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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/biographieuniam81mich
BIOGRAPHIE
UNIVERSELLE,
ANCIENNE ET MODERNE.
SUPP
luipjiuietie d'E. DUVERGER, rue de Yerneuil, 4.
BIOGRAPHIE
UNIVERSELLE,
ANCIENNE ET MODERNE.
SUPPLÉMEIVT.
ou
SUIfE DE l'histoire , PAR ORDRE ALPHABÉTigUË , DE LA VIK PUBLigUE
ET PRIVÉE DE TOUS LES HOMMES (JLl SE SONT FAIT REMARQUER PAR
LEURS ÉCRITS , LEURS ACTIONS , LEURS TALENTS , LEURS VERTUS OU
LEURS CRIMES.
OUVRAGE liîSfTlÈRKMEMT NEUF,
RÉDIGÉ PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ET DE SAVA^^S.
<Judoit des égards aux vivants; on nedoilaux morts
que la vérité. (Volt., première f.cilre iur OEdipe.)
TOME QUATRE-VINGT-UNIÈME.
A PARIS,
AU BUREAU DE LA BIOGRAPHIE UNIVERSELLE,
RUE DU BOULOI, 22,
ET CHEZ BECK, LIBRAIRE,
RUE GIT-LE-CŒUR., 12.
'1847. ^^^^^Ur^f'rorsitr-^ -•
.KDTHCCA )
If/I
SIGNATURES DES AUTEURS
DO QUATRE-VINGT-UNIÈME VOLUME.
/
MM.
MM.
Â~D.
Artaud.
F- T — E.
De LA FONTENELLE.
A— 6— S.
De Angelis,
G-Y.
Glev.
A. p.
PÉRiCAUD aînt^ (Aiil.).
J— L— ï.
JOI.LY.
A — T.
H. AUDIFPRET.
J N
Jourdain.
A— Y.
Alry (René).
L.
Lefebvre-Cauchy.
B— B— R.
Barbier (Louis).
L-D-É.
LEROY-nUPRÉ.
B— D—E.
Badiche.
L — M — X.
J. Lamolreux.
B— F— S.
BONAFOUS.
L— P— E.
Hippolyle df, la Porte
B— H— D.
Bernhard.
M— Dj.
MiCHAUD jeune.
Bl— I.
Blanqui.
M— LE.
Mentelle.
B— L~M.
Blumm.
M— ON.
Marron.
B— L— u.
Blondeaij.
M— R— T.
Muret (Théodore).
B— N— T.
Bbunet (Gustave).
P~<)T.
Parisot.
B— V— E.
De Blosseville (Ernest).
P—RT.
Philbert.
C— H— N.
Champion (Maurice).
P-S.
PÉRIÈS.
Ch— U.
Chassériau.
P— Y.
J. DE PETIGNY.
C-L-B.
De Combettes-LaboiJ"
R — D— N.
Rbnauldin.
RELIE.
S— L.
SCHOELL.
C— V— I.
ClVALlERI.
St— T.
De Stassart.
C— V— R.
CUVIER.
T— R — L.
L. DU Terrail.
D— B— s.
Dubois (Louis).
U-I.
USTÉRl.
D-G.
Depping.
W— R.
Walckenakr.
D— z— s.
Dezos de LA Roquette.
Z.
Anonvrne.
F-A.
FORTIA d'Urban.
BIOGRAPHIE
UNIVERSELLE.
SUPPLÉMENT.
SALM (Van), peintre. Ni Weyer-
nam ni Houbraken ne disent en
quelle année cet artiste est né ou a
cessé de vivre ; mais, d'après sa ma-
nière de peindre, il est probable
qu'il fut l'élève de Corneille-Bona-
venture Meester , plus connu sous
Je nom de Bo-'Meesters. Son genre
de peinture lui était particulier. Il
n'employait que le blanc et le noir,
à l'imitation des dessins à la plume.
On ne conçoit pas comment il sa-
vait ménager son pinceau de manière
à donner à chaque ligne la forme et
l'exacte ressemblance avec le sillon
du burin. Il n'a peint que des ma-
rines et des ports de mer^ dont les
lointains représentent une ville ou
des habitations. Ces sujets sont or-
dinairement traités par lui avec une
vigueur et une netteté très-remar-
quables. Ses vaisseaux sont dessinés
correctement, mais ils sont dépour-
vus de cette élégance et de cette
grâce que savaient y mettre Vander
Velde et Backhuysen. Us n'ont pas
non plus la liberté et la délicatesse
de ceux qu'a exécutés Bonaventure
Meester. Dans ses tempêtes l'agita-
tion des vagues est rendue avec exac-
titude et naturel ; mais les eaux man-
LXXXI.
quent quelquefois de transparence.
Dans ses calmes les vaisseaux sont
disposés d'une manière heureuse.
Quelques - unes de ses peintures
sont terminées avec tant de vérité
et d'esprit, qu'au premier coup
d'œil elles offrent l'apparence d'ex-
cellents dessins, et un examen plus
attentif ne leur fait rien perdre de ce
mérite. Tous les ouvrages de Salm
n'ont pas le même degré de perfec-
tion, mais les meilleurs jouissent au-
près des connaisseurs d'une véritable
estime. P— s.
SALM, général français, était né
en 1768, à Lianville, près de Neuf-
château (Vosges). Entré au service
avant la révolution, comme simple
soldat, il obtint, dès qu'elle com-
mença, un avancement rapide. En
1794 il commandait l'avant-garde
de l'armée du Nord, sous Pichegru,
et ce fut lui qui s'empara d'Utrecht.
Grièvement blessé à la prise de iMa-
lines, dès qu'il fut guéri, on le
chargea de prendre la forteresse de
Grave, qui capitula après deux mois
de siège. A l'époque du 18 fructidor
il fut destitué, parce qu'il était alors
en relations avec Pichegru. Réintégré
dans son grade en 1798, il alla servir
2 '• 5aiBiB#* '■■
avec distinctiofi h l'armi^ d'IiiliP, et
reçut une nouvelle blessure à la ba-
taille de la Trébia. En 1802, il lit
partie de la nialbeureusc expédition
de Saint-Domingue, où il combattit
avec avantage le général noir Cbris-
tophe. Revenu en France, il eut un
commandement dans la grande ar-
mée, puis en Espagne, où il fut en-
core blessé, en 1810, sous les murs
de Tarragone. A peine rétabli , il
venait de reprendre son poste, lors-
qu'une balle le frappa mortellement
au siège d'Olivo, en mai 1811.
C— H— N.
SALM-DYCK (Constance-Marib
DE Théis, princesse de), l'une des
femmes auteurs les plus distinguées
de notre époque, naquit à Nantes, le
7 novembre 1767, d'une ancienne
famille noble, originaire de Picardie.
Élevée sous les yeux de son père,
Marie-Alexandre de Théis, j uge-maî-
tre des eaux et forêts de la ville et
du comté de Nantes, auteur de plu-
sieurs ouvrages estimés (voy. Théis,
XLV, 250), elle reçut une éducation
aussi solide que brillante, et se livra,
dès ses premières années, à l'étude des
lettres, des arts, et particulièrement
de lapoésie. Bientôt elle yjoignit celle
de plusieurs langues, de la composi-
tion musicale et des mathématiques.
Ces derniers travaux contribuèrent à
développer l'espri t d'analyse et la rec-
titude de jugement que l'on trouve
dans ses diverses productions. Douée
d'une beauté remarquable, elle ne
tarda pas à l'orner des dons de l'es-
prit. Passionnée pour nos anciens au-
teurs, et surtout pour ceux du siècle
de Louis XIV, elle sut par cœur, dès
sa jeunesse, les principaux chefs-
d'œuvre de notre littérature. A peine
âgée de 18 ans, elle publia plusieurs
essais de poésie dans VÂlmanach des
(irâce.< et dans d'autres recueils ïit-
SAL
téraires. Une de ses premières pro-
ductions fut la chanson de Bouton de
rose^ mise en musique par Pradher
et reproduite en 1843, avec accompa-
gnement de piano, par Collet, dans le
T. II des Chants et Chansons poputai-
resde la France. Dès 1785, l'abbé de
Fontenay, critique éclairé, avait insé-
ré, dans \e. Journal général de France,
un rondeau et un sonnet de M"* de
Théis.Elle épousa, en 1789, M. Pipelet
de Leury (vo2/.Pipelet,LXXVII,276),
homme riche, fils d'un secrétaire du
roi. Fixée à Paris par son mariage, elle
publia successivement diverses pièces
de vers qui révélèrent tout son talent.
Pendant les tristes jours de 1793,
M"'*^ Constance Pipelet chercha dans
la retraite les consolations de l'étude.
Ce fut alors qu'elle s'occupa de la
composition de Sapho, tragédie ly-
rique, en trois actes et en vers, jouée
pour la première fois au théâtre
Louvois, en décembre 1794. Cette
pièce, habilement conçue, écrite avec
inspiration, harmonie, chaleur, et
dont le célèbre Martini fit la musi-
que, eut plus de cent représentations.
En 1795, Sedaine et Mentelle firent
recevoir A)"^^ Pipelet comme membre
du Lycée des Arts, réunion aujour-
d'hui connue sous le nom d'Athénée
des Arts. Aucune femme n'avait jus-
qu'alors fait partie de cette société
savante et littéraire, qui s'était for-
mée avant la réorganisation de l'Ins-*
tilut, et qui se composait d'un assez
grand nombre d'anciens académi-
ciens. M™« Pipelet ne tarda pas à jus-
liiier son admission par son zèle et
par ses succès. Elle lut dans plusieurs
séances publiques des poésies et des
rapports intéressants, ainsi que le.^
éloges de vSedain«, de Gaviniès et de
Lalande. Ce dernier éloge fut com-
posé à la ^demande de Lalande, lui-
même, qui, après l'avoir entendue
SAL
SAL
lire, au Lycëe, celui de Sedaine, la
pria, comme plus tard le fit égale-
ment Mentelle, de composer son élo-
ge, quand il ne serait plus. Dans le
même temps elle se fit aussi enten-
dre au Lycée des Étrangers, connu,
à cette époque, sous le nom de Ly-
cée Marbeuf, ainsi qu'à TAthénée de
la rue de Valois, dit alors le Lycée
Républicain, où Laharpe professait
avec tant de succès. Ce fut dans ces
réunions que madame Constance Pi-
pelet lut ses Èpîtres à Sophie, où
elle retrace avec talent les droits et
les devoirs des femmes. Lorsque,
vers 1 797, des contestations littéraires
assez vives s'élevèrent sur les fem-
mes auteurs, elle ne prit d'abord au-
cune part à ces discussions, mais
bientôt elle ne put résister au désir de
plaider une cause qui était la sienne.
Alors, comme toujours, elle défendit
les droits de son sexe ] un des plus
remarquables morceaux qu'elle pu-
blia à ce sujet est son Èpîire au»
Femmes. Ces vers, faits en réponse à
Écouchard Lebrun, qui voulait in-
terdire aux femmes de s'occuper de
poésie et de littérature, furent lus
par leur auteur au Lycée des Arts,
ainsi que son Épître sur les dissen-
sions des gens de lettres.En 1800, elle
donna aux Français, sous le titre
de Camille, ou Amitié et impru-
dence, un drame en cinq actes et en
vers. Cette pièce, malgré le mérite
du style et l'intérêt des situations,
ayant provoqué des critiques sévè-
res, fut retirée du théâtre avant la
seconde représentation. On trouve
dans le Journal de Paris du 7 mars
1800 une lettre fort digne qu'elle
écrivit à ce sujet. M-"" Constance Pi-
pelet entrait dans sa 35^ année lors-
qu'elle épousa, en secondes noces, au
commencement de 1802, le prince de
Salm-Dyck, ancien comte du Saint-
Empire (l),dont les vastes domaines,
situés sur la rive gauche du Rhin,
faisaient alors partie de la France. Sa
nouvelle et brillante position ne
(i) Nous croyons devoir donner ici quelques
détails sur la généalogie de la famille de
Salra-Dyck. La maison de Salm-Reiffer-
scheid-Dyck se confond dans son origine
avec celle des anciens ducs de Limbourg et de
Lorraine. Elle remonte, par une succession
non interrompue d'aïeux et par chartes au-
thentiques, jusqu'à Walram 1er, duc de Lini-
bourg en 1060, et à sa femme Adèle, fille du
duc de Lorraine, et par eux jusqu'à Char-
lemagne. Leur second fiis, Gérard, fut l'au-
teur de la dynastie des comtes de Reiffer-
scheid , ainsi nommés du lieu de leur rési-
dence. Les descendants héritèrent, en i4i4>
de leur plus procheparent, le comte de Salm,
dans les Ardennes, et se nommèrent depniâ
lors comtes de Salm et deReifferscheid. Étant
les plus anciens comtes de l'empire germa-
nique ils refusèreut long-temps le titre de
prince, et l'empereur Ferdinand II créa pour
eux le titre d'altgraf (ancien comte), auqutfl
il attacha toutes les prérogatives honorifi-
ques de celui de prince. Cette maison se
sépara, en 1678, en deux branches, dont
l'une se subdivisa encore en trois autres
(rojr. Salm-Kirbourg, XL, 198). Celle de
Dyck ne se divisa pas. Les possessions sui^
la rive gauche du Rhin furent données à )a
France par le traité de Lunéville, et firent
partie, sous l'empire, du département de la
Roër. Elles retournèrent à rAlleraagné eii
181 5) et passèrent sous la domination d^ la
Prusse. Yers 1816, le roi de Prusse conféra
au chef de cette maison le titre de prince,
et un vote héréditaire aux Etats de la pro-
vince du Rhin parmi les ci-devant États im-
médiats de l'empire germanique. Le chef
actuel de cette maison, le prince de Salm-
Reifferscheid-Dyck (Joseph-François-Marie-
Antoine-Hubert), mari de la princesse dé
Salm, né en 1773, fut successivement, ert
France, membre du Corps-Législatif, chan-
celier de la 4* cohorte de la Légion- d'Hon-
neur, comte dé l'empire. On doit à ce sa-
vant botaniste plusieurs ouvrages très-esti-
mes sur Tes plantes grasses, dont il possède,
dans son célèbre jardin de Dyck, d admira-
bles et très-précieuses collections, décrites
par le prince de Salm lui-même, dans des
volumes in-8° publiés sous le titre de Cactœ
in horto D/chetisi ciilifp, et dans sa Monogra-
pliia generum nîoes et mesembrjranthemi, ico-
nihus illustrata, Dnsseldorff, i835 et an-
nées suivantes, in-fol. M. le prince do Salm,
qui s'est anssi livré à l'étode des scitences^,
est membre de plusieurs sociétés savantes,
1.
À SAL
channji'a rien à ses habitiules lilt(^-
rairos, ni à ses opinions; elle lui lit
seulement habiter successivement
Dyck, Aix-ia-Chapelle et Paris. Dans
son château de Dyck, comme dans sa
maison de Paris, ou dans sa résidence
d'Aix-la-Chapelle, elle avait souvent
des réunious amicales composées de
littérateurs, de savants, d'artistes et
de personnes de distinction. Une cor-
dialité franche et libre régnait dans
cette société, où s'unissaient aux lu-
mières de l'esprit les idées les plus
généreuses. Sous son nouveau nom,
M>"^ de Salm publia plusieurs poé-
sies, parmi lesquelles nous citerons :
I, Épîlre à un jeune auteur, sur l'in-
dépendance et les devoirs de Vhomme
de lettres, 1806, in-8<>, sujet mis au
concours par l'Institut. II. Êpître sur
la campagne, 1806, in-S". III. ÉpHre
à un vieil auteur mécontent de se voir
oublié, 1809,in-8°. IV. Êptlre sur la
rime, 1812, in-S'^. Il a été publié, en
1819 et en 1835, par MM. Guerrier de
Dumast et Berville, deux réponses à
cette épîfre dans laquelle l'auteur a
combattu, en très-beaux vers, l'o-
pinion qui attache trop d'importance
à la richesse de la rime. V. Èpître
sur la philosophie, 1814, in-8o. VI.
Discours sur le bonheur que procure
l'étude dans toutes les situations de
la vie, 1817, in-8^ Ce sujet, mis au
concours par l'Académie française,
valut à l'auteur une mention honora-
ble. VII. Èpître àun honnête homme
qui veut devenir intrigant, 1820,
iu-8°. VIIL Épîlre sur V esprit et l'a-
véuglement du siècle, 1820, in-8°.
IX. Êpître aux souverains absol^is^
1831, in-8°, vers traduitsen grec mo-
derne par M. Stroumbo, 1831, in 8«.
X. Mes soixante ans, ou Mes souve-
nirs politiques et littéraires, 1833,
in-8<>. Ce poème historique peut être
regardé comme les mémoires mo-
SAL
r.iUK de i'.iult'iir; cVst le tableau
fidèit' d'urje vie ci.usacrf^e k l'élude,
à l'amour du bien, de la justice «^1
de la vérité. XI. Je mourrai comme
fai vécu, stances adressées à un ami,
1838, in-S". L'auteur av.iit 71 ans
lorsqu'elle composa ce chant dithy-
rambique. Après avoir fait connaître
les principales productions poétiques
de M'"'^ de Salm, nous indiquerons
parmi ses ouvrages en prose: XII.
Vingt -quatre heures d'une femme
sensible, 1824, in- 12. Ce roman sans
intrigue, ofirant une étude du cœur
humain, a été traduit en allemand par
M. Falenstein, 1825, in-12. Une autre
traduction allemande a été publiée par
M. Gatty, à Kiel, en 1840. Xlll. Pei}-
sées, Aix-la-Chapelle, 1828, in-12.
De tous les ouvrages de l'auteur ce-
lui-ci est l'un des plus importants;
résultat de bien des années de médi-
tation , il présente une étude ii-
dèle du cœur humain et surtout des
mœurs de notre époque. Ce livre re-
marquable a été plusieurs fois réim-
primé; il en a paru, depuis peu, une
édition nouvelle, grand in-8", précé-
dée d'une introduction par M. de Pon-
gcrville. Dans ce volume, le prince de
Salm a fait insérer une troisième par-
tie, entièrement inédite. Les Pensées
de la princesse de Salm ont été tra-
duites en anglais par M. \V. Stains,
Londres, 1844, in-12. On doit à M.
Contrain une traduction allemande,
imprimée à DusseldorlF en 1835.
Deux éditions des OEuvres de la
princesse de Salm ont été publiées
en 1835 et en 1842. La première en
4 vol. in-12, et la seconde en 4
vol. in- 8''. Dès 1811, ses Poésies
avaient été réunies en 1 vol. in-8",
réimprimé en 181 î. Les éditions de
ses œuvres^ données en 1835 et 1842,
renferment un assez grand nombre
de pièces dont on trouve le détail
SAL
dans lu France littéraire de M. Qué-
rard, tome VIII, p. 414. La Biogra-
phie universelle doit à M""= de Salm
les articles Sedaine et Théis (Marie-
Alexandre), XLI, 430, et XLV, 250.
