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Full text of "Biographie universelle ancienne et moderne, ou, Histoire, par ordre alphabétique, de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes : Ouvrage entièrement neuf"

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University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/biograplnieuniam37mich 


BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE, 

ANCIENNE  ET  MODERNE. 
RAL  — RICHA. 


DE  L'IMPRIMERIE  D'EVERAT, 

RUE  DU   CADRAN,    N°.    l6. 


BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE , 

ANCIENNE  ET  MODERNE, 

OU 

UISTOIRE,  PAR  ORDRE  ALPHABETIQUE,  DELA  VIE  PUBLIQUE  ET  PRIVEE  DE 
TOUS  LES  HOMMES  QUI  SE  SONT  FAIT  REMARQUER  PAR  LEURS  ECRITS, 
LEURS  ACTIONS,  LEURS  TALENTS,  LEURS  VERTUS  OU  LEURS  CRIMES. 

OUVRAGE     ENTIÈREMENT     NEUF, 

RÉDIGÉ  PAR  UNE  SOCIÉTÉ  DE  GENS  DE  LETTRES  ET  DE  SAVANTS. 


On  doit  des  égards  atu  vivants;  on  ne  doit  aux  morts 
que  la  vérité.  ^  VOLT. ,  première  Letlns  sur  Œdipe.) 


TOME   TREiSTE-SEPTIEME. 


A  PARIS, 

CHEZ  L.  G.  MICHAUD,   LIBRAIRE  -  EDITEUR , 

PLACE    DES    VICTOIRES  ,    N°.     3. 
1824. 

f   BI5LIOTHKA' 
^V^Oftavlenii» 


\  fil 

V.31 


V*W%VVVVVVW«WAWVVVVVVVVV^^ 

SIGNATURES    DES    AUTEURS 

DU  TRENTE -SEPTIÈME   VOLUME. 


MM. 


MM. 


-TJ. 


Beuchot. 

Abel-Remusat. 

h.  audiffret, 

Bernardi. 

De  Beauchamp. 

Bocous. 

Bea.tjlieu. 

BUCHON. 
PiLLET. 

Catteau-Calleville. 

CUVIER. 

Depping. 

Desgenettes, 

De  La  Place, 

Daukou. 

Du  Petit-Thouars. 

DUROZOIR, 
DUVAU. 

Décrois. 

Dezos  de  la  Roquette. 

Eméric-David. 

Eyriès. 

Fortia-dIJrban. 

Friedlander. 

FlÉvÉE. 

Fabien  Pillet. 
FoissET  aîné. 
Théophile  Fqisset. 
Gence. 

GuÉRARD. 

hérisson. 
Jourdain. 

KUNTH. 


I*.  liEFEBVRB-CAUCHT. 

^ B E.  LaBOUDERIB. 

L — DE.  Lestrade. 

L — M — E,  Lamotte. 

L — o.  Léo. 

L— P— E.  HiPPOLTTE    DE    La   PoRTE, 

I'— Y.  L'ECUT. 

M — D,  MiCHAUD  aîné. 

M — D  j.  MiCHAUD  jeune. 

M— ON.  Marron. 

M— -Y.  MONSIGNY. 

N— O.  NiCOLO-PoULO. 

Oz — M.  OzANAM, 

P C T.  PiCOT. 

P.  D — T,  Paul  DupoRT. 

P — E.  Ponce. 

P — NT.  Pront. 

P— s.  PÉRIÈS. 

P — X.  PUJOULX. 

B — D.  Reinaud. 

s.  D.S T.  SiLVESTRE  DE  SacY. 

S.  M— K.  Saint-Martin. 

S — R.  Stapfer, 

S-  s — 1.  SiMONDE    SlSMONDl. 

S — V — S.  De  Sevelinges. 

s — T.  De  Salaberry. 

T — D.  Tabaradd. 

V — B.  Villeneuve-Bargemont. 

V.  s.  L.  Vincens-Saint-Laureht, 

V VE.  ViLLENAVE. 

W — R.  Walckenaer. 

W— s.  Weiss. 

Z.  Anonyme. 


BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE. 


\^n>vvvvvvvvv^%vv\rvvvvvvvvvvvvvvvvv«vvvvvvvvvvvvvvvv^/vvvvvv^A(Vvvvvvvvvvv^ 


R 


RaLEGH(i)(Walter),  célèbre 
par  SCS  découvertes  dans  le  Nou- 
veau-Monde, ses  exploits  sur  terre 
et  sur  mer,  ses  écrits  ,  sa  haute  for- 
tune et  ses  malheurs  ,  naquit  vers 
l'année  i552  ,  dans  un  lieu  obscur  , 
nommé  Hayes  ,  appartenant  à  la  pa- 
roisse de  Budley  ,  et  situé  sur  cette 
partie  de  la  côte  du  Devonshire,  où 
la  rivière  Otter  se  décharge  dans  la 
mer.  C'est  là ,  c'est  à  l'aspect  des  flots 
de  l'Océan  que  fut  élevée  son  enfan- 
ce :  nous  le  remarquons  à  dessein 
pour  ceux  qui  connaissent  l'influen- 
ce des  premières  impressions  sur 
les  destinées  de  la  vie  entière  ,  et 
parce  que  Ralcgh  dut ,  en  grande 
partie,  à  sa  passion  pour  les  ex- 
péditions maritimes  ,  ses  actions 
les  plus  glorieuses  et  ses  fautes  les 
plus  déplorables ,  son  élévation  et 
sa  chute.  Dans  les  années  brillantes 
de  sa  prospérité,  il  voulut  racheter  le 


(i)  C'est  ainsi  que  ce  nom  doit  être  écrit.  Cepen- 
dant François  Bacon  ,  et  Robert  Vaunton,  ont  écrit 
RawUigh  ;  le  roi  Jacques,  Hookcr,  plusieurs  auteurs 
resj>ect.<ble.s  des  seizième  et  dix-septième  siècles,  et 
Carew  Kalegb,  proiire  Gis  de  Walter  Ralegh ,  ont 
écrit /?nieii;/i  ,■  mais  les  lettres  originales  désir  Wal- 
ter Ralegh  ,  conservées  dans  la  faibliothique  Harléjè- 
ne,  et  les  lieux  qui  partent  le  nom  deKalegb  ,  dans 
le  Devonshire  ,  dont  la  famille  de  Ralegh  est  originai- 
re,ont  Gxé  invariablement  l'ortlingniplie  du  nom  de 
ce  grand  homme.  Ou  peut  voir,  d'ailleurs,  le /ôr 
simile  de  sa  signature  dans  \eBritish  aulography^çt 
dans  la  BibliotlicijHe  universelle  [  de  Genève  )  d* 
mars  j8i3  ,  p.  a6o. 

xxxvir. 


domaine  de  Hayes,  dont  sou  père  n'a- 
vait joui  qu'en  vertu  d'un  bail  emphy- 
téotique: mais  le  propriétaire  auquel 
il  était  échu  après  l'expiration  de  ce 
bail ,  ne  voulut  pas  consentir  à  le  lui 
céder;et  Ralegh  ue  put  réaliser  le  pro- 
jet qu'il  avait  formé  d'y  bâtir  un  châ- 
teau, et  d'eu  faire  sa  principale  rési- 
dence. Si  les  souvenirs  do  son  enfan- 
ce n'avaient  tenu  plus  de  place  dans 
son  esprit  que  les  noms  de  ses  an- 
cêtres ,  d'autres  lieux  auraient  ob- 
tenu la  préférence.  En  effet ,  il  des- 
cendait d'une  famille  qui  faisait  re- 
monter son  antiquité  plus  haut  que  la 
conquête  de  l'Angleterre  par  les  Nor- 
mands ,  et  qui,  autrefois  puissante  , 
avait  donné  le  nom  de  Ralegh  à  des 
villages,  des  bourgs  et  des  villes  du 
Devonshire  ,  du  Somersetshire  et  de 
l'Essex.  Son  père  ,  seigneur  de  Far- 
del,  près  de  Plymouth,  ne  possédait 
qu'une  fortune  médiocre;  et  Ralegh 
était  le  quatrième  enfant  du  troisiè- 
me et  dernier  mariage  qu'il  avait  con- 
tracté avec  Catherine  Champeruon 
veuve  d'Otho  Gilbert  (a).  Ainsi  Ra- 
legh avait  pour  frères  ,  du  côte  ma- 


(7.)  C'est  à  toi  t  que  l'auteur  de  la  Vie  de  Ralegh  , 
imp'.imée  à  Londres,  en  1821  ,  et  qui  forme  la  ■>•. 
partie  du  t.  V  de  la  collection  ii.tituUe  Select  Bio- 
graphy  ,  donne  à  la  mère  de  Ralegh  le  nom  de  Ma- 
rie :  ce  nom  était  celai  d'uue  de  ses  scrars  du  second 
lit. 


2  RAL 

ternel,  Jean,Humfroi,et  Adrien-Gil- 
bert ,  tous  trois  illustres  par  eu\- 
mêmes  et  par  la  noblesse  de  leur 
origine.  Ralegli  fit  ses  études  à  Ox- 
ford ;  et  quelques  pièces  de  vers  de 
sa  jeunesse  ,  qui  sont  parvenues  jus- 
qu'à nous  ,  prouvent  qu'une  ex- 
cellente éducation  avait  dévelop- 
pé en  lui  un  talent  remarquable 
pour  la  poésie  gracieuse  et  légère. 
Par  la  suite ,  d'autres  productions 
plus  importantes  et  plus  solides  le 
placèrent  au  nombre  des  meilleurs 
et  des  plus  savants  écrivains  de  son 
temps.  Mais  la  lente  et  tranquille 
gloire  des  lettres  ne  pouvait  suffire 
à  l'orgueil  de  sa  naissance  et  à  l'ac- 
tivité de  son  ambition.  Une  taille 
de  près  de  six  pieds  ,  une  figure 
majestueuse ,  une  consUtution  robus- 
te, un  courage  indomptable,  le  ren- 
daient éminemment  propre  à  l'état 
militaire,  qui ,  dans  tous  les  temps 
et  dans  tous  les  pays  ,  offrit  à  la 
fortune  la  carrière  la  pbis  rapide  et 
la  plus  brillante.  Élisabelb  ,  dont 
l'habile  politique  veillait,  au  dedans 
comme  au  dehors  ,  à  tout  ce  qui  pou- 
vait être  utile  aux  intérêts  de  l'An- 
gleterre et  à  la  consolidation  de  la 
réforme  religieuse  ,  devenue  néces- 
saire au  maintien  de  son  autorité, 
prit  parti  pour  les  Protestants,  dans 
les  guerres  civiles  qui  désolaient  la 
France  sous  Charles  IX.  En  iSGg  , 
elle  leur  envoya  un  secours  en  cava- 
lerie et  en  donna  le  commandement 
à  Henri  Champernon  ,  pircnt  dcRa- 
legh.  Celui-ci  suivit  Champernon  en 
France;  et,  simple  volûnt;iire ,  il 
montra  dès  -  lors  une  valeur,  un 
sang -froid  et  une  habileté  dans  les 
combats,  (|ui  le  rendaient  digne  du 
commandement.  Échappé  à  l'iior- 
rible  massacre  de  la  Saint-liarthcle- 
mi,  il  se  trouvait  encore  en  France 
après  la  mort  de  Charles  IX;    uu 


RAL 

séjour  de  plus  de  cinq  ans  dans  celte 
contrée  le  mit  à  portée  de  connaître 
le  génie  de  ses  habitants  ,  l'état  des 
partis  qui  la  déchiraient,  et  le  carac- 
tère particulier  de  ceux  qui  y  exer- 
çaient le  plus  d'influence.  Ces  diver- 
ses connaissances  lui  furent,  par  la 
suite,  d'une  grande  utilité,  lorsqu'il 
put  les  mettre  à  profit  auprès  de  sa 
souveraiue.  A  peine  fut-il  de  retour 
en  Angleterre,  qu'impatient  du  re- 
pos ,  il  saisit  la  première  occasion 
de  s'engager  dans  de  nouveaux  com- 
bats. Don  Juan  d'Autriche,  fils  na- 
turel de    Charles  Quint ,   avait  été 
fait  gouverneur  des  Pays  -  Bas,   et 
s'était  attiré  la  haine  des  peiqiles  , 
qui  se  révoltèrent  contre  son  autorité. 
Cet  homme,  dont  l'orgueil,  selon 
Ralegh,  affVonfait  les  plus  grandes 
difiicultés,  mais  qui,  par  sa  faibles- 
se ,  ne  pouvait  triompher  des  plus 
petites,  avait  conçu  le  projet  de  déli- 
vrer la  reine  d'Ecosse  de  sa  prison ,  et, 
en  l'épousant,  de  détrôner  Elisabeth, 
et  de  s'emparer  de  l'Angleterre.  Eli- 
sabeth sut  le  détourner  bien  eflicace- 
nîent  d  e  cette  entrejDrise,  en  en  voyant, 
en  iS-yS,  un   puissant  secours  aux 
insurgés  des  Pays-Bas.  Ralegh  fut  au 
nombre  des  guerriers  anglais  qui  s'y 
rendirent.  Il  y  servit  sons  le  com- 
mandement  de    sir  John  Norris , 
et  partagea,  avec   les  plus  habiles 
capitaines    d'Angleterre ,   la    gloire 
de  cette  campagne,  qui  se  termina 
par   la  défaite  et  la   mort    de   don 
Juan.   L'année    suivante  ,  le    jeune 
Ralegh  saisit  avidement  l'occasion 
de   s'engager   dans   une  expédition 
maritime  ,   et  fit  son  ])rcmier  essai 
en  ce  genre  sous  son  frère  lliinifroi 
(iilbert,  qui  entrepiit  d'établir  une 
colonie  à  Terre  -  Neuve.  Cette  ex- 
pédition écliona;  mais  Ralegh  y  trou- 
va le  moyen  de  se  mesurer  pour  la 
première  fois  sur  l'Océan  avec  les 


RAL 

Espagnols ,  qui  voulurent  en  vain 
prendre   le     vaisseau    qu'il    mon- 
tait. Son  activité  était  devenue  in- 
fatigable ;    et  l'on  sait  qu'il   était 
parvenu,  au  milieu  des  camps ,  aussi 
Lien  que  dans  l'enceinte  d'un  vais- 
seau, à  régler  son  temps  et  ses  occu- 
pations. Sur  les  vingt-quatre  heures , 
quelque  loisir  qu'il  eût ,  il  n'en  don- 
nait jamais  que  cinq  au  sommeil.  Il 
en  réservait  régulièrement  quatre  à 
l'étude  ;  le  reste  était  employé  à  l'ac- 
complissement de  ses  devoirs  ou  aux 
exercices  propres  à  perfectionner  ses 
talents  comme  militaire  et  comme 
marin.  11  partageait  avec  les  matelots 
et  les  simples  soldats ,  les  travaux 
les  plus  pénibles  ,  et  tous  les  dangers 
de  la  guerre   et   de    la   navigation. 
Toutefois  ,  après  dix  années  de  cam- 
pagne sur  terre  et  sur  mer,    il  se 
voyait,  à  vingt-huit  ans,  sans  fortune 
et  sans  rang.  Une  occasion  se  présen- 
ta, quilefit  sortirdcl'obscurilé  dont 
il  s'indignait.  A  cette  époque,  comme 
aujourd'hui  ,  l'Irlande  ne   pouvait 
rester  indépendante,  ou  appartenir 
à  nue  autre  puissance  que  l'Angle- 
terre, sans  un  danger  imminent  pour 
celle-ci  :  et  cependant  l'opposition 
qui  existait  dans  les  mœurs  et  les 
habitudes  de  ces  deux  pays,  produite 
par  une  civilisation  moins  avancée , 
par  la  dissidence  des  opinions  reli- 
gieuses et  parle  caractère  national, 
faisait  détester  aux  Irlandais  le  joug 
de  l'Angleterre  :  le  gouvernement  an- 
glais, au  lieu  de  cherchera  vaincre 
cette  antipathie,  ne  connaissait  d'au- 
tre moyen  pour  se  garantir  de  ses 
eflcts ,  que  l'emploi  de  la  force  et  les 
cruautés  qu'elle  entraîne.  On  disait, 
au  temps  d'Elisabeth,  que  les  Irlan- 
dais ,  comme  les  orties  ,  ne  piquaient 
que  ceux  qui  les  touchaient  légère- 
ment ,  et  ne  faisaient  point  de  mai 
lorsqu'on  les  écrasait.    Vers  le  mi- 


RAL  3 

lieu  de  l'année  i58o  ,  rexcès  del'op. 
pression  enfanta  la  révolte  :  sir  Jac- 
ques Desmond  se  mit  à  la  tête  des 
insurgés  de  la  province  de  Munster 
qui  furent  bientôt  soutenus  par  une 
trouped'Espagnols  et  d'Italiens  com- 
mandés par  Fitz  Morris  ,  et  envoyés 
par  le  pape  et  le  roi  d'Espagne.  Eli- 
sabeth s'empressa  de  leur  opposer 
une  armée  sous  le  commandement 
de  lord  Grcy.  Ralegh  en  faisait  par- 
tie ,   et  avait  le  grade  de  capitaine. 
Son  bouillant  courage  ,  son  habileté 
et  son  adresse  dans  les  négociations 
l'audace  avec  laquelle  il  sut ,  à  l'aide 
d'uu  petit  nombre  d'hommes  ,  saisir 
dans  leurs  propres   châteaux  et  au 
milieu  de  leurs  vassaux  ,  des  conspi- 
rateurs puissants  et  des  ennemis  dé- 
grisés ,  et  enfin  les  services  de  tout 
genre  qu'il  rendit  dans  cette  guerre 
lui  firent  donner  un  commandement 
dans  la  province  de  Munster.  Il  y 
comprima  les  rebelles.  De  tels  succès 
attirèrent  sur  lui  l'attention  des  mi- 
nistres. Il  entretint  une  correspon- 
dance avec  le  plus  puissant  de  tous 
le  comte  de  Leiccster  ,  le  favori  de  la 
reine  ,  et  par  son  entremise  ,  il  fut 
présenté  à  la  cour.  Lord  Grey  ayant 
été  nommé  une  seconde  fois  pour 
commander  en  Irlande,  Ralegh  ma- 
nifesta une  opinion  contraire  à  la 
sienne  sur   les   mesures  à   prendre 
dans  ce  pays.  Tous  deux  furent  ap- 
pelés au  conseil ,  afin  d'y  exposer 
leurs  raisons.  Ralegh  y  déploya  une 
éloquence  si  persuasive,  que  non- 
seulement  il  triompha  de  son  adver- 
saire ,   mais  qu'il  s'acquit  ,  dès  ce 
moment,  restimedela  reine.  Elle  le 
récompensa  magnifiquement,  en  lui 
concédant  douze  mille  acres  déterre 
dans  la  province  de  Munster,  dont  elle 
avait  fait  un  désert ,  et  qu'elle  aurait 
voulu  repeupler  de   colonies  pure- 
ment anglaises.  Une  avcuture  frivole 


4  RAL 

vint  encore  augmenter  la  faveur  dont 
Ralegb  commençait  à  jouir  auprès 
d'Elisabeth.  Dans  une  de  ses  prome- 
nades, elle  fut  tout-à-coup  arrêtée  par 
un  peu  de  boue  qui  était  sur  son  pas- 
sage ;  elle  hésitait  et  semblait  vouloir 
détourner  sa  marche,  lorsque  Ra- 
legh  ,  qui  se  trouvait  présent ,  se  dé- 
pouilla subitement  du  riche  manteau 
pluché  dont  il  é'.ùit  revêtu  ,  et  Téten- 
dit  aux  pieu,  ae  sa  souveraine  :  sur- 
prise ,  mais  charmée  de  cette  galan- 
terie ,    elle  franchit   aussitôt  sans 
obstacle  ,  sur  ce  moelleux  tapis  ,  le 
sol   fangeux    qui  arrêtait    ses   pas. 
Bientôt  après  elle  saisit  une  occa- 
sion qui  se  présenta  de  témoigner  à 
Ralegh  sa  bienveillance,  en  le  nom- 
mant, en  i58i  ,  pour  accompagner 
à  Anvers  le  duc  d'Anjou  ,  qu'elle 
flattait  de   l'espoir  de  devenir  son 
niari(  ^oy.  Anjou  ,  II ,  iH6  ).  Ra- 
legh,dans  ce  voyage,  se  fit  connaî- 
tre au  prince  d'Orange  ,  qui  sut  l'ap- 
précier ,  et  qui  le  chargea  de  ses  let- 
tre pour  la  reme  d'Angleterre.  Par  la 
finesse  et  les  grâces  de  son  esprit , 
Ralegh  aurait  facilement  acmiis,  dans 
le  métier  de  courtisan  ,  de  nouvelles 
richesses  et  de  nouveaux  honneurs  ; 
mais  la  fortune  sans  périls  et  sans 
gloire  avait  peu  d'attraits  pour  lui. 
C'est  au-delà  des  mers  ,  c'est  dans  le 
Nouveau -Monde  où  les  Espagnols 
avaient  fait  des  conquêtes  si  vastes  , 
si  rapides  et  si  faciles ,  que  Ralegh 
entrevoyait  les  moyens  d'augmenter 
la  puissance  de  l'Angleterre  ,  et  d'a- 
baisser celle  de  l'Espagne.  Telle  fut 
la  pensée  principale  de  sa  vie  entière; 
et   il  n'en  fut   pas  détourné  par  le 
peu  de  succès  de  la  première  expé- 
pédition  maritime  de  son  frère  llum- 
froi  Gilbert,  à  laquelle  lui-même 
avait  pris  part.  Gilbert,  avant  l'expi- 
ration de  sa   patente  ,   crut  devoir 
faire  une  nouvelle  tentative;  il  as- 


RAL 

socia  Ralegh  à  son  entreprise  ,  et  ce- 
lui-ci lit  construire  et  équiper,  à  ses 
frais  ,  un   vaisseau  de  douze  cents 
tonneaux,  qu'il  joignit  àlaflottillede 
son  frère.  Cette  seconde  expédition 
eut  encore  une  issue  plus  funeste  que 
la  première  :  Gilbert  atteignit  Terre- 
Neuve  ,  et  en  prit  possession  au  nom 
de  l'Angleterre  ;  mais,  à  son  retour , 
ses  vaisseaux  furent  dispersés,  bri- 
sés par  la  tempête ,   et  lui  -  même 
y  périt.    Les    désastres  semblaient 
fortifier   de    plus    en    p'us    Ralegh 
dans    son    inébranlable   résolution. 
Il   enfanta    de   nouveaux    projets  , 
qui  furent  approuvés  par  la  reine 
et    par    son    conseil.  On   lui  déli- 
vra ,   en  conséquence  ,  des  lettres- 
patentes  qui  lui  concédaient,  ainsi 
qu'à  ses  héritiers  ,  tous  les  droits  de 
juridiction  royale  sur  les   contrées 
habitées  par  des  peuples  idolâtres  et 
païens,  qu'il  pourrait  découvrir,  soit 
par  lui-même  ,  soit  par  ses  agents  , 
pourvu  qu'elles  ne  fussent  pas  déjà 
possédées  par  un  prince  chrétien. 
Aussitôt  Ralegh,  avec  le  secours  de 
deux  de  ses  amis,  Richard  Gran- 
ville  et  William  Saunderson,  équi- 
pa deux  vaisseaux,  dont  il  confia  le 
commandement   à  deux   capitaines 
expérimcntés,nommés  Philippe  Ama- 
das  et  Arthur  Barlowe.  Ceux-ci  mi- 
rent à  la  voile  le  i']  avril  i584;  et  , 
conformément  aux  instructions  qui 
leur  avaient  été  données,  ils  se  diri- 
gèrent vers  celte  partie  du  Nouveau- 
Monde,  que  Ralegh  conjecturait  de- 
voir exister  entre  la  Floride,  décou- 
verte par  les  Espagnols  ,  et  Terre- 
Neuve  ,  où  son  frère  Gilbert   avait 
abordé.  Les  deux  capitaines  décou- 
Viirent,   en  juillet  ,    et  après  trois 
mois   de    navigation  ,    une  contrée 
d'une  fertilité  extraordinaire,  cou- 
verte de  fruits  et  d'arbres  odorifé- 
rants, cl  peuplcede  nations  sauvages, 


BÂL 

dont  ils  furent  parfaitcmentaccueillis. 
La  courte  mais  intéressante  relation  de 
leur  voyage,  qu'ils  remirent  à  Ralec^b, 
à   leur  retour  et  qui  a  etc'  publiée 
par  son  contemporain  Hakluyt ,  est 
le    premier   document    de   l'histoi- 
re d'un  pays  aujourd'hui  civilisé  et 
couvert  de  villes  florissantes.  Ce  pays, 
ou  plutôt    le   district  où  les   vais- 
seaux de  Ralcgh  abordèrent ,   était 
nommé  par  les  indigènes  TFingan- 
dacoa  ,  et  le  roi  qu'ils  avaient  alors 
portait  le  nom  de  JFiii^ina.  Elisa- 
beth ,  à  laquelle  Ralegh  lit  hommage 
delarelation  qui  lui  avait  étéadressée 
par  les  deux  capitaines,  nomma  cette 
contrée  Virginia.  Les  détails  de  celle 
relation  appartiennent  à  l'histoire  et 
à  la  géographie;  mais  il  est  nécessaire 
de  remarquer  ici  que  le  lieu  découvert 
par  les  vaisseaux  de  Ralcgh ,  ne  fait 
pas  partie  de  l'état  de  Virginie  pro- 
prement dit,  et  selon  sa  division  mo- 
derne :  ce  fut  sur  les  confins  méridio- 
naux de  cet   état ,   sous  le  trente- 
sixième  parallèle  et  dans  la  grande 
baie  d'Albemarle,  renfermée  dans  les 
limites  de  la  Caroline  septentrionale, 
qu'abordèrent  Philippe  Armadas  et 
Arthur  Barlowe  ;  et  ce  fut  ce  ter- 
ritoire qui  reçut  d'abord  le  nom  de 
Virginie,  Le  nom  de  la  rivière  Roa- 
uoak  ,  qui  se  décharge  dans   cette 
baie  ,  et  d'autres  circonstances  ,  ne 
laissent  aucun  doute  à  cet  égard.  Ou 
remarque  même  avec  intérêt ,  que  la 
capitale  actuelle  de  la  Caroline  septen- 
trionale ,  récemment  fondée  sous  le 
nom  de  Raleigh ,  doit  être  située  à 
peu  de  distance  ou  sur  remplacement 
même  de  la  ville  nommée  dans  la  re- 
Liliou  Skicoak,  qu'on  dépeignit  à  nos 
navigateurs  comme  la  plus  peupléeet 
la  plus  considérable,  mais  (lu'iîs  ne 
purent  visiter ,  parce  (j.i'clle  se  trou- 
vait trop  éloignée  de  la  côte.  Celle 
rclaliun  nous  apprend  aussi  que  les 


RAL  5 

sauvages  de  ces  contrées  avaient  du 
fer  qu'ils  s'étaient  procuré  par  deux 
vaisseaux  européens,  dont  l'un  avait 
fait  naufrage  vingt-six  ans,  et  l'autre 
vingt  ans  auparavant.  Ces  faits  ont 
pu  être  connus  de  Ralegh,  et  avoir 
une   grande  influence  sur  ses  pro- 
jets et  sur  la  découverte  qui  en  fut  la 
suite.  Le  succès  de  cette  expédition 
acquit  de  la  célébrité  à  Ralegh  ,  et  lui 
attira  de  nouvelles  faveurs  de  la  part 
d'Elisabeth.  Un  de  ses  frères,  Adrien 
Gilbert,  donna  le  nom  de  Ralegh  à 
une  montagne  resplendissante  de  l'é- 
clat métallique  de  l'or,  qu'il  vit  dans 
le  détroit  de  Davis.  La  reine  décora 
Ralegh  des  honneurs  delà  chevalerie, 
et  lui  accorda  le  privilège  de  faire 
vendre  du  vin  dans  tout  le  royaume: 
cette   concession  fut  pour  lui  une 
source  abondante  de  richesses  ,  qu'il 
sut  employer  à  l'exécution  de  ses 
projets  favoris  d'établissements  dans 
le  Nouveau- Monde.  Aussitôt  après 
le  retour  de  l'expédition  qui  décou- 
vrit la  Virginie ,  il  en  équipa  une 
seconde ,  composée  d'une  escadre  de 
sept  vaisseaux ,  dont  il  conféra  le 
commandement  à  sir  Richard  Green- 
ville.  Cette  expédition  ,  ainsi  que  la 
première,  pril  terre  à  l'embouchure 
de  la  Roanoak,  débarqua  une  centai- 
ne d'hommes  ,  et  revint ,  après  s'être 
emparé  de  deux  vaisseaux  apparte- 
nant aux  Espagnols.  La  colonie  que 
sir  Richard  Greenville  avait  laissée 
dans  l'île  de  Roanoak  ,  sous  le  com- 
mandement de  Ralph  Lane  ,  décou- 
vrit une  assez  grande  étendue  de  la 
côte  au  nord  et  au  sud ,  pénétra  chez 
les  Chesapiens  dans  la  baie  actuelle 
de  Chesapeak  ,  s'avança  dans  l'inté- 
rieur, espérant  y  découvrir  des  mines 
d'or  ,  et  scfr.iyer  un  passage  dans  la 
mer  du  Sud;  mais  attaquée  par  les 
sauvages  ,  elle  aurait  fini  par  suc- 
comber à  la  famine  ,  si  Drake ,  qui 


6  RAL 

passait  dans  ces  parages  ,  au  retour 
de  son  expédition  contre  Saint-Do- 
mingue et  la  Floride ,  n'eût  pris  à 
son  bord  tous  ceux  qui  la  compo- 
saient et  ne  les  eût  ramenés  en  An- 
gleterre ,  où  ils  arrivèrent  le  27 
juillet  i586  ,  après  un  au  de  séjour 
en  Amérique.  Cependant  Ralegh  , 
taudis  qu'ils  retournaient  eu  Euro- 
pe, avait ,  à  ses  frais,  expédié  d'au- 
tres vaisseaux  pour  leur  porter  des 
secours  et  des  provisions.  Sir  Ri- 
chard Greenville ,  qui  commandait 
encore  cette  troisième  expédition  , 
ne  retrouvant  pas  à  l'île  de  Roanoak 
la  colonie  qu'il  y  avait  transportée, 
se  contenta  de  laisser  quinze  liommes, 
avec  des  provisions  pour  deux  ans  ; 
puis  il  revint  en  Angleterre,  et  en 
chemin  il  pilla  et  mit  à  contribution 
les  Espagnols  qui  habitaient  les  îles 
Açores.  Ralegh ,  aussitôt  après  le 
retour  de  sir  Richard  Greenville,  fit 
e'quiper  trois  autres  vaisseaux  pour 
porter  une  nouvelle  colonie  en  Vir- 
ginie •  il  donna  le  commandement  de 
cette  expédition  à  Jean  Wright,  lui 
prescrivant  d'aller  à  la  recherche 
des  quinze  hommes  laissés  dans  l'île 
de  Roanoak ,  de  fonder  la  colonie 
dans  la  baie  de  Chcsapeak  ,  et  d'y 
bâtir  une  ville  sous  le  nom  de  Ra- 
legh, En  même  temps  ,  sir  Walter 
fréta  d'antres  bâtiments  pour  aller 
combattre  les  Espagnols  dans  les 
Açores ,  et  s'associa  au  comte  de 
Cumberland  pour  envoyer  contre 
eux  plusieurs  vaisseaux  dans  la  mer 
du  Sud.  L'expédition  contre  les  Aço- 
res réussit  complètement  :  on  fit  pri- 
sonnier le  gouverneur  de  l'île  Saint- 
Michel  ,  et  Pedio  Sarmicnto  ,  gou- 
verneur du  détroit  de  IMagellan. 
L'expédition  dans  la  mer  du  Sud 
ne  passa  pas  le  quarante-quatrième 
degré  de  latitude  ;  mais  elle  re- 
vint après  avoir  fait  quelques  pri- 


RAL 

ses  lucratives.  La  colonie  envoyée 
en  Virginie ,  parvenue  à  l'île  de  Roa- 
noak ,  y  chercha  vainement  les  quin- 
ze hommes  que  Richard  Green- 
ville y  avait  laissés  j  et  l'on  apprit 
qu'attaqués  par  les  sauvages ,  plu- 
sieurs d'entre  eux  avaient  été  tués, 
et  les  autres  obligés  de  fuir  :  on  ne 
put  savoir  ce  qu'ils  étaient  devenus. 
La  colonie  ,  se  voyant  ,  au  bout 
de  quelque  temps,  dépourvue  de  vi- 
vres et  de  minutions,  força  son  chef 
Jacques  Wright  de  repartir  pour 
l'Angleterre,  afin  d'exposer  ses  be- 
soins à  sir  Walter.  Mais  alors  la 
grande  flotte  que  l'Espagne  pré- 
parait ,  sous  le  nom  à' Armada  , 
avait  imprimé  la  terreur  à  l'Angleter- 
re, efforçait  celle-ci  de  réparer  tous 
ses  vaisseaux  pour  sa  propre  défen- 
se, Ralegh  expédia  cependant  pour 
sa  colonie  des  provisions  et  des  hom- 
mes, sur  deux  petits  bâtiments  qui 
mirent  à  la  voile  le  in  avril  i588j 
mais  ils  ne  parvinrent  pas  à  leur  des- 
tination ,  et  furent  pris  par  deux 
vaisseaux  Rochellois.  Cet  événement 
et  la  guerre  contre  l'Espagne,  qui  se 
préparait, et  à  laquelle  Ralegh  voulait 
prendre  part  ,  le  déterminèrent  à 
traiter  de  sa  patente  et  de  tous  les 
droits  qu'elle  lui  concédait  sur  les 
pays  qu'il  avait  découverts,  avec  une 
compagnie  de  négociants  de  Lon- 
dres. Il  se  réserva  seulement  la  cin- 
quième partie  des  produits  dans  les 
mines  d'or  et  d'argent  que  l'on  pour- 
rait découvrir.  Celles  du  Mexique 
et  du  Pérou  faisaient  croire  alors 
que  le  sol  entier  de  l'Amérique  e'tait 
composé  de  mines  d'or  et  d'argent. 
L'espoir  de  les  concpiérir  était  le 
grand  véhicule  de  toutes  les  décou- 
vertes, et  la  cause  principale  qui  fai- 
sait échouer  toutes  les  entreprises 
de  colonisation.  Ralegh  avait  dépen- 
sé, pour  les  siennes,  la  soraKi^c  de 


RAL 

quarante  mille  livres  sterling:  mais, 
quoiqu'il  n'eût  obtenu  pour  lui-mê- 
me aucun  résultat  im  portant,  il  avait 
illustré  son  nom;  il  avait  ouvert  à 
sou  pays  une  vaste  carrière  ,  et  l'a- 
vait fait  entrer  dans  le  partage  des 
richesses  que  le  nouveau  Monde  pro- 
mettait à  l'ancien.  Déjà  de  nouvelles 
denrées,  s'introduisant  dans  le  com- 
merce, manifestaient  l'heureuse  in- 
fluence de  ses  efforts  patriotiques. 
C'est  en  effet  à  cette  époque  que  le 
tabac  commença  d'être  connu  en  An- 
gleterre; et  l'on  en  attribua  l'intro- 
duction dans  ce  pays  aux  expéditions 
de  Ralegh,et  surtout  à  l'usage  fréquent 
qu'il  en  fit.  On  rapporte  à  ce  sujet, 
qu'il  dit  à  un  de  ses  domestiques , 
qui  n'était  à  son  service  que  depuis 
peu  de  jours,  de  lui  aller  chercher 
de  la  bière  :  tandis  que  celui  -  ci 
e'tait  sorti  pour  exécuter  cet  ordre, 
Ralegh  alluma  une  pipe,  et  se  mit 
à  fumer  :  lorsque  le  domestique  fut 
de  retour,  il  aperçut ,  avec  un  éton- 
nement  mêlé  de  frayeur,  qu'une  fu- 
mée épaisse  sortait  de  la  bouche  de 
son  maître;  il  crut  que  le  feu  avait 
pris  à  son  corps ,  et ,  pour  l'étein- 
dre, il  n'imagina  rien  de  mieux  que 
de  lui  jeter  au  visage  la  bière  qu'il 
lui  apportait.  Les  découveites  de 
Walter  Ralegh  ,  et  les  combats  qu'il 
livra  contre  les  Espagnols  ,  contri- 
buèrent beaticoup  à  augmenter  la  fa- 
veur dont  il  jouissait  près  de  sa  souve- 
raine; mais  ce  qui  y  mit  le  comble ,  ce 
furent  les  services  qu'il  rendit  à  Eli- 
sabeth dans  le  parlement,  dont  il 
fut  plusieurs  fois  élu  membre.  Aus- 
si, non  -  seulement  celte  princesse 
accrut  le  privilège  dont  il  jouissait 
sur  les  vins,  d'un  nouveau  privi- 
lège sur  le  pesage  et  le  mesurage  ; 
clic  lui  concéda  les  biens  confisques 
sur  Antoine  Babington,  chef  d'une 
conspiration  en  f.weur  de  Marie, 


RAL  7 

reine  d'Ecosse  ;  et  elle  le  nomma 
successivement  grand-scnéchal  des 
duchés  de  Cornouailles  et  d'Exeter, 
surintendant  des  mines  d'étain  des 
comtés  de  Devon  et  de  Cornouail- 
les, lieutenant-général  de  cette  der- 
nière province,  et  enfin  capitaine 
de  ses  gardes.  Tant  de  richesses  et 
de  dignités  accumulées  sur  Ralegh  , 
attirèrent  l'envie  de  tous  les  cour- 
tisans, et  surtout  de  ce  Leicester, 
qui  avait  d'abord  contribué  à  son 
élévation,  et  qui ,  depuis  vingt  ans, 
jouissait  sans  partage  de  toute  la 
puissance  d'un  favori  ;  mais  il  avait 
déplu  à  sa  souveraine ,  en  se  faisant 
nommer,  par  les  états  de  Hollande, 
au  secours  desquels  elle  l'avait  en- 
voyé ,  capitaine  -  général  des  Pro- 
vinces-unies ;  et  le  crédit  de  Ralegh 
semblait  s'accroître  chaque  jour  sur 
les  ruines  du  sien.  Leicester  ,  qui 
connaissait  la  cour  et  toutes  les  fai- 
blesses d'Elisabeth ,  au  lien  de  s'enga- 
ger dans  une  lutte  inégale  ,  sut  pre'- 
veuir  sa  chute  et  perpétuer  son  pou- 
voir ,  en  introduisant  auprès  de  la 
reine  son  beau-fils ,  le  jeuiîe  comte 
d'Essex,  moins  habitué  au  détail  des 
affaires,  moins  instruit,  moius  la- 
borieux que  Ralegh,  mais  aussi  bra- 
ve ,  aussi  ambitieux  ,  et  plus  jeune , 
plus  généreux  ,  plus  franc ,  plus  ai- 
mable et  plus  présomptueux,  Essex, 
par  ses  qualités  ,  et  peut-être  même 
par  ses  défauts  ,  sut  encore  mieux 
que  Ralegh  se  concilier  les  bonnes 
grâces  de  sa  souveraine  :  raffeclion 
qu'il  lui  inspira  ,  eut  tous  les  carac- 
tères de  la  passion  ;  et  la  faveur  sans 
borne  qui  en  fut  la  suite ,  en  exaltant 
son  orgueil ,  occasionna  ses  fautes 
et  sa  fatale  catastrophe.  Mais  lors- 
qu'on i588  ,  Leicester  eut  cessé 
d'exister ,  Ralegh  eut  d'abord  dans 
Essex  un  rival  plus  redoutable  et 
plus  puissant  que  celui  (jue  la  mort 


8  RAL 

venait  de  lui  enlever.  Aussi  cbercha- 
t-il  alors  à  se  procurer  "lui  appui 
dans  Robert  Cecil ,  le  plus  habile 
de  tous  les  ministres  de  la  reine 
Elisabeth  :  de  concert  avec  lui  ,  il 
s'opposa  sans  cesse  à  l'influence  du 
favori.  Les  nouvelles  victoires  que 
Ralegli  remporta  sur  les  Espagnols, 
avec  des  vaisseaux  équipes  à  ses 
frais  ,  lui  valurent  de  nouveaux  élo- 
ges et  de  nouvelles  faveurs  de  la 
reine ,  qui ,  à  ce  sujet,  le  décora  d'u- 
ne chaîne  d'or.  Essex ,  qui  en  fut 
jaloux ,  parvint  à  l'éloigner  de  la 
cour  ,  et  à  l'envoyer  en  Irlande  j  et 
c'est  alors  que  Ralegh  eut  occasion 
de  resserrer  les  nœuds  d'amitié  qui 
déjà  l'unissaient  au  plus  célèbre  poète 
de  ce  temps  ,  Edmond  Spenser  ,  et 
qu'il  le  ramena  en  Angleterre.  Le 
poète  ne  manqua  ^loint  de  recon- 
naissance envers  Ralegh:  il  l'a  chan- 
té plusieurs  fois  dans  ses  vers  ,  où  il 
lui  donne  le  surnom  ae  Berger  de 
V  Océan.  Cependant  la  guerre  de  l'An- 
gleterre  contre  l'Espf.gne  continuait 
toujours  :  la  tempête  avait  dispersé 
cette  ilolte  immense,  cette  invincible 
Armada  ;  objet  d'une  si  grande 
terreur  ,  et  l'enthousiasme  patrio- 
tique que  cet  événement  excita  par- 
mi les  Anglais ,  enfantait  tous  les 
jours  des  expj'ditions  particulières 
contre  les  Espagnols.  Toutes  n'a- 
vaient pas  une  issue  également  heu- 
reuse ,  et  sir  Richard  Gieenville 
permit  la  vie  dans  une  tcnlalive  de 
ce  genre.  Ralegh  ,  pour  défendre  la 
mémoire  de  son  ami  ,  publia  une 
brochure  ,  dans  laquelle  il  enflam- 
mait encore  la  baine  de  sa  na- 
tion contre  les  Espagnols,  en  tra- 
çant le  tableau  de  leurs  usurpations  , 
et  en  émiméraut  toutes  les  cruau- 
tés que  l'avaiice  et  l'ambition  leur 
avaient  fait  commettre.  Il  ne  s'en 
tint   pas,  à  des   écrits,   et.  proposa 


RAL 

à  la  reine  d'aller  s'emparer  de  la 
flotte  qui  transportait  annuellement 
en  Europe  les  richesses  du  Mexique. 
Elisabeth  approuva  le  plan  de  celte 
expédition  ,  en  conféra  le  comman- 
dement à  Ralegh  ,  puis  ,  lorsqu'il 
eut  mis  à  la  voile,  dépêcha  Martin 
Forbisher  ,  pour  lui  ordonner  de  re- 
venir. Ralegh  ,  qui  avait  versé  dans 
cette  expédition  une  partie  de  ses 
fonds ,  et  associé  à  sou  entreprise 
plusieurs  de  ses  amis ,  continua  sa 
route,  en  supposant  une  autre  inter- 
prétation aux  ordres  d'Elisabeth; il 
ne  revint  que  lorsqu'il  se  fut  emparé 
du  vaisseau  nommé  la  Madré  de 
Dios  ,  appartenant  au  Portugal  , 
chargé  de  la  plus  riche  cargaison 
qui  lût  encore  tombée  au  pouvoir 
des  Anglais.  Le  butin  fut  si  consi- 
dérable ,  que  la  reine  ne  dédaigna  pas 
de  s'en  approprier  une  partie.  Le 
succès  lui  fit  oublier  la  désobéissan- 
ce ;  et  Ralegh  jouissait  toujours  au- 
près d'elle  de  la  même  faveur  ,  lors- 
qu'un inciient,  étranger  à  sa  conduite 
comme  commandant  d'escadre ,  al- 
luma contre  lui  la  colère  royale.  Au 
retour  de  son  expédition,  Ralegh  eut 
occasion  de  voir  à  la  cour,  la  jeune 
Elisabeth  Throckmorton ,  admise 
depuis  peu  au  nombre  des  filles 
d'honneur  de  la  reine  ;  il  fut  frappé 
de  sa  beauté ,  en  devint  éperdument 
amoureux,  et  parvint  à  la  séduire. 
Cette  intrigue  fut  découverte  ,  et 
Throckmorton ,  le  pi  re  de  la  jeune 
personne  ,  porta  ses  plaintes  à  la 
reine  :  celle-ci  punit  sévèrement  ua 
afl'ront  fait  dans  sa  cour,  et  presque 
sous  ses  yeux  ,  à  un  serviteur  fidèle 
qu'elle  considérait  beaucoup  eli  qu'el- 
le employait  d;ins  les  plus  diflicilcs 
négociations.  Elle  fit  arrêter  les  deux 
heureux  coupables,  et  les  fit  mettre 
à  la  Tour  de  Lonùres.  Lorsqu'on  ne 
saurait   pas  d'a'illeurs  qu'Elisabeth 


RAL 

joignait  aux  qualités  d'un  grand  sou 
veraiu  toutes  les  petitesses  d'une  fem- 
me ,  on  l'apprendrait  par  les  lettres 
que    Ralegh    e'crivit   pour    oLtenir 
sa  délivrance ,  et  par  les  flatteries 
singulières  qu'il  ne  craignit  pas  de 
se  permettre  envers  une  reine  âgée 
de  près  de  soixante  ans.  «  Gomment 
supporter  ,  écrivait -il  à  Cecil  ,   le 
chagrin  d'être  privé  de  sa  présence, 
moi  qui  la  voyais  conduire  un  che- 
val comme  Alexandre  ,  chasser  com- 
me  Diane,  se  mouvoir  comme  Vé- 
nus ,  ou  apparaître  comme  une  nym- 
phe dont  le  zéphir  agite  la  cheve- 
lure ondoyante  sur  ses  joues  virgi- 
nales ;  moi  qui  l'entendais  chanter 
comme  les  anges  ,  ou  faire  résonner 
comme  Orphée  les  instruments  sous 
ses  doigts  mélodieux.  »  Dans  une 
autre  lettre  adressée  à  elle-même  , 
il   termine  en  disant  :  «  Je  jouis 
par  le  souvenir  de  vos  célestes  beau- 
tés dont  la  vue  m'est  interdite.  » 
Ralegh  offrit  de  réparer ,  autant  qu'il 
était  en  lui ,  en  épousant  Elisabeth 
Throckmorton  ,  la  faute  qu'il  avait 
commise;  et  la  constante  fidélité  de 
cette  épouse  chérie  ,  son  héroïque 
conduite  dans  des  jours  d'infortune, 
prouvèrent  à  Ralegh  que ,  dans  le 
choix    d'une    compagne  ,    l'amour 
l'avait  mieux  conseillé  que  l'ambi- 
tion et  l'intérêt  n'auraient  pu  fai- 
re.   Par  celte  conduite  honorable  , 
il  recouvra  sa  liberté  après  une  an- 
née de  captivité.  11  fut  de  nouveau 
élu  mçmbre  du  parlement  ;  et,  dans 
les  sessions  de  i  Sg'i  et  1 5g3  ,  il  par- 
la plusieurs  fois  ,  et  contribua  même 
à  faire  voter  les  subside ,  que  la  reine 
demandait.  Il  fut  aussi  employé  à 
rédiger  plusieurs  édits  ,  et  notam- 
ment celui  qu'Elisabeth  fit  promul- 
guer contre  les  jésuites  d'Espagne. 
Un  de  leurs  confrères  ,  le  père  Par- 
sons  (  F.  ce  nom  ,  XXXllI ,  28  ), 


RAL 


9 


publia  un  traité  en  latin,  sous  le  nom 
d'Andréas  Philopater  ,  pour  répon- 
dre à  cetédit;  et  afm  de  se  venger  de 
Ralegh  qu'il  savaity  avoir  pris  part , 
il  l'accusa  d'athéisme.  Rien  n'était 
moins  fondé  que  cette  accusation  ; 
car  Ralegh  ,  dans  les  nombreux  ou- 
vrages qu'd  a  fait  imprimer,  comme 
dans  les  lettres  ou  papiers  les  plus 
secrets,  qu'on  a  trouvés  écrits  de  sa 
main  ,  montre  partout  une  ferme  et 
sincère  croyance  en  Dieu ,  et  une 
pieuse  confiance  dans  les  décrets  de 
l'éternelle  Providence.  Cette  accusa- 
tion calomnieuse  n'en  a  pas  moins,  d'a- 
près Parsons  ,  été  renouvelée  depuis 
par  les  ennemis  de  Ralegh.  Les  nou- 
veaux et  importants  services  qu'il 
avait  rendus,  lui  attirèrentencore ,  de 
la  part  d'Elisabeth  ,  de  nouvelles  re- 
compenses :  elle  lui  concéda  le  domai- 
nedeShelbornedanslecomtéde  Dor- 
set;  mais  il  ne  recouvra  pas  auprès  d'el- 
le  la  faveur  dont  il  avait  joui  :  elle  lui 
témoigna  ,  au  contraire  ,  beaucoup 
de  froideur.  Sa  préférence  pour  son 
rival  Essex  en  était  la  principale 
cause  j  et  Robert  Cecil  lui  -  même  , 
tout  en  employant  contre  le  favori 
les  grands  talents  de  Ralegh,  en  re- 
doutait l'influence  relativement  à  lui, 
et  s'opposait  à  son  entrée  dans  le 
conseil-privé,  où  il  l'empêcha  tou- 
jours d'être  admis.  C'est  alors  que 
Ralegh  résolut  de  chercher ,  dans  de 
grandes  expéditions  maritimes  ,  les 
moyens  de  regagner  les  bonnes  grâ- 
ces de  sa  souveraine  ,  et  de  satisfaire 
son   ambition   d'une    manière    plus 
glorieuse  pour  lui  et  plus  profitable 
pour   sa  patrie    que  les  misérables 
et  stériles  intrigues  de  la  cour.  Les 
mines  que  les  Espagnols  avaient  dé- 
couvertes au  Pérou  ,  les  richesses 
qu'ds  en  rapportaient  tous  les  ans  , 
excitaient  continuellement  l'envie  et 
la  cupidité  des  autres  peuples  de  l'Eu- 


10  RAL 

rope  :  l'exagération  des  auteurs  es- 
pagnols relativement  à  la  splendeur 
et  à  la  civilisation  de  l'empire  des 
Incas  ,  contribuait  encore  à  enflam- 
mer l'imagination  de  tous  les  ambi- 
tieux. On  savait  que,  lors  de  la  con- 
quête de  cette  contre'e,  un  grand 
nombre  de  naturels  s'étaient  sous- 
traits à  la  mort  et  à  l'esclavage ,  en 
s'enfuyant  dans  l'intéiieur  du  con- 
tinent Américain.  On  disait  qu'un  des 


RAL 

nomquelcs  Espagnols  la  de'signaieni. 
La  relation  de  Jean  Martinez  fut  de'- 
posée  ,  après  sa  mort ,  dans  les  ar- 
chives de  Porto -Rico.  Dès-lors  la 
Guiane  { non  pas  la  contrée  désignée 
aujourd'hui  sous  ce  nom  ,  mais  le 
pays  situé  entre  .'es  parties  supérieu- 
res du  cours  de  '  ■  >renoque  et  de  celui 
duMaragnon)  :  ut  le  théâtre  de  tou- 
tes les  fictions  ,  et  de  toutes  les  il- 
lusions fantastiques.  C'est  là  qu'on 


fils  de  l'LicaGuaynacapac,  avait  pé-     plaçait  les  nouvelles  Amazones,  et 
nétré,  avec  quelques  milliers  de  sol-     les  peuples  sans  tête,  aya't  des  yeux 
dats  ,  dans  une  vaste  région  située 
entre  l'Amazone  et  l'Orenoque  ,  à  la- 
quelle on  donnait  le  nom  général  de 
Gidane;  que  cet  Inca  en  avait  fait  la 
conquête  ,  et  y  avait  fondé  un  empire 
plus  puissant  que  celui  du  Pérou; 
que   cette   contrée  était  plus  abon- 
dante en  raines  d'or  et  d'argent  que 
toutes  celles  qui  avaient  été  conqui- 
ses par  les  Espagnols;  qu'elle  était 
couverte  d'un  grand  nombre  de  villes 
populeuses,  et  que  rien  dans  le  monde 
n'égalait  la   magnificence  de  sa  ca- 
pitale Manoa ,  où  résidait  l'Inca  • 
ville  toute resplendissanted'oretd'ar- 
gent,  et  située  au  milieu  d'un  vaste 
lac,  ou  plutôt  d'une  mer  intérieure 
salée,  qui  avait  deux  cents  milles  de 
long,  Jean  Martinez ,  condamné  à 
mort  pour  avoir  laissé  sauter ,  par  sa 
négligence, un  magasina  poudre  dont 
on  lui  avait  confié  la  garde,  et  en- 
suite ,  par  commutation  de  peine 
abandonné  sur  le  fleuve  de  l'Oreno- 
que dans  lui  canot ,  avec  injonction 
de  s'avancer  dans  l'intérieur  ,  était , 
ajoutait-oji,  le  seul  Européen  qui  fût 
parvenu  jusque  dans  la  ville  de  Ma- 
noa. Pour  l'introduire  dans  son  <n- 
eeinie,  on  lui  avait  bandé  les  yeux; 
il  y  avait  vécu  sept  mois  ,ct  il  avait 
clctcllonicntfrappédesricliessesipi'il 
y  avait  vwcii ,  qu'il  avait  surnommé 
celte  ville  El  Vorado  ;  c'est  sous  ce 


sur  les  épaules  et  une  bouche  à  la 
poitrine     sans    compter   beaucoup 
d'autres  ]  vodiges ,  qu'il  serait  trop 
long  d'éuimérer.  C'est  cette  con- 
trée merveilleuse ,  que  Ralegh  vou- 
lait ,  à  l'exemple  des  Cortez  et  des 
Pizarre,  découvrir  et  conquérir.  Il 
envoya  d'abord  un  bâtiment  sous  le 
commandement  du  capitaine  Whi- 
don ,  pour  reconnaître  la  situation  du 
pays  ;  et  après  le  retour  de  c.r-  bâti- 
ment, il  partit  lui-même,  le  6  février 
de  l'année  i5g5:  il  aborda,  le  22 
mars  suivant ,  à  l'île  de  la  Trinitéj 
s'empara  du  fort  Saint  -  Joseph  , 
que  les  Espagnols  y  avaientconstniit, 
et  fit  prisonniers  le  commandant  es- 
pagnol Barro,  ainsi  que  ses  ofliciers. 
Tous  les  caciques  ou  chefs  de  sau- 
vages que  Ralegh  eut  occasioiî  d'in- 
terroger ,  lui  confirmèrent  tout  ce 
qui  lui  avait  été  dit  sur  la  Guiane, 
sur  le  vaste  empire  de  l'Inca ,  et  la 
vil.^  A^ El  Dorado.  Il  apprit  en  ou- 
tre par  Barro  et  ses  officict's  que  les 
Espagnols  avaient  cherché  à  y  péné- 
trer ,   soit  par  le  Pérou ,  soit  par 
la  côte  de  l'Amérique  méridionale  , 
c'est-à-dire  en  descendant  le  Mara- 
gnon  ,  ou  en  remontant  l'Ormoque  ; 
(ju'on   ne   comptait   pas    moins   de 
vingt-trois  entreprises  do  ce  genre, 
dont  on  lui  donna  les  détails,  mais 
dont  aucune  n'avait  eu  de  succès.  En 


UAL 

flamme  par  ces  récits  ,  Ralcgh  laissa 
son  vaisseau  à  l'île  de  la  Trinité'  ; 
et  quoiqu'il  n'eût  qu'une  centaine 
d'hommes  ,  il  s'avança  dans  l'inté- 
rieur du  continent  d'Amérique,  vers 
la  région  inconnue  de  la  Guiane. 
Après  avoir  fait  une  centaine  de 
lieues,  les  pluies  des  Tropiques  ayant 
commencé  à  grossir  les  rivières  et 
augmenté  leur  rapidité,  il  fut  obligé 
de  retourner  sur  ses  pas.  Il  rejoignit 
son  vaisseau  à  l'île  de  la  Trinité; 
pilla  et  rançonna ,  sur  son  passa- 
ge ,  quelques  établissements  espa- 
gnols sur  la  côte  de  Gumana  et  de 
l'isthme  de  Panama ,  et  fut  de  re- 
tour en  Angleterre,  vers  la  fin  de 
l'été.  Durant  cette  courte  expédi- 
tion ,  qui  ne  l'avait  pas  occupé  plus 
de  cinq  mois,  Ralegh  conçut  une 
haute  idée  de  la  beauté  surprenan- 
te des  contrées  qu'il  avait  visitées: 
ce  majestueux  Orenoqueavec  ses  vas- 
tes embouchures  et  cette  multitude 
de  fleuves  qui  lui  portent  le  tribut 
de  leurs  eaux  ;  ces  savannes  ,  oia  des 
herbes  aussi  hautes  que  les  arbres 
de  son  pays  ,  s'étendaient  en  vastes 
plaines  ;  ces  palmiers  semblables  à 
des  colonnes  d'une  élévation  prodi- 
gieuse ;  ces  oiseaux  si  brillants ,  ces 
fleurs  si  odorantes ,  ces  rochers  res- 
plendissants d'un  éclat  métallique  , 
tout  lui  confirmait  les  récits  merveil- 
leux qu'on  lui  avait  faits  de  la  Guiane. 
Il  croyait  sincèi'cment  à  leur  exacti- 
tude ,  lorsqu'il  écrivit  et  2'ublia  la 
relation  de  sa  découverte.  Il  offrit  à 
sa  souveraine  d'aller  conquérir  pour 
elle  cet  immense  empire  ,  dont  l'ac- 
quisition devait ,  selon  lui ,  la  rendre 
plus  puissante  que  le  roi  d'Espagne 
et  le  grand-turc ,  plus  riche  que  les 
possesseurs  des  Indes.  Six  semaines 
de  naA^igation  suffisaient  pour  arriver 
dans  ce  beau  pays  qui ,  outre  les 
plus  riches  métaux,  présentait   le 


RAL  II 

climat  le  plus  salubreet  le  sol  le  plus 
fertile  qu'il  y  eût  au  monde  :  il  était 
d'ailleurs  facile  à  conquérir  ,  plus 
facile  à  défendre.  Dès  qu'eu  s'en  se- 
rait rendu  maître  ,  quehjues  forts 
bâtis  aux  embouchures  de  l'Oreno- 
quc  empêcheraient  les  Espagnols  ou 
toute  autre  nation  d'y  pénétrer  ;  en- 
fin le  moment  était  venu  d'accom- 
plir la  prédiction  qui  avait  été  faite 
aux  Incas,  qu'un  jour  ils  seraient  dé- 
livrés par  l'Angleterre  du  joug  de 
l'Espagne.  Ralegh  n'oublia  rien  de 
ce  qui  pouvait  transporter  dans  l'es- 
prit de  la  nation  et  dans  celui  d'Eli- 
sabeth l'enthousiasme  dont  lui  mê- 
me était  animé  pour  cette  entrepri- 
se. Mais,  à  son  grand  étonneraent , 
ses  propositions  furent  accueillies 
avec  froideur.  On  ne  lui  rendit  mê- 
me point  l'exercice  de  ses  fonctions 
de  capitaine  des  gardes ,  dont  il  avait 
été  suspendu  lors  de  son  emprison- 
nement à  la  Tour  de  Londres.  Ses  ri- 
vaux et  ses  ennemis  parvinrent  à 
persuader  que  sa  relation  était  un 
tissu  de  fables  imaginées  dans  le 
but  de  reconquérir  la  faveur  de  sa 
souveraine  ,  et  de  se  faire  concéder 
par  elle  de  nouveaux  privilèges  et  de 
nouveaux  honneurs;  ils  accréditèrent 
celte  opinion  dans  le  public:  et  il  est 
étonnant  qu'une  pareille  accusation 
ait  trouvé  place  dans  les  pages  d'un 
des  plus  judicieux  historiens  de  nos 
temps  modernes ,  et  qu'il  n'ait  pas 
su  discerner ,  dans  la  relation  de  no- 
tre aventureux  navigateur  ,  tout  ce 
que  celui  -ci  dit  avoir  vu  par  lui- 
même  ,  d'avec  tout  ce  qui  lui  était 
raconté  par  d'autres.  Les  détails 
que  Ralegh  a  publiés  sur  son  propre 
voyage,  ne  renferment  rien  d'exagé- 
ré ,  rien  qui  n'ait  été  confirmé  par  les 
voyageurs  qui  sont  venus  après  lui  : 
ils  sont  précis  ,  exacts,  importants, 
cl  font  autant  d'honneur  à  sa  sagacité 


1  i.  RAL 

qu'à  sa  véracité.  Quant  au  merveil- 
leux qui  se  trouve  dans   les  récils 
qu'on  lui  a  faits  ,  ils  composaient  la 
croyance  des  habitants  de  ces  con- 
trées •  et  Ralegh  ,  parce  qu'il  y  ajou- 
tait foi ,  ne  doit  pas  être  jugé  froide- 
ment et  avec  les  lumières  du  siècle 
actuel.  On  doit  se  reporter  au  temps 
où  ces  vastes  régions  étaient  entière- 
ment inconnues  ,  et  oîi  la  conquête 
l'écente  du  Mexique  et  du  Pérou  par 
une  petite  bande  d'aventuriers  ,  don- 
nait un  haut  degré  de  probabilité  à 
des  faits  attestés  dans  le  pays  même 
par  uue  foule  de  témoins.  Une  preu- 
ve certaine  de  la  sincérité  de  Ralegh 
à  cet  égard ,  c'est  que ,   malgré  les 
sommes  énormes  qu'il  avait  dépen- 
sées dans  sa  première  expédition , 
malgré  le  défaut  d'encouragement  de 
la  part  d'Elisabeth  et  du  public  ,  il 
n'en  persista  pas  moins  dans  l'exé- 
cution de  ses  projets.  Il  équipa  des 
vaisseaux  pour  uue  nouvelle  tenta- 
tive ;  et  le  lord  trésorier  et  Robert 
Cecil  s'associèrent  avec  lui,  et  y  mi- 
rent des  fonds  considérables  :  ce  qui 
démontre   que  les  esprits   les  plus 
sages  de  ce  temps  partageaient  en 
partie   les   illusions   de  Ralegli.   Il 
confia  le    commandement  de   cette 
seconde  expédition  à  Laurent  Key- 
niis,  qui  mit  à  la  voile  en  janvier 
1 59G  ,  explora  en    détail  toute  la 
côte   d'Amérique  ,   comprise   entre 
l'embouchure    du    fleuve    Amazone 
jusqu'à  i'Orenoque  ,  qu'il  appela  Ra- 
leana  ,  en  l'hqnneur  de  sir  Walter 
Ralegh.   Keymis  ,  dans  la  relation 
qu'il  publia  ,  fit  connaître  les  noms 
et  les  positions  de  cinquante -deux 
des  principales  rivières  qui  se  débou- 
chent sur  cette  côte  ,  et  aussi  les  di- 
verses nations  qui  habitent  sur  leurs 
rives.  Il  conlirm.i  tout  ce  que  Ralegh 
avait  appris  sur  les  mines  d'or  que 
renfermait   l'iulcricur   de  ce   pays. 


RAL 

Ou  lui  dit  de  plus,  qu'il  y  avait  à 
une  ou  deux  journées  des  sources  du 
fleuve  Dessekebe  (  V Essequibo  ) ,  un 
lac  que  les  Jaros  nommaient  Ropo- 
nowini  ,  et  les  Caraïbes  Parime. 
Keymis  ne  douta  point  que  ce  ne  fût 
celui  au  milieu  duquel  était  située  la 
ville  de  Manoa ,  V El  Dorado  des 
Espagnols  (3).  Lors  du  retour  de 
Keymis  en  Angleterre  ,  Ralegh  se 
trouvait  absent  :  il  était  parti  avec 
le  titre  de  contre-amiral  pour  l'at- 
taque de  Cadix,  qui  s'exécuta  sous 
le  commandement  d'Essex.  Ralegh 
y  fut  blessé  ,  et  contribua  beau- 
coup, par  sa  bravoure  et  son  habileté 
comme  marin  ,  au  succès  de  cette 
expédition  si  glorieuse  pour  l'An- 
gleterre ,  et  qui  lui  eût  été  plus  pro- 
fitable ,  si  les  conseils  d'Essex  eus- 
sent été  suivis.  Aussitôt  que  Ralegh 
fut  revenu  dans  sa  patrie,  il  s'occu- 
pa d'un  troisième  armement  pour  la 
Guiane  ,  et  en  donna  le  commande- 
ment à  Thomas  Masham  ,  qui  mit 
à  la  voile  le  il\  octobre  iSgô,  mais 
qui  revint  peu  de  temps  après ,  parce 
qu'il  n'avait  pas  des  forces  suliisantes 
pour  se  soutenir  contre  les  Espagnols, 
qui  déjà  commençaient  à  se  fortifier 
dans  ces  parages.  La  courte  relation 
de  Masham  n'apprit  rien  de  nou- 
veau; elle  sembla  seulement  confir- 
mer l'existence  du  lac  Parima  ou 
Parime ,  et  par  conséquent  celle  de 
la  ville  de  Manoa  ,  ou  d'El  Dorado  , 
et  toutes  les  illusions  qui  étaient  at- 
tachées à  ce  nom.  Cependant  Ra- 
legh cherchait  ,  par  le  secours  de  la 
reine  ,  à  réparer  les  brèches  que  la 
poursuite    de    ses    grands    projets 


(S)  Ce  l:ii' ,  d'iiliiird  dossiiii^  comme  peu  coiisijé- 
rnhlc ,  «m-  la  Ciulc  ilc  d'Aiivillc ,  prit  depuis  une 
Vii.stn  rxifii.sii.u  sur  celle  Je  La  Cru/.;  et  aprcs  avoir 
«■le  longtciiip»  l'ol>jel  d'un  problème  pour  le»  gén- 
unipliun ,  il  a  ilispani  de»  meilleures  cartes  luocjer- 
iip.s  ,  pour  l'airi»  place  à  plusieurs  riviiux!9,  doDt  les 
noms  eUielit  uuj)ai-.iVLiul,  luciMiiuc. 


ral 

avnit  faites  à  sa  fortune  :  s'aper- 
cevant  qu'il  ne  pouvait  lutter  contre 
le  favori ,  il  résolut  de  s'en  faire  un 
appui  ;  il  y  parvint  en  s'interposant 
entre  lui  et  Cccil ,  qui ,  par  la  con- 
fiance qu'inspiraient  son  habileté' ,  sa 
sagesse  et  son  expérience  d.ins  les 
affaires ,  balançait  auprès  de  la  reine 
le  crédit  d'Essex.  Ralcgli  réussit  en- 
fin ,  par  sa  souplesse  et  ses  intrigues, 
à  se  faire  rendre  sa  place  de  capi- 
taine des  gardes  :  il  reparut  à  la 
cour;  et  rcelu  membre  du  parle- 
ment, il  sut  obtenir  encore  de  nou- 
velles faveurs  ,  en  employant  ses 
talents  comme  orateur  à  seconder  , 
dans  la  chambre  des  communes,  les 
mesures  propose'es  par  la  reine.  On 
le  nomma  gouverneur  de  Jersey  ,  le 
16  août  1600.  Mais  avant  cette  der- 
nière é|ioque,  il  s'était  de  nouveau 
brouillé  avec  Essex:  celui-ci  souff"rait 
impatiemment  de  ne  pas  avoir,  dans 
les  conseils  d'Elisabeth,  l'ascendant 
qu'il  avait  obtenu  sur  sa  personne. 
Il  s'indignait  de  voir  toutes  les  pla- 
ces envahies  ,  au  détriïnent  de  ses 
amis  ,  par  les  créatures  ,  les  affidés 
deCécil.  Dansl'expéditionquieut  lieu 
contre  les  Açores,  en  i5f)7,  Ralegh  , 
qui  commandait  sous  Essex  comme 
vice-amiral,  avait  attaqncet  pris  Fayal 
sans  attendre  son  chef  ,  et  recueilli 
toute  la  gloire  de  cette  expédition. 
Essex,  irritcpar  cet  affrontct  par  d'au- 
tres circonstances  encore,  ne  put  sup- 
porter la  hauteur  et  la  froideur  dont  sa 
souveraine  crut  devoir  punir  ses  em- 
portements. Son  caractère  violent  le 
précipita  dans  des  démarches  incon- 
sidérées, et  enfin  dans  une  révolte 
ouverte.  Elisabeth,  pour  le  maintien 
de  sa  dignité,  et  pour  sa  propre  sû- 
reté, fut  obligée  de  livrer  à  la  justice, 
et  de  laisser  périr  sur  l'échafaud  , 
l'homme  qui  était  l'oljjetdc  ses  plus 
chères  ancctions.  Essex,  allié  par  sa 


RAL  ,3 

naissance  à  celle  qui  occupait  le  trô- 
ne, victime  des  défauts  qui  tiennent 
à  un  excès  de  franchise  et  à  un  noble 
orgueil ,  aimé  du  peuple  à  cause  de 
sa  bravoure,  de  son  éloquence  et  de 
sa  générosité,  excita  par  sa  fin  tra- 
gique une  pitié  profonde  et  des  re- 
grets universels:  l'animadversioupu- 
blique  se  dirigea  sur  tous  ceux  qui 
avaient  contribué  à  sa  pcite;  et  à  la 
tête  on  plaçait,  à  juste  titre,  Walter 
Ralegh.  Le  sort  voulut  que  ,  comme 
capitaine  des  gardes,  il  se  trouvât 
obligé  d'assister  au  supplice  d'Es- 
sex. Toutefois  ne  por.vant  suppor- 
ter cet  affieux  spectacle ,  il  se  ré- 
fugia dans  une  chambre  de  l'ar- 
senal située  sur  la  place,  et  il  ne 
put  s'empêcher  de  verser  secrète- 
ment des  larmes  sur  la  mort  de  son 
rival.  Mais  sa  présence  au  pied  de 
l'échafaud,  et  sa  retraite  dans  un  lieu 
d'où  l'on  pouvait ,  sans  être  vu, con- 
teraplerà  loisir  l'exécution, furent  gé. 
néralemcnt  interprétées  d'une  maniè- 
re défavorable  pour  lui; et  la  haine 
qu'il  inspirait  déjà,  fut  portée  à  son 
comble.  Tels  étaient  les  sentiments 
publics  à  l'égard  de  Ralegh,  lorsque 
la  reine  Elisabeth  mourut,  et  que 
Jacques  I^r. ,  roi  d'Ecosse, et  fils  de 
l'infortunée  IMarie  Stuart  monta  sur 
le  trône  d'Angleterre.  Par  suite  de  la 
position  particulière  d'une  autorité 
qui  commence  et  qui  a  besoin  de  s'af- 
fermir ,  les  rois  se  plaisent ,  en  géné- 
ral, à  signaler  les  premiers  moments 
de  leur  règne  par  des  mesures  popu- 
laires, et  s'étudient  d'abord  à  ne  pas 
cinployerceux  que  l'opinion  publique 
réprouve.  Ralegh,  par  cette  seule  con- 
sidération, aurait  dû  se  déterminer  à 
la  retraite;  mais  jamais  l'ambition  ne 
borne  sa  carrière  :  elle  marche  tou- 
jours en  avant,  sans  considérer  les 
précipices  qui  se  préseulcnt  devant 
elle,  sans  écouter  les  conseils  de  la 


i4 


RAL 


conscience  sur  les  moyens  qu'elle 
emploie   pour  arriver    à   son  but. 
Ralegli,  dans  l'espérance  de  se  jus- 
tifier  des    préventions    que  le  nou- 
veau monarque  pouvait  avoir  con- 
tre lui,  lui  adressa  un  me'moire  ,  où 
il  s'attachait  à  faire  retomber   sur 
Gecil  l'odieux  de  la  mort  d'Essex,  et 
où  il  faisait  connaître  la  part  que  ce 
ministre  et  son  père  avaient  eue  dans 
la  condamnation  de  Marie  Stuart  ; 
mais  ce  coup  fut  sans  effet,  et  se 
tourna  contre  son  auteur.  Le  ruse' 
Cecil ,  à  l'insu  de  Ralegb  ,  avait,  de- 
puis long -temps,  pris  les  devants  : 
il  avait  surpris  une  correspondance 
secrète  entre  Esscx  et  Jacques  P»".  ; 
et,  loin  de  la  trahir,  il  avait  lui- 
même  lié  avec  le  roi  d'Ecosse,  mais 
d'une  manière  plus  indirecte ,  une 
correspondancedu  même  genre.  Pour 
complaire  à  cet  héritier  du  trône,  il 
avait  cherché  à  ralentir  les  poursuites 
dirigées  contre  Essex.  Raîegh  ,  igno- 
rant alors  les  motifs  d'une  telle  con- 
duite ,  crut  qu'elle  était  due  à  la  crain- 
te qu'inspirait  au  ministre  la  famille 
de  l'accusé  :  il  écrivit  à  Gecil  pour  le 
rassurer  à  ce  sujet,  et  pour  l'exhorter  à 
accabler  leur  ennemi  commun.  Cecil 
fit  part  de  ses  lettres  au  roi  d'Ecos- 
se ;  et  lorsque  celui-ci  monta  sur 
le  trône  d'Angleterre ,  il  était  déjà 
parvenu   à   acquérir  toute  la  con- 
fiance du  monarque,  et  à  lui  ren- 
dre Ralcgh  suspect.  Cecil  fut    dès- 
lors  pour  ce  dernier  un  ennemi  d'au- 
tant  plus    redoutable  ,    qu'il    con- 
serva le  pouvoir  et  l'Hifluence  dont 
il   avait  joui  sous  le  règne   précé- 
dent.   Ralcgh  ,   qui   ne    connaissait 
pas   le    caractère    versatile  et   pu- 
sillanime de  Jacques  1'^' .,  fournit  en- 
core à  ses  ennemis  de  nouvelles  ar- 
mescontre  lui,  en  se  montrant  parti- 
san  du   système  de  politique   suivi 
par  la  reine  Elisabelli,  tandis  que, 


RAL 

soit  par  faiblesse,  soit  par  vanité  , 
le  roi  en  avait  embrassé  un  direc- 
tement contraire.  Ainsi  l'offre  que 
fit  Ralcgh ,  au  commencement  du 
nouveau  règne,  d'aller  envahir  l'Es- 
pagne avec  deux  mille  hommes  sans 
qu'il  en  coûtât  rien  à  la  couronne , 
déplut  singulièrement  à  Jacques  P^"., 
dont  le  projet  était  de  conclure  la 
paix   avec  cette  puissance.  Ralegli 
mit  le  comble  aux  dispositions  peu 
favorables    du   roi  à    son    égard  , 
en  publiant  une  brochure  pour  dé- 
montrer que  l'Angleterre  devait  con- 
tinuer à  faire  la  guerre  à  l'Espagne 
et  secourir  les  Pays-Bas.  Vers  la  mê- 
me époque,  il  conçut  le  projet  de  ma- 
rierson  fils  aînéavecunede  ses  pupil- 
les, riche  héritière,  et  pouvant  avoir 
des  droits  éloignés  au  trône  d'An- 
gleterre, comme  issue  des  Plantage- 
nets.  On  profita  encore  de  cette  cir- 
constance pour  augmenter,  dans  l'es- 
prit de  Jacques  P''.  ,  la  défiance  et  les 
craintes  que  les  talents  et  l'ambition 
de  Ralcgh  avaient  fait  naître  en  lui.  Il 
lui  ôta  sa  charge  de  capitainedes  gar- 
des, et  il  l'éloigna  de  la  cour.  Par  cet- 
te conduite,  le  roi  jeta  Ralegh  dans 
le  parti  des   mécontents  ,  toujours 
nombreux  et  audacieux  sous  un  prin- 
ce faible.  De  ce  nombre  était  un  lord 
Cobham  ,  d'un  caractère  incertain , 
sans  principes  fixes,  sans  vertus  et 
sans  talents,  qui,  lié  avec  Ralegh  , 
entra  dans  une  conspiration  aussi  in- 
sensée  par    son   but    que   par    ses 
moyens.  Elle  était  formée iriiomracs 
opposés  par  leur  religion,  leurs  sen- 
timents ,   leurs    intérêts  ,  et   réunis 
seulement  par  leur  haine  contre  le 
roi  et  ses  ministres.  Ils   voulaient , 
par  l'appui  de  l'Espagne  et  de  l'Au- 
triche ,  renverser  du  trône  d'Angle- 
terre Jacques  I*^''.  ,   pour  y  placer 
une  miss  Arabella  Stuart,  pioche 
parente  du  roi  parla  famille  de  Le- 


RAL 

nox,  et  issue  e'galement  de  Henri  VII. 
Ce  plan  fut  éventé  presque  aussitôt 
que  conçu;  mais  une  correspondan- 
ce avait  eu  lieu  avec  d'Aremberg , 
l'ambassadeur  des  Pays-Bas,  et  avait 
été  saisie.  Les  accusés  avouèrent  tout; 
et  les  moius  importants  d'entre  eux 
par  leur  rang  et  leur  naissance ,  fu- 
rent promptement  jugés  et  exécutés. 
Le  jugement  de  lord  Grey  et  de  lord 
Cobham,  qui  paraissaient  être  les 
chefs  de  cette  conspiration ,  exigeait 
plus  de  formalités.  Cobham  ,  se 
croyant  trahi  parRalegh,  auquel  il 
avait  fait  quelques  confidences  ,  l'ac- 
cusa :  Ralegh  fut  arrêté;  on  nomma, 
pour  le  juger,  une  commission  dans 
laquelle  liguraient  ses  plus  grands  en- 
nemis, entre  autres  Ceci!.  Voyant, 
dès  le  premier  moment  ,  tout  le 
danger  qui  le  menaçait,  il  écrivit  au 
roi  pour  le  supplier  de  ne  pas  l'aban- 
donner en  des  mains  dont  il  ne  pou- 
vait échapper.  La  commission  nom- 
mée pour  le  juger  s'assembla  le  17 
novembre  iGo3.  Le  célèbre  juris- 
consulte Edouard  Coke  (/^.  ce  nom, 
IX,  200)  fut  chargé,  comme  procu- 
reur du  roi,  de  soutenir  l'accusation. 
La  seule  charge  qui  s'élevât  contre 
l'accusé  était  la  déposition  de  lord 
Cobham  ;  mais  cette  déposition  se 
trouvait  anéantie  par  une  déclaration 
solennelle  de  celui  -  ci  ,  qui  portait 
que  Ralegh  était  eniièrement  inno- 
cent de  ce  dont  lui,  Cobham  ,  l'avait 
accusé.  Edouard  Coke  produisit ,  à 
la  fin  des  débats  ,  une  pièce  inatten- 
due ,  et  qu'il  avait  tenue  exprès  en  ré- 
serve pour  déconcerter  l'accusé;  c'é- 
tait une  troisième  déposition  de  Cob- 
ham, qui  rétractait  eu  partie  la  dé- 
claration qu'il  avait  faite  en  faveur 
de  Ralegh.  Il  l'accusait ,  dans  ce  nou- 
vel écrit,  d'avoir  eu  l'intention,  par 
l'entremise  de  D'Aremberg ,  de  se 
procurer  une  pension  de  quinze  cents 


RAL 


i5 


livres  sterling,  en  s'eugageant  à  ins- 
truire l'Espague  de  tout  ce  que  l'An- 
gletcrre  pourrait  enlreprendie  con- 
tre elle.  Cette  dernière  déposition  de 
Cobham  lui  fut,  dit  -  on  ,  arrachée 
par  la  peur  et  par  les  instances  de 
sa  femme,  à  qui  l'on  avait  fait  ac- 
croire que  c'était  le  seul  moyen  de 
sauver  son  mari.  Quoi  qu'il  en  soit, 
Ralegh  s'efforça  de  prouver  l'absur- 
dité d'une  telle  accusation  contre  un 
homme  connu  pour  sa  haine  contre 
l'Espagne  ,  qui  avait  tant  de  fois 
versé  son  sang  pour  la  combattre,  et 
dépensé,  pour  cet  effet,  plus  de  qua- 
rante mille  livres  sterling  de  son 
propre  patrimoine.  Il  finit  en  réi- 
térant la  demande  qu'il  avait  faite 
vingt  fois,  dans  le  cours  des  débats, 
d'être  confronté  avec  son  accusateur; 
et  il  déclara  (ju'il  se  soumettait  d'a- 
vance à  sa  condamnation ,  qu'il  re- 
nonçait même  à  la  clémence  du  roi, 
dont  il  se  déclarait  iudigne,  si  Cob- 
ham soutenait,  en  sa  présence,  en 
présence  du  tribunal  et  des  jurés, 
les  faits  faux  et  calomnieux  dont  il 
l'avait  chargé,  et  si  au  contraire  il  ne 
les  rétractait  pas  de  la  manière  la 
plus  positive  et  la  plus  solennellco 
Celte  faveur,  qui  n'était  qu'un  acte 
de  justice  rigoureux,  fut  refusée  à 
l'accusé;  et  le  jury,  après  un  quart- 
d'heure  de  délibération,  le  déclara 
coupable.  A  peine  la  terrible  senten- 
ce qui  condamnait  Ralegh  au  sup- 
plice affreux  des  criminels  d'état,  fut- 
elle  prononcée,  que,  non -seulement 
toute  l'animosité  qui  existait  contre 
lui  s'apaisa  ,  mais  qu'elle  fit  place  à 
la  pitié,  à  Tintérêt,  et  même  à  l'en- 
thousiasme pour  ses  éraincntes  qua- 
lités. On  disait  publiquement  que 
cet  homme  ,  qu'on  accusait  de  con- 
nivence avec  l'Espagne  ,  était  sa- 
crifié à  la  haine  des  Espagnols  et 
aux  partisans  de  la  paix  avec  l'Es- 


i6 


RAL 


pagne  ;    qu'on    voulait ,    en    com- 
meltaut  une  barbarie  inouie  ,    en- 
lever à  l'Angleterre  un  de  ses  plus 
habiles  marins ,  un  de  ses  plus  grands 
capitaines  ,  un  de  ses  meilleurs  hom- 
mes d'état,  celui  enfin  qui  avait  por- 
té la  gloiie  du  nom  anglais  jusque 
dans  le  Nouveau -Monde,  et  ouvert 
à  son  pays  de  nouvelles  sources  de 
prospérité.  On  rappelait  surtout  avec 
amertume  cette  procédure  inique  et 
sans  exemple  dansles  fastes  judiciai- 
res de  l'Angleterre,  où  toutes  les  for- 
mes prescrites  par  les  lois  pour  la 
protection  de  l'innocence  avaient  été 
violées.  On  répétait  avec  indigna- 
tion les  surnoms  d'athée,  de  traî- 
tre ,    de  vipère  ,    d'araignée  d'en- 
fer ,  et  toutes  les  injures  ,  et  tous 
les  ignobles  tutoiements  qu'Edouard 
Coke  s'était  permis   envers  l'illus- 
tre   accusé  (4)  ;   et  l'on    opposait 
à  ces  fureurs,  à  ces  injustices,   à 
ces  violences  ,  l'imperturbable  sang- 
froid  du  héros  au  milieu  d'un  si 
grand  danger;  la  noblesse  de  son 
ton,  la  dignité  de  ses  manières;  sa 
défense  ,  si  éloquente,  si    calme, 
si  touchante,  si  persuasive.  L'opi- 
nion publique  fut,  à  cet  égard,  tel- 
lement forte  et  unanime,  qu'elle  en- 
traîna plusieurs   membres  du   jury 
qui  avaient  cond.iinné  Kalegh.  Quel- 
qucs-ims   versèrent  des  larmes  ,  et 
demandèrent  pardon,  à  genoux,  de 
l'iniquité  qu'ils  avaient  commise.  Les 

(4)  C.c-s  formes  iiuoleotcs  qu'employa  Edouard 
Coke  ii'apparticDDint  pas  aux  maiirs  du  tinips 
comme  Uuine  le  prétend  ;  elles  cliuqucrcnt  au 
coutrairc  leUemciit  alors,  que  Shakspiare  ''^s  ridi- 
culisa surlasiène,  dans  la  j.ièce  inlilulee  Iwellli 
KialU  l»dmi7.iimeuuil,  acte  111,'scciie  IV.Lepntle 
faitdireàfir  Tnby  Ikltb  :  .>  tcristardimei.l  ;  il  u'cst 
«pas  iié(es»airc  d'être  spirituel,  pourvu  une  lu 
»  dise»  bien  des  injures ,  surtout  si  tu  employé»  le 
>i  Iriiilt:  tuloUmenl ,  cela  fera  uicrveille.  »  Slialis- 
«care  fait  ici  allusion  ?.  unepliiase  d'ICdouard  Ça- 
te,  daimle  j.rocè»  de  RaleBli,  ((u'ou  avait  particu- 
lièrement retenue  \  cause  de  »a  siugulliie  grinsie- 
reté  :  El  <"•'  >  't''  ^"^*  "  ''«c:'"^  >  "  Cobbaui  a  agi 
»  ,iar  ton  imllKali.m ,  cqtendâ-«ii  vipère ,  car  je  re 
Il  luloie  toi  Irailrt!  » 


RAL 

historiens,  pourvus,  sur  ce  grand 
procès  ,  des   nouveaux  documents 
que  le  temps  a  mis  au  jour,  et  dé- 
pouillés des  passions  contemporai- 
nes,  sont  convenus  universellement 
que  les  preuves  alléguées  contre  Ra- 
legh  devant  le  tribunal  qui  l'a  jugé  , 
n'étaient  pas  suffisantes  ,  et  qu'il  a 
été  injustement   condamné  :    mais 
quelques  -  uns  ont  élevé  en  même 
temps  des  doutes  sur  son  innocen- 
ce. Plusieurs  ont  pensé  que  Ralegh 
fut  véritablement  coupable  de    ce 
dont  il  fut  accusé,  quoique  les  preu- 
ves du  fait  manquassent  alors  et  man- 
quent encore  aujourd'hui.  En  effet, 
les  aberrations  de  l'ambition  sont 
si  étranges  ;  celte  passion  dévoran- 
te jette  l'homme  dans  de  tels  écarts  , 
et  fait  tellement  varier    ses   senti- 
ments les  plus  chers ,  ses  opinions 
les  plus  prononcées  ,  que  les  cal- 
culs ordinaires  se  trouvent  souvent 
en  défaut  dansde  telles  circonstances. 
L'improbabilité   d'une    connivence 
coupable  de  la  part  de  Ralegh  avec 
les  agents  des  gouvernements  espa- 
gnols et  français  ,  ne  doit  donc  pas 
empêcher  de  prendre  en  considéra- 
tion les  indices  qui  tendent  à  prou- 
ver que  cette  connivence  a  réelle- 
ment eu  lieu  (  5  ).   Quant  à  nous  , 
après  avoir  examiné  tous  les  docu- 
ments qui  peuvent  jeter  quelque  jour 
sur  ce  problème  historique,   nous 
pensons  que  la  lettre  écrite  par  sir 
Walter  au  roi  pour  lui  demander  sa 
grâce,  contient  sur  ce  point  toute  la 
vérité.  «  Je  me  suis  perdu  (  dit  -  il 

(5)  Il  n'y  aurait  au<  un  doute  à  cet  égard,  si  Ton 
nioulait  foi  é  ce  que  disent  à  ce  sujet  DeThou  dan»  son 
Histoire  ,  et  ("ayet ,  dans  sa  Chronologie  septennairc  : 
mais  leur»  récits ,  fondés  probableineut  sur  des  bruits 
populaires,  sont  complttenicnt  faux  et  ne  méritent 
aui'une  alteulion.  Pour  avoir  les  fiiits  dans  toute  leur 
exactitude  ,  il  faul  recourir  aux  pièces  mêmes  du 
procès  ,qui  »e  trouvent  dans  les  Sttite  trials  ;  et  en- 
suite roiisiilter  le»  lettre»  de  lord  Cecil  et  d'aulrc.i 
personnage»  conteiupvraiDs  ,  sans  oublier  les  Mémoi- 
res de  Sully. 


RAL 

(ians  cette  lettre  )  ,  seulement  ponr 
avoir  entendu  sans  avoir  approu- 
ve. »  Ainsi  Ralegli  reçut  du  lord 
Coliham  la  confidence  de  ses  projets: 
il  n'y  coope'ra  point,  il  les  de'sappron- 
va  peut-être;  mais  il  ne  les  révéla 
point.  Il  se  conduisit  au  contraire  de 
manière  à  ne  pas  altérer  la  confiance 
que  Cobham  avait  en  Ir.i ,  parce  que 
tout  projet  qui  tendait  à  entraver  la 
marche  d'un  gouvernement  dont 
Ralegli  avait  encouru  la  disgrâce,  se- 
condait ses  vues  et  pouvait  amener 
des  chances  fimestes  à  ses  rivaux  et 
favorables  à  ses  ambitieux  désirs. 
Quoiqu^il  eu  soit  de  ces  conjectures, 
sir  Waiter,  après  sa  condamnation , 
s'attendait  de  jour  en  jouràctre exé- 
cute' :  il  demandait  seulement  à  être 
décapité,  et  à  ne  pas  périr  d'une  ma- 
nière ignominieuse.  C'est  alors  qu'il 
écrivit  à  sa  femme  une  lettre  tou- 
chante. «  Chère  Elisabeth,  lui  dit- 
il ,  je  vous  lègue  mes  conseils  ,  afin 
qu'ils  soient  toujours  présents  à  vo- 
tre mémoire;  je  a^ous  lègue  mon 
amour,  afin  que  je  vive  toujours  dans 
votre  cœur  après  ma  mort Ele- 
vez votre  fils  dans  la  crainte  de  Dieu, 
tandis  qu'il  est  jeune  encore;  car  la 
crainte  de  Dieu  croîtra  avec  lui ,  et 
Dieu  sera  pour  lui  un  père  ,  et  pour 
vous  un  mari  ;  un  mari  et  un  père 
que  les  hommes  ne  pourront  jamais 
vous  ravir.  »  Cependant  le  roi  in- 
fluencé par  le  cri  général  qrû  deman- 
dait grâce  pour  Ralcgh, ordonna  qu'il 
serait  sursis,  jusqu'à  nouvel  ordre, 
à  son  exécution  ,  ainsi  qu'à  celles 
de  lord  Grcy  et  de  lord  Cobham. 
Ralegh  fut  transporté  à  la  Tour  de 
ïjondres  le  i5  décend)rc  iGo3,  et 
commença  dans  ce  lieu  une  capti- 
vité qui  devait  durer  douze  ans. 
La  gestion  de  ses  biens  ,  qui  se 
trouvaient  ,  par  suite  de  sa  con- 
damnation ,    confisqués    au    profit 

XXXVII. 


RAL 


^7 


de  sa  famille  et  de  ses  créanciers , 
fut  donnée  à  deux  de  ses  amis  qu'il 
désigna  ;  mais  on  profila  de  son 
malheur  pour  lui  en  enlever  une 
partie.  Sous  le  prétexte  de  quelque 
défaut,  de  forme  réel  ou  supposé,  le 
roi  annula  la  concession  que  la  reine 
Elisabeth  lui  avait  faite  ciu  riche  do- 
maine de  Shelborne ,  et  en  gratifia 
Robert  Car  ,  comte  de  Somerset , 
jeune  fat  qu'il  avait  pris  dans  une 
singulière  affection.  Sir  Walter  s'ef- 
força vaiuementde  détourner  le  coup 
qu'on  voulait  lui  porter,  en  écrivant 
une  lettre  à  celui-là  même  qu'on 
allait  enrichir  à  ses  dépens  :  cette 
lettre  ,  pleine  d'une  noble  élo- 
quence ,  ''ne  fit  aucun  effet  sur  le  fa- 
vori. Les  amis  de  Ralegh  obtinrent 
cependant  qu'il  serait  donné  à  sa  fa- 
radle  une  somme  de  huit  raille  liv. 
sterling ,  à  litre  de  dédommagement 
du  tortquilui  étaitfait.  Lady Ralegh,  • 
beaucoup  plus  jeune  que  sou  mari, 
et  devenue  par  sa  condamnation  pos- 
sesseur de  ses  grands  biens,  avait 
demandé,  dès  le  premier  moment  de 
sa  captivité ,  à  être  enfermée  avec 
lui  ;  ce  c{ui  lui  fut  accordé.  Elle  n'a- 
vait qu'un  fils,  nommé,  comme  son 
père  ,  Walter  Ralegh  :  après  dix  ans 
d'infécondité,  comme  une  autre  Epo- 
nine ,  clic  enfanta  dans  sa  prison  nn 
second  fils ,  qui  reçut  le  nom  de  Ga- 
rcwRalegh  :scul  il  devait  un  jourper- 
pétuer  honorablement  le  nom  de 
son  père,  défendre  sa  mémoire  , 
et  hériter  de  ses  luens  et  de  ses 
honneurs,  sans  éprouver  ses  in- 
fortunes. Raleglx  ,  placé  comme 
une  victime  toujours  prête  sous  la 
main  de  ses  implacables  ennemis  , 
subissant  une  captivité  dont  le  terme 
ne  pouvait  être  abrégé  que  par  son 
supplice,  ne  se  laissa  poi tu  abattre 
par  une  destinée  aussi  cruelle.  Sa 
grande  anic  sembla  s'épurer ,  et  ac- 


i8 


RAL 


quérii'  de  nouvelles  fcvces  dans  l'ad- 
versité. Il  trouva  non-seulement  des 
consolations  ,  mais  dos  jouissances 
dans  la  tendresse  de  son  épouse ,  dans 
l'édncation  de  ses  enfants  ,  et  dans 
la  cnlture  des  lettres  et  des  sciences. 
Il  s'appliqua  à  la  chimie  ,  et  décou- 
vrit même  un  spécifique  qui  porta 
son  nom  ,  eut  une  ç;rande  vogue,  et 
sur  lequel  on  a  écrit  des  traités  :  on 
l'a  simplifié  depuis,  et  il  se  trouve 
inséré  encore  aujourd'hui   dans  la 
Pharmacopée  de  Londres  ,  sous  le 
titre  de  Confection  aromatique.  Ra- 
legh  écrivit  aussi  dans  sa  prison  di- 
vers traités  sur  la  politique  et  la  na- 
vigation ,  pour  se  délasser  d'un  ou 
vrage  plus  grand  et  plus  important , 
par  lequel  i!  se  flattait,  avec  raison  , 
de  recommander  son  nom  à  la  pos- 
térité. C'était  son  Histoire  univer- 
selle. Le  premier  volume  parut  en 
i6i4,  et  le  fit  mettre   au  nombre 
des  écrivains  les  plus  érudits  et  les 
plus    corrects   de  l'Angleterre.    Le 
grand  succès  qu'obtint  cet  ouvrage 
tut  dû  non  -  seulement  à  son  mé- 
rite intrinsèque,  mais  aussi  à  l'in- 
lérèt  qui  s'attachait  au  nom  de  l'au- 
teur.   En  effet ,  Ralegh  ,   pour  sa- 
tisfaire son  ambition,  livrant  sur 
terre  et  sur  mer  de  sanglants  com- 
bats ,  terrassant  par   ses  intrigues 
un  puissant  rival ,  se  montrant  insa- 
tiable de  places ,  de  dignités  et  de  ri- 
chesses ,  avait  excité  l'envie  et  la  hai- 
ne: mais  Ualegli  captif;  H.4logh  ,  par 
ses  vertus,  faisant  te  bonheur  d'une 
tendre  épouse  et  de  fils  chéris  ;  Ra- 
legh condamné  à  mort ,  s'adonnant 
avec  mie  parfaite  tranquillité  d'es- 
prit  à   de  longs  travaux,    servant 
l'humanité  par  ses  découvertes  ,  et 
éclairant  le  monde  par  ses  écrits, 
était  devenu  un  objet  de  respect,  d'ad- 
miraliun  cl  d'amour.  Celui  qui  prit  le 
plusd'intcrclàsonsort,(jui  lia  même 


RAL 

avec  lui  une  correspondance  suivie, 
fut  le  fils  du  roi ,  fut  ce  jeune  Hen- 
ri ,  qui  s'annonçait  avec  toutes  les 
qualités  d'nn  héros.  Lorsqu'on  lui 
parlait  de  l'illustre  prisonnier ,  il  di- 
sait :  «  Si  j'étais  à  la  place  de  mou 
père  ,  je  ne  tiendrais  pas  un  tel  oi- 
seau en  cage.  »  Mais  la  mort  pré- 
maturée de  ce  prince  priva  l'illustre 
captif  d'un  puissant  protecteur,   et 
l'Angleterre  d'un  monarque  qui  au- 
raitexercéuneglorieuseinflucucesur 
ses  destinées  ,  et  détourné  probable- 
ment les  malheurs  qui  accablèrent 
depuis  la  famille  des  Stuart.  Ralegh, 
cependant ,  après  ce  funeste  événe- 
ment, ne  resta  pas  sans  ajipui  à  la 
cour.    Le  roi  de  Dduemark    et   la 
reine  d'Angleterre  sollicitaient  vive- 
ment son  élargissement  :  l'occasion 
paraissait  favorable;  Cécil ,  son  prin- 
cipal ennemi,  n'existait   plus  ;  sir 
Ralph  Windwood  ,  qui  avait   suc- 
cédé à  une  partie  des  fonctions  de 
Cecil ,  se  montrait  contraire  aux  in- 
térêts de  l'Espagne ,  et  approuvait  les 
proj'  ts  du  héros  de  la  Virginie  ,  qui 
proposait  au  roi  d'aller  venger  en  Amé- 
rique les  cruautés  que  les  Espagnols 
avaient  exercées  envers  ses  sujets ,  et 
de  joindre  à  sa  couronne  l'empire  de 
la  Guiane  et  les  mines  d'or   qui   s'y 
trouvaient.  Enfin  la  longue  captivité 
de  Ralegh  eut  un  terme;  et  il  sortit 
de  la  Tour  de  Londres  ,  le  17  mars 
16 iG.  Mais  (nous  en  avons  aujour- 
d'hui la  preuve  ) ,  ce  ne  fut  point  à 
l'intercession  respectable  d'une  épou- 
se  cl  d'nn  roi ,  ce  ne  fut  point  à  des 
motifs  d'intérêt  national,  ni  à  des 
sentiments  de  miséricorde  et  de  jus- 
tice que  Jacques   l'^'".   céda  ,   lors- 
qu'il donna  l'ordre   de   mettre  sir 
Walter  Ralegh  en  liberté.  Il  obéit  à 
l'influeucc   de  son  nouveau   favori , 
Vdliers  ,  duc  de  Rnckingham,  qui 
fut    assez    vil   pour  exiger ,  corn- 


RAL 

me  prix  de  son  crédit ,  une  somme 
de  quinze  cents  livres  sterling.  Ainsi, 
gous  un  roi  faible  ,  le  bien  inùnc 
est  souvent  un  mal ,  parce  qu'il  ne 

1)eut  s'opérer  que  par  des  moyens 
louteux.  Ralegli ,  en  obtenant  sa  li- 
berté ,  n'avait  pas  obtenu  son  par- 
don :  cependant  le  roi  non-seulement 
avait  approuvé  le  plan  de  son  expé- 
dition pour  la  Guiane  ,  mais  en  avait 
fait  une  condition  de  la  grâce  qu'il 
lui  accordait.  Le  duc  de  Buckin- 
gbam  et  sir  William  John  offrirent  à 
Ralegh  s'il  voulait  ajouter  sept  cents 
livres  sterling  à  la  somme  qu'il  leur 
avait  déjà  donnée  ,  de  lui  procu- 
rer son  plein  et  entier  pardon  ,  re- 
vêtu de  toutes  les  formes  convena- 
bles, et  de  plus  la  faculté  de  ne  point 
entreprendre  l'expédition  contre  la 
Guiane.  Raiegli  l'efusa  :  ni  les  glaces 
de  l'âge  ,  ni  sa  longue  captivité,  n'a- 
vaient pu  amortir  le  feu  de  son 
imagination,  tu  mcdérer  sa  fougueu- 
se ambition.  Il  mit  la  plus  grande 
activité  dans  les  préparatifs  de  son 
expédition  :  il  y  consacra  toute  sa 
fortune  et  une  partie  de  celle  de  sa 
femme;  et  le  28  mars  1617  ,  il  mit 
à  la  voile  pour  entreprendre  sa  qua- 
trième expédition  dans  la  Guiane  , 
emmenant  avec  lui  une  escadre  de 
douze  vaisseaux.  Cependant  la  cour 
d'Espagne  avait  depuis  long-temps 
employé  toute  l'habileté  de  sa  politi- 
que pour  mettre  le  roi  d'Angleterre 
dans  SCS  intérêts:  elle  lui  avait  pro- 
mis une  infante  pour  le  prince  de 
Galles; elle  flattait  sa  vanité  du  titre 
de  roi  pacifique.  Les  seuls  préparatifs 
de  l'entreprise  projetée  excitèrent 
en  elle  les  alarmes  les  plus  vives  :  elle 
se  plaignit  à  Jacques  de  ce  qu'il  vou- 
lait troubler  la  bonne  harmonie  qui 
existait  entre  les  deux  nations.  Jac- 
ques répondit  que  la  commission 
qu'il   avait  délivrée  à  sir  Walter  , 


RAL 


»9 


portait  expressément  qu'il  n'entrc- 
pieiidrait  rien  contre  les  puissances 
avec  lesquelles  l'Angleterre  était  en 
paix ,  et  que  comme  il  ne  l'avait  pas 
relevé  de  la  condamnation  qui  pe- 
sait sur  lui,  il  était  certain  qu'il  n'ex- 
céderait pas  les  pouvoitj  qui  lui 
avaient  été  accoi\îés.  La  cour  d'Es- 
pagne ne  s'en  tint  pas  à  cette  décla- 
ration ;  et  ,par  les  intrigues  de  sou 
ambassadeur,  le  comte  de  Gondo- 
mar  ,  elle  parvint  à  faire  consentir 
le  faible  Jacques  h  s'unir  avec  elle 
pour  perdre  Ralegh.  Celui-ci,  avant 
de  partir  ,  avait  livré  au  roi ,  par  ses 
ordres,  le  plan  de  son  expédition, 
le  lieu  où  il  débarquerait ,  l'état  des 
hommes  et  des  munitions  de  guerre 
et  autres ,  qu'il  emportait  avec  lui. 
Cet  état ,  par  une  trahison  infâme, 
fut  remis  par  le  roi  lui  -  même  à 
Goudoraar,  qvii  le  fit  parvenir  à  sa 
cour  :  celle-ci  l'envoya  aussitôt  aux 
commandants  de  ses  colonies  en  Amé- 
rique. Tous  les  ports  furent  fortifiés  ; 
et  l'on  expédia  une  flotte  chargée  de 
croiser  dans  ces  jTarages.  L'Espagne 
eut  d'autant  plus  le  temps  d'achever 
ses  préparatifs ,  que  Ralegh  ,  contra- 
rié par  les  vents,  n'avança  que  très- 
lentement  j  la  maladie  et  le  mécon- 
tentement se  mirent  dans  son  équi- 
page ,  qui  avait  été  exprès  composé 
d'hommes  ignorants,  insubordonnés, 
et  souillés  de  tous  les  vices.  Enfin  il 
arriva  néanjnoins  sur  la  cote  de  la 
Guiane,  vers  le  milieu  de  novembre; 
mais  il  était  alors  accablé  par  la  ma- 
ladie, et  se  trouvait  dans  un  état  de 
faiblesse,  qui  le  rendait  incapable  de 
rien  entreprendre  par  lui-même  :  il 
envoya  Keymis  et  son  fils  Walter  à 
la  tête  de  ses  meilleures  troupes  ,  en 
leur  donnant  pour  instructions  de  se 
diriger  droit  vers  le  lieu  où  était  la 
raine  d'or ,  située  ,  selon  lui ,  à  deux 
journées  de  la  ville  de  Saint  -  Thomé 
2.. 


10 


RAL 


Lâtic  récemment  par  ics  Espagnols 
sur  la  branche  de  l'Orcnoqiic  qu'a- 
vait visitée Kcymis  dans  son  premier 
voyage.  Les  Espagnols  s'opposèrent 
à  ce  que  les  Anglais  pe'ne'lrasscnt  dans 
iHî  pays  dont  ils  se  prclendaienî.  les 
maîtres.  Les  Anglais  alorsaltaqucrent 
Sainl-Tlioraé  ,  prirent  cette  ville,  et 
ja  rciliiisircnt  en  cendres.  Diego  de 
Palameca,  qui  portait  le  titre  de  gou- 
verneur de  la  Giiiane,  d'Ei-Dorado  , 
et  de  la  Trinité,  fut  tué  dans  celle  ac- 
tion :  mais  le  jeune  Walter  y  perdit 
aussi  la  vie;  etKeymis  ,  affligé  d'une 
fà  grande  perte  ,  mal  obéi  des  siens  , 
et   ignorant  si   Ralegli    n'avait  pas 
succombé  à  la  violence  de  la  mala- 
die, revint  snr  ses  pas,  négligeant 
cette  partie  de  ses  instructions  qui 
lui    prescrivait   d'aller    en  avant  a 
la  recherche  de  la  mine.  Fortement 
désapprouvé  par  son  chef,  Keymis 
ne  put  supporter  ses  reproches  ,  et 
se   donna   la  mort.  Ralcgh   revint 
inconsolable  de  la  perte  de  son  fils, 
entièrement  ruiné  ,  et  obligé  encore 
de  se  défendre  contre  ceux  qui, après 
l'avoir  abandonné   au   moment  du 
péril, prétendaient,  pour  couvrir  leur 
lâcheté  ,    qu'il   n^^vait  formé  cette 
entreprise  que  pour  s'enrichir  par  des 
pirateries  ,  et  qu'il  ne  croyaità  l'exis- 
tence d'aucune  mine.   Dans  la  let- 
tre qu'il  écrivit  h  sir  Ralph  Wind- 
wo»d,  pour  lui  rendre  compte  de 
l'issue  malheureuse  de  son  expédi- 
tion, Ralcgh  eut  l'imprudence  défaire 
mention  de  la  trahison  dont  le  roi 
l'avait  rendu  victime,  en  transmet- 
tant aux  Espagnols  l'état  de  ses  for- 
ces.  Il  omit  celte  circonstance  dans 
son  apologie  ofllciellc ,  et  se  con- 
tenta  de  répondre  de   son   mieux 
aux  divers  reproches  qui  lui  étaient 
faits.    11    cita  tous  les   grands  ca- 
pitaines sur  terre  et   sur  mer  qui 
avaient  éprouvé  des  défaites  avec 


RAL 

des  forces  plus  nombreuses  et  bien 
disciplinées ,  tandis  qu'à  la  réserve 
de  quelques  amis  qui  l'avaient  suivi 
volontairement  ,  son  équipage  et  sa 
troupe  n'étaient  composés  que  d'un 
amas  de  misérables  ou  de  repris  de 
justice.  Aux  premières  nouvelles  de 
la  prise  de  Saint-Tliomé,  Gondomar 
était  allé  trouver  le  roi  Jacques  I't. 
pour  lui  demander  vengeance  de  la 
violation  de  la  paix  ,  contre  un  hom- 
me enfin  qu'il  ne  désignait  plus  que 
sous  le  nom  de  l'infâme  pirate.  Non- 
seulement  la  politique  de  sa  cour  ob- 
ligeait Gondomar  à  poursuivre  celle 
affaire  avec  chaleur  •  mais  Ralcgh 
était  pour  lui  un  ennemi  personnel  : 
Pedro   Sarraiento  ,    précédemment 
fait  prisonnier ,  et  Palameca  tué  h 
Saint-ïhomc,   étaient  tous  deux  les 
proches   parents  de  l'ambassadeur 
espagnol.  Lord  Carew,  et  quelques- 
uns  des  ministres  de  Jacques  I<^'". , 
s'employèrent  en  vain  pour  Ralcgh. 
Le  monarque  intimidé  par  les  mena- 
ces de  l'Espagne,  n'eut  aucun  égard 
à  leurs  conseils  ctàleurs  prières.  Il  fit 
paraître  une  déclaration,  en  date  du 
1 1  juin  1G18,  clans  laquelle  il  désap- 
prouvait la  prise  de  Saint-Thomé, 
et  toute  attaque  injuste  qui  pourrait 
avoir  été  faite  contre  les  sujets  du 
roi  d'Espagne  ;  il  ordonna  en  mê- 
me temps  que  cette  affaire  fût  ins- 
truite dans   son  conseil  privé.  Ra- 
lcgh, fort  de  son  innocence,  sachant 
qu'il  aA'ait  risqué  sa  vie  et  perdu  sa 
fortune  dans  une  entreprise  conçue 
principalement  jiour  l'intérêt  de  sa 
patrie  et  de  son  roi,  était  revenu  en 
Angleterre  :  mais  il  s'aperçut  bientôt 
des  fiicheuses  dispositions  de  Jacques 
h  son  égard  ;  et  se  repentant  de  ne 
s'être  pas  soustrait  à  sa  puissance  ,  il 
essaya  de  s'évader  :  ti\'ihi  par  celui- 
là    même  auquel  il  s'était  confie  , 
il  fut  arrêté ,  cl  de  nouveau  cmpri- 


RÂL 

souné.  L'Espagne  demandait  sa  tête; 
le  roi  la  lui  accordait ,  et  il  n'était 
plus  embarrasse  que  de  trouver  un 
moyen  légal  pour  ordonner  son  sup- 
plice. En  effet,  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne-accusait  le  commandant  an- 
glais d'avoir  viole  le  territoire  es- 
pagnol ,  d'avoir  surpris  ,  pdic  et 
brûle  une  ville  espagnole ,  d'avoir 
commis  une  infraction  à  la  paix , 
outrepasse'  les  pouvoirs  qu'il  avait 
reçus  du  souverain  ,  et  agi  dans  un 
sens  contraire  à  la  lettre  de  ses  ins- 
tructions. MaisRalegh  répondait  que 
c'e'taient  les  Espagnols  qu'il  fallait 
accuser  de  s'être  empare's  d'un  ter- 
ritoire, qui  appartenait  à  l'Angle- 
terre ,  puisque,  sous  le  règne  cl'É- 
lisabctb  ,  des  vaisseaux  équipe's  par 
lui  avaient  les  premiers  pris  posses- 
sion de  la  Guiane  au  nom  de  l'An- 
gleterre ,  et  le  roi  Jacques  lui-même 
avait  depuis  reconnu  cette  prise  de 
])Osscssion  ,  puisqu'il  avait  concède' à 
M.  Charles  LcigL  et,  à  M.  Har- 
court  une  portion  des  terres  de  la 
Guiauc.  Si  donc  Saint  Thome'  avait 
clé  prise  et  pille'e,  c'est  que  les  Es- 
]>agnols  qui  l'habitaient  avaient  les 
premiers  attaque  les  Anglais  ,  et  s'é- 
taient opposes  à  ce  qu'ils  pc'ne'tras- 
-cnt  jusqu'aux  mines  qui  leurappar- 
cuaicnt  ;  et  lors  même  que  Ralegh 
iie  se  serait  pas  trouve'  à  cet  égard 
iians  le  cas  d'une  légitime  défense , 
il  aurait  eu  le  droit  de  chasser  les 
Espagnols  d'un  territoire  usurpé  et 
appartenant  à  l'Angleterre  :  que  s'il 
existait  un  traite  de  paix  entre  les 
deux  nations,  tout  le  monde  savait 
que  ce  traite  ne  concernait  que  l'Eu- 
rope; que  relativement  aux  posses- 
sions d'outre- mer  ,  on  n'avait  pu 
s'accorder  sur  rien  ,  et  que  l'état 
de  guerre  subsistait  toujours  en- 
tre les  deux  nations  dans  ces  con- 
trées :  ce  qui  le  prouvait,  c'fst  ijue 


RAL  11 

les  Espagnols  en  Amérique  avaient , 
depuis  la  paix  ,  massacré  trente-six 
Anglais  faisant  partie  de  l'équipage 
d'un  vaisscauang  lais,  et  qu'ils  avaient 
livre  des  combats  et  exercé  d'autres 
cruautés  contre  des  sujets  anglais. 
Ralegb',  qui  n'avait  point  attaqué  les 
Espagnols  dans  leurs  possessions 
d'Europe ,  n'avait  donc  point  trans- 
gressé les  pouvoirs  que  le  roi  lui 
avait  accordés  :  il  n'était  donc  pas 
coupable;  et  les  accusations  dirigées 
contre  lui  devaient  être,  à  plus  juste 
titre,  rétorquées  contre  ses  accusa- 
teurs eux-mêmes.  Ces  raisons ,  qui 
eussent  été  rejetées  par  tout  tribunal 
espagnol ,  eussent  été  victorieuses 
devant  un  jury  anglais;  et  l'on  eût  en 
vain  espéré  en  composer  un  qui  con- 
damnât le  chef  d'une  telle  cxpé- 
dilion.  Comme  Jacques  1^''.  voulait 
satisfaire  la  cour  d'Espagne  à  tout 
prix,  on  résolut  de  se  servir  delà  con- 
damnation à  mort  que  Ralegk  avait 
encourue  quinze  ans  auparavant  ;  et 
sous  le  prétexte  que  ,  d'après  les 
lois  anglaises ,  il  n'était  pas  permis 
d'actionner,  pour  quelque  crime  que 
ce  fût ,  celui  qui  se  trouvait  poursui- 
vi pour  crime  dehautc-lraliisou,  ou 
requit  contre  sir  Walter,  pour  pimi- 
lion  des  nouveaux  délits  qu'on  lui  »«- 
])rocliait,  la  condamnation  à  mort 
dont  il  était  passible.  En  vain  oi^- 
jecta-t-il  qu'il  était  absurde  de  l'en- 
voyer au  suj)plicc  pour  avoir  fait  la 
guerre  à  l'Espagne ,  eu  vertu  d'un 
arrêt  rendu  pour  cause  de  conniven- 
ce avec  l'Espagne;  que  le  roi  l'avait 
relevé  implicitement  de  sa  condam- 
nation, puisqu'il  l'avait  fait  sortir 
de  prison  pour  lui  donner  un  com- 
mandement qui  lui  conférait  droit 
de  vie  et  de  mort  sur  les  propres  su- 
jets de  sa  majcslé.  Les  juges  du  tri- 
bunal lui  déclarèrent  que  l'intention 
du  roi  était  que  la  cojidauiuatiuu 


'i2  RAL 

({n'il  avait  encourue  ,  il  y  a  quinze 
ans  ,  reçût  son  cse'cution  ,  et  ils 
l'exliorlèrent  à  se  préparer  à  la 
mort.  11  s'y  prépara  en  effet  avec 
un  sang-froid  et  un  courage  di- 
gnes d'admiration.  La  reine  et  plu- 
hieurs  personnages  puissants  inter- 
cédèrent eu  sa  faveur  ,  et  chcr- 
chcrent  à  obtenir  sa  grâce  ;  mais 
Gondomar.  réclama  avec  force  au- 
près du  roi  i'exéculion  de  l'enga- 
gement contracté  avec  lui ,  et  il 
l'emporta.  Ralegh  apprit  avec  in- 
différence les  efforts  que  Ton  fai- 
sait pour  lui  sauver  la  vie.  L'â- 
ge ,  la  fièvre,  qui  le  tourmentait 
alors ,  et  les  indignes  traitements 
dont  il  était  l'objet,  lui  avaient  ôté  le 
désir  de  prolonger  son  existence. 
«Le  monde,  disait-il,  n'est  qu'une 
D  vaste  prison  ,  dans  laquelle  un 
»  grand  nombre  sont  journellement 
»  choisis  pour  être  exécutés  par 
«  Li  mort.  »  Il  écrivit ,  la  veille 
du  jour  fixé  pour  son  supplice,  une 
pièce  de  vers  intitulée  :  Mon  pè- 
lerinage :  il  dressa  ensuite  une  cour- 
te déclaration  pour  attester  devant 
Dieu ,  qu'il  était  innocent  des  faits 
dont  on  l'accusait;  protestant  que 
jamais  il  n'avait  formé  aucun  com- 
plot, directement  ni  indirectement 
avec  le  roi  de  France  ou  tout  autre 
prince  étranger,  et  qu'il  n'avait  eu 
d'autre  projet,  dans  son  expédition 
de  la  Guiane  ,  rfuc  de  s''era parer  des 
mines  d'or  qu'il  croit  exister  à  trois 
journées  de  Saint-Tlioraé.  Enfin  ,  le 
29  octobre  1G18  fut  le  jour  lixé 
pom-  son  exécution  ;  et ,  par  une  ren- 
contre  singulière,  qui  n'a  eu  lieu  (pie 
cette  seule  fois,  ce  jour  était  celui 
de  l'inaugiiralioM  d'un  nouveau  lord 
maire.  Ualeç;li ,  conduit  par  les  sclie- 
rill's ,  marclia  au  sup|ilice,  non-scule- 
mentavcccalmeet  dignité,  maisav(  c 
rontentcmonl.  Arrivé  an  lieu  où  l'é- 


RAL 

chafaud  était  dressé  ,  il  se  félicita  de 
n'avoir  pas  succombé  à  sa  maladie  , 
et  de  n'avoir  pas  péri  dans  l'obscuri- 
té d'une  prison  ,  mais  de  mourir  au 
grand  jour  en  présence  de  ses  amis 
et  de  tant  de  personnes  recoinman- 
dables.  Il  les  pria  de  s'approcher 
tous  de  l'échafaud ,  aiin  de  mieux 
entendre  ce  qu'il  aurait  à  dire;  et  il 
pron  onça  ensuite ,  d'une  voix  forte  et 
assurée,  un  long  plaidoyer  pour  ré- 
futer toutes  les  accusai.ions  et  foutes 
les  calomnies  dont  il  avait  été  l'ob- 
jet (5).  Quand  il  eut  fini  son  apo- 
logie .  il  fit  des  adieux  particu- 
liers à  chacun  de  ses  amis,  en  leur 
disant  qu'il  partait  pour  un  long 
voyage  ;  et  il  chargea  lord  Arundel , 
qui  se  trouvait  présent,  de  supplier 
le  roi  de  sa  part,  de  faire  en  sorte 
qu'il  ne  fût  publié  aucun  écrit  pour 
didamer  sa  mémoire.  11  fit  ensuite 
éloigner  de  l'échafaud  tous  ceux  qui 
s'étaient  pressés  autour  de  lui,  et  il 
demanda  à  l'exécuteur  de  lui  montrer 
sa  hache  ;  il  en  examina  le  tranchant, 
et  l'ayant  trouvé  tel  qu'il  le  desirait, 
il  dit  :  a  C'est  un  remède  aigu ,  mais 
»  il  guérit  de  tous  les  maux.  »  L'exé- 
cuteur se  mit  à  genoux  devant 
lui  pour  lui  demander  pardon.  Ra- 
legh posa  une  de  ses  mains  sai- 
son épaule,  et  déclara  qu'il  lui  par- 
donnait. Il  se  tourna  ensuite  succes- 
sivement vers  tous  les  assistants ,  et 
les  engagea  à  haute  voix  dff  prier 
Dieu  pour  lui;  puis  il  mit  sa  tête 
sur   l'échafaud  ,   et   avec  sou  bras 


(5)  Iliimc  ,))Our  ôtcr  toiilc  leur  valeur  i  des  lisser- 
ons laites  BU  pied  de  IVcliafauJ  ,  pn  tend  que  Bn- 
■gli  di'<;lara  dans  cette  occasiuii  ,  de  la  mauiè- 
2  la  plus  solemiille  ,  (ju'il  n'avait  on  rien  coopc» 
i  il  la  mort  d'Iissex  ,  tandis  que  ses  lelti-cs  prouvent 
;  euntraire.  Mais  cola  n'est  pas  exact  :  dans  son 
|H)liii;io,  RaleRli  se  jnslifie  seulement  île  s'être  rc- 
dc  la  mort  d'IDssex;  il  dit  qu'il  l'a  pleuré,  pre'- 


vant  bien  lUic   le 


<\  KsMX  di  vieudraieii» 


Kuletliuc  dil  rien  de  plu»;  au  con- 


iciitAt  le»  sien».  Huletli  ne  ilil  ru'u  ue  plu»;  au  co 
-aire,  il  avouo    (jii'il  était  d'nu   ynrtJ  Contraire 


RAL 

donna   le  signal  à  l'exccutcur,  qui 
aussitôt,  frappa  le  coup  mortel.  Ainsi 
périt ,  à  l'âge  de  soixante -six  ans  , 
Waltcr  Ralcgb ,   qui    eût   été    plus 
grand  et  plus  heureux,  si ,  pour  sa 
fortune  et  pour  sa  gloire,  il  s'était  fîe 
à  la  seule  puissance  de  son  génie,  et 
s'il  n'avait  pas  laissé  dégrader  en  lui, 
jiar  le  manège  et  les   passions   du 
courtisan ,  les  actions  et  les  senti- 
ments du  liéros.  Cette  grande  victi- 
me, si  lâclicmeut  sacrifiée  à  une  na- 
tion rivale  et  abliorrée  des  Anglais, 
augmenta  encore  leur  animadversion 
contre  Jacques    F"". ,  contre  ce  loi 
rhéteur,  ce  pédant  couronné,  de- 
venu méprisable   ])ar   sa  faiblesse, 
et  ridicule  par  son  savoir   même. 
L'opinion  publique  se  prononça  si 
ënergiqueiuent contre  cet  acte  brisse- 
ment  cruel,  que  Jacques  crut  devoir 
publier  une  déclaration  jusliiicative, 
qu'il  fit  signer  par  six  membres  de 
sou    conseil-privé.   11   est  éionnant 
que  Hume  ait  pu  trouver,  dans  les 
mensonges  officiels  que  renferme  cet 
e'crit,  les   fondements  de  la  vérité 
historique ,  et  qu'il  se  soit  formé  , 
d'après  eux  ,  nne  opinion  qui  l'ait 
rendu  injuste  envers  l'un  des  plus 
grands  hommes  que  l'Angleterre  ait 
produits.  Shirley  ,  William  Oldy  et 
Thomas  Birch  ont  écrit  des  notices 
sur  Walter  Ralegh  ,  en  tête  de  ses 
OEuvres.  M.  Arthur  Cayley  a  publié 
à   Londres ,   en    1 8o5 ,  une   Vie  de 
fFalter  Ralegh,  en  i  volumes  in- 
4°.  :  son  ouvrage  n'est  qu'un    re- 
cueil de   pièces  et  de  notes  relati- 
ves à  Ralcgh,  classées  par  chapitres, 
mais  pas  toujours  selon  l'ordre  con- 
venable. En  tête  de  cet  ouvrage,  qui 
contient  plusieurs  morceaux  curieux 
et  jusqu'alors  inédits  ,  est  un  portrait 
de  Ralcgh  et  ua  fnc  -  iiinile  de  son 
écriture.  Iva  seconde  partie  du  cin- 
quième volome  de  la  collection  in- 


RAL 


23 


titillée  :  Select  Biographj ,  in-  i8, 
publiée  on  \9>ii  ,  contient  nne  Vie 
de  Ralcgh  ,  compilée  avec  peu  de  ju- 
gement. Parmi  les  nombreux  ouvra- 
ges sortis  de  la  plume  de  Ralegh  , 
V Histoire  du  monde  est  le  princi- 
pal. La  onzième  et  dernière  édition 
de  cet  ouvrage,  qui  est  aussi  la  meil- 
leure, a  été  donnée  par  Oldy,  infol., 
en  i^SG.LedocteurThoraasBircha 
publié  les  OEuvres  diverses  de  Ra- 
legh ,  en  i-jSi  ,  en  u  vol.  in  -  8".  ; 
mais  il  en  a  omis  un  assez  grand 
nombre,  soit  imprimées,  soit  manus- 
crites,dontM.  Cayley  a  donné  la  lis- 
te, dans  son  tome  n,  p.  188-190. 
11  en  est  qu'on  n'a  pu  retrouver,  mê- 
me en  manuscrit,  et  qu'on  ne  con- 
naît que  par  les  citations  que  Ralegh 
lui-même  en  a  faites;  tel  est  son 
Traité  sur  les  Indes  Occidentales^  et 
celui  sur  la  Tactique  navale,  dont 
il  fait  mention  au  livre  v,  chap.  1  , 
scct.  6  de  son  Histoire  du  monde. 
Gibbon  commença,  dans  sa  jeunes- 
se, une  Biographie  de  Ralegh;  mais 
il  abandonna  ce  projet  pour  un  au- 
tre plus  vaste.  Ce  beau  sujet ,  qui 
était  digne  de  la  plume  d'un  histo- 
rien tel  que  Gibbon  ,  reste  encore  à 
traiter  (6).  W — r. 

RALLIER  DES  OURMES  (Jean- 
Joseph),  conseiller  d'honneur  au  pré- 

((!)  Tous  les  diclionDaiics  biagrapliiqiies  français 
oui  ri  pete  <[iie  Waitcr  F.alenli  a  le  preuiior  ti-ans- 
puité  le  cerisier  en  Irlaode,  et  qu'il  fiit  planté  daus 

I  jardiu  qui  existe  encore  près  de  AVaterford.  Ce 


lait  intéressant  peut  rtre 


iqu 


il  s  •   trouve 


daus  des  livres  qui  fourmillent  d'erreurs  sur  Ralegh. 
Cependant  nous  ne  l'avons  lu  dans  aucun  des  ouvra- 
ges originaux  qui  nous  ont  servi  de  j;uide;  et  n'ayant 
p.is  le  loisir  de  faire  lis  reclierches  riécessaires  ,  nous 
ne  |i  iiivons  ni  Tadmettre  ui  le  rejeter.  11  en  est  de 
mèiMo  d'nn  autre  fsit]>'us  important ,  c'esl  l'iiilro- 
ducliun  de  la  ponnue  de  terre  ,  le  présent  le  plus  pré- 
cieux que  l'ani  icMi  monde  ait  reçu  du  nouveau.  On 
dit  ((UH  Ralegli  l'a|)|>orta  d'Aniériipie  eu  Irlande, 
d'où  il  le  pissa  dans  le  ijancasliirc  ,  où  elle  fut  cul- 
tiv.i-  en  i;rand,ct  de  P.  poitée  sur  le  continent. 
C'est  <lu  uiuius  l'opinion  de  l'armeutier.  Quel- 
ques plants  eu  avaient,  il  est  vrai ,  été  porte-,  ante- 
lieureuient  en  Italie  (  /'.  LkclUSE);  maison  ne  les 
y  cultivait  guère  que  comme  im  objet  desimnlecn- 
liosilé. 


^4 


UAL 


sidial  de  Rcuiics ,  né  le  26  mai  1 70 1 , 
n'a  fait  imprimer  séparément  aucun 
de  ses  ouvrages;  mais  il  s'en  trouve 
de  dissémines  en  diflercîUs  recueils  , 
notamment  dans  rEucycIopédie  et 
dans  les  Mémoires  des  savants  étran- 
gers ,  que  publiait  tous  les  ans  l'aca- 
démie des  sciences.  Presque  tout 
ce  qu'il  a  fourni  à  l'Encyclopé- 
die est  relatif  à  l'arithraétique.  Tels 
sont  les  articles ,  Echelle  arithmé- 
tique,  Escompte,  Intérêt  j  Pro- 
■portiun  ,  Progression.  Un  seul  a 
trait  à  la  morale  ;  c'est  celui  du 
Fœu  conditionnel)  mais  ce  morceau 
suffit  pour  donner  une  idée  de  la 
façon  de  penser  de  l'auteur  et  de  sa 
manière  d'écrire.  D'Alerabert  parle 
en  plusieurs  endroits ,  avec  éloge ,  du 
tribut  que  Rallier  payait  à  l'Ency- 
clopédie. Ou  peut  voir  ce  qu'il  dit, 
à  roecasion  de  l'article  Echelle 
arithmétique  ,  quoique  lui  -  même 
eût  déjà  fourni,  sur  la  même  matiè- 
re ,  les  articles,  Arithmétique,  Bi- 
naire, Calcul,  D ad jlonomie,  Dé- 
cimales ,  etc.  Rallier  a  fourni  aux 
Mémoires  des  savants  ètransiers  : 
1°.  Mémoire  sur  les  carrés  magi- 
ques (  tome  IV  ,  année  1763);  —  2°. 
Usage  des  diviseurs  d\in  nombre 
pour  résoudre  un  problème  d^ arith- 
métique (tome  V, année  1 768); — 3". 
Méthode  facile  pour  découvrir  tous 
les  nombres  premiers  contenus  dans 
un  cours  illimité  de  la  suite  des  im- 
pairs, et  tout  d'un  temps ,  les  divi- 
seurs simples  de  ceux  qui  ne  le  sont 
pas; — ,\^.  Méthode  nouvelle  de  divi- 
iion  quand  le  dividende  est  multi. 
pie  du  diviseur,  et  d'extraction 
quand  la  puissance  est  parfaite. 
ilallier,  faisant  lui-même  l'applica- 
tion de  sa  méthode,  avait  rédigé  des 
Tables  fort  étendues  des  nombres 
picmiers  et  des  diviseurs  sim])l(s  de 
ceux  qui  ne  le  sont  pas.  Ces  Tables, 


RAL 

dont  le  manuscrit  existe  de  sa  main, 
étaient  destinées  à  l'impression;  mais 
l'ouvrage  que  M.  Lidoune  a  publié, 
en  1808,  sous  ce  titre:  Tables  de 
tous  les  diviseurs  des  nombres  , 
calculés,  depuis  un  jusqu'à  cent 
deux  mille ,  rend  désormais  cette 
publication  superflue.  Ces  Tables 
sont  d'autant  plus  utiles,  qu'avec 
les  nombi'cs  premiers  ,  on  y  trouve 
encore  leurs  logarithmes.  Rallier 
des  Ourmes  a  fourni  aussi  plusieurs 
Mémoires  à  la  société  d'agricul- 
ture, de  commerce  et  des  arts  de 
Bretagne  ,  fondée  en  1707  ,  et 
dont  il  fut  un  des  premiers  mem- 
bres. Il  a  laissé,  sur  la  théurie  des 
probabilités  appliquée  aux  jeux  sou- 
mis à  l'influence  du  hasard,  tels  que 
le  ti-ictrac ,  et  sur  d'autres  matières, 
des  écrits  qui  n'ont  point  vu  le  jour. 
Il  avait  fait  ses  études  chez  les  Jé- 
suites ;  et,  fort  jeune  encore ,  il  avait 
élé  tenté  de  se  faire  jésuite  lui  -  mê- 
me. Déjà  il  avait  rempli ,  pendant 
quelque  temps  ,  dan^  cette  société  , 
les  fonctions  de  régent;  et  il  était 
sur  le  point  de  s'y  engager  pour  tou- 
jours, quand  des  raisons  de  famille 
le  détcrjuinèrcnt  à  rentrer  dans  le 
monde.  Un  frère  aîné  ,  qu'il  perdit 
quelque  temps  après,  lui  laissa  une 
fortune  délabrée,  dont  il  sauva  les 
débris.  II  se  maria  ensuite;  et,  su 
retirant  dans  une  campagne,  il  y 
consacra  tons  ses  moments  ou  à  l'é- 
tude ou  à  l'éducation  de  ses  enfants. 
Non-seulement  il  apprit  à  son  fds 
ce  que  l'on  apprend  dans  les  collè- 
ges; il  l'avança  même  assez  dans  les 
mathématiques  pour  le  mettre  en 
état  d'être  reçu  ,  à  l'âge  de  seize  ans , 
aux  écoles  d'application  du  génie. 
Rallier  des  Onrmes  est  mort,  le  a3 
juin  1771  ,  dans  son  modeste  ma- 
noir de  la  Rivière  ,  près  de  Vitré. 

LJ. 


RAM 

RAMAZZINI   (  Bkrnard  ) ,  mc- 
dccm  ,  naquit ,  en   i633,àCarpi, 
petite  ville  de  l'état  do  Modcnc  ,  déjà 
célèbre  par  la  naissance  de  Jacques 
Berenger  {  V.  ce  nom  ,1V,  ^36  ) , 
qui,  l'un  des  premiers  ,  appliqua  le 
mercure  au  traitement  des  maladies 
sypliilitiques,  fit  un  secret  de  ce  pro- 
cédé, et  gagna  une  fortune  immense. 
Ramazzini  fit  ses  études  au  coUcgedes 
jésuites  deModène,  et  étudia ,  pen- 
dant trois  ans  ,  la  philosopliieà  Par- 
me. Son  élocution  était  si  pure  et  si 
facile,  que  son  père  voulut  l'engager  à 
entrer  dans  la  carrière  du  droit  et  de 
la  législature;  mais  il  se  décida  pour 
la  médecine,  par  uu  goût  particulier. 
Il  suivit  les  cours  de  l'université  de 
Parme  ,  pendant   quatre  ans  ,  et  , 
après  avoir  reçu  le  bonnet  de  doc- 
teur, en    1659,   se  rendit  à  Rome, 
où  il  se  mit  au  nombre  des  disciples 
d'An  t.  Marie  de  Rossi ,  fils  de  Jérô- 
me de  Rossi ,  médecin  du  pape  Clé- 
ment VII  :  il  pratiqua  son  art  quel- 
que temps  dans   cette  capitale  ,  et 
obtint  la  place  de  meàico  condotto 
(  médecin  particulier  )  de  la  petite 
ville  de  Castro.  Mais  l'air  peu  salu- 
brc  de  ce  pays  altéra  sa  santé ,  et  l'o- 
bligea de  retourner  dans  sa  patrie  , 
oùil  fut  long-lcnips  à  se  rétablir.  Il 
y  exerça  l'art  médical  avec  distinc- 
tion ,    jusqu'en    1 67 1  ,   époque  à 
laquelle  il  fut  appelé  à  Modènc  par 
Je  duc  régnant.  11  y  acquit ,  en  peu  de 
temps,  une  grande  réputation.  Fran- 
çois II  ,  duc  d'Esté  et  de  Modène  , 
ayant    fondé    dans    cette    dernière 
ville    une   école  de  médecine  ,   en 
1678  ,   Ramazzini  y  fut    nommé, 
quatre  ans  après  ,    professeur    de 
théorie.  Il  y  enseigna  pendant  dis- 
huit  ans.  Une  maladie  épidémiquc  , 
de  la  nature  de  celles  qu'on  nom- 
mait lièvres  putrides  et  pétéchialcs  , 
se  manifesta ,  en  1G90  ,à  Modènc,  et 


RAM 


23 


y  causa  de  grands  ravages  ,  surtout 
parmi  les  Juifs.  Ramazzini  eut  beau- 
coup de  malades  à  soigner^  et  il  écri- 
vit une  histoire  circonstanciée    de 
cette  maladie.  Ou  prétend  qu'il  a  été 
le  premier  qui  ait  observé  l'influence 
qu'une  éclipse  exerce  sur  le  corps 
humain  malade  :  à  cette  époque  il  y 
en  eut  une  de  lune  ,  pendant  laquelle 
beaucoup    de    malades    succombè- 
rent. L'universitéde  Padoue  jouissait 
d'une  juste  célébrité.  Ramazzini  y  fut 
nommé,  eu  1 700,  à  la  chaire  de  mé- 
decine pratique.  Quoiqu'il  eût  alors 
soixante-six  ans,  il  n'en  Ht  pas  moins 
ses  cours  avec  toute  l'exactitude  et 
l'activitéd'unhûmmedauslaforcede 
rage  ;  mais,  trois  ans  après ,  une  flu- 
xion dont  il  fut  attaqué  ,  lui  afTaiblit 
les  yeux ,  et  il  perdit  la  vue ,  en  1 7o5. 
Le  sénatde  Venise  lenonunaeni  708, 
président  du  collège  de  médecine  de 
cette  ville;  et,  l'année  suivante,  il 
fut  promu  à  la  première  chaire  de 
médecine  pratique.  Sou  pelit-fils  lui 
servait  de  lecteur  pour  ses  leçons , 
qu'il  continua  pendant  six  ans.  Mais 
le  5  novembre  1714»  ^^  ^^^^  frappé 
d'une  apoplexie  foudroyante  qui  ter- 
mina ses  jours ,  à  l'âgede  (pialre-vingt 
un  ans.  Il  était  membre  de  l'académie 
des  Dissonanti  de  Modènc  ,  de  celle 
des  Curieuxde  la  nature  ,  de  la  société 
royale  de  Berlin  et  de  l'académie  des 
Arcadiens  de  Rome.  Ramazzini  lut 
un   excellent    observateur;  mais  il 
adopta  trop  servilement  les  jirinci- 
pes  systématiques  qui  dominaient  de 
son  temps  dans  les  écoles  d'Italie, 
d'après  lesquels  on  donnait  une  défi- 
nition chimique  à  toutes  les  causes 
des  maladies  ]  dont  il  ne  se  permet- 
tait, au  reste  ,  que  rarement  de  don- 
ner une  définition  catégorique.  Ce- 
pendant il  parut  toujours  assez  dis- 
posé à  regarder  la  coagulation  du 
sang  opérée  par  Its  acides,  et  sa  dis- 


u6 


RAM 


solution  produite  par  les  alkalis  , 
comme  les  fouclemeuis  des  maladies 
dominantes,  appuyant  cette  théorie 
sur  des  expériences  relatives  à  l'in- 
fusion. En  conséquence  de  ce  systè- 
me ,  Raniazzini  commença  ,  dans 
l'e'piiltmiede  iGgi  ,  à  prescrire  les 
alkalis;  mais  comme  il  n'en  relira 
aucun  avanuif^e  ,  il  eut  recours  aux 
remèdes  acides,  tandis  que  ,  dans 
l'ëpide'mie  derannèe  précédente,  il 
avait  trouve'  utiles  les  diapliorètiques 
et  les  sels  volatils.  Deux  seuls  méde- 
cins se  montrèrent  les  adversaires  de 
la  doctrine  cliimique  de  Ramazzini: 
ce  furent  Domenico  Sanguinetti ,  de 
Naplcs,qai  écrivit,  en  iG99,uneDis- 
sertation  iatropliysique  sur  ce  point; 
et  Joseph  del  Papa  ,  premier  méde- 
cin du  grand-duc  de  Toscane,  qui 
publia  son  livre  De prœcipuis humo- 
ribus.  dans  lequel  il  réfute,  par  des  ar- 
guments solides ,  la  doctrine  iatrochi. 
Hiique.Ramazzinia  beaucoup  écrit; 
le  premier  fruit  de  sa  plume  fut  un 
poème  latin  ,  composé  entièrement 
(le  vers  de  Virgile,  et  adressé  à  Louis 
XIV  pour  célébrer  l'expédition  de 
Sicile  (  r.  DuQUESNE ,  XII,  33o  )  : 
1 .  De  bello  Siciliœ  cento  ex  Firgilio, 
Modcne  ,  1677  ,  in-4".  Le  présent 
que  le  roi  lui  envoya  en  récom- 
pense ,  se  perdit  en  route.  II. 
Exercilatlo  iatro-apoloa,elica ,  seu 
Jicsponsutii  ad  scripturain  rjiiam- 
dam  AaaihaUs  Cenni,  doclorls  me- 
dici  ,  Modène  ,  i(J79,  in-fol.  III. 
Fiehiziona  sopra  il  parla  e  la  morte 
dellamarchese  Marlellini.  Modène, 
1G81  ,  in-fol.,  I  vol.  Cet  ouvrage 
donna  lieu  à  une  controverse  fort 
étendue,  dont  Cindli  donne  le  dé- 
tail dans  sa  Bihlioteca  volanle , 
IV,  II 4.  IV.  De  constitiUione 
anni  iHfjo,  ac  de  epidemid  quœ 
Mulinensis  av^ri  colonns  afjlixit  , 
ibid.,  iOf)i,  iu-4".  V.  De  jonliuin 


RAM 

Mutinensium  admirandâ  scatu  ri- 
gine ,  ibid.,  1691.  VI.  De  morbis 
arlificum  diatriba  ,  ibid.  ,  1700  ; 
Utrecht ,  i7o3;Padoue  1718^  Ve- 
nise ,  1743;  Leipzig,  1718;  trad. 
allemande,  par  Ackerman,  Stendal, 
1780-83,  a  vol  in-8'^.Cet  ouvrage, 
le  plus  complet  qui  eût  paru  jusqu'a- 
lors sur  les  maladies  particulières  à 
chaque  profession  ,  a  été  traduit  en 
français  parFourcroy,  Paris,  1777, 
ic-i'2,  et  pour  ainsi  dire  refondu, 
avec  des  additions  assez  considéra- 
bles, parleD'. Pâtissier, ibid.,  1822, 
I  vol.  in-8°.  VII.  Orationes  iatrici 
argumenti ,  Padoue,  1708  ,  in-4°. 
Ce  sont  des  prolusions  pour  l'ouver- 
ture des  cours  de  médecine.  VIII.' 
Ephemeiides  barometricœ,  Modè- 
ne, 17 10.  IX.  De  principum  va- 
letudine  tuendd  commentalio ,  Pa- 
doue, 17  10,  in  -  4°.  X.  De  conta- 
giosd  epidemid  quce  in  Patavino 
agro in  boves  irrepsit ,  ibid.  ,  1712, 
in-b°. ,  1713;  trad.  en  allemand  à 
Lunebourg  ,  174G  ,  in-8'^.  XI.  De 
abusa  cliinœ  dissertalio  epislolaris 
Padoue,  1714-  Ramazzini  se  mon- 
tra assez  ennemi  du  quinquina  ,  re- 
mède nouvellement  apporté  de  l'A- 
mérique espagnole ,  et  au  sujet  du- 
quel il  y  eut  de  grandes  controverses 
parmi  les  médecins.  Baglivi,  de  Ro- 
me, qui  était  contemporain  de  Ra- 
mazzini, fut  l'iui  des  plus  ardents 
adversairesde  l'emploi  duquinquina; 
tandis  qucTorli,  de  Modène  ,  qui  vi- 
vait à  la  même  époque,  écrivait,  en 
faveur  de  ce  précieux  médicament , 
son  immortel  ouvrage  intitulé:  Te- 
rapeutice  specialis  ad  febres  pemi- 
ciosas  ac  repente  lethales  ,  qui  fut 
imprime,  pour  la  première  fois,  à 
TModène,  en  1709.  Ramazzini  j)u- 
blia  encore  plusieurs  autres  écrits 
qiu;  l'on  trouve  dans  les  Recueils  des 
aclcs  dc3  Curieux  de  la  nature  ,  et 


RAM 

dans  sesOEuvres ,  dont  la  collection 
fut  imprimée  à  Genève ,  en  1717, 
iii-4'^.  ,  par  les  soins  de  Bartheleini 
Ramazzini ,  son  neveu;  réimprimée 
àPaflûue,en  1718,  4  vol.  in-8"'.; 
Londres ,   1717;  Naples  ,  1 789  ,   2 
vol.  in-4". ,  fîg-  '■  cette  édition  passe 
pour  être   la    plus    complète  et  la 
meilleure.  M.  E.  Ettmuller  publia  , 
en  1 7  1 1  ,  l'opuscule  de  Ramazzini  : 
De  -principum  valetudine  tuendd, 
avec  des  commentaires  ou  notes  ;  et 
il  y  ajouta  une  Vie  de  l'auteur,  qu'E- 
!oy  a  fait  entrer  ciaus  son  Diction- 
naire historique  de  la  médecine  ,  et 
que  nous  avons  aussi  dû  consulter. 
Nous  avons  de  plus  consulté ,  pour 
la  rédaction  de  cet  article  ,  les  mé- 
moires du  temps,  et  l'Histoire  prag- 
matique de  la  médecine  de  Curt  Spren. 
vc\.  On  a  aussi  la  vie  de  Ramazzini 
])ar  Michel-Ange  Zorzi,  parmi  celles 
des  Arcadi  illuslri  ,¥1,77;  par  Fa- 
broni,  Filœ  lialonun^iom.  xiv;  et 
par  Tiralioschi,  dans  la  Bihlioteca 
Modenese  ,  iv,  '240.  Oz — m. 

RAMBOUILLET  (Chaf.les d'Aw- 
GENNES,  plus  connu  sous  le  nom  de 
cardinal  de)  descendait  d'une  ancien- 
ne et  noble  famille/originaircdu  pays 
de  ThimeraisdanslePerche.il  naquit 
en  1 53o  ,  et,  après  avoir  terminé  ses 
études  avec  succès  ,  embrassa  l'état 
ecclésiastique.  Il  fut  pourvu  de  l'é- 
vèché  du  Mans  ,  après  la  mort  du 
cardinal  J.  du  Bellay  ,  et  en  prit 
possession  en  i56o.  Pendant  qii'il 
faisait  la  visite  de  son  diocèse  ,  les 
protestants  s'emparèrent  de  sa  ville 
épiscopale,  pillèrent  les  églises,  et 
mirent  le  feu  dans  plusieurs  cou- 
vents. Son  absence  ,  au  moment  du 
danger  ,  le  fit  soupçonner  de  quelque 
intelligence  avec  les  chefs  des  hu- 
p;ucnots;  on  l'accusa  même  d'avoir  re- 
çu, pour  sa  part  du  butin,  les  statues 
en  argent  des  douze  apôtres  qui  déeo- 


RAM  37 

raient  sa  cathédrale  ;  mais  cette  ca- 
lomnie est  si  ahsurde,  qu'on  peut  se 
dis])enser  de  la  réfuter.  L'évêque  du 
Mans  se  rendit,  en  i563,  au  concile 
de  Trente  ,  et  fut  l'un  des  prélats  qui 
assistèrent  à  la  clôture  de  cette  mé- 
morable assemblée,  où  il  s'était  dis- 
tingué par  son  éloquence.  Il  fut  en- 
suite nommé  ambassadeur  de  France 
à  Rome  ,  et  mérita  l'estime  du  pape 
Pie  V,  qui  le  décora  de  la  pourpre  , 
en  1570.  11  eut  part  à  l'élection  de 
Grégoire  XIII ,  et  se  hâta  de  revenir 
dans  sou  diocèse ,  où  le  rappelaient 
les  besoins  de  son  troupeau.  A  son 
arrivée  .  il  s'empressa  de  pourvoir 
les  paroisses  de  pasteurs  et  des  objets 
nécessaires  au  culte  ;  et  il  contribua 
beaucoup,  par  ses  libéralités,  à  réta- 
blir l'église  cathédrale  dans  sa  pre- 
mière splendeur.  Le  cardinal  de  Ram- 
bouillet fit  un  second  voyage  à  Ro-- 
me  ,  pour  assister  au  conclave  qui 
plaçaSixteQuint  sur  la  chaircde  saint 
Pierre.  Ce  pontife,  qui  connaissait  ses 
talents  ,  le  retint  à  sa  cour, et,  peu 
de  temps  après,  lui  donna  le  gouverne- 
ment de  Corneto.  Notre  prélat  mou- 
rut en  cette  ville  ,  le  33  mars  i587  , 
à  l'âge  de  cinquante-six  ans  ,  et  fut 
inhumé  dans  l'église  des  Cordcliers  , 
où  l'on  voit  son  épitaphe,  rapportée 
par  plusieurs  auteurs.   Le  bruit  se 
répandit  qu'il  avait  été  empoisonné 
par  ses  domestiques,  auxquels  il  avait 
légué   la   plus  grande  partie  de  sa 
fortune  ;  mais    ce   fait   n'est  point 
éclairci  (  Voy.  VlUst.  des  évêqnes  du 
Mans,  par  Le  Courvaisier,  p.  846  et 
suiv.)  Son  frère  ,  Claude  d'Angennes 
(  P'of.  ce  nom  ) ,  lui  succéda  sur  le 
sié^e  épiscopal  du  Mans.  Ou  conser- 
ve, à  la  b.bliothèquedu  Roi,  les  Mé- 
moires de  l'ambassade  du  cardinal 
de  Uambouillct.  Le  Portrait  de  ce 
prélat  a  été  gravé  par  Ragot  et  par 
Boissevin.  W — s. 


iS 


RAM 


R4MEAU  (  Jean -Philippe  ) ,  le 
plus  ccIcIjic  des  musiciens  fiançais  , 
nai[uit  à  Dijon,  en  iG83.  Fils  d'iui 
organiste,  il  apprit  la  musique  aussi- 
tôt que  la  parole  :  à  peine  ses  organes 
commençaient-ils  à  se  développer  , 
(jue  sou  père  lui  posa  les  mains  sur 
un  clavier.  L'enfant  y  prit  tant  de 
})Iaisir;,  et  ses  heureuses  dispositions 
furent  si  bien  exercées ,  qu'à  sept 
ans  il  était  déjà  conside're'  comme  un 
très  bon  claveciniste.  11  apprit  assez 
facilement  le  iatiu  au  collège^  sans 
toutefois  y  achever  le  cours  des  clas- 
ses. Un  instinct  invincible  le  l'ame- 
nait à  la  musique  ,  et  enfin  il  s'y  li- 
vra tout  entier.  Alors  il  s'exerça  sur 
divers  instruments  ,  entre  autres  le 
violon  ,  dont  l'usage  ,  par  la  suite, 
lui  fut  utile  en  composant,  pour  éta- 
blir le  bon  doigter  dans  sa  musique 
instrumentale  ,  et  s'assurer  mieux  de 
l'expression  dans  la  vocale.  A  l'âge 
de  dix -huit  ans,  il  partit  avec  le 
dessein  de  visiter  l'Italie  ;  mais  il 
n'alla  point  au-delà  de  Milan  ,  oi'ile 
directeur  d'un  spectacle  re'ussit  à  se 
l'attacher  ,  et  ils  s'établirent  succes- 
sivement dans  plusieurs  Aalles  du 
midi  de  la  France,  luimcau  ,  lassé 
de  ce  genre  de  vie,  retourna  dans 
sa  ville  natale  ,  où  on  lui  ollVit 
l'orgue  de  la  Sainte-Chapelle.  r>Iais 
il  aima  mieux  venir  à  Paris.  Il  s'em- 
pressa d'y  entendre  les  plus  habi- 
les organistes  ,  et  surtout  le  célè- 
bre Marchand,  dont  il  rechercha 
l'apimi  (  r.  Maucuanu).  Il  en  fut 
d'abord  accueilli  avec  beaucoup  de 
bienveillance.  Hameau  ,  après  lui 
avoir  cominuni(jué  plusieurs  de  ses 
composiliojis  ,  et  les  avoir  exécutées 
devant  lui  ,  ne  tarda  pas  à  s'a[»ercc- 
voirqu'ilne  montrait  |)lus  le  même 
cni|tressement  à  liu  être  utile.  H 
eut  le  désagrément  de  ne  point  ob- 
tenir l'oigue  de  Saint  Paul  ,  quoi- 


RAM 

qu'il  eût  déployé  uu  talent  extraor- 
dinaire dans  le  concours  ,  dont  Mar- 
chand était  le  juge  prépondérant. 
Irrité  des  obstacles  qu'on  semait  à 
l'entrée  de  sa  carrière  ,  son  esprit 
ardent  lui  fit  (piitter  la  capitale  avec 
dépit.  Il  se  rendit  à  Lille  ,  où  il  tou- 
cha pendant  quelque  temps  l'orgue 
de  Saint-Etienne.  Sur  sa  réputation, 
on  vint  alors  le  presser  d'aller  pren- 
dre celui  de  la  cathédi-ale  de  Cler- 
mout  en  Auvergne.  C'est  dans  cette 
ville ,  où  il  resta  plus  long  -  temps  , 
qu'il  acheva  son  Traité  de  l'Har- 
monie. Trouvant  trop  de  difficul- 
té à  l'y  faire  imprimer  à  cause  des 
nombreux  exemples  eu  musique,  il 
revint  à  Paris ,  où  cet  ouvrage  fut 
publié  en  1723.  Dès-lors  se  fixant 
daus  la  capitale,  Rameau  s'y  distin- 
gua entre  les  premiers  organistes.  Il 
jouissait  déjà  de  la  réputation  d'un 
très-bon  compositeur  :  son  Traité  de 
l'harmonie  lui  assura  celle  d'un  pro- 
fond théoricien  ;  mais  c'est  au  théâ- 
tre lyrique  qu'un  genre  de  gloire 
nouveau  et  plus  brillant  l'attendait , 
et  que  son  génie  allait  se  développer 
tout  entier.  Les  ouvrages  de  Lulii  y 
tenaient  encore  le  premier  rang.  Ra- 
meau sentit  que  le  spectacle  de  l'O- 
péra olï'rait  au  musicien  uu  vaste 
cham|)  où  il  pouvait  déployer  toutes 
les  richesses  de  sou  art  avec  plus  de 
liberté  ,  et  produire  de  plus  grands 
elléls.  Il  reconnut,  il  est  vrai,  que 
le  récitatif  établi  par  Lulli  était 
parfaitement  adapté  à  la  langue  fran- 
çaise ,  et  que  cette  mélopée  ou  décia- 
nialiou  notée,  susceptible  d'expri- 
mer très  bien  les  accents  des  passions 
et  dusentiment, devait  êlreconservée 
et  lui  servir  d'exemple.  Mais  il  se 
cruL  en  étal  de  donner  à  toutes  les 
autres  parties  de  la  nmsique  dramati- 
(jiieplusde  perfeclion.il  lui  fallailun 
[ioènic;Lal\Ioltc,Uoi,Dauchet,elc.  , 


RAM 

f{ui  faisaicut  des  opéras  pour  les  musi- 
ciens de  ce  temps ,  se  gardcicnt  l>icn 
de   travailler  pour  un  composilcur 
dont  toute  la  musique  vocale  ne  con- 
sistait alors  qu'en  des  motets ,  des 
cantates,  et  quelques  fragments  mê- 
les de  cliant  et  de  danse ,  que  son 
compatriote  Piron  l'avait  engage  de 
faire  pour  les  pièces  que  celui-ci  don- 
nait à  l'Ope'ra  comique,   telles  que 
Y  Endriague ,  la7?o^e,lc  Faux  Pro- 
dige ,  V Enrôlement  cU Arlequin  ;  et 
au  Théâtre  français  ,  les  Courses  de 
Tempe.  C'étaient  de  trop  faibles  ti- 
tres aux  yeux  de  ces  poètes ,  pour 
qu'ils  confiassent  à  Rameau  un  grand 
ope'ra.  Voltaire  seul ,  qui  avait  en- 
tendu de  sa  musique,  sut  appre'cier 
son  ge'nie,  et  pressentit  ses  succès 
dans   le   genre  dramatique  :  il  lui 
remit,  sans  balancer,  sa  trage'dicdc 
Samson.  La  musique  en  fut  cssaye'e 
chez  La  Pouplinière ,  grand  amateur 
des  arts  ,  et  on  la  trouva  pleine  de 
beaute's  neuves  et  brillantes  ;   mais 
on  empêcha  la    repre'sentation    de 
cette  tragédie  ,  sous  prétexte   que 
c'eût  e'te  avilir  et  prostituer  un  sujet 
tiré  de  la  Bible.  Rameau  relira  sa 
musique  ,  et  en  employa  depuis  quel- 
ques parties  dans  l'acte  des  Incas , 
et  dans  la   trage'die  de  Zoroastre. 
Cependant  le  besoin  de  produire  lui 
fit  chercher  d'autres  poèmes.  Mais 
on  avait  semé'  tant  de  pre'ven lions 
contre  lui  ,  qu'il  n'y  eut   à   la  fin 
que  l'abbc  Pcllegrin  qui  se  hazar- 
dât   de  lui   en   donner  un.   Il  y  a 
loin  de  Voltaire  à  Pcllegrin  :  ne'an- 
moins  cet  abbc ,  plus  défiant  que  le 
grand  poète ,  ne  consentit  à  livrer  au 
musicien  sa  tragédie  à'flippoljte  et 
Aricie  ,    que  sous   caution  ,    et  en 
exigea  d'avance  un  billet   de   cinq 
cents  livres.  Vers  la  fin  d'une  répé- 
tition du  premier  acte ,  Pellegrin  , 
surpris  et  enchanté  de  ce  qu'il  ve- 


RAM  29 

naît  d'entendre  ,  court  à  Rameau  , 
lui  dit  que  celte  musique  peut  se  pas- 
ser de  caution  ,  et  déchire  le  billet  à 
SCS  yeux.  Ilippolyte  fut  représente 
en  1733  ,  et  son  succès  fut  l'époque 
d'un  perfectionnement  remarquable 
en  diverses  parties  du  spectacle  de 
l'Opéra.  Rameau  dut  y  créer  ,  pour 
ainsi  dire,  dos  chanlcurs  et  des  sym- 
phonistes* et  c'est  alors  que  notre 
orchestre  commença  de  se  faire 
celte  réputation  qu'il  asi bien  soute- 
nue depuis,  etdont  il  jouit  encore  (i  ). 
La  tragédie  (V Ilippoljte  contenait 
une  foule  de  beautés  singulières-  et 
Campra  ,  le  plus  savant  des  succes- 
seurs de  Lulli,  dit,  en  admirant 
cette  musique  ,  qu'elle  eût  suffi, 
par  son  abondance  et  sa  richesse,  à 
la  composition  de  plusieurs  horg 
opéras.  Rameau  avait  alors  cin- 
quante-deux ans.  Il  est  remarquable 
que  ,  dans  un  art  tout  d'imagination, 
la  sienne  ait  commencé  à  jeter  son 
plus  grand  éclat  quand  celle  de  la 
jilupart  des  hommes  penche  vers  son 
déclin  ;  et  ce  qui  étonne  encore  plus, 
c'est  que  ce  phénomène  se  maintint 
durant  trente  années  ,  qui  toutes  fu- 
rent signalées  par  de  nouvelles  pro- 
duct  ions  de  ce  brillant  et  fécond  gé- 
nie. Hippoljte  fut  suivi  de  près  , 
des  Indes  calantes ,  de  Castor  et 
Pollux  ,  etc.  C'est  à  la  représenta- 
tion de  ce  dernier  ouvrage  que  le 
musicien  Mouret ,  dit-on  ,  fut  telle- 
ment frappé  du  chœur  énergique  des 
démons  : 

Qn'au  feu  tlii  tonncn-c 
Le  tcu  des  enfers 
Déclare  Ja  guerre? etc. 

que  sa  raison,  déjà  trop  niïoclée  de 


(i)  L'orcLeslrc  <Ic  rojiéra  doit  surfont  .'1  Gliiek 
la  réputation  dout  il  jouit ,  et  qui  nVst  ]>Ims  la  mê- 
me ,  depuis  (pi'il  a  été  surpassé  par  celui  de  l'opéra 
italien.  C.luek  eutiinc  peiuc  extrême  A  faire  ex<'cu- 
ler  son  f/z/ùffénie  par  les  uiusicicus  de  l'cpocjuc  de 
Kanionu.  S — V — S. 


3o  RAM 

la  perte  rdcentc  d'une  partie  de  ses 
revenus  ,  s'e'clipsa  tout  à  fait,  et  qu'à 
Charentoii  il  ne  cessait  d'entonner  ce 
chœur  dans  ses  accès  de  folie.  La 
plupart  des  poèmes  mis  en  musique 
par  Rameau  sont  deCalinsac,  poète 
me'diocre  ,  mais  docile  aux  avis  du 
musicien  ,  heureux  dans  le  choix  du 
sujet  de  ses  pièces  ,  et  surtout  dans 
l'art  d'y  amener  à  propos  les  diver- 
tissements. Quelqu'un  reprochant  à 
Rameau  de  s'attacher  à  cet  écrivain 
peu  renommé  :  Qu'on  me  donne , 
icpondit-il,Zfl  Gazette  de  Hollande^ 
et  je  la  mettrai  en  musique  ;  ce  mot, 
que  d'autres  attribuent  à  Mondon- 
ville,peintla  haute  idée  qu'il  avait  de 
son  art  ;  et  en  effet ,  il  (it  tout  réussir, 
et  l'on  marchait  avec  lui  de  succès 
Ou  succès  :  son  mérite,  lon;];-temps 
attaqué  par  l'envie  ,  fut  à  la  fin  gé- 
néralement reconnu.  De  justes  ré- 
compenses, des  honneurs,  en  furent 
la  suite.  Le  roi  avait  créé  pour  lui  la 
charge  de  compositeur  de  son  cabi- 
net Plus  tard,  il  lui  accorda  des  let- 
tres de  noblesse  ,  et  le  nomma  che- 
valier de  Saint-Michel.  L'académie 
de  Dijon  l'avait  depuis  long-temps 
reçu  au  nomi)re  de  ses  membres; 
elles  magistrats  de  cette  ville  l'avaient 
exempté  de  la  taille  ,  lui  et  sa  fa- 
mille, à  perpétuité.  Hameau  mourut 
plus  (|u'octogcnaire  ,  le  \'x  septem- 
bre 1764.  L'acadéniif^  de  musique 
lui  fit  célébrer,  à  l'Oratoiie,  un  ser- 
vice solennel  ,  dans  lequel  on  avait 
adapté  plusieurs  morceaux  pathéti- 
ques de  ses  compositions.  Tous  les 
}iabiles  artistes  de  Paris  voulurent 
prendre  part  à  l'hommage  funèbre 
rendu  à  ce  grand  homme. Jamais  peut- 
être  on  n'avait  entendu  de  musique 
exécutée  avec  plus  de  pompe  et  de 
])crfertioii.  Rameau  était  d'une  haute 
stature  ,  et  d'une  maigreur  remar- 
quable. Un  bon  tempérament,  forti- 


RAM 

Hé  encore  par  !a  sobriété  ,  et  nn  rè- 
gime  uniforme  ,  lui  permettaient  de 
se  livrer  à  de  grands  travaux  sans 
en  être  incommodé.  Sa  vie  fut  celle 
d'un  vrai  philosophe:  probe,  franc, 
modeste  ;  satisfait  d'une  fortune  mé- 
diocre due  à  ses  travaux  ;  aussi  in- 
capable de  chercher  à  l'augmente^ 
par  aucun  autre  moyen,  que  défaire 
sa  cour  pour  obtenir  des  faveurs  :  il 
fallait  qu'elles  le  vinssent  chercher, 
et  sa  renommée  suffisait  pour  les 
attirer.  II  était  bon  ,  mais  vif,  et 
même  un  peu  brusque  lorsqu'on  le 
fatiguait  de  mauvaises  objections.  On 
peut  juger,  parle  nombre  de  ses  pro- 
ductions,  s'il  fut  laborieux.il  a  tra- 
vaille jusqu'à  la  fin  de  sa  vie.  L'objet 
de  son  dernier  écrit ,  non  encore  im- 
primé ,  est  de  développer  les  avan- 
vantages  que  la  théorie  de  la  musi- 
que peut  tirer  de  ses  découvertes , 
dont  nous  allons  donner  quelque 
idée  au  lecteur.  Après  Pythagore , 
les  Grecs  ont  beaucoup  écrit  sur  la 
musique.  Ou  doit  à  Meibom  le  re- 
cueil de  ce  que  l'on  a  pu  reti'ouver 
de  leurs  ouvrages  ,  indépendamment 
du  Traité  de  Plularque.  Chez  les  mo- 
dernes ,  Mersenne  ,  Kircher,  Zar- 
lino,  etc.  etc.,  ont  publié  des  volumes 
sur  celte  matière;  mais  le  nombre  et 
la  diversité  des  opinions  et  des  sys- 
tèmes n'ont  servi  qu'à  répandre  sur 
la  science  une  plus  grande  obscurité. 
Jusque  A^ers  la  fin  du  dix-sepiicme 
siècle  ,  la  composition  de  la  musique 
n'avait  guère  été  qu'une  sorte  de 
routine  où  l'oreille  servait  seule  de 
guide.  Il  suffisait  de  connaître  la  rè- 
c^le  de  V octave  ,  c'est-à-dire ,  quels 
accords  peuvent  porter  les  notes  do 
la  gamme  en  montant  et  eu  descen- 
dant; cl  l'habileté  du  compositeur 
consistait  à  faire  marcher  ensemble 
ipialre  parties  avec  plus  ou  moins 
de  justesse  et  d'agrément.  D'anciens 


RAM 

pliilosophes  avaient  aperçu  certains 
rapports  entre  les  sons  et  les  nom- 
bres, et  même  quelque  analogie  entre 
la  musique  et  d'autres  sciences  fon- 
dées sur  les  proportions.  On  y  com- 
prit ,  d'après  des  idées  chaldecnncs 
et  égyplienues  ,  jusqu'à  l'astronomie 
et  I'astroloc;ie.  Les  sept  notes  musi- 
cales furent  comparées  aux  sept  pla- 
nètes ,  et  les  douze  semi  -  tons  de 
la  gamme  aux  douze  signes  du  zodia- 
que. D'autres  observateurs  moins 
cliimc'riques  avaient  entrevu  une  par- 
tie des  proprie'îe's  du  corps  sonore  , 
mais  sans  en  tirer  de  fruit  pour  les 
progrès  de  la  science  •  il  était  reserve 
à  Rameau  d'aprofondir  ce  ])liéno- 
mcne  ,  et  d'y  trouver  le  vrai  fonde- 
ment de  riiarmoîiie.  De  ce  qu^un 
son  ,  et  surtout  un  son  grave,  tel  que 
celui  d'une  cloche  ou  d'un  bourdon 
d'orgue ,  fait  entendre  sa  douzième 
et  sa  dix  -  septième  en  dessus  ,  au 
lieu  de  sa  quinte  et  de  sa  tierce, 
il  conclut  d'abord  que  l'octave  du 
son  générateur  se  confondait  avec 
lui,  et  que  l'accord  parfait,  donné  par 
la  nature  elle-même,  en  était  égale- 
ment le  résultat.  De  plus  ,  ce  corps 
sonore,  outre  ses  harmoniques  en 
dessus,  fait  entendre  sa  douzième  et 
sa  dix.septième  en  dessous,  que  Ra- 
meau appelle  multiples  ou  aliquan- 
tes.  Une  corde  d'instrument  mise  en 
vibration  fiit  frémir  également  celle 
qui  est  montée  à  son  unisson  ,et  à  ses 
octaves,surunautre  instrument. Fort 
de  ces  expériences, Rameau  établit  ce 
principe  que  les  octaves  sont  identi- 
ques par  rapport  à  l'harmonie  ;  que 
le  renversement  des  accords  n'en 
change  point  au  fonds  la  nature  ,  et 
en  modifie  seulement  l'effet  ;  que 
l'accord  direct,  et  l'accord  renversé, 
se  composant  des  mêmes  noies  ,  ne 
perdaient  point  leur  rapport  intime 
par  les  divers  arrangements  de  ces 


RAM  3i 

noies.  Ces  observations  le  confir- 
maient dans  son  système  delà  basse 
fondamentale  ^  autre  principe  lumi- 
neux dont  il  avait  donr.é  la  première 
rotion  dès  l'année  I7'2'2,  dans  son 
Traité  de  V  harmonie  ^qI  que,  d'fi])rts 
ses  nouvelles  observations  ,  il  déve- 
loppa depuis  d'une  manière  démons- 
trative. En  voici  l'idée  succincte  : 
une  multitude  d'accorls  ,  sous  dif- 
férents noms  ,  en  surchargeant  inu- 
tilement la  mémoire  ,  ne  faisaient 
qu'obscurcir  et  rendre  plus  difficile 
l'étude  de  la  musique.  Rameau  vit 
qu'au  fond  tons  ces  accords  pou- 
vaient se  réduire  à  deux ,  l'un  con- 
sonant  ou  parfait,  l'autre  dissonant 
ou  de  septième.  Le  premier ,  dans 
le  ton  d'ut ,  par  exemple  ,  se  com- 
pose de  trois  notes  fondanienîales  , 
ut  ,  mi,  sol,  susceptiLlcs  de  deux 
renversements  :  mi ,  sol ,  ut ,  et  sol , 
ut  ,  7??/.  Le  second  accord,  par  l'ad- 
dition d'une  tierce,  a  quatre  notes  et 
trois  renversements.  Celui-ci  se  divi- 
sant, comme  le  premier,  par  tierces, 
Rameau  en  conclut  que  c'était  l'ac- 
cord primitif  et  fondamental  de  tou- 
tes les  dissonances ,  et  que  la  mélodie 
et  l'harmonie  procèdent  également 
de  ces  notes  ,  dont  les  accords  et  leur 
succession  se  trouvent  invariable- 
ment déterminés.  11  réduisit  égale- 
ment la  multitude  des  modes  à  deux, 
le  majeur  elle  mineur,  le  premier 
dérive  naturellement  des  harmoni- 
ques du  ton  ;  et  le  second  ,  de  ses 
multiples.  Sans  entrer  dans  les  cal- 
culs de  l'auteur  ,  ni  développer  ses 
preuves  ,  qu'il  nous  .<=ufilse  d'avoir 
indiqué  le  lîl  qui  le  conduisit  à  cette 
basse  fondamentale  ,  dont  la  décou- 
verte seule  eût  immortalisé  son  nom* 
et  de  montrer  comment  il  a  vu,  dans 
le  phénomène  du  corps  sonore ,  le 
vrai  principe  de  l'harmonie  et  de  la 
mélodie  ,  et  puise   dans  la   nature 


3'i 


RAM 


inênic  le  secret  des  pioduit.s  ntlmira- 
Lies  résiiltnnls  du  concours  de  l'une 
et  de  l'auUe  (•3).  Des  connaissances  si 
neuves  furent  deux  fois  solennelle- 
ment approuve'cs  par  l'acadcmic  des 
sciences  de  Paris  ;  la  première  en 
1734,  sur  le  rapport  de  Réaumur, 
Mairan  et  Gamachcs  ;  la  deuxième  , 
en  17497  S"**  '^  rapport  très-e'tendu 
de  Mairan  ,  Nicole  et  D'Alembert.  11 
se  termine  ainsi  :  «  La  basse  fonda- 
»  mentale  ,  trouve'e  par  l'auteur  et 
■)}  puisée  dans  la  nature,  estleprin- 
»  cipc  de  l'harmonie  et  de  la  mélo- 
»  die.  Leurs  lois  ,  jusque-là  assez  ar- 
»  bitraires  ou  su£;gëre'es  par  une  ex- 
»  pcricnce  aveugle  ,  sont  devenues 
»  une  science  ge'ometriquc  ,  et  ta  la- 
»  quelle  les  principes  matVie'mati- 
»  qups  peuvent  s'appliquer  avec  ime 
»  utilité'  plus  réelle  et  plus  sensi- 
»  ble.  L'auteur ,  déjà  célèbre  dans 
»  la  pratique  de  son  art,  a  mérite, 
»  par  ses  recherches  et  ses  décou- 
»  vertes,  l'approbation  et  l'éloge  des 
»  philosophes.  »  Les  savants  et  les 
plus  habiles  musiciens,  tant  en  Fran- 
ce que  chez  l'étranger ,  adhérèrent 
presque  unanimement  à  cette  conclu- 
sion de  l'acadéiuie.  On  reconnut  que 
Rameau  avait  trouvé  les  vraies  lois 
de  l'harmonie, comme  Newton  celles 
du  système  du  monde  ;  et  l'on  vit 

(7.)  Le  sjslJ'nie  <lr  la  Imsso  foM.lamrnlalr  rsl  f.m- 
dé  sur  im  (ait  vrai,  mais  ilmit  Tautiur  a  tire  ].lu- 
^icurs  coiisofincnces  crroiircs.  La  lésoniiaiitc  du 
corps  sonore  ,  ce  pIn'nonii''De  naturel  tant  invoqué 
^lar  RnMicaii  ,  paraît  n'avoir  pas  «■te  conipli  Irnicnt 
connu  par  lui.  Il  n'a  jamais  pu  se  persuader  <pie  la 
spptiînic  et  la  nen  viè>nc  fissent  partie  Je  la  j;<>néra- 
tion  des  soos  :  il  n'a  voulu  y  voir  i|uc  l'accord 
pariait ,  et  a  propagé  l'erreur  que  la  ipiinte  est  une 
consonance  parfaite  comme  l'octave  ellc-niômc.  Ce 
qu'il  n'a  pu  expliquer  naturellement,  ilaelierclié 
à  l'intcrpréler  savamment  :  aussi  a-t-il  fait  de 
grands  effort»  pour  fonder  un  .système,  qui  lui  au- 
rait peut-être  moins  coûté  ,  et  lui  aurait  l'ail  éviter 
dans  ses  partitions  les  f.iulrs(|u'nn  y  remarquerou- 
trc  se»  propre*  rèKles,B'il  fut  parti  de  l>ases  plus 
Rénerales  ,  dont  le»  conséquence»  eussent  découlé 
nalnrellemenlde  ses  principes.  /  (>} .  I<»  nrliclcs  re- 
latifs à  la  théorie  de  In  nnisique  ,  dans  Vlinrycl. 
"lithtiiUt/ue  ,  i>ar  Vauttxir  de  celto  nuti'.  M—  Y. 


RAM 

sans  ctonncmcnt,  en  plus  d'une  oc- 
casion ,  associer  les  noms  de  ces 
deux  grands  hommes.  D'Alembert, 
qui  tenait  de  Rameau  ses  premières 
connaissances  en  musique  ,  fut  long- 
temps son  ami  autant  que  son  admi- 
rateur. Deux  circonstances  jelcrcnt 
dans  la  suite  du  refroidissement  en- 
tre eux  :  i^.  Rameau,  presque  septua- 
génaire et  très-occupé  alors  pour  le 
théâtre  de  l'Opéra  ,  s^étant  excusé 
de  se  charger  de  tout  le  travail  sur 
la  musique  dans  l'Encyclopédie  , 
D'Alembert,  éditeur  de  ce  Diction- 
naire ,  s'adressa ,  pour  remplir  cette 
partie  ,  à  J.-J.  Rousseau  ,  en  qui  la 
manie  du  paradoxe  s'étendait  même 
jusqu'à  la  musique;  détracteur  connu 
de  celle  des  Français  ,  et  par  consé- 
quent de  Rameau.  Celui-ci  voyant 
des  erreurs  sur  la  musique  dans  les 
premiers  volumes  de  l'Encyclopédie, 
se  crut  obligé  d'en  publier  le  préser- 
vatif (3).  2°.  D'Alembert  fut  scanda- 
lisé de  l'extension  que  Rameau  sem- 
blait donner  aux  prérogatives  du 
corps  sonore ,  en  écrivant  que  ce 
phénomène  ,  principe  de  la  science 
musicale,  avait  pu  aussi  conduire  les 
premiers  observateurs  à  la  connais- 
sance des  sciences  exactes  ;  idée  dont 
on  voit  quelques  traces  dans  l'anti- 
quité. Le  géomètre  soutenait  que  le 
corps  sonore  n'avait  pu  faire  naître 
que  la  science  des  sons  ,  ni  suggérer 
que  les  premières  règles  de  l'harnio- 
nie.  Le  musicien  ui  prouvait  que  la 
corded'inslrument  mise  en  vibration, 
parlait  non  -  seulement  à  l'oroillc  , 
mais  encore  aux  yeux  et  au  tact  ; 
qu'on  la  voit  se  partager  en  ]ilusieur5 


evilc 


ircur.s  en  me 


(3)  «  Vous  aln  ir/,  pu 
»  communic|uant  vos  manuscrits,  que  je  Vous  avais 
»  ollcrt  d'examiner  ,  après  m'rlrc  excu.se  d'eulre- 
•  prendre  tout  l'ouvrage.  «  Jicpoiniile  Rameau  mix 
cililciirs  (le  l'Iuirjrtloiivilie,sur  hui  ilciiiieravcrliS' 
scmcnt  (  du  tome  VI  ),  Londres  (  Pari»  ),  1757, 
in-fi". 


RAM 

intervalles  détermines  ,  mesurables 
au  compas ,  et  dont  les  nœuds  ou 
points  d'intersection  coïncident  avec 
les  sons  harmoniques  (  dits  Jlikés  ) , 
engendrés  du  son  fondamental  et 
constituant  avec  lui  l'accord  parfait, 
donné  par  la  nature.  Rameau  en  in- 
férait que  la  connaissance  des  pro- 
priétés du  son  avait  pu  conduire  à 
celle  des  nombres,  des  proportions 
et  des  mesures  ,  et  de  là  aux  sciences 
fondées  sur  leurs  rapports.  Les  suc- 
cès de  Rameau  sur  le  théâtre  lyrique, 
ne  contribuèrent  pas  moins  à  sa  célé- 
brité ,  que  les  lumières  nouvelles  qu'il 
répandit  sur  les  principes  de  son  art, 
dont  la  théorie  et  la  pratique  sem- 
blaient chez  lui  se  confirmer  l'une 
par  l'autre.  Il  prouva  que  la  musi- 
que était  susceptible  de  produire  de 
plus  grands  effets  sur  la  scène.  S'il 
ne  fut  que  l'imitateur  et  l'éiuule  de 
Lulli  dans  le  récitatif,  c'est  qu'il  re- 
connut qu'on  ne  pouvait  adapter  à  la 
langue  française  une  mélopée  ou  dé- 
claraatica  notée  plus  vraie  et  plus 
expressive  (  F.  Lulli  ).  Mais  il  em- 
bellit et  fortifia  toutes  les  autres  par- 
ties delà  musique  théâtrale.  Les  com- 
positeurs, avant  lui,  s'étaient  presque 
uniquement  attachés  aux  agréments 
de  la  mélodie.  Il  y  associa  les  char- 
naes  plus  puissants  de  l'harmonie. 
On  entendit  des  chants  mieux  carac- 
térisés et  plus  brillants ,  des  ouver- 
tures offrant  autant  de  tableaux  neufs 
et  pittoresques ,  des  chœurs  admira- 
bles ,  des  airs  de  ballets  de  tous  les 
genres,  variés  à  l'infini,  et  si  parfaits 
que  les  Allemands  et  les  Italiens  les 
ont  souvent  transportés  sur  leurs 
théâtres.  C'est  de  l'assemblage  et  de 
la  juste  proportion  de  toutes  ces  par- 
ties, et  du  concours  des  autres  arts  , 
que  se  composait  le  magnifique  spec- 
tacledel'opérafraDçais,  que  Voltaire 
peignait  ainsi,  eu  1736,  en  parlant 
xxxvii. 


RAM 


33 


du  Mondain  : 

Damis  se  rend  ;"i  ce  palais  uiïjjique  , 
Où  les  heaux  vers,  la  daiue,  la  iimsit(iiû. 
L'art  de  tromper  les  yiux  par  les  couleurs 
L'art  plus  Iieureiu  de  séduire  les  cœurs  , 
De  cent  plaisirs  font  nn  plaisir  unique. 
Il  va  siftler  quelque  opéra  nouveau, 
Ou,  malgié  iui ,  court  admirer  Bameau. 

Si  l'on  a  cessé  tout-à-coup  de  repré- 
senter les  plus  beaux  ouvrages  de 
Lulli  et  de  Rameau,  ce  n'est  peut-être 
point  absolument  au  dégoût  du  pu- 
blic qu'il  faut  l'attribuer.  On  a  vu, 
à  leurs  dernières  représentations , 
autant  d'affluence  et  d'applaudisse- 
ments qu'en  aucun  autre  temps.  Ce 
fut  plutôt  l'esprit  de  parti  ,  l'in- 
trigue, l'engouement  vrai  ou  fac- 
tice pour  tout  ce  qui  était  étranger  , 
qui  privèrent  la  France  de  ces  pro- 
ductions du  génie,  qu'elle  admirait 
avec  raison,  et  dont  les  jeunes  gens 
aujourd'hui  ne  peuvent  se  faire  une 
juste  idée  (4).  OnadeRameau  les  ou- 
vrages  suivants  :  Sur  la  théorie  de 
son  art  :  I.  Traité  de  l'harmonie , 
I7'i'2,  in-4''.  II.  Nouveau  sjslème 
de  musique  théorique ,  etc.,  1726, 
in-4°.  m.  Dissertation  sur  les  dif- 
férentes méthodes  d'accompagne- 
ment pour  le  clavecin ,  1781,  iu-40. 
IV.  Génération  harmonique,  ^l^ly 
in-8°.  V.  Démonstration  du  princi' 
pe  de  l'harmonie,  1750  ,  in-8°.  VI. 

(4)  Relativement  aux  causes  qui  ont  fait  abau- 
donuei'  la  représentation  de  ses  pièces  ,  nous  ne 
croyons  pas  qu'on  doive  l'attribuer  à  la  preVuitiou 
seule,  qui  auraitemj)èclié  Rameau  dedisputer  lascè  . 
ne  lyrique  à  Gluck  ,  à  SaccUiui,  Picciuui  ,  etc. ,  etc. 
Ce  ne  peut  ètie  par  un  caprice  soutenu,  pendant 
soixante  années  ,  qu'une  nation  qui  sait  Je  mieux 
rendre  justice  à  ses  hommes  illustres  ,  aurait  éloigné 
de  la  stcue  lyrique  les  ])roductlons  musicales  de 
Rameau.  Les  ouvrages  de  Handel  et  de  ses  conlem- 
puraius  eu  Italie  ,  eu  Allemagne  ,  ont  survécu  dan» 
leurs  parties  e-sentielles  (  dans  les  morceaux  d'en- 
semble ,  les  grauds  finals  ,  les  grands  chœurs  ,  etc.  ) 
à  des  airs,  à  des  foruies  plus  ou  moins  assujettis  à 
la  mode  du  jour  ou  au  giu'it  du  temps.  Si  au  con- 
tiaire,  les  pruductious  lyriques  de  Rameau  ont  pu 
vieillir,  c'est  peut-être  que  le  talent  de  Rameau 
n'avait  pas, .Hun  aussi  liant  degré  ,  l'inspiration  qui 
produit  ce  ,'ieutimeut  vif  et  profond,  celte  expres- 
sion vraie  et  varie'e  dos  passions  ,  qui  sui"viveul  à 
toutes  les  autres  formes,  et  qui  uc  peuvent  périr 
qu'avecl'art  même,  L — u. 


34 


RAM 


Béjlexions  sur  In  manière  de  for- 
mer la  voix  et  d'apprendre  la  mu- 
sique ,  etc. ,  imprimées  clans  le  Mer- 
cure de  France ,  octobre  1752,  p. 
87-100.  VII.  Nouvelles  Piéjlexions 
sur  la  démonstration  du  principe 
de  l'harmonie  ,  1752  ,  iu-8°.  VIII. 
Béponsek  une  Lettre  d'Euler^ztr  Vi- 
dentité  des  octaves ,  1753,  in-8°. 
IX.  Observations  sur  notre  instinct 
pour  la  musique  ,  et  sur  son  prin- 
cipe,  1754,  in-8°.  X.  Erreurs  sur 
la  musique  pratique  dans  l'Ency- 
clopédie ,  deux    parties,    1755  et 

1 756  ,  in-8'\  XI.  Réponse  aux  édi- 
teurs deV  Encyclopédie  sur  leiirder- 
nier  avertissement  (  du  tome  vi  ) , 

1757  ,  in-S*^.  XII.  Code  de  musi- 
que pratique  ,    et    Nouvelles  Ré- 
flexions sur  le  principe  sonore,  1 760, 
in- 4°.;    traduit   en   allemand   par 
Marpurg.  XIII.  Origine  des  scien- 
ces ,  suivie  d'une  controverse,  etc. , 
1761  ,in-4''.XIV.  Traité  de  la  com- 
position des  canons  en  musique  avec 
beaucoup    d'exemples  ,    msc.  XV. 
Vérités  intéressantes  peu  connues 
jusqu'à  nos  jours  ,  etc.  msc.  XVI. 
Visseria lions  et  Lettres  impr'unccs 
dans    les    Mercures   de    France  , 
Année  littéraire  et  Journaux  de 
Trévoux.  On    peut   y   joindre    les 
Eléments  de  musique  théorique  et 
pratique  ,  suivant  les  principes  de 
Rameau,  publies  par  d'Alembert , 
1754  ,  iu-è**.  ,  et  reimprimes  plu- 
sieurs fois.  La  belle  et  savante  théo- 
rie exposée  dans  ces  divers  ouvra- 
ges ne  pouvait  naître  que  d'un  ge'nie 
heureux  ,  doue  de  grandes  connais  • 
sanccs  mathématiques,  et  capabledes 
plus  profondes  recherches  ,  qualiti'S 
(|ui  accompagnent  rarement  le  goût 
et  le  talent.  Une  telle  luiion  était  inti- 
me dans  Rameau  ,  comme  le  prou- 
vent, pour  ceux  (juiles  connaissent, 
ses  oeuvres  de  mut>ique-prali(iuc,  dont 


RAM 

voici  la  liste.  Des  Motets  à  grands 
chœurs  :  In  convertendo;  Quàm  di- 
lecta;  Diligam  te;  Deus  noster  refu- 
gium,  etc.  Il  est  probable  qu'il  yen 
a  d'autres,  l'auteur  ayant  e'té  long- 
temps attache  à  différentes  e'glises 
avant  de    commencer  à   travailler 
pour  le  théâtre  de  l'ope'ra  :  aucun 
n'a  e'te  grave.  —  Des  Cantates  fran- 
çaises ,   dont  deux  seulement  sont 
grave'es.  —  Quatre  livres  de  pièces 
de  clavecin,  le  dernier  en  concertos, 
gravés  en   1706,    1721  ,    1726  et 
1741.  —  iSrtm^ora,  tragédie,  i73'2. 
liippoljte  et  Aricie ,  id.  ,    1783. 
Les  Indes  galantes  ,  opéra-ballet , 
1735.  Castor  et  Pollux  ,  tragédie  , 
1787.  Les  Talents  lyriques,  opéra- 
ballet,  1739.  Dardanus  ,lrai^éàiQ  ^ 
1789.  Les  Fêtes  de  Polymnie,  op.- 
ball.,  1745.  La  Princesse  de  Na- 
varre ,  comédie   avec   intermèdes , 
1745.    Le    Temple  de  la  gloire  y 
op.-ballet,  1 745.  Les  Fêtes  deV Hy- 
men etdeV Amour ,  idem,  1747' 
Zdis  ,  id.  ,   1748.  Pigmalion  ,  id. 
1748.   Nais,  id.  ,   1749-   Platée ^ 
opéra-bouffon,   1749-   Z  oroastre  , 
trag.,  1749-   Acante  et   Céphise  ^ 
pastorale  héroïque,  1 751. La  Guir- 
lande , opéra-ballet .  1751.  Daphné 
et  Eglé ,  id. ,  1753.  TÂsis  et  Délie , 
id. ,  1753.  La  Naissance  d' Osiris  y 
ou  la  Fête  de  Pamylie  ,id.  ,  1754. 
Anacréon,  id. ,  1754-  Zéphire,  id. 
Nélée  et  Mirlhis,  id.  lo ,  id.  (dates 
incertaines),  J^e  Retour  d'Astrée, 
prologue,  17^7.  Les  Surprises  de 
Z'«moj<r,  op.-balIct,  «757.  Les  l^- 
hariles  ,  id.  ,   1759.  Les  Paladins, 
com. -ballet ,  1760.  Ahuris  ou  les 
Roréades ,  tragédie  non  représen- 
tée. Linus  ,  tragédie  ,  paroles  de  La 
l'ruèrc  ;  il  iie  reste  de  cet  ouvrage 
que  la  parlic;  détachée  du  premier 
violon  ,  le  reste  ayant  été  égaré  à  Va 
mort   de  la  marquise  de  Villcroi  , 


chez  qui  la'pièce  veaait  d'être  rëpe- 
tée.  Il  s'est  trouve'  encore  dans  les 
portefeuilles  de  Rameau  des  vesti- 
ges d'autres  pièces,  et    un   opéra 
comique ,  intitule'  le  Procureur  du- 
pé. Ces  ouvrages  dramatiques,  au 
nombre  de  plus  de  trente  ,  ont  été 
compose's  en  vingt-sept  ou   vingt- 
huit  ans  ;  ce  qui  prouve,  chez  l'au- 
teur, autant  de  facilite  dans  le  travail 
que  de  fécondité,  surtout  si  l'on  con- 
sidère que  la  plupart  de  ses  profonds 
traités  sur  la  théorie  ont  été  publiés 
dans  le  même  intervalle.  De  tous  ces 
opéras,  il  n'y  en  a  que  quatre  ou  cinq 
qui  n'aient  pas  été  représentés  à  Pa- 
ris ou  à  la   cour  ;  et  huit  ou  neuf 
non  graves.    Tous   les    autres    ne 
l'ont  été  qu'en   petites  partitions  , 
c'est-à-dire   avec  les  seules  parties 
principales  :  moins  heureux  en  cela 
que  les  ouvrages  de  Lulli ,  qui ,  sous 
Louis  XIV,  furent  publiés  en  grandes 
partitions  complètes  ou  générales. 
Il  serait  à  désirer  qu'on  transmît  à 
la  postérité  une  semblable  édition 
des  OEuvres  de  ce  grand  musicien. 
IMaret  a  publié  un  Eloge  historique 
de  Rameau,  Paris,  17G6,  iu-S". , 
et  dans  le  Nécrologe ,  ainsi  que  dans 
le  Recueil  de  l'académie  de  Dijon. 
Un  autre  Eloge  ,  par   Chabanou , 
avait  paru  en  i']64,  in-ia.  Gautier 
Dagoty,   fils  (J.  Btc.  ),  a  donné  en 
1771,  dans  la  Galerie  française , 
in-fol.  ,  la  vie  de  Rameau  ,  avec  son 
portrait ,  gravé  par  Benoît,  d'après 
Restout.   Le   Mercure,  tom.   i^r.  ^ 
1764,  contient  un   Essai  d'éloge 
historique  de  feu  M.  Rameau.  Jean- 
Franç.  Rameau  ,  neveu  du  musicien , 
a  publié  un  poème  en  cinq  chants, 
intitulé  :  LaRaméide,  176(3,  in-S*^., 
dont  il  parut,  la  même  année,  une 
parodie  sous  ce  titre  :  La  nouvelle 
Raméide  ,  in-8°. ,  de  3o  pag. ,  sans 
division  de cLanta.  D — x. 


RAM 


3{ 


RAMEL  (Jean -Pierre),  com- 
mandant de  la  garde  des  deux  Con- 
seils de  la  république  française 
sous  le  gouverueraent  directorial 
naquit  à  Gahors  ,  en  1770.  II  ache- 
vait à  peine  le  cours  de  ses  études  , 
pendant  lequel  il  s'était  montré  d'une 
médiocrité  désespérante,  lorsque  la 
révolution  vint  lui  ouvrir  une  car- 
rière plus  conforme  à  l'indépendan- 
ce de  ses  goûts  et  au  désœuvrement 
de  son  esprit.  Ramel  s'y  précipita 
avec  l'enthousiasme  d'un  jeune  fou  ; 
mais,  par  un  rare  bonheur,  il  sut  se 
garantir  des  excès  et  des  crimes  qui 
ne  souillèrent  que  trop  souvent  cette 
première  époque  de  nos  troubles. 
Rangé  sous  les  drapeaux  de  la  réqui- 
sition ,  il  parcourut  rapidement , 
grâce  à  l'exaltation  mieux  calculée 
de  son  patriotisme  ,  tous  les  grades 
inférieurs  de  l'armée;  et  des  1792, 
il  était  parvenu  à  celui  d'adjudant- 
général  ,  dans  lequel  il  a  vieilli  pen- 
dant vingt -deux  ans  jusqu'au  25 
novembre  i8i4,  époque  à  laquelle 
il  fut  promu  au  grade  de  maré- 
chal -  de  -  camp  ,  sous  le  ministè- 
re de  Soult.  En  1794,  Ramel  com- 
mandait dans  le  Val-d'Aran  une 
division  de  l'armée  des  Pyrénées- 
Orientales,  sous  les  ordres  du  géné- 
ral Pérignon.  C'est  là  qu'il  fit ,  avec 
le  baron  Poly ,  une  connaissance  qui , 
trois  ans  plus  tard  ,  devait  devenir 
si  fatale ,  non  moins  à  l'honneur  de 
l'un  qu'à  la  liberté  de  l'autre.  Les 
événements  de  la  guerre,  à  travers 
lesquels  Ramel  marcha  constam- 
«ment  sans  lâcheté  comme  sans  gloi- 
re, le  placèrent,  en  1796  ,  dans  l'ar- 
mée de  Rhiu-et-Moselle  ,  sous  les 
ordres  de  Morcau  ,  qui  lui  confia  le 
cora  mandement  du  fort  de  Keli I ,  pen- 
dant  le  bombardement  de  cette  pla- 
ce par  les  troupes  du  prince  Char- 
les. Vers  cette  époque  ,  la  Conven- 
3.. 


36 


RAM 


tion  nationale ,  déjà  brisée  flans  sa 
monstrueuse  unité  par  la  division 
organique  en  deux  Conseils,  avait 
commencé    son  mouvement  de  re- 
traite à  la  faveur  de  la  constitution 
de  l'an  trois  ,  œuvre  informe  d'une 
politique   de   circonstance  ,    bonne 
seulement  à  servir  de  passage  à  la 
monarcbie  ;  mais  que  les  régicides  , 
les  constitutionnels  et  les  orléanistes 
montraient  une  égale  ardeur  à  dé- 
fendre ,  ceux-ci  pour  réaliser  la  clii- 
raère    d'une  république   mixte    ou 
d'une  royauté  bâtarde  ,  ceux-là  pour 
se  ménager  ,  au  besoin  ,  un  lieu  d'a- 
sile contre  le  juste  châtiment  de  leur 
crime.  Les  vieux  jacobins  s'étaient 
les  premiers  mis  en  garde  ,  en  pla- 
çant cinq  montagnards  (  i  )  à  la  tète 
du  gouvernement  ;  et'  dans  la  suite 
l'on  considéra  comme  un  utile  triom- 
phe,dela  part  du  second  tiers  juste- 
ment noté  de  royalisme,  d'avoir  af- 
faibli ce  faisceau  régicide,  en  y  in- 
troduisant un  honnête  homme  (u). 
On  pouvait  prévoir  d'avance  les  dé- 
chirements q\i'allait  amener  dans  le 
sein  des  Conseils  et  du  directoire  ,  la 
lutte  de  ces  divers  partis,  composés, 
so\is  le  rapport  des  opinions  et  des 
principes  ,  d'éléments  plus  inconci- 
liables peut-être  encore  ,  que  les  in- 
térêts diamétralement  opposés,  dont 
chacun  fondait  le  triomphe  sur  la 
ruine  de  ses  adversaires.  Dans  un  pa- 
reil état  de  choses  ,  le  choix  du  com- 
mandant en  chef  de  la  garde  des 
Conseils,  de  qui  dépendaient  en  quel- 
que sorte  la  sûreté,  la  liberté  ,  l'exis- 
tence même  personnelle  et  collective 
des  députés  et  de  la  représentation 
nationale,  n'était  pas  sans  une  très- 
grande  impurlauce.  On  sentait  ,  de 
tous  côtés  ,  le  besoin  de  ne  couder 


(i)  BnrraK.l.iiicveillrrï-liClHiin  .Ciiiiml,  Lcloiir- 
iioiirrt  Ki-wln-U. 


^m)  BMitlielcii.v. 


RAM 

qu'à  des  mains  sûres  et  dévouées,  le 
dépôt  des  ordres  qui  pourraient  éma- 
ner de  commissions  d'inspecteurs 
éventuellement  choisis  dans  une  fac- 
tion opposée,  afin  d'en  subordonner 
l'exécution  ,  bien  moins  encore  aux 
règles  matérielles  de  la  discipline 
mditaire,  qu'aux  exigences  indiquées 
par  la  position  respective  des  par- 
tis. Trop  timides  à  l'égard  les  uns 
des  autres  ,  aucun  de  ceux  qui 
partageaient  les  conseils  ou  qui  con- 
uivaient  avec  le  Directoire  ,  n'osa 
porter  à  cette  place  un  homme 
dont  le  caractère ,  la  réputation  et 
les  talents  eussent  donné  trop  d'om- 
brage à  des  tyrans  soupçonneux. 
On  se  détermina  donc  pour  un  per- 
sonnage nul  ,  ou  du  moins  fort 
obscur ,  et  Rarael  fut  nommé.  Au 
reste  ,  à  défaut  de  célébrité  poli- 
tique et  militaire  ,  Ramel  pouvait , 
sous  certains  rapports  de  position  , 
voiler  en  partie  ce  que  les  motifs 
d'une  pareille  préférence  avaient  en 
eux-mêmes  de  peu  flatteur  pour  sou 
mérite.  Atteint,  dans  sa  personne  et 
dans  sa  famille  ,  par  le  contre-coup 
de  celte  même  frénésie  révolution- 
naire dont  il  avait  partagé  les  pre- 
miers accès,  il  finit  par  recueillir 
à  son  tour ,  sa  part  des  malheurs 
communs.  Un  de  ses  frères  ,  oiTicier 
au  régiment  de  Wellesley,  irlandais, 
ayant  refusé  de  prêter  le  serment 
exigé  des  troupes  après  le  lo  août 
1792,  fut  massacré  à  Cliâlons  ])ar 
des  gendarmes.  Un  autre  frère ,  l'aîné 
de  sa  famille  ,  ancien  membre  de 
l'assemblée  législative  ,  où  il  vota 
constamment  avec  le  côté  monar- 
chique, fut ,  par  ordre  des  représen- 
tants (lu  peuple  en  mission  auprès  de 
l'armée  des  Pyrénées -Orientales  , 
traîné  à  l'échafaud  comme  royaliste, 
après  s'être  distingué  à  la  tê;c  d'un 
régiment  de  dragons.  Lui-même, 


RAM 

enfin  ,  plongé  seize  mois  dans  les 
cachots,  n'avait  dû  son  salut  qu'au 
j*e'i?éral  Dugommicr,  dont  l'humanité 
courageuse  arracha  plus  de   trente 
mille  citoyens  aux  fureurs  du  terro- 
risme dans  les  départements  fron- 
tières du  raidi  de  la  France.  Le  pre- 
mier janvier  1797  ,  Ramel  fut  pré- 
senté au  Directoire  par  le  ministre 
de  la  guerre  ,  dans  une  audience  so- 
lennelle, où,  bien  étonnés,  sans  doute, 
de  se  trouver  ensemble  ,  parurent 
l'envoyé  du  dey  de  Tunis  ,  le  minis- 
tre de  la  république  des  États-unis  , 
et  les  ambassadeurs  des  cours  de  Par- 
me, d'Espagne  et  de  Turin.  A  l'ins- 
tallation de  Ramel  dans  son  nouveau 
poste,  la  garde  législative  ,  originai- 
reriîent  composée  d'un  bataillon  de 
huit   cents  hommes  ,  venait  d'être 
portée  à  deux  bataillons  de  six  cents 
hommes  chacun  ,  dont  le  fond  était 
celui  des  grenadiers  de  la  Conven- 
tion ;   circonstance  qui  peut  seule 
faire   juger   de    l'esprit   qui   y    ré- 
gnait ,  et  de   la  nécessité  d'une  ré- 
forme. Le  nouveau  commandant  pa- 
rut d'abord  vouloir  seconder  ,  à  cet 
égard ,  le  zèle  des  deux  commissions 
des  inspecteurs  de  la  salle  ,  qui ,  sur- 
tout  depuis    l'introduction    du  se- 
cond tiers,  en  mai  1 797  ,  prévoyant 
l'époque  plus  ou  moins    prochaine 
d'un  combat  à  mort  entre  le  parti 
^Z/cftie«  (3)  et  la  faction  directoriale  , 
sollicitaient  une  loi  de  complètement 
et  d'épuration  ,  pour  le  recrutement 
d'excellents  grenadiers  dans  tous  les 
corps  de  l'armée  ,  et  pour  l'adjonc- 


RAM 


37 


(S)  Ainsi  appelé  du  lieu  de  S' s  réunions  particu- 
lières, dans  la  maison  d'un  depiifi;  située  rue  de  Cli- 
chi,  A  ce  rasseinbleineut péril idique,  dénoncé  à  l'in- 
quisition soupçonneuse  du  Directoire,  et  devenu 
troji  noiubreux  pour  y  préparer  utilement  les  lois  i 
proposer  et  les  plans  à  suivre  ,  eu  avait  succédé  un 
autre  plus  intime  ,  auquel  ilaniel  ne  fut  jamais  ad- 
mis ,  et  dont  les  séauces  se  coutinucrcut  saus  iuler- 
ruplioD  jusqu'au  18  fructidor,  chei  le  député  (liU 
hert-des-Alulières  ,  .suis  que  les  jucubius  eu  eicut 
jamais  pcoetré  le  secret. 


tion  de  l'arme  de  la  cavalerie  et  de 
l'artillerie  à  celle  de  l'infanterie ,  qui 
composait  seule  jusqu'alors  la  garde 
des  Conseils.  Ce  plan  réalisé  aurait 
probablement  épargné  à  la  France 
les  désastres  de  fructidor  ;  mais  con- 
trarié par  les  cabales  des  Jacobins  , 
il  fut  plus  souvent  encore  gâté  d'a- 
vance dans  les  moyens  qui  devaient 
en    préparer  l'exécution ,  par    des 
insignifiances  de  conduite  de  la  part 
de  Ramel ,  dont  le  caprice  ,  l'irapéri- 
tie  et  la  faiblesse  ,  semblaient  dicter 
presque  toujours  à  contre-sens  les  dé- 
terminations et  les  ordres  pour  l'or- 
ganisation et  la  discipline  du  service. 
S'attachant,  pour  faire  parler  de  lui, 
à  mettre  le  public  dans  la  confidence 
des  détails  les  moins  importants  qui 
étaient   relatifs   à  ses  fonctions  ,  il 
écrivait  im  jour,  au  sujet  d'un  duel 
entre  deux  grenadiers  de  la  garde , 
dont  l'un  avait  été  tué  :  «  Il  est  mort... 
))  Je  le  plains.   C'est  le  seul  regret 
»  qu'il  m'inspire,  ainsi  qu'à  ses  ca- 
»  marades.  Celui  qui  l'a  tué ,  au  con- 
»  traire,  est  un  grenadier  reconnu 
»  par  sa  bravoure  et  sa  moralité:  en- 
i)  fin  c'est  un  grenadier  ;  et  ce  seul 
»  mot  doit  convaincre  le  public  que 
»  jamais  les  lâches  ne  trouvent  ni 
»  place  ni  grâce  dans  ce  corps.   » 
Si  ce  galiraathias  de  style  et  de  pen- 
sée  ,  que  ne  démentent  point  les  au- 
tres productions  de  la  plume  de  Ra- 
mel ,  et  que  l'on  ne  rappelle  ici  que 
pour  servir  de  point  de  comparai- 
son avec  la  diction,  en  général  pure 
et  correcte,  d'un  Mémoire  quia  paru 
sous  son  nom ,  n'accuse  encore  chez 
lui   qu'un    malheureux   instinct   de 
gaucherie  et  de  vanité,  bien  propre 
à  déconsidérer  l'homme  public,  il 
ne  tarda   pas    à  se   montrer    sous 
des  rapports  moins  excusables,  en 
descendant  des   fonctions   de   chef 
d'un  corps  militaire  au  rôle  d'agent 


38  RAM 

de  police,  et  cela  pour  senir,  au  dé" 
triment  de  son  propre  parti,  ce  mê- 
me Directoire  dont  il  avait  tout  à 
craindre.  A  l'aide  des  premiers  rap- 
ports qu'il  avait  formes  ,  en  1794  , 
avec  le  baron  Poiy,  à  l'armée  des 
Pyrcne'es  -  Orientales ,  rapports  que 
leur  séjour  commun  dans  la  capita- 
le et  l'habitude  de  s'y  voir  journel- 
lement avaient  rendus  plus  fre- 
que^nts  et  plus  intimes,  il  ne  fut  pas 
diflicile  à  Ramel  de  recevoir  de  cet 
officier,  son  ancien  compagnon  d'ar- 
mes, des  confidences  qu'il  traitait 
lui-même  de  folies  et  de  propos  d'un 
homme  ivre  ,  mais  dont  il  ne  laissa 
pas  de  faire  la  matière  d'une  déla- 
tion de  commande,  à  laquelle  il  fut 
en  outre  convenu ,  avec  le  directeur 
Carnot  et  le  ministre  Cochon,  de 
rattacher ,  pour  pîus  d'effet ,  les  ré- 
vélations que  le  chef  d'escadron  Ma- 
lo  ,  ancien  frère  cordelier  ,  s'était 
chargé,  de  son  côté,  de  surprendre 
à  la  confiance  de  l'abbé  Broticr ,  Du- 
verne  de  Presle  dit  Dunan  et  Lavil- 
leheurnois.  Feignant  d'entrer  dans 
leurs  vues,  pour  concourir,  de  leur 
personne  et  par  les  troupes  sous  leurs 
ordres,  au  rétablissement  de  la  royau- 
té, ces  deux  moutons,  payés  à  tant 
par  tête  de  conspirateurs,  attirèrent 
sans  effort  leurs  victimes  dans  le  piè- 
ge; et,  le  29  janvier  1797  ,  jour  fixé 
d'avance  avec  le  ministre,  pour  ce 
coup  de  main  révolutionnaire,  ils 
les  firent  saisir ,  par  des  soldats 
apostés  secrètement,  au  sortir  d'u- 
ne conférence  qui  avait  pour  ob- 
jet la  communication  de  leurs  pou- 
voirs de  commissaires  du  roi  ,  et 
d'autres  pièces  <pic  l'on  jugeait  es- 
•senliellcs  à  leur  coudaranaîion.  Ala 
suite  des  couimunications  officielles 
que  le  Directoire  s'empressa  de  faire 
sur  cet  objet  aux  deux  Conseils,  dans 
les  scancis  des  3  et  4  février ,  intcr- 


RAM 

vin!  un  décret  portant  que  Ramel  et 
Malo  avaient  bien  mérité  de  la  patrie. 
Cependant,  dès  le  lendemain,  le  rap- 
port particulier  de  Ramel  au  Di- 
rectoire devint,  au  sein  des  Con- 
seils ,  l'objet  de  débats  tiès-orageus. 
Argué  de  faux  par  Le  Tellier  et  La- 
marque ,  gens  fort  peu  suspects  de 
royalisme,  ce  rapport  fut  défendu 
par  Henri  Larivière  ,  qui  n'en  était 
plus  à  cette  époque  de  sa  vie  politi- 
que où  d'aussi  honorables  soupçons 
n'auraient  pu  l'atteindre.  Ramel  se 
jeta  dans  la  mêlée  pour  y  laisser , 
selon  son  usage ,  quelque  nouveau 
débris  de  sa  considération  person- 
nelle. Dans  une  lettre  au  Directoire, 
qu'il  ne  manqua  pas  de  publier ,  il  in- 
voquait, à  l'appui  de  sa  véracité,  celle 
de  deux  témoins  qu'il  s'était  ménagés 
dans  ses  conversations  avec  Poly.  «  Je 
»  suis  bien  fâché ,  ajoutait-il,  ûen.'<i- 
»  voir  pu  avoir  ce  Fédouville,  qui  m'a 
»  révélé  que  c'étaient  les  royalistes 
»  eux-mêmes  qui  avaient  fait  guillo- 
»  tiner  le  parlement  de  Toulouse , 
»  en  haine  de  sa  résistance  à  l'enre- 
»  gisticmcnt  des  édits  du  timbre  et 
»  de  l'impo^  territorial ,  et  d'avoir  , 
»  psr  leur  opiniâtreté  ,  provoqué 
»  l'assemblée  des  états -généraux.  » 
Passant  ensuite  à  sa  profession  de 
foi  politique  :  «  Dès  les  premiers 
»  jours  de  la  révolution  et  avant, 
»  disait-il ,  j'ai  professé  les  princi- 
»  pes  de  liberté  et  d'égalité.  Aucune 
»  lévolution  ne  pcutm'empêcher  de 
»  faire  mon  devoir.  Je  mourrai  in- 
»  dépendant.  »  Entendu  comme  té- 
moin dans  l'aflaircde  Brotier  et  La- 
villehcurnois  ,  et  cité  en  confronla- 
ticn  avec  Poly  dans  le  cours  de  la 
procédure  ,  Ramel  s'y  exprima  avec 
tant  de  bassesse,  qu'il  provoqua  plus 
d'une  fois  les  murmures  de  l'audi- 
toire. S'il  crut  alors  avoir  sauvé  la 
république  par  le  sacrifice  de  sou 


RAM 

honneur ,  il  n'eut  pas  du  moins  la 
pc'nible  satisfaction  tl'avoit  porte  le 
dernier  coup  à  ses  victimes  ,  dont , 
malgré  toute  sa  puissance  ,  le  Direc- 
toire ne  put  arracher  la  condamna- 
lion   capitale    (  4  )  ?    même  à    des 
commissions   militaires  composées 
par  lui  ;  tant  l'opinion  royaliste  dé- 
bordait alors  toutes  les  l'cssources  du 
pouvoir,  tant  elle  pressait  d'un  poids 
mortel  ce  simulacre  de  république  si 
ma!  soutenu  par  un  gouvernement 
inepte  et  tyrannique!  Tout  fumant  en- 
core pour  ainsi  dire  de  sa  délation  , 
contre  des  conjurés  royalistes,  en  fa- 
veur du  Directoire  ,  Raniel  ne  s'en 
montra  pas  moins  empressé  à  se  réu- 
nir à  l'une  des  fractions  (5j  des  mem- 
bres dcsGouseils  que  le  Directoire  vou- 
lait perdre,  sans  pouvoir  néanmoins 
obtenir,  par  cette  brusque  palinodie, 
la  confiance  du  parti  Cliciiien  ,  trop 
justement  prévenu  contre  lui  par  les 
choquantes  disparatesde  sa  conduite. 
Il  faut  mettre  de  ce  nombre  la  lettre 
cuigmatique  qu'il   adressa  ,  au  com- 
mencement de  fructidor  an  v  ,  aux 
inspecteurs  delà  salle,  sous  le  sceau, 
disait-il,  de  la  confidence  ;  ce  qui  n'e 
l'empêcha  pas  de  la  répandre  le  len- 
demain dans  tout  Paris  par  la  voie 
de  l'impression.   Au  sujet  de  celte 
lettre,  teinte  en  apparence  d'iui  peu 
de  couleur   clichienne ,  mais  très- 
propre,  au  total,  à  fomenter  la  divi- 
sion dans  les  Conseds  pour  le  seul 
avantage  du  Directoire,  il  s'éleva  aux 
Cinq-cents  une  discussion  très-ora- 

(/|)  On  nvait  force  les  jirctiiiers  juges  à  voter  la 
mort.  Mais  un  conseil  de  révision  commua  cpUejK-i- 
iie  eu  celle  du  l.>auutssoiueut  ;  011(111 ,  coiiiiue  s*il  eutetc 
fat!);iié  du  poids  de  ces  victimes,  alors  renfenuecs 
nu  'retn|>le,le  Directoire  iiiia^iua  de  les  rendre coiii- 
]>lici*s  des  dé)>utés  proscrits  au  ïS  fructidor,  et  com- 
prit l'ablie  Ui-olier  et  LaviUehournois  dans  le  dé- 
cret de  Jepurlution  C|ui  frappait  leur  déuoacialcur 

Ramel , 

(5)  Le  parti  des  tcmporiscurs  ,  dont  le  foyer  c'Iait 

aux  Anciens  ,  sous  l' iiiQuence  de  uneUpies  ailides  tic 

Caruot  ,  et  parmi  lesiniels  ou  distinguait  IMuiiiiuis 

Lacuco 


RAM 


39 


geuse,  OH  parlèrent  tour-à-tour  Har- 
di ,  Dumolard  ,  le  général  Jourdan  , 
et  dans  laquelle  on  vit  se  reproduire 
le  même  travestissement  de  rôles 
qu'on  avait  remarqué  quelques  mois 
auparavant  lors  du  rapport  sur  la 
conspiration  Poly.  Au  reste,  pou- 
vait-il en  être  autrement  à  une  épo- 
que où  la  république  n'existant  déjà 
plus  que  de  nom  ,  et  la  monarchie 
n'ayant  besoin  que  d'être  nommée 
pour  reparaître,  la  société  politique 
en  France  n'était  plus,  à  vrai  dire, 
qu'un  grand  bal  masqué  ,  où  l'œil  le 
moins  clairvoyant  ne  pouvait  plus 
être  involontairement  trompé  par 
les  apparences?  Aussi  s'était-on  ac- 
coutumé à  entendre  tous  les  jours, 
s;ins  scandale  et  sans  siirprise,  les 
CUchiens  prêter  serment  de  haine  à 
la  royauté ,  qu'ils  voulaient  rétablir; 


;  ,  et  parmi  lesniiels  nu  distin^u 
! ,  I)ul()huue<! ,  Kuvl'rc  ,  etCt 


les  Montagnards  crier  contre  l'anar- 
chie, dont  ils  regrettaient  le  règne; 
le  Directoire  protester  de  sa  fidélité 
à  la  constitution  ,  qu'il  s'apprêtait  à 
violer;  tous  les  partis  enfin  psalmo- 
dier des  foimuks  de  zèle  pour  le  sa- 
lut de  la  république,  sans  croire  à 
la  possibilité  de   sa   conservation. 
Vers  le  milieu  de  ce  même  mois  de 
fructidor  ,  elle  touchait  à  l'une  des 
crises  les  plus  violentes ,  et  dans  la- 
quelle Ramel  allait  terminer  sans  di- 
gnité un  rôle  qu'il  avait  constam- 
ment compromis  par  ses  gaucheries 
ou  déshonoré  par  ses  bassesses.  Les 
progrès  de  l'opinion  publique,  cha- 
que jour  plus  marqués  ,  en  faveur 
de   la    monarchie  ,    par  la  double 
influence  des  décrets   réparateurs  , 
qui  sortaient  des  Conseils ,  et  des 
docuines  analogues  que  répandaient, 
avec    autant    de    courage    que    de 
succès  ,  une  foule  de  journaux  roya- 
listes ,  avaient  donne  au  Directoi- 
re la  conviction  et  la  mesure  de  ses 
dangers.   L'affaire  de  l'abbd  Bro- 


/•o 


RAM 


lier  et  de  La  Villelieurnois  ,  dans 
laquelle  il  n'avait  pu  saisir  que  quel- 
ques instruments  isolc's  et  partiels , 
lui  avait  découvert  les  ramifications 
immenses  d'une  conjuration  ,  qui , 
maîtresse  déjà  ,  par  l'opinion  publi- 
que, des  positions  morales,  d'où 
elle  pouvait  dominer  la  société  tout 
entière,  n'attendait  plus  que  l'ave'- 
nement  du  troisième  tiers  dans  les 
conseils,  pour  faire  proclamer,  par 
une  majorité'  légale  ,  le  retour  de  la 
royauté  légitime,  dont  le  vœu  était 
alors  dans  tous  les  cœurs ,  et  trou- 
vait, au  sein  du  Directoire  même, 
un  nouveau  renfort,  quoique  à  des 
titres  bien  différents ,  dans  Carnet 
et  dans  Barthélémy  (6).  Le  danger 
pour  la  république  était  mortel  de 
sa  nature;  l'emploi  de  la  force  et 
l'abus  du  pouvoir  étaient  seuls  capa- 
bles de  le  conjurer,  au  moins  pour 
un  temps.  Le  triumvirat  directorial 
s'y  décida  avec  une  impudence  de 
publicité  ,  capable  d'accélérer  sa 
chute,  sans  cette  espèce  d'ensorcel- 
lement politique  qui  tint  ses  adver- 
saires constamment  immobiles  en 
présence  des  préparatifs  journaliers 
que  l'on  faisait  pour  leur  ruine.  Cet- 
te maladie  des  esprits  les  plus  sages 
en  apparence,  fut  poussée  à  un  tel 
poiut  de  délire,  que,  malgré  l'in- 
troduction dans  Paris  de  douze  à 
quinze  mille  hommes  de  Tarraéc  de 
Hoche,  inconstitulionnellemcnt  ap- 
])clés  par  le  Directoire;  malgré  les 

(())  Rarlbelemy  rtait  sincèrcinent  |ioite'  piiiir  l.i 
royauli-  :  Caruut  ne  voulait  en  fnlendi«  (jarlcr  d'au- 
cune maniire.  D'un  PS|irit  hargneux  et  d'un  carae- 
Ure  peu  nialleahie ,  ci't  hnniine  clalt  toujours  de 
r6|>|)0.sitiondan.s  son  propre  parti.  Sa  ru|ilurc  avec 
fiarra»  Put  une  ulTaired'Iiumcur  ,  et  non  pas  un  <-Iian- 
gement  de  principes.  Sondé ,  au  nom  du  parti  Cli- 
chien  ,  par  deui  députés  charges  de  connaître  «es 
véritihh-s  di-positions ,  il  avait  répondu  nettement  : 
«  Le  jour  où  l'on  attaquera  un  membre  du  Direc- 
»  toire,  quel  qu'il  loit  ,jc  dcviendraison  défenseur: 
»  quant  aux  iiourhons  ,  j'aurais  dans  ma  poche  ma 
»  Rriieo  hien  cimentée  de  la  parole  royale  ,  que  je 
»  ne  m'y  lierai»  pas.  I.e  lencleinain  de  son  éjév.-ition 
>.  an  lrui'»,l«  roi  serait  force  de  la  révoqnor.  •> 


RAIVÏ 

manœuvres  peu  secrètes  ,  les  jacfarr- 
ces  publiques  ,  de  ses  partisans  ,  et 
lorsqu'enûn  le  canon  d'alarme  al- 
lait tirer  dans  quelques  heures,  les 
membres  des  deux  Conseils  n'en  le- 
vaient pas  moins  tranquillement  leur 
séance  le  i  7  à  cinq  heures  du  soir,  se 
rassurant  à  l'ordinaire  les  uns  les 
autres,  par  ces  mots  que  l'histoire 
doit  recueillir  :  «  Il  n'y  a  rien  de 
»  nouveau  ;  les  choses  en  sont  aa 
»  même  point.  »  Déconcertée  paT 
cet  indolent  scepticisme,  dans  le- 
quel se  berçait  la  masse  des  dépu. 
tés ,  la  conjuration  royaliste  s'était 
réfugiée  tout  entière  dans  le  petit 
cercle  des  inspecteurs  de  la  salle , 
qui ,  d'après  les  dispositions  natu- 
relles de  Ramel,  ne  crurent  devoir 
lui  assigner  qu'un  rôle  secondaire, 
dans  le  plan  d'opérations  arrêté  la 
nuit  même  du  17  au  18  fructidor, 
sur  l'avis  positif  de  l'ébranlement 
des  troupes  caseruées  à  Popincourl 
et  dans  d'autres  quartiers,  ainsi  que 
de  leur  marche  vers  les  Tuileries. 
D'après  ce  plan  ,  qui  devait  deve- 
nir offensif  au  premier  acte  d'hos- 
tilité militaire  contre  la  représenta- 
tion nationale,  il  était  convenu  que 
Willot  et  Pichegru  ,  l'un  à  la  tête 
d'un  corps  d'élite  composé  de  plu- 
sieurs milliers  de  jeunes  gens  et  d'un 
grand  nombre  d'ofliciers  Vendéens, 
l'autre  à  la  tête  des  grenadiers  de  la 
garde,  marcheraient  droit  au  Luxem^ 
bourg  pour  en  arracher  les  trium- 
virs et  les  conduire  à  la  barre  des 
Conseils  ,  que  d'autres  membres  de 
la  commission  auraient  eu  le  soin 
de  coiivoi|uer.  Le  temps  qu'on  per- 
dit en  allées  et  en  venues,  la  faute 
que  firent  les  inspecteurs  de  ne  pas 
se  réunir  toute  autre  part  que  dans  le 
lieu  ordinaire  de  leurs  séances  oîi  de- 
vaient naturellement  se  diriger  les 
premières  forces   des    assaillants  , 


RAM 

mais  surtout  l'inconcevable  rapidité 
que  mit  Augereau  dans  le  de'ploie- 
mentdes  troupes , firent  toute'cliouer. 
Dès  trois  heures  et  demie  du  ma- 
lin ,  le  1 8  fructidor  (  4  septembre 
•797  )  '  ^^^  premier  bruit  du  ca- 
non d'alarme,  la  révolution  parut 
to'it-à-coup  termine'e,  par  l'inves- 
tissement des  Tuileries,  l'irruption 
dans  l'intérieur  du  jardin  de  plu- 
sieurs détaclieraents  d'infanterie  et 
d'artillerie ,  qui  avaient  forcé  le  pos- 
te du  Pont-Tournant ,  et  par  l'arres- 
tation des  inspecteurs  de  la  salle.  Pen- 
dant tout  ce  désarroi ,  Ramel  ne 
montra  qu'une  activité  sans  but  et 
sans  résultat.  Depuis  deux  heures 
après  minuit  jusqu'à  neuf  du  matin, 
qu'il  restait  encore  maître  de  sa  trou. 
pe,  dont  aucune  marque  d'insubor- 
dination n'avait  pu  faire  suspecter  la 
fidélité ,  il  ne  lui  vint  pas  à  la  pensée 
d'ordonner  seulement  une  patrouil- 
le, et  de  faire,  au  moins  pour  l'hon- 
neur de  son  épée  et  de  son  drapeau, 
une  simple  démonstration  de  résis- 
tance militaire:  et  cependant ,  dans 
ces  moments  de  crise  où  l'ennemi 
lui-même  n'osait  encore  croire  à  ses 
succès,  une  amorce  brûlée  à  propos 
pouvait  suffire,  en  donnant  le  signal 
d'un  soulèvement  royaliste  ,  pour 
convertir  en  triomphes  les  premiers 
malheurs  de  cette  journée.  Tant  de 
lâcheté  dans  Ramel  indigna  sa  trou- 
pe. Aussi  lorsqu' Augereau ,  sur  la 
terrasse  des  Feuillants,  lui  arracha 
ses  épaulettes,  avec  une  brutalité 
dont  peut-être  l'honneur  français 
doit  l'absoudre ,  on  vit  les  grena- 
diers de  la  garde  des  Conseils,  au 
lieu  de  le  défendre,  se  précipiter 
aux  cris  de  /^iVe  la  république!  dans 
les  rangs  des  satellites  du  Directoire. 
Conduit  au  Temple,  Ramel  y  trou- 
va, au  nombre  de  quinze,  les  pre- 
mières victimes  de  celle  journée, 


RAM 


4» 


qu'une  loi  dictée  par  le  Directoi- 
re venait  de  condamner  à  la  dé- 
portation à  Caïenne ,  et  parmi  les- 
quelles il  put  contempler  les  deux 
hommes  estimables  dont  il  s'était 
fait  le  délateur  ,  pour  servir  ce  mê- 
me parti  qui  le  proscrivait  à  son 
tour.  Traînées,  plutôt  que  transpor- 
tées, sur  des  espèces  de  cages  roulan- 
tes, pendant  un  long  trajet  de  cent 
soixante  lieues,  au  péril  continuel  de 
leurs  jours,  et  parmi  les  traitements 
barbares  de  leur  escorte ,  commandée 
par  les  adjudants  Dutertre  et  Guil- 
let ,  ces  victimes  fructidoriennes  ar- 
rivèrent à  Rochefort  le  a  i  septem- 
bre. Dès  le  lendemain,  on  les  entassa 
avec  moins  de  ménagements  que  n'en 
mettent  les  négriers  pour  les  escla- 
ves d'Afrique,  dans  les  entre-ponts 
de  la  corvette  la  Faillante,  qui  fit 
voile  aussitôt  pour  Caïenne  ,  où  elle 
prit  terre  le  lo  nov.  1797,  après  4*^ 
jours  d'une  pénible  traversée.  Ac- 
cueillis d'abord  avec  bonté,  par  l'a- 
gent du  Directoire,  Jcannet,  homme 
de  l'ancien  parti  de  Danton  ,  dont  il 
était  parent,  les  déportés  virent,  dès 
le  lendemain,  après  l'ouverture  des 
dépêches  directoriales  ,  se  renouve- 
ler contre  eux  la  persécution  dont 
ils  n'avaient  cessé  qu'un  instant  d'ê- 
tre l'objet.  Jetés  dans  les  marais  in- 
salubres de  Sinamari ,  où  le  retour 
de  la  mauvaise  saison  allait  rendre, 
dans  quelques  mois ,  leur  perte  iné- 
vitable; menacés  même  d'être  bien- 
tôt refoulés  dans  un  canton  encore 
plus  infect,  sur  la  rivière  de  Vincent- 
Pinçon  ,  les  députés  n'avaient  plus 
qu'à  choisir  entre  l'évasion  et  la  mort. 
Plusieurs  d'entre  eux  semblaient  s'ê- 
tre résignés  à  ce  dernier  parti.  D'au- 
tres, au  nombre  de  huit  (7),  et  dont 


(7)  lîurlliolc  iny  ,  Pi.  Iicsni ,  noMouvillc,  Aiibir  . 
Oflurue  ,  T.llier',  Wlll..t  tl  Kamil. 


42  RAM 

Ramel  faisait  partie,  résolurent  au 
coutraire  de  s'arracher  à  tout  prix 
de  cette  terre  de  désolation,  qui  avait 
dévore  le  robuste  Gollot-d'Herbois, 
que  souillait  encore  la  présence  de 
Billaud-Varennes ,  et  qui  vit  succes- 
sivement périr  de  misère  et  de  déses 
poir  Murinais,  Tronçon  du  Coudray, 
Brotier ,  La  Villeheurnois  et  Rovè- 
re.  Pressés  les  uns  sur  les  autres  dans 
les  flancs  étroits  d'une  frêle  pirogue, 
qu'un  coup  de  mer  pouvait  à  chaque 
instant  engloutir;  n'ayant  ni  bous- 
sole ,  ni  carte  ,  ni  provisions  ;  Ra- 
mel et  ses  compagnons  d'infortune, 
sous  la  conduite  d'un  nommé  Bar- 
rick  ,  matelot  américain  ,  qui  se  dé- 
vouait pour  eux,  s'abandonnèrent , 
dans  la  nuit  du  3  au  4  i'ibi  1798, 
à  la  merci  des  vents  et  des  flots  , 
sur  une  côte  orageuse ,  couverte  de 
brisans  et  de  rescifs.  Après  sept 
j  ours  et  sept  nuits  d'une  pénible  navi- 
gation ,  pendant  laquelle  ils  éprouvè- 
rent tour-à-tour  les  tourments  de  la 
faim  et  les  horreurs  du  naufrage,  ils 
parvinrent  enfin  ,  à  prendre  terre 
au  fort  de  Monte  -  Krick  ,  dans  la 
colonie  hollandaise  de  Surinam  ,  où 
l'humanité  du  gouverneur  (  le  baron 
de  Cohorn  )  leur  fit  trouver  l'hos- 
pitalité la  plus  généreuse.  Embarqué 
bientôt  après ,  sur  la  frégate  anglaise 
la  Grue ,  Ramel  aborda  en  Angle- 
terre, avec  Pichegru,  Delarue  et  Dos- 
sonville,  le  '21  septembre,  jour  an- 
niversaire de  leur  départ  de  Roche- 
fort  pour  Cïicnne.  Arrivés  à  Lon- 
dres, le  '27,  ils  furent  présentés,  dès 
le  lendemain ,  à  M.  Wickam,  chargé, 
sous  le  duc  de  Porlland,  alors  nii- 
nislre  de  l'intérieur,  de  toutes  les  al - 
faires  rel.iùves  aux.  étrangers.  Dans 
les  égards  et  les  soins  dus  à  un  mal- 
heur comniiui,  Himcl  reçut  d'abord, 
do  la  part  des  Anglais,  une  part  éga- 
le  à    celle  de    SCS    coiapa^^uons  : 


RAM 

mais  l'humanité  satisfaite,  la  politi- 
que eut  son  tour.  Le  ministre  pesa 
les  opinions  et  la  conduite.  Delarue 
et  Pichegru  restèrent  h  Londres  ;  et 
Ramel,  à  qui  l'on  prodigua  tout,  ex- 
cepté des  marques  de  considération 
et  d'estime  ,  partit  pour  Hambourg, 
oij  il  arriva  ,  le  29  octobre  1798.  Il 
y  retrouva  Matthieu  Dumas ,  son  an- 
cien ami,  qui  s'occupait  alors  de  la 
rédaction  de  son  Précis  des  éi>éne- 
ments  militaires.  On  croit  généra- 
lement qu'après  avoir  travaillé  en 
commun  ,  dans  leurs  conversations 
journalières,  les  souvenirs  de  Caïen- 
ue  et  de  Sinaraari  ,  il  fut  convenu 
entre  eux  de  les  publier  dans  un 
Mémoire  auquel  l'un  prêterait  sa  plu- 
me ,  et  l'autre  attacherait  son  nom. 
En  ce  qui  touche  à  la  rédaction  de 
cette  brochure  (8) ,  dont  la  première 
édition  parut  à  Hambourg  ,  vers  la 
fin  de  1798,  le  pi-oblème  bibliogra- 
phique est  d'avance  négativement  ré- 
solu par  rapport  à  Raracl,  d'après 
les  échantillons  qu'on  a  vus  plus  haut 
de  sa  manière  d'écrire.  Mais  si ,  sous 
le  rapport  littéraire,  le  Journal  de 
Ramel  n'a  rien  que  ne  puisse  avouer 
le  talent  du  général  Dumas ,  d'au- 
tres doutes  s'élèvent  sur  des  points 
pins  graves.  Qu'un  oflicier  connu  par 
de  bons  ouvrages  sur  la  science  mi- 
litaire décrive  sérieusement  avec  dé- 
tail, l'enceinte,  les  lemparts,  les 
courtines ,  les  fossés  d'un  fort  de  Si- 
namari,  oij  il  n'a  jamais  existé  de 
foi  t;  qu'un  Français  dont  l'opinion 
politique,  quoique  trop  favorable  à 
la  révolution,  ne  l'a  jamais  cepen- 
dant détourné  dans  les  sentiers  im- 
purs du  jacobinisme,  consente  à  prê- 
ter sa  plume  à  un  délateur,  pour  dis- 
tiller de  nouvelles  calomnies  sur  des 


(3)  Jotirii:il<lr  l'inljudunt-ginéial  liamel ,  in-fin. 


RAM 

hommes  estimables ,  quelese'preuves 
d'un  malheur  commun  auraient  dû 
hii  rendre  plus  sacre's  ,  et  pour  s'a- 
charner après  avoir  cause  leur  perle, 
à  poursuivre  d'avance  leur  mémoire 
dans  l'avenir,  c'est  ce  qui  semblcde- 
voir  ramener  ledoulesurleve'rilable 
rédacteur  du  Journal  de  Ramel ,  oii 
l'on  trouve,  sur  plusieurs  personna- 
ges, mais  principalement  à  l'égard 
de  Brolier  et  deLavilleheurnois ,  des 
imputations  aussi  odieuses  que  men- 
songères. Quoi  qu^il  en  soit  de  cet- 
te question,  le  Journal  de  Ramel, 
qui  parut  sous  les  auspices  de 
rintérêt  général  qu'inspiraient  alors , 
dans  toute  l'Europe  ,  le  sort  et  la 
personne  des  déportés  ,  obtint  un 
débit  prodigieux  ,  que  ne  pouvaient 
ralentir  les  notes  récriminatives  pu-  " 
bliées  par  Jeaunet ,  en  l'an  viii , 
pour  sa  défense  personnelle  (9). 
L'cflet  que  le  Journal  de  Ramel 
produisit  sur  l'opinion,  alarma  le 
Directoire,  et  provoqua  ,  parmi  les 
actes  de  son  absurde  tyrannie ,  un 
nouvel  arrêté,  bizarre  sur  tous  les 
autres  ,  de  conception  et  de  style  , 
portant  :  a  Que  la  dénomination  de 
déporté  par  la  loi  du  19  fructi- 
dor an  r,  ayant  quitté  le  lieu  de 
la  déportation  pour  se  rendre  en 
pays  étranger,  sera  ajoutée,  sur  la 
»  liste  des  émigrés  ,  aux  noms  des 
»  nommés  Pichcgru  ,  etc.  »  Ac- 
compagné de  la  réputation  dç  son 
écrit ,  qui  n'est  plus  aujourd'hui  que 
d'un  intérêt  sccondaii'c  depuis  la  pu- 
blication d'un  autre  ouvrage  (  i  o),  où 
l'histoire  pourra  puiser  la  vérité 
dans  des  sources  plus  pures,  Ramel 
parcourut  divei'scs  parties  de  l'Allc- 

(())  Nntr.<  sur  ijucliiuts  passages  du  Minwire  de 
linmut..'..  on  Relevé  des  faux  i/ui  se  trouvent  dunt 
ce  nténnûi'c ,  in-8o.  de  ^>,  pag, 

(10)  Ifistcrr.  (/i»i8/W(t-//i/o/ ,  parleclievnlicrDe- 
lai-uc,  l'uu  des  clc|iiitc5  dt^orU's  à  Siimn^i,  ?. 
Tul.iii.8o.,  raiis,j8ai.  ^^ 


RAM 


43 


magne  ,  et  rentra  en  France  ,  par 
suite  de  la  journée  du  18  brumaire 
1799.  La  manière  dont  il  s'était 
montré  dans  celle  du  18  fructidor  , 
ne  pouvait,  sous  aucun  rapport ,  le 
rendre  recommandable  auprès  de 
Buonaparte,  qui  repoussa  long-temps 
toutes  ses  demandes  de  services ,  et 
finit  néanmoins,  sur  les  sollicitations 
de  Matthieu  Dumas,  par  l'attacher, 
sans  augmentation  de  grade,  à  l'état- 
major  d'un  des  corps  de  l'armée  de 
Portugal.  Plus  heureux  ,  en  181 4  •> 
auprès  du  ministre  du  Roi,  Ramel 
fut  fait  maréchal-de-camp  ,  le  25 
novembre ,  et  renoua  dès-lors  ,  avec 
Fouché,  des  liaisons  ,  qui  lui  valu- 
rent 1  pendant  les  cent  jonrs  ,  le 
commandement  de  la  ville  de  Tou- 
louse ;  place  qu'il  conserva,  après 
le  second  retour  du  Roi,  par  la  mê- 
me influence  qui  la  lui  avait  donnée. 
Au  premier  bruit  de  la  bataille  de 
Waterloo,  et  du  retour  des  Bour- 
bons ,  il  se  hâta  de  faire  arborer  le 
drapeau  blanc  ,  avec  des  éclats  d'un 
zèle  personnel  qui ,  par  un  effet  con- 
traire à  celui  qu'il  en  attendait  sans 
doute ,  firent  disparaîuc  ,  aux  yeux 
du  public  ,  le  royaliste  de  i8i5  , 
sous  les  traits  du  dénonciateur  de 
1797.  A  ce  réveil  d'anciennes  mé- 
fiances ,  se  joignirent,  bicnt6t.après, 
des  motifs  de  mécontentement  pro- 
pres à  les  aigrir ,  par  le  refus  que 
lit  Ramel ,  avec  raison  sans  doute  , 
sous  le  rapport  de  la  discipline  mi- 
litaire ,  de  délivrer  le  mot  d^ordre 
aux  compagnies  dites  de  Verdets  , 
spontanément  créées  par  l'enthou- 
siasme de  la  royauté ,  et  préten- 
dant se  maintenir,  sans  organisa- 
tion légale  ,  par  delà  l'époque  des 
dangers  publics,  qui  d'abord  avaient 
pu  faire  accepter  leui's  services.  Ces 
causes  d'animadversion  contre  Ra- 
mel se  fortifiaient  encore  parla  ccrti- 


44 


RAM 


tude  que  l'oncriit  avoir  acquisedeses 
relations  avec  Foiiche  ,  qui  dèslors 
ne  cachait  plus  son  plan  d'accom- 
moder la  royauté  aux  inte'rêts  de  la 
révolution ,  et  d'exploiter  les  grâces 
et  les  faveurs  du  prince ,  au  seul  pro- 
fit des  anciens  ennemis  de  la  monar- 
chie. De  tous  ces  bruits  ,  plus  ou 
moins  fondés,  résultèrent,  contre  Ra- 
mel,  des  préventions  qu'une  circons- 
tance ,  en  soi-même  indifférente  et 
de  pure  localité,  fit  bientôt  écla- 
ter de  la  manière  la  plus  tragique.  Ce 
général  occupait ,  à  Toulouse  ,  une 
maison  située  sur  la  place  de  Rouaix, 
où  l'enthousiasme  rassemblait  tous 
les  soirs  une  foule  considérable  d'ha- 
bitants ,  qui  s'y  livraient ,  parmi  les 
chants  et  les  danses ,  à  tous  les  trans- 
ports de  la  joie  publique.  La  présen- 
ce de  Rarael,  souvent  aperçu  dans 
ces  rassemblements  ,  qu'il  était  obli- 
gé de  traverser  chaque  jour  pour 
entrer  chez  lui ,  reveillant  des  souve- 
nirs que  la  nature  même  et  l'objet 
de  ces  réunions  rendaient  plus  fâ- 
cheux ,  fournit  l'occasion  et  le  pré- 
texte d'un  crime  que  rien  ne  saurait 
excuser.  Le  i5  aoilt  i8i5  ,  jour  où 
la  solennité  de  la  fête  avait  occasion- 
né une  réunion  plus  nombreuse,  Ra- 
mel  était  à  peine  rentré  chez  lui , 
vers  dix  heures  et  demie  du  soir, 
que  des  cris  de  mort  se  firent  enten- 
dre ,  en  même  temps  que  la  foule  pé- 
nétrait déjà  par  la  porte  principale 
(pj'on  vcn.iit  de  briser.  I.c  général 
tire  aussitôt  l'épée,  et  cherche  à  se 
défendre.  Percé  parlefcr  de  plusieurs 
cannes  à  lance  ,  atteint  d'un  coup  de 
pistolet  qui  lui  traverse  le  bas-vcn- 
irc ,  il  conserve  toutefois  assez  de 
sang-froid  et  do  force,  pour  se  traî- 
ner jusque  dans  un  grenier,  et  s'y 
blotir  sons  un  tas  de  paille.  Guides 
par  les  Ir.iccs  de  son  sang,  ses  as- 
sassins reviennent  sur  lui  avec  fu- 


RAM 

rie.  On  parvient  à  les  éloigner;  maïs 
au  moment  où  le  chirurgien  panse 
ses  premières  plaies ,  ils  se  jettent 
encore  sur  leur  victime  ,  et  la  per- 
cent de  dix-sept  coups  de  baïonnet- 
te ,  dont  chacun  paraissait  mortel. 
En  proie  à  d'horribles  souffrances  , 
Ramel,  après  avoir  reçu  avec  piété 
les  sacrements  de  l'Église  ,  et  refusé 
constamment  de  nommer  ses  meur- 
triers ,  expira  le  1 7  août ,  le  surlen- 
demain de  son  assassinat ,  dont  il 
serait  difficile  d'assigner  d'autres 
causes  que  l'exaspération  momenta- 
née des  esprits  ,  dans  une  émeute 
sans  complot  formé  d'avance  ,  ain- 
si que  l'indique  une  proclamation 
publiée  à  cette  occasion  par  M.  de 
Villèle ,  alors  maire  provisoire  de 
Toulouse.  Ce  triste  événement  don- 
na lieu  à  des  poursuites  judiciai- 
res devant  le  tribunal  de  Pau  :  el- 
les eurent  pour  résultat  la  condam- 
nation à  des  peines  correctionnelles 
de  quelques  personnes  ,  déclarées 
coupables  d'avoir  fait  partie  d'un 
rassemblement  séditieux  ,  mais  con- 
tre lesquelles  la  prévention  d'assas- 
sinat ou  de  complicité  ne  parut  pas 
suffisamment  établie.        h — de. 

RAMELLI  (  Augustin  ) ,  mé- 
canicien ,  né  vers  i53i,  à  Maran- 
zana  ,  duché  de  Milan  ,  fit  de  ra- 
pides progrès  dans  les  lettres  et  les 
sciences,  surtout  dans  les  mathé- 
matiques. Ayant  embrassé  la  pro- 
fession des  armes,  il  servit  sous  les 
onh'cs  de  Marignan ,  l'un  des  plus 
habiles  généraux  de  l'empereur 
Charles-Quint  (  F'ojr,  Marignan  ) , 
et  se  signala  dans  plusieurs  occa- 
sions. Après  la  mort  de  son  pro- 
tecteur, il  vint  en  France  ,  où  il 
fut  accueilli  ])ar  le  duc  d'Anjou 
(  depuis  Henri  III  ) ,  qui  lui  donn.i  le 
titrage  son  ingénieur.  11  suivit  ce 
prince  au  siège  de  la  Rochelle ,  on 


RAM 

1573,  y  fut  blessé  grièvement,  et 
resta  prisonnier.  Dans  celte  circons- 
tance ,    il   reçut   des    témoignages 
particuliers  de  l'attachement  que  lui 
portait  le  duc  d'An)  ou:  ce  prince  paya 
sa  rançon,  et  donna  des  ordres  pour 
qu'on  prît  soin  d'un  fils  que  Ramelli 
avait  laissé  à  Paris.  Henri ,  appelé 
peu  de  temps  après  au  trône  de  Po- 
logne ,  ne  cessa  pas  de  prendre  le 
plus  vif  intérêt  à  soningéuienr,et  lui 
adressa  plusieurs  lettres  pleines  d'af- 
feclion  ;  enfin,  devenu  roi  de  Fran- 
ce ,  il  le  fixa  près  de  lui  par  une 
pension  considérable.  Ramelli,  pé- 
nétré de   recoimaissance   pour   les 
bontés  du  roi,  lui  dédia  son  Recueil 
intitulé  :  Le  diverse  ed  arlificiose 
machine  ,  etc. ,  ital.  -  franc. ,  Paris , 
i588,  iu-fol.  avec  ig5  pi.  Ce  volu- 
me, rare  et  recherché  des  curieux, 
contient  la  description  de  plusieurs 
machines  inventées  ou  perfection- 
nées par  Ramelli ,  pour  élever  les 
eaux  ,  soulever  des  fardeaux  ,  cons- 
truire des  ponts,  eic.  Quelques-unes 
de  ces   machines  sont  assez  ingé- 
nieuses ;    mais  elles   seraient  plus 
utiles  ,  si  elles  étaient  plus  simples, 
Ramelli  avait  composé  un  Traité  de 
fortifications,  dont  le  manuscrit  lui 
fut  dérobé ,  et  qu'il  avait  le  projet  de 
refaire;  mais  il  en  fut  empêche  par 
sa  mort  prématurée,  arrivée  vers 
iSqo.  Il  était  alors  âgé  d'environ 
soixante  ans.  W — s. 

RAMESSÈS  est  un  nom  commun 
à  plusieurs  des  rois  de  la  dix-hui- 
tième et  de  la  dix-neuvième  dynas- 
tie égyptienne  ,  toutes  deux  appe- 
lées Thebaines,  parcequ'elles  étaient 
originaires  de  Thèbes,  et  parce  que 
les  princes  de  ces  dynasties  rési- 
daient à  Thèbes.  Ce  nom,  que  les  an- 
ciens nous  ont  conservé  sous  les  di- 
verses formes  de  Ramassés,  Iluine- 
sès  j  Ramisès ,  Âainsùs ,  Raiiipsès 


RAM 


45 


et  Ramestès,  se  prononçait  en  égyp- 
tien Bamiii  ou  Rainésé jc'cst-k-dhe 
enfant  du  soleil.  C'est  sous  le  règne 
de  ces  princes  que  l'Egypte  parvint, 
vraisemblablementauplnshaut  degré 
de  splendeur;  aussiest-celeur  nom  qui 
se  retrouve  le  plus  fréquemment  ins- 
crit en  caractères  hiéroglyphiques 
dans  les  cartouches  royaux  qui  dé- 
corent les  ruines  des  antiques  monu- 
ments de  Thèbes  et  du  reste  de  l'E- 
gypte :  on  le  voit  aussi  sur  une  mul- 
titude de  monuments  de  toute  natu- 
re qui  ornent  nos  Musées  ou  nos  coL 
lections  particulières.   Scion    Am- 
raien  IMarcellin  (  lib.  xvii ,  cap.  4  ), 
le  grand  obélisque  qu'Auguste  avait 
fait  apporter  d'Egypte  et  élever  dans 
le  grand  cirque  à  Rome,  avait  été 
autrefois  érigé  à  Héliopolis,  par  un 
roi  nommé  Raniestès,  qui  fut  sans 
doute  un  des  princes  que  nous  avens 
désignés.  Cet  historien  avait  inséré 
en  entier  dans  son  ouvrage  la  tra- 
duction grecque  qu'un  certain  Her- 
mapion   avait  faite  des  inscriptions 
liiéroglyphiques  tracées  sur  ce  mo- 
nument. Il  n'existe  plus  maintenant 
qu'une  portion  de  cette  traduction. 
Elle  paraît  d'une  grande  fidélité  :  an 
moins  est-il  certain  que  la  plupart 
des  titres  qui  y  sont  donnés  au  roi 
Raniestès  ,   se  lisent    sur  les  mo- 
numents grecs  du  temps  des  Ptolé- 
mées;  ils  faisaient  partie  des  pro- 
tocoles   ou  formules  qui  accompa- 
gnent toujours    en  Egypte  l'énon- 
ciation  de  la  digniléroyale.  Plusieurs 
des  obélisques  qui  existent  encore  à 
Rome ,  présentent  le  nom  de   Ra- 
messès  ;  mais  aucun  ne  s'accorde  as- 
sez bien  avec  la  dcsci'iption  d'Am- 
mien  Marccllin,  pour  qu'on  puisse 
le  reconnaître  avec  certitude.  Il  se- 
rait possible  que  ce  monument  fût 
un  des  obélisques  qui  sont  encore 
enfouis  sous  les  restes  de  Rome  an- 


46  RAM 

tique.  On  croit  à  Rome  que  le  mo- 
nument décrit  par  Âmraien  Marcel- 
lin  est  le  même  que  celui  de  S.  Jean 
de  Latran.  D'autres  pensent  que  cet 
obélisque  est  celui  de  la  porte  du 
Peuple.  11  est  vrai  que  la  triple  sub- 
division des  inscriptions  hiérogly- 
phiques qui  se  voient  sur  chacune 
des  faces  de  ce  dernier,  s'accordent 
assez  bien  avec  les  indications  don- 
nées  par   la   traduction  d'Herraa- 
pion.  H  serait  difficile   de   distin- 
guer ,  dans  les  inscriptions  égyptien- 
nes ,  les  divers  princes  qui  ont  été 
appelés  Bamessès  ,  sans  les  surnoms 
qui  précèdent  toujours  leur  nom  ,  et 
qui  se  trouvent  disposés  chronologi- 
quement sur  un  monument  copié  à 
Abydus  dans  la  Haute-Egypte  ,  par 
1\IM.  Baukes  et  Cailliaud,  et  qui  con- 
tient la  liste  des  ancêtres  de  Sésos- 
tris.  Les  restes  de  l'antiquité  et  les 
auteurs  nous  font  connaître  sept  rois 
d'Egypte  du  nom  de  Ramessès:  parmi 
eux  est  le  deuxième  des  princes  égyp- 
tiens connus  sous   la  dénomination 
de  Sésostris  ,  dont  le  nom  propre 
était  Ramessès.  11  fut  le  cinquième. 
—  RamessÈs  pr. ,  quatre-cent-viug- 
tièrae  roi  d'Egypte ,  onzième  de  la 
dix-huitième  dynastie  ,  fils  d'Orus  , 
succéda,  en  l'an  iSjjo  avant  J.-C. , 
à  sa  sœur  Chenchcrès.  Les  historiens 
lui  donnent  ordinairement  le  nom 
d'Alhoris,  ou  selon  d'autres  manus- 
crits Rathosis  :  c'était,  sans  doute,  la 
prononciation  du  surnom  qui  pré- 
cède son  nom  de  Ramessès  sur  l'ins- 
cription d' Abydus  ,  et  sur  les  autres 
monuments  de  l'Egypte.  L'iiistoirc 
ne  nous  a  pas  conservé  le  souvenir 
des  événements  arrivés  sous  sou  rè- 
gne: il  fut  rem])lacé,  en  l'an  i58.i  , 
par  son  fils  Achcnchercs  I'^'.,  après 
avoir  occupé  le  trône  pendant  neuf 
ans.  —  Ramessls  II  ,  quatrc-cent- 
vingt-quatrième  roi  d'Egypte  ,  quin- 


RAM 

zième  de  la  dix -huitième  dynastie , 
était ,  probablement ,  fils  d'Achen- 
cherès  P'".  ^  et  succéda,  l'an  i554 
avant  J.-C. ,  à  Armais,  qui  était  sans 
doute  son  frère.  Le  règne  de  Rames- 
sès II  fut  bien  court  ;  il  ne  porta  la 
couronne  que  pendant  un  an  et  quatre 
mois:  son  ûIsRamessèsIII  lui  succéda. 
—  Ramesses  III,  surnommé  Miam- 
inoiin  ,  c'est-à-dire ,  aivié  d'Ammon 
ou  de  Jupiter,  devint  roi  d'Egypte, 
en  l'an  i553  avant  J.-C.  La  longue 
durée  de  son  règne, qui  fut  de  soixante- 
six  ans  et  quatre  mois ,  nous  fait  pré- 
sumer qu'il  était  encore  fort  jeune  à 
l'époque  de  la  mort  de   son  père. 
L'histoire  ne  nous  a  formellement 
conservé  aucun  renseignement  sur 
les  événements  de  son  règne;  mais 
les  monuments  anciens ,  et  l'indi- 
cation de  plusieurs  faits  arrivés  à 
l'époque  où  il  était   sur  le   trône ,  * 
jettent    quelque    lumière  sur    cette 
période  obscure  de  l'antiquité.  Ra- 
messès III  est  représenté  plusieurs 
fois,  dans  les  ruines  de  Thèbes  ,  sur 
les  murailles  d'édifices  à  la  construc- 
tion desquels  il  paraît  avoir  con- 
couru :   on  l'y  voit  monté  sur  un 
char  de  bataille  ,  vainqueur  d'enne- 
mis qui  fuient  au  loin  devant  lui. 
Nous  ignorons  quels  furent  les  peu- 
ples qui  succombèrent  sous  ses  ar- 
mes ;   mais  il  est  permis  de  croire 
qu'à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs, 
ses  elTorts   guerriers    se    dirigèrent 
principalement  contre   les  peuples 
de  race  étrangère  qui  habitaient  en- 
core dans  l'Egypte  ,  dont  ils  avaient 
été  autrefois  les  souverains.  C'étaient 
les  descendants  des  anciens  pasteurs, 
qui  s'étaient  maintenus  dans  les  ré- 
gions   marécageuses  qui  terminent 
l'Egypte  du  côté  du  nord:  ils  y  étaient 
dans  une  dépendance  plus  ou  moins 
absolue  des  monarques  qui  résidaient 
h  Thèbes.  Depuis  l'époque  à  laquelle 


RAM 

ils  avaient  été  dépouillés  de  l'empirê 
de  l'Egypte,  en  1792  avant  J.-C, 
ils  étaient  exposés  de  la  part  de  Icnrs 
vainqueurs  à  des  persécutions  plus 
ou  moins  vives  ,  qui  donnaient  lieu  , 
de  temps  à  autre,  à  des  émigrations 
vers  la  Grèce  et  la  Phénicie.  C'est 
sous  le  règne  de  Ramesscs  III  qu'eu- 
rent lieu  les  émigrations  de  Cadmus  , 
en  i5i6,  et  de  Danaïis  ,  en  i5ii 
avant  J.-G,  Nous  devons  les  regarder 
comme  des  conséquences  et  des  preu- 
ves des  triomphes  que  la  race  égyp- 
tienne obtint  alors  sur  les  descen- 
dants de  leurs  anciens  oppresseurs. 
Ramessès  III  mourut ,  en  l'an  1487 
avant  J.-C.  ,  laissant  la  couronne 
à  son  fils  Aménopliis  II ,  nomme 
aussi  Ramessès.  Parmi  les  tombes 
royales  qui  existent  dans  les  exca- 
vations des  environs  dcTlièbes,  on 
distingue  celle  qui  contient  les  res- 
tes mortels  de  Ramessès  Miam- 
moun  :  le  fait  est  hors  de  doute  j 
il  est  attesté  par  ime  inscription  la- 
tine ,  encore  inédite ,  qui  y  a  été 
copiée  par  M.  Bankcs.  La  grande 
Description  de  l'Egypte,  publiéepar 
les  ordres  du  gouvernement  français, 
renferme  plusieurs  planches  qui  of- 
frent le  détail  de  diverses  parties  de  ce 
vaste  édifice  souterrain.  — Ramessès 
IV,  fils  de  Ramesscs  Miammoim  est 
nommé  Aménophis  II  par  Mané- 
thon  ;  les  monuments  assez  nom- 
breux qui  rappellent  son  souvenir  , 
lui  donnent  aussi  ce  surnom.  Il  pa- 
raît que  ce  prince  fit  de  grandes  con- 
quêtes  dans  l'Ethiopie;  car  c'est  par- 
ticulièrement sur  les  ruines  des  édi- 
fices égyptiens  qui  existent  entre 
Méroé  et  l'Égyple ,  que  l'on  trouve 
son  nom.  Le  sixième  de  ses  a'ieux  , 
surnommé  comme  lui  Aviénophis  ^ 
est  le  même  que  le  célèbre  Memnon , 
si  souvent  mentionné  dans  les  écrits 
des  anciens.  C'est  à  cette  identité  de 


BAM 


47 


surnom  qu'il  faut  attribuer  l'origine 
de  tous  ces  monuments  de  Memnon , 
que  les  Éthiopiens  montraient  dans 
leur  pays  ,  au  rapport  de  Diodore  de 
Sicile  (  lib.  11 ,  cap.  '11  ) ,  et  qui  ne 
sont  pas  autres  sans  doute  que  les 
édifices  élevés  par  Aménophis  II, 
sur  les  rives  Nubienne  et  Éthiopienne 
du  Nil ,  et  dont  les  ruines  ont  été 
reconnues  et  visitées  par  les  voya- 
geurs européens.  Aménophis  II  de- 
vint roi,  eu  l'an  1487  ,  et  régna 
dix-neuf  ans  et  six  mois  :  son  fils  , 
Ramessès  V,  lui  succéda  ,  en  1 468 
avant  J.-C. — Ramessès  V:  ce  prince 
est  plus  célèbre  sous  le  nom  de  Sé- 
sostris  (  Voyez  cet  article  ).  —  Ra- 
messès VI,  fils  du  précédent,  quatre- 
cent-vingt-huitièrae  roi  de  l'Egypte , 
deuxième  de  la  dix-neuvième  dynas- 
tie ,  devint  roi  en  l'an  i4ï4  'ivant 
J.-C.  Manéthon  l'appelle  Rampsès; 
Diodore  de  Sicile,  Sesoosis  comme 
son  père  Sésostris,  et  Hérodote,  Phé- 
ron  ,  nom  qui ,  comme  le  Pharaon 
de  l'Écriture  ,  n^est  autre  chose 
qu'une  altération  du  mot  égyptien 
piouro  ou  phouro  ,  qui  signifie  roi. 
Nous  ne  rappellerons  pas  ici  les 
contes  ridicules  d'Hérodote  au  su- 
jet de  ce  prince;  ils  ne  sont  d'au- 
cune utilité:  il  paraît  seulement  que 
ce  roi  fut  aussi  pacifique  que  son 
père  avait  été  guerrier  ;  sous  son 
règne  la  tranquillité  de  l'Egypte  ne 
fut  point  troublée.  On  lui  attribue 
l'érection  de  deux  obélisques  de  la 
plus  grande  dimension,  placés  devant 
le  temple  du  Soleil  à  Héliopolis. 
Ramessès  VI  était  vraisemblablement 
un  des  derniers  fils  ,  ou  peut  -  être 
même  le  dernier  des  fils  de  Sésostris  , 
et  il  dut  naître  dans  la  vieillesse  de 
son  père  ;  car  il  régna  fort  long- 
temps. Il  devint  aveugle  sur  la  (in 
de  sa  vie.  Son  rèjine  fut  de  soixante- 
six   ans.   Aracnophthis    ou   Méno- 


48  RAM 

phi  es  lui  succéda  en  l'an  i34o  avant 
J.-C.  —  Ramessks  Vil ,  quatrième 
roi  de  la  dix-iicuviane  dynastie, 
succéda,  en  Tan   i3io  avant  J.-C, 
à  Menoplirès;  son  règne  fut  de  vini^t 
ans  ;  et ,  in  l'an  1 29 1  avant  J,  -  C. , 
il  fut  remplacé  par  Aiumeuemès  IV. 
S.  M— N. 
RAMI-MÉHÉMET,  grand-vézir 
à  Constantinople,  au  commencement 
du  dix-liuilième  siècle,  naquit  dans 
cette  capitale,  au  faubourg  d'Eioub, 
de  parents  d'une  basse  condition.  Il 
s'appliqua  à  la  poésie  ;  et  l'académie 
des  poètes  lui  donna  le  nom  de  Ra- 
mi ,  satirique ,  qu'il  conserva  toute 
sa  vie,  selon  l'usage  de  ceux  qui  cul- 
tivent   cet  art ,  de  se   donner  des 
noms  académiques,  tels  que  Rascid, 
\e  Fidèle ,  Euverri,  le  Lumitieux, 
Haïri ,  le  Bon.  Rami-Mébémet,  sans 
fortune  ,  mais  non  pas  sans  talents  , 
doué  d'une  folie  figure  et  d'une  belle 
voix,  fréquenta  les  tavernes  publi- 
ques ,  et ,  à  l'aide  de  la  musique  ,  s'a- 
donna d'abord  à  un  métier  obscur, 
mais  suffisant  pour  le  faire  subsister. 
11  ne  se  permettait  pas  d'aspirer  à 
une  plus  haute  fortune,  lorsque  le 
fameux  poète  Nabi-ElTcndi ,  secré- 
taire du  divan,  le  fit  renoncer  à  ce 
genre  de  vie  :  il  le  produisit  auprès 
de  quelques  grands  de  l'empire,  qui 
surent    apprécier    ses    talents.    Le 
grand  -  vézir   El  mas  -  IMéliémct-Pa- 
cha,(itR;imi-Mchémct  niuzahib  ;  le 
grand-vézir  Hussein-Pacha  lui  don- 
na la  charge  de  reis-  eiïcndi.  En  cette 
qualité,  il  fut  joint  à  Maurocordato , 
])Our  travailler  à  la  paix  de  Carlo- 
witz,  eu  169;).  Cette  importante  né- 
gociation le  mit,  par  sonsuccès,  dans' 
la  plus  haute  favein-  auprès  du  snl- 
flian  INIuslapha  II.  Iiéuni  au  mnphti 
Fc/.uIlch-Elkiidi ,  il  réu.ssit  à  perdre 
le  graud-vé/ir  D.iltaben  ,  à   le  sup- 
planter et  à  s'enrichir  de  su  dépouil- 


RAM 

le.  Mais  la  révolte  de  1 702 ,  qui  ame- 
na la  déposition  de  Mustapha  H, 
força  Ra  mi -IMéh  émet,  devenu  grand- 
vézir,  de  se  cacher.  Il  reparut  quand 
la  sédition  fut  apaisée  :  il  fut  en- 
voyé pacha  en  Egypte,  au  commen- 
cement du  règned'Achmct  m.  Dans 
Tintention  de  se  défaire  de  lui,  legou- 
vernement  othoman  le  fit  passer  au 
pachalic  de  Cypre  ;  espèce  d'exil  qui , 
jjar  l'insalubrité  du  pays,  laisse  es- 
pérer la  mort  de  ceux  dont  on  ne 
veut  pas  se  défaire  avec  éclat.  La 
force  de  son  tempérament  luttant 
trop  long  temps  contre  le  climat  aux 
yeux  de  ses  puissants  euncmis  ,  un 
capidgi,  chargé  d'un  khatti  chérif , 
vint  lui  apporter  le  fatal  cordon,  et 
le  mettre  à  mort  :  il  expira  de  saisis- 
sement au  milieu  des  prières  qu'on 
permet  à  ces  illustres  condamnés  , 
avant  leur  supplice.  Rami-Méhéraet, 
plein  d'esprit  et  de  talents,  passa 
pour  un  homme  dont  l'ame  était  fai- 
ble et  craintive.  On  attribua  même 
tout  son  génie,  comme  homme  d'état, 
au  célèbre  Maurocordato,  qui  le  di- 
rigeait dans  toutes  ses  actions  et  ses 
pensées.  S — y. 

RAMIRE  II,  roi  de  Léon,  fils 
d'Ordogno  II,  monta  sur  le  trône  , 
en  9'2'y ,  par  l'abdication  de  son  frère 
Alphonse  IV.  Les  commencements 
de  son  règne  furent  très-orageuxj  il 
eut  à  combattre  son  propre  frère  et 
ses  neveux,  et  ne  dut  la  conservation 
du  trône  qu'à  son  activité,  à  sa  bra- 
voure et  à  sa  prudence.  Il  tourna  en- 
suite ses  armes  contre  les  Maures  ; 
et  ses  exploits  ellacèrent  ceux  de  ses 
plus  illustres  prédécesseurs.  Après 
avoir  passé  le  Duero  ,  en  98 1 ,  il  at- 
taqua et  prit  d'assaut  la  vdiedc  Ma- 
drid, devenue  depuis  la  capitale  de 
la  monarchie,  menaça  Tolède,  défit 
les  INlaures  dans  les  plaines  d'Osma  , 
et  contraignit  l'émyr  de  Saragote  de 


RAM 

se  reconnaître  son  vassal.  Mais  la 
plus  célèbre  de  ses  victoires  fut  celle 
qu'il  remporta,  le  6  août  989  ,  d.ins 
les  plaines  de  Siniancas,  contre  Ab- 
derame  111,  calife  de  Cordoue.  Les 
historiens  espagnols  assurent  qu'il 
resta  quatre-vinjt  raille  musulmans 
sur  le  champ  de  bataille.  Ramire  ne 
fut  pas  moins  heureux  l'année  sui- 
vante aux  environs  de  Salatuanque  j 
et  il  rentra   dans  Léon,  sa  capita- 
le, chargé  des  dépouilles  des  ]\Iau- 
res.  Les  comtes  de  Castille  ,  assnjé- 
tis,  envers  les  rois  de  Léon,  à  une 
espèce  de  vasselage ,  tendaient  tou- 
jours à  se  rendre  indépendatits.  Ra- 
mire marcha  en  Castille,  et  fit  pri- 
sonniers  Gonzalès  et   Nugiiez  ,  qui 
voulaient  se  soustraire  à  son  autori- 
té. Cette  expédition  ne  fit  que  refar- 
der celle  qu'il   méditait  contre  les 
Maures,  ses  ennemis  naturels.  A  la 
tête    d'une    armée   nombreuse  ,   il 
les  attatfua    sous  les  murs    de  Ta- 
lavéra,et  ne  leur  arracha  la  victoire 
qu'après  avoir  chargé  plusieurs  fois 
leurs  bataillons  à  la  tête  de  sa  cava- 
lerie. Ce  fut  la  dernière  batadlc  que 
livra  ce  prince  :  il  mourut  à  Léon, 
en  95o,  après  un  règne  de  trente- 
trois  ans.  Ramire  fut  aimé  de  ses  su- 
jets ,  et  redouté    de   ses   ennemis. 
Vainqueur  dans  tous  les  combats,  il 
sut  modérer  son  ambition  pour  ne 
pas  accabler  son  peuple.  Il  fonda  un 
grand  nombre  d'églises  et  de  monas- 
tères. —  Son  pelit-Ols,  Ramire  111, 
monté  sur  le  trône  en  967 ,  indigna 
tellement  ses  sujets  par  ses  débau- 
ches et  ses  cruautés  ,  qu'ils  le  chas- 
sèrent en  980;  il  mourut  en  982. 
B— p. 
RAMIREZ  de  CARION  (  Ema- 
NUEL  )  ,  muet  de  naissance  ,  né  en 
Espagne   vers    la    fin    du    seizième 
siècle  ,  inventa  en  Espagne  ,  on  du 
moins   y   pratiqua  ,    seul  de    son 
xxxvii. 


R.\M  49 

temps  ,  au  témoignage  de  Nicolas 
Antonio  {liihl.  flispana  ?JOt'fl), l'art 
d'apprendre  aux  muets  à  lire,  et 
même  à  pionouccr  quelques  mots. 
Cependant  le  même  Antonio,  dans 
l'ouvrage  cité,  fait  aussi  honneur  de 
cette  invention  à  Pierre  Ponce  (  Su- 
periore  sœcidu  invenit  artein  do- 
cenrli  mut  os  verba  prof  erre ,  litleras, 
lalinamq'ie Uiiguaniet  scribere).  Il 
a  vai  t  dit  de  Ra  ni  irez  :  Apudnos  artem 
iiwenit  aut  ccrtè  solus  exercuil  œta- 
te  sua.  On  a  de  Ramirez,  Mavavillas 
de  naturaleza  ,  en  que  se  contienen 
dosmilsec:etos  de  cosasnaturales, 
i6->.9,  in-4".  Antonio  fait  mention 
d'une  édition  antérieure,  mais  moin- 
dre de  moitié,  qu'il  croil  de  i6i2. 
Si  c'est  dans  ce  livre  que  Ramirez 
parle  de  son  invenlion  ,  il  avait  été 
devancé  par  J.. Paul  Bonet  ,qui  ,  dès 
1620,  avait  publié  snr  la  même 
matière  un  ouvrage  que  mentionne 
aus'^i  Antonio.  (  /^.  Ponce  , XXXV, 
338  340  ).  A.  B— T. 

RAMLER  (Cdarles-Guillaume), 
poète  et  littérateur  allemand  ,  naquit 
en  1725  ,  à  Colberg  en  Foméranie. 
Ses  parents  ne  pouvant  subvenir  aux 
frais  de  son  éducation,  il  fut  placé 
à  la  maison  des  orphelins  à  Stelliu  , 
puis,  en  1740,  dans  celle  de  Halle, 
onil  demeuraquatrcans.  Ilétudia  en- 
suite à  l'universilé  de  la  même  ville. 
Mais  il  paraît  qu'il  suivit  les  cours 
avec  peu  d'assiduité,  et  qu'il  se  livra 
sans  réserve  à  la  poésie ,  pour  la- 
quelle il  avait,  de  bonne  heure,  ma- 
nifesté nn  penchant  prononcé.  Il 
raconte  lui  -  même,  dans  nnc  des 
notes  de  son  Ode  à  Ljcidas ,  qu'il 
faisait  des  vers  dès  i  âge  de  dix 
ans.  Les  cfluris  de  ses  maîtres  pour 
détruire  ce  gont  dominant  ,  n'abou- 
(irenl  qu'à  le  fortifier,  Horace  de- 
vint,, dès  cette  époque,  son  poèîe 
favori  et  son  modèle.  Ce  fut  peu- 


5o 


RAM 


dant  son  séjour  à  Halle  ,  qnc  s'é- 
tablit entre  lui,  Gleiin  et  Uz  ,  une 
liaison  fort  avantageuse  pour  les  trois 
poètes.  Ramier  passa  quelques  an- 
nées depuis  dans  sa  ville  natale.  De 
là  il  se  rendit,  en  1746,  à  Berlin  , 
oii  Gieim  lui  procura  ,  dans  deux 
maisons  ,  successivement ,  une  place 
de  précepteur.  Il  y  devint  ami  de 
Kleist,  Spalding  ,  Snlzer  et  d'autres 
hommes  distingués.  Encouiagc  par 
eus,  Ramier  cultiva  la  poésie  et  la 
littérature  avec  une  nouvelle  ardeur. 
Il  attira  bientôt  l'attention  du  gou- 
vernement, qui  le  nomma  professeur 
de  logique  et  de  belles-lettres  auprès 
du  corps  des  cadets  à  Berlin.  Soit  que 
Ramier  se  fût  peu  adonné  aux  scien- 
ces philosophiques,  soit  qu'il  pensât 
que  l'étude  de  la  logique  était  d'une 
utilité  moins  directe  pour  ses  audi- 
teurs ,  il  paraît  qu'elle  fut  exclue  de 
ses  cours,  qui  embrassèrent  les  beaux- 
arts  ,  la  littérature  et  la  langue  alle- 
mande. Il  n'était  pas  encore  connu 
du  public  comme  poète.  Quelques- 
unes  de  ses  poésies  avaient  été  insé- 
rées dans  différents  Recueils,  mais 
sans  nom  d'auteur.  Au  reste,  de  tous 
ses  premiers  essais ,  il  n'a  conservé 
lui  même  que  son  Ode  à  V Hiver 
(  Sehnsiicht  nach  dem  WinUr  )  , 
composée  en  1  744-  Ce  fut  quatre  ans 
plus  lard  ,  qu'il  fit  paraître,  avec  son 
nom,  V Ode  à  Apollon.  C'est  aussi 
vers  ce  temps  ([u'il  publia  sa  traduc- 
tion de  Batteux.  Il  acquit  prompte- 
nient  une  grande  réputation,  qu'il 
dut  à  SCS  talents  et  à  son  enthousias- 
me pour  Frédéric  II.  Simple  et  mo- 
deste, uniquement  livré  à  ses  goûts 
littéraires,  et  vivant  dans  un  ceiclc 
très- resserré,  il  ne  recherchait  ni  les 
liomieurs  ,  ni  la  fortune  j  et  Frédéric 
était  loin  de  soupçonner  que  son  nom 
et  son  éloge  fussent  le  sujet  de  poé- 
.sies  qui  rehaussaient  la  gloire  litlé- 


RAM 

raire  de  l'Allemagne.  Les  nombreuses 
Odes  de  Ramier  à  la  louange  de  son 
liéros,ne  lui  valurent  pas  un  regard: 
mais  il  en  fut  dédommagé  par  l'ad- 
miration toujours  croissante  du  pu- 
blic. La  faveur  exclusive  accordée 
à  la  langue  et  à  la  littérature  fran- 
çaises cessa  enfin  avec  Frédéiic  :  les 
lettres  allemandes  fr.rent  vengées. 
Ramier  obtint  une  pension  considé- 
rable ,  fut  nommé  inembre  de  l'aca- 
démie des  sciences,  et  cha  gé  ,  en 
1787,  conjointement  avec  Engel  , 
de  la  direction  du  théâtre  natio- 
nal de  Berlin.  Il  ne  jouit  pas  long- 
temps des  avantages  de  sa  position. 
Il  se  démit ,  en  1790  ,  de  sa  place 
de  professeur;  et  ses  infirmités  l'obli- 
gèrent ,  en  1796 ,  de  renoncer  à  la 
direction  du  théâtre ,  dont  il  conser- 
va toutefois  les  appointements.  Peu 
de  temps  après  ,  il  fut  attaqué  d'une 
phthisie  pulmonaire  ,  et  il  mourut 
le  1 1  avril  1 798.  Ramier  avait  fait 
son  entrée  dans  le  monde  littérai- 
le  ,  peu  après  Fépoque  marquée 
par  les  premiers  développements  de 
la  littérature  allemande.  Plongée,  de- 
puis la  mortd'Opitz,  dans  une  es- 
pèce de  léthargie,  elle  venait  enfin  de 
prendre  l'essor.  Klopstock  avait  con- 
tribué le  plus  à  faire  sentir  l'énergie 
et  la  noblesse  de  la  langue  ;  et  Los- 
sing  préUulait  au  rôle  de  critique, 
qu'il  remplit  pendant  trente  années  , 
avec  tant  de  succès.  Ramier,  sans 
égaler  ces  deux  hommes  célèbres  , 
participe  un  peu  du  mérite  de  l'un 
et  de  l'autre.  11  n'a  point  l'élévation  , 
l'abondance,  la  verve  du  premier: 
néanmoins  ces  qualités  ne  lui  sont  pas 
étrangères.  Ce  qui  peut  lui  manquer, 
sous  ce  rapport  ,  est  compensé  par 
une  régularité  qui  ii'est  point  la  roi- 
deur  ,  et  par  des  formes  antiques. 
Nous  avons  dit  qu'il  s'était  attache' 
de   préférence   à   Horace.   On   voit 


KAM 

qu'il  en  était  nourri  :  il  l'imite  sans 
cesse  ;  mais  il  imite  moius  ses  ex- 
pressions que  ses  tournures  ,  sa  mar- 
che, et  surtout  son  esprit.  On  ne 
trouve  pas  dans  le  di-ciple  ia  légè- 
reté ,  la  grâce  du  maître  ;  mais  il  en 
a  souvent  la  noblesse.  Le  sentiment 
qui  respire  le  plus  dans  ses  Odes  , 
est  l'amour  de  son  pays.  II  en  a 
consiicré  ,  comme  nous  l'avons 
dit ,  im  grand  nombre  à  célébrer 
Frédéric  II  ,  à  qui  il  a  dû  plu- 
sieurs de  ses  plus  heureuses  ins- 
])irations.  Nous  indiquerons  de  pré- 
férence les  suivantes  :  Sur  le  retour 
du  Roi  (  en  1 768  )  ;  Prédiction  de 
Glaucus  ;  le  Triomphe  ,  etc.  Ce 
n'est  pas  que  Ramier  n'ait  aussi  mon- 
tré un  grand  talent  dans  des  sujets 
d'une  autre  nature:  ou  peut  en  juger 
en  lisant  les  0.!es  à  la  Paix  (  1 760), 
sur  un  boulet  de  canon  ,  à  la  Con- 
corde ,  à  la  Muse ,  adieu  aux  Héros , 
à  Philibert^  Amrnte  et  Chloé .,  à  la 
Paix,  à  son  Médecin. à  Lrcidas ,  à 
Krause,  le  Chant  du  combat  (  1778). 
11  s'est  aussi  exercé  dans  quelques 
antres  genres  de  poésie  ,  avec  plus 
ou  moius  de  succès.  Ses  Cantates  , 
les  Bergers  à  la  crèche,  et  la  Mort 
de  Jésus,  nous  paraissentsupérieures 
aux  autres.  Celle  de  Sulamith  et  Eu- 
sehia  sur  la  mort  deMendelssohn  , 
laisse  quelque  chose  à  désirer:  néan- 
moins  le  ton  en  est  simple  ,  noble  et 
touchant.  Le  Moi'i  de  Mai  est  une 
idylle  fort  gracieuse.  Enfin  ses  chan- 
sons ont  contribué  pendant  long- 
temps aux  jouissances  de  la  société 
eu  Allemagne.  Plusieurs  des  meil- 
leurs compositeurs  de  ce  pays  ont 
mis  en  musique  ses  ouvrages  ,  dont 
quelques-uns  sont  encore  exécutés. 
Ramier  ne  se  conienta  pas  n'imiter 
Horace;  il  voulut  aussi  le  nationa- 
liser en  Allemagne.  La  première  édi- 
tion de  ses  OEuvres ,  Berlin,  un  vol. 


RAM 


m 


in-iB,  i77'2,  contient  la  traduction 
de  quinze  Odes  d'Horace  ;  il  y  en  a 
vingt  dans  la  dernière,  ibid. ,  1800- 
1801  ,  2  vol.  in-8".  La  traduction 
complète  des  Odes  fut  publiée  en 
1800  ,  ibi  l.  ,  deux  vol.  in  8'\  Mais 
il  en  avait  déjà  paru  quelques-unes 
dès  1768,  dans  les  Mémoires  de 
Brème,  etc.  j  et  l'on  doit  les  re- 
garder comme  la  première  tentative 
heureuse  faite  dans  ce  genre  en  alle- 
mand. Avant  lui,  Klopstock  avait 
révélé  les  ressources  que  possède 
cette  langue  pour  imiter  les  mètres 
des  anciens.  11  en  avait  même  intro- 
duit de  nouveaux  :  mais  les  formes 
des  Grecs  et  des  Romains  pouvaient 
suffire  à  tous  les  genres  comme  à 
toutes  les  pensées  et  à  tous  les  sen- 
timents ;  et  ces  inventions  étaient 
moins  une  richesse  qu'un  inconvé- 
nient pour  la  langue  allemande , 
dont  la  quantité ,  beaucoup  moins 
précise  que  celle  de  ces  deux  lan- 
gues anciennes  ,  pouvait  prcter  à 
de  nombreux-  abus.  Ramier  se  bor- 
na presque  exclusivement  aux  mè- 
tres employés  par  Horace.  Il  faut 
avouer  qu'd  est  ,  sous  ce  rapport, 
souventloin  de  son  modèle;  ses  hexa- 
mètres, ses  saphiques  ,  ses  asclépia- 
des  mêmes  ,  manquent  fréquemment 
de  césure;  on  y  voit  jusqu'à  trois 
dactyles  ou  trochées  de  suite  :  ce 
qui,  joint  au  défaut  presque  complet 
de  spondées  .  inhérent  à  la  langue  alle- 
mande,produit  de  la  monotonie. Nous 
ajouterons  que  quelques-unes  doses 
syllabes  brèves  renferment  une  com- 
binaison de  consonnes  telle,  qu'elles 
ne  peuvent  être  scandées  qu'avec 
beaucoup  de  difficulté.  IMais  ces  dé- 
fauts ne  peuvent  balancer  le  mérite 
relatif  de  sa  versification.  11  est  plus 
grand  encore  dans  ses  traductions  , 
où  il  avait  à  lutter  contre  une  diffi- 
culté de  plus.  Sans  doute  on  sent 


5  >,  RAM 

assez  souvent  les  entraves  inse'para- 
bles  de  ce  genre  de  travail.  Mais  on 
trouve  des  Odes  entières  qui  peuvent 
être  lues  comme  des  originaux,  et 
dans  lesquelles   le  ])oète  a  su,  en 
conservant  le  sens  du  latin,  genre  de 
mérite  qui  ne  lui  a  point  cte  con- 
teste' ,  sauf  dans  un  très-pelit  nom- 
bre   de   cas  ,    transporter    dans    la 
strophe  allemande  les  coupes  ,  les 
repos  ,  les  enjambements  du  latin  , 
enfin  ,  pousser  quelquefois  la  fide'îiîe' 
jusqu'à  ne  pas  dépasser  le  nombre  de 
mots.  Wieland  avait  montre,  dans 
son  poème  des  Grâces  et  dans  quel- 
ques autres,  combien  celte  langue,  qui 
paraît  si  rcfractaire,   pouvait  être 
moelleuse   sous   une   main    habile. 
Ramier  lui  -  même,  dans  le  Mois  de 
Mai  (  1 758) ,  et  la  Fête  de  Daplmis 
et  r/e/?rt^/ïHef(  1769), avait  employé 
et   entremêlé   avec   succès  quelques 
mètres  légers  et  gracieux.  11  n'av;iit 
point  encore  été  entrepris  de  lutte 
aussi  directe  avec  les  anciens.  Ram- 
ier le  fit;  et,  dans  son  début ,  il  attei- 
gnit souvent  la  perfection.  Quelques- 
uns  de  ses  défauts  ont  été  évités  par 
ses  successeurs  :  ses  qualités  n'ont 
peut-être  pas  élé  surpassées.  11  n'est 
point  étonnant  que,  dans  la  croisade 
dirigée ,  il  y  a  vingt  ans   environ  , 
contre  quelques-uns  des  ])lus  beaux 
génies  qui  ont  illustré  l'Allemagne, 
Ramier  n'ait  pas  été  épargné  :  mais 
il  est  touchant  de  voir  avec  quelle 
noble  franchise  il  fut   défendu  par 
celui   de    ses  rivaux  et  successeurs 
qui  a  été  le  plus  loin  dans  la  roule 
que  Ramic)'  avait  ouverte  avec  tant 
de  succès.  (  Voyez  Lcllixs  critiques 
sur   Gotz  et   Iiainler ,  par   J.  H. 
Voss  ,  Manheim  ,  iHoç) ,  un  vol.  in- 
8''.)  La  traduction  de  Ramier  causa 
moins  de  surprise  (pu-  d'admiration, 
Je  public  en  ayant  eu,   pour  ainsi 
dire,  un  avant-goùl  dans   plusieurs 


RAM 

odes  originales  denoire  auteur.  Quoi 
qu'il  en  soit,  elle  n'a  pas  rendu  moins 
de  services  que  celles-ci  à  la  litté- 
rature  allemande ,   dont   elle   doit 
être  regardée  comme  un  des  ouvra- 
ges les  plus  utiles.  Les  poésies  ori- 
ginales  et   la   traduction    sont    ac- 
compagnées de  notes,  en  général  in- 
téressantes ,  mais  qui  ont  le  défaut 
d'avoir  plus  d'étendue  que  le  texte; 
et  plusieurs  peuvent  tout  au  plus 
être  instructives  pour  des  eomnien- 
çanls.  Ramier  a  consacré  une  grande 
partie  de  son  temps  à  revoir  et  cor- 
riger les  ouvrages  de  plusieurs  poè- 
tes de  sa  nation.  Ce  travail  a  été  fait 
sur  quelques  uns  après  la  mort  des 
auteurs  ;  telles  sont  les  épigrammes 
de  Logau  (  F.  ce  nom  ),  qu'il  publia 
(  1759),  avec  Lessing;  ou  de  leur 
aveu,  comme  les  poésies  de  Gotz, 
Weisse,  Lessing,  Nicola'i,  Kleist, 
etc.  Ce  dernier  avait  adopté  lui-mê- 
me les  changements  dans  ses  poésies 
proposés   par  Ramier  et    Lessing. 
Mais  il  n'en  fut  pas  de  même  des 
corrections  (ailes  au  Pi'inteinps ,  qui 
menayaieiit  ce  poème  d'une  méta- 
morphose   presque    complète  ;    et 
Ramier  ne  les  acheva  pas.  Dans  tout 
ceci  la  conduite  de  Ramier  n'avait 
rien  de  ré[)réhensible  :  mais  il  se  per- 
mit de  disposer  également  des  ou- 
vrages de  quelques  autres  auteurs, 
sans  leur  aven.   Les   uns  ,    comme 
Lichtwer,  eu  furent  fort  olTcnsés  : 
d'autres,  tels  que  Uz,  ado])tèrent  ses 
changements.  Cette  espèce  de  manie 
de  réformation  générale  a  été  blâ- 
mée avec  raison.  Peu  de  personnes 
néa)iraoins  ont  supposé  que  Ramier 
voulût  établir  par  ce  moyen   l'idée 
de  sa  supériorité.  Cette  inlenlion  lui 
était  lout-à-fait  étrangère.  An  reste, 
quoique  ses  coneclions  aient  pres- 
que toutes  obtenu  l'approbation  gé- 
nérale, et  qu'elles  aient  clé  utiles  au 


RAM 

perfectionnement  de  la  langue ,  la 
plupart;  des  anciennes  éditions  sont 
encore  préférées  à  celles  de  Ramier. 
Il  eût  donc  été  à  désirer  qu'il  em- 
ployât le  même  temps  à  composer 
des  originaux.  Il  se  serait  épar- 
gné de  nombreux  désagréments  ; 
et  nous  aurions  peut-être  qurlqucs 
chefs-d'œuvre  de  plus.  Au  reste, 
il  se  montrait  au  moins  aussi  se- 
vère  pour  lui  -  même  que  pour  les 
autres.  Ou  en  peut  juger  en  compa- 
rant la  deuxième  édition  de  ses  OEu- 
vres  à  la  première.  Si  traduction  du 
Cours  de  belles-lettres  de  Batteux 
contribua  sans  aucun  doute  à  réfor- 
mer le  goût  et  à  introduire  des  idées 
plus  justes  dans  la  littérature.  Il  l'ac- 
compagna de  beaucoup  de  remar- 
ques, et  prit  avec  raison  ses  exem- 
ples daus  des  auteurs  allemands;  mais 
il  eut  tort  d'exclure  près  qu'entière- 
ment les  citations  des  autres  langues. 
Ce  travail  de  Ramier  fut  ,  pendant 
long-temps, le  principal  ouvrage  clas- 
sique des  Allemands  ;  et  c'est  un  mé- 
rite qu'on  ne  peut  lui  refuser  ,  quel- 
que succès  que  ses  compatriotes 
aient  obtenu  depuis  dans  ce  genre. 
La  première  édition  parut  à  Leip- 
zig ,  en  1 708 ,  4  "^'ol- 111-8°.  ;  la  cin- 
quième en  i8j3.  Chaque  édition  con- 
tenait des  additions  plus  ou  moins 
considérables.  On  peut  conclure  de 
ce  qui  précède,  que  Ramier  a  agran- 
di le  domaine  de  la  poésie  alleman- 
de, tout  en  la  soumettant  à  des  rè- 
gles plus  précises,  et  qu'il  partage 
avec  Lessing  la  gloire  d'avoir  con- 
tribué à  fixer  la  prose  de  la  langue 
allemande.  Nous  alli)ns  passer  en  i-e- 
vueses  antres  principaux  tri>vau\.  I. 
Chaiiscns  [mhliées  parlui  et  son  ami 
Krause  :  elles  curent  un  très-grand 
succès.  II.  Epi^ramines  de  Logau, 
2°. édition, augmentée  de  3 livres, cî 
accompagnée  de  remarques, '2  vol. 


RAM 


53 


petit  in  8".,  Leipzig,  1791-  lïL 
Chansons  des  allemands,  le  i'^'", 
vol.  sous  ce  titre,  Berlin,  1766;  le 
2^.  sous  celui  à'Antholope  lyrique, 
Leipzif^,  1774-'^?  ^  tom.  in-S*.  Ce 
Recueil  contient  des  poésies  de  près 
de  cent  auteurs  ,  dont  les  plus  mar- 
quants étaient  Burger ,  Gleim,  Gotz, 
Gottcr,Hagedorn,  Kleist,  Lessing, 
Uz,  Zachariœ,  etc.  Le  dernier  volu- 
lume  renferme  des  chansons,  aux- 
quelles Ramier  avait  fait  subir  plus 
ou  moins  de  changements.  IV.  Re- 
cueil des  meilleures  épigrammes 
des  poètes  Allemands  (Flemming  , 
Olearius  ,  Tscherning  ,  etc.  )  i'*^. 
partie,  Riga,  176G,  »  vol.  in-8°. 
V.  Recueil  de  fables  ,  3  vol.  in-S".  , 
Leipzig,  17QO,  contenant  des  fables 
ou  contes,  plus  ou  moiiis  corrigés, de 
plus  de  soixante  auteurs,  Gleim, 
Gôckingk,  Gotz,  Hagedorn,  Haller , 
Kœstner,  Lessing,  LichlAver  ,  Nico- 
laï,  Weisse,  etc.  VI.  Fables  et  con- 
tes, etc.,  recueillis  par  Cli.G.  Ram- 
ier, et  composés  par  lui-même, 
Gotz,  Lessing  (fdbles  mises  en  vers), 
etc.  Vil.  Choix  d'idylles  deSal.  Ces- 
ner,  mises  envers,  Berlin,  1787, 
un  vol.  in-8°.  VIII.  Le  premier  na- 
vigateur (  du  même  ),  mis  en  vers  , 
Berlin,  1789,  un  vol.  petitin-8'^.IX. 
Extraits  de  Martial ,  en  latin  et  en 
allemand,  i^e.pait.,  Leipzig,  1787, 
un  vol.in-80.;  2e.- S*-*,  part.,  Leip- 
zig, 1788-91.  Les  quatre  deniicres 
parties  sont  traduites  par  Ramier; 
l'autre  a  été  seulement  corrigée  par 
lui.  Plus  tard  il  fit  paraître  sa  propre 
traduction  d'une  plus  grande  quan- 
tité de  morceaux,  et  d.ms  les  mètres 
du  latin.  Ce  travail  a  été  jugé  diver- 
sement. En  général  on  a  pensé  qu'il 
offrait  une  él\idc  utile  pour  les  jeunes 
gens,  mais  que  le  choix  n'avait  pas 
toujours  porté  sur  des  morceaux  ca- 
pables d'intéresser  des  lecteurs  mo- 


54 


RAM 


dernes.  X.  Mjthologie  abrégée  , 
etc.  ,  Berlin,  1790,  a  vol.  in  8'^.  , 
2"^,  édit. ,  1808.  Presque  tous  les  ou- 
vrages allemands  de  ce  genre  étaient 
liiaiivais  pour  le  fond  ou  le  style  : 
aussi  celui  de  Ramier  fut  accueilli 
très-favorablement,  XI.  Extraits 
de  Catulle ,  en  latin  et  en  allemand , 
Leipzig,  1793,  un  vol.  in-8''.  Ce 
travail  çst  fort  estiuie'.  Toulefoi-s  on 
reproche  à  Ramier  d'avoir  imite' 
trop  servilement  les  mètres  de  l'ori- 
ginal; ce  qui  donne  de  la  roideur  à 
sa  traduction  ,  et  d'avoir  abusé  de 
la  faculté  qu'a  la  langue  allemande 
de  faire  des  diminutifs.  XII.  Odes 
choisies  d' Anacréon,  et  les  deux 
odes  de  Sapho,  avec  des  R.eraarques, 
par  Ramier.  Il  nous  paraît  superflu 
de  parler  d'une  très-grande  quantité 
de  pièces  insérées  dans  des  recueils 
périodiques  ou  autres,  de  morceaux 
de  circonstance  ,  etc. ,  qui  n'ajou- 
tent rien  à  la  gloire  de  Ramier,  Le 
'2']'^.  volume  des  OEuvres  de  Les- 
sing  contient  quelques  lettres  de  lui 
et  de  Ramier  :  elles  sont  presque  to- 
talement dépourvues  d'intérêt,  et  ne 
répondent  nnliementà  la  réputation 
de  deux  hommes  aussi  distingués. 
Si  l'on  excepte  les  désagréments 
qu'il  s'attira  lui-même  par  sa  ma- 
nie de  corriger  ,  Ramier  vécut  heu- 
l'eux.  Doux,  simple  et  sans  pré- 
tention ,  il  n'offensa  jamais  per- 
sonne de  dessein  prémédité ,  et  se 
trouva  dans  des  rapports  plus  ou 
moins  intimes  avec  la  plupart  des 
poètes  et  littérateurs  de  son  temps. 
IjC  recueil  de  ses  ))oésies,  publié  par 
son  ami  Gockingk  (  1800-01  ,  2 
vol.  in-8".  ),  est  suivi  d'ime  Notice 
biographique  intéressante;  et  l'on 
trouve  dans  Jordens  des  détails  très- 
étendus  sur  ses  écrits.  Son  portrait 
a  souvent  été  gravé  ,  notamment  par 
Ijaiisc,  dans  le  lome  m  de  la  Phj- 


lUM 

siognom.  de  Lavater;  et  par  Eckerl 
et  Rode,  d'après  Lisiewski.  On  l'a 
aussi  dans  une  belle  médaille  d'A- 
bramson,  1775.  D — u. 

RAMOS  (  Don  Henri  ) ,  militaire 
et  écrivain  espagnol ,  était  natif  d'A- 
licante.  Il  entra  d'abord  dans  l'artil- 
lerie ,  puis  dans  la  garde  royale  es- 
pagnole. Il  servit  avec  distinction 
dans  les  guerres  d'Alger  (1772),  de 
Gibi'altar  (1780),  contre  la  répu- 
blique française  (  1794  ),  et  parvint 
au  grade  de  maréchal-de-carap.  Son 
instruction  n'était  pas  moindre  que 
sa  bravoure  ;  et  il  cultivait  avec  un 
égal  succès  les  sciences  exactes  et  la 
poésie.  Il  était  surtout  très  instruit 
dans  la  géométrie,  et  plaçait  cette 
science  au  premier  rang  des  connais- 
sances humaines.  Il  mourut  à  Ma- 
drid ,  en  180 1 ,  âgé  de  soixante-trois 
ans.  Parmi  ses  nombreux  ouvrages 
nous  citerons  les  plus  connus  :I.  Elé- 
ments sur  V instruction  et  la  discipli- 
ne de  V  infanterie  ^  Madrid,  i776,in- 
8°.  II,  Eiéments  de  géométrie,  ibid., 
1787,  m.  Instruction piAir  les  élè- 
ves d'artillerie,  ibid.,  1787,  in-4*'. 
IV,  Eloge  de  Bayan,  marquis  de 
SantaCruz ,  ibid.,  1780,  V.  Gu:- 
inan  ,  tragédie  en  3  actes  ,  Byrcclo- 
ne,  i78o,in-8'>.  VI.  Pelage, ira- 
gédie  en  3  actes ,  Madrid ,  1 784 ,  i»- 
8°.  Ces  deux  pièces  obtinrent  un 
grand  succès.  Il  existe  une  autre 
tragédie  de  Pelage,  par  Quinta- 
na.  VII.  Le  triomphe  de  la  vérité, 
Madrid,  1796,  in^".,  poème  en 
douze  chants,  fort  bien  écrit,  plein 
de  verve  ,  et  qui  a  mérité  l  éloge  des 
littérateurs  espagnols.  B — s. 

RAMOS  PAREJA  et  non  PEREÏ- 
RA  (  BARTHiiLKnn  )  ,  léformatcur 
delà  nnisique  ,  naipiità  Salamanque 
vers  i535.  Il  était  aussi  habile  dans 
la  th(-orie  que  dans  la  prati(|ue  de 
cet   art.  Nicolas  V    ayant  fondé  à 


RAM 

Bologne  une  chaire  de  nausique,  y 
appela  Pareja  .  en  i582  ,  pour  l'oc 
cuper.  Maigre  les  nombreux  par- 
tisans de  Guido  d'Arezzo,  il  eut  le 
courage  de  montrer  à  toute  l'Italie 
les  inconve'nients  du  système  de  ce- 
lui-ci; et  il  publia,  pour  le  prouver, 
son  Traité  de  la  musique,  Bologne, 
iSgS,  qui,  après  avoir  cte vivement 
combattu  parles  Guidistes ,  fut  gé- 
néralement adopté,  d'abord  en  Ita- 
lie, et  ensuite  dans  toute  l'Europe. 
Pareja  a  composé  plusieurs  savants 
morceaux,  comme  des  Motets,  des 
Psaumes ,  des  Cantiques ,  etc. ,  qui 
se  conservent  encore  à  Bologne.  Le 
célèbre  P.  iNIartiui  en  acquit  une 
grande  partie,  qui  se  trouvent  à  la 
bibliothèque  musicale  du  couvent  de 
Saint-François  delà  même  ville.  Pa- 
reja y  mourut  en  1611.       B — s. 

RAMPALLE  ,  littérateur ,  est 
moins  connu  par  ses  ouvrages  que 
par  ce  seul  vers  de  Boileau  : 

Ou  ne  lit  guère  j)lus  Rampalle  et  IMesnardière. 
(  .-Jrl  jjoét.,  cli.  IV.) 

Il  avait  cependant  de  l'esprit  et  de 
l'instruction,  puisqu'outre  les  lan- 
gues anciennes,  il  possédait  l'italien 
et  l'espagnol  ;  mais  il  manquait  du 
talent  qui  seul  donne  une  réputation 
durable.  On  conjecture  qu'il  était  de 
la  même  famille  que  le  P.  Pierre  de 
Saiut-André  {F.  Pierre,  XXXIV, 
394).  Il  s'attacha,  dans  sa  jeunes- 
se, à  la  maison  de  Tournon  ;  et 
il  paraît  qu'il  suivit  à  l'armée  Just- 
Louis  de  Tournon,  son  maître,  tué 
devant  Philisbourg  ,  en  iG44-  On 
ignore  les  autres  particularités  de 
sa  vie ,  ainsi  que  l'époque  de  sa 
mort ,  qi'.'on  place  vers  1660.  Col- 
letet  parle  de  Rampalle  avec  éloge 
dans  son  Discours  du  poème  buco- 
lique,^t. 3'].  «  Il  savait,  di!-il,  le  beau 
»  tour  de  vers  aussi  bien  que  pas  un 
»  de  ma  counaissanccj  et  il  a  vcnou- 


R.\M 


55 


»  velé  la  gloire  de  l'idylle  , puisqu'il 
»  nous  en  a  donné  plusieurs  imitées 
»  du  Prcti  et  de  Marini.  »  On  connaît 
de  cet  écrivain  :  T.  V Hermaphrodi- 
te ,  poème  ,  imité  de  Jérôme  Preti , 
Paris,  )G3g  ,  in  -  4°.  H-  Ij^ Erreur 
combattue ,  discours  oii  il  est  prou- 
vé que  le  monde  ne  va  pas  de  mal  en 
pis,  ibid,,  1641  ,  in  -  8".  III.  Les 
Evéneui  eut  s  prodigieux  de  V^ém  our, 
nouvelles  trad.  de  l'espagnol  ,  de 
Juan  Pcrez  de  Montalvano ,  ibid.  , 
1644  ■>  '^  vol.  in  -  8°.  IV.  Discours 
académiques  ,  ibid. ,  1647  '  ii"8''.  ; 
le  dernier  de  ces  discours  est  intitu- 
lé :  De  l'inutilité  des  gens  de  lettres. 
V.  Idjlles,  ibid.  ,  1G48  ,  in-40.  et 
in-i  2.  Brossctic  les  trouve  médiocre- 
ment belles  ;  l'abbé  Goujet  en  juge 
encore  plus  défavorablement.  VI. 
La  Chiromance  naturelle ,  de  Rom- 
phile  ,  traduite  en  français  ,  ibid. , 
i653  ,  in-i2.  Rampalle  paraît  être 
le  véritable  auteur  de  Bélinde ,  tra- 
gi-comédie, Lyon,  i63o,  in-80.  ; 
et  de  Saijite  Dorothée ,  ou  la  Suzan- 
ne chrétienne  ,  pièce  représentée  et 
imprimée  à  Lyon  ,  en  i658  ,  que  le 
bibliothécaire  des  Carmes  (  Cosme 
de  Viiliers)attribue,  par  inadvertan- 
ce ,  au  P.  Pierre  de  Saint-André. 
W— s. 
RAMSAY  (  Andrk-Michel  de  ), 
littérateur,  d'une  branche  cadette  de 
l'ancienne  et  illustre  famille  de  ce 
nom,  naquit,  en  1686,  à  Ayr,  en 
Ecosse.  Il  montra,  dès  sa  jeunesse  , 
.un  goût  très-vif  pour  les  sciences,  et 
s'appliqua  surtout  à  l'étude  des  ma- 
thématiques et  de  la  théologie.  Les 
doutes  qu'il  conçut  sur  la  vérité  de 
la  religion  anglicane  ,  le  déterminè- 
rent à  en  faire  un  examen  attentif  : 
il  consulta  les  plus  célèbres  théolo- 
giens de  Glascow  ,  d'Edinbourg  et 
do  Londres  ;  mais  aucun  ne  put 
dissiper  ses  incerliludcs.  11  résolut 


56  RAM 

alors  de  n'obéir  qu^à  la  raison ,  c'est- 
à-dire  ,  de  ne  reconnaître  que  lui- 
même  pour  juge  de  sa  croyance  ;  er 
lour-à-îonr  il  jiassa  du  sociiiianis- 
meàrindilTérence,  et  de  l'indilleren- 
ce  au  pyrrhonisme  le  plus  absolu  , 
sans  toutefois  recouvrer  la  tran- 
quillité qu'il  avait  perdue.  Fatigue  de 
cet  état,  il  se  rendit  en  Hollande  , 
])0ur  exposer  ses  doutes  au  célèbre 
Poiret  (  F.  ce  nom  )  ,  ministre  fian- 
çais réfugié  ,  dont  l'éloquence  ne 
put  le  convaincre.  Il  eut  enfin  le  bon- 
Ijeur  de  trouA^cr  ,  danc  les  eiitietiens 
de  Fénélon  ,  la  vérité  qu'il  cherchait 
de  bonne  foi;  cl,  en  1709,  il  em- 
brassa la  religion  catholique.  L'il- 
lustre archevêque  de  Cambrai  con- 
serva jusqu'à  sa  mort  uneeslirne  par- 
ticulière pour  son  élève,  dont  il  ap- 
préciait les  talents  et  la  vertu.  Quel- 
ques opuscules  avaient  fait  connaître 
Rarasay  d'une  manière  a^-antageuse, 
quand  il  fut  nommé  gouverneur  du 
duc  de  Château  -Thierri ,  et  du  prin- 
ce de  Tu  renne  ,  et  chaigc  ensuite  de 
l'éducation  des  princes  ,  fils  du  pré- 
tendant (  Jacques  111),  réfugié  à 
Rome.  Des  intrigues  l'éloignèrent 
bientôt  de  cette  petite  cour.  En  1780 
il  fit  xm  voyage  en  Angleterre,  muni 
d'un  sauf- conduit  du  roi  George  , 
et  il  y  fut  accuei  li  avec  les  égards 
dus  à  l'élèTe  et  l'ami  de  Fénélon.  Il 
fut  admis  à  la  société  royale  de  Lon- 
dres ;  et  il  témoigna  le  désir  d'être 
reçu  docteur  de  l'université  d'Ox- 
ford :  la  qualité  de  catholique  y» 
mettait  un  obstacle  presque  insur- 
montable ;  le  docteur  King  fit  cesser 
tonte  opposition,  en  disant:  «  Je 
»  vous  présent*:  l'élève  du  grand  Fé- 
»  nclon  ;  ce  snd  titre  répond  à  tout.  » 
{\oyv7.\' Histoire  de  Fénélun  ,  par 
M.  de  Raussel  ,  m  ,  •;>,()().  )  A  sou 
retour  en  France,  Ramsay  fut  inten- 
dant du  prince  de  Tureunc  ,  depuis 


RAM 

duc  de  Bouillon.  Il  mourut  à  Sainî- 
Gcrmain-en  Laie,  le  6  mai  1743  ,  à 
l'âge  de  cinquante-sept  ans.  Ses  qua- 
lités lui  avaient  fait  un  grand  nom- 
bre d'amis,  entre  lesquels  on  doit 
citer  J.-B.  Rousseau,  et  Louis  Racine, 
qui  lui  adressa  ses  deux  Epitres  sur 
Vhomvie.  Outre  les  éditions  qu'il  a 
données  des  Dialogues  des  morts  et 
des  Dialogues  sur  V éloquence  par 
Fénélon,  on  connaît  de  Ramsay  :  I. 
Discours  sur  le  poème  épique  ,  im- 
primé à  la  tête  de  l'édition  du  Télé- 
maque,  1717,  in-12,  et  plusitnirs 
fuis  depuis.  Ramsay  adopte  'es  opi- 
nions de  La  ftîotte  sur  la  poésie  en 
prose  ,  dans  le  dessein  de  re'ever  le 
mérite  du  Télémaque  ,  et  répond  aux 
critiques  que  Faydit  et  Gueudeville 
avaient  faites  de  ce  chef-d'œuvre. 
(  F.  FenÉlon.  )  IL  Essai  philoso- 
phique sur  le  gouvernement  civil, 
Londres  ,  1721 ,  in-12;  ibid.,  1722, 
in-8°.  ;  réimprime  sous  ce  titre,  £5- 
sai  de  politique ,  où  l'on  traite  dos 
bornes  et  des  différentes  formes  de 
1^  souveraineté  ,  selon  les  principes 
de  l'auteur  du  Télémaque,  la  Haye, 
sans  date,  deux  parties  in  -  12.  Cet 
ouvrage  n'est  que  le  dévelop])ement 
des  conversations  qu'eut  Fénélon 
avec  le  Prétendant ,  ])endant  le  sé- 
jour que  ce  prince  lit  à  Cand)rai, 
dans  le  cours  de  la  guerre  de  la  suc- 
cession. Il  est  difilcile,  ajoute  M.  de 
Rausset  ,  de  réunir  sur  la  politique, 
des  idée.-»  phis  justes  et  plus  saines; 
de  les  présenter  sous  tnic  forme  plus 
claire  ,  et  plus  à  la  portée  de  tous 
les  esprits  raisonnables;  et  de  les  dis- 
cuter avec  nue  iriipartialité  jdus 
exempte  de  prévention  et  d'enlhou- 
siasine.  (  Voyez  V  Jlistoirt'.  de  Féné- 
lon. )\\\.  Histoire  de  lavie  de  Fran- 
çois de  Saliiinac  de  La  Motte  Féné- 
Ion,  la  Haye,  i7'.>.3,  in-i'.>,  ,  pu- 
bliée aussi  en  anj^Iais,  à  Londres,  la 


RAM 

même  annde.  Quoique  fort  abr^j^ée , 
clic  eut  Ijcaiicoiip  de  succès j  mais, 
dit  ]M.  de  Bausset,  l'auteur  y  f.iit 
entrer,  avec  trop  de  de'lails  peut- 
être,  le  récit  de  ses  rapports  per- 
sonnels avec  l'arclicvcque  de  Cam- 
hrai.lV.  Deux  Lettres  dans  le  Jour- 
nal des  Savants,  juin  I7'i6,  et 
fe'vrier  17*27  ,  dans  lesquelles  Rani- 
say  prouve  que  V abrégé  des  Fies 
des  Philosophes,  publié  sous  le  nom 
de  Féneion  (  F.  ce  nom  ,  XIV,  p. 
Soi ,  col,  I  )  ,  n'est  point  l'ouvrage 
de  ce  prélat.  V.  Les  f 'otages  deCj- 
7its,a\ec  un  Discours  sur  ia  mytho- 
logie ,  et  une  Lettre  de  Frc'ret  sur  la 
ciironoloj^ie  de  cet  ouvra{2;e  ,  Paris 
et  Londres,  17'27  ,  2  vol.  in-8'\; 
idem  en  anglais  ,  E  linbourg,  1  n-ic)  , 
iri-H",  C'est  moins  un  roman  qu'un 
système  d'éducation  pour  un  jeune 
prince.  Cet  ouvrage,  fait  à  l'iuiita- 
tioîi  du  Télémaque,  mais  trop  loué 
par  les  amis  de  l'auteur,  essuya  plu- 
sieurs critiques(i  ),dontRamsaypro. 
fîta  pour  le  perfectionner,  en  mettant 
en  action  ce  qui  était  en  récit.  Le 
style  en  est  assez  éégant,  mais  trop 
charge  d'érudition  et  de  reflexions. 
11  prend  son  héros  depiu's  sa  seizième 
année  jusqu'à  la  quarantième  ,  espa- 
ce qie  Xénopbon  avait  laissé  vide  , 
et  le  fait  voyager  pour  avoir  oc- 
casion de  peindre  la  religion  ,  les 
moeurs,  la  politique  et  les  diverses 
révolutions  de  la  Grèce  ,  de  l'Egyj)- 
tc,  de  Tyr  et  de  Babylone:à  propre- 
ment parler  il  n'y  a  de  romanesque 

(1)  On  st'ra  ^K-ut-i'-lre  bien  aise  d*e'i  trouver  ici 
les  tities  :  Sniieil.-  la  X,<wdU  Cyi  nfiàle ,  ou  Ri- 
Jitxioiti  (le  ([ynis  sur  «ef  yoyiiges ,  ArnstercJam 
(Hoiu-n  )  I7«8  ,  iii  8».  Cette  saliie  viiulciile  e>t  , 
selouquel(jiiesbiugr^i|ibes  ,  l'ouvrage  de  M"'"  U'A- 
Reuois,  (le  la  princesse  de  Conli ,  du  duc  d'Aiguil- 
lon et  de  l'ablie  de  Grecourl  ,  etc.  Knlrtt.t;n^  sur 
UsVoyaiies  de  Crrus  (par  les  abbés  Desfontaineset 
Grauet)  ,  Nauei  ,  17»8,  iu-  i».  Celte  critique  est 
lieauciiup  plus  luodéiet^cfue  la  précédente,  tnlin  la 
Bthlinthctjtic  lUs  /fi)/»n/j< ,  decenib.  177.Ï,  <'nntient 
nue  Lettre  du  P.  Viuot  ,de  l'Oratoire  ,  sur<pnl<(ucs 
l'ajsagei  de  Cyrus  ,aTcc  la  Rcf/viise  de  Raïusay. 


RAM 


5-7 


que  le  premier  livre;  les  autres  sont 
jiurcineiU  historiques.  (  /'.  Pernet- 
Ti.)  \  I.  L'IIiitoire  de  Tureiine,  Pa- 
ris, I  735,  '2  v,in-4°.,  ou  4  vol.  in-12; 
l'auteur  ea  donna  aussi  une  éditiou 
anglaise  :  elle  est  écrite  avec  ordre 
et  ]irccision  ;  mais  elle  ne  fait  con- 
naître que  le  grand  général,  et  non 
l'hoinine  doué  de  toutes  les  vertus 
sociales.  Vil.  Deux  Lettres  à  Louis 
Racine,  pourjuslificrPopedes  repro- 
ches adressés  a  son  Essai  sur  l'hom- 
me ,  à  la  suite  du  poème  de  la  Re- 
ligion. V^IIL  Lettre  au  P.  Castel  , 
cuutenant  V Eloge  historique  de  Sic- 
ne  ,  (  dans  le  Journal  des  Sai>aiits  , 
1 735  ,  p.  3'i6.)  IX.  Le  P^ycomètre 
ou  Ri'flexioDs  sur  les  différents  carac- 
tères de  l'esprit  ,  par  un  Milord 
anglais:  ce  sont  des  remarques  sur 
le  Characteristics  de  Shaftesbury. 
X.  Poèmes  eu  anglais ,  Edinbourg  , 
173^,  in-4°.  Ces  pièces,  d'un  gen- 
re mystique,  et  d'un  style  trop  enflé , 
furent  publiées  sans  l'aveu  de  l'au- 
teur. XL  Deux  ouvrages  posthumes  , 
en  anglais  ,  savoir  :un  Plan  d'éduca- 
tion ,  et  Principes  jlnlosophini^es 
de  la  religion  naturelle  et  révélée  , 
développés  et  expliijués  dans  l'ordre 
géométrique,  Gla'îgow  ,  1749  <  2 
vol.  in-4*'.  On  trouve  ,  dans  ce  der- 
nier ouvrage,  des  opinions  très-sin- 
gulières sur  la  métempsycose,  l'ani- 
mation des  brutes  par  les  démons  , 
la  fin  des  peines  de  l'enfer,  etc.  Aus- 
si quelquescriliqucs  pensent  ils  qu'on 
l'attribue  faussement  à  cet  écri- 
vain, ou  du  moins  que  les  éditeurs 
l'ont  altéré  dans  une  foule  de  pas- 
sages. On  reprocha  ,  de  son  vivant, 
au  chevalier  de  Ratnsay  ,  un  pédan- 
tisrae  qui  lui  donnait  beaucoup  de 
ridicule  dans  la  société;  mais  on  fut 
étonné  de  voir ,  sous  la  plume  d'un 
étranger,  un  style  très  pur,  une  ha- 
bitude singulière  de   notre  langue . 


58  RAM 

sans  le  moindre  vestige  de  tomniiie 
ou  d'exprcssioii  exotique.  Peut  être 
ne  sacrifiait-il  pas  assez  aux  grâces  , 
surtout  dans  ceux  de  ses  ouvrages  où 
l'utile  ne  passe  et  n'a  droit  de  passer 
qu'à  la  faveur  de  l'agre'able  ,  comme 
dans  ses  Voyages  de  Cjrus,  qui  fi- 
rent dans  le  temps  pins  debruit  qu'ils 
n'auraient  dû  en  faire,  et  qui  sont  peut- 
être  moins  lus  aujourd'lnii  qu'ils  ne 
le  me'ritent.  Ramsay  e'tait  membre 
de  la  société  littéraire  de  Spalding  , 
dans  le  Lincolnsliire  ,  (  dont  le  ber- 
ceau remonte  à  l'an  1710  ),  et  il 
passait  pour  avoir  beaucoup  contri- 
bué à  la  propagation  de  la  franc- 
maçonnerie  en  France  (2).  — Char- 
les-Louis   Ramsay,    gentilhomme 


{9.)  lîarasav  s*(  tait  lioaucoup  occupé  de  Ja  fraiic- 
maronueric  ;  et  il  roulait  dans  son  esprit  de  grands 
piijjcfs  sur  cette  iostitutiou  dont  il  ttait  le  gi-a:id 
cbaucelier  ])Our  le  royaume  de  Fjance.  D'abord  il 
voulait  rétablir  les  cérémonies  anciennes  ,  dérivées  , 
selou  lui .  d'une  confrérie  f  jrmée  en  Palestine,  du 
teraps  des  Croisades,  pour  relever  les  églises  détrui- 
tes ]iar  les  Sarrasins,  mais  qui  avaient  dii  éti'e  m-t- 
diliécs  en  Angleterre,  afin  de  ne  pas  donner  d'om- 
hrage  à  la  reine  Elisabeth  ,  qui  ne  voulait  voir  dans 
les  francs-maçons  que  de-  papistes  de^juisés.  Dans 
ce  but,  il  se  proposait  de  convoquer  à  Paris  une  dé- 
putation  de  toute-*  les  loges  de  l'Europe;  maisle  car- 
dinal deFleury  le  dissuada  de  ce  projet  Un  précep- 
teur (\u  comte  de  Reuss,  nommé  Geusau  ,  qui  Ht , 
CQ  i-^i  ,  à  Paris,  connaissance  avec  Ramsay  ,  et 
s'entretint  frénnemment  avec  lui .  apprit  de  sa  bou- 
cHefceaucoup  de  détails  du  même  genre  ,  tels  que  le 
jilau  d'une  souscriplionàdix  louis  par  tète  oflérte  à 
tous  les  liancs-marons  en  Europe  ,  «values  à  trois 
znille  ,  et  dont  le  ))rodait  e!v  d'abord  été  employé  à 
l'impression  d'un  aictionuaire  universel  en  fiançais  , 
qui  devait  comrrcndrcles  quatre  arls  libéraux  ,  ainyi 
que  les  sciencc^bistoriques.Ramsay  apprit  eu  outreà 
Geusau  que  les  francs-ujaçons  de  Paris  avaient  chaque 
mois  une  réunifn  où  on  lisait  un  Mémoire  relatif  à 
nu  des  quatre  arts,  et  qui  était  suivie  d'un  souper  oii 
tf)us  les  rangs  étaient  confondus  ,  et  où  chacun  ne  re- 
cevait qu'une  mesure  lixe  devin.  Un  duc  avant  vou- 
lu un  jouroutre-pasBcr  celle  mesure,  Bamsay  avait 
improvisé  un  discours  snr  la  nécessité  de  la  sobric*- 
té,  etc.  Enfin  Geusau  apprit  encoie  quela  re.sLiura- 
tiondu  trône  royal  d'Angleterre  avait  été  préparée 
par  le»  francs-maçons ,  auxquels  appartenait  Je  gé- 
néral Mourk;  mais  que  Bamsay  n'avait  pas  voulu 
citer  ce  fait  dans  «on  Histoire  de  la  franc-maçonne- 
rie (ouvrante  proba!>lemi  iit  demeuré  inédit  }  ,  dans 
lacrainled'ixiioser  sesconfrères  au  soupçon  de  s'oc- 
<:u|H:r]ialiilnellcment  de  politique.  /'.  la  Vie  de  Geri- 
«au  ,  dans  les  Hii^ffm/iliics  de  Huscliing  (  t.  m,  p, 
3ir)-33S).  On  trouve  aussi  des  anecdotes  sur  Ram-. 
»ay,  dans  le  re<iieil  d'anecdotis  de  .Speiice  ,  qui  a 
rté  public  eu  i8ïo,  4  Londres,  par  S.  W'e'li  r  Siu- 
B<-T.  D— G. 


RAM 

écossais  ,  probablement  de  la  même 
famille  que  le  précédent ,  s'occupait 
de  chimie  et  de  médecine,  et  tradui- 
sit en  latin  un  ouvrage  de  Kunckel 
(/^.  ce  nom,  XXII,  58(3,  n».  u  ); 
mais  il  est  principalement  connu 
par  sa  Tachéo graphie  ou  VAit  d'es- 
criie  aussi  viste  qu'on  parle  ,  qu'il 
publia  en  latin,  dès  1678,  et  avec 
une  version  française  (par  A.  D.G.), 
Paris,  1681,  i683,  1688,  1690, 
1692,  in-x2  ;  souvent  réimprimé  en 
Allemagne,  Leipzig,  1681  ;  léna , 
i684;  traduit  en  allemand,  Leip- 
zig, 1743,111-8''.  Quoique  dès  i588, 
beaucoup  d'auteurs  eussent  publié 
en  Angleterre  des  livres  sur  celte 
matière,  l'art  sténographiqne  était 
fort  peu  connu  sur  le  continent.  Le 
P.  Gaspar  Schoit,  danssa  Technica 
curiosa  (  tora.  1,  p.  533 ,  pi.  87  et 
38  ),  avait  bien  donné,  en  1G64, 
les  principes  de  Shelton  ,  publiés  en 
Angleterre  dès  i655;  mais  l'ouvra- 
ge de  ce  jésuite,  trop  volumineux 
pour  se  trouver  dans  beaucoup  de 
mains ,  était  comme  perdu  dans  la 
poussière  des  bibliothèques.  Jacques 
Cos.sard,  prêtre,  avait  fait  imprimer 
à  Paris ,  en  1 65  i ,  une  Méthode  de 
son  invention ,  assez  différente  des 
systèmes  anglais,  et  dont  un  exem- 
plaire sur  parchemin  fut  déposé  à 
la  bibliothèque  du  Roi  (3).  Cet  opus- 
cule,tiré  à  petit  nombre,  et  fort  rare 
aujourd'hui,  était  lout-à-fait  oublié; 
et  l'on  peut  dire  que  c'est  dans  celui 
de  Ramsay  que  l'Europe  continenta- 
le a  pu  prendre  quelques  notions 
d'un  art  singulièrement  amélioré  de 
nos  jours ,  porté  près  de  sa  perfec- 
tion, en  1788,  par  Coulon-ïhevc- 
not,  et  devenu  d'un  usage  commun 
depuis   la    révolution.  Au    surplus, 

(3^  Mer.l.r  de  Sainl  -  I..  .:;er  (  Xnlu-c  sur  G. 
Srîinll  ,  p  S;  ],  rlh-  .ln^^i  un  .venipliirc  de  la  'Ja- 
cUeugiaphie  de  Ramsay,  impiiiuc  sur  vélin. 


RAM 

Rainsay  ne  se  donnait  point  comme 
inventeur;  et  sa  mëlliodc  de  1681  , 
est  à  peu  de  chose  près  la  même  que 
celles  que  Th.  Cross,  en  i6|5  ,  et 
iShehon  ,  dix  ans  après ,  avaient  pu- 
Llie'es  en  Angleterre.  L'éJition  de 
i683  du  livre  de  Ramsay  est  retou- 
chée, mcrnedans  le  texte  latin,  pour 
être  mieux  adaptée  à  la  langue  fran- 
çaise. W — s. 

RAMSAY  (David  ),  médecin  et 
auteur  américain ,  n'est  connu  que 
par  ses  ouvrages.  Nous  n'avons  pu 
nous  procurer  aucun  renseignement 
sur  sa  vie  :  on  sait  seulement  qu'il 
était  né  à  Charleslown ,  dans  la  Caro- 
line méridionale  ,  qu'il  futmenibre 
du  congrès  des  Etats  unis  ,  pendant 
les  années  1782,  1783,  1784  et 
1 785 ,  et  qu'un  de  ses  malades  ,  qu'il 
était  allé  visiter  dans  un  hospice 
d'aliénés,  l'assassina  en  i8i5.  Les 
ouvrages  de  Ramsay  qui  ont  été  pu- 
bliés, et  qui  jouissent  d'une  estime 
méritée,  sont:  I.  Histoire  de  la 
révolution  d' Amérique  ,  en  ce  qui 
concerne  la  Caroline  méridiona- 
le,  1791,  2  vol.  iu-8''. ,  traduit 
en  français.  IT.  Discours  pronon- 
cé à  Voccasion  de  V anniversaire 
de  l'indépendance  américaine.  III. 
Revue  des  améliorations  et  de  l'é- 
tat de  la  médecine  dans  le  dix -hui- 
tième siècle,  1802,  in^"^.  IV.  ^'e 
de  George  TFashington  ,  i  vol. 
in- 8".  ;  traduite  en  français  par  un 
anonyme,  Paris,  1809,  i  voLin-S"^. 
Cette  vie  généralement  bien  écrite  , 
paraît  avoir  été  rédigée  avec  impar- 
tialité et  sur  de  bons  matériaux  :  la 
traduction  française  est  pleine  d'in- 
corrections.—  Ramsay  (Jacques  ) , 
chapelain  dans  la  marine  ,  et  vicaire 
de  Teston  dans  le  comté  de  Kent , 
auteur  de  sermons  pour  les  marir-s 
(  Sea  Sermons  ) ,  in-8". ,  et  de  quel- 
ques Traités  sur  la  traite  des  nègres , 


RAM  59 

mourut  le  20  juillet    17B9,   à  56 
ans.  D — z — s. 

RAMSDEN  (  Jessé  ) ,  célèbre  op- 
ticien .  naquit,  en  1785  ,  à  Halifax  , 
dans  le  Yorkshire.  Il  était  fils  d'un 
fabriquant  de  draps.  La  littérature  et 
l'histoire  ,  les  mathématiques  et  la 
chimie,  l'occupèrent  tour  à-tour  dans 
sa  jeunesse;  mais  son  père  l'obligea 
bientôt  de  renoncer  à  l'étude,  et  de 
prendre  sa  profession.  A  l'âge  de 
vinst  et  un  ans,  il  vint  à  Londres 
chercher  une  occupation  plus  digne 
de  ses  talents  :  apiès  en  avoir  essayé 
plusieurs,  il  se  décida  pour  l'art  de 
la  gravure,  qu'il  apprit  de  Burton. 
L'imperfection  qu'il  remarquait  dans 
les  instruments  de  mathématiques 
qu'on  lui  donnait  à  graver  ,  lui  fit 
naître  le  désir  d'en  procurer  de  meil- 
leurs à  ses  compatriotes.  Il  sut  bien- 
tôt tourner,  limer,  et  travailler  le 
verre  ;  et  ayant  fait  connaître  ses  ta- 
lents en  ce  genre ,  il  épousa  une  fille 
du  fameux  opticien  Dollond  ,  et  éta- 
blit une  fabrique  à  son  compte,  en 
1764.  C'est  alors  qu'il  forma  le  pro- 
jet de  passer  en  revue  tous  les  instru- 
ments d'astronomie  pour  corriger 
ceux  qui  ne  péchaient  que  ^^t  la 
construction  ,  et  remplacer  les  au- 
tres. Il  débuta  par  perfectionner  le 
quart  de  réflexion  ou  sextant  de  Had- 
ley  (  ^oj.  ce  nom  ).  Le  besoin  qu'il 
avait  d'une  machine  à  diviser,  lui  en 
fit  imaginer  une  supérieure  à  celles 
que  l'on  connaissait ,  et  qui  lui  valut 
line  gratification  de  quinze  mille 
francs  du  bureau  des  longitudes.  Il 
avait  commencé,  dès  1768  ,  à  s'oc- 
cuper de  cette  machine  :  mais  ce  fut 
en  1778  qu'il  la  perfectionna,  au 
point  qu'elle  e\'geait  moins  d'une 
demi-heure  pour  diviser  un  sextant. 
Le  président  Bochard  de  Saron  ,  qui 
lui  acheta  une  de  ces  machines  ,  par- 
vint à  l'introduire  en  France  (  en  la 


6o 


RAM 


cachant  dans  le  pied  d'une  table  ron- 
de   construite   exprès   )  ,    et   la   fit 
connaître  aux  artistes  de  Paris.  Dans 
le  même  temps  Ramsden  perfection- 
nait le   théodolite,  devenu  par  ses 
soins  un  instrument  nouveau,  qui  sert 
pour  mesurer  les  hauteurs  comme 
pour  lever  les  plans.  Il  fit  diiïerentes 
améliorations  au  baromètre,  au  py- 
romètre, à  la  machine  èlectri(pie,etc. 
Il  construisit  une  balance  d'une  telle 
sensibilitè,({uechari^éededeuxliv.  sur 
chaque  plateau  ,  la  cinq -millionième 
partie  de  ce  poids  ,  suffisait  pour  lui 
faire  perdre  l'équilibre.    Mais  c'est 
l'optique  surtout  qui  lui  est  redeva- 
])le  de  grands  perfectionnements:  on 
lui  doit  l'invention  d'un  micromètre 
plus  exact  que  celui  de  Bougucr  ;  il 
a  singulièrement  perfectionné  la  lu- 
nette des  passages,  le  quarl-de-cer- 
cle  mural  et  i'equatorial.    f^e  grand 
mural  qu'il  exécuta  pour  l'Observa- 
toire de  Blenheim  ,  est  une  des  plus 
belles    machines    d'astronomie  que 
l'on  connaisse.  Quoiqu'il  occupât  ha- 
bituellement soixante   ouvriers  ,    il 
nepouvailsuffireauxdemandesqu'on 
lui  adressait  de  toutes  les  parties  de 
l'Europe.  Ramsden  était  membre  de 
la  société  royale  de  Londres  depuis 
1786  ;   il    mourut  à  Briglithelms- 
tonc  ,    le   5  novembre    1800.    La 
pluj)art  des    machines  inventées  et 
peifccîiomiées  par  Ramsden  ont  été 
décrites:  Descri/>lion(Vmie  machine 
])Our  diviser  les  instruments  de  ma- 
thématiques (  en  angl.  ) ,  Londres  , 
1777,  in-4''.  ;  traduite  en  français  , 
par  Lalrinde,  Paris  ,  1770.10-/1".  , 
de    1.4  pages,  avec   4  gt".  planclies. 
—  Descri|iiion  du  Nouveau  Micro- 
mètre de  Ramsden  ;  dans  le  68".  vol. 
des  Transact.   jiliilosojihiq. ,  année 
1779.  —  Sur  les  Oculaires  des  lu- 
vetles  ;  dans  le  73'".  vol.  de  cette 
collection,  année  1783.  —  Nouvel 


R.\M 

Instrument ,  cercle  entier  de  Rams- 
den ,  Journal  des  saA^anfs  ,  année 
1787.  —  Description  du  Théodolite, 
dans  le  Treatise  on  P radical  astro- 
nomj ,  par  M.  Vince,  1790.  —  Des- 
cription du  Grand  mural  placé  à 
l'Observatoire  de  Milan  ,  par  de  Ce- 
saris  ,  dans  les  Epheinerides  annî 
179.2.  —  Description  d'un  Equa- 
torial  d'une  grandeur  singulière  , 
dans  les  Transactions  philosoph. , 
1793  :  l'axe  de  cet  instrumenta  huit 
pieds  ,  et  les  cercles,  quatre  pieds  de 
diamètre.  On  trouvera  des  détails 
pleins  d'intérêt  sur  le  caractère  de  ce 
grand  artiste,  et  sur  les  services  qu'il 
a  rendus  à  l'astronomie  ,  dans  une 
Lettre  adressée  par  M.  Piazzi  à  La- 
lande  ,  et  insérée  dans  le  Journal  des 
Savants,  novembre  1788.     W-s. 

RAMUS  (  Pierre  La  Ramee  , 
plus  connu  sous  le  nom  latin  de  ) , 
célèbre  philosophe,  et  l'un  des  pre- 
miers qui  tentèrent  de  substituer  à 
l'autorité  des  anciens  celle  du  rai- 
sonnement et  de  l'expérience,  naquit 
dans  un  village  du  Yermandois  (i), 
au  commencement  du  seizième  siè- 
cle. La  plu|)art  des  biographes  pla- 
cent sa  naissance  à  l'année  i5i5; 
mais  Joly  et  l'abbé  Gonjet  conjec- 
turent avec  beaucoup  de  vraisem- 
blance ,  qu'elle  eut  lieu  vers  i5o2. 
L'aïeul  de  Ramus  était  un  gentilhom- 
me du  pays  de  Liège,  qui ,  ruiné  par 
les  guerres,  se  réfugia  dans  la  Picar- 
die ,  où  il  vécut,  avec  sa  l'.imiile, 
d'une  exploitation  de  charbon.  Son 
père  ,  trop  pauvre  pour  lui  don- 
ner aucune  éducation  ,  l'employa 
d'abord  à  paître  les  troupeaux;  mais 
cet  enfant  ,  tourmenté  ])ar  le  désir 
d'apprendre,  s'enfuit  à  l'âge  de  huit 
ans  ,  et  vint  à  Paris  ,  d'où  la  misère 


(0  A  <;,.llir,  mImii  !..  i,liii...il  <l.s  I.;.  Kr.i|il»-.-; 
,„;.;,  c-  v.\h>y.'-  M'.st  i.li.s  .onnii  i„.,iulriiaul,  illf 
H.iTiIrot  (  I/ul.  '/<-■  S'iint-(,>iiciiun  ,  y   ïyo  ). 


RAM 

l'eloigna  bientôt.  Un  second  voya- 
ge ne  fut  pas  plus  heureux  :  enfin 
un  de  ses  oncles  se  chargea  de  payer 
quelques  mois  sa  pension  dans  une 
école;  et  afin  de  pouvoir  continuer  ses 
e'tudes,  Ramus  entra  comme  domesti- 
que au  collège  de  Navarre,  où  il  fit , 
presque  sans  maître  ,  de  grands  pro- 
grès dans  les  langues  et  la  littérature 
anciennes.  Après  avoir  terminé  ses 
humanités  et  sa  rhétorique, ilfrc'quen- 
Je  cours  de  philosophie  ;  mais  il  ne 
tarda  pas  à  s'apercevoir  que  la  scien- 
ce qu'on  décorait  de  ce  nom  ,  n'était 
qu'un  vain  cliquetis  de  mois.  La  lec- 
ture de  Platon  et  de  Xénophon,  eu  lui 
faisant  connaître  la  méthode  socrati- 
que ,  acheva  de  l'éclairer  sur  les  dé- 
fauts de  l'enseignement  ;  et  il  se  per- 
mit de  les  attaquer  dans  toutes  les 
occasions.  Quand  il  eut  fini  sou  cours, 
il  se  présenta  pour  recevoir  le  degré 
de  maître-ès-arts  ,  et  prit  avec  ses 
juges  l'engagement  démontrer  qu'A- 
ristote  n'était  point  infaillible  {■?.). 
Oa  accourut  en  foule  pour  jouir  de 
la  confusion  du  jeune  audacieux  : 
mais  llanius  obtint  un  triomphe 
complet,  et  réduisit  tous  ses  adver- 
saires au  silence.  Encouragé  par  ce 
premier  succès  ,  il  résolut  d'exami- 
ner à  fond  la  doctrine  et  en  particu- 
lier la  logique  d'Aristote;  il  rapporta 
tout  à  ce  but,  ses.lectures,  ses  études 
et  même  les  leçons  d'éloquence  qu'd 
commençait  au  collège  de  VyJi>e  Ma- 
ria. Ramus  fit  paraitie,  en  i543, 
une  nouvelle  Lo^i'iue,  et  des  Remar- 
ques sur  celle  d'Aristote.  Ces  deux 
ouvrages  soulevèrent  contre  lui  tous 
les  partisans  de  la  routnie ,  et  exci- 
tèrent de  grands  troubles  dans  l'é- 
cole. Ant.Govca  le  |)eignit,  dans  ses 

(7.)  On  veuf  que  Ramus  s<'  soit  eogagt'  ji  prendi-e 
le  coiitro)>if'd  u'Arislotc,  ct^  soutcuir  <juc  partout 
ce  pliilusnplie  s'ttait  trompé  (  Voy.  ïllatoiie  tie 
Vuiiiveisilè ,  p.  3Sg  ,  toiii.  V  );  mais  rcla  n'est  ]iai 
Ti'aiscialilaljle. 


RAM 


61 


discours,  comme  un  impie  et  un  sédi- 
tieux qui,  par  ses  attaques  contre 
Aristote,  préludait  au  renversement 
des  sciences  cl  de  la  religion.  Le  par- 
lement informa;  mais  le  roi  évoqua 
l'affaire  à  son  conseil,  et  ordonna 
que  Gofea  et  Ramus  choisiraient 
chacun  deux  arbitres,  qui  feraient  à- 
la  fois  les  fonctions  de  défenseurs  et 
de  juges ,  et ,  après  avoir  entendu  les 
deux  parties,  prononceraient  (3)  sur 
toute  cette  querelle.  Ramus  se  soumit 
à  comparaître  devant  ce  singidier 
tribunal ,  et  repoussa  victorieuse- 
ment tous  les  reproches  de  Govea. 
Mais,  après  un  si  grand  éclat,  on  ne 
pouvait  pas  l'absoudre  :  les  juges  , 
sous  !e  prétexte  de  quelques  défauts 
de  forme,  lui  proposèrent  de  recom- 
mencer la  discussion  ;  Ramus  ne 
voulut  point  y  consentir ,  et  quitta 
la  salle  sur-le  champ  avec  ses  deux 
arbitres.  Ainsi  les  adversaires  décla- 
rés de  Ramus  devinrent  seuls  ses 
juges  ;  et  ce  fut  sur  leur  rapport ,  que 
le  roi  reudit  un  arrêt  qui  le  déclare 
téméraire ,  arrogant  et  impudent  d'a- 
voir reprouvé  et  condamné  le  train 
et  art  de  logique  ,  reçu  de  toutes  les 
nations  ;  supprime  ses  ouvrages , 
comme  contenant  des  choses  faus- 
ses et  étranges  ,  et  lui  défend  d'en- 
seigner ou  d'écrire  contre  Aristote, 
sous  peine  de  punition  corporelle 
(4).  Cette  sentence  fut  reçue  dans  les 
collèges  de  Paris  avec  des  transports 
de  joie  incroyables;  et  Ramus,  qu'un 
arrêt  réduisait  au  silence  ,  se  vit  in- 
sulté publiquement  par  ses  ignobles 
ennemis.  Supéiieur  a  cette  disgrâce. 


(3)  Danes  et  Fraurois  Vicumcrcato  furent  les 
deux  arbitres  3e  Govea  (  F.  DanES,  X,  49*  ); 
Kaiims  chnisit  pour  les  sieus  Jean  Quîutîn  ,  docteur 
eu  droit,  et  Jeau  de  BeaumoDt,  docteur  en  mêde* 
CÎDe.  Le  roî  iiouima  ,  pour  les  départir,  Jean  de  Sali- 
gnac  ,  docteur  en  tliéologie  ,  et  connu  par  sa  haine 
contre  Kauius. 

(.'))  L'arrêt  rendu  contre  Ramus  a  été  inséré  dans 
l.s  Memoirei  de  Niccrou,  X1II,-<G(5. 


62 


RAM 


il  profita  de  ses  loisirs  pour  se  per- 
fectionner dans  la  connaissance  des 
inalhe'inatiques  ,  et  prépai'er  une  e'di- 
tion  des  éléments  d'Euclide  ,  dont 
il  offrit  la  dédicaça,  en  1544?  '"i" 
cardinal  de  Lorraine.  Quelques  mois 
après  ,  la  peste  ayant  éloigné  de 
Paris  un  grand  nombre  d'écoliers, 
on  lui  conseilla  de  donner  des  leçons 
de  rhétorique  au  collège  de  Presics; 
et  ses  talents  y  ramenèrent  bientôt 
des  auditeurs.  La  Sorbonne  voulut 
l'expulser  de  ce  collège,  dont  il  venait 
d'être  nommé  principal:  mais  le  par- 
lement le  maintint  dans  l'exercice  de 
cette  charge.  Eu  i545,  le  cardinal 
de  Lorraine  fit  annuler  ,  par  le  roi 
Kcnri  II ,  l'arrêt  qui  défendait  à  Ra- 
mus  d'enseigner  la  philosophie  ;  et 
aussitôt  il  ouvrit  un  cours  de  mathé- 
matiques, science  à  laquelle  il  sentait 
la  nécessité  de  donner  une  plus  gran- 
de part  dans  les  études.  Ses  ennemis 
prétendirent  qu'il  n'était  pas  conve- 
nable que  le  même  professeur  ensei- 
gnât les  règles  de  l'éloquence  et  les 
principes  du  calcul ,  et  voulurent  l'o- 
bliger d'opter  entre  deux  sciences 
incouipalibles.  Le  roi  mit  fin  à  cette 
ridicule  querelle,  en  le  nommant ,  en 
i55i ,  professeur  de  philosophie  et 
d'éloquence  au  collège  de  France  ;  ce 
qui  excita  néanmoins  des  réclama- 
tions (  r.  P.  Gam.  AND ,  XVI ,  345  ). 

Raraus  eut  beaucoup  de  part  aux  dé- 
bats qu'amenèrent  les  réformes  dans 
la  prononciation  de  la  langue  latine 
(5)  ;  et  il  soutint ,  avec  autant  défer- 


ez) Cette  r,U 


V' 


I,),u.., 


closi!i>tincii's  ,  d('{<liil  à  «l'aulrcs  ,  f)ui  drlendiriMil 
avi'c  chaleur  l'.-iiiciciiDe  pioiionrlatii/n.  Un  bciicli- 
<  itT  fut  privé  Je  SCS  revenus,  pour  avoir  pruiiuncu 
Ohi.«</»;\  ,  (Juaiir/iiain  ,  suivant  la  nouvelle  ré/'oruie  , 
.-m  lieu  tUi  Kiikis  ,  et  Kaiikaii  ;  il  êe  pourvut  au 
parlenieiit  contre  ce  décret:  les  pi-oiVsseurs  royaux  , 
craignant  qu'il  ne  siiccoinliât  sous  le  crédit  de  la 
faculté,  se  rrrureiit  oblii^és  de  le  secourir;  ils  aile- 
lent  donc  à  l'audience,  it  représentirent  si  vive- 
nieiil  à  la  cour  rindi);uilé  d'un  tel  proci»,  que  l'ar- 
ciisé  riil'al»ou«,  et  <|u'ij|i  laissa  la  liberté  de  pro- 
uoueer  comme  on  viaidiait. 


RAM 

melc  cpie  de  raison ,  que  ce  n'était 
point  au  parlement  de  décider  uu<; 
question  grammaticale  dont  la  solu- 
tion occupait  tous  les  esprits.  Il 
voulut  essayer  d'introduire  quelques 
améliorations  dans  le  mode  d'ensei- 
gnement ,  et  fit  part  à  ses  auditeurs 
du  plan  qu'il  avait  adopté  pour  le 
cours  de  logique  (i552).  Les  huées 
et  les  sifflets  l'interrompirent  dès  son 
début;  mais  il  attendit  le  retour  du 
calme  ,  et  acheva  son  discours,  mal- 
gré les  cris  de  ses  adversaires  ,  avec 
un  sang- froid  qui  les  déconcerta. 
Leurs  intrigues  ne  purent  l'empêcher 
de  poursuivre  l'exécution  du  projet 
qu'il  avait  conçu  pour  le  perfection- 
nement des  études.  Dans  l'espace  de 
dis  ans,  il  publia  de  nouvelles  Gram- 
maires pour  le  grec ,  le  latin  et  le 
français  ,  plusieurs  Traités  de  ma- 
thématiques ,  de  dialectique  et  de 
rhétorique  ;  et  l'on  ne  peut  douter 
qu'il  n'eût  travaillé  avec  le  même 
zèle  sur  les  autres  parties  de  l'ensei- 
gnementjs'il  eût  vécu  dans  des  temps 
moins  agités.  II  piésenta  ,  en  i562, 
au  roi  Charles  IX,  un  plan  pour  la 
réforme  de  l'université,  dans  lequel 
on  est  forcé  de  reconnaître  un  hom- 
me d'un  esprit  supérieur  à  son  siè- 
cle ,  et  incapable  de  transiger  avec 
les  abus  qu'd  siguale  en  indiquant 
le  moyen  de  les  corriger  (Voy.  VBist. 
de  Vunwcrsité ,  par  Crevier  ,  vi , 
90-96).  Depuis  long -temps  Ramus 
partageait  en  secret  les  opinions  des 
novateurs  :  après  l'édit  qui  permet- 
tait aux  prolestants  le  libre  exercice 
de  leur  culte ,  il  enleva  de  la  chapelle 
du  collège  de  Presles  les  images  et  les 
représentations  des  saints.  Cette  im- 
prudence anima  contre  lui  la  plu- 
part dcsescollèguesqui  demandèrent 
sou  exclusion  de  l'université.  Char- 
les IX  lui  fit  oll'iir  un  asile  à  Fontai- 
nebleau j  mais,  dans  ces  leuijis  m;d- 


RAM 

lieureiix. ,  la  protection  royale  était 
insuffisante  pour  !e  soustraire  à  la 
fureur  de  ses  cnuemis  :  pendant  son 
absenrc,  on  pilla  ses  meubles  et  la 
riche  bib!iothèque  qu'il  avait  for- 
mée. Il  retint,  en  i563,  à  Paris, 
et  reprit  aussitôt  possession  de  sa 
chaire  au  Collège  royal ,  dans  la- 
quelle il  se  maintint  malgré  les  me- 
nées de  quelques  envieux.  Jean  Dam- 
pestrc  eut,  en  i565,  le  crédit  de  se 
f;iire  nommer  professeur  de  ma- 
thématiques ;  mais  Ramus  ,  l'ayant 
convaincu  d'incapacité  ,  l'obligea  de 
se  démettre  de  sa  charge,  et  s'op- 
posa de  tout  son  pouvoir  à  l'admis- 
sion de  Charpentier,  avec  quiDam- 
pestre  avait  pris  des  arrangements 
pécuniaires  (  V^oy.  Charpeatier  , 
VIII ,  240).  Les  troubles  civils,  qui 
recommencèrent,  en  1367,  forcè- 
rent Ramus  de  se  réfugier  dans  le 
camp  du  prince  de  Condé  :  la  ba- 
taille de  Saint-Denis  ayant  été  suivie 
d'une  paix  avec  les  protestants  ,  il 
fut  rétabli  pour  la  troisième  fois  dans 
sa  chaire;  mais  l'avenir  l'inquiétait, 
et  il  demanda  la  permission  de  voya- 
ger dans  les  pays  étrangers ,  sous  le 
prétexte  de  sa  santé.  Il  visita  1  Alle- 
magne, en  i568,  et  fut  accueilli 
partout  avec  les  é^i^ards  que  com- 
mande le  talent  :  sollicité  d'accepter 
une  chaire  ,  il  ne  voulut  prendre  au- 
cun engagement  qui  pourrait  le  re- 
tenir éloigné  de  la  France;  il  consentit 
seulement  à  donner  quelques  leçons  de 
mathématiques  à  l'université  de  Hei- 
delberg.  Ce  fut  pendant  son  séjour  en 
cette  ville  qu'd  lit  profession  publique 
de  la  religion  réformée  ;  mais  il  ne 
partageait  pas  toutes  les  opinions  des 
disciples  de  Calvin  ,  et  il  proposait, 
dans  le  inodc  d'administration  des 
e'glises  ,  dillérents  changements  que 
Théod.  de  Rèze  fit  rejeter  par  le  sy- 
node de  Nîmes  ,  comme  trop  favo- 


RAM  G^ 

rablos  à  la  démocratie.  I/araourde  la 
patrie  l'avait  ramené  en  France  ,  eu 
157t.  On  le  pressa  en  vain  d'aller 
à  Varsovie  pour  réunir  les  suffrages 
de  la  diète  sur  le  duc  d'Anjou  (Henri 
III  )  ,  l'un  des  aspirants  au  trône 
de  Pologne  ;  il  refusa  cette  com- 
mission lucrative  ,  disant  que  l'élo- 
quence ne  devait  pas  être  mercenaire. 
Ramus  avait  trop  d'ennemis  pour 
pouvoir  échapper  au  massacre  de 
la  Saint-Barthélenii.  Les  assassins, 
l'ayant  découvert  dans  le  collège  de 
Presles  ,  l'cgorgèrent  ,  après  avoir 
touché  le  prix  de  sa  rançon  ,  et  je- 
tèrent par  les  fenêtres  son  cadavre 
palpitant ,  qui  fut  traîné  dans  les  rues 
par  les  écoliers  ,  et  souillé  de  mille 
manières  (6).  Telle  fut  la  fin  déplora- 
ble d'un  homme  également  distingué 
par  ses  talents  et  par  ses  qualités 
morales,  mais  auquel  on  a  justement 
reproché  un  goût  trop  vif  pour  les 
nouveautés  en  tout  genre.  Il  avait 
des  connaissances  très-étendues,  l'es- 
prit juste,  beaucoup  de  jugement  et 
d'éloquence  ;  et  l'on  ne  peut  nier  qu'il 
n'ait  contribué ,  par  ses  écrits  et  par 
ses  exemples,  au  progrès  des  lu- 
mières et  de  la  saine  philosophie 
(7).  Le  service  le  plus  éminent  qu'il 
ait  rendu  ,  c'est  d'avoir  travaillé  à 
détruire  le  culte  superstitieux  que 
vouaient  aux  anciens  des  hommes  in. 
capables  d'apprécier  leurs  ouvrages. 
«  J'admire  les  anciens  plus  que  vous, 
parce  que  je  les  connais  mieux ,  di- 
sait Ramus  à  l'un  deses  adversaires: 

\ù)  Tous  le.-i  Li.st.iiions  accusent  Cilwrppnlier  d'a- 
voir co'iduit  Ini-momc  les  iissa.^siDs  cliez  Ramus,  au- 
quel il  neiKiiiv,iitpaidcD;ier  d'avoir  voulu  IVloif^nei' 
duC'ilIr^e  viiyal  cjujuie  incapable.  Ccpendaut  J. 
Guill.  de  liouheiiu ,  écrivain  contemporain,  cilé 
par  Frrvtag  (  Aiii;"ialiii  lillernrius ,  p.  5li  \  liit 
que  r.liarpeutier  fut  uou -.seulement  t-tranger  au 
meurtre  do  Bannis,  miis  <)u' 1  (énioi^na  la  plus  vive 
douleur  en  apprenaulla  njortd'un  si  grand  liomme  , 
l'oriicmcnt  de  i'universitc.  ( 

.(")  ^"}  •  'a  Di>sertalion  de  Chr.  Breitliaupt  :  Oe 
irihiis,  logiciv  inslnuiatoiibtis  Ramo ,  Venilamio  el 
Cnrtefic  ,  Icna  ,  17  lî  ,  in-.'|0. 


61 


RAM 


mais  qu'Arlstote,  Gicéron  et  Quinti- 
]icn  soient  tels  qu'on  voudra  ,  il  ne 
s'ensuit  pas  qu'on  doive  se  mettre  à 
genoux  devant  eux ,  les  regarder  avec 
des  yeux  idolâtres  ,  ni  les  croire 
excellents  en  tout ,  parce  qu'ils  ont 
excellé  en  quelque  chose  {Distinctio 
r/i(;<oncfF,  4).  «Comme  grammairien, 
s'il  n'a  pas  trouve'  la  meilleure  me'- 
tbode  d'enseigner  les  langues,  il  a 
mis  sur  la  voie  ceux  qui  sont  venus 
après  lui  ;  c'est  une  justice  que  lui 
rend  D.  Lanceiot  dans  la  préface  dq 
la  Méthode  'j/ecqiie  de  Port-Hoyal. 
Meigret  avait  distingué  le  premier  le 
i  de  l'i  ;  c'est  à  Ramus  qu'on  doit  le 
V  (  V.  Meigret  ,  XXVIII ,  1 48  ). 
Son  Traité  de  logique  a  long-temps 
élé  suivi  dans  les  écoles  de  Suisse  et 
d'Allemagne;  mais  on  doit  convenir 
que  ses  éléments  d'arithmétique  man- 
quent de  la  précision  et  de  l'exacti- 
tude si  nécessaires  dans  les  ouvrages 
de  ce  genre  ,  et  n'ont  point  obtenu 
l'accueil  des  géomèires  (  Voy.  VHist. 
des  mrt//iemrtf. de Montucla,!.  5']']). 
Ramus  était  très  laborieu-s  ,  sobre  , 
chaste  ,  et  d'un  désintéressement  ad- 
mirable ,  partageant  ses  honorrii- 
res  avec  ses  amis  et  ses  élèves.  Par 
son  testameni  ,  daté  de  i568,  il  lé- 
guait au  Collège  royal  une  somme 
annuelle  de  cinq  cents  livres  pour 
l'entretien  d'un  professeur  de  mathé- 
matiques élémentaires.  Le  parlement 
disposa  d'abord  de  celte  somme  eu 
faveur  de  Jacq.  Gohorry,  chargé  de 
la  continuation  de  l'histoire  latine 
de  Taul-Éraili  {T^oj.  ce  nom):  mais 
eu  iS'yOi,  on  revint  aux  inleislions 
du  fondateur,  et  Maurice  Hressieu 
fut  pourvu  de  la  chaiie  de  Ramus  , 
qu'ont  remplie  quchpiefois  des  hom- 
mes d'im  vrai  méiile  ,  entre  autres 
Roberval.  Ramus  a  [)ul)lié  un  grand 
nombre  d'ouviages  ,  dont  on  trou- 
vera les  litres  dans  les  tomes  xiii  et 


RAM 

XX  des  Mémoires  de  Niceron  ;  mais 
on  se  contentera  de  citer  ici  ceux  qui 
présentent  encore  de  l'intérêt  :  I. 
ïnstitiitiones  dialeclicœ m  libris  dis- 
tmcfre,  Paris,  i543,in-8''.  Cetlelogi- 
que  condamnéelorsdesa  publication 
a  servi  de  base  à  l'enseignement  dans 
plusieurs  académies  ,  et  a  élé  léira- 
priméeun  assez  grand  nombredefois, 
avec  des  notes  d^Omer  Talon  et  de 
différents  professeurs  allemands.  Ni- 
ceron cite  une  traduction  française 
de  la  Dialectique  de  Ramus,  Paris, 
i555,in-4''.  II.  yJnimaduersiones 
in  dialecticam  Aristotelis  ,  ibid.  , 
i5/}3,  in-8°.  ;  c'est  l'ouvrage  qui 
soulcA^a  contre  notre  auteur  tous 
les  partisans  du  philosophe  de  Sta- 
gyre.  III.  Rhetoricce  distinctiones 
in  Qiiintilianum  ,  ibid.  ,  i549,  ^^^~ 
8'^.  Ramus  borne  la  rhétorique  à  deux 
parties  ,  l'élocution  et  l'action  ,  et 
renvoie  à  la  dialectique  l'invention 
des  preuves  et  leur  disposition.  IV. 
Arithmeticœ  libri  très ,  ibid.,  1 555 , 
in-4°.  ;  réimprimés  avec  des  com- 
mentaires et  des  additions  de  Tobie 
Siéger,  LazareSchoner  et  Villebrord 
Snellius.  On  lui  reproclie  une  sura- 
bondance de  divisions  et  de  subdi- 
visions. V.  In  quatuor  libros  Geor- 
S^icorumet  in  BucoUca  FirgiliiprcB' 
lectiones  ,  ibid.  ,  i555-5(i  ,  2  part, 
in- 8°.  ;  i"^.  édition  ,  rare.  VI.  Cice- 
rnnianus ,  ibid. ,  i556,  in-8°.;  c'est 
la  vie  de  l'orateur  romain  ,  tirée  de 
ses  écrits  ,  et  entremêlée  de  précep- 
tes d'éloquence,  de  remarques  gram- 
maticales et  de  réflexions  sur  la  lan- 
gue latine,  sur  l'état  des  éludes  en 
France  et  sur  les  reformes  dont  elles 
paraissaient  susceptibles.  Ce  curieux 
ouvrage  a  été  réimprimé  à  Râle,  in- 
8**.,  i557  et  1573,  avec  une  pré- 
face de  .1.  Th.  Kreig.  VII.  Schoice 
f^rnmmallca'  libri  duo ,  Paris ,  1 559, 
ia-8".  VIII.  Graniniuticu  lalina), 


RAM 

ibid.  J'S558,  in-8o.  IX.  Gramma- 
tica  ç,rUi>a  quntenùs  à  latind  dij- 
/erf,ibicl\,  i56o,   i6o5  ,  iu-S'^.  ; 
elle  offre  plus  de  méthode  que  celles 
qui  l'avaient  précédée  ,  et  a  été  lonj^- 
teraps  en  usage  en  Allemagne.  X. 
Gramere{fransoeze  ) ,  ibid.,  i562, 
in-8°.  ,  chef-d'œuvre  d'impression 
pour  la  beauté  et  la  netteté  du  carac- 
tère; ibid.  ,    1572  et  1587  '  même 
format ,  avec  différentes  additions. 
Ramus  propose  de  nouA^eaux  carac- 
tères pour  les  sons  simples,  compo- 
sés de  deux  lettres  ,  tels  que  au  ,  eu, 
ou  ,  et  de  distinguer  les  trois  sortes 
d'e  ,  ce  qui  porterait  à  dix  le  nombre 
des  voyelles.  Sou  orthographe  paraî- 
trait extrêmement  bizarre ,  si  l'on  ne 
la  connaissait  que  par  les  exemples 
que  Régnier  Desmarais  en  rapporte 
dans  sa  Grammaire  :  mais  on  con- 
çoit qu'un  système  général  doit  être 
juge  dans  son  ensemble,  et  non  d'a- 
près quelques  traits  isolés.  L'édition 
de  1572  est  imprimée  sur  deux  co- 
lonnes, dont  l'une  contient  l'ancienne 
orthographe,  et  l'autre  la  nouvelle  ; 
elle  est  augmentée  d'une  Epître  de 
Ramus  à  la  leine  Catherine  de  Mé- 
dicis  :  celle  de   1587,  faite  sur  la 
précédente  ,  contient ,  d'après  l'avis 
du  libraire ,  quelques  additions  de 
Tîoursct  etde  l'avocat  Bergeron,  deux 
des  meilleurs  amis  de  l'auteui'.  Cette 
grammaire  a  été  traduite  en  latin  par 
Pantal.  Tbevenin,  Francfort,  i583, 
in-8°.  XT.  Liber  de  moribus  vete- 
rum  Gallorum  ,    Paris  ,   iSSg  ou. 
i562,  in-8'*.  ;  trad.  en  français  par 
Michel  de  Casteinau  ,  sous  ce  titre  : 
Traité  des  façons  et  coutumes  des 
Gaulois  y  1559  ou   i58i  ,  in-B". 
Ramus  y  compare  les  mœurs   des 
.    Gaulois  avec  celles  des  Germains  et 
des  Bretons  ;  et ,  par  leur  ressem- 
blance, il  prouve  que  les  Gaulois  ont 
habité  la  Germanie  et  la  Bretagne. 
xxxvii. 


RAM 


65 


CiCt  ouvrag  est  très-curieux  ,  sur- 
tout dans  la  partie  qui  traite  de  la 
forme  du  gouvernement.  XII.  Liber 
de  militid  C-  Julii  Cœsaris ,  ibid.  , 
iSSg,  in-8*'.  Ce  traité  ,  écrit  d'un 
latin  élégant  mais  trop  oratoire  ,  se 
trouve  ordinairement  joint  au  pré- 
cédent ,  et  n'est  pas  moins  intéres  • 
saut  ;  Grœvius  l'a  inséré  dans  le  to- 
me X  du  Thesaur.  antiquit.  roma- 
narum.  XIII,  Comment arius  de  re- 
ligione  christiand ,  libri  if  ,  Franc- 
fort ,  1576  ,  in-8''.  Cet  ouvrage  est 
précédé  de  la  Vie  de  l'auteur ,  par 
Theoph.  Banosius  :  le  premier  livre 
traite  de  la  foi  ;  le  second  de  la  loi; 
le  troisième  de  la  prière  ,  et  le  qua- 
trième des  sacrements,  c'est-à-dire 
du  baptême  et  de  l'eucharistie,  selon 
le  rit  des  réformés.  XIV.  Prœfatio- 
nés  ,  Lpistolœ  ,  Orationes  ,  Paris , 
!  577  ,  in-8°.  ;  ce  recueil  des  Haran- 
gues de  Ramus  contient  aussi  celles 
d'Omer  Talon  ,  son  ami  (  V.  Ta- 
lon). L'édition  de  Marbourg,  i  Sgg , 
in-80.,  est  augmentée  de  quelques 
pièces  ,  et  de  la  Vie  de  l'auteur  ,  par 
Th.  Frcig.  Outre  les  deux  Vies  qu'on 
vient  de  citer  ,  on  en  a  une  troisiè- 
me, par  Nicol.Nancel(r".  ce  nom), 
et  une  autre,  par  Chr.  Fi'ed.  Lenz  , 
Disput.  histor.  literaria  de  Hislorid 
P.  Rami ,  Leipzig  ,  1 7  i3  ,  in-40.  ; 
réimprimée  en  1 7  1 5  ,  avec  quelques 
additions.  On  peut  encore  consulter 
les  Mémoires  de  Niceron  ,  tom.  xni  ; 
V Histoire  du  collège  royal  par  l'ab- 
bé Goujet;  les  Dictionnaires  (\elàaij\(i 
et  de  Joly;  et  V Histoire  critique  de 
la  philosophie  par  Bruckcr  ,  tora.  v 
et  VI.  Le  portrait  de  Ramus  ,  grave 
dans  différents  formats  ,  fait  partie 
de  la  Bibl.  calcograph.  de  Boissard, 
tom.  2 ,  et  du  Recueil  de  Desrochers. 
W— s. 
RAMUSIO  on  RAMNUSIO  (Jean- 
Baptiste)  ,  historien  italien,  naquit 


66  RAM 

à  Venise,  en  i485.  Envoyé,  encore 
jeune,  par  la  république  en  France, 
en  Suisse  et  à  Rome  ,  il  se  conduisit 
partout  avec  une  prudence  et  une  sa- 
gesse dignes  d'éloges.  Suivant  le  rap- 
port de  Paul  Manuce,  Ramusio  gagna 
les  bonnes  grâces  de  Louis  XII ,  à 
un  tel  point  que  ce  monarque  vou- 
lait le  retenir  dans  son  royaume  ,  et 
l'invitait  à  le  parcourir.  Ramusio,  de 
retour  dans  sa  patrie,  fut  récompen- 
sé de  ses  services  par  la  place  im- 
portante de  secrétaire  du  conseil  des 
Dix.  Son  âge  lui  ayant  fait  demander 
sa  démission ,  il  se  retira  dans  la  ville 
de  Padoue,  où  il  mourut,  le  lo  juillet 
1 557.  Très-versé  dans  la  géographie, 
animé  d'un  zèle  ardent  pour  cette 
science,  il  donna,  en  italien,  une  col- 
lection de  voyages  intitulée  :  Navi- 
gations et  vojages,  Venise,  3  vol. 
in  -  fol.  ,  imprimés  par  les  Jimfes  : 
le  premier,  en   i55o,  fut  réimpri- 
mé en  i554  î  avant  même  que  le  se- 
cond,publiéeniSSQ.etletroisièmeen 
1 566,  eussent  paru.  Quelques  recueils 
de  voyages  existaient  déjà;  un  plus 
grand  nombre  a  succédé  à  celui  de 
Ramusio  :  on  peut  dire  qu'il  l'em- 
porte sur  les  premiers  ,  et  qu'il  n'a 
été  surpassé  par  aucun  des  autres , 
quel  que  soit  d'ailleurs  leur  mérite. 
Camus  a  dit ,  avec  raison  :  a  C'est 
»  une  collection  précieuse ,  peu  van- 
I)  tée  par  les  libraires  ,  peu  recher- 
»  chée  des  amateurs  de  beaux  livres, 
»  parce  qu'elle  n'est  pas  ornée  d'es- 
»  tampes ,  mais  seulement  de  gra- 
»  vures  en  bois  qui  n'ont  rien  d'a- 
»  gréabic  :  elle  est  estimée  par  les 
»  savants  ,  et  regardée  encore  an- 
»  jourd'liui  par  les  géographes  com- 
»  me  un  des  recueils  les  plus  inipor- 
»  tanls.  Ramusio  avait,  soit  à  raison 
»  des  voyages  qu'il  avait  faits  lui- 
»  même,  soit  à  raison  de  ses  grandes 
)»  coniiiiissances  dans  l'iiistoire  ,  la 


RAM 

»  ge'ographie,  les  langues, soit  enfin 
»  à  raison  de  correspondances  multi- 
»  tipliées  avec  les  personnes  qui  pou- 
»  valent  être  de  quelque  utilité  à  son 
»  entreprise  ,  toutes  les  facilités  ne'- 
»  cessaires  pour  former  uneexcellen- 
»  te  collection.  Il  laissa  les  matériaux 
»  d'un  quatrième  volume  ;  mais  son 
»  manuscrit  périt  dans  l'incendie  de 
»  l'imprimerie  des  Juntes,  arrive  au 
»  mois  de  novembre  1557.  »  Le  pre- 
mier volume  de  Ramusio  contient  la 
description  de  l'Afrique  et  des  pays 
du  Préiejan  ;  avec  divers  voyages 
de  la  mer  Rouge  à  Calicut ,  et  enfin 
aux  lies  Moluques  d'où  viennent  les 
épiceries  ,  et  la  Navigation  autour 
du  inonde  :  le  second ,  V Histoire  des 
choses  des  Tartares  et  diverses  ac- 
tions de  leurs  empereurs  ,par  Marc 
Pol  et  Ilajton  ;  différentes  descrip- 
tions ,  par  divers  auteurs  ^  des  In- 
des orientales  ,  de  la  Tartarie  ,  de 
la  Perse  ,  Arménie  ,  Mingrelie  , 
Zorzanie  et  autres  provinces  ,  etc.  , 
et  le  voyage  à  la  Tana  ,  avec  la 
description  des  noms  des  peuples , 
villes  ,  fleuves  et  ports  autour  de  la 
mer  Majeure  ,  au  temps  de  l'empe- 
reur Adrien  ,  et  beaucoup  d'autres 
relations  sur  l'état  des  Moscovites  , 
Scythes ,  et  Circassiens  ,  ainsi  que 
d'autres  nations  barbares  inconnues 
des  anciens  ,  etc.  :  le  troisième  ,  les 
Navigations  au  Nouveau-Monde  , 
inconnu  aux  anciens ,  faites  par  don 
Christophe  Colomb  ,  etc. ,  et  les  na- 
vigations faites  depuis  auxdites  In- 
des ,  et  ensuite  au  nord ,  avec  des 
cartes  de  géographie,  des  figures  de 
plantes  ,  etc.  On  trouve ,  dans  les 
Mémoires  de  Camus  sur  les  collec- 
tions de  Foyages  de  Debry  et  de 
Thevenot  ,  l'indicalion  détaillée  des 
pièces  que  doit  renfermer  chaque 
volume  du  Recueil.  Nous  nous  bor- 
nerons à  nommer  les  principales  : 


RAM 

1.  Description  de  l'Afrique,  de  Jean- 
Léon.  Navigations  de  Cadamosto  ; 
de  Pierre  de  Cintra;   des   Carlagi- 
nois  ,  par  Hannon  ,  traduit  par  Ra- 
musio  ;  de  Vasco  de  Gama  ;  de  Pier- 
re Aharès   (  Cabrai  )  ^    écrite  par 
lin  pilote  portugais  :  (  Alvarès  par- 
tit de  Lisbonne,  le  g  mars   i5oo; 
il  découvrit  ,  le  24  avril ,   la  côte 
d'Amérique   (   an    Brésil  )  ,  y  jeta 
l'aucre,    et  eut  ,  pendant  quebpies 
jours,  des  rapports  d'amitié  avec  les 
habitants  ;  il  expédia  un  bâtiment  au 
roi  de  Portugal  pour  l'instruire  de 
sa  découverte,  piiiscontuuia  sa  route 
vers  le  cap  de  Bonac-Espérance,  at- 
térit  à  Meliude  et  à  plusieurs  autres 
lieux    de  la  côte  orientale;  le    i3 
septembre  ,  il  entra  dans  le  port  de 
Calicut.  L'année  suivante  ,  il   partit 
pourCananor,    et  revint  en  Portu- 
gal à  la  fin  de  juillet.  On  trouve,  dans 
cette  relation,  des  particularités  inté- 
ressantes. )  —  Lettres  d' Améric  Ves- 
puce  et  Sommaire  de   ses  nai>iga- 
tions.  —  Navigation  (ZeT bornas  Lo- 
pes  aux  Indes  orientales. —  Foja- 
ge  dans  VInde,  par  Jean  de  Empo- 
li.  —  Itinéraire  de  Louis  de  Bar- 
thema. — Navigation  de  lamholus  , 
traduite  du   grec   de   Diodore   de 
Sicile ,  liv.  1 1  ,  chap.  3i.  (Ce  lam- 
bol  ,  grec  de  naissance  et  commer- 
çant ,  traversait  l'Arabie  déserte  pour 
arriver  à  celle  qui  produit  les  aro- 
mates ,  lorsqu'il  fut  pris  avec  sa  ca- 
ravane par  des  voleurs. On  le  mit,  avec 
un  de  ses  compagnons,  à  la  garde  des 
.  troupeaux  ;  des  brigands  d'Ethiopie 
les  enlevèrent  et  les  conduisirentdans 
leur  pays.  Pour  satisfaire  à  un  ancien 
usage,  les  deux  Grecs  furent  embar- 
qués sur  une  nacelle  ,  et,  après  avoic 
été  battus  des  flots  pendant  quatre 
mois  ,  abordèrent  une  île  dont  les 
habitants   les  accueillirent  :    il   est 
inutile  de  répéter  la  description  fabu- 


RAM  G7 

leuse  de  cette  espèce  d'hommes.  Au 
bout  de  sept  ans ,  lambol  et  son  com- 
pagnon furent  renvoyés  del'île; après 
quatre  mois  de  navigation. ilsécbouè- 
rent  sur  les  côtes  sablonneuses  des 
Indes  :  lambol  ,  après  avoir  perdu 
son   camarade,   qui  se  noya  ,  par- 
vint  heureusement  à  Palimbothra  , 
dont  le  roi,  qui  aimait  les  Grecs, 
le  reçut   parfaitement  bien  ,   et   lui 
donna  une  escorte  pour  les  rame- 
ner dans  son  pavs.   Diodore  avait 
extrait  ce  récit  de  l'histoire  com- 
posée par  îarabol  ;  ce  voyageur  avait 
observé  que  l'île  était  un  assemblage 
de  sept  îles  placées  à  égale  distance 
les  unes  des  autres,  et  que  les  jours 
y  étaient  constamment  de  même  lon- 
gueur. Ramusio  pense,  d'après  l'en- 
tretien qu'il  a  eu  avec  un  Portugais  , 
que  c'était  Sumatra  ).  —  Lett.  d'An- 
dré Corsali.  —  Foyage  en  Ethiopie, 
par  François  Alvarès.  — ■  Naviga- 
tion de  Néarque ,  capitaine  d'A- 
lexandre -  le  -  Grand.  ~  Voyage 
d'un  comte  vénitien  ,  qui  fut  me- 
né d'Alexandrie  à  Diu,  dans  l'In- 
de ,   et  son  retour    par  le  Caire 
en  i538  :  (  ce  Vénitien  fut  mis  en 
réquisition    avec    cinquante   de    ses 
compatriotes  pour  servir  sur  la  flot- 
te de  Soliman  ,   pacha   d'Egypte  , 
qui,    en  i538,   partit  de  Suez,   le 
'11  juin,   avec  une  flotte   pour  al- 
ler  combattre  les  Portugais  à  Diu. 
Le  10  octobre  ,    on  fut   de   retour 
à  Suez. On  trouve, dans  ce  récit, des 
renseignements    assez    curieux    sur 
cette  campagne,  sur  la  navigatioa 
de  la  mer  Rouge,  et  sur  la  partie  ad- 
jacente de  la  côte  orientale  d'Afri- 
que). —  Périple  de  la  mer  Rouge 
(  Erythrée  )  ,  par  Arrien.  —  Livre 
d' Edouard   Barhosa  ,   sur  l'Inde 
orientale.  —  Foyage  de  Nicolas  de 
Conti.  —  Lettre  de  Maximilien  de 
Transylvanie,  sur  la  navigation  des 
5.. 


68 


RAM 


Espagnols  autour  du  monde,  en 
iSiQ.  —  Récit  abrégé  du  voyage 
de  Magellan.  —  Voyage  au  tour 
du  monde ,  écrit  -par  M.  A.  Piga- 
fetta.  —  Navigation  d'un  Portu- 
gais,  compagnon  d'Edouard  Bar- 
bosa,  qui  fut  sur  le  vaisseau  la 
Victoire.  —  Relation  de  Jean  Gaé- 
tan ,  sur  la  découverte  des  îles 
Moluques.  —  Quelques  chapitres  do 
l'histoire  de  Jean  de  Barros ,  tou- 
chant la  cosmographie.  II.  Voya- 
ges de  Marc  Pol.  —  Histoire  des 
Tartares,  par  Hayton.  • —  De  la 
vie  et  des  actions  d' Ussun  Cassan, 
roi  de  Perse  ,  par  Jean-Marie  An- 
giolello. —  Voyage  d'un  marchand 
qui  est  allé  en  Perse:  {ce  voyage  eut 
lieu  en  iSo^,  et  dura  jusqu'en  iS'ïo. 
L'auteur  partit  d'Alep;  il  se  trouvait 
dans  l'armée  d'ïsmaël-Cbali,  lors- 
que ce  prince  parcourait  l'Asie-Mi- 
neure,  la  Mésopotamie  et  l' Arménie; 
il  nous  apprend  qu'il  a  pu  d'autant 
plus  facilement  recueillir  des  ren- 
seignements sur  les  pays  qu'il  a  vus  , 
que  sa  connaissance  des  langues  tur- 
que, arménienne  et  arabe,  lui  en  don- 
nait le  moyen  :  en  ofrct,  son  i-e'cit  ne 
manque  pas  d'intérêt.) —  Voyage  de 
Josaphat  Barbara  à  la  Tana.  — 
Voyage  d' Ambroise  Conlarini ,  en 
Perse.  —  Lettre  d'yllbert  Campeu- 
se., au  pape  Clément  vu,  sur  les 
affaires  de  la  Moscovie.  —  Récits 
de  Paul  Jove,  sur  les  affaires  de 
Moscovie  ,  qui  lui  ont  été  faits  par 
Démétrius  ,  ambassadeur  de  Basi- 
le. —  Lettre  d'Arrien  à  l'empe- 
reur Adrien.,  sur  la  mer  Majeure 
(  le  Pont-Euxin  ).  —  Relation  des 
mœurs  des  Zychi ,  appelés  Circas- 
siens ,  par  George  Interiano  ,  Gc'- 
nois  :  ce  morceau  a  paru  assez 
exact  à  M.  Klaprotli  pour  méri- 
ter d'être  insère  dans  son  voya- 
ge au  Caucase,  dont  il  forme  le  9.7*^. 


RAM 

chapitre  du  i^r.  volume  de  l'origi- 
nal allemand.  ~  Navigation  de 
Pierre  Quirino.  — •  Commentaire 
sur  la  Moscovie  et  la  Russie,  par 
Heherstein.  — •  Voyage  de  Cateri- 
no  Zeno,  en  Perse.  —  Relation  de 
la  découverle  des  (les  de  Frislan- 
de ,  Islande  ,  etc.  ,  par  Nicolas 
et  Antoine  Zeno  frères.  —  Voya- 
ges en  Tartarie ,  par  quelques  moi- 
nes de  l'ordre  des  Frères-mineurs 
envoyés  en  ambassade  par  le  pa- 
pe Innocent  IV  ,  en  in^'j.  Ca- 
mus a ,  par  me'gardc ,  e'crit  Italie 
au  lieu  de  Tartarie;  c'est  la  relation 
de  Plan-Carpin ,  telle  qu'elle  a  e'té 
traduite  par  Bergeron,  i^e,  édition 
de  sou  recueil;  la  division  des  cha- 
pitres n'est  pas  toujours  semblable. 
—v  Voyage  du  bienheureux  Ode- 
rie  de  Portenau;  Camus  a  oublié 
de  citer  cette  pièce.  —  Description 
de  la  Sarmatie  ,  par  Alexandre 
Guagnini.  —  Des  deux Sarmaties ^ 
par  Matthieu  de  Micheovo ,  cha- 
noine de  Cracovie.  —  Navigation 
de  Sébastien  Cabot  au  Nord.  III. 
Récits  sommaires  tirés  de  l'His- 
toire du  Nouveau-Monde  ,  par  Pier- 
re-Martyr d'Anghie'ra.  —  Sommai- 
re de  V Histoire  des  Indes  occiden- 
tales d' Oviedo  ;  Première  partie 
de  cette  histoire  en  vingt  livres. 
■ —  Relation  de  la  Nouvelle  -Es- 
pagne ,  par  Fernand  Corlez.  — 
Lettres  d'Alvarado  à  Cortez;  el- 
les sont  relatives  à  la  découverte 
et  à  la  conquête  de  Vilatan.  — 
—  Lettres  de  Diego  Godny  à  Cor- 
tez :  elles  retracent  la  conquête  de 
plusieurs  villes  de  la  Nouvclle-Es- 
p.ignc.  —  Relation  de  la  grande 
ville  de  Temistitan  (  Mexico  )  , 
et  autres  villes  de  la  Nouvelle 
Espagne  y  par  un  gentilhomme  de 
Cortez  :  c'est  une  description  des 
mœurs  du   pays    cl  de  la   capita- 


RAM 

le  ;  elle  est  accompagnée  d'une 
planche  lepiésentaut  le  Téocalli  ou 
grand  Temple,  et  d'une  carte  du  lac. 

—  Relation  d'un  vojage  de  la 
côte  de  la  Floride  à  la  Nouvel- 
le Galice,  par  Alvaro  Nufiès  Ca- 
beza   de  Vaca  ,  de  iS'Ji^    à    i536. 

—  Relation  de  la  conquête  de  di- 
i>erses  provinces  de  la  Nouvelle-Es- 
pagne ,  par  Nunno  de  Guzman  , 
en  iSaS.  —  Relation  de  la  décou- 
verte de  la  mer  Fermeille ,  par 
François  UUoa,  en  i539.  —  Foya- 
ges  de  frère  Marco  Nizza  aux 
sept  villes  de  Cahola.  ' —  Fojage 
de  François  Fasquez  de  Corona- 
do,  dans  le  nord  de  la  Nouvelle 
Espagne,  en  i53o.  —  Navigation 
à  la  mer  Fernicille ,  par  Fernaud 
Alarzon,  eu  i54o. — •  Relation  de 
la  conquête  du  Pérou  ,  par  un  ca- 
pitaine espagnol.  — •  Relation  de 
Jean  Ferazzani  sur  la  terre  par 
lui  découverte.  • —  Discours  d'un 
grand  capitaine  français ,  de  Diep- 
pe, sur  la  navigation  à  la  Nou- 
velle -  France  ,  au  Brésil  ,  à  la 
Guinée,  à  Vile  Saint- Laurent  et  à 
Sumatra.  ■ —  Relations  de  la  Nouvel- 
le France ,  par  Jacques  Cartier.  — 

Foyage  aux  Indes  Orientales ,  par 
Ce'sardeFéderici. —  Forageen  V  In- 
de par  la  terre  de  Sourie.  —  Trois 
navigations  des  Hollandais  et  des 
Zélandais  à  la  Chine ,  à  la  Nou- 
velle-Zemble et  au  Groenland.  Il 
faut,  disent  les  bibliographes,  pour 
avoir  un  exemplaire  bien  complet , 
choisir  le  premier  volume  de  l'édi- 
tion de  ijGS,  le  second  de  i583, 
le  troisième  de  i565  ,  en  ajoutant  à  ce 
dernier  un  Supplc'raent  de  trois  pic- 
ces,  qui  sont  de  l'editioude  1G06.  Ra- 
musio  ne  s'est  pas  bornéà  reunir  un 
si  grand  nombre  de  pièces,  qui  pres- 
que toutes  sont  très-intcressantes  ;  il 
y  a  joint  des  Introductions ,  et  les 


RAN 


69 


a  entremêlées  de  Dissertations  qui 
font  honneur  à  son  savoir  :  nous 
citerons  particulièrement  celles  qui 
sont  relatives  aux  voyages  de  Marc 
Pol,  à  la  crue  du  Nil,  aux  diver- 
ses routes  par  lesquelles  les  épi- 
ceries ont  été  apportées  en  Euro- 
pe depuis  i5oo.  Les  volumes  sont 
précédés  de  Préfaces  adressées  au 
célèbre  médecin  Fracastor,  ami  de 
Ramusio  ,  et  par  les  conseils  du- 
quel il  avait  public  sa  précieuse  col- 
lection. La  plus  grande  partie  des 
morceaux  qui  composent  les  pre- 
miers volumes  ont  été  traduits  en 
français,  et  forment  le  recueil  de 
Jean  Temporal ,  intitulé ,  Descrip- 
tion de  V  Jfrique  ,  etc. ,  et  impri- 
mé en  1  vol.  in-folio,  Lvon  ,  i556. 
E— s. 
RANGÉ  (  Armand-Jean  Le  Bou- 
TuiLiER  DE  ) ,  célèbre  réformateur  de 
la  Trappe ,  naquit  à  Paris,  le  9  jan- 
vier 1(326,  d'une  famille  originaire 
de  Bretagne  (1),  qui  remplissait  les 
premiers  emplois  dans  l'État  et  dans 
l'Église.  11  eut  pour  parrain  le  car- 
dinal de  Richelieu,  et  pour  marrai- 
ne la  marquise  d'Effiat,  femme  du 
surintendant  des  finances.  Ses  parents 
le  destinaient  à  la  profession  des  ar  • 
mes;  mais,  à  dix  ans  ,  il  reçut  la  ton- 
sure pour  pouvoir  succéder  aux  ri- 
ches bénéfices  que  laissait  vacants 
la  mort  de  son  frère  aîné.  Ce  chan- 
gement d'état  fut  un  motif  pour  lui 
de  cultiATr  avec  plus  de  soin  ses  dis- 
positions pour  les  lettres.  H  possé- 
dait ,  à  douze  ans,  les  langues  grecque 
et  latine  ;  et  l'édition  qu'il  publia , 
dans  un  âge  aussi  tendre,  des  Poé- 
sies iMAnacréon,  sullit  pour  mon- 
trer quelle  avait  été  la  rapidité  de 
ses  progrès.  Les  études  qu'il  fit  cn- 


(i)  Ln  famille  tUs  Boitthilici  tirait  son  iinm  di'li 
ctaigo  tl'ccliniisou  qu'elle  avait  cxcrcïf  yni  di; 
duis  de  Brctaijiie. 


70  RAN 

suite  au  collège  d' Fia rcoiirl ,  furent 
très  -  brillantes.  En  terminant  sou 
cours  de  philosophie,  il  soutint  des 
thèses  qu'il  eut  l'honneur  de  pre'sen- 
ter  à  la  reine  Anne  d'Autriche,  qui 
prenait  à  ses  succès  un  vif  inle'rêt. 
L'astronomie  ,  telle  qu'on    l'ensei- 
gnait alors,  le  conduisit  à  l'astrolo- 
gie judiciaire,  qui  comptait  encore 
beaucoup  de  partisans  ;  mais  il  fut 
de'tournë  de  cette  fausse  science  par 
l'ëtude  de  la  thc'ologie.  Il  s'appliqua 
tout  entier  à  la  culture   des  saintes 
Ecritures  et  des  ouvrages  des  Pères, 
et  prit  ses  degrc's  en  Sorbonne  avec 
la  plus  grande  distinction  :  il  sollicita 
ensuite   la  permission  de  prêcher  ; 
et ,  dès  son  début,  il  se  plaça  ,  par 
son  éloquence  vive  et  nerveuse  ,  au 
premier  rang  des  orateurs  de  la  chai- 
re. La  mort  de  son  père  le  laissa 
maître,  à  vingt-cinq  ans,  d'une  for- 
tune considérable.  Doue'  d'une  figure 
agréable,  douce,   fuie,  spirituelle, 
d'un  cœur  aimant,  et  de  tous  les  agré- 
ments, de  toutes  les  qualités,  il  se 
vit  bien;  ôt  recherché  de  toutes  parts, 
et  se  livra  sans  scrupule  à  ses  pas- 
sions, a  Sa  vivacité ,  dit  un  de  ses 
biographes  (D.  Gcrvaise),  le  portait 
également  et  avec  la  même  rapidité 
vers  l'étude  et  vers  le  plaisir.La  chasse 
était  un  de  ses  amusements  favoris. 
On  l'a  vu  plus  d'une  fois ,  après  avoir 
chassé  trois  ou  (pjatie  heures  le  ma- 
tii} ,  venir  le  même  jour,  en  j)oste  , 
de  douze  ou  quinze  lieues,  soutenir 
en  Sorbonne,  ou  prêcher,  avec  autant 
de  tran(juillité  d'esprit  que  s'il  fût 
sorti  de  son  cabinet.  «  Il  reçut  les  or- 
dres sans  cliangcr  de  conduite;  et, 
s'il  refusa  l'évcché  de  Léon  ,  qu'un 
bii  odiil  alors,  c'est  qu'il  n'en  trou- 
vait pas  les  rcveims  assez  considéra- 
bles, et  que  d'ailleurs  il  se  flattait 
de  succéder  à  son  oncle,  archevêque 
de  Tours.  Ce  fut  par  le  crédit  de  ce 


RAN 
prélat  qu'il  fut  député,  en  1655,  à 
i'assemijlée  du  cleigé.  Il  s'y  distin- 
gua par  son  éloquence,  eut  beaucoup 
de  part  aux  allaires  importantes  qui 
s'y  traitèrent,  et  fut  prié  de  surveil- 
ler l'impression  à' Eusèhe  et  des  au- 
tres Pères  grecs  ,  dont  on  projetait 
de  nouvelles  éditions.  La  faveur  dont 
il  avait  joui  près  du  cardinal  de  Ri- 
chelieu était  un  motif  pour  Mazarin 
de  ne  point  aimer  l'abbé  de  Rancé. 
Ses  liaisons  avec  le  cardinal  de  Retz 
achevèrent  de  le  perdre  dans  l'esprit 
du  ministre.  Des  avis  vrais  ou  faux 
qu'on  tramait  quelque  chose  contre 
lui,  le  déterminèrent  à  quitter  l'as- 
semblée avant  la  clôture  ;  et  il  re- 
tourna ,  dans  sa  belle  terre  de  Veret, 
reprendre  le  cours  de  ses  divertisse- 
ments. Des  accidents  auxquels  il  n'é- 
tait échappé  que  par  une  espèce  de 
miracle,  lui  avaient  fait  faire  plu- 
sieurs fois  de  sérieuses  réflexions  sur 
sa  conduite.   Cependant  il  ne  son- 
geait point  à  rompre  des  habitudes 
coupables,  quand  la  mort  soudaine 
de  la  duchesse  de  IMontbazon  (2) , 


(71)  M"^^.  de  l\Iùv:tbazon  mourut  de  la  rougenle  , 
le  7.8  avril  1657.  Daniel  de  Larroqne  raconte  que 
cette  d  uue  mourut  pendant  que  l'ablicf  de  Rancé 
ctait  à  la  campagne,  m  Ses  domestiques,  dit-il,  qui 
ii'ij;noi  aient  pas  sa  passion  ,  pi  irent  soin  de  lui  ca- 
cîier  ce  triste  événement,  qu'il  apprît  à  son  retour, 
d'une  manière  fort  cruelle  :  montant  tout  droit 
il  l'appartement  de  la  dmhesse  ,  où  il  lui  était  per- 
mis d'entrer  à  toute  beure,  il  y  vil  pour  premier 
objet  uu  cercueil  qu'il  jugea  être  celui  de  sa  mai- 
tresse ,  0"  remarquant  sa  tctc  toute  sanglante  ,  qui 
était  parbasard  tombée  de  dessous  le  drap  dont  on 
l'avait  couverte  avec  beaucoup  de  néglif;ence,  et 
qu'i  n  avait  détacbée  du  reste  Ou  corps  ,  afin  de  gagner 
Ia"longueiu-  du  cuu  ,  et  éviter  ainsi  de  faire  uu  cercueil 
qui  fut  ])lus  long  que  celui  dont  on  se  servait ,  et  dont 
on  avait  si  mal  pris  la  mesure,  qu'il  se  trouvait  trop 
court  d'un  demi-pied  (  l'rri hiblns  motifs  rie  la 
conversion  de  l'iih/'é  tU  lu  Tin/ifjc- ,  y.  ■>.■}  ).>'  Cette 
anecdote  est  cntiiriment  fausse.   I.'abbc  de   Rancé 


avaitpassé  .auprès  du  lit  de  M""^.  de  Montbnxon  ,  la 
nuit  où  elle  mourut  ,  et  l'avait  exborti  e  vivement  ù 
remplir  ses  devoirs  <lc  leli^ion.  C'est  le  réril  do 
Larroqne  que  liarlbe  n  préIVré  ,  sans  doute  comme 
plus  i>oi  lique  ,  dans  sa  f.rllre  tir  l'n/ihé  de  Bancè  à 
lin  iimi  (  V.  liAlt'JHK  ).  du  sait  que  Laharpc  fît  iino 
rtc/wnsc  en  veis  i\  cette  lettre;  réponse  qui  lui  »a. 
lut  de  grands  éloge»  delà  part  de  Voltaire.  Ce  der- 
nier composa  même  «ouB  le  nom  d'Abauxit  une /Vc- 
fucc  qui  u'npuiul  été  insérée  d^s  l'cditiou  de  KchL 


RAN 

qu'il  aimait  tendrement,  commença 
l'œuvre  de  sa   conversion.   Peu  de 
temps  après ,  la  mort  de  Gaston  , 
duc  d'Orléans,  dont  il  e'tait  premier 
aumônier,  le  priva  d'un  protecteur 
qui  devait  l'aider  à  réaliser  les  rêves 
de  son  ambition.  Il  avait  assiste'  ce 
prince  dans  ses  derniers  moments  ; 
et  ce  spectacle  avait  achevé'  de  l'e'- 
clairer  sur  le  néant  des  grandeurs 
humaines.  Il  aurait  voulu  rompre 
sur-le-champ  avec  le  monde;  mais 
d'anciens   et   de  nouveaux  engage- 
ments l'y  retenaient  encore.  Il  se  re- 
lira  chez  un  ami  qu'il  avait  dans 
le  Maine  ,  pour  refle'chir  au  parti 
qu'il  devait  prendre  ;  et,  après  avoir 
passe'  six  semaines  dans  cette  soli- 
tude, il  revint  à  Veret,  d'où  il  ban- 
nit le  luxe  et  les  plaisirs  qui  y  avaient 
régné  si  long-temps.  Il  congédia  le 
plus  grand  nombre  de  ses  domesti- 
ques, vendit  sa  vaisselle  et  ses  meu- 
bles précieux  ,  pour  en  distribuer  le 
prix  aux  pauvres  ;  régla  sa  table  de 
la  manière  la  plus  frugale ,  et  s'in- 
terdit jusqu'aux  récréations  les  plus 
innocentes ,  pour  ne  s'occuper  que 
de  la  prière  et  de  l'étude  des  choses 
saintes.  Ni  les  railleries  de  ses  an- 
ciens amis  ,  ni   les  représentations 
de  ses  proches,  ne  purent  le  détour- 
ner de  la  résolution  qu'il  avait  em- 
brassée.   Regardant    tous  les  biens 
qu'il  possédait  comme  le  patrimoi- 
ne des   pauvres  ,  il  se  hâta  de   les 
leur  rendre.  Il  se  démit  de  tous  ses 
bénéfices ,  à  la  réserve  de  l'abbave 
de  la  Trappe,  qu'il  obtint  la  per- 
mission du  roi  de  tenir ,  non  plus 
en  commcndc  ,   mais   comme  ab- 
bé régulier,  et  s'y  retira  en  1662. 
Son    premier    soin   fut   de    remé- 
dier aux  abus  qui  s'étaient  introduits 
dans  cette  maison  ,  par  le  relâche- 
ment de  l'ancienne  discipline.  Les 
religieux  ayant  refusé  de  se  souract- 


RAN 


tre  à  la  réforme  qu'il  se  proposait 
d'établir,   il  ne  voulut  ponit  les  y 
contraindre,  et  leur  permit  d'ha- 
biter un  quartier  séparé,  ou  d'al- 
ler   dans  d'autres  couvents.   Pour 
accomplir  son  dessein    de  rompre 
avec  le  monde  ,  il  s'enferma  dans  le 
monastère  de  Notre-Dame  de  Per- 
scigne,  et  y  prit,  le  i3  juin  i663, 
l'habit  de  l'étroite  observance  de  Cî- 
teaux.  Malgré  la  délicatesse  de  sa 
santé,  il  se  soumit  à  toutes  les  ri- 
gueurs du  noviciat;  et  élant  tombé 
malade,  rien  ne  put  le  décider  à  se 
relâcher  de  l'austérité  de  la  règle.  Il 
guérit  pourtant,  contre  l'opinion  des 
médecins  et  de  tous  ceux  qui  l'ap- 
prochaient ,  et  revint  à  l'abbaye  de 
la  Trappe,  où  il  avait  résolu  de  finir 
ses  jours  dans  les  pratiques  de  la  pé- 
nitence. Ce  fut  alors  qu'il  y  jeta  les 
fondements  de  celte  réforme  fameu- 
se, qui,  dans  un  siècle  tout  chrétien, 
excita  l'admiration  générale.  Il  se 
borna  d'abord  à  défendre  à  ses  reli- 
gieux l'usage  du  vin  et  du  poisson, 
et  à  leur  prescrire  le  silence ,  et  le 
travail  des  mains  ,  qu'il   regardait 
comme  un  devoir  dont  on  ne  pou- 
vait se  dispenser  sous  aucun  piétex- 
te.  Dès  l'année  suivante  (  i664),  il 
fut  forcé  de  quitter  sa  solitude,  pour 
se  rendre  à  une  assemblée  des  supé- 
rieurs   de  l'étroite  observance    de 
Cîtcaux.  Ses  confrères  le  députèrent 
à  Rome,  avec  l'abbé  de  Valricher, 
pour  y  soutenir  la  nécessité  d'éten- 
dre la  réforme  à  tous  les  monastères 
,   de  l'ordre  :  mais,  malgré  son  élo- 
quence, il  ne  put  faire  triompher 
une  cause  qui   comptait  beaucoup 
d'adversaires  parmi  les  chefs  mêmes 
de  l'ordre,  et  dans  le  collège  des 
cardinaux.  De  retour  h  la  Trappe, 
il  assembla  ses  religieux,  et  leur  fit 
part  de  son  projet  de  rétablir  la  rè- 
gle primitive  dans  toute  sa  pureté. 


7^  KAN 

Tous  y  donnèrent  leur  consentement 
avec  joic,  et  s'empressèrent  de  re- 
nouveler leurs  vœux  entre  les  mains 
de  l'abbé.  Dès-lors  on  Adt  renaître 
dans  cette  maison  les  pratiques  les 
plus  austères,  et  les  religieux  qui 
l'habitaient  retracer  l'image  des  so- 
litaires de  laThcbaïde.  Laprièrc,  la 
lecture  ,  et  le  travail  des  mains  ,  pai- 
tagèrent  tous  leurs  instants.  Rancë 
leur  interdit  toute  espèce  de  récréa- 
tion ,  et  leur  défendit  même  l'étude  , 
comme  une  source  de  vaines  dispu- 
tes et  de  reldcbement.  La  vie  péni- 
tente de  la  Trappe  y  attira  bientôt 
des  religieux  des  autres  ordres  en  si 
grand  nombre,  que  les  supérieurs 
recoururent  au  pape,  pour  obtenir 
un  bref  qui  défendît  de  les  y  rece- 
voir. L'aljbé  de  Rancé  s'attachait  de 
plus  eu  plus  à  perfectionner  son  ou- 
vrage :  dans  la  vue  d'étendre  sa  ré- 
forme à  quelques  autres  maisons,  il 
se  rendit  plusieurs  fois  à  Paris  :  mais 
toutes  ses  démarches,  appuyées  de 
son  éloquence  et  de  sa  réputation, 
furent  inutiles;  et,  fatigué  de  débats 
qui  pouvaient  scandaliser  le  monde, 
il  se  renferma  dans  son  monastère  , 
résolu  de  n'en  plus  sortir.  Dès  les 
premiers  temps  de  son  administra- 
tion, il  avait  rétabli  à  la  Trappe 
l'hospitalité  si  recommandée  par 
les  premiers  fondateurs;  et  quoique 
l'abbàyc  n'eùl  pas  dix  mille  livres  de 
reveu'.is,  cette  faible  somme  lui  suf- 
fisait pour  subvenir  aux  dépcn.ses 
des  voyageurs  qui  venaient  s'édifier 
dans  cette  solitude,  et  pour  fournir 
aux  besoins  des  pauvres  du  voisina- 
ge. Souvent  même  il  trouvait ,  dans 
ses  économies, les  moyens  de  soula- 
ger l'infortune  dans  des  provinces 
éloignées.  Les  vertus  de  l'abbé  de  la 
Trappe  ne  purent  le  mettre  â  l'abri 
des  tracasseries. On  essaya  de  lui  faire 
prendre  un  parti  dans  les  divisions 


RAN 

qui  troublaient  l'Eglise;  mais  il  se 
contenta  de  signer  le  formulaire, 
sans  prétendre  l'expliquer.  Le  si- 
lence qu'il  s'était  imposé,  fut  inter- 
prété diversement  ;  les  uns  lui  l'e- 
prochèrent  d'abandonner  les  solitai- 
res de  Port-Royal,  dans  le  temps 
qu'ils  étaient  persécutés;  et  les  au- 
tres l'accusèrent  de  partager  en  se- 
cret leurs  opinions.  Des  maladies 
qui  se  manifestèrent  à  diverses  épo- 
(jues  dans  la  Trappe ,  furent  attri- 
buées à  l'excessive  sévérité  de  la  rè- 
gle qu'il  y  avait  introduite:  ses  enne- 
mis publièrent  qu'en  l'établissant,  il 
avait  moins  consulté  l'intérêt  de  la 
religion,  que  le  désir  de  laisser  la  ré- 
putation d'un  réformateur  (/^.  l'art, 
du  duc  de  Nevers  ,  etLamoque, 
Véritables  motifs  de  la  conversion 
de  l'abbé  de  la  Trappe). Des  évêques 
lui  écrivirent  pour  l'engager  à  se  re- 
lâcher de  quelques  austérités  ;  mais  , 
d'après  l'avis  de  ses  religieux,  il 
persista  dans  le  plan  qu'il  avait  adop- 
té, et  rien  ne  fut  capable  de  l'en 
écarter.  L'affaiblissement  de  sa  santé 
l'ayant  forcé  de  renoncer  au  travail 
manuel,  il  employa  ses  courts  loi- 
sirs à  composer  ses  dillérents  ou- 
vrages ,  qu'il  destinait  uniquement  à 
rédiOcation  de  ses  fières,  mais  que 
quelques  personnes  pieuses  le  déter- 
minèrent à  laisser  imprimer.  Son 
Traité  de  la  sainteté  et  des  dei>oirs 
de  la  vie  monastique  parut  être  la 
critique  des  occupations  studieuses 
de  la  congrégation  de  saint  Maur;  et 
•plusieurs  savants  s'empressèrent  de 
réfuter  l'inflexible  adversaire  des 
lettres, auxquelles  il  devait  une  par- 
tie de  sa  gloire.  Une  Lettre  qu'il 
écrivit  à  l'abbé  Nicaise  sur  la  mort 
d'Arnaud,  lui  attira  de  nouveaux  dé- 
mêlés avec  les  amis  de  ce  docteur  : 
«  Eufin ,  disait-il ,  voilà  M.  Arnaud 
»  mort  :  après  avoir  pousse  sa  car- 


RAN 

»  rifcrc  aussi  loin  qu'il  a  pu ,  il  a 
»  fallu  qu'elle  se  soit  terminée;  quoi 
»  qu'on  dise,  voilà  bien  des  questions 
»  finies  :  son  érudition  et  son  auto- 
»  rilé  étaient  d'un  grand  poids  pour 
»  le  parti  ;  heureux  celui  qui  n'en  a 
»  point  d'autre  que  celui  de  Jesus- 
»  Christ  !  »  Cette  reflexion  excita  le 
ze'le  d'une  foule  d'écrivains;  mais 
Rance  se  contenta  de  répondre  à  Til- 
lemont,  qu'il  regrettait  de  ne  pou- 
voir entrer  dans  ses  sentiments  ,  et 
il  garda  le  silence  avec  les  autres. 
Cependant   ses    infirmités    toujours 
croissantes  ne  lui  permettant  plus  de 
conserver  l'administration  de  son  ab- 
baye, il  demanda  pour  son  succes- 
seur dom  Zozime  (  Foisel  ) ,  reli- 
gieux d'une  éminente  piété.  Malheu- 
reusement dom  Zozime  mourut  peu 
de  temps  après ,  et  fut  remplacé  par 
lefameux  dom  Gervaise,  qui, n'ayant 
pas  la  prudence  et  la  sagesse  de  ses 
prédécesseurs,  mit  le  trouble  dans 
i'abbaye.  Rancé  parvint  à  lui  faire 
donner  sa   démission ,  et  l'éloigna 
d'une  maison  où  sa  présence  pouvait 
causer  de  nouveaux  scandales  (  1^. 
Gervaise,  XVII,  289  ).  La  paix 
ayant  été  rendue  à  la  Trappe,  Rancé 
ne  s'occupa  plus  que  de  sa  fin  pro- 
chaine; il  s'y  prépara  par  la  prière 
et  par  les  austérités  ,  et  mourut  sur 
la  paille  et  sur  la  cendre,  le  27  octo- 
bre 1 700  ,  à  l'âge  de  soixante-quinze 
ans,  dont  il  en  avait  passé  trente- 
sept  dans  le  désert.  L'abbé  de  Ran- 
cé possédait  des  qualités  brillantes, 
un  zèle  ardent,  une  piété  vive  ,  et 
une   grande  fermeté    de  caractère. 
Dans  sa  jeunesse,  l'ambition  avait 
c'fc  sa  passion  dominante;  et  il  ne 
put  jamais  se  détacher  entièrement 
d'un  monde  dans  lequel  il  avait  lais- 
sé beaucoup  d'amis.  Un  grand  nom- 
bre de  personnes  le  consultaient  de 
toutes  parts  ;  et  les  lettres  qu'il  leur 


RAN  73 

adressait ,  l'occupèrent  dans  sa  re- 
traite. II  s'était  dispensé,  comme  lé- 
gislateur, dit  Voltaire,  de  la  loi  qui 
force  ceux  qui  vivent  dans  le  tom- 
beau de  la  Trappe,  d'ignorer  ce  qui 
se  passe  sur  la  terre;  et  en  effet,  le 
nom   de  ce   grand    réformateur  se 
trouve   mêlé  à   toutes    les    discus- 
sions religieuses  ou  littéraires  de  son 
temps.  Comme  écrivain,  il  avait  une 
rare  facilité;  son  style,   auquel  on 
reproche  de  manquer  de  concision,, 
est  noble,  pur,  élégant,  et  s'élève 
souvent  à  la  plus  haute  éloquence. 
L'édition  à'^nacréon,  que  publia 
Rancé  dans  son  enfance,  est  un  phé- 
nomène si  remarquable ,  qu'on  nous 
pardonnera  d'entrer  à  cet  égard  dans 
quelques  détails.  Cette  édition,  im- 
primée à  Paris,  en  1639,  est  un  in 
8°.  de  145  pag.  et  6  feuillets  limi- 
naires (3);  elle  est  dédiée  au  cardinal 
de  Richelieu,  par   une  Épître  (  en 
grec  ),  que  Chardon  de  la  Rochctte  a 
traduite  en  français.  Le  travail  du 
jeune  commentateur ,  dit  ce  critique, 
est  en  général  bien  fait.  Les  scholies 
(insérées,  depuis,  par  Maitlaire,  dans 
sonédit.  d'^/mcreo«,Londres,i  740, 
in-4°.  )  embrassent  la  partie  gram- 
maticale, l'histoire,  la  mythologie 
et  les  étymologies.  C'est  véritable- 
ment un  livre  élémentaire  qui  méri- 
leraitd'être  réimprime;  mais ,  ajoute 
Chardon  ,  il  faudrait  revoir  le  texte 
d'Anacréou  sur  les  éditions  qui  en 
ont  été  données  d'après  le  manuscrit 
Palatin ,  et  faire   au   commentaire 
quelques   corrections   et  additions. 
Maupeou ,  curé  de  Nonancourt,  dans 
sa  P^ie  de  fiancé  (  Paris,  1700,  in- 
12),  cite  une  nouvelle  édition  d'A- 
nacréou,   Paris,    1647  j    ^^is   les 


(3)  Il  existe  «les  exemplaires  ovcc  quelques  diflfc- 
lences  dans  les  piî'ces  préliiuiiiaircs  (  Voy.  lo  lUa- 
nucldu  librciire,\yai  M.DruDet ,  au  mot  Anacréoti). 


