
lequel l'auteur jette beaucoup de jour
sur la nature et l'usage des monnaies,
a pourbut l'introduction d'une mon-
naie de papier que le public pourrait,
en tout temps et a bureau ouvert , se
faire rembourser en lingots d'or, et
dont il ne demanderait jamais le
remboursement, parce que des lin-
gots d'or ne pourraient tenir lieu
d'espèces mounoj'ées. Il en résulte-
rait un papier-monnaie qui devrait
toujours valoir autant que de l'or.
On prétend que ce paiu|)hlet de Ri-
cardo a donné à la banque de Lon-
dres les moyens de revenir sans se-
cousse aux paiements en espèces.
Suivant un de nos économistes fran-
çais les plus distingués ( M. le comte
M... ) , il y a peut-être plus de sub-
tilité que de solidité dans ce projet de
lingots d'or. Il est bien certain que
les billets dont un tel dépôt serait
le gage , ne se présenteraient guère
au remboursement ; mais si la valeur
des lingots devait égaler celle des
billets , ({uel serait l'objet d'une telle
banque ? III. Sur les prohibitions
en agriculture , brochure, de g5
pages, publiée en iS'i'î, iii-80. , et
qui renferme une excellente doctrine.
Ricardo a inséré dans le Supplément
de V Encyclopedia Britannica, un
article sur le système d'amortisse-
ment, que l'auteur de cette Notice
s'occupe à traduire. D — z — s.
RIGAUDOS (Le marquis don An-
tonio ) , géne'rai espagnol , né à Se-
5 10 RIC
ville, en i']48j appartenait à une
famille illustre. A l'âge de quinze
ans , il entra dans le corps des
gardes-espagnoles. Il se trouva aux
expéditions d'Alger ( eu l'^'j'j ) , et
de Gibraltar ( eu 1782 ) , et il y
donna des preuves d'intelligence et
de courage. Apiès avoir occupe plu-
sieurs gouverueraents , il fut nom-
mé capitaine- général de la Catalo-
gne. Peu de temps après sa nomi-
uation à cette place , la guerre
éclata contre la France, en 1 793. Ri-
cardos réunit à la hâte une armée ,
et , se portant à marches forcées
sur les frontières , entra sur le ter-
ritoire français , où il battit les
troupes républicaines , emporta le
fort des Bains après vingt-tiois jours
de blocus , et celui de Bellegarde
après un bombardement. Au combat
de Trullas il décida lui-même la vic-
toire , eu chargeant à la tète de ses ca-
rabiniers ; enfin, il arriva jusqu'aux
portes de Perpignan. On ignore quel
motif l'empêcha de faire la moindre
tentative pour s'emparer de cette
place , qui lui aurait assuré la con-
quête du Roussillou. Après celte
brillante campagne , il vint à Ma-
drid rendre compte de ses opéra-
tions, et demander des renforts afin
d'ouvrir la campagne suivante. Il fut
reçu daus la capitale au milieu des
acclamations du peuple ; et le roi
lui conféra la grande croix de l'or-
dre de Charles III. Pendant ce temps,
le gouvernement français avait en-
voyé des forces imposantes dans les
Pyrénées : les républicains prirent
l'offensive, et les Espagnols furent re-
poussés vers leurs frontières. Cet
échec inattendu excita du niéconten-
tcraeut paiiiii le peuple de Madrid, et
fut altribnéà la lenteur qu'avait mise
Ricardos pour se rendre à son armée.
Tous les jours , à sou réveil , et à
RIC
l'heure de son dîner , une foule de
femmes du peuple, avec des gui-
tares et dos tambours-de-basque en-
combrait la porte de sa maison , en
criant , au son de leurs instruments :
Adieu , monsieur le général ! bon
vojage , monsieur le général I . . .
Mais Ricardos avait eu le mal-
heur de déplaire à un ministre tout-
puissant , qui lui fit attendre long-
temps et inutilement les secours
demandés. Le mécontentement du
peuple ne faisant qu'augmenter, et
la musique et les clameurs ne dis-
continuant pas , il se rendit enfin
à son armée , où il n'arriva que
pour la voir se retirer en désor-
dre. Ce revers entraîna sa disgrâ-
ce , déjà préparée d'avance , et il se
vit remplacé dans son commande-
ment par le comte de la Union , qui
ne fut pas plus heureux que lui. Ri-
cardos se retira daus une de ses ter-
res près de Séville , où il mourut
oublié , eu avril 1 798. Ce général
avait du courage et des talents mi-
litaires ; mais il manquait de la cir-
conspection ou de la flexibilité né-
cessaire pour se captiver la bien-
veillance d'un favori. B — s.
RICAUT (Sir Paul), diplomate
anglais, était le dixième fils de Pierre
Ricaut , commerçant établi à Lon-
dres , et connu par quelques ouvra-
ges populaires. Il fit de bonnes études
à Cambridge, y reçut le degré de
bachelier, en iG5o, et voyagea pen-
dant quelques années en Europe, en
Asie et en Afrique. Il fut ensuite at-
taché, comme secrétaire, au comte
de WinchcSsea , qu'il suivit daus son
ambassade extraordinaire à Cousfan-
tinople, en 1661 , et il s'instruisit à
fond des mœurs, des usages et de la
religion des Turcs. Pendant celte am-
bassade , qui dura huit années, il
vint deux fois à Londres pour les
RIC
affaires du gonvcrncmcut , passa
quelque temps dans le camp du vi-
sir Coproli eu Hongrie , et publia la
Capilulalion des articles du traite
de pais conclu entre la Porte et l'An-
gleterre, Il avait obtenu , pour les
vaisseaux anglais , l'exemption de
tout droit de visite dans les mers otlio-
manes. Les talents qu'il montra dans
son emploi , lui méritèrent l'estime
de l'ambassadeur, sur la recomman-
dation duquel il fut nommé consul à
Smyrne. Ricaut remplit cette place
pendant onze ans , s'oocupant sans
relâche d'étendre et de favoriser
le commerce des Anglais au Le-
vant. A son retour dans sa patrie,
dont il était absent depuis près de
vingt-quatre ans , il fut nommé ,
par lord Clarendon, en i68j, se-
crétaire des provinces de Leinster
et de Conanght en Irlande ; et le
roi Jacques II , en recompense de
ses services , le créa conseiller-privé
d'Irlande , et juge de l'amirauté, La
réyolutiou qui précipita les Stuarts
du trône , priva Ricaut de tous ses
emplois ; mais il ne tarda pas à ren-
trer en faveur, et il fut pourvu , dès
i6go , de la charge de résident près
des villes anséatiques. Des raisons
de santé l'obligèrent de repasser en
Angleterre, en 1700 : il mourut à
Londres, le 16 décembre de la mê-
me année. Il était , depuis quelques
années , membre de la société royale
de Londres, Outre une traduction
anglaise de l'histoire du Pérou, par
Garcilaso de la Vega , 1688, in-
fol. (i), et du Crilicon de Uallh,
Gracian , et une continuation des
Vies des papes , par Platina , on
a de lui : 1, Histoire de i'élat pré-
sent de l'empire Olhoman , coutc-
(1) Voy. l'art. GARCILASO, XVI, 4h7>|'», par
\iue orrcut typograj'Liijuc , It traducteur est mal
iioioiue Higniirl,
RIC
5.1
nant les maximes politiipies des
Turcs ; les principaux points de hi
religion mahométane, etc. , Londres,
1 66g , et réimprimée un grand nom-
lire de fois , sous différents formats.
C'était le premier ouvrage qui fît:
bien connaître les mœurs des Turcs,
ainsi que les ressources et la politi-
que de la Porte Othomane : il a été
traduit dans presque toutes les lan-
gues de l'Europe; et, malgré les
nouvelles notions qu'on a recueillies
sur l'empire des Turcs, on le lit en-
core avec intérêt. On en a deux
traductions françaises ; l'une par
Briot, Paris , 1670 , grand in-4''. ,
(i); et l'autre par Bcspier, Rouen,
1677, i"-î2j '-* ^'ol- I-'^ traduction
de Bespier est enrichie de notes fort
estimées; mais celle de Briot est plus
exacte ( Foj\ Briot, v, 6i4). II.
Histoire des trois dentiers empe-
reurs turcs, depuis 161"^ jusqu'en
1679 , Londres , 1680, in-fol. ; tra-
duite en français par Briot , Paris ,
i683 , 4 vol. in- 12. C'est une con-
tinuation de l'histoire gcufrale des
Turcs, parRich. KuoUes ( Voj. ce
nom , XXII , 495 ). HT. Histoire
des liurcs^ depuis 1679 jusqu'en
1699, et continuée par le traduc-
teur anonyme, jusqu'en 1 704, Ams-
terdam , 1709, 3 voi. in- 1 '2. Ces trois
ouvrages de Ricaut ont été publiés
en français , sous le titre d'Histoire
de l'empire Othoman , la Haye ,
1709, (3 vol. in-i'2; les cinq pre-
miers contiennent l'Histoire et la
continuation; et le sixième, le ta-
bleau de l'empire , de la traduction
de Briot. IV. Histoire de l'état pré-
sent de l'Eglise grecque et de VE-
(i) Cette e'dition est rarp et rcclierclice. Lesaina-
tcurs fuDt aussi licaucoup de cas de la rcimprcssiou
d'Amsterd., Abrali.Woltgaiik , iG^o.in-i», avcclfs
lig. réduites de Leclerc, parce <f<i'eUe fait jiartio
deti egllcctiou des Hicvicrs français.
5l2
RIC
nlise arménienne , Londres, 1678 ,
in-12; irad. en français par Rosc-
mond, Middelbourg , 1692; Ams-
terdam, i6q6 et 1710, in-1'2,
W— s.
RICCÂTI ( Vincent de ) , habile
géomètre, naqiiitjle 1 i janvier 1707,
a Castel-Franco , dans le Trëvisan ,
d'une famille patricienne. Son père,
le comte Jacques Riccati, était lin des
premiers mathématiciens de l'Italie.
Le cas particulier de l'équation dif.
férentielle de premier ordre qu'il
proposa aux géomètres, a près l'avoir
résolu autant qu'il [)cut l'être , a
retenu son nom. Il enseigna lui-mê-
me les mathématiques à ses deux
fils, dont les progrès répondirent à
ses soins , et il vit ainsi se renouve-
ler dans sa famille presque le même
phénomène que dans celle de Ber-
noulii ( P^oy. ce nom). Vincent,
l'aîné, fut admis, à l'âge de dix-
neuf ans , chez les jésuites , et en-
voyé par ses supérieurs à Bologne ,
oii il professa , pendant trente cinq
ans, les hautes mathématiques, avec
une réputation toujours croissante ,
et qui attirait, à ses leçons , un con-
cours nombieux d'auditeurs. Il fut
en même temps chargé de surveil-
ler le cours des fleuves dans le Bo-
lonais et dans les états Vénitiens ,
et fit exécuter sur le Reno , le Pô ,
l'Adigo et la Brenta , des travaux qui
prévinrent le retour des déboi dé-
ments. Les Bolonais voulurent per-
pétuer le souvenir des services du
P. Riccati , par une médaille d'ar-
gent ; mais le sénat de Venise en fit
frap])cr une d'or , d'un grand prix ,
(jui lui fut odèrleen 1774. Depuis la
suppression de la Société, le P. Ric-
cati était revenu dans sa patrie; et il
V mourut le 17 janvier 1775, à
i'àgc de soixante-huit ans. Outre des
Lettres dans la Nnvi^a llac.colta di
RIC
opuscoli scienlifici , tome x'xi à
XXXI , et quelques Opuscules dans
les Mémoires de l'académie de Bo-
logne, dont il était membre, on a
de lui : I. Dialu^o dove ne" congres-
sidipiù giornate délie furze vive
et delV nzioni délie j'orze morte si
tien discorso , Bologne , 1 749 > ii-
4°. II. De usu motus tractoriiin
constructione œquationum dijje-
rentialiuia commentarius , ibid. ,
1752 , in-4°. ; ouvrage estimé. III.
De seriehus recipientibus sunimam
generalern algebraticam aut expo-
nentibilem , ibidem , 17.56 , in-
4°. IV. Opuscula ad res physi-
cas et mathematicas pertinentia ,
Lucques , 1757-72, 2 vol. in-4°.
Le premier renferme tous les opus-
cules que le P. Riccati avait publiés
jusqu'alors , excepté ceux dont on
vient de donner les litres. Ce Recueil
est fort recherché. V. Institutio-
nés analjticœ collectée , Bologne ,
1765-67 , 3 vol. in-4°-; Milan, 1775,
même format et même nombre de
volumes. Le P. Jérôme Saladini ,
célestin, et disciple de Riccati, a eu
part à cet ouvrage. On trouvera la
Vie de ce savant mathématicien dans
le tome xvi des Fitœ Italorum ^ de
Fabroni. On peut aussi consulter le
Supplément 'nia Bibl. soc. Jesu, par
Caballero, pag. 'x^i. — Son frère,
le comte Jourdain Riccati , mathé-
maticien , architecte et musicien
distingué , né en 1 709 , mort à Tré-
vise , le 20 juillet 1790 , est aussi
comui par un Traité sur les cordes
vibrantes , et par quchpies autres
ouvrages, Voy. le Mémoire ( Com-
mentario) sur sa vie, par B. M.
Fédérici , Trévise , 1 790 , in-4**. ; le
Journal de Fise , tom. 81 , page
274 ; et le Journal de Modène , 43
320. W— s.
UICCHIEKI. /'. RnoDiciNus.
RIC
RICCI (Uguccione), chef du
parti populaire à Florence au mi-
lieu du quatorzième siècle , se fit re-
marquer par son opposition aux AI-
bizzi , et par la loi d'admonition ,
qu'il imagina le premier , dans la
rue d'c'cartcr du gouvernement les
Gibelins et leurs descendants, mais
qui fut tournée , par ses rivaux ,
contre lui-même et ses partisans.
Uguccione de Ricci , exclu de tous
les emplois en 1371 , perdit son
crédit auprès du peuple , par les
efforts qu'il fit pour élever sa fa-
mille à la cour de Rome. Il mourut
dans l'oubli , avant l'année iS^S.
Cependant le parti qvi'il avait formé,
réuni de nouveau par les Alberti ,
se rangea enfin , au quinzième siè-
cle , autour des Médicis ; et , pour
combattre l'aristocratie, il anéantit
la liberté. S. S — i.
RÎCCI ( Le P. Matthieu ), célè-
bre jésuite, et fondateur de la mis-
sion de la Chine , naquit à Macerata ,
dans la marclie d'Ancone, en i552.
On l'avait destiné à l'étude du dro ;
mais il préféra la vie religieuse, et
il entra dans la compagnie de Jésus,
en 1571. Celui qui le dirigea dans
sou noviciat, était le P. Alexandre
Valignan , missionnaire célèbre ,
qu'un prince de Portugal apjielait
l'apotre de l'Orient. Ricci conçut
bientôt l'idée de le suivre aux Indes ,
et ne s'arrêta en Europe que le temps
qu'il fallait pour faire les études né-
cessaires à une semblable entreprise.
11 vint même achever son cours de
théologie à Goa, où il arriva, en
1578. Le P. Valignan s'était déjà
rendu à Macao , oîi il prenait des me-
sures pour ouvrir à ses collègues les
portes de la Chine. Le choix de ceux
qui se lanceraient les premiers dans
cette nouvelle carrière, était d'une
grande importance. H tomba sur les
XXXVII.
RIC
5i3
PP. Roger, Pasio et Ricci , tous trois
Itabens. Le premier devoir qu'ils eu-
rent à remplir , fut d'apprendre la
langue du pays ; et l'on doit conve-
nir qu'à cette époque, et avec le peu
de secours qu'on avait alors , ce n'é-
tait pas une entreprise facile. Après
quelque temps d'études, les mission-
naires profilèrent de la faculté que
les Portugais de Macao avaient ob-
tenue de se rendre à Canton pour tra-
fiquer, et ils les y accompagnèrent
chacun à leur tour. Ricci y alla le
dernier ; et ses premiers efforts ne
parurent pas d'abord plus eificaces
que n'avaient été ceux du P. Roger.
Tous deux se virent obligés de reve-
nir à Macao. Ce ne fut qu'en i583 ,
que le gouvernement de la province
de Canton ayant été confié à un nou-
veau vice - roi , les Pères eurent la
permission de s'établir à Tchao-
king-fou. Ricci, qui avait eu le loisir
de connaître le génie de la nation
qu'il voulait convertir, sentit dès-lors
que le meilleur moyen de s'assurer
l'estime des Chinois était de montrer ,
dans les prédicateurs de l'Évangile,
des hommes éclairés , voués à l'étu-
de des sciences, et bien différents en
cela des bonzes , avec lesquels ces
peuples ont toujours été disposés à
les confondre. Ce fut dès ce temps
que Ricci, qui avait appris la géo-
graphie à Rome sous le célèbre Cla-
vius, fit pour les Chinois une Map-
pemonde, dans laquelle il se confor-
ma aux habitudes de ces peuples, en
plaçant la Chine dans le centre delà
carte, et en disposant les autres
pays autour du Royaume du milieu
(i). Il composa aussi un petit caté-
la |>artie centrale est vue plus en petit jjir.niruiip
aulrc, y ri-pn'srnta , au cnntraire ,Ia CLioc plus o^
33
Si4 RIC
clii'snie en langue chinoise, lequel
fut, (lit-on, reçu avec de grands a"p-
plaudissementspar les gens du pays.
Depuis iSBg, il était charge seul de
la înission de Tchaoking, ses com-
pagnons aynnl c'te' coiidiiifs ailleurs
par le desirde niulliplier les moyens
de convertir les Chinois au rhristia-
riisrne. II eut souvent à soudrir des
diflicultés que lui suscitaient les gou-
verneurs de la province, et même il
se vit forcé de quitter l'e'îablisse-
inent qu'il avait forme' à ?;rand'j)eiiie
dans la ville de Tchao-king, et de
venir re'sider h Tchao tchcou. Dans
ce dernier lieu , un Chinois , nomme'
Tchin-ta'i-so, pria le P. Ricci de lui
apprendre la chimie et les mathe'ma-
tiques. Le missionnaire se prêta vo-
lontiers à ce désir; et son di'îciple
devintparlasuite l'un de ses premiers
catéchumènes. Ricci avait formé de-
puis long-temps le projet de se ren-
di'e à la cour , persuade que les moin-
dres succès qu'il pourrait y obtenir ,
serviraient plus efllcacement la cau-
se qu'il avait embrassée , que tous les
efforts qu'on voudrait tenter dans les
provinces. Jusque-là , les mission-
naires avaient porte l'habit des reli-
gieux de la Chine , que les relations
aemmcntbonzes; mais, pour se mon-
trer dans la capitale, il fallait re-
noncer à ce costume , qui n'était
propre qu'à les faire mépriser des
Chinois. De l'avis du visitf>ur et de
l'évêque du Japon , qui résidait à
Macao , Ricci et ses compagnons
adoptèrent l'habit des gens de Ict-
iiruiul (lit SiiKc rcj^iiuin in niediu iiiajuiemparlcm
occii/iarct , lelir/un régna in Jinihu! mappa- oi'ifor-
ftiis exigiia upparereiil ), cei\\n ne peut guère s'cxc-
ciilcr fine par uuc persjieclivn cxtiriiiirc daus le
genre (le riietnisplière /pie J. H. H. de Saint-Pierre
a i'ait nriiver dans se» Eludes de la nature. l,v con-
linuaUur de Lé.in Pinelo rrriit rpie cette Mappe-
monde de Rieti eM, la même que (lemelli-Carrcri
ditavrtr vu* dani la l.iMiutliJ-quc <le Pekinj; ( Giro
dd Muiido , part, w, itl. ir)8 ).
RIC
très. On a fait, de ce changement ^
un sujet de reproche aux Jésuites
de la Chine ; mais il était indispen-
sable dans un empire où la consi-
dération n'est accordée qu'à la culture
des lettres. Ricci résolut d'exécuter
son dessein , en i5ç)5. et il partit ef-
fectivement à la suite d'un magistrat
qui allait à Peking. Mais diverses cir-
constances le contraignirent de s'ar-
rêter à Nan-tchang-fon , capitalede la
province de Kiang-si. Ce fut là qu'il
composa un Traité de la mémoire
artificielle , et un Dialogue sur l'a-
mitié , à l'imitation de celui de
Cicéron. On assure que ce livre fut
regardé par les Chinois comme un
modèle que les plus habiles lettrés au-
raient peine à surpasser. A cette épo-
que, le bruit s'était répandu à la
Chine, que Taïkosama, roi du Ja-
pon , projetait une irruption en
Corée, et jusque dans l'empire. La
crainte qu'il inspirait, avait encore
augmenté la défiance que les Chinois
ont naturellement pour les étrangers :
Ricci et quelques-uns de ses néophy-
tes s'étant rendus successivement à
Nankin g et à Peking , y furent pris
pour des Japonais, et personne ne
consentit à se charger deles présenter
à la cour. Ils se virentdonc obligés de
revenir sur leurs pas. Le seul avan-
tage que produisit cette course , fut
l'assurance acquise par tiicci que
Peking était bien la célèbre Cam-
balu de Marc-Pol ; et la Chine , le
royaume de Calai , dont on parlait
tant en Europe, sans en connaître la
véritable situation, licmissionairefit
ensuite quelque séjour à Nanking, oti
sa réputation d'homme savant s'ac-
crut considérablement. Les Portu-
gais lui ayant fait passer dos présents
destinés à l'empereur, il obtint des
magistrats la permission de venir
h la cour, pour les offrir lui - rnc^
RIC
me en qualité d'arabassatleur. Il
se mit en clieruin , au mois de mai
3600, accompàguc du P. D. Pan-
toja , Espagnol , de deux Jésuites
chinois , et de deux jeunes catéchu-
mènes. Maigre' quelques traverses
qu'il rencontra encore dans son voya-
ge , il parvint à être admis dans le
palais de l'empereur ( Foy. Cm n-
TSONG ) , qui lui fit faire un
bon accueil , et vit avec curiosité
plusieurs de ses présents, notam-
ment une horloge et une montre à
sonnerie , deux objets encore non-
veaux à la Chine dans ce temps-là.
La faveur impériale une fois décla-
rée ponr lui, le P. Ricci n'eut plus
qu'à s'occuper des soins cpi'exi-
îjeaient les intérêts de la mission,
riusieurs conversions éclatantes fu-
rent , à ce qu'il paraît , le frnit de
ces soins ; et les travaux littéraires
et scientiUques auxquels le mission-
naire se livrait en même temps ,
contribuaient à lui assurer l'otirae
des hommes les pins distingués de la
capitale. Un travail d'un autre genre
fut celui que lui confia le général de
sa compagriie, et qui consistait à re-
cueillir les Mémoires sur toutes les
diverses missions qu'il avait fondées
à la Chine. Tant d'occupations dif-
férentes, les peines qu'il lui fallait
prendre pour entretenir avec un
grand nombre de personnes de dis-
tinction, des relations que les usa-
ges de la Chine rendent infiniment
assujétissantes , épuisèrent prompte-
mcnt les forces du P. Ricci. Il mou-
rut le II mai 1610, laissant pour
successeur le P. Adam Schall , prcs-
qu'aussi célèbre que lui parles ira-
poitants services qu'il a rendus à
la religion et aux sciences. Ricci n'a-
vait que cinquante-huit ans quand
il mourut, et non pas quatre-vingt-
huit, comme on l'a dit \r.iY erreur.
RIC
5i5
Les principaux lettrés qui se trou-
vaient à Peking, se firent un devoir
de contribuer, au moins par leur
présence, à la pompe de ses obsè-
ques. Les chrétiens le portèrent en-
suite en procession, et la croix le-
vée, sans craindre d'étaler ce si^^ne
à la vue des infidèles, au travers de
la capitale et jusqu'à une lieue au-
delà , dans un ancien temple , retenu
abusivement par un favori dis"ia-
cié, et qui fut accordé par l'empe-
reur pour servir de sépulture à
l'humble religieux. Cet édifice fut
consacré au vrai Dieu ; et l'on y éta-
blit , pour les missionnaires , une ha-
bitation, qui est encore aujourd'hui à
la Chine ( disait le P. Dorléans eu
1693 ), le sanctuaire de la religion.
Le F. Ricci avait pris en chinois le
nom de Li, représentant la première
syllabe de son nom de famille, de
la seule manière que les Chinois
puissent l'articuler, et le surnom de
Ma-ieon ( RIatthieu ). Il avait aussi
reçu le nom de Si thaï. Il (is.t ainsi
désignédansles Annales de l'empire,
sous le nom de Li-:iia-teou. D'après
son exemple, les antres missionnai-
res ont tous pris des noms chinois ,
formés généraiement de la même
manière. Les quinze ouvrages qu'il a
composés eu chinois, sont les pre-
miers de ce genre que l'on doive à
des Européens : on ne sera peut-être
pas fâché d'avoir ici une liste un peu
détaillée des principaux : I. Thian-
tchu chi i , ou la véritable doctrine
de Dieu, en deux livres. On le trouve
à la bibliothèque du Roi ( Foy.
Catal. Fourmont, n". 170 et suiv. )
Il passe pour être écrit tvcs - élé-
gamment, et dans un goùi tont-à-
fait conforme au véritable style lit-
téraire (2). C'est sans doute unech o-
(ï)T-o p. Julien nMaiiiolli , j.^suilc jJ^PiTtoic ITlît
réimprimer, en 1730, au Tonkin , pour \;i scrondc
33..
5i6
RlC
se très-remarquable, qu'un étranger
soit parvenu, en peu d'années, à con-
naître les secrets d'une langue aussi
diflicile que le chinois, de manière
à mériter les éloges des lettres eux-
mêmes. A la vérité, il avait , pour
cet ouvrage, comme pour les sui-
vants, le secours du célèbre Siu,
kolao ou iniuistre-d'ètat, qui avait
bien voidu le retonclier. « C'est un
« chef-d'œuvre, dit le P. Bourgeois:
» il s'est trouve des lettrés qui le li-
» saient pour se former le style....
» On ne conçoit pas qu'un homme
» qui n'avait fait sa théologie qu'en
» voyageant, ait pu mettre dans ce
» livre tant de force de raisonne-
» ment , tant de clarté et d'élégan-
)) ce. » Il faut bien qu'en effet lelivre
du P. Ricci se distingue parla ma-
nière dont il est écrit, s'il est vrai
qu'il ait été compris dans la grande
collection des meilleurs ouvrages
chinois , en 160,000 volumes , que
Kliian-ioung avait fait rédiger. Un
si grand honneur ( qui ne fut accor-
dé qu'à dcu'S autres ouvrages com-
poses en chinois par des Européens ,
l'un du P. Diego Fantoja (3), et l'au-
tre du P. Ferdinand Verbiest ) est
la preuve d'estime la plus éclatante
fois; tt il ussiire qup l'éli'gancc et la pureté du style
de rc catetliisme coiitribuèreut puissamment au
succès de SCS prédications dons ce royaume.
(3) Le P. Bourgeois cite le Thsi-khc ou traité des
.sept victoires, comme ayant été admis dans celte
collection ( iWém. coucerii. les Chinois, t. XV, p.
290 ). n y a , dans le passage de sa lettre relatit à cet
objet, une faute d'impression qui le rend iuintelli-
blc : mais on peut deviner cpi'il a attribué le Tlisi-
khe, à un missionnaire nommé en cliinois Vaiig-
iiia-na , c'est-à-dire au P. Lmanuel IJias. Cet ou-
vrage, (jui est à la bibliothèque du Roi ( Fourni.,
Calai., n". aoû et «o^ ) , est de Phans,-ycou-'o ( le
P. D. Pauloja ). C'est par erreur que l'ourmout ^^ I.
c. ) a lu son nom Loun^-yeou-'o. On peut voir le
Chinn kiao siii'leitg , ou Catalogue des missionnaires
jésuiles, en cbinois, p. 5 et 8. Le P. ni( po Pautoja ,
né en i57X , l'i Valdeniora , diocèse de Tolède ,mort
à M.-icao en iliiS, avait composé cinq autres ou-
vraijcs . dont l'édition chinoise se trouvait à Rome ,
dans le» arcbives de la société. Voye». en les titres
( en latin ) dans la Bihliolh. scripl. soc. J't-iu. Le ca-
talnf-ue cliinois cité plus haut donne les titre» ( eu
chinois) de sept ouvrages de cet auteur.
RIC
que les lettrés de la Chine aient pu
donner à un écrivain étranger. II.
Discussions et Controverses en un vo
lurae. m. hi hoj^oiian peu , ou les
six premiers livres d'Euclide. IV.
Kiaojeou hin, ou Dialogue sur l'a-
mitié ( F. plus haut ). V. Thoung-
wen iouaii tchi , on Arithmétique
pratique, en onze livres. VI. Si tseu
ki tsi , ou Système de l'écritiu-e euro-
péenne. VII. Si-koue-fa , Art de la
mémoire, tel qu'il est enseigné dans
les royaumes de l'Occident. VIII.
Thse liangfa i, Géométrie pratique,
ÎX. ^Fan koue iu thou. Carte des dix
mille royaumes, ou Mappemonde.
X. Explication de la sphère céleste et
terrestre, en deux livres. Outre plu-
sieurs autres ouvrages de géométrie
et de morale (4) , on doit encore
au P. Ricci les Mémoires diaprés
lesquels le P. Trigault a rédigé ,
sous le titre , De christianâ expe-
ditione apud Sinas susceptd , l'his-
toire de l'établissement et les pre-
mières années de la mission de la
Chine ( Augsbourg, i6i5, in -4**.)
C'est dans cet ouvrage qu'on peut
prendre une idée juste des travaux du
fondateur de celte mission; et il doit
être considéré comme une excellente
Vie du P. Ricci, enrichie d'un grand
nombre de morceaux curieux pour
l'histoire et la géographie. Le père
Kircher , qui eu a extrait de longs
fragments , pour les insérer dans sa
China illuslrala, a fait graver un
portrait de Ricci, en costume de let-
tré. Enfin le P. Dorléans a composé,
d'après V Expédition chrétienne, la
Fie du P. M* Ricci, Paris, iGqS ,
in.i'2. Ce n'est qu^in extrait peu étcn-
(.1) Le Traité sur l'exisleuee de O.eu , l'unmoi--
Lililcda l'ame et la liberté de l'homme , qm a tHr
traduit en fiançais liar le P. Jaiipies , et insère au
tome XXV de lu seconde édition de»;Ae(/re.< érf;/j(iK-
Ics , fait saiisdoulc partie de la liste précédente.
RIG
du du graud ouvrage du P. TrigauU.
Le P. Jean Aleui a aussi fait imprimer,
eu chinois, uue Vie de ce célèbre jé-
suite. Soixante-six Lettres originales
du P. Ricci , aussi curieuses qu'intéres-
santes, ont passé de la bibliothèque
du P. Lagomarsini, dans celle de la
famille Ricci , à Macerata ( Voyez le
Dizion. storico , édit. de Bassano ,
1 796 ). Ou a accusé le P. Ricci , com-
me missionnaire , d'avoir donné
l'exemple d'une tolérance coupable ,
en n'exigeant pas des nouveaux con-
vertis le sacrifice absolu des opi-
nions qui font la base des systèmes
philosophiques et politiques de la
Chine relativement au culte du Ciel ,
ainsi qu'aux honneurs à rendre aux
ancêtres et à Confucius. Le système
qu'il avait adopté à cet égard, a long-
temps servi de régie aux jésuites qui
ont marché sur ses traces ; et , de
bonne heure aussi , il a été attaqué
par les dominicains. Tout le monde
a entendu parler des querelles qui se
sont élevées entre les missionnaires
de ces deux ordres ( F". Maigrot ) ;
querelles déplorables, qui ont fini par
causer l'expulsion des uns et des au-
tres , et la ruine presque totale de la
mission fondée par le P. Ricci. On
n'entrera ici dans aucune de ces dis-
cussions connues , sur lesquelles il y
aurait quelque témérité à prendre par-
ti pour ou contre des hommes égale-
ment éclairés et respectables. Mais
ce qu'on croit permis d'avancer, c'est
que le moyen qu'avait pris le P. Ric-
ci était le seul qui pût amener prom p -
tementle peuple chinois à goûter les
vérités de la religion chrétictuie, et
que, s'il est proscrit, il faudra re-
noncer à voir le christianisme floris-
sant à la Chine , aussi long-tçmps
du moins (juc dureront les institu-
tions sur lesquelles cet empire est
fonde. A. R — T.
RÎG
5r
RICCI (Jean-Baptiste ), peintre
italien, naquit à Novare, en i545.
Il fut élève dcLanini, son beau-frère,
qui lui-même avait puisé, dans les le-
çons de Gaudeuzio Ferrari ,1e style de
l'école de Raphaël. Ricci étant venu à
Rome, sous le pontificat de Sixte-
Quint , et ayant donné des preuves
de sa capacité , dans les peintures
de l'escalier du palais de Latran et
dans la bibliothèque du Vatican , ne
tarda pas d'obtenir les bonnes grâ-
ces du pape, qui lui confia l'exécution
des peintures qui restaient à terminer
dans lé palais du Quirinal. Il jouit
d'une égale faveur sous Clément
VIII , pendant la vie duquel il pei-
gnit, à St.- Jean de Latran , V Histoire
de la consécration de cette basilique.
C'est là que l'on voyait les plus
beaux ouvrages de ce peintre. Il en
existe un grand nombre , tant à
Rome que dans d'autres villes des
étals de l'Église. Ses productions
ont quelque chose de gai et de riant
qui séduit l'œil , et uue facilité qui
n'est point le partage d'un artiste
médiocre. On y reconnaît l'école de
Raphaël , mais dégénérée , et tirant
sur la manière ; c'était le style de ce
temps , tel que le Circignani . le Neb-
bia et beaucoup d'autres artistes, en
réputation alors , l'avaient mis eu
vogue. Ricci se signala surtout dans
la peinture à fresque : il contribua à
propager le goût énervé qui régnait
à celte époque ; mais il y brille un
sentiment de la forme , que peu de
ses contemporains ont possédé au
même degré que lui. Ricci mourut à
Rome, eu 16.10. — Camille Ricci,
peintre, né à Fcrrare , en i58o,
fut élève d'Hippolyle Scarsella. Son
maître disait de lui : « Si Ricci n'e'-
» tait pas mort prématurément, il
» m'aurait surpasse en talent;; et s'il
» était ne' plus tôt , je me serais fait
5i8 RiC
» s(Ki élève. )) Après l'avoir inslrnit
dans toutes les parties de son art , il
voulut l'avoir pour compaguon dans
tous ses travaux, et lui communiqua
tellement sa manière , qu'on ne pou-
vait plus distinoucr les ouvrages du
ruaîlre de ceux de l'élève. Le slyle de
Camille a la même douceur et le mê-
me agrément ; et l'empatenieut de ses
couleurs est plus tranquille et plus
égal. Ce qui le fait reconnaître, c'est
inoins de franchise dans le pinceau
et de naturel dans les plis , qu'il mul-
tiplie un ])eu trop. C'est dans Téglise
de Saiut-Nicolas de Ferrare , qu'il a
donné des preuves incontestables de
la fécondité de son génie. Le plafond
contient plus de quatre-vingts com-
partiments tous peints de la main de
Ricci , et représentant des traits de
la Vie du saint évêque. La Sainte-
Mari^uerite qu'il a j)einte dans la
cathédrale est digne d'être attribuée
à son maître. La noble famille de
Trotti, à Ferrare, qui est très-riche
etj tableaux de galerie, possède sur-
tout un Portrait de V artiste, sous la
figure d'un Génie nu et assis, tenant
en main la palette et les pinceaux,
entouré de papiers de musique, et
d^outils de sculpture et d'architectu-
re, tous arts que Ricci avait cultivés
avec succès. Il serait devenu un
des premiers artistes de son temps ,
si la mort ne l'eût enlevé à J'àge de
irente-huit ans. — Antoine Ricci ,
surnommé Barbaluwga , peintre,
naquit à Messine en iGoo, et fut
élève du Dominiquin. Quoiqu'il soit
mort pauvre, il n'a pas laissé de
^aire honneur à son pays et à son
maître , dont il imita la manière
avec bonheur. Il parvint à se former
ce beau style , en copiant les produc-
tions les plus remanpiables du Do-
minitpjiii. C'est de lui qu'est le ta
bicau reprc.scmaut le Fondalcur de
RIC
l'ordre des Theatins , que l'ou voit
dans leur église à Monte- Cavallo; et
celui de SaiîitAndré , accurnpagné
d'un duvur d" Anges ,i\\n paraissent
de la main de Zampieri lui-même.