Parmi quelques écrits inédits laissés
par elle, nous citerons : [.Les Droits^
épître politique. II. Deux épîtresiîié-
diles à Sophie. III. Les Allemands
comparés aux Français dans leurs
mœurs, leurs usages^ leur vie inté-
rieure et sociale. Un extrait de cet
ouvrage a été inséré dans la Revue
encyclopédique de 1826 (T. XXX, p.
581)). IV. Mémoires littéraires. Elle
se proposait de donner dans ce livre
le tableau de la littérature et de la
société de son ten)ps, et d'insérer
aussi, avec notes, une partie de la
correspondance qu'elle eniretint,
pendant bien des années, avec di*
vers savants et littérateurs. En 1841,
elle publia : Quelques lettres extrai-
tes de sa Correspondance générale
de 1805 à 1810; ce volume, tiré à
un très-petit nombre d'exemplaires,
n'a pas été mis dans le commerce. On
trouve dans le tome 111 de l'édition
in-S" des OEuvres complètes de Paul-
Louis Courier.^ plusieurs de ses let-
tres à M'»« de Salm, à laquelle il avait
dédié sa traduction, ou plutôt son
imitation de VÉloge d'Hélène par
Isocrate. La dédicace placée en tête
de ce volume est un chef-d'œuvre
d'élégance n;iïve et de bonhomie
causeuse. (Voy. Courier, LXI, 473.)
Il existe, dans la bibliothèque du
château de Dyck, un précieux et
très intéressant souvenir des amitiés
et des relations du prince et de la
princesse de Salm; c'est un Album
en plusieurs volumes, sur lequel sont
inscrits, souvent avec d'assez longs
autographes, ou avec des dessins,
bien des noms il lus! res dans la science,
dans les lellrrs et dans les arts. Si
SAL 5
les É pitres et les Pensées de M'"" de
Salm lui assurent une durable réputa-
tion comme poète penseur, el le se dis-
tingue, dans tout ce qu'elle a écrit, par
la justesse des idées et par la philo-
sophie la plus saine. Marie-Joseph
Chénier l'avait surnommée la Muse
de la Haison; il y a en effet dans la
nature de son talent quelque chose
de grave et de viril qui, parmi les
femmes auteurs, lui assigne un rang
spécial. Peu de dames ont été natu-
rellement plus aimables et plus véri-
tablement philosophes; aux qualités
de l'esprit, qui font le charme de la
société, elle joignait celles de l'âme.
Un des traits distinctifs de son carac-
tère élevé, simple et généreux était
la fidélité de ses amitiés, Tinvaria-
bilité de ses principes pendant un
demi-siècle de changements et de ré-
volutions successives, ainsi que l'a-
mour de la justice, uni à celui de
son pays, et le besoin d'exprimef
librement des vérités qu'elle croyait
utiles. Jusqu'au dernier moment elle
a conservé toCSle la force de son es-
prit, de son talent, et surtout l'ardent
amour du travail qui fut le besoin de
toute sa vie. Elle ne vivait en effet
que pour l'étude, les siens et ses amis.
C'est presque au milieu d'eux qu'elle
est morte à Paris, après une maladie
de trois jours, le 13 avril 1845, âgée
de 78 ans, regrettée de tous ceux qui
ont pu la connaître. Elle était mem-
bre d'un grand nombre de sociétés
académiques françaises et étrangè-
res. Du vivant de la princesse de
Salm, il a été publié sur elle plu-
sieurs notices biographiques, parmi
lesquelles nous citerons celles de
MM. de Pongerville, de Ladoucette,
Albert Montémont et Villenave. Ces
notices, insérées dansdivers recueils,
ont été imprimées séparément, il
existe d'elle plusieurs portraits ; non s
SAL
SAL
nous bornerons à citer ceux de Giro-
det, de David (d'Angers), et de Bel-
liard : ce dernier a paru dans le loine
Il des Célébrilés contemporaines.
B-IJ— R.
SALM-KIRBOUaG (Frédéuk-
Ernest-Oito, prince de), fils uni-
que du prince Frédéric lll {voy.
Salm-Kirbourg, XL, 198) et d'une
princesse de Hohen-ZoUern, na-
quit à Paris en 1789. Ayant perdu
son père à l'âge de cinq ans, il fut
élevé par sa tante, la princesse de Ho-
hen-Zollern, qui se consola, par les
soins qu'elle prit de son neveu, de la
perte d'un frère chéri. Les biens du
jeune prince, notamment l'hôtel qu'il
possédait à Paris, confisqués par les
lois de la révolution, lui furent ren-
dus après la chute de Robespierre;
mais ce ne fut qu'en 1803 que Bona-
parte lui donna une principauté en
Allemagne , pour l'indemniser de
celle qu'avait possédée son père.
Il en fut ensuite dépouillé, et re-
çut en échange une inscription de
400,000 fr. de rente sur le grand-
livre, qu'il perdit en 1815, après la
chute de Napoléon, le gouvernement
de la Restauration ayant refusé de
payer une possession que les trai-
tés de cette époque faisaient passer
dans les mains de la Prusse. Toutes
ces vicissitudes de fortune n'empê-
chèrent pas le jeune prince de res-
ter, comme ses ancêtres, constam-
ment attaché à la France. Voué dès
l'enfance à la carrière des armes, il
faisait ses études à l'école militaire
de Fontainebleau, en 1806, lorsqu'il
s'en échappa clandestinement, et se
rendit avec son gouverneur à l'armée
que Napoléon commandait en Polo-
gne. Très-satisfait d'un tel zèle, l'em-
pereui* le nomma, dès son arrivée,
souS'Ueutenant dans un régiment de
hussards, et l'attacha comme officier
d'ordonnance à .son quartier-général.
Le jeune prince fit en cette qualité la
glorieuse campagne de 1807, et il as-
sista aux batailles d'Elsberg et de
Fricdiand. Envoyé à l'armée de Por-
tugal sous les ordres de Junot, à
la paix de Tilsitt, il fut nommé capi-
taine, et se rendit, après la capitula-
tion de ce général, à Madrid, où il fut
témoin de l'horrible massacre du 2
mai 1808. Ayant ensuite accompagné
Reille au siège de Roses, il lut chargé
par ce général de porter k l'empereur
des dépêches d'une haute impor-
tance, et ne fut accompagné que de
dix hommes pour traverser des con-
trées insurgées. Ayant fait à Reille une
observation sur la faiblesse de cette
escorte, et ce général lui ayant de-
mandé avec autant d'inconvenance
que de grossièreté s'il avait peur, il
déclara énergiquement qu'après une
pareille question il ne voulait pas
prendre un homme de plus, et il par-
tit sans hésister. A peine eut-il fait
quelques lieues qu'il fut arrêté près
de Figuières par une bande d'insur-
gés. Il fit de vains eflbrts pour leur
résister \ perdit la plupart des hom-
mes qui l'accompagnaient, fut percé
d'une balle et tomba de cheval gra-
vement blessé. Alors, plus occupé
de ses dépêches que de son propre
salut, il eut le temps de les déchi-
rer et d'en cacher les débris sous
des pierres. Forcé ensuite de se ren-
dre, il fut conduit prisonnier à
Tarragone, puis à Gironne, et ne re-
couvra la liberté qu'après neuf mois
de captivité. Dès qu'il fut de retour à
Paris, il reçut de Napoléon l'ordre
de se rendre à son quartier-général
pour remplir les fonctions d'officier
d'ordonnance. Il fit en cette qualité
la campagne d'Autriche, en 1809;
combattit àWagram et reçut le grade
de chef d'escadron avec la décoration
SAL
(le la Légioii-d'Honueur. Nommé
bientôt colonel, il fut envoyé en
Jtalie pour y commander le 14® ré-
giment de chasseurs à cheval, où il
établit la plus exacte discipline et
qu'il conduisit fort honorablement
dans les campagnes de 1813 et 1814.
Revenu à Paris après la chute du gou-
vernement impérial, et privé de ses
possessions ainsi que de la rente que
lui avaitfaite Napoléon, et ne pouvant
y vivre d'une manière digne de son
rang[et de son illustre naissance, il
adressa de vaines réclamations aux
gouvernements de France et de Prus-
se, et mourut à Paris en 1835, sans
avoir été marié. En lui s'éteignit la
branche des princes de Salm-Kir-
bourg. S'étant présenté, en 1831,
comme candidat au trône de Belgi-
que, auquel fut appelé Léopold de
Saxe-Cobourg , le prince Frédéric
de Salm avait publié à cette occasion
une brochure intitulée : De la ré-
gence et ses dangers imminents pour
la Belgique, Bruxelles, 1831, in-8°.
M— Dj.
8ALIIIEGGIA (Énée), surnommé
LE Talpino, peintre, naquit à Ber-
game et apprit les principes de son
art à Crémone,dans l'école des Cam pi ,
et à Milan, dans celle des Prococcini.
Mais ayant entendu célébrer la re-
nommée que Raphaël s'était acquise
par ses immortels chefs-d'œuvre, il
se rendit à Rome pour y recevoir
des leçons de ce grand maître. Il
étudia sous lui pendant 14 ans et de-
vint l'un de ses plus habiles imita-
teurs. Le Saint Victor qu'il a peint
pour les Olivetains de Milan a été
souvent attribué à Raphaël, et les
hommes qui ont fait une étude par-
ticulière des ouvrages de ce grand
maître ne peuvent refuser à Sal-
nieggia un rang honorable parmi
ceux qui s'en sont le plus rappro-
SAL 7
chés. La pureté des contours, qui
néanmoins laissent quelquefois aper-
cevoir trop de détails; la beauté
idéale de ses têtes de jeunes gens,
la morbidesse du pinceau, la dispo-
sition des draperies, une certaine
grâce dans le mouvement et dans
l'expression, prouvent jusqu'à quel
point il cherchait à suivre son mo-
dèle, auquel cependant il reste bien
inférieur pour le grandiose, le sen-
timent de l'antique et l'entente de
la composition. Sa manière de pein-
dre n'est pas non plus la même. Dans
les draperies il aime une plus grande
variété de couleurs. Ses teintes au-
jourd'hui se sont en grande partie
affaiblies, et les ombres ont poussé
au noir comme dans toutes les au-
tres peintures de cette époque. On
serait porté à croire que cet habile
artiste se bornait, comme on l'a dit
du Poussin et de Raphaël lui-même,
à se montrer grand coloriste dans
quelques tableaux seulement, et k
négliger ordinairement cette partie
de l'art, satisfait d'avoir prouvé de
temps en temps qu'il pouvait attein-
dre à la supériorité comme coloriste.
On voit à Milan, dans l'église de la
Passion, deux tableaux de son plus
beau style, représentant l'un J.-C.
en prière dans le Jardin des Olives,
l'autre une Flagellation. Le premier
est peint comme un Bassan ; l'autre,
qui est plein de vie et du plus grand
caractère, le surpasse peut-être aussi
par la force du coloris. Bergame
possède plusieurs de ses productions,
et spécialement les deux tableaux du
maître-autel des églises de Sainte-
Marthe et de Santa-Grata. Ce sont
ses deux chefs-d'œuvre, et les con-
naisseurs n'ont pu encore décider
lequel l'emportait sur l'autre. La
couleur en est si belle, si brillante,
si harmonieuse, qu'on ne peut se
8
SAL
lasser de les contempler. Le sujet
des deux tableaux est le même, c'est
J.-C. dans une gloire, et dans le bas
du tableau un grand nombre de
saints: mais le second offre une com-
position qui dénote plus d'art. L'au-
teur y a introduit beaucoup de rac-
courcis,d'altitudes de têles,d'ex|:res-
sions toutes également savantes et
varie'es^ on aperçoit dans le fond la
ville de Bergame, et une belle archi-
tecture entièrement dans le goût de
Paul Véronèse ; les draperies sont étu-
diées avec soin, et parmi les person-
nages on remarque un saint évêque en
habits pontificaux, qui rappelle le Ti-
tien lui-même. Les tableaux de galerie
qu'a peints cet artiste sont rares et
précieux, et ne sont pas aussi connus
hors de l'Italiequ'ilsdevraient l'être.
Salmeggia ne s'était pas borné uni-
quement à la pratique de son art ; il
avait acquis sur la théorie des con-
naissances peu communes, qu'il avait
réunies dans un Traité sur la pein-
ture^ écrit en 1007, et qui existe en
original dans labibliothèque du comte
Jacques Carrara de Bergame; cet ou-
vrage, dont quelques fragments seu-
lement ont été imprimés dans la
notice que le comte Francesco-Maria
Tassi a donné sur Salmeggia, est ce-
lui d'un homme profondément versé
dans son art. Cet habile artiste mou-
rut à Bergame le 23 fév. 1626, dans
un âge fort avancé. — François Sal-
meggia, fils du précédent, et Claire^
sa tille, cultivèrent tous deux la pein-
ture, dont ils reçurent les principes
de leur père; mais ils parvinrent
plutôt à imiter sa manière qu'à
s'approprier sa science et sa profonde
théorie. Cependant leurs ouvrages
font voir l'excellence de l'éducation
qu'ils avaient reçue. Comparés avec
les artistes de leur temps et avec
ceux qui les suivirent imuiédiale-
SAL
ment, ils se montrent, sinon pleins
de vivacité , du moins étudiés et
exempt.s des vices des maniéristes. La
ville de Bcrj^ame possède un gr.nid
nombre de leurs ouvrages, et il y a
iieu de croire ([ue leur père a mis la
main aux meilleurs. On peut voir de
plus amples détails sur cette famille
d'artistes dans le tome 1" Délie vite
de'' pittori, scultori, ed architetti
birgamaschif par le comte Frances-
co-Maria Tîîssi. P — s.
SALMERON (Cristoval-Garcia).
peintre espagnol, naquit à Cuença
en 1603, et fut élève de Pierre Or-
rente; ses ouvrages lui firent une
réputation assez brillante pour que
Philippe IV, dans un voyage à
Cuença, le choisît pour peindre un
Combat de taureaux qu'il donna en
commémoration de la naissance de
Charles H. L'artiste s'est peint lui-
même dans cette composition. Un
autre de ses ouvrages, qui jouit aussi
d'une grande célébrité, est la Nati-
vité du Sauveur^ que l'on voit dans
l'église de Saiut-Francois, à Cuença.
Ce peintre mourut en 1666. — Fran-
çois Salmeron, frère du précédent,
naquit à Cuença en 1608, et fut éga-
lement élève d'Orrente ; mais la vue
des ouvrages des grands coloristes
de l'école vénitienne lui inspira le
goût de la couleur, et il se forma
dans cette branche de l'art une ma-
nière si brillante, que l'on peut le re-
garder comme un des plus habiles co-
loristes de l'école espagnole. C'est à
cette partie qu'il s'est appliqué spé-
cialement, et il ne faut pas chercher
dans ses ouvrages une correction de
dessin et une entente de la compo-
sition qu'il eût sans doute acquises
par la suite, si l'ardeur avec laquelle
il se livrait à Pétude ne Peut enlevé
aux arts avant l'âge de 24 ans. Le
peu de grands tdbleaux qu'il a exe-
sAL :
eûtes exisfent dans sa ville natale.
On connaît de lui un plus grand
nombre de tableaux de chevalet, dont
la couleur brillante fait pâlir tous
ceux qu'on place dans leur voisinage.
P-s.
SALMON (Pierre), surnommé le
Fruidier^ t\ii le secrétaire, le conti-
dent du roi Charles VI. Tout ce que
l'on connaîtde sa personne se réduit à
cequ'il nous apprend lui-même dans
sesécrits, c'est-à-dire à peu de chose.
H fut mêlé à d'importantes négocia-
lions; se rendit pour les afTaires de
l'État auprès du roi d'Angleterre,
auprès du pape et auprès du duc de
Bourgogne. C'était alors de longs et
périlleux voyages. 11 a laissé deux
ouvrages intitulés : Les demandes
faites par leroi Charles VI, touchant
l'état et le gouvernement de sa per-
sonne, avec les réponses de Salmon;
les lamentations et épistresde Pierre
Salmon. Ce dernier écrit présente
un grand nombre de renseignements
historiques curieux. L'auteur, en con-
signant les détails de ses pérégrina-
tions diplomatiques, y a inséré les
lettres qui lui ont été adressées, et
transcrit tout au long celles qu'il
a fait partir, exemple d'indiscrétion
(jui de nos jours a trouvé des imita-
teurs célèbres. L'auteur de V Histoire
de Russie, Lévesque, fut le premier,
dans un méjnoire publié au tome VU
des Notices et Extraits des manu-
scrits, qui lit connaître les produc-
tions de Salmon, jusqu'alors restées
oubliées parmi les manuscrits de la
Bibliothèque royale-, Buchon re-
produisit cette notice ainsi que la
partie historique du livre de notre
auteur dans sa Collection des chro-
niques nationales françaises, t. XV;
mais ce fut en 1833 que Crapelet
publia pour la première fois le texle
à peu près complet de Salmon dans
SAL 9
le tome XI de sa Collection des an-
ciens monuments de l'histoire et de
la langue française. Il ne crut pas
devoir reproduire, et nous ne sau-
rions l'en blâmer, la secorfde partie
des Demandes, partie qui roule sur
Dieu , les anges , la création de
l'homme, le paradis, l'enfer, l'ante-
christ , le jugement dernier. Rien
n'égale la facilité avec laquelle Sal-
mon explique les plus profonds mys-
tères de l'histoire sainte, si ce n'est
la facilité encore plus grande avec
laquelle le monarque se contente des
explicationsde son confident.Charles
VI veut savoir comment les hommes
se seraient multipliés s'ils étaient
restés dans le paradis terrestre.
Salmon réplique sans hésiter que
« homme et femme eussent procréé
« et multeplié lignée, se ilz n'eussent
« péchié comme qui mettroit sa main
«l'une sur l'autre, c'est à savoir
« comme se l'omme et la femme tou-
« choient eusamble main à main. >»
Lç roi, satisfait de cette explication,
demande alors comment la femme
eût enfanté : « Sans douleur et sans
«peine quelconque, en aussy peu
« d'espace comme vous mettriez à
« ouvrir vostre œil pour veoir, et tan-
« tost que l'enfant eust été né, il
« eust parlé et aie et eust pris et
« mengié des fruis des arbres de
« paradis terrestre. • 11 est juste de
convenir que la première partie des
Demandes est d'un autre genre; elle
roule sur les devoirs des rois, sur
ceux de ses conseillers et serviteurs-
Ce sont des maximes très-sages, ap-
plicables à tous les temps, à tous
les régimes de gouvernement. La
Bibliothèque du roi en possède deux
manuscrits, l'un sur vélin, orné de
miniatures d'un fini précieux (neuf
d'entre elles ont été reproiiuites
dans l'édition de Crapelet), l'autre
10
SAL
SAL
sur papier, sans aucun ornement.