74  RAN 

exemplaires  qui  portent  celte  diite, 
ne  diffèrent  des  premiers  que  par  le 
changement  du  frontispice;  et  s'ils 
sont  plus  rares  que  les  autres,  c'est 
<(u'aprcs  sa  conversion ,  Rance  dé- 
truisit tous  ceux  qui  lui  restaient.  La 
traduction  française  d'Anacrëon, 
par  Rancé  ,  dont  parle  Baillet  (  Ju- 
gement des  savants),  et  la  version 
latine  et  française  que  lui  altrihue 
Inguimbert  (dans la  Fie  de  Rancé , 
Voyez  XXI,  221),  sont  imaginaires. 
Les  curieux  peuvent  consulter  l'excel- 
lente Notice  sur  l'Anacreon  grec  de 
l'abbé  de  Rancé,  dans  le  tome  i*^'. 
des  Mélanges  philologiques  de  Char- 
don de  la  Rochelte.  Parmi  les  ouvra- 
ges de  Rancé,  dont  on  trouvera  le  Ca- 
talogue dans  le  Diclionn.  de  Moreri , 
e'dition  de  1759,  on  se  contentera 
de  citer  :  L  Lettre  sur  le  sujet  des 
humiliations  et  autres  pratiques  de 
religion,  Paris,  1677,  "^-12.  II. 
De  la  sainteté  et  des  devoirs  de  la 
vie  monastique ,  Vark  ,  iG83,  in- 
4°. ,  ou  2  vol.  in-i2  (4).  Il  semble, 
dit  Richard  Simon  ,  qu'il  ait  pris 
plaisir  ,  dans  ce  livre  ,  à  décrier 
les  autres  moines  pour  mieux  faire 
valoir  sa  nouvelle  réforme.  Le  P. 
Denis  de  Sainte-Marthe  prit  la  défense 
des  Bénédictins  ,  ainsi  que  D.  Mcge , 
dans  son  Commentaire  sur  la  règle 
de  Saint  Benoît  (  P^.  Mège,  xxviii, 
I  i3),etD.I\Iabillon,  en  1691  ,  dans 
son  Traitédes  Etudes  moiiastiques. 
D.  Le  Masson ,  général  des  Char- 
treux ,  réfuta  de  sou  côté  quelques 
assertions  de  l'abbc  de  la  Trappe, 
dans  les  Annales  de  son  ordre.  Ce- 
lui-ci lui  répondit  par  une  Lettre  à 
un  évêque  ,  qu'il  fit  circuler  en  rna- 


RAN 

nnscril.  C'est  à  cette  lettre  que  Le 
Masson  opposa  son  Explication  de 
quelques  endroits  des  anciens  sta- 
tuts de  l'ordre  des  Chartreux  (  V. 
Lemasson  ,  XXIV,  41  )•  Cet  ou- 
vrage, que  l'auteur  ne  communiquait 
qu'aux  pi  leurs  de  son  ordre  ,  et  à  un 
très-petit  nombre  d'amis  ,  parce 
qu'il  l'avait  fait  imprimer  sans  pri- 
vilège ,  est,  selon  Richard  Simon, 
une  réfutation  trop  vive ,  mais  so- 
lide ,  des  maximes  outrées  de  l'ab- 
bé de  la  Trappe  (Voy.  la  Biblio- 
thèque critique  ,  chap.  Sa).  III. 
Eclaircissements  de  quelques  dif- 
ficullés  que  Von  a  formées  contre 
le  traité  des  devoirs ,  ibid. ,  iG85  , 
in-4°.  ;  1G86,  in-12.  IV.  Instruc- 
tions de  Saint  Dorothée  ,  traduites 
du  grec  en  français,  avecsavie,'\\), , 
168G,  in-S".  (  F.  St.  Dobothee.) 
V.  La  Règle  de  saint  Benoit ,  tra- 
duite et  expliquée ,  ibid. ,  i  G89  ,  2 
vol.  in -4°.  (5)  VI.  Réponse  au 
Traité  des  Etudes  monastiques  (  de 
D.  Mabillon  )  ,  ibid. ,  1G92  ,  in-4''. 
VII.  Relation  de  la  vie  et  de  la  mort 
de  quelques  religieux  de  Vabba^ye 
de  la  Trappe  ,  Paris  ,  1696  ,  4  vol. 
in-12.  Cet  ouvrage  écrit  d'un  style 
simple  et  plein  d'onction  ,  a  été 
réimprimé  en  1755,  5  vol.  in-12. 
Cette  édition,  augmentée  de  quelques 
Vies  ,  contient  en  outre  la  Descrip- 
tion de  V abbaye  de  la  Trappe  (  par 
Félibien  ) ,  et  la  Relation  d'un  voya- 
ge fait  à  la  Trappe  (  par  Toussaint 
Desmares).  VI 11.  Conduite  chré- 
tienne,adressée  àmadame  de  Guise, 
ibid.,  1G97,  in-12.  IX.  Conféren- 
ces ou  Instructions  sur  les  Epitres 
et    les    Evangiles ,  ibid.  ,    1G99  , 


'J\)  F.'.iMi/ ,S;i1i;ili(i;i  coii.niisiinr-  mrpii-r  s!n);u- 
liiio  «•M  avançant  .|u<!  r..iivruKC  de  Tabbe  <lcla  iiap- 
yv,  ••ni.  une  ri  fnlalii.ii  du  /;,,,/,;  ,/,.,  éludes  monas- 
Uquct  de  Mahlll.m  (Voy.  l.s  Tiois  siçclrs  lie  la 
Uuéralnre,  arl.  Kiiiicé  ). 


(5)  Kl  non  lias  in- 17. ,  comme  le  dit  le  IJirl.  de 
MorcTi  de  i^Sf),  erreur  qui  n  passé  dans  les  Siècles 
liUcrairei  de  Ucscssnrts  et  dans  le  Diciionnaiic 
universel. 


RAN 

in-i'j.  X.  Réjlexions  morales  sur 
les  quatre  Ei^augiles  ,  ibid.  ,  1G99, 
in-ii.  XT.  Lettres  de  piété  écrites 
à  dijférentes  personnes^  1 -y 01 -05, 
i>.  vol.  iu-i2.  Elles  respirent  ,  dit 
Sabatier  ,  une  e'ioqueiice  noble  ,  vive 
et  touchante  ,  qui  prend  sa  source 
dans  un  cœur  fortement  pe'ne'trc  des 
vérite's  qu'il  y  expose.  XII.  Pié^le- 
ments  généraux  pour  l'abbaye  de  la 
Trappe,  ibid.,  1701  ,  2  vol.  in- 12. 
Outre  les  auteurs  cite's  dans  le  cours 
de  cet  article  ,  on  peut  consulter 
les  Fies  de  Rancé ,  par  Marsoi- 
Jier  (  F.  ce  nom,  xxvii ,  20  )  ,  et 
par  Lenaiu  de  Tillemont  (  F.  xxiv  , 
75  ) ,  et  les  Ouvrages  cite's  dans  la  Bi- 
bliothèque historique  de  la  France, 
tome  i'^''. ,  no.  iSiSG-iyy.  Le  por- 
trait du  réformateur  de  la  Trappe  , 
gravé  dans  tousles  formats  ,  fait  par- 
tie des  Recueils  de  Desrochers  et  d'O- 
dienvre.  W — s. 

RANCHIN  (  François  )  ,  né  à 
Montpellier  vers  i56o,  y  fut  reçu 
docteur  en  médecine,  en  i5g2.  Il 
se  fit  connaître  avantageusement  en 
suppléant ,  dans  ses  leçons,  André 
Dulaurens  ;  il  obtiut  une  chaire  eu 
i6o5  ,  et  devint  chancelier  en  1612. 
Ranchin  était  premier  consul  de 
Montpellier  en  1629  ,  lorsqu'une 
lualadie  pestilentielle  ravagea  cette 
ville,  à  laquelle  il  rendit  de  grands 
services.  Une  fortune  considérable, 
qui  consistait  surtout  en  trois  béné- 
fices ecclésiastiques  ,  permit  à  Ran- 
chin de  satisfaire  son  penchant  à 
la  libéralité  j  et  quelques  contem- 
porains ont  prétendu  qu'il  sacrifia 
aussi  à  l'ostentation.  11  fit,  du  moins, 
restaurer  et  orner  les  écoles  publi- 
ques de  sa  patrie;  etilvoiiliif  que 
le  souvenir  de  ces  bienfaits  fut  con- 
servé par  des  inscriptions  un  peu  fas- 
tueuses. Ranchin  mourut  en  it)4i, 
et  laissa  :  I.   Questions  francoises 


RAN 


75 


sur  la  chirurgie  de  Gui  de  Chau- 
ZtrtC,  Paris,  1604;  Rouen,  1628, 
in- 12.  II.  Opuscula  medica  utili 
jucundaque  rerum  varietate  refer- 
ta  ,Lyon  ,  1627,  in-4».  Ces  opuscu- 
les  se  composent  des  objets  suivants: 
y^pvllinare  sacrum;  —In  Hippocra- 
tis  jusjurandmn  commentarius  ; 
—  Pathologia  universalis  cunicon- 
troversiis  in  utramque  parlem;  — 
De  morbis  virginum  ;  —  De  senum 
conservatione  et  senilium  morbo- 
rum  curatione;  —  De  morbis  subita- 
neis  ;  - —  De  curatione  morbciim  et 
sjmptmaalum  quœ  vitiosam  purga- 
tionem  aut  comitantur ,  aut  conse- 
quuntur;  — De  consullandi  ratione, 
III.  OEm>res  pharmaceutiques  , 
Lyon  ,  1623  ,  in-i2.  IV.  Traités 
divers  et  curieux  en  médecine  , 
Lyon  ,  1640.  C'est  dans  ce  Recueil 
que  l'on  trouve  la  description  de  la 
peste  qui  désola  Montpellier  en  1629. 
V.  De  morbis  ante  partum ,  in  par- 
la et  post  partum  ,  et  de  purijica- 
tione  rerur.i  infectarum  post  pesti- 
lentiam  ,  Lyon  ,  i645  et  i653, 
in-80.  D — G — s. 

RANÇONNIER.  (Jean)  ,  mission- 
naire ,  né  dans  le  comté  ae  Bour- 
cosne  en  1600  ,  fut  conduit  en 
Flandre  par  son  père  ;  il  acheva  ses 
études  au  collège  de  Malines  ,  et  y 
embrassa  la  règle  de  saint  Ignace  , 
à  l'âge  de  dix-neuf  ans.  Avant  ob- 
tenu de  ses  supérieurs  la  permission 
d'aller  prêcher  l'Évangile  en  Amé- 
rique ,  il  partit,  en  1625,  pour  le 
Paraguay,  et  se  rendit,  en  1682  ^ 
.  chez  les  Itatines ,  qu'il  eut  le  bon- 
heur de  convertir  à  la  foi  catholi- 
que. Il  passa  le  reste  de  ses  jours  an 
milieu  de  cette  peuplade  ,  dont  il  fut 
l'apôtre  et  le  législateur  (  F.  l'His- 
toire du  Paraguay  par  Charicvoix, 
liv.  VIII  )  ;  mais  on  ignore  l'époque 
de  sa  mort^  quelcsbibliotliccairesde 


76  RAN 

la  Société  ,  (  qui  l'appellent  Jacques 
Ransonier  )  placent  ])ar  inadver- 
tance vers  l'année  lOBo,  deux  ans 
avant  son  départ  pour  le  pays  des 
Itatines.  On  a  du  P.  Rançouuicr  des 
Lettres  sur  l'état  des  missions  dans 
le  Paraguay  ,  datées  de  1626  et 
1 627  :  elles  ont  été  publiées  à  Anvers, 
i636,iu-8'^.  Ce  Piccueil  ne  peut  être 
que  fort  rare ,  puisqu'il  n'est  cité 
dans  aucun  catalogue  de  bibliothè- 
ques. Léon-Piuclo  donne  à  entendre 
(  Epitome  ,  col.  66i  )  que  ce  n'est 
qu'une  version  latine  de  ['Etat  des 
Missions  du  Paraguay ,  publié  en 
italien  par  le  P.  Nie.  Mastrillo  , 
1627  ,  tiré  du  Mémorial  du  P.  Fr. 
Purgis  ,  et  que  le  P.  Duhalde  a  donné 
en  français  dans  le  douzième  recueil 
des  Lettres  édifiantes.        W — s. 

RANFAING  (  Marie-Elisabeth 
DE  )  ,  fondatrice  de  l'institut  de  N.. 
D*^.  de  Refuge  en  Lorraine  ,  connue 
sous  le  nom  de  Ven.  Mère  Elisabeth 
de  la  Croix  de  Jésus ,  naquit  le  3o 
novembre  iSqs,  à  Remiremont, 
de  parents  nobles,  qui,  n'ayant  point 
d'autres  enfants  ,  cultivèrent  avec 
soin  ses  dispositions  naturelles.  Elle 
joignait  à  une  beauté  peu  commune  , 
de  l'esprit,  du  jugement,  et  une 
grande  piété.  Bientôt  elle  se  sentit 
autant  d'éloignement  pour  le  monde 
et  ses  vains  plaisirs,  que  de  goût 
pour  la  retraite  :  mais  ses  parents  la 
forcèrent  d'épouser  un  gentilhomme 
grossier  et  brutal ,  nommé  Dubois  , 
qui  la  rendit  la  plus  malheureuse  des 
femmes.  Touché  de  la  douceur  inal- 
térable de  son  épouse  ,  son  mari  re- 
connut enfin  ses  torts  ;  il  mourut  en 
1616,  laissant  trois  enfants  et  une 
fortune  délabrée.  M""»,  de  Ranfamg, 
devenue  libre  ,  fit  vœu  de  consacrer 
à  Dieu  le  reste  de  sa  vie  :  elle  quitta 
ses  habits  de  soie  pour  ou  prendre 
de   laine ,  rompit  tout  commerce 


/ 


RAN 


avec  le  monde  ,  et  partagea  son 
temps  entre  les  exercices  de  la  plus 
austère  pénitence,  et  les  soins  qu'elle 
devait  à  ses  enfants.  Un  médecin  du 
voisinage,  ayant  eu  l'occasion  de  voir 
cette  dame  ,  conçut  pour  elle  la  pas- 
sion la  plus  violente  ,  et  parvint  à 
lui  faire  avaler  un  philtre.  Ce  mé- 
decin passait  pour  être  fort  instruit 
dans  les  sciences  occultes.  On  fut 
persuadé  qu'il  avait  eu  recours  à  la 
magie  dans  cette  circonstance  ,  et 
que  W^".  de  Ranfaing  était  dans  un 
véritable  état  de  possession  (  V.  la 
Bihl.  de  Lorraine  de  D.  Calmet  ). 
En  conséquence  on  lui  fit  son  pro- 
cès ,  et  il  fut  brûlé,  le  2  avril  1622, 
avec  une  servante  ,  regardée  comme 
sa  complice  (F.  Pithois,  XXXIV  , 
53o  ).  M™»^.  de  Ranfaing  guérit  ;  et, 
pour  ne  plus  s'exposer  à  de  sembla- 
bles accidents  ,  elle  résolut  d'entrer 
au  plutôt  dans  un  monastère  :  mais 
des  obstacles  qu'elle  ne  put  vaincre 
s'opposèrent  à  sou  pieux  dessein  , 
et  la  contraignirent  de  rester  dans 
le  monde.  Souvent  elle  avait  gémi 
sur  le  sort  des  jeunes  infortunées 
qu'une  première  faute  condamne  à 
d'éternels  mépris;  elle  offrit  un  asile 
dans  sa  maison  à  ces  victimes  de  la 
débauche ,  et  eut  la  satisfaction  de  les 
voir  persévérer  dans  leur  repentir. 
L'évêqac  dcToul ,  frappe  des  avan- 
tages que  présentait  un  établissement 
de  ce  genre,  résolut  de  lui  donner 
une  plus  grande  stabilité,  par  l'ins- 
titution d'une  commu^Jluté  religieu- 
se ,  sous  le  titre  de  N.  D.  de  Refuge. 
M"''^.  de  Ranfaing ,  entrant  avec  joie 
dans  les  vues  du  prélat ,  accepta 
toutes  les  conditions  qui  lui  furent 
imposées  ,  et  reçut  l'habit  monasti- 
que le  i*-'"".  janvier  i03i  ,  avec  ses 
trois  filles  qu'elle  avait  facilement 
décidées  à  suivre  son  exemple ,  et 
sept  de  SCS  pensionuaircs ,  dont  elle 


RAN 

avait  éprouvé  la  vocation.  Le  nou- 
vel institut,  approuvé  par  le  pape 
Urbain  VIII,  en  i634,  s'étendit 
bientôt  clans  la  Lorraine,  le  comte 
de  Bourgogne  et  les  provinces  méri- 
dionales de  la  France ,  où  la  maison 
d'Avignon  fut  fondée  par  ses  soins. 
Sa  fille  aînée  en  fut  la  première  su- 
périeure. Elle  revint  ensuite  en  Lor- 
raine ,  et  après  avoir  gouverné  l'ins- 
titut avec  beaucoup  de  douceur  et 
de  sagesse ,  donnant  l'exemple  de 
toutes  les  vertus ,  elle  mourut  à  Nan- 
ti,  le  i4  janvier  16/(9  1  ^"  odeur  de 
sainteté.  Sa  vie  a  été  publiée  par 
Boudon  ,  sous  le  titre  de  Triomphe 
de  la  Croix  en  la  personne  de  Ma- 
rie Elisabeth  de  la  Croix  de  Jésus, 
Bruxelles  ,  1686  ,  in- 12  (  V.  Bou- 
don )  :  elle  a  été  abrégée  par  le  P. 
Frizon  et  par  Collet.On  peut  encore 
consulter  l'Histoire  des  ordres  mo- 
nastiques ,  par  le  P.  Hélyot,  iv, 
344-61.  W— s. 

RANGOUZE  ,  épistolaire  fran- 
çais ,  du  dix-seplième  siècle  ,  était 
un  homme  sans  études  ,  et  qui  serait 
resté  tout-à-fait  inconnu  ,  s'il  n'avait 
poussé  plus  loin  que  personne  ,  l'art 
de  multiplier  les  Épîtresdédicatoires, 
et  de  se  les  faire  payer  chèrement.  Il 
se  vantait,  dit  Sorel-,  de  ne  composer 
aucune  lettre  à  moins  de  vingt  ou 
trente  pistoles ,  n'en  faisant  guère 
que  pour  les  personnes  de  la  plus 
haute  considération  (  V.  Bibliothè- 
que française  ,  page  119).  Apres 
avoir  tiré  de  S€;jftlettres  le  parti  le  plus 
avantageux ,  le  bonhomme  Rangouze 
en  publia  le  Recueil,  qui  lui  rap- 
porta ,  selon  Costar ,  quinze  ou  seize 
cents  pistoles  dans  huit  mois.  Les 
pages  de  ce  volume  n'étant  pas  chif- 
frées ,  le  relieur  mettait  colle  que 
l'auteur  voulait,  la  première,  en  sorte 
que  tous  ceux  qui  le  recevaient ,  se 
croyaient  le  plus  obliges  à  lui  témoi- 


RAN 


77 


gner  leur  reconnaissance.  Ce  Recueil, 
dont  il  n'existe  qu'une îcule  édition, 
est  extrêmement  rare.  II  paraît  ce- 
pendant que  l'industrieux  auteur  en 
a  renouvelé  plus  d'une  fois  le  fron- 
tispice. Il  est  indiqué  dans  le  Cata- 
logue de  la  Bibliothèque  du  Roi , 
sous  ce  titre  :  Lettres  héroïques  aux 
grands  de  l'Etat ,  Paris ,  P.  Mo- 
reau,  i645  ,  in-8°.  :  il  reparut  selon 
Vogt  (  Catalog.  lihror.  rarior.  )  et 
Freytag  (  Analecta ) ,  en  1 648 ,  in-8°., 
de  Timprimerie  des  nouveaux  carac- 
tères inventés  par  P.  Moreau  ,  sous 
le  titre  de  Lettres  missives ,  ou  de 
Lettres  panégyriques  aux  héros  de 
la  France  :  enfin  quelques  autres  bi- 
bliographes (  F.  Baxjer  ,  Catal.  li- 
hror. )  en  citent  une  édition  de  Pa- 
ris ,  i65o  ,  gr.  in-8'',  intitulée  :  Let- 
tres panégyriques  aux  plus  grandes 
Reines  du  monde ,  aux  princesses  du 
sang  de  France ,  autres  princesses 
et  illustres  dames  des  autres  cours 
de  VEurope.  L'abbé  de    MaroUcs 
était  un  des  Mécènes  de  Rangouze. 
Bayle  a  recueilli  dans  son  Diction- 
naire ,  à  l'article  de   cet  écrivain , 
les  passages  de  Sorel ,  Costar  ,  et  de 
IVU^*'.  Scudery  qui  lui  sont  relatifs. 
W— s. 
RANNEQUIN  ou  RENNEQUINj 
c'est  par  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux 
noms  qu'on  désigne ,  assez  générale- 
ment, eij  France  ,  Swalm  Renkin  , 
auteur  du  projet  et  constructeur  de 
la  célèbre  machine  de  Marli.  Ren- 
kin, né  à  Liège,  en  i644  (0>  était 
fils  d'un  charpentier,  et  suivit  la  pro- 
fession  de  son  père.  L'exercice  pra- 
tique de  sou  art  fut,  à  peu  de  chose 
près,  tout  ce  que  son  éducation  lui 


(t)  C'est  ]iar  erreur  que  tlo3  biographes  ont  donne 
.'1  sa  naissance  la  date  de  lO/jS  :  l'inscripliou  gravée 
sur  sa  tombe,  i.tlcslc  qu'il  est  mort  en  1708,  îigé 
il«  snixnnte-qnatre  ans. 


78  UAN 

fit  acquérir.  Le  professeur  Frédéric 
Weidler,  qui  a  vécu  de  sou  tem  ps,  qui 
a  visité  et  décrit  sa  machine  ,  peu 
de  temps  après  sa  mort,  et  qui  s'est 
trouvé  en  relation  avec  ses  collabo- 
rateurs ,  amis  et  parents,  dit  de  lui  : 
Erat  intérim  Èaimequiiiius  fere 
a-jxl'j>y.?-/izoç  ,  sed  manuarid  arte 
excellcns  (2).  L'épitliète  grecque 
analphabétos  ,  qui  rappelle  le  sty- 
le bigarré  des  érudits  des  16'"''.  et 
17™*^.  siècles,  annonce  que  Renkin 
ne  savait  pas  ,  ou  savait  à  peine, 
lire  :  mais  il  était  doué  d'une  intelli- 
gence peu  commune j  et  on  l'avait, 
dès  sa  tendre  jeunesse,  constamment 
employé  aux  charpentes  des  machi- 
nes en  usage  pour  les  épuisements 
des  eaux  souterraines  qui  gênent  l'ex- 
ploitation des  houdlères,  des  tour- 
iDières  et  des  mines  de  charbon  fos- 
sile, parties  importantes  des  pro- 
duits du  territoire  liégeois.  Lorsque 
Louis  XIV  eut  fait  ])àtir  le  château 
de  Versailles  ,  il  donna  ordre  à  Gol- 
bert  d'aviser  aux  moyens  de  pour- 
voir cette  demeure  royale  de  l'eau 
qui  lui  manquait.  On  trouva  bien, 
(laus  les  environs  de  Versailles,  pour 
fournir  aux  embellissements  des  jar- 
dins, des  eaux  supérieures ,  propres 
à  remplir  l'objet  particulier  de  dé- 
coration qu'on  avait  en  vue.  Les 
hommes  les  plus  habiles  du  temps  , 
dans  la  science  du  nivellement  et  de 
la  conduite  des  eaux  ,  furent  cm- 
j)loyés  au  projet  et  à  l'exécution  d'un 
vaste  système  d'emmagasinement  et 
de  conduite  d'eaux  ,  digne  de  remar- 
que, et  qii'il  est  important  de  con- 
sei  veiet  d'entretenir.  Mais  ces  eaux, 
qu'on  désigne  par  ré])ithèle  de  blan- 
ches, considérées  relativement  à  l'hy- 


(j.)  Jn.  Fiidciici  IVcidUii  inulains  de  machims 
'lydraiilicis  loto  tcirarttnioihc  miiximis ,  Marlyen- 
si  et  Londinensi  j\S 'Mvmhvr^  y  «718. 


RAN 

giène,  sont  d'une  mauvaise  qualile; 
et  il  fallait ,  pour  suppléer  à  ce  dé- 
faut, seprocurerdel'cau  potable  par 
l'établissement  d'un  second  système 
hydraulique.  Les  renseignements  pris 
par  Colbert ,  d'après  les  ordres  du 
roi,  le  déterminèrent  à  s'adresser  au 
chevalier  Deville,  Liégeois,  proprié- 
taire, dans  son  pays  natal,  du  châ- 
teau de  Modave,  où  Renkin  lui  avait 
fabriqué  une  machine  à  élever  l'eau 
du  même  genre  que  celle  de  Marli 
et  dont  ou  dit  qu'il  reste  encore  des 
vestiges.  Deville  et  Renkin  vinrent 
ensemble  à  Paris.  Des  examens  et  des 
opérations  préliminaires  avaient  fait 
décider  que  les  eaux  potab/es  de 
Versailles  seraient  fournies  par  la 
Seine,  et  que  la  prise  d'eau  serait 
établie  dans  le  voisinage  de  Bongi- 
val,  un  peu  au-de;ssous  du  village  de 
Lachaussée  et  vis-à-vis  Louvecienne. 
Il  restait  à  trouver  les  moyens  de 
faire  franchir  au  fluide  le  seuil  éta- 
bli par  la  nature,  entre  les  points 
de  dérivation  et  d'affluence.  Le  pro- 
jet de  mécanisme  fut  présenté  au  mi- 
nistre; et,  pour  avoir  des  données 
certaines  sur  la  puissance  motrice, 
on  exécuta  devant  le  roi ,  au  châ- 
teau de  Saint-Germain,  un  essai  en 
grand  de  l'elFet  dont  est  capable  une 
roue  hydraulique,  mue  par  le  cou- 
rant de  la  Seine  ,  pour  élever  l'eau 
prise  dans  le  lit  même  du  fleuve.  Le 
produit  obtenu  sur  la  terrasse  qui 
est  en  face  du  château,  admiré  jiar 
le  roi  et  par  les  autres  témoins  de 
rex])érience,  ne  laissa  aucun  doute 
sur  le  succès  de  la  vaste  entreprise 
commencée  ,  en  1G75,  sous  le  mi- 
nistère de  Gulbert,  et  terminée,  en 
i68'i,  sous  celui  de  Louvois.  Ou  ,1 
mis  en  question  de  savoir  si  la  gloi- 
re de  la  conception  et  de  la  compo- 
sition du  projet  de  la  machine  de 
Marli  appartenait  à  Deville  ou  à  lien- 


RAN 

kin.  Uu  portrait  du  premier,  qui  a 
été  gravé,  porte  une  inscription  qui 
lui  attribue  V invention;  mais  il  est 
hors  de  doute  qu'il  a  été  seulement 
le  promoteur,  le  négociateur  de  l'en- 
treprise auprès  du  ministère  et  de  la 
cour.  Weidler ,  qui  a  recueilli,  à  cet 
égard ,  les  renseignements  les  plus 
authentiques ,  donnés  par  les  con- 
temporains et  les  coopératcurs  de 
Renkin ,  dit  positivement ,  dans  l'ou- 
vrage ci-dessus  cité  :  /j,  aiitem,  qui 
initiis  fabricœ  interfuerunt,  ({ffir- 
mariinl  milii  ad  uniim  oinnes,  Ean- 
nequinium  illius  veruni  auctorem  et 
fabricatorem ,  et  P'illanum  (  Devil- 
le  )  conimendatorem  ajnid  aidam  , 
et  veluti  ergodioctem  (3)  extilisse. 
Il  a  été  inhumé  dans  l'église  de  I3ou- 
gival.  Le  marbre  qui  recouvrait  sa 
tombcjdépldcé  pendant  la  révolution, 
se  voit  maintenant  dans  une  auberge 
sifuée  près  de  la  machine.  II  porte 
une  inscription  dont  voici  les  pre- 
miers mots  :  «  Ci  gisseut  honorables 
»  personnes ,  sieur  Renuequin  Sua- 
))  lera,  seul  inventeur  de  la  machine 
»  <Zeiy/rtrZ/,décédéie  29  juillet  1708, 
»  âgé  de  soixante-quatre  ans,  et  da- 
w  me  Marie  Rouelle,  son  épouse,  dé- 
»  cédée  fe  4  mai  1 7  1 4,  âgée  de  quatre- 
»  vingt-quatre  ans,  etc.»  Le  surplus 
de  l'inscription  renferme  des  fonda- 
tions pieuses.  On  peut  réunir,  à  ces  di- 
verses autorités,  la  conduite  du  gou- 
vernement envers  la  famille  de  Ren- 
kiu  ,  laquelle  n'annonce  pas  qu'on  le 
regardât  comme  un  simple  fabrica- 
teurou  entrepreneur.  Nous  avons  vu, 
en  1783  ,  une  demoiselle  Lamboth  , 
presque  centenaire ,  logée  au  bâti- 
ment de  la  machine ,  et  jouissant 
d'une  pension  payée  sur  les  fonds 


(3)  Expression  grecque  latinisée  [>ar  Weidler,  et 
dérivée  d'Epysjdta,  «(«<  signifie  affaire  ,  ni- 
gnre. 


RAN  "jQ 

affectés  à  l'entretien  de  l'établisse- 
ment :  cette  demoiselle  était  petite 
nièce  deRenkin,  du  côté  des  femmes, 
et  fille  de  M.  Lamboth  ,  inspecteur 
de  la  machine  ,  qui  devait  vraisem- 
blablement sa  place  à  son  alliance 
avec  la  famille  Renkin.  Nous  allons 
donner  une  idée  sommaire  de  la  com- 
position de  la  machine,  qui  est  main- 
tenant  entièrement  démolie  ;  on  en 
trouve  une  description  dans  le  se- 
cond volume  de  V Architecture  hy- 
draulique de  Belidor ,  copiée  ])ar 
Desagulicrs,  dans  son  Cours  de  phy- 
sique :  mais  elle  est  plus  complète- 
ment décrite  encore  dans  un  Mémoire 
publiée  eu  1801 ,  avec  des  planches , 
et  contenant  le  jugement  porté  par 
une  commission,  dont  l'auteur  de 
cet  article  était  rapporteur,  sur  les 
pièces  d'un  concours ,  ayant  pour 
objet  la  composition  d'une  nouvelle 
machine  propre  à  remplacer  l'an- 
cienne.  Le  barrage  qui  procure  la 
chute  et  la  force  motrice  ,  a  été 
formé  entre  la  rive  gauche  du  fleu- 
ve et  les  atterrissements  ou  îlots 
Lalorge  et  Gauthier  réunis.  Toute 
la  longueur  du  fleuve ,  depuis  le  port 
de  Marli  jusqu'à  Bezons,  était,  avant 
le  dix-septième  siècle,  presqu'entiè- 
rement  divisée  en  deux  bras  par  une 
suite  d'îlots,  qui  out  été  réunis  pour 
ne  former  qu'une  seule  digue  longi- 
tudinale de  1 01 5o  mètres  (environ 
deux  lieues  et  demie  ) ,  et  avoir  , 
sur  toute  cette  étendue  ,  une  grande 
partie  des  eaux  de  la  Seine,  exclusi- 
vement employée  au  mouvement  de 
la  machine.  Par  cette  opération,  on 
n'a  laissé ,  du  coté  de  la  live droite, 
qu'un  canal  difficilement  praticable 
à  la  navigation.  Au-dessous  de  la 
chute  étaient  établies  quatorze  roues 
hydrauliques  de  36  pieds  de  diamè- 
tre chacune  ,  mues  par  le  fluide  qui 
se  précipitait  du  haut  de  cette  chute: 


8o  RAN 

ce  syslcmc  de  roues  mettait  en  icu 
soixante -quatre   pompes,  prenant 
immédiatement  l'eau  du  fleuve  ,  et  la 
refoulant  à  un  premier  puisard  ,  pla- 
ce' sur  le  penchant  de  la  montagne  ; 
l'eau  élevée  à  ce  premier  puisard  ,  y 
était  reprise  par  soixante-dix-neuf 
pompes ,   et  refoulée  une   seconde 
fois  jusqu'à  un  second  puisard  supé- 
rieur au  premier  ;  Là   soixante-dix- 
huit  autres  pompes  achevaient  d'o- 
pérer l'ascension  de  l'eau  jusqu'au 
haut   de   la   tour  ,   dont   la   plate- 
forme  supérieure    est    élevée    au- 
dessus  des  eaux   moyennes   de    la 
Seine,   de    i54  mètres    7/0    (47^ 
pieds) ,   et  qui  se  trouve  placée  à 
l'iSG  mètres  (634  toises)  de  dis- 
tance horizontale  de  la  machine  en 
rivière ,  ou  du  premier  mobile.  La 
tour  est  bâtie  à  l'origine  d'un  magni- 
fique aqueduc  de  643  mètres  (  33o 
toises)  de  longueur,  que  l'eau  élevée 
parcourt  avec  la  seule  déclivité  d'c- 
coulcmcnl.  Cet  aqueduc  fournil   un 
très-beau  point  de  vue  au  pays  envi- 
ronnant ;  mais  sa  dépense  ,  qui  a  dû 
être  considérable  ,  n'est  motivée  en 
aucune  manière  ,  par  des  raisons  hy- 
drauliques. On  voit,  par  ce  qui  pré- 
cède, que  le  produit  de  la  machine 
était  le  résultat  du  travail  de  deux 
cent  vingt -une  pompes  placées  tant 
dans  le  lit  du  fleuve  que  danslcs  deux 
puisards  établis  sur  le  penchant  de 
la  montagne  (sans  paricrdes  pompes 
auxiliaires,  qui  n'avaient  pour  ob- 
jet que  le  jeu  du  mécanisme  ).  Or  la 
complication  apparente  de  cette  ma- 
chine,  son  aspect  gigantesque  ,  qui 
a  principalement  fait  sa  réputation, 
tcnaicntà  ce  que  les  deux  systèmes  de 
pompes  qui  re])renaient  à  mi-cô»e 
l'eau  refoulée  immédiatement  de  la 
Seine  ,  ne  pouvaient  avoir  de  mou- 
vement qu'en  vertu  de  la  force  mo- 
trice transmise  du  point  inférieur, 


RAN 

du  système  général,  et  émanant  des 
eaux  mêmes  du  fleuve.  En  conséquen- 
ce ,  les  roues  hydrauliques ,  tournant 
par  l'impulsion  de  l'eau  de  ce  fleuve, 
avaient  deux  fonctions  :  l'une  était 
de   faire    mouvoir   le   système    de 
soixante-quatre  pompes  fournissant 
l'eau  reprise  successivement  par  les 
deux  systèmes  supérieuz's  j  l'antre, 
de  mettre  en  jeu  les  longues  suites  de 
pièces  de  communication  de  mouve- 
ment ,  au  moyen  desquelles  les  pom- 
pes des  deux   systèmes  supérieurs 
pouvaient  faire  leur  service*  ainsi 
les  pompes  du  puisard  le  plus  élevé, 
agissaient  en  vertu  d'une  impulsion 
donnée  à  des  distances  de  ce  puisard, 
l'une  verticale  de   100   mètres    ^(^ 
(3io  pieds),  l'autre   horizontale, 
de  67  I   mètres  (  344  toises  ).  Cette 
transmission  de  mouvement  s'opé- 
rait  par  l'intermède   de   plusieurs 
couples  de  chaînes  de  fer,  partant  du 
fleuve  ,  et  aboutissant  aux  points  où 
le  mouvement  devait  être  transmis  ; 
chaque  couple  avait  ses  deux  chaînes 
dans  un  même  plan  vertical,  atta- 
chées ,  d'espace  en  espace,  aux  ex- 
trémités des  balanciers,  dont  les  axes 
de  rotation,   places  à  mi -distance 
entre  les  deux  chaînes,  étaient  po- 
sés sur  des  cours  de  lices  établis  sur 
des  chevalets.  Des  manivelles  en  fer, 
fixées  aux  extrémités  des  axes  des 
roues  hydrauliques  agissaient  sur  les 
chaînes  ,  dans  le  sens  de  leur  lon- 
gueur ,  par  l'intermède  de  pièces  de 
traction  et  de  rotation  désignées  par 
les  noms  de  bielles  et  varlcts  ;  et 
en  résultat ,  lorsque  la  chaîne  supé- 
rieure d'une  couple  était  tirée  et  se 
mouvait  dans  le  sens  de  la  descente 
de  la  montagne ,  l'infcrieurc  se  mou- 
vait dans  le  sens  de  la  montée ,  et  ré- 
ciproquement; ces  allées  et  venues  os- 
cillatoires ,  qui  se  répétaient   plu- 
sieurs fois  par  minute ,  produisaient 


RAN 

des  oscillations  correspondantes  dans 
les  pièces  du  mccauisme  aux(fiicllcs 
les  points  supérieurs  des  chaînes 
étaient  allaclics  ,  et  par  suite  l'as- 
cension et  la  descente  des  pistons  des 
pompes  de  reprise  des  puisards.  Ces 
indications  sommaires  suffisent  pour 
motiver  l'énorme  quantité  de  fer  et 
de  bois  dont  la  montagne  se  trouvait 
couverte  sur  une  longueur  d'envi- 
ron 700  mètres  :  les  mouvements 
bruyants  de  toutes  ces  masses  dont 
on  ne  pouvait  pas  ,  sans  instruction 
et  sans  élude  ,  saisir  la  correspon- 
dance avec  le  premier  mobile, 
excitaient  l'étonnemcnt  et  l'admi- 
ration des  hommes  étrangers  à  la 
science  des  machines;  et  cependant 
le  mécanisme,  examiné  dans  ses  dé- 
tails, ne  présentait,  au  fond,  que  des 
procédés  assez  simples.  Nous  devons 
ajouter  que  ces  procédés  étaient  con- 
nus et  employés,  dans  l'exploitation 
des  mines ,  plusieurs  siècles  avant 
Renkin  ;  on  les  désignait,  en  Alle- 
magne ,  dans  les  mines  du  Hartz , 
etc. ,  par  les  noms  de  feldgestœnge 
(  tirailles  ),  et  de  kreutz  (varlets); 
les  mineurs  de  Hongrie  et  de  Suède 
s'en  servaient ,  et  en  tirent  encore  un 
parti  fort  utile,  lorsqu'il  s'agit  de 
transmettre  la  force  motrice  de  l'eau 
à  de  grandes  distances  par-dessus  de 
hautes  montagnes  (4)  :  l'application 
grande  et  mémorable  que  Renkin  en 
a  faite  est  le  résultat  manifeste  des 
connaissances ,  sur  les  travaux  des 
mines  ,  que  cet  homme  avait  acqui- 
ses par  une  longue  pratique,  mais 
qui ,  de  son  temps  ,  n'étaient  pas  ré- 
pandues en  France.  Il  était  naturel , 
d'après  la  grandeur  du  système  mé- 
canique qu'offrait  la  montagne    de 


(4)  Voyez,  le  traité  des  mines  de  Delius,  édition 
française  de  Schreibcr,  tome  II ,  plaiirhc  i4  ,  et  la 
Bichesse  minénile  de  M.  Hcron  de  Villit'obSC,to;u. 
Ul,  plaiicbe  33. 

XXXVII. 


RAN  81 

Marll ,  de  supposer  qu'une  immense 
quantité  d'eau  franchissait  le  som- 
met de  cette  montagne:  malheureu- 
sement les  curieux  qui  avaient  le 
courage  de  monter  au  haut  de  la 
tour,  se  trouvaient  désenchantés  à 
l'aspect  du  mince  filet  d'eau  qui  arri- 
vait à  l'aqueduc.  Nous  pensonsque  les 
lecteurs  nous  sauront  gré  de  leur  faire 
connaître  ce  produit  effectif,  et  son 
rapport  avec  celui  qu'on  peut  obte- 
nir de  la  force  motrice  fournie  par 
le  bras  inférieur  de  la  Seine.  D'a- 
près les  opérations  faites  ,  le  21 
juin  1794,  pai'  l'auteur  de  cet  ar- 
ticle, pour  parvenir  à  cette  connais- 
sance, la  chute  du  fleuve  ,  au  bar- 
rage, était  de  1  mètre  6i5  milli- 
mètres; et,  d'après  les  méthodes  de 
jaugeage  les  plus  exactes  ,  il  a  trouvé 
le  volume  d'eau  qui  tombait  de  cette 
hauteur,  pendant  une  seconde  de 
temps,  égal  à  55  mètres  cubes  676 
millièmes  :  en  calculant,  d'après 
CCS  données,  et  avec  les  réductions 
convenables  ,  l'elTet  utile  dont  serait 
capable  une  machine  qui  mettrait  ;i 
profit  l'énergie  entière  de  la  force 
motrice  due  à  la  chute  et  au  volume 
d'eau  qui  la  franchit ,  il  a  reconnu  que 
cette  machine  pourrait  élever  au 
sommet  de  la  tour,  ou  à  i55  mètres 
de  hauteur  ,  6920  mètres  cubes 
d'eau  en  vingt-quatre  heures.  Il  con- 
serve le  manuscrit  autographe  d'une 
vérification  de  ce  calcul,  faite  par 
le  grand  géomètre  Lagrange  ,  qui 
était  fort  curieux  de  ces  sortes  de 
recherches.  Or,  d'après  les  rele- 
véï.  faits  sur  plusieurs  dixaines  d'an- 
nées, le  produit  effectif  moyen  de 
l'ancienne  machine  n'excédait  pas 
la  sixième  partie  du  produit  pos- 
sible ,  c'est-à-dire,  ïi5o  mètres 
cubes  ou  i,i5o,ooo  litres  en  vingt- 
quatrcheurcs, quantité  très-suffisante 
pour  les  besoins  privés  de  i  i5,ooo 


82 


RAN 


habitants  ,  dans  un  pays  saluljre(5). 
On  a  agité  la  question  de  savoir  à 
quel  prix  monétaire  revenait  un  vo- 
liiine  d'eau  déterminé,  élevé  par  la 
raîcliine  de  INIarli  ;  un  des  auteurs 
qui  ont  parlé  de  cette  niacliinc  ,  pré- 
tend qu'elle  faisait  acliclcrreau  aussi 
cîièreraeut  que  du  vin  ,  sans  cepen- 
dant rien  prononcer  sur  la  qualité 
de  ce  vin,  La  donnée  importante, 
dans  une  pareille  reclicrche ,  est  le 
montant  du  capital  primitivement 
dépensé  pour  la  construction  de  la 
machine  ,  et  pour  tous  les  ouvra- 
ges et  établissements  auxquels  cette 
construction  a  donné  ]i(  u  :  mais 
cette  donnée  manque  absolument , 
cnsorte  qu'on  ne  peut  rien  statncrsur 
les  intérêts  de  la  première  mise  de 
fonds  ,  qui  devraient  être  ajoutés  aux 
frais  annuels  d'entretien  et  de  régie; 
ces  derniers  frais  portaient  :  i°.  sur 
les  réparations  des  diççues  et  barra- 
ges établis  dans  le  lit  de  la  rivière  , 
entre  Bczons  et  la  machine  ;  ri°,  sur 
les  réparations  de  cette  machine  elle- 
même  ,  et  de  tons  les  objets  compris 
entre  la  rivière  et  la  tour  ,  !a  direc- 
tion des  travaux  et  du  mouvement 
des  eaux;  3**.  sur  l'entretien  des  ré- 
servoirs, conduites  ,  fontaines  ,  etc. , 
existant  entre  la  tour  ,  sur  laquelle 
leseanxsontélevées  ,et  Versailles  ,et 
à  Versailles  même.  Nous  avons  été  à 
portée  desavoir  à  quoi  se  montait  le 
.second  de  ces  trois  derniers  objets 
de  flépense  annuelle  :  on  a  reconnu 
qu'il  ajoutait ,  seul ,  à  tous  les  autres 
articles  inconnus ,  neuf  deniers  six 


(5)  Le»  ii5o  mt'Ires  cube»  d'eau  eu  vingt-qualre 
heure»,  équivalent îi  Go  de»  mesuret  qu'un  aiipclnit 
fort  inipTti\irenu-îil  /lonccs  d'eau  oapuiicrs  Jrjùii- 
titinici.  Le  ra|i)iart  du  litnt  »  l'ancienne  jiinle  ,  csl  ù 
très-peu  pri-s  ci  lui  dian^?.!  1/31;  en  atsi^nanl  n'  li- 
tre» d'eau  ]>.'ir  tête  ,  pour  les  hesoiu.s  usuel», nuuHfe- 
ruD»rcuiuiqucr  qu'avant  le  creuwiucnt  du  raual  de 
l'Ourcq ,  In  di»ilril>uli<iu  innrnaliirc  de  Piiri»  ne 
fournissait,  tuut  cuiupii»,  i(ue  -  litres  par  tète,  à 
tri:>-|>eu  pri-». 


RAN 

dixièmes  ,  par  muid  d'eau  de  huit 
pieds  cubes  élevés  au  haut  de  la  tour; 
cette  évaluation  est  ap{)licable  aux 
années  antérieures  à  i  •j8B.  Après 
avoir  exj^osé  les  résultats  des  con- 
ceptions du  génie  sans  culture,  pour 
surmonter  de  grandes  difficultés  ,on 
va  dire  ,  en  peu  de  mots ,  comment 
ces  difficultés  ont  été  récemment  vain- 
cues parles  moyens  que  fournit  l'état 
perfectionné  des  sciences  physico- 
mathématiques. L'immense  attirail 
de  mécanisme  ,  de  puisards ,  réser- 
voirs ,  équipages  de  pompes  établis 
par  Renkin  sur  le  penchant  de  la 
montagne  de  Marli,  n'avait  d'autre 
motif  que  riinpossibi!i;c  où  il  croyait 
être  de  faire  monter  une  colonne 
d'eau  depuis  la  Seine  jusqu'au  haut 
de  la  tour  ,  d'un  seul  jet ,  c'est-à-dire, 
par  un  tuyau  unique  qui  ne  fût  inter- 
rompu nulle  part  entre  ses  points 
extrêmes.  Ce  n'est  pas  qu'on  man- 
quât de  la  force  nécessaire  pour  re- 
fouler une  pareille  colonne  ,  cette 
force  aurait  été  moindre  que  celle 
qu'on  dépensait  avec  un  mécanisme 
surchargé  de  masses  inertes;  mais 
des  raisons  ,  tenant  en  grande  partie 
à  la  capacité  de  résistance  du  fer  de 
fonte,  avaient  déterminé  Renkin  à 
sous-diviser  la  colonne  ascendante  : 
il  fallait ,  par  conséquent ,  appliquer 
à  chaque  point  de  sous-division  ou 
d'inteiruption  ,  un  appareil  mécani- 
que [)articulier  ,  pour  faire  conti- 
nuer à  l'eau  qui  y  arrivait  ,  sa  mar- 
che ascensionnelle;  et  les  appareils 
intermédiaires  ne  pouvaient  commu- 
niquer que  le  mouvement  (pii  leur 
était  transmis  par  l'action  inférieure 
de  l'eau  du  fleuve.  De  là  l'énorme 
(piantité  des  pièces  de  mécanisme 
dont  cette  transmission  était  la  fonc- 
tion unique,  et  qui  couvraient  la  sur- 
face du  sol  sur  plus  de  la  moitié  de 
la  distance  entre  «a  machine  infc- 


RAN 

rieurc  ,  ou  le  premier  mobile  ,  et  la 
tour.  Plusieurs  essais  avaient  clc' 
faitsaprès  la  mort  de  Renkiu.ctdaus 
le  cours  du  siècle  dernier,  pour  cons- 
tater la  possibilité  d'cleveri'eaud'uu 
seul  jet ,  depuis  le  bas  de  la  cluUe  de 
la  machine  jusqu'au  haut  de  la  tour  ; 
par  Camus  ,  en  1708  ;  Bockstaller  , 
1747  ;  Trois  ,  Bossut  ,  Moniucla  et 
Deparcieux ,  en  1775.  Ces  essais 
avaient  laisse'  fort  indécise  la  ques- 
tion importante  dont  on  cherchait 
la  solution  ,  et  qui  n'a  été'  réso- 
lue par  le  fait,  qu'au  commence- 
ment du  siècle  présent.  Noussommes 
redevables  de  cet  intéressant  succès 
à  feu  M.  Brunet  aîné,  qui,  par  un 
liasard  singulier  ,  était  charpentier 
comme  Renkin  ,  mais  qui  avait  été 
à  portée  de  recevoir  une  éducation 
et  une  instruction  dont  son  prédéces- 
seur manquait  absolument.  Les  char- 
pentiers ,  comme  Brunet ,  sont  à 
Paris  de  gros  entrepreneurs  ,  dont 
plusieurs  jouissent  d'une  fortune 
considérable  :  un  Mémoire  qu'il  a 
publié  sur  la  cliarpcnte  en  fer  de  la 
Halle-au-Bled  ,  et  plusieurs  pièces 
manuscrites  qui  restent  de  lui  ,  at- 
testent qu'il  n'était  nullement  étran- 
ger à  la  qéomélrie,  à  la  mécanique 
et  à  la  physique.  Il  avait  clioisi  pour 
roue  d'essai  ,  la  quatorzième  de  la 
machine  ,  celle  qui  est  tout-à-fait 
en  aval^  ou  au-dessous  du  courant 
par  rapport  aux  autres.  Voici  ce  qui 
est  dit  dans  un  rapport  rédigé  par 
l'auteur  de  cet  article  comme  rap- 
porteurd'unecommission  où  il  avait 
pour  collègues  MM.  Monge  et  Cou 
lomb ,  et  qui  a  été  lu  à  la  classe  des 
sciences  de  l'Institut,  le  lôji'.in  1806: 
il  s'agissait  d'une  visite  qu'ils  avaient 
faite  delà  machine  de  Marli.  «  Il  est 
»  essentiel  d'ajouter  que  sur  les  qua- 
»  tre-vingl-dix.  pouces  de  fontaiu'cr 
»  (  produit  de  la  machiuelcjo'irdcla 


RAN 


83 


»  visite  )  ,  il  y  en  avait  seize  on  dix- 
»  huit  fournis  par  la  quatorzième 
»  roue,  qui  les  refoulait  dans  unseul 
•n  tuyau  sans  aucune  j-ejirise  le  Ion" 
»  de  la  montagne  ,  et  qui  agissait , 
»  de  celte  manière ,  depuis  quinze 
»  jours  sans  interruption.  »  Ce  fait, 
qui  établit  l'antériorité  du  méca- 
nisme de  Brunet ,  est  cité  dans  un 
rapport  postérieur,  du  12  décembic 
1814,  lu  à  la  même  classe  des  scien- 
ces ,  au  nom  d'une  commission  (de 
MM.  de  Prony  ,  Carnot  et  Poisson  ), 
chargée  de  constater  les  amélio- 
rations que  MM.  Cécile,  directeur 
aciuel  de  la  machine,  et  Martin, 
artiste  -  mécanicien,  avaient  faites 
au  mécanisme  de  Brunet  ,  dont 
une  des  principales  était  d'assurer 
la  continuité  du  mouvement  de 
l'eau  élevée  ,  sans  le  secours  d'un 
réservoir  d'air.  Ce  sont  deux  roues, 
ainsi  perfectionnées,  qui,  remplaçant 
les  quatorze  roues  anciennes ,  font 
maintenant ,  et  depuis  plusieurs  an- 
nées ,  le  service  de  la  fourniture 
d'eau  de  Versailles  :  mais  elles  ont 
perdu  ,  en  bruit  et  en  aspect  ,  ce 
qu'elles  ont  gagné  en  bonne  construc- 
tion; plus  de  tirailles,  de  longues  chaî- 
nes de  fer  ,  de  balançoires ,  de  cheva- 
lets ,  etc.  La  montagne  ,  qui  en  était 
couverte  ,  s'en  trouve  tout-à-fait  dé- 
barrassée. Nous  ne  serions  pas  éton- 
nés (  si  l'on  connaissait  le  capital 
dépensé  pour  l'établissement  de  l'an- 
cienne machine,  et  pour  la  cons- 
truction du  magnifique  et  inutile 
aqueduc  )  ,  de  trouver  qu'avec  une 
année  d'intérêts  de  ce  capital,  on  au- 
rait pu  assurer  la  fourniture  d'eau 
de  Versailles  ,  en  employant  les 
moyens  mécaniques  actuellement 
couiuis  et  mis  en  pratique  ;  il  est 
vrai  qu'un  mécanisme  simple  et  si 
lencieux  aurait  pu  échapper  à  l'at- 
tention, à  l'admiration  du  voyageur: 
6.. 


84 


RAN 


nous  avons  plus  d'un  exemple  de 
rcntliousiasme  excite  par  les  pro- 
duits de  l'enfance  de  l'art,  tandis  que 
ceux  de  sa  maturité  restent  inaper- 
çus. Ajouton-.  à  la  digression  pré- 
cédente ,  sur  un  point  curieux  de 
l'histoire  de  la  mécanique  appliquée, 
que  l'élévation,  d'wi  seul  jet,  des 
longues  colonnes  d'eau  ,  a  ëte'  ré- 
cemment pousse'e  ,  en  Allemagne  ,  à 
des  liauteiirs  surprenantes;  M.  Junc- 
ker  ,  ingénieur  du  corps  royal  des 
raines  de  France, nous  a  dit  avoirvu, 
à  Jusang  ,  près  de  Berclitesgaden  , 
eu  Bavière  ,  une  machine  construi- 
te, il  v  a  environ  trois  ans  ,  par  le 
célèbre  Reiclienbacli ,  au  moyen  de 
laquelle  l'eau  est  clevo'e  ,  d'un  seul 
jet,  à  une  hauteur  verticale  de  dou- 
ze cent  dix-huit  pieds  du  Rhin,  par 
une  chaîne  de  tuyaux  ,  dont  la  lon- 
gueur est  de  35oG  pieds.  Celle  ma- 
chine est  du  genre  de  celles  qu'on 
appelle  Machines  à  colonne  d'eau. 
Les  nouvelles  roues  hydrauliques  de 
MM.  Cécile  et  Martin  n'ont  que  des 
fonctions  provisoires ,  attendu  qu'une 
machine  à  vapeur,  placée  près  de 
la  machine  hydraulique  ,  et  dont  la 
construction  est  bien  avancée  ,  doit 
fournir  désormais  de  l'eau  potable 
a  Versailles.  Le  bras  droit  de  la  Sei- 
ne ,  entre  Bezons  et  le  port  de  Mar- 
li ,  va  devenir  disponible.  Un  des 
premiers  vœux  a  former  dans  une 
pareille  circonstance  ,  est  celui  de 
l'amélioration  de  la  navigation  ,  à 
laquelle  les  travaux  de  Renkin  ont 
fait  beaucoup  de  tort.  On  pourrait , 
en  conservant  aux  arts  industriels 
le  barrage  et  la  chutcexislanls,  fran- 
chir celte  chute  par  une  écluse,  qui 
serait  construite  dans  l'île  ,  juxtapo- 
sée au  barrage  ;  ou  a  proposé  plu- 
sieurs autres  projets  ,  sur  lesquels  on 
n'a  plis  encore  aucune  dctcrmina- 
lion  (lelinilive.  P — nv. 


RAN 

R ANTZAU  (  Henri  ,  comte  ) ,  fils 
de  Jean  Rantzau,  qui  s'était  distingue 
dans  les  affaires  publiques  sous  les 
rois  de  Danemark  Frédéric  P»".  et 
Christian  III,  naquit  en  i526,  fut 
élevé  à  la  cour  d'Adolphe  ,  duc  de 
Holslein  ,  passa  ensuite  sept  années 
auprès  de  Charles-Quint ,  accompa- 
gna cet  empereur  au  siège  de  Metz  , 
et  fut  gouverneur  du  Ilolstein.  Ayant 
acquis  une  grande  fortune ,  il  se 
trouva  en  état  de  rebâtir  somp- 
tueusement son  château  de  Ranzau 
ou  Ranzov  ,  et  de  prêter  des  som- 
mes considérables  à  l'empereur ,  à 
la  reine  Elisabeth ,  au  roi  de  Da- 
nemark ,  aux  villes  d'Anvers ,  de 
Lubeck ,  de  Dantzig  et  de  Ham- 
bourg. Ami  passionné  des  lettres,  il 
recueillit  un  grand  nombre  délivres, 
en  fit  profiler  les  savants,  et  em- 
ploya unepartie  de  ses  richesses  à 
encourager  la  littérature.  On  disait 
de  lui,  qu'il  était  le  premier  gentil- 
homme d'Allemagne  pour  le  grand 
nombre  d'enfants  et  de  livres,  et 
pour  son  opulence.  H  s'était  sur- 
surtout  appliqué  à  l'astrologie  ,  et 
croyait  avoir  lait  d'importantes  dé- 
couvertes dans  cette  science  chiméri- 
que. Il  publia  lui-même  plusieurs 
ouvrages,  tels  que:I.  Cftlalogus  im- 
peratonun  ,  rcguîn  et  principnni  qui 
aitem  astrologicani  amarunt,  An- 
vers, i58o,  in- lu  de  109  pag.;  ou- 
vrage singulier,  dont  on  peut  voir 
le  long  titre  fort  détaillé  dans  la 
Bihliogr.  astronom.  de  Lalandc  , 
p.  109.  II.  De  conservandd  va- 
letudine  ,  Leipzig,  157G,  in -8°., 
souvent  réimprimé.  III.  Aorosco- 
pog^raphia  {ou  consilération  des  cho- 
ses invisibles  ),  Strasbourg,  i585, 
in-4".  IV.  Calendarium  Banzovia- 
num,  tam  ad  n; um  medicorum  quàui 
ustrologoriun  ,  Hambourg,  ifnjo, 
in-fol. ,  reproiluit  rn  i^Qi ,  et  rendu 


ran 

|)eri)cluel  (  et  j'erè  peipeliniin  )  en 
\5g3  :  souvent  icimprimé.  V.  Ge- 
nealogia  Ranzoviana ,  Hambourg  , 
i585,  in-4°-  ;  on  en  connaît   au 
moins  six  éditions  ,  et  une  version 
allemande.  \l.  Historia  belle  Dith- 
marsici  {  sous  le  nom  de  Chr.  Ci> 
licius),  Bàlc  ,  1570,  et  dans  la  c/^ro- 
nique  d'Albert  Krantz ,  i  SgS ,  in-fol. 
VII.  Epigrammata  et  cannina va- 
ria, Leipzig  ,  i585  ,  in-4°.,  et  des 
Carmina  selecta  dans   le  Deliciœ 
poëtarwn  germanoniin.Ylll .  Com- 
vientarius  bellicus  ,  llhris    ri  dis- 
tinctus ,  Francfort,   i5g5,   in-4''. 
Henri  Rantzau  mourut   le  i*^'".  jan- 
vier iSgS.  Son  portrait  a  été  gravé 
en  tête  de  l'édition   qu'il  doiuia  eu 
ï  593 ,  du  Magia  philosophica{\'oj. 
Patrizi  ,xxxiii,  145)  Voyez,  sur 
sa.  \ie,  Henr.  Ranzovii  Fit  a  et  res 
gestce  ,  Wittenberg  ,  1 567  ,  (  i  )  in- 
^^. —  Un  autre  Henri  ou  Jean  de 
Rantzau  ,  décoré  du  titre  de  che- 
valier doré   (  eques    auratus  )  ,  et 
de  la  même  famille,  mort  en  1672, 
âgé  de  soixante-seize  ans  ,  écrivit  la 
relation  du  voyage  qu'il  avait  fait  en 
i6ii3  et  1624,    à   Jérusalem  ,   en 
Egypte  et  à  Coustantinople  ,  Copen- 
hague,   1669,  in-4".  7  <^"   danois; 
Hambourg,  1704,  in-8".,  en  alle- 
mand. D — G. 

RANTZAU  (  JosiAS  ,  comte  de  ) , 
maréchal  de  France ,  était  de  l'illus- 
tre maison  de  ce  nom  dans  le  Hols- 
lein  (  Foy.  sa  généalogicdans  leDict. 
de  Moréri ,  édition  de  1 759  ).  H  en- 
tra jeune  au  service  de  la  Suède ,  et 
signala  sa  valeur  dans  plusieurs  occa- 
sions. Le  désir  de  voir  la  France  l'y 
amena,  en  iG35,àIa  suite  du  chance- 
lier Oxensticrn.  A  des  dehors  avan- 


(i)  l'.'isl  i;,iiir  4111  fitu  Cl- livre  ,  ([ui  n'fst  point 
d.iiis  Id  liihliolliccti  liimiiviunu ,  tt  duiit  la  dalc 
|mruU  tnoucc. 


RAN 


85 


tageux  ,  il  joignait  beaucoup  d'esprit, 
et  parlait  avec  facilité  les  principales 
langues  de  l'Europe.  Ses  manières 
j)lurent  à  Louis  XIII  ;  et  ce  prince , 
désirant  s'attacher  un  olticier  d'un  si 
rare  mérite,  le  nomma  maréchal-de- 
camp  et  colonel  de  deux  régiments. 
Rantzau  rejoignit,  en  Bourgogne,  l'ar- 
mée  destinée  à  envahir  la  Franche- 
Comté.  La  campagne  s'ouvrit  par  le 
siège  de  Dole,  capitale  de  la  province 
{Voj.  J.  Boy  VIN  )  ;  et  il  y  reçut  un 
coup  de  mousquet ,  qui  lui  creva  un 
œil.  Malgré  cet  accident ,  il  ne  quitta 
point  son  poste  un  seul  instant  :  la 
sagesse  de  ses  dispositions  assura  la 
retraite  des  Français  poursuivis  par 
les  Impériaux;  et  il  défendit  ensuite 
Saint-Jean  de  Lônc  contre  Galas,  qu'il 
força  de  lever  le  siège.  Rantzau  fît 
toutes  les  campagnes  de  Flandre  et 
d'Allemagne  ,  sous  les  ordres  du  duc 
d'Orléans  ou  du  duc  d'Enghien  (  le 
prince  de  Coudé  ).  En  1 640 ,  il  perdit 
une  jambe  au  siège  d'Arras ,  et  fut 
estropié  d'une  main.  11  se  trouva, 
l'année  suivante,  à  la  double  attaque 
de  la  ville  d'Aire,  et  montra  le  plus 
grand  sang-froid  au  milieu  du  dan- 
ger. Mais,  en  i64'2  ,  il  partagea  les 
revers  des  Français ,  fut  fait  prison- 
nier au  combat  de  Honnecourt  ;et,  à 
peine  échangé  ,  se  rendit  en  Allema- 
gne, oîi  il  perdit  la  bataille  de  Tude- 
lingen  contre  le  duc  de  Lorraine , 
Merci  et  Jean  de  Wert ,  les  trois 
meilleurs  généraux  de  l'Empereur. 
En  1645,  il  assiégea  et  prit  Grave- 
lines,  dont  il  fut  nommé  gouverneur; 
et  le  16  juillet  de  la  même  année  ,  il 
reçut  le  bâton  de  maréchal,  après 
avoir  promis  d'abjurer  le  luthéra- 
nisme. L'année  suivante  ,  il  fut  fait 
gouverneur  de  Dunkerque.  En  1647  , 
il  prit  Dixmude ,  et  réduisit  Lens, 
après  la  mort  de  Gassion  (  For.  ce 
nom  )  :  dans  cette  campagne  et  la 


86 


RAN 


suivante,  il  acheva  de  s'emparer  de 
toutes  les  villes  maritimes  de  la  Flan- 
dre. Mais  devenu  suspect  au  cardinal 
Mazarin  par  ses  liaisons  avec  les 
mécontents,  il  fut  arrête'  à  Saint- 
Germain,  le  27  février  1649,  et  con- 
duit à  la  Bastille,  où  il  resta  enferme 
onze  mois.  Son  innocence  fut  enfin 
reconnue  ,  et  il  recouvra  sa  liberté  ; 
mais  il  avait  contracté,  pendant  sa 
détention  ,  une  hydropisie  ,  dont  il 
mourut ,  le  4  septembre  i65o,  dans 
îin  âge  peu  avance.  Ses  restes  furent 
déposés  dans  l'église  des  Minimes  de 
Chaillot ,  dont  il  était  l'un  des  bien- 
faiteurs ,  et  où  l'on  voyait  naguère 
sou  tombeau.  Rantzau  avait  toutes 
les  qualités  d'un  grand  général  ;  son 
seul  défaut  était  d'aimer  le  vin  à 
l'excès.  On  dit  qu'il  avait  été  telle- 
ment mutilé  dans  les  guerres  ,  qu'il 
ne  lui  restait  plus  qu'un  œil ,  une 
oreille,  un  bras  et  une  jambe:  c'est 
ce  qui  donna  lieu  à  l'épitaphe  sui- 
A'ante  : 

Du  corps  du  gf  aod  Rantzau  tu  n*as  qu'une  des  parts: 
L'auticmrjitiii  resta  dans  les  plaines  de  Blars. 
n  dispersa  partout  ses  membres  et  sa  gloire. 
Tout  abattu  qu'il  l'ut,  il  demeura  vainqueur  : 
Sou  ^a^^  fut  eu  ceiit  lieux  le  prix  de  sa  victoire, 
EtMarsnclui  la  ssariend'cutier  quelecœur. 

■Le  portrait  de  ce  maréclial  a  été 
gravé  in-folio,  par  Boulanger;  il  fait 
aussi  partie  du  Recueil  in  -  4°.  de 
Monlcornct.  On  a  publié  :  Relation 
de  ce  qui  s'est  passé  à  la  mort  de 
Josias  comte  de  Rantzau  ,  Paris, 
iG5o  ,  in-4°.^ — Christophe  de  Rant- 
zau, de  la  même  famille,  rentra  aussi 
dans  le  sein  de  l'Église  catholique, 
et  publia  les  motifs  de  sa  conversion 
dans  l'ouvrage  suivant  :  Chr.  Ran- 
zovii ,  equitis  flolsali ,  Epistola  ad 
Geo.  Calixluni ,  qud  sui  ad  Eccle- 
siarii  catholicain  accessûs  ratianes 
exponit  ,  Rome  ,  typ.  Propagand., 
l(J0'2  ,  in  8«.  W— s. 

RAOUL  ou  RODOLFR ,  duc  de 
Bourgogne ,  gendre  de  ce  Robert  qui 


RAO 

porta  le  titre  de  roi  pendant  le  règne 
de  Ciiarles-le  Simple,  fut  lui-même 
appelé  au  trône  de  France,  par  un 
parti    puissant  ,    lorsque  Charles  , 
abandonné  de  la  noblesse  ,   devint 
prisonnier  d'Herbert,  comte  de  Yer- 
mandois.  11  fut  sacré  le   i3  juillet 
9^3,  régna  sept  ans  pendant  la  vie 
de  Gharles-lc  Simple  ,  et  six  après  la 
mort  de  ce  monarque.  La  couronne 
était  déjà  sortie  de  la  ligne  diiccte  des 
fils  de  Charlemagne  :  l'ordre  de  suc- 
cession n'était  plus  reconnu;  et  les 
malheurs  de  la  France  engageaient  à 
élire  celui  qui,  par  l'étendue  de  ses 
possessions  et  le  nombre  de  ses  par- 
tisans, paraissait  le  plus  capable  de 
rendre   aux    peuples  la  tranquillité 
dont  ils  avaient  un  si  grand  besoin. 
En  acquérant  le  titre  de  roi,  Raoul 
n'augmenta  pas  beaucoup  sa  puis- 
sance :  ce  qu'il  possédait  comme  duc 
de  Bourgogne  ,  était  plus  considéra- 
ble que  les  apanages  unis  à  la  royauté, 
depuis  que  les  ducs  et  les  comtes  s'é- 
taient rendus  souverains  dans  leur 
gouvernement  ;   car  ,   indépendam- 
ment du  duc  de  Normandie,  on  comp- 
tait dans  le  royaume  plusieurs  sei- 
gneurs qui ,  par  le  nombre  et  la  qua- 
lité de  leurs  vassaux  ,  par  l'étendue 
des  pays  soumis  à  leur  domination, 
remportaient  en  pouvoir  sur  les  rois. 
Trois    concurrents  se    présentaient 
pour  la  couronne,  savoir  :  Raoul , 
duc  de  Bourgogne;  Hugues-IeGrand, 
son  beau-frère,  duc  de  France;  et 
Herbert  ,   comte    de    Vermandois. 
Hugues   ayant   laissé  à  sa  sœur   la 
liberté  de  choisir  entre  lui  et  Raoul  , 
elle  aima   mieux    rec'onnaitre    son 
roi  dans  son  époux  plutôt  que  dans 
son  frère  :  Hugues  n'appela  point 
de   celte  décision  ;  et  unissant  son 
parti  à  celui  de  Raoul  ,  ce  dernier 
fut  élu.  Le  comte  de  Vermandois, 
qui  retenait  Charlcs-lc-Siraple  pri- 


RAO 

sonnicr ,  i"ai,sait  trembler  l'usurpa- 
teur en  menaçant  de  rendre  la  li- 
berié  au  roi ,  et  obtenait  de  grands 
avantages  ponr  suspendre  rexccution 
d'une  menace  qu'il  n'était  pas  de  son 
intérêt  d'accomplir.  Maigre'  ces  jus- 
tes sujets  d'inquiétude  ,  Raoul  éten- 
dit sa  puissance,  se  fit  reconnaître 
par  les  grands  vassans.  qui  lui  refu- 
saient l'hommage  ,  chassa  de  Fiance 
les  Hongrois  appelés  Bulgares  ,  et  sut 
contenir  les  Normands  dans  le  de- 
voir :  mais  il  eut  le  chagrin  de  per- 
dre la  Lorraine,  qui  rentra  de  nou- 
veau dans  le  royaume  de  Germanie. 
Ce  prince, ([ui  justiûa  son  usurpation 
par  un  grand  courage ,  beaucoup  de 
prudence ,  de  douceur  et  de  fermeté', 
mourut  sur  le  trône,  l'an  986,  sans 
laisser  d'enfant  mâle.  Il  y  eut  un  in- 
terrègne parladifliculté  de  lui  donner 
un  successeur  :  Hugues-le-Graiid  ,  et 
le  comte  de  Vermaudois  ,  ayant  des 
forces  trop  égales  pour  que  le  chois 
de  l'un  ou  de  l'autre  n'entraînât  pas 
une  guerre  civile  ,  ils  s'exclurent  ré- 
ciproquement ,  et  firent  offrir  la  cou- 
ronne à  Louis,  fils  de  Charles-le- 
Siraple  ,  qu'on  alla  chercher  en  An- 
gleterre, où  la  reine  Ogive,  sa  mère' 
l'avait  conduit  l'an  g^S  ;  ce  qui  le 
fit  appeler  Louis  à  Outremer  (  F. 
son  article  ,  XXV  ,  1 0-1  ).  F — e. 
RAOUL,  duc  de  Normandie.   F. 

•   RoLLON. 

RAOUL  ,  surnommé  Ardent  ,  à 
cause  de  la  vivacité  de  son  esprit  ,  et 
de  l'ardeur  de  son  zèle,  naquit  dans 
un  village  près  de  Bressuirc,  en  Poi- 
tou. Il  devint  archidiacre  de  Poi- 
tiers ,  et  prédicateur  de  Guillaume  IX, 
duc  d'Aquitaine,  qu'il  accompagna, 
en  1 101  ,  dans  son  voyage  d'outre- 
mer. Les  uns  le  font  mourir  pendant 
le  cours  de  celte  expédition  ;  d'autres 
le  ramènent  finir  ses  jours  à  Poiticra. 
11  s'était  fait  un  grand  nom  par  un 


RAO  87  , 

«avoir  tiès-e'lendu  ,  par  la  connais- 
sance des  langues,  et  surtout  par  sou 
éloquence  claire,  nerveuse  ,  dont  il 
se  servait  avec  un  zèle  vraiinentapos- 
tolique  ;  mais  les  Poitevins  ne  lui 
pardonnent  pas  d'avoir  dit  que  leur 
cajactère  distinctif  était  la  gourman- 
dise et  le  bavardage.  Ses  homélies 
parurent  à  Paris,  en  1567  >  ^  ^'*^'' 
in-8".  ,  et  à  Cologne  ,  en  1604. 
La  1'^.  partie  fut  traduite  en  fran- 
çais par  frère  Jean  Robert,  Paris  , 
1575,  in-8*'.,  et  la  seconde  par  frère 
Fremin  Gapitis.  On  attribue  à  Raoul 
d'autres  ouvrages  manuscrits,  ense- 
velis dans  la  poussière  des  bioliolliè- 
ques,  T — E. 

RAOUL  deCaen,  ainsi  nomme 
du  lieu  de  sa  naissance,  partit,  en 
109(3,  pour  la  croisade  ,  et  s'attacha 
au  célèijre  Tancrède.  On  croit  qu'il 
est  le  même  que  le  guerrier  de  son 
nom  qui  s'acquit  beaucoup  de  répiUa- 
tion  en  qualité  de  gouverneur  d'Acre, 
sous  Roger ,  neveu  de  sou  patron  : 
mais  il  est  plus  certain  qu'il  mourut 
jeune  ,  avant  de  pouvoir  terminer 
l'histoire  de  cette  croisade  ,  qu'il  ne 
conduisit  que  jusqu'en    iio5.  Il  lui 
donna  le  titre  de  Gestes  de  Tancrède, 
parce  que  son  dessein  principal  était 
de  célébrer  les  exploits  de  ce  héros  , 
l'un  des  chefs  de  l'expédition.  Cet 
ouvrage,  fait  sur  les  lieux,  sous  les 
yeux  des  acteurs  et    des  témoins  , 
passe  pour  très-authentique.  On  y 
trou^e  des  faits  et  dcN  circonstances 
qui  ne  se  lisent  point  ailleurs.  Son 
style,  quoique  alîecté,  vaut  encore 
mieux  que  celui  de  ses  contempo- 
rains. On  juge,  par  quelques  endroits 
écrits  en  vers  ,  qu'il  avait  plus  de 
talent  pour  la  versification  que  pour 
la  prose.  H  y  traite  de  supercheria  et 
d'imposture  ladécouvertc  de  la  Sainte 
Lanre  (pie  Raiinond  d'Agiles  ,  autrr 
historien  de  celte  croisade  ,  donne 


88 


RAO 


pour  un  événement  miraculeux.  (  V 
P.  R.  d'Hautpoul,  XIX.  5oi  ).  D. 
Marlène  publia  cette  histoire,  restée 
inconnue  jusqu'alors  ,  dans  le  m*^. 
tome  de  ses  Anecdotes.  Elle  areparu 
dansia  grande  collection  de  Mu ratori. 

rry  ^ 

RAOUL  GLABER.  V.  Glaber 
XVII ,  485. 

RAOUX  (Jean),  peintre,  ne  à 
Montpellier,  en  1667,  fut  élève  de 
Ranc,  et  de  Bon  Boullogne.  Après 
avoir  séjourné  quelque  temps  en  Ita- 
lie ,  il  revint  à  Paris  ,  où  il  obtint  la 
protection  et  même  l'amitié  du  grand 
prieur  de  Vendôme,  dont  il  fit  le  por- 
trait en  pied.  Cet  ouvrage,  l'un  des 
plus  remarquables  qui  soient  sortis 
de  son  pinceau ,  se  distingue  par 
une  espèce  de  fracas  qui  commençait 
à  devenir  en  vogue  à  cette  époque,  et 
quel'on  confondait  avec  le  grandiose 
et  l'élévation  du  style.  Le  cardinal 
Dubois ,  sur  la  réputation  de  Raoux, 
lui  proposa  l'emploi  de  premier 
peintre  du  roi  d'Espagne  Philip- 
pe V.  L'artiste ,  qui  redoutait  le 
climat  de  ce  royaume,  refusa  celte 
offre ,  et  fit  envoyer  à  sa  place  Ranc, 
fils  de  son  ancien  maître.  Il  se  décida 
toutefois  à  entreprendre  te  voyage 
d'Angleteri-ej  mais  ,  après  un  séjour 
de  huit  mois  dans  cctlc  île ,  où  il  pei- 
gnit quelques  portraits,  le  mauvais 
état  do  sa  saniéle  ramena  en  France.  A 
son  retour,  il  exécuta,  pourrélectcur 
Palatin, deux  tableaiix  considérables, 
représentant,  l'un  ,  la  Conlinence de 
Sciyion.^  l'autre,  Alexaiuhe  mala- 
de ,  avec  son  médecin  J'iulippc.  II 
peignit  ensuite,  pour  le  Régent,  Télé- 
viaque  dans  Vile  de  Calypso.  Lors- 
*jue  ce  tableau  fut  terminé,  iegrand- 
])rieur  se  chargea  de  le  préseulerbii- 
mcjnc  au  duc  d'Orléans,  ainsi  que 
l'auteur;  et  le  prince  fut  tellement 
satisfait  de  l'ouvrage,  qu'il  le  pU- 


RAO 

ça  dans  son  grand  appartement, 
Raoux,  malgré  ce  succès  ,  et  l'impor- 
tance qu'il  attachait  au  titre  de  pein- 
tre d'histoire,  n'a  jamais  obtenu, 
dans  ce  genre  ,  qu'une  réputation 
secondaire.  Son  coloris  ne  manquait 
ni  de  brillant,  ni  de  (inesse  ;  il  pos- 
sédait une  certaine  grâce  qui  dégénère 
en  afféterie  ;  et  sa  fraîcheur  manque  , 
sinon  de  charme,  du  moins  de  vé- 
rité :  son  dessin  est  incorrect  ,  sou 
style  sans  élévation;  et  la  faiblesse 
de  ses  conceptions  trahit  sans  cesse 
un  artiste  dont  le  génie  ne  pouvait  s'é- 
lever au-delà  du  portrait.  Aussi  est- 
ce  dans  ce  genre  qu'il  a  mérité  d'ob- 
tenir un  nom.  Il  ne  s'y  est  jjoint 
élevé,  il  est  vrai ,  au  niveau  de  Lar- 
gillière  et  de  Rigaud  ;  mais  il  est  di- 
gne ,  par  plusieurs  qualités  ,  du  rang 
qu'il  occupe  parmi  les  meilleurs  pein- 
tres de  portraits  de  l'école  française. 
Tous  ses  portraits  sont  historiés  ;  et 
il  aurait  cru  déroger  à  la  dignité  de 
son  art ,  en  peignant  un  portrait  en 
buste.  On  connaît  de  lui  des  Noces 
de  'village  ,  des  sujets  de  fantaisie  ; 
mais  ces  tableaux  sont  peu  recher- 
chés. Il  fut  admis  à  l'académie  de 
peinture,  en  17 17,  en  qualité  de 
peintre  d'histoire,  sur  un  tableau  de 
P}  f^nialion  et  de  Galatée.  La  cor- 
rection du  dessin  est  loin  d'y  corres- 
pondre au  bon  ton  de  la  couleur. 
On  connaît  de  lui  un  grand  nombre 
de  portraits  remarquables  sous  le 
rapport  de  l'arrangement  des  figures, 
la  jcssemblance  et  l'éclat  du  coloris: 
mais  il  ne  faut  point  y  chercher  l'ex- 
j)rcssion  ;  c'est  une  qualité  qu'il  dé- 
daignait. Il  peignait  de  préférence  les 
femmes ,  et  il  est  un  des  premiers  ar- 
tistes de  son  temps  (|ui  aient  substi- 
tué au  naturel  ces  grâces  de  conven- 
tion (pie  Boucher  ,  après  lui ,  ne  mit 
que  trop  en  vogue.  Raoux  mourut 
à  Paris,  en  1734.  P — s. 


RAP 

RAPHAËL  DE  VOLTERRE.  F. 
Maffei,  XXVI ,  qg. 

RAPHAËL D'UIIBIN.  T-Sanzio. 

RAPHELENG  (  François  Ra- 
VLENGuiEN,  plus  coniiu  SOUS  le  nom 
DE  ) ,  savant  imprimeur  ,  naquit  en 
i539,  à  Lanoy,  près  de  Lille.  Sa 
mère ,  devenue  veuve,  le  força  d'in- 
terrompre ses  éludes,  pour  appren- 
dre le  commerce;  des  affaires  l'ayant 
ensuite  conduit  à  Nuremberg,  il 
profita  de  ses  loisirs  pour  étudier 
les,  langues  anciennes ,  et  il  y  fit  des 
progrès  si  rapides ,  que  sa  mère  cessa 
de  contrarier  ses  goûts.  Il  vint  en- 
suite à  Paris,  pour  se  perfectionner 
dans  la  connaissance  du  grec  et  de 
riièbreu  :  mais  les  troubles  qui  de'- 
solaient  la  France ,  le  décidèrent  à 
passer  en  Angleterre;  et  il  enseigna 
quelque  temps  le  grec  à  l'université' 
de  Cambridge.  A  sou  retour  dans 
les  Pays-Bas,  il  entra,  comme  correc- 
teur, dans  l'imprimerie  de  Christ. 
Plantiu,  qui,  charme'  de  sa  douceur 
et  de  sa  capacité,  lui  fît  épouser,  eu 
i565,  sa  fille  aînée,  Marguerite.  11 
rendit  de  grands  services  à  son  beau- 
père,  surtout  pour  l'impression  de 
la  fameuse  Bible  yoJ^y glotte ,  dont  il 
revit  les  épreuves  avec  tout  le  soin 
dont  il  était  capable  (  Voy.  la  P?-*?'- 
y'flce  d'Arias  Montanus  }.  Plantiu  s'é- 
tant  retiré  à  Leyde,  avec  sa  famille, 
pendant  les  guerres  civiles  des  Pays- 
Bas,  Rapheleng  resta  seul  chargé  de 
la  direction  de  l'inipiimerie  d'An 
vers  (  F.  Plantin  ).  Il  se  rendit,  en 
1 585 ,  à  Leyde  ,  pour  surveiller  celle 
que  son  beau-pèie  y  avait  établie  ,  et 
qu'il  lui  légua.  11  apprit  alors  l'ara- 
be avec  le  secours  de  quelques  livres 
que  ses  amis  lui  prêtèrent,  et  il  y 
devint  bientôt  fort  habile.  Les  cura- 
teurs de  l'académie  de  Leyde  le  char- 
gèrent d'y  enseigner  l'hélireu;  et  il 
s'acquitta  de   cet   cniploi  pendant 


RAP  89 

quelques  années,  avec  beaucoup  de 
distinction.  La  douleur  que  lui  causa 
la  mort  prématurée  de  sa  femme ,  et 
une  paralysie  dont  il  fut  atteint,  lui 
rendirent  la  vie  insupporlablc.  Ra- 
pheleng mourut  le  20  juillet  1597. 
Les  éditions  qu'il  a  publiées  des  clas 
siques  grecs  et  latins,  sont  aussi 
correctes ,  mais  moins  belles  que 
celles  de  Plantin,  dont  il  conserva 
la  marque  typographique.  Outre  une 
Grammaire  hébraïque^  un  Abrégé 
du  dictionnaire  hébreu  de  Sanctès 
Pagnini  ,  un  Dictionnaire  chal- 
dàique  ,  etc. ,  insérés  dans  YA])- 
paratus  de  la  Polyglotte  d'Anvers  , 
on  a  de  Rapheleng  :  I.  La  Tra- 
duction latine  de  deux  traites  de 
Galien  (  De  cljsteribus  et  de  coli- 
cd  ),  Leyde,  i59i,in-8".  IL  Un 
Nouveau  Testament  syriaque  (  en 
lettres  hébraïques  sans  points  ),  avec 
des  variantes  tirées  d'un  manuscrit 
de  Cologne,  Anvers,  i575,  in-4°. 
III.  Un  Dictionnaire  arabe  ,  Ley- 
de, i6i3,  in- 4".  de  plus  de  700  p., 
avec  des  additions  de  Th.  Erpcnius 
(  F.  Erpenius,  XIII,  273  ).  Roter- 
raund  dit  que  ce  livre  est  parvejiu 
jusqu'à  la  i3".  édition;  c'est  une  er- 
reur :  il  n'a  jamais  été  imprime 
qu'une  fois.  Les  éditions  de  1399  et 
de  1610,  citées  par  leuischj  d'après 
le  P.  Leiong  ,  sont  imaginaires  (  F. 
Schnurrer,  Biblioth.  arabica^  in- 
8*^. ,  p.  27).  Ce  dictionnaire  ,tiré  en 
grande  partie  du  Thésaurus  arabi- 
eus  (  inédit  )  de  Jos.  Scaliger  (  F. 
ce  nom  ),  n'est  plus  consulté  depuis 
que  l'on  a  celui  de  Golius  et  d'autres 
beaucoup  meilleurs  et  plus  com- 
plets :  il  ne  contient  que  Ô322  mots 
radicaux  ;  et  le  Thésaurus  de  Scali- 
ger, que  Rapheleng  avait  eu  pendant 
deux  ans  à  sa  disposition ,  renfer- 
me environ  -20,000  mois  ,  dont 
8000  sont radicaux( Scaliger,  E}nst. 


90 


RAP 


302,  ad  Roh.  St.)  On  conserve  par- 
miles  manuscrits  de  la  bibliothèque 
de  Leyde ,  un  Herbier  de  Fr.  Ra- 
pheleng  (  Voy.  Catalogus  lihror. 
hiblioth.  Lu^dun.-Baiav.,  p.  i33). 
Son  portrait ,  place'  dans  une  des 
salles  de  l'acarléinic  de  cette  ville,  a 
ëte  grave' par  Larraessin,  et  setrouve 
dans  V Académie  de  Bullart  ,et  dans 
la  Bibl.  Bel^.  de  Foppcns.  —  Fran- 
çois Rapheleng  ,  fils  aîné'  du  pre'cc'- 
dent ,  et  que  l'on  a  souvent  confondu 
avec  son  père,  me'rite  une  place  par- 
mi les  e'rudils  précoces.  Il  culliva  la 
littérature  et  les  langues  anciennes 
avec  beaucoup  d'ardeur,  et  publia, 
à  l'âge  de  vingt-un  ans  :  Elogia  car- 
miné eles,iaco  in  imagines  quinqua- 
ginta  dociorum  viromni,  Leyde  , 
1687,  in-fol.  On  a  du  même  auteur 
quelques  pièces  de  vers  et -des  No- 
tes,  insérées  dans  l'éd.  de  Séiièque, 
publiée  par  Juste  Lipse.  On  trouve 
une  Notice  sur  les  Raplielcng,  dans 
le  tome  xxxvi  des  Mémoires  de 
Niceron.  W — s. 

RAPIN  (  Nicolas  )  ,  littérateur 
Poitevin  ,  naquit  ,  vers  i54o  ,  à 
Fontcnai-le-Comte,  d'une  famille  dis- 
tinguée. Après  avoir  achevé  ses  étu- 
des à  Poitiers,  où  il  se  lia  d'une 
araitié  durable  avec  Louis  et  Scévo- 
Ic  de  Sainte  -  Marllie  ,  il  fut  reçu 
avocatau  parlement.  Quelque  temps 
après,  il  fut  pourvu  de  la  charge 
de  vice- sénéchal  de  Fontenai  ;  et 
il  la'  remplit  avec  une  fermeté  qui , 
dans  ces  temps  de  trouble,  l'expo- 
sait h  de  continuelles  récriminations. 
Ses  ennemis  travaillèrent  à  faire  .sup- 
primer sa  place  comme  inutile,  ou 
du  moins  à  la  faire  donne.  -^  ijacl- 
qu'aufre  :  mais  il  déjoua  toutes  leurs 
intrigues  ;  cl  (|U(h  qu'en  ait  dit  vSca- 
liger  ,  il  n'eut  pas  de  peine  à  démon- 
trer son  innooence  et  leur  méchan- 
ceté. Rapin  assistait,  en  1579,  aux 


RAP 

grands  jours  de  Poitiers ,  et  il  fut 
du  nombre  des  poètes  qui  célé- 
brèrent la  Fuceàc  lypll*^.  Desroches 
(  V.  ce  nom).  Charmé  de  son  esprit, 
Le  président  Achille  de  Harlay , 
devint  son  protecteur  ,  et ,  l'ayant 
fait  venir  à  Paris  ,  lui  procura  la 
charge  de  lieutenant  de  robe-courte. 
Bientôt  après,  il  fut  honoré  par  Hen- 
ri m  de  celle  de  grand-prévôt  delà 
connéfablie;  et  le  zèle  qu'il  montra 
pour  le  service  du  roi,  lui  suscita 
de  nouveaux  ennemis.  Ceux-ci,  pins 
adroits  ou  plus  puissants  que  les 
premiers  ,  vinrent  à  bout  de  le  faire 
priver  de  son  emploi ,  et  bannir  de 
Paris  ;  mais  il  appela  de  cette  sen- 
tence ,  et  fut  réintégré  dans  ses 
fonctions.  Rapin  embrassa  le  parti 
de  Henri  IV  avec  ardeur  ;  il  signa- 
la son  courage  ,  à  la  bataille  d'ivri , 
sous  les  yeux  du  maréchal  d'Aumont, 
et  célébra  cette  victoire  dans  des 
vers  qu'il  eut  l'honneur  de  jirésenter 
au  roi.  Il  ne  servit  pas  moins  utile- 
ment la  cause  royale  en  couvrant 
de  ridicule  ses  adversaires  ,  dans  la 
fameuse  Satyre  Ménippée  (  Voyez 
P.  Le  Roy  ),  à  laquelle  il  eut  beau- 
cou])  de  part  (i).  Moins  affaibli  par 
i'àgc  que  par  ses  travaux,  il  se  dé- 
mit de  sa  place ,  en  1 599  ,  et  se  re- 
tira dans  une  jolie  maison  qu'il  avait 
construite  près  de  sa  ville  natale.  La 
culture  des  lettres  et  les  soins  de  l'a- 
mitié y  remplirent  agréablement  ses 
loisirs.  Ne  pouvant  résister  h  l'envie 
de  revoir  encore  une  fois  les  amis 


(t)  Outre  Inspiècos  devers  qu'il  a  fournies  ^  celle 
in;;tiiicuse  Satire  (  f^.  PASS1-;RAÏ  )  ,  on  iiltribue  ii 
Uiipiu  Ji's  Iiaransjiu's  du  rccloiu'  Hosc  ,  de  l'nrcbevr- 
<|uc  de  Lyon  (  Esninac  )  ,  il  d'Aii);oulcveiit.  «  Ou  a 
piinc  ii  coni(ircnare,  dit  tm  critique,  comment  dos 
irrivains  se  disant  catlioliqiu'ii,  s'amu.sèrciit  à  ridi- 
culiser et  à  calomnier  I»  ligue  ontlii>lit|Uc,  .<ans  mon- 
Irer  la  moindre  Iniiiu  iir  lonlrr'  la  ligue  Inmiieuole  , 
ijiii  depuis  long-trmi.i  portait  le  1er  et  le  leu  dans 
toute  la  l'Yance  :  il  ne  Tant  doue  pas  être  snrpri.i  si 
Itapiu  fut  regarde  par  les  callioVicpies  comme  iiu 
tnigucnot  di'ijuiïii.  » 


RAP 

qu'il  avait  laissés  à  Paris  ,  il  se  mit 
en  route  pendant  un  hiver  rigoureux: 
mais  il  tomba  malade  à  Poitiers  ,  et 
y  mourut  le  1 3  ou  le  i5  février 
1608.  Ses  restes  furent  rapportés  a 
Foutenai ,  sans  pompe,  comme  il 
l'avait  désiré.  Il  chargea,  par  son  tes- 
tament, Scévole  de  Sainte-Marthe  et 
Jacq.  Gillot  de  rassembler  ses  poé- 
sies et  de  les  pubUer.  Ce  Recueil  parut 
sous  le  titre  à' OEiiires  latines  et 
françaises  de  N.  Rapin  ,  Paris  , 
i6io  ,  in  4°.  ïl  contient  deux  li- 
vres d^Epigrammes  latines, des  £Ze- 
giej,  quelques  autres  petites  pièces 

(2)  ;  des  Traductinns  ou  imitations 
eu  vers  français  des  Satires  et  des 
Epitres  d'Horace  ,  et  de  V Art  d'ai- 
mer d'Ovide  ;  ûesOdes,  des  Stan- 
ces et  des  Sonnets  sur  divers  sujets; 
les  sej)t  Psaumes   de  la  pénitence 

(3)  ;  des  Fers  mesurés  ,  rimes  et 
710/1  rimes  ,  essai  déjà  tenté  sans 
succès  par  Baïf ,  Desperriers  et  au- 
tres (  F.  MoussET  ) ,  et  qui  l'a  été 
depuis  par  différents  poètes  (  Forez 
TuRGOT  ).  Viennent  ensuite  les  OEu- 
vres  en  prose  ,  qui  consistent  en  des 
Traductions  de  la  belle  Préface 
adressée  par  l'historien  de  Thou  à 
Henri  IV  (  F.  Tuou  ) ,  et  de  l' Orai- 
son de  Cicéron  pour  Marcellus. 
JJ Eloge  de  Rapin  ,  par  Scév.  de 
Sainte  Marthe  ,  termine  ce  volume, 
dans  lequel  on  a  réuni  les  vers  la- 
tins et  français  composés  à  sa  louan- 
ge ,  sous  le  titre  de  Tumulus  N. 
hapini.  On  estime  beaucoup  les  Epi- 
grammes  latines  de  INic.  Rapin:  mais 
ses  vers  français  sont  tombés  dans 
l'oubli  ;  et  il  faut ,  dit  Brossette  ,  es- 
timer terriblement  la  poésie  antique 

(a)  La  plus  grande  partie  des  p()c'-,ips  btiiips  de 
Rapin  a  otc  iiisi-ree  dans  le  tume  UI  des  OelicicB 
puëtar.  OalLornm, 

(3)  Cette  traduction  des  Psaumes ,  le  pin»  faible 
dos  ouvrages  de  Rapin ,  a  lité  impriulce  séparcineut, 
l'aiis,  i588.iii-8n. 


RAP 


9» 


pour  s'amuser  à  les  lire  (Notes  sur 
les  OEuvres  de  Régnier  (4)  ).  Dreux 
du  Radier  prétend  ,  au  contraire  , 
qu'il  n'était  pas  moins  bon  poète 
français  que  latin  ,  et  que  ses  imita- 
tions d'Horace  ont  le  tour  heureux, 
naïf  et  délicat  de  l'original.  Outre 
les  ouvrages  compris  dans  le  Re- 
cueil dont  on  vient  de  donner  l'ana- 
lyse ,  on  a  de  R^pin  .\.  Le  vingt- 
huitième  chant  de Rolandle  furieux^ 
de  VArioste  ,  montrant  quelle  assu 
rance  on  doit  avoir  aux  femmes  , 
Paris  ,  1572  ,  in-i2  ;  cette  traduc- 
tion est  écrite  en  stances  de  huit 
vers.  II.  Les  plaisirs  du  gentilhom- 
me champêtre  ;  cette  pièce  fait  par- 
tie d'un  volume  intitulé  :  Les  plai- 
sirs de  la  vie  rustique,  Paris ,  1 583, 
in-iii.  On  peut  consulter,  ])0ur  de 
plus  grands  détails  ,  Bayle  et  l'abbé 
Jo!y  ,  les  Mémoires  de  Niceron  , 
tom.  XXV  ,  mais  surtout  la  Biblio- 
thèque du  Poitou  ,  par  Dreux  du 
Radier  (  m  ,  1 1 8-1 5o  ) ,  qui  a  cor- 
rigé les  erreurs  et  les  omissions  de 
ses  devanciers.  W — s. 

RAPIN  (  René  ) ,  jésuite  et  littéra- 
teur ,  était  né  à  Tours  en  162  i  :  il 
entra  dans  la  compagnie  de  Jésus  eu 
1639,  enseigna  pendant  neuf  ans 
les  belles- lettres  ,  et  publia  ,  depuis 
1637  jusqu'en  1687  ,  nn  grand  nom- 
bre d'écrits  en  vers  et  en  prose  ,  en 
latin  et  en  français.  On  a  observé 
qu'il  composait  alternativement  des 
livres  de  piété  et  des  livres  de  littéra- 
ture :  aussi  l'abbé  La  Chambre  disait 
qu'd  servait  Dieu  et  le  monde  par  se- 
mestre. La  liste  chronologique  de  ses 
ouvrages  justifierait  jusqu'à  un  cer- 
tain point  cette  observation  ;  mais  on 
doit  reconnaître  que  ses  productions 
littéraires  sont  eu  général  très-reli- 

(4)  Rcgnirrlui  adressa  sa  IX".  ,Vn//re  ,  et  compo- 
sa sur  sa  mort  un  Soiiiiel ,  dans  letjuel  il  le  mot  »i- 
desnu  dea  Grec»  cl  de»  Lalius, 


02 


RAP 


gieuses ,  et  que  l'homme  de  lettres  se 
retrouve  dans  ses  œuvres  théologi- 
ques. Ses  contemporains  ont  rendu 
liommage  à  la  douceur  et  à  la  poli- 
tesse de  ses  mœurs  :  il  eut  pourtant 
des  de'mêles  assez  vifs  avec  Maim- 
bourg,  et  surtout  avec  le  P.  Vavas- 
seur;  son  zèle  contre  les  janse'nistes 
n'a  pas  été  très-modéré.  On  raconte 
aussi  qu'il  traita  un  peu  brusquement 
Duperrier  et  Santeul ,  qui  faisaient 
comme  lui  des  vers  latins ,  et  qui , 
au  refus  de  Ménage ,  l'avaient  pris 
pour  juge  du  mérite  de  leurs  poésies: 
abordé  par  eux  au  moment  où  il 
sortait  de  l'église  ,  il  leur  reprocha 
leur  vanité,  leur  déclara  que  leurs 
vers  étaient  détestables ,  et  jeta  dans 
le  tronc  l'argent  qu'ils  avaient  dépo- 
sé comme  enjeu,  entre  ses  mains, 
L'histoire  de  sa  vie  se  réduit  à  ce 
très  -  petit  nombre  de  faits ,  et  au 
tableau  de  ses  ouvrages  ,  dont  la 
composition  paraît  avoir  occupé  pres- 
que tout  son  icmjis.  Il  mourut  à  Pa- 
ris, le  27  octobre  1687.  Los  trois 
premières  pièces  de  vers  qu'il  publia, 
sont  intitulées  :  Serenissimœ  reipu- 
hlicœ  Venetœ  trophœiun  oh  debel- 
laliini  Turcam  et  restitutamsocieta- 
tein  Jesu,  16.57;  —  Trophœum  fa- 
mœ  eminent.  Cavdinall  Mazarino ^ 
1G57;  — Lacrymœ  in  tumulumAl' 
fonù  Mancini ,  i658;  toutes  trois 
imprimées  à  Paris,  iu  -  fol.  Rapin 
avaitctéle  préfet  d'études  de  ce  jeune 
Mancini,  dont  il  pleurait  la  mort 
prématurée,  et  cpii  élait  neveu  du 
cardinal  Mazarin.  En  nicuie  temps 
(lu'il  mettait  au  jour  ces  trois  essais, 
qui  n'annonçaient  pas  encore  un 
talent  très  -  distingué,  le  P.  Rapiu 
composait  un  livre  de  théologie 
poIémir[iie  sous  ce  titre  :  De  no- 
va iloclriiui  (lisscrtnlio  ,  sea  evan- 
a^eUuni.lansenislainm^  Paris,  i()58, 
111-8".  L'auteur  suppose  qu'un  jausé- 


RAP 

nisle  ,  prêchant  l'Évangile  à  des 
paiens  ,  leur  enseigne  la  doctrine  de 
la  prédestination  gratuite ,  et  de  l'im- 
puissance du  libre  arbitre  sans  la 
grâce  efficace  :  ces  païens  en  con- 
cluent qu'on  ne  leur  annonce  qu'un 
Dieu  injuste ,  qui  leur  prescrit  des 
lois  dont  il  sait  bien  que  l'accom- 
plissement sera  impossible  à  la  plu- 
part d^entre  eux.  Le  commencement 
de  la  réputation  littéraire  de  Rapin 
date  de  lôSg  ,  époque  de  la  publica- 
tion de  ses  E^logœ  sacrce ,  accom- 
pagnées d'une  Dissertation  sur  le  Poè- 
me pastoral  (  Paris,  in-4'^-)  On  crut 
retrouver  dans  ces  Églogues  l'art  de 
Virgile  ,  et  le  vrai  caractère  du  gen- 
re bucolique:  Costar  décerna  au  poè- 
te le  nom  de  ïhéocrite  second  j  San- 
teul et  Huet  le  comblèrent  d'éloges: 
depuis,  les  Jésuites  eux-mêmes,  ain- 
si que  Bayle  l'a  remarqué,  ont  jugé 
ces  Idylles  sacrées  avec  moins  d'in- 
dulgence ;  toutefois  elles  ont  couseï'- 
vé  quelque  réputation  jusqu'à  la  fin 
du  dernier  siècle  :  Pictro  Alpini  les 
a  traduites  en  vers  italiens  ,  en  1 790, 
à  Turin,  in- 8'^.  Elles  furent  suivies, 
en  1G60  et  1662,  de  trois  pièces  de 
vers,  imprimées  à  Paris,  in  fol. , 
et  qui  ont  pour  titres:  Pacis  trium- 
phaliuad  Jid.Card,  Mazarinwn^pa- 
cificatorid  iL'i'^atioiie féliciter  gestd. 
—  Fax  Themidis  cuiii  Musis. — Ad 
Gidl.  Liimontwn.  — Fiei^iLud.xiy^ 
pacij'er  Delphinus.  Le  Poème  des  jar- 
dins { Ifortorumlibri  ^  ),  ])arut  en 
i665  ,  in-4''.;  et,  avec  d'heureux 
changements, en  166G,  in-12.  Entre 
les  éditions  suivantes,  qui  sont  nom- 
breuses ,  nous  ne  distinguerons  que 
celles  d'Ulrccht,  1672,  in-8''.  ;  et 
lie  Paris  ,  chez  Barhoii ,  par  les  soins 
de  Brolicr ,  iu-i.i,  1780,  Ce  Poè- 
me a  été  traduit  en  vers  anglais, 
par  J.l'^vclyu  (ils(^.  ce  nom,  XIII, 
558  )  ,  Londres  ,  1G73  ,  in-8".  j  eu 


RAP 

vers  italiens  ,  parle  P.  Giov.  Piclro 
Bergantini,servite;mais cette  version 
est  restée  manuscrite  (  V.  Mazzu- 
chelli,  t.  II ,  part,  ii ,  p.  947  );  en 
français  ,  par  Gazon  Doiirxignc, 
Paris,  1773,  in-12;  et  beaucoup 
mieux  par  MM.  Voiron  et  Gabiot  , 
Amsterdam  (  Paris  ) ,  1782  ,  in-8°., 
avec  le  texte  latin.  De  tous  les  ouvra- 
ges de  Rapin,  c'est  le  phis  justement 
renommé:  la  latinité  en  est  pure,  le 
style  plein  de  grâce  ,  et  la  composi- 
tion ingénieuse.  On  y  a  critique  pour- 
tant la  profusion  des  détails  mytho- 
logiques ;  et  l'on  s'est  plaint  du  ca- 
ractère profane  et  trop  peu  chrétien 
qu'ils  imprimaient  à  l'ouvrage.  Mais 
il  suffit  d'observer  que  c'est  une 
continuation  des  Géorgiques,  et  que 
les  traditions  religieuses  de  Virgile 
s'y  replaçaient  naturellement ,  ou 
presque  de  nécessité.  On  pourrait 
seulement  reprocher  au  poèted'avoir 
mêlé  aux  noms  de  tant  de  divinités 
païennes  ,  celui  de  Jésus-Christ ,  à 
propos  du  lis  et  de  la  fleur  de  la 
passion,  et  trouver  assez  faible  l'ex- 
cuse de  Baillet,  qui  dit  «  que  J.-C.  pa- 
raît en  cet  endroit  sans  action  et  sans 
conséquence.  »  Quoi  qu'il  en  soit , 
ces  quatre  chants  sont  si  supérieurs 
aux  autres  poésies  de  Rapin  ,  qu'on 
a  prétendu  qu'ils  ne  lui  appartenaient 
pas,  et  qu'il  les  avait  pris  dans  un 
manuscrit  lombard ,  que  possédait 
un  prince  de  iNapIes. Cette  allégation 
n'ayant  pas  été  vérifiée  ,  il  n'y  a  pas 
lieu  d'en  tenir  compte.  L'ouvrage  fut 
beaucoup  recherché  en  1782, quand 
Delilie  publia  ses  Jardins  ;  et  l'on 
s'efforça,  selon  l'usage  ,  de  préférer 
le  poème  latin,  accrédité  depuis  plus 
d'un  siècle,  au  poème  français,  qui 
venait  de  voir  le  jour.  Rapin  avait 
joint  à  ses  quatre  chants  une  Disser- 
tation De  unwcrsdhorlensis  culturœ 
discLplind,  qui  a  été  reproduite  dans 


RAP  g3 

la  plupart  des  éditions.  11  y  a  des  bi- 
bliographes (Mercklin,  Kbnig,  etc.  ) 
qui  ont  'placé  la  Dissertation  et  les 
quatre  chants  parmi  les  livres  de  bo- 
tanique médicale;  et  les  aut«»rs  du 
Dictionnaire  historique  italien  ,  im- 
primé à  Bassano  ,  disent  qu'en  con- 
séquence René  Rapin  a  un  long  arti- 
cle dans  le  Dictionnaire  historique 
de  la  médecine  ,  par  Éloy ,  ce  qui 
n'est  pourtant  pas  vrai.  En  repre- 
nant la  série  chronologique  des  pu- 
blications du  père  Rapin,  nous  ren- 
controns ,  en  1G67,  ses  Odes  h  Clé- 
ment IX,  et  au  cardinal  de  Bouillon, 
l'une  et  l'autre  imprimées  à  Rome  , 
in-4°.;  et  eu  1698,  sa  Comparaison 
d'Homère  et  de  Virgile  ,  in-4''. ,  à 
Paris.  Ce  morceau,  dédié  au  premier 
président  Lamoignon  ,  chez  lequel  il 
avait  été  d'abord  lu ,  a-fîxé  l'atten- 
tion des  savants  ,  et  a  été  traduit  en 
latin  par  Paulraier  de  Grentemcsnil, 
à  la  suite  de  son  Apologie  pour  Lu- 
cain,  Leyde,  1704,  in-8'^.  Ménage 
prétendait  que  Rapin  n'avait  pas 
l'instruction  nécessaire  pour  compa- 
rer ces  deux  grands  poètes ,  et  que 
Tannegui  Lef  evre  ,  à  la  conversion 
duquel  il  travaillait  alors  ,  lui  avait 
fourni  les  passages  grecs.  Au  fond, 
le  résultat  dece  long  parallèle  ne  con- 
siste guère  qu'en  deux  ou  trois  an- 
tithèses: Homère  avait  plus  d'esprit, 
Virgile  plus  de  jugement  ;  on  aime- 
rait mieux  être  Homère,  mais  on 
s'applaudirait  davantage  d'avoir  fait 
l'Enéide  ,  etc.  Après  avoir  publié  , 
en  1669  (Paris,  in-fol.) ,  des  vers  en 
l'honneur  de  Fr.  Fouquct ,  archevê- 
que deNarbonne,  Rapin  composa, 
l'année  suivante,  une  Comparaison 
de  Démosthène  et  de  Cicéron  (Paris , 
in-B».),  réimprimée  avec  des  correc- 
tions en  1676, in- 12.  C'était  encore 
une  grave  entreprise,  que  Plutarquc 
avait  évitée  ,  en  avouant  qu'il  ne  sa- 


94  RAP 

vait  pas  assez  le  latin,  et  dont  le  P. 
jésuite  aurait  pu ,  au  dire  des  cri- 
tiques ,  s'abstenir  aussi  pour  une 
autre  raison.  Gibert  trouve  ce  mor- 
ceau ti-<i<s-intcricur  à  la  dissertation, 
déjà  bien  imparfailc,  du  P.  Caussin, 
sur  le  même  sujet.  L'année  1671 
■vit  paraître  un  volume  in- 12  ,  inti- 
tule, Comparaison  de  Platon  et  d'A- 
ristnle,  avec  les  sentiments  des  Pères 
sur  leurs  doctrines,  et  des  reflexions 
chrétiennes.  D'autres  écrivains  mo- 
dernes ont  pénétré  beaucoup  plus 
avant  dans  les  théories  de  ces  deux 
anciens  philosophes;  mais  Rapin  se 
croyait  déjà  en  droit  de  conclure  que 
Platon  avait  une  imagination  plus 
brillante  ;  Arisîote ,  un  sens  plus 
droit  et  plus  solide  :  que  le  premier 
est  un  maître  plus  agréable  aux 
gens  du  monde  ;  le  second  un  gui- 
de plus  sûr  pour  les  écoles  :  résul- 
tats qui  peuvent  sembler  vrais,  mais 
qui  avaient  besoin  d'être  plus  ri- 
goureusement établis.  Il  s'est  glissé 
d'ailleurs  dans  ce  livre  plusieurs  er- 
reurs de  fait  queBaylea  relevées  (  Re- 
marques A  et  T  de  l'article  Aristo- 
te  ).  Les  Beflexions  de  Rapin  sur 
l'éloquence  sont  de  167^.  (in-12  ). 
Au  milieu  de  beaucoup  d'idées  sai- 
nes ,  mais  très-générales  et  devenues 
fort  communes,  Gibert  y  remai-que 
des  faits  altérés  ,  des  textes  mal 
compris,  et  des  notions  inexactes. 
En  même  temps,  le  laborieux  jé- 
suite publiait  VEsprit  du  christia- 
nisme ,  à  Paris ,  in- 1  •!  ;  livre  de  piété 
qui  a  eu  deux  autres  éditions  ,  dans 
le  même  format,  en  1674^*  iG83. 
11  est  distinct  de  la  Perfection  du 
christianisme,  imprimé  aussi  in- 1 2, 
d'abord  en  1673  ,  puis  en  1O77. 
Un  poème  héroïque  inlilulc  Chris- 
tus  patiens  ,  ^6']^,  in- 8°.,  réim- 
primé à  Londres,  chez  Tonson  ,  en 
1 7  1 3 ,  in- 1  u ,  paraît  être  la  dernière 


RAP 

production  poétique  de  Rapin,  Il 
payait,  en  celte  même  année,  un  tri- 
l>ut  à  la  littérature  profane,  par  ses 
Réflexions  sur  la  poétique  d'Aris- 
tote,  et  sur  les  ouvrages  des  poètes 
anciens  et  modernes  (  Paris,in-i'ji  ). 
jl  y  parlait  des  épigrammes  avec 
peu  d'estime ,  et  ne  daignait  pas  nom- 
mer celles  de  son  confrère  Vavas- 
seur ,  qui  en  avait  composé  plusieurs 
livres,  et  y  avait  joint  un  traité  sur 
ce  genre  de  poésie.  Vavasseur  se  fâ- 
cha ;  il  fit  des  Remarques  sur  les 
Piéjlexions  ,  et  appela  son  adver- 
saire V Auteur  réjiexif.  Rapin  répli- 
qua :  Lamoignon  s'entremit  entre  les 
deux  jésuites,  et  les  fit  consentir  à 
supprimer,  l'un  ses  remarques,  l'au- 
tre sa  réponse;  en  sorte  que  les 
exemplaires  des  éditions  in  -  12  de 
1675 ,  en  sont  fort  rares  ;  mais  ces 
deux  écrits  ont  été  insérés ,  en  1 70g , 
dans  le  recueil  in-fol.  des  OEuvres 
de  Vavasseur.  Les  remarques  de  ce- 
lui-ci ont  été  réfutées  aussi  par  Jacq. 
Lenfant,  dans  les  Nouvelles  de  la 
république  des  lettres ,  de  février  et 
mars  1710.  Pour  faire  diversion  à 
celte  querelle,  Rapin  donna  an  pu- 
blic, en  1G75,  son  traité  de  V Im- 
portance du  salut ,  petit  volume  in- 
12,  qui  en  était  à  sa  4*^.  édit.  eniôgo. 
Cette  étrange  éj)ithète  de  réjiexif, 
dont  il  avait  été  fort  piqué,  ne  l'em- 
pêcha ])oint  d'imprimer  ,  en  1G76, 
des  Réjlexioiis  sur  la  philosophie 
ancienne  et  moderne,  et  sur  l'usage 
qu'on  en  doit  faire  pour  la  religion 
(  Paris,  in-r.î  ).  Il  traitait  là  des  ma- 
tières qu'il  avait  peii  a]irofondies.  Il 
semble  croire,  comme  le  lui  a  repro- 
ché Gibert,  que  le  dilemme  se  classe, 
par  sa  nature  même ,  au  nombre  des 
sophismes  méprisables.  ¥a\  parlant 
d'Epicure,  il  jirend  à  contresens, 
ainsi  que  l'a  montré  Bayle  ,  un  pas- 
sage dcPlutarque,  et  cite  comme  une 


RAP 

preuve  de  modestie ,  ce  qui  en  est 
une  d'orgueil  ;  mais  on  aurait  à  re- 
prendre des  erreurs  beaucouj)  plus 
graves  dans  ce  traite'.  Celui  qui  con- 
cerne l'Histoire  est  de  iG77,in-i2. 
J.Davies  l'a  traduit  eu  anglais,  Lon- 
dres ,  1680,  iu-S".;  et  Lcnglet-Du- 
fresnov  l'a  fort  préconise.  Rapin  y 
recommande  à  l'historien  d'écrire 
noblement  ,  sensément ,  purement 
et  simplement  ;  ces  quatre  règles 
sont  bien  vagues  ,  et  il  ne  les 
explique  ]>^s  d'une  manière  très- 
précise  :  il  considère  ensuite  la  ma- 
tière de  l'histoire,  sa  forme,  et  sa  fin, 
qui  est,  dit -il,  d'instruire  plutôt 
que  de  plaire.  Il  s'approprie  plu- 
sieurs pensées  de  Lucien,  en  les  ex- 
primant quelquefois  avec  justesse, 
et  en  y  mêlant  des  observations  qui 
ne  sont  pas  toujours  impartiales  :  il 
appelle  Tacite  «  un  grand  biaiscur, 
»  qui  cache  un  fort  vilain  cœur  sons 
»  un  fort  bel  esprit.  »  Reprenant,  en 
1679,  1680  et  i68r,  ses  travaux 
théologiques,  il  fit  paraître  successi- 
vement, à  Paris  :  la  Foi  des  derniers 
siècles,  in-i'i  ;  une  Lettre  latine  au 
cardinal  Cibo  ,  Pro  pacando  Be'^a- 
liœ  jiegotio  ,  in-S'^.;  et  les  Arlijices 
des  hérétiques,  ni- 1 '2..  Ce  troisième 
article  n'est  qu'une  traduction  libre 
d'un  livre  latin  du  jésuite  Gilles  Es- 
trix.  L'Épître  au  cardinal  Cibo  fit 
plus  de  bruit:  les  amis  de  l'évêquede 
Pamiersréclamèrentconlrccequ'elle 
leursemblailconteuird'iiijiirieux.àli 
mémoire  de  ce  prélat  (  P'.  Caulet, 
VII,  4^7-4^9)*  La  traduction  fran- 
çaise de  celte  Lettre  (  Cologne,  1 684 , 
in- 12  )  est  si  mal  écrite  qu'on  ne 
l'attribue  pas  à  Rapin.  Cet  écrivain 
s'occupa  de  littérature  classique  en 
1681  :  il  compara  Thucydide  et  Ti- 
te-Live  (Paris,  in-12  ),  et  préféra 
le  premier  comme  plus  exact,  le  se- 
cond comme  plus  onté.  Son  dernier 


RAP 


95 


livre  de  dévotion  est  la  Fie  des  pré- 
destinés dans  la  bienheureuse  éter- 
nité, Paris,  1684,  in-4°.  Mais  de- 
puis il  a  compose  encore  un  Traité 
du  grand  et  du  sublime  dans  les 
mœurs,  avec  des  observations  sur 
l'éloquence  des  bienséa?ices,  Paris  , 
1686,  in-i2;  et  nn  écrit  intitulé  le 
Magnanime ,  oul'élogedu  princede 
Condc,  in-12,  en  1687,  peu  de  mois 
après  la  mort  du  héros.  Le  traité  du 
sublimedans  les  mœurs  n'était  (|u'uu 
recueil  de  quatre  éloges^  savoir  de 
ceux  du  roi  Louis  XIV,  de  Lamoi- 
cnon,  de  Turenne  et  de  Couiié  lui- 
même:  mais  ce  prince  s  y  était  trou- 
\é  trop  peu  loué;  et  on  avait  cher- 
ché à  l'indisposer  contre  Rapin. 
Quant  à  l'opuscule  sur  l'éloquence 
des  bienséances  ,  Gibert  n'y  voit  rien 
de  nouveau  que  la  manière  dont  le 
titre  est  tourné,  et  y  reconnaît  les 
traces  de  l'inattention  et  de  la  négli- 
gence que  l'auteur  a  portées  dans  ses 
autres  écrits.  On  n'a  point  imprimé 
une  histoire  du  jansénisme  ,  grand 
owrage  auquel  il  avait  travaillé 
pendant  plus  de  vingt  ans,  et  que 
Dieu  lui  avait  fait  la  grâce  d'ache- 
ver avant  sa  mort ,  à  ce  qu'assure 
Bouhours.  Aux  éditions  particuliè- 
res de  chacun  de  ses  livres ,  que  nous 
avons  indiquées ,  il  faut  ajoute*  cel- 
les où  l'on  a  réuni  toutes  ses  poésies 
latines,  Paris,  1681,  2  tomes  iu-12; 
ses  Parallèles  des  grands  écrivains 
de  l'antiquité,  et  ses  Réflexions  sur 
l'éloquence ,  la  poétique ,  etc.  ,  Paris , 
1684,  'i-  tomes  in-40.;  et  Amster- 
dam .  1 686  ,  a  vol.  in- 1 2  ;  ses  Trai- 
tés de  piété,  Amsterdam,  in-12, 
1695.  L'édition  de  la  Haye,  1725, 
en  3  vol.  in-12  (i),  comprend  tous 
ces  traités  ,  et  les  autres  œuvres  en 


(1)  Ou  a  pince  .1  la  {îii  du  jcr.  de  ces  3  viil. .  lu 
(.niiipiiiaisou  de  Pindarc  et  d'Horace  ,  por  François 
liloudul  (  y.  ce  nom ,  IV,  jgS  ). 


96 


RÂP 


prose  i'rançalsc ,  avec  le  poème  latin 
des  Jardins.  En  joignant  à  ces  trois 
volumes  les  deux  de  i68r  ,  qui 
contiennent  les  Poésies,  on  a,  le  plus 
complètement  qu'il  est  possible,  tous 
les  ouvrages  de  Rapin  :  il  n'y  manque 
que  V Ei'angelium  jaiisenistarum, 
la  Lettre  au  cardinal  Cibo,  les  Artifi- 
ces des  lièrctiques  ,  et  la  Réponse  à 
Vavasseur.  A  notre  avis ,  le  poème 
des  Jardins  assure  à  l'auteur  qui 
vient  de  nous  occuper,  un  rang  e'ini- 
nent  parmi  les  poêles  latins  moder- 
nes ,  dans  la  foule  desquels  ses  autres 
poésies  l'auraient  laissé  confondu. 
Ses  livres  en  prose  française  annon- 
cent une  riche  littérature  et  un  talent 
d'écrire  qui  n'était  pas  très-commun 
avant  1687,  bien  que  dès-lors  sur- 
passé dans  un  petit  nombre  de  chefs- 
d'œuvre.  La  réputation  des  trai- 
tés de  Rapin  ne  s'est  point  accrue 
depuis  1726;  et  nous  ne  croyons 
pas  qu'ils  offrent  une  instruction 
assez  profonde ,  une  j)récision  as- 
sez rigoureuse  ,  une  élégance  ni 
même  une  correction  assez  cons- 
tante, pour  redevenir  jamais  célèbres. 
On  peut  s'étonner  pourtant  que  La- 
harpe  n'ait  pas  daigné  en  dire  un 
seul  mot.  P^oj.  sur  René  Rapin ,  son 
Eloge  par  Bonheurs  ,  et  le  compte 
qui  «1  est  rendu  dans  l'Histoire  des 
ouvrages  des  savants,  novembre, 
1687,  p.  4 '3;  l'article  de  Bayle,  et 
celui  de  Niceron,  t.  xxxii,  p.  i52- 
161.  D — N — u. 

RAPIN-THOYRAS  ;  Paul  de  )  , 
liistorien,  neveu  du  célèbre  Pellis- 
son  ,  naquit,  en  1661  ,  à  Castres  , 
d'une  famille  originaire  de  Savoie  , 
et  qui  s'établit  en  France  à  l'époque 
de  la  réforme,  (prdle  avait  embras- 
sée. Son  père  ,  avocat  à  la  chambre 
mi-partie  de  Castres  ,  le  destinait  à 
la  m  ("-me  carrière.  Après  avoir  ache- 
vé ses  études  avec  succès, à  Puylaii- 


RAP 

rcns  et  à  Saumur,  le  jeune  Rapin 
se  fît  recevoir  avocat  ;  mais  la  sup- 
pression de  la  chambre  mi-partielui 
faisant  craindre  que  les  protestants 
ne  fussent  bientôt  exclus  de  tous  les 
emplois  ,  il  pria  son  père  de  lui  per- 
mettre de  renoncer  au  barreau  ,  et 
d'embrasser  la  profession  des  armes, 
pour  laquelle  il  s'était  toujours  senti 
de  l'inclination.  Son  père  ,  sans  lui 
refuser  son  consentement,  ajourna 
l'exécution  de  ce  projet  ;  et  Rapin 
profita  de  ses  loisirs  pour  se  perfec- 
tionner dans  la  connaissance  des  lan- 
gues anciennes  et  des  bons  auteurs  : 
il  s'appliqua,  dans  le  même  temps,  à 
l'étude  des  mathématiques  ,  et  culti- 
va son  goût  pour  la  musique.  La 
mort  de  son  pèie,  que  suivit  la  révo- 
cation de  l'édit  deî^antes  ,  le  laissant 
libre  de  prendre  le  parti  qu'il  desi- 
rait, il  se  rendit  en  Angleterre,  en 
1686,  avec  son  frère  cadet.  Il  ne 
put  y  trouver  de  l'emploi ,  et  passa 
en  Hollande,  où  il  fut  admis  dans 
une  compagnie  de  jeunes  gentilshom- 
mes français  ,  que  commandait  sou 
cousin  germain.  Peu  de  temps  après, 
il  suivit ,  en  Angleterre,  le  prince 
d'Orange,  depuis  Guillaume  III  (  F". 
ce  nom);  il  obtint  le  grade  d'enseigne, 
puis  une  lieutenance  dans  un  régi- 
ment anglais,  et  devint  ensuite  aide- 
de-camp  du  général  Douglas  ,  qui 
commandait  en  Irlande.  Blessé  griè- 
vement à  l'assaut  de  Limmerick,  il 
ne  put  accoînpagner  ,  en  Flandre, 
son  général ,  dont  il  avait  mérité  la 
confiance,  et  qui  lui  fit  donner  une 
compagnie.  A  peine  était-il  guéri  de 
sa  blessure ,  qu'il  reçut  l'ordre  de 
venir  en  Angleterre  ,  où  il  apprit 
que,  sur  sa  réputation ,  on  l'avait 
nomme  gouverneur  du  jeune  duc  de 
Portiand.  Il  céda  sa  compagnie  à 
l'un  de  ses  frères  ,  et  s'occu])a  tout 
entier  de  ses  fonctions  d'instituteur. 


RAP 

Quoiqu'il  so  fût  marié  pendant  son 
séjour  à  Londres  ,   il  accompagna 
son  élève  dans  ses  voyages  en  Alle- 
magne ,  en  Italie  et  en  France.  L'é- 
ducation du  jeune  lord  terminée,  Ra- 
pin  demeura  ,  quelques  années  ,  à  la 
Haye  ,  avec  sa  famille  j  mais  son 
défaut  de  fortune  lui  fit  prendre  le 
parti  de  se  retirer  à  Wesei,  où  il  pou- 
vait  vivre   avec   plus   d'économie. 
C'est  alors  qu'il  écrivit  V Histoire 
(V Angleterre  ,  ouvrage  pour  lequel 
il  avait  recueilli  d'immenses  maté- 
riaux. Sasanté,  naturellement  robus- 
te ,  ne  put  résister  à  sa  trop  grande 
application  au  travail  ;  et  il  mourut 
à  Wesel,  le  16  mai  lyaS.  Quoique 
d'un  caractère  sérieux ,  Rapin  n'é- 
tait pas  ennemi  des  plaisirs  honnê- 
tes. Il  était  excellent  musicien  ;  il  sa- 
vait l'anglais,  l'italien  et  l'espagnol, 
et  avait  lu  les  meilleurs  auteurs  dans 
ces  différentes  langues  ;  enfin  il  avait 
des  connaissances  très-étend  ues  dans 
les  matliématiques  et  la  fortification. 
JJ  Histoire  d' Angleterre  de  Rapin 
Thoyras,  la  Haye,   1724  ,  8  vol. 
in-4°.,  commence  à  l'établissement 
des  Romains  dans  la  Grande-Breta- 
gne ,  et  finit  à  la  mort  de  l'infortuné 
Cliîtrles  P''.  David  Dupud  l'a  con- 
tinuée jusqu'à  la  mort  de  Guillaume 
III  (  V.  Durand  ).  Elle  a  été  réim- 
primée plusieurs  fois  ;  l'édition  la 
plus  compièle  et   la  meilleure   est 
celle  qu'a  publiée  Lefevre  de  Saint- 
Marc  ,  la  Haye  (  Paris  ) ,  1749  et 
années  suivantes  ,  16  vol.  in-4°.  Ou- 
tre la  Continuation  de  Durand,  elle 
renferme  des  Mémoires  très-détail- 
Ic's  sur  les  vingt  prcmicres  années  du 
règne  de  Gcoi'ge  II  (  par  Dapard  )  ; 
les  Remarques  critiques  de  Nicol. 
Tyndàl ,  et  l'Extrait  des  actes  de 
Rjmer  ,  inséré  d'abord  par  Rapin 
dans  la  Bibliothèque  choisie  de  J.  Le- 
tlerc  ,   et  imprimé  depuis  séparé- 
xxxvii. 


RAP 


97 


ment  ,  Amsterdam  ,  1728  ,  in-40 
(  F.  RvMER  ).  Cette  histoire  a  été 
abrégée  (  par  Falaiscau  )  ,  la  Haye, 
1730,  3  vol.  in-4°. ,  ou  10  vol.  iii- 
12  ;  et  Nicol.  Tyndal  l'a  traduite  en 
anglais.  Le  style  de  Raj^in  ,  quoique 
peu  châtié ,  est  clair  et  rapide  :  il 
présente  les  f;.  '.s  avec  ordre,  dé- 
crit bien  les  causes  des  événements  , 
et  a  soin  de  citer  ses  autorités  ; 
mais  il  montre  partout  la  partialité 
la  plus  révoltante.  Aigri  par  les  per- 
sécutions qu'il  avait  éprouvées  com- 
me protestant ,  Rapin  semble  n'a- 
voir pris  la  plume  que  ponr  venger 
des  injures  personnelles  ,  et  décrier 
la  France,  qu'il  regrettait  sans  doute, 
et  son  gouvernement.  Saint-Foix  a 
essayé,  dans  ses  Essais  sur  Paris, 
de  détruire  quelques  -  uns  des  re- 
procbes  que  cet  historien  fait  à 
nos  rois.  Ou  a  encore  de  Rapin ,  une 
Dissertation  sur  les  TFhigs  et  les 
Toris  ,  la  Haye,  17 17,  in -8°.; 
elle  est  très-estimée.  On  trouvera, 
dans  le  Dictionnaire  de  Chaufc- 
pié ,  des  détails  curieux  sur  Ra- 
pin :  son  portrait  fait  partie  du 
Recueil  d'Odieuvre.  —  Philibert  de 
Rapin  ,  sou  aieul  ,  surintendant  de 
la  maison  du  prince  de  Coudé ,  avant 
été  envoyé  à  Toidouse,  de  la  part  du 
roi ,  pour  y  porter ,  en  1 558 ,  l'édit 
de  pacification,  y  fut  arrêté  par  ordre 
du  parlement,  qui  instruisit  son  pro- 
cès en  trois  jours  ,  et  le  fit  décapiter 
comme  un  des  principaux  auteurs 
de  la  conjuration  formée  par  les 
protestants  pour  s'emparer  de  cette 
ville ,  malgré  l'amnistie  que  le  roi 
avait  accordée.  Les  calvinistes  fu- 
rieux mirent  le  feu  à  touîes  les  fer- 
mes et  aux  maisons  de  campagne  des 
membres  de  celte  compagnie;  et  ils 
écrivirent  sur  les  masures ,  avec  des 
charbons  fumants  ,  vengeance  de 
Rapin.  W — s. 

7 


98 


i;aî> 


RAPP  (  Jean  ),  lieiUcn.int-géné- 
ral ,  naquit  à  Golmar ,  le  '2G  avril 
l'j'ja,  d'une  famille  obscure.  En- 
traîne', à  seize  ans ,  hors  de  la  maison 
paternelle ,  par  une  sorte  d'instinct 
pour  les  armes,  il  s'engagea  dans  un 
régiment  de  cavalerie, s'appliqua,  et 
devint  sous-oflicier  :  presqu'au  dé- 
but de  la  révolution,  il  servit  aux 
armées  du  Rhin ,  et  y  fut  blesse  qua- 
tre fois  sous  Custine,  Pichegru,  iVIo- 
reau  etDesaix.  Parvenu  au  grade  de 
lieutenant  au  10®.  régiment  de  chas- 
seurs à  cheval,  et  s'étant  fait  remar- 
quer par  Desais,  il  devint  l'aide-de- 
carap  du  vainqueur  d'OfFembourg  , 
fit  auprès  de  lui  les  belles  campagnes 
de  1796  et  1797,  et  acquit  une  cer- 
taine connaissance  de  la  théorie  de 
la  guerre.  Il  suivit  Desaix  en  Egyp- 
te. A  Sediman,  ayant  enlève,  à  la 
tcte  de  deux  cents  braves,  les  restes 
de  l'artillerie  des  Turcs  ,  il  fut  pro- 
mu au  grade  de  chef  d'escadron  ,  et 
successivement  à  celui  de  colonel, 
sur  les  ruines  de  Thèbes,  où  il  fut 
grièvement  blessé.  Revenu  en  Euro- 
pe avec  Desaix  ,  il  le  suivit  à  Maien- 
go  ;  et  il  était  à  ses  côtés  quand  ce 
général  fut  tué ,  au  moment  où  il  dé- 
cidait la  victoire.  Buonaparle ,  qui 
avait  remarqué  le  zèle,  la  franchise 
et  l'intrcpldilé  de  Rapp,  se  l'atta- 
cha comme  aidedc-carap.  Dès-lors 
la  fortune  militaire  de  celui-ci  pou- 
vait ne  plus  avoir  de  bornes.  On 
sait  que  Buonaparte  faisait  de  ses 
aidesde-campscs  missionnaires  po- 
litiques. En  180.2,  il  chargea  Ra})p 
d'aller  annoncer  aux  Suisses  la  mé- 
diation de  la  France  dans  leurs  trou- 
bles civils  :  celte  médiation  n'était 
autre  chose  qu'une  intervention  ar- 
mée. Rapp,  au  nom  du  premier 
consul,  vint  sommer  le  général  Bach- 
raann  et  les  insurgés  de  Berne,  de 
suspendre  les  hostilités  ,  les  mcua- 


RAP 

çant  de  l'entrée  des  troupes  françai- 
ses, si  sa  sommation  était  ineffica- 
ce. Ayant  fait  évacuer  Fribourg  , 
il  força  la  diète  de  Schwitz  d'accé- 
der à  la  médiation.  Une  députation 
du  sénat  de  Berne  vint  le  remercier 
de  cette  intervention  j  car  tout  pliait 
déjà  sous  le  joug.  Le  petit-conseil  de 
Coire ,  cité  devant  l'aide-de-camp 
proconsulaire ,  fléchit  également.  De 
retour  à  Paris  ,  Rapp  reçut  des  mar- 
ques de  la  satisfaction  de  son  maî- 
tre, et  l'accompagna  dans  son  voya- 
ge de  la  Belgique,  en  i8o3.  Il  partit 
de  là  pour  s'assurer  de  l'état  des 
bords  de  l'Elbe  ,  afin  d'y  élever  des 
redoutes.  A  son  retour,  il  tomba  en 
disgrâce  ,  pour  avoir  voulu  dissiper 
les  préventions  de  Buonaparte  contre 
le  général  Régnier,  son  ami,  et  pour 
avoir  écrit  à  Régnier  une  lettre  où  il 
s'expliquait  librement  sur  Buona- 
parte,  lettre  dont  ce  dernier  eut 
connaissance  :  mais  Rapp  rentra 
bientôt  eu  grâce,  et  épousa,  par  or- 
dre du  premier  consul ,  la  fdle  du 
fournisseur  ^anderberg;  ce  maria- 
ge ne  fut  pas  heureux.  Rapp  se  ser- 
vit quelquefois  du  retour  de  son 
crédit  en  faveur  des  royalistes,  no- 
tamment à  l'époque  de  la  conspira- 
tion de  George ,  où  il  obtint  de  Buo- 
naparle la  grâce  d'un  ancien  major 
Suisse,  M.  de  Russillon,  condamné 
à  mort  comme  complice  de  Cadou- 
dal.  Il  était  au  camp  de  Boulogne 
quand  la  troisième  guerre  d'Autri- 
che éclata  ;  et  il  suivit  Buonaparte  en 
Allemagne.  A  la  journée  d'Austerlitz, 
la  cavaleriei'usseétaitau  milieu  de  nos 
carres,  et  sabrait  nos  soldais;  Buo- 
naparle ordonne  à  R.ipp  de  prendre 
les  Mamcloucks ,  deux  escadrons  de 
chasseurs  ,  un  escadron  des  grena- 
diers de  la  garde,  et  de  se  porter  en 
avant  ;  celui-ci  part  au  galop,  et  aper- 
çoit  le  désordre:  «  Voyez  vous,  crie- 


RAP 

»  t-il  à  sa  troupe,  nos  frères,  nos 
»  amis  qu'on  foule  aux  pieds  j  ven- 
»  geons  -  les  !  vcngeous  nos  dra- 
»  peaux  !  »  et  il  se  pre'cipile  sur 
l'ariillerie  russe  ,  qui  est  enlevc'e. 
Les  eharges  recommencent  :  on  com- 
bat corps  à  corps;  enfin  la  garde 
impe'riale  russe  est  mise  en  de'- 
roule  :  Rapp  fait  de  sa  propre  main 
le  prince  Repnin  prisonnier  ,  et 
vient  rendre  compte  à  son  chef  du 
brillant  succès  remporte'  sur  l'élite 
des  troupes  ennemies.  Son  sabre  à 
moitié  cassé  ,  sa  blessure ,  le  sang 
dont  il  était  couvert ,  inspirèrent 
à  Buonaparte  l'idée  du  beau  tableau 
qui  fut  exécuté  par  Gérard.  Napo- 
léon éleva  son  aide  de-camp,  sur  le 
champ  de  bataille  ,  au  grade  de  gé- 
néral de  division,  et  il  l'envoya  au 
château  d'Austerlilz ,  pour  soigner 
ses  blessures;  il  lui  fit  même  plusieurs 
visites.  Dès  que  Rapp  fut  rétabli,  il 
reçut  la  mission  d'aller  d'abord  à 
Gratz,  auprès  du  général  Marmont, 
ensuite  à  Laybach ,  auprès  du  maré- 
chal Masséna  ,  puis  à  Venise ,  et  en- 
fin à  l'armée  du  général  Saint-Cyr, 
qui  marchait  sur  Naples  ;  il  avait 
ordre  de  revenir  par  Klagenfurt ,  où 
était  le  maréchal  Ney  :  il  rejoignit 
Buonaparte  à  Munich.  Pendant  sa 
tournée,  la  pais  s'était  faite  à  Vien- 
ne; il  revint  à  Paris  avec  Buonaparte, 
qui  jamais  n'y  fut  accueilli  avec  au- 
tant d'enthousiasme.  Celui-ci  eu  vou- 
lait aux  Prussiens,  et,  épiant  l'occa- 
sion de  tomber  sur  eux,  il  chargea 
Rapp  d'aller  dans  le  Hanovre,  qu'on 
venait  d'abandonner  à  la  Prusse,  et 
d'explorer  le  nord  de  l'Allemagne. 
De  Hanovre,  Rapp  se  rendit  à  Ham- 
bourg; et  revenant  eu  France,  eu 
passant  par  Miuistcr  ,  Francfort , 
Wescljii  rendit  compte  à  Buona- 
]iartc,  de  tout  ce  qu'il  avait  vu.  Peu 
de  temps  avant  la  guerre  contre  la 


RAP 


99 


Prusse ,  Rapp  alla  prendre  le  com- 
mandement de  la  division  militaire 
de  Strasbourg,  pour  y  organiser  les 
bataillons  et  les  escadrons  de  mar- 
che, et  pour  expédier  l'artillerie.  Il 
correspondait  directement  avec  le 
chefde  l'état,  employant  les  estafet- 
tes et  les  télégraphes  :  il  le  rejoignit 
à  Wurtzbourg.  Le  soir  même  de  la 
bataille  de léna,  il  reçut  l'ordre  d'al- 
ler ,  avec  Murât  ,  poursuivre  les 
débris  de  l'armée  prussienne;  et  en- 
trant pèlc-mèle  avec  les  Saxons,  à 
Wcimar ,  il  rassura  la  cour  du  grand- 
duc  effrayée  ;  puis  il  suivit  son  chef 
en  Pologne,  où  s'ouvrit  la  première 
guerre  de  Russie.  Le  29  octobre 
1 806 ,  il  combattit  à  Golymin ,  à  la 
tête  d'une  division  de  dragons  :  ex- 
posé à  la  fusillade  des  voltigeurs 
russes  répandus  dans  les  marais,  il 
eut  le  bras  gauche  fracassé  d'une 
balle.  On  le  transporta  dans  Varso- 
vie ,  où  Napoléon  vint  le  voir.  «  Hé 
»  bien  Rapp  ,  lui  dit-il,  tu  es  tou- 
»  jours  blessé,  et  toujours  au  mau- 
»  vais  bras?  »  C'était  la  neuvième 
blessure  qu'il  y  avait  reçue  :  il  fut 
pansé  par  les  chirurgiens  de  l'empe- 
reur ,  en  présence  de  ce  dernier  : 
on  évita  de  lui  couper  le  bras  ;  et  il 
reçut  le  gouvernement  de  ïliorn, 
pour  se  rétablir.  Le  2  juin  iBoy, 
il  fut  installé  gouverneur  de  Dant- 
zig  ,  avec  le  rang  de  général  eu 
chef.  Après  le  traité  de  Tilsitt,  Buo- 
naparte, lui  adressant  des  instruc- 
tions particulières  ,  lui  ordonna 
d'exercer  une  surveillance  sévère  sur 
la  Prusse  et  sur  la  famille  royale. 
Rapp  correspondaitdircctement  avec 
son  maître,  qui,  aux  premiers  revers 
des  Français  en  Espagne,  lui  pres- 
crivit de  redoubler  de  surveillance. 
«  Ne  passez  rien  aux  Prussiens  ,  lui 
»  écrivait-il;  je  ne  a'cux  pas  qu'ils 
»  Icvcnt  la  tête.  »  La    quatrième 


f    BISLIOTHBCA   ) 


100  RAP 

guerre  d' Autriche  ayant  éclaté  eu 
1809,  Rapp  reçut  l'injonction  de  re- 
joindre l'arme'e  à  Landshut  :  il  trou- 
va Buonaparte  qui  venait  de  rem- 
porter la  victoire  de  Ratisbonne. 
A  la  bataille  d'Esslin^^ ,  il  vola  au 
secours  de  l'armée,  à  la  tête  de  deux 
bataillons  de  la  jeune  garde  ,  et  dé- 
fendit Essling,  malgré  les  instruc- 
tions formelles  de  son  maître,  qui 
lui  en  sut  gré.  Trois  jours  avant  la 
bataille  de  Wagram,  accompagnant 
celui  -  ci  à  l'île  de  Lobau  ,  il  ver- 
sa dans  une  voiture,  eut  une  épaule 
démise  et  trois  côtes  fracassées.  Re- 
rais de  cet  accident,  il  suivit,  après 
les  préliminaires  de  paix ,  le  chef  de 
ï'empire,  à  Munich,  où  le  roi  de  Ba- 
vière lui  témoigna  la  plus  grande 
considération  et  le  logea  dans  son 
palais  ;  de  là  passant  à  la  cour  de 
Stultgard ,  il  y  fut  traité  avec  magni- 
ficence par  le  roi  de  Wurtemberg. 
De  l'etour  à  Paris,  Rapp  fut  désigné 
pour  assister  à  la  cérémonie  du  ma- 
riage de  Napoléon  arec  l'archidu- 
chesse Marie-Louise.  S'étant  permis 
quelques  réflexions  sur  le  divorce  de 
Joséphine  ,  et  n'ayant  pas  dissimulé 
son  attachement  pour  elle  ,  il  reçut 
l'ordre  d'aller  reprendre  le  gouver- 
nement de  Dantzig  ,  où  il  arriva  le 
10  juin  i8io.  Il  devait  particuliè- 
rement surveiller  la  Prusse  ,  trai- 
ter les  Russes  avec  égard,  et  rendre 
compte  de  ce  qui  se  passait  dans  les 
por  is  de  la  Baltique.  Là  il  lutta  coura- 
geusemenl  contre  l'administration 
vexa  toiredcBuonapartedans  les  pays 
conquis  ;  et  plus  d'une  fois  il  éluda 
les  ordres  insensés  de  brûler  les  mar- 
chandises anglaises,  et  de  fouler  les 
habitants.  Consulté ,  vers  la  fin  de 
181 1  ,  sur  l'expédition  que  proje- 
tait Napoléon  au-delà  du  Niémen, 
il  répondit  :  «  Si  V.  M.  éprou- 
»  Vait  des  revers,  Russes  et  Alle- 


RAP 

»  mands  ,  tous  se  lèveraient  en 
»  masse  pour  secouer  le  joug  j  ce 
D  serait  une  croisade.  »  Buonaparte, 
après  avoir  témoigné  son  mécon- 
tentement de  ce  rappoi't ,  l'envoya 
au  maréchal  Davoust ,  qui  ne  par- 
tageait pas  ces  funestes  pressenti- 
ments. Quand  la  guerre  fut  résolue, 
Rapp  s'opposa  de  toutes  ses  forces 
au  projetde  détrôner  le  roi  de  Prusse. 
Napoléon  vint  à  Dantzig  avant  de 
joindre  son  armée  sur  la  Vistule  : 
Rapp  le  combattit  souvent  alors  avec 
une  grande  liberté  j  il  le  suivit  au- 
delà  du  Niémen  ,  augui'ant  mal  de 
cette  extravagante  invasion.  Il  vint 
retrouver  Buonaparte  près  de  Smo- 
lensk  ,  et  ne  le  quitta  plus  jusqu'à  la 
Mojaïsk.  La  veille  de  la  bataille  ,  il 
était  de  service  ,  et  coucha  dans  la 
tente  de  Napoléon  ,  qui ,  à  trois  heu- 
res du  matin,  s'entrclenant  familière- 
ment avec  lui ,  dit  que  la  Fortune  était 
une  franche  courtisane  j  qu'il  l'avait 
souvent  dit ,  et  qu'il  commençait  à 
l'éprouver.  Pendant  l'action ,  Rapp 
reçut  d'abord  trois  blessures  légères; 
mais  bientôt  un  biscaïen  ,  l'ayant 
frappé  à  la  hanche  gauche ,  le  jeta  à 
bas  de  son  cheval  :  c'était  sa  vingt- 
deuxième  blessure.  Buonaparte  vint 
lui-même  le  visiter,  et  le  fit  panser 
par  son  chirurgien  ,  comme  à  Var- 
sovie. Transporté  à  Moscou  ,  le 
progrès  des  flammes  le  força  d'er- 
ler  de  logement  en  logement.  L'em- 
pereur envoyait  presque  tous  les 
matins  le  comte  de  Narbonne,  sa- 
voir des  nouvelles  de  Rapp.  Le 
i3  octobre  ,  commençant  à  mar- 
cher, il  parut  au  château  du  Krc- 
raelin,  où  Buona])arte  lui  témoigna 
beaucoup  d'intérêt.  Le  19,  la  re- 
traite étant  résolue,  Rapp  prit,  avec 
Buonaparte,  la  route  deKalouga,sc 
dirigeant  sur  Borusk,  où  l'on  arriva 
le  quatrième  jour.  Le  lendemain  du 


RAP 

combat  de  Malojaroslawiiz  ,  Napo- 
léon ,  sur  le  point  d'être  enlevé'  par 
les  cosaques  ,  s'enfuit.  Rapp,  s'avau- 
çaut  à  la  tête  de  l'escadron  de  service , 
i'ut  culbute;  son  cheval  se  renversa 
sur  lui  après  avoir  reçu  un  coup  de 
lance,  et  il  fut  foule  aux  pieds  par  les 
cosaques  :  mais  Bessières  vint  le  dé- 
gager ;  on  le  remit  en  selle ,  et 
il  rejoignit  Napole'on ,  qui  le  combla 
d'éloges  dans  son  bulletin.  Pendant 
la  retraite  sur  Smoleusk  ,  il  eut  une 
mission  auprès  du  maréchal  Ney  ,  et 
rattrapa  Buonaparte  à  Smolensk;  il 
était  exténué  de  fatigues ,  de  souffran- 
ces et  de  froid.  Aux  approches  de  la 
Berezina ,  Napoléon  se  vit  cerné  sur 
tous  les  points  ;  une  fausse  atta- 
que sur  Borisow  et  l'impéritie  du 
général  russe  le  sauvèrent.  Rapp 
traversa  la  Berezina  avec  son  maî- 
tre ,  et  ils  se  dirigèrent  ensemble 
sur  Wilna.   A  Smorgoni  ,    Buona- 

f»arte  lui  confia^  qu'il  allait  quitter 
'armée  ;  et  il  lui  ordonna  de  retour- 
ner à  Dantzig  ,  pour  en  reprendre 
le  commandement ,  après  avoir  tou- 
tefois   rallié    l'armée ,  de    concert 
avec  Ney  et  Mural.  Rapp  trouva  tout 
dans  le  plus  affreux  désordre  à  Wil- 
na. Voulant  partir  sans  délai  pour 
Dantzig  ,  il  loua  deux  Juifs  qui  le 
couduisirentiusqu'au Niémen:  il  souf- 
frait horriblement,  ayant  le  nez, 
une  oreille  et  deuxdoigts  gelés,  Il  ar- 
riva enfin  à  Dantzig.   Malgré   l'in- 
tensité du  froid  et  la  désorganisation 
des  forces  qui  venaient  de  se  renfer- 
mer avec  lui  dans  la  place ,  il  la  mit 
bientôt  en  état  d'opposer  la  plus  no- 
ble résistance.  Le  5  mars  i8i3,  par 
une  sortie  combinée,  il  repoussa  les 
Russes ,  qui   commençaient   à  ser- 
rer Dantzig,  sous  les  ordres  du  duc 
de  Wurtemberg.  Tout  ce  qui  pouvait 
en    prolonger  la  défense  ,  fut  tenté 
avec  succès.  Au  mois  de  jviiii,  arriva 


RAP  ICI 

le  capitaine  Planât ,  porteur  des  dé- 
pêches de  Buonaparte ,  et  de  la  nou- 
velle que  la  guerre  venait  d'être  por- 
tée sur  l'Oder  ,   et  que  les  alliés  , 
vaincus  dans  deux  batailles  ,  avaient 
demandé  un  armistice  qui  s'étendait 
jusqu'à  la  Vistule  et  à  Dantzig.  Na- 
poléon envoyait  à  Rapp  le  grand  cor- 
don de  l'ordre  de  la  Réunion  ;  ill'au- 
torisait  à  faire  des  promotions ,  et 
à  conférer  des  grades.  Les  souverains 
avaient  réglé  les  conditions  de  l'ar- 
mistice ;  chaque  place  devait  être  ra- 
vitaillée tous  les  cinq  jours  .  Rapp 
eut  à  lutter  contre  la  mauvaise  foi 
des  assiégeants ,  qui  cherchaient,  par 
toutes  sortes  de  moyens  ,  à  éluder 
les  clauses  de  l'armistice.  A  son  ex- 
piration ,  il  y  avait ,  devant  la  pla- 
ce,  soixante  mille  combattants  et 
deux  cents  pièces  de  gros  calibre. 
Les  combats  se  renouvelèrent  dans 
toutes  les  positions  autour  de  la  ville. 
En  novembre  ,  les  Russes  ,  profitant 
de  l'embarras  produit  par  la  crue  des 
eaux  ,  élevèrent  batteries  sur  batte- 
ries ,  et  en  démasquèrent  une  ving- 
taine. Leur  flottille  vint  aussi  s'es- 
sayer devant  les  forts.  La  disette  et 
toutes  sortes  de  privations  commen- 
çaient à  se  faire  sentir  cruellement 
dans  les  murs  de  Dantzig.  La  popu- 
lation était  réduite  aux  abois.  Dès 
que  les  postes  extérieurs  furent  eni- 
loortés  ,  la  ville  fut  exposée  aubom- 
ÎDardement  et  aux  incendies  :  elle 
perdit  ainsi  presque  tous  ses  maga- 
sins. Le  duc  de  Wurtemberg  ne  né- 
gligeait rien  pour  ébranler  le  moral 
des  assiégés  ;  il  employait  à-la-fois 
la  force  et  la  ruse  :  mais  ses  efforts 
vinrent  échouer  contre  leur  constan- 
ce et  devant  la  fermeté  de  Rapp.  Ce- 
pendant le  nombre  des  combattants 
diminuait  dans  la  place,  et  les  vivres 
étaient  sur  le  point  de  manquer.  Le 
temps  des  glaces  clant  arrive ,  il  a'J- 


102 


RAP 


rait  fallu  vingt  mille  hommes  pour 
s'opposer  aux  progrès  du  siège ,  gar- 
der les  forts  et  maintenir  le  eonrs 
des  eaux  :  la  garnison  était  réduite 
à  sept  mille  hommes  effectifs.  Kapp 
proposa  de  suspendre  les  hostilite's, 
et  de  remettre  la  place  à  i,n  temps 
convenu ,  si  elle  ne  recevait  aucun 
secours.  Le  29  novembre  i8i3  ,  on 
arrêta  les  bases  d'une  capitulatiou  , 
où  la  faculté  de  rentrer  en  France 
fut  stipulée.  Les  forts  étaient  rendus 
et  une  partie  des  conventions  exécu- 
te'e ,  quand  on  apprit  que  l'empe- 
reur Alexandre  refusait  la  ratifica- 
tion. Les  alliés  réglèrent  les  choses 
comme  ils  l'entendaient  -et  la  vail- 
lante garnison  de  Dantz>g  prit  le 
chemin  de  la  Russie.  Ainsi  finit  , 
après  un  an  de  combats  ,  la  défense 
la  plus  glorieuse.  La  garnison  fut 
conduite  à  Kiew  ;  c'est  là, que  Rapp 
apprit  les  evéïî^ments  riiraculcux  de 
la  restauration.  Le  i4  juai  1854?  il 
envoya  son  adhésion  aux  actes  qui 
expulsaient  Napoléon  du  trône  de 
France ,  et  y  rappelaient  les  Bour- 
bons. De  retour  à  Paris  ,  au  mois  de 
juillet ,  il  y  fut  accueilli  avec  distinc- 
tion par  Louis  XVIII ,  qui  le  créa 
chevalier  de  Saint-Louis  et  grand 
cordon  de  la  légion  d'honneur,  'jîapp 
fut  chargé  du  commandement  du 
premier  corps  d'armée  ,  pour  s'op- 
poser à  l'invasion  de  Buonaparte  , 
en  mars  i8i5:  mais  la  défection 
des  troupes,  et  la  rapidité  de  la  mar- 
che de  l'usurpateur,  ne  permirent  au- 
cune défense.  Le  9.9  mars  ,  celui-ci , 
après  avoir  cajolé  Rapp  ,  pour  le 
ramener  à  sa  cause,  annonça  qu'il 
lui  donnait  le  commandement  en 
chef  de  l'armée  du  Kliin  ,  et  lui  con- 
féra le  grand-aigle  de  la  légion  d'hon- 
neur. Il  lenomraa ensuite  m.embrede 
la  chambre  des  pairs.  La  guerre  con- 
tre l'Europe  étant  inévitable  ,  Rapp 


RAP 

alla  occuper  les  lignes  de  la  Lauter , 
ayant  à  peine  quinze  mille  hommes 
d'infanterie  ,  mais  renforcé  par  les 
gardes    nationales  des  Haut  et  Bas 
Rhin,  sous  les  ordres  du  général  Mo- 
litor.  Soixante  mille  hommes  ,  sous 
les    ordres  du    prince    royal ,    au- 
jourd'hui roi  de  Wurtemberg ,  dé- 
bordèrent le  21  juin  ce  faible  corps 
d'armée.  Après  avoir  soutenu  plu- 
sieurs combats  ,  Rapp   apprit  que 
l'armée  alliée  du  Haut-Rhin  marchait 
sur  Strasbourg.  Sans  perdre  un  ins- 
tant, il  se  replia  sur  cette  place  im- 
portante, qui  servait  de  base  à   ses 
opérations.  Ce  fut  pendant  cette  re- 
traite que  ses  soldats  apprirent  le 
désastre  de  Waterloo ,  et  la  seconde 
abdication  de  Buonaparte,  que  Rapp 
leur  avait  long-temps   cachés.  Ces 
événements  produisirent   la   déser- 
tion et  un  découragement  universel. 
Rapp  eut  le  temps  néanmoins  d'ap- 
provisionner Strasbourg,  et  de  se  foi'- 
tifier  dans  ses  positions,  oîi  il  soutint 
plusieurs  combats.  Enfin  une  con- 
vention fut  conclue;  et  les  hostilités 
cessèrent  dans  toute  l'Alsace  :  on  y 
reconnut  Louis XVIII.  A  peineRapp 
eut-il  reçu  l'ordre  de  licencier  l'ar- 
mée, qu'une  sédition  éclata.  Les  trou- 
pes mirent  leurs  chefs  en  arrestation, 
et  exigèrent  qu'on  psyat  leur  solde 
arriérée.  La  fermeté  de  Rapp  échoua 
devant  une  mntinei'ie  qui  eut  un  ca- 
ractère particulier  d'ordre  et  de  mé- 
thode. Il  écrivit  au  roi ,  et  ne  fut  pa^ 
inquiété  :  pourtant  il  crut  devoir  se 
retirer  en  Suisse ,  où  il  fit ,  en  1816, 
l'acquisition  du  château  de  Wildcn- 
stcinen  Argovie.  Cefut  dans  sa  nou- 
velle retraite  qu'il  reçut  le  présent 
(^'nn  superbe  cheval  (\c  la  part  d'un 
Anglais,  qui,  en  i8i3,  avait  parié 
dix  mille  guinces  que  la  défense  de 
iJantzig  se  prolongerait  jusqu'à  une 
époque  détCDuinéc  :  l'Anglais   crut 


devoir  au  brave  ge'ndial  qui  lui  avait 
fait  gagner  son  pari,  cet  hommage 
de  sa  reconnaissance.  11  ne  restait  à 
Rapp  qu'un  débris  de  fortune.  A  l'c- 
]ioque  de  la  première  abdication  de 
Buonaparte  ,  il  avait  quatre  cent 
mille  francs  de  revenus,  tant  en  do- 
tations qu'en  gratifications  et  appoi  n- 
teraents  ,  lui  qui,  à  son  retour  d'E- 
gypte, quatorze  ans  auparavant,  ne 
possédait  pour  toute  fortune  que 
deux  cents  louis  d'épargne.  Il  re- 
vint à  Paris,  après  l'ordonnance  du 
5  septembre ,  et  obtint  du  roi  une 
audience  particulière.  Devenu  mem- 
bre de  la  chambre  des  pairs  ,  en 
1818  ,  ce  ne  fut  pas  pour  lui  le  seul 
témoignage  de  la  faveur  rovale  (i)- 
Sa  santé  s'était  évanouie  par  suite 
des  blessures  dont  il  était  couvert  : 
il  est  mort  le  2  novembre  1821, 
laissant  un  nom  honorable.  Il  avait 
un  caractère  droit  et  franc  ,  un  ton 
soldatesque  qui  s'alliait  parfaite- 
ment à  son  intrépidité.  Après  la 
bataille  de  Wagrara  ,  jouant  un 
jour  au  vingt-un  avec  ^Napoléon, 
qui  aimait  beaucoup  ce  jeu,  et  qui 
avait  beaucoup  d'or  devant  lui  : 
«  N'est-ce  pas  ,  Rapp  ,  lui  dit  son 
«  maître,  que  les  Allemands  aiment 
w  bien  ces  petits  Napolcons.  —  Oui , 
»  Sire,  bien  plus  que  le  grand.  — 
»  Voilà,  répliqua  le  chef  de  l'em- 
»  pire  ,  ce  qu'on  peut  appeler  de 
»  la  franchise  germanique.  »  On  a 
publié  récemment,  dans  un  recueil 
de  Mémoii-cs  contemporains ,  depré- 


(i)  Rapp  s'eUit  Iranclioniciit  attarJié  aux  Bour- 
bons ;  il  taisait  'partie  'iu  cote  droit  de  la  chambre 
dos  pairs,  méprisant  nièmi-  les  aucifos  courtisans 
de  liiiooaparte,  qui,  jadia  iiisttiinientk  senriles  du 
di'Spote,  se  p.iraieot  du  nota  de  lib«'raux,  et  af- 
fectaient des  opinions  républicaines.  MaLt,aufoDd, 
ses  s-ntiment5,  pour  sou  aijcieu  protecteur ,  n'en 
et.iient  point  altères  :  apprenant  sa  mort  ,  uu  jour 
tpi'ij  d'-ieûtiait  avec  le  Koi ,  et  ne  pouvaul  radier 
»a  seiuiitiiite ,  S.  M.  daigna  lai  dire  •(u'elle  l'iO  rs- 
tiuiait  davantage.  Kapp  arait  une  ligure  maie  et 
lUie  constitutmu  robu^e. 


RAS 


io3 


fendus  Mémoires  du  général  Rapp 
(2),  auxquels  ce  général  n'a  eu  aucune 
part  directe  ,  mais  qui  paraissent 
avoir  été  rédigés  sur  une  partie  de 
ses  notes  et  de  ses  papiers  :  on  y 
trouve  tant  de  réticences  et  de  lacu- 
nes ,  qu'on  est  fondé  à  croire  que  les 
véritables  Mémoires  ,  annoncés  au- 
paravant au  public,  et  bientôt  désa- 
voués, ont  été  détournés,  et  que  la 
publication  en  a  été  renvoyée  à  une 
autre  époque.  Dans  ceux-ci  on  at- 
tribue à  Rapp ,  contre  les  royalis- 
tes, des  sentiments  qu'il  n'avait  pas. 
B— p. 
RAS  WELLETA  SELASSÉ , 
vice-roi  du  Tigré  en  Abissinie  ,  ne' , 
■\ers  1746,  était  fils  deKefla-Jésous, 
gouverneur  du  Tigré.  A  l'époque  ou 
Bruce  voyagea  dans  ce  pays  (en 
1770  ),  Welleta  Selassé  était  à  la 
cour  de  Gondar.  Le  premier  poste 
important  qu'il  obtint  ,  fut  celui 
de  balgudda  ou  protecteur  des 
caravanes  de  sel  ;  mais  le  ras  ou 
prince  jMichel  ayant  repris  le  gou- 
vernement du  Tigré ,  Welleta  Se- 
lassi;  s'enfuit  dans  le  désert,  et  y  vé- 
cut de  pillage  jusqu'à  la  mort  de  ce 
ras.  11  s'offrit  à  combattre  à-la-fois 
les  deux  chefs  de  l'armée  de  son  en- 
nemi. Deux  ofhciers  des  plus  bra- 
ves de  l'armée  du  ras  Michel  s'étant 
donc  présentés,  Wellela  Selasse',  à 
cheval  et  armé  de  deux  épées ,  5e 
battit  contre  eux  et  les  tua  l'un  et 
l'autre  :  cet  exploit  lui  valut  une  haute 
réputation  en  Abissinie.  Après  la 
mort  de  Michel ,  il  revint  dans  le 
Tigré;  mais  au  lieu  d'y  être  admis  à 
la  cour,  il  fut  jeté  en  prison  :  cepen- 
dant s'étant  évadé,  il  s'enfuit  chez 
les  Gallas  ,•  il  ilt  ensuilc  une  invasion 
dans    la  province  d'Enderta  ,  puis 


(î^  Erril3 par  liii-mfmf  etpiihlic'par  ta  fiimlle  , 
Pa»i»,  clicx  IW>tnnj;e  frère»  ,  iii-S". 


io4 


RAS 


dans  le  Tigre  ,  vainquit  les  troupes 
qui  voulurent  s'opposer  à  sa  mar- 
che ,  s'assura  le  gouvernement  des 
provinces  à  l'est  du  Tacazze' ,  et  pla- 
ça sur  le  trône  de  Gondar  un  prince 
dont  il  était  sûr.  Il  obtint  et  conserva 
effectivement  les  charges  de  ras  et  de 
hedwudet.  «  Ce  dernier  office ,  dit 
M.  Sait  ,  paraît  analogue  ,  jusqu'à 
nn  certain  point,  à  celui  que  Puti- 
phar  conféra  à  Joseph  ,  lorsqu'il  lui 
dit  :  Ce  sera  vous  qui  aurez  l'autorité 
sur  toute  ma  maison.  »  Le  même 
voyageur  porte  le  jugement  suivant 
sur  le  caractère  de  ce  gouverneux- 
Abissin ,  avec  lequel  il  eut  des  rela- 
tions pendant  sa  dernière  mission 
dans  ce  pays  :  «  Chaquefois  que  j'ai  vu 
le  ras  dans  l'exercice  de  son  pouvoir, 
j'ai  remarque'  en  lui  une  conception 
vive  ,  une  expression  animée ,  et  uu 
ton  d'autorité'  qui  imposait  à  tous 
ceux  qui  l'envii'Oiinaient.  11  a  tou- 
jours considère'  avec  la  plus  grande 
indiffercncs  ,  toutes  les  tentatives 
faites  pour  se  rc'volter  contre  lui. 
On  l'a  vu  pardonner  deux  fois  de 
suite  aux  m  âmes  personnes  qui 
avaient  conspire  contre  ses  jours;  et 
même  il  a  permis  eiux  coupables  dé- 
tester à  sa  cour.  ...»  Fj  éqnemment 
je  l'ai  ouï  dire:»  Les  hommes  ne  sont 
insolents  que  lorsqu'ils  onti'estomac 
plein.  »  M.  Sait  se  louebeaucoup  des 
attentions  que  Pxas  Wellcta  eut  pour 
lui  ;  il  eut  un  libre  accès  auprès  du 
prince,  et  le  vit  toujours  occupe' à 
rendre  la  justice,  à  recevoir  les  hom- 
mages des  chefs  du  vaste  empire 
Abissin  ,  ou  à  se  de'lasser  au  jeu  d'e'- 
checs,  qu'il  aimait  passionne'meut. 
Quoique  chrétien  ,  il  c'tait  jaloux 
comme  un  musulman  ;  et  M.  Sait  ne 
put  visiter  que  clandestinement  la 
femme  du  ras,  qui  avait  témoigne' le 
dcsir  de  voir  l'agent  britannique.  Le 
voyageur  anglais  Pcarcc,  qui  d'abord 


RAS 

avait  e'té  simple  matelot  (  V.  Pearce), 
fut  aussi  très -bien  accueilli  parle 
ras  ,  et  s'e'tablit  dans  son  gouverne- 
ment. Cependant  Pearce  ne  trace  pas 
de  lui  un  portrait  aussi  flatteur  que 
M.  Sait.  «Ras  WalderSerlassey  (c'est 
ainsi  qu'il  l'appelle),  est,  dit-il,  le 
prince  le  plus  puissant  de  l'Abissi- 
nie  ,  et  solde  pour  son  compte  huit 
mille  cinq  cents  fusiliers ,  outre  uu 
grand  nombre  d'autres  appartenant 
à  ses  chefs  ;  il  a  deux  mille  chevaux 
et  environ  vingt  mille  soldats  avec 
des  boucliers  :  cependant  il  vit  che'- 
tivement  comme  un  pauvre  juif. 
C'est  un  grand  menteur;  mais  il  est 
clément  envers  les  prisonniers ,  et  se 
bat  supérieurement.  »  Au  départ  de 
M.  Sait ,  le  ras  lui  remit  une  lettre 
pour  le  roi  d'Angleterre,  et  témoigna 
le  désir  d'entrer  en  relation  avec  ce 
pays.  Toutefois  il  ne  dissimula  point 
que  l'état  turbulent  des  provinces 
d'Abissinie  ,  et  la  barbarie  des  ha- 
bitants, ne  laissaient  pas  aux  mar- 
chands d'Europe  l'e.spoir  d'y  faire 
un  commerce  lucratif,  surtout  tant 
que  les  Musulmans  occuperaient  les 
bords  de  la  mer  Rouge.  A  l'égard  de 
la  religion  ,  il  dit  qu'il  craignait  que 
les  Abissins  ne  restassent  dans  les 
ténèbreSjjusqu'àceque  les  Européens 
vinssent  les  éclairer.  Il  desirait  avoir 
auprès  de  lui  deux  Européens  pour 
pointer  les  canons  ;  et ,  s'il  avait  si 
bien  accueilli  Pearce  ,  c'est  parce 
que  ce  matelot  lui  était  utile  dans  ses 
guerres  :  Pearce  l'avait ,  en  effet , 
bien  secondé,  en  1807 ,  dans  la  guer- 
re contre  les  Gallas ,  c|ue  le  ras 
vainquit  com])lctcment  :  suivant  l'u- 
sage barbare  des  Abissins  ,  après  la 
bataille,  on  mutila  dix-sept  cents  en- 
nemis tues,  pour  déposer  leurs  mem- 
bres aux  pieds  du  ras.  Wellcta  Sc- 
iasse mourut  vers  1816.  On  trouve 
beaucoup  de  détails  sur  ce  prince  , 


RAS 

dans  !c  Voyage  en  Abissinie ,  entre- 
pris par  H.  Sait  clans  les  années 
1809  et  1810,  traduit  en  français  , 
par  M.  Henry,  Paris  ,  1816,  '^  vol. 
iu-8".  D— G. 

RASCAS  (Pierre-Antoine),  sieur 
Je  Bagarris  et  du  Bourguet ,  n'a 
obtenu  de  mention  d'aucun  des  bio- 
graphes les  plus  connus  ;  et  cepen- 
dant il  a  rendu  de  vrais  services  à  la 
science  des  antiquite's.  Les  auteurs 
des  nobiliaires  qui  ont  publié  l'arbre 
généalogique  de  sa  famille,  l'ont  e'ga- 
Jcmcnt  oublié,  par  la  raison,  sans 
doute ,  qu'il  n'a  figuré  que  dans  le 
monde  savant.  Cet  habile  antiquaire 
naquit  à  Aix  en  Provence  ,  vers  l'an 
1567.  François  de  Rascas,  son  aïeul, 
et  Guillaume,  son  bisaïeul,  avaient 
occupé  des  charges  de  conseiller  au 
parlement  d'Ais.  Guillaume  ,  sieur 
de  Bagarris  ,  son  père  ,  fut  premier 
consul  de  la  même  ville,  en  iSga. 
Pierre  -  Antoine ,  qui  n'était  que  le 
second  fils  de  ce  gentilhomme,  em- 
brassa la  profession  d'avocat.  Il  fit 
son  droit  dans  l'université  d'Aix;  et 
il  y  fut  reçu  docteur ,  le  7.']  mars 
i588(  lïist.  manuscr.  deVunù'ersi- 
té  d'Aix)  ;  mais  son  goût ,  ou  plutôt 
sa  passion,  le  portait  vers  l'étude 
des  médailles  et  des  antiquités  en 
général.  Il  mit  tous  ses  soins  à 
se  former  un  cabinet,  qui  devint  un 
des  plus  curieux  et  des  plus  riches 
de  cette  époque.  En  1597  '  Peiresc  , 
e'tant  venu  commencer  son  droit  à 
Aix,  prit,  en  examinant  la  collec- 
tion de  Bagarris,  l'amour  des  mo- 
numents anciens ,  qui  a  fondé  sa  cé- 
lébrité. Il  employait ,  dans  ce  cabi- 
net ,  tous  les  moments  qu'il  pouvait 
dérober  à  ses  autres  études.  Bagar- 
ris, suivant  le  témoignage  de  Gas- 
sendi, plaçait  sous  les  yeux  de  Pei- 
resc ses  médailles  les  plus  curieuses, 
lui  en  donnait  rexplicatioii  sur  le 


RAS 


io5 


texte  i.uônic  des  auteurs  propres  à 
les  éclaircir ,  et  contribuait  ainsi  à 
former  le  grand  homme  qui  devait 
à  sou  tour  éclairer  tant  de  savants. 
L'année  suivante  ,  Peiresc  ,  qui  con- 
tinuait son  droit  à  Avignon  ,  cor- 
respondait avec  Bagarris  ,  au  sujet 
des  médailles  qu'il  rencontrait  dans 
cette  ville  ,  et  il  recevait  de  lui 
des  explications  qui  excitaient  de 
plus  en  plus  son  ardeur  pour  l'é- 
tude. Peu  de  temps  après  ,  Henri 
IV  ,  qui  avait  conçu  le  projet  de 
rassembler  des  médailles  et  des  pier- 
res gravées  ,  pour  servir  à  l'ins- 
truction publique,  appela  Bagarris 
auprès  de  sa  personne,  et  lui  confia 
la  direction  de  son  cabinet.  La  col- 
lection commencée  parFrançoisP"'., 
continuée  par  Catherine  de  Médicis 
et  par  Charles  IX,  avait  été  dilapi- 
dée et  presque  anéantie  pendant  les 
guerres  civiles.  11  fallait  recommen- 
cer les  acquisitions ,  c'est-à-dire,  fon- 
der rétablissement  royal.  Ce  qui  res- 
tait des  antiques  de  la  couronne  se 
trouvait  h  Fontainebleau.  C'est  là  que 
Rascas  de  Bagarris  fut  placé,  avec 
le  titre  de  maitre  des  cabinets,  mé- 
dailles et  antiquités  du  roi  ;  et  c'est 
de  cet  acte  d'Henri  IV  que  date  la 
fondation  de  la  collection  royale. 
L'auteur  du  Tableau  historique  de 
la  bibliothèque  du  roi  dit  que  Bagar- 
ris fut  appelé  à  la  garde  du  cabinet 
en  1608;  c'est  une  erreur.  Une  let- 
tre que  J, -Juste  Scalîger  lui  adres- 
sait à  Paris,  le  12  janvier  iGo3,  lui 
donne  le  titre  de  maitre  des  cabi- 
nets et  antiques  du  roi.  La  nomi- 
nation de  Bagarris  date,  par  con- 
séquent, de  1602  ou  de  1601.  Ce 
savant  se  fit  une  haute  et  juste  idée 
des  devoirs  de  sa  ])lace,  ainsi  que 
des  services  iju'elle  le  mettait  à  portée 
de  rendre  aux  beaux  -  arts  et  à  la 
science  des  antiquités.  Sa  première 


io6 


RAS 


pensée  fut  d'inviter  Henri  IV  à  faire 
frapper,  dans  ses  hôtels  des  mon- 
naies ,  de  vraje.s  et  parfaictes  mé- 
dailles,  servant  à  cclc'brer  les  ëve'- 
neraents  de  son  règne.  Celte  concep- 
tion le  conduisit  à  une  autre  plus  bel- 
le encore  ,  et  entièrement  neuve  ;  ce 
fut  de  composer  lui-même  l'histoire 
entière  de  ce  prince ,  par  des  médail- 
les qui  en  retraceraient  les  faits  les 
plus  glorieux,  et  d'mcertfereff/r^i^er, 
suivant  ses  expressions,  les  dessins 
d'icelles  sur  ceux  des  médailles  an- 
tiques. Henri  IV  goûta  ce  noble  pro- 
jet, et  chargea  Bagarris  de  dresser 
toute  son  histoire,  tant  escrite  que 
figurée  ensemhlement ,  non  -  seule- 
ment au  long  et  continue  dans  un 
grand  volume,  mais  aussi  de  la  ré- 
duire en  abrégé ,  par  articles  sépa- 
rez et  divisez,  propres  à  être  appli- 
quez à  ces  médailles.  Bagarris  se  li- 
vra sur  -  le  -  champ  h  ce  travail,  et 
s'occupa  tout-à-I  a-fois  de  deux  au- 
tres ouvrages  que  le  roi  lui  avait  aus- 
si demandes.  Le  premier  devait  être 
intitule':  Idée  des  médailles.  Il  se  di- 
visait en  trois  parties.  Dans  la  pre- 
mière ,  l'auteur  traitait  de  la  con- 
naissance élémentaire  des  médail- 
les ;  dans  la  seconde,  des priw ipes 
ou  causes  des  médailles  ;  dans  la 
troisième,  de  la  connaissance  des 
médailles  au  long.  D ms  le  second 
ouvrage,  B.igarris  s'attachait  à 'dé- 
montrer Vinsu[fisance  de  tous  les 
autres  moniincnts  à  éterniser  la 
mémoire  des  grands  princes,  sans 
Vaide  des  vrajes  et  parfaictes  mé- 
dailles. Au  mois  de  novembre  i6u8, 
l'auteur  présenta  au  roi  les  Dessins 
des  médailles  de  son  histoire  augus- 
te figurée,  non  termines,  m:ihbien 
aU'ancez.  Il  lutaussi  devant  lui, /;»- 
hlitpieincnt,  son  IMc'moirCiVHr  la  né- 
ces  <:i  lé  de  rélaidir  l'a >age  de 'i  mé- 
dailles. Il  invitait  llciui  IV,  dans  co 


RAS 

M(^moire ,  a.  s'occuper  de  l'exécution 
deson  Histoire  auguste  ctà  ne  pas  re- 
mettre ce  soin  auhazard  de  ses  suc- 
cesseurs. Les  gravures  et  l'impres- 
sion allaient  en  elT'et  commencer, 
lorsque  la  mort  du  roi  suspendit  les 
travaux.  Bagarris  (it  de  vains  cfibrts 
auprès  de  Marie  de  Medicis  et  du 
jeune  Louis  XIII,  pour  obtenir  l'exé- 
cution du  monument  qu'il  avait  vou- 
lu élever  à  la  gloire  de  Henri  -  le- 
Grand.  11  entreprit  de  publier,  à  cet 
effet,  im  Extrait  de  son  Mémoire, 
intitulé  :  De  la  nécessité  (le  Vusage 
des  médailles ,  dans  lequel  il  expo- 
sait quels  avaient  été  les  projets  du 
feu  roi,  et  les  ordres  qu'il  en  avait 
reçus  :  mais  ses  représentations  fu- 
rent vaincs.  Désespérant  de  réussir, 
il  arrêta  la  publication  de  son  Mé- 
moire; c'est  du  moins  ce  que  l'on 
peut  conjecturer  de  ce  que  vingt-six 
pages  seulement  ont  été  imprimées 
(  Paris,  in-4°.,  i6i  i  ).  Il  abandon- 
na ensuite  Paris  et  sa  place ,  en  la 
mêmeannée  i6ii  ,eta!la  reprendre 
à  Aix  la  profession  d'avocat.  Jean 
de  Ghaumont,  conseiller -d'état,  lui 
succéda  dans  la  garde  du  cabinet. 
Jacques  de  Bie,  qui  publia,  en  iG30, 
son  recueil  intitulé:  Les  familles  de 
la  France  ,  illustrées  par  les  mo- 
numents des  médailles  anciennes  et 
modernes  ,  ne  suivit  qu'imparfaite- 
ment l'idée  du  savant  antiquaire 
d'Henri  IV.  Golbert  recueillit  le  pro- 
jel  de  Bagarris  sur  V Histoire  auguste 
du  roi,  et  rexcVnla  en  rhonnej.ir  de 
LouisXIV.  On  sait  (pic  quatre  mem- 
bres de  l'académie  française  furent 
choisis,  en  iG(x),  pour  composer 
V  Histoire  du  roi  par  médailles.  C'est 
le  projet  de  cet  ouvrage,  conçu  d'a- 
bord par  Bagarris  ,  ipii  a  occasion- 
né cette  réunion  et  donné  naissance 
à  l'académie  royale  des  in.>criptions 
et  belles-lettres.  Bigarris,  do  retour 


dans  sa  patrie ,  reçut  de  la  cour , 
corume  un  de'dommagcment  de  la 
place  à  laquelle  il  avait  renonce,  le 
titre  d'intendant  des  mers  Atlanti- 
ques du  roi.  11  se  maria,  dans  sa  re- 
traite, avec  une  demoiselle  d'A'bert 
de  Regnssc;  et  il  en  eut  deux  fils  ju- 
meaux, nés  le  i5  dc'cembre  1619, 
l'un  nomme'  Jean  et  l'autre  Fran- 
çois. Il  mourut  le  i5  avril  1620, 
étant  primicler  de  l'université  d'Aix. 
Rascas  de   Bagarris  avait   apporté 
dans  cette  ville  la  plus  grande  par- 
tie des  objets  dont  se  composait  son 
cabinet.  Quelques  -  uns  ])assèrent , 
après  sa  mort,  dans  la  collection  de 
Toussaint  Lautliicr  ,  apothicaire  à 
Aix  •  et  ils  sont  venus  de  chez  Lau- 
thier  dans  le  cabinet  du  Roi.  Ragar- 
Z'is  \  en  quittant  Paris  ,  déposa  ses 
manuscrits  à  la  bibliothèque  du  col- 
lège royal,  dit  de  Clermont.  II  est 
vraisemblable  qu'ils  ont  été  vendus 
avec  Les  autres  manuscrits  de  cet- 
te bibliothèque,  en  1764.  L'auteur 
qui  a  donné  le  plus   de  renseigne- 
ments sur  ce  savant  antiquaire  est 
Bouche  (  François) ,  dans  ses  Noti- 
ces sur  les  Provençaux  célèbres,  join- 
tes à  son  Essai  sur  l'histoire  de  Pro- 
vence.— Jean  de  Bagarris  ,  l'un  des 
deux  fils  jumeaux  de  Pierre- Antoine, 
paraît  avoir  été  l'aïeul  de  J?an- An- 
toine de  Rascas,  jésuite,  natif  d'Aix, 
qui  a  composé  un  poème  intitulé: 
Oculorum  sermo ,  le  Langage  des 
/}eu.v,  imprimé  à  Lyon,  chez  An- 
toine Molin,  17  18,  in-8 ', ,  de  dix- 
neuf  pages.  Ce  poème  est  écrit  en 
vers  élégiaqucs.  Les  auteurs  des  3Ié- 
vioires  de   Trévoux  en   ont  rendu 
compte,  dans  le  numéro  du  mois 
de  juillet  17  18,  page  io3.  «  II  faut 
»  beaucoup  d'esprit,  disent-ils,  pour 
»  choisir  un  sujet  si  heureux  ;  il  en 
»  faut  encore  plus  pour  le  traiter  : 
»  mais  le  Père  de  R.iscas  est  d'tmc 


RAS  107 

»  famille  où  l'on  n'en  manque  pas  ; 
»  l'amour  des  lettres  y  est  héréJilai- 
»  re.  )>  E — c  D — D. 

RASCHE  (Jean -Christophe 'l  , 
nuraismateallemand,naquiten  1783, 
à  Schoibda  dans  le  cercle  saxon  d'Ei- 
senach.  On  a  peu  de  détails  sur  sa 
vie  ;  seulement  on  sait  qu'il  fut  crée 
maître  en  philosophie ,  et  nommé 
adjoint  au  tribunal  ecclésiastique  du 
baillage  de  Massfeld  ,  et  pasteur  de 
Bas-Massfcli  auprès  de  INîeiningen; 
enfin  que  plusieurs  sociétés  savantes 
ou  littéraires  ,  telles  que  celles  d'Al- 
torf,  Halle,  léna  et  Cassel,  l'admirent 
au   nombre  de   leurs   membres.    H 
exerça  le  pastorat  pendant  quaran- 
te- deux  ans  ,  et  mourut  le  2  i  avril 
i8o5.    Rasche  a    publié  un    grand 
nombre  d'ouvrages,  dont  les  princi- 
paux traitent  de  l'art  numismatique: 
I.    Histoire   de  Jean   de   Calais , 
Francfort  et  Leipzig,  i755,  '.i  vol. 
in-8°.  II.  Epislolarum  ohscuronmi 
viwrum  volwnina  omnia,  Franc- 
fort, 1737  ,  2  vol.  in-8°.  III.  Char- 
lemagne  ,  grand  par  ses  ejjorts  en 
faveur  des  écoles  allemandes  ,  IMci- 
ningen,  1760  ,  in-4".  IV.  L'art  de 
rédiger  des  lettres  allemandes^  troi- 
sième édition  ,  Nuremberg,  1774  r 
iu-S".  V.  Continuation  du   Traité 
des  proverbes  de  Sancho  Pansa , 
deuxième  édition  ,  Leipzig,   1777» 
in  -  8°.  VI.   Lexicon   ahruplionimi 
quœ  in  numismatilms  Roiuanoruni 
occurrunt ,  Nuremberg,   1777,1"'" 
8".  VIL  Nnmismnla  rarissima  Bo- 
manorum  à  Julio  Cœsare  ad  Ilera^ 
clium  us'piè  ,  ibid.  ,   1777  ,  in-8'^. 
VIII.  \j' Ancienne   constitution   de 
Borne,  ibid.,  1778,  in-8f,  IX.  La 
connaissance  des   médailles  anti- 
ques ,  d'après  les  pnncipes  de  Jo- 
hert  et  de  T^a  Bastie  ,  ibid.  ,   1778- 
79  ,  3  vol.  in-8''.  avec  fig.  X.  Lexi' 
con  universa'  rei  numariœ  vetcrum ,. 


io8  RAS 

et  prœcipuè  Grœcorum  ac  Rvina- 
noruni ,  cum  ohservationihus  anti- 
quariis,  geographicis,  chronologicis, 
historicis  ,  crilicis ,  etc.  ,  Leipzig , 
1 785-94 ,  six  tomes  cq  i  1  vol.  in-8**. 
Heyne  ,  qui  a  e'crit  la  préface  de  ce 
grand  ouvrage ,  l'appelle  nn  travail 
operœ  pertinacissimœ.  Un  Supplé- 
ment a  ce  Dictionnaire ,  compre- 
nant seulement  les  neuf  premières 
lettres  de  l'alphabet,  a  paru  en  deux 
volumes  ,  à  Leipzig  ,  en  i8ou  et 
i8o5.  Rasclie  a  fourni  plusieurs  mor- 
ceaux au  Magasin  historique  de  Biis- 
ching  ,  et  à  d'autres  Recueils  pério- 
diques ,  notamment  un  Traite  sur  la 
toilette  des  daines  romaines,  im- 
prime en  1777  ,  dans  l'Alraanach 
de  Gotha,  en  français  et  eu  allemand. 
D— 0. 
RASCIiED-BILLAH  (  Abou-dja- 
FAR  alMansourI),  So*^.  khalife 
Abbasside,  reconnu  du  vivant  de  sou 
père  Mostarsched  ,  fut,  par  ordre 
dusultlian]\ïas'oud,proclamëàBagh- 
dad ,  eu  présence  de  vingt-un  prin- 
ces de  sa  famille,  le  27  dzoulkadah 
5'J.g  (8  septembre  i  i35  )  ,  lors- 
qu'on y  eut  appris  la  fin  tragique  de 
son  prédécesseur.  Il  suivit  le  systè- 
me d'indépendance  de  Mostarsched, 
refusa  de  payera  Mas'oud  les  quatre 
cent  mille  dinars  consentis  par  ce 
khalife;  et  ayant  rompu  avec  ie  sul- 
than,ilchassadcBaglidad  les  parents, 
les  amis  et  les  partisans  de  ce  prince, 
au  nombre  de  cinquante  mille,  et 
donna letitre  de  snllhanàDaoud,  ne- 
veu de  Mas'oud.  Renforces  par  les 
secours  de  plusieurs  princes  voisins 
(outre autres  d'Einad-cddyn  Zeiighy, 
roi  de  Moussoul),  Resched  et  Daoud 
soutinrent  un  siège  o])iniàtrc  de 
deux  mois;  mais,  la  division  s'c- 
tant  mise  entre  eux  ,  ils  sortirent 
delà  ville,  et  Rasched  se  relira  à 
Moussoul  avec  Zcnghy.  Mas'oud , 


RAS 

maître  de  Daghdad ,  convoqua  (  août 
1 1 36  )  une  assemblée,  qui  le  déclara 
déchu  du  khalifat,  dont  il  n'avait  pas 
joui  un  an  entier  ,  et  le  remplaça  par 
Moktafy,  oncle  de  Rasched  (  JT. 
Mas'oud,  XXVII  ,  383,  etMoKXA- 
Fv,  XXXIX,  274).  Le  khalife  dé- 
pose' ne  se  fiant  pas  à  Zenghy ,  que 
le  sulthan  avait  gagné  par  des  conces- 
sions de  terres  et  de  titres  honorifi- 
ques ,  quitta  Moussoul ,  et  se  rendit 
auprès  de  Daoud  dans  l'Adzerbaïd- 
jan,  011  ces  deux  princes,  animés  par 
le  même  intérêt ,  formèrent  une  nou- 
velle ligue  conti'e  Mas'oud.  Leur  ar- 
mée lut  vaincue;  et  Rasched,  qui, 
relevant  de  maladie  ,  s'était  arrêté  à 
Hamadan ,  ayant  voulu  gagner  Is- 
pahan ,  fut  assassiné  par  ses  esclaves 
pendant  son  sommeil,  le  25  rama- 
dhan  532  (  juin  1 123  ) ,  à  l'âge  de 
32  ans.  A — T. 

RASCHI  (  Rabbi  Salomon  Jar- 
cui) ,  le  plus  célèbre  rabbin  qui  ait 
paru  en  France ,  cl  un  des  plus 
grands  hommes  qui  soit  sorti  du 
peuple  juif  ,  naquit  à  Troyes  en 
Champagne,  l'an  io4o,  suivant  l'o- 
pinion très-vraisemblable  de  l'abbé 
de  Rossi  ,  et  le  témoignage  d'un  an- 
cien manuscrit  dont  il  s'appuie.  II 
était  fils  du  rabbin  Isaac,  d'oi!i  lui 
est  venu  le  surnom  d'Isaaki.  Le  nom 
de  Raschi  est  un  composé  des  initia- 
les des  mots  Rahhi  Salomon  Itza- 
haki ,  suivant  l'usage  des  Juifs  mo- 
dernes ;  et  c'est  sous  ce  nom  qu'il 
est  généralement  connu.  Richard  Si- 
mon,  Lacrozc,  Wolfct  (juelques  au- 
tres savants  prétendent  (juc  les  rab- 
bins ne  l'ont  jamais  cité  sous  le  nom 
de  Jarchi;  c'est  une  erreur  démen- 
tie par  le  .SerftT^^r/orô<«  ,  le  Schem 
Aghedolim ,  et  le  Catalogue  des 
mamiscrils  de  l'abbé  de  Rossi ,  où 
l'on  voit  qu'il  est  appelé  Jarchi  indis- 
linclcuu'ut  par  les  chrcticiis  cl  par 


RAS 

les  hébreux.  On  a  cm  aussi  qu'il  était 
de  Luncl ,  parce  que  le  mot  Jarki  si- 
gnifie lunatique  :  cette  conjecture  est 
entièrement  de'truite  par  le  tciuoiç;na- 
f^e  de  la  plupart  des  biographes  juifs  et 
par  Richard  Simon,  Bartolocci,  Bas  ■ 
nagect  Rossi.Raschi,  doucd'heureu. 
ses  dispositions  pour  l'e'tude  ,  apprit 
les  langues  anciennes  ,  la  philoso- 
''  phie  ,  la  médecine  et  l'astronomie  j 
il  devint  très-habile  dans  l'Ecriture 
sainte  et  dans  la  jurisprudence  he'- 
braïque  :  ses  progrès  furent  si  ra- 
pides dans  l'intelligence  des  Livres 
saints  et  du  Talmud  ,  que  ses  con- 
temporains le  regardèrent  comme 
un  prodige ,  et  qu'il  a  été  appelé,  par 
excellence  et  par  antonomase,  Viti- 
terprète  de  la  loi  ,  le  prince  des 
coimnentateurs.^onconlcnt  d'avoir 
entendu  les  hommes  les  plus  ins- 
truits que  la  France  possédait  alors , 
il  voulut  profiter  des  lumières  des 
étrangers;  et,  dans  ce  dessein,  il 
voyagea  en  Italie  ,  en  Grèce  ,  en  Pa- 
lestine ,  en  Egypte  ,  en  Perse  ,  en 
Allemagne;  il  visita  toutes  les  villes 
où  il  y  avait  des  académies  hébraï- 
ques ,  et  où  florissaient  les  études.  11 
interrogeait  les  professeurs,  discutait 
avec  eux  les  articles  les  plus  diffi- 
ciles ,  et  notait  exactement  les  ré- 
ponses qu'on  lui  faisait.  Le  tré- 
sor d'érudition  qui  en  résulta ,  lui 
servit  dans  la  suite  pour  compo- 
ser ses  ouvrages ,  qui  furent  reçus 
avec  enthousiasme  par  ses  com- 
patriotes ,  et  qui  sont  encore  re- 
gai'dés  comme  ce  qu'ils  possèdent 
de  plus  excellent.  Raschi  mourut 
dans  sa  patrie  ,  en  i  inS  ,  à  l'âge  de 
soixante-cinq  ans.  Jachia  et  quelques 
auteurs  juifs,  toujours  amis  du  mer- 
veilleux ,  assurent  que  son  corps 
fut  transporte  à  Prague,  et  qu'on  y 
voyait  encore  son  sépulcre  ,  de  leur 
temps.  ïl«  font  aussi  des  contes  sur 


RAS 


109 


quelques  événements ,  répétés  par 
Bartolocci,  mais  que  le  judicieux  ab- 
bé deRossi  a  jugés  dignes  d'un  éter- 
nel oubli.  Rnschi  eut  un  grand  nom- 
bre de  disciples  ,  qui  lui  firent  hon- 
neur, et  qui  répaudirent'sa  doctrine 
dans  toutes  les  parties  du  monde.  II 
maria  ses  trois  filles  à  des  person- 
nages les  plus  distingués  dans  sa  na- 
tion. On  a  de  ce  docte  rabbin  :  I. 
Comment  ariiis  inFentateuchum, en 
hébreu,  Rcggio  ,  i475  ;  Bologne, 
1482;  Soncino ,  1487  ;  Lisbonne, 
1491  ;  Naples,  1491  ;  Constantino- 
ple,  i5o5  ;  Prague  ,  i5i8eti53i; 
Thessalonique  ,  i5'io  ,  in -fol. ,  et 
plusieurs  fois  depuis,  avec  ou  sans  le 
texte.  L'abbc  de  Rossi  donne,  sur 
plusieurs  édilionsde  ce  commentaire, 
d'amples  détails  dans  ses  annales 
hebrœo  -  tjpograph.  xy  sec.  ,  Par- 
me, 1795,  et  dans  ses  Ann.  hehrœo- 
tj'pograph.  ah  anno  i5oi  ad  annum 
i54o,  Parme,  1799.  Il  décrit  aus- 
si ,  dans  son  Catalogue  raisonné  , 
soixante-six  manuscrits  qu'il  possé- 
dait ,  et  dont  quelques-uns  offraient 
des  variantes  considérables  ,  ou  des 
particularités  remarquables.  Conrad 
Pellican  entreprit  de  traduire  en  la- 
tin le  Commentaire  de  Raschi  ;  mais 
il  ne  l'acheva  pas,  et  ce  qu'il  en  avait 
fait  est  resté  inédit.  Jean-Frédéric 
Breithaupt  eu  a  donné  une  traduc- 
tion latine  complète,  de  sa  façon,  avec 
des  notes  excellentes  ,  Gotha,  171 3 
et  1714?  in-4°',  3  vol.  Raschi,  dit 
Richard  Simon  ,  est  le  grand  auteur 
des  Juifs  sur  la  Bible ,  parce  qu'il 
est  savant  dans  leur  théologie  et  dans 
leurs  traditions.  Buxtorf ,  Lightfoot, 
Morin ,  Jahn ,  Rosenraidler  et  Rossi 
le  regardent  également  comme  uq 
oracle  sur  les  traditions  judaïques  , 
qu'il  rapporte  en  historien  ,  et  sou- 
vent sans  y  croire.  En  voici  deux 
échantillons  :  il   soutient ,   d'après 


110  RAS 

Aben-Ezra  ,  son  maître  ,  qiie  le  ser- 
pcut  teutalciir  était  siinpleinent  une 
l)ète;ilsiipposc  qu'il  marchait  et  par- 
lai ta  la  manière  des  hommes:  il  ajoute 
qu'ayant  été  témoin  des  caresses  que 
se  prodic^uaient  Adam  et  Eve  dans  !e 
paradis  terrestre  .,  le  serpent  conçut 
de  l'amour  pour  Eve  ,  et  ne  forma  le 
projet  de  la  tenlalion  que  dans  l'es- 
pérance de  l'épouser  ,  s'ima}:;inaijt 
qu'Adam,  mangeant  le  prejnier  du 
fruit  défendu,  mourrait  sur  l'heure. 
Raschi  raconte  ailleurs  qu'Abraham, 
partant  pour  l'Egypte  ,  enferma  sa 
femme  dans  uu  colïre  qui  fit  partie  de 
son  bagage  ;  que  les  commis  de  la 
douane  voulurent  ouvrir  le  coffre  ; 
qu'Abraliam  n'ayant  pus'endéfendre, 
ils  en  tirèrent  Sara,  dont  Pharaon 
fut  tellement  épris ,  que  le  patriar- 
che crut  devoir  la  faire  passer  pour 
sa  sœur.  Raschi  ne  se  borne  pas  à 
recueillir,  dans  son  Commentaire, 
les  historiettes  des  anciens  rabbins 
€t  les  allégories  des  talmudistes  ;  il 
s'attache  principalement  aux  expli- 
cations littérales  des  auteurs  les  plus 
accrédités,  dont  il  rapporte  les  ex- 
pressions mêmes.  C'est  vraisembla- 
blement sur  le  modèle  des  Commen- 
taires de  Raschi,  que  nos  interprètes 
du  moyen  âge  ont  composé  leurs 
Chaînes  des  Pères.  Le  style  de  ce 
docte  rabbin  est  concis  ,  obscur , 
enigmaliqne.  Le  mélange  continuel 
des  termes  euipruntés  à  différentes 
langues  ,  à  l'hébreu  ,  au  chaldaique, 
au  rabbinique  ,  au  français  de  ces 
temps  reculés,  augmente l'obsciuitc 
et  la  difficulté  de  l'entendre.  La  hau- 
te estime  dont  il  jouit,  et  le  besoin 
de  le  mettre  à  la  portée  de  tous  , 
ont  engagé  des  rabbins  modeines  à 
le  commenter  cl  à  l'érlaircir.  Nico- 
las de  f^yra  ,  Siméon  de  IMuis  et  plu- 
sieurs autres  Cliréti(;us  l'ont  souvent 
mis  à  conlribulion  dans  leurs  écrits. 


RAS 

II.  Commentarius  in  Canticum,  Ec' 
clesiasten,  Buth,  Ester,  Daniel, 
Esdram,  iV'e/zemun/jjNaples,  1487, 
in-4°.  Les  cinq  livjes  appelés  Me- 
ghillot  \)ar  les  Juifs,  avaient  déjà 
])aru  à  Bologne,  en  1482  ou  i483, 
in-fol.  ;  et,  depuis  ce  temps,  ils  ont 
eu  un  grand  nombre  d'éditions,  ain- 
si que  les  agiographes.  Il  paraît 
que  les  Commentaires  sur  les  Parali- 
pomènes.  Job  et  les  Prophètes,  im- 
primés dans  les  grandes  Bibles,  sous 
le  nom  de  Raschi ,  ne  sont  pas  de 
lui.  III.  Commentarius  in  Talmud, 
impriméavec  le  teste,  Venise,  i520, 
in-fol. ,  et  ailleurs.  Raschi  n'a  don- 
né que  vingt-trois  Traités.  Les  autres 
ont  été  faits  ,  dans  le  même  esprit, 
par  Rabbi  Samuel  Meir.  La  plupart 
de  ces  Traités  ont  été  publiés  sépa- 
rément, dès  l'origine  de  l'imprime- 
rie, à  Soncino  et  ailleurs.  L'autori- 
té de  Raschi,  dit  Grosley,  a  tran- 
ché une  dispute  très  -  vive  ,  élevée  , 
dans  le  dernier  siècle,  entre  Vitrin- 
ga  et  Rhenferd ,  professeurs  de  Fra- 
nc ker  ,  sur  les  dix  oiseux  des  an- 
ciennes synagogues  juives.  D'après 
cette  autorité,  il  est  reçu  entre  les 
rabbinisants ,  que  ces  dix  oiseux 
étaient  dix  personnes  gagées  pour 
être  toujours  présentes  aux  priè- 
res publiques,  parce  que,  sans  ce 
nombre,  que  Jésus-Christ  a  réduit 
à  trois  ,  il  n'y  avait  ni  synagogue , 
ni  assemblée  légitime,  soit  civile, 
soit  sacrée  ,  et  qu'on  ne  pouvait  ré- 
citer les  formules  de  bénédiction. 
IV.  Commentarius  in  Pirkè  ^l^olh, 
Venise,  i(>o5  ,  iu-4".  H  est  douteux 
que  ce  Traité  lui  a])p;utienne,  quoi- 
(pic  plusieurs  biographes  le  lui  attri- 
buent. V.  Ol'Sen'ationes  in  Alplies, 
avec  cet  ouvrage  ef  séparément ,  Ve- 
nise, if")'.ii.  Wolfu'cn  parle  pas  dans 
sa  JJibliolh.  hcb.  VI.  ()iia'sita  et  res- 
ponsa j  manuscrit,  dans  la  biblio- 


RAS 

thcqiietrOppcnheirner,  soas  le  nom 
de  Jaohia.  VII.  Pardès  (  Paradis  ), 
luauiiscrit.  Cet  ouvrage  se  trouve 
rarement  en  culicr  ;  mais  il  en  exis- 
te  un  abrège  sous  le  titre  de  Lik- 
ktuè  pardès,  Venise,  1 5 19, •Ams- 
terdam ,  même  année.  C'est  un  Trai- 
té des  rits  et  cérémonies  judaïques. 
WW.Commentarius  iriMedràs  Rah- 
bà,  imprimé  avec  !c  texte  de  la  Ge- 
nèse et  le  Commentaire  de  Ribbi 
Abraham  ben  Ascer;  ou  doute  qu'il 
soit  de  Raschi.  IX.  Canticum  de 
unitate  Dei.  Ce  Cantique  est  insère' 
dans  quelques  i)/rtc/ia5or manuscrits. 
X.  Selichà,  ou  Commentaire  sur  le 
Décalogue ,  dans  les  Macliasor.  XI. 
Un  Livre  de  médecine,  que  Sabtai 
assure  avoir  vu  manuscrit  dans  la 
bibliotbèque  d'Oppenbeiraer.  XII. 
Commentarius  in  en  Israël  (OEiI 
d'Israël),  excessivement  rare  ,  sui- 
vant Bdrtolocci.  Rabbi  Jacliia  ])ré- 
tend  que,  pendant  son  séjour  en  Es- 
pagne, Raschi  composa  un  ouvrage 
intitulé,  Parnas  ou  Régulateur:  mais 
il  ne  cite  pas  d'autre  garant  que  Rab- 
bi Meir  de  Padoue  ;  et  il  n'indi- 
que aucune  biLliotlicque  où  ce  livre 
puisse  se  trouver.  Peut-être  est-ce 
le  même  que  Grosley  dit  avoir  vu 
manuscrit  chez  un  rabbin  de  Casai, 
et  intitulé  le  Conciliateur.  Au  di- 
re de  ce  rabbin,  le  Conciliateur  fut 
écrit  à  l'occasion  des  disputes  qui, 
au  temps  de  Raschi ,  partageaient 
les  rabbins  sur  les  mystères  de  la 
grâce  ,  delà  prédestination  et  du  li- 
bre-arbitre ;  il  se  réduisait  à  cette 
parabole  :  «  Si,  avec  un  mouchoir, 
»  vous  voulez  vous  couvrir  tout  le 
»  corps ,  vous  laissez  voir  ou  le  bus- 
»  te  ou  les  jambes  ;  l'unique  moyen 
»  de  réussir  dans  ce  dessein  est  de 
»  se  rapetisser  en  s'accroupissaut. 
»  Usez  -  en  de  même  à  l'égard  des 
»  mystères  dont  il  s'agit  :  Ra^xîlis- 


RAS  i,T 

»  sez-vous,  humiliez  -  vous  devant 
»  Dieu,  et  adorez  ce  qui  passe  les 
»  bornes  de  votre  intelligence.  » 
(  OEuvres  inédites  de  GrosUy,  tome 
II,  page 3440  On  est  étonné  que  Bas- 
nage  et  Boissi  n'aient  parlé  qu'en 
passant  d'un  rabbin  aussi  célèbre  que 
Raschi,  et  qui  fait  vraiment  honneur 
à  !a  France.  L — b — e. 

RASCHID  (  Haroun  el  ).  Foj: 
Aaron,  1 ,  5. 

RASCHID- EDDIN,  célèbre  his- 
torien persan,  dont  le  véritable  nom 
est  Fadhl-allah  hen  Emad  -  eddin 
Abyikhaïr  hen  Aly  Baschid-eddin^ 
nommé  aussi  quelquefois  tout  sim- 
plement llaschid,  naquit  à  Hama- 
dan,  ville  de  l'ancienne  IMédie  ,  au 
treizième  siècle  de  notre  ère.  Il  était 
d'origine  juive,  et  médecin  de  pro- 
fession. Cet  état,  qui,  dans  l'Orient, 
mène  souvent  au  comble  des  hon- 
neurs ,  lui  procura  la  faveur  des 
princes  mongols  qui  régnaient  en 
Perse;  et  il  devint  vizir  du  sul- 
than  Ghazan-Khan.  Il  fut  aussi  mi- 
nistre de  son  fils  Oldjaïtou  Khoda- 
bendeh  Mohammed.  Il  jouit  d'un 
grand  crédit  sous  le  règne  cîeccs  deux 
souverains.  Ce  fut  lui  qui  fit  élever 
les  palais  et  les  mosquées  qui  ornèient 
la  nouvelle  ville  de  Soulthanych , 
élevée,  par  Oldjaïtou,  sur  l'empla- 
cement du  bourg  obscur  de  Kongor- 
lan.  Cette  cité,  presque  enlièrement 
en  ruines  maintenant,  devint  alors 
la  résidence  impériale  des  monar- 
ques de  la  Perse.  Après  la  mort  d'OI- 
djaïtou,  arrivéeen  l'.ui  1 3 1 7,  sonfils 
Bchadour-schah  Abou-Saïd  lui  suc- 
céda ,  à  l'âge  de  quinze  ans  environ. 
Raschid-edJin  resta  à  la  tête  du  mi- 
nistère :  mais  ce  ne  fut  pas  pour  long- 
temps ;  car  il  ne  tarda  j)as  à  périr 
victime  de  la  haine  que  lui  portait 
l'émir  Djoub.iu,  tuteur  du  jeune  sou- 
verain. Le  grand  ouvrage  historique 


112  RAS 

qui  a  fait  la  rcputation  de  cet  écri- 
vain ,  est  composé  en  persan  ;  il 
est  intitule  :  Djnmial -tcwarikh  ^ 
c'est  à-dire,  Collection  des  annales. 
Il  fut  entrepris  à  la  soliicitation  du 
sulthan  Ghazau-Klian,  et  porte  en- 
core le  titre  de  TarikliMouharek- 
Ghazanj  ,  ou  Histoire  auguste  de 
Ghaznn.  Ce  prince  mourut  bien- 
tôt après,  lorsque  Raschid-eddin 
terminait  la  première  partie  de 
son  livre ,  qui  fut  aclievë  par  les 
ordres  d'Oldjaïtou.  Cette  histoire, 
qui  est  fort  étendue ,  traite  de  l'ori- 
gine et  de  la  division  de  toutes  les 
tribus  mongoles  et  turques  ,  dissé- 
minées dans  la  Haute  -  Asie  ;  des  an- 
ciens rois  issus  d'Oghouz  Khan  ,  des 
princes  mongols  ancêtres  de  Djen- 
ghiz-Khan  ;  puis  ildoune  le  récit  très- 
détaillé  des  actions  de  ce  conquérant 
et  de  ses  descendants ,  soit  en  Chine , 
soit  en  Perse ,  dans  la  Tarfarie  ou 
dans  le  Kaptchak,  et  enfin  une  des- 
cription du  monde,  comme  oa  pou- 
vait le  connaître  alors  en  Perse.  Cette 
partie  est  ornée  de  cartes  géogra- 
phiques, et  accompagnée  d'une  His- 
toire des  différents  peuples  ,  rédi- 
gée d'après  leurs  propres  annales. 
Raschid  -  eddin  ne  négligea  aucune 
recherche  pour  perfectionner  son 
ouvrage  et  le  rendre  digne  du  prince 
qui  en  avait  ordonné  la  composition. 
Le  vizir  profita  des  Mémoires  sur 
l'origine  des  Mongols  et  de  la  famille 
impériale  ,  qui  avaient  été  recueillis 
parun  oflicier  mongol ,  nommé  Pou- 
iad-Djinkesaak  (i).  II  y  joignit  les 
nombreux  renscigncmenls  que  tous 
les  gouverneurs  et  les  principaux 
personnages  de  l'empire  lui  fourni- 


(i)  Ce  nom  q 
vain»  persans  <l 


si  souvent  flnii>iié  par  les  éiM'i- 


vaiiis  persans  de  celle  e;ioijue  ,  à  un  grand  tiorQ!>rc 
de  oeiiiiicnra  mongols  ,  irci.t  pas  autre  chnse  que  U: 
tifi'C  L'iiinuis  Tc/iinc-SiiDif; ,  c'est-^-dirc  Minisire  , 
qui  pMfn  alor»  en  Occident  arec  pliisieiii-s  autres 
cpialidcutiuus  (lu  inêue  nvini\ 


RAS 

rcnt,  par  les  ordres  de  GhazanKhan. 
Cet  ouvrage  est  sous-divisé  en  trois 
parties  ou  tomes.  La  première  par- 
tie comprend  deux  livres.  Le  pre- 
mier ,  qui  contient  une  introduction 
et  quatre  grands  chapitres  subdivi- 
sés en  plusieurs  sections,  renferme 
l'énumération  de  toutes  les  tribus 
mongoles  et  turques ,  avec  les  dé- 
tails que  l'auteur  a  pu  réunir  sur 
leur  origine  ,  leur  histoire  ,  les  pays 
qu'elles  ont  habités ,  et  les  chefs  aux- 
quels elles  ont  donne  naissance.  La 
première  section  traite  des  vérita- 
bles Turks  ,  tels  que  les  Ouïghour  , 
les  Kankly ,  les  Kaplchak ,  les  Kar- 
louk  et  les  Kaladj.  Il  y  est  aussi 
question  des  anciens  princes  des 
Turks  et  de  leur  généalogie.  Dans 
la  seconde,  l'auteur  parle  des  Djé- 
Idir ,  des  Tatar ,  des  Merkit ,  des 
Kourlaout ,  des  Bargliout ,  des  Oui- 
rat  ,  des  Tournât ,  des  Ourasout 
et  de  plusieurs  autres  peuples.  La 
troisième  section  est  consacrée  aux 
Kéraït, aus.  Naïman,  aux  Ankout, 
aux  nations  du  Tanghout,  aux  Kir- 
kis  et  aux  diverses  nations  turques 
dont  il  a  déjà  été  question  dans  la  pre- 
mière section.  Dans  la  quatrième, 
on  parle  des  tribus  désignées  plus 
particulièrement  par  le  nom  de  Mon- 
gols ,  telles  que  celles  de  Derlighin , 
d' Ouriankat ,  de  Konkerat ,  à'Ar- 
lat ,  de  Ilouschin ,  de  Seldouz ,  d'/Z- 
dourkin  ,  de  Dourhan ,  de  Narin , 
de  Soudan^  de  lasout,  et  bien  d'au- 
tres encore.  Pans  le  second  livre  de 
cette  première  partie,  Raschid -ed- 
din raconte  l'histoire  de  Djenghiz- 
Khan  et  de  ses  ancêtres ,  ainsi  que 
de  tous  les  souverains  de  sa  race  , 
établis  en  Chine,  dans  leTurkeslan, 
dans  le  Kaptchak  et  dans  la  Perse. 
Il  y  suit  une  méthode  biographique 
étrangère  à  la  littérature  persane  et 
arabe ,   et  qui  semble  rappeler  la 


RAS 

manière  des  écrivains  chinois ,  que 
Raschiil-cddin  a  connus  ccrfaine- 
meut  ,  sinon  par  lui  -  même  ,  au 
moins  par  le  moyen  des  interprè- 
fcs  qui  étaient  à  ses  ordres.  Ras- 
cliid-cddiu  divise  l'iiistoirc  de  cha- 
que personnage  en  trois  sections. 
Dans  la  première ,  il  traite  de  la  nais- 
sance decliacundes  princcsmongols, 
ancêtres  de  Djeughiz,  de  sa  femme, 
de  ses  enfants,  et  de  tous  les  dé- 
tails personnels  qui  peuvent  tenvràla 
généalogie  de  la  race  impc'riale.  Puis 
vient  l'histoire  civile  ,  militaire,  ou 
polititpie  du  prince,  suivie  de  l'his- 
toire étrangère  ou  du  récit  abrégé 
des  événements  arrivés  dans  le  mê- 
me temps  en  Chine  ,  dans  la  Tar- 
tarie  ,4a  Perse  et  le  reste  de  l'Asie; 
ce  qui  forme  la  troisième  partie. 
L'auteur  entre  dans  les  plus  grands 
détails  sur  la  vie  et  les  expéditions 
du  fondateur  de  l'empire  Mongol. 
Comme  tous  ces  récits  sont  tirés  des 
Mémoires  mêmes  fournis  par  la 
branche  de  la  famille  impériale  éta- 
blie en  Perse  ,  ou  ne  peut  douter 
de  leur  exactitude  ,  au  moins  en  gé- 
néral. Il  est  terminé  par  un  résu- 
mé chronologique  de  l'histoire  de 
Djenghiz- Khan  ,  suivi  delà  vie 
d'Oktaï,  qui  le  remplaça  sur  le  trô- 
ne de  Karakoroura  ;  vient  ensuite 
celle  de  Tchoutchy  et  de  ses  suc- 
cesseurs dans  le  Kaptchak  jusqu'à 
Toukta.  Raschid  cddin  parle  encore 
de  Djaghatay  et  de  ses  descendants  , 
puis  de  Touly ,  quatrième  fils  de 
Djengkiz  -  Khan  ,  père  des  princes 
qui  formèrent  la  branche  des  sou- 
verains Mongols  de  la  Chine  et  de 
la  Perse:  avant  eux,  il  fait  con- 
naître Ga'iouk  ,  fils  et  successeur 
d'Oktai,  remplacé  par  Mangou  fdsf 
de  Touly,  qui  laissa  ,  en  mourant , 
le  trône  à  son  frère  Koublai ,  con- 
quéiant  de  la  Chine.  On  trouve  dans 
xxxvii. 


RAS 


ii3 


cette  partie  qi'.clqucs  détails  sur  les 
expéditions  enti'cpriscs  par  les  or- 
dres de  ce  dernier  ,  contre  le  Japon 
et  l'île  de  Java ,  dont  il  est  aussi 
parle  dans  la  relation  de  Marco  Polo. 
El!e  présente  encore  des  renseigne- 
menls  sur  l'administration  intérieure 
de  la  Chine,  les  principaux  ministres 
dcKoubl.a,  et  enfin  sur  son  fils  Man- 
gou-Timour,  et  sur  le  célèbre  lama 
Pasepa  ,  fondateur  Je  la  souverai- 
neté pontificale  du  Tibet.  Raschid 
termine  cette  partie  de  son  livre , 
par  l'histoire  des  Î^Icngols  de  Per- 
se, depuis  Houlagou,  frère  de  Kou- 
blai, jusques  et  y  compris  Ghazan- 
khan.  La  seconde  partie  de  ce  grand 
ouvrage  est  subdivisée  eu  deux  sec- 
tions :  la  première  comprend  un 
récit  très  circonstancié  des  actions 
d'Oldjaïtou.  La  deuxième  con- 
tient l'histoire  des  prophètes  ,  des 
khalyfes  ,  des  religions  et  des  dy- 
nasties, depuis  Adam  jusqu'en  l'an 
700  de  l'hégire  (  i3oo  et  i3oi  de 
J.-G.  )  avec  les  annales  des  peuples 
delà  Chine,  delaTartarie,du  Kasch- 
mir ,  de  l'Inde,  des  Israélites,  des 
Ismaéliens  et  des  Franks,  La  troi- 
sième division,  souvent  citée  dans 
le  corps  de  l'ouvrage  sous  le  titre  de 
Dsil  {  frange  ou  appendice  ) ,  ren- 
ferme une  géographie  universelle. 
Le  sullhan  duKharizme  Abou'lgha- 
zy-Bayadour- Khan  (  F',  ce  nom, 
I  ,  90  ) ,  auteur  d'une  Histoire  gé- 
néalogique des  Tatars  ,  qui  est 
fort  connue  ,  a  beaucoup  profité  de 
l'ouvrage  de  Raschid  ;  il  y  a  puisé 
tout  ce  qu'il  rapporte  des  origines 
tartareset  mongoles.  On  ne  peut  dou- 
ter,  après  ces  détails  ,  que  le  Re- 
cueil historique  de  Raschid-eddin 
ne  soit  une  des  productions  les 
plus  importantes  qui  existent  en  per- 
san, et  qu'il  ne  renferme  efifecti- 
vcmcut  une  multitude  de  renseignc- 
8 


M/l 


RAS 


ineiits  prccicux  ,  qui  doivent  en  faire 
vivement  désirer  la  pul)lication  ou 
la  traduction.  Tctis  de  La  Croix,  le 
fils,  en  avait  exécute  une,  qui  est  per- 
due ,  à  ce  qu'il  paraît.  On  ne  doit 
pas  la  regretter  beaucoup,  si,  comme 
il  est  probable,  elle  a  ctc  faite  sur  le 
manuscrit  de  la  bibliolbèque  du  Roi, 
n°.  08,  qui  ne  contient  qu'une  por- 
tion de  l'ouvrage  de  Rascliid  eddin , 
fort  mal  ccrite,k  rcmpliede  lacunes. 
M.  Etienne  Qiiatrcmère,  de  l'acadé- 
mie des  inscriptions  et  belles-lettres, 
s'est  beaucoup  occupe  de  ce   livre 
important;  il  a  même  communique 
à  cette  académie  quelpaes-uns  des 
résultats  de  ses  recherches:  ils  font 
regretter   qu'il  ne    les  ait  pas    en- 
core publiés.  La  Bibliothèque  roya- 
le possède  deux  manuscrits  de  cet 
ouvrage.    Nous    avons   déjà    parlé 
du  premier;  le  second  ,  n*'.  68  A,  en 
uu  gros  volnmc  in-fol.,  a  été  écrit  en 
l'an  837  dei'hégire(i4»^  <le  J.-C): 
il  est  fort  beau  ;  mais  malheureuse- 
ment i!  ne  renrermeque  l'histoire  des 
Mongols  elde  leurs  princes  :  l'histoire 
étrangère  ,  et  le  Dut  ou  appendice  , 
contenant  la  partie  géographique,  y 
manquent.   Ces  deux  portions  sont 
cxtrcmemeut  rares  dans  l'Orient.  On 
trouve ,  dans  ce  même  manuscrit  i  une 
continuation  de  l'histoire  des  Mon- 
gols de  Perse  ,  écrite  sous  le  règne  de 
Schah-Rokh  ,  fils  de  Tamerlan  ,  par 
un    auteur  inconnu  :  elle  présente  , 
dans  le  plus  LMand  détail, le  récit  des 
cvcnements  arrivés  sous  le  règned'A- 
bouSa'id,  (ils  et  successeur  d'Oldjai- 
tou.  Outre  ce  grand  ouvrage  histori- 
que, Icvczyr  Ùaschid-eddin  a  encore 
composé  une  espèce  de  Somme  théo- 
lo'j^ujHC  musidinane,  intitulée, y>/<ï(//- 
vwuarra.scln>'ia]i  (  la  collection  de 
Raschid),  écriiecn  arabe:  il  en  existe 
il  la  bibliothèque  du  Roi ,  sous  le  n^\ 
356,  un  suj)crbc  exemplaire,   qui 


RAS 

date  de  l'an  710  de  Thégirc  (  i3io 
de  J.-G.  ) ,  du  vivant  même  de  l'au- 
teur. S.  M — N. 

RASÉS  ,  historien  arab^d'Espa- 
ç;nc,  dont  le  véritable  nom  était  ^^- 
med  hen  Mohammed  hen  Mousa 
Aboii  bekr  al  lia:y,  était  originaire 
de  Réy  ,  dans  la  Perse  ,  comme  son 
nom  de  Razy  l'indique  :  il  naquit 
à  Cordoue ,  dans  le  neuvième  siècle, 
et  vécut  du  temps  Acs  khalifes  Om- 
miades  Abd-allah  et  Abd-errahman 
III  (888-961).  Il  paraît  qu'il  jouit  de 
l'estime  de  ces  deux  princes.  On  voit, 
par  les  témoignages  que  Casiri  a  réu- 
nis dans  sa  Bibliothèque  arabe  d'Es- 
pagne ,   que  cet   auteur  était   fort, 
csliraé  parmi  les  savants  de  sa  na- 
tion. Il  avait  composé  un  grand  ou- 
vrage sur  l'histoire  et  les  expéditions 
militaires  des  souverains  musulmans 
de  l'Espagne ,  et  une  Description  his- 
torique et  topographique  de  la  ville 
de  Cordoue  et  de  tous  ses  quartiers  et 
•  édifices.  Ce  dernier  livre  ,  où  il  don- 
niv'  de  grands  détails  sur  les  antiqui- 
tés de  sa  patrie,  était  diviséen  5  tomes. 
L'auteur  l'avait  entrepris  à  l'imita- 
tion d'une  ample  Description  de  Bagli- 
dad,  exécutée  par  un  certain  Ahmed 
beu  Aby  -  ïalicr,  qui  vivait  vers  la 
même  époque.  Ces  deux   ouvrages 
sont  perdus,  à  ce  qu'il  paraît:  ils  ne 
se  trouvent  au  moins  dans  aucune 
de  nos  biî)liolhè(jucs;  et  rien  n'indi- 
que qu'ils  existent  dans  l'Orient.  Il 
est    probable    qu'ils    ressemblaient 
beaucoup  à  la  grande  Description  de 
l'Ègvptc  et  du  Caire,  par  Makrizy; 
le  titre  )ncmc  de  ces  deux  ouvrages 
])araît  avoir  donné  naissance  à  celui 
qu'on  voit  en  tête  du  livre  de  Ma- 
krizy. Les  bibliogia plies  espagnols 
font  mention  d'un  oiiviage  liistori- 
quc  et  géogra[)iii(]ue  sur  la  situation 
de  l'Espagne,  du  temps  des  Gotlis 
cl  des  premiers  princes  musulmans. 


RAS 

traduit  de  l'Arabe  ,  qu'ils  attri- 
buent au  même  auteur.  On  pourrait 
croire  qu'il  ne  diffère  pas  des  livres 
écrits  eu  arabe  dont  nous  venons  de 
parler:  il  est  difficile  de  décider  cette 
question  ,  parce  que  cette  traduction 
est  restée  inédite.  Les  notices  que 
ces  bibliograplies  en  donnent,  sont 
si  confuses  et  tellement  mêlées  d'in- 
dications fabuleuses,  fausses  ou  erro- 
nées ,  que  beaucoup  de  savants  re- 
gardent cet  ouvrage  comme  un  livre 
fabriqué  et  décoré  d'un  nom  illusti'e , 
pourluiprocurerplus  de  vogue.  Nous 
ne  voyons  pas  néanmoins  de  raison 
suffisante  pour  admettre  une  pareille 
supposition;  car  ce  qu'on  reproche 
à  cet  ouvrage  manuscrit ,  peut  venir 
tout  simplement  de  l'ignorance  du 
traducteur  et  des  additions  qu'il  au- 
ra eu  la  maladresse  d'y  joindre.  Cet- 
te traduction  fut  rédigée  en  portu- 
gais, vers  le  treizième  siècle,  à  ce 
qu'il  paraît;  et,  bientôt  après,  ou  en 
iit,  sur  le  portugais,  une  version  cas- 
tillane. On  cite  plusieurs  exemplai- 
res de  l'une  et  de  l'autre  traduction 
qui  existent  dans  divers  monastères 
del'Espagneet  du  Portugal.  Resende 
traduit  ainsi  une  notice  qui  se  voit  à 
la  fin  d'un  manuscrit  qui  contient  la 
version  castillane  exécutée  en  l'an 
1  320;  ellefait  connaître  les  interprè- 
tes arabes  et  espagnols  de  ce  livre  :  on 
y  voit  qu'il  fut  traduit  d'abord  en  por- 
tugais jjerma^istruui  Machomctum 
Savracenum  nohilem  architectiim  , 
et  scribehat  meciini  .Egidius  Pétri 
clericus  domini  Pétri  Joannidœ 
Postelleiisis ,  patris  domini  Joan- 
nis  Avolini.  S.  I>I — n. 

RASIS  ou  RHAZÈS.  F.  Razi. 

RASORl  (  j£Arf  ),  célèbre  radle- 
cin,  naquit  à  Parme,  en  17C7.  Fils 
d'un  artisan ,  il  annonça ,  dès  son  en- 
lance  ,  de  si  heureuses  dispositions 
pour  les  sciences, que  dos  personnes 


RAS  ,i5 

bienfaisantes  lui  firent  faire  ses  étu- 
des au  collège  de  celte  ville.  Ses  pro- 
grès ne  démentirent  pas  les  espéran- 
ces qu'on  avait  conçues.  L'infant  duc 
de  Parme,  son  souverain,  instruit  des 
talents  et  de  l'esprit  de  ce  jeune  hom- 
me, l'envoya  ,  à  ses  frais  ,  étudier 
la  médecine  à  Florence,  à  Pavie  et 
en  Angleterre;  et  il  l'entretint,  pen- 
dant sept  ans,  dans  ces  écoles.  Ra- 
sori  revint  dans  sa  patrie  ,  après 
avoir  passé  quelque  temps  à  Paris, 
dans  le  moment  où  la  révolution 
exaltait  les  têtes.  Une  imagination 
ardente  et  une  ambition  démesurée 
lui  firent  adopter  les  principes  dé- 
magogiques ;  et  il  arriva  à  Parme 
plein  du  désir  de  les  propager.  Il 
avait  aussi  embrassé  vivement  la  non- 
velle  doctrine  médicale  de  Brown  ; 
et  il  conçut  le  projet  de  renver- 
ser toute  la  science  hippocratique , 
pour  lui  substituer  les  rêveries  sys- 
tématiques du  médecin  anglais.  L'oc 
casion  s'en  présenta  bientôt  ;  et 
son  illustre  protecteur  lui  obtint  la 
chaire  de  professeur  de  pathologie  in  ■ 
terne  à  l'université  de  Pavie,  vers  la 
finde  l'année  1794.  Ce  fut  alors  qu'il 
fit  connaître  la  doctrine  médicale  de 
Brown ,  en  publiant  la  traduction 
italienne  des  ouvrages  de  ce  profes- 
seur, auxquels  il  ajouta  une  Préface 
et  des  Notes  que  lui  fournit  IMalacar- 
ne.  Cette  traduction  et  les  leçons  de 
Rasori  tirent  beaucoup  de  bruit  eu 
Italie ,  et  occasionnèrent  de  vives  dis- 
cussions dans  les  écoles.  Le  profes- 
seur Vacca  Berliughieri,  de  Pise,  pu- 
blia d'excellentes  Observations  eu 
réfutation  de  la  doctrine  Brovvnien- 
ne.  Rasori  promit  de  répondre;  mais 
il  n'exécuta  point  sa  promesse.  Le 
scandale  que  ses  leçons  excitèrent  à 
Pavie,  l'obligea  bieutôt  de  quitter  sa 
place.  Mais  lors  de  l'entrcc  des  Fran- 
çais en  Italie,  il  se  rendit  à  Milan;  et, 
8.. 


ii6 


RAS 


s'adonnant  twit  eiirier  à  la  |iditiqiic , 
il  publia  un  Journal  inlitulé  :  VA- 
mico dellaliherth  edelV  ugun^licn*- 
za^  flans  lequel  il  se  montra  le  plus 
zèle'  partisan  du  gouvernement  rc'- 
publicain    et  l'ami    des    patriotes. 
Ce  qui  le  rendit  odieux  et  méprisa- 
Lie  à  tous  les  honnêtes  gens  ^  ce  fu- 
rent les  invectives  qu'il  lança  contre 
les  princes,  et  surtout  contre  le  duc 
de  Parme,  son  bienfaiteur.  Il  n'y  mé- 
nagea point  les  sarcasmes  les  plus 
amers  contre  les  professeurs  de  Pa- 
vie,  ses  anciens  collègues,  et  en  ge'- 
ne'ral  contre  tous  ceux  qui  ne  parta- 
geaient pas  ses  opinions  médicales  et 
républicaines.  Il  obtint  ensuite  l'era- 
ploidc  secrétaire  centrai  du  ministre 
de  l'intérieur  de  la  république  Cisal- 
pine, qui  était  alors  un  certain  Ta- 
dini,  homme  assez  médiocre.  Ra- 
sori  s'empara  de  son  esprit,  et  lui 
fit   commettre  beaucoup  de  fautes. 
Grand  nombre  d'employés    furent 
renvoyés  des  bureaux  du  ministère, 
pour  faire  place  à  des  créatures  du 
secrétaire,  qui  devint  l'objet  He  la 
haine  des  Milanais.   Les  journalis- 
tes l'accablèrent  de  tai  *  de  ridicu- 
le, qu'il  fut  obligé  d     donner  sa 
démission  ;  et  il   retourna  à  Pavic 
dès  la  fin  de  1 797  ,  avec  le  titre  de 
professeur  de  clinique  interne  et  de 
médecine  pratique.  Il  n'ouvrit  son 
cours  que  vingt  jours  après  la  ren- 
trée des  écoles  ,  et  il  fit,  à  ce  sujet , 
luic  prolusion  des  plus  extravagan- 
tes ,  intitulée  -•  Del  preteso  E^ejiio 
rV  fppocrate  (Sur  le  prétendu  génie 
d'Hippocrate  ).  Ce  Discours,  impri- 
me en  1798,  est  digne  d'un  nouveau 
Paracelse.  L'auteur  cherche  à  réfu- 
ter ou  à  tourner  en  dérision  les  apho- 
rismes  immortels  du  père  de  la  mé- 
decine. 11  n'épargne  ensuite  ni  les  sar- 
casmes ni  les  invectives  contre  les 
médecins dcl'atiliquité,  tels  qucGa- 


RAS 

lien,  Celsc,  etc.;  coîilre  les  Syden- 
hara ,  les  Hofimann ,  les  De  Haën 
des  derniers  siècles.  Enfin  tous  les 
médecins  modernes  les  plus  illustres 
sont  déchirés  par  sa  p!  ume  satirique. 
Il  faudrait,  selon  lui ,  brûler  tous  les 
livres  de  médecine,  et  s'en  tenir  aux 
seuls  principes  qu'il  enseigne.  On  peut 
juger  quelle  impression  fit  sur  les 
auditeurs  un  tel  discours.  Les  le- 
çons qui  suivirent ,  ne  furent  pas 
moins  bizarres  ni  moins  dépourvues 
de  bon  sens ,  et  elles  finirent  par 
perdre  entièrement  l'auteur  dans  l'es- 
prit des  élèves.  Une  comédie  bur- 
lesque et  des  plus  injuiieuses  pour 
le  professeur,  intitulée  :  Il  Rasori , 
fut  imprimée,  et  même  adressée  au 
Directoire  exécutif  de  la  république 
Cisalpine.  Une  Epître  non  moins  vi- 
rulente, intitulée  :  Lettera  d'uno  stu- 
dente  di  medicina  pratica  e  di'cli- 
nica  neir  imiversità  di  Pavia  ad  un 
suo  mnico,  fut  également  mise  sous 
presse  et  répandue  dans  toute  la  vil- 
le. Enfin  des  réclamations  sans  nom- 
bre et  une  députation  d'étudiants  fu- 
rent envoyés  au  Directoire,  pour  ob- 
tenir le  renvoi  de  Rasori;  ce  qui  eut 
lieu  au  bout  d'un  mois  de  leçons. 
Il  revint  à  Milan  ;  et  ,  ayant  reçu 
de  Londres  la  Zoonomie  du  doc- 
teur Darwin,  il  en  publia  une  tra- 
duction, enrichie  de  notes.  Com- 
me cet  ouvrage,  qui  traite  des  lois 
de  la  vie  organique,  est  ingénieux  , 
et  contient  des  hypothèses  hardies  et 
des  idées  assez  piquantes  ;  comme  , 
d'ailleurs  ,  il  était  dirigé  contre 
Brown,  dont  Darwin  était  l'ennemi 
déclare  ,  le  traducteur  fit  tout  -  à- 
coup  volte-face  au  sysième  du  pre- 
mier ;  et  il  devint  darwinien  ou- 
tre. Dans  ses  Annotations,  il  réfuta 
la  doctrine  de  Ibown  ,  contre  le- 
quel il  se  répandit  en  injures  cl  en 
sarcasmes.  La  traduction  de  la  Zoo- 


RAS 

noraic  est  érrite  d'un  style  pur  cl 
e'Ie'gant.  Ce  fat  vers  ce  temj)s  que 
Rasoii  conçut  le  projet  de  fonder  un 
nouveau  système  de  médecine.  Tout 
eu  blâmant  Brown,  il  prit  pour  base 
la  doctrine  des  deux  diathèses  sténi- 
çite  et  asténique  de  cet  écrivain  (  V. 
Brown,  au  Supplément).  Voici ,  en 
peu  de  mois,  l'esprit  de  la  doctrine 
rasorienne  ,  ou  du  conlro •  st'unolo  , 
dont  celle  de  M.  Broussais  semble 
tirer  sou  origine.  Sur  cent  maladies 
qui  afliigenl  l'espèce  bumaine  ,  il  en 
est  au  moins  quatre-vingt-quinze  qui 
dépendent  d'une  cause  stimulante , 
tandis  qu'il  en  est  à  peine  cinq  qui  se 
rapportent  à  une  cause  débilitante. 
Mais  ces  causes ,  qui  produisent  un 
e'tat  qu'on  nomme  diatbèse  stc'nique 
ou  aste'nique,  peuvent  avoir  divers 
degrés  d'intensité  :  pour  les  combat- 
tre, il  faut  employer  des  moyens  con- 
tre-stimulants  dans  le  premier  cas  , 
et  stimulanlsdans  le  second ,  divisant 
ainsi  la  matière  médicale  en  deuxcias- 
ses.  Cest  ce  que  firent  Rasori  et  Bor- 
da de  Pavie,  dans  leurs  leçons  de 
llicrapeutique  :  dans  la  première 
classe  ,  étaient  placés  l'opium  ,  le 
quina  ,  le  musc  ,  le  camphre  ,  l'al- 
kool,  le  froid  ,  etc. ...  ;  et  dans  la 
seconde ,  tous  les  remèdes  tirés  du 
règne  minéral  ,  tels  que  l'anlimoine 
et  ses  préparations ,  les  acides  nitri- 
que, sulfurique,  prussiipie,  l'arsenic, 
le  mercure  ,  etc.  ;  la  p'upart  des  vé- 
gétaux, et  surtout  des  poisons,  com- 
me la  cigué  ,  l'aconit,  le  laurier- 
cerise,  la  bella-dona  ;  ainsi  du  reste. 
L'emploi  de  ces  remèdes  doit  être 
dirigé  à  des  doses  capables  de  com- 
battre et  dedétruirc  la  diathèse  mor- 
bifique  (i);  ainsi  ,  par  cxeu)p!e ,  le 


(i  )  C'est  l'eiioniiilc  iiiusilt-e  à  laipn  llo  les  conlra- 
sliiiiiili.%ti's  portent  qiieliiucToi^  1rs  ilosi  s  ilis  reuiù- 
dnale^  plus  actifs,  qui  a  ^>urluut  cuutriijUL'  à  décrier 
Il  ur  système. 

xxxvn. 


RAS  ,17 

tartre  éinétique  ,  réptilé  contre -sti- 
mulant, est  prescrit  à  doses  progres- 
sives, jusqu'à  ce  que,  produisant  des 
évacuations  ,  il  annonce  que  le  ma- 
lade ne  peut  en  supporter  une  dose 
plus  forte,  et  que  la  diathèse  est 
vaincue  j  alors  on  prescrit  le  remède 
à  doses  décroissantes.  Quant  aux 
symptômes  nombreux  qui  compli- 
quent les  malaJies,  le  médecin  con- 
îre-stimulisle  n'y  attache  aucune  im- 
portance ,  n'ayant  égard  qu'au  seul 
degré  de  la  diathèse,  et  ne  s'atta- 
cbaut  qu'à  combattre  celle-ci  par  des 
remèdes  qu'il  juge  propices.  C'est  le 
contraria  contrariis  curanlur.W  n'e  ;t 
pas  dilliciie  de  voir  combien  peut  être 
nuisible  un  tel  système,  et  à  quelles 
erreuas  funestes  il  conduiiait. Cepen- 
dant ,  il  trouva  en  Italie  \n\  grand 
nombre  du  prosélytes  parmi  les  jeu- 
nes gens  ;  mais  il  eut  un  plus  grand 
nombre  encore  d'adversaires  chez  les 
praticiens.  Parmi  ses  partisans  ,  on 
distingua  les  professeurs  Borda  de 
Pavie  ,  Brera  de  Padoue  ,  et  Toraa- 
sini  de  Bologne  :ilsn'adopîèrent  pour- 
tant le  système  de  Rasuri  qu'en  lui 
faisant  subir  de  grandes  modifica- 
tions ,  dont  ia  principale  fut  de  créer 
une  nouvede  diathèse,  intermédiaire 
des  deux  autres  ,  qu'ils  nommèrent 
irrilaliva.  Ils  créèrent  aussi  pour 
celte  diathèse  une  troisième  classe  de 
remèdes  appelés  calmants  ,  et  d'au- 
tres assoupissants,  C'étaiout  les  tor- 
■pcnli  de  Darwin.  Le  professeur  To- 
masini  a  encore  élaboré  ce  systèrae  , 
et  l'a  ,  pour  ainsi  dire ,  recicé  sous 
une  nouvelle  forme,  qu'il  prétend 
lui  avoir  été  enlevée  par  le  profes- 
seur Broussais  de  Paris  :  adhuc  suh 
jiulce  lis  est  ;  ce  qui  prouve  le  peu 
de  solidité  de  ces  systèmes,  et  les 
erreurs  funestes  qu'ils  peuvent  faire 
commettre  aux  jeunes  médecii  s.  Go 
n'est  au  surplus  qu'une  pure  rap- 
8  * 


ii8  RAS 

sodie  de  la  doctrine  des  luelhodis- 
tcs  dont  Theraison  fut  le  cluf ,  et 
dont  la  base  était  le  fameux  laxum  , 
strlctum  et  médium ,  qui  désignait 
les  trois  états  pathologiques  dans 
lesquels  peut  se  troiiver  la  machine 
animal  vivanic.  Quand  les  Austro- 
Kusses  reconquirent  le  Milanez  ,  ea 
1 799  , les  re'volutionnaiics  furent  re- 
cherchés par  la  police,  qui  en.  fit 
conduire  plusieurs  en  exil  aux  Bou- 
ches de  Caltaro  (2).  Rasori  avait 
quitté  Milan  ,  et  cherché  un  refuge  à 
Gènes,  alors  occupée  par  ia  division 
française  sous  les  ordres  de  iMassena. 
Une  épidémie  de  typhus  s'y  mani- 
festa ;  Rasori  y  njit  en  usage  sou 
système  médical ,  et  publia  une  Re- 
lation de  cette  maladie,  en  un  volu- 
me in  8".  Cet  Opuscule  est  bien  écrit , 
et  annonce  un  liomme  érndit  :  mais  il 
fut  vivement  attaqué ,  pour  la  réalité 
des  faits  cités,  et  les  censé  juenccs  qui 
en  étriicnt  déduites  ,  par  le  docteur 
William  Balt,qui  a  écrit  sur  celte 
inêmc  maladie.  Après  la  bataille  de 
IMarengo,  Rasori  revint  à  Milan,  où  il 
obtint  la  place  de  prolomediro  (  ar- 
chiatre  )  du  gouvernemciit,  celle  de 
médecin  de  l'hôpital  militaire  ,  et 
celle  de  professeur  de  clinique  dans 
le  grand  hospice  de  Santa  Corona. 
Il  publia  ensuite  un  journal  intitulé  : 
ytnnali  di  Medicina  ,  par  lecpicl  il 
se  fit  encore  beaucoup  d'ennemis  ,  en 
s'y  livrant  à  tous  les  écarts  d'une 
])lume  satirique  et  d'une  imagination 
exaltée  :  il  fut  obligé  de  l'interrom- 
])re  après  le  sixième  cahier;  et  ce 
lut  alors  qu'il  publia  sa  traduction 
de  Darwin,  dont  nous  avons  parlé. 
Le  docteur  Ozanam,  médecin  frau- 


RAS 

çiis  établi  à  Milan  ,  qui  avait  suivi  » 
pendant  quinze  mois  ,  les  leçons  de 
clini(pie  du  professeur,  publia,  en 
1812  ,  un  ouvrage  intitulé:  Cenni 
sidla  teoria  è  lapralica  del  contru- 
slimol'j  (  Aperçu  sur  la  théorie  et  la 
doctrine  du  contre-stimulus),  où  il 
cherche  à  dcmo-itrcr,  par  des  faits  , 
les  erreurs  ,  la  vanité  et  les  dangers 
d'un  système  qu'il  regarde  comme 
vraiment  homicide.  Cet  opuscule,  à 
la  rédaction  duquel  on  croit  que  le 
professeur  Moscati  ne  fut  point,  étran- 
ger, parvintà  la  connaissance  du  mi- 
nistre de  l'intérieur  ,  qui  ordonna  de 
compulser  les  registres  mortuaires 
de  l'ho pilai ,  et  qui ,  ayant  acquis  la 
certitude  des  faits  avancés  par  ce 
médecin  ,  destitua  le  professeur  de 
clinique.  Rasori  rentra  dans  la  classe 
ordinaire  des  médecins,  travaillant, 
de  temps  à  autre,  à  quelques  articles 
des  Annales  des  sciences  et  des  lettres, 
que  publiaient  alors  MM.  Leoni ,  de 
Parme,  Ugo  Foscolo,  et  Gherardini 
fils  ,  de  Milan ,  l'un  de  ses  plus  zélés 
sectateurs  (3).  L'empereur  d'Autri- 
che recouvra  ,  en  18 1 4  ,  ses  états  de 
Lombardie ,  et  y  rétablit  une  par- 
lie  des  anciennes  institutions.  Raso- 
ri, destitué  de  son  protomédicat  et 
de  sa  chaire  de  clinique  mililaiie, 
n'ayant  pu  obtenir  les  lettres  de  na- 
turalisation qu'il  demandait ,  ne  gai- 
da  que  sa  clinique  à  l'hôpital  civil , 
place  sans  appointements.  Vers  la 
lin  de  la  même  année  ^  le  gouverne- 
ment autrichien  découvrit  la  conspi- 
ration dite  des  Carbunari.  Des  conci- 
liabules s'étaient  fonnésà  Milan,  pour 
0])éior  nu  soulèvement  général  ,ilaus 
r('s[)oir  d'être  soutenu  par  la  France 
victorieuse  :  mais  la  bataille  de  Wa- 


{'■>.)  De  ce  noiiil)!!,'  lut  M(iM:i!i ,  dont  les  iiid  lignes 
nvaiciit  lieiiucou|)  eoi.ti  il)»c  à  )';iire  (li;stitinr  Rasm-i , 
aiii|il('l  il  ne  ^wuvait  p^iriloiincr  l.ic.iiislicile  des  oh- 
•t'rv»tiuii9  i.iili((ii.  H  i(ii'il  uvail  juiiiU»  h  suu  Prclc- 
>i>  Çt7«tu  d'li>jjm:iuti:. 


(3)  Quelques-uns  de»  milles  <i>i.i  Rusoii  iiiseni 
d^in.s  <:u  vfcuril  uni  ele  Initluils  un  Inineiis  i,  vw  h: 
iloilcur  J'uiiltiitillt»  )    duus  les  /liilu^ni   'i<;  iiti- 


RAS 

terloo  dcjoiia  loiiles  ces  manœuvres. 
Plus  de  vingl  individus  furent  arrê- 
tes. Rasori  se  trouva  de  ce  nombre 
avec  des  gcne'raux.  ,  des  avocats  et 
même  un  eccle'siaslifjuc.  Une  cour 
martiale  ,  norame'e  pour  les  juger, 
les  condamna  à  unedclentiou  ])lus  ou 
moins  longue  ,  et  une  p.irtic  fut  reii- 
feruicc  dans  la  citadelle  de  IVlantoue. 
Rasori  ne  recouvra  sa  liberté'  qu'au 
J)Dut  de  deux  ans.  II  reprit  alors 
l'exercice  de  la  médecine.  Outre  di- 
vers articles  qu'il  a  insëre's  dans  le 
Concilialors  ,  journal  italien  (4)» 
nous  cileionsde  lui  les  ouvrages  sui- 
vants :  I.  Lellera  al  Dotto'e  Biibi- 
tti  contenente  un  estratto  del  trat- 
tato  (h  Undervood  sa  gUidcerl  dél- 
ie gamhe  ,  Pavie  ,  1 79  i  ,  in  -  8". 
If.  Prolusiineletla  ,  assumendo  la 
sr.uohi  di  /'«foZy^/rt  ,  Milan,  in-S". 
m.  Rapporto  sullo  slalu  delV  uni- 
versilà  di  Pnuia  ,  in-/jO.  IV.  Gior- 
nale  senza  iildo.  V,  Couipendio 
délia  nuovct  dottrina  incdica  di 
Biown,  trad,  dalV  inglese,  2  vol., 
179'),  i8o5  ,  in-S".  Vf.  Analisi 
del  preteso  genio  d' Ippocrale  ,  Mi- 
lan, 1799,  in-B".  VII.  Zoonotnia, 
ovvero  leggi  délia  vita  orgnnica  dal 
prof.  Darwin,  trad.  dalV  inglese 
cnn  anncjtazioni ,  i8o3,  6  vol.  in- 
8*^'.  VIII.  Sloria  délia  febhre  pe- 
iccchiale  di  Gennva,  Milan,  i8o3, 
I  vol.  in-8<». ,  souvent  re'imprimé; 
traduit  en  français  par  le  docteur 
Fontaneillcs ,  en  1822,  avec  des 
notes.  IX.  Agatocle  nssia  lellere 
scrittedi  Roma  e  di  Grecia ,  Milan, 
1812  ,  4  vol.  in-i2.  C'est  la  Ir.idiic 
tioii  d'un  roman  allemand  de  M"»". 


(.'1)  Un  drs  i)lii3  importants,  ))ul)lioc>ii  m.ivs  i8if), 
est  un  Tableau  roiii|.ararif  Jn  la  laiirtaliti^  cJc  iu 
tlini([iii:  H  riiôi>;i!ii  dr  Milan,  mise  <  u  parùlli'  le  avec 
clic-  d,s  anlr.-.s  s..II.  s  ,ln  nuni<- clal,liss.ii„i,l  :  il  en 

r,M.ll,-,-..it  ,jue  |.rM,lal.l  I  l„ls  rti.s  (].■  Muti:  I.-  Il  >inl)rc 
fli's  m,, ri»  y  avait  cl(;  d'un  cinq. lii  nie  moii:drc  «jue 
a.iijs  les  salK's  soi^iicis  ji.if  sca  tunliircs. 


HAS 


l'O 


Piklcr.  X.  Lelierc  iulla  niiuiica, 
tiad.  de  l'aUcmaïul ,  d'Engcl ,  Mdau, 
1818-19,  '-*  vol.  iii-8". —  lia  aussi 
tiaduit  de  la  même  langue  (juclqucs 
poésies  de  Schiller  et  de  VVieland. 
ibid. ,  1822,  in- 18.  Z. 

RASPE  (  Rodolphe-Erjc  ),  anti- 
quaire allemand,  ue'  à  Hanovre  ,  eu 
1787  ,  fit  ses  études  à  Gbttinguc  et 
à  Leipzig  ,  et  fut  employé'  successi- 
vement aux  bibliotbèques  de  Gotiin- 
gue  et  de  Hiuovre.  En  1 7G7 ,  le  land- 
grave de  liesse  le  noruma  profes- 
seur d'archéologie  à  Cassel  ,  puis 
inspecteur  du  c.ibinet  des  antiques  et 
médailles,  et  membre  du  conseil  ;  on 
cre'a  aussi  pour  lui  une  seconde  place 
de  bibliothécaire.  Les  connaissances 
vaiiées  qu'il  possédait,  et  dont  il  a 
donné  assez  de  preuves  dans  ses 
ouvrages,  pouvaient,  dans  sa  po- 
sition, lui  attirer  l'eslime  généra'e  ; 
mais  le  goût  de  la  dépense  et  l'es- 
prit d'aventure  le  jetèrent  dans  des 
écarts  déplorables.  Il  sollicita  l'au- 
torisation de  fouiller  les  archives 
des  couverts  de  l'évêché  de  Pader- 
born,  pour  ychercher des  documenis 
historiques  :  cette  entreprise  coula 
beaucoup  ,  et  produisit  peu  de  chose. 
Ensuite  il  voulut  faire  un  voyage  eu 
Italie,  afin  d'enrichir  le  cabinet  de 
Cassel  d'objets  antiques  :  le  landgrave 
y  consentit ,  et  fournit  les  fonds  né- 
cessaires, Piaspc  conduisit  d'abord 
sa  famille  à  Berlin  ,  et  renvoya  ru 
route  les  clefs  du  cabinet  qui  lui  était 
confié.  On  lui  répondit  qu'il  fallait 
revenir  pour  assister  à  riuvenlaire  : 
il  obéit  j  mais  des  que  l'inventaire 
fut  commencé ,  il  disparut  ;  et  l'on 
découvrit  bientôt  qu'il  avait  vole  mic 
bonne  partie  des  richesses  du  cabi- 
net :  quchpies  médailles  avaient  eic' 
mises  eu  gage.  La  police  publia  aus- 
sitôt son  signalement  ,  portant  que 
le  conseiller  Raspc,  ayaut  des  che- 


120 


RiS 


veux  roux  ,  et  vêtu  allcrnativcniriit 
d'un  liabit  rouge ,  brodé  en  or,  d'Jia- 
Lits  noir,  bleu  et  gris,  s'était  évadé 
après  avoir  volé  le  c.ibinel  de  mé- 
dailles. On  invitait ,  en  conséquence, 
les  autorités  à  s'assurer  de  sa  per- 
sonne ,  et  à  le  rcnvoj'er  à  Gasscl. 
Arrêté  à  Claustlial ,  il  s'évada  d-ms 
la  nuit ,  s'embarqua  pour  l'Angle- 
terre,  et  passa  le  reste  de  ses  jours 
dans  ce  royaume,  faisant  toujours 
des  projets  ,  travaillant  à  des  ouvra- 
ges utiles  ,  et  gagnant  sa  vie,  soit  à 
donner  des  leçons,  soit  à  traduire 
en  anglais  des  livres  allemands.  En 
in8i ,  il  annonça  son  projet  de  voya- 
ger en  Egypte  ,  pour  y  faire  des  re- 
cherclies  sur  les  antiquités. Pendant 
quelque  temps,  il  trouva  de  l'emploi 
dans  les  mines  de  Cornouailles  :  en 
Irlande  il  voulut  diriger  lui  •  même 
l'exploitation  d'une  mine.  La  société 
royale  de  Londres  l'ayant  rayé  de  la 
liste  de  ses  membres  ,  il  menaça  de 
faire  imprimer  avec  les  caractères 
et  dans  le  format  des  Fhilosophical 
Transactions ,  les  Unphilosnphical 
Transactions  des  savants  d'Angle- 
terre. Il  essaya  même  d'excuser  ,  et 
presque  de  justifier,  dans  une  gazette 
allemande,  le  vol  commis  à  Cassel. 
H  mourut  à  Mucross ,  en  Iilande, 
à  la  fin  de  i  794  ,  aussi  estime  pour 
ses  talents  que  méprisé  pour  sa  con- 
duite. Voici  ses  principaux  ouvra- 
ges :  \.  OEuvres  philosojiliiques  la- 
tines et  françaises  de  feu  M.  de 
Leibnilz^  tirées  de  ses  manuscrits  , 
fjui  se  conservent  dans  la  bibliothè- 
que royale  à  JJanovre ,  avec  une 
préface  de  Kœstner  ,  Amsterdam  et 
Leipzig,  17G5  ,  in-4°.  (  Voy.  Lr.in- 
wrrz  ,  xxiii,  ô/jo.  )  II.  Mémoires 
pour  servir  à  la  plus  ancienne  his- 
toire de  J/essc-L'assel ,  i7'i4  ?  •'•- 
8".  III.  Vojnç^c  en  Jn^'Jetenc , sous 
le  rapport  des  manufwtures,  des 


BAS 

arts  ,  de  Vindnslric  ,  etc. ,  Berlin  , 
17S5.  IV.  An  account  of  some  ger- 
man  volcanos  and  their  produc- 
tions ,  Londres,  1776.  V.  Essai 
critique  sur  les  peintures  à  l'huile 
(  en  anglais  ) ,  Londres  ,  1781  ,  iu- 
4°.  VI.  A  descriptive  catalogue  of 
a  gênerai  collée  lion  of  ancient  and 
modem  engravedgems,  cameos  as 
well  as  intaglios  ,  etc. ,  Londres , 
1791  ,  deux  vol.  in-4°.  ,  avec  ciu- 
quan'e-sept  pi.  Cette  explication  des 
empreintes  en  soufre  fournies  par 
le  modeleur  Tassie  ,  panil  aussi  eu 
français  sous  ce  titre  :  Catalogue 
raisonné  d'une  collection  générale 
de  pierres  gravées  antiques  et  mo- 
dernes ,  tirées  des  plus  beaux  cabi- 
nets de  V Europe;  ce  livie  est  rare 
et  recherché.  Raspe  tradui-^it  en 
allemand  l'Essai  d'Algarotli  sur  ia 
peinture,  Londres,  i  777.  Parmi  ses 
traductions  angl.iises  ,  on  remarque 
celles  des  Voyages  minéralogiqufs 
de  Ferbcr  ,  du  IS'athan  de  Lessing  , 
etc.  11  y  a  de  lui ,  dans  le  tome 
Li  X  des  Transactions  philosophiques 
de  Londres ,  une  Dissertation  De 
ossibus  et  dentibus  elephantum 
aliarumque  helluarum  in  America 
septenlrionali aliisqueborealibus  re- 
gionibus  obviis  ;  et  il  a  fourni  d'ex- 
cellents articles  sur  des  ouvrages 
d'archéologie ,  signés  Gs  ,  dans  les 
tomes  xin-xviii  de  VAllgemeinc 
deutsche  Bibliothek.  D — g. 

R ASTAL  (  Jean ) ,  né  à  Londres  , 
fit  ses  études  avec  succès  dans  l'uni- 
versité d'Oxford  ,  et  revint  dans  sa 
ville  natale,  oiiilctablitune  imprime- 
rie qui  acquit  ukc  ajscz  grande  célé- 
brité. Il  épousa  la  sœiu-  de  Thomas 
I\lore,  qui  tira  de  lui  beaucoup  de  se- 
cours pour  la  composition  de  ses  ou- 
vrages. Rastal  mourut  à  Londres, 
en  ifJjG,  avec  la  réputation  d'un 
homme  d'une  scN'ÙY  probité,  d'un 


RAS 
savant  malhéîiiaticieu  ,  d'un  bon 
historien  et  d'un  habile  controver- 
sislc.  On  a  de  lui  une  comédie  in- 
titulée Natura  naturata  :  c'est  une 
description  dramatique  de  l'Asie,  de 
l'Afrique  et  de  l'Europe  ,  avec  des 
planches;  — Canones  astrologici ; 

—  Reguin   Anglorum  chronicon  ; 

—  Dialogues  sur  le  j'urgaioire  ; 
suivis  d'uue  défense  de  ces  dialogues 
contre  Jeau  Fryih; — Des  Indulgen- 
ces ;  —  Les  Règles  d'une  bonne  vie; 

—  Le  Rosaire  des  bonnes  œuvres. 

—  Guillaume  Rastal  ,  son  fds ,  s'é- 
tant  livré  à  l'étude  des  lois  dans  le 
collège  des  avocats  de  Lincoln's-lnn, 
fat  premier  lecteur  d'Edouard  VI  : 
mais    les    chaiigemenis    introduits 
dans  la  religion  l'obligèrent  de  se 
réfugier  à   Louvain   avec   sa   fem- 
me. 11  revint  dans  sa  patrie  ,  à  l'a- 
vénemcnt  de  la  reine  Marie,  et  fut 
nommé  juge    de   paix  des    plaids- 
communs.  Sous  la  reine  Elisabeth  , 
il  se  retira  de  nouveau  à  Louvain , 
où  il  partagea  tout  son  temps  entre 
l'étude  et  les  exercices  de  piété,  jus- 
qu'à sa  mort ,   arrivée  le  27  août 
1 565.  Ou  a   de  lui  :  I.  Le  Cartu- 
laire ^  Londres,  i534  et  ï58o.  IL 
Table  chronologique  des  rois  d'An- 
gleterre ,  depuis  la  conquête;  Ou- 
vrage destiné  à  faire  connaître   la 
date  des  divers  actes, Londres,  i563, 
iGo-j,    iôSq,  in-8°.  m.  Les  Ter- 
mes des  lois  anglaises.  IV.  Recueil 
des  statuts  qui  sont  restés  en  vigueur 
depuis  la  grande  charte,  etc.,  Lon- 
dres, i55y-ir)83,  in-fol.  V.  Fie  de 
Thomas  More.  — Un  autre  Guillau- 
me Rastal  ,  né  à  Gloccster,  fut  éle- 
vé dans  le  collège  de  Winchester, 
d'où  il   passa  au   nouveau   collège 
d'Oxford,  où  il  se  fit  beaucoup  de 
réputation  par  son  talent  pour  l'ar- 
gumcntalion.  Les  changements  opé- 
rés dans  la  religion  sous  le  rv^ne  d'É- 


HAS  124 

Msabeth,  l'obligèrent  de  se  réfugier  à 
Louvain  :  il  s'y  s'appliqua  entière- 
ment à  l'étude  de  la  théologie,  et  à 
composer  des  ouvrages  de  contro- 
verse, principalement  pour  réfuter 
ceux  de  l'évêque  Jewell.  Rastal,  s'é- 
tant  rendu  à  Rome ,  y  fut  nommé 
pénitencier,  pour  ceux  de  ses  com- 
patriotes que  la  persécution  forçait 
d'aller  chercher  un  asile  dans  cette 
capitale.  11  alla  se  faire  jésuite  à 
Augsbourg,  et  devint  recteur  du  col- 
lège d'Ingolstadt.  On  ignore  l'année 
de  sa  mort.  Les  bibliothécaires  de 
la  Société  ont  oublié  de  faire  men- 
tion de  cet  auteur.  Ses  ouvrages 
consistent  eu  divers  traités  contre 
Jewell.  T — D. 

RASTIGNAG   (  Aymeri    Ceapt 
DE  ) ,  d'une  ancienne  maison  du  Pé- 
rigord ,  connue  dès  la  fin  du  onzième 
siècle ,  et  dont  l'origine  remonte  aux 
sires,  de  Chabanais,  fut  successive- 
ment selon  Ughelli, trésorier  de  l'E- 
glise romaine,  ëvèque  de  Volterre 
èvêque  et  gouverneur  de  Bologne , 
i36i ,  et  prince  de  l'empire  en  1 364. 
11  établit  à  Bologne  les  Célestins  et 
les  Camaldules,  donna  aux  moines 
du  Mont-Olivet  l'église  de  Saint-Mi- 
chel del  Bosco,  et  bâiit,  en  i3G7,une 
partie  considérable  de  la  Chartreu- 
se :  il  devint  chancelier  de  l'université 
de  Bologne  ,  dont  il  étendit  la  répu- 
tation, en  y  attirant  des  savants  de 
tor.tcs  paits;  fut  transféré,  en  1371, 
sur  le  siège  de  Limoges  ,  nomme' 
gouverneur  delà  vicomte  de  ce  nom, 
et  mourut  le  10  novembre  iSgo. — 
Raimond  de  Chapt  de  Rastignac, 
que  De  Thon  l'historien  appelle  uu 
homme   d'un   courage    infatigable , 
virum  indej'essœ  virtutis,  était  de 
la  même  famille,  seigneur  de  Mes- 
silhac  ,  capitaine  de  cinquante  hom- 
mes d'armes,  iicutenaui-génèral  de 
la  Haute -Auvergne,  et  cliievalicr  de 


122 


RAS 


l'ordre  du  Saint-Esprit.  Tl  se  distin- 
gua, dans  son  gouvernement,  par  sa 
valeur  et  sa  fidélité  pendant  les 
tioubics  de  la  Ligue;  il  enleva  aux 
ligueurs  plusieurs  places ,  gagna  la 
bataille  d'Issoirc,  contre  le  comte 
de  Raudau  ,  en  1 5go ,  et  celle  de 
Villemur,  contre  le  duc  de  Joyeuse , 
en  1592.  Après  avoir  rétabli  la  paix 
en  Auvergne ,  il  attaqua  ,  dans  le  Li- 
mousin, les  rebelles  connus  sous  le 
nom  de  Tard-venus,  eu  tua  deux 
mille  près  de  Limoges,  et  mit  le 
reste  en  déroute  :  il  fut  tue  lui-mê- 
me, le  16  janvier  iSgG,  à  LaFère, 
en  Picardie  ,  où  il  était  allé  pour 
conférer,  avec  Henri  IV,  des  affaires 
de  son  gouvernement.       V — ve. 

RASTIGNAC  (  Louis  -  Jacques 
DE  Chapt  de),  arcbevêque  de  Tours, 
de  la  même  famille  que  le  précédent, 
Dedans  le  Pcrigord  en  1684,  fut 
élevé  au  séminaire  de  Saint-Sulpice, 
et  parut  avec  éclat  sur  les  bancs  de 
la  Sorbonne.  Il  prit  le  bonnet  de 
docteur  ,  et  fut  fait  évcquc  de  Tulle, 
eu  1723.  Une  tîièse  sur  les  qua- 
tre articles,  à  laquelle  il  présida, 
excita  le  mécontentement  de  la  cour 
de  Rome  ;  et  l'on  exigea  du  prélat 
une  sorte  de  satisfaction.  11  fut 
transféré  à  l'archcvcclié  de  Tours, 
en  1-^23.  L'Église  était  alors  trou- 
Idée  par  les  querelles  qu'avaient  ex- 
citées les  appelanls.Raslignac  montra 
un  attacliement  très-vif  aux  consti- 
tutions des  papes,  et  n'omit  lieu  pour 
réduire  les  opposants  dans  son  dio- 
cèse. Benoît  XIII  le  loua  de  son  zèle, 
par  nu  bref  du  22  août  1725.  Le 
prélat  surmonta  les  obstacles  qu'il 
trouva  daus  son  chapitre  ,  et  j)id)lia 
des  inaiulciucuts  en  faveur  du  con- 
cile d'Einlniui ,  contre  la  consulta- 
lioM  des  ciii()Haiile  avocats,  et  sur 
d'-uilrcs  inalièrcs.  il  assista  aux  as- 
scnd)ltes  du  ckrgL' de  1 72 3,  de  1 720 


RAS 

et  de  1 734 ,  et  parut  faire  cause  com  • 
mune  avec  ses  collègues  pour  la  dé- 
fense des  droits  et  des  décisions  de 
l'Egiise.  Son  esprit  concibant ,  sa  fa 
cilité  à  s'énoncer,  ses  manières  ai- 
mables ,  le  firent  juger  propreà  diri- 
ger les  assemblées  du  clergé ,  lorsque 
M.  de  Vintimille,  arcbevêque  de  Pa- 
ris, fut  forcé ,  par  l'âge  et  les  infirmi- 
tés, de  se  retirer  des  affaires.  Rasti- 
gnac  présida  l'assemblée  du  clergé 
de  1745  et  celles  de  1747  et  de  1748. 
Dans  la  première  ,  il  fit  un  rapport 
sur  le  livre  de  l'abbé  Travers  ,  les 
Pouvoirs  légitimes,  et  engagea  l'as- 
semblée à  accorder  un  secours  au 
père  Bertbier  pour  la  coutiouatiou 
de  l'Histoire  de  l'Église  gallicane.  Il 
dénonça  plusieurs  fois  au  roi  les  ef- 
forts de  l'incrédulité  naissante.  Ce 
fut  peu  après  ,  que  des  discussions 
qu'il  eut,  dit-on,  avec  les  Jésuites, 
le  jetèrent  dans  une  route  contraire 
à  celle  qu'il  avait  suivie  jusque  -  là. 
Ce  changement  éclata  lors  de  la  pu- 
blication du  livre  du  père  Pichon 
(  F.  ce  nom).  Peu  content  de  con- 
damner cet  ouvrage  inexact,  il  don- 
na successivement,  en  174B  et  1749» 
trois  Instructions  pastorales,  desti- 
nées à  combattre  les  principes  des 
Jésuites.  Les  deux  premières ,  sur 
la  pénitence  et  la  communion,  fu- 
rent également  critiquées  par  les 
Jésuites,  et  dans  les  Nouvelles  ecclé- 
siastiques, 1748,  page  (36.  La  troi- 
sième Instruction  pastorale  produi- 
sit plus  de  bruit  encore  ;  elle  était 
datée  du  23  février  1749»  *^t  »''^"- 
lait  sur  la  justice  cluéticnnc,  par 
rapport  aux  sacremeuts  de  Péniten- 
ce et  d'Eucharistie.  On  sait  (lu'cllc 
fut  composée  par  l'appelant  Gour- 
lin  ,  sous  la  direction  du  docteur 
JUtursier;  et  ils  y  insérèrent  les  ré- 
(lexioiis  cl  les  maximes  les  plus  chè 
rcs  .xn\  appelants ,  Sur  les  plaintes 


RAS 

qui  s'clevèrent,  le  carJinal  deRohan 
réunit,  par  ordre  du  roi,  quelques 
cvcques  cl>argc's  d'examiner  l'Ins- 
truction. Ces  évèques  étaient  M^I. 
lîerlin ,  évèque  de  Vannes  ;  La  ïas- 
te,  c'vcquc  de  Bethléem;  Robuste, 
cvêque  de  Nitrie,  et  Billard,  évê- 
que  d'Olympe,  qui  s'adjoignirent  le 
docteur  Montagne,  théologien  de  St.* 
Sulpicc  (i).  On  écrivit  à  l'archevê- 
que de  Tours  pour  l'engagera  expli- 
quer son  Instruction.  D'un  autre  cô- 
té ,  un  anonyme,  qu'on  dit  être  l'ab- 
bé Cussac,  ayant  publié  une  Lettre 
contre  l'Instruction  pastorale ,  l'ar- 
chevêque condamna  cet  écrit,  par 
un  mandement  du  1 5  novembre  1 7495 
et,  peu  après,  dans  nue  lettre  du  5 
février  i-jSo,  il  protesta  qu'il  était 
soumis  aux  décisions  de  l'Église.  Un 
nouvel  écrit  de  Cussac,  sous  le  titre 
de  Réponse ,  excita  les  plaintes  de 
l'archevêque ,  qui  le  déféra  aux  )na- 
gistrats  et  à  l'assemblée  du  clergé. 
C'est  au  milieu  de  cette  dispute  que 
Rastignac  fut   attaqué  d'une   mala- 
die grave,  qui  l'empoita  en  quehiues 
jours.  Il  mourut  au  château  de  Vcret, 
le  3  août  1750.  Les  bruits  étranges 
qui  circulèrent  sur  le  genre  de  sa 
mort ,  atti'ibuée  à  un  empoisonne- 
ment causé  par  la  méprise  ou  la  ma- 
ladresse d'un  chirurgien,  n'avaient 
aucun   fondement.    Ce  prélat  était 
d'ailleurs  un  homme  distingué  par 
les  grâces  de  son  esprit ,  par  l'amé- 
nité de  ses  mœurs  et  par  la  géné- 
rosité de  son  caractère.  Outre  son 
siège,  il  jouissait  de  quatre  abbayes. 

P-C— T. 

RASTIGNAC  (  ArmandAnn  e-Au- 

GUSTE  -  AlVTOmii-SlOAlUi;   DE  CuAPT 

de),  neveu  du   précédent,  na([uit , 


RAS 


1^5 


(i)  On  a  en  innniiscrit  un  projet  de  cmisnrc  <U' 
riiistru  tiou  pn^torale,  ifui  aele  truuvo  ilciiis  les  pa- 
piers cl<!  l'tvc'qtic  do  Nitrie;  dans  ce  projet  il  y  J< 
vin^t-ciiu]  propusitiuiLS  rangées  sous  sept  titres  dit- 
fi  vents,  et  avec  dc>  ndics  attachées  .uix  propositions. 


en  1 7'26 ,  au  château  de  Laxion,  dans 
le  Périgord.  Il  fît  sa  licence  en  Sor- 
bonnc  avec  beaucoup  de  distinction, 
prit  le  bonnet  de  docteur ,  devint  ah- 
bé  de  Saint-Mesmin  d'Orléans ,  pré- 
vôt  de    S^nt- Martin   de   Tours, 
grand-archidiacre  et  grand-vicaire 
d'Arles.  Député  du  second  ordre  aux 
assemblées  du  clergé  de  1755  et  de 
1760  ,  il  vota  ,  dans  la  première  , 
avec  la  majorité,  sur  la  question  du 
refus  des  sacrements  aux  adversai- 
res de  la  Bulle  Unigenitus.  Dans  la 
dernière  ,  il    se  distingua    comme 
membre  du  bureau  de  jiuidiction  ; 
mais  une  discussion  qu'il  eut  avec 
le  président  le  fit  juger  peu  propre 
à  l'épiscopat ,  dont  ou  cherchait  à 
écarter  les  sujets  qui  ne  paraissaient 
pas  assez  disposés  à  se  plier   aux 
vues  de  la  cour.  On  lui  offrit  cepen- 
dant le  petit  évêché  de  Tulle,  que 
l'on  pensait  bien  qu'il  n'accepterait 
pas.  Député  aux  états  -  généraux  de 
1789  ,  il  siégea  constamment  au  cô- 
té droit  de  cette  assemblée.  Mais, 
comme  la  faiblesse  de  son  organe  ne 
lui  permettait  pas  de  paraître  à  la 
tribune ,  il  se  borna  à  composer  plu- 
sieurs écrits  savants  et  solides  sur  les 
matières  qui  y  étaient  agitées  avec 
tant  de  chaleur.  L'étude  qu'il  avait 
faite,  toute  sa  vie,  de  la  science  de 
son  état ,  et  la  connaissance  des  Lan- 
gues  anciennes  ,   qvi'il   possédait  à 
fond ,  lui  donnaient  pour  cela  une 
grande  lacilité.  Voici  la  liste  de  ses 
écrits  :  I.  Question  sur  la  propriété 
des  biens  ecclésiastiques  en  France^ 
1789,  in-8°.  IL  Accord  de  la  révé- 
lation et  de  la  raison  contre  le  di- 
vorce ,  1791 ,  i'i-8*'. ,  avec  cette  épi- 
graphe tirée  de  Hincmar  :  «  Il  faut 
»  que  les  lois  publiques  soient  chré- 
»  tiennes  dans  un  royaumcchréticn;» 
ouvrage  plein  de  recherches  ,  et  oii 
l'auteiir   prouve  l'incompétence  de 


1^4  RAS 

l'assemblée  nationale  en  celte  matiè- 
re. 11  y  ajouta  une  Discussion  curicu- 
^e  sur  l'usage  de  la  Pologne  à  cet 
égard  ,  et  fil  voir  que  le  divorce  n'y 
est  point  autorise  par  la  puissance 
cccle'siaslique.  III,  Traduction  de  la 
Lettre  sjnodale  de  Nicolas  ,  pa- 
triarche de  Co/tstanti?itiple,  à  l'em- 
pereur Alexis  Comnène^  sur  le  pou- 
voir des  empereurs ,  relativement  à 
l'érection  des  métropoles  ecclésias- 
tiques ,  avec  de  savantes  notes,  1 790, 
in  -8°.  Tous  CCS  ouvrages,  solide- 
ment écrits,  font  honneur  à  l'erudi- 
tiou  de  l'auteur ,  à  la  sagesse  de  ses 
principes.  Ses  mœurs  douces  ,  son 
caractère  honnête,  lui  avaient  acquis 
une  grande  considération  dans  le  cler- 
gé. Le  26  août  1792,  il  fut  enferme' 
à  l'Abbaye,  et  fut  massacre  le  5  sep- 
tembre suivant.  Au  moment  où  il  al- 
lait tomber  sous  le  glaive  des  assas- 
sins, il  parut,  avec  l'abbé  Lcnfant, 
à  la  tribune  d'une  chapelle  où  beau- 
coup de  détenus  étaient  renfermés.  Ils 
«  nous  annoncèrent,  dit  M. de  Saint- 
»  Bléard,  que  notre  dernière  heure 
M  approchait ,  et  nous  invitèrent  à 
»  nous  recueillir  pour  recevoir  leur 
»  liénédiction.  Un  mouvement  élec- 
»  trique  nous  précipita  à  genoux;  et 
»  nous  la  reçûmes  les  mains  jointes. 
»  L'âge  de  ces  deux  vieillards,  leur 
w  position  au-dessus  de  nous,  la  mort 
»  planant  sur  nos  tètes.,  tout  répan- 
«  dait,  dans  cet  instant,  une  teinte 
»  auguste  et  lugubre.  »        T — D. 

RAI  lîERT.  Foj  ez  Radbert. 

RATCIIIS  ,  roi  des  Lombards, 
fils  de  Pcji'.mone,  duc  de  Frioul  ,  lui 
succéda  dans  ce  duché  ,  en  73^.  11 
se  couvrit  de  gloire ,  deux  ans  après, 
par  des  victoires  sur  les  Esclavons 
de  la  Cainiole.  Les  Lombards,  lors- 
qu'ils déposèrent  liildcbrand,  (ils  de 
Luilprand,(n744,  ne  crurent  point 
pouvoir  choisir  \ni  chef  plus  illustre 


RAT 

pour  l'élever  sur  le  trône.  On  con- 
naît peu  les  actions  deRatchis  ,  parce 
que  son  avènement  à  la  couronne  est 
l'époque  à  laquelle  Paul  Warnefiid, 
historien  des  Lombards  ,  termine 
son  récit.  Seulement  on  sait  qu'en 
749,  provoqué  par  les  Romains, 
qui  avaient  violé  la  trêve  conclue 
avec  eux,  il  envahit  leur  territoire, 
et  vint  mettre  le  siège  devant  Pérou- 
se.  Mais  le  papeZacharie,  qui,  dans 
d'autres  occasions  ,  avait  éprouvé 
son  crédit  sur  l'esprit  de  Ratchis  , 
vint  au-devant  de  lui  ,à  la  tclc  de  son 
clergé  et  des  seigneurs  les  plus  distin- 
gués. Il  employa  tour-à-tour  les  priè- 
res ,  les  exhortations  et  les  menaces: 
il  frappa  l'esprit  deRatchis;  il  ébran- 
la son  imagination  ,  et  non  seule- 
ment il  obtint ,  pour  les  Romains  , 
une  paix  avantageuse  ,  mais  il  enga- 
gea le  monarque ,  avec  sa  femme 
Tasie  et  sa  fille  Ratrude  ,  à  renoncer 
au  monde  ,  à  suivre  le  pontife  à 
Rome  ,  et  à  recevoir  de  lui  l'habit 
religieux.  Ratchis  alla  s'enfermer  au 
couvent  du  mont  Cassin  ,  où  une  vi- 
gne ,  qu'il  cultivait  de  ses  mains  , 
conserva  long-temps  son  nom.  Les 
deux  princesses  fondèrent ,  à  Piom- 
baruola  ,  près  du  mont  Cassin,  uu 
couvent  de  femmes  ,  où  elles  se  con- 
sacrèrent à  Dieu.  Astolphe,  frère  de 
Ratchis,  lui  succéda  sur  le  trône  ; 
mais  lorsque  Astolphe  mourut,  en 
750 ,  et  qu'un  étranger ,  Didier ,  pré- 
tendit recueillir  la  succession  que 
Ratchis  avait  abdiquée ,  ce  moine 
sortit  de  son  couvent  ,  rassembla 
une  armée,  et  revendiqua  ses  droits. 
Didier  invoqua  les  secours  du  pape 
Etienne  11  ,  et  le  décida  en  sa  faveur, 
eu  lui  promettant  la  lestitution  des 
villes  de  l'Exarcat.  Etienne  ,  en 
cfiet ,  écrivit  à  Ratchis  ,  pour  lui 
leproclier  d'avoir  rompu  ses  vœux; 
et  rc  moine  royal ,  docile  à  la  voix 


RAT 

du  pontife,  rentra  dans  son  couvent, 
d'où  il  ne  sortit  plus.      S.  S — i. 

RATCLIKF  (  Raout.  ) ,  issu  d'une 
ancienne  famille  du  nord  de  l'An- 
gleterre ,  fut  clcve  dans  l'université 
d'Oxford.  Le  goût  qu'il  y  contracta 
pour  la  littérature,  lui  fit  obtenir 
une  place  de  re'gent  dans  un  des  col- 
lèges de  l'université  ,  et  le  décida  à 
se  livrer  entièrement  à  cet  état.  Lors 
de  la  suppression  des  Carmes  de 
Hitchit) ,  dans  le  comte'  d'Here'fort, 
en  i538  ,  il  e'tahiit ,  dans  leur  cou- 
vent, une  école' qui  devint  fameuse 
par  les  exercices  classiques  et  litté- 
raires qu'il  y  donna  j  leur  c'clat  y 
attira  de  nombreux  élèves  des  fa- 
milles les  plus  distinguées.  A  sa 
mort ,  arrivée  en  i553 ,  il  laissa  une 
grande  fortune  qu'il  avait  acquise 
dans  sa  profession.  La  plupart  de 
ses  ouvrages  sont  des  Pièces  de  tlièâ- 
tre  ,  des  Poèmes ,  des  Harangues  , 
pour  les  exercices  de  son  coiie'ge. 
On  cite  parmi  les  Corae'dies  :  Di- 
ves  et  Lararns  ; —  l'Homme  pa- 
tient;—  V Amilié  de  Titus  et  de 
Gesippus  ;  — le  Mélibëe  de  Chau- 
cer.  Parmi  les  Tragédies  :  les  yJfjlic- 
tinns  de  Job  ;  —  Susanne  délivrée 
des  Tnains  des  vieillards  ;  —  V In- 
cendie de  Sodome  ;  de  petits  Poè- 
mes :  Pus,na  noniinis  et  verbi.  T-D. 
RATDOLT  (  Erhard  )  ,  célèbre 
imprimeur,  né  à  Augsbourg,  vers 
le  milieu  du  f,iiiuziènie  siècle,  tient 
une  place  distiu^uce  dans  l'histoire 
de  l'art  typogiapl'iqnc,  pour  y  avoir 
introduit  di(rércii(0'>  -améliorations, 
entre  autres  l'usage  d'imprimer  , 
avec  le  texte,  les  figures  de  mathé- 
matiques (i).  Il  s'établit  d'abord  à 

(l)  RatdoU  ii'finj)I„v;nlqiie  des  i.I.-,„<,l..s  en  h..;,; 
mais  M.  Finiiiii  Didut  est  parTcnn,  en  i8o(>,  A  îm- 
Vniner  des  plarxjlics  gravées  en  taille-doiicc  ,sous  la 
presse  lyi>ogia,,liiqi,e ,  en  même  temps  <pie  le  Icite. 
Voy.  lÉ  la  fin  de  sa  tiad.  des  B„rnl,,/ucf  de  Virgile 
>ine  niilc  sur  ce  n'nrveau  prucede  ,  p.  2G3. 


RAT 


120 


Venise  ;  et  il  y  publia  ,  depuis  14^6 
jusqu'en  1487  ,  en  société,  ou  seul, 
plusieurs  éditions  comparables  à 
celles  des  meilleurs  imprimeurs  de 
cette  ville ,  soit  pour  la  beauté  des  ca- 
ractères, soit  pour  la  bonne  distribu- 
tion des  parties.  11  revint  ensuite 
dans  sa  patrie,  où  il  continua  d'exer- 
cer son  art  avec  succès  ,  jusqu'en 
i5o5.  On  conjecture  qu'il  mourut 
vers  la  fin  de  celle  année.  Le  premier 
ouvrage  sorti  des  presses  de  Hatdolî 
est  le  Kalendariitm  de  Regiomou- 
tanus,  1476,  iu-fol.  (  F.  Muller  , 
XXX,  383.)  Cette  édition  est  dé- 
corée d'un  titre  qui  paraît  avoir  don- 
né l'idée  des  frontispices  que  l'on 
voit  aujourd'hui  à  la  tête  de  chaque 
volume  ;  et  Prosper  Marchand  pense 
que  l'on  doit  encore  à  Ratdolt  la  ma- 
nière d'imprimer  les  leltres  grises  , 
les  fieurons  et  les  vignettes ,  qu'on 
n'exécutait  auparavant  qu'au  pin- 
ceau, et  avec  beaucoup  de  temps  et 
de  peine.  Ce  fut  en  i  482 ,  qu'il  mitau 
jour  l'édition  d'£'i/cZiV/e,  la  première 
de  cet  auteur  (  F.  Euclide  )  :  il 
tira  quelques  exemplaires  avec  une 
encre  qui  imite  la  couleur  de  l'or;  et 
les  amateurs  du  merveilleux  en  ont 
conclu  que  Ratdolt  se  servait  de  ca- 
ractères de  ce  métal  (  F.  le  Diction. 
Bibliolog.  de  M,  Pcignot,  m  ,  82  ). 
Ratdolt  s'est  particulièrement  occu- 
pé de  l'impression  d'ouvrages  de  mu- 
sique ,  de  mathématiques  et  d'astro- 
nomie; mais  c'est  à  tort  que  quelques 
écrivains  l'ont  fait  auteur  de  VEx- 
positio  Jlonnn  astrologiœ  Apoma- 
saris  ,  sortie  de  ses  presses  ,  en 
1488.  Mailtaire  adonné,  dans  ses 
Annal,  tjpograph.  ,  la  notice  des 
éditions  de  cet  habile  imprimeur  ;  et 

ProsperMarchandl'acompIétéedans 
nue  note  du  curieux  article  qu'il  a 
consacré  a  Ratdolt  dans  son  Diclion- 
naire  historique.  VV s. 


19.6 


RAT 


RATICri  (  WoLFGANG  ) ,  institu- 
teur allemand,  né  en  i57 1 ,  à  Wuls- 
ter  dans  le  pays  d'Holstein ,  étudia 
d'abord  la  théologie  •  mais  le  désir 
d'améliorer  les  méthodes  d^enseigne- 
mcnt  lui  fit  entreprendre  des  voya- 
ges en  Angleterre  et  en  Hollande.  De 
retour  en  Allemagne  ,  il  se  présenta 
auprès  des  gouvernements   de  plu- 
sieurs petits  étdts ,   et  sollicita  des 
moyens  pour  exécuter  ses  projets  sur 
l'enseignement  perfectionné.  Il  s'en- 
gageait à  apprendi'e  aux  élèves,  dans 
l'espace  d'un  an  ,  le  latin  ,  le  grec  et 
riiébren  ,   sans  les  fatiguer  par  de 
longues  séances  ,  par  des  dictées,  des 
efforts  de  mémoire,  et  des  grammai- 
res embrouillées.  Ces  belles  promes- 
-  ses  engagèrent  plusieurs  personnes 
puissantes  à  lesoutenir;maislerésul- 
tat  ne  répondit  point  à  leur  attente. 
Après  avoir  erré  dans  plusieurs  états, 
promettant  toujours    plus   qu'il  ne 
pouvait  tenir ,  Raticli  vint  s'établir 
■  à  Erfurt ,  et  il  y  mourut,  le  27  avril 
i6?>5. 11  paraît  qu'il  n'a  rien  publié 
sur  sa  méthode  ;  mais  on  en   peut 
voir  un  aperçu  assez  détaillé  dans 
le  Poljhistor  de  Morhof  (  tome  i  , 
V.  45 1  ),  qui  convient  que  ce  procédé 
n'est  point  à  mépriser,  pourvu  que 
l'on  trouve  un  précepteur  doué  d'as- 
sez d'intelligence  et  de  patience  pour 
le  mettre  eu  pratique.  Voyez  la  No- 
tice sur  fV.  lîatich  ,t[)iir  J.  G.  Fors- 
tcr  ,  Halle,   1782  ,  in-S".  ,  en  alle- 
mand. D G. 

RATRAMNE.moinedel'abbayede 
Corbie,se  rendit  célèbre  ,  au  ix'"*-'. 
siècle ,  par  le  rôle  qu'il  joua  dans 
les  disputes  théologiques  de  cette 
époque.  11  possédait  une  érudition  , 
sacrée  et  jirofane  ,  assez  rare  pour  le 
temps  où  il  vivait. On  voit  parscsou- 
vrages  qu'il  avait  lu  les  Pères  grecs  , 
d'oi'i  l'on  conjecture  qu'il  savait  leur 
langue.  Sun  style  est  en  général  mcil- 


RAT 

leur  que  celui  de  ses  contemporains , 
sur  lesquels  il  l'emportait  encore 
par  son  talent  pour  la  controverse. 
Ou  disputait  alors  avec  beaucoup  de 
chaleur  sur  la  manièredonlle  corps 
de  Jésus-Christ  est  dans  le  sacrement 
de  l'Eucharistie  ;  ce  corps  qui ,  selon 
les  principes  de  la  foi,  est  réellement 
un  corps  humain  par  sa  substance, 
dont  il   diffère  cependant  par  ses 
qualités  extérieures,  tellement  qu^on 
peut  dire  que  c'en  est  un ,  et  que 
ce  n'eu  est  pas  un,  à  divers  égards  ; 
qu'en  un  sens ,  c'est  le  même  corps 
né  de   Marie ,   et   qu'en   un   autre 
sens ,  c'est  un  autre  corps  que  Jé- 
sus-Christ s'est  fait  lui-même  par 
sa  parole  ;   qu'il    est    caché    sous 
des  ombres  et  des  figures ,  dont  la 
vérité   est  hors    de  la    portée  des 
sens,  et  ne  se  découvre  que  par  la 
foi.  Charles  -  le  -  Chauve  ,  voulant 
s'instruire  sur  cette  dispute  qui  était 
très-vive ,   chargea  les  principaux 
théologiens  de  composer  des  traités 
sur  cette  matière.  Ratramne,  le  seul 
dont  l'ouvrage  nous  soit  parvenu  , 
soutint  que  le  corps  de  J  ésus-  Christ , 
aperçu  par  les  sens,  est  différent  de 
ce  qu'il  avait  été  sur  la  terre  ,  et  de 
ce  qu'il  est  dans  le  ciel.  Paschase 
Radbert ,  au  contraire,  disait  qu'il 
est  le  même  dans  l'Eucharistie  que 
celui  qui  est  sorti  du  sein  de  la  Vier- 
ge. Chacim  avalises  partisans.  Tous 
étaient  d'accord  sur  le  fond  du  dog- 
}ne ,   qui  est  la  présence  réelle  et 
substantielle;  ils  ne  différaient  que 
sur  la  manière  de  l'expliquer.  L'ou- 
vrage du  moine  de   Coibie,  reste' 
long-temps  inconnu,  fut  cite  pour  la 
première  fois,    en   iSaG,   par   Fi- 
shcr,  cvcque  de  Rochestcr,  cœUrc 
OEcolampade.Mais  comme  l'autcui" 
s'embarrassait  quelquefois  dans  des 
expressions  obscures  et  .".mbigucs  , 
les  Zuinglicns  s'en  prévalu.reiit  con- 


RAT 

trc  la  présence  réelle  et  contre  la 
transsubstantiation  :  ils  en  multipliè- 
rent les  éditions  et  les  traductions; 
la  première  édition  fut  donnée ,  en 
i532  ,  à  Cologne  ,  avec  une  préface 
de  Léon  de  Jiida.  Ce  traité  trouva 
des  censeurs  sévères  parmi  les  catlio- 
1  iques ,  qui  en  attaquèrent  la  doctrine 
et  l'authenticité.  On  le  supposa  fa- 
briqué par  les  Prolestants  ;  et  le  tri- 
bunal de  censure  établi  par  le  con- 
cile de  Trente,  le  relégua  daus   la 
classe  (Tes  livres  prohibés.  Mais  D. 
Mabillon  en  ayant  découvert  deux 
exemplaires  avec  le  nom  de  l'auteur, 
l'un  de  huit  cents  ans,  c'est-à-dire, 
du  siècle  même  où  vivait  l'auteur , 
de  savants    théologiens ,    tels    que 
Sainte-Beuve,  Arnauld,  Jacques  Boi- 
leau  et  autres  ,  s'attachèrent  à  lever 
toutes  les  difficultés  qu'on  avait  for- 
mées contre  l'orthodoxie  de  l'ouvra- 
ge. Il  en  avait  paru,  en   1673,  à 
Rouen,  une  édition  latine  et  françai- 
se, précédée  d'un  long  avertissement 
qu'on  attribue  à  Allix,  erreur  dans 
laquelle  nous  sommes  tombés  nous- 
mème  ,  à  l'article  de  ce  ministre.  Ou 
la  donne  comme  une  nouvelle  édi- 
tion de  celle  qu'il  avait,  dit-on  ,  pu- 
bliée en  1647,  ^'^^^^^  '^"^  même  ville, 
sans  faire  attention  qu'il  n'avait  guè- 
re alors  que  six  ou  sept  ans.  Il  est 
bien  vrai  que  celle  de  1678  est  inti- 
tulée seconde  édition;  ce  qui  ne  peut 
se   rapporter   qu'a   celle  qui   avait 
paru   l'année  précédente  à   Roucjî. 
Ou  lit  d'ailleurs,  dans  l'avertisse- 
tnent,  que  c'est  une  nouvelle  traduc- 
tion faite  sur  le  texte ,  revu  et  corri- 
gé. D.  Ccillicr  pixiteud  avoir  eu  sous 
les  yeux  l'éilitiou  de  1(378,  portant 
sur  le  frontispice  ,  qu'elle  se  vendait 
j^       à  Grenoble  chez  Dumont  ;  mais  il 
.  n'y  a  rien  de  semblable  dans  l'édition 
de  1678,  où  l'on  voit  qu'elle  a  élc 
inanimée  jxir  Jean  Lucas ,  demeu- 


RAT  127 

rant  à  Rouen ,  et  qu'elle  se  vend  à 
Quevillj.  Comme,  dans  l'avertisse- 
ment, il  est  parlé  de  la  réponse  d' Al- 
lix aux  Dissertations  d' Arnauld  sur 
Ratramne,  on  en  a  conclu  que  ce 
ministre  était  l'auteur  de  la  traduc- 
tion. On  aurait  bien  dû  s'apercevoir 
qu'il  y  est  cité  comme  différent  du 
traducteur.  Les  infidélités  palpables 
qui  déshonoraient  les  éditions  et  les 
traductions  publiées  par  les  Protes- 
tants ,  engagèrent  le  docteur  Boileau 
à  en  donner  une  nouvelle,  en  1686, 
ini2,  sur  deux  colonnes,  l'uncpour 
le  latin  et  l'autre  pour  le  français , 
d'après  les  deux  manuscrits  de  D. 
Mabillon.  Elle  avait  en  tête  une  sa- 
vante préface,  pour  c\\  venger  l'au- 
thenticité et  l'orthodoxie.  Casimir 
Oudin  rapporte  que  M.  de  Harlay, 
archevêque  de  Paris,  voyant  que  les 
Calvinistes  continuaient  à  s'en  pré- 
valoir ,   fit   retirer  les  exemplaires 
de  la  circulation  ,  quoiqu'elle  eût  été 
généralement  bien  reçue  des  savants. 
Boileau  se  borna  donc,  en  1712,  à 
faire  réimprimer  le  texte,  avec  une 
Dissertation  et  des  Notes  pour  réfu- 
ter Hopkins ,  qui,  à  la  tête  de  sa  tra- 
duction anglaise,  avait  attaqué  Ictra- 
vail  du  docteur  français.  Les  Pro- 
testants ont  donné,  en  1717,  une 
édition  à  Amsterdam ,  en  latin   et 
en  français,  avec  une  traduction  de 
la  Dissertation   de  Hopkins.  A  la 
suite  de  cet  ouvrage  on  trouve  dans 
plusieurs  éditions,  un  petit  traité  de 
la  Prédestination  ,  composé  de  mê- 
me par  ordre  de  Charles-le-Chau- 
ve,   à  l'occasion  des   disputes   qui 
existaient  alors  sur  ce  laystère.  Ra- 
tramne y  soutient  la  prétlestination 
des  élus  ,  et  en  conséquence  celle  des 
réprouvés.  Ce  traité  fut  publié  pour 
la    preniièrc  fois  ,  en    iG5o,  par 
le  président  Mauguin  ,  d'où  il  pas- 
sa dans  le  xv**.  tome  de  la   Bi- 


iiS 


RAT 


L'iiollièque  des  Pcros.  Hincmar  l'a- 
vait attaque,  clans  un  ouvrage  dont 
il  ne  nous  reste  que  la  préface.  D. 
d'Aclieri  a  insère  ,  dans  le  premier 
volume  du  Spicilége,  un  troisième 
écrit  de  Ratramne,  sur  V Enfante- 
ment de  la  Sainte- Fierge,  où  l'au- 
teur combat  avec  beaucoup  de  viva- 
cité ceux  qui  soutenaient  que  Jésus- 
Christ  n'est  pas  sorti  du  sein  de  sa 
mère  par  la  voie  naturelle  de  la  gc- 
néralion,  mais  par  une  voie  mira- 
culeuse; question  plus  curieuse  qu'u- 
tile ,  agitée  alors  avec  beaucoup  de 
chaleur.  Celui  de  tous  ses  ouvrages 
qui  fut  reçu  avec  le  plus  d'applau- 
dissement ,  et  qui  n'eut  point  de  con- 
tradicteurs, est  son  Traitécontre  les 
Grecs.  Il  y  établit  solidement  la  pro- 
cession du  Saint-Esprit.  Il  l'avait 
composé  à  la  prière  des  évoques  de 
la  province  de  Reims  ,  pour  combat- 
tre les  partisans  de  Photius.  Ou  le 
trouve  dans  le  second  volume  du 
Spicilége.  Le  Masson  a  publié,  dans 
lesixiJrac  tome  de  V Histoire  criti- 
que àc  la  république  des  lettres, une 
Dissertation  de  Ratramne,  sur  les 
Cjnocéphales ,  prétendus  hommes 
à  deux  têtes,  dont  les  cris  ressem- 
blaient à  l'aboiement  des  chieus. 
L'auteur  pense  que  ces  monstres  ap- 
partenaient plutôt  à  la  race  des  hom- 
mes qu'à  celle  des  animaux  :  mais 
des  modernes  croient  qu'il  s'agit  des 
habitants  de  la  Laponie,  défigurés 
par  les  relations  de  quelques  voya- 
geurs. Cette  Dissertation  a  été  réim- 
primée dans  le  Recueil  de  Casimir 
Oudin ,  avec  d'autres  pièces  sur  le 
même  sujeL-Parmi  les  autres  écrits 
de  cet  auteur  qui  ne  nous  sont  point 
parvenus,  on  dont  on  n'a  que  des 
iVagmciils,!!  yen  avait  nu  ]iour  la  dé- 
fense de  celte  strophe  :  Te  TritiaJJei- 
tas^  d'une  ancienne  hymne  des  mar- 
tyrs, (|ui  a  été  adoptée  dans  une  de 


RAT 

celles  de  la  fête  du  Saint-Sacrement. 
L'auteiu'  y  réfutait  Hincmar,  (pii 
prétendait  que  cette  strophe  établis- 
sait trois  dieux  dans  le  mystère  de  la 
Trinité,  et  qui  voulait  qu'on  substi- 
tuât le  mot  Sancta  à  celui  de  Trina. 
Gotescalc  avait  composé  nue  pièce 
de  vers  à  l'éloge  de  Ratramne.  T-u. 
RATSCHKY  (Joseph-François), 
poète  allemand,  né  à  Vienne,  en 
1757,  fut  employé,  en  sortant  de  l'u- 
niversité de  sa  ville  natale ,  à  l'oc- 
troi, et  ta  l'inspection  du  marché  au 
bétail.  Les  poésies  qu^il  fit  paraître 
dans  ces  humbles  emplois,  atlii'èrent 
sur  lui  Tattention  des  littérateurs  ; 
Boni  et  Sonnenfels  le  recommandè- 
rent à  la  faveur  de  Joseph  II.  Ce 
prince  éclairé  îe  tira,  en  eifet,  de  ses 
fonctions  obscures.  Il  le  plaça  d^a- 
bord,  en  1783,  dans  la  chancelleiie 
impériale  ,  et  Tenvoya  dans  la  même 
année  ,  avec  le  conseiller  aulique  de 
Margelik,  en  Galicie  etLodomérie, 
pour  y  examiner  et  améliorer  Tctat 
de  l'administration  publique.  Le  rap- 
port que  Ratschkv  adressa  ,  après 
son  retour,  à  l'empereur,  satisfît  plei- 
nement ce  monarque,  et  valut  à  l'au- 
teur une  gratification.  Un  Poème 
contre  la  démagogie  et  la  démo- 
cratie, qu'il  publia,  sous  le  titre  de 
Melchiur  Striegel,  Vienne,  1794 
(  réimprimé  à  Leipzig ,  1  799  ) ,  aug- 
menta encore  son  crédita  la  cour  : 
deux  ans  après  ,iî  fut  nommé  secré- 
taire aulique,  et  commissaire  auprès 
de  radiniiiislratioudela  loterie,  con- 
seiller auliqr.e  à  la  régie  d(ts  tabacs, 
enfin  conseiller  d'état  à  la  section  de 
l'intérieur.  Dans  tous  ces  emplois,  il 
montra  une  gtande  aptitude  aux  af- 
faires ,  beaucoup  d'exactitude  et 
d'intégrité.  Mais  sa  verve  parut  s'a- 
faiblir  depuis  qu'il  fut  devenu  liom- 
njc  public.  11  n'osa  plus  fronder 
avec   la    méiue  franchise  les   vices 


RAT 

domina nls ,  ni  s'cspiimer  avec  la 
même  cnerj^ie.  Aussi  le  premier  Re- 
cueil do  SCS  poésies,  publie'  à  Vien- 
ne, en  1785,  et  réimprime  en  1791, 
est  prëfe'rable  au  second  ,  qui  parut 
en  180.5.  Ralschky  avait  une  gran- 
de facilité  :  sa  veraification  est  exac- 
te et  naturelle;  il  a  composé  de  jo- 
lies romances  ,  des  épîtres  plus  ou 
moins  satiriques  ,  dos  chansons  fai- 
tes pour  devenir  populaires.  Pai-mi 
ses  Odes ,  on  distingue  celle  qu^il 
fit  sur  Tesplosion  du  dépôt  des 
poudres  à  Vienne.  Il  a  rédigé  TAl- 
raanach  des  muses  Viennoises  ,  de- 
puis 1777  jusqu^en  1796;  il  y  avait 
travaillé  en  commun  avec  le  poète 
Blumauer,  depuis  1780.  Il  écrivit 
aussi  pour  le  théâtre  ;  et  il  a  fourni 
des  articles  littéraires  k  plusieurs 
ouvrages  périodiques.  Sa  conversa- 
tion était  reclierchée,  à  cause  de  ses 
saillies.  11  est  mort  le  3i  mai  18 10. 
D— G. 
RATTE  (  Etienne  -  Hyacinthe 
DE  ) ,  astronome,  naquit  en  1 72'i ,  à 
Montpellier  ,  d^une  famille  noble , 
originaire  de  Bologne  ,  et  connue 
depuis  le  douzième  siècle.  Il  mon- 
tra ,  de  bonne  heure,  un  goût  décidé 
pour  les  sciences  ,  et  en  particulier 
pour  les  mathématiques  ,  les  étudia 
toutes  avec  la  même  ai'deur  ,  et 
c'tonna  bientôt  les  savants  par  ré- 
tendue et  la  variété  de  ses  connais- 
sances. Admis, en  1741  ,àracadémie 
de  Montpellier,  par  une  dispense 
d'âge ,  il  en  fut  nommé  ,  l'année  sui- 
vante ,  secrétaire  perpétuel  ;  place 
qu''il  remplit  avec  autant  de  zèle  que 
de  succès ,  jusqu^à  la  suppression  des 
académies.  La  fameuse  prédiction  de 
Halley  sur  le  retour  de  la  comète  de 
i68u  (  r.  Halley  ,  XIX  ,  33<)  ) , 
décida  sa  vocation  pour  l'astrono- 
mie. Il  voulut  participer  à  la  recher- 
che de  cette  comète,  et  il  la  dccou- 


RAT 


109 


vrit  en  eiTct ,  l'un  des  premiers ,  à  sa 
sortie  des  rayons  du  soleil.  Depuis, 
il  observa  en  17(31  ,  le  passage  de 
Vénus,  qui  servit  de  base  à  ses  im- 
menses calculs  sur  la  parallaxe  du 
soleil  ;  et  il  (it  un  grand  nombre 
d'observalioîis  des  past^ages  de  Mer- 
cure, des  éclipses,  des  satellites  de 
Jupiter,  et  des  occultations  d'étoiles. 
Après  !a  mort  de  son  père,  en,  1770, 
De  Ratte ,  sur  les  instances  de  sa  fa- 
mille ,  se  fit  recevoir  conseiller  à  la 
cour  des  aides  de  Montpellier  ,  et  il 
en  exerça  les  fonctions  de  la  manière 
la  plus  disîingue'e,  jusqu'à  la  suppres- 
sion de  ces  tribunaux.  Pendant  la 
terreur  ,  il  fut  enfermé  comme  sus- 
pect ;  et  peu  s'en  fallut  qu'il  ne 
grossît  le  nombre  des  savants  qui 
périrent  à  cette  époque  sur  Técha- 
faud.  Dès  qu'il  eut  recouvré  sa  liber- 
té ,  il  se  réunit  à  quelques  amis  des 
sciences  ,  pour  rétablir  l'ancienne 
académie,  sous  le  nom  de  Société  li- 
bre ;  il  en  fut  nommé  ,  le  premier , 
secrétaire  perpétuel ,  et  bientôt  après 
président.  L'Institut  de  France  s'em- 
pressa de  s'associer  De  Ratte;  et  plus 
tard  ,  il  fut  décoré  de  l'étoile  de  la 
Légion-d'honneur.  Il  avait  joui,  dans 
tout  le  cours  de  sa  vie,  d'une  santé 
que  rien  ne  semblait  pouvoir  altérer  : 
il  fut  attaqué  d'une  rétention  d'urine, 
à  la  suite  de  laquelle  survint  une  fiè- 
vre qui  l'enleva,  le  i5  avril  i8o5  , 
à  Tâge  de  quatre  -  vingt  -  trois  ans. 
Outre  nn  grand  nombre  d'articles 
importants  dans  le  Dictionnaire  en- 
cyclopédique, tels  queFroid,  Glace^ 
Gelée,  etc..  De  Ratte  a  publié ,  de 
1766  à  1778,  les  Mémoires  de  la 
société  royale  deMontpellier  y  qu'il 
a  enrichis  des  Eloges  des  membres 
de  cette  compagnie ,  et  de  plusieurs 
Dissertations  intéressantes.  Ses  Ob- 
servations astronomiques  ont  été  re- 
cueillies par  M.  Honore  de  Flau- 

9 


i3o 


RAT 


gorgues  ,  son  ncvcn,  qui  promet  d'en 
faire  jouir  le  monde  savant.  On  pont 
consulter  ,  pour  de  plus  grands  dé- 
tails ,  VEloge  de  De  Balte  ,   par 
Poitevin,  Montpellier,  i8o5,  in-4''. 
de  32  pag.  Lalande  en  a  donne'  l'a- 
nalyse dans  V Histoire  de  V astrono- 
mie pour  i8o5.  V.  Magasin  encj- 
clopédique ,  1806,  1 1  ,  102.  W — s. 
RATTI  (  Je  AN- Augustin),  pein- 
tre ,  naquit    à   Savone  ,  en    1699. 
Après  avoir  e'tudie  quelque  temps  la 
peinture  dans  sa  ville  natale ,  il  se 
rendit  à  Rome  ,  où  il  se  mit  sous  la 
direction  de  Benoît  Luti.  Doue  d'un 
caractère  plein  de  gaîtc  ,  il  se  fit  une 
réputation  par  ses  tableaux  de  mas- 
carades ,  de  disputes^  de  danses ^ 
etc.,  ainsi  que  par  ses  caricatures , 
que  les   amateurs  recherchent  soi- 
gneusement.   Son  maître   le  regar- 
dait,  en  ce  genre,   comme  un  des 
meilleurs  artistes  de  l'Italie,  et  il  le 
mettait  au  même  rang  ([ue  le  Ghezzi. 
Mais  son  talent  ne  se  bornait  pas  à 
ce  genre  secondaire  :  il  pei^^nait  l'his- 
toire d'une  manière  distinguée,  com- 
me on  peut  s'en  convaincre  par  les 
grandes  compositions  qu'il  a  esëcu- 
te'es  dans  l'église  de  Saint-Jean,  à  Sa- 
vone ,  et  parmi    lesquelles  on  loue 
particulièrement  une  DécoUation  de 
saint   Jean  ,    qui  fait  partie  d'une 
suite  de  sujets  tire's  de  la  vie  du  saint 
pre'curseur.  11  en  est  de  même  du  ta- 
bleau  que   l'on    voit   à  Gènes  dans 
l'éj^lise  de  Sainte-Thérèse,  tableau  où 
l'on  reconnaît  un  disciple  habile  de 
Luti.  Il  peignait  aussi  la  Irescjucavec 
succès;  et  il  existe,  dans  le  chœur  des 
Conventuels  de  Casai ,  nue  perspec- 
tive de  INalali ,  de  Crémone  ,  qu'il  a 
orne'c  de  figures  qui  lui  font  un  hon- 
neur infini.  IMais  c'est  dans  les  ta- 
bleaux plaisants  cpie  son  talent  se  ma- 
nifeste cnlièrcMiient.  Il  avait,  pour  ce 
genre  de  peinture,  une  imagination 


RAT 

vaste  ,  féconde  et  ine'puisable  en  su- 
jets  nouveaux.    Il   a  aussi  gravé  à 
l'cau-forle  quelques  caricatures  de  sa 
composition,  recherchées  par  lesama- 
teurs.  Il  mourut  a  Gènes  ,  en  1775. 
—   Le   chevalier  Charles  -  Joseph 
Ratti  ,  fils  et  élève  du  précédent ,  na- 
quit à  Gènes  vers  l'an  1735.  Quoique 
avec  moins  de  talent  que  son  père,  il 
fut  un  des  bons  peintres  de  son  temps, 
ftlengslefit  nommer  directeur  de  l'a- 
cadémie de  Milan  ,  et  se  l'adjoignit , 
ainsi  que  Pompeo  Batloni,  pour  pein- 
dre le  Palais-Royal  de  Gènes.  Pendan  t 
nn  séjour  de  quatre  ans  ,  qu'il  fit  à 
Rome ,  il  n'eut  pas  d'autre  maison 
que  celle  de  Mengs  ,  sous  la  direction 
duquel  il  exécuta  plusieurs  ouvrages 
qui  eurent  beaucoup  de  succès  :  il esî 
vrai  que  cet  habile  peintre  y  avait 
mis  la  main.  C'est  surtout  comme 
copiste  que  Ratti  se  distingua  ;   et 
Mengs  voulut,  à  tout  prix,  acquérir 
une  copie  du  saint  Jérôme  du  Cor- 
rège  ,  que  Ratti  avait  faite  h  Parme. 
Le  pape  Fie  VI  le  nomma  directeur 
de  Vacadem'iG  Ligustica ,  et  lui  donna 
la  croix  de  chevalier.  Ratti  est  connu 
également  par  quelques  écritssurson 
art,  dont  voici  les  litres  :  I.  Nolizie 
stOriche  sincère  intorno  la  vit  a  e  le 
opère  del  célèbre  pittore   Antonio 
Allegri  da  Corregin  ,  Final ,  1 78 1 , 
in-8°.  Cet  ouvrage  fut  publié  sous  le 
nom  de  Mengs ,  qui  se  contenta  d'y 
faire  quelques    légères    corrections. 
II.  Délie  vile  dé'  pillori ,  sculloried 
archilctli  GejiOi'e.n.  Cette  a'uvre])0s- 
ihume  de  Soj)rani  n'allait  que  jus- 
qu'à   l'année   i6(>7  ,   époque  de  la 
mort  du  Torre  ;  Ratii  le  continua  ,  et 
en  publia  une  seconde  édition,  qu'il 
corrigea  ,  augmenta  et  eniichil  de 
Notes.  III.  hlruzione  di  qiianlu  pub 
vcdersi  di  più  hello  in  Gencva  ,  in 
jiitlura  ,  scoltura  cd  architeltura  , 
(jones  ,  1780,  in-8".  IV.  ^ita   del 


RAT 

Cav.  Rnff.  Menp;s ,  1779.  Le  cliev. 
Ratti  est  mort  à  Gènes,  en  1 795.  P  s. 
RATZ  DE  LANTHENÉE  (  Le), 
gentilhomme  liégeois,  et  mathémati- 
cien au  dix-huitième  siècle ,  est  resté 
si  obscur,  malgré  ces  titres,  qu'au- 
cun bingraphe  ne  donne  de  détails 
sur  sa  vie.  La  France  littéraire,  en 
1756  ,  lui  consacra  un  article,  qui 
n'a  point  été  conservé  dans  les  édi- 
tions de  1759,  ni  dans  les  postérieu- 
res, demanière  qu'on  ne  connaît  point 
la  date  de  sa  mort.  Formey  n'a  fait 
que  copier  ce  qu'en  dit  la  France  lit- 
téraire àe  I  756.  On  a  de  Lanthenée  : 
I.  Eléments  de  géométrie  j  i738. 
in-8".  ;  ouvrage  écrit  avec  une  clarté 
remarqr.able  ,  et  sur  lequel  on  peut 
voir  les  Mémoires  de  Trévoux ,  mai 
1789,  p.  41 5.  IL  Lettre  à  BI.de 
Voltaire  sur  son  écrit  intitulé  :  Ré- 
ponse aux  objections  contre  la  phi- 
losophie de  Kewton  ,  1739,  in -8°. 
in.  Examen  et  réfutation  de  quel- 
ques opinions  sur  les  causes  de  la 
réflexion  et  de  la  réfraction  ,  répan- 
dues dans  l'ouvrage  de  M,  de  Baniè- 
res  contre  la  philosophie  de  Newton; 
avec  un  essai  sur  l'impulsion  appli- 
quée aux  phénomènes  delà  luuiière, 
et  quelques  autres  attribués  àrattr-ic- 
tion,  Paris  ,  Chaubert ,  174^  >  in-S". 
de  5o  pages.  Jean  Baiiicres  ,  zélé 
cartésien,  avait  publié  un  volumi- 
neux Examenet  réfutationdes  Elé- 
ments de  la  philosophie  de  Newton^ 
où  il  disait  que  chaque  corps  est  en- 
veloppé d'une  atmosphère  particu- 
lière qui  produit  la  réflexion  et  la 
réfraction  de  la  lumière.  C'est  cette 
opinion  que  Le  Ralz  combat  dans 
son  Examen  :  quant  à  V Essai  sur 
l'imindsion  qui  le  suit  ,  il  décla- 
re ipie  ce  sout  les  idées  d'une  autre 
personne  ,  et  qu'il  n'en  est  que  le  ré- 
dacteur.TV.  Nouveaux  essaie  dephy- 
siqiie ,  1 750  ,  in-  l'i.       A.  B — t. 


RAU 


i3i 


RAU,  en  latin  Ravws  (Chris- 
tian), savant  orientaliste,  né,  le  25 
janvier  i6o3,  à  Berlin,  était  fds  d'un 
pasteur  de  cette  ville.  Dans  son  en- 
fance, il  fut  al  teint  d'une  maladie  con- 
tagieuse qui  causait  de  grands  ravages: 
on  le  crut  mort ,  et  toutes  les  disposi- 
tions étaient  prises  pour  son  enterre- 
ment ,  quand  sa  mère  s'aperçut  qu'il 
conservait  encore  quelques  restes  de 
vie;  et,  grâces  aux  soins  maternels, 
il  fut  rétabli  promptement.  Ses  pre- 
mières études  furent  marquées  par 
de  grands  progrès.  A  dix -sept  ans, 
il  fut  envoyé  à  l'université  de  Wit- 
temberg,  où  il  fit  son  cours  de  théo- 
logie, et  se  perfectionna  dans  la  con- 
naissance des  langues  anciennes.  Il 
étudia,  dans  le  même  temps,  la  lit- 
térature orientale.  Le  défaut  de  for- 
tune l'obligea  de  donner  des  leçons 
particulières  pour  subsister  j  et,  dès 
qu'il  eut  reçu  le  degré  de  maître-ès- 
arts,  il  soutint  des  thèses,  et  pro- 
nonça des  sermons  dans  différentes 
églises.  Loser,  maréchal  de  la  cour 
de  Saxe ,  qui  l'avait  entendu  prêcher, 
lui  fit  une  pension.  Encouragé  par 
ce  succès  ,  il  partit  pour  Hambourg, 
visita  la  Suède  et  le  Danemark,  oa 
il  trouva  de  généreux  protecteurs , 
et  se  rendit  à  Amsterdam,  où  il  sui- 
vit les  leçons  du  célèbre  Vossius,  et 
ensuite  à  Leyde,  où  il  apprit  l'ara- 
be, de  Golius.  Il  fit  part  à  quelques 
savants,  qui  lui  temcignaicntde  l'in- 
térêt, de  son  dcsirde  parcourir  l'O- 
rient. Sur  leur  recommandation,  il 
fut  nommé  secrétaire  de  raïubassa" 
deur  de  Hollande  à  Coiistanlinoplc. 
Avant  de  partir  pour  sa  destination, 
il  fit  le  voyage  de  Londres,  pourvoir 
le  fameux  Edouard  Pocock  (  F.  ce 
nom  ),  dont  il  n'eut  pas  de  peine  à 
g.igner  l'amitié,  et  qui  lui  procura 
les  moyens  de  passer,  en  iG39,  ^•'"■'' 
le  Levant,  sur  un  bâtiment  anglais. 

9- 


i32  RAU 

A  son  arrivée  à  Smyrne ,  il  étudia 
Tes  langues  les  plus  usuelles  dans 
l'Orient ,  et  il  apprit ,  eu  fort  peudc 
temps ,  le  turc  ,  le  persan,  l'italien, 
l'espagnol  et  le  grec  vulgaire.  Pen- 
dant son  séjour  dans  cette  ville,  il 
reçut  du  savant  Uslier ,  primat  d'Ir  - 
lande,  le  brevet  d'une  pension,  et  une 
somme  considérable  destinée  à  l'ac- 
quisition  de   manuscrits.  Il   rejoi- 
gnit à  Constantinople  son  ami  Po- 
cock,  qui  le   plaça  chez  l'ambas- 
sadeur d'Angleterre,  dont  la  protec- 
tion lui  fut  très  -  utile.  En  1641  ,il 
visita,  dans  la  compagnie  de  quel- 
ques seigneurs  anglais,  une  partie  de 
la  Haute- Asie;  et  il  avait  le  projet 
de  pénétrer  dans  la  Perse  :  mais  il 
fut  obligé  de  se  rembarquer  précipi- 
tamment pour  l'Angleterre,  où  il  rap- 
porta plus  de  deux  mille  manuscrits 
en  toutes  sortes  de  langues ,  dont  plu- 
sieurs rares  et  précieux.  On  le  pres- 
sait d'entreprendre  un  second  voya- 
ge: mais  il  avait  besoin  de  repos;  et, 
après  avoir  enseigné  quelque  temps 
l'arabe  au  collège  de  Gresham  en 
1042,  il  retourna  en  Hollande.  H 
obtint,  en  i644)  une  chaire  de  lan- 
gues orientales  à  Utrecht  ;  et  ses  ap- 
pointements furent  portés  successi- 
vement jusqu'à  six  cents  florins.  Ce- 
pendant il  ne  tarda  pas  de  quitter 
cette  ville  pour  Amsterdam;  et,  en 
1O47,  ^'  ï'cvint  à  Londres.  Chargé 
d'abord  de  donner  des  leçons ,  deux 
fois  la  semaine,  aux  jeunes  ecclé- 
siastiques ,  dans  le  palais  de  l'évêque, 
il  fut  ensuite  nommé  professeur  dans 
un  des  collèges  d'Oxford ,  et  chargé 
de  la  bibliothèque  et  des  archives  de 
l'université.  Quatre  ans  après,  sur 
l'invitation  de  la  reine  Christine  ,  il 
vint  professer  l'arabe  à  l'académie 
d'Upsal.  A  son  arrivée,  cette  prin- 
cesse lui  fit  présent  de  mille  florins, 
avec  lesquela  il  acheta  l'imprimerie 


RAU 

hébraïque  de  Manassès  ben  Israël. 
Après  l'abdication  de  Christine,  le 
roi  Charles-Gustave  appela  Rau  à 
Stockholm ,  le  nomma  son  biblio- 
thécaire, et  l'employa  comme  inter- 
prète; mais,  sur  sa  demande  ,  il  lui 
permit  d'aller  reprendre  ses  fonc- 
tions à  l'académie  d'Upsal.  Il  s'oc- 
cupait alors  d'une  Chronologie  de 
la  Bible ,  et  il  employait  tous  ses 
loisirs  à  perfectionner  un  ouvrage 
sur  lequel  il  fondait  sa  réputation. 
A  peine  l'eut-il  publié  ,  que  Rau  se 
vit  attaqué  de  toutes  parts.  Ne  se 
sentant  pas  assez  fort   pour  résis- 
ter à  cette  foule  d'adversaires  ,  et 
voyant   d'ailleurs  que  les  honorai- 
res qu'il  recevait  eu  Suède  étaient 
insuffisants  pour  subvenir  aux  be- 
soins d'une  nombreuse  famille  ,  il 
accepta  la  chaire  qiv'on  lui  offrait  à 
Kiel.  Il  tenta,  de  concert  avec  Was 
muth ,  d'établir  en  cette  ville  un  col- 
lège pour  les  jeunes  gens  destinés 
aux  missions  orientales;  et  il  se  pro- 
posait d'entreprendi-e  lui-même  de 
convertir  les  Juifs  :  mais ,  sur  ces 
entrefaites,  il  fut  rappelé  par  l'élec- 
teur de  Brandebourg,  son  souverain, 
qui  le  nomma  professeur  d'arabe  à 
Francfort  sur-l'Oder.  Il  prit  posses- 
sion ,  en  167'J,  de  cette  chaire,  qu'il 
remplit  aA'ec  beaucoupdezèlejusqu'à 
sa  mort,  arrivée  le  ui  juin  1677. 
Rau  était  un  homme  franc,  ouvert, 
obligeant,  d'une  simplicité  antique 
et  d'un  courage  admirable  dans  l'ad- 
versité; mais  il  avait  trop  de  pré- 
somption et  de  susceptibilité.  Parmi 
ses  ouvrages ,  dout  on  trouvera  les 
titres  dans  le  Trajeclum  erudilum 
de  Burmann ,  et  dans  le  Dictionnai- 
re de  Chaufcpié ,  on  se  contentera 
de  citer  les  plus  remarquables  :  I. 
De  scribendo  lexico  arabico-latino 
X)wcT(a£io, Utrecht,  i(j43,  in-4°.; 
volume  rare,  tlont  Jourdain  donne 


ftAÛ 

Tlne  description  détailldc ,  dans  le 
Moniteur  du  lo  août  i8ia,  p.  877, 
eu  rendant  compte  de  la  Biblioth. 
arabica  de  Schnurrer.  II.  Panegy- 
rica  prima  et  secunda  linguis  orien- 
talihus  dicta  ^  ibid.,  i644 ,  in  "  4°v 
ce  sont  deux  harangues  que  Rau  pro- 
nonça à  l'ouverture  de  son  cours. 
m.  Obtestatio  ad  universarti  Eu- 
ropam  pro  discendis  rébus  et  linguis 
orientalibus  ,  ibid. ,  i644?  ^^  "  f^'* 
IV-  Spécimen  lexici  arabico-persici 
latini,    Leyde  ,   i645  ,   inconnu  à 
Schnurrer,  mais  cite  par  Adelung  , 
Miihridat.  ,  i ,  282.  V.   Oithogra- 
pjiiceet  analogiœ  vulgu  etjmologiœ 
ebrdicœ  delineatio  juxtà  vocis  par- 
tes abstractas  ,  Amsterdam  ,  i64fi, 
in  -  4*^.  Rail  prëleiid  que  l'hébreu  et 
la  pUipart  des  langues  de  l'Orient  ne 
sont  que  des  dialectes  d'une  seule  et 
même  langue.  VI.  Primcc  tredecim 
partium  Alcorani  arabico  -  latini, 
versiones geminœ .  etc. ,  ibid.,  1646, 
in  -  4'^-  Cet  essai  de  traduction  de 
l'Alcorau  est  très-rare  (  Voy.  Vogt, 
Catal.  libror.  rarior.)  Le  texte  ara- 
be, sans  voyelles  ,  y  est  imprime' en 
caractères  européens  (  latins  majus- 
cules, minuscules,  grecs),  d'une  ma- 
nière qui  se  rapproche  assez  du  pro- 
cc'de'  propose'  depuis   par  Voluey. 
Outre  la  version  littérale  interline'ai- 
re,  Ran  y  ajoute  une  espèce  de  Tda- 
sore,  dont   ou    peut    voir   la   des- 
cription dans  Kl  Biblioth.  arab.  de 
Schnurrer.    L'ouvrage  est  termine' 
par  un  Catalogue  de  deux  cent  soi- 
xante-un manuscrits  arabes  de  la  bi- 
bliothèque de  l'Escurial.  VII.  Ses- 
quidecuria  epistolarum  adoptiva- 
riim  ex  variis  orbis  partibus  com- 
missanim  circà  orientalium  studio- 
rum  promovendorum  curam ,  Lon- 
dres, 1648,  in- 12.  VIII.  A  gênerai 
Grammar ,  c'est-à-dire.  Grammaire 
gc'nc'ralc  des  langues  hébraïque ,  sa- 


RAU 


i33 


maritaine  ,    chaldaïque  ,   syriaque  , 
arabe  et  e'thio])iqiie ,  ibid.,    iG5o, 
in- 12.  IX.  Spoliuni  Orientis ,  chris- 
tiano  urhi  dicatum ,  seu  Catalogus 
400  codicum  orientalium  in  omni 
scribili ,  etc. ,  Kiel  ,  «669,  in  -  8". 
C'est  le  Catalogne  d'une  partie  des 
manuscrits  que  Raa  avait  rapportés 
du  Levant,  et  dont  il  cherchait  à  se 
défaire.  11  y  en  a  plusieurs  qui  font 
partie  aujourd'hui  de  la  bibliothèque 
de  Berlin.  X.  La  Traduction  latine 
des  V,  VI ,  vii'^.  livres  des  Coniques 
d'Apollonius  de  Perge  ,  d'après  une 
version  arabe,  ibid-,  1GG9,  in  -  S*'- 
Rau  ignorait  que  le  savant  Abraham 
Echellensis  avait  déjà  publié  ces  trois 
livres  {V.  Apollonius).  XI.  Ad 
Dei  summi  honorem  et  sacri  fontis 
hebrœi  gloriam  ex  eodem ,  unica, 
vera  et  infallibilis  Chronologia  bi- 
blica,  ibid.,  1670,  in-fol.  Rau  s'est 
livré,  dans  cet  ouvrage,  à  des  con- 
jectures très-hardies,  et  il  donne  les 
écarts  de  son  imagination  pour  des 
règles  certaines  de  critique.  Son  sys- 
tème, vivement  combattu  par  Abrah- 
Calov  ,  ÎMagnus  Celsius  et  d'autres 
savants,  et  proscrit  dans  la  Saxe, 
est  maintenant  oublié.  Il  plaçait  la 
naissance  de  Jésus  -  Christ  à  l'an  du 
monde  /{i^o,  et  publia,  de  1670  à 
1676,  neuf  ouvrages  ou  opuscules, 
tous  in-fol. ,  pour  soutenir  sa  Chro- 
nologie.— Un  autre  Christian  Rau, 
professeur  en  droit  à  Leipzig ,  sa  pa- 
trie ,  où  il  est  mort  le  22  janvier 
1818,  âgé  de  soixante-quatorze  ans, 
a  publié ,  de  1  768  à  1 807 ,  une  tren- 
taine d'Opuscules  ,  presque  tous  eu 
latin.  Nous  indiquerons   seulement 
ici  les  deux  suivants,  parce  qu'ils 
tiennent  à  l'histoire  littéraire  :  I.  De 
Claudio   TrjpJionino  Je.  romafw  , 
Leipzig,  17G8.  II.  De  variis   Sa- 
iurninis  jureconsultis ,  ibid . ,  1791, 
iu-4-.  W— s. 


iS/t 


lUU 


RAU  (Jj- an-Jacques  )  médecin  , 
naquit  en  i668,à  Baden,en  Souabe: 
ses  parents ,  qui  y  faisaient  un  petit 
commerce  de  vin,  le  placèrent,  dès 
l'âge  de  quatorze  ans,  dans laboutique 
d'un  chirurgien  de  Strasbourg,  où  il 
n'était  probablement  occupé,  selon 
l'usage  du  temps  ^  qu'à  faire  la  barbe 
et  à  repasser  les  rasoirs.  Ses  parents 
crurent  cependant,  au  bout  de  trois 
ans,  qu'il  devait  assez  connaître  la 
chirurgie  pour  se  suffire  à  lui-même. 
Le  jeune  Rau  fut  envoyé  à  Ham- 
bourg, et  y  trouva  par  hasard  un 
chirurgien  nommé  Fraven^  qui  par- 
tait pour  Bergen ,  et  qui  le  prit  com- 
me aide  dans  son  service.  Le  climat 
de  la  Norvège,  qu'il  ne  put  suppor- 
ter, le  força  de  s'embarquer  pour 
Amsterdam ,  où  heureusement  il  fut 
reçu  comme  chirurgien  d'un  vais- 
seau de  guerre,  commandé  par  le 
comte  de  Bentheim  ;  et  il  passaj  de- 
puis sur  un  autre  vaisseau  qui  suivait 
le  prince  Guillaume  d'Orange  en  An- 
gleterre. 11  réussit  à  faire  quelques 
épargnes;  et  dès  qu'il  fut  de  retour 
en  Hollande,  il  se  rendit  à  Leyde, 
et  s'y  consacra  à  l'étude  de  la  méde- 
cine avec  une  ardeur  peu  commune. 
Après  avoir  passé  quelque  temps  à 
Paris  ,  pour  s'y  exercer  à  l'anatomie 
et  à  la  chirurgie ,  il  l'ctourna ,  en 
1694  ,  à  sa  première  université  ; 
et ,  le  i3  mars  de  la  même  année, 
il  soutint  ,  sur  la  génération  des 
dents,  une  thèse  publique,  qui  lui 
valut  le  bonnet  de  docteur. Rau  fixa, 
bientôt  après,  sa  demeure  à  Ams- 
terdam ;  et  son  adresse  pour  les 
dissections  anatomiques  engagea  le 
magistral  de  celte  ville  a  lui  accor- 
der ,  en  iG()0  ,  la  ])erraissiun  de 
les  faire  publiijuemcnt  dans  l'am- 
p!-.ithéàtre.  Vers  ce  temps-là ,  une 
espèce  d'ermite,  frère  Jacques  Beau- 
lieu  (  V.  Baulox),  se  rendit  à  Aras- 


RAU 

terdam,  pour  y  pratiquer  sa  nou- 
velle méthode  de  tirer  la  pierre 
de  la  vessie ,  ainsi  qu'il  l'avait  fait 
en  France.  Rau  assista  presque  tou- 
jours à  ses  opérations,  s'empara  de 
ses  idées,  et  le  condamna  bientôt 
hautement  comme  se  servant  d'ins- 
truments peu  convenables.  Quoique 
le  magistrat  désapprouvât  cette  con- 
duite ,  on  ne  put  cependant  nier  la 
justesse  de  ses  critiques,  qui  furent 
confirmées  par  des  événements  fâ- 
cheux :  le  frère  Jacques  se  vit  dans 
la  nécessitéde  quitter  la  ville  ;  et  Rau 
acquit  l'emploi  de  lithotomiste,  en 
rectifiant  la  méthode  de  la  taille 
avec  un  succès  extraordinaire.  Au 
rapport  de  Morand ,  il  se  bornait 
cependant  à  suivre  la  méthode  de 
Celse,  avec  quelques  modifications 
dans  la  construction  de  la  sonde.  La 
mort  de  Bidloo,  à  Leyde,  le  fît  ap- 
peler, en  l'j  i3  ,  à  la  chaired'anato- 
mie  de  cette  ville,  où  il  se  distingua 
tellement  par  ses  dissections  ,  que  le 
grand  anatomiste  Albinus  ne  dédai- 
gna pas  de  publier,  en  1725  ,  un  ca- 
talogue de  la  collection  que  Rau  avait 
préparée.  Eu  17 18,  il  parvint  au  su- 
prême degré  d'honneur,  celui  d'êlre 
décoré  du  titre  de  recteur.  IMais  ,dan& 
une  chute  qu'il  avait  éprouvée  quel- 
ques années  auparavant ,  il  s'était 
blessé  le  pied;  ce  qui  l'obligea  au  re- 
pos, et,  quoique  robuste,  altéra  sa 
sauté.  Dcsdclires  mélancoliques,  dont 
il  avait  déjà  éprouvé  des  attaques 
deux  ans  avant  sa  mort,  s'emparèrent 
de  lui  au  mois  de  juillet  1719;  cl  il 
y  succomba,  le  18  scpîenibic  sui- 
vant. Ce  fut  Bernard  Albinus  qui 
prononça  son  oraison  funèbre.  Ce 
médecin  ne  s'appliqua  point  à  écrire  ; 
on  n'a  de  lui  que  les  deux  pièces  sui- 
vantes :  Epistolœ  duœ  de  septo  scro- 
ti  ad  liiij^schium,  Amslerdain  , 
1G99,  iu-4". —  De  mclhodu  diicert- 


KA.U 

di  analuineii ,  LeyJe  ,  1 7  »  3  ,  iu  -  4'^' 
C'est  le  discours  qu'il  prononça  lors- 
qu'il prit  possession  de  sa  chaire 
d'anatomie.  F— d — r. 

RAU  TSkuald- Foulques -Jean), 
lliéoloj;icu  et  orientaliste  hoU.iudais, 
i^aquit  à  Utrcclit,  en  inGS.  Dès  l'â- 
qe  de  quatorze  ans,  il  se  fit  remar- 
quer par  un  Discours  où  il  comparait 
les  héros  d'Homère  avec  ceux  de  l'A- 
rabie. A  scizeaus,  il  chanta,  en  beaux 
vers  latins,  sa  ville  natale;  à  dix- 
huit,  il  publia  Spécimen  arahicum, 
contiiiens  descriptioncm  et  e.rcerpta 
libri  Ahmedis  Teufachii  de  geinmis 
et  lapidihus  ,  1 784.  Le  cours  de  ses 
e'tudcs  académiques  fini  dans  les  ex- 
cellentes écoles  d'Utrccht  et  de  Ley- 
de,  il  se  consacra  à  la  prédication  fran. 
çaise;  en  1787,  il  fut  nommé  pas- 
teur de  l'e'glise  walocnc  de  Harder- 
wyck,  et,  l'année  suivante  ,  de  celle 
de  Leydc.  11  joignit  aux  fonctions 
pastorales  la  chaire  dethe'ologie,  et, 
eu  1 790 ,  à  la  mort  d'Everard  Schei- 
dius ,  la  chaire  de  langues  et  d'antiqui- 
te's  orientales.  Cette  dernière  nomi- 
nation, mise  à  ne'ant  en  1795  parsui- 
tedu  changement  de  rc'gime  acade'mi- 
que  ,  fut  rétablie  ,  eu  1799,  avec  de 
nouvelles  attributions  relatives  à  la 
])oé5ie  et  à  l'éloquence  sacrées.  Dans 
i'aprcs-dîuce  du  8  janvier  1807,  la 
ville  de  Leydc  fat  atteinte  d'une  ca- 
tastrophe épouvantable ,  par  l'explo- 
sion d'un  bateau  chargé  de  poudre  , 
qui  eut  lieu  dans  un  de  ses  canaux 
les  plus  fréquentés.  Le  bateau  était 
amarré  divant  la  maison  de  Riu  , 
laquelle  devint,  en  un  clin-d'œil,  avec 
im  grand  nombre  d'autres,  un  mon- 
ceau de  ruines  et  de  cendres.  Ce  pro- 
fesseur n'était  point  chez  lui  dans  ce 
fiuieste  moiucut;  mais  il  accourut 
avec  précipitation,  pour  tâcher  de 
sauver  dcdessous  les  dcbiis,  uuopar- 
licdcsa  faïuillcqu'il  venait  du  quitta'. 


hAU 


i35 


Il  y  réussit,  du  moins  pour  quelques 
individus  ,  notamment  jmur  son 
épouse  et  le  seul  enfant  qui  fût  auprès 
d'elle;  mais  sa  bibliothèque,  ses  ma- 
nuscrits (ses  Sermons  exceptés),  sou 
mobilier ,  tout  fut  perdu  sans  res- 
source. Une  heure  après  ,  Louis 
Buouapartc  ,  qui  était  alors  roi  de 
Hollande ,  étant  déjà  accouru  de  la 
Haye  sur  cette  scène  de  dévastation, 
Rauserenditrinlerprctedcladouleur 
publique;  et  il  obtint  de  généreux  se- 
cours. Il  en  fut ,  en  même  temps  , 
comblé  de  distinctions  personnel- 
les ,  et  créé  chevalier  de  l'ordre 
royal  de  Hollande.  Il  est  des  secous- 
ses morales  que  l'on  n'éprouve  pas 
impunément  ;  et  Rau  n'a  sujvécu 
que  onze  mois  au  terrible  désastre  do 
Leyde.  Il  y  mourut  le  i*^'.  décem- 
bre 1 807.  Ou  a  de  lui ,  outre  les  pro- 
ductions déjà  citées  :  I.  Cinq  Dis- 
cours académiques ,  qui  raérifeul  d'ê- 
tre distingués  dans  la  foule  de  cette 
sorte  de  compositions  littéraires,  sa- 
voir :  De  eo  quod  jucunduin  est  in 
studio  theologico,  Leyde,  1788;  — 
De  Jesu  -  Chrisli  ingénia  et  indole 
perfectissimis ,  per  comparationem 
citm  mgenio  et  indole  Paidi  apos- 
toli  illustralis ,  ibid, ,  1798;  —  De 
poëseos  Ilebraïcœ  prœ  Arabum  prit- 
stanlid ,  tani  veritatis  quam  divini- 
talis  religionis,in  veteri  codice  sa- 
cra Iraditcc,  argumenta  ^\hïd.,\Hoo; 
—  De  poeticœ  facuUatts  excellen- 
tid  et  perfeclione  ,  spectatd  in  tri- 
bw;  poelarani  principibus ,  scriplore 
Jobi,  Ilomero  et  Ossiuno,  ibid.  , 
1800  (Ces  deux  derniers  Discouis 
ont  paru  ensemble;  et  le  premier  est 
accompagné  de  savantes  notes).  — 
De  naturd  uptinid  eloquenliie  sa- 
crre  magisird,  i8o6,  in -4"-  ^L 
Sermons,  en  trois  volumes,  publiés 
par  Josué  Teissèdre  L'Ange,  pas- 
leur  à  Aiuslcrdam,  et  auteur  d'une 


1 3()  RAU 

très-bonne  Ouaison  funèbre  de  ce 
savant ,  en  hollandais.  Raii  a  eu  le 
puis  brillant  succcs  dans  la  carriè- 
re de  la  prédication.  A  une  figui-e 
imposante  ,  il  alliait  un  bel  organe. 
Des  connaissances  étendues  se  re'u- 
nissaient,  chez  lui,  à  beaucoup  d'i- 
magination et  de  seusibllitë.  Il  lais- 
se pourtant  quelque  chose  à  désirer 
(  ce  qui  n'est  pas  étonnant  )  du  côté 
de  la  diction  française.  Il  tenait  de 
son  aïeul  et  de  son  père  une  ho- 
norable succession  de  mérite  et  de 
célébrité  littéraire.  —  Sou  père,  Se- 
bald  Rau,  qui  lui  a  survécu,  était 
professeur  de  langues  orientales  à 
Utrecht,  et  se  fit  connaître,  dès  l'â- 
ge de  vingt-trois  ans  (en  1 74'j  ),  par 
nue  Diatribe  de  ejmlo  funebri  gen- 
tibus  dando,  in-S»^.;  ù  a  pubKé  un 
grand  nombre  d'Opuscules  philolo- 
j^iques  et  d'érudition  lîébraïque,  dans 
quelques-uns  desquels  il  discute  les 
Prolégomènes  du  P,  Houbigant. — 
Jeau-Ebcrhard  Rau,  père  de  Sebald, 
était  né, en  i69'j!,danslepays  deNaS' 
SHu-Siegen.  Professeur  à  Kerborn  et 
académicien  de  Berlin,  il  fut  égale- 
ment un  théologien  et  un  orientaliste 
distingué,  auteur  de  nombreuses  Dis- 
sertations ctHarangues  académiques. 
Ilmouruten  1770.— RAu(Joachim- 
Jnstc),  ne  à  Berlin,  en  1718,  bon 
théologien  et  orientaliste,  fut  piofes- 
seur  à  Kœnigsberg,  et  mourut  fort 
jeune,  le  iç)  août  1745.  11  a  écrit  en 
latin  sur  la  philosophie  de  Justin 
inartyretd'Athcnagore(Iéua,i733); 
surcelle  dcLaclance,  (ibid.,  1737); 
une  Grammaire  hébraïque ,  en  lan- 
gue allemande  (  1787  ),  etc.  M-on. 

RAUCH FUSS.   F.  Dasypodius. 

RAU  COURT  (  Françoise  Marie- 
Arn-oiNETTi;  Sauceuotte  ),  actrice 
du  Tli'.'àlre-l'Vaiiçais  ,  naquit  à  Naiici, 
le  3  mars  175G,  de  l'iançois-Éloi 
Sauccrolle,  comédien  de   p.roviuce 


RAU 

(  I  ),  eî  d'une  femme  attachée  au  servi- 
ce domestique  du  roi  de  Pologne  Sta- 
nislas :  elle  fut  tenue  sur  les  fonts  de 
baptême  par  M''^'^.  de  Graffigni.  Son 
père ,  qui  avait  débuté  deux  fois  à  la 
Comédie-Française,  sans  pouvoir  ob- 
tenir un  ordre  de  réception  déOui- 
tive  ,  l'emmena  avec  lui  dans  ses  ex- 
cursions chez  l'étranger;  et  l'on  tient 
d'elle  qu'à  peine  dans  sa  douzième 
année  ,  elle  avait  déjà  joué  en  Espa- 
gne quelques  rôles  de  tragédie.  Vers 
la  fin  de  1770  ,  Belloy,  ayant  fait  re- 
présenter à  Rouen  Gastonet  Bajard, 
qui  n'avait  point  encore  été  donné  à 
Paris,  eut  à  s'applaudir  du  choix 
qu'on  avait  fait  de  la  jeune Raucourt 
pour  le  rôle  d'Euphémie.  On  trouve, 
dans  le  Mercure  de  janvier  1 7  7 1  ,  des 
vers  d'après  lesquels  il  est  permis  de 
croire  que  le  succès  de  la  pièce  fut 
dû  ,  en  grande  partie,  au  talent  de 
l'actrice  ,  âgée  de  quatorze  ans  et 
detui.  Le  bruit  de  cette  brillante 
représentation,  s'ctant  répandu  dans 
la  capitale  ,  éveilla  la  curiosité  des 
premiers  gentilshommes  de  la  cham- 
bre. Ils  mandèrent  la  jeune  Raucourt, 
Ini  firent  donner  des  leçons  par 
Brizard  ;  et  ce  fut  comme  élève  de 
cet  acteur ,  qu'elle  fit  son  début  à 
Paris,  le  23  septembre  «772.  Elle 
joua  le  rôle  deDidon.  Le  pul)lic  l'ac- 
cueillit avec  un  enthousiasme  dont  il 
y  avait  eu  peu  d'exemples.  Jamais  ou 
n'avait  vu  une  plus  belle  femme;  et 
jamais  actrice,  à  son  âge,  n'avait  fait 
brillerde  plus  heiireuses  dispositions. 
Elle  joua  ensuite  les  rôles  d'Emilie, 
d'idamé ,  de  Monime;  et,  pendant 
plus  d'un  an ,  ses  débuts  attirèrent  au 
théâtre  une  foule  extraordinaire.  Il 
est  facile  de  deviner  qu'une  vogue  si 
prodigieuse   lui  suscita   plus  d'une 


(1)  It  tsi  murl  il'uiK' cliulr  (pi'il  fit  ])ar  nui' rriii- 
Hi'-iî  (lu  ciiif{iiiî'i'io  C'l»)t{«',  (tiius  la  iriaÏKoii  de  l<i  nu*  tlo 
TitijMfni,  atltiiunt  iiu  (Uùi'itrc  tîc  l'Oléoii. 


RAU 

ennemie  parmi  les  autres  reines  de 
llicàtrc.  M"»'^.  Vestrcs,  surtout ,  sem- 
blait devoir  eu  être  jalouse.  Un  jour 
que  la  belle  débutante  débitait  avec 
feu  le  monologue  d'Emilie  (  de 
Ciuna  )  ,  un  chat  se  mit  à  miauler 
d'une  façon  si  singulière  qu'on  ne 
put  s'erapêcber  d'en  rire  :  Je  parie  , 
cria  un  plaisant ,  que  c'est  le  chat 
de  Madame  Festris.  Tous  les  au- 
teurs dramatiques  ,  suivant  l'usage  , 
s'empressèrent  auprès  de  la  nouvelle 
Melpomène  ;  de  graves  acade'miciens 
lui  adressèrent  de  petits  vers  :  Vol- 
taire même  lui  écrivit  un  billet  flat- 
teur {i].  Le  roi  ,M™'^.  la  daupbiue  , 
les  plus  grands  seigneurs  de  la  cour 
lui  donnèrent ,  à  l'envi ,  des  témoi- 
gnages d'intérêt  ;  et  l'on  ne  manqua 
pas  de  remarquer,  avec  quelque  ma- 
lice, que  M'^^.  Dubarry  lui  fit  un 
jour  de  riches  présents ,  en  lui  recom- 
mandant d'être  sage.  Mais  ,  parvenue 
si  rapidement  à  ce  haut  degré  de  pros- 
périté ,  M^l°.  Raucourt  ne  pouvait 
tarder  à  éprouver  l'inconstance  delà 
fortune.  On  s'attacha  d'abord  à  lui 
faire  perdre  la  réputation  de  vertu 
qui  semblait  ajouter  à  l'éclat  de  son 
talent,  et  à  laquelle,  il  faut  l'avouer  , 
elle  mettait  elle-même  trop  peu  de 
prix  ;  puis  on  alla  jusqu'à  lui  suppo- 
ser des  travers  qui  la  brouillèrent 
avec  ses  adorateurs  les  plus  disposés 
à  lui  pardonner  des  faiblesses  natu- 
relles :  enfin  ,  soit  que  la  calomnie  lui 
eût  aliéné  l'esprit  public,  soit  qu'elle 
eût  réellement  perdu,  dans  la  dissi- 
pation ,  le  fruit  de  ses  premières  étu- 
des ,  elle  eut  bientôt  le  chagrin  d'en- 
tendre le  bruit  du  sifflet  succéder  aux 
acclamations  de  l'enthousiasme  ;  et, 
après  avoir  souffert  pendant  deux 

(^)  Tjc  voliim'*  ]'nl)lié  en  1S7.0,  sous  le  titre  Je 
f'ie /inv;cHe  foliaire  et  de  mail.  Vuclialelct ,  cuii- 
liVtjt  une  Icllrc  en  vers  et  en  proso  ,  Je  Vdlfaîre  ?» 
M"". Raucourt ,  que  Ton  fluiiue  eomme  îuctiile.  I#es 
\eis  avaient otc  iiuiiriimi  (lis  1773.  A.  B.— T. 


RAU  137 

ans  et  demi  les  affronts  les  plus  hu- 
miliants ,  elle  prit  le  parti  de  quitter 
brusquement  la  scène.  Un  peu  avant 
son  départ ,  cependant ,  clic  avait  eu 
un  retour  de  fortune:  on  l'avait  trou- 
vée si  belle  daus  le  rôle  de  Galatc'e  (de 
Pygmalion  )  que  la  foule  s'était  portée 
au  théâtre  pour  l'y  voir.  «  Il  est  im- 
»  possible,  écrivait  à  ce  sujet  La- 
»  harpe,  d'imaginer  une  perspective 
»  plus  séduisante  que  cette  actrice, 
»  en  attitude  sur  son  piédestal ,  au 
»  moment  où  l'on  a  tiré  le  voile  qui 
»  la  couvrait.  Sa  tête  était  celle  de 
»  Vénus  ,  et  sa  jambe  ,  à  moitié  dé- 
»  couverte ,  celle  de  Diane.  »  Mais 
ceux- mêmes  qui  affectèrent  le  plus 
de  louer  sa  beauté  divine ,  furent ,  ea 
même  temps ,  ceux  qui  décrièrent 
avec  le  plus  d'acharnement  ses  mœurs 
et  son  talent.   Ce  fut  en  juini776  , 
que  M^l"-".  Raucourt   disparut  subi- 
tement ,  laissant  ses  camarades  dans 
l'embarras   pour    la  représentation 
d'une  tragédie   nouvelle  ,    et    don- 
nant à  ses  nombreux  créanciers  un 
juste  sujet  d'alarmes.  Ce  qu'elle  fît 
dans  l'intervalle  de  5a  fuite  à  son  re- 
tour, aurait  peut-être  quelque  intérêt 
pour  les  amateurs  d'aventures  gra- 
veleuses :  notre  but  n'est  point  de 
révéler  ces  sortes  de  détails.  Il  nous 
suffit   de  dire    qu'après    avait   fait 
une     courte    station    dans    l'enclos 
du  Temple ,    refuge  des  débiteurs 
insolvables  ,  la  belle  fugitive  voya- 
gea dans  les  cours  du  Nord,  d'où 
elle  revint  bientôt  eu  France  pour 
s'attacher  à  une  troupe  de  comédiens 
qui  jouait  devant  la  cour  à  Fontaine- 
bleau. Elle  eut  le  bonheur  d'y  recou- 
vrer les  bontés  de  la  reine  ;  et ,  grâce 
à  la  protection  de  celte  auguste  prin- 
cesse ,  elle  rentra  au  Théâtre-Fran- 
çais ,  le  28  août  T779  ,  par  le  rôle 
deDidou  ,  où  elle  eut  de  nouveau  un 
brillanl/succès.  Cette  rentrée  ,  néon- 


i38 


RAU 


moins  ,  ne  fut  pas  coraplctcinent 
heureuse  :  la  comédie  était  alors  li- 
vrée aux  plus  furieuses  cabales.  M'i". 
Raucourt  fut  sifflce  outrageusement 
dans  le  rôle  de  Phèdre  ,  non  pour  y 
avoir  mal  joué  son  personnage,  quoi- 
qu'à  la  vérité  elle  n'eût  jamais  su  ren- 
dre avec  un  vrai  2)athétique  les  senti- 
ments tendres  et  passionnés,  mais 
parce  qu'on  lui  supposait  des  projets 
hostiles  contre  deux  actrices  juste- 
ment aimées  du  public  (3).  Elle  eut 
à  ce  sujet ,  le  bon  esprit  de  détruire , 
par  une  lettre  modeste,  insérée  au 
journal  de  Paris,  la  fausse  idée  qu'on 
avait  de  ses  prétentions  ;  et ,  à  dater 
de  cette  époque  de  sa  vie,  M"''. Rau- 
court n'eut  plus  à  se  plaindre  du  par- 
terre. Elle  ne  tarda  même  pas  à  ré- 
parer ,  par  des  études  sérieuses  ,  le 
temps  qu'elle  avait  perdu  jusque-là 
dans  les  plaisirs  ;  et  ses  progrès  ra- 
pides furent  généralement  remarqués. 
Ce  fut  dans  ce  temps  que  Dorât  lui 
adressa,  sous  le  voile  de  l'anonyme, 
l'Epître  qui  commence  ainsi  : 

»  Toi ,  la  pîus  bel'e  des  Didons  ;  » 

petite  pièce  qui  dut  un  moment  de 
vogue  à,qLie!qucs  idées  licencieuses 
revêtues  d'une  gaze  légère.  Dans  les 
jn-emiers  temps  de  la  révolution, 
cette  actrice  ,  dont  le  cœur  était  bon, 
et  qui  n'avait  point  oublié  les  bien- 
laits  de  la  cour ,  eut  le  courage  de 
s'en  montrer  reconnaissante  :  aussi 
les  Jacobins  de  l'époque  ne  man- 
quèrent-ils pas  de  la  comprendre  dans 
l'acte  d'accusation  dressé,  en  sep- 
tembre i7()3  ,  contre  la  Comédie- 
Franraise.  Elle  passa  sis  mois  en  pri- 
son; et ,  comme  plusieurs  de  ses  ca- 
marades, elle  ne  dut  la  vie  qu'au  xèle 
acsinléressé  d'un  em[)loyé  du  comité 
de  Salut  public  (  Ch.  Hipj)olyle  La- 


(*)  ^'''y<-'sU   Curi'i'sjiuujduvu  de  L^Luiih;,  tuui, 

tll  ,  |Mg.  t. 


RAU 

bussière),  qui  avait  eu  soin  d'auéau- 
tir  plusieurs  des  pièces  à  la  charge 
des  détenus.  On  sait  quel  fut  ensuite 
le  sort  des  comédiens  français:  après 
s'être  réunis  à  l'Odéon ,  ils  passè- 
rent au  lliéàtrede  la  lue  Feydeau  ;  et 
M"*^.  Raucourt ,  suivie  de  quelques 
dissidents,  fonda  ,  rue  de  Louvois  , 
nn  secondThéàtre-Français,  dont  elle 
eut   l'administration.    Puissamment 
secondée  par  Larive  ,  Saint  Fal  et 
Saint-Pris  ,  et  plus  encore ,  peut-être, 
par  l'opinion  publique,  qui  n'avait 
jamais  été  aussi  fortement  pronon- 
cée contre  les  révolutionnaires  ,  elle 
semblait  devoir  faire ,  en    peu  de 
temps  ,  une  fortune  brillante  ,  lors- 
que  les  événements  du    i8  fructi- 
dor (  4  septembre  1797  ) ,  renver- 
sèrent toutes  ses  espérances.  Eu  haine 
des  sentiments  qu'elle  professait,  le 
Directoire  exécutif  se  fit  un  devoir 
de  l'exproprier;  et  ce  fut  seulement 
à  la  réunion  générale  des  comédiens 
français,  «n  1799,  que  le  sort  de 
cette  actrice  se  trouva  définitivement 
fixé.  Buonaparle,  qui  aimait  le  talent 
profond  et  énergique  de  M''*'.  Rau- 
court ,   lai  acc^l■da   une  protection 
toute  particulière.  Non  content  de  lui 
donner,  sur  sa  cassette,  une  pe'jsion 
considérable,  il  la  chargea  de  l'or- 
ganisation des  troupes  de  comédiens 
français  qui  devaient  parcourir  l'Ita- 
lie. Le  la  octobre  1 8o(i,  elle  fit  l'ou- 
verturedu  théâtre  de  IMilan,  par  une 
représentation   d'Iphigcnic   tn   Au- 
lide,  où  elle   joua  le  rôle  de  Cly- 
temueslre.  Quelque  gratitude  qu'elle 
témoignât   pour    un   protecteur    si 
généreux  ,   elle    n'oubliait   pas   que 
les    princes    de    la    famille    royale 
l'avaient  ,  avant   lui  ,    comblée  de 
bienfaits;    aussi    fut-ce   avec    nue 
grande  joie  qu'elle  vit  arriver  le  jour 
(le  la  restauration.  Présentée  ,  en  au- 
dience parliculàic  ,  à  ]\lo^■sll^l/l■.  ; 


RAU 

frère  du  Roi ,  alors  lieutenant  -  géné- 
ral du  royaume ,  elle  en  reçut  des 
marques  de  bonté  qui  la  pénétrèrent 
de  reconnaissance.  Biais  elle  ne  put 
jouir  long  -  temps  de  son  bonheur  : 
attaquée   presque  subitement  d'une 
maladie  inflammatoire  ,  elle  y  suc- 
comba, le  1 5  janvier  i8i5,âgéede 
cinquante-neuf  ans.  On  prétend  que 
se  voyant  mourir ,  elle  conserva  assez 
de  sang-froid  pour  dire  en  souriant: 
«  Voilà  la  dernière  scène  que  je  joue- 
»  rai  ;  il  fant  la  jouer  d'une  manière 
»  convenable.  »   L'infortunée    était 
loin  de  prévoir  ,  sans  doute  ,   qu'un 
autre  rôle  lui  était  encore  réservé.  Un 
événement,  dont  la  malveillance  ne 
manqua  pas  de  se  réjouir  ,  donna  aux 
obsèques  de  celte  actrice  uu  éclat 
qui  affligea  profondément  les  hom- 
mes sensés.  Le  clergé  de  Saint-Roch, 
ayant  refusé  l'entrée  de  cette  église 
au  corps  de  la  défunte ,  eut  la  douleur 
de  voir  une  multitude  égarée  enfon- 
cer les  portes  du  sanctuaire,  et  se  li- 
vrer aux  désordres  les  plus  scanda- 
leux. La  foule  accompagna  ensuite 
le  convoi  au  cimetière  du  Père  La- 
chaise,  où  la  sépulture  de  M^l*^.  Rau- 
court  est  maintenant  indiquée  par  un 
beau  buste  en  marbre,  qui  reproduit 
fidèlement  les  traits  de  cette  tragé- 
dienne. Peu  de  mots  suffiront  pour 
donner  une  juste  idée  de  son  talent  : 
elle  manquait  de  sensibilité  ;   mais 
elle  s'efforçait  d'y  suppléer  par  beau- 
coup d'art,  et  cet  art,  joitt  à  ses 
dispositions  naturelles  pour  la  fierté 
et  l'énergie  ,   l'élevait   a  une  très- 
grande  hauteur  dans  les   rôles  du 
genre  admira tif.  Aussi  ne  l'a-t-on 
])as  encore  surpassée  dans  ceux  de 
Cléo])âtre ,  de  Viriate  et  de   Léou- 
line.  M""^.  Raucourt,  dont  la  beau- 
té fut  si  Ion  g -temps  célèbre  ,  avait 
beaucoup  jtcrdu  de    ses    avanl.iges 
physiques   dans   ks    d.[\   deruièrcs 


R.\U  i3o 

années  de  sa  vie.  Elle  était  tou- 
jours de  la  plus  riche  taille  ,  et  sa 
démarche  était  encore  pleine  de  ma- 
jesté; mais  ses  formes,  autrefois 
svcltes  et  voluptueuses,  s'étaient  tel- 
lement prononcées  ,  et  son  organe  , 
naturellement  dur  ,  était  devenu  si 
voilé  ,  qu'il  eût  été  possible  de  pren- 
dre ses  habits  de  femme  pour  uu 
déguisement.  C'est  ce  que  Chénier 
exprime  en  termes  beaucoup  trop 
injurieux  dans  celle  de  ses  épigram- 
mcs  qui  commence  ainsi  : 

«  O  Phbdre  ,  dans  ton  jeu  que  de  ve'rité  brUlc  !  » 

La  conversation  de  Mll«  Raucourt 
était  pleine  d'esprit;  c'était  véritable- 
ment celle  de  l'homme  du  monde  le 
plus  aimable  :  elle  se  plaisait  à  parler 
de  son  art ,  et  elle  en  parlait  avec  un 
goût  exquis.  Quoiqu'elle  eût  reçu  des 
leçons  de  W^".  Clairon ,  dunt  elle 
rappelait  souvent  le  jeu  étudié,  elle 
n'aimait  point  cette  grande  actrice. 
Il  est  vrai  que  W^".  Clairon ,  dans 
ses  Mémoires,  parle  peu  avantageu- 
sement de  sa  jeune  élève  ;  mde  irœ. 
C'est  aux  leçons  de  cette  dernière 
que  Mil»-'.  George ,  dont  les  débuts  fi- 
rent tant  de  bruit ,  dut  en  partie  son 
talent  et  sa  réputation  ;  et,  s'il  tant 
en  juger  par  un  drame  en  trois  actes 
(  Henriette),  qui  fut  joué  et  impri- 
mé en  1783  ,  sous  le  nom  de  M'^'^. 
Raucourt ,  celle-ci  n'aurait  point  été 
étrangère  à  l'art  de  composer  des 
pièces  de  théâtre.  F.  P — t. 

RàULIN  (  Jean  ),  né  à  Tonl ,  eu 
1443,  vint  étudier  à  Paris,  où  il 
prit  le  bonnet  de  docteur  en  théolo- 
gie, en  I  479.  Dcjà  il  s'était  fait  cou 
naître  par  un  commentaire  sur  A  ris  - 
tote,  et  par  ses  succès  dans  la  prédi- 
cation. Deux  ans  après,  il  fut 
choisi  pour  diriger  le  collège  de 
Navarre  ;  et  il  s'acquitta  de  cette 
fonction  à  la  satisfaction  dii  pu- 
blic. L'inspiration  d'imc  piclc  aus- 


i4o 


RâU 


tcre  lui  fit  quitter  cette  honorable 
destination,  pour  la  vie  du  cloître  : 
il  se  retira  dans  l'abbaye  de  Clutii,  et 
entraîna  plusieurs  autres  docteurs  à 
suivre  son  exemple.  Le  cardinal 
d'Amboise  jeta  les  yeux  sur  lui,  en 
ï5oi,  pour  introduire  la  reforme 
dans  les  maisons  de  son  ordre.  Rau- 
lin  poursuivit  cette  tâche  avec  zèle  , 
s''aidant  à-la-fois  de  l'autorité  de  ses 
mœurs  et  de  l'e'clat  de  sa  pre'dication, 
jusqu'à  sa  mort,  arrivée  ,  à  Paris,  le 
6  février  i5i4.  Ou  a  de  lui  :  1.  Un 
Commentaire  sur  tous  les  ouvrages 
de  logique  d'Aristole^  Paris,  i  5oo. 
JI.  Des  Lettres  en  latin ,  suivies 
d'une  conférence  pour  la  fête  de 
saint  Louis,  et  d'une  autre  sur  la 
perfection  de  la  règle  de  saint  Be- 
noît, Paris,  iSao,  in-4*'.  in.  Des 
Sermons  latins,  Paris,  i542,  2  vol, 
in-8".  Avant  d'être  ainsi  recueillis, 
ils  avaient  été  publiés  séparément 
dans  le  même  format.  Tous  les  ou- 
vrages que  nous  venons  d'énumérer 
ont  été  compris  ,  avec  quelques  au- 
tres, dans  une  édition  générale  don- 
née à  Anvers,  1612,6  vol.  in- 4**. 
Les  Sermons  de  Raulin  sont ,  comme 
tous  ceux  de  ses  contemporains,  au 
niveau  des  ébauches  dramatiques  de 
la  même  époque.  A  force  de  cher- 
cher la  méthode,  il  tombe  dans  la 
sécheresse;  ses  tours  sont  laconi- 
ques, SOS  comparaisons  triviales, 
quand  elles  ne  manquent  pas  de  jus- 
tesse. 11  ne  perd  jamais  de  vue  les  in- 
térêts delà  morale;  mais  il  cntrc- 
Tnclc  ses  citations  de  l'Écriture  et 
des  scoIasti(jues ,  d'exemples  cl  d'his- 
toriettes qui  produiraient  aujour- 
d'hui un  cflét  tout  autre  que  l'édifi- 
cation, (k'  n'est  pas  pourtant  qu'il  se 
laisse  aller  à  des  bouironneries  aussi 
fréquentes  que  IcsBarlclte,  les  IVle- 
aolctlcs  Maillard  :  il  garde  au  con- 
traire, dans  ses  récits  ,  une  gravité 


RAU 

ingénue  ,  qui  ne  le  rend  pas  moins 
comique.  On  trouve  dans  son  Recueil 
le  germe  de  la  fable  des  Animaux 
malades  de  la  peste.  Le  lion  appelle 
à  se  confesser  au  chapitre ,  le  loup , 
le  renard  et  l'âne.  Chacun  commen- 
ce le  récit  de  ses  méfaits.  Le  loup 
s'accuse  d'avoir  maintefois  croqué 
les  brebis  à  belles  dents.  Le  lion 
prend  alors  un  front  sévère;  mais  le 
pénitent  carnassier  allègue  la  pres- 
cription ,  et  l'usage  immémorial  de 
ses  ancêtres  :  sa  faute  lui  est  remise 
moyeiuiant  un  paler  noster.  \icnt  le 
tour  du  renard.  Il  couvre  de  la  mê- 
me excuse  ses  ravages  dans  les  pou- 
laillers, et  éprouve  la  même  indul- 
gence. L'âne  vient  confesser  enfin 
qu'il  a  porté  ses  dents  téméraires 
sur  quelques  brins  de  foin  détachés 
d'un  charriot,  et  restés  parmi  les 
ronces.  Un  cri  général  s'élève  contre 
le  baudet.  Il  déclare  en  sus  qu'il  a 
.semé  des  ordures  dans  le  cloître  des 
frères.  —  Souiller  une  terre  sainte  ! 
que!  crime!  —  Mais  il  est  coupable 
encore  de  s^êlre  mis  à  ruer  ,  puis  à 
braire  avec  les  frères.  —  C'est  met- 
tre la  communauté  en  discord  ;  c'est 
semer  la  zizanie.  Une  telle  coulpe  ne 
peut  s'expier  que  par  la  flagellation, 
et  elle  est  infligée  au  pauvre  hère. 
Voici  encore  un  conte  de  Raulin ,  as- 
sez semblable  à  nos  vieux  fabliaux. 
Une  veuve  veut  se  remarier,  et  va 
sur  ce  point  consulter  son  curé.  Elle 
expose  ,  lour-à-tour,  les  aA%intages  et 
les  inconvénients  qu'elle  espère  ou 
qu'elle  craint  d'un  deuxième  hymen. 
L'homme  d'église  lui  répond  alter- 
nativement -.Mariez-vous ;  ne  vous 
mariez  pas.  Enfin  ,  ]iour  se  sous- 
traire aux  imporiunités  de  la  dame  , 
il  fait  sonner  les  cloches ,  et  l'invite  à 
être  attentive  an  conseil  qu'elle  va  en 
jecevoir.  La  veuve  préoccupée  ne  dis- 
tingue dans  le  Iniiit  des  cloches  q^jc 


RAU 

ces  mots ,  Prends  ton  valet ,  prends 
ton  valet.  Elle  sort  de  sa  perplexité', 
et  convoie.  A  quelque  temps  de  là  , 
elle  revient  au  cure.  «  Vous  m'avez 
»  trompée ,  luidit-elle:  de  maîtresse, 
»  je  suis  devenue  esclave,  et ,  qui  pis 
»  est ,  je  suis  battue  presque  tous  les 
»  jours.  —  Il  n'y  a  rien  de  ma  faute, 
»  repond  le  prêtre;  les  cloches  ont 
»  parlé ,  vous  aurez  sans  doute  mal 
»  entendu.  »  Il  les  fait  sonner  de  re- 
chef, et  la  veuve  entend  cette  fois  : 
Ne  le  prends  pas,  ne  le  prends 
pas ,  et  se  retire  convaincue  de  sa 
méprise.  Rabelais  a  tiré  parti  de 
cette  historiette ,  aux  chapitres  9  et 
27  de  son  Pantagruel.  F — t. 

RAULIN  (  Joseph  ),  médecin ,  né 
en  1708,  à  Ayguctinte,  dans  le  dio- 
cèse d'Auch,  prit  ses  degrés  à  la  fa- 
culté de  Bordeaux,  et  exerça  d'abord 
son  art  à  Nérac,  mais  avec  assez  peu 
de  succès.  Montesquieu ,  ayant  eu 
l'occasion  d'apprécier  ses  talents, 
engagea  Raulin  à  s'établir  à  Paris  ; 
et  il  s'y  fit  bientôt  connaître  par  des 
ouvrages  qui  décelaient  un  observa- 
teur judicieux  et  un  habile  praticien. 
Dès  ce  moment,  il  fut  consulté  dans 
tous  les  cas  importants  j  et  sa  répu- 
tation s'étendit  de  la  capitale  dans 
toute  la  France.  Nommé  médecin 
ordinaire  du  roi ,  et  inspecteur  des 
eaux  minérales  ,  il  fut  chargé  par  le 
gouvernement  de  rédiger  différents 
écrits  propres  à  éclairer  les  jeunes 
praticiens  et  à  répandre  dans  les 
campagnes  des  idées  utiles.  A  des 
connaissances  étendues  dans  toutes 
les  branches  de  l'art  de  guérir ,  Rau- 
lin joignait  toutes  les  qualités  du 
cœur.  Il  mourut  à  Paris ,  le  1 2  avril 
1784,  regretté  de  ses  confrères,  et 
des  pauvres,  auxquels  il  avait  tou- 
jours prodigué  gratuitement  ses 
soins.  11  était  membre  de  la  société 
royale  de  Londrcs,  de  l'académie  de 


RAU  i4i 

Berlin,  et  des  Arcadiens  de  Rome. 
Malgré  les  progrès  que  l'art  médical 
a  faits,  la  phipait  de  ses  ouvrages 
peuvent  encore  êlre  lus  avec  fruit,  à 
raison  du  grand  nombre  d'observa- 
tions neuves  qu'il  y  a  consignées  , 
presque  toutes  fondées  sur  sa  pro- 
pre expérience  :  le  style  en  est  d'ail- 
lenr  clair  et  concis ,  mais  peu  élégant. 
On  en  trouvera  le  cataio;^uc  dans  le 
Dictionnaire  d'Kloy ,  et  dans  la 
France  littéraire  d'Ersch.  Les  prin- 
cipaux sont  :  I.  Traité  des  mala- 
dies occasionnées  par  les  promptes 
variations  de  l'air,  Paris,  1702, 
in- 1 2  :  on  doit  trouver  à  la  suite  une 
Lettre  contenant  des  observations 
sur  le  Tœnia.  II.  Traité  des  affec- 
tions vaporeuses ,  ibid, ,  1758,  in- 
12.  III.  Traité  des Jleurs  blanches, 
avec  la  méthode  de  les  guérir,  ibid. , 
1766,  2  vol.  in-12;  traduit  en  alle- 
mand par  Riedeier ,  ÎSuremberg, 
1793,  in-8°.  IV.  De  la  conserva- 
tion des  enfants ,  ou  moyens  de  les 
fortifier  et  de  les  préserver  et  guérir 
des  maladies ,  ibid. ,  1768,  2  vol. 
in- 1 2  j  nouvelle  édit. ,  augmentée , 
1779,  3  vol.  in-12;  trad.  en  alle- 
mand, Leipzig,  1769-70,  grand  in- 
8°.  V.  Instruction  succincte  sur  les 
accouchements ,'\h\à. ,  1769,  1770, 
in-12;  traduite  en  allemand,  par 
François  Matthieu  Alix ,  Langen- 
salza,  1772;  et  Fulde,  1775,  in-S". 
VI.  Traité  des  maladies  des  fem- 
mes en  couche  ,  1 77 1 ,  in-12  ;  trad. 
en  allem.,  par  Burdach ,  Leipzig, 
1773  ,  in-8°.  VIL  Traité  analj-ti- 
que  des  eaux  minérales,  ibid. ,  1772- 
74,  !i  vol.  iu-i2.  VIII.  Parallèle 
des  eaux  minérales  de  France,  avec 
celles  d'Allemagne,  ibid.,  1777,  in- 
12.  IX.  Examen  delà  houille,  re- 
gardée comme  engrais,  ibid.,  «775, 
in-i  2.  X.  Traité  de  la  phthisie  pul- 
monaire ,  1782,  in-8*^. ,  2^.  c'dit. , 


i42  RAtJ 

1784  ,  2  voî.  in- 8^.  C'est  im  des 
meilleurs  ouvrages  de  Raulin;  il  a 
e'te  traduit  en  allemand  par  Grun- 
mann ,  avec  des  notes  de  B.  Ch. 
Voj;el,lena,  1784,  in-8''.  W— s. 

RAUWOLF  (  LÉONARD  ),  natu- 
raliste et  voyageur,  ne  à  Angsbourg, 
e'tudia  la  médecine;  et  en  i56o,  il 
fit  im  voyage  (n  Italie  et  en  France, 
afin  d'y  connaître  les  botanistes  les 
plus  célèbres  de  cette  époque  ,  et  fut 
ëlcve  de  Rondelet.  11  obtint  le  grade 
de  docteur,  à  Valence  en  Dauphinc, 
parcourut  ensuite  la  Suisse  et  plu- 
sietirs  parties  de  l'Allemagne,  puis 
revint  dans  sa  patrie,  où  il  rapporta 
Tuie  grande  quantité  de  plantes  et  de 
graines  de  végétaux  rares  ,  qu'il  cul- 
tiva dans  son  jardin.  Il  les  distribuait 
aux  amateurs,  et  contribua  ainsi  à 
répandre  plusieurs  plantes  peu  con- 
nues. Le  magistrat  d' Augsbourg ,  re- 
connaissant son  mérite  ,  le  nomma 
médecin  de  la  ville.  Cette  marque  de 
faveur  ne  put  empêcher  Rauwolf  de 
céder  à  son  inclination  ,  qui  le  por- 
tait à  voyager  pour  trouver  des 
plantes  nouvelles.  Muni  de  la  per- 
mission du  sénat  ,  il  partit  ,  en 
1573,  pour  le  Levant.  Son  but  prin- 
cipal était  d'y  étudier  les  végétaux 
dont  les  anciens  ont  parlé.  Ce  fut  à 
Marseille  qu'il  s'embarqua.  Arrivé  à 
Tripoli  do  Syrie,  il  alla,  par  Alep, 
juscpie  sur  les  bords  de  l'Eupliraic. 
il  les  suivit,  passa  par  Racka  et  Ana , 
examina  ce  qui  reste  des  ruines  de 
llibylone,  et  [)0ussa  jusqu'à  Bagdad. 
Il  traversa  ensuite  l'ancienne  Assy- 
rie et  le  pays  des  Kouriles.  Au  com- 
mencement de  1575,  il  se  trouvait 
?»  Mossoul,  sur  le  Tigre.  Il  visita  la 
Mésopotamie,  et  retourna,  par  Orfa, 
vers  Alepct  Tripoli.  Le  mont  Lil)an 
riait  trop  jinsdelui  poui- qu'il  nese 
liàlâl  ])as  de  le  gr.ivir.  ^)e  là  il  voya- 
gea dans  la  .Judée,  vit  .lérusalem  et 


RAU 

les  Lieux-Saints  ,  revint  à  Tripoli , 
profita  d'un  navire  qui  allait  à  Veni- 
se, et  fut  de  retour  dans  sa  patrie, 
en  février  iSyO.  Il  y  obtint  la  place 
de  médecin  de  l'hôpital  des  pestifé- 
rés ;  la  remplit ,  durant  plusieurs  an- 
nées, avec  l'approbation  générale, 
et  cependant  fut  obligé,  ainsi  que 
plusieurs  de  ses  compatriotes,  de 
quitter  la  ville ,  en  1 588,  parce  qu'il 
ne  voulut  pas  abjurer  la  religion  ré- 
formée pour  le  catholicisme.  Bien- 
tôt les  états  d'Autriche  l'appelèrent 
à  Lintz  ,  comme  médecin  de  la  ville: 
probablement  son  caractère  ne  put 
lui  permettre  d'y  vivre  tranquille  , 
puisipie,  malgré  son  âge  avancé,  il 
suivit  les  troupes  autrichiennes  qui 
allaient  en  Hongrie.  Epuisé  par  les 
fatigues,  il  termina  sa  carrière  en 
septembre  1596  (  i) ,  dans  la  forte- 
resse de  Hatvan,  située  sur  le  Zagi- 
va,  au  comtat  de  Hevech.  On  a  de 
Rauwolf,  en  allemand  :  Belation 
d'un  voraç^^efait  dans  les  pays  de 
V  Orient,  notamment  en  Sjrie ,  Ju- 
dée, Arabie ,  Mésopotamie ,  Babj- 
lonie ,  Jssjrie  ,  Augsbourg,  i58i, 
in-4''.,  Francfort,  i582;  Lavingen, 
1 583 ,  augmenté  d'une  quatrième 
partie,  qui  porte  un  titre  séparé: 
clic  renferme  la  description  des  plan- 
tes curieuses  qu'il  avait  observées  en 
Orient  ;  Rauwolf  y  joignit  quarante- 
deux  figures  en  l)ois.  Ce  livre  fut 
traduit  en  hollandais,  in-8''.  de  898 
I-ag.,  et  dans  letom.  ix  de  la  collec- 
tion de  Valider  Aa,  Une  ATrsion  an- 
glaise fut  publiée  par  Nie.  Staphorst, 
1693,  in-S". ,  revue  ]>ar  J.  Ray,  et 
reunprimée  en  1 738.  On  parle  aussi 
d'une  version  latine  qui  n'a  pas  été 


(  0  (  lillc  d.iti'  csl  (l<imirc  posilivcMicnl  pur  li-  nui- 
:!,-rln  'Vi>\u  Cil"!' ,  <|"'  l''  -"it".'  il"  s  >•'  'IrrniirO 
in.laillc  (  l.il..  <'."l.ir,  Ohser^-.il.  r.Kliriit.  (1er.  .1 , 
i)h-.  8,  V  ^'  '  l"i"n(r,,il.  lOoC  ,  I1.-8".)  CVsl  |.nr 
l'iiinr  i|ne  Ja<  lier  ,  lliinUer,  K.T.stiuT,  elc. ,  Jila- 
teiil  l'.iHKine  .le  Mi  l.mrt  ."i  l'.m  l(i.i(J. 


RAU 

imprimée;  peut-être  ne  comprenait- 
elle  que  la  quatrième  partie,  qui  inté- 
ressait les  botanistes.  La  relation  de 
Rauwolf  peut  être  consultée  avec 
fruit  par  les  ge'ogra  plies  ,  à  cause  des 
renseignements  précieux  qu'elle  offre 
sur  les  villes  et  sur  leurs  environs  , 
sur  la  direction  des  chaînes  de  monta- 
gneyet  du  cours  des  fleuves.  Un  me'- 
rite  qui  lui  est  particulier,  et  qui  le 
distingue  de  ses  contemporains,  est 
l'atteniion  qu'il  donne  au  commer- 
ce,  aiil^rts  et  aux  métiers,  aux 
mœurs  et  aux  coutumes  des  ha- 
bitants. 11  est  un  des  premiers  qui 
ait  parle  de  l'usage  de  boire  du  café', 
et  eu  ait  décrit  la  préparation  avec 
exactitude.  Rauwolf  avait  rapporté 
du  Levant  un  herbier  fort  riche,  qui 
éprouva  bien  des  vicissitudes.  Après 
sa  mort,  cet  herbier  passa  dans  la  bi- 
bliothèque de  l'électeur  de  Bavière. 
La  guerre  de  Trente-Ans  le  fit  aller  à 
Stockholm,  parce  que  les  Suédois 
s'emparaient  des  curiosités  littéraires 
des  pays  dont  ils  faisaient  la  conquête. 
Christine  l'ayant  donné  à  Isaac  Vos- 
sius,  celui-ci  le  porta  on  Angleterre, 
où  Ray,  Mûrison,Pliikcnet  et  autres 
savants  botanistes  !e  consultèrent  : 
tous  parlent  avec  reconnaissance  des 
renseignements  utiles  qu'ils  en  ont 
recufillis.  Après  la  mort  de  Vos- 
sius,  l'herbier  revint  en  Hollande, 
avec  la  bibliothèque  de  ce  savant: 
l'un  et  l'autre  furent  achetés  pour  la 
bibliothè((ue  de  Leyde  ,  où  on  les 
conserve.  Cet  herbier  est  composé 
de  cinq  gros  volumes  in-folio  ,  et 
contient  les  plantes  recueillies  par 
Rauwolf  en  Fnuice,  en  Italie,  en 
Suisse  et  au  Levant.  Dans  sa  rela- 
tion, ce  voyageur  en  a  nommé  et 
déterminé  plus  de  3.jo  espèces.  C'est 
d'après  sou  Herbier,  (jue  J.  F.  Oro- 
novius  publia  :  L.  Raiwolfii  Flora 
orienlalis,  Lcydc  ,    i^f).")",  un   vol. 


RAV  ,43 

in-4^.  Tons  les  botanistes  ont  rendu 
justice  au  zèle  infatigable  de  Rau- 
wolf j  il  a  eu  soin  d'indiquer  dans 
quel  lieu  et  dans  quelle  saison  il 
avait  trouvé  chaque  p'ante  ,  et  de 
rapporter  ce  qu'il  connaît  de  ses 
usages  dans  la  médecine,  les  arts 
ou  l'économie  domestique.  Comme 
il  n'était  pas  assez  instruit  dans 
les  langues  orientales  ,  il  a  écrit 
fort  incorrectement  leurs  noms.  Plu- 
mier, pour  reconnaître  les  services 
que  ce  savant  a  rendus  à  la  bo- 
tanique, nomma  Raiwolfi a, im^cme 
de  plantes  qui  est  le  type  d'une  famille 
particulière  voisine  de  celle  des  apo- 
cynécs.  Ce  genre  renferme  une  di- 
zaine d'arbrisseaux  des  parties  les 
plus  chaudes  de  l'Amérique.  Suivant 
la  manie  que  l'on  avait  alors  de  lati- 
niser tous  les  noms-propres, Rauwolf 
est  quelquefois  désigné  sous  le  nom 
de  Dasjljcus.  En  1G80,  on  publia, 
sous  le  litre  de  Leonis  Flamin'd  Iti- 
nerariiun  per  Pnlœslinam  ,  Rotheu- 
bourg,  1681  ,  iu-4''.,  une  contre- 
façon de  son  voyage  ,  défigurée  par 
quelques  omissions.  On  peut  voir , 
dans  les  Annales  des  voja^es  (  xm , 
96-109  ) ,  une  notice  sur  ce  voya- 
geur. E — s. 

RAVAILLAG  (  François  )  est 
un  de  ceux  dont  le  nom  n'est  reste' 
dans  les  langues  humaines  que  pour 
y  devenir  une  injure.  On  connaît 
tout  ceque rapportent  nos  liistoriens 
sur  la  mort  tragique  de  Henri  IV  , 
et  les  soupçons  de  complitité  dans 
cet  altenlat,  qui  planèrent  sui"  les 
])ersonnages  les  plus  élevés  de  cette 
époque.  H  ne  reste,  pour  présenter 
le  procès ,  les  indices  ou  plutôt  les 
conjectures  ,  sous  un  jour  différent , 
qu'.à  consulter  et  à  suivre,  comme 
nous  l'avons  fait,  les  registres  du 
liaricnjent  de  Paris.  C'est  l'unique  mo- 
tif,  maisil  était  important,  ([ui  nous 


i44  RAV 

a  détermines  à  donner  une  cer- 
taine étendue  à  la  biographie  d'un 
monstre  qu'un  grand  crime  pouvait 
seul  tirer  de  son  obscurité'.  Ravaillac 
naquit  à  Angoulême ,  en  1678  ou 
1579.  La  perte  d'un  procès  avait 
réduit  son  père  à  l'aumône.  Il  se 
fit  clerc  et  valet  de  chambre  d'un 
conseiller,  nommé  Roz.ières;travailIa 
ensuite  chez  des  procureurs,  et 
devinî  ,  en  même  temps,  praticien., 
solliciteur  de  procès  et  maître  d'é- 
cole. Il  avait,  dit-il,  quatre-vingts 
écoliers,  auxquels  il  ensfignait  «  à 
»  lire ,  écrire  et  prier  Dieu  en  la 
»  religion  catholique,  apostolique  et 
»  romaine.  »  Quelque  opinion  qu'on 
adopte  sur  la  question  de  savoir 
s'il  eût ,  ou  non  ,  des  complices  , 
on  ne  peut  s'empêcher  de  recon- 
naître que  Ravaillac  était  un  de 
ces  fanatiques  sombres ,  un  de  ces 
visionnaires  rares ,  ratmc  au  temps 
des  guerres  civiles  et  religieuses  du 
seizième  siècle  ,  et  qu'il  était  fa- 
cile de  pousser  au  meurtre  en  leur 
montrant  le  ciel  ;  mais  qui  pou- 
vaient aussi  s'exalter  d'eux-mêmes , 
et,  sans  impulsion  directe,  se  lan- 
cer dans  le  crime ,  quand  un  cerveau 
troublé  le  leur  présentait  comme  une 
vertu ,  et  peut-être  comme  un  devoir. 
•  Ravaillac  avait  été  long-temps  àélt- 
uw  pour  dettes  à  Angoulême  (i).  11 
avait  eu,  dans  sa  prison,  des  visions 
comme  des  sentiments  de  Jeu  ,  et 
de  souffre  et  d'encens.  Une  luiit  qu'il 
méditait,  dans  son  lit,  les  mains 
jointes  et  les  pieds  croisés  ,  il  avait, 
disait-il,  .sf'iiti  sur  sa  face  couverte, 
une  chose  qu'il  m  put  distinguer.  Il 
se  mit  alors  à  chanter  le  Miserere  et 
le  JJe profundis.  Il  était  minuit-  «  il 


(1)  yiiclqiiesliistorien»  di*viit  qu'il  lui  rotiim  un 
an  prittoniiic'i-  ,  |iour  un  Loiniciilc  tlati.slcfjucJ  iluvait 
Irt-nipé  ;  iiiiiiglu  j)rocc<Iuie  n'oft're aucuiittiiice  du  tu 


Oc^lit. 


RAV 

»  lui  sembla  qu'il  avait  à  la  bouche 
»  une  trompette ,  faisant  pareil  son 
»  que  les  trompettes  à  la  gueiTC.  » 
Il  se  leva  pour  allumer  du  feu  j  et 
tandis  qu'il  soufflait  les  tisons  en- 
flammés, «  il  vit  incontinent ,  aux 
»  deux  côtf's  de  sa  face, des  hosties; 
î)  et ,  au-dessous  de  sa  bouche  ,  un 
»  rouleau  de  la  même  grandeur  que 
»  celui  que  le  prêtre  lève  à  la  'célé- 
»  bration  du  service  divin.  »  Depuis 
quatorze  ans,  Ravaillac  avait  fait,  ■*• 
comme  solliciteur  de  pro^s ,  plu- 
sieurs vovages  à  Paris ,  avijn'argcnt 
qu'il  recevait  de  ses  écoliois.  Dans 
un  de  ces  voyages,  il  prit  l'habit  de 
frère  convers .,  rhez  les  Feuillants  , 
et  fut  renvoyé,  six  semaines  après, 
comme  visionnaire.  N'ayant  pu  ob- 
tenir de  rentrer  au  couvent,  même 
en  qualité  Ae  frère  lai,  il  eut  la  vo- 
lonté de  se  faire  Jésuite;  mais  il 
apprit  qu'on  ne  recevait  point ,  dans 
cet  institut,  ceux  qui  avaient  été  en 
d'autres  j'eligions.  11  reprit  donc  te 
chemin d'Angoulême.  Il  fréquentait, 
dans  cette  ville,  un  nomméBcrlhault, 
qui  se  mêlait  de  faire  des  vers  ;  et 
Ravaillac  se  croyait  poète  lui-même. 
Il  avait  écrit  ce  mauvais  distique  sur 
un  papier  où  étaient  peintes  les  ar- 
mes de  France,  ayant  pour  suppoit 
deux  lions  quiportaienl  l'un  une  clef, 
l'autre  une  épée  : 

Ne  souffre  jias  qu'on  f.issB  ,  en  ta  présence, 
Aiiuniu  de  Dieu  aucuue  irrévérence,  (aj 

En  signant  un  des  interrogatoires  de 
son  procès,  il  écrivit  au-dessous  de 
sou  nom  : 

Que  toujours  eu  luou  cœur 
Jésus  suit  le  \aiDqucur  ! 

II  voyait,  à  Angoulême  ,  mi  nommé 
Relliard,  et  avait  entendu  dire  chez 
lui  quel'aiiibassadeurde  Ronu-  ayant 

(1)  lie  p.ipicr  ,  tionvé  sur  Rnvnillae  ,  était  inlut 
à  la  prucedure.  \)  déclara  que  le  disticftic  cxpriiujiit, 
»n  volonlé  rivtuvr  le  rvi. 


RAV 

menace  d'excommunier  le  roi ,  le  roi 
avait  re'pondu  :  «Si  le  pape  m'cxcom- 
»  munie  ,  je  le  déposerai.  »  Celte 
dernière  menace  lui  fit  prendre  la  ré- 
solution de  tuer  le  roi  ;  et  c'est  alors 
qu'd  écrivit  sur  un  papier  sou  pre- 
mier distique.  Il  fut  encore  fortifié 
dans  sa  résolution  par  ce  qu'il  avait 
entendu  dire,  dans  Paris,  à  des  sol- 
dats, entre  autres  à  un  sieur  de 
Saint-George,  que  si  le  roi  voulait 
faire  la  guerre  au  pape,  ils  lui  obéi- 
raient, parce  qu'ils  y  étaient  tenus; 
«  mais  que  s'il  la  faisait  mal-à-pro- 
»  pos,  cela  tournerait  sur  lui.  »  Dans 
l'avaut-dernier  voyaj^c  qu'il  fit  à  Pa- 
ris, il  chercha  vainement  à  voir  le 
roi,  pour  le  délerminer  «  à  ranger  à 
»  l'Eglise  catholique  ,  apostolique  et 
»  romaine  ,  ceux  de  la  religion  pré- 
»  tendue  réformée.  »  Ilserendit  plu- 
sieurs fois  au  Louvre,  demandant  à 
parler  au  roi.  Un  jour  qu'il  insistait 
plus  vivement,  le  sieur  de  La  Force 
lui  dit  «  qu'il  était  un  papet ,  et  un 
«  catholique  à  gros  grains.  «  Ravail- 
iac  le  supplia  encore  de  vouloir  le 
faire  parler  au  roi ,  «  afin  de  déclarer 
»  à  sa  Majesté,  les  intentions  où  il 
w  était  depuis  long-temps  de  le  tuer, 
»  n'osant lo  déclarera  aucun  prêtre, 
))  ni  à  aucun  autre,  parce  que  l'ayant 
i>  dit  à  sa  Majesté ,  il  se  serait  désisté 
))  tout-à-fait  de  cette  raauA'aise  vo- 

)>louté; et  avait  cru  qu'il  était 

»  expédient  de  lui  faire  cette  reraon- 
»  trance  plutôt  que  de  le  tuer.  »Ra- 
vaiîlac  se  présenta  aussi  chez  la  du- 
chesscd'Angoulème,poury  t7igrc/ier 
quelqu'un  qui  le  pût  introduire.  Il 
alla  au  loc^is  du  cardinal  Du  Per- 
ron ,  et  ne  put  ])arier  qu'à  ses  au- 
môniers. Il  s'adressa  encore  à  un 
écuyerde  la  reine  Marguerite,  nom- 
mé Fcrrare.  Il  lui  parla  de  ses  vi- 
sions ,  comme  il  en  av.iit  déj.'i  jiarlé 
au  curé  de  Saint- Séverin,  à  ini  jeune 

XXXVII. 


RAV 


145 


cordelicr  ,  nommé  Lcfebvrc  ,  au  P. 
d'Aubigny,  jésuite ,  et  au  P.  Marie 
Madelcne,  provincial  des  Feuillants  - 
mais  l'écnyor,  le  curé  et  les  trois  re- 
ligieux lui  répondirent  qu'il  ne  devait 
point  s'occuper  de  ces  visions  ,  et 
qu'il  ferait  bien  de  retourner  à  An- 
goulême.  D'ailleurs  il  n'avait  fait 
part  à  personne  de  son  dessein  de 
tuer  le  roi ,  parce  que  «  s'il  leur  eût 
»  déclaré  l'attentat  qu'il  voulait  fai- 
»  re,  c'était  leur  devoir  de  se  saisir 
»  de  sa  personne,  et  le  rendre  entre 
»  les  mains  de  la  justice,  d'autant 
»  qu'en  ce  qui  concerne  le  public,  les 
»  prêtres  sont  obliges  de  révéler  le 
»  secret.  »  Déjà,  en  i(3o6,  Ravaillac 
avait  donné ,  dans  un  de  ses  voyages 
à  Paris  ,  des  preuves  du  désordre  de 
ses  idées;  et  il  fui  accusé,  suivant 
l'esprit  du  temps  ,  tle  sorcellerie  et 
de  commerce  avec  les  démons.  Lors 
de  son  procès  poiir  crime  de  régici- 
de, le  président  Potier  et  les  conseil- 
lers commissaires  lui  demandèrent 
si,  plus  de  quatre  ans  auparayant , 
il  ne  s'était  \r.isfait  enfant  du  dia- 
ble en  invoquant  les  démons,  qu'il 
avait /«<t  venir  dans  la  chambre 
d'un  nommé  Dubois.  Ravaillac  ré- 
pondit qu'étant  une  nuit  couché  avec 
d'autres  personnes  ,  dans  un  grenier 
au-dessus  de  la  chambre  dudit  Du- 
bois, il  entendit  ce  dernier  l'appeler 
par  son  nom,  à  minuit,  en  criant  : 
Ravaillac^  mon  ami,  descends  en 
bas ,  je  suis  mort.  IMais  il  fut  em- 
pêclié  de  descendre  par  la  frayeur 
de  ceux  qui  couchaient  avec  lui  dans 
ie grenier.  Le  lendemain  matin,  Du- 
bois lui  dit  «  qu'il  avait  vu,  dans  la 
»  chambre,  un  chien  d'excessive 
»  grandeur  et  fort  edroyable,  lequel 
»  s'était  mis  les  deux  pieds  de  dc- 
»  vaut  sur  son  lit  ;  de  quoi  il  avait 
»  eu  telle  peur  ,  qu'il  avait  pensé 
»  mourir,    Ravaillac    lui   conseilla 


i46  RAV 

«  d'avoir  recours  à  la  communion 
■»  ou  à  la  celelnation  de  la  sainte 
»  messe,  et  furent  à  cet  effet  au  cou- 
»  vent  des  Cordeliers,  faire  dire  la 
»  sainte  messe,  pour  s'armer  de  la 
»  f^râce  de  Dieu  contre  les  visions  de 
»  Satan  ,  ennemi  des  hommes.  » 
Tels  sont  les  faits  que  le  procès  de 
Ravaillac  fait  connaître  comme  an- 
térieurs à  son  dernier  voyage  à  Pa- 
ris. Il  communia  le  premier  dinian- 
clie  du  carême  1610,  à  Angoulcmej 
et,  le  jour  de  Pâques,  après  avoir 
fait  célébrer  une  messe,  il  partit  à 
pied  pour  la  capitale  ,  où  il  arriva  , 
quinze  joiu'S  on  trois  semaines  avant 
de  consommer  son  crime.  Il  logea  en 
face  de  l'église  Saint-Rocli,  cà  l'auber- 
ge des  TroisPigeons.  Le  même  jour, 
il  avait  volé  sur  !a  table  d'une  autre 
liôtelleric  où  l'on  avait  refusé  de  le 
recevoir,  un  couteau  qu'il  mît  dans 
un  sac  en  sa  pochette.  Il  reconnut 
depuis  ,  dans  ses  inlerrogaloires  , 
qu'il  avait  dérobé  ce  couteau  dans  le 
dessein  de  tuer  le  roi.  Cependant  il 
n'était  pas  encore  bien  affermi  dans 
cet  horrible  dessein  :  il  parut  y  re- 
noncer, et  quitta  Paris,  pour  repren- 
dre le  chemin  d'Angoulême,  Arrivé 
devant  les  jardins  de  Chanîelonp,  il 
rompit  la  pointe  de  son  couteau 
contre  une  charettc;  mais  en  entrant 
dans  le  faubourg  d'Étampes,  il  s'ar- 
rêta devant  l'image  d'un  J^cce  homo , 
et  sentit  soudain  renaître  sa  volonté 
de  tuer  le  roi,  «  parce  qu'il  ne  con- 
»  vertissait  pas  ceux  de  la  religion 
»  prétendue  réformée,  qu'il  voulait 
»  faire  la  guerre  au  pape,  et  trans- 
»  porter  le  Saint- Siège  à  Paris.  » 
11  refit  la  jjoinle  de  son  couteau 
avec  une  pierre  ,  revint  à  Pari'-  , 
et  attciidit  ipie  la  reine  eût  été 
couronnée  ,  «  estimant  r|u'il  n'y 
))  aurait  pas  tant  de  confusion  en 
»  France  apiès  le  couioiiiicmenl.  » 


RAV 

Le  i4  mai,  il  entendit  la  messe  à 
l'église  Saint- Benoît ,  dîna  dans  son 
auberge  avec  son  hôte,  et  un  mar- 
chand nommé  Collelet.  Il  sortit  en- 
suite, et  se  rendit  au  Louvre.  Il  vou- 
lait tuer  le  roi ,  entie  les  deuxporles  ; 
mais  il  ne  put  approcher  du  carrosse 
lorsque  le  prince  sortit  à  quatreheures 
dusoir.  Henri  voulait  voir  les  prépara- 
tifs qu'on  faisait  alors  pour  l'entrée 
de  la  reine.  Dans  le  carrosse  étaient 
avec  le  monarque  ,  les  ducs  d'Lper- 
non  et  de  Montbazon  ,  les  maréchaux 
de  La  Force ,  de  Roquelaure  et  de  La- 
vardin  ,  le  premier  écuyer  de  Lian- 
court,  et  le  marquis  de  Mirebeau. 
Les  deux  portières  étaient  ouvertes  ; 
la  garde  était  restée  au  Louvre  ;  un 
petit  nombre  de  gentilshommes  à 
cheval ,  et  quelques  valets  de  pied , 
escortaient  le  carrosse  :  Ravaillac  le 
suivit.  Lorsque  le  carrosse  entra  dans 
la  rue  de  la  Ferronnerie ,  qui  était 
alors  fort  étroite ,  il  fut  arrêté  par 
un  embarras  de  charrettes  ;  la  plu- 
part des  valets  de  pied  entrèrent  dans 
le  cimetière  des  Innocents  pour  cou- 
rir plus  à  l'aise  :  il  n'en  restait  que 
deux  auprès  de  la  voiture.  Ravaillac 
dit  qu'à  ce  moment  ,  «  S.  jM.  étant 
5)  au  fond,  tournant  le  visage,  et 
»  penché  du  coté  de  W.  d'Épcrnou  , 
»  il  lui  donna  dans  le  côté ,  d'un  coup 
»  ou  deux  de  son  couteau  ,  passant 
»  son  bras  au  -  dessus  de  la  roue 
»  du  carrosse.  »  (3)  Aucun  des  sei- 
gneurs ne  vit  frapper  le  roi ,  chose 
sf/r/;re7ifl/ife.'ditL'Etoile.  L'assassin, 
ajoutc-t-il,  eût  pu  s'enfuir  sans  être 
reconnu,  s'il  n'était  resté  le  couteau 


(3)  L'arrit  porte  que  Henri  fiit  lue  de  deux  coups 
lie  couteau  dans  le  cor/is.  L'Élnilu  dil  que  le  ]^vc- 
iiiicr  coui>  fut  dirige  entre  la  sitondc  cl  lu  troisième 
Cille  un  peu  au-dvaus  du  irtur,  elle  sccood  dauf 
lecirur,  dont  le  roi  rit  mort,  sans  avoir  pu  jeter 
iju'iin  ^innd  soupii ,  I.c  im'iiic  liislorien  aJMiile  que 
I,  sdiiiiil  <:<>U|)  ("iil  suivi  d'un  Iriiiucnie  qui  ne  ^iiirt.i 
■  MIC  d.1119  la  iiiiinclie  ilii  duc  de  AIuii(1mz»ii. 