C'est le même choix de belles for-
mes , la même élégance dans les at-
titudes et les mouvements. Après
avoir long-temps travaillé sous la
direction de son maître, Darbalun-
ga revint à Messine , et embellit sa
ville natale d'un grand nombre de
compositions remarquables, telles
que \c Saint- Grégoire qui écrit, dans
l'église de ce nom ; V Ascension qu'on
voit à Saint-Michel , et les deuxiJ/è-
res de pitié , différentes d'invention,
que l'ou admire à Saint-Nicolas et à
l'hôpital. Il forma un grand nombre
d'habiles élèves , parmi lesquels les
plus distingués sont Maroli, Gabriel-
loetScilla. 11 mourut en 1649, avec
la réputation d'un des meilleurs ar-
tistes qu'ait produits la Sicile. P — s.
RICCI (Sebastien), peintre, na-
quit, en 1660, à Cividale-di-Belluno.
Cet artiste qui, parmi les professeurs
sesc ontemporains , s'est particulière-
ment distingué par son génie pittores-
que et par un style neuf lel plein de
goiàt, dans lequel il n'eut point d'égal,
tut d'abord instruit dans son art,
par le Cervelli , qui professait alors
a Cividale. Il accompagna sou maî-
tre à Milan, et il vint ensuite à
Bologne et à Venise , pour y étudier
les chefs-d'œuvre de ces deux écoles .
Il résida pendant quelques années à
Florence et à Rome , et Huit par vi-
siter Fltalie entière , laissant par-
tout do ses ouvrages. Ce fut ainsi
qu'il acquit une réputation presque
universelle. Il voyagea ensuite eu
Allemagne, en Angleterre et en Flan-
dre. C'est alors qu'il perfectionna
son coloiis, qui, déjà , dès ses pre-
miers essais , se faisait rcmarqucrpar
RIG
sou agrément et sou esprit. De Vien-
ne , où le roi des Romains l'avait ap-
pelé , et où il exécuta divers ou-
vrages pour la cour , il revint à
Florence, et y fut chargé d'orner
quelques - uns des appartemeuls du
grand-duc. Appelé à Londres par la
reine d'Angleterre , il traversa la
France; et, eu passant à Paris, il fut
reçu membre de l'académie de pein-
ture. Le tableau qu'il (il à Londres,
pour l'hôpital de Chelsea , la demi-
coupole uù il a peint V Ascension de
Jésus - Christ , l'escalier de l'hôtel
deMontaigu, qu'il peignit égalemen;,
prouvent sans contredit sou talent
pour les grandes machines. Après
UU long séjour eu Angleterre, il re-
vint à Venise , où on lui comman-
da un grand nombre de tableaux
pour la France, l'Espagne, le Portu-
gal et la Sardaigne. Au milieu de tant
d'écoles dilférentcs et de manières si
diverses , sou imagination s'enrichit
d'une foule de belles inventions ', et,
à force de copier , il se rendit fami-
lier le style des plus habiles pein-
tres. Il eut, de commun avec Luca
Gioi'dano , le taleut de contrefaire la
rnaiiièrc de tous les maîtres ; et plu-
sieurs de ses tableaux, semblent , au
premier aspect, sortis de la main du
Bassau ou de Paul Véronèse. Pendant
qu'il était à Dresde, il exposa une
Madone , qu'il fit passer comme
étant du Gorrège. L'avautage le plus
grand qu'il retira de ses voyages fut
que, lors(|u'ou lui commandait un
sujet quelconque , il se rappelait sou-
dain comment tel ou tel maître l'a-
vait traité; et il eu savait profiter,
sans qu'on pût l'accuser de plagiat.
Ses premières études avaient été né-
gligées , sous le rapport du dessin.
Dans un âge plus avancé, malgré le
zèle assidu qu'il mit à se fortifier dans
cette partie , il no put jamais acquc-
lUC 5 19
rir le degré de perfection qui lui man-
quait. La forme, dans ses figures, a
de la beauté, de la noblesse, de la
grâce, et tient quelque chose de Paul
Véronèse. Ses attitudes offrent sur-
tout beaucoup de naturel , de vi-
vacité et de variété. S'js composi-
tions sont plenies de vérité et de
bon sens. Quoique toutes ses pro-
ductions décèlent une grande facilité
de pinceau, elle ne dégénère poiuteu
négligence. Ses figures, dessinéeSjavec
précision, se détachent du fond dont
l'azur éclatant ne peut les éteiudre.
Dans les peintuies à fresque, les tein-
tes ont conservé leur couleur primi-
tive. Ses tableaux à Thuile ont souf-
fert davantage , soit à cause du vice
d'impression des toiles , soit par dé-
faut de l'empâteuient des couleurs,
)n oins fort dans les derniers ouvrages
qu'il a exécutés à Venise que dans les
premiers. Parmi ses productians les
plus remarquables, on cite le Mas-
sacre des Innocents , à l'école de la
Charité de Venise ; V EnUi>emet}JL
des SaJiines , à Rome; à Bergame ,
Saint Grégoire priant la Fier ge en
faveur des âmes du Purgatoire ; à
Vienne, plusieurs plafonds daus |e
palais de 1 empereur , et une Assomp-
tion de la Vierge, daus Téglise de
Saint-Gharles , etc. Il forma plusieup
habiles élèves, parmi lesquels oudis-
tiugueDiscaui, Fontebasso , et sm'-
tout son neveu, Marc Ricci. Le ]M(i-
sée du Louvre possède un tableau al-
légorique de Sébastien RicL;i , repré-
sentant les Amours servant la Fran-
ce, et un Génie portant le diadènip.
Cet habile ai liste mourut à Venise ,
le 1 5 mai 1734. — Marc Ri cci , ne-
veu du précédent , naquit à Bellune ,
en 1G76. Après avoir d'abord étu-
dié le genre de l'histoire , sous la
direction de son oncle, il l'aban.
donna pour se livrer au paysage^
520 Ric
Dirigé par l'étude des chefs-d'œuvre
du Titien, et par la beauté des sitrs
de son pays , il devint un des plus
habiles paysagistes de l'école A'éui-
tienne. On n'exagère point en disant
que peu d'artistes avant lui ont su
faire k portrait d'un pays avec autant
de vérité, et que ceux qui sont ve-
nus après lui ne l'ont jamais égalé
dans cette partie de l'art. II ne faut
pas, toutefois , en juger par les ou-
vrages qu'il exécutait sur la de-
mande des marchands de tableaux ,
non plus que par les petites compo-
sitions en détrempe qu'il peignait
sur parchemin, et qui , quoique très-
agréables , manquent d'une certai-
ne vigueur. Il faut l'apprécier d'a-
près ses tableaux à l'huile , qu'il pei-
gnait avec le plus de soin , et que l'on
trouve en Angleterre plus fréquem-
ment qu'eu Italie. Il était passé en
Angleterre, en 1 7 1 o, avec son oncle.
Il ne tarda pas à y obtenir une répu-
tation étendue. Outre les paysages
qu'il peignit pour une foule de riches
gentilshommes , il aida Sébastien
dans l'exécution de plusieurs de ses
grands ouvrages. Ses productions ne
font pas entièrement connaître tout
son mérite. C'est à ses leçons que
Dominique et Joseph Valeriani ,
François Zuccherelli et Joseph Zaïs
durent leur talent. Marc Ricci n'é-
tait pas moins habile comme peintre
de perspective ; ses tableaux , en ce
genre, que son oncle a ornés de
figures pleines d'éclat et de verve,
jouissent d'une estime particuliè-
re. Marc a aussi gravé à l'eau-for-
te plusieurs paysages. Ce qu'il a fait
Je plus considérable en gravure, est
unesuifede vingt-trois feuilles in-fol. ,
y compris le frontispice , publiéeà
Venise, en 1780, par Carlo Orso-
lini. Marc Ricci mourut à Venise en
•7^^j- P— s.
RIG
RICCI ( Laurent ) , général des
Jésuites , né à Florence , le 2 août
1708, d'une famille distinguée de
cette ville , entra de bonne heure
dans la Société, ety remplit divers
emplois. Il exerça le ministère à Ro-
me, s'appliquantà la prédication et
à la direction des consciences ; et il
continua même ce genre de travail
lorsqu'il eut été nommé à une chaire
de théologie dans le collège Romain,
Sa prudence et son zèle firent jeter
les yeux sur lui , pour gouverner la
Société, après la mort du P. Centu-
rione , qui en était général j et Ric-
ci fut élu en sa place . le 21 mai
1758. Il refusa d'abord cette char-
ge , et ne se rendit qu'aux instances
de ses confrères. Les circonstances
étaient difficiles pour les Jésuites; ils
avaient des ennemis dans plusieurs
cours. L'orage éclata d'abord eu Por-
tugal , où quelques membres de la
Compagnie furent accusés d'avoir
trempé dans un complot contre la
vie du roi ( f^oj. Malagrida ). On
saisit ce prétexte ; et tous les Jésui-
tes furent bannis du royaume, et
transportes dans l'État pontifical, oîi
Ricci pourvut à leurs besoins. Bien-
tôt la proscription s'étendit à d'au-
tres états. En France , le parlement
de Paris donna le signal , et rendit ,
contre les Jésuites , des airêts fou-
droyants; ils furent bannis deux fois
du loyaume. I/Espagne , Naples ,
Parme , suivirent cet exemple. En
vain Ricci s'efforça de conjurer la
tempête par quelques Mémoires et
par des démarches ; en vain Clément
XI U écrivit aux princes en faveur
de la Société, la confirma par une
bulle expresse , et protesta contre
les arrêts des parlements. Les esprits
étaient tellement irrités que toutes
les démarches du pontife n'abouti-
rent qu'à une rupture avec les cours.
RIG
Clément XÏII mourut dans ces cir-
constances. Les couronnes travaillè-
rent vivement à élire un pape qui pût
entrer dans leurs vues; et le cardinal
Ganp;anelli fut porte sur le SainlSic-
ge. L'Espagne agit aussitôt auprès
de lui pour obtenir la suppression
des Jésuites ; et les autres cours de
la maison de Bourbon se joignirent
à elle. Pendant plusieurs années , les
ministres de ces puissances pressè-
rent le pontife à ce sujet : on trouve
des révélations assez curieuses sur ces
démarches , dans le Journal de cor-
respondance et de voyages , de l'ab-
bé Clément , i8oii , 3 vol. in-8o. De
son côté , Ricci présecta différents
Mémoires à S. S. : mais il ne put
conjurer l'orage ; et Clément XIV ne
crut pas pouvoir refuser aux puis-
sances une mesure qu'elles récla-
maient avec tant d'instance. L'Es-
pagne surtout y mettait une vivacité
extrême ( i ) ; et l'on voit par les Mé-
moires historiques et philosophiques
de Bourgoing, qu'elle exerçait à Ro-
me une sorte de domination. Lepape
rendit, le 21 juillet 1778 , le bref
de la suppression , qui fut notifiée
au général , le mois suivant. Ricci
fut d'abord enfermé au collège des
Irlandais , puis conduit au cbâteau
Saint-Ange , où il resta jusqu'au pon-
tificat suivant. Pie VI avait ordonné
son élargissement, lorsque leprison-
nier mourut , le 22 novembre 1775.
Il signa , peu de temps aA-^ant sa
mort, une déclaration qui fut rendue
publique d'après son désir. Il y pro-
testait , 1°. que la Compagnie de Jé-
sus n'avait donné aucun lieu à sa sup-
pression , et qu'il le déclarait en qua-
lité de supérieur bien instruit de
tout ce qui s'y était passé ; 2».
(1} Voy- dcut articles sur les causes de la sup-
lirrssion de» Jésuites, dans V Ami de la religion,
t. XVlIjpag. 241 et 173.
RIG
Sai
qu'en son particulier , il ne croyait
pas avoir mérité l'emprisonnement
et les rigueurs dont il avait été l'ob-
jet; 3°. enfin , qu'il pardonnait sin-
cèrement aux auteurs de ces procé-
dés, ïl y a une Vie de Ricci , par
Caraccioli , la Haye , 1776 , in- 12 :
cet écrit superficiel n'est qu'une com-
pilation des gazettes du temps ; il
rend cependant justice aux qualités
de Ricci , à son courage dans la dis-
grâce , et à son attachement pour
son corps. P — c — t.
RICCI ( ScipiON ) , né à Florence,
en 1741 , de la même famille que le
précédent , embrassa aussi l'étaf ec-
clésiastique, et fut fait, en 1780,
évêque de Pistoie et de Prato , sièges
unis. Léopold régnait alors en Tos-
cane , et paraissait vouloir suivre le
même système d'innovation que son
frère Joseph à Vienne. Ricci , soit
qu'il fût réellement partisan de ces in-
novations, soit qu'il y vît un moyen
d'ambition et de succès , se déclara
vivement pour les projets de réforme.
On vit paraître de fréquentes et pro-
lixes circulaires, oîi le grand-duc,
entrant dans les plus petits détails
de l'administration , adressait des
catéchismes aux évéques de Tos-
cane , leur indiquait les livres à
mettre entre les mains des fidèles ,
abolissait les confréries, diminuait
les processions , réglait minutieuse-
ment le culte divin et les cérémo-
nies , et se montrait en état d'hosti-
lité avec la cour de Rome. Ricci, qui
passait pour avoir provoqué ces me-
sures , s'empressait de les exé-
cuter dans son diocèse. Il chan-
geait les rils , réformait l'enseigne-
ment , bouleversait la discipline :
sous prétexte de rétablir les usages
de l'antiquité, il dépouillait le culte
de son éclat , et interdisait des pra-
tiques chères à la piété. Le 3 juin
522 RîC
1781 , il publia une instruction pas-
torale contre la devo'ion au Sacre'-
Cœur ; il adopta une iiislriiction très-
bizarre de l'archevêque de Salzbourg,
M. de GoUorcdo; ils'e'levait contre la
doctrine des iiidul(:;enccs, et faisait
traduire en italien des ouvrages pu-
blies autrefois en France en faveur
de l'appel et contre les papes, La
Toscane ne s'était point ressentie de
ces disputes ; et cette e'ç;ii.se avait joui
du calme le plus profond au milieu
des orages qui avaient agite' d'autres
portions de la catholicité. Kicci en-
treprit d'y introduire ces contesta-
tions ; ile'tablit, à Pistoie, une impri-
merie uniquement destinée à re'~
pandre des brochures oubliées , des
pamphlets et des écrits sans utilité'
ot sans intérêt. Il tenait , dans
son palais , des confe'rences , où l'on
plaidait en faveur de l'appel et de
l'église d'Utrecht. Il affecta d'en-
voyer à tous ses curés les Réflexions
morales de Qnesnel , que , dans une
circulaire du 6 octobre 1786 , il ap-
pelait un livre d'or; et il leur re-
commandait également les ouvrages
de Mésenguy , et l'Alircgc d'Histoire
ecclésiastique de l'abbé Racine. Un
synode qu'il tint à Pistoie , en sep-
tembre 1786, eut un grand éclat;
l'évêque y avait appelé quelques pro-
fesseurs de l'université de Pavie, en-
tre autres 'J'aïuburini, quisembley
avoir eu le plus de crédit. On y
rédigea des décrets qui paraissaient
calqués sur les écrits des appelants
français , et qui réalisaient leurs
vœux et leur doctrine : on adopta
surtout leurs idées sur la grâce , sur
les indulgences , sur le mariage et
sur diiïérentcs réformes. Les actes
et décrets de ce synode ont été pu-
blies eu italien, et même traduits en
français, 17S8 , ?. vol. in-i.i. Le
graud-duc approuva tout ce qu'avait
UIC
fait Ricci , et convoqua , pour le -3.1
avril 1787, une assemblée générale
Ae?, évêques de Toscane : ce devait
être le prélude d'un concile natio-
nal , où l'on adopterait en grand
ce qui avait été réglé à Pistoie. Mais
les esprits n'étaient pas bien dispo-
sés : la plu])art des évêques rejetè-
rent les projets du réformateur; et il
fut obligé de dissoudre l'assemblée.
Léopold témoigna son mécontente-
ment aux prélats , et donna de
grands éloges à la conduite de Ricci ;
il fit imprimer à ses frais, et dans
son palais , les actes de l'assemblée ,
en 7 vol. in-4'^ et in-S**. Ils étaient
sans doute rédigés sous l'influence de
l'évêque, et ils ne sont qu'une longue
apologie de ses principes et de ses ré-
formes. Ricci essuya cependant plus
d'une mortification pendant l'assem-
blée. Les esprits étaient froissés par
tous les changements qu'il ordon-
nait chaque jour ; et des plaintes s'é-
levaient de toutes parts contre l'im-
prudent novateur. Une émeute écla-
ta même à Prato, en mai 1787; ou
brûla son trône, et l'on pilla ses livres.
Plusieurs écrits parurent en divers
sens ; dans l'un, intiîidé,^^Aî7iof«7iOH5
pacifiques ^ etaltribuéau prélatMar-
chetli , on accusait l'évêque des er-
reurs les plus grossières: un laie, ap-
])elé Roncallo, prit sa défense. Pie
yi avait adressé à Ricci des brefs ,
où il lui faisait avec douceur des
reproches sur sa conduite: on Ini ré-
pondit par des décrets qui tendaient
à une rupture déclarée entre les deux
cours ; et tout donnait lieu de craindre
un schisme cnToscane, quand la mort
de Joseph II amena la chute du nou-
veau système. Comme ce prince ne
laissait pas d'enfants , Léopold , son
frère, lui succéda. Peu après qu'il
fut parti de Floicncc pour Vienne ,
une nouvelle émeute c'clala contre
RlC
Ricci , d'abord à Pistoie , le 24 avril
1790 , puis à Prato , et dans le reste
du diocèse. L'ëvêque fut oblige de
fuir; elles chapitres mêmes des deux
cathédrales se déclarèrent contre lui.
Ses réformes bizarres et turbulentes
furent abandonnées ; et Ricci ne pou-
vant rentrer dans son diocèse , où
les esprits étaient fort irrités , donna
sa démission le 3 juin. 11 annonça
cette démarche au pape , par une
lettre où il protest;iit de son dévoîi-
meut et de sa soumission ; et Pie YI
voulut bien lui répondre d'une ma-
nière affectueuse. Toutefois il nomma
une congrégation pour examiner les
actes du synode de Pistoie; et l'on
sait qu'ils furent condamnés par une
bulle dogmatique , qui commence
par ces mots , Auctoremjidei , et qui
estdatéedu '28 août i794.Cettebulle,
qui condamnait quatre - vingt - cinq
propositions , passe pour être l'ou-
vrage du pieux et savant cardinal
Gerdil. Elle a été attaquée par So-
lari , évêque de Noli , et par Leplat ,
professeur de Louvain , et défendue
par le cardinal Gerdil. Avant le
jugement , ou avait invité Bicci
à venir à Rome , pour y plaider
sa cause : mais il s'y refusa ; et , quand
il eut connaissance de la bulle, il la
dénonça, le 6 septembre, au gouver-
nement de Toscane , comme une in-
justice criante et un attentat. Le pré-
lat, du fond de sa retraite, entrete-
nait au loin des liaisons avec les en-
nemis secrets ou déclarés du Saint-
Siège. Il était eu rapport avec les
évêqiies constitutionnels de France ;
et lorsque ce parti se forma chez
nous, des gens qui ne voulaient pas
s'en rapporter à la décision du pajte,
demandèrent l'avis de l'ancien évo-
que de Pistoie. On publia de lui une
Réponse aux questions quiluiw aient
été proposées sur Vêlai de V Eglise
RIC 5a3
en France , 24 P^g- in-B°. j il s'y dé-
c'are en faveur des décrets de l'as-
semble constituante. En 1799 , la
Toscane fut occupée momentané-
ment par les Français. Lorsqu'ils eu-
rent été obligés de se retirer . !e peu-
ple poursuivit ceux qui passaient
pour leur avoir été favorables. Ricci
fut rais en prison , et s'y trouva con-
fondu avec des criminels : mais l'ar-
chevêque et le sénat de Florence se
re'uniient pour le délivrer; et, la fu-
reur du peu[tle étant un peu calmée,
on le transférable 8 août 1799, dans
le couvent des dominicains de Saint-
Marc. Des Je i'^'". de ce mois, le pré-
lat, à la sollicitation de l'archevêque ,
avait signé une formule de rétrac-
tation , qui fut envoyée au pape. Pie
VI était alors captif à Valence, ef
touchait au terme de sa carrière. On
ne sait si la lettre de Ricci lui par-
vint; mais la rétractation de celui ci
fut, depuis, ju^éeinsuflisante. Après
six semaines environ de séjour dans
le couvent des dominicains, où il fut
traité avec beaucoup d'égards, il put
se retirer à la campagne ; e.l l'on ou-
vrit de nouvelles négociations pour
l'amener à faire 'jue rétractation plus
expresse. Ayant appris l'élection de
Pie VII, il lui envoya la lettre qu'il
avait écrite àson prédécesseur. Quand
le pontife passa jiar Florence , en
i8o4, Hicci témoigna le désir de se
réconcilier avec le Saint - Siège. Au
retour dupape,s'étant abouché avec
le prélat Fcnaia , il signa , le 9 mai
i8o5, une formule d'adhésion entiè-
re, tant aux bulles contre le jansé-
nisme qu'à ia bulle u-luctorein fidei.
Le pape, le reçut avec bonté, l'em-
brassa; et Ricci lui écrivit de nou-
veau, à Rome , pour ratifier ce qu'il
avait fait à Florence. Nous devons
croire qu'il persévéra dans ces sen-
timents usqu'à sa mort, arrivée le
5^4
RIC
37 janvier 1810. Toutefois il a pa-
ru, dans la Chronique religieuse, to-
me IV, page 248 , des Détails his-
toriques, que l'on dit être extraits
d'un Me'moire laisse' par l'eVêque
de Pistoie. Ces Détails tendent à fai-
re croire que Ricci ne signa , le 9
mai i8o5 , la formule citée, que
par complaisance , et sans changer
de sentiment. Mais quelle idée fau-
drait-il avoir de ce prélat, si,
après avoir déclaré qu'il recevait la
bulle Auctorem fidei , qu'il con-
damnait toutes les propositions ré-
prouvées par cette bidle , et qu'il de-
sirait réparer le scandale , il était
resté attaché à des erreurs qu'il
paraissait avoir abandonnées si for-
melleraent î Au surplus, on a pu-
blié une Réponse à cet article de la
Chronique , intitulée : Observations
sur un article, etc. 1822 in 8". ,
de 193 pag. , traduite de l'italien. On
y discute les faits rapportés dans la
Chronique , et ceux qu'alléguait une
Lettre latine, imprimée à Vienne,
sous le nom d'AurèleTommasi. L'au-
teur des Observations semble fort au
courant de tout ce qui concerne Ric-
ci. Il ne s'est pas nommé; mais on a
cru que c'était le père Bardacci , do-
minicain , estime pour son mérite et
son savoir, et qui remplit actuelle-
ment des places importantes à Rome.
Il rectifie des méprises du JMc'moire,
et montre que cette pièce ne mérite
aucune croyance. P — c — t.
RIGCIARELLÏ ( Damel ). Foj\
VOLTEURE.
RICCIO ( Bartuélemy Neroni ,
])lus connu sous le nom de Mastro ),
peintre siennois , floiissaiton 1573.
11 suivit long-temps les leçons d'An-
toine Ra/.7.i ou le Sodoma , dont il
cpousa la fille , et il sut , après lui ,
s outcnir la réputation de l'écoledont
il demeura le chef. Son chcf-d'a;u-
RIC
vre est une Déposition de Croix.
Habiledans la perspective , il fit pour
le théâtre de Sienne plusieurs belles
décorations , dont une a été gravée
par l'Andriani. 11 fut, de plus, archi-
tecte de la l'épublique de Lucques.
— Dominique Ricci o , surnommé le
Bkusasorci (i) , peintre , né à Vé-
rone en 1494 5 fut élève du Golfino.
S'étant rendu à Venise , il y étudia les
chefs-d'œuvre du Giorgion et du
Titien , et parvint même à s'appro-
cher beaucoup de leur manière dans
plusieurs de ses compositions. Mais
son mérite éminent est dans la pein-
ture à fresque. Ou regarde comme
un chef-d'œuvre celle dont il orna
une des salles du palais RidoUi à Ve'-
rone, et qui représente la Cavalcade
du pape Clément Vil et de V empe-
reur Charles- Quint dans Bologne.
Cette peinture a été gravée. On ne
peut voir un spectacle plus noble ;
le tableau est rempli d'une multitude
de figures bien distribuées , pleines
de mouvement: les hommes, les
chevaux , la variété des costumes ,
la pompe, la splendeur, la joie qui
anime tous les visages dans une sem-
blable circonstance, l'exactitude des
portraits , tout y est porté à un égal
degré de perfection. Le Musée du
Louvre possède de cet artiste un ta-
bleau représentant la Vierge et saint
Joseph. Il mourut à Vérone , en
1567. — Son fils Félix Riccio,
ou Brusasorci le Jeune , né à Vé-
rone , en i54o , se fit une manière
remplie de délicatesse et de grâce j
et l'on voit dans beaucoup de gale-
ries plusieurs de ses Madones , avec
des Enfants - Jésus et de petits an-
ges de la plus rare beauté. Ses phy-
sionomies se rapprochent beaucoup
de celles de Paul Vcronèse , (juoi-
(i) Il dut i;e sdririjiii à iiusccrit i|iic »uu )i(.'r<:avait
ik'rouvirt (lour fuirt !'<•''''' les souri».
RIG
qu'un peu moins charnues. Quand le
sujet l'exige , il sait être également
plein de force , comme on peut le
voir dans son tableau des Forges
de Vidcain , dont les cyclopes sont
dessinés dans le meilleur style floren-
tin, et colories d'une manière vigou-
reuse. Sa Sainte- Hélène^ quise trou-
ve dans l'église de ce nom à Vérone,
est d'une grande beauté. Il ne s'exer-
ça point , comme son père , dans la
peinture à fresque , et il lui fut infé-
rieur en génie ; il exécuta cependant
plusieurs grandes machines , dont la
dernière, représentant Marie dans le
désert^ était destinée pour l'église de
Saint - George. Ce tableau , qui ne
manque pas de grandeur, est bien
entendu ; il fut terminé par Ottini et
rOrbetto , deux de ses plus habiles
élèves. On connaît encore de lui plu-
sieurs petits sujets tirés de l'Histoire
sacrée et profane , peints sur mar-
bre , qu'il a traités avec le talent
d'un grand maître, et où il s'est ha-
bilement servi, pour les ombres , des
accidents de la pierre. On fait aussi
nn cas particulier de ses portraits.
— Cecilia Riccio ou Bf.usasorci ,
sœur du précédent et élève de son
père , se fit une réputation méritée
par le talent avec lequel elle peignit le
portrait. — Jean-Baptiste Riccio ou
Brusasorci , frère des précédents ,
élève de Paul Véronèse, fut appelé en
Allemagne par Charles-Quint , et il
resta attaché comme peintre à cette
cour, jusqu'à sa mort. P — s.
RICCIO. ^. BRioscoetCRiNiTO.
RTCCIOLI (Jean-Baptiste ), l'un
des plus savants astronomes du dix-
septième siècle , naquit à Ferrare ,
en i5g8 , et embrassa la règle de
saintïgnace, à seize ans. Après avoir
professé long-temps les belles-lettres,
la philosophie et la théologie , tant
à Parme qu'à Bologne , il s'appliqua
RIC 525
tout entier à Téludc de l'astronomie,
par l'ordre de ses supérieurs , qui
crurent trouver en lui un antagoniste
à opposer aux astronomes du Nord,
qui se plaignaient que le système de
Copernic n'avait été jusqu'alors jugé ,
en Italie , que par des théologiens ,et
non par des astronomes. Il y avait
de la prévention de part et d'autre :
les états protestants s'opinidtraient
à rejeter la correction du calendrier,
parce qu'elle venait de Rome ( f^.
Grégoire , XVIII , 408 ) ; et leslta-
liens , se défiant de ce qui sortait de
l'Allemagne , foyer de l'hérésie , dé-
daignaient les découvertes de Kep-
pler , refusaient de voir , dans le
système de Copernic , autre chose
qu'une simple hypothèse , et défé-
raient Galilée à l'inquisition pourson
obstination à vouloir démontrer que
ce système était conforme à l'Écriture-
Sainte. Riccioli attaqua donc ce sys-
tème par tous les arguments qu'il put
imaginer : mais , à la manière dont
il en parle, on croirait , dit Delam-
brc , entendre un avocat chargé d'of-
fice d'une mauvaise cause , et qui fait
tous ses efforts pour la perdre (1). Le
jésuite convient qu'envisagé comme
une hypothèse, le système de Coper-
nic est le plus beau , le plus simple ,
et le mieux imaginé. Néanmoins, dès
qu'il ne l'adoptait pas , il fallait bien
yen substituer unautre: celui dePto-
îéinée n'était plus soutenable; ceux
de Tycho et de Rheita avaient leurs
difficultés : il proposa de faire tour-
ner la Lune , le Soleil , Jupiter et
Saturne immédiatement autour de
la terre; Mercure , Vénus et Mars ne
devaient être que des satellites du
Soleil. Il ne tenait d'ailleurs pas beau-
coup k cet arrangement: pour expli-
quer les irrégularités du mouvement
(i) Hist. de l'aslronom, mci^erne , II , 175.
526 RIC
de la lune , après avoir montre les
incoiivënients de tous les systèmes
précédents , il propose le sien , non
comme vrai , mais comme très-
simple (2). Biccioli fut aidé dans ses
observations par le P. Grinialdi, son
disciple et sou ami le plus cher ( V.
GRiMjiLDi , XVllI, 457). Sentant
combien était défectueuse l'astrono-
mie que nous avaient laissée les an-
ciens , il conçut le hardi projet d'éta-
blir , sur de nouvelles bases , cette
science et celles qui en dépendent, et
\\\cXà,(\3ins?,owAlmaatstwnnovum,
les fondements de cet immense tra-
vail. 11 cojnprit qu'une pareille ré-
forme devait commencer par la me-
sure de la tel re , dont le premier élé-
ment était une métrologie comparée,
afin d'analyser, sur une échelle com-
mune , les diverses tentatives faites
jusqu'alors. Profitant de la facilité
que lui donnaient les collèges de
son ordre , répandus dans tous les
états catholiques et dans les mis-
sions , il se fit envoyer en nalure la
longueur du pied , ou de la mesure
élémentaire de chaque pays , et il en
composa (3, la première métrologie
réelle qu'on eût encore vue , tout ce
qu'on avait public jusqu'alors, en ce
genre, n'étant fondé que sur des rap-
ports vagues oucompilés sans critique.
Mais Riccioli eut la mal-adresse de
prendre pour type l'ancien pied ro-
main , mesure dont la longueur pré-
cise peut toujours souffrir quelque
discussion : aussi son travail métrolo-
gique est demeuré oublié. Ce jésuitc-
n'a pas clé plus heureux, dans sa me-
sure de la terre. La critique qu'il fait
de la mesure exécutée par $nellius ,
n'a rien d'exagéré (4) : mais sa pro-
(i) /llmimiu. nof., p. i^r),
(:?) Riccioli , f;.ngf. reform. , p. 3i8.
(4} Dclambrc, Hiit. Je l'astr. mod. , II , 3ig.
RIC
pre mesure , dont il s'occupa de
1644 ^ i656 , entreprise par un
procédé absolument différent, et qui
ne pouvait offrir alors d'exactitude ,
vu les irrégularités des illusions de
la réfraction horizontale , si peu con-
nues même aujourd'hui , lui donna
un résultat encore plus défectueux
que celui de Snellius (5). Il fut
plus heureux dans ses travaux sur la
lune, qu'il observa long-temps avec
une excel lente lunette de quinze pieds :
il porta jusqu'à six cents le nombre
des taches qu'il y découvrit , et dont
il publia la description : Langren
n'eu avait compté que deux cent
soixante-dix , et Hévelius cinq cents
cinquante. La nomenclature de Ric-
cioli a prévalu sur celle de ce der-
nier ; et l'on s'en sert encore aujour-
d'hui. Schciner et Rheita n'avaient
donné que des ébauches de la figure
de la lune : celle que donne Riccio-
li est bien supérieure. Ses remar-
ques sur la libration , si imparfaite-
ment connue par Hévelius , compo-
seraient à elles seules, un volume (6).
On doit lui rendre la justice qu'il avait
multiplié ses expériences sur les os-
cillations du pendule , avant d'avoir
lu le livre de Galilée. Il entrevit
même l'anneau de Saturne , en fai-
sant observer que les deux appen-
dices dont le disque de cette planète
étaitaccompagné, formaient uneespè-
ce d'ellipse : il ne restait qu'un mot à
direpourdéfinir l'anneau de Saturne;
mais ce mot fut dit par Huygens (7).
Le plus grand tori du P. Riccioli
fut d'avoir méconnu l'importance
des découvertes de Keppler : il était
prévenu contre lui, à cause que cet
(5) M évalua le degré .'.04,303 ,,ns Ix.Ionais mai.",
il ne doiiiir jia» assez iieUciiicut rcipliciitiuu «le ceUc
mesure ( Gengr. rrfvrm.., p. 3«« ).
(fi) Delambre, ùc. cit., p. a83.
(7) Ibid. , i>. «)i.
UIG
astronome allemand doutait de l'é-
clipse miraculeuse arrivée à la mort
de Jésus-Christ. IMalgré ses erreurs ,
on ne peut nier que Riccioii n'ait
rendu d'immenses services , tant à
l'astronomie qu'à la géograpliie et
à la clirouologie. Il prit la défense
de la réforme grégorienne , dont
l'exactitude éiait contestée par Fr.
Lèvera , et il publia , sous le nom de
Michel ÎNIaiifrecli : p^indiciœ kalen-
darii Gregoriani , Bologne, 16G1,
in-fol. , ouvrage qui reçut l'appro-
bation de Cassini. Quoiqu'il fût d'une
santé délicate, et souvent malade,
il travaillait avec une ardeur infati-
gable. Enfin , accablé d'années et
d'infirmités, il mourut h Bologne,
le 25 juin 167 i. On trouve le Cata-
logue de ses Ouvrages dans la Bihlio-
theca soc. Jesu, p. 4^6 ; nous nous
contenterons de citer les princi-
paux. : I. Almagestum noviiin , as-
ironomiam veterein novamque com
plectens , Bologne, i65i , 'j, vol.
in-fol. « Cet ouvrage est un trésor
» d'érudition astronomique ; il con-
» tient i5oo pag. , et io,565,ioo
lettres. Les astronomes en font un
usage continuel (8) ».; et Lalaude
le cite sans cesse dans son Astrono-
mie. On y trouve ( tome i , pag. 36 1 -
385 ) la liste et la discussion de tou-
tes les éclipses citées par les his-
toriens , depuis celle qui eut lieu
à la naissance de Romulus ( an
n']l avant J. - C. ) , jusqu'à l'an
1647. ÏI- -dstronomia reforma-
ta , ibid. , i665 , 2 tomes in-
fol. On doit joindre cet ouvrage au
précédent ; mais il est beaucoup plus
rare. 11 est plus important , par les
observations qu'il renferme ( 9 ).
On peut voir aussi des remarques
(8) Lalaude, Bibliogr. astrnn. , p. a3o.
C0)Ibid.!,p.j58,
RIG
527
utiles sur la véritable date de quel-
ques éclipses falsifiées par les auteurs
qui en ont parlé (10). III. Geogra-
phiœ et hydrographiœ reforma tœ
libri xu , ibid. , 1661 , in-fol. ;
plein de savantes recherches. Cet
ouvrage n'est pas moins important
que les précédeuis ; et VYolf l'appelle
Opus prœ.taiitisiimiim , in hocscien-
tianim génère ftrè unicum. On y
distingue , pag. 388 à 409, une table
de toutes les longitudes et latitudes
observées , ou déduites des meilleures
observations. Cette table , contenant
environ 2700 articles , est extrême-
ment remarquable. Les longitudes
les plus erronées qu'elle renferme,
ne s'écartent pas de plus de sept ou
Luit degrés , de celles que l'on con-
naît aujourd'hui (11). C'est donc
faute d'examiner l'histoire des dé-
couvertes géographiques , que l'on
répcteencore, d'aprèsFontenelle(i2),
que G. Delisle, dans ses cartes géné-
rales, publiées en 1699 , raccourcit
de trois cents lieues la longueur de la
Méditerranée , et de cinq cents celle
que l'on donnaitàl'Asie.Cette dernière
rectification était faite depuis prèsde
quarante ans par Riccioii (i 3) ; et
quant à la longueur de la Méditerra-
née , que les cartes précédentes sup-
posaient de onze cent soixante lieues,
Riccioii, qui la réduisait à huit cent
quatre-vingt deux , ne s'écartait que
de quarante-cinq lieues de ce que lui
donnent les cartes actuelles (i4).