Le second manuscrit offre une ré-
daction plus récente que le premier-,
les raisonnements, déjà beaucoup
trop longs, deviennent intermina-
bles; les citations, fort accumulées
dès le principe, s'entassent en plus
grand nombre encore; auteurs sa-
crés et profanes sont mis indistinc-
tement à contribution : Aristote et
saint Jérôme, Cicéron et saint Au-
gustin, Virgile et le maître des Sen-
tences. Il est à croire que les écrits
encore inédits de Salmon ne trouve-
ront jamais d'éditeur. B— n— t.
SALMOIV (l'abbé), mort en 1782,
a donné des Poésies sacrées^ avec les
Distiques moraux de Caton, ira-
duits en vers français^ Paris, 1751,
in-12; réimprimés sous le titre de
Préceptes de la vie civile, attribués
à Caton^ mis en distiques latins^ et
traduits en vers français, avec quel-
ques poésies sacrées^ Paris, 1752,
in-12. Dans les deux éditions des
Distiques de Caton, publiées par
A. -M. -H. Boulard, en 1798 et 1803,
Ja traduction en vers français est
celle de l'abbé Salmon, à qui l'on
doit encore une édition desOEuvres
d'Horace traduites en vers français^
avec des extraits des auteurs qui
ont travaillé sur cette matière, et
des notes pour V éclaircissement du
texte, Paris, 1752, 5 vol. in-12. Z.
SALMON (Robert), mécanicien
anglais, fils d'un entrepreneur de
bâtiments, naquit en 1763 à Strat-
ford sur Avon, dans le comté de
Warwick. Après qu'il eut reçu une
instruction très-limitée, on le plaça
chez un homme de loi qui , se
trouvant être, par bonheur, un maî-
tre peu exigeant, le laissa disposer
de beaucoup de loisir, et même lui
procura les moyens de satisfaire les
besoins de son intelligence. Robert
sut en profiter. Une des premières
manifestations de sa curiosité fut de
désassembler toutes les pièces de sa
montre, qu'il remit ensuite chacune
à sa place. La musique eut de l'al-
trait pour lui : des livres lui appri-
rent à connaître les notes. Il fabri-
qua une llûte et un violon, et parvint
tout seul à en jouer passablement.
Son père ayant été chargé par l'ar-
chitecte Henry Holland de diriger
quelquesconstructions dans le comté
de Hamp, Robert eut la permission
de l'accompagner, et il ne tarda pas
à se mettre au fait des occupations
qui composent l'emploi d'un con-
ducteur de travaux, emploi qui lui
fut en effet confié et qu'il exerça
successivement à Carlton-House,
qu'on réédifiait alors, et à Woburn-
Abbey, où le grand duc de Bedford
eut occasion d'apprécier sa capacité
comme sa probité : ce seigneur vit
dès lors en lui Phomme qui pouvait
le mieux le seconder pour réaliser
ses vues magnifiques. Ce fut en 1794
que Salmon fut fixé à Woburn, en
la double qualité d'architecte et de
mécanicien. Ces deux titres, il les
justifia par la participation qu'il eut
à divers édifices, et par un grand
nombre d'inventions utiles. Holland
ayant fait venir de France un ou-
vrier pour pratiquer à Woburn la
méthode de bâtir sans employer la
pierre, qui manque sur ce sol, Sal-
mon suivit attentivement le progrès
de l'ouvrage, reconnut aisémentcom-
bien le procédé adopté était défec-
tueux, et de son côté il en inventa
un meilleur, qui a été décrit dans
un mémoire inséré au XXVîI" vo-
lume des Transactions de la Société
des arts. Alors le duc de Bedford lui
ordonna de construire pour lui-
même à Woburn, et suivant ses prin-
cipes, une maison avec ses dépen-
SAL
SAL
11
daiices. C'est dans cette nouvelle
habitation, solide et de belle appa-
rence, dans la construction de la-
quelle il n'entrait que de la paille
hachée mêlée de terre et un peu de
chaux détrempée et étendue à l'in-
térieur avec une truelle de bois, que
l'artiste vécut désormais, et c'est là
qu'après une courte absence il
revint mourir. Les attributions de
sa surintendance s'étaient étendues
à mesure que son mérite s'était dé-
veloppé. Ayant la direction des do-
maines et surtout des forêts, il avait
introduit, dans les vastes propriétés
de son patron, un ordre plus judi-
cieux et plus économique pour les
réparations et autres travaux à faire,
ordre qui fut maintenu jusqu'à la
f nort du lord, arrivéeen 1802. Salmon
se livra à de nombreuses expériences
sur les bois, dont lerésultat fut de ré-
futer l'opinion, trop accréditée dans
ce temps-là, qu'il ne convient pas d'é-
laguer les hautes futaies. Lemémoire
qu'il composa sur ce sujet est impri-
mé , avec des gravures représentant
les nœudsetles accidents lesplus re-
marquables du bois, dans le recueil
de la Société des arts. Le nouveau
duc eut en lui une égale confiance ;
et lorsque Salmon, sentant sa santé
fort affaiblie, désira cesser ses fonc-
tions, il n'obtint qu'avec peine la per-
mission de se retirer. Il loua près
de Lambeth une chaumière, comp-
tant passer là ses derniers jours; il y
séjourna une quinzaine, mais sa pré-
sence ayant paru nécessaire à Wo-
burn, il y retourna; ce ne fut que
pour y mourir, le 9 oct. 1821. Le
duc de Bedford lui fit élever un mo-
nument dans l'église paroissiale
du lieu. Des vingt-cinq dernières
années de sa vie, il ne s'en était
guère passé qui ne fussent signalées
par quelqu'une de ses inventions, et
où il n'eût reçu une médaille ou
quelque autre récompense de la So-
ciété des arts. Le détail donné ici de
ces inventions nous mènerait trop
loin. Nous citerons seulement un
hache-paille à lames droites et par
conséquent uniformes, au lieu d'être
recourbées ; un semoir suivant tou-
jours la ligne directe, malgré les
déviations du cheval qui le traîne,
mais qui en dérive à la volonté de la
main qui le guide. Il perfectionna
les machines qui servent à faucher
le foin, à couper le blé, à le battre,
à le vanner. Plusieurs de ces machi-
nes sont décrites dans le recueil de
la Société des arts et dessinées dans
l'Encyclopédie deRees. Salmon ima-
gina un piège à homme pour arrêter,
sans leur faire beaucoup de mal, les
déprédateurs qui pénètrent dans les
enclos. On lui doit aussi un procédé
pour transporter sur une toile les
peintures détachées des murs ou des
boiseries endommagées ; une balance
qui marque les degrés de poids sur
un cadran pareil à celui des montres;
une machine mue par un cheval pour
retirer les objets tombés dans des
eaux profondes; un bandage pour
contenir les hernies; affligé lui-
même de cette infirmité, et les ban-
dages les plus recommandés ne lui
procurant pas de soulagement, il
avait dû recourir à son esprit inven-
tif. Ce bandage, pour lequel il prit
un brevet d'invention (depuis long-
temps expiré), a eu un grand débit à
Paris comme à Londres; il y en avait
un dépôt dans les galeries de pierre
du Palais-Royal. L'inventeur a écrit
sur ce sujet un opuscule : Ànalysis
of the gênerai construction of Trus-
ses^ 1807, in-8^ Z.
SALMON. Voy. Salemon, LXXX.
SALOMON ( François-Henri ) ,
membre de l'Académie française, na-
12
SAL
qiiit à Bordeaux, le 4 octobre 1629,
(l'mi conseiller au parlement. Il sui-
vit aussi la carrière de la magistra-
ture et l'ut pourvu , à l'Age de vingt-
deux ans, d'une charge d'avocat-gé-
néral au grand-conseil, qu'il exerça
pendant neuf années avec quelque
distinction. Il obtint ensuite celle de
lieutenant-général du sénéchal de
Guienne au présidial de Bordeaux.
Ayant épousé la lille de Lanceiot
de Lalane , président à mortier au
parlement de Bordeaux, il fut, après
la mort de son beau-père, appelé à
lui succéder. Il avait été admis à l'A-
cadémie française le 21 novembre
1646, en remplacement de Nicolas
Bourbon, l'emportant sur Pierre Cor-
neille qui s'était tnis aussi sur les
rangs pour occuper le fauteuil va-
cant. « L'Académie se détermina
« pour cette raison que M. Corneille
• faisant son séjour à la province,
« ne pouvait presque jamais se Irou-
« ver aux assemblées et faire la fonc-
a tion d'académicien (1). » Ce motif
d'exclusion eût dû plutôt être appli-
qué à un littérateur aussi médiocre
que Salomon, lorsque peu de temps
après il eut quitté la capitale pour
aller s'établir à Bordeaux (2). Au sur-
plus , il a été jugé avec sévérité par
un de ses confrères qui l'avait bien
connu. Dans la liste raisonnée de
quelques gens de lettres vivants en
1662, dressée par ordre de Colbert ,
Chapelain apprécie en ces termes le
mérite littéraire de l'heureux com-
pétiteur de Corneille. " Il parle avec
(i) Histoire de V Académie françohe , par
Pélissoa (d'Olivet), Paris, 1730, tome I,
page 210.
(2) A la vérité, il y a peu d'exemples d'une
déchéance prononcée pour semblable mo-
tif. A une époque rapprochée de nous, ou ;»
vu la place de Deulle déclarée vacante, à
l'Institut national, c came de la non-rèudence
du célèbre poète.
SAL
• facilité, mais avec peu d'ordre et
• de solidité, et ses vers latins ne
« sont pas plus excellents que sa
« prose française (3). » C'est-k-dire
(jue ses vers et ses ouvrages en prose
ne valaient pas mieux les uns que
les autres. Aussi sont-ils tombés,
connne leur auteur, dans un oubli
dont les biographes nos prédéces-
seurs n'.ivaieut pas cru devoir les
tirer. On trouvequelques autres par-
licuiarités concernant Salomon dans
les Mélanges d'histoire et de litté-
rature de Vigneul-Marville (4). Il est
bon d'observer toutefois que l'an-
cienneté de sa famille paraît y avoir
été reculée au delà des limites du
vrai. Le président de Bordeaux mou-
rut sans postérité le 2 mars 1670. Il
avait reçu le cordon de Saint Michel,
en considération des services rendus
par lui à l'État, dans les mouvements
de Toulouse et de Bordeaux. On a de
lui: 1. Discours d'Estat à M. Gro-
tius sur L'histoire du cardinal de
Bentivoglio, Paris, 1640, in-S«. 11.
Dejudiciis et poemis , et de officiis
vitœ civilis Romanorum libri duo,
Bordeaux, 1665 , in-12. L'auteur exa-
mine sommairement quelles étaient
les formes de la procédure criminelle
chez les Romains, et donne de plus
amples détails sur la nature des pei-
nes qui étaient prononcées contre
les accusés reconnus coupables. Plu-^
sieurs chapitres sont destinés à faire
connaître les moyens de répression
des délits militaires. En traitant ,
dans le second livre, des offices de la
vie civile, Tauleur passe en revue les
diverses positions où le citoyen ro-
main peut se trouver depuis l'âge ou
(3) Méhnges de littérature tirés des letlies
manuscrites de M. Chapelain, Paris, 1726, in-
12, p. .261.
(i) C'est-ii-dire Donavenlure d'Argouiic,
Palis, 1725, tome 111, p'ges jqj et Uj\.
SAL
il revt^t ia rohp virile jusqu'au mo-
ment (h ses funérailles. H jette aussi
lin coup d'œil sur les classes variées
dont la société' se compose. Le mot
Offices n'est donc pas pris ici pour
devoirs ; i^ magistrat bordelais con-
vient lui-même que ce terme a des
significations multiples. Sallengre a
fait réimprimer ces deux traités dans
le troisième volume de son Trésor
des antiquités romaines (5). Pélisson,
qui cite encore de Salomon la Pa-
raphrase d'un psaume en vers , ne
fait connaître ni la date ni le lieu
de l'impression de cet opuscule.
L— M— X.
SALOMON (Jean-Baptiste), mé-
decin, né vers les premières a^nnées
du XV1II« siècle, h Saint-Jean de
Maurienne, après avoir pris le doc-
torat en médecine à l'université
royale de Turin, fut nommé en 1737,
par le roi Charles-Emmanuel III ,
médecin ordinaire du château de
Miolans et des prisons de Chambéry.
Quoiqu'il n'ait laissé aucun ouvrage,
le jugement que J.-J. Rousseau a
porté de son caractère et de son sa-
voir lui a valu quelque célébrité :
« Ayant quitté depuis long -temps
« mes écoliers , dit le citoyen de
« Genève, ayant perdu le goût des
« amusements et des sociétés de la
«ville, je ne sortais plus, je ne
« voyais plus personne, excepté ma-
« man (madame de Warens) et M. Sa-
« lomon, devenu depuis peu son mé-
« decin et le mien, honnête homme,
« homme d'esprit, grand cartésien,
« qui parlait assez bien du système
« du monde, et dont les entretiens
« agréables et instructifs me valaient
" mieux que toutes les ordonnances.
• Je n'ai jamais pu supporter ce sot
(5) Thésaurus novus aniiquitatuw romanu'
ruTO,t,a Hiijre, lyiç), 5^ vol, in-fol,, pages
fia'» -667.
S.\L
13
« et niais remplissage de<î conversa-
• tiens ordinaires ; mais des conver-»
- sations utiles et solides m'ont tou^
• jours fait grand plaisir, et je ne
• m'y suis jamais refusé. Je prifj
« beaucoup de goût à celles de M. Sa-
• lomon ; il me semblait que j'anti-
« cipais avec lui sur ces hautes con-
« naissances que mon âme allait ac-
• quérir quand elle aurait perdu ses
« entraves. Ce goût que j'avais pour
« lui s'appliquait aussi aux sujets
« qu'il traitait, et je comm.ençai de
« rechercher les livres qui pouvaient
• m'aider à le mieux entendre. » La
postérité de J.-B. Salomon est tom-
bée dans l'obscurité. B— F — s.
SALORNAY (Jean de), évêque
de Mâcon à la iin du XlVe siècle, sor-
tait d'une ancienne et illustre fa-
mille de la Bresse, car on trouve en
l'an 1000, à ce que rapporte Le La-
boureur dans le Livre des Masures
de VJsle-Barhe ^ Guichard , sire de
Beaujeu, marié à Récoairede Salor-
nay. Jean de Salornay, petit-fils par
sa mère Adelige du président Pas-
toret, qui devint un des régents du-
rant la minorité de Charles VI, fut
élevé sous les yeux de son oncle et
de son aïeul, Pierre de Salornay, au-
quel il succéda dans le canonicat, en
quelque sorte héréditaire, que ses
parents occupaient au chapitre de.
Lyon. A quelques années de là (1394),
il fut appelé à l'évéché de Mâcon, et
mêlant alors à ses fonctions épisco-
pales les soins politique^ des im-
portantes affaires dont on le retrouve
sans cesse chargé, il devint par son
habileté, par sa piéié, par la faveur
dont l'honorèrent les rois Charles V
et Charles VI, un des hommes les
plus considérables de ce temps. Guil-
laume de Salornay, son neveu, avait
été désigné pour lui succéder, mais
il mourut jeune, et sa sœur Margue-
14
SAL
rite, mariée à son cousin Antoine
Pasloret, qui fut lieutenant-général
de l'armée conduite par le comte de
Montpensier dans le royaume de
Naples, soigna seule les dernières
années de l'illustre prélat. Jean de
Salornay mourut plein de vertus et
de jours, vers le milieu durègne de
Charles VII (1445). La maison de
Salornay s'est divisée en plusieurs
branches qui ont fourni des hommes
distingués à l'Église et à l'armée;
elle a eu même quelque alliance avec
la maison royale. B — v— e.
SALT (Henri) , consul-général
d'Angleterre en Egypte, membre de
la Société royale de Londres, cor-
respondant de l'Institut de France,
et, ce qui est préférable à tous ces
titres, voyageur éminent, dont les
relations sont, pour les pays qu'il a
parcourus, au nombre de celles qui
méritent le plus de fixer l'attention
des géographes et des historiens.
Sait naquit à Litchfîeld, dans le
comté d'York, et reçut sa première
éducation dans une école élémen-
taire {school- grammar) de cette
ville. Sans doute il la^ termina ail-
leurs, puisque cette éducation était
complète lorsque le goût des arts
s'empara de lui, et qu'il parut vou-
loir s'adonner exclusivement à la
peinture. A cette époque le lord vi-
comte Valentia, qui avait quitté l'é-
tat militaire et qui, après un longsé-
jour sur le continent, jouissait de sa
grande fortune dans sa retraite pit-
toresque d'Arley-Hall, s'ennuya de
son oisiveté, et résolut de se ren-
dre utile à son pays en entrepre-
nant un grand voyage. Il en con-
certa le plan avec le marquis de
Wellesley, qui avait été gouverneur
des possessions anglaises dans l'In-
de, et qui pouvait être d'un puissant
secours pour rexécution de ce projet.
SAL
Lord Valentia quitta l'Angleterre, et
s'embarqua sur la Minerve le 3 juin
1802. Mais avant de partir, un de ses
premiers maîtres, le docteur Butt(l),
lui avait présenté son neveu, Henri
Sait, et lord Valentia se l'était atta-
ché et l'emmena avec lui en qualité
de secrétaire et de dessinateur (aa
my secretary and drofts man). Il,
était impossible, pour entreprendre
avec succès un grand voyage, de faire
un meilleur choix. Sait, à la connais-
sance des langues anciennes et des
belles-lettres, réunissait le savoir de
l'ingénieur pour lever des plans , le
talent de l'artiste pour peindre et
pour dessiner, une finesse d'esprit
et une prudence au-dessus de son
âge (2). Ces qualités le rendaient un
intermédiaire utile pour toutes les
négociations. Sait, en compagnie de
lord Valentia, débarqua à Madère,
au cap Palmas, s'arrêta un peu à
Sainte-Hélène, puis au cap de Bonne-
Espérance, oii il fit une excursion
dans l'intérieur du pays, toucha à
l'île St-Paul, aux îles Nicobar, et le
20 juin 1803 nos voyageurs arrivè-
rent à Calcutta. Alors ils entreprirent
une grande tournée dans l'intérieur
de l'Inde, et allèrent à Benarès et à
Lucknow ; ils visitèrent les ruines de
Canouge, s'embarquèrent sur le
Gange, et furent de retour à Calcutta
le 7 oct. Ils se rendirent ensuite à
Ceylan, et y séjournèrent, puis re-
(i) Probablement George Butt, recteur
de Stanford, où lord Valentia fit une partie
de ses études. On a de George Butt des ser-
mons publiés entre les années 1775 et 179!^.