RAV 

à  la  main,  comme  pour  se  faire  voir 
et  pour  se  glorifier  du  plus  ^ranâ  des 
assassinats.  On  lit  dans  la  V  ic  du  duc 
d'Épernoii,  qu'un  des  î^cntilshoraracs 
ordinaires,   nommé  Saint- Michel , 
mit  l'épëe  à  la  main ,  et  allait  en  per- 
cer le  parricide  ,  lorsque  le  duc  d'E- 
pernonlui  cria  :  «Qu'il  y  allait  de  sa 
»  vie  s'il  tuait  ce  malheureux  ;   qu'il 
n  fallait  seulement  s'assurer  de  lui.  » 
Mais  cette  circonstance  importante 
n'est  point  dans  la  proce'dure.  Ra- 
vaillac    se   contenta    de  repondre , 
«  que  le  couteau  lui  fut  à  l'instant 
»  ôte'  par  un  genlilliomme  qui  était 
))  à  cheval.  »  L'assassin  fut  d'abord 
conduit  à  l'hôtel  de  Ketz  ,  et  remis  à 
la  garde  du  grand-prévôt.  Lorsqu'on 
le  fouilla,  on  trouva  sur  lui  un  cha- 
pelet ,  un  papier  où  le  nom  de  Jésus 
était  écrit  trois  fois  sur  divers  plis 
(  le  même  peut-être  où  était  le  disti- 
que qu'on  a  cité  ) ,  et  un  cœur  de  car- 
ton suspendu  à  son  col.  Ravaillac  dé- 
clara  que  ce  cœur,  béni  par  les  Ca- 
pucins d'Angoulème  ,    lui  avait   été 
donné  par  un  chanoine  de  cette  ville , 
nommé  Guillebaut ,   comme  un  re- 
mcdecontre  lafièvre  qui  Ictravaillait 
alors.  Il  soutint  constamment ,  dans 
les  quatre  interrogatoires  qu'il  subit, 
le  1  4  '"^i  5  ^  l'hôtel  de  Retz  ,  devant 
le  président  Jeannin,  et  Bullion  ,  con- 
seiller; le  T7  mai,  au  Palais,  devant 
le  premier  présideut  Achille  de  Har- 
lay  ,  le  président  Potier,  et  les  con- 
seillers Courton  et  Bauvin  ,  commis- 
saires députés  par  la  cour  ;  le  18  et 
le  19,  devant  les  mêmes  commis- 
saires, excepté  le  premier  président 
qui  se  trouva  indisposé  :  qu'il  n'avait 
été  induit  par  personne  à  entre- 
prendre cet   attentat  ;   qu'il  avait 
éprouvé  des  tentations  de  tuer  le 
roi  ;  que  quelcpiefois  il  y  cédait ,  et 
d'autres  non;  qu'enfin  il  n'avait  été 
mu  que  par  sa  volonté  seule ,   et 


RAV 


147 


qu'il  ne  l'avait  déclarée  à  personne. 
On  est  étonné  ,  en  lisant  les  interro- 
gatoires, du  peu  de  fermeté,  d'adresse 
et  d'instance  avec  lesquelles  onachcr-^ 
ché  ou  paru  chercher  à  découvrir 
si  Ravaillac  avait  des  complices. 
Bien  des  personnes  avaient  été  nom- 
mées par  lui  :  un  écuyer  de  la  reine 
Marguerite,  les  aumôniers  du  cardi- 
nal Duperron  ,  un  jésuite ,  un  corde- 
licr,  un  feuillant,  le  curé  de  Saint- 
Scverin  ,  un  chanoine  et  un  poêle 
d'Angoulème ,  un  seigneur  du  nom 
de  La  Force  ,  un  marchand  nommé 
Colletet,  avec  lequel  il  avait  dîné  le 
i4  mai ,  et  plusieurs  autres  :  on  ne 
le  confronta  qu'avec  le  P.  d'AuLigny. 
Ravaillac  soutint,  dans  cette  con- 
frontation ,  qu'après  les  fêtes  de  Noël 
1609,  il  alla  voir,  à  la  maison  des 
Jésuites,  rue  Saint  -  Antoine,  le 
P.  d'Aubigny,  parce  qu'il  était  l'ami 
du  P.  Marie -Madelène  ,  feuillant; 
qu'il  lui  parla  de  ses  grandes  vi- 
sions et  imaginations  ;  qu'il  lui  dit 
avoir  senti  des  puanteurs  comme  de 
soufre  et  de  feu  aux  pieds ,  qui  dé- 
montraient le  purgatoire  ,  et  avoir 
vu  la  sainte  hostie  aux  deux  côtés 
de  sa  face.  Il  ajouta  avoir  montre 
un  morceau  de  couteau  où  il  y  avait 
uncœur  et  une  croix,  etdit,  que  leroi 
devait  convertir  ceux  de  la  religion 
P.  R.  ;  que  le  P.  d'Aubigny  lui  répon- 
dit :  «  que  c'était  plus  imaginations 
»  que  visions ,  qui  procédaient  d'un 
)>  cerveau  troublé  ,  comme  sa  face  le 
»  démontrait;  »  qu'il  lui  conseilla 
donc  de  manger  de  bons  potages  , 
de  retourner  en  son  pays  ,  de  dire 
son  chapelet  et  prier  Dieu.  Le  P. 
d'Aubigny,  interpellé,  déclara  que 
c'étaient  toutes  rêveries  fausses  et 
menîeries,  et  qu'il  croyait  n'avoir 
jamais  vu  Ravaillac.  Mais  celui-ci 
insista  ,  disant  :  «  Vous  me  donnâtes 
»  un  sol ,  que  vous  demandâtes  à  un 
10.. 


ï/,8 


RAV 


»  autre  qui  dtail  là.  »  Le  jrfsi'.isc  rd- 
piirpia  que  cela  élail  faux  ;  que  ceux 
âe  sa  compagnie  y^mn/^  ne  donnent 
d'argent  ,  et  n'en  portent  point.  Ra- 
vaillac  reconnut  d'ailleurs  qu'il  n'a- 
vait vu  le  P.  d'Auhiguy  'jne  cette 
fois  ;  et  le  P.  d'Aubigny  le  traita  de 
méchant ,  qui  mentait  ,  et  aurait  dû 
se  contenter  de  son  crime,  sans  être 
cause  de  cent  mille  qui  arriveront , 
disait-il.  Le  'i.']  mai,  Ravailîac  fut 
déclare,  par  le  parlement,  criininel 
de  lèzc-majeste  divine  et  humaine  ari 
premier  cliel';  condamné  k  être  te- 
naillé, avec  versement,  dans  les  plaies, 
de  plorab  lOudu ,  d'huile  bouillante  , 
etc.  ;  à  avoir  la  main  droite  ,  tenant 
ic  ooulcau  parricide  ,  brûlée  du  feu 
de  soufre;  à  être  ensuite  c'cartelc  , 
avoir  les  membres  réduits  en  cen- 
dres ,  et  les  cendres  jetées  au  vent. 
]!  fut  ordonné  par  le  même  arrêt, 
que  la  maison  où  il  était  né  serait 
démolie;  que  son  père  et  sa  mère 
sortiraient,  dans  quinzaine,  du  royau- 
me ,  avec  défense  d'y  rentrer  ,  suns 
i)einc  à'v,\.vcpendnset  étranglés  ;  en- 
iiu  ,  que  ses  frères  ,  sœurs  ,  oncles  , 
etc. ,  «juitteraienl  le  nom  de  Ravail- 
îac pour  e'.i  prendre  un  autre  ,  à 
quoi  ils  seraient  tenus  sur  les  mêmes 
peines.  Dans  les  tortures  de  la  ques- 
tion ,  qui  suivirent  l'arrêt,  Ravailîac, 
presse  de  révéler  ses  complices  ,  ré- 
pondit :  «  que  sur  la  damnation  de 
»  son  arae,  il  n'y  avait  eu  homme  , 
»  femme  ,  ni  autre  ,  qui  eût  eu  con- 
»  naissance  de  son  dessein,  en  con- 
»  fession  ,  ou  autrement.  »  Deux 
célèbres  docteurs  de  Sorbonne  ,  Fi- 
lesac  et  Gamachcs  ,  l'assistèrent  dans 
ses  derniers  moinenls.  11  leur  déclara 
n'avoir  cédé  qu'à  la  tentation  du 
Diable.  Lorsque,  le  même  jour  '.17 
mai ,  il  allait  sOrtir  de  la  Concier- 
gerie,  il  fut  assailli  par  les  )>rison- 
iiiers  en  imiiulte  ,  accablé  d'iiijures 


RAV 

et  de  makîdiclions;  et  il  eût  ctc  mis 
on  pièces ,  si  les  archers  n'eussent 
employé  la  force  et  les  aimes  pour 
l'arracher  de  leurs  mains.  Il  devint 
bientôt  plus  difficile  de  le  soustraire 
à  l'indignation  cl  à  la  fureur  du  peu- 
ple. Le  monstre  priait  sur  l'échafaud 
au  milieu  des  tourments.  Mais  lors- 
que les  docteurs ,  découvrant  leur 
tête  ,  commencèrent ,  à  haute  voix, 
le  Salve  l'egina,  la  foule  s'e'cria  qu'il 
ne  fallait  pas  prier  pour  le  méchant 
damné,  et  contraignit  les  docteurs 
de  cesser.  Ravailîac  dit  alors  :  «  Si 
»  j'eusse  pensé  de  voir  ce  que  je  vois, 
»  et  un  peuple  si  affectionné  à  son 
w  roi ,  je  n'eusse  jamais  entrepris  le 
t>  coup  que  j'ai  fait ,  et  m'en  repens 
»  de  bon  cœur  ;  mais  je  m'étais  for- 
»  tcment  persuadé  (  vu  ce  que  j'en 
»  oyois  dire),  que  je  ferois  un  sa- 
»  crificc  agréable  au  public  ,  et  que 
»  le  public  m'en  auroit  de  l'obliga- 
»  tion  ,  où  au  contraire  ,  je  vois  que 
»  c'est  lui  qui  fournit  les  chevaux 
»  pour  me  déchirer.  »  11  demanda 
l'al'Solution  au  docteur  Filesac  ,  qui 
répondit  :  «  Il  nous  est  défendu  de  la 
donner  ,  en  crime  de  lèse-œajestc  ,  à 
moins  que  le  coupable  ne  révèle  ses 
fauteurs  et  ses  complices.  »  —  «  Je 
»  n'en  ai  point  ;  il  n^j-  a  que  moi  qui 
»  Vai  fait  ;  donnez-moi  l'absolution 
»  à  condition ,  et  vous  ne  pouvez 
»  ainsi  la  refuser.  —  Eh  bien  !  je 
»  vous  la  donne  en  ce  cas  ,  reprit  le 
»  confesseur  ;  mais  si  le  contraire 
»  était  vrai  ,  au  lieu  de  l'absolution  , 
»  je  vous  prononce  votre  damnation 
»  éternelle  ;  et  pensez-y,  si  vous 
»  voulez.  —  .le  reçois  l'absolution 
»  à  cette  condition.  »  Ce  furent  les 
dernières  paroles  de  Ravailîac.  On  lit, 
dans  le  procès-verbal  de  l'exécution, 
que  le  peuple  voulut  associer  sa  ven- 
geance cà  la  vindicte  des  lois  :  «  Plu- 
»  sieurs  se  &ontmisà  tirer  les  cordes, 


»  avec  iuk;  IcUe  .  dcar  ,  que  i'iui  lIc 
»  la  noblesse  ,  ijui  était  proche ,  ii 
»  fait  mettre  sou  cliev;il  pour  mieux. 
a  tirer  ;  et  cnQii  par  une  graude  lieu- 
»  re  tirii ,  sans  être  démembre'  ,  le 
)>  peuple  de  toute  qualité  s'est  jeté 
»  avec   des   e'pe'es ,  couteaux  ,   ba- 

1)  tons à  frapper,  couper  et 

»  déchirer  les  membres  du  condam- 
»  ne  ,  ardemment  mis  en  diverses 
»  parties  et  pièces,  les  ont  ravis  à 
»  l'esécuteur  ,  les  traînant  ,  qui  çà 
»  qui  là ,  par  les  rues  ,  de  tous  côtés, 
»  avec  une  tc'.le  fureur  que  lien  ne 
»  les  a  pu  arrêter  ,  et  ont  etc  brûlés 
»  en  divers  endroits  de  la  ville.  » — - 
On  a  beaucoup  écrit  sur  la  question 
de  savoir  si  Ravaillac  eut  ou  non  des 
complices  de  son  crime  :  ceux  qui 
l'affirment,  s'autorisent  des  Mémoi- 
res de  Sully,  des  Mémoires  du  maré- 
chal d'Estrées  surla  régence  de  Marie 
de  Mcdicis  ,  de  l'Abréi^é  chronolo- 
gique de  Mézerai ,  et  du  Journal  de 
IlenrilF,  où  L'Étoile  dit,  que,  dans 
le  procès  de  l'assassin,  la  Idchelédes 
ma^iitrais  pour  découvrir  les  au- 
teurs cl  complices  ,  a  été  si  i^ninde 
«  qu'elle  fait  mal  au  cœur  de  tous  les 
))  gens  de  bien  ,  et  particulièrement 
»  à  moi,  auquel  la  douleur  que  j'en 
»  ai,  fait  tomber  la  plume  des  mains 
»  pour   n'en  écrire  davantage.  »  A 
l'appui  de  l'opinion  sur  les  compli- 
ces ,  on  cite  encore  la  relation  de 
Pierre  du  Jardin,  sieur  de  La  Garde , 
l'accusation  de  la  femme  Coman  ou 
Descoman  contre  le  duc  d'Eperuon 
et  la  marquise  de  Verneuil  ;  la  dis- 
grâce sans  terme  où  tomba  Maiie  de 
Médicis  dans  le  cœur  de  son  fils  ,  et 
l'abandon  cruel  où  elle  mourut  sur 
ime    terre    étrangère.   On    pourrait 
remarquer  encore  que  ,  le  jour  mê- 
me de  l'assassinat  du  meilleur  des 
rois  (  I  4  mai),  tout  semblait  ])réparé 
d'avance  pour  nu  nouveau  gonverne- 


RAV: 


i49 


ment.  Henri  IV  n'claitsoili  du  Lou- 
vre qu'à  quatre  heures  ;  et  dcfà,  avant 
que  cinq  heures  fussent  sonnées ,  lo 
duc  d'Épcrnonavaiirassembiclcs  gar- 
des sur  le  Pont-Neuf,  et  le  parlement 
était  investi;  déjà  ce  seigneur  avait 
demandé  la  régence  pour  la  reine  ,  et 
annoncé  aux  magistrats  nu  ilj allait 
absolument  et  promptevient  s'y  ré- 
soudre. Déjà  Marie  de  Médicis  était 
déclarée   régente  par  le  parlement 
assiégé.  Le  corps  du  roi  était  exposé 
sur  un  lit  de  parade,  entouré  de 
flambeaux  ;  et  des   religieux  réci- 
taient les  vigiles  (  Voy.  Mézerai  et 
l'Etoile  ).  Enfin  ,  dè>s  le  i  7  mai ,  on 
criait  le  portrait  en  taille-douce  du 
nouveau  roi  (  Voy.  V Etoile  ).  Or  , 
comment,  en  deux  fois  vingt-quatre 
heures,  le  portrait  de  Louis  XllI 
avait-il  ])u  être  grave  en  taille  douce, 
et  mis  eu  veule  avec  un  trézaiu  ?  Ce 
n'est  pas  sans  raison  que  l'Etoile  a 
parlé  des  lâches  procédures  du  par- 
lement. Il  paraît  certain  ,  non  que 
iiavaillac  eut  des   complices,  mais 
que  le  parlement  fut  effrayé  du  dan- 
ger d'en  trouver.  La  relation  du  sieur 
de  La  Garde  ne  mérite  aucune  con- 
fiance :  il  fait  venir  à  Naples  P».avail- 
lac,  chargé  de  dépêches  du  duc  d'E- 
peruon; il  déclare  avoir  vu,  en  1O08, 
Ravaillac  tramant,   aux  confins  de 
l'Italie ,  la  mort  de  Henri  IV,  avec 
un  jésuite  nommé  d'Alagon  ,  oncle 
du  duc  de  Lei  me  ,  premier  ministre 
de  la  cour  d'Espagne.  Rien  n'est  plus 
invraisemblable  et  plus  ridicule  que 
le  Manifesle  et  le  Factum  de  ce  mi- 
sérable .iventurier  ,  qui  fut  mis  à  la 
Dastilie ,  d'où  il  ne  sortit ,  après  neuf 
mois  de  détention  ,  que  pour  être  en- 
fermé à  la  Conciergerie  :  il  y  était 
encore  en  1 6 1 5  ;  et  c'est  là  qu'il  éci  i- 
vit  son  Factum  ,  4).  L'accusation  de 

(.',)  Il  so.lll  <l.i  i.ii.s...!  I^liu,'fsuiv»nl«,  ...ilis  avoir 
uljtyiin  mi  arrêt  Ju  iltfcli.ii içe ;  laM»  il  lui  l'ut  itmm' 


]5o  RAV 

la  femme  Coman  ou  Descomaii,  qui 
jivait  cte  au  service  de  la  marquise 
de  Vcrneuil,  fut  jugée  fausse  et  ca- 
lomnieuse par  arrêt  du  parlement , 
du  3o  juillet  i6ii  ;  et  cette  femme 
fut  condamnée  à  une  prison  perpé- 
tuelle entre  quatre  murailles.  L'É- 
toile est  visiblement  anime  d'une 
haine  violente  contre  les  Jésuites. 
Me'zerai  e'crivait  sous  l'influence  du 
cardinal  de  Richelieu,  implacable  en- 
nemi de  la  reine-mère.  Sully  dit  que 
ceux  qui  ont  arméla  main  de  Ravail- 
lac,  sont  assez  désignés  parle  cri  pu- 
blic j  mais  ce  cri  public  pouvait  être 
le  résultatde  l'erreur.  On  remarque- 
raqueRavaillac  avait  fait  cent  lieues  à 
pied  j  qu'arrivé  à  Paris ,  sans  argent , 
il  avait  reçu  un  sol  d'ajimône  ;  qu'il 
avait  volé  l'instrument  de  son  crime 
dans  une  auberge,  parce  qu'il  n'avait 
pas ,  sans  doute  ,  les  moyens  de  l'a- 
cheter. Gomment  concilier  cet  état 
de  dénuement  avec  l'opinion  qui  lui 
donne  des  complices  si  riches  et  si 
puissans!  Péréfixe,  a  eu  raison  de  di- 
re ,  dans  son  Histoire  de  Henn-le- 
Grand  :  «  Que  si  l'en  demandait  qui 
»  avait  inspiré  cette  damnable  pensée 
3)  à  ce  monstre  infernal  ?  l'histoire 
n  répond  ,  quelle  n'en  sait  rien  ;  et 
»  qu'en  une  chose  si  importante  ,  il 
•o  n'est  pas  permis  de  faire  passer 
»  des  soMpçons  et  même  des  conjec- 
»  tures  pour  des  vérités  assurées  j 
»  que  les  juges  mêmes  qui  l'inlcrro- 
»  gèrent,  n'en  osèrent  ouvrir  la  bou- 
»  che  ;  ils  n'en  parlèrent  jamais  que 
»  des  épaules.  »  Le  même  jour  où  le 
parlement  rendit  son  arrêt  contre 
Ravaillac  ,  l'archevêque  d'Aix  ,  le  P. 
Coeffeteau  ,  dominicain  ,  et  plusieurs 
autres  personnages  ayant  représenté  à 
la  cour  que  ,  lorsqu'ils  avaient  visité 
le  parricide  dans  sa  prison  ,  il  leur 

«in  hrevcl  ilc  (i.n.  Ilv.  <!.■  |Hiislr,M  ,  it  .!■  s  liltrue  de 
jirwùiuudv  ixjulrùKuf  dobivrcs  h  l'uris. 


RAV 

avait  répondu  conformément  aux 
maximes  de  Mariana  ,  Becan  et  au- 
tres ,  qu'il  était  permis  de  tuer  les 
tyrans  ;  un  second  arrêt  ordonna  que 
la  faculté  de  théologie  serait  assem- 
blée «  pour  délibérer  sur  la  confir- 
»  mation  du  décret  d'icclle ,  du  1 3 
»  décembre  1 4i3  ,  résolu  par  la  cen- 
»  sure  de  cent-quarante  docteurs  de 
»  ladite  faculté  ,  depuis  autorisé  par 
»  le  concile  de  Constance,  qu^il  nest 
1)  loisible  à  aucun  ,  pour  quelque 
»  cause  et  occasion  que  puisse  être , 
))  d'attenter  aux  personnes  sacrées 
1)  des  rois  et  autres  princes  souve- 
»  vains.  »  La  faculté  de  théologie 
s'assembla  le  4  juin  ?  et ,  confirmant 
sou  ancien  décret,  statua  qu'à  l'ave- 
nir les  docteurs  et  bacheliers  jure- 
raient d'enseigner  la  vérité  de  cette 
doctrine  en  leurs  leçons  ,  et  de  la 
faii'e  connaître  au  peuple  dans  leurs 
prédications.  Le  8  juin ,  le  parlement 
condamna  le  livre  de  Mariana  ,  De 
Re^e  et  Régis  institutione  ,  à  être 
brûlé  par  la  main  du  bourreau ,  et 
ordonna  que  ce  décret  de  la  faculté 
de  théologie  serait  lu  chaque  année, 
à  pareil  jour ,  dans  l'assemblée  de 
ladite  faculté,  et  publié,  le  diman- 
che suivant ,  au  prône,  dans  toutes 
les  paroisses  de  Paris  et  de  ses  fau- 
bourgs. C'est  à  cette  époque  que  la 
P.  Cotton  ,  confesseur  de  Henri  IV  , 
publia  sa  Lettre  déclaratoire  de  la 
doctrine  des  Pères  Jésuites  ,  con- 
forme aux  décrets  du  concile  de 
Constance.  Celte  lettre  était  adressée 
à  la  rojne  mère  du  roi,  régente  en 
France  ;  et ,  tandis  qu'elle  était  l'oc- 
casion d'une  foule  de  libelles  sous  le 
titre  dC Anti-Colon^ d' Anti-Mariana, 
de  la  Sallade  des  iniquistés ,  etc. , 
etc. ,  le  cœur  de  Henri  IV  était  porte 
au  collège  des  Jésuites  à  La  Flèche; 
et  le  dernier  acte  d'un  des  plus  ter- 
ribles  drames  de  uotrc  histoire  se 


RAV 

tcnniiiah  dans  un  déluge  d'oraisous 
funèbres  et  de  pamphlets.     V-ve. 

RAVALIÈRE  (Pierre- 
Alexandre  Lévesque  de  la).  Voj. 
Lévesque  ,  xxiv  ,  375. 

RAVENNE  (L'anonyme  de).  V. 
P0RCQERON. 

RAVENNE  (  Jean  de  ) ,  l'un  des 
restaurateurs  des  lettres  en  Italie , 
était  ne'  vers  i35o  ,  de  parents  pau- 
vres et  obscurs ,  dans  une  terre  silue'e 
sur  les  bords  de  l'Adriatique,  non  loin 
de  la  ville  de  Ravenne,  dont  il  prit 
le  uom.  Au  sortir  de  l'enfance,  il  eut 
le  bonheur  de  se  faire  connaître  de 
Pétrarque,  qui  l'admit  à  son  intimité, 
et  ne  négligea  rien  pour  lui  ins- 
pirer le  goût  de  l'étude  et  l'amour  de 
la  vertu.  Aux  dispositions  les  plus 
heurenses  pour  les  sciences,  l'élève 
de  Pétrarque  joignait  des  qualités 
plus  rares  encore  ,  beaucoup  de  dou- 
ceur ,  de  modestie  ,  et  un  grand  mé- 
pris des  richesses,  D'apx-cs  le  conseil 
de  son  maître,  il  prit  l'état  ecclésias- 
tique :  et,  sur  la  recommandation  de 
Pétrai'que  ,  l'archevêque  de  Ravenne 
lui  promit  un  modeste  bénéfice  dont 
lé  revenu  devait  sufïïre  à  ses  besoins, 
et  lui  permettre  de  cultiver  en  paix 
la  littérature.  Il  y  avait  près  de  qua- 
tre ans  que  Jean  habitait  avec  Pé- 
trarque ,  et  il  était  traité  par  lui 
comme  son  propre  fils  ,  quand  il  lui 
déclara  qu'il  voulait  voyager  pour 
perfectionner  ses  connaissances  et  eu 
acquérir  de  nouvelles. Ni  les  prières, 
ni  les  larmes  de  son  bienfaiteur,  ne 
purent  changer  sa  résolution.  Il  pai'- 
tit  de  Padoue  ,  vers  i3G8,  traversa 
l'Apennin  dans  la  saison  des  pluies  , 
et  vint  à  Pise,  où  il  attendit  un  bâ- 
timent pour  le  transporter  dans  Avi- 
gnon ,  devenu  le  séjour  des  papes.  Ce 
bâtiment  n'arriva  point:  lesrcssour 
cesde  Jean  dcKivenne  s'épuisèrcnl; 
et  il  prit  le  parti  do  revenir  à  Pavit>, 


RAV  i5i 

oh  Pétrarque  s'empressa  do  le  rejoin- 
dre. Maislecœurdo  cet  hommegéné- 
rcux  avait  été  blessé  profondément 
de  l'ingratitude  de  son  disciple  chéri. 
«  Votre  éloiguement ,  lui  dit-il  ,  me 
fait  prévoir  une  nouvelle  séparation , 
et  je  n'y  mettrai  plus  aucun  obs- 
tacle. Quand  vous  voudrez  partir, 
je  vous  donnerai  l'argent  qui  vous 
sera  nécessaire  pour  votre  voyage  ; 
vous  trouverez  la  porte  ouverte  ,  et 
je  ne  me  permettrai  ni  reproche  ,  ni 
plainte.  »  Jean  ne  tarda  pas,  en  effet, 
de  reprendre  le  projet  d'aller  dans  la 
Cahibre  chercher  le  tombeau  d'En- 
nius ,  et  étudier  la  langue  grecque. 
Il  partit  avec  des  lettres  de  recom- 
mandation de  Pétrarque  pour  la  rei- 
ne Jeanne  de  Naples  ;  cl  les  bontés 
de  son  maître  le  suivirent  dans  tous 
ses  voyages.  Peu  de  temps  après  la 
mort  dePétrarqiie,il  ouvrit  une  école 
à  Bellune  ,  vers  id']S  :  il  fut  renvoyé 
de  cette  ville  au  bout  de  quewiues 
années,  parce  qu'on  le  trouvait  trop 
savant  pour  enseigner  les  éléments  de 
la  srammaire  :  et  il  se  rendit  à  Pa- 
doue  ,  où  ses  talents  commencèrent 
à  le  faire  connaître.  Appelé  ,  vers 
i388,  à  Udine,  il  y  reçut  un  traite- 
ment annuel  de  quatre-vingt-quatre 
ducats  ;  et  l'on  fit  fermer  l'école  que 
dirigeait  un  certain  Grégorio  ,  pour 
donner  plus  d'éclat  à  celle  de  Jean 
de  Ravenne.  Cependant,  par  suite  de 
son  inconstance,  il  accepta  les  offres 
qu'où  lui  fil  pour  l'attirer  à  Florence, 
où  il  était  en  i3(ji.  U  se  trouvait 
encore  dans  cette  ville  eu  t4'3;  et 
cette  année  même,  il  fut  chargé, 
pour  la  seconde  fois,  d'exjiliquer  le 
poème  du  Dante.  L'abbé  Mehus 
conjecture  que  Jean  mourut  ,  vers 
1.420,  à  l'àgc  de  soixante  -  dix 
ans.  Il  était  sorti  de  son  école  nu 
si  grand  nombre  do  savants  qu'on 
l'a  comparée   au  «hcval  de  ïroic  , 


i5i  RAV 

d'où  sortirent  les  Grecs  les  plus  il- 
lustres. Quelques  critiques  italiens 
croient  devoir  distinguer  deux  pro- 
fesseurs du  même  nom ,  dont  l'nn  en- 
seignait à  Padoue,  et  l'aulre  à  Flo- 
rence. —  On  cite  un  autre  Jean  de 
Ravemie  ,  chancelier  de  François  de 
Carrare  ,  qui  paraîtrait ,  en  effet ,  ne 
pouvoir  pas  être  confondu  avec  le 
professeur.  Selon  Flavio  Biondo  , 
celui-ci  se  serait  contente'  de  former 
un  grand  nombre  de  disciples  ;  et  les 
ouvrages  qu'on  a  sous  le  nom  de 
Jean  de  Havenne,  doivent  être  attri- 
Lue's  au  chancelier.  On  en  trouve  des 
înanuscrits  dans  la  bibliothèque  du 
Roi  à  Paris  ,  dans  celle  du  Vatican 
et  daîîs  celle  d'Oxford.  Le  Recueil 
que  possède  la  bibliothèque  du  Roi, 
est  intiiulc  :  Dras^malo^ia  sive Dra- 
viatologia  ,  id  est  Dudogus  Fene- 
ium  inter  et  Paduanum  de  elii;i- 
hdl  vitœ  genei'c  :  —  Cotiventio 
Poàagram  inter  et  Araneajn  (  i  )  : 

—  Liber  rerum  memor  and  arum  : 

—  lîistoria  Bagusii  :  —  Histo- 
ria  familiœ  Cairariensis  {  V.  Co- 
dic.  Mss.  Catalog.  iv  ,  -i^g  ,  n». 
64(54  )•  Cette  collection  diffère  de 
celle  qu'on  trouve  dans  la  biblioth. 
d'Oxford  :  Jiationariiim  vitce.  — 
De  consolatiove  in  obitum  fdii.  — 
yJjwlogia  Jomm.  Ravennatensis.  — 
De  intvidlu  ejiis  in  aidam.  —  De 

forlund  aulied.  —  Narratio  vio- 
latce  pudicilice.  —  Dialogus  cid 
titulus  :  Dolosi  astus  (  Voy.  Cat. 
Mss.  Angliœ  ,  ii ,  8  ,  n».  'igo  ).  Le 
cardinal  Querini  a  public,  d'après 
les  Mss,  du  Vatican  ,  les  Prologues 
de  deux  Nouvelles  de  Jean  de  Ra- 
vcnne  ;  et  ce  sont  les  seuls  frag- 
racuis  de  cet  écrivain  qui  aient  cte 
imprimes  ju,s([u'à  présent.  On  peut 
consnlicr  ,  pDur  de  plus  grands  dë- 

(i  )  > .'.  si  SI.,,  -lop.l..  I,  Mij, :L  .le  !..  l'^.Mc  :  A<x  OouUc 
il  l'/lrui-^tiir  ,  cil'  Laloiitiiiiip,   iir ,  H. 


RAV 

taik  ,  la  Storia  délia  letteratura  de 
Tiraboschi ,  v  ,  65^  -  6o  ,  et  \' Hist. 
littéraire  d^ Italie,  par  Ginguene', 
H  ,  4*2 1  ;  ni ,  27g.  W — s. 

RAVESTEYN(Jean  Van), pein- 
tre ,  naquit  à  la  Haye ,  vers  l'an 
i58o.  On  ignore  à  quel  maître  il 
doit  celte  belle  manière  qui  a  fait  sa 
réputation  ,  et  qui  surpasse  tout  ce 
que  les  autres  peintres  de  portrait 
avaient  offert  jusqu'à  lui ,  manière 
dans  laquelle  il  n'a  d'égaux  que  Van 
Dyck  et  quelques  autres  artistes  privi> 
le'giés.  Les  trois  tableaux  dont  il  a  dé- 
core' les  salles  du  jardin  de  l'Arque- 
buse à  la  Haye ,  et  qui  repre'sentent 
les  principaux  officiers  de  cette  con- 
fré]  ie ,  portent  la  date  de  1616  et  de 
i6i8.  Toutes  les  figures  en  sont  vi- 
vantes et  bien  groupe'es;  et  il  a  su 
éviter  avec  adresse  les  poses  qui  au- 
raient paru  gênées. C'est  à  lui  que  l'on 
doit  également  le  tableau  qui  orne 
l'hôtel-de-ville ,  et  qui  représente  les 
onze  magistrats  en  charge  durant 
l'année  i636.  Ces  grandes  composi- 
tions passent  pour  ses  chefs-d'œuvre. 
—  Sonhls  Arnauld  VanRAVESTEïK, 
né  a  la  Haye ,  eu  1 6 1 5 ,  fut  son  élève , 
et  se  distingua  également  comme 
peintre  de  portraits ,  quoique  avec 
moins  de  succès.  Héritier  d'une  for- 
tune considérable ,  il  se  contenta 
d'exercer  son  art  comme  un  amuse- 
ment ;  et  c'est  à  ce  motif  qu'il  faut 
attribuer  la  rareté  de  ses  ouvrages. 
Les  portraits  qu'il  a  peints  dans  la 
maison  du  prince  de  Hcsse  Philip- 
stadt,  entre  la  HayeetSchevclinguc, 
sufilraient  pour  faire  la  réputation 
d'un  artiste.  H  fut  nommé,  en  i6()i 
et  i(36'i ,  chef  ou  doyen  des  peintres 
de  la  Haye.  —  Nicolas  Van  Raves- 
TE\N,dela  mcnic famille, néà  Roni- 
mel,  en  it)6i  ,  se  distingua  dans  la 
même  carrière.  A  l'âge  de  qu;itre- 
viiigtsans,  il  (It  le  portrait  de  son 


RAV 

gendre  ,  de  sa  fille  et  de  ses  petits- 
enfants  ;  et  cet  ouvrage  ne  se  res- 
sent en  rien  de  la    vieillesse.   Ses 
portraits    sont,  pour  la   plupart  , 
historiés  ;   le  dessin  en  est  de  bci 
goût ,    le    pinceau    facile  ,  la  cou- 
leur fraîche  el  vigoureuse  :  ils  sont 
bien  poses ,   et  la  ressemblance  est 
un  de  leurs  rae'rites  ;  rien  n'y  est  fait 
de  pratique,  et  l'artiste  consultait  la 
nature  jusque  dans  les  moindres  ac- 
cessoires. On  connaît  de  lui  quelques 
tableaux  d'histoire  dignes  d'être  re- 
marqués. On  cite  entre  autres   les 
Quatre  parties  du  monde,  que  l'on 
regarde  comme  son  chef-d'œuvre  en 
ce  genre.  Il  amassa  une  grande  for- 
tune, et  mourut  le  <)  janvier  lySo, 
âge'  de  quatre-vingt-neuf  ans.      P-s. 
RAVISIUS-TEXTOR(Jean- 
TixiER  DE  Ravisi,  plus  counu  sous 
le  nom  de  ) ,  habile  humaniste ,  ne' 
vers  1480,  à  Saint-Saulge ,  dans  le 
Nivernais,  acheva  ses  e'tudes  à  Paris, 
sous  la  direction  de  Jean  Boluacus  , 
son  compatriote ,  recteur  du  collège 
de  Navarre  ,  et  obtint,  au  même  col- 
le'ge  ,  la  chaire  de  rhétorique  ,  qu'il 
remplit  avec  distinction.  11  perfec- 
tionna dans   cette  école  ,   alors    la 
plus  célèbre  de  Paris  ,  l'enseignement 
des  humanités  :  il  composa  plusieurs 
ouvrages  ,  destinés  à   faciliter  aux 
élèves  l'étude  de  la  langue  latine  et 
de  l'antiquité  ,  et  qui  furent  adoptés 
dans    la    plupart    des    collèges    de 
France, d'Allemagne  et  d'Italie.  Nom- 
mé, en  i5'io,  recteur  de  l'univer- 
sité ,   Ravisius  fut   enlevé  par  une 
mort  prématurée ,  le  -^3  décembre 
1 5if\  (  I  ).  Ses  ouvrages  ,  maintenant 
oubliés,  ont  été  réimprimés  un  grand 
nombre  de  foispisqu'à  la  fin  du  dix- 
septième  siècle.  Baillct  en  parle  avec 

(1)    liavisiiis    iiiouml  n  l'iiùpilal,   silon  I.a  Mnii- 

noye  (  Notes  sur  les. /»^./».  (/.s  <.aviiiiis ,  di.-Riilli.-t, 
)I,  alii  )  :  mais  t-el  i  n'i-'^  j)«  vriiiseml-ljl.li-. 


RAV  i53 

mépris  (  Jugem.  des  Savants ,  11 , 
iQi  )  ;  mais  Crevier,  juge  bien  plus 
compétent ,  dit  que  le  style  en  est  pur 
et  élégant  (  Histoire  de  l'université  , 
IV,  443  )•    Outre  des  éditions    du 
Z?/rtZog-«ed'tllricdeHutten  De  auld, 
Paris  ,  i5'29,  in-4''.  ;  et  des  Lettres 
d'Elisée  Calenzio  (  K.  ce  nom,  VI, 
5 1 4  ),  et  de  Phalaris ,  ibid. ,  Chau- 
dière, sans   date,  in  -  4°. ,  on  cite 
de  lui  :  I.  Spécimen  epithetorum  , 
Paris  ,  H.  Estienne  ,   i5i8,  in-4'^.  J 
ibid,,   P.   Vidove ,    1624,  in-fol.  , 
avec  une  Préface  dans  laquelle  Ravi- 
sius se  plaint  amèrement  de  la  négli- 
gence et  de  l'indocilité  des  impri- 
meurs, dont  il  ne  pouvait  obtenir  des 
corrections  ,  qu'en  leur  donnant  du 
vin  et  de  l'argent  (  F,  Chevillier , 
Origine  de  l'Imprimerie ,  pag.  1 5g , 
et  Maittaire,  ^nnaZ.  tjpograph. ,  11 , 
3^4  et  suiv.  )  Ravisius  mourut  pen- 
dant l'impression  ;  et  ce  fut  son  frère , 
Jacques  Ravisius ,  qui  rédigea  l'Épître 
dédicatoirc.  Cet  ouvrage  eut  un  grand 
succès  ;  il  a  été  réimprimé  plusieurs 
fois  à  Bâle,  à  Genève,  etc.;  et  l'on 
en  fit  un  Abrégé  pour  la  commodité 
des  élèves.  II.  Deprosodid  librijv. 
ÎII.  SjJiojvynia  poëtica  .  à  la  suite 
du  Recueil  d'épithètcs.  IV.  Officina 
vel pnliusnaturœhistnria,  in  qudco- 
piosè  disposiUim  est  per  locos  quic- 
quid  hahent  autores  in  divers! s  dis- 
ciplinis  plurimi ,  quod  et  ad  rerum, 
historiarum  et  verborum  cognitio- 
nem  ullo  modofacere  potest ,  Paris , 
i522(2):Bâ!e,  1 538,  in- 40.  ;  Lyon, 
i54i  ,  même  format  ;  nouvelle  édi- 
tion ,  corrigée ,  augmentée  et  mise 
dans  un  nouvel  ordre ,  par  Conrad 
Lycoslhèncs,  Baie,  i552,  in-4°.  ; 
et  revue  par  Jacques  Grasscr,  Bâle, 


pu  iliciluvrir  les  dates  dis  pr 
ouvrages  de   Ravisius;  il    iip  doit 


(.)0«,.-a 

les  rdilious  <  ^  _ 

l>lu.s  eu  uxisti  riri,'xeiu|iiaire3  ,  tons  ayant ctedi-truits 
l>i-oini)temeiil  par  les  ult-vcs  auxtjuuls  ils  vtaicut  (l«i- 
tiiiifs. 


i54 


RAV 


et  Genève,  1626,  iii-B'^.  C'est  un 
Recueil  où  Ravisiiis  a  prétendu  ran- 
ger, par  lieux-comrnnns  ,  tout  ce  que 
les  anciens  auteurs  ont  dit  de  plus 
rare  et  déplus  important;  mais  Vos- 
sius  lui  reproche  de  n'avoir  fait  que 
copier  les  Commentaires  de  Raphaël 
de  Volterre  (  Maffei  ).  Quoi  qu'il  en 
soit  ,  cette  compilation  n'eut  pas 
moins  de  succès  que  les  précédentes. 
Outre  les  différentes  éditions  qui  se 
succédèrent  dans  le  seizième  siècle  , 
on  eu  trouve  une  de  Lyon,  i6i3  ,  3 
A'^ol.  in-8°.  V.  Cornucopiœ  epitome  ; 
imprimé  à  la  suite  de  V  Officina  ,  et 
séparément,  Bâle,  i536.  Vï.  De 
memorahilibus  et  claris  mulierihus 
aliquot  diversorum  scriptorum  opé- 
ra ,  Paris  ,  Coliues  ,  1 52 1  ,  in-fol.  ; 
rare.  Ce  volume  contient  les  Traités 
de  Plutarque  et  de  Jacques  de  Ber- 
game  sur  les  femmes  illustres  ;  la  Vie 
de  Sainte-Catherine  de  Sienne ,  par 
Pins,  évèque  de  Rieux  (  F.  Pins  ); 
nne  compilation  sur  les  Femmes  cé- 
lèbres, dont  l'auteur  est  inconnu; 
des  extraits  de  Bapt.  Fregoso  {F.  ce 
nom  ,  XVI ,  5  ),  de  Raphaël  de  Vol- 
terre  (Maffei),  et  de  ï Of/icina  de 
Ravisius  ;  le  poème  de  Valerand  de 
Varanes  ou  Varauius  sur  la  Pucelle 
d'Orléans  ,  et  les  Vies  de  Sainte  Clo- 
tilde  et  de  Sainte  Geneviève,  patrone 
de  Paris,  Sallengre  adonné  l'analyse 
de  ce  Recueil  dans  les  Mémoires  de 
littérature  ,  i  ,  1O5-72.  VII.  Epis- 
toZ'C,  Paris  ,  i5'i'.i  ,  in-i6;  i5'.>.9, 
in-8".  On  en  connaît  cinq  autres  édi- 
tions du  seizième  siècle ,  et  quatre 
du  dix-septième.  Lapins  récente  est 
celle  de  Berlin  ,  1G8G  ,  in-iii.  Elles 
ont  été  traduites  en  français  par  Ant. 
Tyron ,  Anvers,  1570,  in-iG.  Ra- 
visinsavait  composé  ces  Lettres  pour 
ses  élèves;  et  toutes  renferment  quel- 
ques leçons  (le  morale,  ou  des  avis 
surlesmoyena  de  hâlcr  leurs  proi^rèô. 


RAW 

Vin.  Diahgi  aliquot  et  epigram- 
mata,  Paris,  i536,  in  -  8".  Ces 
dialogues  sont  en  vers  :  ils  ont  été 
réimprimes,  avec  les  epigrarames  et 
les  Lettres  de  Ravisius  ,  Rotterdam  , 
Leers,  i65i,  in-24,  jolie  édition.  Ou 
voit  que  Ravisius  n'était  point  un 
homme  aussi  méprisable  que  le  drt 
Baillet  ;  mais  il  faut  convenir  aussi 
que  Ghilini  l'a  beaucoup  trop  loué 
dans  le  Teatro  d'huomini  letlerati , 
tome  II ,  pag.  1 52-53  ;  tandis  que 
Boileau,  dans  un  Dialogue  dont  Bros- 
selte  nous  a  conservé  les  fragments 
(  tome  m  ,  pag.  io5  de  l'édition  de 
M.  Saint-Surin,  1821),  paraît  le 
prendre  pour  le  type  du  pédantisme 
scolastique.  W — s. 

RAVIUS.  F.  Rau. 

RAVLENGHIEN.  T.Rapheleng. 

RAWENDY  (  Ahmed  ) ,  sectaire 
du  deuxième  siècle  de  l'hégire  (  hui- 
tième de  J.-C.  ),  débita  une  nouvelle 
doctrine  sur  la  métempsycose.  Il  déi- 
fiait tous  les  hommes  ,  et  soutenait 
que  l'ame  d'Adam,  passant  de  corps 
en  corps,  se  trouvait  alors  dans  ce- 
lui de  Mansour ,  khalyfe  régnant ,  au- 
quel il  voulait  que  l'on  rendît  des  hon- 
neurs divins.  Quelque  absurde  que 
fut  cette  doctrine,  elle  ne  laissa  pas 
de  trouver  de  nombreux  partisans  , 
connus  sous  le  nom  de  Rawendyéh. 
De  sectaires  ils  devinrent  factieux , 
et  furent  combattus  par  le  même 
Mansour,  objet  de  leur  basse  flatte- 
rie. Rawcndy  n'en  était  pas  moins 
nn  savant  distinguéctunhabile  gram- 
mairien. Outre  plusieurs  ouvrages 
qu'il  composa  pour  soutenir  ses  ex- 
travagants principes  qui  attaquaient 
la  relif;lou  de  Mahomet,  il  a  écrit 
sur  la  langue  arabe,  dans  laquelle  il 
a  introduit  quelques  règles.  11  mou- 
rut <ii  2()3  deriu't;.(c)o5())  J-N- 
RAWLFX.llou'aiLEiGu  (Wal- 

TLB).   r.  UALliGU. 


RAW 

RAWLINSON  (Ricoard),  «avant 
antiquaire  anp,lais,  fit  ses  études  à 
l'uuiversité  d'Oxford,  dont  il  fut, 
par  la  suite,  un  des  bienfaiteurs.  11 
amassa  d'immenses  matériaux  pour 
la  description  de  différentes  provin- 
ces ,  ainsi  que  pour  la  continuation 
de  plusieurs  ouvrages  importants  , 
notamment    VAthenœ    Oxonienses 
et  y  Histoire  d' Oxford ,  par  Wood; 
et  il  facilita  la  publication  d'autres 
écrits  du  même  genre.  Lui  -  même 
donna  quelques  ouvrages ,  qui  lui  ou- 
vrirent en  1727  les  portes  de  la  so- 
cie'lé  royale  de  Londres  et  de  celle  des 
antiquaires.  Il  mourut  à  Isliugton , 
le  6  avril  1755.  On  a  de  lui  :  L  P^ie 
d'Antoine  I^Food ,  Londres,  171 1. 
II.  Le  Topographe  anglais,  1720, 
in-8<*. ,  qui  a  eu  du  succès  ,  et  dont 
le  plan  a  été  adopté,  mais  éteudu  et 
perfectionné,  dans  les  deux  éditions 
de    la     Topographie    anglaise    de 
Gough.  III.  Manière  d' étudier  V his- 
toire ,  trad.  de  Lenglet  Dufresnoy , 
1728,  in-8<*.  IV.  Lettres  d'Heldise 
et  d'Abailard,  en  latin.  C'est  moins 
à  ses  travaux  littéraires ,  quelle  qu'ait 
pu  être,  dans  le  temps  ,  leur  utilité, 
que  son  nom  doit  d'avoir  échappé  à 
l'oubli,  qu'à  sa  générosité  envers  l'é- 
cole célèbre  où  il  avait  été  élevé.  Il 
y  fonda  un  cours  de  langue  saxoune 
à  perpétuité,  et  il  fit  aux  collèges  de 
Saint-Jean  Baptiste  et  d'Héréford ,  des 
legs   considérables  ,  tant  en  terres 
qu'en  livres,  tableaux,  manuscrits, 
médailles,  sceaux,  chartes  et  autres 
objets  rares  et  curieux.  Une  forte 
teinte  de  bizarrerie  se  faisait  remar- 
quer dans  son  caractère;  et  c'était , 
en  quelque  sorte,  un  trait  de  famil- 
le. Les  anecdotes  suivantes  pourront 
donner  une  idée  de  ses  sentiments  po- 
litiques et  de  ses  aversions  nationales. 
Il  acheta  fort  cher  la  têtcd'nn  avocat 
exmitd   comme  ayant  pris  jwrt  à 


IIÂY  1 55 

une  conspiration  contre  George  If*'., 
et  recommanda  de  placer  cette  tête 
k  sa  droite ,  dans  son  propre  cer- 
cueil. Ayant  fait  une  donation  à  la 
société  des  antiquaires  ,  il  la  révo- 
qua lorsqu'il  apprit  que  cette  com- 
pagnie savante  venait  d'élire  nn 
Écossais  pour  son  secrétaire. —  Son 
frère  aîné, Thomas  Ra\vlinson,  était 
un  homme  instruit  et  un  fameux 
bibliomane.  Il  mourut,  en  1725, 
a  l'âge  de  quarante-quatre  ans,  lais- 
sant une  très -riche  collection  de 
livres  et  de  manuscrits.  Occupant  un 
vaste  appartement  à  Gray's-Inn  ,  il 
l'avait  tellement  encombré  de  ses  li- 
vres chéris,  que  sou  lit,  ne  pouvant 
plus  y  trouver  place,  était  relcgud 
dans  un  corridor.  C'est  lui,  dit-on  , 
qu'Addison  eut  en  vue,  lorsqu'il  fit, 
dans  le  n".  i58  du  T aller,  le  por- 
trait de  Tom  Folio  :  mais  on  peut 
penser  que  ce  tableau  a  été  fort  char- 
gé ,  pour  le  plus  grand  plaisir  du  lec- 
teur*. D'ailleurs  le  noble  caractère  de 
Rawlinsou  ,  et  la  protection  qu'il 
exerçait  envers  des  savants  estima- 
bles, semblaient  devoir  le  garantir 
de  la  flétrissure  du  ridicule.  —  Un 
autre  frère  des  précédents  ,  Chris- 
stopheRAWLiNSON,  mort  le  8  janv. 
1733,  très-versé  dans  la  langue 
saxonne  et  dans  la  littérature  du 
Nord  ,  a  donné  une  édition  de  la 
Traduction  de  la  Consolation  de 
Bo'éce ,  par  le  roi  Alfred  ,  1 698,  in- 
80.  L. 

RAY  (Jean)  ou  Jean  Wray  , 
en  latin  Raius  ,  théologien  anglais, 
l'un  des  plus  savants  et  des  plus  fé- 
conds naturalistes  du  dix -septième 
siècle  ,  naquit  à  Black-Notley  près 
de  Braintree,  dans  le  comté  d'Esscx, 
le  29  novembre  1628,  d'un  forge- 
ron. Envoyé  d'abord  à  l'école  de 
Braintree,  et  ensuite  à  celle  de  Sainte- 
Catherine  ,  et  au  collège  de  la  Tri- 


t56  "RAY 

nité  à  Cambridge ,  il  obtint  une  bour- 
se dans  ce  dernier  établissement,  en 
même  temps  que  le  célèbre  matlie'- 
maticienlsaac  Barrow  ,  le  maître  de 
Newton.  Ces  places  (  que  les  Anglais 
■nomment  felluwship  )  ne  se  quittent 
point  à  la  fin  des  e'tudes  :  on  les  con- 
serve aussi  long-temps  que  l'on  ne 
se  marie  point ,  ou  que  l'on  n'obtient 
pas  un  be'ne'ficc  qui  exige  résidence; 
et  l'on  peut ,  selon  ses  goûts  ,  s'y  oc- 
cuper de  l'enseignement  ou  de  tout 
autre  travail  litltéraire.  Ray,  se  li- 
vrant avec  une  ardeur  égale  aux 
sciences  et  aux  lettres ,  y  fit  de 
si  grands  progrès  ,  qu'on  le  choisit, 
à  vingt-trois  ans  ,  pour  enseigner  le 
grec  ;  et  que  ,  bientôt  après ,  il  fut 
chargé  des  mathématiques  et  des  hu- 
inanités  :  il  se  distinguait  en  même 
temps  par  des  sermons  et  d'autres 
discours  qu'il  prononçait  dans  la 
chapelle  du  collège  ,  et  dans  lesquels 
on  remarque  qu'il  avait  soin  d'é- 
viter la  bouffissure  et  l'emphase 
qui  déparaient  alors  en  Angleterre 
l'éloquence  de  la  chaire.  Cependant 
son  étude  favorite,  dès  ses  premières 
années ,  fut  celle  des  œuvres  de  la 
nature.  Tous  ses  moments  de  loisir 
étaient  employés  à  des  herborisa- 
tions. Il  se  fit  connaître,  en  1660  , 
oonimebutnnisle,  en  faisant  paraître, 
en  I  vol.  in-8'J. ,  le  Catalogue  des 
plantes  des  environs  de  Cambridge: 
c'était  déj.à  le  fruit  de  dix,  ans  de  re- 
chciches.  C'est  au  fond  un  ouvr.ige 
de  peu  d'importance  •  mais  il  est 
curieux  ,  parce  qu'il  fait  voir  le 
point  d'où  l'auteur  partit  pour  ou- 
vrir une  des  carrières  les  plus  lon- 
gues et  des  plus  utiles  qui  aient  été 
parcourues  cubotaniq\ic.i)ans  sa  pré- 
face, qi:i  mérite  d'êlie  lue,  comme 
tontes  relies  iju'il  a  écrites  ,  il  rend 
compte  des  obstacles  qu'il  rencon- 
tra ,  dont  le  piinripal  était  If  manque 


RAY 

de  guide  qu'il  pût  consulter  :  il  les 
surmonta  à  force  de  patience  et  de 
sagacité  ;  entre  autres,  il  sut  se  faire 
une  méthode  dont  il  ne  se  servit  que 
pour  reconnaître  les  plantes  qu'il 
rencontrait  ;  car  le  Catalogue  est  ran- 
gé par  ordre  alphabétique  :  mais  à 
la  fin  se  trouve  l'esquisse  de  celte 
méthode  ;  et  elle  diffère  peu  de  celle 
de  l'Histoire  de  Jean  Bauhin  :  cet 
ouvi'age  capital  venait  de  paraître, 
et  Ray  est  un  des  premiers  qui  le  cite. 
C'est  lui  aussi  qui  parla  le  premier 
des  travaux  importants  de  Jungius  , 
qui  n'étaient  encore  que  manuscrits. 
Il  trouve  souvent  le  moyen  de  sauver 
l'aridité  d'un  pareil  ouvrage ,  par  des 
Notes  curieuses  non -seulement  sur 
les  plantes  et  leur  anatouiie,  mais 
sur  les  autres  parties  de  l'histoire 
naturelle,  surtout  celle  des  insectes, 
et  l'on  voit  qu'il  les  avait  déjà  étu- 
diés ;  il  avait  reconnu  aussi  l'herma- 
phroditisrae  du  limaçon.  Il  donna, 
en  i663,  un  premier  Supplément  à 
ce  Catalogue  ,  et  un  second,  en 
iG85.  Ses  talents  comme  prédica- 
teur, et  l'érudition  qu'il  avait  acquise 
dans  les  langues  et  dans  la  théologie, 
devant  naturellement  lui  procurer 
de  l'avancement  dans  l'Église,  il  se 
fit  ordonner,  en  16O0,  aussitôt  après 
la  restauration  de  Charles  II  ;  mais 
lui  scrupule  de  conscience  vint  bien- 
tôt l'arrêter ,  et  prévalut  sur  ses  es- 
pérances :  il  ne  crut  pas  pouvoir 
adhérer  à  l'acte  d'uniformité  ,  rendu 
par  le  parlement,  en  iGG-i  ,  et  qui 
prescrivait  à  tons  les  ecclésiasti- 
ques de  souscrire  à  certaines  propo- 
sitions qui  avaient  pour  but  d'écar- 
ter les  presliytéricns.  Ce  n'est  pas 
que  Ray  le  fût  ;  au  contraire  ,  il  est 
toujours  lestc  attaché  à  l'Kglise  an- 
glicane, dans  la  communion  de  la- 
<pielle  il  est  moit  :  mais  cette  mesure 
lui  semblait  contraire  à  la  liberté  ro- 


RAY 

ligieusc ,  et  siu'iout  aux  promrsscs 
(|ui  avaient  ete  faites  de  maii)teiiir 
cette  liberté.  Il  résigna  donc  sa  place 
deCambridge  ;  ctilse  serait  peut-être 
trouve'  dans  nue  position  embarras- 
sante ,  s'il  n'eût  ete  soulcnii  par  un 
lie  ses  élevés  dont  le  nom  s'est  de- 
puis associe'   avec   le   sien.    C'c'fait 
François  Willougbby,  gentilhomme 
d'une  ancienne  maison  anglaise,  dont 
plusieurs  brandies  sont  décorées  de 
la    pairie,    et   liériîier   d'une   assez 
grande  fort \)iie.  Né  en  i635,  il  n'a- 
vait que  sei)t  ans  de  moins  que  son 
maître,  et  leur  goût  comraun  pour 
riiistuire    naturelle    les   avait    lies 
d'uiic  arailic  tendre.   Décidés  à   se 
consacrer  uuiijuoincntà  cette  science, 
ils  visitèrent  ensemble  ,  et  avec  deux 
autres  jeunes  gei'.s,  de  i663  à  1666, 
diverses  j^artics  cic  l'Angleterre ,  la 
France,  l'Aîleruagne  et  l'Italie  ;  ils 
recueillirent  d'i mineuses  matériaux 
j)0ur  les  ouvrages  dont  ils  avaient 
conçu  le  plan  :  Willoughby  s'.itta- 
cliait  particulièrement  aux  animaux, 
et   Ray  aux  végétaux.   Une   année 
après  leur  retour  (  en  1G67  )  ,  Ray 
fut  nommé  membre   de  la  société 
Royale.  Le  célèbre  Wilkins  ,  évêque 
de  Chester,  l'un  <]c>  fondateurs  de 
cette  grande  institution,  travaillait, 
à  celte  époque  ,  à  ce  langage  univer- 
sel et  philosophique  dont  il  a  donné 
le  plan  sous  le  litre  de  Caractère 
réel  (  P^.  WiMviNs).  Il  engagea  Ray  à 
s'occuper  d'une  distribution  métho- 
dique, pour  le  règne  végéta! ,  qui  pût 
concourir  à  compléter  son  projet. 
Mais  contrarié  par  le  cadre  él!  oit  que 
lui  avait  jirescrit  Wilkins  ,  il  voulut 
donner  un  plus  libre  cours  aux  idées 
qu'il  avait  déjà  recueillies  sur  la  clas- 
silication  des  plantes;  de  là  l'ouvrage 
qu'il  publia  sons  ce  titre:  Melhodus 
plantaruni  nova  ^  Londres,  1682, 
in  -  S**.  Comme  il  le  déclare  ,  ce  fut 


RAY 


157 


en   se  servant   des   travaux  de  ses 
prédécesseurs  tels  que  Césalpin  cl 
Jungius  ,  peu  connus  alors.  Il  dit 
aussi  qu'il  avait  profité,  dans  les  écrits 
de  Morison  ,  professeur  à  Oxford  , 
de  tout  ce  qui  convenait  à  son  sujet, 
A  Traidire,il  ne  faisait  autre  chose 
que  de  reproduire  la  méthode  per- 
fectionnée de  ce  dernier,  partant, 
comme  lui,  de  l'ordre  dichotomique, 
qu'il   n'abandonna  jamais.  Comme 
lui  aussi  ,  il  divise  les  plantes  en 
ligneuses  et  en  herbacées  :  il  com- 
mence par  les  ligneuses  ,  et  déjà  l'on 
trouve  ici  une  amélioration  ,  parce 
qu'il  ne  soudivise  cell^-sci  qu'en  deux 
parties,  les  arbres  et  les  arbrisseaux, 
au  lieu  des  trois  que  Morison  avait 
prises  de  Théophraste  :  encore  dit-il 
que  c'était  pour  ne  pas  trop  s'écarter 
de  l'usage  général  ;  que  sans  cela  il 
les  eût  réduites  à  une  seule  :  c'est  ce 
qu'il  fit  par  la  suite  ;  mais  il  s'arrêta 
là ,  et  s'y  maintint  fortement ,  parce 
qu'il  crut  avoir  trouvé  dans  la  nature 
le  moj'cn  de  distinguer  nettement  les 
arbres  des  hei'bes  :   c'était  dans  ht 
présence  du  bourgeon  ,  qu'il  n'accor- 
dait qu'aux  arbres  ;  et  il  annonça  le 
premier  que  ces  bourgeons  étaient 
de  nouvelles  plantes  annuelles  qui 
recouvraient  les  anciennes  ;  mais  il 
resta  à  h  moitié  de  sa  découverte  , 
ne  voulant  pas  l'étendre  aux  herbes. 
Ainsi,  cette  belle  observation  ne  ser- 
vit qu'à  suspendre  l'effort  que  venait 
de  faire  Rivjnus  pour  débarrasse)-  la 
botanique  d'une  entrave  qui  persista 
encore  un  demi-siècle,  jusqu'à  Linnéj 
et  ce  fut  un  des  principaux  points 
que    ces   deux    savants  discutèrent 
ensemble.  Nous   en  parlerons  plus 
bas  ;  mais   un    avantage   réel  pour 
la  botanique  ,  résulta  de  ce  travail, 
des  familles   naturelles   mieux  cir- 
conscrites, la  distinction  plus  précise 
des  fleurs  complètes  et  incomplètes; 


i58 


RAY 


enfin  la  grande  division  des  mono- 
cotylédoncs  et  des  dicotyle'doncs  bien 
établie.  Il  caractérisa  plusieurs 
classes  avec  uue  grande  précision, 
et  introduisit  divers  termes  tech- 
niques ,  très-utiles  pour  la  clarté 
du  langage  ;  enfin  il  établit  plu- 
sieurs principes  et  lois  générales  sur 
les  méthodes,  qui  ont  été  généra- 
lement adoptés  depuis.  Il  donna,  en 
i^oS,  uue  nouvelle  édition  de  ce 
Methodus,  avec  des  additions  im- 
portantes. Pendant  qu'il  méditait  ain- 
si sur  les  méthodes  en  général,  Ray 
n'avait  pas  négligé  l'étude  particu- 
lière des  espèces.  Il  s^était  surtout 
occupé  de  celles  de  sa  patrie.  Son 
Catalogue  des  plantes  de  l'Angleter- 
re, publié  d'abord  en  1677,  d'après 
l'ordre  alphabétique ,  a  été  la  base 
des  Flores  de  cette  contrée.  L'édition 
de  1690,  intitulée,  Sj'iiopii s ,])asse 
surtout  pour  un  ouvrage  excellent. 
Elle  est  disposée  d'après  sa  métho- 
de; les  synonymes  des  autres  bota- 
nistes y  sont  rapportés  à  leurs  espè- 
ces, avec  une  rare  sagacité.  Enfin 
elle  est  enrichie  d'un  grand  nombre 
de  plantes  que  l'auteur  devait  à  plu- 
sieurs botanistes  de  ses  amis  ,  tels 
(]uc  Dale,  Sloane,  Petiver  ,  etc.  Il 
en  donna  une  troisième  édition,  en- 
core fort  augmentée,  en  169G.  Dille- 
nius  fut  l'éditeur  d'une  quatrième, 
infiniment  plus  complète,  en  17^4; 
ctHilU'a  arrangée, en  17(30,  confor- 
mément au  système  de  Linné.  Après 
avoir  fait  connaître  les  plantes  de 
son  pays  ,  Ray  entreprit  de  les  com- 
parer avec  celles  des  autres  contrées 
de  l'Europe;  ce  qu'il  exécuta  en  re- 
cueillant ,  dans  un  Catalogue  ,  les 
espèces  qu'ilavaitrccucillics  dans  son 
voyage ,  et  qui  ne  se  trouvaient  pas 
en  Anglctei  re.  Cet  ouvrage  parut  en 
i(>73  :  il  s'aperçut  (pi'il  pourrait  de- 
venir d'ini  iuléiH^t  plii<»  géïK-ral  dans 


RAY 

ces  diverses  contrées ,  s'il  réunissait 
toutes  celles  qui  avaient  été  obser- 
vées ;  en  sorte  que  ce  fut  un  nouvel 
ouvrage  qu'il  fit  paraître  en  1694, 
sous  ce  titre  :  Stirpium  Europœarum 
extra  Britannias  crescenlium  syl^ 
loge.  Il  les  réunit  d'abord  tontes 
dans  un  premier  catalogue  par  ordre 
alphabétique;  ensuite  il  reproduisit, 
dans  des  catalogues  particuliers , 
toutes  celles  qui  appartiennent  à  des 
cantons  déterminés  ,  d'après  les  au- 
teurs qui  les  avaient  observées.  Delà  il 
résulte  une  esquisse  très-curieuse  de 
la  géographie  botanique  de  l'Europe  : 
une  synonymie  exacte,  des  notes  sou- 
vent curieuses  ,  quoique  courtes  ,  dis- 
tinguent ce  livre  des  simples  catalo- 
gues. La  préface  en  est  très-remar- 
quable. D'abord  c'est  là  que  Ray  re- 
connaît pleinement  le  sexe  des  plan- 
tes ,  eu  répondant  à  une  objection 
qu'on  avait  déjà  présentée  ,  savoir  : 
que  l'on  voit  des  plantes  bien  déci- 
dément femelles  ,•  produire  des  grai- 
nes quoique  séparées  totalement 
d'individus  mâles.  11  répond  à  cela 
par  l'exemple  des  poules  ,  qui  pon- 
dent, quoique  séparées  des  coqs.  Il 
faut  remarquer  ici  que  Ray  ,  natu- 
rellement très  -  prudent ,  se  mettait 
bien  au  courant  de  toutes  les  décou- 
vertes que  l'on  annonçait  dans  la 
science  qu'il  cultivait  de  prédilec- 
tion ;  mais  il  n'en  faisait  usage  qu'a- 
vec précaution.  Ainsi ,  dans  le  pre- 
mier volume  de  son  Histoire  des 
plantes,  en  lôSf),  partant  du  pas- 
sage où  Grcw  découvrait  réellement 
le  sexe  des  plantes  ,  en  disant  (|ue  l'é- 
tamiue  ,  ou  ,  comme  il  la  nommait, 
Vy/llireJUi\l  la  partie  niàle,il  se  con- 
tentait de  dire  que  cela  lui  parais- 
sait pr  oh  ahle  :  ce  ii^est  donc  quepro- 
grosivemcnt  qu'il  parut  convaincu 
de  cette  importante  vérité,  et  qu'il 
c.n  devint  le  pixjmotcur.  C'est  là  aussi 


RAY 

qu'il  cuira  en  discussion  avec  Rivi- 
nus.  11  commciîça  l'attaque  par  vou- 
loir prouver  que  cet  auteur  n'était 
pas  foudc  à  confondre  les  plantes  li- 
gueuses avec  les  herbacées  ,  attendu 
que  les  preni  ières  élaient gemmi p arœ ; 
ensuite  il  lui  reproche  de  séparer 
des  plantes  qui  ont  des  affinités  évi- 
dentes ,  seulement  parce  qu'elles  va- 
rient dans  le  nombre  des  pétales  ; 
comme  la  tormentille,  qui  a  quatre 
pétales ,  de  la  quintefeuille,  qui  en  a 
cinq.  H  fait  la  même  observation  au 
sujet  des  fruits,  qui  servent,  dans  la 
méthodedeRiviuus,  à  distinguer,  par 
le  nombre  de  leurs  loges,  lesdivisions 
secondaires  ;  mais  c'est  avec  les 
plus  grands  égards  pour  son  adver- 
saire qu'il  expose  son  opinion  : 
Pdvini  eqiddem  opus  vehemenler 
lauclo  ,  dit-il.  Celui-ci  répondit  sur 
le  même  ton  ,  dans  la  lettre  qu'il  lui 
adressa  à  ce  sujet  j  il  lui  dit  d'abord 
qu'il  le  reconnaît  pour  le  plus  habile 
botaniste  qui  ait  encore  existé  :  Et 
hotanicorum  quotquot  Juerunt  fa- 
cile principem  iioi>eram.  Il  se  défend 
d'abord  sur  la  réunion  de  ces  deux 
classes  ,  et  il  prend  souvent  des  ar- 
guments dans  les  propres  paroles  de 
Ray.  Quant  à  la  séparation  des  plan- 
tes ,  fondée  seulement  sur  le  nombre 
de  leurs  pétales  ,  ou  des  loges,  de 
leur  fruit ,  il  répond  ,  comme  a  fait 
depuis  Linné,  dont  il  a  été  le  pré- 
curseur, que  son  but  n'est  que  de 
donner  les  moyens  de  connaître  fa- 
cilement les  plantes.  Rivinus  avait 
fait  imprimer  celte  lettre  à  Leipzig, 
eu  1694.  Ray  fit  paraître  sa  Répli- 
que sous  ce  titre  :  Joannis  Raii  rcs- 
ponsoria  ,  en  likjG.  Elle  est  toujours 
sur  le  même  ton  d'égards  :  on  y 
trouve  un  grand  nombre  d'observa- 
tions curieuses  ;  niais  s'il  a  quelque- 
fois raison  dans  les  détails  ,  malgré 
la  subtilité  de  ses  raisonnements  ,  il 


RAY 


iSg 


ne  peut  détruire  la  solidité  des  prin- 
cipes de  son  adversaire.  Par  post- 
scriptum ,  il  parle  des  Éléments  de 
botanique  de  Tourncfort ,  qui  ve- 
naient de  paraître,  et  c'est  pour  s'y 
défendre  :  car,  comme  il  le  dit,  par- 
courant d'abord  négligemment  les 
pages ,  «  je  m'y  suis  souvent  vu  ci- 
»  ter;  et  toujours  pour  me  blâmer  :  » 
cela  surtout  parce  qu'il  avait  ajouté 
au  caraclcredes  genres,  des  particula- 
rités qui  n'étaient  pas  nécessaires  (  i  ). 
Ray  se  défendit  d'abord  sur  ce  que 
ces  particularités  pouvaient  servir 
à  faire  reconnaître  la  plante;  eu- 
suite  il  usa  de  récrimination  en 
faisant  voir  que  Tonrnefort  en  avait 
agi  de  même  souvent  pour  les  gen- 
res de  second  ordre.  Tourncfort 
lit  à  cela  la  meilleure  réponse;  ce  fut 
en  faisant  disparaître,  dans  ses  Insti- 
tutiones  ces  aggressions  dont  la  répé- 
tition était  désagréable  à  celui  qu'el- 
les regardaient,  et  fastidieuse  pour 
le  lecteur  ,  et  en  professant ,  dans 
toutes  les  occasions ,  la  plus  haute 
estime  pour  Ray.  Celui-ci  réunit  tou- 
tes ces  discussions  dans  sa  Disserta- 
tionoi'a  de  variis planlarummelho- 
dis{  1G96).  La  il  attaque,  avec  plus 
de  suite,  la  méthode  de  Tonrnefort.  Il 
se  répondit  à  lui  même  sans  le  vou- 
loir ,  lorsqu'il  fit  paraître  le  Metho- 
diis  jilantaruin  emendata  et  aucta  , 
1703  ;  car,  au  lieu  d'y  voir  simple- 
ment sa  première  métJiode  corrigée, 
c'en  était  une  nouvelle,  puisque,  sui- 
vant l'expression  de  Linné ,  è  Fntc- 
tistd  Coiollista  evasit ,  c'est-à-dire 

(i)  Le  l'ait  t-t  ijup  Tourncfort,  ayant  chcrcho  i'i 
ilcinoiiticr  t[ue  le  caractirc  îles  geures  devait  être 
tiré  des  parties  seules  de  la  fructification,  a])rès  avoir 
expose  le  caiaclfre  qu'il  adopte,  ue  manque  lias  de 
dire  ;  toutes  ]ea  Ibis  <|ue  l'occasion  s'en  preseule  : 
Aiii.i  M.  Rnya  lorl  tl'ajontcr  telle  pnticuliirilé. 
Par  exemple  ,  à  l'article  Mandragore,  il  dit  »  <pi'il 
»  u  isl  pas  essentiel  a  ce  genre  de  ce  que  ses  fl<>urs 
o  sortent  de  la  racine  sans  tige  ,  et  d'avoir  nue  grosse 
»  racine,  ainsi  que  M.  Ray  le  vent;  car  on  pourrait 
>'  eu  trouver  une  <«|)Coe  Jl  tige  i  Icvou  c*  A  raeino 
•<  mince.  ■> 


i6o  RàY 

qu'à  l'exemple  de  Tournefort  cl  de 
Rivinus  ,  il  prit  pour  première  base 
la  corolle  ,  eu  considërant  avec  l'mi 
sa  figure,  cl  le  tiombre  de  ses  parties 
avec  l'aulre  :  de  plus  il  corrigea  le 
caractère  de  ses  genres;  et  maigre' 
ces  cLangements,  il  est  certain  qu'il 
conserva  moins  de  familles  naturelles 
que  Tournei'ort.  Au  surplus,  ces  il- 
lustres rivaux  sortirent  de  cette  lutte 
avec  honneur,  parce  qu'ils  se  respec- 
tèrent rautuclleioent  ,  et  que  l'on  put 
pro(iter  des  lumières  qu'ils  re'pandi 
reut  sans  être  obligé  de  moins  esti- 
mer l'im  que  l'autre.  Ray ,  en  pu- 
bliant,  en  1673,  les  observations 
de  tout  genre  faites  pendant  son 
grand  voyage  ,  y  avait  joint  des 
Catalogues  des  espèces  qu'il  avait 
observées ,  ou  qui  lui  avaient  ète 
communiquées,  La  même  année  , 
il  eu  insera  trois  de  plantes  du  Le- 
vant ,  dans  la  Collection  des  voyages 
de  Rauwolf  et  de  quelques  autres 
naturalistes,  reproduite  sous  ce  ti- 
tre :  Collection  of  curions  Travels, 
and  vojages  ,  Londres  ,  1 7u5  ,  in- 
8».  Mais  son  principal  ouvrage  sur 
le  règne  végétal  est  son  Histoire  gé- 
nérale  des  plantes,  ea  3  vol.  iu-fol., 
le  premier  de  1686,  le  second  de 
1688,  et  dont  le  troisième  ,  qui  est 
le  Supplément,  n'a  paru  qu'en  1 704. 
11  y  recueillit  avec  ordre  et  y  dé- 
crivit avec  métliode  et  clarté  toutes 
les  plantes  que  ses  prédécesseurs 
avaient  fait  connaître,  en  y  ajoutant 
celles  qui  avaient  été  découvertes  de 
sou  temps  (2).  Haller  ,Sprengcl,  et 
tous  ceux  qui  ont  parlé  de  cet  ouvra- 
ge ,s'accordentà  le  regarder  comme 

(ï)  Suiviiiit  Adaiisoii,  dans  cet  ouvrai;eiiiiiiicnae  il 
•otiouvc  rilé  iHlra;'>  plautts  diviiocs  eu  triutc-lrois 
rlassca  ,  dont  six  ?i  peu  jn is  ,  (ou  le  ciuquii-inc)  sout 
natiirrlU'K;  et  crnl  \iii|;t-ciiiq  .sccliou^,  demi  qua- 
raolc-lroift  ,  (ou  !<•  lirrs)  est  iiaUircI;  Vidée  en  était 
I ri's-buuiie {  <lIo  cul  uiivux  ii'uiu>i,  si  l'aulcur  tut 
<'lc  au!uH  (!iHiid  liiitniii»le  ,  qu'il  étj>i(  savant  cm'vaiu 
il  imiicicux  i-iirupil  lU'ur.  D— P— S. 


RAY 

le  produit  d'un  travail  immense  ,  où 
règne  beaucoup  d'érudition,  de  cri- 
tique et  de  sagacité,  bien  que,  se 
composant,  pour  la  plus  grande  par- 
tie, de  faits  empruntés  à  d'autres  au- 
teurs, il  ne  puisse  être  considéré 
comme  l'une  des  sources  originales 
de  la  science.  Ray  avait  aussi  étudié 
la  physiologie  végétale  :  ou  a  de 
lui,  dans  les  Transactions  philoso- 
phif^iies ,  u°.  68,  un  Mémoii'e  inté- 
ressant sur  l'ascension  de  la  sève 
dans  les  arbres;  et  il  a  rapporte', 
en  différents  endroits  de  ses  livres  , 
des  observations  curieuses  sur  cette 
partie  des  sciences  physiques.  Mais 
dans  le  premier  livre  de  son  Histoire 
des  plantes  ,  sous  ce  simple  titre  : 
De  Planiis  in  génère  ,  Ray  a  eu  le 
rare  talent  de  les  rassembler  eu  uu 
corps  d'ouvicige  :  là  se  trouvent  les 
principales  découvertes  sur  la  na- 
ture des  plantes  ,  faites  par  Cesalpin^ 
Colonna  ,  Grew  ,  Malpighi  et  Jun- 
gins  ,  auxquelles  il  a  joint  les  siennes 
propres;  en  sorte  qu'il  en  a  composé 
ie  Traité  le  plus  complet  qu'on  ait 
encore  sur  l'ensemble  de  la  végéta- 
tion. Il  faut  noter  que,  quoique  ce 
travail  n'ait  pas  été  souvent  cité , 
c'est  par  lui  que  les  doctrines  de  ces 
auteurs  se  sont  répandues  ,  et  sont 
devenues ,  pour  ainsi  dire ,  popu- 
laires dans  la  science  :  aussi  nous 
croyons  que  le  plus  beau  monument 
qu'on  pourrait  élever  à  la  gloire  de 
Ray,  serait  d'isoler  ce  livre  en  le 
réimprimaui  à  part.  Ces  nombreux 
travaux  ont  fait  époque  en  bota- 
nique, et  ont  placé  leur  auteur  dans 
les  premiers  rangs  de  ceux  qui  ont 
contribué  aux  progrès  de  l'histoi- 
re naturelle  des  végétaux  :  néan- 
moins les  ouvrages  postérieurs,  et 
surtout  ceux  (le  Linné,  par  leur  ter- 
minologie pliis  précise,  et  par  leur 
nomenclature  plus  commode,  en  ont 


RAY 

faitabandonncr  l'usage  :  et  ils  xiescnt 
plus  p;uère  parcourus  aujourd'hui 
que  de  ceux  qui  se  livrent  spéciale- 
ment à  l'histoire  de  la  science.  Les 
ouvrages  qu'il  a  composc's  ou  pu- 
blies sur  la  zoologie ,  ont  été  en- 
core plus  importants  et  beaucoup 
plus  heureux  ;  car  ils  conservent 
une  utilité  plus  entière.  On  peut 
dire  qu'ils  sont  le  fondement  de  tou- 
te la  zoologie  moderne;  et  il  est  à 
chaque  instant  nécessaire  aux  natu- 
ralistes de  les  consulter  pour  écîair- 
cir  les  difficultés  que  l'on  rencontre 
dans  ceux  de  Linné  et  de  ses  copistes. 
Ray  ne  fut  cependant  conduit  à  s'oc« 
cuper  de  zoologie  que  par  un  senti- 
ment de  reconnaissance  envers  son 
ami  Willoughby.  Celui-ci  était  mort 
en  1672,  à  trente-sept  ans,  con- 
fiant à-la-fois  à  Ilay  l'éducation  de 
deux  enfants  qu'il  laissait  en  bas  âge, 
et  le  soin  de  disposer  en  corps  d'ou- 
yrage  les  matériaux  qu'il  avait  ras- 
semblés sur  les  animaux  ,  pour  les 
travaux  que,  dès  leur  première  con-« 
naissance  ,  ils  avaient  projetés  en 
commun.  Ray,  s'étant  consacré  avec 
ardeur  à  ce  double  devoir,  composa 
son  Nomenclator classicus ,-çowv  ses 
élèves  ,  dont  l'aîné  mourut  jeune  ,  et 
dont  le  second  devint  dans  la  sui- 
te pair  de  la  Grande  -  Bretagne  , 
sous  le  titre  de  lord  Mid dicton.  Il 
mit  autant  de  zèle  que  de  fidélité 
dans  la  rédaction  et  la  publication 
des  deux  grands  ouvrages  que  Wil- 
loughby avait  entrepris.  Ray  aurait 
pu,  sans  injustice,  les  regarder  ,  en 
grande  partie ,  comme  Ici;  siens  , 
puisqu'ils  avaient  été  primitivement 
conçus  dans  le  même  but  que  son 
Histoire  des  plantes  ,  et  qu'il  les 
arrangea  d'une  manière  à-[)cu-près 
semblable  :  il  n'est  même  pas  dif- 
ficile de  voir  qu'ils  sont  de  la  mê- 
me main  et    écrits  du   même  sty- 


RAY 


161 


le  :  mais  Willoughby ,  lors  de  la  ré- 
partition du  txavail ,  s'était  charge 
de  la  partie  des  animaux;  il  les  avait 
recueillis  et  décrits  pendant  leurs 
voyages.  Bien  que  ces  matériaux 
fussent  encore  en  désordre  et  in- 
complets quand  Ray  en  devint  dé-* 
positaire  ,  il  regarda  comme  une  ob- 
ligation étroite  d'en  élever  un  rao- 
nument  à  la  mémoire  de  son  amj, 
et  de  les  mettre  entièrement  sous 
son  nom.  Le  premier,  ou  V  Ornitho- 
logie, parut  en  1676  ,  i  vol.  in- 
fol.  Le  second  ,  qui  avait  exigé 
encore  plus  de  travail  ,  et  qui  est 
plus  complet  dans  son  genre ,  l'His- 
toire des  poissons  ,  en  1 686  ,  en 
'1  volumes  également  in-folio.  Ou- 
tre toutes  les  espèces  de  Belon  , 
de  Rondelet ,  de  Gesner  ,  d'Al- 
di'ovanue  ,  d'Olina  ,  de  Margrave, 
on  en  trouve  ,  dans  ces  deux  his- 
toires,  un  grand  nombre  que  Wil- 
loughby et  Ray  avaient  observées 
en  Allemagne  et  en  Italie.  Les  pois- 
sons de  la  Méditerranée  sur'out  y 
sont  décrits  avec  une  précision  ra- 
re ;  et  il  est  souvent  plus  facile  de 
les  retrouver  dans  Willoughby  que 
dans  Linné.  A  ces  deux  ouvrages 
sont  jointes  beaucoup  de  figures  , 
dont  ,  à  la  vérité  ,  le  plus  grand 
nombre  ne  sont  que  des  copies  , 
mais  parmi  lesquelles  il  yen  a  plu- 
sieurs d'ori"inalcs  et  de  très-bonnes. 
Celles  même  qui  ne  sont  qu  emprun- 
tées de  Belon  et  de  Rondelet ,  pren- 
nent de  l'intérêt  à  cause  des  descrip- 
tions (jui  les  accompagnent,  et  qui 
sont  bien  supérieures  à  celles  de 
ces  deux  auteurs.  On  a  de  Ray , 
sous  son  propre  nom,  des  ouvra- 
ges de  zoologie  moins  étendus ,  mais 
dont  l'influence  n'a  pas  été  moins 
grande  sur  les  progrès  ultérieairs 
de  la  science:  i''.  Sjnopsis  vie- 
thodica  unimalium  qnadriipeihmi 
1 1 


lG2 


RAY 


et  serpent ini  generis,  in-8*'.,  Lon- 
dres, 1693,  où  il  rassemble,  sous  le 
litre  commun  de  quadrupèdes,  les 
mammifères  et  les  quadrupèdes  ovi- 
pares.—  ■î'^.  Synopsis  methodica 
avium;  et  S''.  Synopsis  methodica 
piscimn,  1718  :  ces  deux,  derniers 
sont  posthumes^  et  furent  publies 
par  les  soins  do  Derliam ,  qui  s'ac- 
quitta envers  l'auteur  du  même  de- 
voir que  Ray  avait  si  bien  rempli 
envers  Willoughby  ;  ils  ofiVeiit  dt^s 
abrèges  de  cette  ornithologie  et  de 
cette  iclityologie  ,  qui  avaient  paru 
sous  le  nom  de  Willoughby ,  avec 
des  additions  importantes  dues  prin- 
cipalement aux  collections  formées 
à  la  Jamaïque,  par  Sloane,  et  que  ce 
savant  médecin  avait  mises  à  la  dis- 
position de  Ray.  Les  cétacés  y  sont 
encore  rangés  parmi  les  poissons , 
et  décrits  d'après  la  Fhalœno gra- 
phie de  Sib])ald  ,  qui  venait  de  pa- 
raître; mais  il  écrivait  expressément 
à  Rivinus  que  ce  n'était  que  pour  se 
conformer  à  l'usage.  —  4"-  Hisluiia 
insectonim ,  1  ■j  1 0 ,  ia-4°. ,  aussi  pos- 
thume ,  imprimée  aux  frais  de  la  So- 
ciété Royale,  et  sous  l'inspection  de 
Derham.  Martin  Lister  y  joignit  uu 
traité  sur  les  araignées  et  sur  les  sca- 
rabés  de  l'Angleterre.  Ce  livre  est 
icmarquable  par  les  innombrables 
descriptions  d'insectes  (]u'il  contient, 
et  dont  une  grande  pariie  était  due 
aussi  aux  travaux  de  Willoughby. 
li'auteur  y  rejette  L  génération  s[U)n- 
tanée.  Le  caractère  particulier  des 
travaux  de  Ray  consiste  dans  des 
mélhodcs  plus  claires,  plus  rigou- 
reuses que  celles  d'aucun  de  ses 
prédécesseurs  ,  et  appliquées  avec 
plus  de  constance  et  de  précision. 
Les  distributions  qu'il  a  introduites 
dans  les  classes  des  quadrupèdes 
et  des  oiseaux ,  ont  été  suivies  par 
les  naturalistes  anglais^  jucsquc  jus- 


RAY 

qu'à  nos  jours;  et  l'on  trouve  des 
traces  sensibles  de  celle  des  oiseaux 
dans  Linné  ,  dans  Brisson  ,  dans 
Buffon,  et  dans  tous  les  auteurs  qiû 
se  sont  occupés  de  cette  classe  d'ani- 
maux. L'Ornithologie  de  Salerne 
n'est  guère  (ju'uue  traduction  du  Sy- 
nopsis; et  Bull'on  a  extrait  de  Wil- 
loughby presque  toute  la  partie  ana- 
tomique  de  son  histoire  des  oiseaux. 
C'est  aussi  en  grande  partie  en  tra- 
duisant ses  articles  sur  les  poissons, 
que  Daubcnton  et  Hauy  ont  compo- 
sé le  Dictionnaire  d'Iclityologie  de 
l'Encyclopédie  méthodique.  Ces  tra- 
vaux sur  presque  toutes  les  bran- 
ches de  l'Histoire  naturelle  ,  dont 
l'immensité  est  faite  pour  eirrayer 
l'imagination ,  ne  détournèrent  point 
Ray  de  ses  premières  études  en 
théologie  :  il  sut  les  combiner  avec 
celle  de  la  nature,  dans  son  traité 
Pe  la  sagesse  de  Dieu ,  manifestée 
dans  les  œuvres  de  la  création  ; 
ouvrage  dont  il  avait  jeté  les  pre- 
mières bases  dans  sa  jeunesse,  lors 
de  ses  leçons  à  Cambridge,  et  qu'il 
publia  depuis,  avec  beaucoup  de  dé- 
veloppement, eu  1G91 ,  un  vol.  in- 
8".  C'est  un  exposé  des  admirables 
précautions  avec  lesquelles  la  Provi- 
dence a  disposé  chaque  être  ])Ourles 
fonctions  qu'd  floit  remplir  dans  le 
grand  ensemble  de  l'univeis,  et  a 
veillé,  dans  le  degré  convenable  ,  à 
tout  ce  qui  est  nécessaire  à  sa  con- 
servation. L'auteur  y  représente  l'é- 
tude de  la  nature  comme  un  devoir 
pour  les  hommes  pieux  ,  et  cherche 
à  rendre  vraisemblable  qu'elle  fera 
partie  des  occupations  d'une  autre 
vie.  Ce  fut  aussi  sur  les  leçons  et  les 
sermons  qu'il  avait  autrefois  pronon- 
cés à  Cambridge,  qu'il  rédigea  et  pu- 
blia ,  en  iCq»  ,  Trois  discours  phy- 
sicothéulogitpics  ,  sur  le  chaos  ,  le 
déluge,  et  la  dissolution  du  monde  j 


RAY 

lesquels  présentent  un  sysième  de 
géologie  aussi  plausible  qu'aucun  de 
ceux  qui  ont  paru  à  cette  époque  et 
long- temps  après  Ces  deux  ouvra- 
ges ont  joui  pendant  long-temps  de 
beaucoup  d'estime  en  Angleterre;  les 
e'Hilions  en  sont  nombreuses.  Le  pre- 
mier a  même  été  traduit  dans  plu- 
sieurs langues.  On  l'a  imprimé  en 
français ,  en  1714^  U treclit ,  in-8".  ; 
et  la  douzième  édition  de  l'original 
anglais  parut  à  Londres  en  1759. 
On  a  encore  de  Ray  ,  un  Recueil 
de  proverbes  anglais ,  l'un  de  ses 
premiers  ouvrages  ,  et  de  tous  le 
plus  populaire  dans  son  pays  :  com- 
posé dès  1669,  ^^""^  parut  cependant 
qu'en  1672  et  1673. 11  donna  un  Re- 
cueil des  mots  anglais  peu  usités  ,  ou 
que  l'on  n'emploie  qu'eu  certains 
cantons.  Ses  ouvrages  d'iiistoire  na- 
turelle sont  tous  purement  écrits  en 
latin;  il  a  moins  employé  que  ses 
successeurs  cette  multitude  de  ter- 
mes nouveaux  dont  un  si  grand 
nombre  ne  sert  qu'à  fatiguer  la  mé- 
moire. Wilkins  l'avait  prié  de  tra- 
duire en  latin  son  Caractère  réel; 
et  l'on  assure  que  le  manuscrit  de 
cette  traduction  existe  encore  dans 
les  papiers  de  la  Société  Royale.  Bien 
que  d'une  constitution  faible,  Ray 
parvint  à  l'âge  de  soixante- dix-sept 
ans;  mais  ses  dernières  années  furent 
très-pcuibles.  Il  fut  attaqué  d'ulcères 
douloureux  qui  le  privèrent  de  Tusa- 
gede  ses  jambes.  1!  mourut  le  17  jan- 
vier 1705  ,  à  Black-Notley  ,  son  lieu 
natal ,  où  il  s'était  retiré  depuis  nojn- 
bre  d'années.  Il  s'était  marié,  en 
JO73  (  à  45  ans  ),  à  une  personne 
qui  n'en  avait  que  vingt;  il  en  eut 
quatre  filles,  dont  trois  lui  ont  sur- 
vécu. Ses  manières  étaient  douces  et 
ailabies;  et  il  se  montra  toujours, 
dans  sa  vie  connue  dans  ses  ouvra- 
ges ,  pieux  et;  nlein  de  cliarilé.  L'é- 


RAY 


163 


vêcpieComptonlui  fit  ériger,  dans  le 
cimetière  de  Black-Notley,  un  moniK 
mcnt  qui  a  été  depuis  transporté 
dans  l'église  ,  et  sur  lequel  on  lit  une 
longue  et  élégante  épitaphe  latine  de 
la  composition  de  Guillaume  Coyte. 
Quelques  jours  avant  sa  mort,  Ray 
avait  donné  tout  ce  qu'il  avait  en  col- 
lections d'histoire  naturelle  à  Samuel 
Dale,  pharmacien deNorwich,  con- 
nu par  quelques  bonnes  productions 
dans  cette  science.  On  regrette  qu'il 
n'ai  t  point  forméd'hei'bier;  mais  ceux 
de  quelques-uns  de  ses  contempo- 
rains, que  possède  le  Muséum  britan- 
nique ,  donnent  tous  les  moyens  de 
fixer  les  plantes  qu'il  a  décrites. 
Plumier  lui  consacra  le  genre  Jan- 
Raj a, 'nom  que  Linné,  i^ar  trans- 
position changea  en  Rajana,  plus 
conforme  à  ses  principes  :  on  l'avait 
réuni  à  la  famille  des  asparaginéesj 
mais  on  l'en  a  détaché  avec  plu- 
sieurs autres^  pour  eu  former  une 
nou\elle  ,  celle  des  Smilacinées. 
Diverses  espèces  de  poissons  por- 
tent aussi  le  nom  de  Ray,  com- 
me ayant  été  découvertes  par  lui. 
George  Scott  a  fait  imprimer ,  en 
I  7(Jo  ,  la  vie  de  Ray  ,  composée  par 
Guillaume  Derhaiu  ,  et  ce  qui  restait 
d'intéressant  dans  ses  papiers.  Une 
vie  plus  détaillée,  rédigée  par  le  che- 
valier Smith,  président  de  la  société 
linnéenne  de  Londres  ,  a  été  insérée 
dans  la  Cyclopœdia  de  Rces. 

C — V — R  et  D — p — s. 
RAY  DE  SALNÏ- GENIEZ  (  Jac- 
Quts  -  Marie),  tacticien,  naquit  à 
Saint  -  Gêniez ,  diocèse  de  Rodez,  en 
1712.  Il  embrassa,  jeune,  le  métier 
des  armes ,  obtint  une  compagnie 
d'infanterie,  servit  avec  distinction 
dans  les  guerres  d'Italie  et  d'Alle- 
magne ,  et  fut  récompensé  par  la  dé- 
coration de  l'ordre  de  Saint -Louis. 
Ayant  pris  sa  retraite ,  il  employa 

II.. 


i64  RAY 

SCS  loisirs  à  l'cttidc  de  son  art  et  à 
celle  derhistoire,  et  mourut  le  i5 
mars  1777.  On  a  de  lui  :  I.  \iArt 
de  la  gueire  pratique ,  Paris ,  1 7  54, 
'y.  vol.  in  -  12.  Cet  ouvrage,  oublié 
depuis  long -temps,  eut  beaucoup 
de  succès  lors  de  sa  publication  ,  et 
fut  traduit  en  allemand  ,  en  anglais 
et  en  espagnol.  II.  Histoire  militai- 
re de  Loids-le-Juste ,  \']^S ,  2  vol. 
in- 12.  III.  Histoire  militaire  du  rè- 
gne de  Louis-le- Grand,  ïh\d.,  1755, 
3  vol.  in-  12.  IV.  V  Officier  parti- 
san, 1763-66,  2  vol.in-i2.  V.  Stra- 
tagèmes de  guerre  des  Français  , 
ou  leurs  plus  belles  actions  militai- 
res depuis  le  commencement  de  la 
monarcliie,  1769,  6  vol.  in- 12,  Cet 
ouvrage  est  annonce'  comme  faisant 
suite  au  pre'cédent.  W — s. 

RAYMOND  (  Joachtm-Marie)  , 
général  distingué  par  sa  conduite 
dans  l'Inde ,  où  il  devint  chef  du  parti 
français  à  la  cour  de  Nizam  -  Aly  , 
soubah  du  Décan  ,  était  fds  de  Fran- 
çois Raymond  et  de  Jeanne  de  Brcilh, 
et  il  naquit  le  20  septembre  1755,  à 
Sérignac,à  six  lieues  d'Auch.  Fran- 
çois Raymond,  qui  jouissait  d'une  ho- 
norable aisance,  n'épargna  rien  pour 
l'éducation  de  ses  nombreux  en- 
fants. Son  ûls  suivit  d'abord ,  à  Tou- 
louse ,  la  carrière  du  commerce; 
et ,  au  bout  de  deux  ans  ,  il  résolut 
d'alIc  tenter  la  fortune  au-delà  des 
mers.  Il  se  rendit,  en  conséquence, 
à  Lorient ,  avec  une  petite  paco- 
tille et  quatre  mille  francs  que  son 
père  lui  avait  doni'ics  en  numéraire  , 
et  s'embarqua,  au  commencement  de 
1775,  pour  les  Indes- Orient  aies.  Ar- 
rivé à  Pondicliéri,  Raymond  se  dé- 
fit des  marchandises  qu'il  avait  ap- 
portées de  France,  et  renonça  bien- 
tôt après  aux  spéculations  commer- 
ciales, pour  suivre  la  vie  active  des 
camps,  qui  convenait  mieux  à  son  ca- 


RAY 

ractère  aventureux.  On  voit ,  en  clTef , 
dans  une  lettre  qu'il  écrivait  de  Man- 
galor  à  son  père ,  sous  la  date  du  1  '^'^. 
novembre  1783,  et  que  nous  avons 
sous  les  yeux ,  qu'il  était  entré  dès 
1777,  dans  le  corps  de  Lallée,avec 
le  grade  de  sous-lieutenant.  S'étant 
distingué  dans  plusieurs  affaires  con- 
tre les  Anglais  et  contre  les  princes 
indiens,  il  fut  nommé  lieutenant ,  et , 
le  1 5  avril  1783,  élevé  au  grade  de 
capitaine  aide -major  ,  par  le  mar- 
quis de  Bussy,  commandant-géné- 
ral des  troupes  françaises  dans  l'I  nde. 
Peu  d'années  après ,  il  fut  nommé 
major  ,  et  passa  au  service  d'Hyder- 
Aly,  régent  du  Maïssour ,  qu'il  quitta 
en  1786,  pour  s'attacher  à  Nizara- 
AIy,soubah  du  Décan.  En  1791  ,  les 
commissaires  civils  que  le  gouver- 
nement français  avait  envoyés  dans 
rindc ,  lui  accordèrent  le  grade  de 
général.  Son  crédit  à  la  cour  du 
soubah  du  Décan  ,  dont  il  avait  su 
acquérir  la  confiance  ,  fît  tant  de 
progrès  ,  que  ce  prince  ,  qui  l'avait 
mis  d'abord  à  la  tète  de  mille  sol- 
dats ,  lui  confia  le  commandement 
d'un  corps  de  vingt-cinq  mille  hom- 
mes d'infanterie  ,  exercés  à  l'euro- 
péenne ,  qu'il  entretenait  a.  sa  solde. 
La  plus  grande  partie  des  officiers 
étaient  européens  (  i  )  ;  et  en  outre 
un  train  de  vingt-quatre  pièces  de  cam- 
pagne ,  avec  cinquante  -  deux  pièces 
de  grosse  artillerie,  était  attaché 
à  ce  corps ,  qui  formait  la  principale 
force  du  Décan.  L'influence  du  parti 
français,  faisant  chaque  jour  de  nou- 
veaux progrès  cà  la  cour  du  soubah  , 
quoique  ce  prince  fût  cncoreallié  des 
Anglais  ,  Raymond,  qui  en  était  le 
chef,  conçut  le  projet  de  détacher 
Nizam-  Aly  de  leur  alliance,  et  de 

(i)  t)ii  (li.itinpuait  (laiiiii  eux  nlu.iiciiis  it(Ilcicr5 
Jninç.iis  (|iii  «■taiciit  ciilrr»  .'i  lu  solJr  (lu  smilmli  njirw 
la  IViiiestc  évacuation  de  Pondichcri  ,<;ii  1189. 


RAY 

le  décider  à  eu  coucliire  une  nou- 
velle ,  sous  les  auspices  de  la  Fran- 
ce ,  avec  Tippou-Saëb  ,  sultlian  du 
Maissour ,   qui    avait  succède  ,   en 
1782,  à  son  père  Hyder-Aly:  cette 
alliance   devait   être    cimentée   par 
le   mariage   de  la  fdle  du   soubali 
avec  le  sultlian.  Raymond  ne  pou- 
vait mettre  en  doute  l'assentiment 
du    gouvernement   français  ,    par- 
ce qu'il  sentait  combien  ce  projet 
devait  être  avantageux  aux  intérêts 
de  sa  patrie  :  d'un  autre  côte'  Nizam- 
Aly  paraissait  l'approuver  ;  et  tout 
faisait  présumer  que  le  sultlian  ,  qni 
avait  plusieurs  fois  témoigné  le  désir 
de  s'unir  étroitement  à  la  France, 
pour  chasser  de  l'Inde  les  Anglais 
qu'il  abhorrait,  s'empresserait  d'y 
donner  les  mains.  Un  aveuglement 
incroyable  ,  ou  plutôt  un  concours 
fatal  de  circonstances  qu'on  n'avait 
pu  piévoir  ,  empêcha  l'accomplisse- 
ment  d'un  plan  si  habilement  conçu. 
Tippou   avait,   en    1787,   sollicité 
l'alliance  des  Français   :   il    renou- 
vela ses  démarches,  eu  1791  ,    et 
il  demanda  en  même  temps  qu'on 
lui  envoyât  un   corps  européen  de 
trois  à   six    mille  hommes  ,    qu'il 
voulait  prendre  à   sa  solde.  M.  de 
Fresne,  colonel  du  régiment  de  Bour- 
bon ,  devenu  ,  après  l'évacuation  de 
Poudichéri,  coinmanJanl  en  chef  des 
clablisscraents  français  dans  l'Inde, 
déni  outra   vainement  les  avantages 
uicalculables  qui  devaient  être  le  ré- 
sultat de  l'acceptation  des  olFrcs  du 
sulthan:  les  progrès  de  la  révolution 
fraDçai>e  empêchèrent  qu'on  y  don- 
nât aucune  suite.  M.  de  Chermont , 
coloneldn  régimentderîle  de  France, 
qui  avait,  en  179"-*,  remplace  M.  de 
Fresne,  ayant  appris,  au  mois  de  mai 
de  l'année  suivante ,   que  la  gneirc 
était  déclarée  entre  la  France  et  l'An- 
gleterre ,  renouvela  le  projet  de  sou 


RAV 


i65 


prédécesseur,  appuyant  avec  chaleur 
auprès  d'un  conseil  de  guerre  réuni 
à  Poudichéri,  les  propositions  de 
Tippou-SaëÎJ  ,et  le  plan  de  triple  al- 
liance  conçu  par  Raymond  ,   dont 
le  résultat  devait  être  l'attaque  com- 
binée des  possessions  anglaises  du 
Carnatc  et  de  la  côte  d'Orissa.  Mais 
les  commissaires  civils ,  alors  la  pre- 
mière autorité  française  dans  l'Inde, 
s'opposèrent  à  un  arrangement  qui 
n'était  pas  dans  leurs  instructions. 
L'abaissement  de  Tippou-Saëb,  et  la 
perte  de  Pondichéri ,  furent  la  con- 
séquence de  celte  funeste  opposition. 
Raymond  n'en  conserva  pas  moins 
son  crédit  à  la  cour  du  Décau  ;  et , 
malgré  ce  contrc-tcraps  fâcheux  ,  il 
aurait  encore  pu  changer  la  situation 
politique  de  l'Inde  ,  s'il  eût  été  se- 
condé parles  cii  constances,  et  parles 
dispositions  des  princes  de  la  Pénin- 
sule ,  auxquels  il  chercha  vainement 
à  communiquer  son  ardeur    et  son 
zèle  pour  la  cause  de  le.ir  indépen- 
dance. Après  la  prise  de  Pondichéri 
(  21  août  I  793  ),  l'influence  de  l'An- 
gleterre augmenta,  de  jour  en  jour, 
à  la  cour  du  soidjah  ,  ainsi  que  le  cré- 
dit du  visir  Macliir-Mouknik  ,  enne- 
ini  des  Français.  Juge.uît,  dès  lors, 
au'fà  la  mort  du  vieux  INizani-Aly  , 
son  second  fils  ,  gendre  de  Machir- 
]\Io>iiuuk,   monterait  sur  le   trône 
dn  Décai! ,  au  préjudice  d'Alv  -  Bé- 
bader,  son  fils  aîué,  qui  ne  cachsit 
pas  sou  aversion  pour  la  nation  an- 
glaise (  événement  qui  devait  entraî- 
ner la  ruine  du  parti  français), Ray- 
mond crut  devoir  prendre  à  l'avance 
des  précautions  ponr   sa  sûreté.  Il 
sollicita  et  obtint  du  soubah  et  de 
Ïippou-Saëb  ,  un  caoul  ou  autorisa- 
tion nécessaire  pour  acheter  des  ar- 
mcsdansdesélatsdu  sulthan  ;et,  sous 
ce  prétexte,  il  envoya  des  émissai- 
res, à  la  cour  de  "Maissour  ,  olhir 


iG6  RAY 

à  Tippoii  de  passer  à  son  service, 
avec  les  troupes  qu'il  commandait , 
et  accompagné  du  fils  aînc'  du  sou- 
bab.  Le  plan  de  Raymond  était  vaste 
et  bien  conçu  :  une  révolte  simulée 
tlu  rajali  de  Salapour  aurait  éclaté  ; 
et  le  prince  Béhader  ,  sons  prétexte 
de  l'etoufFer ,  aurait  ma  relié  à  la  tête 
de  l'armée  destinée  à  réduire  le  rajah, 
et  se  serait  dirij;é  sur  les  confins  des 
e'îats  du  sultlian.  De  là  passant  dans 
le  Maïssour  avec  son  armée  ,  il  au- 
rait épousé  «ne  fille  de  Tippou  ,  et 
serait  resté  chez  ce  prince  avec  le 
parti  français ,  jusqu'à  la  mort  du 
vieux  soubab.  Alors  l'héfitier  du 
Dccan  aurait  marché  droit  à  Au- 
rengabad  ,  capita'e  du  royaume  de 
son  père,  toujours  accompagné  du 
parti  français  ,  et  il  se  serait  emparé 
du  gouAcrnement  qui  lui  était  dévolu 
par  droit  de  naissance  et  de  succes- 
sion. IMais  Tippou  refusa  d'accepter 
ces  propositions,  par  suite  des  insti- 
gations de  Mir  -Saïd,  son  ministre. 
Ce  serviteur  perfide  ,  depuis  long- 
temps vendu  aux  Anglais,  représenta 
au  sullhan  que  rintroduction  dans 
son  royaimie  d'une  force  auxiliaire 
aussi  redoutable  ,  le  mettrait  à  la 
disposition  de  Raymond  et  du  prince 
Béhader,  qui  seraient  vraiserabla- 
])lement  tentés  de  se  rendre  maîtres 
de  sa  personne  et  de  ses  états.  Quoi- 
que le  caractère  noble  et  élevé  de 
Raymond  ,  qui  n'avait  d'autre  but 
que  de  mettre  à  couvert  le  parti  fran- 
çais ,  et  de  disposer  les  événements 
en  faveur  du  fils  aîné  du  soubah  , 
rendît  ces  craintes  puériles  ,  Tip- 
pou ,  cédant  aux  insinuations  de 
JVIir  -  Sa'id  ,  consentit  yenlemont  à 
prendre  Raymond  à  son  service, 
dvec  quatre  mille  hommes  au  lieu 
de  vingt-cinq  mille;  et  ce  projet, 
qui  eût  peut-être  sauvé  le  sultlian, 
i'il  avait  clé  exécuté,  n'eut  aucune 


RAY 

suite.  Vers  celte  époque  (  1 794) ,  les 
Mahrattes  déclarèrent  la  gncrre  à 
Nizam-Aly  .  et  réclamèrent  le  chout 
(  le  quart  des  revenus  net  )  des  pro- 
vinces du  nord.  Ce  prince,  qui  sen- 
tait tout  le  parti  qu'il  pouvait  tirer 
de  Raymond  dans  celte  circonstance 
difficile,  s'empressa  de  se  l'attacher 
plus  particulièrement ,  ainsi  que  le 
corps  dont  il  avait  le  commande- 
ment en  chef,  en  lui  abandonnant 
la  régie  de  huit  provinces  pour  la 
solde  de  ses  troupes  ,  ce  qui  Icnr  as- 
surait un  revenu  fixe  et  indépendant. 
Ayant  ensuite  convoqué  tous  ses  na- 
babs et  rajahs,  le  soubab  marcha  en 
personne  contre  ses  ennemis  à  la  tête 
d'une  armée  forte  de  trois  cent  mille 
combattants,  dontR.aymond  formait 
l'avant-garrle  ,  avec  un  corps  de  ca- 
valerie d'élite  de  seize  raille  hommes, 
et  il  établit  son  quartier  général  à  Be- 
dcr.LcsMahrattcs  qui  s'avançaient  de 
leur  côté  ,  parurent  bientôt  dans  le 
De'can,  avec  le  peischwa  à  leur  tête. 
Une  grande  bataille  se  donna  entre 
les  deux  puissances  ;  la  cavalerie 
Mahratte  ayant  tourné  l'armée  dii 
soubab  ,  celle-ci  prit  honteusement 
la  fuite,  et  abandonna  son  artillerie, 
ses  bagages  et  ses  trésors  :  mais  tout 
fut  sauvé  parRavmond,  qui  parvint 
même  à  rejoindre  l'armée  fugitive 
sans  avoir  été  entamé.  Nizam-Aly 
crut  devoir  néanmoins  demander  la 
])aix  aux  IMahraltes;  et  il  ne  l'obtint 
qu'en  s'cngageant  à  leur  payer  un 
sidjside  de  deux  courours  de  roupies 
(  environ  cinquante  millions  de 
francs  )  ,  et  en  leur  laissant  pour 
oîage  Machir-Moulouk,  son  visir. 
Peu  de  temps  après  ces  événements, 
le  prince  Aly  -  Béhader  réclama  , 
à  titre  de  domaine,  le  distiict  dcGou- 
ty-Bcllary,  dont  il  ambitionnait  la 
possession.  Sur  le  refus  du  souL.ih  , 
il  se  fit  derviche,  et  vécut  qu'Kp  c 


RAY 

Ipmps  tlans  la  retraite,  sans  doute 
pour  mieux  fomenter  une  révolte 
qu'il  méditait  contre  son  père.  Il  joi- 
gnit en  elTct  le  rajah  Sadassorely, 
avec  un  corps  de  troupes ,  et  se  re- 
tira à  vSangareJdy,  dans  l'espoir  que 
l'armëe  entière  du  sonbali  quitte- 
rait ce  prince,  et  le  placerait  lui- 
même  sur  le  trône.  Dans  ce  péril  ex- 
trême, Nizam-Aîy  mit  toute  sa  con- 
fiance dans  le  gênerai  Raymond,  et 
lui  ordonna  d'aller  combattre  les  re- 
belles avec  le  peu  de  troupes  qui  lui 
étaient  restées  fidèles.  Le  gênerai 
français  se  trouvait  place'  dans  nue 
position  fort  délicate  ;  mais  quel- 
que attaclié  qu'il  fût  au  prince  Bêha- 
der ,  il  n'hcsita  pas  entre  son  de- 
voir et  ses  affections  particulières; il 
marcliacontreles  révoltés, les miten 
déroute ,  et  fit  prisonnier  Béhader 
lui-même.  Ce  fut  en  vain  que  Ray- 
mond essaya  de  calmer  le  désespoir 
de  ce  malheureux  prince  ,  en  enga- 
geant sa  parole  qu'il  intercéderait 
pour  lui,  et  qu'il  ne  lui  arriverait 
aucun  mal  ;  rien  ne  put  dissij)er 
les  craintes  que  Béhader  avait  con- 
çues sur  les  suites  du  ressentiment 
du  soubab  ,  et  il  s'empoisonna  à  quel- 
ques lieues  d'Hyder-Abad.Son  corps 
fut  porté  à  son  père ,  et  enterré  ho- 
norablement par  les  ordres  de  ce 
prince,  qui  récompensa  nobler/icnt 
le  service  signale  que  Raymond  venait 
de  lui  rendre.  II  conféra  au  général 
fiançais letitre  de  moulouk  oupiince 
du  sang,  et  accorda  celui  de  zing  , 
qui  répond  au  titre  de  comte,  à  trois 
des  principaux  oiUciers  de  son  ar- 
mée. En  donnant,  devant  toute  la 
cour,  l'accolade  musulmane  à  Ray- 
mond ,  Nizam-Aly  dit  hautement  : 
«  Voilà  les  roses  de  mon  aimée; 
»  Raymond  m'a  sauvé  de  nies  enne- 
»  mis,  tandis  que  mon  propre  sang 
»  et  tous  les  musulmans  m'avaient 


RAY  167 

»  abandonné.  «  Raymond  continuait 
d'assurer  au  parti  français  la  pré- 
pondérance à  la  cour  du  Décan ,  pré- 
pondérance que  les  Anglais  voyaient 
avec   autant    de   jalousie  que   d'in- 
quiétude, lorsqu'ils  furent  délivrés 
de  ce  redoutable  adversaire,  qui  cessa 
d'exister,  à  Hyder-Abad,  le  6  mars 
i-(j8.  La  mort  de  Raymond  ,  qu'on 
soupçonna  généralement  d'avoir  été 
liâtéepar  le  poison,  marqua  unchan- 
gement  d'époque  et  de  système,  qui 
prépara  la  prodigieuse  influence  que 
les  Anglais  exercèrent  depuis  chez  le 
soubah.  Cegénéral  joignait  aux  avan- 
tages d'une  bonne  éducation ,  et  à  des 
talents  militaires  peu  communs,  sur- 
tout comme  oflicier  d'artillerie  ,  une 
bravoure  à  toute  épreuve  ,  une  con- 
naissance aprofoudie    de  l.'Inde    et 
des  divers  iulcrcts  des  souverains  et 
des  peuples  ,  et  un  esprit  vaste  ,  ca- 
pable d'enfanter  les  projets  les  plus 
hardis   avec  la  prudence  et  la  fer- 
meté nécessaires  pour  les  f.iire  réus- 
sir. La  franchise  et  la  lovaulé  de  son 
caractère   lui   avaient    fait    obtenir 
l'estime  et  l'amitié  du  soubah    du 
Décan,  sentiments  qui  se  forlifièrcnt 
encore  par  les  importants  services 
qu'il   lui    rendit.  Sa    conduite   me- 
surée, la  cour  assidue  qu'il  faisait  au 
soubah  ,  et  l'argent  qu'il  savait  à  pro- 
pos répandre  dans  sa   cour,  assu- 
rèrent son    crédit ,  et  le  mirent  à 
portée  de  connaître  exactement  les 
tlisposilions  de  ce  prince  et  de  ses 
ministres.  Plein  d'un  noble  désinté- 
ressement,   et  animé  turlout  par  le 
désir  d'être  utile  à  sa  patrie ,  le  géné- 
ral Raymond  chercha   moins  à  ac- 
quérir des  richesses  ,  qu'à   établir  la 
pirépondérauce    des  Français    dans 
cette  belle  partie  de  l'hidc.  Il  y  était 
parvenu:  mais,  après  sa  mort ,  les 
fautes  multipliées  de  Pirron  ,  qui  de 
son  lieutenant  devint  sou  successeur, 


i68  BAY 

détruisirent  son  ouvrage.  (2).  D-z-s. 

RAYMONDI  (  Mabc-Antoine  ). 
V.  Raimondi. 

RAYNAL  (  Guillaume-Thomas- 
François  ) ,  né  le  1 1  mars  i-j  1 1  ^  à 
Saint-Geuiez ,  dans  le  Rouergue,  est 
Tuii  des  philosophes  du  dix-huitième 
siècle  dont  la  réputation  a  jeté  le 
plus  d'éclat.  Son  nom  ,  associé  à  ce- 
lui des  Voltaire  ,  des  Rousseau  ,  des 
Montesquieu  ,  fut  un  moment  dans 
toutes  les  bouches  j  et  son  Histoire 
■philosophique  ,  le  seul  de  ses  livres 
qui  ne  soit  pas  oublié  aujourd'hui , 
était  alors  dans  les  mains  de  tout  le 
monde  :  mais  le  temps ,  qui  emporte 
toutes  les  fausses  renommées  ,  n'a 
pas  fait  grâce  à  la  gloire  usurpée  de 
l'abbé  Raynal.  UHistoire  philoso- 
phique a  depuis  long -temps  cessé 
d'être  lue  :  elle  n'est  plus  consultée 
que  comme  dictionnaire  ;  et  encore 
les  grandes  révolutions  qu'ont  subies 
les  colonies  ,  ont ,  sous  ce  rapport , 
ôté  au  livre  de  Raynal  presque  tout 
son  intérêt.  Quel  fut  donc  le  secret 
de  l'éclatante  célébrité  dont  l'écri- 
vain a  joui  de  son  vivant?  l'esprit  de 
parti  d'abord ,  puis  le  talent  de  met- 
tre à  profit ,  pour  sa  réputation  lit- 
téraire ,  l'espèce  d'influence  qu'H 
avait  acquise  dans  la  haute  société. 
Comme  Voltaire,  Raynal  étudiachcz 
les  Jésuites  ,  et  puisa  dans  leurs  le- 
çons lies  lumières  dont  il  devait  , 
par  la  suite ,  faire  un  si  fimeste  usage 


(?.)  Quelques  mois  s'i'taicril  "i  peine  écoulés  depuis 
la  luoit  du  Uaymoiid  ,  que  le  visirMachir-MouIouk  , 
etinciui  secret  des  Fiançais,  profitant  liabileinent  des 
fautes  et  de  rimprévoyance  de  Piiron  ,  riait  d(-jà 
parvenu,  sousdivcr»  prétextes  ,à  disscniiiier  Iccurps 
auxiliaire  !iur  le  pied  européen.  Les  Anglais  instruits 
de  ces  disprisllioiis  ,  (ju'ils  avaient  sans  doute  eux- 
mêinia  prej)ai<  is ,  (irent  entrer  des  force»  considé- 
rable» dans  le  Décan  ;  et  l'année  française  au  service 
du  soubah  ,  menacée  par  Maobir-Mouloiik  de  voir 
^>urncr  i  outre  elle  toutes  le»  forces  de  Ni*am-Aly  , 
ni  elle  lirait  un  coup  de  fusil ,  fut  obligée  de  capitu- 
ler le  9.'i  ocl.  1798.  Cî'l  «■véncincnt  mil  le  sonbah 
dans  la  dipendance  absolue  des  Anglais ,  et  pro- 
para   l'euvaliissciuciit  dis  étals  de  7  i|p))ou. 


RAY 

contre  la  morale  et  la  religion,  A  la 
fin  de  ses  études ,  il  entra  dans  la 
compagnie  de  Jésus ,  fut  ordonne 
prêtre ,  et  obtint  quelque  succès  dans 
l'enseignement  et  dans  la  prédication. 
La  petite  ville  de  Pézenas  lui  parut 
bientôt  un  théâtre  trop  étroit  pour 
son  ambition.  Il  quitta  cette  rési- 
dence ,  ainsi  que  la  compagnie , 
l'an  1747,  pour  venir  à  Paris  ,  et 
fut  attaché  ,  en  qualité  de  prêtre 
desservant ,  à  la  paroisse  de  Saint- 
Sulpice.  Le  produit  de  quelques 
messes  fut  d'abord  son  unique  res- 
source. C'est  à  cette  partie  de  sa  vie 
que  se  rapporte  l'anecdote  fameuse 
de  cette  messe  qu'il  disait  chaque 
matin  pour  huit  sous  ^  qui  était  payée 
à  l'abbé  Prévost  vingt  sous  ,  et  que 
celui-ci  cédait  pour  quinze  à  l'abbé 
de  Laporte ,  lequel  la  cédait  de  la 
troisième  main  à  Raynal.  On  a  ra- 
conté la  même  anecdote  de  l'abbé  de 
Mably  :  malheureusement  cette  scan- 
daleuse et  misérable  simonie  n'était 
j)as  sans  exemple  dans  un  temps  oîi 
tant  de  médiocres  littérateurs  étaient 
d'assez  mauvais  prêtres.  A  Paris , 
Raynal  entreprit  de  prêcher.  Malgré 
la  chaleur  de  son  débita,  l'orateur  de 
]Movince  ne  parut  que  ridicule  ,  et  il 
renoHça  bientôt  à  une  profession  qui 
ne  s'accordait ,  ni  avec  ses  goûts,  ni 
avec  ses  opinions  personnelles.  Dans 
la  suite  ,  quand  il  parlait  à  ses  amis 
de  cette  époque  de  sa  vie ,  il  disait 
avec  une  sorte  de  naïveté  méridio- 
nale :  Je  né  préchais  pas  mal,  mais 
j'avais  un  assent  dé  tous  les  diables. 
Mais  ce  dont  il  n'avait  garde  de  se 
vanter ,  c'est  qu'il  fut  chassé  de  la 
paroisse  de  Saint-Sulpice  pour  plu- 
sieurs actes  de  simonie  ,  entre  autres 
pour  n'avoir  jamais  enterre  jjer- 
sonnc  sans  avoir  préalablement  re- 
çu des  parents  une  rétribution  se- 
crète de  soixante  francs.  Il  se  faisait 


RAY 

également  payer  pour  inhumer  des 
protestants  en  terre  sainte,  comme 
bons  catholiques.  La  découverte  de 
ce  honteux  commerce  le  força  de 
renoncer  au  sacré  ministère  ;  et  voilà 
ce  qui  fit  de  Raynal  un  philosophe. 
(  I  )  Ce  jésuite,  qui  avait  jeté  le  froc  à 
un  âge  oîi  les  passions  des  hommes 
du  monde  commencent  à  s'amortir, 
ou  du  moins  à  se  régler  ,  apporta  , 
dans  la  société,  nouvelle  pour  lui, 
tous  les  penchants  d'une  ardente 
jeunesse  :  il  voulait  jouir  enfin  de  la 
liberté  et  des  plaisirs  faciles  qu'une 
fortune  indépendante  peut  procurer 
dans  les  grandes  villes.  A  défaut  de 
bénéfices  ecclésiastiques  auxquels  il 
ne  pouvait  plus  aspirer  ,  et  qui  d'ail- 
leurs lui  eussent  imposé  quelque  gêne 
dans  sa  conduite  privée ,  il  se  créa  , 
par  son  savoir-faire  ,  des  revenus 
certains.  Tout-à-la-fois  homme  d'in- 
trigue et  de  plaisir,  il  se  fit  le  nou- 
velliste officieux,  l'ami  complaisant 
de  MM,  de  Saint-Séverin ,  de  Pui- 
sieux ,  et  de  plusieurs  seigneurs  en 
crédit.  Parleur  protection,  il  obtint 
la  rédaction  du  Mercure  de  France , 
et  à  toutes  ces  ressources  il  ajouta 
l'entreprise  de  plusieurs  compila- 
tions dont  il  osa  lui-même  se  faire 
le  libraire.  Ce  parti ,  que  prennent 
aujourd'hui  tant  d'auteurs  ,  parais- 
sait alors  contraire  à  toutes  les  con- 
venances ,  à  toutes  les  idées  reçues: 
mais  au  moins  le  succès  justifia  la  té- 
mérité de  Raynal.  Il  trouva  le  secret 
de  vendre  plus  de  six  mille  exem- 
plaires d'un  ouvrage  dont  le  plus  ha- 
bile libraire  ne  débiterait  pas  six 
cents  actuellement.  Nous  voulons  par- 
ler de  son  Histoire  du  Stathoudërat , 
aujourd'hui  entièrement  oubliée,  et 
qui  mérite  de  l'être.  C'est  moins  une 


(i)  VoYcx  les  Souvenirs  de  xnii^t  an^  de  sc/oiir  ft 
Berlin  ,  par  Dicudonuc  Tliicbault ,  t.  UI  ,  p.  iS3. 


RAY 


169 


histoire  impartiale  _,  qu'un  mani- 
feste contre  les  princes  d'Orange.  La 
manie  des  portraits  faits  au  hasard  , 
y  est  portée  à  un  tel  excès ,  qu'on  a  dit 
avec  vérité  que  les  personnages  mis 
en  action  par  l'auteur  pourraient 
changer  entre  eux  de  portraits,  sans 
que  le  lecteur  s'en  aperçût.  Le  style, 
à  quelques  morceaux  près,  qui  annon- 
cent quelque  talent ,  estpleinde  pré- 
tention ,  métaphorique,  hérisse  d'an- 
tithèses, en  un  mot ,  presque  toujours 
éloigné  de  la  dignité  historique.  A 
l'Histoire  du  Stathoudërat,  publiéeen 
1 748  ,  Raynal  fit  succéder,  la  même 
année,  celle  du  Parlement  d'Angle- 
terre ,  qui  lui  est  fort  inférieure. 
Cette  histoire  n'offre  ni  recherches  , 
ni  critique,  ni  talent  de  style.  On  y 
voit  un  homme  qui  ose  prendre  la 
plume  pour  pciudre  la  constitution 
d'Andeterre ,  avant  d'en  avoir  étudié 
ou  compris  les  ressorts  ;  qui  veut 
j  uger  les  révolutions  de  ce  pays  ,  sans 
avoir  acquis  même  les  premières  no- 
tions de  la  politique  générale.  Il  faut 
remarquer  que,  dans  cet  ouvrage, 
Raynal  se  montre  partisan  du  pou- 
voir absolu,  tandis  qu'en  retraçant 
la  lutte  des  stathouders  avec  les  ré- 
publicains hollandais,  il  s^était mon- 
tré l'apôtre  fervent  d'une  liberté 
sans  limites.  D'où  provient  cette 
contradiction?  Raynal  avait  com- 
posé sa  première  Histoire  pour  flat- 
ter les  opinions  nouvelles  ;  il  écrivit 
la  seconde  sous  l'influence  du  minis- 
tère. 11  publia  ensuite  plusieurs  de 
ces  compilations  qui ,  dictées  par  le 
goût  du  public  ,  font  au  moins 
quelque  chose  pour  la  fortune  d'un 
auteur,  si  elles  n'ajoutent  rien  à  sa 
renommée  :  tels  sont  le  Mémorial 
de  Paris  de  l'abbé  Antonini ,  aug- 
menté,  1749;  les  Anecdotes  litté- 
raires, 1750.  Ces  titres  prouvent  que 
Raynal  n'était  pas  fort  dillicilc  sur 


î^o  RAY 

le  choix  fîc  ses  sujets ,  pourvu  que 
la  sppciilalion  de  li])rairie  lui  ofriît 
des  chances  de  bénéfice.  II  sut  ainsi, 
en  peu  d'années  ,  non-seulement  se 
ineltre  au-dessus  du  besoin,  mais 
arriver  à  une  rapide  fortune.  Voue' 
à  des  spécu'alions  de  plus  d'un  £;en- 
re,  il  trafiquait  sur  les  déniées  co- 
loniales eotnîne  sur  les  productions 
de  l'esprit.  Il  trafiquait  même  sur  le 
corniiierce  des  noirs ,  contre  lequel 
il  devait  un  jour  s'élever  avec  tant 
de  force,  dans  son  Histoire  philoso- 
phique. Un  bio[;raphe,  d'ailleui-s  fa- 
vorable à  Haynal ,  Dcscssarts ,  auteur 
des  Siècles  littéraires  de  la  France, 
lui  reproche  d'avoir  fondé  sa  fortu- 
ne sur  cet  odieux  négoce.  Cette  par- 
ticularité est  une  preuve  de  plus  du 
peu  de  fonds  (nie  l'on  doit  faire  sur 
toutes  les  jongleries  des  hommes  de 
secte  et  de  parti.  Mais  suivons  Ray- 
nal  dans  ses  travaux  faciles  ,  et 
pourtant  si  lucratifs.  11  publia  ,  en 
1753,  un  livre  intitulé  :  Anecdotes 
historiques  ,  militaires  et  politiques 
deV Europe.  Onze  ans  après ,  il  don- 
na le  même  ouvrage ,  avec  des  addi- 
tions ,  sous  le  titre  de  Mémoires  po- 
litiques de  l' Europe ,  l'jGi  ;  et,  l'an- 
née suivante,  17(33,  il  fit  réimpri- 
mer, sous  un  titre  particulier,  une 
partie  de  cette  même  compilation  : 
c'est  ['Histoire  du  divorce  de  Henri 
y  m,  production  vraiment  distin- 
çjuce,  et  qui  aurait  dû  échappera 
l'oubli.  Ou  y  voit  un  tableau  de 
l'Europe,  tracé  avec  beaucoup  de 
talent.  Nous  citerons  encore  ,  p.iriiii 
les  livres  anccdotiqiies  que  Ray- 
nal  fabriqua  plutôt  qu'il  ne  les 
composa,  V j<jC(de  militaire,  \'^{y}.  ; 
recueil  de  traits  détachés,  où  rail- 
leur rassembla  des  exemples  de  lâ- 
cheté comme  de  courage.  Nous  ne 
)a|)|)(!ons  celle  compilation,  mal 
dij^ércc  s'il  cm  fût  jamais,  que  parce 


RAY 

que  c'est  encore  un  ouvrage  que 
Raynal  publia  par  ordre  du  Gower- 
nement ,  ainsi  que  le  porte  son  titre. 
Après  une  succession  d'écrits  aussi 
médiocres ,  on  aurait  peine  à  s'ex- 
pliquer le  crédit  et  la  renommée 
dont  jouissait  alors  leur  auteur,  si 
l'on  ne  savait  que  Raynal  frécpientait 
tous  les  salons,  qui,  à  cette  époque, 
étaient  en  possession  de  mettre  un 
écrivain  en  vogue ,  quelle  que  fût 
d'ailleurs  la  nullité  de  ses  titres  litté- 
raires. Doué  d'une  assez  belle  figure, 
d'un  csjirit  étendu,  ayant  un  carac- 
tère décidé  et  une  sorte  de  bonho- 
mie apparente,  il  ne  pouvait  manque)' 
de  réussir  dans  un  tem|)s  où  l'hom- 
me de  lettres  qui  s'enrôlait  dans  la 
secte  philosophique ,  était  sûr  de 
trouver  partout  l'accueil  le  plus  fa- 
vorable. Rédacteur  du  Mercure  , 
reçu  chez  les  ministres,  et  de  plus, 
fort  obligeant  par  caractère,  il  pou- 
vait, mieux  qu'un  autre,  rendre  la 
pareille  à  ses  preneurs.  II  était  aussi 
des  plus  assidus  aux  réunions  qui 
avaient  lieu  chez  Helvélius  ,  chez  le 
baron  d'Holbach,  chez  M'"".  Geof- 
frin.  Il  faisait  continuellement  ses  li- 
vres dans  la  société  ,  poussant  de 
questions  tout  ce  cpii  l'appi-ochail , 
pour  recueillir  tontes  sortes  de  do- 
cuments (li).  Cette  méthode  ,  qui  le 
dispensait  de  bien  des  méditations  et 
de  bien  des  lectures ,  intéressait  d'ail- 
leurs Tamour-propre  de  ses  amis  au 
succès  de  ses  ouvrages.  Aussi,  plu- 
sieurs années  avant  sa  publication  , 
son  Histoire  philosophique  était  con- 
nue ,  et  annoncée  comme  le  chef- 
d'œuvre  du  siècle.  Cet  ouvi-a^^e 
parut  enfin,  en  1770,  en  quatre 
volumes,  et  sans  nom  d'auteur.  Ici 
commence  l'époque  vraiiuenl  iiilé- 
ressanle  de  la  vie  de  lîaynal  ;  ici  iiais- 

(  a1  V„yu7.  le»  Mriii.MiCb  .le  I'.iMjc  MorcUif. 


sent  pour  lui  les  embarras  d'une  gloi- 
re qu'on  lui  contesta  dans  le  sein  mê- 
me de  son  parti.  Le  bruit  se  répan- 
dit ge'ue'ralement  qu'il  n'était  pas  le 
seul  auteur  de  son  ouvrage.  On  fai- 
sait honneur  à  Diderot  des  morce.iux 
les  plus  intéressants  ,  et  auxquels  l'a- 
mour -  propre  de  Raynal  tenait  le 
plus.  Ces  bruits,  que  la  malveillan- 
ce aurait  accueillis,  quand  même  ils 
n'eussent  pas  êtë  motives  ,  ne  se  sont 
que  trop  confirme's  par  le  témoigna- 
ge imanime  de  tous  les  contempo- 
rains, et  particulièrement  de  Labar- 
pe  et  de  Grimm  ,  qui  tous  deux  fu- 
rent étroitement  lies  avec  Raynal  et 
Diderot.  On  sait  que  ce  dernier  don- 
nait la  pins  grande  partie  de  son 
temps  aux  ouvrages  de  ses  amis  : 
«  Peut-être  ,  disait  il,  ne  suis-jepro- 
»  digue  de  mon  temps  que  par  le  peu 
))  de  cas  que  j'en  fais  :  je  ne  dissipe 
M  que  la  chose  que  je  méprise.  On 
«  me  le  demande  comme  rien  j  je 
»  l'accorde  de  même.  »>  Gamm  ob- 
serve, dans  sa  CorresponJance,  que 
ce  singulier  motif  soutint  seul  la 
patience  et  le  courage  de  Diderot  , 
pendant  les  deux  années  entières  qu'il 
s'occupa  uniquement  de  V  Histoire 
philosophique.  «  Qui  ne  sait  aujour- 
»  d'hui ,  continue  Giimm  ,  que  près 
»  d'un  tiers  de  cet  ouvrage  lui  ap- 
»  partleul  {  /'".Diderot, XI,  S'ii)?» 
Diderot  ne  fut  pas  le  seul  qui  coopéra 
à  Vlliîtnire philosophique [3).  On  cite 
encore  l'auteur  de  Telt'phe ,  qui  récla- 
mait sans  bruit  sa  bonne  part  de  l'ou- 
vrage de  Raynal  ,  et  notar:imcnt  des 
pageséloqneiitessurla  traite  des  noirs 
(  /^.  Pecumkja).  Au  reste,  on  peut 
dire  que  ce  livre  était  bien  à  Raynal: 


(i)  M""",  de  Vandcuil,  la  fille  de  Oi.Ierot ,  pos- 
îM'de  lin  expriiplaire  do  la  preiiiîère  (-'ditinii  rip  V His- 
toire pliiltysofjhiaiie  ,  où  tous  1rs  pass'.i;;rs  qui*  Ray- 
nal ciiipriiiila  à  la  iiliuiio  cluqdcnte  Ue  Sun  iiuiî  buuf 
tuiiiulic'Ubciat'ut  iiidiijiii'S, 


RAY  171 

car  il  payait  gc'ncreusenicnt  ses  col- 
laborateurs (4).  Mais  il  ne  se  borna 
pas  à  ces  emprunts  volontaires:  dans 
les  éditions  suiAantes  ,  il  inséra  des 
pages  entières  d'ouvrages  connus  , 
sans  qu'aucune  indication  désignât 
ces  passages  comme  des  citations  (5). 
Un  ouvrage  fait  par  tant  de  mains 
ne  pouvait  être  qu'un  mam'ais  livre. 
Pour  se  convaincre  que  les  amis  de 
Raynal  eux  mêmes  en  avaient  cette 
opinion  ,  il  suffit  de  lire  les  critiques 
bien  motivées  qu'ils  en  ont  faites  , 
soit  dans  les  Mémoires  q'i'ils  ont 
laissés,  soit  dans  les  correspondan- 
ces imprimées  après  leur  mort  (6). 
Ce  qui  choque  généralement  dans 
y  Histoire  philosophique ,  ce  sont  ces 
déclamations  furibondes  ,  ou  ces  lu- 
briques peintures  de  scènes  volup- 
tueuses qui  viennent  à  cha([ue  ins- 
tant interrompre  l'ordre  des  faits. 
Pa'issot  a]ipel!e  ces  continuelles  di- 
gressions \\n  placage  appliqué  sans 
art.  «  On  croit  entendre,  en  lisant 
«Raynal,  un  charlatan  monté  sur 
»  des  tréteaux,  et  débitant  à  la  multi- 


(4)  On  cite  c'ctre  parmi  eux  Oiibrruil,  La  Rn- 
qne  ,  Xniscon,  d'Holliacb  ,  Tabljc  Ma.  lin  .  es-j<'siii- 
tp,  J.  iJulasta  ,  Paulz<?  le  fermier  g(  n.  lai ,  les  cui- 
tes d'Ariinda  et  de  Scmza  ,  et  DeUyie,  qui  a  fait  le 
19^.  livre  (  Voy.  le  Dïct.  des  anonym.^  z^.  cdit., 
l>.  546  ). 

(5y  Une  anecdote  rnrîcnse  se  trouve  consignée  ,  ?i 
ce  sujet,  dans  les  Mériipires  litlénth-es  de  Patiss  t. 
Pour  prouver  que  Raynal  ne  fit, Ticiiir  ainsi  dire,  que 
mettre  son  nom  à  l'Histoire  pbiIosonlii(|ne.  Pali-snt 
renvoie  à  la  jirrface  de  la  4^-  cdilîon  ào.  V Homme 
tuerai*,  imprimé  à  Paris  ,  en  i^S^iCbcz  Dehure, 
«M.  Lf'vesque  ,  dit-  il,  auteur  de  ret  '-nvrapc, 
»  y  démontre  qu'il  l'ixceiitiim  de  quelques  lé- 
»  gers  cliaugemenls  de  mots,  des  pa-es  entières  de 
«  ce  livre  se  trouvent  dans  flIisUiire  pliilosojiliique  , 
%sans  que  rien  les  annonce  eoninie  des  citatinns.  La 
«  premicMC  édition  de  Vllomme  mcrr.l  parut  eu 
>i  1773;  et  les  passages  dont  il  s'agit  n'ont  été  ii;sé- 
»  rés  que  dansla  dernière  édition  de  l'Histoire  phi- 
>i  losophiqno.  »  (  Palissot  veut  parler  de  celle  de  Ge- 
Xïi  ve  ,  1780,  ) 

(G)  Voye?,  une  lettre  de  Voltaire  à  Condorcet , 
dans  laquelle  il  appelle  l'Uisloire  jiliilosopliiiiue,  r//t 
réihiiiiffc  avec  d,  la  dédamulimi  ;  la  Muniiie  d\'- 
ciirc  l  liiitoire  ,  par  Wahly  ;  la  Ciiiie</jni:d,incr  de 
fiiiirim  .aitx  années  177^  el  17S1;  eniiii  une  lellic 
tri's-i'urieiisc  de  Tnrpot,  vcccmuicut  publiée  daiîs 
les  Mcniuircs  de  Morellct. 


i7'i  RAY 

»  lude  clfaréc,  des  lieux  -  communs 
»  contre  le  despotisme  et  la  religion  , 
»  qui  n'ont  rien  de  curieux  que  leur 
»  hardiesse  (7).  »  Neuf  années  s'e- 
coulèrent  entre  la  première  édition 
de  V  Histoire  philosophique  et  la  réim- 
pression, qui  donna  lieu  à  l'arrêt  du 
parlement  de  Paris,  rendu  le  'i  i  mai 
1 78 1 ,  contre  l'abbé  Raynal  et  son  li- 
vre. On  sera  d'autant  plus  étonné  d'u- 
ne aussi  longue  tolérance  ,  que ,  dans 
sa  première  édition ,  l'auteur  avait 
ose,  non-seulement  attaquer  la  re- 
ligion chrétienne  ,  mais  encore  le 
théisme  ,    ce  qui  révolta  un  grand 
uombrede  philosophes  d'Angleterre 
et  d'Allemagne  ,  qui  reconnaissaient 
au  moins  un  Dieu.  Bien  plus,  Raynal, 
sans  trop  de  mystère,  quoiqu'il  ne 
signât  point  encore  son  ouvrage ,  l'a- 
vait fait  réimprimer  plusieurs  fois  , 
et  aA^ec  des  additions  considérables  , 
soit  à  Genève,  soit  à  Nantes,  soit  à 
Neuchâtel ,  soit  à  la  Haye.  11  était 
bien  connu  ,  bien  désigné  ;  mais  un 
gouvernement   aveugle   laissa   l'au- 
teur et  le  livre  jouir  de  leur  impuni- 
té :  «  Nous   ne  pouvons  nous  em- 
»  pêcher   de  remarquer  ,    écrivait 
»  Grimm  ,  en  i']']^  ,  qu'il  y  a  une 
»  sorte  d'étoile  pour  les  livres  com- 
»  me  pour  les  hommes.  Que  d'ou- 
»  vrages  brûlés  et  persécutés,  même 
»  de  nos   jours  ,    qui  ne   sauraient 
»  être  comparés,  pour  la  hardiesse, 
»  à  V Histoire  philosophique  !  cc\)c\i- 
»  dant  elle  s'est  vendue  partout  assez 
»  publiquement.  Serait  ce  parce  que 
»  ce  livre  attaque  toutes  les  puissan- 
»  ces  de  la  terre  avec  la  même  au- 
»  dace  ,  que  toutes  l'ont   supportée 
M  avec  la  même  clémence  ?  »  11  est 


(7)  Celle  cilalioii  osl  tirée  de  rouvrage  de  M.  Se- 
iiae  de  Miilliiiii ,  inliliilé  ;  Pu  gouvenivitwnl ,  îles 
mœurs  cldct  coiuUlions  en  Fiancu  avant  la  rcvolii- 
liiin;  Art.  Gens  ilc  Ultres.  On  v  trouve  un  rajipio- 
chc-iiieiit  a»iM!7.  pi(|iiaut  cuire  Vllisloire  iihilusuphi- 
</uo  et  le  yojra^e  du  juunc  Annchiirsis. 


RAY 

vrai  que,  ic  19  déceinbre  1779  ,  nn 
arrêt  du  Conseil  avait  défendu  l'in- 
troduction de  ce  livre,  comme  im- 
prime à  l'étranger  :  mais  Raynal  ne 
fut  nullement  inquiété  ;  et  cette  me- 
sure ne  rendit  pas  l'ouvrage  plus  dif- 
ficile à  acquérir.  Cette  sorte  d'oubli 
ne  faisait  pas  le  compte  de  notre 
philosophe,  chez  qui  l'âge  n'avait 
nullement  amorti  l'amour  d'une  dan- 
gereuse célébrité.  Il  était  moins  char- 
mé de  ses  premiers  succès  ,  qu'il  ne 
se  sentait  blessé  de  ce  que  toutes  ses 
déclamations  séditieuses  avaient  été 
écoutées  sans  humeur  et  sans  scan- 
dale. Pour  arriver  aux  honneurs  de 
la  persécution  ,  il   prépara  une  édi- 
tion nouvelle':  il  rembrunit  ses  cou- 
leurs ,  et  hasarda  des  traits  encore 
plus  hardis  que  les  précédents.  Ses 
coopérateurs  avaient  beau  lui  repré- 
senter que  c'était  trop  fort  ;  il  leur 
répondait  :  «  Faites  toujours,  je  vois 
»  Iden  que  vous  ne  vous  doutez  pas 
»  du  courage  dont  je  suis  capable  : 
5)  vous  verrez.  »  Raynal  fit  plus  ;  il 
inséra  dans  son  ouvrage  des  person- 
nalités contre  l'homme  le  plus  puis- 
sant alors  dans  le  royaume,  après  le 
roi  (  le  comte  de  Maurepas  )  ;  encore 
le  philosophe  fut-il  soupçonné  de  n'y 
avoir  hasardé  ces  personnalités,  que 
pour   servir   une  intrigue  de  cour. 
C'est  dans  cet  état  que  lîaynal   fit 
imprimer  cette  nouvelle  édition  qui, 
du    reste  ,   olFre    quelques    articles 
exacts    et   plein    d'intérêt  ,  qui   lui 
avaient  été  fournis  sur  les  colonies 
anglaises ,    hollandaises  ,   et   sur  la 
Chine,  dans  un  voyage  qu'il  avait  fait 
précédemment  en  Hollande  et  en  An- 
gleterre. Des  documents  sur  les  pos- 
sessions espagnoles  ,  lui  avaient  aus- 
si été  communiqués  |)ar  M.D'Arau- 
da,  ministre  du  roi  d'Espagne.  Avant 
cette  réimpression  ,  Uaynal  avait  fait 
faire  à  Paris,  chez  Stoupc,  une  édi- 


RAY 

tion  particulière  de  V Histoire  philo- 
sophique, dont  il  ne  fut  tiré  que  trois 
excmplaires.il  en  laissa  un  à  l'impri- 
raeur  ,  garda  le  second ,  et  envoya 
le  troisième  ta  Genève ,  pour  y  être 
imprimé.  Par  ce  moyen  ,  il  évita  l'em- 
barras qu'aurait  occasionne  la  cor- 
rection des  épreuves,  s'il  eût  envoyé 
une  copie  manuscrite  (8).  Raynal 
marqua  le  voyage  qu'il  fit  alors  en 
Suisse  ,  par  quelques  actes  plus  esti- 
mables que  lemotif  qui  leliii  avait  fait 
entreprendre.  A  Genève  ,  il  travailla 
à  reconcilier  les  deux  partis  qui  di- 
visaient cette  republique  :  mais  il  ne 
fut  pas  plus  heureux  dans  cette  né- 
gociation queue  ravalent  été  les  plus 
habiles  diplomates  de  l'Europe.  Le 
seul  fruit  qu'il  en  recueillit, fut,  selon 
Grimra  ,  l'avantage  de  manger  d'ex- 
cellentes truites  dans  le  cercle  des 
constitulionuaires  et  dans  celui  des 
représentants.  Étonné  de  ne  trouver 
en  Suisse  aucun  monument  érigé 
en  l'honneur  de  Furst ,  IMolcIital  et 
Stauffacher,  les  trois  fondatci;rs  de 
la  liberté  helvétique,  il  s^engagca  à 
en  faire  élever  un  à  ses  frais ,  dans 
l'endroit  où  ils  avaient  juré  d'af- 
franchir leur  pays  du  joug  de  la 
maison  d'Autriche.  La  politique  suis- 
se permit  à  un  Français  d'accomplir 
ce  projethonorablc;et  l'on  voit  enco- 
re dans  uneîle  au  milieu  du  lac  de  Lu- 
ceraece  monument,  consacré  aux  hé- 
ros de  la  liberté  |ielvétique.  Raynal 
gâta  peut-être  le  mérite  de  cet  acte 
généreux ,  eu  voulant  que  son  buste  , 
sculpté  parTassaert,  fut  placé  à  côté 
de  leur  image.  A  Lausane,  il  fonda 
trois  prix ,  pour  être  décernés  à  trois 
vieillards  que  leur  conduite  inlègrc 
et  leur  vie  laborieuse  n'auraient  pu 
mettre  à  l'abri  du  besoin.  Lors  de 

(8)  OeUc  anecdote  est  ti'rce  de  la  Lelli<:  de  l'nnc- 
koHCke.  aux  présiilaiits  et  électeurs  de  l'nris ,  1701  , 
page ifl. 


RAY  ,^3 

son  passage  à  Lyon,  il  fut  reçu  mem- 
bre de  l'académie  de  celte  ville;  et  il 
reconnut  cette  distinction  ,  en  remet- 
tant cà  cette  compagnie  les  fonds  de 
deuxprix,  l'un  de  la  valeur  de  six  cents 
livres  ,  et  l'autre  du  double  de  cette 
somme.  Il  proposa  ,  pour  sujet  du 
premier  ,  une  question  relative  à  ia 
prospérité  ni;Miufacturièro  de  Lvon  ; 
et,  pour  sujet  du  second,  l'examen  de 
cette  grande  question  qui  se  ratta- 
chait à  l'objet  favori  de  ses  études  : 
La  découverte  de  l'Amérique  a-telle 
été  nuisible  ou  utile  au  genre  hu- 
main'? De  retour  à  Pari.s,  Raynal 
vit  enfin  fondre  sur  lui  l'oiage  qu'il 
était  alléchercher au  pied  des  Alpes. 
La  nouvelle  édition  de  l'Histoire 
philosophique  avait  paru  à  Genève; 
et  quelque  rigoureux  que  fussent  les 
ordres  envoyés  à  toutes  les  frontiè- 
res du  royaume  pour  défendre  l'en- 
trée de  ce  livre  ,  on  trouva  le  moyen 
d'en  introduire  un  grand  nombre. 
Necker  fut  accusé  d'avoir  favorisé 
cette  fraude  :  divers  pamphlets  ap- 
pelèrent même  Raynal  le  Tim~ 
ballier  du  parti  Necker  ;  mais  la 
vérité  est  que  personne  ne  vit  avec 
plus  de  peine  que  ce  ministre,  l'in- 
discrétion et  la  folie  avec  lesquelles 
cet  écrivain  compromettait  si  gra- 
tuitement le  repos  de  sa  vieillesse, 
et  forçait  l'autorité  à  sévir  contre 
lui.  Eu  effet,  pour  ajouter  au  scan- 
dale qu'il  avait  si  bien  médité,  Ray- 
nal ne  se  contenta  pas  de  mettre  son 
nom  à  l'édition  de  1 780  ;  il  fit  encore 
précéder  l'ouvrage  de  son  portrait, 
dans  lequel  le  peintre  lui  avait  donne 
une  physionomie  farouche  :  «  Sot 
n  portrait  !  s'écrie  Grimm  ,  dans  sa 
correspondance  (  1780),  et  qui  lui 
»  ressemble  si  peu.  »  C'est  ainsi 
qu'après  dix  années  d'impunité  , 
Rnynal  attira  sur  sa  personne  et  sur 
V Histoire  philosophique ,  la  perse- 


174 


RAY 


cution  qu'il  avait  triiit  désirée.  En- 
core est- il  probaljlc  que  ses  vœux 
n'auraient  pas  etd  exaucés  ,  si  un  en- 
nemi particulier  n'avait  place,  sur 
le  bureau  de  Louis  XVI ,  un  des 
volumes  de  V Histoire  philosophirjue, 
relié  de  telle  façon  qu'il  s'ouvrait 
aux  endroits  les  plus  répréheusiMes. 
Le  roi  tomba  sur  ces  passages  ,  les 
lut  avec  indignation  ,  et  fit  de  graves 
reproches  au  garde-dcs-sccaux  et  à 
M.  de  Vergenncs  ,  non-seulement 
pour  n'avoir  pas  fait  poursuivre  cet 
ouvrage  ,  mais  encore  pour  y  avoir 
souscrit.  Le  ministère  n'accomplit 
qu'à  moilié  les  intentions  du  moiiar 
que  :  on  usa  envers  Raynal  de  tous 
les  ménagements  qui  pouvaient  neu- 
traliser les  rigueurs  de  la  justice. 
L'avocat-général  Séguier  ,  avant  de 
commencer  ses  poursuites ,  le  lit 
avertir  de  pourvoir  à  sa  sûreté.  Le 
gouvernement  ferma  les  yeux  sur 
la  fuite  de  Raynal  ,  qui  put  mettre 
sa  personne  et  sa  fortune  à  l'abri  de 
toute  atteinte.  Le  décret  lancé  contre 
lui ,  l'arrêt  de  condamnation,  du  2i 
mai  itBi  ,  l'annotation  de  ses  biens, 
en  un  mot  toutes  les  raesuies  qu'un 
antique  usage  prescrivait  au  parle- 
ment ,  ne  furent  que  de  vaines  forma- 
lités. L'abbé  Raynal  perdit  seulement 
la  pension  (ja'il  recevait  du  ministè- 
re; et  son  ouvrage,  brûlé,  le  '2()  mai, 
par  la  main  du  bourreau ,  au  pied  du 
grand  escalier  du  palais,  n'en  eut  que 
])lus  de  vogue.  De  Courbcvoie,  près 
Paris,  où  il  résidait,  il  se  rendit  à 
Spa  :  la  plus  brillante  compagnie  de 
l'Europe  se  réunissait  en  ce  lieu. 
Raynal  y  trouva  des  admirateurs  et 
des  amis.  C'est  là  qu'd  rencontra  le 
])rince  Henri  dePri;sse,quidevinlson 
jaolectcur.  Un  ieuiiclk'lgemaniresla 
son  cnlliousiasme  pour  le  celèbie 
es.il(',  en  lui  adressant  une  éjûlre  in- 
tilulce  L(i  iVj  iiiphe  de  Sj>a  à  rabbé 


RAY 

Ilafnal(i)).  Cette  pièce,  qui  contient 
l'expression  de  priiicipes  démagogi- 
ques et  anti-religieux,  fut  censurée  par 
le  prince-évèque  de  Liège,  qui  avait 
moins  pour  but  d'accabler  l'impru- 
dent admirateur  de  Raynal ,  que  d'at- 
taquer cet  écrivain  lui-même.  En  ef- 
fet ,  le  jeune  auteur  ne  fut  nullement 
inquiété.  Pour  se  venger  ,  l'abbé 
Raynal  fit  paraître  ,  sous  le  titre 
àeLetire  à  V  Auteur  de  laNjmphe 
de  Spa,  la  Haye,  1781  ,  un  écrit 
contre  les  ecclésiastiques,  et  surtout 
contre  les  évoques  ,  qu'il  appelait 
des  Busiris  en  soutane  ,  dont  la 
conduite  est ,  disait-il,  absurde,  ri- 
dicule et  horrible  (10).  Tandisque 
Raynal  soutenait  cette  guerre  indé- 
cente conire  le  prince  évcque ,  dans 
les  étals  duquel  il  avait  trouvé  un 
asile,  V Histoire  philosophique  était, 
en  France,  l'objet  des  censures  de  la 
Sorbonne ,  et  de  plusieurs  prélats  zé- 
lés pour  la  religion  ,  notamment  de 
l'archevêque  de  Vienne,  Porapignan^ 
qui ,  à  celte  occasion  ,  publia  son 
mandement  du  3  août  1781.  Mais 
pendant  que  les  personnes  pieuses  se 
prononçaient  contrcl'autenr  de  r/^j\y- 
toirc  philosophique,  les  Anglais,  assez 
indifl'crenls  en  matière  de  religion, 
honoraient  en  lui  l'écrivain  qui ,  le 
premier  en  France ,  avait  porté 
ses  méditations  sur  le  commerce 
des  deux  Lides.  La  guerre  d'A- 
mérique était  alors  engagée.  Le  ne- 
veu de  Raynal,  (|ui  servait  sur  un 
Làtinient  français  faisant  partie  de 
l'escadre  de  SuHreu ,  fut  ])ris  et 
conduit  à  Londrc-s.  Le  ministre,  ap- 
pi  euant  quel  était  l'oncle  du  ])rison- 


(0)  Ci;l  écrit  ]>')rli'  siiilciutnit  l'iiiiliale  duuuiii  de 
l'iiutiur,  ciuir.sl  un  li. 

(10)  r.ii  ^Yl"|lll<:  <lf  ••/'"  "  ''"''/"'•  fi'ijri'i'l  se 
tmiivc  iiluipiiiiii-r  il;in^  un  miviagc  (  tic  lliiviml  ), 
:,Vi..a  l-MUr  lin.-  Hc/U'iisr,,  ht  <-<-nu„e  ,lc  U,  locdli 
lie  iliinloy,  'l  de  i 'ans  ,  codIio  l'IIiiloire /iluloioyhi- 


RAY 

nier,  lui  rendit  la  liberté,  et  annonça 
cette  nouvelle  à  Raynal  ,dans  les  ter- 
mes suivants  :  «  C'est  le  moins  que 
»  nous  puissions  faire  pour  un  hom- 
»  me  dont  les  e'crits  sont  si  utiles  à 
»  tontes  les  nations  commerçantes.  » 
Pendant  le  voyage  qu'il  avait  fait 
à  Londres  pour  perfectionner  son 
ouvrage  ,  Raynal  avait  reçu  plus 
d'une  distinction  ilalleuse.  :  la  So- 
ciété Royale  l'avait  admis  au  nom- 
bre de  ses  membres  ;  l'orateur  de 
Ja  chambre  des  communes  appre- 
nant qu'il  se  trouvait  dans  la  gale- 
rie, fit  suspendre  la  discussion  jus- 
qu'à ce  que  l'on  eût  accorde'  une  pla- 
ce marquée  au  pliilosoplie  français. 
De  Spa,  où  il  commençait  à  ne  plus 
se  croire  en  sûreté' ,  Raynal  passa  en 
Allemagne,  et  se  rendit  auprès  de  la 
duchesse  de  Saxe- Gotha  ,  qui  lui  fit 
l'accueil  le  plus  honorable.  De  la  il 
fut  conduit  a  Berlin  par  le  desirde 
voirie  grand  Frédéric.  Mais  ce  mo- 
narque ne  partageait  pas  cet  empres- 
sement :  il  ne  pardonnait  point  à 
Raynal  l'apostrophe  sanglante  que 
cet  c'crivain  lui  avait  adressée  dans 
son  Hislciie  philosophique ,  et  qui 
commence  par  ces  mots  :  O  Fré- 
déric ,  iii  fus  un  roi  a^uerrier  ,  etc. 
L'humiliation  du  pliilosophe  eût  été 
à  son  comble,  et  le.butdeson  voyage 
tout-à-fait  manqué,  si  Frédéric  eût 
persisté  à  ne  pas  lui  accorder  d'au- 
dience. Depuis  plusieurs  mois, Raynal 
était  dans  une  attente  cruelle  :  toutes 
ses  petites  menées  ,  pour  être  admis 
auprès  du  prince  sans  paraître  l'a- 
voir sollicité,  n'avaient  produit  au- 
cun cfTet.  Plusieurs  fois  Frédéric 
était  venu  à  Berlin  ,  sans  le  faire  ap- 
peler ;  et  même  ,  lorsqu'on  lui  avait 
jiarlé  de  Raynal ,  il  n'avait  rien  ré- 
pondu. Enfin  celui-ci,  en  désespoir 
de  cause ,  se  rendit  à  Putsdam,  de- 
manda par  écrit  une  audience,   et 


RAY  ,75 

l'obtnit.  «  INI.  l'nbbé  ,  lui  dit  le  roi , 
»  asseyons-nous;  nous sonunes  viens 
»  l'iui  et  l'autre  :  il  y  a  bien  long- 
»  temps  que  je  vous  connais  de  nom. 
»  J'ai  hi  ,  il  y  a  de  longues  années  , 
»  etje  m'en  souviens  bien,  volrcHis- 
»  toire  du  Statliouderat ,  et  votre 
»  Histoire  du  Parlement  d'Angle- 
»  terre.»  —  Sire,  dit  l'abbé,  j'ai  fait 
des  ouvrages  plus  importants  depuis. 
—  Je  ne  les  connais  pas ,  répondit  le 
roi.  a  Cette  réplique,  dit  M.  Thic- 
»  bault  qui  se  trouvait  alors  à  la 
»  cour  de  Berlin  (11),  fut  vive  cora- 
)'  me  l'éclair  ,  et  elle  eut  le  degré 
»  de  fermeté  nécessaire  pour  faire 
»  comprendre  à  l'abbé  qu'il  ne  fal- 
»  lait  pas  parler  de  ces  autres  ou- 
))  vrages  plus  importants.  »  Telle 
fut  la  vengeance  ingénieuse  que  Fré- 
déric tira  d'un  écrivain  qui ,  après 
avoir  fait  le  Brutus  dans  ses  livres  , 
venait  dans  le  palais  des  rois  faire  le 
courtisan.  Raynal  fut  appelé  une  se- 
conde fois  auprès  de  Frédéric  ,  qui 
le  laissa  parler  tout  à  son  aise,  pour 
le  mieux  juger.  A  la  suite  de  ce  long 
entretien  ,  Frédéric  écri\it  à  d'Alem- 
bert  :  «  J'ai  vu  votre  abbé  Raynal  ; 
»  il  parle  beaucoup  :  à  la  manière 
»  dont  il  me  parlait  delà  puissance, 
»  des  ressources  et  des  richesses 
»  de  tous  les  peuples  ,  je  croyais 
»  m'entretenir  avec  la  providence. 
»  Je  me  suis  bien  gardé  de  révoquer 
»  en  doute  l'exictitudedeses calculs  : 
»  j'ai  compris  qu'il  n'entendrait  pas 
»  radierie  sur  un  écu.  »  Les  amis  de 
Raynal  ,  en  ne  citant  qu'uiie  phrase 
de  cet  éloge  ironique  ,  ont  prêté 
à  Frédéric  des  sentiments  d'admi- 
ration que  cet  écrivain  était  loin 
de  lui  avoir  inspirés.  Il  faut  sur- 
tout se  défier  de   la    manière  dont 


(u)  J\tcs  som-cnirs  tic  v.n^l  uni  iL  fcjuiii  à  Ber- 
lin ,t.  m,  p.  173. 


176  RAY 

Grimm  ,  dans  sa  Correspondance  , 
raconte  l'entrevue  de  l'auteur  de 
V Histoire  philosophique  avec  le  roi 
de  Prusse.  Il  fait  jouer  à  son  ami  le 
rôle  dcDiogène  vis-à-vis  d'Alexandre. 
Arencroire,FrcVlc'ric  aurait  témoigne' 
le  premier  un  vif  désir  de  voir  Ray- 
nal  ;  ne'anraoius,  comme  l'usage  de  la 
cour  voulait  que  toute  personne  pré- 
sentée écrivît  pour  demander  une 
audience,  le  philosophe  aurait  dit 
avec  stoïcisme  :  Cela  étant  ,je  nirai 
point  ;  je  suis  prêt  à  obéir  au  souve- 
rain (jui  in  appelle .  et  dans  les  états 
duquel  je  suis  ;  mais  je  n'ai  rien  à 
dire  au  roi ,  ni  à  lui  demander.  Fré- 
déric céda  en  ce  premier  point;  et , 
Raynal ,  lorsqu^on  lui  annonça  qu'il 
lui  faudrait  rester  debout  et  découvert 
devant  le  monarque,  osa  dire  :  Je  le 
plierai  donc,  après T avoir  salué ,  de 
me  renvoyer  ou  de  me  faire  asseoir. 
Frédéric  céda  encore,  et  promit  de 
faire  donner  un  siège  au  philosophe. 
On  sent  que  Grimm  a  voulu  faire 
briller  Raynal  aux  dépens  d'un  roi 
dont  le  défaut  n'était  pas  d'être  si 
débonnaire.  Les  prétentions  de  Ray- 
nal ,  son  caractère  intéressé  ,  ses  fan- 
faronnades, et  sa  conduite  peu  dé- 
cente pour  un  ancien  religieux,  n'ins- 
pirèrent pas  une  grande  estime  aux 
personnes  qui  le  connurent  à  Berlin. 
Le  sculpteur  Tassaert, qui  s'émit  fait 
un  plaisir  de  lui  offrir  l'hospitalité  , 
trouva  en  lui  un  commensal  incom- 
mode et  assez  peu  délicat  :  il  le  vit 
partir  avec  une  grande  joie,  et  il  n'en- 
tendit jamais  depuis  parler  de  Ray- 
nal,sanss'c'crier:  C'est  un]iableur,un 
gascon,  najant  que  deVeJJronteric 
et  de  la  jactance.  L'impératrice 
de  Russie  ,  Catherine  11  ,  donna 
aussi ,  à  ce  célèbre  exilé ,  des  mar- 
ques d'iiilcrOl  ;  et  il  est  curieux 
d'observer  que  l'écrivain  qui  avait 
le   plus  vivement  attaqué  l'autorité 


RAY 

des  rois  ,  ne  fut  mal  traité  par  aucun 
monarque.  De  Berlin, Raynal  se  rendit 
en  Suisse.  Ce  fut,  dans  ce  deuxième 
voyage  en  ce  pays,  qu'il  eut  occa- 
sion de  voir  Lavatcr.  11  voulut 
absolument  que  ce  physionomiste 
lui  dît  ce  que  les  traits  de  son  vi- 
sage faisaient  augurer  de  son  carac- 
tère. Le  docteur  suisse ,  après  s'en 
être  long-temps  f^éfendu ,  lui  parla 
en  ces  termes:  «  Cette  grosse  tête  est 
»  celle  d'un  penseur  :  ces  cheveux 
»  blancs  et  clairsemés  prouvent  que 
»  vous  n'avez  pas  toujours  été  tem- 
»  pérant  avec  le  beau  sexe  :  ce  front 
5)  saillant  et  large  désigne  lahardiesse 
»  et  même  l'efironterie  ;  ces  sourcils 
»  arqués  et  bien  fournis  donnent 
»  de  l'expression  à  votre  physiono- 
»  mie  ;  ces  yeux  creux  et  vifs  sont 
»  d'un  homme  spirituel  et  malin  ;  les 
»  nez  retroussés  ,  tels  que  le  vôtre, 
»  appartiennent  ordinairement  aux 
»  impudents  ;  cette  large  bouche 
»  marque  que  vous  n'avez  pas  été 
»  indifférent  sur  les  plaisirs  de  la 
»  table. — Et  mes  dents,  lui  dit  Ray- 
»  nal  ,  ne  sont -elles  pas  bien  con- 
»  servées  ?  —  Oui  ;  mais  si  elles 
»  mordent  si  bien  à  présent,  elles 
»  ont  dû  encoi'c  mieux  mordre  jadis. 
»  Quant  au  menton  recourbé,  ah  ! 
))  c'est  celui  d'un  satyre  ;  et  les  joues 
«  creuses  et  livides  ,  celles  de  l'en- 
1)  vie.  »  Raynal ,  au  lieu  de  se  fâ- 
cher ,  ne  fit  que  rire  du  ]»ortrait.  Il 
avait  laissé  des  amis  en  France;  ils 
obtinrent  son  rappel  dans  l'année 
1787.  Le  gouvernement .  dont  la  to- 
lérance lui  accordait  cette  faveur  , 
n'avait  pas  le  pouvoir  de  casser 
l'arrêt  du  Parlement  de  Paris  : 
ainsi  l'auteur  de  V Histoire  jdiilo- 
sophique  ne  put  rentrer  dans  la  capi- 
tale, ni  résider  dans  le  ressort  rie  cet- 
te cour  souveraine.  11  se  fixa  d'abord 
à  Saint-Genicz ,  sa  patrie;  mais  le  be- 


RAY 

soin  de  livres  et  de  société  lui  fît 
bientôt  quitter  cette  reiraite.  Un  de 
ses  amis  lui  ofTrit  sa  maison  :  c'e'- 
tait  Malouet,  alors  intendant  de  la 
marine  à  Toulon.  Raynal  trouva  , 
dans  cet  asile,  tous  les  égards  d'u- 
ne touchante  hospitalité.  Ce  fut  à 
cette  époque  de  sa  vie  qu'en  parcou- 
rant la  partie  méridionale  de  la  Fran- 
ce, «  il  crut,  selon  l'expression  d'u- 
»  ne  de  ses  lettres  ,  qui  nous  a  été 
»  conservée,  apercevoir  un  décou- 
»  rageraent  entier  dans  les  peuples 
»  des  campagnes.  Pour  les  ranimer, 
»  autant  qu'il  était  en  l-.ii ,  il  donna 
»  à  l'assemblée  provinciale  de  la 
»  Haute- Guienne  douze  cents  livres 
»  de  rente  perpétuelle  ,  qui  devaient 
»  être  annuellement  distribuées  aux 
»  petits  cultivateurs  propriétaires 
»  qui  auraient  le  mieux  exploité  leurs 
î)  terres.  »  Plus  tard ,  les  départe- 
ments de  l'Aveyron  et  du  Lot  de- 
vaient se  partager  cette  rente.  Mais 
déjà  l'agitation  qui  se  manifestait  par 
toute  la  France  ,  annonçait  à  l'abbé 
Raynal  les  conséquences  funestes 
des  principes  anarchiques  que  ses 
propres  écrits  avaient  contribué  à 
répandre.  Les  états  -  généraux  fu- 
rent convoqués.  Nommé  député  du 
tiers-état ,  de  la  ville  de  Marseille  , 
il  n'accepta  point ,  à  cause  de  sou 
grand  âge ,  et  fit  passer  les  suffra- 
ges qu'il  avait  obtenus  ,  sur  Ma- 
louet ,  qui  se  glorifiait  du  titre  de 
son  disciple.  Mais,  dcs-lors,  Raynal 
avait  été  ramené ,  par  la  vue  des 
dangers  de  l'ordre  social  et  de  la 
monarchie,  à  des  idées  plus  saines 
et  plus  modérées.  Il  avait  reconnu 
la  faiblesse  et  l'extravagance  de  cet- 
te fausse  philosophie,  par  laquelle 
lui-même  s'était  laissé  égarer.  L'un 
des  premiers  actes  de  Malouet,  com- 
me législateur,  fut  de  proposer  ,  le  1 5 
août  1790,  un  décret  tendant  à  an- 

XXXVll. 


RAY 


'77 


nuler  la  sentence  de  prise  de  cori)s 
et  de  confiscation  de  biens ,  pronon- 
cée ,  en  1781 ,  contre  l'abbé  Raynal. 
Cctteproposiiion  passa,  malgré  l'op- 
position d'un  membre  de  la  minori- 
té, M.  de  Boual,  évêque  de  Cler- 
mont ,  qui  observa  que  ce  serait  don- 
ner à  l'Europe  l'exemple  d'une  tolé- 
rance dangereuse,  que  de  prononcer 
la  réhabilitation  d'un  prêtre  qui , 
dans  ses  ouvrages,  s'était  fait  gloire 
d'attaquer  la  religion  et  d'abjurer  la 
prêtrise.  En  effet ,  Raynal  avait  osé 
impiimer  :  Quand  j'étais  prêtre. 
Cette  marque  d'improbation,  don- 
née par  un  évêque  plein  de  zèle,  dut 
produire  d'autant  plus  d'effet  sur 
Raynal,  qu'il  avait  déjà  les  yeux  ou- 
verts sur  l'abîme  où  des  législateurs 
imprudents  entraînaient  la  France. 
Sa  façon  de  penser  à  cet  égard  était 
déjà  si  bien  connue,  que,  le  3o  déc. 
1790,  on  publia,  sous  le  titre  de  Let- 
tre de  l'abbé  Raynal  à  l'assemblée 
nationale  (  datée  de  Marseille,  10 
déc.  ),  unebrochure  pseudonyme  (in- 
8°.  de  g4  pag  ) ,  dans  laquelle  on  prê- 
tait à  l'auteur  de  V Histoire  philoso- 
sophique,  des  sentiments  et  un  langa- 
gage  directement  opposés  aux  idées 
révolutionnaires  {T.  Malouet 
XX\I,-4o5).  Soudain  des  cris  uni- 
versels s'élevèrent. Les  patriotes, pre- 
nant fait  et  cause  pour  Raynal ,  le 
vengèrent,  dans  leurs  pamphlets, 
de  ce  qu'ils  appelaient  une  calomnie, 
et  allèrent  jusqu'à  supposer  un  désa- 
veu de  ce  philosop]H\  Mais  Raynal 
était  à  la  veille  de  tromper  haute- 
ment leurs  espérances ,  et  d'accom- 
plir l'acte  le  plus  honorable  de  sa 
longue  carrière.  Le  premier  entre 
tous  les  partisans  des  idées  nouvel- 
les, il  devait  les  désavouer  avec  une 
énergie  qui  u'a  pas  été  surpassée.  Il 
adressa,  bien  véritablement ,  le  3r 
mai  1 79 1  ,  à  Bureau  de  Puzy ,  qui 
12 


i-jS  RAY 

présidait  rassemblée  nationale,  cette 
fameuse  lettre  qui  offre  une  re'trac- 
tation  formelle  des  principes  con- 
signe's  dans  V Histoire  philosophi- 
que,  et  une  de'sapprobation  abso- 
lue des  doctriues  et  des  actes  des 
nouveaux  législateurs.  C'est  en  vain 
que  quelques  révolutionnaires  in- 
corrigibles prétendent  encore  au- 
jourd'hui le  contraire;  en  vain  iis 
nient  le  désaveu  de  Raynal  :  il  n'est 
pas  une  phrase  de  celle  lettre  qui  ne 
leur  donne  un  démenti.  «  J'ose  de- 
»  puis  long  -  temps  ,  disait  Raynal , 
»  parler  aux  rois  de  leurs  devoirs. 
»  Souffrez  qu^aujourd'huije  parle  au 
»  peuple  de  ses  erreurs ,  et  aux  re- 
»  pi'ésentants  du  peuple  des  dangers 
»  qui  nous  menacent  tous.  Je  suis , 
»  je  vous  l'avoue  ,  profondément  at- 
»  triste  des  désordres  et  des  crimes 
»  qui  couvrent  de  deuil  cet  empire. 
»  Serait- il  donc  vrai  qu'il  fallût  me 
»  rappeler  avec  effroi  que  je  suis  un 
»  de  ceux  qui ,  en  exprimant  une  in- 
»  dignation  généreuse  contre  le  pou- 
f)  voir  arbitraire  ,  ont  peut  -  être 
))  donné  des  armes  à  la  licence...? 
«  Que  vois  -je  autour  de  moi  !  des 
»  troubles  religieux,  des  dissensions 
»  civiles,  la  consternation  des  uns, 
»  l'audace  et  l'emportement  des  au- 
»  très;  un  gouvernement  esclave  de 
»  la  tyrannie  populaire;  le  saucluai- 
»  re  des  lois,  environné  d'hommes 
»  effrénés,  qui  veulent  alternalive- 
»  ment  ou  les  dicter  ou  les  braver  ; 
»  des  soldats  sans  discipline ,  des 
»  chefs  sans  autorité,  des  ministres 
»  sans  moyens;  un  roi,  le  premier 
»  ami  de  son  peuple,  plongé  dans 
);  l'amertume,  outragé,  menacé  de 
»  perdre  toute  autorité;  et  la  puis- 
»  sance  puijlique  n'existant  plus  que 
»  dans  les  clubs,  où  des  hommes 
»  ignorants  et  grossiers  osent  pro- 
»  lionccr  sur  toutes  les  questions  po- 


RAY 

»  litiques »  Après  cette  énergique 

déclaration  de  principes,  Raynal  ar- 
rivait aux  actes  de  l'assemblée  na- 
tionale. «  C'est  en  vous  livrant  aux 
»  écarts  de  l'opinion  ,  disait-il,  que 
»  vous  avez  favorisé  l'influence  de 
»  la  multitude  ,  et  multiplié  à  Tin- 

»  fini  les  élections  populaires 

»  Vous  avez  conservé  le  nom. du  roi; 
»  mais  ,  dans  votre  constitution  ,  il 
»  n'est  plus  utile  :  il  est  encore  dan- 
»  gereux.  Vous  avez  réduit  son  in- 
»  fluence  à  celle  que  la  corruption 
»  peut  usurper.  Vous  l'avez,  pour 
r>  ainsi  dire,  invité  à  combattre  une 
»  constitution  qui  lui  montre  sans 
»  cesse  ce  qu'il  n'est  pas  ,  et  ce  qu'il 
»  pourrait  être...  Comment  souflrez- 
»  vous,  après  avoir  déclaré  le  dogme 
»  de  la  liberté  des  opinions  religieu- 
»  ses,  que  des  prêtres  soient  accablés 
»  de  persécutions  et  d'outrages, par- 
w  ce  qu'ils  n'obéissent  pas  à  votre 
»  opinion  religieuse?  Comment  souf- 
))  frez-vous  ,  après  avorr  consacré  le 
»  principe  de  la  liberté  individuelle, 
f>  qu'il  existe  dans  votre  sein  une  in- 
»  quisition  qui  sert  de  modèle  et  de 
»  prétexte  à  toutes  les  iiu{uisitions 
»  subalternes  ?  Il  est  temps  de  faire 
»  cesser  l'anarchie  qui  nous  désole  ; 
»  d'aricter  les  vengeances,  les  sédi- 
»  tiens  ,  les  émeutes  ;  de  nous  ren- 
»  dre  enfin  la  paix  el  la  cenfiance. 
»  Pour  arriver  à  ce  but  salutaire  , 
»  vous  n'avez  qu'un  moyen  ;  et  ce 
»  moyen  serait ,  en  révisant  vos  de- 
»  crets  ,  de  réunir  et  de  renforcer 
))  des  ])ouvoirs  affiiblis  ])ar  leur  dis- 
»  persion;  de  confier  au  roi  toute  la 
»  force  nécessaire  pour  assurer  la 
»  puissance  des  lois...  Vous  avez  po- 
»  se  les  bases  de  la  liberté  de  toute 
»  constitution  raisonnable  ,  en  assu- 
»  rant  au  peuple  le  droit  de  faire  les 
»  lois  et  de  statuer  sur  l'impôt.  L'a- 
»  narchic  engloutira  même  ces  droits 


RAY 

»  dmineiits ,  si  vous  ne  les  mettez 
»  8011S  la  garde  d'un  gouvernement 
»  actif  et  vigoureux  ;  et  le  despotis- 
»  rae  nous  attend  si  vous  repoussez 
»  la  protection  tutëlaiie  de  l'aiitori- 
»  te'  royale.  »  Cette  lettre,  admirable- 
raent  écrite,  qui  contenait  le  pre'scnt 
et  l'avenir  de  la  révolution ,  occa- 
sionna ,  dans  le  sein  de  l'assemblée  , 
une  des  scènes  les  plus  orageuses 
que  l'on  y  eût  encore  vue  éclater.  Ro- 
bespierre et  M,  Rœdercr  prirent  la 
fiarole  contre  le  vieillard  qui  avait 
e  courage  de  dire  la  vérité  aux  dé- 
magogues du  jour,  et  de  démas- 
quer le  pliilosophisme.  Robespierre 
demanda  qu'on  lui  pardonnât  en  fa- 
veur de  sa  vieillesse.  Moins  modéré 
ou  moins  adroit,  M.  Rœdercr  ne  se 
contenta  point  des^élever  contre  l'au- 
teur de  la  lettre;  il  demanda  le  rappel 
à  l'ordre  du  président  qui  l'avait  lue. 
(  F.  le  Moniteur  du  3  \  mai  1791.) 
Tous  les  journaux  révolutionnaires 
accablèrent  Raynal  de  leurs  injures  j 
et  sa  lettre  donna  lieu  à  une  multitu- 
de de  pamphlets  plus  ou  moins  viru- 
lents ,  et  à  une  foule  de  caricatures 
indécentes.  Une  d'elles  le  représentait 
coiffé  d'un  bourrelet  et  avec  des  li- 
sières ,  comme  un  enfant.  Panni  les 
écrits  qui  parurent  dans  les  journaux, 
nous  citerons,  i*^.  une  Lettre cC An- 
dré Chénicr  (Moniteur,  i5  juin 
1791  )  ;  a°.  une  Lettre  d' Ana char- 
sis  Clootz  à  un  de  ses  amis  (  Chro- 
nique de  Paris,  juillet  1791  ).  Le 
premier  ,  encore  imbu  des  idées  ré- 
volutionnaires qu'il  devait  abjurer 
plus  tard  ,  reprochait  à  Raynal  d'a- 
voir apostasie  la  philosophie,  com- 
me il  avait  apostasie  la  prêtrise  sous 
l'ancien  régime.  Le  second  lui  faisait 
des  reproches  de  plus  d'un  genre  :  il 
l'accusait  d'avoir  vendu  des  nègres 
aux  colons  de  Saint  -  Domingue  , 
et  procuré  des  Laïs  aux  débauchés 


RAY  179 

de  Paris  ;  d'avoir  exercé  le  métier 
d'espion  de  police.  «  Ce  furet,  dit- 
V  il  ,  s'était  tellement  impatronisé 
j>  dans  les  maisons  ,  qu'on  n'osait 
»  lui  fermer  la  porte  au  nez ,  czainte 
»  d'une  lettre  de  cachet.  Le  sage 
»  Hclvétius  avertissait  les  étrangers 
»  d'être  circonspects  devant  Ray- 
»  na!.  »  Revenant  sur  les  plagiats  de 
Raynal ,  Anacharsis  Clootz  ajoutait  : 
«  Le  plat  auteur  du  Stathoudérat  sc 
»  fit  une  superbe  queue  de  paon  avec 
»  la  plume  des  Peehméja  ,  des  Du- 
»  breuil,  des  Diderot,  des  Naigeon, 
»  des  Holbach ,  etc.  ,  sans  compter 
»>  tous  les  écrivains  qu'il  pilla  mal- 
»  gré  eux.  Mon  oncle  (Pauw),rau- 
»  teur  des  Recherches  sur  les  Amé- 
»  ricains  ,  se  frotta  les  yeux  en 
»  voyant  des  pages  entières  de  son 
»  ouvrage  immortel  ,  incorporées 
»  sans  italique  ni  guillemets,  dans 
»  l'ouvrage  de  l'entrepreneur  Ray- 
»  nal.  »  Parmi  les  nombreuses  bro- 
chures auxquelles  donna  naissance 
la  lettre  de  Raynal,  nous  citerons  , 
1°.  L'avocat  Manesse  parmi  ses 
concitoyens ,  Réponse  en  parallèle 
à  L'ahbé  Raynal  aux  états-géné- 
raux ,  1 791  ,  in-S*^.  ;  —  1°.  Extrait 
raisonné  de  V Histoirephilosophique 
des  deux  Indes,  à  l'appui  de  V adres- 
se de  G. -T.  Raynal  aux  états-gêné- 
7Y/«.r,in-8°.  -  3".  Réponse  à  la  lettre 
de  G. -T.  Raynal,  adressée  à  rassem- 
blée nationale,  etc.,  par  M.  Loiseau^ 
auteur  du  journal  de  constitution  et 
de  législation,  in-S"^.  —  4°-  Répon- 
se à  la  lettre  de  Vabbé  Raynal , 
anonyme,  in-8°.  Ces  deux  dernières 
brochures  ,  que  nous  avons  sous  les 
yeux  ,  sont  remplies  des  plus  gros- 
sières injures  :  il  semble  que  les  ré- 
volutionnaires aient  pris  à  tâche  de 
justifier  ,  à  l'égard  de  Raynal ,  ces 
mots  de  sa  lettre  :  Dans  ce  temps  de 
délire  et  de  faction ,  il  n^y  a  que  la  sa- 
li.. 


i8o 


RAY 


gesse  qui  soit  dangereuse.  Des  bio- 
graphes prétendent  que  la  lettre  de 
Raynalfit  peiurirapression  sur  l'opi- 
nion publique;  ils  n'ont  pas  re'fléchi 
que  les  écrivains  révolutionnaires  ne 
se  seraient  pas  si  vivement  acbarnc's 
contre  lui,  sM  n'avait  porté  à  leur 
parti  un  coup  dangereux.  Cette  lettre 
déconcerta  beaucoup  la  ma|orité  de 
l'assemblée  qui,  à  l'époque  dont  il  s'a- 
git, tombait  dans  un  discrédit  absolu 
surl'opinion,  ainsi  que Raynal avait 
eu  le  courage  de  l'insinuer  lui-même. 
Le  crédit  de  cette  majorité  ne  se  ré- 
tablit que  par  l'arrestation  du  roi  à 
Varennes.  Raynal  n'éraigra  point , 
et  vit  se  succéder  les  factions  qui , 
tour-à-tour,  ensanglanlèrentla  Fran- 
ce depuis  1 791  jusqu'en  1796.  1!  est 
difliciic  d'expliquer  comment  il  put 
échapper  à  la  fureur  de  ces  hoaimes 
de  sang  qui ,  proscrivant  tous  les 
genres  d'aristocratie  et  de  supériori- 
té ,  devaient  être  si  peu  disposés  à 
épargner  celle  du  talent  dans  un  prê- 
tre. Si  sa  vie  fut  épargnée  ,  il  n'en 
fut  pas  ainsi  de  sa  fortune  :  pendant 
la  terreur ,  il  se  vit,  à  plus  de  quatre- 
vingts  ans  ,  dépouillé  de  ses  meubles 
et  de  son  argenteiie.  Le  jour  de  sa 
mort,  il  n'avait  chez  lui  qu'un  assi- 
gnat de  cinq  livres.  Sa  dernière  heu- 
re fut  paisible:  depuis  quelques  mois 
il  vivaitreiiréàMontlhéri  :  ayant  fait 
un  petit  voyage  à  Paris  ,  et  s'y  trou- 
vant depuis  trois  jours  ,  il  alla  voir 
nu  ami  à  Chaillot;  et  ce  fut  là,  qu'at- 
taqué d'un  catarrhe  qui  le  loarmen- 
tait  depuis  quelque  temps,  il  expira 
le  6  mars  1796  à  six  heures  du  soir, 
peu  de  momenls  après  avoir  fait  des 
observations  critiques  sur  un  article 
de  journal  qu'on  venait  de  lire  devant 
lui.  Il  avait  accompli  sa  83"^.  année. 
Le  Directoire  ,  qui  s'occupait  d'or- 
ganiser rinslilul,  l'en  avait  nom- 
mé membre  pour  la  classe  d'histoire. 


RAY 

Peu  de  mois  après  la  mort  de  Ray- 
nal, le  i5  germinal  an  iv,  dans  la 
première  séance  publique  de  cecorps 
littéraire,  son  éloge  fut  prononcé 
par  J.  Lebreton ,  au  nom  de  l'Ins- 
titut. Raynal  était  aussi  membre  de 
Tacadémie  de  Berlin.  11  préparait 
une  nouvelle  édition  de  son  Histoire 
philosophique ,  et  travaillait ,  sur  des 
matériaux  que  lui  avait  fournis  le 
Directoire  ,  à  mettre  son  ouvrage  en 
harmonie  avec  la  nouvelle  situation 
des  colonies:  il  se  proposait  surtout 
de  retrancher  les  déclamations  qui 
lui  avaient  A^alu  de  si  déplorables 
succès  ;  mais  la  mort  l'empêcha 
d'exécuter  ce  dessein.  Peu  d'hom- 
mes de  lettres  ont  su  acquérir  une 
plus  belle  fortune  que  Raynal  :  sans 
doute  tous  les  moyens  qu'il  employa 
pour  y  parvenir  ,  ne  furent  ]ias  éga- 
lement honorables  ;  mais  il  sut  du 
moins  faire  im  noble  usage  de  ses  ri- 
chesses. Outre  les  fondations  dont 
nous  avons  parlé,  il  avait,  sous  l'an- 
cien régime,  doté  l'académie  françai- 
se, l'académie  des  inscriptions  et  bel- 
les-lettres ,  et  l'académie  des  scien- 
ces ,  chacune  d'une  rente  perpétuelle 
de  douze  centslivres,  pour  récompen- 
ser les  écrivains  qui  se  seraient  dis- 
tingués. En  1791,  la  société  d'agri- 
culture de  Paris  reçut  de  lui  une  rente 
])erpétuelle  de  douze  cents  livres , 
destinée  h  envoyer  de  bons  modèles 
d'instruments  de  labourage  dans  tous 
les  départements.  Enlai,  à  la  même 
époque  ,  il  fit,  à  Sa  lut- Gêniez  ,  une 
fondation  pour  assurer  aux  habi- 
tants de  son  lieu  natal,  les  bouillons 
et  les  médicaments  dont  ils  pour- 
raient avoir  besoin  dans  leurs  ma- 
ladies. Tous  les  contemporains  de 
Raynal  s^accordentà  lui  reconnaître 
un  caractère  obligeant  ,  et  les  (pia- 
lilos  propres  à  se  faire  des  amis. 
Rousseau  ,  qui,  dans  ses  Confessioiis, 


RAY 

parle  si  mal  de  presque  tous  ceux 
qui  eurent  des  rapports  avec  lui  , 
rend  àRaynal  le  témoignage  le  plus  fa- 
vorable :  «  Je  lui  étais  toujours  reste 
»  attaché  ,  dit-il ,  depuis  un  procédé 
»  plein  de  délicatesse  et  d'iionnê- 
»  teté  qu'il  a  eu  pour  moi ,  et  que  je 
»  n'oubliai  jamais.  Cet  abbé  Raynal 
r>  était  certainement  un  ami  chaud.  » 
U Histoire  du  Stathoudérat  parut 
d'abord  à  la  Haye  (  Paris  ) ,  un  vol. 
in- 1 2 ,  1 74<^.  Il  en  fut  publié  à  Ams- 
terdam ,  l'année  suivante,  une  nou- 
velle édition  par  Rousset ,  qui  revit  et 
corrigea  l'ouvrage  de  Raynal.  Ce  der- 
nier n'eut  aucune  part  à  celte  réim- 
pression: mais, en  i^SOjilfitlui-mê- 
me  réimprimer  son  ouvrage,  en  pro- 
fitant r'es  corrections  de  Rousset.  Par 
une  spéculation  de  libraiiie  difiicile 
à  caractériser,  V Histoire  du  Stathou- 
dérat a  été  reproduite  en  1819,  à 
Paris  ,  chez  Baudoin  frères  ,  sous  le 
nom  de  Louis  Buouaparte(  cx-roi  de 
Hollande  ) ,  avec  des  augmentations 
tirées  d'un  ouvrage  de  Barère,  et  que 
les  éditeurs  ont  attribuées  à  Napoléon 
Buona  parte  (  i  -x).  On  a  tiré  des  Anec- 
dotes historiques  de  Raynal ,  V His- 
toire du  divorce  de  Henri  Vlll  ^ 
roi  d'Angleterre  ,  et  de  Catherine 
d'Aragon,  1763,  in-12,  attribué  à 
l'abbé  Irailh.  \J Histoire  philoso- 
phique et  politique  des  établisse- 
ments des  Européens  dans  les  deux 
Indes  ne  parut  d'abord  qu'en  4 
vol.  in-8°. ,  à  Amsterdam,  1770, 
sans  nom  d'auteur  ;  Raynal  en  fit 
encore  imprimer  quatre  ou  cinq  cdi- 
lions  anonymes,  en  six,  puis  en  sept 
volumes  ,  jusqu'à  la  publication  de 
sa  fameuse  édition  de  1780,  Ge- 
nève, To  vol.  in -S*'.,  ou  4  vol. 
in-4".  ,  avec  un  atlas,  le  nom  et  le 


(11)    Dictionn.    t/es  Anonymes,    (Iciixièmc  l'dil. 
Il",  8i)5i. 


RAY 


181 


portrait  de  l'auleur.  L'édition  de 
Ncuchâtel ,  1785,  10  a'^oI.  in-8».  , 
n'est  pas  moins  estimée.  En  som- 
me ,  l'Histoire  philosophique  a  eu 
plus  de  vingt  éditions  ,  et  près 
de  cinquante  contrefaçons.  Nous 
citerons  encore  l'édition  de  1787, 
Avignon ,  8  vol.  in-8°. ,  revue  et 
corrigée  par  un  magistrat. \^éà\ûon 
la  plus  récente  est  celle  de  Paris, 
1820  ,  corrigée  et  augmentée  ,  d'a- 
près les  manuscrits  autographes  de 
l'auteur  ;  elle  aura  1 1  vol.  in-8°. , 
dont  le  dernier  contiendra  la  situa- 
tion actuelle  des  colonies,  parM.Peu- 
chet  :  ce  volume  est  le  seul  qui  n'ait 
pas  encore  paru.  Cette  édition  est 
précédée  d'une  Notice  biographique 
et  de  considérations  générales  sur 
les  écrits  de  Raynal  ^  par  M.  A.  Jay, 
qui  est  incomplète,  et  qui  n'offre 
qu'une  seule  anecdote  nouvelle  (  i3). 
Quant  aux  corrections  et  augmenta- 
tions d'après  les  manuscrits  auto- 
graphes, annoncées  par  le  litre,  elles 
sont  à-peu-près  nulles;  et  c'est  une 
preuve  de  plus  que  Raynal  n'eut  pas 
le  temps  de  mettre  la  dernière  main 
à  son  ouvrage.  U  Histoire  philoso- 
phique a  été  abrégée ,  réfutée ,  tra- 


«  (i3)  La  secoude  l'dition  de  THistoire  pbiloBo- 
«  pliicjne  avaitiiavu  ,  ditBI.  Jay,  loisqucM.  deLalIy- 
»  Toleudal  publia  les  Mémoires  qui  justiiiaient  la 
»  conduite  de  son  père.  Raynal  regretta  vivement  de 
»  ne  les  avoir  pas  connus.  Un  jour  le  hasard  luifit 
«  renco  trer  l'auteur  de  ces  beauxMémoires.  Ce  fut 
«  dans  l'itéde  1797.,  «rue  celte  reucontre  eut  lieuun 
»  jour  (pie  M.  Toleudal  avait  dîne  eu  l'anjillecbcïson 
»  ami,  feu  M.  Malouet ,  demeurant  alors  rue  d'Ett- 
»  fer.  Ce  detnier  ,  comme  ou  sortait  de  table  ,  reçut 
»  la  visite  de  Raynal  et  de  plusieurs  autres  person- 
»  ncs.  M.  Malonct  proposa  à  toute  la  compagnie  de 
«  faire  une  promenade  dans  le  jardin  du  Luxcm- 
»  bourg,  sur  lequel  son  jardin  particulier  avait  ime 
»  ouverture  :  la  proposition  fut  acceptée.  M.  deLal- 
11  Iv  étant  reste  en  arrière ,  et  sortant  le  dernier  du 
»  petit  jardin  pour  entrer  d,ius  le  grand,  M.  Ma- 
»  fouet,  qui  avait  gagne  les  devants  avecl'abbc  Ray- 
»  ual  .  se  retourna ,  et  dit  à  haute  voix  nu  comte  de 
»  Lally  :  m.  'li:  I.itlly^  avez-vous  fermé  la  porte  et 
tt/iiiita  idij.'  M.  de  Lally!  s'écria  Rayual  avec 
»  Irauspoit.  M.  de  Lally!  puis  s'i  lançant  vers  le 
»  comte  :  Ah  itfoHsieur,  poursuivit-il ,  combien  de 
njois  j'ai  ileiiré  de  vous  rcncvnlrer ;  combien  de 
"Jôh  j'ai  Joimi  le piojel  d'aller  vous  trouver  sans 


l82 


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duite  dans  presque  toutes  les  langues. 
Parmi  les  meilleures  rëfutattons  ,  on 
cite  les  Recherches  historiques  et 
politiques  sur  les  Etats-unis  de 
t  Amérique  septentrionale  ,Gic. ,  par 
un  citoyen  de  Virginie  (M.  Mazzey), 
4  vol.  in-8°.  ,  Paris,  1788 ou  1790. 
Un  Hollandais  a  publie ,  en  1 79 1 ,  un 
extrait  de  l'Histoire  philosophique 
pour  ce  qui  concerne  le  commerce 
et  les  colonies  de  la  Hollande,  i  vol. 
in  -  8°.  Un  académicien  de  Ber- 
lin a  refuie'  ce  qui  paraissait  inju- 
rieux au  roi  de  Prusse  (  P^oy.  Mou- 
lines ).  Le  duc  d'Almodovar ,  grand 
d'Espagne,  a  donné  moins  une  tra- 
duction qu'un  extrait  de  l'Histoire 
philosophique,  duquel  il  a  eu  soin 
de  bannir  tout  ce  que  cet  ouvrage 
offre  de  répréhensible  sous  le  rap- 
port des  doctrines,  en  rectifiant 
d'ailleurs  plusieurs  des  erreurs  échap- 
pées à  Raynal  sur  les  colonies  espa- 
gnoles. Des  libellistes  qui  spéculent 
sur  les  plus  coupables  écarts  de  l'es- 
prit humain,  ont  extrait  V Histoire 


yi  jamais  oser  l'exécuter  1  f^oiis  m'avez  traité  séfi- 
7t  renient  dans  vos  écrits  ;  je  le  méritai^  :  je  vous 
»  ai  blessé  au  cœur.  J'écrivais  dans  le  camp  de  vos 
]i  ennemis;  je  ne  vous  avais  pai  lu:  quelle  répara^ 
m  tion  vous  faut-il?  M.  de  Lally,  touclie  delà  fian- 
«  chise  et  des  regrets  de  Tabbé  Raynal,  lui  rëpon- 
»  dit  qu'il  serait  plus  que  satl^fdit ,  s'il  avait  la  gcnë- 
»  rosite'  de  les  publier  un  jour.  L'abbé  reprit  avec 
»  la  mcuie  vivacité  :  C'eU  trop  peu  que  des  regrets  . 
»  monsieur  :  une  amende  lionorahle ,  je  le  répèle  ; 
»  je  la  dois  an  père  et  au  Jils.  Elle  ne  me  coulera 
»  pas  envers  le  liéros  de  la  nature  ,  devenu  le  héros 
ji  de  la  patrie.  M.  de  Lally  picuant  alors  les  mains 
«  de  Rayiial ,  lui  dit  d'une  voix  émue  :  Monsieur, 
t>  je  ne  sens  plus  dans  ce  moment  que  lu  reconnais.^ 
»  sanre  due  à  l'homme  de  génie  ,  qui  le  premier 
j>  après  Voltaire  aJoudroyéV  arrêt  meurtrier  de  mon 
y>  père.  Promettez-moi  de  rendre  publiquenienl  à 
î»  son  caractère  la  même  justice  que  vous  avez  ren- 
m  due  à  son  innocence,  et  je  vous  jure  île  tout  mon 
»  cceur  autant  d'amitié  que  vous  m'avez  inspiré 
»  malgré  moi  d'admiralum.  Raynal  promit  solin- 
»  Dcllcmciitcc  qu'on  lui  demandait.  M.  Malouet  ,lcs 
»  yeux  pleins  de  larmes,  prit  la  main  du  comte  et 
>  celle  de  l'abbé  ,  1 1  les  joignit  dans  les  siennes  en 
»  disant  :  Je  réponds  de  tous  deux  ,  et  tous  deux 
»  vont  vous  cudirasserez  chez  moi;  maintenant 
»  promenons-nous  ,  et  ne  faisons  pas  de  scène;  car 
»  on  commence  à  nous  regarder  heaucoup.  n  Cette 
•necdotc  est  consignée  dans  une  lettre  Écrite  par 
M.  de  Lully-Tolendol   h  feu  Poi  talis. 


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philosophique  dans  un  toul  autre  es- 
prit, en  laissant  de  côté  les  faits  pour 
n'en  conserver  que  les  déclamations 
impies  et  séditieuses,  et  l'ont  publia 
sous  le  tit/e  à' Esprit  de  Rajnal,  un 
vol.  in-8'^.  (  F.  HÉDouTN.  )  Ce  livre 
fut  proscrit  par  le  garde-des-sceaux , 
en  1777.  Ou  a  quelquefois  attri- 
bué à  Raynal  :  I.  Les  Mémoires  de 
Ninon  de  Lenclos  ;  c'est  une  er- 
reur :  ils  furent  publiés  par  le  che- 
valier d'Oiixmcnil.  IL  Tableau  et 
révolutioîi  des  colonies  anglaises 
de  V  Amérique  septentrionale ,  1 78 1 , 
Amsterdam  ,  1  vol.  in  -  8"^.  III. 
Les  Inconvénients  du  célibat  des 
prêtres ,  ouvrage  dont  le  vérita- 
ble auteur  est  l'abbé  Gaudin  (  Voy. 
ce  nom,  XVÎ,  573).  IV.  Essai  sur 
l'administration  de  Saint-Domin- 
gue, 1787  ,  qui  n'est  qu'une  compi- 
lation tirée  de  V Histoire  jdiilosophi- 
que.  V.  RéJle.xions  et  Notices  sur  la 
traite  des  noirs.  VI.  Des  assassinats 
et  des  vols  politiques,  ou  Des  pres- 
criptions et  des  confiscations ,  Ams- 
terdam et  Paris,  an  m,  1795.  Cet 
écrit  énergique  est  du  célèbre  avo- 
cat-général Servan.  Sérieys  a  publié, 
en  i8o5  ,  sous  ce  titre  ,  Eléments 
de  Vhistoive  du  Portugal ,  conte- 
nant les  causes  de  la  décadence  des 
Portugais ,  leurs  lois  ,  leur  com- 
merce, les  révolutions  de  ce  royau- 
me ,  un  ouvrage  qui  avait  été 
composé  par  Raynal.  En  effet , 
cette  production  est  moins  une  his- 
toire qu'une  série  de  considérations 
générales  tout-à -fait  dans  la  ma- 
nière de  cet  écrivain.  Il  est  parlé , 
dans  quelques  Biographies,  d'une 
Histoire  de  la  révocation  de  Vedit 
de  Nantes  ,  par  Raynal  ,  et  qui  de- 
vait avoir  quatre  volumes.  Il  est  cer- 
tain que  ,  s'il  a  jamais  songé  à  faire 
cet  ouvrage ,  il  n'a  pas  eu  le  temps 
d'accomplir  ce  projet.  Enfin  il  pa- 


RAY 

TcTÎt  prouva  qu'il  a  dcilt  des  Mémoi- 
res sur  la  Barbarie,  qui ,  à  sa  mort , 
étaient  entre  les  mains  de  ses  lie'ri- 
tiers ,  si  l'on  en  croit  une  Notice 
publie'e,  en  leur  nom,  dans  le  Mo- 
niteur du  5  vende'miaire  an  v  (i4)- 
Le  Journal  des  savants ,  d'octobre 
1 823,  annonce  (  page  638  )  comme 
devant  paraître  incessamment  à  Fa- 
ris,  chez  Amable  Costes,  en  2  vo- 
lumes in- 8°. ,  V Histoire  philosophi- 
que et  politique  des  établissements 
et  du  commerce  des  européens  dans 
VAJrique,  ouvrage  posthume  de  G. 
T.  i?flx«rtZ,  avec  des  augmentations, 
par  M.  Peucliet,  concernant  l'état 
actuel  de  cese'tablisseraents.  D-r-h. 
RAYNAL  (Jean)  ,  né  à  Toulouse 
en  1723,  fut  l'un  des  historiens  de 
cette  ville.  Destine'  d'abord  à  l'état 
ecclésiastique  ,  il  ne  tarda  pas  à  le 
quitter;  il  se  fit  recevoir  avocat  au 
parlement  desacitéuatale,  et  plaida 
même  avec  beaucoup  de  talent.  Nom- 
mé, en  1  767  ,  capitoul ,  et  subdélé- 
gué de  l'intendant  du  Languedoc  ,  il 
se  fit  remarquer  par  ses  talents  ad- 
ministratifs, etfut  envoyé,  en  1772, 
pour  porter  à  Versailles  le  cahier 
des  états  de  la  province.  Il  eut  le 
bonheur  de  traverser  ,  sans  trouble , 
les  temps  orageux  de  la  révolution, 
et  mourut  à  Argilliers,  départemt.  de 
l'Aude,  en  1 807  ,  le  28  juillet.  On  a  de 
lui  une  Histoire  de  la  ville  de  Tou- 
louse ,  avec  une  notice  des  hommes 
illustres,  une  suite  chronologique 
des  évêques  et  archevêques  de  celte 
ville  ,  et  une  table  générale  des  ca- 
pitouls  depuis  la  réunion  du  comté 
de  Toulouse  jusques  à  présent  , 
Toulouse,    1709,    in  -  4°.  Cet  ou- 


(i4)Tou.s  ces  jjiiiiits  se  tniuviiit  i.xpjsus  «t  dis- 
cutes dans  trois  arlitlcs  insères  dans  \.\  Oaxcttc  de 
France,  les  7  et  »  1  d«'ceinl>n-  iSia  ,  et  21  lévrier 
iSï3,  et  <(iii  lenlernjinl  <|nelt|iies  UucuuicutS  cii- 
lieuisurl.iviuetK»  eciila  le  Kaviial. 


RAY  i83 

vi-age ,  très-sèchement  écrit  (  et  dont 
on  peut  voir  l'analyse  dans  le  Jour- 
nal des  savants  de  1760  ,  p.  325  et 
8o3) ,  n'est  qu'un  abrégé  des  Annales 
de  La  Faille.  Raynal  n'a  pas  su  même 
déguiser  son  plagiat, en  continuant , 
jusqu'au  temps  où  il  vivait ,  l'ou- 
vrage qu'il  avait  entrepris.  Son  guide 
s'arrête  à  la  mort  de  Henri  IV  :  lui 
de  même  ne  pousse  pas  sa  course 
plus  loin.  La  liste  des  hommes  illus- 
tres qu'il  a  dressée  ,  est  encore  plus 
défectueuse.  A  peine  iiomme-t-il  la 
dixième  partie  des  personnages  dont 
il  eût  dii  parler.  Il  ignore  ce  qu'il 
devait  savoir  de  ceux  dont  il  s'occu- 
pe. Moreri  a  été  son  seul  guide  ;  il  a 
même  voulu  l'abréger.  L — m — e. 
RAYNALDI  (Odebic).  Foy.  Ri- 

NALDI- 

RAYNAUD  (  Le  P.  Théophile  ), 
célèbre  jésuite  ,  qu'on  a  long-temps 
cru  Français, était  né,  vers  la  fin  de 
i583  ,  à  Sospello,  dans  le  comté  de 
Nice.  Ses  études  achevées ,  il  em- 
brassa  la  règle   de  saint  Ignace  à 
Fàge  de  dix-neuf  ans  ;  et  après  avoir 
régenté  les  basses  classes  au  collège 
d'Avignon  ,  puis  professé  la  philo- 
sophie et  la  théologie  à  Lyon,  il  se 
rendit ,  en  iG3i  ,  à  Paris,  oii  l'ap- 
pelait le  prince  Maurice  de  Savoie, 
qui  l'avait  choisi  pour  confesseur. 
Peu  de  temps  après,  le  cardinal  de 
Richelieu  lui  proposa  de  réfuter  luie 
théologienespagnol,  quiblimait  l'al- 
liance   conclue    récemment  ])ar    la 
France  avec  les  protestants  d'Alle- 
magne :  le  P.  Raynaud  ne  crut  pas 
devoir  se  rendre  aux  désirs  du  mi- 
nistre ,  et  se  hiUa  de  retourner  à 
Lyon  ,    d'où    ses    supérieurs    l'en- 
voyèrent à  Chambcri.  L'évêché  de 
Genève  vint   à  vaquer,  en   1637, 
par  la  mort  du  frère  de  saint  Fran- 
çois de  Sales,  qui  lui  avait  succé- 
dé  sur  ce  siège.  Les  membres  du 


i84 


RAY 


sénat  de  Chambëri,  qui  connaissaient 
le  zèle  et  les  talents  du  P.  Raynaud  , 
demandèrent  pour  lui  cette  dignité  ; 
mais  il  désavoua  leurs  démarches,  et 
quitta  raème  la  Savoie  ,  où  il  ne  re- 
vint qu'en  i63g.  Le  P.  Monod,  son 
confrère,  venait  d'être  enfermé  dans 
le  château  de  Montmélian ,  sur  les 
instances  du  cardinal  de  Richelieu 
(  Fojez  Monod  ,  XXIX  ,  397  )  ; 
Raynaud  chercha  tous  les  moyens 
d'adoucir  la  captivité  de  son  an- 
cien ami  :  mais  Richelieu,  indigné 
déjà  contre  lui,  ne  put  croire  que 
ses  relations  avec  un  prisonnier 
d'état  fussent  tout-à-fait  innocen- 
tes; il  sollicita  de  la  cour  de  Sa- 
voie l'ordre  de  l'arrêter.  Au  bout 
de  trois  mois  ,  le  P.  Raynaud  sortit 
de  prison  ;  mais  craignant  de  nou- 
velles persécutions  de  la  part  du  mi- 
nistre, il  résolut  de  passer  à  Rome, 
où  il  pourrait  braver  sa  vengeance. 
Malheureusement ,  les  espions  dont 
il  était  entouré,  rendirent  compte 
des  moindres  mots  qui  lui  échap- 
paient. L'ordre  de  l'arrêter,  précéda 
son  arrivée  à  Avignon  ;  et  il  resta 
six  mois  enfermé  dans  une  chambre 
du  palais  papal,  ^qs  ennemis  ,  pen- 
dant sa  détention  ,  avaient  fait  sus- 
pendre l'impression  d'un  de  ses  ou- 
vrages (  Ilcteroclita  spirilualia  )  , 
sous  le  prétexte  qu'il  renfermait  des 
propositions  dangereuses.  Des  qu'il 
fut  libre  ,  le  P.  Raynaud  partit  pour 
Rome,  emportant  son  manuscrit, 
qu'il  soumit  à  l'examen  du  P.  Alé- 
gainbe,  nommé  son  censeur;  et  il 
revint  avec  l'autorisation  de  le  faire 
imprimer.  A  son  retour,  il  fut  ac- 
cueilli par  le  vice-légat  (  Frédéric 
Slorcc  ) ,  qui  ne  négligea  rien  peur 
bu  f;iire  ouljlier  son  injuste  déten- 
tion. Ce  prélat,  ayant  été  nommé 
cardinal  ,  eu  iG/JS  ,  partit  pour  Ro- 
me avec  le  P.  Rciynaud,cts'cmprcs- 


RAY 

sa  de  le  présenter,  au  souverain  pon- 
tife et  aux  membres  du  sacié  collège, 
comme  un  des  plus  fermes  défenseurs 
des  droits  du  Saint-Siège.  Le  pape, 
voulant  mettre  ses  talents  à  l'épreu- 
ve ,  lui  proposa  d'entreprendre  la 
réfutation  du  traité  :  De  concordid 
sacerdotis  etimperii  (  Voy.  Marca). 
Le  P.  Raynaud  n'osa  pas  refuser  ou- 
vertement une  tâche  si  difticile  ,  et 
partit  sans  prendre  congé  du  ponlife. 
Sur  Tinvitalion  de  son  général  ,  il. 
retourna  deux  ans  après  à  Rome  ,  et 
il  y  professa  pendant  quelques  mois 
la  théologie  positive  :  mais  sa  santé 
ne  s'accommodant  point  du  climat 
de  l'Italie  ,il  demanda  la  permission 
de  revenir  à  Lyon  ,  où  il  passa  le 
reste  de  sa  vie,  entre  la  direction  des 
âmes,  l'enseignement,  et  la  rédaction 
de  ses  ouvrages.  Il  mourut  d'apo- 
plexie en  celte  ville,  le  3i  octobre 
i663,  à  l'âge  de  quatre -vingt  ans. 
Le  P.  Raynaud  avait  toutes  les  qua- 
lités d'un  bon  religieux ,  et  il  en 
remplissait  les  devoirs  avec  un  zèle 
qui  ne  s'est  point  démenti.  Dans  le 
temps  que  la  A'illedeLyou  fut  affligée 
par  une  fièvre  contagieuse,  on  le  vit 
se  dévouer  entièrement  au  service 
des  pauvres  malades  ,  et  braver  tous 
les  dangers  pour  leur  porter  les  se- 
cours de  la  religion.  Comme  écri- 
vain ,  il  avait  de  l'érudition,  de  la 
chaleur,  et  une  grande  fécondité  : 
mais  il  manquait  de  critique  en  ma- 
tière de  goût  ;  et  son  style  trivial 
et  prolixe  est  défiguré  par  l'emploi 
cnntiuuel  de  termes  qui  n'appar- 
tiennent qu'à  la  basse  latinité.  Il  a 
laissé  un  grand  iionibrc  d'ouvra- 
ges presque  tous  relatifs  à  la  théo- 
logie ;  mais  les  uns  sur  des  sujets 
futiles  ou  singuliers  ,  tels  que  ,  l'c- 
logc  de  la  brièveté ,  de  l'usage  des 
chaises  dans  les  églises  ;  s'il  est  per- 
mis de  prendre  des  lavenicnts  de 


RAY 

jus  de  viande  ,  etc.  ;  d'autres  satyii- 
qiies ,  et  daus  lesquels  il  n'e'pargne 
ui  les  hommes  les  plus  distingues, 
ni  les  ordres  entiers ,  ni  même  ses  pro. 
près  confrères.  Le  succès  qu'avaient 
obtenu  la  plupart  des  écrits  du  P. 
R^yuaud,  fit  croire  à  quelques  spe'- 
culaleurs  qu'on  enverrait  le  Becueil 
avec  plaisir.  Le  P.  Bertet  (  V.  Let- 
tres de  Gui  Patin  ,  3.^7  )  se  chargea 
de  publier  cette  immense  collection, 
qui  parut  à  Lyon,  de  i665  à  1669, 
en  20  vol.  iu-fol.  Ledcrnier  volume, 
imprimé  sous  la  rubrique  de  Craco- 
vie  ,  intitule  u4popoinpeius  (  c.  à.  d. 
le  Bouc  émissaire  )  ,  contient  les 
écrits ,  dont  le  P.  Raynaud  n'avait 
point  osé  s'avouer  l'auteur,  comme 
étant  trop  satiriques  :  cette  édition 
n'eut  presque  aucun  débit;  et  le  librai- 
re tut  ruiné  :  mais  aujoui'd'hui  qu'elle 
est  devenue  rare,  les  exemplaires  en 
ont  repris  quelque  valeur.Tiraboschi 
compare  le  recueil  des  ouvrages  du 
P.  Raynaud  à  ces  magasins  remplis 
de  toutes  sortes  de  marchandises, 
bonnes  et  mauvaises,  anciennes  et 
nouvelles,  utiles  ou  inutiles,  dans 
lesquels  chacun  ,  avec  un  peu  de  pa- 
tience ,  finit  par  rencontrer  quelque 
chose  qui  lui  convient  (  f  oy.  la 
Storia  délia  leltevatura  italiana  , 
VIII  ,  iSa  )  ;  et  cette  comparaison 
nous  semble  donner  une  idée  assez  j  us- 
te  de  cette  vaste  collection.  Elle  se 
comjiose  de  quatre-vingt-treize  ou- 
vrages ,  dont  on  trouvera  les  titres 
dans  le  tome  xxvi  des  Mémoires 
de  Niceron,  Joly  a  fait  quelques  ad- 
ditions et  quelques  corrections  à  ce 
Catalogue  ,  dans  ses  Remarques  sur 
le  Pict.  de  Bayle.  Nous  nous  conten- 
terons de  citer  ceux  de  ces  ouvrages 
qui  méritent  le  plus  l'attention  :  L  In 
J.  Barnedi  dissertationem  advenus 
lequivocaliones  indices  très  :  va- 
cum  barbaratvm {des  injures);  vo- 


RAY  i85 

cum  grœcanicarum  (  des  menson- 
ges )  ;  rerum  notabilium  (  des  im- 
pertinences )  ;  Lyon  ,  1627  ,  iu-S"*. 
(/^o>.  BarnÈs,iii,  3q\.  )  IL  De 
orlu infanlium  contra  naluram  jier 
sectionem  cœsaream  tractatio,  ib., 
iG3o  ,  in-8'':;  livre  singulier  et  cu- 
rieux. IIL  Heteroclita  spirltualia 
et  anomala  pietalis  cœleslium  .  ter- 
restrium  etinfernorum,  Grenoble  , 
1647  ,  i'J-8'^.  ;  deuxième  édition  , 
augmentée,   Lyon,   i654,    in-4°. 
C'est  un  Recueil  des  pratiques  sin- 
gulières introduites  dans  la  religion 
par  l'ignorance ,  la  superstiîion  et  le 
relâchement.    IV.    Erotemata    de 
bonis  ac  malislihris  ;  deque  justd 
aut  injustd  eorumdem  confixione, 
Lyon  ,  i653,  in-4°.  Il  composa  cet 
ouvrage  à  l'occasion  de  son  Traité 
De  martjrio  yer  j  estem  ,  dans  le- 
quel il  soutenait  que  ceux  qui  s^expo- 
sent  en  assistant  les  pestiférés  ,  sont 
de  véritables  inartMS.  Cette  propo- 
sition aA'ait  été  censurée  par  la  con- 
grégation de  l'index.  Le  P.  Raynaud 
établit,  dans  son  nouveau   Traité^ 
qu'on    peut    condamner   les    meil- 
leurs livres   au    moyen   de  fausses 
interprétations  (  Voy.  le  Dict.  des 
anonjm. ,  n».  9, 167  );  et  il  prescrit 
aux  censeurs  les  règles  qu'ils  doivent 
observer  :  ce  n'était  pas  le  moyen 
de   se   réconcilier  avec   ses   juges  • 
et  il  eut  le  chagrin  de  se  voir  une 
seconde  fois  condamné.  Néanmoins 
cet    ouvrage    est    plein  d'érudition 
et  de  recherches   curieuses  ;    c'est 
de  tous  ceux  de  l'auteur  celui  dont 
les  savants  font  le  plus  de  cas.  V. 
Tractatus  depileo,  cœterisque  ca- 
pilis  tcgminihus  tàm  sacris  quàm 
profanis  ,  ibid.  ,  i655,  in-4°.,  sous 
le  nom  ^ Anselmus  Solerius  Cemc- 
liensis;  Amsterdam  ,   1672  ,  in-12  , 
fig.  ;  et  dans  le  tome  vi  de  Thesaur. 
anliquit.    Bomanar.  (  Voyez  Sal- 


i86  RAY 

lengre,  Mém.  de  litter. ,  i,  174  ). 
VI.  Eunudii  nati  ,facti ,  mystici , 
ex  sacra  et  humand  litteraturd  il- 
lustrati  ,T)'\\on ,  i655  ,  in-4°. ,  sous 
le  nom  de  Jean  Hëribert  Cemeliensis. 
Son  but  est  de  réfuter  Zacli  a  rie  Pas- 
qiialigo,  qui , dans  ses  Décisions  mo- 
rales ,  avait  soutenu  que  les  parents 
ont  le  droit  de  mutiler  leurs  enfants 
pour  conserver  et  développer  leur 
vois;  mais  ,  suivant  sa  coutume  ,  il 
se  livre  à  toute  sorte  de  digressions 
et  traite  de  tout  ce  qui  regarde  les  eu- 
nuques. VII.  Ilipparchus  de  religio- 
so  negociatore ,  Francopoli  (Cham- 
béri),  i64'2  ,  in-8'^.  Cet  ouvrage  sa- 
tirique a  été  traduit  en  français  sous 
ce  titre  :  Hippnrque  ,  du  religieux 
marchand{  par  Tripier,  précepteur 
des  enfants  naturels  du  duc  de  Sa- 
voie ) ,  1 645  ,  in- 1 2.  Il  en  existe  une 
autre  traduction,  intitulée  le  Moine 
marchand,  ou  traité  contre  le  com- 
merce des  religieux  ,  Amsterdam  , 
1714,  in- 8''.  \i\l.  De  immimitate 
aulhorum  cyriacorum  à  censura 
(  vers  1662  ) ,  in -8°.  C'est  l'ouvra- 
ge le  plus  virulent  qui  soit  sorti  de 
la  plu^e  du  P.  Raynaud  ;  il  fut 
conlamné  au  feu  par  les  parlements 
d'Aix  et  deToulouse,  comme  impie, 
et  renfermant  des  propositions  in- 
jurieuses à  l'honneur  de  la  sainte 
Vierge  ,  de  saint  Thomas  d'Aquin  , 
de  sainte  Catherine  de  Sienne,  et  de 
l'ordre  entier  des  Frères  prêcheurs. 
On  prétend  que  sa  haine  contre  cet 
ordre  venait  du  dépit  d'avoir  vu 
quelques-uns  de  ses  ouvrages  flétris 
par  l'inquisition.  J^e  même  esprit 
d'iiilolérancc  avait  tourné  sa  |)lume 
contre  Ijollandiis  ,  qui  ne  s'était  pas 
trouve  d'accord  avec  lui  sur  la  date 
(le  la  mort  d'un  saint  lyonnais.  IX. 
Jlagiohif^iuiii  lAigdunense.  C'est  le 
litre  particulier  (lu  huitième  volume 
de  SCS  œuvres,  cnlièrcnicnt  consacré 


RAZ 

à  Fégliec  de  Lyon.  Les  dix  ouvrages 
qu'il  contient  offrent  des  recherches 
curieuses  :  on  trouve ,  vers  la  fin , 
une  Table  des  saints  ,  disposée  par 
ordre  d'états,  de  professions,  d'em- 
plois et  de  métiers  :  les  détails  qu'elle 
offre,  sontremarquables  par  leur  sin- 
gularité. Le  P.  Raynaud  ,  dans  un 
momcntde  loisir , avait  écrit  sa  Fie^ 
que  l'on  conservait  parmi  les  manus- 
crits de  la  bibl.  des  jésuites  de  Lyon. 
On  sait  que  le  P.  Oudin  avait  formé 
le  projet  de  la  compléter,  et  de  la 
publier  avec  ses  corrections  ;  et  l'on 
lie  peut  que  regretter  qu'il  ne  l'ait 
pas  exécuté  (  V.  Michault,  Mélang. 
philolog.^  II,  346  ).  W — s. 

RAYNEVAL  (  Jos.-Math.  Ge^ 
EARD  DE  ).   F.  Gérard. 

RAZI  (Mohammed  Abou  -  Bekr 
Ibn-Zagaria  ),  célèbre  médecin  ara- 
be, reçut  le  jour  à  Rey,  (l'ancienne 
Rages  ,  dans  le  Khoraçan  ) ,  d'oîi  lui 
vint  le  surnom  de  Razi  ou  Rbazès , 
sous  lequel  il  est  connu.  Dans  sa  jeu- 
nesse, il  s'occupa  de  musique  et  d'a- 
musements frivoles  ;  mais  à  mesure 
qu'il  avança  en  âge,  il  sentit  le  be- 
soin d'une  profession  utile;  et  il  se 
livra  dès-lors  avec  ardeur  à  l'étude 
de  la  médecine  et  de  la  philosophie. 
A  l'exemple  des  grands  médecins  de 
l'antiquité  ,  il  joignit  la  pratique  à 
l'étude  des  principes  de  son  art;  et 
il  dirigea  successivement  les  hôpi- 
taux de  Bagdad  et  de  sa  ville  natale. 
Léon  l'Africain  le  fait  voyager  en  Sy- 
rie ,  en  Egypte,  et  jusqu'en  Espagne. 
11  a  même  prétendu  que  Razi  se 
journa  long -temps  à  Cordoue,  et 
s'y  acquit  la  ])Ius  grande  réputa- 
tion; mais  son  récit  est  mêlé  d'ana- 
chronismcs  si  grossiers,  qu'on  ne  sait 
s'il  mérite  la  moindre  confiance  (  1). 
On  sait ,  il  est  vrai ,  par  Abou'lféila  , 

(0  Fiiliiiciiis ,  Dililiotli,  j^rmc. ,  Xlll  ,  lO'J. 


RAZ 

que  notre  auteur  mourut  fort  âgé  ; 
mais  on  est  incertain  de  l'anne'e  de 
sa   mort ,  qu'Abou'lféda  et  d'autres 
placent  à  l'an  3io  de  l'hëgire  (  928 
de  J.-C/,  tandis  que  quelques-uns  la 
reculent  de  dix  années.  Au  reste,  les 
écrivains  orientaux  s'accordent  sur 
un  point  ,  c'est  dans   l'éloge  qu'ils 
font  de  Razi.  Abou'lfëda  assui-e  qu'il 
fut  comme  l'imam  ou  le  corypbe'e 
des  savants  de  son  temps,  et  qu'il 
mérita  d'être  montré  au  doiç.t  pour 
ses  talents.  Voici  un  trait  qui  semble 
prouver  qu'il  était  plein  d'un  noble 
enthousiasme  pour  son  art  :  nous 
l'empruntons  d'Abou'lfarage.  Dans 
sa  vieillesse,  Razi  ayant  perdu  la  vue, 
ne  voulut  pas  se  faire  traiter  de  la 
cataracte,  à  moins  que  son  médecinne 
lui  dît  combien  l'œil  avait  démembra* 
nés;  et,  comme  le  médecin  ne  put 
résoudre  cette  question,  il  le  repous- 
sa ,  en  disant  :  «  Allez ,  un  liomme 
»  comme  vous,  qui  ignore  ces  dé- 
»  tails ,   ne  mérite  pas  de  me  trai- 
»  ter.  »  Cependant  l'oculiste  insis- 
tant, et  demandant  à  être  mis  à  l'é- 
preuve ,  Razi  répliqua  :  «  En  vérité, 
»  j'ai  si  bien  vu  ce  monde  ,  que  j'en 
»  suis  dégoûté.  »  Un  point  plus  in- 
téressant à  connaître  ,  c'est  que  Ra- 
zi était  naturellement  bon,  généreux, 
se  dévouant  au  service  des  pauvres. 
Malgré  sa  science  et  sa  droiture,  il  pa- 
raît qu'il  ne  sut  pas  se  préserver  des 
travers  de  son  siècle  :  c'est  du  moins 
ce  qui  résulte  de  ses  ouvrages ,  et  qui 
est  confirmé  par  le   trait  suivant , 
que  nous  tirons  encore  d'4bou'lfara- 
ge.  Unjour  quelqu'undilàRazi  :  «Tu 
»  prétends  posséder  trois   grandes 
»  sciences,  et  tu  es  le  plus  ignorant 
»  des  hommes.  Tu  crois  connaître 
»  l'alchimie  ,  et  cependant  tu  n'as 
»  pu  tiouver  le  moyen  de  payer  à  ta 
»  femme  les  diK  pièces  d'argent  que 
»)  tu  lui  avais  promia  en  dot  ;  tu  t'es 


RAZ  187 

»  même  laissé  mener  en  prison  pour 
»  une  aussi  petite  somme.  Tu  fais  le 
»  médecin  ,  et  tu  n'as  pu  conserver 
»  ta  vue.  Enfin,  à  t'en  croire,  tu  es 
»  instruit  dans  la  science  des  étoiles 
»  et  delà  nature  ;  et  tu  croupis  dans 
»  la  misère.  »  Voici  un  autre  trait 
qui   est  rapporté    par    Ibn-Khal- 
kan  (i)  :  Razi,  ayant  composé  un 
Traité  sur  la  chimie  ou  plutôt  l'al- 
chimie ,  alla  le  présenter  à  l'émir 
Almansour,    prince  du  Rhoraçan. 
L'émir  fut  enchanté,  et  lit  donner 
à  l'auteur  mille  pièces  d'or  pour  ré- 
compense; ensuite  il  lui  dit  :  «  Ce 
n'est  pas  le  tout  ;  je  voudrais  que  tu 
fisses  devant  moi  l'expérience  des 
belleschoses  qui  sont  dans  celivre.  » 
Razi  répondit  qu'il  lui  serait  facile 
de  le  satisfaire,   pourvu  qu'on  lui 
fournît  les  instruments  et  les  ma- 
chines nécessaires  à  ses  expériences. 
«  Qu'à  cela  ne  tienne ,  reprit   l'é- 
mir ,  je  me  charge  de  la  dépense.  » 
Il  fit  donc  faire,  à  grands  frais  ,  les 
machines  que  lui  avait  demandées 
Razi;   mais  quand  il  fut  question 
d'en  venir  à  l'épreuve ,  celui-ci  ne  put 
tenir  sa  promesse.  Alors  le  prince 
furieux  lui  dit  :  «  Je  n'aurais  pas  cru 
qu'un  docteur  comme  vous  prît  plai- 
sir à  se  faire  l'artisan  du  mensonge; 
je  vous  ai  fait  donner  mille  pièces 
d'or  pour  votre  livre  :  maintenant 
il  est  juste  que  je  vous  récompense 
de  vos  expériences  ;  )>  là  dessus  il  prit 
le  livre  ,  et  en  fit  donner  des  coups 
à  Razi ,  sur  la  tête ,  jusqu'à  ce  que  le 
livre  fût   tout  en   pièces.  L'auteur 
arabe  ajoute  que  c'est  ce  traitement 
violent  qui  occasionna  la  fluxion  dont 
Razi   fut  affligé  dans  sa  vieillesse, 
et  qui  le  rendit  aveugle;  d'autres  as- 
siîrucntà  cet  accident  une  cause  toute 


{^^  Maunscrils  arali.5  <le  la  liiliUollii  (|nc-  .lu  voi , 
n°.  78«,    ol.  333,  recto,  à  l'art.  7UoAummt(i-/{u«. 


i88  RAZ 

différente.  Il  est  certain  d'ailleurs 
que  Razi  e'tait  loin  d'être  exempt  de 
superstition  et  de  préjuges.  Dans  un 
de  ses  ouvrages  sur  la  chimie,  il  dit 
que  cette  science  est  plutôt  possible 
qu'impossible;  ce  qui  ne  se  peut  guè- 
re entendre  que  des  rêveries  de  l'al- 
chimie :  car  on  sait  que  le  mot  chi- 
mie  n'a  pas  toujours  eu  le  sens  qu'il 
a  aujourd'hui.  Dans  un  autreendroit, 
Razi  se  déclare  partisan  de  l'astro- 
logie. Enfin ,  dans  son  Traité  des 
médicaments,  il  n'a  pas  manqué  de 
recommander  l'usage  des  coraux  rou- 
ges et  des  pierres  précieuses  ;  opi- 
nion qui  remonte  aux  temps  les  plus 
anciens  ,  et  qui  s'est  maintenue  jus- 
qu'aux siècles  modernes.  Malgré  ces 
défauts,  Razi  jouit  long -temps  de 
la  plus  grande  réputation.  Ses  écrits 
furent  mis  à  contribution  par  Avi- 
cennc ,  et  il  exerça  son  influence  jus- 
qu'en Europe.  11  y  a  tel  de  ses  trai- 
tés qui  servit  jadis  de  texte  dans  les 
universités  de  France,  d'Italie  etde  la 
Germanie.  Ses  ouvrages  furent  tra- 
duits en  hébreu,  en  latin,  et  eurent 
pendant  long  -  temps  la  plus  gran- 
de vogue  :  maintenant  ils  sont  ou- 
bliés. Une  révolution  si  singulière 
dans  l'esprit  humain  exige  une  cour- 
te explication.  A  mesure  que  les 
ténèbics  de  la  barbarie  se  répan- 
dirent sur  l'Europe,  tout  souvenir 
de  la  littérature  grecque  s'effaça;  les 
livres  d'Hippocratc  ,  de  Galicn  et 
àcs  autres  maîtres  de  la  médecine 
grecque,  ne  furent  plus  lus  ni  en- 
tendus :  et  d'ailleurs  comment  se 
les  serait-on  procurés  ?  Les  chefs 
des  universités  d'Italie  et  d'autres 
pays  tioiivèrcnt  plus  commode  de 
faire  traduire  en  latin  les  écrits  des 
Arabes.  A  cette  épo(|ue ,  les  Musul- 
mans de  l'Asie,  de  l'Afrique  et  de 
l'Espagne,  claienl  comme  en  posses- 
sion (le  toutes  les  scicjiccs.  Non-scu- 


RAZ 

lement  ils  avaient  dans  leur  langue  , 
des  traductions  d' Aristote,  de  Galien, 
de  Dioscoride ,  etc.  ,  mais  ils  pas- 
saient pour  avoir  perfectionné  et 
étendu  leurs  découvertes.  C'est  alors 
qu'un  Gérard  de  Crémone  (  Voy.  ce 
nom  ),  et  d'autres  savants  ,  aflèrent 
s'établir  en  Espagne.  Là  ils  puisè- 
rent la  connaissance  de  la  langue 
arabe  ,  et  répandirent  leurs  traduc- 
tions dans  toute  l'Europe.  Razi  fut 
du  nombre  des  auteurs  dont  les  écrits 
passèrent  ainsi  en  latin  ;  mais  dès 
que  le  goût  des  bonnes  études  com- 
mença à  renaître ,  on  se  dégoûta  de 
ces  traductions.  On  s'aperçut  qr.e  les 
Arabes  n'avaient  été ,  en  général,  que 
les  copistes  des  Grecs.  On  recourut 
donc  à  ces  grands  modèles  ;  on  les 
goûta  ,  on  médita  leurs  écrits  :  on 
abandonna  les  Arabes.  II  arriva  ain 
si  ce  qui  arrive  presque  toujours  : 
on  alla  d'un  extrême  à  l'autre.  On 
accorda  d'abord  aux  Arabesunelrop 
grande  importance  ;  ensuite  on  ne 
leur  en  accorda  pas  assez.  Ce  qui 
contribua  surtout  au  discrédit  où 
tombèrent  les  versions  latines  des 
écrits  des  Arabes,  c'est  qu'elles  sont 
inexactes,  infidèles,  barbares.  Casi- 
ri ,  qui  a  eu  occasion  d'en  comparer 
quelques-unes  avec  l'original  arabe, 
les  appelle  des  peiversioiis  et  non  des 
versions.  Il  déclare  qu'en  confron- 
tant le  texte  et  la  traduction,  il  a  cru 
lire  deux  ouvrages  différents.  Pour 
décider  sur  de  telles  matières  ,  par- 
ticulièrement en  ce  qui  regarde  Ra- 
zi, et  sur  le  mérite  respectif  des 
Grecs  et  des  Arabes  ,  il  faudrait  que 
nous  eussions  de  nouvelles  traduc- 
tions ,  plus  exactes  que  les  premiè- 
res ,  ou  du  moins  que  les  originaux 
arabes  se  trouvassent  dans  nos  bi- 
bliothèques ,  afin  de  les  consulter  au 
besoin.  Par  malheur  il  en  est  autre- 
ment. Ccn'cstgucrequ'à  labibliothè- 


RAZ 

que  de  l'Escurial  que  l'on  trouve  les 
plus  importants  des  ouvrages  de  Riizi. 
Ne  serait-il  pas  digne  de  notre  siècle, 
oùla  critique  a  fait  tant  de  progrès, 
de  pouvoirconnaîtreau  justece  qui , 
dans  les  sciences  médicales,  appar- 
tient en  propre  aux  Arabes  ;  détermi- 
ner ce  qu'ils  ont  emprunte  des  Grecs; 
en  un  mot  faire  la  part  de  chacun. 
On  sait ,  par  exemple  ,  que  ce  sont 
les  Arabes  qui  les  premiers  ont  in- 
troduit dans  la  pîiarmacie  l'usage 
des  minoratifs  ou  purgatifs  doux , 
tels  que  la  casse  ,  le  tamarin  ,  etc.  , 
et  c'est  à  Razi  surtout  qu'on  en  est 
redevable  ;  c'est   encore   le    même 
auteur    qui  a    le  plus   contribué  à 
l'emploi   des    pre'paratious   chimi- 
ques dans  la  médecine.  Razi  a  passe' 
pour  l'inventeur  du  selon ,  dont  il 
faisait  un  fréquent  usage.  Il  se  mon- 
tra plus  analomiste  que  les    autres 
médecins  de  sa  nation;  et  il  distingua 
le  nerf  laryngé'  d'avec  le  récurrent , 
qui  est  parfois  double  du  côté  droit, 
découverte  qu'un  moderne  a  voulu 
s'attribuer.  Ce  qui  prouve  que  les  mé- 
decins arabes ,  et  particulièrement 
Razi,  ne  méritent  pas  tout-à-fait  l'ou- 
bli où  ils  sont  maintenant,  c'est  l'esti- 
me qu'on  a  montrée  pour  le  Traité 
de  ce  dernier  sur  la  petite-vérole  et 
la  rougeole ,  du  moment  qu'on  en  a 
eu  une  traduction  exacte,  il  est  re- 
connu du  reste  que  Razi,  en  général, 
s'en  est  tenu  aux  écrits  des  Grecs,  et 
surtout  de  Galien,  Il  avoue,  dans  un 
de  ses  ouvrages ,  que ,  lorsqu'il  a  trou- 
vé de  la  différence  parmi  ces  auteurs, 
il  s'est  rangé  à  l'opinion  du  médeciude 
Pergame.  Razi  a  beaucoup  écrit;  et 
ses  ouvrages  sont  très-nombreux.  Ou 
en  peut  voir  l'énuméralion  dans  la 
Bihliotheca  Hisp. arabica,  par  Ca- 
siri,tome  i,  p.  sô'.i,  d'aprèsuu  biogra- 
phe arabe.  Nous  allons  nous  borner 
à  indiquer  ceux  qui  ont  été  traduits 


RAZ  189 

en  latin ,  cl  qui  ont  joui  chez  nous 
de  plus  ou  moins  de  vogue.  On  sent 
bien  qu'il  n'entre  pas  dans  notre  su- 
jet de  présenter  un  tableau  détaillé 
de  la  doctrine  du  médecin  arabe.  On 
peut  consulter,  à  cet  égard,  THis- 
toire  de  la  médecine,  par  Freind,  et 
celle  de  Curt-Spreugel.  J.  Havi  seu 
Continejis  ,ojdinalus  et  correciiisper 
clar. doct.  magiitnmi Ilierovymum- 
Surianum ,  B rescia ,  1 486,  2  vol.  in- 
4°.  ;  Venise ,  1 609 ,  2  vol. ,  in  -  fol. 
Le  titre  arabe  Havi  revient  à  -peu- 
près  à  ce  que  nous  entendons  par  le 
mot  de  Pandectes.  L'ouvrage  ainsi 
nommé  n'a  pas  été  rédigé  par  l'au- 
teur tel  qu'il  esta  présent.  Plusieurs 
passages  sont  en  contradiction  avec 
la  doctrine  bien  connue  de  Razi.  Ce 
médecin  /est  même  quelquefois  cité 
à  la  troisième  personne.  On  sait  d'ail- 
leurs ,  par  la  Chronique  syriaque  d' A- 
bou'lfarage,  que  Razi  mourutavant 
d'avoir  rais  la  dernière  main  à  son 
travail;  et  qu'après  sa  mort,  ses  ma- 
nuscrits passèrent  entre  les  mains  de 
ses  disciples,  qui  publièrent  le  Havi 
dans  l'état  où  il  est  aujourd'hui  :  il  pè- 
che surtoutpar  le  défaut  d'ordre.  II. 
Un  Traité  delà  petite-vérole  et  de  la 
rougeole.  Ce  Traité  est  précieux  ;  on 
le  consulte  encore  à  présent.  Il  a  été 
mis  à  contribution  par  les  médecins 
de  toutes  les  nations ,  et ,  entre  autres, 
par  le  médecin  grec  Synésius.  C'est  là 
qu'on  trouve,  pour  la  première  fois, 
une  description  exacte  et  étendue  de 
ce  terrible  fléau  de  l'espèce  humaine. 
George  Valla  en  donna  une  Aversion 
latine ,   d'après  la  traduction  grec- 
que. Plaisance,  1 498.  Robert  Estien- 
ne  publia  la  version  grecque  de  ce 
Traité,  en  i548,  avec  les  correc- 
tions de  Jac.  Goupil  :  Sébastien  Co- 
lin le  publia  en  français  ,  Poitiers  , 
1 556.  Il  en  parut  plus  tard  une  nou- 
velle version  latine  ,  faite  sur  Tara- 


IQO 


RAZ 


l>c,  par  nn  Syrien  nommé  Salomon 
Negri ,  aidé  de  Gagnier  et  de  ïlio- 
inas  Hunt.  Elle  fut  publiée  par  le 
docteur  Mead  ,  conjointement  avec 
un  autre  Traité  du  médecin  anglais 
sur  le  même  sujet ,  sous  ce  titre:  De 
variulis  et  mnrbillis ^Londres,  1 747. 
Quelque  temps  après,  un  apothicai- 
re de  Londres,  nommé  Channiug , 
lit  faire  une  nouvelle  vei'sion  latine 
du  Traité  de  Razi,sur  un  exemplai- 
re arabe  plus  correct  de  la  biblio- 
thèque de  Leyde,  et  la  publia  avec 
le  texte ,  sous  le  titre  de  :  Bhazès  de 
variolis  et  morhillis  cum  aliis  non- 
niilUs  ejusdem  argumenti,  Londres, 
1766,  in  -  S'*.  Cette  édition  est 
très-correcte,  selon  le  savant  Rus. 
sel ,  qui ,  dans  ses  voyages  en  Orient , 
avait  eu  occasion  de  la  comparer 
avec  les  originaux.  Cetle  même  ver- 
sion latine  a  été  reproduite  par  Hal- 
1er,  dans  le  tome  vu  de  ses  ylitis 
medicœ  principes^  Lausane,  1772. 
Enfin  il  en  a  paru  une  traduction 
française,  par  Paulet,  à  la  suite  de 
V Histoire  de  la  petite-vérole ,  Pa- 
ris, 1703,2  vol.  in.i2.  lll.Jd  Al 
jnansoremlibri  decem,\  cnkc^i  5 1  o, 
in-fol.  On  a  disputé  jusqu'à  présent 
pour  savoir  quel  était  cet  Alman- 
sour  à  qui  Razi  dédia  son  ouvrage.  Il 
serait  trop  long  de  répéter  ce  qui  a 
été  dit  à  ce  sujet.  Nous  dirons  seule- 
ment, d'après  INIirkhond,  historien 
persan,  que  cetAlmansonr  était  fils 
/  d'Ishak  ,  de  la  maison  des  princes 
Samauides  ,  qui  régnèrent,  pendant 
le  dixième  siècle,  sur  la  Transoxia- 
ne  et  le  Khoraçan.  11  commandait 
dans  le  Khoraçan  ,  sous  l'auto- 
rité de  la  branche  principale  desSa- 
manides.  Il  essaya  de  s'y  rendre 
indé|)endai!t,  et  mourut  à-peu  près 
dans  le  m^nic  temps  ([ue  nuire  au- 
teur. Ainsi  l'on  ne  sera  plus  étonné 
que  Razi  ait  donné  celle  marque  de 


RAZ 

respect  h  un  prince  son  confcmpo- 
rain  qui,  à  la  vérité,  l'en  récompensa 
bien  mal,  s'il  en  fautcroire  l'anec- 
dole  rapportéeparIbnKhalkan.Cet 
ouvrage  renferme  en  abrégé  l'ensem- 
ble de  la  doctrine  médicale  des  Ara- 
bes. C'est  de  tous ,  sans  contredit, 
celui  qui  a  fait  le  plus  d'honneur  à 
Razi  :  il  brille  surtout  par  l'ordre 
et  la  métliode.  Ce  n'est  pas ,  du  reste, 
une  simple  descriptiondes  misères  de 
l'homme  :  l'auteur  a  entremêlé  son 
récit  de  quelques  réflexions  fort  sa- 
ges. Par  exemple,  il  conseilleaux  mé- 
decins de  ne  pas  négliger  les  anciens, 
et  de  s'aider  de  l'expérience  des  au- 
tres ,  ajoutant  que,  dût  -  on  vivre 
mille  ans  ,  on  ne  pourrait  jamais 
voir  par  ses  yeux  ce  qui  a  été  ob- 
servé dans  la  suite  des  temps  et 
dans  les  diverses  régions  de  la  ter- 
re. Il  a  consacré  un  chapitre  parti- 
culier aux  charlatans  en  médecine  : 
car  il  y  en  avait  aussi  de  son  temps  ; 
et  ce  chapitre  a  été  traduit  parFreind, 
dans  son  Histoire  de  la  médecine. 
C'est  dans  cet  ouvrage  qu'il  est  ques- 
tion pour  la  première  fois  de  l'eau- 
de  -vie.  L'auteur  y  parle  aussi  de 
plusieurs  espèces  de  bières  ,  fai- 
tes avec  de  l'orge  ,  du  riz  et  du  sei- 
gle. Razi ,  dans  ses  Aphorismes,  s'est 
beaucoup  trop  éloigné  de  la  simpli- 
cité d'Ilippocrate,  11  y  a  telle  obser- 
vation qu'il  répète  jusqu'à  deux  ou 
trois  fois  ;  il  s'y  montre  même  par- 
tisan de  l'astrologie.  Cependant  on 
y  trouve  quelques  maximes  qui  ne 
manquent  pas  de  sens  ,  par  exemple 
celle  -  ci  :  Défiez -vous  du  médecin 
qui  décide  facilement  ;  et  cetle  au- 
tre :  Les  médecins  à  systèmes,  ceux 
qui  veulent  faire  à  leur  tête,  les  jeu- 
nes ^ens  sans  expérience ,  sont  de 
vrais  assassins.  En  voici  une  troi- 
sième qui  ])ourrail  trouver  son  ap- 
plication ailleurs  :  Le  médecin  doit 


RAZ 

se  ménager  de  telle  manière  qu'il 
ne  se  livre  pas  tout  entier  aux  ajjf ai- 
res de  ce  monde,  ni  quilj  soit  tout- 
à-fait  étranger.  Plusieurs  des  on- 
Au'as^es  de  Razi  ont  etë  traduits  aussi 
en  iiëbreu  :  ou  trouvera  l'indication 
de  ces  traductions  dans  la  Bibliothè 
que  hébraïque  de  Wolf ,  et  dans  le 
Catalogue  des  manuscrits  hébreux 
de  M.  de  Rossi,  n°s.  3i2,  347  et 
iSSg.  R — D. 

RAZOUX  (  Jean  ) ,  docteur  en 
médecine  de  la  faculté  de  Montpel- 
lier ,  et  •Tgré<:;é  au  collège  royal  des 
médecins  de  Nîmes  ,  naquitdans  cette 
dernière  ville,  le  6  juin  17^3.  Avant 
de  se  livrera  l'exercice  exclusif  de  sa 
profession,  il  occupa  ses  loisirs  à 
des    recherches     d'archéologie.    Il 
avait  entrepris  ,  avec  le  marquis  de 
Rochemore,  sur  les  antiquités  de  son 
pays,  un  grand  ouvrage,  qui  n'a  pas 
été  achevé,  mais  dont  un  Mémoire 
surles  Fulces  Arécomiques, etc., qui 
en   faisait  partie,  et  qu'on  trouve 
dans  le  Recueil  de  l'académie  royale 
de  Nîmes,  de  1756,  donne  une  idée 
assez  avantageuse.  On  a  conservé  en 
outre,  de  Razoux  seul,  un  Mémoire 
sur  les  consécrations  des  anciens , 
etc  ;  et  un  autre  sur  les  grands  che- 
mins des  Romains ,  sujet  oîx  il  n'y 
avait  plus  qu'à  glaner  après  les  tra- 
vaux généraux  de  Bergier  sur  cette 
matière  ^  et  ceux  d'Astruc ,  plus  par- 
ticuliers ,  sur  les  voies  romaines  du 
Languedoc.  Les  prompts  succès  de 
Razoux  dans  la  pratique  de  la  méde- 
cine ,  et  l'étendue  de  ses  relations 
avec  les  hommes  les  plus  savants 
dans  son  art,  ne  lui  laissèrent  bientôt 
plus  de  temps  pour  d'autres  objets. 
On  a  de  lui  :  I.  Lettres  jihjsiques  et 
anatomiques  sur  l'organe  du  goût, 
1755.  II.  Lettre  à  M.  Belletéte , 
surles  inoculations  faites  à  Ninies, 
J764,  in-^*'.  III.   Tables  nosologi- 


RAZ 


191 


ques  et  météorologiques,  pXc,  Bâle, 
1767.  1/académie  royale  des  scien- 
ces accueillit  ce  livre  avec  la  plus 
honorable  distinction.  IV.  Essai  sur 
Vusage  de  la  douce  amère  (  Sola- 
num  scandens  )  dans  les  maladies 
dartreuses.  V.  Dissertatio  epistola- 
ris  de  cicutd ,  stramonio ,  hyoscia- 
mo  et  aconito  ,  Nîmes,  1781  ,  in- 
8°.  VI.  Mémoire  sur  les  éjndémies  , 
1786,  pour  lequel  une  médaille  d'or 
fut  décernée  à  l'auteur  par  la  so- 
ciété royale  de  médecine  de  Paris, 
Razoux  était  de  la  société  médico- 
physique  de  Bâle,  correspondant  de 
l'académie  des  sciences,  de  la  société' 
de  médecine  de  Paris,  de  la  société 
des  sciences  de  Montpellier,  et  se- 
crétaire perpétuel  de  l'académie  de 
Nîmes.  Il  mourut ,  au  lieu  de  sa  nais- 
sance, en  1798.  V,  S.  L. 

RAZYAHou  RADHIAT-EDDYN, 
reine  de  Dehly,  était  fille  de  Chems 
eddyn  Iletmich  ,  et  fut  reconnue 
souveraine  par  tons  les  ordres  de 
l'état ,  l'an  634  de  l'hégire  (  1  -236  de 
J.-G.  ),  après  la  déposition  de  son 
frère,  Rokn-eddyn  Fyrouz-Chah  , 
qui  s'était  rendu  méprisable  (  Voj. 
FiROUZ-GuAH  l'T,  )  C'est  l'uni- 
que exemple ,  dans  les  annales  de 
l'islamisme,  d'une  femme  élevée  au 
rang  suprême  par  le  choix  d'une  na- 
tion. Razyah  était  digne  de  cette 
distinction.  Elle  n'avait  aucune  des 
faiblesses  de  son  sexe,  et  possédait 
toutes  les  qualités  d'un  bon  roi.  Elle 
entreprit  plusieurs  expéditions  mili- 
taires ,  dompta  tous  les  rebelles  de 
ses  états  ,  et  mit  à  la  raison  les  prin- 
ces voisins  qui  voulurent  l'inquiéter. 
Redoutée  audehors,  elle  sut  par  un 
gouvernement  sage,  mériter  l'amour 
de  ses  sujets,  et  fut  la  gloi-.c  de  sa  ra- 
ce. Elle  portait  le  tadj  oulacouron- 
ne  sur  la  tète,  comme  les  sullhans: 
mais  un  voile  lui  cachait  le  visage, 


ÎQI 


RAZ 


lorsqu'elle  paraissait  en  public;  ot 
elle  ne  se  découvrait  que  pour  ilon- 
ner  ses  audiences  et  rendre  la  justice. 
Elle  protégea  les   gens  de  mérite, 
particulièrement   les   savants.   Son 
frère  Bahram,  jaloux  de  la  voir  oc- 
cuper un  rang  auquel  il  prétendait 
seul  avoir  des  droits,  excita  contre 
elle  une  conspiration  parmi  les  mé- 
contents qui  se  plaignaient  de  son  ex- 
cessive sévérité.   L'an  687,  Razyali 
assiégeait  en  personne  Melik  Altou- 
nia ,  roi  de  Serliind ,  dans  sa  capi- 
le  ,  lorsque  deux  omralis  de  la  sul- 
tlianc  entreprirent  de  la  livrer  à  son 
ennemi.   Leur   complot  fut  décou- 
vert ,  et  ils  furent  mis  à  mort  par  les 
troupes  :  mais  leurs  partisans,  s'étant 
saisis   de  Razyah,  la  renfermèrent 
dans  un  cliâteau ,  et  mirent  sur  le 
trône  de  Dehly,  Moezz-eddyn  Bah- 
ram-Chah.  Le  roi  de  Serhind  ,  plein 
d'admiration  pour  cette  princesse  , 
d'ennemi  qu'il  était,  se  déclara  son 
vengeur,  11  vint  à  la  tête  d'une  ar- 
mée, la  délivrer  de  sa  prison,  l'é- 
pousa  solennellement,    et   marcha 
vers  Delily  pour  la  rétablir  sur  le 
trône.  Après  divers  combats,  Ra- 
zyali et  son  époux  furent  vaincus 
dans  une  grande  bataille,  par  les 
troupes  de  Babram-Chab.  Ils  y  per- 
dirent la  vie,  ou,  suivant  une  autre 
version ,  ils  furent  massacrés  dans 
leur  fuite,  par  des  Indiens  idolâtres. 
Razyah  avait  régné  trois  ans  et  de- 
rai.  Elle  eut  pour  successeur  son  frè- 
re Bahram,  qui ,  ayant  péridansune 
révolte ,  après  un  règne  de  deux  ans, 
fut  remplace  par  son  neveu  Mas'oud 
IV  (  f^oj-,  ce  nom  ).  A — t. 

BAZZI  (Jean-Antoine),  peintre, 
plus  connu  sous  le  nom  de  chevalier 
SonoMA  ,  naquitvcrs  1 479,  selon  les 
uns  à  Verceil ,  en  Piémont ,  selon  les 
autres  à  Vcrgclli ,  village  du  pays 
de  Sienne.  Ce  qu'il  y  a  de  certain  , 


RAZ 

c'est  qu""!!  reçut  le  droit  de  cité  dans 
ceîtedernièreville.  Vasaridit  expres- 
sément qu'il  fut  amené  à  Sienne  par 
des  agents  de  la  noble  famille  Span- 
nochi:   du  reste  il  le  fait  naître  à 
Verceil.  Le  coloris  de  ses  chairs  , 
son  goût  de  clair-obscur,  et  quel- 
ques autres  qualités  inhérentes  à  l'an- 
tique école  de  Milan  et  du  Gioveno- 
ne,  qui  florissait  à  Verceil   durant 
les  premières  années  de  Sodoma , 
laissent    apercevoir  des  traces   du 
style   de   ce  maître,   surtout  dans 
les   ouvrages   que    l'artiste  a   exé- 
cutés   à   l'époque    où  il    commen- 
çait à  obtenir  de  la  célébrité.  JJ His- 
toire de  saint  Benoit ,  qu'il  a  })e:n- 
te^vers   l'année   i5o2,  au  Montc- 
Oliveto  ,  a  été  décrite  d'une  manière 
satisfaisante  par  GiuUo  Perini ,  se- 
crétaire  de   l'académie    florentine. 
Une  partie  des  ouvrages  qu'il  exécuta 
sous  le  pontificat  de  Jules  II ,  à  Ro- 
me, existe  encore.  Il  avait  peint  deux 
grandes  compositions  au  Vatican  ; 
mais  le  pape  ne  les  ayant  pas  trou- 
vées à  son  goût,  elles  furent  jetées 
bas;  et  Raphaël  y  substitua  de  nou- 
velles peintures  :  il  conserva  cepen- 
dant avec  soin  les  grotesques  qu'il 
avait  peints.  Le  Sodoma  exécuta  en- 
suite dans  le  palais Chigi, dit  aujour- 
d'hui la  Farnesine ,  plusieurs  sujets 
tirés  de  la  vie d'Alexandre-le  Grand, 
parmi  lesquels  on  distingue  les  ISoces 
de  Roxane.  On  n'y  retrouve  ni  l'élé- 
gance,  ni  la   grâce,  ni  la  noblesse 
des  têtes  qui  caractérisent  l'école  de 
Léonard  de  Vinci;    mais  on  y  re- 
marque sa  science  du  clair-obscur, 
que    les  peintres  lombards  s'elFor- 
çaient  d'imiter.  La  perspective,  que 
l'on  regarde  comme  l'héritage  qu'il 
avait  laissé  aux  artistes  de  ce  pays, 
V   brille    d'une   nianièrc  cmiuenlc. 
L'invention  en  est  riante;  et  les  grou 
pes  d'amours  lançant  des  flèches  , 


RAZ 

qu'il  y  a  introduits,  donnent  im 
grand  charme  à  sa  composition. 
Toutefois,  c'est  à  Sienne,  que,  riche 
des  études  qu'il  avait  faites  à  Rome, 
et  d'un  talent  mûri  par  l'iige  et  l'ex- 
périence ,  il  a  exécute  ses  meilleurs 
ouvrages.  L' Epiphanie ^queV on  voit 
dans  l'église  de  Saint-Augustin ,  sem- 
ble un  ouvrage  de  Léonard  de  Vinci  j 
et  quelques  amateurs  même  préfè- 
rent sa  Flagellation  du  Christ  ,  son 
chef-d'œuvre,  qui  se  voit  dans  le  cou- 
vent de  Saint-François,  au  même  su- 
jet peint  par  Michel  Ange.  On  lui 
compare  aussi  le  Saint  Sébastien 
qui  se  trouve  dans  la  galerie  de  Flo- 
rence, et  qui  passe  pour  une  copie 
du  torse  antique.  \j' Évanouissement 
de  sainte  Catherine  de  Sienne ,  qu'il 
a  peint  à  fresque  dans  une  des  cha- 
pelles de  Saint-Dominique,  n'est  pas 
indigne  de  Raphaël .  Le  Peruzzi  disait 
que  personne  n'avait  su  rendred'une 
manière  aussi  parfaite  l'expression 
d'une  pei'sonne  qui  s'e'vanouit  :  aussi 
Razzise  distingue-t-il  ge'iie'raleraent 
par  une  variété  d'airs  detêle,  où  l'on 
ne  reconnaît  aucune  imitation  j  et 
Vasari ,  qui ,  dans  sa  prévention,  le 
regarde  habituellement  comme  un 
peintre  médiocre,  ne  peut  s'empêcher 
d'admirer  en  lui  cette  qualité.  L'in- 
juste partialiié  de  cet  écrivain  envers 
le  Sodoma  fut,  selon  le  P.  Délia 
Vallc,  la  source  de  l'aversion  que 
ce  grand  peintre  avait  conçue  pour 
les  écrits  de  Vasari  ;  aversion  qui 
put  accroître  à  son  tour  l'animosilé 
jalouse  du  disciple  de  Michel-Ange 
contre  le  peintre  émule  fie  son  maî- 
tre. Le  Sodoma  travaillait  souvent 
sans  étude  préliminaire,  et  de  pra- 
tique seulfment ,  surtout  lorsque  de- 
venu vieux,  et  manquant  de  tra- 
vaux à  Sienne  ,  il  all;t  en  chercher 
à  Pise ,  à  Lucques  ,  à  Vollerra  : 
toutefois,  dans  ses  productions  mc- 
xxxvii. 


RÉ 


igi 


me  les  moins  soigue'es  ,  on  recon- 
naît le  cachet  d'un  homme  de  ta- 
lent, qui  dédaigne  de  mieux  faire, 
mais  qui  ne  saurait  faire  mal.  Pen- 
dant le  long  séjour  que  le  Razzi  fit 
à  Sienne  ,  il  forma  un  grand  nom- 
bre d'habiles  élèves,  parmi  lcs({uels 
on  cite  Mastro  Riccio.  Ou  a  vu, 
en  i8i4,  au  musée  du  Louvre  , 
un  tableau  du  Sodoma ,  représen- 
tant le  Sacrifice  d' Abraham  ,  qu'il 
avait  peint  pour  la  cathédrale  de 
Pise.  Quoique  ce  tableau  'aissât  à  dé- 
sirer sous  le  rapport  de  la  distribu- 
tion delà  lumière  répandue  en  trop 
j)etites  masses,  on  y  admirait  beau- 
coup d'intelligence  dans  le  nu ,  et 
une  grande  vérité  d'expression  dans 
les  figures.  11  a  été  rendu  à  la  Tosca- 
ne ,  en  i8i5.  Le  Sodoma  mourut 
en  r554.  P — ^• 

RÉ  (  Philippe  )  ,  agronome 
italien  ,  né,  en  1763,  à  Reggio  , 
d'une  famille  noble  ,  fit  ses  études 
au  collège  de  cette  ville  avec  distinc- 
tion. La  lecture  des  Géorgiques  de 
Virgile  décida  son  penchant  pour 
l'agriculture  ,  que  son  professeur 
acheva  de  développer,  en  lui  faisant 
traduiredes  passages  des  anciens  na- 
turalistes. Après  avoir  terminé  son 
coursde philosophie,  il  étudia  !a  phy- 
sique sous  la  direction  d'un  li.ibile 
raaître(leP.  BonaventiueConti),  qui 
lui  fit  faire  de  grands  pio;;rès  dans 
cettcscience;  cl, eu  quittantle collège, 
il  ol)tintle  titre  de  Principe  di  Let- 
tere.  Admis  à  l'académie  des  sciences 
de  sa  ville  natale,  il  rapporta  dès- 
lurs  toutes  ses  études  à  sa  science  fa- 
vorite ,  enrichit  d'un  grand  nombre 
de  plantes  rares  le  jardin  établi  par 
sou  frère  ,  le  comte  Ré  (  depuis  gon- 
A'prncur  de  Rrggio  ) ,  et  se  mit  on 
correspondance  avec  les  amateurs  les 
plus  distingués  de  la  botanique.  Sa  ré- 
putation fit  créer  à  Reggio ,  en  l 'jq'i  ) 
i3 


Î9+ 


RE 


luve  chaire  d'agriculture,  qu'il  rem- 
plit d'une  manière  brillante  j  mais 
les  ëve'ncmenls   qui   chaugèrcnt  un 
instant  la  face  de  l'Italie,  arrachè- 
rent noire  agronome  à  ses  paisibles 
fonctions.  Crée  recteur  de  l'univer- 
sité deRcggio  ,  il  fut,  bientôt  après, 
nommé   membre  de  la  régence  de 
Modène.  Phdippe  s'acquitta  des  nou- 
veaux devoirs  qui  lui  étaient  impo- 
sés, avec  une  rare  sagesse;  et  à  la  sup- 
pression de  la   régence  ,    il  rentra 
dans  la  vie  privée  ,  emportant  l'es- 
time et  les  regrets  universels.  Il  fut 
appelé,  peu  de  temps  après  (  i8o3), 
à  la  chaire  d'agriculture  de  Bologne  , 
et  il  publia  différents  ouvrages  qui  lui 
valurentdcslémoignagesd'estiraedes 
savants  îes  plus  illustres ,  et  qui  éten- 
dirent sa  renommée  dans  toute  l'Eu- 
rope. Lors  de  la  réorganisation  de 
l'université  de  Modène  ,  en  i8i4  ,  il 
fut  engagé  par  S.  A.  R.  François  IV , 
à  venir  y  reprendre  la  chaire  d'a- 
griculture  et  de  botanique  ;  et   ce 
prince ,   dont  il  reçut  des  preuves 
mullipliées  de  bienveillance, le  força 
d'accepter  en  outre  la  surintendance 
des  jardins  royaux.  Dans  un  voyage 
qu'il  fit  à  Reggio    pour  diriger  la 
plantation  d^nn  chemin  public ,  Ré 
tomba  malade  ,    et  mourut  le  26 
mars  181 7.  11  avait  une  érudition 
immense  ,  beaucoup  de  mémoire  et 
de  goût ,    et  surtout  une    persévé- 
rance admirable  dans  tout  ce  qu'il 
entreprenait.    11  était  membre  des 
académies  les  plus  célèbres  de  l'Ifa- 
lie.  Outre  un  grand  nombre  d'0])us- 
culcs  siu  l'agriculture  ,  on  a  de  lui  : 
I.  Propoiizioni  teorico  -  jiratiche  di 
fisica   ve'^ctale  ,   Reggio  ,    »7u'^. 
Elles   furent  soutenues  et  dévelop- 
pées par  M.  Jules   Monlanara  ,  de 
l\Iiran(lole,   son   élève.    On  doit  re- 
marquer <|ue  notre  professeur  est  le 
premier  qui  ail  fait  soutenir  en  Italie 


RE 

des  thèses  publiques  sur  l'agriculture. 
11.  ElemenLi.  di  agricollura,Viiime, 
1798,  iu-8°.;  Venise,  i8o'i,4  vol. 
in -8'^.  ;   3"^.  édition  ,  revue  et  aug- 
menté ,  ibid.  ,    18 16  :  c'est  le  pre- 
mier ouvrage  italien  dans  lequel  les 
principes  de  la  cliiuiie  aient  été  ap- 
pliqués à  l'agriculture  pratique  avec 
méthode  et  clarté.  111.  Elementi  di 
econoniia  campestre  ,  ad  uso  del 
re^nod'Ilalia ,  Milan,  1808,  in  8°. 
IV.    Annali   d'As^ricoltura  ,    Bo- 
logne ,  1807-  181 4  ;  ce  journal  est 
estimé.  V.  Viziovario  ragionato  dé' 
libri  d'agricoliura  ,  veterinaria  e  di 
altri  rami  d'economia  campestre  , 
Venise,    1808-09,  4  vol.  in-16, 
formant  ensemble  plus  de  i3oopag. 
Cette   Bibliographie    d'agriculture, 
que  l'auteur  n'a  pas  eu  l'intention 
de  rendre  com])lète,  mais  dans  la 
quelle  il  ne  parle  que  des  ouvrages 
qu'il  a  vus ,  et  sur  lesquels  il  donne 
des  jugements   précis   et    motivés  , 
comprend  environ  1 4oo  articles  ran- 
gés par  ordre  alphabétique  des  noms 
d'auteurs  (  d'Adami  à  Zwingerus); 
elle  est  précieuse  ,  surtout  pour  la 
connaissance  qu'elle  donne  des  agro- 
nomes d'Italie.    Elle  est   d'ailleurs 
beaucoup  plus  étendue  que  la  Biblio- 
teca  georgica  de.  Lîjstri ,  Florence , 
1787  ,  in-4".  ,  laquelle  ne  contenait 
qu'environ  G40  articles,  et  ne  citait 
que  des  agronomes  italiens.  Ré  avait 
déjà  publié,  dans  la  deuxième  édi- 
tion de  ses  Eléments  d'agriculture  , 
un  Essai   (  Sagç^io  di  Bildiografta, 
georgica)  fort  abrégé,  et  n'indiquant 
que  les  titres  des  livres  :  les  journaux 
ayant  critiqué  son  plan  et  son  trop 
de  brièveté  ,   il  crut  devoir  déférer 
à  leur  avis  en  coniposant^e  nouvel 
ouviage  ,   regardé  comme  l'un  des 
meilleurs   de   ce  genre.    VI.  Flora 
yliestina;  c'est  la  flore  d'Esté.  VIL 
Les  Eloges  de  P.  Crcsccn/.i ,  Bolo- 


RE 

j^ne,  i8i'3,et  de  Sëlxast.  Corrado. 
AjC?,  Annales  encj^clopédiques  à'  Aoùl, 
1817  (  IV  ,  3 1  u  ) ,  couticnncnt  une 
Notice  sur  Phil.  Ré  ,  traduite  du 
Journal  encjclupédique  de  Naples , 
pag.  337.  W — s. 

REAl)  (  IMarie  ) ,  fliljustièrc  an- 
glaise ,  e'taitnee  vers  1680,  Sa  mère 
avait  e'pouse'  uii  raariu  qui ,  peu  de 
temps  après  son  mariage  ,  partit 
pour  un  voyage  de  long  cours  ,  la 
laissant  enceinte  d'un  Gis.  Cette  fem- 
me s'ennuya  bientôt  de  son  veuvage; 
et  e'tant  devenue  grosse  une  seconde 
fois,  elle  accoucha  secrètement  d'une 
fiile  qu'elle  substitua  à  son  fds,  raort 
dans  liutervalle.  Lorsque  Marie  fut 
«n  peu  grande  ,  sa  mère  lui  rc'vela  le 
secret  de  sa  naissance,  en  l'engageant 
de  continuer  à  cacher  son  sexe.  De- 
venue orpheline  à  l'âge  de  treize  ans, 
elle  entra  chez  une  dame  comme 
valet  de  pied:  mais  elle  ne  tarda  pas 
à  se  lasser  de  cette  condition  ;  et  se 
sentant  autant  de  courage  que  de 
force  ,  elle  embrassa  l'e'tat  militaire , 
comme  un  moyen  de  fortune.  Après 
une  campagne  sur  mer,  elle  servit 
en  Flandre,  dans  la  cavalerie,  et 
s'acquit  l'estime  de  ses  chefs  par  son 
exactitude  et  par  sa  valeur.  Ayant 
conçu  Tamour  le  plus  violent  pour 
wn  jeune  Flamand  ,  son  camara- 
de ,  elle  lui  fit  partager  sa  pas- 
sion ,  reprit  les  habits  de  femme  , 
et  l'e'pousa.  Ad  bout  de  quelques  an- 
nées ,  elle  devint  veuve  ,  quitta  l'au- 
berge qu'elle  tenait  près  de  BreJa  , 
et  s'engagea  dans  l'infanterie;  mais 
la  paix  ne  lui  laissant  aucun  espoir 
d'avancement  ,  clic  demanda  son 
congé,  et  s'embarqua  pour  l'Amé- 
rique. Le  vaisseau  qu'elle  montait , 
fut  capture  ,  dans  la  traversée,  par 
des  pirates  anglais  ;  et  Marie  consen-  ■ 
tit ,  sans  peituf ,  à  rester  avec  eux. 
Il»  Cl  iuent  devoir  acceiilcr  l'amnis- 


REA  ,c)5 

tie  que  leur  offrait  le  roi  d'Angle- 
terre ,  à  condition  de  se  retirer  dans 
quelque  endroit  pour  y  vivre  tran- 
quillement. Marie  ,  qui  se  trouvait 
sans  ressource,  offrit  ses  services  au 
gouvcrneurde  l'île  de  la  Providence^ 
occupé  d'armer   contre   les   Espa- 
gnols.   Les    équipages   entièrement 
composés  d'aventuriers  ,   se  révol- 
tèrent ,   et  reprirent   le  métier  de 
pirates.   Les  nouveaux  flibustiers  , 
sous  les  ordres  du  capitaine  Rackara, 
firent  des  prises  considérables  ;  et 
Marie  partagea  les  profits  commeles 
dangers  de  l'association.  Personne  ne 
soupçonnait  son  sexe;  mais  elle  ne 
put  s'empêcher  d'être  sensible  aux 
charmes  d'un  jeune  Anglais ,  prison- 
nier des  pirates  ,  et  lui  sauva  la  vie, 
en  exposant  la  sienne  dans  un  duel 
contre  un  flibustier.  Les  deux  amants 
se  jurèrent  alors  une  fidélité  éternelle, 
et  attendirent  avec  impatience  l'oc- 
casion de  quitter  les  pirates  pour  se 
retirer  dans  quelque  île  écartée,  oîi 
ils  vivraient  tranquilles.  Mais  la  for- 
tune ne  leur  permit  pas  d'exécuter 
cette  résolution.  Le  capitaine  Rac- 
kam  fut  surpris  par  les  Anglais ,  et 
conduit,  avec  son  équipage,  à  Port- 
Roj'al  de  la  Jamaïque.  Son  procès  et 
celui  de  ses  compagnons  furent  ins- 
truits rapidement.  Tous  furent  con- 
damnés  à  mort,  le    iG  noA^embre 
1720.  Marie  ,  ainsi  qu'Anne Buuny, 
maîtresse   de  Rackam  ,  déclarèrent 
qu'elles  étaient  enceintes.  Leur  exé- 
cution fut  suspendue  ;  mais  ,  peu  de 
temps  après  ,  ]\rarie  toralia  malade, 
et  mourut  en  prison  ,  âgée  d'environ 
quarante  ans.  On  trouve  des  détails 
sur  ces  deux  avenlu!icrcs,dansr///\j- 
toire  des  pirates  anglais  ,  par  Cli. 
Johnson  ,  trad.  en  français  ,  17^5  , 
qui  forme  le  quatrième  volume  de 
V Histdiic  des  fUbusticrs  ,  par  Ocx- 
laelin  (  /'.  ce  nom  ).  VV — s. 


196  RE A 

REAL  DE  CURBAN  (  Gaspar 
DE  ) ,  publiciste  ;,  né  en  1682  ,  à  Sis- 
teron  ,  d'une  famille  noble  ,  s'appli- 
qua, dès  sa  jcimcsse,  à  rc'tutle  de  la 
politique ,  négligée  alors  en  France 
plus  que  dans  les  autres  états  de  l'Eu- 
rope. 11  fut  pourvu  de  la  charge  de 
graiid-sénéchai  de  Forcalquicr ,    et 
liomrné  conseiller  du  roi  en  ses  con- 
seils. Ses  talents  lui  méritèrent  l'es- 
time du  roi  Stanislas  ,  dernier  duc 
de  Lorraine,  et  des  publicistes  les 
plus  éclairés  de  son  temps.  Il  mou- 
rut à  Paris,  le  8  février  1  7 5s4,  quel- 
ques n3ois  après  avoir  terminé  le 
livre  auquel  il  doit  sa  réputation,  et 
qui  lui  avait  coûté  plus  de  trente  ans 
de  travail.  11  est  intitulé  :  Luicience 
du  gouvernement  ^  ouvrage  de  mo- 
rale ,  de  droit  et  de  politique  ,  qui 
contient  les  principes  du  comman- 
dement et  de V obéissajice  ,elc. ,  Aix- 
la-Chapelle  (  Paris,    1751-64  ),  in- 
4°. ,  8  vol.  ;  les  deux  premiers  trai- 
tent de  la  formation  et  des  avanta- 
ges des  sociétés  civiles ,  des  anciens 
gouvernements  et  de  leius  défauts,  et 
des   gonvernements    modernes.    Le 
troisième  volume  contient  Tidée  du 
dioit  naturel;  le  quatrième  ,  l'idée 
du  droit  public;  le  ciuquième,  l'idée 
du  droit  des  gens;  le  sixième,  l'idée 
de  la  polili'iuc  et  le  tableau  des  inté- 
rêts des  divers  états  de  l'Europe;  le 
septième,  l'idée  du  droit  ecclésiasti- 
qiic;  et  enfin  le  huitième,  la  biblio- 
ihi'que  des  auteurs  du  droit  public 
avec  l'examen  de  leuis  principaux 
ouvrages.  Le  style  de  Real  est  agréa- 
ble ,  quoique  diffus  ;  et  son  livre  peut 
cire  encore  consulté  utilement.  — 
Réal  de  Curban  (  Baltasar  DE  ), 
neveu  du  prccéHent,  connu  sous  le 
nom  de  l'alibéde  /jm/'/^?,  naquit  à  Sis- 
leron  ,  le  (j  janvier  1701  ;  il  embras- 
sa l'clat  eccjfsiastique  ,  et  (ut  pourvu 
de  (piciques  bcnébic.s.  Il  est  l'éditeur 


REA 

des  six  derniers  volumes  de  l'ouvra- 
ge de  son  oncle;  et  il  a  publié  :  Dii- 
sertalion  sur  le  nom  de  j'amille  de 
l'auguste  maison  de  Fiance ,  Paris, 
1762,  in-4''.  de  8  pag. ,  et  dans  le 
Mercure  de  la  même  année,  octo- 
bre,  II'',  vol.  Cette  pièce,  dans  la- 
quelle l'auteur  s'attache  à  prouver 
que  le  véritable  nom  de  la  maison  de 
Bourbon  est  de  France ,  comme  Du- 
hailhin  l'avait  établi  deux  siècles  au- 
paravant, fait  partie  d'un  Recueil 
de  Mémoires  et  Dissertations  sur 
le  même  sujet  (  par  de  Sozzi  ),  Ams- 
terdam, 1769,  in- 12.  L'abbé  de  Bur- 
le  était  chanoine  du  chapitre  de 
Saint-Médéric ,  à  Paris,  et  mourut 
dans  cette  capitale ,  le  9  novembre 
17-74.  '    W— s. 

REAL  (Saint).  T.  Saint  Réal. 
REA  LIN  0  (  Le  vénérable  Ber- 
nardin )  s'était  fait  un  nom  comme 
littérateur  ,  avant  de  s'illustrer  par 
la  sainteté  de  sa  vie  ,  et  mériterait 
une  place  parmi  les  savants  préco- 
ces. Il  naquit  à  Carpi,  le  i*"".  dé- 
cembre i53o,  d'une  famille  patri- 
cienne. Au  notn  de  Bernardino  qu'il 
reçut  au  baptême  ,  on  ajouta  celui 
de  Louis  ,  parce  que  son  père  était 
alors  au  service  de  Louis  de  Gouza- 
gue ,  surnommé  le  Rodomont.  Il 
étudia  d'abord  le  latin  et  le  grec  tant 
a  Carpi  qu'à  Modènc,  et  puisa,  dans 
les  hçons  de  Grillenzone  et  de  Cas- 
telvetro ,  le  goût  des  bonnes  études 
et  des  recherches  de  l'antiquité. 
IMalgré  le  règlement  qui  défendait 
aux  sujets  du  duc  de  Ferrare  de  fré- 
quenter les  écoles  étrangères  ,  il  ob- 
tint la  permission  d'aller  continuer 
ses  études  à  Bologne  ;  et ,  après 
avoir  terminé  ses  cours  de  logique 
e*.  de  philosophie,  il  re'solut  de 
s'appliquer  à  la  médecine.  Une  de- 
moiselle, aussi  vertueuse  que  belle, 
qu'il  a  célébrée  dans  ses  vers ,  sous 


REA 

le  nom  de  Chloris  ,  lui  fit  changer 
de  dessein;  et,  pour  lui  plaire,  il 
e'tudia  la  jurisprudence  avec  beau- 
coup d'ardeur  ,  mais  sans  négliger 
la  culture  des  lettres  ,  qui  faisait 
son  unique  délassement.  Un  Com- 
mentaire qu'il  publia,  dans  sa  ving- 
tième année ,  sur  les  Noces  de  Thé- 
tis  et  de  Pelée  ,  poème  de  Catulle, 
le  fit  connaître  avantageusement  des 
savants  ,  dont  plusieurs  le  traitaient 
déjà  comme  un  ami.  Les  talents 
qu'annonçait  Réalino  ne  pouvaient 
manquer  de  lui  mériter  la  laveur  du 
duc  de  Ferrare,  quand  un  événe- 
ment aussi  malheureux  qu'imprévu 
vint  tout-à-coiip  changer  sa  destinée, 
et  lui  fit  encourir  la  disgrâce  de  son 
souverain.  Après  la  mort  de  sa  mère, 
un  de  ses  parents  lui  suscita  un  pro- 
cès injuste,  pour  le  dépouiller  d'une 
partie  de  sa  fortune.  L'affaire  fut 
portée  devant  les  tribunaux  de  Fer- 
rare  ;  et  Réalino  ,  qui  se  rendit  aus- 
sitôt en  cette  ville,  y  fut  accueilli 
par  le  prince  d'Esté  ,  évêque  de  Fer- 
rare  et  depuis  cardinal,  avec  la  plus 
grande  bienveillance.  Comme  le 
procès  traînait  en  longueur  ,  ou  prit 
le  parti  d'en  remettre  la  décision  à  un 
arbitre.  Celui-ci,  sans  se  donner  la 
peine  d'examiner  l'affaire,  condam- 
na Réalino  ,  qui  n'avait  pas  même 
été  entendu.  Quelque  temps  après  , 
Bernardino  vint  à  Carpi  passer  les 
vacances  ,  et ,  ayant  rencontré  son 
arbitre, eut  avec  lui  une  altercation 
si  vive,  que  ,  dans  la  colère  ,  il  tira 
son  poignard  et  lui  fit  une  blessure 
au  visage.  Cette  violence  ne  pouvait 
rester  impunie.  Bernardino  fut  con- 
damné à  avoir  la  main  coupée  ,  et  à 
payer  200  livres  d'amende.  11  s'en- 
fuit pour  se  soustraire  à  l'exécution  de 
cette  sentence  ,  et  revint  à  Bologne  , 
où  il  1  éprit  ses  études  du  droit,  et 
reçut  le  laurier  doctoral  eu  i55G. 


REA 


'97 


La  même  année  ,  il  obtint ,  par  !a 
protection  du  cardinal  Madrucci , 
gouverneur  du  IMilancz  ,  la  place  de 
podestat  de  Felizano  ,  poste  dans 
lequel  il  se  conduisit  avec  beaucoup 
de  sagesse  et  de  prudence.  Il  fut  en- 
suite pourvu  de  la  charge  de  fiscal 
d'Alexandrie;  et  enfin  le  marquis 
de  Pescara  ,  devenu  son  protecteur  , 
après  lui  avoir  confié  différents  em- 
plois ,  lui  donna  l'intendance  géné- 
rale des  vastes  domaines  qu'il  possé- 
dait dansle  royaumedeiNaples. Mais 
Bernardino  ,  qui  nourrissait  depuis 
long-temps  le  projet  de  renoncer  au 
monde  pour  se  consacrer  à  Dieu, 
ne  tarda  pas  d'exécuter  ce  pieux 
dessein.  Ayant  réglé  ses  affiiires  et 
remerrié  le  marquis  de  Pescara  ,  il 
distribua  aux  pauvres  tout  ce  qu'il 
possédait ,  et  prit  l'habit  de  saint 
Ignace,  en  1064  ,  dans  la  maison  des 
Jésuites  ,  à  Naples.  Après  avoir  ter- 
miné son  cours  de  théologie,  il  entra 
dans  les  ordres  sacrés  ,  et  se  dévoua 
dès-lors  à  la  prédication  et  à  la  di- 
rection des  âmes ,  avec  une  ferveur 
que  ne  purent  affaiblir  ni  l'âge  ni  les 
maladies  dont  il  fut  affligé  fréquem- 
ment. Sa  piété  ,  sa  douceur  ,  sa  pa- 
tience dans  les  doulcui-s ,  et  sa  cîiaritc 
pour  les  pauvres ,  le  rendirent  l'objet 
de  la  vénération  publique.  En  1 5'}4 , 
il  reçut  de  ses  supérieurs  Tordre 
d'établir  un  collège  à  Lecce  ;  et  pen- 
dant lung-temps  il  resta  seul  chargé 
d'instruire  les  élevés  qui  venaient  eu 
fùulese  ranger  sous  la  discipline  d'un 
maître  également  propre  à  les  diri- 
ger dans  les  sciences  et  dans  la  vie 
spirituelle.  Il  gouverna  ce  collège 
penda/it  quaianie-deux  ans,  avec  uu 
zèle  et  une  patience  infatigables,  et 
mourut  à  Lecce,  le  1  juillet  1616,  à 
r.igc  de  quatre-vingt  six  ans,  en 
odeur  de  sainteté.  Sur  la  demande 
de  ses  confrères,  une  enquête  solen- 


igB  RE A 

iiellc  fut  commencée  pour  et;iljlirscs 
droits  à  la  beali(icalion;mais  la  cour 
de  Rome  n'a  point  encore  statué 
sur  cet  objet.  Le  père  Beinardino , 
dans  un  accès  de  zèle ,  brûla  tous  les 
ouvrages  de  sa  jeunesse,  et  chargea 
son  frère  de  détruire  tous  les  manus- 
crits qu'il  lui  avait  laissés  ;  heu- 
reusement cet  ordre  ne  fut  pas  exé- 
cuté à  la  rij:;ueur.  Ou  a  de  lui  :  In 
niiptias  Pelei  et  Thelidis  Catul- 
lianas  commentarius ;  item.  Ad- 
notationes  in  varia  scHpioruin  lo- 
ca ,  Bologne,  i55i,in-4".  Les 
Remarques  de  Realino  sur  \es  an- 
riens  auteurs  ont  été  insérées  par 
Gruler  ,  dans  le  tome  ii  du  Thesaur. 
crilicus.  On  conserve  de  lui,  dans  la 
bibliothèque  du  collège  de  Lecce  , 
des  Poésies  latines  et  italiennes,  et 
plusieurs  recueils  de  Lettres ,  ainsi 
que  des  Traités  de  théologie ,  et 
quelques  Oiwrai^cs  ascétiques.  Il 
avait  composé  beaucoup  d'autres 
Opuscules  ,  dont  on  trouvera  les  ti 
très  dans  la  Bibl.  Soc.  Jesu,  p.  1 16, 
et  dans  la  Bibl.  Modenese  deTirabos- 
chi,  323-a5,  tome  iv:  la  Trad.  la- 
tine, en  prose,  de  V Odyssée  d'Ho- 
mère et  du  Plittus  d'Aristophane; 
des  IS'otes  sur  Salluste;  un  Commen- 
taire  sur  les  Sonnets  de  Pétraïque 
et  de  Berabo;  un  Traité  sur  le  livre 
d'Aiistote  ,  De  somno  et  vigilid  ; 
des  Discours  sur  le  Maiiage,  cl  sur 
le  Néant  du  monde  ;  deux  Dialo- 
gues,Vun  sur  V Honneur  et  l'autre 
sur  la  Grammaire  ;  un  Traité  de 
l'union  de  la  Sagesse  et  du  Pouvoir, 
sous  ce  titre  ,  Pallas  armata;  un  li- 
vre d'Jùnblèmes ,  à  l'imitation  de 
ceux  d^\l<;i,it;  des  Pastilles,  ou  pe- 
tites Notes  sur  les  OEmnes  de  Pla- 
ton et  sur  toute  la  Bible  ;  un  Com- 
mentaire sur  les  Elégies  de  Ga|lus  ; 
un  Traité  de  droit  iur  les  Contrats, 
etc.  On  a  [tlusicuis  Kies  du  P.  Ber- 


REA 

riardino.  La  plus  détaillée  est  celle 
qu'a  publiée,  en  latin,  le  Père  Leo- 
nardo  di  Sant-Anna,  i65G,  in- 4°. 
Tiraboschi  préfère  celle  du  P.  Fuli- 
gati,  Viterbe,  i644,  in-8°.,  en  ital., 
et  trad.  en  latin  ,  par  Baeivoet,  An- 
Ters.  1G45,  in-i'j.  W — s. 

RÉAUMUR  (  René  -  Antoine 
Fep.chault  de  ) ,  l'un  des  plus  in- 
géuicux  naturalistes  et  physiciens  que 
la  Fraiice  ait  produits  ,  naquit  à  la 
Rochelle  ,  en  i683.  Il  était  fils  d'un 
conseiller  au  présidial  de  cette  ville. 
Apres  y  avoir  commencé  ses  études , 
il  les  continua  sous  les  Jésuites ,  à 
Poitiers  ,  et  fit  son  droit  à  Bourges  : 
mais  une  grande  passion  pour  l'ob- 
servation de  la  nature  ,  l'entraînait 
dès-lors  ;  et  comme  il  jouissait  d'une 
assez  belle  fortune,  aucun  obstacle 
ne  l'empêcha  de  s'y  livrer  avec  l'ai'- 
deur  naturelleà  son  âge.  Il  s'y  jjrépara 
par  une  étude  sérieuse  des  mathéma- 
tiques ;  et  lorsqu'il  se  sentit  assez 
fort  pour  se  mesurer  avec  les  natu- 
ralistes et  les  physiciens  de  profes- 
sion ,  il  se  rendit  à  Paris,  C'était  en 
1708;  et  il  n'avait  pas  vingt  ans: 
mais  le  président  Hénault  ,  son  pa- 
rent ,  lui  procura  promptement  des 
occasions  de  se  lier  avec  les  savants  ; 
et,  dès  1708  ,  à  l'âge  de  vingt-quatre 
ans,  ayant  présenté  à  l'académie  des 
sciences  quelques  Mémoires  de  géo- 
métrie, celte  compagnie  s^empressa 
de  l'admettre  dans  son  sein.  11  en 
a  été,pcndantprès  decinquanteans, 
l'un  des  membres  les  plus  actifs  et 
les  plus  utiles  :  ses  travaux  embras- 
sèrent alternativement  les  arts  in- 
dustriels ,  la  pliysiijue  générale,  et 
riiistoiie  naturelle  ;  et,  depuis  son 
euirée  à  l'académie,  il  ne  s'écoula 
]ires(|ue  aucune  année  ,  où  il  n'ait  pu- 
blié soit  des  IMémoires  soit  des  ou- 
vrages d'une  granch-  iniporlauce ,  ou 
d'un  grand    inléjcl.    11    s'était,    do 


REA 

bonue  lieure  ,  cliargé  de  concourir  à 
la  description  des  ai  ts  et  melicrs  ,  à 
laquelle  l'acade'mic  travaillait;  et  ne 
.se  bornant  point  à  faire  connaître 
l'etat  où  se  trouvaient  les  arts  qui  lui 
étaient  c'clins  en  partage  ,  il  clierclia 
toujours  à  les  perfectionner  ,  et  ren- 
dit ainsi  à  l'industrie  française  des 
services  aussi  nombreux,  que  varies, 
par  des  applications  de  la  physique 
et  de  l'histoire  naturelle;  en  même 
temps  que  par  des  observations  sur 
les  procédés  des  arts  ,  il  eut  souvent 
occasion  d'ajouter  aux  connaissances 
sur  les  propriétés  des  êtres  naturels, 
ou  sur  les  phénomènes  de  la  nature. 
Dans  ses  recherches  sur  l'art  du  cor- 
dier  ,  en  1 7  1 1  ,  il  prouva  ,  contre 
l'opinion  commune  ,  et  néanmoins 
par  des  expériences  concluantes,  que 
la  torsion  diminue  la  force  des  cor- 
des. En  17  i3  ,  eu  décrivant  l'art  du 
tireur  d'cr  ,  il  eut  occasion  de  faire 
voir  quelle  prodigieuse  ductilité  pos- 
sèdent certaines  matières.  En  17  i5  , 
en  examinant  les  procédés  par  les- 
quels on  colore  les  fausses  perles,  il 
apprit  à  connaître  la  substance  sin- 
gulière quidonue  l'éclat  aux  écailles 
des  poissons  ,  et  s'occupa  même  de 
la  formation  et  de  l'accroissemwit 
de  ces  écailles.  A  ces  rcclierches  se 
lièrent  celles  qVil  avait  f.iiles  dès 
1709,  sur  la  formation  et  l'accrois- 
sement du  test  des  coquillages  ,  qu'il 
prouva  ne  point  se  développer  par 
intus-susccption.  Plus  tard,  en  171 7, 
il  examina  la  formation  même  des 
perles  ,  et  rechercha  si  l'on  ne  pour- 
rait point  forcer  les  coquillages  d'en 
produire.  Eu  décrivant,  en  1715,  les 
mines  de  turquoises  du  midi  de  la 
France,  et  les  moyens  qu'on  emjduie 
pour  leur  faire  ])iendre  leur  couleur 
bleue,  il  reconnut  que  ces  pierres 
n'étaient  que  les  dents  d'im  grand 
animal  (celui  qui  a  clé  décrit,  daus 


REA 


'99 


ces  derniers  temps  ,  sous  le  nom  de 
Mastodonte).  Mais  ses  travaux  les 
plus  importants  en  ce  genre  ,  ceux 
qui  eurent  le  plus  d'influence  sur  le 
perfectionnement  de  l'industrie  ,  fu- 
rent ses  recherches  sur  le  fer  et  sur 
l'acier ,  qu'il  publia  dans  un  ouvrage 
séparé,  en  17^2,  sous  le  titre  de 
Traité  sur  l'art  de  convertir  le  fer 
en  acier ,  et  d'adoucir  le  fer  fondu. 
Nos  forges  étaient  alors  presque  dans 
l'enfance;  et  nous  ne  faisions  point 
d'acier  :  tout  celui  qu'exigeaient  les 
différents  métiers  ,  nous  venait  de 
l'étranger.  Réaumur  n'arriva  qu'a- 
près d'innombrables  essais  ,  à  en  dé- 
couvrir les  procédés ,  et  il  s'empressa 
de  les  rendre  publics.  Le  duc  d'Or- 
léans ,  régent ,  crut  devoir  récom- 
j)enser  ce  service  par  une  pension 
de  douze  mille  livres.  Nous  ue  fai- 
sions point  non  plus  alors  de  fer- 
blanc  ,  et  il  ne  nous  venait  que 
de  l'Allemagne.  Réaumur  parvint 
aussi  à  le  faire  par  des  moyens  peu 
coûteux  ,  qu'il  fit  connaître  en  1725. 
Dans  ses  nombreuses  expériences,  il 
eut,  plus  d'une  fois,  occasion  do 
voirqneles  méfauxfondus  prenaient, 
en  se  figeant ,  des  formes  régulières  ; 
et  il  donna  ainsi,  en  17 '^4  ?  ""  V^^~ 
uiier  aperçu  de  cristallographie  me'- 
tallitiue.  La  fabrication  de  la  porce- 
laine l'occupa  aussi  beaucoup  :  il  fit 
venir  de  la  Chine  les  matériaux  que 
l'on  emploie  dans  ce  pays  ,  et  s'ef- 
força d'en  trouver  de  semblables 
en  France.  Ses  Mémoires  ,  à  ce 
sujet,  datent  de  i7'-i7  à  I7'i9: 
il  ne  réussit  point  complètement; 
mais  c'est  d'après  ses  indications  que 
Darcef ,  et  surtout  Macquer,  ont  été 
plus  heureux  ,  et  sont  parvenus  à 
déiouvrir  la  terre  qui  produit  cette 
belle  porcelaine  dure  ,  dont  nous 
avons  aujourd'hui  tantilc  fabriques, 
r^tanmoius  Rcaiimur  trouva  un  pro- 


•ioo  REA 

cède  qui  n'est  pas  sans  utilité  j  celui 
de  procurer  au  verre  une  blancheur 
et  une  opacité  qui  le  fait  ressembler 
à  quelques  égards  à  la  porcelaine; 
et  c'est  cette  sorte  de  verre  que  l'on 
nomme  encore  à  présent  porcelaine 
de  Réaumur.  Il  la  fit  connaître  en 
1 789.  On  lui  doit  encordes  premiers 
essais  faits  en  France ,  de  l'incuba- 
tion artificielle  pratitjuée  de  temps 
immémorial  dans  l'Egypte,  et  que 
l'on  A'ient  d'introduire  de  nouveau 
parmi  nous  avec  avantage.  Il  a  indi- 
qué la  manière  de  conserver  les  œufs 
en  les  enduisant  de  graisse  ;  celle 
d'empêchfr  l'évaporation  des  li- 
queurs spiriluouses  par  le  mercure  ; 
et  beaucoup  d'autres  procédés  d'une 
utilité  plus  ou  moins  étendue.  Il 
a  perfectionné  la  suspension  des 
voitures  et  l'emboîtement  des  es- 
sieux. 11  a  retrouvé,  en  171 1  ,  un 
coquilLige  dont  le  suc  fournit  une 
teinture  analogue  à  la  pourpre  des 
anciens.  Il  n'est  pas  jusqu'à  la  soie 
des  araignées  dont  il  n'ait  cherché  à 
tirer  quelque  parti  ;  et  ce  qui  est  sin- 
gulier ,  c'est  que  son  Mémoire  à  ce 
sujet,  qui  est  de  1 7 1  o  ,  fut  traduit  eu 
mantchoupar  lcpèrcParroniu,àlade' 
mandede  l'empereur  de  la  Chine,  qui 
avait  voulu  lire  en  sa  langue  un  écrit 
dont  le  titre  piquait  sa  curiosité  (  V. 
Bon  et  Parremn  ).  En  physique  gé- 
nérale, le  nom  de  Réaumur  est  prin- 
cipalement célchrc  par  son  thermo- 
mètre,qu'il  fit  connaître  en  1 731.  Sa 
construction  repose  sur  le  choix  des 
deux  points  extrêmes  de  la  gradua- 
tion, celui  de  la  congélation  de  l'eau, 
et  celui  de  son  ébullitiou,  points  tou- 
jours fixes  dans  les  mêmes  circons- 
tances. La  division  de  cet  intervalle 
eu  80  degrés  ,  fondée  sur  ce  que  l'es- 
prit de  vin  à  un  certain  étal  de  recti- 
fication se  dilate  de  80  millièmes  , 
était  une  disposition  plus  arbitraire, 


REA 

et  que  l'on  a  pu  abandonner  pour  la 
division  centésimale  jmais  on  ne  s'é- 
cartera pas  des  deux  bases  dont  nous 
venons  déparier,  en  sorte  qu'au  fond, 
tous  les  thermomètres  pourront  tou- 
jours cire  regardés  comme  de  Réau- 
mur :  toutefois  il  faut  avouer  que  l'i- 
dée primitive  en  appartient  à  New- 
ton. Dans  les  nombreuses  expérien- 
ces qui  lui  furent  nécessaires  pour 
une  invention  de  cette  importance, 
il  fit  des  remarques  curieuses  sur  l'ac- 
croissemout  ou  la  diminution  de  vo- 
lume et  de  chaleur  que  prennent  cer 
taines  liqueurs  quand  on  les  mêle  ,  et 
sur  les  mélanges  frigoriHques.  Il  re- 
cueillit aussi,  avec  grand  soin,  les 
observations  sur  la  chaleur  faites 
en  différents  lieux  par  le  moyen  de 
son  thermomètre,  et  commença  à 
donner  de  l'activité  à  cette  branche 
de  la  météorologie.  Il  a  remarqué, 
vers  ce  même  temps,  que  la  gelée 
n'empêche  pas  l'évaporation  de  la 
neige.  Malgré  l'importance  et  l'u- 
tilité de  tous  les  écrits  dont  nous  ve- 
nons de  donner  une  indication  bien 
sommaire  ,  il  y  a  plus  de  nouveauté 
et  d'intérêt  encore  dans  ceux  qu'il  a 
publiés  sur  l'histoire  naturelle.  In- 
dépendamment de  ce  que  nous  avons 
déjà  rapporté  de  lui  sur  les  écailles 
des  poissons,  sur  l'acçroissemcntdeâ 
coquilles  et  sur  les  dents  pétrifiées, 
il  a  fait  connaître ,  en  1710,  les 
moyens  par  lesquels  beaucoup  de 
coquillages  ,  les  étoiles  de  mer,  et 
d'autres  mollusques  ou  zoophyles, 
exécutent  leur  mouvement  progres- 
sif. Eu  17  «'2  ,  il  à  consUUé  les  phé- 
nomènes curieux  de  la  reproduction 
des  pattes  des  écrcvis^cs  et  des  hp- 
mards.  En  1  7  i5  il  a  décrit  avec  pré- 
cision l'action  singulière  de  la  tor- 
pille, et  l'organe  au  moyen  duquel 
elle  l'exerce  :  mais  les  phénomènes 
de  l'électricitc  étaient  alors  trop  peu 


RE  A 

connus   pour  qu'il  pût  en  saisir  la 
véritable    explication.   11   examiua 
plusieurs  de  nos  rivières  qui  roulent 
de  l'or  avec  leur  sable  ,  et  en  donna 
uu  Mémoire  en  17  i8.  Ces  immenses 
bancs  de  coquillages  fossiles,  connus 
en  Tourainesous  le  nom  de  Falun, 
ne  lui  avaient  point  e'chappé;et  il 
les  décrivit  en    1720.   La  lumière 
que    répandent    quelques    coquilla- 
ges ,    et    principalement    les   dails 
ou  pliolades,  fut,  eu    lyuS,  l'ob- 
jet de  SCS    observations.  11    n'était 
pas  étranger  à  la  physiologie.  C'est 
par  ses  expériences  aussi  iugéniea- 
ses  que  décisives  ,  que  l'on  apprit, 
en   1732,  la  dllférence  étrange  qui 
a  lieu,  pour  la  digestion  ,  entre  les 
oiseaux  de   proie ,  dont  l'estomac 
n'agit  sur  les  aliments  que   par  un 
liquide  dissolvant  ,  et    les   oiseaux 
granivores  ,    chez  lesquels    un   gé- 
sier inusculeux  très -puissant  exer- 
ce une  pression  assez    forte   pour 
écraser  et  pulvériser  mécaniquement 
des  corps  fort  durs.  Mais  de  tous 
les  ouvrages  de  Réaumur ,  le  plus 
reniai  quable  ,   celui  qui  ne  pourra 
ces.-er  d'être   étudié  avec    le    plus 
vif  intérêt    par   ceux  qui  voudront 
se  faire  une  idée  juste  de  la  nature 
et   de  la  merveilleuse    variété   des 
moyens  qu'elle  emploie  pour  con- 
server ses  productions  en  apparen- 
ce les  plus  frêles  et  les   moins  ca- 
pables  de  résistance ,  ce  sont   ses 
Mémoires  pour  servir  à  V histoire 
des  insectes ,  dont  6  vol,  in-4°.  ont 
paru  de   1784  à    i']\.i'  L'auteur  y 
porte  au  plus  haut  degré  la  sagacité 
dans  l'observation  et  dans  la  décou- 
verte de  tous  CCS  instincts  si  csnipli- 
qués  et  si  constants  dans  chaque  es- 
pèce,  qui  luaintitunent  ces  faibles 
créatures.  11  pique  sans  cesse  la  cu- 
riosité par  des  détai'is  nouveaux  et 
singuliers.  Son  style  est  un  pcudilRis, 


REA. 


20  ï 


mais  d'une  clarté'  qui  rend  tout  sensi- 
ble ;  et  les  faits  qu'il  rapporte  sont 
partout  de  la  vérité  la  plus  rigoureu- 
se. Cet  ouvrage  se  fait  lire  avec  l'inlc- 
rêt  du  roman  le  plus  attachant.  Mal 
heureusement  il  n'est  pas  terminé;  et 
le  manuscrit  du  septième  volume  , 
laissé,  après  la  mort  de  l'auteur,  à 
l'académie  des  sciences,  s'est  trouvé 
si  en  désordre  et  si  incomplet,  qu'il 
a  été  impossible   de  le  publier.  Il 
devait  y  parler  des  grillons  et  des 
sauterelles  ;  et  les  coléoptères   au- 
raient rempli  le  huitième  et  les  sui- 
vants. Les  six  volumes  qui  ont  pa- 
ru ,  traitent  des  autres  ordres  d'in- 
sectes allés.  Dans  les  deux  premiers, 
il  est  question  des  chenilles,  de  leurs 
formes  et  genres  de  vie ,  de  leurs 
métamorphoses  en  papillons  ,   des 
insectes  qui    les  attaquent ,  ou   qui 
vivent  dans  leur  intérieur  et  à  leurs 
dépens.  Le  troisième  roule  sur  ces 
petites   cbenilles   nommées   teignes 
ou  fausses  teignes,  qui  habitent  dans 
l'intérieur  des  substances   qu'elles 
dévorent,  ou  qui  se  font  des  étuis 
et  des  vêtements  pour  se  mcllre  à 
Tabii  :  il  contient  aussi  l'histoire  si 
remarquable  des  pucerons  qui  su- 
cent les  arbres,  et  des  insectes  ana- 
logues. Les  mouches  qui  produisent 
les  noix  de  galle  des  arbres;  les  vers 
dont  naissent  les  mouches  à  deux 
ailes  ,  et  qui  ont  des  genres  de  vie  si 
diversifiés,   depuis   le  cousin,  qui 
habite  plusieurs  années  dans  l'eau 
avant  de  prendre  des  ailes,  jusqu'à 
Voestre ,  qui  se  tient  dans  la  chair 
des  animaux  vivants  ou  dans  leur  es- 
tomac ,  ou  dans  les  fusses  les  plus 
profondes  de  leur  gorge  ou  de  leurs 
narines ,  et  leur  cause  des  douleurs 
effroyables ,  occupent  le  quatiième. 
On  trouve  dans  le  cinquième,  après 
différents  genres  d'insectes  assez  cu- 
rieux ,  l'histoire  de  la  merveilleuse 


203  REA. 

république  des  abeilles  et  de  son  sin- 
gdlicr  guLivenieineiit.  Rcatiraiir  avait 
demande  aux  géomètres  d'expliquer 
quel  avait  e'ie  le  motif  de  la  figure 
déterminée  des  rhombes  qui  forment 
le  fond  de  chaque  cellule  d'un  rayon 
de  miel  ;  et  Kœnig  résolut  ce  problè- 
iue,  en  prouvant  que  c'était  de  tou- 
tes les  formes  possibles,  dans  les 
conditions  données^  celle  qui  épar- 
gnait le  plus  la  matière  de  la  cire. 
Nous  devons  dire  ici  que  les  recher- 
ches de  Scbirach,  et  surtout  celles  de 
M.  Huber,  ont  infiniment  ajouté  à 
tout  ce  que  les  découvertes  de  Réau- 
mur  avaient  déjà  d'étonnant;  mais 
l'histoire  qu'il  a  donnée  n'en  est  pas 
moins  très-riche  eu  faits  curieux, 
et  le  produit  d'observations  fai- 
tes avec  autant  d'esprit  que  d'as- 
siduité. Des  républiques  moins  po- 
puleuses et  moins  recherchées  dans 
leurs  ouvrages  ,  celles  des  bourdons, 
des  frelons,  des  guêpes,  les  indus- 
tries remarquables  de  diverses  guê- 
pes et  abeilles  solitaires,  remplis- 
sent le  sixième  volume  ,  qui  est 
un  des  plus  curieux  de  l'ouvrage. 
Rcaumur  y  annonce  la  découverte 
surprenante  que  Trembley  venait 
de  faire  du  p'oîype,  et  de  sa  faculté 
de  se  reproduire  de  chacun  de  ses 
tronçons.  Déjà  dans  un  de  ses  volu- 
mes précédents,  il  avait  fait  con- 
naître celle  de  iionnet ,  sur  la  facul- 
té qu'a  le  puceron,  de  se  reproduire 
plusieurs  générations -de  suite  sans 
accouplement.  Ces  naturalistes,  jeu. 
nés  encore,  avaient  été  excités  par 
son  exemple;  et  c'était  en  marchant 
sur  ses  traces  qu'ils  avaient  observé 
des  faits  si  curieux.  Il  eut  un  autre 
imitaicur  dans  Charles  de  Gcer  , 
seigneur  suc-dois,  qui  a  aussi  donné, 
sur  les  insectes,  6  vol.  in-^".,  où  l'on 
trouve  beaucoup  d'additions  à  ce  que 
Kcaumtir  avait  observé  à  leur  sujet 


REA 

(F,  Geer).  L'Histoire  des  insectes 
avaitplacé  Réaumur  au  premierrang 
des  naturalistes  ,  lorsque  les  pre- 
miers vol  urnes  de  l'Histoire  naturelle 
de  BuiTon  vinrent  un  peu  éclipser  , 
par  l'éclat  de  leur  style  ,  ce  que  sa 
réputation  avait  de  populaire.  Il  pa- 
raît qu'il  eut  la  faiblesse  d'en  être 
jaloux,  et  qu'il  ne  fut  pas  étranger 
à  la  publication  des  Lettres  à  un 
Américain  ,  ouvrage  anonyme  d'un 
oratorien  nommé  de  Lignac,mn  de- 
meurait dans  le  voisinage  de  la  terre 
de  Rcaumur  ,  et  vivait  souvent  chez 
lui  (  f^oj-.  LiGNAG  ).  Bullbn,  et  son 
collaborateur  Daubenton,  y  furent 
traités  avec  indignité  ,  tandis  que 
l'on  y  exaltait  Réaumur ,  ses  ouvra- 
ges et  ses  colIections.il  était,  en  effet, 
le  premier  en  France  qui  eût  formé 
des  collections  impeucomplèles  dans 
le  règne  animal.  Brisson,  qui  en  était 
le  conservateur,  y  a  puisé  les  prin- 
cipaux matériaux  de  son  ouvrage 
sur  les  quadru]ȏdes ,  et  surtout  ceux 
de  sa  grandeOinithologie,en  G  vol. 
111-4".  7  '^^o'ît^  lotîtes  les  descriptions 
originales 'sont  prises  des  oiseaux 
de  Réaumur.  Ces  mêmes  oiseaux  , 
bien  que  préparés  encore  assez  im- 
parfaitement ,  et  la  plupart  simple- 
ment scchés  au  four,  ont  passé., 
après  la  mortdu  ])ropriétaire,  aiica- 
binct  du  Roi ,  et  en  ont  fait,  pendant 
bien  long-temps  ,  le  fonds  principal  , 
pour  ce  qui  concerne  celte  «'lasse. 
C'est  souvent  d'ajirès  eux  qu'ont  été 
dessiné(îs  les  planches  enluminc'esdc 
Bullbn;  ce  qui  explique  la  ressem- 
blance de  plusieurs  des  ligures  de 
cet  ouvrage  et  de  celui  de  Brisson. 
Du  rc^c  ,  la  vie  do  Réaumur  se  |)as- 
sa  fort  traiiipiilleiuent  ,  tantôt  dans 
ses  terres  en  Sain.'ongc,  tantôt  dans 
sa  maison  de  ctin pagne  de  Bercy, 
près  Paris.  H  ne  prit  point  d'cjnploi, 
et  cousactd  tous  Sfs  moments  aux 


sciences.  La  conside'ration  publique, 
et  une  grande  déférence  de  la  part 
du  gouveruemeut,  suflirent  à  ses  de- 
sirs.  Pour  rendre  service  à  un  de  ses 
parents ,  que  certaines  circonstances 
empêchaient  de  conserver  la  place 
d'intcndantde  l'ordre  de  Saint  Louis, 
il  avait  acheté'  cette  charge:  mais 
content  d'en  porter  la  décoration, 
il  en  remettait  les  émoluments  k  ce- 
lui qui  avait  été  obligé  de  s'eu  défai- 
re. Ou  ne  voit  point  qu'il  ait  été 
marié.  Une  chute  faite,  en  17^7  , 
au  cluitcau  de  la  BermonJicre,  dans 
le  Maine,  où  il  était  allé  passer  les 
Vacances  ,  accéléra  sa  fin.  Il  mourut 
le  18  octobre  (i)  1767  ,  âge  de 
soixante  -  quatorze  ans.  Outre  les 
nombreux  Mémoires  qu'il  a  insérés 
dans  le  Recueil  de  l'académie  ,  ;où 
l'on  trouve  [vol.de  1757,  u.  p. 
201  ]  ,  son  éloge  par  Grand)  eau  de 
Fouchy),etles  autres  ouvrages  dont 
nous  avons  parlé;il  laissa  centtreute- 
huit  porte- feuilles  remplis  d'ouvra- 
ges complets  ou  commencés  ,  d'ob- 
servations ,  et  d'une  infinité  d'au- 
tres pièces.  On  y  a  trouvé  la  plus 
grande  partie  de  l'Histoire  des  arts  , 
presque  en  état  d'être  publiée  ,  et 
quantité  de  Mémoires  sur  le  reste. 

G— V K. 

REBECQUE.  F.  Constant. 

REIJECQUI  (  F.  Trophime  ) ,  né 
à  Marseille  ,  fut  l'un  des  principaux 
moteurs  des  troubles  de  sa  patrie. 
Poursuivi  en  raison  de  ses  délits  , 
et  sur  le  point  d'être  jugé  par  la 
cour  prévôtale ,  il  trouva  un  pro- 
tecteur dans  Mirabeau  ,  (jui  deman- 
da et  fit  décréter,  le  H  décembre 
1789,  par  l'assemblée  constituan- 
te, le  renvoi  de  la  procédure  de- 
vant la  sénéchaussée  de  I\Iarseille. 

(1)  C'est  la  date  iiuc  Jniiueiit  Foin  Ijy  rt  le  joiir- 
nHl  <le  V,.,d„u  :  l'al,l)r  R.rtwr ,  dan»  Ivs  TuhUs  do 
l'acddiiuiic  dcti  scicocco  dit  le  i8  uuvtmbic. 


REB 


2o3 


Ces  lenteurs  sauvèrent  Rcbecqui;  et 
il  dut  bientôt  sa  liberté  aux  instan- 
ces de  la  municipalité  de  cette  ville. 
Nommé  membre  du  direcloiie  du 
département  des  Bouches  du-Rhone, 
il  se  montra  le  zélé  défenseur  des  d(- 
vastateurs  du  Comtatet  des  assassins 
d'Avignon  (  F.  Jourdan  et  Matn- 
viELLE  ).  Sur  le  bruit  que  les  Mar- 
seillais avaient  projeté  de  venir  les 
délivrer  ,  les  commissaires  civils  en- 
voyés par  le  roi  pour  opérer  la  réu- 
nion de  tes  pays  à  la  France  avaient 
obtenu  la  coopération  de  dix  com- 
missaires choisis  parmi  les  adminis- 
trateurs de  cinq  départements  voi- 
sins. Tous  se  réunirent  dans  Avi- 
gnon, en  février  ihq'I  ,  à  l'exception 
de  ceux  des  Bouches-duRhôue.  Re- 
becqui  et  Bertin ,  au  mépris  des  pou- 
voirs qu'ils  avaient  reçus  à  ce  sujet, 
s'érigèrent  en  généraux  d'armée , 
marchèrent  sur  Arles,  à  la  tête  de 
quati'e  ou  cinq  bataillons  de  gardes 
nationales  ,  et  y  rendirent  la  supé- 
riorité à  la  faction  jacobine;  puis, 
ils  ramenèrent  eu  triomphe ,  dans 
Avignon,  les  prévenus  des  crimes 
des  "16  et  17  octobre  (  F.  LescÈ.ne 
DES  Maisons  ).  Rebecqui,  mandé  à 
la  barre  de  l'assemblée  législative  , 
pour  rendre  compte  de  sa  con- 
duite, et  pour  se  justifier  d'un  en- 
lèvement de  grains  dont  il  était  ac- 
cusé par  la  municipalité  d'Arles,  y 
parut  le  8  juin ,  répondit  avec  assu- 
rance ,  oilrit  de  produire  le  tableau 
dé  sa  vie  politique  ,  depuis  1789, 
et  s'honora  de  l'opiuiun  ([ue  Mi- 
rabeau avait  eue  de  lui.  Un  décret 
lui  ayant  ordonné  de  se  rendre  à  Or- 
léans, pour  y  être  jugé  par  la  haute 
cour  ,  il  y  fut  acquitté  par  l'in- 
fluence de  ceux  qui  avaient  pro- 
voqué l'amnistie  eu  faveur  des  assas- 
sins d'Avignon;  et  un  autre  décret 
le  réintégra  dans  ses  fonctions  d'ad 


204 


REB 


ministrateur  du  déparlement.  Nom- 
me, en  septembre,  de'pulé  des  Bou- 
ches-dii-Rhône  à  la  Convention  na- 
tionale .  ses  liaisons  avec  Barbaroux , 
et  la  reconnaissance  (ju'il  devait  aux 
Girondins  ,  le  mirent  dans  leur  par- 
ti :  mais  malgré  le  changement  subit 
qui  s'était  opéré  en  lui,  et  quoique 
dans  le  procès  de  Louis  XVI,  il  eût 
voté  l'appel  au  peuple  ,  il  opina 
pour  Ja  mort,  et  contre  le  sursis.  Il 
était  alois  membre  du  comité  de  sû- 
reté générale.  Le  II  mars  1793,  la 
section  de  Bonconsed  ayant  deman- 
dé sa  tradition  au  tribunal  révolu- 
tionnaire, il  écrivit,  le  8  avril,  la 
lettre  suivante  à  la  Convention  :  «  Il 
»  existe  une  loi  qui  condamne  à  mort 
»  quiconque  oserait  porter  atteinte  à 
»  la  liberté  en  vous  proposant  un 
•»  roi.  Robespierre  vous  a  proposé 
»  un  chef,  un  régulateur;  et  il  n'a 
»  pas  porté  sa  tête  sur  l'échafaud. 
»  Vous  avez  décrété  la  peine  de  mort 
»  contre  quiconque  attenterait  à  la 
»  représentation  nationale  :  eh  bien, 
»  le  27  décembre  et  le  10  mars  der- 
»  niers  ,  on  a  formé  aux  Jacobins  le 
»  projet  d'assassiner  les  représcn- 
»  lanls  du  peuple;  et  tous  ces  crimes 
»  sont  impunis.  Comme  je  ne  puis  et 
»  ne  veux  siéger  plus  long-temps 
»  dans  une  assemblée,  qui  n'a  pas  le 
»  courage  de  punir  les  coupables,  je 
»  donne  ma  démission.  )>  Elle  fut 
acceptée  snr-lc-champ.  Mis  Lors  la 
loi  par  suite  de  la  journéo  du  3i 
mai  ,  Rcbccqui  s'enfuit  à  Marseille, 
et  s'y  mit  à  la  tête  des  fédéralis- 
tes qui  soutenaient  le  parti  des  (îi- 
rondins  ;  mais  lorsqu'il  apprit  que 
Baibaroux  et  Ouadet  avaient  été  exé- 
cutés à  Bordeaux  en  juin  I704)  ''  ^^ 
noya  dans  le  port  de  Marseille.  A-r. 

lU^lil'M-.    P^Ojy-.  FllANCOKl'R. 

REIJIÙNTISCM  (  JicAN-Fr.Kni'Ric), 
chirurgien  et  botaniste    allemand  , 


REB 

sur  la  personne  et  la  vie  duquel  Meu- 
sel  (  Gel.  TeutschL,  e'dit.  181 1  ), 
ni  aucun  des  biographes  que  nous 
avons  consultés,  nefournissent  aucun 
détail,  s'est  fait  connaître  par  quel- 
ques ouvrages  assez  importants  :  I. 
Prodroiniisjlorœ  Neomarchicœ  se- 
cundàm  sjstema  proprium  ,  etc., 
Berlin  ,  i8o4,  un  vol.  in-8°. ,  avec 
20  fig.  ;  accompagné  d'une  préface  , 
par  Willderow.  Cedernier  morceau 
est,  en  grande  partie  ,  consacré  à 
l'exposition  d'une  nouvelle  division 
de  la  cryplogaraie,  ou  vingt-quatriè- 
me classe  de  Linné  (  /^.  Willue- 
Now  ).  Dans  une  seconde  préface  , 
Rebentisch  explique  ce  qu'il  appelle 
son  système.  Il  consiste  à  diviser  le 
règne  végétal  en  deux  grandes  sec- 
tions :  la  phénogamie  et  la  crjpto- 
garnie  ,  dont  la  première  est  réduite 
à  onze  classes.  Comme  dans  Linné, 
la  division  des  classes  est  fondée  sur 
le  nombre  des  étamines  :  vionan- 
drie  ;  —  polyandrie  :  la  dndécati' 
drie  est  supprimée;  et  les  ordres 
sont  établis  d'après  le  nombre  des 
pistils.  L'idée  de  sa  réduction  appar- 
tient à  Vvibcl,  qui  en  avait  déjà  fait 
l'application  dans  sa  Flore  de  TVer- 
theim.  L'exécution  de  cette  partie 
de  l'ouvrage  mérite  peu  d'éloges.  On 
y  trouve  des  rapprochetacnts  qu'il 
est  impossible  de  justifier:  la  plu- 
part des  orchidées  font  partie. de  la 
monandrie&yce.  le  cliara,  etc.  Pres- 
que toutes  les  sjnf^énésiques  sont 
réunies  aux  penlandriques  ,  propre- 
mcnt'ditcs  ,  etc.,  etc.  La  crypioga- 
mie  est  traitée  avec  beaucoup  plus 
de  soin.  Sa  division  rentre  à-peu- 
près  dans  celle  de  Willdenow  ;  cl  il 
profite  égalcmiiil  dos  travaux  des 
auties  cryptogamislcscélèbrcs.  Mais 
cette  section  contient,  outre  quelques 
observations  intéressantes,  un  assez 
grand  nombre  d'espèces  nouvelles  , 


REB 

et  plusieurs  genres  nouveaux.  Qua- 
tre planches    lepiésentent  les  des- 
.sins  colories  de  vingt  cryptogames, 
très-bien  exécutes.  II.  Index  plan- 
tarumcinùmBerolinum  sponle  nas- 
cenlmm,  etc.,  ibid.  ,   i8o5,  un  vol. 
in -8°.  Cet  ouvrage,  qui  n'est ,  en 
grande  partie  ,  qu'un  catalogue  ,  est 
donné    comme  un  complément  du 
Prodromus  force    Berolinensis  de 
Willdenow,  et  contient  iSgi  plan- 
tes. La  seconde  partie,  qui  contient 
les  cryptogames ,  offre  quelque  in- 
térêt, par  la  description  de  près  de 
trente  nouvelles  espèces  de  cham- 
pignons. D — u. 
REBKOW  (Epro  de).  F.  Ebko. 
REBOLLEDO    (Bernardin, 
comte  de),  littérateur,  dont  les  pro- 
ductions marquent  la  décadence  de 
la  poésie  espagnole,  naquit,  en  T5g7, 
à  Léon  ,  capitale  du  royaume  de  ce 
nom  ,  d'une  ancienne  et  illustre  fa- 
mille. Il  embrassa  fort  jeune  la  pro- 
fession des  armes ,  et  servit  d'abord 
contre  les  Turcs,  en  Italie  :  quelque 
temps  après ,  ayant  obtenu  le  com- 
mandement d'une  galère  ,  il  fut  em- 
ployé dans  la  guerre  contre  les  Gé- 
nois ,  et  signala  sa  valeur  à  la  prise 
d'OneilIe,  du  port  Maurice  et  du  châ- 
teau de  Vinlimille,  Il  rentra  depuis 
dans  l'armée  de  terre,  et  se  distingua 
devant  Nice  ,  en  1626  ,  ainsi  qu'à  la 
prise  de  Casai,  où  il  fut  blessé  griè- 
vement. Il  commandait,  en   1682, 
un  corps  de  lanciers  dans  les  Pays- 
Bas.  En  i636,  il  fut  chargé  de  con- 
duire des  secours  à  l'empereur  Fer- 
dinand II  ,  vivement  pressé  par  les 
Suédois  (  Foj.  Banier  ) ,  et  mérita 
l'estime  de  ce  prince,  qui  le  créa 
comte  de  l'Empire  et  gouverneur  du 
Bas-Palatinat.  Dix  ans  après  ,  il  fut 
récompensé  de  ses  services  par  la 

Î)lacede  capitaine-général  de  l'arlil- 
erie  en   Allemagne.  Le  roi   d'Es- 


REB  2o5 

pagne  , en  1649?  '^  nomma  son  am- 
bassadeur en  Danemark  ;  et  il  ren- 
dit d'importants  services  à  son  pays 
dans  cette  place  ,  qu'il  remplit  treize 
ans,  de  manière  à  se  concilier  l'af- 
fection des  Danois  ,  ainsi  que  celle 
de  ses  compatriotes.  Il  fut  enfin  rap- 
pelé dans  sa  patrie  en  1 66 f, et  élevé 
à  la  dignité  de  président  du  conseil 
de  guerre  de  Caslille.  11  mourut  à 
Madrid,  comblé  de  gloire  et  d'hon- 
neurs, en  1677  ,  à  l'âge  de  quatre- 
vingts  ans.  Rcbolledo  avait  un  ta- 
letit   remarquable  pour   la  poésie  ; 
mais  ,  dit  Sismondi  (  Hist.  de  la 
lia.  du  midi ,  iv ,  98  ) ,  il  ne  sa- 
vait pas  distinguer  ce  qui  peut  ap- 
partenir à  l'inspiration  de  ce  qu'il 
faut  laisser  au  raisonnement.  C'est 
dans  les  loisirs  que  lui  laissait  son 
ambassade,  qu'il  a  composé  la  plus 
grande    partie   de    ses   vers    espa- 
gnols ,  qu'il  publia  dans  Tordre  sui- 
vant :   I.  Seli>as  militares  et  po- 
liticas  ,    Cologne  (   Copenhague  ) , 
1602,  in-i6.  Il  a  réuni  dans  cet 
ouvrage  tout  ce  qu'il  savait  sur  la 
guerre  et  sur  le  gouvernement.  II. 
Sebas  Danicas  ,   ibid.  ,    i655  , 
in-4°.  C'est  l'Histoire   rimée  et  la 
Géographie  du  Danemark.  111.  Sel- 
vas  sagradas  ,  Cologne  (  Copenha- 
gue )  ,  1637  ;  Anvers,  1661  ,  in-4°. 
C'est  une  imitation  des  Psaumes^ 
dans  le  genre  commode  des  Sibes 
(Forêts) ,   où  le  poète,  affranchi  de 
toute  contrainte,  ne  met  aucune  ré- 
gularité dans  sa  marche,  et,  sous  le 
prétexte  de  donner  plus  de  variété 
à   ses  compositions ,  ne   reconnaît 
ni  forme  métrique  déterminée  ,   ni 
cette    vérité  d'idées    sans   laquelle 
tout    ouvrage    ne    présente    qu'un 
amas  confus  de  disparates  et  d'inco- 
hérences ,    dont    malheureusement 
les  ouvrages  de  Rcbolledo  peuvent 
donner  une  idée.  IV.  La  constan- 


2o6  REB 

cia  victoriosa ,  egloga  sagra ,  y  los 
irenos  ,  Cologne  (  Copcnliague  ) ,  in- 
4".  C'est  une  paraphrase  en  vers  du 
livre  de  Job,  et  des  Lamenlations 
de  Jerémic.  V.  Ocios  (Loisirs) ,  ib. , 
1660  ,  in-,4°.  Ce  Recueil  est  divise' 
en  cinq  parties;  les  deux  premières 
contiennent  des  sonnets ,  des  épîtres, 
des  romances  ,  des  cpigramuies  et 
des  madrigaux,  parmi  lesquels  on 
en  dislingue  de  très  gracieux  ;  la 
troisième  ,  une  tragi-coraèdic  ,  inti- 
tulée ,  Y  Amour  hnwe  les  dangers  , 
qui  ne  manque  pas  d'intérêt  ;  la  qua- 
tricuic,  l'Abrégé  en  vers  de  l'Histoi- 
re des  rois  de  Danemark  ;  et  la  cin- 
quième ,  diverses  pièces  de  morale  et 
de  piété.  La  meilleure  e'dition  des 
poésies  de  ReboUedo  ,  est  celle  de 
Madrid,  1778  ,  4  vol.  in-S».  W — s. 
REBOULET  (  Simon  ) ,  historien 
avignonais  ,  naquit  en  1087.  Après 
avoir  terminé  ses  études  avec  succès 
sous  la  direction  des  Jésuites,  il  sol- 
licita son  admission  dans  la  société  ; 
mais  il  ne  tarda  pas  d'en  sortir,  à 
cause  de  la  faiblesse  de  sa  santé.  La 
même  raison,  l'obligea  plus  tard,  de 
renoncer  à  la  carrière  du  barreau  , 
dans  laquelle  il  se  distinguait.  C'est 
alors  qu'il  se  livra  tout  entier  à  la 
culture  des  lettres  et  de  l'histoire. 
Il  se  maria  en  1 7 18  ,  goûta,  pendant 
trente-quatre  ans,  les  douceurs  d'une 
union  assortie,  et  mourut  le  •Jt7  fé- 
vrier 1752.  Outre  les  Mémoires  de 
Forbiii ,  qu'il  ndigea  sur  les  jnanus- 
crits  de  ce  célèbre  maiin  (  P\  Fou- 
ciN  ) ,  on  a  de  lui  :  L  Histoire  de  la 
Coiigrégalion  des  Filles  de  V En- 
fance de  N.  S.  J.-C. ,  Amsterdam 
(Avignon),  1734,  '-^  vol.  in-iu. 
Cette  congrégation  ,  fondée  à  Tou- 
louse, en  iGCrx  ,  par  M""^.  (le  Mon- 
dunville,  fut  suppiiniéc  par  ordre 
de  la  cour,  en  i()S().  L'ouvrage  de 
Rcbuulel  est  écrit  avec  beaucoup  de 


REB 

vivacité  et  d'agrément  j  mais  comme 
il  contient  des  traits  peu  honorables 
à  la  mémoire  de  la  fondatrice ,  l'abbé 
de  Juliard  ,  neveu  et  héritier  de  cette 
dame,  obtint,  en  «735,  un  arrêt  du 
pailement  de  Toulouse  ,  qui  con- 
damne cette  histoire  au  feu  ,  et  il  en 
publia  d'ailleurs  la  réfutation  (  P\ 

MoNDONVlLLE  ,     XXIX  ,     35(5    ).     II. 

Béponse  au  Mémoire  de  Vahhéde  Ju- 
liard ,  etc.  ,  ibidem  ,  1737  ,  in- 12. 
C'est  une  défense  virulente  de  l'ou- 
vrage précédent  :  elle  fut  condamnée 
de  même,  en  1 738  ;  et  selon  Lenglet- 
Dufresnoy ,  elle  ne  méritait  pas  une 
autre  réplique.  IIL  Histoire  du 
règne  de  Louis  XIF,  Avignon  , 
1742-44»  3  vol.  in-4°.,  ou  9  vol. 
in  12.  Quoique  supérieure  à  celles  de 
Larrey  et  de  La  Martinière ,  cette 
histoire  n'en  est  pas  moins  très- 
médiocre.  Les  faits  y  sont  exposés 
avec  assez  d'exactitude  et  de  vérité, 
mais  avec  trop  de  sécheresse  :  elle 
n'est  d'ailleurs  point  exempte  d'er- 
reui's  ;  le  style  en  est  sec ,  embar- 
rassé ,  et  souvent  inégal.  IV.  Ilis- 
toire  de  Clément  XI ,  pape  ,  ibid. , 
1752,  2  vol.  in-4°.  Cette  histoire, 
plus  complète  que  celle  qu'avait  pu- 
bliée le  P.  Lafitan  ,  fut  supprimée  en 
France  sur  la  demande  du  roi  de 
Sardaigne,dontle  père(  Viclor-Amé- 
dée)  y  est  fort  maltraité.  (  F.  le  Dic- 
tionnaire des  livres  condamnés  au 
feu,  par  M.  Pcignot ,  11,  80.  )  Re- 
boulet a  laissé  quelques  ouvrages  en 
manuscrit  :  des  Traités  de  Contro- 
verse ,  et  V Histoire  des  douze  pre- 
miers Césars.  On  trouve  des  détails 
sur  Rcboulct  et  ses  ouvrages  ,  dans 
les  ]\[émoires delitlérature àaV sAiVé 
d'Artignv.  W — s. 

m<:BOlJRS  ou  LE  REBOURS 
(  (jiiii.r-AUMi:  ),  chevalier,  soigneur 
de  Bertrand-Fosse,  Châtillon  ,  Pru- 
ncle  ,  etc. ,  issu  d'une  famille  noble, 


REB 

établieàVire  avant  i35o,n,iquiivors 
i54i^.  D'abord  jncsideiit  à  la  cour 
des  aides  en  1578  ,  puis  maître  des 
requêtes  de  la  reine  Citlierine  de 
Me'dicis  le  4  mai  1^87  ,  il  resta 
dans  Paris  ,  pendant  que  Henri  IV 
en  faisait  le  siège,  et  ne  négligea  rien 
pour  ramener  les  habitants  de  celte 
ville  sous  l'obéissance  du  roi.  EfTec- 
tivement  «  le  mardi  i(3  juin  1 OQO  , 
»  il  eut,  dit  l'Étoile  [Mémoires  , 
)>  tome  II ,  p.  1 3,  e'dilion  de  1 7  1 9  ) , 
»  pendant  une  assemblée  qu'il  tenait 
»  à  cet  ellet  dans  la  chambre  de  M. 
»  de  Roissi ,  la  jambe  rompue  d'un 
»  boulet  de  canon  tiré  du  Mont-des- 
»  Martyrs,  par  ceux  du  roi  (  et  dont 
»  il  fut  malade  un  an  )  ;  et  pour  ce 
»  que  Guillaume  Rebours  était  tenu 
»  pour  royal ,  les  prédicateurs  di- 
»  saicnt  en  chaire  :  que  les  coups  des 
»  rojaux  allaient  tout  à  Rebours.  •» 
Ces  faits  sont  constatés  par  des  let- 
tres-patentes très  -  honorables,  des 
9.8  juillet  iSgietsSjuin  i5()^,par 
lesquelles  le  roi  rétablit  Guillaume 
Le  Rebours  dans  son  olïice  ,  et  dans 
tous  ses  biens,  qu'il  avait  perdus 
lors  de  la  rébellion  de  Paris.  Henri 
IV  lui  accorda  ,  en  outre,  le  i  i  jan- 
vier 1^97  ,  la  place  de  couseiller- 
d'c'tat,  en  réconpcuse  de  ses  services 
et  de  sa  fidélité.  Il  mourut  le  2  août 
1(519.  —  Rebours  (  Jean-Baptisto- 
Auguste le), seigneur  de Saint-Marl- 
sur-le-Mont ,  Noirlieu,  Varimont  et 
Poix  en  Champagne^  cinquième  des- 
cendant du  précédent ,  naquit  le  q 
novembre  174^,  à  Paris.  Il  fut  con- 
seiller au  parlement  de  celte  ville  , 
en  1767,  et  président  le  8  juillet 
178.1.  Distingué,  comme  magistrat, 
par  l'esprit  le  plus  éclairé  cl  le  ca- 
ractère le  plus  conciliant  ,  olFiant, 
dans  sa  vie  privée  ,  le  modèle  de 
toutes  les  vertus,  il  semblait  n'è  re 
occupé  que  du  bonheur  des  autres. 


REB  207 

Le  président  Le  Rebours,  d'accord 
avec  les  lêles  froides  du  parlement 
de  Paris  ,futloin  d'approuver,  quel- 
que temps  avant  la  révolution  ,  des 
démarches  dictées  par  des  intentions 
pures  ,  mais  trop  favorables  aux 
novateurs  du  siècle.  Il  en  craignit 
les  suites,  et  sortit  de  France  aA'ec  sa 
nombreuse  famille.  Les  lois  sur  l'é- 
migration le  forcèrent  d'y  rentrer 
pour  conservera  ses  six  enfants  des 
moyens  d'existence.  Royaliste  zélé  , 
Triais  moins  heureux  que  Guillaume 
Le  Rebours  ,  il  ne  tarda  pas  à  per- 
dre sa  fortune  et  la  vie.  Condamné 
par  le  tribunal  lévoluliounaire  ,  il 
reçut  le  coup  fatal  avec  nue  résigna- 
tion que  peut  seule  donner  la  reli- 
gion ,  le  1 4  juin  1794.  L — p — e. 
REBOURS  (  Charles  Le  )  ,  d'a- 
bord adjoint  au  professeur  en  langue 
latine  de  l'Ecole  royale  militaire, 
puis  contrôleur-général  des  postes, 
raorteni776,futaussidirecteurdela 
Gazette  du  commerce,  iu-^o.,  com- 
mencée en  1  765.  On  a  encore  de  lui  : 
I.  Observations  sur  les  manuscrits 
de  feu  M.  Vujnarsais,  avec  quelques 
réjlexions  sur  V éducation  .,  '7^)0, 
in-  12.  II.  Des  Mémoires  sur  les 
moyens  d'éclairer  PariS;,  et  sur  d'au- 
tres objets.  —  Marie  -  Angélique 
Anel  ,  sa  femme  ,  lui  survécut  qua- 
rante-cinq ans,  étant  morte,  à  l'Ar- 
che près  du  Mans  ,  le  5  août  182 1 , 
dans  sa  quatre-vingt-dixième  année. 
M'"ï'=.  Le  Rebours  est  connue  par 
son  Avis  aux  mères  qui  veulent 
nourrir  leurs  enfants ,  1 767,  in- 1 2  ; 
1770,  in-12.  Un  Supjilément ,  ou 
Observations  sur  le  danger  et  l'inu- 
tilité de  préparer  pendant  la  gros- 
sesse le  sein  des  femmes  qui  se  pro- 
posent de  nourrir  leurs  enfants  , 
parut  en  1772.  Ce  Supplément  c.st 
refondu  dans  les  éditions  de  r_-/t'/.v , 
publiées  en  1775  et  1783,  et  toutes 


aoS  *       REB 

les  deux  intitulées  Troisième  édition: 
il  n'en  existe  point  avec  le  titre  de 
quatrième.  La  cinquième  est  de  l'an 
VII  (  1799),  ui^  vol.  in- 12.  Cet  ou- 
vrage ,  irès-estimé  ,  a  été  traduit  en 
allemand  et  en  danois.    A.  B — t. 

REBUFFI  (  Pierre  ) ,  jurisconsul- 
te ,  naquit,  eu  1487,  au  village  de 
Baillargues,  à  deux  lieues  de  Mont- 
pellier. 11  enseigna  successivement 
le  droit  dans  celte  ville,  à  Cahors, 
à  Poitiers  cl  à  Paris.  Il  s'acquit  une 
si  grande  réputation,  que  le  pa}»e 
Paul  m  voulut  le  faire  auditeur  de 
rote  ,  et  qu'on  lui  oflrit  en  France 
plusieurs  places  importantes  dans  la 
magistrature  ;  mais  il  préféra  le  re- 
pos de  son  cabinet  aux  embarras 
des  affaires  publiques.  Il  n'eut  ce- 
pendant aucun  succès  au  barreau, 
lorsqu'il  voulut  s'y  présenter.  Il  finit 
par  embrasser  l'état  ecclésiastique  ; 
et  il  fut  fait  prêtre  à  soixante  ans 
(  en  i547  )•  ^'  possédait  l'hébreu,  le 
grec  et  le  latin.  Son  style  ne  se  res- 
sent pas  moins  de  l'ancienne  barba- 
rie La  jurisprudence  n'était  point  en- 
coie  parvenue,  de  son  temps,  à  cet 
éclat  que  lui  donnèrent  les  fameux  in- 
terprètes qui  vécurent  dans  la  derniè- 
re moitié  du  seizième  siècle.  Rebuffi 
était  plutôt  praticien  que  juriscon- 
sulte ;  chose  que  l'on  ne  confondait 
point  alors.  Il  s^ippliqua  surtout  aux 
matières  bénéliciales ,  science  encore 
peu  connue  de  son  temps ,  ctque  la  ré- 
voluiiouafait  oublier.  11  a  écritaussi 
sur  quelques  sujets  du  droit  civil ,  et 
surlcs  ordonnances  de  nos  rois;  mais 
il  a  été  clfacé  par  ceux  qui,  après 
lui,  se  sont  occupés  des  mêmes  ma- 
tières. Du  Moulin  n'eu  parle  pas  avec 
beaucoup  d'estime.  Il  mourut  le  '2 
novembre  15^7.  Toutes  ses  OEuvres 
ont  été  recueillies  en  5  vol.  in-fol., 
Lyou ,  i58().  Sa  Praxis  bencjicio- 
rurn  a  été  réimprimée  à  Paris,  iG(i4 


REG 

cl  1674.  Voyez  sa  Vie,  à  la  tète  de 
la  troisième  édition  de  son  Commen- 
taiie  De  verborum  sigjiijicatione. 
B— I. 
RECAREDE  Jer.,  surnommé  le 
Catholique ,  fut  le  dix  -  septième  roi 
desVisigoths  en  Espagne.  Associé  au 
tronc  dès  le  règne  de  son  père  Leu- 
vigilde  ,  il  battit  les  Francs  en  Pro- 
vence et  en  Languedoc.  Devenu  roi 
en  586 ,  il  les  battit  de  nouveau  de- 
vant Carcassonne.  Donnant  ensuite 
tous  ses  soins  à  l'établissement  de  la 
religion  ,  il  convoqua  une  assemblée 
du  clergé  arien  et  des  nobles  ,  se  dé- 
clara catholique,  et  exhorta  les  dé- 
putés présents  à  suivre  son  exemple. 
JjCS  Ariens, mécontents,  conspirèrent 
plusieurs  fois  contre  ses  jours;  mais 
ce  prince  n'opposa  d'abord  que  sa 
clémence  et  sa  générosité  naturelles  à 
leurs  complots  répétés.  Les  F'rancs 
étant  venus,  au  nombre  de  soixante 
mille,  ravager  la  Gaule  Gothique  , 
Recarède  ,  à  la  tète  de  son  armée , 
les  battit  complètement  près  de  Car- 
cassonne ,  et  il  accorda  la  paix  aux 
vaincus.  Cette  même  année  58H  ,son 
chambellan  Argimond  forma  une 
nouvelle  conspiration  pour  le  détrô- 
ner. Sa  magnanimité  n'ayant  pu  dé- 
sarmer ses  ennemis,  il  ordonna  qu'Ar- 
gimond  aurait  la  tête  rasée  et  la  main 
coupée.  L'année  suivante  ,  il  convo- 
qua une  assemblée  générale  à  Tolède, 
où.  de  nouveaux  décrets,  ratifiés  par 
saint  Grégoire- le-Graud  ,  assurèrent 
la  stabilité  de  l'Église  catholique.  Les 
Vascoiis  ,  sortis  de  l'Espagne,  sous 
le  règne  de  Lcuvigilde,  revinrent  dé- 
soler les  frontières  :  Recarède  les  re- 
poussa. Pendant  sa  dernière  maladie, 
ce  juincc  se  lit  admettie  à  la  péni- 
tence publique,  selon  l'usage  de  ce 
temps  ;  il  mourut  à  Tolède,  eu  (ioi  , 
regretté  de  ses  peuples,  dont  il  était 
cliéii ,  à  cause  de  sa  justice  ,  de  sa 


REC 

modération  et  de  sa  cic'mcnce  :  aussi 
riiistoire  le  place  t-elle  au  nombre 
des  bons  rois.  L'établissement  de 
l'Église  catholique  en  Espagne  fut 
le  but  constant  de  ses  efforts,  sans 
qu'il  se  soit  jamais  montré  persé- 
cuteur. Malgré  son  amour  pour  la 
paix,  Recarcde  sut  mettre  ses  états 
à  l'abri  de  l'insulte ,  et  se  faire  res- 
pecter. Ce  prince  est  le  héros  d'un 
puème  latin  de  P.  J.  Mayre.  (  F.  ce 
nom  ).  B — p. 

REGCHI,(Nardo-Antonio), 
médecin ,  né  à  Montecorvo  dans  le 
royaume  de  Naples  ,  vers  le  com- 
mencement du  seizième  siècle  ,  s'est 
acquis  une  sorte  de  réputation  com- 
me botaniste  ,  parce  que  son  nom 
figure  en  tête  d'un  ouvrage  re- 
marquable sur  les  plantes  du  Mexi- 
que. Les  opinions  se  sont  trou- 
vées partagées  sur  son  mérite  réel  : 
car  les  uns  lui  ont  attribué  la  décou- 
verte des  plantes  rares  qu'il  fait  con- 
naître ;  les  autres  ,  au  contraire  ,  ne 
l'ont  regardé  que  comme  un  compi- 
lateur ,  qui,  non  content  de  profiter 
du  travail  d'autrui ,  l'a  mutilé  pour 
cacher  son  plagiat  :  l'une  et  l'autre 
opinion  est  également  éloignée  de  la 
vérité  ,  que  le  titre  de  l'ouvrage  eût 
suffisamment  manifestée.  C'e^t  ce- 
penilant  sur  le  titre  seul  qu'on  s'était 
appuyé  pour  juger  l'ouvrage  entier  : 
mais  comme  il  n^est  pas  très-répan- 
du ,  on  s'en  était  tenu  à  la  citation  de 
ce  titre  fort  altéré,  faite  par  Manget 
dans  sa  Bibliothèque  de  médecine. 
11  suffit  de  le  donner  dans  son  inté- 
grité pour  bien  établir  ce  que  l'on 
doit  réellement  à  Recihi  :  il  se  trou- 
ve sur  un  cartouche  qui  occupe 4c 
milieu  d'un  beau  frontispice  gravé 
par  l'rédéric  Grcutcr  :  Ueminmedi- 
cinuUuin  novœ  llispan'up  thésaurus, 
etc.  ,  dont  voici  la  traduction  :  Tré- 
sor des  objets  concernant  la  méde~ 
xxxvii. 


REC 


209 


cine  de  la  Nouvelle-Espagne  ,  ou 
Histoire  des  plantes,  des  animaux  et 
des  minéraux  du  Mexique,  recueillis 
et  mis  en  ordre  ,  sur  les  Mémoires 
écrits  dans  la  ville  même  de  Mexico 
par  François  Hernandès  ,  médecin 
en  chef  du  Nouveau- Monde  ,  par 
Nardo-Antonio  Recchi  de  Monte- 
corvo ,  médecin  de  sa  Majesté  ca- 
tholique ,  et  archidtre-général  (pre- 
mier médtcin  )  du  rojanme  de  Na- 
ples,  sur  V ordre  de  Philippe  II 
célèbre  roi  d'Espagne  et  des  Indes  • 
éclaircis  par  les  Notes  de  Jean 
Terentius  ,  Lyncée  ,  allemand,  de 
la  ville  de  Constance ,  docteur  en 
philosophie  et  en  médecine  :  livré 
pour  la  première  fois  an  public ,  en 
faveur  des  amateurs  d'histoire  na- 
turelle, par  les  veilles  des  Lyncées 
dont  les  travaux  sont  énojicés  par 
une  table  synoptique  dans  la  pa^e 
suivante  ;  divisé  en  deux  tomes  in- 
fulio  ,  Rome,  i65i.  Ou  voit  donc 
d'abord  que  Recchi ,  par  les  deux 
places  qu'il  a  occupées,étaitdislingue' 
dans  sa  profession;  que  c'était  par 
Tordre  exprès  de  Philippe  II  ,  qu'il 
avait  puisé,  dans  les  écrits  que  Her- 
uandès  avait  rapportés  du  IMexi- 
que,  les  matériaux  qu'il  présentait 
au  public.  Il  s'explique  encore  plus 
clairement ,  dès  la  première  page  de 
cet  ouvrage  ,  où  il  dit  que  Philippe 
II,  regrettant  que  les  dépenses  qu'il 
avait  faites  pour  faciliter  à  son  pre- 
mier médecin  Hernandès  les  moyens 
de  recueillir  tout  ce  que  le  Mexique 
pouvait  contenir  de  curieux  pour 
l'histoire  naturelle  ,  restassent  inuti- 
les, parcequ'atleudii  sa  mort  préraa- 
tmée,  les  matériaux  nombreux  quece 
médecin  en  avait  rapportés,  n'avaient 
pu  être  rais  dans  un  ordre  convena- 
ble pour  leur  publication  ;  il  dé- 
sirait du  moins  qu'eu  attendant  que 
celle  du  tout  pût  avoir  lieu  ,  on  fît 

4 


1 I o  REC 

counaîlre  d'avance,  dans  un  abrégé  , 
ce  qui  intéressait  la  médecine;  et  que 
ce  prince  lui  avait  donne'  cette  com- 
mission. 11  examina  donc  avec 
soin  tout  ce  qu'avait  laisse'  Hernan- 
dès  ,  distribue'  en  vingt-quatre  livres 
concernant  les  plantes  ,  douze  volu- 
mes de  ligures,  et  un  d'animaux;  il  en 
détacha  tout  ce  quiluiparaissailutiie 
pour  la  matière  médicale,  et  rangea 
ces  objetsense  modelant  sur  Diosco- 
ride  ,  suivant  leurs  j)ropriëte's médi- 
cales. Ou  ne  dit  point  par  quel  mo- 
tif i'aulenr  quitta  l'Espagne  pour  re- 
tourner dans  sa  patrie;  mais  on  voit 
qu'il  prenait  le  litre  de  premier 
médecm  du  royaume  de  Naples.  11 
emporta  avec  lui  son  mauuscrit  : 
peut-être  espérait -il  avoir  pins  de 
facilité  pour  le  publier  en  Italie. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  il  mourut  avant 
de  l'avoir  entrepris.  Avec  lui  le 
manuscrit  tomba  dans  l'oubli;  mais 
heureusement  que  le  prmce  Fré- 
déric Ccsi  (  Foj.  son  article  )  en 
eut  connaissance.  En  fondant  la  so- 
ciété des  Lyncées  ,  il  avait  pour  prin- 
cipal olqet  de  faire  concourir  au  mê- 
me buttons  les  membres  qui  la  com- 
posaient ;  il  cherchait  donc  des  su- 
jets qui  pussent  servir  de  point  de 
réunion  pour  les  travaux  de  toute 
société  :  le  mamiscrit  de  Recchi 
lui  parut  être  dans  ce  cas.  11  é(ait 
tombé,  par  héritage,  entre  les  mains 
de  Pctiiius,  neveu  de  Recchi ,  et  ju- 
risconsulte à  Montecorvo  :  le  prince 
n'épargna  rien  pour  le  tirer  des 
mains  de  son  insouciant  propriétaire. 
Des  qu'il  l'eut  en  son  pouvoir,  il 
s'occupa  des  moyens  de  le  mettre 
le  plutôt  possible  au  jour ,  et  il 
voulut  que  tous  les  Lyncées  y  con- 
tribuassent en  apportant  ,  chacun 
dans  son  genre ,  tous  les  rclaircisse- 
nicnls  qui  sembleraient  nécessaires. 
Mais  il  dut  s'a  percevoir  bientôt  que  ce 


REC 

n'était  pas  le  moyen  de  hâter  la  beso- 
gne, que  de  la  faire  dépendre  du  con- 
cours de  tant  de  volontés.  C'est  en 
i6i2que  le  travail  fut  entrepris;  et  ce 
ne  fut  qu'en  iG'îfî  qu'il  se  trouva  prêt 
à  paraître  ;  car  déjà  les  permissions 
d'imprimer  étaient  accordées.  Mais 
quelques  nouveaux  obstacles  survin- 
rent; et  le  prince  Cési  étant  mort, 
en  iG3o,  Recchi  et  Hernandès  re- 
tombèrent de  nouveau  dans  l'obs- 
curité (  Voyez  Stelluti  ).  Cepen- 
dant déjà  l'existence  de  cet  Abré- 
gé avait  été  annoncée  ainsi  à  l'Eu- 
rope par  Joseph  Acosfa  ,  jésuite, 
dans  son  Histoiredu  Mexique ,  publiée 
en  iSgo  :  «  Le  docteur  Hernaiulès  , 
dit-il, a  composé,  par  ordre  du  roi , 
un  grand  ouvrage  sur  les  plantes  ,  et 
sur  les  sucs  et  autres  objets  utiles  à 
la  médecine  ,  dans  lequel  toutes  les 
plantes  du  Mexique  ,  au  nombre 
de  1200,  sont  dessinées  sur  le  vi- 
vant. On  dit  que  6o,ooo  ducats 
ont  été  dépensés  pour  cet  ouvrage  , 
dont  le  docteur  Nardo. Antonio  a  com- 
posé ,  avec  beaucoup  de  som ,  un 
Abrégé:»  cela  ne  pouvait  donner  qu^u- 
ne  ircs-icgere  idée  de  ce  traA"ail.  Mais 
on  fut  plus  heureux  dans  le  Nouveau- 
Monde  ;  car  tandis  que  le  prince  Cé- 
si et  ses  Lyncées  s'occupaient  en 
Europe  du  manuscrit  de  Recchi ,  une 
copie  en  était  parvenue  à  Mexico, 
par  les  soins  du  père  François  Xi- 
menez,  qui  la  tracluisit  en  espagnol , 
et  la  lit  imprimer  sous  ce  titre  :  De 
la  Naturalezay  virtudes  de  las  ar- 
boles,  piaillas  j  animales  de  la  Nue- 
va  Esjmuna  ,  en  esjiecial  de  la  pro- 
vincia  de  Me.tico  ,  (/ne  se  aprovecha 
lamedecina,  i  vol.  in-4''. ,  i6i5. 
C'est  déjà  une  singularité  qu'un  ou- 
vrage imprimé  à  Mexico,  Cette  édi- 
tion n'est  pas  brillante  ,  comme  on 
peut  croire;  mais  elle  est  passable: 
ilparaîl  qu'il  n'en  est  parvenu  que  peu 


REG 

d'exemplaires  en  Europe  ;  aussi  les 
Inbliograplies  n'ont-ils  pu  donner 
beaucoup  de  renseignements  sur  ce 
livre.  Linné' dit,  dans  sa  Bill,  botani- 
que, qu'il  est  en  idiome  mexicain, 
Séguier  n'en  parle  pas;  et  Plaller  ne 
le  cite  que  d'après  un  discours  de 
Hotton.  11  manquait  dans  la  biblio- 
thèque de  Banks  :  mais  il  existe  dans 
celle  de  M.  de  Jussieu.  C'est  dans  la 
pre'face ,  que  le  père  Ximeuez  cite  le 
nom  de  Recchi.  H  y  a  quelque  diffé- 
rence pour  la  division  des  livres  :  au 
fond,  c'est  le  même  ouvrage;  mais 
il  n'y  a  pas  de  figures  ,  soit  qu'elles 
n'aient  pas  ete  copiées  ,  soit  qu'il 
n'y  ait  pas  eu  au  Mexique  d'artistes 
exerces  dans  ce  genre.  Les  noms 
mexicains  conserves  auront  pu  la 
rendre  de  quelque  utilité  dans  ce 
pays  ,  tandis  qu'en  Europe  ,  pour  le 
plus  grand  uomlire  des  lecteurs  ,  la 
bizarrerie  de  ces  noms  devait  préve- 
nir contre  l'ouvrage.  Ce  fut  en  1 65 1 , 
vingt  ans  après  la  mort  du  prince 
Ce'si ,  près  d'un  •  siècle  après  celle 
de  Hernandez  ,  qu'on  ])ut  se  faire 
quelque  ide'e  des  travaux  de  ce  \Qya.- 
geur.  Des  deux,  volumes  qui  for- 
ment l'ouvi'age  dont  nous  avons  don- 
ne' le  titre  plus  haut,  le  premier  seul 
appartient  à  Recchi.  Des  dix  livres 
qui  le  composent,  les  huit  premiers 
concernent  les  plantes.  Le  premier 
n'offre  que  les  Prolégomènes,  Après 
dix  chapitres ,  qui  forment  une  es- 
pèce de  préface  ,  on  en  trouve  trois 
qui  contiennent  des  généralités  sur 
les  plantes  et  leurs  propriétés  ,  pui- 
sées dans  les  ouvrages  des  anciens, 
surtout  dans  Dioscoride  et  Galien  , 
plutôt  que  dans  l'observation  de 
la  nature.  Suit  rénumération  des 
plantes ,  partagées  en  sept  classes  j 
chacune  occupe  un  livre,  divisé  en 
autant  de  chapitres  que  déplantes, 
dont  le  plus  grand  nombre  est  ac- 


REC  1 I , 

compagne  d'une  planche  en  bois. 
Dans  le  second  livre,  sont  hs  aro- 
matiques ;  le  3".  donne  les  arbres 
le  4'^- ,  les  arbrisseaux  ;  le  5«. ,  les 
beibes  acres;  le  6''.,  les  herbes 
amcres  ;  le  7^.  ,  les  herbes  douces  • 
enfin  ,  le  8<=. ,  les  herbes  acerbes 
et  acides.  On  trouve  dans  les  sept 
classes,  ^\i  plantes  décrites  ,  dont 
35o  sont  figurées.  C'était-là  seule- 
ment celles  que  Recclii  avait  pu  rap- 
porter à  ses  classes.  Il  avait  en  ou- 
tre extrait  d'Hernandès  un  Recueil 
de  3oo  autres  plantes  ,  ne  contenant 
que  leur  figure,  avec  le  nom  mexi- 
cain :  elles  formant  une  sorte  d'ap- 
pendice ;  mais  uu  des  Lyncées ,  Te- 
rentius,  se  chargea  d'y  ajouter  les 
descriptions,  en  les  tirant  de  la  fi- 
gure même.  Déjà  Ton  avait  pu  appré- 
cier ses  connaissances  botaniques  , 
dans  des  préambules  qu'il  avait  mis 
en  tèlede  chacun  des  livres  deRecchi, 
et  dans  des  notes  sur  les  plantes  dont 
il  croyait  pouvoir  indiquer  les  ana- 
logies avec  les  espèces  connues.  Par 
la  manière  dont  il  s'acquitte  de  cet- 
te tâche,  il  montre  autant  de  saga- 
cité que  de  prudence  ;  car  il  s'est 
borné  sagement  à  ne  parler  que  de 
celles  qui  pouvaient  fonder  ses  con- 
jectures ;  et  elles  sont  en  petit  nom- 
bre :  car  à  peine  pourrait-on,  même 
à  présent,  en  déterminer  100  es- 
pèces. Il  a  suivi  la  même  marche 
pour  les  deux  derniers  livres  de 
Recchi.  Le  neuvième  ,  qui  concerne 
les  animaux  ,  ne  contient  que  ^^o 
chapitres,  avec  a5  figures;  rriais, 
quoique  dans  le  dixième  ,  qui  traite 
des  minéraux,  il  y  ait  25  chapitres  , 
ce  livre  est  beaucoup  plus  court. 
Quant  au  second  volume,  c'est  le  re- 
cueil des  travaux  des  Lyncées.  Le 
premier  qui  se  présente,  est  Jean 
Faber,  Allemand,  né  à  Bamberg, 
et  médecin  du  pape  Urbain  Y 111.  Il 


312  REC 

commente  seulement  le  Hvre  ix  de 
Recchi,  lequel  concerneles  animaux. 
Ce  n'est  qu'un  prétexte  pour  amener 
ses  propres  observations  sur  les  ani- 
maux. Elles  composent  un  traité  aus- 
si étendu  que  l'ouvrage  même  de  Rec- 
chi ,  auquel  il  est  presque  toujours 
e'tranger.  Le  second  Lyncée  com- 
mentateur est  le  célèbre  Fabio  Co- 
lonna  ;  il  ajoute  quelques  notes  à  cel- 
les de  Terentius.  On  a  rendu  comp- 
te, à  son  article  (IX,  3ci5),  de  ce 
qu'il  a  fait  à  l'occasion  de  Rccclii. 
11  eu  est  résulté  une  description  par- 
faite de  l'extérieur  des  plantes.  En- 
fin ce  Recueil  est  dignement  cou- 
ronné parles  Tables  pliytoscopiques 
du  prince  Cési ,  ouvrage  étonnant 
qui  place  son  au  leur  à  côté  de  Bacon, 
Ainsi,  par  cet  abrégé  ,  on  put  pren- 
dre une  idée  des  travaux  d'Hernan- 
dez;  etl'onavait  lieu  d'espérer  que  la 
sensation  qu'il  produirait  détermine- 
rait la  publication  de  l'ouvrage  en- 
tier :  il  était  déposé  dans  la  biblio- 
thèquede  l'Escurial;  mais  on  apprit, 
en  167  I  ,  qu'il  venait  d'être  la  proie 
des  flammes  avec  une  partie  de  ce 
monument;  on  fut  donc  réduit  à  son 
abrégé  ;  bientôt  on  parut  oublier 
qu'on  n'avait  qu'un  simple  extrait 
ou  un  échantillon  du  travail  d'Hcr- 
mandcs,  etquesa  composition  datait 
de  près  d'un  siècle  :  on  ne  fit  pas 
toujours  attention  à  ces  circonstiui- 
ces  pour  l'apprécier.  Ainsi ,  l'on  fut 
d'abord  repoussé  par  la  nomcnclatu- 
re,  que  l'on  trouva  des  plus  barbares. 
Mais  quand  on  l'examine  avec  atten- 
tion ,  on  voit  que  c'est  un  monument 
précieux  de  la  langue  des  iMcxi 
cains,  et  que,  comme  chez  tous  les 
peuples  anciens  ,  elle  est  toute  signi- 
ficative, exprimant  par  des  compo- 
sés, soit  les  (jualilés  naturelles,  soit 
Ifsusagesfies  objets  qu'ils  désignent  ; 
ainsi  le  mot  de   Xochilt  y  signifie 


REC 

fleur,  et  celui  de  Patl,  médicament  ; 
et  ils  sont  souvent  employés.  C'est 
donc  absolument  le  mode  de  nomen- 
clature employé  par  les  Hébreux 
(  dans  l'Écriture),  par  les  Grecs 
(  dans  Théophrasle  et  Dioscoride  )  , 
et  celui  des  différents  dialectes  de 
l'Inde,  recueillis  par  Rheede,  et  des 
Malais  par  Rumpli.  Pour  les  figu- 
res ,  qui  étaient  gravées  en  bois , 
on  les  a  rangées  parmi  les  plus 
mauvaises  :  on  ne  pouvait  que  bien 
rarement  les  comparer  avec  la  na- 
ture même;  aussi  plusieurs  d'entre 
elles  avaient  des  formes  si  bizar- 
res ,  qu'on  les  a  cru  supposées.  Ce- 
pendant il  y  en  a  un  certain  nom- 
bre qui  nous  sont  devenues  assez  fa- 
milières pour  nous  mettre  à  même 
de  reconnaître  l'exactitude  des  ar- 
tistes mexicains  ;  telles  sont  les 
deux  espèces  les  plus  communes  de 
tab  ic,  la  belle  de  nuit,  les  tagetes  ou 
œillets  d'Inde.  Ces  figures,  pour  la 
vérité  et  l'expression  ,  laissent  peu 
à  désirer.  Nous  citerons  encore  le 
maïs,  à  cause  de  quelques  détails 
qui  s'y  trouvent.  Ou  verra  que, 
dans  tontes  ,  le  port  est  si  bien  saisi , 
qu'elles  doivent  avoir  été  dessinées 
sur  le  vivant.  Dodoens  nous  avait 
déjà  mis,  sans  le  savoir,  à  même  de 
f;iire  celte  comparaison.  Dans  ses 
Purpanliuin  ,  publiés  en  1574,  on 
trouve,  page  47^»  la  figure  d'une 
plante  sous  le  nom  de  Flos  tigri- 
dis;  et  à  la  page  suivante  celle  do 
la  capucine  :  et  il  ne  les  connais- 
sait que  par  ces  figures  ,  qui  lui 
avaient  été  données  par  Jean  Bois- 
sot.  On  les  retrouve  toutes  deux 
dans  Recchi,  mais  meilleures  :1a  se- 
conde, peu  de  temps  après,  s'intro- 
duisit dans  tous  les  j.irdins  d'Euro- 
pe; et  Dodoens  fui  obligé  d'en  faire 
graver  mie  nouvelle  (igure,  tant  la 
première  était  mauvaise;  elle  est  eu- 


REC 

core  inférieure  à  celle  d'Hernaiidès. 
Quant  à  la  première,  qui  n'a  été  re- 
trouvée que  plus  tard  ,  on  était  ten- 
té delà  regarder  comme  imaginaire; 
mais  Joseph  de  Jussieu  ayant  rap- 
porté une  nouvelle  figure  du  Pérou, 
il  a  bien  fallu  admettre  son  existen- 
ce :  depuis  elle  est  venue  elle-même 
embellir  nos  jardins,  sous  le  nom  de 
Tigridia  Pavonia  ;  par-là  on  a  en- 
core été  convaincu  que  le  graveur 
d'Hernandès  était  supérieur  à  celui 
de  Dodoens  :  successivement  on  a 
été  forcé  de  regarder  comme  vrai, 
tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  extraor- 
dinaire dans  cette  collection.  Ain- 
si, la  fleur  la  plus  magnifique  que 
Terentius  regardait  comme  un  mi- 
racle de  la  nature,  à  cause  de  sou 
élégance ,  et  que ,  sous  le  nom  de 
Ljncea,  il  voulait  dédier  au  prince 
Ciési ,  est  reconnue  pour  une  plante 
orchidée,  qui  paraît  être  du  genre 
AuQuloa.  Eufin  cet  arbre  des  Mani- 
nos  ou  des  mains,  représentant  une 
main  ou  griffe  sortant  d'un  calice, 
qui  semblait  devoir  êtrerelégué  dans 
les  espaces  imaginaires,  près  du  Bo- 
ramets  (ce  fameux  agneau  de  Tarta- 
rie) ,  est  actuellement  le  Cheiranto- 
stemon  de  Huraboldt.  On  ne  peut 
donc  raisonnablement  fonder  aucun 
doute  sur  l'existence  des  six  cent-cin- 
quante plantes  figurées  dans  Recchi  ; 
et  nous  devons  espérer  que  le  com- 
plément des  travaux  de  MM.  Riiiz 
et  Pavon,  surtout  de  M.  de  Hum- 
boldt  et  de  ses  dignes  coopéra - 
leurs  Bonpland  et  Knnth,  sera  de 
ramener  toutes  ces  plantes  à  la  no- 
menclature classique.  Nous  avons 
donc  déjà  l'obligation  à  Recchi  de 
nous  avoir  conservé  ces  précieux 
restes  de  Hernandcs  :  il  les  a  em- 
ployés de  son  mieux  ;  d'ailleurs 
nous  ne  savons  pas  ce  qu'il  aurait 
pu  ajouter  de    son   propre   fonds 


REC 


2l3 


pour  les  perfectionner,  s'il  eût  ve'cu 
plus  long  temps.  Quant  à  Hcrnandès, 
en  voilà  assez  pour  justifier  sa  répu- 
tation. Remarquons  d'abord  que  ces 
figures  ,  qui  sont  au  moins  aussi  bon- 
nes que  celles  de  ses  contemporains 
ne  sont  cependant  parvenues  dans  cet 
ouvrage  que  par  le  travail  au  moins 
d'une  troisième  main  ;  car,  copiées 
en  Espagne  ,  elles  ont  dii  être  reco- 
piées en  Italie  ,  pour  être  livrées  au 
graveur;  celui-ci  en  a  fait  une  troi- 
sième copie.  Les  originaux  étaient 
des  peintures  exécutées  par  les  natu- 
rels du  Mexique.  Les  copies  rappor- 
tées en  Italie  étaient  paredlement  des 
peintures  ;  car  un  des  soins  de  Te- 
rentius, dans  ses  notes,  c'est  d'ex- 
primer les  couleurs  de  chaque  par- 
tie. On  voit,  par  ses  expressions, 
que  les  nuances  étaient  très-variées. 
On  sent  que  ,  pour  les  ramener  à 
desimpies  traits,  elles  ont  dû  per- 
dre de  l'exaclitude  de  leurs  con- 
tours. Il  y  a  apparence  aussi  que 
dans  les  originaux,  les  objets  étaient 
représentés  de  grandeur  naturelle  ; 
on  en  a  la  preuve  dans  un  cierge,  ou 
cactus,  qui  est  représenté  en  entier, 
par  conséquent  très-réduit,  tandis- 
que  sa  sommité  est  de  grandeur  natu- 
relle à  la  page  457  ;  il  en  est  de  mê- 
me du  Cheirantostemon.  Voilà  donc 
des  causes  qui  ont  dû  nécessairement 
altérer  la  vérité  des  figures.  Quant 
au  texte  ,  on  pouvait  eu  prendre  l'i- 
dée par  la  manière  dont  il  avait  été 
raccourcidanslelivre  ixqui  concerne 
les  anima^ix  ;  car  l'ouvrage  complet 
d'Hernandès  est  imprimé  à  la  'fin  du 
second  volume,  mais  sans  figures. 
Il  estdiviséen  6  traités,  qui  sont  au- 
tant de  classes  ,  à  -  peu  -  près  telles 
qu'on  les  reconnaît  depuis  Aristote  : 
le  premier  renferme  les  quadrupèdes, 
4o  chapitres  et  autant  d'espèces  ;  le 
deuxième,  les  oiseaux,  329 j  le  iroi- 


2l4 


REG 


siciiie ,  les  reptiles ,  57  ;  le  quatrième, 
les  insectes,  3o;  le  cinquième,  les  pois- 
sons ,  ou  animaux  aquatiques,  56: 
Je  sixième  traite  est  celui  des  iiiiue'- 
raux  ,  ue  36  chapitres.  Loug-temps 
on  n'a  pu  que  former  des  conjectu- 
res sur  ce  que  devait  être  le  texte 
qui  contenait  les  plantes  ;  enfin  ou 
put  se  satisfaire  pleinement.  Muîîoz 
trouva  ,  dans  l'ancienne  bibliothèque 
des  Jésuites  à  Se'ville  ,  cinq  volu- 
mes manuscrits  offrant  le  texte  com- 
plet des  travaux  d'Hernandès  ,  et 
corrige's  de  sa  main  :  car  on  savait 
que,  des  17  volumes  qu'il  avait  lais- 
sés, l'i  contenaient  les  figures  des 
plantes  ;  et ,  depuis  ,  l'inipression  en 
a  cte'  ordonnée.  Le  ce'icbre  Ortèga 
fut  chargé  de  la  surveiller  ,  et  l'im- 
primeur Ibarra  l'a  exécutée  eu  trois 
volumes  qui  ,  pour  l'apparence  , 
ne  sont  qu'in-4'*.  ,  mais  qui,  sui- 
vant l'usage  d'Espagne,  sont  réel- 
lement in-folio  ,  avec  ce  titre  :  Iler- 
nandis  opéra  cùm  édita  tiun  ine- 
/fifrt,  Madrid  ,  î  793.  Là  se  trou- 
vent les  24  livres  abrégés  par  Rec- 
chi.  Ils  sont  divisés  en  chapitres 
])lus  ou  moins  nombreux;  et  chacnn 
«feux  ayant  pour  titre  unnom  mexi- 
cain, contient,  en  espagnol,  une  des- 
(uiption  assez  étendue  d'une  seule 
piaule.  Il  n'y  a  aucune  apparence 
de  classification.  Le  nombre  (.\es 
chapitres  est  fort  inégal  ;  quelques 
livres  on  contiennent  plus  de  !2oo,  les 
aulies  à  peine  4»  :  le  total  se  mon- 
te à  '2672  plantes  décrites  ;  mais 
il  ne  s'y  trouve  aucune  figure  ,  parce 
que,  vraisemblablement,  elles  n'a- 
vaient pas  été  copiées.  On  aurait  pu 
citer,  à  leur  défaut,  celles  de  Rccchi; 
mais  il  paraît  qu'on  ne  les  en  a  pas 
jugées  dignes.  En  général,  i!  estfort 
maltraité  dans  la  courte  préface  qui 
est  en  tète ,  et  d'une  manière  injuste; 
car  on  semblerait  l'accuser  d'avoir 


REC 

voulu  s'attribuer  tout  le  mérite  de 
l'ouvrage  qu'il  a  publié  :  ce  qui  , 
comme  on  l'a  vu  ,  est  faux.  Il  n'y  a 
encore  aucun  détail  sur  la  vie  d'Her- 
nandès ,  mais  on  en  promet  pour  le 
quatrième  volume  ;  et  le  cinquième 
doit  contenir  ses  autres  ouvrages, 
entre  autres  une  description  en  vers 
latins  du  grand  temple  de  Mexico. 
C'est  peut-être  de  là  qu'on  est  parti 
pour  lui  attribuer  une  histoire  des 
églises  du  Mexique.  Il  cultivait  avec 
succès  la  poésie  latine,  comme  on 
le  voit  par  un  épître  mise  en  tête  de 
cet  ouvrage, et  dans  laquelle  il  décrit 
à  .'.on  ami  Arias  Montano  quelques 
paiticularités  de  son  voyage  :  il  lui 
dit ,  entre  autres ,  qu'il  a  mis  sept 
ans  pour  l'exécuter.  Hernandez  pa- 
raît donc  ici  sous  un  jour  plus  fa- 
vorable qu'on  ne  l'a  encore  pré- 
senté. S'il  eiît  pu  surveiller  lui-mê- 
me l'impression  de  son  ouvrage  ,  et 
qu'il  eût  été  secondé  aussi  magnifi- 
fiquement  par  son  souA^erain  pour  sa 
publication  ,  qu'il  l'avait  été  pour  en 
acquérir  les  matériaux  ;  n'eut-il  rap- 
porté que  1200  plantes  figurées, 
comme  l'avait  annoncé  Acosta  ,  il 
en  serait  résulté  le  recueil  déplantes 
exotiques  le  plus  considérable  qu'on 
eût  vu  jusque  dans  ces  derniers  temps; 
car  il  aurait  dépassé  à  lui  seul  le 
nonibrc  des  objets  qui  sout  décrits 
soit  dans  Y JIoilus  Malaharicus,  soit 
dans  V Ilerhariuin  Amboinense  ,  les 
deux  ouvrages  les  plus  magnifiques 
connus  en  ce  genre.  Ses  descriptions 
paraissent  aussi  complètes  tjuc  celles 
de  leurs  auleurs  Rhcede  et  Rumpb. 
D— p— s. 

RECIMER.  Voj.  RiciMEn. 

RECORD   (  Robert  ) ,   natif  du 
pays  de  Galles  (  1  ) ,  fit  ses  éludes 

(1)  !..•  iMinvcAii  Dntioru.  hiMor.  ,  crin,/,  rt  hilU. 
|iiir  une  bc'vuu  qui  |iuuiT<iit  uiirallru  iiiii(;iil>î'iu  ni 
Cfltï  coinpilaliuii  iivil  t'U  f.iit»  avec  moim  <!<■  pn'- 


REG 

f^aiis  rmilvc'isitéd'Oxfoîd,  où  il  oc- 
cupa long-temps  une  chaire  publi- 
que de  mathématiques.  Il  prit  ensuite 
le  grade  de  docteur  en  médecine  à 
cellede  Cambridge. C'était  un  homme 
à  projets  ,  qui  finit  par  se  ruiner  en 
voulant  les  réaliser.  Il  mourut,  en 
i558,  dans  la  prison  du  banc-du- 
roi  ,  où  il  était  détenu  pour  dettes. 
Il  passe  pour  être  le  premier  qui  ait 
composé  un  Traité  d'algèbre  eu  an- 
glais. On  a  de  lui  :  I.  Les  Principes 
des  arts  ,  dont  la  plus  ample  édition 
est  celle  de  i6.i3,  in-8''.,  augmentée 
par  divers  savants.  II.  La  Pierre  à 
aiguiser  les  esprits  ,  Londres,  1 557, 
iu-4°.  m.  Le  Chemin  de  la  science^ 
contenant  les  premiers  principes  de 
la  géométrie.  IV.  Le  Château  de  la 
science  ,  ou  Explication  de  la  sphè- 
re ,  etc. ,  Londres  ,  i55G  et  iSqG  , 
in-4".  V.  \j  Urinai  de  la  médecine. 
M.  Traité  d'an atomie.  VII.  Ulnia- 
ge  d'une  véritable  république.  VIII. 
Traité  de  l'Eucharistie.  IX.  Traité 
de  la  confession  auriculaire.  Ces 
deus.  Traités  sont  dirigés  contre  les 
protestants.  T — d. 

RECUPERO  (Alexandre),  sa- 
vant numismate,  né  vers  1740  ,  ^ 
Catane  ,  dans  la  Sicile  ,  d'une  famille 
noble  ,  quitta  son  pays  ,  à  la  suite 
d'une  affaire  fâcheuse ,  et  changea 
sou  nom  contre  celui  d'Alexis  Motta. 
L'élude  de  l'antiquité  devint  sou 
unique  consolation  ;  il  visita  les  prin- 
cipales villes  de  l'Italie,  et  parvint  à 
former  une  riche  collection  de  mé- 
dailles consulaires,  dont  la  classifi- 
cation et  l'examen  attentif  l'occupè- 
rent plus  de  trente  ans.  Aussi  per- 
sonne avant  lui  n'avait  mieux  connu 
les  familles  romaines,  leurs  diffé- 
rentes branches ,  et  les  signes  qui  les 


cipilaliuii ,  \r  Kill  nnîti-r  'i  Camliriil^c  ,  on  i.ï^ï  ;  ce 
<(i>i  ne  lui  duuucrait  nue  ticixe  dus  dévie!.' 


REC  2i5 

distinguaient.  Il  avait  aussi  rassem- 
blé un  grand  nombre  de  médailles  ou 
tessères  de  plomb ,  sur  lesquelles  il 
a  f.iit  un  Traité,  fort  intéressant  (en 
italien  )  ,   qu'il  n'a  malheureusement 
pas  eu  le  loisir  de  terminer.  Recn- 
pero  mourut  à  Rome  ,  au  mois  d'oc- 
tobre i8o3  :  il  était  membre  de  l'a 
cadémie  des  antiquaires  de  Véletri  , 
et  de  celle  deCortone.  Outre  quelques 
Dissertations  dans  les  Journaux  lit- 
téraires d'Italie  ,  ou  a  de  lui  une 
Lettre  curieuse  écrite  à  M.  de  Saiut- 
Vincens,sur  ses  différentes  collections 
de  médailles,  insérée  dans  le  i)/agrtjm 
encjfclopédique  ,  année  1797  (tome 
i'"'\,34o-63).  Il  a  laissé  en  manus- 
ciit  divers  ouvrages  qu'il  «etouchait 
et  coriigeait  sans  cesse;  ce  sont  :  I. 
P^era  as.'iumoiigo  ,  natwaet  cetas. 
W.  Insùtuiiostevimatica  swe  deve- 
rd  stcmmatum  yrœsertim  Romano- 
rum  naturd  atque  difj'erentid.   III. 
annales  familiarnm  Bomanarum. 
IN .  Annales  gentium  histvricn-nu- 
mismaV.ca  ,  sive  de  origine  gentium 
seu  familiarum  Romanamm  Dis- 
sertntio.  V.  Fétus  Eomanonim  nu- 
merandi  modus  nunc  primùm  dé- 
tectas. On  peut  consulter,  pour  plus 
de  détails,  V Éloge  de  Recupero,  par 
iM.deSaiutVinceiis,dansle7Vrt£;rt>m 
cncjclvpédiqne.  Sa  belle  collection, 
composée  d'environ  seize  cents  mé- 
dailles grecques  en  bronze  ,  la  plu- 
part de  Sicile  et  de  la  Grande  Grèce, 
a  été  acquise  ,  en  1806,  pour  le  ca- 
binet du  roi  de  Danemark  (  F.  le 
même  journal,  j8ob  ,   i  ,  397  ). — 
Recupero  (  Dom  Joseph  ) ,  frère  du 
précédent ,  et  savant  minéralogiste  , 
embrassa  l'état  ecclésiastique,  et  fut 
pourvu  d'un  cauonicat  de  la  cathé- 
drale de  Catane.  Il  s'attacha  parti  - 
culièreiuentà  décrire  les  phénomènes 
que  présente  l'Etna  ,  dont  il  se  pro- 
posait d'écrire  l'histoire.  D'après  ses 


ti6 


REC 


calculs,  dit  Brydone,  la  première 
éruption  de  ce  volcan  aurait  eu  lieu, 
il  y  a  14000  ans;  découverte  qui  l'em- 
barrassait beaucoup  ,  ajoute  le  même 
voyageur  anglais  ,  par  la  difficulté 
de  concilier  celte  date  avec  la  Genèse 
(  Vojage  en  Sicile,  Lettre  vu)  ;  mais 
il  est  faux  que  dom  Recupero  ait  été' 
mis  en  prison  pour  avoir  émis  cette 
opinion  :  cette  table,  rapportée  dans 
la  traduction  du  Voyage  de  Swin- 
burne  ,  a  été  refutée  par  Dolomicu 
(  Bléin.  sur  les  îles  Ponces  )  ;Ie  roi 
de  Napîes  lui  avait,  au  contraire, 
accordé  une  pension  (  V.  le  Journal 
des  Savants ,Ae\\\iu  i-ySS,  p.  4:^7  )• 
Ce  bon  chanoine  était  d'ailleurs  un 
Lomme  d^esprit ,  d'une  société  très- 
aimable  ;  et  il  fut  le  conseil  et  le  guide 
de  tous  les  voyageurs  qui  parcouru- 
rent, à  cette  époque,  la  Sicile,  tels 
que  Brydone  ,  le  baron  de  Riedesel , 
l'abbé  de  Saint-^^on ,  Houël,  etc., 
qui  tous  le  citent  d'une  manière  ho- 
norable. Le  chanoine  Recupero  a 
publié  la  Carte  orj-ctographique  du 
mont  Gihel  ;  c'est  d'après  un  Mé- 
moire qvC'i\  avait  lu  à  l'académie  des 
Etnéens,  que  Houël  a  décrit  l'érup- 
tion de  ce  volcan  ,  arrivée  en  1755 
(  Fojage  de  Sicile  ,  11 ,  p.  64  )  :  en- 
fin il  mettait  la  dernière  main  à 
V Histoire  naturelle  deV Etna  ,m\nïià 
il  mourut  à  Catane,  en  1787  ,  dans 
un  âge  peu  avancé.  Le  piince  de  Bis- 
cari  ,  connu  par  son  zèle  pour  les 
progrès  des  sciences  ,  avait  recueilli 
les  Manuscrits  de  Recupero  ,  qu'il  se 
proposait  de  donner  au  public  (  F. 
la  Trad.  des  Lettres  de  Sestini  sur 
la  Sicile  ,  i  ,  870  )  ;  mais  il  paraît 
que  les  savants  seront  privés  d'un  ou- 
vrage qu'ils  attendaient  avec  une  vive 
impatience.  W — s. 

HICDI'^P.N  (Le  comte  SroiSMowD- 
EiiREMMicn  Dt  ) ,  né  à  Berlin  vers 
J715,    fut  grand- maréchal  de    la 


RED 

cour  de  la  reine  douairière ,  mère 
de  Frédéric  II,  et,  long  -  temps 
après  ,  de  la  cour  de  Frédéric 
Guillaume  II.  Après  la  mort  de 
Maupcrtuis  ,  qui  était  son  ami  , 
il  fut  nommé  curateur  de  l'acadé- 
mie des  sciences  de  Berlin  ,  et  fit 
paraître  ,  dans  le  Rerneil  de  cette 
société  ,  plusieurs  Mémoires  sur  les 
Terres  Australes.  Prévenu  en  fa- 
veur du  système  colonial ,  qu'il  re- 
gardait comme  nécessaire  à  la  pros- 
périté d'une  puissante  monarchie, 
il  s'occupa ,  pendant  plusieurs  an- 
nées, de  l'établissement  d'une  com- 
jiagnie  des  Indes  à  Erabdcn  ,  fit 
beaucoup  de  voyages  à  cette  occa- 
sion ,  et  réunit  un  nombre  suffisant 
d'actionnaires  pour  former  celte 
compagnie  ,  dont  il  fut  nommé  pré- 
sident. Mais  elle  ne  put  tenir  long- 
temps contre  l'esprit  fiscal  de  Fré- 
déric II  ,  qui  ne  parvint  jamais  à 
comprendre  le  mot  de  lord  Hind- 
ford,  ministre  d'Angleterre  à  Berlin  : 
Frédéric  lui  demanda  un  jour  ce  que 
c'était  que  le  commerce  ?  L'Anglais 
répondit:  Sue  ^  c'est  une  houle  de 
neige  qui  se  fond  lorsque  le  soleil 
la  regarde.  Dans  le  cours  de  ses 
voyages, lecomtedcRedern  vin'à  Pc- 
tersbourg  cl  à  Paris.  L'impératrice 
C-atherine  II  lui  donna  l'ordre  de 
Sainte  Anne  ,  et  Louis  XV  le  natu- 
ralisa Français  ,  par  lettres  du  mois 
de  janvier  1 769.  11  est  mort  dans  ses 
terres  de  Saxe  ,  en  i  'j8q.  Z. 

REDHWAN  (Fakr-el  Molouk), 
sulthan  seldjoukidcd'Alcp,  nommé 
Brodoan  par  les  historiens  des  croi- 
sades ,  élail  le  fils  aîné  de  Toutousch 
(ou  Tauacli)qni s'empara  de  la  Syrie, 
et  périt  dans  une  bataille  ,ran4S8 
de  l'hég.  (  109,')  d  J.-C.  ),  en  vou- 
lant disputer  le  trône  de  Perse  à  sou 
neveu,  le  snlllian  Baïkyaroc  (  /'.  ce 
nom  ).   Rcdbvvan  ,  qui    gouvernail 


KED 

alors  Damas ,  s'empara  d'Alep  ,  y 
fut  reconnu  souverain ,  et  fit  pe'rir 
deux  de  ses  frères.  Suivi  de  Yaghi 
ou  Baglii-Sian  ,  ërayr  d'Antioclie  , 
e'pouiç  de  sa  mère,  il  fil  !a  guerre  aux 
princes  ortokidcs  ,dansle  Diarbckr, 
e'choiia  devant  Saroudj,  et  prit  Edes- 
se,  q'.i'il  donna  à  cet  ëmyr,  avec  le- 
quel il  se  brouilla  bientôt.  Dans  le 
même  temps  ,  Chamsel  molouk  De- 
kak,autre  frère  de  Redliwan,  s'enfuit 
d'Alcp,  échappa  aux  poursuites  des 
troupes  de  ce  prince  ,  et  lui  enleva 
Damas.  Pour  recouvrer  cette  ville, 
le  sulthan  d'Alep  consentit  à  suppri- 
mer, dans  la  kliollibali,  le  nom  du 
khalyfe  abbasside  deBagbdad,  et  à 
reconnaître  pour  suzerain  Moslàly  , 
khalyfe  fathcmide  d'Egypte ,  qui  lui 
avait  promis  des  secours.  Mais , 
repousse  de  devant  Damas  ,  qu'il 
avait  cru  surprendre ,  et  irrite'  con- 
tre Mostàly ,  qui  lui  avait  man- 
que' de  parole ;,  il  rétablit  le  nom 
des  Abbassides  dans  les  prières  pu- 
bliques. Il  ne  réussit  pas  mieux  con- 
tre Jérusalem  ,  qu'il  vo\ilut  enlever 
aux  Ortokidcs  ,  en  489  (  1  096  1  :  il 
fut  obligé  de  retouiiser  à  Alep.  At- 
taqué par  Dekak  et  par  Yaghi-Sian, 
il  les  vainquit  près  de  Kennesrin ,  et 
obtint  que  son  nom  fût  proclamé  à 
Damas  ,  dans  la  khothbah.  Cepen- 
dant les  croisés,  sous  la  conduite 
de  Godefroi  de  Bouillon,  après  avoir 
pris  Nicée  et  traversé  l'Asie-Mineu- 
re,  vinrent  assiéger  Antioche.  Redh- 
\van  et  quelques  autres  princes  mu- 
sulmans de  Syrie  envoyèrent  des 
troupes  au  secours  de  Yaghi  -  Sian. 
Elles  Turent  battues  par  les  Chrétiens 
qui  s'emparèrent  d'Antioclie  par  tra. 
bison,  l'an  1098,  après  un  siégcde 
neuf  mois.  L'cmyr  tomba  de  cheval, 
en  fuyant;  et  on  lui  conpa  la  tèle. 
Tandis  que  les  croisés  attaquaient  la 
citadelle,  ils  l"urci;t  investis  cax-mè- 


RED  217 

mes  par  l'armée  du  sulthan  de  Perse, 
commandée  par  Korbouga  ,  auquel 
s'étaient  joints  tous  les  princes  mu- 
sulmans de  Syrie  et  de  Mésopota- 
mie. Korbouga  fut  vaincu  ;  et  les 
Chrétiens  restèrent  maîtres  d'Antio- 
che  {for.  Korbouga,  au  Supplé- 
ment). Redhwan,  dont  les  étals  se 
trouvaient  alors  exposés  à  leurs  pi'c- 
miers  coups ,  implora  vainement  le 
secours  du  khalyfe IMosthadher  et  du 
sulthan  Baïkvaroc.  Au  retour  d'une 
expédition  contre  un  émyr  rebelle, 
que  les  croisés  avaient  secouru  à- 
pt  opos ,  il  fut  encore  battu  par  ceux- 
ci,  qui  lui  prirent  El-Eir  et  quelques 
autres  places  ,  respectèrent  Alep  , 
réunirent  leurs  forces  contre  Jéru- 
salem, el  enlevèrent,  l'an  49'i  (  1 099), 
cette  ville  célèbre  au  khalyfe  d'E- 
gypte, qui.  Tannée  précédente,  en 
avait  chassé  les  Ortokidcs.  Redh- 
wan prit  peu  de  part  aux  troubles 
qui  agitèrent  la  Syrie;  et  tandis  que 
son  frère ,  le  roi  de  Damas ,  combat- 
tait les  Francs  ,  il  faisait  périr  l'é- 
myr  d'Hemèse,  l'un  des  plus  braves 
défenseurs  de  l'islamisme.  L'an  498 
(iio5),  il  rompit  les  liaisons  d'a- 
mitié qu'il  avait  eues  avec  Tancrè- 
de  ,  légent  d'Edesse  et  d'Antioche  , 
et  marcha ,  à  la  tête  de  trente  mille 
hommes,  pour  assiéger  cette  derniè- 
re place;  mais  il  fui  v;iincu  prèsd'Ar- 
tcsie,  par  Tancrède,  qui  n'avait  que 
dix  mille  hommes,  et  il  perdit  sou 
étendard  ,  avec  une  grande  partie  de 
ses  bagages  et  de  ses  troupes.  Ayant 
renouvelé  la  paix  avec  ce  prince,  il 
l'observa  avec  une  fidélité  bien  re- 
marquable. Lorsqu'en  5o5  (  i  1 1  i  ) , 
M.iudoud,  roi  de  Moussoul  ,  vint 
en  Syiie,  à  la  tête  de  l'armée  du  sul- 
than de  Perse,  Redhwan  refusa,  non- 
seulement  de  se  joindre  aux  IMusul- 
mans,  mais  même  de  recevoir  dans 
Alep  leurs  femmes  et  leurs  enfaut». 


2l3 


RED 


II  promit  seulement  de  rester  neutre, 
et  leur  donna  son  fils  eu  otage.  Ils 
voulurent  alors  exiger  ce  qu'ils 
avaient  demande  ,  et  menacèrent  de 
couper  la  tête  au  jeune  prince.  Redh- 
wan,  moins  par  excès  de  scrupule  , 
peut-être  ,  que  par  crainte ,  garda 
ses  serments,  et  laissa  périr  son  fils. 
Sa  défection  fut  une  des  causes  du 

S  eu  de  succès  de  l'expédition  de  Mau- 
oud  (  F.  ce  nom ,  XXVII ,  497  )• 
Redhwan  mourut  le  i  4djoumady  2''. 
5o8  (  i5  novembre  1 1 14  ),  après  un 
règne  de  viugt  ans,  haï  des  Musul- 
mans ,  à  cause  de  son  avarice  et  de 
ses  injustices  ,  mais  plutôt  à  cause  de 
son  peu  de  zèle  pour  l'islamisme  et 
de  ses  liaisons  avec  les  Chrétiens  et 
lesBathéniens  ou  Assassins^  dont  il 
protégeait  ouvertement  la  secte. 
Deux  de  ses  fils  en  bas  âge  occupè- 
rent ,  successivement  après  lui ,  le 
trône  d'Alep,  qui  tomba,  au  bout 
de  trois  ans,  au  pouvoir  des  Orto- 
tides.  A — T. 

REDI  (François),  l'un  des  plus 
ç;rands  observateurs  de  son  siècle, 
naquit,  le  18  février  1626,  d'une  fa- 
)uille  patricicnncd'Arezzo.II  acheva 
ses  éludes  à  l'université  de  Pise  ,  où 
il  reçut  le  laurier  doctoral  en  méde- 
cine et  en  piiilosophie;  et  il  s'établit  à 
Florence,  où  il  se  fit  bientôt  couDaî- 
ire  comme  un  habile  médecin.  Les 
succès  qu'il  obtint  dans  la  pratique 
(!e  son  art,  lui  méritèrent  la  con- 
iiance  du  grand-duc  de  Toscane  Fer- 
dinand II,  qui  le  nomma  son  ar- 
chiatre  ;  et  il  fut  confirmé  par  Corne 

III  dans  ce  poste  honorable.  Les  de- 
voirs que  lui  imj)0.sait  celle  charge, 
ne  l'ciu péchèrent  ni  de  cidliver  les 
Ictlres  et' la  poésie  ,  ni  de  se  livrer  à 
son  goùl  pour  les  expériences  physi- 
ques ;  (tjd.-ins  des  genres  si  variés  , 
dont  (jnclrincs-tiiis  même  semblaient 
s'cxcliuf  ,  il  s'acquit  une  répu'aliou 


RED 

que  le  temps  a  confirmée.  Comme 
médecin,  il  rendit  d'importants  ser- 
vices à  l'art  de  guérir  ,  en  simpli- 
fiant la  pratique,  en  proscrivant  l'a- 
bus des  remèdes  composés,  et  surtout 
en  faisant  sentir  à  ses  confrères  la 
nécessité  de  l'observation.  Redi  fut 
du  petit  nombre  des  littérateurs  ita- 
liens du  dix-septième  siècle,  qui  su- 
rent se  préserver  de  la  contagion  du 
mauvais  goût,  et  prendre  les  anciens 
pour  modèles;  il  contribua  beaucoup 
à  maintenir  la  pureté  de  la  langue, 
et  eut  une  grande  part  à  l'édition  de 
1G91  du  Dictionnaire  de  la  Crusca, 
dans  laquelle  ses  ouvrages  sont  cités 
comme  autorité.  Mais  c'est  surtout 
comme  physicien-observateur  que 
Redi  s'est  acquis  des  droits  à  la  re- 
connaissance et  à  l'estime  de  la  pos- 
térité. Il  fit  une  étude  particulière  des 
insectes  ,  et,  par  une  suite  d'observa- 
tions ingénieuses  ,  dont  l'exactitude 
est  constatée,  démontra  qu'aucune 
espèce  n'est  reproduite  par  la  pour- 
riture ,  comme  on  l'avait  cru  jus- 
qu'alors presque  sans  examen:  mais 
il  eut  le  tort  inexcusable  de  suppo- 
ser aux  espèces  dont  il  n'avait  pas 
découvert  les  organes  sexuels  ,  uue 
amc  seusitive ,  à  laquelle  il  attribuait 
le  pouA'oir  de  la  reproduction  ,  sys- 
tème insouleuable ,  et  qu'il  ne  put 
faire  adopter.  On  a  des  observations 
neuves  et  intéressâmes  de  Redi,  sur 
la  vipère,  sur  les  larmes  de  verre, 
connues  sous  le  nom  de  larmes  bala- 
viques  ,  sur  les  sels  artificiels ,  sur  les 
vers  intestinaux,  sur  Teau  commune 
employée  pour  arrêter  les  hémorrha- 
gics,  etc.  Enfin  ,  il  a  porlé  la  lumière 
tians  presque  touUs  les  j)arties  de  la 
physique,  de  l'iiistoire  naturelle  et 
de  l'analomie;  et  quoiqu'il  ait  com- 
mis (piclqucs  erreurs ,  ou  ne  peut 
nier  qu'il  n'ait  ouvert  la  seule  route 
qui  pouvait  conduire  èi  la  vérité.  Redi 


RED 

s'empressait  de  faire  part  de  ses  de- 
couvertes  à  l'acadétaie  del  Cimento, 
dont  il  était  le  principal  ornement  : 
il  répétait  ses  expériences  en  pré- 
sence de  ses  confrères ,  dont  il  ac- 
cueillait les  avis  et  faisait  valoir  les 
observations ,  ne  consultant  jamais 
que  l'inlérêt  delà  science.  C'est  ainsi 
qu'il  publia  les  Observations  de  Ces- 
toni  sur  les  insectes  qui  vivent  sur  le 
corps  de  l'homme  (  Foj.  Cestoni  , 
Vil  ,  589)  ;  observalious  dont  il  re- 
connut la  supériorité  sur  les  siennes. 
Quelques  attaques  d'épilcpsie  ,  qu'il 
éprouva  sur  la  fin  de  sa  vie  ,  ne  ra- 
lentirent point  son  ardeur  pour  l'é- 
tude. Cependant,  d'après  le  conseil 
de  ses  amis,  il  se  rendit  à  Pise,  pour 
s'y  délasser  de  ses  travaux  ,  et  y  res- 
pirer un  air  plus  pur.  On  le  trouva 
mort  sursonlit,le  i^r.  niars  1694. 
Il  était  âgé  de  soixante  -  huit  ans. 
Son  corps  fut  conduit  à  Arezzo  ,  et 
déposé  dans  un  tombeau  que  son  ne- 
veu décora  d'uiie  épitaphe  ,  remar- 
quable par  sa  simplicité  (i).  La  dou- 
ceur de  Redi  ,  sa  modestie  ,  son  dé- 
sintéressement et  sa  complaisance 
inépuisable  ,  lui  avaient  acquis  de 
nombreux  amis.  Ménage  déclarcqu'il 
doit  beaucoup  à  Redi  pour  son  travail 
sur  les  étymologies  de  la  langue  ita- 
lienne. Redi  était  membre  de  plusieurs 
académies ,  entre  autres  des  Felati 
de  Bologne  et  des  Arcaài  de  Sien- 
ne, où  Salvini  prononça  son  éloge. 
On  a  de  lui  :  I.  Ossen>azioni  inloino 
alla  vipera ,  Florence,  1664  ,  in- 
4°.  ;  il  y  soutient  que  le  venin  de  la 
vipère  morte ,  introduit  dans  le  sang, 
peut  causer  la  mort  (  F.  Fontana.) 
Charas  combattit  ce  sentiment  (  f^. 
CuARAS  ,  Vni ,  7'-i  )  :  Redi  le  défen- 
dit jtout  en  rendant  justice  à  son  ad- 


(i)  Fkancisco  Rkdi  Patiutio  Aretino 
Grewrius  Fkathis  Fu,n». 