(10) Delambrc, loc. cil. , p. 3o4.
(11) H fiiul observer qu'il les i orapte d'un premier
méridien situé à 7.4" 3o' à Toucsf de Paris.
(12) Éloge de Guill. Delisle, Acad. des scienc,
172G.H, i>. 78.
()3) Ses longitudes de Pékin, de IVIanillc et de
Batavia, ne diffèrent guère que d'un degré de celles
ijac l'un cuuiiait actuclleraeut.
(i4) La dinërence eu longitude entre Gibraltar
et Jcru.salem , est , selou Riccioii , de 470 3?' . qui, à
ce parallèle, valent 714 lieues marines , ou8g3 fieues
communes de «5 au degré. Selon la Connui<t,mce
rf«5 temps , et le» observations récentes, cette longi-
528
RIC
Cette inexactitude de 7° 10' en lon-
j^itude , dans laquelle Riccioli tom-
bait encore eu 1672 , senihlera peu
étonnante en comparaison d^ine er-
reur d'environ septdegre's sur la lon-
gitude d'Arz-Roum , qui , plus d'un
siècle après, e'tait encore admise de
confiance, et reproduite , chaque an-
ne'e, dans la Connaissance des temps,
jusqu'en 1780I (i5) Si l'ouvrage de
Riccioli eût e'té accompagné d'une
collection de cartes, dressées d'après
sa table de longitudes et delatitudes, il
est à croire que la révolution opérée
dans la géographie par G. Delisle,
aurait eu lieu trente ou quarante ans
plus tôt : mais destitué de cet acces-
soire, cet important travail est de-
meuré inaperçu. IV. Chronologia
reformata et ad ceitas conclusiones
redacta, Bologne, 1669, Spart, in-
fol. L'auteur expose, avec de grands
détails , ce qui concerne les calen-
driers et les ères des diverses nations :
il y discute ( pag. 292 ) soixante-
dix systèmes différents sur l'année
du monde où est né Jésus-Christ ; et
il trouve, d'après la Vulgate , et la
Bible hébraïque , Tan 4iB4 : mais il
préfère l'évaluation de 5634 , d'après
la version des Septante. La deuxième
partie contient une chronique des
principaux événements , année par
année , depuis la création ( dont le
premier jour répond au dimanche
tilde n'est que de ifn" ?.3' 4"" > équivalant à 606
lir.ues marines ou 848 lieues cummunes U faut, de
ce dei'ïiier nombre , ùter 1 1 lieues pour la distance
de Jérusaleni à Jafa, pris pour l'extrémité orientale
de la Méditerranée à cette latitude. On aura donc
881 lieues pour la longueur donnée par Riccioli , et
83^ pour la véiilable. Fontcncllc , eu portaut à 8G0
celle que trouvait Delisle, n'indique pas de quelle
manière il en ralculait la mesure.
( i5) La Connaissance des temps , pour 1780, im-
primée en 1777, (îxc, pag. ».33,la lonpitudc d'Erxe-
rom "1 /lO", j5' /'|5". D'Anville ( Europe ) le place
^ 3r)". G', et cette détermination s'écarte peu de ce
que donnent les bonnes cartes les plus récentes. Ric-
cioli ne |>aile pas d'Arz-ruum dans sa table : mais
on y trouve Erbil et Trebixondc , dont les longitu-
des couibinées porteraient celle d'Ar7,-rouni à !{!{''•
1', .Sun erreur serait de moins de cinq detjrcs.
RIC
1*=''. mai de l'innée julienne 5634
avant J.-C. ), jusqu'à l'an 1668. La
troisième partie contient les listes
chronologiques des souverains des
divers états , des patriarches , des
conciles, des hérésies, etc. , suivies,
sous le titre de Tomus quartus , de
trois amples tables alphabétiques des
personnages et des événements, avec
les renvois aux années. Cet ouvrage,
peu consulté aujourd'hui , ( quoique
des commentateurs de la Bible ( F.
la Bible de Vence ) donnent encore
la Chronologie de Riccioli corrigée ,
paraltèlementavec celle d'Usher), at-
tira quelques désagréments à l'au-
teur, peut-être à cause de la préfé-
rence qu'il accordait à la version des
Septante sur la Vulgate. On lui im-
posa ime pénitence , à laquelle .il se
soumit avec la plus édifiante rési-
gnation. Son livre est d'ailleurs rédi-
gé à- peu-près sur le même plan que
les Tablettes chronologiques de Len-
giet Dufresnoy, qui , par la commo-
dité de leur format , durent avoir
beaucoup plus de succès : il n'est
donc pas étonnant que ce critique ,
parlant de la Chronologia refor-
mata , dise que son auteur exécute
moins qu'il ne promet , et que l'on y
trouve beaucoup de choses commu-
nes avec quelques - unes d'utiles.
L'abbé Barotti a inséré une bonne
Notice sur la vie et les Ouvrages du
P. Riccioli , dans ses Memorie isto-
riche de' letterati Ferraresi ( Fer-
rare, 1 793 , tome II , pag. 270 , et
suivantes.) G. M. P.
RICCOBONI ( Louis ) , célèbre
comédien et littérateur , né à Mo-
dène , en 1674 , ou selon d'au-
tres , en 1677 , s'enrôla fort jeu-
ne dans une troupe d'acteurs am-
bulants , et montra dos talents re-
marquables dans l'emploi des amou-
reux ou LeliOy nom sous lequel RiC'
RIC
coboni fut long-temps connu. De-
venu chef d'une troupe à l'âge de
vingt-deux ans , il conçut le projet
de réformer le tliéàtre en Italie , et
d'en bannir les farces ignobles ou
monstrueuses qui le de'sbonoraient.
Il fut encourage' dans ce dessein par
tous les vrais amateurs, et fit repré-
senter , avec succès , à Venise et dans
les principales villes de la LomLar-
die, les meilleures tragédies du théà-
treitalien.il voulut ensuite substituer
aux farces , qui conservaient le pri-
vilège d'attirer la foule , de vérita-
bles comédies , et commença par
faire jouer quelques pièces traduites
■ou imitées de Molière et des autres
auteurs français. Le succès de cette
tentative surpassa ses espérances ; et
il se flatta que le public verrait avec
plus de plaisir encore les anciens
chefs-d'œuvre des comiques italiens.
En conséquence , il résolut de donner
à Venise une représentation de la
Scolastica de l'Arioste , dont il
avait retranché les détails trop licen-
cieux. Comme un grand nombre des
spectateuis pouvaient ignorer que ce
grand poète eût composé des comé-
dies , il crut devoir les avertir que
la pièce qu'on allait jouer, était de
l'auteur du Roland furieux ; mais
quand le rideau fut levé , et qu'on
aperçut d'autres personnages qu^ An-
gélique, Bradamante et Roland , la
salle retcntilde murmures si violents,
que les acteurs furent obligés de se
•retirer. Cet affront , f dl à l'Arioste
par ses compatriotes, affligea vive-
mentRiccoboni.Désespérani de pou-
voir jamais exécuter en Italie la ré-
forme qu'd avait méditée, il accepta
la proposition (|ue lui fit faire le duc
d'Orléans, régent, en i -^ i6, de passer
en France avec sa troupe. Veuf de
bonne heure , il avait épousé eu
secondes noces M'^'^. Balclti , connue
XXXVII.
RIC 529
sousIenoradeF/aminm,qui,àbeau-
coupd'espritetde connaissances, joi-
gnait des talents distingués comme
actrice ( Foj'. l'art, suiv. ) La nou-
velle troupe italienne , qui s'associa
bientôt le fameux Dominique ( /^qy.
ce nom ) , fut mise en possession de
la salle de l'hôtel de Bourgogne. Ric-
coboni , toujours occupé de son pro-
jet de réformer le théâtre , voulut y
faire représenter des comédies régu-
lières; mais il s'aperçut bientôt qu'en
France , comme en Italie, le public
préférait des farces amusantes à des
pièces mieux conduites , mais en-
nuyeuses.Riccoboni, très-goûfé com-
me acteur , surtout dans les rôles
passionnés , contribua beaucoup à
soutenir son théâtre par une foule
de divertissements , de parodies et
de petits actes, qu'il composait en
société avec Dominique. En 1729,
il retourna en Italie , où il était ap-
pelé par le duc de Parme , qui lui
donna l'intendance des menus-plai-
sirs , avec la charge d'mspecteur
des théâtres établis dans ses états.
Ce prince étant mort en 1 781, Ric-
coboni revint à Paris ; mais dégoûté
de son état par un motif de religion ,
il demanda sa retraite , qu'il obtint
avec une pension , et consacra le
reste de sa vie à la culture des lettres.
C'était un hommeaimable, de mœurs
pures, et très-pieux. Il mourut à Pa-
ns, le 5 décembre i^oS. Outre des
Traductions en prose de Manlius
et de Britannicus, et , envers, d'.^n-
droningue , on a de lui : I. IVoufeau
Théâtre italien, Paris , 1718,2 vol.
in- 12. (j'est le Recueil des comédies
qu'il avait composées dans sa jeu-
nesse, et qui furent jouées depuis son
arrivée à Paris. IL DeW arle repre-
sentativa, capiloli sei, Londres, Pa-
ris ) , 1 72S , in -8''. Ce poème , peu
remarquable sous le rapport de l'in-
34
53o RIC
vention et de la facture des vers ,
contient d'cxceilciils préceptes. III.
Histoire du Théâtre italien, depuis
la décadence de la comédie latine ,
avec un Catalogue des tragédies et
comédies italicnres imprimées depuis
l'au i5oo jusqu'à 1660, etc., Paris,
I ■528-31 ,uvol. in-8». ; cet ouvrage
est très- superficiel. Le deuxième
volume contient une lettre de J.-B.
Rousseau avec la réponse de Ricco-
boni,et l'analyse des principales tra-
gédies et comédies italiennes , dont
l'auteur, dans la première partie,
u'avait rapportcque les titres. L'i/iV
toire du Théâtre italien a été vive-
ment critiquée par l'abbé Desfon-
taines , dans la Lettre d'un comé-
dien français , 1728, in-i2,qu'il
composa , dit-on, pour faire plaisir
à Baron , et qui lui valut ses entrées
( P^oj. le Dict. des anonjvies , se-
conde édition , n^. 9669 ). IV. Ob-
servations sur la comédie, et sur le
génie de Molière , ibid, , 1786, in-
12; c'est une critique des spectacles,
que l'auteur regardait comme dan-
gereux pour les mœurs. V. Pensées
sur la déclamation , 1737 , in-S".
VI. Rejlexions et critiques sur les
différents théâtres de l'Europe ,
avec des pensées sur la déclamation,
ibid., 1738, m-S'^.VU. De la ré-
formation du théâtre, ibid. , 1 74^ ,
in- 12; réimprimé en 1767, avec
Y Essai de Bussonier sur les moyens
de rendre la comédie utile aux
mœurs. Riccoboni déclare, dans sa
préface , qu'au lieu de réformer le
ihéàlre, il vaudrait mieux le sup-
primer; mais que, puisque cette me-
sure ne pourrait êlrc adoptée sans de
graves inconvénients dans les grandes
villes , il faut veiller à ce (ju'on ne
représente que des pièces morales.
Il bannissait du théâtre la danse et
tontes les pièces ilont l'amour forme
RIC
l'intérêt , telles que Le Cid , Fiodo-
gune , Phèdre , etc. W — s.
RICCOBONI (HÉLÈNE -Virginie
Baletti , femme de Louis ), naquit
à Ferrare, en i68fi. Destinée à sui-
vre la carrière du théâtre, elle reçut
l'éducation la plus propre à dévelop-
per ses talents et ses grâces naturel-
les. Les rapides progrès qu'elle fit
dans la culture des lettres, princi-
palement de la poésie, lui mçrilèrent
les éloges de ses compatriotcfs, et son
admission dans diverses académies
de Rome, de Ferrare, de Bologne et
de Venise. Elle seconda sou mari
dans le projet de réformer le théâ-
tre en Italie, et le suivit en France,
lorsqu'il y fut appelé par le duc
d'Orléans. Ses talents contribuèrent
au succès de la nouvelle troupe ita-
lienne, dans laquelle elle remplissait
l'emploi de Flaminia ou d'atnou-
reusc. Les critiques du temps ne lui
reprochent d'autre défaut qu'un or-
gane désagréable. Si l'on en croit
Voisenon, quoiqu'elle ne fût ni belle
ni aimable, elle était sans cesse en-
tourée d'une foule d'adorateurs, et
passait pour ne pas ha'ir la galante-
rie ( Voy, les OEuvres de Voisenon,
IV, i49 )• On doit ajouter que c'est
le seul écrivain qui se soit permis de
laisser planer quelques soupçons sur
les moeurs de cette actrice. Elle a
donné deux pièces : en 1 72G, le Nau-
frage , comédie imitée du Mercator
et du Rudens de Piaule , et, en 1 729
{divç:cY)c\\s\e),AbdiUy, roi de Gre-
nade, tragi-comédie en trois actes ,
qui n'eurent qu'une seule représenta-
tion. Cette dou1)le chute détourna
IVl""=. Riccoboni de tr.ivaiiler pour le
théâtre, dont elle se relira en même
temps que son mari. Elle passa le res.
ledesa viedansla pratique des vertus
chrétiennes , et mourut à Paris , le 3o
décembre 1771 , à quatre-vingt cinq
RIC
ans. Elle est .Tutenr Je la Letti-e de
/r/^K R k M. l'abbé C... (Conti),
an sujet de la nouvelle traduction
de la Jérusalem délivrée du Tasse
( par Mirabaud ^ , Paris , 1725 ,
in-12. Desfontaines joignit cà cette
Lettre des notes injurieuses. Mira-
baud eut le bon esprit de mépriser
les injures, et de profiter des con-
seils de M"*^. Riccoboni pour perfec-
tionner son travail. Tl Yen remercia
même , dans la préface de la 2".
e'dition ( V. Mirabaud ). W — s.
RICCOBONI ( Antoine -Fran-
çois ) , fils des précédents , né à Man-
oue , en 1707, fut amené, dans
son enfance , à Paris , où , après
avoir acl>«vé son éducation sons les
yeux de ses parents , il embrassa
Fétat de comédien, et , eu \-jiQ ^
débuta dans l'emploi des ie?to, sans
y obtenir les mêmes succès que son
père. Comme il avait beaucoup d'es-
prit , il se vit recherché par les lit-
térateurs , et devint l'un des mem-
bres de la société du Caveau , dont
faisaient partie le Gentil- Bernard ,
Crébilion le fils , Colie , Saurin , etc.
De concert avec Dominique fils et
Romagncsi , deux de ses camarades,
il enrichit le répertoire du Théâtre ita-
lien d'un grand nombre de parodies
et de petites pièces , dont quelques-
unes attirèrent long-temps la foule.
Ses connaissances en chimie lui fi-
rent imaginer qu'il viendrait à bout de
trouver legrand-œuvrc; et ildépcnsa,
en vaines expériences , tout l'argent
qu'il put se procurer. Il voulut en-
suite élever des vers -à -soie ; et ce
nouvel essai ne lui réussit pas da-
vantage. Enfi.'i il fit un voyage en
Italie, dans l'espoir de réparer ses
pertes, en jouant la comédie; mais
il ne fut point goûté par ses compa-
triotes , et s'en revint avec des dettes.
« En un mot , dit Voiscnon , c'est
RIC
53i
un homme à qui Dieu paraît n'a-
voir donné beaucoup d'esprit que
pour lui faire prendre éternellement
un mauvais parti ( P\ ses OEuvres ,
IV, 149). Quoiqu'il eût quitté le théâ-
tre en 1750, il y reparut encore de
temps en temps, jusqu'en 1758. Les
succès qu'obtenait dans un autre gen-
re la célèbre Mn^^ Riccoboni , sa
femme , adoucirent un peu les
chagrins de sa vieillesse ; et il
mourut à Paris , le i5 mai 1772.
Outre quelques pièces de vers, une
Salire sur le goût , le Conte sans R
dont La Motte lui avait donné le su-
jet, etc., insérés dans les /?ec«ej7^ du
temps, on a de lui : I. Des Comé-
dies, parmi lesquelles on ne citera
que celles qui sont restées an Théâtre-
Italien, jusqu'à* l'époque de sa sup-
pression : — (Avec Romagnesi ) le?
Comédiens esclaves , en trois actes
1726; les Amusemenls à la mode]
en trois actes et en vers , 1 ■^82 ; le
Conte de Fée , en un acte , i ^35,
Seul : le Prétendu , comédie en trois
actes et en vers, 1760; les Ca-
quets, comédie en trois actes et en
prose, traduite ou imitée de Goldo-
ni : cette pièce, que les auteurs du
Dictionnaire universel attribuent
par erreur, à Riccoboni père, fin
reprise avec .«uccès au théâtre de
Louvois , en 1802; les Amants de
village , comédie en deux actes et
en vers , 1 764. On trouvera les titres
des autres pièces de Riccoboni dans
le tome m des Anecdotes dramati-
ques. II. VArt du théâtre , Paris ,
1750 , in-80. , de 102 pages ; ibid.',
1752. Cette édition est augmentée
des Pensées sur ht déclamation,
par Riccoboni père. Cet ouvrage,
écrit d'une manière agréable , est
rempli d'observations fines et de ré-
flexions ingénieuses ; et on le lit en-
core avec plaisir, après les dilTcrcnts
34..
53a
RIC
Traites publies surle même objel ( F.
Remond de Sainte - Albine , Han-
NETAiRE, etc.) Le Nécrologe pour
l'année 1778 contient le panégyrique
de Riccoboni, p. i35 et suiv. Ws.
RlCGOBONi (Marie Jeanne La-
BORAs DE MtziÈRES, femme d'An-
toine-Frauçois ) , l'une des dames les
plus spirituelles de son siècle, naquit
à Paris , en 1714? d'une famille ori-
ginaire du Béarn, Ses parents, quoi-
que ruinés par la chute du système
de Law ( V. ce nom), cultivèrent
ses talents naturels avec un soin par-
ticulier. Elle contracta de bonne heu-
re l'habitude du travail et de la re-
traite, et forma son esprit et son
goût par la lecture de nos chefs-
d'œuvre littéraires. Ayant eu le mal-
heur de perdre , jeune , son père et
sa mère, elle alla demeurer avec une
tante , qui la laissa maîtresse de sui-
vre sou inclination. Forcée de songer
à son avenir, et déterminée, par les
suffrages qu'elle avait obtenus eu
jouant la comédie dans des socié-
tés, elle embrassa la carrière du
théâtre. En 1734, eile débuta, aux
Italiens , par le rôle de Lucile dans
la Surprise de l'amour , pièce de
Marivaux , aujourd'hui oubliée , et
elle y eut assez peu de succès. Avec
beaucoup d'esprit et d'intelligence,
elle ne savait pas animer ses rôles , et
leur donner une physionomie parti-
culière ; aussi fut-elle toujours une
actrice médiocre. Elle épousa, l'an-
née suivante, Antoine-François Ric-
coboni (/^. l'art, précédent), acteur
également médiocre, mais liommc
d'esprit ( i ). T-es premières années
de son mariage furent assez heureu-
ses ; mais bientôt elle eut à se plain-
dre des infidélités de son mari , qu'el-
(i) F.t 111)11 lias f.ouii Riicobuiii, coinnie le dit
M"". il« <'.fnli», d»iii VliiHuriice dc( femmes tiii
RIC
It aimait véritablement. Le froid ac-
cueil qu'elle recevait du public , et les
tracasseries de ses camarades , ajou-
taient encore à l'ennui qu'elle éprou-
vait, et augmentaient chaque jour sa
répugnance pour un état qu'elle avait
pris par nécessité. Ce fut dans ces
circonstances queM""*^. Riccoboni de-
vint auteur, pour se distraire de ses
chagrins. Les Lettres de Fanrvy But-
ler , dans lesquelles on prétend qu'el-
le a tracé l'histoire de ses propres in-
fortunes, furent son premier ouvra-
ge; il parut en 1757 : elle avait alors
quarante-trois ans. Malgré l'extrême
sévérité des critiques , ce roman eut
du succès , et le méritait, lu Histoire
du marquis de Cressy. qu'elle publia
l'année suivante, comme une traduc-
tion de l'anglais, fut encore mieux
accueillie. La pureté du style, la fi-
nesse des réflexions et le charme des
détails, que W*^^, Riccoboni rend
avec le même bonheur qu'elle les
imagine, en font un livre très -re-
marquable : Laharpe le préfère à tou-
tes les autres productions de cette
dame {1). Dans la même année, elle
fit paraître les Lettres de Julie Ca-
teshy , que plusieurs critiques met-
tent au-dessus du marquis de Gressy,
pour le choix du sujet , l'intérêt et le
style. Cet ouvrage suffirait pour as-
surer à l'ai-iteurune place distinguée
parmi les meilleurs romanciers du
dix-huitième siècle. M""^. Riccoboni
quitta le théâtre, en 1761 , avec une
pension médiocre (3); et elle fut
[■>.) Mme. de Gcnlis regarde au r.mtroire YHis-
loire ilu miirijuii de Cressy comme une dis pro-
ducticiiis iiif'riioures de l'auteur. Suivant M^". de
Geulis , Mm". Riccoboni a eu la première la funeale
idce do vouloir rendre le .suicide intéresnanl ; et
c'est un re|)iochc grave cjae l'on doit faire o »a mé-
moire.
(3) Suivant Voisenon , M™». Riccoboni se retira
s»ns|)ension,pan-cqu'i-ne n'avait pn» le temps de ser-
vice iirce&saire. Ou aurait dii, n]oiitc-t-il « lui en don-
ner une , pour la récompenser d'.»voir quitté le tlicu-
tre où elle jouait fort mal , et de .s'appliquer à faire
de très-joli» romw» : (AnecJuItt liltci . , tlHiisle 1\°.
RIC
obligée de chercher des ressources
dans son talent pour écrire , qu'elle
n'avait cultivé jusqu'alors que par
délassement. Divers fragments qu'el-
le inséra dans un journal sous le ti-
tre de Y.Abeille , l'occupèrent quel-
que temps. Saint -Foix, soutenant
un jour devant elle que le style de
Marivaux était inimitable, lui four-
nit l'occasion de montrer toute la
flexibilité de son esprit. Restée seule,
M™«. Riccoboni , se mit à étudier
Marianne , et en composa la suite ,
en imitant si bien les formes de son
modèle , que Saint- Foix fut persua-
dé qu'on avait dérobé le manuscrit
de Marivaux, et qu'il ne put être désa-
busé que par le témoignage de l'auteur
lui-même. Pressée par les libraires,
elle ne tira pas du joli sujet à! Emes-
Une tout le parti dont il était sus-
ceptible. Cependant Laharpe regar-
de ce petit roman comme le diamant
de M'"<=. Riccoboni. La traduction ,
ou plutôt l'imitatiou librede Y Amélie
de Fielding, parut en i n(y'i. Si l'on en
croit M""^. Riccoboni, c'était le ré-
sultat de l'étude qu'elle venait de
faire de l'anglais , avec le secours
d'une grammaire et d'un dictionnai-
re. Les retranchements qu'elle avait
fait éprouver au roman de Fielding
excitèrent les plaintes des enthou-
siastes de la littérature anglaise.
Grimm lui- même, l'un des plus
grands admirateurs du talent de
M™'=. Riccoboni , ne put lui pardon-
ner d'avoir i;vz/e le roman A! Amélie.
Cependantrimitation qu'clleena don-
née se lit encore avec plaisir; et la
traduction complète de Puisieux est
à - peu - près torubc'c dans l'oubli.
\I Histoire de miss Jenny , publiée
en 1764, est de tous les ouvrages
vol. des OEui'ies dcVolsenon , 148.) H parattcpic ce
■oubait fut accompli , et (lu'ello obtiut une pc(j>iou
sur la casscUe du Roi.
RIC
533
de IM"*^, Riccoboni , celui qui lui coû-
ta le plus de temps. Elle se-repentit
souvent d'avoir enti'epris de donner
de si grands développements à celte
production. « L'étendue de mon cs-
» prit, dit-elle, se borne sans dou-
» te à un seul volume. » Malgré quel-
ques défauts , et le vice du dénoue-
ment , dont elle convenait , ce livre
eut un succès mérité. Les Lettres de
la comtesse de Sancerre, qui paru-
rent en 1766, ne furent pas aussibien
accueillies. Cependant si l'idée prin-
cipale de cette composition n'est pas
heureuse , on ne peut s'empêcher
de rendi-e justice au mérite de l'exé-
cution. L'avidité des imprimeurs
étrangers privait presque entièrement
M"*'^. Riccoboni du fruit qu'elle avait
droit d'attendre de son travail. Soit
découragement, soit, comme elle le
dit, paresse naturelle, elle laissa pas-
ser plusieurs années sans publier de
nouveaux romans. Dans l'intervalle,
elle essaya d'arranger , pour le théâ-
tre des Italiens, \e Mariage clan-
destin , comédie que Garrick lui
avait dédiée. La chute de cette piè-
ce la dégoûta du théâtre. Elle tra-
duisit encore cinq pièces de l'anglais,
en les retouchant; mais elle ne les lit
point représenter. L'âge n'affaiblis-
sait ni sa sensibUité ni son imagina-
tion. Les Lettres de Sophie de fal-
lière , qu'elle publia en 177 i, eu-
rent, malgré quelques longueurs, un
très- grand succès , dont elles furent
redevables aux agréments du style
et à des détails pleins de délica-
tesse : celles de Milord Rivers , qui
parurent en 1776, sont moins un
roman qu'une espèce de cadre, dans
lequel M'"*^. Riccoboni passe en revue
les travers et les ridicules de l'épo-
que; elle ose y aborder aussi diiréren-
tcs questions de morale et de philo-
sophie^ qui sont traifées, pour ainsi
534 RIC
dire , en badinant, avec infiniment
d'esprit. On arrive , dit Laharpc , au
bout du livre, sans être Lien ému ,
mais toujours en s'arausant. C'est la
dernière production de quelque éten-
due de M™'=. Riccoboni. Dès-lors ,
elle se contenta d'enrichir la Biblio-
thèque des romans de plusieurs nou-
velles fort agréables , dont elle avait
invente' les sujets ; ce qui répond au
reproche que lui ont fait quelques
critiques , d'avoir manqué d'iraagi*
nation. Supérieure à la mauvaise for-
tune , qu'elle supportait sans s'en
apercevoir, par l'habitude des priva-
tions , son sort recevait quelque adou-
cissement de l'amitié de M^^^. Bian-
colelli, ancienne actrice, de la mê-
me famille que le célèbre Domini-
que ( V. ce nom ) , et dont les grâces
et le jeu piquant avaient attiré long-
temps la foule au Théâtre-Italien. Les
deux amies se trouvaient heureuses
l'une par l'autre. Une sévère écono-
mie suppléait à la modicité de leurs
revenus: les charmcsd'unesociélé peu
nombreuse, mais choisie, et la cultu-
re des arts de l'esprit, embellissaient
la vieillesse de M™'=. Riccoboni. Mais
les scènes effrayantes de la révolu-
tion vinrent bientôt l'affliger. Privée
de la petite pension qu'elle recevait
de la cour, elle allait être livrée à
toutes les horreurs de l'indigence,
quand elle mourut, le 6 décembre
179*2, à l'âge de soixanle-dix huit
ans. M™^. Riccoboni avait la taille
haute, les yeux noirs, le teint blanc,
et une physionomie peu expressive ,
mais 2)leinc de candeur : sou hu-
meur était inégale; et quoique natu-
rellement bonne et douce, clic avait
des accès d'impatience qu'elle ne
pouvait dissimuler. IVIal appréciée
par les personnes indilTorcntes , elle
fffait chérie lendrfinenl de ses amis.
Comme écrivain , elle occupe une
RIC
phicc très-distinguée dans notre lit-
térature agréable; et elle la conser-
vera tant que le mérite d'un style pi-
quant, naturel , vif et facile, sera
compté pour quelque chose. Peu de
femmes , dit un critique célèbre , peu
d'horameç même, ont pensé avec an-
fant de finesse et écrit avec autant
d'esprit. Après le succès de ses pre-
miers ouvrages , on avait décidé
qu'une femme ne pouvait pas en être
l'auteur. Mais Palissot, qui n'avait
pas peu contribué, dans sa Duncia-
de^ à répandre ce soupçon, revint
de sa prévention , et ne négligea rien
pour l'effacer. Personne , dit-il , n'au-
rait voulu lui céder le mérite d'avoir
fait Ernestine. Les romans de M'^'^.
Riccoboni sont supérieurs, sinon par
l'invention et le plan , du moins
par le style , à la plupart des pro-
ductions du même genre; mais il n'é-
tait pas nécessaire, pour en relever le
mérite, de rabaisser celui des Ro-
mans de Prévost (4)- I-i^s premiers
ont été traduits pour la plupart en al-
lemand, en anglais et en italien (5).
Il s'en est fait plusieurs eVi/f/om- com-
plètes , même du vivant de l'auteur ,
mais à son insu. La plus belle, sans
contredit, est celle de 1818, Paris,
Foucault, 6 vol. in-8°., fig. Le i*"".
volume contient : les Histoires du
marquis de Cressy; de Miss Jen-
ny ; d'Ernestiue ; et la suite de la
Marianne àe Marivaux ( /^. ce nom ).
Le second : Amélie; les Histoires
de Christine de Suabe (6); d'Aloï-
sc de Livarot ; d'Enguerrand ; des
(4) Selou M™«. di^f.eiilis, les ouviaKCS de M™"-
Riccoboni ont rendu iiii|io<<sil>Ie I.i lecture desAve»-
liires tragiques d'un Iioiiiniv de cpialite , du luiird «^
diffus Clevelaiiil , et uiêmo de l'eunuycux Dojren de
KilUiine.
(5) Le» Lellret ila milady Caleiby ont été trad.
en ilali'eu por M"'». In |ire.<îidente de Goiirgnes, Pa-
ri» , De Liituur, 17(19, iu 8". «lette édition , distrilmce
eu (:ré8«iitii, ii'ii etc lime qu'il duilv.« ex«iM|>lairi-s,
((i) Qiielf{ms kiograpilip* ont jiri» eelto Nouvelle
puiii mie lliftoiic de Chriumv dv Sind, .
MC
Amours de Geilnide ; cl de deux
jeunes amies. Le troisième : les Let-
tres de Julie Cateshj, roman dans
lequel un anonyme a trouve le sujet
de Cécile^ comédie en trois actes,
jouée aux Italiens, en l'ySii; les Let-
tres de Sophie de FalUère; V Abeil-
le ;V Aveugle , conte, mis an théâtre
avec succès par M. Desfontaines , etc.
Le quatrième : les Lettres de Fan-
nj Butler; la Comtesse de Sancer-
re, roman où Monvel a puisé le su-
jet de la jolie comédie de V Amant
bourru ( F. Monvel j; et les Let-
tres de milord Rivers. Le cinquième
et le sixième : Y Enfant trouvé , co-
méaie de Moore ; la Façon de le
fixer , comédie de Murpliy; Il est
possédé ; la Fausse délicatesse , co-
me'diedc Hiip;li Killy; la Femme ja-
louse, par George Colraan; et enfin
les Caquets , comédie imitée de Gol-
doni ( F. l'art, précéd. ), et dont on
prétend que M^^c^ Riccoboni a es-
quissé les deux premiers actes. Le
cinquième volume est précédé d'une
Notice très étendue. On trouve l'ana-
lyse des principaux romans de M™*^.
Riccoboni, dans V Histoire littéraire
des femmes françaises, par l'abbé de
Laportc, tome v. liCS Lettres de la
comtesse de Sancerrc, les Amours
de Roger cl de Gcrtrude, V Histoire
d'Aloïse de Ijivnrot, et les Lettres
de milady Calesby, font partie de la
Collection d'ouvrages français , im-
jirimée pai- ordre de M. le comte
d'Artois, Paris, Didot, i-jSo, iji-i8,
et dont il a été tiré quatre exem-
plaires sur vélin. W — s.
KIGH ( JamksGlaudius ") , rési-
dent d'Angleterre à Baglidad, était
entré au service de la compagnie
anglaise des Indes en i8o3. tin sé-
jour de ((uatro années à Constanlino-
ple , n Sinyriic , à Alexandrie, au
Caire et en Syrie , où il visita llafcp
RIG
53{
et Damas , lui fournit les moyens
d'acquérir une grande connaissance
des langues orientales , et de l'arabe
en particulier. 11 alla ensuite à Bom-
bay, où il fut, en 1H07 , nommé
résident à Baglidad ; et , pendant
quinze ans, il y remplit cette charge
avec distinction. Durant son séjour
dans cette ville , il eut roccasiou de
faire un grand nombre de recherches
d'antiquité, et particulièrement sur
les restes de Babylenel II réunit une
belle collection de manuscrits orien-
taux , de médailles précieuses , de
cylindres , de pierres gravées , et
d'objets antiques de tous les genres ,
et particulièrement de monnmcuts
babyloniens , qu'il rcrucillit lui-
même dans les nombreuses visites
qu'il fit sur l'emplacement de Baby-
lone. La plupart de ses observations
scientifiques et littéraires , ont été
publiées par lui dans le Recueil des
Mines de V Orient. Il fit paraître,
dans le troisième volume ( Vienne,
1 8 1 3 , in-fol. ) , une description très-
détiillée , de tontes les ruines , et de
tous les tertres et amas de décombres
qui s'étendent à une grande distance
sur les deux rives de i'Euphrate,
dans les environs delà moderne Hel-
lah , et qui uîarquent la situation de
l'antique Babyionc. Ses observations
sont Irès-projires à confirmer ce que
les anciens nous ont appris de la vas-
te étendue de cette ville , et de la
grandeur de ses édifices. A cette des-
cription , Uich ajouta une Notice
sur les dilïéreiits objets antiques dé-
couverts dans les ruines deBabylone.
Il y joiguit une planche , contenant
les plans et ies mesures des lieux
qu'il avait visités. Il se proposait
de donner une seconde édition de
cet Ouvrage , considérablement ang-
lueuléc. il en a paru une Tra-
duction française, en 1818, à Pa-
536
RIC
ris , un volume in-8<». , sous ce ti-
tre : Voyage aux ruines de Baby-
lone , par M. J. C. Riche ( sic ) , ré-
sident à Baghdad , orné de six
(quatre) grwures ^ traduit et enri-
chi d" Obsen>ations , avec des Notes
explicatives suivies d'une Disserta-
tion sur la situation du Pallacopa ,
par J. Rajmond , ancien consul à
Bassora. Au milieu de plusieurs cri-
tiques, qui ne sont pas toujours éga-
lement bien fondées, on trouve néan-
moins , dans les notes du traducteur ,
un grand nombre de rectifications, et
des renseignements utiles , que le ré-
sident anglais avait négligés , et qui
forment un supplément précieux à
son travail. On doit y accorder d'au-
tant plus de confiance que le traduc-
teur a habité plus de vingt ans dans
i'Yrak arabe, et que les fonctions
qu'il a remplies, soit auprès du gou-
vernement du pays , soit au service
des Européens , lui ont fourni les
moyens d'être bien informé. On y
trouve aussi beaucoup d'observa-
tions importantes sur la géographie
des régions arrosées par le Tigre et
l'Euphrate. On a inséré, dans ce mê-
me vol. des Mines de l'Orient, pag.