(2) Je n'ai pu, malgré mes recherches,
connaître la date de la naissance de Sait,
mais il devait être fort jeune lorsqu'il s'em-
barqua eu 1802, car en i8i5 il passa à Pa-
ris pour se rendre en Egypte où il avait été
nommé consul-général, et quand il fut pré-
senté à la troisième classe de l'Institut (Aca-
démie des belles-lettres), tout le monde fut
étonné de le trouver si jeune.
SAL
tournèrent sur le continent ; près de
Pondichéry, Sait se sépara de lord
Valentia pour aller, par des sentiers
dangereux et peu pratiqués, visiter
ses Sept-Pagodes et peindre ce site
célèbre. En février 1804, ils pénè-
trent dans l'Inde méridionale, voient
Seringapatam , font à Mysore une
visite au rayah de ce pays , puis
s'embarquent a Madras pour se
rendre dans la mer Rouge, dont ils
contribuèrent à perfectionner les
cartes en levant le plan de plusieurs
baies et celui d'une île à peu près
inconnue, à laquelle lord Valentia
donna son nom. Sur ces côtes déser-
tes et dangereuses de l'Arabie et de
l'Afrique que baigne la mer Rouge,
plusieurs fois Sait quitta lord Valen-
tia et débarqua sur le continent pour
observer le pays, le décrire, enrichir
sa collection de vues et de dessins.
Ses portraits d'un Jeune pilote de
Massouah, d'un Abyssin ^ d'un Sa-
mouky prouvent qu'il dessinait aussi
bien les figures que le paysage. Lord
Valentia ayant eu à se plaindre de
l'iman de Moka , envoya Sait porter
ses dépêches au gouvernement an-
glais de l'Inde. Sait s'embarqua sur
VAntilope et arriva à Bombay le 9
juillet. Lord Valentia l'y rejoignit le
1 3 septembre. Pendant leur résidence
à Bombay et à Pounah,ils firent des
excursions aux Pagodes et aux fa-
meuses grottes de Salsette et d'ÉIé-
phanta. En décembre 1804 et en
janvier 1805, ils retournèrent à Mo-
ka, à l'île Dhalac, à Massouah, età
Arekko, où ils crurent reconnaître
l'emplacement de l'antique ville dM-
dulis. Durant ses navigations sur la
mer Rouge, lord Valentia étant entré
en communication avec les chefs de
PAbyssinie, se décida, dans l'intérêt
de son pays, à leur envoyer Sait
comme ambassadeur. Celui-ci partit
SAL 15
donc de Massouah avec une suite
convenable et des présents, le 20 juin
1805. C'est ce premier voyage de
Sait dans- l'intérieur de l'Abyssinie
qui forme le troisième volume de
lord Valentia. Il en est certainement
la partie la plus neuve et la plus im-
portante. Écrit en entier par Sait
lui-même, il intéressa vivement
l'Europe savante lorsqu'il fut publié.
S'il n'avait pas réussi complètement
dans le but principal de ses négocia-
tions, il était du moins parvenu à
rouvrir les communications des
chrétiens d'Europe avec les chré-
tiens de l'Abyssinie, interrompues
depuis plus de deux siècles et demi,
depuis que Soliman, en 1598, avait,
par la prise de Souakem, de Massouah
et de l'île Dhalac, enfermé l'Abyssi-
nie entre le désert et la mer, et avait
rendu impossible toute relation avec
les peuples civilisés. Sait retourna à
Massouah, où il rejoignit lord Valen-
tia. Ils passèrent à Djidda, à Suez,
et arrivèreut au Caire le 16 février
1806; ils en partirent le 10 mars,
après avoir visité Rosette , Berim-
bal, Damiette, le lac Bourlos, Man-
sourah, Bahbiet, les restes du temple
d'Isis. Enfin^ après avoir bien exami-
né Alexandrie, dont Sait levaleplan,
nos voyageurs s'embarquèrent le 22
juin, entrèrent dans le port de Malte
le 24 août; le 26 sept.1806 ils étaient
à Gibraltar, et juste un mois après ils
prirent terre à Portsmouth,et rentrè-
rent dans leur patrie après une absen-
ce de quatre ans et quatre mois. Les
voyages et navigations dans l'Inde,
à Ceylan, en Abyssinie et en Egypte
dans les années 1 802- l80G,de lord Va-
lentia furent,en 1809, pubtiésen 3 vol.
i u-4'', avec un grand luxe de gravures
et de cartes exécutées d'après les des-
sins et les plans de Henri Sait. Mais
indépendamment des nombreuses
16
SAL
plancl^'S qiip rpiifermail l*oiivragP,
Sali fit paraître, en mC'tm'. temps que
le voyage, 24 vues gravées en cou-
leur, sur un grand format, qui re-
produisaient les l;ihleaux qu'il avait
peints des principaux sites deslieux
qu'il avait visitds dans ses voya-
ges; ces vues, accoinpagnf^es d'une
courte description in-4°, ne sont pas
seulement faites pour le plaisir des
yeux, elles donnent une plus com-
plète connaissance des lieux. La
17^, la 2l«, la 22e planche sont
surtout très-remarquables , parce
qu'elles nous font connaître la sin-
gulière conformation de ces mon-
tagnes isolées, qui s'élèvent abruptes
en pains de sucre au-dessus des
plaines qui les environnent et qu'on
voit si bien du village d'Asceria à
Samayut, dans la vallée de Calaat.
Ces montagnes, par la facilité de s'y
fortifier, ont dû, comme notre mon-
tagne de Laon en France, celle de
Dunbarton en Ecosse, jouer un rôle
important dans les guerres et les
troubles civils. C'est dans la.planche
20 de ce magnifique atlas de tableaux
que se trouve la vue de l'obélisque
d'Axum, a laquelle l'inscription gra-
vée, copiée clans ce lieu et savam-
ment commentée par le voyageur,
donne un intérêt particulier. Si dans
plusieurs parties de ses voyages
Sait a confirmé quelques-uns des
récits de Bruce qui paraissaient in-
vraisemblables, il en est d'autres oii
il l'accuse d'imposture, et quelque-
fois, suivant nous, sans motifs suf-
fisants, comme quand il nie que les
vestiges de 133 pieds d'estal, que
Bruce dit avoir vus dans cette plaine
d'Axum, n'y existèrent jamais, parce
que lui, Sait, n'eu a pas vu de trace.
Raisonner ainsi, c'est tenir peu de
comple des changements qui ont pu
être opérés d.ms un pays pendant
SAL
le cours d'un demi-siècle. Lorsque
les voyages de lord Valentia don-
naient à son secrétaire dessinateur
une célébrité si justement acquise,
Sait n'était plus en Angleterre. Le
vendredi 20 janv. 1809, il s'étaitem-
barqué àPortsmouth, non pour ac-
compagner comme dessinateur un ri-
che et puissant personnage : cette fois
il partait seul, et il était le chef de la
mission qui lui était confiée. Le gou-
vernement britannique, particulière-
ment habile k bien choisir ses agents,
et fort attentif à tout ce qui peut
étendre utilement ses relations avec
le monde entier, avait compris, d'a-
près le voyage de lord Valentia, tous
les avantages que l'Angleterre pou-
vait retirer d'une alliance avec l'A-
byssinie. Sait fut chargé de négocier
cette alliance; il était porteur de
présents considérables et d'une let-
tre du roi de la Grande-Bretagne à
l'empereur d'Abyssinie. Mais les
guerres civiles et les querelles reli-
gieuses qui divisaient ce pays de-
vaient rendre nuls tous les efforts
de Sait pour y établir des relations
durables et régulières. Il retourna
en Europe deux ans après. Son
voyage n'avait pas été inutile pour
les intérêts commerciaux de l'An-
gleterre. L'état peu pacifique de
l'Europe lui avait fait prendre un
long détour pour se rendre en Afri-
que. Comme dans son premier voya-
ge, il avait touché à Madère, puis au
cap de Bonne Espérance^ mais sa
navigation le long de la côte orien-
tale d'Afrique fut presque une explo-
ration hydrographique, et procura
beaucoup de renseignements utiles
sur les possessions portugaises. Sait
visita plusieurs lieux sur lesquels
depuis long-temps on n'avait eu au-
cune relation, Mesuril, Monjou, Mo-
zambique, Zanzibar et Pemba. Il leva
SAL
SAL
17
le plan de plusieurs baies. En 1810
comme en 1805, son voyage eu Abys-
sinie se borna à Ja province de Tigré.
11 traversa le formidable défilé de
Taranta, et arriva à Dixan, ensuite
k Antalow. Ce fui de Djibba, et un
peu avant d'entrer dans Antalow, le
10 août iSlO, près de Djibba, qu'il
vit ces bœufs galla, uoniuics sanga,
si remarquables par leurs énormes
cornes, allongées comme celles du
cerf. Il séjourna quelque temps à
Chelicul; c'est en ce lieu qu'il put
examiner plus à loisir les mœurs et
les habitudes des Abyssins. 11 passa
ensuite par Agawa pour se rendre
une seconde fois aux ruines d'Axum ;
coUationna encore l'inscription pour
la redonner plus correcte et avec un
nouveau commentaire, et termina
ainsi son voyage. Il retourna à
Dixan, traversa les monts Assaouli,
arriva à Arekko, traversa la mer
Rouge et aborda à Moka ; puis en oc-
tobre il se rendit à Bombay, d'où
il s'embarqua pour retourner en
Europe. 11 quitta le cap de Bonne-
Espérance le 12 décembre, toucha à
Sainte-Hélène le 20 du même mois, et
le 10 janvier 1811 entra dans le port
de Penzance à la pointe de Oornwali,
Aussitôt son arrivée à Londres il
alla rendre compte de sa mission
au marquis de Wellcsley, ministre
des affaires étrangères. Il s'occupa
dès lors de la rédaction de son voya-
ge, qui parut en 1811, avec des gra-
vures et des cartes, comme le voya-
ge de lord Valentia, dont le sien était
en quelque sorte la continuation ou
le complément. Mais il lui donna nu
litre monstrueusement prolixe, et
qui est, pour ainsi dire, une table des
matières. La concision du litre d >s
voyages de lord Valentia, où le nom
même de Sait ne se trouvait pas, où
ses travaux n'étaient pas indi-
LXXXI.
qués, n'avait pas empêché qu'on ne
distinguât particulièrement le mérite
de la partie du voyage qui lui appar-
tenait en propre, et elle fut traduite
en français par M. Prévôt, de Genève,
sous le titre de Voyage en Abys^i-
me, Paris et Genève, 2 vol. in-s»;
mais en 1813 on publia à Paris une
traduction complète des voyages de
lord Valentia, en 4 vol . in-8<*, avec u n
atlas dont le titre portait qu'il était
composé de cartes, de plans, d'in-
scriptions anciennes et de vues di-
verses dessinées sur les lieux par
H. Sait. Ces traductions avaient accru
la célébrité de Sait sur le continent.
Aussi lorsque, dans l'année qui sui-
vit la publication des voyages de lord
Valentia, parut le nouveau voyage
de Sait, il excita vivement l'atten-
tion publique, mais ne remplit pas
entièrement l'attente qu'on en avait
conçue. L'auteur n'avait presque vi-
sité que les lieux déjà explorés par
lui dans son précédent voyage. Il
est vrai qu'il donnait de ces lieux
des descriptions plus complètes ,
des renseignements neufs sur les
établissements portugais de la côte
d'Afrique, des travaux hydrographi-
ques précieux pour les navigateurs, et
une plus complète histoire des révo-
lutions politiques de PAbyssinie de-
puis Bruce; mais cependant ce nou-
vel ouvrage, pour la forme comme
pour le fond, n'était réellement que
la continuation et en quelque sorte
le quatrième volume des voyages de
lord Valentia. Aussi, celui qui avait
traduit ces derniers voyages publia-
t-il en 1816 une édition française du
nouveau voyage de Sait en deux vo-
lumes in-8^ et un atlas de 33 planches,
composé de cartes, plans, inscrip-
tions, portraits et vues diverses. Ce
fut peut-être le dernier travail de l'es •
timable traducteur de tant d'ouvra-
2
ta
SAL
ges anglais (3). li fit preuve de juge-
ment en abrégeant cousitldrablenienl
le titre de l'ouvrage original, et fut
assez heureux pour obtenir l'appro-
bation de celui dont il s'était rendu
l'interprète. Sait, en passant à Paris,
alla voir Pierre-François Henry ; en
témoignage de satisfaction, il lui fit
cadeau d'un magnifique exemplaire
du voyage de lord Valentia et du sien.
Un second exemplaire de ces voyages
fut donné par Sait à la bibliothèque
de l'Institut de France, lorsqu'il fut
présenté par un de ses membres à la
classe d'histoire et de littérature
ancienne (l'Académie des inscriptions
et belles-lettres), dont il avait été
nommé correspondant le 8 déc. 1815.
Il commençait alors un nouveau voya-
ge, et cette fois avec tous les avan-
tages de la fortuneetde la puissance.
Sou gouvernement l'avait nommé
consul-général d'Angleterreen Egyp-
te. Il alla résider au Caire, et fut
particulièrement distingué par le
souverain éclairé de ce pays, Méhé-
met-Ali. il s'adonna avec pjission à
l'étude de l'ancienne Egypte, à la-
quelle les découvertes de Ghampol-
lion et d'Young, son compatriote, ve-
naient d'attacher un intérêt spécial.
Il donna un gage des progrès qu'il
avait faits dans cette étude par la
publication, en 1825, d'un ouvrage
qui lit sensation parmi les érudits,
quoiqu'il n'eût que la consistance
d'une mince brochure. Ce l\it son
Essai sur le système hiéroglyphi-
que et phonétique du docteur Young,
avec quelques découvertes addi-
tionnelles qui le rendent applicable
à la lecture des noms anciens et
des nom» modernes^ Londres, 1825.
Cet ouvrage fut traduit en français
(3) Ke^-rt-François Henry (vo/. ce nom,
t. LSVtr, p. 69, de tette Biographie.)
SAL
deux ans après. Il commence par uno
lettre de M. Bankes, qui dans ses
voyages a recueilli tant de choses
curieuses et en a si peu publié. A
cette lettre est annexée une copie de
la table d'Abydos, que M. Bankes a
découverte et copiée le premier. Mais
M.Caillaud, qui l'a copiée depuis, l'a
publiée le premier, et sa copie, dans
plusieurs cartouches , ne s'accorde
pas avec celle de M. Bankes. L'ou-
vrage de Sait apprit aussi que, d'après
l'observation de M. Bankes, le nom
du Pharaon Tirka a été effacé partout
sur le fronton du petit temple de
Médinet-Abou, et remplacé par celui
de Ptolémée; circonstance dont il
faut tenir un grand compte, quand
il s'agit de déterminer l'âge de la
construction des anciens temples de
l'Egypte. Sait, malgré les promesses
de son titre , ne nous paraît pas
avoir avancé la science du déchif-
frement des hiéroglyphes égyptiens*,
mais il semble qu'il a été , après
celui qui a fondé cette science, le
premier qui en ait fait d'heureuses
applications, pour donner des expli-
cations de quelques inscriptions hié-
roglyphiqiies renfermées dans de.^v
cartouches. Plusieurs de ces explica-
tions ont été accueillies et reconnues
exactes; il en est qu'on lui a dispu-
tées, quelques-unes avec raison, et
quelques-unes peut- être à tort. C'est
en. 1827, dans l'année où parut la
traduction de l'Essai de Sait, lorsque
cet essai avait fait concevoir de légi-
times espérances de lui voir hâter
1rs progrès de l'érudition égyptienne,
qu'on apprit que le 3 octobre il était
décédé sur la route du Caire à
Alexandrie: son corps fut transporté
dans cette dernière ville, et ses funé-
railles furent les plus splendides de
toutes celles qu'on y avait vues depuis
long-temps. VAnrmal register, qui
SAL
raconte ce fait, ajoute qii*il laissa
une fortune de deux cent raille tala-
ris. W— R.
SALL'CES(Dieudonnéede), com-
tesse deReveI,nëe à Turin le 31 juillet
1774, est un des meilleurs poètes
italiens de notre époque. Son talent
se re'vëla de bonne heure et fut mer-
veilleusenit-nl secondé par les circon-
stances. Issue d'une famille ancienne
et illustre, où le savoir et le goût
des lettres sont pour ainsi dire hé-
réditaires {voy. Saluces de Menusi-
GLio, XL, 229), la jeune Dieudonnée
n*eut point à lutter contre les nom-
breux obstacles que Ton rencontre
ordinairement au début de la carrière
littéraire, et où viennent parfois se
briser les âmes les mieux trempées
et les plus heureusement douées.
Elle ne trouva au contraire autour
d'elle que des encouragements de
toute espèce. Parmi les littérateurs
et les savants qui fréquentaient sa
maison, deux surtout, Silvio Balbis
et l'abbé Charles Denina, furent frap-
pés de la précocité de son esprit et
se plurent à le cultiver. Ce dernier
inspira à son élève un attachement
et une estime donton trouve la noble
et chaleureuse expression dans les
vers adressés par la jeune muse à
l'éloquent historien. Les premiers
essais de Dieudonnée furent écrits
en français, langue aristocratique
du temps et qui était naturellement
parlée dans une famille dont le fief
principal avait appartenu à la France
et servait de limites à ses États. Mais
soit quelle ne trouvât pas dans cette
langue assez de souplesse pour le
rhythme, soit qu'elle rougît de l'em-
ployer au moment où le gouverne-
ment français, devenu démocratique,
prenait l'Italie pour champ de ba-
taille dans son duel avec la royauté,
au moment où il fallait par consé-
SAL
19
quent raviver dans tous les cœurs
italiens l'amour du pays et le senti-
ment de l'honneur national, elle re-
vint bientôt à sa langue maternelle,
qui est d'ailleurs la plus poétique, la
plus harmonieuse de l'univers. M"'=
de Saluces n'avait que dix-huit ans
lorsqu'elle fit insérer différentes
pièces dans un recueil que l'on im-
prinia à l'occasion de la mort de la
comtesse Balbo, femme du savant
Prosper Balbo. L'accueil que leur fit
le public devint pour l'auteur un vif
encouragement, et dès ce moment
elle se consacra tout entière au culte
de la poésie. Une première édition
de ses vers, publiée en 1796, fut ra-
pidement épuisée et plaça du premier
coup M"'' de Saluces parmi les meil-
leurs poètes contemporains de l'Ita-
lie. Le célèbre Parini, juge ordi-
nairement sévère, ne trouva pour
elle que des éloges, et plusieurs so-
ciétés littéraires s'empressèrent de
l'appeler dans leur sein. Cela paraî-
tra peut-être singulier en France, où
le sexe est un motif d'exclusion ab-
solue, bien que les femmes prennent
ici, plus que partout ailleurs, une
part active aux travaux littéraires.