RED 


aig 


versaire  ,  par  une  Lettre  imprimée 
en  1C70  ,  in- 4".  II.  Esperienze  in- 
torno  alla  generazione  degVinsetti, 
ibid. ,  1668,  in-4°. ,  et  plusieurs  fois 
depuis  (  Forez  Dati  ,  x  ,  565  )  : 
ouvrage  curieux  et  l'un  des  plus 
importants  de  Redi.  III.  Espe- 
rienze intorno  aile  diverse  case  na- 
turalise parlicolarmente  h  quelle  che 
cl  sonportatedelV  Indie  ,  ib.  1671  , 
in  -  4°.  C'est  une  Lettre  adressée  au 
P.  Kircher  ;  l'auteur  y  démontre 
l'inutilité  de  plusieurs  médicaments 
étrangers  ,  et  la  facilité  de  les  lem- 
placer  par  des  produits  indigènes. 
IV.  Esperienze  intorno  a  queW  ac- 
qiia  che  si  dice  de  stagna,  ibid.  , 
1673  ,  in-4''.  Redise  propose  ,  dans 
cet  opuscule  ,  de  montrer  le  danger 
de  l'emploi  des  eaux  styptiques  dans 
le  traitement  des  blessures.  V.  Lette- 
ra  sopra  Vinvenzione  degli  occhiali, 
ibid.,  1678,  iu-40.  Dans  cette  Let- 
tre ,  adressée  à  Paid  Falconieri  ,  il 
attribue  l'invention  des  lunettes  à 
Spina  ,  d'après  la  Chronique  de 
frère  Barthelemi  de  San  Con  onlio  ; 
Manni  a  réclamé  depuis  l'honneur 
de  cette  découverte  pour  Salvino 
Armali  (  F.  Manni  ,  xxvi  ,  5oo  ). 
La  Lettre  de  Redi ,  traduite  en  fran- 
çais, forme  la  lô*^.  dissertation  du 
Recueil  de  Spon  ,  intitulé  :  Recher- 
ches curieuses  d'Antiquités  (  P". 
Spon).  VT.  Osservazioni  intorno 
agli  a^imali  viventi  che  si  trovano 
negli  animali  viventi ,  ibid.  ,  1684  , 
in -4".  Il  y  traite  principalement 
des  vers  imestinaux  ,  et  indique  le 
mercure  comme  le  meilleur  moyen 
de  les  détruire.  Les  Observations 
d'Histoire  naturelle  ,  et  les  Expé- 
riences de  Redi ,  sur  la  physique ,  ont 
été  trad,  en  latin  ,  Amsterdam  , 
1670-88,  3  vol.  in-i'.i;  ibid.,  1686- 
88,  même  format;  et  Lcydc ,  1729 , 
3vol.  in-i'i.  "SW.Baccoin  Toscana, 


110  RED 

ditirambe  ,  conannotazioni ,  Flo- 
rence, 1685  ,  in-4".j  belle  édition, 
dont  il  existe  des  exemplaires  ,  grand 
papier  ,  qui  sont  trcs-rechercliés  des 
curieux.  C'est  l'éloge  des  vins  deTos- 
cane.  Les  critiques  italiens  regardent 
ce  dithyrambe  comme  un  chef- 
d'œuvre  qui  n'a  point  encore  eu 
d'égal  et  (jui  n'en  aura  peut  -  être 
jamais  (  F.  Tiraboschi,  Storiadella 
letteratura  ilaliana  ,  viii ,  4^7  )• 
VIII.  iSo/ie/fi,  ibid.,  170.2,  in-ful., 
fjg.,  magi'iOquc  édition  ,  imprimée 
aux  frais  du  grand  -duc  de  Toscane  ; 
elle  ne  contient  qu'une  soixantaine  de 
Sonnets  ,  avec  autant  d'estampes  , 
îrès-bicn  exécutées.  Les  poésies  de 
Piedi  sont  remarquables  par  la  grâce, 
l'élégance  et  la  légèreté.  IX.  Lettere, 
ibid. ,  1724-27,  3  vol.  in-4°.  ,ou 
*77',)"9^  ,  3  vol.  in-4°.  Les  Lettres 
de  Redi  sont  remplies  d'observations 
intéressantes  sur  toutes  les  branches 
de  l'histoire  naturelle.  Les  deux  édi- 
tions qu'on  vient  de  citer,  sont  les 
seules  qui  soient  recherchées.  X.  Or- 
tografia  iiiodenta  italiana  ,  Pa- 
doue,  i7'.>.i  ,  in^".  Ce  volume  con- 
tient toutes  les  remarques  gramma- 
ticales de  Rt'di  ;  elles  font  partie 
d'un  Recueil  inlitulé  :  Foci ,  maniè- 
re di  dire  e  osseivazioni  di  Toscani 
scrittori ,  Brescia  .  i  7(j()  ,  in-S*^.  XI. 
Consultimedici ,  Florence,  l'jiCy'iÇ)^ 
2  vol.  in-4''.  Les  OEiwres  complètes 
de  Redi  ,  publiées  à  Venise^  17  12 
et  années  suivantes  ,  in  S''. ,  précéd. 
de  son  Eloge,  par  Salvini ,  ont  été 
impriiaées  n:  grand  nombre  de  fois 
avec  des  corr.  'ions  et  des  additions. 
La  meilleure  édition  est  celle  de  ]Na- 
))Ies  ,  1741-^2,  G  vol.  in-4°.  Celle 
dcMilan,  iHoij  ,  9  vol.  in-8°.  ,  fait 
partie  de  la  collection  des  Classi(jues 
itidicns.  Fabroni  a  publié  la  Fie  de 
ce  gland  naturaliste  dans  le  tome  m 
des  f'ù.c  illuslriuDi  Italorum  ;  cl  le 


RED 

comte  Gorani ,  son  Eloge  ,  avec  ce- 
lui de  Salluste-Ant.  Bandini ,  sous 
ce  titre  :  Elogidi  due  illuslri  scopri- 
tori  Italiani,  Sienne,  1786,  in-8'^. 
On  trouve  dans  le  Musœum  Maza- 
chelli anum  {lomeu  ,  pi.  \^i  ),  l'em- 
preinte des  trois  médailles  que  le 
grand -duc  Cômelllafait  frapper 
en  l'honneur  de  Redi.         W — s. 

REDI  (  Joseph),  peintre,  naquit 
à  Florence  en  i6G5,  et  fut  élève  de 
Gabbiani.  Il  se  distingua  surtout 
par  la  correction  et  l'élégance  de  son 
style,  et  fut  envoyé  à  l'académie 
florentine,  que  la  libéralité  du  grand- 
duc  Côme  III  entretenait  à  Rome  ,  où 
Ciro  Ferri  et  Carie  Maratti  le  perfec- 
tionnèrent dans  son  art.  A  son  retour 
il  orna  de  ses  ouvrages  les  palais  du 
grand-duc,  et  plusieurs  églises  de 
Florence.  Ses  compositions  allégo- 
riques décèlent  un  génie  fécond  et 
poétique.  L'Angleterre  possède  de  ce 
maître  plusieurs  beaux  tableaux ,  tels 
que  V Apparition  de  César  à  Briitus, 
Cincinnatus  nommé  di  dateur ,  et  la 
Continence  de  Scipion.  Redi  peignait 
le  portrait  dans  le  meilleur  style.  Il 
parcourut  une  partie  de  l'Italie,  pour 
y  dessiner  les  restes  les  plus  remar- 
quables de  l'antiquité.  Ses  dessins 
ont  été  parla  suite  gravés  et  publiés. 
Le  czar  Pierre,  dans  ses  voyages, 
ayant  eu  l'occasion  de  voir  quelques 
ouvrages  de  Redi ,  en  fut  tellement 
charmé  que,  de  retour  dans  sou  pays, 
il  envoya  quatre  jeunes  gentilshom- 
mes à  Florence  ,  pour  qu'ils  appris- 
sent la  peinture  sous  cet  habile  maî- 
tre, et  pussent  introduire  le  goût  des 
beaux- arts  en  Russie.  Lorsqu'ils  re- 
vinrent <à  Moscou, l'empereur,  extrê- 
mement satisfait  de  leurs  progrès  , 
résolut  d'ériger,  dans  celle  ville, 
une  académie  de  peinture,  et  d'en 
confier  la  direction  à  Redi.  11  lui 
ollrit  uu  traitement   cousidcrablc , 


RËD 

pour  l'engager  à  se  rendre  en  Russie; 
mais  l'artiste  fut  retenu  par  les  ins- 
tances de  ses  arais.  Il  mourut  à  Flo- 
rence ,  en  1726.  Outre  que  son  des- 
sin est  ële'gant  et  correct ,  sa  cou- 
leur a  de  la  suavité' ,  et  offre  un 
heureux  mélange  des  qualités  de 
Carie  Maratti ,  et  de  Giro  Ferri.  Ses 
poses  sont  bien  choisies  ;  ei  ses  por- 
traits expriment  à  un  haut  degré  le 
caractère  de  ses  modèles.  Enfin,  dans 
toutes  les  parties  de  son  art ,  il  mon- 
tre une  imagination  féconde ,  une 
grande  liberté  de  main ,  et  une  en- 
tente particulière  de  la  com position. 
P— s. 
REDING  (  Aloys  ,  baron  de  ) , 
landamman  et  général  suisse  ,  né  en 
1755  ,  fît  ses  premières  armes  en 
Espagne  ,  y  devint  colonel ,  et  quitta 
le  service  en  178B,  pour  se  retirer 
dans  son  pays,  le  canton  de  Scliwitz, 
où  il  fut  nommé  landshauptmann. 
Il  n'eut  pas  occasion  de  faiie  parler 
de  lui ,  jusqu'à  l'invasion  française 
de  1 798.  Les  cauteassdémocratiques 
conservèrent  alors  leur  indépendance 
au  milieu  de  la  servitude  devenue 
générale  dans  l'antique  république 
Hclvétieune  :  Sclnvitz  surtout  était 
décidé  à  marcher  au  secours  de  Ber- 
ne qui  avait  succombé  dans  sa  lutte 
contre  Tarmée  du  Directoire  exécu- 
tif de  France.  Rediug  dirigea  les 
dispositions  militaires  de  ses  compa- 
triotes, qui  repoussaient  obstinément 
le  genre  de  liberté  qu'on  prétendait 
leur  donner,  et  vouLiieut  commen- 
cer par  réunir  leurs  cITorts  à  ceux  des 
milices  de  Zug  et  d'Undcrwaldeu. 
Leur  premier  contingent  partit  le  i  i 
février.  D'après  un  plan  arrêté  dans 
le  conseil  de  guerre  que  le  i.inds- 
hauptmanu  présidait ,  ccKii-ci  (lcv;iit 
commander  le  centre  de  la  petite  ar- 
mée qu'on  avait  levée  ,ct  qui  n'allait 
pas  à  dix  mille  combattants  ;  il  de- 


RED  111 

vait ,  avec  .m*s  cent  cinquante  braves 
s'emparer  de  Lucerne  et  de  tout  son 
canton,  Rediug,  pour  exécuter  ce 
plan  ,  s'était  fait  précéder  d'une  pro- 
clamation qui  ,  rappelant  aux  Lu- 
cernois  la  gloire  et  le  bonheur  de  leur 
ancienne  confraternité  d'armes  avec 
les  autres  Waldstettens  ^  excita  chez 
eux  ,  au  plus  haut  degré  ,  l'enthou- 
siasme de  la  liberté  commune  ,  de 
la  véritable  liberté.  Le  ag  avril  ,  au 
point  du  jour,  la  petite  troupe  de 
Schwitz  parut  sur  le  sommet  du 
Wesemli ,  et  de  là ,  en  peu  d'instants  , 
au  pied  des  remparts  de  Lucerne. 
L'officier  chargé  de  porter  aux  nou- 
velles autorités  l'injonction  de  se 
rendre,  revint  avec  une  capitulation 
signée.  Les  soldats  de  Rediug  prirent 
en  conséquence  position  j  n)ais  bien- 
tôt il  fallut  se  replier.  Les  Français, 
qui  avaient  passé  la  Reuss ,  et  occupé 
la  ville  de  Zug,  s'avançaient  à  grands 
pas.  Entrés  dans  Lucerne ,  le  3o 
avril  ,  ils  menaçaient  presque  toutes 
les  frontières  du  canton  de  Srhv\'ilz. 
Ce  fut  alors  que  se  prépara  ,  de  tou- 
tes parts  ,  la  d'  fense  la  plus  coura- 
geuse, la  plus  héroïque  ,  et  que  Re- 
ding  ,  qui  était  l'ame  de  l'armée  des 
confédérés  ,  résolut  de  s'en.vevelir 
sous  les  ruines  de  sa  patrie  ,  si  , 
malgré  ses  efforts,  il  ne  pouvait  la 
sauver.  Il  partit  d'Arlh  ,  où  siégeait 
le  conseil  de  guerre.  Le  jour  com- 
mençait à  poindre,  lorsqu'il  arriva 
auSchorno,dans  le  moment  oii  cinq 
cents  hommes  d'Uri  ,  vcnairiit  se 
joindre  au  quatrième  bataillon  de 
Schwitz,  et  se  rendaient  maîtres  de 
cet  important  défilé  du  Sehorno , 
ainsi  que  des  hauteurs  de  INfurgar- 
ten;mais  quelques  soldats  d'Uri  et  de 
Zug  éiaieut  le  seul  secours  sur  le(|nel 
])ùt  compter  le  canton  de  Sch^vitz  , 
livré  à  SCS  propres  forces.  Ou  vit 
en  cet  instant  uu  dévouement  pro- 


•îii  RED 

(ligieux.  Zschokke ,  dans  son  Uis- 
taire  de  la  lutte  et  de  la  destruction 
des  républiques  démocratiques  de 
Schwitz,  Uriel  Unterw alden  ^  rap- 
porte le  discours  que  Reding  pro- 
nonça au  poste  de  Morgarten  ,  et  à  la 
suite  duquel  tous  jurèrent ,  à  l'exem- 
ple de  leur  chef,  la  mort  et  pas  de 
retraite.  Avec  quelques  centaines  de 
montagnards,  il  livra  bataille  aux 
Français  ,  qui  étaient  fort  supe'ricurs 
en  nombre  ,  enfonça  leurs  lignes  ,  et 
les  chassa  de  ces  champs  déjà  si 
fameux  par  la  victoire  remportée  , 
dans  le  même  lieu  ,  sur  les  Autri- 
chiens ,  en  i5i5  ,  sous  la  direction 
d'un  autre  Reding ,  le  landamraan  Ro- 
dolphe Reding  de  Bibcregg.  Mais  le 
succès  devait  avoir  un  terme  prompt: 
la  lutte  était  trop  inégale.  On  fut 
forcé  de  demander  un  armistice  au 
général  Schauenbonrg  ,  qui  posa  les 
bases  de  la  capitulation  que  l'on  de- 
sirait. On  la  voulait  honorable  ,  et 
contenant  l'assurance  positive  qu'au- 
cune levée, d'hommes  ni  d'argent  ne 
serait  jamais  faite  dans  le  canton  de 
Schv^itz.  L'assemblée  du  peuple  fut 
convoquée  dans  la  nuit  du  3  au  4 
mai ,  pour  eu  délibérer,  Reding  ne 
put  s'empêcher  de  donner  le  conseil 
d'accepter  celte  capitulation.  11  fut 
un  des  quatre  commissaires  qui  , 
dans  la  soirée  du  4  ,  portèrent  au 
général  français  la  détermination  du 
peuple  de  Schwitz,  de  se  soumettre  à 
la  nouvelle  constitution  helvétique  , 
sous  la  condition  que  le  libre  exer- 
cice de  son  culte,  la  sûreté  des  per- 
sonnes ,  la  conservation  des  arrhes 
et  des  propriétés  lui  seraient  garan- 
tis par  la  nation  française.  Schauen- 
bonrg retira  ,  aussitôt  après  ,  ses 
trouj>cs  des  frontières  du  canton  de 
Schwilz.  Rccling  joua  ensuite  im 
grand  rôle  dans  les  troubles  civils 
qui  curent   lieu   successivement   en 


RED 

Suisse.  On  en  vint  à  le  prendre  pour 
chef  du  gouvernement  central.  Ce 
fut  le  -il  novembre  i8oi  ,  qu'il  fut 
nommé  premier  landamann  de  la 
Suisse.  Il  fit  ,  bientôt  après ,  un 
voyage  à  Paris  ,  dans  l'espoir  de 
fixer  définitivement  les  grands  inté- 
rêts de  sa  patrie.  Lorsqu'il  était  le 
plus  occupé  de  l'organisation  du 
nouveau  gouvernement,  il  fut  des- 
titué ,  par  suite  des  intrigues  du  parti 
qui  voulait  le  sisteme  unitaire.  Il  se 
mit  alors  encore  une  fois  à  la  tête  des 
confédérés  de  Schwitz.  Ce  canton 
était,  comme  au  temps  delà  premiè- 
re insurrection  formée  contre  les  op- 
presseurs armés  de  la  Suisse,  le  centre 
d'oii  partaient  tous  les  mouvements 
dirigés  contre  les  chefs  et  contre  les 
institutions  qu'on  avait  données  à  leur 
pays,  naguère  libre  et  gouverné  con- 
formément à  ses  inclinations  et  à 
ses  habitudes.  Reding  sut  imprimer 
à  cette  nouvelle  confédération  Vé- 
nergie  de  son  arae  et  l'activité  de 
son  caractère  ;  mais  les  Français 
intervinrent  dans  des  démêlés  qui 
étaient,  pour  ainsi-dire,  devenus  mie 
a  (Taire  de  famille.  Les  confédérés  bat- 
tirent plusieurs  fois  les  troupes  ré- 
glées du  gouverneur  central  suisse. 
Le  général  Ney  qui  était  entré  eu 
Suisse  pour  comprimer  le  parti  de 
Reding  ,  ordonna  le  licenciement 
des  milices  ,  et  fit  arrêter  ce  chef,  le 
7  novembre,  avec  quelques  autres 
personnages  importants  de  cette  mê- 
me république  Suisse  ,  dont  Buona- 
partc  s'était  déclaré  le  médiateur, 
c'est-à-dire,  qu'il  vouliil  constituer 
à  sa  volonté.  Reding  fut  conduit 
à  la  forteresse  d'Arbourg  :  mais  on 
lui  rendit  sa  liberté  au  bout  de 
quelques  mois  ;  et  l'acte  de  médiation 
ayant,  malgré  le  vice  de  son  origi- 
ne et  les  vues  secrètes  de  son  au- 
teur ,  mi?  fin  aux  plus  grands  mal- 


RED 

lienrs  cîes  Helvëtiens  ,  il  fut  t'in , 
eu  i8o3  ,  laudamman  du  canton  de 
vSchwilz  ,  et  reparut  dans  le  conseil 
suprême  de  son  pays.  Après  les  de- 
sastres militaires  de  la  France ,  en 
i8i.i  et  i8i3,  Reding  ne  dissimula 
plus  sa  haine  pour  Buonaparte  ;  et 
l'on  croit  qu'il  ne  fut  pas  etianger 
au  passage  du  Rhin  ,  efTectué  par  les 
troupes  alliées  sur  le  territoire  suisse. 
Il  mourut  à  Schwitz  ,  dans  les  pre- 
miers jours  de  février  1818.  Sans 
ôter  au  me'ritc  re'el  d'Aloys  Reding  , 
il  est  permis  de  dire  que  l'historien, 
que  nous  avons  cité,  a  dessine'  peut- 
être  trop  en  grand  la  figure  de  cet 
illustre  Helve'tien.  Zschokkc ,  poète 
dramatique,  et  écrivant  l'histoire  de 
la  destruction  de  la  ligue  suisse , 
avait  besoin  d'un  he'ros  qui  s'élevât 
beaucoup  au-dessus  de  ses  conci- 
toyens. C'est  un  peu  au  détriment  de 
ceux-ci ,  qu'il  a  trace'  le  portrait  du 
landamman  de  Schv\'itz  ,  qui  était 
bien  plus  remarquable  par  son  ame, 
que  par  ses  moyens  d'esprit, et  dont 
l'énergie  républicaine  ne  fut  pas  une 
vertu  extraordinaire,  foute  particu- 
lière chez  lui,  mais  un  sentiment 
toujours  actif  dans  son  pays.  En  plus 
d'un  occasion  ,  Reding  paralysa  ,  ou 
du  moins  rendit  stérile,  son  dévoué- 
mentaux  intérêts  de  ceux  qu'il  com- 
mandait ou  qu'il  représentait.  Ses 
fautes  tenaient  au  défaut  de  lumières, 
à  l'imprévoyance,  à  la  précipitation; 
mais  enfin  il  a  laissé  un  nom  qui 
ne  doit  pas  mourir  dans  la  mémoire 
des  hommes.  —  Plusieurs  autres 
officiers ,  de  la  même  famille  ,  ont 
figuré  avec  honneur  au  service  de 
France  ,  à  diverses  époques.  L-p-e. 

REDJEB  PACHA,  séraskier  de 
Romé'.ie,  de  chef  de  brigands  dans  la 
Natolic ,  fut  élevé  au  commande- 
ment de  la  Romélie  par  Soliman  HT, 
dans  la  guerre   de   iG8().  11  se  fit 


REE 


2a3 


battre  à  Passarowilz,  par  le  prince 
Louis  de  Bade,  le  vainqueur  de  Sa- 
lankemen.  Bientôt  après  il  essuya 
sous  les  murs  de  Nissa  une  seconde 
défaite  qui  ouvrit  la  Bulgarie  aux 
impériaux. Recljcb fut  puni  de  ses  re^ 
vers  et  de  son  incapacité  :  son  maî- 
tre le  fit  étrangler  ;  et  sa  justice  fut 
guidée  par  un  motif  religieux  ,  qui 
mérite  d'être  remarqué.  Le  crédule 
Redjeb  menait  cà  sa  suite  un  astrolo- 
gue qu'il  ne  manquait  jamais  de  con- 
sulter avant  de  former  une  entrepri- 
se on  d'engager  une  action.  Le  sulthan 
pouvait  lui  envoyer  demander  sa  tê- 
te pour  avoir  combattu  malgré  les 
ordres  contraires  les  ])h!S  positifs  : 
cependant  Redjeb  ne  fut  pas  rais  à 
rDort  pour  avoir  été  vaincu  ou  pour 
avoir  désobéi,  mais  parce  qu'il  avait 
transgressé  la  loi  de  Mahomet  ,  qui 
défend  d'avoir  recours  cà  la  magie 
et  à  la  divination  ;  superstition  aussi 
absurde  et  aussi  générale  que  con- 
damnée religieusement  chez  la  nation 
othomane.  S — y, 

REED  (  JosEPu  ) ,  auteur  drama- 
tique anglais,  naquit,  en  i'jiS  ,  à 
Stockton  sur  le  Tees  dans  le  comté 
de  Durham.  Son  père  était  cordier; 
et  ses  ancêtres  depuis  trois  généra- 
tions .,  n'avaient  su,  dit-il  lui-même, 
ni  lire ,  ni  écrire.  Après  avoir  fait 
quelques  études ,  il  fut  destiné  à  sui- 
vre la  profession  paternelle.  Domi- 
né par  un  goût  vif  pour  la  littéra- 
ture dramatique,  il  eut  cependant  le 
bon  esprit  de  subordonner  son  pen- 
chant à  son  intérêt.  11  était  très- 
laborieux  :  a  Je  déteste  l'oisiveté  , 
»  a-t-il  dit  quelque  part.  Il  faut  que 
»  ma  tête  ou  mes  bras  travaillent  : 
»  quand  ma  corderie  est  en  activité, 
»  les  Muses  m'appellent  en  vain  ; 
»  mais  quand  mon  métier  languit  , 
»  oh  !  alors  j'ai  du  plaisir  à  écouter 
»  ces  dames.  »  Aussi  fit-il ,  dans  sa 


2'34 


REE 


profession,  une  fortune  conside'rable. 
Il  avait  déjà  publie',  en  1745^  "ne 
comédie  intitulée  le  Galant  5«rrtn- 
ne,  composée  à  dix-neuf  ans,  et  un 
poème  iiir  la  mort  de  Pope,  lors- 
qu'il vint  s'établir  près  de  Londres. 
Ayant  confié,  en  l'jSS  ,  sa  comédie 
intitulée  le  Bureau  d'enregistrement 
(  the  Remisier  office  ) ,  à  Foote  ,  qui 
lui  avait  promis  de  la  faire  repré- 
senter,  celui  ci,  dont  la  conscience 
était  fort  peu  timorée,  trouvant  dans 
cette  pièce  un  rôle  à  sa  convenance, 
ne  fit  point  difficulté  de  s'en  empa- 
rer, pour  l'introduire,  quatre  années 
après  ,  dans  sa  propre  comédie  du 
Mineur.  Reed,  in^igué,  reclierclia 
la  protection  de  Garrick  ,  mais  avec 
si  peu  d'adresse,  qu'il  s'en  fit  un 
nouvel  ennemi.  Sa  pièce  néanmoins 
fut  jouée  et  applaudie:  mais  la  re- 
présentation fut  précédée  et  suivie 
d'une  foule  de  tracasseries.  Les  mê- 
mes embarras  se  renouvelèrent  à 
l'occasion  de  sa  tragédie  de  Didon  ; 
et  le  public  l'en  vengea  également 
par  l'accued  qu'il  fit  à  cette  produc- 
tion ,  en  1767.  Toni  Jones,  opéra 
qu'il  dolina  en  i76(),  eut  encore 
plus  de  succès.  Son  dernier  ouvrage 
dramatique,  joué  en  1776,  a  pour 
litre  les  Imposteurs  ,  ou  Remède 
contre  la  crédulité  ;  le  sujet  est  tiré 
du  roman  de  Gil-Blas.  Après  s'être  , 
à  diverses  reprises  ,  brouillé  et  re- 
concilié avec  Garrirk,  leur  liaison  se 
rompit  encore;  et  cette  fois  ce  fut  sans 
reto\ir.  Cependant ,  dans  la  (lucrelle 
viraleiite  qui  s'éleva  entre  l(R.osciiis 
anglais  et  l'irascible  Keniirk  ,  Reed 
se  [)roiionça  noblement  en  faveur  du 
premier,  et  même  avec  ta!it  de  clia- 
leur  ,  que  les  lettres  qu'il  publia  dans 
ce  dcniêié  ,  fuient  attribuées  à  Gar- 
rick lui-même.  Jose[di  Reed  mou- 
rut le  i5  août  1787.  On  a  aussi  de 
lui  le  Guide  du  marchand ,  espèce 


REG 

de  barème,  176.1,  in-12,  fortusît^ 
en  Angleterre  ;  des  tragédies  bur- 
lesques, et  divers  parapblels.     L, 

REED  (  LsAAC  ),  savant  critique 
auglais  du  dix-huitième  siècle  ,  mort 
à  Londres  en  1807  ,  était  particuliè- 
rement versé  dans  la  connaissance  des 
ouvrages  dramatiques  anglais  des 
temps  gothiques.  Ses  principaux 
travaux  sont  les  notes  dont  il  a  en- 
richi dillërentcs  éditions  de  Shaks- 
peare  ;  il  a  donné,  en  l 'jS'i ,  une  édi- 
tion ,  considérablement  augmentée , 
de  la  Biographia  dramatica.  On  lui 
doit  aussi  la  publication  du  Recueil 
d'anciennes  pièces  de  théâtre,  con- 
nu sous  le  nom  de  Recueil  de  Dods- 
ley  ,  1780,  12  volumes  in  8°.  H 
avait  été,  pendant  nombre  d'années, 
l'éditeur  de  V  Europe  an  magazine. 
Ses  cnliqsies  annoncent  autant  de 
bonne-foi  que  de  discernement  et  de 
goût.  L. 

REENHIELM  (  Jacques  )  ,  an- 
tiquaire suédois  ,  naquit,  en  i644  » 
à  Upsai.  Il  avait  d'abord  choisi  la 
carrière  militaire,  et  avait  obtenu 
le  grade  de  lieutenant.  En  1675,  il 
passa  tout-à-coup  à  l'étude  des  an- 
ti(p>ités  ,  et  devint  antiquaire  du 
royaume  de  Suède.  Les  talents  qu'il 
développa  dans  sa  nouvelle  carrière, 
lui  firent  obtenir  des  lettres  de  no- 
blesse. Il  a  publié  deux  Sagas  is- 
landais, ceux  de  Torsten  fP'ikinsç- 
sofi ,  et  d' Olof  Trjgwascn,  Upsal, 
i()8o  ,  et  iG()i.  les  notes  (pii  ac- 
coïupagnent  le  texte,  sont  remplies 
d'érudition.  Reeidiielm  mouiiit  ea 
i()()i  ,  et  fut  enterré  dans  l'c'glise  de 
laTiiniléà Upsal.  Z-^. Vander-Harlh, 
//(dinia  litterata,Ql  le  Dictionnaire 
biographique  de  (îezelius.     C — v. 

RKGtA  (  Henri-Josei'u),  docteur 
en  médecine,  naquit  à  Lonvain  , 
le  '^()  avril  iGr)o.  Ses  parents  le 
firent  élever  avec  beaucoup  de  soin 


REG 

dans  les  collèges  les  plus  ce'lèbres 
de  la  ville;  et  il  ue  manqua  pas 
d'y  obleuir  bientôt  les  premières 
places.  Son  goût  l'ayant  porte  vers  la 
médecine  ,  il  fut  admis  ,  dès  1 7  l '^  , 
an  rang  de  professeur.  Il  se  rendit 
bientôt  après  à  Paris,  et  commença 
d'y  travailler  à  son  traite  De  Sjm- 
pathid ,  ouvrage  qui  a  fonde  sa  re'- 
putation.  Nous  ne  parlerons  pas  de 
tous  les  honneurs  académiques  qu'il 
obtint  encore  dans  sa  viile  natale  ; 
mais  nous  dirons  qu'il  était  d'un  dë- 
sinle'resseraent,  d'une  générosité  ex- 
traordinaire,  et  qu'il  refusa  les  of- 
fres des  grands  ,  afin  de  pouvoir 
mieux  donner  tous  ses  soins  aux 
malheureux,  et  profiter  des  moments 
de  loisir  qui  lui  restaient  pour  se 
livrer  à  l'étude ,  dans  sa  grande  bi- 
bliothèque. Il  mourut  célibataire 
le  11  juillet  1754,  léguant  une 
partie  de  sa  fortune  pour  la  fon- 
dation de  deux  bourses  destinées 
aux  étudiants  en  mélecine,  et  plu- 
sieurs milliers  de  florins  à  la  biblio- 
thèque de  l'université.  Outre  son 
ouvrage  sur  la  sympathie ,  publié 
à  Harlem  en  1721  ,  in-  12  ,  et  à 
Leipzig  en  1762  ,  nous  ne  citerons 
de  ses  écrits  que  la  thèse  suivan- 
te :  Disserlatio  medica  de  aquis  mi- 
neralibus  fontis  Maviniontensis  in 
comitatuHannonicE,  Louvain,  1740, 
in-i'i,  traduite  en  français  par  S.  A. 
Devillers  ,  sous  le  titre  d'Analyse 
des  eaux  minérales  de  Marimont , 
Louvain  ,  1741  ,  in  i'2.  On  y  avait 
joint  les  analyses  des  fontaines  ap- 
pelées le  Roidemont  ,  et  le  Montai- 
gu ,  faites  par  le  professeur Sissenus. 
Ce  travail  valut  à  Rcga  le  titre  de 
conseiller-médecin  de  l'archiiluclies- 
se  Marie-Elisabeth,  gouvcrnantedes 
Pays-Bas,  avec  d'autres  titres  et  des 
présents.  INou;;  rilerons  aussi  Disser- 
latio medico  -  chrmica  qud  de- 
xxxvii. 


REG 


225 


monstratur  sanguinem  humanum 
nullo  acido  vitiari,  Louvain,  1744, 
in-8°.  Elle  montre  les  traces  du  sys- 
tème de  Sylvius,  qu'on  eut  encore  à 
cond)atlre  dans  ce  temps-là.  F-d-r. 
REGANHAO  (  Geraud  Valet 
DE  )  naquit  à  Cahors  en  171  g.  Après 
avoir  fait  de  bonnes  études  ,  il  se  re- 
tira dans  une  campagne  ,  oi!i  il  parta- 
gea sa  vie  entre  les  soins  qu'il  devait 
à  sa  famille  et  la  culture  des  lettres. 
11  remporta  quatre  prix  à  l'acadé- 
mie des  jeux  floraux  j  deux  d'élo- 
quence, eu  1752,  par  nu  discours 
sur  cette  question:  Si  l'esprit  philo- 
sophique est  plus  ulile  que  nuisible 
aux  belles  -  lettres  ;  et  eu  1 7  58 ,  par 
un  discours  sur  ces  paroles  :  Il  est 
honteux  d'avoir  plus  de  ménagement 
pour  les  vices  que  pour  les  ridicules. 
Cette  même  année  ,  il  eut  le  prix  de 
l'ode.  11  oblint,  en  1757  ,  un  nou- 
veau triomphe  ;  et  l'académie  dut 
s'associer  un  littérateur  dont  elle 
avait  couronné  tant  de  fois  les  ou- 
vrages. C'est  particulièrement  dans 
le  genre  lyrique  que  s'est  exercé  Re- 
ganhac  ;  une  étude  aprofondie  d'Ho- 
race avait  déterminé  cette  préfé- 
rence. Dans  ses  OJes ,  où  il  a  célébré 
quelques-uns  des  événements  les  plus 
brillants  du  règne  de  Louis  XV,  on 
trouve  du  feu ,  de  la  verve ,  de  la 
noblesse:  mais  des  beautés  d'un  or- 
dre supérieur  y  sont  déparées  par 
des  négligences  et  par  des  fautes  de 
goût.  Reganhac  était  l'ami  de  Lefranc 
de  Pompignan  ,  son  confrère  à  Ta- 
cade'mie  de  Montauban.  H  est  mort 
en  1784.  On  a  de  lui  :  1.  Etudes 
lyriques  d'après  Horace  ,  Villefran- 
chc  de  Boucrgue  ,  1  775.  in  8°.  Sous 
ce  titre,  l'aulenra  donné  la  traduction 
en  prose,  avec  une  imitation  eu  vers, 
d'une  trentaine  d'Odes  d'Horace ,  son 
autour  favori.  II.  Traduction  des 
Odes  d'Horace ,  avec  des  ohserva- 
i5 


226 


REG 


lions  critiques ,  et  poésies  lyriques  , 
siwies  d'un  discours  sur  V  Ode ,  et 
de  quelques  autres  -pièces  de  prose , 
Paris,  1  -8 1 ,  2  vol.  in- 1 2.  Le  premier 
contient  la  traduction  en  prose  du 
lyrique  romain  ,  et  des   remarques 
très  jadicieuses  sur  les  traductions  de 
Bacier ,  Saïuidon  et  Batteux.  ;  le  se- 
cond volume  offre  les  imitations  en 
vers  ,  que  l'auteur   avait  déjà  pu- 
bliées sous  le  titre  d'Etudes  lyriques: 
il  les  a  iait  suivre  de  ses  Odes  et  de 
quelques  imitations   des  Psaumes  ; 
d'un  discours  sur  l'Ode ,  prononcé 
en  1761 ,  à  l'académie  des  jeux  flo- 
raux ;  des  deux  discours  couronnés 
par  cette  académie,  et  enfin  d'une 
Lettre  au  marquis  de  Beauteville, 
dans  laquelle  il  soutient  ,  comme  il 
l'avait  fait  dans  son  Discours  ,  que 
l'esprit   philosophique  est   nuisible 
aux  lettres.  Ce  Recueil  peut  être  lu 
avec  fruit  par  les  jeunes  littérateurs. 
(  Voyez-en  l'extrait  dans  le  Journal 
des  savants,  de  novembre  1  782 ,  p. 
7  43.  )  —  Un  fils  de  Reganhac  a  pu- 
blié V  Eloge  de  Louis  XII ,  père  du 
peuple.  Palis,  17B2,  et  a  rempor- 
té, en  1787,  le  prix,  au  jugement  de 
l'académie  de  Montauban  ,  de  VE- 
lage  de  J.  J.  Le  Franc  de  Pompi- 
gnan  W — s. 

RÉGEMORÏES.  Il  y  a  eu  trois 
ingénieurs  de  ce  nom  (  Louis  de 
Rcgemorlcs  le  père ,  et  ses  deux 
fils  NoLL  et  Louis  )  ,  attachés  , 
ou  conjointement  ,  ou  successive- 
ment, à  la  maison  d'Orléans  ,  pour 
la  direction  (les  grands  travaux  hy- 
drauliques que  les  princes  de  cette 
maison  ont  fait  exécuter.  Le  canal 
de  Briare,  terminé,  en  i64'i  (•)» 


(j1  Le  raiiîil  (Je  Driarp  p»l  lo  prcinlcr  qui  nil  i«- 
maint'lc  rucoiilc  à /«un/  (/c  f>ail(n;c\  c'chl-'i-diic, 
joiiisoiDl  de  U  |>r'>|>ri<'t<!  <IVtal>llr,  au  inuyi'ii  d'un 
fnmin^a^iiiPinriil  flVaiiT  siHM*rii'iiri»s  ,  Jn  roinmiini- 
■  ntioii  iiiwin<ihlr  inli"'  l<">  llIls^inll  de  di-iix  (Icnvf.i , 
m  raiaaiit  Criiniliir  ;iin  l>»liiiu<  li'  |il;ilisiii  posi'  par 


REG 

amenait  dans  la  rivitre  de  Loing , 
sous  Montargis,  les  bateaux  de  Loi- 
re, qui  naviguaient  ensuite  sur  cette 
rivière  ,  jusqu'à  la  Seine,  à  Saint- 
Mamert,  d'où  ils  descendaient  à  Pa- 
ris, en  suivant  le  cours  du  fleuve. 
Louis  XIV  ,    pour    augmenter  les 
avantages  de   cette   communication 
de   la  Loire  et  de  la  Seine,  con- 
céda au  duc  d'Orléans  ,  son  frère  , 
par  un  édit  de  1679,  enregistré  en 
ï68o  ,  le  privilège  de  faire  construi- 
re ,  à  ses  frais ,  un  canal  partant  de 
la  Loire,  près  d'Orléans,  et  aboutis- 
sant au  point  de  jonction  du  canal 
de  Briarc  et  de  la  rivière  de  Loing. 
Ce  canal,  rendu  navigable,  en  1692, 
après  avoir  été  cédé  et  recouvré  par 
la  maison  d'Orléans,  lui  revint  défi- 
nitivement en  1702.  L'affluence  des 
bateaux  que  la  réunion  des  deux  ca- 
naux de  Briare  et  d'Orléans  amenait 
dans  le  Loing,  rendit  bientôt  sensi- 
ble la  nécessité  de  canaliser  celle  ri- 
vière, oii  la  navigation  se  faisait  par 
des  perluis  également  incommodes 
et  dangereux.  Régcmortes  père.  Hol- 
landais d'origine,  et  qui  avait  tra- 
vaillé ,  sous  Vauban  ,  aux  fortifica- 
tions de  Neuf-Brisac,  fut  chargé 
de  cette  entreprise.   Aidé  par  son 
fils  aîné,  il  dressa  les  projets   des 
travaux    jiécessaircs    pour  arriver 
à  ce  but,    et  il    en    dirigea   l'exé- 
cution.  Le  canal  de  Loing ,  établi 
en  vertu  de  lettres   de  1719,   était 
naviciible  en   i^^S.  C'est  son  cxé- 


la  naturp  |)Our  srparer  ces  liassiii'^.  Les  ccluses  u'.-i- 
vaicnt  servi  jusqu'alors  qu'.^  modérer  la  tioj)  grande 
décliviteclrapiditédesrivières.à  fuuriiir  des  moyens 
de  défense  militaire,  etc.  FjC>  Ciiiiaux  de  Languedoc 
et  d'Urleaus  ont  été  proietes  sur  le  modèle  de  c<  lui 
de  Hriare  ;  aiusi  la  !•  lance  a  produit ,  dans  le  cours 
du  dix-septième  siiele,  trois  monuments  hydrattli~ 
i/iiits  de  la  plus  liaule  imjiortnuoc  et  d'une  et/zèce 
iiniivclle;  cependant  on  ne  voit  coiumnni  ment ,  dans 
ces  niouiiment»,  que  des  creusements  de  fosses  et 
des  constructions  iPecluse»,  sans  rellichir  qu'on  a 
fait ,  de  res  moyens  connus  ,  un  emploi  (out-!l-rait 
irii  oniui  «vaut  le  dix-sepliiine  sièel*. 


REG 

cutioii  qni  a  commence  à  rcmlre  le 
nom  de  Rëgemortes  un  nom  hislori- 
qiic('2).  Le  canal  d'Orlcaiissctiouvait 
tort  de'grade  en  \']'î'i.  Rogcmorfes, 
qui  fut  nomme  dircctcur-geiieral  de 
ce  canal,  en  1726,  y  a  fait  exécuter 
des  ouvrages  de  réparation  cl  d'amé- 
lioration tellement  importants,  que 
c'est  à  lui  qu'on  est  principalement 
redevable  de  l'ctist  de  prospérité  où 
la  nivigaùon  d'Orléans  à  Moniaigis 
s'est  trouvée  depuis  près  d'uu  siècle. 
M.  d'Argcnson,  d'abord  chancelier 
du  duc  el'Orlcans  (  fds  'lu  régent), 
entra  au  ministère  de  la  guerre,  le 
i^i-.  janvier  1743.  Il  avait  apprccié- 
Ic  mer  Je  de  Muël  de  Rcgouîoitcs  et 
il  en  (it  le  premier  commis  de  son  dé- 
partement. Celui-ci  ne  perdit  pas  de 
vue  po^lr  cela  les  travaux  qni  inté- 
ressaient la  maison  d'Oilcans,  à  la- 
quelle il  était  fort  attaché  ;  mais  la 
place  d'ingénieur  des  turcies  et  le- 
vées de  la  Loire,  dont  il  jouissait, 
fut  donnée  à  Louis  de  Rëgemortes, 
son  frère  cadet ,  sur  lequel  nous  re- 
viendrons tout-à -l'heure.  Lorsque 
M.  d'Argenson  quitta  le  ministère, 
en  1757,  Noël  reprit  la  direction 
des  canaux  d'Orléans  et  de  Loing  , 
et  s'adjoiguit  Louis,  son  frère.  Cet- 
te adjonction  allégea  assez  son  travail 
pour  lui  procurer  la  facdiié  de  ré- 
sider dans  une  propriété  territoriale 
qu'il  avait  près  de  Strasboing;  i:iais 
Louis  étant  mort,  vers  17  75  ou  1776, 
Noël  se  trouva  de  nouveau  chargé 
de  tous  les  détails  de  la  direction.  Il 
en  suivit  les  opérations,  sans  se  dépla- 
cer, tant  pour  l'administration  que 
pour  la    partie  d'art  ,   avec   autant 

(■»)  Quatre  iiorsonnagfs  (le  celte  f.iinille  s\  tiieni  du- 
)à  fait  cunuaitred.iDs  les  Icltics  :  Ainl)roi6Ci  taltpro  ■ 
fcsseiir  de  grec  cl  d'hébreu  îiFjcyde,  eu  i6no  :  l'icr- 
le,  8UU  cousin  ,  a  écrit  sur  la  pijlilujiw:  :  Assuerns 
exerça  la  niédcciiic  ?i  Londres,  et  a  euinposo  plu- 
sieiirs  ouvrages  (  /'oy.  Gl.lssON  )  :  un  antre  méde- 
cin du  même  nom  j>raliquHil su»  art  à  Norlolck.et 
nioufulen  iG'i.  C.  M.  !'. 


REG 


227 


d'activité  et  de  présence  d'esprit  que 
s'il  eilt  habité  Orléans  ,  dont  il  était 
éloigné  de  plus  de  cent  lieues.  Eu 
1786,  à  la  mort  du  duc  d'Orléans, 
aïeul  du  prince  sctiie!,Noël  aban- 
donna tout- à-fait  les  travaux  d'ingé- 
nieur, li  est  mort,  vers  1 790,  âgé  d'en- 
viron  quatre  -  vingt  -  dix  ans  •  ce  qni 
placerait  sa  naissance  vers  l'année 
1700.  Toutes  nos  recherches  pour 
avoir,  à  cet  égard,  des  dates  plus 
précises  ,  ont  été  infructueuses. 
Noël  de  Rogcmortos  avait  un  ooût 
particulier  pour  la  botanique.  On  le 
legarde  comme  ayant  introduit  en 
France  les  premières  boutures  de 
peupliers  d'Italie,  qii'il  envoya,  dans 
des  boîles  de  fer -blanc,  à  JMontar- 
gis,  où  elles  furent  plantées.en  1740, 
sur  les  bords  du  canal  de  Loing,  eu 
un  lieu  appelé  les  Belles-Manières. 
Louis  de  Rëgemortes  ,  frère  cadet  de 
Noël  ,  avait  donné,  dès  1750 >  dans 
ses  fonctions  d'ingénieur,  des  preu. 
ves  de  mérite  telles,  qu'il  fut  jugé  ca- 
pable de  projeter  et  d'exécuter  un 
monument  hydraulique,  auquel ildoit 
une  célébiité  bieu  justement  méri- 
tée, le  pont  de  Moulins  sur  l'Allier. 
Les  grandes  difficultés  de  la  cons- 
truction de  ce  pont  portaient  princi- 
palement sur  la  manièi'c  de  le  fonder; 
et  voici  à  quoi  tenaient  ces  difficultés. 
L'Allier  est  une  rivière  torrentueu- 
se, dont  les  eaux  parcourent  un  sol 
très-suscoptible  d'érosion,  et  coulent 
sur  une  couche  très  éfiaisse,  d'allu- 
vion,  composée  de  sable  extrêmement 
mobile  :  la  largeur  de  cette  couche 
est  beaucoup  plus  considérable  que 
celle  du  lit,  vu  les  fréquents  cliange- 
ments  de  la  direction  des  eaux  dans 
la  valléequi  constitue  le  fond  de  leur 
bassin.  Rëgemortes  trouva ,  dans 
une  de  ses  fouilles,  une  grande  quan- 
tité de  gros  bois  courbés  hori/.onta 
Icment,  parai v^ant  appartenir  à  un 
i5.. 


aaS 


REG 


ancien  chantier,  et  qui  étaient  ense- 
velis sous  les  alluvions   (3)  :  il  vou- 
lut connaître  exactement  quelle  était 
l'o'paisseur  de  la  couche  qu'elles  for- 
ment, et  il  fit  son  expérience  parla 
méthode  employée  pour  creuser  les 
puits  artésiens  ,  qu'on  dislingue  aus- 
si par  le  nom  de  fojitaines  forées  ; 
cette  épaisseur  a  été  reconnue  de  i5 
mètres  y, o  (4?  P'f^tls  ),   et  les  ma- 
tières aréneuses  ,  ainsi  traversées  , 
étaient  sensiblement  homogènes.  Il 
est  à  remarquer  qu'un  pieu  de  mé- 
diocre grosseur,  battu  dans  le  lit  de  la 
rivière,  avec  des  moyens  tellement 
puissants  que  ,  faute  de  force  suffi- 
sante pour  le  retirer,  on  avait  été 
obligé  de  le  récéper  pour  qu'il  ne 
formât  pas  un  écueil ,  n'avait  pu  pé- 
nétrer dans  le  sable  que  d'environ 
5    mètres  (  i5  pieds  ).  Il  est  mani- 
feste qu'une  construction  quelconque 
établie  sur  une  pareille  base ,  sans 
les  précautions  convenables,  se  trou- 
vait exposée,  ou,  pour  parler  plus 
exactement,  destinée,  à  une  prompte 
ruine.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner 
si  plusieurs  ponts  construits  à  Mou- 
lins avant  celui  de  Régemortes,  n'ont 
eu  qu'une  duréeépliémère.  Ou  cite  un 
pont  de  bois  renversé  en  1676  ;  un 
pont  de  pierre  bâti  en  i685  ,  et  dé- 
truit en  1689  ,  sous  les  ruines  du- 
quel on  a  découvert  les  vestiges  d'un 
pont  de  pierre  plusancien  que  lepont 
de  bois  ;  ces  travaux  avaient  peut- 
être  été  confiés  à    des  constructeurs 
peu  éclairés  ;  mais  ce  qui  est  bien 
plus  concluant,  pour  la  difliculté  de 
l'entreprise,  est  d'y  voir  échouerun 
homme  d'un   mérite  éininent  en  ar- 


'  :i  l.'anUiir  dp  rctaiticlc  fit,  en  178-,  unn  pa- 
riillc  r»>iicontrc  en  <'r(Mi<iaii>l  la  culeeJioi  e  du  jjui.l 
<\o  [>oi)tK  XVI  :  li>sl)ois  a\hû'nt  coiism'i:  leur  foriiu-; 
mal»  liMir  orgauiVatidii  iuUTicurc  ttait  druaturic  de 
Ip.anii'rc  (jii'on  u'y  iicouimissait  plus  do  dircrtiou 
«II-  librcu.  Une  iinfo  f|ii'il  adressa  au  Journal  de 
l'ari»,  coutii'lit  1rs  détails  de  cpUp  decouvort»-. 


REG 

chitecture  ,    le   célèbre  îlardouin 
Mansard,   La  première  pierre  d'un 
pont  qu'il  avait  été  chargé  d'établir 
à  Moulins  ,  fut  posée  le  3  septembre 
1705.-  toutes  les  parties  de  ce  pont, 
situées  au-dessus  des  eaux  ,   étaient 
d'une  exactitude  d'appareil,  d'une 
pureté  de    formes  sans  exemple  à 
cette  époque:  le  8  novembre  1710  , 
les  arches  étaient   entièrement  fer- 
mées ;  et  quoiqu'elles  fussent  encore 
soutenues  par  les  cintres,  une  crue 
occasionna  la  chute  de  la  plus  gran. 
de  partie  du  pont,  et  mit  le  gouver- 
nement dans  la  nécessité  d'en  cons- 
truireunautrc.  Louis  deRégemortes, 
éclairé  par  des  exemples  aussi  frap- 
pants, se  prépara,  et  par  une  médita- 
tion profoiideet  par  des  observations 
soignées,  à  la  solution  du  problème 
difficile  qu'il  avait  à  résoudre.  Ayant 
reconnu,  1°.  que  le  sable  sur  lequel 
il   devait  s'établir  était   homogène 
sur  toute  la  profondeur  qu'il   avait 
explorée  par  la  sonde;  -2°.  qu'im  vo- 
lume déterminé  de  ce  sable,  renfer- 
méde manière  à  ne  pouvoir  s'échap- 
per, ne  diminuait  pas  sensiblement 
sous  une  grande  compression  ;  il  ré- 
solut de   profiler  de  celte  dernière 
propriété  pour  donner  delà  stabilité 
à  son  monument.  En  conséquence, 
il  couvrit  la  surface  entière  sur  la- 
quelle le  pont  devait  être  élevé,  par 
un  large  et  épais  radier  général  en 
maçonnerie  (  qu'on  peut  comparer 
à  un  mur  couclié  horizontalement  ) , 
dout  la  largeur  excédait  considéra- 
blement celle  du  pont: et,  sous  toute 
la  longueur  ducpiel  il  fit  battre  cinq 
rangs  de  palplanches  (  esjièces  de 
grosses  cloisons  ),  savoir  deux  rangs 
au-.lessus    et    trois  au-dessous    du 
p'jnt:  de  plus  il  donna  à  l'eau,  sous 
ses  arches,  une  somme  dedéboucliés 
plus  que  double  de  celle  que  fournis- 
sait le  pont  Mansard,  afin  de  dinii- 


REG 

nuer,  par  la  grandeur  de  la  section 
transversale,  la  vitesse  et  la  force 
e'rosivc  du  courant  dans  les  crues. 
Ainsi,  d'unepart,  les  procautions  pri- 
ses pour  empêcher  le  «leplacement 
du  sabh  ,  garantissaient  la  construc- 
tion contre  les  ajjoidllements  ou 
excavations  inférieures  ;  d'une  autre 
part,  l'inconipressibilité  de  ce  sable, 
ainsi  retenu  ,  rassurait  contre  la 
crainte  des  tassements  ou  affaisse- 
ments verticaux,  qui  ont  lieu  dans 
les  terrains  compressibles.  Le  devis 
dressé  par  Régemortes ,  porte  la  date 
du  26  novembre  1752:  les  travaux, 
commencés  l'année  suivante,  oiat 
été  terminés  en  1763.  Le  pont  est 
composé  de  treize  arches  ,  de  forme 
ovale  ,  dont  chacune  a  19  mètres  et 
y'i  (  10  toises)  d'ouverture;  sa  lar- 
geur totale  ,  d'une  tête  à  l'autre  ,  est 
i3  mètres  Vio  (  7  toises  ).  Louis  de 
Régemortes  publia,  en  1771,  un 
ouvrage  très-intéressant  (4) ,  conte- 
nant tous  les  détails  du  projet  et  de 
la  construction  de  son  pont  :  la  des- 
cription qu'il  y  donne  des  procédés 
et  des  machines  qu'il  y  a  employés  , 
et  dont  une  partie  a  été  perfection- 
née par  lui ,  a  fourni  d'utiles  leçons 
aux  ingénieurs  qui  ont  construit  de 
grands  ponts  depuis  1760.  11  n'a 
Survécu  que  quatre  ou  cinq  ans  à  la 
publication  de  cet  ouvragc:àsa  mort, 
il  était ,  depuis  plusieurs  années  , 
premier  ingénieur  des  turcies  et  le- 
vées. P NY. 

RECiGIO  (  François  )  ,  célèbre 
astronome  ,  naquit  en  174^,  à  Gènes, 
d'une  famille  pa'ricienne.  Il  em- 
brassa la  règle  de  saint  Ignace  à  l'âge 
de  quinze  ans,  et,  après  avoir  terminé 
ses  études  ,  fut  chargé  d'enseigner  la 
théologie  au  collège  de  sa  ville  na- 


(^/{)  Dcsi:ri/>tioii  rlu  nouveau  pnnl  de  pierre  cons- 
Ifiill  sur  In  rit'iérc  (l'Allier,  à  jl/ou^ms  ,  île.  ,1771 , 
lii-ful.  avec  jO  |)I. 


REG  229 

taie.  Après  la  suppression  des  Jé- 
suites ,  il  s'adonna  tout  entier  à  l'é- 
tude des  mathématiques  et  de  l'astro- 
nomie ,  dont  il  n'avait  fait  jusqu'alors 
qu'un  délassement ,  et  ses  progrès  y 
furent  rapides.  11  devint  le  com- 
pagnon des  travaux  de  Oriani  et 
de  Cesaris  ,  employés  à  Milan  ,  à 
l'observatoire  de  Brera.  E'i  1776, 
il  détermina  la  latitude  et  la  longi- 
tude de  Pavie  et  de  Crémone ,  et  éta- 
Idit  en  même  temps  la  différence  du 
méridien  de  ces  deux  villes  ,  avec  ce- 
lui de  la  capitale  de  la  Lombardie.  Il 
leva  ,  de  concert  avec  ses  deux  col- 
laborateurs, la  carte  des  triangles  de 
la  Haute-Italie,  terminée  eu  1794  , 
et  que  les  astronomes  italiens  se  pro- 
posaient de  joindre  à  ceux  du  Pié- 
mont et  de  la  France  (  F.  la  Bibliogr. 
astronomiq.  de  Lalande  ,  p.  G3t)  ). 
D'autres  travaux,  d'autres  observa- 
tions l'occupèrent  le  reste  de  sa  vie. 
Il  mourut  à  Milan,  le  10  octobre 
1804.  Le  P.  Reggio  était  membre 
des  académies  de  Turin  ,  de  Man- 
touc,  et  d'un  grand  nombre  de  so^ 
ciété  littéraires.  On  a  de  lui  une 
foule  de  Mémuires  et  d' Observa- 
tions ,  insérés  dans  les  Efemeride 
astronomiche  ,  de  M.  de  Cesaris  ,  de- 
puis l'année  1775,  et  dont  on  trouve 
les  titres  dans  le  Supplément  du  P. 
Caballero  à  la  Bibl.  Soc.  Jesu  ,11*^. 
part. ,  p.  85  et  86  :  on  se  contentera 
de  citer  les  Mémoires  sur  V Anneau 
de  Saturne  ,  1775  ;  —  sur  les  Dia- 
mètre^ du  soleil  et  de  la  lune,  1 776; 
—  sur  les  Instruments  de  f  Observa- 
toire de  Milan  ,  1  782  ;  —  sur  l' O- 
bliquité  de  VécUptique  ,  et  la  hau- 
teur mojenne  du  thermomètre  et  du 
baromètre  à  Milan,  1785  ;  — des 
Observations  sur  les  planètes  de 
Piazzi  et  d' Olbers ,  1802,  etc. 
RÉGILLIEN  (  Q.  IS^omus  Re- 

GILLIANUS    OU    ReGALIANVS    Au- 


23o  REG 

GUSTus),  l'un  des  tyrans  éphémères 
<jui  troublèrent  l'empire  sous  Gai- 
lien  ,  e'tait  originaire  de  la  Dace  ,  et 
parent,  à  ce  qu'on  croit,  de  Dëce- 
Lale  ,  dont  il  avait  licritë  la  valeur  et 
les  autres  qualite's  (  F.  Décebale  , 
X  ,  6.i8  ).  Revêtu  par  Vale'rien  des 
premiers  emplois  mililaires ,  il  si- 
5^ua!a  SOS  talents  dans  la  guerre  con- 
tre les  Sarmates  ,  qu'il  vainquit  et 
repoussa   plusieurs   fois.  TreLellius 
Polliou  nous  a  conserve  la  lettre  que 
Claude  (  depuis  empereur  )   écrivit 
à  Rëgillien  ,  pour  le  féliciter  de  la 
«iouble  victoire  qu'il  avait  «emportée 
sur  les  baibares  piès  de  Sf  upi  (  Sco- 
pia  ou  Uicopia  ,  dans  la  Bulgarie  )  ; 
il  la  termine  ainsi  :  «  Envoyez-moi, 
ilégillien,  des  armes  de  Sarmates  , 
et  dcuxsayes  avec  les  agraOes  ,  puis- 
que je  vous  en  ai  envoyé  des  nôtres.  » 
(  Voy,   Histor.  ^-Juguit.  sciiptor.  ) 
Régillien  commandait  les  légions  sta- 
lionnécs  dans  l'IUyrie  ,  iorsqu'Inge- 
nuus  (  Foj^.  ce  nom  )  prit  la  pour- 
pre, vers  la  fin  de  !'an  260.  Après  un 
règne  de  quelques  jours,  celui  ci  per- 
dit le  trône  et  la  vie  ;  et  les  habitants 
lie  la  Mœsie,  redoutant  la  cruauté 
de  Gallien  (  Fo/.  ce  nom  ,  XVI  , 
364  )  j  durent  empereur   Régillien 
(  I  ) ,  au  commencement  de  l'an  id  i . 
Ce  prince  continua  de  faire  avec  suc- 
cès la  guerre  aux  Sarmates;  c'est  tout 
ce  qu'on  sait  de  son  règne,  qui  ne  fut 
pas  sans  gloire.  Pollion  prétend  que 
les  Il'yriens  ,  de   conceit   avec  les 
sol  .als  ,  le  tuèrent  dans  l'espérance 
d'oblenir  ,  à  ce  ])rix  ,   leur  pardon 
de    Gallicu  ;    ni.iis    Aurélius    Vic- 

(1  )  Sçloii  l'i.Uion  ,  c'csl  ù  un  j.'u  <lu  muls  <juf  lU- 
lîilliin  Cul  rcdivablf  tic  reirjj,ii'L-.  Un  .suir  uu'il  soii- 
iiuil  avec  f|».I(jiii-s-ijn»dc  se- olllciers ,  le  IriLuii  V;i- 
Jcriariiis  s'avisa  <lc  tlcmuiider  d'où  vouait  le  nom  de 
Bcgillieu?  —  IJe  rui  ou  de  ii!t;uer,  ii|.uudit  l'un 
d  Milrir  «MU.  Tons  IiB  convivis  saisirent  avec  <in- 
J)rf»»i-n»nt .  .IIl-  ijluslon;  et  loistiuf  R.  (;lllifn  uuiut 
Je  Icndiniain  U  la  1,1.-  d<s  Ir-gion»,  .Jlc»  le  saluîirnt 
en,|«T.ui-.  il  ist  inutile  d'»)i,nler(|iii>  cette  ane<,>lule 
»>l  diililni»  (le  toute  vi-aiseDililante. 


REG 

tor  dit  que  Régillien  trouva  la  mort 
dans  un  combat  que  Gallien  lui  livra 
au  mois  d'août  -263.  Les  médailles 
de  ce  prince  sont  excessivement  ra- 
res. Le  cabinet  du  Roi  en  possède 
quelques  -  unes  en  argent  ;  mais  il 
n'est  pas  bien  certain  qu'elles  soient 
antiques  (  Foj\  le  Traité  des  mé- 
dailles romaines  ,  par  M.  Mionnet , 
pag.  807  ).  W — s. 

REGILLO.  F.  PORDENONE. 

RÉGIWON,  abbé  de  Prum,  dans 
le  diocèse  de  Trêves  ,  lut  l^un  des 
plus  savants  hommes  du  neuviè- 
me siècle.  On  ignore  l'époque  et  le 
lieu  de  sa  naissance.  Il  embrassa  la 
règle  de  saint  BenoîtàPrum,  dans  un 
temps  où  les  sciences  y  florissaient  ; 
cl  il  fit  de  grands  et  rapides  pi  ogres 
dans  la  théologie  et  le  droit  canoni- 
que. 11  parvint  aux  premières  char- 
ges deTabbaye;  et,  en  885,  il  coupa 
les  cheveux  au  prhice  Hugues,  fils 
du  roi  Lothaire  ,  qu'on  y  avait  re- 
légué après  lui  avoir  crevé  les  yeux. 
L'abbaye  de  Prum  fut  pillée  en  89'.* 
par  les  Normands;  l'abbé  Farabert, 
qui  s'était  enfui ,  se  démit  de  sa  di- 
gnité :  Réginon  fut  élu  son  succes- 
seur. Des  intrigues  ,  dont  les  mo- 
nastères mêmes  ne  sont  pas  exempts, 
le  forcèrent  d'abdiquer  en  899  j  et 
il  alla  vivreauprèsdeRatbod, arche- 
vêque de  Trêves,  qui,  connaissant 
SCS  talents  et  sa  capacité ,  l'établit 
abbé  de  Saint-Martin.  On  croit  qu'il 
suivi  tAdalbcron,  archevêque  d'Augs- 
bourg ,  dans  un  voyage  que  ce  prélat 
fit ,  en  908  ,  à  l'abbaye  de  Saint- 
Gall.  Peu  de  temps  après,  il  se  retira 
dans  le  monastère  de  Saint-Martin  , 
à  Trêves  ,  et  il  y  mourut  en  915. 
On  a  de  Réginon  :  1.  Une  Chroiwjue, 
divisée  en  deux  livres.  Le  premier 
commence  à  la  naissance  de  J.-C.  , 
et  finit  à  l'année  ■;  18  :  le  second  con- 
tient la  suite  de  l'histoire  ,  depuis  la 


REG 


mort  de  Charles  Martel  ,  en  74.1  , 
jusqu'à  l'an  907  ;    elle  est  trcs-iu- 
tëressante  ,  surtout  pour  ce  qui  con- 
cerne l'Allemagne.  La  Chronique  de 
Réginon  a  e'te'  continuée  successive- 
ment  par  deux   écrivains,  jusqu'à 
l'année  977.  Les  auteurs  de  Vllist. 
littér.  de  la  France  en  citent  une 
e'd.  de  Strasbourg,  i5i8,  in-fol.  ; 
mais  Vogt  et  d'autres  bibliographes 
regardent  comme  la  première,  celle 
de  Maïence  ,   iSii  ,  même  format. 
Simon  Schard   publia  de  nouveau 
cette  Chronique ^  dans  un  Recueil  de 
pièces,  Francfort  ,  i5ti6;  et  Pisto- 
rius  l'a  insérée  dans  le  tome  i'^"'.  des 
Jîeruin  gennaiiicar.  .çcr//Jtor., ibid., 
i583  (  F.  PisTORius   .  Ces  différen- 
tes éditions  sont  plus  ou  moins  dé- 
fectueuses. André  Duchêuea  publié, 
dans  les    Historiœ   Nurmannovwn 
scriptor.  antiqui ,  un  long  fragment 
delà  Chronique  de  B.é<^iuon.  II,  Un 
Recueil  des  canons  des  Latins,  ran- 
gés par  ordre  de  matières.  On  rcmar- 
qiie  que  notre  auteur  est  le  premier 
qui  ait  suivi  cet  ordre  ,  et  qu'il  a 
joint  aux   décrets  des  conciles  ,  les 
sentences  des  Pères  et  les  lois  civi- 
les; de  sorte  qu'on  pourrait  donner 
à  ce  Recueil  le  titre  de  nomocanon. 
Joach.  Hildebraud  l'a  publié  sous  ce 
titre  :  De  disciplina  ecclesiasticd 
'veterurn,  prcesertiin  Germanoruni, 
libriduo,  Hclmstadt ,  iG5q  ,  in  4°-  ; 
mais  Balu'zc  enamis  au  jour  une  se- 
conde édition  qu'il  a  intitulée  ,  De 
disciplinis  ecclcsiasticis  et  religione 
Chtistiand ,  Paris,    i'^"'7',  in-8^.  , 
et  ornée  d'une  savante  Préface  ,  de 
Notes  et  de   divers  Appendices.  Le 
preiuier  livre  traite  des  devoirs  des 
ecclésiastiques  ,  et  le  second  des  obli- 
gations des  laïcs.  111.  De  harmo- 
nica institutione  MonUum.  C'est  une 
Lettre  adressée  par  Rcginon  à  l'ar- 
chcvcqiie  Ratbod,  sur  la  nécessite' 


REG  23 I 

de  réformer  le  chant  dans  sou  église, 
et  qui  servait  de  préface  à  un  opus- 
cule intitulé  :    Tonarius  sive  oclo 
toni  musicœ  ariis  cum  differentiis. 
Celte  lettre  a  été  publiée  par  Gerbert, 
dans  le  tome  1'' .  des  Scriptor.  eccle- 
siasticide  musicd{  23o-47  )  ',  va.'Às 
le  savant  éditeur  n'a  pas  \)\\  se  pro- 
curer l'opuscule  dont  elle  est  l'intro- 
duction ,  et  dont  il  existe  deux  co- 
pies ,  l'une  dans  la  bibliolhèqup  de 
Leipzig,  et  rautrc  à  Ului.  Du  Bou- 
lay  (  Hist.  univ.  Paris. ,  1  -'294  )  at- 
tribue à  Rpginon  un   Coininentaire 
succinct  sur  l'ouvrage  de  Martianus 
Capella  :  De  nuptds  philoloi^iœ  et 
Mcrcurii  ;  mais  ce  prétendu  com 
menlairc  n'est   autre    chose    qu  un 
chapitre  de  la  Lettre  qu'on  vient  de 
citer,  et  que  Du  Boulay  n'a  connue 
qu'imparfaitement.   Tritheim  parle 
des  Sermons  de  l'abbé  de  Prum  ,  et 


d'un    Pvecueil    de   ses     Lettres   qui 
n^existent  plus.  On  peut  consulter  la 
Vie  de  Réginon  dans  VHist.  littér. 
de  la  France  ,  vi ,  i5o-54.  W — s. 
REGIOMONÏANUS.  ^.Muller. 
REGIS  (St.  Jkan^François)  na- 
quit le  3i  janvier  1597  ,  de  parents 
nobles  ,  au  village  de  Foncouverte  , 
diofcse  de  Narbonne.  Dès  son  en- 
fance ,  on  remarqua  en  lui  un  attrait 
pour  la  piété,  que  fortifiait  l'exem- 
ple de  sa  famille ,  et  qui  présageait 
ce  qu'il  devint  depuis.  A  cela  se  joi- 
gnaient des  goûts  graves  et  un  éloi- 
gucment  pour  les   amusements   de 
cet   âge.  Aussitôt  que  se  développa 
sa  raison,  on  l'envoya  faire  ses  étu- 
des à  Beziers,   dans  le  collège  des 
Jésuites.   Il   s'y   distingua  par  des 
progrès    rapides,    mais    plus    en-- 
corè    par  sa  vie  exemplaire.    Cité 
pour   modèle    à  ses    condisciples, 
charmé   des   vertus    qu'il  admirait 
dans  ses  maîtres,  il  prit  pour  leur 
institut  une  eslime  singulière ,  et,  à 


232 


REG 


rage  de  dix-nenf  ans  ,  sollicita  la  fa- 
veur d'être  admis  parmi  eux.  On  juge 
hien  i\ne  les  désirs  d'un  tel  sujet  ne 
trouvèrent  aucun  obstacle  ;  il  fut  ad- 
mis au  noviciat,  à  Toulouse,  le  8 dé- 
cembre 1616,  et  y  prononça  ses  pre- 
miers vœux,  en  1618.  Il  contiiuia  ses 
études  à  Cahors  et  à  Tournon  avec 
une  égale  régularité.  En  1621,  Ré- 
gis  commença  le  cours  d'enseigne- 
ment en  usage  dans  la  Société.    Il 
professa  les  humanités  pendant  sept 
ans ,  à  Billon  ,  à  Auch  ,  et  au  Puy-en- 
Velai.    En    1628  ,    ses    supérieurs 
l'envoyèrent ,  à  Toulouse  ,  faire  son 
cours  de  théologie  :    il  s'appliqua  à 
cette  science  avec  ardeur,    sans   né- 
gliger   ses   pratiques    de   dévotion. 
On  le  surprit  se  dérobant  la  nuit, 
après  un  court  sommeil,  et  allant 
prier  dans  la    chapelle  du  collège. 
Après  avoir  donné  quatre  ans  à  l'é- 
tude de  la  théologie,  il  reçut  l'ordre 
de  se  préparer  à  i  ecevoir  la  prêtrise, 
et  s'y  disposa  par  le  jeûne,  la  retraite 
et  la  prière.   A  peine  avait-il  été  or- 
donné piètre  ,  quele  fléau  delà  peste 
se  déclara  dans  Toulouse,  et  y  exer- 
ça ses  ravages.  Régis  obtint  la  per- 
mission de  se  dévouer  au  service  des 
malades  ;  et  la    charité    qui    l'ani- 
mait ,   lui    fit    toujours    choisir  sa 
place  où  il  y  avait  le  plus  de  dan- 
ger. Il  sortit  sain  et  sauf  de  celte  pé- 
rilleuse épreuve.  C'est  vers  ce  temps 
qu'il  prononça  ses  deiniers  vœux  , 
et  qu'il  se  voua  au  ministère  de  la 
chaire.    Montpellier  fut  le  premier 
théâtre  de  ses  prédications  ,  que  sui- 
vait un  auditoire  nombreux,  com- 
posé de  personncsdc  toutes  les  condi- 
tions. Un  incident  vint  les  interrom- 
pre. Des  aiïaires  de  famille  exigeaient 
sa  présence  à  Foncouverte.   Il  s'y 
rendit;  et  son  premier  soin,  en  ar- 
rivant dans   sa    patrie,  fut  d'aller 
visiter  les  malades  ,  et  de  leur  por- 


REG 

ter  des  consolations.  Le  matin  il  ca- 
téchisait lesenfauls.  11  prêchaitdeux 
fois  par  jour  poui-  le  peuple.  Il  re- 
cueillait les  aumônes  des  riches,  et 
allait  les  distribuer  aux   indigents. 
Son  séjour  à  Foncouverte  fut  une 
véritable  mission.  Il  se  sentait  porté 
h  cette  œuvre  ,  et  demanda  de  s'y 
livrer    tout   entier.    Il  débuta   par 
Sommières,  petite  ville  du  Bas-Lan- 
guedoc ,  alors  peuplée  ,  en  grande 
partie ,  par  des    Calvinistes.    Il   y 
régnait  une   extrême  ignorance   de 
toute    religion,    et  par  conséquent 
beaucoup  de  vices.  Régis  parvint  à 
dissiper  l'une ,  et  à  corriger  les  au- 
tres. En  i633,  l'évêque  de  Viviers, 
l'appela  dans  son  diocèse  ,  centre  du 
calvinisme,  11  y  produisit  d'admira- 
bles fruits.  ]\Iais  l'ardeur  de  sa  cha- 
rité le  f  lisait  aspirer  à  de  plus  péni- 
bles travaux.  Il  écrivit  au  général 
de  la  Société  ,  pour  être  employé 
aux  missions  chez  les  Hurous  et  les 
Iroquois.  Quoique  la  permission  lui 
en  fût   d'abord  accordée,  le  supé- 
rieur-général  jugeant  ses  soins  né- 
cessaires pour  la  conversion  des  cal- 
vinistes ,  finit  parle  retenir  dans  le 
pays  oîi  il  avait  fait  tant  de  bien ,  et 
où  il  en  restait  encore  beaucoup  à 
faire.  Alors  le  Vêlai  devint  le  prin- 
cipal objet  de  son  zèle  apostolique. 
I^cndant  l'été,  il  prêchait  dans  les  vil- 
les. Lorsque  les  travaux  des  champs 
avaient  cessé,  il  allait  annoncer  la 
parole  sainte  dans  les  campagnes. 
Ni  les  mauvais  chemins  ni  la  rigueur 
de  la  saison  ne  l'arrêtaient  dans  ses 
courses  pédestres,  à  travers  les  bois, 
les  montagnes  et  les  torrents.  Dans 
une  de  ces  ex/jéditions  il  se  cassa  la 
jambe.   Cet  accident  ne   l'empêcha 
point  de  se  faire  transporter  à  l'é- 
glise pour  y  prêcher  et  cojifesser. 
Rien  n'égalait  l'austérité  de  sa  vie. 
Il  ne  donnait  chaque  nuit  que  trois 


REG 

heures  au  sommeil  ,  et  souvent 
qu'une  seule;  le  reste  e'tait  employé 
à  la  prière.  Une  simple  planclie  ,  ou 
la  terre  nue,  lui  servait  de  lit.  Il  s'é- 
tait interdit  l'usage  de  la  viande,  du 
poisson ,  des  œufs  cl  du  vin.  Sa  nour- 
riture consistait  en  des  le'giimcs  cuits 
à  l'eau,  sans  assaisonnement.  Il  por- 
tait un  rude  ciliée.  I/onction  de  son 
éloquence,  tantôt  douce,  tantôt  vé- 
hémente ,  était  toujours  entraînante, 
et  accompagnée  de  larmes.  Une  pa- 
tience imperturbable,  une  douceur 
angélique,  désarmaient  ceux  qui  l'in- 
sultaient, et  firent  plusieurs  fois  tom- 
ber à  ses  pieds  des  malveillants  qui 
en  voulaient  à  sa  vie.  Tel  était  Ré- 
gis ;  il  avait  passé  quatre  ans  à 
evangéliser  le  Vêlai.  Il  venait  de 
terminer  ses  travaux  d'été  par  la  pe- 
tite ville  de  Monîfaucun,  et  il  avait 
annoncé  pour  la  Loiivesc  une  mis- 
sion aux  derniers  jours  de  l'avent  de 
i64o.  Il  partit  du  Piiy,  le  11  dé- 
cembre, pour  s'y  rendre,  et  après 
une  marche  pénible  ,  harassé  de 
fatigues  ,  et  saisi  par  le  froid  et  la 
fièvre ,  il  arriAM  enfin  à  la  Loiivesc  , 
la  veille  de  Noël.  Il  se  rendit  aussitôt 
au  confessionnal ,  et  n'en  prêcha  pas 
moins  trois  fois  le  jour  de  la  fcte,  et 
autant  de  fois  le  lendemain.  T.^nt 
d'efforts  épuisèrent  ses  forces.  Son 
état  empira  ;  et  an  milieu  de  dou- 
leurs aiguës  qui  ne  lui  arrachèrent 
pas  une  plainte,  il  expira  doucement, 
le  3 1  décembre  vers  minuit.  On  assu- 
re  que  des  miracles  se  fii-ent  à  son 
tombeau  ;  et  vingt-deux  évéi|nes  du 
Languedoc    l'attestèrent  à  Clément 

XI ,  qui  le  béatilia  en  i  -j  16.  Clément 

XII ,  après  des  i'nformations  juridi- 
ques, d'où  il  résulta  que  Régis  avait 
pratiqué  les  vertus  chrétiennes  dans 
un  dcgrëhéroiq  ne,  sur  les  instaures  du 
roi  de  France  Louis  XV,  de  Philip- 
pe V,  roi  d'Espagne,  et  du  clergé 


REG  233 

de  France  ,  assemblé  à  Paris ,  en 
1735,  le  mit  en  1737  au  rang  des 
saints.  Sa  fête  se  célèbre  le  iGde 
juin  (  F.  G.  Daubenton  ).     L — y. 

REGIS      PlEltRL  SlLVAlN  )  ,  ]ihi- 

losophe  cartésien  ,  naquit  en  i(332  , 
à  la  Salvctat  de  Blanquefort ,  dans  le 
comté  d'Agenois.  Cadet  d'une  famil- 
le nombreuse,  et  destiné  par  ses  pa- 
rents à  l'état  ecclésiastique  ,  après 
avoir  achevé  ses  cours  avec  éclat  au 
collège  de  Cahors  ,  il  étudia  la  théo- 
logie à  l'université  de  cette  ville  ,  et 
s'y  rendit  assez  habile  pour  que  ses 
maîtres  le  sollicitassent  de  recevoir 
le  bonnet  de  docteur  ;  mais  il  ne  s'en 
jugea  pas  digne  ,  et  vint,  à  Paris  , 
étudier  en  Sorbonne.  Son  professeur, 
d'ailleurs  homme  de  mérite,  le  re- 
buta par  ses  longueurs  ;  et  ayant  eu 
l'occasion  d'entendre  Rohault  (  F. 
ce  nom  ) ,  il  prit  du  goût  pour  la 
philosophie  de  Descartes  ,  dont  il 
devint  bientôt  un  zélé  partisan.  Il 
quitta  Paris  ,  dit  Fontenelle  ,  avec 
une  espèce  de  mission  de  son  maî- 
tre ,  et  se  rendit,  en  i665,  à  Tou- 
louse pour  y  propager  les  principes 
de  la  nouvelle  philosophie.  Il  s'ac- 
quitta si  bien  de  cet  emploi ,  que  le 
magistrat  de  Toulouse  lui  fit  une 
pension  pour  le  retenir  en  cette 
ville;  événement ,  dit  encore  Fonte- 
nelle ,  presque  incroyable  dans  nos 
mœurs  ,  et  qui  semble  appartenir  à 
l'ancienne  Grèce.  Cependant  Régis  , 
qui  s'était  lié  ,  dans  le  même  temps, 
avec  le  marquis  de  Vardes  ,  exilé  en 
Languedoc,  obtint,  non  sans  peine, 
la  permission  de  le  suivre  dans  sou 
gouveinemenl  d'Aiguës  -  Mortes  , 
j(uis  à  Montpellier,  où  il  eut  les  mê- 
mes succès  qu'à  Toulouse.  Il  revint 
à  Paris  ,  en  1680  ,  et  y  fit  des  confé- 
rences chez  Lemery;  mais  son  ap- 
partement ,  quoique  spacieux  ,  ne 
l'était  pas  assez  pour  contenir  les 


234 


REG 


auditeurs  qui  se  portaient  à  des  le- 
çons dont  la  nouveauté  formait   le 
moindre  agrément.  Ce  succès  était 
trop  éclatant  :  Tecole  de  Régis  fut 
fermée  par  l'ordre  de  l'archevêque 
de  Paris  (  Harlay  )  ,  qui  restait  alta- 
clié  à  l'ancieuuc  philosophie.  Il  vou- 
lut profiter  de  ce  loisir  pour  faire 
imprimer  son  cours  ;  mais  il  ne  lui 
fallut  pas  moins  de  dis  ans  pour  sur- 
monter toutes    les  oppositions  que 
rencontra  celte  entreprise.  Des  ré- 
ponses aux  adversaires  du  cartésia- 
nisme ,  et  des  discussions  avec  ftla- 
lebranche  ,    dans  lesquelles    Régis 
n'eut  pas  le  bonheur  de  soutenir  la 
vérité  qu'il  aimait  tant,  l'occupèreni* 
long-temps  etusèrent  sa  santé.  Ses  in- 
firmités finiient  par  ne  plus  lui  per- 
mettre aucun  travail.  Nommé  mem- 
bre de  l'académie  des  sciences,  lors 
deson  renouvellement,  il  ne  put  assis- 
ter àses  séances.  Il  mourut  le  1 1  j^nv. 
i'jo7,dans  l'hôtel  du  duc  de  Rohau, 
gendre  du  marquis  de  Vardes  ,  le 
plus  constant  de  ses  protecteurs.  Ou- 
tre des  Réponses  aux  objections  de 
Huet  et  de  Duhamel  contre  le  carté- 
sianisme (  Paris,    1691  ,  1692,  2 
vol.  in-i'2  ) ,  et  des  Lettres  à  Male- 
branchc  ,  sur  la  grandeur  apparente 
du  soleil  et  de  la  lune  à  l'horizon  ; 
—  sur  la  manière  dont  nous  voyons 
les  objets;  —  et  enfin  sur  les  plai- 
sirs des  sens,  insérées  dans  le  Jour- 
nal des  savants ,  et  réunies  en  1 6g4 , 
in-/|".  ,  on  a  de  Régis  :  I.  Système 
de  philosophie^  contenant  la  logi(|iic, 
la  métaphysique  ,  la  physique  et  la 
morale,  Paris  ,  1690,  3  vol.  in-4".  ; 
réimprimé  l'année  suivante,  à  Ams- 
terdam ,  précédé  d'un  Discours  de 
P.  Goste  sur  la  philosophie  ancienne 
et  moderne.  H.  ïj'Usaf^e  de  la  rai- 
son et  de  la  foi ,  ou  V accord  de  la 
foi  et  de  la  raison ,  ibid. ,  1 70^  ,  in- 
4**.  ,  tiré  principalement  des  luanu- 


REG 

scrits  de  dora  Desgabets  )  Fojyi.  ce 
nom),  m.  Discursus  philosophicus 
in  fjuo  historia  philosophice  antiquœ 
et  recentioris  recenselur ,  1705  ,  in- 
\'i  :  livre  inconnu  à  INiceron,   mais 
qui  existe  dans  la  liibliothèque  du 
Roi.  L'auteur  a  joint  à  cet  ouvrage 
nn  Traité  de  V amour  de  Dieu,  ma- 
tière q'.ii  venait  d'être  agitée  par  des 
hommes  supérieurs  ;  et  la  Réfuta- 
tion du  système  de  Spinosa  (  f^.  ce 
nom  ),  Les  écrits  de  Régis  sont  tom- 
bés avec  le  cartésianisme.    F.  VE- 
loge  de  ce  philosophe  par  Fonte- 
nelle ,  et  l'article  que  Niceron  lui  a 
consacré  dans  le  tome  vi  de  ses  Mé- 
moires. —  Pierre  Régis  ,  médecin ,  né 
à  Montpellier  en  i(i56,  pratiqua  son 
art  dans  sa  ville  natale  ,  jusqu'à  la 
révocation  de  l'éJit  de  Nantes.    Il 
choisit  alors  Amsterdam  pour  sa  ré- 
sidence ,  et  y  mourut ,  le  3o  décem- 
bre 1720.  Outre  les  Opéra  posthuma, 
de  Malpighi  dont  il  fut  éditeur,  en 
1697  (  f^.  Malpighi, XXVI,  4  '^  ), 
on  a  de  lui  une  Lettre  sur  la  pro- 
portion de  la  condensation  de  l'air, 
une  observation  anatomk[nc  sur  dc\i\. 
])etits  chiens  nés  avec  le  cœur  situe* 
hors  de  la  capacité  de  la  poitrine  ,  et 
quelques  autres  opuscules.  P^ojy.  Ni- 
ceron ,  Mém.  t.  VII ,  p.  8.     W — s. 

RÉGIS  (  Jean  Baptiste  ) ,  jésuite 
français,  missionnaire  à  la  Chine, 
et  habile  géographe,  doit  être  comj>- 
lé  parmi  les  savants  religieux  qui  ont 
fait  le  plus  d'honneur  à  cette  mission 
de  la  Chine,  si  fertile  en  hommes 
distingués  dans  tous  les  genres  de 
connaissances.  L'épotpie  précise  et 
le  lieu  de  sa  naissance,  ainsi  que  les 
autres  circonstances  de  sa  vie,  nous 
sont  peu  connus;  car  ,  comme  plu- 
sieurs des  missionnaires  dont  on  a 
déjà  eu  l'occasion  de  rechercher  et 
d'écrire  la  vie,  et  dont  la  modestie 
égalait  les  talents ,  il  ne  semble  s'être 


REG 

occupé  que  d'ctre  utile,  s'embarras- 
sant  peu  d'être  connu;  et  tout  ce  qu'on 
sait  de  lui,  se  borne  à  ce  qu'il  a  fait 
de  glorieux  pour  les  sciences  et  d'ho- 
norable pour  son  p.iys.  l.c  P.  Régis 
çomnieuça  de  se  livrer  à  ses  travaux 
gëograpbiqnes,  en  i  708  ,  époque  oà 
l'empereur  Kliang-Ili  conçut  l'idée 
de  faire  dresser  la  carte  générale  de 
ses  étals ,  et  chargea  de  ce  travail  les 
missionnaires  européens,  dont  ii  a- 
vait  reconnu  l'habileté.  Ce  fut  par  la 
«rande  muraille  et  les  iJays  situés  aux 
environs  que  les  jésuites  debutcicnt 
dans  cet  immense  ouvrage.  Les  PP. 
Bouvet  (  Foy.  ce  nom) ,  Régis  et  Jar- 
toux  (i) , entreprirent  d'en  détermi- 
ner la  sitution  exacte; et  le  P.  Bouvet 
étant  tombé  malade  après  deux  mois 
de  travail,  les  PP.  Régis  et  Jartoux 
continuèrent  leur  opération,  qui  les 
retint  pendant  toute  l'année  1708. 
Ils  revinrent  à  Peking,  au  mois  de 
janvier  1709.  La  carte  qu'ils  rappor- 
tèrent avait  plus  de  quinze  pieds,  et 
elle  fut  fort  bien  reçue  de  l'empereur , 
qui  voulut  en  avoir  de  semblables  de 
toutes  les  provinces  de  son  empire. 
Dès  le  mois  de  mai  suivant,  le  P.  Ré- 
élis ,  av€C  les  PP.  Jartoux  et  Fridelli, 
allèrent  lever  la  carte  du  pays  des 
Mandchous  ,  puis  celle  du  Pc-tchi- 
li ,  ou  de  la  province  de  Peking ,   et 
celle  du  pays  qui  est  aux  environs 
du  fleuve  Noir.  Ce  travail  les  occupa 
pendant  l'année  1710.  En  171  i  ,  le 
P.Régis,  accompagné  du  P.  Cardo- 


(i)  Le  père  Pierre  JartoUX  ,  mort  ù  la  Chine, 
îe  3o  uovembre  179,0,  âge  de  ciiK|uaute  atis,  ctaprès 
vingt  années  de  travaux  apostolique,  est  principale- 
ment connu  pyr  une  Lelln^  sur  le  Giu-scug  (  nu  Jin- 
cltcn  des  Oiinois  ),  insérée  dans  le  joo.  rec-ueil  des 
f^ettres  étlijitintcs,  iVvsi  la  meilleure  description  que 
l'on  cul  jusqu'aloi.s  eu  liurope,  de  cette  piaule  (  f^ . 
LafiTAU,  XXIIl ,  iïo,not.  1  ).  On  a  encore  de  lui 
une  Lettre  sur  l'élut  de  la  religion  à  lu  Chine .  où 
il  décrit  Teglise  bâtie  par  les  Jesuiles,  dans  le  palais 
inêiue  de  l'euipereur(  Lett.idf.,  tom.XI,  He.lett.), 
et  des  ObsctvHtiitns  astrorwntif/ites  ,  dans  le  recueil 
du  P.  Suuriit.  Voy.  la  prcfnrc  du  t'^me  XV  dviLell. 
*il[f'  ,  publie  in  i-7.a. 


REG 


235 


so,  fut  chargé  de  la  carte  du  Chan- 
toung.  Plus  tard,  il  fut  assisté  des 
PP.  de  Maillac  (  Foj.   Maillac  ) 
et  Henderer  ,  pour   celles   du  Ho- 
uan,  de  Nanking  ,  du  Tche-kiang 
et  du  Fou-kian;  et  après   la  mort 
du  P.  Bonjour,  survenue  en  1715 
(  F.  Bonjour  ),  il  fut  encore  en- 
voyé dans  le  Yun-nan  ,  et  en  ache- 
va la  carte.  Quand  elle  fut  finie  ,  il 
se  rejoignit  au  P.  Fridelli,  et  ils  dres- 
sèrent ensemble  les  cartes  des  pro- 
vinces de  Kouéï-tcheou,  et  celle  de 
Hou  kouang,  correspondant  au  Hou- 
pe  et  au  Hounan  de  la  dynastie  ac* 
tuelle.  Le  P.  Régis  a  donné,  sur  la 
manière  dont  fut  conduite  cette  belle 
et  importante  opération  ,  des  détails 
que  nous  a  conservés  Duhalde  (-2).  Il 
en  exécuta  lui-même  la  plus  grande 
partie;    et  quand  on    songe  qu'une 
entreprise  géographique,  plus  vaste 
qu'aucune  de  celles  qu'on  a  jamais 
tentées  en  Europe  ,  fut  achevée  par 
quelques  religieux  en  huit  années , 
on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer  cet 
effet  d'un  zèle  qui  n'était  pas  unique- 
ment celui  de  la  science,  quoiqu'il 
en  servît  si  bien  les  intcièts.  Le  tra- 
vail si  vaste  auquel  se  livra  le  P. 
Régis,  les   voyaget,  qr.'il  lui  fallut 
faire,    n'absorbèrent  pas  tout    son 
temps.  Il  lui  eu  resta  pour  recueillir 
une   foule  d'observations  curieuses 
sur  les  pays  qu'il  avait  visités  ,  ou 
dont  il   avait  eu  connaissance  ,    et 
ses  Mémoires   ont  été  fort  utiles  au 
P.  Duhalde.  Celui-ci , semblable  sur 
ce   point  à  beaucoup   de  compila- 
teurs, a  trop  souvent  négligé  d'in- 
diquer   les    auteurs   des    matériaux 
qu'il  avait  recueillis,  comme  si  son 

(»)  Dans  la  pn  race  do  sa  nescription  de  la  CUine  , 
on  y  voit  que  les  Jésuites  trouvèreut  une  inegabte 
sensible  dans  la  longueur  du  degré  du  méridien  du 
4ie.  au  47«.  parallèle,  mais  ils  ne  purent  la  reron- 
naitrc  avic  assc7.  de  précision,  leur  instrnmiMit 
n'avaut  que  deux  pieds  de  l'ayou. 


236 


REG 


nom  pouvait  tenir  lieu  delà  garantie 
qu'eussent  offerte  les  noms  des  écri- 
vains originaux.  Jl  s'est  toutefois  dé- 
parti de  cette  mauvaise  habitude  à 
l'occasion  de  deu^  fragments  de  Ré- 
gis, l'un  sur  la  Corée,  l'autre  sur  le 
Tibet;  tous  deux  insérés  dans  le 
quatrième  volume  delà  Description 
de  la  Chine.  Le  preuiier  renferme 
tout  ce  qu'on  sait  jusqu'ici  de  plus 
positif  sur  les  mœurs  des  Coréens; 
l'autre  fournit  de  curieux  détails  sur 
les  divisions  hiérarchiques  des  La- 
mas. Régis  avait  acquis  une  connais- 
sance aprofondic  de  la  langue  chi- 
noise ;  et  il  s'en  servit  pour  rédiger 
une  traduction  latine  du  I-King ,  le 
plus  ancien,  le  plus  authentique, 
mais  aussi  le  plus  obscur  et  le  plus 
diflicile  à  entendre  de  tous  les  livres 
classiques  des  Chinois.  Il  joignit  à 
sa  traduction  d'amples  eVlaircisse- 
mens,  et  des  notes,  dont  plusieurs 
sont  de  véritables  dissertations  ,  sur 
le  sens  de  passages  relatifs  à  la  religion 
et  aux  antiquités.  Un  rnauu>crit  de 
ce  précieux  ouvrage  est  conserve  à 
la  bibliothèque  du  Roi.  Une  antre 
copie  que  l'auteur  avait  envoyée  à 
Fiéret,  a  passé  à  la  bibliothèque  du 
Bureau  des  longitudes;  mais  elle  est 
malheureusement  devenue  incora- 
j)lète,  la  deuxième  des  trois  parties 
dont  l'ouvrage  est  composé  en  ayant 
été  distraite.  La  même  bibliothèque 
du  Bureau  des  longitudes  possède 
encore  d'autres  manuscrits  du  même 
auteur.  Le  P.  Régis  vivait  encore  en 
Ï7'i4  ;  car  il  prit  part  aux  discus- 
sions que  les  missionnaires  eurent 
à  soutenir  devant  l'empereur  Young- 
tchii.g,  lors  de  la  proscription  du 
christianisme  à  la  Chine.  A.  R— t. 
RhClS  (  Josi-rn-CuARLLs  de  )  , 
jésuite  ,  et  neveu  du  précédent,  na- 
quit à  Jstres,  le  iti  mars  1718. 
l'M  1706  ,  il  alla  régenter  les  basses 


REG 

classes  au  collège  de  Dole  ,  enseigna 
ensuite  la  rhétorique  à  Marseille  ,  et 
occupa  cette  chiire  jusqu'à  l'extinc- 
tion de  la  Société.  Retiré  depuis  dans 
sa  ville  natale,  avec  un  de  ses  frères , 
ex-jésuite  comme  lui ,  \\  y  mourut  le 
l'i  mars  «777.  Achird  (  Dict.de  la 
Provence  ) ,  cite  du  P.  Régis  quelqi)es 
pièces  de  théâtre  à  l'usage  des  col- 
lèges (  le  Lazare ,  Fenance  ,  Her- 
cule ,  le  Testament  de  V Avare ^  les 
Fêles  marseillaises,  etc.); il  promet- 
tait la  description  d'une  excavation 
singulière  que  le  P.  Régis  avait  fait 
faire  dans  une  colline  ,  et  qui  prou- 
ve, dit  il,  le  goût  de  ce  religieux  pour 
l'histoire  naturelle.         C.  M.  P, 

REGIUS  (Louis).   F.  Leroy. 

REGNARD(  Jean -François), 
poète  comique,  naquit  à  Paris,  le  8 
février  i655,  d'un  marchand,  bour- 
geois de  Paris  ,  demeurant  sous  les 
Piliers  des  Halles.  Il  perdit  son  père 
après  avoir  achevé  ses  exercices  aca- 
démiques ;  et  le  premier  usage  qu'il 
fit  de  sa  liberté  fut  d'aller  en  Italie. 
Ce  voyage  doit  dater  de  1676  ou 
1677;  d  fut  très  -  heureux.  Re- 
gnard  joua  beaucoup,  et  gros  jeu. 
Ses  gains  furent  si  considérables  que 
les  frais  de  son  voyage  payés,  il  lui 
resta  dix  mille  écus.  II  en  avait 
eu  quarante  mille  à  la  mort  de  son 
père  ;  ce  qui  faisait  une  assez  belle 
fortune  pour  le  temps.  Retourné  en 
Italie,  en  1678,  il  s'y  passionna 
pour  une  Provençale  qu'il  avait 
rencontrée  à  Bologne  ;  cette  da- 
me ,  revenant  en  Fi  ance  avec  son 
mari  ,  décida  Régna rd  à  les  accom- 
pagner. De  Civita-Vccchia,  ils  fai- 
saient voile  pour  Toulon  ,  lorsque,  le 
4  octobre  1678,  <î  la  vue  de  ^'icc, 
leur  vaisseau  fut  attaq\u;  par  deux 
corsaires  barbaresques  ,  et  ])ris  après 
trois  hciues  de  cotrdjat.  Les  ]iiratcs 
étaient  d'Alger  :1a  prise  y  fut  cmme- 


REG 

née.  Regnard  fut  vendu  quinze  cents 
liv.  ,1a Provençale  mille  liv.  Mene's  à 
Constantinople  par  leur  nouveau  pa- 
tron ,  ils  y  subirent,  pendanl  environ 
deux  ans  ,  une  captivité  assez  rigou- 
reuse :  on  raconte,  cependant,  que 
le  talent  du  captif  pour  faire  la  cui- 
sine ,  lui  gagna  les  bonnes  grâces  de 
son  maître  ;  ce  qui  lui  valut  sa  liberté', 
et  celle  de  sa  maîtresse,  moyennant 
une  somme  de  douze  mille  francs,  que 
safamilleavaitenvoye'e. Regnard  rap- 
porta en  France  la  chaîne  qu'il  avait 
traînée  dans  son  esclavage  ,  et  la  con- 
serva toujours  dans  son  cabinet.  Il  ne 
resta  pas  long  temps  dans  sa  patrie; 
le  26  avril  1681  ,  il  partit  pour  la 
Flandre,  alla  en  Hollande,  en  Da- 
nemark, en  Suède  ,  en  Laponie.  Il 
avait  pour  compagnons  de  voyage 
deux  compatriotes  nommes  Fercourt 
et  Corberon ,  qui  avaient  voyage'  en 
Asie.  Arrivés  à  l'église  appelée  lu- 
kas-jerfvi  (i)  ,du-delà  deTornéo,  les 
voyageurs  y  laissèrent  ces  quatre 
vers  gravés  sur  un  morceau  de  bois, 
sous  la  date  du  1 8  août  1681  : 

GaHirt  nos  genuli  :  vidit  nns  Africa  :  Gangem 
Hfiusimus ,  Eurppnmqne  ocitîis  liisirav'nuis  omnem  : 
Casibiis  et  vnrii-  acli  lerrâr/iie  marir/iie , 
Hic  tandem  stetimus  nobis  ubi  defuit  orbis. 

Ils  continuèrent  leur  route,  s'embar- 
quèrent sur  le  Torneotra'sk  (lac  de 
Tornéo),  et  s'avancèrent  de  sept  ou 
huit  lieues  près  d'une  montagne 
qui  surpassait  toutes  les  autres  en 
hauteur.  Après  l'avoirgravie, disent- 
ils,  pendant  quatre  heures,  ils  se 
trouvèrent  au  sommet  d'où  ils  aper- 
çurent toute  l'étendue  de  la  Laponie, 
et  la  mer  Septentrionale.  Ils  y  biis- 
sèrent  gravés  sur  une  pierre  leurs 
quatre  vers  latins,  avec  la  date  du  -il 
août.  En  voici  la  Traduction  par 
Laharpe : 

(1)  RrgD^rd  a  écrit  Chuscades. 


REG  237 

Nés  Français,  éprouvés  par  cent  périJs  divers. 
Le  Gacgenous  a  vus  inooter  jusqu'à  ses  sources; 

L'Afrique  affronter  ses  diserts, 
L  Europe  parcourir  ses  climats  et  ses  mers  : 

Voici  le  terme  de  nos  courses, 
Et  nous  nous  anètuus  où  finit  l'univers. 

La  montagne  où  Regnard  et  ses  ca- 
marades s'arrêtèrent,  n'est  |iourtant 
que  sous  le  68*=.  degré  3o  minutes 
de  latitude  nord,  d'oîi  ils  n'ont  pu 
même  voir  le  cap  Nord  qui  est  par 
le  71'=.  degré  10  minutes.  Regnard  a 
donc  |)arlé  en  poète ,  et  non  en  géo- 
graphe, quand  il  dit  être  allé  jus- 
qu'aux extrémités  du  monde.  De  re- 
tour à  Stockholm  ,  le  27  septembre, 
les  voyageurs  en  partirent  le  3  octob. 
i68r  (2),  se  rendirent  à  Dantzig  ,  et 
quittèrent  cette  ville  le  2  ),  pour  vi- 
siter la  Pologne.  Ils  étaient  dans  ce 
pays,  le  25  novembre  (jour  de  la 
Sainte-Catherine);  et  lorsqu'ils  furent 
rendrisà  Vieime,  l'empereurét.iità  la 
diète  d'Oedeubourg  pour  les  affaires 
de  Hongrie  (/^.Tekeli).  Regnard  dit 
qu'il  entra  dans  la  capitile  de  l'Au- 
triche ,  le  vin^t  septembre.  L'empe- 
reur arriva  deux  jours  après  à  Vien- 
ne; «  et,  ajoiite-t-il,  nous  revînmes 
»  avec  lui  de  Hongrie.  »  Le  voyage 
de  Hongrie  avait  été 'le  courte  durée. 
Il  paraît  que  Regnard  ne  séjournait 
pas  long-temps  dans  ses  voyages.  II 
ne  dit  pas  en  quelle  année  il  revint 
en  France.  Si ,  comme  nous  le  pré- 


(•>)  Toutes  les  éilitlons  de  Regnird  ,  p  liliées  jiis- 
(pi'à  ce  jour  portent  it)S3  jionr  d.^le  de  >otï  depî.rt 
de  Stockholm;  mais  ce  ne  peut  être  qu' mie  faute t 
car,  1".  Regnard  ne  dcnicura  pas  di  ux  ans  :'i  Stoc- 
kholm ;  ti^-  une  ou  deux  pages  plus  loin ,  il  dit  (|u'il 
V  eut  tiois  ans  le  'e-idemain  qu'il  avait  été  pris  jïar 
les  corsaii'es  .  ce  qui,  si  l'on  adopta  t  \G^'i  ,  pour  -lé- 
part  de  Sui'de  ,p  nierait  sa  ciptnre  à  1(180.  Mais  si 
sa  captivile  avait  commencé  en  octo'.n-e  i(iSo  .com- 
ment aurait-il  pu,  aprisles  aventures  qui  lui  arrivi?- 
rent,  repartir  le  9.6  avril  itiSi  ,  date  qu'il  a  mise  au 
commcDCi  nient  de  son  grand  voyage.  11  n'y  aurait 
pas  sejit  mois  d'ime  époque  .':  l'autre.  Tous  les  bio- 
graphes mettent  sa  capture  à  ifj-8;  et  cette  dite 
coïncide  avec  le  dépai  t  deStocklioIra  ,  en  idfii,  S*'- 
Si  d'ailleurs  il  était  parti  de  SiocMfcolm  ,  le  3  octo- 
bre i683  ,  ce  ne  .-.erait  que  pins  lard  encore  qu'il 
aurait  paru  à  Vienne;  et,  par  le  texte  même  de  soa 
vovage,  noua  prouvons  qu'il  y  passa  avant  juillet 
it)83. 


:i38 


REG 


sumons,  au  lieu  du  7>ingt  septembre, 
il  faut  lire  znji^t  décembre  (  1681  ) , 
pour  la  date  de  son  anivc'e  \  Vienne, 
on  peut  croire  qu'il  était  de  retour 
au  commencement  de    1682.  Dans 
le  cas  où  la  date  du  vingt  septembre 
serait  exacte  ,  elle  ne  pourrait  se  re- 
porter au-delà  de  iGBi.Dans  ce  qu'il 
,dit  de  Vienne  ,  il  ne  parle  que  du 
sié;;e  de    tS'îq;   et  l'on   sait  qu'en 
juillet  i683  .  cette  ville  soutint,  de 
îa  part  des  Turcs,  un  second  siège  , 
que  Rfgnard  ne  mentionne  pas  ,  par 
la  raison  qu'il  est  postérieur  à  son 
vovage.  Dans  le  premier  cas  ,  l'ab- 
sence de  Regnard  aura  dure  huit  ou 
neuf  mois  ;  dans  le  second  ,  dix-huit 
ou  dix-neuf;  et  non  pas,/'Z«5  de  trois 
années ,  comme  le  disent  Niceron  , 
le  More'ri  de  1739,  etc.,  induits  en 
erreur  par  la  fausse  date  du  départ 
de  Stockholm,  L'auteur  lui-même , 
àsiXis  \a  Provençale ,  où  les   choses 
stmt  dénaturées   ou  exagere'cs  ,  dit 
que  son  voyage  avait  duré  deux  ans. 
Fixé  à  Paris  ,  Regnard  y  acheta  une 
charge  de  tre'jorier  de  France ,  au 
bureau  des  finances  de  Paris.  Sa  mai- 
son ,  située  au  bout  de  la  rue  de  Ri- 
chelieu, devint  le  rendez -vous  des 
amateurs  de  labonne  chèrectdes  plai- 
sirs. Les  princes  dcGondéetdeConti 
fui'ent  plusieurs  fois  au  nombre  de 
SCS  convives.  Dès  l'âge  de  douze  ans, 
il  avait  fait  des  vers  :  on  a  de  lui 
qi.elques  |)oésics  imprimées  sans  da- 
te,  à  la  réserve  de  deux  ou  trois,  et 
qui  sont  les  moins  importantes.  Son 
Epitre  à  M.  le  marquis  de.  .  .  .  est 
le   même  sujet  que  la  satire  iv  de 
Boileau,  qui  avait  été  publiée  en  iG6/j, 
lorsque  Ucguard  n'avait  que  neuf  ans. 
INon  conleiilde  refaire  Boilcau  ,  il  l'a 
quchpiefois  copié  ;  el  c'est  peiitttrc 
a  cela  qu'est  duc  l'inimitié  qui  ré- 
gna entre  ces  deux    auteurs.    Boi- 
leau   ayant    publié   sa  satire    con- 


REG 

tre  les  femmes   (  1694),  Regnard 
composa  la  Satire  contre  les  maris  ; 
et,  quelque  temps  a\)r'es,\e Tombeau 
de  M.  Boileau  Despréaux,  autre  sa- 
tire. Les  deux  poètes  se  racommodè- 
rentpourtanl  bicnlôt;  et  ce  fut  à  Boi- 
leau que  Regnard  dédia  ses  Ménecli- 
mes.  Si  ces  poésies  formaient   tout 
le  bagage  littéraire  de  l'auteur,  il 
serait    oublié  depuis  loJig- temps; 
mais   Regnard    a  travaillé    pour   le 
Théàtre-Itaiicn  ,    de    1688  jusqu'à 
1696,  et  pour  le  Théâtre-Français, 
de  1694  à  1708  :  à  ce  dernier  tliéà- 
tre,  il  a  pris  la  première  place  après 
Molière.  Boileau  qui,  dans  son  Epî- 
tre  X,  en  1693  ,  avait  accolé  Regnard 
à  Sanlecque  et  Bellocq ,  retrancha 
ces  trois  noms  en  1698,  depuis  leur 
réconciliation  ,  et  il  disait  que  Re- 
gnard n'était  pas  médiocrement  plai- 
sant. Voltaire  pensait  que  cehd  qui 
ne  se  plaît   point  aux  ccm.édies  de 
Regnard,  n'est  pas  digne  d'admirer 
Molière.  Ces  deux  grands  suffrages 
assurent  la  gloire  de  cet  auteur.  <v  Ce     i 
»  n'est ,  dit  Laharpe  ,  ni  la  raisoa     j 
»  supérieure ,    ni  l'excellente    mo-     i 
»  raie  ,   ni   l'esprit  d'observation  ,     ; 
»  ni  l'éloquence  de  style  ,  qu'on  ad- 
»  mire  dans  le  Misantrope ,  dans  le 
»  Tartufje ,  dans  les  Femmes  sa- 
»  vantes  :  ses  situations  sont  moins 
»  fortes  ;  mais  elles  sont  comiques  ; 
»  et  ce  qui   le  caractérise  surtout  , 
»  c'est  une  gaîlé  soutenue,  qui  lui  est 
»  parliculièie  ,  un  fonds  inéj)uisa])!c 
»  de  saillies  ,  de  Irails  plaisants  :  \\ 
»  ne  fait  pas  souvent  penser,  mais 
»  il  fait   toujours   lire,  w  Outre  sa 
maison  de  Paris,  Regnard  possédait 
la  terre  de  Grillon  près  de  Dourdan: 
il    y   passait  la   belle  saison,    avec 
d'autant  plus  d'agrément,  qu'ama- 
teur de  la  chasse  ,  il  avait  acquis  les 
charges  de  lieutenant  dos  oaux-et- 
forêts ,  et  des  chasses  de  la  forêt  de 


REG 

Doiirdaiî:  il  se  fit   même  recevoir 
bailli  au  siège  royal  de  Doiirdan.  Il 
avait  beaucoup  embelli  sa  terre  ;  et 
dans  les  séjours  qu'il  y  (aisait ,  il  écri- 
vit la  relation  de  ses  voyages  et  la 
plupart  de  ses  comédies.  Ce  fut  aussi 
là  qu'il  mourut  :  Voltaire  prétend  que 
ce  fut  de  chagrin  ;  et  l'on  a  cru  pou- 
voir le  repéter  après  lui.  Il  paraît 
que  ce  fut    tout  simplement  d'une 
indigestion  ,  à  la  suite  de  laquelle  il 
eut  l'imprudence    de   prendre    une 
médecine  trop  forte ,  ou   d'aller  à 
la   chasse  le  jour  mêaie  qu'il  l'a- 
vait   prise.    Son    extrait   mortuai- 
re ,  transcrit  par  M.  Belfara  ,  dans 
sa   Lettre  à    M.   Crapelet ,    porte 
qu'il  a  été  inhumé  le  5  septeudjre 
1 709  ,  au  milieu  de  la  chapelle  de  ia 
Vierge  de  la  paroisse  de  Saint-Ger- 
main à  Dourdan.  Voici  la  liste  de  ses 
ou.vrages:  I.  Au  Théâtre-Italien  ,  le 
Divorce ,  comédie  en  trois  actes  et 
en  prose  ,   1688  ( /^q/.  GhÉrardi, 
Avii  ,  277  ,  278  )  ;  —  la  Descente 
de  Mezzetin  aux  enfers ,  comédie 
en  trois  actes  et  en  prose  ,  avec  des 
scènes  italiennes  ,  1689; —  \ Hom- 
me à  bonnes  fortunes  ,  comédie  en 
trois  actes  et  en  prose,  avec  des  scè- 
nes italiennes  ,  1690;  —  la  Critique 
de  V Homme  à  bonnes  fortunes ,  en 
un  acte  ,  i  (390  ;  —  les  Filles  erran- 
tes, ou  les  Intrigues  des  Hôtelleries, 
en  trois  actes  et  en  prose,  1G90; — 
la  Coquette,  ou  V Académie  des  da- 
mes,enliols  actes  et  en  prose, 1691; 

—  (avec  Dufresny  )  les  Chinois,  en 
quatre  actes  et  un  prologue,  1G92  ; 

—  (avec  le  même)  la  Baguette  de 
Fulcain,  en  un  acte,  dont  le  com- 
mencement est  en  prose  et  la  fin  en 
vers,  1G93; — (avec  le  même)  V Aug- 
mentation  de  la  Baguette  de  Ful- 
cain,  en  un  acte,  dont  le  commen- 
cement est  eu  prose  et  la  Un  en  vers, 
1G93; — la  Naissance  d'Amadis, 


REG  239 

en  un  acte,  1694  ;  —  (avec  Dufres- 
ny) la  Foire  Saint- Germain  ,  eu 
trois  actes  ,  contenant  une  Parodie 
d'Acis  et  Galathée ,  et  Lucrèce,  tra- 
gédie burlesque,  1695  :  le  succès  fut 
tel,  que  Dancourt  composa  ,  sous  le 
même  titre,  pour  le  Théâtre- Fran- 
çais, une  pièce,  qui  tomba  5 —  la  Sui. 
te  de  la  Foire  Saint-  Germain,  ou 
les  illomies  d'Egypte,  en  un  acte  , 
TG9G.  II.  Au  Théâtre- Français,  la 
Sérénade,  comédie  en  un  acte  et  en 
prose,  représentée  le  3  juillet  1694; 
—  Attendez -moi  sous  Vorme  ,  co- 
médie en  un  acte  et  en  prose  :  on  n'est 
pas  d'accord  sur  la  date  de  cette  co- 
médie; quelques  personnes  la  croient 
de  Dufresny:  il  est  probable  qu'elle 
est  des  deux  auteurs  ,  alors  amis;  — 
le  Bal,  ou  !e  Bourgeois  de  Falaise^ 
comédie  en  un  acte  et  en  vers,  jouée 
le  i4  juin  1696;  —  ]e  Joueur,  co- 
médie en  cinq  actes  et  en  vers  ,  re- 
présentée le  19  décembre  1G96;  sans 
contredit  le  chef-d'œuvre  de  Regnard, 
qui  avait  été  joueur.  On  a  prétendu 
qu'il  avait  volé  cette  pièce  à  Dufres- 
ny ;  il  existe  une  Épigramme  de 
Gacon,  qui  prononce  que 

Regnard  al'HTaotage 
D'avoir  été  le  bon  larron. 

Gacon  prétendait  même  avoir  tra- 
vaillé à  la  pièce,  pendant  un  voyage 
à  Grillon  ,  où  Regnard  ,  dit-il,  l'en- 
fermait jusqu'à  ce  qu'il  eût  rais  en 
vers  la  prose  dont  on  lui  donnait  le 
canevas  (  Voy.  les  Récréations  lit- 
téraires de  Cizeron  Rival,  p.  192  ). 
Ainsi  c'est  pour  s'en  f.iire  honneur  , 
que  Gacon  conteste  à  Regnard  jus- 
qu'à sa  versification.  Malheureuse- 
ment pour  cette  prétention,  on  re- 
connaît, dans  cette  pièce,  le  style 
des  autres  comédies  de  Regnard; 
et,  quant  à  l'accusation  d'avoir  dé- 
robé le  sujet  à  Dufresny  (  Foj.  ce 
nom,  XII,  157):  «  Il  faut,  dit  Vol- 


Î240 


REG 


«  taire ,  se  connaître  peu  au  génie 
»  des  auteurs  pour  penser  que  Re- 
»  <^nard  ait  dérobé  cette  pièce  à  Du- 
»  l'resny  ;  »  — le  Distrait,  comédie 
en  cinqacles  et  en  vers,  jouée  le  2 
décembre  1697  5 — Démocrite  amou- 
reux ,  comédie  en  cinq  actes  et  C'U 
vers,  jouée  le  12  janvier  1700  ;- — ■ 
le  Retour  imprévu ,  comédie  en  un 
acte  et  en  prose  ,  jouée  le  1 1  février 
j ,- ou  ;  —  les  Folies  amoureuses,  co- 
médie en  trois  actes  et  eu  vers,  pré- 
céilée  d'un  prologue  en  vers  libres,  et 
suivie  d'un  divertissement  intitulé  , 
Mariage  de  la  Folie  ;  le  tout  joué  le 
i5  janvier  1 704  ;  —  les  Ménechmes, 
ou  les  Jumeaux,  comédie  en  cinq 
actes  et  en  vers  ,  jouée  le  4  décem- 
bre 1705  ,  pièce  que  l'auteur  a  imi- 
tée de  Plaute,  mais  en    maître  ;  — 
le  Légataire  universel,  comédie  eu 
cinq  actes  et  en  vers,  jouée  le  9 jan- 
vier 1708.  Quoiqce  les  détails  suient 
pleins  de  gaîié,  d'un  comique,  il  est 
vrai,  qucl(iiicfois  burlesque,  l'inven- 
tion du  sujet  n'apiiarlicnt  point  à  R  - 
gnard  ,  mais  aux  Jésuites  (  Voy.  une 
note  à  la  suite  des  Jammahos  de  Fal- 
baire, reproduite, depuis  long-temps, 
eu  tète  du  Légataire);  —  la  Critique 
du  Légataire ,  comédie  en  un  acte 
et  en  prose,  jouée  le  19  février  1708. 
III.  Quatre  autres  Pièces  :  les  Sou- 
haits, comédie  en  un  acte  et  en  vers 
libres,  non  représentée;  —les  Ven- 
danges, ou  le  Bailli  d'Anières,  co- 
médie en  un  acte  et  en  vers  ,  repré- 
sentée ,  pour  la  première  fois  ,  cent 
quatorze  ans  après  la  mort  de  1  au- 
teur ,  sur  le  théâtre  de  la  Poite  Sairil- 
IVIartin ,   le    i5    mars    i8'i3  :    elle 
ji'a  pas  eu  de  succès;  — ^S«;)or,  tra- 
gédie en  cinq  actes,  non  représentée, 
et  dont  la  lecture  est  insoutenable; 
—  le  Carnaval  de  Venise,  en  trois 
actes ,  joué  à  l'Opéra  ,  au  mois  de 
mai  1G99.  IV.  Quelques  Poésies  :  la 


REG 

versification  en  est  négligée,  prosaï- 
que ,  incorrecte  ;  réserve  y  est  mis 
pour  rimer  à  grève,  et  énormes  à 
cornes  :  mais  il  y  a  des  traits  heu- 
reux ,  des  morceaux  agréables  et  fa- 
ciles. V.  Vojage  en  Flandre,  Hol- 
lande, Danemark,  Suède ,  L^aponie, 
Pologne  ,   Allemagne  ,  imprimé  , 
pour  la  première  fois,  en  1731 ,  sur 
un  manuscrit  défectueux,  ou  plutôt 
sur  des  notes  informes  ,  sans  aucun 
soin  de  la  part  des  éditeurs.  La  plu- 
part des  noms-propres  sont  estro- 
piés ;  quelrjues-uns  sont  en  blan:^ 
les  dates  fautives  ou  non  indiquées, 
les  répétitions  fatigantes  :  ce  qui  con- 
cerne la  Laponie ,  quoique  présentant 
les  mêmes  imperfections  ,   a  encore 
de  l'intérêt  ;  mais  c'est  le  seul  mor- 
ceau   qui  en  ait.    L'auteur  raconte 
qu'en  Danemark  les  nobles  pouvaient 
tuer  un  bourgeois  ou  un  paysan,   en 
mettant  un  écu  sur  le  corps  du  dé- 
funt, et  que  Frédéric  III,  ne  voulant 
pas  leur  ôter  ce  privilège  ,  ordonna 
que  quand  un  bourgeois  on  un  paysan 
tuerait  un  noble ,  il  serait  tenu  de 
mettre  deux  écus  sur  son  cadavre. 
VI.  La  Provençale ,\ii?,\.onene ,  pu- 
bliée aussi  en  1731  :  c'est  une  partie 
des  aventures  de  Regnard  en  Italie, 
et  jusqu'à    son  retour  d'esclavage  ; 
mais  comme  il  a  tû  quelipies  faits  ,  et 
embelli  les  autres  ,  cet  Opuscule  doit 
être  rangé  au  nombre  des  contes  ou 
romans;  et  c'est  trop  légèrement,  ce 
nous  semble,  que  beaucoup  de  bio- 
graphes  ont  vu,  dans  le   récit  des 
Aventures  f!-'   Zebnis ,  le  récit  des 
Aventures  de  Regnard  ,  et  ont  rap- 
porté comme  des  circonstances  de  sa 
vie  ,  ce  qui  n'est  qu'un   jeu  de  son 
imagination.  VIL  V  or  âge  en  Nor- 
mandie ,  en  prose  et  en  vers  ,  bien 
inférieur  au  Voyage  trop  vanté  de 
Chapelle  et  Rachaumont.    Les  qua- 
torze coupleîs  qui  coupent  la  prose 


REG 

lie  Rcgiiard  ,  sont  tous  de  Ja  même 
mesure;  et  rimiforuiitc  est  le  moin- 
dre de  leurs  défauts.  Vlli.  Fojage 
de  Chaumojit ,  en  quarante  couplets. 
Tous  CCS  ouvrages  de  Rcj^nard  sont 
imprimes  ,  mais  non  dans  toutes  les 
e'dilious  de  ses  OEuvrcs.  Ainsi  que 
cela  se  pratiquait  alors,  les  premières 
éditions  des  OEuvres  de  Hegnard 
étaient  lout  simplement  la  reunion 
des  pièces  impriuiees  isolement,  et 
chacune  avec  sa  date  :  on  taisait  seu- 
lement les  frais  des  frontispices  pour 
Jes  volumes.  Les  cdilions  de  1708, 
1714,  et  1729,  chacune  en  deux 
tora.  in-i'2  ,  ne  comprenaient  encore 
que  les  pièces  jouées  au  Théâtre- 
Français,  quoique  celles  que  Rcgnard 
avait  donnéesauTliéàtrc-Italien,  fus- 
sent,  depuis  1700,  imprimées  dans 
la  collection  de  Gilérardi.  Ces  pièces 
ne  se  trouvent  même  pas  dans  l'édi- 
tion de  1731,  cinq  vol.  in-[2,  où 
l'on  imprima,  pour  la  première  fois, 
les  Fojages  et  la  Provençale.  Il 
existe  une  conî refaçon  de  ces  cinq 
volumes  ,  dans  laquelle  le  texte,  déjà 
très-mauvais  ,  des  Voyages  ,  est  en- 
core étrangement  défiguré  :  Tédilion 
de  1786,  S  vui.  in-i'2  5  ne  cojitient 
rien  de  plus.  Celle  de  1750,  4  vol. 
petit  in  -  15  ,  est  la  première  qui 
contienne  le  Carnaval  de  Fenise 
opéra  imprimé  isolément  dès  1699  , 
in-4"- ,  et  dans  le  Recueil  général 
des  Opéras,  17  vol.  in- 12.  C'est 
l'abbé  de  la  Porte  (jui  a  dirigé  l'édi- 
tion de  1770,  4  vol.  in-r2.  Ch. 
G.  Th.  Garnier  (  F.  ce  nom ,  X  Vï , 
488  )  donna  les  éditions  ,  avec  des 
rcmanpies ,  de  i  789-90 ,  et  de  1 790, 
(i  vol.  in-8".,  dont  les  deux  denuers 
conliemjcnt  les  j)ièces  du  Théàtrc- 
Italicn  ;  le  travail  de  Garnier  laisse 
beaucoup  ,  pour  ne  pas  dire  tout ,  à 
desir(!r. C'est  la  contrefaçon  de  178 1, 
qucGarnicra  prise  pourcopie;  et  on 

XXXVH. 


REG  24 1 

lui  doit  rendre  la  justice  qu'il  a  fidè- 
lement reproduit  toutes  ses  incor- 
rections ,  qu'il  n'avait  sans  doute 
pas  aperçues  ;  car  il  n'en  a  cor- 
rigé ,  ni  même  signalé  aucune.  Les 
éditions  de  1810,6  vol.  in-S". ,  P. 
Didot  aîné,  1820,  4  vol.  in  8<>. 
(sans  le  Théâtre-Italien),  et  Haut- 
cœur  ,  1820  ,  6  vol.  in-8°. ,  sont  do 
simples  réimpressions  de  l'édition  de 
Garnier.  Celte  même  année,  1820 
vit  paraître  l'édition  en  G  vol.  in-80. 
publiée  par  M.  Lcquien,  qui,  tout  eu 
prenant  l'édition  de  Garnier  pour 
base  de  son  travail  ,  a  collationné 
le  texte  des  comédies  sur  les  édi- 
tions originales  ,  et  a  fait  des  cor- 
reclions  importantes.  M.  Crapelet, 
qui  a  donné,  en  1822  ,  une  édition 
de  Destouches  et  de  Regnard  ,  tirée 
à  cent  exemplaires  ,  a  fait ,  sur  les 
mêmes  foi'ines  ,  une  édition  du  Re- 
gnard ,  en  6  vol.  in-8\  ,  sous  le  mil- 
lésime de  1823.  C'est  peut-être  la 
première  fois  que  l'on  a  eu  recours  à 
l'édition  origiiiale  de  1781.  Maison 
n'a  j)as  rempli  les  blancs  ,  ni  rectifié 
les  noms.  Ce  qui  manque  encore  à 
une  édition  de  Regnard  ,  c'est  un 
commentaire  sinon  critique  et  gram- 
matical, du  moins  historique.  Mais 
nous  sommes  déjà  si  éloignés  des 
temps  de  l'auteur  qu'il  sera  impos- 
sible de  remplir  tous  les  noms  laissés 
en  blanc  ,  et  d'obtenir  tous  les  ren- 
seignements qui  rendent  parfaits  les 
travaux  de  ce  genre.  Aux  exemplai- 
res de  1 823,  des  éditions  de  Regnard, 
est  jointe  une  Lettre  de  M.  Bc/fara, 
contenant  des  Recherches  sur  les 
époq'ies  de  la  naissance  et  de  la 
mort  de  T.  F.  Regnard ,  qui  pa- 
raissent enfin  bien  établies.  Regnard, 
a  eu  ,  comme  nos  meilleurs  auteurs 
comiques  ,  le  privilège  de  ne  pas  être 
de  l'académie  française.  On  serait 
tculé  de  croire  qu'ils  étaient  aussi 
16 


■2.\x  REG 

frajipes  par  le  préjuge  de  la  socic'te 
contre  les  comédiens.  T/Institut  a  éle 
moins  rigoureux  queracade'mie.  Mo- 
lièic  fut  loue  dans  l'académie  ,  cent 
ans  après  sa  mort.  Il  y  a  plus  \iMV^- 
temps  que  Regnard  est  mort  ;  et  sou 
Éloge  n'a  encore  ëtc  propose  par  au- 
cune société  savante.  Cet  auteur  a 
place  dans  les  Mémoires  de  Niceroii, 
tome  XXI.  IM.  Picard  lui  a  consacré 
im  très  bon  morceau  littéraire  dans 
la  Galerie  française ,  tome  m,  li- 
A'raison  première.  Le  lo  floréal  an 
8  (  3o  avril  1800  )  ,  on  représenta, 
sur  le  théâtre  des  Troubadours  ,  Re- 
ffiard  à  Jla,er  ^  vaudeville  en  deux 
actes,  par  MM.  G.  Duval  ,  Armand 
Gouffé  ,  Cliazet  ,  Dupaty  ,  Cadel- 
Gassicourt ,  Creuzé  ,  etc.  ,  non  im- 
primé. iVl.  Febvé  a  fait  jouer  sur  le 
théâtre  du  Vaudeville,  le  1 3 février 
1808  ,  et  imprimer  la  même  année  , 
Res^nard  et  Duj'resnj  à  Grillon  ,  ou 
la  Satire  contre  les  maris,  vaude- 
ville en  un  acte  ,  qualifié  Fait  histo- 
rique ,  quoique  les  anachronismes 
n'y  soient  pas  épargnés.  Enfin  ,  le  7 
août  i8i5  ,  on  a  joué,  sur  le  niême 
théâtre,  une  comédie- vaudeville  de 
MM.  George  Duval  et  Roehefort, 
intitulée  :  Regnard  esclai>e  à  Alger, 
non  imprimée.  A.  B — t. 

REGN  AULT  (  1  )  (  Gilbert  ) ,  sei- 
gneur de  Vaux  ,  était  né  vers  le  com- 
mencement du  seizième  siècle,  dans 
le  Challonais  ,  d'une  famille  noble  , 
ou  du  moins  à  qui  la  fortune  donnait 
le  rang  de  la  noblesse.  Après  avoir 
achevé  ses  études  à  Paris ,  il  se  fit 
recevoir  avocat ,  <t  obtint  la  charj:;e 
de  juge-mage  de  l'abl^aye  de  (auni. 
Quoique  7,élé  protestant  ,  il  justifia 
la  confiance  dont  l'honorait  le  car- 
dinal de  FiOrraine,  et  lui  fut   fort 


(i)  Oiitrouve  aussi  te  uom  tcrit  fle;;HniiW  et /fc- 


REG 

utile.  Cependant  le  cardinal ,  sonp-  I 
çonnant  Regnault  d'avoir  livré  aux  ■ 
protestants  les  reliques  de  son  ab- 
baye ,  le  fit  arrêter  et  conduire  dans 
les  prisons  de  Mâcon  ,  où  il  res- 
ta onze  mois.  L'amnistie  qui  sui- 
vit ia  paix  de  i5G3,  lui  rendit  la 
liberté  ;  mais,  pendant  sa  détention, 
sa  maison  avait  été  pillée,  et  le  car- 
dinal avait  disposé  de  la  charge 
que  Regnault  remplissait  depuis  plus 
de  trente  ans  d'une  manière  irré- 
prochable. Celui  -  ci  soutint  qu'on 
n'avait  pas  ledroit  de  l'en  dépouiller , 
et  osa  demander  justice  au  parle- 
ment de  Paris.. Les  troubles  de  1 5G7 
arrêtèrent  l'instruction  du  procès  j 
et  Regnault ,  forcé  de  s'expatrier , 
trouva,  dans  les  terres  du  duc  de  Sa- 
voie ,  un  asile  où  il  se  flattait  d'être 
à  l'abri  des  vengeances  qui  signalè- 
rent cette  déplorable  époque.  Les 
gens  du  cardinal  de  Lorraine  par- 
vinrent cependant  à  se  saisir  de  Re- 
gnault ,  qui  fut  amené  prisonnier  à 
Saint-Clément  près  de  Mâcon;  mais 
ses  amis  réussirent  à  le  tirer  des 
mains  de  Trémont ,  gouverneur  du 
Mâconais ,  en  payant  une  somme 
de  mille  écus.  Le  malheureux  Re- 
gnault se  tint  long-temps  caché,  tan- 
tôt à  Paris,  et  tantôt  dans  la  Bour- 
gogne :  à  l'en  croire,  il  n'échappa 
que  par  une  espèce  de  miracle  au 
massacre  de  la  Saint-lîarthélemi,  et 
aux  assassins  que  le  nouvel  abbé  de 
Cluni  (  Claude  de  Guise  )  avait 
chargés  de  le  tuer.  Après  la  paix  de 
1576  ,  il  s'établit  a  Mâcon  :  (|uoi- 
(lu'alfaibli  par  Tâge  et  les  chagrins, 
il  reprit  sa  ])rofessiou  d'avocat, 
et  se  fit  le  défenseur  des  sujets  de 
C;luni  ,  que  tourmentaient  sans  cesse 
l'abbé  et  ses  oflicicrs.  Papillon  attri- 
bue à  Regnault  la  Satire  intitulée:  Z<?- 
sende  de  D.  Claude  de  Guise,  con- 
tenant  ses  j ails  et  gestes  depuis  sa 


REG 

nalwilé.  (  ^.  Guise,  XIX,  aoi). 
Cette  satire,  selon  de  Thon  et  d'Au- 
bigne ,  avait  pini  dès  1074;  ^t  ces 
deux  historiens  en  font  auteur  Da- 
goneau  ,  mort  en  1 58o  (  Voj.  Dago- 
NEAu,  X,  43o  ).  En  supposant  l'exis- 
tence de  l'édition  de  1074,  fp^'i  sem- 
ble douteuse,  maigre  les  autorités 
imposantes  qu'on  A'ient  de  citer,  il 
paraît  certain  que  l'on  doit  à  Re- 
gnault  celle  de  i58i  ,  à  laquelle  il 
dut  faire  des  additions  considéra- 
bles ,  et  dont  il  composa  la  Dédi- 
cace ,  où  il  annonce  une  suite ,  qui 
n'a  point  vu  le  jour.  Rcguault  était 
alors  d'un  âge  très  avancé;  et  on  peut 
conjecturer  qu'il  survécut  peu  de 
temps  à  la  publication  de  cet  ou- 
vrage (2).  W — s. 

REGNAULT  (Noël),  jésuite, 
était d'Arras,  où  il  naquit,  en  i683. 
Eu  terminant  ses  cours,  il  embrassa 
la  règle  de  saint  Ignace,  et  suivit  la 
carrière  de  l'enseignement.  Il  s'ap- 
pliqua surtout  à  l'étude  des  sciences 
exactes,  et  remplit  long-temps,  avec 
distinction ,  la  cliaire  de  rautliéma- 
tiques  au  collège  de  Louis-le-Grand. 
C'était  un  zélé  partisan  de  la  métho- 
de de  Descartes;  et  il  a  contribué, 
par  ses  ouvrages,  à  répandre  en  Fran- 
ce le  goût  de  la  physique.  Le  P.  Re- 
gnault  mourut  à  Paris,  le  i4  mai 

(ol)  L'abbe  Pa,iillou  dit,  dans  sa.Bihl.de  Bourgi— 
gne  ,que  «  D.  Claude apprenantqoe la  Légenile  ciait 
Mlle  Regnault,  voulut  le  déposer  de  la  j'idicature 
«  de  Cluui  :  tuais  ,  u'iouti-t-il ,  iiognaultfut  maintenu 
>i]ïararrèl;;  et  le  leudeiunîn  ,  il  tint  une  audience  , 
»  après  laquelle  il  jeta  les  provisions  de  sou  emploi 
»  au  milieu  du  parquet,  etc.  «  Tout  ce  ricit  n'est 
qu'uu  tissu  d'erreurs.  Ke^nault,  comme  un  l'a  vu  , 
lut  privé  de  son  emploi,  en  lâU»,  par  le  carJin;J 
de  Lorraine  ,  abbe  de  lllimi.  La  Ui^cuUil  ■  D.  Clau- 
de (le  Oitiae ,  canse  de  la  disgrâce  de  Regnault  ,  sui- 
vant l'apilloD  ,  qui  nie  (  pente  tre  .ivec  rsrisou  )  l'édi- 
tion de  1374  ,  '"-■  parut  en  eli'et  qu'eu  i58i  ;  et  cetle 
légende,  t.uvrage  de  Keguault ,  nous  apprend  qu'il 
remplissait,  depuis  plusieurs  années,  let  fonctions 
d'avocat  à  Màc:uu  ;  juais  ou  n'y  voit  ui  le  maintien 
de  Regnault  dans  sou  emp.loi,  ni  l'abandon  volon- 
taire qu'il  eu  l'ait  le  lendemain,  tontes  eireonstanees 
importantes,  qu'il  n'aurait  point  omises  dans  un  li- 
vre <pi'il  destinait  autant  à  se  justjUcr  qu'à  rendre 
odieux  l'abbé  de  Cluui. 


REG 


243 


1 762.  On  a  de  lui:  I.  Entretiens phj- 
siques  d'Ariste  et  d'Eudoxe  ,  ou 
Physique  nouvelle  en  dialogues , 
Paris  ,  1755,5  vol.  in- 1 2.  C'est  la 
meilleure  édition  de  cet  ouvrage,  qui 
eut  un  très-grand  succès ,  mais  qu'où 
ne  lit  plus  depuis  long  -  temps.  11  a 
été  traduit  en  angLis ,  par  Tho- 
mas Dale,  médecin,  et  en  italien. 
II.  Orii^ine  ancienne  de  la  phj- 
iique  nouvelle  ,  ibid.  ,  1734  ,  3  vol. 
in-i'2.  L'auteur  y  réclame,  en  fa- 
veur de  l'antiquité  ,  ia  gloire  d'im 
grand  nombre  de  découvertes  impor- 
tantes. Avant  lui,  Pasrhi'is  ,  dans 
son  Traité  De  novis  inventis  (  Foj'. 
Paschius  ),  et, depuis  Rfgn-iulî,  Du- 
tens  ,  dans  ses  Becherches  sur  l'ori- 
gine des  découvertes  (  f^.  Dltens), 
ont  essayé  de  dépouiller  les  physi- 
ciens modernes  de  quelques-uns  de 
leurs  titres  les  plus  brillants  à  l'esti- 
me de  la  postérité.  Ce  dernier,  dans 
sa  préface,  a  ,  suivant  l'usage  ,  taxé 
son  prédécesseur  de  manquer  sou- 
vent de  critique  et  d'exactitude.  III. 
Lettre  d'un  physicien  sur  la  Philo- 
sophie de  Newton  mise  à  la  portée 
de  tout  le  inonde  par  31.  de  f^ol- 
taire, ih\(\.,  i  738,  in- 13  de  4O  pag. ; 
c'est  une  critique.  (  F.  la  Lettre  de 
Voltaire  à  Thiriot  ,  du  2  auguste 
1 738.  )  IV.  Logique  en  forme  d'en- 
tretiens ,  ou  ['Art  de  trouver  la  vé- 
rité, ibid.  ,  1 74^  ,  in- 12.  V.  Entre- 
tiens mathématiques ,  ibid.,  1744? 
3  vol,  in- 12,  Ce  sont  des  éléments  de 
géométrie  et  d'algèbre.       W — s. 

REGNAULT  (  Michel -Louis- 
Etienne  ) ,  ne  à  Saint-.Iean  d'Auge'- 
li ,  embrassa  la  profession  d'avocat, 
et  devint  lieutenant  de  la  prévôté 
de  la  marine  à  Rochefort.  De  pre- 
miers succès  au  barreau  l'ayant  fait 
remarquer,  il  fut,  quoique  fort  jeu- 
ne, député  aux  états-généraux  par 
le  tiers -état  du  pays  d'Aunis.  Rc- 
iQ.. 


^44 


REG 


gnault  avait  ce  qu'il  fallait  poiir 
réussir  dans  la  vaste  carrière  qui 
allait  s'oiiviir  devant  lui  :  un  exte'- 
rieur  avantap;enx.  ,  uiieélocutiou  fa- 
cile, un  son  de  voix  net,  sonore  ,  et 
des  /alents  assez  distiiip,i!es.  Il  se  pré- 
senta d'abord  avec  circonspection 
dans  cette  assemb'ee,  où  il  ne  fut  guè- 
re question  de  lui  avant  le  17  juin 
^nSQ,  époque  de  la  dissolution  des 
ctats  -généraux.  Tl  chercha  d'abord 
à  se  faire  connaître  par  la  publica- 
tion d'une  feuille  quotidienne  intitu- 
le'e  :  Journal  de  Versailles ,  dont  on 
le  savait  l'auteur,  quoique  cette  feuille 
ne  portât  pas  son  nom  (i).  C'est  un 
tableau  fidèle  des  opérations  de  l'as- 
semblée.On  y  aporçoitsans  doute  une 
tendance  prononcée  pour  le  système 
qui  s'établissait;  mais  on  n'y  trouve 
point  les  violences  démagogiques  qui 
déshonoraient  déjà  la  liberté  de  la 
presse,  à  peine  sortie  de  son  ber- 
ceau. Le  Journal  de  Versailles  cessa 
de  paraître,  lorsque  l'assembléccons- 
tituante  vint  tenir  ses  séances  à  Pa- 
ris ,  où  Regnault  donna  des  notes 
pour  une  petite  feuille  intitulée  :  le 
Poslillon  par  Calais ,  résumé  extrê- 
mement succinct  des  délibérations 
de  chaque  séance.  Ce  journal ,  qui 
paraissait  le  soir,  ne  se  fit  guère  re- 
marquer que  par  les  cris  des  colpor- 
teurs ,  qui  le  proclamaient  dans  les 
rues  avec  beaucoup  de  fracas.  A  près 
le  17  juin  ,  Rcgnault  sortit  de  sa  ré- 
serve ,  ctpritsouvcul  la  parole,  mais 
ne  prononça  pas  de  discouis  éten- 
dus. Bien  que  conformes  à  l'esprit  du 

(1)  r)uelc|iii'5  l)ioïi;ipliesqnl  ont.  iIoiidp  d<■^  iinti- 
ces  inexact):»  .sur  lti');)idiilt,  oui  confondu  le  JniiinaL 
di:  ycnnillcs  ;ivec  le  Couiiirr  de  Versnilles  :  il 
n'y  eut  de  commun  entre  ces  deux  joiirnauï  que  W  - 
poqne  de  leur  publication  ;  les  principes  n'étaient 
point  les  nièine:!  :  le  Journal  de  Versailles  était  re- 
ftimialeur;  et  le  Courrier,  révolutionnaire  très-vio- 
lent :  celui-ci  était  rédiçé  par  Corsas  (  y.  ce  noiu  )  ; 
ce  fut  relie  feuille  qui  dénonça  le  fameux  repns  des 
nardes-du-corii»  aux  révolutionnaires  de  Paris,  et 
donna  le  signal  de  rinsurrcclion  des  5  cl  (ioclobrc. 


REG 

temps  ,  ses  opinions  étaient  cepen- 
dant modérées.  La  crise  du  1 4  juillet 
ayant  chassé  de  leurssiéges,  ou  ré- 
duit à  une  nullité  complète  ,  toutes 
les  anciennes  autorités  ,  les  hommes 
les  plus  fougueux  se  mirent  à  leur 
place  sans  le  consentement  des  pou- 
voirs supérieurs  ,  entièrement  pa- 
ralysés ,  et  continuèrent  le  désordre, 
au  lieu  d'y  porter  remède.  Pour  fai- 
re cesser  ce  système  d'anarchie,  Re- 
gnaultfut  d'avis  qu'avant  de  s'occu- 
per d'une  nouvelle  conslilution, l'as- 
semblée instituât,  de  concert  avec  le 
roi ,  les  autorités  municipales  et  pro- 
vinciales, par  la  raison  ,  disait  -  il , 
qu'ayant  reçu  une  forme  légale  ,  el- 
les inspireraient  aux  peuples  plus  de 
confiance  et  de  respect.  Mais  ce  n'é- 
tait pas  le  règne  de  l'ordre  et  de  la 
paix  qu'on  desirait:  on  voulait  ren- 
verser l'édifice  social  de  fond  en 
comble ,  pour  bâtir  sur  un  terrain 
7i/VeZe  et  défoncé  de  toutes  parts:  au 
lieu  de  pouvoirs  légaux,  on  établit 
des  clubs,  qui  se  mirent  à  l'œuvre 
avec  une  activité  que  tout  le  monde 
a  connue.  Plus  tard,  on  entendit  Re- 
gnault  dénoncer  avec  force  les  libel- 
les qu'on  répandait  dans  l'armée 
pour  faire  révolter  les  soldats;  mais 
ces  révoltes  étaient  aussi  un  des 
moyens  d'exécution  du  nouveau  sys- 
tème, parce  qu'on  savait  qu'avec  une 
armée  fidèle  et  disciplinée,  la  révo- 
lution eûtété  impossible. Cependant, 
malgré  ses  protestations  contre  l'a- 
narchie, Rcgnault  soutenait  le  parti 
qui  la  fomentait,  et  marchait  sou- 
vent d'accord  avec  lui.  11  alt.iqua, 
dénonça  les  parlements,  et  demanda 
que  celui  de  Rouen  fût  m-indé  à  la 
barre ,  pour  avoir  méconnu  l'autori- 
té du  pouvoir  souverain  ,  qui ,  dans 
son  opinion  ,  appartenait  à  l'assem- 
blée. Il  défendit  de  bonne-foi  le  sys- 
tème de  finances  de  Ncckcr ,  que  Mi- 


REG 

rabeau  defcutiit  aussi,  mais  avec  les 
armes  de  la  plus  sanglante  irouio , 
pour  le  iliscreditcr  avant  (ju'on  le 
mît  à  exe'cution.  Kn  1790,  Rcgnanlt 
vota  pour  la  réduction  des  pensions, 
qui ,  à  la  vérité' ,  n'étaient  pas  toutes 
très -légitimement  acquises;  mais  il 
s'intéressa  pour  les  créanciers  de  l'É- 
tat ,  et  demanda  que,  préalablement 
à  Tepoque  inconnue  d'une  liquida- 
tion incertaine,  on  leur  accordât  des 
à-comptes.  Il  fut  partisan  très-pro- 
noncé des  réformes  ecclésiastiques  , 
et  demanda  que  les  cvêques  et  les  cu- 
rés qui  refuseraient  de  prêter  ser- 
ment à  la  constitution  civile  du  cler- 
gé, fussent  immédiatement  rempla- 
cés: mais  il  combattit,  comme  trop 
sévère,  la  motion  d'un  de  ses  collè- 
gues, très-opposé,  depuis,  au  sys- 
tème de  la  révolution,  qui  insistait 
pour  que  les  religieux  fussent  privés 
du  droit  de  cité;  opinion  plus  que 
sévère,  qui  rejetait  ,dans  les  derniè- 
res classes  de  la  populace,  des  hom- 
mes instruits  et  bien  élevés.  Regnault 
s'intéressa  aussi  pour  les  i^eligieuses, 
et  demanda  qu'on  leur  accordât  des 
pensions  qui  les  missent  à  l'abri  du 
besoin.  Dans  d'autres  circonstances, 
il  se  montra  réellement  républicain, 
bien  que  sa  conduite  ait  depuis  prou- 
vé que  l'institution  d'une  républi- 
que ,  dans  un  pays  tel  que  la  France, 
était  fort  loin  de  sa  pensée.  Lors  des 
débats  sur  la  question  de  savoir  à 
quel  pouvoir  serait  attribué  le  droit 
de  faire  la  paix  et  la  guerre ,  il  adop- 
ta le  système  dePétliionet  de  Barna- 
vc,  et  soutint  avec  eux ,  que  le  roi  ne 
devaitfaireaucuneenlreprise  hostile 
sans  le  consentement  de  la  nation,  sys- 
tème qui  l'aurait  mise  à  la  merci  de 
l'étranger,  ou  à  la  disposition  de  quel- 
ques factieux  île  l'assendjléo  ,  com- 
me on  l'a  vu  en  179"»..  Le  4  septem- 
bre, lors  de  la  retraite  du  ministre 


REG  245 

Necker,  il  combattit,  quoiqu'indi- 
rectement ,  le  système  des  assignats, 
qui  devait  être  le  principal  levier 
de  la  révolution.  Il  voulait  que  cette 
funeste  opération  fût  ajournée.  Le  7 
mai  de  l'année  1791,  il  se  rangea 
dans  le  parti  de  ceux  qui  deman- 
daient que  le  di'oit  de  cité  dans  les 
colonies  a|)partînt  immédiatement 
aux  affranchis,  quelle  que  fût  leur 
couleur  ,  noire  ou  sang  mêlé.  Sou 
collègue  Barnave ,  beaucoup  plus  ré- 
volutionnaire que  lui  dans  toutes 
les  autres  questions  politiques,  avait 
repoussé  cette  concession  de  toutes 
ses  forces ,  en  soutenant  que  si  elle 
devait  être  faite  ,  il  ne  convenait  pas 
que  ce  fût  par  la  métropole,  mais  par 
les  assemblées  coloniales,  auxquelles 
dans  sou  système,  il  fallait  conser- 
ver une  entière  initiative  dans  une 
question  aussi  délicate.  Cette  opinion 
de  Barnave  est  une  de  celles  où  ce 
jeune  homme  développa  le  plus  de 
talent  et  d'idées  saines.  Le  17  juil- 
let 1791  ,lors  du  malheureux  voya- 
ge de  Louis  XVI  pour  Montmédi, 
itegnault  fit  décréter  que  les  auto- 
rités du  royaume  et  les  gardes  na- 
tionales arrêteraient  toutes  les  per- 
sonnes qui  sortiraient  de  France  ; 
qu'on  s'emparerait  des  convois  d'ar- 
mes et  d'argent  ,  des  chevaux  et 
des  voitures;  enfin  (ju'on  prendrait 
toutes  les  mesures  pour  empêcher 
la  famille  royale  de  poursuivre  sa 
route.  Après  le  retour  du  roi ,  Re 
gnanlt  se  jeta  dans  le  parti  feuillant, 
qui  paraissait  vouloir  maintenir  la 
constitution  et  sauver  ce  qui  restait 
de  la  royauté.  11  ne  quitta  poinî  la 
capitale,  et  devint  capitaine  de  gre- 
nadiers nationaux.  Pendant  la  ses- 
sion de  rassemblée  législative  ,  il 
fournit  divers  articles  au  Journal  de 
Paris  ,  dont  André  Chénier  était  un 
des  principaux  coopéralcurs;  mais  il 


246 


REG 


travailla plTis  particulièrement  aune 
feuille  hebdomadaire,  intitulée:  1'^- 
mi  (les  patriotes ,  dont  la  liste  civile 
faisait  les  frai?.  Échappe  à  la  pros- 
cription du  io  août  1792  ,  il  se  tint 
prudemment  à  l'écart;  mais,  après  le 
3i  mai  1793, il  fut  découvert,  et  mis 
.sous  la  surveillance  d'un  gendarme 
qui  le  suivait  partout.  Il  lui  échap- 
pa ,   et   s'enfuit  ;    mais ,    reconnu  à 
Douai ,  et  jeté'  dans  les  |-iisoiJS  de 
cette  ville ,   il  n'en  sortit  qu'apri^s 
la  révolution  du  9  thermidor.  Pou 
de  temps  après,  il  fut  nomme   ad- 
ministrateur des  hôpitaux  de  l'ar- 
mée d'Italie,  oîi  il  eut  de  premiers 
rapports  avec  le  ge'ne'ral  en  chet'Buo- 
naparte.  En  1796,  il  s'attacha  en- 
tièrement à  la  fortune  de  cet  homme 
extraordinaire  ,  qui ,  lui-même  ,  lui 
reconnaissant  des  talents  et  une  gran- 
de aptitude  pour  le  travail,  n'oublia 
pas  ,   depuis  ,  de  l'employei-  dans 
les  circonstances  les  plus  difficiles, 
Regnault  fit  imprimer  à  Milan,  et 
particulièrement  dans  les  intérêts  de 
Buonaparte  ,  un  Journal  qui  fut  trc.s- 
le'pandu  dans  l'armée.  Il  suivit  le 
gênerai  à  Malte,  et  ne  l'accompagna 
pas  en  Egypte  ;  mais  il  fut  pourvu, 
à  Malte,  d'un  emploi  de  commis- 
.saire  directorial  :   si  l'on  en  croit 
Mallet-Dupan  ,  il  y  régissait  l'admi- 
nistration du  pillage,  et  composait 
line  Gazette  rcvolutionnaiie  pour  l'î- 
le et  l'archi}iel.  Revenu  à  Paiis,  Re- 
gnault continua  de  servir  Buonapar- 
te avec  un  très- grand  y.clc  ,  et  fut  un 
des  heureux  conspirateurs  qui  pré- 
parèrent la  révolution  du   18  bru- 
maire ,   et   contribuèienl  le  plus  à 
la  faire  réussir.  On  sait  que  cette 
iournée  fut  la  dernière  de  la  rc'pu- 
l)liquc.  I.cs  fondements  de  la  monar- 
chie la  plus  absolue  commencèrent  à 
être  posés  j  ri  Regnault,  qui  avait  jus- 
qu'alors professé  des  princij^cs  oppo. 


REG 

ses,  devint  un  de  ses  agents  les  plus 
utiles  et  les  plus  actifs.  Buonaparte 
le  nomma  ])résident  de  la  section  de 
l'inférieur  de  son  conseil  -  d'état ,  et 
porta  les  honoraires  de  c  tte  place  à 
trente -six  mille  francs.  Il  le  prit  en 
outre  pour  auxiliaire  dans  les  tra- 
vaux de  son  cabinet  particulier,  et 
le  rétribua  généreusement  pour  cette 
autre  occupation.  Regnault  eut  alors 
un  l'iès-grand  ascendant  sur  tout  le 
ministère;  et  il  est  juste  de  dire  ici 
que  le  nouveau  souverain  avait  assez 
bien  placé  sa  confiance.  Son  protégé 
avait  une  expérience  exercée  par  les 
grands  événements  qui  s'étaient  pas- 
sés sous  ses  yeux;  il  y  avait  souvent 
j)i  is  part ,  et  savait  que  la  science 
de  l'administration  consiste  princi- 
palement dans  la   connaissance  des 
hommes.  Il  fallait ,  surlout  alors  , 
avoir  observé  ceux  qui  avaient  joué 
rai  /Ole  dans  la  révolution,  parce 
qu'ils  étaient  les  plus  difficiles  à  con- 
duire. Regnault  avait  vu  leurs  ma- 
nœuvres ,  av.iit  été  initié  à  plusieurs 
de  leurs  combinaisons, etil  était  cen- 
sé  savoir   comment  on   devait  s'y 
prendre  pour  tirer  parti  de  leur  ma- 
chiavélisme ,  au  profit  du  nouveau 
gouvernement.  Il  avait  d'ailleurs  , 
comme  on  l'a  dit,  le  travail  extrê- 
mement facile  ;  et  c'est  ce  qu'il  fal- 
lait pour  servir  un    homme  qui  ^ 
voulant  sur  -  le  -  champ  tout  em- 
porter de  haute  lutte,   exigeait  que 
ses  projets  fussent  exécutés  aussitôt 
qu'ils  étaient  conçus  :  lorsqu'au  mi- 
lieu de  la  nuit,  dans  les  intervalles 
du  sommeil  ,  il  lui  en  venait  quel- 
ques-uns dans  la  pensée  ,  il  dépê- 
chait un  messager  à  Regnault,  qui 
accourait  au  grand  galop  de  ses  che- 
vaux ,  écoutait,   jetait  par    écrit  , 
à  ])eine  éveillé,   les  conceptions  du 
miîtrcqu'il  fallaitdeviner  la  plupart 
du  temps ,  et  en  essuyait  les  brusque- 


REG 

lies,  qui,  toutefois,  étaient  irès-bieii 
paye'es.  1!  fut  comblé  de  bienfaits 
et  d'honneurs,  même  littéraires  :  en 
i8o3,  il  fut  nommé  membre  de  l'a- 
cadémie française  ,  qu'il  présida  en 
1804.  Lors  de  ia  création  de  la  no- 
blesse impériale  ,  il  reçut  le  titre  de 
comte,  et  fut  nommé,  au  mois  de 
juillet  i8o4  ,  procureur  -  général 
près  la  haute -cour  impériale,  et 
grand-ofîicicr  de  la  légion  d'hon- 
neur. En  1810,  Buonaparte  l'atta- 
cha plus  parliculièremcnt  à  ses  iîî- 
térêts  ,  en  créant  pour  lui  URe  place 
de  secrétaire  de  l'état  de  la  famille 
impériale.  Chargé ,  en  cette  qua- 
lité ,  d'annoncer  la  dissolution  du 
mariage  de  l'ecipereur  avec  José- 
phine Bcauharnais,  et  sa  prochaine 
union  avec  l'archiduchesse  Marie- 
Louise,  it  déclara  ,  le  20  avril  18 10, 
dans  une  séance  extraordinaire  du 
sénat,  que  ce  mariage,  en  perpé- 
tuant la  nouvelle  dynastie  ,  assurait 
la  prospérité  de  la  France  ,  et  pré- 
sageait la  pais  du  monde.  Dans  tou- 
tes les  circonstances ,  et  surtout  dans 
les  plus  diflicilcs  ,  Regnault  fut  le  dé- 
fenseur obligé  de  tous  les  projets  de 
l'empereur;  et  l'on  sent  assez  que 
nous  ne  pouvons  le  suivre  dans  une 
telle  carrière  :il  nous  suffira  dédire 
que  son  nom  se  rattache  à  toutes  les 
grandes  époques  de  ce  règne  ,  unique 
peut-être  dans  l'histoire.  La  créa- 
tion des  sénatoreries  ,  le  rétablis- 
sement de  la  traite  des  noirs ,  la 
défense  de  la  nouvelle  procédure 
criminelle  ,  les  immenses  levées  de 
soldats  qui  devaient  asscivir  l'Euro- 
pe; tels  furent  les  objets  dont  il  eut 
ordre  de  demander  la  sanction.  Voi- 
ci un  aperçu  des  levées  d'hommes 
qu'il  fil  apjirouver  par  le  sénat  :  le 
4  septembre  1806,  quatre  -  vingt 
mille  hommes  sur  la  conscription 
de  1807  •    ^^  ^807,  la  levée  d^uu 


REG  247 

pareil  nombre  de  soldats  ,  sur  la 
conscription  de  1808;  et  en  i8nB, 
autant  sur  celle  de  1809  :  iç  8  sep- 
tembre de  la  même  année  ,  la  le- 
vée de  1810  et  du  reste  des  quatre 
classes  précédentes  ,  c'est-à  dire,  la 
formation  de  ce'te  belle  et  immense 
armée  qui  devait  périr  dans  les  gla- 
ces de  la  Pvussie  ;  enfin,  après  la  ba- 
taille de  Leipzig,  il  Cl  ordonner 
quH  trois  cent  mille  hommes  ,  le 
reste  de  la  jeunesse  de  la  France, 
fussent  rais  à  la  disposition  du  mi- 
nistre de  la  guerre.  Ce  serait  cepen- 
dant une  erreur  de  croire  que  Re- 
gnault approuvât  les  mesures  vio- 
lentes que  Buonaparte  lui  ordonnait 
de  justifier.  Dès  l'ouverture  de  la 
campagne  de  Russie  ,  il  s^aperçut 
que  Buonaparte  compromettait  sa 
fortune,  que  lors  du  traité  de  Til- 
sitt  il  avait  crue  assurée  :  après  la 
bataille  de  Leipzig,  il  en  désespéra. 
A  celte  époque  ,  des  émissaires  de 
la  maison  de  Bourbon  cherchaient 
à  rallier  à  la  cause  du  roi  des  hom- 
mes qui  pouvaient  la  servir  utile- 
ment ;  et  il  paraît  certain  qu^'on  fit  des 
démarches  auprès  de  Regnault ,  par 
l'entremise  d'une  Anglaise ,  nommée 
Bishop,  à  laquelle  il  avait  rendu  quel- 
ques services.  Cettefemmeeutladan- 
ge!  euse  ha/ diesse  de  lui  faire  quelques 
ouvertures  ;  elle  pénétra  même  assez 
avant  dans  sa  politique ,  pour  voir 
qu'au  moins  il  n'était  point  l'ennemi 
de  la  famille  royale.  Mistriss  Bis- 
hop reçut  pour  réponse  de  Regnault, 
«  que  tout  ce  qui  porte  le  caractère 
»  d'une  trahison  lui  était  odieux; 
»  mais  que  si  le  temps  amenait  la  ca- 
»  tastrophe  dont  le  gouvernement 
»  était  menacé  ,  lui  Regnault ,  libre 
»  alors  de  tout  engagement ,  se  dé- 
»  vouerait  aux  intérêts  de  Louis 
»  XVIIÏ  ,etluiolTrirail  pour  garant 
»  de  sa  conduite,  les  proscriptions 


248 


REG 


»  qu*il  avait  essiiyccs  ,  et  l'alIiaRcc 
»  qt/j'  avait  contractée  avec  une  fa- 
»  mille  cit'youëe  à  ce  prince  lui-mê- 
»  me  (i).  »  hors  du  départ  de  Buo- 
iiaparte  ,  pour  ];i  campagne  de  i8i3, 
il  fît  connaître  le  décret  impérial 
qui  déclarait  Marie-Lonisc  régente 
de  l'empire,  décret  qui  ivait  pour 
î)ut  d'attirer  l'empereur  d'ÀJitriche 
dans  les  intérêts  de  la  France,  oa,  si 
l'on  veut  ,  de  riiomme  qui  en  éiai; 
encore  le  maître.  Le  8  janvier  1 8 1 4, 
Rcgnauit  fut  nommé  commantlant 
d'une  des  légions  de  la  garde  natio- 
nale de  Paris  ,  et  le  3o  mars  il  sortit 
hors  des  barrières  pour  combattre 
les  troupes  alliées  :  :.iais  il  s'en  sé- 
para bientôt ,  et  l'on  peignit  cette 
retraite  comme  une  làclieté  ;  mille 
brocards  plus  oITensants  les  uns  que 
les  autres  tombèrent  sur  lui  :  ce- 
pendant le  général  Dessolcs,  depuis 
commandant  de  la  garde  natio- 
nale ,  rendit  publique  une  délibéra- 
tion du  conseil  de  discipline,  qui  jus- 
tifiait Rcgnauit  de  toute  imputation 
de  làclieté ,  et  fit  entendre  que  d'im- 
portants intérêts  politiques  avaient 
motivé  sa  rentrée  dans  la  capitale  : 
en  effet,  il  était  parti  le  3o  pour 
Rlois ,  où,  après  quelques  contra- 
riétés, il  s'élail  rendu  auprès  de  Ma- 
rie-Louise ;  il  y  était  resté  jusqu'au 
8  avril  ,  jour  de  l'arrivée  du  com- 
te de  Schouwaloff,  envoyé  auprès 
de  la  princesse  ,  en  qualité  de  com- 
missaire des  puisances  alliées  :  il 
partit  de  là  pour  Clermont  en  Au- 
vergne, avec  la  cocarde  blanche, 
et  ])lâma  les  autorités  du  pays  de 
ne  l'avoir  pas  encore  prise.  Cette 
démonslraliou  paraissait  annoncer 
la  résolution  de  Rcgnauit,  de  servir 
la  raonarcliie  des  Rourbons.  On  rap- 

I)  R.KM.iiill  iiviilt  <y:,Mv  Mil".  <lo  nomiciiil ,  flniit. 
Ji'  |)c  !«  lui  iilt.-irlic  ,  \i\T  «ou  Kcrvice  ,  i  Monsieur 
mii<iiir(l'hui  Ui>i. 


REG 

pela  aux  personnes  qui  avaient  cher- 
ché à  Patlirer  dans  les  intérêts  du 
Roi  ,  la  réponse  qu'il  avait  faite  aux 
insinuations  de  Misfriss  Bishop  ; 
mais  il  fut  répondu  nettement  qu'on 
n'avait  pas  besoin  de  lui  :  on  con- 
çoit dès  -lors  comment  il  rentra 
dans  le  parti  de  Buonaparte  ,  qu'il 
semblait  avoir  abandonné.  Se  trou- 
vant néanmoins  président  de  l'acadé- 
mie, il  célébra,  lorsdela  réception  de 
JM.  Cam.penon,  le  descendant  d'Henri 
IV  ,  et  félicita  la  France  du  retour 
d'un  riii  si  long-temps  désiré.  Ce 
langage,  qui  s'accordait  peu  avec  ce- 
lui qu'il  avait  ifuu  peu  de  temps  au- 
paravant, excita  des  murmures  dang 
toute  la  salle  ;  et  le  lendemain  ,  les 
journaux  s'attachèrent  à  le  morti- 
fier à  celte  occasion  ,  et  n'en  fi- 
rent pas  un  royaliste  pliîs  zélé. 
Au  '10  mars  i8i5  ,  il  rentra  dans 
ses  prérogatives  ,  et  prit  part  à 
toutes  les  raesiues  qui  avaient  pour 
but  d'assurer  le  pouvoir  de  Buona- 
parte :  il  attaqua  surtout  avec  beau- 
coup de  violence  la  déclaration  du 
congrès  de  Vienne  ,  du  i3  mars ,  et 
soutint  que  les  clauses  du  traité  de 
Fontainebleau  n'ayant  été  exécutées 
ni  à  l'égard  de  Buonaparte ,  ni  à  l'é- 
gard de  Marie  -  Louise  ,  le  premier 
n'était  point  tenu  de  remplir  les  en- 
gagements qu'il  avait  souscrits,  II 
vanta  ensuite  la  modération  de  Buo- 
naparte en  l'opposant  à  la  déclara- 
tion royale  qui  avait  mis  l'ex-empe- 
reur  hors  de  la  loi.  11  fut  nomme, 
par  son  département,  député  à  la 
chambre  dite  des  représentants  ,  et 
y  parla  plusieurs  fois,  toujours  dans 
les  intérêts  de  l'usuipateur ,  tantôt 
comme  député,  tantôt  comme  minis- 
tre d'étal.  Après  la  bataille  de  Wa- 
î(!rloo  ,  Buonaparte  ne  tarda  pas  à 
l'appeler  auprès  de  lui  ;  et  il  paraît 
queRrgnault  ne  chercliapoint  h  l'abtu 


REG 

scr  sur  la  situation  désespérée  où  il 
se  trouvait.  Le  22  juin  ,  il  se  chargea 
d'annoncer  à  la  chambre  la  rcsoliition 
de  Biionaparte  d'abdiquer  en  faveur 
de  son  fils.  Quelques  députés  ayant 
alors  propose  de  déclarer  le   trône 
vacant ,  Regnault  s'opposa  fortement 
à  cette  motion  ,  qui  rejetait  la  France 
dans  l'anarchie  de    1792  et    1798. 
a  Je  n'ai  plus  ici  d'intérêt  personnel, 
»  dit-il  ;  je  n'appartiens  plus  à  aucun 
»  parti  :  je  ne  vois  que  la  patrie  et  ses 
»  dangers  ;  je  vois  que  notre  premier 
»  besoin  est  de  la  conserver  et  de  la 
»  maintenir.    On  vous  propose  de 
»  faire  table  nette  ,  de  vous  livrer  à 
»  une   création    entière    d'éléments 
»  nouveaux  ,  et  de  vous  entourer  de 
»  débris  ,  pour  vous  occuper  ensuite 
»  à  reconstruire.  N'avons  -  nous  pas 
V  eu  assez  de  peines  pour  établir  ce 
B  qui  existe?  Recommencerons-nous 
»  la  carrière  des  innovations  et  de 
»  l'inexpérience?  »  Il  demanda  en  sui- 
te que  le  bureau  fût  chargé  d'expri- 
mer à  l'ex-orapereur  la  reconnaissan- 
ce du  peuple  français  pour  le  sacri- 
fice qu'il  faisait  à  son  indépendance. 
Cette  proposition  étant  adoptée,  il 
renouvela  ses  efforts  pour  faire  dé- 
clarer le  jeune  Napoléon  successeur 
de  son  père ,  et  demanda  que  l'assem- 
blée décrétât  l'abolition  de  la  no- 
blesse, motion  ab  irato  ,  et  absolu- 
ment sans   objet.  Ce  fut  ainsi  que 
Regnault  termina    sa   carrière    po- 
litique.  Compris   dans  l'ordonnan- 
ce du   -24  juillet    i8i5,  il  eut  ce- 
pendant, sous  la  police  de  Fouché, 
la  faculté  de  rester  dans  sa  maison  de 
campagne  près  Pontoise  :  niais  une 
nouvelle  ordonnance  du   17  janvier 
1816  l'obligea  de  sortir  de  France, 
et  il  passa  eu  Amérique  Plusieurs 
voyageurs  nous  ont  dit  l'avoir  ren- 
contre à  ÏNew-York  :  son  imagina- 
tion s'était  frappée;  ce  qui  a  fait  dire 


REG 


249 


qu'il  avait  l'esprit  aliène':  c'est  une 
exagération.  Ennuyé  du  séjour  d'A- 
mérique, il  n'y  demeura  guère  qu'une 
année;  il  revint  en  Europe,  en  1817: 
mais  il  ne  lui  fut  pas  encore  permis 
de  rentrer  en  France  ;  et  il  fit ,  pour 
cela  ,  d'inutiles  réclamations.  Il  pa- 
raît qu'il  fut  redevable  de  cette  sévé- 
rité à  la  conduite,  au  moins  impru- 
dente, de  quelques-uns  de  ses  amis 
et  même  de  ses  proches,  qui  avaient 
écrit  des  choses  injurieuses  contre 
la  famille  royale  dans  une  corres- 
pondance qui  fut  saisie.  Enfin  ,  une 
ordonnance  ayant  rappelé  tous  les 
exilés ,  à  l'exception  des  régicides  , 
Regnault,  quoique  très-malade  ,  se 
mit  sur-le-champ  en  route  pour  Pa- 
ris ,  où  il  arriva  le  12  mars   1819, 
et  mourut  en  rentrant  chez  lui  ;  il 
n'avait  pas  encore  soixante  ans.  Peu- 
d'hommes  ,  dans  ces  derniers  temps, 
ont  été  l'objet  de  plus  de  jngcmeuts 
de  toute  espèce  :  on  l'a  fait  passer 
pour  uneame  vénale  et  corrompue, 
dont  on  pouvaittout  obtenir  avec  do 
l'or  ,  et  son  maître  le  lui  a  même 
plus  d'une  fois   reproché  en    face. 
On  ne  connaît  de  lui  aucune  produc- 
tion littéraire  (3).  Ses  Discours  et  ses 
Rapports  ,  sous  le  règne  de  Buona- 
parîe,  pourraient  former  un   gros 
volume.  Il  sont  tous  bien  éciits,  et 
annoncent  un  homme  qui  n'était  pas 
indigne  du  fauteuil  académiqiie.  B-u. 

(3)  H  n'a  |)asm('me  prononce  de  discours  pour  sa 
réception  àl'lnslitut.  11  a  cela  de  conunmi ,  au  reste, 
non-soulemeiitavco  les  qualre  autres  de  ses  collègues 
nommés  par  Tarrète  des  cousuIsdu3  pluviôse  au  XI, 
mais  ci.cot  e  avec  les  huit  personnes  cniécs  membres 
de  l'académie  l'raneaise  ,  par  l'ordonnance  royale  au 
21  mars  1816.  Colbert  avait  été  ,  en  1 067,  reçu  sans 
discours  de  réception  ;  mais  Colbert  était  ministre. 
Racine,  reçu  eu  1673,  prononça  un  disours,  qu'il 
i>e  lil  point  imprimer.  M.  Maret,  successeur  dcSaint- 
Lanibert,  en  i8o3  ,  était  alors  ministre,  et  a  fait 
comme  Colbert.  Le  discours  <fue  n'a  pas  prononça 
M.  de  CUracaubriand ,  a  été  imprimé  sans  le  con- 
Sc-nieiiieni  de  l'auteur.  Trois  autres  membres  actuels 
de  l'académie,  quoiqu'élus ,  n'ont  p.iiut  prononcé 
de  discours.  La  Uepunse  académique  de  Rc^uaiid  ■"i 
Bl.  Caiiipenon,  e«t  peut  être  son  seul  morceau  bt- 
téraire,  A.  U — T. 


a5o 


REG 


REGNIER  (  Louis  ) ,  sieur  de  la 
Planche,  l'un  des  plus  zélés  parti- 
sans de  la  reforme  au  seizième  siè- 
cle, était  petit-fils  du  lieutenant-ge- 
ïie'ral  de  Poitiers,  et  neveu  des  Dutil- 
Ict,  dont  l'un  fut  successivement  e'vc- 
({ue  de  Sainî-Brieuc  et  de  IMeanx  ,  et 
l'autre  remplit ,  avec  distinction  ,  la 
charge  de  greflierdu  parlementdePa- 
ris.Réguier  embrassa,  dans  sa  jeunes- 
se ,  les  opinions  de  Calvin  ;  mais  ,  si 
l'on  en  croit  Florimond  deEasmond, 
il  n'était  poiut  de  bonne  foi,  et  la  po- 
litique l'occupait  plusquela  religion. 
La  Planche,  dit-il,  s'est  fait  signa- 
ler comme  r.n  des  grands  négocia- 
teurs du  parti,  et  néanmoins,  quant 
à  leur  doctrine,  leur  ennemi,  té- 
moin le  livre  par  lui  composé,  qu'il 
appela  les  Consistoriaux  (  V.  Hist. 
de  rhéréiie  ,  liv.  vu  ,  ch.  xi  ).  On 
peut  conjecturer  que  cet  ouvrage 
était  la  critique  de  ce  qui  se  passait 
dans  les  consistoires;  mais,  quel- 
ques recherches  qu'on  ait  faites  , 
on  n'a  pu  se  le  procurer.  Admis  à 
l'intiuiité  du  raaréchal  de  Montmo- 
renci,  Régnier  devint  son  confident, 
et  le  servit  de  tout  son  pouvoir  con- 
tre les  Guises  dont  touslesbons  Fran- 
çais redoutaient  l'ambition.  C'était , 
ditMézorai  ,  un  esprit  adroit  et  pé- 
tillant, mais  malin  et  imbu  des  opi- 
nions de  Calvin,  etc.  Quelque  temps 
après  la  conjuration  d'Araboise  (  F. 
Kenaudie  )  ,  la  reine  Catherine  de 
Wédicis ,  voulant  effacer  les  soup- 
çons que  les  Guises  avaient  conçus 
contre  elle,  fît  venir  Régnier  dans 
son  cabinet ,  où  elle  avait  fait  ca- 
cher le  cardinal  de  Lorraine ,  et  le 
pressa  de  lui  déclarer  naïvement  la 
cause  des  troubles  qui  venaient  d'c- 
claîer  dans  le  royaume,  et  de  lui  in- 
diquer les  moyens  de  les  apaiser,  Rc- 
gnicr,  s'imaginant  que  Catherine, 
guérie  de    ses  préventions  çtour  les 


REG 

Guises,  ne  cherchait  que  des  mo- 
tifs plausibles  pour  les  éloigner,  lui 
répondit  que  la  religion  n'était  pas 
le  prétexte  des  révoltes ,  mais  que 
la  haine  des  grands  contre  d'orgueil- 
leux étrangers  en  était  la  cause ,  et 
que  la  France  ne  jouirait  d'aucune 
tranquillité  tant  qu'ils  resteraient  à 
la  tête  du  gouvernement.  Après  quel- 
ques questions  insidieuses ,  et  aux- 
quelles Régnier  fut  embarrassé  de 
répondre  ,  Catherine  lui  reprocha 
de  taire  la  vérité  ,  et  ajouta  qu'il 
avait  trempé  dans  la  dernière  con- 
juration ,  et  qu'il  n'obtiendrait  sa 
grâce  qu'à  la  condition  de  livrer  l'é- 
cossais Stuart  et  ses  autres  compli- 
ces, dont  il  connaissait  la  retraite. 
Régnier  lui  répondit  avec  fermeté, 
qu'il  était  prêt  à  rendre  au  roi  tous 
les  services  qui  s'accorderaient  avec 
l'honneur;  mais  qu'il  la  priait -d'ê- 
tre bien  persuadée  qu'il  ne  ferait  ja- 
mais les  fonctions  de  prévôt  de  ma- 
réchaussée et  d'espion.  Catherine,  in- 
terdite, donna  l'ordre  de  mettre  Ré- 
gnier en  prison;  mais  elle  le  fit  re- 
lâcher quatre  jours  après.  L'histoire 
contemporaine  ne  nous  apprend  au- 
cune autre  particularité  sur  Régnier; 
mais  on  lui  attribue  les  ouvrages 
suivants  :  L  Du  e;rand  et  loyal  de- 
voir,  fidélité  et  obéissance  de  MM. 
de  Paris  envers  le  roi  et  couronne 
de  France ,  1 565  ,  in-S'».  ;  le  but  de 
l'auteur  est  de  justifier  le  maréchal 
de  Montmorenci  de  s'être  opposé  à 
l'entrée  du  cardinal  de  Lorraine  à 
Paris.  On  y  trouve  quelques  faits  cu- 
rieux. L'imprimeur  annonçait  une 
seconde  partie  qui  devait  paraître 
trois  jours  après  la  première  ;  mais 
elle  n'a  pas  été  publiée.  H.  Béponse 
à  V Epilre  de  Charles  de  Faude- 
mont ,  cardinal  de  Lorraine ,  prin- 
ce iinai^inairc  des  jojauines  de  Jé- 
nisalem  et  de  Naples^duc  et  comte 


REG 

par  fantaisie  d^  Anjou  et  de  Pro- 
vence ,  et  maintenant  simple  gen- 
tilhomme de  Hainaiit ,  i565,  in- 
8°.  L'éciit  que  réfute  noUe  auteur  , 
était  intitulé  :  Lettre  d'un  seigiieur 
de  Hainaut  ;  la  re'ponse  est  très- 
vif^oureuse,  et  vient,  dit  Bayle , 
d'une  plume  mieux  taillée  que  celle 
de  l'apologiste  du  cardinal.  III.  La 
Légende  de  Charles ,  cardinal  de 
Lorraine  et  de  ses  frères  (  sous  le 
nom  de  François  de  Li^le  ) ,  Reiras 
(  Genève )  1 574  (  ou  1 576, i 5^9  )  , 
in-8°.  Cette  satire  très- piquante  a 
été'  réimprimée  par  Lenglet  Dufrcs- 
noy  ,  dans  le  Supplément  aux  Mé- 
moires de  Condé  (  V.  Lenglet  ). 
IV.  Histoire  de  l'état  de  France  , 
tant  de  la  répullique  que  de  la  reli- 
gion ,  sous  François  II ,  1 076  ,  in- 
8°.  Quelques  personnes  veulent  ôter 
cet  ouvrage  à  Régnier  ,  ])Our  le  don. 
ner  à  La  Planche ,  ministre  dont 
parle  Bèze  dans  sou  Histoire  ecclé- 
siastique ,  p.  743-  Quoi  qu'il  en  soit, 
cette  histoire  ,  assez  bien  écrite  , 
contient  des  faits  singuliers  et  cu- 
rieux sur  les  Guises  et  la  reine  Cathe- 
rine de  Médicis.  W — s. 

REGNIER  (  Mathvrin  ) ,  le  pre- 
mier satirique  français  qui  se  soit 
approchédes  anciens,  naquit  à  Char- 
tres ,  le  21  décembre  i573  :  il  était 
neveu,  par  sa  mère,  du  fameux 
Desportes  ,  abbé  de  Tiron  ,  qui  dut 
à  son  talent  pour  les  vers  une  fortu- 
ne extraordinaire  pour  un  poète 
(  P^.  Despcrtes  ).  L'exemple  de  son 
oncle  dut  avoir  et  eut  en  effet  une 
grande  influence  sur  Régnier.  Dès 
son  enfance,  il  montra  du  goût  pour 
la  poésie,  et  en  mémo  temps  un  pen- 
chant pour  la  satire,  que  son  père 
ne  put  réprimer  (i).  Sans  consulter 


(i)  Et  likn  que  jeune  enfanl  mou  pcrc  inctiinçH, 
Lt  Je  vefges  souvent  mes  rliausuo.^  niciiaçùt , 


REG  25 I 

sa  vocation,  ses  parents  le  firent 
tonsurer  à  onze  ans,  pour  le  mettre 
en  état  de  succéder  à  quelques-uns 
des  bénéfices  de  son  oncle  :  mais 
bientôt ,  emporté  par  un  goût  effréné 
pour  le  plaisir,  il  se  livra  sans  re- 
tenue à  des  excès  que  peut  excuser  à 
peine  la  licence  des  mœurs  dans  ces 
temps  de  troubles  et  de  désordres. 
Pour  échapper  à  la  surveillance  et 
aux  reproches  de  ses  parents,  il  sui- 
vit le  cardinal  de  Joyeuse,  à  Rome, 
en  i5()3.  Régnier  nous  ajtpreud  lui- 
même  qu'il  fut  attaché  pendant  dix 
ans  à  ce  prélat,  sans  obtenir  de  lui 
la  moindre  récompense  (2).  Quoi- 
qu'd  fut  rebuté  de  l'état  de  courtisan, 
il  relourna  cependant  à  Rome  ,  en 
1601 ,  avec  le  duc  de  Béthune,  am- 
bassadeur près  du  Saint-Siège;  et  la 
protection  de  ce  nouveau  Mécène, 
frère  de  lami  de  Henri  IV,  fut 
moins  stéiile  pour  lui  que  ne  l'a- 
vait été  celle  du  premier.  En  i6o4, 
il  fut  pourvu  d'un  cauonicat  de  la 
cathédrale  de  Chartres  ;  et ,  deux 
ans  après,  il  obtint  une  pension  de 
deux  raille  livres  sur  l'aubaye  de 
Vaux  de  Cernai,  Satisfait  de  sa  for- 
tune, recherché  des  grands  pour  ses 
talents  ,  et  aimé  de  tous  ceux  qui  cul- 
tivaient les  lettres  ,  pour  la  douceur 
de  son  caractère ,  Régnier  aurait  pu 


Me  disant  de  dépit,  etboufii  de  colère  : 
Kadin ,  quitte  Its  vers,  et  que  penses-tu  faire?  etc. 
Salue  IV. 

(î)  J'allai ,  vif  de  courage  ,  et  tout  cbaud  d'espcrance , 
Eu  la  cour  d'un  prélat ,  qu'avec  mille  dangers 
J'ai  suivi,  courli-'an  ,  aui  pays  étrangers. 
J'ai  chanjié  mou  humeur ,  altéré  ma  nature. 
J'ai  bu  chaud,  mangé  froid,  j'ai  couche  siirla  dure. 
Je  rai ,  sans  le  quilter  ,  à  toute  heure  suivi. 
Donnant  ma  liberté  je  me  suis  a^sei-vi , 
En  public,  à  reglise  ,  à  la  chambre,  à  Ja  table; 
Et  pour  avoir  été  maiuteft  is  agréable  , 
niais  instruit  par  le  temps ,  à  la  fin  j'ai  connu , 
Que  la  fidélité  n'est  pas  grand  revenu  ; 

Et  r|n'.'i  mou  temps  perdu,  sans  nulle  autre  espérance 
L'Iiooncur  d'rtie  sujet  tient  lieu  de  récompense;  , 
î*i  ayant  ,aulrc  intérêt  de  dix  nns  jà  passes, 
Sinon  que  sau9  regret  je  I«9  ai  dépensés. 

Satire  11. 


i5a 


REG 


jouir  d'un  doux  repos  ,.8i  des  infir- 
mités précoces  ,  tristes  suites  de  ses 
débauches ,  n'eussent  altère  sa  santé'. 
La  poésie  seule  avait  le  pouvoir  de 
calmer  ou  de  lui  faire  oublier  les 
douleurs  incurables  auxquelles  il 
fut  en  proie  dès  l'âge  de  trente  ans, 
31  revint  alors  à  la  religion  ,  qu'il 
avait  négligée  ,  et  consigna,  dans 
quelques  pièces  de  vers  ,  le  repentir 
tardil"  de  ses  fautes.  Dans  un  voyage 
qu'il  fit  à  Rouen  ,  son  mal  empira  ; 
et  il  mourut  dans  l'hotelleriede  î'ïlcu 
d'Orléans,  le  li  octobre  i6«3,  à 
l'âge  de  trente-neuf  ans  et  dix  mois. 
Ou  plaça  ses  entrailles  dans  l'église 
de  Sainte-Marie  de  Rouen;  et  son 
corps  ,  enfermé  dans  un  cercueil  de 
plomb,  fut  rapporté,  comme  il  l'a- 
vait demandé  ,  dans  l'abbaye  de 
Royaumont ,  près  de  Paris.  Régnier , 
qui  s'est  représenté  comme  un 
liomme  mélancolique  et  pou  com- 
municatif  (3),  était  au  contraire  fer- 
tile en  bons  mots  et  en  reparties  vi- 
ves et  plaisantes  ,  qui  faisaient  les  dé- 
lices des  sociétés  qu'il  fréquentait. 
Naturellement  insouciant  ,  il  était 
toujours  vctu  d'une  manière  fort  né- 
gligée, et  souvent  même  mal-pro- 
pre; mais  il  faisait  oublier  ce  défaut 
par  les  agréments  de  son  esprit ,  et 
par  cette  espèce  de  bonhomie  ,  l'un 
des  plus  grands  charmes  de  Lafon- 
lainc,  et  que  les  amis  de  Régnier  lui 
reprochaient  avec  la  certitude  de  ne 
pas  l'en  coriiger  (/|).  Une  fois  ,  He- 
gnier  sj  fâcha  contre  Malherbe,  qui, 
.se  trotivant  à  la  table  de  Desportes, 
dit  brutalement  à  ce  dernier ,  qu'il 
fai  ait  plus  de  cas  de  son  j)ot.igcqMC 


(  .i)  Ce  n'es l  pas  mon  liumcur  ,  jo  «uis  méluncoliqiie  ; 
J«uc  eui»  puiiit  tiili-:mt,  luu  façcju  fst  iusli(|uc. 
S.Uin-  111. 
(/|)  la  le  nnrni.iii  clr  /.on,  i,,.' v:i  t'..ii  r.|)r<,r(.nT,l, 
n'aiiUHilqu«-ii.n'i,i|,iii,|'cH,„ii  aVlic  inccliiiut. 
Xiiliir  III. 


REG 

de  son  Imitation  des  Psaumes  (  F. 
Malherbe,  XXVI,  876  ).  Il  ne 
voulut  plus  le  revoir,  et  composa 
contre  lui  sa  neuvième  satire ,  adres- 
sée à  Nicolas  Rapin  (  F.  ce  nom  )  :  il 
aurait  sans  doute  montré  moins 
d'humeur  si  le  trait  de  Malherbe 
l'eût  affecté  personnellement.  Jamais 
il  ne  répondit  à  ses  critiques  ;  et  il 
poussait  l'insouciance  si  loin  à  l'é- 
gard de  ses  ouvrages,  qu'il  n'eut  au- 
cune part  aux  diverses  éditions  qui 
s'en  firent  de  son  temps  ,  et  qu'il  ne 
songea  même  pas  à  corriger  les  fau- 
tes dont  elles  sont  tontes  plus  ou' 
moins  remplies  par  l'ignorance  ou 
l'inattention  des  imprimeurs  (5).  Les 
OEuires  de  Régnier  se  composent 
de  seize  Satires ,  trois  Epures  ,  cinq 
Elégies ,  d' Odes ,  de  Stances ,  d'E- 
pigrammes ,  etc.  Nourri  de  la  lec- 
ture des  anciens  poètes  latins  ,  il 
leur  a  emprunté  les  sujets  de  la  plu- 
part de  ses  satires  ,  qui  contiennent 
de  fréquentes  imitations  d'Horace, 
de  Perse,  de  Juvénal,  d'Ovide  ,  de' 
Martial,  etc.,  ainsi  que  des  poètes 
italiens.  Son  style  est  à-la-fois  plein 
de  naturel,  d'enjouement  et  de  viva- 
cité. La  facilité  la  plus  heureuse 
en  est  le  véritable  caractère.  Il 
excelle  par  la  vérité  des  descrip- 
tions et  par  la  fidélité  des  por- 
traits. Aussi ,  quoique  ce  poète  ait 
vieilli,  il  compte  encore  de  nombreux 
lecteurs  ;  et  sans  doute  il  en  compte- 
rait un  plus  grand  nombre,  s'il  n'eût 
])as  bravé  la  décence,  en  portant 
dans  ses  ouvrages  la  licence  de  ses 
mœurs  (G).  Personne  n'a  plus  loue 

(.'))  Tout  le  iiiundc  comiiiit  l*i'/"'"/'/'e  <(»«  Rc-pnicr  ' 
s'itait  CDiopo.src;  i'li<'  i'ii|)i)clle  ,  par  riiicuiic  qu'elle 
aiinonre  clan.< l'auteur  ,  celle  que  se  lit  uutio  iiiiiiiita- 
Iilo  Laloiitaine. 

(())  lli  iu'eux!>i  .'îc,"i  discours  craints  du  clia.sifi  lecteur 
Ne  »!■  seiifiiieiil  des  lirni  ejue  IVe(|uenlnit  l'nutcur  • 
]:t  .si  du  bou  liardi  de  .ses  linu-fl  <;^ui(pi(  .1 
II  u'olurmait  «ouvtutle»  01  cilles  iiudique». 
Arlpuilii/ue ,  »«.  ch. 


REG 

Régnier  que  Boiloau,  si  dij^nc  dcl'ap- 
pre'cier,  et  qui  l'a  plus  d'une  fois 
imite ,  mais  en  homme  supérieur  : 
(i  C'est  ,  dit-il  ,   le  poète  français 
qui ,    du    consentement   de  tout  le 
Jiioude,  a   !e  mieux  connu,  avant 
Molière ,     les     mœurs    et    le    ca- 
ractère des  hommes  (  Réjlex.  criti- 
ques sur  Longin,  y^.  )  »  La  pre- 
mière édition  des    OEuvres  de  ce 
poète  est  celle  de  Paris  ,  1608,  in- 
4".;  elle  ne  contient  nue  dix  Satires, 
et  le  Discours  en  vers  ,  au  roi  Hen- 
ri IV;  mais  les  suivantes   sont  les 
seules  que  recherchent  les  curieux: 
Satires  et  autres  œuvres,  Leyde, 
Elzevier,  1642,  in-12  ;  elle  est  plus 
rare,  mais  moins  complète  que  celle 
qu'ont    publiée   les    mêmes    impri- 
meurs, ibid.,  i652,  in-12, — ;- Lon- 
dres, i729,in-4°.,  avec  dos  Eclair- 
cissements historiques ,  par  Bros- 
sette(Foj'.  ce  nom  );  ibid.,  1733, 
in-4°.  ,  cadres  rouges,  et  dont  il  a 
e'te  tire' des  exemplaires  petit  in-fol.  ; 
rares.  Ces  deux  éditions  renfeimcnt 
les  poésies  de  Motin  ,  Berthelot ,  et 
autres  poètes  contemporains  de  Ré- 
gnier. Ou  assure  que  Lenglet  Diifres- 
coya  pris  sointîe  l'èdilionde  i733, 
Londres  (  Paris  ) ,  1 746,  ou  Amster- 
dam (Paris  ),    1700,  2  vol.  in-12. 
Il  vient  d'en  paraître  une  nouvelle 
Cvliliou  avec  les  Commentaires,  re- 
vus ,  corrigés  et  augmentés,  précc'- 
de'e  de  V/Iistoire  de  la  satire  en 
France,  par  M.  Vioilet  le  Duc,  Pa- 
ris,   1822,  iu-i8,et  i823,in-8°. 
Celle  de  Lequien,  Paris  ,  1822,  in- 
8".  ,  oifre  le  texte  le  plus  soigné. 
La  Notice  que  Brossellc  a  publiée 
sur  Régnier,  a  été  insérée  dans  le  to- 
me M  des  Mémoires  de  Nicerou.  Son 
Portraits  été  gravé  iu-4".,  parScil- 
1er  Schastins.  W — s. 

REGNIER  (Jacques)  ,  né  à  Beau- 
ne,  le  6  janvier  1 58()  ,  eut  pour  père 


REG  253 

un  avocat,  qui  le  laissa  sans  fortune. 
Obligé  de  se  créer  des    ressources 
hors  d'une  carrière  indépendante, 
il  se  chargea  de  réducation  de  quel- 
ques jeunes  gens  de  qualité ,  et  se 
fit  ensuite  correcteur  d'imprimerie. 
Fatigué  de   ce  métier  ,  qui  n'avait 
pas  rendu  sa  condition  meilleure  , 
il  f.nit  par  se  livrer  à  l'étude  de  la 
médecine,  et  prit  le  bonnet  de  doc- 
teur à  Cahors ,  eu  1G24.  Sou  pro- 
]ne   corps  ,  affligé  de   continuelles 
maladies,  oftVit  une  amp'e  matière 
aux  études  de  sou  art.  Ses  douleurs 
physiques  étaient  encore  aggravées 
par  l'état  de  misère  dont  il  ne  put 
sortir.   Il   y    succomba    le  iG  juin 
j653.  li  faisait  diversion  à  ses  maux 
en  cultivant  la  poésie  latine  ;  et  il 
soumettait  ses  essais  à  Charles  Fe- 
vret,  son  ami,  qui  pourtant  n'a  lais- 
sé qu'une  réputation  de  jurisconsul- 
te. Les  Poèmes  manuscrits  de  Ré- 
gnier, dont  le  plus  considérable  était 
sur  la  Passion,  sont  perdus.  Il  ne 
fit  imprimer  qu'une  seule  de  ses  pro- 
ductions: Apologi  Fhœdrii  ,ex  ludi- 
cris  J.  Regneri  B.  D.  M.  (  Belnen 
sis  doctoris  medici),  Dijon,  iG43, 
in-12;  trad.  en  français,  ])ar  Dau- 
baine,  i685,  in-12  {Dict.  des  ano- 
nymes,'i*".  édit. ,  n°.  G588.)  F — t. 
REGNIER  DESMARAIS  (i) 
(  François  -  Séraphin  ) ,  grammai- 
rien et  littérateur  estimable,  naquit 
à  Paris ,  en  iG52  ,  d'une  famille  ori- 
ginaire du  Poitou,  Il  était  le  sixiè- 
me de  onze  enfants,  dont  sept  mou- 
rurent en  bas  âge,  et  les  trois  au- 
tres embrassèrent  la  vie  religieuse, 
A  huit  ans ,  il  fut  mis  au  séminaire 


(i)  «  Des  seigneuries  appurtmiinles  ù  mon  ^)ére  , 
«  il  ne  iu*fu  est  demeure  que  ie  .surnom  de  Desma~ 
).  rets  ,  c]ue  sans  y  prendre  gnrde  j'ai  lonJDurs  écrit 
j>  Oe^marais  ,  autrement  que  mon  père ,  avant  aussi , 
»  sanssavoir  puurquui  retranché  le  de  du  nom  de  Re- 
»  Ruier,  aulieu  que,  depuis  ce  temps-là,  beaucoup  de 
s  g«D3  oot  ajoute  uu  <i<;àleurnom.  »  Mcnioir.,  y.  i 


254 


REG 


de  Nanterre,   ou  il  fit  ses  études  , 
sous  la  direction  des  chanoines  rc- 
g;nliers  de  Saint-Auf^uslin  ,  dont  le 
P.  Faure,  son  oncle  maternel,  après 
en  avoir  été  le  réforinatenr,  e'tait  de- 
venu le  directciir-gf'neral  (  V .  Fau- 
re ,  XIV,  198).  Dans  toutes   ses 
classes,  le  jeune  Régnier  renaporta 
les  prix  de  prose  et  de  vers  ;  mais  il 
fut   inoins    heureux  au   colle'ge   de 
Montaign ,  où  il  étudia  deux  ans  la 
philosophie.  Le  peu  d'attrait  qu'il 
trouvait  aux  leçons  de  ses  maîtres 
tourna  ses  ilées  vers  la  littérature  ; 
et  il  était  encore  sur  les  bancs  quand 
il  traduisit  en  vers  burlesques  la  Ba- 
trachomyomachie  d'Horacre.  Il  fut 
attaché  successivement  à  diiïcrents 
seigneurs ,  fit  quelques  voyages  à  leur 
suite  ,  et  employa  ses  loisirs  à  étu- 
dier l'italien  et  l'espagnol ,  qu'il  ap- 
prit par  le  seul  secours  des  livrés. 
En  1662,  il  accompagna  le  duc  de 
Créqui  à  Rome  ,  avec  le  titre  de  se- 
crétaire d'ambassade;  fut  chargé  de 
la  coirespondance  italienne ,  et  en- 
suite  de  la  négociation   relalive   à 
l'affaire  des  Corses  (  V.  Gp.equi  ,X, 
•^29  ).  Après  son  retour  en  France  , 
il  continua  d'entretenir  un  commer- 
ce de  lettres  avec  les  amis  (pi'il  avait 
laissés  en  Italie.  Ayant  adressé  à  l'ab- 
bé Strozzi  une  Canzone,  celui -ci  la 
donna  comme  une  pièce  qu'Allatius 
venait  de  retrouver  dans  le  manus- 
crit de  Pétrarque  de  la  bibliothèque 
Valicane.  Chacun  le  crut;  et  quand  la 
chose  fut  éclaircie,  l'académie  de  la 
Crusca  s'empressa  d'adopter  le  poè- 
te dont  les  productions  npprocliaient 
assez  de   celles  de   Pétrarque  pour 
lromj)cr  des  juges  exercés.  Régnier 
n'avait  nul  dessein  de  s'engager  dans 
l'état  ecclésiasiiquc;  mais,  en  i6(j8, 
le  roi  lui  ;iyant  donne  le  prieuré  de 
Grammont  ,   pour  le   récompenser 
des  services  qu'il  avait  rendus  à  Ro- 


REG 

me  ,  il  prit  les  ordres  sacrés  ,  et  se 
conduisit  depuis  avec  la  même  régu- 
larité que  s'il  n'eût  fait  que  suivre 
sa    vocation.   L'académie  française 
lui  ouvrit  ses  portes  en  1670,  quoi- 
qu'il n'eût  donné  jusqu'alors  aucun 
ouvrage  en  français  ;  mais  la  con- 
naissance qu'il  avait  des  langues  sa- 
vantes devait  le  rendre  très  -  utile  à 
la  composition  du  Diclionnaire  dont 
cettecompagnie  s'occupaitavec  beau- 
coup  d'activité.    Quoique  employé 
par  les  ministres  ou  par  le  roi  lui- 
même  ,  dans   diverses  missions  de 
confiance  ,  il  répondit  si  bien  ,  par 
son  zèle  ,  au\  espérances  de  l'acadé- 
mie ,  qu'en  1684  ,  après  la  mort  de 
Mézerai,  il  fut  élu  secrétaire  perpé- 
tuel. Régnier,  en  cette  qualité,  rédi- 
gea tous  les  Mémoires  qui  parurent 
au  nom  de  l'académie,  dans  le  pro- 
cès qu'elle  eut  à  soutenir  contre  Fu- 
retière,  qui  s'était  approprié  le  tra- 
vail de  la  compagnie  (  F.  FuretiÈ- 
RE  ).  Le   Dictionnaire    attendu   si 
long-temps,  et  auquel  Régnier  avait 
eu  tant  de  part  (2),  était  sur  le  point 
de  paraître.  Il  en  avait  rédigé  la  Pré- 
face et  V Epitre  dédicatoire  an  Roi. 
Mais,  per-dant  un  voyage  qu'il  fut 
forcé  de  fdrc  en  Touraine ,  Ch.  Per- 
rault, Charpentier,  et  quelques  au- 
tres  académiciens ,  curent  assez  de 
crédit  pour  faire  préférer  une  autre 
Préface  et  une  autre  Dédicace  à  cel- 
les que  Régnier  avait  composées.  Ré- 
gnier, justement  indigné,  fit,  sur  les 
Flpîtres  de  Perrault  et  de  Charpen- 
lier  ,  des  remarques  critiques  ,  quel- 
quefois bien  fondées',  mais  plus  sou- 
vent trop  sévères  (3;.  L'infatigable 

[■>.)  M.  liiirliicr  illt(|iu'  licjjiiina  rcHigéiiim-aiide 
i>:iilicla  s.cuiidi- «diluJii  ilii  niclioinitiiic  di-  l';ic.id. 
t'iaiiç.  ,  iin))riiiiéc  en  171S;  mais  il  est  ccrlniii  qu'il 
avait  ru  drj.'i  l)c'aucou|i  di-  part  à  la  premicre  ,  qui 
iir  parut  tju't'n  i(ii)(i  ,  viu|;l-(|iuitrc  ans  npiis  son  ud- 
iijihbion  dans  ce  l'iu'ji.s  littt-i-aiio. 

(3)  n'Alrnilxit  u  insc^n;  dans  les  notes  de  l'iVog» 
de  cet  acadciuicicu,  les /l'/^i'/rt-i  nu  rui  de   Cli.  Pvr- 


REG 

académicien  se  chargea  eusuite  de 
re'diger  la  Grammaire  qui   devait 
développer  les  principes  dont  le  Dic- 
tionnaire n'était  c{iie  l'application  , 
el  former ,  avec  cet  ouvrage,  un  corps 
complet  de  langue  française.  Il  y  em- 
ploya, comme  il  le  dit  dans  sa  Pré- 
face ,  «  tout  ce  qu'il  avait  pu  acqué- 
»  rir  de  lumières,  par  cinquante  ans 
»  de  l'éflexions  sur  notre  langue,  par 
»  quelque  connaissance  des  langues 
»  voisines,  et  par  trente-quatre  ans 
»  d'assidiiité  dans  les  assemblées  de 
«  Tacadémic  ,  où  il   avait  presque 
»  toujoursteuula  plume.  »  LaGram- 
maire  de  Régnier  ne  comprend  que 
le  détail  des  parties  de  V  Oraison:  il 
se  proposait  de  traiter  à  part  de  la 
Syntaxe.  Trop  prolixe  pour  les  élè- 
ves, elle  n'est  pas  sans  utilité  pour 
les  savants;  et,  quoique  peu  consul- 
tée   maintenant,  elle  n'en  est   pas 
moins  une  mine  abondante,  que  ses 
successeurs  n'ont  pas  inauqué  d'ex- 
ploiter. Une  des  parties  les  plus  in- 
téressantes de  ce  livre  est  le  traité  de 
V  Orthographe.   L'auteur  y  expose 
avec  détail  les  divers  chaugeiuents 
proposés  depuis  J.  Dubois  (Sylvius) 
jusqu'à  LesclacLe,  pour  rendre  l'é- 
criture française  conforme  à  la  pro- 
nonciation ;  et  ce  tableau  n'a  pas  été 
reproduit  en  entier,  dans  le  travail, 
beaucoup  plus  ample,  que  Goujct  a 
donné  sur  le  même  sujet  (  Biblioth. 
franc.  ^  i,  ^G-iS-i  ).  La  Grammaire 
de  Tabbé  Régnier  fut  l'objet  d'une 
critique  assez  maligne ,  de  la  part 
du  P.  Buffier,  à  qui  l'on  doit  une 
'Grammaire,    jugée  meilleure    que 
celle  de  Régnier  (  selon  les  JMèmui- 
res  de   Trévoux  ,  octobre  ,  noG  ). 

rault  et  de  Charpeiilier ,  avec  les  Notes  de  Regiiier- 
Desiiiarais.  La  Piéluce  qu'avait  composée  Ke^uier, 
et  celle  de  Char|)eDtier,  se  tiouveut  dans  le  lirrueil 
de  pièces  curieuses  ,:t  nouvelles  ,  la  Haj  c  ,  MoetjeDs  , 
1G94  ,  toin.  i". ,  fi27--8.  Voy.  le  DitJl.  ries  anunj- 


REG 


255 


L'académicien  fit  au  jésuite  uue  ré- 
ponse plus  vive  que  solide,  et  dans 
laquelle  il  eut  le  tort  de  prétendre 
avoir  toujours  raison.  D'Alembert 
conjecture  que  cette  querelle  dégoû- 
ta Régnier  d'achever  ia  tâche  qu'il 
s'était  imposée.  11  revint  à  la  poé- 
sie ,  qu'il  n'avait  pas  cessé  de  cul- 
tiver ,  quoique  avec  peu  de  succès 
(  surtout  dans  le  genre  élevé), 'et  à 
la  traduction  ,  genre  dans  lequel  il  a 
mieux  réussi.  Régnier  mourut ,  le 
6  septembre  1713,3  l'âge  de  qua- 
tre-vingt-un ans.  Il  eut  Lamonnoye 
pour  successeur  à  l'académie.  D'un 
caractère  ferme  et  inébranlable  dans 
l'amitié,  d'une  proliité  à  toute  épreu- 
ve ,  et  portant  l'amour  du  vrai  jus- 
qu'au scrupule  .'4),  Régnier  n'eut 
d'autre  défaut  qu'un  entêtement  dé- 
placé. Furetière  dit  que  ses  confrè- 
res lui  avaient  donné  le  nom  d'ab- 
bé Pertinax.  Un  jour  qu'il  soutenait 
avec  chaleur  son  opinion  contre  un 
de  ses  confrères,  uue  dame,  présente 
à  ce  débat ,  leur  dit  :  Messieurs  ,  con- 
venez de  quelque  chose,  fût-ce  d'une 
sottise.  Outre  des  Traductions  ita- 
liennes du  Panégyrique  de  Louis 
XIV ,  par  Pellisson  ,  JG71  ,  etde  la 
RclationdeBossucl  sur  le quiétisme , 
1698,  in  8°.,  on  a  de  Régnier:  I. 
Pratique  de  la  Per  ection  chré- 
tienne,  par  Rodriguez,  traduit  de 
l'espagnol  en  français,  Paris,  1676, 
3  vol.  in-4°.  (5),  et  souvent  réim- 
primée depuis  dans  différents  for- 
mats. Il  avait  entrepris  cette  traduc- 
tion à  la  prière  des  Jésuites.  Il  accuse 
les  solitaires  du  Port  Royal,  d'avoir 

(4)  Un  jour  qu'on  le  pressait  de  mentir  en  faveur 
d'un  homme  puissant  :  J'aime  mieux,  dit-il,  me 
brouiller  at'ec  lui  iju'avec  moi. 

(5)  La  Traductioti  de  la  Perfection  clirc'tienne 
de  Ilodriguex  ne  parut  f|u"eu  1(170,  six  ans  après 
la  réception  de  Kignier  à  l'académie  française;  ce- 
peudaut  Tabbé  Sabaticr  dit  (lue  ce  fut  otté  traduc- 
tion qui  lui  valut  sa  plate  .1  l'académie  (Voy.  ks 
Tiuis  siècles  de  la  liltciulure). 


2  5G 


REG 


altère   le  teste  espagnol  dans   plu- 
sieurs endroits  de  leur  version  de  cet 
ouvra"-c  ,  et  surtout  dans  le  dixiè- 
me chapitre  du  premier  traite  ,  où, 
dit-il,  en  parlant  de  la  grâce,  on 
prèle  à  l'auteur  des  termes  tout  con- 
traires  aux    siens.    II.   Description 
du  Monument  érigé  à  la  s^loire  du 
Jîoi ,  ]>nr  le  maréchal  de  la  Feuil- 
lade  ^  avec  les  inscriptions  ,  ibid., 
16SG,  in- 4"-   Rfgnicr  avait  com- 
pose' toutes  les  inscriptions  excepte 
celle  :  F iro  immort ali{  V,  Lafexjil- 
LADE,  XIV,  457  )•  ni.   Le  Poésie 
d\4nacreonle  tradotîein  verso  Tos- 
cano  ,  e  d" annota zioni  illustrate  , 
ibid. ,  1 693,  in-S".;  Florence,  lôgS, 
in-i2,  avec  deux  autres  traductions 
d'Anacrcon  ,  par  Bartcl,  Corsini  et 
l'abbeSalvini.  IV.  Lepremierlivre  de 
l'Iliade^  en  vers  français  ,  avec  une 
Dissertation  sur  cpiclques  endroits 
d'Homère,  Paris,  i-joo.in-H'^  Dans 
cette  Dissertation,  il  réfute  les  pa- 
radoxes des   détracteurs  d'Homère 
et  de  l'antiquité;  mais  il  prouve,  par 
ses  vers  ,  qu'on  peut  admirer  les  an- 
ciens sans  parvenir  à  rendre  leurs 
beautés  (6).  V.  Traité  de  la  Gram- 
maire française  ,  ibid.  (7  ) ,  1 70^  et 
1706,' iu-4".;  ibid. ,    1706,  m-\i; 
Amsterdam  ,  1707,  in-i'2.  L'auteur 
de  l'approbation  (  Foutenelle  )  loue 
la  netteté  et  la  solidité  qui  régnent 
dans  cet  ouvrage.  VI.   Remarques 
sur  l'article  187  des  Mémoires  de 
Trévoux,  ibid.,   1706,  in-4>'. ,  de 
54  pa"^.  C'est  la  llcponse  à  la  cri- 
ti([uc  du  P.   Bullicr  ;  ou  la  trouve 
à  la  suite  de  la  Grammaire,  dans  les 


((>)  Di-sprcaux  parle  avec  un  trop  jiislp  di-dain  de 
ccUc  tr^iduction  {OEuvics  de  lioileaii-Pesfticanx , 
l'.iris,  J.-J.  Biaise,  187.1  ,  toiuelV,  p. 31)8,  LclUc  à 
IlruswUu,  du  8  septembre  1700). 

(7)  Ledilimi  de  iG7fî,  -x  vul.  io-n  ,  cilec  par 
DrsenKarli  ,  l'riidhuiiime  ,  Feller  ,  et  inènic  diina 
VHiiluire  de  Ui  tangue  Jhtnritiso  ,  est  iiiiagiunii'i'. 
I,u  iiriimiiiiiire  de  Uiguic»  parut  pour  la  j>roii>iire 
luit  VII  1705  ,  iii-4". 


REG 

exemplaires  in-4'*. ,  avec  la  date  de 
1706.  VII.  V Histoire  des  démêles 
de  la  cour  de  France  avec  celle  de 
Borne ,    au  sujet  de  V affaire  des 
Corses^  ibid.,   1707,  in-4".  ,  avec 
une  planche  représentant   la  pyra- 
mide que  le  roi  fit  élever  pour  per- 
pétuer le  souvenir  de  cet  événement 
et  qu'il  fit  ensuite  abattre.   Les  faits 
sont    rapportés    dans    cet    ouvrage 
avec  beaucoup  d'exactitude;  mais  la 
Tiarialion  manque  de  vie  et  de  mou- 
vement.  VIH.  Poésies  françaises^ 
italiennes  ,  latines   et  espagnoles  , 
ibid.,   1707-8,  2  vol.  in- 12.   Les 
Poésies  françaises'  ont  été  réimpri- 
mées ,  la  Haye,  17  16,  2  vol.  in-i2, 
précédées  des  Mémoires  de  Ke^nicr 
sur  sa  vie,  qu'il  avait  rédigés  pour 
satisfaire  à  la  demande  de  l'acadé- 
mie de  la  Crusca.  On  assure  que  les 
Italiens  et  les  Espagnols  font  beau- 
coup de  cas  des  ATrs  que  Régnier  a 
composés  dans  leur  langue;  mais  ses 
vers  français  sont  très-médiocres: ou 
y  distingue  cependant  quelques  pièces 
écrites  d'un  style  naturel  (8)  ,  et  la 
traduction  d'une  fameuse  scène  du 
Pastor  fido  (  V.  Guabini  ,  xviii , 
596  ).   Le  succès  qu'obtint  ce  mor- 
ceau, dans  la  nouveauté ,  nuisit ,  dit- 
on  ,  aux  vues  d'avancement  que  Ré- 
gnier avait  formées  ,  et  il  eût  obtenu 
les  honneurs  de  l'épiscopat  sans  les 
scrupules  que  cette  traduction  donna 
au  roi.  IX.  Les  Deux  Livres  de  la 
Divination    de  Cicéron  ,   irad.    en 
français  ,  ibid. ,  1720  ,  in- 12  ;  cette 
traduction  est  (idèle  ,  et  les  Remar- 
ques en  augmentent  le  prix.  L'abbé 
d'Olivet  a   relevé  t[uclques   erreurs 
échappées  à  Regtdor,  dans  une  Let- 
tre à   Fraguicr,  imprimée  réccm- 


(8)  Cependant  mi  iic  doit  point  lui  :itli-il>uer  avec 
li'9  auteurs  du  nouveau  liicl.  Inil.,ciil.  et  bildiog., 
lo  i<>li  (|iialiaiu  sur  la  vioUtte  ,  <pii  est  de  Uesina- 
rcl»  du  Saiut-Sorliu  (  K.  DliSMAKETS  ,  XI ,  »o3  ). 


REG 

ment  (-3aiis  V Album  Franc-Comtois 
(novembre  i8.>.3  ).X.  Enlreliens  de 
Cicëron ,  sur  les  vrais  biens  et  sur 
les  vrais  maux  (  De  finihus  ho- 
noriiin  et  malorum  ) ,  ibiJ. ,  1 7  >.  i  , 
in- 1'2.  On  trouve  à  la  Hn,  la  Traduc- 
tion d'une  partie  de  l'Oraison  pour 
Muiaena.  De  tous  les  académiciens  , 
Régnier  était  celui  qui  s'était  oppose' 
avec  le  plus  de  force  à  toute  espèce 
de  clianjjenient  dans  rortbot:;r.iplie  : 
mais  les  innovations  nécessaires  ob- 
tinrent malf^rcitii  !a  sanction  de  l'usa- 
ge (g)  ;  et  lorsque,  buit  ans  après  sa 
mort ,  on  voulut  fJonuerau  public  sa 
dernière  Traduction  ,  l'éditeur  pré- 
vint que  ,  pour  s'accommoder  k  la 
pratique  de  l'imprimeur ,  ou  avait 
e'ië  forcé  de  suivre  la  nouvelle  ortbo- 
grapbe,  sans  quoi  l'on  n'eût  jamais 
fini  (  F.  la  fin  de  V Apertissement  ]. 
Reculer  a  laissé  en  manuscrit  une 
Traduction  en  vers  italiens  des  Qua- 
trains de  Pibrac  ,  dont  il  envoya  la 
copie  à  la  grande-ducbcsse  de  Tos- 
cane ;  et  un  Poèmeen  quatre  cbanls 
sur  le  Règne  de  Louis  XIF  { 10).  Il 
avait  recueilli  ses  Lettres  à  Maga- 
lotti ,  et  à  ses  amis  d'Italie ,  en  'i  vol. 
in  fol .  Outre  les  Méuicires  de  sa  vie, 
dont  on  a  déjà  parlé,  et  qui  furent 
imprimés,poiirlapremièrc  fois, dans 
les  Mémoires  de  liltérature  ,  par 
Sallcngrc  ,  tome  i*^''. ,  on  peut  con- 


ig)  Ou  d(»it  avouer  iiraniiiuins  i|ii'f:nrecoiinais'satit 
lui-mcme  qcie  l'usage  <'t.iit  le  maître  de  tout  eu  ma- 
tière de  laugue  (  pag.  i  ij  de  sa  Oni'iiinaire  ,  édi- 
tiou  de  i-o(j,  111-17.  )  ,  il  coiiveoait  cju'il  serait  (lent- 
ê(rfedîflicile  de  coudami'er  la  ^iippres.siou  de  !'>■  dans 
beaucoup  de  luob»  où  eelte  lettre  ne  se  proDouce 
jias  :  et  ce  fut  eu  ellet  la  plus  grande  réforme  qui 
h'iutrodiiisit  à  celle  époque  dans  l'oi  tLogra|>l)C  ,  et 
qui  dtviut  bieutiit  générale.  G — UE. 

(10)  Le  roi  ne  voulant  pas  que  cet  ou'rrnae  |iarùt, 
à  cau-'C  des  tudruits  désobligeants  (|ui  .s'v  trouvent 
pour  les  nation^  avec  li  Mnielles  ii  el.iit  <  n  paix  ,  le 
lit  mil  ver  inroitinrUt  ajins  la  mort  de  l'auleur.  I,e 
pni-teleiiille  où  était  et  t  <Hïvragc,  avec  plusieurs  au- 
liTS  plu)  courts  qui  ont  eu  le  même  sort,  l'ut  rcm-s  , 
par  ordre  de  si.  Majeslc,  entre  les  mains  de  M.  le 
duc  de  iN'oailIes.  Ai'fiti^sciiu-nt  des  Poésies  J'ranç, 
de  Regnier-Uesniarais,  cd.de  I7ifj,  p   V. 

ÏXXVTI. 


REG 


2:^7 


sultcr  i\7ceron ,  tome  v ,  et  son  Eloge 
par  d'Alerabert ,  dans  V Histoire  des 
membres  de  l'académie  française  , 
m  ,  '201-99.  W — s. 

REGMIER  (  Claude- Ambroise  j, 
djic  de  Massa,  né  à  Bla  mont  en  Lorrai- 
ne ,  le  6  avrd  1736,  exerçait  avec 
succès  la  profession  d'avocat  à  Nan- 
ci,  lorsque  les  premiers  symptômes 
de  la  révolution  se  manifestèrent. 
Quoiqu'il  eût  la  rcputationd'un  bom- 
mc  sage  et  instruit ,  il  ne  put  échap- 
per à  la  séduisante  théorie  qu'on 
avait  résolu  de  mettre  en  pratifjuc: 
néauTGoiiis  il  ne  s'y  livra  qu'avec 
réserve.  Nommé  députe  aux  états- 
généraux  ,  il  ne  prit  point  part,  au 
moins  ostensiblement  ,  aux  auda- 
cieuses délibérations  qui  consommè- 
rent la  dissolution  de  cette  assemblée. 
Sous  la  constituante,  Régnier  ne  s'oc- 
cupa guère  que  de  tjucslions  judi- 
ciaires :  ainsi ,  ce  qui  est  un  mérite 
assez  rare,  il  sut  se  mettre  à  sa  place^ 
et  en  cela  ,  il  ne  fut  pas  imité  par  la 
plupart  de  ses  collègues.  Les  vio- 
lences qui  agitèrent  l'assemblée , 
en  1 789 ,  l'effrayèrent ,  sans  doute  ; 
il  se  tint  à  l'écart  jusqu'en  1790  ,  et 
ne  parut  à  la  tribune,  que  lorsqu'il 
fut  question  de  l'établissement  défi 
nouvelles  autorités  judiciaiies.  Ou 
voulait  introduire  le  jury  jusque  dans 
les  procès  purement  civils  ;  le  7  avril, 
Régnier  attaqua  cette  innovation 
au  moins  bizarre,  et  concourut  à 
la  faire  rejeter.  Ou  voulut  aussi  ins- 
tituer l'ambulance  des  juges  d'ap- 
pel :  il  combattit  ce  système,  qui  avait 
beaucoup  de  partisans,  et  qui  fut  éga- 
lement écarté.  KnOu  Régnier  exa- 
mina la  question  délicate  de  savoir 
s'il  ne  serait  pas  convenable  d'accor- 
der des  indemnités  aux  personnes 
poursuivies  comme  criminelles,  lors- 
qu'un jugement  aurait  prononcé  leur 
absolution  :  l'ailirmativc  lui  parut 

'7 


'258 


REG 


évidente  j  mais  on  trouva  de  gran- 
des difficulte's  dans  l'application  ,  et 
sa  proposition  n'eut  pas  de  suite.  Lors 
de  l'insurrection  de  la  garnison  et  du 
peuple  de  Nanci ,  il  délendit  la  mu- 
îiicipalilé  de  cette  ville ,  accusée  de 
n'avoir  rien  fait  pour  prévenir  le 
désordre  et  le  comprimer  :  il  ap- 
prouva aussi  la  conduite  du  marquis 
de  Bouille  dans  cette  désastreuse 
journée  ,  et  repoussa  les  attaques 
dirigées  contre  lui  par  le  parti  jaco- 
Lin.  Ou  doit  regarder  ces  premières 
hostilités  comme  l'époque  de  la  scis- 
sion entre  les  démagogues  et  les 
constitutionnels  :  dès  ce  moment,  ils 
ne  cessèrent  de  se  faire  une  guerre 
à  outrance.  Le  28  août ,  Régnier  at- 
taqua vivement  le  vicomte  de  Mira- 
beau ,  et  demanda  qu'il  fût  décrété 
d'accusation ,  pour  avoir  cherché  à 
flétrir  le  régiment  qu'il  commandait, 
en  emportant  les  cravates  de  ses  en- 
seignes. Il  s'occupa  encore  de  quel- 
ques questions  administratives ,  où 
il  ne  fut  pas  remarqué,  et  il  travailla 
beaucoup  dans  les  comités.  Lors  du 
départ  du  roi,  en  1791 ,  il  fut  en- 
voyé,enqualitéde  commissaire,  dans 
les  départements  de  la  Lorraine  et 
de  l'Alsace ,  pour  y  prévenir  ou  faire 
cesser  les  désordres  qu'un  tel  événe- 
ment aurait  pu  faire  naître.  Voilà, 
à-peu-près ,  tout  ce  qui  nous  a  paru 
digne  d'être  rappelé  de  la  conduite  de 
Régnier  pendant  la  durée  de  l'assem- 
blée constituante.Qjiant  à  ses  opinions 
politiques  ,  elles  furent  constamment 
modérées ,  comme  nous  venons  de 
l'indiijuer  :  cependant  on  le  voyait 
voter  le  plus  habituellement  avec  le 
côté  gauche,  dont  sûrement  la  mo- 
dération n'était  pas  le  principe;  mais 
il  avait  sans  doute  prévu  que  le  côté 
opposé  succomberait  et  que  les  pros- 
criptions seraient  la  conséquence  de 
sa  chute  :  d'ailleurs  Régnier  était 


REG 

plébéien ,  et  devait  être  uaturelle- 
ment  l'adversaire  d'un  parti  que 
l'on  dénonçait  chaque  jour  com- 
me l'oppresseur  de  la  caste  plé- 
béienne. Régnier  ne  parut  plus  sur 
la  scène  politique,  après  la  session 
de  l'assemblée  constituante  ;  et  l'on 
n'entendit  point  parler  de  lui  apros 
les  événements  du  10  août:  il  par- 
vint à  se  faire  oublier  pendant  le 
règne  de  la  Convention  ;  mais  la  ré- 
volution du  9  thermidor  ayant  re- 
trempé les  esprits  et  ranimé  les  cou- 
rages, les  hommesles  plus  réservés  ne 
purent  rester  dans  riuertie,et  Régnier 
se  jirésenta  pour  jouer  nn  rôle  nou- 
veau. La  Convention  fut  enfin  forcée 
de  terminer  sa  carrière  :  la  constitu- 
tion, dite  de  l'an  trois,  s'établit,  et 
Régnier  futnommédéputéau  Conseil 
des  Anciens  ,  par  le  déparlement  de 
la  Meurthe.  Nous  sommes  obligés  de 
rappeler  qu'ici ,  il  se  montra  plus 
sévère  que  dans  l'assemblée  consti- 
tuante :  dans  le  Conseil  des  Anciens, 
il  combattit  l'opinion  qui  rappelait 
au  corps  législatif  Jean- Jacques  Ay- 
mé (  1  ) ,  qui  en  était  membre  par 
droif  d'élection ,  et  il  fut  un  des  défen- 
seurs de  la  fameuse  loi  du  3  brumai- 
re, odieux  résidu  de  la  tyrannie  con- 
ventionnelle. Il  fut  aussi  l'adversaire 
des  prêtres  déportés  ou  exilés  de 
France ,  et  se  rangea  du  parti  de 
ceux  qui  s'opposaient  à  leur  retour. 
Régnier  fit  j)lns  d'effet  au  Conseil  des 
Anciens  qu'à  l'assemblée  constituan- 
te ;  mais  aussi  le  Conseil  des  Anciens 
avait  beaucoup  moins  d'ascendant 
sur  le  public  que  la  constituante  ,  et 
moins  encore  que  le  Conseil  des  Cinq- 
cents.  Régnier  fut  tour-à-tour  secré- 
taire et  président  du  Conseil   des 


(i  1  Li's  ri  voluliiiiici.iiics,  i)Our  lo  nudrc  ridicule, 
avnii'iit  .substitue  le  ii»m  du  Job  u  celui  du  Jcan- 
J.irijucs  ,  rt  Tavaieiil  si  souvcut  reprit!  ,  que  ce  nom 
de  Jol)  Jui  fut  eiFcclivciiHiut  touscrré. 


REG 

Anciens  :  il  ne  prit  point  part  aux 
événements  du  i8  fructidor;  el  s'il 
ne  défendit  pas  ceux  qui  en  furent  les 
victimes  ,  au  moins  il  ne  les  attaqua 
point.  Mais  il  se  fit  honneur  eu  re- 
poussant l'odieuse    proposition  de 
Boulay  de  la  Meurtlie  ,  qui  voulait 
qu'on  expulsât  de  leur  patrie  non- 
seulement  tous   les  nobles  qui  n'a- 
vaient pas  donné  des  gages  à  la  ré- 
volution, mais  toutes  les  personnes 
qui  ,    ayant    occupé   quelque  place 
importante  dans  l'ancien  gouverne- 
ment ,  n'auraient  pas  donné  un  gage 
pareil  au  nouvel  ordre  de  choses. 
Régnier,  dont  les  pouvoirs  étaient 
expirés,  fut ,  en  1799  ,  nommé  une 
seconde  fois ,  par  son  département , 
député  au  Conseil  des  Anciens  :  il  fut 
du  nombre  de  ceux  qui ,  convaincus 
que  le  pitoyable  Directoire  ne  pou- 
vait plus  se  soutenir  ,  projetèrent  de 
hâter  sa  chute,  et  de  le  remplacer  par 
un  ordre  de  choses  plus  tolérable. 
Déjà  l'attaque  avait  été  faite  par  le 
parti  jacobin  :  un  club  (2) ,  où  l'on  en- 
tendait les  mêmes  vociférations  que 
dans  la  société  de  1 798 ,  s'était  établi 
près  du   Conseil  des  Anciens.  Les 
gens  sages  voulaient  bien  être  dé- 
barrassés  du  Directoire  ;   mais  ils 
craignaient  que  les  Jacobins  ne  re- 
prissent leur  cruel  empire.  Courtois 
dénonça  vivement  les  nouveaux  clu- 
Listes,  etdemanda  qu'ils  fussentchas- 
ses  d'un  lieu  qui  était  sous  la  police 
du  Conseil  .Régnier  appuya  Courtois  : 
la  majorité  se  décida  ,  et  les  clubis- 
tes  expulsés  ne  purent  s'établir  ail- 
leurs. Enfin  Régnier  se  réunit  à  ceux 
qui ,  au  retour  de  Buonaparte  ,  réso- 
lurent avec  lui  de  renverser  un  gou- 
vernement dont  les  débcis  croulaient 
de  toutes  parts.  Les  mesures  étant 


(a)  Ce  club  est  connu  dans  l'histoire  de  I.i  rt-vo- 
lutiuD,  sou.s  le  nom  de  club  du  Manège. 


REG 


■^59 


prises  et  les  batteries  préparées  ,  Ré- 
gnier, et  son  collègue  Cornet,  comme 
lui  membre  du  Conseil  des  Anciens, 
furent  chargés  ,  d'après   une   con- 
vention qui  avait  eu  lieu  chez  Le- 
mercier ,   président  du  Conseil    au 
18  brumaire ,  jour  correspondant  au 
9  novembre  1799,  de  demander  que 
le  siège  des  deux  Conseils  fût  trans- 
féré à  Saint-Cloud.  Il  prononça  un 
discours  sur  les  dangers  qui  envi- 
ronnaient le  Corps  législatif ,  et  s'op- 
posa formellement   à   1  explication 
des  motifs  qui  avaient  exigé  que  les 
deux  Conseils  sortissent  de  Paris.  On 
sait  que  tout  se  passa  comme  l'avaient 
désiré  les  heureux  conspirateurs  (  f^. 
Buo-VAPARTE,  au  Supplément  ).  Les 
services  qu'avait  rendus  Régnier  au 
nouveau  çrouvernement  et  à  son  chef, 
ne  pouvaient  rester  sans  récompense  : 
il  fut  d'abord  président  de  la  com- 
mission intermédiaire  nommée  pour 
travailler  à  une  nouvelle  constitu- 
tion. Après  l'établissement  du  con- 
sulat,   il   devint   membre  du   con- 
seil-d'état, dans  la  section  des  finan- 
ces, où  il  fut  chargé  de  divers  rap- 
ports à  présenter  au  corps  législatif  : 
ce  fut  lui  qui  fit  rétablir  la  flétris- 
sure de   la   marque  pour   les   cri- 
mes de  faux.  Le  14  septembre  1802, 
Buonaparte  le  nomma  grand-juge  , 
ministre  de  la  justice,  et  joignit  à  ses 
attributions,  la  police,  qui  était  aussi 
un  ministère.  Ce  fut  lui  qui  dirigea, 
en  1 804 ,  toutes  les  poursuites  contre 
Georsre  et  Pichcgru  (  For.  ces  deux 
noms  ).  Régnier  réunissait  ainsi  les 
plus  éminentes  fonctions   de  l'état, 
après  la  puissance  souveraine  ,  et  la 
place  la  plus  difficile  ,  en  qualité  de 
grand-juge  ou  garde-des-sceaux  :  on  le 
vit,  renouvelautles  anciennes  solenni- 
tés du  parlement,  présider  les  magis- 
trats de  la  cour  de  Cassation,  revêtus 
de  leurs  robes  rouges,  et  assister  aux 
17.. 


cciemouies  rcUg,v€iiscs,  qiie  l'impicté 
des  révolutionnaires  avait  proscrites. 
Cependant,  soit  que  les  occupations 
de  ministre  de  la  justice  et  celles  de 
ministre  de  la  police  exigeassent  un 
travail  au(]uel  un   seul  homme  ne 
pouvait  suffire  ,  foit  qwe  Buona parte 
eût  besoin,  pour  la  police, d'un  agent 
plus  initie'  dans  les  myslèies  de  la 
révolution  ,  le  ministère  delà  police 
fut  disirait  des  attributions  de  Ré- 
gnier ,  et  rendu  à  Fouclié.  Régnier 
conserva  le  litre  de  grand-juge  avec 
le  ministère  de  la  justice ,  qu'il  exerça 
sans    exciter   personnellement    au- 
cune plainte.  Buonaparte,  qui  avait 
pour  principe  d'élever  aux  plus  hau- 
tes dignités  ceux  auxquels  il  confiait 
des  places  érainentes,  nomma  suc- 
cessivement Régnier  grand  -  officier 
delà  Légion  d'honneur,  sénateur,  et 
duc  de  Massa.  Le  portefeuille  de  la 
justice  lui  fut  ôté  en  novembre  18 1 3, 
et  il  devint  président  du  corps-lé- 
gidatif ,  place  qu'il  occupait  encore 
lorsque    Buonaparte    abdiqua  ,    en 
181 4-  Il  écrivit,  le  8  avril ,  au  gou- 
vernement provisoire,  pour  savoir 
s'd  serait  continué  dans  ces  fonc- 
tions. On  ne  lui  fit  aucune  réponse  ; 
et  dès-lors  aussi  affligé  de  la  chute 
de  son  maître  que  de  ses  propres 
disgrâces,  il  vécut  dans  le  chagrin. 
et  mourut  à  Paris,  le  24  j"'"  «8 14. 
Son  fils  a  hérité  de  son  titre  de  duc 
de  Massa  ,  et  siège  aujourd'hui  à  la 
chandire  des  pairs.  B — u. 

RKGNIER.  Foj.  Reymer. 
HÉGUl.US  (MarcusAtilius  ), 
consul  romain  ,  s'est  distingué  dans 
la  première  guerre  punique  :  l'illus- 
tralion  de  sa  famil'e  remontait  à  l'an 
de  Rome  3 1  o  (  4^4  avant  J.C  )  On 
élut  alors,  jiour  rempl.icrr  les  con- 
suls ,  lr<iis  tribuns  militaires  ,  qui 
furent  pris,  dit-on  ,  dans  l'ordre  pa- 
tricien, quoique  les  plébéiens  eussent 


REG 

été  déclarés  éligilles  ,  et  au  nombre 
desquels  se  trouvait  un  Atilius  Lon- 
gus.  En  ScjBuvantnotre  ère, un  second 
Atilius  Longusdcvint  tribun  militaire, 
et  fut  réélu  l'an  393  :  on  voit  ensiàte 
un  troisième  Atilius,  mais  surnom- 
mé Régulus  ,  consul  en  335;  un  qua- 
trième avec  le  même  sui  nom,  en  iQ^; 
un  cinquième  en  16']  ;  et  c'est  celui 
auquel  cet  article  est  consacré.  Nous 
pouvons  supposer,  que  selon  la  loi  ou 
l'usage,   il  avait  environ  quarante- 
trois  ans ,  quand  il  obtint  les  fais- 
ceaux consulaires,  et  que  par  consé- 
quent il  était  né  vers  3ioj  mais  l'on 
dira  plutôt  32o  ou  3.i5  ,  si  l'on  ob- 
serve que  son  fils  Caius  ,  élu  consul 
en  'i.5'] ,  a  dû  naître  vers  3oo.  Mar- 
cus    Régulus   batiit   les    Salentins , 
s'empara  de  Blindes,  et  reçut ,  avec 
son  collègue  Julius  Libo  ,  les  hon- 
neurs du  triomphe  ,  le  '21  décembre 
267.  Son  secoid  consulat  est  de  l'an 
256.  On  avait  d'ahord  nommé,  avec 
Manlius  Vulso  ,  Quintus  Cœdilius  ; 
mais  celui-ci  étant  mort  fort  [eu  de 
temps  après  l'élcciion  ,  Régulus  le 
remplaça  :  c'était  la  neuvième  an- 
née de  la  première  guerre  punique. 
Les   deux   consuls  vainquirent   sur 
mer  les  Carlhagiiiois  commandés  par 
Amilcaret  Hannon,  prirent  soixan- 
te-trois  vaisseaux ,  en  coulèrent   à 
fond    trente    autres ,    et    perdirent 
vingt  -  (|ualre   des   leurs  :    il    leur 
en   restait  trois  -  ceiit  -  six  ;   et  ils 
avaient  réduit   la   flotte  ennemie  à 
deux  cent  cinquante-sept  vi  iles.  Po- 
lyl)c  place  cette  bataille  navale  pr  s 
du  !Mont  Ecnonie  ,  sur  la  côte  méri- 
dionale de  la  Sicile,  entre  Agrigente 
et  G(la.  Le  même  historien  nous  ap- 
prend que  Us  Romains,  ayant  radou- 
l)é  les  vaif.seauK  qu'ils  avaient  piis 
,iUS.  Cailhaginols  ,  et  porté  ainsi  la 
(lotte  romaine  à  p'us  de  trois  cent 
soixante   naviies  ,   cinglèrent    vers 


REG 

l'Afiiijuc,  et  se  rciici'ivnt   maîtres 
du  port  d'Aspib  ;  que,   sur  l'orJre 
du  scnat  ,    qui    rappelait    l'un    des 
consuls  ,   Manlius   Vulso  recondui- 
sit à  Rome   la  plus  p;ranJc  pirîic 
de  la  flotte  ;  et  que  Reguîus  resta  en 
Afrique,  avec  quarante  vaisseaux, 
cinq-ce!i!s  c.ivi'iers  et  qiiuze  mille 
fantassins.  Les  Carthaginois  se  dou- 
iiôreut  trois  commandants  ,  Boslar, 
Asdrubal,  filsdeHannon,cl  Amiicar, 
qui  ramenait  d'Ii'iracle'e  cinq  cents 
hommes  d'infanterie  et  cincj   cents 
chevaux.  Regulus  emporta  d'assaut 
les  villes  non  forlifiees  ,  cl  assiégea 
les  antres  :  il  gagua,  près  d'Adis,  une 
victoire  éclatante  ,  et  prit  Tunis;  les 
auteurs  latins  élèvent  à  deux  cents  le 
nombre  des  places  qu'il  soumit.  Déjà 
il  se  croyait  maître  de  Garlliage,  où 
re'gnaient  la  discorde ,  la  famine  et 
la  terreur. Pour  prévenir,  dit  Polybe, 
le  retour  de  son  collègue  ,  et  ne  par- 
tager avec  personne  la  gloire  de  ter- 
miner cette  guerre,  il  offrit  la  pais 
aux  Carthaginois  ,  mais  à  des  condi- 
tions intolérables ,  plus  humiliantes 
et  plus  dures  que  toutes  les  défaites. Le 
sénat  de  Cartilage  n'y  put  consentir , 
et  s'enhardit  d'autant  mieux  à  tenter 
encore  la  fortune  des  combats  ,  qu'il 
venait  de  recevoii'  un  renfort  de  ]jH- 
cédémoniens  volontaires  ,  conduits 
par  Xanthippe.Lcsauteurs  modernes 
qui  renvoient  au  proconsulat  de  Re- 
gulus ,  en  '255  ,  la  j^ataillc  d'Adis  ,  la 
prise  de  Tunis  ,  et  les  propositions 
de   paix ,   contredisent   Polybe ,  et 
coramellcut   ])robable:nent  une  er- 
reur. C'est  mcMne  au  consulat  et  non 
au  proconsnlal  de  Regulus,  qu'Aulu- 
gcUe ,   d'après  Tubéron  ,   ra])poi'lc 
l'histoire  de  cet  éu()rmcscrpc]:t,qut, 
sur  les  boids  du  fleuve  Bagrada  ,  se 
montra  ,  dit-on ,  plus  formi'1;d)lc  aux 
Romains  ,  que  n^  l'avait  été  l'armée 
canhagi'ioisc  ,  et  contre  lequel  il 


REG 


rt.Gi 


fallut   employer   des   michincs   de 
guerre.  Ce  récit  ne  se  lit  point  dans 
Polybe  ;  mais  Valcre-Maxime',  Flo- 
rus ,  Siliusltalicus ,  Orose,  etc. ,  l'ont 
transmis  aux  compilateurs  moder- 
nes. Xanlhippe,  jusqu'alors  inconnu, 
e'tait  un  habile  capitaine  :  lorsqu'il 
eut  appris  les  détails  des  revers  qu'a- 
vaient essuyés  les  Cartliaginois,i!  osa 
leur  dire  qu'ils  avaient  été  vaincus 
par  l'impéritie  de  leurs  propres  gé- 
néraux,  bien  plus  que  par  le^  Ro- 
mains. On  lui  confia  le  commande- 
ment d'une  arraéecomposéedc  douze 
mille  fantassins  ,  quatre  mille  cava- 
liers et  une  centaine  d'éléphants.  Il 
rangea   ces  animaux  sur  une   pre- 
mière ligne,  derrière  laquelle  il  plaça 
la  phalange;  distribua  une  partie  des 
troupes  mercenaires  dans  l'aile  droi  le; 
et  jeta  les  plus  agiles  sur  l'une  et 
l'autre  aîlc  avec  la  cavalerie.  Regu- 
lus n'était  plus  que  proconsul  ;  et 
quelques  historiens,  parmi  lesquels 
n'est  pas  compris  Polybe  ,  assurent 
qu'il   avait  instamment  prié  qu'on 
voulût  bien  le  décharger  du  com- 
mandement mditaire  :  c'eût  été  pour 
lui  et  pour  Rome  un  très-grand  bon- 
heur. Mais  en  vain  écrivait-il  qu'un 
valet  ayant  enlevé  les  charrues  de 
l'unique  champ  qu'il  possédait ,  sa 
présence  était  nécessaire  à  la  cul- 
ture de  son  héritage  et  à  la  subsis- 
tance de  sa  famille  ;  on  décrc'la  que 
ses  charrues  seraient  renouvelées, 
son  champ  cultivé  et  sa  famille  ali- 
mentée aux  frais  de  la  république: 
les  Latins  ont  jeté  dans  leurs  anna- 
les le  plus  qu'ils  ont  pu  de  détails  dg 
cotte  espèce.  Quoi  qu'd  en  soit,  ReV 
gulus  accepla  la  bataille  qti'on  s'é- 
tait disposé  à  lui  livrer  près  de  Tu- 
nis :  il  mit  au  front  ses  troupes  lé- 
gères ;  derrière  elles,  la  grosse  in- 
l'antcric,cl  la  cavalerie  sur  les  ailes; 
en  sorte  que  le  corps  d'armée ,  moins 


263  REG 

étendu  qu'à  l'ordinaire,   avait  plus 
d'épaisseur.  C'était  une  disposition 
excellente  pour  résister  au  choc  des 
éléphants  :  mais  elle  ne  laissait  point, 
ajoute  Polybe,  assez  de  moyens  de 
défense  contre  la  cavalerie  ennemie, 
beaucoup  plus  nombreuse  que  celle 
des  Romains,  Aussi  Régulus  perdit- 
il  la  bataille  ,  et  tomba-t-il  entre  les 
mains  des  Carthaginois ,   avec  en- 
viron cinq  cents  soldats,   compa- 
gnons de  sa  déroute.  Il  laissait  le 
reste  de  son  armée ,  écrasé  sur  le 
champ  de  bataille  ,  à  l'exception  de 
deux  raille  hommes  qui  se  réfugiè- 
rent, comme  par  miracle,  dit  l'his- 
torien  grec ,   à   Clypéa  ou   Aspis. 
Xanlhippe  avait   perdu   huit  cents 
soldats  étrangers;  mais  il  ramenait 
les   Carthaginois    dans  leur    ville , 
traînant  après  eux  les  dépouilles  des 
morts ,  cinq  cents  prisonniers  ,  et  ce 
général  Régulus,  qui,  naguère  intrai- 
table, se  voyait  réduit  à  implorer  une 
pitié  qu'il  n'avait  pas  eue;  c'est  en- 
core une  réflexion  de  Polybe.  Eu- 
trope  a  porté  à  trente  mille  le  nom- 
bre des  Romains  exterminés  en  cette 
journée,  et  à  quinze  mille  celui  des 
prisonniers.  On  raconte  ensuite  que 
Régulus  demeura  captif  à  Carlhage, 
jusqu'en  25o  ou  même  jusqu'en  'i\']; 
qu'à  l'une  ou  l'autre  de  ces  époques, 
il    accompagna    des    ambassadeurs 
Carthaginois  envoyés  à  Rome  pour 
négocier  la  paix;  qu'il  avait  promis, 
si  elle  n'était  pas  conclue,  de  venir 
reprendre  ses  fers;  qu'il  opina  dans 
le  sénat  contre  la  paix,  et  mcme 
contre  l'échange   des    prisonniers; 
que  son  discours  détermina  les  séna- 
teurs à  rompre  tonte  négociation  ; 
que,  malgré  le  grand-pontife  qui  pré- 
tendait le  dégager  d'un  serment  ex- 
tonjiié  par  la  violence,   malgré  les 
larmes  de  sa  famille  et  de  tous  ses 
concitoyens  ,  il  remplit  sa  promcs- 


REG 

se ,  repartit  pour    Carthage ,   et  se 
remit  aux  mains   de  ses  ennemis; 
qu'enfin  ceux-ci  le  firent  périr  au 
ruilieu  des  plus  affreux  supplices  , 
soit  en  lui  coupant  les  paupières  et 
en  le  privant  du  sommeil ,  soit  en  le 
tirant  d'un  sombre  cachot  pour  l'ex- 
poseraux  rayons  d'un  soleil briilant, 
soit  en  l'attachant  à  une  croix,  soit 
en  l'enfermant  dans    un   coffre   ou 
tonneau  de  bois  hérissé  de  pointes 
de  fer  :   car  les  livres  nous  ollrent 
toutes  ces  variantes,  à  moins  qu'on 
ne  dise,  avec  Florus  et  Rolliu,  que 
Régulus  a  souffert  tous  ces  tourments 
l'un  après  l'autre.  Nous  devons  avouer 
que,  sauf  ces  différences  ,  presque 
tous  les  auteurs  Latins,  et  trois  his- 
toriens grecs, Appien,  Dion-Cassius 
et  Zonaras,  s^accordent  sur  le  fond 
de  ces  tragiques  aventures.  Cice'ron 
en  fait  mention  dans  son  traité  De 
Officiis ,  et  dans  sa  Harangue  contre 
Pison  ;  c'est  le  sujet  de  la  magnifi- 
que Ode  d'Horace,  Cœlo  tonantem, 
etc.  Le  dévouement  et  le  supplice 
de  Régulus   sont   indiqués   dans   le 
sommaire  du  i8<^.  livre  de  Tite-Li- 
ve  ;  Valère  Maxime  les  cite  avec  une 
pleine  confiance;  Silius  Italiens  les 
célèbre;  l'auteur  de  l'opuscule  De 
viris  illustribus  et  les  autres  abrévia- 
tturs  classiques  se  gardent  bien  deles 
omettre.  A  tant  de  textes  positifs , 
nous  ne  pouvons  opposer  que  le  si- 
lence de  Polybe  et  de  Diodore  de  Si- 
cile ,  qui  donnent  beaucoup  d'autres 
détails   sur  ce  personnage.  Polybe 
aurait éténaturcllemententraîné,  par 
le  cours  de  sa  narration,  à  rapj)elcr 
au  moins  ,  des  faits  si  mémorables  , 
s'il  en  avait  eu  connaissance.  Diodo- 
re de  Sicile,  en  parlant  des  cruautés 
exercées  sur  les  Carthaginois  par  les 
fils  de  Régulus,  dit  qu'ils  y  étaient 
excités  par  leur  mère  (  Marcia  ),  qui 
supportait  avec  peine  la  mort  de  son 


' 


REG 

mari ,  et  qui  l'imputait  à  leur  négli- 
gence. Ces  paroles  prouvent,  selon 
Paulmier  deGrentemesnil,  que  Re'gu- 
lus  est  mort  d'une  maladie  mal  soi- 
gnée. Terrasson,  an  contraire,  tra- 
duit :  «  La  mère  des  jeunes  Atilius , 
»  qui  attribuait  à  la  négligence  de  ses 
»  fils  la  mort  cruelle  de  son  mari , 
»  leur  persuada  de  s^en  'vefiger 
»  sur  deux  prisonniers  carthaginois 
»  (  Bostar  et  Amilcar  )  qu'ils  avaient 
»  à  Rome;  »  et  ce  passage ,  ainsi 
rendu,  devient  une  preuve  de  la  fin 
tragique  de  Rcgulus  :  mais ,  en  se 
reportant  au  texte  grec  ,  on  n'y 
trouve  rien  qui  exprime  l'ide'e  de 
vengeance ,  rien  qui  corresponde  au 
mot  cruelle.  Une  des  plus  graves  in- 
fide'lite's  qu'un  traducteur  puisse 
commettre  ,  est  d'attribuer  tout  ex- 
près à  l'auteur  qu'il  interprète,  des 
expressions  qui  favorisent  une  tra- 
dition contestée  ,  et  que  cet  auteur 
n'e'nonce  point.  Les  meilleurs  criti- 
ques du  dernier  siècle  ,  et  particuliè- 
rement Wesseling  ,  ont  embrasse' 
l'opinion  de  Paulmier  de  Grentemes- 
nil ,  sans  daigner  faire  mention  de  la 
paraphrase  et  du  commentaire  de 
Terrasson.  Le  P.  Petau,  dans  ses 
grandes  Tables  chronologiques  ,  n'a 
date'  que  la  défaite  de  Régulus  près  de 
Tunis ,  et  a  passé  sous  silence  le  sup- 
plice de  ce  général.  Toland  ,  Beau- 
fort  et  Lévesque,  en  reléguant  tout 
ce  récit  parmi  les  fables ;,  ont  joint 
aux  indications  tirées  du  silence  de 
Polybeet  du  texte  deDiodore,  celles 
qui  résultent,  soit  des  variantes  ou 
contradictions  des  auteurs  latins , 
soit  aussi  de  la  conduite  humaine  et 
généreuse  des  Carthaginois  à  l'égard 
du  consul  Scipion,  qu'ils  avaient  fait 
prisonnier  au  commencement  de  la 
première  guerre  punique.  Du  reste 
le  tableau  de  Tambassade ,  du  dcvoû- 
ment  et  de  la  mort  de  Rcgulus ,  rem- 


REG 


i63 


pHt  la  plus  grande  partie  du  livre 
qui  tient  la  place  du  18".  de  Tite- 
Live  ,dans  les  supplémentsdeFrcins- 
heim  j  et  il  a  passé  de  là  dans  tous 
les  livres  modernes  d'histoire  romai- 
ne :  il  a  été  transporté  sur  le  théâtre 
lyrique  italien  ,  par  Métastase  ;  sur 
la  scène  française,  par  Pradon  ,  par 
Dorât ,  et  récemment ,  avec  plus  de 
su  ccès,  par  M  Arnault  fils.  A  vrai  di- 
re, on  ne  connaît  de  la  vie  d'Atilius 
Régulus ,  que  ce  qui  concerne  son 
premier  consulat  en  0167,10  second 
en  256 ,  et  son  proconsulal  en  255  : 
à  celte  dernière  époque,  il  pouvait 
avoir  soixante- cinq  ans,  et  nous 
ignorons  combien  de  temps  iJ  a  sur- 
\/e'cu  à  sa  défaite;  les  plus  sûrs  ren- 
seignements surson  histoire  se  trou- 
vent dans  le  premier  livre  de  Po- 
lybe,  et  dans  ce  qui  reste  des  livres 
xxiii  et  XXIV  de  Diodore  de  Sicile. 
—  Nous  avons  indiqué  au  commen- 
cement de  cet  article,  quatre  Atilius, 
plus  anciens  que  lui  :  ceux  qui  ne  pa- 
raissent dans  l'histoire  qu'après  sou 
premier  consulat  ,  n'ont  pas  tous 
porté  le  surnom  de  Régulus.  Atilius 
Calatinus  est  consul  en  258  ,  etdic- 
tateur  en  258;  mais  le  Gains  Ati- 
lius Béguins  Scrranus  ,  qui  obtint 
les  faisceaux  en  257,  et  en  25o  ,  est 
le  fils  du  personnage  dont  nous  ve- 
nons d'esquisser  la  vie.  On  trouve 
ensuite  Gaius  Atilius  Balbus  ,  consul 
en  245  et  235  ;  le  surnom  de  Bégu- 
ins reparaît  en  227,  attaché  aux 
noms  de  Marcus  Atilius,  et  de  son 
fils  Gains  Atilius  :  le  premier  exerça 
la  puissance  consulaire  en  227  et 
217,  et  la  censure  en  2 1 4  :  le  second 
parvint  au  considat  en  225.  Trois 
autres  Atilius,  consuls  en  i7t,  187 
et  107  (i)  (  année  de  la  naissance  de 

(1)  'i'oiites  les  dates  cnoncécs  daus  cet  article  sont 
couii>rines  aux  rcsultiits  de  l'exceDent  travail  d'Al- 
bert sur  la  chronologie  romain^  daus  l'Art  rie  vi^ 
Jier  tgs  date)  avant  J.-C. 


3G/i 


REG 


Cicëron  ) ,  ne  sont  surnoramc's  que 
Serranus,  mot  qnc  Virgile  et  Pline 
font  venir  de  serere,  semer  (  ef  te 
sulco,  Serane  ^serentem).  La  famille 
Alilia  a  subsislé  jusque  sous  les  em- 
pereurs, illustrée  surtout  par  les  di- 
gnités qu'avaient  occupées  ,  depuis 
Vavï  l^l^f^  avant  notre  ère  ,  jusqu'en 
107,  les  treize  personnages  désignés 
dans  cet  article.  D — iv — u. 

REHNSGliOLD  (  Charles-Gus- 
tave ,  comte  DE  ) ,  sénateur  et  fcld- 
maréclial  de  Suéde ,  appelé  mal-à- 
propos  Reinsclîild  par  quelques  écri- 
vains ,  lut  un  des  généraux  les  plus 
distingués  de  Charles  XII.  Né  à  Stral- 
suud,  en  iG5i  ,  d'une  famille  origi- 
naire du  pays  de  Munster  ,  et  dont 
le  nom  primflif  était  Reffcnbrinck  , 
il  passa  en  Scanie  ,  pour  faire  fcs 
études  à  l'université  de  Lund.  En 
1673  ,  il  entra  a-u  service  militaire, 
et  se  fit  remarquer  par  son  courage 
et  son  dévoûment  pendant  la  guerre 
que  Charles  XI  eut  à  soutenir  contre 
les  Danois.  Après  avoir  ou  part  à 
l'expédilion  de  Charles  XII  dans 
l'île  de  Sélande  ,  à  la  bataille  de  Nar- 
wa ,  au  siège  de  Riga  ,  il  obtint  le 
commandement  d'une  année  en  Po- 
logne. Ayant  pris,  en  1708,  la  ville 
de  Thorn,  par  assaut,  sans  perdre 
\m  seul  liomme,  il  poursuivit  Augus- 
te ,  remporta  sur  l'armée  de  ce  prin- 
ce, une  vicloire  éclatante  ,  à  Frauon- 
stadt ,  et  répandit  la  terreur  ])ar- 
lui  les  Saxons  et  les  Polonais.  Char- 
les XII  le  nomma  sénateur  et  fcld- 
laaréchal ,  et  lui  donna  le  titre  de 
comte.  Kchnscliold  accompagna  le 
inonarqufî  victorieux  dans  son  expé- 
dition contre  Pierre  1''.  Il  futchar- 
j^é  dti  commandement  de  l'armée 
^uédoise  à  la  bataille  de  Pultawa  , 
Charles  ayant  été  blessé ,  et  ne  pou- 
vant commander  on  ])ersonne.  Selon 
les  Mémoires  qui  ont  paru  en  Suéde, 


REI 

ce  furent  les  mcsinteiligencos  qui 
éclatèrent  entre  le  fcld-marcchal  et 
le  général  Lev>enhau[)t,  qui  occasion- 
nèrent la  perte  de  la  bataille.  Rehn- 
schold  fut  fait  prisonnier  par  les  Rus- 
ses ,  el  ne  recouvra  sa  liberté  qu'au 
bout  de  neuf  années.  Le  czar ,  en  la 
lui  rendant ,  exigea  qu'il  prît  par  écrit 
l'engagement  de  ne  pas  servir  dans  la 
suite  contre  les  Russes.  Relinschold 
alla  rejoindre  Charles  XII ,  qui  était 
en  Norvège.  Après  la  mort  du  mo- 
narque ,  il  eut  un  commandement  eu 
Scanie.  11  avait  assisté  à  douze  ba- 
tailles rangées  ,  et  à  trente  combats; 
son  corps  était  couvert  de  blessures  ; 
et  il  mourut  des  suites  de  celle  qu'il 
avait  leçue  dans  la  poitrine  ,  pen- 
dant les  campagnes  de  Pologne.  Une 
hémorrhagie  violente  termina  ses 
jours  ,  le  2g  janvier  1722.  Ce  fut  le 
docteur  Noibcrg  ,  auteur  de  l'his- 
toire de  Charles  XII  ,  qui  prononça 
l'oraison  funèbre  du  feld-maréchal  ; 
et  Frédéric  I^'". ,  successeur  de  Char- 
les ,  honora  les  obsèques  de  sa  pre'- 
sence.  C — u. 

REICHARD  (  Henri-Godefroi  ), 
philologue  allemand  ,  né  à  Schlciz  , 
en  i74'-i  ,  s'est  distingué  ]  ar  ses 
traductions  en  latin.  Il  n'avait  ja- 
mais parlé  cette  langue,  lorsqu'élant 
obligé  ,  à  l'université  de  Leipzig,  de 
disputer  sans  préparation  ,  il  fut 
étonne  lui-même  de  la  facilité  avec 
laquelle  il  débitait  des  phrases  lati- 
nes. Depuis  ce  moment  celte  langue 
fut  pour  lui  un  i'iiome  favori;  et 
à  l'exception  de  ses  Discours  alle- 
mands,  assez  médiocres,  il  a  tou- 
jours écrit  en  latin.  Avant  de  quitter 
licip/ig  ,  il  publia  une  Disserta- 
tion, /^e  arlis  bette  scribcndi  ori- 
gine el  fatis  usque  ad  annum  1 4  53, 
(  Lcij)zig ,  1 760  ),  qu'il  Ht  suivre  d'une 
lettre  à  Garve,/)e  causis  Jiuii^ni- 
tudinis  vcteruin  et  recentiorum  in 


BRI 

omni  liheraliori  doclrinâ  ejfeclrici- 
hiis  ,  ibid.  Ayant  eié  uoiumc  maî- 
tre au  collège  de  Griraina  ,  il  donna 
nne   édition   d'un  auteur  de  l'école 
platonique,  Gcraislus  Plctho  ,  avec 
cicsnoîcs  ,  Lcip/.ig,  1770.  Une  inon- 
dation arrivée  à  Grimina,  en  1777  , 
lui  fournit  le  sujet  d'un  poènje  lalin  , 
Cataclj  sinus  Grimme/isis ,  oui!  imi- 
te assez  heureusement  Ovide;  mais 
faute  d'imagination,  il  y  dcvicnl  pro- 
saïque. Bien  qu'il  n'eût  guère  d'au- 
tres idées  en  théoloj::;ie  que  celles  qu'il 
avait  puisées  à  l'école  d'Eriiesti  son 
maître  à  Leipzig,  il  ca  publia  pour- 
tant uu  Manuel,  sous  ce  lilie  :  Initia 
docirince  christionce  inusinn  sliidio- 
sœ  juventulis ,  Leipzig,  1778;  se- 
conde e'dition  ,  i  794.  Quoiqu'il  eût 
d'abord  écrit,  De  instilutiove  jme- 
rili  Dialogus,  Leipzig,  1777  ,  con- 
tre la  nouvelle  méthode  d'enseigre- 
raent  mise  en  vogue  jiar  Basedow, 
il  traduisit  néanmoins  ,  dans  la  suite 
en  latin  ,  un  ouvrage  élémentaire  de 
l'école  de   cet   instituteur  ,   fFvlkii 
commentarius  in  tabulas  centum  ele- 
vieutares œri incisas,  Leipzig,  i  784, 
1789.   Il  eut  l'idée  de  publier    un 
journal  pour  l'éducation  ,  LpJicme- 
rides  Lipsicœ,  1786-87  ;  ce  journal 
cessa  au  bout  de  l'année.  Los  jihilo- 
Jogucs  furent  très -satisfaits  de  sou 
édition  de  VAlexandra  ou  Cassan- 
dra  de  Lycophron  ,   où  il  montre 
une  profonde  connaissance  de  la  lan- 
gue grecque;  mais  son  érudition  l'a 
trompé  sur  le  méri'e  de  cet  ouvrage 
antique,   qvi'il  élève  beaucoup    trop 
haut   (  Fof.  Lycopju'. o^,   xw, 
5i  I  )  :  Reichard  prit  même  la  peine 
d'en  faire  une  imitation  allemande  , 
qu'il  ajouta,  par  une  disparate  assez 
singulière  ,  à  un  poème  sur  le  jiége 
do  Magdebourg.il  avait  plus  lieureu- 
sement  imité,  en  latin,  le   poème 
allcmaud  de  Fhaéton,  par  Zaclia- 


REl  aG5 

rias  ,    Leipzig  ,    1780,    dont    il 
avait  déjà  paru  une  autre  tiaduclion 
d'Avenarius ,  traducteur  de  Murncr 
aux  enfers  ,  Brunsv^ick ,  1 77 1 .  Dans 
son  zèle  pour  les  traductions  latines, 
il  fit  le  même  honneur  à  un  mauvais 
poème  prétendu  héroï  jue ,  le  Giena- 
dierou  Giistafelyloustache.lWiuii- 
tu!a,  dans  la  langue  de  Virgile:  Gits- 
taviadios  libri  xii ,  poemation  epi- 
cum,  Leipzig,  i  790.  Cette  traduciion 
ne  prouve  point  en  faveur  de  son 
goût  ;  et  pour  nn  homme  aussi  fami- 
liarisé avec  les  classiques ,   ce  fut 
une  entreprise  qui  étonna  le  public. 
Kcichard  fut  ajiprouvé  davantage  en 
tradi.isaiit  eu  latin  l'histoiie  de  la 
guerre  de  Sept-Ans, par  Al  clunhollz, 
1790;  seconde  édition,  1792:  mais 
ce  fut  surtout  dans  sa  traduction  du 
ISouvcau-Testament,  que  l'en  recon- 
nut l'habile  latiniste;  elle   parut  à 
Leipzig  ,  eu  1  799  ,  et  eut  beaucoup 
de  succès  ,  du  moins  auprès  dos  sa- 
vant*. Il  avait  esposc  sa  méthode  de 
traduction  dans  une  Dissertation  De 
adornandd  Ncvi  Testam.  venione 
'yere/rt</«r/, Leipzig,  1 79O. Reichard 
n'était  parvenu  dans  sa  Irès-mcdcste 
position  ,  à  l'école  de  Grimraa  ,  que 
jusqu'au    titre  de  oo-recteur;  et  il 
mourut  le  22  mai  1801.  Un  de  ses 
confrères  ,  Stcver  ,  fit  paraître  ,  la 
même  année,   Lessus  in  obitum  If. 
G.  Beichardii.  Lenz   dit,   dans  le 
ISécrologe  de  Schlichtegroll ,  que  la 
science  de  Rricl.ard  était  le  fruit  de 
la  mémoire  plutôt  que  du  jugement. 

D— G. 

REICHARDT  (  jEAN-Fr.Éntnic  ), 
compositeur  ,  né  en  1 7r)'2  ,  à  Kœnis- 
berg  en  Prusse,  aj>]Mit  la  musiq'.ie- 
dès  son  enfance,  et,  à  l'âge  de  dis 
ans,  se  fit  .entendre  puljliqucment, 
sur  le  violon  cl  le  piano  ,  dans  les 
villes  d'Allemagne  :  mois  entraîné 
par  son  g'»ût  pour  les  lettres,  il  fil 


266  REI 

ses  éliides  à  l'université  de  sa  ville 
natale ,  sous  la  direction  de  Kant , 
et  alla  les  achever  à  Leipzig;.  Ayant 
fait  ensuite  un  voyage  en  Allemagne, 
il  revint  en  Prusse,  et  obtint  une 
place  de  secrétaire  à  la  cliambre  des 
domaines.  Son  talent  musical  ne  tar- 
da pas  à  le  conduire  dans  une  autre 
carrière.  Ayant  e'të  appelé  à  Berlin  , 
par  Frëde'ric  II,  pour  diriger  l'opé- 
ra italien ,  il  se  voua  tout  entier  à  la 
musique ,  et  organisa  des  concerts  , 
oia  il  fit  exécuter  les  compositions 
des  maîtres  italiens  Jomelli,  Sac- 
chini  ,  Piccinni ,  etc.  :  dans  les  no- 
tices qu'il  distribuait  pendant  les 
concerts  ,  il  mettait  les  auditeurs  al- 
lemands au  t'ait  du  genre  et  du  mé- 
rite de  chacun  de  ces  maîtres.  Il  vi- 
sita lui-même  l'Italie,  en  l'jSi;  mais 
il  n'y  fit  qu'un  court  séjour.  Trois 
ans  après,  il  alla  donner  des  concerts 
à  Londres  :  il  y  fit  entendre  ses  com- 
positions, consistant  en  psaumes, 
scènes  italiennes,  et  la  Passion  de 
Métastase.  Il  les  fit  exécuter  ensuite 
à  Paris,  où  il  s'était  rendu  en  quit- 
tant l'Angleterre,  ivcichardt  y  eut  du 
succès;  et  l'académie  royale  de  mu- 
sique lui  confia  deux  poèmes ,  le  Ta- 
merlan  de  Morel,  et  le  Panthée  de 
Berquin.  L'année  suivante,  il  revint 
à  Paris ,  avec  la  composition  entière 
du  premier  de  ces  opéras  ,  et  la  moi- 
tié delà  seconde.  Il  allait  faire  exé- 
cuter plusieurs  scènes  italiennes  dans 
les  concerts  de  la  reine  à  Versailles  , 
lorsque  la  mort  du  roi  de  Prusse  le 
força  de  retourner  dans  ce  pays  en 
toute  hâte ,  afin  de  mettre  en  mu- 
sique la  cantate  funèbre  du  marquis 
de  Lucchesini.  Quoicjue  pressé  par 
le  temps ,  Reichardt  réussit  par- 
faitement dans  cette  tâche  ;  et  sa 
cantate  ,  exécutée  aux  funérailles 
du  roi  à  Potsdam  ,  fut  fort  goûtée 
du  public  :  la  partition  en  a  été 


REI 

gravée   à  Paris,  en    1787.  Le  suc- 
cesseur  de  Frédéric  II    confia    au 
compositeur  la  direction  de  l'orches- 
te  royal,  uni  à  celui  du  prince  de 
Prusse.  Les  meilleurs  exécutants  y 
furentappelés  :  l'opéra  italien  fut  bien 
soutenu;  et  Reichardt  composa  plu- 
sieurs opéras  sérieux,  et  des  ballets  : 
Son  Atidromède  et  son  Brenmis , 
parurent  à  cette  époque.  Dans  ces 
grands  opéras  ,  il  avait  l'intention 
d'unir  le  style  savant  de  Gluck  aux 
agréments  du  chant  italien.  Cepen- 
dant Reichardt  n'avait  pas  de  génie; 
et  il  ne   réussit  que  médiocrement 
dans  le  grand  style  lyrique  :  seule- 
ment on  voit  qu'il  avait  bien  étudié 
Gluck  ,  qu'il  se  proposait  toujours 
pour  modèle.  Il  regardait  Brennus 
comme  sa  meilleure  composition  : 
loin  d'être  de  son  avis  ,  les  connais- 
seurs n'y  trouvèrent  ni  verve  ,  ni  ori- 
ginalité,  ni  grâce.  II  réussit  mieux 
dans  l'opéra-comique,  pour  lequel  il 
composa  quelques  pièces.  Un  second 
voyage  qu'il  fit  en  Italie,  en  1790, 
afin  de  recruter  des  sujets  pour  le 
théâtre    loyal  de  Berlin  ,   le   fati- 
gua au  point,  que  ne  pouvant  ache- 
ver ,  pour  le  carnaval ,  son  opéra 
d' Olympiade ,  il  se  brouilla  avec  la 
cour,  et  se  retira,  dans  une  terre 
auprès  de  Halle,  d'où  il  fut  rappelé 
promptement  pour  faire  jouer  cet 
opéra,  pendant  les  fêtes  célébrées, 
à  l'occasion  du  mariage  de   deux 
princesses.  Ayant  fait,  en  1792,  un 
troisième  voyage  à  Paris ,  il  prit  un 
vif  intérêt  aux  événements  de  la  ré- 
volution, et  déposa  ses  sentiments 
dans  SCS  Lettres  familières ,  écrites 
pendant  un  voyage  en  France  ,  eu 
1 792  ,  -2.  vol.  in-S".  11  n'en  fallut  pas 
davantage  pour  le  faire  considérer , 
dans  une  cour  ombrageuse  ,  comme 
un  partisan  de  la   révolution.   Dé- 
pouillé de  sa  direction  de  l'orches- 


r 


REI 

ti'e,  il  se  retira,  en  1794»  ^  Ham- 
bourg, et  acheta  une  terre  dans  le 
Holstein.  11  rédigea  un  ouvrage  pé- 
riodique, sous  le  titre  de  La  Fran- 
ce. Cependant  le  gouvernement  prus- 
sien, ayant  senti  qu'il  étail  injuste  de 
destituer  pour  des  opinions  politiques 
un  maître  de  chapelle,  le  dédom- 
magea par  une  place  de  directeur 
des  salines  à  Halle ,  où  Reichardt 
avait  toujours  sa  terre.  A  l'a  vënement 
de  Fi  édéric  Gudlaume  III ,  il  re- 
prit la  direction  de  l'orchestre.  On 
donna  ,  à  la  fête  du  sacre,  un  de  ses 
meilleurs  opéras  :  Vile  des  esprits. 
En  1798.  il  composa  l'opéra  italien 
de  Rosemonde  :  l'année  suivante ,  à 
l'anniversaire  de  la  naissance  de 
Frédéric  II,  il  fit  exécuter  les  odes 
de  ce  prince,  qu'il  avait  mises  en  mu- 
sique ;  vers  le  même  temps ,  on  joua 
à  Berlin  le  Tamerlan  do  Reichardt 
avec  des  paroles  allemandes.  Pour 
l'ouverture  du  théâtre  national ,  il  fît 
représenter  l'opéra  de  la  Forêt  en- 
chantée, dont  Kotzebue  avait  écrit  le 
poème.  Il  composa  plusieurs  mor- 
ceaux des  Croisés ,  du  même  poète, 
ainsi  que  la  musique  de  deux  pièces 
dramatiques  de  (joeÛ\e  {E gmont ,  ç,t 
Jery  et  Bœthely  ).  Il  avait  précé- 
demment mis  en  musique  les  chan- 
sons de  Goethe,  pour  lesquelles  il 
réussit  bien  mieux  que  pour  celles 
de  Klopstock,  Herder  et  Schiller.  On 
regarde  comme  une  excellente  com- 
position la  musique  que  fît  Reichardt 
pour  la  scène  des  sorcières  'dans  la 
tragédie  de  Macbeth.  Son  séjour  à 
Paris  lui  avait  donné  l'idée  de  trans- 
planter sur  la  scène  allemande,  le 
genre  tout-à-fait  français  des  vaude- 
villes. Comme  les  poètes  allemands 
n'en  avaient  pas  une  idée  exacte , 
Reichai'dt  fît  lui-même  une  piècedont 
le  sujet ,  du  genre  sentimental  ,  était 
tiré  des  anecdotes  de  la  révolution  : 


REI 


267 


pour  les  airs  il  choisit  les  chansons 
de  Goethe  et  autres ,  qu'il  avait  mi- 
ses eu  musique.  Ce  premier  vaude- 
ville allemand  ,  intitulé  Amour  et 
Fidélité,  eut  beaucoup  de  succès; 
il  en  donna  deux  autres,  intitulés 
Juchhei ,  et  VJrt  et  V Amour  ,  qui 
ne  furent  pas  si  bien  accueillis.  Ayant 
fait,  en  i8o3,  un  quatrième  voyage 
à  Paris,  il  y  fut  nommé  correspon- 
dant de  l'Institut,  classe  des  beaux- 
arts.  Il  profîta  de  ce  séjour  pour  re- 
cueillir beaucoup  de  renseignements 
sur  les  événements  publics  et  les 
hommes  marquants  du  jour;  et  à  son 
retour  en  Allemagne,  il  fit  paraître 
de  Nouvelles  lettres  familières, 
écrites  pendant  son  voyage  en  Fran- 
ce, dans  les  années  180 3  et  180/4 ,  3 
vol.  in- 8".  Cet  ouvrage  est  plein 
d'anecdotes  intéressantes,  et  il  fit 
une  vive  sensation.  A  l'approche  de 
l'armée  française,  en  1806,  Rei- 
chardt quitta  la  ville  de  Halle  , 
pour  se  réfugier  dans  le  royaume 
de  Prusse ,  d'où  il  fut  obligé  de 
revenir  ensuite  pour  faire  sa  cour 
au  nouveau  roi  de  Westphalie,  con- 
server sa  terre,  et  solliciter  une 
indemnité  pour  la  place  de  directeur 
des  salines.  Il  était  sur  le  point  d'ob- 
tenir une  sous-préfecture  ,  quand  le 
roi  Jérôme  lui  confia  la  direction 
des  théâtres  français  et  allemand  à 
Cassel.  Reichardt  composa  pour  les 
fêtes  de  la  nouvelle  cour  plusieurs  di- 
vertissements, et  mit  en  musique  un 
petit  opéra  français  :  V Heureux  nau- 
frage. Étant  allé  à  Vienne  pour  re- 
cruter des  bouffes,  il  y  reçut  des  of- 
fres brillantes  ,  et  se  chargea  de  com- 
poser l'opéra  de  Bradamante ,  pa- 
roles de  Colin.  Pendant  qu'on  mon- 
tait cette  nouveauté,  la  guerre  éclata 
entre  l'Autriche  et  la  France;  et  Rei- 
chardt n'ayant  fas  conservé  la  di- 
rection des  théâtres  de  Cassel,  se 


2G8  REI 

relira  dans  sa  terre,  prcs  de  HaMc, 
Il  y  écrivit  des  Lettres  familières 
sur  Vienne,  aussi  intéressantes  que 
celles  qu'il  avait  données  sur  Paris  : 
aussi  fiireat-ellcs  trcsLicn  accueil- 
lies du  public.  Il  est  mort  dans  sa 
retraite,  îe  27  juin  1814.  Il  avait 
perdu,  en  1783,  sa  femme,  excfl- 
lente  canîatrice,  et  fille  du  composi- 
teur Benda.  Une  des  filles  de  Rei- 
cliardt,  Louise,  opouse  du  poète 
Tick,  a  compose'  plusieurs  airs.  Rei- 
cLardt  joignait  à  beaucoup  d'esprit  et 
de  souplesse  daus  sa  conduite,  une 
vanité  excessive ,  qui  le  brouilla  sou- 
vent avec  les  personnes  qui  étaient 
en  relation  avec  lui.  Il  raisonnait 
très-bien  sur  la  musique  lyrique  :  on 
en  trouve  des  preuves  dans  la  Ga- 
zelle musicale,c[u''û  lëdigeait  àBer- 
iiin,  en  180,^  et  i8o5.         D — g. 

REID  (  Thomas  ),  ])rofesseur  de 
pliilosopliie  morale  à  l'université  de 
Glasgow,  naquit,  le  26  avril  1710,  à 
Strachan,  dans  le  comté  de  Kincar- 
dine  (  ou  Mearns  )  en  Ecosse,  à  vingt 
milles  d'Aberdeen.  Quoique  Rcid  ait 
cté  le  fondateur  d'une  ère  nouvelle 
<lans  l'histoire  de  la  plùlosoplnc mo- 
derne, sa  vie  n'oflre  aucun  de  ces 
événements  remarquables  qui  exci- 
tent la  curiosité  ou  l'intéiêl  des  hom- 
mes. Dans  l'obscurité  d'une  retraite 
studieuse  ,  étranger  aux  agitations 
de  l'ambition  ,  et  ne  s'occupant  ja- 
mais de  sa  gloire  littéraire  ,  il  vc- 
fAxl,  à  son  insu,  en  vérita])lc  philo- 
sophe, faisant  le  plus  de  bien  possi- 
ble à  ceux  qui  l'entouraient,  et  con- 
centrant toute  l'activité  de  son  intel- 
ligence sur  l'étude  la  plus  utile  à 
rhoniine  ,  c'est  à-Jire,  la  connais- 
sancedc  riioiri'neincuie.  Anrisavoir 
passédeux  ans  à  l'écolede  sa  paroisse 
de  Kincardiue,  il  fut  envoyé  à  Aber- 
<ieen  ;  (t  après  qud(]ue  prépiralion 
.sous  dcfort  bons  uiaî'rcs  ,  àl'à^cdc 


REI 

douze  à  tieize  ans  ,  il  entra  au  colle'  • 
ge  Maréchal  d'Aberdeen  ,  où  il  fil  sa 
philosophie  ,  sous  le  docteur  George 
Turnbull ,  avantageusement  connu 
par  un  ouvrage  \n\\\.y\\é .,  Principe  s  de 
philosophie  morale  ,  et  ]>ar  un  volu- 
mineux traité  ,  maintenant  oublié  , 
sur  la  peinture  antique.  Il  rési- 
da un  peu  plus  long-temps  que  l'é- 
poqncordiuaireà  l'univeisité,  dont  il 
avait  été  nommé  bibliothécaire.  Ce- 
pendant ,  en  1 7  3G ,  il  résigna  cet  ein- 
ploi,  fit  un  voyage  en  Angleterre, 
visita  Lo)idrcs  ,  et  les  deux  uni- 
versités d'Oxford  et  de  Gaml)ridge, 
et  se  lia  avec  les  professeurs  les  plus 
distingués  de  cette  époque.  A  son 
retour  ,  en  1787  ,  il  fut  promu, 
par  le  collège  royal  d'Aberdeen,  à 
un  des  bénéfices  qui  étaient  sous  le 
patronage  de  l'université,  New-Ma- 
char  ,  dans  le  comté  d'Aberdeen, 
Reid  était  alors  n  peu  habitué  à  la 
composition,  il  était  si  modeste  et 
se  défiait  tant  de  lui  même,  qu^iu 
lieu  de  lire  ses  propres  sermons  à  ses 
paroissiens  ,  il  se  contentait  de  leur 
lire  ceux  de  Tillotson  et  d'Evans.  Il 
paraît  néanmoins  que  le  petit  nom- 
bre de  sermons  qu'il  a  composés , an- 
nonçaient déjà  un  cprit  élevé  et  un 
jugement  sain.  Ce  fut  pendant  qu'il 
était  ministre  cà  Ne\v-!\Iachar  ,  qu'il 
fit  insérer,  dans  lesTiausactions  phi- 
losophiques de  la  société  royale  de 
Londres,  pour  l'année  1748,  un 
Essai  sur  V/ipplicati<m  des  mathé- 
viatiques  à  la  morale.  Fitcairn  et 
Cheyne  venaient  d'essayer  récem- 
ment d'appliquer  les  mathématiques 
à  la  médecine  ,  lorsque  Hutcheson  , 
professeur  à  Glasgow,  dans  ses  Re- 
chei'ches  sur  l'oiiginc  de  nos  idées 
de  beauté  et  de  vertu ,  voulut  en 
faire  aussi  ra])plication  au  sujet 
qu'il  traitait.  Suivant  lui  ,  le  bien 
produit  par  un  individu  dépend  ca 


R'Et 

partie  de  sa  bienveillance  et  en  par- 
tie de  ses  dispositions  ;  la  relalion 
entre  ces  diverses  ide'cs  morales  pent 
être  exprimée  algébiiquement  :  de  là 
il  conclut  que  la  bienveillance  ou 
mérite  moral  d'im  accent  est  pro- 
portionnelle à  une  fraction  qui  au- 
rait le  bien  produit  pour  numéra- 
teur,  et  les  dispositions  de  l'agent 
pour  dénominateur.  Roi  l  ,  après 
avoir  examine, dans  son  Kssaija  na- 
ture des  me'iliodes  malliemaliques , 
et  les  matières  auxquelles  on  les  avait 
applique'es,  prouve  qu'elles  ne  pon- 
vaient  nullement  convenir  à  la  mo- 
rale, parce  que  ces  ve'iités  ne  se  rap- 
portent pas  aux  mêmes  faculté>. 
D'Alembert  a  depuis  traite  le  même 
sujet  avec  une  giande  supériorité 
d'esprit.  Le  second  ouvrage  que  fit 
paraître  Reid,  est  nne  Analyse  de  la 
Lo-^ique d' Aristote ^  qu'avait  publiée 
Hume,  En  i'j5'2,les  professeurs  du 
collège  royal  d'Aberdecn  élurent  le 
docteur  Reid,  professeur  de  philo- 
sophie dans  lemêice  collège,  en  té- 
moignage, est-il  dit  dans  la  lettre  de 
nomination  ,  de  la  haute  opinion 
qu'ils  avaient  conçue  de  ses  lumiè- 
res et  de  ses  talents.  Le  profes-eur 
de  philosophie  devait  alors  ensei- 
gner, comme  on  le  faisait  dans  nos 
collèges  avant  la  révolution  ,  les 
sciences  mathématiques  et  physiques 
aussi  bien  que  la  logique  et  la  racra- 
le.  L'extension  doiujée  aujourd'hui  à 
chacune  de  ces  sciences  ,  rendait  in- 
dispensable d'eu  diviser  l'enseigne- 
ment; et  c'est  une  amélioration  réel- 
le in'roduile  en  France,  aussi  bien 
qu'en  Ecosse.  A  peine  le  docteur 
Reid  était-il  établi  à  Aberdeeu  ,  qu'il 
conçut  l'idée  d'une  association  litté- 
raire, qui  subsista  fort  long  -  temps  , 
et  qui  paraît  avoir  eu  d'heureux 
elTets  sur  la  direction  des  étu  les  phi- 
losophiques dans  le  nord  de  lÉcos  • 


se.  Celle  sociélé  s'assemblait  ime  fois 
par  semaine  ;  et  les  membres  y 
soumettaient  réciproquement  les  uns 
aux.  auties  les  fruits  de  leurs  tra- 
vaux. Rapporter  les  noms  des  Reid, 
des  Giegory,  des  Campbell,  des 
Beattie,des  Géiard,  tous  meuibres 
de  cette  association,  c'est  en  faire 
un  suffisant  éloge.  De  tous  les  ouvra- 
ges publiés  par  quelques-uns  des 
membres,  le  plus  original  et  le  plus 
profond  est  incontestablement  le 
livre  publié  par  Reid  en  17(54  , 
sous  le  titre  de  Recherches  sur  l'es- 
prit humain.  Ce  fut-là  la  premiè- 
re attaque  directe  contre  les  con- 
séquences du  scepticisme  de  Hume. 
Reid  avait  commencé  par  admettre, 
avec  Berkeley,  que  rien  ne  pouvait 
être  perçu  ,  s'il  n'était  dans  l'esprit 
qui  le  percevait,  et  que  nous  n'aper- 
cevions pas  les  choses  extérieures, 
mais  uniquement  les  images  et  les 
représentations  de  ces  objets  :  éton- 
né pourtant  lui  -  même  des  consé- 
quences qu'on  pouvait  rigoureuse- 
ment tirer  de  ce  système ,  il  en  vint 
à  se  demander  quelle  preuve ,  au- 
tre que  l'autorité  de  Berkeley  et  de 
Hume-,  il  avait  pour  croire  que 
tous  les  objets  de  nos  connaissances 
étaient  des  idées  imprimées  dans 
notre  esprit.  Dès  ce  moment  ,  il 
sentit  la  nécessité  d'une  méthode 
exacte  et  sévère.  Il  eu  fit  l'appli- 
cation au  siijet  qu'il  traitait,  pé- 
nétra au  cœur  du  système  ,  et  cher- 
cha à  réfuter  la  théorie  idéale,  com- 
plètement admise  alors  dans  les  éco- 
les, et  sur  laquelle  il  pensait  que 
toute  la  philosophie  de  Hume,  aussi 
Lien  que  tous  les  raisonnements  de 
Berkeley  contre  l'existence  de  la  ma- 
tière ,  étaient  fondés.  Cette  réfuta- 
tion delà  Théorie  idéale ,  formait 
selon  lui  son  principal  mérite.  U 
consiste  plutôt  dans  la  méthode  cm- 


270 


REI 


ploye'e  pour  parvenir  à  ce  résultat , 
me'thode  que  le  docteur  Reid  sui- 
vit   toujours   pour   les    recherches 
qu'il  entreprit  par  la  suite.  S'il  ne 
fut  pas  le  premier  à  concevoir  l'i- 
dée de  poursuivre  l'étude  de  l'es- 
prit humain  sur  un  plan   analogue 
à  celui  qui  fut  si  heureusement  adap- 
té aux   sciences  physiques   par  les 
disciples  de  Bacon,  il  fut  du  moins 
le   premier  à   le    mettre  à  exécu- 
tion   dans  ses    ouvrages.    Si    l'im- 
pression produite  sur  le  public  par 
les  travaux  de  Reid,  ne  se  fit  pas 
sentir    d'une    manière    ostensible; 
c'est  que  la  multitude  est  hors  d'état 
en  effet  d'avoir  un  avis  sur  de  tels 
sujets  :  mais  le  petit  nombre  de  ceux 
qui  étaient  habitués  aux  recherches 
analytiques  de  l'école  Newionienne 
rendit  justice  à  l'étendue  de  ses  ap- 
perçus;  et  l'université  de  Glasgow  se 
hâta  de  l'appeler  dans  son  sein,  en 
lui  conférant,  en  1763  ,  la  chaire  de 
philosophie  morale,  vacante  alors 
par  la  résignation  d'Adam  Smith. 
Cette  place  était,  à  tous  égards,  fort 
avantageuse  ;  le  revenu   en    même 
temps  était  beaucoup  plus  considéra- 
ble que  celui  qu'il  pouvait  se  faire  à 
Aberdeen  :  il  entrait  enfin  en  rapport 
avec  des  hommes  du  plus  haut  méri- 
te ;  et  l'objet  de  ses  leçons,  tracé  d'a- 
vance avec  discernement ,  lui  permet- 
tait de  concentrer  son  attention  dans 
ses  études  favorites.  Arimitation  d'A- 
dam Smith,  son  prédécesseur,  il  divi- 
sa son  cours  en  quatre  parties.  Adam 
Smith  avait  reçu  cette  méthode  de 
Th.  Craigie,  auquel  il  avait  succédé; 
et  celui-ci  n'avait  fait  que  suivre  en 
cela   le   plan  tracé  par   le  célèbre 
Hutchcson,  son  prédécesseur  immé- 
diat. La  première  partie  de  ce  cours 
comprenait  la  métaphysiqne  ;  la  se- 
conde, la  morale  proprement  dite; 
la  troisième  traitait  de  la  jurispru- 


REI 

dence  ou  du  droit  naturel;  et  enfin 
dans  la  quatrième  partie ,  Reid  s'oc- 
cupait du  droit  politique.  En  faveur 
de  la  jeunesse  qui  assistait  à  ses  le  • 
çons ,  il  fit  aussi  un  cours  de  rhétori- 
que ,  dans  lequel  il  exposa  la  philo- 
sophie du  beau  ,  et  ses  théories  sur 
l'éloquence  et  la  rhétorique.   Nous 
n'avons  plus  ni  sa  politique,  ni  son 
droit  naturel,  ni  son  cours  de  rhéto- 
rique. Il  ne  nous  reste  que  ses  Essais 
sur  las  facultés  actives  de  l'homme, 
publiés  en  1788,  et  son  premier  ou- 
vrage iitcZe^  facultés  intellectuelles, 
publié  en  i785.Dugald  Stewart  lésa 
réunis  en  un  seul  volume ,  qu'il  a 
donné  sous  le  titre  de  Philosophie 
de  Eeid,  en  plaçant  en  tète  une  No- 
tice sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  son 
maître,  d'où  nous  avons  principale- 
ment tiré  les  matériaux  de  cet  arti- 
cle. Ces  deux  ouvrages  sont  à  eux 
seuls  un  traité  complet  de  philoso- 
phie. Reid  a  divisé  la  partie  méta- 
physique en  huit  sections,  et  a  pro- 
bablement eu  l'intention  d'y  donner 
une  liste  complète  des  facultés  sim- 
ples. Dugald  Stewart,  son  disciple, 
chercha  plus  tard  à  remplir  les  la- 
cunes laissées  par  son  maître.  Reid 
n'avait  compris,  dans  son  énuméra- 
tion  des  facultés  de  l'esprit,  que  la 
mémoire,  la  conception,  la  faculté 
de  composition   et  de  décomposi- 
tion, le  jugement,  le  raisonnement 
et  le  goût;  Dugald  Stewart  y  ajouta 
la  perception  externe  ,  l'attention  , 
l'abstraction  ,  l'association  des  idées 
et  l'imagination.   Reid  improvisait 
rarement  ses  leçons.  11  avait  coutu- 
me de  les  lire;  et  son  débit  ne  con- 
tribuait nullement  à  relever  la  sim- 
plicité un  peu  sèche  de  son  style.  Ce- 
pendant tel  était  le  respect  que  son 
caractère  et  son  talent  inspiraient  .î 
son  jeuneauditoire  ,que  louslesjours 
le  nombre  de  ses  disciples  augmen- 


REI 

tait ,  et  que  tous  ont  conserve  de  ses 
leçons  le  plus  agréable  souvenir.  Il 
connaissait  fort  peu  les  travaux  faits 
avant  lui  dans  les  branches  de  la 
science  dont  il  s'occupait  ;  mais  ce 
défaut  d'érudition  donnait  à  ses  le- 
çons une  empreinte  d'unité  et  de  sim- 
plicité caractéristique ,  qu'on  cber- 
cherait  vainement  dans  aucun  autre 
auteur.  Cette  inde'pcndante  unifor- 
mité de  pensée  est  souvent  la  meil- 
leure  garantie  de  la  bonne-foi  d'un 
écrivain.  Les  Essais  sur  les  facultés 
actives  de  l'homme  terminèrent  sa 
carrière  littéraire.  Il  continua  cepen- 
dant  à   étudier  encore   avec   toute 
l'ardeur  de  la  jeunesse,  et  composa 
de  temps  à  autre  quelques  Essais  des- 
tinés à  être  lus  et  discutés  dans  une 
société  philosophique  dont  il  était 
membre.  Les  plus  importantes  de 
ces  dernières  productions  ,  sont  :  Un 
Examen  des  opinions  de  Priestley 
sur  l'esprit  et  la  matière ,-  des  Ob- 
sensations  surVUto'iie  de  Thomas 
More;  quelques  Réjlexions  physio- 
logiques sur  le  système  musculaire. 
Ce  dernier  essai  paraît  avoir  été  écrit 
par  l'auteur  dans  sa  quatre-vingt- 
sixième  année,  et  il  en  fit  la  lecture 
à  ses  associés ,  quelques  mois  avant 
sa  mort.  L'étude  des  mathématiques 
qu'il  avait  cultivées  dans  sa  jeunesse, 
avait  aussi  repris  ses  premiers  char- 
mes à  ses  yeux.  C'est  au  milieu  de 
ces  studieux  loisirs  qu'il  fut  surpris 
par  la  maladie  ,  à  Glasgow,  vers  la 
fin  de  septembre  1796.  Le  7  octo- 
bre suivant,  le  docteur  Reid  avait 
cessé  d'exister.  Il  avait  conservé  jus- 
qu'à la  Gn  l'usage  de  toutes  ses  fa» 
cultes:  quelques  jours  avant  sa  mala- 
die, il  pouvait  encore  faire  plusieurs 
milles  en  se  promenant;  et  il  aimait 
à  cultiver  son  jardin.  Sa  mémoire 
seule  commençait  à  ne  plus  être  aussi 
ferme;  et  ses  dernières  compositions 


REI 


271 


manquent  de  celte  liaison  parfaite 
qui  ajoute  une  si  grande  force  de 
conviction  aux  productions  de  l'es- 
prit, et  qui  est  une  des  marques  les 
plus  certaines  d'un  génie  vigoureux 
et  d'un  jugement  sain.  Les  ouvrages 
de  Reid    ont    été  insérés  dans  les 
Transactions   philosophiques  ,    ou 
ont  été  réunis  par  son  disciple  Du- 
gald  Stcwart,  qui ,  après  lui,  a  don- 
né un  lustre  nouveau   aux    doctri- 
nes toutes  bienveillantes  et  toutes  mo- 
rales de   la  philosophie   écossaise. 
Les  Recherches  de  Reid  sur  l'enten- 
dement humain,  d'après  les  princi- 
pes du  sens  commun,  ont  été  tradui- 
tes en  français,  et  imprimées  à  Ams- 
terdam, 2 vol.  in-i  2 ,  en  1 76S  (  elles 
avaient  paru  en  anglais  ,  en  1763). 
DugaldSlewart  a  publié  un  Mémoire 
sur  sa  vie  et  ses  écrits,  prononcé 
dans  différentes  réunions  delà  société 
royale  d'Edimbourg,  en   1802.  M. 
Victor  Cousin,   dans  le  cours  qu'il 
faisait  à  l'académie  de  Paris ,  a  tracé 
à  grands  traits,  et  avec  cette  force 
de  talent  qui  le  caractérise,  la  nais- 
sance et  la  marche  de  la  philosophie 
de  Reid.  La  direction  actuelle  des  es- 
prits vers  les  saines  idées  philosophi- 
ques doit  faire  accueillir  la  traduc- 
tion complète  des  ouvrages  de  Reid 
annoncée  par  M.  Thurot.      Bu— n. 
REIFFENBERG  (  Frédéric  de  ), 
jésuite,  naquit  en  1719,  dans  le  pays 
de  Trêves ,  d'une  ancienne  et  noble 
famille.    Après   avoir   terminé    ses 
premières  études  avec  succès  ,  il  prit 
l'habit  de  saint  Ignace,  et  se  rendit 
à  Rome  pour  y  étudier  la  théologie , 
et  se  perfectionner  dans  la  connais- 
sance des  langues  et  de  la   littéra- 
ture anciennes.  Il  s'y  fit  bientôt  con- 
naître par  son  talent  pour  la  poésie, 
et  fut  admis  à  l'académie  des  Arca- 
diens ,  sous  le  nom  de  Mirtishius 
Sarpedonius.  De  retour  en  Allema- 


'21  ■! 


REl 


gnc,  il  fut  charge  de  la  direction  du 
noviciat  de  la  société,  et  s'attacha 
surtout  à  former  d'habiles  profes- 
seurs pour  les  collettes  que  les  Jestù- 
tespossedaicnt  dans  le  Palaiinat  cl  la 
Westphalie.  Les  recherches  histori- 
ques et  la  culture  des  lettres  occu- 
pèrent tous  ses  loisirs.  Quelques  ou- 
vrages déjà  p::hliés  faisaient  conce- 
voir des  espci  auces  qu'il  aurait  sans 
doute  ré  lUsécs  ,  quand  il  fut  enlevé 
par  une  raort  prématurée,  en  i-yô^. 
Outre  la    Traduction    latine  ,    de 
l'ouvrage  de  Scipion  Maffei  sur  la 
Grâce  ,  le  Libre  arbitre,  et  la  Pré- 
destination  ,    précédée  de  YElcge 
de  l'auteur  (  i ,  ,  et  du  Catalogue  de 
ses  Ouvrages  ,  et  suivie  de  la  Réfu- 
tation des  critiques  qui  en  avaient 
paru  ,  Mi'ience  et  Francfort,  175G, 
in-fol. ,  on  a  <\e  lui  :  T.  De  verd  Jt- 
ticorum  promincialione  ad  Grœcos 
intrà  ur'oem  Dissertatio ,  qud  càm 
ex  histurid,  tàm  ex  veterum  Grœ- 
corum  ,   Latinorumque  testimoniis 
perspicuè  ostenditurquhm  longé  ho- 
dierna   Grœcorum  pronunciatio  à 
'vetere  discesiit ,  Rome  ,   i75o,in- 
4".  de  52  pages.  ReifTcnberg  publia 
cette  savante  Dissertation  sous  son 
nom  académique  de  Mirtisbius  Sar- 
pedo.  Il  y  soutient ,  centra  le  sen- 
timent de  plusieurs  savants  ,  et  entre 
autres  de  Grégoire  Piaccnlini  (  F.  ce 
nom),   que   la   prononciation    des 
Grecs  modernes  diffère  beaucoup  de 
celle  des  anciens.  II.  Des  Préceptes 
moraux,  en  grec  et  en  latin  ,  suivis 
d'Exemples  tirés  des  mcillcius  his- 
toriers  ai  ciens  et  modernes  ,  5  vol. 
iii-8".  Ce  Recueil,  destiné  aux.  collè- 
ges do  la  Société  ,  est  fait  avec  goût. 
111.  Des  Poésies  latines,  avec  une 


(i)  L'Wof,"^  de  Ttl,if/-i  ,  par  l<-  P.  K(  lUri.l  rig  ,  .1 
cte  ii>«Jic  d:iii»  le  A'ii/t/jlémcnt  de  Si-I>.  DiniaLi  ^J'i 
novuiit  iheiaiirum  vclrrum  iiixeriiitiuiiuiii  MuiaU- 
ni,  Lueiimat,  i^GS,  xxi-xxxii. 


REl 

Dissertation  sur  le  slj  le  lapidaire  , 
in-S".  IV.  \À yi'pologie  des  Jésuites , 
en  allemand  ,  iu-8'\  V.  Historia 
Soc.  Je:u  al  Blienum  injeriorem 
è  Mss.  codicibus  ,  principum  ur- 
bium  diplomatis  eruta  ,  ad  hiita- 
riampatriœillastrandainaccommo. 
data,  Cologne,  1764,  in-fol.  On 
désirerait  dans  cette  histoire  ,  dit 
Feilcr  ,  pli'.s  de  critique,  un  style 
plus  précis  et  plus  noble.     W — s. 

RLIIj   (jEAN-CnRETIETf),   profcS- 

scur  en  médecine,  conseiller  tt  che- 
valier de  l'Aigle  -  Rouge  de  Prusse  , 
(te,  naquit,  le   28  féviier  1759  , 
à  Rhandeu,  dans  l'Ost  Frise.  11  était 
fils  du  pasteur  de  sa  ville  natale,  qui 
le  voua  à  l'état  ecclésiastique;  mais 
il  manifesta  de  bonne  heure  un  goût 
particulier  pour  la  médecine.  Après 
avoir  fini  ses  premières  étu'les  au  col- 
lège de  Naerden,  il  se  rendit  à  l'uni- 
versité  de  Gôtlingue, et  ensuite  à  Halle, 
oii  iljouissait  de  l'auiilié  du  célèbre 
anatomisteI\reckel  le  père,  et  de  cel- 
le du  professeur  Goldhagen  ,  hom- 
me éclairé,  qui  le  guida  dans  ses  étu- 
des.  Créé   docteur  le  9  novembre 
1782  ,  il  se  livra  à  la  pratique  jus- 
qu'en 1787  ,  où  il  fut  nommé  pro- 
f(  sseur  en  chef  de  la  clinique  de  l'u- 
niversité de  Halle  ,  et  médecin  des 
pauvies  de  la  ville,  ayant  l'inspec- 
tion de  tout  ce  qui  a  rapport  aux 
épidémies  et  à  la  police  médicale 
(  médecin  -  physicien  ,  suivant  l'ex- 
prcssiun  reçue  de  ce  pays  ).  Reil  se 
fit  remanpier  par  une  activité  peu 
commune.  Son  esprit,  très  -  vaste  , 
s'étindait  avec  un  égal  succès  aux 
sujets  de  pure  spéculation  ,  comme 
aux   objets  de  pratique  et   d'expc- 
lience.  11   n'était  étranger  à  aucun 
des  systèmes  de  philosophie  qui  agi- 
tèient,  [cndant  sa  vie,  les  écoles  de 
rAllcmagnc,chcr(liant  à  en  profiter 
pour  éclairer  les  théories  médicales, 


REI 

mais  conservant  un  jugement  pur 
et  sain  auprès  du  lit  du  malade. 
On  le  vit ,  après  la  bataille  de  le- 
na,  exciter  son  (ils  à  courir  aux 
armes  sous  les  drapeaux  de  son  roi, 
dans  un  moment  où  tout  le  monde 
pliait  avec  dc'couragcincnt  sous  le 
jou|^-  du  conquérant  qui  envahissait, 
en  1806,  la  Prusse  entière.  Devenu 
assez  riche  par  une  pratique  étendue, 
il  employa  sa  fortune,  pendant  ces 
tfemps  de  malheurs,  à  encourager  l'in- 
dustrie, et  à  établir  dans  sa  ville  , 
devenue  pauvre ,  des  bains ,  où  sa 
réputation  attirait  des  malades.  En 
i8io  ,  lorsqu'on  établit  l'univer- 
sité de  Berlin  ,  le  l'oi  l'appela  dans 
la  capitale  ,  où  ,  malgré  la  con- 
currence, il  soutint  sa  grande  ré- 
putation. On  le  chargea,  en  i8i3  , 
de  la  direction  des  nombreux  hôpi- 
taux militaires  que  nécessita  la  ba- 
taille de  Leipzig.  Étant  allé  visiter 
un  de  ses  confrères  et  de  ses  anciens 
élèves  ,  attaqué  du  typlius ,  il  gagna 
la  maladie,  et  y  succomba,  le  12 
novembre  181 3.  Reil  était  d'une  sta- 
ture a«sez  grande  et  d'une  indépen- 
dance ,  d'une  élévation  de  caractère 
très-remarquable.  Profitant  des  pro- 
grès des  sciences  anatomiques  et  phy- 
siques, il  a  contribué,  plus  que  per- 
soime ,  à  mettre  en  rapport  les  con- 
naissances physiologiques  avec  celles 
de  la  pathologie  ;  et  il  s'efforça  sur- 
tout d'éclairer ,  par  ses  connaissances 
en  psychologie,  les  phénomènes  qui 
se  présentaient  dans  la  pratique.  On 
trouve  des  détails  sur  sa  vie  dans 
une  Biographie  publiée  en  181 5, 
par  M.  Stelfens.  Voici  la  liste  de  ses 
travaux  :  I.  Traclalus  de  polr- 
cholid ,  et  fras^menla  metachenia- 
tismi  polfcholiœ  ,  '2  parties  ,  Hal- 
le ,  1 783 ,  in  -  8°.  II.  Histoire  de  la 
maladie  du  professeur  Goldhagen, 
Halle,  1788  ,  en  allemand.  U].Me. 
xxxvii. 


REI  373 

morabilium  clinicorwn  medico-vrac- 
ticorum  ,  vol.  i  ;  fasciculus  pri- 
raus,  i790jsecundus,  1791  ,•  teriius, 
I7g3;  seconde  édition,  1798.  IV.' 
Archii>e5  de  physiologie^  ouvrage 
périodique ,  pubiié  en  allemand ,  de 
179J  à  181 5,  12  vol.,  et  continué , 
après  sa  mort ,  par  d'autres  profes  - 
seurs.  Ce  précieux  Piecucil  a  beau- 
coup contribué  à  répandre  en  Al- 
lemagne le  goût  de  la  physiologie 
et  des  expériences.  Il  servira  tou- 
jours de  répertoire  pour  son  époque. 
Depuis  ledixième volume, Reils'était 
associé,  pour  la  rédaction ,  M.  Au- 
thenrictb  de  ïubinguc.  V.  Exerci- 
tationum  anatomicarum  fasciculus 
primas  ,  de  structura  nerçorum  , 
1796,  in-fol.,  avec  trois  planches. 
L'auteur  a  eu  l'ingénieuse  idée  d'em- 
ployer des  agents  chimiques  pour 
distinguer  les  divers  éléments  dont 
se  composent  les  nerfs.  Il  a,  par 
ce  moyen,  présenté  les  nerfs  com- 
me des  tubes  analogues  aux  autres 
organisations  vasculaires;  ctil  les  re- 
garde comme  les  conducteurs  d'un 
fluide  particulier.  Ces  expériences 
assez  difllciles,  ont  cependant  réussi 
à  beaucoup  de  professeurs ,  entre 
autres,  à  J\[.  Chaussier.  VI.  Rha- 
psodien  ,  etc.  (  Pensées  détachées 
sur  l'application  de  la  méthode  psy- 
chologique au  traitement  des  aliénés, 
dédiées  au  professeur  Wagnitz  )  , 
Halle,  i8o3;  ouvrage  trcs-estimé  et 
très  -  remarquable.  \\\.  Pépinière 
pour  l'instruction  et  la  formation 
des  routiniers  en  médecine  ^  comme 
besoin  de  l'état ,  dans  sa  position 
acUielle,lïa\le,  1804,  en  allemand. 
Ici  l'auteur  ci'oit  que  l'étude  de  la 
médecine  devient  si  vaste,  qu'il  fau- 
drait séparer  ceux  qui  sont  destinés 
àravancemcntdela  science,  de  ceux 
qui ,  par  leur  capacité  et  leur  posi- 
tion, ne  peuvent  exercer  que  la  pra- 
18 


274 


REI 


tique  ordinaire.  Cette  idée,  qui  a  (^t« 
souvent  discutée  et  débattue ,  a  été 
exécutée  en  France,  par  la  loi  qui  a 
créé  les  ofiiciers  de  santé,  loi  dont 
on  rossent  tous  les  jours  l'inronvé- 
nient.  Un  grand  nombre  de  Mémoi- 
res de  ce  professeur  ont  été  réunis 
en  deux  volumes,  à  Vienne,  en  i8i  i; 
et  en  un  volume,  à  Halle,  en  1817. 
Le  portrait  de  Reil  se  trouve  dans 
le  XLVii"^.  volume  de  la  Bibliothèque 
universelle  allemande.       F — D — e. 
REI  M  AN.  V.  Reimmann. 
EEIM  AR(JS  (  Herman-Samuel  ), 
savant  philologue  ,  n'est  pas  moins 
distingué pir  les  services  qu'il  a  ren- 
dus aux  sciences  naturelles  et  à  la 
saine  philosophie  dans   le  dix-hui- 
tième siècle.  Né  à  Hambourg,  le  li. 
décembre  1694,  il  s'a|»pliqua,  dans 
sa  jeunesse  ,  à  l'étude  des  langues,  et 
acquit  une  profonde  connaissance  du 
latin,  du  grec  et  de  l'hébreu.  En  ter- 
minant  ses   cours  à   l'académie  de 
"Willemberg,  i!  soutint, eii  17  17,  des 
thèses  ,  De  difjerentiis  vociim  he- 
braïc arum, c[m  donnèrent  une  haute 
idée  de  l'érudilion  et  de  la  sagacité 
dn  jeune  candidat.  Il  parcourut  en- 
suite nue  partie  de  rÀUernagne,  et 
s'arrêta  quelque  temps  à  Weiraar  , 
où,  prolitantde  ses  loisirs,  il  revit  et 
publia  le  recueil  de  ses  Opuscules. 
Après  avoir  satisfait  sa   curiosité, 
qui  s'était  exercée  sur  une  multitude 
d'objets,  i!  revint  à  Hambourg ,  et , 
en  i7'/'-7  ,  obtint  une  chaire  de  ])hi- 
losophie  à  l'académie  de  cette  ville, 
dont  il  fut  l'im  des  principaux  or- 
nements pendant  quarante  -  un  ans. 
R'imarus  avait  épousé  Jeanne  Frc- 
dcrique,  la  troisième  (illc  du  savant 
J.  Alb.  Fabricius  ;  et  jamais  union 
ne  fivt  mieux  assortie.  11   se  fil  un 
plaisir,  encore  plus  qu'un  devoir, 
de  seconder   les  travaux  philologi- 
«fac*  de  bon  bcau-pèrc;  et  dans  ses 


REI 

fréquents  entretiens  avec  cet  homme 
si  respectable,  il  puisa  de  nouveaux 
motifs  de  confiance  et  de  soumis- 
sion aux  volontés  de  la  Providence. 
Sur  la  fin  de  sa  vie  ,  Reimarus  con- 
sacra ses  loisirs  a  l'élude  de  l'histoire 
naturelle;  mais  cette  science  ne  fut 
pas  pour  lui,  comme  pour  tant  d'au- 
tres, la  fasii  lieuse  et  stérile  énumé- 
ration  de  plantes,  de  pierres,  de  mé- 
taux ,  etc.  Sans  dédaigner  les  métho- 
des ,  qui  seules  peuvent  assurer  les 
progrès ,  puisqu'elles  sont  le  résul- 
tat de  l'expérience,  il  porta   cons- 
tamment dans  l'étude  de  la  nature 
l'idée  de  son  auteur,  et  ce  sentiment 
religieux  ,  qui  a  fait  deviner  des  con- 
sonances,  des  harmonies  et  des  se- 
crets que  nos  orgueilleuses  lliëories 
n'eussent  jamais  découvertes.  On  ne 
peut  trop  regretter  qu'il  n'ait  pu  ren- 
dre publics  tous  les  résultats  de  ses 
recheiches  et  de  ses  observations. 
D'un   tempérament  faible  et  d'une 
santé  délicate,  Reimarus  av^it  été 
forcé  à  de  continuels  ménagements 
pour  lui-même  :  l'habtlude  de  souf- 
frir lui  fit  supporter,  avec  une  es- 
pèce d'iudifïéience,  les  maux  delà 
vieillesse  j  el  il  mourut ,  avec  la  fer- 
meté d'un  philosophe  chréiien,  le 
i*^"".    niars    1768.   Il  était   membre 
de  Tacadémie  impériale  de  Péters- 
borirg  ,  elde  la  plupart  des  sociétés 
littéraires  d'Allemagne.  On  lui  doit 
la  meilleure  édition  de  Dion  Cassius, 
Hambourg,  i'j5o-5-i,  1  vol.  infol., 
pour  laquelle  il  se  servit  des  nom- 
breux  matériaux  recueillis  par  Fa- 
bricius, son  beau-père,  et  dont  il 
olïiit  la  dédicace  au  savant  cardinal 
Querini  ,  qui  lui  avait  fourni  pour 
ce  travail   les  variantes  tirées  d'un 
précieux  manuscrit  du  Vatican  (  V. 
DionCassius  ,  XI ,  3()8).  Outre  dif- 
féiculs   Morceaux  insérés  dans  les 
Journaux  el  les  Recueils  littéraires 


REI 

de  sou  temps  ,  on  cite  encore  de  Rei- 
luanis:  I.  Primitia  JFisincirieiisia  , 
Weiiuar,  1728,  iu  4'*«  Parmi  les 
opuscules  que  renferme  ce  volume  , 
ou  (lis  lingue  une  Dissertation,  dans  la- 
quelle Reimarus  prouve  que  le  génie 
de  Socrate  n'était  autre  chose  que  la 
prévoyance  (  Animi  prœsagitio  ) 
dont  ce  sage  était  doué;  et  une  réfu- 
tation des  principes  irreligieux  de 
l'auteur  de  la  Fable  des  Abeilles  (  F. 
B.  DE  Ma>'deville  ).  II.  De  vild 
et  sciiplis  Jo.  Alb.  Fabricii  com- 
mentarius,  Hambourg,  1737,  in- 
S»^.  Celte  excellente  biogiapliie  est 
divisée  eu  trois  parties  :  les  deux 
premières  contiennent  la  Vie  de  Fa- 
bricius,  et  le  Catalogue  chronologi- 
que de  ses  ouvrages;  dans  la  troisiè- 
me on  a  réuni  des  Extraits  de  sa  cor- 
respondance avec  le^  savants.  III. 
Eyiitola  ad  cardinal.  Quirinum  , 
qud,  occasione  edendi  Dionis  Cas- 
sii,  ad  Nicolai  Carminii  Falconis 
editioncm  Irium  idtimorum  Dionis 
libroj-um,  ex antlquissimo codiceres. 
iitutoruiii  animadversiones  noiinul- 
Las  protulit,  ihid.,  i746,in-4°.  IV. 
Dissertatio  de  assessoribus  syne- 
drii  magni  lxx  linguaruin  peritis, 
ibid. ,  1751  ,  in-4".  V.  Tracté  des 
principales  vérités  de  la  religion 
naturelle  (en  allemand  ),  ibid., 
j  754 ,  in-8°.  ;  2^.  édit. ,  1 772,  mê- 
me format.  VI.  Observations  physi- 
ques et  inorales  sur  l'instinct  des 
animaux ,  leur  industrie  et  leurs 
mœurs  ,  ihid. ,  1760,  2  vol.  in  12. 
(Cet  ouvrage  eut  le  plus  giand  suc- 
cès en  Allemagne  ;  il  a  été  traduit  en 
français,  sur  la  seconde  édit.,  par  Re- 
neaume  de  La  Tache,  avec  un  Appen- 
dice de  l'auteur,  et  des  Notes  du  tra- 
ducteur (  F.  RE^•EAL'ME  ),  Amster- 
dam, 1770,  2  vol.  iii-i2.  Après 
avoir  défini  l'instinct  et  donné  des 
notices  particulières  de  chaque  cs- 


REI  275 

pèce  d'instinct  qu'on  observe  dans 

les  animaux,  Rcimaïus  passe  aux 
instincts  qu'il  appelle  industrieux  , 
et  qui  font  l'objet  spécial  de  son  li- 
vre. Il  démontre  que  l'instinct  qu'a 
reçu  chaque  auimal  tend  au  bien-être 
et  a  la  conservation  de  son  espèce;  et 
il  expose  rapidement  les  sentiments 
des  anciens  philosophes  sur  le  mê- 
me objet.  Dans  la  seconde  partie, 
il  expose  et  réfute  les  systèmes 
des  plus  célèbres  philosophes  mo- 
dernes sur  les  animaux,  tels  que 
Cudworlh  ,  Descartes,  Leibnitz , 
Malebranche,  BulFon,  et  Condillac, 
dont  il  adopte  quelques  idées,  mais 
confie  lequel  d  soutient  que  l'indus- 
trie des  animaux  est  innée  ,  et  que 
l'exercice  ne  perfectionne  point  leurs 
opérations.  Cet  ouvrage,  écrit  avec 
autant  de  clarté  que  "de  méthode, 
est  plein  de  recherches  curieuses  et 
d'idées  neuves,  que  l'auteur  se  pro- 
posait de  développer  si  son  âge  et 
ses  inlirinités  le  lui  eussent  permis. 
U Appendice  contient  une  réponse 
solide  aux  objections  présentées  con- 
tre l'ouvrage,  parun  anonyme ,  dans 
le  Journal  de  Berlin,  VII.  On  attri- 
bue à  Reimarus  les  fameux  Frag- 
ments^ publiés  eu  1774  et  i7''7, 
dans  les  n"Js.  ui  et  iv  des  Mémoires 
hist.  et  lift,  tirés  de  la  bibliothèque 
de  fFolfenbuttel  (  Voy.  Lessi>g  , 
XXIV,  3 1 0  ),  qui  excitèrent  une  si 
grande  fermentation  dans  la  théolo- 
gie protestante  en  Allemagne.  Ou 
peut  consulter,  pour  de  plus  grands 
détails,  les  diffeients  auteurs  cités 
par  Sax,  dans  le  tome  vi  de  V  Ono- 
masiicon  litterarium.        W — s 

R  E I M  M  A  N  N  (  Jacques  -  Fr£- 
DERic),  savant  et  laborieux  biblio- 
graphe ,  naquit  le  2'i  janvier  1668, 
à  Grœningen,  dans  la  principauté  de 
Halberstadt.  Sou  père,  qui  remplis- 
sait les  fonctions  de  recteur  de  l'é- 


276 


REI 


cole  de  cette  ville,  mais  qui  était  pau- 
vre  et  charge'  de  famille  ,  après  lui 
avoir  enseigné  les  cléments  de  la 
grammaire ,  l'envoya  continuer  ses 
études  dans  différents  gymnases,  où 
le  jeune  homme  ,  à  force  d'applica- 
tion ,  empruntant  des  livres  partout 
où  il  pouvait ,  en  faisant  des  extraits , 
les  copiant  même  souvent  en  entier, 
et  chargeant  de  notes  les  marges  de 
ceux  qii  il  pouvait  se  procurer,  ac- 
quit des  connaissances  trcs-étendues 
dans  les  langues  et  la  liltérature  an- 
ciennes. A  l'âge  de  vingt  ans  ,  il  se 
renditàracadémie  de  Icna,  qui  jouis- 
sait alors  d'une  grande  célébrité;  il 
y  apprit  l'hébreu  ,  et  fit  en  même 
temps ,  avec  distinction  ,  ses  cours 
de  philosophie  et  de  théologie.  Il  fut 
ensuiteadmisausaintministère:mais 
son  goûl  le  portant  vers  la  carrière 
de  l'enseignement ,  il  se  chargea  de 
la  direction  de  quelques  petites  éco- 
les. En  169'i,  il  fut  nommé  recteur 
du  gymnase d'Osterwick;  et,  l'année 
suivante  ,  il  fut  appelé  à  Halber- 
stadt ,  et  y  prit  la  direction  du  gym- 
nase Joannin  ou  de  Saint -Jean, 
qu'il  abandonna,  six  ans  après,  pour 
celle  de  l'école  Martinienne  ou  de 
Saint-Martin.  Reimmann  ,  en  1 704 , 
quitta  la  can'ièrc  de  l'enseignement , 
et  fut  élu  premier  pasteur  de  la  pro- 
vince d'Ermsleben.  Un  incendie  dé- 
truisit ,  en  1710,  la  plus  grande 
partie  de  sa  bibliothèque  :  mais  il 
supporta  ce  malhenr ,  un  des  plus 
affligeants  cpie  puisse  éprouver  un 
bommc  de  lettres  ,  avec  beaucoup 
de  résignation  ;  et  il  s'occupa  de 
former  une  nouvelle  collection  de 
livres,  plus  belle  et  plus  nombreuse 
que  celle  qu'il  avait  perdue.  En 
1714  ,  il  accepta  la  place  de  biblio- 
thécaire du  chapitre  de  Magdcbourg. 
Peu  de  tem])s  après  son  arrivée  en 
cette  ville ,   il  tomba  malade  assez 


REI 

gravement;  et  les  journaux  littéraires 
de  l'Allemagne  annoncèrent  même 
sa  mort  :  il  se  rétablit  pourtant ,  et 
reprit  ses  travaux  ordinaires.  Enfin , 
en  17  17  ,  il  fut  nommé  pasteur  de 
la  ville  de  Hildesheim ,  et  bientôt 
après  ,  surintendant  des  églises,  et 
inspecteur  des  écoles  luthériennes  de 
cet  arrondissement.  Il  partagea  dès- 
lors  tous  ses  moments  entre  les  de- 
voirs du  saint  ministère  et  le  travail 
du  cabinet.  Quoique  l'excès  du  tra- 
vail auquel  il  s'était  livré  dans  sa 
jeunesse  eût,  debonneheurc,  affaibli 
sa  constitution  ,  il  jouit  ,  sur  la  fin 
de  sa  carrière ,  d'une  assez  bonne 
santé ,  qu'il  atliibuait  à  la  coutume 
qu'il  avait  de  lire  et  d'écrire  debout 
(  1  ) ,  mais  qu'il  dut  sans  doute  aussi  à 
sa  grande  sobriété  ;  et  il  sortait  si 
peu  qu'il  resta  quinze  ans  sans  entrer 
une  seule  fois  dans  un  jardin  qu'il 
possédait  sous  les  murs  de  Hildes- 
heim. Il  vécut  heureux  dans  sa  fa- 
mille ,  estimé  de  ses  concitoyens  et 
des  étrangers ,  et  parvint  à  un  âge 
avancé  sans  éprouver  aucune  des  in- 
firmités de  la  vieillesse.  Reimmann 
mourut  le  !«•'.  février  174^  :  il  avait 
eu,  de  son  mariage,  quatorze  enfants, 
dont  plusieurs  lui  survécurent  ,  et 
ont  cultivé  les  lettres  avec  quelque 
succès.  Outre  un  assez  grand  nom- 
bred'articlcs  et  de  Dissertations  dans 
les  Observationes  selectœ  Halen- 
siwii  (  F.  Jacques  Thomasius  ) ,  on 
a  de  Reimmann  :  I.  Exercitatio 
parergica  de  fatis  studii  ^enealo- 
^ici  apud  Hehrœos ,  Grœcos  ,  Bo- 
inanos  et  Gennanos  ,  Halberstadt , 
1694  ,  in  4*''  (  F.  \e  Journal  des 
savants ,  170'i ,  pag.  G88  et  suiv.  ) 
II.  Histoire critiqtie  de  la  Los^ique 
(  en  allemand  )  ,   Francfort,   1699, 

(1)  I'(;iii-  HP  (liis  <"lir  Iditx-  lie  contrevenir  ?i  la  loi 
(ju'il  .s'(  tait  iiii|>uséo  ,  il  |>as.sn  ))lii.s  tlo  trente  ana  snns 
avvir  de  elinises  ni  dn  limteuils  dans  son  cnbinel. 


REl 

ia-d'*.   Il  ne  conduit  cette  histoire 
qne  jusqu'au  commeucement  du  dix- 
septième  siècle ,  et  promet  la  suite 
eu  annonçant  qu'il  a  déjà  recueilli 
200  Logiques  du  siècle  qui  lui  reste 
à  parcourir.  III.  Hisloria  litteraria 
de   fatis  studii   genealogici   apud 
Hebrœos  ,    Grœcos  ,  Romanos   et 
Gennanos  ;  in  qud  scriptores  ha- 
mm  gentiuinputissiini  enumerantur, 
et  lotus  genealogiœ  cursus  ah  orbe 
condito  usque  ad   nostra  tempora 
deducitur  ,    Ascherfleben   (  Asca- 
niœ  ) ,  1702,  in-S**.  Reimmaun  pu- 
blia une  nouvelle  édition  de  cet  ou- 
vrage ,    augmentée  d'une    seconde 
partie ,  sous  ce  litre  :  Ilistoriœ  lit- 
terariœ  exolericœ.  et  acroamaticœ 
parlicula,  sive  de  lihris  genealogicis 
vulgatioribus  etrarioribus  commen- 
tatio  ,  Leipzig,  17 10,  in-S".  ,  de 
1 18  et  25o  pag.  IV.  Fersuch  einer 
Einleitung,  c'est  à-dire,  Essai  d'une 
Introduction  à  l'Histoire  littéraire 
en  général  ,   et  particulièrement  à 
celle  de  l'Allemagne,  Halle,   170B, 
6  vol.  in-S".  Ce  n'est  guère  qu'une 
compilation  ;  et  les  critiques  alle- 
mands en  parlent  d'une  manière  peu 
avantageuse.  V.  Versucli  einer ^  etc. 
c'est -à-- dire  ,  Essai  de  critique  du 
Dictionnaire  de  Bayle ,  ibid; ,  1711, 
in-8°.  Outre  quelques  Observalious 
générales  sur  le  style  et  le  plan  de 
l'ouvrage  ,  la  critique  de  Rciramann 
porte    principalement    sur  l'article 
fVoujVER.W.  Libliolheca acroama- 
iica    comprehendens    recensionem 
specialem  omnium    codicum  Mss. 
hibliolhecœ  Vindoboneasis  olimàP, 
Lambecio  et  Dan.  ISesselio  conges- 
ta  ,  nunc  in  epiiomen  redacla  ;  ac- 
cessit Dissertatio  prœliminaris  in 
qud  de  spissis  Lamhecii  et  Nesselii 
voluminibus  accuratà  disserilur,lia- 
novrc,'  1 7  1 2 ,  in-S". ,  rare.  Cet  abré- 
gé du  Catalogue  des  Manuscrits  de  la 


REI 


'77 


Bibl.  imper,  de  Vienne  est  fort  esti- 
mé.  Dans  le  Discours   préliminai- 
re,  Reimmannjuge  avec  beaucoup 
d'impartialité  l'immense  travail  de 
Lambecius  ,  et  de  son  abréviatcur  j 
et  tout  en  lui  donnant   des  éloges 
qu'on  ne  peut  refuser  à  son  érudition, 
il  relève  quelques  fautes  qui  lui  sont 
échappées  (  f^.  Lambecius  et  Nes- 
SEL  ).  VII.  Idea  systematis  antiqui- 
tatis  litterariœ  generalis  et  specia 
lioris  ,  desiderati  adhuc  inrepublicd 
evuditorum  litterarid ,  Hiidesheim, 
1718,  in-8°.  Cet  ouvrage  est  divisé 
eu  trois  parties  :  dans  la  première  , 
Tautcur ,  après  avoir  tracé  son  plan, 
traite  des  différentes  sectes  de  savants 
et  de  philosophes  ,  de  leur  doctrine 
et  de  leurs  disciples  ;  des  moyens 
employés  par  les  anciens  pour  con- 
server les  productions  de  l'espiit,  et 
des  personnes  occupées  à  les  trans- 
crire ,  telles  que  les  anagnosles  ,  les    , 
calligraphes  ,  les  tachygraphes  et  les 
chrysographes  chez  les  Grecs  ;  les 
scribes  ,  les  notaires  ,  les  tabulaires, 
etc. ,  chez  les  Romains  :  la  seconde 
partie  renferme  la  Notice  des  écoles 
et  des  académies  ,  des  différents  mo- 
des d'enseignement ,  et  des  voyages 
lilléraires  :  enfin  la  troisième^  qui  est 
la  plus  étendue,  et  qui  est  divisée  eu 
sections,  à  cause  de  la  variété  des  ma- 
tières ,  contient  des   détails   sur   la 
doctrine  des  anciens,  sur  leur  disci- 
pline  scolastique  ,  leurs   bibliothè- 
ques ,  les  récompenses  décernées  aux 
savants ,  et  les  peines  qui  leur  ont 
été  infligées  ,    etc.     L'ouvrage    est 
terminé  par  une  histoire  littéraire 
des  Égyptiens,  dans  laquelle  il  élab; 
plus  d'érudition  que  de  critique  ,  et 
s'efforce  d'élayer  ,  contre  Con ring ,  le 
système  de  Boirichius  sur  l'impor- 
tance de  la  chimie  des  anciens  Égyp- 
tiens, ou  Je  la  philosophieherméliquc 
(  F.  Boaiucuius  ).  VllI.  IntrodiiQ' 


278  REI 

tio  ad  historiam  vocabidorum  lin- 
guœ  latince,  Halle,  1718,  in-S".  Ce 
n'est  qu'un  essai  qui  roule  sur  sept  à 
huit  cents  mots.  Ce  sujet  a  été'  de- 
puis traite  avec  bien  plus  de  détail 
(  F.  FuNCR,  XVI ,  i85  ).  IX.  Jlis- 
toria  unwersalis  atheismi  et  aiheo- 
riim  falsb  et  merilb  suspectorum 
apud  Judœos ,  Ethnicos  ,  Christia- 
nos ,  etc.  ,  Hildesheim  ,  i7'-i5  .  in- 
8°.  Il  y  a  de  l'érudition  dans  cet  ou- 
vrage ;  mais  on  reproche  à  l'auteur 
des  inexactitudes ,  des  omissions  im- 
portantes  et  des  jugements  hasard-is. 
X.  Ilias  post  Homerum ,  hoc  est ,  in- 
cunahula  omnium  scientiarum  ex 
Homère  eruta  et  systematicè  des- 
cripta  ,  Lemgo  ,  1 7*^8  ,  in  -  8".  Ce 
livre,  auquel  Reimmann  attachait  la 
plus  grande  importance,  et  qui  lui 
avait  coûtébeaucoup  de  peine,  futim 
primé  en  son  absence;  et  Ton  négli- 
gea de  corriger  les  épreuves  d'après 
f  sa  révision  :  aussi  les  fautes  d'impres- 
sion qu'on  y  laissa,  sont  en  si  grand 
nombre,  que  cela  suffit  pour  le  dé- 
goûter de  publier  trois  autres  ouvra- 
ges auxquels  ce  volume  devait  servir 
d'introduction  :  Incunalula  theolo- 
Ç^ce  ethmcce ,  jurisprudentiœ  et  me- 
dicince,  ex  H  ornera  erula.  XI.  Ca- 
talogus  bihliotliecœ  theologicœ  sjs- 
tematico  crilicits,  m  qiio  lilni  thco- 
îogiciin  hihïioth.  aucloris extantes, 
editiet  inediti,  in  ceitas  classes  di- 
gesti  qud  fceripoluit  solerlid  enume- 
rantur,  Hildesheim,  1731,  in-8*\, 
de  plus  de  douze  cents  pages ,  avec 
le  portrait  de  l'auteur.  C'est  le  Cata- 
logue raisonné  de  sa  bibliothèque. 
Une  ample  table  des  auteurs  facilite 
les  recherches  dans  ce  livre  vrai- 
ment précieux  par  sa  classification 
méthodique,  et  par  la  précision  des 
jugements  que  l'aulcur  y  porte  sur 
les  didorenis  éciiv.iins  de  sa  com- 
munion. Queltyies  -  uns  de  ces  jugc- 


REI 

racnts  ont  été  vivement  censuras  par 
les  rédacteurs  des  Acta  etuditorran 
Lipsens.,  ann.  i  782  ,  877  84.  H  faut 
joindre  à  ce  volume  :  Âccessionês 
iiheriores  ad  catalagum  hihliothec(S 
theolopiccs  systematico - criticum  à 
sectione  1  iisqiie  ad  sectionem  ri , 
Brunswick,  i747,in-8°.,  déplus  de 
5oo  pag.  Ce  Supp!ément  a  été  publié 
par  J.  -  Guill.  Reimmann ,  après  la 
raort  de  son  père;  il  en  promettait 
la  suite  :  mais  elle  n'a  point  paru. 
XII.  Bibliotheca  historiœ  litterariœ 
critica ,  eaque  generalis ,  hoc  est , 
Catalogi  hibliolh.  auctoris  systema- 
tico  -  critici  tomus  secundus  ,  Hil- 
desheim ,  1739,  in-8°.  XIII.  Ilis- 
toria  litteraria  Babjloninntm  et  Si- 
nensium  ,  Brunswick,  174'  5  in-8".; 
livre  savant  et  curieux.  Reimmann  a 
laissé  différents  ouvrages  en  manus- 
crit ,  entre  autres  ,  une  Histoire  lit- 
téraire de  la  principauté  de  Hal- 
berstadt,  depuis  Charlemagne.  Les 
Mémoires  qu'il  avait  composés  ,  eu 
allemand,  sur  sa  vie,  ont  été  termi- 
nés et  publiés  par  Fréd.-Hcnri  Theu- 
neg,  son  beau  -frère,  inspecteur  des 
écoles  du  duché  de  Magdebourg 
Brunswick,  1 74^>,  i«  8>'.  On  y  trouve 
quelques  détails  inléressanls.  W — s. 
REINliCCIUS  ou  REINECK 
(Rf.inier),  l'un  dos  restaurateurs 
des  études  historiques  en  Allemagne, 
naquit,  en  i54i ,  à  Stcinhcim  ,dans 
le  diocèse  de  Paderborn.  Il  eut  pour 
maîtres  Mélanchthon  et  Glandorp  , 
qui  lui  firent  faire  de  grands  et  ra- 
pides progrès  dans  les  langues  grec- 
que et  latine.  Après  avoir  leiniiné 
ses  études  ,  il  fut  pourvu  de  la  chaire 
de  belles  -  lettres  à  l'académie  de 
Francfort,  et  la  remplit  long-temps 
avec  disliuction  ,  sans  inlcrroinpie 
les  recherches  historiques  auxquelles 
il  consacrait  tous  ses  loisirs.  11  pro- 
fessa,  depuis ,  la  littérature  et  l'his- 


RE[ 

loire,  à  racadémie  dcHelmstadt,  ef 
mourut  en  cette  ville,   le  16  avril 
1 595  ,  par  suite  d'une  chnfe ,  à  l'âge 
de  cinquante-quatre  ans.  On  trouvera 
la  liste  trè^-étendue  de  ses  ouvrages 
dans  les  Eloges  de  Tels- 1er ,  1  v,  '^Si 
et  suiv.  Il  a  publie  de  bunnes  édi- 
tions des  Annales  Saxones  de  Wi- 
tickind ,  moine  de  l'abliaye  de  Cor- 
vey ,  Francfort  ,  iS^S,  in-fol.  ;  de 
la   Chronique  de   Dilhinar,  ibid.  , 
i58o  ,  in-fol.  ;  de  la  Chronique  des 
Slaves  ,  par  Helraold  ,  prêtre  de  Lu- 
bec  k  ,  ibid.,  i58i  ,  in-fol.  5  de  la 
Chronique  d'Albert  ou  Alberic,  cha- 
noine d'Aix  ,  Helmstadt  ,   1585  ,  2 
vol.  in-4°.  (  F'-  Albert  ,  I  ,  4'9  )  5 
de  la  Chronique  d'Albert ,  abbé  de 
Stade  ,  ibid. ,  1587  ;  de  V  Onomas- 
ticon  historice  romance  (  P^.  Glan- 
DORP  )  ;  et  enfin  de  V Histoire  de  Fi- 
pert ,  marquis  de  Lusace  ,  par  un 
anonyme  ,  moine  de  Pcgau  ,  Franc- 
fort ,  1589,  in-fol.  Parmi  les  ou- 
vrages de  tieineccius  ,  on  se  conten- 
tera de  citer  :  I.  Historia  Julia  sive 
sjntagma  heroïcum  continois  his- 
toriam  Chaldœurum,  Assyriorurn , 
etc.,  Helmstadt,   iSg^,  95,  97, 
3  vol.  in-fol.  ;  c'est  l'édition  la  plus 
complète   et  la  plus  estimée  de  ce 
livre ,  très  -  savant  et  plein  de  re- 
cherches curieuses ,  sur  les  anciennes 
dynasties.  C'est  le  premier  ouviage 
où   l'on  ait  traité  séparément  ,  et 
d'après  les  sources  originales  ,  l'his- 
toire des  divers  peuples  de  l'aniiqui- 
te'.  L'auteur  l'intitula:  Historia  Ju- 
lia ,  par  allusion  au  nom  de  l'uni- 
versité de   Hilmstadt    (  appelée  en 
latin   Academia  Julia),    dans  la- 
quelle il  était  professeur.  M.  Brunet 
a  donné  la  description  de  ce  livre 
dans  le  Manuel  du  libraire.  II.  La 
Chronique  des  margraves  de  Bran- 
debowg  ,  hurgraves  de  Nuremberg 
(  eu  allemand  ),  WiUembtrg,  ij8o, 


REl  579 

iu^".  HT.  Origines siirpis  Branden- 
buigicœ ,  Francfort  ,  i58i  ,  in-fol. 

IV.  Melhodus  legendi,  cognoscendi- 
que  historiam ,  Helmstadt,  i583, 
lu-fol.  Ce  n'est  guère  qu'une  compi- 
lation ;  mais  on  y  trouve  des  choses 
utiles.  V.  Ej>iHolœ  duœ  de  Fltic- 
kindo  magno  ,cum  appendice,  ibid. 
1 583 ,  iu  fol.  VI.  Annalium  de  ges- 
tis  Caroli  Magni  imperatoris  ,  libri 

V,  opus  auctoris  incerti ,  etc. ,  ibid, , 
1594,  in -4''.  Première  eailion  de 
cette  chronique  versifiée  ,  compo- 
sée sous  le  règne  de  l'ompTeur  Ar- 
noul ,  par  un  moine  de  Padcrbnrn, 
désigné  quelquefois  par  le  titre  de 
Poêla  saxo  :  elle  s'étend  de  l'an  771 
à  814  >  <-'t  a  été  reproduite  dans  les 
collections  de  Duchêne, de  Lcibnitzet 
dedom  Bouquet. VII.  Historia  oriert- 
talis  seu  de  rébus  in  Oriente  gestis 
à  Christ  ianis  ,  Saracenis  et  Turcis  , 
etc.,  Francfort,  1095  ou  1596, 
in-fol.  C'est  un  Recueil  de  divers  au- 
teurs. Reineccius  adressa ,  quelques 
mois  avant  sa  mort,  à  Henri  Mei- 
bom  ,  une  courte  Notice^sur  sa  vie 
( Narratio de  vitd  sud)  :  cette  pièce 
fait  partie  des  Opuscula  varia  de 
IFestphalid ,  publiés  par  Jean  Goes, 
Helmstadt  ,  1668  ,  in  4"-  ;  et  elle  a 
été  insérée  depuis  dans  les  Memorice 
philo  ophonim  de  Roliius  ,  Leipzig, 
1710,  in  8^^.  On  peut  encore  consul- 
ter, pour  de  plus  grands  détails,  le 
Programme  de  Franc.  DouiiMique 
Haeberliii  :  De  R.  Reineccii  mertis  in 
omnem  historiam,  ut  et  academiam 
Juliam,prolusio  academica,  Helm- 
stadt,  i  746,  in  4"-  VV — s. 

REINECCIUS  (  Chrétien  ),  phi- 
lologue et  théologien  allemand,  ne', 
en  iGOS,  à  Gross  -  Muhlingen  en 
Saxe,  où  son  père  était  pasteur,  élu  • 
dia  aux  universités  de  Rostock  et  de 
Leipzig,  et  enseigna,  dans  la  derniè- 
re, les  langues  cl  la  philo60['lue.  De 


a8o 


REI 


Leipzrc ,  il  fut  appelé  à  Weissenfels  , 
où  il  obtint  le  rectorat  du  gymnase, 
et  le  litre  de  conseiller  du  consistoi- 
re. Ayant  reçu  sa  retraite,  en  1743, 
il  mourut  le  18  octobre  i752,apiès 
une  vie  très -laborieuse  et  consacrée 
tout  entière  aux  lettres.  Ses  e'crits  ,' 
dont  il  a  publié  lui-même  la  Notice, 
sont  en  grand  nombre.  Ou  estime' 
particulièrement  ceux  qui  sont  re- 
latifs à  l'ctude  de  la  langue  hèbt:aï- 
que.  I.  Disputalio  de  septem  dor- 
inienlihus  ,  Leipzig,  1702,  in  -  4". 

II.  Universœ  de  termino  graîice  pe- 
remptorio  controversiœ  Epitome ,  2 
part. ,  Leipzig  ,  1702- 1703,  in-  4"-  ' 

III.  Poccchii  notœ  miscellaneœ  , 
ibid. ,  1705,  in-4°.  IV.  Christiani, 
Judœi  conversi ,  Perjudische  Glau- 
he  iind  ^berglaube,  cian  pnvj'at.  de 
co7iversione  Judœonun ,  ibid  .,1705. 
V.  Concordia  germanico  -  latin  a  , 
ibid,,  1708,  1735,  in-4".  Les  Pro- 
testants d'Allemagne  regardent  ce 
Recueil  de  formules  de  concordan- 
ce comme  un  des  meilleurs  ;  aussi 
a-t-il  été  approuvé  par  plusieurs  fa- 
cultés de  théologie,  VI.  Biblia  qiia- 
drilinguia  Novi-Teslamenti ,  Leip- 
zig, 1 7 1 3 ,  in-fol. ,  et ,  avec  un  nou- 
veau titre,  1747-  I-'S  texte  grec  se 
trouve  entre  la  version  syriaque  et  la 
grecque  moderne;  et,  en  regard,  on  a 
imprimé  la  version  latine  de  Scliraid 
et  la  version  allemande  de  Lu- 
tlier  :  au  bas  sont  les  variantes  grec- 
ques ;  et  à  la  marge  de  la  version  al- 
lemande, Reineccius  a  rnpporté  les 
passages  analogues;  enfin  il  a  joint 
des  notes  à  celte  version.  VII.  Biblia 
hebraica  ad  optitnas  quasque  cdi- 
tiones  expjcssa ,  cum  v.oiis  masore- 
thicis  et  numeris  distiiictionum , 
Leipzig,  1739,  in -4".  Celle  édition 
du  texte  licbrcu  de  l'Aurien  -  Testa- 
iiK'nt ,  avec  les  points  voyelles,  a  re- 
paru par  les  soins  de  J.-Doderlein  et 


REI 

de  J.-H.  Meisner,  enrichie  d'une  im-r 
mense  quantité  de  variantes  (d'après 
Kennicott  et  De  Rossi  ) ,  Halle ,  mai- 
son des  Orphelins,  17Ç)3,  4  parties 
in  -  8", ,  formant  1424  P^g-  >  tiré  à 
dix  mille  exemplaires.  On  y  a  mis  , 
en  1818,  un  nouveau  litre  ,  en  y  joi- 
5;nant  une  Préface  de  G. -G.  Knapp. 
VIII.  F etus-Testamentinn  grœciim 
ex  versione  zxx  inlerpretum ,  unà 
cum  libris  apocrjphis,  secundiim 
exemplar  T'aticanwn,  ib.  ,  17305 
réimprimé  plusieurs  fois.  IX.  Au- 
gustana  conjessio  germanica  et  la- 
iina  ,  cum  versione  grœcd  Pauli 
Dulscii  solutd  et  Laur.  Mhodoman- 
ni  metjicd,  addita  quoque  est  exer- 
citatio  histor.  de  P.  DolsciiversiO' 
ne  grœcd,  ibid.,  1730.  X.  Biblia 
sacra  quadrilinguia  Feteris-Testa- 
menti  hebiaïci ,  cum  versionibus  è 
regione  positis,  utpole  versinne  grœ- 
cd Lxx  irderpretum  ex  codice  ma- 
iiuscripto  AlexandrinOy  noviter  ré- 
visa,  et  tt'xiuihebrœo  curatiùs  ac- 
commodatd,  et  germanica  Lulheri, 
adjectis  notis  masorethicis  et  grœ- 
cœ  versionis  lectionibus  codicis  Va- 
iicani,  notisque  philologicis  et  exe- 
gcticis ,  Leipzig,  i743,  3  vol.  in- 
iol.  Reineccius  a  été  aussi  l'éditeur  de 
la  Bible  en  allemand  ,  Leipzig,  1 708, 
in-4°.  ;  des  Concordantiœ  bibliorum 
germanico-ebrdico- grœcœ ,  Lei]>zig 
et  Francfort,  1718,  2  vol.  in-fol.  ; 
de  la  Traduction  latine  de  l'Alco- 
ran,  par  Maracci,  Leipzig,  1721  , 
in-8". ,  et  du  Nouveau-Tesfnuient  en 
grec,  Leipzig,  1725,  i733,  1745. 
11  a  écrit  environ  cent  cinquante  pe- 
tites Dissertations  académiques,  ap- 
pelées, en  Allemagne,  Programmes; 
on  y  remarque  les  suivantes  :  JJescho- 
lis  //ebraorum ,  1722;  De  origine 
arlis  medica',  1 724  ;  De  anliquitale 
bibliolhecarum ,  172C);  De  antiqui- 
late  et  vrif^ine  jubilœorum ,  17805 


REI 

De  ignorantid  et  barbarid  papatus 
tempore  beati  Liitheri ,  17'jo;  Car- 
miiia  sihyllina ,  prout  hodiè  extant, 
covficta  esse  à  christiano ,  et  noci- 
va  fuisse  Ecclesiœ ji'^^o.    D — g. 

REINEGGS  (  Jacques  ) ,  voya- 
geur allemand,  e'tait  fils  d'un  barbier 
d'Eisleben  en  Saxe,  nommé Ehlicli. 
Ce  ne  fut  qu'après  être  sorti  de  l'Al- 
lemagne^ que  le  fils  prit  le  nom  de 
Reineggs.  Ne  en  1744?  i^  partit,  à 
l'âge  de  dix-huit  ans ,  pour  Leipzig, 
en  qualité  de  garçon  barbier  ;  étu- 
dia la  médecine  et  la  chimie  ;  puis  , 
ayant  fait  des  dettes  ,  disparut  dans 
un  état  assez  pauvre.  Au  bout  de  quel- 
que temps,  on  le  vit  revenir  ayant 
tout  en  abondance  :  après  un  court 
séjour,  il  repartit,  et  joua  la  comé- 
die à  Vienne.  II  y  avait  au  théâtre 
un  jeune  homme  qui  avait  quitté, 
comme  lui ,  ses  études  de  médecine  , 
pour  être   comédien.  Une  dame  à 
qui  un  ami  avait  parlé  de  l'étourderie 
de  ce  jeune  médecin  ,  s'offrit  à  payer 
pour  lui  les  frais  d'étude  :  on  vint 
de  sa  part  chercher  an  théâtre  l'étu- 
diant en  médecine.  Reineggs  seprésen- 
te,  joue  fort  bien  le  rôle  de  son  cama- 
rade ,  reçoit  les  secours  pécuniaires , 
va  achever  ses  études  en  Hongrie,  et 
y pi-endreîes degrés dedocteur.  Avec 
ce  titre,  il  alla  s'établira  Vienne; 
mais  n'ayant  pas  assez  de  patience 
pour  attendre  des  malades, il  renon- 
ça à  la  médecine,  et  se  fit  donner  un 
chétif  emploi  dans  l'administration 
des  mines  de  Schemnitz.  Dans  cette 
petite  ville  ,  il  se  livra  ,  avec  une  ar- 
deur peu  commune,  à  l'étude  de  l'his- 
toire naturelle,  et  y  fit  des  progrès 
rapides.  Mais,  dégoûté  de  sa  position 
subalterne ,  il  ne  rêva  qu'aux  moyens 
de  faire  fortune.  L'Orient  lui  sembla 
un  théâtre  00  nvcnableà  ses  desseins. 
H  étudia  la  langue  turque,  et  reprit  la 
niedeciiie  :  on  dit  même  quexlans  la 


RÉI  281 

suite,  pour  mieux  jou€r  le  turc  ,  il 
se  fit  musulman.  S'étant  embarqué  à 
Venise,   pour  Smyrne,  il  erra  en 
Turquie ,  parut  à  la  cour  du  prince 
Héraclius,en  Géorgie, et  devint  son 
médecin  et  son  favori.  C'est  là  que 
ses  rêves  commencèrent  à  se  réali- 
ser. Faisant  part  aux  Géorgiens  des 
sciences  d'Europe,  il  devint  le  bien- 
faiteur de  la  contrée.  Il  y  perfection- 
na la  fabrication  de  la  poudre  et  la 
foute  des  canons.  Il  fit  établir  une 
imprimerie  à  Tiflis;  et  l'on  y  publia 
les  principes   d'économie  politique 
du  ])ublicisle  autrichien  Sonnenfels, 
traduits  en  persan  par  Reineggs,  et  de 
cette  langue  en  géorgien ,  par  le  prin- 
ce Héraclius,  qui  voulait  même  les 
faire  meltrcenpratiqucpar  Reineggs, 
dans  ses  états.  Le  voyageur  allemand 
qui  introduisait  ces  réformes, fut  com- 
blé de  présents  j  on  inscrivit  son  nom 
en  lettres  d'or  sur  la  fonderie  auprès 
de  Tiflis ,  et  Héraclius  l'éleva    au 
rang  de  bey.  On  ne  sait  ce  qui  lui  fit 
entreprendre,  en  1782,  un  voyage 
à  Pétersbourg  ;  ce  fut  probablement 
une  mission  de  sou  maître.  Mais  le 
gouvernement  russe  n'eut  pas  beau- 
coup de  peine  à  gagner  Reineggs  ,  et  à 
en  faire  son  agent  auprès  de  celui-là 
même  dont  i!  devait  défendre  les  in- 
térêts. 11  traversa  cinq  fois  le  Cauca- 
se avec  des  missions  russes,  et  hâta , 
en   1785,  la  soumission  du  prince 
Héraclius  a^i  sceptre  de  Catherine, 
et  la  perte  de  l'indépendance  de  la 
Géorgie.  Le  mystère  dans  lequel  on 
enveloppe    en    Russie   les    affaires 
du  gouvernement ,  fait  que  l'on  con- 
naît très-peu  la  vie  politique  de  Rei- 
neggs,  quoiqu'on  la  devine.   Pour 
le  récompenser  de  ses  services  se- 
crets,  il  fut  nommé  conseiller  du 
collège  impérial ,  directeur  de  l'ins- 
titution des  élèves  en  chirurgie ,  et 
secrétaire  perpétuel  du  collège  im- 


282 


REI 


périal  cie  médecine.  Il  passa  le  reste 
de  sa  vie  à  Pe'tersboiirg  ,  et  y  mourut 
en  mars    i  tqS.   En  arrivant    dans 
cette  capitale,  en    178,1,   Reincggs 
avait  apporte  une  histoire  manus- 
crite de  la  Géorgie  :  il  la  communi- 
qua au  célèbre  Pal  las;  ce  savant  ju- 
gea que  c'était  la  meilleure  histoire 
de  ce  pays,  et  l'inséra  au  tome  u  de 
ses  Nordische  Bejlrœge ,  avec  de 
grands   éloges   pour  l'auteur.  Piei- 
neggs  n'a  rien  publié,  lui-même; 
mais,  après  sa  mort,  on  trouva  dans 
ses  papiers  une  Description  histori- 
que et  topographique  du  Caucase  , 
qu'il  n'avait  peut-être  pas  regardée 
comme  assez  complète,  ou  qu'il  n'a- 
vait pas  cru  prudent  de  publier,  crain- 
te de  se  compromettre  auprès  d'un 
ç;onvernement  ombrageux.    Cepen- 
dant Sclirœderle  publia  Cii  allemand. 
Gotha,  i796,.>voLin-8<'.L^ouvrage 
intéressa  vivement  les  géographes, 
tant  à  cause  du  pays  qu'il  décrit,  que 
parle  grand  nombre  de  notions  cu- 
rieuses que  l'auteur  y  avait  consi- 
gnées. Cependant  en  Russie,  où  l'on 
était  à  portée  d'en  mieux  jiiger  ,  la 
description  de    Reineggs     fut     re- 
connue   très  -  fautive  ;  et   lorsqu'en 
1807,  M.  Klaproth  fut  envoyé  au 
Caucase,  un  des  motifs  de  celte  mis- 
sion fut  de  vérifier  la  relation  de 
Reineggs,  pour  y  démêler  le  faux  d'a- 
vec le  vrai.  C'est  ce  qu^a  fait  M.  Kla- 
proth :  il  déclare,  dans  la  préface  du 
tome  i^"".  de  son  Foyoge  au  Cau- 
case ,  que  la  description  de  ces  mon- 
tagnes, donnée  par  Reineggs,  est  écri- 
te Irès-Iégèreinent;  que  la  moitié  en 
est  fausse  ou  inexacte;  qu'elle  a  été 
tronquée    d'ailleurs    par  un  éditeur 
ignoiaiit,  et  qu'elle  ne   peut  servir 
jusqu'à  un  certain   jioint   qu'à   celui 
qui,   cotuiaissant  déjà   le    Caucase, 
est  en  état  d'apercevoir  les  erreurs 
<iu*tllc  contient.  M.  Klaproth  assu- 


REI 

re  que  l'aventurier  Reineggs  était 
venu  au  Caucase  avec  le  comte  hon- 
grois Cohary,  dont  il  devint  l'héri- 
tier à  Tiflis.  D — G. 

REINESIUS  (Thomas),  méde- 
cin ,  philologue,  antiquaire,  naquit 
à  Gotha  ,  le  i3  décembre  1587  '  ^* 
fit  des  progrès  si  rapides  dans  ses 
premières   études  ,  qu'à  douze  ans 
il  savait  déjà  le  grec  et  le  latin.  L'em- 
barras de  sa  prononciation  le  ren- 
dant peu  propre  au  ministère  évan- 
gelique  ,  il  résolut  de  s'appliquer  à 
la  médecine,  et  fréquenta  successive- 
ment les  académies  de  Witlemberg 
et  de  léna.  Après  avoir  terminé  ses 
cours  ,  il  visita  la  Bohème  ,  l'Allema- 
gne, l'Italie  ,  afin  de  perfectionner  ses 
connaissances  et  en  acquérir  de  nou- 
velles. Il  s'arrêta   quelque  temps  à 
Padoue,  pour  suivre  les  leçons  des 
célèbres  professeurs  de  cette  ville  ; 
et ,  en  passant  à  Bàle  ,  il  prit  le  doc- 
torat,  dans  l'espoir  que  Gisp.  Hof- 
mann  ,  son  parent ,  lui  ferait  obtenir 
une  chaire  alors  vacante  à  l'acadé- 
mie d'Altorf.  Piqué  de  la  préférence 
accordée  à  l'un  de  ses  concurrents  , 
il  refusa  de  faire  de  nouvelles    dé- 
marches ,  et  s'établit  dans  le  mar- 
quisat de  Barcith  ,  où  il  partagea  son 
temps  entre  la  pratique  de  son  art , 
la  cidture  des  lettres  et  les  recher- 
ches  d'antiquité.  Bientôt  après,  le 
margrave  de  Bareith  le  nomma  son 
médecin  ,  et  lui  confia   l'inspection 
des   écoles  publiques   établies  dans 
ses  états.  En    i6'^.7  ,  Rcinesius  ac- 
cepta la  place  de  médecin  de  la  ville 
d'Altenbourg  ,  où   il  demeura  plu- 
sieurs années,  et  parvint  à  la  dignité 
de  bourgmestre.  L'électeur  de  Saxe 
l'ayant  nommé  l'im  de  ses  coiisiil- 
lers  ,  Rcinesius   vint  habiter   Leip- 
zig, où  il  mourut,  le  17  janvier  (1) 

(1}    0\i    le    i3  fivricr,  «uiïaiil    Baylc ,  oti  le  l\ 
•L'iun  JoirluT. 


REI 

1667  ,  à  l'nge  de  quatre-vingts  ans, 
laissant  la  réputation  d'un  habile 
critique,  et  d'un  antiquaire  très- 
distingué,  mais  d'un  caractère  foi t 
bizarre  et  d'une  humeur  difficile  (2). 
Ce  fut  l'un  des  savants  étrangers  que 
les  bienfaits  de  Louis  XIV  allèrent 
chercher  dans  leur  patrie.  Reinesius 
te'inoigna  sa  reconnaissance  à  Col- 
bert,  de  l'avoir  indique  au  choix  du 
monarque,  en  lui  dédiant  ses  Obser 
valions  sur  Pétrone.  Malgré  les  de- 
voirs de  son  état ,  et  ses  nombreuses 
occupations  ,  il  entretenait  une  cor- 
respondance suivie  avec  la  plupart 
de  ses  compatriotes  qui  cultivaient 
avec  quelque  distinction  la  mctlerine 
ou  l'archéologie  On  a  publié  le  Re- 
cueil de  ses  Lettres  à  Gaspar  Hof- 
mann  et  André  Kupert ,  Leipz  g  , 
1660,  10-4".;  à  Jean  Vor>tius  , 
Coin  ,  1667  '  i""4°'  ;  3UX  deux  Nes- 
ter  ,  père  et  fils,  Leipzig,  1670, 
in  4*^.;  à  Clirist.  Daura,  léna,  1670, 
13-4". ;  cl  à  Je-n- André  Bose  ,  ibid. , 
1700  ,  in- 12.  Toutes  ces  Collections 
sont  très-cstimées.  Reinesius  avait 
été  marié  deux  fois  :  les  eiifants  qu'il 
eut  de  son  premier  mariage  ,  mou- 
rurent tous  en  bas  âge  ;  et  il  n'en 
eut  pas  du  second ,  de  sorte  que  sa 
bibliothèque  et  ses  manuscriis  pas- 
sèrent à  des  collatéraux.  Par  son 
testament,  il  demanda  d'èlre  enterré 
sans  aucune  pompe;  mais  en  a  fait 
un  repro  he  aux  Leipzicois  de  s'être 
confoiméstropscrupulcuseineutàses 
dernières  volontés.  Outre  des  Notes 
sur  Manilius ,  insérées  dans  Tédiliou 
de  ce  poète,  Strasbourg,  i ()">■),  in- 
4°.,  et  des  Observations  sur  Pétrone, 
Leipzig,  iCGG,  in  -  8''.  ,  dont  on  a 
parlé  plus  liiut,  on  citera  de  Heine- 

(»)  Oïl  r^i  miinc  lin  suj- 1  i"i  t|iii'  <|iii'.i  ai  ri>  <l  tii- 
Hp,  d'aprrs  les  gr^tiuls  pcl'ts  de  rire  aiixqiu-ls  ■  i»  l'en- 
tendxit  quelnmlois  se  livrer  qiiaii'l  il  m-  tniiivail  seul 
dsas  sa  blbliotlil'Uiie,  et  qu'il  d<  couvrait  quclc|iia 
Kronxi  bcTuC  dans  les  auteurs  qu'il  consultait. 


REI  283 

sius  :  I.  De  Diis  Syns  sive  de  numi- 
nibus  commentitiis  in  ■veteri  Testa- 
mento  memoralis  sj  ntagma  ,  Leip- 
zig,  1623,  in -4°.;  cet  ouvrage, 
quoique  savant,  est  moins  complet 
que  celui  que  Selden  a  publié  depuis 
sur  la  même  m.itière(/"'.  J.  Selden). 
IL  De  Deo  Endovellico  ex  inscrip- 
tionibus  in  villd  T^izosd  (3)  Liisila- 
niœ  reperds  comment  atioparcrgica, 
Altenbourg  ,  1637  ,  in-4°.  C'est  une 
divinité  des  anciens  Lusitaniens  ,  la 
même  que  Mars  ,  ou  selon  d'autres, 
que  l'Amour.  \W .  Ilistoroumena  lin- 
i^uœ  punicœ ,  errori  populari  ara- 
hicain    et    pur.icam   esse    camdern. 
opposita  ,  ibid.,  1637  ,  in-4".  Cette 
curieuse  Dissertation  a  été  insérée  , 
ainsi  que  la  précédente  ,  par  Giac- 
vius  dans  le  Syntagma  variar.  Dis- 
sertât, rariorum  ,  Utiecht  ,   1701  , 
in- 4".  IV.    Variarwn  lectionum  li- 
bri  très  priores  ,  in  quihus  de  scrip- 
torihus  sacris  et  profanis  ,  classicis 
plerii,que  disscrilur ,  ibid.  ,   i64o  , 
in-4°-  Ces  trois  premiers  livres  de- 
vaient être  suivis  de  trois  autres  qui 
n'ont  point  paru  (4)-  Quelques-unes 
des  explications  de  Reinesius  furent 
attaquées  avec  beaucoup  d'aigreur  , 
par  André  Rivinus  ,  qui  ne  rougit  pa? 
d'employer  ensuite    toute    soi  te  de 
moyens  pour  empêcher  son  adver- 
saire de  lui  répondre,  jusqu'à  vou- 
loir intéresser  les   magistrats  à  une- 
discussion  toute  littéraire.  Reinesius 
vint  cependant  à  l'out  de  df'jouer  ces 
intrigues,  et  fit  par.iîtiesa  réplique 
sous  ce  titre  :  De  ensio   Fa'iarum 
lectionum  contra  ce'  siiram  poël(e 
L.  (  Laureali  ) ,  Rnstock  ,  1 653,  in- 
4°.  (  r.  A.  HiviNus.  y  V.  Inscriptio 
vêtus  Auguitœ  Findflicor.  erula  et 


(î^  Viseo  ,  dans  la  province  de  Peira. 
(4)  Fr'  ytag  a  dunnr  nnc  b»nue  description  de  r.t 
RtcucU  daus  V.-ld/jaratu3  litlerariut ,  III  ,G97-'7o.5. 


^84  REI 

commentario  illustrata,  Leipzig, 
i655,in-4o.  VI.  jEnigmati  Pata- 
viiio  OEdipus  è  Germanid,  hoc  est, 
marmoris  Patavinl  interpretalio , 
ibid.  ,  1661  ,  in-40.  ;  Paris  ,  1G67  , 
in-4°'  1  par  les  soins  de  Ferd.  Brum- 
mier.  C'est  une  nouvelle  explication 
de  la  fameuse  epitaphe  à'jElia  Lœ- 
lia  Crispis,  qui  a  tant  et  si  inutile- 
ment occupé  quelques  erudits  (  Foy. 
Malvasia  ,  XXVI ,  4i8).  VIT.  De 
palatio  Laleranensi  ejusque  comi- 
tivd  commenlatio  parergica  ;  acce- 
dit  Georg.  Schubarti  de  comilihiis 
Palalinis  ccesareis  exercitatio  his- 
torica,  lëna,  1679,  in-40.  YIII. 
Sjntagma  inscriplionum  antiqua- 
rum  ,  Leipzig  ,  1682  ,  in-fol.  Ce  Re- 
cueil ne  renferme  que  les  inscrip- 
tions omises  ou  mal  explique'es  par 
Gruter  (  Foy.  ce  nom).  Les  savants 
regrettaient  que  l'éditeur  n'eût  pas 
publié  en  même  temps  un  ar.tre  ou- 
vrage de  Reincsius  (  Êponymolo- 
gium  criticum  ),  qui  ne  pouvait  man- 
quer d'éclaircir  une  foule  de  passages 
encore  obscurs  des  auteurs  grecs  et 
latins.  Le  manuscrit  autographe  se 
trouvait,  en  17 17,  dans  les  mains 
de  Th.  Fritsch  ,  libraire  à  Leipzig  j 
et  on  se  flattait  qu'il  répondrait  aux 
vœux  de  tous  les  philologues  en  le 
mettant  bientôt  sous  presse  (  Foy. 
Klefeker  ,  Biblioth.  eruditor.  prœ- 
cociuin  ,  p.  3i3  )  :  mais  leurs  espé- 
rances ,  à  cet  égard ,  ne  se  sont  pas 
réalisées.  IX.  Dissertatio  critica  de 
sihjllinis  oraculis  ,  léna  ,  1  702  ,  in- 
4**.;  à  la  suite  d'un  ouvrage  de  Georg. 
iSchubarl  :  Enarvatio parer gica  Me- 
tnmorphoseos  Ovidianœ  de  dilmio 
Dcucalionis.  X.  Jiidicium  de  col- 
leclione  Mss.  chemicoram  gnvco  - 
rum  fjuœ  extal  in  biblioth.  Gothand, 
i  nséré  dans  le  Catal.  des  liiss.  de  la 
h  iblioth.  de  Gotha  ,  Leipzig  ,  1714, 
\  n-4'>.  ,  pag-.  88 ,  cl  dans  la  Biblioth. 


REI 

grecque  de  Fabricius ,  tome  xii  , 
p.  748.  On  trouve  quelques  Lettres 
de  Reinesius,  à  la  suite  de  son  Éloge , 
dans  les  Elogiaclaroriim  Altenbur- 
gensium ,  par  Fred.  Gotth.  Gotter , 
léna  ,  1 7 1 3  ,  in-8'^.  Bayle ,  dans  sou 
Dictionnaire ,  et  Niceron  dans  le 
tome  XXX  de  ses  Mémoires  ,  lui  ont 
consacré  des  notices  intéressantes. 
La  Fie  de  Reine sius ,  e'crite  par  lui- 
même  ,  en  allemand ,  et  trouvée  dans 
ses  manuscrits  ,  a  servi  à  la  Notice 
donnée  par  Witlen ,  Memor.  philo' 
soph.  dec.  VIII,  p.  ^Qi  et  suiv.  Jac. 
Brucker  en  a  inséré  une  plus  dé- 
taillée, en  allemand  ,  dans  son  Tem- 
ple d'honneur  de  la  littérature  ger- 
manique y  dec.  m  ,  p.  1 10  ,  Augs- 
bourg,  1747  ,  in-4*'-         W — s. 

RÈINHARD  (  François -VoLK- 
MAR  ),  célèbre  prédicateur  protestant, 
naquit,  en  1753,  à  Voheustrauss  , 
dans  le  duché  de  Sulzbach.  Jusqu'à 
l'âge  de  quinze  ans,  son  père,  pasteur 
de  ce  bourg,  fut  son  unique  institu- 
teur. La  Justesse  et  la  régularité  des 
pians  qui  distinguaient  les  discours 
oratoires  du  père,  et  son  admiration 
des  anciens ,  née  d'une  connaissance 
aprofondie  de  leurs  écrits,  exercèrent 
une  grande  influence  sur  les  études 
du  fils  et  sur  le  genre  de  corapositioii 
que  celui-ci  adopta  dans  la  suite  pour 
ses  sermons.  Dans  la  langue  natio- 
nale, qui  n'olTrait  pas  encore  de  mo- 
dèles', Reiuhaid  s'attacha  au  petit 
nombre  des  restaurateurs  delà  litté- 
rature allemande  qui  commençaient 
à  se  faire  un  nom  ,  surtout  à  llaller  : 
le  style  nerveux  et  concis  de  ce  poète, 
plus  remarquable  par  la  richesse  des 
pensées  que  par  la  pureté  ou  l'élé- 
gance de  la  diction  ,  fit  sur  son  es- 
prit une  impression  dont  les  traces 
se  retrouvent  dans  plusieurs  des  ou- 
vrages de  Rcinhard.  Son  père,  sen- 
tant sa  santé  décliner  ,  et  picsagcaut 


REÏ 

sa  fin  ,  lui  procura  une  place  au 
gymnase  de  Ratisbonne.  La  Messiaâe 
étant  tombée  dans  les  mains  du  jeune 
•homme  ,  Klospstock  s'empara  bien- 
tôt de  son  imagination  avec  autant 
de  force  que  l'avait  fait  Haller  ;  et  la 
lecture  des  auteurs  classiques  de  l'an- 
tiquité l'occupa,  encore  long-temps, 
beaucoup  plus  que  les  e'tudes  ne'ces- 
saires  à  l'état  auquel  il  se  destinait. 
La  Bible  avait ,  toutefois  ,  été  pour 
lui,  dès  l'âge  le  plus  tendre  ,  un  objet 
de  vénération  et  de  vif  intérêt.  Mais 
une  santé  chancelaute,  qui  paraissait 
s'opposer  à  ce  qu'il  suivît  la  vocation 
qu'il  se  sentait  pour  le  saint  minis- 
tère ,  lui  fit  prendre  la  résolution 
d'employer  tout  son  temps  à  l'acqui- 
sition de  connaissances   utiles  dans 
toutes  les  professions  libérales  ;  et 
pendant  son  séjour  à  Ratisbonne,  la 
philosophie,  la  philologie,  l'histoi- 
-e, furent  l'objet  de  ses  travaux  plus 
habituellement  que  les  sciences  théo- 
logiques  proprement    dites.    Après 
un  séjour  de  près   de  cinq  ans  au 
gymnase  de  Ratisbonne,  il  se  rendit, 
en  1773,  à  l'université  deWiltem- 
berg  ;  et  quelques  essais  de  prédica- 
tion lui  ayant  prouvé  que  sa  poitrine 
pourrait  supporter  les  fatigues  du 
ministère  de  la   chaire ,  il  se  livra 
dès-lors  avec  ardeur  à  toutes  les  étu- 
des du  théologien.  La  lecture  des  ser- 
mons de  Saurinsurla  Passion,  fit  sur 
lui  une  impression  profonde  ,  et  pa- 
raît avoir  surtout  contribué  à  tour- 
ner son  attention  vers  l'éloquence  de 
la  chaire  et  les  qualités  essentielles 
de  l'orateur  sacré.  Sa  réputation,  et 
les  amis  qu'il  s'était  acquis,  lui  procu- 
rèrent ,  en  1 782 ,  la  place  de  profes- 
seur en  théologie  à  l'université  où 
il  avait  terminé  ses  études.  Aux  fonc- 
tions qu'elle  lui  imposait,  il  joignit , 
en  1 7  84  ,  celles  de  prédicateur  de  l'é- 
glise universitaire,  et  d'assesseur  du 


REI 


a8: 


consistoire.  Dès  1777,  il  avait  ouvert 
des  cours  de  philosophie,  qui  furent 
suivis  par  un  grand  nombre  d'audi- 
teurs; et  de  1778a  i784,ilpartagea 
son  enseignement  académique  entre 
cette  science  et  la  théologie ,  en  don- 
nant chaque  jour  quatre  ou  cinq  heu- 
res de  leçons.  A  dater  de  1 784  ,  il  eut, 
indépendamment  de  ces  travaux  ,  à 
prêcher  tons  les  dimanches  et   les 
jours  de  fêles.  Ses  forces  et  son  temps 
semblaient  croître  avec  la  multiplicité 
de  ses  occupations.  Cédant  aux  ins- 
tances des  étudiants',  il  consentit  à 
présider  les  exercices  pour  la  prédi- 
cation ,  auxquels  se  livraient  tour-à- 
tour  les  membres  d'une  société  Jio- 
milétique  ,  formée  sous  ses  auspices. 
Il  dirigeait  aussi  les  discussions  en 
langue  latine  ,  auxquelles  les   plus 
avancés  d'entre  ses  élèves  prenaient 
part ,  leur  prodiguant  ses  conseils,  et 
les  recevant  à  toute  heure.  Un  grand 
nombre  de  ses  disciples  s'est  illustré 
depuis    dans    différentes   carrières. 
Nous   ne  citerons    ici  que    G.  -  E. 
Schulze,  l'un  des  plus  célèbres  défen- 
seurs du  scepticisme,  et  l'un  des  méta- 
physiciens les  pins  subtils  des  derniers 
temps  ,  qui  lui  dédia  son  Esquisse 
des  sciences  philosophique  s .  Toutes 
les  leçons  de  Reinhard  étaient  médi- 
tées d'avance.  Hédigécs  par  des  au- 
diteurs instruits  ,  elles  étaient   fort 
recherchées  en  manuscrit,  de  même 
que  le  furent  plus  tard  ses  sermons 
recueillis   j)ar  des   tachygraphes   à 
Dresde ,  où  Reinhard  fut  appelé  en 
i79'2  ,  pour  remplir  les  places  de 
premier  prédicateur  de  la  cour  de 
Saxe,  de  conseiller  ecclésiastique,  et 
membre  du  consistoire  suprême.  C'est 
là  qu'il  trouva  l'occasion  de  déployer 
toutes  les  ressources  de  son  esprit , 
toute  la  rectitude  de  son  jugement , 
toutes  les  richesses  et  la  variété  de 
son  instruction ,  toute  la  fécondité 


286  REI 

et  la  souplesse  de  son  talent ,  et 
tout  l'ascendant  de  ses  vertus.  C'est- 
làque,  pendant  vingt  ans,  les  ser- 
mons qu'il  |)rononça  dans  l'église 
du  chàleau,  firent  l'a  liniralion  d'un 
auditoire  choisi  et  l'édification  de 
son  troupeau,  jusqu'à  sa  mort,  ar- 
rivée le  G  septembre  iSi^.  C'est 
à  Dresde  que  du  haut  de  la  chaire 
e'vange'iique  ,  et  dans  des  moments 
dillicilcs,  il  adressa  aux  états  de  son 
pays  ,  à  Touverture  de  leurs  se.>-sions 
périodiques  ,  ces  discDUis  s^i  ])leins 
de  hautes  vues  et  de  nobles  mouve- 
ments qui  ,  plus  d'une  fois,  relevèrent 
le  courage  abattu  des  représentants 
de  la  uaiiou  ,  prévinrent  des  dissen- 
sions pièles  à  s'élever  ,  étO'.frèrent 
des  germes  de  méconlentemeuf  et 
de  discorde  ,  rapprochèrent  les  es- 
prits, concilièrent  des  intérêts  divisés. 
A  sa  voix,  le  calme  et  la  conliance 
en  Dieu  rentraient  dans  les  âmes  ;  le 
feu  sacré  de  l'ainonr  de  la  patrie  , 
alluniéau  flamLeau  de  l'Évangile,  pé- 
nétrait les  cœurs  et  les  disposait  à  une 
généreuse  lutte  de  sacrifices.  Depuis 
i-jQj,  il  publia,  chaque  année,  le  Re- 
cueil des  discours  qu'il  avaitpronou- 
cés  l'année  précédente. 11  en  est  lésulté 
une  Collection  fort  étendue,  compo- 
sée de  plus  de  six  cents  sermons,  es- 
pèce d'encyclopédie  morale  et  reli- 
gieuse, égaieuient  utile  au  prédicateur 
et  au  simple  laie.  A  ces  travaux 
d'orat'^ur  sacré,  se  j>iignaieul  des 
occupations  admiuisiratives  multi- 
pliées. 11  était  non-seulement  le  mem- 
bre prépondérant  el  le  plus  laborieux 
du  conseil  d'où  relèvent  toutes  les 
causes  eccicsias  iques  du  royaume  de 
Saxe,  mais  encore  examinait  ur  en 
chef  des  candidats  du  saint  ministère, 
et  des  pasteurs  qui  aspiraient  à  ua 
emploi  plus  éh  vé.  Son  influence  ad- 
ministrative se  manifesta  ,  par  des 
amclioralious  dans  toutes  les  bran- 


REÏ 

ches  de  l'enseignement  scolaire  et 
religieux  ,  par  une  organisation  nou- 
velle des  séminaires  destinés  à  la 
formation  des  maîtres  d'école  ,  par 
des  changeiucufs  utiles  apportés  aux 
livres  de  liturgie  et  de  chant  pour 
les  églises  ,  ainsi  qu'au  choix  des 
textes  bibliques  ,  qui  sont  prescrits 
aux  pasteurs  en  Saxe,  et  dont  il  aug- 
menta le  nombre  ou  distribua  mieux 
les  séries.  Il  s'efforça  de  rendre  l'ins- 
truction offerte  à  la  jeunesse  dans 
les  universités  et  dans  les  trois  col- 
lèges royaux  ,  plus  étendue,  plus  so- 
lide et  mieux  graduée.  Le  seul  re- 
proche qui  lui  ait  éié  fait  ,  c'est 
d'avoir, d'abord,  à  Wjtlemberg,  ex- 
clu de  son  cours  de  philosophie,  com- 
me ailministrateur  ,  et  peu  favorisé 
ensuite  ,  la  pédagogique,  cette  bran- 
che iuipoMante  delà  psychologie, de 
la  logique  et  de  la  morale  appliquées. 
Peut-èlre  la  circonstance  de  n'avoir 
jamais  eu  d'éducation  privée  à  diriger 
ou  à  surveiller,  contribua- 1- elle  à 
détourner  son  attention  des  inté- 
rêts d'une  science  à  laquelle  l'Al- 
lemagne lettrée  assigne  aujourd'hui 
un  des  premiers  rangs  parmi  les 
objets  de  l'enseignement  académi- 
que. On  devrait  croire  que  tout 
son  temps  était  absorbé  par  la  com- 
position de  ses  sermons  ,  et  par  les 
occupations  d^me  vie  publique  fort 
active  ,  augmentées  encore  par  une 
correspondance  étendue  sur  des  cas 
de  conscience,  ou  sur  des  projets  lit- 
téraires que  s'empressaient  de  lui 
comrnunic|uer  une  foule  d'hommes 
de  letties  et  d'anciens  disciples  ,  avi- 
des d'obtenir  ses  encouragements  et 
ses  conseils.  C'est  aux  dépens  de 
ses  récréations  ,  qu  il  se  ménagea 
le  moyen  de  refondre  ou  de  perfec- 
tionner les  ouvrages  qu'il  avait  pu- 
bliés à  Witlemberg  ,  surtout  son 
Trailé  de  morale ,  cl  ses  Considéra- 


f 


REl 

lions  sur  le  plan  du  fondateur  de 
l'Eglise  chrétienne ,  iucontestable- 
ment  les  principaux  d'entre  ses 
ëcri'.s.  I.  Les  deux  premiers  volumes 
de  son  Sjstème  de  la  morale  chré- 
tienne ,  parurent  à  Wittemberj; ,  eu 
1788  et  1789,  chez  S.  G.  Zimmer- 
mann  ;  le  troisième,  en  i8o4;  le 
quatrième,  en  1810  ;  et  le  cinquiè- 
me ,  trois  ans  après  sa  mort.  La 
même  année  (181 5),  le  premier 
volume  fut  réimprimé  pour  la  cin- 
quième fois.  Chaque  édition  nou- 
velle a  été  considérablement  aug- 
mentée par  Tauteur  lui-même  ,  de 
son  vivant ,  ou,  après  son  décès,  par 
les  soins  de  ses  amis,  dépositaires  de 
ses  notes  manuscrites.  S  étant  pro- 
posé de  montrer  la  prééminence  de 
la  morale  évauj^élipie  sur  celle  des 
sages  de  l'antiquité'  et  des  philoso- 
phes modernes  ,  et  d'exposer  ses 
rapports  avec  les  facultés  de  l'hom- 
me, il  commence  par  leur  descrip- 
tion ,  peut  -  ê:re  un  peu  trop  dé- 
taillée :  traçant  ensuite  l'image  du 
chrétien  accompli,  il  le  suit  dans 
toutes  les  relations  qui  le  lient  à  son 
créateur  et  à  ses  semblables  ,  et  pas- 
se ,  enfin  ,  à  l'énumération  de  tous 
les  moyens  pro[)res  à  nous  faire 
entrer  et  à  nous  guider  dans  la  route 
qui  conduit  à  ce  bu!  élevé.  Malheureu- 
seuieut  cetfetroisième  partie  n'est  pas 
terminée.  Toutefois  l'ouvrage,  dans 
l'état  ou  !a  mort  de  l'auteur  l'a  laissé, 
et  ma'gré  les  défauts  qu'on  lui  a  re- 
prochés ,  est  encore  letibleau  le  plus 
complet,  le  plus  philosophique  de 
la  nature  humaine,  et  des  secours  de 
perfectionnement  que  son  divin  au- 
teur lui  a  ménagés,  par  l'organisa- 
tion de  SCS  facultés  et  la  promulga- 
tion des  lois  de  l'Evangile.  Peut-être 
Reinhard  a-:-il  accordé  une  trop  gran- 
de iuipoitancc  aux  pouvoirs  intellec- 
tuels de  l'homme  dans  l'œuvre  de  sa 


REI  287 

rége'ne'ralion.  Ce  n'est  {!as  aussi  sans 
quelques  inconvénients,  dignes  d'at- 
tention, qn'il  lui  impose  pour  loi  su-- 
prême  un  perfectionnement  indéfini 
et  harmonique  de  toutes  ses  facultés, 
difficile  à  réaliser  par  des  efforts  rai- 
sonnés  et  graduels.  Le  principe  fon- 
damental qu'il  adopte,  manque  de 
simplicité.  L'idéal  de  perfection  qu'il 
propose  à  notie  imitation,  est  un 
guide  moins  sûr  que  les  préceptes  du 
Sauveur,  et  n'a  qu'une  fécondité  ap- 
parente. Les  inronvcnicnts  qui  en  lé- 
sultent,  ont  été  signalés  par  le  doc- 
teur Slàudiin,  dans  ses  Mélanges  de 
philosophie  et  d'histoire  de  la  reli- 
gion et  de  la  morale  (tomes  3,  4  et 
5  ).  On  a  aussi  blâmé  Reinh.ird  d'a- 
voir donné  trop  d'étendue  aux  em- 
prunts qu'il  a  fdits  aux  sciences  phi- 
losophiques, surtout  à  la  psycliolo- 
logie.  Mais  il  est  juste  de  dire  qu'il  a 
voulu  présenter  l'enséinble  des  ob- 
servations et  des  raisonnements  qui 
peuvent  éc'airer  le  uioralisie  et  mo- 
tiver ses  jitgcmen  s  ;  et  l'on  ne  peut 
qu'admirer  r..pplication  qu'il  en  fait 
aux  occupations  diverses  de  la  vie, 
aux  rel.itions  sociales,  aux  senti- 
ments ,  aux  penchants  de  l'homme  ^ 
à  toutes  les  situations  morales  oij 
il  peut  se  'ronver,  à  tous  les  écarts 
ou  infractions  aux  règles  du  juste 
et  aux  lois  de  la  saine  raison,  dans 
lesquels  l'entraînent  le  fanatisme^ 
la  superstition  ,  le  quic'tisnie  .  l'in- 
crédulité, maladies  de  l'a  rue,  que 
Reinhard  traite  avec  une  profonde 
connaissance  des  hommes  et  une  mo- 
dération digne  d'éloges.  Paitout  des 
traits  d'histoire  relatifs  aux  matières 
en  discussion  ,  des  citations  tirées 
dids  principaux  moralistes  et  des 
mystiques  les  plus  célèbres ,  viennent 
écl  tircir  et  confirmer  les  décisions 
de  l'auteur.  Cet  ouvrage  ,  unique 
dans  son  genre  ,  mériterait  d'être 


288 


REI 


traduit  en  français.  II.  L'idée  fon- 
damentale de  l'Essai  sur  le  plan 
formé  par  le  fondateur  de  lareligion 
chrétienne  pour  le  bonheur  du  genre 
humain  (imprimé  quatre  fois,  dans 
des  éditions  successivement  augmen- 
tées, de  1781  à  1798), est  plus  claire- 
ment énoncée  dans  le  titre  de  la  Dis- 
sertation latine  qui  fut  comme  le  gcr- 
roedc  ce  bel  ouvrage  :  Consilium  hene 
vierendl  de  unii'erso  génère  huma- 
no  iiigenii  suprà  hominem  elati  do- 
cumentwn ,  1780,  in-4''.  Reinhard 
examine  les  travaux  et  l'influence  des 
sages  et  des  législateurs  qui,  avant 
Jésus-Clirist ,  ont  tâché  de  répandre 
des  idées  saines  sur  la  Divinité ,  et 
d'améliorerl'état  moral  de  leurs  com- 

f>atriùtes.  Après  avoir  m-ontré  que 
eurs  projets  de  réforme  n'embrassè- 
rent jamais   l'universalité  du  genre 
linraain  ;  qu'ils  n'eurent  même  pas 
l'idée  de  leur  donner  cette  étendue; 
il  prouve  que  l'auteur  du  christia- 
nisme ,  dans  des  circonstances  plus 
que  décourageantes ,  et  avec  des  mo- 
yens d'exécution  ,  selon  l'apparence 
humaine,  très-inférieurs  à  ceux  dont 
disposèrent  ses  devanciers  dans  la 
carrière  d'une   réforme  religieuse, 
s'est  (le  premier  entre  les  hommes) 
élevé  à  la  sublime  conception  d'un 
plan  d'association  fraternelle,  s'é- 
tendant  sur  le  genre  humain  tout  en- 
tier  dans  ses  générations  contem- 
f)oraines  et  futures  ,  et  formée  sous 
es  auspices  d'un  père  commun,  maî- 
tre de  l'univers  et  arbitre  de  nos  des- 
tinées. Ensuite  il  fait  voir  que  cette 
seule  conception,  lors  même  qu'elle 
n'eût  pas  été  réalisée,  assignerait  à  Jé- 
sus-Christ le  premier  rang  entre  les 
hommes  et  cutre  les  bienfaiteurs  de 
l'humanité;  et  il  développe  les  cou- 
séquences  que  nous  sommes  en  droit 
de  tirer  de  son  exécution  inattendue, 
rapprochée  des  diflicultés    inonics 


REI 

qu'elle  eut  à  surmonter  ,  et  des  qua- 
lités qu'elle  suppose  dans  l'être  sur- 
prenant qui  l'entreprit  et  qui  y  per- 
sévéra avec  le  plus  de  confiance,  au 
moment  même  où  ses  espérances  pa- 
raissaient devoir  s'ensevelir  dans  la 
tombe  quiallait  le  recevoir.  Cette  apo- 
logie neuve ,  intéressante  et  ingénieu- 
se de  la  religion  chrétienne  et  de  son 
auteur  (  traduite  en  français  ,  par  M. 
J.  L.  A.  Dumas ,  pasteur  à  Dresde  ,'en 
17QC);,  a  fait  époque  en  Allemagne 
dans  l'importante  branche  des  scien- 
ces théologiques,  à  laquelle  l'ouvrage 
de  Reinhard  appartient.  Ou  lui  a  sa- 
vamment et  subtilement  contesté  la 
vérité  du  fait  qui  lui  sert  de  point  de 
départ.  On  a  nié  que  Jésus  -  Christ 
eût,  dans  sa  pensée,  embrassé  la  ra- 
ce humaine  tout  entière,  et  formé 
le  projet  de  la  régénérer  par  les  moyens 
qu'il  mit  en  œuvre,  subjuguant  par 
leur  action  ,  et  convertissant  en  ins- 
truments subordonnés  à  son  plan  su- 
blime, tous  les  événements  de  l'his- 
toire et  toutes  les  conquêtes  de  la  ci- 
vilisation. Mais  une  discussion  pro- 
fonde et  luminiuse  ,  à  laquelle  les 
premiers  théologiens  de  l'Allemagne, 
et  dernièrement  encore,  le  docteur 
G.- J.  Planck,  ont  pris  une  vive  part, 
a  confirmé  la  justesse  de  l'exégèse 
de  Reinhard ,  et  répandu  le  plus  beau 
jour  sur  les  immenses  résultais  qui 
en  découlent  ,  pour  l'appréciation 
des  rapports  du  fils  de  Marie  avec  le 
reste  des  humains,  alors  même  que, 
pour  un  moment ,  on  se  condamne- 
rait à  ne  l'envisager  que  comme  un 
simple  mortel.  III.  La  Collection  des 
Sermons  de  Reinhard  est  peut  -  être 
le  plus  considérable  de  tous  les  re- 
cueils de  ce  genre  ;  elle  forme  trente- 
neuf  volumes   in-8'^.,  publiés  dans 
riutervallede  1736  a  181 3.  Les  deux 
premiers  comprennent  les  Sermons 
prononces  à  Wittcuibcrg ,  imprimés 


REt 

en  1786 et  1 798 (ib.), chez  Ziinuicr 
mann  ;  tons  les  autres  à  Siil^bacli  , 
chezSeidel.Les  quatrcclerniers  volu- 
mes sont  posthumes  ,  et  ontc'té  rais 
au  jour  parles  soins  de  son  collègue  , 
Icdocteur  Hacker.  Ces  discours,  où  rè- 
gne le  ca'me  d'une  raison  forte  et  su- 
périeure, planant  avec  majesté  sur  le 
présent  et  sur  l'avenir  de  l'homme, 
ne  sont  point  dépourvus  de  chaleur, 
et  s'élèvent  souvent  à  des  mouve- 
ments d'une  haute  éloquence;  mais 
ils  s'adressent,  en  général ,  plus  à 
l'esprit  et  à  la  conscience  qu'à  l'irna- 
f^ination  et  au  cœur.  On  a  reproché  à 
Reinhard  une  marche  trop  rigoureu- 
sement logique  ,  une  trop  régulière 
distribution  des  matières,  et  un  cer- 
tain goût  pour  la  symétrie  des  divi- 
sions ,  qui  donnent  à  des  discours  , 
d'ailleurs  élégamment  et  purement 
écrits ,  un  air  de  gêne  et  de  séche- 
resse, et  qui  exigent  une  mesure 
d'attention  fatigante  pour  les  lec- 
teurs d'un  esprit  moins  cultivé.  Mais, 
dans  ses  Lettres  sur  sa  carrière 
de  prédicateur ,  il  justifie  bien  sa 
manière  de  prêcher ,  tout  en  se 
jugeant  lui  -  même  avec  sévérité. 
«  L'habitude  de  la  méthode,  dit-il , 
))  (  p.  81  et  suiv.  ),  que  j'avais  con- 
»  tractée  comme  professeur,  m'ac- 
»  compagna  dans  la  chaire.  Je  défi- 
»  nissais,  divisais,  argumentais  dans 
»  mes  sermons  comme  dans  mes  le- 
»  çons  ,  et  j'offrais  à  la  pieté  de  mes 
»  auditeurs,  dans  l'église,  des  dis- 
1)  eussions  en  forme  ,  comme  à  l'al- 
»  tentiou  des  étudiants  dans  l'audi- 
»  toire  théologique.  Je  prêchais  dans 
»  l'église  de  l'université ,  et  un  grand 
»  nombre  de  mes  auditeurs  étaient 
»  des  savants  ,  des  hommes  capa- 
»  blés  de  saisir  l'ensemble  d'un  dis- 
»  cours ,  et  de  suivre  l'enchaîneinent 
»  des  idées.  Ti'expérieiicc  m'a  con- 
»  vaincu  que  celte  manière  de  prc- 
XXX.VI1. 


REI 


a8o 


>^  cher  e'tait  fort  utile  aussi  pour  le 
»  commua  des  auditeurs.  11  est  vrai 
»  qu'il  fallait  renoncer  pour  cela  à 
»  bien  des  beautés  oratoires;  mais 
■»  je  n'ai  cessé  d'envisager  le  minis- 
»  1ère  de  l'Evangile,  bien  p'.usendoc- 
»  teur  qu'en  orateur;  et  j'ai  toujours 
»  été  de  plus  en  plus  convaincu  ,  par 
»  un  long  exercice,  qu'undiscours  ain- 
»  si  comp;)sé  n'en  est  pas  moins  sus- 
»  ceptible  de  recevoir  de  lavie  et  des 
»  formes  agréables.  »  Les  sermons 
de  Reinhard  sont  comme  les  déve- 
loppements des  paragraphes  de  sa 
Morale  ,  qui  en  est  pour  ainsi  dire 
le  répertoire  et  le  classement.  Pour 
faciliter  l'usage  de  cette  granle  col- 
lection, pour  en  étendre  l'utilité  et 
l'approprier  à  des  positions  sociales 
ou  à  des  situations  d'esprit  particu- 
lières, on  y  a  fait  un  choix  ,  tantôt 
de  sermons  entiers ,  relatifs  à  des 
matières  spéciales,  tantôt  de  mor- 
ceaux détachés  ,  éclair cissant  des 
points  de  doctrine  intéressants  ou 
des  passages  importants  de  l'Écritu- 
re ,  et  on  a  formé  ainsi  des  manuels 
adaptés  aux  besoins  de  différentes 
classes  déterminées  de  lecteurs.  Le 
docteur  Ernest  Zimmermann ,  aidé 
de  Reinhard  lui-même,  a  donné,  en 
4  vol.  (Francfort,  1812-18211  )  la 
Table  de  toutes  les  matières  traitées 
dans  les  sermons  de  Beinhard ,  sur 
les  péricopes  évangéliques  et  épis- 
tolaires  (  textes  obligés  des  pasteurs 
dans  les  églises  de  Saxe  ).  Un  sem- 
blable extrait  a  été  publié  par  M.  le 
pasteur  J.-L.Ritfer,  en  2 part.,  Leip- 
zig, 181 3.  Des  Réjlexions prépara- 
toires à  la  digne  célébration  de  la 
sainte  cène  (  par  C.-F.  Dietzsch ,  ?.•=. 
édit.  ,  Francfort  ,  1821  );  des  Élé- 
vations à  Dieu  sur  les  vérités  les 
plus  importantes  du  christianisme  , 
par  M.  J.-K.  Weikcrt(Cheranitz, 
1818);  une  Explication  pratique 

«9 


190 


REI 


des  principaux  passages  des  saintes 
Ecritures  (  par  C.-F  .B;iilzsch  , l'au- 
teur de  la  Table  des  matières  de  la 
Morale  de Reinliard .  Leipzig  ,1817), 
ont  élé  tirées  des  œuvres  do  Reiu- 
hard  ,  et  spécialement  de  ses  ser- 
mons. Lui-même  en  a  fait  imprimer 
im  clioix  intitulé  :  Sermons  sur  les 
moyens  de  développer  le  sens  mo- 
ral,et  déporter  V attention  du  chré- 
tien sur  l'état  de  soncœur  ,  deuxiè- 
me édition,  Leipzig,  1 80a.  IV.  lieiu- 
hard  rend  compte  des  éludes  pré- 
paratoires qu'il  a  faites  pour  se  for- 
mer à  la  prédication  évangélique, 
des  difficultés  qu'il  a  rencontrées , 
et  du  résultat  de  ses  efforts  comme 
orateur  sacré ,  dans  un  écrit  dont 
nous  avons  une  excellente  traduction 
sous  ce  titre  :  Lettres  de  F.  -  F. 
Reinliard  ,  sur  ses  études  et  sa,  car- 
rière de  prédicateur^  traduites  de 
l'allemand,  par  J.  Monod.,  1816, 
in -8".  Reinliard,  dans  cet  expo- 
sé des  travaux  auxquels  la  carriè- 
re de  prédicateur  l'a  appelé ,  soit 
en  la  fournissant ,  soit  avant  d'y  en- 
tier, s'arrête  beaucoup  plus  sur  ce 
qu'il  a  négligé,  sur  ce  qu'il  n'a  pas 
atteint,  sur  ses  mécomptes  et  ses  dé- 
fauts, que  sur  les  difficultés  qu'il  a 
vaincues  ou  les  succès  qu'il  a  obte- 
nus. On  y  voit ,  sinon  le  spectacle 
grand  et  sublime  de  la  lutte  du  juste 
avec  l'adversité,  du  moins  le  tableau 
atlacliant  et  instructif  de  l'homme 
de  bien,  COU)  parant  incessamment  ses 
progrès  avec  l'idée  qu'il  s'est  faite 
de  ses  devoirs ,  et  combattant  avec 
persévérance  les  difficidtésqu'il  trou- 
ve à  les  remplir.  Animé  du  désir  de 
satisfaire  sa  conscience  et  des'appro- 
clicr  de  plus  en  plus  de  son  type  de 
perfeclion  ,  il  s'accuse,  sans  allècta- 
tioii,  de  tout  ce  (jui  lui  a  manqué,  et 
signale  avec  franchise,  à  chaque  pas 
de  sa  marche  ,  les  écucils  que  la  di- 


REI 

rection  de  ses  études  et  la  nature  de 
ses  moyens  ne  lui  ont  pas  permis 
d'éviter.  On  citerait  difficilement , 
dans  la  multitude  de  rhétoriques 
sacrées  et  de  plans  d'études  qui  ont 
été  publiés  par  d'éloquents  orateurs 
et  des  littérateurs  habiles,  un  écrit 
qui,  en  si  peu  de  pages,  offrît  des  con- 
seils aussi  sages  et  aussi  salutaires, 
des  observations  aussi  judicieuses  et 
aussi  utiles ,  des  leçons  d'un  goût  au- 
si  pur  et  classique.  Une  des  parties 
les  plus  intéressantes  de  l'ouvrage  de 
Reinliard  est  celle  qui  offre  le  tableau 
des  efforts  qu'il  fit  poursortirdu  péni- 
ble scepticisme  riîj  il  s'était  vu  plongé 
par  l'élude  des  différents  systèmes  de 
philosophie.  En  parlant  des  médita- 
lions  auxquelles  il  s'était  livré  pour 
se  former  un  plan  qui  satisfît  entière- 
ment sa  raison  :  «  J'essaierais,  vai- 
»  nement,  dit-il,  de  vous  décrire  le 
»  cliagrin  ,  le  trouble,  l'angoisse  qui 

»  me  poursuivaient, chaque  fois 

»  que  je  préparais  mes  leçons...  Sou- 
»  vent  l'heure  qui  m'appelait  à  l'a- 
»  cadémie  avait  déjà  sonné,  que  j'é- 
»  tais  encore  à  me  promener  dans 
»  ma  chambre,  les  yeux  en  pleurs, 
»  et  demandant  à  Dieu ,  de  toute 
»  l'ardeur  de  mon  ame,  de  me  diri- 
»  gèr  de  manière  qu'au  moins  il  ne 
»  m'échappât  rien  qui  pût  être  dan- 
»  gercux  pour  la  religion  et  pour  la 
»  morale...  Au  milieu  de  cette incerti- 
»  tude,....je  m'attachai  àdeux  prin- 
»  cipes ,  auxquels  je  fus  inébranla- 
»  blement  fidèle  :  l'un  de  ne  rien  ad- 
»  mettre  en  philosophie  qui  fût  en 
»  opposition  avec  mon  sens  moral; 
»  et  l'autre  de  ne  rien  soutenir  en 
»  théologie ,  qui  fût  contraire  aux 
»  déclarations  claires  et  positives  de 
»  l'Écriture  sainte.  »  Sa  bonne  foi  et 
sa  persévérance  dans  la  recherche  de 
la  vérité  reçurent  leur  récompense,  et 
son  exemple  vérifia  le  mol  de  Bacon. 


REI 

Ses  premières  éludes  philosophiques 
avaient  jeté  dans  son  esprit  des  dou- 
tes sur  tout  ce  qui  lui  avait  paru  le 
phis  assiirë  :  des  réflexions  plus  apro- 
fondics  produisirent  cette  conviction 
intime  que  respirent  tous  ses  ouvra- 
ges ,  et  dont  la  profession ,  aussi 
touchante  qu'énergique,  tiiée  de  la 
Préface  de  la  troisième  édition  de  sa 
Morale  (p.  xxx-xxxv)  ,  a  été  re- 
produite, dans  une  Note,  par  le  tra- 
ducteur de  ses  Lettres  (  p.  i  1 7- 1 24  )• 
Parmi  les  autres  écrits  deReinhard, 
nous  ne  ferons  mention  que  de  ceux 
qui  offrent  des  vues  neuves  ,  et  qui 
sont  les  pins  répandus  en  Allemagne. 
Il  était  très -élégant  latiniste;  ses 
opuscules  latins  ont  été  rassemblés 
dans  une  collection  intitulée  :  V. 
Opuscula  academica  ,  Leipzig  , 
1808  et  1809,  a  vol.  in  8°. ,  de 
Siô  et  528  pag.  La  plupart  des 
Dissertations  comprises  dans  ce  Re- 
cueil fuient  les  premiers  germes 
d'ouvrages  plus  importants  ,  rédi- 
gés en  allemand  par  l'auteur  lui- 
même.  Nous  en  indiquerons  les  plus 
saillantes  :  Utràm  ad  judiciuin  de 
miraculis  reqidratur  unwersœ  na- 
turœ  accurata  cognitio  ?  Le  succès 
de  cet  écrit,  dans  lequel  il  examinait 
une  des  objections  les  plus  épineuses 
alléguées  contre  l'argument  tiré  des 
miracles,  l'eng^igea  à  en  développer 
les  idées  dans  un  Traité  plus  étendu, 
dont  il  n'a,  mallieureusement,  paru 
que  la  partie  théorique,  sous  ce  titre: 
VI.  Essalpsycholos,i<]ue  sur  le  mer- 
veilleux, 1782,  in  8".  de3')4pp.La 
seconde  était  destinée  à  en  f  lire  l'ap- 
plication à  la  défense  de  l'histoire 
évangélique.  —  Deviqud  resparvœ 
ûfficiunt  animum.  Ce  Traité  ,  qui 
remplit  les  pages  58-288  du  second 
volume  des  Opuscula,  expose  les 
idées  de  l'auteur  sur  les  ressources 
que  l'homme  sincère  dans  ses  réso- 


REI  sgi 

huions  vertueuses,  trouve  dans  les 
petites  circonstances  de  la  vie ,  et  sur 
la  manière  la  plus  sûre  d'écarter  les 
obstacles  qu'il  rencontre  dans  l'œu- 
vre de  son  pcrfectionnenent  moral. 
La  traduction  allemande,  par  .T.  C. 
F,  Eck  ,  enrichie  des  additions  de 
l'auteur,  a  plusieurs  avantages  sur  l'o- 
riginal laiin  ;  elle  est  intitulée:  VIL 
De  Limportancedespelites  choses  en 
morale,  Berlin,  1798.  Pour  prévenir 
l'abus  qu'on  pourrait  faire  des  ma- 
ximes recommandées  dans  cet  écrit, 
Reinhard  en  accompagna  la  seconde 
édition,  d'un  petitTraité(réimprimé, 
en  t8o2,  avec  de  nouveaux  dévelop- 
pemenls  )  :  VllL-Sur  l'esprit  de  mi- 
nulie  dans  la  morale.  IX.  Nous  si- 
gnalerons encore  le  morceau  :  De 
prœstanlid  religîonis  christianœ  in 
consolandis  miseris  {  p.  '.>.89-493  )• 
traduit  en  allemand,  sous  ce  titre  : 
Injluence  du  christianisme  sur  Va' 
doucissement  du  malheur,  par  J.-S. 
Fest.  La  seconde  édition,  1798,  of- 
fre des  suppléments  dus  à  l'au- 
teur. X.  Les  Leçons  de  théologie 
dogmatique  ^  recueillies  de  la  bou- 
che de  Reinhard,  par  J.-G.-Era.  Ber- 
ger, out  déjà  été  reimprimées  quatre 
fois.  La  première  édition  est  de  1801 
(  704  pp.  )  '•  la  dernière  (de  1818) 
contient  des  notes  bibliographiques 
de  la  main  de  MM.  Berger  et  Schott 
(Sulzbach,  chez  Seidel  ),  XI.  Une 
Traduction  des  Psaumes  ,  publiée 
après  sa  mort,  i8i3,in-8'',  vol.de 
33()  pag.  Reinhard  a  eu  deux  bio- 
graphes distingués,  M.  C.-A.  Boet- 
liger  et  K.-H.-L.  Poelitz.  La  Notice 
du  premier  (  Uiesde,  i8i3,  in- 
4°.  )  renferme  de  cinieux  détails 
sur  la  manière  dont  Reinhard  dis- 
tribuait son  temps,  et  en  doublait 
la  mesure  par  une  régularité  cons- 
tante et  calculée.  La  Biographie  pu- 
bliée par  le  professeur  Poelitz  (  Aras- 
19.. 


29^ 


REI 


lerdam,  Brockhaus,  i8i5,  a  vol. 
in-S"*.  ) ,  est  un  expose  instructif  des 
travaux  de  Reinliard  et  du  bien  qu'il 
a  opère.  Une  Notice  i,nteressante  par 
Blessig  est  jointe  à  sa  traduction  du 
Sermon  prononce  par  Reinliard  ,  à 
l'occasion  de  la  fêle  anniversaire  de 
la  reformation  ,  le  1^=^'.  novembre 
1807  (  De  Vinjluence  de  la  relis^ioii 
prolestante  sur  les  relations  de  la 
vie  civile  et  domestique ,  Paris  et 
Strasbourg  ,  1808  ).  On  trouvera  le 
Catalogue  raisonne  de  ses  OEuvres  à 
la  suite  des  Lettres  citées  plus  haut , 
que  M.  Monod  a  traduites ,  et  son 
portrait,  en  tête  de  sa  Morale,  de  ses 
Opuscules  latins  et  de  sa  Biographie, 
par  Boettigcr.  S — R. 

RElNiMAR  l'Ancien  ,  poète  alle- 
mand, issu  d'une  famille  noble  dont 
le  château  héréditaire  était  auprès  du 
Rhin  ,  florissait  au  commencement 
du  treizième  siècle.  II  vivait  à  la 
cour  du  duc  Lcopold  VII  d'Autriche, 
qu'il  accompagna,  en  1217  ,  à  la 
croisade  ,  en  Palestine.  A  la  mort  de 
son  maître  ,  en  1200  ,  Reiamar  ex- 
prima sa  douleur  dans  ses  poésies.  Il 
reste  un  bon  nombre  de  ses  pièces  de 
vers;  elles  offrent  du  naturel,  du  senti- 
ment ;  les  tournures  sont  assez  déli- 
cates ,  et  l'expression  a  de  l'harmo- 
nie. Elles  se  trouvent  dans  la  col- 
lection de  Manesse  ,  dont  le  manus- 
crit est  à  la  bibliothèque  du  Roi ,  à 
Paris.  — ReinmarIc  Jeune  ,  qui  pa- 
raît avoir  été'  fds  du  précèdent ,  c'tait 
également  poète  ;  et  ses  pièces  de 
vers  se  trouvent  en  assez  grand  nom- 
bre dans  le  même  Recueil.  Elles  sont 
du  genre  religieux,  moral  et  sati- 
rique ;  on  y  trouve  moins  de  poésie 
que  de  pensées  ,  et  elles  annoncent 
dans  leur  auteur  beaucoup  de  con- 
naissances et  assez  de  lumières  pour 
son  siècle.  Ileinmar  le  Jeune  fut  dis- 
tingué à  la  cour  d'Otlocar,  roi  de  Bo- 


REI 

hème  :  les  éloges  qu'il  donne  an  roi 
Eric  de  Danemark,  et  à  Louis-le- 
Sévère  ,  duc  de  Bavière  ,  font  sup- 
poser qu'il  avait  reçu  des  distinc- 
tions de  ces  souverains.        D — g. 