328-334 , le commencement du Ca-
talogue, rédigé en latin, des manus-
crits arabes , persans et turcs , re-
cueillis dans rOiicnt par Rich : Ca-
talogus Cddicum orienlalium qui in
collectione Bichiand Bagdadicxis-
tunt. La suite a paru dans le (piatric-
ine volume des Mines , f)iil)lié en
1814, p. 111-12G, p. -28811(^8 et
453458 : ces manuscrits , parmi
lesquels il y en a jjlusicurs de rares et
d'inij)()itants, sont au nombre de
3ç)'i. Rich donna encore , dans le
même Recueil, tome m, une Tra-
duction anglaise de V Histoire (ou
plutôt de la Légende) des sept Dor-
mants,(-crilc en arabe. Le quatrième
RIC
volume , p. 86 , contient aussi une
planche , qui représente quarante-
deux talismans ou pierres gravées,
trouvées par Rich dans les ruines
de Babylone , avec une très -courte
notice en allemand. De retour en
Orient, en 1816, après un voya-
ge qu^il avait fait dans sa patrie , et
à la suite duquel il visita la France ,
l'Allemagne et Constantinople , il re-
prit le cours de ses observations
scientifiquesdans l'ancienne Babylo-
nie, où il s'occupa constamment de
rechercher les vestiges des villes et
des édifices antiques. Il fut secondé,
dans plusieurs de ses observations ,
par les travaux d^un jeune et intéres-
santcollaborateur, (Ch. Bellino, vvur-
tembergeois , ravi aux lettres orien*
taies par une mort prématurée à Mos-
soul, le 12 nov. 1820). Au commen-
cement de 1820, Rich, à peine guéri
d'une maladie causée par la tempé-
rature trop élevée du pays qu'il ha-
bitait, résolut de parcourir , pen-
dant l'été , toute la partie monta-
gneuse du Kurdistan, Il campa quin-
ze jours sur les ruines de Ctésiphon
et de Séleucie , en leva le plan , et
se dirigea vers la frontière per-
sane , où il reconnut et détermina
astronomiquement la position de
plusieurs villes , et de plusieurs mo-
numents érigés autrefois dans ces
régions par les rois de la dynastie des
Sassanides , tels que Scheherban ,
Kasri schirin , Ilavousch Kurrak ,
.Sc/jinvrt«e/i, etc. De retour à Baghdad
après cette courte excursion , il re-
partit le 16 avril, pour le Haut-Kur-
distan , où il passa l'été. Il fixa sa ré-
sidence à Soiile'imanieh , où il resta
jusqu'au 17 juillet. Chaise alors par
la chaleur , il se porta plus à l'orient
et plus avant dans les montagnes :
il traversa la chaîne nommée Za-
gra.t par les anciens , et alla visiter
RIC
Sena ou Sinendadj, capitale du Kur-
distan persan. Il parcourut les can-
tons les plus reculés de celte région
sauvage, reste's jusqu'à pre'sent incon-
nus aux Européens , en prenant soin
de fixer la position astronomique de
tous les lieux qu'il rencontrait. Il re-
vint ensuite à Souleïmanieh,d'oîi il re»
partit, le 1 1 octobre , pour Mossoul :
il passa les deux Zab , observa les
villes les plus remarquables de ces
cantons, tels que Schouan, Altoun-
Kupenare , Arbelle , etc. Aussitôt
après son arrivée à Mossoul, le 3i
octobre, il s'occupa de rechercher les
restes de l'antique Ninive. On ignore
quels furent les résultats des obser-
vations de Rich , soit aux envi-
rons de Mossoul , soit dans la prin-
cipauté d'Amadiali et dans les au-
tres parties du Kurdistan qu'il vi-
sita. Le long séjour qu'il fit alors en
ces cantons, pei met de croire qu'elles
eurent des résultats importants. On
peut voir, au sujet de toutes ces
courses scientifiques , des extraits
considérables de deux Lettres du ré-
sident anglais, adressées à M. Sil-
vestre de Sacy , et qui ont été insé-
rés dans le Journal des Savants ,
mai 1821 et avril 1822. Rich
quitta Mossoul , le 3 mars 1821 , et
descendit le Tigre pour retourner à
Eaghdad , où il arriva le 12 du
même mois. Pendant ce trajet , il
eut encore l'occasion de faire quel-
ques découvertes intéressantes, telles
que celle des ruines de l'antique La-
rissa , mentionnée par Xénophon.
Il fut de nouveau forcé de quitter le
séjour insalubre deBaghdad,aumois
de mai. Il fit alors un autre voyage
dans le pays à l'orient de l'Yrak. Il
était accompagné de sa femme, qui l'a-
vait déjà suivi au travers des contrées
agrestes occupées par les Kurdes. Au
milieu de l'été , ils se quittèrent au
RIC 537
port de Bouschir : sa femme partit
pour Bombay. Pour lui , il retourna
à Schiraz , où il fut attaqué du cho-
iera morhus , qui l'emporta , le 5
octobre 1821. On espère que les Ob-
servations recueillies dans son der-
nier voyage seront publiées par sa
veuve. S. M — n.
RICHARD 1er. , roi d'Angleterre,
surnommé Cœur de Lion , né à Ox-
ford , en II 57 . élait le second fils
d'Henri II et d'Éléonore de Guien-
ne, répudiée par Louis VII , roi de
France. Dès sa plus tendre jeunesse^
il se fit remarquer par un esprit iras-
cible, fier, impétueux, surtout par sa
bravoure , et par son adresse dans les
exercices militaires. Nommé duc de
Poitiers , il se réunit à son frère aîné
Henri , pour faire la guerre à son
père ; et, après la mort de son frère,
qui devait hériter de la couronne
d'Angleterre , l'impatience de régner
lui fit de nouveau prendre les armes
contre l'autorité paternelle. Ces di-
visions dans la famille d'Henri II
étaient favorisées par Philippe- Au-
guste , qui en profila avec habileté.
Lorsque l'archevêque de Tyr vint en
Occident annoncer la prise de Jéru-
salem par Saladin ( F. Guillaume,
XIX, 145 ), Richard fut un des
premiers à faire le serment de com-
battre les infidèles ; mais ne renon-
çant pas pour cela à faire la guerre
à ses voisins, il ne cessa point de sou.
lever les provinces contre Henri II.
Comme toutes ces guerres et tous
ces complots suspendaient l'entre-
prise de la croisade , Richard fut ex-
communié par le légat du pape. Sur
ces entrefaites , Henri II mourut de
chacrin , en maudissant ses fils in-
grats. Tout-à-coup Richard recon-
nut ses torts , et se repentit de sa con-
duite : après son couronnement, qui
eut lieu le 3 septembre 1 189, il ne
;38
R[G
s'occupa plus , d'accord avec Phi-
lippe-Auguste , que de sou départ
pour rOrieut. Ainsi , .iprcs avoir ,
dans l'impatience de régner, pris
les armes plusieurs fois contre l'au-
teur de ses jours , il abandonna son
royaume , dès qu'il fui roi ; ce qui
montre moins en lui un caractère
ambitieux , qu'un esprit remuant
et incapable de supporter le repos.
Il eut plusieurs conférences avec Phi-
lippe , fit divers re'glements pour
le maintien de la discipline dans l'ar-
rae'e des Croisés , ruina ses sujets ,
vendit jusqu'aux charges de la cou-
ronne d'Angleterre, et partit de Vé-
zelai eu Bourgogne , pour aller s'em-
barquer à Marseille , tandis que le
roi de France et l'armée française
s'embarquaient à Gènes. Le rendez-
vous des deux armées était Messine.
Guillaume II, roi de Sicile, venait
de mourir , et sa veuve était sœur
de Richard ; plusieurs contestations
s'élevèrent sur la dot de Jeanne: Ri-
chard exigea du roi Tancrède , suc-
cesseur de Guillaume , des sommes
considérables. Pendant que les deux
rois discutaient avec animosité leurs
intérêts, il s'éleva, entre les Croisés
et le peuple de Messine, de violentes
querelles , à la suite desquelles le
monarque anglais s'empara de la
ville , et fit arborer son drapeau sur
les remparts. Philippe intervint dans
ces démêlés; la paix se rétablit: mais
ce fut à cette époque qu'on vit cesser
l'union qu'avait fait naître la guerre
sainte entre les rois de France et
d'Angleterre; union qui semblait un
prodige , mais qui no devait durer
qu'un moment. Philippe partit le
])rcniier pour Ptolémais ou Saint-
Joan-d'Acre, assiégé alors par cent
mille Ooisés , arrivés en Syrie de
toutes les parties de l'Occident. IVn-
ilaiitlc séjour de Hichard en Sicile,
RIC
Éléonorcluiamcna BdrengèrCjfilledu
roi de Navarre , qu'il devait épouser.
(i) Ce prince ne connaissant dt*me-
sure ni dans ses actions ni dans ses
sentiments, poursuivi, à l'approche
des Saints-Lieux, par le souvenir de
ses fautes , montra tout-à-coup un
repentir immodéré , et mil de l'ex-
cès jusque dans sa pénitence : il pa-
rut en chemise , au milieu d'une as-
semblée d'évêques, confessa ses pé-
chés à genoux; et, tenant à la main
un paquet de verges , il exigea que
les prélats lui infligeassent la pu-
nition qu'il avait méritée. Il en-
tendit ensuite le fameux abbé Joa-
chim, qui prétendait connaître l'a-
venir par l'Apocalypse : cet abbé lui
annonça qu'il ne prendrait pas Jéru-
salem , mais qu'il acquerrait une
grande renommée dans la croisade.
Au milieu de cette dévotion outrée ,
Richard se livrait à toutes les dissi-
pations d'une jeunesse guerrière ; et
les chroniques racontent ici ûes scè-
nes qui font un contraste singulier
avec celle» dont nous venons de par-
ler. S'étant embarqué pour les côtes
de Syrie, il aborda à l'île de Cyprej
cl , comme Isaac , qui régnait dans
cette île , avait refusé de recevoir ses
vaisseaux, ill'attaqua, le battit, le fit
charger de chaînes d'argent, et s'em-
para deses états. Richard, après cette
conquête, célébra son mariage avec
liérengère , dans la ville de Limisso ,
et partit pour la Palestine, emme-
nant avec lui son prisonnier Isaac
et sa fille , qui devint bientôt une
dangereuse rivale pour la nouvelle
reine d'Angleterre. Il fut reçu au
camp de Ptolémais avec de grandes
déuionstralions de joie ; et quoiqu'il
fût tombé malade quelques jours
après son arrivée, il ne laissa pas
( 1 ) U .uMil cUi lidULC li'aliorJ .wtc Alix , ■-iiiir Uc
riiili^iipc-Aii|<u.-li'.
nie
de poursuivre avec activité les tra-
vaux du siège. Mais les discordes qui
avaient éclate en Sicile entre le roi
de France et le roi d'Angleterre ne
tardèrent pas à se renouveler : Ri-
chard répandit ses trésors parmi les
Croises, et se fit de nombreux parti-
sans; ce qui excita la jalousie de Phi-
lippe. Conrad, marquis deTyr, et
Guide Lusignan, époux de Sibille, se
disputaient alors le royaume de Jéru-
salem : comme le monarque français
s'était déclaré pour Conrad , Richard
se déclara pour Gui de Lusignan: au
milieu de ces contestations , le roi
d'Angleterre envoyait des ambassa-
deurs à Sa ladin, et en recevait des pré-
sents ; ce qui le faisait accuser, par les
partisans de Philippe , d'entretenir
des intelligences avec'les infidèles. Ce-
pendant Ptolémaïs, après un siège de
deux ans , se rendit aux armes chré-
tiennes. Ce fut alors que Richard vou-
lut commander en maître, et qu'il in-
disposa contre lui la plupart des chefs
de l'armée. Ayant aperçu le drapeau
du duc d'Autriche sur une des tours
de la ville conquise, il ordonna que
ce drapeau fût jeté dans les fossés et
foulé aux pieds : ce caractère violent
et impétueux nuisit beaucoup au suc-
cès de la croisade , et détermina le
roi de France à quitter la Palestine.
Richard resta seul à la tête des Groi-
ses ; cl comme Saladiu refusa de
rendre le bois de la vraie croix , de
renvoyer les prisonniers chrétiens ,
et de remplir toutes les conditions
du traité fait avec la garnison de Pto-
lémaïs , le monarque anglais fit mas-
sacrer deux mille cinq cents captifs
qu'il avait entie ses mains. Après
cette action barbare, qu'il faut d'ail-
Ictirs Juger d'après l'esprit et les
mœurs du temps , Richard marcha
vers Ascalon, avec une armée de
cent mille Croises. Une grande ba-
RIC 53g
taille fut livrée près de la ville d'As-
surs , et les Musulmans y furent rais
en déroute. Richard montra , dans
cette circonstance, autant d'habileté
que de bravoure; et ce qu'on doit le
plus admirer , c'est la manière sim-
ple et modeste avec laquelle il parle
de cette glorieuse journée, dans une
lettre qu'il écrivit alors eu Occident.
Ses exploits ne purent néanmoins lui
attirer la confiance de l'armée chré-
tienne. LesCroisésétant arrivésà Jaf-
fa,Ia plupart des chefs voulaient mar-
cher contre Jérusalem : Richard pro-
posa d'aller rebâtir Ascalon , que
Saladin venait de démolir. Il fit pré-
valoir son opinion ; mais on obéit
en murmur '.nt : plusieurs fois , afin
d'apaiser les murmures , il fut obli-
gé de conduire les Croisés vers la ville
Sainte; mais n'osant point hasarder
le siège de Jérusalem en présence de
l'armée musulmane , il ramena tou-
jours l'armée chrétienne vers Asca-
lon ou vers Jaffa , ce qui augmenta
le mécontentement général. C'est ici
qu'il faut voir , dans les chroniques
du temps , la joie des soldats de la
Croix , lorsqu'ils marchaient vers la
capitale de la Judée ; leur désespoir,
lorsqu'ils s'en éloignaient. Le roi de
France , en quittant la Palestine , y
avait laissé le duc de Bourgogne avec
dix mille Français. Dans les vifs dé-
bals qui s'élevèrent alors , les Fran-
çais se séparèrent des Anglais ; une
foule de pèlerins abandonna les dra-
peaux de la croisade. Richard avait
un ennemi déclaré dans le marquis
de Tyr , qui négociait avec Saladiu ,
et soudlait la discorde dans l'armée
chrétienne. Comme Conrad fut assas-
siné par les émissaires du Vieuxde la
Montagne ( F. Haçan ben-Saea,
XIX, 280 ), on ne mau([iia pas cette
occasion d'acciiscr le roi d'Angleter-
re. La situation de Richard devenait
54 o RIC
chaque jour plus difficile : d'un côté,
craignant pour son royaume, trouble'
par son frère le prince Jean , et
redoutant les entreprises de Philippe
sur la Normandie j de l'autre , cher-
chant à illustrer son nom dans la
croisade, et ne voyant autour de
lui que des croisés qui le maudissaient
cl refusaient de lui obéir , il^montra,
dans ses desseins et dans ses pensées,
un esprit d'irrésolution et d'incerti-
tude que l'histoire a quelque peine à
caractériser. Cependant les difficultés
ne faisaient qu'accroître son courage;
et lorsque , de toutes parts , des
plaintes s'élevaient contre lui , il
y répondait par des exploits dignes
d'Amadis et de Roland. Cliaquejour,
disent les chroniques , il livrait un
nouveau combat , et revenait, tantôt
avec dix têtes , quelquefois avec
trente têtes de Sarrasins , qu'il avait
tués. Accompagné d'un petit nom-
bre de soldats , il s'empara d'une
caravane , allant d'Egypte à Jérusa-
lem , chargée des marchandises les
plus précieuses de l'Afrique , et pro-
tégée par une force redoutable. Pour
que rien ne manquât à la ressem-
blance de Richard avec les person-
nages des temps héroïques , il ren-
contra un énorme sanglier dans les
montagnes de la Judée , se battit
long-temps avec l'animal féroce, et
rétendit mort, .Tprès avoir couru le
plus grand péril. Ce fut surtout à
JafTa , (jue l'Achille moderne montra
sa valeur extraordinaire : il débar-
qua danç cette ville , avec quatre
cents arbalétriers et quelques cheva-
liers , au moment même où la cita-
delle venait de capituler, et où la
place était remplie de soldats musul-
mans. Richard les chasse devant lui
comme mm troupeau ; arrivé dans la
plaine où campait l'armée de Sala-
du), il range ses compagnons en ba-
RTC
taille : dix chevaux formaient toute
sa cavalerie , et il avait devant lui
quinze raille cavaliers musulmans
qui fondirent à l'instant sur sa trou-
pe. Il résiste à leur premier choc ;
bientôt il les attaque lui même et les
met en fuite. L'histoire n'offre point
d'exemple d'un pareil combat. Ri-
chard , emporté par son ardeur ,
se jeta seul au milieu de l'armée
ennemie , et revint bientôt après ,
parmi les siens , tout couvert des
flèches lancées contre lui , sem-
blable , dit un historien , témoin
oculaire , à une pelote remplie
d'aiguilles. On ne pourrait croire
à des exploits si merveilleux s'ils-
n'étaient attestés par tous les mo-
numents historiques. Les auteurs
arabes célèbrent eux-mêmes la bra-
voure de Richard , qui avait pas-
sé en proverbe dans l'Orient. Lors-
que les enfants pleuraient, les mères
musulmanes les faisaient taire en
leur disant : Paix là , voici le roi
Richard ! et lorsqu'un cheval om-
brageux venait à broncher , le cava-
lier lui disait : As-tu peur que le roi
Richard soit caché dans ce buisson?
Malgré sou étonnante valeur, Richard
ne put conquérir la Terre-Sainte ; et
il se vit obligé de conclure avec Sa-
ladin une trêve de trois ans, trois
mois , trois semaines , trois jours et
trois heures. La guerre sainte était
finie; mais celui qui en avait été le
héros, devait courir d'autres périls.
Richard, à son retour, aborda sur les
côtes presque inhabitées de la Dal-
malie; et comme il avait partout des
ennemis , il poursuivit sa route à
travers l'Allemagne , sous le nom et
l'habit d'un simple pèlerin. Arrive
en Autriche , il fut reconnu et con-
duit au duc Léopold, qui, se ressou-
venant de l'outrage qu'il ru avait
reçu, le rcliol prisonnier. L'hisloiic
RIC
donne peu de de'tails sur !a captivité
de ce malheureux prince: on connaît
seulement, par une clironique con-
temporaine, le dëvoûment de Blon-
del , qu'on a célèbre' sur nos théâ-
tres. Le pape , presse' par les prières
de la reine Éle'onore , menaça des
foudres de l'Église le duc Le'opold et
l'empereur Henri VI , à qui le pri-
sonnier avait e'té livré , s'ils ne le met-
taient en liberté. Au reste la cour de
Rome parut s'intéresser faiblement
à cette affaire ; et l'opinion, en Alle-
magne , s'était tellement déclarée
contre Richard, que l'empereur vou-
lut le faire juger et condamner par
une diète assemblée à Worms. Le
monarque anglais répondit à ses ac-
cusateurs avec une éloquence si tou-
chante , qu'il intéressa en sa faveur
les princes allemands, et l'empereur
lui-même , qui reconnut son innocen-
ce , mais qui ne consentit néanmoins
à briser ses fers , qu'après avoir re-
çu une rançon considérable. Richard,
devenu libre apncs un an de capti-
vité , revint dans son royaume , qu'il
avait ruiné pour les préparatifs de
son départ, et qu'il ruina de nouveau
pour acquitter le prix de son retour
et de sa délivrance. Il fit son entrée
à Londres , le 20 mars 1 194 , et fut
reçu au milieu des acclamations gé-
nérales. Il dissipa tous les complots
formés contre lui , et pardonna à son
frère Jean; il passa ensuite en Nor-
mandie , oîi il eut à combattre les
armées de Philippe- Auguste , qui
avait profité de sa longue absence
pour affaiblir sa puissance sur le
continent. Après plusieurs combats,
les deux monarques firent la paix
( V. Philippe-Auguste) ; et Richard
vivait eu repos au milieu de ses su-
jets , lorsqu'une circonstance singu-
lière lui fit reprendre les armes , et
causa sa mort. Ayant réclame en
RTC 54i
vain un tre'sor trouve par le comte
de Limoges, il vint mettre le siège
devant le château de Chalus. Un ar-
cher, nommé Bertrand de Gourdon.
lui perça l'épaule avec une flèche;
le roi , cependant , commanda l'as*
saut, prit la place et fit pendre toute
la garnison. Il ne fit grâce qu'à Gour-
don, qu'il interrogea lui-même; et
celui-ci lui ayant répondu avec fer-
meté , il ordonna qu'on le mît en
libellé , et qu'on lui donnât de l'ar-
gent, ce qui ne fut point exécuté;
car Gourdon , à l'insu du roi , fut
écorché vif et pendu. Rien ne peiat
mieux le caractère de Richard , que
la manière dont les chroniques an-
glaises racontent sa mort. Nous em-
prunterons le récit de Gauthier d'Her-
mingfort , un des historiens contem-
porains : « Les médecins appelés,
)) dit le chroniqueur , défendirent au
» prince tout commerce avec sa
» femme : mais Richard , qui était
» voluptueux , dédaigna leur ordon-
» nance ; la blessure fit des progrès,
» et mit sa vie en danger. Lorsque sa
» mort parut prochaine , Gauthier ,
» archevêque de Rouen , se présenta
» au prince, et lui dit : Mettez urdre
» à vos affaires , Seigneur, carvoiis
» mourrez. — Est-ce une menace ,
» répondit le roi , ou une plaisante-
» rie ? — Non , Seigneur, votre mort
» est inévitable. — Que voulez-vous
» donc que je fasse ? — Pensez aux
» filles que vous avez à marier , et
» faites pénitence. — Je vous l'ai
» déjà dit , ce sont des plaisante-
» ries , car je n'ai point de filles, —
» Seigneur , vous avez trois filles ,
» et vous les nourrissez depuis long-
» temps. Votre aînée est l'ambi-
» tion ; la seconde , l'avarice ; la
» troisième , la luxure. » ( D'autres
historiens anglais attribuent ce dis-
cours à Foulques de Neuilli , cl le
54a RIC
}iii foit tenir dans une toulc autre
circonstance. ) « Vous avez eu ces
î) trois filles dès votre jeunesse , et
D) vous les avez toujours trop aiiuces.
■»^ — C'est vrai ; voici comme je les
V marie : je donne l'aîne'e aux Tem-
•)y pliers ; la seconde , aux moines
» gris ; la troisième , aux moines
)> noirs. — Ne parlez pas ainsi ,
w reprit l'archevêque, car votre fin
V approche. — Que me faut - il
r> faire ? — Pénitence , et vous ccn-
•» fier à la miséricorde éternelle. »
Le roi, touché des paroles de l'ar-
chevêque , se mit à pleurer , et
dit : « Je suis très-repentant, et vous
)> en verrez des preuves. » Aussitôt
il se confessa ; et s'étant fait lier les
pieds , il ordonna qu'on flagellât jus-
qu'au sang son corps nu et suspendu
en l'air : on recommença par ses or-
dres cette flagellation jusqu'à trois
fois ; il se fit traîner ensuite avec
tnie corde au-devant du viatique,
qu'il reçut en invoquant la miséri-
corde du Seigneur. Telle fut la fin
de Richard , que re chroniqueur ap-
pelle glorieuse. On l'ensevelit près
de son père , au monastère de Fon-
tevrauld , au mois d'avril de l'an
1 199. Des courtisans ayant annonce
avec joie cette mort au roi de France :
« Il ne faut pas se réjouir , mais
•>} s'affliger , leur dit Philippe - Au-
« guste; car la chrétienté vient de
» perdre un grand prince ,et le plus
5) vaillant de ses défenseurs. » Les
actions de Richard le font assez con-
naître pour que l'histoire n'ait pas
besoin de faire son portrait : ses qua-
lités guerrières, qui lui méritèrent le
surnom de Cœur-de Lion , lui ob-
tinrent une grande popularité parmi
les Anglais , au milieu des<|ucls il ne
passa ((Mc quatre mois , pciulant tout
son règne , et (pi'il accabla d'iuijiôts
cxorhitants. Un historien du temps
RIC
dit que ce prince avait toujours un
oeil menaçant avec ceux qui l'eutrc-
tcnaicnt d'affaires : il faisait , d'un
air terrible , des reproches ou des
censures , et montrait un visage fu-
i^ieux à ceux qui ne satisfaisaient
point à ses demandes d'argent.Tfaus
son intimité , il était affable , cares-
sant , et ne dédaignait point de jouer
et de plaisanter. Le même auteur
ajoute que Richard se plaisait à l'of-
fice divin , et qu'il accompagnait
souvent , qu'il encourageait même
par ses bienfaits, les chantres de l'é-
glise. Le nom de Richard figure ho-
norablement parmi ceux des trou-
vères ( 2 ). Dans la croisade ,*il
répondit par des chansons à une
satire du duc de Bourgogne : il fut
un des princes les plus éclairés de
son temps. Son caractère et sa vie
offrent un des spectacles les plus
singuliers et les plus attachants du
moyen âge. Quoique la guerre l'oc-
cupât presque tout entier, il fit quel-
ques règlements «tilcs : ce fut sous
son règne que l'on rédigea et publia
les Rôles d'Oleron , l'un des premiers
monuments de la législation et du
droit maritime. M — d.
RICHARD II, roi d'Angleterre,
naquit à Bordeaux , en 1 366, 11 était
fils du célèbre Prince Noir, alors
gouverneur de la Guienne. Ce prin-
ce, forcé par la maladie mortelle
dont il était attaqué , d'abandonner
son gouvernement pour retourner
eu Angleterre , y conduisit le jeune
Richard, encore enfant. A sa mort,
Edouard III , pour éviter les trou-
bles qu'il ])révoyait après lui , se liâ-
ta de déclarer son petit-fils prince de
Galles et héritier présomptif de la
couronne. Il voulut même que la
(») On a insti-,:, ilans le iMémnriat i,i,ivrr<cl lio
i.iiivior 1H59. (loin. Vil . p. 1(18 ), h- texte et lu tra-
ilnclion des A'in'riiln< r|ii<! KicliBril roinpn.Ha pcu-
il'int SI raptivilcau cliritemi ilc Dinn^tein.
wc
noblesse lui prêtât serment , en cette
qualité'. Craignant enfin que ses trois
oncles ne conçussent l'espoir de mon-
ter sur le trône à son pre'judice , il
ordonna que , dans toutes les solen-
nités , le jeune Richard prît le pas
sur eux. Edouard III ayant cesse de
vivre ( '2i juin l'i'j'j ) , Richard II
est reconnu; et ses oncles sont les
premiers à lui rendre hommage.
Bientôt néanmoins ils s'emparèrent
adroitement du pouvoir suprême ,
en se faisant nommer, par le parle-
ment , régents du royaume. Le par-
lement , de son côté , profita de cette
minorité , pour faire confirmer, par
Teufant-roi, les deux chartes de Jean-
sans-Terre. Une guerre malheureuse
contre la France et l'Espagne , força
de recourir â des impositions exces-
sives : elles furent levées avec une
telle rigueur, que le peuple se révolta.
Le chef de cette insurrection était
un couvreur deDeptford, nommé
Wat-Tyler , dont la fille avait été
insultée par un collecteur. Cet hom-
me se vit bientôt à la tête de plus de
cent mille mécontents. Un prêtre ,
nommé Jean Kall , devint l'orateur
de cette multitude furieuse. Il avait
pour maxime que, tous les hommes
ayant Adam pour père commun , il
devait régner parmi eux la plus par-
faite égalité de droits et de biens.
Déjà les séditieux étaient aux portes
de Londres, dans la bruyère de Black-
Heath. Le jeune roi leur envoya de-
mander ce qu'ils voulaient. Ils ré-
pondirent insolemment que Richard
n'avait qu'à venir leur parler. Ri-
chard les menaça de toute sa colère.
Mais , redoublant d'audace , Wat-
Tyler marche sur Londres : le peu-
ple lui livre le passage du pont; et
la capitale est abandonnée au pillage,
aux massacres , à l'incendie. La Tour
pouvait se défendre: elle fut rendue
RIC 543
lâchement. Le gouverneur et l'arche-
vêque de Canterbury sont égorgés.
Le conseil opinait à satisfaire les
révoltés par toutes les concessions.
Leur chef insistait pour que le
roi négociât directement avec lui.
Richard s'avança jusque sur la pla-
ce de Smithfield , et fît inviter
Wat-Tyler à se rendre près de lui.
Le couvreur répondit qu'il s'y ren-
drait selon son bon plaisir. Il pa-
rut enfin , à cheval comme le roi.
Il exposa les conditions auxquelles
il mettrait bas les armes ; mais ,
tout en parlant, il agitait son épée,
en signe de menace. Tant d'insolen-
ce transporta de fureur le maire de
Londres . qui était ta côté du roi : il
porta un coup si terrible an sujet re-
belle, qu'il le fît tomber mort à ses
pieds. Sa troupe s'apprêtait à le ven-
ger : Richard semblait perdu. Mais,
au lieu de prendre la fuite, tout-à-
coup ce prince de quinze ans s'élance
au-devant des insurgés : « Anglais ,
» leur crie-t-il, voulez-vous répandre
» le sang de votre roi ? vous avez
» perdu votre chef: c'est moi qui le
» suis présentement. Suivez-moi î »
La foule le suit, et, peu d'instants
après, sur son ordre, elle se dis-
perse. Mais ce n'était pas dans la ca-
pitale seule qu'avait éclaté le feu de
la rébellion : les provinces étaient
en proio à des furieux , qui massa-
craient sans pitié les prêtres et les
nobles. Le jeune monarque ne parut
bla point épouvanté : il réunit des
troupes , se mit à leur tête , et fit un
terrible carnage des insurgés. Tous
ceux qui échappèrent au fer des sol-
dais , tombèrent sous la hache des
bourreaux. La plupart avouèrent,
en mourant, qu'ils avaient juré d'ex-
terminer le roi , la famille roya-
le , le clergé et la noblesse entière.
Pendant que la couronne et l'exis-
544 RIC S
teuce même de Richard II c'taieut
meuace'es , ses ministres lui avaient
cherche' une femme sur le continent.
Il e'pousa Anne de Luxembourg ,
sœur derempereurWenceslas( 1 38 1 ).
Du jour de son mariage, le carac-
tère du jeune monarque parut chan-
ger : il éloigna ses gouverneurs , ses
conseillers, et se montra de'cidé à ré-
gner seul. Mais les flatteurs ne tar-
dèrent pas à s'emparer de sa con-
fiance ; ils l'eurent asservi , dès l'ins-
tant où ils découvrirent son pen-
chant irrésistible pour le plaisir. Le
duc de Lancastre, oncle du roi, leur
faisait d'autant plus d'ombrage, que
ce prince avait donné lieu de lui sup-
poser les vues les plus ambitieuses.
Les courtisans ne négligèrent donc
aucun moyen de le perdre dans l'es-
prit du jeune monarque ; mais ils
abusèrent tellement de sa faveur,
qu'un cri général s'éleva contre
eux. Des préparatifs formidables ,
de la part de la France , semblant
menacer l'Angleterre, Richard de-
manda des subsides au parlement.
Il n'en obtint qu'une réponse conçue
en termes peu respectueux ; on lui
disait qu'il n'avait qu'à faire rendre
gorge à ses favoris , et que l'argent
ne lui manquerait pas pour lever
des troupes. Richard, indigné, ré-
pliqua que le parlement n'avait pas
le droit de s'immiscer dans l'intérieur
de son palais , et que pour lui com-
plaire il ne chasserait même pas un
marmilonde sacuisine . Le parlement
menace de cesser l'expédition de tou-
te affaire , si les ministres et les fa-
voris ne sont pas expulsés ; et si le
roi ne se rend pas lui-même dans
son sein. Richard s'éloigne de Lon-
dres au contraire , cl exige que qua-
rante dépiilcs lui soient envoyés pour
lui donner satisfaction. Nouveau re-
fus des deux cliarabrcs : Richard ,
RIG
transporté de fureur, déclare qu'il
va implorer le secours du roi de
France , pour châtier des sujets re-
belles. Mais bientôt, comme effrayé
lui-même de ses propres menaces ,
il retourne dans la capitale ; il se
rend au parlement , et accorde de
bonne grâce tout ce qu'il venait de
refuser. Fier de ce triomphe inat-
tendu, le parlement condamne tous
les ministres à l'exil , confisque
leurs biens , et nomme une commis-
sion de treize membres , pour parta-
ger le gouvernement de l'état avec
le roi. Richard sentit son humilia-
tion ; et le désir de la vengeance oc-
cupa toutes ses pensées. Dès que la
session fut terminée, il se hâta de
rappeler tous ses favoris : ceux-ci ne
montrèrent pas moins d'ardeur à se
venger eux-mêmes. Le duc de Glo-
cester , un des oncles du roi , s'était
déclaré leur ennemi capital : ils firent
le complot de l'empoisonner. Un avis
secret du maire de Londres sauva ce
prince. Mais les favoris ourdirent
de nouvelles trames contre lui ,
et contre tous les seigneurs dont
ils redoutaient le crédit. Toute la
haute noblesse court aux armes con-
tre les ministres. Richard, ne voyant
plus qu'au - dehors les moyens de
soutenir les compagnons de ses
plaisirs , prend la résolution de pas-
ser en France , et d'engager Calais
et Cherbourg entre les mains de
Charles VI , pour en obtenir un
corps de troupes auxiliaires. Déjà
le monarque français l'attendait à
Boulogne • mais la révolte éclata dans
Londres , avec tant, de violence , que
Richard n'eut que le temps de s'en-
fermer dans la Tour. Les seigneurs
ligués allèrent l'y trouver : il leur
fit toutes les promesses qu'ils exigè-
rent. I^a première était (pi'il se ren-
drait à Westminster, pour y confé-
RIC
rcr avec eux : le jour venu, il leur
fit savoir qu'il avait changé de re'so-
îution. Les confe'dére's lui de'clarcnt
alors qu'ils vont procéder à l'é-
lection d'un nouveau roi. Richard
épouvanté, court à Westminster, et
bannit de nouveau tous ses favoris.
Ses oncles ne négligèrent rien pour
reprendre leur ascendant : le duc de
Lancastreétait d'autant plus puissant,
qu'il revenait d'Espagne, où , après
avoir disputé la couronne à Jean I*"". ,
il l'avait forcé de lui payer, comme
indemnité , des sommes considéra-
bles. Ne pouvant échapper à sa des-
tinée , qui était de vivre toujours eu
tutelle , Richard parut n'avoir plus
d'autre ambition que de surpasser
tous les souverains de l'Europe par
sa magnificence. Ses dépenses étaient
excessives , et ses moyens fort bor-
nés. Il employait trois cents hommes
<ians ses cuisines • et la reine ne
comptait pas moins de femmes pour
la servir. Pour subvenir à ce faste
asiatique, il fallait se créer des res-
sources de toutes parts. Ou voit en-
core , par exemple , dans les archi-
ves du temps , que Richard voulut
emprunter mille livres sterling à la
ville de Londres , et qu'il en essuya
un refus très-net. Le parlement était
obligé d'accorder des sommes consi-
dérables pour pouvoir faire face aux
Français et aux Ecossais , qui atta-
quèrent presque continuellement le
royaume pendant ce règne ; mais
l'emploi de ces fonds était surveillé
par une commission très • rigide.
D'autres ennemis se déclarèient :
c'étaient les rebelles Irlandais. Ri-
chard passa dans leur île pour les
combattre. Il fut bientôt rappelé en
Angleterre , par la fermentation des
Lollards: c'est ainsi que l'on appelait
les partisans de l'hérésiarque Wiclcff.
.Ycufjàrâge de vingt-sept ans , iU-
xxxvii.
RIC 545
chard fit demander au roi de France
Charles VI , la main de sa fille Isa-
belle. Cette princesse n'avait alors
que sept ans; et , de plus , elle
était promise au duc de Bretagne.
Ces difficultés furent aplanies dans
une négociation qui eut pour résul-
tat une trêve de vingt-huit ans entre
les deux rois. Pour célébrer ces heu-
reux événements , les monarques de
France et d'Angleterre se donnèrent
rendez-vous entre Ardres et Calais.