Cependant les noms des Sévigné,
des Dacier, des Staël, n'auraient pas
été trop déplacés dans nos académies
qui, au lieu d'être honorées par leurs
membres, donnent à quelques-uns
leur plus grande illustration. En
Italie, au contraire, toute femme
qui s'élève par ses écrits au-dessus
du vulgaire est sûre d'être accueil-
lie par quelque société savante, et
l'on a vu même plusieurs d'entre
elles professer avec distinction dans
les universités les plus célèbres.
Aussitôt après la publication de ses
poésies, M'^« de Saluces fut nommée
membre de l'Académie royale de
Fossan, et l'on fit imprimer à cette
2*
20
SAL
occasion un recueil k la tête (luquel
se trouvait un portrait du poète, par
' Valperga, avec des vers de Tabbé de
Caluso :
En os Gl.iucillae, rujtis j;im pluiirna ;>I> ipsa
Pulchrior Ingenii fst édita imago sui ;
vï^tatis florera priinoe qui conspicis, acvo
Haiic natam nostrodisciioMulpoiiieuem.
Le nom de Glaucilla Eurotea était
celui que M""" de Saluées avait,
selon Tusage, reçu de TAcadémie
des Arcades de Rome , qui se l'était
associée peu de temps auparavant.
Ce recueil, intitulé : Acclamation^
e^c, était précédé d'une introduc-
tion où le même abbé de Caluso,
parlant de la précocité du talent de
îa jeune Dieudonnée, ne craignait pas
de la comparer au Tasse, qui avait,
lui aussi, publié à l'âge de dix-neuf
ans son poème de Renaud. M'^^ de
Saluées épousa, en 1793, le comte
Maximilien de Revel , et , devenue
veuve au bout de trois ans, elle
rentra daus sa famille pour ne plus
la quitter. Lorsque les États sar-
des furent rendus à leurs' anciens
souverains, elle s'empressa de célé-
brer cet événement par une ode qui
fut insérée dans le recueil italien des
Poésies offertes par la ville de Turin
à S. M. la reine ^ à V occasion de son
heureuse arrivée, 1815, in-fol. Dans
l'intervalle, elle avait été nommée
membre de l'Académie des sciences
de Turin, à laquelle elle lut un grand
nombre de pièces. Elle s'était aussi
essayée dans la tragédie et en avait
écrit deux qui ont pour titres : Her-
minie et Tullie. La première fut re-
présentée en 1804, mais seulement
par une société d'amateurs. L'œuvre
principale de M"'*' de Revel est le
poème d'ippazia. L'auteur n'eut rier»
moins que la prétention de faire un
poème philosophique, et l'on de-
vine h l'avance toutes les difficul-
SAL
lés qu'elle dut rencontrer dans l'exé-
cution de son programme. La scène
se passe au commencement du V^
siècle de notre ère, à Alexandrie
d'Egypte, dans l'ancienne forêt où
éiait le temple d'Isis et d'Osiris.
L'héroïne principale est [ppazia,
jeune vierge chrétienne qui donne
son nom au poème, et qui, aimant
un païen, éprouve en elle cette lutte
intérieure entre les passions et le
devoir, lutte dont on prévoit bien
qu'elle doit sortir triomphante.Parmi
les autres personnages, on remarque
surtout les chefs des différentes éco-
les philosophiques qui étaient alors
la gloire d'Alexandrie. Faire ressor-
tir la grandeur des dogmes du chris-
tianisme, la noblesse et la pureté de
sa morale, tel est le but de tout l'ou-
vrage. La nature même du sujet a
empêché qiV Ippazia obtînt dès le
début un grand succès ; mais si ce
poème n'est pas destiné à devenir
populaire, il est pour nous hors de
doute qu'il sera de plus en plus ap-
précié par les lecteurs sérieux, par
ce public d'élite, dont les jugements
seuls sont compétents en littérature
cl prévalent tôt ou tard sur l'indiffé-
rence et l'injustice, comme sur les
engouements de la multitude. /ppasia
réunit à un haut degré les qualités
les plus propres à assurer le succès
d'un livre. La profondeur de la pen-
sée, la vivacité des images, l'élégance
et la pureté du style, te mouvement
et l'intérêt dramatique de la narra-
tion, tout démontre que ce poème
n'a pas seulement été inspiré par
une imagination heureusement douée,
mais qu'il est encore le fruit de lon-
gues méditations et de nombreuses
veilles. Cependant, quel que soit
son mérite, nous préférons certaines
compositions lyriques du môme au-
teur. L'ode sur le Saint Sacrement,
SAL
par exemple, et celle qui a pour sujet,
le Retour du Roi Victor- Emmanuel
dans ses États du continent, nous
semblent dignes de figurer à côté
des meilleures pièces que l'Italie
possède en ce genre, et nous regret-
tons que les limites de cette notice
ne nous permettent pas d'en citer
quelques fragments. Depuis son
veuvage, M'"'' de Revel avait partagé
son temps entre ses études littérai-
res et des voyages d'agrément dans
différentes parties de l'Italie, surtout
à Florence et à Rome. Dans l'hiver
de 1837, elle alla chercher un clitnat
plus doux sous le beau ciel de Nice,
lî.iais sa santé, depuis long-temps
compromise par un travail assidu, ne
put se rétablir^ elle fut atteinte de
paralysie et mourut dans cet état, à
Turin, le 24 janvier 1840, avec une
résignation toute chrétienne. Elle a
laisse : I. Quelques pièces dans le
* recueil intitulé : Memoriœ Henri-
chettœ Tapparellœ Prosperi Balbi
uxoris monumentum^ Turin, 1792,
in-4°. 11. Poésies de Diodata Sa-
luzzo^ surnommée par V Académie
des Arcades GlauciUa Eurotea , Tu-
rin, 1796, in-8". La pièce qui sert
d'introduction, et que l'auteur dédia
à son père, fut reproduite dans l'^lw-
née poétique^ Venise, 1797, in-12.
Cette première édition fut tin ée à un
très-petit nombre d'exemplaires et
distribuée à des amis. La seconde
parut la même année, 2 vol. in-12. On
y trouve, outre quelques pièces nou-
velles, plusieurs poésies adressées à
l'auteur par différentes personnes.
M. le professeur Jean Rosini de Pise,
célèbre romancier et historien , se
chargea de la troisième édition (Pise,
1802, 2 vol. in-8«). Enfin une qua-
trième, augmentée comme les précé-
dentes, fut imprimée à Turin par les
soins de l'auteur, en 1816-17, 4 vol.
SAL
21
in-S". L'i plupart des pièces nou-
velles avaient été lues à l'Académie
des sciences de Turin et insérées dans
ses Mémoires, (\e l'an X (1801) à l'an-
née 1813. 111. Un petit poème dans la
Collection de pièces publiée par le
comte Napione, à l'occasion de la
mort de M'»^ Charlotte-Mélanie Al-
lieri, et dédiée à M"'« de Revel, née
Saluzzo, Parme, Bodoni, 1807, in-8".
IV. Ippazia^ ou des Philosophies^
poème en vingt chants, Turin, 1817,
2 vol. in-80; seconde édition, ibid.,
1830, 2 vol. in-8«. V. Nouvelles,
Milan, 1830, in-8^ \l. La Sibylle,
ode composée pour la séance so-
lennelle de l'Académie des sciences
de Turin (3 août 1833), et qui fut, en
l'absence de l'auteur, lue par le pro-
fesseur C. Boucheron, en présence de
S. M. le roi Charles-Albert. VII. Vers
écrits à Rome, Turin, 1834, in-4°.
On les réimprima ensuite in-8^, afin
de pouvoir les joindre à la 4^ édition
des Poésies. Vlll. Sur la mort du
comte Prosper Balbo, Canzone, Tu-
rin, 1837, in-8". IX. Poésies pos-
thumes^ i])id., 1843, in-8°, précé-
dées d'un Éloge historique, par M. le
comte Coriolan de Bagnolo, et sui-
vies d'un recueil de lettres écrites à
l'auteur par les hommes les plus
éminents du monde littéraire. Les
plus grands honneurs furent rendus
à la mémoire de l'illustre poète. On
publia à Turin, peu de temps après
sa mort, un recueil de poésies au-
quel les dames seules avaient pris
part, et où elles déploraient la perte
de leur modèle. Parmi les éloges
dont elle fut l'objet, nous citerons
encore celui que M. Paravia, profes-
seur d'éloquence italienne à l'uni-
versité de Turin, fit insérer dans la
Biografia degli Italiani illustri,
et celui que prononça M. François
Regli dans une séance de l'Athénée
:22
SAL
de Bergame, dont M'"« de Revel
était membre, éloge qui fut ensuite
imprimé à Milan (1840, in -8")- M'"*
(ie Kevei a laissé trois frères qui oc-
cupent les dignités les plus énii-
nentes à la cour et à l'armée du roi
de Sardaigne et jouissent d'une gran-
de considération dans toutes les clas-
ses de la société. A— Y.
SALVADOR Y BOSCA ( le D'
don Juan ), botaniste espagnol, le
premier de ce nom qui s'est fait dis-
tinguer dans les sciences naturelles,
naquit le G janvier 1598, à Calella,
en Catalogne.. Après avoir étudié la
pharmacie à Barcelone, chez son
frère Joaquin, l'un des meilleurs
élèves de Mico de Vich, avec lequel
il contribua à l'ouvrage publié par
Dalécham, sur beaucoup de plantes
rares de Monserrat et du royaume de
Valence, il prit dans leur société un
goût passionné pour la botanique et
la chimie. En 1622 il fit un voyage
en Espagne pour y rechercher et
étudier les plantes que ce royaume
renferme, et se fit connaître de plu-
sieurs savants étrangers, parmi les-
quels nous citerons le père Jacques
Barrelier, de l'ordre des prédica-
teurs. Il mourut le 12 avril 1681.
— Salvador y Pedrol (Jacques),
fils du précécent, que les Espagnols
appellent le Salvador par excellence,
et auquel ils prétendent que Tour-
nefort donnait le nom de phénix de
son pays, naquit à Barcelone le 20
juillet 1649. Après avoir reçu une
brillante éducation dans sa patrie,
son père l'envoya à Montpellier pour
se perfectionner dans les sciences
naturelles, pour lesquelles il montra
de très -bonne heure de grandes
dispositions. Il se rendit ensuite
dans le même but à Marseille et à
Toulouse,oii il se lia intimement avec
Chicoyneau, Magnole et Nissolle. La
SAL
réputationde Salvadoréfaif tellement
répandue, que lorsqueTourncfort vint
pour la première fois herboriser en
Espagne, il y arriva muni de lettresde
recommandation de plusieurs savants
pour le botaniste catalan. En 1681 et
1688, ils herborisèrent ensemble
dans le royaume de Valence et en
Catalogne, et la conformité de leurs
goûts et de leurs inclinations les
lia d'iine vive amitié, qui dura
autant que leur vie et ne souffrit
jamais d'altération. Le prince de la
Catolica et le célèbre JeaA Ruys
adressaient à Salvador de fréquentes
questions sur la botanique ^ Pablo
Boccone lui faisait hommage de
ses œuvres, en les accompagnant
d'une collection des plantes de la
Skik, et le grand Boerhaave, qui
entretenait avec lui une correspon-
dance suivie, en parle d'une ma-
nière très- honorable dans sa disser-
tation académique sur les plantes, en
faisant mention de celles que le
savant catalan lui avait envoyées et
qu'il avait fait suivre de leur histoire
et de diverses observations. Lorsque
les escadres d'Angleterre , de îlol-
lande et de Portugal se trouvaient
réunies dans le port de Barcelone, à
cette époque lieu de résidence de
l'archiduc Charles, compétiteur de
Philippe V à la couronne d'Espagne,
le cabinet de Salvador devint le point
de réunion de tous les médecins et
chirurgiens de cette ville et des flottes
alliées. Nicolas-Pio Garelli, Félix-
Gabriel Longobardo, Julide Orosco,
Antonio Poda, Lakaen, Freind, Mis-
teré, y traitaient avec lui différentes
questions de médecine, dechirurgi e
de botanique, de pharmacie, de ma-
thématiques et de littérature. C'était
une espèce d'académie à laquelle
chacun des savants soumettait des
mémoires écrits dans la langue de
SAL
son pays, que Salvador comprenait
parfaitement. L'archiduc ayant été
forcé d'abandonner la Catalogne, Jac-
ques Salvador entra en relation avec
les médecins de Philippe V, lesquels,
en plusieurs circonstances, le consul-
tèrent sur la santé de ce monarque.
Jacques Salvador fut chef d'une école
d^o\i sortirent Juan Minuar, José
Llobet, Riera de Vich et plusieurs
autres. Il ne se borna pas à l'étude
des sciences naturelles et des belles-
lettres, mais il s'occupa d'économie
politique et d'administration. Les ser-
vices qu'il avait rendus à ses conci-
toyens, et l'influence qu'il exerçait sur
eux et sur les étrangers, le firent élire,
le 30 nov.1697, membre du conseil de
Barcelone. La circonstance était on
ne peut plus critique, car cette ville
soutenait alors un siège dont on ne
pouvait prévoir l'issue. On doit à Jac-
ques Salvador l'analyse des eaux
thermales d'Esparraguera , près de
Monserrato, dans lesquelles il décou-
vrit une vertu spécifique contre l'hy-
pocondrie. Il rédigea une instruction
sur la manière dont ces eaux doivent
être prises, et analysa également plu-
sieurs autres eaux thermales qui se
trouvent en Catalogne. Ses héritiers
possèdent un grand nombre de ma-
nuscrits qu'il a laissés, et dont quel-
ques-uns ont paru intéressants à
ceux qui les ont examinés. Après une
vie parfaitement remplie, Jacques
Salvador mourut dans un âge très-
avancé, le 22 juin 1740. — Sal-
vador {Jean), fils du précédent,
né à Barcelone le l^'^ décembre 1683,
botaniste comme son père et son
grand-père, accompagna plusieurs
fois le premier dans ses excursions
scientifiques en Catalogne et dans les
Pyrénées. Guidé par le célèbre Ma-
gnol, qui feisait un grand cas de lui
et l'appelait son élève chéri, il visita
SAL
23
en herborisant une partie de la Fran-
ce, et dressa en particulier une flore
des environs de Montpellier. Pendant
les vacances de l'université, il voya-
gea dans toute la Provence, aidé des
conseils de Garidel et Fouque, et
se rendit à Paris en 1705. Pendant
quatre à cinq mois qu'il passa dans
cette capitale, Tournefort, désirant
payer au fils tout ce qu'il devait à
l'amitié du père, ne voulut pas qu'il
eût d'autre maison que la sienne. Il
mit à sa disposition tous ses trésors
d'histoire naturelle ; lui donna d'ex-
cellents avis, et lui fit cadeau d'une
collection presque complète des plan-
tes qu'il avait recueillies dans son
voyage du Levant. Pendant sa rési-
dence à Paris, le jeune Salvador se lia
d'amitié avec plusieurs académiciens,
entre autres Vaillant, Danty d'is-
nard, etc. (1), avec lesquels il entre-
(i) C'est sur des renseignements inexacts
que, dans ses Memorias para ayudaràformar
un Diccionario critico de los escritores cata-
lanes, le savant évêque d'Astorga, don Félix'
Tories Auaat, annonce que Jean Salvador
contracta à Paris une liaison d'amitié avec
Antoine et Bernard de Jussieu , puisque
l'aîné de ces frères ne vint dans la capitale
de la France qu'après la mort de Tourne
fort (1708), et Beruard bien des années plu»
tard. Quelques lignes extraites d'une lettre
manuscrite adressée à l'abbé Bignon par An-
toine de Jussieu, etdontnous devonsia com-
munication à M. A. de Jussieu, son neveu,
membre de l'Académie des sciences, établis-
sent l'origine des relations entre les Jussien,
et Salvador. «< Malgré les avantages que Barce-
« lone a sur beaucoup d'autres pays, par sa
« situation heureuse, qui en rend le territoire
« fécond en belles plantes, je n'y ai trouvé de
« fécond en ce genre que MM. Salvador père
« et fils, les plus habiles apothicaires de tout
« le pays ou plutôt de toute l'Espagne. Le
« fils a été à Montpellier mon compagnon
« d'études, et, quoiqu'il fût alors très-habile
« dans la botanique , il s'y est beaucoup
« perfectionné par les voyages qu'il a faits
« en France et en Italie. Je me suis aperçu
« de son progrès dans l'histoire naturelle
«< par Pâmas de plantes, de drogues, de mi-
« uéraux, d'insectes et d'autres curiosités de
u ce genre , dont il a composé un cabinet
24
SAL
tint depuis une correspondance sui-
vie et (il des échiiiii^es de plantes.
Salvador visita cnsiiile l'ilalie, qu'il
parcourut en savant studieux. Par-
mi les honwnes distingués dont il
obtint l'amitié et qui devinrent ses
correspondants , nous nommerons
Masigli , Triunfeti , Langio , etc.
En 1711, Salvador lit un voyage
aux îles Baléares; il y recueillit
un nombre considérable de plantes
dout les plus précieuses, communi-
quées par lui à Boerhaave, intime ami
de son père, ont été publiées par ce
savant. Quatre ans après (1715), l'A-
cadémie royale des sciences de Paris
l'élut, sur la présentation d'Antoine
de Jussieu, membre correspondant, et
en 1716 le chargea d'aller, avec les
deux Jussieu, herboriser en Es-
pagne et en Portugal aux frais du
gouvernement français. En échange
des plantes que Jacques Salvador
cl son (ils Jean envoyaient à leurs
correspondants, ils reçurent de la
plupart d'entre eux, parmi lesquels
nous citerons Hermaun , Boerhaave,
Sloan Petiver et plusieurs autres ,
ainsi que de l'Académie des sciences
de Paris, des dons précieux qui enri-
chirent leur cabinet et leur biblio-
thèque. C(*tte dernière société leur
offrit pour leur médailler une collec-
tion complète des médailles frappées
pour conserver le souvenir des ac-
« qui es', l'unique qai soit à Barcelone. La
M nécessité d'avoir pendant mon voyage un
« interprète de confiance et un homme .'•e-
« courahle en cas de maladie, m'ont fait je-
<c ter les yeux sur cet ami pour l'engager à
« m'accompagner pendant toute la route... »
Le même A. de Jussieu parle ainsi de Sal-
vador dans le rapport de son voyage adressé
par lui au régent : « Je crus devoir me don-
« ner pour adjoint le sieur Salvador, apo-
« thicaire de Barcelone, reconnu pour le
« plus célèbre ljotauit>te de rc royatime et
« coiiespnndaut de VAcadcmie dçs bficu-
SAL
lions mémorables du règne de Louis
XIV. La mort prématurée de Jean
Salvador, arrivée le 21 février 1720,
lorsqu'il venait à peine déterminer
sa (juarante-deuxième année, causa
un vif chagrin à son père et fut une
perte sensible pour la botanique.