REINOSO  (Don  Antonio -Gar- 
cia ) ,  peintre ,  né  à  Cabia  en  Anda- 
lousie ,  fut  disciple  de  Sebastien 
Martinez  ,  son  compatriote,  dont  il 
n'imita  point  la  manière  franche  et 
naturelle  :  il  avait  plus  de  ficilité 
que  de  goût.  On  voit  un  grand  ta- 
bleau de  cet  artiste  à  Andujar  ,  dans 
l'église  des  Capucins  :  il  occupe  tout 
le  fond  de  la  chapelle  principale;  il 
représente  la  Trinité  et  une  foule  de 
patriarches,  et  dans  le  bas  du  tableau, 
saint  Michel  et  saint  George,  armés: 
son  maître  Martinez,  et  plusieurs  au- 
tres l'ont  admiré.  Ou  voit  de  lui  à  Li- 
narez  un  tableau  de  Susanne  dans  le 
bain  ,  au  sujet  duquel  on  répète  l'an- 
cienne anecdocte  des  oiseaux  qui 
becquetèrent  la  grap])e  de  raisin  de 
Parrhasins.  On  raconte  que  Garcia 
ayant  placé  son  tableau  dans  la  cour 
de  la  maison  pour  le  faire  sécher,  un 
moineau,  voj-ant  du  haut  du  toit,  les 
arbres  et  le  b.issin  représentés  sur 
la  toile  ,  vint  plusieurs  fois  chercher 
à  se  baigner  dans  cette  eau  qui  lui 
semblait  naturelle,  et  que  cet  hom- 
mage, non  suspect,  assura  la  gloire  du 
peintre.  Garcia  fut  également  bon  ar- 
chitecte. On  trouve,  à  Jacn,  différents 
monuments  de  cet  artiste;  les  jjIus 
estimés  sont  à  Andujar  et  ta  Martos.  II 
mourut  à  Cordouc,en  1G77,  âgé  de 
cinquante-quatre  ans.  Z. 

REINSCHILD.  r.  Reunscuold. 

REISEN.  P'of.  Cii.  Christian. 

REISER  (  Antoine  ),  théologien 
protestant,  né  à  Augsbourg,  le  7 
mars  iG28,meiia  une  vie  fort  agi- 
tée. Après  avoir  fréquenté  plusieurs 
universités,  il  exerçait  le  p.istorat 
dans   la   commune   luthérienne  de 


REI 

Presboi:rg ,  lorsque  celte  église  em- 
brassa le  calvinisme  eu  1672.  llavait 
e'té  im  des  plus  fermes  opposants  à 
cette  variation;  dépouillé  de  tout , 
emprisonne,  condamne  à  mort,  élar- 
gi euûn  par  grâce,  et  cliassé  du  pays 
avec  sa  famille,  il  revint  dans  sa 
ville  natale,  exerça  quelques  emplois 
obscurs  dans  le  ministère,  jusqu'en 
1678  ,  oîi  il  fut  nommé  pasteur  de 
l'église  de  Saint- Jacques  à  Ham- 
bourg :  il  y  mourut  le  27  avril  1 686. 
Ses  écrits  théologiques,  au  nombre 
de  trente-;>ix  (  dix-sept  en  latin  et 
dix-neuf  en  allemand  ) ,  dont  on  trou- 
ve la  liste  dans  le  dictionnaire  de 
Jocclicr  ,  sont  maintenant  oubliés, 
et  n'ont  fait  quelque  bruit  dans  le 
temps  que  par  la  singularité  du  sys- 
tème de  l'auteur  ,  qui  prétendait 
prouver  que  saint  Augustin,  saint 
Thomas  d'Aquin  ,  etc. ,  avaient  sou- 
tenu la  même  doctrine  que  Luther  ; 
et  que  le  docteur  Lauuov  était  un 
fort  bon  protestant.  Son  Joh.  Lau- 
noius...  testis  et  conjessor veritatis 
ei'angelicœ...  vindicatus ,  Amster- 
dam, i685,  in-4*'.  (  ^.  Launot, 
XXIII,  445  )>  f"!^  sévèrement  dé- 
fendu à  Paris  ,  et  la  saisie  en  fut  or- 
donnée par  arrêt  du  conseil  du  4  juin 
1685.  Nous  mentionnerons  encore 
ses  trois  Sermons  sur  la  comète  (  en 
allemand  );  sa  dissertation  De  fui- 
mine  ;  son  traité  De  origine,  jiro- 
gresiii  et  incremento  anti-theismi 
seu  Alheisnii ,  Augsbourg,  i66g, 
iu-8^.  ;  et  son  épître  ,  De  claris  ijui- 
biisdani  œvi  hujus  tlieologis,  mise 
en  tête  du  Tcmplum  honoris  resera- 
tum,  de  Spizcl,  1673,  in-4°.  Le 
seul  de  ses  ouvrages  qui  ait  conservé 
de  l'importance  pour  les  bibliogra- 
phes, est  son  catalogue  des  manus- 
crits de  la  bibliothèque  publique 
d' Augsbourg,  Index  manuscripto- 
rum  bibliolhecc  Angtistanœ ,  1 67  5, 


REI 


293 


iD-4".  de  174  pag.  Il  est  plus  com- 
plet et  mieux  rédigé  qus  ceux  qui 
avaient  paru  antérieurement ,  et  d'ail- 
leurs d'un  format  plus  commode  que 
celui  d'Eliingcr ,  qui  avait  la  hauteur 
d'un  infolio,  mais  aux  numéros  du- 
quel il  se  rapporte  comme  au  plus 
authentique  (  /^.',  Ehiivger  ).  Quoi- 
que l'on  ait  beaucoup  écrit  dans  le 
dix-huitième  siècle  sur  la  bibliothè- 
que d' Augsbourg  (  i  ) ,  on  lî'a  pas 
réimprimé  le  catalogue  de  ses  ma- 
nuscrits ,  pour  la  connaissance  des- 
queK  on  n'a  point  de  meilleur  guide 
quele  livre  de  Reiser.  Il  y  a  joint,  par 
forme  d'appendice,  1°.  (  page  qS  ) 
la  liste  sommaire  des  principales  édi- 
tions du  quinzième  siècle,  qui  se 
trouvent  dans  la  même  bibliothèque  j 
1°.  (p.  119)  l'indication  des  livres 
imprimés  soit  dans  la  viile  d'Augs- 
bourg  ,  soit  d'après  les  manuscrits 
de  sa  bibliothèque.  On  y  trouve , 
ainsi  que  dans  le  catalogue,  quelques 
notes  bibliographiques  ,  et  en  géné- 
ral beaucoup  de  négligences.  Reiser 
publia  cet  ouvrage  pour  servir  d'in- 
troduction à  une  Histoire  littéraire 
et  bibliographique  de  la  ville  d'Augs- 
b»urg,  travail  dont  il  s'occupait, 
mais  qui  n'a  point  paru.  Parmi  les 
autres  fruits  de  sa  plume ,  qui  sont 
demeurés  inédits,  nous  citerons  son 
Martjrologium  Hungarice,  et  une 
relation  De  rapind  hibliothecœ  suce. 
Voyez  sa  Vie ,  ])ar  un  anonyme , 
dans  le  Memoria  theologoruni  de 
PipiÛDg,  dec.  II,  p.  i4'  et  suiv. 

^^     ^  C.  M.  P. 

REISKE  (  Jea>-Jacql-es  )  naquit 
le  2.5  déc.  1716,  à  Zoerbig  .petite 
ville  de  Saxe ,  située  pi  es  de  la  prin- 
cipauté d'Anhalt ,  à  l'endroit  où  se 

(i)  JeW.ine-Andr.;  MciUii»  a  public  driix  dissrr- 
lalious  iu-tolio  ,  De  hibUoihecj!  au^usianx  cinul:^, 
n-TJ  et  i7'5  ;  et  nue  autre  en  allemand  ,  sur  la  B" 
hU,.1hi,f,.e'tU  la  vilU  J'Au^ibaurp,  i:83  ,  ia-6p~ 


294 


RET 


croisent  les  deux  routes  de  Leipzig 
à  Hambourg  et  de  Halle  à  Berlin, 
Son  père  était  tanneur,  et  il  pa- 
raît qu'il  tirait  son  origine  de  la 
Bohème.  Ses  parents  ,  après  lui 
avoir  procure  un  bon  commence- 
ment d'instruction  dans  les  langues 
grecque  et  latine,  l'envoyèrent,  en 
1728  ,  à  la  maison  des  Orphelins 
de  Halle  ,  où  il  passa  près  de  cinq 
ans.  n  y  eut,  pour  compagnon  d'é- 
tudes, Michaëlis  ,  devenu  si  célè- 
bre dans  la  suite.  Quoique  Reiske  , 
dans  sa  vie  écrite  par  lui-même, 
n'approuve  pas  la  discipline  sévère 
et  presque  monastique  de  cet  établis- 
sement ,  il  reconnaît  que  les  études 
y  étaient  bonnes  ,  et  l'enseignement 
confié  à  d'habiles  professeurs.  Tou- 
tefois il  n'emporta  guère  de  cette 
école  qu'une  connaissance  solide  de 
la  langue  latine  ;  et  encore  avoue-t-il 
lui-même  avoir  moins  formé  sa 
latinité  sur  les  modèles  que  Rome 
nous  a  laissés ,  que  sur  le  style  de 
Muret,  de  Gnnœus ,  de  Cellarius  , 
et  d'autres  écrivains  modernes.  Ce 
ne  fut  même  qu'à  l'âge  de  4o  ans, 
qu'il  commença  à  bien  connaître  et 
à  goûter  la  lalinité  des  beaux  siècles 
de  Rome.  H  passa,  en  1733  ,  à  l'uni- 
versité de  Leipzig,  l\  y  demeura  cinq 
années  ,  étudiant  sans  plan ,  sans 
direction  .  sans  but ,  et  par  conse'- 
qucnt  avec  peu  de  profit.  Ce  fut 
une  sorte  de  bonheur  pour  lui  que 
le  hasard  tournât  son  goût  vers  la 
littérature  arabe,  et  que  ce  goût 
devînt  en  peu  de  temps  une  véri- 
table passion.  Si  les  connaissances 
qu'il  acquit  en  ce  genre,  ne  fu- 
rent pas  pour  hii  la  source  de  grands 
avantages  du  côlé  de  la  fortune,  el- 
les eurent  du  moins  l'heureux  effet 
de  fixer  son  caractère  irrésolu  ,  et  ne 
contribuèrent  pas  peu  ,  par  la  suite  , 
à  fonder  sa  réfiutation.  Il  s'était  ans- 


'REI 

si  livré  à  la  littérature  rabbinique  ; 
et  l'inclination  qu'il  montrait  alors 
pour  ce  genre  de  littérature  ,  lui  va- 
lut ,  pendant  les  dernières  années  de 
son  cours  d'humanités  ,  nn  modi- 
que secours  dont  il  avait  grand  be- 
soin. Au  reste,  il  abandonna  sans- 
doute  bientôt  cette  étude,  dont  on  a- 
perçoit  peu  de  traces  dans  ses  écrits. 
Quoiqu'il  eût  réussi ,  par  la  plus  sé- 
vère économie,  à  se  procurer  pres- 
que tous  les  livres  arabes  qui  avaient 
été  imprimés  jusqu'à  lui  ,  cela 
était  loin  de  pouvoir  satisfaire  la 
soif  dont  il  brûlait  pour  cette  littéra- 
ture. 1\  lui  fallait  ,  à  quelque  prix 
que  ce  fût  ,  obtenir  l'accès  à  une  ri- 
che collection  de  manuscrits  ;  et  l'on 
ne  doit  pas  être  surpris  que  le  désir 
de  jouir  des  trésors  de  ce  genre  que 
possédait  l'université  de  Leyde  ,  lui 
fit  souhaiter  ardemment  de  visiter  la 
Hollande.  H  réalisa  ce  projet  en  1738^ 
sans  que  la  diillculté  extrême  de  sa 
position ,  les  conseils  de  ses  amis , 
et  ses  propres  reflexions  pussent  l'en 
dissuader,  ou  du  moins  le  détermi- 
ner à  en  remettre  l'exécution  à  un 
lem  ps  plus  convenable.  Arrivé  à  Ams- 
terdam sans  aucun  moyen  d'existen- 
ce pour  le  présent  ni  pour  l'avenir , 
et  muni  seulement  de  quelques  let- 
tres de  recommandation  ,  il  trou- 
va une  ressource  inattendue  dans 
la  proposition  que  lui  fit  le  célè- 
bre d'Orville ,  de  rester  auprès  de 
lui  eu  qualité  de  secrétaire ,  avec 
un  traitement  annuel  de  Coo  florins. 
]\Iais  le  même  enthousiasme  ,  ou  si 
l'on  veut  ,  la  même  folie  qui  lui 
avait  fait  entreprendre  le  voyage  de 
Holl;indi',  sans  songer  aux  moyens 
d'y  subsister  ,  lui  fit  repousser  la 
main  qui  lui  olliait  nn  secours  si 
opportun ,  et  en  même  temps  si  in- 
dispensable. C'était  pour  la  ville  de 
Levdc  ,  pour  sa  bibliothèque,  pour 


REI 

ses   maniisci'its  arabes  ,  qu'il   était 
venu   en  Hollande  :  tout  ce  qui   le 
détournait  de  ce  but  ,   ne  pouvait 
trouver  aucun  accès  aupi'ès  de  lui. 
D'Orville  surpris  ,   et  même  irrite' 
jusqu'à  un  certain  point  de  ce   re- 
fus, ne  pouvait  manquer  cependant 
de  porter  un  juste  inte'rêtà  un  zèle 
si  noble  ,  quoique  très-inconsidéré. 
Son  humeur  se  fit  sentir  au  jeune 
voyageur,  auquel  il  refusa  une  lettre 
derecommandation  pour  Pierre  Bur- 
mann  :  mais  une  preuve  qu'il  sut  ap- 
précier les  niolits  de  sa  détermina- 
tion, c'est  qu'il  ne  tarda  pas  à  faire 
pour  lui ,  secrètement,  ce  qu'il   lui 
avait  d'abord  refusé;  et  que,  dans 
la  suite,  il  ne  le  perdit  jamais  de  vue 
tant  qu'il  habita  la  Hollande.  C'é- 
tait à  Leyde  que    Reiske  devait  , 
pour  la  première  fois,  ouvrir  les 
yeux  sur  la  profondeur  de  l'abîme 
dans  lequel  il  s'était  précipité,  A  pei- 
ne se  fut-il  présenté  chez  les  profes- 
seurs Schiûtens   et    'sGravesande  , 
pour  lesquels  il  avait  des  lettres  de 
recommandation,  qu'il  reconnut  que 
tous  les  moyens  sur  lesquels  il  avait 
trop  légèrement  compte  pour  son 
existence  et  pour  le  succès  de  son 
entreprise  ,    n'étaient  que  des  illu- 
sions ,  et  que  ,  sans  argent ,  il  de- 
vait s'attendre  à  manquer  de  tout  , 
et  mêiue  à  voir  immanquablement 
fermée  pour  lui  cette  bibliothèque, 
l'unique  objet  de  ses  vœux.  La  Pro- 
vidence ccpendantvin  t  à  son  secours  : 
on  le  chargea  de  la  correction  des 
épreuves  du   Dicliounaiie   d'Hesy- 
cîiius  ,  que  publiait  Alberli.  Le  li- 
braire Luzac  fournit  à  la  nourriture 
et  au  logement  de  Reiske  ,  pendant 
la  première  année  de  sa  résidence  à 
Leyde;  et  Reiske  déclare  lui-même 
avoir  lieu  de  croire  que  Luzac  n'était 
que  le  canal  par  lequel  A.  Schultens 
fournissait ,  sans  se  faire  connaître, 


REI  395 

à  ses  besoins.  Peu  après  ,  il  trouva 
quelques  autres  ressources  dans  le;» 
leçons  de  latin  ou  de  grec  qu'il 
donnait  à  de  jeunes  étudiants  de  l'u- 
niversité, et  dans  la  eonliance  de  P. 
Burmann,qui  le  chargea  delà  correc- 
tion des  épreuves  des  ouvrages  qu'il 
faisait  imprimer.  Au  milieu  de  ces 
travaux  ,  il  ne  négligeait  pas  son  but 
piincipal.  Il  suivait  les  leçons  d'A. 
Schultens;  s'exerçait  habituellement 
avec  Schultens  le  fds  ,  qui  succéda 
depuis  à  la  chaire  de  son  père  • 
jouissait  des  manuscrits  arabes  de 
la  bibliothèque  publique  ,  et  les  em- 
portait même  dans  sa  demeure ,  sans 
que  Schultens  fît  semblant  de  s'en 
apercevoir.  11  paraît  que  l'édition  de 
la  Moallaka  de  Tarafa  ,  que  Reiske  ^ 
publia  en  1 74*^  5 '^  I^'^T'^*^  '  avec  une 
tiaduction  latine  ,  et  un  commentai- 
re dans  lequel  il  s'éloigna  de  la  mé- 
thode de  Schultens  ,  fut  la  première 
cause  d'un  refroidissement  entre  le 
piofesseur  et  l'élève.  On  voit  pour- 
tant ,  par  la  préface  de  Reiske  ,  que 
tout  son  travail  avait  été  soumis  à 
Schultens  ;  et  il  y  témoigne  la  plus 
vive  reconnaissance  peur  le  savant 
professeur  hollandais  :  mais  si  Ton 
prend  la  peine  de  consulter  la  pre- 
mière lettre  de  Schultens  à  Menke  , 
on  demeurera  convaincu  que  ces 
protestations  de  soumission  et  de 
gratitude  ne  compensaient  pas  ,  aux 
yeux  du  professeur  ,  l'obstination 
avec  laquelle  l'élève  avait  rejeté 
et  méprisé  ses  conseils.  Peut-être 
Schultens  appréheuda-t-il  que  le  jeu- 
ne étranger  ne  fût  un  jour  un  obsta- 
cle à  l'avancement  île  son  propre  fils, 
qu'il  destinait  à  lui  succéder.  Reiske 
eut  alors  une  occasion  favorable  de 
prendre  une  exacte  connaissance  des 
manuscrits  orientaux  de  la  biblio- 
thèque de  Leyde  ;  il  fut  chargé  de 
les  ranger  ,  de  les  numéroter  ,  cl 


296 


REI 


d'en  faire  un  nouveau  catalogue  ma- 
nuscrit ,  moins  systc'inatique  que  ce- 
lui qui  avait  éle  imprime  en  1716, 
mais  pius  approprié  au  service  d'une 
bibliothèque  publique.  Les  curateurs 
de  la  bibliothèque  lui  accordèient  , 
pour  ce  travail  ,    une   indemnité  , 
qui  n'avait  aucune  proportion  avec 
la  peine  qu'il  lui  avait  coûté;  et  Reis- 
ie  fut  très  sensiWe  à  celteinjiislice  , 
qu'il  attribua  sans  doute  au  change- 
ment des  dispositions  de  Schultcns. 
Bientôt  un  autre  désagrément ,  qu'il 
ne  devait  guère  imputer  qu'à  luiniê- 
me ,  rendit  encore  sa  position  plus 
critique.    Chargé   de   la    correction 
de  la  seconde   édition    du  Pétrone 
de  Burmann  ,  il  se  permit  d'y  faire, 
à  l'insu  de  Burmann,  et  encore  plus 
après  sa  mort  ,    survenue  dans  le 
cours  de  l'édition ,  un  grand  nom- 
bre  de  changements  ,    parmi  les- 
quels il  en  est  que   lui-même  plus 
tard  n'eût  pas  admis.  Cette  légère- 
té' qui,  comme  Reiske  l'a  reconnu 
lui-même  dans  la  suite ,  peut  être  ta- 
xée d'infidélité  ,    lui  fut  durement 
reprocliée  jjar  le  fils  de  Burmann  , 
dans  la  Préface  qu'il  mit  à  la  tête  de 
cette  édition  ,  et  elle  eut  des  suites 
très-fâcheuses  pour  lui.  Elle  lui  alié- 
na les  esprits,   éloigna    ses  amis, 
le  priva  de  tous  les  élèves  qui  le  fré- 
quentaient auparavant,  et  dos  res- 
sources qne  lui  fournissait  la  cor- 
rection des  épreuves  ;  enfin  elle  le  ré- 
duisit à  un  tel  dénûment ,  qu'il  fut 
obligé,  pour  vivre,  de  vendre  la  bi- 
bliothèque qu'il  avait  formée.  Reiske 
a' cherché  à  atténuer  ses  torts,  dans 
la  justification  qu'il  a  insérée  au  si- 
xième volume  des  MiscellaneaLip- 
siensia  r,o\>a.  Toutefois  il  faut  con- 
venir que  ce  n'était  pas  en  publiant 
le  trav.iil  d'nii  autre,  qu'il  devait  .'■0 
livrer  à  sr  n  prnrhaiil  ])Our  la  rrili- 
quccoujccturale,  et  qu'il  a  donné,  en 


REI 

agissant  ainsi,  un  exemple  très-fâ- 
cheux. Les  1  dations  de  Reiske  avec 
d'Orville  lui  procuraient  beaucoup 
d'avantages:  mais  il  fallait  les  ache- 
ter par  des  complaisances  infinies  j 
et  Reiske,  dont  le  caractère  était  peu 
propre  à  se  plier  aux  fantaisies  d'au- 
trui ,  finit  par  s'attirer  une  i  upture 
qui  contribua  encore  à  le  dégoûter 
du  séjour  de  la  Hollande.  On  trouve 
dans  le  Chariton  de  d'Or\nie,  qui  ne 
parut  qu'en  1750,  des  traces  delà 
mésintelligfuce  qui  brouilla  Reiske 
avec  lui.  L'indépendance  qui  faisait 
un  des  traits  principaux  du  carac- 
tère de  Reiske  ,  et  son  insouciance 
sur  l'avenir  ,  lui  firent  refuser  ,  en 

I  74^  ,  une  place  au  collège  de  Cam- 
pen  ,  place  que  lui  eut  procurée  la 
recommandation  de  Hemsterhuys 
et  de  Valkenacr,  et  qui  vraisembla- 
blement,  en  l'atlachant  pour  tou- 
joursàla  Hollande, l'aurait  conduits 
obtenirplus  tard  une  chaire  dans  une 
des  universités  des  Provinces-unies. 

II  refusa  encore  celte  fois  le  secours 
que  la  Providence  lui  offrait:  par  la 
suite  il  se  re])rochait  cette  détermi- 
nation comme  une  faute  ,  et  il  dési- 
rait que  son  exemple  servît  de  leçon 
aux  jeunes  gens,  et  les  engageât  à 
suivie,  sans  hésiter,  la  première 
voie  que  le  Ciel  semblerait  ou- 
vrir devant  eux.  Convaincu  enfin 
que  la  philologie  ne  l'introduirait  ja- 
n)ais  elle  seule  dans  une  carrière  ca- 
pable de  lui  procurer,  pour  le  reste 
de  ses  jours,  une  honnête  existence, 
il  résolut ,  par  le  con.'cil  de  Schul- 
tcns ,  d'étudier  la  médecine,  et  de 
prendre  des  degrés  dans  cette  facul- 
té. L'étude  de  la  médecine  devint 
donc  sa  pjincipalc  occupation  pen- 
dant les  quatre  dernières  années  de 
sou  séjcr.r  en  Ib^llandc;  et  il  fut  re- 
^11  docteur  en  1 7/1(^1  non  pourtant 
;ans  quelques  dilTicnltcs  ,  à  cause  de 


REI 

certaines  propositions  qu'il  avait ba- 
sardc'es  dans  sa  thèse  ,  et  qui  le  firent 
soupçonner  de  matérialisme.  Reiske 
s'était  permis  de  critiquer  et  de  ridi- 
culiser l'usage  que  Scluiltens  faisait 
des  connaissances  qu'il  avait  acquises 
dans  la  langue  et  la  littérature  arabe. 
Ce'professeur  ne  l'ignorait  pas  :  ce- 
pendant il  rendit  à  Reiske  un  service 
essentiel  ,en  lui  faisant  accorder  sans 
frais  legradede  docteur.  Il  fautavouer 
que  les  critiques  de  Reiske  n'étaient 
pas  sans  fondement ,  et  que  la  mé- 
ihode  de  Scluiltens  pouvait  nuire  à 
l'étude  solide  de  la  largue  arabe: 
entre  les  mains  mêmes  de  ce  savant, 
elle  n'était  pas  sans  inconvénient  ; 
et  imitée  par  des  hommes  qui  n'a- 
vaient qu'une  légère  teinture  de  la 
langue  arabe,  elle  a  produit  quelque- 
lois  des  conséquences  plutôt  ridicu- 
les   que   dangereuses.   Mais  Reiske 
avait  trop  d'obligations  à  Schidtcns 
pour  ne  pas  devoir  user  de  beaucoup 
de  discrétion  et  de  ménagement  en- 
vei's  lui;  et  ce  qu'on  peut  dire  i! e  mieux 
pour  atténuer  ses  torts,   c'est  qu'il 
les  a  reconnus  franchement  et  sans 
détour  dans  les   Mémoires  qn'il  a 
laissés  sur  sa  vie.  Reiske  s'embar- 
qua, pour  quitter  la  Hollande,  le  lO 
juin  1746  ,  après  huit  ans  de  séjour 
dans  ce  pays  ;  et.  vers  la  fin  de  la 
même  aniiée  ,    il   fixa  son  séjour  à 
Leipzig,  sans  aucune  perspective  d'é- 
tablissement :  il  n'avait  pas  même 
l'espoir  de  se  former  une  ressource 
par  la  pratique  delà  médecine,  parce 
que  son   caractère  l'éloignait  de  la 
société,  et  qu'il  ne  pouvait  prendre 
sur  lui  de  se  soumettre  à  aucune  des 
démarches  qui  eussent  été  nécessaires 
pour  se  produire  dans  le  monde,  et 
obtenir  de  la  confia»  ce.  En  1747,  il 
reçut  le  titre  de  professeur  dans  la  fa- 
culté de  philosophie  ,  et  en  174^3,  il 
fut  nommé  professeur  extraordinaire 


f^I  297 

de  langue  arabe.  Il  prit  possessiou  de 
cette  chaire  le  s>.i  août  1748,  par 
un  discours  sur  l'utilité  de  l'étude  de 
cette  langue.   Ce   discours  suffirait 
pour  prouver  l'étendue  de  ses  con- 
naissances dans  la  littérature  arabe; 
mais  la  latinité  en  est  très-barbare, 
et  l'on  y  trouve  quelques  traits  qui 
pourraient  justifier  les  soupçons  qui 
se  sont  élevés  plus  d'une  fois  sur  ses 
sentiments  en   fait  de  religion.   Au 
reste  ,  il  ne  réunit  jamais  au  titre  de 
sa  chaire  ni  fonctions  effectives,  ni 
aucun  émolument.  Une  très-modique 
pension ,  mal  payée  ,   fut,  pendant 
plusieurs  années,  le  seul  revenu  fixe 
qu'il  possédât;  et  pour  subvenir  à  sa 
subsistance  ,    à    l'achat  des    livres 
dont  il  ne  pouvait  se  passer ,  et  à  l'im- 
pression  de  divers  petits  ouvrages 
qu'il  publiait  à  ses  frais  et  dont  il 
ne  vendait  jamais  la  dixième  partie  , 
il  n'avait  que  ce  qu'il  gagnait  en  don- 
nant cl'  ~  leçons  particulières  ,  en  tra- 
duisant des    ouvrages    de   diverses 
langues  en  allemand,  en  rédigeant 
des  articles  pour  plusieurs  journaux 
littéraires  ,  en  corrigeant  des  épreu- 
ves ,  et  par  d'autres  travaux  du  même 
genre.  Étranger  à  toute  économie, 
il  se  trouvait  souvent  dans  la  plus 
grande  détresse.  Cet  état  de  gêne  se 
prolongea   pendant    douze    années 
après   sou    retour   en    Allemagne  , 
c'cst-à-diie  ,  jusqu'en  1758.  Les  arti- 
cles que  Reiske  fournissait  à  quelques 
recueils  littéraires  ,  furent  souvent 
pour  lui  une  cause  de  chagrins  et  de 
tracasseries,  ctliii  firent  de  nombreux: 
ennemis  ,    parmi  ceux- mêmes  qui 
avaient  été  ses  amis.  Ses  critiques  , 
lors  niême  qu'elles  étaient  bien  fop-^ 
dées,  furent  presque  toujours,  comme 
il  en  est  convenu  depuis,  accompa-i 
gnées  de  formes  dures,  et  d'unsenli-r 
ment  d'aigreur  qui  leur  donnait  l'ap- 
parence de  la  passion  ,  de  l'orgueil  y 


298  REI 

de  l'injustice ,  de  l'envie  de  nuire,  et 
dans  certains  cas  ,  ce  qui  est  encore 
plus  fâcheux,  d'une  ingratitude  ré- 
voltante. Sans  parler  des  sujets  de 
plainte  qu'il  fournità  plusieurs  hom- 
mes de  lettres  avec  lesquels  il  avait 
eu  des  liaisons  étroites  en  Hollande, 
tels  que  Lenncp  ,  Kuypers  et  Lette  , 
et  svir  lesquels  il  sembla  vouloir  se 
vengerdcsdisgracesqiii  l'avaient  con- 
traint à  quitter  ce  pays  pour  revenir 
languir  en  Allemagne,  il  suffit   de 
rappeler  la  rigueur  avec  laquelle  il 
traita  le  professeur  Schultens  auquel 
il  devait  tant  de  reconnaissance  ,  en 
rendant  compte,  dans^les  Acta  erudU 
îomm,en  17 48 et  17491  de  deux  ou- 
vrages de  ce  savant  ;  nous  voulons 
parler  des  poésies  arabes,  extraites  du 
Haraasa,  et  que  Schultens  a  jointes 
à  son  édition  de  la  Grammaire  d'Er- 
pénius ,  et  de  son  commentaire  sur 
les  Proverbes  de  Salomon.  L'impar- 
tialité exige  qu'on  recounaisse  que 
la  critique  était  en  général  bien  fon- 
dée; mais,  quel  qu'en  eût  été  l'auteur, 
elle  aurait  dû  être  écrite  avec  plus 
d'é^^ards  pour  un  homme  dn  mérite 
de  Schultens  :  sortie  de  la  plume  de 
Reiske  ,  elle  portait  un  caractère  de 
malignité  et  de  vengeance ,  qui  dut 
affliger  tous  ceux  qui  s'intéressaient 
à  lui.  Plus  tard  ,  mûri  par  l'âge  et 
la  réflexion  ,   il   souhaitait   que  les 
instants  où  il  avait  mis  par  érrit  ces 
deux  articles  de  critique  ,  fussent 
rayés  des  jours  de  sa  vie.  Schultens 
lui  répondit  avec  amertume  par  deux 
lettres  adressées  à  Mcukc  ,  le  direc- 
teur des  AcLa  erudilortua  ,  et  qui 
furent  imprimées  à  Loydc  en  1749. 
Elles  forment  ensemble  un  volume  , 
petit  iri-40.,  de  près  de  -^00  pag.  , 
dans  k(juel  on  est  fâché  de  voir  le 
professeur  irrite  ,  mêler  à  une  ques- 
tion de  littérature  ,luule  sorte  d'in- 
urcs, d'outr.iges personnels,  ctd'im- 


REI 

pulatious hasardées,  et  nuire  ainsi  à 
sa  propre  cause.  Ou  ne  peut  se  dis- 
simuler que  Schultens  avait  conservé 
une   sorte    de   ressentiment  contre 
Reiske ,  de  ce  que  celui-ci ,  pendant 
son  séjour  à  Leyde,  ne  s'était  pas 
abandonné  entièrement  à  sa  direc- 
tion: peut-être  aussi  Reiske  avait-il 
aliéné  de  lui  le  savant  et  pieux  Hol- 
landais ,  par  des  sentiments  trop  li- 
bres en  matière  de  religion.  Il  serait 
trop  long  d'entrer  ici  dans  le  détail 
des  travaux  divers   qui  occupèrent 
Reiske  ,  et  qui  le  faisaient  connaître 
deplusenpius,  niaissansaméliorersa 
situation,  jusqu^à  l'époque  où  ,  par 
une  réunion  de  circonstances  impré- 
vues ,  et  malgré  des  obstacles  et  des 
intrigues  qui  auraient  pu  rendre  inu- 
tiles les  efforts  de  ses  protecteurs ,  il 
obtint,  au  mois  de  juin  1758,1a  place 
de  recteur  du  collège  de  Saint-Nico- 
las ,  à  Leipzig;  et  il  commença  dès- 
lors  à  jouir  d'une  aisance  et  d'une 
tranquillitéd'esprit  qu'il  n'avait  point 
connues   jusque-là.    En    1764,    il 
épousa  Ernestine-Christine  Millier , 
lîlle  du  docteur  Auguste  Mùllcr,  pré- 
vôt et  surintendant  à  Keraberg,   pe- 
tite ville  peu  éloignée  de  Wittenbcrg. 
Reiske  avait  eu  occasion  de  la  con- 
naître lors  d'un  voyage  qu'elle  avait 
fait  à  Leipzig,  en  1700;  et  ils  avaient 
conçu  une  estime  et  m\  attachement 
réciproques.  Cette  union,  qui  contri- 
bua beaucoup  au  bonheur  de  Reiske, 
pendant  le  reste  de  ses  jours  ,   a  eu 
ifiissi  des  suites  avantageuses  pour  la 
littérature  ;  et  M'"*^.  Reiske  a  mérité 
d'occuper  imc  place  distinguée  dans 
les  fastes  de  l'érudition.  Pour  soula- 
ger son  mari ,  en  partageant  avec  lui 
ses  travaux  ,  elle  apprit  le  grec  et  le 
latin  ,  et  fut  bientôt  en  état  d'euteu- 
dre  les  poètes  et  les   orateurs.  Elle 
s'associa  dès  ce  moment  à  tous  ses 
t»-avaux  d'éditeur  ,    de  commenta- 


REI 

leur  et  de  critique.  Elle  copiait  pour 
lui  des  manuscrits,  les  collationnait, 
mettait  eu  ordre  les  variantes  qu'il 
avait  recueillies  ,  et  le  soulageait 
pour  la  lecture  et  la  correction  des 
épreuves.  Son  attachement  pour  lui , 
son  respect  pour  sa  mémoire,  sont 
fortement  empreints  dans  la  suite 
des  Mémoires  qu^il  a  écrits  sur  sa 
vie,  et  qu'elle  a  complétés  depuis  le 
1^'".  janvier  1770,  jusqu'au  décès 
de  son  mari.  La  reconnaissance  de 
Reiske  ,  et  la  vivacité  de  ses  senti- 
ments pour  celle  qui  ne  vivait  que 
pour  lui,  ne  sont  pas  moins  Ibrte- 
iQent  exprimés ,  et  dans  les  Mémoires 
dont  nous  venons  de  parler ,  et  dans 
quelques-unes  des  Préfaces  de  ses 
ouvrages.  Depuis  l'année  1765,  le 
travail  qui  occupa  le  plus  constam- 
ment Reiske  ,  ce  fut  son  édition  des 
Orateurs  grecs  ,  dont  le  i'^''.  vol.  vit 
le  jour  en  i  770,  et  les  trois  derniers 
ont  été  publiés  après  la  mort  de  ce 
savant.  Il  fît  paraître,  en  1774? 
peu  de  mois  avant  son  décès  ,  deux 
volumes  de  Denys  d'Halicarnasse  ; 
Maxime  de  Tyr  en  deux  volumes  , 
et  le  I'''.  volume  des  OEuvres  de 
Plutarque.  Malgré  le  mauvais  état  de 
sa  santé  ,  il  s'était  chargé  de  surveil- 
ler ,  pour  le  compte  du  libraire 
Georgi  ,  de  Leipzig,  les  éditions  de 
ces  trois  auteurs  ,  et  d'y  joindre  des 
notes.  Ce  travail  forcé  augmenta 
de  plus  en  plus  le  dérangement  de 
sa  santé,  et  accéléra  même  sa  mort, 
qui  anùva  le  i4  août  1774-  On  peut 
juger parlcsdétails  dans  Icsqueisnous 
sommes  entrés  ,  que  le  caractère  de 
Reiske  qui  l'éloiguait  de  la  société, 
et  semblait  incompatible  avec  les 
ménagements  et  les  égards  récipro- 
ques sans  lesquels  on  ne  peut  vivre  en 
bonne  harmonie  avec  les  hommes, 
a  beaucoup  contribué  aux  contradic- 
tions dont  sa  vie  a  été  remplie  ,  et  l'a 


REI  299 

empêché  de  jouir  du  bonheur  qui 
accompagne  ordinairement  des  jours 
consacrés  aux  lettres.  Incapable,  par 
la  droiture  de  son  coeur,  de  se  faire 
illusion  à  lui-même,  comme  de  cher- 
cher à  en  imposer  aux  autres,  il  sen- 
tait vivement  ses  torts  ;  et  la  cons- 
cience qu'il  en  avait,  empoisonnait 
ses  jours  ,  et  augmentait  sa  disposi- 
tion à  la  mélancolie  et  à  une  sorte 
d'hypocondrie.  La  détresse  dans  la- 
quelle il  vécut  pendant  plusieurs  an- 
nées ,  et  qui  le  força  souvent  à  se  li- 
vrer à  des  travaux  contraires  à  ses 
inclinations  ,  tendait  à  fortifier  ces 
fàcheuscsdispositions.  On  fut  souvent 
injusteenverslui;etilleressentitvive- 
ment  :  mais  il  n'avait  pas  su  se  faire, 
dans  la  jeunesse,  une  violence  salu- 
taire ,  et  sacrifier  à  ses  véritables  in- 
térêts un  peu  de  cette  indépendance 
et  de  cette  inflexibilité  de  caractère, 
qui,  renfermée  dans  de  justes  bornes, 
élève  et  ennoblit  l'ame,  mais  qui, 
poussée  à  l'excès ,  rend  injuste  envers 
les  autres  ,  prend  le  caractère  irrita- 
ble de  l'amour- propre,  et  répand 
l'amertume  sur  toute  la  vie.  C'est 
sans  doute  à  cela  qu'il  faut  attribuer 
les  préventions  qui  éloignèrent  de 
Reiske  des  hommes  faits  pour  l'esti- 
mer ,  ou  lui  firent  des  ennemis  de 
ceux  qui  l'avaient  d'abord  accueilli, 
et  qui  auraient  pu  être  ses  rivaux 
sans  cesser  d'être  ses  amis ,  tels  que 
Schultens,  d'Orville ,  Gcsner,  Er- 
nesti ,  Michaëlis  ,  etc.  D'ailleurs  , 
passionné  pour  les  progrès  des  let- 
tres,  toujours  prêt  à  aider  de  ses 
conseils  ,  de  sa  bibliothèque  ,  de  ses 
propres  travaux,  tous  ceux  qui  étaient 
animés  du  même  désir ,  bienfaisant 
jusqu'à  une  sorie  de  prodigalité  en- 
vers les  malheureux  ,  compatissant 
à  tous  les  maux  de  l'humanité,  inca- 
pable de  déguisement ,  plein  de  con- 
fiance en  la  Providence  divine ,  siip- 


3oo 


REI 


portant  avec  courage  l'injustice  de 
la  fortune  ,  il  eût  été  digne  d'un  sort 
plus  heureux.  Peut-être  en  eût -il 
joui,  s'il  eût  contracte  plutôt  l'al- 
liance qui  adoucit  ses  dis  dernières 
années.  —  Nous  allons  maintenant 
donner  la  liste  des  ouvrages  qu'il  a 
fait  imprimer  de  son  vivant ,  ou  qui 
ont  été  publiés  depuis  sa  mort  ,  en 
commençant  par  ceux  qui  appar- 
tiennent à  la  littérature  orientale. 
I.  Abi  Mohammed  el  Kasem  Bas- 
rensis  viilgb  Hariri  consessus  xxri 
Rakdahs.  varie gatus  dictas  :  ècod. 
ms.  cum  scholiis  arahicis  et  versio- 
ne  la'iiiid,  Leipzig,  1737  ,  in-4°. 
Reiske  n'avait  que  2 1  ans  quand  il 
fit  imprimer  ce  morceau  de  Hariri, 
N'ayantjàraais  vu  cet  opuscule, nous 
ne  pouvons  en  apprécier  le  mérite  ; 
Keiske  plus  avancé  en  âge  en  faisait 
lui-même  peu  de  cas.  Toutefois  nous 
ne  saurions  croire  qu'il  juslifiàt  la 
critique  violente  qu'en  a  faite  Schul- 
tens  dans  sa  première  lettre  à  Menke. 
La  manière  dont  Sclmltens  ,  au  mê- 
me endroit  ,  parle  de  l'ouvrage  dont 
il  va  être  question,  fait  voir  que  sa  cri- 
tique est  très-passionnée.  11.  Thara- 
■phœ Mnallakah  cum  scholiis  Nahas 
et  versioae  lati?id,lieyde,  1742, in- 
4°.  Ce  futpour  plaire  à  Sclmltens  que 
Reiskesedétermina  à  publier  un  mor- 
ceau de  poésie  arabe.  Le  prologue  et 
les  notes  de  ce  poème  sont  remplis 
d'érudition ,  et  prouvent  que  l'éditeur 
avait  bien  mis  à  profit  son  séjour  k 
Leydc ,  et  les  trésors  que  lui  ofliait 
la  riche  bibliothèque  de  l'université 
de  cette  ville.  Le  texte  du  poème  est 
imprimé  sans  voyelles;  ce  qui  le  rend 
peu  utile  aux  étudiants,  La  traduc- 
tion latine  est  souvent  inintelligible  , 
et  n'est  pas  exempte  de  fautes.  On 
ne  doit  pas  reprocher  à  Reiske  de 
n'avoir  traduit  (jue  les  scholics  ara- 
bes des  14  premiers  vers  :  ces  scho- 


RET 

lies  sont  à-peu-près  inutiles  à  qui- 
conque a  besoin  d'une  traduction 
pour  les  entendre.  Le  Prologue  est 
écrit  d'un  style  alfecté,  singulière- 
ment mêlé  de  grec  et  de  latin;  et 
Reiske  y  a  trop  laissé  percer  son  hu- 
meur chagrine  et  son  aversion  pour 
quelques  personnes  dont  il  croyait 
avoir  à  se  plaindre,  notamment  pour 
Clodius,  dont  il  fit,  sans  le  nommer, 
un  portrait  hideux.  H  eut  le  tort  de 
laisser  subsister  cette  caricature , 
malgré  les  remontrances  de  Schul- 
tens  ;  et  cet  entêtement  lui  nuisit  dans 
l'esprit  du  savant  hollandais.  111, 
Miscellaneœ  ohseivationes  medicœ 
ex  Arabum  monumentis.  Disputa- 
tio  pro gradu  doctoris,Lej(ie,  1 746, 
in-4°.  Ce  morceau,  précieux  pour 
l'histoire  de  la  médecine ,  a  été 
publié  de  nouveau  ,  après  la  mort  de 
Reiske  ,  par  Christ,  God.  Grûner  , 
avec  un  traité  de  la  manne  des  Hé- 
breux ,  de  J.  Ern.   Faber ,  sous  ce 

titre  :  /.  /.  Reiske ,  et  J.  E.  Fa- 

hri opiiscula  medica  ex  monu- 
mentis Arahum  et  Ebrœorum  ,  Hal- 
le, 1776,  in-8'*.  Griiner  a  déJié  ce 
volume  à  madame  Reiske.  IV.  De 
principibus  Muhammedanis  ,  qui 
aut  ab  eniditione  ,  aut  ab  amore 
litlerarum  et  litteratonim  clame 
mut  ,  Leipzig,  1747  ,  in-4°.  Ce  fut 
à  l'occasion  de  celte  petite  Disserta- 
lion  de  vingt  pages  d'impression  , 
que  Reiske  obtint  le  titre  de  piofes- 
seur.  11  l'avait  dédiée  au  prince  hé- 
réditaire de  l'élcctorat  de  Saxe.  V. 
De  Arabum  epoclid  veluslissimd 
Sail  ol  Arem,i,  e.  rupiurd  cata- 
ractœ Marebensis ,  Leipzig,  1748, 
iu-4°.  Ce  fut  par  cette  Dissertation  , 
imprimée  sous  formede  programme, 
que  Reiske  annonça  sou  entréeen  pos- 
session de  la  chaircd'arabe,  Los  tex- 
tes arabes  joints  à  cette  dissertation 
furent  imprimés  à  Halle,  dans  riin- 


REI 

primerie  de  V Institut  judaïque  de 
Galleiibcrg.  Reiske  a  cru  pouvoir 
Cxer  à  l'au  3o  ou  4o  de  J.-C.,l'«îpo- 
que  de  la  rupture  des  digues  de  Ma- 
reb  ,  si  fameuse  dans  l'histoire  de 
l'Arabie.  C'est  vraisemblablement  lui 
accorder  encore  beaucoup  trop  d'an- 
tiquité. VI.  Ahilfeclv  annales  Mos- 
lemici,  Leipzig,  i'^54,iu-4'\  Ce  vo- 
lume contient  la  traduction  des  An- 
nales d'AbouUeda,  depuis  la  naissan- 
ce de  Mahomet  jusqu'en  Tan  4o6 
de  l'he'gire  :  ce  n'est  guère  que  les 
deux  cinquièmes  de  la  partie  de  l'ou- 
vraged'AbouIfe'da  qui  concerne  l'his- 
toire musulmane.  Reiske  n'avait  point 
traduit  la  première  partie  de  cet  ou- 
vrage ,  qui  a  pour  objet  l'histoire 
ancienne,  c'est-à-dire  celle  des  temps 
antérieurs  à  Mahomet.  Dans  la  Pré- 
face, placée  à  la  tête  de  ce  volume , 
Reiske  a  fait  connaître  tout  l'ensem- 
ble de  son  travail  sur  Aboulféda,  et 
les  motifs  qui  le  déterminaient  à  pu- 
blier successivement  et  par  parties  , 
sa  Traduction, ses  Notes  ,  son  Com- 
mentaire historique  ,  et  les  divers 
Index  qui  devaient  rendre  l'usage  de 
ces  Annales  plus  commode  et  plus 
étendu.  Il  éprouvait,  et  avec  raison, 
un  vif  regret  de  ne  pouvoir  pas  faire 
imprimer  le  texte,  comme  il  s'en 
était  flatté.  Le  débit  de  ce  volume 
fut  tellement  au-dessous  de  ce  qu'il 
avait  espéré  ,  qu'il  renonça  à  donner 
la  suite.  Ce  mauvais  succès  ne  doit 
être  imputé  ni  à  l'ouvrage  ni  au  pu- 
blic: Reiske  semblait  négliger  par 
système  tous  les  moyens  qui  pou- 
vaient faciliter  la  vente  des  livres 
qu'il  faisait  imprimer  à  ses  fi  ais  ;  et 
ensuite  il  attribuait  à  l'insouciance 
du  public,  à  la  négligence  de  ses 
amis  ,  ou  aux  intrigues  de  ses  enne- 
mis ,  ce  qui  était  l'elTct  nature!  de  la 
mauvaise  méthode  de  publication 
qu'il  avait  adoptée.  Heureusement 


REI 


3oi 


le  public  jouit  aujourd'hui ,  grâce  à 
la  générosité  de  M.  de  Suhm ,  de  cet 
important  travail  ,  qui  seul  aurait 
sulli  pour  assurer  à  Reiske  la  recon- 
naissance du  monde  savant.  Les  An- 
nales d' Aboulféda  ont  été  imprimées 
en  arabe  et  en  latin,  par  les  soins 
de  M.  Adler,  sous  ce  titre:  Abulfedce 
Annales Musleinici ,  arahicèet  lati- 
ne,  à  Copenhague  ,  en  cinq  volumes 
in-4°. ,  de  1789  à  1794.  La  traduc- 
tion de  Reiske  dégénère  souvent  eu 
paraphrase  ,  ce  qui  n'empêche  pas 
que  les  personnes  qui  ignorent  la 
langue  de  l'original ,  ne  puissent  en 
faire  usage  avec  confiance  ;  et  les 
notes  historiques  qui  y  sont  jointes  , 
y  ajoutent  un  très-grand  prix.  La 
seule  chose  qu'on  peut  regreiter,  c'est 
que  i\l.  Adler  n'ait  pas  donné  une  ta- 
ble de  tous  les  noms-propres  que 
contiennent  ces  Annales.  Une  pareil- 
le table  serait  d'une  utilité  infinie  à 
tous  ceux  qui  s'occupent  d'histoire 
et  de  littérature  orientale.  VII.  Tho- 
graï's  sogenanntes  Lamlsches  Ge- 
dlcht ,  etc.,  Friedrichstadt,  1756, 
in-4''.  C'est  une  traduction  alleman- 
de du  poème  de  Tograï  ,  morceau 
connu  sous  le  nom  de  Lamiat  ala- 
rab  ,  et  qui  a  été  publié  en  arabe  et 
en  latin ,  par  Ed.  PocoLk ,  à  Ox- 
ford ,  en  jÔ6i.  A  sa  traduction  Reis- 
ke a  joint  un  Essai  sur  la  jioèsie  ara- 
be. VIII.  Abllwalldl  Rlsalet  s. 
Eplstollum,  arablcè  et  latine, cum 
noiulls,  Leipzig,  i  705,  in-4''.  Aboul- 
walid  ,  fils  de  Zcïdoun  ,  visir  d'un 
prince  arabe  de  Séville  ,  a  com- 
posé cette  lettre  sous  le  nom  d'une 
femme  de  naissance  illustre  ,  qui 
refuse  les  propositions  d'un  homme 
par  lequel  elle  avait  été  recherchée 
en  mariage.  Ce  qui  rend  cette  lettre 
très-curieuse ,  c'est  qu'elle  n'est  pres- 
(pie  qu'un  tissu  de  proverbes,  ou  d'al- 
lusions à  des  faits  anciens  de  l'his- 


Soi  REI 

toire  des  Arabes.  Elle  a  ete'  commen- 
tée par  un  écrivain  nommé  Abou- 
becr  Mohammed ,  fds  de  Nobata. 
Reiske  avait  traduit  aussi  !e  com- 
mentaire; mais  il  n'a  publié  que  la 
lettre,  avec  une  traduction  latine. 
J.  Fr.  Hirt  ou  Hirtius ,  dans  ses  Ins- 
titutiones  arabicœ  Imguœ,  données 
à  léna  ,  en  1770  ,  a  réimprimé  en 
partie  le  texte  de  cette  lettre  ,  avec  la 
traduction  de  Reiske  ,  et  quelques 
pages  du  commentaire  de  Moham- 
med, fils  de  Nobata,  auxquelles  il 
a  joint  aussi  la  traduction  que  Reis- 
te  lui  avait  communiquée.  Récem- 
ment, M.  Jauus  Lassen  Rasmussen, 
professeur  de  langues  orientales  à 
Copenhague,  a  donné  au  public  une 
partie  considérable  du  commentaire 
d'Ebn-Nobata ,  en  arabe  et  en  latin , 
dans  un  volume  intitulé  :  Addita- 
menta  ad  Hisloriam  Arabum  antè 
lilamismiim,  etc. ,  Leipzig  ,  i8.i  i  , 
in-4°.  ;  mais  il  ne  paraît  pas  que  la 
version  latine  qu'il  y  a  jointe  ,  soit 
celle  de  Reiske.  On  peut  voir  à  ce  su- 
jet  le  Journal  des  savants  ,  cahier 
de  novembre  1821  ,  p.  683  et  suiv. 
IX.  Sammlung  einiger  arabischcn 
Spriïchworler  die  vunStecken  oder 
Stœben  liergenommen  sind,  c'est- 
à-dire,  Recueil  de  quelques  pro- 
verbes arabes  ,  pris  des  bâtons 
ou  des  verges,  Leipzig,  1758,  in- 
4**.  X.  De  Actamo  philosopha  ara- 
bica, ibid.,  1760,  in-4°.;  ce  n'est 
qu'un  Programmcdc  quelques  pages. 
XI.  Probeii  der  arahischen  Dicht- 
kunst,  etc.  ,  c'est-à-dire  ,  Morceaux 
de  poésies  arabes,  soit  erotiques,  soit 
élégiaques,  extraits  de  Moténabbi, 
en  arabe  et  on  allemand,  avec  des 
notes,  Leipzig,  17G5  ,  in-4°'  Reiske 
avait  copié,  pendant  son  séjour  à 
Leyde  ,  le  Recueil  entier  des  ])oésies 
de  Moténahbi,  avec  des  Scholies. 
Une  traduction  en  allemand  de  ce 


REI 

Recueil  fait  partie  des  manuscrits 
qu'il  a  laissés  en  mourant.  C'est  de 
là  qu'il  a  pris  les  morceaux  qui  com- 
posent le  petit  volume  dont  il  s'agit, 
et  qui  a  g4  pages.  Il  se  divise  en  deux 
parties,  dont  la  première  est  dédiée 
à  M°is.  Reiske,  et  lui  est  olFerte  com- 
me un  présent,  à  l'occasion  de  l'an- 
niversaire de  sa  naissance.  Un  autre 
Poème  de  Moténabbi  a  aussi  été 
donné  par  Reiske,  avec  une  version 
latine,  dans  les  notes  qu'il  a  jointes 
à  la  Description  de  la  Syrie  d'Abou'l- 
féda  ,  publiée  en  arabe  et  en  latin  , 
parKcehler,  à  Leipzig,  en  1766, 
sous  le  litre  de  Abulj'cdœ  Tabula 
Srriœ ,  etc.,  in  -  4°.  XII.  Abilfe- 
dœ  opus  geographicum.  Cette  tra- 
duction de  la  Géographie  d'Abou""!- 
féda  se  trouve  dans  le  Recueil  de 
Biisching,  intitulé  :  Magazinfûrdie 
îieue  Historié  und  Géographie ,  to- 
mes IV  et  V.  Malheureusement  Reis- 
ke était  entièrement  dépourvu  des 
connaissances  mathématiques  néces- 
saires pour  bien  entendre  la  jtarlie 
syslémali(jue  d'un  tel  ouvrage.  Il  se- 
rait à  souhaiter  qu'un  homme  ins- 
truit dans  ces  matières  traduisît 
de  nouveau  les  Prolégomènes  d'A- 
boii'lféda,  rétab'ît  partout  les  longi- 
tudes et  les  latitudes  omises  par 
Reiske ,  et  publiât  celte  Géogra- 
phie ,  avec  le  texte  arabe.  XlII. 
Marai,  desSohns  Josephs,....  Ge- 
schichle  der  Regenten  iiiEgjplen  , 
c'est-à-dire.  Histoire  des  princes  qui 
ont  gouverne  l'Egypte,  traduite  de 
l'arabe,  de  Maraï ,  le  fils  de  Joseph. 
Celte  traduction  a  été  insérée,  par 
Biisching  ,  dans  le  tome  v  du 
Recueil  dont  on  vient  de  parler. 
XIV.  Frodidagmata  ad  tiagji 
Chalifœ  libriim  memorialem  reriim 
à  Mnhnmmedanis  gestarwn,  exhi- 
benlia  introditctionem  generalem 
in  historiam  sic  dictnm  orientalem. 


REI 

Cette  Introduction  à  la  connaissance 
de  l'histoire  de  l'Orient  a  été  impri- 
mée à  la  suite  de  la  Description  de 
la  Syrie  d'Abou'lféda ,  publiée  par 
Koehier  ,  et  dont  on  a  déjà  parlé 
sous  le  u".  XI  ;  c'est  un  morceau 
très -précieux.  Les  Tablettes  chro- 
nologiques de  Hadji-Khalfa,  intitu- 
lées :  Takwim  altawarikh ,  et  im- 
primées à  Conslantinople,  en  1733, 
ont  été  traduites  par  Relske;  mais 
cette  traduction  n'a  point  été  im- 
primée: il  en  existe  une  copie  ma- 
nuscrite dans  la  bibliothèque  de  M. 
Langlès.  XV.  /. -/.  Reiske  conjec- 
îurœ  in  Johum  et  Proverhia  Salo- 
monis,  ciim  ejusdem  oratiune  de  stu- 
dio arahicœ  linguce^  Leipzig,  1779, 
in  8".  C'est  M"»K  Reiske  qui  a  pu- 
blié ce  -volume,  après  la  mort  de 
son  mari.  Le  Discours  joint  aux 
Conjectures  sur  Job  et  les  Prover- 
bes ,  est  celui  par  lequel  Reiske  en- 
tra en  possession,  en  1747,  de  ^^ 
chaire  de  langue  arabe.  On  en  a  dé- 
jà parlé.  Les  conjectures  sur  Job  et 
les  Proverbes  n'ont  pas  obtenu  l'as- 
sentiment des  critiques.  Ce  volume 
a  été  dédié  par  M"^'^.  Reiske  à  M. 
de  Suhm.  XV L  Briefe  iiher  das 
arabische  Miintzwesen  ,  c'est-à- 
dire,  Lettres  sur  les  Monnaies  ara- 
bes. M.  de  Suhm  ayant  acquis  tous 
les  manuscrits  laissés  par  Reis- 
ke ,  remit  ces  Lettres  à  M.  Eich- 
horn  ,  qui  les  a  publiées  ,  dans 
son  Repertorimn  fur  bihlische  und 
tnorgenldndische  Litteratur,  parties 
9,  10  et  1 1.  M.  Richter  ,  conserva- 
teur du  cabinet  des  médailles  et  des 
antiquités  de  Dresde,  avait  invité 
Reiske  à  lui  donner  l'explication  des 
légendes  de  toutes  les  monnaies  ara- 
bes de  ce  cabinet.  Il  transmit  suc- 
cessivement toutes  ces  monnaies  à 
Leipzig  j  et  Reiske  les  lui  renvoyait 
avec  leur  explication.  Ce  travail  de- 


REI  3o3 

vînt  l'occasion  des  lettres  dont  il 
s'agit,  qui  sont  adressées  à  M.  Rich- 
ter. Par  suite  de  ce  travail,  Reiske 
fit ,  en  1756,  un  voyage  à  Dresde  , 
pour  classe^"  chronologiquement  les 
monnaies  arabes,  qu'il  avait  d'abord 
expliquées  isolément.  Ces  Lettres 
peuvent  être  considérées  comme  un 
ouvrage  fondauiental  pour  la  numis- 
matique  musulmane.  Dans  l'ouvrage 
de  M.  Eichhorn  ,  intitulé  Monumen- 
ta  antiquissima  hisiorice  Arabuni , 
Gotha  ,  1775,  in-8°. ,  on  trouve  de 
Reiske  :  Animadversiones  criticœ 
in  Hamzœ  Hisloriam  regni  Jocta- 
nidarum  ab  A.  Schultensio  edi- 
tnm.  Dans  l'édition  de  la  Biblio- 
thèque orientale  de  d'Herbelot,  don- 
née à  la  Haye,  de  1777  à  1799, 
en  4  vol.  in-4°. ,  on  a  réuni  environ 
quatre-vingts  pages  d'Additions  ou 
d'Observations  de  Reiske,  auxquel- 
les H.  A.  Schullens  en  a  joint 
quelque  -  autres.  On  doit  regretter 
que  ces  additions  ne  soient  pas  en 
plus  grand  nombre  ;  elles  n'ont  pa- 
ru qu'en  1782.  —  Passons  aux  ou- 
vrages de  Reiske  qui  ont  pour  objet 
laliltérature  grecque  et  latme,  et  dont 
nous  nous  bornerons  presque  à  in- 
diquer les  titres  ,  parce  qu'ils  sont 
beaucoup  plus  connus  que  ses  au- 
tres ouvrages.  XVII.  Constantini 
Poq^hjrogenelœ  libri  duo  de  cœri- 
vioniis  aulœ  Byzanlince ,  gr.  etlat., 
Leipzig  ,  2  voî.  in -fol.  L'édition  de 
cet  ouvrage  avait  d'abord  été  confiée 
au  professeur  Leicb.  Sa  mort  pré- 
maturée fit  passer  le  travail  de  cette 
édition  ci  Reiske.  Le  premier  volume 
paruten  1751 ,  et  le  second  en  1754. 
Ce  second  volume  ne  contient  qu'u- 
ne partie  des  Remarques  de  Reiske. 
Le  reste  devait  se  trouver  dans  le 
troisième  tome  ,  qui  n'a  jamais  été' 
publié.  Ce  livre  ,  et  les  Annales 
musulmanes  d'Abou'lféda,  sont,  de 


3o4  REÏ 

tous  les  écrits  de  Reiske  ,  ceux 
où  il  a  montré  le  plus  d'érudition. 
XV  m.  Animadversiones  ad  Sopho- 
cle m  ,  Leipzig,  1753,  in-B*^.  XIX. 
Animadversiones  ad  Eiiripidem  et 
Aristoplumem  ,  ihidem,  1754,  in- 
8".  XX.  Antliologiœ  grœcce ,  à  Cons- 
tantino  Cephala  ediùœ,  libri  très, 
ibid, ,  1754»  in-8°.  ;  réimprimé  à 
Oxford,  en  1764.  XXI.  Animad- 
versiones ad  grœcos  aulores ,  Leip- 
zig, 5  vol,in-8''=,  publiés  en  1757, 
1759,  1761  ,  1763  et  1766.  C'est 
celui  de  ses  ouvrages  sur  !a  littéra- 
ture classique  auquel  Reiske  attaciiait 
le  plus  d'importance.  Il  avait  enco- 
re des  matériaux  pour  plusieurs  vo- 
lumes ;  quelques  -  uns  de  ces  maté- 
riaux ont  trouvé  leur  pl.ice  dans  les 
ouvi-ages  qu'il  a  donnés  plus  tard. 
Ses  Notes  sur  Artéiuidore  ont  été 
réimprimées  dans  le  tome  n  de  l'Ar- 
tétiîidorede  M.  Rciff,  Leipzig,  i8o5. 
XXII.  M.-T.  Ciceronis  Tuscidana- 
riim  disputalionum  libri  quinque , 
Leipzig,  1759,  in-i2.  XXIII.  De 
Zenohio  sophistd  Ant.iucJieno,  ibid., 
1759,  in-4«>.  XXIV.  De  quibus- 
dam  è  Libanio  repetitis argumentis, 
adhistoriamecclesiasticamchristia. 
nampertine7itibiis,impiimisdeopti- 
mo  episcopo ,  ibid.,  1709,  in-4''. 
XXV.  De  rébus  ad  scholam  Nico- 
làitanam  Lipsiensem  pertinentibus, 
expositio  ,  i'bid.  ,  1739,  in  -  4°- 
'XX.W.Delinguarumvcterumscien. 
iid  maxime  necessarid ,  sludiiqne 
grammalici  utilitale ,  versione  qno. 
rumdam  locoriim  Malachiœ  illus- 
trald,  ihià.,  1759,  in-4".  XXVII. 
Theocrili  reliquiœ  cum  scholiis 
grœcis  et  commentariis  integrix 
variorum ,  tribus  libris  animadvcr- 
sionum  et  indicibus ,  ibid.  ,  176G, 
2  vol.  in-4".  Celle  édition  de  Tliéo- 
crilc  a  été  l'objet  de  critiques  sévè- 
res :  on  a  reproché  à  Reiske  d'avoir 


REI 

hasardé  beaucoup  ds  conjectures  in- 
conciliables avec  la  prosodie  grec- 
que. Ce  tort ,  bien  réel  ,  tient  à  l'i- 
gtiorance  des  règles  de  la  proso- 
die; règles  qu'il  n'est  pas  permis 
de  négliger,  quand  on  veut  appliquer 
la  critique  aux  ouvrages  de  poésie, 
et  pour  lesquelles  Reiske  ne  témoi- 
guailquedu  mépris.  XXVllI.  Ora- 
tores  grœci,  Leipzig;,  12  vol.  in-8°., 
dei77oài775.  C'est  M"^''.  Reiske 
qui  a  pub'ié  les  trois  derniers  volu- 
mes. XXI XI,  Apparatûs  crilici  ad 
Demosthenem  vol.  1,  11,  jii^  qucc 
T'Folfianas ,  Taylorianas  et  Beis  • 
kianas  notas  continent  ,  ibid.  , 
1774  et  i775,in-8''.  XXXI.  Indi- 
ces operuni  Demosthenis ,  ibid.  , 
1775,  in-B''.  XXX.  Plutarchi  quce 
supenunt  omnia  gr.  et  lat,  ihid.  , 
ï'i  vol.  in-  8°.,  de  1774  à  1782.  Il 
n'y  a  que  le  premier  volume  qui  ait 
paru  du  vivant  de  Reiske;  mais  l'é- 
diteur des  volumes  suivants  a  don- 
né fidèlement  les  notes  de  ce  savant, 
sariS  s'y  permet!  reaucun  changement. 
XXXII.  Maiimi Tji ii Dissertatio- 
nes  è  recensione  Davisii  ,editio  al- 
téra, oui  Marclandi  notœ  accesse- 
runt  :  recudi  curavit  et  annotatiun- 
culas addidit  J.-J.  Reiske,  Leipzig  , 
177  4  et  1 775,  '.ivol.  in.8^  XXXIIl. 
Dionjsii  Halicamassensis  opéra 
omnia  gr.  et  lat, ,  cum  annotatio- 

nibus  II.  Stephani Hudsoni  et 

Reiskii,  ibid.,  6  vol.  in -8".,  de 
1774  à  1777.  Les  quatre  derniers 
vuiiiines  n'ont  été  publics  qu'après 
la  mort  de  Reiske.  XXX IV.  Liba- 
nii  sophistce  orationes  et  declama- 
tiones ,  Altenburg,  1783  à  1787  , 
4  vol.  in-8'\  C'est  à  M'"^.  Reiske 
qu'est  due  cette  édition  posthume 
(lu  travail  de  son  mari  sur  Liba- 
nius.  XXXV.  Dionis  Chrjsosto- 
mi  orationes  ex  recensione  J.  J. 
Reiske ,  Leipzig  ,  1 784  ,  2  •volumes 


REI 

in-8o.  M™«.  Reiske  ,  à  qui  l'on  doit 
éi^alcinent  la  publication  de  cette 
c'dilion  ,  l'a  dédiée  au  célèbre  Pitt. 
ileiske avait  tout  piej)are' dès  l'année 
i'^G7  ,  pour  la  publication  des  02u- 
vres  de  Dion  Clirysoslome.  Sa  veu- 
ve en  mcKant  au  jour  ce  travail ,  a 
eu  soin  de  n'inscrer  aucune  des  cor- 
rections conjectuiales  de  Reiske  ', 
non  pas  même  lorsqu'elles  lui  pa- 
raissaient indubitables.  A  ces  ouvra- 
sses, il  faut  joindre  :  XXXVI.  Une 
Traduction  allemande  des  Haran- 
gues tirées  de  Thucydide  ,  l.cip- 
zig,  i76i,in-8\;  et  XXXVII.  La 
Traduction  alle:na;ide  des  Discours 
de  Démoslliène  et  d'Escliiue,  publiée 
à  Lemgo,  en  1764,  en  5  vol.  in  8°. 
Celte  Traduction  a  été  l'objet  de  vio- 
lentes critiques  (  Voy.  KIotz,  .ucta 
litteraria,tO]n.x\ ,.png.  '24oel  343; 
Mo  rus ,  dans  sa  vie  de  Reiske  )  ;  et  il 
semble  que  l'intelligence  du  leste 
est  le  seul  mérite  qu'on  ne  peut  lui 
refuser.  Reiske  a  eu  plus  ou  moins 
de  part  à  diverses  tiaduclions  alle- 
mandes ,  telles  que  celles  des  Mé- 
moires d'Arclienliolz  ,  concernant 
Christine  reine  de  Sue  Je;  de  l'histoire 
de  l'académie  des  inscriptions  et  bel- 
les-lettres; du  6'^.  toine  de  l'Hi./toire 
universelle  de  Gulhiie  ,  Grey  ,  etc. 
Nous  n'avons  point  parlé  de  la 
Traduction  latine  du  Roman  grec 
de  Charitou,  ]»arce  que  lleiske  l'a 
faite  pour  d'Orville,  et  que  celui- 
ci  en  a  usé  comme  d'im  bien  qui 
lui  appartenait  ,  sans  mccotuiaître 
pouriaiit  le  service  que  Reiske  lui 
avait  rendu.  Dans  l'édition  du  Trai- 
te d<'  Porphyre  :  De  abstinentid 
ah  esu  aninialium  ,  donnée  par  Jac- 
ques de  Hlioer,  à  Utreclit,  en  17O7, 
iu-4".,  il  se  trouve  des  Notes  de 
Rei-skc,  qui  avait  coUaiiunné  ,  pour 
l'éditeur  ,  un  manuscrit  du  texte 
original.    Li    V^ie   de  Reiske,  jus- 

XXXVil. 


REI 


3o5 


qu'au  commencement  de  1770,  a 
été  ,  comme  on  l'a  déjà  dit  ,  écrite 
par  lui-même  en  allemand  ,  et  con- 
tinuée jusqu'à  sa  mort  ,  par  M"»'^. 
Reiske,  qui  y  a  joint  une  Liste  exac- 
te de  tous  ses  travaux  ,  imprimés 
et  manuscrits.  Elle  a  paru  à  Leip- 
zig,  en  1783,  sous  ce  titre  :  1). 
■  J.  J,  Tieiskens  von  ihni  sclOst  aiif. 
gestzte  Lebensbesc/weibuTig.  Le  mê- 
me volume  contient  la  correspon- 
dance de  divers  savants  ,  allemands 
et  étrangers  ,  avec  Reiske.  Du  vivant 
même  de  Reiike  ,  une  Notice  biogra- 
pliiq-.ie  de  ce  savant ,  composée  par 
George  Eccius  ,  a  été  insérée  dans  le 
tome  vin  du  Recueil  de  Th.  Cbr. 
Karles,  intitiiic  :  De  P'itisvhdoloizo- 
rum  nostra  œtale  clanssimorum. 
Sara.  P.  Natli.  Morus  ,  professeur  à 
Leipzig ,  a  écrit  en  lalin  une  Vie  de 
Reiske,  qui  a  paru  d'abord  à  Leip- 
zig ,  1777,  in-8". ,  et  a  été  réimpri- 
mée dans  le  Classical  Journal ,  tome 
xxTV  ,  «o.  47-  Il  y  3  im  grand  nom- 
bf'e  d'articles  deReiske  dans  les  Acta 
eruditorum  ,  les  Miscellanea  Lip- 
siensia ,  les  Zuverlcessige  Nachrich- 
ten  de  1748  à  1755,  la  Bibliothè- 
que britannique  (  Die  Britische  Bi-. 
hliothek  ),  tom.  i ,  11  et  m  ,  et  le  Ma- 
gasin de  Hambourg  {Das  Hambiir- 
gische  Magazin  ).  Les  programmes 
et  autres  petits  ouvrages  deReiske. 
ceux  surtout  qui  appartiennent  à  la 
littérature  orientale  ,  sont  devenus 
ti'ès- raies  ;  et  il  est  surprenant  que 
jusqu'ici  personne  ,  en  Allemagne, 
n'ait  songé  à  les  réunir  en  un  ou  deux 
volumes.  Un  pareil  Recueil  serait 
bien  reçu  du  public,  aujourd'hui  sur- 
tout qu'on  cultive  avec  plus  de  zèle 
les  langues  et  la  littérature  de  l'O- 
rient. On  ne  doit  point  craindre 
d'afiirmer  que  Reiske  a  été  ,  de  tous 
les  orientalistes  de  son  temps,  celui 
qui  a  le  mieux  connu  la  langue  et  la 
20 


3g6  REI 

littérature  arabes.  Quanta  ses  travaux 
critiques  relatifs  aux  auteurs  grecs , 
nous  renverrons  les  lecteurs  qui  dé- 
sireront connaître  l'opinion  des  sa- 
vants à  ce  sujet ,  à  ce  qu'en  a  dit ,  à 
l'occasion  de  ses  conjectures  sur 
Plutarque  ,  le  célèbre  Wyttenbach, 
dans  sa  Bibliotheca  crilica  ,  part. 
XI ,  pag.  38 ,  et  dans  la  préface 
de  son  édition  des  OEuvres  mo 
raies  de  Plutarque  ,  p.  cxxviii  et 
suiv.  Ruhnkcnius  a  dépasse  toutes 
les  bornes  de  l'équité  et  de  la  modé- 
ration en  parlant  de  Reiskc ,  dans 
une  lettre  à  Ernesti ,  du  37  décembre 
1753  (  Voy.  Dai>.  Bulinkenii,  L.  C. 
Valkenarii  et  aliornin  ad  J.  A. 
Ernesti,  Epistolœ ;\jc\\>û^,  ^77^? 
in  8".  Voy.  aussi  D .  Ruhnkenii  opiis- 
cnla  ,  etc.  ,  Leyde  ,  1823  ,  tom.  1 1, 
p.  788  ).  Klotz  lui  a  rendu  plus  de 
justice  (  Voy.  Acta  litter. ,  tome  11  , 
pag. 'i9'2et343j  tome  vi, pag.  453). 
Ou  peut  aussi  consulter  ce  qu'eu  a  dit 
Larcher  ,  dans  la  préface  qu'il  a 
mise  à  la  tête  de  sa  Traduction  du 
roman  de  Chariton. — M"^*^.  Reiske  , 
outre  la  part  qu'elle  prit  aux  travaux 
de  son  mari ,  et  les  éditions  de  Li- 
banius  et  de  Dion  Chrysostomc 
qu'elle  a  données  après  le  décès 
de  Reiske  ,  et  dont  nous  avons  dé- 
jà parlé,  a  publié  elle-même  divers 
ouvrages  ,  dont  un,  intitulé  Hellas y 
en  1  vol.  iu-S*^.  ,  a  paru  à  Mitau  , 
en  1778  et  1779  ;  et  un  autre,  qui 
porte  pour  titre  Zur  Moral  {  Dcssau 
et  Leipzig,  1782,  in-8''.  ),  contient 
divers  ouvrages  moraux  ,  traduits 
par  elle  du  grec  en  allemand.  On 
peut  consul  ter,  sur  ce  dernier  ouvrage, 
la  Bibliotheca  critica  de  Wytten- 
bach ,  partie  vin  ,  pag.  \^'X.  Elle  a 
aussi  fourni  à  M.  Bodcn  ,  pour  son 
édition  du  roman  grec  d'Achilles  Ta- 
tius  (  Leipzig  ,  177G,  in-8°.  ),  les 
variautcs  d'un  manuscrit   par  elle 


REI 

collationnc.  Son  respect  pour  la  mé- 
moire de  son  mari  l'a  entraînée  vrai- 
semblablement trop  loin ,  dans  la 
querelle  qu'elle  a  eue  avec  le  célèbre 
Michaëlis.  M™*^.  Reiske ,  après  avoir 
habité  successivement  depuis  la  mort 
de  son  mari ,  Leipzig ,  Dresde  ,  une 
campagne  près  de  Brunswick,  Bruns- 
vick  même, et  enfin  Kemberg ,  lieu  de 
sa  naissance  ,  est  morte ,  dans  cette 
dernière  ville,  d'une  attaque  d'apo- 
plexie,le  27  juillet  179S  :  elle  y  était 
née  le  'i  avril  1735.  S.  de  S — y. 
REIZ  (  j*t:AN-FBEDERic) ,  en  latin 
Reitzius  philologue,  était  l'un  des 
trois  fils  du  pr  édicateur  de  la  cour  , 
Jean  -  Henri  Reiz  ,  à  Braunfels,  en 
Wctteravie.  Ils  furent  tous  les  trois 
professeurs  et  philologues.  Jean  Fré- 
déric naquit  eu  1G95,  étudia  la  mé- 
decine et  la  littérature  ancienne  à 
Utrecht,fut,  en  17  19,  maître  au  gym- 
nase de  Rotterdam ,  en  1 724  co-rec- 
teur  àUtrccht,cten  1745  professeur 
à  l'université  de  cette  ville  :  il  mourut 
le  3 1  mars  1 778.  On  a  de  lui  des  Dis- 
cours latins,  ainsi  qu'une  édition  De 
ambi^uis  ,  mcdiis  et  contrariis  , 
Utrccht,  1730,  in-8''.  Il  a  concouru 
aux  éditions  d'auteurs  anciens  et  mo- 
dernes. C'est  ainsi  qu'il  donna  :  Grœ- 
ccB  litiguœ  dialecti  Maittairii,  cum 
prœfat.  et  fragmenta  inédite  Apol- 
lonii  Dyscoli,  ibid.,  1738  ;  et  Ro- 
sini  antiquitates ,  cum  prœfat.  et 
emendat. ,  Amsterdam,  1743,  in- 
4".  Il  fut  éditeur  de  diverses  réim- 
pressions de  Nieuport  Explicatio 
rituum  Boman.  ;  et  il  coopéra  à  l'é- 
dition faite,  en  174^,  «i  Amsterdam, 
des  OEuvres  de  Lucien,  3  vol.  in- 
4«.  (  F.  Lucien  ,  XXV ,  36 1_.  )  Ce- 
pendant les  notes  qu'il  y  a  jointes 
ont  été  trouvées  très-inférieures  à  cel- 
les de  llemsterhuis  et  de  Gessner.  Il 
a  fait  ['Index,  très-délaillé,  de  cette 
édition ,  conjointement  avec  son  frè- 


REI 

fe ,  Charles  -  Conrad  Reiz  ,  né  en 
1708,  qui  était  recteur  du  gymnase 
deHarderwyk.  — Celui-ci  avait  pro- 
fessé, avant  1747  -,  à  Middelbourg  , 
Goess  et  Gorkum.  Il  a  publié,  com- 
me son  frère ,  des  Discours  latins  , 
ime  Elegia  de  ilinere  Zelandico ,  et 
d'autres  ouvrages  peu  importants. 
Charles-Conrad  mourut  en  1773. — 
Le  troisième  frère,  Guillaume-Olton 
Reiz  ,  né  à  OfFeubach  en  1702  ,  fut 
professeur  d'histoire  à  Middelbourg, 
et  mourut  en  1769.  Ses  ouvrages 
pi'ouvent  une  grande  érudition  :  I. 
Bela.a grœcisans ,  Ro tterdam ,  1780, 
in -8°.  II.  Annotationes  sporades , 
1789,  in -8''.  III.  Variantes  lec- 
tiones  in  Institut.  Justiniani,  i744" 
45.  IV.  Theophili  paraphrasis  grœ- 
ca  Institutionum  ^  la  Haye,  1751, 
in-4''.  Il  a  donné,  au  tome  v  du 
Thésaurus  juris  civilis  et  canon,  de 
Meermann  ,  Basiliconan  lib.  iv  ine- 
dili,  nempe,  xlix,  l,  li  et  lti  (  V. 
Fabrot).  C'est  aux  soins  de  Cappe- 
ronier  que  l'on  doit  la  publication 
de  ces  quatre  livres  ,  tirés  d'un  ma- 
nuscrit de  la  bibliothèque  du  Roi ,  à 
Paris.  D — g. 

REIZ  (  Frederig-Wolfgang  ) , 
philologue  allemand  ,  né  à  Winds- 
heim  en  Franconie,  l'an  1783,  pro- 
fessa successivement  à  Leipzig,  la 
philosophie,  le  latin  et  le  grec,  et 
enfin  la  poésie ,  et  fut  directeur  de 
la  bibliothèque  de  l'université  de 
cette  ville.  Après  avoir  fait  ses  étu- 
des à  Leipzig,  il  s'était  chargé  de 
l'éducation  particulière  dans  quel- 
ques familles,  et  avait  dirigé,  dans 
l'imprimerie  de  Breitkopf ,  l'impres- 
sion de  plusieurs  ouvrages.  Reiz  con- 
naissait à  fond  la  littérature  classi- 
que ,  et  il  écrivait  le  latin  avec  une 
grande  facilité.  C'est  dans  cette  lan- 
gue qu'il  correspondait  avec  les  sa- 
vants, et  qu'il  composa  un  poème 


REI  307 

sur  les  inventions  du  dix-huitième 
siècle  :  Sœculum  ah  inventis  clanim. 
Il  la  parlait  même  plus  facilement 
que  sa  langue  maternelle  :  dans  ses 
cours,  il   était  quelquefuis  embar- 
rassé de  terminer  ses  phrasosj  alors 
il  se  tirait  d'affaire  par  le  latin.   Il 
savait  exactement  si  telle  expression 
ou  telle  tournure  latine  se  trouvait 
dans  les  auteurs  de  la  bonne  latinité  ; 
et  il  citait  les  exemples,  comme  s'il 
eût  appris  tous  les   classiques   par 
cœur.  Son  école  de  philologie  a  pro- 
duit de  bons  élèves  ;  et  en  publiant  le 
texte  de  divers  auteurs  anciens  ,  il 
a  donné  l'exemple  d'une  critique  ju- 
dicieuse, qui  ne  corrige  que  dans  les 
cas  d'une  nécessité  absolue,  et  ne  pro- 
pose de  nouvelles  leçons  que  lorsque 
les  plus  fortes  raisons  les  appuient. 
Souvent  il  préférait  le  changement 
de  la  ponctuation  à  celui  du  texte; 
et  par  ces  corrections,  légères  en  ap- 
parence, il  est  parvenu  à  rendre  clai- 
res et  naturelles  des  phrases  et  des 
constructions  qui  paraissaient  obs- 
cures. 11  travaillait   avec    tant  de 
conscience ,  qu'il  avançait  très-len- 
tement, et  que,  malgré  une  vie  très- 
laborieuse,  il  n'a  laissé  qu'un  petit 
nombre  d'ouvrages.  Ayant  plus  de 
savoir  que  d'imagination,  il  appré- 
ciait mieux  les  prosateurs  que  les 
poètes.  L'édition  iisuelle  qu'il  a  don- 
née d'Hérodote  n'a  pas  été  achevée; 
on  s'accorde  ta  la  regarder  comme  un 
modèle  :  elle  parut  sous  le  titre  de  He- 
rodoti  historiarum  libri  ix,  textus 
Wesselingianus  passim    refictus  , 
etc.,  opéra  Reizii,  vol.  i"-'». ,  part,  i , 
Leipzig,  1778  ;  réimprimé  en  1807 
et  18 1 6.  La  seconde  partie  du  i<^'. 
volume  fut  publiée  par  Schœfer,  qui 
donna  ensuite  un  Hérodote  d'après 
ses  propres  travaux  critiques.  L'é- 
dition d'Hérodote  publiée  à  Oxford, 
1809  et  1814,  3  vol.  in-80. ,  a  été 
uo.. 


3<kS  REI 

faite  sur  le  texte  de  Wcsscling ,  col- 
la tienne'  avec  ceux  de  Rciz  et  de 
i)clia;fer.  Rciz  a  donné  aussi  de  bon- 
nes cdilioiis  classiques,  de  la  Rlietoii- 
que  (  177:4)1  et  de  la  Poétique  (1786) 
d'Aristote,ain!-i  que  de  Perse  (1789), 
et  du  Rudeiis  de  Plauîe  (  même  an- 
née ).  11  a  publie,  sur  l'art  métrique 
des  anciens,  deux  Dissertations,  ^«r- 
manniim  de  Benlleii  doctrind  me- 
troruni  Tereniianorwn  judicare 
non  potidsse ,  1787;  et  De  proso- 
dice  grœcœ  accentûs  inclinatioiie , 
curante  F.  A.  IVolfio ,  Leipzig, 
1791  ,  in-S**.  Reiz  ne  calculait  ni 
le  temps  ni  la  peine  pour  rendre 
service  :  pendant  dix-huit  mois  ,  il 
veilla,  de  deux  nuits  l'une,  auprès  de 
son  maître  Christ ,  qui  était  malade. 
Il  aidait  de  sa  bourse  les  écoliers 
pauvres,  loin  d'en  rien  exiger  pour 
SCS  cours  :  quoique  sans  fortune ,  il 
renonçait  à  ses  appoiiUenients  de  bi- 
bliothécaire, pour  augmenter  la  bi- 
bliothèque qui  lui  était  confiée.  Son 
élève  Bauer  a  publié  une  brochu- 
re sur  lui.  Reiz  mourut  le  'i  février 

1790.  D G. 

RELAND  (  Adrien  ) ,  savant  très- 
versé  dans  la  coimaissance  des  lan- 
gues orientales,  naquit  le  17  juillet 
rGjG  ,  auprès  d'Alkmacr,  dans  la 
Nord- Hollande,  au  village  de  Ryp  , 
cù  son  père  était  ministre.  Celui-ci 
vinlensuiles'etablir  à  Amsterdam  :1e 
jeune  Reland  y  étudia  sousdes  maîtres 
qu'il  ne  larda  pas  à  surpasser.  Il  de- 
vint en  peu  de  temps  fort  habiledans 
l'intelligence  des  langues  saintes,  et 
de  l'arabe  ;  il  v  joignit  le  persan  et  le 
malai  ,  dont  il  fut  le  premier  à  faire 
usage  dans  des  discussions  scientifi- 
ques. Il  possédait  aussi  la  littéra- 
ture rabbiniqiie  ,  trop  vantée  autre- 
fois ,  trop  négligée  maintenant,  et 
dont  il  ne  fil  jamais  qu'un  sage  em- 
ploi. Avec  tant  de  connaissances,  il 


REL 

n'aurait  été  pent-ttro  qu'un  savant 
fort  ordinaire  :  il  est  difficile  que  l'é- 
lu le  des  langues  orientales,  tonte 
seule,  produise  drs  résultats  im- 
portants; mais  il  y  joignit  la  scien- 
ce des  ant;(|uités  grecques  et  ro- 
maines ,  qui  n'a  jamais  été  commu- 
ne parmi  les  orientalistes  ,  et  qu'il 
acquit  sous  la  direction  du  célèbre 
Graevius.  On  pense  bien  qu'avec  un 
tel  maîtie,  il  ne  s'arrêta  point  aux 
futilités  de  la  littérature  ancienne. 
C'est  vers  la  science  véritable  qu'il 
dirigea  ses  cffurls  :  il  ne  voulait  pas 
êlre  écolier  ou  régent  de  collège  ;  il 
dédirait  être  un  savant  ,  il  ne  tarda 
pas  à  le  devenir.  On  reconnaît  dans 
tous  ses  écrits  une  bonne  et  solide- 
érudition.  L'alliance  des  connais- 
.^ances  classiques  et  des  lettres  orien- 
tales jette  une  grande  variété  dans 
ses  ouvrages  ,  trop  peu^  nombreux  à 
cause  de  la  courte  durée  de  sa  vie. 
Reland  avait  déjà  refusé  une  place  de 
professeur  à  Lingcn.  quand, en  1 699, 
il  en  accepta  une  à  Harderv\'ick  ,  qu'il 
quitta  bientôt  après  pour  une  chaire 
de  langues  orientales  et  d'antiquilés 
ecclésiastiques,  à  L'trecht.  Il  l'occupa 
dix-sept  ans,  et  mourut  de  la  petite 
vérole,  dans  cette  vide,  le  5  février 
1718,  âgé  de  quarante-deux  ans  ,  à 
l'époqne  même  où  l'on  devait  atten- 
dre les  ineiîienres  productions  de  son 
savoir.  Nous  ne  nous  arièterons  pas 
aux  f-rcaiiers  essais  de  sa  jeunesse 
(  Galatea  lusus  poëticus ,  Amster- 
dam ,  1701  ,  in  8".  ),  publiés  à  sou 
insu  ;  ils  furent  re'iinprimés  trois 
fois.  Outre  diverses  Dissertations  de 
peu  d'cîendue,  et  d'un  intérêi  assez 
borné ,  telles  qu'un  Discours  sur 
la  langue  persane  (  Oralio  pro  Iingua 
Fersica,  Uirerht,  1701  ,  iii-4".  ), 
une  nouvelle  édition  du  Mamiel  arabe 
de  Zernoukhy  (  Knchiiittion  .studio- 
si  ),  Ulrecht,  1709  ,  in-8^.  {Foj-ez 


REL 

Bor.'.iA>-ED  DiN  );  rne  coiirlc  intro- 
diicliitu  à  la  Grammaire  bebra'ique 
du  professeur  Jacques  Altiiig,  avec 
une  édition  du  livre  de  Rulh,  accom- 
pagnée d'un  comracutaite  rabhiui- 
que,  UtrecLt,  17  io,in-8'J.;  une  édi- 
tion du  Rlanuel  d'Epiclète,  et  du  Ta- 
bleau de  Ccbès  ,  commencée  par  I\lei- 
bom  ,  Utrccht ,  1 7 1 1  ,  in  -  4".  ;  une 
Di.-sertation  sur    les  dépouilles   les 
plus  remarquables  de  Jérusalem  ,  fi- 
gurées sur  l'arc  de  TiUis  à  Rome, 
Utrecht ,  1716,  in-8^. ,  etc.,  etc., 
TOUS  remarquerons  plus  particiiliè- 
remenllcs  Ouvrages  suivants:  I.  .Jna- 
lecta  Rabbinica  ,   Utreclu,   1702, 
in-8°.;  collection  utile  qui  contient 
plusieurs  Ouvrages  estimés,  relatifs  à 
la  littérature  rabbinique  ,  et  devenus 
la  les  ,  tels  que  Vlsagoge  Rahhinica 
de  Genebrard  ;  la  Grammaire  rabbi- 
uique  ou  Rahbinismus  de  Cellarius  ; 
Je  Traité d(S  particules  cbaldaïques, 
syriaques  et  rabbiniques  de  Drusius  ; 
la  Vie  des  plus  célèbr^srabbins  ,  par 
Bartolocci ,  et  un  Commentaire  de 
Kimchi ,  sur  les  dix  premiers  psau- 
mes. II.  Di^sertaiiones  quinque  de 
mimis  veterum  Hchrœonnn  ,   qui 
ob  inscriptanmi  litterarum  forma 
sainaiitani     appellantur   ,      etc.  , 
Utrecht,  1709,  in-8°.  Les  trois  pre- 
mières de  ces  Dissertations  avaient 
déjà  paru  séparément,  en  1701   et 
1704,  à  Amsterdam.  C'est   le  pre- 
mier ouvrage  un  j)€U  considérable 
qui  ait  été  enlrejJtis  sur  les  monnaies 
antiques  des  princes  Asmonécns  :  les 
travaux  de  ral)bé  Baiîliclemy,    de 
i'erez  Bayer  ,  et  de  quelques  autres 
antiquaires,  ontpcu  ajoute  au\ obser- 
vations de  Relaud.  IIJ.  De  Rtligione 
Muhamedicd  libri  duo,    Utrecht, 
170J,  in-H".  L'auteur  en  doima  ,  en 
1717,  in-8".  ,  une  nouvelle  édition, 
bien  plus  étendue  ,  et  ornée  de  quel- 
ques figures  en  taille  -  douce.   C'est 


REL  3oQ 

dars    ce  Traite   fort  savant,    tout 
entier  tiré  des  sources  oriçii.atcs  (et 
piincipaleriientd'Aboi!-Siliodjaa;quc 
l'on  a  puisé  lesnotions  sui  la  religion 
musulmane  répandues  dans  un  grand 
nombre  d'ouvrages.  L'auteur  y  a  in- 
séré beaucoup  de  passages  extraits 
des  livres  orientaux,  et  il  s'attache  sur- 
tout, dans  .'•a  Préface  ,  à  réfuter  les 
écrivains  qui  ,  pour  décrier  le  inaho- 
méiisme  ,  lui  attribuaient  une  foule 
d'absurdités  iusoutcnaliles  :  aussi  des 
théologiens  d'un  zèle  peuéclaiiél'ont- 
ilsaccuséd'avoir  par-la  chcrchéà  jus- 
tifier cette  religion  ,  et  à  lui  faire  des 
prosélytes  ,  tandis  que  son  Ijut  n'était 
que  de  la  faire  mieux  connaître  ,  afin 
de  la  combattre  avec  plus  d'avan- 
tage.   Le  livre  est  terminé  par  le  ca- 
talogue raisonné  de  vingt-quatre  ma- 
nuscrits arabes  dont  l'auteur  s'était 
servi ,  suivi  d'un  index  assez  ample, 
d'un  errata  ,  et  de  la  généalogie  du 
sultan   Achmet  III   depuis  Adam , 
tirée  d'un  manuscrit  turc,  et  conte- 
nant soixante-dis-huit  générations. 
Les  patriarches  ,  depuis  Adam  jus- 
qu'à Japhet ,  y  sont  conformes  à  la 
Genèse,  à  l'excepliou    qu'Enoch    y 
est  nommé  Idris ,  suivant  l'usage  des 
Orientaux.  Cette  production  de  Re- 
land  fut  bien  accueillie  des  savants  ; 
et  Ton  s'empressa  d'en  faire,  sur  la 
première  édition  ,   une  Traduction 
allemande.  Il  en  existe  une  autre  en 
français ,  faite  sur  la  seconde  édition, 
et  publiée  après  la  mort  de  Relaud  , 
à  la  Haye  ,  17Î1  ,  i  vol.  iu-iu  ,  par 
David  Durand.  Celte  Traduction  pi- 
lovable  ne  dispense  ])as  de   possé- 
der l'original.  Le  bel-esprit  (jui  s'a- 
visa de   travestir  ,  en   français  ,   le 
savant  ouvrage  de  Relaud,  retran- 
cha    ou      mutila    la    plus     grande 
partie   des    Koles    de   l'antcur  ,   fit 
j)eaueoup  de   suppressions   dans    le 
corps  mune  du  livre,  croyant  bien 


3io  BEL 

dédommager  ses  lecteurs  par  l'im- 
pertinente addition  de  quelques  mau- 
vais vers  français  de  sa  façon  ;  le 
tout  prérédë  d'une  longue  Préface, 
dans  laquelle  il  s'efforce,  dans  un  sty- 
le plaisamment  ridicule  ,  de  justifier 
les  importants  services  qu'il  croit 
avoir  rendus  au  livre  de  Reland. 
Comme  le  traducteur  n'a  pas  jugea 
propos  d'indiquer,  par  un  signe  quel- 
conque, les  passages  qu'il  a  ajoutés  à 
son  texte ,  ce  qui ,  dit-il ,  fera  frémir 
le  peuple  enductriné,  on  est  perpé- 
tuellement exposé  à  prendre  les  re- 
marques qu'i7  a  cousues  dans  sa  tra- 
duction (  c'est  lui  qui  s'exprime  ain- 
si), pour  des  observaàons  de  Reland. 
Il  n'est  pas  de  si  mauvais  livre  qui 
ne  contienne  quelque  chose  d'utile  : 
nous  remarquerons  donc  que  l'au- 
teur de  cette  traduction  ,  y  a  joint 
un  petit  Traité  intitulé  :  Confession 
de  foi  des  Mahomet  ans.  Ce  Traité , 
fort  court ,  est  tiré  d'un  manuscrit 
latin  ,  traduit  sur  un  original  espa- 
gnol, écrit  en  caractères  arabes  (i), 
IV.  Dissertationum  miscellanea- 
rum  partes  très ,  Utreclit ,  3  vol. 
in- 8*'.  Les  trois  volumes  de  ce  Re- 
cueil furent  publiés  sTiccessivement 
en  1706,  7  et  8  j  et  bientôt,  en  17 13, 
ils  obtinrent  les  honneurs  d'une  se- 
conde édition.  Ils  contiennent  treize 
Dissertations,  toutes  fort  intéressan- 
tes, et  remplies  d'une  érudition  aussi 
solide  que  variée.  Ces  petits  ouvrages 
ont  été  plus  souvent  pillés  que  cités; 
et  beaucoup  de  savants  y  ont  puisé, 
sans  peine  ,  nombre  de  citations  ,  de 
rapprochements  et  d'élymologics , 
dont  ils  ojjt  enriclii  leurs  composi- 
tions. Les  plus  intéressantes  de  ces  Dis- 
sertations sont  :  De  Samarilanis;  De 


(  I  ;  f  )n  ppiil.  voir,  sur  !.■«  iiinniiKriiti  espagnols  l'criJs 
<ii  IrUrr»  iiii.br»,  une  Nolicc  <!.;  M.  Sylvestre  do 
.Saijy,  loctni-daiisli;  loine  iv  <l.»Notit:ii  cl  extraits 


KEL 

reliquiis  veleris  lin^uœ  persicœ ;  De 
persicis  vocnhulis  Talmudis;  De  lin- 
guis  insularum  quarumdam,  orien- 
talium.  C'est  dans  cette  Dissertation 
que  furent  remarqués,  pour  la  pre- 
mière fois  ,  les  rapports  du  malai 
avec  la  langue  des  habitants  de  Ma- 
dagascar. V.  Antiquiiates  sacrœve- 
terumffebraorum,  Utrecht,  un  vol. 
in-80,  ;  cette  édition  fut  suivie  de 
plusieurs  autres ,  en  17 1*2,  1714» 
17 17  et  1741  ,  in-8". ,  et  de  celle 
que  G.-J.-L.  Vogel  a  donnée,  avec 
des  augmentations  ,  Halle,  1769, 
in -8".  C'est  le  Recueil  le  plus  com- 
plet ,  le  plus  concis  et  le  plus  mé- 
thodique qui  existe  sur  cette  ma- 
tière. VI.  Palestina  ex  monumentis 
veteribus  illustrata  et  chartis  geo- 
graphicis  accuratioribus  adomata , 
Utrecht,  1714,2  vol.  in  4'^. ,  avec 
onze  cartes;  Nuremberg,  1716  ,  in- 
4".  Ce  Recueil  de  tous  les  renseigne- 
ments géographiques  que  les  anciens 
avaient  transmis  sur  la  Terre-Sain- 
te,  est  le  plus  considérable  des  ou- 
vrages de  Reland.  Tous  les  passages 
originaux  s'y  trouvent  :  c'est  plutôt 
une  compilation  ,  qu'une  description 
raisonnée  ;  cependant  il  faut  conve- 
nir que  l'auteur  a  tiré  le  meilleur 
parti  possible  des  documents  qui 
étaient  à  sa  disposition  :  s'il  n'a  pas 
fait  plus  ,  on  ne  doit  en  accuser  que 
l'état  d'imperfection  dans  lequel  se 
trouvait,  de  sou  temps,  la  science  de 
la  géographie.  J.  C.  Haremberg  {V. 
ce  nom  )  a  donné ,  dans  le  tome  v  des 
Miscellanea  Lipsiensia  nova ,  qua- 
tre suppléments  à  la  Palestina. 
Voyez,  pour  plus  de  détail,  le  Tra- 
jcctum  erudilum  de  Rurmann,  p. 
'ji^S-Soi  ,  et  le  Diction,  de  Chau- 
fcpié.  —  Reland  fut  encore  éditeur 
d'un  ouviagc  posthume  de  son  frère 
Pierre  Reland  ,  avocat  pension- 
nai) e  de  la  ville  de  Harlem,  mort  en 


REL 

i-j  i5  :  Pétri  Relandi,  Fasti  consu- 
lares  ad  illuslrationem  codicis  Jus- 
tinianei  et  Theodosiani  secundùm 
rationes  temporum  digesti ,  etc. , 
Utrecht,  1715,  in-8".  Adrien  Re- 
laud  fit  plusieurs  additions  impor- 
tantes à  cet  utile  ouvrage.  S.  M-n. 

RELY  (Jean  de  ),  l'un  des  ora- 
teurs les  plus  éloquents  de  son  siècle, 
était  ne,  vers  i4-^o,  d'une  ancienne 
famille  d'Arras  (i  ).  Après  avoir  ter- 
miné ses  études  à  Paris ,  il  embras- 
sa l'état  ecclésiastique  ,  et  fut  pour- 
vu d'un  canonicat  de  l'église  de  No- 
tre Dame  ,  dont  il  devint  chancelier 
et  archidiacre  ,  et  d'une  chaire  de 
théologie  à  l'université.  Ce  fut  lui 
qui,  en  1461-  rédigea   les  remon- 
trances que   présenta  le  parlement 
à  Louis  XI  pour  le  maintien  de  la 
Pragmatique  sanction  (i).  Il  rem- 
plit ,   en    147  ï  j   les  fonctions   de 
recteur  de  l'université ,    et  fut   re- 
çu docteur  de  Sorbonne  en  1 478.  Dé- 
puté par  le  clergé  de  Paris  aux  états- 
généraux  de  Tours  en  i483,  il  y  si- 
gnala son  zèle  pour  la  répression  des 
abus ,  et  fut  chargé  de  présenter  à 
Charles  VIII  le  résultat  des  délibé- 
rations de  l'assemblée  (3).  Ce  jeune 
prince ,  charmé  à^.  son  éloquence,  le 
retint  à  sa  cour,  en  le  nommant  son 
aumônier.  Rcly  bénit ,  en  cette  qua- 
lité ,  le  mariage  de  Charles  avec  An- 
ne de  Bretagne  (1491)-  H  était,  de- 
puis quelques  mois ,  évêque  élu  d'An- 


(i)  Suivant  le  Gallia  christiana  ,  Jean  de  Rely 
«tait  ]p  graud-oncle  de  Fr.  Baudouiu  ,  cêU'bre  juris- 

coiisulte  (  y.  Baudouin  ). 

(ï)  Ces  Remontrances  sent  écrites  avec  une  vi- 
gueur remarqurible.  On  en  cite  une  édiï.  in-4*'. ,  sans 
date  ,  mais  qui  paraît  être  do  la  fin  du  qnÎDzicme 
siècle  :  elles  ont  été  réimprimées  j)Iusieurs  fois  en 
français  et  en  lalin  ,  de  la  version  de  Duaren  ,  dans 
les  ÙEuvies  de  ce  jurisconsulte  (  F.  DUARKN  ). 

(î)  On  peut  consulter  VOrilre  tenu  et  ^ardi  en 
Rassemblée  des  trois  états  de  France  ,  convoqués  à 
'Tours  par  Charles  FUI ,  contenant  les  proposi- 
tions Jaites  par  Jean  de  lieiy^  chanoine  de  Paris  j 
Uupré  ,  in- 4"  1  sans  date;  et  dans  le  Rccuvil  dcï 
•iat»  ,  Paris ,  Quiutl,  iGâl  ,  )n-4°-)  l'-  4'J- 


REM 


3ii 


gcrs  ;  mais  il  ne  prit  possession  de 
ce  siège  qu'en    i49'2-   H   suivit  le 
roi  dans  son  expédition  à  Naples, 
et  remplit  avec  succès  les  missions 
dont  on  le  chargea   près  du  pape 
Alexandre  VI.  La  mort  prématurée 
de  Charles  affligea  profondément  le 
bon  évêque  d'Angers.  Il  accompagna 
les  restes  de  son  maître  à  Saint -De- 
nis, oîi  il  prononça  son  oraison  fu- 
nèbre ;  et  il  quitta  la  cour,  résolu  de 
consacrer  le  reste  de  sa  vie  au  soin 
du  troupeau  que  la  Providence  lui 
avait  confié:  mais,  dans  la  première 
visite  qu'il  fit  de  son  diocèse,  il  fut 
frappe  d'apoplexie,  et  mourut  à  Sau- 
mur,  le  27  mars  i  499  (4)-  Parmi 
les  Lettres  de  Pic  de  la  Mirandole  , 
on  en  trouve  une  adressée  à  Jean  de 
Rely  (liv.  ix,  3  ).  Jacques  Lefèvrc 
d'Estaples  lui  dédia  son  Commentai- 
re sur  la  Morale  d'Aristote.  Rely  re- 
toucha ,  d'après  l'exprès  commande- 
ment de  Charles  VIII,  le  style  de  la 
Traduction  des  Livres  historiaulx 
de  la  Bible,  par  Guyart  des  Moulins, 
et  la  fit  imprimer  à  Paris,  vers  i495 
(  F.  Moulins).  On  conserve,  au  ca- 
binet du  roi,  le  portrait  de  Jean  de 
Rely,  in-fol,,  dessin  à  la  pierre  noi- 
re. W— s. 

REMBRANDT  (  Paul  )  dit  Van- 
PuN  ,  l'un  des  peintres  les  plus  re- 
nommés de  l'école  hollandaise  ,  na- 
quit, en  i6oG,  à  peu  de  distance  de 
Leydc ,  sur  les  bords  du  Rhin  (  entre 
les  villages  de  Leyendorp  et  de  Kou- 
kerck  ).  Son  nom  de  famille  était 
Gerretsz.  Son  père ,  qui  s'était  en- 
richi dans  l'état  de  meunier ,  voulut 
lui  faire  apprendre  le  latin  ;  mais 
n'ayant  que  peu  de  dispositions  pour 
ce  genre  d'étude ,  et  montrant  plus 
de  goût   pour  le  dessin,  le  jeune 

^4)  Son  épltaplie  ra))i)oiUe  dans  le  G.dlia  chri<- 
tluna  ,  porte  ii\()'!<i  innls  ou  sait  que  l'iiunce  ne  coiu- 
raeuvail  alors  qu'à  l'âqucs. 


3ta 


KTM 


Rerabrariilt  obtint  la  permission 
d'enlrer  dans  l'atelier  d'un  peintre 
de  la  ville  voisine  (  Jacques  Van- 
Zviancnhurj:!;  ) ,  chez  lequel  il  resta 
trois  ans.  Il  se  rendit  ensuite  à  Ams- 
terdam ,  pour  y  étudier  successive- 
raciit  sous  Pierre  Lastraan  ,  et  Jac- 
ques Pinas,  qui  avaient  alors  quelque 
réputation.  De  retour  au  moulin  de 
son  père ,  il  ne  voulut  pins  avoir 
d'autre  maître  que  la  nature;  et  il 
5e  mit  à  copier  ,  presque  sans  choix, 
tous  les  objets  qui  s'offraient  à  ses 
regards.  Un  tableau  qu'il  composa 
dans  cette  campagne,  y  fit  assez  de 
sentation  pour  piquer  la  cuiiosite' 
des  gens  de  la  ville.  On  engagea  le 
jeune  peintre  à  partir  pour  la  Haye, 
oi'i  cet  ouvrage  lui  fut  paye  cent 
florins.  Puissamment  encourage  par 
ce  succès  inespéré',  Rembrandt  fixa 
.son  séjour  dans  la  capitale  de  la  Hol- 
Jande,  où  ,  non  content  de  multiplier 
ses  tableaux  et  ses  gravures  avec  une 
activité  surprenante ,  il  établit  une 
ccole  de  peinture,  dont  il  tira  le  plus 
grand  profit.  Ses  richesses  ,  néan- 
moins ,  ne  lui  inspiraient  pas  le  de- 
sir  de  se  répand)  e  dans  la  société  des 
liommes  éclairés.  Il  épousa  une  sim- 
])lc  paysanne,  et  ne  vécut  habituclle- 
îuent  que  parmi  les  gens  du  bas-peu- 
ple. Ce  n'est  pas  Vhor.neiir  que  je 
cherche^  disait -il;  cest  le  repcs 
d'esprit  et  la  liherlé.  Il  aurait  pu 
ajouter  c'est  l'arf^ent  ;  car  ce  fut 
.surtout  sa  sordide  avarice  qui  lui 
imposa  l'obligation  de  fuir  le  lu-se 
ft  tontes  les  occasions  de  dépense. 
Ses  meilleurs  repas  ne  se  compo- 
saient que  de  harengs  secs  ou  de  fro  - 
mage  ;  et  peu  satisfait  de  ses  écono- 
mies, il  inventait  sans  cesse  de  nou- 
veaux moyens  jiour  se  procurer  des 
gains  plus  considérables.  On  dit 
qu'en  chargeant  son  fils  de  vendre 
ses  estampes  et  ses  dessins  ,  dont  on 


REM 

faisait  grand  cas  ,  il  e?iigeait  que  ce 
jeune  homme  feignît  de  les  lui  avoir 
dérobes.  D'intelligence  avec  sa  fem- 
me ,  qui  partageait  son  avarice  il 
s'avisa  un  jour  de  quitter  Amster- 
dam ,  et  de  se  faire  passer  pour 
mort.  Qu'on  se  fgurc  l'empresse- 
ment des  amateurs  à  venir  acheter 
ses  ouvrages  ,  dont  le  prix  fut  bien- 
tôt quadruplé  (i).  Au  bout  de  quel- 
que temps  ,  il  reparut  ;  et  l'on  vou- 
lut bien  ne  voir  qu'une  innocente 
plaisaîiterie  dans  cette  ruse  qui ,  de 
nos  jours,  sans  doute,  serait  jugée 
plus  sévèrement.  Pour  se  venger  de 
sa  lésinerie ,  ses  élèves  s'amusaient 
quelquefois  à  peindre  des  pièces  de 
monnaie  sur  des  morceaux  de  carte, 
qu'ils  répandaient  ensuite  dans  la 
chambre,  et  que  Rembrandt  man- 
quait rarement  de  ramasser  avec  un 
niouvcment  d'avidité  si  comique  , 
qu'il  finissait  par  en  rire  lui-même. 
Ce  fut  dans  cet  état  de  privations 
continuelles  ,  et  pour  ainsi  dire  d'ab- 
jection ,  que  ce  grand  peintre  passa 
tout  le  reste  de  sa  vie.  Il  mourut  en 
i6'j4  7  ^S^  ^^  soixante  huit  ans.  Son 
fils  unique  ,  nommé  Titus  ,  n'hérita 
que  de  ses  richesses  ,  et  demeura 
dans  l'obscurité.  Comme  tous  les 
peintres  dont  l'originalité  n'était 
pas  dirigée  par  un  goût  très-pur, 
Rembrandt  ,  loué  avec  enthousias- 
me par  quolqnes  amateurs  ,  a  été 
durement  critiqué  par  d'autres.  Il 
ne  faut  chercher  dans  ses  ouvra- 
ges ni  sévérité  de  dessin  ,  ni  élé- 
gance de  formes  ,  ni  élévation  de 
pensées.  L'io^norance  absolue  du  cos- 
tume histoiique ,  et  l'habilnde  de 
copier  exactement  la  nature  dans  un 
pays  où  elle  n'est  pas  exempte  de 


(0  f>ll<^  a.icrtiolp  nfomiii  Ir  suiri  rl<-  n.niliniidt 
nii  l:i  Iriilr  (iprrt  liens  ,  Hiiniir  on  ifl.M>.  Mil  (liifitiB 
dis Trniilmdour-i ,  jiarMIU.  S<rviiT« , Morci , Mora» 


REM 

trivialité,  se  font  sentir  jnsqfiie  dans 
les  tal.leaux  où  il  a  déployé  le  plus 
de  talent.  Il  avait ,  dans  son  atelier  , 
de  vieilles  armures  ,  de  vieux  instru- 
ments ,  de  vieilles  élofTes  ouvra- 
p;écs  ,  et  il  disait  ironiquement  que 
c'étaient -là  ses  antiques.  IMais  par 
combien  de  qualités  si;péiieures  ne 
balançait-il  pas  ces  défauts  de  goûll 
QiieMC  iutellig(nce  du  clair-obscur, 
quelle  magie  de  couleur,  que'le  naï- 
veté ,  et  quelle  force  d'cxpn  ssion  I 
Rembrandt  est  quelquefois  compara- 
ble aux  mai  nés  de  l'école  vénitienne, 
pour  la  fraîcheur  et  la  vie  des  carna- 
tions. Sa  touche  lui  est  si  particu- 
lière ,  que  l'œil  le  moins  exercé  peut 
la  reconnaître.  Extrêmement  fine  et 
fondue  dans  quelques  parties  de  ses 
tableaux,  elle  e.'t  ,  le  plus  souvent, 
heurtée,  irrégulière,  laboteuse  ;  et 
il  serait  peimis  de  croire  ,  comme  ou 
l'a  dit,  qu'il  employait  souvent  le 
couteau  de  sa  palette  au  lieu  de  pin- 
ceau ,  pour  marquer  plus  vivement 
les  points  de  lumière.  On  va  jusqu'à 
prétendre  ,  pour  donner  une  idée  de 
l'épaisseur  de  sa  couleur  ,  qu'il  cher- 
chait plus  à  modeler  qu'à  peindre,  et 
qu'il  avait  fait  une  fois  une  tète  dont 
le  nez  avait  presque  autant  de  saillie 
matérielle  que  ce'ui  du  modèle  vi- 
vant. Aussi  avait-il  intérêt  à  repéter 
chaque  jour  qu'on  ne  devait  jamais 
examiner  de  près  l'ouvrc^e  d'un 
peintre.  Un  tableau  ,  disait-il  ,  nest 
pas  fait  pour  c'irejlairé  ;  l'odeur  de 
l'huile  n'est  pas  saine.  Une  autre 
luis  il  disait ,  dans  le  même  sens  :  Je 
suis  peintre  et  non  teinturier.  On 
raconte,  enfin,  que  ne  trouvant  point 
un  jour  le  degré  de  noir  dont  il  devait 
former  une  omlue  très-épaisse,  il 
creva  sa  toile  d'un  coup  de  poing 
pour  suppléer  à  l'insuflisance  de  sa 
palette;  mais  ,  en  rapportant  cette 
vieille  anecdote,  nous  sommes  loin 


REM 


3i3 


d'y  ajouter  fui.  Autant  sa  touche  ir- 
réguiière  perd  quelquefois  à  être  vue 
de  près,  a-tant,  à  une  distance  con- 
venable ,  elle  est  d'un  effet  harmo- 
nieux. Aucun  peintre  n'a  si  rpassé 
R<nil)randt  dans  l'art  de  donner  du 
relief  aux  o)  jets  par  le  jeu  des  op- 
positions, et  d'accroître  l'intérêt  de 
ses  sujets  en  le  concentrant  sur  un 
seul  point ,  comme  il  augmentait  l'é- 
clat de  ses  lumières,  en  les  resserrant 
dans  un  petit  espace.  Il  est ,  pour 
ainsi  dire  ,  de  règle  en  peinture  ,  que 
le  plus  grand  jour  soit  dirigé  vers  le 
milieu  du  tableau.  Rembrandt  a  vou- 
lu faire  mieux  :  il  n'a  souvent  em- 
ployé qu'une  seule  masse  de  lumière, 
presque  toujours  étroite  et  acciden- 
telle. Son  atelier  n'était  e'claiié  que 
par  un  trou  ,  comme  l'est  une  cham- 
bre noire;  aussi  remarque  t-on,  dans 
presque  tous  ses  ouvrages  ,  que  des 
ombres  plus  ou  moins  épaisses  cou- 
vrent les  trois  -  quarts  de  la  toile. 
Cette  méihodea,  sans  doute,  l'avan- 
tage, de  produire  des  effets  piquants; 
mais  elle  dégénérait  chczBembrandt 
en  une  sorte  de  pratique  habituelle, 
qu'il  eût  été  dangereux  d'imiter. 
11  a  laissé  un  bon  nombre  de  ta- 
bleaux d'histoire,  dont  on  admire 
l'ordonnance  pittoresque  et  l'expres- 
sion, et  parmi  lesquels  il  faut  di.*:- 
f'upuer  Tohie  et  sa  famille  (  l'un 
des  chef-d'œuvres  du  Musée  royal  )» 
Mais  c'est  surtout  dans  le  portrait, 
qu'il  parvenait  à  rendre  la  nature 
avec  une  étonnante  vérité.  Ayant 
un  jour  pkre'  le  portrait  de  sa  ser- 
vante dans  l'embrasure  d'une  croi- 
sée ,  il  eut  la  satisfaction  de  voir 
toutes  les  personnes  du  dehors  être 
dupes  de  l'iliusion ,  au  point  de  trou- 
ver très  -  extraordinaire  le  silence 
et  l'immobilité  de  celte  fdlc  ,  ordi- 
nairement vive  et  labillarde.  Ce 
n'est  pas   ser.lcnicnt  comme  peintre 


3i4 


REM 


que  Rembrandt  s'est  rendu  célèbre  j 
il  est  compte  au  nombre  des  plus 
habiles  graveurs.  La  mêate  singula- 
rité de  travail  qu'on  remarque  dans 
ses  tableaux,  se  retrouve  dans  ses  es- 
tamj  es.  Loin  de  chercher  l'éclat  et 
la  propreté  que  donnent  à  la  gra- 
vure des  tailles  parfaitement  régu- 
lières, il  semble  n'avoir  presque  ja- 
mais voulu  se  servir  du  burin  ,  ou  , 
du  moins  ,  il  lui  préférait  la  pointe 
sèche  ,  dont  il  faisait  l'usage  le  ])lus 
libre  et  le  plus  original.  Rien 
d'aussi  difficile  à  saisir  que  sa  ma- 
nière d'employer  cet  outil,  et  d'eu 
combiner  les  effets  avec  ceux  d'une 
eau-forte  vive  et  hardie.  Il  paraît 
n'avoir  voulu  suivre  aucune  règle  ; 
et ,  malgré  cette  apparence  de  dé- 
sordre ,  il  trouvait  presque  toujours 
le  moyen  de  donner  à  ses  estampes 
les  plus  égratignées ,  un  aspect  très- 
.  harmonieux.  Quelques-unes  d'entre 
elles  portent  pour  remarque ,  le  nom 
de  Venise,  et  la  date  de  i636; 
ce  qui  fait  supposer,  qu'eu  i636, 
Rembrandt  avait  parcouru  l'Ita- 
lie :  mais  la  vérité  est,  qu'il  n'a 
jamais  quitté  la  Hollande.  Son  uni- 
que but ,  eu  gravant  ainsi  le  uom 
d'une  ville  éloignée  sur  quelques-unes 
de  ses  planches ,  était  de  leur  donner 
plus  de  prix  aux  yeux  de  certains 
amateurs.  Son  caractère  était  aussi 
bizarre  que  sa  mine  et  ses  mœurs 
e'taient  basses.  Un  jour  qu'il  s'occu- 
pait à  peindre  toute  une  famille  no- 
ble dans  un  gionpc  ,  on  vint  lui  an- 
noncer la  mort  d'un  singe  pour  le- 
quel il  se  sentait  beaucoup  d'afïèc- 
tion:  il  lui  prit  aussitôt  fantaisie  de 
représenter  cet  animal  sur  le  devant 
même  du  tableau;  et,  malgré  le  mé- 
contentement des  peisonncs  à  qui 
cette  singulière  apolbéosc  paraissait 
une  ollènse  ,  il  aima  mieux  remjior- 
terchcz  lui  son  ouvrage  que  d'en  ef- 


REM 

facer  la  figure  du  singe.  Le  nombre 
de  ses  tableaux,  de  ses  estampes  et 
de  ses  dessins  est  si  grand,  qu'il  se- 
rait dilïïcile,  pour  ne  pas  dire  im- 
possible, d'en  dresser  une  liste  exac- 
te (2).  11  est  peu  de  collcctionsd'arts 
en    Europe  ,    particulièrement    en 
Hollande  et  en  Angleterre ,  où  l'on  ne 
soit  à  peu-près  sûr  d'eu  trouver  ;  et 
cependant ,  ses  moindres  produc- 
tions conservent  toujours,  dans  le 
commerce ,  une  valeur  assez  élevée. 
De  Piles,  dans  sa  balance  des  pein- 
tres ,  où  il  divise  son  plus  haut  poids 
en  vingt  degrés,  apprécie  de  la  ma- 
nière suivante  les  diverses  parties  du 
talent  de  Rembrandt  :  composition , 
1 5  degrés j  dessin ,  6;  coloris,  17; 
expression,  12.  Il  le   place  ainsi, 
pour  le  coloris,  à  côtédeRubens  et 
de  Van-Dick.  Gérard-Dow ,  Flinck 
et  Eeckhoutz  furent  les  élèves  de 
Rembrandt.  Van-Vliet,  dans  le  dix- 
septième  siècle ,  et ,  de  nos  jours ,  M. 
Denon ,  sont  comptés  au  nombre  des 
graveurs  qui  ont  reproduit  le  plus 
spirituellement    sa   manière  d'em- 
ployer l'eauforte.  Un  auteur  moder- 
ne,   Sobry ,  qui  a  fait   nue   Poéti- 
que des  arts ,  dit  que  Rembrandt  est 
le  Shakspeare    de  la  peinture  ,  et 
Shakspeare  ,    le  Rembrandt   de  la 
poésie.  «  Point  de  goût  (dit-il,  en 
»  suivant  le  parallèle),  mais  tant  de 
))  vérité  !  point  de  noblesse ,  mais 
»  tant  de  vigueur!  point  de  g'âcc, 
»  mais  tant  de  coloris  !»  11  y  a  évi- 
demment entre  ces  deux   hommes 
célèbres  un  autre  rapport  non  moins 
sensible  :  c'est  que  ni  l'un  ni  l'autre 
ne  se  sont  fait  scrupule  d'introduire 
des  trivialités  jusque  dans  les  sujets 
les  plus  graves  ;  et  qu'aimant  à  tra- 
vailler   sur    des   fonds  noirs  ,    ils 


(;.)  Oïl  |.cnl  <Tiirii.l:ii.l  .■..iiMillir  le-  (  ;.,l.,l.i^iii-  ic- 
ili -.  ]i,ii-  Oi  ihaliil,  <1  \r  Sii|i|.li  imiil  .",  te  cnUlotuc  , 
l'iiLlic  j>jrl'K»it  ^vtr  il'AuJsUTiJauj. 


REM 

ont  su  en  tirer  tous  deux  de  grands 
cfîets,  qu'on  pourrait  appeler  fan- 
tasmagoriques, II  est  juste  d'ajouter 
néanmoins  que  Rembrandt  ne  s'est 
jamais  élevé'  par  la  pensée  à  toute  la 
hauteur  de  Shakspeare.  F.  P-t. 
REMER  (Jules-Auguste  ) ,  né  à 
ErunsAvick,  en  1736,  se  livra  parti- 
culièrement à  l'étude  de  l'histoire,  à 
Helmstaedt  et  Gôttingue,  et  profes- 
sa cette  science  d'abord  au  collège 
Carolin  de  Brunswick,  puis  à  l'uni- 
versité de  Heirastaedt ,  où  il  occupa 
la  chaire  d'histoire,  depuis  j  1787 
jusqu^à  sa  mort,  arrivée  le  26  août 
i8o3.  Remer  s'est  fait  un  nom  par 
des  Manuels  historiques ,  dont  l'uti- 
lité pour  l'étude  a  été  généralement 
reconnue,  et  où  l'on  trouve,  non- 
seulement  les  principaux  faits  his- 
toriques brièvement  indiqués ,  mais 
aussi  une  foule  de  renseignements 
littéraires,  archéologiques  et  géogra- 
phiques, qui  se  rapportent  à  l'his- 
toire. Celui  de  ses  ouvrages  qui  a  eu 
le  plus  de  succès,  est  son  Manuel 
deVhistoire  universelle ,  qui  parut  à 
Brunswick .  en  1 783-84 ,  3  vol.  in- 
S°. ,  consacrés  ,  le  premier  à  l'his- 
toire ancienne,  le  second  à  celle  du 
moyen  âge, et  le  troisième  à  l'histoire 
moderne.  La  quatrième  édition  vit 
le  jour  dans  les  années  i8oi-i8o3. 
Le  style  de  Remer  a  peu  de  couleurj 
et  ses  vues  ne  sont  pas  d'une  grande 
profondeur:  mais  il  choisit  judicieu- 
sement ses  matériaux,  et  les  coor- 
donne bien.  Son  livre  olFre  d'ailleurs 
l'avantage  d'indiquer  exactement,  à 
chaque  chapitre  ,  les  sources  origi- 
nales les  plus  authentiques  ,  et  les 
livres  où  l'on  peut  trouver  les  plus 
grands  développements.  Voici  ses  au- 
tres ouvrages  :  I.  Lii>re  cV enseigne- 
ment de  l'histoire  universelle,  pour 
les  académies  et  gymnases ,  Halle  , 
ï8oû  ;  continué  jusqu'en  1810,  par 


REM 


3i5 


Voîgtel ,  1 8 1 1 .  II.  Aperçu  de  la  vie 
sociale  en  Europe  jusqu'au  com- 
mencement du  seizième  siècle^ 
Brunswick,  179'-^.  11  avait  entrepris 
ce  travail  pour  une  traduction  libre 
de  l'Histoire  de  Charles  -  Quint  de 
Robertson.  III.  Archives  américai- 
nes ^  Brunswick,  1777,  3  vol.  in- 
8**.  IV.  Petite  Chronique  du  royau- 
me de  Tatoïaha,  Francfort  et  Leip- 
zig, 1777,  in-8°.  V.  Manuel  de  la 
politique  des  principaux  états  d'Eu- 
rope ,  Brunswick,  1786.  Remer  a 
continué  un  autre  Précis  histori- 
que utile  :  c'est  V Histoire  des  prin- 
cipaux événements  de  l'Europe  mo- 
derne, par  Krause,  dont  les  cinq  pre- 
miers volumes  avaient  paru  à  Halle, 
1789-98,  en  5  vol.  in -8^.  Remer 
publia  le  sixième  et  le  septième  en 
1802.  Il  a  traduit, du  français  et  de 
l'anglais,  plusieurs  ouvrages  d'his- 
toire et  de  géographie.  Il  a  rédigé  la 
Gazette  de  Brunswick  ,àe\>\x\?,  1778 
jusqu'en  1 786,  et  le  Portefeuille  his- 
torique ,  1787  et  1788.  Il  a  aussi 
coopéré  à  VAllgemeine  deutsche 
£ihlintekdc\)ms  l'j'jg.       D — g. 

REMERVILLE.    F.  Mervesin. 

REMI  (  Saint  ) ,  archevêque  de 
Reims,  et  l'apôtre  des  Français,  na- 
quit, vers  438,  de  parents  nobles  , 
qui  faisaient  leur  demeure  à  Laon  ou 
dans  les  environs  de  cette  ville.  Dès 
sa  première  jeunesse,  il  fit  de  rapi- 
des progrès  dans  les  lettres,  et  se  ren- 
dit recommandable  par  la  sainteté 
de  sa  vie.  Son  mérite  parut  uu 
motif  suffisant  pour  le  dispenser  de 
l'âge  prescrit  par  les  canons;  et,  à 
vingt-deux  ans,  il  fut  placé,  malgré 
lui  (i),  sur  le  siège  pontifical  de 
Reims.  Le  nouveau  prélat  s'occupa 
dès-lors  ,  avec  une  ardeur  incroya- 


IC9  d  lliucui^r. 


tlccius  i  ce  sont  li.«toi-> 


3i6 


REM 


Lie,  des  fondions  de  son  ministère. 
Il  priait  et  méditait;  il  éclairait  le 
peuple  confié  à  ses  soins,  Rerni  dut 
à  ses  vertus  la  faveur  de  Clovis,  dans 
îe  temps  même  que  ce  prince  piofes- 
sait  un  culte  etranj:;er  (  F.  Clovis  , 
IX,  i33).  Il  parvint  enfin,  avec  le 
secours  de  sainte  Clotilde,  à  toucher 
le  cœur  de  ce  monarque;  l'instruisit 
dos  myslèies  du  cliiislianisme,  et  le 
baptisa  ,  dans  l'e'f^lise  de  Reims  ,  la 
veille  de  Noël ,  l'an  496  (  F.  Clovis, 
IX  ,  i35  ).  Trois  mille  seigneurs 
français  suivirent  l'exemple  de  leur 
maître;  et  bientôt,  dans  toutes  les 
Gaules,  on  vit  la  croix  s'élever  sur 
les  ruines  du  paganisme. Rcmi,  pour- 
suivant son  ouvrage,  fonda  des  égli- 
ses, les  pourvut  de  pasteurs  et  de 
tous  les  objets  nécessaires  à  la  pom- 
pe du  culte  divin.  En  499,  un  sei- 
gneur français  ,  nommé  "Éuloge  ,  fut 
condamné  à  mort  et  privé  de  ses 
liieus  ,  pour  crime  de  lèze  -  majesté. 
Le  saint  pontife  obtint,  par  ses  priè- 
res, la  remise  de  la  peine  ;  et  Eulo- 
ge, reconnaissant,  voulut  le  forcer 
d'accepter  un  de  ses  domaines  (2); 
mais  Rémi  ne  consentit  à  recevoir 
celte  terre  qu'en  payant ,  pour  sa 
valeur,  cinq  mille  livres  d'argent, 
et  en  fit  don  à  sa  catbédrale.  On  ne 
voit  pas  sans  surprise,  dit  D.  Rivet,. 
quel'arcbevêquedcRcinisn'ait  assis- 
té à  aucun  des  conciles  qui  s'assem- 
blèrent si  fréquemment, desontemps, 
dans  les  Gaules.  Cependant  il  tint,  en 
517,  un  synode,  dans  lequel  il  eut  le 
bonheur  de  ramènera  la  foi  catholi- 
<]uc  un  e'vèque  arien,  qui  était  ve- 
ïHi  pour  disputer  contre  lui.  11  écri- 
^'^t ,  en  Sy.J  ,  au  pape  Hormisdas, 
pour  le  féliciter  sur  son  élection  ; 
mais  sa  Ictli  c  ne  nous  est  connue  que 


(.^  <.'<tiiil  1^1  liTicii'/'.'yjc/noi,  «ni vaut  les  «ulciiii 
'en  (,il(ia  chr.iiinnu. 


REM 

par  la  réponse  du  pontife.  Avec  l'au- 
torisation du  Saint -Siège,  il  établit 
des  évèques  à  Tournai,  Laon,  Arras, 
Terouenne  et  Cambrai,  En  53o ,  il 
consacra  saint  Mrdard,  évoque  de 
Noyon  (  Vrnez  Médard  ),  Ce  vé- 
nérable prélat  mourut ,  suivant  l'o- 
pinion  la  plus  probable,  lei3  jan- 
vier 533,  cà  l'âge  d'euviron-quatrc- 
vingt-quinzeans  ,  dont  il  avait  passe' 
plus  de  soixante- 1ix  dans  Tépiscopat. 
Ses  reliques  furent  placées,  l'an  852  , 
dans  une  église  de  Reims,  le  1*='',  oc- 
tobre ,  jour  où  l'Église  célèbre  sa  fê- 
le. Les  Normands  ayant  fait  une  ir- 
ruption eu  Champagne,  Hincmarse 
lelira  dans  Épernai,  emportant  le 
corps  de  saint  Rcmi  (  F.  Hincmau  , 
XX,  395  ),  Enfin  le  pape  Léon  L\, 
en  1099,  le  transféia  dans  l'abbaye 
qui  porte  le  nom  de  ce  glorieux  apô- 
tre*. Saint  Rémi  avait  compose  plu- 
sieurs écrits,  entre  autres,  des  Ser- 
mons, que  Sidoine  Apollinaire,  qui 
s'en  était  procuré  une  copie,  regar- 
dait comme  un  trésor  inestimable  ; 
mais  il    ne  nous   reste    de   lui  (pie 
Quatre  Lettres ,  insérées  dans  les 
divers  Eecueils  de  conciles  et  d'ac- 
tes relatifs  à  l'histoire  de  France  , 
ainsi  que  dans  Y  Histoire  de  la  mé- 
tropole de  Beiins,  par  Warlot  (  P^. 
ce  nom  ),  Les  deux  premières  sont 
adressées  à  Clovis;  dans  l'une,  saint 
Rémi  cherche  à  le  consoler  de  la 
mort  de  la  princesse  Alboflèdc  ,  sa 
sœur,  qui  n'avait  survécu  que  quel- 
ques mois  à  son  baptême.  Dans  l'au- 
tre, il  lui  donne  de  sages  avis  pour 
bien  gouverner  son  peuple.  La  troi- 
sième est  une  réponse  à  quelques  évc- 
qiies  (pii  lui  avaient  reproche  son  in- 
dulgence à  l'égard  d'un  prêtre  nom- 
mé   Claude  ,  coupable  d'une  faute 
grave  ,  et  que  saint  Rémi  s'elait  con- 
tenté d'admettre  à  la  pénitence,  au 
lieu  de  le  dégrader  :  elle  respire  U 


REM 

plus  vive  cliaritc.  Dans  la  quatriè- 
me enfin  ,  saiul  Rerni  reproche  à 
Fa'coii ,  ëvêqtie  de  Tougres ,  d'avoir 
incooiinu  les  droits  de  suii  me'tropo- 
litaiu.  Ou  a  ,  sous  le  nom  du  saint 
pre:at,  un  Testament,  par  lequel  il 
inslilue  l'Église  de  Keiius  son  beri- 
lière.  D.  Rtvet  regarde  cette  pièce 
comme  supposée;  mais  ]\Libiilon  , 
Ducaiige  et  Ccillior  en  soutiennent 
l'authenticité.  Quelques  editci.rs  at- 
tribuent à  saint  Reiui  un  Cninmen- 
taire  sur  les  Epttres  de  saint  Faut, 
publié,  dès  le  seizième  siècle,  sous 
le  nom  de  Haiaion,  èvèque  de  Hai- 
berstadt,  puis  de  Priraase,  évèquc 
en  Afrique.  Le  savant  Villalpaud  l'a 
revendiqué  pour  l'archevêque  de 
Reims,  dans l'élition  de  Rome,  i5c)8, 
in -foi.  On  l'a  donné  depuis  à  saint 
Rémi,  archevêque  de  Lyon:  mais 
on  sait  que  c'est  l'ouvrage  de  Rémi , 
moine  de  rab])aye  de  Saint  Germain 
d'Auxerre.  II  existe  un  grand  nom- 
bre de  /^i<?5  de  saint  Rcmide  Reims; 
mais  il  n'en  est  malheureusement  au- 
cune qui  puisse  satisfaire  un  lecteur 
judicieux.  Celle  qu'on  trouve  dans 
les  OEuvres  de  Fortnnat  est  abrégée 
d'une  plus  ancienne,  dont  elle  a  peut- 
êîie  causé  la  peite.  Ou  trouvera  les 
titres  de  celles  qu'ont  publiées  Kinc- 
inar,  Marlot,  Cerisiers,  le  P.  Dori- 
gny  ,  elc. ,  dans  Za  Bibliutk.  histor. 
de  France  ,1.9^1 5  29  ;  mais  on  doit 
consulter  piincipalement  ['Histoire 
littéraire  de  France^  m,  i5ji63; 
le  GalUa  chrïAiana ,  et  le  Recueil 
de  Godescard.  W — s. 

R.Bi>II  (  Saint  )  ,  archevêque  de 
Lyon  ,  était  d'origiise  giuloise,  et 
naquit  au  commencement  du  neu- 
vième siècle.  Il  ren)plissait  les  fonc- 
tions de  grand-maître  de  la  chapel- 
le (  i)  delempereur  Lothaire,  quand 

(i)  <'.eitc  cliargc,    veliiii  Du  Pcviat,  rci.ouJuit  à 
telle  de  grand  aumùuiir  de  France. 


REM  317 

ce  prince,  qui  connaissait  ses  talents 
et  sa  capacité' ,  le  chargea  d'admi- 
nistrer le  diocèse  de  Lvon  pondant 
la  vacance  du  siège.  C'était  le  dési- 
gner aux  sulTr.iges  du  clergé  et  du 
peuple  ;  au-;si  Renii  fuî-il  élu  le  suc- 
cesseur d'Ainolon  ,  en  803.  On  le 
A'it  aussitôt  s'occiqier  de  remcdier 
aiix  maux  (ji.i  désolaient  l'église  de 
France.  Il  lit  adopter,  par  le  con- 
cile de  Valence  ,   qu'il    présida   eu 
855,  les  règlements  les  plus  propres 
à  faire  cesser  les  abus  dont  il  gémis- 
sait ,  et  à  ranimer  le  goût  et  la  cul- 
ture des  lettres.  Ces  sages  mesures 
furent  confirmées  en  859,  dans  les 
conciles  de  Langres  et  de  Savoniè- 
res  ,  près  de  Toul ,   dans  lesquels  le 
saint  prélat  tint  la  première  place. 
Son  zèlepour  l'anciennedisciplineet 
pour  la  pureté  de  la  foi  ne  lui  permit 
que  très-rarement  de  se  dispenser 
d'assister  à  ces  assemblées ,  qui  fu- 
rent fréquentes  dans  ce  .siècle,  et  ou 
son  tilre  de  primat  des  Gaidcs,  ses 
talents  et  ses  vertus  lui  donnaient  une 
grande  influence  :  mais  il  n'y  parut 
le  plus  souvent  que  comme  un  sim- 
ple évêque,  et  il  refusa  l'honneur  de 
les  présider.  II  assistait,  en  87  i  ,  au 
concile  de  Douzi ,  près  de  Reims  ; 
mais  il  ne  prit  aucune  part  a.  la  con- 
damnation d'Hincmar  ,    évêque  d& 
Lion  (  r.  HiNCMAR,  XX,  395  ), 
Occupé  des  intérêts  généraux  de  l'E. 
glise  ,  Rémi  ne  négligea    pourtant 
point  ceux  de  son  diocèse.  Il  tint  , 
eu  8y3  et  8^5  ,  des  conciles  à  Chal- 
lon  ,  et  se  servit  de  la  faveur  dont 
il   jouissait  près  de  Lothaire  et  de 
Charles-le-Chauve  ,  pour  obtenir  la 
confirmation  de  divers  privilèges  ac- 
cordés à  son  église  ,  et  la  restitution 
des  biens  dont  elle  avait  été  dépouil- 
lée pendant  les  guerres.  Saint  Rémi 
mourut  le  28  octobre  875  ,  et  fut 
inhume  dans  l'église  de  Saiut-Just, 


3i8 


REM 


qu'il  avait   enrichie.   Ses   reliques 
ayant  e'té  de'couvcrtes  en  1287,  elles 
furent  transfe're'es  ,  le  16  de'cembre, 
dans  la  cathédrale.  On  trouve  le  nom 
de  ce   saint   pre'lat   dans  quelques 
martyrologes  ;  mais  il  ne  paraît  pas 
que  sa  mémoire  ait  jamais  été  hono- 
rée d'un  culte  public.  Nous  avons  de 
saint  Rémi  :  une  Réponse  aux  trois 
lettres  adressées  à  l'église  de  Lyon 
par  Hincmar,  archevêque  de  Reims, 
Pardul ,  évêque  de  Laon  ,  et  Raban 
Maur ,   touchant  la  condamnation 
de  Gotescalc.  Ce  prélat  y  soutient 
la  doctrine  de  l'église  sur  la  prédesti- 
nation ;  mais  il  blâme  les  rigueurs 
inutiles  dont  on  avait  usé  à  l'égard 
de  Gotescalc  (  V.  ce  nom ,  XVIII  , 
1 54).  Cette  réponse  a  été  publiée  par 
le  président  Mauguin  (2),  dans  la 
Bibliothèque  des  Pères  ,    avec  de 
courtes  notes  d'André  Duval  ;  elle 
est  suivie  d'un  autre  Opuscule  du 
saint  prélat ,  intitulé  :  Résolution 
d'une  certaine  question  touchant  la 
condamnation  générale  des  hom- 
mes par  Adam ,  et  la  délivrance 
spéciale  des  élus  par  J.-C.  ;  et  d'un 
troisième,  portant,  comme  les  pré- 
cédents ,    le    nom    de  Véglise  de 
Lyon  ,  et  qu'on  attribue  ,  pour  cette 
raison  ,  à  saint  Rémi  :  Qii'il  faut 
s'attacher  inviolablement  à  la  véri- 
té de  l'Ecriture  sainte ,  et  suivre 
fidèlement  l'autorité  des  Pères  de 
l'Eglise.    Ces    différents  opuscules 
sont  écrits  avec  force  et  clarté.  Ils 
ont  été  insérés  dans   le  quinzième 
volume  de  la  Bihlioth.  magna  Pa~ 
trum.  Quant  au  Commentaire  sur 
les  Epitres  de  saint  Paul ,  attribué 
par  quelques  éditeurs  ,  au  saint  ar- 


(a)  I>e  ])r('i(!d(-nt  Mnuguia  l'a  iiisi'rr'c  dans  le  i"-'. 
vol.  de  «a  Difin^e  de  la  piideslinnlion  cl  de  la 
grdcc  ,  t)u'il  |iiilili!i  nul!»  ce  lilrc  :  yelcrum  scri/ito- 
rum  r/ui  in  IX  firrnln  de  grnliâ  scrifjscre  opéra  , 
l'ari» ,  lOSo  1 1  vul.  ■u-4". 


REM 

chevcque  de  Lyon  ,  on  sait  mainte- 
nant qu'il  est  l'ouvrage  de  Rémi  , 
moine  d'Auxerrc.  On  peut  consulter, 
pour  de  pins  grands  détails,  le  Gal- 
lia  chrisiiana  ,  {'Histoire  de  Lyon- 
par  le  P.  Colonia  ,  et  V Histoire  lit- 
téraire de  France  ,  tom.  V,  449" 
Oi.  W- s. 

REMI,  en  latin  Remmius  ^ 
(Abraham),  dont  le  véritable  nom 
était  Ravaud  ,  naquit,  en  1600  ,  à 
Rerai ,  village  du  Beauvais is  ,  fut 
professeur  d'éloquence  au  Collège 
royal,  et  mourut  en  1646.  On  a  de 
lui  un  Recueil  de  poésies  latines  ,  di- 
visé en  deux  livres  ,  sous  ce  titre  : 
Abrahami  Remmii ,  eloquentiœ pro- 
fessons etpoëtœ  regiipoèmata ,  ad 
ChristianissimumregemLiidovicum 
^ir,  Paris  ,chez  J.  Libert ,  i645, 
in- 1 2.  Il  y  a  de  la  verve  ,  de  la  clar- 
té, et  une  grande  pureté  de  style.  On 
estime  surtout  la  description  du  châ- 
teau ,  des  jardins  et  du  parc  de  Mai- 
sons ,  que  le  président  René  de  Lon- 
gueil  faisait  construire  du  temps  de 
ce  poète ,  dont  les  vers  méritent  d'ê- 
tre lus  et  réimprimés.  Voy.  Goujet, 
Hist.  du  collège  rojal.       J — t. 

REMOND  (  François  )  ,  littéra- 
teur ,  né  à  Dijon  en  i558  ,  était  fils 
d'un  conseiller  au  parlement  de 
Bourgogne.  Après  avoir  achevé  ses 
premières  études ,  il  visita  l'Italie 
pour  perfectionner  ses  connaissances, 
et  reçut  le  laurierdoctoral  à  l'univer- 
sité de  Padoue.  Il  embrassa  la  règle 
de  saint  Ignace  à  Rome  ,  en  1 58o  , 
et  professa  la  phdosophie  et  la  théo- 
logie dans  différents  collèges  de  l'ins- 
titut. Le  duc  Ranucio  Farnèse,  le 
chargea  ,  en  iGoo,  de  la  direction 
des  études  à  l'académie  de  Parme  , 
nouvellement  reformée.  Quatre  ans 
après  ,  Rémond  revint  en  France  , 
et  professa  la  théologie  au  collège  de 
Bordeaux,  avec  le  plus  grand  éclata 


REM 

Il  fut  ensuite  appelé  à  Mantoue  , 
oïl  il  enseigna  dis  ans  les  lettres 
sacre'es  ,  et  ne  se  distingua  pas 
moins  par  son  e'rainente  pieté ,  que 
par  son  zèle  pour  les  progrès  de 
l'instruction.  Pendant  le  siège  de 
cette  ville ,  il  fut  atteint  de  la  fiè- 
vre contagieuse ,  qui  désolait  les 
hôpitaux,  et  mourut  ,  le  1,4  nov. 
i63i.  On  a  de  lui  :I.  Orationeswi  ; 
— Epigrammatumlihri  duo;  —  De 
dh'inis  amorihus  elegiœriii ;  — .</- 
lexiasElegicE  vu.  Ces  différents  ou- 
vrages ,  imprimés  séparément,  ont 
été  réunis  ,  Anvers  ,  i6i4  ,  et 
Rome,  1618  ,  in-  \'i.  Ces  deux 
éditions  sont  les  plus  complètes. 
U Alexiade  insérée  par  le  P.  Labbe 
dans  les  Sacranim  elegiarum  deli- 
ciœ  ,  Paris  ,  1648,  in- 1 2  ,  a  été  tra- 
duite en  français  par  Colletet  (  P^,  ce 
nom  )  ;  on  trouve  plusieurs  pièces 
du  P.  Remond  dans  le  Deliciœ  poë- 
tar.  gallonim.  II.  Panegiricœ  ora- 
tiones  xv,  desanclo  Lojold;  et  xr, 
de  sancto  Francisco  Xaverio;  Epi- 
tome  vitœ  eorum  ;  una  de  sancto 
Carolo  Bonoineo  cum  aliquot  cla- 
ronun  virorum  elogiis  ,  Plaisance , 
1626,  in  4^-  On  a  corrigé,  dans  cet 
article,  quelques  inexactitudes  écliap- 
pées  à  l'auteur  de  la  Bibliothèque  de 
Bourgogne  {  V.  Papillon  ) ,  et  mê- 
me au  P.  Sotwel ,  Bihl.  societ.  Jesu. 
W— s. 
RÉMOND  DE  SAINTE-ALRtNE 
(Pierre)  ,  littérateur,  né  à  Paris  en 
i699,ioignaitàuneinstruction  variée, 
du  goût,  et  un  esprit  d'analyse  qui  le 
rendait  très-propre  à  rédiger  un  jour- 
nal. Dès  17 18,  il  devint  un  des  col- 
laborateurs de  l'iiuro^eiafa/ite  (  V. 
Saint-Hyacintue  ) }  et  il  travailla 
depuis  ,  successivement  ,  à  la  Ga- 
zette de  France  (de  1 733  à  1 749  , 
en  1 75 1 ,  etc.) ,  et  au  Mercure ,  dont 
il  fut  quelque  temps  le  rédacteur  ea 


REM  319 

chef.  D'un  caractère  doux  et  même 
un  peu  faible  ,  il  fut  étranger  aux  in- 
trigues et  aux  querelles  des  gens 
de  lettres  ,  et  n'eut  d'autre  part  aux 
faveurs  de  la  cour  ,  que  le  titre  de 
censeur  royal ,  avec  une  modique 
pension.  Boindiu  disait  que  Rcniond 
avait  de  l'esprit  ,  quand  on  lui  en 
donnait  le  temps  :  en  c/Tct,  sa  con- 
versation n'offrait  ni  traits,  ni  saillies; 
il  s'exprimait  bien ,  mais  lentement , 
et  se  contentait  de  montrer  du  bon 
sens  et  du  jugement,  Rémond  mou- 
rut à  Paris,  le  9  octobre  1778;  il 
était  membre  de  l'académie  de  Ber- 
lin. Indépendamment  de  deux  comé- 
dies :  V Amour  au  village  ,  et  la 
Convention  téméraire  /insérées  dans 
le  Mercure  de  1749  ,  et  des  nom- 
breux articles  qu'il  a  fournis  aux 
journaux,  parmi  lesquels  on  cite  une 
Lettre  à  Desforges  Maillard  ,  sur  un 
ancien  poète  français  (  Nicolas  Fre- 
nicle  ) ,  et  une  à  JM^e.  ja  comtesse 
de  ***  sur  la  comédie  du  Méchant, 
on  a  de  lui  :  I.  Mémoire  sur  le  la- 
minage du  plomb  ,  Paris  ,  1731  , 
in-40.;  ibid.,  1746,  1748,  in-i2. 
II.  Le  Comédien,  ibid.,  1747;  se- 
conde édition  augmentée  ,  1749,  in- 
8**.  :  c'est  à  ce  livre  que  l'auteur  doit 
toute  sa  réputation  •  il  contient  des 
remai-ques  judicieuses  et  des  leçons 
pleines  de  goût  sur  la  vérité  théâ- 
trale et  sur  l'art  de  la  déclamation;  et 
on  le  lit  encore  avec  intérêt ,  même 
après  les  ouvrages  de  Riccoboni, 
d'Hannetaire  et  de  Larive.ni.^Z»re- 
gé  de  l'histoire  du  président  De 
Thou,  ibid.  ,  17^9  ,  10  vol.  in-12. 
Quoique  assez  bien  fait ,  cet  abrégé 
n'eut  pas  de  succès.  W — s. 

RÉMOND  DE  SAINT  MARD 
(Toussaint),  littérateurmédiocre,  né 
à  Paris,  en  1682,  était  frère  deMont- 
mort  de  l'académie  des  sciences, 
connu  par    son   Essai  d'analyse 


320 


REM 


{•2.)  sur  les  jeux  de  hasard  (  Foy. 
Mo>TMORT  ,  XXX ,  27  ).  D'une  san- 
té délicate ,  et  jouissant  d'une  grande 
fortune,  il  nerouliitni  se  maiicr,ni 
prendre  d'e'lat ,  et  partagea  sa  vie  en- 
tre la  cidlure  des  lettres  et  la  société 
des  beaux -esprits.  11  dut  moins  en- 
core au  régime  dout  il  vivait,  qu'à 
sou  indolence  excessive,  une  exis- 
tence longue  et  paisible ,  et  mourut  le 
28  oct.  1  n  57  .Quoiqu'il  aireclàt  de  lan- 
cer des  traits  contre  Fontcnelle,  il  n'en 
appartient  pas  moins  à  l'ecolc  de  cet 
homme  célèbre.  Ebloui  par  le  suc- 
cès éphémère  des  Dialogues  des 
morts, etdcs  Lettres galantesdu che- 
valier d'Her cesontles  modèles 

qu'il  a  choisis,  en  outrant  les  défauts , 
comme  c'est  l'usage  des  coinstes. 
Sans  goût,  sans  chaleur,  sans  ima- 
gination ,  il  n'a  guère  fait  que  revêtir 
des  idées  communes,  d'un  style  pré- 
cieuxet  maniéré,  qui  rend  insupporta- 
ble la  lecture  de  ses  ouvrages  Quel- 
ques citations  prises  au  hasard,  prou- 
veront que  ce  jugement  n'est  point 
trop  sévère.  Eu  commençant  sa  Dis- 
sertation sur  V Élégie,  il  s'adresse  à 
son  correspondant  imaginaire  :  «  Il 
faut,  dites-vous  ,  que  je  vous  parle 
de  1  Élégie.  J'y  consens.  Monsieur; 
mais  je  vous  promets  que  je  vous  en- 
nuierai. »  Dans  ses  réllexions  sur  la 
Satire,  après  avoir  placé  Régnier 
au-dessus  de  Boilcau  ,  il  ajoute  : 
a  Vous  me  direz  peut-être  que  Des- 
prérfux  est  plus  correct,  plus  élé- 
gant. Je  le  sais  bien;  mais  vous  ne 
savez  pas  que  j'aime  mieux  qu'on 
soit  naturel ,  parce  qu'il  est  fort  dif- 


fi)  Fontcnelle,  <lans  VjUnt^r   àe  Montmurt ,   dit 

Sii'il  il  .il  lil»  d'un  c;ciijer.  Suivant  Grnslpy,  le  J'i  i  e 
cRriiiMiil  .1.-  Moiilniort  elde  Ueiiioud  de  Saiiit- 
Mard,flBiirermicTgriieial,<'l  originaire  dp  Troyc». 
Il  avait  lin  tiolsii-iiii'  fil»  ,  Ri'moiid  dit  li-  Grer  ,  au- 
teur d'un  Diiilv^iir  sur  lu  Tnluiili,  qu'iib  liMiMve 
].anni  Ic5  Œtunia  <l:^rr<r<  d'IlHioiltoii  (  Vny.l'/viri- 
meii  rrilir/ue  des  dtcliunnaircs  ,  \>ai  M.  Uarbier  , 
art.  lléloiic  ). 


REM 

fîcileà  l'élégant  d'être  naturel.  »  11 
cite,  on  ne  sait  pourquoi ,  dans  ses 
Réflexions  sur  V  Ode  ^  le  beau  vers 
de  Corneille ,  dans  Surena  : 

Nuu  ,  je  ne  pleure  ]>as  ,  Ma^lane  ,  mais  je  meurs. 

Cela  est  d'un  grau  1  beau,  Hit-il;  et  voi- 
là ce  que  j'appelle  du  neuf  en  grand  ; 
et  plus  loin  :    «   Examinez  bien    le 
mui  de  iMédée,  tournez  le  de  tous  les 
côtés  ,  vous  le  trouverez  de  la  même 
nature  que  les  autres  traits  de  subli- 
me que  vous  connaissez.  »  Rémond 
de  S.iint-Mard  convient  que  le  subli- 
me va  à  merveille  à  quantité  de  mor- 
ceaux répandus  dans  l'Histoire  uni- 
verselle de   Bossuet  :    cependant  il 
n'est  pas  content  de  l'ouvrage;  et  si 
quelqu'un  avait  voulu  le  refaire,  il 
lui  aurait  donné  de  bons  avis.  Ail- 
leurs il  compare  l'imagination  à  un 
tamis.  ...  Il  veut  que  la  chanson 
<7isZi7Ze  la  joie  ,  etc.   Ces  citations, 
qu'on  pourraitfaciicment multiplier, 
doivent  sufiire  pour  donner  une  idée 
du  genre  d'esprit  et  du  style  de  cet 
auteur.  On  a  de  lui  :  I.  Nouveaux 
Dialogues  des  dieux  ,  avec  un  dis- 
cours sur  la  nature  du  dialogue,  et 
des  éclaircissements  ,  Paris  ,    17  i  i  ; 
nouvelle  édit.,  publiée  par  Jean  Le- 
clerc,  Amsterdam,  171  i  ,  ou  sous 
la  rubrique  de  Cologne  ,  P.  Marteau, 
1 7  1 3  ,  in- 12.  L'abbé  Sabatier  trou- 
ve qu'ils  sont  pleins  de  délicatesse  et 
de  gaîté,  dans  le  goût  de  Lucien  (F", 
les  Trois  siècles  de  la  littérature  ). 
Dans  le  premier  dialogue  ,  rvimoi^r 
dit  à  Plutus  :  «  Ce  doit  cire  une  jolie 
condition  que  la  vôtre;  »  et  Plutus 
lui  réj)ond  :  «  Ou  se  figure  que  pour 
faire  un   usage  agréable  de  mes  ri- 
chesses ,  il  est    nécessaire  que  j'en 
fasse  part  aux  autres.  «Dans  un  au- 
tre  dialotrue,    llercide  dit  à  Mor- 
phée  :  «  11  est  vrai,  j  étais  assez  ni'c- 
chanl  quand  je  m'y  mclt.iis.  »  Certes 
ce  n'est  point  là  le  style  de  Lucien  , 


REM 

ni  même  de  Fonteiicllo.  II.  La  Sa- 
gesse, poème,   1712;  cette  petite 
pièce,  d'environ  cent  vers,  a  c'te'  in- 
se'rcc  dans   trois  ou  quatre  recueils 
sous  le  nom  de  La  Faro.  «  Je  l'ai  re- 
vendique'e,  dit  Saint-Mard ,  toutes 
réflexions  faites.  Ou    tient  au   peu 
qu'on  a  quand  on  n'est  pas  riche.  » 
On  y  trouve  quelques  vers  heureux. 
Toutes  les  idées  en  «sont  empruntées 
aux  anciens  poètes.  C'est  un  disci- 
ple d'Épicure  qui  parle;  mais  il  faut 
être    bien  morose    pour  dire  avec 
Fellcr,  que  ce  poème,  fruit  d'une  phi- 
losophie très-corrom  pue,  devrait  être 
intitule'  :  la  Démence  (  Voy.  le  Dict. 
hisloriq.  de  Fellcr  ).    III.   Lettres 
calantes  et  philosophiques  de  31""'. 
de  ***  ,  suivies  de  son  histoire ,  Pa- 
ris ,  1721  ,  in- ri;  1737.  Dans   un 
avertissement  que  l'auteur  écrivit  à 
l'âge  de  soixante-dix  ans ,  il  ne  trou- 
ve qu'un  seul  défaut  k  ces  lettres  : 
«  Elles  ont  trop  d- éclat ,  dit-il ,  mais 
que  voulez-vous?  on  n'est  pas  jeune 
impunément ,  et  je  l'étais  quand  je 
les  composai.  »  L'abbé  Sabalier  pen- 
se que  l'auteur  aurait  mieux  fait  de 
composer  tout  bonnement  des  trai- 
tés ,  que  d'imaginer  un  commerce 
chimérique,  dont  le  lecteur  n'est  ja- 
mais la  dupe.  IV.  Examen  philoso- 
phique de  la  poésie   en  général , 
i72(),  in -12.  Cette  Dissertation  de 
vait  faire  partie  d'une  Poélique  d'un 
goût  nouveau  ,  où  l'auteur  promet- 
tait de  monircr  la  source  du  plaisir 
que  donne  chaque  espèce  de  poésie. 
(  V^oy.  le  Journal  des  savants,  1 729, 
p.  197   et  suiv.  )  V.  RéJIexions  sur 
la  poésie  en  général,  sur  l'églogue, 
la  fable  ,  V élégie  ,  la  satire,  l'ode , 
le  sonnet ,  et  tous  les  petits  poèmes, 
avec  des  Lettres  sur  la   naissance, 
les  progrès  et  la  décadence  du  goût, 
ibid.,  1729,  1733,  in- 1*2.  Uéiuond 
de  Saint-Mard  attribue  la  dctadoncc 


REM 


321 


de  goût  en  Fralice,  à  la  folle  envie 
de  briller,  cala  satiété  de  bonnes 
choses,  à  Fontcnelle,  dont  il  expli- 
que en  gros  la  mécanique  de  stvle  ,  à 
La  Motte  ,  et  enfin  au  système  de 
Law.  VI.  Réflexions  sur  l'opéra  , 
ibid.,  174',  iu-i2.  C'est  une  apolo- 
gie de  ce  spectacle.  Les  OFMvres  de 
Rémond  de  Saint-Mard  ont  été  pu- 
bliées à  la  Haye  (Paris),  174 2,  3 
vol.  in-i2,et  i7âi,  5  vol.  in-12. 
Cette  dernière  édition  est  augmentée 
de  pièces  de  vers,  de  lettres  et  de 
dissertations,  mais  n'offre  pas  plus 
d'intérêt  que  la  précédente.    W — s. 

RÉMOAD.  Foj.  MONTMORT 
et  R^ISIOND. 

REMONDINI  (Balthasab-Ma- 
rie)  ,  prélat  italien,  naquit  en  1698,  à 
Bassano,  d'une  famille  patricienne  et 
qui  remplissait  les  premières  char- 
ges de  la  magistrature.  Après  avoir 
achevé  ses  études  au  séminaire  de 
Padoue ,  il  suivit  les  cours  de  l'uni- 
versité de  cette  ville  ,  où  il  prit  ses 
degrés  eu  droit  civil  et  canonique  , 
et  reçut  le  laurier  doctoral.  Le 
hasard  l'ayant  conduit  à  Vicence  , 
il  se  chargea  d'y  enseigner  gratuite- 
ment la  rhétorique  au  séminaire  épis- 
copal ,  dont  les  revenus  étaient  in- 
suffisants pour  payer  des  profes- 
seurs. 11  reçut  les  ordres  en  1719, 
et  revint  à  Bassano ,  où  il  dicta , 
pendant  quelque  temps,  un  cours 
de  théologie  aux  jeunes  clercs.  Dé- 
sirant se  perfectionner  dans  la  con- 
naissance des  langues  orientales  et 
de  l'antiquité  ,  il  se  rendit  à  Rome  , 
et  s'y  produisit  bientôt  d'une  maniè- 
re avantageuse.  Clément  XII  le  re- 
vêtit, en  1736,  de  la  dignité  d'é- 
vêquc  de  Zante  et  de  Céphalonie  :  le 
prélat  s'occupa  d'abord  de  reparer 
suu  église  cathédrale,  que  des  trem- 
blements de  terre  avaient  presqu'cn- 
tlèremcnt  renversée  ,  l'enrichit   de 


3'î'i 


KÉM 


vases  et  d'ornements  précieux  ,  et  y 
ramena  les  clianoincs  qui  s'étaient 
dispersés.  Il  établit  à  Zautc  nu  sémi- 
naire à  ses  frais,  et  y  fonda  >in  certain 
nombre  de  bourses  en  faveur  des  jeu- 
nes -  gens  sans  fortune  qui  se  desti- 
naient à  l'état  ecclésiastique.  Dans 
les  visités  fréquentes  qu'il  faisait  de 
son  diocèse  ,  il  travaillait  sans  re- 
lâche à  détruire  les  abus  intro- 
duits par  l'ignorance  et  le  rclâclir- 
raent  ,  et  rappelait  les  pasteurs  à 
l'ancienne  discipline.  En  1747  H  fît 
ini  second  voyage  à  Rome  ;  et  le  pa- 
pe Benoît  XI V ,  pour  le  récompenser 
du  zèle  qu'il  avait  montré,  voulut  lui 
donner  un  des  plus  richesévêchés  des 
états  romains;  mais  Remondini  refusa 
cette  faveur  par  attacliement  ponr 
le  tronpean  qne  la  Providence  lui 
avait  confié;  et  après  avoir  pas- 
sé quelques  jours  au  milien  de  sa 
famille  qn'il  ne  devait  plus  revoir,  il 
retourna  dans  l'île  de  Zanle.  Le  ver- 
tueux prélat  continua  de  gouverner 
son  diocèse  avec  beaucoup  de  sa- 
gesse, et  mourut  presque  octogénai- 
re ,  le  5  ocîobre  1777.  Malgré  les 
devoirs  q>>e  lui  imposait  sa  dignité, 
Remondini  n'avait  pas  cessé  de  cul- 
tivcrlcs  Icllres,  etde  se  livrer  aux  re- 
cberclieshistoriques.il  possédait  une 
colleclion  précieuse  de  manuscrits 
grecs,  dont  il  légua  plusieurs  à  la  bi- 
bliollièipic  Valicane.  Oatredes  Man- 
deinenls  et  des  Lettres  pastorales, 
on  a  de  lui  :  I.  À\  Marci  monachi , 
qui  sœculo  (juinto  floruit ,  sennones 
de  jejunio  et  de  Melchisedech ,  qui 
deperditi  pulabantur  ,  mine  pri- 
màm  cum  latind  inlerpretatione 
prdnli,  Rome,  i74'>,  in  8°.  La 
plupart  des  bibliographes  ecclé- 
siaslicpics  ont  confondu  cet  écri- 
vain avec  nu  autre  Marc,  cité  par 
Zonarcis,  et  rjui  vivait  au  dixième 
siècle.    Le  savant  éditeur  a  revu  le 


REM 

texte  grec  sur  de  bons  manuscrits  , 
et  a  joint  à  sa  Version  latine  des 
notes  pleines  d'intérêt.  II.  De  Za- 
cyntld  aniiqidtalibus  et  forlund 
comment arius ,  Venise,  i75G,in-8^. 
('ette  Dissertation  est  trcs-estiraée. 
L'auteur  se  proposait  d'écrire  V His- 
toire de  l'île  de  Zante,  et  il  avait  re- 
cueilli dans  ce  but  de  nombreux  ma- 
tériaux ;  mais  il*  n'eut  pas  le  loisir 
d'exécuter  son  projet  :  il  a  laissé 
plusieurs  ouvrages  en  manusciit  , 
parmi  lesquels  on  cite  une  Traduc- 
tion ,  du  syriaque  en  latin  ,  des  flo- 
mélies  de  St.  Isaac  le  Syrien ,  évè- 
que  deNinive  au  cinquième  siècle. — 
Jean-Etienne  Remondini  ,  religieux 
somasque, d'une  famille  napolitaine, 
originafre  de  Padoue,  est  connu  par 
une  savante  Histoire  de  l'Eglise  de 
Noia  en  Campanie  (  Délia  Nolana 
eccle.siastica  istoria,  Ndples,  1  747- 
5l-57  ,  3  vol.  in-fol.)  Le  deuxième 
volume  contient  une  élégante  Tra- 
duction, en  vers  et  en  prose,  de  tou- 
tes les  OEuvres  de  saint  Paulin.  Be- 
noît XIV  avait  beaucoup  d'estime 
pour  le  P.  Remondini.         W — s. 

REMUSAT  (  Pierre -François 
DE  ) ,  né  en  Provence  ,  d'une  famille 
noble,  le  4  octobre  1755  ,  avait  oc- 
cupé des  places  administratives  dans 
plusieurs  liospiccsde  Marseille,  lors- 
que ,  pour  échapper  aux  oragesdela 
révolution  ,il  alla  se  réfugier  à  Smyr- 
ne  en  i7()2.  Il  ne  revint  cpi'en  i7<)5, 
et  fut  nommé  député  au  Conseil  des 
anciens  en  l'an  v  (  1797  ).  Il  y  sié- 
gea du  1*^'.  prairial  au  17  fructidor. 
Le  18  fructidor,  son  élection  fut  dé- 
clarée nulle  :  Remusnt  ne  fut  pas  du 
nombre  des  proscrits  dans  celle  jour- 
née ;  mais  il  fut  arrêté  le  10  octobre 
1  797  ,  et,  peu  de  jours  après,  conduit 
au  Temple,  où  il  resta  vingt -deux 
mois,  H  y  contracta  une  maladie  de 
foie  ,  qui  le  conduisit  lentement  au 


REM 

tombeau  ;  il  mourut  à  Marseille  le 
7  février  i8o3.0na  imprime',  après 
sa  mort ,  ses  Poésies  dii'erses  ,  sui- 
vies du  Comte  de  San  frein ,  ou 
l'Homme  pen>ers  ,  comédie  en  3 
actes  et  en  vers ,  et  d'iui  Mémoire 
sur  sa  détention  à  la  prison  du 
Temple,  1817,  in-S».  On  trouve 
un  curieux  extrait  de  ce  livre  dans  la 
Quotidienne  ,  du  i4  octobre  1817. 
A.  B— T. 
RENARD  (Simon),  négociateur, 
naquit  à  Vesoul  ,  au  commence- 
ment du  seizième  siècle.  Ayant  ter- 
mine' ses  e'tudes  à  l'université  de 
Dole,  il  prit  ses  degrés  en  droit,  et 
fut  pourvu,  bientôt  après,  de  la  cliar- 
ge  de  lieutenant-général  au  bailliage 
d'Amont  (i).  Son  mérite  et  sa  capa- 
cité' le  firent  connaître  du  cliancelier 
Perrenot  de  Grauvelle  ,  et  de  son 
fils  l'ëvèque  d'Arias,  devenu  célèbre 
sous  le  nom  de  cardinal  de  Granvelle. 
Par  leur  protection  ,  il  obtint  une 
place  de  maître  des  requêtes  au  con- 
seil de  Flandre  ,  et  parvint  rapide- 
ment aux  premiers  emplois.  Nommé 
d'abord  ambassadeur  en  France  ,  il 
fut  ensuite  envoyé  à  Londies  pour 
conclure  le  mariage  de  l'infant  don 
Philippe  avec  IMarie  ,  reine  d'An- 
gleterre. Renard  montra  beaucoup 
d'iiabilclé  dans  cette  négociation  ,  et 
triompha  de  tous  les  obstacles  qui 
s'opposaient  à  une  alliance  vivement 
désirée  par  l'évêque  d'Arras  ,  et  que 
la  France  ne  voyait  pas  sans  inquié- 
tude. Depuis  il  fut  employé  dans 
diverses  affaires  importantes  ,  et  eut 
part  au  traité  de  Vaucclles  (  i55G) , 
dont  les  conditions  furent  jugées  rui- 
neuses pour  l'Espagne.  Renard  ,  dans 
cette  circonstance  ,  s'é;ait  écarté  des 
ordres  qu'il  avait  reçus  de  sa  cour; 


_  (i  ^  Lu  iKilIll^ise  <r  Ainout  c.iiposalL  l.i  j...!  Ilu  .le  la 
l'rauclif-C^oir.tu  <iiii  turiuc  aujourd'hui  le  ilipai  te- 
uieal  Je  la  U.iule-Saoue. 


REN  323 

et  le  roi  Philippe  II  lui  en  témoigna 
son  mécontentement.  Persuade  que 
Granvelle  l'avait  desservi ,  Renard 
s'unit  aux  ennemis  de  ce  ministre,  et 
vint  <à  bout  de  soulever  contre  lui  la 
noblesse  de  Flandre.  II  se  permit, 
à  l'égard  de  son  bienfaiteur,  les  rail- 
leries les  plus  indécentes  (2),  et  finit 
par  pousser  les  mécontents  à  le  dé- 
nonce,^ au  roi,  comme  l'auteur  des 
troubles  des  Pays-Bas.  Granvelle  fei- 
gnit long-temps  d'ignorer  les  menées 
de  Renard  ,•  enfin  ne  pouvant  plus  se 
les  dissimuler  ,  il  se  contenta  de  lui 
écrire  pour  se  plaindre  de  son  ingra- 
titude :  «  Ne  vous  souvenez  -  vous 
plus  ,  lui  mandait  il  ,  que  c'est  moi 
qui  vous  ai  toujours  soutenu  ,  dé- 
fendu et  protégé  partout?  . . .  Est-ce 
ainsi  que  vous  reconnaissez  mes  bon- 
tés ,  et  que  vous  récompensez  mon 
amitié  ?  .  .  . .  Pensez  à  vous-même , 
et  je  serai  toujours  prêt  à  vous  ser- 
vir (3).  »  Loin  de  profiler  de  ces 
sages  conseils  ,  et  de  reconnaître  ses 
torts  ,  Renard  se  fldtta  qu'aidé  par  le 
prince  d'Orange  et  par  le  comte 
d'Egmond  ,  il  viendrait  à  bout  de 
faire  renvoyer  le  cardinal,  et  peut- 
être  de  lui  succéder  dans  l'adminis- 
tration des  Pays-Bas.  Granvelle  per- 
dit enfin  patience  ,  et  crut  devoir 
punir  un  ingrat.  Un  des  domestiques 
de  Renard  ,  convaincu  d'avoir  vendu 
les  secrets  de  l'État,  avait  été  con- 
damné à  mort  par  le  parlement  de 

(2)  An  baptême  du  fils  du  comte  de  Mansfield, 
oulituueniascMiade  daus  laquelle  iinhumme  LabiJiJ 
en  caidinalctait  chasse  )>aruii  clialjleavcc  desqueues 
de  Renard.  Granvelle,  dit  l'ijihé  Boisot ,  oe  fit 
qu'eu  rire;  mais  le  roi  u"y  ent,ndit  })oint  raillerie. 

(3)  Celle  lettre,  qui  i)rouve  et  la  mu-Jeration  du 
cardinal  cl  son  allarlcmcnt  sine  ère  pour  Renard  est 
imprimée  dans  les  Mcmoiies  paru  seivirà  L'Iiiiioi,^ 
lU  OrrwvsUe,  par  Lcvesque  ,  I,  327.  L'abhé  lioi- 
sot  en  a  publié  une  autre,  dans  I.iquelle  le  cardinal 
oflVe  de  l'argent  à  Renard  :  «  Vous  me  le  pr)urrei 
r.ndre,  lui  dit-il,  après,  avec  votre  commodité,  on 
je  le  recpuirerai  avec  le  temps  ,  .sur  vos  gages  d'Es- 
pagne :  carje  désire  <(iie  vous  soyez  accommodé  et 
VOLS  pousser  tout  outre  le  plus  que  je  pourrai.  »  ' 

UI.. 


3'i4  REN 

Dole.    Dans  ses  interrogatoires  ,  il 
avait  laissé  échapper  quelques  mots 
qui    pouvaient    compromettre    son 
maître ,    mais    qu'on   avait   nép,ligé 
d'éclaircir.  Le  cardinal  fit  recher- 
clier  les  pièces  ,  et  parla  au  conseil 
des  cliarp;esqai  existaient  contre  Re- 
nard. Celui-ci  se  plaignit  qu'on  vou- 
lût faire  suspecter  sa  fidélité  ,  de- 
manda  des  commissaires    pour   le 
juger  ,  et  déclara  qu'il  ne  rentrerait 
point  au  conseil  avant  qu'on  lui  eût 
rendu  justice.  L'emportement  qu'il 
mit  dans  ses  plaintes ,  déplut  à  la 
cour  ;  et  il  reçut  l'ordre  d'aller  ser- 
vir dans  le  comté  de   Bourgogne. 
Renard  refusa  d'obéir ,   prétextant 
que  sa  santé  ne  lui  permettait  pas  de 
supporter  les  fatigues  d'un  si  long 
voyage  :    mais  voyant  que  les  sei- 
gneurs   flamands    n'osaient   pas   le 
soutenir  hautement ,  il  prit  le  parti 
d'aller  en  Espagne ,  où  il  espérait 
trouver  des  amis  plus  capables  de 
servir   sa   haine    contre   Granvelle. 
Avant  son  départ ,  il  avait  eu  l'im- 
prudence d'adresser  au  roi ,  Philippe 
IT  ,  une  requête  par  laquelle  il  lui 
reprochait   de   laisser  ses   services 
sans  lécompcnse  ,  et  qu'il  terminait 
rn  donnant  la  démission  de  sa  charge 
de  consciller-d'état,  demandant,  pour 
toute  grâce  ,  d'être  payé  de  ses  ap- 
pointeiïicnts  arriérés.  Le  roi  ,  cho- 
qué de  cette  requête ,  le  reçut  irès- 
froidemcnt ,  et ,  après  une  courte  au- 
dience ,  le  congétlia.  Renard  languit 
plusieurs  années  à  Madrid  ,  dans  la 
misère ,    et    y   mourut ,   dit  l'abbé 
Bûisol,de  chagrin  ou  aulrement{^), 


(/|)  I/al)bi!  Boisot  veut  saii.s  iloiiic  Oilir  n  Iciidre 
ijuc  RoiiHrd  étiàit  ,ioui)fout>ii  d'avoir  Irrmlni-  lui- 
incniti  tc»)in)rs  :  le  bruit  m  courut  rlnnssii  province; 
xiioifi  il  ne  s*c«l  lias  confirme.  Ou  n'a  }>as  manqué 
d'nrciucrlc  rardmnl  de  (Ir.invelle ,  d'nviir  f;iit  os- 
(aasiner  Btnard  ;  mais,  au  ciiutrairc,  il  donna  des 
l.'iriiies  ^  sa  nioil,  et  s'nnpie.ssa  d'ufiVir  &os  âirvîce.s 
'i  5a  vcuTc  cl  à  «f»  enfinls. 


REN 

le  8  août  1575.  (  Voy.  Projet  de 
la  Vie  du  cardinal  de  Granvelle  ^ 
pag.  106  ).  L'écrivain  qu'on  vient 
de  citer  ,  fait  ainsi  le  portrait  de  ce 
négociateur  :  «  C'était  un  homme 
fort  habile,  ardent ,  beau  parleur, 
mais  railleur  et  turbulent.  »  Les  Am- 
bassades de  Renard  ,  3  volumes  in- 
fol.  ,  font  partie  de  la  collection  des 
Mémoires  du  card.  de  Granvelle , 
conservés  dans  la  bibliothèque  de 
Besançon.  W — s. 

RENAKD  (  Jean-Augustin  )  , 
architecte  ,   naquit  à  Paris  ,  le  'xH 
août  i744-I^^sli"6  d'abord  à  la  pein- 
ture, il  fut  placé  sous  la  direction 
de  Halle,  peintre  de  l'académie:  mal- 
gré ses  progrès  dans  cet  art ,  il  ne 
put  résister  à   la  passion  qui  l'en- 
traînaitvers  l'architecture.  Admis  au 
nombre  des  élèves  du  professeur  Le 
Roi,  il  ne  tarda  ])as  à  concourir  pour 
le  grand  prix  d'architecture,  qu'il 
remporta  en  1778.  Arrivé  à  Rome, 
il  se  mit  à  dessiner ,  avec  un  tel  suc- 
cès, les  monuments  et  les  antiques  , 
qui    se    rencontrent  à  chaque  pas 
dans  cette  terre  classique  ,  que  l'ab- 
bé de  Saint-Non  ,  qui   s'occupait 
alors  de  sa  belle  édition  du  Voyage 
pittoresque  d'Italie  ,  le  choisit  pour 
l'un  de  ses  collaborateurs.  Un  nom.bre 
considérable  de  gravures  de  cette 
belle  collection ,  exécutées  d'après 
les  dessins  de  Renard,  suffirait  pour 
assurer    la    réputation  de    cet    ar- 
tiste. De  retour  en  France,  il  fut 
nommé  ,  en  1 784  ,  à  la  jilacc  d'ins- 
pecteur des  bâtiments  du  roi ,  et , 
l'année  suivante  ,  à  celle  d'adjoint  à 
l'inspection  des  carrières  ,  dont  son 
beau-père ,  Guillaumot  ,  était  titu- 
laire :  enfin  ,  en  179'-»,  l'académie 
d'architecture,  peu  de  temps  avant 
sa  destruction ,  lui  ouvrit  ses  portes. 
La  révolution  lui  ayant  ravi  ses  pla- 
ces ,  il  en  obtint  d'autres  des  non- 


REN 

veaux  gouvernements ,  et  fut  nommé 
successivement  architecte  du  dëpar 
temeutde  la  Seine ,  l'un  des  trois  ins- 
pecteurs de  la  grande  voirie,  et  mem- 
bre du  comité'  de  consultation  des 
bâtiments  impe'riaux.  Ce  fut  au  mi- 
lieu des  occupations  que  lui  don- 
naient toutes  ces  places  ,  et  l'exccu- 
tionde  diftërciits  projets  dont  il  était 
chargé,  qu'une  maladie  aiguë  vint 
terminer  sa  carrière ,  le  24  jan- 
vier 1807.  Parmi  les  diffërents  tra- 
vaux de  cet  artiste  ,  on  distingue 
les  deux  grandes  écuries  que  Louis 
XVI  a  faitbàfir  à  Sèvres  et  à  Saint- 
Germain-en-Laie  ,  et  le  comble  vitré 
du  salon  d'exposition  au  Louvre  , 
qui  est  un  chef-d'œuvre  dans  son 
genre.  Renard  a  décoré  aussi  les  ap- 
partements de  l'hôtel  d'Orsav  ,  rue 
de  Varenne  ;  ceux  du  prince  de  Bë- 
uëvént ,  rue  d'Anjou.  Il  a  cous'ruit , 
rue  du  Bac,  une  galerie  à  l'hôtel 
qui  était  alors  celui  des  relations  ex- 
térieures. Le  château  de  Vaiençay 
Ini  doit  son  embellissement  el  un  ac- 
croissement considérable.  En  géné- 
ral ,  cet  artiste  avait  un  talent  et  un 
goût  particulier  pour  les  décorations 
intérieures  ;  et  tout  ce  qu'il  a  exé- 
cuté en  ce  genre,  porte  le  cachet  de 
son  auteur.  P — e. 

RENAU  D'ELIÇAGARAY  (Ber- 
nard ),  célèbre  marin,  naquit  dans 
le  Bëarn,  en  i652,  d'une  famille 
noble,  mais  peu  favorisée  de  la  for- 
tune. Il  entra  fort  jeune  chez  Colbert 
de  Terron  ,  intendant  de  Rochefort , 
qui  le  traita  comme  son  propre  fils,  et 
lui  conseilla  d'apprendre  les  mathé- 
matiques; science  dans  laquelle  Re- 
nan fit  dcgrandsprogrès  ,  moins  par 
la  lecture quepar  la  méditation.  Il  étu- 
dia la  philosophie  dans  la  Recher- 
che de  la  vérilé  j  et  devint  l'ami  du 
P.  Malebranchc,  dont  il  s'honora 
toute  sa  vie  d'être  le  disciple.  Sur  la 


REN  325 

recommandation  de  Colbert  de  Ter- 
ron ,  Scignelay  lui  fit  obtenir,  en 
1679,  une  place  près  du  comte  de 
Vermandois  ,  amiral  de  France , 
avec  un  traitement  de  mille  écus.  Il 
assista  ,  la  même  année ,  aux  confé- 
rences dans  lesquelles  furent  discu- 
tés les  différenls  projets  pour  perfec- 
tionner la  construction  des  vaisseaux: 
il  y  développa  sa  méthode  ,  qneDu- 
quesue  fit  adopter  en  sacrifiant  ses 
vues  à  l'intérêt  de  l'état  {F.  Duques- 
NE,  XII ,  33 1  ) ,  et  il  fut  chargé  de  la 
mettre  en  pratique  dans  les  ports,  où, 
par  ses  soins  ,  se  formèrent  bientôt 
un  grand  nombre  d'habiles  construc- 
teurs. En  1680,  les  Algériens  ayant 
déclaré  la  guerre  à  la  France,  Renan 
proposa  de  bombarder  Alger;  et, 
malgré  l'opposition  que  cette  idée 
trouva  dlis  le  conseil ,  le  roi  lui  don- 
na Tordre  de  faire  constiuire  cinq 
galiotes  à  bombes,  deux  à  Dunker- 
que  et  trois  au  Havre.  S'ëtant  em- 
barqué sur  un  de  ces  nouveaux  bâti- 
ments pour  aller  rejoindre  le  restt 
de  la  flotille  à  Dunkerque,  il  fut  ac- 
cueilli par  un  coup  de  vent  des  plus 
furieux  ,  qui  rompit  les  digues  de  la 
Hollande ,  et  submergea  quatre  vingt- 
dix  vaisseaux  le  long  de  la  côte  :  ce- 
pendant la  galiote,  cent  fois  abîmée, 
échappa  contre  toute  apparence  sur 
les  bancs  de  !•  lessingue ,  et  parvint  à 
sa  destination.  11  se  transporta  ensui- 
te devant  Alger,  triompha,  par  sou 
couiage,de  tous  les  obstacles  ,  et  im- 
posa silence  aux  envieux ,  qui  fini- 
rent par  reconnaître  qu'on  lui  devait 
la  prompte  soumission  des  Algé- 
riens. Après  la  mort  du  comte  de 
Vermandois,  Renau  se  crut  dégagé 
de  la  marine,  et  alla  joindre  Vauban, 
en  Flandre;  mais  il  fut  bientôt  rap- 
pelé par  Seignelay,  qui  devait  com- 
inaiuler  rex.pëdiliou   contre  Gènes 

(  F.    COLJJEUT  DE    SeKIINELAY,  IX, 


326 


REN 


225  ).  Dès  qu'elle  fut  lerminde  ,  il 
parût  pour  la  Catalogne,  où  il  prit 
Cadequiers  ou  quatre  jours  ;  de  là  il 
retourna  près  de  Vauban  ,  occupe' 
de  fortifier  les  frontières  de  Flandre 
et  d'Allemagne.  Il  le  suivit, en  i6S8, 
devant  Phiiisbourg,  dont  Vauban 
devait  faire  le  siège;  mais  le  roi  lui 
ayant  défendu  de  s'exposer ,  Renau 
en  eut  seul  la  conduite,  et  prit  dans 
la  même  campagne  Manhcim  et 
Frankendal.  La  France  allait  êlre  en- 
gagée dans  une  guerre  contre  toute 
TEiirope:  Renau  soutint  seul  la  pos- 
sibilité' de  résister  sur  mer  aux  for- 
ces reunies  de  l'Angleterre  et  de  la 
Hollande ,  et  fît  agrc'er  ses  plans  par 
le  roi ,  qui  le  récompensa  de  ses  ser- 
vices par  le  brevet  de  capitaine  de 
vaisseau  et  la  placft  d'ias|iectenr- 
gcndral  de  la  marine,  aWc  douze 
mille  livres  de  pension.  La  mort  de 
Seignelay  faillit  rendre  inutile  la 
bonne  volonté  du  roi.  N'étant  pas 
connu  du  nouveau  minisire  delà  ma- 
ftne  (  Pontcbartrain  ),  Renau  quitta 
Paris,  sans  lui  demander  même  une 
audience ,  et  s'empressa  de  retourner 
servir  avec  Vauban,  qu'il  regardait 
moins  comme  son  chef  que  comme 
un  ami.  Mais  le  roi,  ayant  voulu 
examiner  les  projets  pour  la  campa- 
gne de  169J,  demanda  celui  de  Re- 
nan, le  fit  cherclicr,  et  lui  dit  que 
son  intention  était  qu'il  continuât  de 
servir  dans  la  marine;  ce  qui  ne 
rempcchcrait  pas  de  servir  aussi  sur 
terre.  II  arcompagna  Loin's  XIV  au 
sie'gc  de  Mons,  et  de  là  se  rendit  à 
Brest,  pour  expliquer  les  noiiveilcs 
manœuvres  aux  officiers  de  marine: 
ceux-ci  refusèrent  d'obéir  à  l'inspec- 
Jcur;  et,  malgré  les  prières  de  Re- 
nau, le  ministre  se  crut  obligé  de 
casser  «.'eux  olhciers,  pour  prévenir 
les  suites  de  cette  insubordination. 
De  Brest,  Renau  vint  devant  Namiu-, 


REN 

que  le  roi  assie'geait  en  personne  ;  el 
il  courut  ensuite,  à  Saiut-Malo, sau- 
ver cette  \ille  et  trente  vaisseaux 
échappés  du  combat  de  la  Hogue  (  F. 
Toup.viLLE  ).  Ayant  monté,  pour 
l'essayer,  un  vaisseau  construit  d'a- 
près ses  plans,  il  s'empara  d'un  bâ- 
timent anglais  de  soisatitc-seize  ca- 
nons, sur  lequel  il  trouva  des  dia- 
mants pour  plus  de  quatre  millions; 
et  quoiqu'ils  lui  appartinssent  d'a- 
])rès  l'usage  établi  dans  la  marine ,  il 
s'empressadeles  remettre auroi,  qui 
le  força  d'accepter,  comme  une  légè- 
re gratification  ,  ime  rente  de  neuf 
mille  livres  sur  l'hôtel  de  ville  de  Pa- 
ris. Sur  le  même  bâtiment  était  une 
nièce  de  l'archevêque  as;  Canter- 
bury.  Cotte  dame  avait  tout  perdu 
]iar  le  pi'Iage  du  vaisseau  ;  Renau 
se  crut  oblige  de  pourvoir  à  ses  be- 
soins, tant  qu'elle  fut  prisonnière: 
il  on  usa  de  même  à  l'égard  du  capi- 
taine; et  il  lui  en  coûta  plus  de  vingt 
mille  livres  pour  les  avoir  pris.  Il  fit 
un  voyage  en  Amérique,  pour  l'exé- 
cution d'un  grand  dessein  qu'il  avait 
formé:  mais  la  peste  le  contraignit 
de  levenir  ,  en  1697;  et  après  la 
paix  de  Ryswick,  il  y  retourna  pour 
mettre  en  sûreté  les  colonies  fran- 
çaises. Philippe  V,  à  peine  arrivé  à 
Madrid,  demanda  Renau  pour  visi- 
ter les  principales  villes  d'Espagne, 
et  en  réparer  les  fortifications  ,  rui- 
nées par  la  négligence  du  gouverne- 
ment, lienau  s'empressa  d'accéder  à 
colle  invitation  ;  mais  ne  pouvant  ob- 
tenir les  fonds  qu'on  lui  promettait, 
il  dit  franchement  au  roi  la  vérité 
sur  ses  ministres,  qui  ne  lui  pardon- 
nèrent point  du  s'être  montre  ])lus 
ami  de  leur  pays  qu'eux-mêmes.  Re- 
nan ne  laissa  pas  de  rendre  de  grands 
services  à  l'Ivspagne.  II  sauva  l'ar- 
gent des  galions  d'Améri(pie,  réfu- 
giés dans   le  port  do  Vigo,  où  les 


REN 

Ai)|:;lais  vinrent  les  aU.iqiicr,  comme 
il  l'avait  prcvu  (  V.  Chateau-Re- 

gnaud)  :  il  fit  transporlerccs  trésors 
à  Lugo  sur  des  chariots,  et  conserva, 
par  son  activité,  plus  décent  millions 
au  trésor  royal.  Il  assiégea  Gibral- 
tar, en  1704;  et  il  aurait  enlevé  ce 
point  important  aux  Anglais,  sans 
i'arrive'e  imprévue  d'une  flotte  qui 
lit  lever  le  siège.  11  emprunta  de  l'ar- 
gent en  son  nom  pour  l'c'parcr  les 
fortifications  de  Cadix  ;  et  après  cinq 
ans  de  séjour  en  Espagne,  il  se  vit 
forcé  de  réclamer  son  congé,  faute 
de  pouvoir  y  subsister  plus  long- 
temps. Quand  il  revint  en   France  , 
il  avait  une  seule  pistoledans  sa  po- 
che, et  le  brevet  de  lieutenant-géné- 
ral des  armées  du  roi  catholique, 
dont  il   n'avait  jamais   touché   les 
ap[)ointements.   Les   pensions  dont 
il  jouissait   en  France,  étaient  mal 
payées.  Il  ramassa  les  débris  de  sa 
fortune,  satisfit  ses  créanciers,    tt 
attendit ,  sans  se  permettre  une  seule 
plainte,  des  moments  plus  favora- 
bles. IMalfe  se  crut  menacée  par  quel- 
ques armements  des  Turcs  ;  et   le 
grand  maître  fit  demander  Renan , 
pour  défendre  cette  île.  L'alarme  se 
trouva  fausse,  et  Renan  revint  à  Pa- 
ris. Pendant  son  absence,  Louis  XIV 
était   mort   :    mais    le  légent   con- 
naissait ses  talcHts  et  ses  services  ; 
il  le  nomma  conscillerd'état  pour  la 
marine,  et  le  décora  de  la  grand' 
croix  de  l'ordre  de  Saint-Louis.  Ce 
prince  le  chargea  de  faire,  dans  l'é- 
îection  de  Niort ,  un  essai  de  la  taille 
proportionnelle  imaginée  par  Vau- 
ban  (  V.  ce  nom  ) ,  et  Renan  icmplit 
cette  commission  avec  le  zèle  qui  l'a- 
nima  toute  sa  vie.  Depuis  quelque 
temps  il  était  sujet  à  une  rétention 
d'urinc,ponr  laquelle  il  se  transporta 
aux  eaux  de  Pougues.  L'usage  de 
ces  eaux  ayant  augmente  son  mal,  il 


KEN 


CÎ2^ 


voulut  essayer  un  remède  qu'il  avait 
appris  du  P.  Malebranche,  et  qui 
consistait  à  boire  une  grande  quan- 
tité d'eau  de  rivière  assez  chaude. 
Mais  ,  malgré  l'excellence  de  ce  re- 
mède, dont  il  racontait  des  effets 
merveilleux,  il  mourut  le  3o  sept. 
1719.  Sa  mort,  dit  Fontenelle  ,  fut 
celle  d'un  religieux  de  !a  Trappe.  Il 
était  membre  honoraire  de  l'académie 
des  sciences ,  depuis  1699.  La  nature 
l'avait  fait  géomètre  :  mais  il  n'aA'ait 
pas  eu  le  loisir  d'acquérir  de  l'érudi- 
lion  ;  et  il  convenait  de  son  ignoran- 
ce avec  une  franchise  qui  lui  coûtait 
peu.  D'une  taille  très-petite  ,   mais 
lien   proportionnée,    il   était    vif, 
adroit,  spirituel  ,  plein  de  courage, 
de  probité,    de  désintéressement, 
mais   d'un   tel  entêtement ,  que  ja-         ^ 
mais  il  ne  revenait  d'une  opinion  qu'il 
avait  une  foisadoptée.  On  a  de  lui:  La 
Théorie  de  la  manœuvre  des  vais- 
seaux ,  imprimée  par  onire  du  roi, 
Paris.  iG<S9,  in-8'\,et  des  Lettres 
dans  le  Journal  des  savants,  pour 
répondre  aux   objections  que  Huy- 
gens  et  Jean  Bernoulli  fnisaient  cou- 
tic   quelques-uns  de  ses  principes. 
L'ouvrage  de  Renan  a  été  surpassé 
par  celui  que  J.  Bernoulli  a  publié 
sur  le  même  sujet ,  Bàle,  1714,  in- 
4". ,  ou  dans  le  tome  11  de  ses  Œu- 
vres complètes.  On  peut  considter  , 
pour  de  plus  grands  détails,  V Elo- 
i^e  de  Renan,  par  Fontenelle,  et  le 
Dictionnaire  de  Chaufe|iic.    W — s. 
RENAUD  ou  plutôt  REGNAULD 
(  ValÈre  )  ,  en  latin  Falerius  Begi- 
naldns ,  jésuite  ,  naquit ,  en  i543, 
à  Usic  ,    bailliage    de   Pontarlier , 
de    parents    jianvres  ,    Uîais   qui  , 
voyant   ses  heureuses  dispositions, 
s'iuiposcrcnt  des  sacrifices  pour  les 
cultiver.  Après  avoir  achevé  ses  étu- 
des, à  Paris  ,  ave(Tbeaucoup  de  suc- 
cès,  il  embrassa   la  règle  de   saint 


3iS 


REN 


Tenace  ,  et  fut  charge  d'enseip;iier  la 
philosophie  à  Bordeaux.  L'intérêt 
qu'il  sut  donnera  ses  leçons  ,  y  attira 
un  grand  nombre  d'élèves;  et  quoi- 
que prive  de  livres  et  de  tout  autre 
secours  ,  il  réduisit  au  silence  le  pro- 
fesseur du  collège  d'Aquitaine  ,  qui 
l'avait  iraprudeniment  attaque',  dans 
l'espoir  de  ramener  la  foule  à  son 
ccole  (  F.  la  Bibl.  Soc.  Jesii).  Le 
P.  Renaud  soutint  et  accrut  sa  re'pu- 
tation  dans  les  différentes  chaires 
qu'il  remplit  à  Pont-à-Mousson  ,  à 
Paris  ,  et  enlin  à  Dole ,  où  il  pro- 
fessa vingt  ans  la  théologie  morale  , 
de  la  manière  la  plus  brillante ,  et 
avec  une  affluence  d'auditeurs  qui 
accouraient  pour  l'entendre  de  toutes 
les  parties  de  la  France,  de  l'Alle- 
magne et  des  Pays-Bas.  lî  mourut 
à  Dole,  le  i4  mars  i6j3,  à  l'âge  de 
quatre-vingts  ans  ,  dans  de  grands 
sentiments  de  piëlé.  On  a  de  lui  :  I. 
Praxis  jori  pœiiitentialis  ad  direc- 
tionem  conjessarii  in  usa  sacri  siii 
muneris  ^  Lyon,  1G20;  Cologne, 
1622,  2  vol.  in  fol. ,  e'dit.  corrige'e 
et  augmentée.  II.  De  prudeiitid  et 
cœleris  in  conj'essario  requiitis  , 
Lyon,  i6to,  in-S**.; Cologne,  161  ï, 
in-i2  ;  cet  Ouvrage  a  été'  réimprimé 
plusieurs  fois  ;  il  a  été  traduit  en 
i'rançais  par  Etienne  La  Plonce-Ri- 
chete,  chanoine  de  Grenoble,  Lyon, 
1G16  ou  1619,  in-8°.  III.  Tracta- 
tus  de  officio  pœnitenlis  in  usii  sa- 
cranienli  pœnitenliœ ,  Lyon  ,  1618; 
.Maicnce  ,  lôrg,  in- 12.  L'auteur  a 
refondu  ces  deux  Traités  dans  son 
grand  Ouvrage.  IV.  Compendiaria 
praxis  dijficiliorum  casunin  conSr 
cientiœ,  Lyon,  1G18;  ibid. ,  16 19; 
ibid. ,  1G23  ;  Douai ,  tG25  ,  in-12  ; 
trad.  en  franc. ,  par  le  P.  Jacques 
Jacquet ,  religieux  carme  ,  Lyon  , 
1623  ,  in- !■.>..  Paft-al  a  lire  ,  des  ou- 
vrages de  notre  auteur,  qu'il  noinrae 


REN 

leP.Reginaid,  plusieurspropositions 
qu'il  présente  comme  des  exemples 
de  celte  morale  relâchée  qu'on  re- 
proche aux  Jésuites  (  F.  les  Lettres 
provincicdes  )  ;  mais  on  en  a  repro- 
duit un  bien  plus  grand  nombre  dans 
les  Extraits  des  assertions  soute- 
nues et  ensei fanées  par  les  Jésuites , 
ouvrage  que  I\I.  Barbier  attribue  à 
Roussel  de  La  Tour ,  aidé  des  abbés 
Minard  et  Goujet.  F.  le  Diction- 
naire des  Anonymes  ,  deuxième 
édition  ,  n".  G427.  W — s. 

RENAUD  (  Louis  ) ,  né  à  Lyon  , 
vers  1690  ,  était  dominicain  ,  doc- 
teur deSorbonnc,  prédicateur  du  roi; 
il  avait  été  grand  vicaire  de  Beauvais, 
et  est  mort  le  20  juin  i-j-y  i  ;  on  a  de 
lui  :  I.  Un  discours  latin,  prononcé 
à  Beauvais  ,  à  l'occasion  de  l'exalta- 
tion du  pape  Benoît  XIll,  en  1724. 
II.  Oraison  funèbre  du  maréchal  de 
Filleroi  ,  prononcée  dans  l'église 
de  la  Charité,  à  Lyon  ,  le  1 5  sep- 
tembre 1730,  et  imprimée  dans  la 
Desciiptiun  de  la  pompe  funèbre  de 
M.  le  maréchal  de  Filleroi ,  Lyon , 
i73o,in-fol.  m.  Oraison  funèbre 
du  duc  d'Orléans,  Paris,  1752, 
in-4".  Les  Sermons  du  P.  Renaud 
eurent  un  grand  succès  quand  il  les 
débita  :  mais  ils  n'ont  point  été  im- 
primés ;  et  l'auteur  a  conservé  la  ré- 
putation de  grand  prédicateur  que 
l'impression  fait  perdre  le  plus  sou- 
vent. A.  B — T. 

RENAUDIE  (GoDEFRoi  (i)  de 
Barri  ,  seigneur  de  la),  chef  de  la 
conjuration  d'Amboise,  descendait 
d'une  ancieinie  famille  de  Périgord. 
Il  jouiss.'iit  delà  rcjmlation  d'un  bra- 
ve et  vaillant  capitaine;  et,  selon 
Bclleforest,  c'était  l'un  des  plus  clo- 
(pienls  honiîiics  du  royaume,  (|uoi- 

(i)r.oiiU-e  rimiiiioii  de  la  plii|)art  des  lilsloriuus, 
},!■  f.aljuurinr  dit  qu'il  se  nomiiinit  Jean.  Voy.  se» 
AdiUtionf  aux  Mcmviivs  de  Cnstelnnii. 


REN 

que  sans  c'ruriition  (  V.  Histoire  de 
France,  ii,  1608  ).  Jean  Du  Tillet, 
grelUerau  parlement  de  Paris  ,  ayant 
eu  l'occasion  d'examiner  les  tilres 
de  cette  famille  ,  trouva  que  La  Re= 
iiaudie  posse'dait  illicitcmcnt  un  ri- 
flie  bénéfice,  et  l'en  fit  dépouiller 
pour  le  donner  à  son  frère.  La  Re- 
naudie  appela  de  cette  décision  au 
parlement  de  Bourgogne.  Dans  le 
cours  du  procès,  il  altéra  son  titre 
de  possession,  dont  on  lui  avait  fait 
apercevoir  le  vice.  11  fut  poursuivi 
alors  comme  faussaire  par  Du  Tillet; 
et  il  aurait  couru  risque  de  la  vie  ,  si 
»  le  duc  de  Guise ,  gouverneur  de  Bour- 
gogne ,  ne  l'eût  fait  évader  ,  le  jour 
de  la  Fête-Dieu  ('2).  Il  s'enfuit  à  Ge- 
nève, y  em]ir<(3sa  le  calvinisme,  et 
ensuite  habita  Lausanne  ,  où  il  se 
maria.  S'étaut  lie  facilement  avec 
les  réfugiés  français,  qui  tous  sou- 
piraient après  un  ordre  de  choses 
qui  leur  permît  de  revoir  leur  patrie, 
tl  vint  à  bout  de  leur  persuader  qu'il 
avait  trouvé  le  moyen  d'abréger  leur 
exil.  Muni  de  lettres  de  recomman- 
dation ,  il  parcourut  l'Allemagne  et 
les  Pays-Bas,  pour  reconnaître  la  dis- 
position des  esprits  et  pouretablir  des 
rapports  entre  les  hommes  les  plus 
considérables  du  parti  protestant, 
dont  il  devint  ainsi  l^^gent  général. 
La  réflexion  le  convainquit  bientôt 
que  de  malheureux  réfugiés  ,  privés 
de  la  plus  grande  partie  de  leurs  re- 
venus, ne  pourraient  jamais  former 
nu  parti  capable  de  lutter  avec  avan- 
tage contre  leurs  ennemis  ,  et  qu'il 
fallait  lier  la  cause  des  Protestants 
à  celle  des  grands  seigneurs  que 
l'ambition  et  la  jalousie  éloignaient 
de  la  cour.  11  recourut  donc  au  duc 


(:*)  fVefft  ïjrantùiiie  (juî  rapporlc  ces  particulari- 
tés qu'il  (lit  teuir  du  «lue  de  Gui.ie  lui-nicuie;  mai» 
selon  De  Tliou  ,  La  Keuaiidic  avait  l'tc  cuudainué  ù 
uiio  grosse- amende  ,  et  banni  pour  un  temps  (  liv. 

xxrv;. 


REN 


3-29 


de  Guise  ,  dont  il  avait  ^prouvé  la 
bienveillance;  il  obtint ,  par  son  cré- 
dit ,  des  lettres  de  révision  ,  et  put 
revenir  en  rrance  sans  être  inquiété. 
Mais,  au  lieu  de  s'occuper  de  sou 
procès ,  il  parcourut  les  provinces 
méridionales,  sous  le  nom  de  Lafo- 
rèt,  visitant  les  églises  réformées  , 
s'instruisant  de  leurs  ressources  ,  et 
ouvrant  partout  des  liaisons  avec 
les  hommes  les  plus  en  état  de  l'ai- 
der dans  le  projet  qu'il  avait  conçu 
de  renverser  les  Guises  ,  à  qui  l'on 
atti'ibuait  généralement  les  persécu- 
tions contre  les  Protestants  et  tous 
les  malheurs  de  la  Fiance.  Quand  il 
fut  assuré  du  dévouement  et  de  la 
discrétion  d'un  certain  nombre 
d'hommes  marquants,  il  les  réunit, 
et  leur  développa  le  plan  de  la  con- 
juration, qui  fut  adopté.  On  lui  ad- 
joignit ,  pour  l'exécution  ,  trente  ca- 
pitaines expérimentés  ,  qui  devaient 
l'aider  de  leurs  conseils  ,  et  avec  les- 
quels il  était  invité  de  correspondie. 
La  mort  de  Henri  II ,  loin  de  rien 
changer  dans  les  projets  de  La  Re- 
uaudie,  le  confirma  dans  l'espérance 
du  succès.  En  quittant  l'assemblée  , 
il  se  rendit  ta  Genève,  oîi  l'on  croit 
que  fut  rédigée  la  fameuse  consulta- 
tion portant  que  ,  sans  blesser  sa 
conscience  ,  ni  manquer  à  la  majesté 
royale,  il  était  loisible  de  recourir  à 
la  force  pour  soustraire  le  roi  h  la 
domination  des  Guises.  La  Renaudic 
colporta  cette  pièce  dans  le  reste  de 
la  Suisse  et  nue  partie  de  l'Allema- 
gne, tant  pour  demander  des  signa- 
tures que  pour  recueillir  le  produit 
des  collectes  faites  par  les  associés. 
11  revint  ensuite  à  Lyon,  où  il  ren- 
dit compte  aux  principaux  conjurés 
dn  résultat  de  son  voyage,  et  indi- 
qua une  assciiiblce  à  Nantes,  pour 
le  i''".  février  i56o.  La  Renaudic 
l'ouvrit  par  un  discours  que  De  Thou 


33o 


REN 


nous  a  conservé  (  liv.  xxiv).  Après 
avoir  montre  la  triste  situation  de  la 
France ,  abandonnc'c  à  la  tyrannie 
des  Guises  ,  il  annonça  qu  un  grand 
nombre  de  gentilshommes  avaient 
résolu  d'unir  leurs  efforts  pour  faire 
cesser  un  état  de  clioscs  qui  deve- 
nait de  plus  en  plus  intolérable,  et 
qu'ils  devaient  agir  sous  la  direction 
d'un  prince  qui  l'avait  nomme'  son 
lieutenant,  mais  dont  il  ne  lui  était 
pas  encore  permis  de  révéler  le  nom. 
Il  assura  que  le  seul  but  des  conjurés 
était  de  délivrer  le  roi  de  Toppres- 
sion  des  Guises  ,  et  termina  par  pro- 
tester de  son  profond  respect  pour 
la  personne  sacrée  du  monaïqne  , 
ainsi    que    pour   sa   famille.    Cette 
protestation  ,    accueillie   avec    en- 
thousiasme, fut  rédigée  sur-le-champ, 
et  signée  par  tous  les  membres  de 
l'assemblée.  On  convint  ensuite  de 
choisir  des  députés  chargés  de  pré- 
senter au  roi  une  requête  pour  lui 
demander   l'éloignement   des    Gui- 
ses et  le  libre  exercice  du  calvinis- 
me  ou  la  convocation  des  états-gé- 
néraux. Comme  ces  députés   pou- 
vaient être  exposés ,  on  décida  de 
leur   donner  une  escorte    qui    ga- 
rantît leurs  personnes  de  toute  in- 
sulte ;  et  La  Renaudie  fut  autorisé  à 
lever  cinq  cents  cavaliei's  et  quinze 
cents  fantassins.  Il  se  dirigea  aussi- 
tôt sur  Paris  ,  afin  de  rendre  compte, 
dit-on,  au  prince  de  Condé,  de  ce 
qui  venait  de  se  passer  à  Nanles, 
et  de  conférer  avec    les  anciens  de 
V Eglise  sur  la  somme  qu'elle  four- 
nirait pour   le  succès  d'une  entre- 
prise qui  paraissait  devoir  décider 
de    l'existence    des    Protestants    en 
France,  il  alla  loger  chez  un  avocat 
nomme  Pierre  des  Avenelles  ,  qui  te- 
nait, au  faubourg  Saint- Germaiii , 
un  IkIIcI  garni ,  fré(|uenté  par  les  re- 
ligionnaircs  fjue  leiirs  aflaircs  a]>pe- 


KEN 

laient  à  Paris.  Avenelles  ,  étonné  de 
l'afTlucncc  des  étrangers  qui  venaient 
dans  sa  maison  le  jour  et  la  nuit, 
les  observa  plus  attentivement,  et 
devina  qu'il  se  tramait  quelque  cho- 
se d'extraordinaire.  Il  fit  part  de  ses 
soupçons  à  La  Renaudie,  qui  cr* 
pouvoir  sans  danger  lui  révéler  une 
partie  de  son  plan.  Avenelles,  pro- 
testant  zélé  ,  reçut  avec  joie  cette 
confidence  ;  mais  bientôt ,    effrayé 
des  suites  que  ])Ouvait  avoir  une  en- 
treprise si  hardie,  il  alla  trouver  le 
secrétaire  du  duc  de  Guise ,  et  lui 
découvrit  tout  ce  qu'd  venait  d'ap- 
prendre. La  cour  faisait  alors  sou 
séjour  ordinaire  à  Blois  ,  ville  qu'u- 
ne simple  muraille  ne  mettait  pas 
à   l'abri  d'un  coup    de   main.  Dès 
qu'il  connut  l'existence  de  la   con- 
juration ,  le  duc  de  Guise  fit  con- 
duire la  famille  royale  au  château 
d'Amboise  ,  (]ui  pouvait  offrir  quel- 
que résistance.  Les  conjurés  ,  quoi- 
que découverts  ,  se  rendent  (par  pe- 
tits détachements,  pour  détourner 
les  soupçons),  au  lieu  que  La  Re- 
naudie leur  a  désigné;  mais,  à  me- 
sure qu'ils  arrivent,  ils  sont  enlevés 
par  le  duc  de  Nemours  ,  conduits 
aux  prisons  d'Amboise,  si  l'on  en 
espère  des  révélations ,   ou  pendus 
aux  créneaux  du  château.  La  Renau- 
die ,  instruit  de  ces  désastres,  cher- 
cliait  à  rassembler  ses  différentes  ban- 
des pour  attaquer  Amboisc  et  l'en- 
lever de  vive  force.   Mais  ,   tandis 
(ju'il  se  portait  sur  tons  les    points 
où  sa  pi  éscnce  était  nécessaire ,  il 
est  recontré ,  dans  la  forêt  de  Châ- 
teau-Renaud ,  par  le  jeune  Pardail- 
lan  ,   son  cousin  ,  qui  court  sur  lui 
le  pistolet  à  la  main.  La  Renaudie, 
plus  leste,  saute  à  bas  de  son  che- 
val ,  et  le  renverse  de  deux  coups 
d'(-pée;  mais  un  page  de  Pardaillan 
l'étend  moi  I,  d'iui  coup  d'ari|uebuse, 


REN 

sur  le  corps  de  son  maître.  Cet  éve'- 
ueiuent  arriva  ,  selon  De  Thon ,  lo  1 7 
mars  1 56o.  Le  cadavre  de  ce  mallieu- 
reiix  fut  apporté  daus  Amboise,  et 
attache  à  une  potence  élevée  au  mi- 
lieu du  pont ,  avec  cette  inscription  : 
La  Renaudie,  dit  Lafoiv't,  chef  des 
rebelles.  La  Bigne,  sou  secrétaire, 
fut  pris  avec  son  cliiffrc  et  ses  pa- 
piers, et,  se  croyant  dégage  de.  son 
serment,  par  la  mort  de  son  maître, 
révéla  toute  la  conjuration.  Ce  fut 
La  Bigne  qui  déclara  que  le  prince 
de  Condé  en  éîait  le  véritable  chef: 
mais  on  sait  avec  quelle  fermeté  ce 
prince  repoussa  celte  accusation  (^, 
CoNDE,  IX,  387  )  ;  et,  malgré  tous 
les  soupçons  qui  semblent  s'élever 
contre  lui ,  il  n'existe  aucun  doru- 
mcut  d'après  lequel  ou  puisse  affir- 
mer que  Condé  ait  eu  des  conféren- 
ces avec  La  Uenaudie,  et  moins  en- 
core, comme  l'ont  avancé  quelques 
historiens  ,  qu'il  se  serait  mis  k  la 
tète  des  rebelles,  si  le  complotent 
réussi.  Outre  l'Histoire  du  tninnlte 
d'Jmhoise ,  1 56o,  in  -  8°. ,  insérée 
dans  le  tome  i'^'".  des  Mémoires  de 
Condé,  p.   4o^  '  ^^'  ^^  '74^'  0" 
peut  consulter,  pour  de  plus  grands 
détails  ,  la   plupart    des  historiens 
contemporains.  Ys — s. 

RENAUDOT  (  TnÉopnuASTE  ) , 
méilecin  ,  et  fondateur  de  la  Ga- 
zette en  France  (i),  naquit  à  Lou- 
dun  ,  en  i584  ?  et  vint  fort  jeune  à 
Paris,  oi!i  il  étudia  quelque  temps 
SOUS  un  maître  en  chirurgie.  Il  se 
rendit  à  Montpellier,  eu  ttioG,  s^y 
fit  recevoir  docteur  en  médecine  , 
dans  l'espace  de  trois  mois  ;  et  après 
avoir  voyagé  plusieurs  années  pour 
acquérir  de  nouvelles  connaissances  , 


(1)  \\  existait ,  depuis  li;  sei'/.iinic  siîclc  ,  des joar- 
D.111X  eu  Unlic,  et  inciiic  en  Kspugnc  :  on  Irs  a|i|ie- 
lail  gazettes,  du  mim  de  In  pièce  de  luouuaiu  (  Ga- 
zelta  )  <[u'ou  iiavaif  pour  les  lire. 


REN 


33  ï 


rçviut  daus   sa  ville  natale  ,  où   il 
pratiqua    son  art  avec  tant  de  suc- 
cès ,    que    sa    réputation    s'étendit 
bientôt    dans  tout  le  Poitou  et  les 
provinces  voisines.  Les  ennemis  de 
Renaudot  prétendent  ,   au    contrai- 
re ,  qu^en  quittant  ]\lontpellier ,  ce 
docteur    improvisé    reprit  le  che- 
min de  Louduu  ,   pour  y  exercer 
son  état,    et  que,  faute  d'occupa- 
tions ,  il  fut  obligé  ,  pour  vivre ,  de 
se  faire  maître  d'école.  Quoi  qu'il  en 
soit,  Renaudot  revint  à  Paris,  en 
1 6 1 2  ;  et ,  si  on  l'en  croit ,  il  obtint 
sur-le-champ  le  brevet  de  médecin 
du  roi  ,  avec  un  traitement  de  huit 
cents   livres  :  mais  ses  adversaires 
suutieuuent  que  cette  prétendue  char- 
ge de  médecin  du  roi  n'était  qu'un 
vain  titre  qui  s  accordait  alors  avec 
la  plus  grande  facilité  ;  qu'il  ne  fut 
jamais  admis  au  serment,  et  qu'à  Pa- 
ris, comme  à  Louduu,  il  ne  subsista 
d'abord  qu'en  tenani  une  école  et  pre- 
nant des  pensionnaires.  Toutefois  il 
faut  bien  convenir  que  Renaudot  ne 
manquait  ni  d'esprit,  ni  d'activité,  ni 
de  ressources  dans  l'iinagiuatiuu.  Il 
se  fit  connaître  du  cardinal  de  Riclie- 
lieu ,  protecteur  zélé  de  tous  ses  com- 
patriotes   qui  se   distinguaient  par 
quelques   talents  ;  et  ce   fut  par  le 
crédit  de  ce  ministre  (2),  qu'il  obtint 
V  Office  de  commissaire-général  des 
pauvres  valides  et  invalides  du  royau- 
me ;  celui  de  maître  général  des  bu- 
reaux d^adresses ,  et  enfin  le  privilège 
pour  l'établissement  de  la  Gazette. 
En  qualité  de  commissaire  des  pau- 
vres ,  il  reçut  l'autorisation  d'établir 
une    maison  de  prêt  ou  mont-dc- 


(7.)  ('nmniciit  croire  que  lîciiauriot  ail  fait  r,//>o- 
lo^ic  d'Urbaiu  Graiidier,  et  publie  plusieurs  f.i- 
bcUes  ciiulre  le  cardinal  de  liicbcliiu,  sou  bien- 
faiteur? Au  suri>Uis,  Dreux  du  Radier  est  le  seul 
écrivain  qui  eu  parla  (  daus  la  hihl.  du  l'oiloii . 
lom.  IV  ),  et  il  ne  cite  aucune  preuve  à  l'appui  de 
celle  assertion. 


332 


REN 


pie't^  (3) ,  qiii  devait  lui  valoir  das 
sommes  considérables  ,  puisqu'indé- 
pendamment  des  bénéfices  légitimes, 
on  lui  reprocha,  dans  la  suite,  d'a- 
voir  fait    des  prêts   usuraires  ,    et 
augmente  le  nombre  des  pauvres  en 
feignant  de  les  soulager  (4),  Les  bu- 
reaux d'adresses  ont  été  remplacés 
jpar  les  feuilles  d'avis  ;  et  l'ou  peut 
juger  ce  que  devait  produire   cette 
nouvelle  branche  d'industrie  ,  à  une 
époque  où  le  commerce  commençait 
à;prendreunegrandeactivité.  Enfin  la 
Gazelte  seule,  quoique  la  lecture  n'en 
fût  pas  alois  un  besoin  comme  elle 
l'est  devenue  par  les  progrès  de  la 
civilisation,  devait  guflire  pour  pro- 
curer  à  Renaudot  une  fortune  rapide 
et  considérable.  11  ncvoulutpas  s'en 
contenter.    Malgré  ses   occupations 
commerciales  et  littéraires,  il  con- 
tinua l'exercice  de  la  médecine  ,  et 
se  servit  avec  succès   de    différents 
remèdes  chimiques  tirés   de  l'anti- 
moine. C'était  braver  la  faculté  de 
médecine,  qui,  de  tout  temps,  s'était 
opposée  à  remploi  de  ces  remèdes 
(  F.  Mayerne-ïurquet  )  :   mais  il 
ackeva  de  se  brouiller  avec  elle  ,  en 
donnant  des  consultations  gratuites 
aux  indigents  ,  et  en  annonçant  qu'il 
avait  obtenu  du  roi   la  concession 
d'un  terrain  près  de  la  porte  Saint- 
Antoine ,  sur  lequel  il  devait  cons- 
truire un  hôte!  pour  les  consultations 

(3j  Desctahlisscments  de  ce  genre  avalent  tte  for- 
mes en  Italie  ,  dès  le  <juin7.ième  siècle,  \,ant  rem- 
placer les  maisons  des  Loinhards  ;  mais  ils  uk  pu- 
rent s'y  soutenir  malgré  l'utilité  qu'eu  retirait  le 
]>ul>lic  et  malgré  la  ))rotectIon  di'S  |i.i)>es.  Voy.  1'///$- 
luire  des  Alunis  de  yiélé  ,  par  Oerreti,  l'adoue  , 
ijSa  ,  in-ia. 

('!)  <>u  lui  reprorhait  d'avoir  un  domestii|iie,  qui 
recevant  dans  une  bocte  le  prix  de  ses  pnteiulues 
«.'ousultations  gratuites  , et  d'excrci  r  une  usure  ému- 
ine  daiiason  Moot-de-picic.  11  ne  se  faisait,  à  la  v('- 
rite.  payer  qu'à  raison  de  trois  pour  cent  jiar  un  : 
mai»  il  prenait  un  droit  d'eurcgistrcnient ,  ne  nrc  tait 
qnfleLer»  de  rotiu.aliou  ,  et  eonllM|„ail  les  cil,  I, 
lor»f;uon  ne  se  présehiait  pas  à  jour  uoinuH'  poin- 
payer  le.,  int.Ml,.  J  ml  s  ces  lait»  ,  cnonce^  dai,>  le 
|>Iaidi>yer  de  se»  prirtits,  ne  suut  iiuiot  (xinlridit» 
uiiu»  a<'9  rcpuuses. 


REN 

charitables.  D'après  les  anciens  re'- 
glements  ,  nul  ne  pouvait  exercer  la 
médecine  à  Paris  ,  s'il  n'avait  reçu 
ses  grades  à  l'université  de  cette  ville. 
La  faculté  demanda  donc  l'interdic- 
tion de  Renaudot  ainsi  que  des  mé- 
decins de  Montpellier  et  des  autres 
universités   de  province  ,  qu'il    s'é- 
tait associés  pour  ses  consultations 
et  pour   la    distribution  des  remè- 
des secrets.  Ce  procès  produisit  beau- 
coup   d'éclat   (  5  ).   Renaudot  pro- 
duisit   un    grand    nombre    de   té- 
moins, pris  dans  toutes  les  classes, 
qui  déposèrent  en  faveur  de  ses  ta- 
lents et  de  l'excellence  de  ses  remè- 
des :  mais  ,  malgré  ses  démarches  et 
celles  de  ses  protecteurs  pour  obte- 
nir l'évocation  de  l'affaire  au  con- 
seil ,  la  cour  du  Châlelet  rendit,  le  9 
décembre   i643,    une  sentence  qui 
lui  défendit ,    ainsi  qu'à  ses  adh.é- 
rents  ,  d'exercer   la  médecine  dans 
Paris  ,  et  de  s'assembler,  sous  quel- 
que prétexte  que  ce  fût ,  à  psi  ne  de 
cinq  centslivres  d'amende,  payables 
par  corps.  Renaudot  appela  de  cette 
sentence  ,  et  ne  négligea  rien  pour 
la  faire  casser  :  mais  tous  ses  efforts 
furent  inutiles  ,  et  le   Parlement  le 
traita    puis    mal    encore   que    n'a- 
vait  fait  le  Châlelet;  car  non-seu- 
lement il  confirma  ,   par  son  arrêt 
du  i*^'.  mras  i644î  toutes  les  dispo- 
sitions prises  contre  lui  ;    mais   il 
supprima  sa  maison  de  prêt ,  comme 
un  établissement  nuisible  au  public  , 
et  ordonna  que  tous  les  effets  qui  s'y 
trouvaient  déposés  seraient  rendus  à 
leurs  propriétaires  ,    sans  pouvoir 
exiger  aucun  intérêt.  Renaudot  con- 
servait encore  le  Bureau  d'adresses 
et  la  Gazelle  ,  dont  il  avait  le  privi- 


(".)()..  L.uvera  la  liste  des  l'.ifhinn  qui  lurent 
|iulilies  de  part  et  , l'autre  lors  de  ce  lanu'ux  procè» 
dans  la  VibL  hisluiiif.  da  lu   Fiante,  u".  44855  cl 


REN 

légc  depuis  i63i  :  n'était  plus  qu'il 
n'en  fallait  pour  occuper  un  homme 
moins  actif;  mais  ,  iude'pendam- 
ment  de  quelques  spéculations  litte'- 
raires  ,  il  n'en  continua  pas  moins 
d'exercer  la  médecine  avec  succès  ,  et 
de  distribuer  ses  remèdes ,  malï^ré 
les  oppositions  de  la  faculté,  qui  ne 
put  parvenir  à  le  surprendre.  Il 
vécut  assez  Ion;:;  -  temps  pour  voir 
triompher  Vémélique  des  préjugés 
de  Gui  Patin  ,  et  de  Moreau  ,  ses 
deux  plus  grands  adversaires  à  la  fa- 
culté de  Paris  ,  et  il  mourut  le  25  oc- 
tobre i653.  Gui  Patin  dit  que  Renau- 
dot  était  peu  riche;  mais ,  selon  d'au- 
tres auteurs  ,  il  laissa  une  fortune 
honnête.  Dans  sa  jeunesse,  il  avait 
été  lié,  d'une  étroite  amitié,  avec 
Scévole  de  Sainte-Marthe  ,  dont  il 
prononça  '  Oraison  funèbre  à  Lou- 
dun,en  1623  (  P^.  Sainte  -  Mar- 
the )  ;  et  dans  la  suite  ,  ses  quali- 
tés et  son  obligeance  lui  procurè- 
rent beaucoup  d'amis.  On  a  de 
lui  :  I.  La  Gazette  de  France ,  de- 
puis i63i  ,  jusqu'à  sa  mort,  in- 4". 
(6).  Ce  Journal ,  continué  jusqu'en 
1792,  forme  une  collection  de  162 
vol.  in-4°. ,  à  laquelle  il  faut  joindre 
une  Table  des  i35  i^''^.  vol.  (par 
Genest) ,  1766,  3  vol.   (7)   11.  La 


(6)  C'est,  dit  M.  Barbier,  !.n  celMire  gcni^alogiste 
P.  d'Hozier  ,  qu'on  r st  redevable  de  l'etabh'sseiuent 
lie  la  Giizelte  rie  Fiance.  Comme  il  avait  de  graji- 

■  des  oiiiTespoiidancfS  an-dedans  et  au-  lehor?  du 
royaume,  il  était  exactement  informé  de  ce  qui  s'y 
passait,  n  communiquait  les  nouvelles  qu'il  a])|)re- 
nAit,  a  Th.  Rcuaudot,  son  ami;  et  ils  formèrenten- 
tfe  eux  le  plan  de  la  Ga/.ettc  .  commencée  si  bcureu- 
srment  en  it)3i.  Voy.  le  Dicl.  d^s  anonymes ,  io. 
edit.,  no.fip^Q. 

(7)  Ou  a  vivent  dit  que  Renaudot  avait  d'abord 
recueilli  ses  bulletins  pour  amuser  ses  malades  avant 
<l<î  songer  à  en  faire  un  papier  public.  Le  cardinal 
ministre  y  prit  un  intérêt  tout  particulier.  Il  v  en- 
voyait souvent  des  articles  entiers;  il  y  faisait'insé- 
rer  les  traiiés  d'alliance,  les  capitulations  ,  les  re- 
lations de  sièges  et  des  batailles  ,  écrites  par  les  gi'- 
neraux  ,  et  les  dépècbc»  Jes  ambassadeurs ,  lors- 
qu'elle» contenaient  des  laits  que  l'.in  vculait  faire 
'avoir  A  toute  l'Europe.  Louis  XIII  ne  d^aignait 
pu  lul-nièmc  de  composer  des  aiticle.t  pour  les  ga- 


REN 


333 


Continuation  du  Mercure  Français 
i635  (  F.  J.  Richer),  Le  libraire 
qui  travailla  le  premier  à  cette  com- 
pilation historique  ,  y  recueillait  les 
pièces  originales  tel  les  qu'elles  avaient 
paru  ;  mais  Renaudot  se  contenta 
d'en  donner  des  analyses  et  des  ex- 
traits ,  qui  ne  remplacent  qu'impar- 
faitement les  pièces  mêmes.  Ce- 
pendant les  volumes  qu'il  a  publiés  , 
sont  les  plus  recherchés  de  la  col- 
lection ,  à  cause  de  leur  rareté.  "^ 
in.  Abrégé  de  la  vie  et  mort  du 
prince  de  Condé  {Henri  II  ),  1647  > 
in -4''.  IV.  La  Fie  et  la  mort 
du  maréchal  de  Gassion ,  ibidem, 
1647  '  i"-4°-  V-  La  Fie  de  Michel 
Mazarin ,  cardinal  de  Sainte-Cécile, 
ibid. ,  1648 ,  in-4".  On  a  le  Portrait 
de  Renaudot,  gravé  par  Mich.  Lasne, 
in-4°.  —  Renaudot  avait  deux  fils  , 
IsAAC  et  EusÈbe  ,  qui  ont  joui  de 
quelque  réputation  comme  méde- 
cins. Ils  éprouvèrent  de  grandes  dif- 
ficultés lorsqu'ils  se  présentèrent 
pour  prendre  leurs  degrés  ;  et  il 
fallut  un  ordre  du  parlement  pour 
obliger  la  faculté  à  leur  conférer  le 
doctorat.  Avant  de  les  admettre  au 
serment,  on  les  obligea  de  désavouer 
la  conduite  de  leur  père  ,  et  de  pro- 
mettre qu'ils  renonceraient  au  Bu- 
reau d'adresses  ;  mais  on  leur  permit 
de  continuer  la  Gazette  dont  ils 
avaient  le  privilège.  Isaac,  reçu 
docteur  en  1647  '  mourut  en  1G80, 
Eusèbe,  le  cadet,  admis  à  la  faculté, 
dans  les  premiers  mois  de  i(j^8 ,  de- 
vint premier  médecin  de  M'"^.  la 
dauphine,  et  mourut  le  19  octobre 
1679.  Indépendamment  de  la  Ga- 
zette,  il  a  publié  :  I.  Spicilegiuni 
sive  historia  medica  mirabilis  spi- 
cœ  gramincce  extractœ  è  latere  œ- 

7.etles  ;  aussi  sont-elles  d'une  grande  autorité  pour 
le  règi.e  de  ce  piincc  ;  rt  l'un  y  trouve  d'cxtellcuts 
matériaux  pour  niistuiie. 


334  REN 

gri  pleuritici  fini  eam  antè  menses 
duoincautèvoraverat,  Paris,  16^7, 
111-4".  I^-  ï^'yJ'itimoine  justifié  et 
triomphant,  ibid.  iG53  ,  in- 4°.: 
opuscule  qui  fut  vivement  attaqué 
par  Merlet ,  Pcrreaiid  et  d'autres 
anciens  docteurs  de  la  faculté.  On 
croit  aussi  qu'il  a  eu  beaucoup  de 
part  au  Recueil  général  des  ques- 
tions traitées  es  conférences  du  Bu- 
reau d'adresse ,  sur  toutes  sortes 
de  matières,  5  vol.  in-8°.  Euscbc 
est  le  pcre  du  savant  abbé  Rcnaudot, 
dont  l'article  suit.  W — s. 

RENAUDOT  (Eus^be),  savant 
aussi  distingue  par  ses  connaissances 
dans  les  langues  orientales  que  dans 
la  théoloîiic,  naquit  à  Paris,  le  20 
juillet  1G46:  il  était  l'aîné  de  qua- 
torze enfants.  Dès  son  jeune  àqe, 
il  manifesta  le  vif  amour  qu'il  avait 
pour  l'étude  ;  afin  de  s'y  livrer  sans 
contrainte  ,  il  embrassa  l'état  ec- 
clésiastique ,  plus  en  rapport  d'ail- 
leurs avec  son  goût  pour  la  théo- 
logie :  il  y  joiguit  bientôt  les  lan- 
gues orientales,  et  particulièrement 
celles  qui,  comme  l'arabe,  le  sy- 
riaque et  le  copte,  pouvaient  lui  être 
utiles  dans  la  recherche  des  ori- 
gines de  l'histoire  ccclésiastiqiie.  La 
place  que  son  père  occupait  à  la 
cour,  lui  donna  d'illustres  protec- 
teurs :  le  prince  de  Condé  ,  les  deux 
princes  de  Conti ,  Bossuet ,  Montau- 
sier  et  la  maison  deColbert,  l'ho- 
noraient de  leur  familiarité  ;  et  il 
acquit  une  telle  considération  ,  que 
Louis  XIV  permit  plusieurs  fois  à 
ses  ministres,  lie  liredans  soncouseil, 
dos  Mémoires  rédigés  par  le  savant 
3bl)é.  Ij'académie  française  l'admit 
parmi  ses  membres,  en  1689;  et, 
deux  aus  après,  il  remplaça  (  hiinault 
à  l'aradc'mie  des  inscriptions.  En 
1700,  il  suivit  à  Rome  le  cardinal 
de  Noailles  ,  cl  assista  au  conclave 


REN 

où  fut  élu  Clément  XI, qui  le  força 
d'accepter  un  prieuré  en  Bretagne. 
A  son  passage  à  Florence ,  il  fut  fort 
bien  traité  par  le  grand-duc  ce  Tos- 
cane ;  et  l'académie  de  la  Crusca  lui 
décerna  le  titre  d'associé.  11  mourut 
à  Paris  ,  le  1*='.  septembre  1720.  Re- 
naudot  avait  rassemblé  un  grand 
nombre  de  manuscrits  orientaux  , 
qu'il  légua,  par  son  testament,  à 
l'abbaye  de  Saint-Germain  des-Prés, 
d'où  ils  ont  passé  à  la  bibliothèque 
du  Roi.  Ses  travaux  multipliés  sur 
l'histoire  sacrée  de  l'Orient,  ne  lui 
avaient  pas  fait  négliger  entière- 
ment la  littérature  moderne.  Il  était 
lié  avec  les  plus  illustres  d'entre  les 
beaux-esprits  de  son  siècle,  surtout 
avec  Despréaux,  qui  lui  adressa  son 
Epître  sur  l'amour  de  Dieu.  Il  prit 
même  soin  de  l'édition  des  Œuvres 
posthumes  de  ce  poète  ,  avec  Valin- 
cour.  Gomme  sa  conversation  était 
vive ,  agréable  ,  assaisonnée  d'une 
foule  d'anecdotes  (\\\q  ses  vastes  lec- 
tures lui  fournissaient ,  on  le  voyait 
avec  plaisir  et  avec  intérêt  dans  la 
société  ;  mais  il  s'y  était  rendu  re- 
doutable aux  frondeurs.  Les  qualités 
du  cœur  relevaient  en  lui  les  talents 
de  l'esprit:  ami  sincère,  plein  de 
charité,  ses  aumônes  allaient  aussi 
loin  que  sa  modique  fortune  pou- 
vait le  comporter  ;  il  vit  supprimer 
sans  murmure,  par  le  chancelier  de 
Voisins  ,  !a  pension  que  Coucherai 
lui  avait  fait  assigner  sur  le  sceau. 
Ses  mœurs  étaient  sévères,  et  sa  piété 
solide  et  éclairée.  Voici  la  liste  de  ses 
ouvrages  :  à  l'exception  du  premier, 
il  les  a  tous  publiés  dans  un  âge 
avancé.  I.  UncTraductiou  l.itinefaiîe 
à  vingt-cinq  ans,  des  Témoignages 
des  églises  d'Orient ,  écrits  en  grec 
vulgaire,  en  arabe,  en  copte,  en 
syriaque  et  en  étliioj/icn,  concernant 
leur  croyance  sur  l'Eucharistie.  Ces 


REN 

tcnioignages  qiiiavaieute'té  transmis 
à  Arnauld  de  Pomponne,  parNohi- 
tcl ,  ambassadeur  à  Constantinoplc  , 
fiircnliuse'resdans  le  livre  du  docteur 
Arutiuld  ,sur  la  perpétuité  de  la  foi. 
II.  Défense  de  la  Perpétuité  delà 
foi  contre  les  Monuments  authenti- 
ques de  la  relis^ion  des  Grecs  par 
Jean  Ajmon ,  Paris  ,  1 708  ,  in-  8*>. 
C'est  la  réfutation  du  livre  fautif  de 
ce  prêtre  dauphinois  ,  qui  apostasia 
eu  Hollande  (  Voy.  Aymon  ,  m  , 
187  ).  III.  Gennadii  patriarchœ 
Constantinopolitani ,  Homiliie  de 
Eucharistid  ;  Melstii  Alexandri- 
ni ,  Nectarii  ïlierosoljmitani ,  Me- 
letii  Srrigi  et  aliorum  de  eodem 
argumenta  opuscula  ,  grec  et  latin, 
Paris,  1701),  in-4°-  Ces  ouvrages 
sont  accompagnés  d'un  docte  Com- 
mentaire ,  de  Notes  et  de  Disserta- 
tions, pour  mieux  faire  connaître  la 
véritable  doctrine  admise  par  l'E- 
glise grecque.  Il  y  réfute  plusieurs 
fois  les  opinions  émises  sur  le  même 
sujet  par  le  savant  Léon  Allatius. 
IV.  La  Perpétuité  de  la  foi  de  V E- 
gli.se  catholique  touchant  V Eucha- 
ristie ,  tome  IV,  Paris  ,  17  1 1  ,  in- 
4°.  V.  La  Perpétuité  de  la  foi  de 
V Eglise  sur  les  sacrements  el  au- 
tres points  que  les  premiers  réfor- 
mateurs ont  pris  pour  prétexte  de 
leur  schisme  ,  prouvée  par  le  con- 
sentement des  Eglises  orientales  , 
Paris,  1713,  t>,  vol.  in-4°.  Ces  deux 
ouvrages  contiennent  im  grand  nom- 
bre de  professions  de" foi  grecques  , 
et  de  passages  traduits  des  auteurs 
orientaux.  VI.  llistoria  Patriarcha- 
ruiïl  Ale.xandrinorum  Jacohitaruni 
à  I).  Marco  ,  usque  ad  jîneni  sce- 
culi  xin  ,  Paris  ,  1713,  in- 4°.  C'est 
le  pins  connu  et  le  plus  savant  des 
ouvrages  de  l'abbé  Rcnaudot ,  et  le 
Recueil  le  plus  complet  que  l'on 
possède   sur    l'histoire   ccclcsiasli- 


REN  335 

que  de  l'Egypte  et  de  la  nation  Copte. 
Renandot  a  pris  pour  base  de  son 
travail,  l'histoire  des  patriarches  d'A- 
lexaudrie,  écrite  eu  arabe,  par  Sé- 
vère ,  évèque  d'Aschmouncïn  ,  con- 
tinuée par  ]Michel,  cvêque  de  Tanis, 
par  Mauhoub ,  fils  de  Mansoiir  ,  par 
Marc  ,  fils  de  Zaraa  ,  et  par  un  ano- 
nyme ,  jusqu'à  Cyrille ,  soixante- 
quinzième  patriarche  ,  mort  en  l'an 
1243.  Il  ne  fit  que  la  traduire  enlatiu, 
en  l'abrégeant  quelquefois  ,  et  en  y 
intercalant  souvent  des  faits  trouvés 
dans  d'autres  auteurs.  Il  est  fâcheux, 
que  Renandot  n'ait  pas  consulté  l'his- 
toire des  monastères  de  l'Egypte  , 
écrite ,  au  quatorzième  siècle  ,  par 
le  moine  arménien  Abou-Selah, 
et  qui  contient  une  multitude  de 
renseignements  curieux  sur  l'histoi- 
re ecclésiastique  de  l'Egypte.  L'ab- 
bé Renandot  profita  encore  des  ou- 
vrages composés  par  Eutychius  ibn 
Batrik  ,  patriarche  Melchite  d'A- 
lexandrie ,  par  Elmacin ,  par  Gré- 
goire Abou'Ifaradj ,  par  Abou'lbir- 
k.at,et  par  plusieurs  autres  écrivains: 
il  n'a  pas  négligé  non  plus  les  au- 
Ipurs  musulmans  ,  et  en  particu- 
lier Makrizy  ,  dont  les  écrits  sont 
une  mine  si  féconde  pour  tout  ce  qui 
est  relatif  à  l'Egypte  sous  la  domi- 
nation musulmane.  On  trouve  aussi^ 
dans  le  même  ouvrage  ,  sur  la  Nu- 
bie ,  l'Ethiopie  et  l'Arménie,  nn 
Q;rand  nombre  de  notions  qu'on 
chercherait  vainement  ailleurs.  L'au- 
teur y  a  joint  encore  des  détails  sur 
l'histoire  des  princes  de  l'Orient, 
sous  ce  titre  :  Epilome  historiœ 
Mnhamedanœ  ad  illustrandas  res 
.Egyptiacas  ;  mais  ils  sont  distri- 
bués chronologiquement  dans  le 
cours  de  son  livre  :  enfin  il  termine 
par  une  liste  accompagnée  de  quel- 
ques détails  historiques  sur  les  pa- 
triarches Jacol)ites  d'.Vkxaudrie,  de- 


336 


REN 


puis  Cyrille,  jusqu'à  Jean  Toukliy, 
qui  vivait  au  commencement  du  dix- 
huitième  siècle.  VÏI.  Liturgiarum 
orientalium  collectio  ,  Faiis  ,  1716, 
2  vol.  in-4''.  Cet  ouvrage,  fort  im- 
portant pour  l'étude  de  l'histoire  ec- 
clésiastique, et  qui  fut  rédigé  pour 
servir  de  preuves  à  la  Perpétuité  de 
la  foi ,  contient  la  traduction  d'un 
grand  nombre  de  liturgies  ou  de  ri- 
tuels ,  écrits  en  copte ,  en  arabe  et 
en  syriaque,  en  usage  parmi  les  chré- 
tiens Jacobites,  Melchites  ouNesto- 
riens,   répandus  dans   les    diverses 
parties  de  l'Orient.  L'abbé  Renau- 
dol  y  joignit  (juatre  Dissertations  sur 
l'origine  et  l'autorité  des   liturgies 
orientales,  sur  celle  de  l'église  d'A- 
lexandrie en  particulier,  et  sur  l'ori- 
gine, l'antiquité  et  la  nature  de  la 
langue  copte.  Il  réfute,  dans  la  der- 
nière ,   plusieurs    opinions   émises 
par  Kirchcr ,  par  Vossius,  et  par  Lu- 
dolf  dans  son  histoire  d'Ethiopie. 
L'Histoire  des  patriarches  d'Alexan- 
drie ,  cl  le  Recueil  des  liturgies  orien- 
tales, animèrent  vivement,  contre 
leur  auteur ,  le  zèle  des  théologiens 
protestants;  et  il  faut  en  convenir, 
ce  ne  fut  pas  toujours  sans  raison: 
ces    ouvrages  n'éprouvèrent  guère 
moins  de  critiques  de  la  part  des  ca- 
tholirpics ,  et  souvent  de  personnes 
fort  en  état  de  les  bien  juger ,  comme 
le  savant  Assémani,  par  exemple. 
Le  désir  de  retrouver  la  pure  doc- 
trine  catholique    partout,  et  dans 
tous  les  auteurs ,   même  dans  ceux 
dont  les  opinions  sont  le  plus  sus- 
pectes, l'entraîna  trop  loin ,  et  lui  fit 
traduire,  d'une  manière  trop  confor- 
me à  ses  opinions, des  expressions  un 
peu  ambiguës.  Ces  crilicjucs   furent 
.si  nombreuses  ctsi  viok'iiles,  qu'il  se 
crut  obligé  de  publier  :  VIIL   Une 
Défende  de  ces  deux  ouvrages  ,  Pa- 
ris, 1717,  in- 12.  \^.  Anciennes re- 


REN 

lations  des  Indes  et  de  la  Chine 
de  deux  -voyageurs  mahométans  , 
(/ni y  allèrent  dans  le  neuvième  siè- 
cle, traduites  de  l'arabe,  Paris,  1718, 
in-8°.  Ce  sont  les  récits  dedeus  voya- 
ges entrepris  par  des  marchands  ara- 
bes, qui,  selon  l'usage  de  leurs  com- 
patriotes, étaient  venus  commercer 
dans  le  raidi  de  la  Chine,  vers  les 
derniers  temps  de  la   dynastie  des 
Tang.  Cet  empire,  alors  déchiré  par 
les  guerres  civiles  qui  amenèrent  la 
chute  de  cette  famille,  était  loin  du 
degré  de  splendeur  où  il  s'était  vu 
deux  siècles   auparavant.    Le   pre- 
mier de  ces  voyages  est  de  l'an  287 
de  l'hégire  (  85i  de  J.-C.  ),  et  l'au- 
tre de  l'an  264  de  la  même  ère  (  877 
de  J.-C.  ) ,  et  fut  exécuté  par  Abou- 
Zeïd  Hasan  de    Siraf.  Comme   ces 
marchands  arabes  se  rendaient  à  la 
Chine  par  les  mers  de  l'Inde,  ils 
parient  naturellement  dans  leurs  ré- 
cits, de  la  côte  de  Malabar,  des  Mal- 
dives, de  Ceylan,  des  Andamans  , 
des  îles  IMalaises  et  du  continent  In- 
dien ,  depuis  Malaca  jusqu'à  la  Chi- 
ne ;  seulement  il  est  fort  difficile  et 
souvent  impossible  de   reconnaître 
ou  d'appliquer  les  noms  corrompus 
donyés  par  ces  voyageurs.  Malgré 
les  fables  ridicules  et  les  erreurs  pro- 
duites parla  crédulité,  l'amour  du 
merveilleux   et  l'ignorance  des  au- 
teurs ,  ces  relations  contiennent  ce- 
pendant un  certain  nombre  de  notes 
intéressâmes  sur  la  Chine.  Elles  s'ac- 
cordent, en  général,  avec  ce  que  les 
Chinois  nous  apprennent  eux  -  mê- 
mes. Pour  les  autres  ,  on  sent  aisé- 
ment qu'on  doit  préférer  des  détails 
circonstanciés  fournis  par  des  indi- 
gènes, à  des  récits  mensongers  ou 
inexacts,  recueillis  pardcs  voyagcuis 
assez  jieu  instruits  par  eux  -  mêmes 
et  peu  versés  dans  la  langue  du  |)ays. 
En  un  mot,  CCS  relations  sontforl  eu- 


REN 

rieuses  •  mais  elles  ne  me'ritent  pas  en 
tout  i;i  confianee  que  l'abbé  Rcnaii- 
dot  leur  accordait  trop  Icgcrcment. 
Ce  savant  joignit  à  sa  traduction  des 
Notes  fort  crudités,  et  quatre  Mémoi- 
res assez  considérables  ,  intitulés  : 
Eclaircissements  touchant  la  pré- 
dication de  la  religion  chrétienne  à 
la  Chine  ;  touchant  l'entrée  de<:  Ma- 
hométans  dans  la  Chine  (  qu'il  place 
à  l'an  780  )  ;  touchant  les  Juifs  qui 
ont  été  trouvés  à  la  Chine  ;  sur  les 
sciences  des  Chinois.  En  publiant 
son  livre  ,  l'abbé  Renaudot  igno- 
rait que  l'original  arabe  qu'il  avait 
traduit  ,  n'était  qu'un  fragment  du 
célèbre  ouvrage  de  Masoudy,  inti- 
tulé :iybrof<^i!y -e^<^/ie/ie&  (/^.  Masou- 
DY ,  XXV II ,  387  ) ,  fragment  qui  no 
con tenait  qu'une  copie  lacérée  H  u  cha- 
pitre dans  lequel  cet  auteur  fait  la  des- 
cription de  la  Chine  et  des  régions 
de  l'Inde  qui  l'avoisinent  vers  les 
mers  du  Midi.  C'est  ce  que  l'auteur 
de  cet  article  a  découvert,  en  com- 
parant le  manuscrit  dont  Renaudot 
s'est  servi  avec  l'ouvrage  même  de 
Masoudy  :  c'est  la  même  i^'daction. 
Comme  en  publiant  §a  traduction  , 
le  savant  théologien  avait  négligé  de 
faire  connaître  avec  précision  le  ma- 
nuscrit qu'il  interprétait,  se  conten- 
tant de  dire  vaguement  qu'il  faisait 
partie  de  la  bibliothèque  du  comte  de 
Seignelay,  fils  de  Golbert,  les  savants 
doutèrent  assez  long-temps  de  l'au- 
thenticitéde  ces  relations,  sinon,  pour 
la  totalité,  au  moins  pour  quelques 
parties.  Ils  étaient  d'autant  plus  fon- 
dés à  concevoir  cette  opinion  ,  que  la 
préface  et  les  longues  notes  du  tra- 
ducteur laissaient  voir  trop  évidem- 
ment qu'il  n'était  pas  fâché  de  trou- 
ver dans  ce  livre  des  renseignements 
qui  semblaient  déiuonlrcr  la  fausse- 
té ou  l'exagération  des  relations  don- 
nées par  les  missionaircs  jésuites 
xxxvii. 


REN  337 

sur  la  Chine, Ces  doutes  subsistcrent 
jusqu'en  1 787,  quand Dcguignes par- 
vint enfin  à  retrouver  le  texte  tra- 
duit par  Renaudot ,  dans  un  manus- 
ci  it  arabe  de  la  bibliothèque  royale 
du  fonds  de  Colbert ,  qui  porte  actuel- 
lement le  n°.  597. 11  inséra  une  No- 
tice à  ce  sujet,  dans  le  premier  vo- 
lume des  Notices  et  extraits  des 
manuscrits  de  la  hihlwthèque  du 
Roi.  Le  savant  académicien  n'eut 
pas  de  peine  à  se  convaincre  de  la 
fidélité  du  travail  de  Renaudot;  mais 
il  ne  reconnut  pas  que  cetcxte  n'était 
qu'imfragmentdel'ouTragedeMasoU' 
dy ,  sur  lequel  il  avait  doinic  une  No- 
tice, dans  le  même  volume.  Diverses 
assertions  répandues  dans  la  préface 
de  cet  ouvrage  et  dans  les  éclaircis- 
sements qui  le  terminent ,  avec  l'in- 
tention évidente  de  dénigrer  les  Chi- 
nois et  de  jeter  du  doute  sur  les  ré- 
cits des  missionnaires  et  des  sa- 
vants qui  en  faisaient  l'éloge ,  atti- 
rèrent plus  d'une  critique  au  livre 
de  l'abbé  Renaudot.  On  distingue 
particulièrement  celle  du  sa")janf  P. 
Prémarc ,  insérée  dans  le  vingt-uniè- 
me volume  des  Lttlres  édifiantes 
(  T^oy.  Premare  ,  wxvi,  Sq  ).  X. 
On  possède  encore  du  même  auteur 
plusieurs  Mémoires  ,qui  se  trouvent 
dans  les  deux  premiers  tomes  de  la 
Collection  dcTacadéniie  des  inscrip- 
tions. Ceux  qui  traitent  àoV  Origine 
de  la  sphère  et  de  l' Origine  des  let- 
tres grecques ,  n'ont  pas  une  grande 
importance.  Les  Eclaircissements 
sur  les  incriptions  de  Palmrre ,  et 
sur  le  nom  de  Septimia  joint  à  celui 
deZénobie,  valent  mieux.  XT.  Long- 
temps auparavant,  l'abbé  Renaudot 
a  vait  composé  un  ouvrageintiîulé;///- 
gement  du  public,  particulièrement 
de  l'abbé  Renaudot ,  sur  le  Diction- 
naire de  Ray  le,  Rotterdam,  1(597  ' 
iii-'i''.  Cet  examen ,  fait,  par  ordre  du 

■2-2 


333 


REN 


pliaiioclior  (  i  ),  tomba  cnire  les  mains 
tic  Jiiiicu,  (iiii  m:  niaïKiua  pas  de  !e 
hiicer  conlic  Biyle.  Celui-ci  y  ré- 
pondit; et  Juiicii  se  chargea  Je  lui 
rcnliiiuer.  L'abbé  Reuaudol  témoi- 
cna  l'exlrême  me'conteuteiacnt  qu'il 


éprouvait  de  se  voir  cng.ige  dans 
celte  querelle  liltcraiic  ;  et  De  Wilt, 
sou  an)i,  ménagea  sa  réconciliation 
avec  Bayle.  Saint  -  Évi  emont  s'était 
rangé  du  côte  de  ce  ptilosopte;  et 
il  jeta,  dans  ces  discussions,  une 
critique  maligne  contre  le  docteur 
de  Soibonne.  Outre  tous  ces  écrits  , 
l'abbé  Kcnaudôt  avait  encore  com- 
posé divers  ouvrages  plus  ou  moins 
terminés  ,  dont  on  trouve  la  liste 
dans  le  Mercure  de  janvier  1^3 ï. 
Les  principaux  sont  une  Histoire  de 
Saludin,  tirée  des  auteurs  orientaux; 
\uie  Histoire  des  patriarckes  Syriens 
de  la  secte  Nes'oriennc,  sous  ce  ti- 
tre :  S^U'ipsis  historit'  pairiarcha- 
rum  ccclesiœ  Nestorianœ  adannnm 
inillesiniiimtrccenlesimum;  un  Trai 
lé  de  rKgl.ise  d'Élliiopie,  en  latin  ; 
une  édition  grecque  cl  latine  de  V'En- 
ihiridion  de  Dusitliée,  patriarche 
de  Jciusaleni.Tous  ces  travaux  sont 
conservés  en  manuscrit  à  la  biblio- 
tlicque  du  Roi.  Voyt'Z  VElog^  de  Rc- 
naudot  ,  par  de  Buzc  (  Acad,  des 
iiiscr. ,  V  ,  38^)  ;  INiceron  (  tom.  1 2 
et  uo  ) ,  et  le  Moréri  de  i  7  :k). 

S.  M— N. 
RKNAUDOT  (  Clalol  ).  histo- 
rien, r;é  vers  1730  à  Vcsoul  ,  ai  Le- 
va ses  études  à  Paris,  où  il  se  fit  rece- 
voir avocat  ;  mais  il  ne  fréquenta 

(  i)  Dans  (Cl  /î.iviH/t»  .Itciiauilot  iiv;iii(ni  <iiic  Haylc 
ii'iiviilt  lu  les  ancio  i>  que  dans  Us  cll.ili'ins  .Ic-s  mu- 
dirn<'>;  .  l  inii- ,  d.ins  les  article»  .riliidilinii  un  peu 
U-.Imi'I,  s,  Il  r.dsi.il  |.l..s  df  limlrs  .|i...-  le  Anuvri 
cpiM  n  .i;,|.Mil  :  il  lui  l.pi  iJcI.iul  hmsm  lr>  lurj.l.  le»  .t 
lin  iil»i  <  uiié-  i<  |i;iii(l>u'>  dans  ce  diclioiiujire.  Huyle 
»tf  juslili  I  ,  ciiniiuc  il  ).ul ,  Mil-  <  L»dtiui.iMT)n"tU('»; 
lirdn  il  ne  ri|.ciudil  rien  Bill-  le»  pi  c:iiii  r.^ ,  avouant 
ipi'iln'uv!iill'»<i  »i 'lUi^  viaiN  savi.tit»  tjue  des  ooiupi- 
lùlion»  mil  j^et/us  ■/  iia^iciinjs  (Juuni.  dis  uvanïs  , 
i748,i«.  53jcI»u:v.) 


REN 

point  l(;  barreau,  et  consacra  toute 
sa  vie  à  la  culture  des  lettres  et  de 
riiisloiie.  On  connaît  de  lui  :  I.  y^r- 
hre  chrunol'jfftjne  de  Vbisloiie  uni- 
verselle ,  Paris,    17G5,  iii-fol;   cet 
ouvrage,  que  l'auteur  lut  admis  à 
présenter  an  duc  de  Berri  (  Louis 
XVI  )  ,    lui    mérita  l'estime    de  ce 
prince ,  qui  lui  accorda  ,  sur  sa  cas- 
sette ,  une  pension  de  douze  cents  li- 
vies.  11.  Eéi'olutions  des  empires, 
royaumes  ,  républiques  ,  et  autres 
élut  s  considérables  du  monde  ,  de- 
puis  la   création  ,   ibid.  ,    1769,  1. 
vol.  ,  petit  in -8^.,   aACc  une  caite 
qui  n'est  qu'une  copie  réduite  de  la 
précédente.  Ce  livre  est  un  assez  bou 
abrégé  d'histoire  ancienne  et  modei- 
ne  (  Yoy.   la  Méthode  de  Lenglcl- 
DulVcsnoy ,  in-i  2,  tom.  X,  p.  i3o). 
Il  piraît  tiré  principalement  de  la 
grande  Hisloiie  universelle  traduite 
de  l'anglais  rmais  iliisloirc  de  Fran- 
ce y  occupe  un  espncc  proportion- 
nellement trop  étendu.  La  carte  re- 
présente un  aibie  qui,  au   lieu  de- 
fruits,  est  chargéde  médaillons  por- 
tant les  noms  et  les  dates  d''  fonda- 
tion ,  etc. ,  de  fhaqne  état  :  rcflTct  en 
est   agréable  et    l'idée   ingénieuse  ; 
mais  on  y  trouve  moins  de  détails  , 
de  précision  et  de  vraie  instruction 
qiiedaiis  celles  de  Pricsticy, deChan- 
trcau  et   -utres,  faites  à  l'imilalion 
de  la   Mipi'cmondc  historiijue    de 
Baibeau-la-Bruyère  (  F.  ces  noms  ).. 
111.  AiinaU's  historiques  et  périodi- 
ques ,  où  l'on  donne  une  idée  exacte, 
Il  Jèle  et  succincte  de  tout  ce  cpii  s'est 
passédc  plus  iuiéressaut  d.wisic  mon- 
de ,  dejmis  le  i^''".  septembre  1708, 
jusqu'à   la   fin  d'août  17(19,  ibid., 
1771  ,  in- 1-2  de  754  pag.  (  Voy.  le 
Jo'irnal  des  savants,  de  mars  «770,. 
p.  1.S7  ).\W  Abrégé deVhistoire^é- 
nénloi^iquc  de  France,  ibid.,  1  779, 
iii-i'»..  On   cyiijccliire  ([ue  Renaudot 


REN 

mourut  à  Paris ,  vers  1 780  ,  dans  \m 
âp,r  peu  avance.  W — s. 

REN  AZZI  (  Philippe  -  Marie  ) , 
jurisconsulte  ,  ne  à  Uoine  ou  174?  7 
enseigna  le  droit  dans  sa  ville  natale, 
avec  une  réputation  qui  s'étendit  bien- 
lètdans  toute  l'Italie.  Les  avocats  les 
plus  di^lingtie's  le  consultaient  sur  les 
points  les  plus  dilliciles.  et  suivaient 
ses  décisions.  Venise,  Florence,  13o. 
logne ,  lui  firent  offrir  des  cliaires 
dans  leurs  universités,  on  desempluis 
Lonoiables;  mais  il  les  refusa  par 
attachement  pour  son  pays.  Entouré 
de  l'estime  publique,  et  toujours  fidè- 
le à  ses  principes,  Reuazzi  traversa, 
sans  être  inquiété,  la  révulutiou  qui 
troubla  l'Italie,  et  qui  força  le  pape 
a  s'éloigner  raonîcntanément  de  ses 
c'tats.  Il  mourut  à  Rome  ,  le  29  juin 
ibijS.  On  a  de  lui  plusieurs  ouvraj^es 
de  droit  fort  estimés  de  ses  compa- 
triotes (i);  mais  on  ne  connaît  en 
France  ,  que  ses  Eléments  de  droit 
criminel,  Rome,  1773,  3  vol.  in-S»'. 
Ce  livie ,  entrepris  dans  le  même  but 
que  le  fameux  traité  de  Becraria  , 
»'ent  pas  moins  de  succès  eu  Italie  : 
il  eu  existe  cinq  éditions  en  italien  ; 
il^  été  traduit  et  commenté  dans  la 
plupart  des  langues  de  TEurope. 
Parmi  les  ouvrages  qu'il  a  laissés  on 
manuscrit,  on  cite  une  Réfutation 
du  Contrai  social  de  J.-J.  Rous- 
seau. Il  se  disposait  à  la  faire  im- 
primer; mais  il  en  fut  empêché,  dit- 
on,  par  le  succès  mérité  qu'obtint 
une  autre  Réfutation  de  cet  ouvrage, 
attribuée  à  un  religieux  italien,  177g, 
iu-isi.  AV — s. 

RENÉ  d'.-^NJOU  est  dq  petit 
uombrc des  princes  dont  la  mémoire 
a  ^nryccu  a  leufs  bienfaits ,  et  dont  le 
myn  est  devenu,   en  qu?l(|uc  ior- 

(1)  On  i-n   |)i-,it  voii-  laU^ll■,  ou  ik.ii.I.ic  do  sl\  pii 
laliii  ,  il  .liliuil  cil  i(:.l.cii,  il.iu:.  le  Journul  dvs  c:i- 

lir,  J^  2^  juillet  lSu3. 


te  ,  le  synonyme  de  la  bonté  la 
plus  touchante.  Ai  rièrc- petit  -  fils 
au  roi  Jean  (  et  petit-fils  de  Louis  , 
premier  duc  d'Anjou  ,  comte  de  Pro- 
vence ,  roi  titulaire  de  Sicile  et  de 
Jérusalem',  qui  fut  déclaré  Jégent 
pendant  la  minorité  de  Charles  VI, 
son  neveu),  il  naquit  au  château 
d'Angers  ,  le  16  janvier  i4t'9,  de 
Louis  II  ,  duc  d'Anjou  ,  etc.  ,  et 
d'Yolande,  fille  du  loi  d'Aragou, 
peu  de  temps  après  l'assassinat  du 
frère  du  roi  de  France,  par  Jean- 
Sans-Peur,  duc  de  Bourgogne.  Ainsi , 
le  berceau  de  ce  prince  fut ,  pour 
ainsi-dire,  entouré  de  ces  dissen- 
sions qui  devaient  avoir  tant  d'in- 
fluence sur  toute  sa  vie.  René  ,  qui 
jjorta  en  naissant  le  litre  de  comte 
de  Guise ,  avait  un  frère  aîné  (  P^. 
Louis  III  d' Anjou  ,  XXV,  24o), 
auquel  la  succession  entière  de  leur 
pèi  e  était  dévolue  (  i  )  :  de  sorte  que 
rien  ne  pouvait  lui  laisser  entre- 
voir qu'il  fût  appelé  à  jouer  dans 
l'histoire  un  autre  rôle  que  celui  d'uu 
prince  sans  états.  Le  sort  eu  décida 
autrement;  mais  la  fortune,  en  pa- 
raissant se  plaire  à  combler  Uené  de 
ses  faveurs  inattendues  ,  ne  lui  (n 
accorda  aucune  qui  ne  fîit  la  source 
ou  le  signal  de  quelque  nouvelle  ad- 
versité. Les  historiens  n'ont  rien  re- 
cueilli de  particulier  sur  les  prp- 
liuères  années  du  comte  de  Guisç  , 
qui  fut  clcvé  sous  les  veux  de  sa 
mère  à  Angers ,  et  à  la  cour  de  Frai^- 
ce  ,  où  ses  dispositions  ,  et  son  ap- 
plication peu  commune  à  l'élude,  ne 
tardèrentpasàctreremarquéesdeson 
grand-oncle  maternel ,  Louis,  cardi- 
nal de  Bar.fv^'redcla  reine  d'Aragon. 
Ce  piiiice  le  prit  dans  nue  tendre  af- 


( I  )  Ucuc  rut  encore  pour  fri  re ,  Cliiulcs  d'Aii'iou  , 
xiniti  du  Miiiur.  Ses  5n;urs  furent  ,  ^JhiÎb  d'Anjuu  , 
i|ui  épousa  Cliu:  les  VU  ;  <  l  lolaude ,  uiurîi  c  ù  t'iau  • 
^uij  i|c  ^u^t^y|l ,  diu:  <le  Ui'ctague. 


34o 


REN 


fection  ,  obtint  que  son  éducation  lui 
fût  confiée  ;  et ,  s'attacliant  tous  les 
jours   davantage  à  lui,   le  désigna 
hautement  comme  le  successeur  que 
son  cœur  avait  clioisi ,  lorsqu'il  fut 
devenu  duc  de  Bar.  L'active  solli- 
citude de  ce  prince  envers  son  jeune 
pupille  ,  ne  se  borna  pas  à  vouloir 
lui  laisser  l'héritage  de  ses  états  : 
guidé  par  l'intérêt  qu'il  lui  portait , 
autant  quepar  des  considérations  po- 
litiques ,  il  forma  le  projet  de  faire 
épouser  à  René  l'héritière  duduchéde 
Lorraine,  et  de  mettre  pour  toujours 
un  terme  aux  divisions  qui  ensanglan- 
taient depuis  long-temps  la  Lorraine 
et  le  Barrois ,  en  réunissant  ainsi  sur 
unemême  tête  ccsdeux  souverainetés. 
Une  négociation  aussi  importante  de- 
vait rencontrer  de  grands  obstacles 
de  la  part  du  duc  de  Lorraine,  si 
l'on  considère  l'état  déplorable  de 
la  France  à  cette  malheureuse  épo- 
que, où  les  événements  de  la  guerre 
et  l'ascendant  du  duc  de  Bourgogne 
avaient  amené,  jusqu'au  sein  de  Paris, 
Henri  V,  roi  d'Angleterre.  Charles  , 
duc  de  Lorraine ,  avait  été  un  des 
plus  zélés   partisans  de  Jean-Sans- 
Peur  ,  ennemi  déclaré  de  la  maison 
d'Anjou ,  à  laquelle  il  ne  pouvait  par- 
donner le  renvoi  de  sa  fille  Catherine, 
promise  à  Louis  III ,  frère  aîné  de 
René.  Le  meurtre  récent  du  duc  de 
Bourgogne  avait  réveillé  toutes  les 
haines  ,  rallumé  toutes  les  passions  ; 
et  ce  fut  peu  de  temps  après  ,  que  le 
cardinal  de  Bar  forma  la  demande 
de  la   main  d'Isabelle  de  Lorraine 
pour  son  petit-neveu.  Son  habileté 
triompha  de  tous  les  ressentiments  , 
de  toutes  les  oppositions;  et  ce  maria- 
ge ,  si  politique  et  si  désiré  ,  fut  cé- 
lébré en  i4'20.  Cependant  Antoine  , 
comte  de  Vaudcmont  (  fils  du  frère 
puîné  de  Charles,  duc  de  Lorraine), 
prétetxlail  que,  la  loisaliquc  étanten 


REN 

vigueur  dans  sa  famille,  la  Lorraine, 
fief  masculin  ,  ne  devait ,  sous  aucun 
prétexte  ,  tomber  en  quenouille ,  ni 
sortir  de  sa  maison  par  un  mariage. 
Ne  pouvant  obtenir  la  révocation  du 
testament  de  son  oncle  en  faveur  de 
René  et  d'Isabelle,  il  annonça  qu'il 
ferait  valoir  ses  droits  aussitôt  après 
la  mort  de  Charles  ,  et  qu'il  saurait 
conquérir,  les  armes  à  la  main ,  l'hé- 
ritage dont  on  voulait  le  frustrer. 
Ces  menaces   obligèrent  le  duc   de 
Lorraine  à  faire  prêter  serment  à  la 
noblesse  de  ses  états ,  qu'elle  ferait 
exécuter  ses  dispositions  testamen- 
taires ;  et  sa  fille  fut  couronnée  com- 
me son  héritière  immédiate.  Ce  prin- 
ce ,  depuis  le  mariage  de  René  ,  s'é- 
tait chargé  de  l'administration  de 
ses  biens  cédés  par  le  cardinal  de  Bar, 
et  du  soin  de  la  personne   de  son 
jeune  gendre  ,  qui  fit  ,  tant  avec  lui 
qu'avec  son  grand-oncle  ,  plusieurs 
expéditions  militaires ,  où  il  annonça 
autant  de  bravoure  que  d'ardeur  et 
d'activité  ,  contre  des  brigands  qui 
infestaient   leurs  domaines ,  contre 
quelques  seigneurs  rébelles  ,  et  plus 
tard    contre   le   comte   Antoine  de 
Vaudemont ,  dont  René  croyait  de- 
voir prévenir  les    aggressions.   En 
1429  ,  ce  prince  était  occupé  à  blo- 
quer la  ville  de  Metz  ,  assiégée  par 
le  duc  de  Lorraine  ,  vers  le  temps 
où  Orléans  venait  d'être  délivrée  par 
un  secours  miraculeux.  René  ,  dont 
les  liens  qui  l'attachaient  au  roi  Char- 
les VII  son  beau-frère  ,  et  le  propre 
penchant  pour  la  France ,  avaient 
dû  céder  à  l'impérieuse  loi  de  la  po- 
litique quilui  commandait  la  neutra- 
lité, ne  put  résister  au  désir  qui  l'en- 
traînait vers  l'armée  française  ;  et  il 
courut  la  rejoindre  dans  les  plaines 
de  Cham])agne  ,   où    se  trouvaient 
déjà  SCS  deux  frères  Louis   111   et 
Charles  d'Anjou.  On  peut  dire  que 


REN 

René  quitta  le  siège  de  Met»  furtive- 
ment ,  et  maigre  les  exhortations  du 
duc  de  Lorraine  et  du  cardinal^  de 
Bar .  trop  expérimentés  l'un  et  l'au- 
tre pour  ne   pas  prévoir  les  maux 
dont  leurs  propres  états  étaient  me- 
nacés ,  si  les   Anglais  et  les  Bour- 
guignons réunis  leur  déclaraient  la 
guerre.  Mais  les  progrès  du  roi  de 
France  justifièrent  la  démarche  de 
René.   Ce  prince  arriva   auprès  de 
Charles   Vil,   le    16  juillet   14-29, 
la  veille  du  jour  où  ce  monarque, 
si  brillant   alors  ,   fut    sacré   dans 
l'antique  basilique  de  Saint-Denis.  Il 
l'accompagna  ensuite,  avec  autant  de 
fidélité  que  de  dévoûment ,  dans  cette 
mémorable    campagne    qui    ne    fut 
qu'une  suite  de  conquêtes  et  de  triom- 
phes. 11  osa  lutter,  à  cette  époque, 
qiioiqu'à   peine   âgé    de    vingt  -  un 
ans,  contre  les  avis  du  puissant  La 
Trcmouille  ,  et  se  prononça    plus 
d'une  fois  avec  Jeanne  d'Arc ,  le  duc 
d'Alençon ,  Dunois  ,  etc. ,  pour   le 
parti  le  plus  énergique  et  le  plus  sa- 
ge. Il  se  lia  dès  -  lors  avec  tous  les 
grands  capitaines  de  l'armée  fran- 
çaise ,   Poton,  La  Hire,  le  duc  de 
Bourbon  ,  etc.  ,  niais  plus  étroite- 
ment encore  avec  Arnaud  de  Barb.i- 
zan ,  surnommé  le  Chevalier  sans  re- 
proche, avec  lequel  il  aniva  soi.s  les 
murs  de  Paris,  après  s'être  distingué 
particulièrement,  à  la  lêtedeses  pro- 
pres troupes  ,  par  la  prise  de  Chap- 
pes  en  Champagne  ,  la  victoire  de  la 
Croizette  près  Châlons-sur-Marne  , 
etc.  La  mort  du  vertueux  cardinal 
de  Bar,  arrivée  en  i4io  ,  força  René 
à  quitter  le  roi  de  France  ,  sous  les 
drapeaux  duquel  il  venait  de  s'illus- 
trer ;  et  il  se  rendit  à  Bar,  où  il  ho- 
nora la  mémoire  de  son  oncle  par 
des  regrets  sincères  et  de  magiiifi(|ues 
obsèques.  Mais  à  ])einc  avait-il  saisi 
les  rênes  de  l'adiiiinistration  de  ses 


RE« 


Hi 


nouveaux  Aats ,  qu'il  eut  nw.ore  à 
déplorer  la  perte  du  dnc  de  Lor- 
raine ,  son  beau-père  ,  et  à  entrer  en 
possession  d'un  vaste  pouvoir.  De- 
venu duc  de  Lorraine  et  de  Bar ,  et 
reconnu  solennellement  par  la  no- 
blesse et  le  clergé  des   deux  états , 
René  ,  après  les  premiers  actes  d'un 
gouvernementpaterncl  et  prévoyant, 
dut  songer  à  se  garantir  des  pro- 
chaines attaques  du  comte  de  Vau- 
dernont ,  qui,  nourri  dans  les  camps 
et  s'etant  trouvé  à  plus  de  huit  ba- 
tailles   rangées  ,    redoutait  peu   un 
prince  aussi  jeune  que  René,  et  se 
disposait  à  lui  enlever  la  Lorraine. 
René ,  ayant  reçu  le  renfort  de  trou- 
.  pes  françaises  qu'il  avait  demandé 
à  Charles  VII ,  et  à  la  tête  duquel 
était    le  brave  Barbazan  ,    se  ren- 
dit ,  sans  perdre  de  temps  ,  devant 
la  capitale  de    son  compétiteur ,  et 
en   pressa  le   siège.  Le   comte    de 
Vauderaont  rassemblait,  de  son  cô- 
té, un  corps  nombreux  fourni  par  le 
duc  Philippe  de  Bourgogne  ,  et  com- 
mandé par  Antoine  de  Tuulongeon, 
qui  brûlait  du  désir  de  se  venger  de 
René  et  de  Barbazan  qui  l'avaient  dé- 
fait devant  la  forteresse  de  Chappes. 
Leur  armée  s'avança  versVaudemont; 
et  ils  provoqué)  eut  René  au  combat, 
en  ravageant  une  partie  de  ses  états. 
Le  duc  de  Lorraine ,  touché  du  mal- 
heur de  ses  peuples,  et  impatient 
d'en  venir  aux  mains  pour  terminer 
tous  ses  différends  par  une  victoire 
décisive  ,  quitta  le  blocus  de  Vaude- 
mont ,  et  vint  à  la  rencontre  de  ses 
ennemis,  dans  nue  plaine  où  le  comte 
Antoine  s'était  furlemcnt  retranché. 
Les  deux  armées  se  trouvèrtntenprc- 
sence  le  '2  juillet    i/^'ii   ,    dans    1;i 
plaine  de  Bulgneville,  près  de  Neuf- 
château:  le  succès  du  combat  eût  été 
du  moins  douteux,  si  l'artillerie  du 
comte  de  Vauderaont ,  disposée  avec 


343  REN 

beaucoup  d'habilefé  ,  derrière  drs 
cl)ariots  qui  s'ouvrircnltout-à  coup, 
ncùt  foudroyé  eu  un  inslaiit  l'armée 
lorraine, qui  s'ëbranla  sur-le-cliamp, 
et    fut  mise  en  déroiite   en  moins 
d'une  heure.  Baibazan  fut  tue  ;  et 
René ,  5»!e.ssé  lui-même  ,   fut  oblige 
de  se  rendre  :  le  maréclial  de  |Tou- 
lono;eon   le    fit  conduite    en   toule 
bâte  en  Bourgogne.  Transféré  d'a- 
bord au    cbâtcau  de  Talant  (  près 
Dijon),  puis  en  celle  ville  (dans  une 
tour  du  palais  des  ducs  de  Bourgo- 
gne, qui  poi  te  encore  le  nom  de  Tour 
de  Bar),  et  ensuite  dans  la  forte- 
resse de    Braron  près  Salins  ,    ce 
malheureux  René,  qui  voyait  s'éva- 
nouir ,  dès  leur  naissance,  toutes  ses 
piemicresidées  de  bonheur,  dcgîoire 
ei  de  pouvoir,  ne  put  obtenir  qu'aux 
conditions  les  plus  dures  ,  et  en  don- 
nant ses  deux  fils  en  otage,  un  premier 
élargissement.  Mais  l'état  déplorable 
de  la  Lorraine,  la  douleur  de  sou  épou- 
se  et  desa  vertueuse  mère, Marguerite 
de  Bavière,  réclamant  impéiicuse- 
inent  sa  présence,   il  souscrivit  au 
Traité   provisoire  que  fit  rédi<^er  le 
duc  Philippe;  et  il  sortit  de  prison 
vers  le  l'^'.mai  i43'2,  en  promettant 
d'y  rentrer  à  pareil  jour  de  l'année 
suivante.    Après   avoir    apaisé    les 
troubles  survenus  dans  ses  états  pen- 
dant son  absence  ,  soumis  quelqiics 
révoltés  ,  et  obtenu  une  pro!ong;iti(.n 
de  liberté  ,  René  se  i  cndit  à  Bà'e  ,  le 
34  avril  1/^34  ,  ainsi  (jue  le  eojule 
Antoine  de  Vandomont,  afin  de  faire 
dc-'ridcr  leurs  droits  respectifs  à  la 
souvcrainel»'  de  la   Lorraine  ,    ]iar 
l'empereur  Sigismoud.  Ce  monarque 
ayant  ordonu(=  que  l'investiture  de  la 
JiOrrainc  fût  donnée  à  René,  le  comte 
de  Vauflemonl  refusa  d'accéder  à  la 
sentence,  et  obtint  du  duc  de  Bour- 
gogne qu'il  sommerait  son  heuiciix 
lival  d'.dirr  n'j)r(ndre  ses  feis.  Rei,é 


REN 

reçut  cet  ordre  rigoureux  au  milieu 
de  la  joie  que  la  décision  de  l'em- 
pereur faisait  éclater  dans  sa  famille 
et  parmi  ses   sujets.   On   lui    ofiTrit 
de  combattre  pour  sa  liberté.  Tout 
fut  inutile  :  \\  se  sépara  de  ses  affec- 
tions les  plus  chères  ,  et  préfora  se 
soumettre  aux  chances  de  l'avenir  le 
plus  pénible,  plutôt  que  d'enfreindre 
la  parole  qu'il  avait  donnée.  Conduit 
aussitôt  sons  une  forte  escorte   au 
château  de  Bracon  ,  il  y  demeura  T?r- 
fermé    plus   étroitement  qu'aupara- 
vant, soumis  à  une  surveillance  plus 
sévère ,  et  sans  nouvelles  des  siens. 
Ce  fut  alors  ,  que  se  croyant  du  tout 
oublié  de  ses  amis ,  dit  Du  Haillan  , 
il  peignit,  tout  an  tour  des  murs  de  la 
chambre  ou  sur  des  verres,  des  oublies 
d'or  ,  comme  un  emblème  de  Fisole- 
ment  dans  lequel  il  setroiivaif  plongé. 
René,  qui  venait  de  conquérir  ainsi 
l'estime  même  de  ses  ennem.is    en  se 
résignant  à  languir,  à  la  fleur  de  l'âge, 
dans  une  désespérante  captivité,  ap- 
prit, dans  la  forteresse  de  Bracon ,  la 
perte  de  Louis  III  d'Anjou,  son  frère, 
mort  le   a4  octobre   i434î  p"  l'd 
laissant  tous  ses  états  ,   et  ,  peu  de 
tetnps  après,    celle  de  Jeanne  îl , 
reine  de   INaples,  qui,    confirmant 
les  dispositions  que  le  roi  niême  avait 
adojitées  ,   transmeltait  également  à 
René  tous  SCS  droits  au  royaume  de 
Sicile.   Pifais  cette  élévation  inalten- 
due,  cet  avenir  fait  pour  flatter  un 
cœur  ami)itieux  ,   loin  d'accélérer  la 
liberté  du  roi  prisonnier,  ne  servi  icnt 
([u'à    lendre    le  duc  de   Bonrgngrc 
jilus  exigeant.  Ne  pouvant  oî)tenir 
de  tempérer  sa  rigueur,  René  prit 
le  parti   d'envoyer  en  Italie,  avec 
le    titre   de   sa    lieutenanfe  -  géné- 
rale, la  reine  Isabelle  ,  son  épouse  , 
afin  d'v  entretenir  le  pape  <\.  le  duc 
de  Milan  dans  ses  iiitérêts  ,  d'y  rani- 
mer le  /èle  du  parti  aug(  vin  ,  et  de 


REN 

dcjoiicr  ainsi  les  iiilrij^itcs  d'Alfon- 
8e  ,  roi  d'Aragon  ,  qui  ,  ayant  c'ic 
adopte  avant  Louis  III  ,  par  la 
reine  Joanna ,  ne  ne's^ligeait  aucun 
moyen  de  faire  valoir  ses  prétendus 
dr.iiis  au  trône  de  Sicdf.  La  coura- 
geuse Isabelle  partit  de  Lorraine, 
avec  Louis ,  marquis  de  Pont-à-lMous- 
?on,  leseconddcscsfiis,  et  arriva  eu 
Provence,  où  les  preuves  les  moins 
équivoques  d'aîtaclicmcnt  lui  furent 
prorligue'es,  ainsi  que  des  secours, 
m^lj^re  l'cpuiscinent  du  pays.  IH'e 
s'embarqua  ensuite  pour  Naplcs;  et, 
secondée  du  duc  de  Milan  et  du  pape 
Eugène  IV,  fUc  sut  bientôt ,  par  «a 
conduite  hén/ique, balancer  l'influen- 
ce que  commençait  à  prendre  le  roi 
d'Aragon.  Pendant  son  absence,  les 
négociations  entamées  pour  la  déli- 
vrance de  Renc  ne  se  ralentissaient 
point,  par  le  concours  dcCharlcs  VIT, 
des  princes  du  sang,  du  connétable  de 
Richemont ,  d'une  foido  de  seigneurs 
dévoués  et  de  la  régence  de  Lorrai- 
ne :  elles  furent  enfin  ratifiées  par  le 
duc  de  liourgo^ne  ,  moyennant  des 
sacrifices  de  tout  genre,  une.'onîmc 
énorme,  la  cession  de  plusieurs  vil- 
les; et  René  put  sortir  de  Bracon,  le 
'^5  novembre  i436.  Son  premier 
.soin  fut  d'aller  remercier  les  états  de 
Lorraine  et  de  Bar  de  tout  ce  (pie 
l'on  avait  fait  pour  sa  délivrance,  et 
d'y  pourvoir  à  l'organisation  d'une 
régence  qui  pût  le  remplacer.  Il  se 
rendit  ensuite  à  la  cour  du  roi  de 
France  ,  et  de  là  en  Anjou  ,  où  il 
traita  le  mariage  de  ,Tean  d'Anjou  , 
duc  de  Calabre ,  son  fils,  avec  IMaric, 
fjlle  du  duc  de  Bouibon.  René  partit 
enfin  d'Angers  pour  la  Provence,  où 
•il  fut  reçu  avec  un  entliousiasnie  gé- 
néral. Il  ne  tard.i  pas  à  gagner  de 
plus  en  plus  l'afTection  de  ses  nou- 
veaux sujets;  et  elle  lui  fut  matiifes- 
téc  par  des  sccouis  eu  honiiaes  cl  en 


REN 


3.i3 


argent.  Puis,  ayant  por.rvu  ,  par  des 
loi-i  sages  et  des  règlements  pleins 
de  vues  paternelles,  aux  besoins  d  • 
celte  contreV  ,  il  mit  <à  la  voile  .i 
IMarscille ,  prit  à  (îèncs  de  nouveaux 
renforts  ,  s'y  lia  d'amitié  avec  Frc- 
gose,  l'un  des  doges  les  ])Ius  illus- 
tres qu'ait  eus  cette  république,  et 
ariiva,  en  i438,  à  Naples,  où  la 
ville  enlière  le  reconnut  pour  sou- 
verain. René,  dès  son  avènement  an 
trône  de  Sicile,  justiHa  pleinement 
la  haute  réputation  qui  l'y  avait  pré- 
cédé: mais  la  face  desairaires  y  avait 
pris  une  nouvelle  direction  ;  et  quoi- 
que le  roi  Alfonse  eût  été  quel  juc 
temps  prisonnier  du  duc  de  Milan  , 
le  nombre  de  ses  partisans  n'avait 
cessé  de  grossir  de  jour  en  jour.  Re- 
né le  trouva  rentré  en  flalie,  et  à  la 
tête  d'une  armée  nombreuse ,  avec 
laquelle  ce  piinccs'éîait  avance  dans 
l'intérieur  du  royaume.  Il  ne  se  dé- 
couragea pourtant  point;  et,  ayant 
repris  tous  ses  avantages  ,  sa  glorieu- 
se campagne  dans  l'Abbruze  lui  eût 
soumis  peu-à-peu  toutes  les  autres 
provinces  rebelles  ,  si  la  traliison 
d'Antoine  Caldora,  qui  n'avait  mal- 
heureusement point  hérité  de  la  fi- 
délité de  son  père  ,  n'eût  fait  évanouir 
toutes  ses  espérances.  René,  abandon- 
né de  ses  cajîitaines,  qu'avaient  cor- 
rompus l'or  d' Alfonse,  fut  obligé  de 
s'enfermer  à  Naples,  malgré  i'afiVcu- 
se  famine  qui  y  exerçait  ses  ravages; 
et,  a^ant  renvoyé  en  Provence  la  rei- 
ne et  ses  enfants  ,  il  se  préparait  à 
se  défendre  jusqu'à  la  dernière  ex- 
trémité. Mais  une  nouvelle  trahison 
vint  livrer  sa  capitah;  à  sou  rival; 
et,  investi  la  nuit  par  des  Aragonais 
parvenus  à  s'y  introduire  par  le  mê- 
me aqueduc  qui,  neuf  siècles  aupa- 
ravant ,  avait  servi  à  Bclisaire  jiour 
s'en  rendre  maître,  René  n'eut  que 
le  temps  de  se  fuirc  jour  l'épec  à  la 


344 


REN 


main  ,  ot  de  gaj^ner  le  château  Neuf; 
de  là  il  s'eiub^irqua,  deux  jours  après, 
pour  se  rendre,  par  Florence  et  Gè- 
nes y  à  Marseille,  on  il  arriva  à  la 
fin  de  i442-  J-'CS  troubles  survenus 
eu  Lorraine  dans  le  courant  de  cel- 
te malheureuse  expédition,  ayant 
empêché  René  de  prolonger  sou  se'- 
jour  en  Provence,  il  vint  à  Nan- 
ci ,  et  eut  bientôt  à  soutenir,  contre 
les  Messins ,  une  nouvelle  guerre  , 
dans  latpielle  Charles  VII ,  qui  desi- 
rait occuper  aclivenient  son  armée, 
se  niontr.i  plein  d'ardeur  pour  le  sou- 
tenir. A  la  suite  de  la  j)aix  qui  fit 
cesser  le  siège  de  Metz  ,  Rcne  plaça 
saillie  jMarguorile  sur  le  trône  d'An- 
gleterre ;  et  Yolande  épousa  Ferri 
de  Lorraine,  (ils  du  comte  de  Vau- 
demont.  Il  accompagna  le  roi  de 
France  à  Chàlons-sur-IMarne  ;  et  ce 
fut  pendant  la  continuation  des  tour- 
nois et  des  l'êtes  qui  avaient  signale 
le  mariage  de  la  reine  d'Angleteire, 
qu'il  conclut,  avec  Isabelle  de  Por- 
tugal ,  duchesse  de  Bourgogne ,  un 
traiic  définitii'  ,  qui  terminait  les 
discussions  sans  cesse  renaissantes 
au  sujet  de  l'entier  paiement  de  sa 
rançon.  René  ,  se  trouvant  alors  en 
pleine  paix ,  pour  la  première  fois 
de  sa  vie,  goûta  enfin  quelques  an- 
nées d'un  repos  si  chèrement  ache- 
té ,  eu  Se  livrant  à  son  goût  pour 
les  fêtes  chevaleresques  ,  dont  il  em- 
bellit sa  coui' ,  tant  en  Anjou  qu'en 
Provence,  et  à  l'élude  des  lettifij  et 
des  arts ,  qu'il  n'avait  cessé  de  cul- 
tiver dans  ses  rares  moments  de  loi- 
sirs. Ce  fut  vers  la  même  époque 
(  '44^  )  >  <lii'i'  institua  l'ordre  mili- 
taire et  pieux  du  Croissant  (  que  le 
jKipe  Paid  II  supprima  en  i  4'->4  )• 
La  rin)lurc  de  la  trêve  conclue  en- 
tre le  roi  d'Angletene  et  Clurlcs 
VII  ,  arracha  René  à  de  si  doui;es 
distractions  :  étant  accouru   au  se- 


REN 

cours  de  son  beau -frère,  à  la  tête 
de  la  noblesse  provençale  et  de  ses 
troupes  aguerries,  il  se  distingua 
dans  celle  glorieuse  campagne  ,  et  as- 
sista encore  à  l'entrée  triomphale  du 
roi  de  France  à  Rouen,  Caen  ,  etc.  En 
145'"} ,  il  prit  de  nouveau  les  armes  ,à 
la  sollicitation  du  duc  de  Milan  (  F. 
Sforce)  et  des  Florentins,  ses  anciens 
alliés,  attaqués  alors  par  le  roi  d'A- 
ragon et  la  république  de  Venise.  Re- 
né se  laissa  ébranler  par  l'espérance 
dont  on  le  berçait  de  chasser  Alfohse 
d'Italie;  et  il  repassa  les  Alpes  ,  don- 
nant toujours  des  preuves debravoure 
et  de  talents.  IMais  les  intrigues  se- 
mées par  Aifonse  dans  le  camp  des 
IMilanais  et  des  Florentins,  des  ri- 
valités injustes  ,  des  prétentions  in- 
soutenables ,  le  forcèrent  de  revenir 
en  France.  A  son  retour,  il  céda  le 
duché  de  Lorraine  à  son  fils,  et  épou- 
sa ,  eu  secondes  noces ,  Jeanne  de 
Laval,  fille  du  comte  Gui  XIII  et 
d'Isabelle  de  Bretagne.  Ayant  paru 
renoncer,  dès  centoment,  à  tout  pro- 
jet de  conquête ,  René  conduisit  sa 
nouvelle  épouse  en  Anjou  et  en  Pro- 
vence ,  partageant  ses  loisirs  entre 
l'administration  de  ses  états  et  les 
délassements  que  lui  offraient  à-la- 
fois  les  sciences  ,  la  poésie,  la  pein- 
ture et  la  musique.  Mais  il  était 
dans  la  destinée  de  ce  bon  prince  de 
ne  pouvoir  jamais  goûler  cette  tran- 
quillité qui  échappait  sans  cesse  à  ses 
vœux  constants.  De  nouveaux  événe- 
ments le  rappelèrent  en  Italie,  où  le 
duc  de  Lorraine,  son  fils  unicpie  ,  ai- 
dé de  ses  secours  et  de  ceux  du  roi  de 
ITrancc,  avait  espéré  un  moment  voir 
flotter  ses  étendards  sur  les  murs  de 
Naples  :  mais  celte  expédition  ne  fut 
pas  plus  heureuse  que  les  précéden- 
tes. Jean  d'Anjou  eut  à  lutter  contre 
le  [).ipe,le  fameux  Scanderbeg,  et 
Fcrdinaii-l  d'Aragon,  qui ,  en  succé- 


REN 

daut  au  trône  que  lui  laissait ,  eu 
moiiraiit,  le  roi  Alfoiise,  son  père 
uaturcl,  sembla  égalémentavoir  héri- 
té de  tout  le  bonlicur  dont  le  premier 
avait  constamment  joui.  Pie  II  se 
montra  très-ardent  pour  le  soutenir: 
René  ,  voulant  user  de  représailles  , 
crut  pouvoir  alors  défendre  ,  dans 
ses  états  ,  qu'on  reconnût  aucun  acte 
émané  de  la  cour  pontificale.  A  pei- 
ne cette  guerre  se  terminait  -  elle, 
qu'à  la  douleur  de  perdre  Charles 
VII  et  Marie  d'Anjou,  sa  sœur,  se 
joignit,  pour  René ,  celle  de  voir  son 
fils  se  prononcer  dans  cette  guerre 
qu'on  avait  cherché  à  colorer  du 
prétexte  du  bien  jniblic ,  mais  qui 
n'était  au  fond  excitée  que  par  l'am- 
bitiou  des  grands.  René  employa  en 
vain  ses  conseils  pour  dissuader  leduc 
de  Lorraine  ,  qui  avait  réellement  à  se 
plaindre  du  roi  de  France,  son  cou- 
sin ;  et  il  demeura  fidèlement  at- 
tache à  la  cause  royale.  Toutefois 
Louis  XI  lui  fit  un  crime  du  parti 
embrassé  par  son  fils ,  et  l'envelop- 
pa dès-lors  dans  la  haine  qu'il  vouait 
à  Jean  d'Anjou,  auquel  il  venait  ce- 
pendant de  s'engager ,  par  le  traité 
deSaint-Maur-les-Fossés  ,à  fournir  le 
nombre  de  troupes  et  l'argent  néces- 
saires pour  recommencer  prompte- 
ment  une  nouvelle  expédition  dans  le 
royaume  de  Naplcs.  Ces  promesses 
solennelles  furent  violées,  dès  qu'on 
en  réclama  l'exécution;  et  l'on  peut 
assigner  au  refus  du  monarque  fran- 
çais le  revers  qu'éprouva  le  duc 
de  Lorraine  dans  la  campagne  de 
Catalogne ,  où  l'avait  appelé  le  vœu 
libre  et  unanime  des  Catalans,  com- 
me héritier  ,  par  son  père  ,  des 
droits  d'Yolande  d'Aragon.  Ce  jeune 
hc-ros  mourut  à  Barcelone  ,  en  1470, 
vers  la  même  épo{|uc  oîi  les  désas* 
très  de  Marguerite  d'Anjou,  sa  sœur, 
déchiraient  le  cœur  sensible  de  René. 


REN 


345 


Bientôt  ce  monarque  infdrtune'  eut  à 
déplorer  de  nouveaux  malheurs  ,  de 
nouvelles  pertes.  Une  de  ses  filles , 
Charles  d'Anjou,  son  frère,  le  duc 
INiculas  d'Anjou,  son  petit-iils ,  des- 
cendirent presqu'à  -  la  -  fois  dans  la 
tombe  ,  ainsi  que  Ferri  de  Vaude- 
mont.  René  paraissait  près  de  suc- 
comber k  Texcès  de  sa  douleur.  Ce 
fut  ce  moment  que  choisit  Louis  XI 
pour  s'emparer  ouvertement  de  l'An- 
jou ,  sous  les  prétextes  les  plus  injus- 
tes. Chassé  du  berceau  de  ses  aieux, 
et  ayant  supporté  cet   outrage  avec 
une  fermeté  stoïque,  René  tourna  ses 
regards  vers  la  Provence,  où  il  avait 
reçu,  dans  tous  les  temps ,  un  accueil 
fait  pour  toucher  son   cœur  ;  et  il 
ne  tarda  pas  à  y  fixer  son  séjour, 
vers  la  fin  de  l'année  i473,  empor- 
tant les  regrets  universels  des  Ange- 
vins ,  qui  avaient  appris  à  vénérer 
ses  vertus  et  à  chérir  ses  rares  qua- 
lités.  L'année  suivante   (  i474)i  il 
déclara  son  héritier  Charles  du  Mai- 
ne ,  fils  de  Charles  d'Anjou,  et  espé- 
ra  que  rien  désormais  ne  pourrait 
plus  troubler  le  repos  de  ses  dernières 
années.  IMais  Louis  XI  ,  qui  n'avait 
cessé  d'avoir  les  yeux  sur  lesmoindres 
démarches  de  René,  sut  que,  dans  les 
premiers  moments  d'une  juste  indi- 
gnation, ce  prince  avait  eu  l'idée  d'ap. 
peler  à  son  secours  et  à  sa  succession 
le  fameux  Cliarlesle-Témérairc;  et, 
irrité   d'un  projet  sans  efVct,   qu'il 
qualifiait  de  crime  de  lèse-majesté, 
il  cita  le  vénérable  vieillard  ,    son 
oncle  ,  devant  le  parlement  de  Paris, 
qui,  intimidé  lui-même,  fit  décréter 
René  de  prisedecorps  ,  et  le  somma 
decomparaître.  Ces  menaces  n'eurent 
pourtant  aucune  suite,  soit  que  Louis 
n'osât  pas  s'exposer  au  blâme  géné- 
ral   qu'il  eût  encouru  ,  soit   plutôt 
parce  qu'on  lui  donna  la  ccrtitnjje 
(pic  la  Provence  serait  réunie  à  sa 


34G 


REN 


couronne,  après  la  mort  du  comlc 
du  Maine  ,  qui  n'avait  pas  d'enfants, 
et  dont  la  s.mte  n'annonçait  pas  uu 
règne  bien  prolonge'.  Louis  XI  cher- 
cha même,  peu  de  temps  après,  à 
faire  oublier  à  Rend  ses  injures  rc'- 
caiites  ,  dans  l'cnlrevue  qu'ils  eurent 
ensemble  à  Lyon  ,  en  1476»  et  ou  il 
le  combla  d'égards  ,  de  respect  et 
même  de  îendressc.  Les  lellres  et  les 
arts  avaient  charme  la  jeunesse  deRc- 
ne  ,  et  ajouté  un  nouvel  éclat  à  son  il- 
lustration. L'adversité'  et  la  vieillesse 
lui  firent  encore  plus  appre'cier  les 
avantages  de  ces  intéressantes  occu- 
pations. L'agriculture  lui  dut  une 
expérience  pour  naturaliser  la  can- 
ne à  sucre,  et  l'introduclion  de  plan- 
tes inconnues  en  France  ,  telles  que 
lu  rose  de  Provins,  l'œillet  de  Pro- 
vence, le  raisin  muscat,  et  de  plu- 
sieurs espèces  d'animaux,  r.ircs,  entre 
autres  ,  des  paons  de  diverses  cou- 
leurs. 11  donna  d<s  soins  particuliers 
à  l'art  de  la  verrerie  et  à  la  culture 
des  mûriers,  à  l'art  de  tisserles  draps, 
à  la  lilature  de  lalainc.  On  doit  dater 
surtout  du  moment  où  il  vint  se  fixer 
pour  toujours  parmi  eux,  la  reconnais- 
sance que  les  Provençaux  ont  vouée 
à  sa  mémoire,  il  s'était  efTecliveraent 
con>iacré  en  entier  à  faire  fleurir  la 
justice  en  Provence,  h  y  encourager 
l'agriculture,  le  commerce,  l'indus- 
trie et  les  arts  ;  et  pendant  qu'il  ré- 
gnait en  monanpic  dont  chaque  jour 
était  compîc  par  des  bienfaits  nou- 
veaux ,  René  vivait  on  sage  et  eu 
philosophe  chrétien  ,  oubliant,  dans 
les  exercices  de  piété,  ou  dans  l'étu- 
de et  les  méditations  ,  les  nombreu- 
ses adversités  dont  sa  vie  orageuse 
.'ivait  été  traversée.  Plus  affaissé  par 
.ses  longs  travaux  et  ses  malheurs 
que  par  son  âge  ,  il  tomba  mala- 
<l^!  à  Ai\,  au  conimencenjculde  l'an- 
née  i4y*->,y  mourut ,  le    iojuiUi,t, 


REN 

âge  de  scLxanle-donze  ans,  cl  après 
uu  règne  de  quarante  -  six  ,  avec 
les  sentiments  d'un  véritable  chié- 
ticn.  Quoiqu'il  eût  ordonné  ,  par 
son  testament,  que  son  corps  serait 
transporté  à  Angers,  l'affection  que 
lui  poi  laient  les  Provençaux  était  tel- 
le, qu'ils  s'opposèrent  de  force  à  son 
enlèvement.  Mais,  Tannée  suivanle, 
l6  cercueil  ,  qui  avait  été  déposé  à  la 
métropole  d'Aix,  en  attendant  l'érec- 
tion d'un  magnifique  mausolée  ,  or- 
donné par  les  états  de  Provence, 
fut  secrètement  trans])orté  par  eau  à 
Angers ,  où  on  l'ensevelitdans  le  tom- 
beau de  la  reine  ïsabelledeLorraii'c, 
qu'il  avait  lui-même  orné  de  pein- 
tures allégoriques.  Ses  entrailles  res- 
tèrent à  Aix  ;  et  son  cœur  fut  déposé 
dans  l'église  des  Cordeliers  d'Angers. 
Le  président  Hénault  a  été  aussi  sé- 
vère envers  René  d'Anjou,  que  dans 
le  jugement  qu'il  a  porte  sur  Charles 
VII  ;  et  plusieurs  antres  historiens, 
excepté  toutefois  ceux  de  rAnjou  et 
de  laProvencc,  Tontégalement  Irailé 
avec  rigueur  et  injustice  :  on  peut 
cependant  direde  cet  excellent  prince, 
qu'à  uu  courage  chevaleresque,  à  une 
loyaulé  qui  ne  se  démentit  jamais  , 
à  la  probité  la  plus  sévère  ,  à  r.ne  ad- 
mirable résignation  dans  l'infortune, 
il  joignait  un  esprit  solide,  profond  , 
cultivé,  une  rare  instruction  pour  le 
temps  où  il  vécut  ,  cl  des  talents  va- 
riés, qu'on  est  peu  habitué  à  l'cmar- 
quer  dans  un  souverain.  Outre  les 
Autours  du  Bercer  cl  de  la  Jicr^cre  ^ 
sorte  d'idylle  pastorale  (|u'on  lui  at- 
tribue ,  René  a  laissé  plus  eurs  Ou- 
vrages en  vers,  tels  ([ue  des  ron 
dcaux  ,  ballades  ,  etc.  ;  on  en  vers  et 
en  prose,  comme  le  MvrLifiemenl 
de  vaine  FlaisaiiLcric ,  ou  Traité 
d'entre  Vaine  dtvote  et  le  ccvitr ,  la 
Conijucste  de  la  Doidce  Mr.rcj  ,  et 
WlOuit^  en  cuur  qui  n'est  point  resté 


REN 

manuscrit  {'i).  On   connaît  encore 
de  l'ii  son    Traité  des  Tournois  ,  et 
ses  Sta'ids  de  l'ordre  du  Croissant. 
Lu  plupart  de   ces    ouvrages   exis- 
tent à    la  bibliolbcqiie  du  Roi ,  et 
sont  enrichis  de  snperhcs  ininiaUires 
exr'cnte'cs  par  René.  Ce  prince  avait 
décoré  Angers,  Sannnir,  Lyon,  Avi- 
gnon, Marseille,  et  Aix  ,  d'un  très- 
grand  nombre  de  tableaux  ou  de  por- 
traits, ffuiannonçaicntuu  talenlsupé- 
rieiir  pour  son  siècle.  1!  composa  aussi 
di  vers  m o'cts  qu'on  a  longtemps  chan- 
tés dans  les  églises  de  Provence  ;  et 
on  le  croit  également  auteur  des  ^irs 
delà  fameuse  procession  d'Aix  (  f^. 
Haitze  ) ,  dont  on  lui  allribue  l'ins- 
titution ,  ainsi  que  de  celle  qu'on  ap- 
pelait communément  IciS'rfcré?  d" An- 
gers. René  avait  ti'availlé  à  plusieurs 
mystères  ou  pièces  dramatiques,  qu'il 
se  plaisait  à  faire  représenter  avec  la 
plus  grande  pompe.  Ce  bon  prince 
était  grand,  bien  fait,  d'un   visage 
ouvert  et  gracieux  ,  et  plein  de  ma- 
jesté. Sa  simplicité  était  telle, à  la  fin 
de  sa  vie  ,  que  la  dépense  de  sa  mai- 
son n'excédait    guère    quinze  raille 
fr.  (  cent  quarante  -  quatre  mille  fr. 
de    notre    monnaie    actuelle   ).     Il 
voyageait  dans  ses  états  comme  un 
simple  particulier  ,    et   passait  une 
grande  partie  de  ses  journées  àlacam- 
pagne.  Une  de  ses  jouissances  était 
dese  promener  pendant  riiivcrd«ns 
les  endroits  les  plus  exposés  au  so- 
leil ;  et  l'on   désigne  encore  sons  le 
nom  de  cheminée  du  bon  roi  René  ^ 
ses  promenades  favorites....   A  cette 
simplicité  de  goût,  qui  le  rendait  po- 
pulaire,  René  réunissait    une  cha- 


(9.)  VMusé  en  cou,l  ,1  et,;  Imp.iri.é  ;n,  „„,;,„ 
quntre  fois  dans  )e  XV<'.  slpcle.Oniniil  voir  l';iii.ilv.so 
lie  ce  livre  singulier  dans  la  fiihUflli.  iiiiii'.  ilrt'rn- 
iiiaiis,  mars  177S,  p.  i8).-î(cii.  La  Coiunifflc  ,/ii'urig 
rlin'.iliersfiiiioiiiméle  cu-nid'aiiiiiiin  ffn<  fil  d'uiie 
'/  'nui  ui>iii-lèc  lloiilre  ]\2,ny,  a  aussi  fli-  ;Mi|.n'imr  , 
lJo3,  in-40.  (  Voy.  \ii  SltiHucL  du  Idiiuiic.  ) 


REN  347 

rite'  inépuisable  ,  une  active  piété  , 
nue   sensibilité  exquise  ,   un  esprit 
vif  et  original ,  et  une  douce  philo- 
sophie, que  ne  purent  altérer  ni  les 
malheurs  ,  ni  les  injustices  qu'il  eut 
à  essuyer  tour -à-tour.  Il  est  vrai  que 
sa  bonté  dégénéra    souvent  en  fai- 
b'esse  ,  et  sa  générosité  en  prodiga- 
lité.    Une  gloire   qu'on   ne   saurait 
lui  contester,  c'est  celle  d'avoir  pro- 
tégé l'instruction  publique,  les  scien- 
ces ,  les  lettres  et  les  arts;  de  leur 
avoir  fait  f.iire  de  grands  progrès; 
de  les  avoir  mis  en  honneur,  et  de 
les    avoir  cultivés   lui-même  d'une 
manière  très-remarquable.  Ces  goûts, 
qui  environnent  d'une  sorte  de  pres- 
tige  le  souvenir  des   princes  qui  en 
ont    apprécié    les  avantages  et    les 
douceurs  ,  subiraient  pour  faire  con  • 
sidérer  René  comme  le  précurseur 
de  fiéon  X   et  de  François  V^.  Une 
statue  en  marbre  a  été  érigée  au  bon 
roi  René  ,  en  mai  i8.>,3  ,  sur  la  plus 
belle  place  de  la  ville  d'Aix.    Le  P. 
Bicais,  de  l'Oratoire,  a  laissé  une 
histoire    manuscrite  de  ce   priîice; 
mais  Fauris  de  Saint-Vincens,  qui  la 
possédait ,  ne  l'avait  pas  jugée  digne 
d'être  mise  au  jour.  Nous  avons  un 
Précis  historique  sur  la  fie  de  René 
d  Anjou ^  par  M.  Boisson  de  la  Salle, 
Aix,  i8'.io  ,  in-8°.  ,  suivi  d'un  autre 
Précis  par  le  préfet  des  Bouches-di;- 
Rhone.  M.  Raynouard  a  donné,  sur 
ce  livre,  unarticleinlércssant  dans  le 
Journal  des  Savnnls  àe:\\\\\\(^l  iS'jir  , 
pag.  4  17.  On  trouve  cnlin  de  curieux 
détails  sur  ce  prince  ,  dans  le  tome  iv 
des  Recherches  historiques  stirAn- 
gers  et  le  Bas-zlnjou  ,  jwr  J.-F.  Bo- 
din,  Saumur,  i8'23  ,  in-8". ,  etdans 
l'extrait  de  ce  livre  inséré  an  Journal 
des  Savants  ,  d'octobre  i8>.3,  pag. 
G'24-  V.  B.  ■ 

RENÉ  II,   duc  de  Lorraine.  /. 

Lor.RAlNE. 


348 


REN 


RENEAULME(Paul),  médecin 
français  ,  né  à  Blois  ,  vers    1 56o  , 
mort  vers  iGif\  ,  s'appliqua  aussi  à 
la  botanique  ;  et  il  paraît  qu'il  s'était 
ouvert  une  route  nouvelle,  qui  l'avait 
mis  à  même  de  devancer  son  siècle  ; 
mais  les  circonstances  ne  lui  permi- 
rent que  de  l'indiquer  dans  l'ouvrage 
suivant  :  Paiili  Renealmi  Blœsensis 
docloris   medici  spécimen  historiée 
plantarum.  Flantœ  Ijpisiinpressce^ 
Paris,  chez  Beys,   iGii  ,  in-8°.  de 
i5o  pages ,  avec  vingt-cinq  planches, 
contenant  cinquante  -  deux  plantes. 
C'est  par  ce  seul  ouvrage  que  Re- 
neaulme  a  mérité  la  reconnaissance 
de  la  postérité.  Ou  trouve   réunies 
souvent  dans  le  même  volume  deux 
autres  productions  de  Reneaulme  , 
peu  dignes  d'attention  ,  et  qui  peu- 
vent   donner    une    assez    mauvaise 
idée  de  son  caractère  :  car   ce  sont 
des    réponses   à  une  attaque    diri- 
gée   contre    lui    par    les    médecins 
Fournier  et    Boissieu.  Il  y  descend 
contre  eux  aux  pins  basses  injures  ; 
on  en  peut  juger  par  le  titre  seul:  Ad 
Furnerii  et  Diixerii  medici  o-^Ooo-j 
MaTTt?  ,  c'est-à-dire  ,  E'ouet  contre 
le  braiement  des  médecins  Fournier 
et  Boissieu;  il  les  traite  continuelle- 
ment d'ignorants  et  d'ânes;  il  y  fait 
parade  de  son  érudition,  et  surtout 
de  sa  connaissance  du  grec  :  mais  on 
voit  ,   par  quelqncs  j)assagcs  ,  qu'il 
avait  eu  des  démêlés  avec  la  faculté 
de  Paris,  qui  lui  avait  fait  promeltie 
de  ne  plus  se  servir  des  remèdes  par- 
ticuliers qu'il  avait  cherché  à  accré- 
diter 'dans  son  Traité  Ve  curalio- 
nibus  ohsen^atioimiii  liber,  Paris, 
lOoG,  in-8'^.  (i)  C'est  là  (pi'on  trou- 

(i)  (Jri  TuMIgia  dcsimicr  In  prutcslatioii  siiivaiilc 
F.^o  /'auliis  II,  iieaiUmc  ninfilcur  iii/ud  ilcrniiiim  cl 


REN 

ve  indiqué  ,  pour  la  première  fois  , 
l'usage  intérieur  de  la  ciguë ,  comme 
un  puissant  remède.  Ses  adversaires 
lui  reprochaient  d'avoir  manqué  à 
sa  parole  ;  mais  Reneaulme  répliqua 
que  la  faculté  n'ayant  pas  tenu  elle- 
même  ses  promesses  ,  il  se  croyait 
dégagé  de  ses  serments  :  il  paraît 
qu'il  en  était  résulté  un  procès ,  et 
qu'il  y  avait  eu  un  arrêt  du  parle- 
ment de  Paris  ,  qui  lui  permettait 
l'usage  de  ses  remèdes.  11  traite,  à 
son  tour,  ces  médecins  de  parjures, 
et  reproche  à  l'un  d'eux  d'avoir  ab- 
juré deux  fois  la  religion  catholique  , 
et  d'être  toujours  prêt  à  recommen- 
cer. Gen'estpas  par  de  tels  écrits  que 
Reneaulme  aurait  pu  se  rendre  re- 
commandable;  mais  il  n'eu  est  pas  de 
même  de  son  Spécimen.   Dans  son 
Épître  dédicatoire  ,  au  cardinal  Du- 
perron  ,   il  expose  brièvement  son 
but.  11  commence  par  se   plaindre 
de  l'impéritie  des   médecins  ,  qui  , 
ne  connaissant  pas  les  plantes  qu'ils 
prescrivent  ,  en  donnent  d'un  clTct 
contraire    et    souvent    pernicieux  : 
c'est    ainsi    qu'il    assure    avoir  vu 
employer   la  racine  de  napci  ,   au 
lieu  de  celle  de  l'hellébore.  Pour  ob- 
vier à  ce  grave  inconvénient,  il  dit 
qu'd  avait  entrepris  ,  depuis  nombre 
d'années  ,  d'examiner  avec  attention 
chaque  plante  ,  de  la  compaier  avec 
ccjijue  les  anciens  avaient  écrit  sur 
ce    sujet  ,    de  l'éprouver  enfin    sur 
lui-même,  quand  il  le  fallait;  ensuite 
qull  avait  donné  aux  genres  et  aux 
espèces  anonymes  des  noms  puisés 
dans  l'observation  de  leur  noie  na- 
turelle ;    qu'il   n'avait   pu    terminer 
ce    travail  ,    parce    que    difFérenles 


'■  mojil 
,lucl„ret-  /'nrislonfh  scLl.l- 
inriliU  un/ili'^  in  lihn,  Ohit 
l„,  c,l,l„,u-,l  /„rl,„um  mr.i 


t/ftlU 

uiiu^mtiti  HSHiltin  /■(.- 
tiouiim  imuiruin  1}  - 
iinilluii  //,,,. 


/iuciatu  et  GuLjii  duciulu  il  formulas  à  ichulu- l'a- 


risicnsii  mcilicis  prolnilas  ri  iisurpalas,  Datiim  l.ii- 
letim  die  ■ai  feln.,  jUon.  CcUc  firoti'sliitioii ,  «nrlciix 
in..i]iiincMl  "lie  l'iuloli  laiic  mrdici.lr  lUi  ci  Ile  rpo- 
<{M0,  a  |M'.>luil.l<iii.'i>l  iloiilK'  li<u  aux  r.>i<i'.i,ue  Mu- 
licrc  a  lait  entrer  ilaus  9uii  lUalailu  iiun(;iiiaire. 

1'-— 1)— R. 


REN 

tempêtes  l'avaient  arraché  du  port 
où  il  se  croyait  en  sûreté'  ;  mais  que 
s'y  voyant  rentré  de  nouveau,  il  vou- 
lait donner  l'idée  de  son  travail ,  en 
présentant  un  exemple  pris  dans  cha- 
cun des  livres  qui  composaient  son 
ouvrage,:  effectivement,  comme  son 
titre  de  Spécimen  l'indique ,  on  voit 
que  ce  sont  des  parties  détacLécs  ou 
des  espèces  isolées  ;  on  ne  peut  donc , 
par  leur  moyen ,  qu'entrevoir  son  in- 
tention :  par-là  on  aperçoit  qu'il  s'é- 
tait tracé  une  route  assez  sûre  et  qui 
devait  le  conduire  à  d'heureux  résul- 
tats. Ce  sont  donc  des  articles  sé- 
parés j  chacun  d'eux  commence  par 
un  nom  de  plante  ,  avec  une  discus- 
sion sur  les  auteurs  anciens  qui  s'en 
sont  servis  le  plus  souvent  :  il  en  for- 
me un  particulier,  qu'il  tire  du  grec; 
mais  ce  nom  devient  commun  à  plu- 
sieurs espèces  :  nomen  erit  generis. 
Ensuite  il  expose  la  note  caractéris- 
tique qui  le  distingue  :  voilà  donc  le 
genre  établi  exactement  ,  tel  qu'on 
le  reconnaît  aujourd'hui  ;  car  son 
nom  est  simple,  et  sa  détermination 
est  fondée  sur  l'examen  de  la  nature. 
Viennent  ensuite  sous  le  nom  species 
l'énuraératiou  des  espèces  qu'on  pas- 
se successivement  en  revue  ,  et  dé- 
crites chacune  dans  un  article  sous  le 
titre  de  formœ  ;  enfin  ,  sous  celui 
de  temperamentum  et  de  vires  ,  Re- 
neaulme  expose  brièvement  les  ver- 
tus ou  qualités  médicinales  des  plantes 
qui  composent  ce  genre  :  souvent  le 
genre  est  partagé  en  d'autres  groupes 
secondaires,  toujours  sous  le  nom 
àe  species;  et  comme  ils  compren- 
nent plusieurs  espèces  ,  il  en  résulte 
des  genres  d'un  second  ordre  :  enfin 
dans  les  planches  sout  représentées 
le  plus  grand  nombre  des  espèces 
dont  il  parle.  On  voit  que  le  fond  de 
sa  méthode  d'exposer  l'histoire  de 
chaque  plante ,  est  à-peu-près  celle 


REN  349 

de  tous  les  autres  auteurs  qui  l'ont 
précédé:  elle  en  diffère  parla  maniè- 
re dont  il  caractérise  chaque  genre  , 
qu'il  fonde  sur  l'observation  des  dif- 
férentes parties  ,  mais  surtout  de  la 
fleur  et  du  fruit  ;  et,  dans  la  descrip- 
tion ,  il  passe  en  revue  les  particula- 
rités les  plus  saillantes  du  reste  de 
la  plante.  Ainsi ,  il  examine  avec 
soin  le  calice  et  la.corolle  ,  compte 
les  étamines,  fait  attention  à  leur  for- 
me ,  élargie  à  la  base  dans  l'ornitho- 
gale  ,  considère  leur  proportion  ,  fait 
remarquer  qu'il  y  en  a  deux  plus  lon- 
gues et  deux  plus  courtes  dans  le 
plilomis  et  autres  labiées.  Celles  du 
chou  et  autres  crucifères  ne  lui  échap- 
pent pjs;  enfin  dans  les  genêts  ou 
légumineuses  ,  il  constate  leur  réu- 
nion. 11  a  donc  saisi  dans  la  nature 
le  plus  grand  nombre  des  considé- 
rations sur  lesquelles  Linné  fonda 
son  système  ,  plus  d'un  siècle  après. 
Il  suit  de  là  qu'il  démêle  souvent 
avec  justesse  le  caractère  essentiel 
de  chaque  genre  ,  et  que  c'est  lui 
qu'on  doit  regarder  comme  le  créa- 
teur de  celte  première  division  des 
êtres  naturels  :  ainsi ,  suivant  lui  , 
l'œillet  qu'il  nomme  phlox ,  a  pour 
note  générique  :  caljculuslongus  eut 
subest  hj'pocal}cium;folia  iji  caiili" 
bus  bina  et  Icnga ,  diioque  umbili- 
co  stjli  fljjixi.  Sous  ce  caractère  , 
Reneaulme  présente  une  vingtaine 
d'espèces  d'œillets  sans  aucun  mélan- 
ge: mais  parmi  elles  il  trouve  des  va-* 
riétés;  il  lesdiviseet  subdivnseen  plu- 
sieurs sections.  Quelquefois  il  réunit 
plusieurs  genres,  et  donne  des  sec- 
tions naturelles;  de  ce  nombre  est  le 
groupe  des  Geniiana.  11  décrit  fort 
bien  la  flein-  des  plantes  qui  le 
composent,  fait  voir  que  leur  fleur 
varie  dans  le  nombre  de  ses  parties 
de  quatre  à  huit,  mais  que  les  étami- 
nes sont  toujours  en  nombre  égal 


35o  REN 

avec  les  divisions  de  la  corolle;  il 
saisit  parfaitement  leiii"  caractère 
essentiel ,  qui  consiste  dans  le  stig- 
mate bifide;  par  ce  moyen  ,  il  y  rap- 
porte le  Centaurium  minus  ,  et  le 
-perfoliatum,  qnijusque  là  en  avaient 
été  écartés,  et  depuis  en  ont  été  long- 
temps séparés.  Ce  n'est  que  Linné  qui 
a  reformé  ce  genre  ,  tel  queUeneaiil- 
me  l'avait  conçu,  en  le  liant  avecplu- 
sieurs  autres  genres  ;  il  caractérise 
aussi  bien  tous  les  autres  :  si  quelque- 
fois il  y  rapporte  des  espèces  étrangè- 
res, c'est  avec  connaissance  de  cause: 
car  c'est  seulement  pour  ne  pas  tou- 
jours s'écarter  des  opiu'ons  reçues. 
Ainsi ,  à  l'occasion  du  Brassica  ,  il 
perle  de  deux  plantes  connues  sous  le 
nom  Acchou  marin,  pour  les  écarter, 
l'une  comme  toul-.'i-fait  étrangère  , 
étant  un  liseron,  l'autre  comme  for- 
mant un  genre  voisin  distingué  par 
son  fruit,  ne  contenant  qu'une  grai- 
ne ;  c'est  le  cramhé:  c'est  par  la  mê- 
me laison  qu'il  mk\K\vs phlonii s  aux 
verbascinn  ,  puisqu'il  trace  très-bien 
leur  différence.  11  tient  compte  des 
variétés  produites  parla  culture.  Par- 
tout il  se  montre  excellent  observa- 
teur. Il  détermine  aussi  quelques  gen- 
res dont  il  ne  connaît  qu'une  seule  es- 
pèce, comme  lelilas,  qu'il  nomme 
caZi7^'5f'j>'5.  Le  plus  grand  nombre  des 
plantes  qu'il  lait  p.isser  en  revue,  peu- 
vent être  reconnues  par  les  descrip- 
tions mêmes;  d,e  puis  il  y  a  iijoulé 
plusieurs  figures  parfiilenient  dessi- 
nées, très-bien  gravées,  et  supérieu- 
res non-seu!emeutà  celles  qui  avaient 
ctc  faites  auparavant ,  mais  au  plus 
grand  nondjrc  de  celles  qui  ont  jiaru 
(iciHiis.  On  voit  bien  qu'elles  ont  clé 
d'jssinées  d'après  nature:  deux  di- 
f;Milsempr:i:lient  néanmoins  qu'on  en 
reconnaisse  le  mérite  au  premier 
coup-d'oiil  ;  d'abord  ,  parce  qu'elles 
sontsuuvenlliop  confuses,  plusieurs 


REN 

figures  se  trouvant  sur  la  même  plan- 
che ;  ensuite  le  cuivre  n'a  pas  été  bien 
nettoyé,  ce  qui  rend  le  blanc  bar- 
bouillé d'une  manière  désagréable. 
Cet  ouvrage  était  fait,  sous  tous  les 
rapports,  pour  produire  une  vive 
sensation;  mais  il  paraît  qu'il  n'en  a 
fait  aucune.  A  peine  est-il  cité  par  les 
contemporains.  Gaspar  Banliin  le 
nomme ,  à  la  vérité ,  dans  la  liste  des 
auteurs  qui  se  trouve  en  tête  de  son 
Pinax  ;  mais  il  ne  le  cite  que  très-ra- 
rement :  on  peut  croire  qu'il  en  a  été 
détourné  par  im  grand  obstacle , 
c'est  que  Reneaulme,  se  contentant 
du  nom  ancien  ,  soit  de  Dioscoride , 
soit  de  Théophraste,  qu'il  croit  re- 
connaître, ne  donne  aucune  synony- 
mie des  noms  qu'il  forge;  par-îà  il 
est  souvent  diiïicile  de  détei miner 
les  plantes  qu'il  a  en  vue.  A  peine 
parle-t-il  dans  un  petit  nombre  d'oc- 
casions des  auteurs  prcfcdents:  Clu- 
siuset  Dodocns  sont  rarement  nom- 
més. C'est  un  grand  défaut  dans  cet 
essai;  mais,  malgré  cela  ,  on  regret- 
te que  son  auteur  n'ait  pas  publié 
l'ouvrage  complet.  S'il  l'eût  fait,  et 
qu'il  eût  montré  autant  d'habiletc 
]iour  l'ensemble  qu'il  en  a  fait  voir 
dans  les  détails  ,  il  en  fût  résul- 
té un  ouvrage  vraiment  original  , 
dans  lequel ,  se  mettant  au-dessus  de 
tous  ses  contemporains,  Reneaulrac 
aurait  exécuté  à  lui  seul  ce  qu'à  peine 
on  a  pu  faire  dans  deux  siècles.  Ainsi 
il  aurait  donné  une  nomenclature 
simple,  fondée  sur  la  natuie,  com- 
posée d'un  seul  mot  pour  les  espèces 
rattachées  aussi  à  des  genres  uuivo- 
ques ,  et  probablement  les  sections: 
il  en  serait  résulté  une  nomencla- 
ture homogène.  Cependant  tout  dans 
cet  essai  n'est  pas  également  neuf: 
on  voit  que ,  bien  (ju'il  n'en  dise  rien, 
il  consiilleles auteurs contcinjiorains. 
C'est  ainsi  <pie  son  premier  article, 


REN  REN                 35  r 

qui  comprend  l'instoirc  du  cliône  ,  chan[,  dans  son  Speciesplantaritm  ^ 
est  piis  cil  partie  de  l'Histoire  des  tout  son  travail  des  Gcmianes  et 
Plantes  de  Dalccharap  ;  il  a  copie  adoptant  le  nom  et  le  genre  de  CA/orfl-, 
pareillement  les  Luit  figures  qui  On  peut  sujiposer  aussi  qu'Adanson 
composent  la  première  planche:  sept  n'avait  pas  apprécié  tout  de  suite  le 
sont  prises  du  même  ouvrage  ,  et  la  mérite  de  Reneaulnie  ,•  car  ,  dans  sa 
liuitièiue,  qui  représenlela  fleur  mâle,  Préface,  il  se  contente  de  citer  sèche- 
est  copiée  du  Plij  topiiiax  de  Bauhin.  ment  sou  nom  parmi  les  auteurs  qui 
On  peut  croire  que  ,  dans  l'ouvrage  ont  ëciit  sans  méthode:  mais,  dans 
complet  ,  il  eût  indiqué  les  sources  un  Supplément  à  ses  Familles,  il  fit 
où  il  avait  pui^é  ,  et  qu'il  eût  ainsi  voir,  ]iar  ces  mêmes  Gentianes,  le  cas 
rendu  justice  à  chacun  de  ses  prcdé-  qu'il  faisait  de  cet  auteur,  puisqu'il 
cesseurs.  Pour  lui,  il  n'a  pas  été  admit ,  comme  section  naturelle,  les 
heureux  de  ce  côté:  on  l'a  laissé  dis-  sept  genres  qu'il  en  avait  composés, 
jiaraître  sans  payer  le  moindre  tribut  en  conservant  leur  nomenclature, 
àsamémoire.  Tournefort  lui-même,  Ha!Ier,dans  sa  Bihlioth.  hotan.  ,  fit 
qui,  dans  son  Isagoge,  atracé  une  sentir  tout  le  mérite  de  Reneaulmc, 
histoire  si  complète  de  la  science,  quoiqu'en  peu  de  paroles.  Ou  peut 
ne  fait  pas  mention  de  Reneaulme.  présumerque  si  son  livre  a  été  si  peu 
Dans  le  Catalogue  qu'il  donne  des  cité,  il  a  été  néanmoins  utile  à  plus 
auteurs  ,  on  trouve  bien  ce  nom  d'un  de  ses  successeurs ,  notamment 
(  Foy.  l'art,  suivant  )  ;  mais  c'est  le  à  Morison  ,  dont  le  tessera,  ou  r.olc 
j-etit-fils  de  Paul,  Plumier  a  cher-  caractéristique  des  genres  ,  paraît 
filé  à  le  venger  de  cet  oubli,  en  calqué  sur  les  caractères  de  Reneaul- 
dounaut  le  nom  de  Etneahnia  à  me;  et  il  ne  sciait  pas  impossible 
un  beau  genre  qu'il  a  fuiuié  en  Amé-  que  Morison  ,  avant  vécu  dis  ans 
rique  :  mais  ,  depuis ,  sir  B.  Bro^vn,  àBlois  ,  eût  eu  connaissance  des  ma- 
ne  le  trouvant  pas  bien  distinct ,  nubcrits  qu'a  dû  laisser  Reneaulmc. 
en  a  consacré  un  autre  à  sa  mémoire,  Les  ouvi'agcs  de  ce  dernier  fournis- 
en  prenant  l'occasion  d'exposeibriè-  sent  peu  de  détails  sur  sa  vie  pri- 
vement  tout  son  mérite.  Linné  n'a  vée.  On  sait  qu'il  avait  voy^Tgé  en 
cité  Reneaulmc,  dans  son  Cri/ica  io-  Suisse,  en  Italie;  parcouru  les  Al- 
tanica  ,  (|ue  pour  le  blâmer  d'avoir  pcs  ,  visité  le  IMont  -  Vcnloux  ,  et 
e'crit  dans  un  ouvragelatiu,  en  carac-  enfin  heiborisé  autour  de  Paris, 
tères  grecs,  les  noms  génériques,  quoi-  L*Opuscu!e  dont  nous  av(;ns  parlé  , 
qu'ils  fussent  tirés  de  cette  langue,  semble  ])iouvcr  que  son  caractère 
Linné  pouvait  avoir  raison  en  cela  ;  était  assez  irascible.  On  peut  croire 
mais  il  s'est  montré  injuste  ,  en  que  ses  démêlés  avec  la  faculté  de 
ajoutant  que  cet  auteur  était  plus  médecine 'ont  nui  à  ses  travaux;  iF 
habile  en  grec  qu'en  botanique  :  7/m-  paraît  cependant  qu'il  fut  lié  avce 
jor  œUimator  lingUiP  grœc<e  (juhiii  des  personnes  tiès  leco^nmaiidables^ 
scienliœ  bolaniccp  ,  (pag.  1 27  .  On  telles  que  le  cardinal  Dupcrron,  coui- 
peut  croire  que,  rebuté  d'abord  par  me  le  témoigne  sou  Ejûtie  dédi- 
teltc  nomenclature  singulière  ,  il  ne  caloire  ,  mais  surtout  avec  le  pré- 
s'était  pas  donné  la  peine  de  lire  sidciit  de  Tliou.  Celui  ci  a  laissé  nu 
l'ouvragc;mais  depuis  il  prouva  qu'il  témoignage  luui  éijuivoqne  qu'il  goii- 
ctail  rcveuu  de  cette  préveulioii ,  eu  tait  sa  manière  d'envisager  l'cludc 


352 


REN 


des  plantes  :  ce  sont  quatre  pièces  de 
vers  latins,  dans  lesquels  il  décrit  poc'- 
tiquenient  quatre  plantes  sous  les 
noms  que  leur  avait  donne's  Rc- 
neaulme  j  celui-ci  les  a  ajoutées  avec 
raison  à  son  ouvrage.  P — p — s. 
RENEAULME  de  La  GARANCE 
(MicuEL-Louis)  ,  médecin  ,  arrière- 
petit- fils  du  précédent,  naquit  à 
"Blois,  vers  1O75,  fut  reçu  à  l'aca- 
démie des  sciences  ,  comme  botanis- 
te ,  en  1699  ,  et  mourut  le  27  mars 
1739,  Ou  a  lieu  de  croire  qu'il  fut 
l'élève  ou  l'ami  de  Tournefortj  car 
celui-ci  le  cite  dans  le  Catalogue  des 
auteurs  de  botanique,  qui  est  en  tête 
de  ses  Institutions,  quoiqu'il  n'eût 
encore  rien  produit  dans  cette  scien- 
ce ;  mais  il  le  signale  par  cette  phrase 
magnas  ai'ittv  virtutis  spes  j'aciens. 
C'est  probablement  sur  sa  parole 
que  Reneaulme  fut  reçu  à  l'académie; 
il  était  alors  docteur-régent  de  la  fa- 
culté de  médecine  de  Paris.  Il  s'é- 
tait fait  connaître  par  un  Discours 
prononcé  lors  de  l'ouverture  de  l'é 
cole  de  chirurgie,  et  il  faisait  impri- 
mer un  Recueil  des  tlicses  qu^il  avait 
fait  soutenir.  Ce  qui  prouve  les  liai- 
sons intimes  qu'il  avait  eues  avec 
Tournefort ,  c'est  que  l'académie  le 
chargea  de  rédiger  les  ouvrages  maj 
nuscrits  qu'avait  laissés  cet  illustre 
auteur  ,  et  de  les  publier.  Il  fit  con- 
naître la  manière  dont  il  voulait 
s'acquitter  de  cette  honorable  com- 
mission ,  en  donnant  ,  en  1709  ,  le 
plan  des  vingt-cinq  volumes  qui  de- 
vaient contenir  ces  précieux  restes  : 
depuis  cette  époque  ,  on  n'en  a  plus 
entendu  parler  ;  et  lui-même  n'a  mar- 
qué son  existence  ,  que  par  un  petit 
nombre  de  Mémoires,  peu  impor- 
tants pour  la  plupart ,  insérés  dans 
ceux  de  l'acadéniie  ;  en  1699,  ^"^ 
le  siic  miellé  qui  découle  en  cer- 
tain temps  des  feuilles  d^érablc:  en 


REN 

1701  ,  il  décrivit  un  noyer  à  feuilles 
découpées  ;  en  1707  ,  il  exposa  sa 
manière  d^expliquer  l'ascension  de 
la  sève  ,  ou ,  comme  il  la  nomme ,  le 
suc  nutritif  des  plantes.  11  n'est  pas 
tiès-heureux  dans  son  explication  ; 
mais  il  s'appuie  sur  quelques  obser- 
vations particulières  ,  dont  il  avait 
fait  le  plus  grand  nombre  à  une  mai- 
son de  campagne  qu'il  avait  près  de 
Blois  ;  c'est  la  qu'il  dit  avoir  vu  le 
tronc  d'un  noyer  abattu  près  de  la 
superficie  du  sol  ,  fournir  pendant 
trois  ans  ,  à  l'époque  de  la  sève,  une 
grande  abondance  de  suc  ;  ce  qui , 
selon  lui ,  iuslifiait  la  pratique  des 
bûcherons  de  cette  contrée,  qui,  lors- 
qu'ils voulaient  obtenir  des  rejets 
des  souches  qu'ils  venaient  d'étron- 
çonner  ,  ne  manquaient  pas  de  re- 
couvrir la  plaie  de  terre  huniide.Dans 
un  second  Mémoire  sur  ce  sujet, 
présenté  en  1711  ,  il  entre  en  dis- 
cussion avec  Parent ,  qui  soutenait 
une  opinion  contraire.  En  1708,  il 
écrivait  sur  la  conservation  des 
blés  ;  en  1710,  il  apporta  une  figure 
et  une  description  de  l'éponge  fluvia- 
tile  rameuse  ;  il  donna  aussi  deux 
descriptions  de  plantes  ,  qui  sont 
mentionnées  seulement  dans  l'Histoi- 
re de  l'académie:  l'une  est  très-com- 
mune ,  car  c'est  la  sanicula  •  la  se- 
conde ,  le  perceneige  ,  mais  présenté 
sous  le  nom  d'éranglia  (  le  nom  que 
lui  avait  imposé  son  bisaieul  ).  C'est 
le  seul  tribut  qu'il  paye  à  sa  mémoire; 
mais  on  ne  ])eut  soupçonner  que  le 
petit-  fils  eût  hérité  de  quelque  par- 
celledeson  génie  classificateur,  si  ce 
n'est  le  Mémoire  qui  ofiic  des  obser- 
vations sur  les  systèmes  debotanique, 
et  sur  rulilitéd'élablir  des  genres  se- 
condaires. C'est  par  une  3''.  descrip- 
tion de  plantes  ,  mentionnée  dans  le 
vol.  de  17-io,  que  sa  cariiJ;re  bota- 
nique se  trouva  terminée.  1) — v — s. 


REN 

RENE^ULME  (Paul- Alexan- 
dre de),  frère  du  précèdent,  né  à 
Blois,  vers  1672,  était  d'une  famille 
noble  ,  originaire  de  la  Suisse  ,  et 
illuslrée  p.ir  ses  alliances.  11  entra 
dans  l'ordre  des  chanoines  régu- 
liers de  Sainte-Geneviève  de  Paris , 
fut  d'abord  prieur  de  P.Iarclienoir , 
diocèse  de  Blois ,  et  ensuite  de  Theu- 
vy ,  à  trois  lieues  de  Chartres,  où  il 
mourut,  eu  1 749-  T-^e  goût  des  sciences 
semblait  être  inné  dans  cette  famille; 
mais  tes  ancêtres  de  Paul-Alexandre 
s'attachèrent  de  préférence  à  la  mé- 
decine. Dans  l'espace  de  près  de  deux 
siècles,  la  ville  de  BK-is  posséda  cinq 
médecins  du  nom  de  Reneauline.  On 
connaît  les  ouvrages  que  ])lusieurs 
d'entre  eux  ont  publiés.  Beaucoup 
de  Reneaulme  ont  laissé  des  manus- 
crits, monuments  de  leur  vaste  éru- 
dition, de  leurs  travaux  et  de  leurs 
recherches  continuelles  (  1  ).  Paul- 
Alexandre  suivit  les  traces  de  ses 
aieux.  Livré  surtout  à  l'histoire  ,  à 
la  botanique  et  à  la  médecine,  il 
n'exerça  cette  dernière  science  qu'en 
faveur  des  pauvres.  Connu  par  sa 
bienfaisance ,  il  a  laissé  une  mémoi- 
re encore  respectée.  Les  recherclies 
historiques  et  littéraires  commen- 
çaient a  acquérir  un  grand  degré 
d'intérêt.  L'impulsion  avait  été  don- 
née par  les  savants  Bénédictins  de  la 
congrégation  de  Saint- Maur,  dans 
leur  Histoire  littéraire  de  France  ,  et 
d'autres  ouvrages  célèbres.  Reueaul- 
iiie  conçut  le  Projet  d'une  Bibliothè- 
que universelle.  Son  dessein  était  im- 
mense; il  annonçait  l'érudition  la  plus 
étendue  et  les  connaissances  les  plus 
varices  :  la  vie  seule  de  l'homme  ne 
suliiraitpaspourrexécuter.  llcrovait 


(_il  Voyez,  le»  urtide-  C.rt  ilitai?les  que  le  V,o:n\ 
dei7Sr|,  duiiiie  sur  .MaltUicu  de  HeNEAULJïE  ,cjui 
vivi.it  eu  lâSo;  sur  P;iul  l<-'.,  iii-iv  dit botanisle ,  et 
>ur  l«  rote  de  la  t'auiiilc. 


REN 


353 


que  son  zèle  doublerait  ses  forces,  et 
ne  calculait  pas  même  l'action  du 
temps.  Rassembler  en  un  même 
corps  d'ouvrage,  par  ordre  alpha- 
bétique et  chronologique,  les  noms 
de  tous  les  auteurs  qui  ont  écrit ,  eu 
quelque  langue  que  ce  soit,  recher- 
cher leur  pays,  leur  âge,  leur  état, 
y  joindre  un  précis  de  leur  vie,  don- 
ner les  titres  de  leurs  ouvrages,  tant 
imprimés  que  manuscrits  ,  le  nom- 
bre des  éditions,  des  traductions, 
analyser  ces  ouvrages  ,  tel  était  le 
plan  que  Reneaulme  s'était  propo- 
se'. Déjà  il  avait  employé  plus  de 
vingt  années  à  cette  immense  coni- 
})osiîion,  lorsqu'il  eiî  fit  jiaraître  le 
Projet,  en  1788,  annonçant  que 
{1)  l'ouvrage  aurait  pour  titre  : 
Essai  aune  bibliothèque  universel- 
le. Alors  les  trois  premiers  volumes 
(  l'e  format  infol.  )  étaient  prêts  à 
paraître,  et  les  autres  étaient  fort 
avancés.  Mais  ce  travail,  qui  aurait 
été  d'une  si  grande  utilité  ,  désiré 
depuis  long-temps  ,  et  qu'on  n'a  ja- 
mais pu  exécuter ,  n'est  connu  que 
par  le  seul  Prospectus  ou  Projet  ;  il 
ne  fut  point  rendu  public  :  peut-être 
la  santé  de  l'auteur,  devenue  languis- 
saute  dans  ses  dernières  années ,  en 
fut-ciUe  le  motif.  Reneaulme  laissa  une 
très  -  belle  bibliothèque,  qui  passa, 
de  même  que  tous  ses  manuscrits  , 
aux  chanoines  réguliers  de  Saint- 
Jean  de  Chartres.  Le  Projet  de  la 
bibliothèque  universelle  paraît  aussi 
perdu ,  a  moins  qu'il  n'ait  été  trans- 
féré à  la  bibliothèque  de  Sainte-Ge- 
neviève. H — R N. 

RENE  AU  AIE    DE   LA    TACHE 

( ),. naturaliste  estimable,  né 

vers  1720,  à  Laon  ,  était  fils  d'un 
anciei!  et  brave  militaire,  qui ,  ayant 

(■>y  J'o).  Jouiu.  de  Verdun,  août  1738,  p.  iS3- 
23 


354 


REN 


obtenu   la  cliargc  d'aide -major  du 
cliâtcau  de  Bouillon ,  s'établit  avec 
sa  famille  dans  cette  ville,  et  ne  né- 
gligea rien  pourfaire  jouir  ses  enfants 
des  avantages  d'une  bonne  éducation. 
Doue  d'heureuses   dispositions  ,    le 
jeuneRcncauinc  fit  de  rapidesprogrès 
dans  les  sciences  et  les  lettres,  qu'il 
continua  de  cultiver  quand  il  eut  em- 
brasse'la  profession  des  armes  ,  à  la- 
quelle son  ])cre  le  destinait.  Il  par- 
vint au  grade  de  cap.talne  dans    un 
régiment  d'infanterie  étrangère  ,  fut 
fait  chevalier  de  Saint-Louis  ,  et  se 
retira  avec  une  modeste  pension.  Il 
possédait,  dans  l'Ardenne,  une  ferme 
qu'il  s'occupa  d'améliorer  et  d'em- 
bellir, et  partagea  ses  loisirs  entre  l'e'- 
tude  des  lettres  et  celle  de  l'histoire 
naturelle.  Il  fut  long-temps  l'un  des 
rédacteurs  du  Journal  Encyclopé- 
dique ,  désigne  souvent  par  le  nom 
de  Journal  de  Bouillon^  parce  qu'il 
s'imprimait  dans  cette  ville;  et  selon 
M.  Barbier  (  Dict.  des  Anonymes  , 
V^.  édit. ,  IV  ,  349  )  ,  il  continua  la 
Gazette  des  Gazettes  :  mais  il  est 
principalement   connu    par  l'excel- 
lente traduction  qu'il  a  publiée  de 
l'ouvrage   allemand    de   Reimarus  : 
Observations  physiques  et  morales 
sur  l'instinct  des  animaux,  Amster- 
dam ,    1770,   '2  vol.  in -12     (  F. 
Reimarus  ).  Il  a  enrichi  cette  tra- 
duction de  notes  pleines  d'intérêt, 
dans  lesquelles  il  explique,  et  quel- 
quefois combat  les  opinions  de  son 
auteur.  Les  remarques  de  Reneaume 
sur  les  amours  des  papillons  ,  sur  la 
teigne,  sur  la  ponte  du  coucou,  sur 
l'industrie  du  castor ,  dénotent  un 
bon  observateur ,   et  sont    fort  cu- 
rieuses. On  ignore  l'époque  précise 
delà  mort  dcRcncaurac,  quoIM.  Bar- 
bier place  vers  178 1.  W — s. 

REINÉE  DE  FRANCE,  duchesse 
de  Ferrare,  princesse  qui  doit  à  son 


REN 

amour  pour  les  lettres  une  grande 
célébrité ,  était  fdle  de  Louis  XII  et 
d'Anne  de    Bretagne  ,   et  n.iquit  à 
Blois  ,  le  25  octobre  1 5 10.  Promise, 
dans  sou  enfance,  à  l'infant  Ferdi- 
nand, à  l'archiduc  Charles  d'Autri- 
che ,  et  ensuite  au  roi  d'Angleterre  , 
des    intérêts    politiques    rompirent 
tons  ces  projets  d'union  ;  et  elle  fut 
mariée  ,  en  1 5^8  ,  à  Hercule  II ,  duc 
de  Ferrare,    dont  l'alliance  parais- 
sait devoir  assurer  aux  Français  la 
possession  du  IVliîanez  ;  elle  lui  porta 
en  dot  les  duchés  de  Chrirlres  et  de 
Montargis.  Peu  favorisée  de  la  na- 
ture  sous  le  rapport  des  dons  exté- 
rieurs ,  mais  douée  d'une  ame  forte , 
et  d'un  esprit   aussi  pénétrant  qu'é- 
levé ,  cette  princesse  aimait  l'étude 
et  les  sciences  ;  elle  apprit  l'histoire , 
et  les   mathématiques  :    Luc  Gau- 
ric    lui   enseigna   l'astrologie    (i)  : 
elle   savait    le   grec  et  le  latin;  et 
on  voit  par  une  Lettre  A' koxi\n&  Pa- 
learius,  qu'elle  fit  instruire  dans  ces 
deux  langues  ses  filles  Anne  et  Lu- 
crèce. La  protection  qu'elle  accor- 
dait à  tous  les  talents,  rendit  plus 
brillante  la  cour  de  Fei  rare  ,  oîi  elle 
attirait   tous  les   hommes    célèbres 
que  ses  libéralités  pouvaient  attein- 
dre, tels  que  Lilio  Giraldi ,   Célio 
Calcagnini  ,    etc.    Olimpia- Fulvia 
Morata    lui    dut     son    éducation. 
Calvin  ,    obligé  de  s'cxpatriA' ,   fut 
accueilli  par  Renée,  comme  l'étaient 
tous  les    savants    :    elle   voulut  sa- 
voir de  lui  les   motifs  qui  l'avaient 
engagé  à  se  séparer  de  l'Eglise  ro- 
maine (2);  et  cette  fatale  curiosité' 

(1)  .<  J<-  rai  vue  ,  dit  nnintome  ,  fui  l  sav.intn  et  di- 
courir  fort  hautement  et  gravement  de  toutrsscien- 
ces  jusqu'à  l'iistrologie  et  la  connaissance  des  .istres  , 
dont  je  1.1  vis  entretenir  un  jour  la  reinenière  (  Ca- 
tlicrinc  de  Mètlicis  ),  qui,  l'oyaut  ainsi  ))arler  ,  dit 
que  le  plus  (•mnd  pliilosoplie  rlu  monde  n'en  saurait 
mieux  parler  {  Olùivres  ,  1 ,  3»3  ,  éd  de  17^0  ). 

(»)  ]'n  avançant  en  âge,  dit  r.iuf  iiené  (  Histoire 
liliériiirr  fi'Finlir ,  IV.  f)G).  elle  s'enfonea  dans  les 
.  Iiulrs  les  pliisniisiraités,  <t  1  ut   le  mall'irui   d'aller 


REN 

Iroiihla  le  repos  du  reste  de  sa  vie. 
Renée ,  disposée  en  faveur  des  pro- 
lestants par  Calvin  (  Foy.  ce  nora  ), 
fut  confirmée  dans  leurs  principes 
par  Marot ,  qui  a\ait  aussi  clierchc' 
un  refuge  à  Ferrare,  et  qu'elle  choi- 
sit pour  secrelaire  (  Voy.  Marot  , 
XXVII,  241  )-  «  Peut-être,  dit 
»  Brantôme ,  que  se  ressentant  des 
»  mauvais  tours  que  les  papes  avaient 
»  faits  au  roi  son  père ,  en  tant  de 
»  sortes,  elle  renia  leur  puissance,  et 
»  se  sépara  de  leur  obéissance  ,  ne 
»  pouvant  faire  pis  ,  étant  femme. 
»  Je  tiens  de  bonne  source  qu'elle  le 
»  disait  souvent.  »  L'attachement 
que  Renée  montra  pour  les  erreurs 
de  Calvin  ,  excita  la  colère  de  son 
mari.  Le  duc  de  Ferrare  chassa  de 
sa  cour ,  avec  Marot ,  tous  les  Fran- 
çais ,  ainsi  que  les  autres  étrangers 
soupçonnés  de  partager  les  nouvelles 
opinions ,  et  remplaça  les  femmes 
de  la  princesse  par  des  Italiennes 
chargées  de  surveiller  sa  conduite  , 
et  de  lui  en  rendre  compte.  Sur  sa  de- 
mande, le  roi  Henri  II  fit  partir  pour 
Ferrare, un  certaiîi  Oriz,  qui  remplis- 
sait en  France  les  fonctions  d'inqui- 
siteur de  la  foi ,  avec  la  commission 
de  travailler  à  ramener  Renée  à  la  foi 
catholique  ,  autorisant  ce  docteur  , 
en  cas  d'obstination  ,  a.  prendre  ,  de 
concert  avec  son  mari,  des  mesures 
pour  la  ranger  à  la  raison  par  la  ri- 
gueur et  la  sévérité  (  Voy.  les  Addit. 
de  Laboureur  aux  MémoiT.  de  Cas- 
telnau  ,  i ,  7 1 7  ).  On  fut  obligé  d'en 
venir  aux  moyens  de  rigueur  insi- 
nués par  le  roi  :  on  priva  Renée  de 
la  vue  de  ses  enfants  qu'elle  aimait 
tendrement ,  et  on  la  retint  prison- 
nière dans  son  palais  :  mais  rien  ne 
put  vaincre  sou  obstination,  ni  lui  ar- 


|usqu*?i  la  ttcologie.  Or  ,  Calvin  qui  l'instruisit 
«■Ite  srienrc,  était  îi   l'errarp  ,  eu   i535     et  R 


n'avait  alors  que  vioal-ciuq  nus. 


dans 
cuve 


REN  355 

racher  un  désaveu  (3).  Au  retour  de 
la  funeste  expédition  contre  Naples 
en  1557  (  F.  Guise,  XIX  ,  187  ) , 
elle  sauva,  dit  Brantôme,  plus  de  dix 
mille  Français,  qui  sans  elle  seraient 
morts  de  faim.  Après  la  mort  du 
duc  de  Ferrare ,  Renée  revint  en 
France  ,  où  elle  arriva  dans  le  mois 
d'octobre  i56o,  et  sur-le-champ  elle 
se  rendit  aux  états-généraux  assem- 
blés à  Orléans.  Ayant  appris  que  le 
prince  de  Condé  venait  d'être  arrêté, 
elle  prit  hautem.ent  sa  défense  ,  «  et 
»  dit  et  remontra  au  duc  de  Guise  , 
»  son  gendre  ,  que  quiconque  avait 
»  conseillé  ce  coup  au  roi  ,  avait 
»  failli  grandement  »  (  Brantôme  ). 
Cette  princesse  n'approuvait  cepen- 
dant pas  que  la  religion  servît  de 
prétexte  à  des  révoltes;  et  elle  cessa 
de  voir  le  prince  de  Condé  ,  ifiand  il 
fut  devenu  le  chef  des  protestants 
armés  pour  réclamer  la  liberté  de 
conscience.  Dans  les  temps  de  trou- 
bles et  d'anarchie ,  ses  domaines 
furent  l'asile  de  tous  les  proscrits  , 
qu'elle  aidait .  secourait  et  nourris- 
sait de  tout  son  pouvoir.  Le  duc 
de  Guise  l'ayant  fait  sommer  de  lui 
livrer  quelques  gentilshommes  cal- 
vinistes qui  s'étaient  réfugiés  dans 
son  château  de  Montargis  ,  la  mena- 
çait, en  cas  de  refus  ,  d'assiéger  cette 
place;  Renée  répondit  à  son  envoyé: 
«  Avisez  bien  à  ce  que  vous  ferez  ; 
sachez  que  personne  n'a  le  droit  de 
me  commander  que  le  roi  même  ,  qt 
que  si  vous  en  venez  à  l'exécution 


(^)  Les  dcsagri  nients  que  Rcm'e  l'piouva  de  la 
part  de  son  mari ,  sont  rup[>oi  les  par  îWuiatoii ,  An- 
tirh.  Est.  ,11,  38().  On  peut  lire  aussi  le  Cantique 
que  Blarot  adressa  de  Venise,  en  i536,  à  Margue- 
rite, reine  de  Navarre  ,  dans  lequel  il  deplure  d'une 
manière  furt  touclianle  ,  la  souiiVan' e 

Du  noble  coeur  de  Rcnc'c  de  France. 
iVInriit  avait  cél«  hre'  le  mariage   de  cette  princesse 
ji.u-  un  F.pilhalame  cin'on  trouve  dans  ses  OF.iifret, 
ainsi  que  VLfiîire  qu  il  lui  adrassa  en  arrivMit  dans 
>es  états. 

23.. 


35G 


REN 


de  vos  menaces ,  je  rae  mettrai  la  pre- 
mière à  la  brèche  ,  où  j'essaierai  si 
vous  avez  l'audace  de  tuer  une  fille 
de  roi  ,  dont  le  ciel  et  la  terre  se- 
raient obliges  de  venger  la  mort  sur 
vous  et  A'otre  lignée ,  jusqu'aux  en- 
fants au  berceau.  »  Renée  mourut , 
le  12  juin  1075,  à  .^lontargis  ,  ville 
qu'elle  avait  ornée  de  plusieurs  beaux 
édifices.  On  trouve  dans  le  volume 
86  des  Mss.  de  Dupuy,  à  la  biblio- 
tbèque  du  Roi ,  une  Lettre  autogra- 
phe de  cette  princesse  à  Calvin  ,  très- 
étendue  et  fort  curieuse.  Elle  avait 
eu  ,  de  sou  mariage  avec  le  duc 
de  Ferrare  ,  deux  t"ds  ,  Alfonse  II 
et  lecaidinal  Louis  d'Esté  (  F.  Este, 
Xllî,  377),  et  trois  filles,  Anne, 
mariée  au  duc  de  Guise  ,  et  ensuite 
au  duc  de  Nemours;  Lucrèce,  du- 
chesse d'Urbin  ,  et  Le'onore  que  Ton 
suppose  ,  mais  sans  preuve  ,  avoir 
inspiréauTasse  une  passion  qui  causa 
les  malheurs  de  ce  poète.  Voy.  la 
Fie  de  Benée  de  France  ,  par  Cal- 
leau,  Berlin,  1781  ,  in-8^.    W — s. 

RENI(GuiDo).  r.  Guide. 

RENKÏN  :  Savalm  ) ,  ou  RENNE- 
QUIN.   /^. Ranmequin. 

RENNEFORT  Urbain  Sou- 
cuu  DE  ) ,  voyageur  français,  avait 
été  trésorier  des  gardes-du  corps  du 
roi.  Cette  place  ayant  été  supprimée, 
il  fut  pouivu  de  la  charge  de  secré- 
taire du  conseil  souverain  de  la 
France  orientale  ,  qui  devait  être  éta- 
bli à  Madagascar  ;  ces  disposilious 
enreut  lieu  ,  lorsque  l'on  fonda  ,  en 
1664  ,  une  coinj)agnic  des  Lides- 
Orientales.  Rennetort  s'embarqua  le 
7  mars  ifi65,  sur  un  des  quatre 
vaisseaux  (pii  firent  voile  de  Brest. 
On  attéiit,lc  10  juillet, à  Madagascar, 
où  l'on  prit  possession  ,  au  nom  du 
roi,  du  fort  et  du  comptoir  que  le 
iiiaréclial  tie  la  Mcilleraie  v  possédait. 
La  division    s'établit   bientôt  entre 


REN 

les  chefs  de  la  colonie  et  Rcnneforl  : 
il  fut ,  en  quelque  sorte,  mis  de  côté; 
ou  lui  fit  essuyer  des  passe-droits  : 
il  raconte  même  qu'il  courut  risque 
de  la  vie.  Rebuté  de  tant  de  contra- 
riétés ,  il  demanda  la  permission  de 
quitter  P.Fadagascar,  et  partit  de  celte 
île  le  '20  février  16G6  ,  sur  un  vais- 
seau qui  était  en  si  mauvais  état ,  que 
l'on  pariait  qu'il  ne  pourrait  jamais 
arriver  en  France.  Cependant  ce  vais- 
seau était  parvenu  heureusement  eu 
vuedcGueruesey,  le  9  juillet,  lorsqu'il 
fut  pris  par  un  bâtiment  anglais  : 
il  coula  à  fond  peu  de  moments 
après  que  Rennefort  eut  été  conduit 
à  bord  de  l'ennemi.  On  mena  ce 
voyageur  en  Angleterre  ;  au  mois 
d'avril  1667,  ii  revint  en  France. 
Avant  son  départ  de  Madagascar  ,  il 
avait  gagné  la  confiance  de  La  Case, 
aventurier  établi  depuis  long-temps 
dans  cette  île  (  F.  La  Case,  VII, 
265  ).  Celui-ci  avait  chargé  Renne- 
fort  de  communiquer  aux  intéressés 
de  la  compagnie  les  renseignements 
qu'il  jugeait  utiles  au  succès  de  leurs 
affaires.  Rennefort ,  arrivé  à  Paris  ,  fit 
à  la  compagnie  les  propositions  de 
La  Case  ;  mais  elles  ne  furent  pas 
mieux  reçues  par  les  directeurs  , 
qu'elles  ne  l'avaient  été  par  le  con- 
seil de  Madagascar.  On  n'écouta  pas 
non  plus  ce  qu'il  dit  pour  appuyer 
l'établissement  de  celte  île  ,  et  fai- 
re réussir  l'entreprise  des  Indes.  Il 
reconnut  même  que  la  compagnie 
avait  peu  d'envie  de  l'indemniser 
des  pertes  qu'il  avait  soufFerlessi  son 
service.  On  a  de  Rennefort  :  I.  Be- 
latioii  du  premier  Forage  de  la 
compagnie  des  Indes-  Orientales^  en 
Vile  de  Madai^ascar  ou  Paiiflnne  , 
Paris,  i(j(i8,  in- 12.  \\.  Jlistoire 
des  Indes-  Orientales  ,  ibid. ,  1  (j88  , 
in-4*'.  Le  premier  ouvrage  contient 
ce  que  le  titre  annonce  ;  par  consc- 


REN 

qiienl  des  faits  dont  rautcur  a  été 
témoin  :  il  y  parle  à  la  première 
pcrjonue.  Le  second  ,  divise  eu  deux 
livres,  re'pf  te  d'al)ord,  d'nne  manière 
plus  abrogée,  le  même  écrit  ;  mais 
Renneiort  se  nomme  à  la  troisième 
personne,  et  donne,  sur  plusieurs 
points  ,  de  plus  grands  développe- 
ments ,  surtout  pour  ce  qui  con- 
cerne les  affaires  de  la  compagiiie: 
le  deuxième  livre  renferme  Tex- 
péditiou  de  la  compagnie  aux  In- 
des ,  en  16G6;  le  Voyage  de  Ca- 
ron  et  celui  de  Delahaye;  enfin  ,  tout 
ce  qui  se  passa  jusqu'à  l'abandon  de 
[Madagascar.  On  trouve,  danslesdcux 
ouvrages  de  Rennefort,  de  bons  ma- 
tériaux pour  l'histoire  du  commer- 
ce français  dans  les  Indes-Oricntales, 
et  des  Notices  exactes  sur  Madagas- 
car :  ses  réflexions  sur  l'entreprise 
des  Indes  sont  d'un  bomme  sensé'; 
et  les  conseils  qu'il  doime  ,  peuvent 
encore  être  bons  à  suivre.     E — s. 

RENNEVILLE  ( Re.mî-Auguste- 
CoNSTAiVTiN  DE  ) ,  littérateur,  moins 
connu  par  ses  ouvrages  que  par  les 
malheurs  qui  troublèrent  sa  vie  ,  na- 
quit à  Cacu ,  vers  1  6jo,  d'une  famille 
très- ancienne  de  l'Anjou.  Il  était  le 
cadet  de  dix  frères,  tous  militaires  , 
etdontscpttrofivèrcnt  sur  le  champ 
debatadle  nue  mort  glorieuse.  Doué 
de  quelques  dispositions  et  d'une 
grande  vivacité  d'esprit,  il  fit  ses 
c'iudes  avec  succès,  embrassa  la  pro- 
fession des  armes  ,  servit ,  dans  le 
corps  des  Mousquetaires  ,  obtint  sa 
reiraite,  et  fut  nommé  directeur  des 
aides  et  domaines  à  Carentan,  par  la 
protection  de  M.  de  Cliamillart  (  V. 
ce  nom  )  qui  l'avait  employé  d^ns  di- 
verses affaires  de  conîiance.  Il  se  ma- 
ria peu  après  ,  et  passa  plusieurs 
années  fort  tranquille ,  partageant 
son  temps  entre  les  dcvoirsdcsapla- 
j       ce  et  la  culture  des  lettres.  L'espoir  de 


REN  357 

procurer  un  établissemcul  à  sa  famille 
dans  les  pays  étrangers,  elle  désir 
de   professer  librement  la   religion 
calviniste  qu'il  avait  embrassée  lors- 
qu'elle était  proscrile  ,  le  condui>i- 
rent  en  Hollande,  en  1699.  ^''ayallt 
pas  trouvé  loutcs  les  facilités  dont  il 
se  flattait ,  il  prêta  l'oreille  aux  pro- 
])Osilions  de  M.  de  Chamillart  ,  qui 
l'engageait    à    revenir  en  France  , 
lui  promettant  un  emploi  plus  lucra- 
tif que  celui  qu'il  avait  quitté.  Il  par- 
tit d'Amsterdam,  le  1 3  janvier  1702, 
après  avoir  assuré  l'existence  de  sa 
famille,  qu'il  laissait  en  Hollande.  A 
sou  arrivée  à  \ersaillcs  ,  il  fut  re- 
çu par  son  protecteur  avec  des  té- 
moignages de  bienveillance  qui  sur- 
passèrent son  attente.  Le  ministre 
lui  offrit  le  choix  d'une  place  dans 
l'administration  de  la  guerre  ou  dans 
les  finances  :  mais  Renueville  ayant 
montré  le  désir  de  s'attacher  à  sa 
personne  ,  il  lui  fit  expédier  sur-le- 
champ  le  brevet  d'une  pension  de 
mille  livres,  et  lui  donna  la  promesse 
du  premier  emploi  qui  vaquerait  dans 
ses  bureaux  ,  avec  un  traitement  de 
mille  écus.  Cette  faveur  ne  manqua 
pas  d'exciter  l'envie.  Ou  fit  tomber 
dans  les  mains  de  M.  de  Torcy  (  V . 
CoLBERT  ,  IX  .  '^1']  )  ,  des  bouts-ri- 
mes  que  Renueville  avait  remplis, 
plusieurs  années  auparavant,  d'une 
manière  injurieuse  à  la  France.  L'a- 
veu de  sa  faute  lui  mérita  son  par- 
don; mais  une  lettre  que  !c  même 
ministre  reçut  de  la  Hollande  ,  quel- 
ques jours  après,  le  confirma  dans 
l'idée  que  le  protégé  de  1\T.  de  Cha- 
millart pouvait  n'être  qu'un  espion, 
et  qu'il  entretenait  des  correspondan- 
ces criminelles  avec  les  puissances 
étrangères.  Torcy  expédia  l'ordre  de 
s'assiuer  de  la  personne  de  Renne- 
ville  ,  ainsi  que  de  tous  ses  papiers  ; 
et  il  fut  conduit  à  la  Bastille  ,  le  lO 


35B  REN 

mai  \'joî.  La  première  clianibre  de 
la  tour  du  coin  ,  dans  laquelle  il  fut 
enferme'  d'abord ,  était  celle  où  le 
duc  de  Montmorenci,  les  mare'cliaux 
de  Biron  et  de  Bassompierre  avaient 
été  de  tenus,  et  où  le  Slaistre  de  Sacy 
avait  traduit  la  Bible  en  français  :  et 
c'est  dans  cette  même  chambre  que 
Voltaire  commença ,  depuis ,  la  Ilen- 
î'iade.  ^lais  pendant  onze  ans  et  deux 
mois  que  Renneville  resta  prisonnier, 
il  babita  successivement  presque  tous 
les  cachots  delà  Bastille.  Durant  les 
premières  années  ,  il  n'eut  point  à  se 
plaindre  de  la  conduite  des  ofliciers 
de  cette  forteresse  à  son  égard;  mais 
après  l'e'vasion  du  comte  de  Buc- 
quoi  ,  qu'on  le  soupçonna  d'avoir 
favorisée  (  F.  BucQuoi ,  VI ,  'ni  ), 
il  fut  jeté  dans  un  cachot ,  dont  on 
le  relira  demi -mort  ;  et  depuis  ,  il  ne 
cessa  pas  d'être  traité  de  la  manière 
la  plus  rigoureuse.  Sa  résignation 
soutint  cependant  son  courage,  La 
prière  et  la  lecture  de  quelques  livres 
dérobés  à  la  surveillance  de  ses  sar- 
diens,  abrégeaient  l'ennui  de  ses  jour- 
nées. Enfin,  il  avait  trouvé  le  moyen 
de  faire  de  l'encre  avec  du  noirdefu- 
raée  qu'il  détrempait  dans  du  vin;  et 
de  petits  os  taillés  lui  servaient  à  écri- 
re des  vers,  et  même  des  ouvrages 
de  longue  haleine  ,  qui  lui  furent  en- 
levés, et  qu'il  n'a  jamais  pu  recou- 
vrer. Renneville  sortit  de  la  Bastille, 
le  1 6  juin  17  i3,  et  reçut  en  même 
temps  l'ordre  de  quitter  la  France, 
où  il  lui  était  défendu  de  rentrer.  Use 
rendit  en  Angleterre ,  où  il  eut  le 
bonheur  d'être  accueilli  par  le  roi 
George  !'='■. ,  qui  lui  donna  une  pen- 
sion. Assuré  de  la  protection  de 
ce  prince,  i!  rédigea  ses  Mémoires 
sur  la  Bastille  ,  qu'il  publia,  en 
1715,  sous  le  titre  (.V Histoire 
de  V Inqtdsilion  francoise.  Cet  ou- 
\iagc  ,   ipioique  mal   écrit  ,   excita 


REN 

vivement  la  curiosité  publique  ,  par 
la  description  du  régime  intérieur 
d'une  prison  d'état ,  fameuse  dans 
toute  TEmope  ,  et  par  le  récit 
des  rigueurs  qu'on  y  exerçait  en- 
vers les  détenus.  Ce  qui  augmenta 
l'intérêt  que  son  sort  ins|)irait  aux 
ennemis  de  la  France ,  c'est  qu'on 
crut  ,  d'après  son  récit  ,  que  les 
liommes  dont  il  mettait  au  jour 
les  abus  d'autorité  ,  cherchaient  à  se 
venger  ,  et  que  c'était  à  leur  instiga- 
tion qu'il  avait  été  attaqué  dans  les 
rues  de  Londres  par  trois  assassins  , 
qu'il  fut  assez  heureux  pour  mettre 
en  fuite.  On  ignore  cequedevintRen- 
uevdle  depuis  cette  époque  ;  mais  il 
est  probable  qu'il  n'a  pas  vécu  beau- 
coup au  delà  de  1724:  il  devait  avoir 
alors  au  moins  soixante-dix  ans.  On 
a  de  lui  :  L  Becueil  des  voyages 
qui  ont  servi  a  rétablissement  et 
aux  progrès  de  la  compagnie  Hollan- 
daise des  Indes-  Orientales  ,  Ams- 
terdam ,  1702  -  o5,  5  vol.  in-  12. 
Cette  compilation  était  terminée 
quand  l'auteur  fat  mis  à  la  Bastille  • 
il  l'a  dédiée  à  M.  de  Chamillart  :  elle 
a  été  réimprimée  aA'^ec  des  addi- 
tions ,  Amsterdam,  1780,  10  vol. 
iu-i'2  (i).  n.  \J Inquisition  fran- 
çaise ou  Histoire  de  la  Bastille  , 
Amsterdam,  1715,  in- la.  Cette 
première  édition  fut  contrefaite,  mê- 
me en  France,  malgré  toute  la  sur- 
veillance de  la  police,  et  traduite  en 
anglais, en  hollandais,  en  allemand. 
Renneville  en  ])ublia  une  nouvelle 
édition,  Amsterdam,  1724, 5  vol.  in- 
12,  semée  d'un  grand  nombre  d'a- 
necdotes et  d'iiistoires  particulières, 
qu'il  assure  avoir  recueillies  de  la 


(i)M.  Roiiclicrdc  laBicharderic.qiii  ne  dràignc 
l'éditeur  de  ce  Recueil,  i\ue  jiar  le  nom  de  (îoiistan- 
liii.  en  cite  deux  autre»  editiuii»  :  ruiic  de  raris, 
j-ofi,  10  vol.  iu-m,  et  l'autre  d'Anisli  rdain  ,  1707- 
10,  eu  (ivo).  (Vov.  lu  Bibliolh.  des  vnjua,es  ,  1  ,  8li.  j 


RM 

bouche  iu!metl('S  prisoiiniers,  mais 
qnisont  peu  vraisemblables.  Le  lome 
cinquième  contient  V Ilisloire  de  Vin- 
quisilioii  de  Goa  (  Voy.  Dellon  )  , 
précédée  d'une  longue  Dissertation 
sur  l'origine  de  ce  tribunal  et  les 
condamnations  eccle'siastiques.  111. 
Cantiques  de  V Ecriture  sainte,  pa- 
raphrasés en  sonnets  ,  Amsterdam  , 
17  i5  ,  in-8"\  IV.  OEuvres  spirituel- 
les contenant  diverses  poésies  chré- 
tiennes ^  ilud.  ,  17'i'J,  in-8".  C'est 
peut  être  une  reimpression  de  l'ou- 
vrage  piccedent  avec  des  additions. 
Renneville  nous  apprend  qu'il  avait 
compose'  dans  sa  prison  un  Traité 
des  devoirs  du  fidèle  chrétien ,  qu'il 
écrivit  dans  les  interlignes  d'un  li- 
vre ;  un  grand  nombre  de  Sonnets 
et  de  Vers  ;  et  enfin  un  Poème  de 
V amour  et  de  V amitié ,  qu'il  prête- 
rait à  tous  ses  autres  ouvrages  ,  et 
qu'il  réclama  ,  promettant ,  si  on  le 
lui  rendait,  de  supprimer  son  Flis- 
toire  de  la  Bastille.  W — s. 

RENNIE  (John  ) ,  mécanicien  et 
ingénieur,  naquit  le  7  juin  1761  ,à 
Phantassie,  paroisse  de  Prestonkirk 
eu  Ecosse.  Son  père  ,  fermier,  de  la 
classe  de  ceux  qui  jouissent ,  dans  les 
îles  Britanniques  ,  d'une  considéra- 
tion méritée,  laissa,  en   1766,  sa 
mère  veuve  avec  neuf  enfants ,  dont 
John  était  le  plus  jeune.  Une  circons- 
tance ppu  digne  de  remarque  ,  si  on 
l'isole  de  l'inlluence  qu'elle  a  eue  sur 
sa  destinée,  détermina  ou  développa 
le  goût,    la  passion  pour  les  arts, 
qu'il  a  ensuite  cultivés  avec  tant  de 
succès.  Sa  maison  paternelle  était 
séparée  de  l'école  où  il  apprenait  à 
lire ,  par  un  ruisseau  ,  qu'on  traver- 
sait ,  dans  les  temps  ordinaires,  sur 
\\n  petit  pont  rustique  ;  mais,  dans  la 
saison  des  orages  et  des  crues  ,  il  fal- 
lait aller  par  un  détour,  jusqu'à  la 
iruinufaclurc  d'un  M.  Aiidrcw  Mei- 


REN  359 

kle  ,  connu  ,  en  l'.cosse,  comme  in- 
venteur de  la  machine  à  battre  le  blé, 
où  l'on  tiouvailun  bateau  pour  passer 
le  torrent.  Les  fréquentes  occasions 
qu'eut  Reunie  de  parcourir  et  d'exa- 
miner les  ateliers  de  celte  manufac- 
ture ,  ne  furent  pas  perdues  pour  le 
génie  naissant  :    les  divers  travaux 
qu'il  y  vit  exécuter,  fixèrent  forte- 
ment son  attention  ;  il  eut  le  bon- 
lieur  d'inspirer  quelque  intérêt  aux 
cliefs    d'atelier  ,   qui   lui  donnèrent 
des  instructions  et  li:i  prêtèrent  des 
outils.   A  l'âge  de  dix  ans ,  il  avait 
déjà  construit  des  modèles  de  mou- 
lin à  vent,  de  machine  à  bUttre  les 
pieux,  et  de  machines  à  vapeur,  dont 
une  partie  ,   conservée  dans  sa  fa- 
mille, est  remarquable  par  la  per- 
fection de  la  main-d^œuvre.  Ainsi  un 
des  plus  grands  ingénieurs  dontl'An- 
eleterre   ait  à   s'honorer  ,   n'aurait 
peut-être  etequ  un  homme  ordinaire, 
un  simple  fermier ,  si ,  dans  son  en- 
fance ,  il  eût  pu  se  rendre  ,  sans  ba- 
teau ,  chez  le  pédagogue  de  son  vil- 
lage. 11  était  âgé  de  treize  ou  qua- 
torze ans,  lorsqu'il  alla  étudier  ,  à 
Dunbar  ,  sous  le  professeur  Gibson  , 
les  sciences  mathématiques  et  physi- 
ques :  ses  progrès ,  après  deux  ou 
trois  ans  de  travail  ,  furent  tels,  que 
Gibson,  nommé  à  une  autre  chaire, 
deraanda  instamment  le  jeune  Ren- 
nie  pour  son  successeur  ;  mais  celui- 
ci  ,  bridant  du  désir  de  donner  à  ses 
connaissances  en  physique  tout  le 
développementdont  elles  étaient  sus- 
ceptibles ,   partit  pour  Édinbourg , 
où  il  suivit  les  cours  des  professeurs 
Robison  et  Black.  Il  forma  ,  avec 
le  premier,  une  étroite  liaison  ,  à  la- 
quelle il  a  dû  les  premières  occasions 
de  faire  connaître  et  apprécier  ses 
talents  et  son  mérite,  Robison  l'in- 
troduisit auprès  de  Watt  et  Bolton  , 
établis  à  Suho,  près  Birmingliamj  là 


}Go 


REN 


il  fut  occupe  pendant  douze  mois  ,  et 
fit  exécuter  plnsiciirs  machines  qui , 
après  quarante  ans  d'usap;?  ,  sont  en- 
core rej^ardc'cs  comme  des  modèles 
dans  leur  ç;enrc.  Walt  et  Bolton  au- 
raient désire  le  retenir  à  Solio  ,  pen- 
dant trois  ans;  mais  Rennie ,  qui 
avait  le  sentiment  de  son  mérite, 
Toulnt  se  montrer  sur  nn  plus  grand 
tlie'àlrc ,  et  résolut  de  se  rendre  à 
Londres.  La  direction  de  route  qu'il 
avait  suivie  en  allant  d'Édiubourg  à 
•  Soho  ,  lui  avait  procuré  les  moyens 
de  A'isiter  plusieurs  monuments  de 
me'canique  et  d'architecture  hydrau- 
lique ,  |)nrmi  lesquels  il  faut  distin- 
guer le  canal  de  Bridgewater  :  il 
continua  ses  examens  d'olijets  d'art 
et  de  science ,  en  allant  de  Soho  à 
Londres.  Peu  de  temps  après  son 
arrivée  dans  cette  capitale  ,  il  y  fut 
employé  ,  par  Watt  et  Bolton  ,  à  la 
construction  des  machines  de  l'ëta- 
blissemeiu  connu  sous  le  nom  dViZ- 
hion  Mills  ;  et  il  fit  preuve  d'une  ha- 
bileté à  laquelle  Watt  a  rendu  les 
témoignages  publics  les  plus  authen- 
tiques :  des  pièces  de  mécanisme  jus- 
qu'alors exéculées  en  bois  ,  le  furent 
en  fer  fondu  ;  et  de  ce  changement , 
résultèrent  d'importantes  améliora- 
lions  dans  les  machines  :  celles  de 
Rennie  ,  calculateur  et  praticien  , 
étaient  remarquables  par  une  préci- 
sion de  mouvement,  une  proportion, 
une  harmonie  entre  leurs  diverses 
parties  ,  qui  les  faisaient  générale- 
ment regarder  comme  des  modè- 
les ;  et ,  à  ces  qualités,  se  réunissait 
la  qualité,  plus  essentielle  encore  , 
d'employer  la  force  motrice  avec 
un  grand  avantage.  Les  moulins 
(ïyll'nan  sont  sujets  à  l'a  cl  ion  des 
marées  ;  et  c'est  ,  vrai.sembla])le- 
mcnt ,  m  s'en  occupant,  qiu-  Réunie 
fit,  des  grandes  conslruclinns  hy- 
drauliques, l'objet  de  ses  méditations 


REN 

particulières.  Il  fut  d'abord  dirige, 
dans  cette  haute  partie  de  la  science 
de  l'ingénieur  ,  par  les  conseils  et  les 
exemples  du  célèbre  Smeaton  :  bien- 
lot  il  devint  l'émule  de  son  maître; 
et  aucun  ingénieur  n'était  capable 
d'être  le  sien ,  lorsque  Smeaton  fut 
enlevé  aux  srienccs  et  aux  arts.  C'est 
à  cet  agrandissement  des  connais- 
sances de  Rennie  ,  que  l'Angleterre 
doit  trois  monuments  :  la  jetée  ou 
Breakwater  de  Piymouth  ,  le  pont 
en  fer  de  Southwark  ,  et  le  pont 
de  Waterloo  ,  dont  chacun  suftirait 
pour  faire  la  réputation  d'un  ingé- 
nieur :  mais  ,  avant  de  parler  de  ces 
grands  ouvrages  ,  il  faut  donner  un 
aperçu  des  autres  travaux  postérieurs 
à  ceux  d'Albion  Mills.  Immédiate- 
ment après  l'achèvement  de  ces  tra- 
vaux ,  en  i-jSô  ou  1787  ,  la  réputa- 
tion de  Rennie ,  comme  mécanicien , 
lui  attira  un  grand  nombre  de  de- 
mandes: il  construisit  des  moulins  à 
sucre  pour  la  Jama'i(|ue  et  les  autres 
îles  des  Indes  Occidentales  ,avec  une 
supériorité  qui  lui  valut  presque  le  mo- 
nopole de  ces  dispendieuses  machi- 
nes; un  moulina  poudre  àTunbridge; 
un  grand  moulin  à  farine,  à  Wands- 
worth  ,  etc.  L'association  de  ses 
talents  à  ceux  de  ses  amis  Watt  et 
Bolton  ,  a  produit  des  pièces  de  mé- 
canique qu'on  peut,  à  tous  égards, 
considérer  commedes  chefs-d'œuvre: 
ces  derniers  se  chargeaient  de  four- 
nir la  force  motrice  avec  les  ma- 
chines à  vapeur,  de  l'invention  de 
Watt,  auxquelles  Rennieadaptait  les 
mécanismes  destinés  à  opérer  les 
effets  utiles.  On  voit  les  résultais  de 
cctteprécicuse association  aux  hôtels 
des  monnaies  de  ToAver-Hill  ,  de 
Saint-Pétersbourg ,  de  Copenhague: 
un  hôtel  des  monnaies  projeté  pour 
Calcula  devait  cire  fourni  de  machi- 
nes a  l'instar  des  précédents  ;  Rennie 


REN 

est  mort  avant  leur  cxcciition.  Les 
forges  a'ancrcs  ,  et  l'arsenal  de  ma- 
rine de  Woolwicli,  offrent  des  pièces 
de  mécanisme  ge'ncralement  a'Imi- 
rees.  Le  mérite  dcRennie,  si  bien 
connu  et  apprécie  aux  Indcs-Occi- 
dentales ,  ne  l'élait  pas  moins  aux 
Indes-Orient.'i!os  :  mais  il  fit   voir  , 
dans  ses  relations  avec    celles-ci    , 
que  les  calculs  de  stahililé  lui  réus- 
sissaient plus  lienreuseraont  au  physi- 
que qu'au  moral.  Un  pont  en  fer  de 
fonte  lui  fut  demande  de  la  part  du 
nabab  à' Oude  (  ou  Aond)  ,  pro- 
vince situe'c  au  nord  de  Be'narès  , 
poyr  être  établi  sur  la  rivière  Goom- 
tr  h  Luknow  :  les  pièces  âc  ce  pont , 
compose  de  trois  arches,  dont  les 
ouvertures  étaient  de  quatre-vina;t- 
dix  pieds  anglais  pour  la  centrale , 
et  quatre-vingts  pieds  pour  les  latc'ra- 
les  ,  furent  embarque'cs  avec  un  in- 
génieur charge  de  les  mettre  en  pla- 
ce. L'ingénieur  et  le  pont  firent  un 
voyage  inutile  :  l'inconstant  nabab, 
ayant  changé  de  résolution,  ne  vou- 
lut ni  de  l'un  ni  de  l'autre.  Le  canal 
de  Lancasîre  ,  un  des  plus  beaux 
monuments  de  son  genre  qui  aient 
été  entrepris  ,  doit  être  cité  parmi  les 
nombreuses  preuves  de  la  grande  ha- 
bileté de  Rennie  en  architecture  hy- 
draulique: on  y  distingue  particuliè- 
rement l'aqueduc  navig  ible  qui  tra- 
verse le  fleuve  Loyne,  aussi  remar- 
quable par  la  beauté  des  formes  que 
par  le  mérite  de  la  construction.  Ce 
travail  avait  clé  précédé  par  celui  du 
canal  de  Crinian  en  Ecosse,  dont  le 
creusement  offrait  de  grandes  difïl- 
cnltés.  L'enthousiasrne  pour  les  com- 
munications navigables  intérieures, 
ou,  suivant  l'expression  d'un  bio- 
graphe anglais  ,    the  ra^e  for  ca- 
riais ,  prenait  chaque  jour  un  carac- 
tère pi  us  prononcé;  et  Rennie  se  trou- 
vait accablé,  de  toutes  parts,  de  dc- 


REN  36 1 

mandes  de  projets,  à  tel  point,  qu'en 
peu  d'années  il  connut  la  topogra- 
phie, le  système  hydraulique  du  sol 
anglais,  dans  ses  plus  minutieux  dé- 
tails. Quelques-uns  des  plus  impor- 
tants projets  dont  il  ait  dirigé  l'exé- 
cuiion  ,  sont  ceux  d'Aberdccn  ,  Brc- 
chin  ,Grandwestern  ,Kennctetavon , 
Portsmouth, Birmingham,  Worces- 
ter ,  etc.  Les  ressources  de  son  esprit 
se    sont  montrées  avec  toute    lenr 
force  dans  la  construction  des  ma- 
gnifiques docks  (i),  dont  le  com- 
merce et  la  navigation  retirent  une 
utilité  infinie, ctque Londres  compte 
parmi  ses  ornements.   Huit ,  Gree- 
nock,  Leith,  Liverpool  et  Dublin 
ont  aussi  des  docks  ,  construits  sur 
ses  plans  :  les  ports  deQueensferry, 
Berwick  ,  Howth  ,  Holyhead,  Dun- 
leary    (    maintenant    appelé     port 
Kingstown),  lui  doivent  leur  com- 
modité et  leur  sûreté.  Cependant  ces 
travaux  le  cèdent  en  beauté  et  en  mé- 
rite ,  aux  arsenaux  royaux  de  Ports- 
mouth ,   Chatam  et   Shecrness.   Ce 
dernier  ,  surtout ,  a  ofrort  des  diffi- 
cultés  d'art,  qu'on  n'aurait  jaruais 
tenté  de  surmonter,  sans  l'extrême 
importance  de  sa  position  au  point 
d'alîluence ,  dans  les  bouches  de  la 
Tamise,  de  la  principale  des  deux 
branches  de  la  Medway  qui  enve- 
loppent une  partie  de  Tîle  de  Shep- 
pey.  Là  ,  au  milieu  d'un  fond  sans 
consistance  ,  de  quarante  pieds  d'é- 
paisseur ,  parsemé  de  débris  de  na- 
vires ,  il  a  fallu  créer  une  base  fixe 
fà  d'immenses  constructions  ;  fonder, 
éleveret  rcndrestable  une  grandelon- 
gueur  de  murs  de  granit;  rendre  étan 
c/ie5  dévastes  bassius(c'està-dirc  leur 
former  une  paroi  imperméable),  etc. 
L'aspect  imposant  de  ce  magnifique 
arsenal  frappe  d'admiration  lesper- 

(i)Iîassiiisil\iiti(pril  jiourlisvjisscnin  m:ircbaiid;'- 


36; 


REN 


sonnes  les  plus  c'trangères  à  l'arclii- 
tectuie hydraulique  (a).  Réunie  avait 
fait  le  projet  d'un  nouvel  arsenal 
maritime  à  Pembroke  ,  et  un  autre 
projet  de  même  espèce,  mais  beau- 
coup plus  considérable,  pour  Nortli- 
fleet,  sur  la  Tamise,  cajjable  de 
tenir  à  flot  les  deux  licrs  de  la  ma- 
rine anglaise  ,  avec  des  formes  où 
l'on  aurait  pu  mettre  en  construc- 
tion ,  ou  en  radoub ,  les  vaisseaux 
de  tous  les  rangs.  On  présume  que  la 
grandeur  de  la  dépense  a  empêché 
l'exécution  de  ce  projet.  Nous  sup- 
primons, pour  abréger,  même  les 
simples  indications  d'une  multitude 
de  travaux  de  Renuie,  en  machines, 
jionts  ,  canaux  et  dessèchements  de 
marais;  et,  avant  de  passer  aux  trois 
grands  monuments  dont  nous  avons 
parlé  précédemment,  nous  nous  bor- 
nerons à  citer  les  importants  usages 
qu'il  a  faits  de  la  cloche  de  plongeur, 
pour  les  travaux  sous-marins.  L'a- 
cadémicien et  ingénieur  français  Cou- 
lomb avait  publié  d'ingénieuses  re- 
cherches sur  cette  cloche  :  Smeaton 
l'avait  adaptée  à  la  pratique  des  tra- 
vaux-et  Rennie,  en  l'améliorant  en- 
core, a  fait  une  application  de  l'ins- 
trument, ainsi  perfectionné, au  port 
deHov\th,  et  une  autre,  très-remar- 
f|uable,  au  musoir  de  la  jetée  du  port 
deRamsgate.  Il  s'agissait  de  réparer, 
àio,  II,  12  et  i3  pieds  au-dessous 
de  la  basse-mer,  des  airouil'ements 
qui  mettaient  en  danger  la  stabilité 
de  la  jetée  entière  :  ces  réparations 
ont  été  faites  de  manière  à  mainte- 
nir complètement  et  même  à  aug- 

(»)  La  ilcsciiplioD  de  ce  moimnieiil,  arcoinpagnc'e 
de  i«laiicliis,  a  etc  doiiiiec  juir  M.  Dupin  ,  de  I  acii- 
(Icinie  des  sciences,  etc.(  /'oynge  île  lit  GiuiiiU  B/c- 
taglit,  etc.,  tome  1) ,  ■x".  jiartie,  nage  l3ï  el  suivan- 
te»), M.  Uiipin  a  heaiicuiip  contribué  à  faire  couiiaî - 
trc  cl  a|i|ire<  ier  en  rraucc  le  mérite  de  Henuic  ,  et 
|i«r  IVjnvrn("e  qn'i.n  vient  de  citer ,  accompagne  d'nnc 
tie»-inlereii«ui, te  Notice  ,  et  par  nu  ouvrage  preee- 
deul  aiiy  Ub  ponlsel  cluiii-scej  d'Anj<!clem'. 


REN 

menterla  solidité  initiale  de  la  cons- 
truction. On  prétend  que  les  ouvriers 
irlandais  piéfèrent  le  travail  sous  la 
cloche  au  travail  en  plein  air ,  s'y 
trouvant  plus  au  frais  eu  été  et  moins 
froidement  en  hiver:  il  est  plutôt  à 
présumer  que  le  vrai  motif  de  la  pré- 
férence est  l'augmenlaliou  de  paye 
allouccpour  les  travaux  sou.'-marins. 
Nous  allons  maintenant  parler  de  la 
jetée  ,  ou  hreakwater  de  Plymoulh, 
et  des  ponts  de  Southwark  et  Wa- 
terloo. Plyniouth  est  situé  au  fond 
d'une  rade  de  l'espèce  de  celles  qu'on 
appelle  rades  foraines  ^  dont  la  lon- 
gueur est  de  3  V,  o  milles  maij|ns 
(  G3oo  mètres  ) ,  et  la  largeur  moyen- 
ne de  2  y,o  milles  marins  (  4^74 
mètres)  (3  ,  entre  les  embouchures  de 
deux  fleuves  ,  le  Pljm  et  le  Tamer, 
emboucliures  qui  fournissent  de  vas- 
tes bassins  désignés  par  les  noms  de 
Catwater  et  Hamoase.  Une  quanti- 
té immense  d'établissements  de  ma- 
rine et  de  constructions  militaires 
remplissent  le  fond  et  garnissent  les 
rives  de  cette  rade.  Une  de  ces  cons- 
tructions est  élevée  sur  une  petite 
île  située  en  face  de  Plymouth ,  qu'on 
a  appelée  île  de  Drake,  pour  hono- 
rer la  mémoire  du  célèbre  naviga- 
teur de  ce  nom.  Plymouth  fut ,  en 
1577  ,1e  pointde  départ  de  son  voya- 
ge autour  du  monde.  L'ouverture  de 
la  rade  se  trouve  à  son  extrémité 
méridionale;  et  son  axe  longitudinal 
est  dirigé  du  sud  au  nord.  Bien  abri- 
tée, sur  les  V4  de  la  rose  des  vents  , 
par  les  montagnes  de  Cornouailles 
et  du  Devonsliu e ,  ses  eaux  n'en  sont 
pas  moins  sujètes  à  être  violemment 
agitées  ])ar  l'action  de  la  lame,  que 
favorisent  l'évaseuïcnt  de  l'ouverture 


(3)  I/'i)iivLilurc  il  la  mer  ist  prcMpie  double  île 
I  lie  liirgeni  INI  yenne.ljn  mille  luariu ,  on  nne  nii- 
ule  du  nii'iidiïn  leireslre,  vaut  l85i  inrhcs  ; 
■  ojioo  milre.v  vali  nt  i4  uidles  malins. 


REN 

mcridionale,  et  la  nudité  de  la  mer  , 
devant  laquelle  cette  ouverture  est 
placée.  Pour  procurer  au  fond  de 
cette  rade  et  au  bassin  d'Haraoase  le 
calme  qui  leur  manquait,  MM.  Réu- 
nie et  Whidby  ont  fait  le  projet  d'un 
barrage  transversal  eu  euiocberaent, 
désigne  en  Angleterre  par  le  nom  de 
break-water  ou  brise- vague  ^  pla- 
cé vers  l'origine  et  un  peu  en  avant 
de  la  partie  re'tre'cie  de  la  rade.  D'a- 
près des  profils  fournis  par  M.  Whid- 
by, au  mois  de  mai  dernier  (i8.i3), 
la  longueur  du  break  -  water  est  de 
538o  pieds  anglais  (  lôSg  mètres  ) 
(4).  Cette  longueur  n'est  pas  exacte- 
tement  en  ligne  droite  :  les  parties 
extrêmes  fout,  avec  la  partie  moyen- 
ne, des  angles  très-obtus,  rentrant 
du  côté  du  fond  de  la  rade  ;  et  de  lar- 
ges passes,  très-praticables  aux  vais- 
seaux ,  sont  réservées  entre  la  digue 
et  les  rives  est  et  ouest.  Les  dimen- 
sions transversales  de  cette  digue , 
dans  la  partie  la  plus  profonde ,  sont, 
d'après  les  profils  ci-dessus  cités,  de 
290  pieds  anglais  (68  mètres  )  de 
largeur  à  la  base ,  réduits  à  55  pieds 
anglais  (    16  mètres  )  au  sommet , 
sur  62  pieds  anglais  (  18  mètres  )  de 
hauteur.  La  largeur,  à  la  base,  est  ré- 
duite sensiblement  d'un  quart,  et  la 
hautenrd'untiers,  dans  les  parties  les 
moins  profondes ,  le  sommet  se  trou- 
vant partout  au  même  niveau,  La  ma- 
tière de  l'enrochement  est  du  mar- 
bre extrait  des  collines  qui  bordent 
la  rive  gauche  du  Plym,  un  peu  au- 
dessous    de    Plymouth.  D'énormes 
blocs,  dout  le  poids,  suivant  M. 


(4)  i555  métros  suivant  Dupin  et  Diitoiis;  i3G.'| 
mètres  suivant  Cacliin  :  il  est  ù  pn  sucjk  r  <jue  ce»  iii- 
géoieiirs  ayant  pris  leurs  mesures  uvaiit  i|uc  l'enro- 
chenient  fût  clciidu  sur  la  ligue  ciititrc  de  l.i  digue, 
n'eu  (int  pas  eu  la  véritable  lungueur.  Dutens  et  Ca- 
chiD  ont  aussi  donne  des'  dimensions  transversales 
moindres  que  celles  des  profils  de  M.  \Vhidby. 


REN 


363 


Dnpin  ,  va   jusqu'à   dix  mille  ki- 
logrammes ,  sont   extraits ,  trans- 
portés et  placés,  par  des  moyens 
que  nous    ne    pouvons  pas   décri- 
re ici  ,    mais    qui    font   beaucoup 
d'honneur  aux  auteurs  du    projet. 
M,  Whidby,  digne  collaborateur  de 
Rennie,  après  avoir  partagé  la  gloi- 
re de  la  conception  de  l'entreprise  , 
aura  exclusivement  celle  de  la  ter- 
miner. La  comparaison  du  break- 
water  de  Plymouth  et  de  la  digue  ou 
break  water  de  Cherbourg ,  a  donné 
lieu  à  des  discussions  dans  lesquel- 
les les  auteurs  anglais  (le  reproche  ne 
porte  point  sur  Rennie)  ont  réuni,  au 
tort  de  n'être  pas  toujours  justes,  ce- 
lui d'employer  parfois  des  ex  pressions 
inconvenantes  (5).  M.  Cachiu  ,  ins- 
pecteur-général des  pouts-et-chaus- 
sées,  qui  a  dirigé  les  travaux  de  Cher- 
bourg ,  a  très-bien  répondu  aux  im- 
putations anglaises,  dans  un  Mémoire 
fort  étendu,  publié  en  1820.  Il  est 
bien  reconnu ,  par  tous  les  hommes 
instruits  et  impartiaux ,  que  la  digue 
de  Cherbourg ,  qui  a  suggéré  l'idée 
de  celle   de  Plymouth  ,  et  qui  est 
construite  sur  des  dimensions  plus 
considérables  (  F.  Cessart  ) ,  n'a  été 
conduite,  ni  avec  moins  de  talents  , 
niavec  moins  d'économie,  que  cellcà 
laquelle  elle  a  servi  de  modèle.  —  Le 
pont  de  Southwark,  projeté  et  cons- 
truit par  Rennie ,  sur  ia  Tamise ,  à 
Londres ,  dans  l'intervalle  compris 
entre  les   ponts  de  Londres  et  de 
Blackfriars ,  est,  sans  contredit,  le 
monument  le  plus  remarquable  de 
son  genre  qui  ait  jamais  existé.  Ce 
pont,  commencé  en  181 4  et  termi- 
né en  1818,  est  composé  de  trois 
travées,  eu  fer  de  fonte,  contrcbu- 


(.^)  «  Tlie  multitude  employed  on  tLehrcakwatcr 
)>  i)f  Clierliourj;  ,thc  timc  occupied  by  that  uuderta- 
)i  king,  andthe  /minile  andosle.tlalion  with  whiclj 
■1  it  was  ciiuducled. {ICnrycloiiéilie  Bit<a«»j./(ii-.  ) 


364 


REN 


tees  et  supportées  par  deux  cule'es  et 
deux  piles  en  maçonnerie.  La  travée 
du  milieu  a  240  pieds  anglais  (  78 
mètres  )  (6)  de  corde  ou  d'ouvertu- 
re, sur  24  pieds  ant^Iais  (  7  yio  mè- 
tres) de  flèche.  Chacune  des  travées 
latérales  a  2  lo  pieds  anglais  (64  mè- 
tres) de  corde  ou  d'ouverture,  sur 
21  pieds  anglais  (6  Yio  mètres)  de 
flèche.  L'épaisseur   de  chaque  pile 
étant  de  24  pieds  anglais,  la  longueur 
totale  entre  les  culées  est  de  708 
pieds  anglais  (à  très -peu -près  216 
mètres  )  ;  et  depuis  l'entrée  jusqu'au 
milieu  du  pont,  on  ne  monte  que  de 
10  pieds  anglais  (  3  mètres),  c'est- 
à-dire,  des  "^1000  environ  de  la  dis- 
tance horizontale.  La  largeur  totale 
du  pont  est  de  l^i  pieds  anglais  (  12 
y,o  mètres  )  ;  et,  sur  cette  largeur  , 
se  trouvent  deux  trottoirs ,  chacun 
de  sept  pieds  anglais  (  2  'Vioo  mè- 
tres ).  Le  système  de  construction  a 
le  rare  et  bien  précieux  mérite  de  la 
grande  simplicité  :  il  est  établi ,  au- 
tant que  la  différence  des  matières 
peut  le  permettre ,  à  l'imitation  des 
systèmes  de  voussoirs  des  ponts  de 
pierre ,   et  il  en   offre  l'aspect.  Ce 
sont   de   longues   et   épaisses    pla- 
ques de  foute    qui   font  l'office  de 
voussoirs  :  chaque  travée  en   a   i3 
sur  le  périmètre  de  son  arc,  compo- 
sant ce  qu'on  appelle  une  ferme;  et 
huit   fermes  pareilles  sont  placées 
sur  la  largucur ,  ce  qui  fait ,  en  tout , 
104  plaques  ou  voussoirs  métalli- 
ques, pour  chaque  travée,  dont  le 
système  est  maintenu   avec  toutes 
les  précautions  d'art  nécessaires.  Le 
poids  du  fer  employé   dans   cette 
construction  est  de  4585  tonneaux 
(  4j655,oi7  kilogrammes  ),  dont 


(G)  Le  piocl  «rigliils  vaiil  3o/|8  dix  iiiilliùmrs  di- 
inî'tri'jautreiucut,  louou  i>ic(l9  anglaia  valent  3  0^8 
lul'lrcs. 