L'entrevue eut lieu ( 1 896 ) sous des
tentes somptueuses : les deux cours
y déployèrent une magnificence à la-
quelle on ne peut comparer que celle
qu'étalèrent , cent-vingt quatre ans
après , aux mêmes lieux , François
I'=r. et Henri VIII , dans leur fa-
meuse réunion du Champ d^ Or. Ri-
chard fit , à cette occasion , des dé-
penses exorbitantes, et qui s'augmen-
tèrent encore , par les présents con-
sidérables qu'il répandit parmi les
électeurs d'Allemagne , pour les en-
gager à lui décerner la couronne im-
périale. La voie des emprunts lui étant
fermée, ilavait recours aux dons gra-
tuits ou plutôt forcés. « Il n'y eut sei-
gneur , prélat , gentilhomme ou gros
bourgeois , dit une chronique du
temps , qui ne fût obligé de prêter au
roi quelque somme, qu'on savaitbicn
qu'il n'avait volonté ni pouvoir de
rendre. » La restitution de Calais et
de Cherbourg excita un mécontente-
ment bien plus vif. Le duc de Glo-
cester la reprocha au roi avec tant
de violence , que Richard résolut
de se débarrasser de cet oncle in-
commode. Il alla le trouver dans
une de ses terres , et le pressa de
le suivre à Londres pour une af-
faire qui ne souffrait point de re-
tard. Au milieu du chemin , tm
parti embusqué enlève le duc de
Gloccster , qui est Jeté dans un vais-
546 RIG
seau , et conduit à Calais , où il
est e'tranglc sccrèlenient. Pour com-
pléter ce coup d'autorité , le roi fait
saisir les principaux seigneurs qu'il
savait être dans les intérêts de
sou oncle. Enfin il convoque un
nouveau parlement, dont tous les
députés étaient ohis par son influen-
ce. Cette assemblée s'empresse d'al-
ler au-devant de tous ses vœux. Ja-
mais il n'avait paru plus puissant.
Il s'était endormi dans une fatale
sécurité, lorsqu'une nouvelle insur-
rection des Irlandais vint l'arracher
au repos. Il passa la mer , pour al-
ler châtier les rebelles , emmenant
à sa suite , comme otages, tous les
enfants de ses oncles , et emportant
avec lui tous les joyaux de la couron-
ne. Il semblait prévoir que jamais
il ne rentrerait dans son palais. II li-
vra plusieurs combats ; et il y mon-
tra une grande bravoure person-
nelle. Mais ce n'était pas en Irlande
que se trouvaient ses ennemis les plus
dangereux. Les nombreux mécon-
tents de l'Angleterre appellent le
duc d'Hereford , fils du duc de
Lancastre , que Richard avait eïi\é.
Ce prince était alors en France.
Il accueille les offres des conju-
rés ; et bientôt , à la tète d'une fai-
ble troupe , il débarque dans la
province d'York {F. Henri IV,
XX, 123 ). En peu de jours, il voit
soixante mille hommes sous ses dra-
peaux, marche rapidement sur Lon-
dres , et y entre aux acclamations
générales (iSqq). Cependant il ne
prit encore que le titre de duc de Lan-
castre, se contentant de soumettre
toutes les places-fortes , et d'exaspé-
rer la nation contre Richard II , par
nn manifcstcoù il letraçait toutes les
injustices do son gouvernement. Dès
que Richard lut informé d'iui événe-
ment aussi terrible qu'inalteudu , il
RIG
se hâta de repasser la mer; mais dé-
jà le duc d'York , son oncle , qu'il
avait laissé régent du royaume, et ,
à son exemple, toute la haute no-
blesse , s'étaient déclarés pour son
heureux rival. Dans son désespoir ,il
alla s'enfermer presque seul dans le
château de Conway , qui passait
pour imprenable; et, de cette re-
traite , il fit proposer au duc de Lan-
castre d'entrer en arrangement. Le
duc lui envoya l'archevêque de Can-
terbury. Richard ne demandait que
la vie sauve et des moyens d'exis-
tence pour lui et huit de ses servi-
teurs. Il désira enfin traiter en per-
sonne avec le prince son cousin;
et, à cet effet, il se rendit à Flint,
endroit qui n'est qu'à trois lieues de
Chesler, où se trouvait le duc de
Lancastre. Dès que le roi l'aperçut ,
il eut assez de force ou de dissimu-
lation pour lui dire : « Beau cousin,
w soyez le bien-venu. » Ils partirent
ensemble pour Londres. Richard fut
immédiatement conduit à la Tour. Là
il se déclara indigne de porter la cou-
ronne. « Il l'était en effet , a dit Vol-
taire , puisqu'il s'abaissait à le dire. »
Le parlement, pour complaire à l'u-
surpateur, dressa , contre son souve-
rain légitime, un acte d'accusation en
trente cinq articles. Après la lectui'e
de cet acte, le duc de Lancastre se leva,
et demanda formellement la couron-
ne : elle était déjà sur sa tête. Les lâ-
ches législateurs de l'Angleterre l'en
déclarèrent légitime possesseur, à l'ex-
clusion du comte de La Marche, seul
et véritable héritier. Ainsi finit ( 3o
septembre 1 399) le règne de Richard
II. Mais il vivait encore; et son exis-
tence était un crime aux yeux de l'u-
surpateur. Henri IV le fit transférer,
de la Tour de Londres, au château
de Lceds , dans le comté de Kent ;
mais , le trouvant encore trop près
de la capitale, il lui assigna pour
prison , le château de Pont - Fract ,
dans l'Yorkshire. L'infortune de Ri-
chard II toucha de compassion quel-
ques-uns des seigneurs qui l'avaient
abandonné. Pour animer le peuple
en sa faveur, ils produisirent un
de ses chapelains, nommé Magd.den,
dont la ressemblance avec ce prince
était extrême ; et ils le firent passer
pour Richard lui-même, échappé à
la surveillance de ses geôliers. A ce
nom, et sans autre examen, le peu-
ple courut aux armes. Les amis du roi
légitime se portèrent rapidement sur
Windsor , dans l'espérance d'y sur-
prendre l'usurpateur. Celui-ci venait
de s'évader pour rassembler son par-
ti. La résolution qu'il témoigna .jeta
les royalistes daiis la perplexité. Ils
perdirent du temps à délibérer : Lan-
castre le mit à profit pour se défaire
d'un concurrent,si redoutable encore
dans les fers. Il le fit assnssiuer par
huit hommes , que commandait un
indigne chevalier , nommé Thomas
Pierce, qui , dit-on , lui porta de sa
main le coup mortel. Richard , jeune
et vigoureux, se défendit si vaillam-
ment , qu'ayant arraché la hache
d'un de ses assassins, il en étendit
quatre à ses pieds avant de succom-
ber ( 1400). La mort de ce prince
infortuné est rapportée de vingt fa-
çons dilTérentes par les historiens et
les corapilalcurs. Quelques - uns le
font périr de faini. La version que
nous avons suivie, est plus généra-
lement adoptée. Richard II mourut
sans enfants. L'usurpatlo:i de Henri
IV fit monter la branche de Lan-
castre sur le tronc. S — v — s.
RICHARD III , roi d'Angleterre,
naquit en 1 452. Il était le quatrième
fils du duc d'York, tué à la bataille
de Wakcfield , en 1 460 , et, par con-
se'quent , frère d'Ivlouard IV. Ri-
RIC 547
chard porta d'abord le titre de duc
de Glocester. Dès qu'Edouard IV eut
cessé de vivre , le duc de Glocester
se servit d'un parti puissant pour
enlever la régence à la reine-mère j
Elisabeth Woodville. Il était plus
difficile de se faire donner la sarde
du roi-enfant: Richard écrivit à la
reine une lettre artificieuse ; et ce fut
cette princesse qui lui fournit elle-
même les moyens de s'emparer de la
personne d'Edouard V. Elle ne tar-
da point à se repentir de son exces-
sive confiance , et elle se 1 étira dans
l'abbaye de Westminster , avec le
duc d'York , son second fils. Cepen-
dant le duc de Glocester affectait les
plus grands respects et la plus sin-
cère tendresse pour le jeune monar-
que son neveu : ce ne fut même que
sous le spécieux prétexte de mieux
veiller à la sûreté de sa personne ,
qu'il se fit décerner , par un conseil
qui lui était tout dévoue , le titré
de Protecteur du roi et du royau-
me. Le premier acte de sou autorité
fut de sommer la reine-mère de re-
mettre sous sa garde le jeune duc
d'York , son second fils. La reijije se
refusa fortement d'abord à un aussi
douloureux sacrifice ; mais l'arehe;
vêque de Canteibury l'y détermina.
Dès que le Protecteur se vit maître
de ses deux neveux , il les fit conduire
à la Tour de Lundres. Cette mesure
n'avait, en elle-même , rien d'odieux :
il était d'usage , à cette époque , que
les rois se retirassent à la Tour, quel-
que temps avant leur couronnementi
Le Prolecleur donna des ordres poùi*
les apprêts de cette cérémonie; mais
ce fut au même instant que se ré-
pandirent , dans la capitale et dans
les provinces , les bruits les plus in-
jurieux contre l'illégitimité du ma-
riage d'Edouard IV, et celle de la
naissance de ses fils. On vit tout-'à-
35..
548
RIC
coup traîner à la mort les partisans
les plus connus de la rcinc-mcre , et
les plus dévoues au jeune roi. Au
premier rang était lord Hastings ,
que le Protecteur fit exécuter en sa
présence et sans forme de procès ,
après lui avoir reproclié d'attenter
à ses jours par la sorcellerie , de
complicité avec la reine-mère. Des
émissaires secrets , et même des pré-
dicateurs, ne négligeaient aucune oc-
casion de représenter le duc de Glo-
cester commele seul héritier légitime
des droits de la branche d'York. Le
Protecteur avait un confident , qui
alla plus loin : c'était le duc de Buc-
kingham, qui fit, à l'hôtel-de-ville,
la proposition formelle de décerner
la couronne au prince qui était déjà
revêtu du pouvoir suprême. Non
content de cette première tentative ,
le duc conduisit lui-même , le jour
suivant , le maire et les aldermen
de Londres , au palais du Protecteur,
pour le supplier d'assurer le bonheur
du peuple anglais , en montant sur
le trône. Richard reçut cette dépu-
tation avec une froideur alTectée, et
protesta de sa fidélité envers le jeune
roi son neveu. Le duc de Buckin-
gham s'écrie que le salut de l'état ne
peut être ajourné , et que , puisque
le Protecteur refuse la couronne ,
elle va être placée sur une autre tête.
Alors Richard se laisse vaincre , et
dit : « J'accepte donc : aux droits
de ma naissance j'ajoute ceux d'une
élcchon libre faite par les grands et
les communes du royaume. » Des
cris do vive Richard II l ! terminè-
rent une scène si visiblement con-
certée que des historiens n'hésilcnt
pas à la qualifier de comédie (i).
La proclamation du nouveau roi eut
bientôt lieu dans les formes accoutu-
(i) Entre aulrij , Raiiin-Tlioiras.
RIC
mées ( aa juin i483 ). Il fît servir
à son couronnement les apprêts qui
avaient été faits pour celui du jeune
captif de la Tour de Londres. A peine
couronné , Richard partit pour Glo-
cester. Pendant sou absence, Edouard
V et son frère le duc d'York , selon
le bruit pubHc , périrent danS leur
prison. La voix des contemporains,
et, bien plus encore, celle des géné-
rations suivantes, ont accusé Ri-
chai-ddece double crime. Nous nous
bornerons ici à rapporter, les faits
tels qu'on les trouve dans la plupart
des relations écrites alors et depuis.
Richard , dit-on , envoya l'ordre à
Brakenbury, gouverneur de la Tour,
de faire mourir ses deux neveux.
Brakenbury se montrant épouvanté
d'un tel attentat , l'usurpateur lui
envoya un de ses officiers, nommé
Tyrel , qui se chargea d'exécuter les
volontés de son maître. Celui-ci entra
dans la chambre des deux jeunes prin-
ces, qui dormaient dans le même lit ,
et les étouffa sous im lit de plume. Il
les fit enterrer ensuite au pied d'un
escalier. Pendant ce temps , Richard
se faisait couronner une seconde fois
dans la cathédrale d'York, et pro-
clamait Edouard , sou fils , prince
de Galles. Mais , tandis qu'il prenait
ces mesures pour perpétuer la cou-
ronne dans sa famille, il se formait
une vaste conspiration pour la lui
ravir. Eiit-il pu croire que le chef
de ce complot était ce même duc de
Buckingham qui avait tout bravé
pour lui aplanir le chemin du trô-
ne? Rien cependant n'était ])lus vrai.
N'étant pas aussi largement ic'com-
peusé qu'il l'avait espéré, le duc de
Buckingham médita de donner un
nouveau souverain à l'Angleterre. II
jeta les yeux sur Henri Tudor , com-
te de Richniont, qui était alors ré-
fugié en France ( F. IIknui VU , xx,
RlC
140 ). Quelque soin que prît le duc
de dérober ses trames aux. regards
vigilants de Richard , celui-ci soup-
çonna une partie de la ve'rite'. Il don-
na ordre à Buckinghara de se rendre
auprès de lui. Le duc voit le coup
qui le menace , et il répond hardi-
ment qu'il ne se livrera pas entre
les mains de son plus cruel ennemi.
Après une telle déclaration , il fallait
prendre les armes : le duc les prend,
et marche vers la côte où devait des-
cendre le comte de Richmont. Mais
ses troupes l'abandonnent : il se ca-
che , est vendu par ses affides , traî-
né aux pieds de Richard, et décapité
sur l'heure même. Le comte de Ri-
chemont , ne trouvant plus personne
sur la côte , regagne la France. Tous
ses partisans vont l'y rejoindre , ou
tombent au pouvoir de Richard , qui
Défait grâce à aucun. Mais leur sup-
plice ne le satisfaisait qu'à demi :
il voyait le prétendant bien accueilli
à la cour de Charles VIII , et il de-
vait redouter quelque nouvelle entre-
prise de sa part. En effet , après
des traverses sans nombre , le comte
de Richmont débarque en Angle-
terre ( 6 août I 485 ). Richard III
rassemble précipitamment des trou-
pes, et marche au-devant de son ri-
val. Les deux armées se rencontrent
enfin à Bosworth. Le combat s'euga-
ge: Richard aperçoitRichemont dans
la mêlée : il fond sur lui avec une
ardeur qui n'était pas aussi vive de
lapaitdu comte. Mais que pouvaient
ses efforts personnels , quand un de
ses généraux passait ouvertement à
l'ennemi avec une aile entière? Il vit
l'instant où il allait tomber vivant
entre les mains de son antagoniste :
il prévint cette honte , en courant
chercher la mort au milieu des rangs
ennemis. Son corps fut trouvé sous
un monceau de cadavres , et percé de
RlC 549
coups. La couronne qui surmontait
son casque en fut détachée , et posée
sur la tête du vainqueur, aux cris de
Vive le roi Henri Fil ! ( aa août
i485). Dans la personne de Richard
III, finit la race française des Planta-
genets , qui occupaient le trône bri-
tannique depuis plus de 3oo ans.
Henri VII , paisible possesseur du
frône , fit dresser un monument à
;.on malheureux rival , dans l'église
des Franciscains , à Leicester. Le
jeune'prijicedeGalles,filsde Richard,
était mort un an avant lui. Nous n'a-
vons pas voulu interrompre, par des
discussions , l'histoire rapide de ce
règne de deux ans. Le lecteur a cepen-
dant le droit de nous demander: Ri-
chard III fut-il réellement un mons-
tre , tel que le représente l'opinion
vulgaire ? est- il bien démontré qu'il
ait commis tous les crimes que lui
imputent divers écrivains ? Après
a^'oir laissé parler les accusateurs de
Richard , la justice veut ([ue nous
entendions ses défenseurs. Ils se sont
présentés tard , il est vrai ; mais
leurs écrits existent , et ils méritent
d'être pris dans une très - sérieuse
considération (2). « Malheur , dit
» Montesquieu , à la réputation de
» tout prince opprime par le par-
» ti qui devient le dominant ! » Ri-
chard succomba sous les efforts du
parti qui fit régner Henri VII à sa
place; et , de ce moment, il fut con-
venu que le prince vaincu l'éunirait
dans sa personne toutes les difformi-
tés et tous les vices de la terre. Il
n'était pas doué, il est vrai, de la
rare beauté qui semblait un apanage
(1) VoyP7. BiitU, Cai le , Malouo , Gutbrie , Hen-
ry , Walpiile , iiarmi les Auj;1ais. Ce dcruier eut
riiouiieur J'avuir Louis XVl |>i)ur Iradiicleur. Par-
mi Ici l'rançais , il faut distiuguer M. J. Rey. Nous
.ivoiis t'uiisulté avec biMiicoiip <le fruit ses. Eisai ■
hisloriinai il ciUii/ucs >ur Ruliaiil III , l »"•■ '»-
St>. , l'arii , 1818,
55o
RIG
héréditaire dans la maison d'York ,
et il avait une épaule un peu plus
haute que l'autre; mais on a des por-
traits de lui, qui le représentent, du
moins, avec une figure assez agréa-
ble. Cela n'empêcha pas , dit Voltai-
re, d'en faire un bossu hideux, un
véritable épouvantai!. On apprit au
peuple anglais à répéter ce que le
peuple romain avait dit de Néron :
Qu'il était venu au monde les pieds
devant, et la bouche armée de gran-
des dents. Mais c'est peu cjue d'en
avoir tracé cette horrible peinture ,
on le chargea de tous les crimes épars
dans l'histoire des plus cruels ty-
rans. Le plus odieux des reproches
qui pèsent sur sa mémoire , est
le meurtre de ses deux neveux , qu'il
aurait commis après avoir ravi
la couronne à l'aîné : c'est donc le
fait que nous allons discuter avec
quelque détail. Les adversaires de
Richard s'arment d'une autorité im-
posante : celle de Thomas More.
Mais qui ne sait aujourd'hui qu'il
composa sa Vie de llichard III , sous
l'influence du cardinal IMorton, en-
nemi personnel de ce prince, et qu'il
n''écri vit celle d'ÉdouardV que pour
charmer son loisir, et exercer son
imaginalion , a dit Hume? Ces der-
niers mois sont remarquables. On
voit cfïectivement à la lecture de
l'ouvrage de Thomas More, qu'il
se joue lui mjine de ses propres as-
sertions. C'est ainsi , par exemple, à
l'égard dcrévénementcjui nous occu-
pe, (ju'il l'ainiine tantôt comme une
vérité démontrée, et tpic tantôt il
n'en parle (pic coiuined'iuie rumeur
vulgaire. C'est le langage de toutes
les chroniques du temps, quoique
toutes portent plus ou moins l'eru ■
preinle de l'influence de Henri VII ,
qui avait un double intérêt à ce que
la nation tînt pour certain que les
RIC
deux fds d'Edouard IV n'existaient
plus , et que Richard III était l'au-
teur de leur mort. Il fit donc courir
le bruit que ces jeunes princes avaient
été enterrés au pied d'un escalier de
la Tour, sous un monceau de pier-
res. On chercha , ou l'on fit semblant
de chercher, et. l'on ne trouva rien.
L'affaire lesîa donc plus obscure et
plus incertaine que jamais. Ce sont
les expressions mêmes du chancelier
Bacon; et Shakspeare, dans son Ri-
cliard III, dit aussi qu'on ne sait oij
reposent les corps des fils d'Edouard
IV. Mais voici que , sous le règne
d'Elisabeth , en travaillant à des ré-
parations dans Ja Tour, on découvre
une porte murée : on l'enfonce , et le
premier objet qui se présente est le
lit fatal sur lequel gisaient encore
les ossements des deux princes. On
montrait aux incrédules le cordon
qui avait servi à les étrangler. C'est
le prince Maurice d'Orange qui rap-
porte cette aventure. Elle aurait dû
frapper assez les habitants de Lon-
dres, pour en conserver la mémoire:
mais, nwins d'un siècle après , sous
le règne de Charles II, tout souve-
nir en était si bien elfacé, que per-
sonne ne refusa de croire que les
corps d'Edouard V et du duc d York
venaient encore d'être retrouvés au
pied de cet escalier tant de fois men-
tionné. On les déposa dans un beau
mausolée, avec une inscription qui
porte que dejHiis long-temps on les
cherchait. Mais, malgré un fait aus-
si positif en •ïipparence , Rapin-
Thoiras, Ilunie, et, en général, les
liistoriciis les ];lus graves s'expri-
ment sur le ])liis grand des forfaits
attribués à Richard lil , avec toutes
les formes du doute. C'est sur Hen-
ri VII , comme nous l'avons déjà
observé , que se porteraient plutôt
les soupçons. Une des vcr.'^ions qui
RIG
ont été soutenues avec le plus de
vraisemblance , c'est que le jeune
Edouard V mourut de maladie, dans
la Tour, cl que son frère, le duc
d'York, parvint à s'échapper, et
fit, dans la suite, des tenlalives
pour remonter sur le trône de ses
pères ( F. notre article de Perkin-
Waerbecr , XXXIII, 38o). S-v-s.
RICHARD, comte de Cornouail-
les et de Poitou , n'est point placé,
par les Kistoricns , au nojnbre des
empereurs d'Allemagne , quoiqu'il
en ait exercé tous les droits. Fils
puîné de Jean Sans-Terre , et d'Isa-
belle d'Angoulême, il naquit à Win-
chester, le 5 janvier 1209. Il n'avait
que seize ans lorsqu'il fut chargé, par
Henri m, son frère, d'une expédition
dans la Guienne : il remporta quel-
ques avantages devant la Réole , et il
aurait achevé la conquête de cette
province , si les seigneurs français
qui s'étaient engagés à le seconder,
n'eussent fait leur paix avec le roi
saint Louis. Malgréla défection de ses
alliés, il se maintint dans les portions
de cette belle province, qui restaient
aux Anglais; etHcnrien augmenta
son apanage. Richard partagea l'ar-
deur chevaleresque de son siècle
pour la délivrance de la Palestine :
il prit la croix en i*^36; mais ce ne
fut qu'après la mort de sa femme ,
sœur du comte de Pcmbrokc , qu'il
s'occupa d'accomplir son vœu. Le
pape Grégoire voulut s'opposer à son
départ , « espérant , dit M. Mi-
)) chaud , qu'il consentirait à rester
T) en Europe, et qu'il donnerait au
» Saint-Siège une partie de ses tré-
» sors, pour mérilcrles indulgences de
» la croisade (i ). » Mais, malgré ladé-
(i) Gebauprcbi)')<:C'lurc quele pape Grégoire crai-
gnait «jii(î Kicliard , sous le jirétcxlede se n-nclre ilans
la Palestine , u'eûtlc dessein de porter des &ccouri>À
l'empereur Frédéric II, son licau-frtrc.
RIG 55i
fense du pontife , il s'embarqua dans
le port de Marseille , et fit voile pour
Plolemaïs. Son arrivée releva le cou-
rage des Chrétiens, et jeta l'effroi
parmi leurs ennemis , alarmés d'a-
voir à combattre le neveu de Richard
Cœur-de lion , héritier de sa valeur
comme de son nom. Il remporta
quelques avantages sur les Sarrasins ;
mais, se voyant peu secondé parles
Chrétiens de la Palestine, il fut obli-
gé de renouveler la trêve faite avec
le Soudan d'Egypte : « Pour tout
» fruit de son expédition, dit encore
» M. Michaud , il ne put obtenir
» que l'échange des prisonniers , et la
» permission de rendre les honneurs
» de la sépulture aux Chrétiens tués
» à la bataille de Gaza ». ( His-
toire des Croisades , m , 549 )•
Après avoir fait réparer les fortifi-
cations d'Ascalon, qu'il remit à Gau-
tier de Brienne , il partit pour la
Sicile, où il eut une entrevue avec
Frédéric II. Il chercha vainement à
réconcilier ce prince avec le Saint-
Siège, et revint, eu xil^-i , à Lon-
dies , où son retour fut célébré par
des fêtes magnifiques. Bientôt Ri-
chard trouva de nouvelles occa-
sions de signaler son coujagc dans
la guerre que Henri III eut a soute-
nir contre les Français. Oubliant les
services que son frère venait de lui
rendre , Henri voulut le dépouiller
de la Guieiuie , et le priver de sa li-
berté. Richard s'enfuit , et , surpris
au milieu delà mer par une tempête ,
il fit vœu , s'il échappait au danger ,
de fonder une abbaye de l'ordre de
Cîteaux , pour lequel il avait beau-
coup de vénération. C'est à ce vœu
que dut son érection l'abbaye de Hay-
les, fameuse par ses richesses et ]>ar
l'étendue et la beauté de ses bâti-
ments. En 1243, Richard épousa
Sancho de Provence; et il se récon-
552
RIC
cilia peu de temps après avec son
fr^re , qui lui accorda , pour le dé-
dommager de la pertede la Guienne ,
une pension de mille marcs d'argent
et plusieurs domaines considérables.
La mort de Conrad IV laissait l'Em-
pire vacant ; et les factions qui di-
visaient l'Allemagne , se disputaient
l'avantage de dépouiller le malheu-
reux Conradin ( F. ce nom ). Tandis
qu'une partie des électeurs choisit
Alphonse X , roi de Castille, l'autre
se déclare pour Richard ; mais les
deux compétiteurs ne peuvent obte-
nir du Saint-Siège la confirmation de
leur élection. Richard arrive en Alle-
magne , et se fait couronner avec
Sanche , sa femme , à Aix-la-Cha-
pelle , le 17 mai 1257. Il récom-
pense magnifiquement les électeurs
qui lui ont donné leurs suffrages^ et
ses libéralités lui gagnent de nou-
veaux partisans. Il apprend tout-
à-coup que les barons anglais tien-
nent son frère prisonnier dans Lon-
dres , et il vole à son secours. Il re-
vient en Allemagne . en 1 260 , avec
de nouveaux trésors , convoque une
diète qui établit de sages règlements
pour la sûreté des voyageurs , et
apaise les querelles des villes impé-
riales et des princes , en accordant
quelques milliers de marcs d'argent
aux parties qui se trouvaient lésées
par ses décisions. Richard fit un
troisième voyage en Allemagne, l'an
1262 j il donna l'investiture de l'Au-
triche et de la Styrie à Ottocare( V.
ce nom ) , confirma les privilèges de
plusieurs villes , entre autres de
Strasbourg et d'Haguenau , et enri-
chit le trésor d'Aix - la - Chapelle
d'une couronne , d'un sceptre , d'un
globe d'or et de deux habits impé-
riaux. Les troubles d'Angleterre le
forcèrent d'y retourner, en i2()4. Il
ut fait prisonnier à la bat-iilic de
RIC
Lewos , gagnée sur les troupes roya-
les par Simon de Montfort ( V. ce
nom , XXIX, 557 ) , et ne recou-
vra sa liberté qu'après quatorze mois
d'une détention très-rigoureuse. lî
revint encore en Allemagne , en
1 268 , supprima les péages onéreux
qui gênaient la navigation du Rhin ,
abolit un nouvel impôt établi par les
magistrats de Worms , et , l'année
suivante , tint , dans cette ville , une
diète, à laquelle assistèrent les élec-
teurs de Trêves et de Maïence, avec
plusieurs autres évêques et princes
de l'empire. Richard , veuf pour la
seconde fois , quoique sexagénaire ,
fut sensible aux charmes de Béatrix
de Falkcnstein , l'épousa le 16 juin
1269, et la conduisit en Angleterre.
Bientôt après , Henri , le fils aîné de
Richard , prince de grande espérance,
fut assassiné par les deux fils de Si-
mon de Montfort, pour venger le
sang de leur père. Ce triste événe-
ment abrégea les jours de Richard.
Il mourut d'apoplexie , le 2 avril
1272 , et fut inhumé dans l'abbaye
de Hayles. L'électionde Rodolphede
Habsbourg mit fin aux dissensions
de l'Allemagne ( Voy. Rodolphe ).
Edouard , fils de Richard , lui suc-
céda dans le comté de Cornouailles,
ainsi que dans ses autres domaines ,
qui, après sa mort, furent réunis à la
couronne d'Angleterre. Richard fut
un des plus grands princes de sou
temps. A «ne rare valeur, il joignait
beaucoup de prudence , de sagesse ,
et l'art de gagner les cœurs. Il sur-
passa tous les rois contemporains ,
par ses richesses et par sa libéralité.
Outre les sommes immenses que lui
rapportait l'exploitation des mines
de ))lomb et d'étain de Cornouailles,
négligée jusqu'alors , il sut se créer
des ressources abondantes cl in-
connues aux autres .souverains, par
RIC
ks encouragements qu'il donnait au
commerce et à l'industrie. L'histoire
nous apprend , d'ailleurs , que ce
prince si magnifique ne manquait
pas d'e'conomie, et qu'il veillait avec
le plus grand soin à maintenir l'or-
dre dans ses finances. Nous avons
deux Histoires spéciales de Richard ,
toutes deux en allemand, l'une par
Gundling ( J^. ce nom , XIX , 2 1 2 ) ,
et l'autre par Gebauer ( F. ce nom ,
XVII, 2 ). Celle-ci est suivie de
pièces justificatives , qui prouvent
jusqu'à l'évidence que Richard a réel-
lement exercé tous les droits de l'em-
pire pendant près de quinze années.
W— s.
RICHARD 1". , comte d'Averse,
etprincedeCapoue,de loSgà 1078,
était fils d'Ascilitin, frère de Rai-
nolfe et de Drengot. Il succéda au
premier , dans Tannée i oSg, au plus
tard , puisqu'à cette époque , il in-
tervint, comme comte d^ Averse, au
concile deMelphi , convoqué par le
pape Nicolas II. Ce pontife, qui cher-
chait à s'assurer un appui contre
l'anti - pape Cadalolis , eut recours
aux princes normands. Robert Guis-
card avait fort étendu ses conquêtes
dans la Fouille. Richard , qui avait
épousé Fridésime, sœur de Robert,
qui était l'égal de son beau-frère en
bravoure et en talent militaire , et
qu'on disait lui cire supérieur par son
amour pour la justice et par sa dou-
ceur, paraissait destiné à conquérir
la Campanie. Nicolas , pour l'atta-
cher à son parti , lui donna l'inves-
titure de'la ville et de la principauté
de Gapoue , que possédait alors
Pandolfe V , prince lombard. Ri-
chard mit immédiatement le sir'ge
devant Capoue; mais il ne se rendit
maître de cette ville qu'en 1062.
L'année suivante , il conquit aussi
Gaëte, qui jusque-là s'était main-
RÎC
55;
tenue libre , sous la protection des
Grecs. Pour affermir sa couron-
ne, il s'associa dans le gouverne-
ment son fils Jordan , qui le seconda
dans toutes ses entreprises. Richard,
mécontent, en 1 066, du pape Alexan
dre II, fit, dans le duché de Rome ,
quelques incursions , dont il fut puni
par Godefroi , duc de Toscane , qui
l'assiégea dans Aquin. Ramené à l'o-
béissance du Saint-Siège , il ne s'en
écarta plus; fit hommage, en 1073,
à Grégoire VII , et assista , en 107 7,
Robert Guiscard dans la conquête
de Salerne: il entreprit ensuite le
siège deNaplcs ; et déjà celte ville se
trouvait réduite à de dures extrémi-
tés, lorsque Richard pr, mourut , le
ï3 avril 1078. Son fils Jordan I".
fut son successeur. — ^Richard II suc-
céda, en 1 09 T, à Jordan P'". Dès que
lanouvelle delà mortdeJordan se fut
répandue dans Capoue, les habitants,
que trente ans d'obéissance n'avaient
point encore façonnés au joug des
Normands, se révoltèrent, et chassè-
rent de leurs murs Richard II, avec
tous ses compatriotes. Ce prince vint
se réfugier à Averse , avec Gaitel-
grime sa mère , sœur du dernier
prince de Salerne. Il fît demander
en même temps des secours à Ro-
ger , duc de Fouille ; mais comme
ces secours n'étaient point suffisants,
il offrit à Roger, s'il recouvrait Ca-
poue , de lui faire l'hommage-lige
de cette principauté. Cette condition
fut acceptée : le duc de Fouille et le
grflnd-corate de Sicile réunirent leurs
soldats devant Capoue, au mois d'a-
A^ril 1098. Urbain II y vint aussi,
pour négocier ; mais ce fut sans
succès : la ville , après une défense
obstinée, se rendit, et Richard II la
reçut en fief de Roger , renonçant
ainsi au pouvoir souverain , pour
se réduire au rang de vassal du duc
554 RIC
àe Pouille. Richard II moiuiil en
iio5, sans postérité. Robert P'-.
son frère, lui succéda, S. S — i.
RICHARD P"". , surnomme Sans-
Peur^ àvc de Normandie, était fds
de Guillaume Longue- Epée et d'une
princesse danoise (i). Il succéda,
l'an g43 ,'2), à sou père, assassine'
par Arnoul, comte de Flandre, et
fut mis sous la tutelle de quatre sei-
gneurs , choisis dans une assemblée
de la noblesse. Louis IV, dit d' Ou-
tre-mer, ayant appris la mort de
Guillaume, vint aussitôt à Rouen, et
déclara qu'il avait l'intention d'em-
mener Richard à sa cour, pour l'y
faire élever. Les Normands s'oppo-
sèrent d'abord au dessein du roi j
mais, rassurés par ses promesses et
par l'affection qu'il témoignait au
jeune duc, ils consentirent au départ
de celui-ci. En arrivant à Laon , oii
résidait sa cour , Louis reçut un
message d'Arnoul , qui l'engageait à
profiter de la minorité deRichard
pour recouvrer le pays dont les Nor-
mands s'étaient emparés. Dès ce mo-
ment Richard fut traité comme pri-
sonnier Par le conseil d'Osmond, son
gouverneur, il feignit d'être malade;
et ce fidèle serviteur , profitant de la
négligence des gardes , l'emporta ,
dans une botte de foin , à Senlis ,
d'où il regagna ses états. Louis se li-
gne avec Hugues -le- Grand, comte
de Paris , pour dépouiller Pvichard ,
et pcuètre , presque sans obstacle ,
jusqu'au sein de la Normandie; mais,
abandonné par son allié, qu'il avait
méconteulé, bientôt il se trouve dans
un grand embarras , par l'arrivée
d'Aigrold , roi de Danemark , avec
(i).Sili.ii «l'aulres ailleurs, Kicliard olalt fil» de
LcutRardc , (lllc- (rHcrb.rl , coriili; <I c Scnlls.
(») (/<ril |iiir irruur (y)>r)(;ra|iliic[iii: qu'.\ Tarticle
OUIIXAUMK r.o„nue-Ii/,éc , XIX. , i38 , ..<> place la
«iKirl rlc eu priuce.au 18 dvcembio (j;)î, au lien
RIO
une flolle nombreuse. Il lui fait de-
mander une cntrevue:mais, pendant
la conférence des deux princes , les
Danois dispersent les Français ; et
Louis, forcé de prendre la fuite, est
retenu prisonnier par les habitants
de Rouen (3) , qui ne consentent à
le rendre qu'après qu'il eut juré la
paix avec Richard ( F. Louis IV,
XXV , 2o3 ). Cette paix ne pou-
vait être de longue durée. Hngues-le-
Grand avait fiancé sa fille Agnès au
jeune duc de Normandie. Pour em-
pêflier cette alliance, Louis s'unit
avec Arnoul , qui craignait toujours
que Richard ne lui redemandât comp-
te du sang de son père; et , aidé J)ar
l'empereur Othon pr_ ^ ^o^ beau-frè-
re, et par Conrad , roi de Bourgogne,
il fait le siège de Paris. Les alliés ,
battus devant cette ville, vont assié-
ger Rouen , et éprouvent de nou-
veaux revers. La rigueur de la saison
les oblige de s'éloigner; Richard,
à qui ses premiers exploits méritè-
rent le surnom de Sans - Peur, les
poursuit dans leur retraite, et taille
eu pièces une partie de leur arrière-
garde. Lothaire, en montant sur le
trône de France, après la mort de
son père , hérite de sa haine contre
les Mormands. La crainte que la va-
leur de Richard imprimait à ses en-
nemis , force le roi de recourir à la
ruse. Brunon , archevêque de Colo-
gne et oncle de Lothaire , fait j)ro-
poser à Richard une conférence dans
Amiens. Le duc de Normandie s'y
rendait sans méfiance , quand il fut
averti , par deux chevaliers, du piè-
ge qu'on lui tendait. Lothaire osa lui
demander une nouvelle entrevue, sur
les bords de l'Eaune (4). Cette fois ,
. (3) D'anlns IiI.sI.m icns <i;.s,nt <|ii<- I-miIs , euiiuillû
jiar Sun clicval , lut l'ail prisouiiier jiui- lis Paiiois,
qui le euitduisirent à Houen.