Jean Salvador a laissé plusieurs
maniiscrits inédits. Il en est un
dont la perte paraît fort regretta-
ble, d'après le titre qu'il portait <t
qu'on a trouvé écrit de sa propre
main ainsi qu'il suit : « Botanomas-
ricoN catalonicum , sive catalogus
plantarum quœ in Calaloniœ mon-
tibus, sylvis^ pratis.campis et ma-
ritimis sponîe nascuntur ; tum illa-
rum quœ aliqua cultura indigent...
mm denominatione locorum uhi
proveniunt ac mensium quitus vi-
gent et florent... Necnon virtutes
juxta neotericorum principia a cele-
berrimis auctoribus desumptce, com-
plurimœque proprio experimenlo
confirmalœ hr éviter exponuntur...
variés iconibus descriptionibusque
illustratur... Auctore... » On peut
dire qu'à l'exception des propri'étés
des plantes {de las virtudes) , des
planches et des descriptions, on pour-
rait refaire ce catalogue avec Ther-
hier laissé par les Salvador. Cava-
nilles assure avoir vu à Paris, dans la
bibliothèque du Jardin botanique, un
ouvrage manuscrit de Jean Salvador,
sous ce titre : Observations sur
diverses plantes rares qui se trouvent
sur la montagne de Monserrat et
dans d'autres parties de la Catalo-
gne. Les recherches que M. Des-
noyers , bibliothécaire du Muséum
d'histoire naturelle, a bien voulu faire
(1847) dans cet établissement, n'ont
pu mettre au jour de manuscrits ni
d'ouvrages imprimés des Salvador.
M. de Jussieu a été plus he^ireux ; Il
pi.;?>sçtle, non le manuscrit cjté-pur
SAL
Cavanilles, mais 1» un autre (Je 15 p.
iii-folio, accompagné de quelques
mauvais dessins, ayant pour titre :
Réponse aux Mémoires qu'on a
envoyés à Barcelone à Jean Salva-
dor, apoticaire{sic) et correspondant
de l'Académie royale des sciences de
Paris, sur les pèches qui se font aux
côtes de Catalogne^ auxquels il ré ■
pond et envoyé les dessins nécessai-
res (2). A ce me'moire est jointe une
leltre du 15 novembre 1722, qui en
tixe la date. 2° Un second petit ma-
nuscrit de cinq pages , sans nom
d'auîeur, ayant pour titre : Catalo-
gus planlarum variorum in insulis
Balearicis mens. Junio et Julio^ A.
\1V2^ observât arum ^ dont tout porte
à croire que Jean Salvador est
l'auteur. — Salvador (Joseph),
frère du précédent, recul à peu près
la même éducation et montra le
même penchant que celui-ci pour
l'étude de la science qui avait fait la
gloire de leur père. Après avoir ob-
tenu le degré de maître ès-arts à
Barcelone, il se rendit à Montpellier
|iour y étudier la botanique, la chimie
et l'anatomie. Il explora ensuite la
flore de l'île Minorque, d'où il rap-
porta plusieurs plantes que son frère
n'avait pu trouver dans une autre
excursion. II fit comme lui un voyage
en Italie, et entra en relations avec
les amis de son père et de son frère.
Il mourut en 1771, après avoir été
reçu membre de l'Académie royale
médicale d'Espagne. Les Salvador,
avec un désintéressement peu com-
mun, se montrèrent toujours prompts
à communiquer leurs propres ob-
servations , et à fournir toutes les
informations qui leur étaient de-
SAL
25
(i) M. Viilencipnnespfn.se <jiie D-ih.mtfl
s'est seivi de te rqaoustrit <l.uis sou Histuiif
mandées. Antoine de Jussieu doit au
premier Salvador la plus grande
partie des observations que le père
Barrelier écrivit sur les plantes d'Es-
pagne, de France et d'Italie, et qui
furent publiées à Paris en 1714; un
exemplaire en fut donné à la famille
en témoignage de reconnaissance, et
se trouve dans sa bibliothèque. Les
importants itinéraires du voyage de
Tournefort en Espagne et de celui de
Jussieu prouvent la grande part
qu'ont prise à leurs découvertes Sal-
vador père et tils. La bibliothèque
et le musée de cette famille sont
certainement une des curiosités de
Barcelone ; ils renferment, outre un
nombre considérable d'ouvrages im-
primés sur diftérents sujets et une
nombreuse et précieuse correspon-
dance littéraire, des produits appar-
tenant à la minéralogie, à la zoologie,
la conchyliologie, la chimie, la bota-
nique , des objets d'antiquité , des
médailles, etc., etc. Leurs posses-
seurs s'occupent d'en faire faire le
catalogue et la description, aidés de
la coopération de plusieurs savants
espagnols, parmi lesquels on remar-
que les noms d'Agustin Yafiez, de
José Camps y Camps, de Mariano
Graells, de J. Ripoll, de Francisco
Bolos, de Mariano Lagasca. H faut
donc espérer que cet ouvrage, véri-
table monument élevé à la gloire des
Salvador, ne tardera pas à paraître;
et qu'en France, malgré le genre Sal-
vadora consacré à leur souvenir,
leur nom sortira un peu de cet oubli
dû à ce qu'ils ont laissé inédits leurs
travaux scientifiques. Les Salvador
avaient cependant un avantage sur **
d'autres botanistes, celui de traiter
des plantes d'Espagne, au sujet des-
quelles notre bibliographie ne pos-
sède encore juj;qu'à présent que des
d'jcumeuts incomplets. O-z— s.
!^6
SAL
SAL
SALVERTE (Annic-Joseph-Eusê-
BE Baconniere), écrivain poliliqneet
député de Paris, naquit en cette ville
le 18 juillet 1771. Fils d'un adminis-
trateur des domaines, il (itau collège
de Juilly d'assez bonnes études, et fut
nommé, à l'âge de dix-huit ans, avo-
cat du roi au Châtelet, place fort f^o-
norable et fort bonne pour un si jeune
homme, dont toute la famille d'ail-
Jeurs jouissait d'un certain crédit, en
raison de sa parenté avec Dévalues.
Ce crédit cessa avec le pouvoir royal
au commencement de la révolution, où
la charge d'avocat du roi fut suppri-
mée. Le jeune Salverte eut donc
beaucoup de raison d'être mécontent
des innovations, et, comme tous ses
parents, il se montra fort attaché a
l'ancienne monarchie. Cependant il
obtint un emploi en 1792 au minis-
tère des affaires étrangères , et l'an-
née suivante il fut forcé de donner sa
démission par suite de dénonciations.
11 sollicita alors le grade de sous-
lieutenant dans le génie, mais on le
lui refusa, et quelques temps après
il fut admis à l'école des ponts-et-
chaussées, où il professa l'algèbre.
Ayant pris beaucoupde part, ainsi que
la plus grande partie des jeunes gens
de cette époque, à la réaction ther-
midorienne, il fut condamné à mort
par contumace après la journée du
13 vendémiaire an IV (1795), où le
parti révolutionnaire triompha et
dans laquelle il avait été l'un des
principaux meneurs de la section du
Mont-Blanc. L'année suivante il ne
craignit pas de se présenter en per-
sonne devant les tribunaux pour y
faire purger sa contumace, ce qui du
reste était aussi facile que peu dan-
gereux. Après avoir ainsi figuré avec
quelque distinction dans les rangs du
parti royaliste, Salverte fut loin d'en
conserver tous les principes. Il était
surtout fort irréligieux, et, dans tou-
tes les occasions, il ne craignait pas de
manifester sur ce point des opinions
que ne partageaient ni sa familb'
ni ses amis. Il avait composé sur la
mort de Jésus Christ une tragédie
aussi mal conçue que ridiculement
écrite, et qu'il lut dans plusieurs sa-
lons, dont le blâme et la censure la
mieux fondée ne purent le rappeler
à de meilleurs sentiments. En 1797,
il fut secrétaire d'âge du corps élec-
toral de la Seine , puis il occupa
pendant quelques années, dans l'ad-
ministration du cadastre, une place
qui lui laissait beaucoup de loisir
et lui permettait de se rendre aux
joyeuses réunions de la société du Ca-
veau moderne, dont Désaugiers était
président. H composa aussi dans le
même temps quelques écrits politi-
ques et littéraires, aujourd'hui com-
plètement oubliés. En 1807, ayant
concouru pour le prix de l'Aca-
démie sur ce sujet : Tableau litté-
raire de la France au XYlll siècle,
il obtint une mention. Ce fut en 1812
qu'il épousa la veuve du comte de
Fleurieu, qui, si on l'en croit, avait
été son ami, quoique d'un âge beau-
coup plus avancé, et qui certes ne
lui avait pas inspiré les sentiments
d'irréligion et de démagogie qu'il
manifesta plus tard. C'était du reste
une femme fort estimable et très-
instruite. Lors de la seconde Restau-
ration , il quitta la France avec sa
femme et habita Genève pendant cinq
ans, après lesquels il revint à Paris,
où il se mit à publier de nombreuses
brochures sur les questions politi-
ques du moment, et on le vit à cette
époque le défenseur le plus zélé de
l'enseignement mutuel et des caisses
d'épargne. H cherchait depuis plu-
sieurs années à se faire élire député,
et en 182S il fut nommé par les
SAL
électeurs du 3^ arrondissement de
Paris, auxquels il avait adressé sa
profession de foi dans une brochure
fort remarquable. « Les principes
- que je professe aujourd'hui, leur
« avait - il dit , ont été consignés
« depuis dix années dans des opus-
« cules où je me suis surtout ef-
« forcé de rappeler à mes concitoyens
« l'importance des droits que vous
« allez exercer. 11 en est un où j'é-
« tablis qu'un député ne doit point
« accepter de place du gouverne-
• ment 5 et je déclare que cette maxi-
« me sera toujours la règle de ma
• conduite.Une grande indépendance
« de position, l'absence de toute au-
• tre ambition que celledeshonneurs
« que décerne l'élection nationale,
« une étude approfondie de l'histoire
• sous les rapports qui intéressent
• la législation et la civilisation, tels
« sont mes titres à votre confiance.
• L'intérêt du pays, l'exécution dt la
« volonté générale, tels seront mes
m guides si j'ai le bonheur d'obtenir
• vos suffrages. » Dès les premières
séances auxquelles il assista, Salverte
accusa le ministère qui venait d'être
renvoyé, et il proposa de le mettre
en accusation. Dans la séance du 28
juin il parla contre les jésuites ; enfin,
dans toutvis les occasions, il se montra
l'un des orateurs les plus acharnés
contre la religion et le pouvoir royal,
à ce point qu'il adopta hautement le
projet de, refuser l'impôt dans le cas
où la charte serait violée. Il vota
l'adresse des 221 ; et l'on peut dire
sans exagération qu'il fut un de ceux
qui contribuèrent le plus à renver-
ser la monarchie. Lors des journées
de juillet, il n'était pas k Paris ; mais
dès qu'il en fut averti, il s'empressa
d'accourir pour y prendre part. Le
31 juillet, il se réunit à ses collè-
gues, et on le vit à ce moment faire
SAL
27
mille propositions diverses : il vou-
lait que l'on prît pour bases des in-
stitutions fondamentales que l'on de-
vait donner à la France, la déclara-
tion adressée à la nation par la
chambre des représentants en 1815;
puis, que dans la nouvelle charte on
se bornât à dire que les rapports des
cultes avec le gouvernement se-
raient réglés par une loi , la reli-
gion catholique n'étant pas la reli-
gion de l'État ^ enfin, que la magis-
trature fût intégralement renouvelée.
Réélu député par le 5® arrondisse-
ment de Paris, il proposa encore,
dès que la chambre fut constituée,
la mise en accusation des minisires
signataires des ordonnances du 25
juillet, et s'opposa fortement à la
suppression de la peine de mort, qui
fut alors discutée. Dans la session
suivante, il se montra acharné contre
la famille exilée, et demanda la mise
en accusation de la duchesse de
Berry. Il était un des membres les
plus exaltés de l'extrême opposi-
tion de gauche, avec MM. Lalayette,
Audry de Puyraveau, Mauguin, etc.,
et, comme tel, il fut l'un des signa-
taires du fameux Compte-rendu, acte
illégal et sans effet. Puis il se fit le
défenseur de la proposition qui rappe-
lait la famille de Napoléon en France.
Aux élections de 183*, il ne fut point
réélu ; M. Thiers l'emporta sur lui, et,
pourle dédommager, ses partisans lui
firent frapper une médaille comme té-
moignage de leurs regrets. Plus tard,
cependant, il revint à la chambre re-
présenter le 5e arrondissement. Son
opposition ne fut ni moins vive ni
moins acerbe ; il parlait sur toutes
les questions, le plus souvent à tort
et à travers, avec une volubilité in-
croyable. Chose singulière ! il se dé-
fendait d'être républicain, et sa doc-
trine politique était le gouvernement
28
SAL
fonde sur la soiivoraineté du peuple,
la soumission pleine et entière à la
majorité nationale. Sans être orateur,
il avait la parole assez facile, mais un
peu lourde, suivant en cela l'impul-
sion de son esprit. Du reste, il était
un des plus grands parleurs de la
chambre, et ses nombreux discours
en sont la preuve. Il mourut dans le
mois de novembre 1839, sans avoir
rempli aucun devoir religieux. Nous
avons cependant lieu de penser qu'il
s'était repenti, dans les derniers
temps de sa vie, de ses attaques con-
tre la religion, et nous savons même
qu'il s'en était ouvert à l'un de ses
confrères à l'Académie des inscrip-
tions et belles -lettres, dont il était
membre libre, ce qui nou« fait croire
que ce fut par erreur ou au mépris de
ses dernières intentions qu'à son en-
terrement le corps ne fut pas présenté
à l'église. Ladéputation que l'Acadé-
mie y avait envoyée selon l'usage re-
fusa d'accompagner le convoi, lors-
qu'elle fut informée de cette disposi-
tion. Il n'y eut que M. Letronne qui,
en sa qualité de président, crut devoir
le suivre au cimetière. La famille du
défunt se montra fort affligée d'un
pareil scandale. Les écrits publiés
d'Eusebe Sal verte sont : I. Entretiens
de L. Jun. Brutus et dç C. Mutins,
Paris, an II de la république (1793),
in-8o. II. Êpître à une femme raison-
nable^ ou Essai sur ce qu'on doit
croire, Paris, 1793, in-8". III. Les
journées des 12 et 13 germinal
an m, Paris, 1795, in-8». IV. Idées
constitutionnelles^ impr. par ordre
de la Convention, thermidor an III
(1795), in-8«». V. Le premier jour de
prairial y par l'auteur des Journées
des {2 et 13 germinal y ?âris, an III
(1795), in 8°. VI. Èpïlre de Salluste
à César sur l'ordre à étahlir dans La
république^ traduction, suivie d'un
SAL
Précis historique de Julius Exsu-
pcranlius , Paris, an VI (1798),
in-8°. VII. De la balance du gou-
vernement et de la législation ^ et
ses moyens d^ équilibre dans l'état
actuel des choses, Paris, an VI (1798),
in-8°. VIII. Conjectures sur la cause
de la diminution apparente des eaux
sur noire globe^ Paris, 1799, in-8".
IX. Du droit desnations, Pi\ri'^^i'I99 y
in-8o. X. Romances et poésies eroti-
ques, avec cette épigraphe : Ed io
cantava l'amore, Paris, 1799, in-S".
XI. Un Pot sans couvercle et rien de-
dans, ou les Mystères du souterrain
de la rue de la Lune^ histoire mer-
veilleuse et véritable, trad. du franc,
en langue vulgaire, Paris, 1799, in-8<>.
XII. Éloge philosophique de Denis
Diderot, lu à Tlnstitut national le
7 thermidor an VIII, Paris, 1801,
in-8°. XIII. Rapports de la médecine
avec la politique, Paris, 1800, in-8<^.
XIV. Tableau littéraire de la France
au XVIll*^ siècle, Paris, 1809, in-8<',
ouvrage qui a concouru pour le prix
de l'Académie française obtenu par
Victorin Fabre. XV. De la civilisa-
tion depuis les premiers temps histo-
riques jusqu'à ta fin du X VII l^ siècle,
Paris, 1813, in^". XVI. Néila,oule8
Serments, histoire du XII« siècle,
suivie d'Enguerrand de Baico, anec-
dote du XIII« siècle, et d'Hélène, Pa-
ris, 1812, 2 vol. in-12. XVII. Épître
sur la liberté. La date de cette pièce,
qui parut à Bruxelles en 1817, en in-
dique assez le but et l'esprit. C'est
une suite de lieux communs et d'in-
jures contre le gouvernement de la
Restauration. XVIII. Phédosie^ tra-
gédie en cinq actes, Paris, 1813,
in-8°, non représentée. XIX. Des pé-
titions, dissertalion suivie de consi-
dérations sur l'immutabilité de la
Charte constitationnclle^ Paris, 1819,
in-8", XX. Un député doit il accepter
SAL
des places? 1820, in -8». XXI. Des
maisons de santé destinées aux alié-
nés, Paris, 1821, in-8«. XXII. Essai
historique et philosophique sur les
noms d'hommes, dépeuples et de lieux,
considérés dans leurs rapports avec
la civilisation ^ Paris, 1823, 2 vol.
in-8°. XXUl. Horace et l'empereur
Àuguste^ou Observations quipeuvent
servir de complément aux commen-
taires sur Rome, Paris, 1823, in-8°.
XXIV. Les menaces et les promesses,
dialogue entre deux électeurs, Paris,
1824, in-8°. XXV. Du taux de l'ar-
gent, de l'intérêt et de la réduction,
1824, in-8"'. XXVI. Lettre à mon-
sieur ***, cultivateur et proprié taire,
membre du collège d'arrondUsement
de ***, 1824, in-8". XXVII. Opinion
sur des pétitions relatives aux jésui-
te s, séance d\i 21 imniS28,? mis, 1828,
10-8*. XXVIII. Des sciences occultes,
ou Essai sur la magie, les prodiges,
lesmiracles, Paris, 1829, 2vol. in-S».
XXIX. Notice sur la vie et les ou-
vrages de Cadet de Gassicourt, phar-
macien, avec cette e'pigraphe tirée de
P. Syrus : Âmicum perdere est dam-
norum maximum , in-8°. Salverte
avait été intimement lié avec Gassi-
court, et ce sentiment se manifeste à
chaque phrase de ce discours par
l'exagération des louanges. XXX.