REN 

50,763  kilogrammes  seulementsont 
en  fer  forgé.  On  se  bornera  à  ces 
détails  descriptifs ,  pour  ne  pas  excé- 
der les  bornes  dans  lesquelles  une 
notice  biographique  doit  être  ren- 
fermée. On  avait  redouté ,  pour  le 
pont  de  Southwark  ,  eu  égard  à  ses 
très-grandes  dimensions  ,  les  effets 
pyrométriques  de  contractions  et 
de  dilatations  successives ,  produits 
par  l'alternative  du  froid  et  de  la 
chaleur  :  les  lecteurs  pourront,  à  ce 
sujet ,  lire  avec  quelque  intérêt ,  la 
traduction  suivante  d'un  passage 
d'une  lettre  écrite  par  Rennie  à  l'au- 
teur de  cet  article  :  «  C'est,  pour 
»  moi,  un  grand  plaisir  de  vous  ap- 
»  prendre  que  toutes  les  parties  de 
»  cet  ouvrage  (  le  pont  de  South- 
»  wark  )  ont  pleinement  répondu  à 
»  mon  attente;  je  n'ai  encore  remar- 
»  que  aucune  altération  dans  sa  fnr- 
»  me  primitive,  ni  la  moindre  frac- 
»  ture  dans  aucune  des  pièces  qui  le 
»  composent.  Mou  fds  ,  qui  a  suivi , 
»  avec  une  scrupuleuse  attenlion, 
»  les  effets  de  la  dilatation  et  de  la 
»  contraction,  causées  parla  chaleur 
»  et  par  le  froid,  est  dans  l'intention 
»  de  publier,  un  jour,  les  résultats 
»  de  ses  observations  :  en  attendant, 
»  je  vous  dirai  que  le  milieu  de  l'ar- 
»  che  s'est  élevé  ,  verticalement , 
»  d'environ  Vi  o  de  pouce  (  8  milli- 
»  mètres  )  par  chaque  augmentation 
»  de  10  degrés  de  chaleur,  tellement 
»  que  du  point  zéro  jusqu'au  po*'.  dc- 
w  gré  du  thermomètre  de  Fahren- 
»  heit,  rexhaussement  de  l'arc  se- 
»  rait  de  2  7/,o  pouces  (  Ggmillimè- 
»  très  ).  La  dilatation  s'opère  gra- 
»  duellement;  et  le  temps  employé 
»  par  le  système  des  pièces  de  l'av- 
»  che  ,  à  se  mettre  à  la  température 
»  de  l'atmosphère  est  (  avant  la  pose 
»  du  plancher  )  de  3  /»  à  4  heures; 
»  mais  après  la  pose  du  plancher ,  ce 


REN 

»  syslc'.nc,  qui  presectera  une  plus 
»  grande  masse  de  matières,  exige- 
V  ra ,  nécessairement ,  plus  de  temps 
»  pour  suivre  les  didercnles  varia- 
»  lions  de  la  température.  »  D'après 
des  mites  remises  à  l'auteur  de  cet 
article  par  feu  ]M.  Panay,  ingénieur 
en  chef  des  ponts-et-chaussces  ,  qui 
connaissait  très-bien  tous  les  monu- 
ments hydrauliques  de  Londres  ,  où 
il  a  fait  de  longs  et  fréquents  A'oya- 
ges  ,  les  travaux  du  pont  de  Soulh- 
v\'ark  auraient  été  adjugés  pour  une 
somine  revenant  à  n, 680,000  fr. , 
non  compris  les  abords,  dont  la  dé- 
pense devait  être  des  deux  tiers  de 
cette  somme. — LepontdeWateiIoo, 
projeté  et  construit  par  Rennie ,  sur 
la  Tamise ,  à  Londres  ,  à  peu-près  au 
milieu  de  la  distance  qui  sépare  le 
pont  de  Westminster  du  pont  de 
Blackfriars,  doit  être  mis  au  rang 
des  plus  beaux  ponts  existants  eu 
Europe,  et  fort  au-dessus  de  tous  les 
ponts  en  pierre  construits  en  An- 
gleterre jusqu'à  ce  jour.  Il  est  établi 
de  niveau,  comme  celui  de  Neuilli, 
et  composé  de  9  arches  ovales,  cha- 
cune de  1  20  pieds  anglais  (  36  ^^,00 
mètres  )  d'ouverture ,  et  de  35  pieds 
anglais  (  10  '''M  00  mètres  )  de  mun- 
tée  ,  depuis  le  niveau  des  naissances 
de  la  vovitc  jusqu'à  la  clef:  ainsi  le 
surhais  sèment  ,0X1  le  rapport  de  la 
invntée  à  l'ouvertuie,  est  entre  le 
tiers  et  le  quart.  Nous  observerons  , 
en  passant ,  tiue  chacune  des  arches 
du  pont  de  Neuilli  a  aussi  i-io 
j)ieds  d'ouverture;  mais  il  s'agit  ici 
du  pied  français ,  qui  excède  le  pied 
anglais  d'environ  %  de  pouce,  et  le 
surbaissement  n'est  que  de  ^/l^.  Cha- 
que avant  et  arrière-bec  des  piles  du 
pont  de  Waterloo,  forme  un  socle 
angulaire  portant  deux  colonnes  ac- 
couplées, d'ordre  Fœstum  ,  et  d'un 
effet  à-peu-près  semblable  à  celles 


REN  3G^ 

du  pont  de  Blackfriars.  La  largeur 
du  pont  entre  les  parapets  est  de 
42  pieds  anglais;  celle  de  chaque 
trottoir  ,  de  7  pieds  ;  et  celle  de  la 
chaussée,  de  28.  Les  parapets  ont  5 
pieds  de  hauteur.  Il  est  construit  eu 
pierres  de  granit  blanc  des  carrières 
d'Ecosse  :  la  beauté  de  l'appareil  ne 
laisse  rien  à  désirer.  Une  des  cir- 
constances les  plus  remarquables  de 
la  construction  de  ce  monument  est 
la  méthode  suivie  pour  sa  fondation. 
L'ingénieur  La  Bélye,  qui  a  bâti  le 
pont  de  Westminster,  l'a  fondé  par 
caissons,  procédé  qr.i  n'exige  point 
qu'on  isole  ,  dans  le  lit  du  fleuve,  et 
qu'on  mette  àsec  les  espaces  sur  les- 
quels il  faut  asseoir  les  fondations  , 
ainsi  qu'on  le  pralicpie  au  moyen 
d'enceintes  appelées  batardeaux.  Le 
procédé  des  caissons  a  eu  plusieurs 
applications  en  France,  qui  n'étaient 
pas  toutes  aussi  bien  motivées  que 
celle  dont  La  Bélye  a  donné  l'exem- 
ple ,  déterminé  ,  sans  doute ,  par 
la  difficulté  et  la  dépense  exces- 
sive que  devaient  entraîner  l'éta- 
blissement des  hdLardeaux  ,  et  les 
épuisements  qu'exige  l'emploi  de 
cette  méthode,  à  une  grande  profon- 
deur ,  sur  un  sol  vaseux ,  et  dans  une 
localitésujète  aux  marées, qui  s'y  élè- 
vent à  une  grande  hauteur.  Rennie 
n'a  point  été  effrayé  par  de  pareils 
obstacles,  et  a  fondé  par  batardeaux 
et  épuisements.  C'est ,  sans  doute,  à 
ce  mode  de  fondation  qu'il  faut  at- 
tribuer une  partie  de  l'énorme  dé- 
pense du  pont  de  Waterloo,  qu'on 
évalue  à  vingt-cinq  millions  de  francs 
(autant,  à-peu-près,  qu'ont  coûte 
ensemble,  les  cinq  ou  six  plus  beaux 
ponts  de  France  );  et  il  n'a  pas  encore 
à  ses  abords  ,  tous  les  débouchés  né- 
cessaires ,  qu'on  n'obtiendra  qu'avec 
un  nouveau  sacrifice  de  capitaux 
considérables,  il  est  tout  simple  que 


366 


REN 


les  Anglais  soient  cntliousiasles  de 
ce  superbe  pont ,  qu'ils   regardent 
comme  snpérienr  à  tous  les  monu- 
ments  de  même  genre,  tant  pour 
la  solidité  que  pour  la  beauté  des 
formes  ;  et  l'on  peut  affirmer  avec 
confiance ,  que,  surle  premier  point, 
le  pont  de  Waterloo   i  emplit  toutes 
les  conditions  exigibles  :  jnais  les  in- 
génieurs qui  sont  pénétrés  de  l'esprit 
de  l'école  française  ,  regrettent  que 
Réunie  ,  à  qui  la  faculté  de  créer  ne 
manquait  pas  ,  ait  imité ,  du  pont  de 
BlaktViars  ,    les    colonnes    placées 
au\  extrémités  de  ses  piles.  D'après 
la  manière  de  voir  et  de  sentir  de 
l'école  dont  on  vient  de  parler,  l'en- 
semble d'une   construction ,  consi- 
déré même  dans  les  détails  de  pure 
décoration  ,  doit  se  présenter  à  l'œil 
comme  formé  d'éléments  qui  con- 
courent à  un  but  commun  :  il  faut 
que  toutes  les  parties  du  système  pa- 
raissent tendre  à  ce  but,  en  se  prê- 
tant  des  secours  mutuels  ,  qui  les 
rendent  ,    si    l'on  peut   s^cxprimer 
ainsi  ,    solidaires  les  uns  pour  les 
autres.  Or  ce  principe  de  goût ,  ou , 
si  l'on  veut,  de  convenance,  n'ad- 
met point   des  colonnes   oiseuses , 
adossées  f^Aus  fonctions  utiles  ,  aux 
véritables  supports  de  l'édifice ,  et 
dont  l'existence  n'est  motivée  par 
aucune  condition  de  stabilité  :   les 
conditions  de  cette  espèce  sont  ce- 
pendant   les  premières    auxquelles 
un  pont  doit  satisfaire,  celles  dont 
la    garantie  doit  être  aperçue  dans 
chacpie  pierre  du  monument.  H  y  a 
plus  :  l'application  ,  aux  ponts  ,  du 
système  architectural  des  colonnes  , 
n'a  pas  été  goûtée  en  France,  même 
en  remplissant  Icsconditions  requises 
de  stabilité.   Perronet  ,  après  avoir 
bâti  le  ])()iitde  Saiuto-]\Iaixcncc  sui- 
vant ce  système,  aurait  voulu  l'adap- 
ter au  pont  de   Louis  XVI  :  mais 


REN 

cette  partie  du  projet  a  été  rejetée 
par  le  conseil-général  des  pontset- 
cliaussées;et  l'on  a  construit ,  suivant 
la  manière  ordinaire  ,  des  piles  à 
parements  lisses.  Le  pont  de  France 
qui  a  1j  plus  d'analogie  avec  celui 
de  Waterloo  ,  est  le  pont  de  Neuilli  : 
la  hauteur  des  arches  de  celui-ci  est 
moindre,  par  rapport  à  leur  ouver- 
ture ,  que  celles  du  premier  ;  et  de 
plus, des  évasementsqueles  construc- 
teurs désignent  par  le  nom  barbare 
de  cornes  de  vache,  donnent  au  pont 
de  Neuilli  un  aspect  de  légèreté  qui 
produit  un  effet  très -agréable.  Le 
spectateur  ,  en  même  temps  qu'il 
éprouve  un  sentiment  de  plaisir ,  dû 
à  l'élégance  des  formes  extérieures  , 
éprouve  aussi  un  sentiment  de  sé- 
curité ,  en  apercevant ,  dans  l'om- 
bre ,  les  cintres  primitifs  qui  lui 
garantissent  la  stabilité  de  l'édifice. 
11  faut  convenir  que  ce  pont ,  consi- 
déré quant  à  ce  qui  frappe  les  yeux  , 
prouve  que  la  sévérité  des  convenan- 
ces fait  ressortir,  plutôt  qu'elle  ne 
gêne,  un  goût  sûr,  un  tact  fin  et 
délicat  :  la  sagesse  de  son  ordon- 
nance, la  pureté  de  ses  proportions  , 
n'ont  point  encore  été  surpassées  , 
nous  oserions  presque  dire  égalées. 
Il  V  a  environ  quarante  ans  que  sa 
solidité  fut  violemment  attaquée 
dans  un  écrit  présenté  à  l'académie 
royale  des  sciences  ,  qui  fit  quelque 
sensation  ;  c'est  à  l'occasion  de  cet 
écrit ,  et  avec  une  réfutation  en  main, 
que  l'auteur  du  présent  article  com- 
parut ,  pour  la  première  fois  de  sa 
vie,  devant  le  savant  aréopage  :  mais 
le  monument  laissera  en  arrière,  <î 
une  distance  de  bien  des  siècles ,  et 
ses  détracteurs,  et  ses  apologistes. 
Kennie  avait  projeté  un  pont  en  rem- 
placement du  juuit  de  Londres  ,  sur 
des  dimensions  supérieures  à  celles 
de  tous  les  ponts  connus.  On  con- 


REN 

serve  ce  projet ,  auquel  une  commis- 
sion de  la  chambre  des  communes 
a  donne'  la  préférence  sur  trente 
autres  présentes  pour  remplir  le 
même  ulijet.  Ce  grand  ingénieur  a 
été  enlevé  aux  sciences  ,  aux  arts  et 
à  ses  nombreux  amis  ,  le  16  octobre 
icSii.  Il  c'ait  venu  en  France,  en 
1819:  le  gouvernement  et  les  inge'- 
nieurs  français  s'étaient  empresses 
de  l'accueillir ,  et  de  lui  fournir  toute 
les  facilités  désirables  pour  remplir 
l'objet  de  son  voyage  ,  qui  e'iait  l'exa- 
men de  nos  principaux  monuments 
hydrauliques.  Il  laisse  deux  fils  , 
dont  l'aine'  s'est  de'ja  distiuguë  dans 
la  direction  de  travaux  importants  : 
le  plus  jeune  a  été'  occupé,  sous  l'ins- 
pection de  son  père  ,  à  l'érection 
des  nouveaux  ponts  de  Londres  ; 
c'est  de  lui  qu'il  est  question  dans  le 
fragment  de  lettre  cité   plus  haut. 

P NY. 

REXOU  (  A?îT0iNE  ) ,  secrétaire 
perpétuel  de  Tancienne  académie  de 
peinture,  naquit  à  Paris,  en  l'^Si ,  fit 
d'excellentes  études,  et  obtint  souvent 
des  couronnes  à  l'université.  Ce- 
peniantun  penchant  irrésistible, qui 
portait  son  génie  vers  les  arts  du  des- 
sin, ledécida  pourla peinture.  Pierre 
et  Vien  furent  les  maîtres  qui  diri- 
gèrent ses  rapides  progrès.  Déjà  il 
avait  remporté  le  second  prix  de 
peinture  ,  et  il  était  à  la  veille  de  con- 
quérir le  premier  ,  lorsque,  vers  l'an 
\'-j6o  .  il  fut  appelé  à  la  cour  du  roi 
Stanislas  ,  comme  peintre  de  ce 
prince.  Estimé  et  distingue  par  ce 
bon  roi,  recherché  par  toute  !a  cour, 
il  devint,  par  la  diversité  do  ses  con- 
naissances ,  l'ame  des  plaisirs  de 
cette  cour.  Doué  d'une  belle  figure  , 
d'un  bel  organe  et  d'une  taille  avan- 
tageuse ,  il  brillait  à  Lunéville  ,  scit 
qu'il  prît  le  masque  de  ïhalic ,  la  lyre 
cl'Anacréon  ,  ou  le  pinceau  d'Anelle. 


REN 


3G-? 


A  la  mort  de  Stanislas ,  Rcnou  revint 
à  Paris  ,  et  se  livra  plus  que  jamais 
à  la  peinture.  Il  se  fit  agréer  à  l'aca- 
démie ,  en  fjGô  ,  sur  un  tableau  re- 
présentant Jésus  parmi  les  docteurs^ 
et  recevoir,  en  1781  ,  sur  un  des 
tableaux  du- plafond  de  la  galerie 
d'Apollon  ,  représentant  VAurore. 
L'Académie  ayant  été  supprimée  à 
la  révolution  ,  Renou  fut  aitachc 
aux  écoles  spéciales  de  peinture  , 
avec  le  titre  de  secréîaire  et  de 
surveillant  des  éludes.  Parmi  ses 
productions  pittoresques  ,  on  dis- 
tingue :1e  Tableau  à' Agrippine  ,  dé- 
hanpiant  à  Brindes  ,  avec  l'unie 
contenant  les  cendres  de  Germa- 
nicus;  un  autre  représentant  une  An,' 
nonciation,  qui  se  voyait  dans  une 
église  de  religieuses  à  Saint  Germain- 
en-Laie.  Il  a  peint  aussi  un  plafond 
pour  l'hôtel  des  Monnaies  de  Paris  , 
et  un  autre  ,  qui  n'existe  plus ,  au 
théâtre  Favart.  En  général,  les  com- 
positions de  Renou  sont  d'une  belle 
ordonnance.  On  y  reconnaît  une  éru- 
dition profonde  et  un  génie  éclairé. 
Peut-être  aussi  s'aperçoit-on  un  peu, 
qu'il  n'avait  pas  vu  les  chefs-d'œuvre 
de  l'Italie.  Il  venait  d'à  rriver  de  Luné- 
ville,  et  jusque-là  il  n'avait  regardé 
la  poésie  que  comme  un  amusement, 
lorsqu'un  jour,  se  trouvant  en  société 
avec  des  hommes  de  lettres  connus  , 
la  discussion  s'établit  sur  les  difficul- 
tés de  la  poésie  et  celles  de  Ii  pein- 
ture.Lemierre.  présent  à  celtedispute, 
prend  chaudement  la  défense  de  la 
poésie,  et  soutient  sa  suprématie: 
Renou,  pousse  à  bout,  défie  Lcmierre 
de  faire  un  tableau,  et  s'engagea  com- 
poser une  tragédie.  Latragrdie  fut  fai- 
te, c'est  celle  de  Térée  et  Philomèle; 
cette  pièce,  qui  fut  jouée  an  Théà 
tre  Français  ,  en  «773,  est  im- 
primée. Ce  premier  triomphe  de 
Rcnou,   ainsi   que   l'airaiblissement 


363 


REN 


de  sa  vue,  le  de'termiiicrcnt à  cultiver 
la  litteValure  :  il  entrcpiit  la  traduc- 
tion eu  vers  du  poème  latin  de  Du- 
fresnoy  sur  la  peinture.  Il  était  là 
dans  son  domaine  :  aussi  cet  ouvra- 
ge ,  surtout  pour  les  Notes,  a-t-il 
obtenu  l'estime  des  artistes ,  et  celle 
des  couuaisscurs.  Encouragé  par  ce 
succès  ,  Renou  entreprit  de  traduire 
en  vers  la  Jérusalem  délivrée.  Déjà  , 
quatre  chants  étaient  terminés,  lors- 
qu'il perdit  son  manuscrit  ;  mais  ,  ne 
se  laissant  pas  abattre  par  cet  acci- 
dent, il  les  recommença,  et  acheva 
même    entièrement   sa   traduction  , 
dans  laquelle  il  y  a  d'assez  beaux  vers. 
Toujours  dévoué  aux  arts  ,  Renou  ne 
laissait  jamais  passer  une  exposition 
publique  ,  sans  éclairer  les  amateurs 
par  quelques  brocliures.  On  se  rap- 
pelle encore  la  Lettre  du  marin  ,  et 
celle  de  M.  Bonnard  ,    marchand 
bonnetier.  Ses  critiques  ,  loin  d'être 
décourageantes  ,  étaient  très-gaies  , 
et  aussi  instructives  pour  les  artistes 
que  pour  le  public.  Parvenu  à  l'âge  de 
soixante-seize  ans,  plus  occupé  des 
lettres  et  des  arts ,  que  des  calculs  de 
l'intérêt ,  il  termina  sa  carrière  eu 
décembre  1806  ,  laissant  une  veuve 
et  deux  enfants  sans  fortune.  Il  exis 
le,  dans  le  Moniteur  de  juillet  1809, 
une  Notice  beaucoup  plus  étendue 
sur  Renou  ,  par  l'auteur  de  cet  arti- 
cle. P— E. 

RENOU  i)E  CHAUVIGNÉ.  F. 
Jaillot. 

REiNTI (Gaston  Jean-Baptiste, 
baron  de  ) ,  l'un  des  fondateurs  de  la 
sociétédes  frères  cordonniers,  naquit 
eu  iGi  1  ,  au  château  de  Béni,  dans 
le  (iitjcèsede  Baieux,  d'une  ancienne 
famille  originaire  de  l'Artois.  Après 
avoir  achevé  ses  éludes  au  collège  de 
Navarre,  et  sous  les  Jésuites  à  Cacn, 
il  revint  a  Paiis,  à  l'àgc  de  dix-sept 
ans  ,  cunipltter  son  éducation  à  l'a- 


REN 

cadéraie  de  la  jeune  noblesse,  où  il 
se  rendit  bientôt  très -habile   dans 
tous  les  exercices  du  corps.  Il  apprit 
eu  même  temps  les  mathématiques  , 
y  fit  des  progrès  remarquables ,  et 
composa  sur  cette  science  plusieurs 
Traités  restés   en    manuscrit   (i). 
Naturellement  pieux  ,  la  lecture  de 
l'Imitation  de  Jésus -Christ  ache 
va  de  le  désabuser  des  vaines  gran- 
deurs du  monde;  et  il  résolut  d'em- 
brasser la  vie  religieuse  dans  l'oi'- 
dre  des  Chartreux  ,  si  connu   par 
son  austérité.  Ses  parents ,  qui  n'a- 
vaient pas  d'autre  enfant ,  combat- 
tirent ce  dessein  ,  et  lui  firent  épou- 
ser la  fille  du  comte  de  Graville , 
jeune  personne  qui  joignaità  la  beauté 
beaucoup  d'esprit  et  de  vertus.  Mal- 
gré sa  modestie  ,  le  baron  de  Renti 
fut  député  par  la  noblesse  aux  états 
de  Normandie ,  où  il  se  fit  remarquer 
par  une  prudence  et  une  sagacité  que 
ne  donne  pas  toujours  l'habitude  des 
aiTaires.  Il  avait  acheté  ,  pour  plaire 
à  ses  parents ,  une  compagnie  de  ca- 
valerie ;  et  il  servit  dans  les  guerres 
de  Lorraine,  avec  une  distinction  qui 
lui  valut  les  éloges  de  Louis  XIII, 
et  l'estime  de  plusieurs  grands  capi- 
taines ,  entre  autres  du  duc  de  Wei- 
mar.   Insensible  à  des  prévenances 
dont  tant  d'autres  aur.ùeut  été  flattés, 
le  baron  de  Renti  ne  soupirait  qu'a- 
près la  retraite,  et  menaità  la  cour, 
comme  au   milieu  des  camps  ,  une 
vie  détachée  et  pénitente.  Enfin  ,  à 
l'âge  de  vingt-sept  ans  ,  il  se  démit 
de  ses  emplois  pour  se  consacrer  uni- 
quement a  Dieu  ,  et  prit  pour  direc- 
teur le  P.  Condren  ,  supcrieur-géné- 

(i)  L.  JosseLcclcrc,  cl.iiis  la  Bil'Hotlià/ue  de  Riche 
le!  (  f^.  LeCLEKC  ),  croit  |ii)uvoir  uUiibuei-  .'.  Reu- 
ti  :  Vliilrodurtatr  en  lit  Co>iiiOjjni/jliie  ,  par  G.  J. 
B.  I).  H. ,  (■ditioii  rcviic,  coriinee  vt  ninjiiiciilre  de 
|)lus  dia  diiii  lieii,  par  I.oui»<'.i)ulou  ,  Paris,  i645, 
3  vol.  iri-R».  Lt'S  iiiilialcii  6  >iit  illiclivciucut  celle» 
(lu  Ciustuii-Jcau-liaptistv  de  Umti, 


REN 

rai  de  l'Oratoire  ,  qui  lui  fit  faire  de 
grands  progrès  dans  la  picte.  Son 
inépuisable  charité  s'exerça  Lien  lot 
sur  tous  les  maliicureiis  qu'elle  pou- 
vait atteindre:  outre  lessccours  abon- 
dants qu'il  distribuait  hii-mcinc  dans 
ses  terres  ,  on  qu'il  faisait  parvenir 
à  de  pauvres  familles,  il  étendit  ses 
libéralités  jusque  sur  les  cotes  d'A- 
frique, où  il  fit  racheter  un  grand 
nombre  de  Chrétiens  qui  gémissaient 
dans  l'esclavage.  Il  se  dévoua,  dans 
les  hôpitaux,  au  service  des  malades , 
et  ne  connut  aucune  misère  qu'il  ne 
s'empressât  de  la  soulager.  Il  devint 
l'ami  du  vénérable  Buch,  surnommé 
le  bon  Henri  (  f\  Bucn,  VI  ,  'ioo  ), 
l'encouragea  dans  son  projet  de  la 
sociélédes  frères  cordonniers,  dont  il 
fit  les  premiers  fonds  ,  et  qu'il  se 
proposait  de  doter  d'une  manière 
convenable.  Les  austérités  qu'il  pra- 
tiquait aflTaiblirent  sa  santé  :  mais  il 
ne  voulut  pas  s'en  relâcher;  et  il  mou- 
rut à  Paris  le  24  avril  i649  '  ^g^  ^^ 
trente-sept  ans.  Son  corps  fut  porté 
à  Citri,  qu'il  avait  habité  dans  ses 
dernières  années ,  et  inhumé  sans 
pompe  ;  mais,  en  i658  ,  l'évêquc 
de  Soissons  le  fit  déposer  dans  un 
tombeau  de  marbre,  que  sa  veuve  lui 
avait  érigé  devant  le  mnîtrc-aulel  de 
l'église  paroissiale.  Le  baron  de  Renti 
laissa  de  son  ni.iriage  quatre  enfants  , 
deux  garçons  et  deux  filles,  qui  finent 
les  héritiers  de  ses  vertus.  Le  P.  de 
Saint  Jure,  ]ésuite,  a  publié  la  Fie 
de  Renti,  Paris  ,  iOji  ,  in-4". ,  ré- 
imprimée huitoudix  fois,  in-12,  et 
traduite  en  italien  et  en  r.nglais.  On 
peut  aussi  consulter  V Histoire  des 
Ordres  monastiques  par  Helyot  , 
vin  ,  184  et  suiv. ,  et  les  Vies  des 
Fères  ,  par  Godcscard  ,  au  25  octo- 
bre. Le  Portrait  du  baron  de  Renti , 
a  été  gravé  par  Louis  Audran  ,  in- 
fol.  W— s. 


REP  3G9 

REPKOW.  Vox.  Ebco. 
REPNIN  (Nicolas  Wasi- 
LiEwiTScn,  prince  ) ,  feld  -  maré- 
chal russe,  né  en  1784,  clait  fils 
du  prince  de  ce  nom  ,  qui  comman- 
da uu  des  corps  d'armée  de  Pierre 
I<=r. ,  dans  les  guerres  contre  Char- 
les XII  ,  s'empara  de  Stettin ,  en 
1 7  1 3  ,  et  mourut  le  3 1  juillet  1 7  48. 
—  Le  fils  embrassa  la  mêmecarriè- 
re,  et  s'y  distingua  par  une  valeur 
brillante  et  par  des  talents  peu  com- 
muns. Durant  la  guerre  de  Sept- Ans, 
il  avait  fait  presque  toutes  les  cam- 
pagnes avec  les  Français  ,  comme 
volontairedans leurs  armées, et  était 
venu  passer  ses  quartiers  d'hiver  à  Pa- 
ris. «  Là  , dit  Ruiliière,  dans  la  liber- 
))  té  des  conversations  françaises  oii 
i.  toutes  les  opérations  du  ministère 
»  et  les  événements  d'une  guerre  mal- 
»  heureuse  étaient  représentés  com- 
»  me  le  dernier  période  de  la  déca- 
»  dence  de  la  nation,  oii  tout  ce  qui 
»  était  étranger  était  louépar  une  op- 
»  position  satirique  cl  tout  ce  qui  se 
»  faisait  dans  le  pays,  Repnin,  quand 
»  leaouvernement  français comraen- 
»  çait  déjà  à  tomber  dans  le  mépris, 
»  n'avait  pas  conçu  une  grande  opi- 
»  niondc  la  puissance  française.  En- 
»  voyé  ensuite  ,  par  Pierre  III  ,  à  la 
»  cour  de  Berlin,  dans  uu  temps  où 
»  le  roi  de  Prusse  clierchait  à  dispo- 
»  ser  de  toutes  les  forces  de  la  Rus- 
»  sie ,  il  s'était  vu  l'objet  des  atten- 
»  tions  séduisantes  de  ce  héros.  » 
Tout  chez  l'étranger  avait  donc  con- 
tribué à  exagérer,  dans  son  imagina- 
tion, l'idée  de  la  puissance  russe.  Ces 
dispositions,  jointes  à  un  dévoue- 
ment aveugle  aux  volontés  de  sa  sou- 
veraine, età  un  caractère  altier,  le 
firent  choisir,  en  1764,  peu  après  la 
mort  d'Auguste  III ,  pour  aller  se- 
conder l'ambassadeur  Kayserling  , 
dans  l'élection  de  Stanislas  Poiiia- 

24 


370  REP 

lowski.  Neveu  du  comte  Panin  prin- 
cipal ministre  de  Catherine,  Repniu 
reçut  de  lui  des  iustri>clions  secrètes, 
bien  plus  positives  et  plus  pressan- 
tes que  celles  même  de  cette  princes- 
se. Initié  d'ailleurs  dans  le  secret  des 
liaisons  qu'elle  avait  avec  ce  seigneur 
polonais,    le   libertinage    les  ayant 
unis  eux -mêmes  d'une  sorte  d'ami- 
tié ,  Repnin  éprouvait  de  la   joie  à 
penser  qu'il  pourrait  faire  roi  un  an- 
cien confident  ou  compaç:non  de  ses 
désordres,  un  homme  sous  le  nom 
duquel  il  espérait  rép;ner;  car  l'extrê- 
me faiblesse  de  Poniatowski  autori- 
sait ceux  qui  agissaient  en  sa  faveur 
à  concevoir  cette  espérance.  Cathe- 
rine avait  chargé Kayserling  de  com- 
muniquer à  tous  les  grands  une  lettre 
dans  laquelle  elle  énonçait  ses  mo- 
tifs pour  exclure  l'élecleur  de  Saxe. 
Kaysetling  mit  beaucoup  de  ména- 
gements dans  cette  communication  : 
il  flattait  les  Polonais  pour  les  domp- 
ter;  et    maniant    habilement  leurs 
passions,  il  n'en  parvenait  pas  moins 
sijrementà  son  bul  par  sa  feinte  mo- 
dération, tîcpnin  au  contraire  vou- 
lut, des  les  premiers  jours  de  son  ar- 
rivée à  Varsovie,  renveiser  tous  les 
usages  de  la  république,  nommer  le 
roi  avant  la  dicte  de  convocation , 
avant  la  tenue  des  diétines.  Enfin, 
l'un  par  son  adresse  ,  l'autre  par  ses 
menaces,  arrachèrent  l'élection  de 
Poniatowski  (le  7  septembre  1 764  ). 
Kayserling,  depuis  long-temps  ma- 
lade ,   expira  le  jour  même  où  ce 
prince  commença  de  régner.  Repriiu 
lui  succéda,  maigre  les  Czartorinski, 
comme  ambassadeur.  L'élection  de 
Poniatowski  était  bien  le  principal , 
mais  non    runi(|ue  objet  de  ses  ef- 
forts ainsi  que  de  ses   instructions. 
La  fauu'UM-  all'airc  des  dissidents  in- 
téressait  également    Catherine,    et 
fournissait  à  sa  politique  l'occasion 


REP 

ou  plutôt  le  prétexte  de  perpétuer  soTi 
intervention  dans  le  régime  intérieur 
delà  Pologne.  Le  1 4  septembre  1 764 , 
Repnin  présenta  u«e  note  pour  de- 
mander que  la  diète  accordât  aux 
dissidents  le  libre  exercice  de  leur 
religion  ,  et  les  admît  à  posséder  des 
charges  et  des  dignités  à  l'égal  des 
catholiques  :  la  diète  de  1765  refusa 
de  se  prêter  aux  vues  de  Catherine 
à  cet  égard.  Il  s'opposa  également 
aux  divers  règlements  que  les  Czar- 
torinski et  le  grand  chancelier  vou- 
laient introduire  dans  la  constitu- 
tion pour  rétablir  l'ordre  dans  l'ad- 
ministration sans  restreindre  le  pou- 
voir monarchique,  et  notamment  à 
la  funeste  disposition  qui  exigeait 
l'unanimité  des  votes  pour  la  for- 
mation de  la  loi ,  disposition  qui 
était  la  source  de  tous  les  abus  qui 
avaient  perdu  la  république.  N'i- 
gnorant pas  que  les  Czartorinski  s'e'- 
taienl  plaints  de  lui  à  l'impératrice, 
et  avaient  essayé  de  traverser  sa  no- 
mination comme  ambassadeur,  il 
s'efforçait  d'arracher  de  leurs  mains 
toute  l'autorité  du  nouveau  règne,  et 
s'appuyait  sur  l'opposition  de  la  jeu- 
ne noblesse,  naturellemcntportéeàse 
moquer  de  l'exigeante  austérité  de  ces 
vieillards ,  et  envieuse  de  leur  crédit. 
Bientôt  même  brouillé  avec  le  roi 
par  une  rivalité  de  galanterie,  il  ac- 
cusa, avec  une  égale  animosité,  au- 
près de  Catherine,  et  Stanislas  et  ses 
deux  oncles.  Stanislas  se  brouilla  de 
son  côté  avec  ces  derniers;  en  sorte 
qu'un  concert  de  plaintes,  d'accusa- 
tions et  de  récriminations  des  uns  et 
des  autres  entre  eux  et  contre  l'am- 
bassadeur, fut  porté  jusqu'aux  pieds 
du  trône  de  rimperatrice.  Saldeni 
fut  chargé  de  réconcilier  la  cour  de 
Varsovie.  Il  écouta  avec  une  patien- 
ce et  une  iniparlialité  apparentes  les 
griefs  du  loi  tonirc  ses  oncles,  ceux 


de  ces  princes  et  du  monarque  con- 
tre Repnin ,  les  engageant  mcrac  à 
adresser  leurs  plaintes  directement 
au  comte  Panin.  Mais  connaissant 
l'extrême  affection  de  ce  dernier  pour 
Repnin,  le  ruse  médiateur  écrivait 
lui  même  à  ce  ministre  delà  maniè- 
re la  plus  favorable  sur  le  compte  de 
l'ambassadeur.  La  médiation  de  Sal- 
dern  ne  fit  qu'assoupir  les  ressenti- 
ments. La  diète  approcliail.  Repnin, 
craignant  l'influence  de  Soltik  ,  ëvè- 
que  de  Cracovie,  le  fit  menacer,  s'il 
persistait  dans  son  opposition  aux 
intérêts  de  la  Russie,  de  voir  ses  ter- 
res ravagées,  les  revenus  de  son  ëvé- 
ché séquestrés,  sa  personne  exposée, 
et  ses  parents  même  rendus  respon- 
sables de  ses  actions.  Ces  menaces  , 
comme  on  le  verra  ,  n'ébranlèrent 
point  le  prélat,  qui  se  plaignit  au  roi 
de  la  tyrannie  exercée  par  le  minis- 
tre d'une  puissance  étrangère.  Les 
autres  évêques,  à  qui  Repnin  fit  défen- 
die  de  parler  à  la  diète  sur  les  dis- 
sidents, répondirent  que  leur  dignité 
d'évêques  et  de  sénateurs  leur  inter- 
disait le  silence.  Repnin  parut  inquiet 
et  embarrassé;  mais  se  sentant  fort 
de  l'appui  de  quarante  mille  Russes 
qui  bordaient  la  frontière  ,  tout 
prêts  à  se  joindre  aux  vingt  mille 
déjà  répandus  sur  le  territoire  po- 
lonais ,  il  publia  une  déclaration  en 
faveur  des  dissidents ,  Grecs ,  Luthé- 
riens, Calvinistes,  dans  les  termes 
de  celle  du  17  septembre  1764, 
y  ajoutant  seulement  que  la  czarinc 
était  résolue  à  employer  la  force 
contre  les  oppositions  qui  se  rcncon- 
tieraient.Du  reste,  il  se  taisait  sur  un 
autre  point  litigieux  entre  les  deux 
états,  concernant  la  démaicaliondes 
limites,  et  sur  la  propositicui  qu'il 
avait  précédemment  faite  d'une  al- 
liance offensive.  Les  raisons  contra- 
dictoires furent  exposées  à  Pcters- 


REP  371 

bourg  même,  par  l'ambassadenr  de 
Pologne,  et  par  un  émissaire  des 
dissidents.  Sans  examiner  ces  rai- 
sons, rimpératrice  fit  rédiger  une 
note  où  les  prétentions  de  ceux-ci 
étaient  un  peu  modifiées  ,  et  dit,  en 
la  remettant  à  l'ambassadeur  :  «  Si 
»  on  ne  ra^accorde  pas  ce  que  je  de- 
»  mande  ici ,  mes  demandes  n'au- 
»  ront  plus  de  bornes.  »  Les  résolu- 
tions des  évêques  et  delà  plupart  des 
députés  rappelèrent  Stanislas  au  soin 
de  sa  propre  dignité  :  il  promit  de 
seconder  la  résistance  qu'on  se  pro- 
posait de  faire  dans  la  diète  ;  il  l'an- 
nonça même  à  l'ambassadeur  russe, 
dans  •une  audience  publique.  Mais 
les  intrigues  de  Repnin  ne  tardèrent 
pas  à  faire  avorter  chez  ce  prince 
de  généreuses  déterminations.  Lais- 
sant assoupir  l'affaire  delà  religion, 
ce  ministre  encouragea  ceux  qui  mon- 
traient de  l'opposition  anx  desseins 
de  la  cour,  et  leur  promit  la  protec- 
tion de  la  Russie  ,  en  même  temps 
qu'il  fit  ravager  par  sixmille  Russes, 
appelés  auprès  de  Varsovie  ,  les  ter- 
res des  députés  qui  refusaient  de  se 
courber  sous  sa  verge  de  fer  :  il  en- 
voya même  des  troupes  vivie  à  dis- 
crétion, dans  les  domaines  du  roi.  La 
czariue,  ayant  appris  avec  indigna- 
tion les  déterminations  courageuses 
dcStanislasJui  reprocha  hautement 
d'avoir  fait  une  affaire  de  religioix^de 
ce  qui,  suivant  elle,  n'était  qu'une 
affaire  de  politique  :  elle  signa  la 
promesse  d'appuyer  ,  a  main  ar- 
mée ,  les  efforts  qu'allaient  faire 
les  dissidents,  en  se  confcde'rant 
pour  obtei.ir  par  la  force  ee  que  la 
république  leur  refusait ,  les  assu- 
rant que  cet  appui  serait  de  4o.ooo 
hommes.  Repnin,  qui  eut  ordre  de  ne 
plus  modifier  les  demandes  déjà  fai- 
tes, obtint  une  audience  de  la  diète, 
et  lui  présenta  unmémoirercmplidcs 


372  REP 

prétentions  les  plus  exap;crées.  EnGn 
le  roi  et  les  Czartorinski,  craignant 
de  se  perdre  ,  et  la  patrie  avec  eux, 
par    une   plus   longue  résistance  , 
avaient  pris  le  parti  de  céder;  mais , 
feignantuneinclisposition  ,  Icprince 
Auguste  s'absenta  de  la  diète.  L'ara- 
hassadeur  russe  ,  qui  assistait   aux 
séances,  et  examinait  tout  de  sa  tri- 
bune,  placée  au-dessus  du   trône, 
alla  lui-racine  le  chercher,  et  triom- 
pha de  ses  refus,  autant  par  ses  pro- 
messes  que    par   ses    menaces.   Ce 
prince  se  rendit  à  l'assemblée ,  ex- 
posa les  demandes  de  la  cour  de 
Russie,  et  conclut  à  cequeTaugmcn- 
talion de  l'armée,  ni  aucune  imposi- 
tion, ne  pussent  avoirlieuàlaplurali- 
tédes  voix. Il  fit  ensuite  décréter  que 
l'opposition  d'un  seul   nonce  suffi- 
rait pour   rendre  nulle  toute  déli- 
bération relative  aux  affaires  d'é- 
tat.   Le    lendemain  ,    l'évèque    de 
Cracovie  fit  passer,  par  forme  de 
concessi'on  ,    quelques   dispositions 
favorables  aux  dissidents,  sur  la  ba- 
-e  des  modifications  proposées  an- 
rieureraent  par  Repnin.  Mais  les 
L  mps  étaient  changés  ;  ces  conces- 
♦  ns,  qui  terminèrent  les  travaux  de 
diète,  ne  satisfirent  ni  les  dissi- 
.nts  ,  ni  Repnin  ,  mécontent  de  ce 
'fnc  l'alliance   offensive,   et  la  non- 
le  démarcation  des  limites  ,  n'a- 
ient pas  été  seulement  proposées, 
rage  qui  grondait  sur  la  Pologne 
;  lit  donc  point  détourné.  Catheri- 
nsistant  pour  la  totalité  des  de- 
.  des  des  dissidents ,  fit  outrer  qua- 
'';millc  hommes  en  Pologne  à  l'ef- 
soutenir  leur  confédération,  qui 
le 'io  mars  i-jG^jàTliornctà 
(;n  Lithuanie.  Le  I  oi,  ne  rccon- 
'\  pas  dans  la  noblesse  dissi- 
"  droit  de  se  confédcrer,  refu- 
■iccà  la  députât  ioi).  Nouvelles 
.  de  Repnin  ,  de  commencer 


REP 

sur  Icchamp  les  hostilités  ;  ces  me- 
naces étaient  déguisées  sous  le  nom  de 
représentations  amicales.  Toujours 
faible  ,  Stanislas  a  recours  à  des  sub- 
tilités ,  et  reçoit  les  députés  comme 
envoyés  par  le  corps  des  dissidents, 
et  non  comme  membres  d'une  confé- 
dération. Mais  c'était  en  vain  que  les 
dissidents  s'étaient  confédérés  ,  si  la 
nation  refusait  de  s'assembler  pour 
juger  leurs  plaintes.  Repnin  ,  pro- 
fitant du  mécontentement  qu'une 
partie  de  la  nation  ressentait  delà 
faiblesse  et  des  tergiversations  du  roi 
et  des  Czartorinski ,  dont  les  cons- 
titutions avaient  détruit  plusieurs 
prérogatives  de  la  noblesse  ,  eut  l'i- 
dée de  réunir  ensemble  ,  sous  la  mé- 
diation russe  ,  les  deux  ligues  ,  l'une 
catholique  ,  composée  du  corps  de 
la  noblesse  ,  et  l'autre  dissidente. 
Il  répandit  une  déclaration  de  Cathe- 
rine ,  qui  promettait  protection  à  ces 
mécontents,  portait  d'ailleurs  des 
paroles  de  paix  et  de  réconciliation 
aux  divers  partis  ,  et  les  engageait  à 
former  une  association  légale,  ou  , 
en  d'autres  termes ,  une  confédéra- 
tion extraordinaire  :  Frédéric  II 
émit  une  déclaration  semblable.  La 
haine  contre  les  Czartorinski  ,  la 
promesse  faite  secrètement,  au  nom 
de  Repnin  ,  par  des  émissaires  rus- 
ses, de  détrôner  le  roi ,  enfin  l'espoir 
de  la  vengeance, entraînaient  la  plus 
grande  partie  de  la  noblesse.  Cepen- 
dant dès  la  première  conférence  avec 
Repnin  ,  les  républicains  virent  avec 
effroi  l'autorité  qu'il  prétendait  s'ar- 
roger dans  leurs  assemblées  :  il  sem- 
blait ne  vouloir  que  sanctionner,  par 
leur  présence,  des  résolutions  déjà 
prises.  Le  plan  d'une  confédération 
générale  et  d'une  confédération  par- 
ticulière était  dressé.  Ou  promettait 
d'y  accéder  à  toutes  les  demandes 
des  dissidents.  On  y  faisait  supplier 


REP 

Catherine  par  les  confédérés ,  d'e'- 
tcndre  sa  garantie  à  tous  les  actes 
du  gouvernement  ;  enfin  ces  pre- 
miers actes  étaient  remplis  de  pro- 
testations de  respect  envers  le  roi. 
Gomme  on  sut  que  Repnin  avait 
chaque  jour  ,  avec  lui,  des  entretiens 
secrets  ,  on  le  crut  vendu  à  ce  prince  ; 
et  les  confédérés ,  se  persuadant  que 
l'impératrice  le  désavouerait  ,  se 
flattèrent  qu'une  fois  formée  ,  la 
confédération  générale  serait  assez 
puissante  pour  que  la  Russie  en 
respectât  l'autorité.  Repnin  lui-mê- 
me semblait  le  pressentir  ;  car  il 
disait  au  palatin  deKiovie  :  «  Tout 
»  ce  que  vous  demanderez  au  nom 
»  de  la  nation  confédéiée ,  on  vous 
»  l'accordera.  »  On  dissimula  avec 
lui  ;  et  il  fut  décidé  que  ,  le  24  mai 
1767,  toutes  lesconfedérations  écla- 
teraient à-la- fois  ,  et  se  réuniraient  à 
Radom ,  à  huit  lieues  de  Varsovie, 
pour  y  signer  la  ligue  générale.  Le 
roi  fit  déclarer  à  Repnin ,  par  ses 
ministres ,  qu'il  convoquerait  une 
diète  extraordinaire ,  dont  la  session 
commencerait  le  5  octobre  suivant. 
En  moins  de  huit  jours  ,  plus  de 
soixante  mille  gentilshommes  eurent 
donné  aux  mécontents  leur  parole  et 
leur  signature.  Repnin  porta  au  roi 
toutes  les  listes  qu'on  lui  avait  en- 
voyées des  provinces  ,  et  dit ,  en 
les  lui  montrant  :  «  Vous  voyez  bien 
V  que  je  suis  votre  maître  ;  votre 
»  couronne  ne  tient  plus  qu'à  votre 
»  soumission.  «  Mais  l'empresse- 
ment se  changea  en  défiance  à  la 
seule  lecture  du  manifeste ,  dans  le- 
quel on  demandait  à  la  czarine  de 
garantir  les  lois  à  faire;  et  presque 
partout  il  futrcjelé.  Repnin  multiplia 
ses  intrigues  et  ses  ruses  pourconser- 
ver  son  influence  :  il  les  employa  au- 
près du  grand-général  Branicki,pour 
le  tenir  eu  sa  puissance.  Ce  sage 


REP  373 

vieillard  s'arrêta  à  quelques  lieues 
de  Varsovie  ,  et  ne  donna  point  dans 
le  piège.  Les  troupes  russes  s'appro- 
chèrent de  Radom  ;  et  le  comman- 
dant fit  signer  de  foi'ce  ,  par  l'ordre 
de  Repnin  ,  un  acte  contenant  tou- 
tes les  dispositions  du  manifeste  re- 
jeté. La  trame  de  cette  opération 
fut  concertée  avec  Podoski  ,  que 
Repnin  avait  fait  nommer  primat, 
et  qui,  en  cette  qualité,  signa  le 
premier.  Ce  fut  le  prélude  d'au- 
tres exigeances  de  la  part  de  l'am- 
bassadeur. Poniatowski ,  tremblant 
pour  les  prérogativesde sa  couronne, 
prit  le  parti  d'une  soumission  entiè- 
re aux  volontés  de  la  Russie  :  il 
céda  sans  résistance ,  à  Repnin,  le 
droit  d'accorder  toutes  les  grâces  , 
se  réservant  à  peine  celui  de  recom- 
mander. 11  devint,  en  quelque  sorte, 
un  de  ses  flatteurs  et  de  ses  plus  dan- 
gereux émissaires.  Saisi,  pour  ainsi 
dire,  de  l'autorité  royale  ,  cet  autre 
duc  d'Albe  obligea,  par  les  plus 
horribles  violences,  la  plupart  des 
nonces  ,  à  signer  entre  ses  mains 
l'engagement  d'obéir  on  tout  à  hi 
Russie.  Peu  de  jours  avant  l'ouver- 
ture de  la  diète  ,  il  rassembla  chez 
lui  les  évoques  ,  et  leur  annonça  qne 
quiconque  persisterait  dans  sa  l'ésis- 
tance ,  s'en  repentirait  :  ces  véné- 
rables prélats  parurent  résolus  à  se 
laisser  enlever  pour  la  Sibérie,  dont 
il  les  menaçait.  Le  primai  seul  éluda 
de  répondre.  — ■  Enfin  la  diète  s'as- 
sembla; l'évèque  de  Cracovic  qui 
avait  réglé  les  ailaires  de  son  diocèse 
et  les  siennes  propres  ,  au  cas  qu'il  fût 
exilé,  s'éleva  avec  force  et  résigna- 
tion contre  les  projets  de  la  Russie  ; 
et  son  discours  fut  appuyé  par  le 
comte  Rzewuski  ,  palatin  de  Craco- 
vie.  Après  cette  première  séance  , 
des  détachements  russes  allèieut  ra- 
vager les  terres  du  palatin  et  de  l'é- 


374 


REP 


vcque.  Cela  n'arrêta  pas  le  zèle  de 
Zaluski ,  ëvèque  de  Kiovie  ,  et  du 
nonce  de  Podolie  Rzewuski,  dans  la 
séance  suivante.  De  son  cote' ,  Kra- 
sinski ,  e'vêque  dcKaminieck,  avant 
de  se  rendre  à  la  diète  ,  agit  auprès 
de  la  Porte  pour  l'excitera  la  guerre, 
si  la  czarine  ne  retirait  pas  ses  trou- 
pes de  la  Pologne.  Cette  princesse 
avait  copie  des  lettres  et  des  mémoi- 
res de  Krasinski;  et  Repnin,  n'osant 
l'envoyer  enlever  sur  les  frontières 
turques ,  l'attendait  à  Varsovie  pour 
le  faire  arrêter.  Les  envoyés  de  la 
confédération  h  Moscou  ,  firent  de 
vains  efforts  ponr  éclairer  Catherine 
sur  le  despotisme  extravagant  de 
Repnin.  On  leur  répondit  qu'il  avait 
sa  confiance ,  et  des  pleins-pou- 
voirs. «  L'impératrice  est  une  grande 
»  princesse,  leurdisait  le  ministre  Pa- 
»  nin  ;  le  prince  Repnin  est  mon  ne- 
»  veu ,  et  vous  serez  heureux  mal- 
»  gré  vous.  »  Soutenu  aussi  efficace- 
ment, Repnin  annonça  qu'il  nese dé- 
partirait pas  de  sesdemandes,  et  que, 
pour  s'y  soustraire,  il  fallait  l'enter- 
rer lui  et  les  quarante  mille  Russes 
qui  étaient  en  Pologne  :  il  ne  put 
obtenir  la  pluralité  des  voix.  Il  avait 
suspendu  son  projet  d'enlèvement 
des  chefs  de  l'opposition  ,  jusqu'à 
l'arrivée  de  Krasinski  :  mais  celui-ci 
n'eut  garde  de  se  montrer.  Il  se  ca- 
cha dans  un  faubourg  de  Varsovie  , 
et  fit  proposera  l'évcque  deCracovic 
une  conjuration  secrèle  de  toute  la 
Pologne,  à  la  suite  de  la  protestation 
d'un  nonce  contre  les  décrets  de  la 
diète  :  il  recommandait  d'attendre, 
pour  éclater,  les  mouvements  hos- 
tiles des  Turcs,  dont  il  se  croyait  as- 
suré. L'évêquede  Cracoviese  pressa 
de  confier  à  ses  amis  l'exécution  de 
ce  dessein  :  des  rapports  vagues  le 
portèjenl  à  la  connaissance  du  roi , 
qui,   soupçonnant  le  préiat  d'avoir 


REP 

voulu  e  détrôner ,  informa  aussitôt 
Repnin  de  ces  mesures.  L'enlèvement 
des  évêques  de  Cracovie  et  de  Kiovie, 
et  de  VVenceslas  et  Severin  Rzevrus- 
ki ,  depuis  long-temps  médité,  eut 
lieu  le  soir  même;  et  dès  le  lende- 
main on  leur  fit  prendre  la  route  de 
Smolensk  :  plus  tard  ,  quand  les 
confédérations  éclatèrent ,  ils  furent 
transférés  en  Sibérie.  A  près  cette  vio- 
lation du  droit  des  gens  ,  Repnin  ne 
garda  plus  de  mesure.  La  diète  ayant 
fait  demander  si  elle  ne  pouvait  pas 
espérer  quelques  modifications?  «Au- 
»  cune  ,  »  répondit-il  avec  la  fierté 
d'un  satrape.  Depuis  les  moindres  em- 
plois jusqu'aux  dignités  les  plus  con- 
sidérables, tout  fut  conféré, non-seu- 
lement à  sa  recommandation  ,  mais 
sur  sa  simple  désignation.  Ses  secré- 
taires vendirent  publiquement  les  di- 
plômes de  toutes  les  charges  polo- 
naises :  il  se  permit  avec  Stanislas 
des  procédés  si  humiliants,  que,  mal- 
gré leur  haine  contre  ce  prince  ,  tous 
les  Polonais  s'indignaient  de  voir 
avilir  à  ce  point  un  homme  qu'on 
les  forçait  d'appeler  encore  leur  roi. 
(i)La  dicte  ,  intimidée ,  chargea  une 
commission  d'arranger  à  l'amiable, 
avec  l'ambassadeur  russe  ,  les  con- 
testations relatives  aux  dissidents.  Le 
traité  du  24  février  1768,  et  deux 
actes  séparés  de  la  même  date ,  éta- 
blissant, le  premier,  les  droits  des 
dissidents,  et  quelques  principes  sur 
la  religion  dominante,  le  second, 
les  lois  constitutives  de  l'état,  et  no- 
tamment le  ridicule  et  abusif  liberum 
veto  ,  furent  le  résultat  de  ces  négo- 
ciations. La  diète  fut  terminée  le  5 
mars  17O8,  et  la  confédération  de 


(l)  Un  jour  fpir  Sluiiislns  l'Iall  nn  si«rln<lf,  r.-,ni- 
lin>s.idiiir  tarda  1iimuc(iii|)  .'.  s'y  rriijif.  Vcivanl  qu'il 
ne  venait  pas  ,  on  leva  la  toile,  e(  l'<in  oininicnça.  On 
lii  liait  lU•j.^  au  dciixiènie  acte,  Ior.i<|Uc  Rc^iniiiarr»- 
ve,  piciué  de  ce  i|ii'on  ne  l'a  pas  attendu,  il  fait  in- 
teiTonipre   le    s|ii'ctaclc,  et  rtcmuiiiciiccr  la  pièce. 


REP 

Radom  dissoute.  Mais  la  paix  iie 
s'ensuivit  pas  :  tous  ces  actes  de 
souveraineté  exerce's  en  Pologne  par 
Catherine  II ,  ou  en  son  nom ,  avaient 
soulevé  les  esprits  ;  et  l'orgueilleuse 
violence  de  Repnin  n'avait  fait  que 
les  exaspérer  davantage.  Les  confé- 
dérés n'avaient  pas  encore  quitté 
Radom,  que  le  bruit  de  la  formation 
de  la  confédération  de  Bar  était  déjà 
répandu.  La  première  réunion  avait 
commencé  le  29  février.  Le  comte 
Krasinski  et  les  cinq  PulaAvski  se 
mirent  à  la  tète  de  celte  ligue.  Rep- 
nin,  personnellement  attaqué  dans 
le  manifeste  qu'elle  publia  ,  fut  outré 
de  colère,  et  menaça  de  faire  massa- 
crer les  confédérés  par  les  troupes 
russes  ,  ou  de  les  faire  périr  du  der- 
nier supplice.  11  força  les  sénateurs 
restés  à  Varsovie,  d'implorer,  au 
nom  de  la  république  ,  les  secours 
de  la  Russie.  Quelques  uns  s'absen- 
tèrent et  firent  des  protestations  :  la 
majorité  trembla  devant  le  mot  .St- 
bérie  ,  sorti  de  sa  bouche.  Dès-lors, 
l'armée  russe  marcha  contre  les  con- 
fédérés ;  ils  obtinrent  sur  elle  quel- 
ques avantages  :  Repnin  ,  qui  atten- 
dait des  ordres  de  Pétersbourg  sur 
cette  levée  de  boucliers  ,  crut  devoir 
se  prêter  à  une  nouvelle  résolution 
du  sénat  ,  de  députer  vers  eux  Mo- 
kranowski  pour  écouter  leurs  griefs. 
C'était  un  homme  droit,  courageux 
et  populaire.  Des  conférences  furent 
demandées,  et  les  hostilités  suspen- 
dues. Dans  ces  entrefaites  ,  arriva  le 
frère  de  Repnin  ,  qui  lui  apportait, 
avec  la  ratification  du  traité  du  24 
février  ,  des  signes  éclatants  de  la 
satisfaction  de  l'impératrice,  l'ordre 
de  Saiut-Alcxandre,  une  gratification 
de  cinquante  mille  roubles,  le  brevet 
delieulenant-gc'héral,  etc.  Il  lui  remit 
aussi  une  déclaration  de  Catherine 
contre  les  confédérés  de  Bar  ,  qu'elle 


REP 


575 


regardait  comme  lebelles  à  leur  pa- 
trie et  ennemis  de  son  empire  :  elle 
ordonnait  au  roi  de  joindre  ses  trou- 
pes aux  Russes  ,  sons  peine  de  voir 
dévaster  la  Pologne  par  le  fer  et  le 
feu.  Repnin,  profitant  de  la  sécurité 
des  confédérés  ,  les  fit  attaquer  aus- 
sitôt sur  divers  points;  et  le  roi  eut 
la  faiblesse  de  consentir  à  ce  que  ses 
troupes  se  réunissent  aux  Russes. Le 
désespoir  opéra  un  soulèvement  dans 
toute  la  Pologne.  Dans  sa  défiance, 
Repnin  s'emparait  même  des  muni- 
tions de  guerre  des  Polonais  de  son 
parti.  Sa  tyrannie  ne  fit  qu'augmen- 
ter après  la  découverte  du  complot 
de  Dzirzanowski ,  qui  s'était  chargé 
de  l'enlever  ,  et  qui  avait  osé  propo- 
ser cette  courageuse  entreprise  au 
timide  Stanislas.  Les  confédéra- 
tions se  multipliaient  au  milieu  des 
massacres  :  celle  de  Cracovie  faillit 
entraîner  le  bombardement  et  la 
ruine  de  cette  ville,  qui  tomba  après 
ui. siège  desix  semaines.  La  longueur 
de  ce  siège ,  et  les  menaces  de  guerre 
de  la  part  de  la  Turquie,  avaient  don- 
né à  Catherine  des  inquiétudes;  et 
Repnin ,  chargé  par  elle  de  tenter  ton- 
tes les  voies  d'accommodement,  avait 
mandé  les  chefs  des  dissidents, pour, 
en  sauvant  la  honte  d'un  pas  rétro- 
grade, les  faire  renoncer  eux-mêmes 
aux  prérogatives  qu'il  leur  avait  fait 
accorder.  On  regarda  comme  certaine 
la  disgrâce  de  Panin  ,  qui,  peu  au- 
paravant ,  avait  promis  le  main- 
tien de  la  paix  avec  la  Porte  ;  et  les 
courtisans  se  flattaient  que  la  dis- 
grâce de  l'oncle  entraînerait  celle  du 
neveu.  Mais  l'impératrice  ,  satis- 
faite de  s'cHie  justifiée  aux  yeux  de 
son  peuple  par  un  mécontcuteracnt 
ostensible  ,  conserva  Panin  au  mi- 
nistère. Quant  à  Repnin,  elle  fit  an- 
noncer partout  que  son  ambassade 
allait  finir  ,  et  affecta  de  se  plaindre 


37G  REP 

d'avoir  toujours  élc  mal  infor- 
mée des  dispositions  des  Polonais. 
Malgré  ces  plaintes  simulées  ou 
réelles  ,  il  osa  donner  à  l'impéra- 
trice l'espérance  d'armer  contre  les 
Turcs  la  nation  polonaise.  Il  voulait 
faire  cette  proposition  dans  la  diète, 
qui  était  prochaine.  Catherine  agréa 
le  projet ,  et  le  chargea  d'offrir  au 
roi,  à  cette  condition  ,  le  comman- 
dement des  armées.  11  fallait  qu'elle 
eût  un  profond  mépris  des  hommes, 
ou  qu'elle  s'aveuglât  d'une  manière 
bien  étrange  sur  le  degré  d'ascendant 
que  Pooiatowski  avait  conservé  sur 
sa  propre  nation.  Il  ne  se  fît  pas  il- 
lusion j  car  il  répondit  par  ce  vers  : 

■  Connais-tu  quelque  Dieu  qui  fassa  un  tel  prodige?» 

Repnin  eut  beau  lui  représenter  que 
c'était  au  roi  nommément  que  les 
Turcs  faisaient  la  guerre,  qu'ils  at- 
taquaient son  élection  dans  leur  ma- 
nifeste ,  et  le  déc'laraicnt  indigne  de 
régner.  Stanislas,  se  renfermant  dans 
les  limites  d'une  politique  circonspec- 
te ,  X'ef  usa  de  se  prêter  à  ce  rôle  dange- 
reux :  l'abandon  total  que  Calberine 
lui  signifia  })our  se  venger  de  ce  re- 
lus,  et  les  outrages  de  Repnin,  ne 
purent  le  détourner  de  sa  résolution. 
Toiitau  reste, dans  Varsovie,  opposa 
une  égale  résistance  à  ce  projet  in- 
sensé^le  Repnin.  Bientôt  il  abandonna 
a  son  successeur  les  afl'aires  qu'il  avait 
amenées  à  la  plus  horrible  confusion, 
et  se  rendit  à  l'armée.  Il  obtint  le 
commandement  diui  des  princi- 
paux corps  de  celle  du  couite  Rou- 
manzofT,  et  seconda  clîiraceihcnt  ce 
grand  général ,  soit  dans  les  batailles 
de  K.irtal  et  de  Kagoul  (en  1770), 
soit  en  s'empaïaiit  d'Ismailow.  Sou 
heureuse  coopération,  pendant  toute 
la  durée  de  cette  guerre  ,  fit  jeter  les 
yeux  sur  lui  pour  la  négociation  de 
la  paix.  11  signa  le   traité  de  Kaï- 


REP 

uardgi(3i   juillet   «774),  comme 
plénipotentiaire  de  Catherine,  qui 
le    nomma    ensuite   son    ambassa- 
deur  à    Constantinople.  Il   réussit, 
dans  ce  nouveau  poste,  à  empêcher 
une  nouvelle  rupture.  La  construc- 
tion d'une  forteresse  entre  Kertsch 
et  lenikalé  ,  la  protection  accordée 
aux  rebelles  de  Crimée ,   l'élection 
de  Sahin-Guera'i  à  la  dignité  de  khan 
par  la  protection  des  Russes  ,  leurs 
usurpations  enfin,  avaient  singulière- 
ment irrité  le  divan.  Le  grand-visir 
déclara  lui-même  au  prince  Repnin 
qu'à  moins  que  le  khan  ne  rentrât 
sous  la  domination  de  la  Porte,  et 
que  la  Russie  ne  restituât  Kertsch  et 
lénikalé  ,    la   paix    ne   serait    pas 
de   durée.    11  importait   à  la   cza- 
rine  de  détourner  une  nouvelle  guer- 
re ,  au  moins  jusqu'à  ce  qu'elle  y  fût 
préparée  ;  et  son  ambassadeur  rem- 
plit très-bien  ses  intentions,  en  cal- 
mant les  ressentiments  de  la  Porte. 
Le  roi  de  Prusse  engagea  la  Fran- 
ce à  conseiller  au  divan  un  arran- 
gement, qui  eut  lieu,  et  fut  consa- 
cré,  postérieurement  à  la  mission 
du  prince  Repnin ,  par  la  convention 
explicative  du  traité  de  Kaïnardgi , 
signée  à  Constantinople  ,  le  21  mars 
I  779-  Reconnaissante  du  service  que 
lui  rendait  Frédéric  II,  Catherine, 
à  son  tour  ,  s'interposa  pour  termi- 
ner les  différends  ipic  la  succession 
de  Baviire  venait  d'occasionner  en- 
tre Marie-Thérèse  et  ce  prince  ;  et , 
pour  appuyer  son  intervention  di- 
plomatique ,  elle  fit  marcher   vers 
les  frontières  de  la  Gallicic,  une  ar- 
mée de  trente  mille  hommes  ,  sous 
les  ordres  du  prince  Repnin.  Il  arri- 
va leiodéc.  177H,  à Breslau, déploya 
le  double  caractère  de   général    et 
d'ambassadeur,  et  proposa  la  média- 
tion de  sa  cour  pour  parvenir  à  un 
accumodemcnt.  En  même  temps  une 


REP 

déclaration  conforme  à  cette  pro- 
position fut  adressée  an  prince  de 
Kauuitz  :  les  dëraonstratious  guer- 
rières de  la  Russie  ,  et  les  instances 
du  cabinet  de  Versailles  ,  ayant 
amené'  Marie- Thérèse  à  l'accepta- 
tion de  la  médiation  française  et 
russe  ,  un  congrès  fut  indiqué  à  Tes- 
chen.  Le  prince  Repniu  s'y  rendit, 
comme  plénipotentiaire  médiateur 
de  la  part  de  la  Russie  ;  et  le  liarou 
de  Breteuil  comme  plénipotentiaire 
médiateurde  la  France  :  ils  signèrent 
tous  deux,  en  cette  qualité,  le  1 3  mai 
1779,  le  traité  qui  prit  le  nom  du 
siège  de  la  négociation.  Durant  la 
campagne  de  1789  contre  les  Turcs, 
le  prince  Repnin  fut  chargé  du  com- 
mandement de  l'armée  d'Ukraine  , 
après  la  démission  du  comte  Rou- 
raanzoff.  i^e  io  septembre  ,  il  battit 
une  armée  othomane  qui  avait  passé 
leDanube auprès d'ismaïl.  En  1790, 
il  chassa  les  Turcs  des  bords  de  la 
Solska  ,  et  fit  le  blocus  d'ismaïl  : 
mais  ce  fut  SouwarofF  qui  eut  les 
honneurs  de  la  conquête  de  cette  pla- 
ce ,  après  l'assaut  le  plus  meurtrier 
qu'on  eût  jamais  vu.  Ils  reçurent 
tous  deux  de  ricbcs  présents  de  l'im- 
pératrice. Enfin  ,  le  10  juillet  1791  , 
Repniu ,  à  la  tête  de  la  grande  armée 
russe  ,  forte  de  quarante  mille  hom- 
mes ,  mit  en  déroute  ,  auprès  de 
Matzin  ou  Maczyn  ,  plus  de  cent 
raille  Othomans  ,  commandés  par 
le  grand  -  visir  Youssonf  ,  si  fa- 
meux par  les  succès  cpi'il  avait  obte- 
nus sur  les  Autrichiens  ,  dans  le 
Bannat.  Ces  victoires  amenèrent  la 
conclusion  de  la  paix  de  lassi,  dont  le 
prince  Repnin  et  le  grand-visir  signè- 
rent les  préliminaires,  à  Galacz,  le 
1 1  août  1791.  C'était  en  l'absence  du 
général  en  chef  Potenikiu,  et  pendant 
(pic  ce  favori  se  livrait  à  ses  plaisirs  à 
Pctersbourg ,  que  Repnin ,  sou  licu- 


REP  377 

tenant,  avait  subitement  passé  le  Da- 
nube ,  et,  par  une  marche  rapide, 
avait  surpris  et  battu  le  visir  à  Mat- 
zin. La  nouvelle  de  cette  victuireavait 
réveillé  Potemkin  de  ?a  léthargie. 
S'arrachaut  à  des  jouissances  indi- 
gnes de  sa  gloire, il  était  revenu  à  son 
armée,  nepouvant  contenir  son  eu  vie 
et  son  ressentiment  d'un  succès  im- 
portant obtenu  sans  lui  et  malgré  lui; 
car  il  avait  ordonné  que  les  troupes 
gardassent  leurs  positions.  Son  abord 
fut  terrible;  Repnin  le  soutint  avec 
plus  de  fermeté  qu'on  n'eût  dû  l'at- 
tendre de  sa  longue  habitude  d^une 
complaisance  obséquieuse  et  presque 
servde  envers  l'orgueilleux  amant  de 
sa  souveraine.  «  Comment,  lui  dit 
»  Potemkin,  eu  faisant  allusion  à  son 
»  zèle  pourlemartinisme,  comment, 
»  petit  prêtre IMartin  que  tu  es,  oses- 
»  tu  ,  pendant  mon  absence  ,  cntre- 
»  prendre  tant  de  choses?  Qui  t'en  a 
»  donné  les  ordres?  »  Repf)iii,  indi- 
gné de  cette  apostrophe,  et  d'ailleurs 
enhardi  par  la  victoire,  réjiondit  : 
«  J'ai  servi  mon  pays;  ma  tête  n'est 
»  point  en  ton  pouvoir,  et  tu  es  un 
»  diablequc  jenecrains  plus.  »  Après 
cette  scène  violente,  il  le  quitta,  en 
lui  jurant  une  haine  implacable.  Po- 
temkin ne  survécut  que  quelques  se- 
maines :  mais  ,  avant  sa  moi  t ,  il 
avait  obtenu  la  disgrâce  de  sou  rival; 
et  l'ascendant  que  sa  mémoire  exer- 
çait encore  sur  Catherine  assura  le 
maintien  de  cette  déterininalion.  A 
peine  Repnin  eut  -  il  fini  sa  négo- 
ciation des  piéirminaires  ,  qu'il  se 
retirai  Moscou.  11  y  établit  un  club 
de  inarliiiisles  :  c'est  le  nom  d'une 
secte  d'illuminés  (  Foy.  Martinez 
Pasqualis  );  mais  ce  fut,  à  pro- 
prement parler,  un  club  de  mécon- 
tents ,  dans  lequel  le  principal  ti- 
tre d'admission  consistait  dans  la 
manifestation  de  sentiments  d'op- 


378  REP 

position  contre  la  cour.  On  a  pré- 
tendu qu'on  s'y  occupait  bien  moins 
de  rêveries  et  d'idées  mystiques  que 
de  politique,  et  qu'il  s'agissait  de  dé- 
trôner Catherine,  et  de  mettre  Paul 
à  sa  place.  L'impératrice  en  fut  bien- 
tôt instruite;  elles  membres  du  club, 
arrêtes ,  dépouillés  de  leurs  charges  et 
de  leurs  ordres,  subirent,  la  plupart, 
la  peine  de  l'exil,  les  uns  en  Sibérie, 
les  autres  dans  leurs  terres.  Repnin  , 
mandé  à  Saint-Pétersboiug ,  se  crut 
perdu.  Soit  qu'elle  gardât  le  souvenir 
de  ses  anciens  services  ,  soit  qu'elle 
en  attendît  de  nouveaux,  Catherine 
dissimula ,  fit  un  bon  accueil  au  prin- 
ce, et  le  nomma  gouverneur-général 
de  la  Livonie,  d'où, après  le  dernier 
partage  de  la  Pologne,  il  passa  au  gou- 
vernement général  de  la  Lithuanie. 
Alors  il   transporta  sa  résidence  à 
Grodno  ,  oi!i  se  trouvait  l'infortuné 
Stanislas  Poniatowski  ;   rapproche- 
ïiient  qui,  s'il  n'était  dû  qu'au  ha- 
sard, peut  paraître  un  des  jeux  bi- 
zarres de  la  fortune;  car  il  plaçait, 
vis  -  à  -  vis   du    monarque  déchu  , 
l'homme  qui  ,  après  avoir  été  l'un 
des   principaux  instruments  de  son 
élévation,  avait  sapé  le  premier,  de- 
puis  1765  jusqu'en   i7()8,  les  fon- 
dements de  son  trône.  Lors  de  l'inva- 
sion qui  amena  les  derniers  démem- 
brements delà  Pologne,  Repnin  se 
trouvait  le  seul  général  de  réputation , 
à  la  tête  des  armées  russes.  Cathe- 
rine se  vit  dans  la  nécessité  de  l'em- 
ployer. Mais  sa  marche  méthodique 
et  piudentc  contrariant  les  vœux  im- 
patients de  cette  princesse,  le  com- 
mandement lui  fut  retiré  et  donné  à 
SoMvvarofr,qui,  la  veille, était  sousses 
ordres  ,  et  qui,  étant  nommé  feld- 
maréchal,  dcvintson  supérieur.  Rep- 
nin supporta  ])aliemment  cette  hu- 
miliatiun.    Il  fut  ensuite  chargé  des 
fonctions  de  ministre  de  Catherine  , 


REP 

en  Pologne,  et  ce  fut  pour  déposer 
le  faible  Poniatowski.  Il  lui  remit 
une  lettre  de  cette  princesse ,  por- 
tant en  substance  ,  «  que  l'effet 
»  des  arrangements  pris  à  l'égard  de 
»  la  Pologne,  étant  la  cessation  de 
»  l'autorité  royale ,  on  lui  donnait  à 
»  juger  s'il  n'était  pas  convenable 
»  qu'il  abdiquât  formellement.  »  Un 
conséquence,  et  d'après  les  insinua- 
tions ,  pour  ne  pas  dire  l'ordre  de 
Repnin,  Stanislas  Auguste  signa,  le 
25  novembre  1 795  ,  son  abdication. 
Peu  de  jours  après  l'avènement  de 
Paul  P"". ,  le  prince  Repnin  fut  enfin 
élevé, leaonovembre  1796, au  grade 
de  feld-maréchal.  Après  la  paix  de 
Campo-Formio  ,  l'Autriche  ayant 
annoncé  ,  à  Rastadt,  des  vues  sur  la 
Bavière,  comme  indemnité  de  la  Bel- 
gique, la  Prusse  manifesta  son  oppo- 
sition à  ce  projet.  Paul  I®'.  crut  de- 
voir envover  à  Berlin  ,  l'ancien  plé- 
nipotentiaire médiateur  deTeschen. 
Repnin  arriva  dans  cette  capitale,  le 
18  mai  1798,  avec  une  nombreuse 
suite ,  composée  de  son  neveu ,  le 
prince  Wolkonsky,  d'un  secrétaire 
français  ,  nommé  Aubert ,  précédem- 
ment attaché  à  l'ambassadeur  de 
France  en  Pologne  M.  Descorches 
de  Sainte- Croix  ,  de  plusieurs  aides- 
de-camp,  du  martiniste  Thiemann  , 
etc.  Son  entrée  fut  presque  triom- 
phale. Il  avait  le  caractère  et  les 
moyens  qui  pouvaient  répandre  le 
plus  d'éclat  sur  sa  personne  ;  et  l'em- 
pereur avait  pensé  qu'un  homme 
comme  ce  feld-maréchal,  jouissant 
en  Russie  et  dans  le  Nord  d'une  hau- 
te considération,  prendrait  de  l'as- 
cendant sur  un  roi  jeune  et  encore 
sans  expérience,  et  sur  un  ministère 
incertain,  vacillant  par  caractère  et 
par  piincipes.  Repnin  ne  déploya 
pas  le  titre  d'ambassadeur,  ni  aucun 
autre  titre  diplomatique.   Celui  de 


REP 

simple  voyageur,  à  cause  de  l'ëti- 
qucttc  de  cctîe  cour,  lui  rendait  plus 
faciles  ses  relations  avec  le  roi  et  les 
princes.  La  garantie  du  traite  de  Tcs- 
chen,  au  sujet  du  démembrement  de 
la  Bavière,  demandé  par  l'Autriche, 
paraissait  l'unique  objet  de  sa  mis- 
sion :  il  e'tait  bien  aussi  question,  de 
la  part  des  deux  cours  de  Berlin  et 
de  Vienne,  d'un  abandon  mutuel  de 
tout  droit  d'indemnité'  en  Allema- 
gne ;  la  proposition  en  avait  été  faite 
par  la  Prusse,  qui  se  serait  contente'e, 
pour  la  maison  de  Nassau-Orange , 
de  quelques  bailliages  peu  impor- 
tants ,  eu  dédommagement  de  ses 
pertes  à  la  rive  droite  du  Rhin.  C'é- 
tait-là  le  terrain  patent  et  avoue  sur 
lequel  devait  porter  la  négociation. 
Mais  elle  avait  un  objet  secret  beau- 
coup plus  important.  L'Angleterre, 
l'Autriche  et  la  Russie  préparaient 
la  deuxième  coalition  contre  la 
réptdjlique  française  ,  et  voulaient 
y  faire  entrer  la  Prusse.  Déjà  Paul 
faisait  annoncer  l'enroi  dans  la  Bal- 
tique et  dans  le  Sund  ,  d'une  flotte 
de  vingt  -  deux  vaisseaux  russes, 
destinés  à  proléger  le  commerce  an- 
glais contre  les  corsaires  du  Direc 
toire  ;  et  l'armée  de  Souwaroffse  met- 
tait en  marche  pour  la  Gallicie.  Les 
premières  demandes  de  Repnin,  ap- 
puyées par  l'ambassadeur  d'Angle- 
terre, tendaient  évidemment  à  re- 
nouer la  grande  coalition  européen- 
ne sous  un  nom  différent,  par  exera- 
])le  ,  celui  de  la  garantie  de  la  paix 
de  V AlleTnagne  :  le  cabinet  prussien 
répondit  qu'il  avait  besoin  de  garder 
sa  neutralité,  et  qu'il  la  garderait. 
Le  négociateur  russe  se  contenta  en- 
suite de  vouloir  rallier  les  cours  de 
Berlin  et  de  Vienne,  sous  la  média- 
lion  de  la  Russie,  à  l'effet  de  défen- 
dre eu  commun  la  constitution  de 
l'empire ,  soit  dans  l'hypolLcse  de 


REP  379 

son  intégrité  territoriale,  soit  dans 
celle  de  quelques  indemnités  indis- 
pensables* pour  les  deux  cas.  Cette 
négociation  s'embrouilla  dans  ses  dé- 
veloppements; on  ne  s'entendit  point. 
Les  ministres  prussiens  ne  cessaient 
de  porter  la  délibération  sur  le  sort 
de  la  Bavière ,  sans  en  prononcer 
le  nom ,  mais  seulement  en  décla- 
rant l'inviolabilité  des  états  héré- 
ditaires. L'Autriche  voulait  que  l'on 
s'entendît  sans  l'intervention  humi- 
liante de  la  France,  et  que  la  lésis- 
tance  aux  prétentions  exagérées  de 
ses  ministres  à  Rastadt  fût  concertée 
entre  les  deux  cours.  La  Prusse 
faisait  observer  qu'elle  s'était  mon- 
trée avec  le  plus  de  vigueur  à  ce 
congrès  contre  les  exigeances  du 
Directoire  français, et  persistait  à  y 
voter  séparément.  Repnin  ne  put  ar- 
racher aucune  modification  à  ces  ré- 
solutions ,  dans  les  conférences  qu'il 
eut  avec  les  ministres  du  cabinet, 
auxquels  le  roi  avait  adjoint  le  feld- 
maréchal  Moellendorf ,  le  seul  qui 
parût  entrer  dans  les  vues  des  Rus- 
ses ,  et  dans  leur  haine  pour  la  répu- 
blique (2).  11  se  plaignit  au  contraire 
beaucoup  du  comte  de  Haugwitz, 
qui  déclara  son  intention  de  mainte- 
nir la  Prusse  dans  une  invariable 
neutralité.  Ce  ministre  était,  d'un 
autre  côté,  harcelé  par  le  fameux 
Sieyes,  que  le  Directoire  avait  en- 
voyé à  Berlin ,  et  qui  se  flattait  de 
conclure  avec  la  Prusse  une  alliance 
offensive  et  défensive,  Haugwitz, qui 
craignait  la  république,  louvoyait  ti- 
midement entre  Repnin  et  Sieyes, 

(7.)  A  la  suite  d'une  fcte  dounro  ii  Repu'ii  ,  parle 
gcncial  Moellendorf ,leprince, ayaut  parlcd'uoi- rpc'e 
»|u  il  avait  reçue  de  Paul  I**»".  ^  Je  maréchal ,  à  son 
tour ,  eu  munira  une  Irès-riclic  ,  que  le  roi  de 
l'iMwe  lui  avait  donnée  :  «  Monsieur  le  maréchal, 
>»  dit  Re|inin  ,  <|uand  pourrons-nous ,  vous  et  moi, 
»  unir  ces  deux  épt-es  contre  les  repxiblicains?  »>  — 
,1  Ah  !  ce  serait  le  plus  grand  buubeur  de  ma  vie,  » 
répondit  le  utariicLul, 


38o  REP 

sans  rien  accorder  ni  à  l'un  ni  à  l'au- 
tre. «  Vous  n'avez  pas  à  nous  repro- 
»  cher  ,  disait-il  un  jour  uu  prince 
»  russe,  d'avoir  manqué  ni  à  nos  al- 
»  liés  ni  à  nos  amis;  nous  ne  nous 
»  brouillerons  ni  avec  vous  ni  avec 
»  la  république.  Soyez  sûr  que  nous 
»  n'avons  pas  voulu  nous  allier  avec 
»  elle.  —  lit  vous  avez  bien  fait,  ré- 
»  pondit  Repnin  ;  car  la  Russie  re- 
»  garderait  la  signature  d'un  tel  Irai- 
»  té  comme  une  déclaration  deguer- 
»  re.  »  Il  ajouta  que  les  armées  rus- 
ses sauraient  combattre  les  ennemis 
de  son  maître,  et  même  ses  faux 
amis.  Le  10  aoilt  179B,  il  déclara 
que,  conformément  aux  traités,  trente 
raille  Russes  allaient  entrer  en  Gaili- 
cie,  comme  auxiliaires  de  l'Autriche  j 
et  il  partit  le  i5  pour  Vienne,  d'où  , 
après  quelque  séjour,  il  retourna  à 
Péler^bourg.  On  prétend  qu'à  son 
retour,  Paul  P''.  le  disgracia,  pour 
avoir  échoué  dans  sa  mission  ,  et 
pour  avoir  employé  un  Français,  son 
secrétaire  Aubert ,  qui  s'esquiva  avec 
une  partie  des  papiers  et  des  secrets 
de  la  légatioii.  Le  prince  Repnin  se 
relira  à  Moscou  ,  et  y  mourut  le  12 
mai  1801.  Peu  de  vies  se  rattachent 
à  d'aussi  grands  événements  que  la 
sienne.  Si,  militaire  et  diplomate  à- 
la-fois,  il  fit  la  guerre  avec  de  bril- 
lants succès,  et  se  (it  Vemarquer  à 
Teschcn  par  une  condmte  judicieu- 
se, prévoyante,  et  animée  d'une  no- 
ble fermeté  ,  l'inexorable  liistoire  ne 
peut  manquer  d'imprimer  le  sceau 
liu  blâme  sur  celle  qu'il  tint  en  Polo- 
gne, comme  ministre  de  Catherine  : 
ce  fut  lui  qui  y  fomenta  l'anarchie  et 
la  guerre  civile  ;  ce  fut  lui  qui  prépara 
ces  déchirements  politiques  dont  les 
conséquences  ,  compliquées  avec  les 
cvcncments  de  la  révolution  fran- 
çaise, ont  ensanglanté  l'Europe,  et 
long-lcuips  dbranlé  l'édifice  de  la 


REP 

civilisation.  Voici  le  portrait  qii'en 
a  tracé  Ruihières.  «  Le  prince  Rep- 
»  nin  était  né  dans  le  temps  de 
»  la  dernière  élection  (  celle  d'An- 
»  guste  III  ),  au  milieu  d'une  ar- 
»  mée  qui  ravageait  la  Pologne. 
»  Les  Polonais  dispersés  ,  l'incendie 
»  de  leurs  châteaux,  le  pillage  de 
»  leurs  terres  ,  furent  les  premiers 
»  objets  qui  frappèrent  ses  regards, 
»  Il  comptait  parmi  ses  grand'raères 
»  une  Tartare  Kalmouke*  et  les  tra- 
»  ces  de  celte  origine  se  reconnais- 
»  saient  encore  dans  ses  mœurs  aussi 
»  bien  que  dans  ses  traits,  dont  la 
»  bizarrerie  n'était  pas  sans  agré- 
»  ment.  Sa  physionomie  était  vive 
»  et  altière,  son  esprit  intrigant  et 
a  brouillon,  autant  qu'on  peut  l'èfre 
»  dans  une  cour  despotique.  Parmi 
»  les  jeunes  Russes ,  aucun ,  à  la  honîe 
»  de  celte  cour,  n'annonçait  de  plus 

■n  heureuses    dispositions 11 

»  portait,  dans  la  société  familière, 
»  une  sorte  de  gaîté  assez  vive,  et  de 
»  plaisanterie  assez  spirituelle.  Il  s'a- 
»  bandonnait  quelquefois  à  ces  pre- 
»  miers  mouvements  de  bonté  qui 
»  échappent  aux  plus  méchants  na- 
»  turels,  et  qui  servent  à  excuser  la 
»  bassesse  de  ceux  que  l'intérêt  rap- 
»  proche  de  pareils  hommes.  Il  n'é- 
»  tait  pas  entièrement  dépourvu  de 
»  sagacité  dans  les  affaires  ;  mais 
»  tout  ce  qu'il  avait  vu  jusqu'alors 
)>  avait  plus  gâté  son  esprit  qu'ajon- 
»  té  à  son  expérience.  «  Ce  portrait, 
que  nous  abrégeons ,  est  peu  t-  être 
trop  sévère  :  il  est  plein  des  im- 
pressions qu'a  dû  i-esscnlir  Ruihiè- 
res en  déroulant  le  tableau  de  l'a- 
narchie polonaise.  S'il  [icint  à  lar- 
ges traits  les  défauts  de  Repnin,  il 
esquisse  trop  légèrement  ou  même 
dissimule  ses  qualités  et  celte  supé- 
riorité de  moyens  qu'il  annonçait 
déjà,  et  qu'il  développa  plus  tard 


REP 

dans  les  camps  et  dans  le  cabinet. 
Le  major  Masson,  auteur  des  Mé- 
moires secrets  sur  la  Russie ,  publies 
eu  1801 ,  ouvrage  qu'on  ne  peut  ac- 
cuser de  partialité  en  faveur  du  prin- 
ce Repnin,  loue  ses  talents  militai- 
res et  politiques,  sa  politesse,  son 
humanité' ,  après  avoir  blâme'  ses  fai- 
blesses, telles  que  son  orgueil ,  son  il- 
luminisrae,  et  son  humiliant  enchaî- 
nement au  char  de  Poterakin  d'a- 
bord, puis  à  celui  de  Zoubo\v,dont 
il  fut,  dans  sa  vieillesse ,  un  des  cour- 
tisans assidus.  Suivant  cet  auteur,  Rep- 
nin avait  de  la  noblesse  dans  la  figu- 
re ,  dans  les  manières ,  et  dans  les  pro- 
cédés de  détail.  Il  se  montra  sou- 
vent compatissant  et  généreux  j  et  la 
Litliuanie  lui  eut ,  ainsi  qu'au  prin- 
ce Galitzin,  l'obligation  d'être  pré- 
servée d'une  ruine  totale.  .  .  Après 
le  massacre  de  Praga ,  la  haine  de 
Catherine  étant  devenue  plus  forte 
contre  quelques  familles  polonaises, 
leurs  terres  furent  les  premières  con- 
fisquées :  le  prince  Repnin  les  deman- 
da à  l'impératrice,  et  les  rendit  plus 
tard  aux  anciens  propriétaires  ,  en 
leur  disant  qu'il  ne  les  avait  accep- 
tées que  parce  qu'elles  auraient  été 
données  à  d'autres  ,  et  qu'il  n'aurait 
pu  les  leur  conserver.  Comment  con- 
cilier ces  traits  généreux  avec  son 
ancienne  conduite  en  Pologne  ,  en- 
vers cette  même  noblesse,  si  polie  , 
si  vaillante,  et  à  laquelle  il  avait  fait 
endurer  tous  les  dédains  d'un  orgueil 
intraitable  ?  Faudrait  -  il  chercher 
dans  sa  singulière  transition  au  mar- 
tinisme,  l'explication  de  ces  contra- 
dictions, et  croire  que  les  idées  mys- 
tiques, source  d'erreurs  pour  l'es- 
prit , avaient  pourtant  assoupli  le  ca- 
ractère et  attendri  le  cœur  de  cet  il- 
lustre guerrier? —  Le  prince  Nicolas 
Repnin  ,  qui  se  distingua  à  la  bataille 
d'Austerliti,  et  dans  la  campagne  de 


REQ  38i 

1819.,  et  fut  fait  gouverneur  de  Leip- 
zig ,  puis  en  181 4,  administrateur- 
général  de  la  Saxe,  est  fils  du  feld- 
maréchal.  G — r — d. 

REQUENO  Y  VIVES  Vincent), 
savant  littérateur  et  numismate,  na- 
quit, en  1743,  à  Calatraho,  dans 
r Aragon,  et,  à  l'âge  de  quatorze  ans, 
embrassa  la  règle  de  Saint  -  Ignace. 
Lors  de  la  suppression  des  Jésuites, 
il  s'embarqua  pour  l'Italie,  avec  un 
grand  nombre  de  ses  confrères  ,  et 
s'établit  à  Rome,  oii  il  ne  tanla  pas 
à  se  faire  coiinaîlre  par  son  éru- 
dition et  son  goût  pour  les  anti- 
quités. Il  profila  de  la  permission  ac- 
cordée aux  jésuites  espagnols  de  ren- 
trer dans  leur  patrie,  et  fut  nommé 
membre  de  l'académie  royale  des 
sciences  d"  Aragon  ,  et  conserA'ateur 
du  cabinet  de  médailles  de  cette  so- 
ciété. Informé  du  rélablisscraent  des 
Jésuites  dans  le  royaume  des  Deux- 
Siciles  ,  il  se  hâta  de  retourner  en 
Italie,  dans  le  desscinde  se  réunira 
ses  anciens  confrères;  mais  il  mou- 
rut à  Tivoli,  le  17  février  181 1, 
à  soixante-huit  ans.  Outre  un  ou- 
vrage ascétique  (  Esercizj  spiri- 
tiiali  ,  Rome  ,  1 8o4  ) ,  on  a  du  P. 
Requeno  :  I.  Saggio  sul  ristahili- 
mento  delV  anlica  arle  de'  grecie 
de""  romani  pittori,  Venise,  1784, 
in-4°.  Sous  le  titre  modeste  d'essai, 
le  savant  auteur  donne  un  traité  com- 
plet de  la  peinture  chez  les  anciens, 
et  des  divers  procédés  employés  par 
les  artistes  grecs  et  romains.  Cet  ou- 
vrage, plein  de  recherches  et  d'ex- 
périences curieuses,  a  été  réimprimé 
avec  des  additions  et  des  corrections, 
Parme ,  1 787  ,  'J.  vol.  in-8°.  II.  Prin- 
cipi,  progressi ,  perfezione,  perdit  a 
et  ristabilimenlo  delV  antica  arte 
diparlare  da  liingi  in  giierra,  etc., 
Turin  ,  1 790  ,  in-S».  ;  c'est  un  Trai- 
té des  signaux  des  anciens.  Depuis 


382 


REQ 


la  renaissance  des  sciences ,  un  grand 
iiombx'e  desavants  s'étaient  occupes 
de  recherches  sur  cet  objet  impor- 
tant; et  plusieurs  même  avaient  len- 
te' des  expériences  dont  le  résultat  a 
produit  enfin  la  découverte  du  Télé- 
graphe,  qui  fera  passeravec  honneur 
le  nom  de  Chappe  à  la  postérité  (  F. 
CiiAPPE ,  VIII,  (5Q).  III.  Scoperta 
délia  chirûiiomia ,  ossia  delV  arte 
di  gestire  colle  mani ,  Panne,  1 797  , 
in-8°.  La  manière  de  se  faire  enten- 
dre par  le  moyen  des  doigts  est  fort 
ancienne.  On  trouve ,  parmi  les  OEu- 
i'res  de  Bède ,  (éd.  de  i  G88) ,  un  Opus- 
cule :  De  loqueld  per  gestiaa  digi- 
torurti ,  avec  des  gloses.  Fabricius  a 
rapporté,  dans  la  Bihlioth.  latin., 
les  différentes  éditions  de  ce  Traité  ; 
et  à  cette  occasion, il  indiquetous  les 
auteurs  parvenus  à  sa  connaissance, 
qui  ont  écrit  sur  l'art  de  parler  avec 
les  doigts.  Cet  art,  perfectionné  par 
Pereire ,  dans  le  siècle  dernier  (  F. 
Pereire,  XXXIII,  348),  est   pres- 
que sans  utilité,  depuis  que  l'abbé  de 
l'Épée  et  Sicard  ont  trouvé  une  mé- 
thode bien  supéiùeure  pour  instrui- 
re les  sourds  et  muets  (  F.  l'Épée 
et  Sicard).  Toutefois  celte  métho- 
tle  n'a  acquis  elle-même  une  vérita- 
ble perfection  qu'à  l'aide  du  langage 
gesticulé  qu'em])loienlnalurcllement 
entre  eux   de  jeunes  sourds-muets 
élevés  ensemble;  langage  qu''ont  dû 
finir  par  étudier  les  maîtres  eux-mê- 
mes ,   pour  étendre  celui  de  leurs 
élèves.  Par-là  disparaît  ,  en  grande 
partie,  le  merveilleux  d'une  rnétlio- 
de  qui   supposait  des  individus  in- 
capables, sans  elle,  de  notions  abs- 
traites ,  parce  qu'ils  sont  privés  de 
l'idée  des  sons.  (  Voy.  la  note  de  la 
pag(!  55  de  V  Ode  sur  l'Etre  injbii , 
Paris,  1806,  in  8".  )  IV.  Suggi  iuV 
rislahilimenLo  delV  arle  di  dipinge- 
re  alV  encuusto  degli  anlichi,  ibid.^ 


REQ 

1798,  1  vol.  in  -  8".  Caylus  s'était 
occupé  le  premier,  avec  succès,  de 
la  recherche  des   procédés  qu'em- 
ployaient les  anciens  pour  peindre  à 
l'encaustique  (  Foy.  Caylus  ,   vu  , 
469  )  :  mais  le  P.  Requeno  a  fait  de 
nouveaux  essais  très-intéressants ,  qui 
rendent  sou  ouvrage  précieux  pour 
les  artistes.  11  faut  joindre  aux  deux 
volumes  qu'on  vient  d'indiquer,  un 
Appendice ^  Rome,  1806,  in-8^.  V. 
Saggio  suV  riitabilimento  delU  ar- 
te armonica  de'  greci  e  romani  can- 
forf,  ibid.,  1798,  2  vol.  in-80.;  ou- 
vrage curieux  et  plein  de  recherches, 
comme  tous  ceux  de  l'auteur.  VI. 
Medallas  ineditas  anliguas  existen- 
tes  en  el  museo  de  la  real  sociedad 
Aragonesa ,  Saragoce ,  1 800 ,  in  4"., 
imprimé  aux  frais  de  l'académie.  Cet 
ouvrage  est  divisé  en  deux  parties  , 
dont  la  première  contient  des  Remar- 
ques sur  des  explications  données  par 
quelques  numismates  ,  et  de  nouvel- 
les conjectures  sur  diverses  médail- 
les. VII.  Tamburo,  stromento  dipri- 
via  nécessita  per  regolamento  délie 
trappe  ,  perfezionato,  Rome,  1 807, 
in -8".    L'auteur    y    présente    les 
moyens  de  changer  le  bruit  du  tam- 
bour en  sons  harmonieux  ,  et  pro- 
pres à  se  marier  avec  la  voix  (Voy. 
le  Magaz.encjclop.,  1807,  v,  i85  ). 
VIII.    Osservazioni   sulla  chiroti- 
pografia,  ossia  antica  arte  di  stam- 
pare  a  iiiano  ,  Rome ,  1 8 1  o ,  in- 1 2; 
il  y  a  des   exemplaires  sur   vélin. 
Dans  cet  Opuscule,  le  P.  Requeno 
cherche  à  prouver  que  l'iniprimerie 
était  connue  et  pratiquée  bien  avant 
le  quinzième  siècle,  quoiqu'elle  n'eût 
pas  atteint  la  perfeclion  à  laquelle 
l'ont  portée  Guttembcrg  et  Schœfier 
(  F.  ces  noms  ).  On  trouve  une  No- 
tice sur  Requeno,  dans  \e  Supplément 
de  Caballero  à  la  Bihlioth.  .soc.  Jesu; 
mais  elle  est  iucomplèlo.      W — s. 


REQ 

REQUESENS  (  Louis  de  Zuniga 
Y  ),  grand-corainandeur  de  Castillc, 
a  été  l'un  des  plus  braves  et  des 
meilleurs  capitaines  du  seizième  siè- 
cle. Pendant  sou  ambassade  à  Rome, 
en  1 564, il  disputa  le  pas  à  l'ambas- 
sadeur de  France,  dans  les  cérémo- 
nies publiques  :  mais  le  pape  (  Pie 
IV)  ayant  maintenu  la  pre'se'ance  à 
notre  ambassadeur ,  Requesens  pro- 
testa contre  cette  décision  ,  el  quitta 
Rome,  sans  prendre  con^é  du  pon- 
tife, laissant  au  cardinal  Pacheco  la 
conduite  des  affaires.  En  1570,  lors- 
que le  conseil  de  Castille  eut  résolu 
d'achever  l'expulsion  des  Maures  du 
royaume  de  Grenade ,  Requesens  fut 
chargé  de  ramener  d'Italie  les  galè- 
res espagnoles.  A  l'entrée  du  golfe  de 
Lyon,  il  fut  assail'i  par  une  vio- 
lente tempête ,  qui  dispersa  sa  flotil- 
le  et  détruisit  une  partie  de  ses  bâ- 
timents. II  arriva  cependant  ,  avec 
vingt-quatre  galères,  devant  M.daga  : 
il  établitune  croisièrepourempèober 
les  Maures'  de  recevoir  des  secours 
d'Afrique  ;  et ,  ayant  effectué  un  dé- 
barquement pour  seconder  les  opé- 
rations de  l'armée  de  terre ,  comman- 
dée par  D.  Juan  d'Autriche,  assiégea 
les  Grenadins  daus  Fresiliano  ,  qu'il 
leur  enleva.  Requesens,  nommé  lieu- 
tenant-général de  D.  Juan,  le  suivit 
dans  son  expédition  contre  les  Turcs, 
et   signala  sa  valeur  à   la  fameuse 
journée  de  Lépante.  il  était  d'avis  de 
continuer  la  guerre  et  de  profiter  de 
la  consternation  des  Musulmans  pour 
les  chasser  de  l'Europe:  mais  la  ja- 
lousie des  chefs  empêcha  cet  avis  de 
prévaloir  ,   et  laissa   le    temps  aux 
Turcs  de  réparer  leur  désastre.  Re- 
quesens, nommé  gouverneur  du  Mi- 
lanez,  s'attacha  surtout  à  soutenir  la 
dignité  de  son  gouvernement ,  et  n'é- 
pargna aucun  soin  pour  s'opposer  à 
tous  les  actes  dans  les([uels  il  croyait 


REQ 


383 


voirqnelque empiétement  de  i'autori- 
téecclésiatique.  Il  eut,  àcesujet,devi. 
ves  discussions  avec  le  pieux  cardinal 
saint  Charles  Borromée.  Il  succéda 
au  duc  d'Albe  dans  le  gouvernement 
des  Pays-Bas,  où  il  arriva  le  17  no- 
vembre 1573.  Forcé  de  continuer  la 
guerre  contre  les  rebelles,  qu'avaient 
de  plus  en  plus  exaspérés  les  rigueurs 
de  son  prédécesseur,  il  s'occupa  d'a- 
bord de  secourir  Middelbourg,  as- 
siégé par  les  confédérés  :  mais  il  ne 
put  sauver  cette  place,  et  il  eut  le 
chagrin  de  voir  détruire  entièrement 
sa  flottepar  l'amiral  hollandais  Louis 
Boisot.  La  victoire  que  D.  Louis  d'A- 
vila ,  l'un  de  ses  lieutenants ,  rem- 
porta ,  près  de  Nimègue,  sur  Ludo- 
vic de  Nassau  (  F.  Orange,  XXIII, 
45  ),  aurait  peut  -  èlie  réparé  cet 
échec;  mais  la  mutinerie  des  soldats 
es|^agnols  fit  perdre  tout  le  fruit  de 
celte  brillante  journée.  L'armée,  qui 
réclamait  le  paiement  de  quinze  mois 
de  solde  ,  décampa  ,  malgré  les  priè- 
res et  les  menaces  de  ses  généraux , 
et  marcha  sur  Anvers,  où  elle  fut 
reçue,  dans  la  citadelle,  parla  gar- 
nison, qui  se  joignit  aux  séditieux. 
Requesens,  accouru  dans  cette  ville 
pour  apaiserJe  désordre,  emprun- 
ta quatre  cent  mille  florins  ,  qu'il 
fit  distribuer  aux  soldats  pour  dix 
mois  de  solde  ,  et  leur  paya  les  cinq 
autres  avec  des  étoffés  et  des  soieries 
que  les  négociants  s'empressèrent 
d'offrir,  pour  sauver  leurs  magasins 
du  pillage.  Apres  avoir  calmé  cette 
révolte  ,  Requesens  fit  publier  l'am- 
nistie que  le  roi  d'Espagne  accor-^ 
dait  à  ceux  de  ses  sujets  qui  con- 
sentiraient à  rentrer  dans  le  sein 
de  l'Église  :  mais  elle  ne  produi- 
sit aucun  effet;  et  la  guerre  con- 
liinia,  de  part  et  d'autre,  avec  la 
même  ardeur.  IN'e  pouvant  contenir 
ses  soldats,  qui  traitaient  en  cnue- 


384  REQ 

mis  les  habitants  les  plus  paisibles  , 
Requesens  autorisa  les  paysans  à  re- 
pousser la  force  par  la  force.  Cette 
mesure ,  qu'on  lui  a  reprochée ,  et 
qui  coûta  sans  doute  la  vie  à  beau- 
coup d'Espagnols,  montra  cependant 
aux  Flamands  que  le  roi  n'approu- 
vait point  le  brigandage  de  ses  trou- 
pes, et  ellcdut  contribuer  à  les  retenir 
dans  la  fKiclitc.  1/inondation  de  la 
Hollande  rclarda  la  prise  de  Lcyde, 
dont  les  habitants  se  délVndirent  jus- 
qu'à la  dernière  extre'raité.  Encou- 
rages par  (juelqiies  succès  ,  les  Espa- 
gnols triomphent  de  tous  les  obsta- 
cles que  leur  opposaient  la  mer  et 
le  désespoir  des  confcdere's,  enva- 
hissent la  Zelande  ,  et  mettent  le  siè- 
ge devant  Ziriczee.  Requesens ,  in- 
certain  du  succès  de  ce  sie'ge ,   et 
tourmenté  par  les   inquiétudes  que 
lui  donnait  l'indiscipline  de  ses  trou- 
pes ,  court  à  Bruxelles  pour  apai- 
ser inie  nouvelle   révolte  qui  s'était 
manifestée  dans   la  cavalerie  espa- 
gnole, et  meurt,  cinq  jours  après, 
d'une  fièvre  violente ,  qui  l'enleva 
le  5   mars  iS^ô.  Le   i  juillet  sui- 
vant ,  Ziriczee   ouvrit   ses    portes  ; 
mais  les  Espagnols,  qui  ne  connais- 
saient plus  de  chefs  ,  abandonnent 
la  Zélande ,  pillent  les  villages  et  les 
villes  qui  se  trouvent  sur  leur  pas- 
sage, et  se  livrent  aux  plus  odieux 
excès.  Les   Flamands  prennent  les 
armes,  et  se  réunissent  aux  confé- 
dérés, pour  se  délivrer  des  troupes 
espagnoles.  T/anarchie  la  plus  af- 
freuse désolait  les  Pays-Bas ,  à  l'ar- 
rivée de  D.  Juan  d'Autriche,  nom- 
me successeur  de  Requesens  ,  dans 
le  gouvernement  de  ces  malheureu. 
ses  provinces  C  V.  D.  Juan,  XXII, 
84  ).  Rcqncscns  joignait  à  une  va- 
leur éprouvée  beaucoup  de  pruden- 
ce, de  modération  et  de  douceur; 
mais  il  n'eut  ni  Ie«  moyens  ni  le 


REQ 

loisir  de  réparer  le  mal  qu'avait 
fait  la  cruauté  du  duc  d'Albe.  Les 
Flamands  ne  sentirent  que  les  char- 
ges  de  la  guerre  ,  qui   continuait; 
à  peine  purent-ils  s'apercevoir  qu'ils 
avaient  changé  de  gouverneur.  W-s. 
REQUIEK(  Jean-Baptiste),  né 
en  Provence  ,  en  1715,   entra  d'a- 
bord dans  la  congrégation  de  l'O- 
ratoire ,  et  débuta  dans  la  carrière 
littéraire  par  une  Ode  sur  la  conva- 
lesccnre  de  Louis  XV  ;  elle  obtint  un 
accessit  de  l'académie  de  Marseille. 
Il  fut  quelque  temps  inspecteur  des 
études  à  l'École  royale  militaire  de 
Paris.  Le  gouvernement  le  chargea 
ensuite  de  la  traduction  des  Mémoi- 
res secrets  de  Vittorio  Si  ri,  dont  il  a 
laissé  vingt-quatre  Aolumes  in-i'^, 
après  avoir  publié  la  Traduction  du 
Mercure  du  même  auteur,  en  18  vo- 
lumes aussi  in-i'i.  Il  est  auteur  d'une 
Vie  de  Peiresc,  1770,  in-i'i,  qui 
parut    !-ous  les  auspices   du  parle- 
ment  de   Provence  ,   dont   Peiresc 
fut  un    illustre   membre.  On  a    de 
lui    :   L'Esprit  des  Ivis  romaines  , 
traduit  du  latin  de  Gravina  ,   1 776, 
3  vol.  in  -  12  ,  etc.  —  les  Iliéro- 
^ryphes   dits   de    Horapolle ,    tra- 
duits du  grec,    Paris,    '779,    iu- 
12,  et  une  multitude  d'autres  ou- 
vrages dont  on  peut  voir  la  liste 
dans  la  France  littéraire  de  Ersch, 
t.  m,  p.  1 35,  et  dans  le  Supplément 
de  1  802  ,  p.  3g2.  Sa  vie  privée  mé- 
rila  la  parfaite  estime  de  tous  ceux 
qui  le  connurent  :   i!  vécut  eu  sage 
dans  sa  modeste  retraite,  et  termina 
sa  longue   carrière  au   commence- 
ment de  1799.  F — A. 

RESENbÉ(LTJCius(T)  André  ), 
le  restaurateur  des  lettres  dans   le 


Irr  Taii- 


(i)  Ou  dit  tiii'il  se  ilomia  liii-ini'uic  cv  y 
par  aiuoiir  pmir  l.iiil  rc  qui  i>oiivail  lui  ra|i|.< 
(iquitc'.Daiis  ses  jircuiiei»  erriK.il  prend  aussi  cinel- 
<pi.  l'ois  II-  pniioiii  d'/Ziifi'-  .  <1"  >i">»  d''  '"  "'•■''*  *"• 
Kela-Leonur  Vasou  de  <ioc>. 


RES 

Portugal ,  naquit,  en  1498  ,  à  Kvo- 
ra ,  de  parents  nobles.  Sa  mère , 
restc'e  veuve  de  bonne  heure  ,  vou- 
lant le  mettre  à  l'abri  des  se'ductions 
du  monde,  lui  fit  prendre  ,dans  son 
enfance,  l'habit  de  saint  Dominique, 
et  confia  son  éducation  aux.  religieux 
de  cet  ordre.  Il  alla  continuer  ses 
e'tudes  à  l'acade'mied'Alcalà,  sous  le 
célèbre  Ant.Nebrissensis(  ^.ce  nom, 
XXXI,  4)>  et  ensuite  à  Salamanque, 
où  il  lit  de  grands  progrès  dans  les 
langues  ,  la  littérature  ancienne,  et 
dans  la  théologie  .  que  sa  mèi  c ,  ainsi 
que  ses  supérieurs,  lui  conseillèrent 
d'étudier  comme  la  clef  des  autres 
sciences.  Le  désir  d'étendre  ses  con- 
naissances le  conduisit  en  France. 
S'etant  arrêté  près  de  deux  ans , 
tant  à  Marseille  qu'à  Aix  ,  où  il  re- 
çut les  ordres  sacrés ,  il  vint  à  Pa- 
ris suivre  les  leçons  des  plus  célèbres 
professeurs  de  l'université.  Après 
avoir  achevé  ses  cours,  il  se  rendit 
à  Louvain  ,  dont  l'académie  brillait 
alors  du  plus  grand  éclat ,  et  se  fit 
bientôt  connaître  des  savants  par 
sou  érudition  et  son  talent  pour  la 
poésie.  liC  comte  de  Mascarenhas  , 
ambassadeur  de  Portugal  près  de 
l'empereur  Gliarles  -  Quint ,  enga- 
gea Resende  à  venir  le  trouver  à 
Bruxelles ,  et  le  combla  de  témoi- 
gnages d'estime  et  d'amitié.  Il  ac- 
compagna son  Mécène,  en  i5^9, 
dans  l'expédition  contre  les  Turcs  qui 
menaçaient  Vienne  (  V.  Soliman II), 
et  resta  l'année  suivante  tlans  la  Hon- 
grie. Ayant  appris  la  mort  de  sa 
mère,  qu'il  aimait  tendrement,  il  se 
hâta  de  reprendre  le  chemin  d'Evora, 
le  cœur  navré,  baigna  de  ses  pleurs 
la  tombe  qui  recouvrait  déjà  l'objet 
de  ses  regrets ,  et  la  décora  d'une 
cpitaphe  également  honorable  pour 
tous  les  deux.  Son  dessein  était  de 
fuir  pour  jamais  des  lieux  qui  lui 
xxxvii. 


RES  383 

rappelleraient  sans  cesse  une  perte 
si  douloureuse  :  mais  le  roi  Jean  III , 
et  ses  frères  le  cardinal  Alfonse  et 
l'infant  D.  Henri,  se  réunirent  pour 
conserver  à  la  patrie  un  homme  qui 
devait  rend  re  au  Portugal  de  si  grands 
services.  Honoré  du  titre  de  gouvei- 
neur  des  infants,  il  obtint  du  Saint- 
Siège  la  permission  de  quitter  l'habit 
religieux,  qu'il  portait  depuis  près 
de  trente  ans  ,  et  fut  pourvu  d'un  ca- 
nouical  de  la  cathédrale  d'Évora  ,  et 
de  plusieurs  autres  bénéfices.  Il  tra- 
vailla sans  relâche  à  1;;  réforme  des 
études  dans  le  royaume,  et  ouvrit 
lui-même  une  école,  d'où  sont  sortis 
un  grand  nombre  de  savants  et  de 
littérateurs  distingués  ,  parmi  les- 
quels on  cite  surtout  Achille  Estaço 
(  V.  ce  nom).  Zélé  pour  la  gloirede 
la  religion  non  moins  que  pour  celle 
des  lettres,  il  se  servit  de  son  crédit 
pour  faire  disparaître  les  abus  qui 
s'étaient  introduits  dans  la  discipline 
ecclésiastique;  il  donna  de  nouvelles 
éditions  du  Bréviaire ,  purgées  des 
erreurs  grossières  qui  déparaient  les 
précédentes,  et  chercha,  par  son 
exemple  ,  à  bannir  de  la  chaire  ce 
goût  de  turlupinades  ,  dont  les  pré- 
dicateurs italiens  avaient  infecté  tou- 
te l'Europe.  Sur  la  fin  de  sa  vie,  Re- 
sende se  livra  piesqu'entièrcracnt  à 
l'étude  et  à  la  recherche  des  antiqui- 
tés. Il  orna  sa  maison  et  son  jardin 
d'inscriplions  et  de  monuments  qu'il 
s'était  procurés  à  grands  frais,  ou 
qu'il  avait  recueillis  lui  même;  car  il 
portait  toujours  dans  ses  excursions 
quelque  outil  pour  creuser  la  terre 
dès  qu'il  apercevait  des  vestiges 
d'anciennes  constructions.  Ce  grand 
homme  mourut  le  9  décembre  lô^S  , 
à  l'âge  de  soixante -quinze  ans, 
et  fut  inhumé  près  de  sa  mère  , 
dans  la  salle  capitniaire  des  Domi- 
nicains d'Évora.  Resende  est  le 
9.5 


38G 


RES 


premier  auteur  portugais  qui  se 
soit  occupe  d'antiquités;  et,  sous 
ce  rapport,  il  mérite  une  gloire  du- 
rable. Comme  poète ,  ses  compa- 
triotes le  couiparent  à  Lucain  ;  mais 
ses  vers  sont  oublies  depuis  long- 
temps ,  tandis  que  ses  ouvrages  his- 
toriques sont  toujours  lus  et  cités 
avec  cloge.  On  a  de  lui  :  I.  Dever- 
horiim  conjugatione  commentai  ius^ 
Lisbonne,  i54o  ,  in-4'^.  Cette  gram- 
maire, bonne  pour  le  temps  ,  est 
d'autant  plus  rare  qu'elle  ne  fait  point 
partie  du  Recueil  des  œuvres  de  l'au- 
teur. II.  Vincentiiis  levlta  et  mar- 
tyr, ibid. ,  1545,  in-4**.  C'est  un 
poGîne  héroïque  en  deux  livres  ,dans 
lesquelles  Resende  cherche  à  prou- 
ver que  les  Portugais  possèdent  le- 
corps  de  saint  Vincent.  III.  Episto- 
lœ  très  carminé  ;  duce  ad  Lujmm 
Scintillam  jurisconsullum  peritis- 
simum;  iina  ad  Petreium  Sanctium 
poëtam;  item  Epistoli  prosa  onitio- 
ne  pro  colonid  Pacensi  ad  Joann. 
Fassœum ,  virum  doctissim. ,  ibid., 
i56i  ,  in- 4"-;  (îdit.  rare  et  recher- 
chée des  curieux.  La  pièce  la  plus 
intéressante  de  ce  Recueil  est  la 
Dissertation  adressée  à  J.  Vasséc 
sur  la  colonie  nommée  Pacensis  , 
parce  que  la  paix  avait  permis  de 
la  former,  et  qui  est  aujourd'hui 
Bragance.  IV.  ProSS.  Christi  inar- 
tjribus  Vincentio  Olyssoponen.si 
patrono  ,  Fincenlio  Sahina  et 
Chrislelide  ,  Ehorensihus  civihus  , 
Epistola  adBarthol.  Kehed.  ibid. , 
15G7  ;  Evora,  1670,  in-4".  V. 
Ad  epistolam  Ambros.  Moralis , 
Respunsio  de  variis  patriarum  anti- 
qidlatum  monumentis  ,  Evora  , 
I  .'J70,  in-4".  Dans  celte  Réponse,  on 
trouve  des  détails  curieux  sur  le  pont 
d'Alcautara  ,  dont  la  construction 
est  attribuée  à  Trajan;  sur  le  nom 
de  Flavius,  adopte  par  les  rois  goths 


RES 

d'Espagne  ;  sur  les  deux  Récarè- 
des  ;  sur  l'usurpateur  Acosta  ;  sur  le 
concile  d'Emerita  ou  Merida;  sur 
une  médaille  d'Évora  ;  et  enfin  sur 
l'inscription  d'iui  temple  situé  près 
de  Lézanamum.  VI.  Ad  Philippum 
maximum  Hispaniarum  regem  ,ad 
maturandam  adversu  s  rebelles  Mau- 
ros  expeditionem  cohortatio,  Evo- 
ra, 1C70  ,  in- 4°'  Cette  pièce  est  en 
vers  héroïques.  VII.  Antiquitatum 
Lusitaniœ  libri  iv  et  de  municipii 
Eborensisantiquitateliberr,Èvora, 
1 593, in- fol.  ;  éd.  rare.  L'ouvrage 
était  resté  en  manuscrit  ;  il  fut  pu- 
blié par  Jacq.  Mendez  deVascoucel- 
los,  qui  le  fit  précéder  de  la  Fie  de 
l'auteur.  Les  quatre  premiers  livres 
traitent  de  l'origine  du  nom  de  la 
Lusitanie  ;  des  limites  de  cette  con- 
trée et  de  ses  premiers  habitants  ;  des 
différents  peuples  qui  l'ont  occupée 
par  droit  de  conquête,  et  spéciale- 
ment des  Goths  ;  et  enfin  des  ancien- 
nés  voies  militaires.  Le  cinquième 
livre  ,  qui  ne  concerne  que  les  anti- 
quités d'Évora ,  composé  par  Re- 
sende eu  portugais, fut trad.  en  latin 
par  André  Schott.  Ce  curieux  ouvrage 
fut  réimprimé  à  Rome ,  en  1 097  ,  iu- 
8°, ,  par  les  soins  de  Gonsalve  Men- 
dez de  Vasconcellos  ,  avec  queFques 
autres  pièces  de  Resende,  et  entre  au- 
tres une  dissertation  De  œrd  His- 
prtm'crt,  adressée  a  J.Vassà.VIlI.  Vi- 
da do  infante dom  Duarte,  Lisbone, 
1789,  'in-8".  Cette  Vie  de  l'infant 
dom  Edouard  ,  frère  du  roi  Jean 
III,  qui  était  demeurée  inédite, 
fut  publiée  par  l'académie  de  Lis- 
bonne ;  mais  elle  est  défigurée  par 
tant  de  fautes  d'impression  ,  que 
l'authenticité  eu  fut  quelque  temps 
révoquée  en  doute.  Les  OEuvres 
de  Resende  (  à  l'exception  des  n^s, 
I  et  VIII  )  ont  été  réunies  dans 
l'édiliou  de  Cologne ,  lOoo ,  2  v.  in- 


RES 

8<>.  Le  jn-crnier  vol.  contient  les  Ou- 
vrages historiques;  et  le  second  ,  les 
Poésies  ,  parmi  lesquelles  on  remar- 
que, outre  les  pièces  déjà  cile'es,  des 
Odes,  V Eloge  de  la  ville  de  Lou- 
vain,  celui  d'Erasme  ,  etc.;  et  deux 
J9/5co«7'iprononcés  par  Resende,  l'un 
à  l'académie  de  Coïmbre  ,  en  i55i  , 
le  jour  anniversaire  de  son  inaugura- 
tion ,  et  l'autre  en  i5G5,  au  synode 
d'Evora.  Ce  Recueil  a  reparu  ,  dans 
la  même  ville,  en  i6i3,  sous  le  ti- 
tre de  Deliciœ  Lusitano-Hispanicœ 
{•i).  Enfin  les  pièces  historiques  qu'il 
contient  ont  été  insérées  dans  le  tome 
n  de  y Hispania  illustrata  (  Fof. 
Andr.  Schott  ).  Ou  trouvera ,  dans 
la  Bibliothèque  des  PP.  Quetif  et 
Ecliard  (  tom.  ii,  'ii5  et  suiv.  ),  la 
liste  de  plusieurs  ouvrages  inédits  de 
Resende,  parmi  lesquels  on  dislin- 
gue une  Trad.  portugaise  du  Traité 
d'architecture  de  Léon-Bapt.  Al- 
berti;  mais  on  doit  remarquer  qu'il 
en  est  plusieurs  qu'on  ne  connaît  que 
par  l'indication  que  Resende  en  a 
donnée  lui-même,  et  que  par  consé- 
quent leur  existence  est  très-problé- 
matique. Voyez,  pour  de  plus  grands 
détails, les  ouvrages  cités.— Garcia  de 
Resende,  historiographe  de  Portu- 
gal ,  a  publié,  à Evora  , en  1 554,  une 
Fie  du  roi  Jean  II ,  suivie  de  celle 
de  l'infante  Bcatrix  de  Savoie,  et  de 
quelques  autres  pièces;  idem,  Lis- 
boime  ,  1690,  1607  ,  1622,  in-fol. 
W— s. 
RESENIUS  (Pierre),  savant  et 
laborieux  écrivain ,  né  à  Copenha- 
gue, en  i6.i5  ,  était  fils  de  Jean 
Resenius ,  professeur  de  morale  à 
l'université  de  celte  ville  ,  et  depuis 
évêquc  de  l'île  deSceland.  Api  es  avoir 
achevé  ses  cours  de  philosophie  et 

(■»)  Les  biogrnpliisu'uul  p.is  in^iiK|iir  jusqu'ici  de 
faire  de  ce  recueil,  dniil  il^  ii'iiidi(|iuiit  tiiie  le  pre- 
ujjer  vuliime,  iiu  ouvrage  particulier  de  Kesi-udi.'. 


RES 


387 


de  théologie  ,  il  exerça  ,  pendant 
un  an  ,  les  fondions  de  régent  au 
gymnase;  mais,  désirant  perfection- 
ner ses  connaissances  par  les  voya- 
ges ,  il  résigna  sa  chaire,  et  partit 
de  Copenhague  ,  au  mois  de  niai 
1647.  ï'  ^^  rendit  d'abord  à  Eeyde, 
où  il  suivit ,  quatre  ans  ,  les  leçons 
de  Keinsius  ,  de  Boxhorn ,  de  Vin- 
nius  et  des  autres  professeurs  qui  ré- 
pandaient alors  tant  d'éclat  sur  l'a- 
cadémie de  celle  ville.  11  parcourut 
ensuite  la  France ,  l'Espagne  et  l'Ita- 
lie, et  s'arrêta  quelque  temps  a  Pa- 
doue,  où  il  recul,  en  i653  ,  le  lau- 
rier doctoral,  dans  la  faculté  de  droit. 
De  retour  à  Copenhague,  il  s'occupa 
de  l'étude  des  antiquités  danoises, 
avec  beaucoup  d'ardeur ,  et  recueil- 
lit un  grand  nombre  de  monuments, 
de  livres  précieux  et  de  manuscrits 
sur  les  pays  du  Nord.  Eu  1657,  il 
fut  nommé  professeur  de  morale;  ef, 
en  1662  ,  il  obtint  la  seconde  chaire 
de  droit  à  l'université.  Il  fat  en  outre 
revêtu  de  divers  emplois  honorables  , 
et  mourut  le  i'^'".  juin  1688.  N'ayant 
pas  d'enfants  ,  il  avait  donne  ,  quel- 
ques années  avant  sa  mort,  sa  riche 
bibliothèque  h.  l'université  de  Copen- 
hague ;  il  eu  publia  lui  -  même  le 
Catalogue,  en  iG85,  in-4'".,  précé- 
dé d'une  courte  ,  mais  intéressante  , 
Notice  sur  sa  vie.  On  doit  à  Rese- 
iiius  :  I.  Edda  Islandorum  ,  anno 
Christi  1 2 1 5  islandicè  conscriptuper 
Snorronem  Sturlœ  ,  nunc  primwn 
islandicè  j  danicè  et  latine  ex  anti- 
quis  Mss.  cudicibus édita,  cuinprœ- 
fatione  duplici  -.unade  quatuor ra- 
tionihus  docendi  etldcam  scriptori- 
husque  cumplurimis  ethicis  ;  alté- 
ra de  Eddœ  Sainundi  et  Snorronis 
e^ù/one,  Copenhague,  1 665-7 3  ,  4 
parties  in-4°.  On  sait  que  les  Edda 
sont  des  recueils  d'anciennes  poésies 
islandaises,  renfermant  toute  la  my- 
u5.. 


388  RES 

thologie  Scandinave.  Le  premier  fut 
rccli<:;c  par  Sacniond  Siçifnrson,  sur- 
noiiunc  Frode,  ou  le  Savant ,  qui  vi- 
vait en  io.')7  ;  et  le  second  par  Suor- 
ro  Slurleson  ,   ne  l'an  1 179  (  Foj\ 
Snorro  ).  L'édition  de  Reseuius  eon- 
ticnt  le  texte  de  l'Edda  de  Suorro  , 
une  version  latine,  par  un  savant  cc- 
cicsiaslique  islandais,  nomme  Su'pli. 
OiauN;  la  version  danoise  de  l'iiisto- 
riograplieStephanius,el  des  varian- 
tes  tirées  d'une  version  inédite  de 
Magnus  Olaus.  Le  savant  éditeur  re- 
vit le  texte  avec  le  plus  grand  soin  , 
sur  plusieurs  manuscrits  de  labiblio- 
tlièiiue  royale  de  Copenhague  (  dont 
un,  entre  autres  ,  passe  pour  le  pins 
ancien  de    tous  ,  et  paraît  elle  du 
treizième  on  du  commencement  du 
quatorzième  siècle),  et  il  le  fit  précé- 
der d'uncDissertation  fort  étendue  et 
pleine  de  rcclierches  curieuses;  mais 
on  lui  reproche  ,  avec  raison  ,  de  n'a- 
voir pas  enrichi  ce  Recueil  de  notes 
et  d'explications  d'autant  plus  néces- 
saires ,  que  les  mœurs  et  les  usages 
auxquels  les  vieux  poètes  islandais 
font  de  continuelles  allusions  ,  sont 
presque   entièrement   inconnus.   La 
quatrième  partie  de  ce  Recueil  con- 
tient le  poème  intitule:  Voluspayhil. 
antiqidsslma  iwrvego-daiiica,  Irad. 
en  latin,   par  Gudmundus  Andréas 
{P"'.  GuDMimnus,  XIX,  6).  Cette 
édition  de  l'Edda,  dont  on  trouvera 
la  description  dans  le  Catalogue  de 
Gaillard,  n*'.  29.95,  est  d'autant  plus 
rare  ,  que  tous  les  exemplaires  qui 
rv'>slaient  en  magasin  ont  ctc  détruits 
dans  le  grand  incendie  de  Copenha- 
gue, eu  1728.  C'est  sur  le  texte  cor- 
rige par  Resenins  ,  que  ÎNL-illet  a  pu- 
blic sa  traduction  française  de  VEd- 
da  (  f.  Mai.let).  il  Inscriptiones 
hafnienses  ,  lalince ,  danicœ  et  i:^er- 
man'icœ ;  unà  cuin  inscriptionibus 
aniauiemihits  ,  uranibur^icis  et  stel- 


RES 

lœburgicis  ,  syiiopsi  item  vitœ  Ty- 
chonis  Brahœi  è  Gassendo  aliisque 
collecta^  duabusque  epistolis  nec- 
dîun  editis,una  Tychonis  Brahœi  ad 
G.  Feitcerum;  altéra  sororis  ejus 
Sophiœ,  victrica  latina,  ad  J.  Lan- 
ç,iwn  ,  jbid. ,  1 GG8 ,  in  -  4".  ;  rare  et 
recherche.  IIL  Jus  aulicum  regum 
uonvagorum  et   danoruin   i.sland. 
danicèel  Int.,  cuin  antwlatiombus, 
ibid,  ,  1673,  in -4".  IV.  La  Chroni- 
que de  Frédéric  II ,  roi  de  Dane- 
inai'k ,    tirée   de  divers  manuscrits 
(  en  danois  ) ,  ibid, ,  1680,  in  -  fol.  ; 
c'est  la  continuation  de  V Histoire  de 
Harald  Huitfeldt.  Y.  Jura  antiqua  ci- 
vitatum  Dainœ ,  Ilafniensis  et  Ri- 
pensis  [  lat. ,  dan.  et  allem.  ),  ibid., 
1 683  ,  in- 1 2.  VL  Le  Recueil  des  lois 
civiles  et  ecclésiastiques  de  Chris- 
tian II,  roi  de  Danemark  (en  da- 
nois ) ,  ibid. ,  1 684 ,  in  -  4">  ^^es  dif- 
férentes compilations  sent  larcs,  et 
très-importantes  pour  l'histoire  des 
pays  du  Nord.  On  doit  encore  à  Re- 
!-cnius    de  courtes   Descriptions  de 
Copenhague  et  de  l'île  de  Sarasoe,  et 
l'édition  du  Lexicon  islandicuni  de 
Gudmundus  Andrcœ,  iG83,  in  4''', 
avec   des  corrections  et  des   addi- 
tions. On  peut  consulter  ,  pour  de 
plus  grands  détails  ,  outre  la  Notice 
déjà  citée,  les  Mémoires  de  Niceron, 
tome  xxxvi.  W — s. 

RESNEL  DU  BELLAY  (  Jean- 
François  DU  ),  ne  à  Rouen,  le  5g 
juin  i()92,  fit  ses  études  chez  les 
Jésuites  ,  dans  sa  ville  natale,  et 
entra  dans  la  congrégation  de  l'O- 
ratoire. Son  ardeur  pour  le  travail 
était  telle,  que  sa  santé  en  fut  al- 
térée pour  le  reste  de  ses  jours.  Les 
langues  savantes  l'avaient  surtout 
captivé.  Envoyé  à  Boidogne  par  ses 
supérieurs  ,  il  s'y  familiarisa  avec 
la  langue  anglaise.  Lors(prd  quitta 
l'Oratoire,  ce  fut  pour  s'attacher  au 


RES 

duc  d'Orléans,  dont  la  protccliou 
lui  valut  l'abbaye  dcScpt-Foiitaities. 
L'abbe  Du  Resnel  obtint  des  succès 
dans  la  chaire  ;  mais  un  crachement 
de  sang  l'obligea  de  renoncer  à  la  pré- 
dication. Il  se  livra  tout  entier  aux 
belles-lettres.  La  place  d'associé  de 
l'acadéinie  des  inscriptions  qu'occu- 
pait l'abbé  Paris  ,  ayant  été  déclarée 
vacante  pour  cause  d'absence ,  en 
i'^33,  fut  donnée  à  Du  Resnel.  Ce 
ne  fut  que  vingt-troisans  après,  qu'il 
eut  le  titre  de  pensionnaire.  II  avait 
été  reçu  le  3o  juin  \']^'2,  membre 
de  l'académie  française,  à  la  place 
de  ral)bé  Du  Bos.  Il  mourut  le  25 
février  1761,  et  eut  Saurin  pour 
successeuràl'académie française.  On 
a  de  lui  :  I.  Essai  sur  la  critique  , 
traduit  de  M.  Pope ,  1 780  ,  in- 1 2  ; 
traduction  en  vers  ,  qui  a  tu  du  suc- 
cès. II .  Panégyrique  de  saint  Louis, 
i73'i.  m.  Les  Principes  de  la  mo- 
rale et  du  ^oilt ,  en  deux  poèmes  , 
traduits  de  l'anglais  de  M.  Pope  , 
1787  ,  in-S"^.  ;  c'est  une  réimpression 
de  V Essai  sur  la  critique ,  suivie  de 
l'Essai  sur  V homme.  On  a  reproché 
à  Du  Resnel  de  s'être  trop  affranchi 
des  servitudes  de  la  traduction,  de 
s'être  accordé  trop  de  liberté  dans 
l'emploi  des  équivalents,  et  de  s'être 
permis  jusqu'à  des  tianspo.'-itions 
d'idées.  Il  a  partagé  en  quatre 
livres  V Essai  sur  la  critique,  qui 
n'en  a  que  trois  en  anglais.  Quoi- 
que sa  version,  pure  c*  correcte,  soit 
souvent  aussi  faible  qu'infidèle,  on 
y  remarque  plusieurs  morceaux  qui 
ont  du  mérite;  mais  on  doit  dire 
que  Voltaire  avouait  avoir  fait  la 
moitié  de  ses  vers  (  F",  sa  Lettre  à 
Thibouvillc  ,  du  20  février  1769). 
IV.  Six  Dissertations  dans  les  Mé- 
moires de  l'académie  des  inscrip- 
tions :  l'une  traite  des  Poètes  cou- 
ronnés, une  autre  des  Prix  proposés 


RES 


389 


aux  gens  de  lettres,  parmi  les  Grecs 
et  les  Romains.  V.  Discours  de  ré- 
ception à  l'académie,  x-^ l\'i ,  m- !^° . , 
et  dans  le  Recueil  des  harangues  de 
l'académie ,  où  l'on  trouve  encore 
son  Complimenta  M.  de  Machault, 
en  i74(J,  el  sa  Réponse  au  maré- 
chal de  JjeUe-lsle,en  ^  749.  Du  Res- 
nel a  été  l'un  des  collaborateurs  au 
Journal  des  savants.  Ses  Sermons 
n'ont  point  été  imprimés.  M.  P.  J. 
E.  V.  Guilbert ,  dans  ses  Mémoires 
biographiques  sur  les  hommes  qui  se 
sont  fait  remarquer  dans  le  dépar- 
tement de  la  S<  ine- Inférieure,  dit 
que  Du  Resnel  a  aussi  traduitde  Pope, 
la  Boucle  de  cheveux ,  et  d  en  cite 
même  des  passages.  Mais  ces  mor- 
ceaux sont  de  la  traduction  deMar- 
montel.  L'Éloge  de  Du  Resnel  est 
imprimé  dans  le  Si*',  volume  des 
Mémoires  de  l'académie  des  ins- 
criptions. Un  autre  Eloge,  p;*r  Du 
Boiilay  ,  est  conservé  manuscrit  à  la 
bibliothèque  de  Lyon.     A.  B — t. 

RESN1ER( ),  revers 

1757,  s'adonna  d'abord  à  !a  littéra- 
ture, et  fut  sous-bibliolhécaiie  delà 
bibliothèque  Mazarine.  11  embrassa 
ensuite  la  carrière  de  la  diplomatie, 
devint  un  des  rédacteurs  du  Moni- 
teur,  fut  envoyé  de  la  république 
française  à  Genève,  puis  archiviste 
des  relations  extérieures.  Lors  de  la 
mise  en  activité  de  la  constitution 
consulaire  de  l'an  viii  (  1800  )  ,  il 
fut  nommé  sénateur  ;  ainsi  il  n'a 
jamais  fait  partie  du  Tribunat ,  dont 
la  formation  n'eut  lieu  (pie  deux 
jours  après  ,  et  à  laquelle  il  doit 
avoir  participé.  11  est  mort  le  8  oc- 
tobre 1807.  On  a  de  lui  :  I.  (  Avec 
MM.  Desprez  et  Piis  )  La  Bonne 
femme  ou  le  Phénix ,  parodie  d'^Jl- 
ceste  ,  en  deux  actes ,  en  vers  ,  mê- 
lée de  vaudevilles ,  jouée  le  7  juil- 
let 177O,  et  imprimée  la  même  au- 


390  RES 

née,  in-S**.  L'héroïsme  de  celle  Bon 
ne  femme  consiste  à  vouloir  s'en- 
rôler dans  la  milice  à  la  place  de  son 
mari  :  un  voisin, nommé  Barbarico, 
fait  l'Hercule  de  la  pièce;  et  Arlequin 
remplace  Apollon.  II.  (Avec  les  mê- 
mes )  U  Opéra  de  province ,  nouvel- 
le parodie  d'Armide  ,  en  deux  ac- 
tes et  en  vers ,  mêlée  de  vaudevil- 
Zei',  jouée  le  17  décembre  ly-j-j,  im- 
primée la  même  année,in-8°.  Resnier 
avait,  avec  M.  Piis ,  composé  les 
Adieux  de  Thalie,  compliment  de 
clôture,  joué  au  théâtre  Italien,  le 
4  avril  1778,  mais  qui  n'a  point 
été  imprimé.  A.  B — t. 

RESTAURAND  (Raimond), 
médecin  ,  mal  -  à  -  propos  quali- 
fié par  Sprengel ,  de  professeur  à 
î\Ionf])cllier,  naquit  au  Pout-Saint- 
Esprit ,  exerça  sou  art  dans  la  ville 
de  Nîmes  ,  avec  beaucoup  de  succès, 
et  se  fit ,  par  ses  ouvrages  ,  un  nom 
honorable. Les  premiers  parurenten 
1657;  les  derniers  furent  publiés  en 
1681  :  presque  tous  sont  en  latin.  La 
plupart  de  ces  pi  oductions,  dit  l'his- 
torien allemand  de  la  médecine,  sont 
des  hommages  rendus  à  Hippocrale; 
ils  offrent  de  l'intérêt ,  et  ne  pèchent 
que  par  un  peu  d'exagération.  Hal- 
Icr  a  loué  celui  qui  a  pour  objet  de 

f)rouverrulilitédu  vin  émétique  dans 
es  fièvres  malignes.  Dans  le  3Iag- 
nus  Ilippocrates  Colis  redivivus , 
Lyon,  1681,  in-ici,  l'auteur  pro- 
fessa ,  l'un  des  premiers  en  France , 
ladocliinedcla  circulation  du  sang; 
et ,  dans  le  cours  de  sa  carrière  ,  il 
n'eut  guère  à  combattre  que  pour  la 
défense  de  sa  Dissertation  sur  les 
principes  du  fétus,  attaquée  par  le 
docteur  Graindorge ,  médecin  de 
l'archevêque  de  Narbonne.  La  date 
de  sa  mort  n'est  pas  plus  connue  que 
celle  de  sa  naissance;  mais  ,  j)ar  l'é- 
poque et  !a  durée  de  ses  travaux,  on 


RES 

est  autorisé  à  croire  qu'il  vécut  plus 
de  soixante  ans.  V.  S.  L. 

RESTAUT  (  Pierre  ),  grammai^ 
rien  français ,  fils  d'un  marchand 
drapier  de  Beauvais ,  naquit  dans 
cetie  ville,  en  1G96,  selon  la  Notice 
historique  qui  est  en  tête  de  sa  gram- 
maire, et  non  en  1G94  ,  comme  on 
le  lit  dans  plusieurs  dictionnaires 
historiques.il  étudia  d'abord  au  col- 
lège de  son  pays,  et  s'y  fit  remar- 
quer par  son  application  et  ses  pro- 
grès :  il  vint  ensuite  à  Paris,  et,  ses 
parents  le  destinant  à  l'état  ecclésias- 
tique ,  il  entra  au  séminaire  deSaint- 
Sulpice  ;  mais  il  y  renonça  quelque 
temps  après,  et  passa  au  collège  de 
Louis-le-Grand,  où  il  fut  chargé  de 
veiller  à  l'éducation  de  quelques  en- 
fants de  famille.  Le  séjour  qu'il  fit 
dans  cotte  maison,  qui  était  dirigée 
par  les  Jésuites,  le  mit  en  relation 
avec  les  pères  de  La  Rue  ,  Bufiier , 
Ducerceau,  Sanadon,Porée,  et  d'au- 
tres membres  célèbres  de  la  Société. 
Ce  fut  néanmoins  pendant  qu'il  y  de- 
meurait ,  qu'il  traduisit ,  du  latin  en 
français,  un  petit  ouvrage  intitulé  : 
Monarchie  des  Solipses  ,  1721 ,  in- 
12.  C'est  une  satire  allégorique  du 
gouvernement  des  Jésuites,  qu'on  a 
quelquefois  attribuée  au  P.  ïnchofer 
{F.  ce  nom  ).  Après  sa  sortie  du  col- 
lège de  Louis-le-Grand  ,  Restant  se 
livra  à  l'élude  de  la  jurisprudence, 
et  fut  reçu  avocat  au  parlement, 
puis  aux  conseils  du  roi,  eu  1740» 
«  Je  voudrais  ,  lui  dit  à  cette  occa- 
»  sion  le  rliancelier  d'Aguesseau , 
»  trouver  toujours  des  sujets  serabla- 
»  blés  à  vous.  »  Restaut  a  composé 
qiiehpies  Mémoires  écrits  avec  clar- 
té et  précision.  Mais  l'ouvrage  qui 
lui  a  lait  le  plus  de  réputation  est 
sa  Grammaire  française^  dont  la 
première  édition  jîarut  en  1730,  et 
à  laquelle  il  ajouta,   en   1737.,  un 


RES 

traite  de  la  versification.  Cet  ouvra - 

f;e ,  eulrepris  d'après  le  vœu  du  ce'- 
èbre  Rolliu,  fut  accueilli  avec  em- 
pressement :  l'université'  l'adopta 
comme  classique,  et  il  s'en  fit  neuf 
éditions  pendant  la  vie  de  l'auteur. 
L'abre'gé  qu'il  en  publia  lui-même  en 
i']3'i,  en  faveur  des  commençants, 
et  qui  servit  à  l'éducation  des  enfants 
de  France,  eut  aussi  beaucoup  de 
succès  j  mais  il  est  trop  concis.  Res- 
tant a  revu  la  qualrième  édition  du 
Traité  de  l'orthographe  française , 
en  forme  de  dictionnaire  (i),  im- 
primée à  Poitiers,  1764,  in-8°.;  et 
au  moment  de  sa  mort ,  il  s'occu- 
pait à  retouclier  le  Dictionnaire  de 
Trévoux.  Les  sciences  et  les  beaux- 
arts  ne  lui  étaient  pas  étrangers  : 
c'étaient  les  délassements  de  ses  tra- 
vaux ordinaires  ,  ainsi  que  la  société 
d'un  petit  nombre  d'amis  choisis , 
entre  lesquels  il  faut  compter  l'abbé 
Mésenguy,  son  compatriote  et  son 
allié,  qui  ne  composait  aucun  ou- 
vrage sans  le  consulter.  Restant  mou- 
rut à  Paris,  le  i4  février  1764. 
Comme  grammairien,  il  jouit  enco- 
re d'une  certaine  célébrité;  long- 
temps sa  Grammaire  fut  le  seul  livre 
élémentaire  sur  la  langue  française  : 
il  est  vrai  que  ces  ouvrages  n'étaient 
pas  alors  multipliés  comme  ils  le 
sont  aujourd'hui  où  la  science  gram- 
maticale a  été  analysée  et  traitée  avec 
plus  de  détail  et  d'étendue.  Aussi, 
Restant  est  bien  moins  suivi  qu'il  ne 


(i)  Cel  ouvrage ,  plus  connu  sons  !e  nom  de  Dic- 
iionnaire  de  Poitiers  ,  est  dû  à  Charles  Leroy,  prote 
chez.  Faulcon,  imprimeur  .'i  Poitiers.  La  première 
édition  parut  en  i-3p;  et  l'auteur  mourut  pei;  de 
temps  après.  Son  Uiclionnaire  a  été  rèinipvimc  plu- 
sieurs fois,  avec  des  corrections  et  des  augmenta- 
tions,  et  a  été  recherche  pendaut  qu'il  était  le  seul 
dictiouoaiie  nortatil"  de  la  langue  française  :  l'édition 
la  plus  complète  est  relie  de  1775  ,  eii  un  gros  vol. 
in-8«.  On  en  a  fait  un  alucgc  in- ix.I^' Abrège  deBi- 
cluUt.  p..r  W;,illv,  et  les  l).cli.,..n,iires  de  C.allel, 
<j<-  Hoiste,  de  Catine.oi,  de  MaigueiY,  de.  ,  cli. , 
1  ont  totalem.  ni  lait  oublier. 


RES  391 

l'a  été  ;  on  lui  reproche  des  omissions 
importantes,  et  même  quelques  rè- 
gles fautives  :  la  forme  des  déclinai- 
sons latines  qu'il  a  conservée  pour 
l'usage  des  classes  dans  la  langue 
française,  a  été  rejetée  par  la  plupart 
des  grammairiens  modernes;  et  sa 
méthode  d'explication  par  deman- 
des et  par  réponses,  quoique  soula- 
geant la  mémoire,  a  paru  longue  et 
monotone.  On  peut  ajouter  que  la 
syntaxe  étant  fondue  ou  mêlée  avec 
la  partie  élémentaire  ,  rend  le  tout 
un  peu  prolixe  et  confus.  Z. 

RESTIF  DE  LA  BRETONNE 
(  Nicolas-Edme  ) ,  écrivain  cynique 
et  bizarre  par  système,  fut  à  coup 
sûr  l'iui  des  plus  singuliers  réforma- 
teurs que  produisit  le  xviii''.  siècle. 
Il  naquit  le  22  novembre  1734,  à 
Sacy  ,  près  d'Auxerre  ,  de  bons 
et  honnêtes  cultivateurs  (  i  ).  La 
délicatesse  de  sa  santé  le  rendant 
peu  propre  aux  travaux  de  la  cam- 
pagne, ses  parents  résolurent  de 
l'envoyer  à  l'école  ,  afin  de  le  met- 
tre en  état  de  remplir  quelque  em- 
emploi.  Il  n'eut  guère  d'autre  maî- 
ti'e  que  son  frère  aîné  ,  curé  de  Cour- 
gis  ,  respectable  ecclésiastique,  qui 
lui  donna  des  leçons  de  grammaire 
française  et  latine.  Au  surplus  ,  il 
montrait  un  grand  désir  d'appren- 
dre, et  dévorait  indifle'rcmmcut  tous 
les  livres  qui  lui  tombaient  entre  les 
mains.  A  dix  ans,  il  comjjosait  déjà 
de  petits  romans  qu'écoutait ,  avec 
beaucoup  d'intérêt ,  son  auditoire  , 
formé  de  domestiques  et  de  ses  ca- 
marades d'école.  Son  tempérament 
ardent  se  développa  de  bonne  heure; 

(1)  Malgré  l'aversion  de  Ke.stif  pour  \es /iréjiis,és  , 
il  n'était  jiointinsenbib'e  aux  avantages  tle  la  naissan- 
ce; il  revient  souvent  sur  sa  généalogie,  et  apprend 
à  ses  lecteurs  qu'il  comptait  parmi  ses  ancêtres  des 
Cœnrs-de-roi,  des  lîertro,et  même  des  Coui-tenai. 
Ailleurs  il  veut  prouver  qu'il  descend  de  rempcreur 
7'(//i;(.'.i  ,  piiiM|nr  ce  nuit  n'a  p.'s  d'aulix  sens  eu  la- 
tin que  celui  de  ;é/(yeufi-«ny.<is. 


3Qi  RES 

et  il  n'avait  pas  quinze  ans  lorsque 
ses  parents  furent  forces  dcTeloigner, 
pour  medie  fin  à  des  intrigues  qui 
pouvaient  avoir  des  suites  fâcheuses. 
Piacé,  comme  apprenti,  chez  un  im- 
primeur d'Auxeiie  ,  il  séduisit  la 
femme  de  son  maître ,  fut  chassé  ;  et 
n'osant  pas  retonruerdans  sa  famil- 
le ,  il  vint  à  Paris  avec  fort  peu  d'ar- 
gent ,  mais  apportant  le  plan  de 
quelques  ouvrages  dont  il  se  flattait 
de  tirer  un  grand  parti.  La  misère, 
à  laquelle  il  se  trouva  bientôt  réduit, 
l'obligea  de  former  des  liaisons  et 
de  contracter  des  habitudes  avilis- 
santes ,  dont  il  ne  put  jamais  se  cor- 
riger, et  qui  n'ont  eu  que  trop  d'in- 
fluence sur  ses  compositions.  Apres 
avoir  vécu  quelque  temps  du  produit 
de  divers  métiers  ignobles ,  il  finit 
par  trouver  de  l'ouvrage  dans  une 
imprimerie  j  et  il  profita  des  facili- 
tés que  lui  donnait  sa  position  ,  pour 
publier  quelques  romans  mal  écrits 
et  mal  digérés  ,  mais  dans  lesquels 
on  reconnaît  néanmoins  de  la  sensi- 
bilité ,  de  l'imagination  ,  et  nn  style 
à-la-fois  naturel  et  énergique.  Le  suc- 
ces  de  ses  premières  produclions 
acheva  de  lui  tourner  la  tête.  Se  re- 
gardant comme  nn  homme  d'un  gé- 
nie supérieur,  il  quitta  l'imprimerie 
pour  faire  des  livres  qui  lui  coûtaient 
d'autant  moins  qu'il  était  persuadé, 
comme  le  dit  Laliarpe  (  Correspond, 
russe  ),  que  tout  ce  qu'il  avait  vu  , 
tout  ce  qu'il  avait  pensé  ,  tout  ce 
qu^il  avait  appris  ,  méritait  d'être 
imprimé.  Admirateur  passionné  de 
J.  J.  Rousseau,  dont  il  affectait  tou- 
tes les  singularités  {'i) ,  il  l'accusa 
pourtant  d'avuir  perdu  l'éducation 
en  France ,  par  le  relâchement  de 
l'autorité  paternelle,  et  il  eut  la  vani- 


(ï)H)n  l'a  aiipelc,  (juvlifuc  part,  le  Huniieiiu  Uu 
luisseau. 


RES 

té  d'o[)poser  à  V Emile  ,  les  Lettres 
d'une  fille  à  son  père  ,  en  déclarant 
que  cet  ouvrage  était  un  présent  ines- 
timable qu'il  faisait  à  la  patrie ,  à  son 
siècle  et  à  la  postérité  (3).  La  mode 
était  alors  de  s'occnper  de  reformes 
dans  le  gouvernement  :  chaque  jour 
voyait  éc.lore  de  nouvelles  brochu- 
res ;  et  leurs  auteurs  proposaient 
d'admirables  projets  dont  l'exécu- 
tion ,  en  assurant  à  jamais  le  bon- 
heur de  la  France,  ne  pouvait  en- 
traîner le  moindre  inconvénient. 
Restif  crut  (  et  il  eut  raison  eu  cela  ) 
que  la  réforme  des  mœurs  devait 
précéder  celle  des  institutions.  Il  pu- 
blia ,  soiis  le  titre  d'Idées  singuliè- 
res ,  ses  vues  sur  les  maisons  de  dé- 
bauche ,  le  théâtre  ,  l'éducation  des 
femmes  et  des  hommes  ,  et  enfin  les 
lois.  Ces  cinq  ouvrages  devaient  être 
suivis  d'un  sixième  ,  intitulé  :  le 
Glossographe  ou  Projet  de  réforme 
de  la  langue ,  qui  n'aurait  sans  doute 
pas  été  le  moins  curieux  (4  .  Celui 
qui  fit  le  plus  de  bruit  fut  le  Porno- 
graphe,  ou  la  Prostitution  réformée, 
dans  lequel  il  propose  de  donner  une 
espèce  d'existence  légale  aux  filles 
publiques  ,  pour  prévenir  les  suites 
de  la  débauche  (5).  Le  silence  que 
garda  la  police  sur  ce  livre  rempli 
de  détails  obscènes  ,  fit  croire  as- 
sez généralement  qu'elle  n'était  pas 
étrangère  à  sa  publication.  Dans  le 
Miniographe  ,  ou  de  la  Réforme  du 

(31  n  ne  crut  ccpenctaiit  pas  i.Tuir  éclipsé  Rous- 
seau J  puisqu'on  tioave  dans  la  liite  des  .uiragc» 
qu'il  se  proposait  de  loiuposcr  :  le  Contre— EiiiUc, 
et  la  CvtiIre-S'om'elU  Ilétoisf ,  en  autant  de  lettres 
que  la  ventalile;  et  Cluire  d'Orbe  oh  le  fjenJanl  do 
la  Nouvelle  HcloUe. 

(4^  J'ai,  dit-il  sur  notre  langue  et  sur  notre  ortho- 
graplie  de»  idées  alisolunienl  neuves  et  très-singu- 
liire»  ,  qui  n'entrent  pas  dans  toutes  les  tètes  (  An- 
dio^rofilic,  p.  i5).  t)n  trouve  un  échantilluu  de  son 
<n  llionruphe  ,  dans  les  Nuits  de  Paris  ,  tome  XIII , 
p.  3ou(i  etsuiv. 

(fi)  Cette  idée  n'était  pas  nouvelle  (  /''.  GUILLAU- 
ME IX,  duc  d'Aquitaiue,  XIX,  l4>). 


RES 

ihéàlre,  l'antcur  a  pour  but  non-scu- 
lemcnt  de  faire  rendre  aux  comc- 
diens  le  rang  qu'on  leur  icl'usc  dans 
la  sociélc  ,  mais  encore  de  réfuter  la 
Lettre  de  Rousseau  sur  les  spectacles. 
11  y  donne  aussi  ses  vues  sur  tout  ce 
qui  concerne  le  théâtre,  depuis  la 
construction  des  salles  et  la  distri- 
bution des  luges,  jusqu'au  prix  des 
places  et  aux  appointements  des  ac- 
teurs ,  ainsi  (pie  ses  idées  sur  le 
choix  des  pièces  ,  dont  il  voudrait 
rayer  un  grand  nombre  du  répertoi- 
re, telles  que  le  Légataire  ,  la  Fem- 
me juge  et  partie,  etc.  Le  Gjno- 
graphe  et  V Anlhro]ingraphe  con- 
tiennent des  projets  pour  l'éducation 
des  femmes  et  des  hommes  ,  et  leur 
conduite  dans  les  différents  états  de 
la  société.  On  y  trouve  quelques  ob- 
servations pleines  de  justesse  ,  et  des 
aperçus  neufs.  Mais  l'exécution  de 
son  plan  est  impraticable  ,  bien  que 
l'auteur  dise  naïvement  que  rien 
ne  serait  plus  facile  ,  si  tous  les  sou- 
verains du  monde  voulaient  s'enten- 
dre à  cet  égard.  Quant  au  Thesino- 
graphe  ou  de  la  Réforme  des  lois , 
c'est  un  ouvrage  du  même  genre  que 
les  Écrits  politiques  de  Mercier  ,  et 
qui  ne  mérite  pas  un  plus  sérieux 
examen.  Restif,  si  passionné  pour  le 
bien  pu'.jlic  ,  ne  remplissait  pas  trcs- 
scrupuleuscment  ses  devoirs  de  père 
et  d'époux.  Après  vingt-cinq  ans 
d'une  union  mal  assortie  ,  il  se  sé- 
para d'avec  sa  femme  ,  et  joignit  à 
ce  scandale  celui  de  mettre  le  public 
dans  la  confidence  des  rcproclies 
qu'il  croyait  avoir  à  lui  faire.  Saiille 
aînée  s'était  mariée  malgré  lui ,  avec 
un  homme  méprisable.  La  désobéis- 
sance de  sa  fille  ,  ses. malheurs  et  les 
désordres  de  son  gendre,  lui  fourni- 
rent les  sujets  de  nouveaux  romans, 
dans  lesquels  il  ne  rougit  pas  de  se 
mettre  lui-même  en  scène,  entouré, 


hES  393 

comme  il  l'clait  dans  le  monde  ,  des 
personnages  les  plus  vils  ;  et  quand 
on  lia  rcj)rocha  cet  oubli  de  toutes 
les  convenances  ,  il  crut  se  justifier 
en  disant  :  Je  me  sacrifie,  moi  et  ma 
famille,  à  l'instrucîion  de  uîcs  conci- 
toyens (  Lettre  à  Grimod  de  la  Rey- 
nière).  Quoique  arrivé  depuis  loug- 
teinpsà  l'âge  mur,  ilncfré(piciitaitque 
les  tavernes, les  petits  spectacles  et  les 
lieux  de  débauche,  pour  y  t  rou  ver  des 
sujets  de  composition  ,  (ju'il  traitait 
avec  beaucoup  de  clialeur  et  une  in- 
concevable rapidité.  Il  ne  faut  cher- 
cher ni  plan,  ni  conduite  dans  les 
romans  que  Restif  fit  paraître  à  cette 
époque  ;  et  le  style  bas  et  trivial  , 
les  détails  ignubics  ,  sont  loin  de 
racheter  la  nullité  du  fond.  Ce- 
pendant ces  priiductions  informes 
étaient  recherchées  avidenu;nt,  sur- 
tout dans  hs  pays  étrangers  ,  où  on 
les  regaidait  comme  des  peintures 
fidèles  des  mœurs  de  Paris.  Les  di- 
verses compilations  qu'il  a  publiées 
sous  le  titiedes  Cunteinj.oranies^  des 
Provinciales  ,  V  Jnnee  des  daines 
nationales  ,  etc.  ,  ne  sont  que  des 
répertoires  d'anecdotes  scandaleuses 
où  le  cynisme  semble  le  disputer  au 
mauvais  iroût.  A  des  noms  obscurs 
et  méprisables,  il  a  eu  I  impudence 
de  joindre  ceux  de  plusieurs  femmes 
que  des  erreurs  de  jeunesse  n'empê- 
chaient pas  d'êtie  estimables,  et  dont 
quelques-unes  moulurent  de  cliagriu 
d'avoir  vu  révéler  des  fautes  qu'elles 
croyaient  cachées ,  et  (pi'ellcs  avaient 
d'ailleurs  expiées  par  un  long  re- 
pentir et  une  conduite  à  l'abri  de 
tout  leproche.  Cependant  on  doit 
convenir  que  Restif  avait  un  but 
utile  ,  et  qu'en  peignant  les  désor- 
dres qui  sont  la  suite  des  mauvaises 
mœurs  ,  il  se  proposait  de  les  corri- 
ger ;  et  enfin  ,  qu'il  dut  être  persuade 
ic  premier  que  ses  livres  u'olïraient 


394  RES 

rien  de  r^prchensiblc ,  piïîsqu'il  uc 
les  publia  qu'avec  l'autorisation  de 
la  police.  Restif ,  qui  se  vanta  depuis 
d'avoir  prépare  la  révolution  par  ses 
écrits  ,  en  vit  les  commencements 
avec  peine.  Deux  banqueroutes  qui 
le  privèrent  du  fruit  de  toutes  ses 
économies  ,  et  les  contrefaçons  que 
firent  de  ses  derniers  ouvrages  d'a- 
vides imprimeurs  affranchis  de  toute 
surveillance,  lui  rendirent  odieux  un 
ordre  de  choses  qui  tolérait  des  abus 
dont  il  était  la  victime.  Son  gendre 
l'ayant  dénoncé  pour  ses  opinions  , 
il  fut  poursuivi  plusieurs  fois  à  coups 
de  pierre  parla  populace,  et  mandé 
devant  les  commissaires  de  sa  sec- 
tion. Forcé,  pour  subsister, de repien- 
dre  son  état  d'imprimeur,  et  de  tra- 
vailler comme  un  simple  ouvrier  ,  il 
s'exprimait  ainsi  sur  les  événements 
dont  il  élait  le  témoin  :  «  Je  suis  le 
seul  auteur  qui  m'occupe  de  littéra- 
ture dans  ces  temps  de  trouble.  J'ai 
le  cœur  serré  aujourd'hui  en  compo- 
sant ceci  sans  copie  (6).  »  C'était  le 
7  août  179.).,  que  Restif  semblc(it 
compatir  aux  maux  qui  menaçaient 
la  France  et  le  trône;  mais  trois  mois 
après,  il  changea  de  langage,  fit  l'apo- 
logiedela  journéeduioaoûl, des  mas- 
sacres de  septembre ,  etc.  ;  et  quand 
on  lui  reprocha  d'avoir ,  par  cette 
palinodie  ,  lié  sa  cause  à  celle  des 
plus  fougueux  révolutionnaires,  il  ré- 
pondit :  «  Lorsque  les  circonstances 
changent ,  il  faut  bien  que  je  change 
aussi;  si  j'allais  me  compojter  com- 
me en  1789,  je  serais  un  insensé 
(  Lettre  à  Grimod  de  La  Reynicrc  ).  » 
Il  se  flatlait  d'être  député  à  la  Con- 
vention par  le  département  de  l'In- 
dre ;  mais  il  assure  que  ses  ennemis 


(G)  Lf  iiuiivel  avcrlisDciiK  ni  «m-  mju  tliiâlic.  Kt»- 
lif  rom/;»!,,//  v.uvi-iil  de»  pas-uiges  ciilitr»  sans  iii;i- 
liu><.'rit;rt  «"j  *  morceaux  rtuicnt,  ii.toti  :ivis,lc9  ukH- 
luirf  ,  le»  luii-ui  écrits  ,  lc-5  luiiiii  pcuscs. 


RES 

empêchèrent  son  élection.  Sa  ftrame 
ayant  été  assassinée  par  son  gendre 
le  3o  juin  «793,  il  se  remaria ,  l'an- 
née suivante,  avec  une  femme  de 
soixante-trois  ans  ,  qu'il  n'avait  pas 
cessé  d'aimer ,  dit- il  ,  depuis  sa  pre- 
mière jeunesse  ;  et  bien  que,  pour  se 
conformer  au  temps  ,  il  se  montrât 
l'un  des  plus  grands  adversaires  du 
christianisme  ,  il  fit  bénir  sa  nou- 
velle union  par  un  ecclésiastique.  Ce 
fut  alors  qu'il  publia  ,  malgré  les 
observations  de  ses  amis  ,  s'il  pou- 
vait lui  en  rester  encore ,  la  i5e- 
maine  nocturne  et  les  Filles  du  Pa- 
lais-Rojal  ,  deux  productions  infâ- 
mes ;  et  le  Drame  de  la  vie ,  qu'il 
déclare  ,  dans  la  préface  ,  être  l'ou- 
vrage le  plus  extraordinaire  qui  ait 
encore  paru.  Dans  ce  prétendu  drame 
dont  il  est  lui-même  le  héros  ,  il  fait 
la  longue  énumération  de  toutes  les 
turpitudes  dont  il  s'était  couvert 
dans  le  cours  de  sa  vie  :  c'est  ce  qu'il 
appelle  se  mettre  au-dessus  des  pe- 
titesses et  delà  sottise  chatouilleuse 
de  l'ancien  régime.  Cependant  il  ob- 
tint ,  en  1795  ,  par  un  décret  de  la 
Convention,  un  secours  de  deux  mille 
livres  ,  comme  auteur  de  plusieurs 
écrits  de  morale  :  mais  quand  il  se 
mit  sur  les  rangs  ,  lors  de  la  création 
de  l'fnstilut ,  pour  faire  partie  de  la 
seconde  classe  ,  il  fut  repoussé  géné- 
ralement avec  indignation.  Quelques 
années  après  ,  ses  infirmités  ne  lui 
permettant  pas  de  continuer  d'écrire, 
il  obtint  un  cni])loi  subalterne  dans 
une  administration  ,  et  mourut  pres- 
que inconnu  dans  Paris  ,  l'un  des 
premiers  jours  de  février  1806  , 
à  l'âge  de  soixante-douze  ans.  Res- 
tif est  ,  à  coup  sûr,  le  plus  fécond 
de  tous  les  romanciers:  il  a  jiublic 
plus  de  deux  cents  volumes,  pies- 
(jiie  tous  oubliés  maiiilenaul.  C'é- 
tait un   homme  d'une  orgauisalioa 


RES 

singulière;  et  sa  conduite,  comme 
SCS  écrits  ,  offre  un  mélange  conti- 
nuel (le  folie  et  de  sagesse,  de  sottise 
et  de  raison.  On  ne  peut  lui  refuser 
iii  de  l'esprit,  ni  du  talent  ;  mais  il 
eu  a  fait  le  plus  déplorable  usage, 
par  suite  de  sou  man(pie  d'éducation 
et  de  sou  excessive  vanité.  H  ne  com- 
muniquait ses  plans  à  personne,  pas 
même  à  son  ami  IVIercier,  son  plus 
grand  admirateur  (7),  et  ne  corri- 
geait jamais  ses  ouvrages.  Quoiqu'il 
se  vante  souvent  de  sou  imagination, 
et  qu'il  s'étonne  quune  seule  tête  hu- 
maine ait  pu  produire  tant  de  cho- 
ses sans  être  épuisée  ,  il  a  fait  un 
aveu  qu'on  doit  recueillir  :  «  Je  n'ai 
presque  rien  imaginé  ;  je  me  suis 
raconté  :  ma  vie  est  si  remplie  d'é- 
vénements ,  que  j'en  ai  fait  plus  de 
vingt -quatre  volumes  {Drame  de 
la  vie  ,  p.  1201  ).  »  Il  se  croyait  au 
moins  l'égal  de  Voltaire  [8) ,  et  Lieu 
supérieur  à  Buffon,  qu'il  appelle  une 
taupe.  «  On  ne  se  doute  pas  ,  dit-il  , 
que  j'ai  le  plus  beau  des  systèmes  , 
plus  raisonnable  que  celui  de  Buffon, 
plus  hardi,  plus  vraisemblable  que 
celui  du  géomètre  Newton,...  (ibid., 
p.  1 176;.  »  Comme  ce  modeste  écri- 
vain a  pris  soin  de  donner  lui  même 
vingt  ou  trente  fois  la  liste  de  ses 
ouvrages  ,  on  se  contentera  de  citer 
ici  les  principaux.  :  I.  Le  Pied  de 
Fanchctte  ,  ou  le  soulier  couleur  de 
rose,  Paris,  17G8,  3  vol.  in-12, 
cinquième    édition  ,    1800  :    on    y 


(7)  Mercier  drclara  ,  dans  son  Tableau  de  Paris , 
que  le  génie  ori};iiial  et  crcalciir  de  Reslif  de  la 
bretonne  ,  était  après  lui-même  c:e  qu'il  admirait  le 
|>Ius.  Rcstif  lui  donna  de  grands  éloges  à  .-ou  tour. 
Voyez  surtout ,  diius  les  Nitits  tic  Paris ,  le  morceap 
qui  commence  par  ces  mots  :  Mercier  !  ô  rare  et  su- 
blime courage!  p.  ^8f)-. 

(8)  Keslir  ]>ensait  que  si  Voltaire,  au  lieu  de  naî- 
tre à  Paris,  lût  ne  dans  la  Bassr-Bourgogue  ,  il  aurait 
8urj>as?é  tous  IfS  grands  ('crivaius  derantiquitt'.Sou 
unique  défaut,  dit-il,  pî  l'ai  vivcnieut  senti ,  est 
d'être  né  Parisien;  ('e.-t  ce  qui  Vn  JHvotisé  ^  a^ré~ 
memi ,  sufcrficielliii  ,  elc.  7  héâtrt ,  m  ,  i>.  4»8. 


RES  3g5 

trouve  de  l'ortginalité,  et  des  si- 
tuations attachantes.  Dans  le  i«r. 
volume  (  pag.  lo  )  ,  Restif  annonce 
toutes  ses  prétentions  :  héritier  du 
cynisme  de  Mezerai ,  dit-il ,  j'ai  la 
modestie  de  me  croire  ridirule.  II. 
Le  Porjiographe  ou  Idées  d'un  hon- 
nête homme  sur  im  projet  de  règle- 
ment pour  les  prostituées  ,  Londres, 
1769,  in-8°.  Cet  ouvrage  ,  dit-il,  si 
mal  apprécié  par  nos  puristes  ,  de- 
mandait des  recherches  ;  celles  que 
je  Gs  étaient  dangereuses  (  F",  le 
Drame  de  la  vie  ,  p.ôSg  )  (g).  III. 
Lettres  d'une  fille  à  son  père  ,  1772, 
5vol.iu-i2.  «C'est, dit  toujoursl'au- 
teur,  un  système  d'aclièvement  d'é- 
ducation ,  capable  de  produire  les 
fruits  les  plus  heureux  ;  mais  ce  n'est 
pas  le  seul  mérite  de  la  Correspon- 
dance que  j'ai  publiée  :  elle  est  un 
chef-d'œuvre  de  sensibilité  ,  un  tissu 
de  lumières  et  de  vertus.  »  IV.  La 
Femme  dans  les  trois  états  de  fille 
d'épouse  et  de  mère ^  '77^,  3  vol. 
in- 12.  V.  U Ecole  des  Pères,  1776, 
3  vol.  in-i2.  C'est  encore  une  espèce 
de  traité  sur  l'éducation  ,  une  singe- 
.rie  à' Emile,  dont  le  seul  résultat  est 
de  faire  sentir  la  supériorité  de  Tou- 
vrage  de  Rousseau.  VI.  Le  Paysan 
perverti,  1776,  4  vol.  in- 12.  C'est  le 
meilleur  ouvrage  de  Restif,  et  celui 
qui  a  fait  sa  réputation.  Dans  ce  ro- 
man ,  dit  Laharpe ,  rien  n'est  digéré , 
rien  n'est  motivé,  rien  n'est  bien 
écrit  ;  et  cependant  au  milieu  de  ce 
chaos,  on  est  tout  étonne  de  trouver 
des  morceaux  qui  prouvent  de  la 
sensibilité  et  de  l'imagination.  Il 
y    a  ,  dans  ce  mauvais  roman ,  de 

(9)  Ce  vciliinie  est  le  seul  des  JiJces  singul  ères 
qu'on  I  eclierchc  encore;  Tdici  les  titres  des  autres 
ouvrages  cpà  coinplèteut  cette  collection  ;  Le  Mimo- 
grnphe  ou  le  Théâtre  reformé,  1770,  iu-80.;  — liC 
Cynographe  un  la  Femme  reformée,  1777,  iu-8".  > 
—  f'Aiitliiopoqra/jheim  l'Homme  reformé,  »78?. , 
in-S".  ;  —  Le  i'A<-tmoj,'rflp/;e  ou  les  Lois  réformées  , 
1 781)  j  iu-S".  Ce  dernier  voluuiu  est  rare» 


3f;6  RKS 

quoi  eu  faire  deux  ou  !  rois  bous, 
si  les  matériaux  avaient  elc  mis  en 
œuvre  par  uu  homiuc  d'un  vrai  ta- 
lent {Corresp.  russe).  »  VI 1.  La  Faj-- 
sanne  pervertie ,  ibid.,  177G,  4  vol. 
in- 12.  C'est  une  suite  de  l'ouvraire 
précèdent  ,    mais    très  -  mlérieure. 
VIII.  Le  Nouvel  ^Jhailard,  ou  Let- 
tres de  deux  amants  qui  ne  se  sont 
jamais  vus,  1778,  4  vul.  in-iti.  IX. 
La  f^ie  de  mon  père ,   1779  ,  'X  vol. 
in-i2  ;  3*^.  édit.  ,    1788.  Quoiquele 
fonds  de  cet  ouvrage  soit  d'une  sraude 
siraplicilë,   la    lecture  en   est  trcs- 
altacLante.  On  y  trouve  des  détails 
pleins  de  vciité  ,  et  d'une  naïveté 
pre'cieuse.  X.  \jA  Malédiction paler- 
nelle  ,  Lettres  sincères  et  véritables 
de  Dulis ,  etc.,  1779,  3  vol.  in  l'Jt, 
XI.  Les  Conlempoi aines  ,  ou  Aven- 
tures des  plus  jolies  femmes  dei'àge 
présent,    1780,  et  année  suivante, 
42  vol.  iu- 1  '1 ,  fig.    «  C'est  ,  dit  l'au  - 
leur,  un  ouvrage  de  médecine  mo- 
rale; si  les  détails  en  sont  licencieux  , 
les  principes  en  sont  honnêles  ,  et  le 
but  en  est  utile.  Qu'est-ce  qu'un  ro- 
mancier ?  le  peintre  des  mœurs.  Les 
mœurs  sont  corrompues,  devais -je 
peindre  les  mœurs  de  l'Asirée?  »XII. 
La   Découverte   australe  ,    par   un 
homme  volant  ,  1780  ,  4  vol.  in- 12. 
C'est  une  imitation  des  f^ojages  de 
Gulliver  et  de  l'Ile  inconnue  (  /^. 
Swift  et  Guivel  )  :  elle  n'eut  aucun 
succès.    L'auteur  s'en   plaignit   sans 
se  décourager:  «  J'ai  entendu  diieà 
quelqu'un  que  dans  ce  siècle  esprité , 
personne  ne  l'avait  compris  à  Paris  , 
excepte  deux   médecins  ,  MM.  Gui- 
bcrtdePréval,  etLcbègiic  dePresle.» 
XIIL  Théâtre,  1784-93,  7  vol.  in- 
i'2.   Ou  y  trouve  dix-sept  pièces  de 
didérents  genres ,  dont  quelques-unes 
ont    été    essayées  sur   les   théâtres 
forains,  mais  sans  succès.  L'auteur 
<i'cu  était  pas  moins  persuade  qu'elles 


RES 

étaient  toutes  des  chefs-d'œuvre.   En 
{Menant,  ilit-il ,  les  pièces  de  mon 
ihéàtie,  deux  bagatelles  exceptées, 
les  comédiens  auront  du  monde  et  de 
l'argent ,  encore  que  je  tombe  à  cha- 
que prcmièie  représentation.  XIV. 
Ingénue  Saxancourt  ,  ou  la  Femme 
■séparée,  1780,  3  vol.  in- ici  ;  c'est 
l'histoire  de  sa  fille  aînée.  XV.  La 
Femme  infidèle  ^    1786,  l^yo\.m- 
1 2.  Il  a  publié  ,sous  le  nom  de  Ma- 
ribert  Courtenay  (  1  o),  ce  roman,  qui 
contient  le  tableau  le  plus  hideux  des 
désordres  de  sa  femme.  XVI.  Les 
Feillées  du  Marais  ,  ou  Histoire  du 
grand  prince  Oribeau  ,  et  de  la  ver- 
tueuse princesse  Onbelle,  «786,  4 
vol.  in- 12.  Il  regardait  cet  ouvrage 
ennuyeux  et  mal  écrit ,  comme  très- 
propie  à    diriger   l'éducation    d'un 
prince  destiné  au  trône;  et  il  le  lit 
reparaître  sous  le  titre  de  l'Institu- 
teur du  prince  rojal,  1791  ,  4  ^'^^' 
in-i'j,  XVII.  Les  Nuits  de  Paris, 
ou  le  Spectateur  nocturne,   1787, 
14  vol.  in- 12;   recueil  d'anecdotes 
insipides  ou   scandaleuses.    XVIII. 
Lcà  Provinciales  ,  1789-94,  12  vol. 
in-i'2  ;  c'est  le  pendant  des  Contem- 
poraines. XIX.  Le  Drame  de  la  vie, 
conlenant  un  homme  tout  entier, 
pièce  en  tieize  actes,  des  Ombres 
Chinoises ,   et  en  dix  pièces    ré!;u- 
lières,  1793  ,5  vol.  in- ri.  (11)  XX. 
Le  Cœur  humain  dévoilé ,  1  794-97  , 
16    vol.   in- 12.    C'est    un  tissu   de 
sottises.    L'auteur  ,     après    l'avoir 
terminé,  écrivit  sur  une  pierre  de 
rile  Saint-Louis:  Je  puis  mouiir , 


(10)  (Ce  qui  signifie  que  n.;;//,.  Coiirlaiiny  7,turi  , 
<s  railleur  d<'  riiuviase  ).  U  est  fort  singulier  quVii 
ait  altiiluic  -.1  lu  l'eiuine  elle  iilèlue  un  livre  dans 
lequel  elle  esl  traitée   d'une  manière  odieuse. 

(11)  1,'auicur  l'a  f.iit  précéder  de  ce  riiurl  aver- 
lisseuicnt  :  Lenteur  I  iiez  le  f/lui  i/itciessaiU  des 
ouviaf^cs  ,  sans  craindie  le  scandule.  C  est  parmi 
les  pièces  juslilicatives  imprimée»  i  Insiillr  ,  que  so 
ti.iuve  la  leltrc  à  Grimod  do  la  Rcjuièru,  tileui<lu- 
sieur] fuii  clins  le  corps  de  l'artidv. 


RES 

y  ai  fini  mon  grand  ouvrage.  XXI. 
La  philosophie  de  M.  Nicolas,  1 796, 
3  vol.  in- 12.  Tout  ce  qu'on  en  peut 
dire  ,  c'est  que  ce  n'est  pas  celle  du 
sens  commun  (  F.  l'analyse  de  cet 
ouvraf;e  ,  dans  le  n°.  34  du  Journal 
littéraire  àeQé\ntn\.).  Le  portrait  de 
Rcstifa  etej;;ravë  in-4°.  (12).  W-s. 
RESTOUT  (Jean),  peintre,  né 
à  Rouen  ,  en  169'i  ,  puisa  dans  sa  fa- 
mille l'amour  et  la  connaissance  de 
son  art.  Son  père  ,  nommé  Jean 
comme  lui ,  était  un  peintre  d'un 
talent  distingué  ;  sa  mère,  était  sœur 
de  Jouvenet ,  el  cultivait  elle-même 
la  peinture  avec  sucres.  Ayant  per- 
du son  père  d'assez  bonne  heure,  il 
reçut  de  son  oncle  tous  les  conseils 
que  réclamaient  ses  heureuses  dispo- 
sitions. Sa  modestie  ne  l'empêcha 
pas  d'être  bientôt  connu;  et,  en  1720, 
trois  ans  après  la  mort  de  Jouvenet , 
il  fut  reçu  de  l'académie ,  sur  un  ta- 
bleau rcpt  éscntant  Aréthuse  se  déro- 
bant à  la  poursuite  d'Alphée ,  dans 
les  bras  de  Diane.  Il  n'en  continua 
pas  moins  de  se  livrer  assidûment 
à  l'étude  du  modèle ,  et  présenta  , 
comme  à  l'ordinaire ,  son  dessin  au 
professeur.  Un  jour  il  lui  en  avait 
soumisun  que  le  professeur  approu- 
vait d'abord  sans  regarder  l'artiste; 
mais  ,  ayant  levé  les  yeux  ,  il  recon- 

(ti)  Les  Posthumes,  lettres  écrites  nprès  la  mort  de 
son  mnrif  parsajemme  qui  le  croit  à  Florence,  ifio5i, 
4  vol.  in-12,  furent  publiées  sons  le  nom  de  Cazotte  , 
et  saisies  pas  la  police,  qui  ne  sai-issait  alors  que 
très-rarement.  Cubières-Palaiéxeaux  a  puUlit"  Y niS' 
taire  des  campagnes  de  Marie  ,  ou  Episode  d'une 
jolie  femme,  ouvrage  postluuue  de  Restif ,  i8ii  .  3 
vol.  iu-i2.  Restif  de  la  Bretonne  a  fait  le  texte  des 
Monuments  du  costume  pliisi/jiie  cl  moriil  de  la 
fin  du  dix-huitième  sii-rle  ,  in-fol.  ,  orné  de  vin^l- 
riuatre  planclies  de  IVlorrau  le  jeune.  J'ai  donné, 
dhns  ^n  Oécade  f)hilo'ophii/ue  ,  du  ii  avril  iSoU, 
une  Notice  sur  fîestif:  le  numéro  du  2l>  juin  con- 
tient une  lettre  de  Jouvneau-Deslo^rs,  sur  ic  rnè- 
mc  pirsonnage  En  1796,  Restif  fit  placarder  dan» 
Paris  une  alîicbe  ,  cjui  est  conservée  dans  le  Maga^ 
sin  encjrclopèilitf ue ,  deuxième  année  ,  tome  III,  p. 
55i.  Elle  se  termine  ainsi:  m  N.  Restif  a  élé  .1011» 
»  doute  oublié  dans  la  première  formation  de  Tins- 
»  titut  oatioual  :  on  avait  oublie  l'article  Paris 
>>  dans  r Encyclopédie.  »  A.  U — T. 


RES  397 

nut  Reslout,  et  lui  fit  des  excuses. 
Monsieur ,    répondit    modestement 
l'artiste,  «  je  n'ai  pas  fait  assez  de 
»  progrès ,  depuis  quatre  jours  que 
»  j'ai  l'honneur  d'être  de  l'académie, 
»  pour  que  vous  cessiez  de  me  don- 
»  ner   les  avis    que   vous  me  don- 
»  niez   avant  cette  époque.  »  C'est 
par  ce  même  principe  de  modestie 
que,  se  trouvant  recteur  de  l'acadé- 
mie,  au    moment   où  Carie  Vanloo 
venait  d'être  nommé  premier  peintre 
dn  roi,  il  voulut  lui  céder  son  rang 
avant  d^'avoir  rempli  le  temps  de  sa 
charge,  proposition  qui  fut  refusée 
par  Vanloo,  Restouta  obtenu  succes- 
sivement toutes  les  dignités  de  l'aca- 
démie, depuis  celle  de  simple  acadé- 
micien jusqu'à  celle  d'ancien  direc- 
teur et  de  chancelier.  On  a  de  lui 
plusieurs  vastes  compositions,  telles 
que  Saint  Paul  imposant  les  mains 
à  Ananie ,  le  Plafond  de  la  biblio- 
thèque de  Sainte- Geneviève,  et   la 
Présentation  de   la  Fierge  ,  qu'il 
fit  pour  la   ville  de  Rouen,  et  que 
l'on  regarde  comme  un  de  ses  plus 
beaux    ouvrages.    Il    existe    de   ce 
peintre,  dans  le  château  de  Fontai- 
nebleau ,  deux  tableaux  représentant, 
l'un   Flore,  l'autre  Bacchus ;  et, 
dans  celui  du  Grand  ■  Trianon,  un 
tableau  de  chevalet ,  dont  le  sujet  est 
la  Conjiance  d' Alexandre  dans  son 
médecin  Philippe.    Les    leçons    et 
l'exemple  de  son  oncle  avaient  dé- 
terminé le  genre  de  son  talent.  U  se 
livra  presque  exclusivement  à  l'exé- 
cution  des  grandes   compositions  , 
dans  lesquelles  il  pouvait  déployer 
la  fécondité  de  son  imagination.  Mais 
il    outre   les  défauts  de    son  maî- 
tre :  sa  touche  vague  et  molle,  son 
style   dépourvu   de  noblesse  et  de 
grandiose,  son  dessin  maniéré,  lourd 
et  incorrect,  signalent  une  des  épo- 
ques les  plu.s  déplorables  de  l'école 


^ 


RES 


française.  La  négligence  lifi  parais- 
sait de  la  facilite  ;  les  accessoires 
sont  entièrement  sacrifie's  à  uu  effet 
de  convention,  qui  ne  laisse  aperce- 
voir que  le  peu  de  soin  de  l'artiste. 
Eniin  son  coloris  terne  et  couleur  de 
brique  racheté  rarement  ce  que  le 
dessin  offre  de  défectueux.  Cet  ar- 
tiste cependant  e'tait  regardé,  quand 
il  vivait,  comme  un  des  plus  grands 
peintres  dont  l'école  française  pût 
s'enorgueillir.  Il  mourut  en  i']hS. 
—  Jean-Bernard  Restout  ,  fils  du 
précédent  et  son  élève,  cultiva  égale- 
ment la  peinture,  mais  sans  atteindre 
même  au  talent  de  son  père.  Le  Mu- 
sée du  Louvre  possède  cependant  de 
cet  artiste  un  morceau  d'étude  de  pe- 
tite dimension  ,  qui  représente  Saint 
Bruno  en  prières  dans  le  désert.  Voy. 
la  Notice  sur  sa  vie  ,  par  J.-B.-C. 
Robin  (  Magas.  encycl. ,  2*^.  ann. , 
VI,  443%  ^  P— s. 

RÉSTY  (  Junitjs-Antotne  ,  com- 
te de  ),  né,  en  1755  ,  dans  la  répu- 
blique de  Raguse ,  y  fit  ses  études  , 
chez  les  Jésuites  ,  avec  succès  ;  et , 
aprèslesavoir terminées, se  vouaà  la 
carrière  politique.  Il  avait  fréquenté 
le  barreau,  lorsqu'à  trente-sept  ans, 
il  entra  ,  en  1792,  au  sénat  de  sa  pa- 
trie. 11  fut,  en  1797,  mis  à  laléte  de 
la  république.  Lorsque  les  armées 
françaises  se  furent  emparées  de  Ra- 
guse, Resty  se  retira  à  la  campagne, 
et  s'y  occupa  de  littérature.  11  ne 
revint  à  Raguse  qu'en  181 4,  et  y 
mourut  le  3i  mars  de  la  même 
année.  On  a  publié  ,  après  sa  mort , 
un  Recueil  de  ses  poésies  latines, 
sous  ce  litre  :  Junii  Antonii  co- 
mitis  de  Resliis  ,  pntricii  Ragu- 
sitii,  carinina ,  in-8'*.  On  y  trouve 
vingt-cin(|  Satires,  neuf  l'ilégies,  des 
ii[»îtres  ,  des  Odes  ,  des  Poésies  mê- 
lées (  Voy.  le  Journ.  des  savants  des 
mois  de  juillet  et  novembre  1B17  ). 


RET 

—  Un  autre  GiugnoRESTi,  mort  en 
1735  ,  fut  poète  et  historien.  Il 
était  dépositaire  des  écrits  de  Gon- 
dola (  F.  ce  nom  ).  On  connaît  de 
lui  sept  pièces  de  vers,  imprimées  à 
la  tête  de  la  version  des  Psaumes  en 
slavon,  par  Bartli.  Belterra  ;  et  une 
Histoire  de  Raguse ,  écrite  en  ita- 
lien, et  la  plus  récente  que  l'on  pos- 
sède :  elle  est  divisée  en  treize  li- 
vres, mais  se  termine  à  l'an  i45i. 
Vladislas  Gozzc ,  qui  survécut  onze 
ans  à  son  ami  Resti,  est  l'auteur  de 
la  Préface  (  Appenduii,  Star.  lett.  di 
Ragusa^y).  i4et239).  A.  B — t. 
RÉTIF  DE  LA  BRETONNE.  F. 
Restif. 

RETZ  (  Gilles  de  Laval,  sei- 
gneur DE  ) ,  trop  fameux  sous  le  nom 
de  maréchal  de  Retz,  né  vers  l'an 
1896  ,  était  l'aîné  des  fils  de  Gui  de 
Laval,  deuxième  du  nom,  seigneur  de 
Retz ,  cadet  de  la  maison  de  Laval  , 
et  de  Marie  de  Craon  de  La  Suze.  Il 
])erdit  son  père,  en  i4ï6,  servit 
d'abord  le  duc  de  Bretagne,  son  sou- 
verain ;  et  l'on  voit  son  nom  cité 
dans  l'histoire,  en  14^0  et  \f^i5. 
Etant  passé  au  service  du  roi  de 
France  Charles  VII ,  il  emporta 
d'assaut ,  en  i  4^7  ,  le  château  du  Lu- 
de,  dont  il  tua  le  commandant.  Il  re- 
prit encore  aux  Anglais  la  forteresse 
de  Rcnnefort,  et  le  château  de  Mali- 
corne,  dans  le  Maine.  En  \f\'i.Ç),  il 
fut  un  des  principaux  capitaines  qui 
aidèrent  Jeanne- d'Arc  à  faire  en- 
trer des  vivres  dans  Orléans  ,  et  il 
se  distingua  à  la  prise  de  Gergeau. 
Il  était,  ainsi  que  son  frère  Re- 
né, sire  de  Laval,  l'un  des  chefs 
de  l'armée  qui  accompagna  le  roi 
à  Reims,  celte  année,  pour  y  être 
sacré.  Le  sire  de  Laval  fut  fait 
comte  dans  celte  occasion  ,  et  il 
est  probable  que  le  sire  de  Retz  fut 
nommé  aussi  maréchal  de  France. 


RET 

En  relevant  si  jeune  à  cette  dignité, 
peu  prodiguée  alors,  on  ne  considé- 
ra pas  moins  son  mérite  et  ses  ser- 
vices que  sa  naissance.  Il  est  certain 
qu'il  était  décoré  de  ce  litre,  au  sa- 
cre de  Charles  VII ,  et  que  ce  fut  lui 
qui  apporta  la  sainte  ampoule,  de 
l'abbaye  de  Saiut-Remià  l'église  mé- 
tropolitaine. Il  était  de  plus  conseil- 
ler et  chambellan  du  roi.  Il  se  signa- 
la,  en  i  43o  ,  à  la  prise  de  Melun ,  et 
l'année  suivante,  à  la  levée  du  siège 
de  Lagni  par  les  Anglais,  En  i433, 
il  commandait,  avec  le  marécLal  de 
Rieux ,  l'avant-garde  de  l'armée  fran- 
çaise ,  sous  les  ordres  du  connétable 
de  Richemont:  cette  armée  étantarri. 
vée  devant  Sillédansle  Maine  en  pré- 
sence des  Anglais,  les  deux  partis  se 
.séparèrent  sans  combattre.  Ici  paraît 
finir  la  carrièi'e  militaire  et  honora- 
ble du  maréchal  de  Retz.  Il  ne  nous 
reste  plus  que  la  tâche  pénible  d'of- 
frir le  tableau  des  extravagances,  des 
vices  et  des  crimes  monstrueux  qui 
ont  plus  contribué  que  ses  exploits 
à  sa  malheureuse  célébrité.  Héritier, 
à  vingt  ans,  d'un  patrimoine  considé- 
rable, et  marié,  quatre  ans  après,  à 
Catherine  de  Thouars,  qui  lui  avait 
apporté  plusieurs  terres  en  dot,  il 
était  devenu  l'un  des  plus  riches  sei- 
gneurs du  royaume,  en  1482,  par 
la  mort  de  son  a'ieul  maternel,  Jean 
de  Craon,  seigneur  de  la  Suze ,  de 
Chantocé  ,  d'Ingrande,  etc.  On  éva- 
luait sa  fortune  à  trois  cent  mille 
livres  de  rente  ,  qui  feraient  plus 
d'un  million  aujourd'hui,  sans  comp- 
ter les  profits  de  ses  droits  seigneu- 
riaux ,  les  émoluments  de  ses  char- 
ges, et  un  mobilier  de  cent  mille  écus 
d'or.  Mais  il  en  eut  bientôt  dissipé 
la  plus  grande  partie  par  ses  prodi- 
galités, son  faste  et  ses  débauches. 
Il  eut  d'abord  une  garde  de  deux 
cents  hommes  à  cheval ,  dépense  que 


RET  399 

les  plus  grands  princes  pouvaient  à 
peine  soutenir  dans  ce  temps-là-  el 
il  traînait  en  outre  à  sa  suite  plus  de  - 
cinquante  individus ,  chapelains ,  en- 
fants de  chœur,  musiciens  ,  pages 
serviteurs,  etc.,  la  plupart  agents 
ou  complices  de  son  liberiinage  ,  et 
tous  montés  et  nourris  à  ses  dépens. 
Sa  chapelle  était  tapissée  de  drap 
d'or  et  de  soie.  Les  ornements,  les 
vases  sacrés,  étaient  d'or  et  enrichis 
de  pierreries.  Il  avait  aussi  un  jeu 
d'orgues,  qu'il  faisait  toujours  por- 
ter devant  lui.  Ses  chapelains,  ha- 
billés d'écarlate  doublé  de  menu 
vair  et  de  petit  gris,  portaient  les  ti- 
tres de  doyen  ,  de  chantre  ,  d'archi- 
diacre, même  d'évèque;  et  il  avait  de 
plus  député  au  pape  ,  pour  obtenir 
la  permission  de  se  faire  précéder 
par  un  porte-croix.  II  donnait,  à 
grands  frais,  des  représentations  de 
Mjstères,  les  seuls  speclacles  con- 
nus alors.  Pour  se  livrer  à  ces  pro- 
fusions ,  il  aliéna  une  partie  de  ses 
terres  à  l'évèque  de  Nantes,  aux  cha- 
pitres de  la  cathédrale  et  de  la  col- 
légiale de  cette  ville.  En  i434,  il 
vendit  à  Jean  V,  duc  de  Bretagne, 
les  places  de  Rlauléon,  Saint-Étien- 
ne  de  Malemort,  le  Leroux -Bote - 
reau ,  Pornic  et  Chantocé.  Sa  fa- 
mille, alarmée,  obtint  un  arrêt  du 
parlement  de  Paris ,  qui  défendait  au 
maréchal  d'aliéner  ses  domaines.  Le 
roi  n'ayant  pas  voulu  approuver  les 
ventes  déjà  faites  ,  le  duc  de  Bretagne 
s'opposa  à  la  publication  de  ces  dé- 
fenses ,  et  refusa  d^en  donner  de  sem- 
blables dans  ses  états.  Les  parents 
du  maréchal,  irrités  de  ce  refus ,  tâ- 
chèrent de  conserver  ces  places  dans 
leur  maison,  et  résistèrent  au  duc  : 
mais  il  les  reprit,  ôta  au  comte  de 
Laval,  son  gendre,  la  lieutenancc- 
générale  de  Bretagne,  et  en  revêtit 
le  maréchal  de  Retz,  avec  lequel  il 


4oo 


RET 


consomma  tons   ses   marcLes ,   en 
1437.   Ces  ressources  ne  suffisant 
pas  à  Gilles  de  Relz,  il  avait  depuis 
long-temps  cherche  d'autres  moyens 
pour  s'en  procurer.  Assez  instruit 
pour  son  siècle,  il  eut  recours  à  l'al- 
chimie. De  prerendus  adeptes  lui  ap- 
prirent le  secret  de  fixer  ks  métaux; 
mais  il  manqua  le  s,rand  œuvre.  De'- 
goûtë  de  l'art  d'Hermès  ,  il  se  jeta 
dans  la  magie.  Un  Anglais  ,  nomme 
Messire  Jean,  et  l'Italien  François 
Prelati,   furent  successivement   ses 
maîtres  ,  et  l'aidèrent  dans  ses  con- 
jurations. On  dit   (pi'il    promettait 
tout  au  diable,  excepte  son  ame  et 
sa  vie.  Mais  tandis  qu'il  prodiguait 
l'encens  au  démon,  et  qu'il  faisait 
l'aumône  en  son  honneur,  il  conti- 
nuait ses  exercices  pieux   avec   ses 
chapelains,  alliant  ainsi  une  extrême 
superstition  aux  pratiques  les  plus 
impies  ,    et   à    la    dépravation    de 
mœurs  la  plus  criminelle.  En  effet, 
ce  fut  à  cette  époque  ,    qu'il  com- 
mença d'immoler  des  enfants,  soit 
pour  mettre  plus  de  raffinement  dans 
ses  plaisirs  abominables  ,  soit  pour 
employer  leur  sang,  leur  cœur,  ou 
quelques  autres  parties  de  leurs  corps, 
dans  ses  charmes  diaboliques.  Ses 
gens,  attiraient  dans  ses  châteaux, 
par  quelques  friandises  ,  des  jeunes 
filles,  mais  surtout  des  jeunes  gar- 
çons du  voisinage,  et  on  ne  les  en 
voyait  plus  sortir.  D'autres  agents, 
qui  arcumpagnaient  ce  seigneur  dans 
ses  tournées  en  Bretagne,    persua- 
daient aux  artisans  pauvres  qui  a- 
vaientde  beaux  enfants,  de  les  con- 
fier au  maièciial,  qui  les  admettrait 
])arnii  ses  pages,  et  se  chargerait  de 
leur  sorr.  Des  parents  ,  des  amis  du 
sire  de  Retz,  mi  Gilles  de  Sille,  un 
Prinç.iy,  un  Roger  fh;  Briqueville, 
sciûbleiil  même  avoir  e'ie  les  com- 
plices de  SCS  liorribles  débauches , 


RET 

soit  en  lui  procurant  des  victimes  , 
soit  en  maltraitant  ou  en  menaçant 
les  parents  pour  e'touffer  leurs  plain- 
tes. Enfin  le  scandale  fut  si  public, 
et  les  réclamations  si  nombreuses, 
que  Gilles  de  Laval  fut  de'fereà  la  jus- 
tice. Arrêté  au  mois  de  septembre 
i44o  ,  il  fut  renfermé  dans  le  châ- 
teau de  Nantes  ;  et  le  duc  de  Bre- 
tagne chargea  son  commissaire  Jean 
de  Toucherond,  de  commencer  une 
enquête.   Deux   de   ses  gens    furent 
arrêtés,  Henri  et  Etienne  Corillaut, 
dit  Ponton  ou  Poitou.    Prelati  ne  vi- 
vait plus.  La  mor*.  ou  la  fuite  avaient 
dérobé  les  autres  au  supplice  qu'ils 
avaient  mérité.  Confronté  avec  ses 
deux  complices  ,  le  maréchal  deRetz 
les  désavoua  pour  ses  serviteurs  ,  et 
dit  qu'il  n'avait  eu  que  d'honnêtes 
gens  à  son  service  :  mais  la  menace 
de  la  torture  le  fit  changer  de  lan- 
gage, et  il  confirma  leurs  déclarations 
par  un  aveu  général  et  circonstancié 
de  tous  ses  crimes.  On  frémit  d'hor- 
reur en  lisant  les  détails    obscènes 
et  atroces  de  cet  épouvantable  pro- 
cès ,  dont  rinslruction  dura  un  mois, 
et  dont  il  existe  dix  manuscrils  à  la 
bibliothèque  du  Roi ,  et  un  aux  ar- 
chives du  Château  de  Nantes.  Jamais 
les  tvrans  les  plus  sanguinaires  n'ont 
imaginé  de  cruautés  plus  exécrables 
que  celles  qu'il  mêlait  à  ses  infâmes 
voluptés.  Les  innocentes  victimes  de 
sa  lubricité  ,  âgées  de  huit  ans  jus- 
qu'à dix-huit, furent  toutes  sacrifiées 
à  sa  férocité.  Le  nombre  en  paraîtra 
incalculable  ,   si  l'on  considère  que 
ces  massacres  curent  lieu,   presque 
sans  relâche  ,  dans  ses  châteaux  de 
Machecoul ,  deChantocé,  deTiiïIin- 
ges,  dans  son  hôtel  delà  Suze,à  Nan- 
tes ,  et  dans  la  plupaitdcs  villes  où 
il  passait;  et  qu'ils  durèrent  huit  ans, 
suivant  ses  jnopres  aveux  ,  ou  (|ua- 
lorzc  ans,  suivant  la  déclaration  d'un 


RET 

lie  SCS  complices.  Pour  dérober  les 
traces  de  ses  forfaits,  il  faisait  prcv 
cipiter  les  cadavres  dans  les  fosses 
d'aisances  ,  quand  il  était  en  voyance: 
mais ,  dans  ses  châteaux  ,  il  les  brû- 
lait ,  et  en  jetait  les  cendres  au  vent. 
P*Ial::;re'  ces  précautions,  on  en  trouva 
quarante-six  à  Cliantoce',  et  quatre- 
vingts  à  iMachecoril.  Le  mare'chal  de 
Retz  s'e'tait  en  outre  rendu  coupable 
du  crime  de  félonie.  A  près  avoir  vendu 
àsonsouvcrainlaplacedeSaint-EtieiJ- 
ne  de  Malemort ,  il  s'en  était  remis  en 
posses'^ion  ,  en  menaçant  le  gouver- 
neur d'égorger  son  frère  s'il  ne  la  lui 
livrait  pas.    Convaincu  de  tant  de 
forfaits,  (iiiles  de  Laval  fut  jugé  et 
condamné  à  mort  avec  ses  deux  vils 
agents  ,  par  un  tribunal  que  présida 
Pierre  de  l'Hôpital ,  sénéchal  de  Bre- 
tagne(i).   Pour  satisfaire  ,  avant  de 
mourir  ,  un  de  ses  goûts  favoris  ,  il 
demanda  et  obtint  d'être  conduit  eu 
])rocession  ,  par  l'cvèque  de  Nantes, 
jusqu'au  lieu  du  supjilicc.  Le  mare'- 
chal témoigna  un  repentir  sincère, 
demanda   pardon  aux  parents  des 
enfants  qu'il  avait  immolés ,  exhorta 
ses  complices  à  la  mort  et  à  la  péni- 
tence ,  leur  dit  adiei;  ,  et  promit  de 
les  rejoindre  en  paradis.  L'exécution 
eut  lieu  le  '^5  octobre  1440  (et  non 
pas  le  ^5  décembre,  comme  l'ont  dit 
Mez.erai  et  Moréri  ) ,  dans  la  prairie 
de  Biesse  ,   remplarée  par  une  rue 
qui  porte  aujourd'hui  ce  nom  ,    à 
l'eiilrée  du  pont  de  la  Madelène.    Le 
criminel  fntéîranglé;;nais,  par  '"ou- 
sidération  pour  sa  naissance  ,    ses 
services  et  son  repentir  ,  le  duc  de 
Bretagne  permit  que  son  corps  ,  qui 
devait  cire  brûlé  et  jeté  au  vent ,  ne 

(i)  Guimar,  dnns  ses  Amiales  uaiitaises ,  tli(  que 
1  cvèqiic  (le  Nniitis cl  le  rninniiss^iirc  d'i  ;;i:iiirl-iiH|iii- 
sitetir  d^  Fr;ince  furent  nu  iinniliredes  jiigt-s  du  ma* 
réclia].  Le  t'ait  ii'e.it  pas  impossible,  il  s>  Irniive 
|ieut-clre  dans  le  manuscrit  de  Vantes;  mais  dous 
11*1-11  avons  dtc'invert  anriin  indice  dans  cens  cpic 
i»«iis  avons coiisult<'S. 

XXXVII. 


RET  40, 

dcraeunit  qu'un  instant  sur  le  bûcjjer, 
et   fût   rendu  à  sa  famille  ,    qui    le 
fit   porter  dans    l'église    des    Car- 
mes ,  oi!i  il  fut  enterré.  Le  maréchal 
de  Retz  ne  laissa  qu'une  fille  ,  Marie 
de  Laval,  mariée  deux  fois,  et  morte 
sans  enfants,  en    i458.    Son  oncle 
René  de  Laval,  hérita  de  la  seigneu- 
rie de  Retz .  mxK   sa    fdie  unique, 
Jeanne  de  LaWt  ,  légua  par  testa- 
ment,  en  1481  ,  à  François  II,  duc 
de  Bretagne.    Nous  avons  rectilié  , 
dans  cet  article ,  les  erreurs  des  com- 
pilateurs, dont  la  principale  donnait 
lieu  de  croire  qu'il  mourut  en  i438 
ou    1442.   Desessarts,  qui    a    copié 
plusieurs  de  ces  erreurs  ,  dans  ses 
Procès  fameux  ^  ne  donne  point  la 
date  de  celui  du  maréchal  de  Retz. 
A — T. 
RETZ  (Albekt  dh  Go'di  ,  plus 
connu  sous  le  nom  de  maréchal  de) 
naquit  à  Florence,  le  4  riovembro 
i5i2  ,  d'une   famille  ancienne,   et 
qui,  d'après  les  généalogistes,  rem- 
plissait, depuis  plusieurs  siècles,  les 
premiers  emplois  dans  le  gouverne- 
ment. Mais  ses  ennemis  (et  sa  fortu- 
ne lui  en  fit  un  grand  nombre  )  lui 
donnent  une  origine  beaucoup  moins 
relevée  (  i).  Amené  fort  jeune  à  Lyoi:, 
où  son  père  tint  quelque  temps  une 
maison   de  banque,  il    fut  d'abord 
commis    d'un  financier  ,  et  ensuite 
employé'  dans  les  vivres.  Sa  mère 
avant  obtenu  la  ||J)argc  de  gouver- 
nante des  enfants  de  France  ,   que 
bu    fit  donner  la    reine    Catherine 
de  Médicis ,   dont  elle  avait  gagné 
la  confiance  ,    iutioduisit    Aibert  à 
la  cour,  où  elle  l'avança  rapidement. 
II  fut  placé  près  du  jeune  roi  Char- 
les ^l^X;  et,  selon  Brantôme  ,  «  il  le 

(ij  Vov.  le  Uisi-oiiri  mcivcilletix  de  Catherine 
.le  lilcJirlf  ,  |..-r  Henri  Ksliei.ne.  <  Ii.  ,T, ,  on  il  dit 
ipie  C.ondi,  Floreulin,  .(ait  is^ide  races  .le  Marn- 
nt-i  ^  (>t  Ijls  d'un  banquier,  qui  iwir  dent  fi-is  avart 
(".lit  l.anqiHT.uile  àI,\on  .  etc. 


4o'jt 


RKT 


pervertit  lîu  tout,  et  lui  fit  oublier 
et  laisser  toute  la  bonne  nourriture 
qnc  lui  avait  donnée  le  ]>r-ive  C;p:er- 
re  {'2.)  »  (  F.  ce  nom,  VIII,  57^  ). 
Gliarles  le  créa  premier  gentilliom- 
rae  de  sa  chambre  et  grand -cliam- 
l)ellan,  cl  le  chargea  de  différentes 
missions  honorables.  Gondi  com- 
mandait cent  liomij^td'armcs  à  la 
iournée  de  Saint-D^s  ;  et  il  se  si- 
gnala ,  dit-  on,  à  la  bataille  de  !V!on- 
rontour.  On  ne  cite  pas  de  lui  d^au- 
tres  services  militaires;  et  il  ne  jouit 
pas  de  la  réputation  d'un  gr,'ind  ca- 
pitaine. Il  se  rendit,  en  iS^o,  à 
Spire,  pour  épouser,  au  nom  du 
roi,  l'archiduchesse  Elisabeth  d'Au- 
triche, qu'il  eut  l'honneur  de  rame- 
ner à  Paris.  11  passe,  avec  Ta  van- 
nes (  F.  ce  nom),  pour  avoir  con- 
seille le  massacre  de  la  Saint -Bar- 
thclemi  ;  et  on  l'accuse  même  d'avoir 
fait  c'trangler  Lomënie  (  F.  ce  nom  ), 
dans  sa  prison  ,  pour  s'emparer  de 
ses  dcpouiiles.  Il  reçut,  en  1073  ,  le 
bâton  de  marc'chal,  suivit ,  au  sie'ge 
de  la  Rochelle  ,  le  duc  d'Anjou ,  et  ac- 
compagna ce  juince  en  Pologne,  d'où 
i!  parvint  à  le  faire  évader,  après 
la  mort  de  Charles  IX.  Il  représen- 
ta le  connetible  au  sacre  de  Henri 
m  ,  qui  le  fit  successivement  gé- 
ne'ral  des  galères  ,  chevalier  du  Saiul- 
Esprit  lors  de  l'institution  de  cet 
ordre,  duc  de  Bciie-Isie,  gouverneur 
de  Provence ,  de  juntes  et  de  r\refz, 
sous-licutenant  au  marquisat  de  Sa- 
luées, et  enfin  généralissime.  Retz 
avait  assez  d'adresse  pour  cacher  son 


{■>)  Lv  Laljoiiteiii- ,  d:ias  »(S  .Itlilil.-MX  Hîinui. 
«l-  C;islelnaii,  lo/j  ,  avtilit  qu'il  finit  lire  lirai 
inc  nvi'i'  jirecaiiliuii ,  our  re  ini'il  dit  dii  in:iut 
i(c  Uc(7.  :  u'ayaul  pas  iilili-iiti  du  sou  alli^iuce  liu» 
a»aiila^o  cji.'il  sVn  «•lait  jirimiis  jiinii- lui  <l  pinii 
liiuisun  ,  il  a  pris  à  tùcbe  d>-  le  duciiiT  °t  de  lui  i 
jiiilçi-  mil-  |NMliidii  uihuvai»  gouvcriicinent  i-l  di 
iiMuv.ilsc  cduc.iticu  dis  enlauls  de  l"i;iiitc-.  M: 
ajoiitp  !.<•  I.ali.,rii.i,r,  .>ii  |<i  nt  dire  ijuc  Uclz  ii' 
auciinr  pail  <'ii  Tuu  ni  en  i'aulrc ,  [unir  u 'avoir 
ni  iiiini.vtic-d'i.(al ,  ni  ^l,uver^K■ul•  des  |iriiic:(S. 


RET 

avidité  sous  l'apparence  de  la  mo- 
dération. Il  ne  ])arlait  jamais  de  son 
crédit,  qu'il  avait  l'air  d'ignorer  ou 
de  n'employer  que  pour  les  autres  , 
et  il  ne  faisait   'jbsta(  le  à  personne. 
S'étant  aperçu  que  le  duc  de  Joycu- 
se  le  remplaçait  dans  la  confiance 
de  Henri  111  ,  il  se  présente  un  jour 
à  la  porte  du  cabinet  oiile  roi  était 
enfermé  avec   le    nouveau    favori. 
L'huissier   lui  déclare  qu'il  a  reçu 
l'ordre  de  ne  point  le  laisser  entrer. 
Retz  insiste,  promet  deux  mille  écus, 
pénètre  dans    le  cabinet;  et  ,  sans 
laisser  au   roi  le   temps  de  se  re- 
mettre de  sa  surprise  :  «  Sire,  lui 
w  dit-il,  je  \iens  vous  prier  de  me 
»  faire  une  faveur;  vous  n'avez  en- 
»  core  rien  donné  à  M.  de  Joyeuse, 
»  gentilhomme  le  plus  accompli  qu'il 
»  y  ait  dans  votre  cour  :  permeîtez- 
»  moi  de  lui  faire  présent  de  ma  char- 
»  gedegentdhommcde  la  chambre.» 
Le  roi  finit  par  lui  donner  la  per- 
mission qu'il  demandait  avec  instan- 
ce; et  joyeuse  ne  sut  par  quel  témoi- 
gnage récompenser  ce  don  ,  sinon 
avec  mille  protestations  d'amitié  et 
de  faveurs  (  (  Voyez  le  Journal  de 
i'Estoile,  1 ,  352  ).  Quelquefois  Retz 
savait  faire  entendre  au  roi  le  lan- 
gage   de    la    vérité.    On    rapporte 
qu'ayant  vu  Henri  111,  dans  un  mo- 
ment de  colère,  frapper  un  de  ses 
geiililshommes ,  il  sortit  de  la  cour, 
et  ne  voulut  jias  y  reparaître  que  le 
roi  n'eût  fait  des  excuses  à  l'ofTensé. 
11  contribua  beaucoup  à  réunir  ce 
j)riiicc  avec  le  roi  de  Navarre  pour 
tâcher  d'ctoufTcr  la  Ligne;  et  il  em- 
';*     brassa  ,  l'un  des  premiers ,  le  parti 
iiai     de  Henri  IV  ,  qu'il  servit  fidèlement, 
'"     et  dont  il  recul  de  grandes  inanjiics 
u>-     de  confiance.  Il  était,  avec  le  chan- 
ïi,'-      celicr  Chiverny  ,  et  Rcautien  Ruzé  , 

""S     secrélaire-d'élal ,  l'un  des  trois  com- 
ité        .      . 

juissaires  nommes  pour  traiter  avec 


\ 


RET 

ie  duc  de  Guise ,  qui  demandait  à 
faire  sa  soumission,  moyennant  quel- 
ques garanties.  La  duchesse  do  Gui- 
se se  plaignit  au  roi  qu'il  lui  eût  mis 
en  tête  trois  hommes  qui  allaient , 
par  trois  chemins  dilTerents ,  à  ne 
rien  conclure  :  le  premier  (  Chiver- 
ny  )  ne  disant  jamais  rien  de  plus 
précis  q^ie  ces  mots  :  il  faut  voir , 
il  faut  aviser,  faisons  mieux;  le  se- 
cond (  Retz  )  ne  s'eniendatit  pas  lui- 
mêiiie  ,  quoiqu'il  parlât  prcsaue  con- 
tinuellement ;  et  le  Iroisièraè  ne  sor- 
tant jamais  du  ton  grondeur.  Le  roi, 
touché  r!e  ses  prières ,  chargea  de 
cette  afiaiie  Sully  (Voyez  ses  3Ié- 
nwires,  !iv.  iv).  Le  poète  Despor- 
tes ,  abbé  de  Tiron  ,  donne  la  même 
idée  du  maréchal  de  Rclz  :  «  C'était, 
dit-il,  un  hoinme  sans  esprit,  par- 
lant beaucoup,  mais  ne  disant  rien.» 
Cependant  ilîigtirc  parmi  les  auteurs 
dont  se  compose  la  Bibliolhique  de 
Lacroix-du-Maiue,  qui  loue  son  élo- 
quence, en  rcgreltant  qu'il  n'eût  en- 
core rien  mis  en  lumière  de  ses  com- 
positions. «  11  mourut,  dit  l'Estoile, 
chargé  d'ans  et  de  biens ,  mais  d'une 
étrange  et  cruelle  maladie  (3)  ,  le 
12  avril  (4)  1602  ,  laissant  une  ré- 
putation fort  équivoque.  »  Il  fut  in- 
hume dans  l'église  Noire-Dame,  où 
l'on  voyait  son  tombeau  en  marbre, 
surmonté  de  sa  statue  <à  genoux.  On 
trouve  la  représentation  de  ce  monu- 
ment, ainsi  que  son  portrait,  dans 
le  tome  11  de  V Histoire  de  la  maison 
de  Gondi ,  par  Corbinelli.  En  1 5G5, 
il  avait  épousé  Claudc-Citherine  de 
Clermont,  veuve  de  Jeand'Annebaut, 
baron  de  Retz  (5).  Celte  dame  joi- 

(3)  n  lut  attuiué  d'uu  clKincie  qui  lui  lutijj.a  U 
figure.  Lf.t  proU'stauts  lie  iuaui|uc'iL-iit  pas  de  voir 
dans  cette  maladie  uu  ju^tc  cliûtimrnt  du  Dieu. 

(/|)  Par  une  transpositiin  de  cliilIVc,  CorbiucIIi 
dit  le  9.1  avril  ;  et  (eUe  erreur  n  passe  dans  le  Diil. 
de  Mon  ri,  et  de  là   dans  les  autres  dictionnaires. 

(5)  Ce  fut  celte  dame  nui  jiorta  celte  tcne  à  soo 
«econd  mari. 


RET 


4o3 


gnait  à  une  rare  beauté ,  beaucoup 
d'esprit  et  de  savoir;  mais  elle  pas- 
sait pour  aimer  le  plaisir  et  l'intri- 
gue. Lorsque  les  ambassadeurs  polo- 
nais vinrent  en  France  annoncer  au 
dnc  d'Anjou  son  élection  an  trône  de 
Pologne,  la  maréchale  de  Relz  leur 
servit  d'interprète,  et  s'entretint  avec 
eux  en  langue  latine.  Elle  savait  aus- 
si le  grec;  et,  dit  Lacroix  du-Maine, 
elle  composait  en  vers  et  en  pro- 
se. Dorât  et  les  autres  poètesdu  temps 
ont  célébré  ses  grâces  et  son  esprit. 
Elle  mourut ,  le  aj  fév.  1 6o3  ,  à  l'âge 
de  cinquante-huit  ans ,  suivant  l'Es- 
toile ,  qui  dit  que  cette  dame  fit  une 
belle  fin  ,  et  mourut  bonne  chrétien- 
ne et  rcpemante.  Elle  fut  enterrée 
dans  l'église  de  l'AveMaria,  oii  l'on 
voyait  son  épilaphc.  Philippe  Cos- 
pean  y  prononça  son  oraison  funè- 
bre W— s. 

RETZ  (  Pierre  de  Gondi  ,  car- 
dinal DE  ) ,  frère  du  précédent ,  na- 
quit à  Lyon ,  en  1 533  ,  fit  ses  études 
dans  les  universités  de  Paris  et  de 
Toulouse,  et  ayant  embrassé  l'état 
ecclésiastique,  dut  à  la  protection 
de  Catherine  de  Médicis  un  avance- 
ment rapide.  Nommé,  eu  i565,  évê- 
quc  de  Langres  ,  il  fut  transfère 
sur  le  siège  de  Paris,  en  1070, 
revêtu  de  la  dignité  de  chancelier  et 
de  grand-anuiônier  de  la  reine  Elisa- 
beth d'Autriche  ,  et  créé  chef  du 
conseil  de  Charles  IX.  Après  la 
mort  de  ce  prince  ,  Elisabeth  lui 
confia  l'administration  des  domaines 
qu'on  lui  assigna  pour  son  douaire, 
dans  le  Bourbonnais  et  le  Forez  eu 
lui  recommandant. surtout denepcyint 
vendre  les  emploi.',  publics ,  et  de  n'y 
nommer  que  des  gens  capables  c't 
d'une  probité  non  suspecte.  Sa  vo- 
lonté fut  exécutée  fidèlement.  I3el 
exemple  ,  dit  De  Thon  ,  qui  ne  sera 
pas  imité    (  L'ist.  liv.  lx  ).   Gondi 

'26.. 


4o4  RET 

conliinia  de  jouir  de  la  plus  liante 
faveur  sous  Henri  111 ,  qui  le  décora 
du  collier  de  l'ordre  du  Saint-Esprit, 
lors  de  son  institution.  Ce  prince  lui 
donna  la  commission  délicate  de  né- 
gocier,  avec  la  cour  de  Rome ,  l'au- 
torisation d'aliéner  pour  cincpiante 
mille  e'cus  de  rente  de  biens  ecclé- 
siastiques, il  rapporta  la  permission 
d'en  vendre  yiour  cent  mille;  et  le 
clergé,    dit   l'Estoile  ,    lui  sut  très- 
mauvais    gré  d'avoir  si  bien  réussi 
{  Journ.    de  Henri    III,    i,    177 
et  480).  Chargé  de  la  direction  de 
toutes  les  affaires  de  l'Église  ,  Gondi 
fut  envoyé  plusieurs  fois  en  ambas- 
sade près   de   Grégoire  XIll  et  de 
Sixte  V,  qui  le  créa    cai'dinal  ,   en 
1587. Quoiqu'il  pencLàt  secrètement 
pour  le  roi  de  Navarre,  il  fit  fondre, 
en  I  Sgo ,  l'argenterie  des  églises  pour 
apaiser  les  murmures  qu'excitait  la 
rareté  du  numéraire.  Cependant  il 
ne  se  crut  pas  en  sûreté  dans  Paris  , 
et  il  se  retira  ,  sous  le  préteste  de 
sa  santé  ,  dans  le  château  que  son 
frère  possédait  à  Noisi.  Les  Seize, 
pendant  son  absence,  ordonnèrent  le 
séquestre  de  ses  revenus  ,  dont  ils  se 
proposaient  de  gratifier  l'évêque  de 
Senlis  ,  expulsé  de  son  siège  ,  à  cause 
de  son  attachement  à  la  Ligue  (  Foj. 
Rose  ).  Le  cardinal  de  Gondi  refusa 
de  prêter  le  nouveau  serment  de  l'u- 
nion qui  donnait  l'exclusion  du  trône 
à  tous  les  princes  delà  famille  royale, 
et  rendit  compte  de  ses  motifs  dans 
une  Lettre ,  que  les  écrivains  de  la 
Ligue  réfutèrent  avec  un  emporte- 
ment extraordinaire.  Dans  le  désir 
de  hâter  la  conclusion  de  la  paix  ,  il 
rrut  devoir  entamer  quelques  négo- 
ciations avec   Henri   IV  ;    mais   ce 
prince  n-çut  fort  mal  des  proposi- 
tions '|ui  blessaient  sa  dignité  ,  et  qui 
mettaient  en  question  ses  droits  à  la 
couronne.    Cependant  ,   en    i5g9>  , 


RET 

Henri ,  désirant  se  re'concilier  avec 
l'Eglise,  chargea  le  cardinal  de  Gon- 
di de  faire  part  au  pape  de  ses  in- 
tentions :  mais  le  pontife  ,  instruit 
de  son  arrivée  en  Italie  ,  l'obligea  de 
rétrograder.   Après   l'abjuration  de 
Henri  IV,  Gondi  fit  partie  de  l'ambas- 
sade solennelle  qu'envoya  ce  prince 
à  Clément  VIII  :  tandis  que  le  duc 
de  Nevers  sollicitait  vainement  une 
audience  (  For.  Nevers  ,  XXXI  , 
108  ) ,  U  attendait  à  Recanati  les  or- 
dres  du  pape  ,  et  il  n'obtint  la  per- 
mission de  se  rendre  à  Rome  ,  que 
sous  la   condition  de  ne  point   se 
mêler  des  affaires  qui  divisaient  la 
France  et  le  Saint-Siège.  Son  exces- 
sive économie  le  fit  choisir,  en  i5()6, 
pour  présider  le  conseil  de  raison  , 
qui  devait  rétablir  promptemcnt  l'or- 
dre dans  les  finances  ;  comme  si ,  dit 
Sully  ^  l'Etat  se  conduisait  par  les 
mêmes  lois  qu'un  particulier.  Mais 
au  bout  de  quelques  semaines  ,  il  se 
trouva  tellement  embarrassé,  qu'il 
s'estima  très -heureux   de  pouvoir 
faire  accepter  sa  démission  (  F.  les 
Mémoires  de  Sidlj  ,  livre  viii  ).  De- 
puis long-temps  le  cardinal  de  Gondi 
demandait  un  coadjuteur,  à  raison 
des  affaires  importantes  dont  il  était 
chargé,  et   qui  ne  lui  permettaient 
pas  de  veiller  aux  intérêts  de  son  dio- 
cèse. On  lui  permit,  en  1 698,  d'en  re- 
mettre l'administration  à  son  nevfu 
Henri  de  (ioudi  ,  qui  lui  succéda.  Ce 
prélat  mourut ,  le  17 février  iGiG,  à 
quatre-vingt  quatre  ans  ,  avec  la  ré- 
putation d'un  honnête  homme,  mais 
faible,  trop  parcimonieux,  et  sans 
talent.  Le  P.  Goiithier ,  jésuite .  pro- 
nonça son  Oraison  funèbre  à  Notre- 
Dame  ,  où  Gondi  fut  enterré  dans  la 
chapelle  de  sa  famille.  On  a  son  Por- 
trait ,  avec  une  courte  Notice,  dans 
le  lomo  II  de  V Histoire  de  la  maison 
de  Gondi,  par  Coibinclli.     W-s. 


RET 

RETZ  (  Jean-François-Paul  de 
GoNDi ,  cardinal  de  ) ,  petit-neveu 
du  précédent ,  né  à  Moutmirail,  m 
Brie,  au  mois  d'octobre  1 6  r  4,  était  le 
deuxième  fils  de  Pliilippe-Emanuel  de 
Gondi,  général  des  j:;alèrcs  de  France, 
sous  Louis  XÏII.  jaloux  de  conser- 
ver rarchcvêclié  de  Paris  dans  sa  l'a- 
mille  ,  son  père  le  destina  ,  des  sa 
naissance ,  à  l'épiscopat.  Mais  le  jeune 
chanoine  répondit  assez  mal  aux 
soins  de  saint  Vincent-de-Paul ,  son 
précepteur.  A  peine  échappé  à  l'en- 
fance ,  il  tenta  d'enlever  IM^^*.  de 
Retz,  sa  cousine,  et  crut  trouver, 
dans  l'éclat  de  ses  galanteries  et  de 
ses  duels,  un  moyen  sûr  de  rompre, 
à  force  de  scandales,  les  projets  de  sa 
maison.  Trompé  dans  cet  espoir,  il 
résolut  de  se  faire  un  nom  par  la 
Sorbonne,  qui  avait  commencé  la  ré- 
putation et  la  fortune  de  Richelieu. 


RET 


4o5 


se  faire  assassiner  pour  une  nouvelle 
intrigue.  11  parut  à  Rome  avec  éclat, 
se  lit  admirer  dans  les  écoles ,  et  res- 
))ecler  dans  le  public.  La  perspec- 
tive de  l'archevêché  de  Paris  le  ra- 
mena en  France.  Ses  études  ecclé- 
siastiques fuient  reprises  avec  ar- 
deur. Il  prêcha  son  premier  sermon 
devant  la  cour;  cl  ce  début  d'un 
prédicateur  de  vingt-deux  ans  fut 
justilié  par  le  succès.  Cependant  ses 
liaisons  publiques  avec  le  romie  de 
Soissons  l'avaient  ouvertement  ran- 
gé parmi  les  mécontents.  Une  riva- 
lité de  galanterie  avec  Richelieu  , 
acheva  de  lui  tourner  !a  têle  :  l'abbé 
de  Gondi  se  laissa  aller  ,  non  sans 
répugnance ,  à  uu  complot  contre 
la  vie  du  premier  ministre;  mais  il 
voyait  de  la  gloire  à  changer  ,  même 
par  un  assassinat ,  les  destinées  de 
l'Europe.  Un  grand  péril ,  de  grands 


Toutefois  ses  études  theV.ogiques  ne     exemples,  lui  parurent  honoier  le 
furent  pas  tellement  exclusives,  qu'il     aime.  V ancienne  Ruine,  dit  -  il  , 


ne  pût  s'abandonner  à  des  inspira- 
tions bien  dilFérenies  ,  et  qui  exercè- 
rent une  tout  autre  influence  sur  la 
partie  la  plus  orageuse  de  sa  vie.  L'an- 
tiquité républicaine  ,  pleine  de  con- 
jurations et  de  troubles   politiques , 
Rome    surtout ,    avec   ses   factions 
et    ses  tribuns,  p.irlaicnt  bien  plus 
haut  à  son  imagination  que  les  véri- 
tés douces  et  simples  de  l'Evangile. 
C'est  sous  l'inspiration  de  tels  souve- 
nirs qu'il  écrivit,  à  dix-huit  ans, laCiOU- 
juration  du  comte  de  Ficsque,  visible- 
ment calquée  sur  les  formes  senlen- 
tieuscs  de  Salluste.   Richelieu  la  lut , 
et  il  s'écria   :   Follà  un  dangereux 
esprit.  Le  jeune  abbé  s'était  excusé 
plusieurs  fois  d'être  présenté  au  mi- 
nistre.  11  osa  même  disputer  le  pre- 
mier rang  à  l'un  de  ses  protégés  dans 
les  exercices  publics  de  la  Sorbonne , 
l'emporta  sur  ce  rival,  et  s'enfuit 
à  Venise  ,  où  il  ne  tint  pas  à  lui  de 


V aurait  admiré  ;   et  ,  quelques  li- 
gnes plus  bas,  il  ajoute  :  «  J-e  suis 
»  persuadé  qu'il  faut  de  plus  grandes 
»  qualités  poiir  êlic  un  bou  chef  de 
))  parti ,  que  pour  être  einpereur  de 
»  l'univers.  »  "Toute  la  première  moi- 
tié de  sa-  vie  est  dans  ces  paroles. 
Heureusement  l'occasion  manqua  aux 
meurtriers.    IMais  ,  consulté  sur  la 
levée  de    boucliers    du    comte    de 
Soissons  ,  Gondi  qui  l'avait  d'abord 
combattue  ,  n'y  vil  bientôt  qu'une 
illustre  issue  pour  échapper  à  lE- 
glise.  Là  commencent  ses  liaisons 
avec  les  chefs  de  quartier  de  Pa- 
ris, sa  popularité  ,  ses  aumônes  se- 
crètes.  La   mort  du  comte  de  Sois- 
sons, à  la  bataille  de  la  Marfée,  vint 
rompre  toutes  ses  mesures  ,  et  le 
fixer  dans  sa  profession.  Ses  éludes 
devinrent  plus  suivies.  Il  s'attacha 

Seu-à-pcu  Us  chanoines  et  le  clergé 
0  Paris,  et  prit  habitude  a^ec  touL 


4o6  RET 

ce  qu'il  y  avait  de  gens  de  science  et 
de  piété  dans  la  capitale.  Il  eut 
même  avec  Rîestrezat ,  ministre  pro- 
îcstaut,  des  conférences  qui  i'ment 
couronnées  par  !a  conversion  d'un 
pjenlilliomrae  de  Poitou  ;  et  Louis 
XIÏI  en  fut  si  frappe  ,  qu'il  le  dési- 
gna en  mourant  pour  la  coadjutore- 
rie  de  Paris.  La  rep;ente,  en  confir- 
mant ce  choix,  offrit  au  père  du 
nouveau  coadjuteur  la  place  de  pre- 
mier ministre.  Un  mot  de  Pliilippe- 
Emanuel  pouvait  cLanger  la  des- 
tine'e  de  son  fils.  Il  refusa  ;  Mazarin 
fut  nomme'  :  on  pressent  le  reste. 
Gondi  commença  ses  fonctions  arcliie'- 
piscopaies ,  «  avec  une  ferme  résolu- 
»  tion  de  remplir  scrupuleusement 
5)  tous  ses  devoirs  extérieurs  ,  et 
5)  d'e'tre  aussi  homme  de  bien  pour 
■!)  le  salut  des  autres  qu'il  pourrait 
»  être  méchant  pour  lui-même  »  {Né- 
Tïioir.'S,  p.  85  ).  Tout  son  diocèse  ap- 
plaudit en  le  voyant  prêcher  l'avent 
lui-même,  dans  une  des  paroisses  de 
Paris.  L'empire  qu'il  prenait  sur  les 
esjirits  fit  ombrage  à  Mazarin,  qui 
Je  traversa  dans  ses  projets  de  re'- 
formes  eccle'.siastiques.  Le  rôle  que 
joua  le  coadjuteur,  à  l'assemblée  du 
cierge'  de  iG45,  le  rendit  suspect. 
Un  point  de  cérémonial  qui  touchait 
les  droits  de  la  cathédrale  de  Paris, 
un  autre  qui  tenait  à  la  préséance 
archiépiscopale  ,  achevèrent  de  le 
brouiller  avec  la  cour.  Il  avait  refusé 
de  s'associer  à  la  cabale  des  Impor- 
tants :  mais,  persuadé  qu'il  ne  pou- 
vait se  soutenir  san5  se  ciécr  une 
position  indépendante,  il  eut  l'ira- 
])rudence  d'inquiéter  sou  cJinemi  par 
des  libéralités  sourdes,  qui  toute- 
fois n'étaient  nullement  secrètes  ;  et, 
comme  on  lui  reprochait  ses  prodi- 
galités :  hon  !  répondit-il ,  César  à 
vion  d^e  devait  six  fois  plus  que 
moi!  Cependant  la  Fronde  commcn- 


RET 

çait  à  petit  bruit  dans  le  parlement , 
qui  jusque  -là  n'avait  jamais  paru  à 
la  tête  de  nos  mouvements  politiques. 
Les  premières  années  de  la  régence 
avaient  été  comme  emportées  par 
l'impulsion  rapide  que  le  ministère 
dcPiichclieu  et  les  victoires  du  grand 
Condé  avaient  donnée  à  l'autorité 
royale.  Mais,  dans  une  monarchie 
où  les  lois  avaient  passé  dans  les 
mœurs  ,  il  était  plus  aisé  de  faire 
taire  les  anciennes  maximes  que  de 
les  faire  oublier.  La  guerre  et  la  cen- 
tralisation du  pouvoir  avaient  accru 
les  besoins  du  trésor.  L'impôt  ordi- 
naire était  presque  nul  ;  le  crédit  pu- 
blic était  encore  à  naître  ;  et  certes, 
on  l'aurait  appelé  en  vain  sous  un 
surintendant  des  finances  qui  disait 
en  plein  conseil  que  la  bonne-foi  n'é- 
tait qu'une  A'ertu  de  marchands  (  F". 
Emery,  XIII ,  1 1 5  ).  Une  suite  d'é- 
dits bizarres  (  F.  Mazarin  ,  XXVIII, 
8  ) ,  affranchis  des  anciennes  formes, 
c'est-à-dire  exécutés  sans  avoir  été 
vérifiés  au  parlement,  produisit  une 
secousse  dans  les  esprits.  «  Le  parle- 
»  ment  gronda j  et,  sitôt  qu'il  eut 
»  seulement  murmuré,  tout  le  monde 
»  s'éveilla  :  on  chercha  comme  àtâ- 
»  ton  les  lois  ;  on  ne  les  trouva  plus. 
»  On  s'effara,  on  cria  ,  on  se  les  de- 
»  manda;  et  dans  cette  agitation,  le 
»  peuple  entra  dans  le  sanctuaire  : 
»  il  leva  1q  voile  qui  doit  toujours 
V  couvrir  tout  ce  que  l'on  peut  dire  , 
»  et  tout  ce  que  l'on  peut  croire  du 
»  droit  des  peuples  et  du  droit  des 
»  rois  ,  qui  ne  s'accordent  jamais 
»  mieux  ensemblcquedans  le  silence. 
»  La  salle  du  Palais  profana  tous 
w  ces  inystères,  »  (  Métn.  de  Rclz.  ) 
Peu  d'historiens  ont  assez  connu  la 
Fronde,  pour  lui  conserver  ce  ca- 
ractère :  c'est  surtout  dans  son  juge- 
ment sur  cette  singulière  époque,  que 
l'auteur  du  Siècle  de  Louis  XIV   a 


RET 

encouru  le  l'cprochc  dclc'gèrele.  «Oii 
ne  savait,  dil-il,  pourquoi  on  était 
en  armes  ».  On  le  savait  très-bien  : 
les  princes  regrettaient  leur  place  ou 
leur  autorite  d-ius  le  conseil  ;  les 
grands  réclamaient,  comme  un  droit, 
les  grands  oiKces  de  la  couronne:  les 
uns  et  les  autres  se  dc'batlaient  con- 
tre le  système  crée  par  Richelieu  , 
qui  les  éloignait  des  afïaires  publi- 
ques ,  au  mej>ris  des  coutumes  de  la 
monarchie.  Le  parlement  défendait 
les  traditions  légales,  mais  en  exagé- 
rant ses  prérogatives  ;  et  l'opinion 
générale  était  soulevée  contre  le  pre- 
mier ministre  ,  par  le  souvenir  cn- 
coVe  récent  des  deux  régences  si  peu 
{"rynçaises  de  Catherine  et  de  Marie 
de  Médicis.  11  faut  se  rappeler  toutes 
ces  prétentions  et  toutes  ces  craintes, 
pour  bien  juger  la  conduite  du  coad- 
juteur.  Ce  qui  le  frappa  surtout  dans 
le  grand  mouvement  qui  se  prépa- 
rait ,  ce  fut  la  possibilité  pratique 
(les  grandes  choses  dont  la  spécula- 
tion Valait  touché  beaucoup  dès 
son  enfance.  D'abord  il  résista,  plus 
par  convenance  peut-être  que  par 
devoir ,  aux  iustances  journalières 
des  mécontents  ,  qui  ,  presque  tous  , 
étaient  ses  amis.  Il  avertit  la  cour 
de  l'agitation  des  esprits.  La  reine 
ne  vit  dans  cette  démarche  qu'une 
bravade  dans  la  bouche  d'un  hom- 
îne  qui  venait  de  dépenser  ,  en 
îjioins  de  ciu(]  mois  ,  36,ooo  écus 
(  plus  de  '.),oo  ooo  iV.  )  d^iumônes  , 
pour  s'attacher  le  peuple  de  la  capi- 
tale. Ses  avis  fuient  reçus  avec  ai- 
greur. 11  offrit  de  nouveau  ses  bons 
olïlces  ,  le  jour  des  barricades  ;  et 
Mazarin  ,  qui  n'était  pas  fâché  de 
compromettre  la  popularité  de  son 
ennemi  ,  le  força  de  promettre  aux 
séditieux  la  liberté  du  conseiller 
Rrour.sel,  promesse  qu'il  se  réservait 
d'éluder  quand  l'insurrection  serait 


RET  407 

calmée.  Lecoadjuteur ,  renversépar 
la  foule  ,  blessé  d'un  cou[)  de  pierre, 
n'échappe  à  la  moit  que  par  une 
présence  d'esprit  singulière  :  il  par- 
vient à  dissiper  les  séditieux  et  à  pré- 
venir le  pillage  de  Paris  ;  rapporte 
au  ])alais  royal  les  vœux  de  cette 
nudiilude  désarmée,  et  n'obtient  de 
la  reine  que  ces  paroles  pleines  d'a- 
mertume: .4/^e:;  vous  reposer ,  Mon- 
sieur ;  vous  ai'cz  bien  travaillé^' 
c'était  lui  mettre  les  armes  à  la  m4p* 
Instruit  ,  dès  le  soir  même ,  que  la 
cour  voulait  l'exiler  ou  l'arrêter  le 
lendemain  ,  comme  auteur  de  la 
révolte  :  pressé  par  ses  amis  ,  et 
ne  voyant  de  sûreté  pour  lui  que 
dans  une  nouvelle  émoiion  populai- 
re ,  il  se  laissa  chatouiller  par  ce 
nom  de  chef  de  parti ,  qu'il  avait 
toujours  honoré  dans  les  Fies  de 
Plutarque  ;  et  entraîné  par  l'espoir 
de  couvrir  ,  de  l'éclat  de  son  rôle 
politique  ,  les  dérèglements  de  sa  vie 
privée,  il  dit  à  ceux  qui  partageaient 
sa  fortune  :  «Demain,  avant  qu'il  soit 
midi,jeserai  maître  deP.ais.  »  Quel- 
ques heures  avaient  fait  de  lui  un  fac- 
tieux décidé.  On  peut  voir, à  l'article 
MoMÎ ,  comment  tombèrent  ces  se- 
condes barricades.  La  reine  crut  ré- 
parer l'imprudence  de  sa  conduite  , 
et  rappeler  Gondi  à  la  cour  ,  par  un 
accueil  qu'il  reçut  avec  un  peu  moins 
de  sincérité  que  de  respect  ;  et  IMa- 
zarin  ne  fut  pas  plus  heureux  dans 
SCS  caresses.  Cependantle parlement, 
qui  avait  obtenu  une  déclaration 
royale  favorable  aux  libertés  publi- 
ques ,  s'emportait ,  au  delà  de  toute 
mesure  ,  sur  quelques  infractions 
qu'il  reprochait  à  la  cour.  Coudé  , 
jusque-là  reste  neutre  ,  s'emporta 
à  son  tour  centre  V impertinence  de 
ces  bourgeois  ,  c'étaient  ses  termes  ; 
et  le  siège  de  Paris  fut  décidé.  la- 
coadjutcur  avait  un  pied  daui,  l'abî- 


4o8  rî::t 

me.  Il  accusait  tout  bas  rcirervcs- 
cenco  du  i)arlcmciit ,  et  il  n'osait  ni 
accepter ,  ni  repousser  les  avances 
des  Espagnols  qui ,  accoutumés,  de- 
])uis  Philippe  II ,  à  mettre  la  maiu 
dans  toutes  nos  discordes  ,  épiaient 
la  marche  des  chois  de  la  Fionde  , 
pour  s'en  emparer.  Il  avait  refusé 
les  offres  insidieuses  de  Mazarin 
pour  l'acrjuittement  de  ses  dettes  ; 
mais  il  s'éîait  laisse  éblouir  par  l'es- 
jpr  dugouvernenienî.  de  Paris,  que 
la  cour  ne  lia  montrait  que  pour  le 
perdre  avec  les  Frondeurs.  Nulle  dé- 
ception ne  pouvait  étie  plus  sensible 
au  coadjuleur.  Entré  dans  la  Fronde 
avec  une  ostentation  de  désintéresse- 
ment peu  commune,  il  ne  pardonna 
point  au  miiustre  d'avoir  tûicurc  sa 
popularité  :  mais  celte  leçon  ne  fat 
point  perdue  ;  et  l'histoire  doit  à 
Gondi  ce  témoignage,  qu'il  fut  le  seul 
<jiii  cherchât  ,  dans  ces  troubles  ,  la 
j'épulation  et  non  la  forlune.  Le  dé- 
part de  la  cour  venait  de  lui  ouvrir 
la  carrière.  Jaloux  de  sauver  les  ap- 
parences ,  il  se  (It  arrêter  par  le  peu- 
ple pour  ne  pas  aller  à  Sainl-Gtr- 
main  ;  et  des  ce  moment  il  futranic 
de  tous  les  conciliabules  qui  organi- 
sèrent la  révolte  dans  le  parlement  et 
dans  les  halles.  C'est  dans  ses  Mémoi- 
res qu'il  faut  voir  l'incroyable  acti- 
vité de  cette  politique  tracassicrequi 
gouvernait  Paris  avec  des  sermons  , 
des  aumônes  et  des  couplets.  Le  coad- 
jiiteur  était  ])arlout,  sans  se  montrer 
nulle  j)art.  11  écliaufl'ait  le  peuple  , 
rassurait  les  bourgeois  épouvantés 
d'un  siège  (pie  Condé  commençait 
avecluut  mille  honunes  ,  et  trompait 
la  conscience  monarchique  du  par- 
lement, qu'il  entraîna  par  ses  amis  à 
lever  le  premier  l'elendard,  avant 
même  d'être  appuyé  par  aucun  prince, 
(^eux  (pu  commencèrent  la  Fi  onde  , 
étaient  les  hommes  les  plus  vulgaires 


RET 

de  tout  le  corps.  Tout  se  disait  et  se 
faisait  dans  l'esprit  des  procès.  La 
faction  avait  lesformes, nous  dirions 
presque  la  pédanterie,  de  la  chicane. 
Goudi,  qui  avait  besoin  d'un  nom 
pour  en  imposer  aux  magistrats  et 
aux  troupes  ,  le  trouva  dans  le  prin- 
ce de  Conti,  frèie  du  grand  Condé. 
Ce  n'était  qu'un  enfant  ;  mais  cet  en- 
fant élait  prince  du  sang.  Le  ccad- 
juteur  s'en  était  emparé  par  madame 
de  Longueville  ,  sa  sœur,  l'une  des 
femmes  les  plus  étonnariles  de  cette 
époque  et  de  ce  siècle  ;  et  il  s'était 
promis  que  toute  la  Norm.andic  se 
lèverait  à  la  voix  du  duc ,  son  mari, 
qui  en  était  gouverneur.  Dès  que  la 
révolte  eut  des  chefs  ,  l'agitation  l'e- 
vint  générale.  Les  parlementa  d'Aix 
ei  de  Rouen  s'uidrent  à  celui  de  Pa- 
ris. Plusieurs  des  bonnes  villes  du 
ioyauuie  prirent  les  armes.  Gondi 
fit  nommer,  par  la  grand'-chambre, 
les  généraux  d'une  armée  qu'en  n'a- 
vait pas.  On  décirla  (ju'il  occuperait, 
dans  l'assemblée  des  chandHcs ,  la 
place  de  rarchevê(pje ,  son  oncle  , 
qui  s'était  enseveli  dans  un  de  ses  bé- 
néfices. Le  coadjtiteur  était  depuis 
long-temps  maître  du  ])euple;  mais 
la  mitre  archiépiscopale  ne  pouvait 
paraître  à  la  tête  d'une  émeute.  «  11 
»  me  fallait ,  dit-il ,  un  fantôme  (pie 
»  je  pusse  mettre  devant  moi.  Par 
»  bonheur  pour  moi  ,  il  se  trouva 
-,)  que  le  fantôme  était  pctit-fils  de 
»  Henri  le  Grand,  qu'il  parlait  comme 
»  on  parle  aux  halles  ,  et  (ju'il  eût  de 
»  grands  cheveux  bien  longs  cl  bien 
»  blonds  :  on  ne  saurait  imaginer  le 
»  poids  de  ces  circonstances  ,  et  con- 
»  cevoir  l'eilét  (pi'ellos  firent  dans 
»  le  peuple,  w  Cefanlôme  était  le  duc 
de  Ik-aufort.  En  multipliant  ses  ins- 
liuments,  Gondi  espérait  s'absoudre 
du  reproche  d'avoir dirigéla  révolte. 
Pour  maîtriser  le  parlement^  il  le 


H  ET 

précipita  dans  les  cabales  ,  lui  fit  re- 
fuser d'entendre  A  Lerault  du  roi, 
sous  pre'texte  qu'on  n'envoyait  des 
liéraulls  qu'à  des  ennemis  ou  à  des 
égaux,  et  lit  recevoir,  deux  jours 
après,  un  envoyé  de  l'archiduc,  11 
se  croyait  irréprochable  parce  qu'il 
lie  traitait  pas  lui-même  directement 
avec  l'Esp.igiie.  Du  reste  ,  il  ne  t>e 
faisait  ])as  illusion  sur  l'instalnlité 
des  esprits.  C'est  encore  dans  ses  Mé- 
moires qu'il  faut  voir  toutes  les  res- 
sources de  son  génie  ,  tout  ce  qu'il 
déploya  d'activité  ,  de  présence  d'es- 
prit, de  dextérité,  de  prévoyance 
et  de  supériorité  dans  les  allaires  , 
pour  lutter  au  parlement  contre  l'as- 
cendant de  Mole  et  la  pénétration 
du  président  de  Mesmes;  hors  du 
parlement  ,  contre  les  prétentions 
des  généraux ,  les  rivalités  des  gen- 
tilshommes qui  s'étaient  joints  au 
parti  ,  la  tiédeur  ou  l'égoïsme  des 
bourgeois,  elles  violences  toujours 
aveugles  de  la  multitude.  Deux 
traits  d'une  générosité  remarqua- 
ble ont  honoré  cette  époque  de 
sa  vie  :  il  protégea  ,  contre  la  fu- 
reur du  peuple,  le  chevalier  de  la 
Valette,  i\\n  avait  ordre  de  l'assassi- 
ner, et  s'opposa  hautement  à  la 
vente  des  meubles  et  de  la  l-ibliothè- 
que  du  cardinal. Dans  le  même  temps, 
il  obtenait  du  parlement  un  secours 
pour  la  veuve  de  Charles  I<^''. ,  dont 
la  cour  oubliait  le  dénuement  à  Paris. 
Toul-à  coup  une  réponse  modérée 
de  la  reine,  et  l'influence  de  Mole, 
tournèrent  tous  les  esprits  vers  la 
paix.  Le  parlement  députa  à  Ruel , 
où  était  le  premier  ministre.  Dans 
ces  circonstances  désespérées,  M™*^. 
de  Bouillon  ,  belle-sœur  deTurenne, 
presse  le  coadjuteur  de  s'unir  aux 
Espagnols.  Mais  il  avait  trop  d'ave- 
nir dans  l'esprit  pour  se  séparer  de 
ces  grands   corps  judiciaires  dont 


RET  409 

l'aiitorilé   était  te\k,  qnil  temblait 
(ju'(H>ec  eux  les  jmrticuliers  ne  pou- 
vaient faillir.  Il  ne  voulut  pas  se 
charger ,  dans  la  iicstérité ,  du  re- 
proche d'avoir  livré  Paris  aux  enne- 
mis de  la  France,  pour  devenir  l'au- 
mônier de  Fiiensaldngne  qui  gouver- 
nait les  Pays-Bas  sons  rarchiduc.  11 
refusa  uelleaient  de  soulever  le  peu- 
ple contre  les  magistrats  ;  et .  séduit 
par  l'idée  d'attacher  sou  nom  à  la 
paix  générale,  qui  ét.iit  le  besoin  et 
le  vœu  de  tous  ,  il  proposa  le   seul 
parti  qui  pût  donner  de  la  dignité  à 
la  Fronde  :   c'était  d'y  contraindre 
la  cour  par  la  crainte  de  l'interven- 
tion étrangère,  et  par  l'organe  du 
parlement.  Mais,  cette  fois,  il  ne  per- 
suada point  les  chefs  de  la  Fronde  , 
trop  dominés  par  l'amliition  person- 
nelle, et  ne  put  que  rduser  sa  signa- 
ture au  traité  secret  qu'ils  conclureut 
avec  l'archiduc.  Cependant  les  dépu- 
tés du  parlement  ,  qui, de  leur  coté, 
avaient  signé  la  paix  avec  la  cour  , 
après  l'expiration  de  leurs  pouvoirs, 
faillirent  être  mis  en  pièces  par  le 
peuple.  Le  coadjuteur  couvtit  Mole 
de  son  corps  ;  mais  il  déclara  haute- 
ment qu'il  ne  voulait  point  d'amnis- 
tie ,  et  qu'il  ne  se  réconcilierait  avec 
la  reine  qu'après  l'expulsion  de  Ma- 
zarin.  Tribun  par  choix  ,  mais  trop 
grand  seigneur    pour  aimer   long- 
temps les  mouvements  populaires  , 
dès  qu'il  fut  placé  entre  la  paix  et  la 
nécessité  d'accabler  le  p  irlement  par 
le  peuple ,  il  n'hésita  plus  à  calmer 
les  esprits.  Le  retour  du  roi  à  Paris, 
sembla  son  ouvrage.  Toutefois  il  se 
maintint  dans  une  neutralité  mena- 
çante ,  refusant  avec  (juclque  liaulcuv 
les  libéralités  de  l'Esjiagne  ,  et  pa- 
raissant dédaigner  les  faveurs  de  la 
régente.  ParticeUi  avait  repris  l'ad- 
ministralion    des    linances  ;   et    les 
renies  de  l'hôlcl-dc-villc  ,  les  seuls 


4io 


REï 


fonds  iiuMics  de  ce  temps,  n'avaient 
pas  toujours  c'te  respectées  par  la  fis- 
oaîitcdii  ministre,  J.es  rentiers  récla- 
mèrent,  nommèrent  des  syndics, 
•  invoquèrent  liantcmcnt  la  protection 
du  duc  de  Beaiifort  et  du  coadjuleur. 
Une  partie  des  Frondeurs  crut  entraî- 
ner le  parlement  par  l'assassinat  si- 
mule' de  Joli ,  l'un  des  syndics  ,  de- 
puis secrétaire  de  Gondi  ,  qui  avait 
repousse  vivement  ce  coup  de  parti. 
Mazarin  risqua  ,  le  même  jour  ,  une 
tentalivede  même  nature,  en  faisant 
tirer  sur  le  carosse  de  M,  le  Prince  ; 
ce  qui  produisit  une  bien  autre  com- 
luotiondans  les  esprits.  Le  procureur- 
î^cnëral  accusa  solennellement  le  coad- 
iuteurde  complot  contre  le  premier 
prince  du  sang;  le  président  de  Mcs- 
mcs  rappela  la  conjuration  d'Am- 
boise  :  tous  les  courtisans  crurent 
Gondi  perdu.  Il  parut  inopinément 
devant  les  chambres  assemblées,  ac- 
compaç;nê  d'un  simple  aumônier  ; 
mais  sûr  de  trouver  au  palais  les 
membres  les  mieux  titres  de  sa  fa- 
mille ;  et  relevant  ,  en  très-pen  de 
mots,  mais  avec  noblesse,  l'invrai- 
semblance des  dépositions  produites 
contre  lui,  il  demanda  si  le  coadju- 
teur  de  Paris  pouvait  être  soupçon- 
ne' de  meurtre  sur  les  oui-dires  de 
témoins  brevetés  par  le  cardinal  pour 
accuser  ses  ennemis  ,  et  dont  plu- 
sieurs e'taient  condamnés  à  la  roue  : 
«  Voilà  ,  ajouta-t-il,  tout  ce  que  je 
sais  de  la  moderne  conjuration  (i'Ara- 
boisc.  »  Dès  ce  moment ,  il  fut  absous 
])ar  l'indignation  ])ub!ique.  ftlolé , 
qu'il  avait  lécusé  sans  motif  ;,  n'ob- 
tint qu'une  faible  majoiitc  pour  res- 
ter au  nombre  des  juges.  Plus  de 
([iiatrc-vingls  voix  oj)inèrent  à  con- 
server aux  accuses  la  ])lacc  qu'ils 
occupaient  sur  les  (leurs  de  lis.  Me- 
nacé j»ar  !a  noblesse  qui  formait  le 
cortège  du  piince,le  coadjuleur  ne 


FxET 

niaicîia  plus  au^alais  qu'à  la  têle 
de  cent  cinquaffle  gentilshommes. 
C'est  en  ce  moment  de  crise  que  ses 
amis  le  forcèrent  de  cacher  un  poi- 
gnard sous  ses  habits.  Le  duc  do 
Beaufort  trouva  plaisant  de  le  pu- 
blier ,  en  disant  tout  haut:  «  Voilà  le 
bréviaire  de  notre  archevêque.  »  Pen- 
dant que  Condé  ,  toujours  dupe  de 
la  cour  ,  s'obstinait  à  celte  accusa- 
tion ridicule  ,  Mazarin  concertait  sa 
perle  avec  le  coadjuleur  qui ,  dans  la 
conscience  qu'il  avait  de  sa  force , 
n'hésita  pas  à  se  rendre  ,  la  nuit ,  à 
l'invitation  de  la  reine,  refusa  le  car- 
dinalat qui  lui  fut  offert ,  obtint  ce 
qu'il  voulut  pour  ses  amis,  et  promit 
de  ne  pas  s'opposer  à  l'arrestation 
des  princes.  11  préféra  sa  popularité 
à  de  nouvelles  offres  de  la  régente,  et 
reconnut  bientôt  qu'il  n'y  avait  au- 
cune sùrelé  dans  son  rapprochement 
avec  la  cour.  Calomnié  tout- à -la- 
fois  dans  l'esprit  de  la  reine  et  dans 
celui  des  Frondeurs, par  les  confidents 
les  plus  intimes  du  cardinal  ,  cette 
fausse  ])osilion  pesait  à  l'homme  qui 
avaitbalancéla  fortuncdu  premiermi- 
nislre.  Gaston,  oncle  du  roi  ,quiaAfait 
besoin  d'être  gouverné  ,  venait  de  lui 
abandonner  sa  confiance.  Gondi  s\^n 
servit  vainement  pour  s'opposer  aux 
diverses  translations  des  princes.  Le 
chapeau  qu'on  l'avait  vu  refuserdcux 
fois,  lui  fut,  à  sou  tour,  refusé,  dès 
qu'il  le  demanda.  Persuadé  qu'il  ne 
pouvait  ])Ius  être  que  chef  de  parti 
on  cardinal,  menacé d'aireslation  et 
d'assassinat,  il  s'unit  étioitemenl  à 
la  Palatine;  et  la  liberté  des  princes, 
malgré  la  victoire  de  Rhélcl,  et  mal- 
gré Gaston  lui-même,  fut  le  chef-d'œu- 
vre de  leur  ])olitiquc.  C'est  dans  le 
cours  de  celle  n('gociation  épineuse 
(pie  ,  dénoncé  ofliciellemeul  dans  une 
déclaration  rédigée  par  le  garde des- 
sccaux  Ghàteauneuf  ,  cl  signée  des 


RET 

quatre  sccrctaircs  d'ëtat ,  il  impro- 
visa devant  le  parlement  cette  cita- 
tion si  heiueusc:  In  difficillimis  rci- 
jniblicœ  temporibns  urbem  non  de- 
senii  ;  in  prosperis  nihil  de  publico 
delibavi  ;  in  desperatis  jiihil  timui ; 
et,  sans  autre  apologie  ,  il  conclut  à 
des  remontrances  pour  l'éloignemcnt 
de  IMazarin  ,  qui  n'osa  pas  les  atten- 
dre. Quelque  temps  auparavant  , 
Cromwell  l'avait  fait  souder  par  u;i 
de  ses  aflldes  ;  mais  alors  mê- 
me ,  Gondi  avait  une  liaison  e'troite 
avec  le  comte  de  Montrose  ,  si  célè- 
bre par  son  hc'roïsme  et  son  de'voue- 
ment  aux  Stuarts.  Il  fit  même  accep- 
ter à  Charles  II  un  secours  d'argent 
dans  sou  exil  ;  et  Clarendon  rend 
liommaçie,  daus  ses  Mémoires,  au  res- 
pect  du  coaf.'juteur  pour  cette  royale 
famille.  L'envoyé  du  protecteur  le 
trouva  inaccessible  à  toute  séduction; 
CromT^'ell  dit  publiquement  :  Il  ny 
a  quun  homme  en  Europe  qui  me 
méprise  ;  cest  le  cardinal  de  Retz. 
L'habileté  supérieure  que  celui-ci 
venait  de  déployer  pour  la  cause 
des  princes  ,  ne  put  lui  rendre  leur 
confiance.  Toules  les  conditions  du 
traité  qui  les  avait  délivrés  ,  étaient 
éludées  ou  trahies.  Gondi ,  trop  fier 
pour  se  plaindre,  s'enferme  dans  le 
cloître  de  INotre-Dame  ,  y  loge  une 
foule  de  gentilshommes  dévoués  à  ses 
intérêts  ;  et ,  résolu  de  faire  sentir 
qu'il  peut  encore  redevenir  redouta- 
ble ,  il  s'a])pli(jue  à  regagner  la  con- 
fiance des  peuples  par  sa  régularité 
archiépiscopale.  Lasse  des  hauteurs 
de  M.  le  Prince^  la  reine  ne  tarda 
pas  à  se  rejeter  dans  les  bras  du 
coadjuteur  :  elle  (it  briller  à  ses  yeux 
la  simarre  de  premier  ministre,  qili 
pouvait  éblouir  un  homme  moins 
clairvoyant ,  et  la  pourpre  de  cardi- 
nal que  Mazarin  se  promettait  de  lui 
enlever  par  les  obstacles  ipi'il  prépa- 


RET 


4m 


rait  à  Rome.  Gondi  n'accepta  que  la 
pourpre  ,  et  commença  contre  le 
grand  Condé  une  guerre  de  plume  , 
dont  l'avantage  resta  à  l'ancienne 
Fronde,  sur  l.-.quelle  n'avait  cessé  de 
s'appuyer  !e  coadjuteur.  Harcelé  daus 
le  parlement  parles  amis  de  son  ad- 
versaire, fatigué  au-dehors  par  .'es 
manœuvres  ,  Condé  quitta  un  mo- 
ment Paris  ,  et  n'y  rentra  que  pour 
se  plaindre  au  parlement  des  conseils 
qu'on  donnait contreluiàla  reine. C'é- 
tait désigner  Gondi  aux  soupçons  de 
la  Fronde  et  à  la  haine  du  peuple  de 
Paris.  Le  coadjuteur  enchérit  sur 
ces  plaintes,  et  opina  sur-ie-champ 
à  poursuivre  les  créatures  de  IMazarin, 
et  à  commettre  le  procureur-général 
pour  informer  contre  ceux  dont  les 
conseils  compromettaient  la  sûreté  de 
M.  lePrince. Condé  neput  s'empêcher 
de  sourire  ;  et  cet  avis  passa  tout 
d'uue  voix.  Cette  lutte  singulière, 
qui  plaisait  à  l'esprit  aventureux  du 
prélat ,  ne  pouvait  se  prolonger.  Une 
foule  de  seigneurs  se  pressaient  sur 
les  pas  du  prince  lorsqu'il  mardi. lit 
au  palais.Le  coadjuteur,  fort  de  la  pro- 
tection de  la  reine,  se  vanta  de  ne  cé- 
der le  pavé  qu'auroi. C'est  dans  unede 
ces  rencontres  que ,  vaincus  par  les 
prières  et  les  AcrtusdelMolé,  le  prélat 
et  le  prince  allèrent  inviter  leurs  amis 
à  ne  pas  assiéger  le  temple  de  la  jus- 
tice. Gondi,  comme  il  rentrait  dans 
le  vestibule  de  la  grand'chambre,  se 
trouva  pris  entre  les  deux  battants 
de  la  porte;  et ,  s'il  faut  l'en  croire, 
le  duc  de  la  Rochefoucauld  ,  qui  le 
tenait  serré  dans  cette  position,  don- 
na ordre  de  le  tuer.  La  Rocliefou- 
cauld  s'en  défend,  dans  ses  ]\Iénioi- 
res  :  peut-être  ne  fut-ce  qu'une  me- 
nace. Quoi  qu'il  en  soit,  le  coadju- 
teur était  perdu,  si  Champlalreux. 
fils  d'j  président  Mole  ,  ne  l'eût 
tiré  des  mains  de  ce  duc.  Ce  service 


4ia  RET 

le  pciidtra  de  reconnaissance  ;  et  , 
quand  Mole  vint  le  prier,  au  nom 
de  la  nine,  de  cesser  d'exposer  sa 
vie  ,  en  ne  reparaissant  plus  au  pa- 
lais ,  ils  se  jurèrent  amitié;  et  depuis 
ils  se  liîîrent  parole.  Cependant  Gon- 
dé  se  laissait  entraîner  à  'la  guerre 
civile;  et  la  cour,   pour  éclairer  de 
plus  près   ses  mouvements  ,   se  di- 
rigea vers  la  Guienne.  Ui)e  des  plus 
grandes  faules  du  coadjuteur  est  de 
n'avoir  pas  prévenu  ce  voyage  ,  qui 
alFrancliit  la  rpine  de  la  crainte  des 
Parisiens  ,  et  ramena  IMazarin  à  la 
tête  du  conseil.  Aigri  contre  la  reine, 
mais  irréconciliable  avec  le  ministre', 
Gondi  fut  réduit  à  un  rôle  tempori- 
seur  et  équivoque,  le  plus  contraire 
à  son  génie,  en  fondant  ce  qu'on  ap- 
pela le  tiers  -  parti ,  qui  repoussait 
toute  alliance  avec  Condé  et  avec 
Mazarin.  Il  espérait  sauver  sa  popu- 
larité, sans  compromettre  ses  espé- 
rances à  la  pourpre;  car  sa  nomina- 
tion n'était  pas  encore  sanctionnée 
par  le  pape.  Mais  il  ne  put  dominer 
l'indécision  deceuxqiii  s'étaient  juints 
a  lui;  et,  dans  un  accès  de  découra- 
gement, il  dit  k  Gaston  :  Fausserez 
fils  de  France  à  Blois ,  et  moi  car- 
dinal à  Fincennes.  Ce  mot  se  trou- 
va prophétique  Saforlune,bf>aucoup 
plus  que  son  adresse,  lui   donna  le 
chapeau  ,  malgré  Mazarin.  11  saisit 
cette  occasion  pour  cesser  de  se  mon- 
trer au  parlement  ;  et ,  menacé  d'en- 
lèvement par  les  amis  des  princes  et 
par  Condé  lui-même,  il  se  cantonna 
dans  son  archevêché,  et  songea  un 
moment  à  s'ensevelir  dans  ses  digni- 
tés et  dans  l'inaction.  Ses  amis  ,'qui 
avaient  toujours  spéculé  sur  son  im- 
J)orlance  politique  ,  lui  (ircnt  honte 
de  reculer  devant  le  premier  prince 
du  sang.  Gondi  décocha  contre  lui 
de  nouveaux  pamphlets,  aujourd'hui 
compiclcmcnt  oublies,  malgré    les 


RET 

noms  do  Portail  et  de  Patru  ,  les  ora- 
cles du  barreau,  qui  prêtèrent  leur 
plume  et  leur  réputation  au  coadju- 
teur. Celte  petite  guerre  fut  termi- 
née par  une  députation  solennelle  de 
tout  le  clergé  de  Paris  à  Louis  XIV, 
pour  le  prier  de  revenir  à  Paris.  Le 
cardinal  de  Retz  eut  tout  l'honneur 
de  cette  démarche;  et  la  cour  fît  les 
olfres  les  plus  brillantes,  pour  obte- 
nir qu'il  s'éloignât ,  avec  le  titre  d'am- 
bassadeur à  Rome.  Obsédé  par  ses 
amis  ,  il  demanda  pour  eux  davan- 
tage. Tout  ce  qui  lui  donnait  un  air 
de  hante  lutte  l'entraînait  à  son  insu; 
et,  pendant  qu'il  s'amusait  à  négo- 
cier avec  des  ministres  qu'il  bravait, 
il  fut  arrêté  au  Louvre^  le  it)  décem- 
bre i652,  s«ns  que  le  peuple,  las  de 
la  guerre  civile  ,  prît  la  moindre  at- 
titude de  résistance.  Son  père,  reti- 
ré, depuis  plus  de  vingt  ans,  à  l'O- 
ratoire, dont  il  avait  adopte  la  rè- 
gle ,  fut,  contre  toute  justice  ,  enve- 
loppé dans  sa  disgrâce.  Le  cardinal 
fut  enfermé  à  Vincinues  ;  on  n'oublia 
rien  pour  lui  rendre  sa  prison  insup- 
portable. Il  n'obtint  sa  translation 
au  château  de  Nantes  qu'en  donnant 
sa  démission  de  l'archevcché  de  Pa- 
ris ,  dont  la  mort  de  sou  oncle  le 
laissait  le  maître.  L'histoire  ofl're  j)eu 
d'exemples  d'une  évasion  aussi  har- 
die que  la  sienne.-  Il  se  sauva  à  la  vue 
de  ses  gardes,  résolu  d'aller  à  Paris 
se  concerter  avec  le  parti  de  IM.  le 
prince ,  et  de  s'emparer  des  cir- 
constances. La  fortune  de  Mazarin 
le  sauva  de  ce  péril.  Une  chute  de 
cheval  força  le  cardinal  de  Retz  de 
se  réfugier  en  Espagne,  d'où  il  partit 
pour  Rome,  sans  vouloir  traiter  avec 
le  cabinet  de  Madrid.  11  parut  avec 
honneur  dans  le  conclave,  soutint 
partout  sa  dignité  ,  malgré  les  car- 
dinaux attachés  à  la  France,  et  dé- 
cida l'élection  du  pape  Alexandre 


RET 

Vil.  Il  avait  révoqué  sa  démission  , 
avant  de  quitter  la  France  ;  et  les  der- 
nières années  de  sa  carrière  arcliié- 
piscopale  se  consumèrent  à  maintenir 
ses  grands  vicaires  dans  l'adminis- 
tration de  son  diocèse  ,  en  dépit  des 
efforts  de  la  cour.  Il  mena  long- 
temps ,  en  Hollande  et  dans  les  Pays- 
Bas  ,  une  vie  errante  ,  poursuivi  par 
la  haine  de  Mazarin  ,  qu'il  menaçait 
encore ,  dit  Bossr.ct,  de  ses  tristes  et 
intrépides  regards.  Il  vit,  à  Bruxel- 
les ,  le  roi  Charles  II  et  le  grand 
Condé,  et  ne  se  démit  de  son  ar- 
chevêché qu'après  avoir  stipulé  pour 
les  intérêts  de  tous  les  amis  qui 
lui  étaient  restés.  Louis  XIV  lui  don- 
na en  échange  l'abbaye  de  Saint-De- 
nis et  quelques  autres  avantages  , 
et  lui  fit  même  l'honneur  de  le  con- 
sulter et  de  suivre  son  avis  pour 
la  réparation  de  l'insulte  faile  au 
comte  de  Ciéqui  ,  son  ambassa- 
deur. Cependant  il  l'admit  assez  tard 
en  sa  présence,  le  reçut  avec  froi- 
deur, et  le  renvoya  à  Rome,  où  le 
conclave  allait  s'as>cmbler  pour  l'é- 
lection de  Clément  IX.  Ce  fut  le  der- 
nier acte  de  la  vie  politique  du  car- 
dinal. Sa  vie  privée  fut  encore  plus 
étonnante;  et  la  retraite  qui  la  cou- 
ronna ,  fut  la  plus  éclatante  de  tou- 
tes ses  actions.  Il  vendit  généreuse- 
ment ses  deux  souverainetés  ,  se  ré- 
servant à  j)eine  vingt  mille  livres  de 
rente,  et  abandonnant  le  reste  de  sa 
fortune  à  ses  créanciers.  C'est  ainsi 
qu'il  acquitta  onze  cent  dix  mille 
écus  de  dettes  (  plus  de  quatre  mil- 
lions de  notre  monnaie  ) ,  sans  re- 
noncer au  plaisir  de  créer  des  ]/en- 
sions  pour  ceux  de  ses  ainis  qui  en 
avaient  besoin.  Il  fixa  sa  demeure  à 
Saint-Mihiel  en  Lorraine,  où  il  r<f- 
digea  ses  Mémoires  ,  pour  satisfaire 
aux  iustances  de  ceux  qui  lui  étaient 
attachés.  Sorti  un  moment  de  sa  re- 


RET 


4i3 


traite  pour  retourner  à  Rome,  il  ne  fut 
pas  étrangerà  l'exaltationdeClément 
X,  et  revint  à  Paris  ,  où  il  étonna  ses 
amis  mêmes ,  à  force  de  piété,  de 
désintéressement  et  de  bienfaisance. 
T\[me_  deSévigné,  qui,  dans  ces  der- 
niers temps,  jouit  plus  que  d'an  très,  de 
la  douceur  et  de  la  sûreté  de  son  com- 
merce ,  loue  avec  entraînement  les 
charmes  de  sa  conversation,  l'éléva- 
tion deson  caractère,  sa  bonté,  sa  mo- 
dération, ses  habitudes  paisibles  et 
bienveillar  tes.  1!  avait  voulu  deux  fois 
renvoyer  la  pourpre,  par  humilité 
chrétienne;  mais  le  pape  lui  défen- 
dit d'insister.  Il  mourut  à  P.iris  ,  le 
u4  août  '679,  honoré  des  larmes 
de  ses  amis  ,  et  béni  jiar  ses  domes- 
tiijues  et  par  les  pauvres. On  afaitet 
refait  bleu  des  fois  son  portrait;  mais 
ceux  qui  l'ont  peint,  éiaicnt  presque 
tous  des  hommes  prévcntfs ,  et  par 
conséquent  suspects.  Le  président 
HénaullIecomparctour-à-touràCicé- 
ron  ,  avec  lequel  il  n'eut  rien  de  com- 
mun, et  à  Catilina  ,  auquel  il  ne  res- 
semblait guère  davantage.  Toutefois 
la  postérité  a  retenu  plusieurs  des 
traits  sous  lesquels  il  trace  la  physio- 
nomie politique  du  cardinal  :  a  Esprit 
»  hardi,  délié,  vaste  et  un  peu  roma- 
»  nesque;  cherchant  quelquefois  <à  se 
»  faire  un  mérite  de  ce  (pi'il  ne  de- 
))  vait  qu'au  hasard,  et  ajustant  sou- 
»  vent  après  coup ,  les  moyens  aux 

»  événements  ; magnifique,  bel- 

»  esprit,   turbulent,  ayant  plus  de 

»  saillies  que  de  suite; déplacé 

«dans  nue  monarchie,  et  n'avau' 
»  pas  ce  qu'il  fallait  pour  être  repa- 

»  blicain .'.  Ce  qui  est  ctonn;inf 

»  c'est  que  cet  homme,  sur  la  i4  dn 
»  sa  vie,  n'était  plus  rietî  le  t0"t  o.- 
»  là,  et  qu'il  devint  dou:^  .  t.anquii- 
»  le,  sans  intrigue,  «^  l'amour  le 
«  tousles honnêtes geus deson  emps, 
»  comme  si  toute  son  ambition  d'au- 


4i4  RET 

»  Irefois  n'avait  e'ic  qii^unc  debaii- 
»  che  d'esprit  et  de  ces  toms  dejeu- 
»  ncssc  ,  dont  on  se  corrige  avec 
»  l'àgo.  M  L'hisloii'c  impartiale  doit 
recueillir  aiis^i,  sur  ce  personnage  ex- 
traordinaire, quelques-uns  des  sou- 
venirs du  duc  de  la  Rocliefoucauld , 
qui,  comme  ou  sait ,  ne  flattait  pas 
les  liommes  ,  et,  comme  on  l'a  vu  , 
n'était  pas  de  ses  amis.  «  Paul  de 
»  Gondi,  dit  l'auteur  des  yl/«.nmei, 
»  a  beaucoup  d'e'levatiou,  d'étendue 
»  d'esprit,  et  plus  d'ostentation  que 
»  de  vraie  grandeur  de  courage.  Il  a 
»  une  mémoire  extraordinaire,  plus 
»  de  force  que  de  politesse  dans  ses 
»  paroles,  l'humeur  facile  ,  de  la 
»  docilité  et  de  la  faiblesse  à  souffrir 

»  les  reproches  de  ses  amis Il 

f)  parait  ambitieux  sans  Vélre  ;  la 
»  vanile  lui  a  fait  entreprendre  de 
!)  grandes*choses,  presque  toutes  op- 
)>  pose'es  à  sa  profession.  Il  a  susci- 
»  té  les  plus  grands  désordres  dans 
1)  l'état ,  sajis  dessein  formé  de  s'en 
»  préi'aloir;  et  ,  bien  loin  de  se  dé- 
»  clarer  l'ennemi  de  Mazarin  ,  pour 
»  occuper  sa  place ,  il  n'a  pensé  qu'à 
»  lui  paraître  redoutable  ,  et  à  se  flat- 
»  ter  de  la  fausse  vanité  de  lui  être  op- 
M  posé.  Il  a  souffert  sa  prison  avec 
j)  fermeté ,  et  n'a  dû  sa  liberté  qu'à 

»  sa  hardiesse 11  est  entré  dans 

»  divers  conclaves  ;  et  sa  conduite  a 
))  toujours  augmenté  sa  réputation. 
»  Sa  petite  naturelle  est  l'ois. vctc;  il 
»  travaille  avec  beaucoup  d'activité 
»  dans  les  affaires  qui  le  pressent,  et 
»  se  repose  nonchalamment  dès  qu'el- 
»  les  sont  ruùes...Gequia  le  pluscon- 
»  tribué  à  sa  réputation  ,  est  de  sa- 
»  voir  donner  un  beau  jour  à  ses  dc- 

»  fauts Incapable  d'envie  et  d'a- 

»  varice,  il  a  plus  emprunté  de  ses 
»  amis  qu'un  particulier  ne  pouvait 
»  espérer  de  leur  rendre.  Il  a  senti  de 
)»  la  vanité  à  trouver  tant  de  crédit, 


RET 

»  et  à  entreprendre  de  s'acquitter.  » 
On  ne  saurait  trop  louer  sa  fidélité 
dans  ses  engagements  politiques.  Il  a 
changé  plusieurs  fois  de  parti,  et  n'eu 
a  trahi  aucun.  Peu  d'hommes  ont  su 
mieux  concilier  la  passion  des  affai- 
res et  celle  des  plaisirs.  Tout  ce  qui 
e'tait  hasardeux  lui  plaisait  ,  par 
le  danger  même ,  au  premier  coup- 
d'œil  ou  au  second  ;  mais  ceux  qui 
n'ont  vu  en  lui  qu'un  révolutionnai- 
re ,  n'ont  étudié  ni  son  caractère  ni 
sa  conduite.  Des  amis  comme  Tu- 
renne  ,  Lamoignon  ,  et  Mole  lui-mê- 
me, répondent  à  bien  des  accusa- 
tions. Ils  prouvent  assez  que  sou 
grand  tort  fut  d'avoir  été  jeté,  par 
sa  famille ,  hors  de  sa  sphère  natu- 
relle. Pour  avoir  l'esprit  de  sa  posi- 
tion sociale,  il  lui  manquait  surtout 
les  vertus  de  son  état.  On  a,  du  car- 
dinal de  Retz,  outre  un  grand  nom- 
bre de  brochures  ,  qui  n'ont  pas  sur- 
vécu aux  circonstances  :  la  Conjura- 
tion de  Fiesque ,  traduite,  en  partie, 
de  Mascardi,  avec  plus  de  maturité  de 
style  qu'on  n'en  pouvait  attendre  de 
son  âge.  La  France  n'avait  alors  aucun 
morceau  historique  qu'elle  pût  com- 
parer à  celui-là ,  pour  le  nerf  de  la  dic- 
tion ,  qui  a  néanmoins  un  peu  vieilli. 
Il  y  a  long-temps  que  tout  est  dit  sur 
ses  Mémoires  ^  écrits,  dit  Voltaire, 
avec  un  air  de  grandeur  ,  une  impé- 
tuosité de  génie  et  une  iuégalilé,  qui 
sont  l'image  de  sa  conduite;  son  ex- 
pression,  quelquefois  incorrecte,  sou- 
A'ent  négligée,  mais  presque  toujours 
originale,  raj>pclle  sans  cesse  à  ses 
lecteurs  ce  qu'on  a  répété  tant  de 
fois  des  Commentaires  de  César  : 
Eodeni  anima  scripsit  rjun  hellavil. 
Le  désordre  et  les  longueurs  de  la 
composition  ne  nuisent  point  à  l'in- 
térêt, parce  que,  sous  la  plume  du 
cardinal,  ils  font,  pour  ainsi  dire, 
partie  de  la  vérité  du   récit.  Aussi 


I 


RRT 

ce  livre  esl-il  rcsle  un  livre  à  part, 
dans  la  foule  des  Mémoires  qui  gros- 
sissent les  matériaux  de  l'histoire 
de  France.  Il  ne  faut  pas  perdre  de 
vue  que  lagloirc  d'ëcrivainsiipcrieur, 
qui  lui  est  si  jnstcmcnt  restée,  est, 
comme  l'obseive  Laharpe,  celle  à 
laquelle  iIsonc;eait  le  moins, et  qu'il 
adresse  ses  Mémoires  à  une  amie, 
comme  une  confidence  épistolaire. 
On  a  trop  insisté  sur  les  antithèses  de 
quelques -unes  de  ses  portraits,  sur 
la  partialités  de  quelques  autres.  Dans 
une  causerie  pleine  de  feu,  de  sail- 
lies, et  de  traits  qui  révèlent  une 
force  de  tète  peu  commune,  il  était 
excusable  de  ne  point  parler  froide- 
ment de  ses  contemporains.  Person- 
ne ne  conteste  qu'il  n'ait  eu  a  un  haut 
déi:;ré  le  talent  de  raconter  et  de  pein- 
dre. Aussi  son  livre  est-il  resté  un 
livre  à  part  dans  la  foule  des  IMé- 
moires  qui  grossissent  les  maîériaux 
de  l'Histoire  de  France.  Il  parut  pour 
la  première  fois,  en  1717;  on  l'a 
souvent  réimprimé  depuis  avec  les 
Mémoires  de  Joly,  et  de  la  duches- 
se de  Nemours  (  G  vol.  in- 12  \  Les 
légères  lacunes  qui  s'y  trouvent  se 
rapportent  aux  galanteries  du  cardi- 
nal. Son  confesseur  exigea  de  lui  le 
sacrifice  de  tous  les  passages  dont  la 
publication  pouvait  être  un  scandale 
public.  Dans  ses  Recherches  his- 
toriques sur  le  cardinal  de  Betz  , 
publiées  en  1807  ,  M.  de  IMus- 
sct-Pathay  a  tenté  de  le  justifier 
d'une  partie  des  reproches  qui  pè- 
sent sur  sa  vie  politique.  M.  Le- 
montey  a  publié  dans  la  Galerie 
Jrflnçv/tVe  deux  Notices  j;>!cines  d'a- 
perçus ingénieux  sur  le  cardinal  de 
Retz  et  sur  I\I'"<^.  de  Longucvillc. 
Adr.  Lezay-  Marncsia  a  publié  des 
Pensées  choisies  du  cardinal  de 
Rrtz(  r.  Lezav  ,  XXIV,  406  ). 
F — T  i. 


REU 


4K) 


REUCHLIN  (  j£AN  ) ,  philologue 
allemand ,  naquit ,  en  1 455,  à  Pforz- 
hcim,  alors  résidence  du  margrave 
de  Bade,  de  parents  honnêtes  et  très- 
attentifs  à  l'éducation  de  leui  s  enfants. 
Il  apprit,  à  l'école  de  cette  ville,  tout 
ce  qu'on  enseignait  à  cette  époque. 
Son  goût  pour  le  chaut  le  fit  placer 
parmi  les  enfants  de  chœur  de  li? 
chapelle  du  margrave.  Charjné  de  ses 
progrès  dans  la  grammaire,  ce  prince 
l'attacha  à  son  fils  Frédéric,  qui  fut 
dans  la  suite  évêque  d'Utreclit.  Dans 
le  voyage  que  le  jeune  margrave  fit  à 
Paris,  en  i473,  Reuchlin  l'accom- 
pagna ,  et  y  continua  ses  études  sous 
Jean  de  Lapierre,  qui  enseignait  la 
grammaire,  sous  Guillaume  Tardif 
et  Robert  Gaguiu,  qui  donnaient  des 
leçons  de  rhétorique,  et  sous  Gré- 
goire Typhernas  ,  professeur  de 
grec.  Obligé  de  retourner  en  Allema- 
gne à  la  suite  de  son  patron ,  il  re- 
vint aussitôt  à  Paris,  où  il  reprit  ses 
études  de  langue  giccquc,  sous  Hcr- 
monymede  Sparte,  qui  avait  succé- 
dé à  Grégoire  Typhernas.  N'avant 
plus  son  protecteur,  il  fut  réduit  à 
copier  des  livres  grecs  pour  subve- 
nir aux  frais desonséjour.  Eu  i474i 
il  se  rendit  à  Bâle,  et  s'y  fit  recevoir, 
trois  ans  api'ès.  docteur  en  philoso- 
phie. Les  fréquentes  conférences  qu'il 
eut  dans  cette  ville  avec  Andronic 
Contoblacas  ,  le  fortifièrent  dans  la 
langue  grecque  ;  il  l'apprit  si  bien, 
qu'il  fut  en  état  d'en  donner  des  le- 
çons publiques.  Il  mit  également  à 
profit  la  bienveillance  de  Jean  VVc- 
sel  de  Groningue,  avec  lequel  il  se 
lia  d'amitié;  et  il  apprit  de  lui  les  élé- 
ments de  la  langue  liébraïque.  Yera 
le  mcmc  temps,  il  lédigea,  pour  le 
fameux  imprimeur  Amcrbach ,  quel- 
ques ouvrages  destinés  à  rinstrucliou 
dclaicuncss'^.  En  1478, son  penchant; 
irrésistible  pour  les  sciences  le  r.imc- 


4i6  REU 

na  en  France.  Il  étudia  le  droit  à  Or- 
léans ,  tout  en  y  donnant  des  leçons 
de  p;rcc  ,  dont  le  produit,  assez  con- 
sidérable, suffisait  lionorableracnt  k 
son  entrelien.  De  là,  il  vint  à  Poi- 
tiers, où  il  obtint ,  le  i4  j"'"  '4^'  ^ 
un  diplôme  de  licencié  en  droit,  avec 
la  fac'iltc  expresse  de  se  faiie  rece- 
voir docteur  partout  où  il  voudrait. 
Le  9  décembre  suivant,  Reuchlin  se 
fit  inscrire  sur  les  matricules  de  l'uni- 
versité de  Tubingue,  dans  l'intention 
de  prendre  le  bonnet  de  docteur,  et 
peut-être  aussi  dans  l'espoir  d'obte- 
nir une  place  que  son  mérite,  déjà 
connu,  lui  donnait  droit  d'attendre. 
Cependant  il  se  mit  à  exercer  la  pro- 
fession d'avocat  au  barreau  de  cette 
ville.  Une  circonstance  assez  singu- 
lière ne  tarda  pas  à  le  produire  sur 
un  autre  théâtre.  Des  envoyés  du  pa- 
pe attendaient  à  Tubingue  une  ré- 
ponse au  nom  de  leur  maître.  Le 
cbancelierde  l'université  fut  chargé 
de  la  faire:  mais  la  manière  barbare 
dont  il  prononçait  le  latin ,  empêcha 
de  l'entendre.  Les  nonces  protestè- 
rent que  le  discours  du  chancelier 
ne  pouvait  passer  pour  une  réponse. 
Dans  cet  embarras ,  quelques-uns  des 
assimilants  déclarèrent  que  Reuchlin 
parlait  et  prononçait  parfaitement  la 
langue  laiine,  et  que  lui  seul  pouvait 
répondre.  On  appela  Pieuchlin  ,  qui 
s'acquitta  très-bien  de  la  commis- 
sion dont  il  était  chargé.  Cette  anec- 
dote, racontée  par  Gasjiar  Bûcher, 
n'est  pas  en  tout  conforme  au  ré- 
cit de  Mélanchlhon,  parent  de  Reu- 
chlin. Quoi  qu'il  en  soit,  Eberhard, 
alors  comte  de  Wurtemberg,  cl  de- 
puis duc  de  Suuabc,  cnchantédc  l'es- 
prit et  des  talents  de  Reuchlin,  le 
piit  avec  lui  eu  qualité  de  secrétai- 
re intime,  dans  le  voyage  qu'il  lit 
à  Rome,  en  1482.  Ce  docte  phi- 
lologue visita  les  monuments  de  la 


RED 

capital*  du  mondechrctien,  des  prin- 
cipales villes  d'Italie,  et  notamment 
de  Florence,  qui  était  devenue  l'a- 
sile des  sciences  et  des  arts ,  pros- 
crits de  l'ancienne  Grèce.  Il  mit 
encore  plus  d.'empressemenl  à  voir 
les  savants  qui  illustraient  ces  con- 
trées :  George  Vespuce,  Ange  Po- 
litien,  Marcile  Ficin ,  Démétrius 
Chalrondyte  et  Hermoîaùs  Barba- 
re. On  prétend  que  ce  dernier  lui 
conseilla  de  se  faire  appeler  Cap~ 
nion  ,  espèce  de  traduction  grecque 
de  son  nom  allemand  (i).  Reuchlin 
reçut  partout  1  accueil  le  plus  flat- 
teur; sa  réputation  l'avait  devancé, 
et  lui  avait  préparé  les  voies.  La 
cour  de  Florence  se  distingua  par  sa 
courtoisie;  elle  grand-duc,  Laurent 
le  IMagnifique,  lui  donna  des  témoi- 
gnages d'une  estime  toute  particuliè- 
re. A  son  retour  en  Allemagne,  il 
s'établit  à  Sîuttgard,  auprès  du  duc 
Ebherard.  En  1484^  il  fut  nomme' 
assesseur  de  la  cour  suprême;  et  l'an- 
née suivante ,  il  prit ,  à  Tubingue  ,  le 
degré  de  docteur.  On  l'envoya,  en 
i486,  à  la  dicte  de  Francfort  ;  et,  en 
14B7,  au  sacre  de  l'empereur  Fré- 
déric III.  Plus  tard,  il  fut  employé 
])0ur  concilier  les  différends  qui  s'é- 
taient élevés  entre  le  duc  Eldierard  et 
son  frère  de  même  nom.  Cependant, 
en  1 490,  son  traitementannuel n'était 
encore  que  de  quatre-vingt  dix  flo- 
rins, quoiqu'il  eût  la  promesse  d'une 
augmenta  lion  dans  quatre  ans.  En 
1 49'-i .  on  le  chargea  de  négocier  au- 
près de  l'empereur  la  raîilicatiitn  de 
la  transaction  d'Esling.  11  obtint  tout 
le  succès  quon  espérait;  et  la  tran- 
saction fut  ratifiée  le  18  octobre. 
Pour  lui  témoigner  sa  satisfaction  , 
l'empereur  lui  conféra  le   titre  de 


(I^  Jitviirhlin  rst  lin  diiniiiiilir  du  mot  ntlrninnd 
liaucli,  qui  ni^niiti: Juin  h; 


REU 

comte  palatin ,  avec  la  noblesse  , 
iransmissible  à  ses  descendants  : 
raais  cet  honneur  lui  fut  purement 
personnel,  puisqu'il  ne  laissa  pas  de 
postérité.  Reuchlin  profita  de  son 
séjour  à  la  cour  impériale  pour  ac- 
croître ses  connaissances  dans  la 
langue  hébraïque,  en  prenant  des  le- 
çons du  juif  Jacob  Jecliiel  Loans , 
médecin  de  l'empereur.  On  remar- 
quecomme  une  preuve  de  son  amour 
pour  la  littérature  hébraïque,  et  de 
la  haute  faveur  dont  il  jouissait  au- 
près du  chancelier  d'Autriche ,  le 
présent  qu'on  lui  Ht  d'une  Bible  ma- 
nuscrite, estimée  trois  cents  florins 
par  Mélanchthon.  Amené  à  la  diète 
de  Worms,  par  le  duc  Ebheraid  , 
il  se  distingua  parmi  les  savants 
qui  brillaient  à  la  cour  de  ce  prince. 
Après  la  mort  d'Ebherard,  Reuchlin 
se  retira  des  aii'aires  ,  pour  éviter 
des  persécutions  qu'il  prévoyait  de- 
voir essuyer  de  la  part  des  ministres 
du  nouveau  prince.  Heidelberg  lui 
offrit  un  asile;  et  jouissant  de  toute 
la  faveur  de  l'évêque  de  Worms  , 
chancelier  de  rélecteur  palatin  ,  il 
trouva  ,  dans  sa  riche  bibliothèque, 
tous  les  secours  qu'il  pouvait  desii  er 
pour  ses  travaux  littéraires.  Il  v 
composa  une  satire  très-mordante 
contre  Holzinger,  moine  augustin  , 
qu'il  avait  autrefois  fait  mettre  en 
prison,  et  qui,  depuis  l'avènement 
d'Ebherard  II  ,  était  devenu  son 
persécuteur  le  plus  acharné;  mais  il 
ne  la  publia  pas.  L'électeur  palatin 
avait  alors  quelques  démêlés  a^ec  les 
moines  de  Weissembourg:  ceux-ci 
euient  recours  au  Saint-Sicgc,  qui 
nomma  des  coramissaii  es  pour  l'exa- 
men de  l'affaire.  Le  prince  ne  voulut 
pas  reconnaître  leur  juridiction,  et 
refusa  de  se  justifier  :  d'après  sou  re- 
fus de  comparaître,  il  fut  déclare 
coupable,  et  excommvmic.  11  envoya 
xxxvu. 


REU 


417 


Reuchlin  à  Rome,  comme  la  per- 
sonne la  plus  propre  à  défendre  ses 
intérêts.  Le  7  août  1/Î98,  ce  savant 
homme  prononça,  devant  le  pape  et 
les  cardinaux,  un  discours  dans  le- 
quel il  demandait  la  levée  de  l'excom- 
munication, et  le  renvoi  de  l'affaire 
au  tribunal  de  l'empereur  et  des 
princes  de  l'empire ,  seuls  juges  com- 
pétents. Ce  Discours,  écrit  avec  beau- 
coup de  sagesse  ,  de  force  et  de  di- 
gnité ,  obtint  l'approbation  la  plus 
générale.  Reuchlin  ne  négligeait  au- 
cune occasion  de  s'instruire:  ayant 
rencontré  à  Rome  le  rabbin  Abdias 
Sporno  ,  il  le  prit  pour  maître  d'hé- 
breu. Ou  assure  qu'il  donnait  ua 
florin  pour  chaque  leçon  d'une  heure. 
Il  y  vil  aussi  le  savant  Argyropule 
qui  ,  ne  pouvant  comprendre  qu'un 
Allemand  parlât  la  langue  grecque 
avec  tant  de  pureté  ,  s'écria  un  jour  : 
Grœcia  iwstra  exilio  transvolavit 
^Z/7e5.  Pendant  l'absence  de  Reuchlin, 
il  était  arrivé  de  grands  changements 
dans  le  gouvernement  de  Souabe  - 
Ebherard  II  avait  cédé  la  souverai- 
neté au  jeune  Ulrich  ,  son  neveu  et 
avait  nommé  un  conseil  de  régence 
pour  gouverner  jusqu'à  la  majorité' 
du  nouveau  souverain.  Ce  conseil 
était  composé  d'anciens  serviteurs 
d'Ebherard P'.Reuchlin n'ayant  plus 
rien  à  redouter  de  la  haine  d'Holzin- 
ger  ,  revint  à  Stuttgard  ,  laissajit 
sa  femme  à  Heidelberg.  Aussitôt 
après  son  arrivée,  il  fut  envoya' 
en  ambassade  vers  l'empereur  Maxi- 
milien,  qui  était  à  Inspruk.  La  \\<^\xq 
de  Souabe,  renouvelée  en  i5oo 
avait  été  partagée  en  trois  classes  : 
la  première,  composée  de  l'empereur 
comme  archiduc  d'Autriche,  des 
électeuis  et  des  princes  ;  la  seconde  , 
des  prélats ,  des  comtes  et  des  ba- 
rons ;  la  troisième,  des  villes  impé- 
riales. Chaque  classe  devait  nommer 
9.7 


4i8  REU 

un  juge  pour  former  un  tribunal 
chargé  de  terminer  les  différends  qui 
surviendraient  entre  les  membres  de 
la  ligue:  le  lien  où  devait  siéger  ce  tri- 
bunal était  laisse'  au  choix  des  deux 
premières  classes.  Tubingue  jouit  de 
l'avantage  de  le  posséder  pendant 
douze  ans.  En  1 5o2,Reuclilin  fut  nom- 
me' par  la  première  classe  ,  aA'ec  un 
traiteraentannuel  de  200  florins.  11  oc- 
cupa cette  place  pendant  onze  ans  ,  à 
la  satisfaction  de  tout  le  monde  ,  et 
avec  beaucoup  d'agrément  pour  lui- 
même.  Il  était  établi  à  Stuttgard,  où 
il  avait  sa  maison,  son  jardin,  sa 
bibliothèque  ;  les  fréquents  voyages 
qu''il  était  tenu  de  faire  à  Tubingue , 
lui  étaient  faciles  et  agréables  ;  il  s'y 
trouvait  au  milieu  de  ses  admirateurs 
et  de  ses  amis.  Mais  lorsque  le  tribu- 
nal de  la  ligue  fut  transféré  à  Augs- 
bourg,  tous  ces  avantages  s'évanoui- 
rent; et  Keuchlin .  ne  pouvant  en  sup- 
porter la  perte  ,  donna  sa  démission. 
Cependant  un  orage  violent  grondait 
déjà  sur  sa  tête.  Un  juif  de  Cologne  , 
nommé  Pfeffcrkorn  ,  qui  s'était  fait 
baptiser,  obtint  de  l'empereur,  un  édit 
pour  faire  brûler  tous  les  livres  juifs 
qui  contiendraient  quelque  chose  de 
contraire  à  la  religion  chrétienne. 
Cet  édit  est  daté  du  19  août  iSog. 
Il  y  est  enjoint  à  tous  ceux  qui  peu- 
vent avoir  de  ces  sortes  de  livres  ,  de 
les  portera  la  maisondcvillede  leur 
habitation  respective  ,  et  de  les  sou- 
mettre à  l'examen  de  Pfeffcrkorn  , 
assisté  du  pasteur  et  des  principaux 
habitants  du  lieu.  Le  zélé  personnage 
se  rendit,  en  if)io,à  Stuttgard,  et 
engagea  Keuchlin  à  faire  une  toui- 
nc'e  avec  lui  dans  les  cercles  du  Rhin 
pour  l'exécution  de  l'édit.  Keuchlin 
était  trop  instruit  pour  se  rendre  à 
une  pareille  invitation  :  il  en  fit  sen- 
tir l'inconvenance,  et  insista  sur  quel- 
ques défauts  de  forme  dans  les  pou- 


REU 

voirs  dont  le  commissaire  était  por- 
teur. Celui-ci  exigea  que  ces  ob- 
servations fussent  mises  par  écrit;  et 
Reuchlin  s'y  prêta  sans  difficulté. 
Cette  même  année,  il  reçut,  par  l'in- 
termédiaire de  l'électeur  de  Maïence, 
l'ordre  impérial  de  donner  son  avis 
sur  la  question  de  savoir  s'il  est  juste 
et  utile  à  la  foi  chrétienne  d'enlever 
aux  Juifs  tous  leurs  livres ,  excepté 
la  Bible.  Reuchlin  eut  le  courage  de 
défendre  les  droits  imprescriptibles 
de  la  propriété ,  dans  sa  consulta- 
tion du  6  octobre  i5io.  On  ne 
pouvait ,  disait-il ,  enlever  justement 
aux  Juifs,  que  les  livres  composés 
pour  insulter  Jésus-Christ  et  sa  sainte 
loi  ;  mais  ces  livres  sont  en  petit 
nombre.  Il  déclarait  ne  connaître  le 
Talmud  ,  que  sur  le  rapport  d'autrui , 
n'ayant  jamais  pu  se  le  procurer  , 
malgré  les  avances  qu'il  avait  faites- 
Cet  ouvrage  contenait  vraisemblable- 
ment, selun  lui,  plusieurs  passages 
contre  Jésus-Christ  et  ses  apôtres  , 
et  plusieurs  qui  devaient  paraître  bi- 
zarres et  ridicules  :  mais  au  lieu  de 
brûler  le  Talmud ,  ne  valait-il  pas 
mieux  chercher  à  le  com])rendre 
pour  le  réfuter  ?  Serait-il  honorable 
de  le  détruire  sans  l'avoir  examiné  ? 
Quant  aux  livres  cabalistiques  ,  il  ne 
pensait  pas  qu'on  dût  les  supprimer. 
La  commission  nommée  par  Alexan- 
dre VI  avait  examiné  l'Apologie  de 
la  cabale  par  Pic  de  la  Mirandolc , 
et  avait  déterminé  ce  pontife  à  l'ap- 
prouver parson  bief  de  i/jqS.  Léon 
X  avait  accepté  la  dédicace  du  livre 
de  Reuchlin  de  arte  cahalisticd.  Les 
Commentaires  de  laliiblclui  parais- 
saient indisjM'usables  pour  l'intelli- 
gence du  sens  littéral  ou  grammati- 
cal ;  et  il  citait  à  l'appui  de  son  opi- 
nion Nicolas  de  Lyra  ,qui  avait  tant 
emprunté  de  Raschi ,  et  à  qui  on  ne 
laisserait  (|iic quelques  feuillets,  si  on 


REU 

le  dépouillait  de  tout  ce  qu'il  devait 
à  ce  docte  rabbiu.  Les  livres  destines 
aux  offices  divins  ,  les  prières  elles 
rituels  ne  pouvaient  pas  être  enlevés 
aux.  Juifs  sans  injustice,  puisque  les 
empereurs  et  !cs  papes  leur  avaient 
accorde'  le  libre  exercice  de  leur  cul- 
te ,  et  qu'il  leur  était  impossible  de 
l'exercer  sans    Machasor.   Passant 
ensuite  aux  ouvrages  qui  traitent  des 
sciences  et  des  arts ,  il  faisait  voir 
qu'ils  étaient  dans  le  même  cas  que 
les  ouvrages  du  même  genre  écrits 
en  grec  ,  en  latin  ou  en  allemand.  Au 
lieu  d'enlever  aux  Juifsles  livres  qu'ils 
possédaient  en  leur  langue,  il  pro- 
posait à  l'ciTipereur  de  les  engagera 
les  rendre  publics  par  la  voie  de  l'im- 
pression; de  prendre  des  mesures 
pour  que  chaque  université  d'Alle- 
magne pût  avoir  ,  pendant  dix  ans  , 
deux  professeurs  d'hébreu  chargés 
d'instruire  les  jeuues-gens  et  de  les 
rendre  capables  de  réfuter  les  erreurs 
judaïques;  enfin  d'amener,  parladoii- 
ceur  ,  même  les  plus  entêtés  d'entre 
les  Juifs  ,  à  reconnaître  la  vérité  ca- 
tholique. Tel  est  le  sommaire  de  la 
consultation  de  Reuchlin,  qui  fut  en- 
voyée à  l'électeur   de   iMaïence ,  et 
dont  Pfefferkorn  se  procura  une  co- 
pie. Comme  elle  contrariait  son  plan, 
ilpublia,  pendant  le  carême  de  i5i  i, 
le  Spéculum  manuale ,  dans  lequel 
il  s'attachait  à  combattre   les   rai- 
sons de  Rcuchlia ,  et  à  le  faire  passer 
pour  un  homme  entièrement  étranger 
à  la  connaissance  de  la  langue  hébraï- 
que. Reuchlin  lui  opposa,  la  même 
année,  son  Spéculum  oculare  (Tu- 
bingue  ,  in- 12  ].  11  y  raconte  d'abord 
l'origine  de  la  querelle;  il  y  rapporte 
ensuite  la  Consultation  qu'il  avait  ré- 
digée par  ordre  de  l'cmpcrear ,  et  y 
joint  un  supplément  ,  dans  lequel  il 
fortifie ,  par  de  nouvelles  preuves ,  les 
motifs  qu'il  avait  allégués  ,  et  réfute 


REU 


419 


très-bienics  objections  contraires;  en- 
fin il  relève  trente- quatre  faussetés 
qu'on  avait  avancées  contre  lui ,  dans 
le  Spéculum  mannalc.  Les  docteurs 
dcColognene  tardèrentpasà  prendre 
une  part  publique  dans  la  discussion: 
ils    chargèrent  Ai'uold  de  Tongres 
de  censurer  le   Spéculum  oculare, 
Reuchlin,  en  ayant  été  averti,  écri- 
vit à  ce  docteur,  le  i^"".  novembre 
i5i  I  ,  une  lettre  respectueuse,  dans 
laquelle  il  témoignait  ses  regrets  de 
ce  que  ses  opinions  ne  s'accordaient 
pas  avec  celles  de  la  faculté  de  théo- 
logie. Il  protestait  qu'il  croyait  tout 
ce  que  l'Église  croit ,  et  que,  s'il  avait 
erré  sur  quelque  point,  il  était  prêt 
à  se  laisser  redresser.  Il  conjurait 
Arnold  de  l'instruire  avec  douceur  , 
plutôt  que  de  le  condamner  brusque- 
ment.   11  le  priait   aussi   de  le  re- 
commander à  la  bienveillance  de  la 
faciUté.  Il  écrivit  une  lettre  sembla- 
ble à  un  autre  théologien  de  l'ordre 
de  Saint-Dominique.  Au  commence- 
ment de  i5i2,  la  faculté  lui  envoya 
une  liste  des  passages  de  son  livre  qui 
avaient  été  jugés  scandaleux,  avec  in- 
jonction de  les  expliquer  ou  de  les 
rétracter  au  plutôt.  Reuchlin  ,  après 
avoir  réitéré  l'assurance  de  sa  sou- 
mission à  l'Église,  demanda  qu'on 
lui  envoyât,  par  un  messager,  à  ses 
frais  ,  les  explications  des  proposi- 
tions attaquées  ,  telles  qu'on  voidait 
qu'elles  fussent  rédigées.  La  faculté' 
ne  lui  accorda  pas  sa  demande  :  elle 
déclara  que  Reuchlin  devait ,  avant 
tout,  empêcher  la  circulation  des 
nouveaux  exemplaires  de  son  livre  , 
et  manifester  ensuite  son   lioireur 
pour  les  livres  blasphématoires  des 
Juifs,  sous  peine  de  se  voir  citer 
pour  se  défendre.  Reuchlin  répondit 
que  l'ouvrage  n'était  pas  à  lui ,  mais 
au  libraire  qui  l'avait  imprimé ,  et 
que,  par  conséquent,  il  ne  dépendait 
27.. 


4^0 


REU 


pas  de  lui  d'eiv  arrêter  la  vente  ;  que 
tout  ce  qu'il  pouvait  faire  pour  té- 
moigner son  repentir,  était  de  tradui- 
re en  allemand  les  explications  et  les 
preuves  de  ses  opinions  ,  et  de  les  pu 
blier ,  avec  les  additions  nécessaires ,  à 
la  foire  prochaine.  Illefit;  mais  il  ne 
contenta  pas  les  théologiens,  qui  vou- 
laient une  rétractation  et  non  une 
apologie.  Arnold  de  Tongres  écrivit, 
en  leur  nom,  une  réfutation  violen- 
te des  sentiments  de  Reuchlin  ,  sous 
le  titre  de  :  ArticuU,  sive  propositio- 
nes   de  judaïco    furore    suspectœ. 
Orlwinus  Gratins  osa  aussi  entrer 
dans  la  lice,  en  jetant  dans  le  public 
une  satire  en  vers  latins ,  que  l'auteur 
des  Epistoîœ  ohscuronim  viroruni 
{F.  HuTTEN,  XXI ,  88)  a  justement 
couverte  de  ridicule.   Le    i*^^'.  mai 
1 5 1 3  ,  Reuchlin  fit  paraître  sa  Dé- 
fense, dédiée  à  l'empereur,  comme 
le  livre  de  ses  adversaires.  Erasme 
eu  a  blâmé  avec  raison  les  emporte- 
ments et  les  divagations  ,  qui  ache- 
vèrent d'aigrir  les  théologiens.  Le 
grand-inquisiteur  de  Ma'ieuce,  Jac- 
ques Hoogstraten ,  le  somma ,  dans 
le  mois  de  septembre  i5i3,  de  com- 
paraître ,  dans  le  terme  de  six  jours, 
pour  être  présent  au  procès  intenté 
contre   lui ,   au  sujet  du  Spéculum 
ocidare.  Reuchlin ,  ne  trouvant  pas 
ce  terme  assez  long  pour  un  homme 
de  son  âge,  et  suspectant  d'ailleurs 
Hoogstraten  de  partialité,  envoya  un 
procureur chargéde le  récuser.  La  ré- 
cusation ne  fut  pas  admise;  et  le  pro- 
cureur en  appela  au  Saint  Siège.  Alors 
lascènechangea.Iloogsti'atcn,de  juge 
qu'il  était,  devint  accusateur,  de- 
vant le  tribunal  qu'il  avait  présidé  : 
personne  ne  comparut  pour  le  con- 
tredire. Il  fut  décidé  que,  le  l'i  octo- 
l)re,  l'arrêt  déiinitif  serait  rendu  ,  et 
le  Spéculum  oculare  bridé  ;  mais  le 
chapitre  prévint  à  temps  Reuchlin  , 


REU 

qui  se  rendit  à  Maïence ,  assisté  de 
deux  savants  distingués,  que  lui  avait 
donnes  le  duc  Ulrich.  Frive  de  tout 
espoir  d'accommodement  ,    il  pro- 
testa contre  la  commission ,  et  en 
appela  au  pape.  L'appel  fut  admis. 
Le  Saint-Siège  renvoya  l'affaire  à 
l'évêque  de  Spire,  qui   assigna  les 
parties  pour  le  'lo  décembre.  Reu- 
chlin comparut  en  personne;  Hoogs- 
traten envoya  un  frère  dominicain 
pour  le  représenter  :  ses  pouvoirs 
n'ayant  pas  été  trouvés  suffisants  , 
im  nouveau  délai  fut  accordé.  Cette 
fois  Hoogstraten  ne  jugea  pas  à  pro- 
pos d'intervenir  ;  et  la  sentence  du 
i4  avril    i5i4    le  condamna  aux 
dépens  :  elle  portait ,  en  outre  ,  que 
le  Spéculum,  oculare  n'était ,  ni  dan- 
gereux pour  l'Église ,  ni  favorable 
au  judaïsme.  Dans  le  même  temps, 
les  théologiens  de  Cologne  ,  sans  se 
mettre  en  peine  de  ce  qui  pourrait 
arriver  au   tribunal  de  l'évêque  de 
Spire  ,  condamnèrent  cet  ouvrage  , 
comme  hérétique ,  à  être  brûlé  pu- 
bliquement :  ce  procédé  obtint  l'as- 
sentiment des  universités  de  Louvain, 
d'Erfurt  ,  de  Maïence  et  de  Paris. 
Reuchlin  chercha  vainement  à  ga- 
gner celle-ci   par   des  marques  de 
soumission  et  de  déférence,  en  lui  rap- 
pelant même  qu'il  avait  étudié  dans 
son  sein  ;  vainement  aussi  le  duc 
Ulrich  s'intéressa  en  sa  faveur:  après 
quarante-sept  séances,  elle  déclara^ 
par  sa  délibération  du  mois  d'août 
i5i4  ,  qu'elle  adhérait  à  la  censure 
delà  faculté  de  Cologne  (V.  Collect, 
judiciorum  de  novis  erroribus,  tome 
I ,  part.  2  ,  pag.  35o  ).  Reuchlin,  ef- 
frayé de  tant  de  contradictions  ,  et 
craignant  que  le  dominicain  Hoogs- 
traten neparvînt  à  le  faire  condamner 
à  Rome   ,    résolut  d'y    ])orler  lui- 
même  .«a  cause  ,  et  d'en  confier  la  dé- 
fense a  Jcau  de  Wyk ,  aucicn  syndic 


REU 

fleBolièrae.  Cette  longue  afidire  sem- 
blait toucher  à  sa  fin  ,  et  la  seutence 
allait  être  rendue,  le  20  juillet  i5i6, 
après  des  discussions  suivies,  quand, 
au  moment  où  l'on  s'y  attendait  le 
moins ,  émana  du  Saint  -  Père  un 
Mandatum  de  siipersedendo  ;  et 
depuis  ,  dit  d'Argenlré  ,  les  troubles 
de  la  réforme  et  des  disputes  plus 
importantes  ne  permirent  pas  de  re- 
prendre celle-ci.  On  conjectura  que 
le  jugement  de  Rome  eût  été  favora- 
ble à  Reuclilin  ;  et  c'est  ce  qui  excita 
des  savants  du  premier  ordre  à  pren- 
dre sa  défense  ,  et  à  tourner  en  déri- 
sion les  démarches  de  ses  antago- 
nistes. Luther  se  prononça  vivement, 
soit  que  Reuchliu  eût  exposé  ses  pro- 
pres sentiments ,  soit  que  ce  sectaire 
voulût  entraîner  ce  savant  homme 
dans  son  parti  :  aussi  quelques  reli- 
gieux ,  moins  instruits  que  zélés  ,  ne 
manquèrent  pas  de  l'accuser  d'un  cer- 
tain penchant  aux  idées  nouvelles,  et 
d'être  luthérien  dans  le  cœur.  Erasme 
prit  soin  de  le  venger  d'une  si  odieuse 
imputation  ;  et  il  est  certain  que  , 
malgré  les  persécutions  qu'il  essuya 
de  la  part  des  moines  ,  malgré  les 
insinuations  de  Mélanchthon  et  de 
quelques  autres  de  ses  amis  qui 
avaient  embrassé  le  parti  de  la  ré- 
forme ,  malgré  les  censures  et  les 
violences  de  ses  ennemis  ,  plus  pro- 
pres encore  à  faire  trébucher  un 
homme  qui  n'aurait  pas  été  assez 
ferme  ,  Reuchlin  ne  rompit  ja- 
mais le  lien  de  l'unité  ,  et  fit  tou- 
jours profession  de  la  foi  catho- 
lique. I^es Dominicains,  harcelés  par 
les  écrits  piquants  des  partisans  de 
Reuchlin  ,  se  rapprochèrent  de  lui , 
remboursèrent  les  frais  du  procès  de- 
vant l'évêque  de  Spire,  et  promirent 
d'anéantir  celui  qui  était  pendant 
à  la  cour  de  Rome.  Les  conquêtes 
qu'il  faisait  de  ce  côté  le  consolaient 


REU 


42» 


un  peu  de  la  disgrâce  dans  laquelle 
il  était  tombé  auprès  d'Ulrich,  pour 
être  resté  attaché  à  la  famille  de  Jean 
Hutten,  que  le  duc  avait  tué  de  sa 
propre  main  ,  et  pour  avoir  blâmé  , 
dans  sa  correspondance,  la  tyrannie 
de  ce  prince.  En  i5i8,  il  accepta 
les  chaires  de  grec  et  d'hébreu  à  l'u- 
niversité de  Wittenberg  ,  qui  lui  fu- 
rent offertes  par  l'électeur  de  Saxe. 
Dans  la  guerre  que  la  confédération 
de  Souabc  et  le  duc  Ulrich  se  firent , 
en  ToiQ,  Reuchlin  eut  beaucoup  à 
souffrir  de  part  et  d'autre,  quoiqu'il 
eût  un  puissant  protecteur  parmi 
les  confédérés.  Son  humeur  pacifi- 
que l'ayant  porté  à  demeurer  à  Stutt- 
gard  ,  lorsque  les  autres  conseillers, 
ses  collègues,  avaient  pris  la  fuite, 
d'après  ses  avis  ;  on  lui  en  sut  très- 
mauvais  gré  :  on  lui  suscita  même 
quelques  traverses  a  ce  sujet.  A  la 
reprise  de  Stuttgard  par  les  confédé- 
rés ,  le  duc  Guillaume  de  Bavière  le 
prit  sous  sa  protection  spéciale.  Pour 
s'éloigner  du  théâtre  de  la  guerre,  il 
accepta  les  propositions  de  ce  prin- 
ce ,  et  se  rendit  à  Ingolstadt  ,  où 
il  ressentit  bien  vivement  la  priva- 
tion de  sa  bibliothèque  et  de  certai- 
nes aisances  auxquelles  il  était  ac- 
coutumé. La  pénurie  dans  laquelle  il 
se  trouvait  l'obligea,  en  i52o,  d'en- 
seigner le  grec  et  l'hébreu ,  moyennant 
un  traitement  annuel  dedenx  cents  flo- 
rins:  mais  son  cours  académique  ne 
dura  pas  un  an  entier.  Diverses  cir- 
constances le  forcèrent  de  retournera 
Stuttgard,  où  il  était  à  peine  arrivé, 
que  deux  envoyés  de  l'université  de 
Tubingue  vinrent  l'engager  à  conti- 
nuer ,  dans  cette  ville ,  le  cours  qu'il 
avait  commencé  a.  Ingolstadt.  Reu- 
chlin accepta  ;  et  l'université  lui  pro- 
cura toutes  les  facilités  qui  pouvaient 
donner  du  lustre  à  son  enseignement. 
Les  étudiants  accouraient  en  foule 


422 


REU 


de  toutes  îes  parties  de  l'Allemagne  : 
mais  sa  santé ,  très -affaiblie  ,  ne  lui 
permit  pas  de  professer  long-temps. 
Il  mourut  à  Stuttgard ,  le  3o  juin 
i522  ,  et  fut  enterre  dans  le  cime- 
tière de  l'hôpital.  Reuchlin  jouit  en- 
core de  la  réputation  d'un  des  plus 
savants  hommes  de  son  temps.  Il 
était  l'ornement  et  la  gloire  de  l'Al- 
lemagne, à  cette  époque;  et  l'Italie 
avait  peu  de  rivaux  à  lui  oppo- 
ser ,  pour  l'érudition  et  l'éloquence. 
Nous  avons  de  lui  au  grand  nombre 
d'ouvrages ,  actuellement  peu  re- 
cherchés. Voici  les  principaux  : 
I.  Lihev  de  verbo  mirijico ,  in- 
fol. ,  sans  date  et  sans  rubrique; 
Tubingue  ,   i5i4  ,  in  foi. ,   Lyon, 

I  522  et  i55'2,  in-i6;  et  ailleurs. 
Ce  livre  est  une  explication  des  noms 
sacrésdontonseservaitdanslesrays- 
tèresdela  cabale, chez  les  Pythago- 
riciens ,  chez  les  Hébreux  ,  les  Clia!- 
déens  ,  et  même  chez  les  Chrétiens. 

II  y  a  trois  interlocuteurs  qui  discu- 
tent la  matière  alternativement  :Si- 
donius ,  épicurien  ;  Baruch  ,  Lsbreu  ; 
Capnion,  chrétien.  Ils  traitent  aussi, 
par  occasion,  de  la  science  des  cho- 
ses divines  et  humaines,  de  l'opi- 

ion  ,  de  la  foi ,  des  miracles ,  de  la 
vertu  des  paroles  et  des  figures,  des 
secrètes  opérations  ,  etc.  Il  est  dédié 
an  chancelier  de  l'électeur  palatin, 
et  précédé  d'une  courte  préface  , 
composée  par  Conrad  Lcontorius^ 
qui  célèbre  les  rares  connaissances 
de  Reuchlin  dans  les  langues  la- 
tine ,  grecque  et  hébraïque.  Cet 
opuscule  n'est  pas  sans  intérêt.  II. 
Scenica  progjmnasmnta  ,  Stras- 
bourg, 1497;  ^^^'^ >  '4o8,  in-4**; 
Pforzheim  ,  i5o8,  in-4*'.  Tubin- 
gue, i5ii,  i5i2,  i5iG,  in-4''; 
J.cip/.ig,  i5o3  ,  1514,  i5i5,in-4°.j 
et  plusieurs  fois  ailleurs.  L'auteur 
avait  composé  une  Satire  très-vio- 


REU 

lente  contre  le  dominicain  Holzin- 
ger  ;  mais  l'électeur  palatin ,  qui 
craignait  les  moines  ,  lui  défendit  de 
la  publier. Reuchlin  ne  voulant  point 
se  donner  aux  yeux  du  public  le  tort 
d'avoir  écrit  trop  vivement  au  juge- 
ment de  son  protecteur,  substitua 
cette  pièce  à  la  première.  C'est  une 
faible  imitation  de  la  Farce  de  maî- 
tre Palhelin  /  et  on  la  regarde  com- 
me le  premier  essai  de  comédie , 
composé  à  l'usage  de  la  jeunesse  al- 
lemande. Reuchlin  passe  en  effet  pour 
avoir  le  premier ,  eu  Allemagne , 
introduit  les  représentations  drama- 
tiques dans  les  collèges.  III.  Ora- 
tio  ad  Alexandrum  FI.  Pont.  M. 
pro  Pliilippo  Bavariœ  duce,  Venise, 
1498,  in-8°.  et  in- 12.  IV.  Liber 
congestorum  de  arte  prœdicandi. 
Pforzheim  ,  1 5o4  ,  in-4°-  V.  Rudi- 
menta  hébrdica  ,  Pforzheim ,  1 5o6, 
in-fol. 'Reuchlin  a  donné  aussi  uu 
Lexicon  hehraïcum.  Ces  ouvrages 
élémentaires  furent  estimés  dans 
leur  temps  ;  maintenant  ils  parais- 
sent bien  médiocres.  VI.  Septcm 
Psalmi  pœnitentiales  hebraïcè  cinn 
grammaiicd  tralacione  lalind ,  Tu- 
bingue ,  i5i2  ,  in-8°.  C'est  le  pre- 
mier livre  hébreu  ,  imprimé  en 
Allemagne.  VIL  Defensio  contra 
calumniatores  suos  Colonienses  , 
Tubingue,  i5i3  et  i5i4,  in-4°. 
VIII.  Rabbi  Joseph  Hjssopœus  Per- 
pinianeiisis^Jndœoriaii  poêla  diil- 
cissimus  ,  ex  hebràicd  lingiidin  la- 
tinain  traductiis  ,  Tubingue  ,  1 5  1 2 
et  i5i4,  in-4".  IX-  De  arle  caha- 
lislicd  libri  très  ,  Hagueuau  ,  1 5 1  7 
et  i53o,  in  fol.  jdans  différents  Re- 
cueils de  traités  cabalistiques  ,  et  à 
la  suite  de  l'ouvrage  de  Galatin  De 
arcan'is  calJioUcd'  vcritctis.  On  lui 
doit  la  Traduction  de  plusieurs  ojhis- 
culesdesaiutAthauase,d'Ilipi)Ocralc 
et  d'autres  écrivains  grecs  :  on  en 


REU 

peut  voir  le  Catalogue  dans  la  Bio- 
graphie des  savants  de  Tubingue 
qui  ont  cuUivé  la  littérature  hebra'i- 
que  ,  par  Chr.-Frëd.  Sclinurrer  , 
Ulm,  1792  ,in-8o.  Jean-Henri  Mai, 
qui  a  compose  une  vie  de  Reuchlia  , 
en  latin,  Dourlach,  1687  ,  in-B». , 
est  diffus  et  inexact.        L — B — e. 

REUILLY  (  Jean  de  ) ,  voyageur 
français,  naquit,   en    1780,    d'u- 
ne famille  noble,  qui  habitait  la  Pi- 
cardie. Dépouillé  de  sa  fortune  par 
suite  des  bouleversements  politiques, 
Reuilly  eut  assez  de  force  d'ame  pour 
travailler  dans  une  imprimerie,  com- 
me correcteur  d'éiireuves.  Quand  la 
tranquillité  reparut  ,  il   obtint  une 
place,  parvint ,  par  ses  efforts  soute- 
nus ,  à  fixer  rattcnliou  du  chef  du 
gouvernement,   el  ,    eu   1802,  fut 
chargé    d'une   mission    en    Russie. 
Après  un  séjour  de  deux  mois  ,  il 
quitta  Saint  -  Pétersbourg,  dans  les 
premiers  jours  de  février  i8o3,  et 
partit  pour  la  Crimée,  avec  le  duc 
de  Richelieu ,  qui  venait  d'être  nom- 
mé iiouvenieur  d'Odessa.  Durantson 
séjour  dans  la  capitale  de  l  empire 
russe ,  il  avait  reçu  de  grands  témoi- 
gnages d'amitié,  et  avait  été  traité 
avec  beaucoup  de  bonté.  Son  séjour  en 
Crimée,  dont  nous  ignorons  la  durée, 
ne  laissa  pas  dans  son  esprit  des  sou- 
venirs moins  précieux  que  celui  qu'il 
avait  fait  à  Saint-Pétersbourg.  ^  Je 
»  Cuis  en  avouant  avec  reconuais- 
»  sance ,  dit-il ,  que  le  titre  de  Fran- 
»  çais  a  été  pour  moi  une  excellente 
»  recommandation  auprès  de  tons 
»  les  militaires  et  de  tous  les  marins. 
»  Je  voudrais  pouvoir  eu  dire  autant 
»  des  employés  civils;  je  dois  cepen- 
»  dant  en  excepter  IM.  de  Milora- 
»  dovitch ,  gouverneur  de  la  Tauri- 
»  de,  qui  m'a  accueilli  avec  une  bien- 
»  veillance  parliculièic.  »  Le  natura- 
liste Pallas  fui  aussi  uu  des  hommes 


REU  4^3 

qui  comblèrent  Reuilly  de  marques 
d'intérêts  ,  et  auxquels  il  témoigna 
hautement    sa  gratitude.   Aidé  des 
conseils  de  cet  homme  célèbre,  qui 
lui  traça  l'itinéraire  de  son  voyage  , 
il  parcourut  la  péninsule  Taurique; 
et  passa  même  le  détroit  de  Cafa.De 
retour  en  France,  Reuilly   reçut,  du 
gouvernement,   !a  décoration  delà 
Légion  d'honneur,  etfut  nommé,  en 
i8o5,   auditeur  au   conseil-d  état , 
section  de  marine.    Il    obtint ,  en 
1807  ,  la  sous- préfecture  de  Sois- 
sons,  et  devint,  eu  1808,  correspon- 
dant de   l'institut  (classe  de  littéra- 
ture ancienne  ).  Plus  tard  ,  !a  Tos- 
cane ayant  été   réunie  h  la  France, 
il  fut  élevé  à  la  préfecture  du  dépar- 
tement  de  l'Arno,  fait  maître   de 
requêtes,  et  baron.  Une  maladie  de 
poitrine  ,  suite  d'une  blessure  qu'il 
avait  reçuedausun  duel,  le  força  d'al- 
ler prendre  les  eaux,  de  Pise.  Il  mou- 
rut dans  cette  ville  ,  le  11  fév.  18 10. 
On  a  de  Reuilly  :  I.  J^ojage  en  Cri- 
mée et  sur  les  bords  de  la  mer  Noi- 
re ,  pendant  l'année   i8o3,  Paris, 
180G,  in-8°. ,  avec  cartes  ,  planches 
et  vignettes.  L'auteur  ,  en  revenant 
de  la  Crimée  ,  communiqua  ses  ob- 
servations à  Pallas  ,  qui  eut  la  bonté 
de  les  corriger  et  de  les  enrichir  de 
ses  notes:  ainsi  on  peut  compter  sur 
l'exactitude  de  ce  livre;  c'est  le  pre- 
mier qu'un  Français  ait  publié  sur  cet- 
te contrée.  Reuilly  dit  que  la  forme  du 
Forage  en  Sjrie  et  en  Egypte,  par 
Voiney,  lui  ayant  paru  réunir  plu- 
sieurs avantages,  il  l'avait  adoptée. 
On  ne  peut  le  blâmer  d'avoir  suivi 
cette  marche.  Toutefois  on  aurait  dé- 
siré qu'il  eût  imité  l'exemple  de  J.-R. 
Forstcr,  qui  a  fait  précéder  ses  ex- 
cellentes Observations  sur  un  voya- 
ge autour  du  monde,  d'un  itinéraire 
de  l'expédition.  Par  ce  moyen,  ou 
sait  quels  pays  le  voyageur  a  vus,  c 


4-24  REU 

à  quelle  époque  il  les  a  observe's. 
Reuillytraitesuccessivcraent  de  la  géo- 
graphie et  de  l'histoire  naturelle 
de  la  Crimée,  de  son  histoire  et  de 
son  comiJiercc.  Il  convient  des  em- 
prunts qu'il  a  faits  aux  Voyages  de 
Pallas  dans  les  provinces  méridio- 
nales de  la  Russie,  à  la  Description 
de  la  Tauride ,  par  Hablizl  ;  à  celle  de 
la  Crimée,  parThoumann-  à  l'His- 
toire de  la  Tauride, par  Sestrencevicz; 
auPrécissur  les  khans  deCrimée,  par 
M.  Langlès.  Il  a  très-habilement  fon- 
du les  divers  matériaux  qu'il  a  joints 
à  ses  propres  observations.  La  lecture 
dece  livre, écritavec  éléganceetsans 
prétention  ,  est  amusante  et  instruc- 
tive. Des  médailles  anciennes  et  des 
monnaies  que  Reuilly  avait  apportées 
de  son  voyage,  ont  donné  lieu  à  la 
publication  de  deux  Mémoires ,  Tun 
de  Miliin  ,  l'autre  de  M.  Langlès,  qui 
précèdent  l'itinéraire  tracé  par  Pal- 
Jas.  Le  volume  est  terminé  par  un 
Mémoire  sur  le  commerce  de  la  mer 
Noire,  et  des  Notes  sur  ses  princi- 
paux ports  commerçants  •  elles  sont 
accompagnées  de  tableaux.  Il  paraît 
que  Reuilly  avait  composé  un  Mé- 
moire sur  les  relations  commercia- 
les de  l'Inde  avec  TEuropepar  lecon- 
tment  ;  et  il  y  avait  donné  quelques 
motifs  sur  la  possibilité  d'une  expé- 
dition par  terre  en  Asie.  Cette  j)ro- 
duction ,  remise  an  chef  du  gouver- 
nement, n'a  pas  vu  le  jour.  La  carte 
est  exacte  et  bien  gravée:  les  vignet- 
tes rendent  avec  beaucoup  de  vérité 
l'aspect  du  pays.  II.  Description  rlu 
Tibet ,  d'après  la  relation  des  lamas 
Tongouses  établis  parmi  les  Mon- 
gols, traduit  de  V allemand ,  UK'ec 
des  notes,  Paris,  1808,  un  vol.  in- 
8". (^.Pallas,  xxxii,  445.)  Ce 
petit  ouvrage  est  intéressant;  c'est 
lin  des  plus  exacts  que  l'on  possède 
sur  une  contrée   peu   connue.  III. 


REU 

Notice  sur  les  travaux  agricoles  de 
MM.  J.  Brayer  et  Danzé  (  dans 
le  Mag.  encjcl. ,  1 807  ,  v  .  1  gS) 
E— s. 
REUSNER  (  Nicolas  ) ,  juriscon- 
sulte ,  ])oète  et  compilateur  ,  naquit 
le  2  février  i545  ,  à  Lœvv'enberg  ,  ou 
Lemberg ,  en  la  Silésie ,  d'une  des 
familles  les  plus  distinguées  de  cette 
province.  Il  annonça  de  bonne  heure 
des  dispositions  peu  communes  pour 
les  lettres  ;  et  l'on  assure  même  qu'à 
onze  ans  il  faisait  des  vers  latins  fort 
agréables.  Après  s'être  perfectionné 
dans  la  connaissance  des  langues  an- 
ciennes ,  il  se  rendit  à  Wittenberg , 
attiré  par  la  réputation  de  Mélanch- 
thon.  Ce  savant  mourut  avant  l'ar- 
rivée de  Reusner  en  cette  ville,  oii 
celui-ci  fit  néanmoins  son  cours 
de  philosophie  ;  et  il  alla  ensuite  étu- 
dier le  droit  à  Leipzig.  La  curiosité 
le  conduisit,  en  i565,  à  Augsbourg, 
pour  voiries  cérémonies  de  la  diète; 
mais  l'ouverture  de  cette  assemblée 
ayant  été  prorogée  d'un  an ,  pour  ne 
pas  rester  oisif,  il  se  chargea  de  don- 
ner des  leçons  de  littérature  latine. 
Quelques  pièces  de  vers  qu'il  offrit 
aux  principaux  membres  de  la  diète, 
le  firent  connaître  avantageusement; 
et  le  duc  de  Bavière  le  nomma  pro- 
fesseur de  belles -lettres  au  collège 
qu'il  venait  d'établir  à  Lauingen  ,  et 
dont  Reusner  devint  recteur  par  la 
suite.  Il  retourna  ,  pour  la  seconde 
fois, en  1 582,  à  la  diète d' Augsbourg, 
et  y  fut  accueilli  par  les  plus  grands 
seigneurs,  avec  les  égards  que  l'on 
doit  aux  talents.  L'année  suivante,  il 
se  fit  recevoir  docteur  eu  droit  à  l'u- 
niversité de  Bàlc;  et  aussitôt  il  fut 
revêtu  de  la  dignité  d'assesseur  de 
la  chambre  impériale  de  Spire  ,  et 
nommé  professeur  à  l'académie  de 
Strasbourg,  où  il  remplit,  pendant 
cinq  ans,  la  chaire  des  Institutcs. 


REU 

Sa  rcpulation  le  fit  appeler  ',  en 
î589,à  l'académie  dclena,  dont  il 
fut  deux  fois  recteur,et  à  laquelle  il  ren- 
dit  d'importants  services.  L'empereur 
Rodolplie  II  lui  décerna  la  cou- 
ronne poe'tique  dans  une  assemble'e 
solennelle  ,  et  le  cre'a  comte  palatin. 
Il  fut  de'putè  de  l'ëlectorat  de  Saxe, 
en  iSqS  ,  à  la  diète  de  Pologne  ,  où 
les  princes  allemands  formèrent  une 
ligue  contre  les  Turcs.  Rcusner  mou- 
rut ,  pendant  son  second  rectorat ,  à 
Iéna,le  l'i  avril  1602. 11  fut  inhume' 
dans  un  tombeau  qu'il  s'était  fait 
construire,  et  qu'il  avait  décoré  d'une 
epitaplie  peu  modeste.  Niceron  a 
donné,  dans  le  tome  xxvn  de  ses  Mé- 
moires ,  le  catalogue  de  cinquante- 
trois  ouvrages  de  Rensner  ;  ils  sont 
tous  assez  rares  ,  mais  peu  sont  re- 
cherchés. Ses  compilations  et  ses 
Traités  de  droit  sont  oubliés  ,  même 
en  Allemagne.  Parmi  ses  autres  pro- 
ductions, on  ne  citera  que  celles  qui 
peuvent  encore  mériter  l'attention 
des  curieux  :  I.  Descriptio  oppidi 
Lavingœ  ad  Danuhiuni ,  additis  in 
fine  aliquot  elogiis  ,  Lauingen  , 
1567  ,  in-4°.  II.  Piincipum  et  du- 
ciim  Fenetorum  liber,  ibid.  1579, 
in-80.  III.  Poljanthea  siveParadi- 
siis  poëticiis  ,  Bâle  ,  1579,  in-8''. 
Cette  compilation  est  divisée  eu  sept 
livres  :  le  Verger  ,  le  Parterre  ,  la 
Métairie,  le  Jardin,  la  Volière,  le 
Vivier  et  la  Grotte.  IV.  Hodœpo- 
ricoriiin  sive  itinerum  tolius  j'erè 
orhis  lihri  septem,  ibid. ,  1 58o  ,  in-8°. 
très-rare.  Freytag  a  donne  la  descrip- 
tion de  ce  Recueil  vraiment  intéres- 
sant ,  dans  YAdparntas  litlerarius. 
îii ,  370-90.  Il  renferme  soixante 
et  quinze  Voyages  d'auteurs  anciens 
et  modernes  ,  tous  en  vers  ,  excepte 
ceux  de  Pétrarque  dans  la  Palestine  , 
et  de  Félix  Petancius  dans  la  Turquie. 
V.  Emhlematum  lihri  iv ,  et  A^al- 


REU  4^5 

matum  sive  emblematum  sacronim 
liher  unus  ;  accesserant  stemmatiim 
sive  annornm  gentilitiorum  lihri 
très  ,  Francfort ,  i58i ,  in-  8**.  ;  re- 
cueil digne  de  l'attention  des  ama- 
teurs ,  à  cause  des  belles  estampes 
en  bois  de  Virgile  de  Solis ,  et  de 
Jost  Amon.  VI.  Icônes  seii  imagines 
viroruin  litteris  illustrium  ,  quorum 
Jide  et  doctrind  religionis  et  hona- 
rum  litterarum  studio  ,  nostrd  pa- 
trumque  memorid  ,  in  Germanid 
prœsertim  ,  in  integruni  sunt  resti- 
tuta  ;  additis  eorunidem  elogiis  di- 
versorum  auctorum  ,  Strasbourg  , 
1587  ;  ibid.  ,  îSyo,  in-8''.  C'est  un 
Recueil  de  cent  portraits  (  y  com- 
pris celui  de  Reusner  ,  le  premier  en 
tète  )  ,  de-sinés  et  gravés  en  bois 
par  Tobie  Stimmer  ,  excellent  artis- 
te. Reusner  a  mis  un  distique  au  bas 
de  chaque  portrait ,  et  l'a  fait  suivre 
de  l'épitaphe  monumentale  du  per- 
sonnage,en  style  lapidaire,  ou  d'une 
courte  notice  ,  tirée  de  Paul  Jove,  de 
Théod.  de  Bèze  ,  etc. ,  accompagnée 
d'éloges  eu  vers  ,  extraits  de  divers 
auteurs  dont  il  donne  la  liste.  Vil. 
Icônes  sive  imagines  vivœ  litteris 
clarorum  virorum  Italiœ  ,  Grœ- 
cice  ,  Germanice  ,  Gallice  ,  An- 
gliœ  ,  Hungariœ  ,  cum  elogiis  va- 
riis,  Bàle  ,  1589  »  iu-^".  Ce  volume 
contient  quatre -vingt  et  onze  por- 
traits ,  gravés  par  le  même  artiste. 
Il  est  moins  rare  en  France  que 
le  précédent  ,  avec  lequel  Nicerou 
paraît  l'avoir  confondu;  mais  tous 
les  deux  méritent  également  d'être 
recherches  par  les  amateurs.  VIII. 
JEnigmatologia  seu  sjlloge  œnig- 
matuni  et  grjphorum  cnnvivalium , 
Strasbourg  ,  1589  ,  in-S".  ;  compi- 
lation singulière.  IX.  Operapoëtica, 
Icna  ,  1.593,  in-8°.  Ce  volume  ren- 
ferme des  élégies  ,  des  sylves  ,  des 
épigrammes  ,  dont  un  livre  d'épi- 


4'i6  REU 

grammes  grecques ,  des  odes ,  des 
épodes  ,  des  cpîtres  ,  et  plusieurs 
poèmes.  Les  meilleures  pièces  de 
Reusncr  ont  ète  insérées  dans  le  tome 
Aales  Deliciœ  poétar.  germanoruni. 
X.  Oraliones  panegjricœ  ,  le'na  , 
1595,2  vol.  in-S».  :  le  premier  con- 
tient qi-iinze  discours  sur  des  sujets 
de  morale,  et  le  second  quinze  sur 
l'utilité  de  la  jurisprudence  et  les 
diiïerenles  méthodes  d'étudier  cette 
science.  XI.  Epislolarum  turcica- 
rum  variorum  auclorum  libri  xiv  , 
Francfort,  i548,in-4'».  XII.  De 
urhihus  germanite  liberis  sive  impe- 
rialibus  libri  duo  ;  inquibusprœtev 
earum  descriptiones ,  variorum  auc- 
lorum leguntur  elogia,  ibid. ,  1 G02, 
in-b".  XIII.  ^nagrammatos.ra- 
phia  ,  accessit  GuiLBlanc  libellus 
de  ratione  anagrammatisuii,  léna, 
iGo'2,  in-8'5.  XIV.  Narrationes  re- 
runi  mcinorabilium  in  Pamwnid 
sub  Turcarum  imperatoribus  à  captd 
Constantinupoli  u^rjue  ad  ann.  t5oo 
gestarum  ,  Francfort ,  i6o3  ,  in-40. 
OnpeulconsuIlcr,pourdeplusç;rands 
détails  ,  les  Mémoires  de  Niceron. 
Le  Portrait  de  Nie.  Rcusner  fait  par- 
tie du  tome  ie>-.  de  la  Biblioth.  cal- 
cographicn  de  J.-J.  Boissard.  W-s. 
RhUSNER  (  Elie  )  ,  antiquaire 
et  historien  ,  ne  à  Lemberg,  en  i555, 
était  frère  du  précédent.  D'une  san- 
té^ délicate  ,  mais  doué  d'un  esprit 
acti! ,  il  s'appliqua  de  bonne  heure 
a  l'élude,  fréquenta  les  académies 
de  Wittembcrg,  Strasbourg  ct'lJàle, 
et  fit  de  grands  progrès  dans  les 
laiigues  anciennes  ,  l'histoire  ,  la 
politique  et  les  sciences  naturelles. 
Vm  1591  ,  il  fut  admis  au  nombre 
des  piofesseurs  de  l'académie  de 
Ic'na  ,  pour  la  philosophie.  Il  reçut, 
la  même  année  ,  le  grade  de  licencié 
on  médecine  ;  niais  il  ne  paraît  pas 
qu'il  ait  jamais  ])raliquécelarl.  1/cn- 


REU 

seignemcnt ,  et  le  travail  du  cabinet, 
suffirent  pour  occuper  tous  ses  ins- 
tants Quelques  années  avant  sa  mort, 
il  composa  son  épitaphc ,  et  la  fit 
graver  sur  la  ])ierre  qui  devait  re- 
couvrir son  tombeau.  Il  termina  sa 
carrièrehonorable  et  paisible,  àléna, 
le  l'^r  octobre  1612.  Ses  ouvrages  , 
dont  on  trouve  une  liste  assez  élen- 
iue,  mais  incomplète  et  inexacte  , 
dans  le  Recueil  de  J.  Gasp.  Zeumer  , 
Fit  ce  prof  essor,  academ.  lenensis 
(  pars  IV,  p.  55  )  ,  sont  tombés 
dans  l'oubli.  Les  principaux  sont  : 
I.  G enealogicon  romanum  de  (ami- 
liis  prœcipuis  reguia  ,  principum  , 
Cœsarum ,  imperatorum,  consuluJTiy 
etc.,  Francfort,  Wechel  ,  iSgo, 
in  fol.  C'est  une  compilation  que 
LengletDufresnoy  trouvait  bonne  et 
qu'on  pourrait  peut  être  encore  con- 
sulter utilement.  II.  Opus  genealo- 
gicum  cntholicuin  de  prœcipuis  fa- 
miliis  imperatoruui  .  regum  ,  prin- 
cipum ,  aliorumque  orbis  christiani 
pracerum  ,  ibid. ,  \5(^'i. ,  in  fol. III. 
Ephemerides Hve  Diarium  in  cpio  et 
epitome  omniuin  fastorum  et  anna- 
liutn  làm  sacrorum  quàm  profano- 
rum  ,  ibid. ,  iSgii,  in-4°.  IV.  Ge- 
nealogia  regum  ,  electorum  ,  du- 
cum ,  etc.  ,  qui  origines  suas  à  TVit- 
teckindo  deducunt  ,  léna  ,  i5'j']  , 
in  fol.  —  Jéréraie  REUSNtr-, ,  frère 
des  deux  précédents  ,  et  éditeur  des 
Emblemata  elhica,  phjsica,  his- 
torica  et  hiero^lyphica,  et  des  Slem- 
mata  seu  arma  gentilitia  d'Elie  , 
fut  conseiller  du  j)rincc  ue  Liegnitz  , 
publia  un  Traité  De  uswpationi- 
bus ,  et  ne  doit  pas  être  confondu  avec 
deux  autres  Jérémie  Reusner  ,  ju- 
risconsultes ,  et  natifs  de  Lœwen- 
bcrg  comme  lui ,  connus  aussi  par 
quelques  écrits,  l'tin  né  en  i557  > 
mort  en  i!)()^i  ;  l'autre  né  en  i5<)o  , 
mort  en  i(i5?,.  W — s. 


REV 

RÊVAI  (Nicolas)  ,  savant  hon- 
grois ,  né  en  1751  ,  religieux  des 
Écoles  pies,  professeur  delitlératurc 
à  l'université  de  Pcsth ,  est  mort  dans 
la  même  ville ,  le  i'^'".  avril  1807. 
Le  Recueil  de  ses  ouvrages  a  paru  à 
Raab  ,  en  i  787.  Il  était  poète  ,  phi- 
lologue et  grammairien;  SCS  poésies 
sont  inégales ,  et  l'on  n'y  observe 
pas  toujours  ce  génie  oui  caractérise 
le  vrai  poète.  Parmi  ses  ouvrages  en 
prose  ,  on  ]ieut  remarquer  ses  Anti- 
quités hongroises  ,  et  sa  Grammaire 
hongroise ,  ou  Elahoralior  grain- 
matica  hungarica  ,  ad  genuinam 
patrii  sermonis  indolent  fideliter 
exact  a,  affiniumque  linguanun  ad- 
miniculis  locupletiàs  illustrata  , 
Pesth  ,  i8o5,  '1  vol.  in -4°.  C'est 
Rêvai  qui  a  principalement  répandu 
en  Hongrie  l'esprit  de  recherches  et 
de  critique  ,  qui  distingue  depuis 
quelque  temps  les  savants  de  ce  pays. 
Voyez  un  article  de  M.  Beroni,  dans 
le  Mercure  étranger ,  en  181 3  ,  n". 
6.  C— u. 

REVEL  (Jean),  fils  de  Gabriel 
Revel,  peintre  qu'employait  Lebrun, 
naquit  à  Paris  ,  le  G  août  1684.  II 
vint  à  Lyon  ,  en  1710  ,  et  ne  tira 
que  de  faibles  ressources  de  ses  por- 
traits et  de  ses  tableaux  d'iiistoire  ; 
mais  il  appliqua  bientôt  ses  talents 
à  la  fabrique  des  étolKs  de  soie.  Il 
ne  dédaigna  pas  de  se  faire  dessina- 
teur ;  et  .ses  travaux  ont  fait  époque 
dans  l'histoire  des  manufactures. 
Joubertde  L  Hiberderic  en  parle  sur 
un  ton  qui  paraît  trop  élevé  ,  dans 
la  préface  de  son  Dessinateur  pour 
les  fabriques  d'étojes:  mais  celate- 
naitau  méprisdoplacéque  l'onadec- 
tait  assez  souvent  pour  tout  ce  qui  se 
rattachait  aux  arts  mécaniques. C'est, 
dit  Pernelli  ,  à  Revel  qu'on  est  re- 
devable des  points  rentrés  pour  faire 
les  couleurs  :  cet  art  consiste  à  mé- 


REW  427 

1er  les  soies  dont  les  nuances  cou- 
pent trop.  C'est  encore  lui  qui  a 
troijvé  le  secret  de  placer  les  om- 
bres du  même  côté  ,  et  de  produire 
devrais  tableaux  sur  les  étoffes.  Re- 
vel mourut ,  le  5  décembre  1751. 
A.  B— T. 
REWBELL  (  Jean-Baptiste  )  , 
néà  Colmar  ,cn  1746,  était  avoratau 
conseil  souverain  d'Alsace  ,  et  bàto- 
nier  de  son  ordre  ,  avant  la  révolu- 
tion :  il  en  embrassa  très-vivement 
le  svstème  ,  et  fut  député  aux  états- 
généraux  par  le  tiers-état  de  sa  pro- 
vince. Dès  son  arrivée  à  Paris  ,  il  se 
lança  sans  réserve  danslepartilc  plus 
violent,  et  manifesta  un  républicanis- 
me prononcé  ,  mais  en  même  temps 
une  politique  présomptueuse  ,  em- 
portée ,  tranchant  toutes  les  ques- 
tions au  lieu  de  les  résoudre ,  et ,  par 
cette  raison,  plus  propre  à  constituer 
le  despotisme  que  favorable  à  la  li- 
berté dont  il  s'annonçait  comme  un 
des  plus  fervents  apôtres.  On  sait  que 
la  première  question  débattue  dans 
la  chambre  du  tiers-état ,  fut  celle 
de  savoir  si  les  délibérations  des 
trois  ordres  auraient  lieu  dans  une 
seule  assemblée.  Rewbell  soutint  l'af- 
firmative, mais  sans  se  faire  remar- 
quer par  aucmie  adresse  dans  la  dis- 
cussion. Ou  fit  assez  peu  d'attention 
à  lui,  avant  l'établissement  des  co- 
mités que  l'assemblée  forma  sous  le 
prétexte  apparent  de  préparer  ses 
travaux  ,  mais,  dans  la  réalité, pour 
paralyser  le  gouvernement  du  roi , 
s'emparer  de  ses  attributions  ,  et  en 
faire  une  simple  machine  exécutan- 
te. Le  nombre,  la  nature  et  l'espèce 
de  ces  comités,  sans  y  comprendre 
les  clubs  ,  qui  étaient  aussi  ije  teiri- 
blcs  comités  ,  sont  des  points  capi- 
taux sur  lesquels  l'histoire  de  la  ré- 
volution ne  manquera  pas  de  s'éten- 
dre :  nous  ue  devons  parlci' ,  dans 


428 


REW 


cet  article  ,  que  du  comilé  que  pro- 
posa Rewbell ,  de  concert  avec  son 
collègue  Robespierre.  Pour  de'jouer 
ce  qu'ils  appelaient  les  perfidies  et 
les  trahisons  de  la  cour  ,  ils  en  vou- 
laient un  qui  eût  la  mission  spéciale 
de  de'cachcler  les  lettres  suspectes  : 
quelques  personnesaccueillircnt  cette 
lâche  motion  par  des  applaudis- 
sements •  toutefois  il  est  juste  de 
dire  qu'elle  excita  l'indignation  de 
la  pluralité'  de  l'assemblée,  même 
des  révolutionnaires  les  plus  fou- 
gueux :  Mirabeau  surtout  la  cou- 
vrit d'opprobre.  Sans  doute  des 
despotes  ombrageux  ont  pu  pren- 
dre de  pareilles  mesures  ;  mais  on 
n'en  a  pas  vu  d'assez  dehonte's  pour 
l'avouer  à  leiu-s  sujets  :  cependant 
comme  aucune  idée  tyrannique  ne 
devait,  être  perduedans  la  révolution, 
la  motion  de  Rewbell  fut  reprise 
et  mise  à  exécution.  Après  le  lo 
août ,  la  commune  de  Paris  envoya 
publiquement  des  commissaires  à  la 
poste  ,  pour  décacheter  les  lettres 
suspectes.  Au  surplus  ce  serait  une 
erreur  de  croire  que  Rewbell  ,  qui 
devait  un  jour  arriver  au  plus  haut 
degré  de  l'échelle  révolutionnaire  , 
raoutràtdes  talents  dignes  d'une  telle 
fortune.  Pendant  tout  le  règne  de  la 
constituante  ,  il  n'en  déploya  que 
de  médiocres  ;  mais  il  prit  part 
à  presque  toutes  les  délibérations 
qui  atlaqiiaient  le  plus  violemment 
la  monarchie:  il  fut  un  des  pre- 
miers à  élever  la  question  de  sa- 
voir si  les  décrets  de  l'assemblée  , 
considérée  comme  constituante  ,  de- 
vaient être  soumis  à  la  sanction  ;  et  il 
soutint  la  négative.  Beaucoup  de 
personnes  pensaient  que  la  déclara- 
tion des  droits  ne  pouvait  être  que 
l'initiative  de  l'anarchie,  dans  un  pays 
surtout  où  l'on  voulait  conserver  le 
gouverucracut  monarchique  :  Rcw- 


REW 

bell  fut  un  des  partisans  les  plus  dé- 
terminés de  cette  déclaration  ;  et  il 
combattit  Mirabeau  qui  ,  pour  ne 
pas  se  faire  suspecter  d'aristocratie, 
n'osait  pas  précisément  rejeter  ce 
système  dangereux,  mais  disait  que 
si  l'on  voulait  absolument  faire  une 
telle  déclaration,  cequ'il  croyait  fort 
inutile  ,  il  ne  fallait  s'en  occuper 
qu'après  l'achèvement  de  l'acte  con- 
stitutionnel ,  dont  elle  devait  être  le 
corollaire  et  non  pas  le  préambule. 
Les  princes  allemands  possessionnés 
en  Alsace  étaient ,  avant  la  révolu- 
tion, les  plus  utiles  clients  de  Rew- 
bell :  dès  qu'elle  eut  commencé  son 
cours ,  il  devint  leur  adversaire  le 
plus  prononcé;  le  18  septembre  et 
le  9  octobre  1789,  il  les  peignit 
comme  autant  de  petits  tyrans  ,  qui 
étaient  te  fléau  do  sa  province,  et  il 
demanda  leur  spoliation  :  dans  toutes 
les  circonstances  oii  il  trouva  l'occa- 
sion de  les  attaquer,  il  tint  le  même 
langage.  On  sait  que  la  cause  de  ces 
princes  occupa  beaucoup  les  politi- 
ques ,  et  qu'elle  donna  lieu  à  des 
explications  très-sérieuses  entre  l'em- 
pereur d'Allemagne  et  le  gouverne- 
ment français.  Rewbell  voulait  qu'il 
ne  fût  point  question  de  négociations 
dans  cette  affaire  ,  et  qu'en  Alsace  , 
ces  princes  fussent  assimilés  aux  pos- 
sesseurs français  ,  et  ne  pussent  pré- 
tendre à  aucune  indemnité.  Le  14 
octobre ,  il  combattit  vivement  la 
mise  en  liberté  du  baron  de  Bezen- 
val ,  et  profita  de  la  discussion  éle- 
vée à  ce  sujet ,  pour  demander  la 
formation  d'un  comité  des  recher- 
ches ,  institution  honteuse  ,  qui  fut 
bientôt  établie ,  et  dont  il  fut  un 
des  membres,  f^c  caractère  emporté 
de  Rewbell  semblait  devoir  le  rendre 
étranger  aux  méditations  de  finance; 
il  s'en  occupa  cependant ^  mais  en 
suivant  un  système  plus  propre  à 


REW 

tourmenter   les   contribuables  qu'à 
remplir  le  trésorpnblic.  Le  19  dé- 
cembre,il  essaya  de  faire  rejeter  tous 
les  plans  financiers  qui  avaient  ële' 
indiqués  ,  et  proposa  d'y  substituer 
un  emprunt  force  sur  tous  les  pos- 
sesseurs de  numéraire  ,  et ,  pour  en 
obtenir   la    rentrée,  de  contraindre 
les  notaires  à  donner  un  état  des  es- 
pèces qu'ils  auraient  inventoriées  : 
mais,  comme  cette  mesure  ne  pou- 
vait être    que  fort   incomplète,    il 
demanda  qu'en    outre   on  chargeât 
les   municipalités  d'arbitrer  la  quo- 
te-part que  chaque  propriétaire  de- 
vrait verser  dans   l'emprunt.  Lors- 
qu'au mois  de  déceiribre  1789,  il  fut 
questionde  régler  l'état  ci  vil  des  Juifs, 
une   grande  partie  de  l'assemblée  , 
notamment    des  révolutionnaires  , 
se  déclara  en  leur  faveur  :  Rewbell 
se  montra  Tadversaire  impitoyable 
des  malheureux  Israélites.  Il  avança 
qu'en  Alsace  surtout  ,   cette  classe 
d'hommes  était  généralement  pros- 
crite ,  et  que  le   prétendu    bienfait 
qu'on  réclamait  pour  eux,  ne  pour- 
rait que  les  compromettre.  Le  décret 
qui  les  plaçait  dans  la  catégorie  des 
autres  citoyens  ,  ayant  passé ,  mal- 
gré ses  réclamations  ,  il  revint  à  la 
charge  ,  peu  de  temps  après ,  pour 
le  faire  rapporter ,  mais  ne  put  y 
parvenir.  Pendant  toute  la  session  , 
il  suivit  son   plan    de   destruction 
de  l'autorité  royale.  Au  commence- 
ment de  1790,  il  demanda  que  les 
pouvoirs   des  commissaires  du    roi 
fussentdiminués.  Quand  ondiscuta  la 
question  de  savoiràqui  serait  dévolu 
le  droit  de  faire  la  guerre  et  la  paix  , 
Rewbell  soutint,  avecopiniàtreté,  que 
ce  droit  devait  appartenir  aux  seuls 
représentants  de  la  nation  ;  et  parmi 
ces  représent.ints ,  il  refusait  de  re- 
connaître le  roi,  auquel  on  ne  don- 
nait que  la  simple  qualité  de  premier 


REW 


429 


magistrat,  sous  la  dénomination  de 
chef  suprême  du  pom'oir  exécutif 
(  I }.  A  cette  époque  ,  l'opinion  gé- 
nérale en  Alsace   n'était  point  fa- 
vorable à   l'assemblée.    La  spolia- 
tion du   clergé  y  passait  pour  une 
mesure  inique  ;  et  s'il  faut  en  croire 
Rewbell ,  elle  avait  donné  lieu  à  plu- 
sieurs   protestations  ;    il  les  dénon- 
ça avec  aigieur  /ainsi  que  les  fana- 
tiques et  les   aristocrates   qu'il    en 
supposait  les  instigateurs  :    il  nom- 
ma même    le   cardinal  de   Rohan , 
l'accusa   de   manœuvres   coupables 
en  ce  genre ,   et  proposa   qu'il   fût 
mandé    à    la    barre    pour    y    être 
interrogé    sur  sa    conduite  ,    quoi- 
qu'il fût  membre  de  l'assemblée.  Par 
amour   pour   les   assignats  ,    il  eut 
l'absurde  prétention  de  vouloir  dé- 
créditer l'or  et  l'argent ,  en   faisant 
la  singulière  motion,  que  les  espèces 
métalliques  ne  pussent  être  admises 
en  paiement  des  domaines  nationaux, 
et  que  ces  paiements  fussent  faits  ex- 
clusivement avec  le  nouveau  papier, 
qui  certainement  n'avait  pas  besoin 
d'une  mesure  législative  pour  jouir 
de  ce  privilège.  Rewbell  demanda 
que  la  culture  du  tabac  fût  libre  ,  et 
que  les  impôts  sur  cette  substance , 
l'un  des  moins  oppressifs  que  le  fisc 
ait  pu  imaginer  ,  fussent  diminués 
chaque  année,  et  définitivement  abo- 
lis. En  1791  ,  il  poursuivit  les  prê- 
tres insermentés  ,  et  sollicita   leur 
remplacement.  A  cette  époque  ,  il 
recommença  ses  attaques  contre  les 
princes  allemands,  et  fit  passer  à  un 
ordre  du  jour  au  moins  impolitique, 
s'il  n'était  pas  insultant ,  sur  une 


(1)  (^ette  cjualificatioD  étrange  chez  tine  ontiouqut 
voulait  cousei-^-er  le  ^ouvernoiueiit  inonarcliique ,  tut 
proposée  et  soutenue  par  Tliourt't.  ;ju  nom  du  co— 
inltc  (le  constitution  ;  et  ccpeudaut  Thourct  était 
aussi  habile  qu'instruit ,  et  Pun  des  membres  les  plus 
illsliiigués  de  l'assemblée.  Rarnave  le  combattit ,  et 
fil  déclarer  que  le  roi  était  le  repréwotaiit  licrédi- 
taire  d«  la  uatioii. 


43o 


REW 


réclamation  très-modcrée  de  l'erape- 
reur  d'Allemagne  en  leur  faveur  :  il 
s'opposa  ensuite  à  ce  qu'on  livrât  au 
gouvernement  autrichien  trois  par- 
ticuliers réfugiés  en  France,  et  qucl'on 
réclamait  comme  contrefacteurs  des 
billets  de  la  banque  de  Vienne.  Rew- 
bell  fut  un  des  députés  de  l'extrême 
gauche  ,  qui  sollicitèrent ,  avec  ie 
plus  d'acharnement ,  une  loi  contre 
l'émigration;  et  on  l'entendit  apos- 
tropher Mirabeau  ,  qui  jurait  de  dé- 
sobéir à  une  pareille  loi ,  si  jamais 
elle  était  portée  :  il  s'était  déjà  plu- 
sieurs fois  trouvé  opposé  au  député 
de  Provence  ,  et  toujours  avec  une 
assurance  beaucoup  au-dessus  de 
ses  forces.  Ce  fut  lui  qui,  le  i5  mai 
1791  ,  après  une  discussion  très- 
animée  et  souverainement  impoliti- 
que, fit  rendre, sur  les  colonies,  une 
loi  portant  que  leurs  assemblées  res- 
teraient organisées  telles  qu'elles  l'é- 
taient ;  mais  qu'à  l'avenir  les  gens 
de  couleur  nés  de  pères  et  de  mères 
libres  ,  auraient  le  droit  d'y  être  ad- 
mis à  l'égal  des  blancs.  Rewbell  eut 
pour  auxiliaires  dans  celle  discus- 
sion ,  qui  doit  occuper  une  place 
importante  dans  l'histoire  des  colo- 
nies, ses  collègues  Lafayelle  ,  de  La 
Rochefoucauld  ,  de  Tracy,  Dupont , 
Grégoire ,  Pélhion  ,  Robespierre  et 
quelques  autres.  Les  trois  derniers 
qu^on  vient  dénommer,  prirent  le 
parti  des  hommes  de  couleur  ,  avec 
une  chaleur  incroyable:  Barnave  les 
combattit  de  tous  ses  moyens  ,  en 
demandant  qu'on  s'en  tînt  au  décret 
précédemment  porté  ,  et  qu'il  ne  fût 
rien  statué  de  législatif  sur  les  colo- 
nies ,  que  sur  l'initiative  des  colons. 
Cette  discussion  mit  h;  feu  à  Saint- 
Domingue,  déjà  livre  aux  violences 
révolutionnaires;  les  gens  de  couleur, 
se  voyant  soutenus  ,  se  soulevèrent 
contre  les  blancs;  les  nègres  esclaves 


REW 

s'en  raclèrent ,  assassinèrent  leurs 
maîtres,  brûlèrent  leurs  habitations, 
etfaent  de  Saint  Domingue  un  théâ- 
tre d'horreurs.  Environ  trois  mois 
après  ,  Barnave  vint  à  bout  de  faire 
rapporter  ce  décret  :  mais  il  n'était 
plus  temps  ;  la  colonie  était  perdue 
sans  ressource.  Dans  la  matinée  du 
21  juin  i']Ç)f  ,  lorsque  l'assemblée, 
formée  à  peine  du  quart  de  ses  mem- 
bres ,  délibérait  sur  le  départ  du  roi , 
Rewbell  voulait  que  le  marquis  de 
Lafayelle  fût  appelé  pour  rendre 
compte  des  mesures  qu'il  avait  dû 
prendre  pour  empêcher  ce  départ, 
et  il  fit  entendre  que  le  général  pou- 
A'^ait  l'avoir  favorisé.  Alors  La- 
fayelle parcourait  les  rues  de  Paris, 
au  milieu  des  cris  de,  àbasLafayette 
et  de  vive  Lafajeltel  La  motion  de 
Rewbell ,  dans  une  pareille  circons- 
tance, pouvait  faire  égorger  le  géné- 
ral par  la  populace  ,  que  le  club  des 
Cordeliers  mettait  en  mouvement  de 
toutes  parts.  Barnave  fit  voir  com- 
bien la  soupçonneuse  proposition  de 
son  collègue  était  dangereuse  :  aussi 
fut  elle  repoussée  par  un  assentiment 
tuianime.  Le  motionnaire  ne  put  la 
développer.  Au  mois  d'août ,  peu  de 
temps  avant  la  fin  de  la  session  ,  il 
fit  un  véritable  appel  à  la  guerre,  en 
dcmandantque  les  troupes  françaises 
occupassent  les  gorges  de  Porenlrui. 
Rewbell  aurait  voulu  que  les  députésà 
la  constituante  pussent  faire  partiede 
l'assemblée  législative,  ctil  parla  avec 
chaleur  sur  cette  question  ,  qui ,  si 
elle  eût  été  résolue  allirmalivement , 
auraitau  moins  changé  le  coursdela 
révolution.  Après  la  session,  Rewbell 
fut  nommé  procureur-syndic  du  dé- 
parlement du  Haut-Rhin, où  il  fut  en- 
core le  propagateur  des  principes  ré- 
publicains. Après  le  10  août  ,  il 
contint  l'cITervesccncc que  cette  mal- 
heureuse   journée    avait    fait    naî- 


REW 

tre,  et  fut  député  pnr  son  dépar- 
tement à  la  Convention  nationale, 
où  il  développa  ses  opinions  ré- 
•volutionnaires ,  avec  une  nouvelle 
énergie  ,  et  recommença  ses  dénon- 
ciations contre  les  aristocrates  ,  et 
tous  ceux  qui  étaient  supposés  les 
amis  delà  royauté; contre  leraarqiiis 
de  Toulongeon  ,entie autres,  qu'il  lit 
décréter  d'accusation  :  il  essaya  ce- 
pendant de  soustraire  la  Convention 
à  l'influence  de  la  commune  de  Pa- 
ris, qui  l'entraînait  cliaque  jour  dans 
une  série  de  crimes  époiivantabies. 
Rewbcll  se  plaignit  de  l'espèce  d'ini- 
tiative que  cette  commune  prenait 
snr  toutes  les  délibérations  ;  et  il 
parut  en  cela  se  rapprocher  du  parti 
Girondin  :  mais  il  s'en  sépara  dans 
le  procès  du  roi,  a  (Taire  dont  ce  parti 
aurait  voulu  se  débarrasser.  Les  ac- 
cusations les  plus  odieuses  et  les 
moins  motivées  retentissaient  cha- 
que jour  à  la  tribune  contre  ce  mal- 
heureux prince  :  Rewbell  y  ajouta  de 
nouveaux  griefs,  exigea  qu'ils  fis- 
sent partie  de  l'accusation  ,  et  que  le 
royal  accusé  fût  jugé  sans  désempa- 
rer. Cependant  les  circonstances  em- 
pêchèrent qu'il  ne  coopérât  au  der- 
nier des  crimes  :  il  avait  été  envoyé 
à  Maïence  ,  en  qualité  de  représen- 
tant du  peuple  ,  et  pouvait  garder  le 
silence  dans  cette  odieuse  affaire  ; 
mais  il  voulut  y  participer  ,  au- 
tant qu'il  était  en  lui,  et  adressa  une 
lettre  ta  la  Convention,  où  l'on  trouve 
ce  passage  :  «Nous  sommes  entourés 
»  de  morts  et  de  blessés  ;  c'est  au 
»  nom  de  Louis  Capet ,  que  les  ty- 
»  rans  égorgent  nos  frères  ,  et  nous 
»  apprenons  que  Louis  C,T])ct  vit  en- 
»  core  !  »  Pendant  le  siège,  son  col- 
lègue Merlin  de  Thionvillc  et  lui 
avaient  adopté  les  formes  militaires, 
et  laisse  croître  de  longues  et  épais- 
ses moustaches.  Lors  do  !a  rcddilion 


REW 


43i 


de  la  place,  ils  jurèrent  qu'ils  ne  les 
quitteraient  pas  que  Rlaïence  ne  fût 
reprise....  Rewbell  accompagna  dans 
laVendéelagarnisondecette  ville,  qui 
périt  presque  tout  entière  dans  le 
pays  ,  mais  après  avoir  fait  essuyer 
aux  insurgés  des  pertes  qu'ils  ne 
purent  réparer.  Re^^bell  se  mon- 
tra le  défenseur  de  l'inepte  géné- 
ral Rossignol ,  espèce  de  brigand 
en  uniforme  ,  qui  avaiî  été  desti- 
tué ,  et  deman.'a  sa  réintégration  , 
qu'il  n'obtint  pas.  Il  fut  très-vive- 
ment accusé  ,  en  pleine  assemblée, 
de  s'être  approprié  l'argenterie  et 
autres  effets  de  l'électeur  de  I\Liïence: 
cette  dénonciation  fit  beaucoup  de 
bruit  ;  il  la  repoussa  audacieuse- 
ment,etobtint  l'ordre  du  jour.Bien- 
tôt,  épouvanté  du  terrible  ascendant 
que  prenait  Robespierre ,  Rewbell 
eut  l'adresse  de  se  faire  donner  des 
missions  pendant  presque  tout  le 
règne  de  la  terreur  ;  et  l'on  ne  dit 
pas  qu'il  y  ait  commis  les  cruautés 
reprochées  à  un  si  grand  nombre 
de  ses  collègues  :  il  garda  le  silen- 
ce pendant  la  crise  qui  précéda 
le  9  thermidor  ,  et  ne  défendit  ni 
n'accusa  Robespierre.  Après  celte 
journée  ,  il  se  jeta  dans  le  parti  ther- 
midorien ;  et  les  Jacobins  ne  trouvè- 
rent plus  dans  leur  collègue,  qu'un 
ennemi  qui  allait  les  poursuivre  à 
outrance  :  il  attaqua  d'abord  la  cor- 
respondance de  leurs  clubs ,  en  fit 
voir  les  dangers  .  et  mit  sous  les 
veux  de  l'assemblée  les  malheurs 
dont  ces  factieux  avaient  été  cause. 
Lors  du  procès  de  Carrier ,  dont 
il  fut  un  des  accusateurs  ,  il  les 
traita  encore  avec  moins  de  mé- 
nagement, lia  grande  terreur  avait 
cessé  :  un  attroupement  de  trois  ou 
quatre  mille  hommes  ,  formé  par 
l'indignation  universelle ,  et  parti  du 
Palais-Royal  et  des  rues  adjacentes. 


A3i 


REW 


avait  attaque  les  clubistes  dans  le 
lieu  de  leurs  séances  ,  et  les  en  avait 
chassés.  Cependant  ils  y  étaient  re- 
venus ,  ayant  à  leur  tête  une  dou- 
zaine de  conventionnels  :  mais  un 
nouvel  attroupement  entourait  leur 
salle  ;  le  sang  allait  couler:  la  force 
armée  intervint ,  et  la  salle  fut  enco- 
re une  fois  évacuée.  Le  lendemain  , 
les  députés  jacobins  dénoncèrent  ce 
fait  ,  et  demat  dèrent  vengeance. 
Rewbell  fut  cliargéd'un  rapport  sur 
cette  affaire  :  les  clubistes  croy&ient 
qu'il  leur  serait  favorable  ;  voici 
comme  il  réalisa  leur  espérance  : 
<i  Où  la  tyrannie  s'est  elle  organisée  ? 
»  Aux  Jacobins.  Qui  a  couvert  la 
»  France  de  deuil  ,  porté  le  déses- 
»  poir  dans  les  familles ,  peuplé  la 
»  république  de  bastilles  ,  rendu  le 
»  régime  républicains!  odieux  qu'un 
»  esclave  courbé  sous  le  poids  des 
»  fers  eût  refusé  d'y  vivre  ?  Les 
»>  Jacobins.  Si  vous  n'avez  pas  le 
»  courage  de  vous  prononcer  eu  ce 
w  moment ,  vous  n'avez  plus  de  ré- 
»  publique  ,  parce  que  a^ous  avez  des 
»  Jacobins.  »  L'orateur  justifia  en- 
suite les  insurgés  ,  et  brava  les  in- 
jures que  ses  collègues  de  la  monta- 
gne ne  lui  ménagèrent  pas  :  la  Con- 
vention adopta  ses  conclusions  ,  et 
décréta  que  le  club  serait  provisoire- 
ment fermé.  Il  le  fut  définitivement, 
quelque  temps  après;  le  local  qu'il 
ocrupait  fut  démoli.  A  cette  époque, 
Rewbell  fut  nommé  présiilent  ;  et 
il  obtint ,  parmi  ses  collègues  , 
plus  d'influence  qu'il  n'en  avait 
eu  jusqu'alors  :  il  fut  envoyé  en 
Hollande  ,  avec  Sieyes,  pour  traiter 
de  la  paix  avec  cette  république.  On 
sait  qu'avant  de  se  dissoudre ,  la 
Convention  décréta  que  les  deux  tiers 
de  ses  membres  feraient  parlie  des 
deux  Conseils  ,  cl  qu'elle  s'en  réserva 
le  choix.  Rewbell  fut  du  nombre  des 


REW 

élus  ,  et  ensuite  nomme  membre  du 
Directoire,  dont  il  devint  le  premier 
président.  On  l'a  considéré  comme 
un  des  plus  grands  travailleurs  de  ce 
gouvernement  inepte,  où  chacun  des 
cinq  directeurs  s'était  chargé  d'une 
administration  spéciale;  le  présomp- 
tueux Rewbell  s'attribua  les  affaii-es 
étrangères  ,  auxquelles  ,  par  ses  for- 
mes brusques,  ses  manières  tranchan. 
tes  ,  il  ne  pouvait  être  que  parfaite- 
ment étranger.  Cependant  il  avait  pris 
beaucoup  d'ascendant  sur  ses  collè- 
gues ,  qu'il  apostrophait  comme  s'ils 
eussent  étédans  sa  dépendance;  le  seul 
Barras  le  mettait  à  sa  place  et  luifaisait 
baisser  le  ton  :  il  paraît  que,  malgré 
l'habitudedes'arroger  le  premier  rô- 
le dans  les  grandes  délibéiations  poli- 
tiques, Rewbell  ne  joua  que  le  second 
dans  le  coup  d'élat  du  18  fructidor. 
D'ailleurs  les  manœuvres  qu'on  dut 
mettre  en  jeu  pour  arriver  à  cette  ca- 
tastrophe, n'avaient  point  lieu  dans 
le  palais  du  directoire.  Les  conspira- 
teurs auxiliaires,  qui  n'élaienl  pas 
les  moins  zélés  ni  les  moins  actifs  , 
tenaient  leurs  conférences  dans  des 
réunions  particulières  et  aussi  dans 
de  riches  hôtels,  oîi  des  ])ersonnes 
qui  n'étaient  pas  étrangères  au  gou- 
vernement ,  ou  qui  avaient  beau- 
coup d'influencedans  le  public,  pous- 
saientà  la  rouede  tous  leurs  moyens. 
On  croit  même  pouvoir  alTirmerque 
certaines  dames  ,  et  des  intrigants 
étrangers  ,  que  l'on  vit  aflluer  en 
France ,  pendant  nos  désastres ,  pour 
en  faire  leur  profit  ,  préparèrent 
très-activement  ce  drame  déplora- 
ble :  quelques  -  uns  même  s'en  sont 
vantés  ,  lorsqu'ils  se  croyaient  vain- 
queurs sans  retour;  et  l'on  peut  les 
croire  sur  parole.  Ce  fut  Rewbell 
qui  détermina  ses  collègues  h  enva- 
hir la  Suisse  :  peut  -  cire  Buona- 
parte  ,  pour   facditcr  l'cxpédiliou 


REW 

d'Egypte,  en  s'emparant  du  trésor 
de  l'élat  de  Berne,  avait  mis  en  tète 
à  RewbcU  ce  projet ,  qui  était  une 
injustice  aussi  odieuse  qu'impoiiti- 
que  ,  et  qu'aucune  raison  d'état, 
aucun  principe  révolutionnaire  mê- 
me ,  ne  pouvaient  excuser  ni  moti- 
ver. D'ailleurs  ,  Rewbeîl  avait  une 
inimitié'  personnelle  contre  la  ville 
de  Berne ,  où  ,  étant  venu  plaider 
une  cause,  dans  le  temps  où  il  n'é- 
tait encore  qu'un  simple  avocat  de 
Colmar  ,  i.l  avait  éprouvé  une  hu- 
miliation d'amour-propre  qu'il  ne 
pouvait  parJonner.  On.envoya,pcur 
taire  la  police  dans  le  pays  révo- 
lutionné ,  et  surtout  pour  y  lever  des 
contributions,  Rapinat  ,  beau-frère 
de  Rewbell.  On  fit  sur  ce  Rapinat, 
l'épigramme  suivante  : 

«  Un  pauvre  Suisse  qu'on  ruine 
«  Demandait  que  Ton  décidât 
»  Si  Rapiuat  vient  de  rapine, 
»  Ou  rapine  de  Rapinat.  » 

Rewbell  sortit  d«  Directoire  ,  au 
mois  de  mai  1791)  ,  par  la  voie 
du  sort  ,  un  peu  aidé  ,  dit  on  ,  et 
fut  remplacé  par  Sieyes  ,  qui  arri- 
vait de  l'ambassade  de  Berlin  avec 
le  projet  concerté  de  dissoudre  le 
gouvernement  dont  il  allait  faire  par- 
tie. Rewbell  descendit  du  trône  di- 
rectorial, qui  n'avait  plus  que  peu  de 
jours  à  exister,  et  entra  dans  le  con- 
seil des  Anciens.  A  peine  y  eut-il 
paru  que  les  plus  vives  dénoncia- 
tions attaquèrent  sa  conduite  admi- 
nistrative :  tous  les  anciens  griefs  con- 
tre lui  furent  renouvelés.  Il  se  défen- 
dit avec  cou  rage,  même  avec  hauteur, 
et  défia  ses  cnnemiis  de  prouver  ce 
qu'ils  avançaient  :  trois  ou  quatre 
comités  secrets  eurent  lieu  sur  la 
question  de  savoir  s'il  serait  mis  en 
accusation.  La  négative  fut  décidée, 
Rewbell  ne  se  mêla  point  de  la  révo- 
lution du  18  brumaire,  et  se  rcti- 

XXXVII. 


REW  433 

ra  incognito  des  affaires  publiques 
Nous  l'avons  vu  à  Paris,  après  sa 
retraite,  dans  un  costume  des  plus 
négligés  ,  sans  domestiques  ,  sans 
voiture,  quoiqu'il  passât  pour  avoir 
une  très-grande  fortune  ,  en  sortant 
d'une  place  des  plus  éminentcs,  dont 
le  traitement  public  était  de  six  cent 
mille  francs  ,  indépendamment  du 
logement ,  de  raïucubleraent  et  des 
fournitures  de  toute  espèce.  Nous 
l'avons  vu  même  se  tenant  à  la  porte 
des  bureaux  de  la  préfecture  ,  à  la 
<jf «eue suivant  l'expression  populaire, 
et  attendant  son  tour  pour  solliciter 
un  léger  dégrèvemciit  de  ses  contri- 
butions. Il  est  mort  dans  l'obscurité 
en  1801.  Rewbell  est  fort  m^iltraite' 
dans  les  Mémoires  publiés  par  Car- 
not  sur  les  événements  du  18  fruc- 
tidor :. celui-ci  le  présente  comme 
un  homme  crapuleux  ,  ignorant  , 
ivrogne  et  brutal.  Mais  comme  c'est 
le  rival  proscrit  qui  juge  son  anta- 
goniste et  son  proscripteur  ,  il  ne 
faut  pas  adopter  un  tel  jugement 
sans  défiance;  car  il  est  difficile  de 
croire  qu'un  avocat  dans  u*  con- 
seil souverain  ,  bâtonnier  de  son 
ordre  ,  et  qui  avait  une  clientelle 
nombreuse  et  distinguée  ,  député 
à  une  assemblée  qui  réunissait  de 
très  grands  talents,  n'eût  que  les  vi- 
ces les  plus  bas  ,  et  fût  absolument 
sans  moyens.  B — u. 

REWICZKY  (  Charles-Emeran- 
cupjDE  Revissikve,  comtc  DE  ),  cé- 
lèbre bibliophile,  naquit  en  Hongrie, 
le  4  uov.  1737.  Après  avoir  achevé 
ses  études  à  Vienne ,  il  visita  les  prin- 
cipales cours  del'Europe  ,  et  parcou- 
rut, en  savant  et  en  observateur,  les 
contrées  classiques  de  l'Asie.  Il  avait 
une  facilite  singulière  pour  appren- 
dre les  langues.  Outre  le  grec  et  le 
latin,  il  parlait  et  écrivait  également 
bien  le  français  ,  l'allemand  ,  l'iia- 
28 


434  REW 

lien  ,  l'anglais ,  l'espagnol ,  et  la  plu- 
part des  dialectes  du  Nord  et  de  l'O- 
rient. Ses  talents  et  son  caractère  le 
firent  connaître  aTautageuseracnt  à 
la  cour  de  Vienne.  Marie-Thérèse  le 
nomma  son  ambassadeur  extraordi- 
naire à  Varsovie  ;  et  Joseph  II  le 
rap])ela  de  Pologne  pour  l'envoyer  à 
Berlin,  dans  un  temps  où  les  minis- 
tres d'Autiiclie  n'y  jouissaient  d'au- 
cune espèce  de  faveur.  RtAviczkypar- 
A'int  à  faire  oublier  assez  promple- 
raent  qu'il  e'iait  l'agent  d'une  cour 
livale.  La  franchise  de  ses  m.inièjcs 
et  sa  politesse  lui  gagnèrent  bientôt 
la  confiance  des  ministres  prussiens. 
La  culture  des  lettres  était  poiir  lui 
Icplusi^oux  délassementdes  travaux 
diplomatiques  j  et  il  accueillait  avec 
empressement  les  savants,  les  ar- 
tistes et  les  littérateurs  ,  qui  trou- 
vaient des  ressources  abondantes 
dans  sa  conversation  ,  et  dans  sa  bi- 
bliothèque ,  l'une  des  plus  belles  et 
des  mieux  choisies  qu'aucun  particu- 
lier eiît  jamais  possédées.  Il  contri- 
bua beaucoup  à  répandre  dans  Ber- 
lin i(5*goût  des  bons  livres  et  des 
belles  éditions^  et  il  publia  lui-même 
une  édition  de  Pétrone  {  1784,  petit 
in-8''.  ) ,  qui  signala  ,  d'une  manière 
Ires-remarquable,  les  progrès  de  l'art 
typographique  en  Prusse.  Peu  de 
temps  après,  Rewiczky  fut  transféré 
à  l'ambassade  d'Angleterre:  il  justi- 
fia encore,  dans  ce  nouveau  poste  , 
la  confiance  de  son  souverain  ;  lo^is 
l'allhiblisscment  de  sa  santé  l'obli- 
gea de  renoncer  ,  en  1  790  ,  à  tou- 
tfs  fonctions  publiques.  11  refusa 
l'aniliassadc  de  Naples  ;  vendit  à 
lord  Spencer  sa  riche  bibliothèque  , 
moyennant  une  pension  viagère  ,  et 
niournl  .'1  Vienne,  eu  août  i  793.  De- 
nii'a  nous  apprend  (jnc  Uewiczky  se 
fit  connaître  ,  dans  sa  jeunesse  ,  par 
la  Traduclion ,  en  veis  latins,  d'un 


REW 

Poème  persan  (  V.  la  Prusse  litté- 
raire ,  tome  m  ).  Plus  tard,  il  tra- 
duisit, du  turc  en  français ,  un  Trai- 
té de  tactique,  par  Ibrahim  effcndi, 
Vienne,  1769,  in- 12.  Mais  il  doit 
toute  sa  réputation  au  Catalogue 
qu'il  a  publié  lui-même  de  sa  biblio- 
thèque, sous  le  nom  de  Periergus 
Deltophilus ,  et  dont  on  ne  sera  pas 
fâché  de  trouver  ici  le  titre  exact , 
quoique  un  peu  étendu  :  Bibliotheca 
a,rœca  et  latina  ,  coinplectens  auc- 
tores  ferè  oinnes  Grœciœ  et  Latii 
veteris ,  cwn  delectueditionum  tàm 
primariarinv^  et  rarisshnaruni  quant 
etiamsplendidissimarumatqueniti- 
dissimarwn  ,  quas  usui  ineo  paravi 
Periergus  Deltophilus ,  Berlin  ,  Un- 
ger  ,  1 784  ,  grand  in-8°.  Cette  pre- 
mière édition  ,  qui  n'a  été  tirée  qu'à 
un  petit  nombre  d'exemplaires  ,  dis- 
tribués en  présents  ,  a  été  décrite 
avec  beaucoup  d'exactitude  par  M. 
Peignot,  A&iïi\G  Répertoire  biblio- 
graphique universel,  pag.  193.  Ce 
Catalogue  a  été  réimprimé  à  Berlin, 
en  1794»  in-8°. ,  avec  l'indication 
des  ouvrages  que  Rewiczky  avait 
ajoutés  à  sa  bibliothèque  dans  Tes- 
pace  de  dix  ans.  C'est  donc  cette  édi- 
tion que  doivent  choisir  les  vérita- 
bles bibliophiles  ;  mais  les  biblioma- 
nes  donnetont  toujours  la  préféren- 
ce à  la  première  ,  à  cause  de  sa  gran- 
de rareté.  W — s. 

REY  (  Jean  )  ,  l'un  des  précur- 
seurs de  la  théorie  actuelle  de  la 
chimie  pneumatique,  naquit  vers  la 
fin  du  seizième  siècle  ,  à  Bugue,  dans 
lePérigord.  Après  avoir  reçu  le  bre- 
vet de  docteur  en  médecine,  il  vint 
habiter  la  forge  de  Rochebcaur.iiit, 
que  possédait  son  frère,  et  consacra 
ses  loisirs  à  l'élude  de  la  chimie  et  de 
laphysi(|ue. Il  entretenait  unecoires- 
pondance  scientifi([ue  avec  Brtict  et 
Dcschanips ,  l'un  apothicaire  et  l'an- 


REY 

ïre  médecin  à  Bergerac  ,  avec  Ra- 
phaël Triclict   DiitVesne,   avocat  à 
Bordeaux,  d'une  famille  qui  a  produit 
plusieurs  hommes  de  me'riic ,  et  avec 
le  célèbre  P.  Mersenne  (  F.  ce  nom  ), 
La  poursuite  d'un  procès  criminel  , 
et  ses  affaires  donicsliques,  le  détour- 
nèrent mallicareusemcnt  de  ses  utiles 
occupations  ;  et  depuis  long-temps 
il  avait  cessé  de  cultiver  la  chimie, 
science  dans  laquelle  il  avait  lait  des 
progrès  étonnants  ,  quand  il  mourut 
A'ers  1645.  Quinze  ans  auparavant , 
Rey  avait  publié  le   résultat  de  ses 
expériences  sous  ce  ù^^itr-.  Essais  sur 
la  recherche  de  la   cause  pour  la- 
quelle  l'étnin  et  le  plomb  augmentent 
de po: as nuand  on  les  calcine ,  Bazas , 
i63o,  in^''.  ,  de  i/jî  pag.  l/auteur 
nous  apprmd,  dans  sa  Préface  ,  que 
t'est  à  la   prière  de  Brun  ,    maître 
apothicaire  à  Bergerac  ,   qu'il  s'est 
occupé  de  ce  phénomène  dont  per- 
sonne n'avait  encore  donné  d'expli- 
cation   satisfaisante.  Le  livre  est  di- 
visé en  vingt-huit    chapitres  ou  es- 
sais. Dans  les  quinze  premiers ,  après 
avoir  traité  de  la  pesanteur  des  corps, 
il  indique  divers  moyens  de  constater 
oel'e    de   l'air   et   du   feu.    Dans  le 
seizième,  il  prouve  que  l'augmenta- 
tion du  poids  de  l'étain  et  du  plomb 
par  la  calcination  ,  est  le   résultat 
de  la  combinaison    de   ces  métaux 
avec  l'air  atmosphérique.  Il  emploie 
le   reste  de  son   livre  à  réfuter  les 
opinions  contraires  à  ce  sentiment  , 
que    les   expériences  des   chimistes 
modernes  ont  confirmé  .  entre  autres 
celles  du  célèbre  et  malheureux  La- 
voisier.    \j  ouvrage  de  Key  ,  devenu 
très-rare,  était  presque  inconnu,  lors- 
que Gohet   en  donna    une    seconde 
édition  ,  revue  et  augmentée  d'.iprès 
les  manuscrits  de  la  bibliuthlque  du 
Roi  ,  Paris,    1777  ,  in  S",  de  2i() 
pages.  L'éditeur  l'a  fait  pixicéderd'un 


REY  435 

Avertissement ,  et  d'une  Lettre  de 
Baycn  à  l'abbé  Rozier,  sur  les  décou- 
vertes de  Rey.  En  outre  ,  il  y  a  joint 
de^x  Lettres  du  P.  Mersenne,  avec 
les  réponses  de  Rey  ,  et  deux  autres 
Lettres  de  Brun  ,  tirées  des  ma- 
nuscrits de  la  bibliothèque  des  Mi- 
nimes de  Paris  ;  la  Manière  de  ren- 
dre l'air  visible  ,  par  P.  Moitrel 
d'Elément,  avec  la  liste  des  décou- 
vertes de  cet  hiibile  physicien,  ou- 
blié dans  tous  les  Dictionnaires,  et 
qui  mérite  d'èlrc  connu  ;  —  et  enfin 
lin  Extrait  de  la  Dissertation  da  P. 
Chénibin  d'Orléans,  iMrZ'i/nper/Hert- 
bilité  du  verre,  etc.,  imprimée  à 
Paris,  en  1G79  et  en  1700  ,  in-ia 
(  F.  CuERUBiN,  Vlll,  343-44). 
John  Murray  a  donné  une  notice 
sur  les  Essais  de  Jean  Rey,  dans  le 
Fhilosophical  Magazine  (  de  Td- 
loch),août  i8'^.3.  W — s, 

REYBAZ  (  Etienne-Salomon  ) , 
naquit  en  1739,  à  Vevai  ,  sur  les 
bords  du  lac  Léman  ,  et  fit  de  Ge- 
nève sa  seconde  patrie.  Il  y  fut 
consacré  au  ministère  évangélique, 
en  1765  ;  et  ses  sermons  y  eu- 
rent un  brillant  succès.  Cependant, 
comme  i!  n'exerçait  pas  de  fonc- 
tions pastorales  proprement  dites  , 
il  quitta  cette  ville,  après  les  trou- 
bles politiques  de  1782  ,  et  finit  par 
se  fixer  à  Paris,  où  il  résida  pres- 
que constamment  jusqu'à  sa  mort, 
arrivée  le  u3  oct.  1804.  Vers  les 
commencements  de  la  révolution, 
il  écrivit  quehpics  articles  dans  les 
journaux  ,  et  passa  même  pour 
un  des  nombreux  coli.iboraleurs 
de  Mimbeau.  Il  eut  surtout  occa- 
sion de  déployer  ses  qualités  dans 
le  poste,  souvent  difficile,  de  re- 
présentant de  la  répub!i<pic  de  Ge- 
nève près  de  la  république  française. 
Plus  tard  ,  il  concourut ,  par  ses 
conseils,  à  la  préparation  des  articles 
■i8.. 


43G  REY 

organiques  du  culte  protestant  ,  fai- 
sant partie  de  la  loi  du  1 1  gcrralnal 
an  X  {'Z  avril  1802  ).  Rentré  dans  la 
vie  privée  ,  il  reprit  son  goût  poul"  la 
littérature  ;  et  il  revit  ses  Sermons 
dont  il  publia  un  choix  ,  avec  des 
Hymnes  analogues  à  chaque  ser- 
mon ,  et  une  Lettre  sur  l'art  de  la 
prédication,  Paris,  1801,  '2  vol. 
in-8'^.  Quel  que  soit  le  mérite  réel  de 
ces  discours  ,  on  comprend  ,  en  les 
lisant ,  ce  que  disent  ceux  qui  ont 
entendu  Rcybaz ,  que  le  charme  de 
son  débit  eut  part  aux  succès  qu'il 
obtint  à  la  chaire.  Dans  la  Lettre 
dont  nous  venons  de  parler,  où  l'on 
trouve  d'excellents  préceptes ,  tracés 
avec  la  justesse  de  pensées  et  d'ex- 
pressions qui  caractérisait  le  talent 
de  Reybaz  ,  il  exprime  toute  l'im- 
portance qu'il  attache  à  l'éloquen- 
ce extérieure,  d'accord,  en  cela, 
avec  les  maîtres  de  l'art.  Il  avait 
donné,  en  1777,  dans  l'Année  lit- 
téraire (nos.  21  et  a-î  ) ,  une  Lettre 
sur  la  déclamation  théâtrale  ,  où 
l'on  remarqua  un  parallèle  entre  les 
acteurs  tragiques  ,  I.ckain  et  Au- 
fresne.Ona  loué  un  poème  sur  V^rt 
de  prêcher,  qu'il  avait  lu  dans  les 
sociétés  ,  et  qui  est  resté  inédit.  Les 
amateurs  ont  conservé  le  souvenir 
de  ses  Stances  sur  la  mort  de  J.-J. 
Rousseau,  et  de  quelques  autres  piè- 
ces de  vers,  non  imprimées.  Il  a 
publié  une  Ode  à  M.  Necker,  1788  , 
in-4°.  ,  et  une  Epître  à  J.  Balmat , 
pour  revendiquer  en  faveur  de  ce 
villageois  de  Chamoni,  l'honneur 
d'avoir  le  premier  atteint  le  sommet 
du  Montbianc,  le 8 août  1786.  Saus- 


(1)  Ccllo  jiremu-rfi  asconsioii  fut  cntrojirisc  et  dî- 
rigcfl  par  le  mérlccin  Pactard  ;  ce  f|u'nu  pocle  a 
cxpriiiii.'  nsscx  licurcuscincnl  par  ces  vers  : 

De  Siiissiirc  ."1  la  cime  est  onivé  Irop  tard, 
ttdi-ji  le  Moul-lllanij  était  le  Moul-H.iccard. 

(  Ubiidc,  l'cyiigt  ,in  lilint-Blurc ,  pag.  n.  ) 


REY 

sure  n'y  monta  que  l'année  suivante 
(\)  {  F.  Saussure  ).  La  fille  unique 
de  Reybaz  a  épousé  M.  Baggescn, 
poète  danois  fort  connu.  Z. 

REYMOND  (Henri),  évêqne  de 
Dijon  ^  né  le  21  novembre  1737,  à 
Vienne  en  Dauphiué,  lit  ses  pre- 
mières études  dans  cette  ville  ,  et 
prit  ses  degrés  dans  l'.université  de 
Valence.  Lorsque  les  Jésuites  furent 
renvoyés  du  collège ,  on  le  nomma 
professeur  de  philosophie.  II  devint 
ensuite  curé  de  Sainl-George,  à  Vien- 
ne. Deux  procès  qu'il  eut  à  soute- 
nir contre  le  chapitre  noble  de  Saint- 
Pierre  de  Vienne,  paraissent  avoir 
contribué  à  l'exaspérer  contre  le 
haut  clergé.  Son  premier  écrit  : 
Droits  du  curé  et  du  paroissien , 
1776  ,  in -8".  ,  fut  supprimé  par 
ordre  du  parlement  de  Grenoble; 
mais  il  a  été  réimprimé  en  1791, 
3  vol.  in  -  12.  Reymond  se  fit  dé- 
puter à  Paris ,  par  les  curés  de  la 
province,  pour  réclamer  l'augmen- 
tation des  portions  congrues.  Il  pu- 
blia un  Mémoire  sur  cette  affaire ,  en 
1780,  et  un  autre  écrit  intitulé: 
Droits  des  pauvres,  1781.  L'un  et 
l'autre  étaient  dirigés  contre  les  gros 
décimateurs.  Reymond  se  mit  enco- 
re à  la  tcte  des  curés,  pour  réclamer 
des  places  dans  la  chambre  des  dé- 
cimes. 11  fit,  pour  cela,  le  voyage  de 
Paris,  obtint  ce  qu'il  souhaitait ,  et 
fut  nommé  député.  Ces  écrits  et  ces 
démarches  avaient  fait  connaître  le 
curé  de  Saint-George  dans  la  provin- 
ce, et  l'avaient  misenoppositionavcc 
le  haut  clergé.  Au  commencement 
de  la  révolution  ,  il  se  signala  par 
une  Analj^se  des  principes  consti- 
tutifs des  deux  puissances  ,  avec 
une  Adresse  aux  curés.  On  trouve 
des  Observations  sur  cet  ouvrage  , 
dans  le  tome  vu  de  la  Collection 
ecclésiastique  publiée  sous  le  nom 


REY 

de  l'abbé  Barruel  ;  et  l'on  y  accuse 
l'auteur  d'avancer  que  la  dislincliou 
des  liie'rarchics  est  d'invention  hu- 
luaine.  Reymond  prêta  le  serment  en 
i-jQi  ,  et  tut  élu,  rannéc  suivante  , 
e'vcquc  de  l'Isère ,  à  la  place  de  Pou- 
chot,  qui  n'avait  siégé  qu'un  an.  Il 
fut  sacré,  le  i5  janvier  1793,  par 
Savincs ,  évèque  de   Viviers,   Mais 
bientôt  les  progrès  de  la  terreur  s'é- 
tendirent aussi  sur  le  clcrj^é  consti- 
tutionnel. Pveymond  fut  arrêté, et  pas- 
sa près  d'un  an    en  prison.  Après 
la  chute  de  Robespierre  ,  il  se  retira 
dans  sa  famille,  et  fut  quelque  temps 
sans  vouloir  reprendre  ses  fonctions. 
Aussi ,  dans  les  Annales  de  la  reli- 
gion, journal  des  constitutionnels,  ré- 
digé par  Dcsbûis,se  plaignait-onde  sa 
négligence.  Ces  plaintes  réveillèrent 
apparemment  le  zèle  de  l'évêquc  de 
l'Isère  ,  qui  adhéra  aux  encycliques  , 
assista  aux  conciles,  et  prit  même 
part  à  quelques  actes  du  comité  dit 
des  Réunis.  On  le  chargea  de  pu- 
blier les  actes  du  concile  de  1.797 , 
et  de  rédiger  quelques  pièces  rela- 
tives à  cette  assemblée.  Il  donna  sa 
démission,  en   1801  ,  comme  tous 
ses   collègues ,  et   fut   promu  l'an- 
née suivante,  au  siège  de  Dijon.  Ses 
amis  a%(urent  qu'il  refusa  de  se  ré- 
tracter devant  le  légat;  mais  il  si- 
gna, en  i8o4,  la  formule  prescrite 
par  le  pape.  On  lui  reproche  néan- 
moins d'avoir  favorisé  constamment 
le  parti  constitutionnel  ;  et  les  An- 
nales de  la  religion  citent  de  lui , 
tome  XVII,  page  117,  un  Discours 
qui  montre  ion  attachement  aux  mê- 
mes principes.  D'un  autre  côté,  l'é- 
vêque,  dans  un  Mémoire  qu'il  com- 
posa depuis   (  nous  dirons  à  quelle 
occasion),  se  vante  d'avoir  i établi 
la  paix  partout ,  d'avoir  rouvert  son 
séminaire  dès   la  première  année  , 
pourvu  aux  plus  pretsanls  besoins 


REY 


437 


du  culte  divin  ,  fait  des  conférences 
dans  son  église  ,    pendant  tout  un 
carême  ,  lesquelles  conférences  fu- 
rent  depuis   imprimées.    11   assure 
qu'il  ])ublia  plus  de  quatre-vingts 
Mandements  ou  Lettres  pastorales. 
Ce  prélat  ne  fut  pas  toujours  heureux 
dans  ses  démarches  et  ses  écrits.  Eu 
181 4,  il  refusa  de  faire  chanter  un 
Te  JJeum  pour  le  retour  du  roi.  Le 
si'2  avril  181 5,  il  publia  une  Lettre 
pastorale  ,  où  il  présentait  le  retour 
de  Buonaparle  comme  un  bienfait 
de  la  Pi  ovidence  :  cette  Lettre  était 
suivie  d'un  jwst- script um  fort  sin- 
gulier ,  oii  Reymond  ,  se  livrant  à  des 
discussions  politiques,   prouvait  di- 
sertcment  qu'une  nouvelle  coalition 
était  impossible.  Il  vint  à  la  céré- 
monie du  Champ-de-Mai,  et  signa 
l'acte  additionnel.  Après  le  second 
retour  du  roi,  il  fut  mandé  à  Paris, 
et  on  l'y  retint  un  an.  Ce  fut  alors 
qu'il  composa  un  Mémoire  où  il  al  - 
lègue  des  raisons  tout  au  plus  spé- 
cieuses pour  sa  justification.  Ce  Mé- 
moire, qui  a  été  inséré  dans  la  Chro. 
nique   religieuse  ,   to?ne   iv,    page 
404,  offre  une  espèce  de  biographie 
du   prélat,  et    nous  y  avons  puisé 
quelques  traits.  En    1817  ,    l'évê- 
que  obtint   de  retourner  dans  son 
diocèse.  Une  circulaire  qu'il  publia 
le  1 4  septembre  de  l'année  suivante, 
pour  dispenser  ses  diocésains  de  l'abs- 
tinence ,  excita  beaucoup  de  rumeur. 
(  Voyez,  sur  cet  objet  ,  ['Awi  de  la 
religion^  tom.  xvii,pag.  3g5.)Rfy- 
mond  mourut  subitement,  le  20  fe'- 
vrier  i8'40  ,  au  moment  où  il  allait 
se  mettre  au  lit.  P — c — t. 

REYNARD  (  Juslmicn  ) ,  profes- 
seur de  physique  à  Amiens  ,  né  le  4 
février  174^,  mérite  une  place  dans 
la  Biographie  universelle ,  comme 
ayant  contribué  à  donner  l'impul- 
sion à  une  branche  de  la  science  , 


438  REY 

en  sortant  de  la  sphère  étroite  de 
îa   plupart  des  professeurs   de  son 
temps.  Il  fut  un  de  ceux  qui ,  après 
la  suppression  des  Jésuites  ,  les  rem- 
placèrent le  plus  honorablement  au 
collège  de  celte  ville,  oîi  il  eut  pour 
confrères  l'abbcDelille  et  Sé!is.  Rey- 
ïiard  avait  fait  ses   études  au  même 
collège,  et  les  avait  achevées  à  Pa- 
ris ,    an   séminaire   de    Saint  -  Sul- 
pice.   Il  y  était  devenu  maître  des 
conférences  ,  suivant  !a  Notice  inse'- 
rc'e  dans  le  Journal  de  la  Somme  ; 
et  il  fut  reçu  rioctcur  de  Sôibonne 
en    1767.  Il   fiit   alors  appelé  par 
M.  Doriéans  La  Mothe,  pour  pro- 
fesser, à  Amiens  ,    la   philosophie, 
qui  comprenait  la  logique  et  la  phy- 
sique.   Le   choix,  du   prélat  annon- 
çait tout  ce  qu'on  pouvait  attendre 
du   jeune  professeur;   mais,  d'une 
complexion  délicate,  il  finit  par  se 
renfermer  dans  l'enseignement  de  la 
physique, dont  la  carrière  embrassait 
les  malhématiqces,  la  chimie,  et  mê- 
me l'anatomie  (  1  );  Il  fut  l'un  des  pre- 
miers à  donner,  eu  français,  dans  les 
collèges,  des  leçons  publiques  d'une 
science  qui,   se  composant  de  faits 
nouveaux  .  demandait  une  nomencla- 
ture nouvelle.  Ceux  qui  ont  assisté  à 
ses  cours,  se  rappellent,  ainsi   que 
l'auteur  de  cet  article,  avec  quel  inté- 
rêt il  enseignait,  et  avec  (|uelle  facilite 
d'éloculion  et  quels  soins  prévenants 
il  savait  inspiier  le  goût  de  la  scien- 
ce à  ses  élèves.  Sa  physique  générale 
n'était  point  unc|nireel  sèche  théorie 
mathématique;  elle  était  surtout  ap- 
puyée ,  dans  ses  résidtats,    par   la 
physique  expérijnentale ,  et  par  l'a- 


(j)  Afin  <!<■  mieux  rcninlir  «es  divers  t'{iiiis,  il  se 
nitinisMiit  d'inslruniei.t»  ;i  ses  frais;  et  c'i  Ini»  aux 
di')ii-ii!i  (lif  Hfiii  npris  qu'il  inépaiiiil  sps  I<coii5. 
Prmr  lin  p>ij  ni-rdic  ilc  Iciiid»  ,  la  veille  (rniie 
cIciiiiiiittn.tiMi,  ir,)..|é.,lr,pie,  il  .s'ncciiliait  de  in»»eiii- 
hler  louiez  li  «  )iaitii>5  d'nn  «cjuilile  :  mais,  t-Dinnio 
sa  L'Iiaiiilire  etail  liè».|i(tile  ,  il  jinsnit  le  siiuelito 
nui'  «lu  lit ,  et  dorinail  sur  un  l'aiiteiiil. 


HEY 

nalyse  chimique.  Si  sa  santé    et  des 
circonstances  ultérieures  lui  eussent 
permis  de  continuer  l'enseignement 
publie  de  cette  science  dans  un  âge 
plus   avancé,   il   lui  eût    appartenu 
sans  doute  de  développer  et  de  pro- 
pager les  nouvelles  expéiiences  d'un 
de  ses  anciens  auditeurs  ,  expériences 
qui  doivent  faire  de  l'optique    une 
science  toute  nouvelle  ,  si  les  obser- 
vations sur  lesquelles  elle  se  fonde , 
donnent  en  effet  le  lésultat  qu'elles 
annoncent,  et  qui  paraît  entièrement 
contraire  au  système  mathématique 
de  Newton  {•2).  Re)nard,  apiès  plus 
de  vingt  années  d'un  professorat  pé- 
ni])le  ,  quitta  sa  chaire,  en  1  787  ,  et 
vint  dans  la  capitale  se  livrer  avec 
moins  de  fatigue  à  l'éducation  parti- 
culière. Quoi(ju'd  eût  ouvert  avec  suc- 
cès un  cours  pour  quelques  élèves  , 
il  les  menait  prendre  part,  avec  lui, 
aux  expériences  de  Lavoisier ,  dont 
il   avait  ,   le  prenuer  ,   professé  ,   à 
Amiens,  la  nouvelle  théorie  chimi- 
que.-Suivant  la  notice  insérée    au 
Journal  d'agriculture  de  la  Somme  , 
ce  fut  Rî-ynard    qr.i    détermina    IM. 
Vauquelin,  jeune  alors,  à  faire  son 
premier  cours  de  chimie  appliquée 
.uix  arls,  ei  qui  ,  par  le  giand  nom- 
bre d'élèves  qu'il  lui  prociiib  ,  con- 
courut à  établir  sa  réputation.  Key- 
nard  ,  considérant  surtout  la  scien- 
ce sous  ses  rapports  d'nlilité,  s'oc- 
cupa également  de  suivre  et  de  fai- 
re connaître   les  nombreuses  expé- 
riences de  Parmentier  sur  l'art   de 
la  boulangerie;  et  ce  fut  d'après  ses 
démarches  auprès  du  comte  d'Agay, 
intendant   de  Picaidie  ,   que  ce  sa- 
vant fut  attiré  à  Amiens,  où  sa  pré- 
sence féconda  cet  art,  qui,  jusqu'a- 


(ï)  Viiy<-/.  le  Nnnnrl  (/'../iZ/'/we  r.t/iériiiuniiile  , 
ynrMA.ù.  Hihii geeii^ ,  et  le  compte  c)iii  eu  e.st  rendu 
fiai]»  le  IliiUrtin  universel  (le  M.  de  Ttriisiiac,  loiu. 