(/() li'auleurdu Komati ilii Itou ('Wncel iioiiimo
cctlo Tivii^rc Vi-fipe ou Piei'e ; et lircquigiiy i>rc-
RIC
Bichard se fit accompagner d'une es-
corte; mais, se sentant trop faible
pour lutter contre les troupes qu'a-
vaient araene'es ses adversaires , il
regagna Rouen par des chemins de'-
tournes (5). Cessant de dissimuler,
Lothaire , aide' de ïliibaud , comte
de Chartres, rentre, peu de temps
aprc>, dans la Normandie, et s'em-
pare d'Evreux. , par la trahison du
commandant. Richard se venge de
Thibaud, en ravageant ses états; et
le comte de Chartres vient camper
devant Rouen. Irrite de cette brava-
de , le duc lui iivre bataille, le met en
fuite , et , ayant reçu des secours des
Danois , porte le fer et la flamme
dans rinlërieur de la France. Lo-
thaire alla lui-même demander la
paix à Richard, qui congédia les Da
nois , abandonnant des terres à ceux
qui voulurent embrasser le christia-
nisme, et fournissant aux autres des
moyens de passer eu Espagne, où
ils commirent de grands ravages. Le
duc de Normandie put alors s'occu-
per d'améliorer le sort i!e ses su-
jets. Il encouragea l'agriculture et le
commerce , et favorisa l'étude des
sciences , par diffcrentcs fondations
pieuses. Après l'exlincticu de la race
de Charlemagne, il contribua beau-
coup à faire ])!acer Hugues Capel
sur le trône de France. Richard mou-
rut, le 20 novembre 9^>6 , dans sa
soixante-troisième année, à Fécanip,
dont il avait fait reconstruire l'ab-
baye, ruinée, un siècle auparavant,
par les Normands qu'avait amenés
Hasting, et il voulut être enterré sous
la gouttière , à l'entrée de la porte
méridionale. Les curieux connais-
feud que c'est celle qui passe i Ncutcliàtel. Ainsi
l'entrt'vue des deux iiiinccs devait avoir lieu sur le»
bords de V.lnjiicf. Voy. la Notice des Mss. de la
b'ihl. du lioi , \,5o.
(5) Wace dit cependant que Richard battit ses
euuemis au passage de lu rivière.
RIC 555
sent le Roman de Richard Sutis-
Peiir, duc de Normandie, Paris,
Denys Jeanot, in-/i". , et Simon Cal-
varin, même format. Ces deux édi-
tions , imprimées en caractères go-
thiques , sont également recherchées.
Cet ou'i'rage , qui n'est qu'un tissu
d'anachronistries et de fables ridicu-
les , fait partie de la Collection pu-
bliée à Troves , parla veuve Oudot,
et si souvent réimprimée. Castilhon
en a donné l'analyse , dans la pre-
aiière partie de la Bibliothèque bleue ^
1769, in -8°. On en trouve an.ssi un
court extrait dans les Mélanges ti-
rés d'une grande bibliothèque , tome
E, pag. '77- W — s.
Richard II , dit le Z?u«, ducde
Normandie, fils du précédent et de
Gonnor , sa seconde femme , lui suc-
céda. Les commencements de son
règne furent troublés par un soulè-
vement général , occasionné par l'a-
bus que la noblesse faisait de l'autori-
té royale. Eu 997, il fut obligé de fai-
lle la guerre à Guillaume , son frère
cadet, (jui refusait de lui rendre hom-
mage pour les terres dont il l'avait
apanage. Guillaume, abandonné de
ses soldats, fut anêté; mais il s'é-
chappa de sa prison , et vint se jeter
aux genoux de Richard , qui lui par-
donna sa faute et le rétablit dans
tousses,domaines. Etheirède II, roi
d'Angleterre, beau frère de Richard,
ayant conçu l'odieux projet d'exter-
miner tous les Danois qui se trou-
vaient dans ses états , fit la guerre
au duc de Normandie, pour l'empc-
chtr de les secourir ; mais les An-
glais , bittus dans le Colanlin , fu-
rent forcés de se remb;irqiier préci-
pitamment. L'indîgne conduite d'E-
thelrède l'ayant rendu l'objet de la
haine de ses siijets, il osa demander
un asile à Richard, qui, 11c voyant
plus eu lui qu'un prince malheu-
556 RIC
reux , l'accueillit avec les plus
grands égards ( F. Ethelbède, Xlll,
4^3 ). Richard eut ensuite de longs
démêles avec Eudes, comte de Char-
tres , qui A^oulait garder la ville de
Dreux , que Mathilde , sœur du duc
de Normandie , lui avait porte'e en
dot. Pour terminer cette guerre , il
demanda des secours aux rois de
Suéde et de Norvège; mais le roi Ro-
bert, craignant que ces barbares,
après avoir ravagé les domaines
d'Eudes , ne pénétrassent en France,
obligea le comte de Chartres à faire
la paix avec Richard. Un château
que le duc de Normandie fît cons-
truire à Tillières , près de Verneuil,
ralluma bientôt une querelle assou-
pie plutôt qu'éteinte. Eudes , aidé
par Hugues , comte du Maine , vint
assiéger ce château ; mais , repoussé
dans toutes les attaques , il finit par
se soumettre aux conditions que Ri-
chard voulut lui imposer , et qui
sans doute étaient très-modérées ,
puisqu'il les remplit sans se plain-
dre. Richard fut l'allié le plus fidèle
du roiRobert, et l'accompagna dans
diverses ■ expéditions , oij il signala
son courage : du moins quelques bis.
toriens lui donnent-ils le surnom
di Intrépide. Ce prince mourut, pleu-
ré de ses sujets, en 102G ou 1027 ,
le 1 août , et fut inhumé près de son
père. Il donna des marques de sa
piété par les dons considérables qu'il
(it aux monastères. H eut pour suc-
ccsseurKiCHARD III, son fils aîné, qu'il
avait eu de son mariage avec Judith,
sœur du duc de Bretagne. Ce prince
mourut après un règne de quelques
mois, empoisonné, dit-on , par son
frère Robert, dit le Mau^nifujue ou le
Diable { F. Honr.RT ).' W— s.
RICHARD (Claudk), savant
mathématicien , né en l58<) , a Or-
iians , dans le comté de Hourgor
RIC
gnc , d'une famille alliée aux Gran-
velle , suivit le comte de Cantecroix
(i), dans son ambassade à Venise ,
et parcourut l'Italie pour satisfaire
sa curiosité. Pendant son séjour à
Rome, il renonça tout -à -coup aux
avantages que le monde pouvait lui
offrir , embrassa l'institut de saint
Ignace, et, après quelques mois d'é-
preuves , fut envoyé à Toui non pour
y continuer ses études. Il fit de grands
progrès dans l'hébreu et les mathé-
matiques , qu'il professa sept ans à
Lyon. II obtint ensuite de ses su-
périeurs la permission de parta-
ger les travaux des zélés mission-
naires qui portaient dans la Chine ,
avec l'Évangile, les lumières et les
sciences de l'Europe. Il était en che-
min pour se rendre à Lisbonne , oii
il devait s'embarquer , quand il fut
nommé par le roi d'Espagne Phi-
lippe IV, professeur de mathéma-
tiques au collège fondé nouvellement
à Madrid. Il remplit cette chaire
quarante ans , avec un zèle que l'âge
ne put affaiblir , et mourut le 20 oct.
1664. On lui doit : I. Une édition
des OEwres d'Archimède, avec des
Notes , in-fol, , Paris , 1626 ( Bibl.
d'IIarwood , i , i-jS ) , ou 164O ,
( Bibl. curieuse deDav. Clément 11,
7 ). Le P. Richard prit, pour base de
son travail, l'édition publiée peu de
temps auparavant par David Ri-
vault, sieur de Flcurance ( For. Ri-
vatjlt). II. Commentarius in omnes
libros Eucliâis , Anvers, 164 5, in-
4". m. Commentarii in Apollonii
Pergad Conicunim libros ly, ibid. ,
i655 , in-fol. , fig. Il dédia cet ou-
vrage à Raimond de Moncadc , par
une Ëpitre , qui contient l'histoire
de cette maison , l'une des plus illus-
(il l-'iiinço\i Pi-nvnot , iicvi » du cuiiliiial de
RIC
très de l'Espagne. IV. Ordo noviis,
et reliquis facilior , tahularum si-
nuum et tangentium; cet ouvrage est
anonyme : aucun des biblio£;raphes
qu'on a consultes , n'en indique la
date ni le format. Le P, Richard avait
construit une montre magnétique ,
par le moyen de laquelle on con-
naissait l'heure qu'il était dans tou-
tes les parties de la terre ( Voy.
VHist. abrég, du comté de Bourgo-
gne, par M. Grappin, p. 281 ).
W— s.
RICHARD ( Jean ), néà Verdun,
en 1639 , après avoir fait ses classes
à l'université' de Pont-à-IMousson ,
vint à Paris, où il fit son droit et ses
cours de théologie. Il alla ensuite à
Orléans, où il se fit recevoir avocat,
sans doute pour avoir un titre ; car
il ne plaida jamais , ni ne fréquenta
le barreau. Il n'entra pas non plus
dans l'état ecclésiastique, comme on
aurait pu présumer que c'était son
dessein , d'après l'une des deux es-
pèces d'études auxquelles il s'était
appliqué. Demeuré laïc , et marié, il
se dévoua pourtant à l'éloquence de
la chaire, sans l'espoir des avanta-
ges attachés à ce ministère , dont
l'exercice ne lui était pas permis.
Il ne put donc suivre qu'à moitié
cette singulière vocation; et il dut se
borner à composer des sermons et
des prônes, que d'autres prêcheraient
ou qui leur serviraient à en compo-
ser de pareils, ou bien qui édifieraient
ceux qui les liraient. C'est en effet ce
qu'il entreprit ; et ce travail fut l'oc-
cupation de toute sa vie. 11 compila
aussi des ouvrages relatifs à ce genre
j I- - ^ . , o .
de littérature, pour servir a ceux qui
couraient la carrière de ia prédica-
tion. On a de lui : 1. Discours mo-
raux , en forme de Sermons , sur les
dimanches de l'année, avec un volu-
me contenant des exordes et des ins-
RIG 557
tructions ponr un avent et un carê-
me, 5 vol. in-i2, iG85. A peine
étaient-iis imprimés , qu'ils furent
suivis d'autres Discours moraux en
forme de Prunes , avec un avent sur
les commandements de Dieu, II.
Eloges historiques des saints , avec
les mystères de Notre Seigneur, et
les fêles de la Sainte-Vierge, pour
tout le cours de l'année , 1 665 , 4
vol. , dédiés à M. le cardinal de
Noailles , archevêque de Paris , qui
loua ce travail , et le zèle religieux qui
avait porté l'auteur à s'y livrer. III.
Autres Discours sur les mystères de
Notre-Seigneuret les fêtes de la Vier-
ge, 1697, ^ ^^'* ^^ • autres Dis-
cours sur les mystères de Notre-Sei-
gneuret les fêtes de la Vierge, 1700,
plusieurs vol. V. Dictionnaire mo-
ral ou la Science universelle de la
chaire , 6 vol. in-B**., y compris un
Supplément^ contenant des exhorta-
tions morales sur la sainteté et les
devoirs de la vie religieuse , Paris ,
1700 , réimprimé en 8 vol. in-i'.i,
d^'dié au cardinal de Polignac. On
trouve dans cet ouvrage, par ordre
alphabétique, ce que les prédicateurs
français, italiens, espagnols , alle-
mands , ont écrit de plus curieux et
de plus solide sur divers sujets. Ce
livre est utile et commode pour ceux
qui s'appliquent à la prédication ,
parce qu'ils y trouvent sans peine des
matériaux. Quant au jugement à por-
ter sur les écrits de Richard, il est
assez convenu que l'on y reconnaît
plutôt la science du théologien , que
le talent de l'orateur. Quelques cri-
tiques lui reprochent le défaut de
nerf et de chaleur ; mais aucun
ne refuse à ses discours tout ce
qui constitue une bonne et solide
instruction. Richard ne se borna
point à faire des sermons j il vou-
lut encore que ceux d'autrui qui
558
RIG
n'étaient pas publies vissent le
jour : s'il en e'tait qui parvinssent à
sa connaissance, il s'en emparait,
les revoyait avec soin , y corrigeait
ce qui lui paraissait défectueux , sup-
pléait ce qui y manquait, les enri-
chissait de Notes, de Préfaces , et les
livrait l'impression, l! en usa ainsi,
quoique l'auteur en eiit défendu ia
publication en mourant , à l'égard
des Sermons do Fromcnticres, évê-
que d'Aire, qu'd mit au jour en () vol.
in- 1 2 , Paris , 1 684 ( ^ • FromentiÈ-
BES, XVÏ, 112). 11 donna ensuite
les discours de l'abbé Charles Boi-
leau , prédicateur du roi, l'un des
quarante de l'académie française ,
et en ût des extraits, qu'il publia
sous le titre de Pensées ( Foy. Boi-
LEAU, V, 14 )• Il en fit autant des
Prunes de J oly, évêque d'Apjen, dont
il donna une édition en 8 vol. in- 1 2 ,
d'après des copies informes qu'on
avait recueillies en TenteiKlant prê-
cher, de simples plans et quelques no-
tes quecet évèquc avait laissés, et que
Richard eut la patience de mettre en
ordre pour en faire un ouvrap;e ré-
gulier ( T. Jol y, XVI, i\i). Enfin,
il mil an jour un volume de Pané-
gyriques choisis. Ce laborieux écri-
vain mourut h Paris , en 1719, dans
sa quatre-vingt-unième année; et , à
cet âge avancé, il travaillait encore.
— Jean - Edme , l'im de ses fils , fut
cure de Saint- Aspais, à Melun.
L— Y.
RICHARD (René)- historien
inexact et superficiel , né à San-
mur, eu iG54, était fils d'un no-
taire de cette ville, qui ne négligea
rien pour lui procurer une bonne
éducation. Après avoir terminé ses
études , il entra dans la congréga-
tion de l'Oratoire, où il enseigna
les liunianités et la rhétorique :
ayant reçu les ordres sacrés , il
RIC
fut employé dans les missions des
diocèses de Luçon et de la Rochelle ,
revint à Paris, et y prêcha pen-
dant douze ans avec succès. Il sor-
tit ensuite de l'Oratoire , fut pourvu
de plusieurs bénéfices , entre autres
d'un canonicat au chapitre de Sainte-
Opportune , et profila de ses loisirs
pour publier quelques Ouvrages qui
furent reçus avec beaucoup d'indul-
gence. Etant tombé malade à Lyon ,
en 1709 , et se croyant en danger de
n:ort , d résigna tous ses bénéfices à
sou neveu: mais, contre son attente, il
guérit ; et laissant à son héritier pré-
somptif uuechapelle avec un prieuré,
il voulut conserver ses autres prében-
des , dont les revenus , dit-il , suffi-
saient à peine pour le faire vivre
honorablement. Menacé par son ne-
veu , il se pourvut en regrès devant
les tribunaux , et soutint un procès
qui durait depuis sept ans , quand il
jugea convenable d'instruire le public
de ces fâcheux débats dans un ^m
important qu'il mit à la tête de son
Parallèle des cardinaux de Riche-
chelieu etMazarin , et dans lequel il
peint son neveu des couleurs les plus
odieuses. Celui ci obtint un arrêt du
conseil , qiu supprime cette pièce et
en défend la réimpression , à peine
de cinq cents livres d'amende. Cette
triste contestation troubla les der-
nières années de Richard j il mou-
rut a Paris, le 'H août I7'27, et
fut inhumé , comme il l'avait de-
mande par son testament rempli de
clauses singulières, mais qui ne fu-
rent point exécutées, dans le cime-
tière des SS. Innocents. C'était un
homme bizarre, d'un caractère dif-
ficile, extrêmement avide, et plein de
vanité; soutenant iudiiréremmentdans
ses ouvrages le pour et le contre , et
aireclant une grande indépendance
dans SCS opinions. Il avait été nom-
RÏC
mé historiographe de France , et
censeur royal. Outre quelques Ou-
vrages ascétiques , composés pour la
maison de Saint -Cyr, et dont on
trouvera les titres dans le Diction-
naire de Moreri , ëùition de 1709,
on a de lui : I. Fie de Jean- Antoine
Le Cachet , prêtre , instituteur des
sœurs de l'Union chrétienne ^ Paris,
1692 , in- 1 2. II. Discours sur V His-
toire des Fondations royales et des
établissements faits par Louis xiv
en faveur de la religion, de la jus-
tice , des sciences et des beaux-
arts, de la guerre et du commerce,
ibid., i6t)5, in- ri. On y lit quelques
détails curieux sur la maison de Sauit-
Cyr , l'Hôtel des Invalides , le canal
de Languedoc , etc. III. Traité des
Pensions royales , oii il est prouvé
que le roi a droit de donner des pen-
sions sur les bénéfices à sa nomina-
tion et collation, même à des laies,
ibid., 1693, 171g, in- 12. IV. ^/i-
toire de la Fie du P. Joseph du
Tremblay , capucin , employé par
Louis XlII dans les affaires d'état,
ibid, 1702, in- 12 , deux parties. C'est
un panégyrique du P. Joseph ; mais
honteux des reproches qu'on lui fai-
sait d'avoir trahi la vérité , ou peut-
être , comme ou l'assure, mécontent
de n'avoir pas été payé plus généreu-
sement, il publia l'ouvrage suivant :
V. Le véritable P. Joseph , conte-
nant l'histoire anecdote du cardinal
de Richelieu, Saint Jean de Mau-
rienne ( Rouen ) , 1704, in- 12 ;
17.00, 2 vol. in-i2. Cette satire ,
oubliée maintenant, fit beaucoup de
bruit ; et elle a été recherchée long-
temps par les curieux. Richard, ne
voiUant pas qu'on le soupçonnât d'en
être l'auteur, en publia la critique
sous ce titre : VI. Réponse au livre
intitulé : Le véritable P. Joseph ,
etc. (Paris, 1704), in-i2( F. Jo-
RIG 559
SEPu , xxu , 3o ). VIT. Parallèle
du cardinal de Ximenè s et du car-
dinal de Richelieu , in-i2, Trévoux,
1 704 ; Roterdara , 1 705 ; ce Uvre ,
que Ton a confondu souvenî avec
le suivant , a été réimprimé plu-
sieurs fois , si l'on en croit l'auteur ,
et même traduit par les Espagnols ,
flatlés de la préférence qu'on y donne
à Ximenès sur le premier ministre
de Louis xin. VIII. Parallèle du
cardinal de Richelieu et du cardi-
nal Mazarin , Paris , 1 7 16, in- 1 2.
Après lasuppression dont ou a parle,
l'auteur fit reparaître cet ouvrage
sous le titre de Coups - d'état des
cardinaux de Richelieu et Maza-
rin , ou Réflexions historiques et
politiques sur leur ministère, Paris
(Hollande), I723,in-i2. Richard
se proposait d'écrire les Parallèles
de tous les premiers ministres de
Louis XIV, des deux derniers ar-
chevêques de Paris , Harlay et Noail-
les, des deux derniers évêques de
Meaux, d'Orléans et d'Évreux, et
des deux derniers confesseurs du roi,
les PP. Lachaise etLeTcUier; mais,
dit-il , les malheurs où mon bon
cœur m'a précipité, m'ont empêché
de mettre ces grands projets à exé-
cution ( Avis important ). IX. Dis-
sertation sur Viniiult du parlement
de Paris, 1728, in-8°. C'est, dit
Goujet, l'ouvrage d'un homme vénal;
l'auteur ne put obteuirla permission
de faire imprimer une première par-
tie , qui devait servir d'introduction
à cet écrit. On trouve le Portrait de
René Richard , dans le Recueil d'O-
dieuvre. W — s.
RICHARD ( CuARLEs - Louis ) ,
théologien, ne en 17 1 ï , à Blainvil-
le-sur-l'Eau, en Lorraine, d'une fa-
mille noble , prit l'habit de Saint-
Dominique à l'âge de seize ans ,
vint achever ses études à Paris ,
5Go
RIC
et fut reçu docteur en Soibonne.
Apres s'être appliqué à la prédi-
cation , avec plus de zèle que de
succès , il consacra sa plume à la de'-
fensedes principes religieux, et se fit
connaître eii même temps par des
compilations théologiques d'une gran-
de utilité. Une brochure, dans la-
quelle il censurait amèrement un
arrêt du parlement , relatif au ma-
riage d'un juif converti, ayant ex-
cité les plaintes de quelques magis-
trats, il crut devoir se soustraire aux
poursuites dont on le menaçait , en
se retirant dans la maison de sou or-
dre à Lille, où il resta paisible jus-
qu'à la révolution. Il se prononça
fortement contre le serment exigé
des prêtres , et fut obligé de cher-
cber un asile dans les Pays-Bas ,
où il continua de publier un grand
nombre d'Opuscules contre la ré-
volution. Lors de l'entrée des Fran-
çais dans la Belgique, en 1794,
son grand âge l'ayant empêché de
fuir , il fut découvert à Mons , et tra-
duit devant une commission militai-
re, qui le condamna à mort, comme
auteur d'un écrit intitulé : Parallèle
des Juifs qui ont crucifié Jésus-
Christ avec les Français qui ont
tué leur roi. Il alla au supplice avec
calme , s'appuyant sur le bras du P.
Tahon, récollct, son confesseur, et
tomba percé de plusieurs balles , le
16 août 1794- ^^ respectable ecclé-
siastique était âgé de quatre - vingt-
trois ans. Il avait une vaste érudi-
tion et une grande facilité ; mais il
manquait de goût et de critique. Ou-
ire un grand nombre de brochures
de circonstance et un Recueil de Ser-
mons, en 4 vol. \n-\'X , on a de lui :
I. Dissertation sur la possession des
corps et Vinfestalion des maisons
par les démons , Paris , 1 74^ , in 8".
\\, Dictionnaire universel des scien-
RIC
ces ecclésiastiques ^ ibid. , 1760 et
ann. suiv. , 6 vol. in-fol.; le dernier
est un Supplément. Cette compila-
tion , à laquelle le P. Giraud a con-
tribué, et XAnaljse des conciles ,
sont les seuls ouvrages du P. Ri-
chard qui paraissent destinés à lui
survivre. On en publie , dans ce
moment , des éditions annoncées
comme corrigées et augmentées, mais
dont les volumes publiés jusqu'ici
ne présentent ni un meilleur ordre ,
ni l'addition des articles importants
qu'appelait le plan de l'ouvrage.
m. Examen du libelle intitulé :
Histoire de l'établissement des moi-
nes mendiants , ibid. , 1767 , in-
l'i. IV. Lettre d'un archevêque à
l'auteur de la brochure intitulée : Du
droit du souverain sur les biens-
fonds du clergé et des moines (par
Ccrvol), ibid., 1770, in - 8''. V,
Dissertation sur les vœux, ibid.,
1771, in- 12. VI. LettreA'un docteur
en Sorbonne à l'auteur de V Essai
historique et critique sur les privi-
lèges et les exemptions des Bégu-
Z/e/i ( l'abbé Riballier ) , ibid., 1771,
in - i2. VII. u4naljse des conciles
généraux et particuliers, ibid. ,1772-
77 , 5 vol. in - 4°. VlII. La lYature
en contraste avec la Religion et la
raison , ou , l'ouvrage qui a pour ti-
tre ; De la nature ( par Robinet ) ,
condamné au tribunal de la foi et du
bon sens , ibid. , 1 778 , in - 8'^. IX.
Observations modestes ( r ) sur les
Pensées de d'Alembert , etc. , ibid. ,
1774, in-8°. X. Réfutation de VA-
Zam/^icmoraZ(par Rouillé d'Orlcuil),
ibid., 1774» iH-80. XI. Défense de
la religion, de la morale , de la ver-
tu , de la société, ibid., 1775, iu-
(i) rt iioD jias modernes, «ouinir ou Hl( il.iiis lis
Sièclis htlcniirnf de DcscssnrLi; celle i rrcur ly|)u-
(;iaji1ili|U0, BÎcvidcolc, a pnssc dan» le nirtinnnair»
i/n/i'e;(t7, K à:ms \v Supplément Aa lHilivnnaiii
de l-eHcr.
RIC
8". XII. Réponse à la Lettre ccritc
par un théologien ( Condoicet ) à
railleur du Dictionnaiie des trois
siècles , ibid. , 1775, in- 12.XIII.
Les Protestants déboutés de leurs
prétentions , ibid, , 1 776 , in - 1 2.
XIV. Les Cent Questions d'unpa-
roisiien du curé de *** ( l'abbé Gui-
di ) , pour servir de réplique à la Sui-
te de sou Dialogue sur le niaria-j^e
des Protestants , ibid., 1776, in-
12 ( F. GuiDi). XV. Lettre d'un,
ami des hommes , ou Réponse à Ut.
Diatribe de \ ... (Voltaij'e) contre le
clergé de France, 1 776 , in-8^ (2).
XVI. Préservatif nécessaire à toutes
le;, personnes qui ont lu les Lettres
faussement attribuées au pape Clé-
ment xir , Deux-Ponts, i776,in-8°.
{f. Caraccioli.) XVlt. -banales
de la charité , ou de la bienfaisance
chrétienne, Malines, 1785, 2 vol.
in- 12. XVI H. Exposition de la doc-
trine des philosophes modernes, ib.,
1785, in- 12. XIX. Des droits de la
maison d' Autriche sur la Belgique
(Mous), 1794, in-8". Selon M. Bar-
bier, cette brochure servit de prétex-
te à la condamnation de l'auteur
( Voy. le Dict. des anonymes , 2*^.
éd. , n". 4567 ) : mais le jugement
n'en fait aucune mention , tandis
qu'on y a inséré plusieurs passages
de l'ouvrage cité dans le corps de
l'article. XX. Une édition du Traité
des sacrements de son confrère
Drouin ( F. ce nom , xii 36 ).
W— s.
RICHA1\D ( Louîs-Claude-Ma-
RiE),un des plus grands botanistes de
son siècle, naquii à Versailles le 4
(s) La brocture à laquelle Rictiai d répondait .
<tait intitulcu : /Idiesse au cierge fT'elcIie, 1773,
ta H*^. , «t avait cte imprimée aussi sons le ïilre
d'Orle an cier^é ,U France, 17-.3. C'ist sous <;<:
duroier titre qu^elle a été réintpriuiée eu X7H(), îiu
b". L'auteur est, non Voltairr , uiais A. P. comte
(t'Âubusson. A. li — T.
XXXVII.
RIC
56 1
septembre 1754. Sou père, Claude
Richard, jardinier du roi à Autouil ,
était instruit, non-seulement dans sa
profession, mais encore dans les ma-
thématiques; et il était chargé de
suppléer, en cas de maladie, le pro-
fesseur qui donnait aux pages des le-
çons de cette science. Claude Richard
avait seize enfants. Louis, qui était
l'aîné, fut placé au collège de Ver-
non, ou il se distingua par son apti-
tude et par son ardeur pour le tra-
vail. Dans ses heures de lécréatiou,
il apprit à dessiner et à lever des
plans , sans se douter que ce talent
serait un jour pour lui une grande
ressource. Le frère dcClaudeRichard
avait la direction du jardin royal de
Trianon , où se trouvaient alors réu-
nies les productions végétales les
plus rares et les plus belles des deux
hémisphères. Ce fut là que le jeune
Richard, qui allait souvent voir son
oncle , prit le goû: de la botanique :
il passait les journées entières à exa-
miner les plantes, à les décrire, et à
former un petit herbier. 11 n'avait
qu'onze ans , lorsque ce goût devint
une passion. A l'âge de treize ans, il
allait entrer en rhétorique : l'ar-
chevêque de Paris, qui avait re-
marqué SCS dispositions , promit
a Richard le père sa protection
particulière , s'il voulait faire en-
trer son ûls dans l'état ecclésiasti-
que. Cette proposition fut accueillie
avec empressement par la famille j
mais elle déplut beaucoup à notre
jeune naturaliste : son père ayant in-
sisté, et se montrant inflexible , le
jeune homme épuisa tous les moyens
de persuasion; et, désespérant de
réussir, il prit le parti de quitter la
maison paicrnclle , et d'aller seul
à Paris. Cette démarche , répréhen-
siblc sans doute , et qui ne pouvait
être excusée que par l'âge de l'cn-
36
5(52
RIC
fant', prouvait une passion si vio-
lente pour l'étude, que le père crut
qu'il serait iraprudeut de la contra-
rier, et qu'il fallait la laisser se cal-
mer d'elle-même par le temps et par
la réflexion. Il lui accorda une mo-
dique pension de douze francs par
mois j se flattant toujours que le be-
soin ramènerait son fils clicz lui :
mais rien au monde ne pouvait alté-
rer la palience du jeune Richard, et
lui faire changer une résolution de
laquelle dépendait le bonheur de sa
vie. Au milieu des privatious les plus
cruelles, il continua de s'instruire,
et suivit avec beaucoup d'assiduité
un cours de rhétorique et de jihilo-
sophie au collège Mazariu. II fallait
cependant trouver un moyen d'exis-
tence : heureusement, l'art du des-
sin le lui fournit. A force de démar-
ches , il rencontra des architectes
qui voulurent bien lui donner des
plans à copier. Comme il s'en ac-
quittait avec beaucoup d'intelligence,
on lui confia d'autres travaiix du
même genre , qui bientôt lui rappor-
tèrent au-delà de .ses besoins. Il put
alors se livrer avec plus de facilité à
ses études favorites. La botanique ,
l'anatomie comparée, la zuologie,
la minéralogie, intéressaient égale-
ment sa curiosité, et l'occupaient
pendant la plus grande partie de la
journée : la nuit était consacrée aux
travaux lucratifs, qui se présentaient
en grand nombre, et qui lui étaient
payés fort cher. Bientôt il ne se
contenta pas de copier des plans, il
en traça lui-même; et le beau jardin
dcStraas, a Auteuil, a été exécuté
d'après ses dessins. Toujours occupé
du dessein de voyager, qu'il avait
formé des l'enfance , il profita d'un
concours de circonstances favoja-
bles pour se procurer , par ses
économies, les moyens de le rc'ali-
RIC
scr. On assure que , lors de son
départ pour l'Amérique , il avait
ramassé une somme considérable.
Quoique Richard fût encore très-
jeune , il av^ait présenté à l'académie
des Sciences plusieurs Mémoires qui
avaient attiré l'attention de Bernard
de Jussieu. Ce grand botaniste l'ac-
cueillit avec bienveillance, et lui
permit de consulter sa bibliothèque
et ses riches collections. En 1781,
l'académie des Sciences le proposa au
Roi pour un voyage dans la Guiane
françaiseet aux Antilles. Louis XVI,
qui l'avait connu dès son enfance ,
approuva le choix de l'académie, et
promit, non-seulement de lui faire
rembourser tous les frais du voyage,
mais de le récompenser encore par
une pension et par une place analogue
à ses goûts. Richard, qui nourris-
sait depuis long-temps , comme on
l'a dit , le projet d'entreprendre un
voyage dans des pays éloignés, s'y
était préparé pendant quinze ans
par l'étude du dessin, et parcel-
le de toutes les parties de l'histoire
natux-elle : c'est un avantage qui
avait manqué à presque tous ses pré-
décesseurs. Il quitta la France le 6
mai i-ySi. Après un séjour de quel-
ques mois à Caïenne , où il débarqua
le 12 décembre, il parcourut une
grande partie de la Guiane française ,
la Martinique , la Guadeloupe, la Ja-
maïque, Saint-ïhonjas , et la plupart
des îles situées à l'entrée du golfe du
IVIcxique. Zoologiste, botaniste et
minéralogiste, il décrivit cl disséqua
les animaux, il analysa et dessina
les plantes , il étudia le gisement des
roches : tout fut examiné avec un
égal intérêt , et chaque jour ajoutait à
la richesse de ses colleelions. Sous
un ciel brûlant, dans le climat le
plus malsain, il comptait pour rien
les fatigues elles dangers. Il traversa
RTC
des plages immenses, il s'établit au
milieu des forêts, il gravit les mon-
tagnes, il entra dans les crevasses
encore fumantes des soufrières, et
souvent il faillit être victime de son
zèle. Tantôt il fut sur le point d'être
abandonné par ses guides, loin de
toute habitation ; tantôt il dut crain-
dre d'être dépouille' et peut-être mas-
sacré par eux. Dans ces circonstances
périlleuses, il trouva son s^luî dans
son courage et sa présence d'esprit:
il sut dominer les misérables qui l'en-
touraient, et leur imposer par son
intrépidité. Ou le vit aller à la chasse
du jaguar, et l'atlaquersans craindre
d'être dévoré par cet animal, qui se
précipite avec fureur sur celui qui
n'a fait que le blesser. Un séjour de
huit ans dans un pays où l'on n'ob-
tient qu'à force d'argent quelque se-
cours des imligènes, et les frais in-
dispensables pour la préparation et
le transport de ses collections, ayant
épuisé les fonds qu'il avait écono-
misés , il écrivit en France pour
s'en procurer de nouveaux ; mais
toutes ses demandes restèrent sans
réponse. Il fut forcé de revenir
dans sa patrie, où il arriva au mois
de mai 178g. I.a révolution avait
déjà commencé: la plupart (!es amis
et des protecteurs de Richard avaient
disparu, ou se trouvaient sans crédit.
Les promesses qu'on lui avait faites
avant son départ furent oubliées, et
l'on ne fit aucune attention aux im-
menses colîecfions qu'il ra[)portait.
Un herbier de trois mille plantes, la
plui);u-t nouvelles ; un grand nombre
de caisses romplics de quadrupèdes,
d'oiseaux, d'insectes et de coquilles;
une suite prc'cieuse de minéidux et
de roches, étaient le résultat de son
voyage : on n'avait jamais vu peut-
être tant de matériaux réunis par un
seul homme, et en si peu de temps.
RlC
563
Mais celui qui les avait recueillis avec
un dévoûment sigénéreuxétait laissé
sans récompense, et livré à des pri-
vations d'autant plus cruelles, que
les fatigues d'im long voyage avaient
altéré sa santé. Il avait toujours été
d'une constitution faible, et il souf-
frait beaucoup d'une hernie et d'ua
catarrhe chronique de la vessie, dont
il avait été attaqué pendant son sé-
jour en Amérique. Il sentit le besoin,
de goûter quelque repos et de s'en-
tourer de soins affectueux : il se
maria en 1790. Dès-lors il sembla
vc-uloir se séparer du monde pour ne
plus vivre que dans le sein de sa fa-
mille. L'indifférence de ses compa-
triotes, et ses infirmités, avaient in-
flué d'une manière fâcheuse sur son
caractère ; le commerce qu'il entrete-
nait avec les savants , se ressentit de
cette disposition de son arae. Il passa
plusieurs années dans un isolement
complet ; et nous ne possédons de lui
aucun travail botanique, de quelque
importance , qui date de celte épo-
que. Il s'occupa beaucoup alors de
zoologie. Sa collection do coquil-
les était une des plus riches et des
mieux nommées , et il prétendait
que sa méthode de classification avait
influé sur les idées de quelques auteurs
justement célèbres dans cette bran-
che de l'histoire naturelle. Il paraît
que ce fut dans !e nicine temps qu'il
commença l'admirable collection de
des-sins analytiques , qu'il n'a pas
cessé d'augmenter jusqu'à la fin de
sa vie. Les nombreux témoignages
d'estime qu'il reçut des savants les
plus distingués de l'Europe, la jus-
tice (ju'on rendit à ses talents , et
surtout un âge plus avancé, ayant
rendu à son ame le calme dont
il avait été jirivc pendant plusieurs
années , il n'eut pas de peine à se
rapprocher de ceux qui avaient re-
36..
564
RITG
gtetle son éloignement , et qui n'a-
vaient cesse (le reconnaître sun rae'-
rite. Il fiit choisi pour remplir la
cliaiie de botanique à l'école de mé-
decine : quelques anne'es a[)rès , il
fut élu membre de la preniièie classe
de l'Institut dans la section de zoolo-
gie et d'anatomie comparée. La so-
ciété' royale de Londres l'admit au
nombre de ses correspondants, et il
fut nommé membre de la Légion-
d'honneur. La place de professeur à
l'école de médecine , l'obligeant à
faire , tous les ans , un cours pu-
blic de botanique, il remplit cette
tâche avec le plus grand succès. 11
ne se contentait pas d'exposer les
éléments de la science , et les carac-
tère des genres ; il donnait encore
des leçons d'analyse. Les plantes à
la main , il exposait , dans les termes
les plus simples , la structure , les
rapports et les divers» s modifica-
tions des organes. On sentit tellement
l'utilité de ces démonstrations, que
des botanistes déjà très -instruits ne
craignirent pas de venir se placer
parmi les élèves pour écouter l'illus-
tre professeur. Tous les dimanches,
Richard faisait une herborisation
dans la campagne. Alors il était en-
touré de deux ou trois cents élèves
qui se pressaient autour de lui : sitôt
qu'il croyaitpouvoir leurfairedécou-
vrir une plante intéressante , il s'en-
fonçait le premier dans les marais ,
franchissait les haies elles fossés,
se frayait un chemin à travers les
broussailles,; il oubliait ses infirmi-
tés : on eût dit qu'il avait retrouvé
toute la vigueur de sa jeunesse. Ce ne
fut que dans les dernières années de
sa vie , et pendant une longue con-
valescence, tpi'il confia le soin de ses
élèves à son (ils. Richard aimait la
science pour elle-même ; son unique
but était de mieux connaître l'orga-
RIC
nisation des plantes , de déterminer
leurs affinités, de découvrir quelque
nouvelle loi d'anatomie ou de phy-
siologie végétale. Malgré la gêne qu'il
éprouvait quelquefois à cause de sa
nombreuse famille , il rejeta tou-
jours les propositions qui lui fu-
rent faites de s'associer à des en-
treprises lucratives : il ne voulait
s'occuper que de ses analyses. Il ne
put cependant conserver toujours
le calme nécessaire pour ses médita-
tions. Blessé de quelques attaques
dirigées contre ses écrits , il voulut
répondre, et il le fit avec une animo-
sitéqui lui attira des répliques désa-
gréables. Ces discussions , fâcheuses
pour son repos , ont eu néanmoins
un résultat utile : elles ont éclair-
ci des questions importantes , et
ont donné lieu à la publication
de plusieurs Mémoires excellents.