Notice sur la vie et les travaux du
comte de Fleurieu, imprimée dans les
Annales des voyages et en tête du
catalogue de la bibliothèque de ce
savant. Salverte a encore publié beau-
coup de brochures de circonstance
sur différentes questions, et des ar-.
ticles dans divers recueils, entre au-
tres dans les Mémoires de l'Acadé-
mie celtique, dont il était membre;
dans le Mercure et VEsprit des jour-
naux, dans la Bibliothèque française
de Pougens, dans la Revue encyclo-
pédique de M. Jullien, la Bibliothè-
SAL
29
que universelle de Genève, etc. li a
laissé inédite une tragédie intitulée :
LaMorl de Jésus-Christ, (\oiï\ ilavait
fait plusieurs lectures à ses amis, et
dont on peut juger l'esprit et le but
par les opinions anti-religieusos qu'il
manifestait dans toutes les occasions.
—Salverte {Aglaé Deslacs d'Arcam-
bal), épouse en premières noces du
comte Claret de Fleurieu, puis du pré-
cédent, morte en 1826, a publié sous
le voile de l'anonyme le roman intitu-
lé: Stella, histoire anglaise, par ma-
dame deF..., Paris, 1800,4 vol. in-12.
—Salyeute (Jean-Marie-Eustache),
frère aîné du précédent, né le 20 mars
1768 et mort le 10 décembre 1827, fui,
sous le régime impérial, administra-
teur des domaines, et dans les cent-
jours membre de la chambre des re-
•présentants, puis mis à la retraite en
1818. 11 a publié : Examen des bud-
gets pour l'année 1818, des directions
générales et administrations des fi-
nances, Paris, 1818, iu-8''. Cet ou-
vrage fut réfuté par M. Hainsdans la
brochure intitulée : Premier et der-
nier mot sur un pamphlet intitulé :
Examen des budgets^ etc.
C— H— N et M— D j.
SALVIONI (Joachim), improvisa-
teur italien, naquit à Massa en 1736.
Destiné à l'état ecclésiastique, il fut
placé au collège de Prato, puis à celui
des jésuites à RomCj où il prit l'iiabi t
de la société. Bien que fort jeune en-
core, il fut, dans différentes circon-
stances, chargé par ses supérieurs' de
prononcer des discours et même ûvr
sermons, ce dont il s'acquitta de ma -
nière à faire naître les plus grandes
espérances. Tel était à cette époque
son enthousiasme religieux , qu'un
jour on le vit parcourir les rues de
Rome avec une énorme croix sur l'é-
paule, prêchant et exhortant le peu-
ple à la péniteuee. Malheureusement
30
SAL
SAL
ce zèle n^était pas une inspiration
d'en haut, mais simplement l'effet
d'un commencement de fièvre céré-
brale, qui bientôt dégénéra en folie,
et obligea l'enthousiaste à quitter le
collège des jésuites, où il n'avait pas
encore fait profession, et de rentrer
dans sa famille. Grâce à des soins
éclairés, sa raison lui revint peu à peu,
et il put passer pour guéri complète-
ment, bien que le reste de sa vie se
trouve parsemé d'actes qui paraissent
au moins singuliers. Ainsi, non con-
tent d'avoir mis de côté l'habit ecclé-
siastique, il voulut se marier, et porta
son choix sur celle de toutes les fem-
mesqui pouvait le moins lui convenir.
Mais c'est surtout dans la publication
périodique qu'il fonda à Florence, sous
le litre de Mélanges intéressants de
littérature, que l'on trouve de nom-
breuses traces de folie. On ne saurait
croire combien de futilités, d'extra-
vagances et, ce qui est plus fâcheux,
de critiques acerbes et injustes il a en-
tassées dans ce recueil, d'ailleurs fort
peu volumineux. Malgré les travers
que nous venons de signaler, Sal-
vioni n'en avait pas moins la répu-
tation d'un homme de beaucoup d'es-
prit et de science. Il avait une grande
jfacilité d'élocution et improvisait
avec une égale facilité en italien, en
latin, ^n grec et même en hébreu. On
raconte de lui à c6 sujet des tours de
force vraiment incroyables. II venait
d'arriver à Pise, oii la place de pro-
fesseur de littérature l'attendait au
séminaire, et où il n'était pas encore
connu. On faisait ce jour-là une sorte
de solennité littéraire, et Salvioni y
assista. Quand tout fut fini, il se leva
et demanda la permission de parler à
son tour; puis, dans une longue im-
provisation en dysliques latins, non-
seulement il décrivit l'appareil de
la fête, mais il répéta tous les dis-
cours qui avaient été prononcés, e( cela
en vers si élégants, d'une latinité si
pure, que tous les spectateurs en res-
tèrent saisis d'admiration. Un autre
jour c'était à Lucques, où il s'était
plusieurs fois, mais en vain, porté
candidat à l'académie. On l'avait tou-
jours écarté comme fou. Peu de temps
après sa dernière déconvenue, il se
trouvait dans une réunion avec quel-
ques-uns des académiciens qui lui
étaient le plus contraires, et il fut
chargé de faire une lecture. Sa tâche
finie, il proposa de répéter en vers
latins tout ce qu'il venait de lire,
le fit sans hésitation, et, non content
de cela, y ajouta encore deux autres
traductions aussi en vers, Tune en
grec et l'autre en hébreu. Comme on
le pense bien,tout le monde applaudit,
et Pacadémie lui envoya le lendemain
son diplôme. Salvioni résida succes-
sivement à Lucques, à Pise, à Flo-
rence. Dans cette dernière ville, il
publia le recueil ' dont nous avons
parlé plus haut, et fut nommé mem-
bre de l'académie des Apatisti^ à la-
quelle il donna de fréquentes preuves
de son talent. Nous citerons entre
autres la traduction qu'il improvisa
un jour d'une pièce de vers dans la-
quelle un de ses confrères, aussi ex-
jésuite, avait fait le récit de sa vie.
Voici les deux premiers vers :
Souo stato sedici aoni gesuita ;
Alla cera coorta, i' dissi : Âddio? etc.
Salvioni traduisit ainsi :
Sexque decemque ancos Loyolae castra se-
cutus ;
Dixi jesuadis : O nigra turba, vale !
Tout le reste est rendu avec la même
précision et ia même élégance. Sal-
vioni mourut k Pise en 1796. Il s'é-
tait fait porter à l'hôpital par suite
d'une de ces bizarreriesqui lui étaient
si communes. Outre les Mélanges,
il avait pubhé plusieurs élégies qu'on
SÂL
dit fort belles, mais qui, ne formant
pas un recueil, ont probablement eu
le sort de la plupart des pièces im-
primées sur des feuilles volantes et
sont à jamais perdues. Sa réputation
avait traversé les monts, et il comp-
tait en France plusieurs admirateurs,
parmi lesquels nous nommerons Di-
derot, qui chercha à attirer Salvioni
ù Paris, et chargea de la négociation
un abbé, qui s'y prit de manière à
la faire avorter. A — y.
SALVOLINI (François), orienta-
liste italien, né à Faenza en 1809,
d'une famille honorable, fit ses pre-
mières études à Bologne , et s'oc-
cupa de bonne heure, sous la direc-
tion du célèbre Mezzofanti, de la lit-
térature orientale. Ses progrès furent
rapides, et il expliqua avec beaucoup
de succès les hiéroglyphes. Ses publi-
cations sur cette matière lui acqui-
rent une réputation méritée et furent
appréciées parles savants de tous les
pays. Salvolini était venu à Paris, et
il y poursuivait avec ardeur le cours
de ses recherches, mais cette ardeur
lui devint funeste. Atteint d'une ma-
ladie de poitrine, il succomba, en
1838, à peine âgé de 29 ans. On a de
lui : 1. Des principales expressions
qui servent à la notation des dates
sur les monuments de l'ancienne
Egypte, diaprés l'inscription de Ro-
sette; lettres à M. l'abbé C. Gazzera,
Paris, 1832, in-S». II. Campagnes de
RamsèS'le-Grand {Sésostris) contre
les Schéta et leurs ai/ies; manuscrit
hiérotique égyptien, appartenant à
M.Sallier, à Aix eu Provence. JNotice
sur ce manuscrit, Paris, 1835, hi-8",
avec pi. m. Analyse grammaticale
raisonnée de différent s textes anciens
égyptiens, Paris, 1836, in~4°, avec un
cahier de planches. C'est la première
partie d'un ouvrage qui devait en
avoir quatre et contenir 1,200 pages
SAL
SI
et 200 pi. La mort prématurée du
jeune savant a malheureusement em-
pêché de compléter cet important
travail, qui aurait placé l'auteur au
rang des premiers orientalistes de
l'Europe. Mais , tout incomplète
qu'elle est, cette Analyse fixa l'at-
tention des savants. Le docteur Lee-
mans, entre autres, premier conser-
vateur du Musée des antiques des
Pays-Bas , publia , à son occasion
(Leyde et Paris, 1839, in-8"), une
Lettre adressée à Salvolini sur les
monuments égyptiens portant des
légendes royales dans les musées des
antiques de Leyde, de Londres et
dans quelques collections particu-
lières en Angleterre, avec des obser-
vations concernant l'histoire , la
chronologie et la langue hiérogly-
phique des Égyptiens, et un appen-
dice sur les mesures de ce peuple.
Z.
SALVONI (Pierre -Bernard),
poète italien, né à Parme le 26 sep-
tembre 1723, était fort jeune lorsque
son père l'emmena à Plaisance, où il
allait s'établir comme limonadier.
Envoyé ensuite à Pise pour y faire ses
études, il entra dans le séminaire de
cette ville, et même après en être
sorti il porta encore pendant quelque
temps l'habit ecclésiastique. Voilà
pourquoi il fut connu d'abord sous le
nom d'abbé Salvoni, bien qu'il n'eiit
point reçu les ordres sacrés. De re-
tour à Plaisance, il y fonda une impri-
merie avec André Bellici, son frère
utérin. La première publication qui
sortit de ses presses fut (en 1747) un
Choix de poésies des plus célèbres au-
teurs vivants. Ce qu'il y a de singu-
lier, c'est que Salvoni ne craignit pas
de se mettre au nombre des illustra-
tions de sou temps, et de faire figurer
dans ce recueil plusieurs de ses poé-
sies. Il donna ensuite une édition «lesr
32
SAL
SAM
«pnvres dramatiques de Mttastase
(i750), ce qui le, mit en rorn'spoii-
tlance avec l'illustre poète. Dans une
lettre que celui-ci lui adressa, on
trouve, à côté de justes plaintes sur
les fautes grossières qui déparent l'é-
dition citée plus haut, des expres-
sions d'admiration pour le talent de
Salvoni, comme poète. Mais, malgré
ces éloges, ceux d'Ange Mazza et de
quelques journaux du temps, il n'en
est pas moins vrai que les ouvrages
deSalvoni sont tous fort médiocres et
méritent l'oubli complet où ils sont
tombés. Salvoni était déjà agent gé-
néral de la maison Sforza Cesarini,
dans la Lombardie, lorsqu'il revint,
en 1766, à Parme avec sa famille, et
depuis il cumula ces fonctions avec
celles de directeur de la poste' aux
lettres, qu'il conserva jusqu'à sa
mort, arrivée en 1784. Salvoni était
membre de l'académie des Arcades de
Rome, sous les noms de Nisalvo
Euritense^ et appartentiit à différentes
sociétés littéraires do Parme et de
Plaisance. Il avait publié 1 1. Mas-
sinissa, tragédie, Plaisance, 1744,
in-8°. Elle est au-dessous du médio-
cre, ni l'auteur eut le bon esprit de
ne pas la comprendre dans l'édition
de ses OEuvres. II. Un Recueil de poé-
sies dont il fut l'éditeur et en partie
l'auteur, à l'occasion d'un doctorat.
Plaisance, 1745, in-8°. III. Choix de
charmantes odes et de compositions
dramatiques inédites de célèbres au-
teurs vivants, Plaisance, Salvoni,
1747, pet. in-4''. IV. Une Vie du doc-
teur J. Schiavi, mise à la tête d'une
édition de ses OEuvres, publiées par
Salvoni, Plaisance, 1748, in-8°. V.
Compositions dramatiques écrites
par ordre de la cour de Saint-Ilde-
fonse, Plaisance, 1753, in-S^. VI. Les
Combats des amants^ comédie pour
musique, Parme, in-4°. Cette pièce
fut écrite par ordre du duc de Parme
et représentée sur le grand théûtre
de cette ville dans l'automne de 1772.
VII. OEuvres poétiques^ Plaisance,
1777, André Bellici-Salvoni, 2 vol.
in-S*», avec le portrait de l'auteur. Ce
rt^cueil contient la plupart des pièces
que nous avons citées et plusieurs
autres. A — y.
SAMACCHINI (Horace), peintre,
naquit à Bologne en 1532, et fut d'a-
bord élève de Pellegrino et des Lom-
bards. Contemporain de Sabbatini,
il se lia d'amitié avec lui et le suivit
presque en même temps dans le tom-
be;<u. S'étant rendu à Rome pour se
mettre en réputation, il fut employé
par le pape Pie IV aux peintures de
la chapelle royale ; il se montra
habile imitateur de l'école romaine
et mérita les louanges de Sasari, qui
ne les prodiguait pas facilement, et
celles de Borghini et de Lomazzo.
Mais ce nouveau style qu'il avait
adopté lui plaisait bien moins que
les autres, et de retour à Bologne il
se plaignait souvent d'avoir qui l té
son pays, où il aurait pu perfection-
ner sa première manière, pour aller
en chercher péniblement une nou-
velle. Ce regret était injuste-, le style
qu'il se forma, et qui tenait de celui
de divers maîtres et du sien propre,
n'a retenu de tous que ce qu'il y a de
plus parfait. Rien de plus exquis que
son tableau de la Purification, qui se
trouve dans l'église Saint-Jacques à
Bologne. Le seul reproche que l'on
puisse faire à cette belle production
(si toutefois c'en est un), c'est le fini
extrême de l'exécution, à laquelle l'ar-
tiste employa plusieurs années, étu- je
diant sans cesse et retoucha^nt son
ouvrage. Augustin Carrache a gravé
ce tableau comme un des plus pré-
cieux de Pécole bolonaise, et le Guide
n'a pas dédaigné de s'en servir dans
SAM
le tableau de la Purification, qu'il a
peint dans l'église du Dôme/^de Mo-
dène. Lorsque son sujet l'exigeait,
Samacchini savait montrer de la vi-
gueur. On vante encore la chapelle
qu'il a peinte dans l'église du Dôme-
de-Parme, où il s'est plus approché
du Corrège qu'aucun peintre de l'é-
cole bolonaise de son temps. Mais sa
production capitale est la voûte de
Saint-Abbondio à Crémone. Le gran-
diose et le terrible se le disputent
dans les figures des prophètes; leur
action, leur attitude, que la petitesse
du lieu rendait extrêmement diffici-
les, sont trouvées et rendues avec un
grand bonheur. Il a déployé une
science des raccourcis tout à fait rare,
et il semble qu'il ait voulu réunir
toutes les difficultés de l'art pour en
triompher. Son principal talent était
pour la peinture à fresque, à laquelle
il sut imprimer le cachet d'un génie
vaste, résolu, hardi, sans jamais em-
ployer ni retouches ni repentirs; mé-
thode qu'il n'a pas suivie dans ses
tableaux à l'huile, qu'il tourmentait
à force d'y revenir. Cet habile artiste
mourut en 1577, âgé seulement de
45 ans. P— s.
SAMAUCANDI ( Abou - Leith-
Nase), fils de Mahomet, ainsi nommé
de Samarcandi, lieu de sa naissance,
est un auteur estimé de plusieurs
ouvrages de théologie et de juris-
prudence, parmi lesquels on distin-
gue un Commentaire sur le Coran,
que Ton conserve en partie à la bi-
bliothèque publique de Leyde,n° 84.
— Un autre Samarcandi (Mahomet)^
fils de Mahmoud, mentionnépar Louis
Marracci dans son Traité de VAl-
coran^ p. 33, vivait en 754 de l'hé-
gire (1354 de J.-C). On lui doit un
livre sur les Différentes leçons du
Coran. Assemani, dans sa Biblioth»
orient.^ 1. 1«% p. 589, parle d'un ou-
LXXXI.
SAM
33
vrage de ce Samarcandi , intitulé :
Poème arabe sur la véritable leçon
du Coran, enrichi des scholies de
Nasser-Eddin-Abou-Cacem Samar-
candi ; terminé en 758 de l'hég.
(1356), il se trouve parmi les ma-
nuscrits de Pierre Duval, acquis par
la bibliothèque du Vatican, n° 32,
avec d'autres ouvrages de notre au-
teur. J— N.
SAMARY (Philippe), fils de Jean
Samary, maître d'écriture, fameux
dans sa province, naquit à Carcas-
sonne le 5 février 1731. Il fit ses pre- .
mières études au collège des jésuites
dans cette ville. Ces pères, qui eurent
toujours un tact particulier pour re-
connaître les talents, engagèrent cet
élève à entrer dans leur société; mais
il se décida pour l'état ecclésiasti-
que séculier. Envoyé à Toulouse par
M. de Besons, son évêque, afin d'y
prendre ses degrés, il fit avec dis-
tinction ses cours de philosophie et
de théologie. Ordonné prêtre le 24
mai 1745, il exerça les fonctions du
saint ministère avec autant de zèle
que de capacité. D'abord curé à Saint-
Hilaire (1768) , il ne s'en tint pas
à des prônes, et composa des sermons
qui donnèrent lieu de concevoir les
plus heureuses espérances de son ta-
lent. Le 15 déc. 1762, il fut appelé à
Lagrasse, où il resta jusqu'en 1772,
qu'il fut chargé de la cure de Saint-
Nazaire à Carcassonne. C'est là qu'il
développa son goût, nous avons pres-
que dit son génie pour la poésie. Il
avait l'esprit fort gai, un peu malin
et même satirique; ce penchant l'en-
traîna. Un chanoine d'une petite ville,
homme très-estimable, avait la manie
de faire de très-mauvais vers ; ce qui
lui attira quelques épigrammes. Sa-
mary le sut, et, excité par un tiers,
il fit pleuvoir sur l'infortuné iiiétro-
inane un déluge de vers patois fort
3
34
SAM
SAN
piquants. Ces badinages de son loisir
ne l'empêchèrent pas d'être très-r*^-
gulier dans sa conduite, et de remplir
fort exactement ses devoirs. Dans les
divers postes qu'il occupa, il se mon-
tra digne du choix de ses supérieurs,
de l'estime de ses confrères et de l'af-
fection, de la confiance de ses parois-
siens. Vivant dans un temps où les
affaires des jésuites et des jansénistes
divisaient les esprits, tout en accor-
dant aux jugements du saint-siége la
soumission qu'un ecclésiastique leur
doit, il sut estimer les vertus, les ta-
lents qui avaient brillé dans leurs
adversaires. Mais comme il tâchîi de
vivre d'accord avec chaque paiti, il
finit par être suspect à tous les deux.