REY 

lors  ,  avait  fait  peu  de  progrès  dans 
l'une  des  provinces  les  plus  fertiles 
en  blés.  L'abbé  Reyuard  voyagea  d'a- 
bord en  Italie,  avec  quelques  An- 
glais, pendant  les  premières  années 
de  la  révoiutiou  ;  et,  à  son  retour,  il 
fut  l'instituteur  de  M.  Lecouleux  Du- 
niolay  fils  ,  depuis  préfet  de  la  Côic- 
d'ur.  Il  l'accompagna  eu  Espagne, 
avec  le  comte  de  Pilos ,  plus  connu 
sous  le  nom  d'Olavidé,  dont  il  oou- 
tiibiia  sans  doute  à  rappeler  ou  à 
fortifier  les  sentiments  religieux.  De 
retour  en  France,  amenant  avec  lui 
de  jeunes  Espagnols  sans  fortune, 
il  institua  ,  dans  sa  vieillesse  ,  à 
l'exemple  du  maître  de  Rollin  (  T^. 
Hersan),  une  école  pour  les  enfants 
pauvres.  Il  resta  une  année  à  Baïon- 
ne ,  pour  y  faire  l'essai  de  sa  méthode 
desimplilicilion  de  lectuie  et  d'écri- 
ture ,  eu  combinant  les  movens  prati- 
ques de  l'abhé  Gaultier  et  deFréville 
avec  ceux  du  cbevalier  Paulet;  mais  , 
afin  de  mieux  instruire  ces  enfants  en 
les  amusant,  il  leur  faisait,  non-seu 
lement  prononcer  de  concert ,  mais 
chanter  en  mesure  les  lettres  et  les 
syllabes  de  l'alphabet  ,  et  ensuite 
de  petites  phrases  rime'es  ,  qui  leur 
inculquaient,  par  de  courtes  sen- 
tences ou  maximes  ,  les  premiers 
principes  de  l;i  morale  et  de  la  reli- 
gion. Cet  essai  d'un  homme  simple 
et  désintéressé  ne  fut  pas  heureux. 
Vivant  à  peine  d'une  pension  qu'il 
devait  à  la  reconnaissance  d'élèves 
distingués,  et  qu'il  pailageait  avec  les 
plus  pauvres  ,  incapable  d'intriguer 
pour  faire  valoir  ses  services  ,  il  s'a- 
dressa au  ministère,  et  vint  même  à 
Paris ,  mais  ne  put  attirer  sur  sa  mé- 
thode l'attention  du  gouvernement, 
livré  alors  à  des  vues  politiques  bien 
difierentes.  Retiré  enfin  à  Amiens , 
dont  l'évcque ,  M.  de  Mandolx  ,  sui- 
vant une  Notice  nécrologique  sur 


REY 


t39 


ReyDard(3)  avait  été  un  de  ses  élè- 
ves à  de  Saint  Sulpice ,  il  fut  nom- 
mé chanoine  honoiaire  de  la  cathé- 
drale de  celte  ville,  où  il  mourut, 
le  9  mai  1818.  G — et. 

REYNAUD  (  Marc  -  Antoine  ) , 
écrivain  appelant ,  né  vers  17  17  ,  à 
Litnoux  en  Languedoc,  se  destina 
de  bonne  heure  à  l'état  ecclésiasti- 
que, et  entra  comme  novice  ,  à  Tab 
baye  de  S;iint  i'olycarpe  de  Razès  , 
qui  avait  été  réformée  par  l'abbé  de 
LaFite-Maria:  mais  les  troubles  sur- 
venus dans  cette  abbaye  ayaut  porté 
l'aulorilé  à  renvoyer,  en  1741  ,  les 
postulants  et  les  novices, Reynaud  fat 
obligé  de  se  retirer,  et  trouva  un  asile 
dans  le  diocèse  d^Auxerre  ,  où  l'évé- 
(!ue,M.  deCayiiis,  accueillait  les  op- 
posants des  parties  les  plus  éloignées 
du  royaume.  Le  prélat  conféra  les 
ordres  à  Rrynaud,  et  lui  donna  la 
cure  de  \  aux,  prèsd'Auxerre,  place 
que  celui-ci  occupa  environ  quarante 
ans.  II  s')'  montra  toujours  fidèle 
aux  opinions  de  son  patron.  Tous 
les  ans  ,  il  venait  à  Pans;  et  l'on  dit 
qu'il  ne  manquait  pas  d'aller  en  pè- 
lerinage sur  les  ruines  de  Port  Royal. 
Ses  éciits  annoncei'tun  homme  vif  et 
même  pétulant ,  et  le  style  en  est  peu 
soigné  :  ils  peuvent  se  diviser  en 
quatre  classes  ,  dont  la  première 
contient  ceux  en  faveur  de  l'appel  et 
des  objets  qui  s'y  rattachent;  la  se- 
conde ,  quelques  ouvrages  contre  la 
philosophie  naissante  ;  la  troisième  , 
les  écrits  contre  les  convulsions  et 
les  secours;  et  la  quatrième,  ceux 
contre  la  constitution  civile  du  cler- 
gé. Reynaud  montra  de  i'ardeur  dans 
ces  dilicientes  controverses  ,  et  sur- 
tout dans  celles  sur  les  convulsions 


(3)  Vov.le  Journal  d'n^iirullure au  déparUment 
de  la  Xoniiiie  ,  mai  18:8  ,  et  l'extrait  qui  en  *  paru 
dans  les  Aniuilct  crrycloptdiifues.  lll.  i'iï. 


44o  liiiY 

et  les  secours.  Les  convulsions  ,  ne'es 
autrefois  sur  le  tombeau  du  diacre 
Paris,  continuaient  encore  dans  l'om- 
bre ,  à  la  lionte  du  parti  qui  favori- 
sait ces  coupables  folies  relies  avaient 
enfante  les  secours  ,  nom  que  l'on 
donnait  à  des  cruautés  horribles 
cxercc'cs  envers  les  convulsionnaires. 
On  les  frappait  avec  des  barres  de 
fer  ,  on  les  perçait  à  coups  d'ëpe'e  , 
ou  du  moins  on  essayait  de  les  per- 
cer ,  on  les  crucifiait  même  j  car  on 
alla  jusqu'à  cet  excès,  et  cela  s'appe- 
lait les  secourir  (i).  On  doit  sans 
doute  rougir  que  de  tels  scanda, 
les  aient  eu  lieu  parmi  des  gens 
qui  alficLaicnt  des  principes  sévères. 
Reynaud  fut  un  des  plus  ardents  à 
s'élever  contre  ces  scènes  insen- 
sées ,  et  il  en  signala  les  turpitu- 
des avec  une  franchise  et  une  persé- 
vérance qui  lui  font  honneur.  Celui 
qu'il  attaqua  le  j)lus  vivement  à  ce 
sujet ,  est  le  Père  Lambert ,  domini- 
cain ,  qui  n'a  pas  craint  de  se  faire 
l'apologiste  des  plus  honteux  excès. 
Reynaud,  ayant  été  obligé  de  quitter 
sa  cure  pour  refus  de  serment,  passa 
deux  ans  en  prison  ,  et  se  retira  en- 
suite à  i'hôlel-dieu  d'Auxcrre  ,  puis 
dans  une  maison  particulière  de  cette 
"ville  ,  oîi  il  mourut,  le  23  octobre 
1796.  Ou  a  son  Eloge  funèbre,  pro- 
noncé à  Paris,  dans  l'église  Saint - 
Etienne  -  du -Mont ,  le  19  janvier 
1797  (2),  par  l'abbé  Saillant,  diacre 
aussi  attaché  au  parti  de  l'appel. 
Nous  joignons  ici  une  liste  des  écrits 
de  Reynaud  :  I.  Un  Abrégé  de  la 
vie  de  Nicolas  Cveusot ,  curé  d'Au- 


(i)  Voyez ,  sur  ces  ridicules  pratiques  ,  Vffiitinre 
dc(  serin  rt-liff ruses,  par  M.  Grégoire  ,  I  ,  378,  et 
lurtoiil  la  NoIiiM  de  i'œuvre  ihs  euiwulsioiis  et  des 
secours  [  jiùrle  P.  Crêpe  ),i-89,  iii-iî. 

(ï)DansretA7,.ge,  lenom  du  ruré  «le  Vaux  (st 
«'crit  R.guaiiri  ;  il  cKo  (aule  a  passe  de  là  dan»  le 
Vict.  des  anuiiymes  ^  ol  dous  d'autres  bibliogra- 
phies. 


REY 

xerre,  1764,  in-12.  IL  Le  Philo' 
sophe  redressé ,  ou  Béfulation  du 
livre  De  la  destruction  des  Jésui- 
tes ])a.v  d'Alembcrt,  1  7G5  ,  in-ia. 
(  Foj'.  MiRASSoN  ).  m.  Traité  de 
la  foi  des  simples  ,  1 770 ,  in  -  1 2. 
IV.  Lettre  aux  auteurs  du  Mili- 
taire philosopha  ,  du  Sjstème  de  la 
nature,  etc.,  2vol.  in- 12.  V.  LeDé- 
lire  de  la  nouvellephilosojihie^ou  Er. 
rata  delà  Philosophie  de  la  nature , 
par  un  Père  picpus  ,  «775,  in-12. 
VL  Histoire  de  l'ahhaje  de  Saint- 
Polrcatjje,  1775.  VIL  Lettre  aux 
cordicoles ,  1 78 1  ,  in- 1 2  ;  la  seconde 
cciilion  parut  sous  le  titre  de  Lettre 
aux  alacoquistes  dits  cordicoles. 
Vin.  Lettre  au  R.  P.  L.  P.  D.  (  la 
Plaigne  ou  Lambert)  ,  du    i5  aoîit 

1784,  in-  12.  IX.  Seconde  lettre 
aux  secouristes;  11  février  1785, 
in  -  12.  X.  Troisième  lettre  aux 
secouristes  ,  principalement  à  leur 
chef,  le  B.  P.  L.  P.  D.,  5  avril 

1785,  in- 12.  XL  Quatrième  lettre 
aux  secouristes,  \  i  novembre  1 785, 
in-12.  XIL  Cinquième  lettre  aux 
secouristes  ,  8  décembre  1786  ,  in- 
12.  XIIL  Le  mj stère  d'iniquité  dé- 
voilé,  1788,  in-12  de  36o  pag.  ; 
ouvrage  curieux  pour  l'histoire  des 
convulsions  et  des  secours.  XlV. 
Lamentations  amèj'es ,  et  derniers 
soupirs  des  écrivuins  secouristes , 
inême  année,  in- 12,  XV.  Béponse 
d'un  curé  de  campagne  à  la  mo- 
tion scandaleuse  d'un  prêtre  (  l'abbé 
Cournaud  ) ,  '79^1  iu-12.  XVL 
Lettre  à  une  religieuse  sortie  de 
son  couvent,  22  septembre  1790  , 
in-12.  XVIL  Lettre  d'un  curé  d'A- 
vignon à  un  curé  de  campagne  , 
auteur  delà  Constitution  et  laBeli- 
gion  parfaitement  d'uccord  ,  9  dé- 
cembre i7f)'  ,  in- 12.  XVII L  Bé- 
ponse à  V Avis  aux  fidèles  pat'  un 
janséniste  jérosolomilain  y  1791  j  la 


REY 

Béponse  et  W'ii'is  n'ont  (ine  8  pag. 
in- !'->,.  Ji\X..  Epitres  et  Evangiles  à 
l'usage  des  malades.  Il  paraît  que 
Reynaud  avait  encore  compose  un 
Supplément  à  la  vie  de  M.  Sainson , 
]e  Secourisme  détruit ,  et  un  Cate'- 
cbisme  pour  prouver  que  la  religion 
chrétienne  est  utile  dans  toute  es- 
pèce de  gouvernement  ;  on  ne  sait 
si  ce  dernier  écrit  a  été  imprimé.  On 
trouve  une  Notice  plus  étendue  sur 
Reynaud  dans  VAmi  de  la  religion , 
tome  XXXV,  pag.  Sg.      P — c — t. 

REYNEAU  ('ChIrles  (i)  ),  ha- 
bile géomètre,  naquit  en  i656,  à 
Brissac,  dans  l'Anjou,  et,  après  avoir 
terminé  ses  études  ,  entra  dans  la 
congrégation  de  l'Oratoire  ^  à  Paris. 
Il  professa  la  philosophie  à  Toulon  , 
à  Pézenas  ,  et  ensuite  les  mathé- 
matiques au  collège  d'Angers  ,  pen- 
dant vingt  deux  ans,  avec  un  tel  suc- 
cès ,  que  l'académie  de  cette  ville , 
nouvellement  fondée  ,  s'empressa  de 
se  l'associer,  honneur  qu'elle  n'a  ja- 
mais fait  depuis  à  des  membres  d'au- 
cune congrégation.  Sa  vie  ,  dit  Fon- 
tenelle  ,  a  été  la  plus  simple  et  la  plus 
uniforme  qu'il  soit  possible  :  l'étude, 
la  prière  ,  et  deux  ouvrages  de  ma- 
thématiques, en  sont  tous  les  événe- 
ments. 11  se  tenait  fort  à  l'écart  de 
toute  affaire  ,  et  encore  plus  de  toute 
intrigue  ,  et  il  comptait  pour  beau- 
coup cet  avantage  si  peu  recherché 
de  n'être  de  rien.  Seulement  il  se  mê- 
lait d'encourager  au  travail  ,  et  de 
conduire,  quand  il  le  fallait,  des  jeunes 
gens  auxquels  il  trouvait  du  talent 
pour  les  mathématiques  ;  et  il  ne  re- 
cevait guère  de  visites  que  de  ceux 
avec  lesauels  il  ne  perdait  pas  son 
temps  ,  parce  qu'ils  avaient  besoin 
de  lui.  Aussi  avait-il  peu  de  liaisons  , 
peu  de  commerce.    Ses  jM'incipaux 

(i)  Charles-René ,  iuiyautVabhé  Goujct. 


REY  44 I 

amis  furent  le  P.  Malebranche,  dont 
il  adoptait  tous  les  principes  ,  et  le 
chancelier  d'Aguesscau.  Le  P.  Rcy- 
ncau  mourut  à  Paris,  le  a 4  février 
1728.  Il  était,  depuis  17  iG,  associé 
libre  de  l'académie  des  sciences  ;  et 
quoiqu'il  eût  l'ouïe  assez  dure ,  il  se 
montra  fort  assidu  à  ses  assemblées. 
On  a  de  lui  :  I.  U Analyse  démontrée 
ou  Maniè'e  de  résoudre  les  problè- 
mes de  maihéiiiati'jues,  Paris,  1 708, 
2  vol.  in  4°.  ;  réimprimé  avec  beau- 
coup  d'additions,  ibid. ,    1736,  2 
vol.  in- 4".  L'auteur  a  recueilli  dans 
cet  ouvrage  les  principales  théories 
répandues  dans  les  OEuvres  de  Des- 
cartes ,  Leibnitz,  Newton  ,  les  Ber- 
noulli ,  etc.  ,  et  démontré  plusieui  s 
méthodes  qui  ne  l'avaient  pas  été  jus- 
qu'alors ,  du  moins  assez  clairement 
ou  assez  exactement.  II.  La  Science 
du  calcul  des  grandeurs  en  général, 
ou  Eléments  de  malhématiijues  , 
ibid.  ,171 4-35 ,  2  vol.  in-4°.  Le  se- 
cond volume  fut  publié  par  le  P.  de 
Mazières  ,  connu  par  un  prix  rem- 
porté à  l'académie  des  sciences  (2)  ; 
il  est  tel  à-peu-près  qu'il  se  trouvait 
dans  les  papiers  du  P.  Reyneau ,  l'édi- 
teur  ayant  regardé  comme  inulile, 
de  compléter  l'ouvrage  ,  en  traitant 
une  matière  que  Guisnée  venait  d'é- 
puiser dans  sou  Application  de  l'al- 
gèbre à  la  géométrie  {  V.  GuisivÉe  }. 
Il  est  précédé  d'un  Eloge  du  P.  Rey- 
neau ,  p  ir  l'abbé  Goujet  ,  qui  ren- 
ferme quelques  détails  négligés  par 
Fontenelle.  Ces  deux  Ouvrages  ,  dit 
Montucla  ,  bons  ,  à  certains  égards 
pour  leur  temps  ,   pèchent  par  trop       / 
de  prolixité  {F.  V liist.  des  Mathé- 
matiq. ,  11 ,  169.  )  Le  nouveau  Vict 
hist.  crit.  et  bibliogr.   attribue  en- 
core au  P.  Reyneau  ,  la  Logique  ou 


{■y.\yî.n  i72G,sur  ciHe  «jiKslinn  :  Quelles  s.iiit  loa 
lois  du  cbuc  des  corps  à  rwaorl  j>av l'ail  ou  iiiiii.ir- 
fiiit? 


4'.^ 


RE  Y 


i  ^frt  de   raisunner  ,   i:i-i2  ;    petit 
Tniite  qui  est  du  P.  Nocl  Reç>nault 
[f'or.  paç.  -2^1  ci-dessus  ).    W — s. 
REYNIER  (  Jean-Louis-Ebene- 
ZER  )  ,  géiie'ral  fiançais  ,  ne  à    Lau- 
sanne, le  i4  janvier  1771  ,  dans  la 
religion  protestante  ,  fut  porté,  par 
son  goût,  à  l'étude  des  sciences  exac- 
tes ,  et    se  préparait  à  entrer   dans 
le  génie  civil  ,  Jor.Hjue  la  révolution 
de  France  lui  ouvrit  une  autre  car- 
rière. Il  lit .  en  l 'jg'i. ,  comme  a.djoint 
à  l'état-niajor  ,  la  campagne  de  la 
Belgique  :    élevé    au    raig    d'adju- 
dantgénérai ,  il  contribua  aux  suc- 
cès des  armées  françaises,  sous  les 
ordres  de  Pichegru  ,  à  Menin,  Cour- 
trai ,  etc.   Nommé  général  de  bri- 
gade ,  pendant  la  conquête  delà  Hol- 
lande ,  en  1794,  il  se  distingua  au 
passage  du  Walial.   Lors  des  préli- 
minaires de  la  paix  avec  la  Prusse , 
il  fut  choisi,  jeune  encore,  pour  fixer 
la  démarcation  des  cantonnements, 
et  il  étonna  les  vieux  généraux  prus- 
.'^itns  par  sa  sagesse  et  ses  connais- 
sances. Il  passa  ensuite  à  l'armée  du 
Kliin,  sous   Moreau  ,  comme  chef 
d'état  major,  et  il  y  dcAcIoppa  beau- 
coup de  talents.  C'est  dans  ce  pos- 
te   qu'il    pouvait    rendre    les    plus 
grands    services   :  manquant  quel- 
quefois du   sang-froid   et  du  coup- 
d'œil  qui  font  les  grands   capitaines 
sur  le  champ  de  bataille  ,  Keynicr 
savait,  mieux  qu'auciui  aulre,  donner 
les   ordres  et  distribuer  le    service 
d'un  état- major  général.  Ce  fut  sur- 
tout aux  divers  passages  du  Rhin, 
aux  batailles  de  Rastadt ,  de  INéres- 
heim  ,  de  Eriedberg  ,  de  Riherach  , 
à  la  rctiailc  mémcuablc  de  la  même 
année,  179'),  et  au  siège  de  Kelil  , 
qu'il  eut  de  nombreuses  occasions  de 
déployer  ce  genre  d'iiabilclé.  Dans 
cette   invasion  de  l'Allemagne  ,    il 
avait  fait  connaître  la  noblesse  de  son 


REY 

caractère.  L'envoyé  du  margrave  de 
Baden    lui  ayant  proposé   de  dimi- 
nuer d'un  million  ce  qu'on  exigeait 
de  ce  pays,  et  de  recevoir  pour  lui 
cent  mille  florins,  eut  ordre  de  quitter 
sur-le-champ  leterritoire  occupé  par 
Tarraée  française.  L'envoyédela  ville 
de  Bruchsal  lui  ayant  fait  une  offre 
du  même  genre  :  «Puisque  vouspou- 
«  vez  ,  lui  dit  Reynier  ,  m'offrir  5oo 
»  louis  ,  vous  n'avez  qu'à  les  ajouter 
»  à  votre  contribution  »  ;  et  il  fit ,  en 
effet ,  payer  cette  augmentation  à  la 
ville.   Ecarté  du  service  par  une  in- 
trigue ,    Texpédiiion  d'Egypte  ,  en 
1798,  le  remit  eu  activité  :  il  con- 
tribua ,  dans  ce  pays ,  à  la  victoi- 
re des  Pyramides  ,  occupa  la  pro- 
vince de  Charkié  ,  sur  la  lisière  du 
désert  de  Syrie,  et  parvint  ,  parmi 
mélange  de  sévérité  et  de  clémence  , 
et  par  son  attention  à  être  toujours 
juste,  à  se  faire  aimer  d'un  peuple 
barbare.  Dans  la  campagne  de  Syrie, 
il  pissa  le  ])iemier  le  désert ,  culbuta 
l'avant-garde  ennemie  ,  et  fit  le  siège 
d'El  -  Arisch.   Vingt   mille   Turcs, 
accourus    au  secours  ,    furent   atta- 
qués et  dispersés  par  quatre  batail- 
lons dans  le  silence  de  la  nuit  :  leur 
chef  fut  tué;  et  les  Français  vécurent 
des  approvisionnements  qui  étaient 
dans  son  camp.  Heynier  se  trouva 
au  siège  de  Saint- Jean  d'Acre  ,  dont 
il  eut  le  commandement  pendant  que 
Buonaparte  se  portait  sur  le  Mont- 
Tabor.   Enfin  ,  il  îixa  la  victoire  à 
la  bataille  d'HéliopoHs ,  en  enfonçant 
l'élite  des  Janissaires.  Après  l'assas- 
sinat de  Klèber,  qui  l'avait  envoyé 
commander  dans  le  Kelionbcth  ,  il 
revint  au  Caire  ;    et  c'est  de  cette 
cjto(pic    que   datent    ses    premières 
j)laiiiles  contre  IMenou.    La  rivalité 
du   commandement  ,    la  dillèrence 
des  plans  cl  du  caractère  ,  tout  con- 
courut à  les  aigrir  l'un  contre  l'autre. 


REY 

L'approche  des  Anglo-Turcs  Jjc  put 
même  les  re'tinir  ;  et  la  fameuse  ba- 
taille du -20  mars  1800,  dans  laquelle 
Rcynier  donna  encore  des  preuves 
d'une  valeur  peu  commune  ,  fut  per- 
due pour  les  Français  ,  par  suite  de 
ces  funestes  divisions.  Enfin  ,  dans 
la  nuit  du  -zS  au  24  floréal  (  avril 
1802  )  ,  quatre  cents  hommes  in- 
vestirent sa  maison  par  l'ordre  de 
Menou  ,  et  le  conduisirent  à  boid 
d'iui  bâtiment  prêt  à  partir  pour 
la  France,  où  Bnonaparte  ,  alors 
premier  consul  ,  qui  avait  approuve 
lesopérationsdeMenou(  ^.  cenom), 
le  reçut  fort  mal.  Son  ouvrage  sur 
l'Egypte  ,  qu'il  publia  peu  de  temps 
après  ,  et  dans  lequel  il  traita  sans 
ménagement  Menou  et  d'autres  gé- 
néraux ,  aiouta  encore  au  mécon- 
tentement du  consid  ;  et  le  livre  fut 
saisi  par  ses  ordres.  Une  qucrclleque 
Eeynier  eut ,  en  i8o3  ,  avec  ie  ge'- 
néral  Destain  ,  qui  avait  aussi  à  se 
plaindre  de  quelques  assertions  de 
l'auteur,  et  qu'il  tua  dans  un  duel, 
le  fit  exiler  de  Paris.  Cependant  , 
en  i8o5  ,  il  fut  remis  en  activité 
par  Buonaparte  ,  qui  le  chargea  d'un 
commandement  à  l'armée  d'Italie. 
Il  était  à  Castel-Franco,  dans  le  mois 
de  novembre  de  cette  année  ;  et  les 
Autrichiens  l'y  ayant  attaqué  avec 
impétuosité  ,  il  repoussa  plusieurs 
fois  leurs  eiforts  ,  de  la  manière 
la  plus  courageuse.  Peu  de  temps 
après,  il  passa  à  l'armée  qui  s'em- 
para du  royaume  de  Naples  ,  sous 
les  ordres  et  au  profit  du  nouveau 
roi  Joseph  Buonaparte.  Rentré  dès- 
lors  complètement  en  faveur  ,  il 
fut  nommé  grand-ofiicier  de  la  Lé- 
gion d'honneur  ,  puis  grand-digni- 
taire de  l'ordre  des  Deux  -  Sicilcs. 
Cependant  il  fut  battu  ,  le  4  juillet 
1806  ,  à  Maida  ,  par  le  général  an- 
glais Sluart ,  et  se  vit  oblige  d'cva- 


REY  443 

cuer  la  Calabre  ultérieure,  (|u'il  oc- 
cupa de  nouveau  bientôt  après.  Il 
prit  le  comm.'indenient  de  l'armée 
de  Naples  après  le  départ  du  maré- 
chal Jourdan  :  en  1809,  il  eut 
une  mission  auprès  de  Buonap.irte  , 
qui  venait  d'envahir  les  états  au- 
trichiens ,  et  il  combattit  auprès 
de  lui  à  Wagram.  Le  corps  auxi- 
liriire  des  Saxons  fut  ensuite  pla- 
cé sous  ses  ordres;  et  les  oj)érations 
qu'il  dirigea  à  la  lêle  de  cette  troupe, 
lui  valurent  le  titre  de  commandeur 
de  l'ordre  de  Saint  Henri.  Il  fit  en- 
core ,  dans  la  même  qualité  ,  la 
campagne  de  Russie,  en  1812,  et 
fut  chargé  de  couvrir  la  droite  de  la 
grandcarmée,  eu  Pologne;  ce  qui 
l'empêcha  de  se  trouver  à  la  désas- 
treuse retraite  de  Moscou.  En  181 3, 
il  fut  fait  prisonnier  à  la  bataille  de 
Leipzig.  Après  son  échange  ,  il  vint 
à  Paris  ,  et  mourut  dans  cette  ville  , 
le  27  février  i8i4,  d'un  accès  de 
goutte.  Le  général  Rcynier  avait 
épouse,  en  1812,  M^'^'.  de  Cham.bau- 
donin.  C'était ,  sans  aucun  doute  ,  un 
desmilitaireslesplns  instruits  (pi'eus- 
senties  armées  françaises.  H  s'occupa 
beaucoup,  dans  la  guerre  d'Egypte, 
de  recherches  scieritifiques.  On  a  de 
lui  :ï.  De  VÉ^jpte  après  la  bataille 
(V Héliopolis ,  et  Considérations  gé- 
nérales sur  r organisation  physique 
et  politique  de  ce  pays ,  Pa  1  is ,  1 802, 
in  8».  ,  carte.  Cet  ouyrage  ,  dont  il 
parut  la  même  année  une  Traduction 
anglaise,  (Londres,  Robison  ,  in  8") 
est  le  livre  saisi  cpii  a  été  mentionné 
plus  haut:  il  est  devenu  lare.  II.  Con- 
jectures  sur  les  anciens  habitants  de 
VEffpte,  Paris,  i8o4,  in-8°.  III: 
Sur  les  Sph-)  nx  qui  accompagnent 
les  pyramides  d'Egypte  ,  i8o5  , 
in-8°.  M — D  j. 

REYNOLDS  (  Guillaime  ) ,  né 
près  d'Exelcr  ,  dans  le  Dtvtnshiic  , 


44 


REY 


manifesta  un  grand  zèle  pour  la  pré- 
tendue réforme,  pendant  qu'il  faisait 
ses  études  dans  le  nouveau  collège 
d'Oxford  ;  ce  qui  lui  occasionna  de 
fréquentes  disputes   avec  son  frère 
Jean ,  élève  du   collège  du  Corfius 
CAmfj,et  qui  n'était  pas  moins  zélé 
catholique.  Le  résultat  de  ces  dispu- 
tes, dans  lesquelles  les  deux  athlètes 
se  trouvaient  souvent  hors  d'état  de 
répondre  aux  objections  qu'ils  se  fai- 
saient réciproquement ,  fut  que  Guil- 
laume embrassa  la  religion  catholi- 
que ,  et  que  Jean  se  fit  protestant  , 
et  se  précipita  depuis  dans  le  purita- 
nisme. Selon  une  autre  version  ,  le 
premier  ayant  entrepris  de  traduire 
eu  latin  les  ouvrages  de  l'évêqueJewel, 
y    découvrit   tant   de  mauvaise-foi 
dans  la  citation  des  textes  des  Hères, 
qu'il  passa,  de  l'indignation  contre 
l'auteur  ,    à   une   extrême  défiance 
pour  sa  religion ,  et  qu'il  embrassa 
le    catholicisme.    C'est    dans   cette 
disposition  qu'il  se  rendit  à  Rome, 
où  il  y  fut  confirmé  par  le  cardinal 
Allen,  entre  les  mains  duquel  il  fit 
son  abjuration    solennelle.  Quelque 
temps  après  ,  ayant  été  nommé  pro- 
fesseur de  théologie  ,  puis  de  langue 
hébraïque  ,  à  Reiras  ,  il  y  fut   d'un 
grand   secours  à  Grégoire  Martin, 
pour  la  version  de  la  Bible,  Rey- 
nolds obtint  ensuite  une  cure  à  An- 
vers,où  il  mourut, le  ^4  août  i5y4) 
en  odeur  de  sainteté.  11  avait  montre 
beaucoup  d'ardeur  pour  la  Ligue  ,  et 
avait  mèiiie  écrit  pour  en  faire  l'apo- 
logie. 11  est  auteur  des  ouvrages  sui- 
vants :  I.  Réfutation  (h;  Gudlauinc 
iyhaaker,on  il  justifie  la  découverte 
des  altérations  faites  par  les  héiéli- 
(pics,  (jue  leiu- avait  reprochées  Gré- 
goire iMarlin  ,  Paris,    i583,in-8". 
II.   De  jusld  rciimhlicii'  christiauœ 
in  re^cs  im/àos  et  hœrcticos  aiicto- 
ritule,  ibid.,  ijijo;  Anvers,  i5<vi, 


REY 

m-Q°.  m.  Traité  du  sacrement  de 
l'eucharistie  contre  l'hérésie  des  Be- 
rengariens ,  renouvelée  dans  un  ser- 
mon de   Robert    Bruce,  Anvers  , 

I  SgS  ,  in-8o.  IV.  Traduction  latine 
deV  apologie  du  cardinal  Allen  j  jour 
les  séminaires.  V.  Calvino-Turcis- 
mus  ,  ou  Calvinisticœ  perfidiœ  cuni 
Mahumetand  collatio  ,  et  dilucida 
ulriusque  sectœ  conjutatio.  Cet  ou- 
vrage a  été  terminé  par  Guillaume 
Gilïbrd  ,  Auvers,  1697;  Cologne, 
i6o3.  VI.  Appel  aux  protestants. 

II  a  laissé  eu  manuscrit  une  Para- 
phrase du  Nouveau-Testament  ,  et 
une  Traduction  latine  des  ouvrages 
du  docteur  Harding.  T — d. 

REYNOLDS  (  SÎr  Josue  ) ,  célèbre 
peintre  anglais,  naquit  eu  1723,  à 
Plymton,  près  Plymoufti.  A  peine 
sorti  de  l'enfance ,  eu  copiant  les 
gravures  qu'd  trouvait  dans  les  li- 
vres de  sou  père ,  il  manifesta  sou 
goût  pour  l'art  dans  lequel  il  devait 
s'dluitrer.  A  l'âge  de  luilt  ans ,  il  ap- 
prit de  lui-même  les  leçons  de  perspec- 
tive du  cours  du  collège  des  Jésuites , 
et  exécuta,  d'après  les  règles,  une  vue 
de  l'école  de  grammaire  de  Plymton, 
que  son  père  dirigeait.  Mais  ce  qui 
éveilla  tout  -  à  -  fait  en  lui  l'amour 
de  l'art,  ce  fut  la  lecture  du  Traité 
de  Richardson  sur  la  peinture.  11  eu 
fut  tellement  transporté,  qu'il  ne  pen- 
sait plus  qu'à  Raphaël  ,  qu'il  regar- 
dait comme  le  plus  grand  peintre  des 
temps  anciens  et  modernes.  Après 
avoir  tenté,  en  divers  lieuxduDcvon- 
sliirc  ,  quelques  essais  que  l'on  y  voit 
encore  ,  mais  dans  lesquels  l'œil  le 
plus  prévenu  trouverait  dilficilement 
le  germe  de  ce  talent  qu'd  développa 
dans  la  suite,  son  père  qui  voulait  lu 
pousser  dans  cette  nouvelle  carrière, 
le  plaça,  vers  17  io,  sous  la  directiou 
de  Iludsou,  l'artiste  le  plus  distingué 
de  ccttcépoquc.  Il  ne  tarda  pas,  auprès 


REY 

de  ce  maître ,  à  se  rendre  habile  ;  mais 
auboutdetroisans  ,  s'étaot  brouille 
avec  Hudsoii,  il  revint,  en  1743,  dans 
le  Devonshire  ,  où  il  avoue  lui-même 
qu'il  passa  trois  années  ,  travaillant 
très-peu  ,  et  ne  faisant  nul  progrès  ; 
et  par  la  suite  il  s'est  toujours  vive- 
ment reproche  cette  perte  de  temps. 
Cet  aveu,  cependant,  se  concilie  dif- 
iicilement  avec  les  progrès  remar- 
quables qu'on  ne  peut  s'empêcher 
d'apercevoir  dans  quelques-uns  des 
tableaux  qu'il  a  peints  en  1746  , 
entre  autres  celui  d'un/ewne  garçon 
lisant  à  la  lueur  d'un  flambe  au.  Cette 
production,  qui  ne  laisse  à  désirer 
qu'un  peu  d'adresse  dans  le  pinceau  , 
ne  le  cède  en  rien,  sous  la  plupart  des 
autres  l'apports,  aux  ouvrages  les 
plus  parfaits  qu'il  ait  exe'cutès  •  et  lui- 
même  l'ayant  revue  trente  ans  après, 
en  fut  frappé  de  surprise ,  et  témoi- 
gna le  regret  d'avoir  fait  si  peu  de 
progrès  durant  un  si  long  espace  de 
temps.  En  1 7  49 ,  le  capitaine,  depuis 
amiral ,  Keppel  ,  Temmenaen  Italie: 
la  direction  que  donna  Reynolds  à 
ses  e'tudes  pendant  trois  ans  de  séjour 
dans  cette  contrée, est  peu  connue;  et 
Tattenlion  qu'd  apporta  aux  chefs- 
d'œuvre  des  anciens  et  des  modernes, 
les  études  profondes  qu'il  en  fit ,  à 
l'exception  toutefois  des  ouvrages  de 
l'e'cole  vénitienne,  s'aperçoivent  bien 
plus  dans  ses  écrits  que  dans  sa  pein- 
ture. Peut-être  trouverait-on,  dans 
quelques-uns  de  ses  ouvrages  de  cette 
e'poque ,  une  certaine  ituitation  de 
Michel-Ange  et  du  Corrège  ;  mais 
tout  l'emploi  de  sa  vie  fut  de  lâcher 
d'atteindre  au  coloris  des  Vénitiens. 
Dans  les  notes  qu'il  a  jointes  au 
poème  de  Dufresnoy  sur  la  peinture, 
il  rapporte  l'artilicc  ingénieux  dont 
il  se  servit  pendant  son  séjour  à  Ve- 
nise, pour  découvrir  ks  procédés  du 
clair-obscur  employés  par  les  peiu- 


RÉY  445 

très  de  cette  école.  Dans  un  autre  en- 
droit ,  il  avoue  qu'il  fut  tout  étonné, 
et  tout  honteux,  la  première  fois  qu'il 
vit  les  ouvrages  de  Raphaël  au  Vati- 
can ,  de  s^aperçevoir  qu'il  n^avaiteu 
jusque-là  que  de  fausses  idées  du  ta- 
lent de  ce  grand  peintre ,  et  de  se  re- 
connaître incapable  uïême  de  goûtci 
l'excellence  de  ses  plus  célèbres  pro- 
ductions. «  Mais,  dit-il  ,  en  les  re- 
»  gardant  et  en  les  copiant  sans 
»  relâche  ,  en  alFectant  même  de  les 
»  admirer  plus  que  je  ne  le  faisais 
»  réellement,  un  nouveau  goût  et  de 
»  nouvelles  lumières  commencèrent 
»  à  se  développer  et  à  s'allumer  en 
»  moi.  Je  demeurai  convaincu  que 
»  je  m'étais  primitivement  formé  une 
»  fausse  opinion  de  la  perfection  de 
»  l'art  ;  et  ayant  depuis  profondément 
»  réfléchi  sur  ce  sujet ,  je  crois  fer- 
»  mement  aujourd'hui  ,  que  le  sen- 
»  timent  des  vraies  beautés  de  l'art , 
»  est  un  goût  que  l'on  acquiert,  et 
»  que  personne  ne  saurait  posséder 
»  sans  une  longue  étude  ,  un  travail 
»  assidu  et  une  attention  infaliga- 
»  ble  ».  Il  y  a  lieu  de  croire  cepen- 
dant que  Reynolds  n'employa  pas  un 
temps  bien  considérable  à  copier  les 
chefs-d'œuvre  dont  il  sentait  enfin 
tout  le  mérite  ;  car,  dans  im  fragment 
de  ses  écrits,  il  dit  :  «  L'homme  de 
»  génie,  an  lieu  de  perdre  un  temps 
»  précieux  ,  comme  la  plupart  des 
»  artistes  vulgaires  ,  quand  ils  sont  à 
»  Rome,  soit  à  mesurer  les  statues 
»  antiques ,  soit  à  copier  les  tableaux, 
»  se  hâte  de  se  livrer  à  ses  propres 
»  inspirations  ,  et  tâche  d'atteindre  à 
»  la  hauteur  de  ce  qu'il  a  vu.  En  gé- 
»  néral ,  ajoute-t-il ,  je  regarde  l'usage 
»  de  faire  des  copies  comme  un  genre 
»  d'études  illusoire.  L'élève  se  con- 
»  tente  de  paraître  faire  quelque  chose, 
»  etcourtainsiiedaiigerd'imitersans 
»  choix  ,  et  de  travailler  sans  but 


446 


KEY 


»  déterminé.    Comme   cela  n'exige 
»  aucim  effort  d'esprit,  il   s^cnrlort 
»  sur  son  ouvrage  ;  et  cette  pjiissancc 
»  d'invention    et    de    composition  , 
»  dont  le  dévcloppcinciit  devrait  ètra 
»  l'objef  p.aliculicr  de  tous  ses  tra- 
«  vaux  ,  reste  engourdie,  et  perd  son 
»  énergie  faute  d'exercice.  Ceux  qui 
»  passent  leur  tempsà  copier  les  ou- 
»  vragesd'autrui    sonlincapables  de 
»  rien  produire  d'eux-mêmes  :  c'est 
»  une    observation  bien  connue  de 
»  tous  ceux  qui  s'occupent  de  notre 
»  art.  »   Quant  à  la  pratique  ,  Rey- 
nolds devait  y  avoir  fait  de  grands 
progrès  avant  de  visiter  l'Italie  ;  et 
l'on  ne  peut    douter  qu'en  compa- 
raison de  beaucoup  d'autres  artistes 
son  goût  ne  fût  extrêmement  cultivé. 
Quoiqu'il   puisse  être  vrai  que  plu- 
sieurs personnes   qui   visilaient  les 
salles  du  Vatican,  se  soimit   adres- 
sées aux  gardiens  pour  les  prier  de 
leur  faire  voir  les  tableaux  de  Ra- 
phaël ,  il  est  difticile  de  croire  qu'un 
homme  tel  que  Reynolds,  qui  proba- 
blement devait  avoir  vu  des  tableaux 
de  ce  grand  peintre ,  ou  du  moins 
des  gravures  faites  d'après  ses  ouvra- 
ges ,  ait  pu  se  former  une  idce  aussi 
peu    exacte  et    aussi  erronée  de  ce 
qu'il  était  allé  voir  à  Rome.  A  son 
retour  d'Italie  ,    il    loua  une  vaste 
maison  eu  INew-Port-Street  ;    et  le 
premier  essai  qu'il  donna  de  son  ba- 
bilelé,  fut  une  Tike  de  garcoji  coiffé 
d'unturban.  Ce  tableau, d'une  grande 
richesse  de  couleur  ,  et  peint  dans  le 
style  de  Rembrandt ,  attira  tellement 
l'attention  d'Ilndson,  qu'il  ne  passait 
pas  un  jour  sans  venir  voir  oii  il  en 
était.  Cependant  n'y  apercevant  au- 
cune trace  de  sa  manière  franche  ,  il 
s'écria  :  «  Par  Dieu,  Reynolds,  vous 
»  ne  peigne/,  plus  aussi  l)ien  que  lors- 
»  que  vous  ave/,  quitté  l'Anglctene.  » 
Un  Porlrail  en   pied  de  V amiral 


REY 

Keppel ,  qu'il  exécuta  bientôt  après , 
fixa    sur  lui  l'admiration  générale^ 
et  il  fut  considéré ,  dès  ce  moment , 
comme  le  premier  peintre  de  por- 
traits de  son  temps.  Certes,  loisque 
l'on  examine  jusqu'rà  quel  point  l'art 
avait  dégénéré  à  cette  époque,  on  ne 
saurait  trop  louer  l'artiste  qui  savait 
unir  au  talent  de  rendre  la  ressem- 
blance celui  d'exprimer  la  physiono- 
mie de  son  modèle  ;  à  une  variété  iné- 
puisable d'attitudes  ,  un  naturel  plein 
de  grâces  j  à  des  fonds  riches  et  piî- 
toresques  ,  des  effets  ne-jfs  et  frap- 
pants,tirés  du  contraste  des  lumières 
et  des   ombres  ,   et  à    une  couleur 
brillante  et  harmonieuse  une  douceur 
pleine  de  charme.  Un  tel  homme, 
sans  doute,  mérite  un  titre  plus  re- 
levé que  celui  de  simple  peintre  de 
portraits.  Il  n'avait  point  encore  at- 
teint cependant  la  perfection  que  l'on 
admire  dans  ses  dernières  produc- 
tions.  Il  fut  un  de  ces  artistes  privi- 
légiés ,  dont  les  progrès  ne  s'arrêtent 
qu'avec  leur  vie  ;  on  lui  a  souvent 
entendu    dire   qu'il    n'avait    jamais 
commencé  un  tableau  sans  avoir  l'in- 
tention que  ce  fût  son  meilleur  ou- 
vrage; et  il  n'a  jamais  cessé  de  jus- 
tifier cette  maxime  qu^il  se  plaisait 
à  répéter  :  «  Que  rien  n'est  impossi- 
»  ble  à  un  travail  bien  dirigé.  «  Hors 
cette  assiduité  infatigable  qui  frap- 
pait tous  les  yeux  ,  il  serait  difficile 
de  préciser  par   (|uelle  méthode    il 
])arvint  à  ce  degré  de  perfection    au- 
quel il  a  su  atteindre.   Toutefois  on 
pourra  en  déeouviir  quelque  trace 
dans  les   fragments  d'un  écrit  que 
l'on  a  trouve  dans  ses  papiers  après 
sa   mort,  et  ({ui  ,  sans  doute,  de- 
vait être    inséré  dans   un  discours 
académique.  Il  y  Jiarle  de  ses  quali- 
tés et  de  ses  défauts,  ave(-  une  mo- 
destie et   une  candeur   bien    rares. 
«  N'ayant  pas  eu  ,  dit-il  ,  l'avantage 


REY 

>)  de  recevoir  de  bonne  heure  une 
»  éducation  académique  ,  je  n'ai  ja- 
»  mais  possédé  cette  facilité  à  dcssi- 
»  ner  le  nu,  qu'un  ai  liste  doit  avoir. 
»  Ce  fut  lors  de  mon  voyage  en  Ita- 
»  lie,  que  je  m'en  apeiçiis;  mais  il 
»  était  trop  tard.  Je  commençai,  dès 
»  ce  moment ,  à  sentir  mon  insufii- 
»  sauce,   d'une    manière  trop  forte 
»  pour  chercher  même  à  acquérir 
»  cette  facilité  d'invention  qui   me 
»  manquait.  Je  me  consolai  cepen- 
»  dant,  en  remarquant  que  ces  in- 
»  ventenrs  si  expédilifs  étaient  ordi- 
»  nairemeut  sujets  à   tomber   dans 
»  l'imperfection,  et  que  si  je  ne  pos- 
«  sédais  pas  leur  facilité,  j'éviterais 
»  peut-être  le  défaut  qui  l'accompa- 
»  gne  trop  souvent,  une  invention 
»  plate  etvulgaire... J'avais  toujours 
»  présente  à  l'esprit   la  crainfe  de 
»  tomber  dans  ce  vice;  aussi  me  suis- 
»  je  toujours  efforcé  d'éviter  les  atti- 
»  tudes  et  les  inventions  communes, 
»  eu. quelque  genre  que  ce  soit.  »  Il 
ajoute,  dans   un  autre  endroit,  que 
le  meilleur  usage  qu'il  croyait  pou- 
voir faire  de  son  argent ,  était  d'a- 
cheter des  portraits  de  Van-Dyck  , 
de  Titien,  de  Rembraudt,  afin  de 
former  son  goût  sur  ces  excellents 
modèles.  Reynolds,  ayant  ainsi,  de 
bonne  heure  ,  pour  parler  le  langage 
énergique  de  Johnson  ,  renversé  tous 
les   obstacles  qui  s'offraient  devant 
lui,  et  laissé  en  arrière  l'émulation 
hors  d'haleine,  obtint  ce  qu'il  regar- 
dait comme  le  comble  de  la  félirité, 
la  première  place  dans  son  art.  Jus- 
qu'à l'époque  de  sa  mort ,  la  vie  de  ce 
peintre  ne  fut  <]u'un  tissu  de  travaux 
etd'éludes  continuelles.  11  rapportait 
tout  à  la  peinture  ;  c'était  son  premier 
besoin  et  son  unique  plaisir,  sa  seule 
consolation  dans  le  chagrin  et  dans 
la  maladie.  Les  heures  qu'il  ne  pou- 
vait se  dispenser  djc  donner  au  repos, 


REY  447 

il  se  plaisait  à  les  passer  au  milieu 
de  ses  nombreux  amis.  S'élant  aper- 
çu que  son  genre  de  profession  l'em- 
pêchait de  se  livrer  à  une  étude  ré- 
gulière et  de  tous  les  jours,  il  avait 
adopté  l'usage  de  rassembler  à  sa  ta- 
ble les  personnages  les  ])lus  distin- 
gués   des  trois   royaumes  ;  et   c'est 
ainsi  que,  p'endant  trente  années,  il 
jouit  de  la  société  de  ce  qu'il  y  avait 
de  plus  illustre  dans  les  arts  et  la  lit- 
térature, dans  la  chaire  et  le  bar- 
reau, dans  le  parlement  et  dans  l'ar- 
mée. Lors  de  l'établissement  de  i'a- 
cadémie  royale  de>  arts  ,  à  la  fonda- 
tion de  laquelle  il  avait  puissamment 
contribué  (  i),  il  en  fnt  unanimement 
nommé   président.  Pendant  tout  le 
temps  que  duia  sa  présidence,  il  ne 
cessa  d'embellir,  chaque  aiuiée  ,  les 
expositions  de  l'académie,  d'un  grand 
nombre   de   ses  productions  :  plu- 
sieurs morceaux  d'histoire,  qui  en 
faisaient    partie  ,  n'étaient  pas  dé- 
pourvus de  mérite  ;  mais  ses  por- 
traits  y    tenaient    toujours  le  pre- 
mier   rang.    Depuis    1769   jusqu'en 
1  790,  ou  fait  monter  le  nombre  des 
ouvrages  qu'il  a  exposés. à  deux  cent 
quarante- quatre  au  moins.  Quelque 
temps  après  la  fondation  de  l'acadé- 
mie, le  roi,  pour  donner  {ilus  d'im- 
portance à  celte  nouvelle  institution, 
honora  Reynolds  du  titre  de  cheva- 
lier baronet.  La   tâche  qu'il  s'était 
imposée  de  prononcer  des  discours 
sur  les  diverses  parties  de  la  peinture, 
dans  les  séances  publiques  de  l'a- 
cadémie ,  ne  faisait  point  partie  des 
ilevoirs  de  sa  charge  ;  mais  il  s'y 
était  soumis  par  zèle  pour   son  art. 
Son  assiduité  autravail  lui  permettait 

(i)  Dr»  17G4  )  R'Vnolds  avait  Torine,  avec  les 
Sam.  Juhnsnn  ,  lîurke",  Goldsmilli ,  Gsirick,  Sterne 
et  antres  beaux-espiiU  ,  unesuciete  qui,  long-temps 
;i|>res,  prit,  lors  des  obsèques  de  Garrick  ,  le  nom  de 
Clidi  ùlttraire.  Dès  vj5q  ,  il  avait  publié  ,  sur  la 
peinture,  trois  lettres  insérées  dans  l'IdUr ,  feuille 
liebdomadaire  rédigée  pnr  Joliiuun. 


448 


REY 


à  peine  quelques  absences  momenta- 
nées ,  pendant  lesquelles  il  allait  pas- 
ser deux  ou  trois  jours  à  sa  campagne 
de  Riclimond-Hill ,   ou  visiter  les 
terres  de  quelques  lords  de  sa  con- 
naissance: mais  il  n'était  janiais  plus 
heureux  que  quand  il  pouvait  venir 
reprendre  ses  travaux  accoulurae's  , 
et  rejoindre  cette  société  dont  son 
esprit  avait  besoin  ,  et  qu'il  ne  pou- 
vait trouver  qu''à  Londres.  Toutefois, 
dans   l'été  de   1783,  il  résolut  de 
faire  un  examen  aprofondi  des  pro- 
ductions des  plus   célèbres  maîtres 
de  l'école  flamande  et  hollandaise. 
En  conséquence  il  fit ,  en  Hollande 
et  en  Flandre,  un  voyage  ,  dont  il 
rédigea  la  relation,  dans  laquelle  il 
consigna    les  observations  ,  pleines 
d'une  excellente  critique  ,  qu'il  avait 
faites  sur  les  ouvrages  de  Rubens  ,  de 
Van-Dyck  et  de  Rembrandt,  qu'il 
avait  vus  dans  les  églises  et  les  plus 
riches  cabinets  des  Pays-Bas  ,  ainsi 
que  dans  la  galerie  de  Dusscldorf. 
Cette  reUition,  qui  a  été  publiée  après 
sa  mort ,  avec  le  reste  de  ses  ouvra- 
ges ,  est  terminée  par  un  portrait  de 
Rubens,    tracé  de  main  de  maître. 
En  1783  ,  lors  de  la  suppression  de 
plusieurs   maisons   religieuses  de  la 
Belgique,  ordonnée  par  Tempeieur 
Joseph  II  ,  il  visita  de  nouveau  la 
Flandre,  pour  y  acheter  quelques  ta- 
bleaux de  Rubens  ;  il  profita  on  ou- 
tre de  cette  circonstance  pour  exa- 
miner et  étudier  d^nie  manière  plus 
aprofondic  les  chefs-d'œuvre  qui  l'a- 
vaient  tant  frappé   à  son    premier 
voyage.  C'est  dans  cette  même  année 
i-yHS  ,  que  Masson  publia  sa  traduc- 
tion du  poème  dcDufresnoy  sur  la 
peintiu-e.   Reynolds    y  avait   ajouté 
des  Notes  ,  dans  Ic-quelles  il  avait 
déposé  le   résultat  de  ses  observa- 
lions  ,  et  expliqué  les  règles  données 
par  le  poète.  I/anuçe  suivante ,  il  fut 


REY 

nommé  peintre  ordinaire  du  roi,  en 
remplacement  de  Ramsay,  qui  venait 
de  mourir.  11  avait  joui  d'une  excellen- 
tesanté  jusqu'en  178^2  ,  où  il  ressentit 
une  attaque  de  paralysie,  qui  heureu- 
sement n'eut  point  de  suite  ;  mais  en 
1789,  comme  il  s'occupait  du  por- 
trait  de  lady  Beauchamp  ,  sa  vue 
s'affaiblit  tellement ,  qu'il  eut  peine  à 
terminer  son  ouvrage,  et  qu'il  per- 
dit entièrement  l'œil  gauche.  Bientôt 
après,  sou  autre  œil  s'affaiblit  égale- 
ment :  il  se  vit  forcé  d'abandonner 
ses  travaux  ,  et  il  n'eut  plus  d'autre 
distraction  que  de  se  faiie  faire  la 
lecture  à  haute  voix.  Vers  la  fin  de 
1791  ,  son  esprit  commença  à  bais- 
ser; et  il  cessa  de  vivre,  le  ri 3  février 
1 79'2  ,  dans  sa  maison  de  Leicester- 
Fields.   Ses   funérailles   eurent   lieu 
avec  la  plus  grande  pompe  :  la  no- 
blesse la  plus  distinguée  de  l'Angle- 
terre y  assista  ;  et  il  fut  inhumé  dans 
l'église  de  Saint -Paul  de  Londres. 
On  évaluait    sa    fortune  à  plus   de 
soixante  mille  livres  sterling.  Comme 
il  rapportait  tout  à  ses  études,  il 
avait  recueilli,  dans  sa  maison,  une 
grande  quantité  de  fragments  anti- 
ques ,  de  tableaux,  de  dessins  et  de 
graviu-es  de  tous  les  maîtres  et  de 
toutes  les  écoles.  C'était  là  qu'il  al- 
lait puiser  ses  inspirations.  Ses  ou- 
vrages ont  un  éclat  qui  éblouit.  Le 
coloris  en  est  la  qualité  la  plus  émi- 
nente;  c'est  celle  à  laquelle  il  a  sacrifié 
toutes  les  antres.  Quoique  moins  bril- 
lant que  Rubens  et  Paul  Veronèse, 
moins   vigoureux   que   le  Titien  et 
Rembrandt ,  moins  frais   et  moins 
vrai  que  Velasqnezet  Van-Dyck,  il  a 
cependant  possède  toutes  ces  diverses 
qualités  dans  un  degré  assez  marqué 
pour  se  former  un  style  qui  lui  est 
propre  et  qui  lui  assigne  un  rang  dis- 
tingué parmi  les  peintres  de  portraits 
des  autrcsccolcs.clle  premier  parmi 


REY 

cens,  de  sa  nation.  Son  talent,  comme 
peintre  d'histoire,  n'a  rien  de  bien  re- 
HiarqtuiLle  :  il  consiste  dans  une  imi- 
tation scrupuleuse  de  la  natui'e;et  l'on 
Y  sent  toujours  la  crainte  qu'il  a  de 
s'abandonner  à  sou  inspiration.  Le 
dessin,  comme  il  l'avoue  lui-même, 
est  la  partie  daus  laquelle  il  laisse  le 
plus  à  désirer.  Pour  pallier  ce  de'- 
faut ,  et  peut-être  aussi  pour  obtenir 
des  effets  plus  piquants,  il  découpe  sa 
composition ,  et  distribue  sa  lumière 
d'uue  manière  tranchée,  afinde  mieux 
faire  saillir  ses  figures.  Ce  défaut, 
cependant,  se  laisse  moins  aperce- 
vuir  daus  ses  tableaux  de  chevalet , 
et  surtout  dans  ses  portraits  les  plus 
soignes  ,  oii  le  contraste  des  lignes, 
et  la  distribution  des  masses  de  lu- 
mière et  d'ombre,  sont  toujours  en- 
tendus avec  goût  et  intelligence.  Son 
exécution  manque  de  fermeté  et  de 
chaleur  :  mais  l'eusemWe  de  ses  ou- 
vrages a  une  douceur  et  un  charme 
qui  séduisent.  Ses  portraits  sont  tous 
frappants  de  ressemblance  :  comme 
il  était  peu  sûr  de  la  forme ,  ce  n'était 
qu'à  force  de  retoucher ,  qu'il  parve- 
nait à  l'alteindre.  Ce  défaut  donne  à 
ses  ouvrages  un  air  de  travail  qui 
exclut  le  naturel ,  mais  qui  peut-être 
ajoute  à  l'éclat  et  à  l'harmonie  de 
sa  couleur.  11  chercha  toujours  , 
en  vain ,  à  acquérir  un  style  gran- 
diose :  dans  la  théorie,  il  vantait  sans 
cesse  Raphaël,  dont- il  s'éloigua  sans 
cesse  dans  la  pratique;  mais  c'est 
qu'il  è'crivait  d'après  ses  idées ,  et 
(pi'il  n'avait  plus  que  son  talent  quand 
il  peignait.  Son  mérite,  comme  au- 
teur ,  a  beaucoup  d'analogie  avec 
celui  qu'il  cit  comme  peintre.  Les 
discours  académiques  qu'il  eut  de 
fréquentes  occasions  de  prononcer  , 
sont  écrits  d'une  manière  aisée  et 
agréable  :  ils  renferment  des  vues 
philosophiques  et  d'excellents  prin 
xxxvu. 


REY 


446 


cipes  j  la  critique  en  est  judi- 
cieuse ,  et  les  conseils  qu'il  don  ne 
sont  sages  et  utiles  :  mais  comme  il 
les  composait  pour  la  circoostance, 
sans  avoir  suffisamment  aprofondi 
son  sujet,  ou  du  moins  sans  eu  dé- 
velopper assez  clairement  le  mo- 
tif ,  ils  offrent  parfois  des  pas- 
sages obscurs  ou  peu  intelligibles, 
et  qui  semblent  se  contredire.  En 
résumé ,  si  Reynolds  n'est  pas  un 
des  plus  grands  peintres  de  l'Euro- 
pe ,  il  est  incontestablement  le  pre- 
mier de  l'école  anglaise;  et,  comme 
écrivain  théoricien,  on  peut  le  met- 
tre au  premier  rang  des  artistes  ob- 
servateurs et  philosophes  (2).  P — s. 
REYRAG  (  François  -  Philippe 
DuLAURENS  DE  )  ,  poètc  et  littéra- 
teur ,  naquit  en  i  734  ,  aa  château  de 
Longeville  en  Limousin  ,  d'une  fa- 
mille noble  ,  illustrée  par  les  ar- 
mes ,  mais  peu  favorisée  de  la  for- 
tune. Disposé  à  la  vie  religieuse 
par  nue  piété  solide  et  par  l'amour 
des  lettres ,  il  entra ,  dès  l'âge  de 
seize  ans ,  dans  la  congrégation  des 
chanoines  réguliers  de  Chancelade  , 
où  il  fit  profession  et  reçut  les  or- 
dres sacrés.  Il  se  consacra,  pen- 
dant quelques  années  ,  à  la  prédica- 
tion. Une  éloquence  douce  et  per- 
suasive, mi  st}de  pur,  un  goût  sévère, 
lui  présageaient  des  succès,  ftîais  son 
exces^ive  timidité ,  et  une  mémoi- 
re ingrate  ,  ^élevèrent  des  obsta- 
cles qu'il  n'eut  pas  la  force  de  sur- 
monter. Cependant  le  Panégyri- 
que de  Saint-Louis  ,  qu'il  prononça 
dans  les  chaires  de  Toulouse  et  de 
Bordeaux,  décela  bientôt  l'orateur 


h.)  La  collection  de  s<;s  Discours  a  «té  traduite  en 
frauçais  en  1788,  in-S».  ,  par  Janseii ,  aiii  les  a  re- 
il"nt)cs  eu  xSoG  ,  a  vol.  îu-R". ,  avec  la  collectiuu  des 
Oli^uvi'es  de  Keyiiolds,  traduites  U'a^irès  l'édition 
anglaise  publiée  par  iMidone  ,  Loudres ,  i8o5  ,  3  vol. 
iii-S<>. ,  coutcuautuue  Notice  biographique  sur  l'au- 
teur. 


29 


45o 


REY 


clistiaj;iie ,  et  les  portes  des  acadé- 
mies de  ces  dciiK  grandes  villes  lui 
furent  ouvertes.  I!  devint  successive- 
ment membre  de  l'académie  deCaen, 
de  la  société'  royale  d'agriculture 
d'Orléans,  associé-correspondant  de 
l'académie  des  inscriptions  et  belles- 
lettres  de  Paris,  censeur  royal,  et 
inspecteur-général  de  la  librairie  pour 
l'Orléanais, Nommé, en  i ■^65, prieur- 
curé  de  la  paroisse  de  Saint-Maclou 
d'Orléans  ,  les  devoirs  de  son  mi- 
nistère et  la  culture  des  lettres  oc- 
cupèrent désormais  tous  ses  moments. 
Doué  d'une  ame  sensible  et  affectueu- 
se, qui  se  peignait  sur  sa  physiono- 
mie ,  et  n'avant  d'autre  passion  que 
celle  d^ètre  utile  ,  il  sut  se  faire  des 
amis,  les  conserver,  et  offrir  aux 
jeunes  littérateurs  indulgence  ,  con- 
seils et  encouragements.  Il  aimait  la 
campagne  ;  et  ce  fut  toujours  en  se 
promenant  seul  avec  la  nature  ,  sur 
les  belles  rives  de  la  Loire  et  du 
Loiret ,  qu'il  créa  ces  riantes  com- 
positions pour  lesquelles  il  osa  em- 
prunter les  pinceaux  de  Féuélon  , 
dont  il  avait  l'aimable  caractère  et 
l'exquise  sensibiiité.Dans  sa  jeunesse, 
l'abbé  de  Reyrac,  en  s'essayant  dans 
]a  poésie  ,  s'était  fait  illusion  sur  la 
nature  de  son  talent  en  ce  genre  j 
il  ne  lui  fut  pas  donné  de  s'élever  au- 
dessus  du  médiocre.  Ses  Poésies , 
tirées  des  saintes  Ecritures  ,  olFrent 
souvent  de  l'onction,  quelquefois  des 
traits  heureux, mais  jamais  l'enthou- 
siasme, l'énergie,  le  coloris  ,  quali- 
tés sans  lesquelles  on  ne  doit  guère 
se  permr-ttre  de  toucher  les  cordes 
de  la  lyre  du  roi  prophète.  Ce  qui  a 
acq\iis  à  l'abbé  de  Reyrac  une  répu- 
laliou  que  le  temps  a  peu  diminuée, 
•i'cst  le  talent  de  revêtir  notre  pro- 
se poétique  de  tous  les  ornc;:icnts, 
de  tous  les  charmes  ,  dont  ce  genre 
est  susceptible,  talent  quia  uicritc 


REY 

à  ses  écrits  une  place  honorable  après 
le  Télémaque,  le  Temple  de  Gnide  , 
et  les  délicieuses  compositions  du 
chantre  pastoral  de  la  Suisse.  A  l'i- 
mitation de  Montesquieu  ,  il  publia 
d'abord  son  Hjmne  au  soleil  com- 
me la  traduction  d'un  manuscrit  grec 
nouvellement  découvert  ;  et  l'on  cijt 
pu  s'y  tromper  ,  grâce  à  la  manière 
heureuse  dont  il  avait  reproduit  les 
nobles  pensées  et  les  belles  formes  de 
la  littérature  d'Athènes  à  sa  plus 
brillante  époque.  Dans  ce  poème  ,  les 
images  les  plus  grandes  ,  les  descrip- 
tions les  plus  majestueuses,  les  pein- 
tures les  plus  variées  ,  sont  offertes 
au  lecteur  dans  un  style  pur  et  cor- 
rect ;  l'art  si  difficile  des  transitions 
est  porté  à  une  perfection  rare  ;  par- 
tout les  fleurs  sont  répandues  sans 
être  prodiguées;  et  l'apparition  d'un 
ouvrage  ainsi  conçu  dut  faire  ime 
vive  sensation  dans  un  temps  oii  le 
bel-esprit  et  les  faux  ornements  por- 
taient au  bon  goût  de  trop  fréquentes 
atteintes.  Ou  remarque  les  mêmes 
qualités  dans  les  productions  ana- 
logues de  l'abbé  de  Reyrac,  son  Poè- 
me de  la  création ,  et  ses  Poèmes 
champêtres.  Parmi  ces  opuscules  , 
nous  signalons  la  Gelée  d'Avril , 
le  Fermer  ,  la  Promenade,  la  Nuit, 
le  Tombeau  ;  mais ,  par-dessus  tout, 
les  Begrets  sur  la  mort  d'un  frè- 
re, et  le  Chant  funèbre  sur  celle  de 
l'abbé  de  Condillac  ,  parce  que  ces 
deux  derniers  écrits  honorent  autant 
le  cœurque  l'esprit  de  leur  auteur.  La 
liaison  de  Reyrac  et  de  Condillac  , 
formée  dans  le  midi  ,  devint  plus  in- 
time par  le  séjour  que  te  dernier  fil 
à  sa  terre  de  Flux,  dans  l'Oricanais, 
où  il  m;  urut  en  1780.  Ce  fut  j)our 
remplir  les  intentions  de  son  ami, 
que  Reyrac  fit  meltrc  dans  les  minu- 
tes d'un  notaire  de  B.iugeuci  ,1c  ma- 
nuscrit cacheté  <[ue  J.J.  Rousseau 


REY 

avait  confié  à  Condillac,  pour  n'être 
ouvert  qu'au  commencement  du  dix- 
neuvième  siècle.  Lorsqu'eu  1800,  ou 
rompit  légalement  l'enveloppe  qui  le 
contenait ,  ou  ne  fut  pas  médiocre- 
ment surpris,  en  découvrant  que  cet 
écrit  qui,  depuis  long-temps,  tenait 
la  curiosité  publique  en  éveil,  n'était 
autre  que  les  Dialogues  intitulés  , 
Rousseau  juge  de  Jean- Jacques,  dé- 
jà imprimés  dans  les  OEuvres  du  plii- 
iosophe  genevois ,  parce  que  son  au- 
teur, y  attachant  une  importance  que 
le  public  était  loin  de  lui  accorder  , 
en  avait  multiplié  les  copies  confi- 
denlielles ,  et  n'avait  pas  apparem- 
ment assujéti  tous  les  dépositaires  au 
même  délai  de  publication.  Une  poi- 
trine très -délicate,  quelques  désor- 
dres dans  la  région  du  cœur^  faisaient 
à  i'abbé  de  Reyrac,  quoique  encore 
dans  la  vigueur  de  l'âge ,  un  besoin 
du  repos.  Il  avait  entretenu ,  toute  sa 
vie,  d'honorables  relations  avec  ce 
que  le  saint  ministère  et  la  littérature 
offraient  alors  de  personnages  recom- 
raandables.  Quelques  pensions,  accor- 
dées à  son  mérite  modeste,  lui  pro- 
curaient un  devenu  médiocre ,  mais 
suffisant  pour  les  désirs  d'un  sage. 
Afin  de  vivre  libre  de  tous  soins  ,  il 
avait  fait  choix  ,  à  Paris  ,  d'une  ha- 
bitation commode,  près  le  Luxera- 
bourg  elles  Chartreux.  Là  il  se  pro- 
posait de  jouir  ,  au  sein  même  de  la 
capitale  ,  du  spectacle  de  la  nature, 
des  charmes  de  la  solitude,  des  dou- 
ceurs de  l'amitié  ,  et  ii  espérait  ter- 
miner une  traduction  ébauchée  de 
l'Enéide  de  Virgile,  en  prose  poéti- 
que :  il  se  disposait  à  quitter  Orléans, 
lorsqu'il  mourut  dans  cette  ville,  pres- 
que subitement  ,  le  22  déc-  1782. 
L.  P.  Bérenger,  alurs  professeur  d'élo- 
quence au  collège  d'Orléans  ,  a  con- 
sacré à  la  mémoire  do  Fabbc  de 
Reyrac,   dans   l'intimité  duquel   il 


REY  45 1 

avait  vécu,  un  Éloge  remarquable 
par  la  douce  sensibilité  dont'  il 
est  empreint,  Orléans,  1783,  in- 
8''. ,  de  32  pages.  Les  ouvrages  im- 
primés de  l'abbé  de  Reyrac  sont  :  \. 
Epîlre  au  comte  de  Fareilles  (  on- 
cle de  l'auteur),  sur  le  vrai  bonheur 
de  l'homme,  1708.  II.  La  Vertu ^ 
ode  à  ^î.  leducdeMortemart,  lySg. 
IIJ.  Lettres  sur  V éloquence  de  la 
chaire,  1760.  IV.  Discours  sur  la 
poésie  des  Hébreux ,  1 760.  V.  Les 
Charmes  de  la  vie  privée ,  épître  à 
un  ami  de  l'académie  de  Bordeaux  , 
Paris,  i76r  ,  in  -  12.  VI.  Discours 
prononcé  dans  Véglise  de  Pompi- 
gnan,  le  jour  de  sa  dédicace  ,  sui- 
vi d'une  Lettre  sur  la  bénédictien  de 
cette  église,  Vilefranche  de  Rouer- 
gue  et  Paris,  1762,  in-8°.  VII.  La 
Philosophie  champêlre ,  ode  tradui- 
te de  l'italien .  avec  des  Réflexions 
sur  la  poésie  et  sur  quelques  poètes , 
Villefranche  de  Roucrgue,  in  -  8*^. 
y III.  Poésies  tirées  des  saintes 
Ecritures ,  dédiées  à  M'»e_  |^  ^^^_ 
phine ,  Paris  (Orléans),  1770,  in- 
8**.  IX.  Hymne  au  Soleil,  en  quatre 
divisions,  traduit  du  grec,  Orléans, 
1777  ,  in- 12.  Cet  ouvrage  en  prose, 
dont  l'abbé  de  Reyrac  s'avoua  l'au- 
teur dès  l'année  suivante ,  a  été  cor- 
rigé par  lui,  augmenté  de  différents 
morceaux  de  prose  du  même  genre 
et  de  quelques  poésies  fugitives  ,  à 
chacune  des  éditions  successivement 
publiées  ,  en  dilïércnts  formats  et 
avec  beaucoup  de  soins  typographi- 
ques, à  Paris  et  à  Orléans ,  en  1778, 
1779,  1780,  1781  et  1782.  En  1783, 
il  eu  fut  fait,  à  l'imprimerie  royale, 
une  édition  de  la  plus  grande  beauté, 
devenue  rare ,  parce  qu'elle  n'a  été 
tirée  que  pour  quelques  amis.  Deux 
éditions  des  OEuvres  de  Reyrac ,  con- 
tenant seulement  ses  écrits  en  prose 
poétique  et  quelques  vers  choisis , 
29.. 


452 


REY 


ont  été  publiées  à  Paris ,  en  1 796  et 
t8oo,  in-8**.  L'Hymne  au  Soleil  a 
€lé  traduite  en  plusieurs  langues. 
La  traduction  en  vers  latins,  par 
l'abbé  Melivier,  principal  du  col- 
lège d'Orléans,  suivie  de  la  Traduc- 
tion aussi  en  vers  latins ,  de  divers 
morceaux  de  poésie  française,  avec 
les  textes  en  regard,  mérite  d'être 
citée;  elle  a  été  imprimée  à  Or- 
léans, 1778,  in-8''.  (i)  X.  Rey- 
rac  a  inséré  dans  les  Almanachs 
des  Muses  de  1775  à  1783,  plu- 
sieurs Épîtres,  Stances,  Fables  et 
Poésies  fugitives,  qui  ne  sont  pas  dé- 
nuées d'intérêt.  XI.  Enfin ,  en  com- 
posant et  faisant  imprimer  le  Ma- 
jiuale  clericorum ,  un  vol.  in-12, 
ouvrage  qui  respire  la  plus  saine 
morale,  il  a  prouvé  qu'il  savait  con- 
cilier les  goûts  du  littérateur  avec 
les  éludes  et  les  devoirs  du  théolo- 
gien. D.  L.  P. 

REYRE  (Joseph)  ,  né  à  Eyguiè- 
res  ,  en  Provence  ,  Je  -iîS  avril  1735, 
fit  ses  éludes  au  collège  des  Jésuites 
d'Avignon ,  et  ,  aussitôt  après  les 
avoir  achevées ,  entra  dans  leur  so- 
ciété. Dès  que  son  noviciat  fut  ter- 
miné, on  l'envoya  professer  au  petit 
collège  de  Lyon.  11  passa  de  Là  au 
pensionnatd'Aix,  dont  il  fut  nommé 
préfet.  Résolu  dose  consacrer  au  sa- 
cerdoce ,  il  retourna  sur  les  bancs  , 
étudier  la  théologie  ,  au  collège  d'A- 
vignon ,  et  fut  ordonné  prêtre,  le 
'28  juin  1 763.  Les  circonstances 
avaient  fait  hâter  son  ordination 
et  celle  de  plusieurs  autres  de  ses 
confrères.  Iju  société  des  Jésuites 
touchait  à  la  fin  de  son  existence  en 
France ,  où  elle  fut  supprimée  par 
arrêt  du  parlement  de  Paris ,  le  0 


(0  M.  J.ll.v;,toi-Olf,oy,  epicÙT.a  fait  i.npii- 
mrr  i' l/yiiinc  nu  soleil ,  <l  /jlmiciirs  niiirccaux  du 
niime  (fcnrc  ixis  en  vcn  (  )'iai»cai»  ) ,  Paria.   iSïs  , 


REY 

août  1 762  ;  mais  elle  continua  d'exis- 
ter dans  le  Gomtat.  En  faisant  ses 
vœux  de  profès ,  Reyre  fît  aussi  celui 
d'aller  prêcher  la  foi  aux  idolâtres  , 
si  ses  supérieurs  le  lui  ordonnaient. 
Un  panégyrique  de  Sainl-Pierre  d'Al- 
cautara  ,  prononcé  à  Carpentras  ,  et 
une  Oraison  funèbre  du  Dauphin , 
prononcée  à  Avignon,  furent  ses  dé- 
buts dans  la  carrière  de  la  chaire. 
Lors  de  l'occupation  du  Gomtat  par 
les  armées  françaises  ,  Reyre  se  re- 
tira au  sein  de  sa  famille  ,  mais  n'y 
resta  pas  oi«if.  11  s'occupa  de  quel- 
ques ouvrages ,  et  surtout  de  ser- 
mons :  il  eut  bienlôt  composé  un 
Avent  et  un  Carême  /  et  ce  fut  avec 
succès  qu'il  prêcha  successivement  à 
Arles,  Alais,  Nîmes,  Moutpelier, 
etc.  :  on  l'appellail  le  Petit  Massil- 
lon.  Etant  venu  à  Paris  ,  en  1785,  il 
y  publia  son  Ecole  des  jeunes  De- 
vioiselles  ;  ce  qui  lui  fit  accorder  une 
pension  par  l'assemblée  du  clergé. 
Pendant  son  séjour  dans  la  capitale , 
Reyre  s'établit  dans  la  communauté 
des  Eudistes  ,  et  se  livra  au  ministère 
de  la  chaire.  Distingué  par  l'archevê- 
que, il  fut  chargé  de  jffêcher  ,  dans 
la  cathédrale ,  le  carême  de  1788.  Il 
allait  même  être  prédicateur  du  roi, 
lorsque  la  révolution  arriva.  Dès  les 
commencements,  Reyre  revint  à  Ey- 
guières  :  il  s'y  tenait  tranquille  ;  mais 
il  n'en  fut  pas  moins  incarcéré  sous 
le  régne  de  la  Convention.  Il  recou- 
vra sa  liberté  au  neuf  thermidor  ,  an 
ji(i794),  jour  de  la  chute  de  Robes- 
pierre :  il  vint  alors  à  Lyon,  auprès 
d'un  neveu  ,  et  donna  des  soins  à  l'c- 
ducation  et  à  rinstruclion  de  sa  fa- 
mille. Ce  fut  pour  ses  pelits-neveux 
qu'il  rédigea  plusieurs  de  ses  ouvra- 
ges :  mais  le  climat  de  Lyon  ne  con- 
venant plus  à  son  âge,  il  alla  défini- 
tivement habiter  Avignoii.  Là,  mal- 
gré quelques  infirmités  ,  ellets  de  la 


REY 

vieillesse,  il  continua  de  travailler. 
Outre  les  volumes  qu'il  a  publie's  à 
cette  époque,  il  composa. pour  l'usage 
d'un  ecclésiastique  dont  les  talents 
n'égalaient  pas  le  zèle,  un  carême 
tout  entier  ,  et  un  cours  de  prônes  , 
tout  différents  de  ceux  qui  ont  vu  le 
jour.  Il  mourut  le  4  février  i8iii. 
Sa  carricren'a  pas  été  brillante  ;  mais, 
ce  qui  vaut  Lien  mieux  ,  elle  a  été 
utile:  c'était  toute  son  ambition.  Ses 
nombreux  ouvrages  sont  depuis  long- 
temps dans  les  mains  de  la  jeunesse  : 
U  plupart  ont  eu  plusieurs  éditions; 
en  voici  la  liste  :  I.  IJAini  des  En- 
fants ,  l'yôo,  in- 12  :  ce  n'était  alors 
qu'un  petit  volume  ;  Sédition  de 
1777  a  été  revue  et  augmentée  par 
liisouard ,  maître  de  grammaire  à 
Dijon.  Eu  revoyant  et  augmentant 
son  livre,  l'auteur  l'intitula  le  Men- 
tor de  <:  Enfants,  ou  Recueil  d'ins- 
tructions ,  de  traits  d'histoire  et  de 
fables  nouvelles  ,  propres  à  former 
l'esprit  et  le  cœw  des  enfants  , 
1 786 ,  in- 1  '2  :  la  quatorzième  édition 
est  de  i8'2i.  II.  Oraison  funèbre 
du  Dauphin,  Avignon,  I7ti6,  ou- 
vrage non  mentionné  dans  la  Bibl. 
hist.  de  la  France.  III.  1/ Ecole  des 
jeunes  demoiselles,  ou  Lettresd'une 
Mère  vertueuse  à  sa  fille ,  avec  le^ 
réponses  de  lajdlc  à  sa  mère,  1 78G, 
2  vol.  in-1'2  ]  la  sixième  édition  est 
de  \.'6i'6.\N .Aiiecdotes  chrétiennes 
ou  llecueil  de  traits  d'Histoire 
choisis,  1801  ,in->'2.  La  troisième 
édition  (  en  deux  volumes  )  a  paru 
en  1810;  la  cirjqiùcmc;,  en  1819. 
Quelques-unes  de  ces  anecdotes  étaient 
inédites  :  les  autres  sont  tirées  des 
sources  les  ]ilus  authentiques.  V.  Le 
Fabuliste  des  Enfants  et  des  Ado- 
lescents ,  i8o3  ,  in-i  2  ,  en  quatre  li- 
vres  ;  i8o5  ,  en  cinq  livres  :  la  qua- 
trième édition  est  de  1812,  et  en 
bcpt  livres.  G.'  n'est  pas  une  compi- 


REY  453 

lation  de  fables  de  divers  auteurs  ; 
toutes  les  fables  sont  de  Reyre ,  qui 
n'avait  pas  la  prétention  d'être  poète, 
mais  qui  voulait  donner  des  leçons 
profitables  :  il  atteignit  son  but.  Trop 
souvent  le  conteur  immole  la  morale 
aux  grâces  ;  Reyre  a  quelquefois  né- 
gligé les  grâces  pour  la  morale.  Mais 
si  son  style  n'est  pas  toujours  élé- 
gant,  il  est  toujours  pur,  correct, 
facile  ,  clair  et  naturel.  L'auteur 
avait  inséré  plusieurs  de  ses  apo- 
logues dans  son  Ami  ou  Mentor  des 
Enfants  ;  et  Bérengcr  en  avait  rais 
quelques-unes  dans  son  Fablier  de 
la  Jeunesse  et  de  l'dge  mur,  publié 
en  !  8u  I .  VL  Bibliothèque  poétique 
de  la  Jeunesse  ou  Recueil  de  Pièces 
et  de  morceaux  de  poésie ,  i8o5  ,  "x 
vol.  in- 12.  VII.  Prônes  nouveaux 
en  forme d' Homélies  ou  Explication 
courte  et  familière  de  V  Evangile,  de 
tous  les  dimanches  de  Vannée,  pour 
servir  à  l'instruction  du  peuple 
des  villes  et  des  campagnes ,  1 809, 

2  vol.  in-12;  la  troisième  édition 
est  de  i8i2.  Ces  Prônes  ont  été  tra- 
duits en  italien.  VIII.  Petit  Carême 
en  forme  d'Homélies ,  1809,  2  vol. 
in-12.  IX.  Supplément  aux  Prônes 
nouveaux ,  et  au  Petit  Carême  en 

forme  d'Homélies  ,  ou  Instructions 
courtes  et  familières  sur  les  princi- 
pales fêtes  de  l'année,  1 8 1 1 ,  in- 1 2. 
Ces  trois  derniers  ouvrages  ont  été' 
réunis  et  réimprimés  sous  le  titre 
à' Année  pastorale,  i8i3,5vol.  in- 
12.  X.  Méditations  évangéliques 
pour  tous  les  jours  de  l'année ,  1 8 1 3, 

3  vol.  iu-12;  ouvrage  posthume,  en 
tête  duquel  est  une  Notice  sur  la  Fie 
et  les  Ouvrages  de  l'auteur.  Son 
Panégyrique  de  saint  Pierre  d'Al- 
canlara,  les  Sermons  qu'il  prccba 
luiraêrae  ,  ceux  qu'il  composa  pour 
lui  ami ,  les  petits  traités  d'histoire, 
de  grammaire  ,  de  géographie  ,  qu'il 


454 


REY 


avait  rédigés  pour  ses  petits-neveux , 
n'ont  point  e'té  imprimes.  Peu  de 
temps  avant  sa  mort,  il  avait  com- 
mence' un  second  Recueil  de  Prônes  ; 
il  n'enavait  écrit  que  quarante  pages, 
quand  il' cessa  de  vivre.  A.  B — t. 
REZZONICO(  Antoine- Joseph, 
comte  DE  LA  Tour  ) ,  savant  littéra- 
teur, naquit  à  Corne,  en  1709,  d'une 
famille  patricienne,  féconde  en  liom- 
mes  de  mérite,  et  qui  s'honore  d'avoir 
donné  un  pape  à  l'Église  (  Clément 
XI  fl  ).  Après  avoir  terminé  ses  élu- 
des avec  succès  ,  il  embrassa  l'état 
militaire  ,  et  servit  avec  distinction 
en  Espagne  et  en  Italie.  11  conserva 
le  goût  des  lettres  au  milieu  des 
camps  ,  et  mit  à  profit  ses  voyages  , 
en  visitant  les  bililiotlièques  ,  et  re- 
cueillant des  matériaux  pour  une 
nouvelle  édition  de  Y  Histoire  natu- 
reZZede  Pline.  Ses  services  militaires 
furent  récompensés  par  la  croix  de 
Tordre  de  Saint-Jacques ,  et  par  le 
grade  de  brigadier  des  armées  du 
roi  d'Espagne.  A  son  retour  en  Ita- 
lie ,  il  fut  nommé  chambellan  du  duc 
de  Parme.  Il  n'avait  pas  cessé  d'em- 
ployer tous  ses  loisirs  à  la  culture 
des  lettres  ,  et  il  s'était  déjà  fait  con- 
naître par  quelques  productions ,  qui 
lui  ouvrirent  les  portes  des  acadé- 
mies et  des  sociétés  littéraires.  La 
publication  de  ses  recherches  sur 
Pline ,  l'occupa  le  reste  de  sa  vie  ; 
mais ,  avant  d'avoir  terminé  cet  im- 
portant ouvrage  ,  il  mourut ,  le  16 
mars  178;)  ,  dans  la  citadelle  d(' Par- 
me ,  dont  il  était  gouverneur  depuis 
vingt  ans.  On  cite  de  cet  écrivain  : 
I.  JJe  supposililiis  militarihus  ilijien- 
iliis  Uenedicti  Odescalchi ,  <jid  pon- 
iijex  maximus  y  anno  1G76  ,  Innn- 
ceniii  A  I  prœnomine  fuit  anmincia- 
<j/5  ,  Côme  ,  i7/i'2,  in  fol.  de  i3'i 
pag.  Dans  celte  Dissertation,  il  s'at- 
tache principalement   à  démontrer 


REZ 

la  fausseté  des  anecdotes  rapportées 
par  plusieurs  historiens  sur  la  jeu- 
nesse d'Innocent  xi  ,  et  à  venger  ce 
pontife  de  leurs  calomnies  (  V.  In- 
nocent xï ,  tom.  XXI  ,  241  ).  II. 
Ludovico  adamato,  Galliar.  etD/a- 
varr.  rei^i  christianissimo ,  oh  Mino- 
rem  forlissimamqiie  Balearinm  à 
Gallis  expugnatam  musarum  epi- 
nicia ,  etc. ,  Parme  ,  1757 ,  in  -  4**- 
C'est  un  Recueil  de  vers  relatifs  à  la 
prise  de  Minorque  (  F'of.  L.-F. 
Armand  de  Richelieu  )  ,  avec 
des  notes  historiques  sur  cette  île, 
depuis  les  Romains.  III.  Disquisi- 
iioiies  Plinianœ ,  in  qidhusde  utrius- 
que  Plirùi  patrid ,  scriptis,  codici- 
hus ,  editionibus  alquc  interprelibus 
agitur ,  ibid.  ,  1763  G7 ,  2  vol  in- 
fol.  Les  quatre  premiers  livres  con- 
tiennent des  recherches  sur  la  fa- 
mille Fliiiia,  établie  à  Come,  ainsi 
que  le  prouvent  les  monuments  et  les 
inscriptions  qu'on  y  a  découverts 
(  P^.  Pline,  xxxv,  G7);  et  les  mo- 
tifs qui  doivent  faire  penser  que  cet- 
te ville  fut  le  berceau  de  ce  célèbre 
naturaliste.  Le  cinquième  livre  ren- 
ferme la  vie  détaillée  de  Pline,  d'a- 
près les  documents  les  plus  authen- 
tiques ;  le  sixième ,  le  plan  et  l'a- 
brégé de  son  Histoire  naturelle  ;  le 
septième,  la  réfutation  des  critiques 
qu'Aulu-Gelle  ,  et  divers  savants,  de- 
puis ,  ont  faites  de  cet  ouvrage;  le 
huitième .  la  Lettre  de  Pline  à  Titus , 
servant  d'introduction  à  l'Histoire 
naturelle,  corrigée  d^'après  plus  de 
vingt-cinq  manuscrits,  avec  une  Ver- 
sion italienne,  en  regard,  et  des  no- 
tes; le  neuvième,  des  corrections  et 
des  variantes,  tirées  de  manuscrits 
incoliuus  au  P.  Hardouin ,  ou  qu'il 
n'avait  pas  jiu  consulter,  des  biblio- 
thèques de  Milan  ,  de  Rome,  de  Na- 
j)les  ,  de  Turin,  de  Lucques,  de  Ma- 
drid ,  del'Escurial  et dcTolètle. Enfin 


REZ 

les  deux  derniers  livres  coiilieunenl  la 
Notice  de  tous  les  manuscrits  connus 
de  l'Histoire  naturelle ,  avec  le  Cata- 
logue clironologiquc  des  éditions  et 
des  traductions  qui  en  ont  ëte'  pu- 
bliées dans   les  langues   modernes. 
L'ouvrage  est  termine  par  une  Let- 
tre deilezzonico  au  P.  Jacquier,  sur 
le  fameux  obélisque  qu'Auguste  fit 
élever  à  Rome,  dans  le  Champ -de- 
Mars  ,  pour  servir  de  gnomon  (  V. 
Manilius  ,    XXVI,    49^)-  C'est  un 
trésor  d'érudition  et  un  modèle  de 
bonne  critique  ;  et  il  sulîit  pour  as- 
surer à  son  auteur  une  place  distin- 
guée parmi  les  savants  du  dix  -  hui- 
tième siècle.  IV.  Discoisi  accade- 
mici ,  Parme,  1772  ,  2  vol.  in  -  8°. 
C'est  le  Recueil  des  morceaux  que 
l'auteur  avait  lus  dans  les  différentes 
socie'ies  littéraires  dont  il  e'tait  mem- 
bre. V.  Fersi  sciolti,  Parme ,  1774» 
in- 4".  ,  contenant  quinze  Sonnets  , 
sc[)l  Odes  anacre'ontiques  et  quatre 
petits  Poèmes  en  vers  blancs:  l'un  sur 
les  progrès  de  l'art  draînatiquc  en  Ita- 
lie (  il  y  promet  à  sa  patrie  des  Cor- 
neille ,  des  Racine  et  des  Molière  )  ; 
le  second  est  consacre  à  la  me'moire 
du  savant  P.  Leseur  (  F^.  ce  nom  )  ; 
le  troisième  est  une  traduction  du 
Vcnseroso  de  Milton  ;  et  le  quatriè- 
me a  ])Our  objet  l'astronomie.  Rezzo- 
nico  fut  agrège,  en  1773,  à  i'acadë- 
mie  de  Berlin,  par  Frédéric,  qui  lui 
cciivit,  à  ce  sujet,  une  lettre  ,  insère'c 
dans  les  journaux,  W — s. 

RHABAN  ou  HRABAN  MAUR. 
Voy.  Raiîan. 

RllADAMÉADIS  régnait  dans 
le  Bosphore  Cimmc'rien ,  au  com- 
mcnccmcut  du  quatrième  siècle  de 
notre  ère.  Son  origine  nous  est  in- 
connue; mais  il  eslprobablequ'il  ap- 
partenait à  la  rac*;  de  ces  rois  barba- 
res ,  tels  qu'lninlhiineyus,  Arèan.sès, 
Tirancs  et  ïholhorsès  ,  que  les  mc- 


RHA  455 

dailles  seules  nous  font  connaître  ,  et 
qui  partageaient,  à  ce  qu  il  paraît, 
le  Bosphore  avec  la  dynastie  des  Sau- 
romates  et  des  Rhescuporis.  L'exis- 
tence de   Rhadamèadis  nous  a  été 
récemment  révélée  par  quelques  me'- 
dailles  d'un  travail  fort  barbare  ,  qui 
ont  été  observées  pour  la  première 
fois  par  M.  le  colonel  Stcmpkovsky 
(  I  ).  Ces  monuments  sont  si  mal  exé- 
cutés et  si  mal  conservés  ,  que  c'est 
par  la  réunion  seule  de  plusieurs  mé- 
dailles,qu'on  a  pu  seprocurer  lalégcn- 
de  entière,B A2I AEY2  PAAAMEA/iI2. 
La  lecture  n'en  est  pas  moins  cer- 
taine :  M.  Kohier,  qui  en   conteste 
l'exactitude,  prétend  que  ce  prince 
devait  s'appeler  Rhadamsès  ;  ce  se-- 
rait-là  une  bien  légère  différence  ,  si 
iéellement  elle  était  fondée:  mais  il 
est  à  présumer  qu'elle  a  été  produite 
par  des  médailles  mal  conservées,  oii 
la  légende  tronquée  ne  présente  que 
les  lettres   PAAAM  ,  suivies  d'un  E 
qu'on  peut  également  prendre  pour 
un  2  à  cause  de  la  forme  lunaire  qu'à 
cette  époque  on  donnait  à  ces  deux 
lettres.  Ce  n'est  pas  là  une  raison 
suffisanle  pour  regarder  comme  ima- 
ginaire la  découverte  de  ce  nouveau 
roi  du  Bosphore  (2).   Les  médail- 


(i)  Ce  savant  a  publié  une  Notice  sur  ce  sujet, 
donucf 'ip,al  et insi-rre aussi  dausies  ^iitli/iulésgrec- 
i/iies  du  Uoiphore  Cimmérien ,  par  M.  Raoul-Ro- 
cliclle,  |i.  ?.i()-235. 

[9.)Remaiqiies  sur  un  ouvrage  intilulé  les  AntiqtU- 
tis  grec^ufs  du  Bosphore  Cimmérien ,  Pclersbourg  , 
187,3  ,  p.  5  1 1  108.  M.  Kœ'iiler  avait  déjà  public  ,  en 
187.1 ,  à  S.  Pcler.'bourg  ,  une  brochure  iu  8". ,  in- 
titulée Médailles  greci/ues  ,  U  la  lin  de  laquelle  ou 
trouve  uii  paragraphe  qui,  sous  celte  désignation  , 
D'un  loi  iiirunnu  du  Bosphore  Cimmérien,  traite 
«les  médai.'hs  du  roi  Rhadamèadis.  L'auteur  cun- 
tistu  la  découvii te  faite  par  M.  Steinpkovsky  ,  et 
chcrilie  à  la  revendiquer  ,  en  essayant  de  prou- 
ver que  les  uionumenls  de  ce  prime  appartiennent 
à  un  roi  nommé  réellcncnt  Rhadamsès.  Les  rai- 
sons qu'il  allègue  sont  assex  peu  concluantes,  sur» 
tout  si  l'on  fait  atlentnm  que  le  er.tique  néglige  de 
parler  de  la  lu.iiallle  sur  laquelle  M.  Sl(  uipkovsky 
a  lu  distinelenient  l.i  iiu  du  nom  de  Rhadamèadis  : 
si  cette  médaille  avait  été  mal  lue  ou  mal  décrite  , 
on  n'aurait  sans  doute  pas  uiauqué  d'en  taire  la  re- 
marque. Comme  elle  devait  former  le  polut  esseu- 


456  RHA 

les  connues  de  Rhadameadis  por- 
tent les  dates  de  l'an  607  et  de 
l'an  6 1 5 ,  de  l'ère  du  Pont  usitée 
dans  le  Bosphore,  qui  re'pondent  aux 
années  3 1 1  et  3 19  de  J.-C.  Ce  prince 
e'tait  donc  contemporain  de  Constan- 
tin ,  et  son  règne  fut  au  moins  de 
neuf  années.  Les  médailles  font  voir 
que,  vers  la  même  époque,  il  régnait 
encore  dans  le  Bosphore  un  prince 
nommé  Rhescuporis  ;  c'était  le  sixiè- 
me de  ce  nom.  La  plus  ancienne  mon- 
naie de  ce  dernier  est  de  l'an  61 3  de 
l'ère  pontique  (  3!  7  de  J.-C.  )  :  elle 
a  étépubliéepir  M.  Sestinl  (3), quia 
été  suivi  parVisconli  (4).  M.  Stemp- 
kovsky  ,  qui  la  croit  mal  lue  (5)  , 
pense  qu'on  doit  l'attribuer  à  Rha- 
dame'adis  •  d'où  il  résulterait  que  ces 
deux  princes  n'auraient  pas  régné  en 
même  temps, mais  que  Rhescuporis 
Vlauraitété  le  successeur deRhada- 
méadis. Quand  même  il  en  aurait  été 
de  cetîeracdaille  comme  le  pensait  M. 
Stempkovsky ,  son  système  n'en  se- 
rait pas  ,  au  fond  ,  plus  admissible  ; 
car  Sestini  (6)  fait  mention  d'un 
monument  du  même  prince,  daté  de 
l'an  610  (3i4  de  J.-C.)  Rien  ne 
s'oppose  donc  à  ce  qu'il  puisse  en 
exister  de  l'an  61 3  :  nous  avons  vu  , 
en  elTct,  la  médaille  regardée  comme 
mal  li:c  ;  elle  se  trouve  dans  la  col- 
lection de  M.  Allier  de  Hauîcrochc: 
elle  est  léellcmcnt  de  R'iescuporis 
VI,  et  de  l'an  61 3.  11  est  donc  bien 
constant  que  les  deux  princes  ont  été 
contemporains  :  seulement  il  paraît 
que  Rhadameadis  régnait  un  peu 
avant  Rhescuporis.  S.  M — n. 

licl  dans  cette  dincusiioii,  il  rêMiUe  de  ce  silence 
qu'on  ne  peut  rcfu/ier  d'admettic  dans  la  liste  des 
r<ii.i  du  Hoipliurc  Cimuicrien ,  uu  prince  iiuiumé 
1\ba<Suméailis. 

(3)  Lrlti  re  nunUsniatiche ,  t.  1,  p.  /|/|. — (4)  C'IaS- 
tM  gcn/;n?fl,t,  J,p.  34. 

(4)  /<■"«"(,■'■.  (jrecf/. ,  t.  JF,  p.  175. 

(5)  /iiiiù/.  grecif.  du  Do'pli,  Cimmèr.\f.  aSS. 
(G)  Clasict  scn<-rn<«,  p,  i^'j,  HoTi-nce,  iR»i. 


RHE 

RHADAMISTE.    F.  Pharasma- 
r«E,  XXXIV,  7. 

RHASISouRHASÈS(Abubeter). 

r.  razt. 

RHEEDE  (  Henri-Adrien  Draa- 

RENSTEiN  Van),  Hollandais,  d'une 
naissance  illustre  ,  s'est  rendu  cé- 
lèbre moins  par  le  zèle  et  l'habi- 
Iclé  avec  lesquels  il  remplit  les  pre- 
miers emplois  civils  et  militaires 
dans  les  établissements  de  sa  patrie 
aux  Indes  ,  que  par  le  soin  qu^il  a 
pris  de  faire  connaître  les  plantes 
les  plus  remarquables  de  cette  con- 
trée ,  dans  un  des  plus  magniû- 
ques  ouvrages  qui  eût  encore  paru  , 
VJ/ortus  Malaharicus ,  douze  volu- 
mes in-folio  ,  publiés  de  1678  à 
1703,  avec  7<)4  plancbes.  Malgré 
tant  de  titres  à  l'illustration,  l'on  ne 
connaît  de  sa  vie  privée  que  le  peu 
qui  se  trouve  disséminé  dans  sou 
ouvrage  :  ainsi  l'on  ignore  les  dates 
de  sa  naissance  et  de  sa  mort  ,  et  le 
lieu  précis  de  sa  naissance  ;  on  peut 
conjecturer  seulement  qu'il  était  de 
la  province  d'Utrccht.  Dès  l'âge  de 
quatorze  ans  ,  il  quitta  la  maison  pa- 
ternelle pour  s'embarquer ,  et  com- 
mencer sa  carière  politique,  en  sorte 
qu'il  fui  à  portée  de  parcourir  tous 
les  établissements  hollandais  dans 
les  deux  Mondes.  S'il  n'eut  pas  le 
temps  de  recevoir  l'éducation  que 
demandait  sa  naissance ,  il  y  suppléa 
par  son  esprit  naturel ,  qui  le  portait 
à  observer,  avec  soin ,  tous  les  objets 
qui  le  frappaient.  S'élevant  de  grade 
en  grade  ,  il  devint  gouverifeur-génc- 
ral  de  la  côte  du  Malabar.  Ce  fut 
avec  beaucoup  d'activité  qu'il  remplit 
celle  ])lace  éminenlc,  eu  sorte  qu'il 
parcourut  ,  à  différentes  reprises  , 
tous  les  districts  qui  dépendaient  de 
son  commandement.  Il  ne  put  tra- 
verser saus  admiration  ces  campa- 
gnes  SI   varices  par  Icur;^    ]n"oduc- 


RHE 

lions  naUirelles  :  ici  des  plaines  im- 
menses ,  dont  le  sol  aride  et  bi  ùle 
était  cependant  couvert  d'nne  abon- 
dante vpije'tation  ;  I.^   des  forets  si 
diversifiées  ipie,  dans  leur  vasle  e'ton- 
due  ,  on  y  rencontrait  avec  peine 
deux,  fois  le  même  arlire  ;  de  plus ,  ils 
se  trouvaient  liés  entre  enx  par  des 
lianes  dont  on  ne  pouvait  demcler  les 
deux  extrémités:  d'autres  foissur  un 
seul  tronc  d'arbre,  ou  trouvait  cin- 
quante parasites,  qui  le  couronnaient 
d'une  verdure  étrangère  sans  nuire 
à  sa  végétation.  Il  entreprit  de  com- 
muniquer à  sa  patrie  quelques-unes 
des   sensations    qu'il    avait   éprou- 
vées à  cet  aspect  ,  et  de  faire  con- 
naître ces  magnifiques  végétations  ; 
à  cet  effet ,  il  employa  tout  le  crédit 
que  lui  donnait  sa  place  pour  asso- 
cier à  son  entreprise  tous  ceux  qu'il 
crut  propres  à  y  concourir  :  il  devint 
donc  un  point  de  réunion  pour  les 
éléments  les  plus  liétérogèucs  en  appa- 
rence ;  tous  les  préjugés  se  turent  de- 
vant lui  :  d'aboi'd  ayant  appris  qv.'un 
respectable  missionnaire  catholi{ue, 
le  père  Matthieu  de  Saint- Joseph  , 
carme  déchaussé  de  N.-îpIes  ,  avait 
des  connaissances  très -étendues  sur 
les  plantes  ,  il  mit  tout  en  usage  pour 
le  déterminer  à  quitter    <ia  velraitc 
et  avenir  s'établir  à  Cochin.  lieu 
de  sa  résidence. Quoique  sexagénaire, 
le  bon  religieux  se  rendit  à  ses  sol- 
licitations ,  vers  1673.  Cet  homme 
vénérable  était  passé  on  Orient ,  vers 
1644  7  et  avait   remj)li   avec   zèle 
tous  les  devoirs  de  sa  profession  dans 
une  grande  partie  de  l'Inde  :  il  avait 
recueilli  avec  soin  ,  dans  le  seul  in- 
térêt de  l'humanité ,  tous  les  remè- 
des  qu'il   avait  vn  employer   nvec. 
quelque  succès;  et ,  dans  ses  heures 
de  loisir,  il  s'occupait  à  dessiner  les 
plantes  dont  ils  étaient  composés. 
Van-Rhccde  ne  lui  demanda  pas  au- 


RHE  437 

ire  chose  que  de  mettre  plus  de  suite 
dans  ses  travaux.  Le  P.  Matthieu 
se  prêta  de  son  mieux  à  ses  vues. 
Pour  ailler  sa  mémoire,  il  avait  con- 
servé des  feuilles  et  des  fleura  des 
plantes  les  pins  remarqualiles  :  aidé 
parce  faible  secours  ,  son  imagina- 
tion reformait  l'ensemble  du  végé- 
tal ,  que  sa  main  retraçait  avec  assez 
de  vérité  ponr  le  faire  reconnaître  ; 
mais  on  sent  bien  que  les  détails  de- 
vaient manquer:  de  plus,  comme  il  ne 
se  servait  que  de  la  plume  pour  exécu- 
ter ses  dessins,  il  pouvait  ilii'licile- 
menten  faire  ressortir  le  relief  par  les 
ombres.  Van  Rheede  sentit,  [tar  lui- 
même,  que  ce  travail  n'atteignait 
pas  son  but.  11  en  était  de  même  des 
dissertations  qui  accompagnaient  les 
figures  ;  elles  consistaient  presque 
uniquement  dans  l'cnuméralion  des 
vertus  qu'on  allribuaità  chaque  plan- 
te: il  fut  confirmé  dans  cette  opinion 
par  le  célèbre  Paul  Herman-,  qi/i ,  lors 
de  son  retour  en  Europe  après  son 
voyage  à  Ceylan  ,  séjourna  quelque 
temps  à  Cochin.  Le  bon  religieux, 
avec  toute  la  modestie  de  son  cloî- 
tre ,  convint  lui-môme  que  son  talent 
était  au-dessous  de  la  tâche  qu'on 
lui  avait  donnée,  et  s'empressa  de  re- 
tourner à  ses  traA'anxapostoli(jiies. Ou 
peut  prendre  uric  idée  de  la  manière 
de  dessiner  du  père  Matthieu,  dans 
l'histoire  des  plantes  rans  de  Zanoni, 
publiée  en  1675.  VanKheedo  lei'cm- 
plaça  par  un  jeune  ministre  protes- 
rant,  établi  à  Cochin ,  nommé  Casea- 
rius  :  ce  dernier  était  initié  dans  ton- 
tes les  sciences ,  excepté  justement  la 
botanique:  mais  Rhecde  lui  inspira 
son  zèle ,  et ,  après  quelques  essais  , 
Casearius  finit  par  faire  des  descrip- 
tions aussi  complètes  que  celles  qui 
étaient  usitées  à  cette  époque  (  i  )  Il  fal- 

(«)  f^Ojr.  l'arf  CASEAKII'S,  VII.  ■xGG. 


458  RHE 

lait  des  dessinateurs:  Rhcedc  les  trou- 
va parmi  les  naturels;  accoutumes  de 
temps  immémorial  à  copier  fidèle- 
ment la  nature,  il  ne  fallut  que  les  gui- 
der pour  en  créer  des  peintres  habi- 
les. On  interrogea  aussi  les  médecins 
les  plus  instruits:  dom  IManuel  Gar- 
neiro,  interprète  du  gouvernement, 
traduisait  dans  ïa  propre  langue  (  le 
portugais),  ce  que  ces  Indous  lui  dic- 
taient en  malsibare;  et  le  secrélaire 
du  gouvernement,  Cli rétien -Dornep,. 
le  retraduisait  en  latin.  C'est  par  ces 
différentes  filières  que  passèrent  les 
connaissances  recueillies  par  Rlieedc 
sur  les  plantes  de  l'Inde.  Il  était 
î'ame  de  cette  réunion  ;  mais  il  ne  se 
contentait  pas  des  ressources  qu'il 
avait  autour  de  lui  :  il  s'en  ména- 
geait au  loin  par  les  correspondances 
qu'il  entretenait  avec  les  princes  al- 
liés de  la  compagnie  des  Indes  j  il 
faisait  rechercher  les  plantes  les 
plus  rares;  on  lui  en  envoyait  de 
soixante  lieues  ,  dans  toute  leur  fraî- 
cheur ,  grâce  à  la  rapidité  des  cour- 
riers. Lui- même  ^  durant  les  voya- 
ges qu'il  entreprenait  pour  son  ad- 
ministration, se  faisant  accompagner 
par  toute  la  socictéqu'il  avait  formée, 
s'occupait  d'acquérir  de  nouveaux 
matériaux  :  pendant  les  haltes,  il  en- 
gageait les  Indiens  qui  l'accompa- 
gnaient ,  à  se  répandre  aux  envi- 
rons pour  y  recueillir  des  plantes; 
il  excitait  leur  zèle  par  des  prix  ac- 
cordés à  ceux  qui  rapportaient  les 
plus  curieuses  ;  et  ils  étaient  telle- 
ment animés  ,  que  souvent  ils  ras- 
semblaient ,  en  une  journée ,  plus 
d'objets  qu'on  ne  pouvait  en  dessiner 
et  décrire  dans  un  mois.  Dès  qu'il 
cul  mis  eu  ordre  les  matériaux  qui 
pouvaient  compléter  un  volume  ,  il 
les  (it  passer  en  Europe  pour  les  pu- 
h\ky.  Arnold  Sycn  et  Jean  Com- 
mcliu  ,  les  plus  habiles   botanistes 


RHE 

qu'il  y  eût  alors  en  Hollande,  se  char- 
gèrent de  surveiller  l'impression,  et 
d'y  ajouter  des  Notes  ;  le  premier 
volume  parut  en  1678  ,  sous  ce  titre: 
Ilortus  Indicus  Malabaricus  ,  etc. 
(  Jardin  du  Malabar,  contenant  les 
plantes  les  plus  célèbres  du  royaume 
de  Malabar,  avec  les  noms  mala- 
bares,  arabes  et  brames.)  Il  est  dédié, 
au  nom  de  Rheede  et  de  Casearius , 
à  Jean  Matsuykcr,  gouverneur-géné- 
ral de  l'Inde  ;  ainsi  !c  luxe  de  la 
végétation  indienne  se  préseuta,  pour 
la  première  fois  ,  aux  yeux  de  l'Eu- 
rope :  la  scène  s'ouvre  par  le  coco- 
tier. Le  format  in-folio  parut  trop 
étroit  pour  le  représenter  :  on  em- 
ploya des  planches  d'une  dimension 
double,  qui  sont  pliées  ;  et  quatre 
feuilles  de  même  format  suffisent  à 
peine  pour  développer  les  parties  de 
ce  palmier  :  le  volume  contient  67 
planches  consacrées  à  d'autres  ar- 
bres aussi  curieux,  mais  moins  cou- 
nus.  Rhecdc  fit  passer  promptement 
les  matériaux  d'un  second  volume. 
C'était  encore  Casearius  qui  l'avait 
rédigé  ;  mais  il  venait  de  mourir  à  la 
fleur  de  l'âge.  Le  volume  Contient  des 
arbustes,  la  plupart  ayant  des  fleurs 
remarquables  par  leurs  couleurs  ou 
leurs  parfums  :  ils  sont  décrits  et  fi- 
gurés dans  cinquante  -  six  planches. 
Rheede  apporta  lui-même  le  troi- 
sième volume  en  Europe  :  il  avait 
remplacé  Casearius  ])ar  le  secrétaire 
Dornep  ;  mais  oblige  de  quitter  Co- 
chinpour  venir  à  Batavia  ,  il  y  trou- 
va le  docteur  Ten  Rliyne.  C'était  uu 
très-habile  médecin  ,  qui  revenait  du 
Japon  ,  où  il  avait  été  envoyé  par  la 
compagnie  des  Indes  ,  pour  y  traiter 
l'empereur  d'une  maladie  que  les 
médecins  du  jiays  avaient  jiigée  incu- 
rable. (/^.  Ru  Y  NE.)  11  eut  part  à  la  ré- 
daction de  ce  voliune,  et  du  reste  de 
l'ouvrage.  Rhcedc  enfit  faire  une  co- 


RHE 

pie  coraplèle  pour  remplacer,  en  cas 
de  naufrage, l'original  qu'il  emportait 
avec  lui ,  lorsque  des  affaires  subites 
le  forcèrent  de  revenir  en  Hollande. 
II  dédia  ce  volume  ,  qui  parut  en 
i689>,  à  ini  des  nababs  allies  de  la 
compagnie  des  Indes  ,  qu'il  nomme 
Noitviïle  Virola  ,  et  dont  la  famille 
posse'dait,  depuis  deux  mille  ans  ,  la 
souveraineté.  C'est  dans  l'avertisse- 
ment mis  en  tète  de  ce  volume,  que 
Rhecde  rend  compte  des  moyens  qu'il 
a  employés  pour  composer  son  ouvra- 
ge: il  parle  surtout  des  secours  qu'il 
a  tirés  des  médecins  malabares  :  il  en 
nomme,  entreautres, quatre  qui  l'ont 
cidé  plus  spécialement  :  Itti  Aclnm- 
dem ,  Rangaubetto,Vinaiquc  et  Jnppu 
Botto  de  la  caste  des  Brames.  Ils  s'en 
occupèrent  de  iHn3  à  1674-  Mais 
il  en  rassemblait  un  plus  grand  nom- 
bre, quand  il  en  trouvait  l'occasion  : 
il  dit  qu'il  en  a  vu  jusqu'à  quinze 
réunis  ,  discutant  gravement  sur  le 
nom  ou  les  propriétés  d'une  plante. 
Suivant  son  plan  ,  ce  volume  de- 
vait être  le  second  ;  car  il  continue 
l'énuciération  des  arbres  commen- 
cée dans  le  premier  :  il  débute 
par  le  gigantesque  Todda  Paria  ,  qui 
met  cinquante  ans  pour  acquérir 
toutes  ses  dimensions,  fleurit  pour 
la  première  et  dernière  fois  ,  et 
reste  accablé  sous  son  immense  fruc- 
tification :  douze  planches  suffi- 
sent à  peine  pour  offrir  toutes  les 
particularités  de  ce  superbe  pal- 
mier :  dans  celle  qui  le  représente 
en  son  entier,  des  personnages  ré- 
pandus autour  servent  d'échelle 
pour  donner  une  juste  idée  de  son 
élévation  :  dans  une  autre  on  voit 
une  douzaine  d'Indiens  abrités  par 
une  seule  de  ses  feuilles  ;  d'autres  ar- 
bres aussi  étonnants  l'accompagnent 
comme  le  ia(piicr ,  dont  les  fruits  dé- 
passant souvent  le  poids  de  soixante 


RliE 


459 


livres  ,  sont  suspendus  tout  le  long 
du  tronc.  On  y  reconnait  les  figuiers 
mentionnés  déjà  par  Pline  .  formant 
à  eux  seuls  des  forets  ,  et  servant 
d'asile  aux  gymnosophistes.  Le  doc- 
teur Jean  Muuichs  avait  remplacé 
Arnold  Syen  ,  pour  la  rédaction  de 
l'ouvrage.  On  voit  que  Van  Rheede 
éprouvait  des  difficultés  pour  sa  pu- 
blication :  ses  libraires  ne  se  sentant 
pas  en  état  de  l'entreprendre,  il  était 
obligé  d'y  subvenir  ;  et,  malgré  les 
grandes  places  qu'il  avait  occupées  , 
il  avait  peine  à  y  suffire.  Dans  le 
quatrième,  sont  réunis  les  fruits  les 
plus  exquis  de  l'Inde ,  les  manguiers, 
les  limons, le litschi ,  représentés  sur 
60  planches.  Dans  le  cinquième ,  qui 
paruten  i685,  se  trouveut des  arbus- 
tes dont  la  plupart  n'étaient  pas  en- 
core connus  de  nom  en  Europe^,  quoi- 
que quelques-uns  fournissaient  de- 
puis long-temps  ,  au  commerce,  des 
drogues  précieuses  :  soixante  plan- 
ches. Le  sixième,  dont  la  rédac- 
tion ,  abandonnée  par  Munichs  ,  fut 
confiée  à  Th.  Janson  Almeloven  , 
contient  les  arbres  légumiueux,  com- 
me lescancficicrs,lesaoacias,lesbau- 
hines,  des  malvacées  arborescentes: 
il  parut  ,  en  1686  ,  et  contient 
soixante-une  figures.  A  partir  au 
septième,  la  rédaction  appartient  à 
Abra'nam  Pott ,  qui  la  continua  jus- 
qu'au dernier  volume.  Il  parut,  eu 
1687  :  ce  volume  comprend  ces  lia- 
nes gigantesques  qui  caractérisent  la 
végétation  des  tropiques  ;  parmi  les 
plus  utiles  se  trouvent  les  poivriers  , 
le  bétel,  les  salsepareilles  :  d'autres, 
comme  le  meîhonica,  sont  des  plus 
magnifiques.  Le  huitième  volume, 
publié  en  1688,  commence  les  plan- 
tes herbacées  ;  ce  sont  les  espèces  po- 
mifèrcs  et  grimpantes  :  elles  semblent 
nous  ramener  en  Europe  ,  car  on 
y  trouve    les  cucurbitacces ,   diffc- 


AGo 


RHE 


rentes  espèces  de  haricots  ;  mais 
ce  n'est  que  le  pins  ptMif  nomluc 
que  nous  avons  pu  nous  procurer 
avec  beaucoup  de  peine  dans  nos 
jardins,  tandis  qu'on  s'aperçoit,  au 
grand  nombre  de  leurs  espèces,  et  au 
luxede  leur  vc'f^ctation,  qu'elles  sont  là 
dans  leur  pays  natal.  Le  neuvième 
contient  l'èniimeration  des  herbes* 
il  parut  en  1G89  •  c{"eJq'ies-unes  sont 
encore  tellement  gigantesques,qu'ellcs 
sont  à  l'etroitdans  le  double  in-foiio. 
Telleest  une  apocynèe  qui  représente 
un  vaste  candélabre  ,  ce  que  Linné  a 
cxpiime  par  le  nom  de  Ceropee,ia  , 
qu'il  a  donne'  au  genre  qui  la  com- 
prend :  quant  aux  autres ,  ce  for- 
mat devient  graduellement  mieux 
proportionne  aux  objets  qui  doivent 
s'y  présenter;  mais,  comme  ils  de- 
viennent de  plus  en  plus  petits,  il 
finiraient  par  être  perdus  dans  l'es- 
pace. Il  scmWe  que  les  dessinateurs 
aient  voulu  obvier  à  cet  inconvénient, 
en  renforçant  de  plus  en  plus  les 
proportions  à  mesure  que  les  plantes 
diminuaient;  ce  qui  lesdënature.  G^Ia 
irest  pas  encore  bien  sensible  dans 
ce  volume;  car  le  plus  grand  nom- 
bre est  étranger  à  nos  climats  ;  telles 
sont  les  scnsitives,  et  autres  lëgumi- 
ufuscs  singulières  ,  qui  sont  repré- 
sentées en  soixante -sept  planches. 
Mais  c'est  dans  le  dixième,  publie  en 
1 G90  ,  que  l'on  voit  ])araî(rc  un  assez 
grand  nombre  de  plantes  dont  Je  port 
ne  nous  est  plus  étranger;  on  y 
reconnaît  les  groupes  ou  familles 
les  plus  communes  dans  nos  clijnats, 
comme  les  labiées,  les  composées. 
Le  onzième  nousramcnedanslespays 
cquatoriaux,  en  débutant  par  l'a- 
nanas; niais  Rhecde  ne  donne  pas 
hs  moyens  de  décider  la  question 
tic  son  pays  natal.  Suivent  lés  j)lan- 
tes  de  la  famille  des  amomccs  ,  les 
aroïdcs  :    pnr   les   pl.inle.s     uquati- 


RHE 

ques,  on  revient  à  des  formes  connues, 
comme  les  re'miphars  ;  quelquesplan- 
les  paraissent  identiques  comme  l'a- 
conis  des  peuples  septentrionaux; 
mais,  jiar  les  liserons, on  revient  au 
luxe  asiatique.  Enfin, ledouzième  vo- 
lume termine  ce  superbe  ouvrage  : 
il  continue  la  description  désherbes  ; 
là  se  trouvent  ces  parasites  singu- 
lières ,  telles  que  plusieurs  orchidées 
de  là  nommées  épidendres,qui  n'ap- 
partiennent qu'aux  tropiques ;des  fou- 
gères et  des  graminées.  Linné  et 
Haller  placent  la  date  de  ce  volume 
à  lOfjS;  Seguicr ,  Banks,  etc.,  la 
placent  en  l'joS.  Cet  ouvrage,  dans 
ses  19.  volumes, a  i5i2pag.  et  794  fi- 
gures, représentant  à-peu-près  un  pa- 
reil nombre  de  ]ilantes  ;  car  si  plu- 
sieurs figures  ,daus  les  premiersvolu- 
mes,appartiennent  aune  seule  plante, 
dans  les  derniers  ilsetrouve  plusieurs 
plantes  sur  la  même  })lanche.  Si  l'on 
compare  l'ordre  dans  lequel  il  est 
rédigé  avec  les  méthodes  auxquelles 
nous  sommes  accoutumés,  on  pour- 
ra le  jfiger  fort  imparfait  ;  mais  si 
nous  faisons  attention  au  temps  oTi 
il  a  élé  conçu,  nous  trouverons  que 
Rl'icede  a  montré  i)eaucoup  de  saga- 
cité dcins  la  manière  cloni.il  a  déta- 
ché les  groupes  qui  composent  cha- 
que volume  :  il  ])aiaît  qiie  c'est  à 
lui  seul  qu'on  le  doit,  car  formant 
successiveuîcnt  ceux  qu'il  employait, 
il  ne  pouvait  recevoir  d'eux  que  les 
détails  du  plan  qu'il  avait  conçu  ;  et 
c'est  au  milieu  de  ses  courses  qu'il 
l'avait  saisi  dans  la  nature.  Ce  qui 
distingue  Van  Bheede,  c'est  qu'ayant 
de  grands  moyens  en  puissance  et  en 
richesses  ,  il  n'en  abutait  pas  pour 
tourner  à  son  seul  avantage  les  lia- 
vaux  qu'il  faisait  exécuter  :  il  ne 
cherchail([uedcscollaboialeurs,avec 
lesquels  il  s'empressait  de  partager 
toute  la  gloire  qui  ]»ouvait  provenir 


RHE 

du  plus  beau  travail  qu'on  eût  encore 
publie  (2)  :  car  il  fit  connaître  à  l'Eu- 
rope plus  de  plantes  que  les  anciens 
n'en  avaient  décrit  ;  il  re'véla  les 
sources  d'où  le  commerce  tirait,  de 
temps  immémorial ,  les  aromates  et 
les  drogues  les  plus  précieuses  :  non- 
sciilement  il  nommait  honorable- 
ment tous  ceux  qu'il  avait  enga^ijes 
à  venir  le  seconder,  et  qu'il  avait, 
pour  ainsi  dire  ,  cree's  botanistes  ; 
il  s'empressait  de  payer,  de  plus, 
à  leur  rae'moire  le  tribut  de  ses  élo- 
ges. Jusqu'au  dixième  volume ,  il 
parle  en  son  nom  dans  des  préfaces 
ou  des  épîtres  dédicatoires  adressées 
à  ses  collaborateurs  :  dans  le  onziè- 
me, il  ne  paraît  plus  que  sur  le 
titre  ;  mais  cians  ledouzièuîe,  la  for- 
mule Pùb  menioriœ  ,  qui  précède  son 
nom,  indique  qu'il  u'exisiait  plus.  Ou 
ignore  l'année  et  le  lieu  de  sa  mort  ; 
on  sait  seulement  qu'il  élait  retour- 
né dans  l'Inde.  Aux  douze  volumes 
de  VHortùs  Indiens  Mnlaharicus , 
on  ajoute  le  Flora  Itîalabnrica 
(  F".  Gasp.  CoMMELiN  ) ,  dont  l'a- 
vertissement fait  voir  qucRliecde  vi- 
vait encore  en  1690;  mais  il  ne  vi- 
vait plus  en  1703,  année  où  l'on  a 
mis  de  nouveaux  litres  aux  derniers 
volumes  de  Vllortiis  Indiens.  Ce 
grand  ouvrage ,  dont  le  dessin  et 
le  texte  avaient  été  achevés  en  moins 
de  deux  années  ,  se  publia  en  quinze 
ans  ,  et  passa  dans  les  mains  de  plu- 
sieurs  libraires.  La  version  hollan- 
daise, commencée,  en  1689,  P^t 
Abraham  Pott,  n'alla  que  jusqu'aux 
deux  premiers  volumes  j  et  l'in- 
fatigable J.  Hill ,  qui  donna,  en 
1774,  le  !'='■.  volume  d'une  Traduc- 
tion anglaise  ,  n'alla  pas  plus  loin  , 
(juoiquc  ,  pour  diminuer  les  frais  de 


(»)  Celui  d'Hciuandès  était  en  grande  partie  iuw- 
dit  (  /'.  Reocui  ,  i>ag,  ai/,  ti-Jwsus  ). 


EHE  46i 

gravure  ,  il  l'eût  réduit  a,,  format 
in-40.  Plumier  a  consacré  à  ce  bo- 
taniste un  genre  formé  d'un  arbre 
de  la  famille  des  GuLtifères ,  et  qu'il 

nomma  Van-Pihecdia,  iiom  que  Linné 
changea  en  Rlieedia.       D — p s, 

RHEITA  (Le  P.  Antoine- Marie 
ScHYRLE  DE  ),  capucin ,  né  dans  la 
Bohème,  vers  la  lin  du  seizième  siè- 
cle, se  fit  une  réputation  assez  éten- 
due, comme  théologien  et  comme 
prédicateur.  L'aj'chevêque  de  Trêves 
l'honora  du  titre  de  son  confesseur  , 
et  l'employa  dansdillérentcs affaires' 
où  le  P.  Rbeita  se  con-lnisit  avec 
beaucoup  de  prudence  et  d'habileté. 
Son  goût  le  portait  xv.rs  l'étude  des 
mathématiques  et  de  l'astronomie;  et 
il  y  consacrait  tous  ses  loisirs,  ll'se 
trouvait  à  Cologne  eu  iG/i'i  et  i643- 
et  Weidlcr  nous  apprend  que,  dans 
les  observations  astronomiques  qu'il 
y  fit,  il  crut  voir  cinq  nouveaux  sa- 
tellites de  Jupiter,  etc.  (i);  décou- 
verte dont  il  s'empressa  de  faire  hom- 
mage au  pape  Urbain  Vlll,  en  leur 
donnant  le  nom  d'aslresurbanocta- 
viens  {y oy.  Foiitenelle ,  Eloge  de 
Cassini  )  :  mais  on  reconnut  bientôt 
que  c'étaient  des  étoiles  du  Verseau 
(  Voy.  Bist.  astrojiom.,  pag.  475). 
Il  fut  appelé  à  Rome  parle  siipérieur- 
général  de  son  ordre ,  s'établit  en  Ita- 
lie, et  mourut,  en  1660  ^  à  Ravenue 
à  l'âge  de  soixante  -  trois  ans.  Il  est 
surtoutrecommandablccommeayant 
construit  le  premier  la  lunette  astro- 
nomique actuelle,  à  quatre  vcrrca 
convexes  C  un  oculaire  et  trois  objec- 
iijs  )  j  tt  il  est  le  premier  qui  ait  cm- 


(i)  Voyez  le  livre  intitula  :  Noi;-m  stelLv  circùJo- 
veiit,  ciica  Satunuim  sex,circii  Mnrtcni  nonnuUce 
^'  4"'.'  ^^'''i  ilctcrtce  et  snleliitihiis  aUjudicitla: 
VciisiJiuUcium  P.  Gassendi,  et  J.Caramuel  Lcb- 
kowUx.  ejusdcmjudlcii  censura.  Ofius  novum,astro- 
noimcd  eiliditionc  plcntim... publtcabat  t'ianciicus 
Pcniiemaii ,  Diirensis  lel. ,  Louvain ,  Bonvct,  i(i43, 
in-»îdci5C|iaij.,{Gat.biljl.  du  Roi,  111-12,  v.î33j)- 


/i62 


RHE 


ployé  CCS  deux,  mots ,  qui  sont  res- 
tes. Keppler  avait  dojà  propose  ce 
<;ciiie  de  télescope,  mais  n'avait  pii 
l'exécuter.   Le  P.  Rheila   est  aussi 
l'inventeur  du  télescope  binocle,  que 
le  P.  Chérubin  d^Orléans  tenta  de  re- 
mettre eu  crédit,  plusieurs  années 
après,   et  que  Montucla  croit  trop 
négligé  (  F.  Chérubin,  Yll'i,  343). 
On  a  de  lui  :  T.  Oculus  Enoch  et 
Elice,  sive  radius  sidereo-rnysticus, 
Anvers  ,  i645,  'i  part,  in-fol,,  fig. ; 
rare  et  singulièrement  curieux. Daus 
la  première  partie  ,  l'auteur  expose 
les  révolutions  des  planètes,  d'après 
le  système  de  Copernic  et  celui  de 
Ticlio-Bralié  ,  dont  il  s'efforce  d'é- 
tablir la  supériorité.  Il  en  propose 
un  troisième,  qui  lui  semble  encore 
préférable  ,  mais  qui  n'est  au  fond  , 
selon  l'expression  de  Delambre,  que 
le  sytème  de  Tycho  retourné.  Il  in- 
dique ]es  causes  les  plus  probables 
du  flux  et  reflux  de  la  mer,  et  donne 
ensuite  la  description  d'une  macliine 
qu'il  nomme  pianétologie  mécani- 
que, au  moyen  de  laquelle  on  peut 
facilement  faire  comprendre  le  sys- 
tème de  l'univers  aux  personnes  les 
plus  étrangères   aux   connaissances 
astronomiques,   La   seconde    partie 
contient   une  théologie  astronomi- 
que,  offrant  les  preuves  de   l'exis- 
tence de  Dieu  par  les  merveilles  de 
l'astronomie.  II.  Fasciculus  sacra- 
runi  deliciarunt  ,  sii>e  indulgentiœ 
stalionuiii  uibis  à  Paulo  V  conces- 
sce ,  Anvers,    i(j4().  Il  a  laissé,  en 
manuscrit,  un  Commentaire  sur  la 
Genèse  et  une  Explication  de  l'A- 
pocalypse. Le   nouveau   Diclionn. 
hisl.  critiq.  et  hiogr.  fait  ,   du  P, 
Rheila, deux  personnages différcnls, 
l'un  r)pticien,  l'autre  capucin.  Ws. 
UHKMKTALCÈS  !«•. ,  roideïhra- 
ce,  frère  de  Cotys  IV,  avait  suivi  le  par- 
ti d'Antoine  contre  Octave.  Après  la 


RHE 

bataille  d'Actium  ,  en  l'an  3i  avant 
J,-C.   il  abandonna  le  triumvir,  et 
passa  du  coté  du  vainqueur.  Après 
la  mort  de  Cotys ,  qui  arriva  vers 
l'an  i6  avant  J.-C. ,  Rhémétalcès  fut 
tuteur  de  ses  enfants  ,  Rhescuporis 
II ,  et  un  autre  dont  le  nom  est  in- 
connu.   Les  Besscs  ,  peuple  de   la 
Thrace  ,  qui  avaient  conservé  leur 
indépendance,  attaquèrent  les  provin- 
ces tliraces  dépendantes  des  Romains. 
Ceux-ci  parvinrent  à   repousser  ces 
barbares  avec  le   secours  de  Clau- 
dius  Marcellus  ,    qui  fut  envoyé  en 
Thrace  par  Auguste.  Quelques  an- 
nées après  ,  (l'an  lo  avant  J,-C.  ) , 
Rhémétalcès  ,  et  son  neveu  Rhescu- 
poris   II  ,    furent  encore   attaqués 
par  les  Besses.  Cette  guerre  fut  plus 
sérieuse  que  la  précédente:  les  Bes- 
ses  étaient  conduits  par  Vologèse, 
grand  -  prêtre   de  Bacchus  ,  que  sa 
dignité  élevait  au-dessus    des  rois. 
Ce  pontife  avait  rempli  ses  compa- 
triotes d'un  fanatisme  exalté,  qui  les 
rendit   bientôt   redoutables   à   tous 
k-s  peuples  de   la  Thrace.  Rhcscu- 
poris  fut  vaincu  et  tué  :  Rhémétalcès 
fut  aussi  mis  en  déroute  ;  ses  soldats 
frappés  de  terreur  ,  et  persuadés  que 
les  dieux  secondaient  les  efforts  de 
Vologèse ,  prirent  la  fuite  sans  com- 
battre ,   et  Rhémétalcès  se  réfugia 
dans  la  Chersonèse  ,  où  les  Besses  le 
poursuivirent  et  commirent  de  grands 
ravages.  Toute  la  Thrace  resta  au 
pouvoir  de  ces  barbares  ,  qui  portè- 
l'cnt  mcuie  leurs  armes  dans  la  Ma- 
cédoine, et  en  Ai^ic{Florus,  lib.  iv, 
cap.  12  ).  L.  Pison  ,  qui  commandait 
dans  la  Pamphylie  ,  fut  choisi  pour 
conduire  cette  guerre  ,  qui  fut  aussi 
longue  que  cruelle  :  Alroxin  Thra- 
cid hélium  or luni,  dit  Paterculc(lib. 
Il,  cap.  98).  Les  Thraccs  étaient 
accoutumés  à  combattre  à  la  maniè- 
re des  Romains  :  T/iracum  maximus 


RHE 

-populus  desciverat,  dit  Fiorus  (  iib. 
is. ,  cap.  12  ).  Ille  harharus  et  sig- 
nis  militaribus  ,  et  disciplina  ,  ar- 
inis  etiam  romanis  assueverat.  Pi- 
son  fut  vaincu  dans  un  premier  com- 
bat (  Dion  Cassins  ,  Iib.  liv,  §.  34)  ; 
mais  bientôt  il  reprit  l'avantage  ,  et 
ilvainquitlesBcsses  ainsi  que  tous  les 
peuples  qui  avaient  pris  leur  parti  : 
mais  il  lui  fallut  trois  anne'es  ,  trien-  ■ 
nio  cunihis  bellavit  (Paterc,  Iib.  ii, 
cap.  98  ),  pour  achever  de  les  sou- 
mettre. Pour  pris  de  ses  services, 
dans  cette  guerre,  Pison  reçut  les 
honneurs  triomphaux.  On  trouve 
dans  l'Anthologie  grecque  plusieurs 
pièces  de  vers  composées  sur  cet- 
te guerre,  en  Thonneur  de  Pison, 
par  Antipater  de  Thessalouique  , 
poète  fort  attache  à  ce  gcue'ral.  Ce 
ne  fut  qu^après  la  destruction  des 
Besses,  en  l'an  7  avant  notre  ère, 
que  Rhe'métalcès  devint  roi  de  Thra- 
ce  ,  à  la  place  de  son  neveu  Rhcscu- 
poris  ,  et  du  frère  de  ce  prince  ,  qui 
avait  sans  doute  péri  dans  ces 
combats.  Eu  l'an  6denotreère,Rhé- 
me'talcès  se  joignit  avec  ses  frères 
aux  a»me'es  d\\.  Gœcina  Severus,  et 
de  Silvaaus  Plautius  ,  qui  comman- 
daient dans  la  IMœsie  et  la  Thrace, 
afin  de  x'epousser  lesDalmates  et  les 
nations  Pannoniennes  qui  s'étaient 
révoltés  contre  l'empire.  Rhémétal- 
cès  fut  assez  heureux  pour  rempor- 
ter sur  eux  divers  avantages  ,  et  les 
chasser  de  la  Macédoine.  Il  vain- 
quit, dans  une  rencontre,  leur  général 
Batou.  Ces  services  éclatants  lui  mé- 
ritèrent la  bienveillance  d'Auguste, 
et  ses  médailles  en  olFrcnt  quelques 
marques.  Plusieurs  monuments  nous 
apprennent  que  le  rui  de  Thrace 
portait  les  prénoms  romains  de 
Càiiis  JuUus^{\\n  lui  avaient  sans  dou- 
te été  donnés  par  Auguste,  et  qu'il 
avait  été  nommé  archonte  éponr- 


RHE 


46: 


me  par  les  Athéniens.  Le  P.  Corsini 
[Fast.  Altici,  1. 11 ,  p.  194,  et  t.  n  , 
p.  147  )  place  sa  magistrature  en 
l'an  9  de  notre  ère.  C'est  une  déter- 
mination qui  aurait  encore  besoin 
de  quelques  preuves  plus  solides 
que  celles  qui  ont  été  alléguées  par 
le  savant  jésuite.  Rhémétaiccs  P"". 
mourut,  à  ce  qu'il  paraît,  vers  l'an  10. 
Ses  états  furent  alors  partagés  en- 
tre son  frère  Rhcscuporislll,  et  son 
fils  Cotys  V.  S.  M— N. 

RHÉMÉTALCÈS II,  fds  de  Rhes- 
cuporis  m,  fut  mis,  eu  l'an  19,  eu 
possession  de  la  Thrace,  dont  sou 
père  avait  été  privé  par  Tibère,  eu 
punition  du  meurtre  de  Cotys  V, 
Rhe'métalcès  fut  redevable  de  la  cou- 
ronne à  l'opposition  qu'il  avait  mon- 
trée contre  les  desseins  de  son  père. 
L'empereur  maintint  donc  en  sa  fa- 
veur le  partagede  laThrace  qui  avait 
été  ordonné  par  Auguste  après  la 
mort  de  Rhémétalcès  I*^''.  Rhémé- 
talcès  II  succéda  à  son  père,  elles  fils 
de  Cotys  V  furent  mis  en  possession  de 
leur  héritage ,  sous  la  tutelle  de  Tre- 
bellienus  Rufus.  Thracia  in  Rhœme- 
talcenfdium ,  quem  paternis  consi- 
liis  adversatum  constabat  inrjue  li- 
béras Cotj-is  dii>iditiir  [TàÙL  Annal. 
Iib.  II ,  cap.  67  ),  Sous  son  règne  , 
il  éclata  plusieurs  révoltes  dans  la 
partie  delà  Thrace  qui  était  soumise 
aux  Romains  et  dans  les  états  alliés  : 
les  services  que  Rhémétalcès  rendit 
en  ces  diverses  occasions  ,  lui  méri- 
tèrent de  nouvelles  faveurs  de  Ti- 
bère et  de  Caiigula  ;  et  celui-ci ,  en 
l'an  39  de  notre  ère,  lui  donna, 
au  rapport  de  Dion  Cassius  (  Iib. 
Lix,  ^'.  12),  le  royaume  de  Cotys 
V  ,  son  cousin  ,  qui  obtint  en  cchan- 
gela  petite  Arménie.  Rhémétaiccs  II 
fut  ainsi  le  seul  souverain  de  la  p  ir- 
tie  de  la  Thrace  ,  qui,  sous  la  domi- 
nation romaine  ,  avait  cpitservé  nn 


4<H 


RHE 


reste  d'indépendance.  Un  événement 
tragi({ue  termina  la  vie  de  ce  prince  : 
le  vif  amour  qu'il  avait  conçu  pour 
sa  nièce ,  excita  contre  lui  la  jalou- 
sie de  sa  l'emme,  qui  trouva  moyen 
de  lui  donner  elle-même  la  mort. 
Cet  événement,  dont  le  souvenir 
nous  a  été  conservé  par  les  fragments 
grecs  d'Eusèbc  qu'a  publiés  Scaligcr , 
p.  79,  arriva  en  l^ati  /^Gdcnotreère, 
la  sixième  année  du  règne  de  Claude. 
Lameution  de  ce  fait  ne  se  retrouve 
point  dans  la  version  arménienne 
d^Eusèbe.  A  la  mort  de  Rhémélalcès 
11,  la  Tlirace  fut  réunie  à  l'empire  , 
selon  le  témoignage  du  même  auteur. 
Les  fragments  grecs  et  la  version 
arménienne  s'accordent  à  placer  cet  ■ 
te  révolution  sons  le  règne  de  Clau- 
de. Une  médaille,  de  la  belle  collec- 
tion de  feu  M.  Toc];  on  ,  présente 
le  portrait  autlienti(jue  de  Riiéme'-  . 
talcès  llï.  Son  effigie  est  accom- 
pagnée de  la  lè'gendc  de  BA2I- 
AEYl  POrMIlTAAKAS,  leroiRhé- 
viétalccs ,  et  au  revers,  l'image  de 
Caligula  ,  avec  ces  mots  TAIil  KAI- 
2APi  2EBA2Til,  à  Cdius-Cesar- 
^uguste  (  Fof.  Visconti,  Icono- 
graphie grecque,  tom.  ii ,  p,  3o3et 
3o4  ).  S.  M— N. 

KHÉMÉÏALGÈS,  roi  du  Bos. 
pliore  Cimmérien ,  vivait  au  milieu 
du  deuxième  siècle.  Ses  mcdaillcs 
nous  font  voir  qu'il  monta  sur  le  trô- 
ne en  Tau  428derèrcduBosphorc, 
(  i3'2  de  J.-C.  );  car  il  ou  existe 
avec  la  même  date  qui  appartiennent 
à  Cotys  III,  son  prédécesseur.  C'est 
sans  doute  par  Hadrien  qu'il  lut  dé- 
clare roi  ;  e;;r  un  passage  du  Périple 
d'Arricu  nous  apprend  qu'après  la 
mort  do  CotyslII,  qui  peut-être  mou- 
rutsaiis  enfants, cctcmpereur dispo- 
sa du  \^^i^^\^orQ:{k\•nAu .  Fcripl.Eux . 
p.  i8  ).  Rliémétalccs  eut,  à  ce  qu'il 
paraît,  un  compétiteur  dans  la  per- 


RHE 

sonne  d'un  certain  Eupator  ;  et  il 
semble  par  un  passage  de  Capitolin 
{in  Anionin.  ,  cap.   9),  qu'il  fut 
obligé  de  venir  à  Rome  pour  défen- 
dre ses  droits ,  sous  le  règne  d'An- 
tonin,quilerenvoya  dans  son  royau- 
me. Les  dernières  mcdadics  deRhe'- 
métalcès  portent  la  date  de  l'an  ^5o 
de  l'ère  pontique  (  i54  de  J.-C.  )  II 
est  probable  qu'il  ne  régna  pas  long- 
temps   après  cette  éj)oque  ,   car  il 
existe  des  monnaies  d'Eupator  ,  da- 
tées de  l'an  I^5'2.  {i5G  de  J.-C.) 
S.  M— N. 
RHENANUS  (  Beatus  ),  Tun  des 
pliilologues  qui  ont  le  plus  contri- 
bué aux  progrès  des  lettres  en  Alle- 
magne, naquit,  en  i485,  à  Schlett- 
staflt,de  parents  originaires  de  Rliei- 
nach  ,  petite  ville  ,  dont  il  prit  le 
nom  (i  ).  Son  père  acquit  une  fortu- 
ne considérable  ,    eu  exerçant  l'é- 
tat de  bouclier,  et  parvint  dans  la 
suite  aux  dignités  de  sénateur  et  de 
bourgmestre.  Devenu  veuf ,  il  ne  vou- 
lut point  se  remarier,  et  ne  ne'gligea 
rien  pour  procurer  à  son  fils  unique 
tous  les  avantages  d'une  bonne  édu- 
îion.  Beatus  ,  doue  des  dispositions 
les  plus  licureuses,  après  avoir  fré- 
quente les'écoies  deSchlettstadt,  vint 
à  Paris,  où  il  étudia,  sous  d'habiles 
maîtres,  la  langue  grecque,  la  dia- 
lectique, la  physique,  la  littérature, 
et  fit  de  grands  progrès  dans  ces  dif- 
férentes branches.  11  se  rendit  ensui- 
te h  Strasbourg ,  pour  perfectionner 
ses  connaissances  ,  par  la  fréquenta- 
lion  des  savants ,  puis  à  Bà!e  ,  où  il 
se  lia  de  l'amitié  la  plus  étroite  avec 
Erasme  (2  )  et  Gelenius.  Dans  le  tem  ps 

(1)  Son  pcro  se  nommait  Antoine  BiliU. 

(ï)  Gui  Potin  dit  que  1!.  UUenanua  fut  )>ourvii 
d'un  c.iuonir.->t|dii  iliapilie  de  15e^an^.•on,»Ul•  Ih  rccom- 
iiiiindalii)ii  d'iiiasiiic ;  mais  c'est  unr  cireur.  Au  sur- 
jiliis  vuici  1c  pnssani;  de  Pal  in  :  B.  Ithciiaiiiis  ,  qui 
f'iœrtU  ci  tiiHuniicii^is  et  cujus  CytinnicinLilioiicJac- 
(lis  est  CANONICUS  VESUNTINUS  ,  cju)  vitam 
icri/jul. 


RHE 

qu'il  habitait  Paris  ,  il  avait  travail- 
le ,  comme  correcteur,  dans  l'atelier 
de  Heuri  Esticnne  (  Voy.  les  Annal. 
de  Maittaire,  ii ,  88  );  et  il  remplit 
les  mêmes  fonctious  à  Baie,  dans  les 
imprimeries  d'Araerbach  et  de  Fro- 
hen.  Il  perdit  son  père  en  iSso;  et, 
maître  d'une  fortune  qui  le  rendait 
inde'pendant ,  il  ne  s'en  livra  qu'avec 
plus  d'ardeur  à  son  goût  pour  l'étu- 
de et  pour  la  retraite.  Ses  talents  et 
sa  capacité  lui  firent  ollrir  divers  em- 
plois :  mais  il  les  refusa  tous  ;  et  il 
sollicila  même  de  l'empereur  Char- 
les-Quint un  privilège  qui  l'exemp- 
tait de  toutes  les  charges  publiques. 
Bcalus  avait  résiste'  constammentaux 
instances  de  ses  amis ,  qui  le  pres- 
saient de  se  marier.  Il  finit  cepen- 
daut  par  prendre  une  compagne  dont 
l'âge  s'accordait  avec  le  sien.  Mais, 
peu  de  mois  après  son  mariage,  ses 
infirmite's  l'obligèrent  d'aller  prendre 
les  eaux  de  Bade,  qui,  loin   de  le 
soulager,  aggravèrent  son  malj  et  il 
se  fit  conduire  à  Strasbourg  ,  où  il 
mourut ,  le  20  mai  i547  ,  à  l'âge  de 
soixante  deux  ans.  Son  corps  fut  rap- 
porté à  Schlettstadt,  et  inhumé  d'une 
manière  honorable.  Comme  il  n'avait 
pas  fait  de  testament ,  ses  biens  pas- 
.scrent  à  d'obscurs  héritiers,  et  sa  bi- 
bliothèque fut  laissée  à  son  domesti- 
que. Rhénanus  était  un  homme  pleiu 
dedouceur,  simple,  modeste  et  d'une 
rare  probité.  Son  économie  l'a  fait 
accuser  de  lésine,  mais  injustement. 
Quoiqu'il  reconiu'it,  avec  plusieurs 
de  ses  amis  ,  ([u'il  s'était  glissé  bien 
des  abus  dans  l'Église  romaine,  il  ne 
voulut   jamais   s'en   séparer  ;  aussi 
les  Protestants  lui  reprochèrent-ils 
sa  timidité.  Il   était  en  correspon- 
dance avec  les  littérateurs  les  plus 
savants    de   l' Allemagne  ,   tels   que 
Pirckhcymer,   Rcuchlin  ,  Jean  de 
Lasko,etc.Il  a  publié  un  grand  uom- 
xxxvii. 


RHE  465 

bre  d'éditions ,  avec  des  Notes ,  des 
Commentaires  ,  des  Dissertations  , 
dont  ont  profité  tous  ceux  qui  ont 
travaillé  depuis  sur  les  mêmes  au- 
teurs. C'est  à  lui  qu'on  doit  la  prc/- 
mière  édition  de  Faterculus  :  mais 
le  manuscrit  dont  il  s'est  servi  n'é- 
tait pas  complet  (  P'^oy.  Patercu- 
Lus,  XXXIII,  l'-io  ).  Parmi  les  au- 
tres éditions  qu'il  a  données,  on 
citera  celles  de  TertulUen  (  Vqy. 
ce  nom),  di  Eusèbe  et  des  auteurs 
de  l'Histoire  ecclésiastique,  àcMaxl 
me  de  Tjr,  de  Tacite  ,  de  Ti- 
te\-  Lwe  ,  de  Quinte  -  Curce  ,  de 
Pline  le  naturaliste,  etc.  Toutes  sont 
plus  correctes  que  celles  qui  avaient 
précédé.  Rhénanus  a  publié  ,  en  ou- 
tre ,  la  première  édition  des  OEiivres 
d'Erasme,  précédée  de  la  Vie  de  l'au- 
teur ;  quelques  Opuscules  de  Pilto- 
rio,  de  Th.  More,  et  de  divers  au- 
teurs du  moyen  âge.  Il  a  traduit  en 
latin  quelques  Homélies  de  saint  Ba- 
sile, de  saint  Grégoire  de  Nazianze  ; 
enfin  il  est  auteur  des  Opuscules  sui- 
vants :  I.  Frœfatio  in  Marsilii  De- 
fensorem  pacis  pro  Ludovico  IV 
imperalore,  adversics  iniquas  eccle- 
siaslicorum  usurpationes.  Cette  Pré- 
face, que  Rhénanus  publia  sous  le 
nom  de  Licenlius  evangelus  sacer- 
dos,  a  été  insérée,  par  Gcldast,dans 
le  tome  i*^''.  du  Recueil  intitulé  :  Mo' 
narchiaS.  Romani  iinperii.  II.  Illj- 
rici  ,  provinciarwn  iitrique  impe- 
rio,  cùm  Romano  tùin  Constanlino- 
politano  servientis ,  descr  iptio,  Paris, 
1602 ,  in-8°.:  dans  la  Aotitia  dicni- 
tatuni  iinperii  Romani,  III.  Rerum 
Gennanicarwn  libri  très  ,  Baie  , 
1 53i  ,  in-fol. ,  précédés  de  la  Fie  de 
l'auteur,  parSturm,  et  suivis  de 
dilîérenles  pièces  inédites,  ibid.  , 
1 55 1  ,  in  -  fol.  j  nouv.  éd. ,  avec  des 
notes ,  par  Jacq.  Olton ,  Ulm ,  1 693, 
in-4".,  ouvrage  savant  et  plein  de  rc- 
3o 


466 


RHE 


cherches  curieuses.  On  peut  consul- 
ter, pour  de  plus  grands  de'tails  ,  la 
Notice  sur  Rhenanus,  dans  le  tome 
xxxviii  des  Mémoires  de  Niceron  , 
et  les  auteurs  cités  à  la  suite.  Son 
Portrait ,  <;;ravé  par  Th.  de  Bry,  fait 
partie  du  Recueil  de  Boissard,  et  se 
trou\  e  aussi ,  avec  une  Notice  éten- 
due sur  sa  vie  ,  dans  V Ehrentempel 
(Monument ,  etc.  ) ,  de  Brucker ,  tome 

I,  p.  10  ,  1747,  in-4^-       W — s. 

RHENFERD  (  Jacques  ),  savant 
très-versé  dans  la  connaissance  des 
langues  orientales  ,  et  particulière- 
ment dans  la  littérature  hébraïque  et 
rabbinique,  naquit  à  Mulheira  ,  dans 
le  duché  de  Berg,lc  t5  août  i654. 
Il  étudia  à  Meurs  ,  à  Ham  et  à  Gro- 
ningue,  d'où  il  alla,  en  1678,  à 
Amsterdam  :  il  fut  nommé  recteur 
à  Francker,  en  168c;  et  en  i683, 
professeurdeslangues  orientales  et  de 
philologiesacrée  dans  la  même  ville: 
iloccupa  cette  place  jusqu'à  sa  mort, 
arrivée  le  7  octobre  1712.  Il  avait 
été  trente  ans  professeur  ,  et  trois 
fois  sous -recteur  de  l'université  de 
Franekcr.Rhenferd  obtint,  parmi  ses 
contemporains,  une  grande  réputa- 
tion de  savoir;  et  il  publia  beaucoup 
de  petites  Dissertations  ,  toutes  sui- 
des objets  de  médiocie  importan- 
ce. Ce  professeur  n'aimait  pas  à  exer- 
<;er  son  érudition  sur  des  sujets  à  la 
portée  de  tout  le  monde:  il  préférait 
les  détails  obscurs  échappés  aux  ob- 
servations de  ses  devanciers.  Il  les 
tirait  d'un  oubli  souvent  bien  juste  , 
pour  faire  d'autant  plus  briller  sa 
science.  Il  n'y  a  pas  complètement 
réussi  ;  cl  ses  Dissertations  ,  qui  ne 
sont  guère  plus  i  m  portantes  que  les 
sujets  dont  elles  traitent  ,  sont  bien 
digues  de  ce  mèiue  oubli  qu'elles 
n'ont  pu  éviter.  Il  est  assjz  inutile 
de  rapporter  le  titre  de  tous  ces 
ouvrages  :  on  peut  les  voir  dans  les 


RHE 

Mémoires  de  Niceron,  tome  i ,  p. 
164-169.  Nous  nous  arrêterons  ce- 
pendant un  peu  sur  les  travaux  que 
Rhenferd  entreprit  pour  expliquer 
les  inscriptions  Palniyréniennes.  En 
se  servant  des  copies  inexactes  rap- 
portées par  les  voyageurs  anglaisqui 
visitèrent  Palmyreà  la  fin  du  dix-sep- 
tième siècle,  il  crut  qu'd  serait  possi- 
ble d'en  donner  une  interprétation 
satisfaisante.  Rhenferd  était  de  ces 
savants  qui  croient  qu'avec  beaucoup 
d'hébreu  et  un  peu  d'imagination , 
on  peut  expliquer  tous  les  mystères 
de  l'aniiquité;  et  il  s'engagea  témé- 
rairement dans  une  de  ces  entreprises 
qui  demandent  moins  de  science  que 
de  sagacité,  et  qui  dépendent  plutôt 
d'un  certain  hasard  ,  qui  n'est  pas  , 
il  est  vrai ,  réservé  à  tout  le  monde  , 
que  d'un  travail  assidu  et  de  profon- 
des connaissances.  Il  publia  donc  , 
en  1704  ,  son  ouvrage  intitulé:  Pe- 
ricidum  Palmyrenum,  sive  litlera- 
turœ  veteris  Palmjrenœ  indagan- 
dce  et  eruendœ  ratio  et  spécimen  , 
Franeker  ,  un  vol.  in-4°.  «  Ce  serait 
i>  un  spectacle  amusant  ,  dit  le  sa- 
»  vaut  abbé  Barthélémy  (i),  s'il  ne 
«  convenait  pas  mieux  de  le  regarder 
»  comme  une  leçon  utile, de  voir  les 
»  efforts  inouis  qu'a  faits  Rhenferd 
»  pour  établir  une  correspondance 
»  vague  eiitre  une  inscription  palmy- 
»  rénienne  et  une  inscription  grec- 
»  que.  Il  court  à  perte  d'haleine  après 
»  un  fantôme  dont  il  n'approche  ja- 
»  mais  ;  et  tous  ses  pas,  marqués  par 
»  des  chutes,  le  coiuluisent  dans  des 
»  défiles  impraticables,  où  il  ne  lui 
»  reste  que  les  ressources  du  déses- 
»  poir.  Tantôt  c'est  une  leltre  qu'il 
I)  faut  suppléer  ou  retrancher,  dont 
))  il    faut    clianger   la    forme  ou  la 


(i)  licjlexioiis  sur  l'ul/jhiilirl  cl  sur  l,i  /nngiie 
dont  on  sn  scn'nit  autrefois  à  l'nlmyrr,  Mvvn.  de 
racacl.  dis  iiiMri|i. ,  I.  XX\  I,  |i  .  677  ,  M. 


RHE 

»  valeur  ;  tantôt  c'est  un  mot  entier 
»  dont  il  ffut  transposer  tous  les 
»  éléments  ;  d'autres  fois  ,  c'est  une 
»  expression  inusitée  dans  la  langue 
»  de  Paimyre  ,  et  dont  il  cherche  la 
»  signification  dans  celledes  Arabes, 
»  des  Juifs  ,  et  même  des  Romains... 
»  C'est  par  de  pareilles  opérations  , 
»  qu'il  parvient  à  construire  un  al- 
»>  phabet.  A  peine  l'a-t-il  achevé , 
»  qu'il  se  présente  une  autre  inscrip- 
»  tion  dont  les  lettres  mal  dessinées 
»  ne  ressemblent  point  à  celles  de  la 
»  précédente  :  aussitôt ,  nouvelles 
»  conjectures ,  nouveaux  tours  de 
»  force ,  nouvel  alphabet  aussi  incer- 
•n  tain  que  le  premier.  »  Ces  ré- 
flexions seraient  applicables  à  bien 
d'autres  livres.  On  peut  en  dire 
autant  de  tous  les  travaux  entrepris 
avant  Barthélémy  pour  retrouver 
l'antique  alphabet  de  Paimyre.  Ces 
tentatives  infructueuses  ne  découra- 
gèrent pas  Rhenferd;  et  deux  ans 
après  ,  en  I  "y 06 ,  il  publia  un  ouvra- 
ged'aussi  peu  d'utilité  sur  l'ancienne 
écriture  phénicienne ,  sous  le  titre: 
Periculum  Phœniciuin  sive  littera- 
turœ  Phœniciœ ,  qiiœ  latè  oliin  per 
Asiam  ,  Africam  et  Europam  pa- 
tiiit ,  eruendœ  spécimen ,  Franeker  , 
un  vol.  in  -  4".  (  f^of.  Vricmoet, 
Athence  Frisicce ,  p.  64 1-490 

S.  M— N. 
RHESCUPORIS  P^,  princeThra- 
ce  ,  est  souvent  mentionné  dans  le 
récit  des  guerres  civiles  entre  César  et 
Vompée  ,  puis  dans  la  guerre  des 
triumvirs  contre  Brutus  et  Cassius. 
Selon  le  témoignage  d'Appien(  De 
Bellu  civil. ^  lib.  iv  ,  cap.  87  et  io5), 
il  régnait  sur  les  Thraccs  Sapéens , 
et  il  possédait  touiela  région  mari- 
time située  à  l'orient  du  Stryraon 
jusqu'à  la  chersonncsc  de  Tlirace. 
Les  auteurs  anciens  écrivent  bien  di- 
versement son  nom  :dans  César  (J9e 


RHE  467 

Bel.  civil,  m  ,  §  î  )  ?  'i  est  appelé 
Bascjpolis;  Rhascnupolis  dans  Ap- 
pien  :  on  lit  Bhasipolis  dans  Lucain 
(  lib.  V,  V.  55),  qui  appelle  ce  prince, 
le  roi  des  rivages  glacés  : 

•  ..  et  gelidœ  domlnum  Hhasî/jolin  orœ. 

Le  même  nom  est  écrit  Thrasc^' 
polis  dans  Suétone  (  in  Tiber. ,  cap. 
37  ).  Les  médailles  nous  font  voir 
qu'il  faut   réellement  le  prononcer 

PA2;KOYnopi2  ou  PAisKornopis, 

selon  le  dialecte  dorique  répandu 
dans  les  villes  grecques  de  la  Thra- 
ce.  En  l'an  49  ■>  avant  notre  ère , 
Rhescuporis  vint,  avec  plusieurs 
autres  princes  Thraces  ,  au  se- 
cours de  Pompée  ;  il  lui  amena,  au 
dire  de  César,  deux  cents  cava- 
liers d'une  valeur  éprouvée  :  cet  au- 
teur les  nomme  Macédoniens,  sans 
doute  parce  que  la  partie  de  la 
Thrace  possédée  par  Rhescuporis, 
avait  été  autrefois  annexée  à  la  Ma- 
cédoine. Plus  tard(an4'2  avant  J.-C.) 
le  même  prince  embrassa  le  parti 
de  Brutus,  qu'il  vint  joindre  avec 
trois  mille  cavaliers  ,  tandis  que  son 
frère  Rhascus ,  affectant  contre  lui 
une  haine  qui  n'était  pas  dans  son 
cœur  ,  se  rangea  du  côté  des  trium- 
virs. Ignorant  de  quel  côté  la  fortune 
pencherait  ,  les  deux  frères  vou- 
laient s^assurer  un  intercesseur  dans 
le  parti  vainqueur  ,  et  conserver  la 
possession  de  leurs  états.  Rhescupo- 
ris servit  avec  zèle  les  républicains  , 
tant  que  l'avantage  fut  disputé:  mais 
aussitôt  après  leur  défaite  ,  il  se  joi- 
gnit à  son  fière,  qui  le  fit  rentrer  en 
grâce  auprès  de  Marc- Antoine  et 
d'Octave.  Depuis,  il  n'est  plus  ques- 
tion de  ce  roi  dans  l'histoire. — Rhes- 
cuporis II  ,  (ils  de  Colys  IV  ,  et 
peut-être  petit-lils  du  précédent, 
était  mineur  quand,  avec  un  de  ses 
frères  dont  le  nom  nous  est  incon- 
3o.. 


46B 


RHE 


nu  ,  il  succéda  à  son  père  sous 
la  tutelle  de  son  oncle  Rheinetalccs. 
En  l'an  i6  avant  uotre  ère  ,  Clau- 
dius  Marcellus  fut  envoyé  en  Tbrace 
par  Auguste,  pour  défendre  ces  jeunes 
princes  et  leur  tuteur ,  contre  les 
attaques  des  Besses  ,  peuple  redou- 
table qui  avait  conserve  son  indé- 
pendance ,  et  (jui  e'iait  jjresque  tou- 
jours eu  guerre  avec  les  Romains  , 
et  les  rois  leurs  allies.  Les  Besses 
furent  repoussés  ,  mais  non  sonrnis. 
Eu  l'an  1 1  avant  J.-C.  ,  Vologèse , 
prêtre  de  Bacclius  ,  excita  cette  na- 
tion à  reprendre  les  armes  ;  elle  fit 
alors  une  nouvelle  irruption  dans  les 
états  de  Rhescuporis,  qui  fut  tué.  — 
Rhescuporis  III ,  était  frère  de  Rlié- 
métalcès  I^"". ,  et  également  oucle  du 
précédent.  En  l'an  G  de  notre  ère,  lui 
et  son  frère  ,  se  joignirent;,  avec  des 
troupes  auxiliaires,  à  l'armée  de  Ti- 
bère ,  qui  faisait  alors  la  guerre  aux 
Dalraates  ,  révoltés  et  soutenus  par. 
plusieurs  nations  pannoniennes.  Rhes- 
cuporis et  Rliémétalcès  les  battirent 
dans  la  Macédoine,  où  ces  peuples 
avaient  fait  une  invasion.  Après  la 
mort  de  son  frère,  arrivée  vers  l'an  i  o, 
Rhescuporis  obtint  d'Auguste  le  titre 
de  roi,  et  la  possession  des  régions 
montagneues  de  laThrace  :  la  partie 
maritime  et  civilisée  par  le  voisinage 
des  villesgrecqucs,fut  donnée .àCotys 
V,  fils  de  Rliémétalcès.  Il  semblerait 
même  que  ces  deux  princes  exerçaient 
en  commun  la  diguiié  royale  ;  car  il 
existe  des  médailles  qui,  d'un  côté,  of- 
frent la  légeudeBA^ilAEVS  KOTYS  {le 
roiCotjs)  et  son  efligie ,  tandisqu'au 
revers  ou  lit  :  UA^TAEaS  PAlSIvOT- 
llOl'lAOi;  {(kl  roi  Rhescuporis) ,  et  le 
type  de  la  Victoire.  La  même  chose 
pou  irait  se  déduire  d'une  médaille  des 
By/aulins  ,  BVZANTIillN  ,  frappée 
sous  la  magistrature  de  Matrodorc  , 
fils  d'Heroxènc  ,  ElU  MATl'OAOPOY 


RHE 

HPOHENOY,  et  qui  porte  les  mono- 
grammes répétés  K  et|P,  initiales 
du  nom  des  deux  princes.  On  pour- 
rait en  inférer  encore,  que  la  ville  de 
Byzance,  qui  avait  conserve  son  auto- 
nomie ,  et  jilusieurs  autres  cités  grec- 
ques de  la  Tlirace  ,  é; aient  dans  une 
dépendance  quelconque  des  princes 
de  ce  pays.  Rhescuporis  ne  se  con- 
tenta pas  long- temps  de  cette  auto- 
rité partagée  :  il  voulut  posséder  tout 
le  royaume  de  son  frère  ,  et  il  fit  des 
courses  dans  les  cantons  qui  for- 
maient le  partage  de  son  neveu  Go- 
lysV.  Cependant,  comme  il  craignait 
le  courroux  d'Auguste  ,  il  n'osait 
s'emparer  de  son  royaume  :  mais  la 
mort  de  l'empereur,  arrivée  en  l'an 
1 4  ,  le  débarrassant  de  toute  inquié- 
tude ,  i!  fit  ouvertement  la  guerre  à  son 
neveu.  Tibère  voulut  interposer  son 
auloritépour  meitrefinà  cette  guerre: 
il  ordonna  aux  deux  partis  de  poser 
les  armes.  Cotys  congédia  ses  trou- 
pes j  Rhescuporis  feignit  de  suivre  son 
exemple  :  il  proposa  une  entrevue  à 
son  neveu ,  qui  s'y  rendit  sans  de'- 
fiance.  Au  milieu  d'un  festin  ,  Rhes- 
cuporis le  chargea  <le  chaînes  ,  et 
s'empara  aussitôt  de  ses  états  :  puis 
il  l'accusa  de  trahison  ,  auprès  de 
Tibère.  L'empereur  ordonna  d'a- 
mener Cotys  à  Rome,  pour  recon- 
naître s'il  était  elïeclivement  coupa- 
ble ;  mais  Rhescuporis  le  fit  tuer,  et 
répandit  le  bruit  qu'il  s'était  donné 
la  mort.  Tibère,  qui  n'ignorait  pasce 
crime  ,  et  qui  voulait  le  punir ,  pre'- 
féra  la  ruse  à  la  force.  Flaccus  Pom- 
pon ius  ,  personnage  consulaire  ,  qui 
était  très-coniui  de  Rhescuporis  ,  fut 
nomme  gouverneur  de  la  Mœsie  , 
et  envoyé  en  Thrace  ,  pour  s'empa- 
rerde  la  personne  du  roi.  Poniponius 
parvint  à  l'attirer  dans  son  camp  par 
des  promesses  insidieuses ,  et  le  fit 
conduire  à  Rome,  où  il  fut  accuse 


RHE 

par  la  veuve  de  Cotys ,  fille  de  Py- 
thodoris  ,  reine  de  Pont.  Le  roi  de 
Thrace,  jugé  par  le  sénat,  et  con- 
damné à  une  prison  perpétuelle  ,  fut 
envoyé  à  Alexandrie  en  Egypte  : 
peu  après  il  y  fut  rais  à  mort ,  pour 
avoir  tenté  de  s'échapper.  C'est  en 
l'an  19  ,  que  Rhescuporis  III  fut 
dépouillé  de  ses  états.  Cotys  VI  et 
son  frère  succédèrent  à  leur  père  Co- 
tys V;  et  Rliémétalcès  II  fut  investi 
des  états  de  son  père  Rliescuporis. 
Ce  prince  est  le  seul  des  rois  de 
Thrace  de  ce  nom  dont  il  nous  reste 
des  médailles.  S.  M — n. 

RHESCUPORIS  est  encore  le 
nom  de  plusieurs  rois  du  Bosphore 
Ciramérien,  dont  les  médailles  seu- 
les nous  ont  conservé  le  souvenir. 
On  doit  regretter  que  les  auteurs 
anciens  ,  ou  plutôt  les  ravages  de 
la  barbarie ,  ne  nous  aient  pas  lais- 
»é  plus  de  détails  sur  ces  princes  , 
dont  l'histoire  serait  d'un  haut  in- 
térêt. La  longue  série  de  leurs  nom- 
breuses médailles,  celles  d'or  surtout 
remarquables  par  un  poids  et  un  ti- 
tre très-élevés  ,  sont  des  indices  cer- 
tains de  la  puissance  des  rois  qui  les 
firent  frapper ,  et  de  la  prospérité 
des  pays  qu'ils  gouvernaient.  Tout 
le  commerce  de  la  mer  Noire  était 
entre  leurs  mains.  Au  milieu  des 
Scythes  ,  dont  il  surveillait  tous  les 
mouvements,  ce  royaume,  placé  à 
l'extrémité  du  monde  civilisé ,  for- 
mait la  barrière  qui  séparait  les 
Romains  des  Barbares  qui  ,  plus 
tard  ,  envahirent  leur  empire.  Les 
empereurs  comprirent  facilement 
que  ce  poste  avancé  serait  mieux 
gardé  par  des  rois  particuliers  inté- 
ressés à  conserver  l'indépendance 
qu'on  leur  laissait ,  qu'il  ne  l'aurait 
été  par  de  garnisons  romaines  trop 
éloignées  du  centre  de  l'empire 
pour  être  bien  soutenues.  C'est-là  ce 


RHE 


4(5a 


qui expliquelalonguedurée du  royau- 
me du  Bosphore  Cimméricn,  Tant 
qu'il  subsista,  lesRomainslui  fourni- 
rent des  subsides,  et  leurs  provinces 
asiatiques  furent  à  l'abri  des  incur- 
sions des  pirates,  Scythes  ou  Goths, 
qui  les  désolèrent  quand  cet  état  vint 
à  tomber  en  décadence.  L'histoire 
et  la  succession  de  ces  souverains 
offrent  de  grandes  difficultés  ;  et 
ce  n'est  que  par  des  conjectu- 
res que  l'on  peut  suppléer  au  dé- 
faut de  monuments  ,  et  aux  in- 
certitudes que  présente  l'explica- 
tion des  médailles  où  se  retrou- 
vent les  portraits,  souvent  assez  mal 
exécutés,  de  ces  rois  inconnus.  Tous 
les  jours  de  nouvelles  découvertes 
viennent  changer,  rectifier  ou  modi- 
fier les  combinaisons  des  antiquaires. 
Tel  a  été  le  sort  des  travaux  entre- 
pris sur  cette  matière  par  des  sa- 
vants aussi  distingués  que  Vaillant 
(î),  le  P.  Souciet  (2)  ,  Cary  (3), 
Visconti  (4),  et  d'autres  encore  (5): 
tel  sera,  nous  n'en  doutons  pas,  le  des- 
tin des  travaux  plus  récents  de  MM. 
R.ioul-Rochette((3)  etKohIcr  (7).  Ils 
n'ont  pas  eu  d'autre  avantage  les  uns 
sur  les  autres  que  de  pouvoir  succes- 
sivement se  servir  d'un  plus  grand 
nombre  de  monuments;  ce  qui  pro- 
duit assez  souvent  de  nouvelles  diffi- 
cultés, au  lieu  des  lumières  qu'on 
devrait  en  attendre.  Il  est  peu  de  raa- 


[x)  Achœmemdarum  imperium  ,  auct.  Vaillaut  , 
Paris,  1725  ,  iri-40. 

(2)  Histoire  chronologique  des  lois  du  Bosphore  , 
Paris,  1^36,  in-/|f. 

(3)  Histoire  des  rois  de  Thrnce ,  et  de  ceux  du 
Dospliore ,  Paris,  i^Sa  ,  in-4". 

(4)  Datisr/co«og.  g/-er(/i/c  ,t.  II ,  p.  1^1-177. 

(j)  De  lio7.c  .FrœlicL  ,  HcUiel ,  l'abbc  Belley,  c\.c. 

(())  Antiquités  grecques  du  Bosphore  Cirrtmérien  , 
Paris,  1822,  iu-8". 

(7)  Disseitntion  sur  le  monument  de  Conwsarye  , 
Pilcrsliour^  ,  i8o5  ,  iii-80.  — \JUcdaillcs  grecques  , 
Pitersbourg  ,  i8iï  ,  -iu-S". — Remarques  sur  un  ow 
vnige  intitulé  Antiquités  ç,recques  du  Bosphore 
Cimméricn ,  Pvlcrsbourj^ <  iSiS,  lu-S''. 


470 


RHE 


ticre  aussi  propre  à  exercer  et  à  fai- 
re  briller  la  sagacité  des  antiquaires; 
mais  aussi,  comme  tout  y  est  con- 
jectural ,  sinon  dans   le  fond  ,  au 
moins  dans  les  combinaisons,  on  ne 
doit  pas  considérer  comme  décidé- 
ment erronés  les  systèmes  de  ses  de- 
vanciers, puisque  de  nouvelles  dé- 
couvertes peuvent  ramener  à  des  opi- 
nions abandonnées.   Nous  ne  nous 
astreindrons  donc  pas  à   suivre  le 
système   d'aucun   des   savants   que 
nous   venons  de   citer;    nous  jom- 
drons  à  leurs   observations  nos  re- 
marques personnelles  qui  pourront 
les  modifier  ou  y  ajouter.  — Rhes- 
cupoRis  I".,  roi  du  Bosphore  Cim- 
mérien,    vivait  au  commencement 
du    premier    siècle  de   notre   ère. 
On  ignore  comment  ce  prince,  dont 
il   n'est    question   dans  aucun   des 
écrivains   anciens    que    nous    pos- 
sédons, devint  souverain  de  ce  royau- 
me. Une  inscription,  trouvée  en  Cri- 
mée, par  Waxell  (8),  et  publiée  par 
lui  en  i8o3,  reproduite  et  commen- 
tée depuis  par  MiM.  Kbhler  (g)  et 
Visconti  (  lo),  est  jusqu'à  présent  le 
seul  monument  qui  atteste  son  exis- 
tence.   Cette  inscription ,    faite    en 
l'honneur  de  son  fils  Tiberius  Julius 
Sauroraates ,  est  conçue  ainsi  :  BA- 
ZIAEA  BA2IAEn]N'  MEFAN  Toj  raN- 

Tos  Boosnopor  tibepion  lor- 

AION(7aupwp.ATIINY10NBASIAEf22; 
PHSKOYIIOPIrJoç  'fàoy.cdlAVA  KAI 
4)IAOPnMAtov,  c'est-à-dire,  le  grand 
roi  des  rois  de  tout  le  Bosphore ,  Ti- 
berius Julius  Snuromates ,  fils  du 
roi  Rhescuporis,  ami  de  César  et  ami 
des  Romains.  Visconti  et  M.  Kœhler 
ne  comptent  pas  ce  prince  au  nom- 


bord,  ,U  lu  Ah,-lS„„c,  en  ,  ;c,7  et  i  yji  ,  Berli,, ,  In- 
/|".,  itismpt.  u".  i5. 

(9)  Visse,  l.  ,ur  le  monument  de  Comosarye  .  ni. 
Viu.p.  7ai'l  73.  y    »  r  • 

(10)  Iconogr.  greej,,,  ,  t.  j, ,  p.  i5o. 


RHE 

bre  des  rois  du  Bosphore;  ils  le 
mettent  hors  de  la  série  des  person- 
nages de  ce  nom,  parce  que,  selon 
eux ,  il  fat  seulement  roi  d'une  des 
peuplades  Sarmates  du  Bosphore 
(11).  Mais,  quand  même  il  en  au- 
rait été  ainsi,  ce  ne  serait  pas  une 
raison  suffisante  pour  le  retrancher 
de  la  liste  de  cette  dynastie,  puis- 
qu'il en  est  évidemment  le  chef. 
11  est  même  permis  de  penser  qu'il 
fut  le  conquérant  du  Bosphore  Cim- 
mérien,  soiid'abord  après  la  mort  de 
Polémon  P«". ,  soit  quelques  années 
plus  tard.  Nous  sommes,  en  ce 
point ,  de  l'avis  de  M.  Raoul-Rochet- 
te.  L'origine  de  Rhescuporis  I^"^.  nous 
est  inconnue;  il  paraît  seulement,  par 
uneaiitre  inscription  (  12),  érigée  en 
l'honneur  de  son  fils  SduromatesP""^^ 

qu'il  appartenait  à  une  antique  race 
royale  ,  peut-être  alliée  à  l'ancienne 
dynastie  des  rois  du  Bosphc»re  ,  qui 
avait  cédé  l'empire  au  célèbre  Mi- 
thridate  Eupator.  Cette  inscription 
est  un  témoignage  de  la  reconnais- 
sance d'un  certain  Julius  Anestratus, 
revêtu  de  la  dignité  de  chiliarque  , 
envers  son  maître  ,  le  grand  roi  des 
rois,  Tiberius  Julius  Sauroraates: 
TO^^  AnO  nPOrONHN  B ASIAsYovra, 
régnant  par  ses  aïeux,  c'esl-à  dire  , 
en  vertu  des  droits  qu'il  tenait  de 
ses  ancêtres.  Ces  mots  ne  me  parais- 
sent pas  avoir  été  bien  entendus  par 
les  savants  qui  se  sont  occupés,  avant 
nous  ,  de  l'explication  de  ce  monu- 
ment, dont  l'interprétation  laisse  en- 
core à  désirer.  S'il  en  était  comme  nous 
le  pensons,  ce  serait  un  trait  de  lumiè- 
re pour  cette  partie  de  l'histoire  du 

(1 1)  Visconti, /<-o«ojjr.  greo/,  t. II, p.  i5i;  —  Kuli- 
1er,  Dits,  sur  Coiiwuiiye ,  p.  ^3;  et  Keiiiarques 
sur  lei  antiq.  gr.  du  Bosphore  Cimmirien  ,  p.  8u  et 
lo.'i. 

(m)  Kalilcr,  D'iss.  sur  Comosarye,  pi.  VIII,  p 
6<>. —  Visfttiili,  /cotiogr.  grecq.j  t.  Il,  p.  i5i.— 
Raoiil-Roilicll<; ,  Anliij.  grec,/,  ilii  Uo^pli. ,  pi.  VUl, 
rf.  5;  —  Kœliler  ,  Hemarr/.,  etc.,  p.  lag. 


RHE 

Bosphore  ,  qui  est  environnëe  des 
plus  épaisses  ténèbres.  Nous  igno- 
rons les  événements  arrivés  dans  ce 
royaume,  après  la  mort  dePolémou 
Ief.,qiii  périt,  eu  l'an  1'=''.  de  notre 
ère,  en  combattant  contre  les  Aspur- 
gilains ,  peuple  barbare,  qui  habi- 
tait entre  la  tuer  Noire  et  la  mer  Cas- 
pienne (  V.  PoLEMON  I*^'".  )  Tout  ce 
que  nous  savons  sur  ce  point ,  c'est 
que  cette  partie  de  ses  états  ne  fut 
pas  possédée,  après  lui ,  par  sa  veu- 
ve P>thodoris,  ni  par  son  fils  Polé- 
mon  11.  On  entrevoit  seulement  qu'il 
se  fît  une  révolution  dans  ce  royau- 
me; mais  on  ignore  comment  une 
nouvelle  dynastie  parvint  à  s'y  éta- 
blir. La  défaite  et  la  mort  de  Polé- 
mon  I*^"".  avaient  sans  doute  livré  le 
Bosphore  aux  barbares  :  la  couronne 
de  ce  prince  fut  peut-  être  le  prix  de 
leur  expulsion  ;  et  leur  vainqueur  dut 
être  le  chef  de  la  nouvelle  dyuasiie. 
Le  nom  de  Rhescuporis     celui  de 
Cotys ,  qui  fut  porté  par  plusieurs 
rois  de  la  même  famille  ,  celui  en- 
coredeRhémétalcès ,  pourraient  fai- 
re croire  que  ces  nouveaux  princes 
étaient  parents  ou  issus  des  rois  de 
Thrace ,    qui    portaient  des    noms 
semblables,  et  qui  avaient  eu,  à  ce 
qu'il  paraît,  des  alliances  et  des  rap- 
ports de  consanguinité  avec  les  rois 
du  Bosphore  antérieurs  au  grand  Mi- 
thridatc.  Ce  n'est ,  au  reste  ,  qu'une 
supposition  ,   assez  vraisemblable  , 
mais  dont  rien  nedémontrc  la  certitu- 
de (  i3).  Ou  comprendrait  alors  com- 
ment SauromatesI'^''.,fils  de  Rhescu- 
poris P"".,  sedisRitroi  ,du  chef  de  ses 
aïeux  ;  peut-être  voulait-il  par-là  se 

(i3)  ^'.  Uanul-RoclicUc  a  riiiis  uuc  opinion  îi-pen- 
piTsscinl)lal)lo  (,  i>uvr.  déi'i  i  iU'  |>.  l'ii  et  i'|»).EiIe 
cstvivpiiR-nl  combattue  par  M.  Rœli!ei(  ouvr.  cite  , 
114-117  ),  qui  u'alli'nuc  cfiipud^iut  i  i<n  «le  |)lausilile 
pour  la  rejeter,  et  qui  se  trompe  en  assurant  qu'il 
n'y  eut  jamais  qu'un  roi  de  Tliracc  noiume  Rltescu- 
porit ,  tandis  que  rhistoirc  uou»  en  fait  connaître 
trois  bicp  distiurls 


RHE 


471 


distinguer  de  quelques  rivaux  actuel- 
lement  inconnus ,  qui  n'avaient  pas 
de  tels  titres  en  leur  faveur.  Il  existe 
plusieurs  médailles,  dont  les  légen- 
des, presque  effacées,  ont  donné  lieu 
à  beaucoup  de  discussions  entre  lessa- 
vants;  mais  des  exemplaires  mieux 
conservés,  nouvellement  découverts, 
nous  ont  appris  qu'elles  appartien- 
nent réellement  à  un  roi  de  la  même 
famille  que  les  Rhescuporis  et  les 
Sauroraates  ,  et  aussi  peu  connu  des 
historiens.  Ces  médailles  que  Cary 
(  1 4),  Eckhel  (  1 5)  etV  isconli  (  1 6),  at- 
tribuaient à  Sauroraates  P^, appar- 
tiennent  réellement  à  un  roi  nom- 
mé Cotys  ;    ce   qui   avait  déjà   été 
avancé  ,  long-temps  avant  eux  ,  par 
le    P.    Hardouin   (17).   M.  Kœhler 
pense   (18)    que    ce    prince   est  le 
même  que    Cotys  ,  frère  de  Milhri- 
dates  ,    contemporain    de  Claude, 
de  Néron   et  de  Vcspasien  ,    tandis 
que  M.  Raoul-Rochelte  (19)  les  croit 
frappées    pour   un    peisonnage   du 
même  nom  qui  vivait  dufempsd' Au- 
guste ,  par  conséquent  de  la  même 
époque  que  le  fondateur  de  la  nou- 
velle  dynastie  bosphorienne.  11  le 
regarde  comme  un  frère  de  Rhescu- 
poris pr.  Cette  opinion  ,  qui  n'est 
après  tout  qu'une  conjecture   assez 
])lausible  ,  est  assez  faiblement  com- 
battue parM.Kohler  (20).  Il  est  cer- 
tain  en  clfcl  que  les  médailles  en 
question  offrent  bien  plus  de  ressem- 
blance avec  les  monnaies  des  uns  , 
qii'aA'cc  celles  des  autres.  Elles  pré- 
sentent de  même  des  insignes  roya- 


(151  Histoire  rh-s  rois  de  Thrace  du  Bosphora 
Ctiiiniérien  ,  p.  4(1  et  4t. 

(i5)  Doclrina  numorum  veterum  ,  t.  11,  p.  Z^M 

(i(i)  Iconographie  j^recr/iie  ,  1. 11 ,  p.  i40' 

(1;)  Num-po/iiil.  p.i4i- 

(!«■)  licmnrqiiet  fur  un  ouvrage  intitulé  :  Antim 
(juiléf  (lu  Bosph.  Cimmirien  ,  p.  98-HO. 

(ici')  Antiquités  du  Bo'ph.  Cimmér.,  p.  I>4-»S4« 

(io)  Bemarques   ttc.  ,p.  fl9  et  99. 


472  RHE 

les  et  des  marques  honorifiques  dé- 
cernées par   les  empereurs  ;  et  les 
légendes  qui  les  accompagnent  sont 
toutes  semblables  (  au  nom  près  )  à 
d'autres  qui  ne   se  voient  que   sur 
les  médailles  des  premiers  vois  du 
Bosphore.  C'est  là  une  cii'constance 
assez    importante.  On  y  lit  :  TEI- 
MAI    BAo-Aî&jç    KOTY02   TOT    A2- 
norprOY  ,    les  honneurs   du    roi 
Cotjs  ,  fils  à'^spwgus  ,   comme 
sur   des   médailles   de    Sauroraates 
I",  ^  on    voit    TEIMAI   BAIIAEiii: 
2ATPOJIATOY ,    les   honneurs    du 
roi  Sauromates  ,  et  sur  d'autres  de 
Ehesouporis  II,    TEIMAI  ^jy.rjCkzoiç 
PHZKOYnoPIAOS  ,  les  honneurs  du 
roi  Rhescuporis.  On  ne  conn^it  rien 
de  pareil  sur  les  monnaies  des  au- 
tres princes  du  Bosphore.  La  plu- 
part des  antiquaires  ont  regardé  les 
mots  TOY  ASnOYPrOY,  comme  un 
surnom  destiné  à   incliquer  l'origine 
deceltedynastie,  qu'ils  considéraient 
comme  Âspur plaine  ,  la  supposant 
descendue  des   chefs  Aspurgitains  , 
vainqueurs  de  Polémon  I"^"".  11  n'est 
guère  présumable  que  les  Romains, 
alors  dans  toute    leur   puissance  , 
eussent  laissé  aux  barbares  les  dé- 
pouilles d'un  roi  leur  allié  ;  et  si  par 
hasard  il  en  eût  été  ainsi,  il  n'est 
pas  très-probable  qu'un  surnom  na- 
tional ,  tout-à  fait  nouveau  et  inso- 
lite dans  les  monuments  numismati- 
ques  ,  eût  été  exprimé  en  ces  termes. 
Ccttcinterprétation serait  granimali- 
calcmenl  sujette  à    des  difTicwItés  , 
tandis  qu'il  n'y  en  a  aucune  si  l'on  ad- 
met que  ces  mots  contiennent  le  nom 
du  père  tic  Colys  P''.  ('.ii);  ainsi, 
sur  les  médailles  d'Alexandre,  roi 
d'Épire  ,    on   lit    :    AAEliAA'APOY 
TOY  NEOIITOAEMOY,    d'Alexan- 
dre fils  dcNéoptolème.  Ce  Colys  I*^' . 

(;»i)    Cary  .-.    d.):.   .xyrhm-  11.,.,.  n|.M,l,..i  ,.a,cillc 
(«dt,  aci  ruis  au  bo>/ili,  Ciinmcr, ,  y.  ifi). 


RHE 

devant  indubitablement  être  pla- 
cé parmi  les  premiers  princes  de 
la  nouvelle  dynastie  bosphorien- 
ne  ;  comme  il  ne  peut  être  frère 
ni  de  Sauromates  1*=''. ,  ni  de  Rhes- 
cuporis II  ,il  serait  possible  qu'il 
eût  été  réellement  frère ,  et  asso- 
cié ,  de  Rhescuporis  I^''.  :  nous  au- 
rions là  sur  ce  dernier  un  renseigne- 
ment de  plus ,  qui  ne  nous  appren- 
drait pas,  il  est  vrai ,  son  origine; 
mais  qui  augmenterait  d'un  degré  la 
généalogie  des  rois  de  sa  race.  Plu- 
sieurs médailles  ,  qui  portent  le  nom 
d'un  roi  appelé  Rhescuporis,  accom- 
pagné des  prénoms  romains  Tiberius 
Julius  ,  ont  été  attribuées  à  Rhescu- 
poris pr.  (22)  Comme  il  ne  paraît 
pas  que  ce  prince  ait  prolongé  son 
existence  jusqu'au  temps  de  Tibère, 
il  n'est  pas  présumable  qu'il  ait  pris 
de  tels  surnoms  sous  le  règne  d'Au- 
guste ;  les  raisons  qu'on  alh  gue  en  fa-- 
veur  de  celte  opinion  ne  sont  pas 
bien  concluantes  ('^3)  :  d'ailleurs 
l'inscription  que  nous  avons  citée 
prouve  qu'il  n'en  fut  pas  ainsi.  Ce  mo- 
nument date  certainement  du  règne 
deTibère ,  puisque  Sauromates  P' .  y 
prend  les  prénoms  de  Tiberius-Ju- 
lius  j  tandis  que  rien  de  pareil  ne 
précède  le  nom  de  son  père  Rhes- 
cuporis^ mort  à  cette  époque,  et  au- 
quel on  n'aurait  pas  manqué  de 
donner  des  dénominations  romai- 
nes, s'il  en  avait  jamais  eus  {'i^). 
Les  médailles  avec  la  légende  TI» 
BEPI02:  lOi'AIOS  BA3IAEY2;,  PIIS:- 
KOYllOPIi:  ,  présentent  les  traits 
d'iui  prince  beaucoup  moins  âgé 
qu'il  ne  déviait  l'être  si  ces  mo- 
numents ollVaient  l'image  du  père 
de  Sauromates  I"^''.  :  ils  apparlien- 

(»?.)  lîiioul-UodicUp,  Aiilii/.  i^rcrt/.  ilii  Bosphore 
Ciniuiér. ,  (1.  1 18  et  i3G. 

(a3)  Viscimli ,  Ironogr.grcct/.  ,1.  II  ,i).  177. 
(24)  IVœhlcr,  Rcmarriucs  l'Ic,  i>.  WJttgS, 


RHE 

lient  donc  à  Rhescnporis  II  ,  fils 
de  ce  dernier.  Une  médaille  de  Rhes- 
cnporis II,  datée  de  l'an  3i3  de  l'è- 
re pontique  introduite  dans  le  Bos- 
phore par  Mithiidate  Eupator  ,  qui 
répond  à  l'an  l'j  de  J.-C,  nous  ap- 
prend  que  c'est  entre  l'an  i*^^.  et  cette 
même  année  17  qu'il  faut  placer  la 
mort  de  Poleraon  P'". ,  l'élévation 
d'une  nouvelle  dynastie  en  la  per- 
sonne de  Rhescuporis  I"^"". ,  ou  de 
Sauromates  I""". ,  les  règnes  de  ces 
pi'iuces  1  et  même  celui  de  Gépépy- 
ris ,  femme  de  Sauromates  :  car  les 
médailles  de  cette  dernière  nous 
donnent  lieu  de  croire  qu'elle  a  joui 
du  pouvoir  souverain,  ce  qui  pourrait 
indiquer  que  Rhescuporis  II  e'tait 
parvenu  assez  jeune  au  trône.  Gé- 
pépyris  alors  aurait  pris  la  couron- 
ronue  ,  à  l'exemple  de  Pythodoris  , 
qui  régnait  dans  le  Pont.  Voilà 
bien  des  événements  pour  si  peu  de 
temps  ,  surtout  si  l'on  y  joint  le 
règne  de  Cotys  1'=''.  ,  fils  d'As- 
purgus;  car  rien  encore  ne  prouve 
que  l'année  3 1 3  du  Bosphore  ait  été 
la  première  de  Rhescuporis  II.  D'un 
autre  côté,  cet  espace  de  temps  est 
aussi  limité  par  de  belles  médail- 
les d'or,  datées  des  années  3o4  et 
3o5  (  8  et  9  de  J.-C.  ),  qui  nous  pré- 
sentent des  têtes  et  des  monogram- 
mes de  chefs  inconnus  pour  nous. 
On  ajouterait  beaucoup  à  toutes  ces 
difficultés,  si  ,avec  M.  Kohler  (ao) 
on  plaçait  encore,  dans  ce  court  es- 
pace de  temps  ,  un  autre  Sauromates 
et  un  autre  Rhescuporis,  dont  lien 
ne  démontre  l'existence,  et  qu'on  ne 
doit  pas  distinguer  de  Sauromates 
I*^''.  et  de  Rhescuporis  II.  On  con- 
çoit sans  peine  que  nous  avons  en- 
core grand  besoin  que  de  nouvelles 
découvertes  viennent  jeter  du  jour 

(ij) Ibid.  , p.  i34-i45. 


RHE 


47S 


sur  tous  ces  faits.  Ce  qu'il  y  a  seu- 
lement de  constant ,  par  le  témoi- 
gnage de  Strabon  (2G),  c'est  que  tous 
les  princes  qui  régnaient  dans  le  Bos- 
phore ,  avaient  été  établis  par  les  Ro- 
mains :  xat  vûv  vt:o  TOtç  twv  BoffTro- 
pct-jMV  ^xatXîïxjtv  y  ovç  ai)  Pwfzatoi 
xaTa^ïjffwfftv ,  az-avTa  êçt.  S.  M-— N. 
RHESCUPORIS II  (TiBERiusJu- 
Lius)  (i),  successeur  et  sans  doute 
fils  de  Sauromates  P>"_  çi  ^q  ja  rei- 
ne Gépépyris ,  régna  sur  le  Bospho- 
re, au  moins  pendant  vingt -deux 
ans ,  depuis  l'an  3 1 3  de  l'ère  du  Bos- 
phore ,  qui  répond  à  l'an  1 7  de  J.-C, 
jusqu'en  l'an  334  (38  de  J.-C), 
sous  les  règnes  de  Tibère  et  de  Cali- 
gula ,  dont  les  noms  se  trouvent  sur 
plusieurs  médailles  de  ce  prince.  On 
sait  que  la  numismatique  du  Bospho- 
re offre,  pour  cette  époque,  deux  sor- 
tes de  monnaies.  Les  monnaies  d'or 
sont  les  seules  qui  portent  des  dates, 
avec  des  monogrammes  destinés  à 
rappeler  le  nom  du  prince  régnant  et 
des  têtes  impériales.  Les  effigies  des 
souverains,  avec  ou  sans  légende,  ne 
se  voient  que  sur  les  monnaies  de 
bronze. M.  Kohler  (ajapartagétous 
ces  monuments  entre  deux  princes 
qu'il  appelle,  l'un  Tiberius  -  Julius 
RLescupoiis  P"".,  et  l'autre  Rhescu- 
poris II.  Touteslesmédaillesd'orsans 
portraits  sont  attribuées  par  lui  à 
Rhescuporis  II,  quoique,  dans  sonhy- 
polhèse,  elles  dussent  nécessairement 
apparlenir  à  deux  rois.  11  n'a  ,  pour 
distinguer  les  unes  des  autres,  que  des 
principes  qui  pourront  paraître  fort 
arbitraires.  Les  différences  de  style 
et  de  fabrique  ne  prouvent  rien  pour 
un  espace  de  temps  aussi  court;  el- 
les peuvent  provenir  de  la  plus  ou 

(-u)  LU),  vu,]..  3i7.. 

^i)ll  i\sl  nomniti  lUiosriiporis  I^r.  ,  par  Viscou 
ti ,  Icoiivgi.  grecf/. ,  t.  JI ,  p.  i5ï. 
^2)  Jliinarijues  clo. ,  p.  i4i-l''|5. 


474 


RHE 


moins  grande  habileté  des  artistes  et 
de  ladiversité  des  lieux  où  ces  médail- 
les ont  été  frappées.  Plusieurs  de  ces 
monnaies  sont  d'un  fort  mauvais  tra- 
vail :  alors,  quelle  confianceaccorder 
aux  difïerencos  de  traits  ou  aux  res- 
semblances qu'on  croit  y  apercevoir, 
pour  y  tiou  ver  deux  personnages  dis- 
tincts ?  pourquoi  d'ailleurs  ces  dif- 
férences n'appnrtiendraient-elles  pas 
à  la  diversité  des  âges  ?  Les  médailles 
d'or,  toutes  sans  effigie,  ne  sont  d'au- 
cune utilité  dans   cette   recherche. 
Pour  les  autres,  elles  offrent ,  tantôt 
les    traits  d'un  prince    imberbe  et 
assez  jeune ,   tantôt  une   tête   bar- 
bue ou  avec   des  moustaches.  Les 
unes   alors  seraient  du  commence- 
cément,  et  les  autres  de  la  fin   du 
règne  de  Rhescuporis  II.  Si  l'on  en 
juge  par  les  objets  figures  sur  le  re- 
vers de  plusieurs   des    nombreuses 
médailles  de  bronze  de  Rhescuporis 
II,   ce  règne  ,  sur  lequel  l'histoire 
nous  a  fourni  si  peu  de  renseigne- 
ments,aurait  étérempli  par  de  grands 
événements  :  elles  présentent  des  si- 
gnes évidents  de  victoires  remportées 
par  ce  roi  ,  ou  des  surnoms  que  lui 
décernèrent  les   empereurs.  "Toutes 
ont  pour  légende  les  mots  TIBEPIOS 
lOrAIOSBASIAEYSPHSKOrnOPIS. 
Les  unes  ont ,  au  revers,  le  roi  Rhes- 
cuporis la  couronne  en  tête  ,  armé 
en  guerre  ,  la  lance  à  la  main  ,  et  de- 
bout devant  un  trophée,  foulant  aux 
pieds  Acws.  ennemis  suppliants  de- 
vant lui.  D'aulrcs  présciUcnt  les  rem- 
parts d'une  ville,  avec  une  statue 
équestre  sur  la  poric  principale.  11 
en  est  qui  porlcnlune  Victoire  avec 
une  couronne   dans  la  main  droite 
et  une  palme  dans  la  g-mclie.  Quel- 
ques luies  font  voir,  d'un  côté,  Rhes- 
cuporis assis  sur  une  chaise  curulc, 
et  vêtu  à  la  romaine;  et,  au  revers, 
un  bouclier  ,  une  lance,  une  épéc,  cl 


RHE 

divers  signes  d'honneur  que  les  Ro- 
mains étaient  dans  l'usage  d'envoyer 
aux  rois  leurs  vassaux ,  avec  la  lé- 
gende TEIMAI  |3a7â2wç  PHZKOrno- 
PIAo2,  les  honneurs  du  roi  Rhes- 
cuporis. 11  en  est  quelques  autres 
qui  offrent,  au  revers,  la  tête  de  la 
reine,  femme  de  Rhescuporis.  Pour 
les  médailles  d'or,  elles  n'ont,  avec 
les  têtes  impériales,  que  les  dates  de 
l'ère  du  Bosphore,  et  ce  monogram- 
me :  BAP  pour  'ÈkaCkt^z  Prjir/.ouTTro- 
pirJoq.  Quelques  médailles  de  cuivre 
portent  la  tête  du  roi,  avec  un  mo- 
nogramme seulement,  et,  au  reVers, 
le  portrait  de  l'empereur,  avec  les  lé- 
gendes: TIBEPIOY  KAI2AP02  ou 
EAIOV  KAISAPOS  TEPHANIKOT. 
Rhescuporis  II  eut,  à  ce  qu'il  paraît, 
pour  successeur  Polémon  II ,  qui  fut 
investi  de  la  couronne  du  Bosphore, 
par  Caligula  ,  au  préjudice  de  la  fa- 
mille de  Rhescuporis.       S.  M — N. 

RHKSCUPOKIS  III  régnait  en  l'an 
38o  du  Bosphore  ,  ou  84  de  notre 
ère  ,  comme  nous  l'apprend  une  mé- 
daille unique  en  or  de  cette  année, 
avec  la  légende  BASIAEHS  PHZKOY- 
noPIAOS,  et  au  revers,  la  tête  deDo- 
niitien.  Il  est  le  premier  roi  du 
Bosphore  dont  le  nom  ait  été  inscrit 
en  entier  sur  les  monnaiesd'or  de  ce 
pays.CellesdeCotysIIjSon  prédéces- 
seur ,  n'ont  encore  que  le  monogra- 
me  BAK  pour  BA(7t),£&)ç  Kotuoç  (  i  ). 
Cet  usage  fut  suivi  jusqu'à  la  fin  de  la 
monarchie.  Rhescuporis  111  succé- 
cécla,  à  ce  qu'il  paraît,  àColyslI, 
dont  la  dernière  médaille  connue 
est  de  l'an  355  (  6i)  de  J.-C.  )  11 
eut  pour  successeur  Sauromates  11, 
dont  la  médaille  la  plus  ancienne 
poric  l'an  SqS  du  Bosphore  ,  ()f)  de 
notre  ère. — Rhescuporis  IV  ré- 
gnait sur  le  Bosphore  du  temps  de 

(i)  Visconti,  Tconpgr,  jrc(Y/,,  t.  n,Ji.  iS^. 


RHE 

Caracalla  ,  d'Heliogabale  et  d'A- 
lexandre-Sévère.  Il  paraît  qu'il 
succéda  à  Sauromates  III ,  dont  la 
dernière  médaille  connue  est  de 
l'an  5o5  du  Bosphore  (  ^09  de 
J.-C.  ).  La  pins  ancienne  de  Rlies- 
cuporis  IV  est  de  l'an  5o8  (iia 
de  J.  C,  )  On  croit  qu'il  cessa  de 
régner  en  l'/in  5'Jt5  de  celle  même 
ère  (  229  de  J.-G.  )  ;  caril  existe  des 
médailles  de  celle  année  qni  porlent 
son  nom  ,  et  d''autres  de  l'année  sui- 
"vanle ,  qui  présentent  la  tête  de  Co- 
tys  V  ,  qui  fut  sans  doute  son  suc- 
cesseur.— Rhescxjporis  V  régna  peu 
de  temps  après  CotYsV,dont  il  exis- 
te des  monnaies  de  l'an  S^.g  du 
Bosphore  (233  de  J.-C.  )  La  plus  an- 
cienne médaille  de  Rhesciiporis  V 
est  de  l'an  53i  (  235  de  J.-C.  )  Ce 
prince  ne  fut  pas  seul  roi  de  tont  le 
Bosphore.  Il  paraît  qu'il  partagea 
l'empire  avec  un  certain  Ininthi- 
méyns  ,  resté  inconnu  à  l'histoire, 
mais  dont  nous  possédons  des  mé- 
dailles qui  portent  ia  même  date 
53i.  Long-temps  ,  on  crut  que  son 
règne  avait  été  fort  conrt ,  et  que 
Rhescuporis  V  avait  été  son  suc- 
cesseur (2).  Des  dé<  ouvertes  nouvel- 
lement faites  montrent  qu'Ininlhi- 
méyus  a  porté  plus  longtemps  le  ti- 
tre de  roi,  dans  le  temps  même  que 
régnait  Rhcscuporis  V.  Il  existe  des 
médailles  de  ce  roi ,  des  années  532 
et  535  de  l'ère  du  Bosphore  (  236 
et  239  de  J.-C.  )  (3).  Il  s'en  trouve 
une  avec  cette  dernière  date,  dans 
la  collection  de  M.  Allier  de  Hau- 
teroche ,  à  Paris.  Ces  monuments 
font  voirqnecet  Ininlhiniéyus  régna 


(s)  Seguin  ,  ISiimUiiintn  srlecln  ,  p.  /fi.  —  Carv, 
Hisl.  ilei  rois  du  liosf/lwie ,y.  ■^/^.  —  miuuwt  ,Dès- 
eript.  de  méitailli:s ,  t.  n  ,  u".  i45— Viscdiiti,  Iro- 
nogi.  grecf/.,  1.  ii ,  |>.  i(!r),  —  Rauiil-R„clie(te,  Au. 
tiij.  greo/.  du  nayilmin  Cimminen  ,^.  inâ. 

(3)  Kœlilcr.  Rcmarq,  sur  les  antif.  çrccij,  du 
Botfihore  ,  p,  -jt. 


RHE  475 

long-temps  an  moins  dans  uneparlie 
du  Bosphore.  RhescuporisV  prolon- 
gea son  règne  jusqu'à  l'an  564  (^68 
de  J.  C.  )  au  moins,  puisqu'il  exis- 
te de  lui  des  monuments  avec  cette 
date(4):  il  régna  donc  environ  trente- 
trois  ans.  M.  Kœliler,  se  fondant 
encore  sur  des  différences  de  fabri- 
ques, assez  légères,  avance  qu'il  faut 
partager  entre  deux  princes  ,  qu'il 
appelle  RhescuporisV  et  VI,  les 
monnaies  de  ce  roi.  Il  croit  que 
le  personnage  représenté  sur  la  mon- 
naie de  l'an  5di  ,  n'est  pas  le  même 
que  celui  qui  est  figuré  sur  les  autres 
(5)  ;  de  sorte  que  ,  selon  lui,  Ininthi- 
méyus  aurait  été  en  53 1  (  235  de 
J.-C.  ) ,  successeur  de  Rhescuporis 
V  ,  qui  aurait  régné  très  -  peu  de 
temps,  et  prédécesseur  de  Rhescu- 
poris VI  monté  sur  le  trône  en  535 
(  239  de  J.-C.  )  Le  même  auteur 
avait  déjà  partage  entre  deux  rois 
les  dernières  médailles  de  Rhescupo- 
ris II  (6) ,  de  sorte  que  depuis  l'an 
53 1  jusqu'en 564(235-268de  J.-C), 
il  y  aurait  eu  trois  princes  du  même 
nom.  Des  découvertes  faites  très- 
récemment  nous  ont  appris  qu'ua 
prince  appelé  Aréansès  avait  aussi 
régné  dans  le  Bosjdiore  en  55o  et 
55 1  (254  et  255  de  J.-C),  et  ainsi, 
pendant  la  durée  de  l'espace  que 
nous  venons  d'allribuer  à  Rhescu- 
poris V  (7).  Était  ce  un  usurpa- 
teur ,  un  compétiteur  ou  un  roi , 
qui,  comme  Iiunlhiméyns  ,  occupait 
uneautie  partie  du  Bosphi-re?  Nous 
l'ignorons;  mais  les  monuments  qui 
nous  ont  révélé  son  existence ,  et 
d'autres  qui  sont  connus  depuis  peu, 
donneraient   lieu  de  croire  que  le 


(4)    Kœlilcr,    UlédniUcs  grecques,  Pctersbourg, 
^fl■>^x  ,  in-S". .  p.  4'. 
(5)lbiH.,p.7..' 
(0)lbid.,p.  4ï. 
(7)lLid.,x).  i3. 


4?^  RHE 

Bosphore   Cimmérien    était    alors 
gouverne  par  plusieurs  princes  à-la- 
fois;  ce  qui  serait  encore  confirmé 
par  un  passage  de  Zosime  ,  qui  se 
rapporteprécisëment  à  cette  époque, 
sous  le  règne  de  Valérien  et  de  son 
fils  Gallien  (253-268).  Les  Bo- 
rans  ,  l'un  des  peuples   Goths   ou 
Scythes,  qui  ne  cessaient  de  fati- 
guer, par  leurs  perpétuelles  incur- 
sions ,  les  provinces  romaines  limi- 
trophes du  Danube ,  voulurent  pas- 
ser en  Asie  :  les  Bosphoriens  leur 
en  fournirent  les  moyens  plutôt  par 
crainte  que  de  bonne  volonté  •  ils 
leur  donnèrent  des  vaisseaux  et  les 
conduisirent  eux-mêmes.  «  Les  ha- 
»  bitants  du  Bosphore,  dit  Zosime 
»  (lib.  i,cap.  3i),  avaient  eu  long- 
»  temps  des  rois  qui  s'étaient  succé- 
»  dé  de  père  en  fils,  et  qui,  soit  à 
»  cause  de  l'amitié  qui  les  attachait 
»  aux  Romains,  soit  à  cause  du  com- 
»  merce,  soit  encore  pour  les  subsi- 
»  des  annuels  que  leur  fournissaient 
»  les  empereurs  ,  n'avaient  cessé  jus- 
»  qu'alors   de  s'opposer  au    passa- 
»  ge  des  Scythes  en  Asie.  Mais  en- 
»  suite  la  race  royale  étant  venue  à 
»  s'éteindre,  des  hommes  vils  et  ah- 
»  jecls  obtinrent  le  pouvoir  {  à^ja^ioi 
»  Tfj£;y.y.tàT:epp,.i^hoi  rriç  vjy s ixovixi; 
»  Y.aréçr,(j!y.-j  y.ùpioi  )  ;  par  crainte  ils 
»  leur  accordèrent   le  passage  du 
»  Bosphore  pour  aller  en  Asie,  où 
»  ils     les    conduisirent    sur    leurs 
»  propres  vaisseaux.  »  Cet  événe- 
ment arriva  en  l'an  258,  au  temps 
même  où  les  médailles  nous  font 
voir  que  Rhescuporis  Y  régnait  dans 
le  Bosphore.  Nous  ignorons  s'il  était 
un  de  CCS  piinccs  méprisables  ,  qui 
11  osèrent  s'opposer  au  passage  des 
Scythes  ,    ou  s'il  n'était   pas  plu- 
tôt, comme  son  nom  semble  l'indi- 
quer, im  rejeton  de.  l'ancienne  dynas- 
tie fpii  régnait  en  Asie  dans  une  par- 


RHE 

tie  du  Bosphore ,  tandis  que  le  reste 
du  royaume  était  au  pouvoir  des 
Ininthiméyus  ,  Aréansés ,  Tiranes  , 
ThothorsèsetRhadaméadis,  dont  les 
noms  barbares  diffèrent  tous  de  ceux 
qui  étaient  portés  par  les  anciens  rois 
du  Bosphore.  Les  Borans  ravagè- 
rent les  côtes  septentrionales  de  l'A- 
sie-Mineure  ;  ils  assiégèrent  Pityunte 
en  Colchide, d'où  ils  furent  repoussés 
par  le  général  Successianus  ;  ils  y 
revinrent  l'année  suivante,  secondés 
encore  par  les  Bosphoriens.  Succes- 
sianus n'y  était  plus  :  ils  prirentdouc 
la  place  ,  passèrent  le  Phase  ,  et 
s'avancèrent  jusqu'à  Trébisonde  , 
dont  ils  se  rendirent  maîtres.  On 
ignore  si  Rhescuporis  V  eut  part  à 
ces  événements  ,  ou  s'il  faut  attri- 
buer la  coopération  des  Bosphoriens 
aux  chefs  barbares  qui  les  comman- 
daient. Il  paraît  qu'il  eut  pour  suc- 
cesseur Sauromates  V ,  dont  il  existe 
des  médailles  datées  de  l'an  572  du 
Bosphore  (276  de  J.-C.  )  Ce  prince 
était  sans  doute  son  fils  ;  et  vraisem- 
blablement il  est  le  même  que  Sau- 
romates ,  fils  de  Rhescupoiis  qui, 
selon  Constantin  Porphyrogenètc 
(  De  administr.  imper.  ,"cap.  53), 
sous  le  règne  de  Dioclélien  ,  fit  une 
expédition  dans  l' Asie-Mineure  ,  de 
concertaveclcs  Sauromates. — Rhes- 
cuporis VI  était  pctil-fils  du  pré- 
cédent, et  successeur  de  Sauroma- 
tes VI  ;  ses  médailles  nous  font  voir 
qu'il  régna  dans  le  Bosphore,  au 
moins  depuis  l'an  Gi3  du  Bosphore 
(  3i7  de  J.-C.  ) ,  jusqu'en  l'an  G24 
(  328  de  J.-C.  );  il  était  donc  con- 
temporain de  Constantin.  Nous  n'en 
savons  rien  de  plus;  seulementles  mé- 
dailles nous  apprennent  que  de  son 
temps  il  régnait  dans  le  Bosphore 
un  autre  roi  nommé  Rhadaméadis  , 
dont  on  a  reconnu  depuis  [)eu  l'exis- 
tence. S.  M— N. 


RHE 

RHESE  (  Jean  ) ,  on  RICE,  qu'on 
appelle  quelquefois  Davies,  était  ne 
dans  File  d'Anglesey,  en  i534.  Après 
avoir  fait  de  bonnes  c'tudes  dans  l'u- 
niversité' d'Oxford  ,  il  se  rendit  à 
Sienne  ,  prit  le  bonnet  de  docteur  en 
jne'decine,  et  devint  ensuite  princi- 
pal du  collège  de  Pistoie.  Il  acquit 
une  connaissance  si  parfaite  de  la 
langue  italienne,  qu'on  le  mettait  au- 
dessus  des  meilleurs  grammairiens 
du  pays.  De  retour  en  Angleterre ,  il 
pratiqua  la  médecine  dans  le  Breck- 
nockshire.  Son  savoir  dans  les  lan- 
gues anciennes  et  modernes  ,  et  son  ' 
goût  pour  la  recherche  des  antiqui- 
te's  de  la  Grande-Bretagne,  le  mirent 
en  relation  avec  les  hommes  les  plus 
érudits  ,  surtout  avec  Usher  ,  qui  en 
fait  un  grand  e'ioge  dans  ses  ouvrages. 
Rhese  mourut  en  1609.  Ou  a  de  lui: 
I.  Règles  pour  acquérir  la  connais- 
sance de  la  langue  latine,  impri- 
mé à  Venise,  en  latin.  II.  Pe  Ita- 
licœ  linguœ  pro?iunciatione,  Padoue; 
ouvrage  très  -  estime'.  III.  Camhro- 
Briiannicœ  ,  Camhricœve  linguœ 
institutiones  et  rudimenta  ,  etc.,  ad 
intelligenda  Biblia  sacra  nunc  in 
cambro-britannicwn  sermonem  ele- 
gajiter  versa  ,in-{o\. ,  Lond.,  i56^. 
IV.  Abrégé  de  la  physique  d'Àris- 
tote,  en  anglais.  Cet  ouvrage  est  res- 
te manuscrit.  T — d. 

RHETICUS.  F"qr.  George  Joa- 
CHiM,  et  Barth.  Pitiscus. 

RHIGAS,l'un  des  pitis  ardents  pro- 
moteurs de  l'insurrection  grccrpie  , 
naquit  à  Veleslina  en  Thessalie  , 
vers  1753.  Il  fit  d'excellentes  études 
dans  les  meilleurs  collèges  de  sa  pa- 
trie ;  mais  n'ayant  pas  assez  de  for- 
tune pour  parcourir  la  carrière  des 
lettres ,  il  embrassa  celle  du  commer- 
ce, se  rendit,  jeune  encore,  à  Bucha- 
l'est,  et  y  resta  jusqu'au  commence- 
mentdelarévolulionfrançaisc,parta- 


Rlil  477 

géant  son  temps  entre  les  ope'rations 
commerciales  et  ses  c'tudes  favorites. 
C'est  dans  cette  ville  où  l'on  trouvait 
alors  des  livres  et  dcshorames  de  rae'- 
ritede  différentes  nations, que  Rhigas 
acquit  des  connaissances  étendues. 
L'ancienne  littérature  de  la  Grèce 
échauffait  son  imagination.  Les  lan- 
gues latine. française,  italienne  et  alle- 
mande, lui  étaient  familières  ;  il  écri- 
vait également  bien  en  grec  et  en 
français  :  il  était  à-la-fois  poète  et 
musicien  •  sa  plus  agréable  occupa- 
tion était  la  géographie  comparée. 
"Il  joignait  à  toutes  ces  connaissances 
une  passion  presque  déliranle  pour 
l'affranchissement  de  sa  patrie.  Cet- 
te passion  concentrée  ,  qui  exaltait 
ses  facultés  intellectuelles  ,  lui  inspi- 
ra, dit-on,  ridée  la  plus  hardie,  celle 
de  former  une  grande  société  secrète 
dans  lehut  de  soulever  toute  la  Grè- 
ce contre  la  Porte ,  et  de  délivrer  ses 
compatriotes  du  joug  des  barbares. 
Plein  d'énergie  et  d'activité  ,  possé- 
dant au  suprême  degré  le  talent  de  la 
parole, el  jouissant  d'une  grandecon- 
sidération:  on  prétend  qu'il  ne  tarda 
pas  à  former  la  société  dont  on  vient 
de  parler ,  et  qu'il  entraîna  dans  son 
parti  des  évéques,  des  archontes , des 
négociants,  des  savants,  des  officiers 
de  terre  et  de  mer,  en  un  mot ,  la  fleur 
de  la  nation  grecque  ,  ainsi  que  plu- 
sieurs étrangers  de  distinction.  Mais 
ce  qui  peut  paraître  incroyable  en 
Europe ,  c'est  qu'il  serait  parveuuày 
faire  entrer  aussi  pi  usieui  s  Turcs  puis, 
sanls ,  entre  autres  le  f  imeux  Pas- 
swan-Oglou.  Après  la  formation  de 
cette  société  ,  Rhigas  alla  s'établir 
à  Vienne,  en  Autriche,  où  étaient 
un  grand  nombre  de  riches  négo- 
ciants grecs  ,  et  quelques  savants 
émigrés  de  la  mémo  nation.  C'est  do 
cette  capitale  qu'il  aurait  entretenu 
une  correspondance  secrète  avec  les 


478  RHI 

principaux  de  ses  confrères  ,  répan- 
dus en  Grèce  et  en  Europe.  Il  conti- 
nuait en  même  temps  de  cultiver  les 
lettres  etpabliaitnnjoinnal  grecpour 
l'instruction  de  ses  compatriotes.  11 
traduisait  le  Voyage  du  jeune  Ana- 
charsis  (  dont  quelques  volumes  ont 
été  imprimés  ).  11  composa  et  mit  au 
jour  un  Traité  de  la  tactique  mi- 
litaire^ un  Traité  élémentaire  de 
■physique  à  l'usage  des  gens  du 
monde.  Il  traduisit ,  en  grec  mo- 
derne ,  un  ouvrage  français  inti- 
tulé :  Ecole  des  amants  délicats. 
Dans  celte  traduction,  il  imita  par- 
faitement le  style  des  archontes 
de  Gonstantinople,  autrement  ap- 
pelés Phanariotes  :  ce  livre  eut  un 
très-grand  succès.  Mais  ce  qui  va- 
lut à  Rhigas,  dans  toute  la  Grèce, 
une  réputation  vraiment  populaire, 
ce  furent  ses  poésies  patriotiques  , 
e'crites  dans  un  style  vulgaire  ,  mais 
propres  à  enflammer  l'imagination 
desjeunesGrecs,àlcurinspirerla  hai- 
ne la  plus  forte  contre  la  tyran- 
nie musulmane.  Son  imitation  de  la 
Marseillaise  {Allons,  enfants  de  la 
patrie  ),  que  les  Grecs  chantent  en- 
core aujourd'hui ,  en  combattant 
contre  leurs  oppresseurs;  sa  belle 
chanson  montagnarde  ;  ilç  tzots 
Tra)>yix.âota  va  i^ov^î  crà  ^ouvâ  (  Hé- 
ros !  Jusques  à  quand  vivrons- 
nous  sur  les  montagnes  7) ,  sont  ,  de 
toutes  ses  pièces  ,  celles  qui  ont  pro- 
duit le  plus  d'ellct  sur  l'esprit  d'une 
jeunesse  ai  dente  et  pcnéirce  d'admi- 
ration pour  les  Miltiade,  les  Thcmis- 
toclc  et  les  Hériclès.  Hhigas  lit  aussi 
une  grande  carte  de  la  Grèce,  en  dou- 
ze feuilles  , gravée  à  Vienne, dans  la- 
quelle il  désigna  ,  par  les  noms  ac- 
tuels et  par  les  noms  anciens,  tous 
les  lieux  célèbres  dans  l'histoire. 
Celte  carte,  qui  contient  un  giand 
nombre   de  médailles   antiques,    a 


RHI 

fondé  la  réputation  de  [''auteur.  Nous 
sommes  cependant  loin  de  regarder 
ce  grand  travail  comme  exempt  de 
fautes  et  d'incorrections.  Vers  le 
commencement  de  mai  1798,  un 
traitre  dénonça  Rhigas  et  ses  huit 
collaborateurs  ,  au  gouvernement 
d'Autriche  ,  comme  des  conspira- 
teurs. L'empereur  d'Allemagne  les  fit 
arrêter  et  livrer  à  la  Porte ,  à  l'excep- 
tion de  trois  d'entre  eux  qui  étaient, 
naturalisés  Autrichiens.  Tous  les 
journaux  de  l'Europe  retentirent  de 
cet  événement  Voici  comment  le 
Moniteur  (  an  vi ,  n**.  271  )  en 
parle,  sous  la  rubrique  de  Semlin. 
«  Nous  avons  vu  passer  par  cette 
»  ville  les  huit  Grecs  qui  avaient  été 
»  arrêtés  à  Vienne,  comme  auteurs 
»  d'écrits  séditieux,  et  livrés  à  la 
»  Porte,  comme  sujets  du  grand-sei- 
»  gneur.  Ils  étaient  liés  deux  à  deux, 
»  et  escortés  par  vingt-quatre  sol- 
»  dats  ,  deux  caporaux  ,  un  officier 
»  supérieur  et  un  commissaire.  L'a- 
»  me  du  parti  auquel  ces  Grecs  ap- 
»  partenaient ,  était  Rhigas  ,  riche 
»  négociant  ,  natif  de  Thessalie  , 
»  passionné  jusqu'au  délire  pour  la 
»  délivrance  de  sa  malheureuse  pa- 
»  trie,  jadis  habitée  par  des  hom- 
»  mes  libres.  Quelque  temps  avant 
»  que  la  police  de  Vienne  eût  donné 
»  des  ordres  pour  l'arrêter,  Rhigas, 
»  averti  par  quelque  pressentiment, 
»  s'éloigna  de  cette  ville;  mais  il  fut 
»  pris  à  Tricsle ,  oii  il  se  donna  un 
»  coup  de  poignard.  Son  bras  trahit 
»  sa  volonté  :  le  coup  ne  fut  pas  mor- 
»  tel.  11  est  au  nombre  des  huit 
»  Grecs  arrêtés,  dont  cinq  seront  li- 
»  vrés  à  la  Porte ,  les  trois  autres ,  en 
»  qualité  de  sujets  de  l'empereur, 
)>  ayant  été  condamnés  à  un  bannis- 
))  sèment  perpétuel.  Rhigas  n'était 
»  j)as  seul  à  la  tête  du  parti  qu'il 
»  avait  formé;  il  était  puissamment 


RHI 

»  secondé  par  Mawroyeni ,  neveu 
»  du  fameux  hospodar  de  ce  nom. 
»  Mais  Mawroycni,  qui  partit  l'an 
»  passe' ,  est  tranquille  à  Paris  ,  tan- 
»  dis  que  l'infortune'  Rliigas  marche 
»  au  supplice.  »  En  vain   lui  et  ses 
compagnons  demandèrent  pour  tou- 
te grâce  de  n'clre  point  livres  aux 
tigres  de  Constantinople  et  de  subir 
la   mort    au   sein    de   leur   patrie. 
Les  gardes  craignant  que  Passwan- 
Oglou   ne  leur  arrachât  ces    victi- 
mes, les  précipitèrent  dans  le  Danu- 
be, et  leur  épargnèrent  le  supplice 
qui  les  attendait.  Rhigas  n'était  âgé 
alors  que  de  quarante  cinq  ans.  An- 
thime,  patriarche  de    Jérusalem  , 
doyen    des   prélats  grecs ,   publia , 
par  ordre  de  la  Porte  ,  une  Circulai- 
re paternelle  adressée  à  tous  les 
Grecs,  et  imprimée  à  Constantino- 
ple (  i  ).  D;ins  cet  écrit,  dicté  par  Sé- 
lira  III ,  alors  empereur  des  Turcs  , 
le  patriarche  conscdiait  à  ses  core- 
ligionnaires de  lOrient,  de  rester  fi- 
dèles à  la  Sublime  Porte,  de  regar- 
der le  grand-seigneur  comme  leur 
souverain  légitime,  etc.  Cette  circu- 
laire futcomplèlenient  réfutée  parun 
ami  de  Rhigas,  sons  le  titre  suivant  : 
Circulaire  fraternelle   à    tous   les 
Grecs  soumis  à  l'empire  Olhoman^ 
en  réponse  à  la  Circulaire  paternel- 
le, publiée  à  Constantinople ,  sous 
le  nom  supposé   du  vénérable  pa- 
triarche de  Jérusalem  ,  Rome  (  Pa- 
ris ),     1798,  in  S'^.    de  58  p^ges. 
La  mort  de  Rhigas  fit  naître  quelques 
opuscules,  écrits  en  grec  moderne, 
dont  le  plus  remaïquable  est  celui 
qui  porte  le  titre  de  Nvmocratia. 
N— o. 
RHO  (  Jean  ),  jésuite  ,  na(|uit ,  en 
iSgo  ,  à  Milan  ,  d'une  famille  patri- 
cienne, féconde  en  hommes  de  mé- 

(0  f^oy-  lu  Dcrridc  philosophique  ,  VIII«.  Hiuice  , 
4°-  Iriincstre,  y.  28;. 


RHO  ^79 

rite.  Son  père  e'tait  un  habile  juris- 
consulte, et  a  publié  plusieurs  ou- 
vrages ,  dont  Argelati  rapporte  les 
litres,    dans  la    Bihlioth.   sciptor. 
Mediolan.  ,  tome  ii.  H  embrassa  la 
règle  de  Saint-Ignace,  en  lermiuant 
ses  études  ,  et  fut  aussitôt  chargé  de 
professer  la    rhétorique   au  célèbre 
collège  de  Brera.  Dès  qu'il  eut  reçu 
les  ordres  sacrés  ,  il  sollicita  la  per- 
mission d'aller   prêcher  l'Évangile 
dans  les  Indes  :  mais  ses  supérieurs 
jugèrent  que  son  éloquence  ne  serait 
pas  moins  utile  à  la  religion  en  Italie; 
et,  pendant  trente-sept  ans  ,  il  remplit 
avec  un  éclat  extraordinaire  les  prin- 
cipales chaires  de  Milan  ,  de  Floren- 
ce, de  Rome,deNapIes  et  de  Venise. 
Sur  la  fin  de  sa  vie,  il  fut  nomme' 
recleur  de  la  maison  professe  de  Mi- 
lan ,  puis  provincial  à  Milan  et  à  Na- 
ples.  Enfin  ,  accablé  d'années  et  d'in- 
firmités ,  il  termina  sa  carrière  apos- 
tolique à  Rome,  le  lo  septembre  (i) 
1662.  Il  a  publié  plusieurs  Becueils 
de  Sermons,  en  italien  ;  deux  Carê- 
mes,  des  Panégyriques,  des  Livres 
ascétiques  et  quelques   Opuscules , 
soit  dans  la  même  langue ,  soit  en  la 
tin ,  dont  on  trouvera  les  titres  dans 
la  Bibl.  soc.  Jesu  et  dans  argelati. 
W— s. 
RHO  (LeP.  Jacques),  jésuite  ita- 
lien, frère  du  précédent,  mission- 
naire à  la  Chine  et  mathématic/e/j 
né  en  iSqS,  partit,  en   i6'io,  avec 
Nicol.  Trigaut,  chef  des  missions  à 
la  Chine.  Après  avoir  séjourné  quel- 
que   temps  à  Goa  ,  il  vint  à   Ma- 
cao.  Les  nouvelles  qu'il  y  reçut    de 
la    persécution  qui  venait  d'éclater 
en  Chine  contre  les  Chrétiens,  l'ob/i- 
gèrent  de  s'y  arrêter;  et  ce  fut  un 
bonheur  pour  cette  ville,  qu'il  ga- 

(i)  Le  9  novembre  ,suiv.  Argelati;  maison  doit 
croire  que  les  auteurs  de  la  Bibliothèque  jésuitique 
étaient  mieux  informes. 


48o 


RHO 


rantit ,  en  1622  ,  d'être  surprise  par 
les  Hollandais,  en  apprenant  aux  ha- 
bitants à  se  servir  de  leur  artillerie  , 
et  qu'il  mit  ensuite  à  l'abri  de  toute 
tentative,  par  de  nouvelles  fortifica- 
tious.  Ayant  enfin  pénétre  dans  l'in- 
térieur de  la  Chine,  le  P.  Rho  s'ap- 
pliqua sans  relâche  à  l'étude  de  la 
langue  chinoise  ,  qu'il  parvint ,  en 
peu  de  temps ,  à  parler  et  à  écrire 
aussi  facilement  qu'aurait  pu  le  faire 
un  lettré.  Il  arriva ,  en  1624,  à  Kiarg- 
tcheou  ,  dans  la  province  de  Chan- 
si ,  pour  y  prêcher  i'Évaugile.  Sept 
ans  après ,  il  fut  mandé  à  la  cour , 
pour  y  donner  des  soins  à  la  rédac- 
tion du  Calendrier  impérial.  H  s'oc- 
cupa de  ce  travail,  en  société  avec  le 
P.  Adam  Schall,  jusqu'à  l'époque  de 
sa  mort.  L'empereur  voulut  témoi- 
gner sa  satisfaction  aux  deux  mis- 
sionnaires, par  des  dignités  :  mais 
ils  le  remercièrent  ;  et  ce  prince 
les  força  d'accepter  une  somme  d'ar- 
gent ,  qu'ils  employèrent  à  construi- 
re une  église.  Le  P.  Rho  fit  servir 
la  faveur  dont  il  jouissait,  an  triom- 
phe  de  l'Evangile.  H  opéra ,  par  ses 
discours  et  par  ses  ouvrages ,  un  très- 
grand  nombre  de  conversions.  Mais 
au  milieu  des  succès  qu'obtenait  son 
zèle  ,  il  fut  atteint  d'une  maladie  con- 
tre laquelle  échoua  l'art  des  plus  ha- 
biles médecins  ;  et  il  mourut ,  le  27 
avril  i638,  à  l'âge  de  quarante-cinq 
ans.  Pendant  son  séjour  à  la  Chine  , 
il  porta  le  nom  chinois  de  Lo-ya- 
kou  et  le  surnom  de  i^reï  -  cJiao  ; 
ce  sont  ces  noms  qui  sont  inscrits  à 
la  tète  des  nombreux  ouvrages  qu'il 
a  composés  en  langue  chinoise.  Ou- 
tre deux  Lettres  écrites  en  italien  , 
dans  lesquelles  le  P.  Rlio  rend  comp- 
te de  sa  navigation  et  des  remarques 
qu'il  avait  faites,  Milan,  1G20,  in- 
8". ,  on  a  de  lui  un  grand  nombre 
d'ouvrages  en  chinois.  Le  P.  Kir- 


RHO 
cher  porte  à  plus  de  cent  les  ou- 
vrages qu'il  avait  composés  dans 
cette  langue,  les  uns  sui  l'astrono- 
mie, les  autres  sur  des  matières  de 
piété  (Voy.  la  Chiiie  illustrée,  page 
i6r).  La  bibliothèque  du  Roi  en  pos- 
sède plusieurs  ;  mais  Fourmont  les  a 
pour  la  plupart,  mal  indiqués  dans 
son  Catalogue,  en  attribuant  les  uns 
à  un  jésuite  dont  le  nom  est  incon- 
nu ,  et  les  autres  à  un  missionnaire 
franciscain.  Voy.  principalement  les 
numéros  cxcvi ,  ccxxxvii,  cclxiv. 
On  peut  consulter,  pour  plus  de 
détails  ,  la  Bibl.  Soc.  Jes.  du  P.  Sot- 

wel,et  Argelati.  A.R— T,etW s. 

RHODE  (  Jean  ) ,  en  latin  Bao- 
Dius ,  médecin  laborieux  et  savant 
antiquaire,  né  vers  1687  ,  à  Copen- 
hague ,  continua  ses  études  à  Wit- 
temberg,  (  où  il  soutint ,  en  1612  , 
une  thèse  de  philosophie  ) ,  et  à  Mar- 
purg.  Il  visita  l'Italie,  pour  se  per- 
feclionner  dans  la  connaissance  des 
langues  et  del'antiquité.  Enchanté  du 
séjour  de  Padoue,  il  s'établit  en  cette 
ville,  et  partagea  tout  son  temps  en- 
tre l'étude  des  sciences  et  la  prati- 
que de  son  art,  La  crainte  de  com- 
promettre sa  liberté  lui  fit  refuser 
la  chairedebotaniquc,  qu'on  luioffrit 
en  i632,  avec  la  direction  du  jardin 
des  plantes.  Quelques  biographes 
prétendent  que  Rhode  fit ,  en  1640  , 
un  voyage  à  Copenhague  ,  que  ses 
compatriotes  cherchèrent  à  le  rete- 
nir parmi  eux,  et  le  nommèrent  pro- 
fessciu-  de  ])hysique  à  l'université  de 
cette  ville.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette 
anecdote,  démentie  par  Niceron  ,  il 
est  certain  que  Rhode  sVmpressa  de 
revenir  à  Padoue  ,  où  il  mourut ,  à 
l'âge  de  soixante-douze  ans  ,  le  24 
février  iGSq  ,  et  non  pas  1058, 
comme  le  marque  Thomas  Harlho- 
iin  ,  dam  VEpitaphc  qu'il  a  dressée 
en  sou  honneur,  ni  eu  i(iGo,  comme 


RHO 

le  disent  Hallervordet  KiJnig.  Rhode 
n'avait  point  ëte  marié.  Sa  biblio- 
thèqr.e  et  ses  nombreux  maunscrils 
passèrent  à  Thomas  Ban;^  ,  son  pa- 
rent,  théologien  à  Copenhague;  et, 
après  la  mort  de  Bang  ,  ses  manus- 
crits furent  achetés  par  Barthulin  , 
qui  se  proposait  de  les  publier  :  mais 
ils  périrent  presque  tous  ,  en  1670, 
dans  l'incendie  de  la  bibliothèque  de 
ce  savant  (  /^.  Bartholtn,IV,  45'2). 
Rhode,  qui  cultivait  les  lettres  sans 
ambition  ,  comme  sans  rivalité  ,  ne 
pouvait  manquer  d'être  l'ami  de  tons 
les  littérateurs  de  Padoue  ;  et  il  est 
cité  plusieurs  fois  avec  honneur  dans 
les  Elos;es  des  hommes  illustres , 
par  J.  Phil.  Tomasini  (  F.  ce  nom  ). 
Ou  en  doit  conclui-e  qu'il  n'est  point 
l'auteur  de  ceséloges  ;  et  quoi  qu'en  ait 
dit  Golomiés,  sur  le  témoignage  de 
Vossius  (  Voy.  Recueil  de  parlicu- 
larités ,  pag.  109),  il  est  plus  que 
probable  que  jamais  il  ne  les  a  reven- 
diqués. Sa  correspondance  littéraire 
ou   scientifique   était  fort  étendue  ; 
mais  on  n'en  a  conservé  que  dix  Let- 
tres à    Gasp.    HolTraann  ,  insérées 
dansY yJpj}endix des  EpistolœGeor- 
gii  Richteri selecliores ,  Nuremberg , 
1662  ,  in-4'*.   Outre  les  Editions  du 
traité  de  Juste  Lipse  de  Re  numvia- 
rid,  Padoue  ,    1G48,  in-8\  ;   des 
Animads>crsiùnes  medicce  de  Louis 
Settala  ,    ibid. ,    i6j2  ,    in-8'\  ;  du 
Traité  de  Scribonius  Largus  :   De 
coinpositioneinedicamentonim ,  ib, , 
i655  ,  in  4'^'.  ,  avec  des  notes  (  F. 
Scribonius  ) ,  et  de  l'ouvrage  pos- 
lliume  de  Fr.  Frizimclica  ,  de  IJ/il- 
neis  metallicis  artc parandis,  ibid., 
1659,  in-8''. ,  ou  a  de  Rliodc  :  1. 
Libellas  de  iialurd  niediciiiœ  ,  Pa- 
doue ,    1625,   in-4''.  TI.  De  acid 
dissertatio  ad  Cornel.  Celsimentcui, 
qud  simul  universie  fibuLv  ratio  ex- 
plicatur,  ibid,,   i<53ç) ,  in^*'-  H  y 
xxxvii. 


RHO  481 

démontre  ,  contre  l'opinion  de  J.  J. 
Chifllet ,  et  d'autres  médecins,  que 
Celse  employait,  pour  les  sutures,  le 
Cl  de  lin  ,  et  non  pas  un  fil  de  métal. 
Thom.  Bartholina  réimprimé  celte 
curieuse  Dissertation  avec  des  cor- 
rections ,   tirées  des  manuscrits  de 
l'auteur,  Copenhague,  1672,  in-4<\, 
et  y  a  joint  deux  Opuscules  de  Rhode, 
encore  inédits  :  un  Traité  des  poids 
et  mesures  ,  et  la  rie  de  Cebe.  Ces 
trois  pièces  font  partie  de  l'édition 
qu'Almeloveen  a  donnée  de  Celse  , 
Amsterdam,  i687,in-i2.  III.  Oh- 
sen>ationum  medicinalium  centuries 
très  ,  Padoue  ,  1657  '  i"-8'.  ;  réim- 
primé avec  le  Recueil  de  Pierre  Bo- 
relli  :  Historiarum  et  observât ionum 
medico-phj  sic  arum  ceniuriœ  qua- 
tuor ,  Leipzig,  1676,  in-S'J.   IV. 
Mantissa  anatomica  ,  Copenhague  , 
1661,  in-S'^.  ;  à  la  suite  des  deux 
dernières  Centuries  anatomiques  de 
Th.  Bartholin.  Y.  De  artis  medicce 
exercitatione  consilia  tria  ,  iiisérés 
parTh.  Bartholin,  dans  la  Cistame- 
dica,  Copenhague,  1662,  in-8''. ,  et 
réimprimés    avec  V Inlroductio   in 
universam    artem    viedicam ,  par 
Hcrm.  Conring  ,   flelmstadt ,  1687  1 
in-4°.  VI.  Catalogus  60  auctoruin. 
supposititiorum  quo  scriptores  ano- 
nyrni  et  pseudonymi  complures  ma- 
nifcstantur  ;  à  la  tète  du  Theatriim 
anonjmor.  de  V' incent  Placcius  (  V. 
ce  nom  ).   V^II.    Observaiiunes  me- 
dicœposteriores  ;  dans  les  Jeta  me- 
dica  Hafniensia,  Copcnhag.  ,  1677, 
iu-4°.  Niceron  a  donné  une  Notice 
sur  Rhode,  dans  le  tome  xxxvin  de 
ses  ATémoires.  W — s. 

RHODEvS  (  Alexandre  de  ) ,  jé- 
suite avignonais  ,  missionnaire  ,  na- 
quit le  i5  mars  iSiji.  Étant  entre 
dans  la  compagnie ,  il  alla  étudier  la 
thcologieàKomc,  et, après  quatre  ans 
de  sollicitations,  obtint,  en  161 8, 
3i 


482  RHO 

la  permission  de  partir  pour  les  In- 
des. 11  fit  par  terre  le  voyage  de  Lis- 
bonne ,  où  il  s'embarqua  le  4  avril 
1619.  Arrivé  à  Goa  ,  au  mois  d'oc- 
tobre ,  il  pensait  à  la  mission  du  Ja- 
pon ;  ses  supérieurs  le  retinrent  quel- 
que temps  :  il  apprit  le  canarin;  et 
ce  ne  fut  qu'après  trois  ans  qu'ils  lui 
permirent  de  voguer  vers  les  îles  où 
tendaient  ses  vœux.  Après  avoir 
abordé  à  différents  endroits  des  In- 
des ,  il  attérit  a  Macao  ,  en  iG-îS.  Il 
y  employa  un  an  à  se  rendre  la  langue 
du  Japon  familière  ;  mais  les  nou- 
velles que  l'on  reçut  de  celte  contrée, 
ne  laissant  plus  l'espoir  d'y  pénétrer, 
on  l'envoya  en  Cochin  chine  ,  avec 
plusieurs  de  ses  confrères.  «  Lorï- 
»  que  j'y  arrivai ,  dit-il ,  j'avoue  qu'en 
»  entendant  parler  les  naturels  du 
»  pays  ,  particulièrement  les  fem- 
5)  mes  ,  il  me  semblait  entendre  ga- 
»  zouillcr  les  oiseaux,  et  je  perdais 
»  l'espérance  de  pouvoir  jamais  ap- 
»  prendre  leur  langue.  »  Il  se  mé- 
fiait trop  de  ses  forces  :  en  six  mois 
il  fut  en  état  de  prèclier.  La  plus 
grande  partie  du  travail  de  la  mission 
tomba  sur  lui  ,  et  fut  d'autant  plus 
pénible,  que  des  persécutions  vinrent 
l'entourer.  Au  bout  de  dix-huit  mois 
de  séjour  à  la  Cochinchine ,  il  fut 
chargé  ,  en  1627  ,  de  prêcher  la  foi 
au  Tonkin  :  i!  y  gagna  la  confiance 
de  plusieurs  grands  peisonnages,  et 
même  celle  du  roi.  Plus  tard  ,  les  ca- 
bales des  eunuques  la  lui  firent  per- 
dre ;  et  le  monarque  rendit  un  édit 
foudroyant  contre  la  religion  chrc- 
licmie.  Il  dcfendil  au  P.  de  Rhodes 
de  répandre  sa  doctrine  ,  et  lui  en- 
joignit de  quilUrsesétals.  DeUhodes 
passadixansàMacao  ,  où  il  professa 
la  théologie, parcourant  de  temps  en 
teni[)s  la  province  de  Canton.  Eu 
1G40,  il  lui  renvoyé  à  la  Cochin- 
chine. Une  persécution  y  intcrrom- 


RHO 

pit  ses  travaux  ;  il  fut  oblige'  de  s'ab- 
senter deux  fois  ,  et  enfin  ,  arrêté  , 
traîné  devant  les  tribunaux  ,  il  fut 
condamné  à  mort  :  mais  on  se  con- 
tenta de  le  bannir  (  1646  ),  Ses  con- 
frères jugeant  que  -ce  serait  une 
témérité  de  le  faire  partir  de  nou- 
veau pour  la  Cochinchine,  l'invitè- 
rent à  retourner  en  Europe.  Etant  à 
Java  ,  il  y  fut  arrêté  pendant  qu'il 
disait  la  messe  chez  un  particulier  ; 
on  le  mit  en  prison  ,  et  il  n'en  sortit 
que  pour  s'emb»rquer  sur  un  navire 
partant  pour  Macassar.  Il  revint 
par  Bantam  ,  et  descendit  à  terre  à 
Surate  :  en  1648,  il  débarqua  sur  ia 
côte  de  Perse  ,  et ,  en  traversant  ce 
royaume ,  rencontra  Laboullaye-Le- 
Gouz  ;  puis  il  alla,  par  l'Anatolie  et 
l'Arménie  ,  à  Smyrne  ,  où  il  prit  par 
mer  la  route  de  Gènes.  Après  trois 
ans  de  séjour  à  Rome  ,  il  vint  à  Paris 
faiie  les  préparatifs  d'un  voyage 
qu'il  avait  proposé  d'entreprendre 
en  Perse.  lU'effectua,  passa  plusieurs 
années  dans  ce  pays  ,  et  y  mourut  le 
5  novembre  iGGo.  On  a  du  P.  de 
Rhodes  :  I.  Diction arium  annami- 
ticum ,  lusitanumetlatinum ,  Rome, 
i65i ,  in  4".  IL  Catechismus  latino- 
tunchinen sis, xh'ià.^  i652,  in- 4". — 
En  italien  :  III.  Histoire  du  royau- 
me de  Tunquin  ,  et  des  grands  pro- 
grès que  la  prédication  de  V Evan- 
gile y  a  faits  ,  ibid. ,  1 65o  ,  in-4°. , 
traduit  en  français  par  AIbi  ;  Lyon  , 
i65i  ,  in-4".  ,  et  en  latin,  ibid.  , 
i652.  IV.  Relation  de  la  mort  glo- 
rieuse de  saint  André  de  Cochin- 
chine ,  décapité  jour  la  foi ,  Rome  , 
i652,  in  8",  ;  traduit  en  français, 
Paris  ,  i653  ,  in-B".  V.  Relation  de 
la  bienheureuse  mort  du  P.  Antoine 
de  Rahini ,  et  de  ses  compagnons 
martyrisés  au  Japon ,  Rome ,  1 652 , 
in-8''.  ;  traduit  en  français ,  Paris, 
iG53,in-8o. — En  français: VI.  Re- 


RHO 

lationdesprogrès  de  la  foi  au  ro Jan- 
ine de  Cochijidiine,  Paris  ,i65'2  ,  iii- 
12.  VII.  Soininaire  de  divers  Voya- 
ges et  missions  aposloliques  de  i G 1 8 
à  i653,  ibid. ,  iGj3,  in-io.  VIII. 
Divers  f'ojages  et  Missions  en  la 
Chine ,  et  autres  royaumes  de  l'O- 
céan ,  avec  le  retour  en  Europe  par 
la  Perse  et  V. Arménie  ,ihïi.  ,  i653, 
in-4°.  IX.  Relation  de  ce  que  les 
P.  P.  de  la  Compagnie  de  Jésus  ont 
fait  au  Japon  en  i  G\<.j ,  ibil. ,  1 655, 
in- 12.  X.  Relation  de  la  nouvelle 
Mission  en  Perse,  lôSt),  in-i2.  Les 
ouvrages  du  P.  de  Rhodes  donnent  , 
sur  la  Cocliincliine  et  le  Tonkiu  , 
des  détails  que  confirment  les  rela- 
tions postérieures,  il  a  bien  observe' 
ce  pays  ,  et  il  rapporte  plusieurs  pai- 
ticuiaritës  de  leur  histoire  ,  qui  est 
assez  peu  connue.  11  ne  manque  pas 
de  dire  que  leur  nom  commun  est 
Aanam,  ainsi  qu'on  le  savait  déjà  du 
P.  Borri.  Le  P.  de  Rhodes  était  un 
Lorame animé  d'un  zèle  ardent  ,  qui 
lui  faisait  braver  tous  les  dangers. 
—  Bernard  Ruodes  ,  de  la  même 
compagnie,  fut  un  chirurgien  ha- 
bile. Ayant  été  envoyé  dans  les  Indes, 
il  fut  fait  prisonnier  par  les  Hollan- 
dais ,  lorsqu'ils  s'emparèrent  de  Pon- 
dichcri,et  conduit  à  Amsterdam,  où 
il  resta  détenu  ,  jusqu'à  ce  qu'on 
l'eût  échangé.  Arrivé  à  Paris  ,  il  se 
consacra  encore  aux  missions,  et  ne 
balança  pas  d'entreprendre  le  vova- 
ge  de  la  Chine.  Ayant  été  dépouillé 
par  des  flibustiers  dans  l'île  d'An- 
jouan,  il  ne  put  arriver  qu'en  1699 
dans  la  province  de  Fo-kien,  d'où  il 
fut  conduit  à  la  cour  parles  manda- 
rins que  l'empereur  avait  charge's 
de  cette  commission.  Ses  talents  lui 
gagnèrent  la  confiance  de  tous  ceux 
quileconuurcnt;  ilsiiivail  l'empereur 
dans  ses  voyage».  Un  excès  de  fati- 
gue causa  sa  mort  à  Je  hol ,  le  10 


RHO 


483 


novembre  1714  ;  il  étoit   âgé  de 
soixante-dix  ans.  E— s 

RHODIGIxNUS  (  CoELius  ) ,  phi- 
lolcgue  italien  ,  qui  s'appelait  en 
réalité  Louis  Riccuieri,  mais  qui  est 
plus  connu  sous  le  nom  latinisé  du 
lieu  de  sa  naissance  (i),  naquit 
à  Rovigo ,  vers  j45o.  Après  avoir 
fait  sou  cours  de  philosophie  à 
Fcrrarc  ,  sous  Nicolas  Léonicène  ,  n 
étudié  le  droit  civil  et  canonique  à 
l'académie  de  Padoue  ,  il  vint  en 
France  pour  perfectionner  ses  con- 
naissances par  la  fréquentation  des 
savants.  Il  retourna  en  Italie  ,  en 
1481,  ct,s'étant  fixé  dans  sa  pa- 
trie, obtint  ,  en  1497,  ""e  place  de 
professeur,  dans  la;ji,elle  il  fut  con- 
firmé en  i5o3  :  mais,  l'année  sui- 
vante, il  perdit  son  emploi  j  et,  en 
i5o5  ,  il  fut  banni  de  Rovigo  ,  par 
un  décret  que  ses  emicmis  arrachè- 
rent au  conseil  public,  portant  qu'il 
ne  pourrait  être  rappelé  sous  aucun 
])rétexte.Rhodiginus  se  rendit  alors  à 
Vicence,  où  il  ouvrit  une  école,  qui 
fut  assez  fréquentée.  En  vain  le  duc 
de  Ferrare ,  Alfonse  I*'".  ,  l'appela 
dans  cette  ville  ,  en  i5o8:  les  guer- 
res qui  désolaTent  l'Italie ,  l'obli- 
gèrent d'en  sortir,  et  de  chercher 
un  asile  à  P.idoue,  où  il  vécut  du 
produit  des  leçons  particulières  qu'il 
donnait  aux  élèves  de  l'université. 
Le  malheureux  Rhorliginus  se  trou- 
vait, en  i5i2,à  Reggio.  Une  Chro- 
nique manuscrite ,  citée  par  Tira- 
boschi,  nous  apprend  qu'il  fit  ser- 
vir son  éloquence  à  réconcilier  les 
principales  familles  de  cette  ville 
divisées d'iulcrct  et  d'opinion.  Fran- 
çois !«'■.  ,  maître  d'une  partie  de 
l'Italie  ,  nomma  Rhodiginus  ,  en 
i5i5  ,  professeur  de  littérature 
grecque  et   latine  à  l'acadcmie    de 

(1)  Du  uom  latin  de  Ruvigo,  ïihodisittm. 

Si.* 


484 


RHO 


Milan.  Les  revers  des  Français  for- 
cèrent ce  savant  de  retourner  à  Pa- 
doue,  en  iSai.  Deux  ans  après  ,  il 
fut  rappelé'  dans  sa  patrie  par  un  dé- 
cret ,  réintégré  dans  tous  ses  droits, 
et  député  vers  le  doge  de  Venise,  An- 
dré Gritti ,  pour  le  complimenter 
sur  son  élection.  Rhodiginus  mourut, 
en  iSaS,  du  chagrin  que  lui  causa 
la  nouvelle  queFrançoisI"=i",,  son  bien- 
faiteur ,  avait  été  fait  prisonnier  à  Pa- 
vie.  On  a  de  lui  :  yintiquarum  lectio- 
nurti  lihri  xri ,  Venise ,  Aide ,  1 5 1 6 , 
in -fol.  Cette  édition  est  rare  et  re- 
cherchée; mais  elle  n'est  point  com- 
plète. Celle  de  Paris ,  Badins ,  1 5 1  7  , 
est  calquée  sur  la  précédente.  L'ou- 
vrage entier  parut  enfin  ,  en  3o livres, 
Bàle  ,  1 55o ,  in-fol. ,  par  les  soins  de 
Camille  Ricchieri ,  neveu  de  l'auteur, 
et  de  J.  -M.  Goretti,  qui  ajoutèrent 
les  quatorze  derniers  livres.  Il  a  été 
réimprimé  dans  la  même  ville ,  en 
i566,  et  à  Francfort,  1666.  C'est 
un  recueil  de  notes  sur  une  foule  de 

f)assages  d'auteurs  grecs  et  latins  ,  à 
'occasion  desquels  on  discute  divei- 
ses  parties  des  sciences,  de  l'histoi- 
re ,  de  la  littérature  et  des  antiquités, 
mais  principalement  ce  qui  est  rela- 
tif à  la  médecine  et  à  la  botanique. 
On  y  trouve  plus  d'érudition  que  de 
critique.  Il  y  a  quelques  observations 
intéressantes  sur  les  plantes ,  aux- 
quelles on  a  peut-être  fait  trop  peu 
d'attention.  Le  comte  Camille  Sil- 
vcstri  de  Rovigo  a  public  la  l  ie  de 
Rhodiginus ,  à' a\)vh!i  les  documents 
les  plus  authentiques, dans  letoinc  iv 
de  la  Raccolla  degli  opuscoli  scicn- 
tifici  e  fdologici  de  Calogerà ,  p.  1 57- 
2 1 3 ,  Venise  ,  1 780  ,  in  -  1 2  ;  et  Ti- 
raboschi  en  a  donné  l'extrait,  dans 
la  Storia  delhi  letteralura  ilulia- 
na,  vu,  878.  W — s. 

RHODION  (EuciiARius).  roj. 

ROEfJLtlV. 


RHO 

RHODIUS  (  Jean  ).   F.  Rhode. 

RHODOMAjNN  (  Laurent  ) ,  l'un 
des  restaurateurs  de  la  langue  grec- 
que en  Allemagne  ,  naquit  en  1 546 , 
à  SassaAverf ,  dans  le  comté  d'Ho- 
henstein  ,  de  parents  peu  favorisés  de 
la  fortune.  Dès  son  enfance  ,  il  mon- 
tra des  dispositions  si  remarqua- 
bles, que  le  comte  de  Stolberg  se 
chargea  de  son  éducation.  I!  passa 
six  ans  au  gymnase  d'ilfeld,  où  il 
fit  de  grands  progrès  dans  les  langues 
anciennes  ,  sous  Michel  Neander  ;  et 
il  se  rendit  ensuite  à  Rostock  ,  où  il 
suivit  les  leçons  de  David  Chytrée , 
savant  helléniste.  Obligé  de  pren- 
dre un  état,  il  entra  dans  la  carrière 
de  l'enseignement;  et  après  avoir  ré- 
genté long-temps  ou  dirigé  de  petites 
écoles  ,  il  fut  nommé  professeur  de 
grec  à  l'académie  de  léna.  Sa  répu- 
tation attira  bientôt  à  ses  leçons  des 
élèves  de  toutes  les  parties  de  l'Alle- 
magne. Il  se  démit  cependant  d'une 
chaire  qu'il  remplissait  depuis  six 
ans  de  la  manière  la  plus  brillante  , 
pour  accepter  celle  d'histoire  à  l'a- 
cadéiniede  Witteraberg.  Pendant  son 
rectorat,  il  tomba  malade,  et  mou- 
rut, le  8  janvier  1606.  Rhodomann 
était  fort  laid  ;  et ,  si  l'on  en  croit 
Scaliger,  ses  manières  avaient  quel- 
que chose  de  rustique  :  mais  il  joi- 
gnait à  beaucoup  d'érudition  une 
modestie  rare  ,  et  d'autres  belles 
qualités.  Personne  ne  l'égalait  dans 
sa  facilité  à  composer  des  vcrsgiecs. 
Outre  des  Traductions  latines  tort  es- 
timées, deC)iiiiitu6Calaber(  r.  QuiN 
tus),  et  des  Fragments  ilo  Vhistoire 
de  Memnon,  tirés  de  la  Bibliothèque 
de  Photiiis  et  de  Diodore  de  Sicile 
(  F.  Memnon  ) ,  on  a  de  Rhodomann 
un  grand  nombre  de  poèmes  grecs 
et  latins  ,  dont  ou  trouvera  les  titres 
dans  le  tome  xlii  des  Mémoires  de 
Niceron.  Les  plus  recherchés  sont  : 


RHO 

I.  Fita  Lutheri  grœco  carminé  des- 
crifitu  et  latine  reddita  ,  Ursel  , 
1579,  iu-8°.  ;  rare.  II.  Ilfclda 
Hercjnia  descripta  carminé  grœco 
et  latino  ,  Francfort,  i58i  ,  in- 
8".;  rare.  J.  Georg.  Leuckteicl  a 
l'e'imprimé  cet  ouvrage  à  la  suite  des 
Antiqidtales  Ilfeldenses  (  en  alle- 
Jiiand  ),  Qiiedliiibourg  ,  170g  ,  iu- 
4°.  III.  Anonrmi  poëtœ  grœci  ; 
Argonautica;  Thebaïca  sive  hélium 
ad  Thebas  Beolicasdcregno  OEdipi 
Thebani;  Troïca  S'i'e  Belliun  Troja- 
num  ;  et  Ilias  parva  ,  carminé  he- 
Toico  grœco  :  necnoii  Arion  dictione 
doricd.  Troïcis  subjicitur  narratio 
de  Bello  Trojano  excerpta  ex  Cons- 
tantini  Manassis  annalihus  scriplis 
carminé  grœco  poUtico  et  tune  grœ- 
cè  adhuc  inediiis  ,  ]je\\)z\^,  i588, 
in  8°.  ;  recueil  rare  et  précieux  ,  pu- 
blie par  iMich.  Ncamler  ,  à  la  prière 
de  Rhodomann,qiu  ne  voulut  pas  se 
déclarer  c  lileur  de  ces  poèmes  sup- 
posés ,  peut-être  afin  de  n'oire  pas 
soupçonné  d'en  être  l'auteur.  W, 
Poéiis  c'iri<:tiana  ;  Palestine^  seu 
Historiœ  sacrœ  libri  ix  gr.  et  lat.  , 
Francfort ,  1089  ,  in  4°.  ;  rare.  On 
peut  consulter  ,  pour  de  plus  grands 
détails ,  la  Fie  de  Rhodomana  ,  en 
latin  ,  par  Ch.  H.  Lang  ,  co-rccteur 
du  gymnase  de  Lubeck  ,  ibid.,  1741, 
in-8".  de  38*2  pag.  ,  et  son  Eloge , 
par  Volboith  ,  Gottingue,  1776  ,  in- 
4°.,  en  allemand.  W — s. 

RHOE (Thomas).  r.RoE  etRoA^E. 
lîIIOUPEN  1er.,  surnommé  le 
Grand  ,  fondateur  de  la  dynastie  ar- 
ménienne qui  régna  dans  la  petite 
Arménie  et  dans  la  Gilicic  ,  du  temps 
des  croisades,  était  un  pirent  de  Ka- 
kig  II  ,  dernier  roi  d'Arménie  de  la 
race  des  Pagralides,  qui  périt  assas- 
siné par  les  Giccs ,  dans  la  Cappa- 
doce  ,  en  l'an  1079.  G'ost  de  lui  que 
cette  dynastie  reçut  le  nom  de  Rhou- 


RHO 


485 


peniane  ou  Rupenienne.  Quand  Ka- 
kig  fut  fait  prisonnier,  Rboupen ,  qui 
l'accompagnait  ,  parvint  à  s'échap- 
per, ainsi  que  son  fils  Constantin  ;  et, 
suivis  de  deux  hommes  seulement , 
ils  cherchèrent  un  refuge  dans  les 
parties  les  plus  difficiles  du  mont 
Taurus  ,  où  se  trouvaient  beaucoup 
d'Arméniens  ,  émigrés  de  leur  pa- 
trie ,  alors  en  proie  aux  dévasta- 
tions des  Turks.  Rhoupen  et  Cons- 
tantin parvinrent  à  les  faire  soulever 
contre  les  Grecs  ;  et  bientôt ,  à  la  tête 
d'une  troupe  d'hommes  déterminés, 
les  deux  princes  se  rendirent  maîtres, 
en  1080,  de  la  forteresse  de  Go- 
bidarh,et  peu  après  de  celle  de  Pard- 
serpert.  C'est  de  cette  époque  que 
date  l'indépendance  de  Rhoupen.  De 
nouveaux  essaims  de  réfugiés  Armé- 
niens vinrent  grossir  ses  forces  ,  et 
l'aider  à  étendre  ses  possessions.  Il 
fit  aussi  alliance  avec  Basile,  autre 
prince  de  sa  nation ,  qui  s'était  rendu 
également  indépendant  à  Khesouu 
ou  Kisctiouni  ,  auprès  de  Marasch  , 
et  qui  était  très-rcdonté  dans  la  Sy- 
rie septentrionale.  Rhoupen  fut,  toute 
sa  vie,  occupé  de  combattre  les  Grecs: 
il  mourut  en  loga  ,  âgé  de  plus  de 
soixante  ans  ,  et  fut  enterré  au  mo- 
nastère de  Gasdaghon.  Son  fils  Cons- 
tantin V"^.  lui  succéda.       S.  M-n. 

RHOUPEN  II ,  huitièuîe  prince 
arménien  delà  Cilicie,  était  fils  aî- 
né d'Etienne,  frère  de  Thoros  II  , 
fils  de  Léon  l^r.  C'est  par  erreur  que 
hs  historiens  des  croisades  le  font 
fils  de  son  prédécesseur  Mélier,  qui 
était  son  oncle.  Son  père,  Etienne, 
pris  dans  une  embuscade  ,  par  An- 
dronic  Eupliorbène ,  chef  des  ar- 
mées grecques  dans  la  Cilicie ,  en 
l'an  1157,  sous  le  règne  de  ïhoros 
II,  avait  été  lâchement  mis  à  mort 
par  ce  général.  Ce  racurlre  devint  le 
sujet  d^ine  guerre  cruelle.  Plusieurs 


486  RHO 

villes  tic  l'Asie  Mineure  furent  prises 
par  Tboros,   qui  c'quipa  des  vais- 
seaux et  porta  ses  ravages  jusque  dans 
l'île  de  Gypre.   Pendant   ce    temps, 
Rhoupen    et    son  frère  Leou,  trop 
jeunes     pour    venger    la    mort    de 
leisr   père ,  e'taicut  élevés  chez  Pa- 
gourau ,  prince  arménien  ,  qui  s'e'- 
tait  attacliè  à  Etienne.  Tlioros  ,  moi  t 
en  \  i^*"] ,  n'avait  laisse  qu'un  enfant 
d'un  an  .  sous  la  tutelle  d'un  seigneur 
Franc,  nomme  Thomas,  qui  était  ve- 
nu d'Antioche ,  et  qui  fut  reconnu 
pour  régent  par  les  grands  du  royau- 
me.   Mleh,    que  les  écrivains  occi- 
dentaux  appellent  Mélier ,    et   qui 
était  frère  de  Thoros  ,  fut  mécontent 
de  cette  conduite    11  habitait  alors  à 
Halep,  sous  la  protection  du  sulthan 
atabek   Nour-eddin,  lils  de  Zenchy, 
auprès  duquel  u  avait  trouve  un  asi- 
le, depuis  (|u'il  s'était  révolté  contre 
son  frère.  Mleh  reçut  du  sultiian  un 
corpsde  troupes  auxiliaires, avec  le- 
quel il  entra  dans  la  Cilicie,  contrai- 
gnit les  Arméniens   de  le  reconnaî- 
tre  pour  leur  souverain  ,  et  chassa 
Thomas.  Son  gouvernement  fut  de 
courte  durée  :  sa  conduite  dure  et  ty- 
rannique  et  son  alliance  avec  les  in- 
fidèles Je  rendirent   odieux  à  sps  su- 
jets. Le  meurtre  du  fils  de  Thoros 
acheva   de  les  soulever.    Les  prin- 
ces   prirent  les   armes,    s'emparè- 
rent de  sa  personne,  et  le  mirent  à 
mort;  puis  ils  placèrent  sur  le  trône 
son  neveu  Hhoupen,  en  l'an   1174. 
Bien  différent  de  Mleh,  ce  prince  se 
distingua  |iar  sa  douceur,  sa   bonté 
et  sa  justice.  i,e  premier  acte  de  son 
gouv'jinemenl  fut  de  j)unirles  mcur- 
Iricrs  de  son  oncle.  H  s'occupa  en 
suite  de  réparer  les  maux  que  ses 
étais  avaient  éprouvés  par  les  lon- 
gues guerres  des  Arméniens  contre 
les  Grecs.  Il  releva  les  forteresses  , 
et  les  monasttres  en  ruines;  et  se  fit 


RHO 

respecter  de  tous  ses  voisins.  En  l'an 
I  I  76,  il  ctntracta  une  alliance  avec 
Saiadin,  et  déclara  ,  ])ienl6t  après, 
la    guerre    au   sulthan  d'Iconium  , 
Kihdj-Ar^îlan,  auquel  il  enleva  quel- 
ques places  ,  eu  l'ani  180.  Un  grand 
nombre  de  tribus  errantes  de  Tur- 
koraans  franchirent  ,  vers  la  même 
époque,  le  mont  Taurus  ,  et  tentè- 
rent de  s'établir  dans  la  Cilicic  :  ils  y 
furent  vaincus  par  Hhoupen;  leurs 
femmes,  leurs  enfants,  un  grand  nom- 
bre de  prisonniers  et  un  butin  con- 
sidérable ,  restèrent  entre  les  mains 
des  Arméniens.  Cette  victoire  sus- 
cita à   cepiince  un  adversaire  plus 
terrible  :    Saiadin  ,   qui    venait   de 
contraindre    le    sulthan  d'Iconium 
à  signer  un  traité  honteux  ,  sur  les 
bords  du  Sindjah  ,  non  loin  de  la  Ci- 
licie  ,  voulut  venger  la  défaite  d'un 
peuple  musulman  j  et  ses  armées  en- 
trèrent danslesétals  de  Rhoupen.  Les 
troupes  de  reUii-ci   furent  battues  ; 
mais  de  grands  présents ,  et  la  liberté 
de  cinq  cents  captifs,  sulîirent  pour 
apaiser  la  colère  du  sulthan,  qui  fit 
la  paix  avec  le  prince  arménien,  et 
rentra  en  Syrie,  où  l'appelaientdes  af- 
faires plus   importantes.    Rhoupen 
jouissait  d'une  grande  considération 
parmi  les  princes  francs  établis  en 
Asie.  Il  avait  épousé  Isabelle,  fille 
de  Humphroi  II,  seigneur  de  Tho- 
rnn  ,  et  d'Etiennette  ,  princesse  de 
Mont-royal.  Bohémond  III  ,   prince 
d'Antioche  ,  avait  acheté  de  Mleh  la 
possession  de  Tarse,  ville  qui  appar- 
tenait légitimement  à  l'empire  grec, 
et  dans  laquelle  ce  prince  entretenait 
une  garnison  au  service  de  l'empe- 
reur. 11  rétrocéda  ses  droits  à  Rhou- 
pen ,  en  l'on  1  i8'2,  pour  une  somme 
considérable.  Le  souverain  delà  Peti- 
te-Arménie était  alorscn  guerre  avec 
lesGrecs;  et,  ]>ouragrandir  sesélats, 
il  cherchait   à  profiter  des  troubles 


RHO 

survenus  après  la  mort  de  Manuel 
Coranènc  ,  arrivée  en  l'an    1180. 
11  se  rendit  maître  de  Tarse  et  de  la 
forteresse  de  Mainesdia  ou  Mopsu- 
este.   Ces  usurpations  allumèrent  la 
guerre  entre  lui  et  Hetliouni ,  chef 
arménien,  qui  était  seigneur  de  Lam- 
pron.  Décore  dn  titre  de  sebaste,  ce 
dernier  étail resté  constammentfidèle 
aux  empereurs  grecs,  qui  lui  avaient 
confié  le  soin  de  défendre  le  territoi- 
re de  Tarse.  Rlioupenleva  beaucoup 
de  troupes  ,  et   vint  mettre  le  siège 
devant  Larapron  ,  place  très-l'ortc. 
Après  un  blocus  d'un  an  ,  Hetlioum 
écrivit  à  Bohéuioud,  prince  d'An- 
tioche  ,    pour  l'engager   à  prendre 
sa  défense.  Celui-ci,  qui  n'osait  ou- 
vertement se  déclarer  contre  Rhou- 
pen  ,    s'offrit    pour    médiateur  :  il 
invita  le   prince  arménien  à  un  re- 
pas ,  et  le  retint  prisonnier.  A  cette 
nouvelle  ,    f^éon  ,    frère  de  Rhou- 
pen  ,  prit  les  armes  pour  le  venger  ; 
mais,  aiin  de  ne  pas  compromettre 
sa  sûreté  ,  il  n'attaqua  point  la  prin- 
cipauté d'Antiocbe  :  il  remit  le  siège 
devant  Lampron  ,  pour  contraindre 
Hethoum  à  interposer  ses  bons  ofli- 
ces    en    faveur  de    Rlioupen.    Son 
entreprise    réussit    :    Kethoum.    fut 
contraint    de    se    rendre;    et,    par 
sa  médiation,  Léon  obtint  la  déli- 
vrance de  son  frère,  qui  alors  donna 
sa  fille  Alix  en  mariage  à  Raimond, 
comte  de  Tripoli,  fils  aîné  de  Bolié- 
mond,  à  la  condition  que  les  enfants 
qui  en  naîtraient  posséderaient  la  prin- 
cipauté d'Antiocbe.  Ils  curent ,  bien- 
tôt  après,  un  fils,  qui  reçut  de  sou 
aïeul  maternel  ,  le  nom  de  Rlioupen 
ou  Rupin  (  F.  l'article  suivant).  Le 
prince  arménien  ,  de  retour  dans  ses 
états,  y  régna  en  paix,  jusqu'à  l'an 
1 1 85  :  il  remit  alors  le  gouverncinent 
à  son  frère  Léon;  puis  il  entra  dans 
le  monastère  de  Trazarg ,  où  il  prit 


RHO 


487 


l'habit  religieux  :  il  avait  occupe  le 
trône  pendant  onze  ans.  H  mourut 
peu  de  jours  après  ,   et  fut  enterre 
dans  le  même  monastère.  Il  n'avait 
eu  ,  de  sa  femme  Isabelle  ,  que  deux 
fill<s  :  Alix  ,  dont  nous  avons  parlé, 
et  Philippine,  qui  épousa  l'empereur 
grec  TlicoJore  Lascaris.  S.  M — n. 
RHOUPEN ,  nommé  Rupin  par 
les  historiens  européens  ,  était  fils  de 
Raymond  ,  comte  de  Tripoli ,  fils  aî- 
né de  Bohémond  III,  prince  d'An- 
tiocbe, et  d'Alix,  fille  de  Rhoupen 
II ,  prince  de  la  petite  Arménie.  Par 
le  droit  de  sa  naissance,  il  était  ap- 
pelé à  gouverner  Antioche;  mais  la 
mort  piématurc'c  de  son  père,  son 
nom   étranger  ,  et  les   intrigues   de 
son    oncle,    rempcchèrent  de  jouir 
paisiblement  de  l'héritage  paternel. 
11   était   encore   mineur  quand  sou 
père  mourut,  en  l'an  1200  :  celui- 
ci,  en  quittant  la  vie,  confia  la  tu- 
telle ,  et  le  gouvernement  du  comte' 
de  Tripoli,  a  son  frère  Bohémond, 
qui   en  usurpa   la  possession  ;  et  , 
en  l'an    1201,    apris    la   mort   de 
son  père  Boliémond  III,   il   y   joi- 
gnit la  principauté  d'Antiocbe,  au 
mépris  des  droits  de  son  pupille, 
que  Bohémond  III  avait  fait  recon- 
naître eu  l'an  1200,  comme  son  hé- 
ritier  présoniptif,  et  qui,  eu  cette 
qualité,  avait    reçu  l'hommage  des 
habitants  d'Antiocbe.  Le  jeuncRhou- 
pen  fut  ainsi  dépouillé  de  tous  ses 
biens.  Léon  ,  depuis  peu  déclaré  roi 
d'Arménie  par  l'empereur  Henri  VI, 
prit  la  défense  de  son  petit-neveu;  et 
le    II    novembre  de  l'an  i'2o3,   il 
s'empara  d'Antiocbe  ,    qu'il  ne  gar- 
da que  trois  jours.  Il  fut  plus  heu- 
reux deuxaîis  après  ;  et  Rhoupen  fut 
reconnu  prince  d'Antiocbe ,  par  le 
clergé  et  par  les  bourgeois  de  la  vil- 
le :  la  citailvllc  seule  resta  au  pou- 
voir de  Bohémond,  qui  fut  oblige 


488 


RHO 


de  se  contenter  du  comte'  de  Tripoli. 
Cependant,  l'an  1208,  il  parvint  à 
exciter  unescdition  contre  Rhoupen, 
qui  fut  contraint  de  se  réfugier  au- 
près de  Léon ,  et  de  laisser  sa  prin- 
cipauté à  son  oncle.  Le  deuxième 
exil  de  Rhoupen  fut  de  huit  années, 
En  1 2 1 6,  des  intelligences  pratiquées 
dans  Antioche,  lui  rendiient  cette 
ville  ;  et  Léon  le  couronna  solennel- 
lement. Tant  de  bienfaits  ne  furent 
payés  que  d'ingratitude  :  Rlionpeii  fut 
à  peine  en  possession  d'Antioche, 
qu'il  chercha  les  moyens  de  s'empa- 
rer de  la  personne  de  Léon  ,  pour 
envahir  ensuite  la  Cilicie  ,  et  la 
joindre  à  ses  états.  Le  roi  d'Armé- 
nie ,  averti  de  cette  trahison  par 
lesTempliers,  rentra  dans  son  roya;v 
me,  indigné  de  la  perfidie  de  son 
neveu,  qu'il  regardait  et  qu'il  trai- 
tait comme  son  héritier  présomp- 
tif; car  il  n'avait  qu'une  fille  unique. 
Depuis  lors,  il  cessa  de  le  soutenir  : 
aussi,  enl'an  1219,  Bohémond  étan^. 
parvenu  à  reprendre  Antioche , 
Rhoupen  chercha  encore  un  asile  en 
Arménie;  mais  Léon  ,  alors  au  lit  de 
mort,  ordonna  qu'on  le  chassât  de  sa 
présence.  Rhoupen  partit  pour  Da- 
ïniette  ,  assiégée  par  les  Croisés  ; 
et,  après  la  prise  de  la  ville,  il  obtint 
de  Pelage,  légat  du  pape  ,  un  secours 
de  troupes,  avec  lesquelles  il  se  diri- 
gea vers  l'Arménie  ,  pour  se  mettre 
possession  de  la  couronne.  Ce  pays 
était  au  pouvoir  d'Isabelle ,  fille 
de  Léon ,  que  les  grands  de  l'é- 
tat s'étaient  empressés  de  faire  décla- 
rer souveraine  ,  quoiqu'elle  Ji'eût  que 

seize  ans.  Adan,  sei"ncJir  des  côtes 

1    1    rf"i  •  •  • 

de  la  Cilicio  ,  fut  déclaré  régent  du 

royaume.  \\n  l'an  \:v>.o,  il  fut  assassi- 
né par  des  Ismaéliens  :  Rliuupcn  ])ro- 
fita  de  rot  événement  pour  rentrer 
en  Arménie,  Il  se  fit  accompagner 
par  sa  mère,  fille  du  prince  Khou- 


RHY 

penll,  comptant  que,  par  elle,  il  se 
concilierait  plus  facilement  l'afieo- 
tion  des  Arméniens.  Arrivé  à  Gori- 
gos,  il  y  fut  joint  par  le  baron  Bsh- 
ram  ,  qui  épousa  la  mère  de  Rhou- 
pen, etpar  plusieursautres  seigneurs 
Arméniens.  Avec  leur  secours,  il 
prit  les  villes  de  Tarse ,  et  d'Ada- 
na  ,  et  marcha  contre  Mamesdia 
(  Mopsueste  )  ,  où  il  fut  vaincu  par 
le  baron  Constantin  ,  prince  du  sang 
des  Rhoupénicns,  qui  avait  rempla- 
cé Adan  dans  la  régence.  Bientôt 
assiégé  dans  Tarse,  il  y  fut  pris  et 
mis  à  mort  avec  tous  ses  partisans. 
Rhoupen  ne  laissa  que  deux  filles, 
d'Helvis,  fille  d'Araauri,  roi  de  Cy- 
pre,  qu'il  avait  enlevée,  enl'an  1210, 
à  son  mari  Eudes  de  Dampierre. 
S.  M— N. 
RHUNKENIUS  (  David  ).  Foj. 

RUHNEREN. 

RHYNE  (  Guillaume  Ten  ),  mé- 
decin  et  naturaliste,  naquit  àDevcn- 
fer ,  vers  i64o  ,  et  fit  ses  études  à 
Leyde  ,  sous  le  célèbre  Dubois  de  le 
Boc  (  F.  ce  nom,  XII,  85  ).  Son 
amour  pour  les  sciences  ,  et  ses  ta- 
lents ,  l'avaient  fait  connaître  avanta- 
geusement ,  quand  il  fut  nommé  mé- 
decin de  la  compagnie  hollandaise 
des  Indes-Orientales.  Il  s'embarqua 
pour  sa  destination ,  dans  les  pre- 
miers mois  de  l'année  1673  ,  s'arrê- 
ta quelque  temps  au  cap  de  Bonne- 
Espérance  pour  observer  les  produc- 
tions du  pays  et  les  mœurs  des  Hot- 
tentots  ,  et  vint  enfin  à  l'île  de  Java. 
Bientôt  il  ouvrit  des  cours  d'aiialo- 
mie  et  de  médecine  à  Batavia  ;  cl 
ayant  su  inspirer  à  quelques  jeunes 
gens  son  goiit  pour  l'histoire  natu- 
relle ,  il  fit  avec  eux  ,  tant  dans  l'î- 
le de  Java  que  dans  les  autres  îles 
de  la  Sonde,  des  herborisations,  qui 
produisirent  d'abondanles  récoltes 
de  plantes  inconnues  en  F2urope,où 


RHY 

Tcn  Rhyue  les  envoya  (i).  Dans  un 
voyage  qu'il  fit  au  Japon,  il  traita 
l'cinporeur  d'une  maladie  grave  ,  et 
fut ,  dit-on,  honore'  par  ce  prince  du 
titre  de  son  médecin,  circonstance 
qui  est  ne'anmoins  contredite  par 
Kœmpfer.  A  son  retour  à  Batavia, 
en  1674  >  Van  Rheede  (  V.  ce  nom, 
pag.  458  ,  ci-dessus)  K'  prit  avec  lui 
pour  rédiger  son  fîortus  sUalabari- 
cus.  L'e'poque delà  moi  tdeTen  Rliy- 
ne  est  reste'e  ignore'e  des  biographes. 
On  voit ,  par  le  titre  de  son  dernier 
ouvrage, qu'il  était  membre  du  con- 
seil de  justice  de  la  compagnie  des 
Indes.  Les  ouvrages  que  l'on  con- 
naît de  lui,  sont  :  I.  Médit ationes  in 
magni  Hipjwcraiis  textum  xxir 
de  vsleri  inedicind  ^  Leyde,  167'-*, 
in- 12.  II.  Excerpta  ex  ohservatio- 
nihiis  japponicis  de  fiuctice  thee  , 
ciim  fascicido  rarionnn  planlarum 
in  promontorio  Bonœ  Spei  et  Sar- 
danlid  sinu  ,  anno  1678  collecta- 
rum  ,  atque  dsmùm  ex  Indid ,  an- 
no 1677  ,  '"  Europam  ad  Jacob. 
Brejninm  trammissarum ,  Danlzig, 
1678,  in-fo!.;  à  la  suite  du  Plan- 
taruni  exoiicannn  centuria prima. 
m.  Dissert atio  de  nrthritide ;  3Ian. 
tissa  scliematica  de  aciipunctiird. 
Orationes  très  :  declijmiœ  et  hotani- 
cœantiquitate  et  dii:,nitate;  de  phr- 
siognomid ;  et  de  nionstris.  Siii'j^ula 
ipsius  auctnris  notis  ilhistrata,  Lon; 
dres  ,  i683  ,  in-8'.  Sa  Dissertation 
sur  la  go'.tîfe  n'offre  rien  de  remar- 
quable ;  mais  l'auteur  l'a  fait  suivre 
de  ses  Observations  sur  le  traitement 
que  les  Chinois  et  les  Japonais  em- 


(i)  \\  les  fit  passer  ,  <"i(re  anlrcs ,  ri  Rrcyn  (  '".  oc 
nom,  V.  571  l;  ri  reliii-ci  le-  imljlia  <l;iiii  ses  Cen- 
turies: c'est  d'iil)ord  une  clescnptioji  du  camplirier, 
a-vec  des  det.iils  sur  l.i  rrc«dte  du  rampbie,  hccoui- 
pagne's  d'une  lî^nre;  ensuite  vieunenl  des  détails  pré- 
cieux sur  letlitier  ,  la  manière  d'apprêter  ses  feuilles, 
arcoinpagm  s  de  nièm  ?  d'une  houue  figure;  euUti  im 
Çataloj(ue  peu  étcudu  île  {liantes  cju'il  avait  recueil- 
lies au  oap  de  IJcuRe-Dstieimice.  U — p — s. 


RHY  48g 

ploient  pour  cette  maladie  ,  et  dont 
il  av.iit  e'té  à  même  de  vérifier  les 
heureux  effets  :  c'est,  ou  la  brûlure 
par  le  moxa,  ou  la  ponction  des 
parties  gonflées  ,  au  moyen  d'une 
aig'îille  d'or  et  queltpiefois  d'argent, 
dont  on  fait  de  légères  piqûres  sur 
toute  la  surface  tuméfiée.  Les  cinq 
figures  qui  accompagnent  cette  cu- 
rieuseDissertation,  ontéléreprodui- 
tes  parDnjardin,  dans  le  tome  i^'', 
de  son  Histoire  de  la  chirurgie.  IV. 
Schediasma  de  promontorio  Bonce 
Spei  et  de  Hotlentotis  ,  Schafousc  , 
1686,  in-i2  ,  de  76  pages.  Le  Cata- 
logue de  Falconct  en  cite  une  éJit. 
de  Baie  ,  1 7  i  o  ,  in-8  \  (  F.  le  Jonr,- 
nal  des  savants ,  174'  •.  pag-  345.  ) 
Cet  Opuscule  fut  publié  par  Henri 
Screta  ,  qui  l'augmenta  de  quelqiies 
notes  :  il  est  divi.>;é  en  '^7  chapitres  , 
précédés  du  voyage  de  l'auteur  au 
cap  de  Bonne- Espérance.  Chaque 
chapitre  traite  de  quelqu'un  des  ob- 
jets les  plus  dignes  de  l'attentiond'un 
naturaliste  et  d'un  observateur.  La 
situation  du  cap;  la  zoologie  et  la 
botanique;  la  conformation  desHot- 
tentets  ,  leurs  mœurs  et  leurs  usages, 
leur  religion  ,  leur  gouverncmcmt  , 
leur  industrie,  leur  médecine  et  leur 
langue,  y  sont  décrits  séparément, 
mais  d'une  manière  superfi^^iclle  et 
incomplète.  L'ouvrage  de  Ten  Rhy- 
ne  a  été  iraduit  en  anglais  ,  et  inséré 
dans  quelqu'une  de  leurs  grandes  Col- 
lections Ac  Voyages;  mais  il  est  de- 
venu inutile  depuis  que  Kolbe,  Spar- 
niann,  Barrow,  etc.,  ont  donné  sur 
le  cap  de  Bonne  i^spérance  des  rela- 
tions bien  plus  détadiées.      W — s, 

RHYZLI.IUS  (Andkk),  évêque 
de  Lindkœping,  en  Suède,  né,  en 
1677,  dans  un  village  de  Vestrogo- 
thie,  professa  la  théologie  <à  l'uni- 
versité d'Abo,  et  devint  aumônier  de 
Charles  XII,  archidiacre  deLiudkoj- 


490  RHY 

ping ,  et  ëvt'.]iie  de  la  même  ville. 
La  société  royale  des  sciences  d'Uji- 
sal  le  compta  parmi  ses  membres. 
Il  mourut  vers  1755.  Rhyzelius 
avait  étudie  avec  beaucoup  de  soin 
les  langues  anciennes  et  les  ami- 
quite's  de  son  pays.  On  a  de  lui  plu- 
sieurs ouvrages,  dont  nous  indique- 
rons les  principaux  :  I.  De  sepultu- 
rd  vête  mm  Sueo-Gothorum,  in-S". 
(  Voyez-en  l'extrait,  dans  le  Journal 
des  savants  de  1709,  p.  53.)  II. 
Brontologia  theologîco  -  historica  , 
en  suédois,  Stockholm,  17^1,  iii-4<*. 
III.  Sueo-Gothia  munita ,  ou  Notice 
liistorique  des  forts  ,  forteresses  et 
cLâteanx  de  la  Suède  ,  eu  suédois  , 
Stockholm,  i744,in-8°.IV.M/7ifl5- 
tcriologia  siieo-gothica,  ou  Descrip- 
tion des  anciens  couvents  de  Suède, 
en  suédois, Lindkoping,  1740,  in-S"*. 

V.  Mnemonica  hisloriœ  Sueo-gothi- 
cœ  epitome  ,  ibidem  ,  1735  -  I75"i. 

VI.  Episcopin Sueo-gothica,  ou  Chro- 
nique des  évéques  de  Suède,  en  sué- 
dois, ibid. ,  1752,  in-40.  VII.  Crtr- 
mina  varia  grœcolatina  ,  publiés 
à  différentes  époques,  à  Stockholm 
et  à  Lindkœping.  VllI.  Un  grand 
nombre  d'Oraisons  funèbres ,  indi- 
quées dans  la  Ëibliolhèque  homilé- 
tique  de  Stricker,  pag.  iio  et  sui- 
vantes. C— u. 

RIARÏO  (  Jkrome  ) ,  neveu  du  pa- 
pe Sixte  IV,  seigneur  de  Forli  et  d'I- 
mola  ,  de  1473  à  148S,  était  natif 
de  Savone.  A  peine  Sixte  IV  fut  -  il 
monté  sur  le  trône  pontifical,  qu'il 
s'occupa  de  la  grandeur  de  ses  deux 
neveux.  Il  destina  l'aîné  ,  nommé 
Pierre,  à  la  carrière  religieuse  ,  et  le 
cadet,  Jérôme  ,  à  l'étal  militaire.  Le 
premier  fut  nommé  successivement 
cardinal  de  Saint-Sixte,  patriarche 
de  Constantinoplc  ,  archevêque  de 
Florence,  et  légat  du  Saint- Siège 
dans  toute  Tltalic.  Il  étalait,  dans 


RI  A 

ses  voyages ,  une  magnificence  fas- 
tueuse ,  et  donna,  en  i473,  deux 
fe:^tins  dont  le  luxe  surpassait  tout 
ce  que  l'on  avait  jamais  vu  en  ce 
génie.  La  même  année  ,  il  acheta 
la  ville  et  la  principauté  d'Imola, 
de  Taddéo  Manfredi,  pour  le  prix 
de  quarante  mille  ducats  ;  et  il  en 
investit  Jérôme  Riario,  son  frère. 
Peu  de  temps  après  son  retour  de 
ses  voyages,  il  mourut  à  Rome,  le 
5  janvier  i474-  Jérôme  Riario,  de- 
venu seigneur  d'iraola  ,  s'était  pro- 
posé d'envahir  les  petits  états  voi- 
sins ,  en  profitant  tour  -  à  -  tour 
du  crédit  du  pape  son  oncle,  de  son 
habileté  dans  les  intrigues,  et  de 
l'obéissance  des  soldats  de  l'Égli- 
se ,  qu'il  commandait.  Mais  il  trou- 
va un  obstacle  à  ses  desseins  ambi- 
tieux, dans  l'habileté  de  Laurent  de 
Médicis  ,  chef  de  la  république  flo- 
rentine,  qui  ne  voulut  point  lui  per- 
mettre d'ojtprimer  ou  de  dépouil- 
ler les  feudaiaires  de  l'Église.  Ria- 
rio, pour  s'en  venger,  entra  dans 
la  conjuration  des  Pazzi ,  en  1478; 
et,  comme  Laurent  Médicis  ne  tomba 
point  sous  le  poignard  des  conjurés, 
Hiario  fut  chargé  ,  par  son  oncle  ,  de 
lui  faire  la  guerre.  Il  profita  des  trou- 
pes qu'il  avait  rassemblées  pour  sur- 
prendre, en  i4î^o,  la  ville  de  Forli, 
souveraineté  de  la  maison  Ordelafîi, 
qui  l'avait  conservée  pendant  cent 
cinquante  ans.  Quoiqu'il  n'eût  au- 
cun droit  à  cette  principauté ,  il 
n'eut  pas  de  peine  à  en  obtenir  l'in- 
vestiture du  pape,  son  oncle.  Cette 
conquête  ne  satisfaisait  point  en- 
core l'ambition  de  Jérôme  Riario. 
Dans  l'espoir  de  se  rendre  maître 
du  duché  de  Ferrare  ,  il  engagea  Six- 
te IV  ,  en  i48'2  ,  dans  une  ligue  avec 
les  Vénitiens  ,  contre  le  duc  Hercule 
I'^''.  d'FlsIe.  A  la  tête  de  l'armce  pon- 
tificale, il  livra  bataille,  le  21  août 


RIA 

i48'2,  au  duc  de  Calabrc,  qui  s'a- 
vançait au  secours  du  duc  de  Fer- 
rare  ;  et  il  le  dcTit  couiplèlement  à 
Campo IVIorto,  près  de  VelleUi.  Bien- 
tôt après  ,  il  changea  de  système , 
croyant  avoir  de  glus  grands  avan- 
tages à  espe'rcr  de  la  ligue  opposée 
à  celle  qu'il  avait  formée.  Le  r2  dé- 
cembre i48-î  ,  il  fit  faire  la  paix  en- 
tre le  pape  et  le  duc  de  Ferrare;  et, 
le  25  mai  suivant,  le  pape  excom- 
munia les  Vénitiens,  pour  les  forcer 
à  poser  les  aimes.  Jérôme  Riario  , 
n'ayant  point  eu  en  Romagne  les  suc- 
cès auxquels  il  s'attendait,  tourna  ses 
forces  contre  les  barons  de  Rome. 
Tandis  que  L.  Colonne ,  protonotaire 
apostolique,  arrête  par  ordre  du  pa- 
pe ,  en  1484  5  sut  la  tête  tranchée  , 
Jérôme  Riario ,  de  concert  avec  les 
Orsiui ,  s'empara  de  Mariuo  ,  de  la 
Cava  et  d'auties  forteresses  possé- 
dées par  les  Culoiinc,':.  Mais ,  pendant 
qu'il  poursuivait  ses  conquêtes.  Six- 
te IV  mourut.  Tous  les  fiefs  en- 
levés aux  Colonnes  se  révoltèrent,  à 
cette  nouvelle ,  contre  Jérôme  Ria- 
rio ;  et  celui  -  ci  se  vit  en  butte  aux 
attaques  ,  comme  <à  l'exécration  des 
Romains.  Après  la  mort  de  son  on- 
cle ,  Jérôme  Riario  vint  s'établir  à 
Forli  ;  et  il  s'occupa  d'orner  cette 
ville ,  ainsi  qu'Imola  ,  de  magnifiques 
édifices.  Cependant  il  y  comptait  de 
nombreux  ennemis;  et,  une  con- 
juration s'étant  formée  ,  il  fut  assas- 
siné le  i5  avril  i488.  Il  laissait  v.ii 
fils,  nommé  Octavien,  à  qui  la  valeur 
de  sa  mère,  Catherine  Sforce  ,  fille 
de  Galeas-Marie,  duc  de  Milan,  sau- 
va sa  principauté.  Son  neveu,  Raphaël 
Galeutto,  connu  sous  le  nom  de  car- 
dinal Riario,  succéda  au  chapeau  du 
cardinal  Pierre,  en  décembre  i477? 
chercha  (pendant  le  pontificat  d'A- 
lexandre VI  )  un  asile  en  France  (où  il 
avait  rëvêchc  dcTrcguicr  ),  rctour- 


RIB  491 

na  en  Italie  ,  fut  impliqué  dans  la 
coujuralion  du  cardinal  Petrucci 
sous  Léon  X,  qui  lui  pardonna,  et 
mourut  à  Naples,  le  -j  juillet  i52i. 
On  prétend  qu'il  rétablit  le  premier  à 
Rome  le  luxe  des  représentations 
théâtrales.  {V.  Fantuzzi,  Scrittori 
Bolo<i,nesi.  )  S.  S — i. 

RIRADENEIRA  (  Pierre  ) ,  cé- 
lèbre jésuite,  né  à  Tolède,  le  i*^''. 
nov.  i5'27  ,  fut  envoyé  fort  jeune  à 
Rome ,  pour  y  cuntiuiier  ses  élu- 
des. Admis  par  S.  Ignace  au  nombre 
de  ses  disciples  avant  même  que 
leur  institut  eût  reçu  l'approbation 
du  Saint  Siège  ,  il  vint,  en  lo^n.  ,  à 
Paris ,  suivre  les  leçons  des  plus  célè- 
bres professeurs  de  philosophie  et 
de  théologie.  Il  se  rendit  ,  trois 
ans  après  ,  à  Padoue  ,  où  il  ache- 
va ses  cours  ,  et  fut  ensuite  char- 
gé de  professer  la  rhétorique  au 
collège  de  Palerme.  Son  zèle  pour 
l'institut  naissant  ,  ses  talents  et 
sa  piélé,  le  firent  chérir  de  saint 
Ignace ,  et  des  PP.  Lainez  et  Bor- 
gia ,  qui  succédèrent  au  vénéra- 
ble fondateur  ,  dans  le  gouverne- 
ment de  la  compagnie  :  il  con- 
tribua beaucoup  à  son  établisse- 
ment dans  les  Pays-Bas  ,  en  Flan- 
dre et  en  Espagne  ;  et  il  remplit 
différents  emplois  tant  en  Sicile  que 
dans  la  Toscane  et  la  Haute-  Italie. 
L'affaiblissement  de  sa  santé  lui  fit 
demander  la  permission  de  retour- 
ner à  Tolède;  et  ,  s'étant  rétabli,  il 
se  rendit  h  Madrid,  pour  recueil- 
lir les  matériaux  d'un  ouvrage  qui 
devait  faire  connaître  les  servi- 
ces des  Jésuites  en  Espagne  et  dans 
les  Indes.  Il  était  occupé  de  ce 
travail,  quand  il  mourut,  le  i^'". 
octobre  1611  ,  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-quatre  ans.  Le  P.  JMariaua ,  sou 
confrère  et  son  ami  le  plus  intime  , 
a  consacre  le  souwiiir  de  ses  vertus, 


492  RIB 

par  une  ëpilaphcinseree  dans  la  Bibl. 
soc.  Jesu  ,  p.  694.  C'était  un  hom- 
me d'un  zèle  infatigable,  naais  d'une 
crédulité'  quelquefois  puéiilc.  Outre 
divers  ouvrages  ascétiques  et  des 
J'/'«'5?z/cf/ci«j.  espagnoles  de  plusieurs 
Opuscules  d'All)ert-le-Graiid  et  de 
saint  Aîjgusiin  ,  on  a  du  P.  Ribade- 
neira  :  I.  Les  Fies  de  saint  Ignace, 
du  P.  Laiiiez,  d'Aljih.Sahneron, 
et  de  saint  François  Borgia  ;  ces 
Vies ,  imprimées  .séparément,  ont  été 
réunies  dans  l'édition  de  Madrid  , 
i59^,in-fol.  Ribadeneira  traduisit 
la  Vie  de  saint  Ignace  en  latin  (i): 
elle  a  été  vivement  critiquée  par  les 
protestants  ,  entre  antres  par  Simon 
Sfenius,  qui  la  fit  réimprimer,  en 
1398 ,  in-S".  ,  avec  des  Notes  très- 
piquantes  ;  le  raalin  éditeur  s'était 
caché  sous  le  nom  de  Christianus 
Sinio  Lithus  :  il  fut  réfuté  par  le  P. 
Gretser,  auquel  il  répondit;  et  celte 
querelle  produisit  ,  de  part  et  d'au- 
tres ,  divers  écrits,  m.iintenant  ou- 
Lliés.  Les  Fies  des  PP.  Lainez  et 
Borgia  ,  tra.'luites  en  latin  par  André 
Schott,  l'ont  été  depuis  en  français 
par  Michel  d'Esne,  seigneur  de  Bet- 
tancourt.  IL  Une  Histoire  du  schis- 
me d'.Jngleterre  ,  Valence  ,  i588  , 
in-8''.  Elle  a  été  traduite  en  latin  ;  on 
y  trouve  jdusieurs  pirticulirités  que 
Nie.  Saunders  (ou  Sanderus)  n'avait 
pas  connues  ou  qu'il  avait  négligé  de 
recueillir.  III.  Le  Pnnce  chrétien  , 
Anvers,  1,^97  ,  in-8".  ;  c'est  une  ré- 
futation du  Prince  de  Machiavel  :  il 
a  été  traduit  en  latin  ,  Anvers,  iGo/j, 
et  en  français  par Balinghcm, Douai, 
lOio,  in-H".  Cet  ouviage  contient 
bien  des  propositions  hasardées. 
L'Etoile  en  a  rapporté  (juciques-unes 
dans  le  Journal  de  Henri  IF,  tome 


(I)  i.'..iii...„  i;,ii,.,,  j'A,,,,.,,,  ,{;,„.  i„.r„i.,  est 

or„, ,;  ,1,.  I,,  ,.|,e|lt.,  ,.M«..i,us  «jul  la  font  rtc  Iii-rchcr 
uvs  aiuiiteurii. 


RIB 

IV  ,  i38  et  suiv.  IV.  La  Fleur  des 

Fies  des  saints,  Madrid,  i5gg- 
iGio  ,  2  vol.  in  -fol.  ;  réimprimée 
plusieurs  fois  à  Madrid  ,  et  à  Barce- 
lone ,  et  traduite  cinq  ou  six  fois  en 
français.  C'est  une  compilation  des 
récits  des  anciens  légendaires  ,  dans 
le  goût  de  celle  qu'avait  publiée  Jac- 
ques de  Voragine  (  Foj .  ce  nom  ): 
quoique  élégamment  écrite  dans  sa 
langue  originale,  elle  est  tombée  tout- 
à-fait  dans  l'oubli,  même  en  Espa- 
gne ,  depuis  les  utiles  travaux  des 
Bollandistcs  (  Fojez  Boi.hÂTSDVs). 
C^^st  après  avoir  lu  les  fables  rap- 
portées dans  cette  légende  parRibade- 
neira,  qu'Abel  Servien  ne  le  nommait 
plus  que  le  P.  de  Badinerria.  V.  Un 
Traité  de  l'institut  de  la  société  de 
Jésus,  IMadrid  ,  i6o5,in-4°. ,  en 
espagnol  :  c'est  une  apologie  de  l'or- 
dre. VI.  Catalogus  scriptorum  so- 
cietatis  Jesu  ,  Anvers  ,  1  (3o8 ,  in-S^. 
Ce  volume  contient  la  liste  des  écri- 
vains de  la  société,  par  ordre  al- 
phabétique de  leurs  noms  de  baptê- 
me, avec  les  titres  de  leurs  ouvrages 
imprimés  ou  manuscrits  ;  deux  ta- 
bles fort  commodes  ,  l'une  des  noms 
propres  ,  et  l'autre  des  matières  ;  la 
liste  des  provinces  de  la  société,  avec 
les  collèges  et  les  maisons  qui  en  dé- 
pendent ;  et  enfin  la  Notice  des  jésui- 
tes morts  pour  la  foi.  Il  fut  réimpri- 
mé à  Lyon  ,  en  1G09,  augmenté  des 
articles  des  jésuites  français  que  Ri- 
badeneira n'avait  pas  connus;  et  en- 
suite à  Anvers  ,  en  i6i3,  par  les 
soins  du  P.  Schott ,  avec  de  nouvel- 
les additions.  Les  PP.  Alegambe  et 
Southwell  ont  refondu  le  travail  du 
P.  Ribadeneira,  avec  d'importantes 
additions  ,  jusqu'en  iG43  ,  et  le  se- 
cond, jusqu'en  1G76  (  Foy.  Ale- 
GAMlili  et '-ournAVELL  ).      W — s. 

RIBALLIER  (  Amdroise  ).  syn- 
dic de  la  factdté  de  théologie  de  Pa- 


RIB 

ris,  ne  dans  cette  ■ville,  en  17 12, 
fut  fait  docteur  de  Sorbonne ,  et 
procureur, puis giand-maître  du  col- 
lège Mazarin.  La  faculté' de  tlie'oloc;ie 
de  Paris  avait  élc  en  proie  à  quelques 
troubles  qui  avaient  engagé  le  gouver- 
nement à  suspendre  l'élection  d'un 
syndic  ,  et  à  désigner  lui-même  pro- 
visoirement un  docteur  pour  remplir 
cette  place.  Gervaise  ,  qui  en  faisait 
les  fonctions  ,  élant  inurt  en  1765, 
le  roi  nomma  l'abbé  Riballier  pour 
le  remplacer.  La  faculté  réclama  ; 
mais  Riballier  resta  jusqu'à  sa  mort 
syndic  provisoire.  On  l'avait  jugé 
propre,  par  sa  douceur  et  son  esprit 
conciliant  ,  à  diriger  la  faculté  avec 
prudence.  Placé  dans  des  circons- 
tances diillciles  ,  il  eut  à  combat- 
tre à  -  la  -  fois  les  pliiioso plies  et  les 
jansénistes  ;  et  les  uns  et  les  autres 
l'ont  fort  ma!  traité.  Ayant  été  obli- 
gé de  se  prononcer  contre  le  livre 
de  Bélisaire  ,  on  sait  à  quel  ])oint 
Marmontel  ,  Voltaire  ,  et  tous  leurs 
amis  ,  se  vengcient  par  des  plaisan- 
teries ,  tantôt  sur  toute  la  Sorbonne, 
tantôt  sur  le  syndic.  Riballier  publia 
une  Lettre  d'un  docteur  à  lai  de  ses 
amis ,  au  sujet  de  Bélisaire,  1768, 
in-i'2.  Il  eut  aussi  part  aux  autres 
censures  portées  de  son  temps  contre 
les  livres  philosophiques.  Chargé, 
en  1768  ,  d'approuver,  comme  cen- 
seur royal  ,  nnc  collection  de  thèses 
soutenues  en  pays  étrangers,  et  qui 
favorisaient  les  opinions  nouvelles, 
il  y  joignit  des  notes  où  il  s'efforçait 
de  corriger  des  expressions  dures, 
et  des  principes  outi  es  de  ces  thèses. 
Il  paraît  que  l'abbé  Legraiid  l'aida 
dans  ce  travail  (  P\y.  Legrand 
(Louis) ,  XX III,  57G);  et  ils  répon- 
dirent, par  des  lettresimprimées,  aux 
critiques  que  l'on  fit  de  leurs  notes  : 
ils  s'attachaient  surtout  à  montrer 
combien  le  système  des  Augusliniens 


RIB  4g3 

c'tait  différent  de  celui  des  appelants. 
Une  autre  dispute  dans  laquelle  Ri- 
ballier se  trouva  engage  ,  vint  à  l'oc- 
casion d'un  procès  entre  le  chapitre 
et  le  curé  de  Cahors.  Le  chaj)itre 
dans  un  Mémoire,  avait  traité  de 
chimérique  la  prétention  qu'avaient 
les  curés  d'être  de  droit  divin,  et 
de  succéder  aux  soixante  -  douze 
disciples.  Les  curés  répondirent 
par  nn  écrit  ,  et  consultèrent  la 
Sorbonne  ,  où  deux  docteurs,  Xau- 
pi  et  BUIetle ,  donnèrent  une  dé- 
cision en  leur  faveur.  D'un  autre 
côté  ,  Riballier  et  Legrand  ,  dans 
leur  consultation  ,  du  14  avril 
I77'2  ,  tout  en  reconnaissant  que  les 
curés  sont  de  droit  divin,  furent 
d'avis  que  ceux  de  Cahors  avaient 
montré  des  prétentions  exagérées. 
L'évêque  de  Cahors  se  plaignit  de  la 
première  décision;  et  Riballier  ,  en 
rendant  compte  de  ces  plaintes  à  la 
faculté,  provoqua  l'examen  du  Mé- 
moire de  Xaupi  et  Rillctte,  qui  fut 
censuré.  Le  parti  jausénisîese  décla- 
ra vivement  pour  ces  deux  docteurs , 
et  accusa  Riballier  d'avoir  mis  de  la 
partialité  et  de  la  précipitation  dans 
cette  affaire.  Mey  et  Piales  donnè- 
rent des  consuliations  en  faveur  de 
Xnupi ,  qui  adhéra  cependant  a  la 
censure.  Riballier  fut  un  des  quatre 
théologiens  que  s'adjoignit  la  com- 
mission d'évêques  et  de  magistrats 
créée,  en  1766,  pour  l'examen  des 
ordres  réguliers;  et  il  pidalia  sur  ces 
matières  uj  e  Lettre  à  l'auteur  du 
Cas  de  conscience  sur  la  réforme 
des  réguliers,  ^768,  in- 12;  et  un 
Essai  historique  et  critique  sur  les 
privilèges  et  exemptions  des  régu- 
liers ,  1769.  Ce  docteur  était  un 
homme  estimable  par  ses  principes 
et  ses  talents;  il  usa  avec  modé- 
ration de  l'influence  que  lui  don- 
nait sa  place.  11  jouissait,  depuis 


494  RlB 

1768,  de  l'abbaye  de  Chambon  ,  au 
diocèse  de  Poitiers,  et  mourut  au 
mois  d'août  1785,  La  faculté  eut 
enfin  après  lui  la  liberté'  de  se  choi- 
sir elle-uiêrae  un  syndic;  et  les  doc- 
teurs nommèrent  l'abbé  Be'rardier, 
docteur  de  Navarre,  et  principal  du 
colle'ge  Louis-le- Grand.  —  Un  frè- 
re dcRiballier,  employé  dans  les 
fermes  à  Soissons,  a  composé  (piel- 
ques  ouvrages  cités  dans  le  Diction- 
naire des  anonjmes.       P — c — t. 

RIBALTA  (Francisco),  pein- 
tre espagnol  ,  né  à  Castellon  de  la 
Plana,  en  i55i  ,  vint  très-jeune  à 
Valence,  pour  se  livrer  à  l'étude  de 
la  peinture.  Devenu  amoureux  de  la 
fdiede  son  maître,  il  la  demanda  en 
mariage  :  mais  le  père  la  refusa,  sous 
prétexte  que  ce  jeune  homme  n'était 
point  assez  habile  dans  son  art. 
Ce  refus  détermina  Ribalta  à  se  ren. 
dre  en  Italie,  après  avoir  reçu  de 
sa  maîtresse  l'assurance  qu'elle  at- 
tendrait son  retour.  Pendant  son  sé- 
jour à  Rome,  Ribalta  fit  une  étude 
aprofoudiedes  ouvrages  de  Raphaël, 
des  Ca rraches ,  mais  "iurtout  de  Sébas- 
tien del  Piorabo,  dont  il  copia  plu- 
sieurs fois  les  productions.  Après 
s'être  ainsi  perfectionné  dans  les  par- 
ties essentielles  de  son  art,  il  se  hâte 
de  revenir  dans  sa  patrie  ;  se  pré- 
sente chez  son  ancien  maître  ,  qui 
c'tait  absent;  entre  dans  l'atelier,  et 
aperçoit  sur  le  chevalet  un  tableau 
récemment  esquissé  ;  il  prend  les 
pinceaux  ,  et  termine  le  tableau. 
Le  maître  rentre  :  il  demeure  frappé 
d'étonneincnt  a  ras|)ect  de  cet  ouvra- 
ge ,  et  dit  à  sa  fille  :  «  C'est  à  un  ar- 
»  liste  semblable  que  je  te  marierais 
»  volontiers  ,  et  non  à  ce  misérable 
»  Ribalta.  —  Eh  bien,  mon  |)ère, 
»  c'est  Ribalta  lui-même,  lui  ré- 
»  pond  sa  (îlle.  »  Cette  aventure  se  di- 
vulgua bientôt  j  cl  le  mariagcfut  con- 


RIB 

clu.  Ribalta  ne  tarda  pas  à  se  faire 
une  grande  réputation  dans  Valence 
et  dans  tout  le  royaume.  Il  exécuta . 
pour  Tarchevêque  don  Juan  de  Ri- 
bera,  une  Cène,  que  ce  prélat  desti- 
nait pour  le  maître-autel  du  collège 
de  Corpus  Christi.  Vincent  Cardu- 
cho,  sur  la  réputation  de  ce  tableau, 
vint  exprès  à  Valence  ,  et  fut  tel- 
lement dans  l'admiration,  qu'il  en 
fit  une  copie  pour  un  couvent  de  re- 
ligieuses de  Madrid;  mais,  malgré 
tout  son  talent,  il  ne  put  atteindre  à 
la  perfection  de  l'original.  La  plu- 
part des  églises  de  Valence  furent 
ornées  des  tableaux  de  Ribalta  ,  qui 
en  enrichit  également  sa  ville  l'atale. 
Tolède,  Ségorhe,  Saint-Ilnéfonse  , 
Madrid  et  quantité  d'autres  vil  les  vou- 
lurent avoir  de  ses  productions.  Les 
qualités  qui  distinguent  cet  artiste 
sont  un  bon  goût  de  dessin  ,  un  air 
de  noblesse  et  de  grandiose  peu  or- 
dinaire chez  les  artistes  de  sa  nation, 
et  qu'il  avait  puisé  en  Italie.  La  com- 
position est  une  des  parties  les  plus 
remarquables  de  son  talent;  et,  ce  qui 
est  également  rare  parmi  ses  compa- 
triotes, il  était  grand  anatomiste.  Sa 
couleur,  qui  offre  quelquefois  delà 
dureté,  est  en  général  bien  empâtée 
et  naturelle.  Le  Musée  du  Louvre  a 
possédé  deux  ouvrages  de  ce  maître, 
représentant  l'un  Saint  Pierre  ,  et 
l'autre  son  fameux  tableau  de  la  Cè- 
ne. Ils  ont  été  rendus,  en  18 15,  à 
S.  M.  C.  Ribalta  mourut  à  Madrid, 
le  ivi  janvier  \(y.iS.  —  Juan  de  Ri- 
Bj\lta  ,  fils  et  élève  du  précédent, 
né  à  Valence  ,  en  1 597  ,  manifes- 
ta, au  sortir  de  l'adolescence  ,  les 
dispositions  les  plus  rares.  A  l'âge 
de  dix-  huit  ans,  il  exécuta  le  nia- 
gnifique  Cah'uire  de  San- Miguel 
de  los  Rejes ,  (pii ,  depuis,  a  clé  trans- 
porté à  Valence.  Cette  j)roduclion 
est  remarquable  sous  tous  les  rap- 


RIB 

porls;  ctTon  ne  pourrait  croire  qu'un 
ouvrage  aussi  parfait  fût  sorti  de  la 
main  d'un  si  jeune  artiste,  si  l'ins- 
cription qu'il  y  a  mise  ne  faisait 
connaître  d'une  manière  incontesta- 
ble l'époque  à  laquelle  il  a  été  peint. 
Il  n'a  voulu  éluder  aucune  des  diffi- 
cultés ,  pour  avoir  le  mérite  de 
les  vaincre  toutes.  Don  Jacques  de 
Vich  ,  amateur  éclairé  ,  lui  com- 
manda une  suite  de  portraits  des 
hommes  céKbres  nés  à  Valence.  L'ar- 
tiste ne  put  en  exécuter  que  trente  un, 
que  Jacques  de  Vieil  légua  au  mo- 
nastère de  Saint-Jérôme,  avec  les 
figures  de  Saint  Pierre ,  de  Saint 
Jacques  ,  du  Bon  Larron,  de  Saint 
u^uguitin,  de  Saint  Sébastien,  de 
Saint  Isidore ,  et  deux  autres  ta- 
bleaux représentant ,  le  piemier  un 
Plat  de  Poissons;  le  second  des 
Mendiants  qui  jouerit  aux  cartes , 
tous  peints  par  Kibalta.  Il  y  joignit 
en  outre  une  Sainte  Cécile , -pemlc 
par  les  deux  Ribalta,  père  et  fils.  Oq 
a  souvent  confondu  les  productions 
de  ces  deux  artistes  ,  qui  peignaient 
avec  un  égal  talent.  Cependant  on  re- 
marque, dans  celles  du  fils,  une  tou- 
che plus  légère  et  une  couleur  plus 
suave.  Il  serait  devenu  un  des  plus 
grands  artistes  de  l'Espagne,  s'il  n'é- 
tait mort  ayant  à  peine  atteint  sa 
trentième  année.  Il  faisait  aussi  très- 
bien  les  vers.  P-s. 

RIBASYCARASQUTLLAS(Jean 
DE  )  ,  dominicain,  né  à  Gordoue,  en 
1612,  se  fit  une  grande  réputation 
comme  prédicateur  ,  et  enseigna 
long-temps  ,  avec  succès  ,  la  philo- 
sophie et  la  théologie  au  couvent 
de  Saint-Paid  ,  à  Gordoue.  Il  fut 
nommé  directeur  des  études  daus 
toute  l'Andalousie,  et  mourut  dans 
sa  ville  natale,  le  4  novembre  1O87, 
regretté  de  ses  confrères,  qui  pu- 
blièrent un  Recueil ,   in  -  4"-  ,    de 


RIB 


495 


vers  et  de  discours  à  sa  louange. 
Outre  quelques  Sermons  et  des  Opus- 
cules ascétiques  ,  sans  intérêt ,  dont 
on  trouvera  les  titres  daus  la  Bibl. 
ord.  Prœdicat.  des  PP.  Quetif  et 
Échard  ,  I!  ,  712,  on  lui  attribue: 
I.  Teatro  jesuitico,apologetico  dis- 
curso  ,  con  saludahlesj  seguras  do- 
trinas  necesarias  à  los  principes  y 
seîiores  de  la  tierra  ,  Coîmbre  , 
1654,  in-4''.  ,  de  1 76  p  .  :  trad.  en 
hollandais,  Amsterdam,  i683,in-8^. 
Get  ouvrage  parut  sous  le  nom  du 
Dottor  Francescon  de  la  Piedad. 
G'est  la  satire  la  plus  virulente  que 
l'on  connaisse  contre  les  jésuites,  aux- 
quels l'auteur  reproche  les  vices  et  les 
désordres  les  plus  honteux.  (  Vov. 
le  Dictionnaire  des  livres  condam- 
nés,  par  M.  Peignot,  11 ,  \S/\.  )  Elle 
fut  brûlée  par  ordre  de  l'inquisition, 
et  supprimée  avec  le  plus  grand 
soin.  Vogt  n'en  connaissait  qu'unseul 
exemplaire,  celui  de  la  bibliothè- 
que du  Roi ,  le  même  qu'avait  eu  Le- 
tellier  ,  archevêque  de  Reims  (  Voy. 
Vo^t^Catal.  libror.  rariorum,  pag. 
364  ^;  mais  ,  depuis,  on  en  a  vu  pas- 
ser quelques  autres  dans  les  ventes  , 
à  Paris  ,  où  ils  ont  été  portés  à  des 
prix  très  considérables  (  F.  Brunet, 
Manuel  du  libraire,  au  mot  Pie» 
dad  ).  Cet  ouvrage ,  oublié  mainte- 
nant, fit  beaucoup  des  bruit  dans  le 
temps  desquerellesdes  jansénistes  et 
des  raolinistes  :  il  fut  attribué,  parle 
P.  Th.  Raynaud,  à  Ildefonse  de  saint 
Thomas  ,  dominicain  et  évêque  de 
IMalaga  ;  mais  ce  prélat  l'a  désavoue' 
dans  un  ouvrage  intitulé  ,  Qnerimo~ 
nia  catholica  ,  INIadrid  ,  1686  ,  in- 
12,  (  qu'il  est  bon,  dit  M.  Brunet, 
de  réunir  au  Teatro)  et,  persuadé 
que  cette  production  ne  pouvait 
être  sortie  que  de  la  plume  d'un 
prolestant,  il  enachargé  Jurieu.  Les 
soupçons  s'étaient  portés  aussi  sur 


49^ 


RIB 


le  P.  Riloas  ;  et,  maigre  son  constant 
désaveu  ,  l'aljbé  Goiijct  persiste  à  le 
regarder  comme  le  véritable  auteur 
de  celte  satire  ,  et  a  rassemble' ,  dans 
une  courte  Notice  sur  ce  religieux  , 
tous  les  motifs  qui  peuvent  faire  pre'- 
valoir  son  sentiment  (  Voy.  l'art. 
Bibas ,  dans  le  Dict.  de  IMorcri,  éd. 
de  1709  ).  II.  Suelclo  al  César  j  a 
Dios  su  gloria,  i()63,  in-foi.  ;  spus 
le  nom  de  D.  Joseph  de  Zais  ,  cha- 
pelain. Dans  cet  ouvrage,  le  P.  Ri- 
bas  prouve  que  c'est  à  tort  qu'on  a 
voulu  ravira  saint  Thomas  d'Aquin, 
la  Chaiue  d'or  (  Catena  aurea  )  , 
pour  eu  faire  honneur  au  P.  ijalo- 
mon  Carbonnet ,  franciscsin.  III. 
Barragan  Botero  ;  c'est  encore  un 
ouvrage  contre  les  je'suites ,  moins 
violent  et  moins  connu  que  le  Tea- 
tro.  Philippe  IV,  selon  Goujet,  le 
trouvait  si  plaisant ,  qu'il  se  le  fai- 
sait lire  après  dîner  ,  par  forme  de 
récréation.  W — s. 

RIBAULT  (Jean  de),  navigateur, 
né  à  Dieppe,  servit  des  son  jeune 
âge  ,  dans  la  marine  ,  et  y  ac-- 
quit  beaucoup  d'expérience.  L'a- 
miral Coligui  ayant  fait  goûter  à 
Charles  IX  le  projet  de  fonder  une 
colonie  dans  la  Floride,  où  aucune 
2)uissance  européenne  n'en  avait  à 
cette  époque,  chargea  de  l'exécution 
de  ce  plan  Ribault ,  zélé  calviniste  ; 
car  il  desirait  quo  l'élahiisseraent  pût 
servir  d'asile  aux  protestants.  Ribault 
partitdcDieppe,le  i81év.  i5G2,avec 
deux  robcrges  (bàlimcnls  qui  diffé- 
laiènt  peu  des  caravellesespagiiolcs). 
11  avait  des  équipages  choisis,  et  plu- 
sieurs volontaires  ,  parmi  lesquels  se 
trouvaient  des  gens  de  bonne  mai- 
son et  de  vieux  soldats.  Ayant  na- 
vigué j)cndaîit  deux  mois  sans  tenir 
la  roule  .iccoutumée  des  Espagnols, 
il  attérit  à  3o"  de  latitude  ,  près 
d'un  cap  (pi'il  ap[)ela  le  cap  Frau- 


RIB 

çais.  La  côte  était  plate  et  boisée. 
Il  se  dirigea  vers  le  nord  ,  et  entra 
dans  un  fleuve,  sur  les  bords  duquel 
il  fit  élever,  avec  le  consentement 
des  habitants,  une  colonne  aux  ar- 
mes de  France.  Le  i'^^'.  mai ,  on  vit 
un  autre  fleuve  ,  qui  reçut  le  nom  de 
ce  mois.  Tous  ceux  que  l'on  lencontra 
ensuite  furent  nommés  d'après  les 
noms  des  rivières  de  France.  Aibanlt 
cherchait  celui  auquel  les  Espagnols 
avaient  apjdiqué  la  dénomination  de 
Jourdain.  11  avait  aussi  besoin  d'en 
trouver  un  dont  l'embouchure  bii of- 
frît un  havre  pour  ses  vaisseaux. 
L'ayant  découvert  ])ar  Si"  de  latitu- 
de, il  l'appela  Port-Royal.  Le  fleuve  se 
partagent  en  deux  bras  :  le  moins 
considérable  eut  le  nom  de  Clienon- 
ceau.  Ou  construisit ,  sur  une  île  , 
une  redoute,  qu'il  appela  Charles - 
Fort ,  la  première  forteresse  que  les 
Français  aient  eue  dans  l'Amérique 
septentrionale.  Ribault  y  laissa  une 
garnison,  puis  leva  l'ancre,  et  con- 
tinua de  faire  route  au  nord-est.  A 
quinze  lieues  de  Port  -  Royal ,  il  re- 
connut une  rivière  qui  n'avait  qu'une 
demi-bl-asse  d'eau  à  son  embouchu- 
re. «  Là  les  Français  se  trouvèrent 
»  en  peine,  disent  les  historiens,  et 
»  ne  savaient  que  faire,  ne  trouvant 
»  que  six ,  cinq  ,  quatre  et  trois  bras- 
»  ses  d'eau,  encore  (pi'ils  fussent  six 
»  lieues  en  mer.  •>■>  Ribault,  ayant  con- 
sulté ses  officiels,  revint  en  France j 
il  rentra  ,  le  'lo  juillet,  dans  h  port 
de  Dieppe.  E.u  i5G5  ,  Coligni  , 
prévenu  contre  Laudonnière  ,  qui 
commandait  en  Amérirpie ,  donna 
ordre  ta  Ribaultd'y  retourner.  Celui- 
ci  partit  avec  sept  vaisseaux ,  et , 
après  une  traversée  longue  et  péni- 
ble, arriva  ,  le  28  août,  au  fort  Ca- 
roline, cou^lruit  sur  les  bords  de  la' 
rivière  de  Mai.  Les  Indiens,  ([ui  le 
recoumuent,  liiiûreiit  un  accueil  ami- 


filB 

cal.  Il  se  préparait  à  augmenter  les  ou- 
vrages (la  fort,  lorsque,  le  4  septem- 
bre ,  parut  une  escadre  espagnole  , 
commandée  par  Pedro  Mcucxcz.Quoi- 
que  l'on  fût  en  paix  ,  ce  dernier  at- 
•.'aqua  quatre  Ijâtiments  français  , 
mouilles  à  l'entrée  du  fleuve.  Ceux- 
ci,  voyant  leur  infériorité  ,  filèrent 
leurs  câbles ,  et  gagnèrent  le  large. 
Menezez,  les  ayant  poursuivis  inuti- 
lement, revint  vers  le  fort.  La  bon- 
ne contenance  des  gens  qui  garnis- 
saient le  rivage,  et  qui  tirèrent  sur 
ses  vaisseaux,  lui  fit  craindre  d'être 
pris  entre  deux  feux.  11  s'éloigna 
donc,  et  entra  dans  un  fleuve  plus 
au  sud.  Les  navires  français ,  qui  s'é- 
taient écartés  ,  l'y  suivent,  observent 
sa  position,  et,  le  8,  vont  en  ins- 
truire Ribault.  Chacun  était  d'avis 
de  se  fortifier  sans  relâche  à  Ca- 
roline ,  et  d'envoyer,  par  terre,  un 
gros  détachement  pour  tomber  sur 
les  Espagnols,  avant  qu'ils  eussent 
pu  se  retrancher.  Ribault ,  n'c'cou 
tant  qu'une  bravoure  téméraire,  vou- 
lut aller  combattre  les  Espagnols  , 
avec  ses  quatre  plus  grands  vaisseaux: 
malgré  les  remontrances  de  Laudon- 
nière  et  des  principaux  officiers  ,  il 
emmena  la  plus  grande  partie  de  la 
garnison.  Au  momentoùil  s'appro- 
chait de  l'enncnii ,  un  coup  de  vent 
de  nord  le  força  de  s'éloigner  de  la 
côte.  La  tempête  dura  jusqu'au  aS 
septembre,  et  jeta  les  navires  de  Ri- 
bault sur  des  rochers,  à  plus  de  cin- 
quante lieues  dans  le  sud  :  tous  fu- 
rent brisés;  la  plus  grande  partie  des 
équipages  se  sauva.  On  parvint , 
après  des  fatigues  inouies ,  à  gagner 
les  environs  du  fort  Caroline.  Trom- 
pés par  les  assurances  d'amitié  et  les 
serments  des  Espagnols,  les  Français 
se  fièrent  à  eux  :  ils  furent  tous  égor- 
gés. Quelques  historiens  rapportent 
que  Ribault  fut  écorché^etquesa  peau 

XXXVII. 


fut  envoyée  en  Enrojic.  Les  récits 
des  Français  et  ceux  des  Espagnols 
dilièrent  sur  les  détails  de  cette  ca- 
tastrophe ;  mais  il  résulte  de  tous 
leurs  rapports  qu'il  fut  ,  ainsi  que 
ses  compagnons  d'infortune  ,  trai- 
treusement  assassiné.  Les  événements 
de  la  vie  de  Ribault  sont  racontés  par 
Basanier,  dans  V Histoire  de  la  Flo- 
ride {F.  LaxjdonniÈre),  Sa  mort 
fut  vengée  par  Gourgue  (  F.  ce  nom, 
XVIII,  195).  Indépendamment  de 
tout  ce  qui  est  relatif  à  l'expédition 
des  Français,  V/Iisloiie  de  la  Flo- 
ride contient  beaucoup  de  renseigne- 
ments curieux  sur  la  nature  du  pays, 
ses  productions  et  ses  habitants. 
D'autres  relations  de  ces  entreprises 
des  Français  avaient  été  publiées 
avant  le  livre  de  Basanier,  telles  que: 
De nauigatione  Gallorurnin  terrain 
Floridam  deque  clade  ,  anno  1 565, 
ab  Hispanis  accepta,  autore  Levino 
Apollonio  Gandabru^ensi ,  Anvers, 
1578  ,  in-80.  Urbain  Chauveton  joi- 
gnit à  ses  traductions  latine  et  fian- 
çaise  de  V Histoire  du  Nouveau- 
Monde  ,  de  Benzoni  ,  un  Brief  Dis- 
cours et  histoire  d'un  vojage  de 
quelques  François  en  la  Floride 
et  du  massacre  exécuté  par  les 
Espagnols  ,  l'an  1 565  ,  ensemble 
une  requête  présentée  au  roi  Char- 
les IX,  Paris  ,  1578  et  1579,  iu-8'>. 
Tous  ces  voyages  sont  aussi  décrits 
dans  le  premier  livre  de  V Histoire 
de  la  Nouvelle-France  de  Lescar- 
bot.  Le  récit  de  la  seconde  expédi- 
tion ,  celle  de  Laudonnière,  et  celui 
de  la  catastrophe  de  Ribault,  insérés 
par  de  Bry  dans  la  deuxième  partie 
de  ses  Grands  voyages  ,  ont  été  ré- 
digés par  Jacques  Le  Moyne,  peintre 
dioppois,  qui  avait  reçu ordrede  des- 
siii(;r  les  côtes  où  l'on  aborderait, 
d'observer  la  situation  des  villes  ,  le 
cours  et  la  profondeur  des  fleuves.  Il 

32 


498  KIB 

assure  avoir  rempli  avec  toiUe  l'exac- 
titude dont  il  était  capable,  la  mis- 
sion dont  on  l'avait  charge.  Arrive' 
en  Angleterre  avec  Laudonuière,  il 
s'occupa  de  la  relation  de  son  voyage, 
ainsi  que  des  dessins  destine's  à  l'ac- 
compagner. Théodore  de  Bry  l'ayant 
trouve  à  Londres,  en  l'année  1587  , 
l'eutendit  souvent  parler  de  ses 
voyages  ,  de  ses  manuscrits  et  de  ses 
dessins  :  il  le  vit  mourir,  et  aclicta 
de  sa  veuve  ses  productions.  Les  he'- 
ritiers  de  Bry  reimprimèrent,  dans 
la  sixième  partie  de  leur  collection  , 
à  la  suite  de  l'histoire  de  Benzoni , 
îe  récit  de  l'expédition  de  la  Floride, 
et  la  traduction  de  la  requête  pré- 
sentée à  Charles  IX ,  tels  qu'on  les 
trouve  dans  l'édition  latine  donnée 
par  Chauveton.  Le  Recueil  de  Bry 
contient  aussi  une  Description  topo- 
grapliique  de  la  Floride  ,  qui  n'est 
qu'une  compilation.  Camus  ,  auquel 
on  doit  une  partie  de  ces  détails,  fait, 
sur  ces  ditFérentcs  narrations  ,  une 
observ.'Uion  très -judicieuse.  «H  ré- 
»  suite  de  leur  examen,  dit-il,  que 
»  le  but  principal  des  expéditions 
»  faites  à  la  Floride,  et  particulière- 
»  meut  des  trois  premières  ,  était  de 
»  rechercher  les  riches  mines  que 
)>  l'on  supposait  exister  au  nord  de 
»  l'Améritiuc.  Ceux  qui  s'embar- 
»  quaient ,  n'étaient  que  des  avenlu- 
»  ricrs  qui  avaient  envie  de  faire 
»  fortune.  De  là  le  mécontentement 
»  qui  se  manifestait  lorsqu'on  ne 
»  trouvait  pas  de  trésors  ,  l'insu- 
»  bordiuation  et  l'indiscipline ,  les 
»  conspirations  même  contre  les 
»  chefs  des  expéditions.  De  là  aussi 
»  la  multiplicité  des  relations  d'ex- 
»  péditions  dans  lesquelles  se  trou- 
»  valent  engagées  plusieurs  person- 
»  nés  capables  de  les  écriie.  »  La  res- 
semblance du  nom  du  fort  Caroline 
avec  celui  d'un  des  étals  de  l'Union  , 


RÏB 

situé  sur  la  même  côte,  a  fait  supposer 
à  tort  que  le  dernier  devait  cette  dé- 
nomination aux  Français.  On  se  con- 
vaincra que  cette  opinion  est  erronée, 
en  observant  que  le  fort  Caroline  fut 
bâti  à  l'embouchure  de  la  rivière  de 
Mai  (nommée  ensuite  Saint-Augus- 
tin ,  et  au\outà'\nn  Saint- Jean  ).  Le 
Cap-Français  est  la  pointe  de  terre 
qui ,  au-dessus  de  la  ville  de  Saint- 
Augustin,  s'avance  au  sud.  Charles- 
Fort  était  sur  l'île  que  l'Édisto ,  ri- 
vière de  la  Caroline  méridionale  , 
forme  à  son  embouchure.     E — s. 

RIBERA  (  Anastase-Pantaléon 
ue),  poète  castillan,  pourrait  être 
appelé  le  Scarron  de  l'Espagne.  Il 
naquit  à  Saragoce  ,  eni58oj  étu- 
dia d'abord  pour  entrer  dans  l'état 
ecclésiastique, se  fit  moine;  et, avant 
de  finir  le  noviciat,  quitta  son  cou- 
vent, etdevint  littérateur.  Ribera  prit 
ensuite  le  parti  des  armes ,  et  se 
distingua  en  160 4  à  la  prise  d'Os- 
leude.  11  y  reçut  plusieurs  blessu- 
res ;  son  humeur  était  si  joviale, 
même  dans  les  moments  les  plus  dou- 
loureux, que  le  chirurgien  qui  le  pan- 
sait, et  qui  ne  pouvait  pas  s'empê- 
cher de  rire  à  ses  bous  mots ,  déclara 
qu'il  ne  le  soignerait  plus ,  s'il  ne  fai- 
sait pas  trêve  à  ses  plaisanteries;  car 
elles  détournaient  son  attention  du 
soin  qu'exigeait  le  pansement.  Au 
retour  de  la  guerre,  Ribera  se  con- 
sacra tout  entier  à  la  poésie  ,  et 
entra,  comme  secrétaire,  chez  le 
duc  de  Médina  -  Sidonia  ,  qui  fut 
son  constant  protecteur.  Ses  poé- 
sies sont  pleines  d'esprit  et  de  sel. 
Il  était  très-enclin  à  la  satire  ;  et 
il  s'amusait  à  mettre  en  vers  tou- 
tes les  historiettes  et  anecdotes  ga- 
lantes de  la  cour  et  de  la  ville.  Sa 
gaîté  lui  donnait  entrée  dans  les 
maisons  les  plus  illuslies  ,  où  il 
amusait  par  ses  Naillics.  On  en  avait 


RIB 

fait  un  Recueil,  imprime  à  Madrid, 
vers  i63o,  et  qui  est  devenu  très- 
rare.  Ribera  excellait  dans  la  Roman- 
ce et  les  Redondilles  (  couplets  de 
cinq  vers  de  huit  syllabes  ) ,  et  il  y 
tournait  en  ridicule  tous  les  vices  et 
les  travers  qui  le  frappaient.  Pendant 
quelques  mois,  il  fut  admis  au  nom- 
bre des  beaux-esprits  qui  compo- 
saient, eu  grande  partie  ,  la  cour  de 
Philippe  IV  ',  mais  ,  s'étant  permis 
une  plaisanterie  un  peu  trop  vive  sur 
un  des  seigneurs  les  plus  aime's  du 
roi,  l'entrée  du  palais  lui  fut  inter- 
dite. Il  mourut  jjeu  de  temps  après  , 
en  avril  iGsg,  à  l'âge  de  quarante- 
neuf  ans.  Ses  Poésies  furent  impri- 
mées à  Saragoce  (i),  en  i634,et 
à  Madrid,  en  1646  ,  -i  vol.  in-8°. 
B-s. 

RIBERA.  r.  ESPAGNOLET. 

RIBIT  (Jean),  en  latin  Ribittus, 
philologue  ,  sur  lequel  on  n'a  pu  re- 
cueillir que  des  renseignements  très- 
incomplets,  florissait  vers  le  milieu 
du  seizième  siècle.  Quelques  biogra- 
phes disent  qu'il  était  de  Savoie  ; 
mais  Conrad  Gesuer,  son  ami  le  plus 
intime,  lui  donne  le  titre  de  Français 
(natione  Gallus).  Il  était  très-savant 
dans  les  langues  anciennes;  et  il  rem- 
plaça Gesner,  vers  i54i  ,  dans  la 
chaire  de  grec  au  collège  de  Lausan- 
ne. Ribit  a  traduit  en  latin  quel- 
ques Opuscules  de  Xénophon  :  le 
Traité  des  impôts,  ou  Moyen  d'aug- 
menter les  revenus  de  l'Attique;  Hip- 
varque ,  ou  du  gouvernement  de  la 
cavalerie,  et  le  Sympose  ,  ou  Ban- 
quet des  philosophes.  Ces  versions 
de  Ribit  ont  été  insérées  dans  les 
éditions  grecques  et  latines  des  OEu- 
vrcs  de  Xénophon.  On  lui  doit  une 


(  '  )  Le  Dictionnaire  lilslorii/ue  fait  uu  efrangc  ana- 
cliroiiisino,  (juaiid  il  dit  que  ces  pué.sies  furent  re- 
cueillies par  Pelliccr,  ami  de  l'aiileiir  ;  ce  savaut 
éditeur  étant  ué  loQ  aus  après  la  luurt  de  Ribera. 


RIB 


499 


Edition  grecque  de  Lucien,  Râle 
Isiugrin,  i545,  2  vol.  in-80.,  avec 
une  Préface  latine  ,  dans  laquelle  il 
apprécie,  avec  autant  de  goût  que 
d'érudition ,  le  mérite  de  cet  écri- 
vain, qu'il  conseille  de  mettre  entre 
les  mains  des  jeunes  gens.  Il  a  tra- 
duit en  latin  un  Recueil  de  sentences 
tirées  des  Pères  grecs  ,  par  Antoine 
surnommé  Melissa,  moine  du  neu- 
vième ou  du  dixième  siècle.  Gesner 
publia  cette  version  ,  avec  celle  qu'il 
avait  faite  lui-même  d'un  Recueil  du 
même  genre  ,  d'un  moine  nommé 
Maxime,  sous  ce  litre  :  Sententia- 
rum  sive  capitum  theologicoru.'Ji 
prœcipuè  ex  sacris  et  prof  unis  libris, 
tomitres,  Zurich,  i546,  in -fol.; 
Anvers,  i56o,  in-  12.  Enfin  on  a 
de  Ribit  deux  Opuscules  :  Explana- 
lio  loci  ad  Hebrœos  vu  :  lex  nihil 
perfecit ,  Baie ,  1 554 ,  iu-S».  —  Dis- 
putatio  an  Judas  cœnœ  Domini  in~ 
terfuerit,  ibid. ,  i555,  in -8°.  On 
conserve,  parmi  les  manuscrits  de 
la  bibliothèque  du  Roi,  sous  le  n». 
8641 ,  un  Recueil  de  Lettres  de  J. 
Ribit  à  ses  amis,  presque  toutes  eu 
latin ,  et  la  plupart  datées  de  Lau- 
sanne ;  il  y  en  a  en  français  et  en 
grec  :  le  tout  forme  un  petit  volume 
jin-4°.  On  ne  sait  sur  quel  fonde- 
ment Fabricius  (  Riblioth.  grœca  , 
viii ,  822  )  dit  que  Ribit  était  Savoi- 
sien  :  rien  ne  l'indique  dans  les  ti- 
tres et  dans  les  préfaces  de  ses  ou- 
vrages ,  où  l'on  voit  qu'il  habitait 
Lausanne  et  Zurich.  L'Estoile  ,  ou 
du  moins  l'un  de  ses  éditeurs  (ij, 
parle  d'un  Jean  Ribit ,  professeur 
de  théologie  à  Genève  ,  et  qui  fut  le 
père  du  fameux  empirique  Roch 
LebaiUif ,  sieur  de  la  Rivière,  pre- 

(i)  Journal  de  Henri  III ,  t.  v  ,  p.  'i()!^,  Remar- 
que sur  le  eliap.  »  de  la  Cm/ession  de  i'ancr.  Voy. 
l' Anli-Cavalier  genevois  ,  i'in|irimc  en  ilioO  p.42, 
où  ce  oui  est  dit  de  J.  Riiiit  paraît  extrait  des  régis, 
très  de  l'uuiversile. 

32.. 


5oo  RIB 

mier  me'dccin  de  Henri  IV  (  V.  Ri- 
vière )  :  peut-être  est-ce  le  même 
personnage  ;  cependant  on  ne  trou- 
ve point  ce  nom  dans  la  liste  des 
professeurs  qu'a  donnée  M.  Picot ,  à 
la  tête  de  son  Histoire  de  Genève, 
3  vol.  in-8o.  W— s. 

RICARD  (Dominique)  ,  clianoine 
tonoraire  d'Anxerre  ,  naquit  à  Tou- 
louse ,  le  23  mars  ï']^\  ,  de  parents 
pauvres  ,  qui  le  confièrent  à  un  reli- 
gieux de  cette  ville  ,  pour  diriger  sa 
première  jeunesse.  Ricard  avait  e'te 
son  disciple,  il  devint  son  amij  et, 
jusqu'à  la  mort  de  cet  homme  res- 
pectable, il  entretint  avec  lui   une 
correspondance  suivie ,  monument 
de  reconnaissance  et  d'un  attaclic- 
ment  qui  allait  jusqu'à  l'entlionsias- 
mc.  Entraîne    par  un  goût    domi- 
nant vers  l'èludo,  Ricard  devint ,  en 
quelque  sorte  ,  son  propre  ouvrage. 
Il  était  bien  jeune  encore  ,  et  déjà 
reçu  baclielier  à  l'université  de  Tou- 
louse, lorsqu'il  fut  nommé  profes- 
seur d'éloquence  au  collège  d'Auxer- 
re.  Eu   1766,  à  peine  âgé  de  vingt- 
cinq  ans  ,  il  fut  choisi  pour  pronon- 
cer V Elo^e  Junèhre  du  Dauphin,  en 
présence  de  toutes  les  autorités  de 
la  ville.   Cet  Éloge  fut  imprimé  la 
même  année  à  Auxerre,  in-4°.  En 
1770  ,  l'abbé  Ricard  prononça  ,  de- 
van;  les  magistrats  et  le  clergé  de  la 
même  ville  ,  un  Discours  latin  sur  le 
inariagedu  nouveau  Dauphin  (depuis 
Louis  XVI  ).  Ce  Discours  éloquent, 
dans  lequel  on  trouve  d'excellentes 
maximes  d'état ,  et  des  j)ortraits  ha- 
bilement tracés  de  plusieurs  souve- 
rains et  ministres  du    temps  ,   fut 
imprimé  à  Auxerre,  in- 4"-  »  sous 
ce  titre  :  Oralio  ^ralnlalorla  in  Nup- 
tias ,  etc.   Les   (pierelles  religieuses 
(|iii  ,  depuis  un  siècle,  agitaient  le 
clergé  ,  la  cour  et  le  parlement,  éten- 
dirent leur  funeste  influence  sur  le 


RIC 

collège  d'Auxerre.  Le  bureau  d'ad- 
ministration changea  les  professeurs, 
sous    prétexte    qu'ils    n'étaient   pas 
maîtres-èsartsderuniversité  de  Pa- 
ris ,  ce  qu'à  la  vérité  prescrivaient 
des  lettres  -  patentes  de  1768;  mais 
une  déclaration  du  roi  (1764)  por- 
tait que  le  changement  n'aurait  lieu 
à  Y\uxerre  ,  qu'en  cas  de  vacance  des 
places.  On  chercha  donc  un  prétexte, 
plutôt  qu'on  ne  suivit  une  loi.   Un 
procès   s'engagea  (1772)  entre  les 
professeurs  du  collège  et  le  bureau 
d'administration,  qui  comptait  dans 
son  sein  l'évêque  et  le  sieur  Choppin, 
conseiller  au  bailliage  d'Auxerre,  On 
trouve  ,  dans  le  quatrième  volume 
de  la  Bibliothèque  historique  de  la 
France,  l'indication  détaillée  de  i-x 
Consultations  ou  Mémoires  publiés 
dans  cette  affaire.  Lecollége d'Auxer- 
re ne    tarda  pas  à   être   supprime. 
I/abbé  Ricard  vint  se  fixer  à   Pa- 
ris ,   011   il  se  chargea  de   l'éduca- 
tion du  fils  du  président  de  Meslay. 
Nul  ne  connaissait  mieux  que  lui  la 
division  et  l'emploi  du  temps  :  il  sut 
mener  de   front   avec  les  soins  de 
l'éducation  qui  lui  était  confiée  ,  de 
profondes  études,  et  des  relations  de 
société  qui  s'étei^direut  rapidement. 
Les  ouvrages  des  anciensavaient  tou- 
jours eu  pour  l'abbé  Ricard  un  char- 
me inexprimable.  Il  regardait  les  au- 
teurs modernes  comme  des  héritiers 
qui  faisaient  valoir  le  foi'ds  qu'on 
leur  avait  laissé,  qui  le  retravaillaient 
sans  cesse,  et  dont  l'art  consistait 
moins  à  créer  de  nouvelles  riches- 
ses ,  qu'à  s'approprier,  souvent  avec 
avantage,  celles  de  leurs  devanciers. 
Aucun  des  grands  auteurs  de  la  Grèce 
et  de  Rome  ne  lui  fut  étranger;  mais 
Plutarqueétait  devenu  son  ami  :  il  le 
relisait  sans  cesse,  comme  s'il  eût 
retrouvé  son  propre  caractire  et  ses 
mceurs  dansle  sagcdcChéronéc.Bicn- 


RIC 

tôl  il  conçut  le  projet  de  le  traduire 
en  entier;  et  pu  rm i  les  savants  dont  les 
conseils  i'encouraï;crent ,  nous  cite- 
rons M"^*^.  de  La  Ferle  Imbanit,  qui 
avait  extrait  de  Plutarque  un  recueil 
de  Maximes  ,  bien  digne  des  hon- 
neurs de  l'impression.  Il  n'existait 
d'autre  traduction  complète  des  œu- 
vres  morales ,  que   celle  d'Amyot. 
Sans  doute  la  réputation  de  cet  au- 
teur, qui  écrivait  un  siècle  avant  que 
la  langue  française  eût  été  fixée,  pou- 
vait effrayer  un  nouveau  traducteur. 
Mais  ,  si  la  naïveté  charmante  du 
langage  d'Amyot  peut  plaire  encore , 
de  nos  jours  ,  aux  oreilles  accoutu- 
mées à  la  prose  de  Pascal  et  de  Féné- 
Ion,   et  sensibles  à  l'harmonie  des 
vers  de  Racine  et  de  Despréaux  ,  il 
faut    avouer   qu'une   lecture   suivie 
de  Plutarque ,  n'est  pas  soutenable  en 
une  langue  déjà  vieillie  dans  l'expres- 
sion et  daus  le  tour,  et  qu'on  ne  peut 
souvent  entendre  qu'à  l'aide  d'un  vo- 
cabulaire. D'ailleurs  ,  il  ne  faut  pas 
oublier  qu'Amyot  travailla  sur  des 
éditions  grecques  dont  le  texte  était 
si  fautif,  que  Meziriac,  (dit  Pellisson 
dans  son  Histoire  de  l'académie  fran- 
çaise ),  avait  remarqué  en  divers  pas- 
sages de  la  traduction  d' Amjot , 
jusqu  au  nombre  de  deux  mille  fau- 
tes très-grossières ,  de  diverses  sor- 
tes. C'est  donc  Amyot,  et  non  Plu- 
tarque ,     qu'on   aime    à  lire   dans 
cette  antique  version,  dont  le  style 
semble  avoir   un  charme  qui  sub- 
.siste   toujours.    Dans   le    siècle  de 
Louis     XIV  ,    deux    académiciens 
(Tallemantct  Dacier)  penscreni  que 
les  Vies  de  Plutarque  pouvaient  en- 
éore  être  traduites  avec  succès.  Mais 
la  version  deTallcraant  ne  fut  pas  plus 
fidèle  (|ue  relie  du  grand  aumônier 
de  Charles  ÏX;  et  la  durctédc  sa  plume 
le  lit  appeler  parDrspréaux  :  Le  sec 
traducteur  du  français  d' Amrot. 


RIC  5oi 

Quant  à  la  version  de  Dacier  ,  elle 
fut  reconnue  plus  exacte;  mais, écrite 
sans  chaleur  et  sans  vie  ,  elle  justifie 
ce  mot,  quil  connaissait  tout  des 
anciens^  hors  la  grâce  et  la  finesse. 
Une  bonne  traduction  de  Plutarque 
manquait  donc  encore  à  la  littératu- 
re française  ,  lorsque,  vers  la  fin  du 
dix-huitième  siècle,  l'abbé  Ricard  se 
sentit  la  force  de  l'entreprendre.  Il 
travailla  sur  des  éditions  plus  correc- 
tes ,  et  eut  à  sa  disposition  les  manus- 
crits précieux  que  Louis  XIV  avait 
fait  acheter  à  grands  frais,  daus  le 
Levant  ,  et  qu'on  trouve  à  la  biblio- 
thèque du  Roi.  Le  premier  volume 
des  OEuvresmorales\)3in\\.eii  l'-SS: 
«  J'ose  vous  prédire  ,  lui  écrivit 
wDusaulx,  traducteur  de  Juvénal , 
»  que  vous  fournirez  glorienseiiient 
»  la  carrière  immense  dans  laquelle 
»  vous  vous  êtes  jeté  avec  tant  de 
»  courage.  On  dira  ,  quelque  jour,  le 
»  Plutarque  de  Ricard,  comme  on 
»  a  dit  jusqu'à  présent  le  Plutarque 
»  d'Amyot.  »  La  Iraduction  entière 
des  OEuvreS  morales  (  17  vol.  in- 
12)  ne  fut  terminée  qu'en  1795.  (1) 


(i)  Le  renvoi  qui  se  trouTC  à  l'ai  lu  le  PLUTAR- 
QUE nims  irapoe  l'oMigatifD  défaire  coiinaitre  ra- 
pidement enquoi  consistent  les  ouvrases  de  cctécri- 
vaiu.  La  grande  variété  drs  objets  traites  daus  ce 
qu'un  appelle  les  OEut'res  morales  ,  les  a  fait  divi- 
ser en  plusieurs  classes;  et  l'abbé  Kicard  eu  a  établi 
dix  :  1.  Traités  <le  pure  morale  :  ce  sont  les  plus 
intérrssants  et  les  mieux  écrits.  On  distingue  celui 
qui  a  pour  titre  de  VÉduciflion  ,ctoù,  dans  un  court 
espace ,  se  trouve  rassemblé  ce  qu'on  peut  dire  de 
mieux  sur  ce  sujet  important.  Lcstraité-  surlaWaniV- 
re  d'écouler  ,saT\e  Oiicernemeiii  entre  lejlatteur  et 
l'ami  ,  contiennent  d'excellents  préceptes.  On  trou- 
ve dans  le  trailé  sur  le  JuL;ement  des  progrès  qu'on 
a  faits  daus  la  l'erlu  ,  des  règles  sévères  et  une  mi>- 
rale  sublime.  F^a  Consolation  a  Apollonius,  sur  la 
mort  de  sou  (ils  ,  la  Lettre  de  Cousulalion  à_  sa 
femme  ,  sur  l.i  mort  de  sa  fille  ,  oftVeut  paitoulVal- 
liance  honor  ible  des  talents  et  des  vertus  domestiques. 
Les  Préceples  lu  maria^esouliia  beau  trailé  de  mo- 
rale et  même  de  undeciue.  Le  Banquet  des  sept  sa- 
ges contieut  de  bonnes  maximes  de  politique  et  de 
morale  :  mais  la  réputation  des  convives  semblait 
promettre  de»  questions  plu-s  imuortautis  que  celle» 
qu'ils  agiteut.  Les  traités  de  la  Trcm/uilLté  tle  l'a- 
ine ;  sur  les  Délais  que  lu  justice  divine  apporte  >t 
la  punition  des  coupables;  sur  \'/iitscigneinenl  de 
la   vcrlu  ;  sur  la   ycilu  morale  ;  sur  la  Colère  ;  la 


50  2 


RIC 


Les  qaatre  premiers  volumes  des 
Vies  furent  imprimes  aux  frais  de 
l'abbé  Ricard  ,  dans  des  temps  diffi- 
ciles (  1798-1799).  Ce  ne  fut  qu'a- 
près vingt  années  d'un  travail  opi- 
niâtre ,  qu'il  termina,  avec  sa  vie, 
îa  version  entière  de  son  auteur  , 
en  3o  volumes  in-i'2.  Les  tomes  v 
et  VI  des  Fies  parurent  en  1802. 
Les  tomes  vu  à  xiii  et  dernier  fu- 
rent livres  au  public  après  sa  mort 
(  i8o3  ).  Les  Notes  qui  accompa- 
gnent partout  le  texte  de  Plutarque, 
sont  une  mine  féconde  de  saine  cri- 
tique et  d'érudition  ménagée  avec 
goût.  Plutarque  avait  jugé  trop  sévè- 
rement quelques  écrivains  de  l'anti- 
quité, surtout  les  poètes  les  plus  cé- 
lèbres :  Ricard  n'a  pas  craint  de 
réformer  les  jugements  trop  pas- 
sionnés du  pliilosoplie  de  Cliéronée. 
Les  Notes  qui  sont  jointes  aux  trai- 
tés obscurs  et  difficiles  sur  les  Ora- 
cles et  sur  V Inscription  du  temple 


RIC 

de  Delphes^  suffiraient  pour  faire 
apprécier  la  vaste  et  sage  érudition 
du  traducteur.  Les  amis  de  Tabbé  Ri- 
card reconnurent  qu'il  s'était  peint 
lui-même  ,  sans  le  vouloir,  en  tra- 
çant le  portrait  de  Plutarque  ,  dans 
l'excellente  Vie  de  cet  écrivain ,  qui, 
après  avoir  écrit  celles  de  tant  d'hom- 
mes célèbres,  n'avait  pas  jusqu'alors 
trouvé  un  historien  digne  de  lui  : 
«  11  conserva  toujours,  dit  Ricard, 
w  ia  modération  dans  la  sagesse ,  qua- 
»  lité  si  rare  et  si  difficile.  Il  n'ensei- 
»  gna  qu'une  philosophie  douce  et 
»  raisonnable ,  indulgente  avec  fer- 
»  meté ,  conciliante  sans  mollesse  , 
»  invariable  dans  ses  priucipes , 
»  mais  accommodante  sur  les  dé- 
»  fauts  ;  qui  ne  transige  jamais  avec 
»  les  passions  ,  mais  qui  ménage 
»  l'homme  faible  pour  gagner  sa 
»  confiance  ,  et  le  mener  à  la  vertu 
)'  par  la  persuasion,  w  Si  tel  fut 
Plutarque  ,    tel   fut    aussi    Ricard. 


Démangeaison  de  parler,  la  Curivaité  ,  l'Amour 
des  pères  et  des  mères  pour  leurs  enfants  ,  Ips  TVIal- 
heiirs  du  vice,  VViililé  qu'on  peut  retirer  de  ses 
ennemis;  \es  Inroni'énienls  des  amitiés  trop  multi- 
pliées; V Avarice  ,  la  Fausse  honte  ,  YEni'ie  et  la 
/laine  ,  VExil  et  l'usure ,  et  la  Manière  de  se  louer 
soi-même  sans  ejcciler  l'envie,  placent  Plularqup 
flu  premier  ra-'g  parmi  les  moralistes.  M,  Traités  sur 
la  politlrpie.  Qu'un  pliilpsopLp  doit  toujours  cunver- 
sov  avec  les  pi-inces;  0^'uu  prince  doit  être  instruit; 
Si  un  vieillard  doit  s'occuper  d'administration  ))u- 
Ijlîqrjei  F'réceptes  politiques  sur  les  trois  principa- 
les sortes  de  ^gouvernement  •  ce  nVsl  qu'un  frapmeiit. 
Plutarque  donne,  comme  Platon  et  Arislote  ,  la 
])rtTerence  au  gouvernement  monarcliiquc  :  on  re- 
marquera que  Platon  et  Arislotc  vivaiciil  dans  des 
républiques;  Sur  la  nohlesse  :  il  ne  reste  de  ce  traité 
qu'un  fragmiiil.  111.  Ti  ailés  sur  la  pliysiipic  et  la 
niélaphysique  ;  c'est  la  jiarlie  la  ])Ius  faible  des 
<^>Euvres  morales.  Ces  traites  sont  écrits  sans  métho- 
de et  sans  «Tarte.  Ou  y  trouve  ])eu  d'intérêt,  lie:,u 
coup  d'erreurs.  F..es  Opinions  des  pliilosoplics  sur  les 
principales  questions  de  la  physique,  «ont  luje  <(jm- 
]>ilatiriD  aride,  très-irtdif;ne  de  Plutarque,  et  que 
]>1usieurs  savants  refusent  de  lui  attribuer.  Le  traité 
<lu  Destin  est  obscur,  et  d'ailleurs  incomplet,  le 
temps  en  ayant  dévoré  une  partie.  I.C!  Questions  uîi- 
tnrcllesetresliedierdjes  sur  la  cause  du  froid  ,  con- 
tiennent des  erreurs  (ju'll  faut  imputer  en  (grande 
partie  ?i  l'.-lat  peu  avancé  des  sciences  physiques  .'. 
J'époque  où  Plulartiuc  i^crivait.  I.i-  Ir.iiti' "intitulé  : 
Quel  est  le  plus  util,-  du  feu  ou  de  l'eau,  est  une 
froide  déclamation  ccnleliant  le  pf.ur  <t  le  eonlr.; 
un  plaidoyer  ]>our  le  feu  ,  un  plaidoyer  pr.ur  l'eau, 
"il  sent  qiH.-  celle  méthutle  sert  plu»'  it  olMcurcir  In 


vérité  qu'à  la  faire  connaître.  Le  traité  de  la  Face 
de  la  Lime  (  que  Voltaire  appelle  un  fatras  ) , 
est  ccpeudaut  curieux  et  plein  d'érudition  :  celui 
de  l'Industrie  des  animaux  est  encore  une  déclama- 
tion où  deux  avocats  ]>laideut  devant  un  arbitre  qui 
laisse  le  procès  indécis.  Leurs  discours  sont  semés 
d'ini  grand  nombre  de  petits  contes ,  et  de  faits  dont 
plusieurs  sont  apocryphes  :  le  Traite  où  Plutarque 
soutient  que  les  bêtes  ont  l'usage  de  la  raison,  est 
un  assez  ingénieux  badinage.  Les  Questions  plafo- 
nirpies  sont  obscures;  leTraitésur  la  Création  de  l'a- 
me,  d'après  le  Timée  de  Platon,  est  difficile  et  sou- 
vent inintelligible.  H  y  a  de  l'emportement  et  de 
aigreur ,  mais  un  grand  amour  pour  la  vertu ,  dans 
les  traités  Contre  les  stoïciens  et  Contre  les  disci- 
ples d'Iipicure.  Dans  un  autre  Traité  ,  Plutarque 
examine  si  les  Epicuriens  ont  raison  de  dire  qu'il 
faut  cacher  .sa  vie,  et  il  soutient  l'opinion  contraire. 
Le  Traiié  des  Fleuves  et  dcsMontagnes  est  une  mi.sé- 
rablc  compilation  pleine  de  récits ahsurdes,  incroya- 
bles ,  et  que  les  critiques  s'accordent  généralement 
à  ne  point  attribuer  à  Plutarque.  IV.  Traités  my- 
dioto^iffues^  Les  Becberches  sur  l'inscription  El 
(  fiu'on  croit  signifier  "Tous  clés  un  )  du  temple  de 
Delphes  ,  est  un  savai.t  traité  qui  olfie  beaucoup 
plus  d'intérêt  que  ne  semble  promettre  le  titre.  Le 
Traité  d'Isis  et  d'Osiris,  est  le  )ilu«  complet  que 
l'anlicpiité  nous  ait  transmis  sur  cette  maliire.  On 
tiouve  des  digressions  et  de  la  varli  te  dans  l'eianieu 
de  la  ipiestion  :  Pourquoi  la  Pythie  ne  rend.iit  |>lus 
ses  (uaeles  eu  vers.  La  Cause  de  la  cessation  des  oi  acies 
od're  aussi  des  digression»;  maisie  dialogue  est  inteiis- 
.sant.  V.  Trailéùiltéraiies  .ha  plupart  paraissent  être 
le  )iremier  fVnif  de  la  jeunesse  de  Plutarque.  L'un  o 
pour  objet  d'établir     que  la  grandeur  des  Boniains  a 


RIC 

Jamais  Plutarquc  ne  fit,  cnlic  les 
grands  hommes  de  l'antiquité  dont 
il  a  écrit  la  vie  ,  un  Parallèle  plus 
juste  el  plus  frappant  que  celui 
qu'on  pourrait  tracer  entre  lui-mê- 
me et  son  traducteur.  L'abbé  Ricard 
employa  les  moments  de  loisir  que 
lui  laissait  la  trop  lente  impression 
de  son  Plutarque ,  à  composer  un 
Poème  de  la  Sphère^  qui  lui  assi- 
gne une  place  distinguée  parmi  nos 
l)oètes  didactiques.  Il  eût  pu ,  sans 
doute,  répandre  plus  d'intérêt  dans 
ses  épisodes  ,  et  rompre  avec  plus 
d'avantage  la  monotonie  du  sujet.  Ses 
vers  ne  sont  pas  toujours  qssez  châ- 
tiés :  on  aperçoit  partout  un  travail 
trop  facile  ;  mais  assez  souvent  les 
descriptions  brillent  d'une  force  poé- 
tique, qui  n'est  jamais  sacrifiée  à 
l'exactitude.  Tout  ce  que  la  science  a 
de  technique  et  de  rebutant  pour  l'o- 
reille s'embellit  ordinairement  par  le 
style ,  et  prend  la  couleur  et  l'har- 

ctc  plutôt  l'oiiïrage  de  la  fiirliiiic  que  celui  de  la  veilu  : 
l'antiHi- jirctcnd  prouver  tpi'Alcxandic  a  dû  toute  sa 
puissance  à  sa  seule  vertu  ,  et  qu'il  ne  voulut  coD- 
<|uei-ii-lu  monde  que  pour  le  civiliser.  Ce  n'est  pas 
là  le'inoius  ctran^e  des  paradoxes  de  l'antiquité: 
l'ahlté  Plutpiet  a  vainemout  essayé  de  le  rajeuuirfA'. 
PluqLET  y  C'est  encore  un  discours  paradoxal, 
que  celiii  ou  Plutarque  soutient  qu'A  llicnes  doit  plus 
de  gloire  à  se?  guerriers  qu'à  ses  orateurs  et  à  se.s 
historiens.  Le  Traité  sur  la  Musique  (^.|IjURKTTÊ  ) 
est  moins  dogmatique  qu'liistorique.  Dans  celui  sur 
la  Manitre  délire  les  ))oites,  le  sujet  est  envisage' 
plus  du  cote  de  la  morale  <|ue  de  celui  de  la  littéra- 
ture. Ou  lit  avec  intérêt  la  Comparaison  d'Aristo- 
)i  liane  avec  Ménau  Jre.  Kii4in,  le  bon  Plutarque  se  mon- 
tre malin  et  même  injuste  dans  son  Traité  Oe  la  Ma- 
li ^iiilé  d' Hùimlole.  VI.  Traites  sur  les  mœurs  et 
.sur  les  coiilumcs.  IVous  ne  connaîtrions  pas  biau- 
*-oup  de  pratiques  usitées  chei  les  Kumains ,  et  uièmc 

<  Lei  les  Grecs,  si  les  Traités  sur  les  usages  des  Ro- 
mains ,  el  sur  les  usages  dis  Orers  ,  ne  fussent  pas 
venu'î  jusqu'à  nous.  VII.  Traités  hisloriques.  Les 
1  aralleles  cl'hi.storieu"*  Grecs  et  Koiuaius,  ne  peu- 
vint  tire  l'ouvrage  que  d'un  écrivain  obscur  et  iiiep- 
!■:  ,  qui  s'est  caçbc  sous  un  nom  illustre.  La  Vie  de? 
dix  jilus  anciens  On-leurs  d'Atbîiies  (  Antipbon, 
^Vndoeidès,  Lysias,  IsQcratc,  Isée,  Escliinc,  Lycur- 
u'ue,  Démostbi-ne,  Uyiiéridi-S  el  IJ inarque  )  eât  eu- 

<  ore  un  ouvrage  i)Seu<lonyme  ,  où  l'(>«  ne  trouve  ni 
•  ritiqcc  ni  goût.  11  est  vrai  (|ue  Plutarque  avait  com- 
pose les  vies  dir  ces  dix  orateurs;  on  n'eu  peut  dou. 
ter  d'après  le  (Catalogue  de  son  lils  f>amprias  :  mais 
cet  écril  a  péri,  avec  tant  d'autres,  dans  le  v.istc 
iiaufrage  do  l'aiitiquitc-.  VIII.  Truilii  en  /lurlip  liis- 
ijrir/ucs  ,  en  /niiUe  iiwruujc.  Celui  cpii  est  intitulé  : 


RIC  5o3 

monie  qui  paraissaient  ne  pouvoir  lui 
convenir.  C'est  au  milieu  des  ora- 
ges de  la  révolution  que,  cherchant , 
à  la  campagne,  un  asile,  du  repos, 
une  distraction  à  ses  peines,  il  avait 
composé  ce  Poème  de  la  Sphère^ 
qui  fut  imprimé  à  Paris,  en  1796, 
in-S".  De  retour  dans  la  capitale,  au 
commencement  de  1793  ,  lorsque 
l'effroi  du  passé  et  l'inquiétude  du 
présent  auraient  pu  lui  faire  redou- 
ter l'avenir ,  Ricard  conçut  le  no- 
ble ,  mais  téméraire  projet  de  rap- 
peler les  Français  à  la  religion 
de  leurs  pères  ,  et  publia  les  dou- 
ze premiers  numéros  des  Anna- 
les philosopliiques  ,  morales  et 
littéraires  ,  qui  parurent  d'abord 
sous  le  titre  de  Journal  de  la  reli- 
f^ioii  et  du  culte  catholique.  Il  écri- 
vit avec  courage ,  éleva  sa  voix  dans 
le  scindes  tempêtes,  eutpour  colla- 
borateur l'abbé  Sicard  ,  son  ami ,  et 
pour  continuateur  M.  de  Boulogne. 

Du  Démon  de  Socr^te,  est  dramatique  el  plein  d'in- 
térêt ;  celui  qui  a  pour  titfe  ,  De  V Amour.,  est  un 
monument  élevé  à_  la  gloire  des  femiues,  et  en  par- 
ticulier à  celle  d'Kpouiue,  femme  de  Sabiuus.  On  y 
trouve  cinq  autres  aventures  tragiques  ,  qui  retracent 
les  desordres  et  les  crimes  de  l'amour.  IX,  Mélan- 
ines. Les  Propos  de  table  sont  un  recueil  varié,  in'- 
iruclif  et  amnsaut.  X.  Anecdotes  ,  Maximes  ,  Bons 
mots.  Les  Apopbtbegmes  ou  jiaroles  mémorables  des 
rois  et  des  capitaines  célèbres,  ont  paru  indignes  de 
Plutarque  à  qucbpies  critiijues  cjui  les  croient  d'un 
autre  écrivain:  mais  Erasuie  ue  balance  pas  à  les 
donner  au  sage  de  Cbéronée  ;  et  l'abbe  Ricard  n'est 
pas  le  seul  qui  ait  partagé  cet  avis.  Les  Apopbtheg- 
mes  des  Lacédémouiens,  et  ceux  de  leurs  femmes  , 
écrits  avec  négligence  ,  saus  goût  et  saus  jugement, 
peuvent  avec  plus  déraison  être  attribués  à  un  écri- 
vain vulgaire.  Eulin  ,  dans  un  troisième  Kecneil, 
plus  étendu  que  les  précédents,  Plutarque  entre- 
prend de  prouver ,  par  les  faits,  que  les  t'emmcs  ne 
le  cèdent  pas  aux  Immmes  eu  vertu.  Dans  cette  col- 
leitiou  si  vaste,  il  est  donc  sept  à  buit  Traités  dont 
Plutarque  n'est  pas  généralement  recouuu  l'auteur; 
et,  sur  ce  nombre  ,  il  en  est  deux  dont  la  suppoii- 
lion  est  universellement  avouée.  L'abbé  llicard  a 
tout  tiaduit.  —  Les  Kies  des  grands  bonmics,  écri- 
tes par  Plutarque  ,  sont  au  nombre  de  cinquante.  Il 
en  est  aussi  qui  sont  perdues,  entre  autres  celles 
d'Aristomène  et  d'Epaniirondas.  Ou  n'a  point,  «le 
la  main  lU  PluUir(|uc.  les  comparaisons  de 'riiemis- 
toclc  tl'de  Camille,  de  Pyrrhus  et  de  Marius,  de 
Phucion  et  de  Catou  d'Utique ,  d'Alexandre  et  de 
César.  Uu  liaillau,  nui  a  écrit  sur  Vllistoire  de 
France,  les  .suppléa  du  temps  d'Aniyut.  l'acier  a 
voulu  aussi  remplir  celle  lacune  i  el  l'abbu  Ricard  a 


5o4 


RIC 


En  i8o4,il  publia  deux  onvraç;;es 
posthumes  de  Pluquct,  sous  le  titre 
de  Traité  sur  la  superstition  et  sur 
l'enthousiasme  ^  un  vol.  in-ia.  On  y 
trouve  une  Notice  sur  la  vie  de  l'au- 
teur, et  une  savante  Analyse  de  ses 
ouvrages  (  F.  Pluquet  ).  II  avait 
fait  imprimer,  en  l'jSgjSansynîettre 
son  nom ,  une  courte  brochure  in-8<^.  : 
Sur  les  prophéties  de  M^^'^.  Labi  eus- 
se. Parmi  les  manuscrits  qu'a  laisse's 
l'abbé  Ricard ,  sont  :  i  *'.  Une  Traduc- 
tion des  Politiques  d'Aristote.  Il  l'a- 
vait terminée ,  et  se  proposait  de  la 
livrer  à  l'impression  ,  lorsqu'on  pu- 
blia celle  de  M.  Champagne  ,  qui , 
malgré  le  succès  qu'elle  a  obtenu , 
laissera  peut-être  regretter  un  sacri- 
fice qui  ne  put  être  commandé  au 
savant  traducteur  de  Piutarqne  que 
par  l'excès  de  sa  modestie.  —  2°. 
Traductions  de  plusieurs  Haracf^ues 
de  Démoslhèncs  et  de  quelques  piè- 
ces de  Sophocle  et  d'Euripide.  —  3». 
Traduction  des  plus  célèbres  Orai- 
sons de  Ciccion.  L'abbé  Augcr ,  qui 
eut  le  manuscrit  en  communication, 
s'en  servit  utilement  pour  sa  Aversion 
del'oraîeur  romain.  —  4°-Un  Voya- 
ge en  Suisse,   rédigé  en  forme  de 

suivi  leur  exemple ,  mais  plus  IieuTeusrmeiit.  Ainsi 
que  le  f  it  Dacier,  il  a  lapprorlie,  dans  ses  notes, 
les  récits  des  bistorieus  Giecs  et  Koniaiiis  de  lanar- 
ratioD  de  Plutarqne  ,  luiscjue  celle-ci  en  diffère 
«oit  dans  le  fond  ,  soit  dans  les  circonstances. 
Il  convient  aussi  avoir  fait  usage  des  noies  de 
Brottier  et  de  Vauvilliers  ;  mais  il  n'a  pas  cru 
devoir  traduire  les  Vies  d'Annihal  et  de  Sci- 
pion  l'Africain  ,  qu'on  trouve  dans  quelques  édi- 
fions ,  et  qui  sont  de  Donat  Ac(iajuoli  (  c'est  ce 
qu'Arciajuoli  nous  apprend  ])ar  une  lettre  iuscreo 
dans-  la  première  édition  du  Plutarque  latin  de  J. 
A.  Campanus,  imprimée  vers  1470,  mais  qui  a  e'Iô 
retranchée  dans  la  a',  édition  )  Charles  L'Écluse 
les  traduisit  du  latin;  et  elles  furent  jointes  au  Plu- 
tarque d'Amyol  ,  imprimé  par  Vascosan,  ijlj-]  et 
■no.  suiv.,  iS  vol.  in-Ko.  L'aljljé  Ricard  a  dû  négli- 
ger aussi  detr.iduirc  les  vie»  omises  par  Plularque  , 
etqiie 'IliomasKlii  cou  Rowe  composa,  versi7.'io. 
Fr.  Uellai.gcr  en  d.mna  (  1734  )  une  version  fran- 
çaise, qui,  dans  plusieurs  éditions  de  la  traduction 
de  n.icier,  f..rmc  le  dernier  loliiiue.  On  trouve 
«IIMI,  dans  d'aiilr.a  édition» ,  les  vie»  d'Auguste  cl 
de  rilos,  par  de  La  Bocbc,  «t  mêine  une  Vie  de 
Litarl«iiin|;nc  ,  (rtidiiitp  d'Arciaiuull.  V— VS. 


PIC 

lettres.  On  y  trouve  d'agrcablcs  ta- 
bleaux des  sites  les  plus  pillorcs- 
ques  de  l'Helvétie  (2) ,  et  des  no- 
tions satisfaisantes  sur  le  gouver- 
nement, les  lois,  les  mœurs  et  les 
coutumes  de  ses  habitants.  —  5°. 
Un  poème  de  plus  de  quatre  cents 
vers,  Sur  la  révolution  française  , 
1790.  L'abbé  Ricard  l'adressa  en  for- 
me d'épître,à  l'auteur  de  cet  article. 
—  6''.  Un  grand  nombre  de  Poésies 
fugitives,qu'il  jugea  ne  devoir  passur- 
vivreauxcirconstances  qui  les  avaient 
fait  naître.  Il  mourut  à  Paris,  le  28 
janvier  i8o3.  Le  biographe  qui  se 
bornerait  à  faire  connaître  ,  dans 
l'abbé  Ricard,  le  savant  estimable  , 
le  modeste  traducteur  de  Plutarque, 
oublierait  qu'en  lui  l'homme  valait 
encore  mieux  que  le  savant.  Dans  la 
longue  et  pénibiecarrière  qu'il  s'était 
tracée,  et  au  milieu  du  monde  qui 
le  recherchait ,  il  ne  cessa ,  jusqu'à  la 
fin  de  ses  jours ,  d'exercer  envers  des 
jeunes  gens  sans  fortune  et  sans  ap- 
pui, une  espèce  de  paternité  (3).  Un 
grand  nombre  de  familles  honora- 
bles ne  voulait  recevoir  d'instituteurs 
que  de  sa  main.  On  le  vit ,  dans  des 
temps  de  crise  et  de  malheurs  pu- 
blics,  peu  occupé  de  ses  intérêts  et  de 
sa  sûreté  personnelle  ,  remplir  avec 
courage  les  devoirs  sacrés  de  l'ami- 
tié, visiterdcs  proscrits,  les  consoler, 
et  partager  leur  solitude  ou  leur  exil. 
Jamais  on  ne  l'a  vu  rompre  une  liai- 
son qu'il  avait  formée..  Son  amitié 
devenait  même,  pour  ainsi  dire,  un 
héritage  de  famille.  Il  comptait  plu- 
sieurs maisons  avec  lesquelles  ses 
rajiporls  intimes  étaient  à  la  troi- 


(a)II  avait  parcouru  ce  pays  en  1784  avec  le  prési- 
dent de  Meslay. 

(3)  Je  dois  tout  ii  l'alihii  Ricard  ;  il  m'aima  ,  pen- 
diinl  vinj;!  ans  ,  comme  le  pcre  le  plus  tendre.  (Ju'au 
milieu  dis  leyrets  de  sa  perle,  i-e|;reLs  (pie  le  leuqis 
n'a  pu  d(  truire  ,  il  me  soit  piriiiis  de  m'eiior^ueillir 
d'avoir  été  son  uiiii  le  plus  elier. 


RTC 

sième  génération.  Parmi  celles  qu'on 
pourrait  citer ,  on  remarque  la  mar- 
quise de  Froullay  ,  la  marquise  de 
Crëqui,  sa  fille,  célèbre  par  son  es- 
prit, et  M.  de  Crc'qui,  fiîs  de  cette  der- 
nière, qui  a  péri  victime  de  la  révolu- 
tion. Ricard  avait  des  amis  dans  tous 
les  âges.  Il  savait  trouver  un  point 
de  contact  entre  tous  ceux  qui  rccher- 
cbaient  son  amitié;  et  cetic  heureu- 
se disposition  à  saisir  ce  que  chacun 
avait  de  bon  dans  la  société,  lui  avait 
fait  donner  le  surnom  de  V Abeille. 
Parmi   les  savants   avec  lesquels  il 
était  plus  particulièrement  lié  ,  nous 
citerons  Mably, Barthélémy,  Auger, 
Dussaulx,  Pluquet ,  Larclier ,  Sicard, 
Garnier ,  IMM.  Dacier  ,  et  Pastoret. 
Il  voulut  accompagner  à  l'audience 
du  tribunal  révolutionnaire ,  et  il  y 
accompagna    M™^.  de    Cornulier , 
qui  vit  tomber  en  un  jour,  sur  le 
même  échafaud  ,  son  mari ,  M™^.  de 
Saint-Pern ,  sa  mère,  IM.  de  La  Ba- 
lue  ,  son  grand-père,  presque  tout  le 
reste  de  sa  famille,  et  qui  ne  dut  elle- 
même  la  conservation  de  sa  vie  ,qu'à 
un  pieux  mensonge  do  son  époux. 
L'abbé  Ricard  eut ,  comme  savant  et 
comme  écrivain,  un  bien  rare  avan- 
tage :  nul   savant,  nul  écrivain  ,  ne 
fut  son  ennemi.  On  l'estimait  invo- 
lontairement et  sans  elTort.  Les  suf- 
frages de  tous  les  journaux  ,  pendant 
vingt   années  ,  furent   à-Ia  fois    un 
hommage  rendu  à  ses  vertus,  et  la 
douce  récompense  de  ses  veilles.  Il 
avait  désiré  d'être  admis  dans  l'aca- 
démie des  belles-lettres.  Ses  amis  le 
décidèrent ,  en  i  ^85  ,  à  demander  la 
place  vacante  par  la  mort  de  M.  de 
Burigny  ;  il  fit  les  démarches  néces- 
saires, et  son  attente  fut  trompée. 
Trois  ans  apiès  ,  M.  de  Barenliu  , 
son    ami    particulier  ,    fut    nommé 
garde  -  des  •  sceaux  :  alors  les  por- 
tes de  racadcmic  parurent   prêtes 


RIG 


5o! 


à  s'ouvrir  d'elles-mêmes  ;  et  Tabbc 
Ricard  écrivit  à  Tauteur  de  cet  ar- 
ticle (  i4  uov.  1788  ):  «  Mon  parti 
»  est  bien  pris  depuis  long-temps  , 
»  de  ne  plus  penser  à  racadénile;  et 
))  cette  nouvelle  démarche  où  je  vois 
»  que  l'espérance  de  plaire  à  un  mi- 
»  nistre,  qu'on  sait  me  vouloir  du 
»  bien,  a  tant  de  part,  aurait  suffi 
«  pour  m'en  éloigner  ,  si  ma  rc'solu- 
1)  tion  n'eut  pas  été  prise  d'avance 
»  irrévocablement.  »  On  lui  propo- 
sa la  continuation  de  V Histoire  de 
France,  que  Garnier  ne  pouvait  plus 
poursuivre  dans  sa  vieillesse,  et  qui 
se  désista  en  faveur  de  Ricard  (  lo 
juillet    1801);  mais  Ricard  recon- 
nut bientôt  avoir  plus  consulté  son 
zèle  que  ses  forces,  qui  commen- 
çaient à  l'abandonner.  A  la  fin  de 
1802  ,  il  engagea  l'auteur  de  cet  ar- 
ticle à   se  charger  de  ce  fardeau. 
Tandis  que  celui-ci  rassemblait  en- 
core   ses    matériaux  ,    Fantin    des 
Odoards  se  hâta  de  faire  paraître  une 
continuation  ,  dont  le  peu  de  succès 
n'avait  rien  qui  dût  arrêter  :  mais  le 
découragement  vint  de  l'impossibi- 
lité reconnue  d'écrire  librement  l'his- 
toire sous  le  despotisme.  L'entre- 
prise fut  donc  abandonnée  ;  et  c'est 
de  nos  jours    seulement  que   Gar- 
nier  a  trouvé   nu  autre    continua- 
teur. Tout  le  bien  que  l'abbé  Ricard 
avait  fait  pendant  sa  vie,  ne  fut  connu 
qu'après  sa  mort  ;  dans  le  délire  qui 
précéda  son  agonie  ,  il  s'écriait,  eu 
agitant  devant  lui  ses  mains  :  Ouvrez 
les  parles  à  ces  pauvres,  laissez- 
les  tous  entrer;  donnez-leur  tout 
ce  que  vous  avez.   Ainsi,  dans  ce 
terrible    moment,    Ricard    trahis- 
sait le  secret  de  toute  sa  vie,    qui 
ne  lut  qu'iuic  longue  suite  de  bicu- 
faits.  V-VL. 

RICARDO  (David),  l'un  des 
c'conomisics  les  plus  distingués  du 


)o6 


RIC 


dix-ncuvicmesicclc ,  descendait  d'imc 
famille  juive  originaire  de  Lisbonne. 
Il  naquit  à  Londres,  en  1772.  Son 
père  y  exerça  pendant  long-temps  , 
etavec.  succès,  l'ëtat  lucratif  decour- 
lierde  change.  David  Ricardo,qni  lui 
succe'da  parla  suite  ,  ne  se  borna  pas 
au  travail  presque  me'canique  de  mar- 
chand d'argent  :  après  avoir  reçu  une 
éducation  libérale  ,  il  se  livra  ,  dès 
î'àge  de  dix-huit  ans,  à  l'élude  del'é- 
conoraic  politique  (i).    Il   trouva, 
dans  la  bibliothèque  de  sou  père ,  les 
auteurs  les  plus  estimés  qui  ont  écrit 
sur  cette  science  si   importante  et 
encore  si  peu  avancée ,  et  en  fit  sa 
?ecture  la  plus  assidue.  Cène  fut  ce- 
pendant qu'en  1 809 ,  à  l'âge  de  trente- 
sept  ans  ,  qii'il  débuta  comme  écri- 
vain par  la  publication  de  son  Essai 
intitulé  :   le  Haut  prix  du  Lingot 
(buUion  )  .preuve delà  dépréciation 
des  hilleis  de  banque  ,  in-8^.  Cet 
écrit,    dont  la  quatrième  édition, 
qui  a  paru  à  Londres ,  en  181  r  ,  est 
accompagnée  d'excellentes   remar- 
ques sur  un  article  de  V EdinburgJi 
review  ,   fit  une  grande  sensation, 
parce  qu^il  révélait  la  véritable  cause 
de  la  baisse  du  change  anglais  ,  et 
de  la  dépréciation  des  billets  de  ban- 
que (î).    Ricardo  démontra  que  ce 

(i)  L'auteur  d'im  aillclesur  Ricardo  ,  inséré  dans 
les  Xuhiùtles  universelles  (  u».  du  17  septem- 
bie  1823  )  ,  assure  qu'il  i)C  s'occupa  que  fort 
tard  d'économie  politique,  ri  que  oe  fut  iiiôuic 
Jiar  un  cflct  du  liasaid.  «  Se  trouvant  un  jour  à  la 
«campagne  clic/,  un  ami,  le  dcsœuvrcmeut  lui 
J'  fit  jeter  Jes  veux  sur  un  volume  de  la  Bichesse  <le< 
J)  nations  ,  d'Adam  Smith.  Il  fut  frap|)é  de  la  vérité 
»  des  observations  de  cet  écrivain ,  acheta  son  ouvra- 
"  ge,  le  lut  avec  avidité  ,  et  ne  cessa  depuis  te  mo- 
»  ment  de  méditer  et  d'écrire  sur  l'iVono/n/e/^o//*/. 
>j  t/ne.  »  Les  rentcigncracnts  que  nous  avons  recueil- 
lis en  Angleterre,  auprès  de  quelques  personnes  qui 
oui  bleu  connu  Uicardo,  nous  mettent  <n'élat  d'aflir- 
lucr  <|ni- cette  hi.sloriettc  est  controuvée  C'est  .Vpeu- 
pres  de  la  même  maniire ,  et  .sans  plus  de  motifs , 
que  ISulbi.'r.s  ,1  dit  que  le  maréchal  de  Munnich 
.-ipprit  les  uiutlicmatiques  dausl'tunui  d'un  quartier 
u  hiver. 

{■>)  Un  sait  qu'à  cetle  époque  ,  et  depuis  1797,  I,  s 

Ldicl*  delà  l>..n, 'ctalent  pas  reu.l' our.alie,  en 

espèce»  u  presciitatuin. 


RIC 

n'était  point  à  l'état  de  guerre  ,  qu'il 
fallait  attribuer,  comme  on  le  sup- 
posait assez  généralement  ,  le  ren- 
che'risscmcnt  qu'avaient  éprouvé  tou- 
tes les  marchandises  ,  mais  plutôt  à 
la  dépréciation  dn  papier-monnaie; 
et  i*l  prouva  que  cette  dépréciation 
provenait  surtont  de  ce  que  la  ban- 
que avait  cru  devoir  donner  des  es- 
comptes extraordinaires  au  com- 
merce ,  dont  les  magasins  se  rem- 
plissaient de  marchandises  qui  trou- 
vaient m.oins  de  débouchés  ,  ce  qui 
produisait  ainsi  un  double  élément 
de  supcrfétation  dans  les  billets  de 
cet  établissement  (3).  De  là  naquirent 
des  craintes  sur  la  solidité  de  la 
banque  (4) ,  et,  par  suite  ,  de  vives 
attaques  contre  l'ouvrage  de  Ricardo. 
Le  ministère  et  ses  alentours  ne  vou- 
laient pas  croire  à  la  dépréciation  du 
papier  :  elle  fut  démontrée  dans  le 
pamphlet  de  Ricardo,  qui  provo- 
qua, en  1810,  le  fameux  rapport 
du  Bullion  committee.  M.  Hor- 
ner,  qui  en  fut  le  rédacteur,  con- 
vint que  la  démonstration  était 
sans  réplique  ;  et  lui  -  même  prou- 
va ,  par  le  change  de  Hambourg, 
que  ce  papier  perdait  vingt  cinq  pour 
cent.  Ce  fut  alors  que  le  chancelier 
Vansittart  prct.enla,en  opposition, 
une  série  de  résolutions  ,  et ,  entre 
autres,  celle-ci  qui  parut  lout-à  fait 
inconcevable  :  «  Qu'une  hnnfjue- 
»  note  et  un  scheling  équivalaient  à 
»  une  guinée.  »  Aussi  lul-cllc  l'objet 
des  cridques  les  i^liis  jiiquaiiles.  JNous 
avons  dit  que  la  brochure  de  Uicardo 


(3)  Ca  Lie  monnaie  subissait  le  sort  de  toute  mou- 
naie  trop  abondante  :Smllh  avait  déjà  dit  et  prouvé 
que  lé  canal  de  la  circulation  n'admet  jamais  que  la 
monnaie  nécessaire. 

((()  Ricardo  n'avait  cependant  jamais  eu  ni  voulu 
inspirer  de  craintes  sur  la  solidité  île  la  liampic  ,  ipii 
ne  pouvait  être  conqu-futtise  ,  dis.iil-il ,  <pic  par 
sa  ronuexion  avec  le  gonvi  ruemrnl.  La  banipie  ,  de- 
venue indépend.inle  ,  et.iil,  .'i  SCS  Vcu.\,  aubsi  soli- 
de-que  le  10c  de  Gibridtur. 


RIC 

avait  ctd  vivement  attaquée  :  il  tte 
laissa  point  sans  re'ponse  les  e'crits 
de  ses  antagonistes;  et  il  publia,  en 
1 8 1  o ,  sa  BépUque  aux  observations 
de  M.  Bosanquet ,  sur  le  rapport  du 
Bullion  committee,  brocliure  in-8". 
de  i4i  p-ig. ,  suivie,  quelque  temps 
après ,  d'un  Appendix  sur  le  haut 
prix  du  lingot  ,  in  8°.  Ricardo  pu- 
blia ,  en  1 8 1 5  et  en  1816,  d'autres 
Opuscules  dont  nous  donnerons  la 
liste  à  la  fin  de  cet  article  :  mais  ce 
fut  en  1817  qu'il  fit  paraître  son  ou- 
vrage capital ,  celui  sur  lequel  repose 
principalement  sa  réputation  comme 
économiste,  qnoiqueM.  Ferrier  pré- 
tende que  son  principal  défaut,  et 
en  général  celui  de  tous  les  ouvra  - 
ges  de  Ricardo,  est  d'être  inintelligi- 
ble. Ses  Principes  de  V Economie 
politique  et  de  l'impôt,  (  1 8 1 7  in-8''., 
5^.  édit. ,  1821  ),  ont  élé  traduits  en 
français  , Paris,  18 19  ,2  vol.  in-8'>., 
par  F.  S.  Constancio, ,  avec  des  no- 
tes explicatives  et  critiques  par  J.  B. 
Say(5),  qui  ne  partage  pas  toujours 
les  opinions  de  Ricardo,  auquel  il 
reproche  surtout  de  donner  à  ses 
propositions  trop  de  généralité.  Des 
trois  points  principaux  de  la  doc- 
trine, traités  par  Adam  Smith  ,  la 
rente  ,  les  salaires  et  le  profit  (  ou 


•  (^5)]Vr.  Ferrier, l'un  desaotagoiiistes  les  plus  pro- 
nouces  et  des  plus  habiles  des  ccn'vaius  de  l'école  de 
Smitli ,  prétend  (dans  son  ouvrage  ,'  iS«/"  le  gouver- 
nement,  considéré  ilan<  ses  rapports  avec  le  com- 
merce) ,  que  Smith  ,  Say  ,  Ricardo  et  la  plupart 
des  économistes  ,  ont  toujours  raisonné  sans  avoir 
égard  à  la  séparation  d'intérêts  di-s  dirTérentes  na- 
tions ,  et  dans  la  supposition  où  il  n'existerait  qu'une 
seule  société  d'hommes.  H  est  vrai  que  l'ouvrage  de 
M.  Ferrier  a  paru  sous  le  régime  contiiienliil ,  lequel 
n'était  pas  précisément  couforme  à  la  doctrine  de 
Smith;  mais  cet  écrivain  n'a  pas  varié  d'oninion  sur 
les  cconomi.stes  en  général  ,  et  sur  Ricardo  eu  par- 
ticulier :  «  Ecrivant  pour  l'Angleterre,  nous  mande 
>»  M.  Ferrier  ,  Ricardu  a  dit  sur  le  papier  m'>n- 
»  naic  des  cho  es  jusies  et  prufondrs;  mais  lorsqu'il 
»  a  voulu  géiiéraliser  sa  }>cnsée .  il  est  tombé  dans 
>'  l'erreur  ,  parce  qu'il  ue  faut  jamais  juger  d'un 
>'  penjde  par  un  antre,  (piand  il  s'agit  d'instilu- 
)>  tiens  qui  reposent  sur  dit  vieilles  habitudes ,  snr 
"  de  longs  et  uombrcux   antéc"  dents.  » 


RIO  507 

mieux  le  revenu  ) ,  le  premier ,  que 
Smith  n'a  pas  traité  avec  sa  supé- 
riorité ordinaire ,  a  été  fort  bien 
développe  par  Malthus,  dans  ses  Be- 
cherches  sur  la  nature  et  les  progrès 
de  la  rente  ,  et  sur  les  principes  qui 
lui  servent  de  règle  {An  Inquirj  on 
the  nature  and  progress  ofrent  and 
the  principles  bj  which  it  is  regu- 
lated  ) ,  Londres  ,  18 1 5  ,  61  pages. 
Dans  ce  petit  ouvrage  ,  Malthus  éta- 
blit ,  d'une  manière  neuve  et  frap- 
pante, la  doctrine  de  la  rente;  et  il 
est  à  remarquer  que ,  dans  le  même 
temps  ,  un  membre  de  l'université 
d'Oxford  posait  et  développait  les 
mêmes  principes  :  coïncidence  ho- 
norable pour  l'Angleterre.  JIMalthus 
et  Ricardo  ne  diffèrent  que  sur  l'ex- 
tension à  donner  à  cette  doctrine , 
et  sur  celle  de  son  application  pra- 
tique. Voici  ,  au  reste ,  la  théorie 
foudamcnlale  et  distinctive  du  grand 
ouvrage  de  ce  dernier.  Il  clablit 
d'abord  ,  que  la  valeur  d'une  mar- 
chandise dépend  de  la  quantité  de 
travail  nécessaire  pour  la  produire  , 
et  non  pas  du  plus  ou  moins  de  sa- 
laire payé  pour  ce  travail  ;  et  secon- 
dement ,  que  les  bénéfices  d'un  capi- 
tal varient  toujours  dans  la  propor- 
tion inverse  du  mouvement  des  sa- 
laires ,  c'est-à-dire  que  les  bénéfices 
s'élèvent,  lorsque  les  salaires  bais- 
sent ,  et  baissent ,  lorsque  les  salaires 
s'élèvent.  Ricardodémoutreen outre, 
que  la  valeur  du  produit  brut ,  qui 
forme  la  subsistance  de  la  classe  ou- 
vrière ,  tend  constamment  et  néces- 
sairement à  s'élever  dans  la  propor- 
t'.on  du  progrès  de  la  civilisation, 
par  la  nécessité  d'étendre  progressi- 
vement les  délVichcmculs  et  la  cul- 
ture sur  des  terrains  d'une  valeur 
reproductive  progressivement  dé- 
croissante ;  or ,  comme  le  salaire  de 
l'ouvrier  doit ,  de  toute  nécessité,  s'é- 


5o8  RlC 

lever  avec  le  prix  des  denrées  ne'ccs- 
cessaires  à  sa  subsistance  ,  il  s'ensuit, 
que  ,  dans  la  marche  progressive 
de  la  société',  la  tendance  naturelle 
des  salaires  du  travail  est  à  la  haus- 
se, et  celle  des  béncfircs  des  capitaux 
à  la  baisse.  Il  cherche  à  établir ,  dans 
le  même  ouvraj^e,  que  le  profit  que 
fait  un  propriétaire  foncier  sur  sa 
terre,  c\'st-a-dire,  ce  que  lui  paye 
son  fermier,  ne  représente  jamais 
que  l'excédant  du  produit  de  sa  terre 
sur  le  produit  des  plus  mauvaises 
terres  cultivées  dans  le  même  pays. 
Cette  dernière  opinion  ,  purement 
spéculative  ,  a  été  vivement  attaquée 
par  plusieurs  écrivains,  entre  au- 
tres par  Malthus,  qui ,  toujours  en 
discussion  avec  Ricardo  ,  n'en  était 
pas  moins  un  de  ses  amis  les  plus  in- 
times. Celui-ci,  qui  avait,  depuis 
quelque  temps  abandonné  la  religion 
de  SCS  pères  pour  se  faire  chrétien 
anglican ,  et  qui  possédait  de  vastes 
domaines,  dont  plusieurs  lui  don- 
naient l'entrée  au  parlement,  était, 
en  1817,  raembrede  la  chambredes 
communes.  Nous  iguorons  l'époque 
précise  de  son  début  parmi  les  dé- 
putés de  la  nation  anglaise  :  nous  sa- 
vons seulement  qu'il  eut  lieu  assez 
tard.  Indépendant  par  sa  fortune  et 
par  son  caractère  ,  il  se  plaça  sur  les 
bancs  de  l'opposition,  qu'il  ne  dé- 
serta en  aucun  temps.  Il  se  prononça 
fortement  en  faveur  d'une  réforme 
parlementaire,  et  ne  craignit  pas  de 
prendre  la  défense  du  libraire  Car- 
lisle,  convaincu  d'avoir  publié  des 
écrits  irreligieux  :  c'était,  dit-on, 
une  conséquence  naturelle  des  prin- 
cipes contenus  dans  un  discours  que 
Ricardo  avait  prononcé  à  l'ajipui  de 
la  pétition  des  dissenlcrs  de  Liver- 
pool.  C'irpeiidant  les  ()[)iuions  de  Ri- 
cardo étaient  en  général  modelées; 
et  il  ne  passait  pas  pour  partager  les 


RIG 

principes  de  l'homme  dangereux 
dont  il  s^ctait  imprudemment  fait  le 
champion.  On  peutdonc  croire  que, 
dans  cette  circonstance,  comme  dans 
quelques  autres  de  sa  vie  politique  , 
il  se  laissa  égarer  par  les  préjugés  et 
les  passions  souvent  peu  réfléchies 
du  parti  qu'il  avait  adopté.  Tous  les 
gens  sensés  et  impartiaux  pensent 
avec  lui,  que  la  persécution  est  un 
mauvais  auxiliaire  pour  la  religion; 
mais  ils  pensent  aussi  qu'on  ne  peut 
qualifier  de  persécution  les  mesures 
que  les  gouvernements  sont  quelque- 
fois obligés  de  prendre  pour  mettre 
un  frein  à  la  licence  de  ces  hommes 
pervers  et  audacieux  qui  cherchent 
à  corrompre  le  moral  des  nations, 
en  détruisant  toute  idée  religieuse. 
On  ne  peut  disconvenir  en  effet  que 
l'édifice  social  courût  risque  d'ê- 
tre bientôt  renversé,  si  les  gou- 
vernements avaient  la  faiblesse  de 
fermer  les  yeux  sur  des  écarts  aus- 
si graves  ,  et  dont  Thistoire  de 
notre  nation  nous  a  démontre  que 
les  conséquences  étaient  si  funes- 
tes. Quoi  qu'il  en  soit,  les  talents 
et  la  bonne-foi  de  Ricardo  étaient  si 
généralement  reconnus  ;  on  savait  si 
bien  qu'il  ne  cherchait  jamais  que  la 
vérité  et  le  bonheur  de  son  pays ,  que 
les  ministres  le  consultaient  toujours 
sur  les  questions  délicates  d'écono- 
mie politique.  S'il  faut  en  croire  les 
e'crivains  anglais,  peu  de  personnes 
possédaient  à  un  degré  aussi  supérieur 
le  talent  de  parler  avec  clarté  et  facili* 
té  sur  les  sujets  les  plus  abstraits  :  il 
n'avançait  jamais  une  opinion  ,  sans 
y  avoir  profondément  réfléchi  , 
et  sans  l'avoir  envisagée  sous  tou- 
tes ses  faces.  Aussi  ,  quoiqu'il  fût 
loin  de  posséder  toutes  les  (jualilcs 
qiii  constituent  le  grand  orateur,  on 
l'écoulait  toujours  avec  un  vif  iytc- 
rèt,  surtout loi'squ'il  traitait  ([uelquc 


RIC 

question  d'économie  politique.  Il 
avait  passé  la  plus  grande  j)artic  de 
sa  vie  à  la  bourse  de  Londres ,  où 
son  industrie,  sa  persévérance  et  ses 
talents  lui  aviiient  donné  les  moyens 
d'accumuler  une  fortune  considéra- 
ble, qui  s'élevait  à  sa  mort  à  treize  ou 
quatorze  millions  (6j  de  francs.  Mais 
malgré  les  distractions  d'une  vie  si 
occ!!pée,  il  ne  négligea  jamais  ses 
recherclies  spéculatives;  et  lorsqu'il 
fut  parvenu  à  l'opulence ,  il  se  retira 
des  affaires ,  et  consacra  tous  ses  mo- 
ments à  l'étule,  surtout  à  celle  de 
la  science  intéressante  dont  on  peut 
le  regarder  comme  le  second  créa- 
teur, et  à  laquelle  son  nom  est  irré- 
vocablement uni.  Ricardo  s'occupait 
de  mettre  la  dernière  main  à  un  Es- 
sai sur  la  meilleure  constitution 
d'une  banque  nationale,  qui  était 
presque  terminé,  lorsqu'il  mourut,  à 
sa  terre  de  Catcomb-Park,  le  ij 
août  i8'23  (7),  Outi'C  les  deux  ou- 
vrages dont  nous  avons  parlé ,  on 
doit  à  Ricardo  :  I.  Essai  sur  Vin- 
Jluence  du  bas  prix  du  blé  sur  les 
profits  ou  le  cours  des  fonds  pu- 
blics ,  i8i5  ,  in-8''.  (  5o  pages.  ) 
L'auteur  y  démontre  que  les  obsta- 
cles imposés  par  la  légisîalion  an- 
glaise à  l'introduction  des  blés  étran- 
gers sont  une  mesure  impolitique, 
dont  l'cfiet  a  été  de  faire  jeter  beau- 
coup de  capitaux  dans  la  culture 
des  maui'aises  terres;   mesure  que 

[6)  C'est  par  erreur  que  ejuclques  écrivains  fran- 
rais  ont  évalun  à  plus  de  quarante  luilliou»  de  francs 
Infortime  de  Ricardo. 

(7)  La  maladie  de  Ricardo  était  un  abcès  à  l'oreil- 
Tc  ,  dont  le  divelojipcmeut  rap  de  résista  à  touiî  les 
remciles,  et  qui  finit  par  crever  et  b'epaucber  dans 
l'intérieur.  C'est  donc  faute  d'informations  sudisan- 
tcs  que  M.  Mac-rullocliaatlrilinéyainortMa  forma- 
tion d'un  liydrocuphaic  (  y.  la  Notice  necrolojîiquc 
qu'il  lui  a  consacrée  dans  le  .S'ro/smaH  ).  Tous  les 
journalistes  anglais  ont  cimruis  la  même  erreur.  C'est 
encore  par  nue  faute  d'impressicm  i|iie  la  même  No- 
tice porte  que  Ricardo  avait  cinquautc-six  arts, 
lorsqu'il  a  cesse  d'exister  .-  il  n'avait  pas  cuniplété 
sa  cinquaute-deuiièmc  ciinée. 