En 1818 , les douleurs que Ri-
chard avait jusqu'alors supportées
avec courage et résignation , devin-
rent beaucoup plus violentes , et il
fut obligé de renoncer à tout travail
suivi. Pendant les deux ans que dura
cet état de souffrance , il profila de
tous les intervalles de calme pour
continuer ses observations. Quelques
jours avant sa mort, il recommandait
à son fils d'arroser de petites plantes
dont il voulait faire l'analyse. Ce fut
le 7 juin 1821 , qu'il fut enlevé aux
sciences , à l'âge de soixante - sept
ans. Quoique Richard n'ait publié
qu'un })ctit nombre d'ouvra;^es , il
est certainement l'un des hommes
de son siècle q:ii ont le plus contri-
bué aux progrès de la botanique :
l'influence qu'il a exercée se fera sen-
tir , surtout par les travaux de ceux
qui se sont pénétrés de ses principes
et qui marchent sur ses traces. Per-
sonne n'a poussé plus loin l'art d'ob-
server *la nature jusque dans les
RIC
moindres détails : la difficulté' que pré-
sentait un ohjet était pour luiunerai-
sondes'en occuper ;rori:;anisalion la
pins compliquée était celle qui i'inté-
rcssait le plus : il passait des mois en-
tiers à suivre une observation , lors-
qu'elle lui paraissait devoir répandre
de la lumière sur un point encore
obscur. Il possédait au plus haut
degré l'art du dessin. Toutes ses
figures offrent les détails les plus mi-
nutieux , avec une netteté et une
exactitude admirables : il savait que
c'est seulement par de telles ana-
lyses qu'on parvient à faire d'heu-
reux rapprochements. Ses écrits sont
d'un style négligé : mais il n'en est
aucun qui ne contienne des ob-
servations neuves et profondes ;
et le peu d'ouvrages qu'il a laissés ,
suffisent pour illustrer son nom. Sou
analyse du fruit est un travail abso-
lument neuf , et qui ne laisse lien à
désirer. Il a examiné et fait connaî-
tre à fond les familles les plus dif-
ficiles , telles que les graminées , les
orchidées , les hydrocharidées , les
conifères , etc. ; et c'est lui qui a ins-
piré à la génération actuelle le goût
de celle analyse rigoureuse , et de
cet examen aprofondi , qui caracté-
rise essentiellement l'école française.
Richard a laissé un nombre prodi-
gieux de matériaux inédits. Comme
«il cherchait les lois générales, il avait
étudié avec le même soin les plus
petites cryptogames et les plantes les
plus composées; et plusieurs des prin-
cipales découvertes faites depuis cin-
quante ans , se trouvent dans ses
manuscrits. C'est ainsi qu'il avait re-
connu , avant, Hcdwig , la véritable
structure des mousses, sans pourtant
attribuer les mêmes fonctions.! leurs
organes. Quoique l'Justitul , voulant
s'attacher Richard, l'eût nommé à
uue place vacante dans la section de
RÏG
56{
zoologie , on ne pensait pas qu'un
homme qui avait fait en botanique
des travaux si ifuportanls , eût eu le
loisir de s'instruire à fond dans les
autres parties de l'histoire naturelle.
On ignorait assez généralement , que
jiendant son séjour en Amérique , il
avait réuni un grand nombre de ma-
tériaux précieux pour la zoologie ,
l'anatomie comparée et la géologie.
C'est seulement en examinant ses
manuscrits, ses dessins, et les prépa-
rations conservées dans son cabinet,
qu'on a pu se faite une idée de l'é-
tendue et de la variété de ses cou-
naissances : on a reconnu alors que
son siècle a produit peu d'hommes
qui puissent lui être comparés. Nous
possédons de Richard : I. Diction-
naire élémentaire de botanique, par
Bulliard , revu cl presque entière-
ment refondu, Amsterdam, 1800.
Outre plusieurs articles intéressants,
comme bdle , bulbe , préfloraison ,
arille , etc. , olijels dont Richard a
fait le premier connaître la véritable
nature ou l'importance pour les rap-
ports naturels , cet ouvrage est re-
marquable à cause de douze tableaux
présentant toutes les modifications
des divers organes d'une piante; c'est
le Catalogue le plus complet et le
pins philosophique des termes tech-
niques. II. Commentatio de Conval-
larid Japonicd. L. , novum genus
constituente : prœniissis nonnullis
circà plantas liliaceas obseivatio-
nihus ( Nouv. Journ, de bot, , par
Schrader , tome if , p. i , 1807 ).
III. Mémoire sur les Hydrochari-
dées ( INlém. de Tlnstilut , 181 1 ,
p. I ). IV, Démanstralions botani-
ques ou Analyse du fruit considéré
en frénérnl, j)ar Richard, publiées
parDuval , in-8". , i3o8 ; cet ouvra-
ge , à cause de sa grande concision,
•le la difficulté de l'objet qu'il iraitc ,
566
RIC
et de la masse d'observations qui s'y
trouvent accumule'es, exige plusieurs
lectures , même de la part de ceux
qui sont verses dans la science des
vc'ge'taux : mais on est dédommage'
de cette peine par les idées exactes ,
les définitions précises , et la mar-
che philosophique que l'auteur a in-
troduites, pour la première fois, dans
tme des parties les plus difficiles de
la botanique , la connaissance du
fruit; et l'ouvrage de Gacitncr se-
rait bien plus parfait , si son auteur
ne l'avait publié qu'après avoir eu
connaissance de celui de Richard.
Il y a deux traductions de l'Analyse
du fruit , l'une en allemand , par M.
Voigt , avec les Notes de Richard
(Leipzig, 1 8 1 1 ), et l'autre en anglais,
par M. John Lindiey (Londres, 1819),
Nous allons exposer les idées de l'au-
teur. Tout fruit est composé de deux
parties : du péricarpe , qui en déter-
mine extérieurement la forme, et de
la graine , qui s'y trouve renfermée.
Ce qui est en-dehors de la graine ap-
partient au péricarpe , et le hile est
leur seul point de contact. Le péri-
carpe est formé par un parenchyme
( sarcocarpe ) , revêtu exlérieux'e-
ment d'un épiderme ( épicarpe ) , et
tapissé eu dedans par unemembrrine
{endocarpe ). Quelquefois (dans les
fruits à noyau ) la partie interne du
sarcocarpe acquiert une consistance
osseuse ou ligneuse. La connaissance
de l'ovaire doit précéder celle du
fruit. Sa cavité est t.intôt unilocu-
laire, tantôt divisée par des cloisons
cndciixou plusieurs loges. Les rrflie5
cloisons sont une continuation de
l'endocarpe ; dits altcincnl tou-
jours avec les stigmates ou avec leurs
lobes, et se distinguent, ])ar ces carac-
tères, des fausses cloisons. Jji;s grai-
nes sont fixées sur des placentas {tro-
phospermes ) par des cordons ombi-
RIC
licaux {podospermes ). Quelquefois
le sommet du podosperme prend,
après la fécondation , une expansion
( avilie ) plus ou moins grande. La
hase du péricarpe est indiquée par
son point d'attache ; son sommet, par
la trace du style ou du stigmate : ce
dernier caractère distingue le péri-
carpe d'autres enveloppes, auxquelles
on a donné improprement ce nom.
Le péricarpe peut rester clos ( indé-
hiscent ), ou se rompre et s'ouvrir de
différentes manières , parmi lesquelles
la déldscence 'valvaire ( en deux ou
plusieurs valves ) est la plus com-
mune. Elle se fait tantôt au mi-
lieu des loges [d. loculicide) , tantôt
vis-à-vis des cloisons ( d. septicide )•
tantôt elle rompt les cloisons , qui
alors ne tiennent plus aux valves
( d. septifra^e). A cette occasion ,
Richard indique les moyens d'é-
viter les erreurs dans lesquelles peut
induire une fausse déhiscence. 11 est
nécessaire de savoir distinguer un
fruit composé d'avec un finit sim-
ple ; ce dernier doit être le produit
d'une seule fleur. Un seul style , une
seuleloge,ou la prcscncedes véritables
cloisons, établissent l'unité du fruit.
Comme l'ovule est toujours revêtu
d'un tégument, le péricarpe ne peut
jamais manquer : par conséquent
il n'existe pas de graines nues ; celles
que l'on a prises jjour telles, ont 1*
péricarpe tiès-mince, ou soudé avec
le tégument ])ropre de la graine. La
graine est cette partie du fruit qui ,
sous une enveloppe unique ( é/ îs-
pernie ) renferme un coY\\s[anxande)y
dont tonte la masse ou une jiartie seu-
lement est le rudiment d'une nouvelle
plante. La cicatiice ( Jnlc) par la-
quelle la graine était attachée au pc-
licarpe, désigne sa hase; non som-
met , lorsqu'il n'est pas indiqué par
la direction des vaisseaux ou leur
RIC
réunion ( chalaze), se trouve en ti-
rant une ligne du centre de la base
par le point central de la masse to-
tale. Une graine peut être fixée au
fond ( dressée ) ou au haut ( renver-
sée ) de la loge , ou bien se trouver
attachée latéralement par son som-
met ( suspendue ) , par sa base ( as-
cendante ) , ou par son milieu ( péii-
trope ).Laconnaissancederadnesion
et de la direction de la graine est es-
sentielle pour établir des rapports
naturels. L'épisperme est toujours
simple , mais quelquefois séparablc
en deux lames. Tantôt l'amande cons-
titue seule l'embryon ( enibiyons
épispermiques ) ; tantôt elle est com-
posée de deux corps ( Yembrjo?i et
l'endosperme ) dissemblables, con-
tigus ( embrjons extraires), ou en-
veloppés ( embryons inlraires ) l'ini
par l'anitre , sans continuité paren-
chymale ( embrjons •endospermi-
fjues ). La pluralité (les embryons est
une monstruosité. Clia(|ue embryon
présente une extrémité radiculaire
et une extrémité cotylédonaire. Il
est nécessaire de considérer, outre
la direction propre de l'embryon , sa
direction relative au péricarpe ( di-
rection péricarpique)ou bien à la grai-
ne {d. spermicpie ). L'embryon peut
suivre la direction de la graine ( ho-
motrope , et orihotrope , s'il est eu
mémo temps droit) , ouunedirection
contraire ( antilrope ) , ou bien ni
l'une ni l'autre ( hétérolrope ). 11 est
appelle amphitrope , quand ses deux
cxtréuiités se i-approclicnt du liiie.
Les parties essentielles d'un embryon
sont : I". la radicule ( toujours in-
divise ) ; u'*. le cotjlédoîi ( unique
ctcomplclcmeiit clos , ou au nombre
de deux ou plusieurs, opposés on ver-
ticillés ) ; 3". la libelle ( ou prolon-
gement de la radicule aboutissant à
la base des cotylédons ) ; et 4"' '*
RIC 567
gemmule ( ou plumule ). L'absence
ou la présence de l'embryon distin-
gue les inembrjonées { cryptogames,
acolylédonées)desemt7jonee5( pha-
nérogames ). Ces dernières sont pour-
vues d'organes sexuels , et se repro-
duisent par un embryon. Elles se di-
visent en endorhizes et eu exorhizes.
Dans les endorhizes , l'extrémité ra-
diculaire renferme un ou plusieurs
tubercules radicellaires , qui en sor-
tent parla germination pour former
ia racine de la plante : dans les cxo-
rhi/.es cette extrémité devient elle
même la racine. L'embryon des en-
doihizes est ordinairement entouré
d'un endosperme ( endosperrnique
et intraire); rarement il en est dé-
pourvu. Dans l'un ou l'autre cas
( Ihippia,Ifydrocharis , Nj mphœa^
graminées , etc. ) , la radicule prend
quelquefois nn volume extraordi-
naire ( embrjons macropodes ). Ce
renflement est appelé vitellus ou
scutellum par Gœrtner. Richard
démontre que la structure des cm-
biyons macropodes ne diffèi'C pas
essentiellementde celle des autres en-
dorhizes , et il cite des exemples ana-
logues mêmeparmiles exorhizes. Les
embryons exorhizes présentent ordi-
nairement l'urne des deux extrémités
fendue en deux ou plusieurs cotylé-
dons , rarement {Cjclamen, CusCu-
ta , Lecjthis ) l'embryon constitue
un corps à surface parfaitement ho-
mogène , dont un bout s'alonge on
grossit en racine, l'autre se compor-
tant comme une gemmule {exorhizes
aculjledons). On rencontre encore
quehjuefois les deux cotylédons sou-
dés en un seul {embrjons macro-
cephales ). Quand ( dans le Bhizo-
phora^ etc.) l'erabiyon germe ou
commence à geimer dans le péri-
carpe encore attaché à la plante , il
porte le nom de blastocarpe. Ri-
)(i8
!IIG
chard promet tic prouver que les co-
nifères et les cycadëes sont celles des
exorhizos qui ont !e plus d'afïinlte's
avec les enrlorhizcs. V. Analyse bo-
tanique des embrj'ons endorhizes
ou rnonocotjledonés , et particuliè-
rement de celui des graminées.
( Ann. (lu Mus. , tome xvii , p. 11^
et 44^1 181 1. ) La première partie
de ce Mémoire^ un des plus impor-
tants pour la carpologie, contient
des descriptions d'un grand nombre
d'embryons monocotyleVlons, ac-
compagnées de figures d'une préci-
sion admirable. Dans la seconde
partie, pour traiter convenablement
le principal sujet, l'organisation des
embryons des graminées, Richard
est obligé de de'velopper plusieurs
idées énoncées seulement dans son
Analyse du fruit. Nous avons vu que
la structure de l'embryon, son dé-
veloppement par la germination^ ou
son absence lolale, ont fourni à Ri-
chard ia base* do ses deux grandes
divisions, les emhrjonée?. pourvues
de sexe et de graines, et les inem-
brjonées, privées d'organes sexuels,
et se multipliant par des sporules ,
corp*; reproducteurs, d'une nature
particulière. Une sporule ne contient
aucune trace d'embryon ; elle n'a
point besoin de fécondation • son dé-
veloppement est une simple expan-
sion c\p sa masse : composée d'un
tissu cellulaire, et revêtue d\m cpi-
derme, elle ne constitue, avant sa
formation , qu'uric partie intégrante
de son réceptacle. Au lieu de deux,
Richard distingue iriaintenant trois
modifications principales parmi les
embryon ces : les endorhizes, les
exorhizes et les synrhizes. Ces der-
niers tiennent en quelque sorte le
milieu entre les deux piérédents : le
sommet de lein- radicule est attaché
à une substance endospcrmiquc ,
RIC
qu'il déchire en émettant , par la
germination , un tubercule interne
qui devient la racine de la jjlante. La
gemmule est située entre les ba-
ses de deux ou de plusieurs coivlé-
dons. Le défaut ou le mode de dé-
placement de l'épispcrme, pendant
la germination des endorhizes, font
distinguer à Richard trois modes de
germination. Tantôt l'épispcrme ren-
fermant le cotylédon reste fi.\c laté-
ralement près de la graine de celui-ci ,
ou près de son prolongement vagini-
fère ( germ. admotive ); tantôt l'épi-
spcrme est éloigné de cette même
partie par l'éloignement du cotylé-
don, dont il enveloppe le sommet
{g. remotive). Les embryons ma-
cropodes présentent un troisième
mode {g. immotivé )j les téguments
séminaux restent fixés au bas de
la jeune plante par l'extrémité im-
mobile de leur radicule. Dans la
germination admotive, l'épispcrme,
avec les parties qu'il renferme, reste
le plus souvent sous terre ( g. subter-
ranée ', rarement il pousse au de-
hors {g. exterranée). La germina-
tion remotive admet quatre modes
( g. Joliaire, flaire , aciculaire et
clai'iculaire ) , selon le développe-
ment ou la forme de la partie du
cotylédon qui surmonte la gaine. La
germination immotivé se divise en
germination basilaire et g. laté-
rale : la dernière est particulière aux
graminées. Dans une digression sur
les parties accessoires du fruit des
graminées, Richard établit, pour ses
diverses parties , une terminologie
nouvelle. II rejette les noms de calice
et corolle , appliqués improprement
aux écailles florales des graminées,
qu'il compare aux spathclles de plu-
sieurs autres endorhizes. Il apjicllc
ghnne celles qui entourent imuicdia-
tcnîcnt les organes sexuels; et épi-
RIC
cène, celles qui sont extérieures à la
glurae. Le nectaire de Sclircber
(qu'il comjjarc aux soi^s du Duli-
chiiini, AUX palcolcs du Fuirena , à
la cupule du Scleria , et à l'utricule
du Carex) reçoit le nom de glumelle.
Le fruit des c;rarainées est, le plus
soiu^eut, renferme dans la glurae.
Le pe'iicarpe, ordinairement mince
et membraneux, fait , piesque tou-
jours, tellement corps avec l'épi-
sperme , qu'ils semblent ne former
qu'un seul te'gument ( carj opse)'
mais à chaque fruit il faut distinguer
uneface interne et une externe; l'are'o-
le embryonale se trouve à la base de
celle-ci : à l'autre face , souvent mu-
nie d'un sillon, on remarque le hile
{nommé spile par Richard) au tra-
vers du péricarpe, en forme de tache
ou de ligne brune. L'embryon ap-
plique' ialcralemcnt et obliquement à
un endospcrme farinace , consti-
tuant la majeure partie de l'amande ,
se compose de deux parties: de
Vhjpnhlaste , corps plus ou moins
aplati, d'une substance charnue et
d'une forme variable; et du blaste ,
petit cylindre couche' longilnilinale-
ment sur le milieu de ce corps, et
fixe par sa partie moyeiuic, de soi te
que les deux extrèmite's restent li-
bres. Quelquefois on observe, vers le
milieu du biastc , un prlit appendice
en forme d'onglet, qui porte, cbez-
Richard, le nom (Vépihlaste. M. de
Jussieu et d'autres botanistes regar-
dent l'hypoblaste comme le véritable
cotylédon. Gaertiicr le cunsidcre
comme un corps d'une nature inter-
médiaire entre le cotylédon et l'en-
dosperrae, et le nomme vilellus.
D'après Richard , au contraire , Thy-
poblaste est mie véritable radicule
(ou un renflement j^arîiculicr de
celle ci ) , dépourvue de la faculté
de développer une radicelle, et dont
lUG 569
l'cpiblaste n'est qu'un prolongement.
La partie supérieure du blaste (la
gemmulede certainsbotauistcsjest le
cotylédon; et l'inférieure ( la radi-
cule de ces mêmes botanistes) est
une bosse radiculaire ( radiculode )
de la tigrllo . analogue aux tubercules
radiccllaircs, que b germination dé-
veloppe sur celle de plusieurs em-s
bryons. Pour appuyer cette théorie,
Richard rappelle reinbryon du Za-
nichellia^ renflé à sa base, et celui
du Peckea et du Clusia , formé pres-
que entièrement par la radicule. L'ob-
servation de M. Poiteau , que les en-
dorhizes n'ont point de racine pivo-
tante, lui fournit un autre argument.
Comme, suivant son explication, le
riz aurait le cotylédon renfermé dans
la radicule , il fallait trouver ailleurs
des exemples d'une même organisa-
tion : le Peckea hiitjrosa lui en offre
un tout-à-fail semblable , et l'Ify-
drochûris préscnie au moins quelque
analogie. L'hvpoblaste ne supporte
aucune lésion, non ])lus que la radi-
cule dans les autres plantes : en le dé-
truisant, on empêche l'embryon de
geriucr; ce que l'on n'a pourtant pas
àcraindredans les graminées, quand
on coupe seulement la jadiculode.
Richard lire de !a germination une
dernière grande preuve de sa théo-
rie. Lors<]ue le fruit des graminées
se trouve dans des circonstances fa-
vorables pour germer, la radiculode
perce dehois, en rompant ses enve-
loppes, et s'ouvre vers son sommet
pour laisser sortir une ou rarement
plusieurs^radicelks .qu'elle engaîne à
sa base , sans s'accroître davantage.
En même temps, les bosses latérales
qui existent sur la tigelle , dévelop-
j)ent leurs radicelles; le cotylédon
s'alonge dans un sens opposé et
forme un tube, d'où sort une pre-
mière feuille Ijhjpohlaaie ne prend
5^0
RIC
foint d'accroissement sensible : après
avoir rempli ses fonctions niitriti-
Tes, il se flétrit j l'endosperrac, qui
s'était amolli et changé en pulpe
amylacée, se dessèche et est entraîné
dans la destruction des autres tégu-
ments séminaux. Richard finit son
Mémoire en alléguant de nouvelles
observations , qui prouvent que le
Neluinho et le Njmphœa d oivent être
rangés parmi les endorhizes. VI.
£xamen citiique de quelques Mé-
moires anatomico - phj iiologico -
lotaniques de M. Mirhel ( Journ.
de Phys. ) Vil. Proposilion d'une
nouvelle famille déplantes, les Bu-
tomées ( Mém. du Mus., tom. i,
p. 364). y\^\.^nnotaticnes de Or-
chideis Europeis (ibid., tome iv,
p. 23 . IX, Mémoire sur la nou-
velle famille des C ah cérée s ( ibid.,
tome VI , p. -iB^ X. Mémoire sur la
nouvelle famille des Balanophorées
terminé et publié par Achille Ri-
chard ( ibid. tome viii, png. 4o4 ).
XI. Mémoires sur les familles des
Conifères et des Cjcadées , ouvrage
manuscrit, accompagné d'un grand
nombre de figures d'analyse , les plus
parfaites que nous possédions. XII.
Rich.ird est le rédacleuranouymedu
Flora Borealis - Americana de Mi-
chaux , en deux volumes, i8"3. ( F.
ce nom.) XIII. Il a publié plusicuis
Mémoires, conjointement avec M. de
Jussieu, sur des familles nouvelles :
les Loranthées, les G esnériées ^ les
Lohéliacées (Ann. du Muséum), etc.
^W .Catalogue desplantesde Caïen-
ne envoyées par Lehlond, dans lequel
Eicharda mentionné un grand nombre
d'espèces nouvelles ( Act. de la Soc.
d'I/ist.nat. de Paris). XV. Mé-
moire sur le LygeumSpartum (ib.).
X\I. Extrait d'une Instruction
pour les l'oyageurs nuluralisles
( ibid. ). Richard y examine, entre
RIC
autres, quels sont, dans les animaux,
les différents organes qui fournissent
les meilleurs caractères , et qu'il
importe le plus au naturaliste-vova-
geur de bien étudier. K — h.
RICHARD DE BARBESIEU,
troubadour , était né dans le châ-
teau de ce nom , en Saintonge. Sui-
vant Jean de Nostredame ( Vies
des plus célèbres poètes provençaux,
ch. 73 ) , le seigneur de Barbesieu
savait bien parler, était prudemment
exercé ès-saintes lettres , ainsi qu'à
la poésie, et fut excellent mathéma-
ticien. Amoureux dans sa jeunesse
d'une noble demoiselle qui , par ja-
lousie , se fit religieuse au monastère
de la Celle près de Brignoles , l'in-
constant troubadour porta son hom-
mage à une nouvelle maîtresse, etc.
L'ancien biographe qu'a suivi l'ab-
bé Millot [Hist. des troubadours ,
ni , 80 ) , dit que Richard était un
pauvre vavasseur , mais bon che-
valier d'armes. Avec une figure agréa-
ble et des talents distingués, il por-
tait un air de gêne et d'embarras
dans les nobles compagnies où il
paraissait morne et silencieux. Ce-
pendant il s'éprit de la femme de
Geofîroi de Tonai, riche baron du
pays; et il osa, malgré sa timidité,
faire l'aveu de sa passion. La dame
de Tonai reçut sa déclaration en
femme que flattait l'amour d'un poè-
te ; et dès-lors Richard la célébra
dans ses vers , sous le nom de Mielhs
de Donipna ( la meilleure des fem-
mes ). On voit par les chansons
qui nous restent de ce troubadour,
que sa dame le traitait avec bonté,
sans néanmoins lui accorder aucune
faveur. Les refus de sa maîtresse
finirent par le lasser. Une dame que
Millot ne nomme pas, lui pro|)Osa
de le consoler des ligueurs de sa
belle j mais elle exigea qu'auparavant
RIC
il prît congé de la dame de ïonai.
Richard obe'it j et maigre les instan-
ces de celte dernière pour le re-
tenir : « Mon parti est pris , lui dit-il
durement , je vous quitte. » Aussi-
tôt il courut rendre compte à sa nou-
velle maîtresse de l'exécution de ses
ordres j mais elle lui dit : « Puisque
vous avez quitte' une dame si belle,
si gaie, si honnête à votre égard ,
vous quitteriez toute autre ; retirez-
vous. » Le malheureux Richard,
consterne , retourna crier merci à la
dame de Tonai , qui refusa de l'en-
tandre. Alors le dépit lui dicta con-
tre les femmes une satire trcs-^ivej
mais l'amour le ramena bientôt à
d'autres sentiments. Retiré dans une
solitude où il se bâtit une cabane , il
jura de ne plus paraître dans le mon-
de, avant que la dame de Tonai lui
eût accordé son pardon. Les cheva-
liers et leurs dames , touches de sa
peine , se réunirent pour demander
sa grâce, et l'obtinrent enfin :mais la
dame de Tonai mourut peu de temps
après ; et Richaid , ne pouvant plus
habiter des lieux (jui lui rappelaient
sans cesse la perte d'uu objet adoré ,
suivit quelques-uns de ses amis en
Espagne, où il mourut bientôt, con-
sumé de regrets. Nostredame ]jlace
la mort de Richaid, vers l'an i383;
mais M. Raynouard le regarde com-
me beaucoup plus ancien , puis-
qu'il a inséré quelques-unes de ses
chansons dans le Recueil des poésies
amoureuses de soixante troubadours
qui ont fleuri depuis 1090 jusque
vers iy.60. Nostredame dit que Pé-
trarque s'est aidé des OEuvres de Ri-
chard , et lui attribue un Traité in-
titulé : Lous ^uyzardoiis (guerdon)
d'amour. Nos anciens bibliothécai-
res Lacroix-du-JMainc et Duverdicr
ont copié Wostredame. Selon Millot,
il nous reste de Richard quatorze
RIC 571
Chansons toutes relatives à l'objet
de sa tendrese. M. Raynouard en a
publié trois dans le Choix des poé-
sies originales des troubadours ,
453-58 ; elles sont pleines de grâces
et de sentiment. Dans la seconde ,
Richard cite Oi'ide ; ce qui peut faire
conjecturer qu'il avait une certaine
instruction assez peu commune dans
le temps où il a vécu. W — s,
RICHARD DE CIRENCESTER ,
historien anglais , ainsi nommé du
bourg où il naquit , entra, en i359 ,
dans le monastère des Bénédictins de
Saint-Pierre, à Westminster , et con-
sacra ses loisirs à l'élude de l'his-
toire et des antiquités britanniques.
Le savoir qu'il acquit , en ce genre ,
lui valut le surnom de V Historiogra-
phe. Il obtint, en iSgi , la per-
mission d'aller à Rome, pour ajou-
ter à ses connaissances. Quelques an-
nées après son retour, il mourut dans
son couvent, vers i4oi. L'ouvrage
surlequelrepose sa réputation, a pour
sujet l'état ancien de la Grande-Bre-
tagne , De situ Brilajxniœ. Cet Opus-
cule , après avoir été long- temps ou-
blié , fut tiré de la poussièie par Ch.
Jul. Bertram , professeur de lan-
gue anglaise à l'académie de marine de
(Copenhague, qui fit passer une co-
pie , tant du texte que de la carte ,
au docteur Stuckeley, en Angleterre:
celui-ci en publia , eu 1757 , une
analyse avec l'itinéraire, d'abord en
un mince volume in - l\°. , ensuite
dans le second volume de son Itine-
rariuni curiosum. La même année ,
Bertram publia l'ouvrage même de
Richard , à Copenhague, en un petit
in-octavo, où se trouve aussi ce qui
nous reste de Gildas et de Nennius :
Britaimicarum gentium historiœ an-
tiquœ scriptores très , Eicardus Co-
rinensis , Gildas Badonicus ,Nen-
nius Banchorensis , etc. Ce livre
572 RÎG
était devenu extrêmement rare. On
en a donne', en 1809, ""'^ nouvelle
édition, oîi le texte (st accompagné
d'une traduction anglaise, avec une
Notice sur l'auteur, et sa justifica-
tion contre le reproche qu'on lui
a fait d'inexaclimde et d'ignorance,
comme historien. Cette réimpression
est intitulée : Description de la Bre-
tagne , etc. , avec caries , in 8"^. On
cile aussi de Richard de Cirences-
ter : I, Historia ah Ilengistd ad
ann. i348 . 2 parties . qui se conser-
vent à la bibliothèque de Ciinliridge,
et à celle de la société royale de Lon-
dres.Quelques écrivains ont traité sé-
vèrement cette histoire ; Whitaker
prétend qu'elle n'annonce ])as jilus de
jugement que d'instruction : mais
Gibbon lui est plus favorable ; sui-
vant ce critique, Richard a montré
« une solide connaissance des anîi-
» quités , fort rare dans un moine
» du quatorzième siècle. » II. Trac-
tatus super sjmholum majiis et
minus. III. Liber de officiis eccle-
siasticis ; ces deux manuscrits sont
déposés dans la bibliothèque de Pe-
lerborough. L.
RICHARD DE ISOVES, trouba-
dour provençal mort vers 1-270 ,
est ainsi nommé par Nostredame ,
qui paraît l'avoir confondu avec Pier-
re Bremont Ricas - ISovas; c'est du
moins l'opinion de Crescimbeni. II
était, selon l'historien provençal,
de la noble famille de Noves , qui fut
celle de la belle La ure ( Fo;^. No-
tes ) , ou, scion d'autres , de la fa-
mille de Baibantane. Richard fut
long-temps attaché au dernier Ray-
niond Rc'rengcr, comte de Provence,
(pii r.iv.iit Ç^'xi clavaire ne sou ])al;iis;
emploi honorable , qui consistait à
garder les clefs. A la mort de son
protecteur, il (il son Éloge funèbre,
et gagna beaucoup d'argent , en al-
RIG
lant de château en château réciter
cet Éloge, dans lequel la maison
d'i^njou n'était pas ménagée. On fit
entendre à Richard qu'il y avait plus
que de Liraprudence à décrier ainsi
les nouveaux souverains de la Pro-
vence; cl il fut asez sage pour se tai-
re : itiais on ajoute qu'ayant écrit
contre les usurpations des gens d'é-
glise, les officiers du pape le jetèrent
dans un puits très -profond du châ-
teau de Noves , où l'on précipitait
les ecclésiastiques surpris en adultè-
re. Ces détails , étant empruntés de
Nostredame , ne méritent pas autant
de confiance que ceux que nous four-
nissent les ouvrages mêmes des trou-
badours. Malheureusement, parmi
les dix-huit pièces de Richard qui
nous ont été conservées, on ne trouve
aucun fait relatif à sa vie, sur la-
quelle, d'ailleurs , les auteurs des No-
tices manuscrites ont gardé le silen-
ce. Parmi ces pièces, la ])'us curieu-
se est une imitation de celle de Sor-
dcl , son contemporain : c'est un sir-
vente , dans lequel il distribue le corps
de B'acas à divers priijces ; ce qui
amène des allusions satiriques. Ce
troultadour fut auf.si en querelle avec
ce même Sordel , ainsi qu'on le voit
par d'autres sirvenles. P — x.
RICHARD DE SAINT-VICTOR,
théologien , né dans l'Ecosse au dou-
zième siècle, vint foil jeune en Fran-
ce, et fit ses études sous le célèbre
Hugues, à l^'lbbaye de Saint-Victor
de Paris, où il embrassa la vie régu-
lière. Après avoir remj)Ii diflerents
emplois dans ce monastère, il en de-
vint piieur , en i iGi, et s'acquitta
très- bien de fonctions que rendait
difficiles le caractère impeiieux d'Er-
visius, alors abbé. Ses talents et sa
piété lui méiilèicnt l'estime de ses
confrères, et même des religieux des
autres ordres, qui lui demandaient
RIC
des conseils ou des copies de ses ou-
vrages , comme on le voit par les
lettres adressées à Richard , qi/a pu-
bliées Duchesne , dans le tome iv
des Scriptor. rerumGallicar.W mou-
rut en 1 173 , suivant les continua-
teurs de l'Hisî. littéraire de France
( F. D. Rivet ), le 10 mars, jour
auquel se trouve indiqué son anniver-
saire dans le nccrologe de l'abbaye.
Les OEuvres de Richard ont été |)U-
bliées , pour la première fois , à Ve-
nise , en 1 5o6 , in-8^. ; cette édition
est très -incohi])lète. On en connaît
six autres, parmi lesquelles on se
contentera de citer celle de Paris ,
Jean Petit, i5i8, in - fol. , dont
on conserve un bel exemplaire sur
vélin à la bibliothèque du Roi. La
seule dont on se serve aujoi.rd'hui ,
quoique peu correcte et dépourvue
de tout éclaircissement , est celle de
Rouen, Berthelin, i65o , in-fol.;elle
a été publiée parle frère Jean de Tou-
louse , qui l'a fait précéder d'une Vie
de l'auteur ; cette édition contient
trente -deux opuscules, qu'on peut
diviser en quatre classes : les Com-
mentaires sur diverses parties de la
Bible ; les Traités de morale mysti-
que; les Traités dogmatiques , et les
Sermons et Extraits : mais l'éditeur
n'a suivi aucun ordre dans le classe-
ment des pièces. La plupart des opus-
cules de Richard avaient été impri-
més séparément à la fin du quinzième
ou dans le seizième siècle : il existe
un exemplaire sur vélin , à la bihlio-
thèque dn Roi, de son Traité : Super
divind ynra/frtfe, Paris, H. Estienne,
i5io, petit iu-4°. (i); c'est celui qui,
(1) Aut. Oembs, chanoine et professeur de théo-
logie, à Trt'ves, dans sou Ofjuscnla de Deo uno et
«rmo (Maietice, i^Si), in-fol. ) , pn tendit s'appuyer
d'ua passage de ce livre de Richard de Saiul- Vic-
tor , pour avancer que TEglisc , au douzième siècle ,
avait rommeucé à varier sur le dogme delà Trini-
té, <t ^ donner dans rbércsie de SabcUius : mais ii
RIC 573
de la bibliothèque du duc de La Val-
lière, avait passédans celle de Mac-
Carthy , où il a été payé cent qua-
rante francs. Richard, dit un de
nos savants les plus judicieux , ne
manque ni d'idées, ni d'imagination,
ni même de sensibilité ; si on ne lit
plus ses ouvrages, c'est qu'ils sont
écrits sans raéthude , sans critique ,
sans logique et sans goût. Voyez la
Notice sur Richard, par M. Daunou,
dans le tome sni de V Histoire litté-
raire de la France , 472-88. W — s.