RIC  509 

le  gouvernement  est  forcé  de  main- 
tenir pour  ne  pas  mettre  ces  capitaux 
en  péril.  Il  en  résulte  un  désavan- 
tage pour  la  main-d'œuvre,  par 
le  haut  prix  comparatif  des  blés  in- 
digènes ,  qui  provoque  celui  des  sa- 
laires. II.  Projet  d'un  papier-mon- 
naie économique  et  sûr,  brochure  de 
1 28  pag. ,  1 8 1 G  et  1 8 1 8.  Cet  écrit  in- 
génieux, qui  fit  grand  bruit,  et  dans 
lequel  l'auteur  jette  beaucoup  de  jour 
sur  la  nature  et  l'usage  des  monnaies, 
a  pourbut  l'introduction  d'une  mon- 
naie de  papier  que  le  public  pourrait, 
en  tout  temps  et  a  bureau  ouvert ,  se 
faire  rembourser  en  lingots  d'or,  et 
dont  il  ne  demanderait  jamais  le 
remboursement,  parce  que  des  lin- 
gots d'or  ne  pourraient  tenir  lieu 
d'espèces  mounoj'ées.  Il  en  résulte- 
rait un  papier-monnaie  qui  devrait 
toujours  valoir  autant  que  de  l'or. 
On  prétend  que  ce  paiu|)hlet  de  Ri- 
cardo a  donné  à  la  banque  de  Lon- 
dres les  moyens  de  revenir  sans  se- 
cousse aux  paiements  en  espèces. 
Suivant  un  de  nos  économistes  fran- 
çais les  plus  distingués  (  M.  le  comte 
M...  ) ,  il  y  a  peut-être  plus  de  sub- 
tilité que  de  solidité  dans  ce  projet  de 
lingots  d'or.  Il  est  bien  certain  que 
les  billets  dont  un  tel  dépôt  serait 
le  gage  ,  ne  se  présenteraient  guère 
au  remboursement  ;  mais  si  la  valeur 
des  lingots  devait  égaler  celle  des 
billets  ,  ({uel  serait  l'objet  d'une  telle 
banque  ?  III.  Sur  les  prohibitions 
en  agriculture  ,  brochure,  de  g5 
pages,  publiée  en  iS'i'î,  iii-80. ,  et 
qui  renferme  une  excellente  doctrine. 
Ricardo  a  inséré  dans  le  Supplément 
de  V Encyclopedia  Britannica,  un 
article  sur  le  système  d'amortisse- 
ment, que  l'auteur  de  cette  Notice 
s'occupe  à  traduire.        D — z — s. 

RIGAUDOS  (Le  marquis  don  An- 
tonio ) ,  géne'rai  espagnol ,  né  à  Se- 


5 10  RIC 

ville,  en  i']48j  appartenait  à  une 
famille  illustre.  A  l'âge  de  quinze 
ans  ,  il  entra  dans  le  corps  des 
gardes-espagnoles.  Il  se  trouva  aux 
expéditions  d'Alger  (  eu  l'^'j'j  )  ,  et 
de  Gibraltar  (  eu  1782  )  ,  et  il  y 
donna  des  preuves  d'intelligence  et 
de  courage.  Apiès  avoir  occupe  plu- 
sieurs gouverueraents  ,  il  fut  nom- 
mé capitaine- général  de  la  Catalo- 
gne. Peu  de  temps  après  sa  nomi- 
uation  à  cette  place  ,  la  guerre 
éclata  contre  la  France,  en  1 793.  Ri- 
cardos  réunit  à  la  hâte  une  armée , 
et ,  se  portant  à  marches  forcées 
sur  les  frontières  ,  entra  sur  le  ter- 
ritoire français  ,  où  il  battit  les 
troupes  républicaines ,  emporta  le 
fort  des  Bains  après  vingt-tiois  jours 
de  blocus  ,  et  celui  de  Bellegarde 
après  un  bombardement.  Au  combat 
de  Trullas  il  décida  lui-même  la  vic- 
toire ,  eu  chargeant  à  la  tète  de  ses  ca- 
rabiniers ;  enfin,  il  arriva  jusqu'aux 
portes  de  Perpignan.  On  ignore  quel 
motif  l'empêcha  de  faire  la  moindre 
tentative  pour  s'emparer  de  cette 
place ,  qui  lui  aurait  assuré  la  con- 
quête du  Roussillou.  Après  celte 
brillante  campagne  ,  il  vint  à  Ma- 
drid rendre  compte  de  ses  opéra- 
tions, et  demander  des  renforts  afin 
d'ouvrir  la  campagne  suivante.  Il  fut 
reçu  daus  la  capitale  au  milieu  des 
acclamations  du  peuple  ;  et  le  roi 
lui  conféra  la  grande  croix  de  l'or- 
dre de  Charles  III.  Pendant  ce  temps, 
le  gouvernement  français  avait  en- 
voyé des  forces  imposantes  dans  les 
Pyrénées  :  les  républicains  prirent 
l'offensive, et  les  Espagnols  furent  re- 
poussés vers  leurs  frontières.  Cet 
échec  inattendu  excita  du  niéconten- 
tcraeut  paiiiii  le  peuple  de  Madrid,  et 
fut  altribnéà  la  lenteur  qu'avait  mise 
Ricardos  pour  se  rendre  à  son  armée. 
Tous  les  jours ,  à  sou  réveil  ,  et  à 


RIC 

l'heure  de  son  dîner ,  une  foule  de 
femmes  du  peuple,  avec  des  gui- 
tares et  dos  tambours-de-basque  en- 
combrait la  porte  de  sa  maison ,  en 
criant ,  au  son  de  leurs  instruments  : 
Adieu  ,  monsieur  le  général  !  bon 
vojage  ,  monsieur  le  général  I .  .  . 
Mais  Ricardos  avait  eu  le  mal- 
heur de  déplaire  à  un  ministre  tout- 
puissant  ,  qui  lui  fit  attendre  long- 
temps et  inutilement  les  secours 
demandés.  Le  mécontentement  du 
peuple  ne  faisant  qu'augmenter,  et 
la  musique  et  les  clameurs  ne  dis- 
continuant pas  ,  il  se  rendit  enfin 
à  son  armée ,  où  il  n'arriva  que 
pour  la  voir  se  retirer  en  désor- 
dre. Ce  revers  entraîna  sa  disgrâ- 
ce ,  déjà  préparée  d'avance ,  et  il  se 
vit  remplacé  dans  son  commande- 
ment par  le  comte  de  la  Union  ,  qui 
ne  fut  pas  plus  heureux  que  lui.  Ri- 
cardos se  retira  daus  une  de  ses  ter- 
res près  de  Séville ,  où  il  mourut 
oublié ,  eu  avril  1 798.  Ce  général 
avait  du  courage  et  des  talents  mi- 
litaires ;  mais  il  manquait  de  la  cir- 
conspection ou  de  la  flexibilité  né- 
cessaire pour  se  captiver  la  bien- 
veillance d'un  favori.  B — s. 

RICAUT  (Sir  Paul),  diplomate 
anglais,  était  le  dixième  fils  de  Pierre 
Ricaut  ,  commerçant  établi  à  Lon- 
dres ,  et  connu  par  quelques  ouvra- 
ges populaires.  Il  fit  de  bonnes  études 
à  Cambridge,  y  reçut  le  degré  de 
bachelier,  en  iG5o,  et  voyagea  pen- 
dant quelques  années  en  Europe,  en 
Asie  et  en  Afrique.  Il  fut  ensuite  at- 
taché, comme  secrétaire,  au  comte 
de  WinchcSsea ,  qu'il  suivit  daus  son 
ambassade  extraordinaire  à  Cousfan- 
tinople,  en  1661 ,  et  il  s'instruisit  à 
fond  des  mœurs,  des  usages  et  de  la 
religion  des  Turcs.  Pendant  celte  am- 
bassade ,  qui  dura  huit  années,  il 
vint  deux  fois  à  Londres  pour  les 


RIC 

affaires    du    gonvcrncmcut  ,    passa 
quelque  temps  dans  le  camp  du  vi- 
sir  Coproli  eu  Hongrie ,  et  publia  la 
Capilulalion  des  articles  du  traite 
de  pais  conclu  entre  la  Porte  et  l'An- 
gleterre, Il  avait   obtenu  ,  pour  les 
vaisseaux  anglais ,   l'exemption  de 
tout  droit  de  visite  dans  les  mers  otlio- 
manes.  Les  talents  qu'il  montra  dans 
son  emploi ,  lui  méritèrent  l'estime 
de  l'ambassadeur,  sur  la  recomman- 
dation duquel  il  fut  nommé  consul  à 
Smyrne.  Ricaut  remplit  cette  place 
pendant  onze  ans ,  s'oocupant  sans 
relâche   d'étendre  et   de    favoriser 
le  commerce  des   Anglais    au   Le- 
vant. A  son  retour  dans  sa  patrie, 
dont  il  était  absent  depuis  près  de 
vingt-quatre   ans  ,    il   fut   nommé  , 
par  lord  Clarendon,  en   i68j,  se- 
crétaire des  provinces  de  Leinster 
et  de  Conanght   en    Irlande  ;    et  le 
roi  Jacques  II ,  en  recompense  de 
ses  services  ,  le  créa  conseiller-privé 
d'Irlande  ,  et  juge  de  l'amirauté,  La 
réyolutiou  qui  précipita  les  Stuarts 
du  trône  ,  priva  Ricaut  de  tous  ses 
emplois  ;  mais  il  ne  tarda  pas  à  ren- 
trer en  faveur,  et  il  fut  pourvu  ,  dès 
i6go  ,  de  la  charge  de  résident  près 
des   villes  anséatiques.  Des  raisons 
de  santé  l'obligèrent  de  repasser  en 
Angleterre,  en   1700  :  il  mourut  à 
Londres,  le  16  décembre  de  la  mê- 
me année.  Il  était ,  depuis  quelques 
années ,  membre  de  la  société  royale 
de  Londres,  Outre   une   traduction 
anglaise  de  l'histoire  du  Pérou,  par 
Garcilaso  de  la  Vega ,    1688,  in- 
fol.  (i),  et   du   Crilicon  de  Uallh, 
Gracian ,  et   une  continuation    des 
Vies  des  papes  ,   par  Platina  ,    on 
a  de  lui  :  1,  Histoire  de  i'élat  pré- 
sent de  l'empire  Olhoman ,  coutc- 


(1)  Voy.  l'art.  GARCILASO,  XVI,  4h7>|'»,  par 
\iue  orrcut  typograj'Liijuc ,  It  traducteur  est  mal 
iioioiue  Higniirl, 


RIC 


5.1 


nant  les  maximes  politiipies  des 
Turcs  ;  les  principaux  points  de  hi 
religion  mahométane,  etc. ,  Londres, 
1 66g ,  et  réimprimée  un  grand  nom- 
lire  de  fois  ,  sous  différents  formats. 
C'était  le  premier  ouvrage  qui  fît: 
bien  connaître  les  mœurs  des  Turcs, 
ainsi  que  les  ressources  et  la  politi- 
que de  la  Porte  Othomane  :  il  a  été 
traduit  dans  presque  toutes  les  lan- 
gues de  l'Europe;  et,  malgré  les 
nouvelles  notions  qu'on  a  recueillies 
sur  l'empire  des  Turcs,  on  le  lit  en- 
core avec  intérêt.  On  en  a  deux 
traductions  françaises  ;  l'une  par 
Briot,  Paris  ,  1670  ,  grand  in-4''. , 
(i);  et  l'autre  par  Bcspier,  Rouen, 
1677,  i"-î2j  '-*  ^'ol-  I-'^  traduction 
de  Bespier  est  enrichie  de  notes  fort 
estimées;  mais  celle  de  Briot  est  plus 
exacte  (  Foj\  Briot,  v,  6i4).  II. 
Histoire  des  trois  dentiers  empe- 
reurs turcs,  depuis  161"^  jusqu'en 
1679  ,  Londres  ,  1680,  in-fol.  ;  tra- 
duite en  français  par  Briot ,  Paris  , 
i683  ,  4  vol.  in- 12.  C'est  une  con- 
tinuation de  l'histoire  gcufrale  des 
Turcs,  parRich.  KuoUes  (  Voj.  ce 
nom  ,  XXII  ,  495  ).  HT.  Histoire 
des  liurcs^  depuis  1679  jusqu'en 
1699,  et  continuée  par  le  traduc- 
teur anonyme,  jusqu'en  1  704,  Ams- 
terdam ,  1709,  3  voi.  in- 1 '2.  Ces  trois 
ouvrages  de  Ricaut  ont  été  publiés 
en  français  ,  sous  le  titre  d'Histoire 
de  l'empire  Othoman ,  la  Haye , 
1709,  (3  vol.  in-i'2;  les  cinq  pre- 
miers contiennent  l'Histoire  et  la 
continuation;  et  le  sixième,  le  ta- 
bleau de  l'empire  ,  de  la  traduction 
de  Briot.  IV.  Histoire  de  l'état  pré- 
sent de  l'Eglise  grecque  et  de  VE- 


(i)  Cette  e'dition  est  rarp  et  rcclierclice.  Lesaina- 
tcurs  fuDt  aussi  licaucoup  de  cas  de  la  rcimprcssiou 
d'Amsterd.,  Abrali.Woltgaiik  ,  iG^o.in-i»,  avcclfs 
lig.  réduites  de  Leclerc,  parce  <f<i'eUe  fait  jiartio 
deti  egllcctiou  des  Hicvicrs  français. 


5l2 


RIC 


nlise  arménienne  ,  Londres,  1678  , 
in-12;  irad.  en  français  par  Rosc- 
mond,  Middelbourg  ,  1692;  Ams- 
terdam, i6q6  et  1710,  in-1'2, 
W— s. 
RICCÂTI  (  Vincent  de  ) ,  habile 
géomètre, naqiiitjle  1  i  janvier  1707, 
a  Castel-Franco  ,  dans  le  Trëvisan  , 
d'une  famille  patricienne.  Son  père, 
le  comte  Jacques  Riccati,  était  lin  des 
premiers  mathématiciens  de  l'Italie. 
Le  cas  particulier  de  l'équation  dif. 
férentielle  de  premier  ordre  qu'il 
proposa  aux  géomètres,  a  près  l'avoir 
résolu  autant  qu'il  [)cut  l'être ,  a 
retenu  son  nom.  Il  enseigna  lui-mê- 
me les  mathématiques  à  ses  deux 
fils,  dont  les  progrès  répondirent  à 
ses  soins  ,  et  il  vit  ainsi  se  renouve- 
ler dans  sa  famille  presque  le  même 
phénomène  que  dans  celle  de  Ber- 
noulii  (  P^oy.  ce  nom).  Vincent, 
l'aîné,  fut  admis,  à  l'âge  de  dix- 
neuf  ans  ,  chez  les  jésuites  ,  et  en- 
voyé par  ses  supérieurs  à  Bologne  , 
oii  il  professa  ,  pendant  trente  cinq 
ans,  les  hautes  mathématiques,  avec 
une  réputation  toujours  croissante  , 
et  qui  attirait,  à  ses  leçons  ,  un  con- 
cours nombieux  d'auditeurs.  Il  fut 
en  même  temps  chargé  de  surveil- 
ler le  cours  des  fleuves  dans  le  Bo- 
lonais et  dans  les  états  Vénitiens  , 
et  fit  exécuter  sur  le  Reno  ,  le  Pô  , 
l'Adigo  et  la  Brenta  ,  des  travaux  qui 
prévinrent  le  retour  des  déboi dé- 
ments. Les  Bolonais  voulurent  per- 
pétuer le  souvenir  des  services  du 
P.  Riccati ,  par  une  médaille  d'ar- 
gent ;  mais  le  sénat  de  Venise  en  fit 
frap])cr  une  d'or  ,  d'un  grand  prix  , 
(jui  lui  fut  odèrleen  1774.  Depuis  la 
suppression  de  la  Société, le  P.  Ric- 
cati était  revenu  dans  sa  patrie;  et  il 
V  mourut  le  17  janvier  1775,  à 
i'àgc  de  soixante-huit  ans.  Outre  des 
Lettres  dans  la  Nnvi^a  llac.colta  di 


RIC 

opuscoli  scienlifici ,  tome  x'xi  à 
XXXI ,  et  quelques  Opuscules  dans 
les  Mémoires  de  l'académie  de  Bo- 
logne, dont  il  était  membre,  on  a 
de  lui  :  I.  Dialu^o  dove  ne"  congres- 
sidipiù  giornate  délie  furze  vive 
et  delV nzioni  délie  j'orze  morte  si 
tien  discorso  ,  Bologne  ,  1 749  >  ii- 
4°.  II.  De  usu  motus  tractoriiin 
constructione  œquationum  dijje- 
rentialiuia  commentarius  ,  ibid.  , 
1752  ,  in-4°.  ;  ouvrage  estimé.  III. 
De  seriehus  recipientibus  sunimam 
generalern  algebraticam  aut  expo- 
nentibilem  ,  ibidem  ,  17.56  ,  in- 
4°.  IV.  Opuscula  ad  res  physi- 
cas  et  mathematicas  pertinentia  , 
Lucques  ,  1757-72,  2  vol.  in-4°. 
Le  premier  renferme  tous  les  opus- 
cules que  le  P.  Riccati  avait  publiés 
jusqu'alors  ,  excepté  ceux  dont  on 
vient  de  donner  les  litres.  Ce  Recueil 
est  fort  recherché.  V.  Institutio- 
nés  analjticœ  collectée  ,  Bologne  , 
1765-67  ,  3  vol.  in-4°-;  Milan,  1775, 
même  format  et  même  nombre  de 
volumes.  Le  P.  Jérôme  Saladini , 
célestin,  et  disciple  de  Riccati,  a  eu 
part  à  cet  ouvrage.  On  trouvera  la 
Vie  de  ce  savant  mathématicien  dans 
le  tome  xvi  des  Fitœ  Italorum  ^  de 
Fabroni.  On  peut  aussi  consulter  le 
Supplément 'nia Bibl.  soc.  Jesu,  par 
Caballero,  pag.  'x^i.  —  Son  frère, 
le  comte  Jourdain  Riccati  ,  mathé- 
maticien ,  architecte  et  musicien 
distingué  ,  né  en  1 709  ,  mort  à  Tré- 
vise  ,  le  20  juillet  1790  ,  est  aussi 
comui  par  un  Traité  sur  les  cordes 
vibrantes  ,  et  par  quchpies  autres 
ouvrages,  Voy.  le  Mémoire  (  Com- 
mentario)  sur  sa  vie,  par  B.  M. 
Fédérici ,  Trévise  ,  1 790  ,  in-4**.  ;  le 
Journal  de  Fise ,  tom.  81  ,  page 
274  ;  et  le  Journal  de  Modène  ,  43 
320.  W— s. 

UICCHIEKI.  /'.  RnoDiciNus. 


RIC 

RICCI  (Uguccione),  chef  du 
parti  populaire  à  Florence  au  mi- 
lieu du  quatorzième  siècle ,  se  fit  re- 
marquer par  son  opposition  aux  AI- 
bizzi  ,  et  par  la  loi  d'admonition  , 
qu'il  imagina  le  premier ,  dans  la 
rue  d'c'cartcr  du  gouvernement  les 
Gibelins  et  leurs  descendants,  mais 
qui  fut  tournée  ,  par  ses  rivaux  , 
contre  lui-même  et  ses  partisans. 
Uguccione  de  Ricci ,  exclu  de  tous 
les  emplois  en  1371  ,  perdit  son 
crédit  auprès  du  peuple  ,  par  les 
efforts  qu'il  fit  pour  élever  sa  fa- 
mille à  la  cour  de  Rome.  Il  mourut 
dans  l'oubli  ,  avant  l'année  iS^S. 
Cependant  le  parti  qvi'il  avait  formé, 
réuni  de  nouveau  par  les  Alberti  , 
se  rangea  enfin ,  au  quinzième  siè- 
cle ,  autour  des  Médicis  ;  et ,  pour 
combattre  l'aristocratie,  il  anéantit 
la  liberté.  S.  S — i. 

RÎCCI  (  Le  P.  Matthieu  ),  célè- 
bre jésuite,  et  fondateur  de  la  mis- 
sion de  la  Chine ,  naquit  à  Macerata , 
dans  la  marclie  d'Ancone,  en  i552. 
On  l'avait  destiné  à  l'étude  du  dro  ; 
mais  il  préféra  la  vie  religieuse,  et 
il  entra  dans  la  compagnie  de  Jésus, 
en  1571.  Celui  qui  le  dirigea  dans 
sou  noviciat,  était  le  P.  Alexandre 
Valignan  ,  missionnaire  célèbre  , 
qu'un  prince  de  Portugal  apjielait 
l'apotre  de  l'Orient.  Ricci  conçut 
bientôt  l'idée  de  le  suivre  aux  Indes , 
et  ne  s'arrêta  en  Europe  que  le  temps 
qu'il  fallait  pour  faire  les  études  né- 
cessaires à  une  semblable  entreprise. 
11  vint  même  achever  son  cours  de 
théologie  à  Goa,  où  il  arriva,  en 
1578.  Le  P.  Valignan  s'était  déjà 
rendu  à  Macao ,  oîi  il  prenait  des  me- 
sures pour  ouvrir  à  ses  collègues  les 
portes  de  la  Chine.  Le  choix  de  ceux 
qui  se  lanceraient  les  premiers  dans 
cette  nouvelle  carrière,  était  d'une 
grande  importance.  H  tomba  sur  les 

XXXVII. 


RIC 


5i3 


PP.  Roger,  Pasio  et  Ricci ,  tous  trois 
Itabens.  Le  premier  devoir  qu'ils  eu- 
rent à  remplir  ,  fut  d'apprendre  la 
langue  du  pays  ;  et  l'on  doit  conve- 
nir qu'à  cette  époque,  et  avec  le  peu 
de  secours  qu'on  avait  alors  ,  ce  n'é- 
tait pas  une  entreprise  facile.  Après 
quelque  temps  d'études,  les  mission- 
naires profilèrent  de  la  faculté  que 
les  Portugais  de  Macao  avaient  ob- 
tenue de  se  rendre  à  Canton  pour  tra- 
fiquer, et  ils  les  y  accompagnèrent 
chacun  à  leur  tour.  Ricci  y  alla  le 
dernier  ;  et  ses  premiers  efforts  ne 
parurent  pas  d'abord  plus  eificaces 
que  n'avaient  été  ceux  du  P.  Roger. 
Tous  deux  se  virent  obligés  de  reve- 
nir à  Macao.  Ce  ne  fut  qu'en  i583  , 
que  le  gouvernement  de  la  province 
de  Canton  ayant  été  confié  à  un  nou- 
veau vice  -  roi ,  les  Pères  eurent  la 
permission  de  s'établir  à  Tchao- 
king-fou.  Ricci,  qui  avait  eu  le  loisir 
de  connaître  le  génie  de  la  nation 
qu'il  voulait  convertir,  sentit  dès-lors 
que  le  meilleur  moyen  de  s'assurer 
l'estime  des  Chinois  était  de  montrer , 
dans  les  prédicateurs  de  l'Évangile, 
des  hommes  éclairés ,  voués  à  l'étu- 
de des  sciences,  et  bien  différents  en 
cela  des  bonzes ,  avec  lesquels  ces 
peuples  ont  toujours  été  disposés  à 
les  confondre.  Ce  fut  dès  ce  temps 
que  Ricci,  qui  avait  appris  la  géo- 
graphie à  Rome  sous  le  célèbre  Cla- 
vius,  fit  pour  les  Chinois  une  Map- 
pemonde, dans  laquelle  il  se  confor- 
ma aux  habitudes  de  ces  peuples,  en 
plaçant  la  Chine  dans  le  centre  delà 
carte,  et  en  disposant  les  autres 
pays  autour  du  Royaume  du  milieu 
(i).  Il  composa  aussi  un  petit  caté- 


la  |>artie  centrale  est  vue  plus  en   petit  jjir.niruiip 
aulrc,  y  ri-pn'srnta ,  au  cnntraire  ,Ia  CLioc  plus  o^ 

33 


Si4  RIC 

clii'snie  en  langue  chinoise,  lequel 
fut,  (lit-on,  reçu  avec  de  grands  a"p- 
plaudissementspar  les  gens  du  pays. 
Depuis  iSBg,  il  était  charge  seul  de 
la  înission  de  Tchaoking,  ses  com- 
pagnons aynnl  c'te'  coiidiiifs  ailleurs 
par  le  desirde  niulliplier  les  moyens 
de  convertir  les  Chinois  au  rhristia- 
riisrne.  II  eut  souvent  à  soudrir  des 
diflicultés  que  lui  suscitaient  les  gou- 
verneurs de  la  province,  et  même  il 
se  vit  forcé  de  quitter  l'e'îablisse- 
inent  qu'il  avait  forme'  à  ?;rand'j)eiiie 
dans  la  ville  de  Tchao-king,  et  de 
venir  re'sider  h  Tchao  tchcou.  Dans 
ce  dernier  lieu  ,  un  Chinois  ,  nomme' 
Tchin-ta'i-so,  pria  le  P.  Ricci  de  lui 
apprendre  la  chimie  et  les  mathe'ma- 
tiques.  Le  missionnaire  se  prêta  vo- 
lontiers à  ce  désir;  et  son  di'îciple 
devintparlasuite  l'un  de  ses  premiers 
catéchumènes.  Ricci  avait  formé  de- 
puis long-temps  le  projet  de  se  ren- 
di'e  à  la  cour ,  persuade  que  les  moin- 
dres succès  qu'il  pourrait  y  obtenir  , 
serviraient  plus  efllcacement  la  cau- 
se qu'il  avait  embrassée ,  que  tous  les 
efforts  qu'on  voudrait  tenter  dans  les 
provinces.  Jusque-là  ,  les  mission- 
naires avaient  porte  l'habit  des  reli- 
gieux de  la  Chine ,  que  les  relations 
aemmcntbonzes;  mais, pour  se  mon- 
trer dans  la  capitale,  il  fallait  re- 
noncer à  ce  costume  ,  qui  n'était 
propre  qu'à  les  faire  mépriser  des 
Chinois.  De  l'avis  du  visitf>ur  et  de 
l'évêque  du  Japon ,  qui  résidait  à 
Macao  ,  Ricci  et  ses  compagnons 
adoptèrent  l'habit  des  gens  de  Ict- 


iiruiul  (lit  SiiKc  rcj^iiuin  in  niediu  iiiajuiemparlcm 
occii/iarct ,  lelir/un  régna  in  Jinihu!  mappa-  oi'ifor- 
ftiis  exigiia  upparereiil  ),  cei\\n  ne  peut  guère  s'cxc- 
ciilcr  fine  par  uuc  persjieclivn  cxtiriiiirc  daus  le 
genre  (le  riietnisplière  /pie  J.  H.  H.  de  Saint-Pierre 
a  i'ait  nriiver  dans  se»  Eludes  de  la  nature.  l,v  con- 
linuaUur  de  Lé.in  Pinelo  rrriit  rpie  cette  Mappe- 
monde de  Rieti  eM,  la  même  que  (lemelli-Carrcri 
ditavrtr  vu*  dani  la  l.iMiutliJ-quc  <le  Pekinj;  (  Giro 
dd  Muiido ,  part,  w,  itl.  ir)8  ). 


RIC 

très.  On  a  fait,  de  ce  changement  ^ 
un  sujet  de  reproche  aux  Jésuites 
de  la  Chine  ;  mais  il  était  indispen- 
sable dans  un  empire  où  la  consi- 
dération n'est  accordée  qu'à  la  culture 
des  lettres.  Ricci  résolut  d'exécuter 
son  dessein  ,  en  i5ç)5.  et  il  partit  ef- 
fectivement à  la  suite  d'un  magistrat 
qui  allait  à  Peking.  Mais  diverses  cir- 
constances le  contraignirent  de  s'ar- 
rêter à  Nan-tchang-fon  ,  capitalede  la 
province  de  Kiang-si.  Ce  fut  là  qu'il 
composa  un  Traité  de  la  mémoire 
artificielle  ,  et  un  Dialogue  sur  l'a- 
mitié ,  à  l'imitation  de  celui  de 
Cicéron.  On  assure  que  ce  livre  fut 
regardé  par  les  Chinois  comme  un 
modèle  que  les  plus  habiles  lettrés  au- 
raient peine  à  surpasser.  A  cette  épo- 
que, le  bruit  s'était  répandu  à  la 
Chine,  que  Taïkosama,  roi  du  Ja- 
pon ,  projetait  une  irruption  en 
Corée,  et  jusque  dans  l'empire.  La 
crainte  qu'il  inspirait,  avait  encore 
augmenté  la  défiance  que  les  Chinois 
ont  naturellement  pour  les  étrangers  : 
Ricci  et  quelques-uns  de  ses  néophy- 
tes s'étant  rendus  successivement  à 
Nankin  g  et  à  Peking  ,  y  furent  pris 
pour  des  Japonais,  et  personne  ne 
consentit  à  se  charger  deles  présenter 
à  la  cour.  Ils  se  virentdonc  obligés  de 
revenir  sur  leurs  pas.  Le  seul  avan- 
tage que  produisit  cette  course  ,  fut 
l'assurance  acquise  par  tiicci  que 
Peking  était  bien  la  célèbre  Cam- 
balu  de  Marc-Pol  ;  et  la  Chine  ,  le 
royaume  de  Calai ,  dont  on  parlait 
tant  en  Europe,  sans  en  connaître  la 
véritable  situation,  licmissionairefit 
ensuite  quelque  séjour  à  Nanking,  oti 
sa  réputation  d'homme  savant  s'ac- 
crut considérablement.  Les  Portu- 
gais lui  ayant  fait  passer  dos  présents 
destinés  à  l'empereur,  il  obtint  des 
magistrats  la  permission  de  venir 
h  la  cour,  pour  les  offrir  lui  -  rnc^ 


RIC 

me  en  qualité  d'arabassatleur.  Il 
se  mit  en  clieruin ,  au  mois  de  mai 
3600,  accompàguc  du  P.  D.  Pan- 
toja  ,  Espagnol ,  de  deux  Jésuites 
chinois  ,  et  de  deux  jeunes  catéchu- 
mènes. Maigre'  quelques  traverses 
qu'il  rencontra  encore  dans  son  voya- 
ge ,  il  parvint  à  être  admis  dans  le 
palais  de  l'empereur  (  Foy.  Cm  n- 
TSONG  )  ,  qui  lui  fit  faire  un 
bon  accueil ,  et  vit  avec  curiosité 
plusieurs  de  ses  présents,  notam- 
ment une  horloge  et  une  montre  à 
sonnerie ,  deux  objets  encore  non- 
veaux  à  la  Chine  dans  ce  temps-là. 
La  faveur  impériale  une  fois  décla- 
rée ponr  lui,  le  P.  Ricci  n'eut  plus 
qu'à  s'occuper  des  soins  cpi'exi- 
îjeaient  les  intérêts  de  la  mission, 
riusieurs  conversions  éclatantes  fu- 
rent ,  à  ce  qu'il  paraît ,  le  frnit  de 
ces  soins  ;  et  les  travaux  littéraires 
et  scientiUques  auxquels  le  mission- 
naire se  livrait  en  même  temps  , 
contribuaient  à  lui  assurer  l'otirae 
des  hommes  les  pins  distingués  de  la 
capitale.  Un  travail  d'un  autre  genre 
fut  celui  que  lui  confia  le  général  de 
sa  compagriie,  et  qui  consistait  à  re- 
cueillir les  Mémoires  sur  toutes  les 
diverses  missions  qu'il  avait  fondées 
à  la  Chine.  Tant  d'occupations  dif- 
férentes, les  peines  qu'il  lui  fallait 
prendre  pour  entretenir  avec  un 
grand  nombre  de  personnes  de  dis- 
tinction, des  relations  que  les  usa- 
ges de  la  Chine  rendent  infiniment 
assujétissantes ,  épuisèrent  prompte- 
mcnt  les  forces  du  P.  Ricci.  Il  mou- 
rut le  II  mai  1610,  laissant  pour 
successeur  le  P.  Adam  Schall ,  prcs- 
qu'aussi  célèbre  que  lui  parles  ira- 
poitants  services  qu'il  a  rendus  à 
la  religion  et  aux  sciences.  Ricci  n'a- 
vait que  cinquante-huit  ans  quand 
il  mourut,  et  non  pas  quatre-vingt- 
huit,  comme  on  l'a  dit  \r.iY  erreur. 


RIC 


5i5 


Les  principaux  lettrés  qui  se  trou- 
vaient à  Peking,  se  firent  un  devoir 
de  contribuer,  au  moins  par  leur 
présence,  à  la  pompe  de  ses  obsè- 
ques. Les  chrétiens  le  portèrent  en- 
suite en  procession,  et  la  croix  le- 
vée, sans  craindre  d'étaler  ce  si^^ne 
à  la  vue  des  infidèles,  au  travers  de 
la  capitale  et  jusqu'à  une  lieue  au- 
delà  ,  dans  un  ancien  temple ,  retenu 
abusivement  par  un  favori  dis"ia- 
cié,  et  qui  fut  accordé  par  l'empe- 
reur pour  servir  de  sépulture  à 
l'humble  religieux.  Cet  édifice  fut 
consacré  au  vrai  Dieu  ;  et  l'on  y  éta- 
blit ,  pour  les  missionnaires ,  une  ha- 
bitation, qui  est  encore  aujourd'hui  à 
la  Chine  (  disait  le  P.  Dorléans  eu 
1693  ),  le  sanctuaire  de  la  religion. 
Le  F.  Ricci  avait  pris  en  chinois  le 
nom  de  Li,  représentant  la  première 
syllabe  de  son  nom  de  famille,  de 
la  seule  manière  que  les  Chinois 
puissent  l'articuler,  et  le  surnom  de 
Ma-ieon  (  RIatthieu  ).  Il  avait  aussi 
reçu  le  nom  de  Si  thaï.  Il  (is.t  ainsi 
désignédansles  Annales  de  l'empire, 
sous  le  nom  de  Li-:iia-teou.  D'après 
son  exemple,  les  antres  missionnai- 
res ont  tous  pris  des  noms  chinois  , 
formés  généraiement  de  la  même 
manière.  Les  quinze  ouvrages  qu'il  a 
composés  eu  chinois,  sont  les  pre- 
miers de  ce  genre  que  l'on  doive  à 
des  Européens  :  on  ne  sera  peut-être 
pas  fâché  d'avoir  ici  une  liste  un  peu 
détaillée  des  principaux  :  I.  Thian- 
tchu  chi  i ,  ou  la  véritable  doctrine 
de  Dieu,  en  deux  livres.  On  le  trouve 
à  la  bibliothèque  du  Roi  (  Foy. 
Catal.  Fourmont,  n".  170  et  suiv.  ) 
Il  passe  pour  être  écrit  tvcs  -  élé- 
gamment, et  dans  un  goùi  tont-à- 
fait  conforme  au  véritable  style  lit- 
téraire (2).  C'est  sans  doute  unech o- 

(ï)T-o  p.  Julien  nMaiiiolli ,  j.^suilc  jJ^PiTtoic  ITlît 
réimprimer,  en  1730,  au  Tonkin  ,  pour  \;i  scrondc 

33.. 


5i6 


RlC 


se  très-remarquable,  qu'un  étranger 
soit  parvenu,  en  peu  d'années,  à  con- 
naître les  secrets  d'une  langue  aussi 
diflicile  que  le  chinois,  de  manière 
à  mériter  les  éloges  des  lettres  eux- 
mêmes.  A  la  vérité,  il  avait ,  pour 
cet  ouvrage,   comme  pour  les  sui- 
vants, le  secours  du   célèbre  Siu, 
kolao  ou   iniuistre-d'ètat,  qui  avait 
bien  voidu  le  retonclier.  «  C'est  un 
«  chef-d'œuvre,  dit  le  P.  Bourgeois: 
»  il  s'est  trouve  des  lettrés  qui  le  li- 
»  saient  pour  se  former  le  style.... 
»  On  ne  conçoit  pas  qu'un  homme 
»  qui  n'avait  fait  sa  théologie  qu'en 
»  voyageant,  ait  pu  mettre  dans  ce 
»  livre  tant  de  force  de   raisonne- 
»  ment ,  tant  de  clarté  et  d'élégan- 
))  ce.  »  Il  faut  bien  qu'en  effet  lelivre 
du  P.  Ricci  se  distingue  parla  ma- 
nière dont  il  est  écrit,  s'il  est  vrai 
qu'il  ait  été  compris  dans  la  grande 
collection  des    meilleurs    ouvrages 
chinois  ,  en  160,000  volumes  ,  que 
Kliian-ioung  avait  fait  rédiger.  Un 
si  grand  honneur  (  qui  ne  fut  accor- 
dé qu'à  dcu'S  autres  ouvrages  com- 
poses en  chinois  par  des  Européens , 
l'un  du  P.  Diego  Fantoja  (3),  et  l'au- 
tre du  P.   Ferdinand  Verbiest  )  est 
la  preuve  d'estime  la  plus  éclatante 

fois;  tt  il  ussiire  qup  l'éli'gancc  et  la  pureté  du  style 
de  rc  catetliisme  coiitribuèreut  puissamment  au 
succès  de  SCS  prédications  dons  ce  royaume. 

(3)  Le  P.  Bourgeois  cite  le  Thsi-khc  ou  traité  des 
.sept  victoires,  comme  ayant  été  admis  dans  celte 
collection  (  iWém.  coucerii.  les  Chinois,  t.  XV,  p. 
290  ).  n  y  a  ,  dans  le  passage  de  sa  lettre  relatit  à  cet 
objet,  une  faute  d'impression  qui  le  rend  iuintelli- 
blc  :  mais  on  peut  deviner  cpi'il  a  attribué  le  Tlisi- 
khe,  à  un  missionnaire  nommé  en  cliinois  Vaiig- 
iiia-na ,  c'est-à-dire  au  P.  Lmanuel  IJias.  Cet  ou- 
vrage, (jui  est  à  la  bibliothèque  du  Roi  (  Fourni., 
Calai.,  n".  aoû  et  «o^  )  ,  est  de  Phans,-ycou-'o  (  le 
P.  D.  Pauloja  ).  C'est  par  erreur  que  l'ourmout  ^^  I. 
c.  )  a  lu  son  nom  Loun^-yeou-'o.  On  peut  voir  le 
Chinn  kiao  siii'leitg  ,  ou  Catalogue  des  missionnaires 
jésuiles,  en  cbinois,  p.  5  et  8.  Le  P.  ni(  po  Pautoja  , 
né  en  i57X  ,  l'i  Valdeniora ,  diocèse  de  Tolède  ,mort 
à  M.-icao  en  iliiS,  avait  composé  cinq  autres  ou- 
vraijcs  .  dont  l'édition  chinoise  se  trouvait  à  Rome  , 
dans  le»  arcbives  de  la  société.  Voye».  en  les  titres 
(  en  latin  )  dans  la  Bihliolh.  scripl.  soc.  J't-iu.  Le  ca- 
talnf-ue  cliinois  cité  plus  haut  donne  les  titre»  (  eu 
chinois)  de   sept  ouvrages  de  cet  auteur. 


RIC 

que  les  lettrés  de  la  Chine  aient  pu 
donner  à  un  écrivain  étranger.  II. 
Discussions  et  Controverses  en  un  vo 
lurae.  m.  hi  hoj^oiian  peu ,  ou  les 
six  premiers  livres  d'Euclide.  IV. 
Kiaojeou  hin,  ou  Dialogue  sur  l'a- 
mitié (  F.  plus  haut  ).  V.  Thoung- 
wen  iouaii  tchi ,  on  Arithmétique 
pratique,  en  onze  livres.  VI.  Si  tseu 
ki  tsi ,  ou  Système  de  l'écritiu-e  euro- 
péenne. VII.  Si-koue-fa ,  Art  de  la 
mémoire,  tel  qu'il  est  enseigné  dans 
les  royaumes  de  l'Occident.  VIII. 
Thse  liangfa  i,  Géométrie  pratique, 
ÎX.  ^Fan  koue  iu  thou.  Carte  des  dix 
mille  royaumes,  ou  Mappemonde. 
X.  Explication  de  la  sphère  céleste  et 
terrestre,  en  deux  livres.  Outre  plu- 
sieurs autres  ouvrages  de  géométrie 
et  de  morale  (4)  ,  on  doit  encore 
au   P.  Ricci  les  Mémoires   diaprés 
lesquels   le  P.   Trigault   a   rédigé  , 
sous  le  titre ,  De  christianâ  expe- 
ditione  apud  Sinas  susceptd  ,  l'his- 
toire de  l'établissement  et  les  pre- 
mières années  de  la  mission  de  la 
Chine  (  Augsbourg,    i6i5,  in -4**.) 
C'est  dans  cet  ouvrage  qu'on  peut 
prendre  une  idée  juste  des  travaux  du 
fondateur  de  celte  mission;  et  il  doit 
être  considéré  comme  une  excellente 
Vie  du  P.  Ricci,  enrichie  d'un  grand 
nombre  de  morceaux  curieux  pour 
l'histoire  et  la  géographie.  Le  père 
Kircher ,  qui  eu  a  extrait  de  longs 
fragments  ,  pour  les  insérer  dans  sa 
China  illuslrala,  a  fait  graver  un 
portrait  de  Ricci,  en  costume  de  let- 
tré. Enfin  le  P.  Dorléans  a  composé, 
d'après  V Expédition  chrétienne,  la 
Fie  du  P.  M*  Ricci,  Paris,  iGqS  , 
in.i'2.  Ce  n'est  qu^in  extrait  peu  étcn- 


(.1)  Le  Traité  sur  l'exisleuee  de  O.eu  ,  l'unmoi-- 
Lililcda  l'ame  et  la  liberté  de  l'homme  ,  qm  a  tHr 
traduit  en  fiançais  liar  le  P.  Jaiipies  ,  et  insère  au 
tome  XXV  de  lu  seconde  édition  de»;Ae(/re.<  érf;/j(iK- 
Ics ,  fait  saiisdoulc  partie  de  la  liste  précédente. 


RIG 

du  du  graud  ouvrage  du  P.  TrigauU. 
Le  P.  Jean  Aleui  a  aussi  fait  imprimer, 
eu  chinois,  uue  Vie  de  ce  célèbre  jé- 
suite. Soixante-six  Lettres  originales 
du  P.  Ricci ,  aussi  curieuses  qu'intéres- 
santes, ont  passé  de  la  bibliothèque 
du  P.  Lagomarsini,  dans  celle  de  la 
famille  Ricci ,  à  Macerata  (  Voyez  le 
Dizion.  storico  ,  édit.  de  Bassano  , 
1 796  ).  Ou  a  accusé  le  P.  Ricci ,  com- 
me   missionnaire  ,    d'avoir    donné 
l'exemple  d'une  tolérance  coupable , 
en  n'exigeant  pas  des  nouveaux  con- 
vertis le    sacrifice  absolu  des  opi- 
nions qui  font  la  base  des  systèmes 
philosophiques  et  politiques  de    la 
Chine  relativement  au  culte  du  Ciel  , 
ainsi  qu'aux  honneurs  à  rendre  aux 
ancêtres  et  à  Confucius.  Le  système 
qu'il  avait  adopté  à  cet  égard,  a  long- 
temps servi  de  régie  aux  jésuites  qui 
ont  marché  sur  ses  traces  ;  et ,  de 
bonne  heure  aussi ,  il  a  été  attaqué 
par  les  dominicains.  Tout  le  monde 
a  entendu  parler  des  querelles  qui  se 
sont  élevées  entre  les  missionnaires 
de  ces  deux  ordres  (  F".  Maigrot  )  ; 
querelles  déplorables,  qui  ont  fini  par 
causer  l'expulsion  des  uns  et  des  au- 
tres ,  et  la  ruine  presque  totale  de  la 
mission  fondée  par  le  P.  Ricci.  On 
n'entrera  ici  dans  aucune  de  ces  dis- 
cussions connues  ,  sur  lesquelles  il  y 
aurait  quelque  témérité  à  prendre  par- 
ti pour  ou  contre  des  hommes  égale- 
ment éclairés  et  respectables.  Mais 
ce  qu'on  croit  permis  d'avancer,  c'est 
que  le  moyen  qu'avait  pris  le  P.  Ric- 
ci était  le  seul  qui  pût  amener  prom  p  - 
tementle  peuple  chinois  à  goûter  les 
vérités  de  la  religion  chrétictuie,  et 
que,  s'il  est  proscrit,  il  faudra  re- 
noncer à  voir  le  christianisme  floris- 
sant à  la  Chine  ,  aussi  long-tçmps 
du  moins  (juc  dureront  les  institu- 
tions sur  lesquelles  cet  empire  est 
fonde.  A.  R — T. 


RÎG 


5r 


RICCI  (Jean-Baptiste  ),  peintre 
italien,  naquit  à  Novare,  en  i545. 
Il  fut  élève  dcLanini,  son  beau-frère, 
qui  lui-même  avait  puisé,  dans  les  le- 
çons de  Gaudeuzio  Ferrari  ,1e  style  de 
l'école  de  Raphaël.  Ricci  étant  venu  à 
Rome,  sous  le  pontificat  de  Sixte- 
Quint  ,  et  ayant  donné  des  preuves 
de  sa  capacité  ,   dans  les  peintures 
de  l'escalier  du  palais  de  Latran  et 
dans  la  bibliothèque  du  Vatican  ,  ne 
tarda  pas  d'obtenir  les  bonnes  grâ- 
ces du  pape,  qui  lui  confia  l'exécution 
des  peintures  qui  restaient  à  terminer 
dans  lé  palais  du  Quirinal.  Il  jouit 
d'une    égale    faveur   sous    Clément 
VIII  ,  pendant  la  vie  duquel  il  pei- 
gnit, à  St.- Jean  de  Latran  ,  V Histoire 
de  la  consécration  de  cette  basilique. 
C'est  là   que  l'on   voyait  les    plus 
beaux  ouvrages  de  ce  peintre.  Il  en 
existe  un    grand   nombre ,  tant    à 
Rome  que  dans   d'autres  villes  des 
étals   de   l'Église.  Ses  productions 
ont  quelque  chose  de  gai  et  de  riant 
qui  séduit  l'œil  ,  et  uue  facilité  qui 
n'est  point  le  partage  d'un  artiste 
médiocre.  On  y  reconnaît  l'école  de 
Raphaël ,  mais  dégénérée  ,  et  tirant 
sur  la  manière  ;  c'était  le  style  de  ce 
temps  ,  tel  que  le  Circignani .  le  Neb- 
bia  et  beaucoup  d'autres  artistes,  en 
réputation  alors  ,   l'avaient  mis  eu 
vogue.  Ricci  se  signala  surtout  dans 
la  peinture  à  fresque  :  il  contribua  à 
propager  le  goût  énervé  qui  régnait 
à  celte  époque  ;  mais  il  y  brille  un 
sentiment  de  la  forme  ,  que  peu  de 
ses  contemporains  ont  possédé  au 
même  degré  que  lui.  Ricci  mourut  à 
Rome,  eu  16.10.  — Camille  Ricci, 
peintre,   né  à   Fcrrare ,   en  i58o, 
fut  élève  d'Hippolyle  Scarsella.  Son 
maître  disait  de  lui  :  «  Si  Ricci  n'e'- 
»  tait  pas  mort  prématurément,  il 
»  m'aurait  surpasse  en  talent;;  et  s'il 
»  était  ne'  plus  tôt ,  je  me  serais  fait 


5i8  RiC 

»  s(Ki  élève.  ))  Après  l'avoir  inslrnit 
dans  toutes  les  parties  de  son  art ,  il 
voulut  l'avoir  pour  compaguon  dans 
tous  ses  travaux,  et  lui  communiqua 
tellement  sa  manière  ,  qu'on  ne  pou- 
vait plus  distinoucr  les  ouvrages  du 
ruaîlre  de  ceux  de  l'élève.  Le  slyle  de 
Camille  a  la  même  douceur  et  le  mê- 
me agrément  ;  et  l'empatenieut  de  ses 
couleurs  est  plus  tranquille  et  plus 
égal.  Ce  qui  le  fait  reconnaître,  c'est 
inoins  de  franchise  dans  le  pinceau 
et  de  naturel  dans  les  plis  ,  qu'il  mul- 
tiplie un  ])eu  trop.  C'est  dans  Téglise 
de  Saiut-Nicolas  de  Ferrare  ,  qu'il  a 
donné  des  preuves  incontestables  de 
la  fécondité  de  son  génie.  Le  plafond 
contient  plus  de  quatre-vingts  com- 
partiments tous  peints  de  la  main  de 
Ricci ,  et  représentant  des  traits  de 
la  Vie  du  saint  évêque.  La  Sainte- 
Mari^uerite  qu'il  a  j)einte  dans  la 
cathédrale  est  digne  d'être  attribuée 
à  son  maître.  La  noble  famille  de 
Trotti,  à  Ferrare,  qui  est  très-riche 
etj  tableaux  de  galerie,  possède  sur- 
tout un  Portrait  de  V artiste,  sous  la 
figure  d'un  Génie  nu  et  assis,  tenant 
en  main  la  palette  et  les  pinceaux, 
entouré  de  papiers  de  musique,  et 
d^outils  de  sculpture  et  d'architectu- 
re, tous  arts  que  Ricci  avait  cultivés 
avec  succès.  Il  serait  devenu  un 
des  premiers  artistes  de  son  temps  , 
si  la  mort  ne  l'eût  enlevé  à  J'àge  de 
irente-huit  ans.  —  Antoine  Ricci  , 
surnommé  Barbaluwga  ,  peintre, 
naquit  à  Messine  en  iGoo,  et  fut 
élève  du  Dominiquin.  Quoiqu'il  soit 
mort  pauvre,  il  n'a  pas  laissé  de 
^aire  honneur  à  son  pays  et  à  son 
maître  ,  dont  il  imita  la  manière 
avec  bonheur.  Il  parvint  à  se  former 
ce  beau  style ,  en  copiant  les  produc- 
tions les  plus  remanpiables  du  Do- 
minitpjiii.  C'est  de  lui  qu'est  le  ta 
bicau  reprc.scmaut  le  Fondalcur  de 


RIC 

l'ordre  des  Theatins ,  que  l'ou  voit 
dans  leur  église  à  Monte- Cavallo;  et 
celui  de  SaiîitAndré ,  accurnpagné 
d'un  duvur  d" Anges  ,i\\n  paraissent 
de  la  main  de  Zampieri  lui-même. 
C'est  le  même  choix  de  belles  for- 
mes ,  la  même  élégance  dans  les  at- 
titudes et  les  mouvements.  Après 
avoir  long-temps  travaillé  sous  la 
direction  de  son  maître,  Darbalun- 
ga  revint  à  Messine  ,  et  embellit  sa 
ville  natale  d'un  grand  nombre  de 
compositions  remarquables,  telles 
que  \c  Saint- Grégoire  qui  écrit,  dans 
l'église  de  ce  nom  ;  V  Ascension  qu'on 
voit  à  Saint-Michel ,  et  les  deuxiJ/è- 
res  de  pitié ,  différentes  d'invention, 
que  l'ou  admire  à  Saint-Nicolas  et  à 
l'hôpital.  Il  forma  un  grand  nombre 
d'habiles  élèves  ,  parmi  lesquels  les 
plus  distingués  sont  Maroli,  Gabriel- 
loetScilla.  11  mourut  en  1649, avec 
la  réputation  d'un  des  meilleurs  ar- 
tistes qu'ait  produits  la  Sicile.  P — s. 
RICCI  (Sebastien),  peintre, na- 
quit, en  1660,  à  Cividale-di-Belluno. 
Cet  artiste  qui,  parmi  les  professeurs 
sesc  ontemporains ,  s'est  particulière- 
ment distingué  par  son  génie  pittores- 
que et  par  un  style  neuf  lel  plein  de 
goiàt,  dans  lequel  il  n'eut  point  d'égal, 
tut  d'abord  instruit  dans  son  art, 
par  le  Cervelli ,  qui  professait  alors 
a  Cividale.  Il  accompagna  sou  maî- 
tre à  Milan,  et  il  vint  ensuite  à 
Bologne  et  à  Venise  ,  pour  y  étudier 
les  chefs-d'œuvre  de  ces  deux  écoles . 
Il  résida  pendant  quelques  années  à 
Florence  et  à  Rome  ,  et  Huit  par  vi- 
siter Fltalie  entière  ,  laissant  par- 
tout do  ses  ouvrages.  Ce  fut  ainsi 
qu'il  acquit  une  réputation  presque 
universelle.  Il  voyagea  ensuite  eu 
Allemagne,  en  Angleterre  et  en  Flan- 
dre. C'est  alors  qu'il  perfectionna 
son  coloiis,  qui,  déjà ,  dès  ses  pre- 
miers essais ,  se  faisait  rcmarqucrpar 


RIG 

sou  agrément  et  sou  esprit.  De  Vien- 
ne ,  où  le  roi  des  Romains  l'avait  ap- 
pelé ,  et  où  il  exécuta  divers  ou- 
vrages pour  la  cour  ,  il  revint  à 
Florence,  et  y  fut  chargé  d'orner 
quelques  -  uns  des  appartemeuls  du 
grand-duc.  Appelé  à  Londres  par  la 
reine  d'Angleterre  ,  il  traversa  la 
France;  et,  eu  passant  à  Paris,  il  fut 
reçu  membre  de  l'académie  de  pein- 
ture. Le  tableau  qu'il  (il  à  Londres, 
pour  l'hôpital  de  Chelsea  ,  la  demi- 
coupole  uù  il  a  peint  V Ascension  de 
Jésus  -  Christ ,  l'escalier  de  l'hôtel 
deMontaigu,  qu'il  peignit  égalemen;, 
prouvent  sans  contredit  sou  talent 
pour  les  grandes  machines.  Après 
UU  long  séjour  eu  Angleterre,  il  re- 
vint à  Venise ,  où  on  lui  comman- 
da un  grand  nombre  de  tableaux 
pour  la  France,  l'Espagne,  le  Portu- 
gal et  la  Sardaigne.  Au  milieu  de  tant 
d'écoles  dilférentcs  et  de  manières  si 
diverses  ,  sou  imagination  s'enrichit 
d'une  foule  de  belles  inventions  ',  et, 
à  force  de  copier ,  il  se  rendit  fami- 
lier le  style  des  plus  habiles  pein- 
tres. Il  eut,  de  commun  avec  Luca 
Gioi'dano ,  le  taleut  de  contrefaire  la 
rnaiiièrc  de  tous  les  maîtres  ;  et  plu- 
sieurs de  ses  tableaux,  semblent ,  au 
premier  aspect,  sortis  de  la  main  du 
Bassau  ou  de  Paul  Véronèse.  Pendant 
qu'il  était  à  Dresde,  il  exposa  une 
Madone  ,  qu'il  fit  passer  comme 
étant  du  Gorrège.  L'avautage  le  plus 
grand  qu'il  retira  de  ses  voyages  fut 
que,  lors(|u'ou  lui  commandait  un 
sujet  quelconque ,  il  se  rappelait  sou- 
dain comment  tel  ou  tel  maître  l'a- 
vait traité;  et  il  eu  savait  profiter, 
sans  qu'on  pût  l'accuser  de  plagiat. 
Ses  premières  études  avaient  été  né- 
gligées ,  sous  le  rapport  du  dessin. 
Dans  un  âge  plus  avancé,  malgré  le 
zèle  assidu  qu'il  mit  à  se  fortifier  dans 
cette  partie ,  il  no  put  jamais  acquc- 


lUC  5 19 

rir  le  degré  de  perfection  qui  lui  man- 
quait.  La  forme,  dans  ses  figures,  a 
de  la  beauté,  de  la  noblesse,  de  la 
grâce,  et  tient  quelque  chose  de  Paul 
Véronèse.  Ses  attitudes  offrent  sur- 
tout beaucoup  de  naturel  ,  de  vi- 
vacité et  de  variété.  S'js  composi- 
tions sont  plenies  de  vérité  et  de 
bon  sens.  Quoique  toutes  ses  pro- 
ductions décèlent  une  grande  facilité 
de  pinceau,  elle  ne  dégénère  poiuteu 
négligence.  Ses  figures,  dessinéeSjavec 
précision,  se  détachent  du  fond  dont 
l'azur  éclatant  ne  peut  les  éteiudre. 
Dans  les  peintuies  à  fresque,  les  tein- 
tes ont  conservé  leur  couleur  primi- 
tive. Ses  tableaux  à  Thuile  ont  souf- 
fert davantage  ,  soit  à  cause  du  vice 
d'impression  des  toiles  ,  soit  par  dé- 
faut de  l'empâteuient  des  couleurs, 
)n  oins  fort  dans  les  derniers  ouvrages 
qu'il  a  exécutés  à  Venise  que  dans  les 
premiers.  Parmi  ses  productians  les 
plus  remarquables,  on  cite  le  Mas- 
sacre des  Innocents ,  à  l'école  de  la 
Charité  de  Venise  ;  V EnUi>emet}JL 
des  SaJiines ,  à  Rome;  à  Bergame , 
Saint  Grégoire  priant  la  Fier ge  en 
faveur  des  âmes  du  Purgatoire  ;  à 
Vienne,  plusieurs  plafonds  daus  |e 
palais  de  1  empereur ,  et  une  Assomp- 
tion de  la  Vierge,  daus  Téglise  de 
Saint-Gharles ,  etc.  Il  forma  plusieup 
habiles  élèves,  parmi  lesquels  oudis- 
tiugueDiscaui,  Fontebasso  ,  et  sm'- 
tout  son  neveu,  Marc  Ricci.  Le  ]M(i- 
sée  du  Louvre  possède  un  tableau  al- 
légorique de  Sébastien  RicL;i ,  repré- 
sentant les  Amours  servant  la  Fran- 
ce, et  un  Génie  portant  le  diadènip. 
Cet  habile  ai  liste  mourut  à  Venise  , 
le  1 5  mai  1734.  —  Marc  Ri  cci ,  ne- 
veu du  précédent ,  naquit  à  Bellune  , 
en  1G76.  Après  avoir  d'abord  étu- 
dié le  genre  de  l'histoire  ,  sous  la 
direction  de  son  oncle,  il  l'aban. 
donna  pour  se  livrer  au  paysage^ 


520  Ric 

Dirigé  par  l'étude  des  chefs-d'œuvre 
du  Titien,  et  par  la  beauté  des  sitrs 
de  son  pays  ,  il  devint  un  des  plus 
habiles  paysagistes  de  l'école  A'éui- 
tienne.  On  n'exagère  point  en  disant 
que  peu  d'artistes  avant  lui  ont  su 
faire  k portrait  d'un  pays  avec  autant 
de  vérité,  et  que  ceux  qui  sont  ve- 
nus après  lui  ne  l'ont  jamais  égalé 
dans  cette  partie  de  l'art.  II  ne  faut 
pas,  toutefois  ,  en  juger  par  les  ou- 
vrages qu'il  exécutait  sur  la  de- 
mande des  marchands  de  tableaux  , 
non  plus  que  par  les  petites  compo- 
sitions en  détrempe  qu'il  peignait 
sur  parchemin,  et  qui ,  quoique  très- 
agréables  ,  manquent  d'une  certai- 
ne vigueur.  Il  faut  l'apprécier  d'a- 
près ses  tableaux  à  l'huile  ,  qu'il  pei- 
gnait avec  le  plus  de  soin ,  et  que  l'on 
trouve  en  Angleterre  plus  fréquem- 
ment qu'eu  Italie.  Il  était  passé  en 
Angleterre,  en  1 7 1  o,  avec  son  oncle. 
Il  ne  tarda  pas  à  y  obtenir  une  répu- 
tation étendue.  Outre  les  paysages 
qu'il  peignit  pour  une  foule  de  riches 
gentilshommes  ,  il  aida  Sébastien 
dans  l'exécution  de  plusieurs  de  ses 
grands  ouvrages.  Ses  productions  ne 
font  pas  entièrement  connaître  tout 
son  mérite.  C'est  à  ses  leçons  que 
Dominique  et  Joseph  Valeriani  , 
François  Zuccherelli  et  Joseph  Zaïs 
durent  leur  talent.  Marc  Ricci  n'é- 
tait pas  moins  habile  comme  peintre 
de  perspective  ;  ses  tableaux ,  en  ce 
genre,  que  son  oncle  a  ornés  de 
figures  pleines  d'éclat  et  de  verve, 
jouissent  d'une  estime  particuliè- 
re. Marc  a  aussi  gravé  à  l'eau-for- 
te  plusieurs  paysages.  Ce  qu'il  a  fait 
Je  plus  considérable  en  gravure,  est 
unesuifede  vingt-trois  feuilles  in-fol. , 
y  compris  le  frontispice  ,  publiéeà 
Venise,  en  1780,  par  Carlo  Orso- 
lini.  Marc  Ricci  mourut  à  Venise  en 
•7^^j-  P— s. 


RIG 

RICCI  (  Laurent  ) ,  général  des 
Jésuites  ,  né  à  Florence  ,  le  2  août 
1708,  d'une  famille  distinguée  de 
cette  ville  ,  entra  de  bonne  heure 
dans  la  Société,  ety  remplit  divers 
emplois.  Il  exerça  le  ministère  à  Ro- 
me, s'appliquantà  la  prédication  et 
à  la  direction  des  consciences  ;  et  il 
continua  même  ce  genre  de  travail 
lorsqu'il  eut  été  nommé  à  une  chaire 
de  théologie  dans  le  collège  Romain, 
Sa  prudence  et  son  zèle  firent  jeter 
les  yeux  sur  lui ,  pour  gouverner  la 
Société,  après  la  mort  du  P.  Centu- 
rione  ,  qui  en  était  général  j  et  Ric- 
ci fut  élu  en  sa  place  .  le  21  mai 
1758.  Il  refusa  d'abord  cette  char- 
ge ,  et  ne  se  rendit  qu'aux  instances 
de  ses  confrères.  Les  circonstances 
étaient  difficiles  pour  les  Jésuites;  ils 
avaient  des  ennemis  dans  plusieurs 
cours.  L'orage  éclata  d'abord  eu  Por- 
tugal ,  où  quelques  membres  de  la 
Compagnie  furent  accusés  d'avoir 
trempé  dans  un  complot  contre  la 
vie  du  roi  (  f^oj.  Malagrida  ).  On 
saisit  ce  prétexte  ;  et  tous  les  Jésui- 
tes furent  bannis  du  royaume,  et 
transportes  dans  l'État  pontifical,  oîi 
Ricci  pourvut  à  leurs  besoins.  Bien- 
tôt la  proscription  s'étendit  à  d'au- 
tres états.  En  France  ,  le  parlement 
de  Paris  donna  le  signal ,  et  rendit , 
contre  les  Jésuites  ,  des  airêts  fou- 
droyants; ils  furent  bannis  deux  fois 
du  loyaume.  I/Espagne  ,  Naples  , 
Parme ,  suivirent  cet  exemple.  En 
vain  Ricci  s'efforça  de  conjurer  la 
tempête  par  quelques  Mémoires  et 
par  des  démarches  ;  en  vain  Clément 
XI U  écrivit  aux  princes  en  faveur 
de  la  Société,  la  confirma  par  une 
bulle  expresse ,  et  protesta  contre 
les  arrêts  des  parlements.  Les  esprits 
étaient  tellement  irrités  que  toutes 
les  démarches  du  pontife  n'abouti- 
rent qu'à  une  rupture  avec  les  cours. 


RIG 

Clément  XÏII  mourut  dans  ces  cir- 
constances. Les  couronnes  travaillè- 
rent vivement  à  élire  un  pape  qui  pût 
entrer  dans  leurs  vues;  et  le  cardinal 
Ganp;anelli  fut  porte  sur  le  SainlSic- 
ge.  L'Espagne  agit  aussitôt  auprès 
de  lui  pour  obtenir  la  suppression 
des  Jésuites  ;  et  les  autres  cours  de 
la  maison  de  Bourbon  se  joignirent 
à  elle.  Pendant  plusieurs  années  ,  les 
ministres  de  ces  puissances  pressè- 
rent le  pontife  à  ce  sujet  :  on  trouve 
des  révélations  assez  curieuses  sur  ces 
démarches ,  dans  le  Journal  de  cor- 
respondance et  de  voyages ,  de  l'ab- 
bé Clément  ,  i8oii  ,  3  vol.  in-8o.  De 
son  côté  ,  Ricci  présecta  différents 
Mémoires  à  S.  S.  :  mais  il  ne  put 
conjurer  l'orage  ;  et  Clément  XIV  ne 
crut  pas  pouvoir  refuser  aux  puis- 
sances une  mesure  qu'elles  récla- 
maient avec  tant  d'instance.  L'Es- 
pagne surtout  y  mettait  une  vivacité 
extrême  (  i  )  ;  et  l'on  voit  par  les  Mé- 
moires historiques  et  philosophiques 
de  Bourgoing,  qu'elle  exerçait  à  Ro- 
me une  sorte  de  domination.  Lepape 
rendit,  le  21  juillet  1778  ,  le  bref 
de  la  suppression  ,  qui  fut  notifiée 
au  général ,  le  mois  suivant.  Ricci 
fut  d'abord  enfermé  au  collège  des 
Irlandais  ,  puis  conduit  au  cbâteau 
Saint-Ange ,  où  il  resta  jusqu'au  pon- 
tificat suivant.  Pie  VI  avait  ordonné 
son  élargissement,  lorsque  leprison- 
nier  mourut ,  le  22  novembre  1775. 
Il  signa  ,  peu  de  temps  aA-^ant  sa 
mort,  une  déclaration  qui  fut  rendue 
publique  d'après  son  désir.  Il  y  pro- 
testait ,  1°.  que  la  Compagnie  de  Jé- 
sus n'avait  donné  aucun  lieu  à  sa  sup- 
pression ,  et  qu'il  le  déclarait  en  qua- 
lité de  supérieur  bien  instruit  de 
tout   ce    qui  s'y  était   passé  ;  2». 

(1}  Voy-  dcut  articles  sur  les  causes  de  la  sup- 
lirrssion  de»  Jésuites,  dans  V Ami  de  la  religion, 
t.  XVlIjpag.  241  et  173. 


RIG 


Sai 


qu'en  son  particulier  ,  il  ne  croyait 
pas  avoir  mérité  l'emprisonnement 
et  les  rigueurs  dont  il  avait  été  l'ob- 
jet; 3°.  enfin ,  qu'il  pardonnait  sin- 
cèrement aux  auteurs  de  ces  procé- 
dés, ïl  y  a  une  Vie  de  Ricci ,  par 
Caraccioli ,  la  Haye  ,  1776  ,  in- 12  : 
cet  écrit  superficiel  n'est  qu'une  com- 
pilation des  gazettes  du  temps  ;  il 
rend  cependant  justice  aux  qualités 
de  Ricci ,  à  son  courage  dans  la  dis- 
grâce ,  et  à  son  attachement  pour 
son  corps.  P — c — t. 

RICCI  (  ScipiON  ) ,  né  à  Florence, 
en  1741  ,  de  la  même  famille  que  le 
précédent ,  embrassa  aussi  l'étaf  ec- 
clésiastique, et  fut  fait,  en  1780, 
évêque  de  Pistoie  et  de  Prato  ,  sièges 
unis.  Léopold  régnait  alors  en  Tos- 
cane ,  et  paraissait  vouloir  suivre  le 
même  système  d'innovation  que  son 
frère  Joseph  à  Vienne.  Ricci ,  soit 
qu'il  fût  réellement  partisan  de  ces  in- 
novations, soit  qu'il  y  vît  un  moyen 
d'ambition  et  de  succès  ,  se  déclara 
vivement  pour  les  projets  de  réforme. 
On  vit  paraître  de  fréquentes  et  pro- 
lixes circulaires,  oîi  le  grand-duc, 
entrant  dans  les  plus  petits  détails 
de  l'administration  ,  adressait  des 
catéchismes  aux  évéques  de  Tos- 
cane ,  leur  indiquait  les  livres  à 
mettre  entre  les  mains  des  fidèles , 
abolissait  les  confréries,  diminuait 
les  processions  ,  réglait  minutieuse- 
ment le  culte  divin  et  les  cérémo- 
nies ,  et  se  montrait  en  état  d'hosti- 
lité avec  la  cour  de  Rome.  Ricci,  qui 
passait  pour  avoir  provoqué  ces  me- 
sures ,  s'empressait  de  les  exé- 
cuter dans  son  diocèse.  Il  chan- 
geait les  rils  ,  réformait  l'enseigne- 
ment ,  bouleversait  la  discipline  : 
sous  prétexte  de  rétablir  les  usages 
de  l'antiquité,  il  dépouillait  le  culte 
de  son  éclat ,  et  interdisait  des  pra- 
tiques chères  à  la  piété.  Le  3  juin 


522  RîC 

1781  ,  il  publia  une  instruction  pas- 
torale contre  la  devo'ion  au  Sacre'- 
Cœur  ;  il  adopta  une  iiislriiction  très- 
bizarre  de  l'archevêque  de  Salzbourg, 
M.  de  GoUorcdo;  ils'e'levait  contre  la 
doctrine  des  iiidul(:;enccs,  et  faisait 
traduire  en  italien  des  ouvrages  pu- 
blies autrefois  en  France  en  faveur 
de  l'appel  et  contre  les  papes,  La 
Toscane  ne  s'était  point  ressentie  de 
ces  disputes  ;  et  cette  e'ç;ii.se  avait  joui 
du  calme  le  plus  profond  au  milieu 
des  orages  qui  avaient  agite'  d'autres 
portions  de  la  catholicité.  Kicci  en- 
treprit d'y  introduire  ces  contesta- 
tions ;  ile'tablit,  à  Pistoie,  une  impri- 
merie uniquement  destinée  à  re'~ 
pandre  des  brochures  oubliées  ,  des 
pamphlets  et  des  écrits  sans  utilité' 
ot  sans  intérêt.  Il  tenait  ,  dans 
son  palais  ,  des  confe'rences  ,  où  l'on 
plaidait  en  faveur  de  l'appel  et  de 
l'église  d'Utrecht.  Il  affecta  d'en- 
voyer à  tous  ses  curés  les  Réflexions 
morales  de  Qnesnel  ,  que  ,  dans  une 
circulaire  du  6  octobre  1786  ,  il  ap- 
pelait un  livre  d'or;  et  il  leur  re- 
commandait également  les  ouvrages 
de  Mésenguy  ,  et  l'Alircgc  d'Histoire 
ecclésiastique  de  l'abbé  Racine.  Un 
synode  qu'il  tint  à  Pistoie  ,  en  sep- 
tembre 1786,  eut  un  grand  éclat; 
l'évêque  y  avait  appelé  quelques  pro- 
fesseurs de  l'université  de  Pavie,  en- 
tre autres  'J'aïuburini,  quisembley 
avoir  eu  le  plus  de  crédit.  On  y 
rédigea  des  décrets  qui  paraissaient 
calqués  sur  les  écrits  des  appelants 
français  ,  et  qui  réalisaient  leurs 
vœux  et  leur  doctrine  :  on  adopta 
surtout  leurs  idées  sur  la  grâce ,  sur 
les  indulgences  ,  sur  le  mariage  et 
sur  diiïérentcs  réformes.  Les  actes 
et  décrets  de  ce  synode  ont  été  pu- 
blies eu  italien,  et  même  traduits  en 
français,  17S8  ,  ?.  vol.  in-i.i.  Le 
graud-duc  approuva  tout  ce  qu'avait 


UIC 

fait  Ricci  ,  et  convoqua  ,  pour  le  -3.1 
avril  1787,  une  assemblée  générale 
Ae?,  évêques  de  Toscane  :  ce  devait 
être  le  prélude  d'un  concile  natio- 
nal ,  où  l'on  adopterait  en  grand 
ce  qui  avait  été  réglé  à  Pistoie.  Mais 
les  esprits  n'étaient  pas  bien  dispo- 
sés :  la  plu])art  des  évêques  rejetè- 
rent les  projets  du  réformateur;  et  il 
fut  obligé  de  dissoudre  l'assemblée. 
Léopold  témoigna  son  mécontente- 
ment aux  prélats  ,  et  donna  de 
grands  éloges  à  la  conduite  de  Ricci  ; 
il  fit  imprimer  à  ses  frais,  et  dans 
son  palais  ,  les  actes  de  l'assemblée  , 
en  7  vol.  in-4'^  et  in-S**.  Ils  étaient 
sans  doute  rédigés  sous  l'influence  de 
l'évêque,  et  ils  ne  sont  qu'une  longue 
apologie  de  ses  principes  et  de  ses  ré- 
formes. Ricci  essuya  cependant  plus 
d'une  mortification  pendant  l'assem- 
blée. Les  esprits  étaient  froissés  par 
tous  les  changements  qu'il  ordon- 
nait chaque  jour  ;  et  des  plaintes  s'é- 
levaient de  toutes  parts  contre  l'im- 
prudent novateur.  Une  émeute  écla- 
ta même  à  Prato,  en  mai  1787;  ou 
brûla  son  trône,  et  l'on  pilla  ses  livres. 
Plusieurs  écrits  parurent  en  divers 
sens  ;  dans  l'un, intiîidé,^^Aî7iof«7iOH5 
pacifiques ^  etaltribuéau  prélatMar- 
chetli ,  on  accusait  l'évêque  des  er- 
reurs les  plus  grossières:  un  laie,  ap- 
])elé  Roncallo,  prit  sa  défense.  Pie 
yi  avait  adressé  à  Ricci  des  brefs  , 
où  il  lui  faisait  avec  douceur  des 
reproches  sur  sa  conduite:  on  Ini  ré- 
pondit par  des  décrets  qui  tendaient 
à  une  rupture  déclarée  entre  les  deux 
cours  ;  et  tout  donnait  lieu  de  craindre 
un  schisme  cnToscane,  quand  la  mort 
de  Joseph  II  amena  la  chute  du  nou- 
veau système.  Comme  ce  prince  ne 
laissait  pas  d'enfants ,  Léopold  ,  son 
frère,  lui  succéda.  Peu  après  qu'il 
fut  parti  de  Floicncc  pour  Vienne  , 
une  nouvelle  émeute  c'clala  contre 


RlC 

Ricci ,  d'abord  à  Pistoie ,  le  24  avril 
1790  ,  puis  à  Prato ,  et  dans  le  reste 
du  diocèse.  L'ëvêque  fut  oblige  de 
fuir;  elles  chapitres  mêmes  des  deux 
cathédrales  se  déclarèrent  contre  lui. 
Ses  réformes  bizarres  et  turbulentes 
furent  abandonnées  ;  et  Ricci  ne  pou- 
vant rentrer  dans  son  diocèse ,  où 
les  esprits  étaient  fort  irrités  ,  donna 
sa  démission  le  3  juin.  11  annonça 
cette  démarche  au  pape  ,  par  une 
lettre  où  il  protest;iit  de  son  dévoîi- 
meut  et  de  sa  soumission  ;  et  Pie  YI 
voulut  bien  lui  répondre  d'une  ma- 
nière affectueuse.  Toutefois  il  nomma 
une  congrégation  pour  examiner  les 
actes  du  synode  de  Pistoie;  et  l'on 
sait  qu'ils  furent  condamnés  par  une 
bulle  dogmatique  ,  qui  commence 
par  ces  mots  ,  Auctoremjidei ,  et  qui 
estdatéedu  '28 août  i794.Cettebulle, 
qui  condamnait  quatre  -  vingt  -  cinq 
propositions  ,  passe  pour  être  l'ou- 
vrage du  pieux  et  savant  cardinal 
Gerdil.  Elle  a  été  attaquée  par  So- 
lari ,  évêque  de  Noli ,  et  par  Leplat , 
professeur  de  Louvain ,  et  défendue 
par  le  cardinal  Gerdil.  Avant  le 
jugement  ,  ou  avait  invité  Bicci 
à  venir  à  Rome  ,  pour  y  plaider 
sa  cause  :  mais  il  s'y  refusa  ;  et ,  quand 
il  eut  connaissance  de  la  bulle,  il  la 
dénonça,  le  6  septembre,  au  gouver- 
nement de  Toscane  ,  comme  une  in- 
justice criante  et  un  attentat.  Le  pré- 
lat, du  fond  de  sa  retraite,  entrete- 
nait au  loin  des  liaisons  avec  les  en- 
nemis secrets  ou  déclarés  du  Saint- 
Siège.  Il  était  eu  rapport  avec  les 
évêqiies  constitutionnels  de  France  ; 
et  lorsque  ce  parti  se  forma  chez 
nous,  des  gens  qui  ne  voulaient  pas 
s'en  rapporter  à  la  décision  du  pajte, 
demandèrent  l'avis  de  l'ancien  évo- 
que de  Pistoie.  On  publia  de  lui  une 
Réponse  aux  questions  quiluiw  aient 
été  proposées  sur  Vêlai  de  V Eglise 


RIC  5a3 

en  France ,  24  P^g-  in-B°.  j  il  s'y  dé- 
c'are  en  faveur  des  décrets  de  l'as- 
semble constituante.  En  1799  ,  la 
Toscane  fut  occupée  momentané- 
ment par  les  Français.  Lorsqu'ils  eu- 
rent été  obligés  de  se  retirer .  !e  peu- 
ple poursuivit  ceux  qui  passaient 
pour  leur  avoir  été  favorables.  Ricci 
fut  rais  en  prison ,  et  s'y  trouva  con- 
fondu avec  des  criminels  :  mais  l'ar- 
chevêque et  le  sénat  de  Florence  se 
re'uniient  pour  le  délivrer;  et,  la  fu- 
reur du  peu[tle  étant  un  peu  calmée, 
on  le  transférable  8  août  1799,  dans 
le  couvent  des  dominicains  de  Saint- 
Marc.  Des  Je  i'^'".  de  ce  mois,  le  pré- 
lat, à  la  sollicitation  de  l'archevêque , 
avait  signé  une  formule  de  rétrac- 
tation ,  qui  fut  envoyée  au  pape.  Pie 
VI  était  alors  captif  à  Valence,  ef 
touchait  au  terme  de  sa  carrière.  On 
ne  sait  si  la  lettre  de  Ricci  lui  par- 
vint; mais  la  rétractation  de  celui  ci 
fut,  depuis,  ju^éeinsuflisante.  Après 
six  semaines  environ  de  séjour  dans 
le  couvent  des  dominicains,  où  il  fut 
traité  avec  beaucoup  d'égards,  il  put 
se  retirer  à  la  campagne  ;  e.l  l'on  ou- 
vrit de  nouvelles  négociations  pour 
l'amener  à  faire 'jue  rétractation  plus 
expresse.  Ayant  appris  l'élection  de 
Pie  VII,  il  lui  envoya  la  lettre  qu'il 
avait  écrite  àson  prédécesseur. Quand 
le  pontife  passa  jiar  Florence  ,  en 
i8o4,  Hicci  témoigna  le  désir  de  se 
réconcilier  avec  le  Saint  -  Siège.  Au 
retour  dupape,s'étant  abouché  avec 
le  prélat  Fcnaia  ,  il  signa  ,  le  9  mai 
i8o5,  une  formule  d'adhésion  entiè- 
re, tant  aux  bulles  contre  le  jansé- 
nisme qu'à  ia  bulle  u-luctorein  fidei. 
Le  pape,  le  reçut  avec  bonté,  l'em- 
brassa; et  Ricci  lui  écrivit  de  nou- 
veau, à  Rome  ,  pour  ratifier  ce  qu'il 
avait  fait  à  Florence.  Nous  devons 
croire  qu'il  persévéra  dans  ces  sen- 
timents usqu'à  sa  mort,  arrivée  le 


5^4 


RIC 


37  janvier  1810.  Toutefois  il  a  pa- 
ru, dans  la  Chronique  religieuse,  to- 
me IV,  page  248  ,  des  Détails  his- 
toriques, que  l'on  dit  être  extraits 
d'un  Me'moire  laisse'  par  l'eVêque 
de  Pistoie.  Ces  Détails  tendent  à  fai- 
re croire  que  Ricci  ne  signa ,  le  9 
mai  i8o5  ,  la  formule  citée,  que 
par  complaisance  ,  et  sans  changer 
de  sentiment.  Mais  quelle  idée  fau- 
drait-il avoir  de  ce  prélat,  si, 
après  avoir  déclaré  qu'il  recevait  la 
bulle  Auctorem  fidei  ,  qu'il  con- 
damnait toutes  les  propositions  ré- 
prouvées par  cette  bidle  ,  et  qu'il  de- 
sirait réparer  le  scandale  ,  il  était 
resté  attaché  à  des  erreurs  qu'il 
paraissait  avoir  abandonnées  si  for- 
melleraent  î  Au  surplus,  on  a  pu- 
blié une  Réponse  à  cet  article  de  la 
Chronique  ,  intitulée  :  Observations 
sur  un  article,  etc.  1822  in  8". , 
de  193  pag. ,  traduite  de  l'italien.  On 
y  discute  les  faits  rapportés  dans  la 
Chronique ,  et  ceux  qu'alléguait  une 
Lettre  latine,  imprimée  à  Vienne, 
sous  le  nom  d'AurèleTommasi.  L'au- 
teur des  Observations  semble  fort  au 
courant  de  tout  ce  qui  concerne  Ric- 
ci. Il  ne  s'est  pas  nommé;  mais  on  a 
cru  que  c'était  le  père  Bardacci ,  do- 
minicain ,  estime  pour  son  mérite  et 
son  savoir,  et  qui  remplit  actuelle- 
ment des  places  importantes  à  Rome. 
Il  rectifie  des  méprises  du  JMc'moire, 
et  montre  que  cette  pièce  ne  mérite 
aucune  croyance.  P — c — t. 

RIGCIARELLÏ  (  Damel  ).  Foj\ 

VOLTEURE. 

RICCIO  (  Bartuélemy  Neroni  , 
])lus  connu  sous  le  nom  de  Mastro  ), 
peintre  siennois  ,  floiissaiton  1573. 
11  suivit  long-temps  les  leçons  d'An- 
toine Ra/.7.i  ou  le  Sodoma ,  dont  il 
cpousa  la  fille ,  et  il  sut ,  après  lui , 
s  outcnir  la  réputation  de  l'écoledont 
il  demeura  le  chef.  Son  chcf-d'a;u- 


RIC 

vre  est  une  Déposition  de  Croix. 
Habiledans  la  perspective ,  il  fit  pour 
le  théâtre  de  Sienne  plusieurs  belles 
décorations ,  dont  une  a  été  gravée 
par  l'Andriani.  11  fut,  de  plus, archi- 
tecte de  la  l'épublique  de  Lucques. 
— Dominique  Ricci o  ,  surnommé  le 
Bkusasorci  (i)  ,  peintre  ,  né  à  Vé- 
rone en  1494  5  fut  élève  du  Golfino. 
S'étant  rendu  à  Venise ,  il  y  étudia  les 
chefs-d'œuvre  du  Giorgion  et  du 
Titien  ,  et  parvint  même  à  s'appro- 
cher beaucoup  de  leur  manière  dans 
plusieurs  de  ses  compositions.  Mais 
son  mérite  éminent  est  dans  la  pein- 
ture à  fresque.  Ou  regarde  comme 
un  chef-d'œuvre  celle  dont  il  orna 
une  des  salles  du  palais  RidoUi  à  Ve'- 
rone,  et  qui  représente  la  Cavalcade 
du  pape  Clément  Vil  et  de  V empe- 
reur Charles-  Quint  dans  Bologne. 
Cette  peinture  a  été  gravée.  On  ne 
peut  voir  un  spectacle  plus  noble  ; 
le  tableau  est  rempli  d'une  multitude 
de  figures  bien  distribuées ,  pleines 
de  mouvement:  les  hommes,  les 
chevaux  ,  la  variété  des  costumes  , 
la  pompe,  la  splendeur,  la  joie  qui 
anime  tous  les  visages  dans  une  sem- 
blable circonstance,  l'exactitude  des 
portraits  ,  tout  y  est  porté  à  un  égal 
degré  de  perfection.  Le  Musée  du 
Louvre  possède  de  cet  artiste  un  ta- 
bleau représentant  la  Vierge  et  saint 
Joseph.  Il  mourut  à  Vérone  ,  en 
1567.  —  Son  fils  Félix  Riccio, 
ou  Brusasorci  le  Jeune  ,  né  à  Vé- 
rone ,  en  i54o  ,  se  fit  une  manière 
remplie  de  délicatesse  et  de  grâce  j 
et  l'on  voit  dans  beaucoup  de  gale- 
ries plusieurs  de  ses  Madones  ,  avec 
des  Enfants  -  Jésus  et  de  petits  an- 
ges de  la  plus  rare  beauté.  Ses  phy- 
sionomies se  rapprochent  beaucoup 
de  celles  de  Paul  Vcronèse ,  (juoi- 

(i)  Il  dut  i;e  sdririjiii  à  iiusccrit  i|iic  »uu  )i(.'r<:avait 
ik'rouvirt  (lour  fuirt  !'<•'''''  les  souri». 


RIG 

qu'un  peu  moins  charnues.  Quand  le 
sujet  l'exige  ,  il  sait  être  également 
plein  de  force ,  comme  on  peut  le 
voir  dans  son  tableau  des  Forges 
de  Vidcain  ,  dont  les  cyclopes  sont 
dessinés  dans  le  meilleur  style  floren- 
tin, et  colories  d'une  manière  vigou- 
reuse. Sa  Sainte- Hélène^  quise  trou- 
ve dans  l'église  de  ce  nom  à  Vérone, 
est  d'une  grande  beauté.  Il  ne  s'exer- 
ça point ,  comme  son  père  ,  dans  la 
peinture  à  fresque  ,  et  il  lui  fut  infé- 
rieur en  génie  ;  il  exécuta  cependant 
plusieurs  grandes  machines  ,  dont  la 
dernière,  représentant  Marie  dans  le 
désert^  était  destinée  pour  l'église  de 
Saint  -  George.  Ce  tableau ,  qui  ne 
manque  pas  de  grandeur,  est  bien 
entendu  ;  il  fut  terminé  par  Ottini  et 
rOrbetto  ,  deux  de  ses  plus  habiles 
élèves.  On  connaît  encore  de  lui  plu- 
sieurs petits  sujets  tirés  de  l'Histoire 
sacrée  et  profane ,  peints  sur  mar- 
bre ,  qu'il  a  traités  avec  le  talent 
d'un  grand  maître,  et  où  il  s'est  ha- 
bilement servi,  pour  les  ombres ,  des 
accidents  de  la  pierre.  On  fait  aussi 
nn  cas  particulier  de  ses  portraits. 
—  Cecilia  Riccio  ou  Bf.usasorci  , 
sœur  du  précédent  et  élève  de  son 
père  ,  se  fit  une  réputation  méritée 
par  le  talent  avec  lequel  elle  peignit  le 
portrait.  —  Jean-Baptiste  Riccio  ou 
Brusasorci  ,  frère  des  précédents  , 
élève  de  Paul  Véronèse,  fut  appelé  en 
Allemagne  par  Charles-Quint ,  et  il 
resta  attaché  comme  peintre  à  cette 
cour,  jusqu'à  sa  mort.  P — s. 

RICCIO.  ^.  BRioscoetCRiNiTO. 

RTCCIOLI  (Jean-Baptiste  ),  l'un 
des  plus  savants  astronomes  du  dix- 
septième  siècle ,  naquit  à  Ferrare , 
en  i5g8  ,  et  embrassa  la  règle  de 
saintïgnace,  à  seize  ans.  Après  avoir 
professé  long-temps  les  belles-lettres, 
la  philosophie  et  la  théologie ,  tant 
à  Parme  qu'à  Bologne ,  il  s'appliqua 


RIC  525 

tout  entier  à  Téludc  de  l'astronomie, 
par  l'ordre  de  ses  supérieurs  ,  qui 
crurent  trouver  en  lui  un  antagoniste 
à  opposer  aux  astronomes  du  Nord, 
qui  se  plaignaient  que  le  système  de 
Copernic  n'avait  été  jusqu'alors  jugé , 
en  Italie  ,  que  par  des  théologiens  ,et 
non  par  des  astronomes.  Il  y  avait 
de  la  prévention  de  part  et  d'autre  : 
les  états  protestants  s'opinidtraient 
à  rejeter  la  correction  du  calendrier, 
parce  qu'elle  venait  de  Rome  (  f^. 
Grégoire  ,  XVIII ,  408  )  ;  et  leslta- 
liens  ,  se  défiant  de  ce  qui  sortait  de 
l'Allemagne  ,  foyer  de  l'hérésie ,  dé- 
daignaient les  découvertes  de  Kep- 
pler  ,  refusaient  de  voir  ,  dans  le 
système  de  Copernic  ,  autre  chose 
qu'une  simple  hypothèse  ,  et  défé- 
raient Galilée  à  l'inquisition  pourson 
obstination  à  vouloir  démontrer  que 
ce  système  était  conforme  à  l'Écriture- 
Sainte.  Riccioli  attaqua  donc  ce  sys- 
tème par  tous  les  arguments  qu'il  put 
imaginer  :  mais  ,  à  la  manière  dont 
il  en  parle,  on  croirait  ,  dit  Delam- 
brc  ,  entendre  un  avocat  chargé  d'of- 
fice d'une  mauvaise  cause ,  et  qui  fait 
tous  ses  efforts  pour  la  perdre  (1).  Le 
jésuite  convient  qu'envisagé  comme 
une  hypothèse,  le  système  de  Coper- 
nic est  le  plus  beau  ,  le  plus  simple  , 
et  le  mieux  imaginé.  Néanmoins,  dès 
qu'il  ne  l'adoptait  pas  ,  il  fallait  bien 
yen  substituer  unautre: celui  dePto- 
îéinée  n'était  plus  soutenable;  ceux 
de  Tycho  et  de  Rheita  avaient  leurs 
difficultés  :  il  proposa  de  faire  tour- 
ner la  Lune  ,  le  Soleil ,  Jupiter  et 
Saturne  immédiatement  autour  de 
la  terre;  Mercure ,  Vénus  et  Mars  ne 
devaient  être  que  des  satellites  du 
Soleil.  Il  ne  tenait  d'ailleurs  pas  beau- 
coup k  cet  arrangement:  pour  expli- 
quer les  irrégularités  du  mouvement 

(i)  Hist.  de  l'aslronom,  mci^erne ,  II ,  175. 


526  RIC 

de  la  lune ,  après  avoir  montre  les 
incoiivënients  de  tous  les  systèmes 
précédents  ,  il  propose  le  sien ,  non 
comme  vrai  ,  mais  comme  très- 
simple  (2).  Biccioli  fut  aidé  dans  ses 
observations  par  le  P.  Grinialdi,  son 
disciple  et  sou  ami  le  plus  cher  (  V. 
GRiMjiLDi ,  XVllI,  457).  Sentant 
combien  était  défectueuse  l'astrono- 
mie que  nous  avaient  laissée  les  an- 
ciens ,  il  conçut  le  hardi  projet  d'éta- 
blir ,  sur  de  nouvelles  bases  ,  cette 
science  et  celles  qui  en  dépendent,  et 
\\\cXà,(\3ins?,owAlmaatstwnnovum, 
les  fondements  de  cet  immense  tra- 
vail. 11  cojnprit  qu'une  pareille  ré- 
forme devait  commencer  par  la  me- 
sure de  la  tel  re  ,  dont  le  premier  élé- 
ment était  une  métrologie  comparée, 
afin  d'analyser,  sur  une  échelle  com- 
mune ,  les  diverses  tentatives  faites 
jusqu'alors.  Profitant  de  la  facilité 
que  lui  donnaient  les  collèges  de 
son  ordre ,  répandus  dans  tous  les 
états  catholiques  et  dans  les  mis- 
sions ,  il  se  fit  envoyer  en  nalure  la 
longueur  du  pied  ,  ou  de  la  mesure 
élémentaire  de  chaque  pays  ,  et  il  en 
composa  (3,  la  première  métrologie 
réelle  qu'on  eût  encore  vue  ,  tout  ce 
qu'on  avait  public  jusqu'alors,  en  ce 
genre,  n'étant  fondé  que  sur  des  rap- 
ports vagues  oucompilés  sans  critique. 
Mais  Riccioli  eut  la  mal-adresse  de 
prendre  pour  type  l'ancien  pied  ro- 
main ,  mesure  dont  la  longueur  pré- 
cise peut  toujours  souffrir  quelque 
discussion  :  aussi  son  travail  métrolo- 
gique  est  demeuré  oublié.  Ce  jésuitc- 
n'a  pas  clé  plus  heureux,  dans  sa  me- 
sure de  la  terre.  La  critique  qu'il  fait 
de  la  mesure  exécutée  par  $nellius  , 
n'a  rien  d'exagéré  (4)  :  mais  sa  pro- 


(i)  /llmimiu.  nof.,  p.  i^r), 

(:?)  Riccioli  ,  f;.ngf.  reform. ,  p.  3i8. 

(4}  Dclambrc,  Hiit.  Je  l'astr.  mod. ,  II ,  3ig. 


RIC 

pre  mesure ,  dont  il  s'occupa  de 
1644  ^  i656  ,  entreprise  par  un 
procédé  absolument  différent,  et  qui 
ne  pouvait  offrir  alors  d'exactitude  , 
vu  les  irrégularités  des  illusions  de 
la  réfraction  horizontale ,  si  peu  con- 
nues même  aujourd'hui  ,  lui  donna 
un  résultat  encore  plus  défectueux 
que  celui  de  Snellius  (5).  Il  fut 
plus  heureux  dans  ses  travaux  sur  la 
lune,  qu'il  observa  long-temps  avec 
une  excel  lente  lunette  de  quinze  pieds  : 
il  porta  jusqu'à  six  cents  le  nombre 
des  taches  qu'il  y  découvrit ,  et  dont 
il  publia  la  description  :  Langren 
n'eu  avait  compté  que  deux  cent 
soixante-dix  ,  et  Hévelius  cinq  cents 
cinquante.  La  nomenclature  de  Ric- 
cioli a  prévalu  sur  celle  de  ce  der- 
nier ;  et  l'on  s'en  sert  encore  aujour- 
d'hui. Schciner  et  Rheita  n'avaient 
donné  que  des  ébauches  de  la  figure 
de  la  lune  :  celle  que  donne  Riccio- 
li est  bien  supérieure.  Ses  remar- 
ques sur  la  libration  ,  si  imparfaite- 
ment connue  par  Hévelius  ,  compo- 
seraient à  elles  seules,  un  volume  (6). 
On  doit  lui  rendre  la  justice  qu'il  avait 
multiplié  ses  expériences  sur  les  os- 
cillations du  pendule  ,  avant  d'avoir 
lu  le  livre  de  Galilée.  Il  entrevit 
même  l'anneau  de  Saturne ,  en  fai- 
sant observer  que  les  deux  appen- 
dices dont  le  disque  de  cette  planète 
étaitaccompagné,  formaient  uneespè- 
ce  d'ellipse  :  il  ne  restait  qu'un  mot  à 
direpourdéfinir  l'anneau  de  Saturne; 
mais  ce  mot  fut  dit  par  Huygens  (7). 
Le  plus  grand  tori  du  P.  Riccioli 
fut  d'avoir  méconnu  l'importance 
des  découvertes  de  Keppler  :  il  était 
prévenu  contre  lui,  à  cause  que  cet 


(5)  M  évalua  le  degré  .'.04,303  ,,ns  Ix.Ionais  mai.", 
il  ne  doiiiir  jia»  assez  iieUciiicut  rcipliciitiuu  «le  ceUc 
mesure  (  Gengr.  rrfvrm..,  p.  3««  ). 

(fi)  Delambre,  ùc.  cit.,  p.  a83. 

(7)  Ibid. ,  i>.  «)i. 


UIG 

astronome  allemand  doutait  de  l'é- 
clipse  miraculeuse  arrivée  à  la  mort 
de  Jésus-Christ.  IMalgré  ses  erreurs  , 
on  ne  peut  nier  que  Riccioii  n'ait 
rendu  d'immenses  services  ,  tant  à 
l'astronomie  qu'à  la  géograpliie  et 
à  la  clirouologie.  Il  prit  la  défense 
de  la  réforme  grégorienne  ,  dont 
l'exactitude  éiait  contestée  par  Fr. 
Lèvera  ,  et  il  publia ,  sous  le  nom  de 
Michel  ÎNIaiifrecli  :  p^indiciœ  kalen- 
darii  Gregoriani ,  Bologne,  16G1, 
in-fol.  ,  ouvrage  qui  reçut  l'appro- 
bation de  Cassini.  Quoiqu'il  fût  d'une 
santé  délicate,  et  souvent  malade, 
il  travaillait  avec  une  ardeur  infati- 
gable. Enfin  ,  accablé  d'années  et 
d'infirmités,  il  mourut  h  Bologne, 
le  25  juin  167  i.  On  trouve  le  Cata- 
logue de  ses  Ouvrages  dans  la  Bihlio- 
theca  soc.  Jesu,  p.  4^6  ;  nous  nous 
contenterons  de  citer  les  princi- 
paux. :  I.  Almagestum  noviiin  ,  as- 
ironomiam  veterein  novamque  com 
plectens  ,  Bologne,  i65i  ,  'j,  vol. 
in-fol.  «  Cet  ouvrage  est  un  trésor 
»  d'érudition  astronomique  ;  il  con- 
»  tient  i5oo  pag. ,  et  io,565,ioo 
lettres.  Les  astronomes  en  font  un 
usage  continuel  (8)  ».;  et  Lalaude 
le  cite  sans  cesse  dans  son  Astrono- 
mie. On  y  trouve  (  tome  i ,  pag.  36 1  - 
385  )  la  liste  et  la  discussion  de  tou- 
tes les  éclipses  citées  par  les  his- 
toriens ,  depuis  celle  qui  eut  lieu 
à  la  naissance  de  Romulus  (  an 
n']l  avant  J.  -  C.  )  ,  jusqu'à  l'an 
1647.  ÏI-  -dstronomia  reforma- 
ta ,  ibid.  ,  i665  ,  2  tomes  in- 
fol.  On  doit  joindre  cet  ouvrage  au 
précédent  ;  mais  il  est  beaucoup  plus 
rare.  11  est  plus  important ,  par  les 
observations  qu'il  renferme  (  9  ). 
On  peut  voir  aussi  des  remarques 


(8)  Lalaude,  Bibliogr.  astrnn. ,  p.  a3o. 
C0)Ibid.!,p.j58, 


RIG 


527 


utiles  sur  la  véritable  date  de  quel- 
ques éclipses  falsifiées  par  les  auteurs 
qui  en  ont  parlé  (10).  III.  Geogra- 
phiœ  et  hydrographiœ  reforma tœ 
libri  xu ,  ibid.  ,  1661  ,  in-fol.  ; 
plein  de  savantes  recherches.  Cet 
ouvrage  n'est  pas  moins  important 
que  les  précédeuis  ;  et  VYolf  l'appelle 
Opus prœ.taiitisiimiim  ,  in  hocscien- 
tianim  génère  ftrè  unicum.  On  y 
distingue ,  pag.  388  à  409,  une  table 
de  toutes  les  longitudes  et  latitudes 
observées ,  ou  déduites  des  meilleures 
observations.  Cette  table  ,  contenant 
environ  2700  articles  ,  est  extrême- 
ment remarquable.  Les  longitudes 
les  plus  erronées  qu'elle  renferme, 
ne  s'écartent  pas  de  plus  de  sept  ou 
Luit  degrés ,  de  celles  que  l'on  con- 
naît aujourd'hui  (11).  C'est  donc 
faute  d'examiner  l'histoire  des  dé- 
couvertes géographiques ,  que  l'on 
répcteencore,  d'aprèsFontenelle(i2), 
que  G.  Delisle,  dans  ses  cartes  géné- 
rales, publiées  en  1699  ,  raccourcit 
de  trois  cents  lieues  la  longueur  de  la 
Méditerranée  ,  et  de  cinq  cents  celle 
que  l'on  donnaitàl'Asie.Cette  dernière 
rectification  était  faite  depuis  prèsde 
quarante  ans  par  Riccioii  (i  3)  ;  et 
quant  à  la  longueur  de  la  Méditerra- 
née ,  que  les  cartes  précédentes  sup- 
posaient de  onze  cent  soixante  lieues, 
Riccioii,  qui  la  réduisait  à  huit  cent 
quatre-vingt  deux  ,  ne  s'écartait  que 
de  quarante-cinq  lieues  de  ce  que  lui 
donnent   les  cartes  actuelles   (i4). 

(10)  Delambrc,  loc.  cil. ,  p.  3o4. 

(11)  H  fiiul  observer  qu'il  les  i  orapte  d'un  premier 
méridien  situé  à  7.4"  3o' à  Toucsf  de  Paris. 

(12)  Éloge  de  Guill.  Delisle,  Acad.  des  scienc, 
172G.H,  i>.  78. 

()3)  Ses  longitudes  de  Pékin,  de  IVIanillc  et  de 
Batavia,  ne  diffèrent  guère  que  d'un  degré  de  celles 
ijac  l'un  cuuiiait  actuclleraeut. 

(i4)  La  dinërence  eu  longitude  entre  Gibraltar 
et  Jcru.salem ,  est ,  selou  Riccioii ,  de  470  3?' .  qui,  à 
ce  parallèle,  valent  714  lieues  marines  ,  ou8g3  fieues 
communes  de  «5  au  degré.  Selon  la  Connui<t,mce 
rf«5  temps ,  et  le»  observations  récentes,  cette  longi- 


528 


RIC 


Cette  inexactitude  de  7°  10'  en  lon- 
j^itude  ,  dans  laquelle  Riccioli  tom- 
bait encore  eu  1672  ,  senihlera  peu 
étonnante  en  comparaison  d^ine  er- 
reur d'environ  septdegre's  sur  la  lon- 
gitude d'Arz-Roum  ,  qui ,  plus  d'un 
siècle  après,  e'tait  encore  admise  de 
confiance,  et  reproduite  ,  chaque  an- 
ne'e,  dans  la  Connaissance  des  temps, 
jusqu'en  1780I  (i5)  Si  l'ouvrage  de 
Riccioli   eût  e'té  accompagné  d'une 
collection  de  cartes,  dressées  d'après 
sa  table  de  longitudes  et  delatitudes,  il 
est  à  croire  que  la  révolution  opérée 
dans  la  géographie  par  G.  Delisle, 
aurait  eu  lieu  trente  ou  quarante  ans 
plus  tôt  :  mais  destitué  de  cet  acces- 
soire, cet  important  travail  est  de- 
meuré  inaperçu.  IV.    Chronologia 
reformata  et  ad  ceitas  conclusiones 
redacta,  Bologne,  1669,  Spart,  in- 
fol.  L'auteur  expose,  avec  de  grands 
détails  ,  ce  qui  concerne  les  calen- 
driers et  les  ères  des  diverses  nations  : 
il  y  discute  (  pag.   292  )   soixante- 
dix  systèmes  différents  sur  l'année 
du  monde  où  est  né  Jésus-Christ  ;  et 
il  trouve,  d'après  la  Vulgate  ,  et  la 
Bible  hébraïque  ,  Tan  4iB4  :  mais  il 
préfère  l'évaluation  de  5634  ,  d'après 
la  version  des  Septante.  La  deuxième 
partie  contient  une  chronique   des 
principaux  événements  ,  année  par 
année  ,  depuis  la  création  (  dont  le 
premier  jour  répond  au  dimanche 

tilde  n'est  que  de  ifn"  ?.3'  4""  >  équivalant  à  606 
lir.ues  marines  ou  848  lieues  cummunes  U  faut,  de 
ce  dei'ïiier  nombre  ,  ùter  1 1  lieues  pour  la  distance 
de  Jérusaleni  à  Jafa,  pris  pour  l'extrémité  orientale 
de  la  Méditerranée  à  cette  latitude.  On  aura  donc 
881  lieues  pour  la  longueur  donnée  par  Riccioli ,  et 
83^  pour  la  véiilable.  Fontcncllc  ,  eu  portaut  à  8G0 
celle  que  trouvait  Delisle,  n'indique  pas  de  quelle 
manière  il  en  ralculait  la  mesure. 

(  i5)  La  Connaissance  des  temps  ,  pour  1780, im- 
primée en  1777,  (îxc,  pag.  ».33,la  lonpitudc  d'Erxe- 
rom  "1  /lO",  j5'  /'|5".  D'Anville  (  Europe  )  le  place 
^  3r)".  G',  et  cette  détermination  s'écarte  peu  de  ce 
que  donnent  les  bonnes  cartes  les  plus  récentes.  Ric- 
cioli ne  |>aile  pas  d'Arz-ruum  dans  sa  table  :  mais 
on  y  trouve  Erbil  et  Trebixondc ,  dont  les  longitu- 
des couibinées  porteraient  celle  d'Ar7,-rouni  à  !{!{''• 
1',  .Sun  erreur  serait  de  moins  de  cinq  detjrcs. 


RIC 

1*=''.  mai  de  l'innée  julienne  5634 
avant  J.-C.  ),  jusqu'à  l'an  1668.  La 
troisième  partie  contient  les  listes 
chronologiques  des  souverains  des 
divers  états ,  des  patriarches  ,  des 
conciles, des  hérésies,  etc. ,  suivies, 
sous  le  titre  de  Tomus  quartus ,  de 
trois  amples  tables  alphabétiques  des 
personnages  et  des  événements,  avec 
les  renvois  aux  années.  Cet  ouvrage, 
peu  consulté  aujourd'hui  ,  (  quoique 
des  commentateurs  de  la  Bible  (  F. 
la  Bible  de  Vence  )  donnent  encore 
la  Chronologie  de  Riccioli  corrigée  , 
paraltèlementavec  celle  d'Usher),  at- 
tira quelques  désagréments  à  l'au- 
teur, peut-être  à  cause  de  la  préfé- 
rence qu'il  accordait  à  la  version  des 
Septante  sur  la  Vulgate.  On  lui  im- 
posa ime  pénitence  ,  à  laquelle  .il  se 
soumit  avec  la  plus  édifiante  rési- 
gnation. Son  livre  est  d'ailleurs  rédi- 
gé à- peu-près  sur  le  même  plan  que 
les  Tablettes  chronologiques  de  Len- 
giet  Dufresnoy,  qui ,  par  la  commo- 
dité de  leur  format ,  durent  avoir 
beaucoup  plus  de  succès  :  il  n'est 
donc  pas  étonnant  que  ce  critique , 
parlant  de  la  Chronologia  refor- 
mata ,  dise  que  son  auteur  exécute 
moins  qu'il  ne  promet ,  et  que  l'on  y 
trouve  beaucoup  de  choses  commu- 
nes avec  quelques  -  unes  d'utiles. 
L'abbé  Barotti  a  inséré  une  bonne 
Notice  sur  la  vie  et  les  Ouvrages  du 
P.  Riccioli ,  dans  ses  Memorie  isto- 
riche  de'  letterati  Ferraresi  (  Fer- 
rare,  1 793  ,  tome  II  ,  pag.  270  ,  et 
suivantes.)  G.  M.  P. 

RICCOBONI  (  Louis  ) ,  célèbre 
comédien  et  littérateur ,  né  à  Mo- 
dène  ,  en  1674  ,  ou  selon  d'au- 
tres ,  en  1677  ,  s'enrôla  fort  jeu- 
ne dans  une  troupe  d'acteurs  am- 
bulants ,  et  montra  dos  talents  re- 
marquables dans  l'emploi  des  amou- 
reux ou  LeliOy  nom  sous  lequel  RiC' 


RIC 

coboni  fut  long-temps  connu.  De- 
venu chef  d'une  troupe  à  l'âge  de 
vingt-deux  ans ,  il  conçut  le  projet 
de  réformer  le  tliéàtre  en  Italie  ,  et 
d'en  bannir  les  farces  ignobles  ou 
monstrueuses  qui  le  de'sbonoraient. 
Il  fut  encourage'  dans  ce  dessein  par 
tous  les  vrais  amateurs,  et  fit  repré- 
senter ,  avec  succès ,  à  Venise  et  dans 
les  principales  villes  de  la  LomLar- 
die,  les  meilleures  tragédies  du  théà- 
treitalien.il  voulut  ensuite  substituer 
aux  farces  ,  qui  conservaient  le  pri- 
vilège d'attirer  la  foule  ,  de  vérita- 
bles comédies  ,  et  commença  par 
faire  jouer  quelques  pièces  traduites 
■ou  imitées  de  Molière  et  des  autres 
auteurs  français.  Le  succès  de  cette 
tentative  surpassa  ses  espérances  ;  et 
il  se  flatta  que  le  public  verrait  avec 
plus  de  plaisir  encore  les  anciens 
chefs-d'œuvre  des  comiques  italiens. 
En  conséquence ,  il  résolut  de  donner 
à  Venise  une  représentation  de  la 
Scolastica  de  l'Arioste  ,  dont  il 
avait  retranché  les  détails  trop  licen- 
cieux. Comme  un  grand  nombre  des 
spectateuis  pouvaient  ignorer  que  ce 
grand  poète  eût  composé  des  comé- 
dies ,  il  crut  devoir  les  avertir  que 
la  pièce  qu'on  allait  jouer,  était  de 
l'auteur  du  Roland  furieux  ;  mais 
quand  le  rideau  fut  levé  ,  et  qu'on 
aperçut  d'autres  personnages  qu^ An- 
gélique, Bradamante  et  Roland  ,  la 
salle  retcntilde  murmures  si  violents, 
que  les  acteurs  furent  obligés  de  se 
•retirer.  Cet  affront ,  f  dl  à  l'Arioste 
par  ses  compatriotes,  affligea  vive- 
mentRiccoboni.Désespérani  de  pou- 
voir jamais  exécuter  en  Italie  la  ré- 
forme qu'd  avait  méditée,  il  accepta 
la  proposition  (|ue  lui  fit  faire  le  duc 
d'Orléans,  régent,  en  i  -^  i6,  de  passer 
en  France  avec  sa  troupe.  Veuf  de 
bonne  heure  ,  il  avait  épousé  eu 
secondes  noces  M'^'^.  Balclti ,  connue 

XXXVII. 


RIC  529 

sousIenoradeF/aminm,qui,àbeau- 
coupd'espritetde connaissances,  joi- 
gnait des  talents  distingués  comme 
actrice  (  Foj'.  l'art,  suiv.  )  La  nou- 
velle troupe  italienne  ,  qui  s'associa 
bientôt  le  fameux  Dominique  (  /^qy. 
ce  nom  ) ,  fut  mise  en  possession  de 
la  salle  de  l'hôtel  de  Bourgogne.  Ric- 
coboni ,  toujours  occupé  de  son  pro- 
jet de  réformer  le  théâtre  ,  voulut  y 
faire  représenter  des  comédies  régu- 
lières; mais  il  s'aperçut  bientôt  qu'en 
France  ,  comme  en  Italie,  le  public 
préférait  des  farces  amusantes  à  des 
pièces  mieux  conduites  ,  mais  en- 
nuyeuses.Riccoboni,  très-goûfé  com- 
me acteur ,  surtout  dans  les  rôles 
passionnés  ,  contribua  beaucoup  à 
soutenir  son  théâtre  par  une  foule 
de  divertissements  ,  de  parodies  et 
de  petits  actes,  qu'il  composait  en 
société  avec  Dominique.  En  1729, 
il  retourna  en  Italie  ,  où  il  était  ap- 
pelé par  le  duc  de  Parme  ,  qui  lui 
donna  l'intendance  des  menus-plai- 
sirs ,  avec  la  charge  d'mspecteur 
des  théâtres  établis  dans  ses  états. 
Ce  prince  étant  mort  en  1 781,  Ric- 
coboni revint  à  Paris  ;  mais  dégoûté 
de  son  état  par  un  motif  de  religion , 
il  demanda  sa  retraite  ,  qu'il  obtint 
avec  une  pension ,  et  consacra  le 
reste  de  sa  vie  à  la  culture  des  lettres. 
C'était  un  hommeaimable,  de  mœurs 
pures,  et  très-pieux.  Il  mourut  à  Pa- 
ns, le  5  décembre  i^oS.  Outre  des 
Traductions  en  prose  de  Manlius 
et  de  Britannicus, et , envers,  d'.^n- 
droningue  ,  on  a  de  lui  :  I.  IVoufeau 
Théâtre  italien,  Paris ,  1718,2  vol. 
in- 12.  (j'est  le  Recueil  des  comédies 
qu'il  avait  composées  dans  sa  jeu- 
nesse, et  qui  furent  jouées  depuis  son 
arrivée  à  Paris.  IL  DeW  arle  repre- 
sentativa,  capiloli  sei,  Londres,  Pa- 
ris ) ,  1 72S  ,  in -8''.  Ce  poème  ,  peu 
remarquable  sous  le  rapport  de  l'in- 

34 


53o  RIC 

vention  et  de  la   facture  des  vers , 
contient  d'cxceilciils  préceptes.  III. 
Histoire  du  Théâtre  italien,  depuis 
la  décadence  de  la  comédie  latine  , 
avec  un  Catalogue  des  tragédies  et 
comédies  italicnres  imprimées  depuis 
l'au  i5oo  jusqu'à  1660,  etc.,  Paris, 
I ■528-31  ,uvol.  in-8».  ;  cet  ouvrage 
est   très- superficiel.   Le  deuxième 
volume  contient  une  lettre  de  J.-B. 
Rousseau  avec  la  réponse  de  Ricco- 
boni,et  l'analyse  des  principales  tra- 
gédies et  comédies  italiennes  ,  dont 
l'auteur,  dans  la  première  partie, 
u'avait  rapportcque  les  titres. L'i/iV 
toire  du  Théâtre  italien  a  été  vive- 
ment critiquée  par  l'abbé   Desfon- 
taines  ,  dans  la  Lettre  d'un  comé- 
dien français  ,  1728,   in-i2,qu'il 
composa  ,  dit-on,  pour  faire  plaisir 
à  Baron  ,  et  qui  lui  valut  ses  entrées 
(  P^oj.  le  Dict.  des  anonjvies ,  se- 
conde édition ,  n^.  9669  ).  IV.  Ob- 
servations sur  la  comédie,  et  sur  le 
génie  de  Molière  ,  ibid,  ,  1786,  in- 
12;  c'est  une  critique  des  spectacles, 
que  l'auteur  regardait  comme  dan- 
gereux pour  les  mœurs.  V.  Pensées 
sur  la  déclamation  ,  1737  ,  in-S". 
VI.  Rejlexions  et  critiques  sur  les 
différents   théâtres  de  l'Europe  , 
avec  des  pensées  sur  la  déclamation, 
ibid.,  1738,  m-S'^.VU.  De  la  ré- 
formation du  théâtre,  ibid. ,  1 74^  , 
in- 12;  réimprimé  en   1767,  avec 
Y  Essai  de  Bussonier  sur  les  moyens 
de  rendre   la   comédie  utile   aux 
mœurs.  Riccoboni  déclare,  dans  sa 
préface  ,  qu'au  lieu  de  réformer  le 
ihéàlre,  il  vaudrait  mieux  le  sup- 
primer; mais  que,  puisque  cette  me- 
sure ne  pourrait  êlrc  adoptée  sans  de 
graves  inconvénients  dans  les  grandes 
villes ,  il  faut  veiller  à  ce  (ju'on  ne 
représente  que  des  pièces  morales. 
Il  bannissait  du  théâtre  la  danse  et 
tontes  les  pièces  ilont  l'amour  forme 


RIC 

l'intérêt  ,  telles  que  Le  Cid ,  Fiodo- 
gune  ,  Phèdre  ,  etc.         W — s. 

RICCOBONI  (HÉLÈNE -Virginie 
Baletti  ,  femme  de  Louis  ),  naquit 
à  Ferrare,  en  i68fi.  Destinée  à  sui- 
vre la  carrière  du  théâtre,  elle  reçut 
l'éducation  la  plus  propre  à  dévelop- 
per ses  talents  et  ses  grâces  naturel- 
les. Les  rapides  progrès  qu'elle  fit 
dans  la  culture  des  lettres,   princi- 
palement de  la  poésie,  lui  mçrilèrent 
les  éloges  de  ses  compatriotcfs,  et  son 
admission  dans  diverses  académies 
de  Rome,  de  Ferrare,  de  Bologne  et 
de  Venise.  Elle  seconda  sou   mari 
dans  le  projet  de  réformer  le  théâ- 
tre en  Italie,  et  le  suivit  en  France, 
lorsqu'il   y   fut  appelé   par  le  duc 
d'Orléans.  Ses  talents  contribuèrent 
au  succès  de  la  nouvelle  troupe  ita- 
lienne, dans  laquelle  elle  remplissait 
l'emploi  de  Flaminia  ou  d'atnou- 
reusc.  Les  critiques  du  temps  ne  lui 
reprochent  d'autre  défaut  qu'un  or- 
gane désagréable.  Si  l'on  en   croit 
Voisenon,  quoiqu'elle  ne  fût  ni  belle 
ni  aimable,  elle  était  sans  cesse  en- 
tourée d'une  foule  d'adorateurs,  et 
passait  pour  ne  pas  ha'ir  la  galante- 
rie (  Voy,  les  OEuvres  de  Voisenon, 
IV,  i49  )•  On  doit  ajouter  que  c'est 
le  seul  écrivain  qui  se  soit  permis  de 
laisser  planer  quelques  soupçons  sur 
les  moeurs  de  cette  actrice.  Elle  a 
donné  deux  pièces  :  en  1 72G,  le  Nau- 
frage ,  comédie  imitée  du  Mercator 
et  du  Rudens  de  Piaule  ,  et,  en  1  729 
{divç:cY)c\\s\e),AbdiUy,  roi  de  Gre- 
nade, tragi-comédie  en  trois  actes  , 
qui  n'eurent  qu'une  seule  représenta- 
tion.  Cette  dou1)le  chute  détourna 
IVl""=.  Riccoboni  de  tr.ivaiiler  pour  le 
théâtre,  dont  elle  se  relira  en  même 
temps  que  son  mari.  Elle  passa  le  res. 
ledesa  viedansla  pratique  des  vertus 
chrétiennes ,  et  mourut  à  Paris ,  le  3o 
décembre  1771 ,  à  quatre-vingt  cinq 


RIC 

ans.  Elle  est  .Tutenr  Je  la  Letti-e  de 

/r/^K  R k  M.  l'abbé  C...  (Conti), 

an  sujet  de  la  nouvelle  traduction 
de  la  Jérusalem  délivrée  du  Tasse 
(  par  Mirabaud  ^  ,  Paris  ,  1725  , 
in-12.  Desfontaines  joignit  cà  cette 
Lettre  des  notes  injurieuses.  Mira- 
baud eut  le  bon  esprit  de  mépriser 
les  injures,  et  de  profiter  des  con- 
seils de  M"*^.  Riccoboni  pour  perfec- 
tionner son  travail.  Tl  Yen  remercia 
même ,  dans  la  préface  de  la  2". 
e'dition  (  V.  Mirabaud  ).     W — s. 

RICCOBONI  (  Antoine -Fran- 
çois ) ,  fils  des  précédents ,  né  à  Man- 
oue  ,  en  1707,  fut  amené,  dans 
son  enfance  ,  à  Paris  ,  où  ,  après 
avoir  acl>«vé  son  éducation  sons  les 
yeux  de  ses  parents  ,  il  embrassa 
Fétat  de  comédien,  et  ,  eu  \-jiQ  ^ 
débuta  dans  l'emploi  des  ie?to,  sans 
y  obtenir  les  mêmes  succès  que  son 
père.  Comme  il  avait  beaucoup  d'es- 
prit ,  il  se  vit  recherché  par  les  lit- 
térateurs ,  et  devint  l'un  des  mem- 
bres de  la  société  du  Caveau ,  dont 
faisaient  partie  le  Gentil- Bernard  , 
Crébilion  le  fils ,  Colie  ,  Saurin  ,  etc. 
De  concert  avec  Dominique  fils  et 
Romagncsi ,  deux  de  ses  camarades, 
il  enrichit  le  répertoire  du  Théâtre  ita- 
lien d'un  grand  nombre  de  parodies 
et  de  petites  pièces  ,  dont  quelques- 
unes  attirèrent  long-temps  la  foule. 
Ses  connaissances  en  chimie  lui  fi- 
rent imaginer  qu'il  viendrait  à  bout de 
trouver legrand-œuvrc;  et  ildépcnsa, 
en  vaines  expériences  ,  tout  l'argent 
qu'il  put  se  procurer.  Il  voulut  en- 
suite élever  des  vers -à -soie  ;  et  ce 
nouvel  essai  ne  lui  réussit  pas  da- 
vantage. Enfi.'i  il  fit  un  voyage  en 
Italie,  dans  l'espoir  de  réparer  ses 
pertes,  en  jouant  la  comédie;  mais 
il  ne  fut  point  goûté  par  ses  compa- 
triotes ,  et  s'en  revint  avec  des  dettes. 
«  En  un  mot  ,  dit  Voiscnon  ,  c'est 


RIC 


53i 


un  homme  à  qui  Dieu  paraît  n'a- 
voir donné  beaucoup  d'esprit  que 
pour  lui  faire  prendre  éternellement 
un  mauvais  parti  (  P\  ses  OEuvres , 
IV,  149).  Quoiqu'il  eût  quitté  le  théâ- 
tre en  1750,  il  y  reparut  encore  de 
temps  en  temps,  jusqu'en  1758.  Les 
succès  qu'obtenait  dans  un  autre  gen- 
re la  célèbre  Mn^^  Riccoboni  ,  sa 
femme  ,  adoucirent  un  peu  les 
chagrins  de  sa  vieillesse  ;  et  il 
mourut  à  Paris  ,  le  i5  mai  1772. 
Outre  quelques  pièces  de  vers,  une 
Salire  sur  le  goût ,  le  Conte  sans  R 
dont  La  Motte  lui  avait  donné  le  su- 
jet, etc.,  insérés  dans  les /?ec«ej7^  du 
temps,  on  a  de  lui  :  I.  Des  Comé- 
dies, parmi  lesquelles  on  ne  citera 
que  celles  qui  sont  restées  an  Théâtre- 
Italien,  jusqu'à* l'époque  de  sa  sup- 
pression :  —  (Avec  Romagnesi  )  le? 
Comédiens  esclaves ,  en  trois  actes 
1726;  les  Amusemenls  à  la  mode] 
en  trois  actes  et  en  vers  ,  1  ■^82  ;  le 

Conte  de  Fée ,  en  un  acte  ,  i  ^35, 

Seul  :  le  Prétendu ,  comédie  en  trois 
actes  et  en  vers,  1760;  les  Ca- 
quets, comédie  en  trois  actes  et  en 
prose,  traduite  ou  imitée  de  Goldo- 
ni  :  cette  pièce,  que  les  auteurs  du 
Dictionnaire  universel  attribuent 
par  erreur,  à  Riccoboni  père,  fin 
reprise  avec  .«uccès  au  théâtre  de 
Louvois  ,  en  1802;  les  Amants  de 
village ,  comédie  en  deux  actes  et 
en  vers ,  1 764.  On  trouvera  les  titres 
des  autres  pièces  de  Riccoboni  dans 
le  tome  m  des  Anecdotes  dramati- 
ques. II.  VArt  du  théâtre  ,  Paris  , 
1750  ,  in-80. ,  de  102  pages  ;  ibid.', 
1752.  Cette  édition  est  augmentée 
des  Pensées  sur  ht  déclamation, 
par  Riccoboni  père.  Cet  ouvrage, 
écrit  d'une  manière  agréable  ,  est 
rempli  d'observations  fines  et  de  ré- 
flexions ingénieuses  ;  et  on  le  lit  en- 
core avec  plaisir,  après  les  dilTcrcnts 
34.. 


53a 


RIC 


Traites  publies  surle  même  objel  (  F. 
Remond  de  Sainte  -  Albine  ,  Han- 
NETAiRE,  etc.)  Le  Nécrologe  pour 
l'année  1778  contient  le  panégyrique 
de  Riccoboni,  p.  i35  et  suiv.  Ws. 
RlCGOBONi  (Marie  Jeanne  La- 
BORAs  DE  MtziÈRES,  femme  d'An- 
toine-Frauçois  ) ,  l'une  des  dames  les 
plus  spirituelles  de  son  siècle,  naquit 
à  Paris  ,  en  1714?  d'une  famille  ori- 
ginaire du  Béarn,  Ses  parents,  quoi- 
que ruinés  par  la  chute  du  système 
de  Law  (  V.  ce  nom),  cultivèrent 
ses  talents  naturels  avec  un  soin  par- 
ticulier. Elle  contracta  de  bonne  heu- 
re l'habitude  du  travail  et  de  la  re- 
traite, et  forma  son  esprit  et  son 
goût  par  la  lecture  de  nos  chefs- 
d'œuvre  littéraires.  Ayant  eu  le  mal- 
heur de  perdre , jeune  ,  son  père  et 
sa  mère,  elle  alla  demeurer  avec  une 
tante  ,  qui  la  laissa  maîtresse  de  sui- 
vre sou  inclination.  Forcée  de  songer 
à  son  avenir,  et  déterminée,  par  les 
suffrages  qu'elle  avait  obtenus  eu 
jouant  la  comédie  dans  des  socié- 
tés, elle  embrassa  la  carrière  du 
théâtre.  En  1734,  eile  débuta,  aux 
Italiens  ,  par  le  rôle  de  Lucile  dans 
la  Surprise  de  l'amour  ,  pièce  de 
Marivaux  ,  aujourd'hui  oubliée ,  et 
elle  y  eut  assez  peu  de  succès.  Avec 
beaucoup  d'esprit  et  d'intelligence, 
elle  ne  savait  pas  animer  ses  rôles  ,  et 
leur  donner  une  physionomie  parti- 
culière ;  aussi  fut-elle  toujours  une 
actrice  médiocre.  Elle  épousa,  l'an- 
née  suivante,  Antoine-François  Ric- 
coboni  (/^.  l'art,  précédent),  acteur 
également  médiocre,  mais  liommc 
d'esprit  (  i  ).  T-es  premières  années 
de  son  mariage  furent  assez  heureu- 
ses ;  mais  bientôt  elle  eut  à  se  plain- 
dre des  infidélités  de  son  mari ,  qu'el- 

(i)  F.t  111)11  lias   f.ouii  Riicobuiii,  coinnie  le  dit 
M"".  il«  <'.fnli»,  d»iii  VliiHuriice  dc(  femmes    tiii 


RIC 

It  aimait  véritablement.  Le  froid  ac- 
cueil qu'elle  recevait  du  public ,  et  les 
tracasseries  de  ses  camarades  ,  ajou- 
taient encore  à  l'ennui  qu'elle  éprou- 
vait, et  augmentaient  chaque  jour  sa 
répugnance  pour  un  état  qu'elle  avait 
pris  par  nécessité.  Ce  fut  dans  ces 
circonstances  queM""*^.  Riccoboni  de- 
vint auteur,  pour  se  distraire  de  ses 
chagrins.  Les  Lettres  de  Fanrvy  But- 
ler ,  dans  lesquelles  on  prétend  qu'el- 
le a  tracé  l'histoire  de  ses  propres  in- 
fortunes, furent  son  premier  ouvra- 
ge; il  parut  en  1757  :  elle  avait  alors 
quarante-trois  ans.  Malgré  l'extrême 
sévérité  des  critiques  ,  ce  roman  eut 
du  succès  ,  et  le  méritait,  lu  Histoire 
du  marquis  de  Cressy.  qu'elle  publia 
l'année  suivante,  comme  une  traduc- 
tion de  l'anglais,  fut  encore  mieux 
accueillie.  La  pureté  du  style,  la  fi- 
nesse des  réflexions  et  le  charme  des 
détails,  que  W*^^,  Riccoboni  rend 
avec  le  même  bonheur  qu'elle  les 
imagine,  en  font  un  livre  très -re- 
marquable :  Laharpe  le  préfère  à  tou- 
tes les  autres  productions  de  cette 
dame  {1).  Dans  la  même  année,  elle 
fit  paraître  les  Lettres  de  Julie  Ca- 
teshy ,  que  plusieurs  critiques  met- 
tent au-dessus  du  marquis  de  Gressy, 
pour  le  choix  du  sujet ,  l'intérêt  et  le 
style.  Cet  ouvrage  suffirait  pour  as- 
surer à  l'ai-iteurune  place  distinguée 
parmi  les  meilleurs  romanciers  du 
dix-huitième  siècle.  M""^.  Riccoboni 
quitta  le  théâtre,  en  1761 ,  avec  une 
pension  médiocre  (3);  et  elle  fut 

[■>.)  Mme.  de  Gcnlis  regarde  au  r.mtroire  YHis- 
loire  ilu  miirijuii  de  Cressy  comme  une  dis  pro- 
ducticiiis  iiif'riioures  de  l'auteur.  Suivant  M^".  de 
Geulis ,  Mm".  Riccoboni  a  eu  la  première  la  funeale 
idce  do  vouloir  rendre  le  .suicide  intéresnanl  ;  et 
c'est  un  re|)iochc  grave  cjae  l'on  doit  faire  o  »a  mé- 
moire. 

(3)  Suivant  Voisenon ,  M™».  Riccoboni  se  retira 
s»ns|)ension,pan-cqu'i-ne  n'avait  pn»  le  temps  de  ser- 
vice iirce&saire.  Ou  aurait dii,  n]oiitc-t-il  «  lui  en  don- 
ner une  ,  pour  la  récompenser  d'.»voir  quitté  le  tlicu- 
tre  où  elle  jouait  fort  mal  ,  et  de  .s'appliquer  à  faire 
de  très-joli»  romw»  :  (AnecJuItt  liltci . ,  tlHiisle  1\°. 


RIC 

obligée  de  chercher  des  ressources 
dans  son  talent  pour  écrire  ,  qu'elle 
n'avait  cultivé  jusqu'alors  que  par 
délassement.  Divers  fragments  qu'el- 
le inséra  dans  un  journal  sous  le  ti- 
tre de  Y.Abeille ,  l'occupèrent  quel- 
que temps.  Saint -Foix,  soutenant 
un  jour  devant  elle  que  le  style  de 
Marivaux  était  inimitable,  lui  four- 
nit l'occasion  de  montrer  toute  la 
flexibilité  de  son  esprit.  Restée  seule, 
M™«.   Riccoboni ,  se  mit  à  étudier 
Marianne  ,  et  en  composa  la  suite  , 
en  imitant  si  bien  les  formes  de  son 
modèle  ,  que  Saint- Foix  fut  persua- 
dé qu'on  avait  dérobé  le  manuscrit 
de  Marivaux,  et  qu'il  ne  put  être  désa- 
busé que  par  le  témoignage  de  l'auteur 
lui-même.  Pressée  par  les  libraires, 
elle  ne  tira  pas  du  joli  sujet  à! Emes- 
Une  tout  le  parti  dont  il  était  sus- 
ceptible. Cependant  Laharpe  regar- 
de ce  petit  roman  comme  le  diamant 
de  M'"<=.  Riccoboni.  La  traduction  , 
ou  plutôt  l'imitatiou  librede  Y  Amélie 
de  Fielding,  parut  en  i  n(y'i.  Si  l'on  en 
croit  M""^.  Riccoboni,  c'était  le  ré- 
sultat de  l'étude  qu'elle  venait  de 
faire  de  l'anglais  ,  avec  le  secours 
d'une  grammaire  et  d'un  dictionnai- 
re. Les  retranchements  qu'elle  avait 
fait  éprouver  au  roman  de  Fielding 
excitèrent  les  plaintes  des  enthou- 
siastes   de    la    littérature   anglaise. 
Grimm   lui-  même,  l'un  des  plus 
grands    admirateurs   du    talent    de 
M™'=.  Riccoboni  ,  ne  put  lui  pardon- 
ner d'avoir  i;vz/e  le  roman  A! Amélie. 
Cependantrimitation  qu'clleena  don- 
née se  lit  encore  avec  plaisir;  et  la 
traduction  complète  de  Puisieux  est 
à  -  peu  -  près   torubc'c  dans  l'oubli. 
\I Histoire  de  miss  Jenny ,  publiée 
en   1764,  est  de  tous  les  ouvrages 

vol.  des  OEui'ies  dcVolsenon  ,  148.)  H  parattcpic  ce 
■oubait  fut  accompli  ,  et  (lu'ello  obtiut  une  pc(j>iou 
sur  la  casscUe  du  Roi. 


RIC 


533 


de  IM"*^,  Riccoboni ,  celui  qui  lui  coû- 
ta le  plus  de  temps.  Elle  se-repentit 
souvent  d'avoir  enti'epris  de  donner 
de  si  grands  développements  à  celte 
production.  «  L'étendue  de  mon  cs- 
»  prit,  dit-elle,  se  borne  sans  dou- 
»  te  à  un  seul  volume.  »  Malgré  quel- 
ques défauts  ,  et  le  vice  du  dénoue- 
ment ,  dont  elle  convenait ,  ce  livre 
eut  un  succès  mérité.  Les  Lettres  de 
la  comtesse  de  Sancerre,  qui  paru- 
rent en  1766,  ne  furent  pas  aussibien 
accueillies.  Cependant  si  l'idée  prin- 
cipale de  cette  composition  n'est  pas 
heureuse  ,    on  ne  peut  s'empêcher 
de  rendi-e  justice  au  mérite  de  l'exé- 
cution.   L'avidité   des    imprimeurs 
étrangers  privait  presque  entièrement 
M"*'^.  Riccoboni  du  fruit  qu'elle  avait 
droit  d'attendre  de  son  travail.  Soit 
découragement,  soit,  comme  elle  le 
dit,  paresse  naturelle,  elle  laissa  pas- 
ser plusieurs  années  sans  publier  de 
nouveaux  romans.  Dans  l'intervalle, 
elle  essaya  d'arranger ,  pour  le  théâ- 
tre des  Italiens,  \e  Mariage  clan- 
destin ,    comédie    que    Garrick   lui 
avait  dédiée.  La  chute  de  cette  piè- 
ce la  dégoûta  du  théâtre.  Elle  tra- 
duisit encore  cinq  pièces  de  l'anglais, 
en  les  retouchant;  mais  elle  ne  les  lit 
point  représenter.  L'âge  n'affaiblis- 
sait ni  sa  sensibUité  ni  son  imagina- 
tion. Les  Lettres  de  Sophie  de  fal- 
lière  ,    qu'elle  publia  en  177  i,  eu- 
rent, malgré  quelques  longueurs,  un 
très- grand  succès  ,  dont  elles  furent 
redevables  aux  agréments   du  style 
et   à  des    détails  pleins   de  délica- 
tesse :  celles  de  Milord  Rivers  ,  qui 
parurent  en    1776,   sont  moins  un 
roman  qu'une  espèce  de  cadre,  dans 
lequel  M'"*^.  Riccoboni  passe  en  revue 
les  travers  et  les  ridicules  de  l'épo- 
que; elle  ose  y  aborder  aussi  diiréren- 
tcs  questions  de  morale  et  de  philo- 
sophie^ qui  sont  traifées,  pour  ainsi 


534  RIC 

dire  ,  en  badinant,  avec  infiniment 
d'esprit.  On  arrive ,  dit  Laharpc ,  au 
bout  du  livre,  sans  être  Lien  ému , 
mais  toujours  en  s'arausant.  C'est  la 
dernière  production  de  quelque  éten- 
due de  M™'=.  Riccoboni.  Dès-lors  , 
elle  se  contenta  d'enrichir  la  Biblio- 
thèque des  romans  de  plusieurs  nou- 
velles fort  agréables ,  dont  elle  avait 
invente'  les  sujets  ;  ce  qui  répond  au 
reproche  que  lui  ont  fait  quelques 
critiques  ,  d'avoir  manqué  d'iraagi* 
nation.  Supérieure  à  la  mauvaise  for- 
tune ,  qu'elle   supportait  sans  s'en 
apercevoir,  par  l'habitude  des  priva- 
tions ,  son  sort  recevait  quelque  adou- 
cissement de  l'amitié  de  M^^^.  Bian- 
colelli,  ancienne  actrice,  de  la  mê- 
me famille  que  le  célèbre  Domini- 
que (  V.  ce  nom  ) ,  et  dont  les  grâces 
et  le  jeu  piquant  avaient  attiré  long- 
temps la  foule  au  Théâtre-Italien.  Les 
deux  amies  se  trouvaient  heureuses 
l'une  par  l'autre.  Une  sévère  écono- 
mie suppléait  à  la  modicité  de  leurs 
revenus:  les  charmcsd'unesociélé  peu 
nombreuse,  mais  choisie,  et  la  cultu- 
re des  arts  de  l'esprit,  embellissaient 
la  vieillesse  de  M™'=.  Riccoboni.  Mais 
les  scènes  effrayantes  de  la  révolu- 
tion vinrent  bientôt  l'affliger.  Privée 
de  la  petite  pension  qu'elle  recevait 
de  la  cour,  elle  allait  être  livrée  à 
toutes  les  horreurs  de  l'indigence, 
quand  elle  mourut,  le  6  décembre 
179*2,  à  l'âge  de  soixanle-dix  huit 
ans.  M™^.  Riccoboni  avait  la  taille 
haute,  les  yeux  noirs,  le  teint  blanc, 
et  une  physionomie  peu  expressive , 
mais  2)leinc  de  candeur  :  sou   hu- 
meur était  inégale;  et  quoique  natu- 
rellement bonne  et  douce,  clic  avait 
des  accès   d'impatience    qu'elle  ne 
pouvait  dissimuler.  IVIal   appréciée 
par  les  personnes  indilTorcntes  ,  elle 
fffait  chérie  lendrfinenl  de  ses  amis. 
Comme  écrivain  ,   elle   occupe  une 


RIC 

phicc  très-distinguée  dans  notre  lit- 
térature agréable;  et  elle  la  conser- 
vera tant  que  le  mérite  d'un  style  pi- 
quant, naturel  ,  vif  et  facile,  sera 
compté  pour  quelque  chose.  Peu  de 
femmes ,  dit  un  critique  célèbre ,  peu 
d'horameç  même,  ont  pensé  avec  an- 
fant  de  finesse  et  écrit  avec  autant 
d'esprit.  Après  le  succès  de  ses  pre- 
miers ouvrages  ,  on  avait  décidé 
qu'une  femme  ne  pouvait  pas  en  être 
l'auteur.  Mais  Palissot,  qui  n'avait 
pas  peu  contribué,  dans  sa  Duncia- 
de^  à  répandre  ce  soupçon,  revint 
de  sa  prévention ,  et  ne  négligea  rien 
pour  l'effacer.  Personne ,  dit-il ,  n'au- 
rait voulu  lui  céder  le  mérite  d'avoir 
fait  Ernestine.  Les  romans  de  M'^'^. 
Riccoboni  sont  supérieurs,  sinon  par 
l'invention  et  le  plan  ,  du  moins 
par  le  style ,  à  la  plupart  des  pro- 
ductions du  même  genre;  mais  il  n'é- 
tait pas  nécessaire,  pour  en  relever  le 
mérite,  de  rabaisser  celui  des  Ro- 
mans de  Prévost  (4)-  I-i^s  premiers 
ont  été  traduits  pour  la  plupart  en  al- 
lemand, en  anglais  et  en  italien  (5). 
Il  s'en  est  fait  plusieurs  eVi/f/om-  com- 
plètes ,  même  du  vivant  de  l'auteur , 
mais  à  son  insu.  La  plus  belle,  sans 
contredit,  est  celle  de  1818,  Paris, 
Foucault,  6  vol.  in-8°.,  fig.  Le  i*"". 
volume  contient  :  les  Histoires  du 
marquis  de  Cressy;  de  Miss  Jen- 
ny  ;  d'Ernestiue  ;  et  la  suite  de  la 
Marianne  àe  Marivaux  (  /^.  ce  nom  ). 
Le  second  :  Amélie;  les  Histoires 
de  Christine  de  Suabe  (6);  d'Aloï- 
sc  de  Livarot  ;   d'Enguerrand  ;  des 

(4)  Selou  M™«.  di^f.eiilis,  les  ouviaKCS  de  M™"- 
Riccoboni  ont  rendu  iiii|io<<sil>Ie  I.i  lecture  desAve»- 
liires  tragiques  d'un  Iioiiiniv  de  cpialite  ,  du  luiird  «^ 
diffus  Clevelaiiil ,  et  uiêmo  de  l'eunuycux  Dojren  de 
KilUiine. 

(5)  Le»  Lellret  ila  milady  Caleiby  ont  été  trad. 
en  ilali'eu  por  M"'».  In  |ire.<îidente  de  Goiirgnes,  Pa- 
ri» ,  De  Liituur,  17(19,  iu  8".  «lette  édition  ,  distrilmce 
eu  (:ré8«iitii,  ii'ii  etc  lime  qu'il  duilv.«  ex«iM|>lairi-s, 

((i)  Qiielf{ms  kiograpilip*  ont  jiri»  eelto  Nouvelle 
puiii  mie  lliftoiic  de  Chriumv  dv  Sind, . 


MC 

Amours  de  Geilnide  ;  cl  de  deux 
jeunes  amies.  Le  troisième  :  les  Let- 
tres de  Julie  Cateshj,  roman  dans 
lequel  un  anonyme  a  trouve  le  sujet 
de  Cécile^  comédie  en  trois  actes, 
jouée  aux  Italiens,  en  l'ySii;  les  Let- 
tres de  Sophie  de  FalUère;  V  Abeil- 
le ;V  Aveugle ,  conte,  mis  an  théâtre 
avec  succès  par  M.  Desfontaines  ,  etc. 
Le  quatrième  :  les  Lettres  de  Fan- 
nj  Butler;  la  Comtesse  de  Sancer- 
re,  roman  où  Monvel  a  puisé  le  su- 
jet de  la  jolie  comédie  de  V Amant 
bourru  (  F.  Monvel  j;  et  les  Let- 
tres de  milord  Rivers.  Le  cinquième 
et  le  sixième  :  Y  Enfant  trouvé ,  co- 
méaie  de  Moore  ;  la  Façon  de  le 
fixer  ,  comédie  de  Murpliy;  Il  est 
possédé  ;  la  Fausse  délicatesse  ,  co- 
me'diedc  Hiip;li  Killy;  la  Femme  ja- 
louse, par  George  Colraan;  et  enfin 
les  Caquets ,  comédie  imitée  de  Gol- 
doni  (  F.  l'art,  précéd.  ),  et  dont  on 
prétend  que  M^^c^  Riccoboni  a  es- 
quissé les  deux  premiers  actes.  Le 
cinquième  volume  est  précédé  d'une 
Notice  très  étendue.  On  trouve  l'ana- 
lyse des  principaux  romans  de  M™*^. 
Riccoboni,  dans  V Histoire  littéraire 
des  femmes  françaises,  par  l'abbé  de 
Laportc,  tome  v.  liCS  Lettres  de  la 
comtesse  de  Sancerrc,  les  Amours 
de  Roger  cl  de  Gcrtrude,  V Histoire 
d'Aloïse  de  Ijivnrot,  et  les  Lettres 
de  milady  Calesby,  font  partie  de  la 
Collection  d'ouvrages  français ,  im- 
jirimée  pai-  ordre  de  M.  le  comte 
d'Artois,  Paris, Didot,  i-jSo,  iji-i8, 
et  dont  il  a  été  tiré  quatre  exem- 
plaires sur  vélin.  W — s. 

KIGH  (  JamksGlaudius  ") ,  rési- 
dent d'Angleterre  à  Baglidad,  était 
entré  au  service  de  la  compagnie 
anglaise  des  Indes  en  i8o3.  tin  sé- 
jour de  ((uatro  années  à  Constanlino- 
ple ,  n  Sinyriic  ,  à  Alexandrie,  au 
Caire  et  en  Syrie  ,  où  il  visita  llafcp 


RIG 


53{ 


et  Damas  ,  lui  fournit  les  moyens 
d'acquérir  une  grande  connaissance 
des  langues  orientales  ,  et  de  l'arabe 
en  particulier.  11  alla  ensuite  à  Bom- 
bay, où  il  fut,  en   1H07  ,  nommé 
résident  à   Baglidad  ;  et ,  pendant 
quinze  ans,  il  y  remplit  cette  charge 
avec  distinction.  Durant  son  séjour 
dans  cette  ville  ,  il  eut  roccasiou  de 
faire  un  grand  nombre  de  recherches 
d'antiquité,  et  particulièrement  sur 
les  restes  de  Babylenel  II  réunit  une 
belle  collection  de  manuscrits  orien- 
taux ,  de  médailles  précieuses ,  de 
cylindres  ,  de  pierres  gravées  ,   et 
d'objets  antiques  de  tous  les  genres  , 
et  particulièrement  de  monnmcuts 
babyloniens  ,    qu'il    rcrucillit    lui- 
même  dans  les  nombreuses  visites 
qu'il  fit  sur  l'emplacement  de  Baby- 
lone.  La  plupart  de  ses  observations 
scientifiques  et  littéraires  ,   ont  été 
publiées  par  lui  dans  le  Recueil  des 
Mines  de  V Orient.  Il  fit  paraître, 
dans  le  troisième  volume  (  Vienne, 
1 8 1 3 ,  in-fol.  ) ,  une  description  très- 
détiillée ,  de  tontes  les  ruines  ,  et  de 
tous  les  tertres  et  amas  de  décombres 
qui  s'étendent  à  une  grande  distance 
sur  les  deux  rives   de  i'Euphrate, 
dans  les  environs  delà  moderne  Hel- 
lah  ,  et  qui  uîarquent  la  situation  de 
l'antique  Babyionc.  Ses  observations 
sont  Irès-projires  à  confirmer  ce  que 
les  anciens  nous  ont  appris  de  la  vas- 
te étendue  de  cette  ville ,  et  de  la 
grandeur  de  ses  édifices.  A  cette  des- 
cription ,   Uich    ajouta  une    Notice 
sur  les  dilïéreiits  objets  antiques  dé- 
couverts dans  les  ruines  deBabylone. 
Il  y  joiguit  une  planche  ,  contenant 
les    plans  et  ies  mesures  des  lieux 
qu'il  avait  visités.  Il  se  proposait 
de  donner  une  seconde    édition   de 
cet  Ouvrage  ,  considérablement  ang- 
lueuléc.    il   en   a    paru    une    Tra- 
duction française,  en  1818,  à  Pa- 


536 


RIC 


ris  ,  un  volume  in-8<».  ,  sous  ce  ti- 
tre :  Voyage  aux  ruines  de  Baby- 
lone ,  par  M.  J.  C.  Riche  (  sic  ) ,  ré- 
sident à  Baghdad  ,  orné  de  six 
(quatre)  grwures  ^  traduit  et  enri- 
chi d"  Obsen>ations ,  avec  des  Notes 
explicatives  suivies  d'une  Disserta- 
tion sur  la  situation  du  Pallacopa  , 
par  J.  Rajmond ,  ancien  consul  à 
Bassora.  Au  milieu  de  plusieurs  cri- 
tiques, qui  ne  sont  pas  toujours  éga- 
lement bien  fondées,  on  trouve  néan- 
moins ,  dans  les  notes  du  traducteur , 
un  grand  nombre  de  rectifications,  et 
des  renseignements  utiles ,  que  le  ré- 
sident anglais  avait  négligés  ,  et  qui 
forment  un  supplément  précieux  à 
son  travail.  On  doit  y  accorder  d'au- 
tant plus  de  confiance  que  le  traduc- 
teur a  habité  plus  de  vingt  ans  dans 
i'Yrak  arabe,  et  que  les  fonctions 
qu'il  a  remplies,  soit  auprès  du  gou- 
vernement du  pays  ,  soit  au  service 
des  Européens  ,  lui  ont  fourni  les 
moyens  d'être  bien  informé.  On  y 
trouve  aussi  beaucoup  d'observa- 
tions importantes  sur  la  géographie 
des  régions  arrosées  par  le  Tigre  et 
l'Euphrate.  On  a  inséré,  dans  ce  mê- 
me vol.  des  Mines  de  l'Orient,  pag. 
328-334  ,  le  commencement  du  Ca- 
talogue, rédigé  en  latin,  des  manus- 
crits arabes  ,  persans  et  turcs  ,  re- 
cueillis dans  rOiicnt  par  Rich  :  Ca- 
talogus  Cddicum  orienlalium  qui  in 
collectione  Bichiand  Bagdadicxis- 
tunt.  La  suite  a  paru  dans  le  (piatric- 
ine  volume  des  Mines  ,  f)iil)lié  en 
1814,  p.  111-12G,  p.  -28811(^8  et 
453458  :  ces  manuscrits  ,  parmi 
lesquels  il  y  en  a  jjlusicurs  de  rares  et 
d'inij)()itants,  sont  au  nombre  de 
3ç)'i.  Rich  donna  encore ,  dans  le 
même  Recueil,  tome  m,  une  Tra- 
duction anglaise  de  V Histoire  (ou 
plutôt  de  la  Légende)  des  sept  Dor- 
mants,(-crilc  en  arabe.  Le  quatrième 


RIC 

volume ,  p.  86 ,  contient  aussi  une 
planche  ,  qui  représente  quarante- 
deux  talismans  ou  pierres  gravées, 
trouvées  par  Rich  dans  les  ruines 
de  Babylone  ,  avec  une  très -courte 
notice  en  allemand.  De  retour  en 
Orient,  en  1816,  après  un  voya- 
ge qu^il  avait  fait  dans  sa  patrie  ,  et 
à  la  suite  duquel  il  visita  la  France , 
l'Allemagne  et  Constantinople ,  il  re- 
prit le  cours  de  ses  observations 
scientifiquesdans  l'ancienne  Babylo- 
nie,  où  il  s'occupa  constamment  de 
rechercher  les  vestiges  des  villes  et 
des  édifices  antiques.  Il  fut  secondé, 
dans  plusieurs  de  ses  observations  , 
par  les  travaux  d^un  jeune  et  intéres- 
santcollaborateur,  (Ch.  Bellino,  vvur- 
tembergeois  ,  ravi  aux  lettres  orien* 
taies  par  une  mort  prématurée  à  Mos- 
soul,  le  12  nov.  1820).  Au  commen- 
cement de  1820,  Rich, à  peine  guéri 
d'une  maladie  causée  par  la  tempé- 
rature trop  élevée  du  pays  qu'il  ha- 
bitait, résolut  de  parcourir ,  pen- 
dant l'été ,  toute  la  partie  monta- 
gneuse du  Kurdistan,  Il  campa  quin- 
ze jours  sur  les  ruines  de  Ctésiphon 
et  de  Séleucie ,  en  leva  le  plan ,  et 
se  dirigea  vers  la  frontière  per- 
sane ,  où  il  reconnut  et  détermina 
astronomiquement  la  position  de 
plusieurs  villes  ,  et  de  plusieurs  mo- 
numents érigés  autrefois  dans  ces 
régions  par  les  rois  de  la  dynastie  des 
Sassanides  ,  tels  que  Scheherban  , 
Kasri  schirin  ,  Ilavousch  Kurrak  , 
.Sc/jinvrt«e/i, etc. De  retour  à  Baghdad 
après  cette  courte  excursion  ,  il  re- 
partit le  16  avril,  pour  le  Haut-Kur- 
distan ,  où  il  passa  l'été.  Il  fixa  sa  ré- 
sidence à  Soiile'imanieh  ,  où  il  resta 
jusqu'au  17  juillet.  Chaise  alors  par 
la  chaleur  ,  il  se  porta  plus  à  l'orient 
et  plus  avant  dans  les  montagnes  : 
il  traversa  la  chaîne  nommée  Za- 
gra.t  par  les  anciens ,  et  alla  visiter 


RIC 

Sena  ou  Sinendadj,  capitale  du  Kur- 
distan persan.  Il  parcourut  les  can- 
tons les  plus  reculés  de  celte  région 
sauvage,  reste's  jusqu'à  pre'sent  incon- 
nus aux  Européens ,  en  prenant  soin 
de  fixer  la  position  astronomique  de 
tous  les  lieux  qu'il  rencontrait.  Il  re- 
vint ensuite  à  Souleïmanieh,d'oîi  il  re» 
partit,  le  1 1  octobre ,  pour  Mossoul  : 
il  passa  les    deux  Zab  ,  observa  les 
villes  les  plus  remarquables  de  ces 
cantons,  tels  que  Schouan,  Altoun- 
Kupenare  ,  Arbelle  ,  etc.    Aussitôt 
après  son  arrivée  à  Mossoul,  le  3i 
octobre,  il  s'occupa  de  rechercher  les 
restes  de  l'antique  Ninive.  On  ignore 
quels  furent  les  résultats  des  obser- 
vations  de  Rich  ,   soit  aux   envi- 
rons de  Mossoul  ,  soit  dans  la  prin- 
cipauté d'Amadiali  et  dans  les  au- 
tres parties  du  Kurdistan  qu'il  vi- 
sita. Le  long  séjour  qu'il  fit  alors  en 
ces  cantons, pei  met  de  croire  qu'elles 
eurent  des  résultats  importants.  On 
peut  voir,  au  sujet    de  toutes   ces 
courses   scientifiques  ,  des   extraits 
considérables  de  deux  Lettres  du  ré- 
sident anglais,  adressées  à  M.  Sil- 
vestre  de  Sacy  ,  et  qui  ont  été  insé- 
rés dans  le  Journal  des  Savants  , 
mai    1821     et    avril     1822.   Rich 
quitta  Mossoul ,  le  3  mars  1821  ,  et 
descendit  le  Tigre  pour  retourner  à 
Eaghdad  ,  où    il  arriva  le    12  du 
même  mois.    Pendant  ce  trajet ,  il 
eut  encore  l'occasion  de  faire  quel- 
ques découvertes  intéressantes,  telles 
que  celle  des  ruines  de  l'antique  La- 
rissa ,   mentionnée  par   Xénophon. 
Il  fut  de  nouveau  forcé  de  quitter  le 
séjour  insalubre  deBaghdad,aumois 
de  mai.  Il  fit  alors  un  autre  voyage 
dans  le  pays  à  l'orient  de  l'Yrak.  Il 
était  accompagné  de  sa  femme,  qui  l'a- 
vait déjà  suivi  au  travers  des  contrées 
agrestes  occupées  par  les  Kurdes.  Au 
milieu  de  l'été  ,  ils  se  quittèrent  au 


RIC  537 

port  de  Bouschir  :  sa  femme  partit 
pour  Bombay.  Pour  lui ,  il  retourna 
à  Schiraz  ,  où  il  fut  attaqué  du  cho- 
iera morhus  ,  qui  l'emporta  ,  le  5 
octobre  1821.  On  espère  que  les  Ob- 
servations recueillies  dans  son  der- 
nier voyage  seront  publiées  par  sa 
veuve.  S.  M — n. 

RICHARD  1er. ,  roi  d'Angleterre, 
surnommé  Cœur  de  Lion  ,  né  à  Ox- 
ford ,  en  II 57  .  élait  le  second  fils 
d'Henri  II  et  d'Éléonore  de  Guien- 
ne,  répudiée  par  Louis  VII ,  roi  de 
France.  Dès  sa  plus  tendre  jeunesse^ 
il  se  fit  remarquer  par  un  esprit  iras- 
cible, fier,  impétueux,  surtout  par  sa 
bravoure  ,  et  par  son  adresse  dans  les 
exercices  militaires.  Nommé  duc  de 
Poitiers  ,  il  se  réunit  à  son  frère  aîné 
Henri ,  pour  faire  la  guerre  à  son 
père  ;  et,  après  la  mort  de  son  frère, 
qui  devait  hériter  de  la  couronne 
d'Angleterre  ,  l'impatience  de  régner 
lui  fit  de  nouveau  prendre  les  armes 
contre  l'autorité  paternelle.  Ces  di- 
visions dans  la   famille  d'Henri  II 
étaient  favorisées  par  Philippe- Au- 
guste ,  qui  en  profila  avec  habileté. 
Lorsque  l'archevêque  de  Tyr  vint  en 
Occident  annoncer  la  prise  de  Jéru- 
salem par  Saladin  (  F.  Guillaume, 
XIX,  145  ),  Richard  fut  un  des 
premiers  à  faire  le  serment  de  com- 
battre les  infidèles  ;  mais  ne  renon- 
çant pas  pour  cela  à  faire  la  guerre 
à  ses  voisins,  il  ne  cessa  point  de  sou. 
lever  les  provinces  contre  Henri  II. 
Comme  toutes  ces  guerres  et  tous 
ces  complots  suspendaient  l'entre- 
prise de  la  croisade ,  Richard  fut  ex- 
communié par  le  légat  du  pape.  Sur 
ces  entrefaites  ,  Henri  II  mourut  de 
chacrin ,  en  maudissant  ses  fils  in- 
grats.  Tout-à-coup  Richard  recon- 
nut ses  torts ,  et  se  repentit  de  sa  con- 
duite :  après  son  couronnement,  qui 
eut  lieu  le  3  septembre  1 189,  il  ne 


;38 


R[G 


s'occupa  plus  ,  d'accord  avec  Phi- 
lippe-Auguste ,  que  de  sou  départ 
pour  rOrieut.  Ainsi ,  .iprcs  avoir  , 
dans  l'impatience  de  régner,  pris 
les  armes  plusieurs  fois  contre  l'au- 
teur de  ses  jours  ,  il  abandonna  son 
royaume ,  dès  qu'il  fui  roi  ;  ce  qui 
montre  moins  en  lui  un  caractère 
ambitieux  ,  qu'un  esprit  remuant 
et  incapable  de  supporter  le  repos. 
Il  eut  plusieurs  conférences  avec  Phi- 
lippe ,  fit  divers  re'glements  pour 
le  maintien  de  la  discipline  dans  l'ar- 
rae'e  des  Croisés ,  ruina  ses  sujets , 
vendit  jusqu'aux  charges  de  la  cou- 
ronne d'Angleterre,  et  partit  de  Vé- 
zelai  eu  Bourgogne ,  pour  aller  s'em- 
barquer à  Marseille  ,  tandis  que  le 
roi  de  France  et  l'armée  française 
s'embarquaient  à  Gènes.  Le  rendez- 
vous  des  deux  armées  était  Messine. 
Guillaume  II,  roi  de  Sicile,  venait 
de  mourir ,  et  sa  veuve  était  sœur 
de  Richard  ;  plusieurs  contestations 
s'élevèrent  sur  la  dot  de  Jeanne:  Ri- 
chard exigea  du  roi  Tancrède  ,  suc- 
cesseur de  Guillaume  ,  des  sommes 
considérables.  Pendant  que  les  deux 
rois  discutaient  avec  animosité  leurs 
intérêts,  il  s'éleva,  entre  les  Croisés 
et  le  peuple  de  Messine,  de  violentes 
querelles  ,  à  la  suite  desquelles  le 
monarque  anglais  s'empara  de  la 
ville  ,  et  fit  arborer  son  drapeau  sur 
les  remparts.  Philippe  intervint  dans 
ces  démêlés; la  paix  se  rétablit: mais 
ce  fut  à  cette  époque  qu'on  vit  cesser 
l'union  qu'avait  fait  naître  la  guerre 
sainte  entre  les  rois  de  France  et 
d'Angleterre;  union  qui  semblait  un 
prodige ,  mais  qui  no  devait  durer 
qu'un  moment.  Philippe  partit  le 
])rcniier  pour  Ptolémais  ou  Saint- 
Joan-d'Acre,  assiégé  alors  par  cent 
mille  Ooisés ,  arrivés  en  Syrie  de 
toutes  les  parties  de  l'Occident.  IVn- 
ilaiitlc  séjour  de  Hichard  en  Sicile, 


RIC 

Éléonorcluiamcna  BdrengèrCjfilledu 
roi  de  Navarre ,  qu'il  devait  épouser. 
(i)  Ce  prince  ne  connaissant  dt*me- 
sure  ni  dans  ses  actions  ni  dans  ses 
sentiments,  poursuivi,  à  l'approche 
des  Saints-Lieux,  par  le  souvenir  de 
ses  fautes ,  montra  tout-à-coup  un 
repentir  immodéré ,  et  mil  de  l'ex- 
cès jusque  dans  sa  pénitence  :  il  pa- 
rut en  chemise  ,  au  milieu  d'une  as- 
semblée d'évêques,  confessa  ses  pé- 
chés à  genoux;  et,  tenant  à  la  main 
un  paquet  de  verges  ,  il  exigea  que 
les  prélats  lui  infligeassent  la  pu- 
nition qu'il  avait  méritée.  Il  en- 
tendit ensuite  le  fameux  abbé  Joa- 
chim,  qui  prétendait  connaître  l'a- 
venir par  l'Apocalypse  :  cet  abbé  lui 
annonça  qu'il  ne  prendrait  pas  Jéru- 
salem ,  mais  qu'il  acquerrait  une 
grande  renommée  dans  la  croisade. 
Au  milieu  de  cette  dévotion  outrée  , 
Richard  se  livrait  à  toutes  les  dissi- 
pations d'une  jeunesse  guerrière  ;  et 
les  chroniques  racontent  ici  ûes  scè- 
nes qui  font  un  contraste  singulier 
avec  celle»  dont  nous  venons  de  par- 
ler. S'étant  embarqué  pour  les  côtes 
de  Syrie,  il  aborda  à  l'île  de  Cyprej 
cl  ,  comme  Isaac ,  qui  régnait  dans 
cette  île ,  avait  refusé  de  recevoir  ses 
vaisseaux,  ill'attaqua,  le  battit, le  fit 
charger  de  chaînes  d'argent,  et  s'em- 
para deses  états.  Richard, après  cette 
conquête,  célébra  son  mariage  avec 
liérengère ,  dans  la  ville  de  Limisso , 
et  partit  pour  la  Palestine,  emme- 
nant avec  lui  son  prisonnier  Isaac 
et  sa  fille ,  qui  devint  bientôt  une 
dangereuse  rivale  pour  la  nouvelle 
reine  d'Angleterre.  Il  fut  reçu  au 
camp  de  Ptolémais  avec  de  grandes 
déuionstralions  de  joie  ;  et  quoiqu'il 
fût  tombé  malade  quelques  jours 
après  son  arrivée,  il  ne  laissa  pas 

(  1  )  U  .uMil  cUi  lidULC  li'aliorJ  .wtc  Alix  ,  ■-iiiir  Uc 
riiili^iipc-Aii|<u.-li'. 


nie 

de  poursuivre  avec  activité  les  tra- 
vaux du  siège.  Mais  les  discordes  qui 
avaient  éclate  en  Sicile  entre  le  roi 
de  France  et  le  roi  d'Angleterre  ne 
tardèrent  pas  à  se  renouveler  :  Ri- 
chard répandit  ses  trésors  parmi  les 
Croises,  et  se  fit  de  nombreux  parti- 
sans; ce  qui  excita  la  jalousie  de  Phi- 
lippe. Conrad,  marquis  deTyr,  et 
Guide  Lusignan,  époux  de Sibille,  se 
disputaient  alors  le  royaume  de  Jéru- 
salem :  comme  le  monarque  français 
s'était  déclaré  pour  Conrad ,  Richard 
se  déclara  pour  Gui  de  Lusignan: au 
milieu  de  ces  contestations ,  le  roi 
d'Angleterre  envoyait  des  ambassa- 
deurs à  Sa  ladin,  et  en  recevait  des  pré- 
sents ;  ce  qui  le  faisait  accuser,  par  les 
partisans  de  Philippe ,  d'entretenir 
des  intelligences  avec'les  infidèles.  Ce- 
pendant Ptolémaïs,  après  un  siège  de 
deux  ans  ,  se  rendit  aux  armes  chré- 
tiennes. Ce  fut  alors  que  Richard  vou- 
lut commander  en  maître,  et  qu'il  in- 
disposa contre  lui  la  plupart  des  chefs 
de  l'armée.  Ayant  aperçu  le  drapeau 
du  duc  d'Autriche  sur  une  des  tours 
de  la  ville  conquise,  il  ordonna  que 
ce  drapeau  fût  jeté  dans  les  fossés  et 
foulé  aux  pieds  :  ce  caractère  violent 
et  impétueux  nuisit  beaucoup  au  suc- 
cès de  la  croisade  ,  et  détermina  le 
roi  de  France  à  quitter  la  Palestine. 
Richard  resta  seul  à  la  tête  des  Groi- 
ses  ;  cl  comme  Saladiu  refusa  de 
rendre  le  bois  de  la  vraie  croix ,  de 
renvoyer  les  prisonniers  chrétiens  , 
et  de  remplir  toutes  les  conditions 
du  traité  fait  avec  la  garnison  de  Pto- 
lémaïs ,  le  monarque  anglais  fit  mas- 
sacrer deux  mille  cinq  cents  captifs 
qu'il  avait  entie  ses  mains.  Après 
cette  action  barbare,  qu'il  faut  d'ail- 
Ictirs  Juger  d'après  l'esprit  et  les 
mœurs  du  temps  ,  Richard  marcha 
vers  Ascalon,  avec  une  armée  de 
cent  mille  Croises.  Une  grande  ba- 


RIC  53g 

taille  fut  livrée  près  de  la  ville  d'As- 
surs  ,  et  les  Musulmans  y  furent  rais 
en  déroute.  Richard  montra ,  dans 
cette  circonstance,  autant  d'habileté 
que  de  bravoure;  et  ce  qu'on  doit  le 
plus  admirer  ,  c'est  la  manière  sim- 
ple et  modeste  avec  laquelle  il  parle 
de  cette  glorieuse  journée,  dans  une 
lettre  qu'il  écrivit  alors  eu  Occident. 
Ses  exploits  ne  purent  néanmoins  lui 
attirer  la  confiance  de  l'armée  chré- 
tienne. LesCroisésétant  arrivésà  Jaf- 
fa,Ia  plupart  des  chefs  voulaient  mar- 
cher contre  Jérusalem  :  Richard  pro- 
posa d'aller  rebâtir  Ascalon ,  que 
Saladin  venait  de  démolir.  Il  fit  pré- 
valoir son  opinion  ;  mais  on  obéit 
en  murmur  '.nt  :  plusieurs  fois  ,  afin 
d'apaiser  les  murmures ,  il  fut  obli- 
gé de  conduire  les  Croisés  vers  la  ville 
Sainte;  mais  n'osant  point  hasarder 
le  siège  de  Jérusalem  en  présence  de 
l'armée  musulmane  ,  il  ramena  tou- 
jours l'armée  chrétienne  vers  Asca- 
lon ou  vers  Jaffa  ,  ce  qui  augmenta 
le  mécontentement  général.  C'est  ici 
qu'il  faut  voir ,  dans  les  chroniques 
du  temps  ,  la  joie  des  soldats  de  la 
Croix  ,  lorsqu'ils  marchaient  vers  la 
capitale  de  la  Judée  ;  leur  désespoir, 
lorsqu'ils  s'en  éloignaient.  Le  roi  de 
France  ,  en  quittant  la  Palestine  ,  y 
avait  laissé  le  duc  de  Bourgogne  avec 
dix  mille  Français.  Dans  les  vifs  dé- 
bals qui  s'élevèrent  alors  ,  les  Fran- 
çais se  séparèrent  des  Anglais  ;  une 
foule  de  pèlerins  abandonna  les  dra- 
peaux de  la  croisade.  Richard  avait 
un  ennemi  déclaré  dans  le  marquis 
de  Tyr  ,  qui  négociait  avec  Saladiu  , 
et  soudlait  la  discorde  dans  l'armée 
chrétienne.  Comme  Conrad  fut  assas- 
siné par  les  émissaires  du  Vieuxde  la 
Montagne  (  F.  Haçan  ben-Saea, 
XIX,  280  ),  on  ne  mau([iia  pas  cette 
occasion  d'acciiscr  le  roi  d'Angleter- 
re. La  situation  de  Richard  devenait 


54 o  RIC 

chaque  jour  plus  difficile  :  d'un  côté, 
craignant  pour  son  royaume,  trouble' 
par  son  frère  le  prince  Jean  ,  et 
redoutant  les  entreprises  de  Philippe 
sur  la  Normandie  j  de  l'autre ,  cher- 
chant à  illustrer  son  nom  dans  la 
croisade,  et  ne  voyant  autour  de 
lui  que  des  croisés  qui  le  maudissaient 
cl  refusaient  de  lui  obéir  ,  il^montra, 
dans  ses  desseins  et  dans  ses  pensées, 
un  esprit  d'irrésolution  et  d'incerti- 
tude que  l'histoire  a  quelque  peine  à 
caractériser.  Cependant  les  difficultés 
ne  faisaient  qu'accroître  son  courage; 
et  lorsque  ,  de  toutes  parts  ,  des 
plaintes  s'élevaient  contre  lui  ,  il 
y  répondait  par  des  exploits  dignes 
d'Amadis  et  de  Roland.  Cliaquejour, 
disent  les  chroniques  ,  il  livrait  un 
nouveau  combat ,  et  revenait,  tantôt 
avec  dix  têtes  ,  quelquefois  avec 
trente  têtes  de  Sarrasins  ,  qu'il  avait 
tués.  Accompagné  d'un  petit  nom- 
bre de  soldats  ,  il  s'empara  d'une 
caravane  ,  allant  d'Egypte  à  Jérusa- 
lem ,  chargée  des  marchandises  les 
plus  précieuses  de  l'Afrique  ,  et  pro- 
tégée par  une  force  redoutable.  Pour 
que  rien  ne  manquât  à  la  ressem- 
blance de  Richard  avec  les  person- 
nages des  temps  héroïques  ,  il  ren- 
contra un  énorme  sanglier  dans  les 
montagnes  de  la  Judée  ,  se  battit 
long-temps  avec  l'animal  féroce,  et 
rétendit  mort,  .Tprès  avoir  couru  le 
plus  grand  péril.  Ce  fut  surtout  à 
JafTa  ,  (jue  l'Achille  moderne  montra 
sa  valeur  extraordinaire  :  il  débar- 
qua danç  cette  ville  ,  avec  quatre 
cents  arbalétriers  et  quelques  cheva- 
liers ,  au  moment  même  où  la  cita- 
delle venait  de  capituler,  et  où  la 
place  était  remplie  de  soldats  musul- 
mans. Richard  les  chasse  devant  lui 
comme  mm  troupeau  ;  arrivé  dans  la 
plaine  où  campait  l'armée  de  Sala- 
du),  il  range  ses  compagnons  en  ba- 


RTC 

taille  :  dix  chevaux  formaient  toute 
sa  cavalerie  ,  et  il  avait  devant  lui 
quinze  raille  cavaliers  musulmans 
qui  fondirent  à  l'instant  sur  sa  trou- 
pe. Il  résiste  à  leur  premier  choc  ; 
bientôt  il  les  attaque  lui  même  et  les 
met  en  fuite.  L'histoire  n'offre  point 
d'exemple  d'un  pareil  combat.  Ri- 
chard ,  emporté  par  son  ardeur , 
se  jeta  seul  au  milieu  de  l'armée 
ennemie  ,  et  revint  bientôt  après  , 
parmi  les  siens  ,  tout  couvert  des 
flèches  lancées  contre  lui ,  sem- 
blable ,  dit  un  historien  ,  témoin 
oculaire  ,  à  une  pelote  remplie 
d'aiguilles.  On  ne  pourrait  croire 
à  des  exploits  si  merveilleux  s'ils- 
n'étaient  attestés  par  tous  les  mo- 
numents historiques.  Les  auteurs 
arabes  célèbrent  eux-mêmes  la  bra- 
voure de  Richard  ,  qui  avait  pas- 
sé en  proverbe  dans  l'Orient.  Lors- 
que les  enfants  pleuraient,  les  mères 
musulmanes  les  faisaient  taire  en 
leur  disant  :  Paix  là  ,  voici  le  roi 
Richard  !  et  lorsqu'un  cheval  om- 
brageux venait  à  broncher  ,  le  cava- 
lier lui  disait  :  As-tu  peur  que  le  roi 
Richard  soit  caché  dans  ce  buisson? 
Malgré  sou  étonnante  valeur,  Richard 
ne  put  conquérir  la  Terre-Sainte  ;  et 
il  se  vit  obligé  de  conclure  avec  Sa- 
ladin  une  trêve  de  trois  ans,  trois 
mois  ,  trois  semaines  ,  trois  jours  et 
trois  heures.  La  guerre  sainte  était 
finie;  mais  celui  qui  en  avait  été  le 
héros,  devait  courir  d'autres  périls. 
Richard,  à  son  retour,  aborda  sur  les 
côtes  presque  inhabitées  de  la  Dal- 
malie;  et  comme  il  avait  partout  des 
ennemis ,  il  poursuivit  sa  route  à 
travers  l'Allemagne  ,  sous  le  nom  et 
l'habit  d'un  simple  pèlerin.  Arrive 
en  Autriche  ,  il  fut  reconnu  et  con- 
duit au  duc  Léopold,  qui,  se  ressou- 
venant de  l'outrage  qu'il  ru  avait 
reçu,  le  rcliol  prisonnier.  L'hisloiic 


RIC 

donne  peu  de  de'tails  sur  !a  captivité 
de  ce  malheureux  prince:  on  connaît 
seulement,  par  une  clironique  con- 
temporaine, le  dëvoûment  de  Blon- 
del ,  qu'on  a  célèbre'  sur  nos  théâ- 
tres. Le  pape  ,  presse'  par  les  prières 
de  la  reine  Éle'onore  ,  menaça  des 
foudres  de  l'Église  le  duc  Le'opold  et 
l'empereur  Henri  VI ,  à  qui  le  pri- 
sonnier avait  e'té  livré ,  s'ils  ne  le  met- 
taient en  liberté.  Au  reste  la  cour  de 
Rome  parut  s'intéresser  faiblement 
à  cette  affaire  ;  et  l'opinion,  en  Alle- 
magne ,  s'était  tellement  déclarée 
contre  Richard,  que  l'empereur  vou- 
lut le  faire  juger  et  condamner  par 
une  diète  assemblée  à  Worms.  Le 
monarque  anglais  répondit  à  ses  ac- 
cusateurs avec  une  éloquence  si  tou- 
chante ,  qu'il  intéressa  en  sa  faveur 
les  princes  allemands,  et  l'empereur 
lui-même ,  qui  reconnut  son  innocen- 
ce ,  mais  qui  ne  consentit  néanmoins 
à  briser  ses  fers  ,  qu'après  avoir  re- 
çu une  rançon  considérable.  Richard, 
devenu  libre  apncs  un  an  de  capti- 
vité ,  revint  dans  son  royaume ,  qu'il 
avait  ruiné  pour  les  préparatifs  de 
son  départ,  et  qu'il  ruina  de  nouveau 
pour  acquitter  le  prix  de  son  retour 
et  de  sa  délivrance.  Il  fit  son  entrée 
à  Londres  ,  le  20  mars  1 194  ,  et  fut 
reçu  au  milieu  des  acclamations  gé- 
nérales. Il  dissipa  tous  les  complots 
formés  contre  lui ,  et  pardonna  à  son 
frère  Jean;  il  passa  ensuite  en  Nor- 
mandie ,  oîi  il  eut  à  combattre  les 
armées  de  Philippe- Auguste  ,  qui 
avait  profité  de  sa  longue  absence 
pour  affaiblir  sa  puissance  sur  le 
continent.  Après  plusieurs  combats, 
les  deux  monarques  firent  la  paix 
(  V.  Philippe-Auguste)  ;  et  Richard 
vivait  eu  repos  au  milieu  de  ses  su- 
jets ,  lorsqu'une  circonstance  singu- 
lière lui  fit  reprendre  les  armes  ,  et 
causa  sa  mort.  Ayant   réclame  en 


RTC  54i 

vain  un  tre'sor  trouve  par  le  comte 
de  Limoges,  il  vint  mettre  le  siège 
devant  le  château  de  Chalus.  Un  ar- 
cher, nommé  Bertrand  de  Gourdon. 
lui  perça  l'épaule  avec  une  flèche; 
le  roi  ,  cependant ,  commanda  l'as* 
saut,  prit  la  place  et  fit  pendre  toute 
la  garnison.  Il  ne  fit  grâce  qu'à  Gour- 
don,  qu'il  interrogea  lui-même;  et 
celui-ci  lui  ayant  répondu  avec  fer- 
meté ,  il  ordonna  qu'on  le  mît  en 
libellé  ,  et  qu'on  lui  donnât  de  l'ar- 
gent,  ce  qui  ne  fut  point  exécuté; 
car  Gourdon  ,  à  l'insu  du  roi  ,  fut 
écorché  vif  et  pendu.  Rien  ne  peiat 
mieux  le  caractère  de  Richard  ,  que 
la  manière  dont  les  chroniques  an- 
glaises racontent  sa  mort.  Nous  em- 
prunterons le  récit  de  Gauthier  d'Her- 
mingfort ,  un  des  historiens  contem- 
porains :  «  Les  médecins  appelés, 
))  dit  le  chroniqueur ,  défendirent  au 
»  prince  tout  commerce  avec  sa 
»  femme  :  mais  Richard  ,  qui  était 
»  voluptueux  ,  dédaigna  leur  ordon- 
»  nance  ;  la  blessure  fit  des  progrès, 
»  et  mit  sa  vie  en  danger.  Lorsque  sa 
»  mort  parut  prochaine  ,  Gauthier , 
»  archevêque  de  Rouen  ,  se  présenta 
»  au  prince,  et  lui  dit  :  Mettez  urdre 
»  à  vos  affaires ,  Seigneur,  carvoiis 
»  mourrez.  —  Est-ce  une  menace  , 
»  répondit  le  roi ,  ou  une  plaisante- 
»  rie  ?  —  Non ,  Seigneur,  votre  mort 
»  est  inévitable.  — Que  voulez-vous 
»  donc  que  je  fasse  ?  —  Pensez  aux 
»  filles  que  vous  avez  à  marier ,  et 
»  faites  pénitence.  —  Je  vous  l'ai 
»  déjà  dit ,  ce  sont  des  plaisante- 
»  ries  ,  car  je  n'ai  point  de  filles,  — 
»  Seigneur  ,  vous  avez  trois  filles  , 
»  et  vous  les  nourrissez  depuis  long- 
»  temps.  Votre  aînée  est  l'ambi- 
»  tion  ;  la  seconde  ,  l'avarice  ;  la 
»  troisième  ,  la  luxure.  »  (  D'autres 
historiens  anglais  attribuent  ce  dis- 
cours à  Foulques  de  Neuilli ,  cl  le 


54a  RIC 

}iii  foit  tenir  dans  une  toulc  autre 
circonstance.  )  «  Vous  avez  eu  ces 
î)  trois  filles  dès  votre  jeunesse  ,  et 
D)  vous  les  avez  toujours  trop  aiiuces. 
■»^  —  C'est  vrai  ;  voici  comme  je  les 

V  marie  :  je  donne  l'aîne'e  aux  Tem- 
•)y  pliers  ;  la  seconde  ,  aux  moines 
»  gris  ;  la  troisième  ,  aux  moines 
)>  noirs.  —  Ne  parlez  pas  ainsi  , 
w  reprit  l'archevêque,  car  votre  fin 

V  approche.  —  Que  me  faut  -  il 
r>  faire  ?  —  Pénitence  ,  et  vous  ccn- 
•»  fier  à  la  miséricorde  éternelle.  » 
Le  roi,  touché  des  paroles  de  l'ar- 
chevêque ,  se  mit  à  pleurer  ,  et 
dit  :  «  Je  suis  très-repentant,  et  vous 
)>  en  verrez  des  preuves.  »  Aussitôt 
il  se  confessa  ;  et  s'étant  fait  lier  les 
pieds  ,  il  ordonna  qu'on  flagellât  jus- 
qu'au sang  son  corps  nu  et  suspendu 
en  l'air  :  on  recommença  par  ses  or- 
dres cette  flagellation  jusqu'à  trois 
fois  ;  il  se  fit  traîner  ensuite  avec 
tnie  corde  au-devant  du  viatique, 
qu'il  reçut  en  invoquant  la  miséri- 
corde du  Seigneur.  Telle  fut  la  fin 
de  Richard  ,  que  re  chroniqueur  ap- 
pelle glorieuse.  On  l'ensevelit  près 
de  son  père  ,  au  monastère  de  Fon- 
tevrauld  ,  au  mois  d'avril  de  l'an 
1 199.  Des  courtisans  ayant  annonce 
avec  joie  cette  mort  au  roi  de  France  : 
«  Il  ne  faut  pas  se  réjouir  ,  mais 
•>}  s'affliger  ,  leur  dit  Philippe  -  Au- 
«  guste;  car  la  chrétienté  vient  de 
»  perdre  un  grand  prince  ,et  le  plus 
5)  vaillant  de  ses  défenseurs.  »  Les 
actions  de  Richard  le  font  assez  con- 
naître pour  que  l'histoire  n'ait  pas 
besoin  de  faire  son  portrait  :  ses  qua- 
lités guerrières,  qui  lui  méritèrent  le 
surnom  de  Cœur-de  Lion  ,  lui  ob- 
tinrent une  grande  popularité  parmi 
les  Anglais  ,  au  milieu  des<|ucls  il  ne 
passa  ((Mc  quatre  mois  ,  pciulant  tout 
son  règne  ,  et  (pi'il  accabla  d'iuijiôts 
cxorhitants.  Un  historien  du  temps 


RIC 

dit  que  ce  prince  avait  toujours  un 
oeil  menaçant  avec  ceux  qui  l'eutrc- 
tcnaicnt  d'affaires  :  il  faisait ,  d'un 
air  terrible  ,  des  reproches  ou  des 
censures  ,  et  montrait  un  visage  fu- 
i^ieux  à  ceux  qui  ne  satisfaisaient 
point  à  ses  demandes  d'argent.Tfaus 
son  intimité  ,  il  était  affable  ,  cares- 
sant ,  et  ne  dédaignait  point  de  jouer 
et  de  plaisanter.  Le  même  auteur 
ajoute  que  Richard  se  plaisait  à  l'of- 
fice divin  ,  et  qu'il  accompagnait 
souvent  ,  qu'il  encourageait  même 
par  ses  bienfaits,  les  chantres  de  l'é- 
glise. Le  nom  de  Richard  figure  ho- 
norablement parmi  ceux  des  trou- 
vères (  2  ).  Dans  la  croisade  ,*il 
répondit  par  des  chansons  à  une 
satire  du  duc  de  Bourgogne  :  il  fut 
un  des  princes  les  plus  éclairés  de 
son  temps.  Son  caractère  et  sa  vie 
offrent  un  des  spectacles  les  plus 
singuliers  et  les  plus  attachants  du 
moyen  âge.  Quoique  la  guerre  l'oc- 
cupât presque  tout  entier,  il  fit  quel- 
ques règlements  «tilcs  :  ce  fut  sous 
son  règne  que  l'on  rédigea  et  publia 
les  Rôles  d'Oleron ,  l'un  des  premiers 
monuments  de  la  législation  et  du 
droit  maritime.  M — d. 

RICHARD  II,  roi  d'Angleterre, 
naquit  à  Bordeaux  ,  en  1 366,  11  était 
fils  du  célèbre  Prince  Noir,  alors 
gouverneur  de  la  Guienne.  Ce  prin- 
ce, forcé  par  la  maladie  mortelle 
dont  il  était  attaqué  ,  d'abandonner 
son  gouvernement  pour  retourner 
eu  Angleterre  ,  y  conduisit  le  jeune 
Richard,  encore  enfant.  A  sa  mort, 
Edouard  III ,  pour  éviter  les  trou- 
bles qu'il  ])révoyait  après  lui  ,  se  liâ- 
ta  de  déclarer  son  petit-fils  prince  de 
Galles  et  héritier  présomptif  de  la 
couronne.  Il    voulut   même  que  la 

(»)  On  a  insti-,:,  ilans  le  iMémnriat  i,i,ivrr<cl  lio 
i.iiivior  1H59.  (loin.  Vil  .  p.  1(18  ),  h-  texte  et  lu  tra- 
ilnclion  des  A'in'riiln<  r|ii<!  KicliBril  roinpn.Ha  pcu- 
il'int  SI  raptivilcau  cliritemi  ilc  Dinn^tein. 


wc 

noblesse  lui  prêtât  serment ,  en  cette 
qualité'.  Craignant  enfin  que  ses  trois 
oncles  ne  conçussent  l'espoir  de  mon- 
ter sur  le  trône  à  son  pre'judice ,  il 
ordonna  que  ,  dans  toutes  les  solen- 
nités ,  le  jeune  Richard  prît  le  pas 
sur  eux.  Edouard  III  ayant  cesse  de 
vivre  (  '2i  juin  l'i'j'j  )  ,  Richard  II 
est  reconnu;  et  ses  oncles  sont  les 
premiers  à  lui  rendre  hommage. 
Bientôt  néanmoins  ils  s'emparèrent 
adroitement  du  pouvoir  suprême , 
en  se  faisant  nommer,  par  le  parle- 
ment ,  régents  du  royaume.  Le  par- 
lement ,  de  son  côté ,  profita  de  cette 
minorité  ,  pour  faire  confirmer,  par 
Teufant-roi,  les  deux  chartes  de  Jean- 
sans-Terre.  Une  guerre  malheureuse 
contre  la  France  et  l'Espagne  ,  força 
de  recourir  â  des  impositions  exces- 
sives :  elles  furent  levées  avec  une 
telle  rigueur,  que  le  peuple  se  révolta. 
Le  chef  de  cette  insurrection  était 
un  couvreur  deDeptford,  nommé 
Wat-Tyler ,  dont  la  fille  avait  été 
insultée  par  un  collecteur.  Cet  hom- 
me se  vit  bientôt  à  la  tête  de  plus  de 
cent  mille  mécontents.  Un  prêtre  , 
nommé  Jean  Kall  ,  devint  l'orateur 
de  cette  multitude  furieuse.  Il  avait 
pour  maxime  que,  tous  les  hommes 
ayant  Adam  pour  père  commun  ,  il 
devait  régner  parmi  eux  la  plus  par- 
faite égalité  de  droits  et  de  biens. 
Déjà  les  séditieux  étaient  aux  portes 
de  Londres,  dans  la  bruyère  de  Black- 
Heath.  Le  jeune  roi  leur  envoya  de- 
mander ce  qu'ils  voulaient.  Ils  ré- 
pondirent insolemment  que  Richard 
n'avait  qu'à  venir  leur  parler.  Ri- 
chard les  menaça  de  toute  sa  colère. 
Mais  ,  redoublant  d'audace  ,  Wat- 
Tyler  marche  sur  Londres  :  le  peu- 
ple lui  livre  le  passage  du  pont;  et 
la  capitale  est  abandonnée  au  pillage, 
aux  massacres ,  à  l'incendie.  La  Tour 
pouvait  se  défendre:  elle  fut  rendue 


RIC  543 

lâchement.  Le  gouverneur  et  l'arche- 
vêque de  Canterbury  sont  égorgés. 
Le  conseil  opinait  à  satisfaire  les 
révoltés  par  toutes  les  concessions. 
Leur  chef  insistait  pour  que  le 
roi  négociât  directement  avec  lui. 
Richard  s'avança  jusque  sur  la  pla- 
ce de  Smithfield  ,  et  fît  inviter 
Wat-Tyler  à  se  rendre  près  de  lui. 
Le  couvreur  répondit  qu'il  s'y  ren- 
drait selon  son  bon  plaisir.  Il  pa- 
rut enfin ,  à  cheval  comme  le  roi. 
Il  exposa  les  conditions  auxquelles 
il  mettrait  bas  les  armes  ;  mais  , 
tout  en  parlant,  il  agitait  son  épée, 
en  signe  de  menace.  Tant  d'insolen- 
ce transporta  de  fureur  le  maire  de 
Londres .  qui  était  ta  côté  du  roi  :  il 
porta  un  coup  si  terrible  an  sujet  re- 
belle, qu'il  le  fît  tomber  mort  à  ses 
pieds.  Sa  troupe  s'apprêtait  à  le  ven- 
ger :  Richard  semblait  perdu.  Mais, 
au  lieu  de  prendre  la  fuite,  tout-à- 
coup  ce  prince  de  quinze  ans  s'élance 
au-devant  des  insurgés  :  «  Anglais  , 
»  leur  crie-t-il,  voulez-vous  répandre 
»  le  sang  de  votre  roi  ?  vous  avez 
»  perdu  votre  chef:  c'est  moi  qui  le 
»  suis  présentement.  Suivez-moi  î  » 
La  foule  le  suit,  et,  peu  d'instants 
après,  sur  son  ordre,  elle  se  dis- 
perse. Mais  ce  n'était  pas  dans  la  ca- 
pitale seule  qu'avait  éclaté  le  feu  de 
la  rébellion  :  les  provinces  étaient 
en  proio  à  des  furieux  ,  qui  massa- 
craient sans  pitié  les  prêtres  et  les 
nobles.  Le  jeune  monarque  ne  parut 
bla  point  épouvanté  :  il  réunit  des 
troupes  ,  se  mit  à  leur  tête  ,  et  fit  un 
terrible  carnage  des  insurgés.  Tous 
ceux  qui  échappèrent  au  fer  des  sol- 
dais ,  tombèrent  sous  la  hache  des 
bourreaux.  La  plupart  avouèrent, 
en  mourant,  qu'ils  avaient  juré  d'ex- 
terminer le  roi  ,  la  famille  roya- 
le ,  le  clergé  et  la  noblesse  entière. 
Pendant  que  la  couronne  et  l'exis- 


544  RIC  S 

teuce  même  de  Richard  II  c'taieut 
meuace'es  ,  ses  ministres  lui  avaient 
cherche'  une  femme  sur  le  continent. 
Il  e'pousa  Anne  de  Luxembourg , 
sœur  derempereurWenceslas(  1 38 1  ). 
Du  jour  de  son  mariage,  le  carac- 
tère du  jeune  monarque  parut  chan- 
ger :  il  éloigna  ses  gouverneurs  ,  ses 
conseillers,  et  se  montra  de'cidé  à  ré- 
gner seul.  Mais  les  flatteurs  ne  tar- 
dèrent pas  à  s'emparer  de  sa  con- 
fiance ;  ils  l'eurent  asservi ,  dès  l'ins- 
tant où  ils  découvrirent  son  pen- 
chant irrésistible  pour  le  plaisir.  Le 
duc  de  Lancastre,  oncle  du  roi,  leur 
faisait  d'autant  plus  d'ombrage,  que 
ce  prince  avait  donné  lieu  de  lui  sup- 
poser les  vues  les  plus  ambitieuses. 
Les  courtisans  ne  négligèrent  donc 
aucun  moyen  de  le  perdre  dans  l'es- 
prit du  jeune  monarque  ;  mais  ils 
abusèrent  tellement  de  sa  faveur, 
qu'un  cri  général  s'éleva  contre 
eux.  Des  préparatifs  formidables , 
de  la  part  de  la  France  ,  semblant 
menacer  l'Angleterre,  Richard  de- 
manda des  subsides  au  parlement. 
Il  n'en  obtint  qu'une  réponse  conçue 
en  termes  peu  respectueux  ;  on  lui 
disait  qu'il  n'avait  qu'à  faire  rendre 
gorge  à  ses  favoris ,  et  que  l'argent 
ne  lui  manquerait  pas  pour  lever 
des  troupes.  Richard,  indigné,  ré- 
pliqua que  le  parlement  n'avait  pas 
le  droit  de  s'immiscer  dans  l'intérieur 
de  son  palais  ,  et  que  pour  lui  com- 
plaire il  ne  chasserait  même  pas  un 
marmilonde sacuisine .  Le  parlement 
menace  de  cesser  l'expédition  de  tou- 
te affaire  ,  si  les  ministres  et  les  fa- 
voris ne  sont  pas  expulsés  ;  et  si  le 
roi  ne  se  rend  pas  lui-même  dans 
son  sein.  Richard  s'éloigne  de  Lon- 
dres au  contraire ,  cl  exige  que  qua- 
rante dépiilcs  lui  soient  envoyés  pour 
lui  donner  satisfaction.  Nouveau  re- 
fus des  deux  cliarabrcs  :  Richard  , 


RIG 

transporté  de  fureur,  déclare  qu'il 
va  implorer  le  secours  du  roi  de 
France  ,  pour  châtier  des  sujets  re- 
belles. Mais  bientôt,  comme  effrayé 
lui-même  de  ses  propres  menaces , 
il  retourne  dans  la  capitale  ;  il  se 
rend  au  parlement ,  et  accorde  de 
bonne  grâce  tout  ce  qu'il  venait  de 
refuser.  Fier  de  ce  triomphe  inat- 
tendu, le  parlement  condamne  tous 
les  ministres  à  l'exil  ,  confisque 
leurs  biens  ,  et  nomme  une  commis- 
sion de  treize  membres  ,  pour  parta- 
ger le  gouvernement  de  l'état  avec 
le  roi.  Richard  sentit  son  humilia- 
tion ;  et  le  désir  de  la  vengeance  oc- 
cupa toutes  ses  pensées.  Dès  que  la 
session  fut  terminée,  il  se  hâta  de 
rappeler  tous  ses  favoris  :  ceux-ci  ne 
montrèrent  pas  moins  d'ardeur  à  se 
venger  eux-mêmes.  Le  duc  de  Glo- 
cester  ,  un  des  oncles  du  roi ,  s'était 
déclaré  leur  ennemi  capital  :  ils  firent 
le  complot  de  l'empoisonner.  Un  avis 
secret  du  maire  de  Londres  sauva  ce 
prince.  Mais  les  favoris  ourdirent 
de  nouvelles  trames  contre  lui  , 
et  contre  tous  les  seigneurs  dont 
ils  redoutaient  le  crédit.  Toute  la 
haute  noblesse  court  aux  armes  con- 
tre les  ministres.  Richard,  ne  voyant 
plus  qu'au  -  dehors  les  moyens  de 
soutenir  les  compagnons  de  ses 
plaisirs  ,  prend  la  résolution  de  pas- 
ser en  France  ,  et  d'engager  Calais 
et  Cherbourg  entre  les  mains  de 
Charles  VI  ,  pour  en  obtenir  un 
corps  de  troupes  auxiliaires.  Déjà 
le  monarque  français  l'attendait  à 
Boulogne  •  mais  la  révolte  éclata  dans 
Londres  ,  avec  tant,  de  violence  ,  que 
Richard  n'eut  que  le  temps  de  s'en- 
fermer dans  la  Tour.  Les  seigneurs 
ligués  allèrent  l'y  trouver  :  il  leur 
fit  toutes  les  promesses  qu'ils  exigè- 
rent. I^a  première  était  (pi'il  se  ren- 
drait à  Westminster,  pour  y  confé- 


RIC 

rcr  avec  eux  :  le  jour  venu,  il  leur 
fit  savoir  qu'il  avait  changé  de  re'so- 
îution.  Les  confe'dére's  lui  de'clarcnt 
alors  qu'ils  vont  procéder  à  l'é- 
lection d'un  nouveau  roi.  Richard 
épouvanté,  court  à  Westminster,  et 
bannit  de  nouveau  tous  ses  favoris. 
Ses  oncles  ne  négligèrent  rien  pour 
reprendre  leur  ascendant  :  le  duc  de 
Lancastreétait  d'autant  plus  puissant, 
qu'il  revenait  d'Espagne,  où  ,  après 
avoir  disputé  la  couronne  à  Jean  I*"". , 
il  l'avait  forcé  de  lui  payer,  comme 
indemnité ,  des  sommes  considéra- 
bles. Ne  pouvant  échapper  à  sa  des- 
tinée ,  qui  était  de  vivre  toujours  eu 
tutelle  ,  Richard  parut  n'avoir  plus 
d'autre  ambition  que  de  surpasser 
tous  les  souverains  de  l'Europe  par 
sa  magnificence.  Ses  dépenses  étaient 
excessives ,  et  ses  moyens  fort  bor- 
nés. Il  employait  trois  cents  hommes 
<ians  ses  cuisines  •  et  la  reine  ne 
comptait  pas  moins  de  femmes  pour 
la  servir.  Pour  subvenir  à  ce  faste 
asiatique,  il  fallait  se  créer  des  res- 
sources de  toutes  parts.  Ou  voit  en- 
core ,  par  exemple  ,  dans  les  archi- 
ves du  temps ,  que  Richard  voulut 
emprunter  mille  livres  sterling  à  la 
ville  de  Londres ,  et  qu'il  en  essuya 
un  refus  très-net.  Le  parlement  était 
obligé  d'accorder  des  sommes  consi- 
dérables pour  pouvoir  faire  face  aux 
Français  et  aux  Ecossais  ,  qui  atta- 
quèrent presque  continuellement  le 
royaume  pendant  ce  règne  ;  mais 
l'emploi  de  ces  fonds  était  surveillé 
par  une  commission  très  •  rigide. 
D'autres  ennemis  se  déclarèient  : 
c'étaient  les  rebelles  Irlandais.  Ri- 
chard passa  dans  leur  île  pour  les 
combattre.  Il  fut  bientôt  rappelé  en 
Angleterre  ,  par  la  fermentation  des 
Lollards:  c'est  ainsi  que  l'on  appelait 
les  partisans  de  l'hérésiarque  Wiclcff. 
.Ycufjàrâge  de  vingt-sept  ans  ,  iU- 
xxxvii. 


RIC  545 

chard  fit  demander  au  roi  de  France 
Charles  VI ,  la  main  de  sa  fille  Isa- 
belle.   Cette  princesse  n'avait  alors 
que  sept  ans;  et  ,    de  plus  ,    elle 
était  promise  au  duc  de  Bretagne. 
Ces  difficultés  furent  aplanies   dans 
une  négociation  qui  eut  pour  résul- 
tat une  trêve  de  vingt-huit  ans  entre 
les  deux  rois.  Pour  célébrer  ces  heu- 
reux événements  ,  les  monarques  de 
France  et  d'Angleterre  se  donnèrent 
rendez-vous  entre  Ardres  et  Calais. 
L'entrevue  eut  lieu  (  1 896  )  sous  des 
tentes  somptueuses  :  les  deux  cours 
y  déployèrent  une  magnificence  à  la- 
quelle on  ne  peut  comparer  que  celle 
qu'étalèrent  ,  cent-vingt  quatre  ans 
après ,  aux  mêmes  lieux ,  François 
I'=r.  et  Henri  VIII  ,  dans   leur  fa- 
meuse réunion  du  Champ  d^  Or.  Ri- 
chard fit  ,  à  cette  occasion ,  des  dé- 
penses exorbitantes,  et  qui  s'augmen- 
tèrent encore ,  par  les  présents  con- 
sidérables qu'il  répandit  parmi  les 
électeurs  d'Allemagne  ,  pour  les  en- 
gager à  lui  décerner  la  couronne  im- 
périale. La  voie  des  emprunts  lui  étant 
fermée,  ilavait  recours  aux  dons  gra- 
tuits ou  plutôt  forcés.  «  Il  n'y  eut  sei- 
gneur ,  prélat ,  gentilhomme  ou  gros 
bourgeois  ,   dit    une   chronique  du 
temps ,  qui  ne  fût  obligé  de  prêter  au 
roi  quelque  somme,  qu'on  savaitbicn 
qu'il  n'avait  volonté  ni  pouvoir  de 
rendre.  »  La  restitution  de  Calais  et 
de  Cherbourg  excita  un  mécontente- 
ment bien  plus  vif.  Le  duc  de  Glo- 
cester  la  reprocha  au  roi  avec  tant 
de    violence ,  que  Richard   résolut 
de  se  débarrasser  de  cet  oncle  in- 
commode. Il  alla  le  trouver  dans 
une  de  ses  terres ,  et  le  pressa  de 
le  suivre  à  Londres  pour   une   af- 
faire qui  ne  souffrait  point  de  re- 
tard.   Au    milieu  du   chemin  ,    tm 
parti   embusqué  enlève  le  duc  de 
Gloccster ,  qui  est  Jeté  dans  un  vais- 


546  RIG 

seau  ,   et  conduit  à  Calais  ,  où  il 
est  e'tranglc  sccrèlenient.  Pour  com- 
pléter ce  coup  d'autorité  ,  le  roi  fait 
saisir  les  principaux  seigneurs  qu'il 
savait    être   dans    les    intérêts    de 
sou  oncle.    Enfin  il  convoque    un 
nouveau   parlement,  dont  tous  les 
députés  étaient  ohis  par  son  influen- 
ce. Cette  assemblée  s'empresse  d'al- 
ler au-devant  de  tous  ses  vœux.  Ja- 
mais il  n'avait  paru  plus  puissant. 
Il  s'était  endormi  dans   une  fatale 
sécurité,  lorsqu'une  nouvelle  insur- 
rection des  Irlandais  vint  l'arracher 
au  repos.  Il  passa  la  mer  ,  pour  al- 
ler châtier  les  rebelles ,  emmenant 
à  sa  suite ,  comme  otages,  tous  les 
enfants  de  ses  oncles  ,  et  emportant 
avec  lui  tous  les  joyaux  de  la  couron- 
ne. Il  semblait  prévoir  que  jamais 
il  ne  rentrerait  dans  son  palais.  II  li- 
vra plusieurs  combats  ;  et  il  y  mon- 
tra   une   grande  bravoure    person- 
nelle. Mais  ce  n'était  pas  en  Irlande 
que  se  trouvaient  ses  ennemis  les  plus 
dangereux.    Les  nombreux  mécon- 
tents  de   l'Angleterre   appellent  le 
duc  d'Hereford  ,    fils    du   duc    de 
Lancastre  ,  que  Richard  avait  eïi\é. 
Ce  prince    était  alors   en    France. 
Il  accueille  les    offres    des    conju- 
rés ;  et  bientôt ,  à  la  tète  d'une  fai- 
ble  troupe  ,   il    débarque   dans    la 
province  d'York  {F.  Henri  IV, 
XX,  123  ).  En  peu  de  jours,  il  voit 
soixante  mille  hommes  sous  ses  dra- 
peaux, marche  rapidement  sur  Lon- 
dres ,  et  y  entre  aux  acclamations 
générales  (iSqq).  Cependant  il  ne 
prit  encore  que  le  titre  de  duc  de  Lan- 
castre, se  contentant  de  soumettre 
toutes  les  places-fortes  ,  et  d'exaspé- 
rer la  nation  contre  Richard  II ,  par 
nn  manifcstcoù  il  letraçait  toutes  les 
injustices  do  son  gouvernement.  Dès 
que  Richard  lut  informé  d'iui  événe- 
ment aussi  terrible  qu'inalteudu  ,  il 


RIG 

se  hâta  de  repasser  la  mer;  mais  dé- 
jà le  duc  d'York ,  son  oncle ,  qu'il 
avait  laissé  régent  du  royaume,  et , 
à  son  exemple,  toute  la  haute  no- 
blesse ,  s'étaient  déclarés  pour  son 
heureux  rival.  Dans  son  désespoir  ,il 
alla  s'enfermer  presque  seul  dans  le 
château    de  Conway  ,    qui   passait 
pour  imprenable;  et,  de  cette  re- 
traite ,  il  fit  proposer  au  duc  de  Lan- 
castre d'entrer  en  arrangement.  Le 
duc  lui  envoya  l'archevêque  de  Can- 
terbury.  Richard  ne  demandait  que 
la  vie  sauve  et  des  moyens  d'exis- 
tence pour  lui  et  huit  de  ses  servi- 
teurs. Il  désira  enfin  traiter  en  per- 
sonne   avec  le  prince  son   cousin; 
et,  à  cet  effet,  il  se  rendit  à  Flint, 
endroit  qui  n'est  qu'à  trois  lieues  de 
Chesler,  où   se  trouvait   le  duc  de 
Lancastre.  Dès  que  le  roi  l'aperçut , 
il  eut  assez  de  force  ou  de  dissimu- 
lation pour  lui  dire  :  «  Beau  cousin, 
w  soyez  le  bien-venu.  »  Ils  partirent 
ensemble  pour  Londres.  Richard  fut 
immédiatement  conduit  à  la  Tour.  Là 
il  se  déclara  indigne  de  porter  la  cou- 
ronne. «  Il  l'était  en  effet ,  a  dit  Vol- 
taire ,  puisqu'il  s'abaissait  à  le  dire.  » 
Le  parlement,  pour  complaire  à  l'u- 
surpateur, dressa ,  contre  son  souve- 
rain légitime,  un  acte  d'accusation  en 
trente  cinq  articles.  Après  la  lectui'e 
de  cet  acte,  le  duc  de  Lancastre  se  leva, 
et  demanda  formellement  la  couron- 
ne :  elle  était  déjà  sur  sa  tête.  Les  lâ- 
ches législateurs  de  l'Angleterre  l'en 
déclarèrent  légitime  possesseur,  à  l'ex- 
clusion du  comte  de  La  Marche,  seul 
et  véritable  héritier.  Ainsi  finit  (  3o 
septembre  1 399)  le  règne  de  Richard 
II.  Mais  il  vivait  encore;  et  son  exis- 
tence était  un  crime  aux  yeux  de  l'u- 
surpateur. Henri  IV  le  fit  transférer, 
de  la  Tour  de  Londres,  au  château 
de  Lceds ,  dans  le  comté  de  Kent  ; 
mais  ,  le  trouvant  encore  trop  près 


de  la  capitale,  il  lui  assigna  pour 
prison  ,  le  château  de  Pont  -  Fract , 
dans  l'Yorkshire.  L'infortune  de  Ri- 
chard II  toucha  de  compassion  quel- 
ques-uns des  seigneurs  qui  l'avaient 
abandonné.  Pour  animer  le  peuple 
en  sa  faveur,  ils  produisirent  un 
de  ses  chapelains,  nommé  Magd.den, 
dont  la  ressemblance  avec  ce  prince 
était  extrême  ;  et  ils  le  firent  passer 
pour  Richard  lui-même,  échappé  à 
la  surveillance  de  ses  geôliers.  A  ce 
nom,  et  sans  autre  examen,  le  peu- 
ple courut  aux  armes.  Les  amis  du  roi 
légitime  se  portèrent  rapidement  sur 
Windsor  ,  dans  l'espérance  d'y  sur- 
prendre l'usurpateur.  Celui-ci  venait 
de  s'évader  pour  rassembler  son  par- 
ti. La  résolution  qu'il  témoigna  .jeta 
les  royalistes  daiis  la  perplexité.  Ils 
perdirent  du  temps  à  délibérer  :  Lan- 
castre  le  mit  à  profit  pour  se  défaire 
d'un  concurrent,si  redoutable  encore 
dans  les  fers.  Il  le  fit  assnssiuer  par 
huit  hommes  ,  que  commandait  un 
indigne  chevalier  ,  nommé  Thomas 
Pierce,  qui ,  dit-on  ,  lui  porta  de  sa 
main  le  coup  mortel.  Richard  ,  jeune 
et  vigoureux,  se  défendit  si  vaillam- 
ment ,  qu'ayant  arraché  la  hache 
d'un  de  ses  assassins,  il  en  étendit 
quatre  à  ses  pieds  avant  de  succom- 
ber (  1400).  La  mort  de  ce  prince 
infortuné  est  rapportée  de  vingt  fa- 
çons dilTérentes  par  les  historiens  et 
les  corapilalcurs.  Quelques  -  uns  le 
font  périr  de  faini.  La  version  que 
nous  avons  suivie,  est  plus  généra- 
lement adoptée.  Richard  II  mourut 
sans  enfants.  L'usurpatlo:i  de  Henri 
IV  fit  monter  la  branche  de  Lan- 
castre  sur  le  tronc.  S — v — s. 

RICHARD  III ,  roi  d'Angleterre, 
naquit  en  1 452.  Il  était  le  quatrième 
fils  du  duc  d'York,  tué  à  la  bataille 
de  Wakcfield ,  en  1  460 ,  et, par  con- 
se'quent ,  frère   d'Ivlouard  IV.  Ri- 


RIC  547 

chard  porta  d'abord  le  titre  de  duc 
de  Glocester.  Dès  qu'Edouard  IV  eut 
cessé  de  vivre  ,  le  duc  de  Glocester 
se   servit  d'un  parti  puissant  pour 
enlever  la  régence  à  la  reine-mère  j 
Elisabeth  Woodville.  Il  était  plus 
difficile  de  se  faire  donner  la  sarde 
du  roi-enfant:  Richard  écrivit  à  la 
reine  une  lettre  artificieuse  ;  et  ce  fut 
cette  princesse  qui   lui  fournit  elle- 
même  les  moyens  de  s'emparer  de  la 
personne  d'Edouard  V.  Elle  ne  tar- 
da point  à  se  repentir  de  son  exces- 
sive confiance  ,  et  elle  se  1  étira  dans 
l'abbaye  de   Westminster ,  avec  le 
duc  d'York  ,  son  second  fils.  Cepen- 
dant le  duc  de  Glocester  affectait  les 
plus  grands  respects  et  la  plus  sin- 
cère tendresse  pour  le  jeune  monar- 
que son  neveu  :  ce  ne  fut  même  que 
sous  le  spécieux  prétexte  de  mieux 
veiller  à  la  sûreté  de  sa  personne , 
qu'il  se  fit  décerner  ,  par  un  conseil 
qui  lui  était  tout  dévoue ,  le  titré 
de  Protecteur  du  roi  et  du  royau- 
me. Le  premier  acte  de  sou  autorité 
fut  de  sommer  la  reine-mère  de  re- 
mettre sous  sa  garde  le  jeune  duc 
d'York  ,  son  second  fils.  La  reijije  se 
refusa  fortement  d'abord  à  un  aussi 
douloureux  sacrifice  ;  mais  l'arehe; 
vêque  de  Canteibury  l'y  détermina. 
Dès  que  le  Protecteur  se  vit  maître 
de  ses  deux  neveux ,  il  les  fit  conduire 
à  la  Tour  de  Lundres.  Cette  mesure 
n'avait,  en  elle-même ,  rien  d'odieux  : 
il  était  d'usage  ,  à  cette  époque  ,  que 
les  rois  se  retirassent  à  la  Tour,  quel- 
que temps  avant  leur  couronnementi 
Le  Prolecleur  donna  des  ordres  poùi* 
les  apprêts  de  cette  cérémonie;  mais 
ce  fut   au  même  instant  que  se  ré- 
pandirent ,  dans  la  capitale  et  dans 
les  provinces  ,  les  bruits  les  plus  in- 
jurieux contre  l'illégitimité  du  ma- 
riage d'Edouard  IV,  et  celle  de  la 
naissance  de  ses  fils.  On  vit  tout-'à- 
35.. 


548 


RIC 


coup  traîner  à  la  mort  les  partisans 
les  plus  connus  de  la  rcinc-mcre  ,  et 
les  plus  dévoues  au  jeune  roi.  Au 
premier  rang  était  lord  Hastings  , 
que  le  Protecteur  fit  exécuter  en  sa 
présence  et  sans  forme  de  procès  , 
après  lui  avoir  reproclié  d'attenter 
à  ses  jours  par  la  sorcellerie  ,  de 
complicité  avec  la  reine-mère.  Des 
émissaires  secrets  ,  et  même  des  pré- 
dicateurs, ne  négligeaient  aucune  oc- 
casion de  représenter  le  duc  de  Glo- 
cester  commele  seul  héritier  légitime 
des  droits  de  la  branche  d'York.  Le 
Protecteur  avait  un  confident ,  qui 
alla  plus  loin  :  c'était  le  duc  de  Buc- 
kingham,  qui  fit,  à  l'hôtel-de-ville, 
la  proposition  formelle  de  décerner 
la  couronne  au  prince  qui  était  déjà 
revêtu  du  pouvoir  suprême.  Non 
content  de  cette  première  tentative  , 
le  duc  conduisit  lui-même  ,  le  jour 
suivant ,  le  maire  et  les  aldermen 
de  Londres ,  au  palais  du  Protecteur, 
pour  le  supplier  d'assurer  le  bonheur 
du  peuple  anglais  ,  en  montant  sur 
le  trône.  Richard  reçut  cette  dépu- 
tation  avec  une  froideur  alTectée,  et 
protesta  de  sa  fidélité  envers  le  jeune 
roi  son  neveu.  Le  duc  de  Buckin- 
gham  s'écrie  que  le  salut  de  l'état  ne 
peut  être  ajourné  ,  et  que  ,  puisque 
le  Protecteur  refuse  la  couronne  , 
elle  va  être  placée  sur  une  autre  tête. 
Alors  Richard  se  laisse  vaincre  ,  et 
dit  :  «  J'accepte  donc  :  aux  droits 
de  ma  naissance  j'ajoute  ceux  d'une 
élcchon  libre  faite  par  les  grands  et 
les  communes  du  royaume.  »  Des 
cris  do  vive  Richard  II l  !  terminè- 
rent une  scène  si  visiblement  con- 
certée que  des  historiens  n'hésilcnt 
pas  à  la  qualifier  de  comédie  (i). 
La  proclamation  du  nouveau  roi  eut 
bientôt  lieu  dans  les  formes  accoutu- 

(i)  Entre  aulrij  ,  Raiiin-Tlioiras. 


RIC 

mées  (  aa  juin  i483  ).  Il  fît  servir 
à  son  couronnement  les  apprêts  qui 
avaient  été  faits  pour  celui  du  jeune 
captif  de  la  Tour  de  Londres.  A  peine 
couronné  ,  Richard  partit  pour  Glo- 
cester.  Pendant  sou  absence,  Edouard 
V  et  son  frère  le  duc  d'York  ,  selon 
le  bruit  pubHc  ,  périrent  danS  leur 
prison.  La  voix  des  contemporains, 
et, bien  plus  encore,  celle  des  géné- 
rations suivantes,  ont  accusé  Ri- 
chai-ddece  double  crime.  Nous  nous 
bornerons  ici  à  rapporter,  les  faits 
tels  qu'on  les  trouve  dans  la  plupart 
des  relations  écrites  alors  et  depuis. 
Richard ,  dit-on ,  envoya  l'ordre  à 
Brakenbury,  gouverneur  de  la  Tour, 
de  faire  mourir  ses  deux  neveux. 
Brakenbury  se  montrant  épouvanté 
d'un  tel  attentat  ,  l'usurpateur  lui 
envoya  un  de  ses  officiers,  nommé 
Tyrel  ,  qui  se  chargea  d'exécuter  les 
volontés  de  son  maître.  Celui-ci  entra 
dans  la  chambre  des  deux  jeunes  prin- 
ces, qui  dormaient  dans  le  même  lit , 
et  les  étouffa  sous  im  lit  de  plume.  Il 
les  fit  enterrer  ensuite  au  pied  d'un 
escalier.  Pendant  ce  temps ,  Richard 
se  faisait  couronner  une  seconde  fois 
dans  la  cathédrale  d'York,  et  pro- 
clamait Edouard ,  sou  fils  ,  prince 
de  Galles.  Mais ,  tandis  qu'il  prenait 
ces  mesures  pour  perpétuer  la  cou- 
ronne dans  sa  famille,  il  se  formait 
une  vaste  conspiration  pour  la  lui 
ravir.  Eiit-il  pu  croire  que  le  chef 
de  ce  complot  était  ce  même  duc  de 
Buckingham  qui  avait  tout  bravé 
pour  lui  aplanir  le  chemin  du  trô- 
ne? Rien  cependant  n'était  ])lus  vrai. 
N'étant  pas  aussi  largement  ic'com- 
peusé  qu'il  l'avait  espéré,  le  duc  de 
Buckingham  médita  de  donner  un 
nouveau  souverain  à  l'Angleterre.  II 
jeta  les  yeux  sur  Henri  Tudor ,  com- 
te de  Richniont,  qui  était  alors  ré- 
fugié en  France  (  F.  IIknui  VU  ,  xx, 


RlC 

140  ).  Quelque  soin  que  prît  le  duc 
de  dérober  ses  trames  aux.  regards 
vigilants  de  Richard ,  celui-ci  soup- 
çonna une  partie  de  la  ve'rite'.  Il  don- 
na ordre  à  Buckinghara  de  se  rendre 
auprès  de  lui.  Le  duc  voit  le  coup 
qui  le  menace  ,  et  il  répond  hardi- 
ment  qu'il  ne  se  livrera  pas  entre 
les  mains  de  son  plus  cruel  ennemi. 
Après  une  telle  déclaration  ,  il  fallait 
prendre  les  armes  :  le  duc  les  prend, 
et  marche  vers  la  côte  où  devait  des- 
cendre le  comte  de  Richmont.  Mais 
ses  troupes  l'abandonnent  :  il  se  ca- 
che ,  est  vendu  par  ses  affides ,  traî- 
né aux  pieds  de  Richard,  et  décapité 
sur  l'heure  même.  Le  comte  de  Ri- 
chemont ,  ne  trouvant  plus  personne 
sur  la  côte  ,  regagne  la  France.  Tous 
ses  partisans  vont  l'y  rejoindre  ,  ou 
tombent  au  pouvoir  de  Richard  ,  qui 
Défait  grâce  à  aucun.  Mais  leur  sup- 
plice ne  le  satisfaisait  qu'à  demi  : 
il  voyait  le  prétendant  bien  accueilli 
à  la  cour  de  Charles  VIII ,  et  il  de- 
vait redouter  quelque  nouvelle  entre- 
prise de  sa  part.  En  effet  ,  après 
des  traverses  sans  nombre  ,  le  comte 
de  Richmont    débarque   en  Angle- 
terre (  6  août   I  485  ).  Richard  III 
rassemble  précipitamment  des  trou- 
pes, et  marche  au-devant  de  son  ri- 
val. Les  deux  armées  se  rencontrent 
enfin  à  Bosworth.  Le  combat  s'euga- 
ge:  Richard  aperçoitRichemont  dans 
la  mêlée  :  il  fond  sur  lui  avec  une 
ardeur  qui  n'était  pas  aussi  vive  de 
lapaitdu  comte.  Mais  que  pouvaient 
ses  efforts  personnels  ,  quand  un  de 
ses  généraux  passait  ouvertement  à 
l'ennemi  avec  une  aile  entière?  Il  vit 
l'instant  où  il  allait  tomber  vivant 
entre  les  mains  de  son  antagoniste  : 
il  prévint  cette  honte  ,  en  courant 
chercher  la  mort  au  milieu  des  rangs 
ennemis.  Son  corps  fut  trouvé  sous 
un  monceau  de  cadavres ,  et  percé  de 


RlC  549 

coups.  La  couronne  qui  surmontait 
son  casque  en  fut  détachée  ,  et  posée 
sur  la  tête  du  vainqueur,  aux  cris  de 
Vive  le  roi  Henri   Fil  !  (  aa  août 
i485).  Dans  la  personne  de  Richard 
III,  finit  la  race  française  des  Planta- 
genets ,  qui  occupaient  le  trône  bri- 
tannique depuis  plus  de  3oo  ans. 
Henri  VII ,  paisible  possesseur  du 
frône  ,  fit  dresser  un  monument  à 
;.on  malheureux  rival ,  dans  l'église 
des  Franciscains  ,  à  Leicester.   Le 
jeune'prijicedeGalles,filsde  Richard, 
était  mort  un  an  avant  lui.  Nous  n'a- 
vons pas  voulu  interrompre,  par  des 
discussions  ,  l'histoire  rapide  de  ce 
règne  de  deux  ans.  Le  lecteur  a  cepen- 
dant le  droit  de  nous  demander:  Ri- 
chard III  fut-il  réellement  un  mons- 
tre ,  tel  que  le  représente  l'opinion 
vulgaire  ?  est- il  bien  démontré  qu'il 
ait  commis  tous  les  crimes  que  lui 
imputent  divers  écrivains  ?   Après 
a^'oir  laissé  parler  les  accusateurs  de 
Richard ,  la  justice  veut  ([ue  nous 
entendions  ses  défenseurs.  Ils  se  sont 
présentés  tard  ,  il  est  vrai  ;    mais 
leurs  écrits  existent ,  et  ils  méritent 
d'être  pris  dans  une  très  -  sérieuse 
considération  (2).  «  Malheur ,    dit 
»  Montesquieu  ,  à  la  réputation  de 
»  tout  prince  opprime  par  le  par- 
»  ti  qui  devient  le  dominant  !  »  Ri- 
chard succomba  sous  les  efforts  du 
parti  qui  fit  régner  Henri  VII  à  sa 
place;  et ,  de  ce  moment,  il  fut  con- 
venu que  le  prince  vaincu  l'éunirait 
dans  sa  personne  toutes  les  difformi- 
tés et  tous  les  vices  de  la  terre.  Il 
n'était  pas  doué,  il  est  vrai,  de  la 
rare  beauté  qui  semblait  un  apanage 


(1)  VoyP7.  BiitU,  Cai le  ,  Malouo  ,  Gutbrie  ,  Hen- 
ry ,  Walpiile  ,  iiarmi  les  Auj;1ais.  Ce  dcruier  eut 
riiouiieur  J'avuir  Louis  XVl  |>i)ur  Iradiicleur.  Par- 
mi Ici  l'rançais  ,  il  faut  distiuguer  M.  J.  Rey.  Nous 
.ivoiis  t'uiisulté  avec  biMiicoiip  <le  fruit  ses.  Eisai  ■ 
hisloriinai  il  ciUii/ucs  >ur  Ruliaiil  III ,  l  »"•■  '»- 
St>. ,  l'arii ,  1818, 


55o 


RIG 


héréditaire  dans  la  maison  d'York  , 
et  il  avait  une  épaule  un  peu  plus 
haute  que  l'autre;  mais  on  a  des  por- 
traits de  lui,  qui  le  représentent,  du 
moins,  avec  une  figure  assez  agréa- 
ble. Cela  n'empêcha  pas  ,  dit  Voltai- 
re, d'en  faire  un  bossu  hideux,  un 
véritable  épouvantai!.  On  apprit  au 
peuple  anglais  à  répéter  ce  que  le 
peuple  romain  avait  dit  de  Néron  : 
Qu'il  était  venu  au  monde  les  pieds 
devant,  et  la  bouche  armée  de  gran- 
des dents.  Mais  c'est  peu  cjue  d'en 
avoir  tracé  cette  horrible  peinture  , 
on  le  chargea  de  tous  les  crimes  épars 
dans  l'histoire  des  plus  cruels  ty- 
rans. Le  plus  odieux  des  reproches 
qui  pèsent  sur  sa  mémoire  ,  est 
le  meurtre  de  ses  deux  neveux ,  qu'il 
aurait  commis  après  avoir  ravi 
la  couronne  à  l'aîné  :  c'est  donc  le 
fait  que  nous  allons  discuter  avec 
quelque  détail.  Les  adversaires  de 
Richard  s'arment  d'une  autorité  im- 
posante :  celle  de  Thomas  More. 
Mais  qui  ne  sait  aujourd'hui  qu'il 
composa  sa  Vie  de  llichard  III ,  sous 
l'influence  du  cardinal  IMorton,  en- 
nemi personnel  de  ce  prince,  et  qu'il 
n''écri  vit  celle  d'ÉdouardV  que  pour 
charmer  son  loisir,  et  exercer  son 
imaginalion ,  a  dit  Hume?  Ces  der- 
niers mois  sont  remarquables.  On 
voit  cfïectivement  à  la  lecture  de 
l'ouvrage  de  Thomas  More,  qu'il 
se  joue  lui  mjine  de  ses  propres  as- 
sertions. C'est  ainsi ,  par  exemple,  à 
l'égard  dcrévénementcjui  nous  occu- 
pe, (ju'il  l'ainiine  tantôt  comme  une 
vérité  démontrée,  et  tpic  tantôt  il 
n'en  parle  (pic  coiuined'iuie  rumeur 
vulgaire.  C'est  le  langage  de  toutes 
les  chroniques  du  temps,  quoique 
toutes  portent  plus  ou  moins  l'eru  ■ 
preinle  de  l'influence  de  Henri  VII , 
qui  avait  un  double  intérêt  à  ce  que 
la  nation  tînt  pour  certain  que  les 


RIC 

deux  fds  d'Edouard  IV  n'existaient 
plus  ,  et  que  Richard  III  était  l'au- 
teur de  leur  mort.  Il  fit  donc  courir 
le  bruit  que  ces  jeunes  princes  avaient 
été  enterrés  au  pied  d'un  escalier  de 
la  Tour,  sous  un  monceau  de  pier- 
res. On  chercha ,  ou  l'on  fit  semblant 
de  chercher,  et.  l'on  ne  trouva  rien. 
L'affaire  lesîa  donc  plus  obscure  et 
plus  incertaine  que  jamais.  Ce  sont 
les  expressions  mêmes  du  chancelier 
Bacon;  et  Shakspeare,  dans  son  Ri- 
cliard  III,  dit  aussi  qu'on  ne  sait  oij 
reposent  les  corps  des  fils  d'Edouard 
IV.  Mais  voici  que ,  sous  le  règne 
d'Elisabeth  ,  en  travaillant  à  des  ré- 
parations dans  Ja  Tour,  on  découvre 
une  porte  murée  :  on  l'enfonce ,  et  le 
premier  objet  qui  se  présente  est  le 
lit  fatal  sur  lequel  gisaient  encore 
les  ossements  des  deux  princes.  On 
montrait  aux  incrédules  le  cordon 
qui  avait  servi  à  les  étrangler.  C'est 
le  prince  Maurice  d'Orange  qui  rap- 
porte cette  aventure.  Elle  aurait  dû 
frapper  assez  les  habitants  de  Lon- 
dres, pour  en  conserver  la  mémoire: 
mais,  nwins  d'un  siècle  après  ,  sous 
le  règne  de  Charles  II,  tout  souve- 
nir en  était  si  bien  elfacé,  que  per- 
sonne ne  refusa  de  croire  que  les 
corps  d'Edouard  V  et  du  duc  d  York 
venaient  encore  d'être  retrouvés  au 
pied  de  cet  escalier  tant  de  fois  men- 
tionné. On  les  déposa  dans  un  beau 
mausolée,  avec  une  inscription  qui 
porte  que  dejHiis  long-temps  on  les 
cherchait.  Mais,  malgré  un  fait  aus- 
si positif  en  •ïipparence  ,  Rapin- 
Thoiras,  Ilunie,  et,  en  général,  les 
liistoriciis  les  ];lus  graves  s'expri- 
ment sur  le  ])liis  grand  des  forfaits 
attribués  à  Richard  lil ,  avec  toutes 
les  formes  du  doute.  C'est  sur  Hen- 
ri VII ,  comme  nous  l'avons  déjà 
observé ,  que  se  porteraient  plutôt 
les  soupçons.  Une  des  vcr.'^ions  qui 


RIG 

ont  été  soutenues  avec  le  plus  de 
vraisemblance  ,  c'est  que  le  jeune 
Edouard  V  mourut  de  maladie,  dans 
la  Tour,  cl  que  son  frère,  le  duc 
d'York,   parvint  à   s'échapper,   et 
fit,  dans   la   suite,   des    tenlalives 
pour  remonter  sur  le  trône  de  ses 
pères  (  F.  notre  article  de  Perkin- 
Waerbecr  ,  XXXIII,  38o).  S-v-s. 
RICHARD,  comte  de  Cornouail- 
les  et  de  Poitou  ,  n'est  point  placé, 
par  les  Kistoricns  ,  au  nojnbre  des 
empereurs   d'Allemagne  ,  quoiqu'il 
en  ait  exercé  tous  les  droits.  Fils 
puîné  de  Jean  Sans-Terre  ,  et  d'Isa- 
belle d'Angoulême,  il  naquit  à  Win- 
chester, le  5  janvier  1209.  Il  n'avait 
que  seize  ans  lorsqu'il  fut  chargé,  par 
Henri  m,  son  frère,  d'une  expédition 
dans  la  Guienne  :  il  remporta  quel- 
ques avantages  devant  la  Réole  ,  et  il 
aurait  achevé  la  conquête  de  cette 
province ,  si  les  seigneurs  français 
qui  s'étaient  engagés  à  le  seconder, 
n'eussent  fait  leur  paix  avec  le  roi 
saint  Louis.  Malgréla  défection  de  ses 
alliés,  il  se  maintint  dans  les  portions 
de  cette  belle  province,  qui  restaient 
aux  Anglais;  etHcnrien  augmenta 
son  apanage.  Richard  partagea  l'ar- 
deur   chevaleresque    de   son  siècle 
pour  la  délivrance  de  la  Palestine  : 
il  prit  la  croix  en  i*^36;  mais  ce  ne 
fut  qu'après  la  mort  de  sa  femme , 
sœur  du  comte  de  Pcmbrokc  ,  qu'il 
s'occupa  d'accomplir  son  vœu.  Le 
pape  Grégoire  voulut  s'opposer  à  son 
départ  ,    «    espérant  ,    dit  M.  Mi- 
))  chaud  ,  qu'il  consentirait  à  rester 
T)  en  Europe,  et  qu'il  donnerait  au 
»  Saint-Siège  une  partie  de  ses  tré- 
»  sors,  pour  mérilcrles  indulgences  de 
»  la  croisade  (i  ).  »  Mais,  malgré  ladé- 


(i)  Gebauprcbi)')<:C'lurc  quele  pape  Grégoire  crai- 
gnait «jii(î  Kicliard  ,  sous  le  jirétcxlede  se  n-nclre  ilans 
la  Palestine  ,  u'eûtlc  dessein  de  porter  des  &ccouri>À 
l'empereur  Frédéric  II,  son  licau-frtrc. 


RIG  55i 

fense  du  pontife  ,  il  s'embarqua  dans 
le  port  de  Marseille ,  et  fit  voile  pour 
Plolemaïs.  Son  arrivée  releva  le  cou- 
rage des  Chrétiens,  et  jeta  l'effroi 
parmi  leurs  ennemis  ,  alarmés  d'a- 
voir à  combattre  le  neveu  de  Richard 
Cœur-de  lion  ,  héritier  de  sa  valeur 
comme  de   son  nom.   Il  remporta 
quelques  avantages  sur  les  Sarrasins  ; 
mais,  se  voyant  peu  secondé  parles 
Chrétiens  de  la  Palestine,  il  fut  obli- 
gé de  renouveler  la  trêve  faite  avec 
le  Soudan  d'Egypte  :  «   Pour   tout 
»  fruit  de  son  expédition,  dit  encore 
»  M.  Michaud  ,   il  ne  put  obtenir 
»  que  l'échange  des  prisonniers  ,  et  la 
»  permission  de  rendre  les  honneurs 
»  de  la  sépulture  aux  Chrétiens  tués 
»  à  la   bataille  de  Gaza  ».  (  His- 
toire des  Croisades  ,   m  ,  549   )• 
Après  avoir  fait  réparer  les  fortifi- 
cations d'Ascalon,  qu'il  remit  à  Gau- 
tier de  Brienne  ,   il  partit  pour   la 
Sicile,   où  il  eut  une  entrevue  avec 
Frédéric  II.   Il  chercha  vainement  à 
réconcilier  ce  prince  avec  le  Saint- 
Siège,  et  revint,  eu  xil^-i  ,  à  Lon- 
dies  ,  où  son  retour  fut  célébré  par 
des  fêtes  magnifiques.    Bientôt  Ri- 
chard  trouva    de   nouvelles    occa- 
sions de  signaler  son  coujagc  dans 
la  guerre  que  Henri  III  eut  a  soute- 
nir contre  les  Français.  Oubliant  les 
services  que  son  frère  venait  de  lui 
rendre  ,  Henri  voulut  le  dépouiller 
de  la  Guieiuie ,  et  le  priver  de  sa  li- 
berté. Richard  s'enfuit ,  et  ,  surpris 
au  milieu  delà  mer  par  une  tempête , 
il  fit  vœu  ,  s'il  échappait  au  danger  , 
de  fonder  une  abbaye  de  l'ordre  de 
Cîteaux  ,  pour  lequel  il  avait  beau- 
coup de  vénération.  C'est  à  ce  vœu 
que  dut  son  érection  l'abbaye  de  Hay- 
les,  fameuse  par  ses  richesses  et  ]>ar 
l'étendue  et  la  beauté  de  ses  bâti- 
ments. En   1243,  Richard  épousa 
Sancho  de  Provence;  et  il  se  récon- 


552 


RIC 


cilia  peu  de  temps  après  avec  son 
fr^re  ,  qui  lui  accorda  ,  pour  le  dé- 
dommager de  la  pertede  la  Guienne , 
une  pension  de  mille  marcs  d'argent 
et  plusieurs  domaines  considérables. 
La  mort  de  Conrad  IV  laissait  l'Em- 
pire vacant  ;  et  les  factions  qui  di- 
visaient l'Allemagne  ,  se  disputaient 
l'avantage  de  dépouiller  le  malheu- 
reux Conradin  (  F.  ce  nom  ).  Tandis 
qu'une  partie  des  électeurs  choisit 
Alphonse  X  ,  roi  de  Castille,  l'autre 
se  déclare  pour  Richard  ;  mais  les 
deux  compétiteurs  ne  peuvent  obte- 
nir du  Saint-Siège  la  confirmation  de 
leur  élection.  Richard  arrive  en  Alle- 
magne ,  et  se  fait  couronner  avec 
Sanche ,  sa  femme  ,  à  Aix-la-Cha- 
pelle ,  le  17  mai  1257.  Il  récom- 
pense magnifiquement  les  électeurs 
qui  lui  ont  donné  leurs  suffrages^  et 
ses  libéralités  lui  gagnent  de  nou- 
veaux partisans.  Il  apprend  tout- 
à-coup  que  les  barons  anglais  tien- 
nent son  frère  prisonnier  dans  Lon- 
dres ,  et  il  vole  à  son  secours.  Il  re- 
vient en  Allemagne  .  en  1 260  ,  avec 
de  nouveaux  trésors  ,  convoque  une 
diète  qui  établit  de  sages  règlements 
pour  la  sûreté  des  voyageurs  ,  et 
apaise  les  querelles  des  villes  impé- 
riales et  des  princes  ,  en  accordant 
quelques  milliers  de  marcs  d'argent 
aux  parties  qui  se  trouvaient  lésées 
par  ses  décisions.  Richard  fit  un 
troisième  voyage  en  Allemagne,  l'an 
1262  j  il  donna  l'investiture  de  l'Au- 
triche et  de  la  Styrie  à  Ottocare(  V. 
ce  nom  ) ,  confirma  les  privilèges  de 
plusieurs  villes  ,  entre  autres  de 
Strasbourg  et  d'Haguenau  ,  et  enri- 
chit le  trésor  d'Aix  -  la  -  Chapelle 
d'une  couronne  ,  d'un  sceptre ,  d'un 
globe  d'or  et  de  deux  habits  impé- 
riaux. Les  troubles  d'Angleterre  le 
forcèrent  d'y  retourner,  en  i2()4.  Il 
ut  fait  prisonnier  à  la  bat-iilic  de 


RIC 

Lewos  ,  gagnée  sur  les  troupes  roya- 
les par  Simon  de  Montfort  (  V.  ce 
nom  ,  XXIX,  557  )  ,  et  ne  recou- 
vra sa  liberté  qu'après  quatorze  mois 
d'une  détention  très-rigoureuse.  lî 
revint   encore    en    Allemagne  ,  en 

1 268 ,  supprima  les  péages  onéreux 
qui  gênaient  la  navigation  du  Rhin  , 
abolit  un  nouvel  impôt  établi  par  les 
magistrats  de  Worms  ,  et ,  l'année 
suivante  ,  tint ,  dans  cette  ville ,  une 
diète,  à  laquelle  assistèrent  les  élec- 
teurs de  Trêves  et  de  Maïence,  avec 
plusieurs  autres  évêques  et  princes 
de  l'empire.  Richard ,  veuf  pour  la 
seconde  fois  ,  quoique  sexagénaire , 
fut  sensible  aux  charmes  de  Béatrix 
de  Falkcnstein  ,  l'épousa  le  16  juin 

1269,  et  la  conduisit  en  Angleterre. 
Bientôt  après  ,  Henri ,  le  fils  aîné  de 
Richard ,  prince  de  grande  espérance, 
fut  assassiné  par  les  deux  fils  de  Si- 
mon de  Montfort,  pour  venger  le 
sang  de  leur  père.  Ce  triste  événe- 
ment abrégea  les  jours  de  Richard. 
Il  mourut  d'apoplexie ,  le  2  avril 
1272  ,  et  fut  inhumé  dans  l'abbaye 
de Hayles.  L'électionde Rodolphede 
Habsbourg  mit  fin  aux  dissensions 
de  l'Allemagne  (  Voy.  Rodolphe  ). 
Edouard  ,  fils  de  Richard  ,  lui  suc- 
céda dans  le  comté  de  Cornouailles, 
ainsi  que  dans  ses  autres  domaines  , 
qui,  après  sa  mort,  furent  réunis  à  la 
couronne  d'Angleterre.  Richard  fut 
un  des  plus  grands  princes  de  sou 
temps.  A  «ne  rare  valeur,  il  joignait 
beaucoup  de  prudence  ,  de  sagesse  , 
et  l'art  de  gagner  les  cœurs.  Il  sur- 
passa tous  les  rois  contemporains  , 
par  ses  richesses  et  par  sa  libéralité. 
Outre  les  sommes  immenses  que  lui 
rapportait  l'exploitation  des  mines 
de  ))lomb  et  d'étain  de  Cornouailles, 
négligée  jusqu'alors  ,  il  sut  se  créer 
des  ressources  abondantes  cl  in- 
connues aux  autres  .souverains,  par 


RIC 

ks  encouragements  qu'il  donnait  au 
commerce  et  à  l'industrie.  L'histoire 
nous  apprend  ,  d'ailleurs  ,  que  ce 
prince  si  magnifique  ne  manquait 
pas  d'e'conomie,  et  qu'il  veillait  avec 
le  plus  grand  soin  à  maintenir  l'or- 
dre dans  ses  finances.  Nous  avons 
deux  Histoires  spéciales  de  Richard , 
toutes  deux  en  allemand,  l'une  par 
Gundling  (  J^.  ce  nom ,  XIX ,  2 1 2  ) , 
et  l'autre  par  Gebauer  (  F.  ce  nom  , 
XVII,  2  ).  Celle-ci  est  suivie  de 
pièces  justificatives  ,  qui  prouvent 
jusqu'à  l'évidence  que  Richard  a  réel- 
lement exercé  tous  les  droits  de  l'em- 
pire pendant  près  de  quinze  années. 
W— s. 
RICHARD  1". ,  comte  d'Averse, 
etprincedeCapoue,de  loSgà  1078, 
était  fils  d'Ascilitin,  frère  de  Rai- 
nolfe  et  de  Drengot.  Il  succéda  au 
premier  ,  dans  Tannée  i  oSg,  au  plus 
tard  ,  puisqu'à  cette  époque  ,  il  in- 
tervint, comme  comte d^ Averse,  au 
concile  deMelphi ,  convoqué  par  le 
pape  Nicolas  II.  Ce  pontife,  qui  cher- 
chait à  s'assurer  un  appui  contre 
l'anti  -  pape  Cadalolis  ,  eut  recours 
aux  princes  normands.  Robert  Guis- 
card  avait  fort  étendu  ses  conquêtes 
dans  la  Fouille.  Richard  ,  qui  avait 
épousé  Fridésime,  sœur  de  Robert, 
qui  était  l'égal  de  son  beau-frère  en 
bravoure  et  en  talent  militaire ,  et 
qu'on  disait  lui  cire  supérieur  par  son 
amour  pour  la  justice  et  par  sa  dou- 
ceur,  paraissait  destiné  à  conquérir 
la  Campanie.  Nicolas  ,  pour  l'atta- 
cher à  son  parti ,  lui  donna  l'inves- 
titure de'la  ville  et  de  la  principauté 
de  Gapoue  ,  que  possédait  alors 
Pandolfe  V  ,  prince  lombard.  Ri- 
chard mit  immédiatement  le  sir'ge 
devant  Capoue;  mais  il  ne  se  rendit 
maître  de  cette  ville  qu'en  1062. 
L'année  suivante ,  il  conquit  aussi 
Gaëte,  qui  jusque-là  s'était  main- 


RÎC 


55; 


tenue  libre ,  sous  la  protection  des 
Grecs.  Pour  affermir  sa  couron- 
ne, il  s'associa  dans  le  gouverne- 
ment son  fils  Jordan ,  qui  le  seconda 
dans  toutes  ses  entreprises.  Richard, 
mécontent,  en  1 066, du  pape  Alexan 
dre  II,  fit,  dans  le  duché  de  Rome  , 
quelques  incursions ,  dont  il  fut  puni 
par  Godefroi ,  duc  de  Toscane  ,  qui 
l'assiégea  dans  Aquin.  Ramené  à  l'o- 
béissance du  Saint-Siège  ,  il  ne  s'en 
écarta  plus;  fit  hommage,  en  1073, 
à  Grégoire  VII ,  et  assista ,  en  107  7, 
Robert  Guiscard  dans  la  conquête 
de  Salerne:  il  entreprit  ensuite  le 
siège  deNaplcs  ;  et  déjà  celte  ville  se 
trouvait  réduite  à  de  dures  extrémi- 
tés, lorsque  Richard  pr,  mourut ,  le 
ï3  avril  1078.  Son  fils  Jordan  I". 
fut  son  successeur. — ^Richard  II  suc- 
céda, en  1 09  T,  à  Jordan  P'".  Dès  que 
lanouvelle  delà  mortdeJordan  se  fut 
répandue  dans  Capoue,  les  habitants, 
que  trente  ans  d'obéissance  n'avaient 
point  encore  façonnés  au  joug  des 
Normands,  se  révoltèrent,  et  chassè- 
rent de  leurs  murs  Richard  II,  avec 
tous  ses  compatriotes.  Ce  prince  vint 
se  réfugier  à  Averse  ,  avec  Gaitel- 
grime  sa  mère  ,  sœur  du  dernier 
prince  de  Salerne.  Il  fît  demander 
en  même  temps  des  secours  à  Ro- 
ger ,  duc  de  Fouille  ;  mais  comme 
ces  secours  n'étaient  point  suffisants, 
il  offrit  à  Roger,  s'il  recouvrait  Ca- 
poue ,  de  lui  faire  l'hommage-lige 
de  cette  principauté. Cette  condition 
fut  acceptée  :  le  duc  de  Fouille  et  le 
grflnd-corate  de  Sicile  réunirent  leurs 
soldats  devant  Capoue,  au  mois  d'a- 
A^ril  1098.  Urbain  II  y  vint  aussi, 
pour  négocier  ;  mais  ce  fut  sans 
succès  :  la  ville ,  après  une  défense 
obstinée,  se  rendit,  et  Richard  II  la 
reçut  en  fief  de  Roger ,  renonçant 
ainsi  au  pouvoir  souverain ,  pour 
se  réduire  au  rang  de  vassal  du  duc 


554  RIC 

àe   Pouille.  Richard  II  moiuiil  en 
iio5,  sans  postérité.  Robert  P'-. 
son  frère,  lui  succéda,     S.  S — i. 

RICHARD  P"". ,  surnomme  Sans- 
Peur^  àvc  de  Normandie,  était  fds 
de  Guillaume  Longue- Epée  et  d'une 
princesse  danoise  (i).  Il  succéda, 
l'an  g43  ,'2),  à  sou  père,  assassine' 
par  Arnoul,  comte  de  Flandre,  et 
fut  mis  sous  la  tutelle  de  quatre  sei- 
gneurs ,  choisis  dans  une  assemblée 
de  la  noblesse.  Louis  IV,  dit  d' Ou- 
tre-mer, ayant  appris  la  mort  de 
Guillaume,  vint  aussitôt  à  Rouen,  et 
déclara  qu'il  avait  l'intention  d'em- 
mener Richard  à  sa  cour,  pour  l'y 
faire  élever.  Les  Normands  s'oppo- 
sèrent d'abord  au  dessein  du  roi  j 
mais,  rassurés  par  ses  promesses  et 
par  l'affection  qu'il  témoignait  au 
jeune  duc,  ils  consentirent  au  départ 
de  celui-ci.  En  arrivant  à  Laon ,  oii 
résidait  sa  cour  ,  Louis  reçut  un 
message  d'Arnoul ,  qui  l'engageait  à 
profiter  de  la  minorité  deRichard 
pour  recouvrer  le  pays  dont  les  Nor- 
mands s'étaient  emparés.  Dès  ce  mo- 
ment Richard  fut  traité  comme  pri- 
sonnier Par  le  conseil d'Osmond,  son 
gouverneur,  il  feignit  d'être  malade; 
et  ce  fidèle  serviteur  ,  profitant  de  la 
négligence  des  gardes  ,  l'emporta  , 
dans  une  botte  de  foin  ,  à  Senlis  , 
d'où  il  regagna  ses  états.  Louis  se  li- 
gne avec  Hugues -le- Grand,  comte 
de  Paris  ,  pour  dépouiller  Pvichard  , 
et  pcuètre  ,  presque  sans  obstacle  , 
jusqu'au  sein  de  la  Normandie;  mais, 
abandonné  par  son  allié,  qu'il  avait 
méconteulé,  bientôt  il  se  trouve  dans 
un  grand  embarras  ,  par  l'arrivée 
d'Aigrold  ,  roi  de  Danemark  ,  avec 

(i).Sili.ii  «l'aulres  ailleurs,  Kicliard  olalt  fil»  de 
LcutRardc  ,  (lllc-  (rHcrb.rl ,  coriili;  <I  c  Scnlls. 

(»)  (/<ril  |iiir  irruur  (y)>r)(;ra|iliic[iii:  qu'.\  Tarticle 
OUIIXAUMK  r.o„nue-Ii/,éc ,  XIX.  ,  i38  ,  ..<>  place  la 
«iKirl  rlc  eu  priuce.au   18   dvcembio  (j;)î,  au  lien 


RIO 

une  flolle  nombreuse.  Il  lui  fait  de- 
mander une  cntrevue:mais,  pendant 
la  conférence  des  deux  princes  ,  les 
Danois  dispersent  les  Français  ;  et 
Louis,  forcé  de  prendre  la  fuite,  est 
retenu  prisonnier  par  les  habitants 
de  Rouen  (3)  ,  qui  ne  consentent  à 
le  rendre  qu'après  qu'il  eut  juré  la 
paix  avec  Richard  (  F.  Louis  IV, 
XXV  ,  2o3  ).  Cette  paix  ne  pou- 
vait être  de  longue  durée.  Hngues-le- 
Grand  avait  fiancé  sa  fille  Agnès  au 
jeune  duc  de  Normandie.  Pour  em- 
pêflier  cette  alliance,  Louis  s'unit 
avec  Arnoul ,  qui  craignait  toujours 
que  Richard  ne  lui  redemandât  comp- 
te du  sang  de  son  père;  et ,  aidé  J)ar 
l'empereur  Othon  pr_  ^  ^o^  beau-frè- 
re, et  par  Conrad ,  roi  de  Bourgogne, 
il  fait  le  siège  de  Paris.  Les  alliés , 
battus  devant  cette  ville,  vont  assié- 
ger Rouen ,  et  éprouvent  de  nou- 
veaux revers.  La  rigueur  de  la  saison 
les  oblige  de  s'éloigner;  Richard, 
à  qui  ses  premiers  exploits  méritè- 
rent le  surnom  de  Sans  -  Peur,  les 
poursuit  dans  leur  retraite,  et  taille 
eu  pièces  une  partie  de  leur  arrière- 
garde.  Lothaire,  en  montant  sur  le 
trône  de  France,  après  la  mort  de 
son  père  ,  hérite  de  sa  haine  contre 
les  Mormands.  La  crainte  que  la  va- 
leur de  Richard  imprimait  à  ses  en- 
nemis ,  force  le  roi  de  recourir  à  la 
ruse.  Brunon ,  archevêque  de  Colo- 
gne et  oncle  de  Lothaire ,  fait  j)ro- 
poser  à  Richard  une  conférence  dans 
Amiens.  Le  duc  de  Normandie  s'y 
rendait  sans  méfiance  ,  quand  il  fut 
averti ,  par  deux  chevaliers,  du  piè- 
ge qu'on  lui  tendait.  Lothaire  osa  lui 
demander  une  nouvelle  entrevue,  sur 
les  bords  de  l'Eaune  (4).  Cette  fois  , 

.  (3)  D'anlns  IiI.sI.m  icns  <i;.s,nt  <|ii<-  I-miIs  ,  euiiuillû 
jiar  Sun  clicval ,  lut  l'ail  prisouiiier  jiui- lis  Paiiois, 
qui  le  euitduisirent  à  Houen. 

(/()  li'auleurdu  Komati  ilii  Itou  ('Wncel    iioiiimo 
cctlo  Tivii^rc  Vi-fipe  ou  Piei'e  ;  et  lircquigiiy  i>rc- 


RIC 

Bichard  se  fit  accompagner  d'une  es- 
corte; mais,  se  sentant  trop  faible 
pour  lutter  contre  les  troupes  qu'a- 
vaient araene'es  ses  adversaires ,  il 
regagna  Rouen  par  des  chemins  de'- 
tournes  (5).  Cessant  de  dissimuler, 
Lothaire  ,  aide'  de  ïliibaud  ,  comte 
de  Chartres,  rentre,  peu  de  temps 
aprc>,  dans  la  Normandie,  et  s'em- 
pare d'Evreux.  ,  par  la  trahison  du 
commandant.  Richard  se  venge  de 
Thibaud,  en  ravageant  ses  états;  et 
le  comte  de  Chartres  vient  camper 
devant  Rouen.  Irrite  de  cette  brava- 
de ,  le  duc  lui  iivre  bataille,  le  met  en 
fuite  ,  et ,  ayant  reçu  des  secours  des 
Danois  ,  porte  le  fer  et  la  flamme 
dans  rinlërieur  de  la  France.  Lo- 
thaire alla  lui-même  demander  la 
paix  à  Richard,  qui  congédia  les  Da 
nois ,  abandonnant  des  terres  à  ceux 
qui  voulurent  embrasser  le  christia- 
nisme, et  fournissant  aux  autres  des 
moyens  de  passer  eu  Espagne,  où 
ils  commirent  de  grands  ravages.  Le 
duc  de  Normandie  put  alors  s'occu- 
per d'améliorer  le  sort  i!e  ses  su- 
jets. Il  encouragea  l'agriculture  et  le 
commerce ,  et  favorisa  l'étude  des 
sciences  ,  par  diffcrentcs  fondations 
pieuses.  Après  l'exlincticu  de  la  race 
de  Charlemagne,  il  contribua  beau- 
coup à  faire  ])!acer  Hugues  Capel 
sur  le  trône  de  France.  Richard  mou- 
rut, le  20  novembre  9^>6  ,  dans  sa 
soixante-troisième  année,  à  Fécanip, 
dont  il  avait  fait  reconstruire  l'ab- 
baye,  ruinée,  un  siècle  auparavant, 
par  les  Normands  qu'avait  amenés 
Hasting,  et  il  voulut  être  enterré  sous 
la  gouttière ,  à  l'entrée  de  la  porte 
méridionale.    Les  curieux   connais- 


feud  que  c'est  celle  qui  passe  i  Ncutcliàtel.  Ainsi 
l'entrt'vue  des  deux  iiiinccs  devait  avoir  lieu  sur  le» 
bords  de  V.lnjiicf.  Voy.  la  Notice  des  Mss.  de  la 
b'ihl.  du  lioi ,  \,5o. 

(5)  Wace  dit  cependant  que  Richard   battit  ses 
euuemis  au  passage  de  lu  rivière. 


RIC  555 

sent  le  Roman  de  Richard  Sutis- 
Peiir,  duc  de  Normandie,  Paris, 
Denys  Jeanot,  in-/i". ,  et  Simon  Cal- 
varin,  même  format.  Ces  deux  édi- 
tions ,  imprimées  en  caractères  go- 
thiques ,  sont  également  recherchées. 
Cet  ou'i'rage  ,  qui  n'est  qu'un  tissu 
d'anachronistries  et  de  fables  ridicu- 
les ,  fait  partie  de  la  Collection  pu- 
bliée à  Troves  ,  parla  veuve  Oudot, 
et  si  souvent  réimprimée.  Castilhon 
en  a  donné  l'analyse  ,  dans  la  pre- 
aiière  partie  de  la  Bibliothèque  bleue ^ 
1769,  in -8°.  On  en  trouve  an.ssi  un 
court  extrait  dans  les  Mélanges  ti- 
rés d'une  grande  bibliothèque ,  tome 
E,  pag.  '77-  W — s. 

Richard  II  ,  dit  le  Z?u«,  ducde 
Normandie,  fils  du  précédent  et  de 
Gonnor  ,  sa  seconde  femme  ,  lui  suc- 
céda. Les  commencements  de  son 
règne  furent  troublés  par  un  soulè- 
vement général ,  occasionné  par  l'a- 
bus que  la  noblesse  faisait  de  l'autori- 
té royale.  Eu  997,  il  fut  obligé  de  fai- 
lle la  guerre  à  Guillaume  ,  son  frère 
cadet,  (jui  refusait  de  lui  rendre  hom- 
mage pour  les  terres  dont  il  l'avait 
apanage.  Guillaume,  abandonné  de 
ses  soldats,  fut  anêté;  mais  il  s'é- 
chappa de  sa  prison ,  et  vint  se  jeter 
aux  genoux  de  Richard ,  qui  lui  par- 
donna sa  faute  et  le  rétablit  dans 
tousses,domaines.  Etheirède  II,  roi 
d'Angleterre,  beau  frère  de  Richard, 
ayant  conçu  l'odieux  projet  d'exter- 
miner tous  les  Danois  qui  se  trou- 
vaient dans  ses  états  ,  fit  la  guerre 
au  duc  de  Normandie,  pour  l'empc- 
chtr  de  les  secourir  ;  mais  les  An- 
glais ,  bittus  dans  le  Colanlin  ,  fu- 
rent forcés  de  se  remb;irqiier  préci- 
pitamment. L'indîgne  conduite  d'E- 
thelrède  l'ayant  rendu  l'objet  de  la 
haine  de  ses  siijets,  il  osa  demander 
un  asile  à  Richard,  qui,  11c  voyant 
plus  eu   lui  qu'un  prince  malheu- 


556  RIC 

reux  ,  l'accueillit  avec  les  plus 
grands  égards  (  F.  Ethelbède,  Xlll, 
4^3  ).  Richard  eut  ensuite  de  longs 
démêles  avec  Eudes,  comte  de  Char- 
tres ,  qui  A^oulait  garder  la  ville  de 
Dreux  ,  que  Mathilde ,  sœur  du  duc 
de  Normandie  ,  lui  avait  porte'e  en 
dot.  Pour  terminer  cette  guerre ,  il 
demanda  des  secours  aux  rois  de 
Suéde  et  de  Norvège;  mais  le  roi  Ro- 
bert,  craignant  que  ces  barbares, 
après  avoir  ravagé  les  domaines 
d'Eudes ,  ne  pénétrassent  en  France, 
obligea  le  comte  de  Chartres  à  faire 
la  paix  avec  Richard.  Un  château 
que  le  duc  de  Normandie  fît  cons- 
truire à  Tillières ,  près  de  Verneuil, 
ralluma  bientôt  une  querelle  assou- 
pie plutôt  qu'éteinte.  Eudes  ,  aidé 
par  Hugues  ,  comte  du  Maine ,  vint 
assiéger  ce  château  ;  mais  ,  repoussé 
dans  toutes  les  attaques ,  il  finit  par 
se  soumettre  aux  conditions  que  Ri- 
chard voulut  lui  imposer  ,  et  qui 
sans  doute  étaient  très-modérées  , 
puisqu'il  les  remplit  sans  se  plain- 
dre. Richard  fut  l'allié  le  plus  fidèle 
du  roiRobert,  et  l'accompagna  dans 
diverses ■  expéditions  ,  oij  il  signala 
son  courage  :  du  moins  quelques  bis. 
toriens  lui  donnent-ils  le  surnom 
di  Intrépide.  Ce  prince  mourut,  pleu- 
ré de  ses  sujets,  en  102G  ou  1027  , 
le  1  août ,  et  fut  inhumé  près  de  son 
père.  Il  donna  des  marques  de  sa 
piété  par  les  dons  considérables  qu'il 
(it  aux  monastères.  H  eut  pour  suc- 
ccsseurKiCHARD  III,  son  fils  aîné,  qu'il 
avait  eu  de  son  mariage  avec  Judith, 
sœur  du  duc  de  Bretagne.  Ce  prince 
mourut  après  un  règne  de  quelques 
mois,  empoisonné,  dit-on  ,  par  son 
frère  Robert,  dit  le  Mau^nifujue  ou  le 
Diable  {  F.  Honr.RT  ).'      W— s. 

RICHARD  (Claudk),  savant 
mathématicien  ,  né  en  l58<)  ,  a  Or- 
iians  ,    dans    le   comté  de  Hourgor 


RIC 

gnc  ,  d'une  famille  alliée  aux  Gran- 
velle  ,  suivit  le  comte  de  Cantecroix 
(i),  dans  son  ambassade  à  Venise , 
et  parcourut  l'Italie  pour  satisfaire 
sa  curiosité.  Pendant  son  séjour  à 
Rome,  il  renonça  tout -à -coup  aux 
avantages  que  le  monde  pouvait  lui 
offrir ,  embrassa  l'institut  de  saint 
Ignace,  et,  après  quelques  mois  d'é- 
preuves ,  fut  envoyé  à  Toui  non  pour 
y  continuer  ses  études.  Il  fit  de  grands 
progrès  dans  l'hébreu  et  les  mathé- 
matiques ,  qu'il  professa  sept  ans  à 
Lyon.  II  obtint  ensuite  de  ses  su- 
périeurs la  permission  de  parta- 
ger les  travaux  des  zélés  mission- 
naires qui  portaient  dans  la  Chine  , 
avec  l'Évangile,  les  lumières  et  les 
sciences  de  l'Europe.  Il  était  en  che- 
min pour  se  rendre  à  Lisbonne  ,  oii 
il  devait  s'embarquer ,  quand  il  fut 
nommé  par  le  roi  d'Espagne  Phi- 
lippe IV,  professeur  de  mathéma- 
tiques au  collège  fondé  nouvellement 
à  Madrid.  Il  remplit  cette  chaire 
quarante  ans  ,  avec  un  zèle  que  l'âge 
ne  put  affaiblir ,  et  mourut  le  20  oct. 
1664.  On  lui  doit  :  I.  Une  édition 
des  OEwres  d'Archimède,  avec  des 
Notes  ,  in-fol, ,  Paris  ,  1626  (  Bibl. 
d'IIarwood  ,  i  ,  i-jS  )  ,  ou  164O  , 
(  Bibl.  curieuse  deDav.  Clément  11, 
7  ).  Le  P.  Richard  prit,  pour  base  de 
son  travail,  l'édition  publiée  peu  de 
temps  auparavant  par  David  Ri- 
vault,  sieur  de  Flcurance  (  For.  Ri- 
vatjlt).  II.  Commentarius  in  omnes 
libros  Eucliâis ,  Anvers,  164 5,  in- 
4".  m.  Commentarii  in  Apollonii 
Pergad  Conicunim  libros  ly,  ibid. , 
i655  ,  in-fol.  ,  fig.  Il  dédia  cet  ou- 
vrage à  Raimond  de  Moncadc  ,  par 
une  Ëpitre ,  qui  contient  l'histoire 
de  cette  maison ,  l'une  des  plus  illus- 


(il    l-'iiinço\i    Pi-nvnot  ,   iicvi  »   du    cuiiliiial    de 


RIC 

très  de  l'Espagne.  IV.  Ordo  noviis, 
et  reliquis  facilior ,  tahularum  si- 
nuum  et  tangentium;  cet  ouvrage  est 
anonyme  :  aucun  des  biblio£;raphes 
qu'on  a  consultes  ,  n'en  indique  la 
date  ni  le  format.  Le  P,  Richard  avait 
construit  une  montre  magnétique , 
par  le  moyen  de  laquelle  on  con- 
naissait l'heure  qu'il  était  dans  tou- 
tes les  parties  de  la  terre  (  Voy. 
VHist.  abrég,  du  comté  de  Bourgo- 
gne,  par  M.  Grappin,  p.  281  ). 
W— s. 
RICHARD  (  Jean  ),  néà  Verdun, 
en  1639  ,  après  avoir  fait  ses  classes 
à  l'université'  de  Pont-à-IMousson , 
vint  à  Paris,  où  il  fit  son  droit  et  ses 
cours  de  théologie.  Il  alla  ensuite  à 
Orléans,  où  il  se  fit  recevoir  avocat, 
sans  doute  pour  avoir  un  titre  ;  car 
il  ne  plaida  jamais  ,  ni  ne  fréquenta 
le  barreau.  Il  n'entra  pas  non  plus 
dans  l'état  ecclésiastique,  comme  on 
aurait  pu  présumer  que  c'était  son 
dessein  ,  d'après  l'une  des  deux  es- 
pèces d'études  auxquelles  il  s'était 
appliqué.  Demeuré  laïc ,  et  marié,  il 
se  dévoua  pourtant  à  l'éloquence  de 
la  chaire,  sans  l'espoir  des  avanta- 
ges attachés  à  ce  ministère ,  dont 
l'exercice  ne  lui  était  pas  permis. 
Il  ne  put  donc  suivre  qu'à  moitié 
cette  singulière  vocation;  et  il  dut  se 
borner  à  composer  des  sermons  et 
des  prônes, que  d'autres  prêcheraient 
ou  qui  leur  serviraient  à  en  compo- 
ser de  pareils,  ou  bien  qui  édifieraient 
ceux  qui  les  liraient.  C'est  en  effet  ce 
qu'il  entreprit  ;  et  ce  travail  fut  l'oc- 
cupation de  toute  sa  vie.  11  compila 

aussi  des  ouvrages  relatifs  à  ce  genre 
j    I-     -  ^  .    ,       o       . 

de  littérature,  pour  servir  a  ceux  qui 

couraient  la  carrière  de  ia  prédica- 
tion. On  a  de  lui  :  1.  Discours  mo- 
raux ,  en  forme  de  Sermons ,  sur  les 
dimanches  de  l'année,  avec  un  volu- 
me contenant  des  exordes  et  des  ins- 


RIG  557 

tructions  ponr  un  avent  et  un  carê- 
me, 5  vol.  in-i2,  iG85.  A  peine 
étaient-iis  imprimés  ,  qu'ils  furent 
suivis  d'autres  Discours  moraux  en 
forme  de  Prunes ,  avec  un  avent  sur 
les  commandements  de  Dieu,  II. 
Eloges  historiques  des  saints  ,  avec 
les  mystères  de  Notre  Seigneur,  et 
les  fêles  de  la  Sainte-Vierge,  pour 
tout  le  cours  de  l'année ,  1 665 ,  4 
vol. ,  dédiés  à  M.  le  cardinal  de 
Noailles  ,  archevêque  de  Paris  ,  qui 
loua  ce  travail ,  et  le  zèle  religieux  qui 
avait  porté  l'auteur  à  s'y  livrer.  III. 
Autres  Discours  sur  les  mystères  de 
Notre-Seigneuret  les  fêtes  de  la  Vier- 
ge, 1697,  ^  ^^'*  ^^ •  autres  Dis- 
cours sur  les  mystères  de  Notre-Sei- 
gneuret les  fêtes  de  la  Vierge,  1700, 
plusieurs  vol.  V.  Dictionnaire  mo- 
ral ou  la  Science  universelle  de  la 
chaire  ,  6  vol.  in-B**.,  y  compris  un 
Supplément^  contenant  des  exhorta- 
tions morales  sur  la  sainteté  et  les 
devoirs  de  la  vie  religieuse  ,  Paris  , 
1700  ,  réimprimé  en  8  vol.  in-i'.i, 
d^'dié  au  cardinal  de  Polignac.  On 
trouve  dans  cet  ouvrage,  par  ordre 
alphabétique,  ce  que  les  prédicateurs 
français,  italiens,  espagnols  ,  alle- 
mands ,  ont  écrit  de  plus  curieux  et 
de  plus  solide  sur  divers  sujets.  Ce 
livre  est  utile  et  commode  pour  ceux 
qui  s'appliquent  à  la  prédication  , 
parce  qu'ils  y  trouvent  sans  peine  des 
matériaux.  Quant  au  jugement  à  por- 
ter sur  les  écrits  de  Richard,  il  est 
assez  convenu  que  l'on  y  reconnaît 
plutôt  la  science  du  théologien  ,  que 
le  talent  de  l'orateur.  Quelques  cri- 
tiques lui  reprochent  le  défaut  de 
nerf  et  de  chaleur  ;  mais  aucun 
ne  refuse  à  ses  discours  tout  ce 
qui  constitue  une  bonne  et  solide 
instruction.  Richard  ne  se  borna 
point  à  faire  des  sermons  j  il  vou- 
lut  encore  que  ceux    d'autrui    qui 


558 


RIG 


n'étaient  pas  publies  vissent  le 
jour  :  s'il  en  e'tait  qui  parvinssent  à 
sa  connaissance,  il  s'en  emparait, 
les  revoyait  avec  soin  ,  y  corrigeait 
ce  qui  lui  paraissait  défectueux ,  sup- 
pléait ce  qui  y  manquait,  les  enri- 
chissait de  Notes,  de  Préfaces  ,  et  les 
livrait  l'impression,  l!  en  usa  ainsi, 
quoique  l'auteur  en  eiit  défendu  ia 
publication  en  mourant ,  à  l'égard 
des  Sermons  do  Fromcnticres,  évê- 
que  d'Aire,  qu'd  mit  au  jour  en  ()  vol. 
in- 1 2 ,  Paris  ,  1 684  (  ^  •  FromentiÈ- 
BES,  XVÏ,  112).  11  donna  ensuite 
les  discours  de  l'abbé  Charles  Boi- 
leau  ,  prédicateur  du  roi,  l'un  des 
quarante  de  l'académie  française  , 
et  en  ût  des  extraits,  qu'il  publia 
sous  le  titre  de  Pensées  (  Foy.  Boi- 
LEAU,  V,  14  )•  Il  en  fit  autant  des 
Prunes  de  J  oly,  évêque  d'Apjen,  dont 
il  donna  une  édition  en  8  vol.  in- 1 2  , 
d'après  des  copies  informes  qu'on 
avait  recueillies  en  TenteiKlant  prê- 
cher, de  simples  plans  et  quelques  no- 
tes quecet  évèquc  avait  laissés,  et  que 
Richard  eut  la  patience  de  mettre  en 
ordre  pour  en  faire  un  ouvrap;e  ré- 
gulier (  T.  Jol  y,  XVI,  i\i).  Enfin, 
il  mil  an  jour  un  volume  de  Pané- 
gyriques choisis.  Ce  laborieux  écri- 
vain mourut  h  Paris  ,  en  1719,  dans 
sa  quatre-vingt-unième  année;  et ,  à 
cet  âge  avancé,  il  travaillait  encore. 
—  Jean  -  Edme ,  l'im  de  ses  fils ,  fut 
cure  de  Saint- Aspais,  à    Melun. 

L— Y. 

RICHARD  (René)-  historien 
inexact  et  superficiel ,  né  à  San- 
mur,  eu  iG54,  était  fils  d'un  no- 
taire de  cette  ville,  qui  ne  négligea 
rien  pour  lui  procurer  une  bonne 
éducation.  Après  avoir  terminé  ses 
études  ,  il  entra  dans  la  congréga- 
tion de  l'Oratoire,  où  il  enseigna 
les  liunianités  et  la  rhétorique  : 
ayant    reçu  les  ordres    sacrés  ,    il 


RIC 

fut  employé  dans  les  missions  des 
diocèses  de  Luçon  et  de  la  Rochelle , 
revint  à  Paris,  et  y  prêcha  pen- 
dant douze  ans  avec  succès.  Il  sor- 
tit ensuite  de  l'Oratoire  ,  fut  pourvu 
de  plusieurs  bénéfices  ,  entre  autres 
d'un  canonicat  au  chapitre  de  Sainte- 
Opportune  ,  et  profila  de  ses  loisirs 
pour  publier  quelques  Ouvrages  qui 
furent  reçus  avec  beaucoup  d'indul- 
gence. Etant  tombé  malade  à  Lyon  , 
en  1709 ,  et  se  croyant  en  danger  de 
n:ort ,  d  résigna  tous  ses  bénéfices  à 
sou  neveu:  mais,  contre  son  attente,  il 
guérit  ;  et  laissant  à  son  héritier  pré- 
somptif uuechapelle  avec  un  prieuré, 
il  voulut  conserver  ses  autres  prében- 
des ,  dont  les  revenus ,  dit-il  ,  suffi- 
saient à  peine  pour  le  faire  vivre 
honorablement.  Menacé  par  son  ne- 
veu ,  il  se  pourvut  en  regrès  devant 
les  tribunaux ,  et  soutint  un  procès 
qui  durait  depuis  sept  ans  ,  quand  il 
jugea  convenable  d'instruire  le  public 
de  ces  fâcheux  débats  dans  un  ^m 
important  qu'il  mit  à  la  tête  de  son 
Parallèle  des  cardinaux  de  Riche- 
chelieu  etMazarin  ,  et  dans  lequel  il 
peint  son  neveu  des  couleurs  les  plus 
odieuses.  Celui  ci  obtint  un  arrêt  du 
conseil ,  qiu  supprime  cette  pièce  et 
en  défend  la  réimpression  ,  à  peine 
de  cinq  cents  livres  d'amende.  Cette 
triste  contestation  troubla  les  der- 
nières années  de  Richard  j  il  mou- 
rut a  Paris,  le  'H  août  I7'27,  et 
fut  inhumé  ,  comme  il  l'avait  de- 
mande par  son  testament  rempli  de 
clauses  singulières,  mais  qui  ne  fu- 
rent point  exécutées,  dans  le  cime- 
tière des  SS.  Innocents.  C'était  un 
homme  bizarre,  d'un  caractère  dif- 
ficile, extrêmement  avide,  et  plein  de 
vanité;  soutenant  iudiiréremmentdans 
ses  ouvrages  le  pour  et  le  contre  ,  et 
aireclant  une  grande  indépendance 
dans  SCS  opinions.  Il  avait  été  nom- 


RÏC 

mé  historiographe  de  France  ,  et 
censeur  royal.  Outre  quelques  Ou- 
vrages ascétiques ,  composés  pour  la 
maison  de  Saint -Cyr,  et  dont  on 
trouvera  les  titres  dans  le  Diction- 
naire de  Moreri ,  ëùition  de  1709, 
on  a  de  lui  :  I.  Fie  de  Jean- Antoine 
Le  Cachet ,  prêtre  ,  instituteur  des 
sœurs  de  l'Union  chrétienne ^  Paris, 
1692 ,  in- 1 2.  II.  Discours  sur  V His- 
toire des  Fondations  royales  et  des 
établissements  faits  par  Louis  xiv 
en  faveur  de  la  religion,  de  la  jus- 
tice ,  des  sciences  et  des  beaux- 
arts,  de  la  guerre  et  du  commerce, 
ibid.,  i6t)5,  in- ri.  On  y  lit  quelques 
détails  curieux  sur  la  maison  de  Sauit- 
Cyr  ,  l'Hôtel  des  Invalides  ,  le  canal 
de  Languedoc  ,  etc.  III.  Traité  des 
Pensions  royales ,  oii  il  est  prouvé 
que  le  roi  a  droit  de  donner  des  pen- 
sions sur  les  bénéfices  à  sa  nomina- 
tion et  collation,  même  à  des  laies, 
ibid.,  1693,  171g,  in- 12.  IV.  ^/i- 
toire  de  la  Fie  du  P.  Joseph  du 
Tremblay  ,  capucin  ,  employé  par 
Louis  XlII  dans  les  affaires  d'état, 
ibid,  1702,  in- 12  ,  deux  parties.  C'est 
un  panégyrique  du  P.  Joseph  ;  mais 
honteux  des  reproches  qu'on  lui  fai- 
sait d'avoir  trahi  la  vérité  ,  ou  peut- 
être  ,  comme  ou  l'assure,  mécontent 
de  n'avoir  pas  été  payé  plus  généreu- 
sement, il  publia  l'ouvrage  suivant  : 
V.  Le  véritable  P.  Joseph  ,  conte- 
nant l'histoire  anecdote  du  cardinal 
de  Richelieu,  Saint  Jean  de  Mau- 
rienne  (  Rouen  )  ,  1704,  in-  12  ; 
17.00,  2  vol.  in-i2.  Cette  satire  , 
oubliée  maintenant,  fit  beaucoup  de 
bruit  ;  et  elle  a  été  recherchée  long- 
temps par  les  curieux.  Richard,  ne 
voiUant  pas  qu'on  le  soupçonnât  d'en 
être  l'auteur,  en  publia  la  critique 
sous  ce  titre  :  VI.  Réponse  au  livre 
intitulé  :  Le  véritable  P.  Joseph , 
etc.  (Paris,  1704),  in-i2(  F.  Jo- 


RIG  559 

SEPu  ,  xxu ,  3o  ).  VIT.  Parallèle 
du  cardinal  de  Ximenè s  et  du  car- 
dinal de  Richelieu ,  in-i2,  Trévoux, 
1 704  ;  Roterdara  ,  1 705  ;  ce  Uvre , 
que  Ton  a  confondu  souvenî  avec 
le  suivant  ,  a  été  réimprimé  plu- 
sieurs fois  ,  si  l'on  en  croit  l'auteur  , 
et  même  traduit  par  les  Espagnols  , 
flatlés  de  la  préférence  qu'on  y  donne 
à  Ximenès  sur  le  premier  ministre 
de  Louis  xin.  VIII.  Parallèle  du 
cardinal  de  Richelieu  et  du  cardi- 
nal Mazarin  ,  Paris  ,  1 7  16,  in- 1 2. 
Après  lasuppression  dont  ou  a  parle, 
l'auteur  fit  reparaître  cet  ouvrage 
sous  le  titre  de  Coups  -  d'état  des 
cardinaux  de  Richelieu  et  Maza- 
rin ,  ou  Réflexions  historiques  et 
politiques  sur  leur  ministère,  Paris 
(Hollande),  I723,in-i2.  Richard 
se  proposait  d'écrire  les  Parallèles 
de  tous  les  premiers  ministres  de 
Louis  XIV,  des  deux  derniers  ar- 
chevêques de  Paris  ,  Harlay  et  Noail- 
les,  des  deux  derniers  évêques  de 
Meaux,  d'Orléans  et  d'Évreux,  et 
des  deux  derniers  confesseurs  du  roi, 
les  PP.  Lachaise  etLeTcUier;  mais, 
dit-il  ,  les  malheurs  où  mon  bon 
cœur  m'a  précipité,  m'ont  empêché 
de  mettre  ces  grands  projets  à  exé- 
cution (  Avis  important  ).  IX.  Dis- 
sertation sur  Viniiult  du  parlement 
de  Paris,  1728,  in-8°.  C'est,  dit 
Goujet,  l'ouvrage  d'un  homme  vénal; 
l'auteur  ne  put  obteuirla  permission 
de  faire  imprimer  une  première  par- 
tie ,  qui  devait  servir  d'introduction 
à  cet  écrit.  On  trouve  le  Portrait  de 
René  Richard ,  dans  le  Recueil  d'O- 
dieuvre.  W — s. 

RICHARD  (  CuARLEs  -  Louis  ) , 
théologien,  ne  en  17 1  ï ,  à  Blainvil- 
le-sur-l'Eau,  en  Lorraine,  d'une  fa- 
mille noble  ,  prit  l'habit  de  Saint- 
Dominique  à  l'âge  de  seize  ans  , 
vint   achever  ses  études  à  Paris  , 


5Go 


RIC 


et  fut  reçu  docteur  en  Soibonne. 
Apres  s'être  appliqué  à  la  prédi- 
cation ,  avec  plus  de  zèle  que  de 
succès  ,  il  consacra  sa  plume  à  la  de'- 
fensedes  principes  religieux,  et  se  fit 
connaître  eii  même  temps  par  des 
compilations  théologiques  d'une  gran- 
de utilité.  Une  brochure,  dans  la- 
quelle il  censurait  amèrement  un 
arrêt  du  parlement ,  relatif  au  ma- 
riage d'un  juif  converti,  ayant  ex- 
cité les  plaintes  de  quelques  magis- 
trats, il  crut  devoir  se  soustraire  aux 
poursuites  dont  on  le  menaçait ,  en 
se  retirant  dans  la  maison  de  sou  or- 
dre à  Lille,  où  il  resta  paisible  jus- 
qu'à la  révolution.  Il  se  prononça 
fortement  contre  le  serment  exigé 
des  prêtres ,  et  fut  obligé  de  cher- 
cber  un  asile  dans  les  Pays-Bas  , 
où  il  continua  de  publier  un  grand 
nombre  d'Opuscules  contre  la  ré- 
volution. Lors  de  l'entrée  des  Fran- 
çais dans  la  Belgique,  en  1794, 
son  grand  âge  l'ayant  empêché  de 
fuir  ,  il  fut  découvert  à  Mons ,  et  tra- 
duit devant  une  commission  militai- 
re, qui  le  condamna  à  mort,  comme 
auteur  d'un  écrit  intitulé  :  Parallèle 
des  Juifs  qui  ont  crucifié  Jésus- 
Christ  avec  les  Français  qui  ont 
tué  leur  roi.  Il  alla  au  supplice  avec 
calme ,  s'appuyant  sur  le  bras  du  P. 
Tahon,  récollct,  son  confesseur,  et 
tomba  percé  de  plusieurs  balles  ,  le 
16  août  1794-  ^^  respectable  ecclé- 
siastique était  âgé  de  quatre  -  vingt- 
trois  ans.  Il  avait  une  vaste  érudi- 
tion et  une  grande  facilité  ;  mais  il 
manquait  de  goût  et  de  critique.  Ou- 
ire  un  grand  nombre  de  brochures 
de  circonstance  et  un  Recueil  de  Ser- 
mons, en  4  vol.  \n-\'X  ,  on  a  de  lui  : 
I.  Dissertation  sur  la  possession  des 
corps  et  Vinfestalion  des  maisons 
par  les  démons ,  Paris  ,  1 74^ ,  in  8". 
\\,  Dictionnaire  universel  des  scien- 


RIC 

ces  ecclésiastiques  ^  ibid.  ,  1760  et 
ann.  suiv. ,  6  vol.  in-fol.;  le  dernier 
est  un  Supplément.  Cette  compila- 
tion ,  à  laquelle  le  P.  Giraud  a  con- 
tribué, et  XAnaljse  des  conciles  , 
sont  les  seuls  ouvrages  du  P.  Ri- 
chard qui  paraissent  destinés  à  lui 
survivre.  On  en  publie  ,  dans  ce 
moment ,  des  éditions  annoncées 
comme  corrigées  et  augmentées,  mais 
dont  les  volumes  publiés  jusqu'ici 
ne  présentent  ni  un  meilleur  ordre , 
ni  l'addition  des  articles  importants 
qu'appelait  le  plan  de  l'ouvrage. 
m.  Examen  du  libelle  intitulé  : 
Histoire  de  l'établissement  des  moi- 
nes mendiants ,  ibid.  ,  1767  ,  in- 
l'i.  IV.  Lettre  d'un  archevêque  à 
l'auteur  de  la  brochure  intitulée  :  Du 
droit  du  souverain  sur  les  biens- 
fonds  du  clergé  et  des  moines  (par 
Ccrvol),  ibid.,  1770,  in  -  8''.  V, 
Dissertation  sur  les  vœux,  ibid., 
1771,  in- 12. VI.  LettreA'un  docteur 
en  Sorbonne  à  l'auteur  de  V Essai 
historique  et  critique  sur  les  privi- 
lèges et  les  exemptions  des  Bégu- 
Z/e/i ( l'abbé Riballier ) ,  ibid.,  1771, 
in  -  i2.  VII.  u4naljse  des  conciles 
généraux  et  particuliers,  ibid.  ,1772- 
77 ,  5  vol.  in  -  4°.  VlII.  La  lYature 
en  contraste  avec  la  Religion  et  la 
raison  ,  ou ,  l'ouvrage  qui  a  pour  ti- 
tre ;  De  la  nature  (  par  Robinet  ) , 
condamné  au  tribunal  de  la  foi  et  du 
bon  sens  ,  ibid. ,  1 778  ,  in  -  8'^.  IX. 
Observations  modestes  (  r  )  sur  les 
Pensées  de  d'Alembert ,  etc. ,  ibid. , 
1774,  in-8°.  X.  Réfutation  de  VA- 
Zam/^icmoraZ(par  Rouillé  d'Orlcuil), 
ibid.,  1774»  iH-80.  XI.  Défense  de 
la  religion,  de  la  morale ,  de  la  ver- 
tu ,  de  la  société,  ibid.,  1775,  iu- 

(i)  rt  iioD  jias  modernes,  «ouinir  ou  Hl(  il.iiis  lis 
Sièclis  htlcniirnf  de  DcscssnrLi;  celle  i  rrcur  ly|)u- 
(;iaji1ili|U0,  BÎcvidcolc,  a  pnssc  dan»  le  nirtinnnair» 
i/n/i'e;(t7,  K  à:ms  \v  Supplément  Aa  lHilivnnaiii 
de  l-eHcr. 


RIC 

8".  XII.  Réponse  à  la  Lettre  ccritc 
par  un  théologien  (  Condoicet  )  à 
railleur  du  Dictionnaiie  des  trois 
siècles  ,  ibid. ,  1775,  in-  12.XIII. 
Les  Protestants  déboutés  de  leurs 
prétentions  ,  ibid, ,  1 776  ,  in  -  1 2. 
XIV.  Les  Cent  Questions  d'unpa- 
roisiien  du  curé  de  ***  (  l'abbé  Gui- 
di  ) ,  pour  servir  de  réplique  à  la  Sui- 
te de  sou  Dialogue  sur  le  niaria-j^e 
des  Protestants ,  ibid.,  1776,  in- 
12  (  F.  GuiDi).  XV.  Lettre  d'un, 
ami  des  hommes ,  ou  Réponse  à  Ut. 
Diatribe  de  \ ...  (Voltaij'e)  contre  le 
clergé  de  France,  1 776  ,  in-8^  (2). 
XVI.  Préservatif  nécessaire  à  toutes 
le;,  personnes  qui  ont  lu  les  Lettres 
faussement  attribuées  au  pape  Clé- 
ment xir ,  Deux-Ponts,  i776,in-8°. 
{f.  Caraccioli.)  XVlt.  -banales 
de  la  charité ,  ou  de  la  bienfaisance 
chrétienne,  Malines,  1785,  2  vol. 
in- 12.  XVI H.  Exposition  de  la  doc- 
trine des  philosophes  modernes,  ib., 
1785,  in- 12.  XIX.  Des  droits  de  la 
maison  d' Autriche  sur  la  Belgique 
(Mous),  1794,  in-8".  Selon  M.  Bar- 
bier, cette  brochure  servit  de  prétex- 
te à  la  condamnation  de  l'auteur 
(  Voy.  le  Dict.  des  anonymes ,  2*^. 
éd. ,  n".  4567  )  :  mais  le  jugement 
n'en  fait  aucune  mention  ,  tandis 
qu'on  y  a  inséré  plusieurs  passages 
de  l'ouvrage  cité  dans  le  corps  de 
l'article.  XX.  Une  édition  du  Traité 
des  sacrements  de  son  confrère 
Drouin  (  F.  ce  nom  ,  xii  36  ). 

W— s. 
RICHA1\D   (  Louîs-Claude-Ma- 
RiE),un  des  plus  grands  botanistes  de 
son  siècle,  naquii  à  Versailles  le  4 


(s)  La  brocture  à  laquelle  Rictiai  d  répondait  . 
<tait  intitulcu  :  /Idiesse  au  cierge  fT'elcIie,  1773, 
ta  H*^.  ,  «t  avait  cte  imprimée  aussi  sons  le  ïilre 
d'Orle  an  cier^é  ,U  France,  17-.3.  C'ist  sous  <;<: 
duroier  titre  qu^elle  a  été  réintpriuiée  eu  X7H(),  îiu 
b".  L'auteur  est,  non  Voltairr  ,  uiais  A.  P.  comte 
(t'Âubusson.  A.     li — T. 

XXXVII. 


RIC 


56 1 


septembre  1754.  Sou  père,  Claude 
Richard,  jardinier  du  roi  à  Autouil , 
était  instruit,  non-seulement  dans  sa 
profession,  mais  encore  dans  les  ma- 
thématiques; et  il  était  chargé  de 
suppléer,  en  cas  de  maladie,  le  pro- 
fesseur qui  donnait  aux  pages  des  le- 
çons de  cette  science.  Claude  Richard 
avait  seize  enfants.  Louis,  qui  était 
l'aîné,  fut  placé  au  collège  de  Ver- 
non,  ou  il  se  distingua  par  son  apti- 
tude et  par  son  ardeur  pour  le  tra- 
vail. Dans  ses  heures  de  lécréatiou, 
il  apprit  à  dessiner  et  à  lever  des 
plans ,  sans  se  douter  que  ce  talent 
serait  un  jour  pour  lui  une  grande 
ressource.  Le  frère  dcClaudeRichard 
avait  la  direction  du  jardin  royal  de 
Trianon ,  où  se  trouvaient  alors  réu- 
nies les  productions  végétales  les 
plus  rares  et  les  plus  belles  des  deux 
hémisphères.  Ce  fut  là  que  le  jeune 
Richard,  qui  allait  souvent  voir  son 
oncle  ,  prit  le  goû:  de  la  botanique  : 
il  passait  les  journées  entières  à  exa- 
miner les  plantes,  à  les  décrire,  et  à 
former  un  petit  herbier.  11  n'avait 
qu'onze  ans ,  lorsque  ce  goût  devint 
une  passion.  A  l'âge  de  treize  ans,  il 
allait  entrer  en  rhétorique  :  l'ar- 
chevêque de  Paris,  qui  avait  re- 
marqué SCS  dispositions  ,  promit 
a  Richard  le  père  sa  protection 
particulière  ,  s'il  voulait  faire  en- 
trer son  ûls  dans  l'état  ecclésiasti- 
que. Cette  proposition  fut  accueillie 
avec  empressement  par  la  famille  j 
mais  elle  déplut  beaucoup  à  notre 
jeune  naturaliste  :  son  père  ayant  in- 
sisté, et  se  montrant  inflexible  ,  le 
jeune  homme  épuisa  tous  les  moyens 
de  persuasion;  et,  désespérant  de 
réussir,  il  prit  le  parti  de  quitter  la 
maison  paicrnclle  ,  et  d'aller  seul 
à  Paris.  Cette  démarche ,  répréhen- 
siblc  sans  doute  ,  et  qui  ne  pouvait 
être  excusée  que  par  l'âge  de  l'cn- 
36 


5(52 


RIC 


fant',  prouvait  une  passion  si  vio- 
lente pour  l'étude,  que  le  père  crut 
qu'il  serait  iraprudeut  de  la  contra- 
rier, et  qu'il  fallait  la  laisser  se  cal- 
mer d'elle-même  par  le  temps  et  par 
la  réflexion.  Il  lui  accorda  une  mo- 
dique pension  de  douze  francs  par 
mois  j  se  flattant  toujours  que  le  be- 
soin ramènerait  son  fils  clicz  lui  : 
mais  rien  au  monde  ne  pouvait  alté- 
rer la  palience  du  jeune  Richard,  et 
lui  faire  changer  une  résolution  de 
laquelle  dépendait  le  bonheur  de  sa 
vie.  Au  milieu  des  privatious  les  plus 
cruelles,  il  continua  de  s'instruire, 
et  suivit  avec  beaucoup  d'assiduité 
un  cours  de  rhétorique  et  de  jihilo- 
sophie  au  collège  Mazariu.  II  fallait 
cependant  trouver  un  moyen  d'exis- 
tence :  heureusement,  l'art  du  des- 
sin le  lui  fournit.  A  force  de  démar- 
ches ,  il  rencontra  des  architectes 
qui  voulurent  bien  lui  donner  des 
plans  à  copier.  Comme  il  s'en  ac- 
quittait avec  beaucoup  d'intelligence, 
on  lui  confia  d'autres  travaiix  du 
même  genre  ,  qui  bientôt  lui  rappor- 
tèrent au-delà  de  .ses  besoins.  Il  put 
alors  se  livrer  avec  plus  de  facilité  à 
ses  études  favorites.  La  botanique  , 
l'anatomie  comparée,  la  zuologie, 
la  minéralogie,  intéressaient  égale- 
ment sa  curiosité,  et  l'occupaient 
pendant  la  plus  grande  partie  de  la 
journée  :  la  nuit  était  consacrée  aux 
travaux  lucratifs,  qui  se  présentaient 
en  grand  nombre,  et  qui  lui  étaient 
payés  fort  cher.  Bientôt  il  ne  se 
contenta  pas  de  copier  des  plans,  il 
en  traça  lui-même;  et  le  beau  jardin 
dcStraas,  a  Auteuil,  a  été  exécuté 
d'après  ses  dessins.  Toujours  occupé 
du  dessein  de  voyager,  qu'il  avait 
formé  des  l'enfance  ,  il  profita  d'un 
concours  de  circonstances  favoja- 
bles  pour  se  procurer  ,  par  ses 
économies,  les  moyens  de  le  rc'ali- 


RIC 

scr.  On  assure  que  ,  lors  de  son 
départ  pour  l'Amérique  ,  il  avait 
ramassé  une  somme  considérable. 
Quoique  Richard  fût  encore  très- 
jeune  ,  il  av^ait  présenté  à  l'académie 
des  Sciences  plusieurs  Mémoires  qui 
avaient  attiré  l'attention  de  Bernard 
de  Jussieu.  Ce  grand  botaniste  l'ac- 
cueillit avec  bienveillance,  et  lui 
permit  de  consulter  sa  bibliothèque 
et  ses  riches  collections.  En  1781, 
l'académie  des  Sciences  le  proposa  au 
Roi  pour  un  voyage  dans  la  Guiane 
françaiseet  aux  Antilles. Louis  XVI, 
qui  l'avait  connu  dès  son  enfance , 
approuva  le  choix  de  l'académie,  et 
promit,  non-seulement  de  lui  faire 
rembourser  tous  les  frais  du  voyage, 
mais  de  le  récompenser  encore  par 
une  pension  et  par  une  place  analogue 
à  ses  goûts.  Richard,  qui  nourris- 
sait depuis  long-temps  ,  comme  on 
l'a  dit ,  le  projet  d'entreprendre  un 
voyage  dans  des  pays  éloignés,  s'y 
était  préparé  pendant  quinze  ans 
par  l'étude  du  dessin,  et  parcel- 
le de  toutes  les  parties  de  l'histoire 
natux-elle  :  c'est  un  avantage  qui 
avait  manqué  à  presque  tous  ses  pré- 
décesseurs. Il  quitta  la  France  le  6 
mai  i-ySi.  Après  un  séjour  de  quel- 
ques mois  à  Caïenne ,  où  il  débarqua 
le  12  décembre,  il  parcourut  une 
grande  partie  de  la  Guiane  française , 
la  Martinique  ,  la  Guadeloupe,  la  Ja- 
maïque, Saint-ïhonjas  ,  et  la  plupart 
des  îles  situées  à  l'entrée  du  golfe  du 
IVIcxique.  Zoologiste,  botaniste  et 
minéralogiste,  il  décrivit  cl  disséqua 
les  animaux,  il  analysa  et  dessina 
les  plantes  ,  il  étudia  le  gisement  des 
roches  :  tout  fut  examiné  avec  un 
égal  intérêt ,  et  chaque  jour  ajoutait  à 
la  richesse  de  ses  colleelions.  Sous 
un  ciel  brûlant,  dans  le  climat  le 
plus  malsain,  il  comptait  pour  rien 
les  fatigues  elles  dangers.  Il  traversa 


RTC 

des  plages  immenses,  il  s'établit  au 
milieu  des  forêts,  il  gravit  les  mon- 
tagnes, il  entra  dans  les  crevasses 
encore  fumantes  des  soufrières,  et 
souvent  il  faillit  être  victime  de  son 
zèle.  Tantôt  il  fut  sur  le  point  d'être 
abandonné  par  ses  guides,  loin  de 
toute  habitation  ;  tantôt  il  dut  crain- 
dre d'être  dépouille'  et  peut-être  mas- 
sacré par  eux.  Dans  ces  circonstances 
périlleuses,  il  trouva  son  s^luî  dans 
son  courage  et  sa  présence  d'esprit: 
il  sut  dominer  les  misérables  qui  l'en- 
touraient,  et  leur  imposer  par  son 
intrépidité.  Ou  le  vit  aller  à  la  chasse 
du  jaguar,  et  l'atlaquersans  craindre 
d'être  dévoré  par  cet  animal,  qui  se 
précipite  avec  fureur  sur  celui  qui 
n'a  fait  que  le  blesser.  Un  séjour  de 
huit  ans  dans  un  pays  où  l'on  n'ob- 
tient qu'à  force  d'argent  quelque  se- 
cours des  imligènes,  et  les  frais  in- 
dispensables pour  la  préparation  et 
le  transport  de  ses  collections,  ayant 
épuisé  les  fonds  qu'il  avait  écono- 
misés ,  il  écrivit  en  France  pour 
s'en  procurer  de  nouveaux  ;  mais 
toutes  ses  demandes  restèrent  sans 
réponse.  Il  fut  forcé  de  revenir 
dans  sa  patrie,  où  il  arriva  au  mois 
de  mai  178g.  I.a  révolution  avait 
déjà  commencé:  la  plupart  (!es  amis 
et  des  protecteurs  de  Richard  avaient 
disparu,  ou  se  trouvaient  sans  crédit. 
Les  promesses  qu'on  lui  avait  faites 
avant  son  départ  furent  oubliées,  et 
l'on  ne  fit  aucune  attention  aux  im- 
menses colîecfions  qu'il  ra[)portait. 
Un  herbier  de  trois  mille  plantes,  la 
plui);u-t  nouvelles  ;  un  grand  nombre 
de  caisses  romplics  de  quadrupèdes, 
d'oiseaux,  d'insectes  et  de  coquilles; 
une  suite  prc'cieuse  de  minéidux  et 
de  roches,  étaient  le  résultat  de  son 
voyage  :  on  n'avait  jamais  vu  peut- 
être  tant  de  matériaux  réunis  par  un 
seul  homme,  et  en  si  peu  de  temps. 


RlC 


563 


Mais  celui  qui  les  avait  recueillis  avec 
un  dévoûment  sigénéreuxétait  laissé 
sans  récompense,  et  livré  à  des  pri- 
vations d'autant  plus  cruelles,  que 
les  fatigues  d'im  long  voyage  avaient 
altéré  sa  santé.  Il  avait  toujours  été 
d'une  constitution  faible,  et  il  souf- 
frait beaucoup  d'une  hernie  et  d'ua 
catarrhe  chronique  de  la  vessie,  dont 
il  avait  été  attaqué  pendant  son  sé- 
jour en  Amérique.  Il  sentit  le  besoin, 
de  goûter  quelque  repos  et  de  s'en- 
tourer de  soins  affectueux  :  il  se 
maria  en  1790.  Dès-lors  il  sembla 
vc-uloir  se  séparer  du  monde  pour  ne 
plus  vivre  que  dans  le  sein  de  sa  fa- 
mille. L'indifférence  de  ses  compa- 
triotes, et  ses  infirmités,  avaient  in- 
flué d'une  manière  fâcheuse  sur  son 
caractère  ;  le  commerce  qu'il  entrete- 
nait avec  les  savants  ,  se  ressentit  de 
cette  disposition  de  son  arae.  Il  passa 
plusieurs  années  dans  un  isolement 
complet  ;  et  nous  ne  possédons  de  lui 
aucun  travail  botanique,  de  quelque 
importance  ,  qui  date  de  celte  épo- 
que. Il  s'occupa  beaucoup  alors  de 
zoologie.  Sa  collection  do  coquil- 
les était  une  des  plus  riches  et  des 
mieux  nommées  ,  et  il  prétendait 
que  sa  méthode  de  classification  avait 
influé  sur  les  idées  de  quelques  auteurs 
justement  célèbres  dans  cette  bran- 
che de  l'histoire  naturelle.  Il  paraît 
que  ce  fut  dans  !e  nicine  temps  qu'il 
commença  l'admirable  collection  de 
des-sins  analytiques  ,  qu'il  n'a  pas 
cessé  d'augmenter  jusqu'à  la  fin  de 
sa  vie.  Les  nombreux  témoignages 
d'estime  qu'il  reçut  des  savants  les 
plus  distingués  de  l'Europe,  la  jus- 
tice (ju'on  rendit  à  ses  talents  ,  et 
surtout  un  âge  plus  avancé,  ayant 
rendu  à  son  ame  le  calme  dont 
il  avait  été  jirivc  pendant  plusieurs 
années  ,  il  n'eut  pas  de  peine  à  se 
rapprocher  de  ceux  qui  avaient  re- 
36.. 


564 


RITG 


gtetle  son  éloignement ,  et  qui  n'a- 
vaient cesse  (le  reconnaître  sun  rae'- 
rite.  Il  fiit  choisi  pour  remplir  la 
cliaiie  de  botanique  à  l'école  de  mé- 
decine :  quelques  anne'es  a[)rès  ,  il 
fut  élu  membre  de  la  preniièie  classe 
de  l'Institut  dans  la  section  de  zoolo- 
gie et  d'anatomie  comparée.  La  so- 
ciété' royale  de  Londres  l'admit  au 
nombre  de  ses  correspondants,  et  il 
fut  nommé  membre  de  la  Légion- 
d'honneur.  La  place  de  professeur  à 
l'école  de  médecine ,  l'obligeant  à 
faire  ,  tous  les  ans  ,  un  cours  pu- 
blic de  botanique,  il  remplit  cette 
tâche  avec  le  plus  grand  succès.  11 
ne  se  contentait  pas  d'exposer  les 
éléments  de  la  science  ,  et  les  carac- 
tère des  genres  ;  il  donnait  encore 
des  leçons  d'analyse.  Les  plantes  à 
la  main ,  il  exposait ,  dans  les  termes 
les  plus  simples ,  la  structure ,  les 
rapports  et  les  divers»  s  modifica- 
tions des  organes.  On  sentit  tellement 
l'utilité  de  ces  démonstrations,  que 
des  botanistes  déjà  très -instruits  ne 
craignirent  pas  de  venir  se  placer 
parmi  les  élèves  pour  écouter  l'illus- 
tre professeur.  Tous  les  dimanches, 
Richard  faisait  une  herborisation 
dans  la  campagne.  Alors  il  était  en- 
touré de  deux  ou  trois  cents  élèves 
qui  se  pressaient  autour  de  lui  :  sitôt 
qu'il  croyaitpouvoir  leurfairedécou- 
vrir  une  plante  intéressante  ,  il  s'en- 
fonçait le  premier  dans  les  marais  , 
franchissait  les  haies  elles  fossés, 
se  frayait  un  chemin  à  travers  les 
broussailles,;  il  oubliait  ses  infirmi- 
tés :  on  eût  dit  qu'il  avait  retrouvé 
toute  la  vigueur  de  sa  jeunesse.  Ce  ne 
fut  que  dans  les  dernières  années  de 
sa  vie  ,  et  pendant  une  longue  con- 
valescence, tpi'il  confia  le  soin  de  ses 
élèves  à  son  (ils.  Richard  aimait  la 
science  pour  elle-même  ;  son  unique 
but  était  de  mieux  connaître  l'orga- 


RIC 

nisation  des  plantes  ,  de  déterminer 
leurs  affinités,  de  découvrir  quelque 
nouvelle  loi  d'anatomie  ou  de  phy- 
siologie végétale.  Malgré  la  gêne  qu'il 
éprouvait  quelquefois  à  cause  de  sa 
nombreuse  famille  ,  il  rejeta  tou- 
jours les  propositions  qui  lui  fu- 
rent faites  de  s'associer  à  des  en- 
treprises lucratives  :  il  ne  voulait 
s'occuper  que  de  ses  analyses.  Il  ne 
put  cependant  conserver  toujours 
le  calme  nécessaire  pour  ses  médita- 
tions. Blessé  de  quelques  attaques 
dirigées  contre  ses  écrits  ,  il  voulut 
répondre,  et  il  le  fit  avec  une  animo- 
sitéqui  lui  attira  des  répliques  désa- 
gréables. Ces  discussions ,  fâcheuses 
pour  son  repos  ,  ont  eu  néanmoins 
un  résultat  utile  :  elles  ont  éclair- 
ci  des  questions  importantes  ,  et 
ont  donné  lieu  à  la  publication 
de  plusieurs  Mémoires  excellents. 
En  1818  ,  les  douleurs  que  Ri- 
chard avait  jusqu'alors  supportées 
avec  courage  et  résignation  ,  devin- 
rent beaucoup  plus  violentes  ,  et  il 
fut  obligé  de  renoncer  à  tout  travail 
suivi.  Pendant  les  deux  ans  que  dura 
cet  état  de  souffrance  ,  il  profila  de 
tous  les  intervalles  de  calme  pour 
continuer  ses  observations.  Quelques 
jours  avant  sa  mort,  il  recommandait 
à  son  fils  d'arroser  de  petites  plantes 
dont  il  voulait  faire  l'analyse.  Ce  fut 
le  7  juin  1821  ,  qu'il  fut  enlevé  aux 
sciences  ,  à  l'âge  de  soixante  -  sept 
ans.  Quoique  Richard  n'ait  publié 
qu'un  })ctit  nombre  d'ouvra;^es  ,  il 
est  certainement  l'un  des  hommes 
de  son  siècle  q:ii  ont  le  plus  contri- 
bué aux  progrès  de  la  botanique  : 
l'influence  qu'il  a  exercée  se  fera  sen- 
tir  ,  surtout  par  les  travaux  de  ceux 
qui  se  sont  pénétrés  de  ses  principes 
et  qui  marchent  sur  ses  traces.  Per- 
sonne n'a  poussé  plus  loin  l'art  d'ob- 
server *la  nature   jusque    dans   les 


RIC 

moindres  détails  :  la  difficulté'  que  pré- 
sentait un  ohjet  était  pour  luiunerai- 
sondes'en  occuper  ;rori:;anisalion  la 
pins  compliquée  était  celle  qui  i'inté- 
rcssait  le  plus  :  il  passait  des  mois  en- 
tiers à  suivre  une  observation  ,  lors- 
qu'elle lui  paraissait  devoir  répandre 
de  la  lumière  sur  un  point  encore 
obscur.  Il  possédait  au  plus  haut 
degré  l'art  du  dessin.  Toutes  ses 
figures  offrent  les  détails  les  plus  mi- 
nutieux ,  avec  une  netteté  et  une 
exactitude  admirables  :  il  savait  que 
c'est  seulement  par  de  telles  ana- 
lyses qu'on  parvient  à  faire  d'heu- 
reux rapprochements.  Ses  écrits  sont 
d'un  style  négligé  :  mais  il  n'en  est 
aucun  qui  ne  contienne  des  ob- 
servations neuves  et  profondes  ; 
et  le  peu  d'ouvrages  qu'il  a  laissés  , 
suffisent  pour  illustrer  son  nom.  Sou 
analyse  du  fruit  est  un  travail  abso- 
lument neuf  ,  et  qui  ne  laisse  lien  à 
désirer.  Il  a  examiné  et  fait  connaî- 
tre à  fond  les  familles  les  plus  dif- 
ficiles ,  telles  que  les  graminées  ,  les 
orchidées  ,  les  hydrocharidées  ,  les 
conifères  ,  etc.  ;  et  c'est  lui  qui  a  ins- 
piré à  la  génération  actuelle  le  goût 
de  celle  analyse  rigoureuse ,  et  de 
cet  examen  aprofondi ,  qui  caracté- 
rise essentiellement  l'école  française. 
Richard  a  laissé  un  nombre  prodi- 
gieux de  matériaux  inédits.  Comme 
«il  cherchait  les  lois  générales,  il  avait 
étudié  avec  le  même  soin  les  plus 
petites  cryptogames  et  les  plantes  les 
plus  composées;  et  plusieurs  des  prin- 
cipales découvertes  faites  depuis  cin- 
quante ans  ,  se  trouvent  dans  ses 
manuscrits.  C'est  ainsi  qu'il  avait  re- 
connu ,  avant,  Hcdwig  ,  la  véritable 
structure  des  mousses,  sans  pourtant 
attribuer  les  mêmes  fonctions.!  leurs 
organes.  Quoique  l'Justitul ,  voulant 
s'attacher  Richard,  l'eût  nommé  à 
uue  place  vacante  dans  la  section  de 


RÏG 


56{ 


zoologie  ,  on  ne  pensait  pas  qu'un 
homme  qui  avait  fait  en  botanique 
des  travaux  si  ifuportanls  ,  eût  eu  le 
loisir  de  s'instruire  à  fond  dans  les 
autres  parties  de  l'histoire  naturelle. 
On  ignorait  assez  généralement ,  que 
jiendant  son  séjour  en  Amérique  ,  il 
avait  réuni  un  grand  nombre  de  ma- 
tériaux précieux  pour  la  zoologie  , 
l'anatomie  comparée  et  la  géologie. 
C'est  seulement  en  examinant  ses 
manuscrits,  ses  dessins,  et  les  prépa- 
rations conservées  dans  son  cabinet, 
qu'on  a  pu  se  faite  une  idée  de  l'é- 
tendue et  de  la  variété  de  ses  cou- 
naissances  :  on  a  reconnu  alors  que 
son  siècle  a  produit  peu  d'hommes 
qui  puissent  lui  être  comparés.  Nous 
possédons  de  Richard  :  I.  Diction- 
naire élémentaire  de  botanique,  par 
Bulliard  ,  revu  cl  presque  entière- 
ment refondu,  Amsterdam,  1800. 
Outre  plusieurs  articles  intéressants, 
comme  bdle  ,  bulbe  ,  préfloraison  , 
arille  ,  etc. ,  olijels  dont  Richard  a 
fait  le  premier  connaître  la  véritable 
nature  ou  l'importance  pour  les  rap- 
ports naturels  ,  cet  ouvrage  est  re- 
marquable à  cause  de  douze  tableaux 
présentant  toutes  les  modifications 
des  divers  organes  d'une  piante;  c'est 
le  Catalogue  le  plus  complet  et  le 
pins  philosophique  des  termes  tech- 
niques. II.  Commentatio  de  Conval- 
larid  Japonicd.  L.  ,  novum  genus 
constituente  :  prœniissis  nonnullis 
circà  plantas  liliaceas  obseivatio- 
nihus  (  Nouv.  Journ,  de  bot,  ,  par 
Schrader  ,  tome  if  ,  p.  i  ,  1807  ). 
III.  Mémoire  sur  les  Hydrochari- 
dées (  INlém.  de  Tlnstilut ,  181 1  , 
p.  I  ).  IV,  Démanstralions  botani- 
ques ou  Analyse  du  fruit  considéré 
en  frénérnl,  j)ar  Richard,  publiées 
parDuval ,  in-8". ,  i3o8  ;  cet  ouvra- 
ge ,  à  cause  de  sa  grande  concision, 
•le  la  difficulté  de  l'objet  qu'il  iraitc , 


566 


RIC 


et  de  la  masse  d'observations  qui  s'y 
trouvent  accumule'es,  exige  plusieurs 
lectures ,  même  de  la  part  de  ceux 
qui  sont  verses  dans  la  science  des 
vc'ge'taux  :  mais  on  est  dédommage' 
de  cette  peine  par  les  idées  exactes  , 
les  définitions  précises  ,  et  la  mar- 
che philosophique  que  l'auteur  a  in- 
troduites, pour  la  première  fois,  dans 
tme  des  parties  les  plus  difficiles  de 
la  botanique  ,  la  connaissance  du 
fruit;  et  l'ouvrage  de  Gacitncr  se- 
rait bien  plus  parfait  ,  si  son  auteur 
ne  l'avait  publié  qu'après  avoir  eu 
connaissance  de  celui  de  Richard. 
Il  y  a  deux  traductions  de  l'Analyse 
du  fruit ,  l'une  en  allemand ,  par  M. 
Voigt  ,  avec  les  Notes  de  Richard 
(Leipzig,  1 8 1 1  ),  et  l'autre  en  anglais, 
par  M. John  Lindiey  (Londres,  1819), 
Nous  allons  exposer  les  idées  de  l'au- 
teur. Tout  fruit  est  composé  de  deux 
parties  :  du  péricarpe  ,  qui  en  déter- 
mine extérieurement  la  forme,  et  de 
la  graine  ,  qui  s'y  trouve  renfermée. 
Ce  qui  est  en-dehors  de  la  graine  ap- 
partient au  péricarpe  ,  et  le  hile  est 
leur  seul  point  de  contact.  Le  péri- 
carpe est  formé  par  un  parenchyme 
(  sarcocarpe  )  ,  revêtu  exlérieux'e- 
ment  d'un  épiderme  (  épicarpe  ) ,  et 
tapissé  eu  dedans  par  unemembrrine 
{endocarpe  ).  Quelquefois  (dans  les 
fruits  à  noyau  )  la  partie  interne  du 
sarcocarpe  acquiert  une  consistance 
osseuse  ou  ligneuse.  La  connaissance 
de  l'ovaire  doit  précéder  celle  du 
fruit.  Sa  cavité  est  t.intôt  unilocu- 
laire,  tantôt  divisée  par  des  cloisons 
cndciixou  plusieurs  loges. Les rrflie5 
cloisons  sont  une  continuation  de 
l'endocarpe  ;  dits  altcincnl  tou- 
jours avec  les  stigmates  ou  avec  leurs 
lobes,  et  se  distinguent,  ])ar  ces  carac- 
tères, des  fausses  cloisons.  Jji;s  grai- 
nes sont  fixées  sur  des  placentas  {tro- 
phospermes  )  par  des  cordons  ombi- 


RIC 

licaux  {podospermes  ).  Quelquefois 
le  sommet  du  podosperme  prend, 
après  la  fécondation  ,  une  expansion 
(  avilie  )  plus  ou  moins  grande.  La 
hase  du  péricarpe  est  indiquée  par 
son  point  d'attache  ;  son  sommet,  par 
la  trace  du  style  ou  du  stigmate  :  ce 
dernier  caractère  distingue  le  péri- 
carpe d'autres  enveloppes,  auxquelles 
on  a  donné  improprement  ce  nom. 
Le  péricarpe  peut  rester  clos  (  indé- 
hiscent ),  ou  se  rompre  et  s'ouvrir  de 
différentes  manières ,  parmi  lesquelles 
la  déldscence  'valvaire  (  en  deux  ou 
plusieurs  valves  )  est  la  plus  com- 
mune. Elle  se  fait  tantôt  au  mi- 
lieu des  loges  [d.  loculicide) ,  tantôt 
vis-à-vis  des  cloisons  (  d.  septicide  )• 
tantôt  elle  rompt  les  cloisons  ,  qui 
alors  ne  tiennent  plus  aux  valves 
(  d.  septifra^e).  A  cette  occasion  , 
Richard  indique  les  moyens  d'é- 
viter les  erreurs  dans  lesquelles  peut 
induire  une  fausse  déhiscence.  11  est 
nécessaire  de  savoir  distinguer  un 
fruit  composé  d'avec  un  finit  sim- 
ple ;  ce  dernier  doit  être  le  produit 
d'une  seule  fleur.  Un  seul  style ,  une 
seuleloge,ou  la  prcscncedes  véritables 
cloisons,  établissent  l'unité  du  fruit. 
Comme  l'ovule  est  toujours  revêtu 
d'un  tégument,  le  péricarpe  ne  peut 
jamais  manquer  :  par  conséquent 
il  n'existe  pas  de  graines  nues  ;  celles 
que  l'on  a  prises  jjour  telles,  ont  1* 
péricarpe  tiès-mince,  ou  soudé  avec 
le  tégument  ])ropre  de  la  graine.  La 
graine  est  cette  partie  du  fruit  qui , 
sous  une  enveloppe  unique  (  é/  îs- 
pernie ) renferme  un  coY\\s[anxande)y 
dont  tonte  la  masse  ou  une  jiartie  seu- 
lement est  le  rudiment  d'une  nouvelle 
plante.  La  cicatiice  (  Jnlc)  par  la- 
quelle la  graine  était  attachée  au  pc- 
licarpe,  désigne  sa  hase;  non  som- 
met ,  lorsqu'il  n'est  pas  indiqué  par 
la  direction  des  vaisseaux  ou  leur 


RIC 

réunion  (  chalaze),  se  trouve  en  ti- 
rant une  ligne  du  centre  de  la  base 
par  le  point  central  de  la  masse  to- 
tale. Une  graine  peut  être  fixée  au 
fond  (  dressée  )  ou  au  haut  (  renver- 
sée )  de  la  loge  ,  ou  bien  se  trouver 
attachée  latéralement  par  son  som- 
met (  suspendue  ) ,  par  sa  base  (  as- 
cendante ) ,  ou  par  son  milieu  (  péii- 
trope  ).Laconnaissancederadnesion 
et  de  la  direction  de  la  graine  est  es- 
sentielle pour  établir  des  rapports 
naturels.  L'épisperme  est   toujours 
simple ,  mais  quelquefois  séparablc 
en  deux  lames.  Tantôt  l'amande  cons- 
titue   seule    l'embryon  (  enibiyons 
épispermiques  )  ;  tantôt  elle  est  com- 
posée de  deux  corps  (  Yembrjo?i  et 
l'endosperme  )  dissemblables,  con- 
tigus  (  embrjons  extraires),  ou  en- 
veloppés (  embryons  inlraires  )  l'ini 
par  l'anitre ,  sans  continuité  paren- 
chymale     (  embrjons   •endospermi- 
fjues  ).  La  pluralité  (les  embryons  est 
une  monstruosité.  Clia(|ue  embryon 
présente    une  extrémité  radiculaire 
et  une  extrémité   cotylédonaire.  Il 
est  nécessaire  de  considérer,    outre 
la  direction  propre  de  l'embryon ,  sa 
direction  relative  au  péricarpe  (  di- 
rection péricarpique)ou  bien  à  la  grai- 
ne {d.  spermicpie  ).  L'embryon  peut 
suivre  la  direction  de  la  graine  (  ho- 
motrope  ,  et  orihotrope  ,  s'il  est  eu 
mémo  temps  droit) ,  ouunedirection 
contraire   (  antilrope  )  ,  ou  bien  ni 
l'une  ni  l'autre  (  hétérolrope  ).    11  est 
appelle  amphitrope  ,  quand  ses  deux 
cxtréuiités  se  i-approclicnt  du  liiie. 
Les  parties  essentielles  d'un  embryon 
sont  :  I".  la  radicule  (  toujours  in- 
divise )  ;   u'*.  le  cotjlédoîi  (  unique 
ctcomplclcmeiit  clos  ,  ou  au  nombre 
de  deux  ou  plusieurs,  opposés  on  ver- 
ticillés  )  ;  3".  la  libelle  (  ou  prolon- 
gement de  la  radicule  aboutissant  à 
la  base  des  cotylédons  )  ;  et  4"'  '* 


RIC  567 

gemmule  (  ou  plumule  ).  L'absence 
ou  la  présence  de  l'embryon  distin- 
gue les  inembrjonées  { cryptogames, 
acolylédonées)desemt7jonee5(  pha- 
nérogames ).  Ces  dernières  sont  pour- 
vues d'organes  sexuels  ,  et  se  repro- 
duisent par  un  embryon.  Elles  se  di- 
visent en  endorhizes  et  eu  exorhizes. 
Dans  les  endorhizes  ,  l'extrémité  ra- 
diculaire renferme  un  ou  plusieurs 
tubercules  radicellaires  ,  qui  en  sor- 
tent parla  germination  pour  former 
ia  racine  de  la  plante  :  dans  les  cxo- 
rhi/.es  cette  extrémité  devient  elle 
même  la  racine.  L'embryon  des  en- 
doihizes  est  ordinairement  entouré 
d'un    endosperme  (  endosperrnique 
et  intraire);  rarement  il  en  est  dé- 
pourvu.   Dans   l'un  ou   l'autre  cas 
(  Ihippia,Ifydrocharis ,  Nj  mphœa^ 
graminées  ,  etc.  ) ,  la  radicule  prend 
quelquefois    nn    volume    extraordi- 
naire (  embrjons  macropodes  ).  Ce 
renflement    est   appelé  vitellus  ou 
scutellum    par    Gœrtner.    Richard 
démontre  que  la  structure  des  cm- 
biyons  macropodes  ne  diffèi'C    pas 
essentiellementde  celle  des  autres  en- 
dorhizes ,  et  il  cite  des  exemples  ana- 
logues mêmeparmiles  exorhizes. Les 
embryons  exorhizes  présentent  ordi- 
nairement l'urne  des  deux  extrémités 
fendue  en  deux  ou  plusieurs  cotylé- 
dons ,  rarement  {Cjclamen,  CusCu- 
ta  ,   Lecjthis  )  l'embryon  constitue 
un  corps  à  surface  parfaitement  ho- 
mogène ,  dont  un  bout  s'alonge  on 
grossit  en  racine,  l'autre  se  compor- 
tant comme  une  gemmule  {exorhizes 
aculjledons).  On  rencontre  encore 
quehjuefois  les  deux  cotylédons  sou- 
dés en  un  seul   {embrjons   macro- 
cephales  ).  Quand  (  dans  le  Bhizo- 
phora^  etc.)  l'erabiyon    germe   ou 
commence  à   geimer  dans  le  péri- 
carpe encore  attaché  à  la  plante  ,  il 
porte  le  nom  de  blastocarpe.  Ri- 


)(i8 


!IIG 


chard  promet  tic  prouver  que  les  co- 
nifères et  les  cycadëes  sont  celles  des 
exorhizos  qui  ont  !e  plus  d'afïinlte's 
avec  les  enrlorhizcs.  V.  Analyse  bo- 
tanique des   embrj'ons   endorhizes 
ou  rnonocotjledonés  ,  et  particuliè- 
rement   de   celui    des   graminées. 
(  Ann.  (lu  Mus. ,  tome  xvii ,  p.  11^ 
et  44^1  181 1.  )  La  première  partie 
de  ce  Mémoire^  un  des  plus  impor- 
tants pour  la  carpologie,   contient 
des  descriptions  d'un  grand  nombre 
d'embryons    monocotyleVlons,    ac- 
compagnées de  figures  d'une  préci- 
sion admirable.    Dans    la   seconde 
partie,  pour  traiter  convenablement 
le  principal  sujet,  l'organisation  des 
embryons  des  graminées,    Richard 
est   obligé  de  de'velopper  plusieurs 
idées  énoncées  seulement  dans  son 
Analyse  du  fruit.  Nous  avons  vu  que 
la  structure  de  l'embryon,   son  dé- 
veloppement par  la  germination^  ou 
son  absence  lolale,  ont  fourni  à  Ri- 
chard ia  base*  do  ses  deux  grandes 
divisions,  les  emhrjonée?.  pourvues 
de  sexe  et  de  graines,  et  les  inem- 
brjonées,  privées  d'organes  sexuels, 
et  se  multipliant  par  des  sporules  , 
corp*;  reproducteurs,  d'une  nature 
particulière.  Une  sporule  ne  contient 
aucune    trace   d'embryon  ;  elle   n'a 
point  besoin  de  fécondation  •  son  dé- 
veloppement est  une  simple  expan- 
sion c\p  sa  masse  :   composée  d'un 
tissu  cellulaire,   et  revêtue  d\m  cpi- 
derme,   elle  ne  constitue,  avant  sa 
formation  ,  qu'uric  partie  intégrante 
de  son  réceptacle.  Au  lieu  de  deux, 
Richard  distingue  iriaintenant  trois 
modifications  principales  parmi  les 
embryon  ces  :    les    endorhizes,    les 
exorhizes  et  les  synrhizes.  Ces  der- 
niers tiennent  en  quelque    sorte  le 
milieu  entre  les  deux  piérédents  :  le 
sommet  de  lein-  radicule  est  attaché 
à   une    substance    endospcrmiquc  , 


RIC 

qu'il   déchire  en  émettant ,    par  la 
germination  ,   un  tubercule  interne 
qui  devient  la  racine  de  la  jjlante.  La 
gemmule   est    située    entre  les   ba- 
ses de  deux  ou  de  plusieurs  coivlé- 
dons.  Le  défaut  ou  le  mode  de  dé- 
placement de  l'épispcrme,   pendant 
la  germination  des  endorhizes,  font 
distinguer  à  Richard  trois  modes  de 
germination.  Tantôt  l'épispcrme  ren- 
fermant le  cotylédon  reste  fi.\c  laté- 
ralement près  de  la  graine  de  celui-ci , 
ou  près  de  son  prolongement  vagini- 
fère  (  germ.  admotive  );  tantôt  l'épi- 
spcrme est  éloigné  de  cette  même 
partie  par  l'éloignement  du  cotylé- 
don, dont  il   enveloppe  le  sommet 
{g.  remotive).  Les  embryons  ma- 
cropodes    présentent    un    troisième 
mode  {g.  immotivé  )j  les  téguments 
séminaux   restent  fixés    au  bas    de 
la  jeune  plante  par  l'extrémité  im- 
mobile de   leur  radicule.    Dans  la 
germination  admotive,  l'épispcrme, 
avec  les  parties  qu'il  renferme,  reste 
le  plus  souvent  sous  terre  (  g.  subter- 
ranée    ',  rarement  il   pousse  au  de- 
hors {g.  exterranée).  La  germina- 
tion remotive  admet  quatre  modes 
(  g.  Joliaire,  flaire ,  aciculaire  et 
clai'iculaire  ) ,    selon   le   développe- 
ment ou  la  forme  de  la  partie  du 
cotylédon  qui  surmonte  la  gaine.  La 
germination  immotivé  se  divise  en 
germination  basilaire    et  g.   laté- 
rale :  la  dernière  est  particulière  aux 
graminées.   Dans  une  digression  sur 
les  parties   accessoires   du  fruit  des 
graminées,  Richard  établit,  pour  ses 
diverses    parties  ,  une  terminologie 
nouvelle.  II  rejette  les  noms  de  calice 
et  corolle  ,  appliqués  improprement 
aux  écailles  florales  des  graminées, 
qu'il  compare  aux  spathclles  de  plu- 
sieurs autres  endorhizes.  Il  apjicllc 
ghnne  celles  qui  entourent  imuicdia- 
tcnîcnt  les  organes  sexuels;  et  épi- 


RIC 

cène,  celles  qui  sont  extérieures  à  la 
glurae.  Le  nectaire  de  Sclircber 
(qu'il  comjjarc  aux  soi^s  du  Duli- 
chiiini,  AUX  palcolcs  du  Fuirena ,  à 
la  cupule  du  Scleria ,  et  à  l'utricule 
du  Carex)  reçoit  le  nom  de  glumelle. 
Le  fruit  des  c;rarainées  est,  le  plus 
soiu^eut,  renferme  dans  la  glurae. 
Le  pe'iicarpe,  ordinairement  mince 
et  membraneux,  fait ,  piesque  tou- 
jours, tellement  corps  avec  l'épi- 
sperme ,  qu'ils  semblent  ne  former 
qu'un  seul  te'gument  (  carj  opse)' 
mais  à  chaque  fruit  il  faut  distinguer 
uneface  interne  et  une  externe;  l'are'o- 
le  embryonale  se  trouve  à  la  base  de 
celle-ci  :  à  l'autre  face  ,  souvent  mu- 
nie d'un  sillon,  on  remarque  le  hile 
{nommé  spile  par  Richard)  au  tra- 
vers du  péricarpe,  en  forme  de  tache 
ou  de  ligne  brune.  L'embryon  ap- 
plique' ialcralemcnt  et  obliquement  à 
un  endospcrme  farinace ,  consti- 
tuant la  majeure  partie  de  l'amande  , 
se  compose  de  deux  parties:  de 
Vhjpnhlaste ,  corps  plus  ou  moins 
aplati,  d'une  substance  charnue  et 
d'une  forme  variable;  et  du  blaste , 
petit  cylindre  couche'  longilnilinale- 
ment  sur  le  milieu  de  ce  corps,  et 
fixe  par  sa  partie  moyeiuic,  de  soi  te 
que  les  deux  extrèmite's  restent  li- 
bres. Quelquefois  on  observe,  vers  le 
milieu  du  biastc  ,  un  prlit  appendice 
en  forme  d'onglet,  qui  porte,  cbez- 
Richard,  le  nom  (Vépihlaste.  M.  de 
Jussieu  et  d'autres  botanistes  regar- 
dent l'hypoblaste  comme  le  véritable 
cotylédon.  Gaertiicr  le  cunsidcre 
comme  un  corps  d'une  nature  inter- 
médiaire entre  le  cotylédon  et  l'en- 
dosperrae,  et  le  nomme  vilellus. 
D'après  Richard  ,  au  contraire ,  Thy- 
poblaste  est  mie  véritable  radicule 
(ou  un  renflement  j^arîiculicr  de 
celle  ci  ) ,  dépourvue  de  la  faculté 
de  développer  une  radicelle,  et  dont 


lUG  569 

l'cpiblaste  n'est  qu'un  prolongement. 
La  partie  supérieure  du  blaste  (la 
gemmulede  certainsbotauistcsjest  le 
cotylédon;  et  l'inférieure  (  la  radi- 
cule de  ces  mêmes  botanistes)  est 
une  bosse  radiculaire  (  radiculode  ) 
de  la  tigrllo .  analogue  aux  tubercules 
radiccllaircs,  que  b  germination  dé- 
veloppe sur  celle  de  plusieurs  em-s 
bryons.  Pour  appuyer  cette  théorie, 
Richard  rappelle  reinbryon  du  Za- 
nichellia^  renflé  à  sa  base,  et  celui 
du  Peckea  et  du  Clusia ,  formé  pres- 
que entièrement  par  la  radicule.  L'ob- 
servation de  M.  Poiteau  ,  que  les  en- 
dorhizes  n'ont  point  de  racine  pivo- 
tante, lui  fournit  un  autre  argument. 
Comme,  suivant  son  explication,  le 
riz  aurait  le  cotylédon  renfermé  dans 
la  radicule  ,  il  fallait  trouver  ailleurs 
des  exemples  d'une  même  organisa- 
tion :  le  Peckea  hiitjrosa  lui  en  offre 
un  tout-à-fail  semblable  ,  et  l'Ify- 
drochûris  préscnie  au  moins  quelque 
analogie.  L'hvpoblaste  ne  supporte 
aucune  lésion,  non  ])lus  que  la  radi- 
cule dans  les  autres  plantes  :  en  le  dé- 
truisant, on  empêche  l'embryon  de 
geriucr;  ce  que  l'on  n'a  pourtant  pas 
àcraindredans  les  graminées,  quand 
on  coupe  seulement  la  jadiculode. 
Richard  lire  de  !a  germination  une 
dernière  grande  preuve  de  sa  théo- 
rie. Lors<]ue  le  fruit  des  graminées 
se  trouve  dans  des  circonstances  fa- 
vorables pour  germer,  la  radiculode 
perce  dehois,  en  rompant  ses  enve- 
loppes, et  s'ouvre  vers  son  sommet 
pour  laisser  sortir  une  ou  rarement 
plusieurs^radicelks  .qu'elle  engaîne  à 
sa  base  ,  sans  s'accroître  davantage. 
En  même  temps,  les  bosses  latérales 
qui  existent  sur  la  tigelle  ,  dévelop- 
j)ent  leurs  radicelles;  le  cotylédon 
s'alonge  dans  un  sens  opposé  et 
forme  un  tube,  d'où  sort  une  pre- 
mière feuille  Ijhjpohlaaie  ne  prend 


5^0 


RIC 


foint  d'accroissement  sensible  :  après 
avoir  rempli  ses  fonctions  niitriti- 
Tes,  il  se  flétrit  j  l'endosperrac,  qui 
s'était  amolli  et  changé  en  pulpe 
amylacée,  se  dessèche  et  est  entraîné 
dans  la  destruction  des  autres  tégu- 
ments séminaux.  Richard  finit  son 
Mémoire  en  alléguant  de  nouvelles 
observations  ,  qui  prouvent  que  le 
Neluinho  et  le  Njmphœa  d  oivent  être 
rangés  parmi  les  endorhizes.  VI. 
£xamen  citiique  de  quelques  Mé- 
moires anatomico  -  phj  iiologico  - 
lotaniques  de  M.  Mirhel  (  Journ. 
de  Phys.  )  Vil.  Proposilion  d'une 
nouvelle  famille  déplantes,  les  Bu- 
tomées  (  Mém.  du  Mus.,  tom.  i, 
p.  364).  y\^\.^nnotaticnes  de  Or- 
chideis  Europeis  (ibid.,  tome  iv, 
p.  23  .  IX,  Mémoire  sur  la  nou- 
velle famille  des  C  ah  cérée  s  (  ibid., 
tome  VI ,  p.  -iB^  X.  Mémoire  sur  la 
nouvelle  famille  des  Balanophorées 
terminé  et  publié  par  Achille  Ri- 
chard (  ibid.  tome  viii,  png.  4o4  ). 
XI.  Mémoires  sur  les  familles  des 
Conifères  et  des  Cjcadées  ,  ouvrage 
manuscrit,  accompagné  d'un  grand 
nombre  de  figures  d'analyse  ,  les  plus 
parfaites  que  nous  possédions.  XII. 
Rich.ird  est  le  rédacleuranouymedu 
Flora  Borealis  -  Americana  de  Mi- 
chaux ,  en  deux  volumes,  i8"3.  (  F. 
ce  nom.)  XIII.  Il  a  publié  plusicuis 
Mémoires,  conjointement  avec  M.  de 
Jussieu,  sur  des  familles  nouvelles  : 
les  Loranthées,  les  G esnériées ^  les 
Lohéliacées  (Ann.  du  Muséum),  etc. 
^W  .Catalogue  desplantesde  Caïen- 
ne  envoyées  par  Lehlond,  dans  lequel 
Eicharda  mentionné  un  grand  nombre 
d'espèces  nouvelles  (  Act.  de  la  Soc. 
d'I/ist.nat.  de  Paris).  XV.  Mé- 
moire sur  le  LygeumSpartum  (ib.). 
X\I.  Extrait  d'une  Instruction 
pour  les  l'oyageurs  nuluralisles 
(  ibid.  ).  Richard  y  examine,  entre 


RIC 

autres,  quels  sont,  dans  les  animaux, 
les  différents  organes  qui  fournissent 
les  meilleurs  caractères  ,  et  qu'il 
importe  le  plus  au  naturaliste-vova- 
geur  de  bien  étudier.  K — h. 

RICHARD  DE  BARBESIEU, 
troubadour  ,  était  né  dans  le  châ- 
teau de  ce  nom  ,  en  Saintonge.  Sui- 
vant Jean  de  Nostredame  (  Vies 
des  plus  célèbres  poètes  provençaux, 
ch.  73  ) ,  le  seigneur  de  Barbesieu 
savait  bien  parler,  était  prudemment 
exercé  ès-saintes  lettres  ,  ainsi  qu'à 
la  poésie,  et  fut  excellent  mathéma- 
ticien. Amoureux  dans  sa  jeunesse 
d'une  noble  demoiselle  qui  ,  par  ja- 
lousie ,  se  fit  religieuse  au  monastère 
de  la  Celle  près  de  Brignoles  ,  l'in- 
constant troubadour  porta  son  hom- 
mage à  une  nouvelle  maîtresse,  etc. 
L'ancien  biographe  qu'a  suivi  l'ab- 
bé Millot  [Hist.  des  troubadours  , 
ni  ,  80  ) ,  dit  que  Richard  était  un 
pauvre  vavasseur ,  mais  bon  che- 
valier d'armes.  Avec  une  figure  agréa- 
ble et  des  talents  distingués,  il  por- 
tait un  air  de  gêne  et  d'embarras 
dans  les  nobles  compagnies  où  il 
paraissait  morne  et  silencieux.  Ce- 
pendant il  s'éprit  de  la  femme  de 
Geofîroi  de  Tonai,  riche  baron  du 
pays;  et  il  osa,  malgré  sa  timidité, 
faire  l'aveu  de  sa  passion.  La  dame 
de  Tonai  reçut  sa  déclaration  en 
femme  que  flattait  l'amour  d'un  poè- 
te ;  et  dès-lors  Richard  la  célébra 
dans  ses  vers ,  sous  le  nom  de  Mielhs 
de  Donipna  (  la  meilleure  des  fem- 
mes ).  On  voit  par  les  chansons 
qui  nous  restent  de  ce  troubadour, 
que  sa  dame  le  traitait  avec  bonté, 
sans  néanmoins  lui  accorder  aucune 
faveur.  Les  refus  de  sa  maîtresse 
finirent  par  le  lasser.  Une  dame  que 
Millot  ne  nomme  pas,  lui  pro|)Osa 
de  le  consoler  des  ligueurs  de  sa 
belle  j  mais  elle  exigea  qu'auparavant 


RIC 

il  prît  congé  de  la  dame  de  ïonai. 
Richard  obe'it  j  et  maigre  les  instan- 
ces de  celte  dernière  pour  le  re- 
tenir :  «  Mon  parti  est  pris ,  lui  dit-il 
durement ,  je  vous  quitte.  »  Aussi- 
tôt il  courut  rendre  compte  à  sa  nou- 
velle maîtresse  de  l'exécution  de  ses 
ordres  j  mais  elle  lui  dit  :  «  Puisque 
vous  avez  quitte'  une  dame  si  belle, 
si  gaie,  si  honnête  à  votre  égard  , 
vous  quitteriez  toute  autre  ;  retirez- 
vous.  »  Le  malheureux  Richard, 
consterne  ,  retourna  crier  merci  à  la 
dame  de  Tonai  ,  qui  refusa  de  l'en- 
tandre.  Alors  le  dépit  lui  dicta  con- 
tre les  femmes  une  satire  trcs-^ivej 
mais  l'amour  le  ramena  bientôt  à 
d'autres  sentiments.  Retiré  dans  une 
solitude  où  il  se  bâtit  une  cabane  ,  il 
jura  de  ne  plus  paraître  dans  le  mon- 
de, avant  que  la  dame  de  Tonai  lui 
eût  accordé  son  pardon.  Les  cheva- 
liers et  leurs  dames  ,  touches  de  sa 
peine  ,  se  réunirent  pour  demander 
sa  grâce,  et  l'obtinrent  enfin  :mais  la 
dame  de  Tonai  mourut  peu  de  temps 
après  ;  et  Richaid  ,  ne  pouvant  plus 
habiter  des  lieux  (jui  lui  rappelaient 
sans  cesse  la  perte  d'uu  objet  adoré  , 
suivit  quelques-uns  de  ses  amis  en 
Espagne,  où  il  mourut  bientôt,  con- 
sumé de  regrets.  Nostredame  ]jlace 
la  mort  de  Richaid,  vers  l'an  i383; 
mais  M.  Raynouard  le  regarde  com- 
me beaucoup  plus  ancien  ,  puis- 
qu'il a  inséré  quelques-unes  de  ses 
chansons  dans  le  Recueil  des  poésies 
amoureuses  de  soixante  troubadours 
qui  ont  fleuri  depuis  1090  jusque 
vers  iy.60.  Nostredame  dit  que  Pé- 
trarque s'est  aidé  des  OEuvres  de  Ri- 
chard ,  et  lui  attribue  un  Traité  in- 
titulé :  Lous  ^uyzardoiis  (guerdon) 
d'amour.  Nos  anciens  bibliothécai- 
res Lacroix-du-JMainc  et  Duverdicr 
ont  copié  Wostredame.  Selon  Millot, 
il  nous  reste  de  Richard  quatorze 


RIC  571 

Chansons  toutes  relatives  à  l'objet 
de  sa  tendrese.  M.  Raynouard  en  a 
publié  trois  dans  le  Choix  des  poé- 
sies originales  des  troubadours  , 
453-58  ;  elles  sont  pleines  de  grâces 
et  de  sentiment.  Dans  la  seconde  , 
Richard  cite  Oi'ide  ;  ce  qui  peut  faire 
conjecturer  qu'il  avait  une  certaine 
instruction  assez  peu  commune  dans 
le  temps  où  il  a  vécu.         W — s, 

RICHARD  DE  CIRENCESTER  , 
historien  anglais  ,  ainsi  nommé  du 
bourg  où  il  naquit ,  entra,  en  i359  , 
dans  le  monastère  des  Bénédictins  de 
Saint-Pierre,  à  Westminster  ,  et  con- 
sacra ses  loisirs  à  l'élude  de  l'his- 
toire et  des  antiquités  britanniques. 
Le  savoir  qu'il  acquit ,  en  ce  genre  , 
lui  valut  le  surnom  de  V Historiogra- 
phe. Il  obtint,  en  iSgi  ,  la  per- 
mission d'aller  à  Rome,  pour  ajou- 
ter à  ses  connaissances.  Quelques  an- 
nées après  son  retour,  il  mourut  dans 
son  couvent,  vers  i4oi.  L'ouvrage 
surlequelrepose  sa  réputation,  a  pour 
sujet  l'état  ancien  de  la  Grande-Bre- 
tagne ,  De  situ  Brilajxniœ.  Cet  Opus- 
cule ,  après  avoir  été  long- temps  ou- 
blié ,  fut  tiré  de  la  poussièie  par  Ch. 
Jul.  Bertram  ,  professeur  de  lan- 
gue anglaise  à  l'académie  de  marine  de 
(Copenhague,  qui  fit  passer  une  co- 
pie ,  tant  du  texte  que  de  la  carte  , 
au  docteur  Stuckeley, en  Angleterre: 
celui-ci  en  publia  ,  eu  1757  ,  une 
analyse  avec  l'itinéraire,  d'abord  en 
un  mince  volume  in  -  l\°.  ,  ensuite 
dans  le  second  volume  de  son  Itine- 
rariuni  curiosum.  La  même  année  , 
Bertram  publia  l'ouvrage  même  de 
Richard  ,  à  Copenhague,  en  un  petit 
in-octavo,  où  se  trouve  aussi  ce  qui 
nous  reste  de  Gildas  et  de  Nennius  : 
Britaimicarum  gentium  historiœ  an- 
tiquœ  scriptores  très ,  Eicardus  Co- 
rinensis  ,  Gildas  Badonicus  ,Nen- 
nius  Banchorensis ,   etc.    Ce  livre 


572  RÎG 

était  devenu  extrêmement  rare.  On 
en  a  donne',  en  1809,  ""'^  nouvelle 
édition,  oîi  le  texte  (st  accompagné 
d'une  traduction  anglaise,  avec  une 
Notice  sur  l'auteur,  et  sa  justifica- 
tion contre  le  reproche  qu'on  lui 
a  fait  d'inexaclimde  et  d'ignorance, 
comme  historien.  Cette  réimpression 
est  intitulée  :  Description  de  la  Bre- 
tagne ,  etc.  ,  avec  caries  ,  in  8"^.  On 
cile  aussi  de  Richard  de  Cirences- 
ter  :  I,  Historia  ah  Ilengistd  ad 
ann.  i348  .  2  parties  .  qui  se  conser- 
vent à  la  bibliothèque  de  Ciinliridge, 
et  à  celle  de  la  société  royale  de  Lon- 
dres.Quelques  écrivains  ont  traité  sé- 
vèrement cette  histoire  ;  Whitaker 
prétend  qu'elle  n'annonce  ])as  jilus  de 
jugement  que  d'instruction  :  mais 
Gibbon  lui  est  plus  favorable  ;  sui- 
vant ce  critique,  Richard  a  montré 
«  une  solide  connaissance  des  anîi- 
»  quités  ,  fort  rare  dans  un  moine 
»  du  quatorzième  siècle.  »  II.  Trac- 
tatus  super  sjmholum  majiis  et 
minus.  III.  Liber  de  officiis  eccle- 
siasticis  ;  ces  deux  manuscrits  sont 
déposés  dans  la  bibliothèque  de  Pe- 
lerborough.  L. 

RICHARD  DE  ISOVES,  trouba- 
dour provençal  mort  vers  1-270  , 
est  ainsi  nommé  par  Nostredame , 
qui  paraît  l'avoir  confondu  avec  Pier- 
re Bremont  Ricas  -  ISovas;  c'est  du 
moins  l'opinion  de  Crescimbeni.  II 
était,  selon  l'historien  provençal, 
de  la  noble  famille  de  Noves  ,  qui  fut 
celle  de  la  belle  La ure  (  Fo;^.  No- 
tes ) ,  ou,  scion  d'autres  ,  de  la  fa- 
mille de  Baibantane.  Richard  fut 
long-temps  attaché  au  dernier  Ray- 
niond  Rc'rengcr,  comte  de  Provence, 
(pii  r.iv.iit  Ç^'xi  clavaire  ne  sou  ])al;iis; 
emploi  honorable  ,  qui  consistait  à 
garder  les  clefs.  A  la  mort  de  son 
protecteur,  il  (il  son  Éloge  funèbre, 
et  gagna  beaucoup  d'argent ,  en  al- 


RIG 

lant  de  château  en  château  réciter 
cet  Éloge,  dans  lequel  la  maison 
d'i^njou  n'était  pas  ménagée.  On  fit 
entendre  à  Richard  qu'il  y  avait  plus 
que  de  Liraprudence  à  décrier  ainsi 
les  nouveaux  souverains  de  la  Pro- 
vence; cl  il  fut  asez  sage  pour  se  tai- 
re :  itiais  on  ajoute  qu'ayant  écrit 
contre  les  usurpations  des  gens  d'é- 
glise, les  officiers  du  pape  le  jetèrent 
dans  un  puits  très  -profond  du  châ- 
teau de  Noves ,  où  l'on  précipitait 
les  ecclésiastiques  surpris  en  adultè- 
re. Ces  détails  ,  étant  empruntés  de 
Nostredame  ,  ne  méritent  pas  autant 
de  confiance  que  ceux  que  nous  four- 
nissent les  ouvrages  mêmes  des  trou- 
badours. Malheureusement,  parmi 
les  dix-huit  pièces  de  Richard  qui 
nous  ont  été  conservées,  on  ne  trouve 
aucun  fait  relatif  à  sa  vie,  sur  la- 
quelle, d'ailleurs  ,  les  auteurs  des  No- 
tices manuscrites  ont  gardé  le  silen- 
ce. Parmi  ces  pièces,  la  ])'us  curieu- 
se est  une  imitation  de  celle  de  Sor- 
dcl ,  son  contemporain  :  c'est  un  sir- 
vente  ,  dans  lequel  il  distribue  le  corps 
de  B'acas  à  divers  priijces  ;  ce  qui 
amène  des  allusions  satiriques.  Ce 
troultadour  fut  auf.si  en  querelle  avec 
ce  même  Sordel ,  ainsi  qu'on  le  voit 
par  d'autres  sirvenles.  P — x. 

RICHARD  DE  SAINT-VICTOR, 
théologien  ,  né  dans  l'Ecosse  au  dou- 
zième siècle,  vint  foil  jeune  en  Fran- 
ce, et  fit  ses  études  sous  le  célèbre 
Hugues,  à  l^'lbbaye  de  Saint-Victor 
de  Paris,  où  il  embrassa  la  vie  régu- 
lière. Après  avoir  remj)Ii  diflerents 
emplois  dans  ce  monastère,  il  en  de- 
vint piieur  ,  en  i  iGi,  et  s'acquitta 
très- bien  de  fonctions  que  rendait 
difficiles  le  caractère  impeiieux  d'Er- 
visius,  alors  abbé.  Ses  talents  et  sa 
piété  lui  méiilèicnt  l'estime  de  ses 
confrères,  et  même  des  religieux  des 
autres  ordres,  qui  lui  demandaient 


RIC 

des  conseils  ou  des  copies  de  ses  ou- 
vrages ,  comme  on  le  voit  par  les 
lettres  adressées  à  Richard ,  qi/a  pu- 
bliées Duchesne  ,  dans  le  tome  iv 
des  Scriptor.  rerumGallicar.W  mou- 
rut en  1 173  ,  suivant  les  continua- 
teurs de  l'Hisî.  littéraire  de  France 
(  F.  D.  Rivet  ),  le  10  mars,  jour 
auquel  se  trouve  indiqué  son  anniver- 
saire dans  le  nccrologe  de  l'abbaye. 
Les  OEuvres  de  Richard  ont  été  |)U- 
bliées  ,  pour  la  première  fois  ,  à  Ve- 
nise ,  en  1 5o6  ,  in-8^.  ;  cette  édition 
est  très -incohi])lète.  On  en  connaît 
six  autres,  parmi  lesquelles  on  se 
contentera  de  citer  celle  de  Paris  , 
Jean  Petit,  i5i8,  in  -  fol. ,  dont 
on  conserve  un  bel  exemplaire  sur 
vélin  à  la  bibliothèque  du  Roi.  La 
seule  dont  on  se  serve  aujoi.rd'hui , 
quoique  peu  correcte  et  dépourvue 
de  tout  éclaircissement ,  est  celle  de 
Rouen,  Berthelin,  i65o  ,  in-fol.;elle 
a  été  publiée  parle  frère  Jean  de  Tou- 
louse ,  qui  l'a  fait  précéder  d'une  Vie 
de  l'auteur  ;  cette  édition  contient 
trente -deux  opuscules,  qu'on  peut 
diviser  en  quatre  classes  :  les  Com- 
mentaires sur  diverses  parties  de  la 
Bible  ;  les  Traités  de  morale  mysti- 
que; les  Traités  dogmatiques  ,  et  les 
Sermons  et  Extraits  :  mais  l'éditeur 
n'a  suivi  aucun  ordre  dans  le  classe- 
ment des  pièces.  La  plupart  des  opus- 
cules de  Richard  avaient  été  impri- 
més séparément  à  la  fin  du  quinzième 
ou  dans  le  seizième  siècle  :  il  existe 
un  exemplaire  sur  vélin  ,  à  la  bihlio- 
thèque  dn  Roi,  de  son  Traité  :  Super 
divind  ynra/frtfe,  Paris,  H.  Estienne, 
i5io,  petit  iu-4°.  (i); c'est  celui  qui, 


(1)  Aut.  Oembs,  chanoine  et  professeur  de  théo- 
logie, à  Trt'ves,  dans  sou  Ofjuscnla  de  Deo  uno  et 
«rmo  (Maietice,  i^Si),  in-fol.  )  ,  pn  tendit  s'appuyer 
d'ua  passage  de  ce  livre  de  Richard  de  Saiul- Vic- 
tor ,  pour  avancer  que  TEglisc  ,  au  douzième  siècle  , 
avait  rommeucé  à  varier  sur  le  dogme  delà  Trini- 
té, <t  ^  donner  dans  rbércsie  de  SabcUius  :  mais  ii 


RIC  573 

de  la  bibliothèque  du  duc  de  La  Val- 
lière,  avait  passédans  celle  de  Mac- 
Carthy ,  où  il  a  été  payé  cent  qua- 
rante francs.  Richard,  dit  un  de 
nos  savants  les  plus  judicieux  ,  ne 
manque  ni  d'idées,  ni  d'imagination, 
ni  même  de  sensibilité  ;  si  on  ne  lit 
plus  ses  ouvrages,  c'est  qu'ils  sont 
écrits  sans  raéthude  ,  sans  critique  , 
sans  logique  et  sans  goût.  Voyez  la 
Notice  sur  Richard,  par  M.  Daunou, 
dans  le  tome  sni  de  V Histoire  litté- 
raire de  la  France ,  472-88.  W — s. 
RICHARDOT  (  François  ) ,  théo- 
logien, né  en  i5o7,  à  iMurei,  au  bail- 
liage de  Vesoul,  d'une  famille  no- 
ble ,  embrassa  la  vie  monastique 
chez  les  Augusîins  de  Champlitte  , 
et  fut  envoyé,  par  ses  supérieurs  , 
à  Paris  ,  pour  y  suivre  ses  cours  de 
philosophie  et  de  théologie.  La  ra- 
pidité de  ses  progrès  étonna  ses  maî- 
tres. Nommé  piofesseur  de  théo- 
logie à  Tournai ,  sa  réputation  le  (it 
bientôt  rappeler  à  Paris  ,  où  ,  à  l'âge 
de  vingt  ans  (i) ,  il  espiiqna  les  Épî- 
tres  de  saint  Paul  devant  lui  nom- 
breux auditoire ,  charmé  de  son  élo- 
quence. Dans  les  loisirs  que  loi  lais- 
saient ses  devoirs  ,  il  étudia  la  litté- 
rature ,  l'histoire  et  les  sciences  ,  et 
acquit  des  connaissances  fort  éten- 
dues dans  tous  les  genres.  Après  avoir 
reçu  ses  degrés  à  la  faculté  de  Paris  , 
il  visita  l'Italie ,  pour  se  lier  avec  les 
savants  les  plus  célèbres,  et  il  mérita 
leur  estime.  I!  s'arrêta  quelque  temps 
àFeriare,  où  la  duchesse  Renée  de 
France  (  F.  ce  nom,  p.  354  ci-des- 
sus) s'empressa  de  l'accncillir;  mais 
devenu  par-là  même  suspect  au  duc 
de  Ferrare,  il  fut  enfermé  dans  le 
château  de  Rubiera ,  d'où  il  écrivit 
à  ce  prince  deux  lettres,  qu'on  a  con- 

fut  solidement  ri^futé  dans  le  Judiciurn  tlieologoiiin 
CoUiniensiuin,  1790. 

^i)  Voy.  Klctekcr  Bibl.  erud.  prcecoc.  GLiliui  ,ctc. 


574  RIG 

servees,  et  qui  contiennent  lajustifi- 
cationla  plus  complcle  des  reproches 
qu'on  luiadressait  (:i).  Des  qu'il  eut 
recouvre'  sa  liberté',  Richardot  se 
rendit  à  Pvorne ,  fit  rompre  des  vœux 
qu'il  avait  formés  maigre'  lui  ,  et  re- 
vint dans  sa  patrie,  prc'céde'  d'une 
grande  réputation.  François  Bonva- 
lot ,  oncle  du  cardinal  de  Granvelle, 
rappela  sur-le-champ  à  Besançon, 
pour  l'aider  à  combattre  les  progrès 
de  l'hérésie ,  et  le  soulager  dans  l'ad- 
ministration du  diocèse  dont  il  était 
chargé  pendant  la  minorité  de  l'ar- 
chevêque Ci.  de  La  Baume  (  F.  ce 
nom  ).  Richardot  se  dévoua  dès-lors 
tout  entier  aux  travaux  évangéliques 
avec  un  zèle  presqu'incroyable  ,  prê- 
chant ,  ir.striiisant  sans  cesse  ,  et 
attaquant  les  principes  de  la  réfor- 
me jusqu'en  la  cour  du  piince  de 
Montbelliard  ,  où  il  alla  publier 
Vinlerim.  Il  contribua  beaucoup  à 
éloigner  de  Besançon  le  fameux  Pos- 
tel  ,  qui  demandait  la  permission  de 
s'y  fixer  (3j  ;  et,  malgré  ses  occupa- 
tions déjà  si  mubipliées,  il  se  char- 
gea d'enseigner  la  théoloi^ie  a»  col- 
lège que  les  Granvelle  venaient  de 
fonder  en  cette  ville  (4).  Tant  de  ser- 
vices ne  pouvaient  rester  sans  récom- 
pense. Richardot ,  déjà  pourvu  d'un 
canouicat  du  chapitre  de  Besançon, 
fut  choisi  pour  succéder  ta  Bonvalot 
dans  l'adujinistralion  du  diocèse,  et, 
en  1654  )  nommé  évêque  de  Nicopo- 


(j.)  Tiral'Osrlii,  qui  nous  apprend  celle  |Kirliriila- 
rilé  ,  igrionc  de  Ions  1rs  l)liii;ra|,lies  de  P  icljard.it. 
n'a  pas  pu  deviner  i(iicl  était  ce  pcrsoui  âge  enfermé 
dans  le  cliâteau  de  Rubiera,  puisqu'il  le  suppose 
Modéiiais.  V.  y.  la  Bhl.  Modeiicie,  IV,  3:',4, 

(3)  Kicn  ne  prouve  que  Postcl  soit  venu  jamais  à 
Ijc>anfnn  ;  mais  il  a  dédie  au  séuat  de  celle  ville  sou 
livre:  Ve  unginibiis  lotiiis  Onen/ls  ,  Bâlc,  i553, 
in-S". 

(/J)  Le  coII(-gc  fondé  par  le  chancdier  de  Gran- 
velle, *  Il  i.'i  0»  (""t  cédé  par  le  comte  de  Caiite- 
croix  ,  en  i(J!lc),:i  la  congrégatioride  l'Oralnire  ,  qui 
se  chargea  d*y  entretenir  un  professeur  de  theolo- 
itie.  IJans  rongîit*' ,  ce  colli'ge  avait  en  outre  deux 
cliairct  <lc  bcUcs-kltrcs  et  liuit  bourses. 


RIC 

lis.  Le  jeune  Claude  de  La  Baume, 
dont  les  mœurs  ne  répondaient  pas  à 
la  saintetéde  son  caractère  ,  chercha 
bientôt  à  se  débarrasser  d'un  censeur 
importun.   Il  prétendit  que  c'était  à 
lui  de  nommer  l'administrateur  du 
diocèse  ,  et  il  désigna  l'évêque  d'A- 
lexie.  Le  chapitre  soutint  l'élection 
de  Richardot;  et  cette  contestation 
fut  portée  devant  le  conseil  de  Ma- 
lines.   Richardot  ,  qui  se  proposait 
de  rester  étranger  à  ces  débats  scan- 
daleux ,  se  vit  forcé  de  répondre  aux 
reproches  inconsidérés  de  l'archevê- 
que ,  et  publia  l'apologie  de  sa  con- 
duite depuis  son  arrivée  à  Besançon. 
Le  cardinal  de  Granvelle  mit  fin  à 
cette  lutte  ,  en  aj)pelant  près  de  lui 
Richardot.  Dans  le  diocèse  d'Arras, 
comme   dans    celui   de    Besançon, 
il  remplit  ses  devoirs  avec  un  zèle 
qui  ne  se  démentit  jamais.  Chargé  de 
la  théologale  du  chapitre  de  Sainte- 
Gudule,  à  Bruxelles,  il  eut  l'occa- 
sion de  se  faire  connaître  de  la  gou- 
vernante des  Pays  Bas  (Marie  ,  reine 
douairière  de  Hongrie  )  ;    et    cette 
princesse  le  choisit  pour  prononcer 
r  Oraison  funèbre  de  Chai  les  Quint, 
eu  pré>ence  de  Philippe  II  et  de  sa 
cour.   Eu  i5Gi  ,  il  succéda   sur  le 
siège  épiscopal  d'Arras,  au  cardinal 
de  Granvelle ,  nommé  archevêque  de 
IMalines.  Aussitôt  il  .sollicita  l'éiec- 
tion   d'une   uni vei site  dans  la  ville 
de  Douai  ,  et  en  fit  l'inauguration 
par  un  Discours  dans  lequel  il  mon- 
tra les  avantages  que  la  religion  re- 
tire de  la  culture  des  sciences  cl  des 
lettres.  Quoiqu'il  n'eût  rien  négligé 
pour  procurer  à   cet  établissement 
naissant  des  maîtres  di.stingués  ,  il 
voulut  se  charger  d'y  faire  des  leçons 
sur  les  passages  les  plus  difliciles  des 
saintes   Écritures;    et  jamais  il   ne 
cessa  de  prendre  le  plus  vif  intérêt 
aux  succès  de  cette  école,  assistant, 


RIG 

autant  qu'il  le  pouvait ,  aux  actes 
publics ,  encourageant  les  élèves  et 
les  professeurs ,  qu'il  traitait  tous 
comme  ses  amis.  En  i563  ,  Ri- 
chardot  fut  nomme  députe  par  le  roi 
d'Espagne  au  concile  de  Trente ,  et  il 
y  prononça  ,  la  même  année  ,  un 
Discours  très -remarquable  sur  les 
e'tiides  ecclésiastiques.  L'influence 
que  Ricliardot  avait  acquise  sur  les 
décisions  du  concile,  éveilla  l'envie: 
on  l'accusa  d'avoir  sacrifié  les  droits 
de  son  prince  à  des  vues  d'intérêt. 
Il  ne  s'abaissa  point  à  se  justifier 
d'une  accusation  grave  ,  mais  qui 
n'avait  nul  fondement;  et  la  calom- 
nie finit  par  le  respecter.  Durant  les 
fréquentes  visites  que  l'évêque  d'Ar- 
ras  faisait  dans  son  diocèse,  il  ne 
laissait  passer  aucune  occasion  de 
donner  des  instructions  au  peuple 
pour  le  mettre  en  garde  contre  les 
progrès  de  l'erreur.  l]\\  jour  qu'il 
prêchait  dans  Armeniières,  un  fu- 
rieux osa  lui  tirer  un  coup  de  fusil. 
A  peine  fut-il  ému  de  cet  attentat  ;  et, 
après  avoir  calmé  son  auditoire , 
il  continua  son  discours  avec  autant 
de  force  et  de  chaleur  qu'il  l'avait 
commencé.  Persuadé  que  les  rigueurs 
du  duc  d'Albe  ne  servaient  qu'à  per- 
pétuer les  troubles  dans  les  Pays- 
Bas  ,  il  osa  lui  faire  des  repré- 
sentations sur  la  nécessité  de  cou- 
vrir le  passé  d'une  amnistie  géné- 
rale. Le  gouverneur  parut  touché 
de  la  démarche  de  l'évêque  d'Arras, 
et  lui  promit  de  suivre  ses  conseils. 
Cependant  les  révoltés  puisèrent  dans 
leur  désespoir  même  de  nouvelles 
forces  et  une  nouvelle  audace.  Ils 
remportèrent  différents  avaiilages 
sur  les  troupes  espagnoles ,  et  pri- 
rent Malines  ,  en  iS-j^.  Ricliardot, 
qui  se  trouvait  alors  dans  cette  vil- 
le, fut  au  nombre  des  prisonniers. 
Il  refusa  de  payer  la  rançon  que  les 


RIG 


575 


vainqueurs  lui  fixèrent ,  et  ne  recou- 
vra la  liberté  que  lorsque  les  Espa- 
gnols rentrèrent  dans  Malines.  Son 
retour  dans  sa  ville  épiscopale  fut 
célébré  par  des  fêtes,  qui  témoignè- 
rent assez  l'attachement  que  lui  por- 
taient les  habitants.  L'affaiblisse- 
ment de  sa  santé  faisait  déjà  crain- 
dre la  perte  de  ce  pieux  pasteur.  Il 
mourut  le  26  août  i574  (5),  et  fut 
inhume  dans  la  cathédrale  ,  où  l'on 
voyait  naguère  son  tombeau,  déco- 
ré d'une  épitaphe  rapportée  par  Fop- 
pens  (  Bibl.  Bel^.  )  et  d'autres  au- 
teurs. Il  légua  sa  bibliothèque  a  son 
chapitre.  L'église  d'Arras  et  celle  de 
Besançon  eurent  part  à  ses  libérali- 
tés. On  a  de  lui  :  I.  Oraisons  funèbres 
de  l'empereur  Charles  -  Quint,  de 
Marie  de  Hongrie,  gouvernante  des 
Pays-Bas,  et  de  Marie,  reine  d'An- 
gleterre, Anvers,  i558,  in  -fol., 
très- rare.  Selon  dom  Bertliod,  l'O- 
raison funèbre  de  Charles-Quint  of- 
fre des  beautés  et  des  sentiments 
qu'on  est  étonné  de  trouver  dans  un 
orateur  du  seizième  siècle.  II,  Deux 
Discours^  français  et  latin,  pronon- 
cés dans  la  solennité  de  l'élab'isse- 
sement  de  l'université  de  Douai , 
Cambrai,  i56.i,  in^*'-  III.  Oralio 
habita  in  Tridentind  synode  ,  die  2 
noi'emb  ri  s,  Douià,  i5(i3,in-4".  IV. 
La  Règle  et  guide  des  curés  et  vi- 
caires, en  ce  qui  appartient  aux  de- 
voirs de  leurs  charges ,  in-8°.,  An- 
vers ctParis ,  1 5G4  ;  Bordeaux ,  1 574. 
V.  Oralio  habita  in  initio  synodi 
Cameracensis  ,  anno  i5()5,  ibid.  , 
i5G5,  in  -  4".  VI,  Quatre  Sermons 
du  sacrement  de  V autel ,  et  un  des 
images,  Louvain,  1567  ,  in-B".  VII. 


(.»)  CiO  que  dit  Mcxrrîii ,  (jue  les  Espagn^ils  avan* 
©«reut  SH  mort  par  un  mauvais  morceau  qu'ils  lui 
pipparôrciit,  pour  «voir  ]>ics("nte,  au  nom  des  clats 
dis  Pays- Ha»,  une  jeqmto  ipii  dc^jlnt  an  gouverne- 
ment, est  dcuuv  de  fondement. 


5^6  RIG 

Discours  tenu  avec  un  prisonnier  , 
au  lieu  de  Douai ,  sur  aidcuns  jirin- 
cip'tu.r  poinl.'i  de  la  leligion  ,  ibirl. , 
x568,  in-8o.VIlI.  Deux  Oraisons 
funèbres,  de  la  reine  d'Espagne,  Ma- 
dame Elisabeth  de  France,  et  de  l'in- 
fant don  Carlos ,  Anvers,  iSôg,  in- 
8^-  L'Oraison  funèbre  de  la  reine 
fut  re'imprimr'e  à  Lyon  ,  dans  la 
même  année  ,  in-8°.  de  12  pag.  IX. 
Statuta  synodalia  Atrehatensia  or- 
dinata  et  aucta,  Douai ,  iS^o  ;  An- 
vers, 1 588 ,  in  -  4".  X.  Sermon  fait 
en  l'église  cathédrale  d'Anvers,  le 
jour  de  U  publication  des  pardons  de 
leurs  sainteté  et  raajesle'  royale  ca- 
tholique, Anvers.  1570,  in- 8".  XL 
Les  Collectes  des  dimanches  et  prin- 
cipales fêtes  de  Vannée^  mises  eu  pi'o- 
se  et  rime  françoise,  avec  quelques 
briefs  et  familiers  enseignements  , 
Douai ,  1 572 ,  in  -  8".  XII.  Six  Ser 
mons  sur  V  Oraison  Dominicale  ,  et 
quatre  autres  sur  l^ Incarnation,  An- 
vers, 1570  ,  in- 8''.  François  Sehott 
a  recueilli  (6)  les  Discours  de  Richar- 
dot  au  concile  de  Trente  ,au  sytiode 
de  Cambrai  et  à  l'académie  de  Douai, 
et  les  a  puMic's  avec  l'Oraison 
unèbre  de  ce  prélat,  par  Thomas 
Sîaplfcton,  sous  ce  titre  :  Bev.  et  elo- 
quentissimi  viri  D.-Fr.  Bichardoti 
oraliones  lalinœ ,  Douai,  1G08,  in- 
4**.,  de  96  pag.  La  plupart  des  au- 
teurs contemporains  citent  Richar- 
dot  avec  éloge.  D.  Bcrthod  a  com- 
posé,  sur  la  Fie  de  ce  prélat,  un 
Mémoire,  dont  on  trouve  un  extrait 
fort  étendu  ,  dans  le  Becueil  de  l'a- 
cadémie de  Bruxelles  ,  iv,  i-i4  ?  et 
l'analyse,  dans  V  Almanachde  Fran- 
che-Comté,  pour  l'année  1788.  On 
peut,  en  outre,  consulter  Ghiliui , 
Teatro  d'uomini  lettcrati  ;  Corn. 


(C)  1,0  Dirt.  »„!..,, s,7,  (lil  ci.ic  Fi;.nç.  Sclioll tra- 
duisit CQ latin  les  (Jiiiilra  termuiis  sur  le  iacicinciU 
de  l'autel,  etc.;  niais  c'est  uuc  erreur. 


RIG 

Curtius  (  ou  Corte  ) ,  Elogiaviror.il- 
lustrium  eremitarum  ordinis  S.Au- 
gustini;  l'Acad.  de  Bullart  et  la  Bibl. 
de  Foppens.  On  a  son  portrait,  gra- 
vé par  Larmessiii ,  par  Corn.  Galle  , 
etc.  W— s. 

RIGHARDOT  (Jean  Grusset  , 
plus  connu  sous  le  nom  de) ,  habile 
négociateur ,  était  neveu  de  l'évê- 
que  d'Arras  (i)  :  il  naquit  à  Cham- 
plitte ,  vers  1 54o.  Après  avoir  fait 
ses  premières  études  à  Besançon  , 
sous  les  yeux  de  son  oncle,  qui  ne 
négligea  rien  pour  cultiver  ses  heu- 
reuses dispositions,  il  se  rendit  en 
Italie ,  et  fréquenta  les  cours  de  l'a- 
cadémie dePadoue,  où  le  cardinal  de 
Granvelle  le  soutint  plusieurs  années. 
On  voit  par  mie  lettie  de  Pau!  Ma- 
nuce  à  Fr.  Richardot ,  qu'il  donnait 
dès-lors  les  espérances  les  plus  bril- 
lantes (2).  Après  avoir  terminé  ses 
cours  et  reçu  le  laurier  doctoral,  il 
revint  dans  sa  famille  ,  et  continua 
de  s'appliquer  avec  ardeur  à  la  ju- 
risprudence et  à  l'histoire.  En  i565, 
il  fut  présenté  pour  la  place  de  pre- 
mier président  du  parlement  de  Dole; 
mais  ses  concurrents  parvinrent  à 
l'écarter  ,  sous  le  prétexte  de  sa  jeu- 
nesse. Le  crédit  dont  jouissait  son 
oncle,  et  la  protoclion  de  Granvelle, 
le  firent  employer  en  Flandre  ;  et  il 
parvint  bientôt  à  la  dignité  de  pré- 
sident du  conseil-piivé  des  Pays-Bas. 
Malgré  les  devoirs  de  sa  place  ,  il 
continua  de  cultiver  les  lettres  ,  et 
se  lia  d'une  étroite  amiiié  avec  les 
savants,  entre  autres  avec  Juste  Lipsc, 
qui  consentit  à  se  charger  de  surveil- 
ler l'éducation  de  ses  eidants.  Ri- 
chardot fut  employé  dans  dilférentes 

(il  II  ist  :s.sc7J  sluKuliiT  que  Ci.uiclietct  ,  dans 
.M,u  lllstuire  du  caiJwial  de  Gianville,  j).  /,3p  ,  ait 
prt  tundii  <|ue  l'<  v<ii«c  d'Arras  était  le  neveu  du 
prisidcnt  Kicliardot. 

(1)  l'aul  M«micc  nomme  J.  Ricbardot  :  Praclara 
iiulolii  juvtnit   (  Eiiiilol.,  lib.  IV,  i  ) 


RJC 

négociations  importantes  :  il  signa 
le  traite  de  Veivins ,  en  iSgS  ,  et 
mérita  ,  par  sa  conduite  dans  cette 
affaire,  l'estime  du  pre'sident  Jeannin 
et  la  bienveillance  de  Henri  IV.  Il 
se  rendit  ensuite  à  Londres  pour 
préparer  le  traité  d'alliance  entre  le 
roi  Jacques  et  l'Espagne  ;  il  eut  beau- 
coup de  part  à  la  trêve  de  douze  ans, 
qui  rendit  le  calme  aux  Pays-Bas 
(  Voy.  Barneveld  ,  III,  396) ,  et 
mourut,  le  3  septembre  1609,  à 
Bruxelles  ,  où  il  fut  inhumé  dans  l'é- 
glise Sainte-Gudule,  sous  une  tombe 
décorée  d'une  épitaplie  honorable. 
On  trouve  plusieurs  Lettres  du  pré- 
sident Richardot  dans  le  Recueil  des 
Négociations  de  Jeannin.  —  Jean 
Richardot  ,  son  fils  aîné ,  évèque 
d'Arras  ,  puis  archevêque  de  Cam- 
brai, membre  du  conseil-privé  des 
Pays-Bas  ,  fut  honoré  de  la  confiance 
de  son  souyerain  ,  et  mourut  ,  le  '28 
février  lôi^j'l^nsun  âge  peu  avan- 
cé. C'est  à  lui  que  Boguet  (  Voyez 
ce  nom)  a  dédié  son  Commentaire 
sur  la  coutume  du  comté  de  Bour- 
gogne ,  par  une  Epître  qui  contient 
un  magnifique  éloge  du  ])résident 
Richardot.  W — s. 

RICHARDSON  (Jonathan), 
peintre,  naquit  à  Londres  en  i665. 
Son  père  le  plaça  d'abord  comme 
clerc  chez  un  notaire;  et  ce  ne  fut 
qu'au  bout  de  six  ans ,  que  la  mort  de 
son  patron  vint  ie  délivrer  d'une  pro- 
fession pour  laquelle  il  ne  se  sentait 
aucune  inclination  ,  et  lui  permettre 
de  suivre  le  goût  qu'il  nourrissait 
depuis  long-temps  pour  la  peinture. 
11  était  déjà  âgé  de  trente  ans  lors- 
qu'il se  mit  sous  la  direction  de  Ri- 
ley.  Il  suivit  ses  leçons  pendant  qua- 
tre ans  ,  épousa  sa  nièce,  et  s'appro- 
pria si  Lien  la  manière  de  son  maî- 
tre ,  qu'il  parvint  à  se  faire  en  peu 
de  temps  une  réputation  très-cten- 

XSWII. 


RIC  577 

due,  même  pendant  la  vie  de  Knel- 
1er  et  de  Dalh,  après  la  mort  des- 
quels il  resta  à  la  tète  des  meilleurs 
peintres  de  portraits  des  trois  royau- 
mes. La  fortune  que  ses  ouvrages  lui 
avaient  acquise,  et  qu'il  accrut  en- 
core par  le  commerce  des  objets 
d'art,  servit  à  l'éducation  de  sa  fa- 
mille. Il  avait  un  fils  qui  suivit  la 
même  carrière  que  lui,  mais  qui  n'eut 
pas  le  même  talent ,  et  quatre  filles  , 
dont  Tune  épousa  le  peintre  Hudson , 
dont  il  avait  été  le  maître.  Lorsqu'il 
vit  sa  réputation  solidement  établie, 
il  résolut  de  parcourir  l'Italie  pour 
y  recueillir  des  tableaux  et  des  des- 
sins des  grands  maîtres ,  ainsi  que 
des  fragments  d'antiques.  Il  en  for- 
ma une  collection  précieuse  et  con- 
sidérable ,  dont  il  a  rédigé  lui-inêrae 
la  description  :  il  eu  faisait  un  com- 
merce qui  lui  rapportait  beaucoup  ; 
cependant,  quelques  années  avant  sa 
mort,  il  abandonna  entièrement  les 
affaires.  Il  avait  éprouvé  une  attaque 
de  paralysie  à  l'un  de  ses  bras  ,  mais 
qui  ne  l'empêchait  point  de  peindre. 
A  l'âge  de  quatre-vingts  ans,  à  la  suite 
d'une  promenade  au  parc  de  Saint- Ja- 
mes ,  il  se  trouva  mal  en  rentran  t  chez 
lui,  et  mourut  subitement  en  1745. 
Deux  ans  après  sa  mort,  la  collec- 
tion de  ses  dessins  et  de  ses  tableaux 
fut  vendue,  et  acquise,  en  grande  par- 
tie, par  Hudson,  son  gendre.  Lors- 
qu'après  la  mort  de  Richardson  fils, 
on  vendit  le  reste  de  ce  cabinet,  ou 
trouva  plusieurs  centaines  de  por- 
traits du  père  et  du  fils  ,  gravés  par 
Richardson  père,  avec  la  date  du 
jour  où  ils  avaient  éé  exécutés.  Lors- 
que celui-ci  fut  relire  dunégoce,  il  pa- 
raîtiju'il  s'occupa  d'un  petit  [»oème ,  et 
qu'il  s'amusait  chaque  jour  à  faire  un 
nouveau  portrait  de  luietde  son  fils, 
qui ,  de  son  côté,  en  fit  plusieurs  qu'il 
marquait  de  l'expression  affectueuse 


578  RIC 

de  mj  dear  father,  mon  cher  père. 
Ricliardson  est  ccrtaincracnt  \in  des 
artistes  anglais  qui  ont  su  le  mieux 
peindre  une  tète.  Son  coloris  est  re- 
marquable parla  force,  le  relief  et 
la  hardiesse;  mais  ses  figures  d'hom- 
mes manquent  de  noblesse,  et  celles 
de  femmes  sont  dépourvues  de  grâ- 
ce. Il  a  su  exprimer,  dans  la  physio- 
nomie de  ses  personnages,  le  carac- 
tère propre  à  sa  nation.  Gomme  il 
vécut  dans  un  temps  oi!i  rien  n'exci- 
tait l'enthousiasme ,  il  borna  ses  ef- 
forts à  bien  peindre  une  tête ,  et  ne 
montra  jamais  la  moindre  imagina- 
tion.  Ses  attitudes,  ses  draperies., 
ses  fonds,  sont  tous  également  mono- 
tones et  communs.  Quoique  dans  ses 
écrits  il  11e  manque  pas  d'une  cer- 
taine chaleur  ,  ses  peintures  en  sont 
totalement  privées.    Pénétré   de   la 
beauté  noble  et  idéale  de  Raphaël, 
et  de  l'éclat  naturel  de  Van-Dick , 
dès  qu'il  fallait  copier  la  nature ,  il  ne 
voyait  plus  que  par  ses  propres  yeux; 
et  l'on  s'étonne  qu'il  ait  su  si  bien 
analyser  les  ouvi-ages  de  ces  grands 
maîtres,   et  qu'il  les   ait  imités  si 
mal.  En  fait  de  peinture ,  de  sculp- 
ture  et    d'architecture  ,    il    possé- 
dait de   vastes   connaissances ,  qui 
étaient  le  fruit,  tant  de  ses  voyages 
et  de  l'attention  avec  laquelle  il  avait 
observé  les  chefs-d'œuvre  des  arts, 
que  de  la  riche  et  nombreuse   col- 
lection   de  tableaux   et  de   dessins 
des  différents  maîtres  de  tontes  les 
écoles  et  de  tous  les  pays,  qu'il  avait 
recueillis  dans  une  partie  de  l'Europe. 
Il  en  publia  le  catalogue  raisonne, 
en  anglais  ,  sous  son  nom  et  celui  de 
son  fds ,  en  1 7'22  ,  et  en  français ,  en 
i7'-i8.  Gel  ouvrage  essuya  de  nom- 
breuses critiques;  on  y  releva  une 
foule  d'opinions   hasardées,   et  de 
fausses  indications:  mais  ce  qui  ex- 
cita le  plus  la  clanjcur  publique,  ce 


RJC 

fut  l'intention  trop  manifeste  de  vou- 
loir faire  passer  les  dessins  et  les  ta- 
bleaux qu'il  possédait,  pour  des  ou- 
vrages originaux  ,  afin  de  les  vendre 
plus  avantageusement  ;  et   l'on  est 
forcé   de   convenir   que   ces   incul- 
pations n'étaient  pas  toutes  dénuées 
de  fondement.     Voici   le    titre   de 
ses  autres  ouvrages  :  I.  Essay  on 
ihe  Theory  of  Paintin<^,  and  two 
Discoitrses ;  i".  y^n  Essaj  on  ihe 
■Kvhole  art  of  Criiicism .  as  it  rela- 
tes to  F  aintin^;  1°.  An  argument 
071  behalf  oj'  the  science  of  a  con- 
naisseur. An  account  of  statues , 
bas-reliefs ,  drawings  and  pictures 
iji  Italj  ^  etc.  wilh  remarcks ,  hy 
MM.  Ricliardson.  Londres  ,  Sene- 
vand  Junior,    1719,  in-8°.  Il  a  été' 
traduit  en  français  par  A.  Rutgers  le 
jeune,  sous  le  titre  suivant  :   Traité 
de  la  peinture  et  de  la  sculpture  , 
par  MM.  Richardson,  père  et  (ils, 
4  vol.  in-8^. ,  en  trois  tomes,  Ams- 
terdam, 1728.  On  y  a  joint  un  dis- 
cours ])réliminaire  de  Lambert  Her- 
mauson  Ten  Kate  ,  sur  le  beau  idéal 
des  peintres,  des  sculpteurs  et  des 
poètes.  En  général,  cet  ouvrage  jouit 
de  peu  de  réputation.  II,  Notes  et 
Ixeviurques  sur  le  Paradis  perdu  de 
Milton,  '7^4»  in-8°.L'évêque New- 
ton, historien- éditeur  de  Milton, 
dit  que  ces  notes  offrent  beaucoup 
d'inégalité,  et  quelques  extravagan- 
ces parmi  d'excellentes  observations. 
III.  Poésies,  publiées  par  son  fils  , 
en  177O  :  la  plu])art  roulent  sur  des 
sujets  religieux.  IV.  On  a  encore  mis 
au  jour,  en  1776,  le  tome  i*^'.  d'un 
Richardsoniana  attribue  à  ce  der- 
nier; et,  en  1  79U,un  volume  in-4"-» 
sous  le  titre  A  OEuvres  de  Jonathan 
Richardson,  pour  servir  de  supplé- 
ment aux  Anecdotes  des  peintres  , 
par  Josuah  Reynolds.  Richardson  le 
(ils  mourut  en  1771.  P — s- 


ÎIIC 
RICHAROSON  (Samuel),  célèbre 
romancier  anglais,  naquit  en  1689. 
Les  commeuceraents   d'un  homme 
dont  les  écrits  sont  si  répandus  ,  fu- 
rent enveloppes  de  tant  d'obscurité, 
que  tout  ce  que  l'on  a  pu  découvrir 
de  son  origine,  c'est  que  son  père 
exerçait  la  profession  de  menuisier 
dans  le  comte'  de  Derby  :  mais  la  ville 
ou  le  village  qui  donna  la  naissance 
à  Samuel  Richardson,  est  inconnu. 
Ses    dispositions   furent  précoces  : 
dès  l'âge  de  treize  ans  ,  il  servait  de 
secrétaire  aux  jeunes  filles  qui  étaient 
en  correspondance  avec  leurs  amants. 
On  a  prétendu  que  c'est   de  cette 
époque  ,  qu'il  prit  du  goût  pour  un 
genre    d'écrire  où  il    a   développé 
un  si  rare  talent.  Il  n'était  encore 
qu'adolescent ,   quand   il   fut   placé 
comme  apprenti  cbez  un  imprimeur 
de  Londres ,  nommé  Wild.  Ce  ne 
fut  qu'au  bout  de  sept  ans  ,  qu'il  par- 
vint à  la  dignité  de  correcteur  d'é- 
preuves. 11  aimait  à  raconter  qu'd 
se  crut  alors  un  personnage   dans 
l'état.  Toute  dépendance  lui  devint  à 
charge  :  du  fruit  de  ses  petites  éco- 
nomies, il  loua  une  chambre  ,  et  at- 
tendit la  fortune.  Il  la  crut  fixée  dans 
son  humble  demeure,  lorsqu'il  vit 
les  libraires ,  dont  il  avait  réclamé 
les  bons  ollices  ,  venir  lui  comman- 
der des  Préfaces  et  des  Épîtres  dé- 
dicaloircs.  L'emploi  de  sa  plume  lui 
fut  si  profitable  ,  et  l'extrême  régu- 
larité de  ses  mœurs  lui  concilia  une 
bienveillance  si  générale ,  qu'il  eut 
des  facilites  inattendues  pour  établir 
une  imprimerie  à  son  compte.  II  se 
publiait  alors  à  Londres  une  feuille 
périodique  intitulée  le  True  Briton  , 
dont  l'auteur  principal  était  un  cer- 
tain duc  de  Wharlon  ,  l'homme  le 
plus  décrié  de  l'Angleterre.  Ne  trou- 
vant plus  d'impiinuMirs,  le  duc  vint 
s'adresser  au  jeune  Richardson  ,  (jui 


hlC  679 

lui  prêta  assez  imprudemment  ses 
j)t  esses.  Dès  le  troisièruc  numéro  ,  il 
se  vit  citer  en  justice  ;  et  ce  ne  fut 
qu'avec    beaucoup   de    peine,   qu'il 
échappa  au  châtiment  indigéau  no- 
ble rédacteur.  Cette  mésaventure  ne 
l'empêcha  point  d'entreprendre  l'im- 
pression de  quelques  autres  papiers 
publics.  On  lit  son  nom  sur  le  titre 
de   vingt-six  volumes   du   Journal 
de  la  chambre  des  communes.  Rien 
n'annonçait  encore  qu'il    dût  faire 
gémir  la  presse   pour  son  propre 
compte  ,  lorsqu'étant  parvenu  à  sa 
cinquante-troisième  année(i74i),  il 
mit  aujoursa  Famela:  une  sorte  de 
fermentation  si  active  s'était  opérée 
dans  son  esprit ,  qu'il  lui  avait  suffi 
de  trois  mois  pour  composer   ces 
deux  volumes.  La  vogue  de  ce  roman 
fut  telle  ,  qu'il  eut  cinq  éditions  dans 
la  même  année.  Eiifin  ,  par  une  dis- 
tinction dont  n'avait  encore  joui  au- 
cun roman  ,  un  preïlicaleur  nommé 
Slocock,  alors  en  réputation  à  Lon- 
dres ,  recommanda  ,  du  haut  de  la 
chaire,  à  ses  paroissiennes  ,  et  spé- 
cialement aux  jeunes  filles  ,  la  lecture 
de  Paméla.  L'auteur  se  fût-il  atten- 
du qu'au  milieu   de  ce   concert  de 
louanges  ,  s'élèveraient  des  voix  qui 
troubleraient    la    douceur   de     sou 
triomphe?  oûlil  pu  croire,  surtout, 
que  ce  fût  sous  le  rapport  de  la  mo- 
rale que  sa  première  production  se- 
rait attaquée  ?  11  en  avait  adressé  un 
exemplaire  au  docteur  Watts  ,  en  le 
priant  de  lui  communiquer  le  juge- 
ment qu'il  en  porterait.  Pour  toute 
réponse  ,  le  sévère  docteur  lui  ren- 
voya le  livre  ,  en  déclarant  que  les 
femmes  se  plaignaient  de  ne   pou- 
voir le  lire  sans  rougir.  Un  écrivain 
plus  jeune  ,  mais  déjà  beaucoup  plus 
célèbre  ,  Fielding  ,  s'ellorça  de  jetw 
du  ridicule  sur  jPrtmeZa,  dans  son /o- 
sc'ph  .Indrews,  Richardson  se  mou- 


>8o 


RIG 


Ira  vivement  piqué  des  raillerios  d'un 
rival  aussi  redoutable.  Le  chagrin 
qu'il  en  conçut  ,  le  détermina  ,  pins 
que  tout  autre  motif,  à  publier  sa 
Famela  in  high  life  ,  que  les  Fran- 
çais appellent  Paméla  mariée.  On  y 
remarqua  facilement  que  le  but  prin- 
cipal de  l'auteur  avait  ëte'  de  ré- 
pondre à  ses  censeurs.  Celte  nouvelle 
production  eut  malheureusement  un 
effet  tout  contraire  :  elle  fut  trouvée 
froide  ,  diffuse  ,  et  sans  aucune  es- 
pèce d'intérêt.  La  réputation  de  Ri- 
chardson  en  avait  tellement  souffert, 
qu'on  le  croyait  dégoûté  de  la  car- 
rière littéraire ,  lorsqu'au  bout  de 
huit  ans  d'un  profond  silence ,  on 
vit  paraître  les  deux  premiers  volu- 
me de  sa  Clarisse  Harlowe.  L'im- 
pression qu'ils  produisirent,  surpassa 
les  espérances  de  l'auteur  lui-même. 
De  toutes  parts,  il  recevait  des  lettres 
où  il  était  conjuré  de  ne  pas  laisser 
languir  la  patience  des  lecteurs.  Plu- 
sieurs dames  lui  adressèrent  la  prière 
instante  de  donner  à  ce  grand  drame 
un  dénouement  heureux.  Mais  son 
plan  était  déjà  fixé  :  il  exposa  ,avec 
autant  de  clarté  que  de  force,  les  mo- 
tifs qui  l'avaient  décidé  en  faveur 
de  la  catastrophe  qui  termine  l'ou- 
vrage. A  deux  romans  dont  les  prin- 
cipaux personnages  sont  des  femmes, 
il  voidut  en  faire  succéder  un  dont  le 
héros  fût  un  homme  parfait  ;  et  il 
donna  son  Sir  Charles  Grandisun. 
Le  travail  excessif  auquel  il  se  li- 
vrait,dans  unâge  déjàavancé,  affecta 
tellement  chez  lui  le  système  ner- 
veux ,  qu'il  était  attaqué  d'un  Irem- 
blement  continuel  :  ce  n'était  qu'avec 
la  plus  grande  peine  ,  qu'il  pouvait 
porter  un  verre  à  sa  bouche;  cet  état 
ne  tarda  pas  à  dégénérer  en  apo- 
plexie :  il  cessa  enfin  de  vivre,  le  4 
juillet  17O1  ,  ,1  IVigc  de  soixante- 
douze  ans.  Rirhardson  avait  étcma- 


RIC 

lié  deux  fois  :  sa  première  femme 
était  fille  de  l'imprimeur  Wild,  chez, 
lequel  il  avait  fait  son  apprentissage; 
et  la  seconde  ,  la  sœur  du  libraire 
Leak,  de  Bath.  Au  milieu  de  ses 
plus  grands  succès  ,  et  dans  le  sein 
des  sociétés  les  plus  brillantes  ,  cet 
écrivain  célèbre  conserva  toujours 
une  extrême  simplicité  de  mœurs. 
11  était  singulièrement  goûté  dans  la 
compagnie  des  auteurs  de  son  temps, 
parce  qu'il  les  écoutait  toujours  ,  et 
ne  parlait  jamais.  On  l'a  vu  passer 
des  journées  entières  ,  sans  proférer 
une  seule  parole.  Il  réunissait ,  à  un 
degré  peu  commun,  toutes  les  vertus 
privées.  Sa  bienfaisance  s'exerçait 
sur  tout  ce  qui  l'entourait,  et  le  plus 
souvent  dans  Tombre  du  mystère. 
Indépendamment  de  ses  trois  grands 
ouvrages  {Paméla,  Clarisse,  Gran- 
dison) ,  Richardson  publia  :  I.  Les 
Négociations  de  sir  Thomas  Roe  , 
ambassadeur  à  la  Porte,  de  1621  à 
1(528.  (/^.RoE.)  II.  Une  édition  des 
Fabius  d' Esope  ,  avec  un  Commen- 
taire. III.  Un  volume,  de  Lettres  fa- 
milières. On  a  imprimé  ,  sous  son 
nom  et  après  sa  mort ,  Six  Lettres 
sur  le  duel  ;  plus  ,  une  brochure  en 
une  feuille  unique,  intitulée:  Devoirs 
des  femmes  envers  leurs  maris.  Ou 
a  la  preuve  que  le  second  volume  du 
Ptambler  esl  entièrement  de  lui.  Dans 
la  préface  de  ce  volume  ,  Johnson 
parle  de  son  nouveau  collaborateur, 
comme  d'un  écrivain  «  qui  a  déve- 
loppé la  connaissance  du  cœur  hu- 
main, et  quia  appris  aux  passions 
à  se  mouvoir  aux  commandements 
de  la  vertu.  »  Il  a  été  publié  ,  en 
1804,  une  Correspondance  de  Sa- 
muel  Hichardson  ,  (')  vol.  in -8**. 
On  doit  rendre  hommage  .î  la  supé- 
riorité de  la  Notice  biogra[)liiqiu'  et 
critique  dont  l'a  euricliie  IMistriss 
Baibauld.  Quant  aux  Lettres  mcracs, 


RlC 

tout  admirateur  de  Richardsou  ne 
peut  les  parcourir  qu'avec  un  vrai 
chagrin.  Pourquoi  laisser  voir  l'honi- 
rae  dans  toute  la  faiblesse  de  sa 
nature  ?  —  Le  mérite  lilte'raire  de 
Richardson  est  également  apprécié 
par  toutes  les  nations.  Les  gens  de 
goût  conviennent  que  son  plus  grand 
malheur  est  de  n'avoir  point  connu 
les  anciens.  Il  aurait  appris  de  la 
lecture  de  leurs  chefs-d'œuvre,  à 
éviter  cette  surabondance  qui  tuo 
l'esprit  et  affadit  le  sentiment.  11 
faut  se  hâter,  toutefois,  d'observer, 
pour  ce  qui  concerne  les  lecteurs 
français  ,  que  la  prolixité ,  tant  re- 
prochée à  Richardson ,  tient  quelque- 
fois plus  à  ses  traducteurs  qu'à  lui- 
même.  Cette  remarque  s'applique 
spécialement  à  l'abbé  Prévôt. H  s'est 
applaudi,  et  on  l'a  félicité  souvent, 
d'avoir  omis  des  de'tails  dénués  d'in- 
térêt ,  d'avoir  éloigné  des  répétitions 
fastidieuses  ;  mais  cette  louange  lui 
a  été  donnée  par  des  gens  qui ,  cer- 
tainement, ne  connaissaient  pas  les 
ouvrages  originaux.  Si  l'abbé  Prévôt 
abrège  quelquefois  ce  qui  tient  à 
l'ensemble  ,  il  alonge  prodigieuse- 
ment tout  ce  qu'il  conserve.  Sa  ma- 
nière de  traduire  est  lâche  ,  diffuse, 
verbeuse.  Au  lieu  de  s'attacher  à 
rendre  les  pensées  avec  précision  , 
il  semble  se  complaire  à  les  com- 
menter. C'est  à  lui  que  s'adresse  évi- 
demment cette  observation  bien 
juste  de  Diderot  :  «  Vous  qui  n^a- 
»  vez  lu  les  ouvrages  de  Richard- 
»  sou  que  dans  votre  élégante  tra- 
»  duction  française ,  et  qui  croyez 
»  les  connaître,  vous  vous  trompez  I» 
Le  Tourneur  est  généralement  plus 
concis  ci  plus  rapide  ;  mais  ,  soit  fau- 
te d'une  connaissance  aprofondie 
de  la  langue  anglaise  ,  soit  par  une 
licence  inexcusable  ,  cet  écrivain  of- 
fre ,  dans  ses  traductions  de  Richard- 


RIC 


58 1 


son ,  des  erreurs  et  même  des  contre- 
sens aussi  graves  que  ceux  qui  dépa- 
rent sa  version  de  Shakspeare.  Nous 
venons  de  citer  Diderot  :  admirateur 
passionné  du  romancier  anglais  ,  dès 
qu'il  apprit  sa  mort,  il  s'empressa 
de  consacrer  à  sa  mémoire  une  es- 
pèce d'Oraison  funèbre  ,  où,  au  mi- 
lieu des  formes  déclamatoires  qui  lui 
étaient  particulières  ,  on  distingue 
quelques  traits  dont  le  temps  a  dé- 
montré la  justesse  ;  tels  sont  les  sui- 
vants :  «  Tout  ce  que  Montaigne,  Char- 
»  ron  ,  La  Rochefoucauld  et  Nicole 
»  ont  mis  en  maximes  ,  Richardson 
»  l'a  mis  en  action.  —  O  Richard- 
»  son  I  on  prend  ,  malgré  qu'on  en 
î)  ait  ,  un  rôle  dans  tes  ouvrages.  On 
»  se  mêle  à  la  conversation  j  on  ap- 
»  prouve  ,  on  blâme ,  on  admire  , 
»  on  s'irrite  ,  on  s'indigne.  —  Ce 
»  grand  peintre  des  passions  ne  vous 
»  transporte  point  dans  des  centrées 
»  lointaines  ;  il  ne  vous  égare  point 
»  dans  des  forêts  ;  il  ne  vous  expose 
»  point  à  être  dévoré  par  des  sauva- 
»  ges  ;  il  ne  fait  point  couler  le  sang 
»  par  flots  ;  il  ne  se  jette  jamais  dans 
»  les  régions  de  la  féerie.  Le  monde 
»  où  nous  vivons ,  est  le  lieu  de  la 
M  scène.  Le  fond  de  sou  drame  est 
))  vrai  ;  ses  personnages  ont  toute  la 
»  réalité  possible;  ses  incidents  sont 
«  dans  les  mœnrs  de  toutes  les  na- 
»  tions  policées.  —  Que  de  fécondité 
»  dans  la  création  des  personnages  ! 
))  que  de  variété  dans  la  peinture  des 
»  caractères  I  mais  ce  qui  confond  d'é- 
»  tonnement,  c'est  que  chacun  a  ses 
»  idées ,  ses  expressions ,  son  ton  ;  et 
»  que  ces  idées, cesexpressions,ceton, 
»  varient  selon  les  circonstances,  les 
»  intérêts  ,  les  passions  ,  comme  on 
1)  voit  sur  un  même  visage  les  phy- 
»  sionoraies  diverses  des  passions  se 
»  succéder.  Dans  ces  tableaux  im- 
»  mortels ,  comme  dans  la  nature  au 


582 


RIC 


»  printemps  ,  on  ne  trouve  point 
»  deux  feuilles  qui  soient  du  même 
»  vert.  »  —  Ce  genre  de  mérite  est 
réellement  fait  pour  frapper  de  sur- 
prise ;  et  malheureusement ,  il  n'en 
reste  pas  même  de  vestiges  dans  les 
traductions  françaises ,  où  toutes  les 
teintes  sont  efface'es  par  une  mono- 
tonie assoupissante.  L'inimaginable 
variété  du  style  de  cliaque  person- 
nage est  telle  dans  Clarisse,  par 
exemple ,  que  l'on  a  vu  des  étrangers 
mêmes  ,  après  la  lecture  du  premier 
volume  de  l'original  anglais  ,  recon- 
naître à  l'instant  l'auteur  d'une  lettre, 
à  la  tournure  de  son  esprit  et  aux 
formes  de  son  style.  Laharpe,  qui  ne 
savait  pas  l'anglais  ,  n'a  pu,  comme 
Diderot ,  apprécier  cette  sorte  de 
prodige  :  mais,  en  revanche,  il  juge 
bien  plus  sainement  du  plan  et  de  la 
conduite  des  romans  de  Richardson; 
il  aprofondit  avec  bien  plus  de  saga- 
cité les  caractères  des  personnages 
qui  y  figurent.  C'est  ainsi,  par  exem- 
ple ,  qu'il  fait  observer  que  Paméla 
gagnerait  beaucoup  à  être  réduite  à 
un  volume;  que  ,  dans  Grandison, 
les  épisodes  l'emportent  sur  le  fond  , 
et  qu'au  total  c'est  un  roman  de 
beaucoup  de  mérite  et  de  peu  d'effet; 
que  Clarisse  est  un  être  vraiment 
céleste ,  mais  que  sou  histoire  est 
bien  pénible  à  lire  dans  les  trois- 
quarls  de  son  étendue;  et  qu'enfin 
son  Lovelace  ,  loin  d'être  tracé  d'a- 
près nature,  n'est  qu'un  compose 
bizarre  et  fantastique ,  en  un  mot ,  un 
fou  méchant.  «  Cet  homme,  dit  le 
judicieux  critique  ,  déclare  qu'il  met 


RIG 

son  orgueil  à  subjuguer  nn  ange;  et , 
avec  le  cœur  si  haut  dont  il  se  vante 
sans  cesse  ,  il  n'imagine  pas  d'autre 
moyen  ,  pour  parvenir  à  une  si  glo- 
rieuse conquête  ,  que  d'entraîner  cet 
ange  dans  un  lieu  infâme ,  de  l'as- 
soupir avec  un  narcotique,  et  d'ex- 
poser sa  vie  pour  lui  ravir  l'hon- 
neur !  »  Après  avoir  discuté  toutes 
les  parties  du  talent  de  Hichardson, 
Laharpe  n'hésite  pas  à  lui  préférer 
l'auteur  de  Tom-  Jones,  Il  fait  re- 
marquer que  personne  n'a  essayé  d'i- 
miter Fielding;  qu'il  reste,  comme 
Molière ,  seul  de  sa  classe  ,  tandis 
que  Richardson  a  eu  parmi  nous  un 
célèbre  imitateur.  La  Nouvelle  Hé- 
loïse  offre  effectivement  beaucoup  de 
traits  de  ressemblance  avec  Clarisse. 
Dans  l'un  et  l'autre  ouvrage,  ii  s'agit 
d'un  père  qui  veut  forcer  les  incli- 
nations de  sa  fille.  Claire,  l'amie  de 
Julie  ,  a  paru  une  copie  de  miss 
Hov\'e  :  comme  elle  ,  Claire  peut 
assez  souvent  être  trouvée  plus  aima- 
ble que  l'héro'ine  principale.  Julie, 
ainsi  que  Clarisse ,  est  un  peu  prê- 
cheuse :  leur  vertu  ,  au  milieu  même 
de  leurs  erreurs,  se  montre  quelque- 
fois armée  de  gri/Jes  et  de  dents , 
selon  l'expression  de  Molière.  Ce- 
pendant Clarisse  ejt  un  ange,  com- 
parée à  Julie,  qui  est  femme  et  faible 
avant  d'être  mère  et  vertueuse.  Nous 
finirons  pai  une  dernière  observa- 
lion  :  c'est  que  Richardson ,  très- 
admiré,  sur  parole  ,  en  France  com- 
me en  Angleterre  ,  n'a  presque  plus 
de  lecteurs  dans  l'un  et  l'autre  pays. 
S — v — s. 


FIN    DU    TKKN'ri.-Sl.l»TlEME    VOLUME. 


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