RICHARDOT ( François ) , théo-
logien, né en i5o7, à iMurei, au bail-
liage de Vesoul, d'une famille no-
ble , embrassa la vie monastique
chez les Augusîins de Champlitte ,
et fut envoyé, par ses supérieurs ,
à Paris , pour y suivre ses cours de
philosophie et de théologie. La ra-
pidité de ses progrès étonna ses maî-
tres. Nommé piofesseur de théo-
logie à Tournai , sa réputation le (it
bientôt rappeler à Paris , où , à l'âge
de vingt ans (i) , il espiiqna les Épî-
tres de saint Paul devant lui nom-
breux auditoire , charmé de son élo-
quence. Dans les loisirs que loi lais-
saient ses devoirs , il étudia la litté-
rature , l'histoire et les sciences , et
acquit des connaissances fort éten-
dues dans tous les genres. Après avoir
reçu ses degrés à la faculté de Paris ,
il visita l'Italie , pour se lier avec les
savants les plus célèbres, et il mérita
leur estime. I! s'arrêta quelque temps
àFeriare, où la duchesse Renée de
France ( F. ce nom, p. 354 ci-des-
sus) s'empressa de l'accncillir; mais
devenu par-là même suspect au duc
de Ferrare, il fut enfermé dans le
château de Rubiera , d'où il écrivit
à ce prince deux lettres, qu'on a con-
fut solidement ri^futé dans le Judiciurn tlieologoiiin
CoUiniensiuin, 1790.
^i) Voy. Klctekcr Bibl. erud. prcecoc. GLiliui ,ctc.
574 RIG
servees, et qui contiennent lajustifi-
cationla plus complcle des reproches
qu'on luiadressait (:i). Des qu'il eut
recouvre' sa liberté', Richardot se
rendit à Pvorne , fit rompre des vœux
qu'il avait formés maigre' lui , et re-
vint dans sa patrie, prc'céde' d'une
grande réputation. François Bonva-
lot , oncle du cardinal de Granvelle,
rappela sur-le-champ à Besançon,
pour l'aider à combattre les progrès
de l'hérésie , et le soulager dans l'ad-
ministration du diocèse dont il était
chargé pendant la minorité de l'ar-
chevêque Ci. de La Baume ( F. ce
nom ). Richardot se dévoua dès-lors
tout entier aux travaux évangéliques
avec un zèle presqu'incroyable , prê-
chant , ir.striiisant sans cesse , et
attaquant les principes de la réfor-
me jusqu'en la cour du piince de
Montbelliard , où il alla publier
Vinlerim. Il contribua beaucoup à
éloigner de Besançon le fameux Pos-
tel , qui demandait la permission de
s'y fixer (3j ; et, malgré ses occupa-
tions déjà si mubipliées, il se char-
gea d'enseigner la théoloi^ie a» col-
lège que les Granvelle venaient de
fonder en cette ville (4). Tant de ser-
vices ne pouvaient rester sans récom-
pense. Richardot , déjà pourvu d'un
canouicat du chapitre de Besançon,
fut choisi pour succéder ta Bonvalot
dans l'adujinistralion du diocèse, et,
en 1654 ) nommé évêque de Nicopo-
(j.) Tiral'Osrlii, qui nous apprend celle |Kirliriila-
rilé , igrionc de Ions 1rs l)liii;ra|,lies de P icljard.it.
n'a pas pu deviner i(iicl était ce pcrsoui âge enfermé
dans le cliâteau de Rubiera, puisqu'il le suppose
Modéiiais. V. y. la Bhl. Modeiicie, IV, 3:',4,
(3) Kicn ne prouve que Postcl soit venu jamais à
Ijc>anfnn ; mais il a dédie au séuat de celle ville sou
livre: Ve unginibiis lotiiis Onen/ls , Bâlc, i553,
in-S".
(/J) Le coII(-gc fondé par le chancdier de Gran-
velle, * Il i.'i 0» (""t cédé par le comte de Caiite-
croix , en i(J!lc),:i la congrégatioride l'Oralnire , qui
se chargea d*y entretenir un professeur de theolo-
itie. IJans rongîit*' , ce colli'ge avait en outre deux
cliairct <lc bcUcs-kltrcs et liuit bourses.
RIC
lis. Le jeune Claude de La Baume,
dont les mœurs ne répondaient pas à
la saintetéde son caractère , chercha
bientôt à se débarrasser d'un censeur
importun. Il prétendit que c'était à
lui de nommer l'administrateur du
diocèse , et il désigna l'évêque d'A-
lexie. Le chapitre soutint l'élection
de Richardot; et cette contestation
fut portée devant le conseil de Ma-
lines. Richardot , qui se proposait
de rester étranger à ces débats scan-
daleux , se vit forcé de répondre aux
reproches inconsidérés de l'archevê-
que , et publia l'apologie de sa con-
duite depuis son arrivée à Besançon.
Le cardinal de Granvelle mit fin à
cette lutte , en aj)pelant près de lui
Richardot. Dans le diocèse d'Arras,
comme dans celui de Besançon,
il remplit ses devoirs avec un zèle
qui ne se démentit jamais. Chargé de
la théologale du chapitre de Sainte-
Gudule, à Bruxelles, il eut l'occa-
sion de se faire connaître de la gou-
vernante des Pays Bas (Marie , reine
douairière de Hongrie ) ; et cette
princesse le choisit pour prononcer
r Oraison funèbre de Chai les Quint,
eu pré>ence de Philippe II et de sa
cour. Eu i5Gi , il succéda sur le
siège épiscopal d'Arras, au cardinal
de Granvelle , nommé archevêque de
IMalines. Aussitôt il .sollicita l'éiec-
tion d'une uni vei site dans la ville
de Douai , et en fit l'inauguration
par un Discours dans lequel il mon-
tra les avantages que la religion re-
tire de la culture des sciences cl des
lettres. Quoiqu'il n'eût rien négligé
pour procurer à cet établissement
naissant des maîtres di.stingués , il
voulut se charger d'y faire des leçons
sur les passages les plus difliciles des
saintes Écritures; et jamais il ne
cessa de prendre le plus vif intérêt
aux succès de cette école, assistant,
RIG
autant qu'il le pouvait , aux actes
publics , encourageant les élèves et
les professeurs , qu'il traitait tous
comme ses amis. En i563 , Ri-
chardot fut nomme députe par le roi
d'Espagne au concile de Trente , et il
y prononça , la même année , un
Discours très -remarquable sur les
e'tiides ecclésiastiques. L'influence
que Ricliardot avait acquise sur les
décisions du concile, éveilla l'envie:
on l'accusa d'avoir sacrifié les droits
de son prince à des vues d'intérêt.
Il ne s'abaissa point à se justifier
d'une accusation grave , mais qui
n'avait nul fondement; et la calom-
nie finit par le respecter. Durant les
fréquentes visites que l'évêque d'Ar-
ras faisait dans son diocèse, il ne
laissait passer aucune occasion de
donner des instructions au peuple
pour le mettre en garde contre les
progrès de l'erreur. l]\\ jour qu'il
prêchait dans Armeniières, un fu-
rieux osa lui tirer un coup de fusil.
A peine fut-il ému de cet attentat ; et,
après avoir calmé son auditoire ,
il continua son discours avec autant
de force et de chaleur qu'il l'avait
commencé. Persuadé que les rigueurs
du duc d'Albe ne servaient qu'à per-
pétuer les troubles dans les Pays-
Bas , il osa lui faire des repré-
sentations sur la nécessité de cou-
vrir le passé d'une amnistie géné-
rale. Le gouverneur parut touché
de la démarche de l'évêque d'Arras,
et lui promit de suivre ses conseils.
Cependant les révoltés puisèrent dans
leur désespoir même de nouvelles
forces et une nouvelle audace. Ils
remportèrent différents avaiilages
sur les troupes espagnoles , et pri-
rent Malines , en iS-j^. Ricliardot,
qui se trouvait alors dans cette vil-
le, fut au nombre des prisonniers.
Il refusa de payer la rançon que les
RIG
575
vainqueurs lui fixèrent , et ne recou-
vra la liberté que lorsque les Espa-
gnols rentrèrent dans Malines. Son
retour dans sa ville épiscopale fut
célébré par des fêtes, qui témoignè-
rent assez l'attachement que lui por-
taient les habitants. L'affaiblisse-
ment de sa santé faisait déjà crain-
dre la perte de ce pieux pasteur. Il
mourut le 26 août i574 (5), et fut
inhume dans la cathédrale , où l'on
voyait naguère son tombeau, déco-
ré d'une épitaphe rapportée par Fop-
pens ( Bibl. Bel^. ) et d'autres au-
teurs. Il légua sa bibliothèque a son
chapitre. L'église d'Arras et celle de
Besançon eurent part à ses libérali-
tés. On a de lui : I. Oraisons funèbres
de l'empereur Charles - Quint, de
Marie de Hongrie, gouvernante des
Pays-Bas, et de Marie, reine d'An-
gleterre, Anvers, i558, in -fol.,
très- rare. Selon dom Bertliod, l'O-
raison funèbre de Charles-Quint of-
fre des beautés et des sentiments
qu'on est étonné de trouver dans un
orateur du seizième siècle. II, Deux
Discours^ français et latin, pronon-
cés dans la solennité de l'élab'isse-
sement de l'université de Douai ,
Cambrai, i56.i, in^*'- III. Oralio
habita in Tridentind synode , die 2
noi'emb ri s, Douià, i5(i3,in-4". IV.
La Règle et guide des curés et vi-
caires, en ce qui appartient aux de-
voirs de leurs charges , in-8°., An-
vers ctParis , 1 5G4 ; Bordeaux , 1 574.
V. Oralio habita in initio synodi
Cameracensis , anno i5()5, ibid. ,
i5G5, in - 4". VI, Quatre Sermons
du sacrement de V autel , et un des
images, Louvain, 1567 , in-B". VII.
(.») CiO que dit Mcxrrîii , (jue les Espagn^ils avan*
©«reut SH mort par un mauvais morceau qu'ils lui
pipparôrciit, pour «voir ]>ics("nte, au nom des clats
dis Pays- Ha», une jeqmto ipii dc^jlnt an gouverne-
ment, est dcuuv de fondement.
5^6 RIG
Discours tenu avec un prisonnier ,
au lieu de Douai , sur aidcuns jirin-
cip'tu.r poinl.'i de la leligion , ibirl. ,
x568, in-8o.VIlI. Deux Oraisons
funèbres, de la reine d'Espagne, Ma-
dame Elisabeth de France, et de l'in-
fant don Carlos , Anvers, iSôg, in-
8^- L'Oraison funèbre de la reine
fut re'imprimr'e à Lyon , dans la
même année , in-8°. de 12 pag. IX.
Statuta synodalia Atrehatensia or-
dinata et aucta, Douai , iS^o ; An-
vers, 1 588 , in - 4". X. Sermon fait
en l'église cathédrale d'Anvers, le
jour de U publication des pardons de
leurs sainteté et raajesle' royale ca-
tholique, Anvers. 1570, in- 8". XL
Les Collectes des dimanches et prin-
cipales fêtes de Vannée^ mises eu pi'o-
se et rime françoise, avec quelques
briefs et familiers enseignements ,
Douai , 1 572 , in - 8". XII. Six Ser
mons sur V Oraison Dominicale , et
quatre autres sur l^ Incarnation, An-
vers, 1570 , in- 8''. François Sehott
a recueilli (6) les Discours de Richar-
dot au concile de Trente ,au sytiode
de Cambrai et à l'académie de Douai,
et les a puMic's avec l'Oraison
unèbre de ce prélat, par Thomas
Sîaplfcton, sous ce titre : Bev. et elo-
quentissimi viri D.-Fr. Bichardoti
oraliones lalinœ , Douai, 1G08, in-
4**., de 96 pag. La plupart des au-
teurs contemporains citent Richar-
dot avec éloge. D. Bcrthod a com-
posé, sur la Fie de ce prélat, un
Mémoire, dont on trouve un extrait
fort étendu , dans le Becueil de l'a-
cadémie de Bruxelles , iv, i-i4 ? et
l'analyse, dans V Almanachde Fran-
che-Comté, pour l'année 1788. On
peut, en outre, consulter Ghiliui ,
Teatro d'uomini lettcrati ; Corn.
(C) 1,0 Dirt. »„!..,, s,7, (lil ci.ic Fi;.nç. Sclioll tra-
duisit CQ latin les (Jiiiilra termuiis sur le iacicinciU
de l'autel, etc.; niais c'est uuc erreur.
RIG
Curtius ( ou Corte ) , Elogiaviror.il-
lustrium eremitarum ordinis S.Au-
gustini; l'Acad. de Bullart et la Bibl.
de Foppens. On a son portrait, gra-
vé par Larmessiii , par Corn. Galle ,
etc. W— s.
RIGHARDOT (Jean Grusset ,
plus connu sous le nom de) , habile
négociateur , était neveu de l'évê-
que d'Arras (i) : il naquit à Cham-
plitte , vers 1 54o. Après avoir fait
ses premières études à Besançon ,
sous les yeux de son oncle, qui ne
négligea rien pour cultiver ses heu-
reuses dispositions, il se rendit en
Italie , et fréquenta les cours de l'a-
cadémie dePadoue, où le cardinal de
Granvelle le soutint plusieurs années.
On voit par mie lettie de Pau! Ma-
nuce à Fr. Richardot , qu'il donnait
dès-lors les espérances les plus bril-
lantes (2). Après avoir terminé ses
cours et reçu le laurier doctoral, il
revint dans sa famille , et continua
de s'appliquer avec ardeur à la ju-
risprudence et à l'histoire. En i565,
il fut présenté pour la place de pre-
mier président du parlement de Dole;
mais ses concurrents parvinrent à
l'écarter , sous le prétexte de sa jeu-
nesse. Le crédit dont jouissait son
oncle, et la protoclion de Granvelle,
le firent employer en Flandre ; et il
parvint bientôt à la dignité de pré-
sident du conseil-piivé des Pays-Bas.
Malgré les devoirs de sa place , il
continua de cultiver les lettres , et
se lia d'une étroite amiiié avec les
savants, entre autres avec Juste Lipsc,
qui consentit à se charger de surveil-
ler l'éducation de ses eidants. Ri-
chardot fut employé dans dilférentes
(il II ist :s.sc7J sluKuliiT que Ci.uiclietct , dans
.M,u lllstuire du caiJwial de Gianville, j). /,3p , ait
prt tundii <|ue l'< v<ii«c d'Arras était le neveu du
prisidcnt Kicliardot.
(1) l'aul M«micc nomme J. Ricbardot : Praclara
iiulolii juvtnit ( Eiiiilol., lib. IV, i )
RJC
négociations importantes : il signa
le traite de Veivins , en iSgS , et
mérita , par sa conduite dans cette
affaire, l'estime du pre'sident Jeannin
et la bienveillance de Henri IV. Il
se rendit ensuite à Londres pour
préparer le traité d'alliance entre le
roi Jacques et l'Espagne ; il eut beau-
coup de part à la trêve de douze ans,
qui rendit le calme aux Pays-Bas
( Voy. Barneveld , III, 396) , et
mourut, le 3 septembre 1609, à
Bruxelles , où il fut inhumé dans l'é-
glise Sainte-Gudule, sous une tombe
décorée d'une épitaplie honorable.
On trouve plusieurs Lettres du pré-
sident Richardot dans le Recueil des
Négociations de Jeannin. — Jean
Richardot , son fils aîné , évèque
d'Arras , puis archevêque de Cam-
brai, membre du conseil-privé des
Pays-Bas , fut honoré de la confiance
de son souyerain , et mourut , le '28
février lôi^j'l^nsun âge peu avan-
cé. C'est à lui que Boguet ( Voyez
ce nom) a dédié son Commentaire
sur la coutume du comté de Bour-
gogne , par une Epître qui contient
un magnifique éloge du ])résident
Richardot. W — s.
RICHARDSON (Jonathan),
peintre, naquit à Londres en i665.
Son père le plaça d'abord comme
clerc chez un notaire; et ce ne fut
qu'au bout de six ans , que la mort de
son patron vint ie délivrer d'une pro-
fession pour laquelle il ne se sentait
aucune inclination , et lui permettre
de suivre le goût qu'il nourrissait
depuis long-temps pour la peinture.
11 était déjà âgé de trente ans lors-
qu'il se mit sous la direction de Ri-
ley. Il suivit ses leçons pendant qua-
tre ans , épousa sa nièce, et s'appro-
pria si Lien la manière de son maî-
tre , qu'il parvint à se faire en peu
de temps une réputation très-cten-
XSWII.
RIC 577
due, même pendant la vie de Knel-
1er et de Dalh, après la mort des-
quels il resta à la tète des meilleurs
peintres de portraits des trois royau-
mes. La fortune que ses ouvrages lui
avaient acquise, et qu'il accrut en-
core par le commerce des objets
d'art, servit à l'éducation de sa fa-
mille. Il avait un fils qui suivit la
même carrière que lui, mais qui n'eut
pas le même talent , et quatre filles ,
dont Tune épousa le peintre Hudson ,
dont il avait été le maître. Lorsqu'il
vit sa réputation solidement établie,
il résolut de parcourir l'Italie pour
y recueillir des tableaux et des des-
sins des grands maîtres , ainsi que
des fragments d'antiques. Il en for-
ma une collection précieuse et con-
sidérable , dont il a rédigé lui-inêrae
la description : il eu faisait un com-
merce qui lui rapportait beaucoup ;
cependant, quelques années avant sa
mort, il abandonna entièrement les
affaires. Il avait éprouvé une attaque
de paralysie à l'un de ses bras , mais
qui ne l'empêchait point de peindre.
A l'âge de quatre-vingts ans, à la suite
d'une promenade au parc de Saint- Ja-
mes , il se trouva mal en rentran t chez
lui, et mourut subitement en 1745.
Deux ans après sa mort, la collec-
tion de ses dessins et de ses tableaux
fut vendue, et acquise, en grande par-
tie, par Hudson, son gendre. Lors-
qu'après la mort de Richardson fils,
on vendit le reste de ce cabinet, ou
trouva plusieurs centaines de por-
traits du père et du fils , gravés par
Richardson père, avec la date du
jour où ils avaient éé exécutés. Lors-
que celui-ci fut relire dunégoce, il pa-
raîtiju'il s'occupa d'un petit [»oème , et
qu'il s'amusait chaque jour à faire un
nouveau portrait de luietde son fils,
qui , de son côté, en fit plusieurs qu'il
marquait de l'expression affectueuse
578 RIC
de mj dear father, mon cher père.
Ricliardson est ccrtaincracnt \in des
artistes anglais qui ont su le mieux
peindre une tète. Son coloris est re-
marquable parla force, le relief et
la hardiesse; mais ses figures d'hom-
mes manquent de noblesse, et celles
de femmes sont dépourvues de grâ-
ce. Il a su exprimer, dans la physio-
nomie de ses personnages, le carac-
tère propre à sa nation. Gomme il
vécut dans un temps oi!i rien n'exci-
tait l'enthousiasme , il borna ses ef-
forts à bien peindre une tête , et ne
montra jamais la moindre imagina-
tion. Ses attitudes, ses draperies.,
ses fonds, sont tous également mono-
tones et communs. Quoique dans ses
écrits il 11e manque pas d'une cer-
taine chaleur , ses peintures en sont
totalement privées. Pénétré de la
beauté noble et idéale de Raphaël,
et de l'éclat naturel de Van-Dick ,
dès qu'il fallait copier la nature , il ne
voyait plus que par ses propres yeux;
et l'on s'étonne qu'il ait su si bien
analyser les ouvi-ages de ces grands
maîtres, et qu'il les ait imités si
mal. En fait de peinture , de sculp-
ture et d'architecture , il possé-
dait de vastes connaissances , qui
étaient le fruit, tant de ses voyages
et de l'attention avec laquelle il avait
observé les chefs-d'œuvre des arts,
que de la riche et nombreuse col-
lection de tableaux et de dessins
des différents maîtres de tontes les
écoles et de tous les pays, qu'il avait
recueillis dans une partie de l'Europe.
Il en publia le catalogue raisonne,
en anglais , sous son nom et celui de
son fds , en 1 7'22 , et en français , en
i7'-i8. Gel ouvrage essuya de nom-
breuses critiques; on y releva une
foule d'opinions hasardées, et de
fausses indications: mais ce qui ex-
cita le plus la clanjcur publique, ce
RJC
fut l'intention trop manifeste de vou-
loir faire passer les dessins et les ta-
bleaux qu'il possédait, pour des ou-
vrages originaux , afin de les vendre
plus avantageusement ; et l'on est
forcé de convenir que ces incul-
pations n'étaient pas toutes dénuées
de fondement. Voici le titre de
ses autres ouvrages : I. Essay on
ihe Theory of Paintin<^, and two
Discoitrses ; i". y^n Essaj on ihe
■Kvhole art of Criiicism . as it rela-
tes to F aintin^; 1°. An argument
071 behalf oj' the science of a con-
naisseur. An account of statues ,
bas-reliefs , drawings and pictures
iji Italj ^ etc. wilh remarcks , hy
MM. Ricliardson. Londres , Sene-
vand Junior, 1719, in-8°. Il a été'
traduit en français par A. Rutgers le
jeune, sous le titre suivant : Traité
de la peinture et de la sculpture ,
par MM. Richardson, père et (ils,
4 vol. in-8^. , en trois tomes, Ams-
terdam, 1728. On y a joint un dis-
cours ])réliminaire de Lambert Her-
mauson Ten Kate , sur le beau idéal
des peintres, des sculpteurs et des
poètes. En général, cet ouvrage jouit
de peu de réputation. II, Notes et
Ixeviurques sur le Paradis perdu de
Milton, '7^4» in-8°.L'évêque New-
ton, historien- éditeur de Milton,
dit que ces notes offrent beaucoup
d'inégalité, et quelques extravagan-
ces parmi d'excellentes observations.
III. Poésies, publiées par son fils ,
en 177O : la plu])art roulent sur des
sujets religieux. IV. On a encore mis
au jour, en 1776, le tome i*^'. d'un
Richardsoniana attribue à ce der-
nier; et, en 1 79U,un volume in-4"-»
sous le titre A OEuvres de Jonathan
Richardson, pour servir de supplé-
ment aux Anecdotes des peintres ,
par Josuah Reynolds. Richardson le
(ils mourut en 1771. P — s-
ÎIIC
RICHAROSON (Samuel), célèbre
romancier anglais, naquit en 1689.
Les commeuceraents d'un homme
dont les écrits sont si répandus , fu-
rent enveloppes de tant d'obscurité,
que tout ce que l'on a pu découvrir
de son origine, c'est que son père
exerçait la profession de menuisier
dans le comte' de Derby : mais la ville
ou le village qui donna la naissance
à Samuel Richardson, est inconnu.
Ses dispositions furent précoces :
dès l'âge de treize ans , il servait de
secrétaire aux jeunes filles qui étaient
en correspondance avec leurs amants.
On a prétendu que c'est de cette
époque , qu'il prit du goût pour un
genre d'écrire où il a développé
un si rare talent. Il n'était encore
qu'adolescent , quand il fut placé
comme apprenti cbez un imprimeur
de Londres , nommé Wild. Ce ne
fut qu'au bout de sept ans , qu'il par-
vint à la dignité de correcteur d'é-
preuves. 11 aimait à raconter qu'd
se crut alors un personnage dans
l'état. Toute dépendance lui devint à
charge : du fruit de ses petites éco-
nomies, il loua une chambre , et at-
tendit la fortune. Il la crut fixée dans
son humble demeure, lorsqu'il vit
les libraires , dont il avait réclamé
les bons ollices , venir lui comman-
der des Préfaces et des Épîtres dé-
dicaloircs. L'emploi de sa plume lui
fut si profitable , et l'extrême régu-
larité de ses mœurs lui concilia une
bienveillance si générale , qu'il eut
des facilites inattendues pour établir
une imprimerie à son compte. II se
publiait alors à Londres une feuille
périodique intitulée le True Briton ,
dont l'auteur principal était un cer-
tain duc de Wharlon , l'homme le
plus décrié de l'Angleterre. Ne trou-
vant plus d'impiinuMirs, le duc vint
s'adresser au jeune Richardson , (jui
hlC 679
lui prêta assez imprudemment ses
j)t esses. Dès le troisièruc numéro , il
se vit citer en justice ; et ce ne fut
qu'avec beaucoup de peine, qu'il
échappa au châtiment indigéau no-
ble rédacteur. Cette mésaventure ne
l'empêcha point d'entreprendre l'im-
pression de quelques autres papiers
publics. On lit son nom sur le titre
de vingt-six volumes du Journal
de la chambre des communes. Rien
n'annonçait encore qu'il dût faire
gémir la presse pour son propre
compte , lorsqu'étant parvenu à sa
cinquante-troisième année(i74i), il
mit aujoursa Famela: une sorte de
fermentation si active s'était opérée
dans son esprit , qu'il lui avait suffi
de trois mois pour composer ces
deux volumes. La vogue de ce roman
fut telle , qu'il eut cinq éditions dans
la même année. Eiifin , par une dis-
tinction dont n'avait encore joui au-
cun roman , un preïlicaleur nommé
Slocock, alors en réputation à Lon-
dres , recommanda , du haut de la
chaire, à ses paroissiennes , et spé-
cialement aux jeunes filles , la lecture
de Paméla. L'auteur se fût-il atten-
du qu'au milieu de ce concert de
louanges , s'élèveraient des voix qui
troubleraient la douceur de sou
triomphe? oûlil pu croire, surtout,
que ce fût sous le rapport de la mo-
rale que sa première production se-
rait attaquée ? 11 en avait adressé un
exemplaire au docteur Watts , en le
priant de lui communiquer le juge-
ment qu'il en porterait. Pour toute
réponse , le sévère docteur lui ren-
voya le livre , en déclarant que les
femmes se plaignaient de ne pou-
voir le lire sans rougir. Un écrivain
plus jeune , mais déjà beaucoup plus
célèbre , Fielding , s'ellorça de jetw
du ridicule sur jPrtmeZa, dans son /o-
sc'ph .Indrews, Richardson se mou-
>8o
RIG
Ira vivement piqué des raillerios d'un
rival aussi redoutable. Le chagrin
qu'il en conçut , le détermina , pins
que tout autre motif, à publier sa
Famela in high life , que les Fran-
çais appellent Paméla mariée. On y
remarqua facilement que le but prin-
cipal de l'auteur avait ëte' de ré-
pondre à ses censeurs. Celte nouvelle
production eut malheureusement un
effet tout contraire : elle fut trouvée
froide , diffuse , et sans aucune es-
pèce d'intérêt. La réputation de Ri-
chardson en avait tellement souffert,
qu'on le croyait dégoûté de la car-
rière littéraire , lorsqu'au bout de
huit ans d'un profond silence , on
vit paraître les deux premiers volu-
me de sa Clarisse Harlowe. L'im-
pression qu'ils produisirent, surpassa
les espérances de l'auteur lui-même.
De toutes parts, il recevait des lettres
où il était conjuré de ne pas laisser
languir la patience des lecteurs. Plu-
sieurs dames lui adressèrent la prière
instante de donner à ce grand drame
un dénouement heureux. Mais son
plan était déjà fixé : il exposa ,avec
autant de clarté que de force, les mo-
tifs qui l'avaient décidé en faveur
de la catastrophe qui termine l'ou-
vrage. A deux romans dont les prin-
cipaux personnages sont des femmes,
il voidut en faire succéder un dont le
héros fût un homme parfait ; et il
donna son Sir Charles Grandisun.
Le travail excessif auquel il se li-
vrait,dans unâge déjàavancé, affecta
tellement chez lui le système ner-
veux , qu'il était attaqué d'un Irem-
blement continuel : ce n'était qu'avec
la plus grande peine , qu'il pouvait
porter un verre à sa bouche; cet état
ne tarda pas à dégénérer en apo-
plexie : il cessa enfin de vivre, le 4
juillet 17O1 , ,1 IVigc de soixante-
douze ans. Rirhardson avait étcma-
RIC
lié deux fois : sa première femme
était fille de l'imprimeur Wild, chez,
lequel il avait fait son apprentissage;
et la seconde , la sœur du libraire
Leak, de Bath. Au milieu de ses
plus grands succès , et dans le sein
des sociétés les plus brillantes , cet
écrivain célèbre conserva toujours
une extrême simplicité de mœurs.
11 était singulièrement goûté dans la
compagnie des auteurs de son temps,
parce qu'il les écoutait toujours , et
ne parlait jamais. On l'a vu passer
des journées entières , sans proférer
une seule parole. Il réunissait , à un
degré peu commun, toutes les vertus
privées. Sa bienfaisance s'exerçait
sur tout ce qui l'entourait, et le plus
souvent dans Tombre du mystère.
Indépendamment de ses trois grands
ouvrages {Paméla, Clarisse, Gran-
dison) , Richardson publia : I. Les
Négociations de sir Thomas Roe ,
ambassadeur à la Porte, de 1621 à
1(528. (/^.RoE.) II. Une édition des
Fabius d' Esope , avec un Commen-
taire. III. Un volume, de Lettres fa-
milières. On a imprimé , sous son
nom et après sa mort , Six Lettres
sur le duel ; plus , une brochure en
une feuille unique, intitulée: Devoirs
des femmes envers leurs maris. Ou
a la preuve que le second volume du
Ptambler esl entièrement de lui. Dans
la préface de ce volume , Johnson
parle de son nouveau collaborateur,
comme d'un écrivain « qui a déve-
loppé la connaissance du cœur hu-
main, et quia appris aux passions
à se mouvoir aux commandements
de la vertu. » Il a été publié , en
1804, une Correspondance de Sa-
muel Hichardson , (') vol. in -8**.
On doit rendre hommage .î la supé-
riorité de la Notice biogra[)liiqiu' et
critique dont l'a euricliie IMistriss
Baibauld. Quant aux Lettres mcracs,
RlC
tout admirateur de Richardsou ne
peut les parcourir qu'avec un vrai
chagrin. Pourquoi laisser voir l'honi-
rae dans toute la faiblesse de sa
nature ? — Le mérite lilte'raire de
Richardson est également apprécié
par toutes les nations. Les gens de
goût conviennent que son plus grand
malheur est de n'avoir point connu
les anciens. Il aurait appris de la
lecture de leurs chefs-d'œuvre, à
éviter cette surabondance qui tuo
l'esprit et affadit le sentiment. 11
faut se hâter, toutefois, d'observer,
pour ce qui concerne les lecteurs
français , que la prolixité , tant re-
prochée à Richardson , tient quelque-
fois plus à ses traducteurs qu'à lui-
même. Cette remarque s'applique
spécialement à l'abbé Prévôt. H s'est
applaudi, et on l'a félicité souvent,
d'avoir omis des de'tails dénués d'in-
térêt , d'avoir éloigné des répétitions
fastidieuses ; mais cette louange lui
a été donnée par des gens qui , cer-
tainement, ne connaissaient pas les
ouvrages originaux. Si l'abbé Prévôt
abrège quelquefois ce qui tient à
l'ensemble , il alonge prodigieuse-
ment tout ce qu'il conserve. Sa ma-
nière de traduire est lâche , diffuse,
verbeuse. Au lieu de s'attacher à
rendre les pensées avec précision ,
il semble se complaire à les com-
menter. C'est à lui que s'adresse évi-
demment cette observation bien
juste de Diderot : « Vous qui n^a-
» vez lu les ouvrages de Richard-
» sou que dans votre élégante tra-
» duction française , et qui croyez
» les connaître, vous vous trompez I»
Le Tourneur est généralement plus
concis ci plus rapide ; mais , soit fau-
te d'une connaissance aprofondie
de la langue anglaise , soit par une
licence inexcusable , cet écrivain of-
fre , dans ses traductions de Richard-
RIC
58 1
son , des erreurs et même des contre-
sens aussi graves que ceux qui dépa-
rent sa version de Shakspeare. Nous
venons de citer Diderot : admirateur
passionné du romancier anglais , dès
qu'il apprit sa mort, il s'empressa
de consacrer à sa mémoire une es-
pèce d'Oraison funèbre , où, au mi-
lieu des formes déclamatoires qui lui
étaient particulières , on distingue
quelques traits dont le temps a dé-
montré la justesse ; tels sont les sui-
vants : « Tout ce que Montaigne, Char-
» ron , La Rochefoucauld et Nicole
» ont mis en maximes , Richardson
» l'a mis en action. — O Richard-
» son I on prend , malgré qu'on en
î) ait , un rôle dans tes ouvrages. On
» se mêle à la conversation j on ap-
» prouve , on blâme , on admire ,
» on s'irrite , on s'indigne. — Ce
» grand peintre des passions ne vous
» transporte point dans des centrées
» lointaines ; il ne vous égare point
» dans des forêts ; il ne vous expose
» point à être dévoré par des sauva-
» ges ; il ne fait point couler le sang
» par flots ; il ne se jette jamais dans
» les régions de la féerie. Le monde
» où nous vivons , est le lieu de la
M scène. Le fond de sou drame est
)) vrai ; ses personnages ont toute la
» réalité possible; ses incidents sont
« dans les mœnrs de toutes les na-
» tions policées. — Que de fécondité
» dans la création des personnages !
)) que de variété dans la peinture des
» caractères I mais ce qui confond d'é-
» tonnement, c'est que chacun a ses
» idées , ses expressions , son ton ; et
» que ces idées, cesexpressions,ceton,
» varient selon les circonstances, les
» intérêts , les passions , comme on
1) voit sur un même visage les phy-
» sionoraies diverses des passions se
» succéder. Dans ces tableaux im-
» mortels , comme dans la nature au
582
RIC
» printemps , on ne trouve point
» deux feuilles qui soient du même
» vert. » — Ce genre de mérite est
réellement fait pour frapper de sur-
prise ; et malheureusement , il n'en
reste pas même de vestiges dans les
traductions françaises , où toutes les
teintes sont efface'es par une mono-
tonie assoupissante. L'inimaginable
variété du style de cliaque person-
nage est telle dans Clarisse, par
exemple , que l'on a vu des étrangers
mêmes , après la lecture du premier
volume de l'original anglais , recon-
naître à l'instant l'auteur d'une lettre,
à la tournure de son esprit et aux
formes de son style. Laharpe, qui ne
savait pas l'anglais , n'a pu, comme
Diderot , apprécier cette sorte de
prodige : mais, en revanche, il juge
bien plus sainement du plan et de la
conduite des romans de Richardson;
il aprofondit avec bien plus de saga-
cité les caractères des personnages
qui y figurent. C'est ainsi, par exem-
ple , qu'il fait observer que Paméla
gagnerait beaucoup à être réduite à
un volume; que , dans Grandison,
les épisodes l'emportent sur le fond ,
et qu'au total c'est un roman de
beaucoup de mérite et de peu d'effet;
que Clarisse est un être vraiment
céleste , mais que sou histoire est
bien pénible à lire dans les trois-
quarls de son étendue; et qu'enfin
son Lovelace , loin d'être tracé d'a-
près nature, n'est qu'un compose
bizarre et fantastique , en un mot , un
fou méchant. « Cet homme, dit le
judicieux critique , déclare qu'il met
RIG
son orgueil à subjuguer nn ange; et ,
avec le cœur si haut dont il se vante
sans cesse , il n'imagine pas d'autre
moyen , pour parvenir à une si glo-
rieuse conquête , que d'entraîner cet
ange dans un lieu infâme , de l'as-
soupir avec un narcotique, et d'ex-
poser sa vie pour lui ravir l'hon-
neur ! » Après avoir discuté toutes
les parties du talent de Hichardson,
Laharpe n'hésite pas à lui préférer
l'auteur de Tom- Jones, Il fait re-
marquer que personne n'a essayé d'i-
miter Fielding; qu'il reste, comme
Molière , seul de sa classe , tandis
que Richardson a eu parmi nous un
célèbre imitateur. La Nouvelle Hé-
loïse offre effectivement beaucoup de
traits de ressemblance avec Clarisse.
Dans l'un et l'autre ouvrage, ii s'agit
d'un père qui veut forcer les incli-
nations de sa fille. Claire, l'amie de
Julie , a paru une copie de miss
Hov\'e : comme elle , Claire peut
assez souvent être trouvée plus aima-
ble que l'héro'ine principale. Julie,
ainsi que Clarisse , est un peu prê-
cheuse : leur vertu , au milieu même
de leurs erreurs, se montre quelque-
fois armée de gri/Jes et de dents ,
selon l'expression de Molière. Ce-
pendant Clarisse ejt un ange, com-
parée à Julie, qui est femme et faible
avant d'être mère et vertueuse. Nous
finirons pai une dernière observa-
lion : c'est que Richardson , très-
admiré, sur parole , en France com-
me en Angleterre , n'a presque plus
de lecteurs dans l'un et l'autre pays.
S — v — s.
FIN DU TKKN'ri.-Sl.l»TlEME VOLUME.
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