Quelques personnes même soutien-
nent que ce ne fut pas à tort que les
partisans des jésuites se plaignirent
de sa prétendue impartialité, puis-
qu'il penchait un peu pour les opi-
nions de Jansénius. Si cela est, il est
certain qu'avant sa mort il a mani-
festé des sentiments tout à fait con-
traires et d'un catholique parfait.
En 1789 il fut nommé par le clergé
député aux États-généraux. Lors de
la destruction des ordres , on le
compta au nombre des curés qui, les
premiers, se réunirent au tiers-état,
dans la crainte trop mal calculée
qu'une forte résistance n'occasionnât
de plus grands malheurs. Il se repen-
tit bientôt de sa faiblesse, et parla
avec force, à la tribune, contre les
spoliateurs du clergé et contre le re-
fus que fit l'assemblée nationale de
déclarer la religion catholique, reli-
gion de l'État. Ses opinions furent
imprimées -, elles confirmèrent l'idée
qu'il avait donnée de ses excellents
principes politiques et religieux. Bien-
tôt la constitution civile du clergé
fut décrétée. Samary refusa le ser-
ment prescrit ] et lorsqu'une nouvelle
législature eut prononcé le bannisse-
ment des i)rêtres insermentés, il
quitta la capitale pour se réfugier en
Italie. Il fixa sa résidence à Rome,
où il resta jusqu'après la publication
du concordat de 1801. Rentré dans
son diocèse et revenu à Sainl-Nazaire,
paroisse de l'ancienne cathédrale, il
eut le chagrin de la voir occupée par
un curé constitutionnel, qui lui avait'
aliéné l'affection de ses paroissiens.
Égarés par l'esprit schismatique, ils
abhorraient leur vrai pasteur. On le
nomma quelque temps après (sept,
1803) chanoine et curé de la nouvelle
cathédrale. Mais on peut dire qu'il
n'existait presque plus. Son âge, ses
tribulations l avaient totalement
changé. Il ne fit que languir et souf-
frir jusqu'à sa mort, qui arriva le
8 nov. de la même année. Quelques-
uns de ses Sermons et instructions
familières ont été imprimés. Z.
SANADON. Voy. Bêla, LVII, 472.
SAN-CARLOS (Don Joseph-Mi-
chel DE Carvajal, duc de), l'un des
Espagnols qui, dans ces derniers
temps, ont montré le plus de zèle et
d'attachement à leur ancienne mo-
narchie , était grand d'Espagne ,
capitaine-général, directeur de l'A-
cadémie, etc., et il naquit en 1771
à Lima, dans le Pérou, de l'ancienne
famille de Carvajal, qui se prétendait
issue des rois de Léon. Il fit ses étu-
des dans le collège de cette ville, et
VJîit en Espagne à l'âge de seize ans,
par suite de la réunion à la couronne
de la dignité de premier courrier des
Indes, possédée par sa famille depuis
Charles-Quint, qui l'avait accordée à
l'un de ses aïeux, Lorenzo Galindez de
Carvajal, comme titre héréditaire^
pour les Indes découvertes et à dé-
couvrir. Le duc de San-Carlos entra
dans la carrière militaire comme co-
lonel en second du régiment d'infau-
SAN
terie de Majorque, dont son oncle,
Louis de Carvajal , comte de la Union,
était colonel. A l'âge de 17 ans, il se
trouva au siège d'Oran, et fit la cam-
pagne de Catalogne en 1793. S'étant
embarqué volontairement sur l'ex-
pédition dirigée contre Toulon avec
la flotte anglaise sous les ordres
de Pamiral Hood, il commanda la
droite de l'armée combinée, dans l'at-
taque du fort Pharon, s'y distin-
gua par sa valeur, et fut nommé
colonel du régiment de Majorque. Il
obtint le brevet de brigadier à la
fin de cette campagne. Le duc de
San-Carlos se réunit ensuite avec
son régiment à l'armée du Rous-
sillon , où il continua de rendre les
services les plus importants jusqu'à
la mort du comte de la Union, gé-
néral en chef de cette armée. Pour
le consoler de cette perte et récom-
penser ses services, le roi le nom-
ma maréchal-de-camp et chambellan
du prince des Asturies, depuis Fer-
dinand VIL Appelé à Madrid par ce
nouvel emploi, il se fit remarquer au
milieu d'une cour brillante, et fut
nommé, en 1797, gouverneur du
prince des Asturieset des infants. Il
dirigea en celte qualité les leçons du
chanoine Escoïquiz, qui était leur
précepteur; mais son système d'édu-
cation ne s'accordant point avec les
vues du favori Godoy, il fut privé de
ces fonctions, et nommé majordome
de la reine en 1801, au moment où
l'on s'occupait du mariage de Ferdi-
nand avec une princesse des Deux-
Siciles. En 1805 il fut investi de la
charge de majordome du roi Char-
les IV, et, eu 1807, peu de temps avant
le fameux procès de l'Escurial, on l'é-
loignadela cour, en le nommant vice-
roi de Navarre. Trois mois après qu'il
eut pris i)ossession de sa vice-royauté
il reçut l'ordre de se constituer pri-
SAN
S5
sonnier dans la citadelle. Cette ar-
restation avait pour prétexte un
bruit qui s'était répandu qu'à l'épo-
que où Charles IV était tombé ma-
lade à Saint-Ildefonse, le duc de San-
Carlos avait conseillé au prince des
Asturies, dans le cas où, par la mort
de son père, il viendrait à régner,
d'éloigner sa mère de toute influence
dans les affaires, de mettre en juge-
ment le favori que tout le monde
détestait, et de s'environner de mi-
nistres fidèles. Pendant le ridicule
procès de l'Escurial, que Charles IV
lit subir à son propre fils {voy. Fer-
dinand VII, LXIV, 80), le ducde San-
Carlos fut soumis à divers interroga-
toires, puis on l'exila à soixante lieues
de Madrid et à vingt lieues des côtes,
avec défense de fixer son domicile
dans le royaume de Navarre, dont
les habitants voyaient avec peine la
persécution qu'on lui faisait souffrir.
Il fixa sa résidence à Âlfaro, lorsque
les armées françaises entrèrent en
Espagne, sous le prétexte d'aller en
Portugal. Sur ces entrefaites, l'in-
surrection d'Aranjuez éclata, et le
prince Ferdinand fut placé sur le
trône par suite de l'abdication de son
père; il appela aussitôt auprès de
lui le duc de San-Carlos, et le nom-
ma de nouveau grand-maître de sa
maison et membre de son conseil
privé. Le duc arriva à Madrid peu de
jours avant le départ du prince pour
Bayonne, et, de même que le vieux
et sage Escoïquiz, ne soupçonnant
point la perfidie de Napoléon, il
ne sut pas donner au jeune roi le
prudent avis de rester dans sa ca-
pitale ; il l'accompagna même jus-
qu'à Bayonne, où ses yeux s'ouvri-
rent enfin. Dans plusieurs conféren-
ces qu'il eut avec l'empereur fran-
çais, il fit preuve de beaucoup de
sens et de courage. Napoléon lui
3.
36
SAN
SAN
ayant, à plusieurs reprises, proposé
pour Ferdinand VII la couronne
d'Étrurie en échange de celle d'Es-
pagne, il déclara avec fermeté que
le roi ne pouvait rien décider dans
des affaires aussi grlives, sans jouir
de toute liberté et sans le consente-
ment des Cortès. Les renonciations
en faveur de Napoléon ayant eu lieu
les 5 et 10 mai 1808, celui-ci fit dire
au duc de San-Carlos qu'il espérait
le compter désormais au nombre de
ses serviteurs : le duc répondit no-
blement que Ferdinand sur le trône
rayant comblé d'honneurs , il ne
l'abandonnerait pas dans le malheur ;
qu'il préférait l'estime de Napoléon
à ses bienfaits, et qu'il implorait sa
protection seulement pour qu'il lui
fût permis de suivre son maître. Il
raccompagna en effet et resta avec
lui à Valençay jusqu'à ce que, sous
le prétexte de traiter des affaires re-
latives au roi et aux infants, il fut
appelé avec EscoTquiz à Paris, par
ordre de Napoléon. L'un et l'autre y
résidèrent jusqu'au mois d'avril
1809, et profitèrent de ce temps pour
conférer sur les affaires d'Espagne
avec les agents diplomatiques d'Au-
triche, de Russie et de Prusse. Les
soupçons qu'attira leur conduite pa-
triotique, et les intrigues d'un grand
écuyer de Ferdinand VII, qui les
signala à la police de Napoléon,
comme ayant une influence dange-
reuse sur l'esprit du roi, furent des
motifs pour les séparer : Escoïquiz
fut confiné à Bourges et le duc de
San-Carlos à Lons-le-Saulnier. Ain-
si éloigné des affaires, ce dernier
se livra à l'étude de la botanique,
continua de cultiver les lettres, la
politique et principalement l'his-
toire. Ses connaissances dans cette
partie lui avaient déjà valu le titre
Ue membre de l'Académie, Enfin,
lorsque Napoléon se vit obligé de
rétablir Ferdinand sur le trône d'Es-
pagne, il fixa son attention sur le
duc de San-Carlos comme sur la per-
sonne lapins propre par son carac-
tère à concilier les opinions des par-
tis. II l'appela à Paris dans le mois
de novembre 1813, et lui annonça sa
résolution qu'il lui fit aussi commu-
niquer par le duc de Bassano, afin
qu'il eût à se mettre en roule pour
Valençay, où se trouvait déjà le di-
plomate Laforest, avec des pouvoirs
pour négocier. Son arrivée satisfit
singulièrement le roi, surtout lors-
que ce prince apprit que les répon-
ses du duc à Napoléon étaient con-
formes à celles qu'il avait faites lui-
même à Laforest. Après de longues
discussions, San-Carlos signa, le8 dé-
cembre, un traité digne dans toutes
ses dispositions du roi, de la nation
espagnole, et semblable en substan-
ce à ceux qui ont été faits dans des
circonstances plus heureuses. Il par-
tit aussitôt pour Madrid, afin d'ob-
tenir la ratification de la régence.
Arrivé dans celte capitale le 6 jan-
vier 1814, il vit avec peine que tou-
tes ses fatigues étaient inutiles, et
que son zèle l'exposait à de grands
dangers au milieu de gens furieux,
qui voyaient leur autorité expirer,
et leurs projets révolutionnaires me-
nacés. On communiqua au duc de
San-Carlos le décret des Cortès, où il
était ordonné de considérer comme
traître quiconque aurait des relations
de quelque nature que ce fût avec
Napoléon ; et l'on n'y joignait aucune
réponse, si ce n'est une lettre de
compliments insignifiants pour le
roi, écrite par la régence. Convaincu
de l'inutilité d'autres démarches et
craignant avec raison pour sa per-
sonne, il résolut de retourner à Va-
lençay, en abandonnant de nouveau
SAN
sa femme et ses enfants, qn'iravait
eu le bonheur de revoir après une si
longue absence. Obligé d^entrepren-
dre une nouvelle négociation avec
le gouvernement français, pour sol-
liciter le retour en Espagne du roi
et des infants, ainsi que l'évacuation
des places occupées par les troupes
françaises, quoique le traité n'eût
point été ratifié par les Cortès, il
eut, en passant par la Catalogne, une
conférence à ce sujet avec le maré-
chal Suchet, qui accéda à ses désirs.
Arrivé à Valençay, il rendit compte
du résultat de sa mission au roi, qui,
impatient de n'avoir pas reçu de ses
nouvelles, lui avait expédié legénéral
don Joseph Palafox, avec de nou-
velles instructions. Le duc de San-
Carlos repartit de Valençay à la re-
cherche de Napoléon, et après divers
voyages dans toutes les directions,
la rapidité des mouvements auxquels
l'obligeaient les opérations des ar-
mées alliées qui combattaient au sein
de la France ne lui permettant pas
de l'atteindre, il se décida à rédiger
un mémoire sur l'objet de sa négocia-
tion. Enfin il obtint une réponse du
duc de Bassano, qui lui fit connaître
que la dernière décision de l'empe-
reur était que le roi Ferdinand re-
tournât en Espagne avec les infants,
en promettant de ratifier le traité à
Madrid, après avoir entendu son
conseil, et qu'alors on évacuerait les
places que l'armée française occupait
en Espagne. Le jour où le duc de
San-Carlos eut le bonheur de remet-
tre à son souverain et aux infants
les passe-ports pour se rendre en
Espagne, par le Roussillon, sous le
nom de comte de Barcelone, le roi
lui donna la décoration de la Toi-
son-d'Or que lui-même portait. Ce
prince lui adressa en même temps
une lettre également honorable pour
SAN
37
le monarque et pour le sujet; mais
le duc eut à vaincre de nouvelles
difficultés à Perpignan, où le maré-
chal Suchet s'opposa, d'après les
dernières instructions qu'il avait re-
çues, à la continuation du voyage ;
et il fut nécessaire de laisser en
otage l'infant don Carlos. Le duc né-
gocia avec le maréchal pour obtenir
la délivrance de l'infant, qui se réu-
nit à son aug'îste frère à Girone.
Il était alors le seul ministre qui ac-
compagnât le roi. L'autorité était
dans les mains des Cortès, et les
seules démarches à faire étaient d'é-
crire, comme cela eut lieu, à la ré-
gence, en manifestant le désir qu'a-
vait Ferdinand de s'occuper de tout
ce qui pourrait contribuer au bon-
heur de la nation ; de capter la bonne
volonté de Wellington, dont l'in-
fluence était d'un grand poids. Dans
ce but le monarque espagnol lui
écrivit une lettre flatteuse, en l'as-
surant qu'il mettait un grand prix
à ses services ; enfin il fit tout pour
gagner du temps afin d'observer l'o-
pinion, et de connaître le véritable
état des choses. C'est ce qui décida le
voyage de Saragosse, Ferdinand vou-
lant donner un témoignage de re-
connaissance aux Aragonais et à
Palafox. Vers le milieu d'avril, San-
Carlos arriva avec le roi à Valence,
où s'était rendu le cardinal de Bour-
bon, président de la régence, qui,
d'après le décret des Cortès du 2 fé-
vrier, continuait à gouverner, mal-
gré la présence du souverain. Le 3
mai, le di:cde San-Carlos fut nommé
premier ministre secrétaire d'État,
et le lendemain le roi signa le dé-
cret par lequel il reprit les rênes du
gouvernement, sans avoir fait aucune
espèce de concession. Toutes les me*
sures furent concertées pour son
exécution. Plusieurs personnes re-
38
SAN
comiiiandables et de diverses opi-
nions^ qui sertHuiirent au ni.<narqiie,
contribuèrçul à la rédaction de ce dé-
cret. Dans cette réunion, quelques
individus, voyant avec jalousie l'in-
fluence du duc, cherchèrent à as-
surer leurs projets ultérieurs en
s'entendant avec l'infant don Anto-
nio, qui déjk avait témoigné du mé-
contentement de n'avoir point été
du voyage de Saragosse et d'avoir
été envoyé à Valence, oii la présence
d'un membre de la famille royale
était nécessaire. Le duc n'eut point
l'honneur d'accompagner le roi dans
sa voiture depuis Valence, comme
cela avait eu lieu auparavant, mais il
conserva une grande influence jus-
qu'à son arrivée à Madrid. Malgré
la nomination de Macanaz au minis-
tère de la justice, de Freyre à celui
de la guerre, de Lardizabal à celui
des Indes, et de Salazar à celui des
finances , tous ces ministres travail-
laient plutôt avec le duc qu'avec le
roi, et l'on peut dire qu'on lui dut
exclusivement toutes les mesures
prises pour s'assurer au moins une
partie de l'armée, et pour détruire le
gouvernement des Cortès, en lui
substituant l'autorité royale. Cette
prodigieuse révolution, qui chan-
geait l'existence de l'Espagne, eut
lieu sans biuit et sans qu'il y eût
une seule goutte de sang répandue.
Le duc continua d'exercer les fonc-
tions de ministre d'État, avec le re*-
gret devoir, dans différentes occa-
sions et pour des objets importants,
son suffrage repoussé. Il expédiait en
même temps les affaires du ministère
de la maison du roi, et celles du mi-
nistère de la guerre, que n'avait pas
voulu accepter le général Freyre,
jusqu'à ce qu'on le dispensât de cette
dernière charge, qui fut confiée au
général Eguia. Le roi de Prusse en-
SAN
voya alors au duc les grandes déco-
rations de l'Aigle-Noir et de l'Aigle-
Rouge, et le roi des Deux-Siciles
celles de Saint-Ferdinand et de Saint-
Janvier, avec une lettre flatteuse sur
les négociations qui avaient contri-
bué à le replacer sur le trône de Na-
ples. Le duc de San-Carlos sépara le
trésor de la couronne de celui de la
monarchie, et il introduisit un ordre
très-sévère dans les dépenses de la
maison du roi, en les réduisant à une
assignation de 40 millions de réaux
sur le trésor de l'État, en outre des
produits du patrimoine royal, dont
il revendiqua les droits dans les pro-
vinces. Il établit une junte de minis-
tres, qui se réunissait toutes les se-
maines sous sa présidence, et à
laquelle on appela les personnes
qu'on avait l'habitude de consulter.
Il prit diverses mesures pour la ré-
paration des routes, pour les canaux,
pour la navigation du Guadalquivir,
pour la restauration des jardins bo-
taniques ; il s'occupa de la réinstal-
lation des académies et sociétés éco-
nomiques; porta tous ses soins à
rétablir le crédit de la banque de
Saint-Charles, dont il était directeur,
et dans des circonstances aussi mal-
heureuses parvint à faire payer un di-
vidende. Il proposa au roi la création
du musée Fernandino pour la pein-
ture, la sculpture et l'architecture,
et en général il annonça qu'une pro-
tection décidée serait accordée à qui-
conque se distinguerait p%r|ses ta*
lents. Dans le mois de novembre
1814, voyant qu'il ne pouvait mettre
à exécution le plan qu'il s'était pro-
pos*^, et le nombre de ses ennemis
augmentant, il demanda sa démis-
sion. Le roi l'accepta et nomma pour
le remplacer don Pedro Cevallos. Le
duc continua cependant d'exercer le
ministère de la m&ison du roi jusque
I SAN
" vers le milieu d'oct. 1815. Alors Fer-
dinand, en déclarant qu'il était sa-
tisfait de ses services et qu'il n'avait
rien perdu dans son estime, lui or-
donna (fe partirpour Truxilioen Es-
traniadure,oii il possédait une terre;
mais le lendemain il fut nommé am-
bassadeur à Vienne, et s'y rendit
aussitôt. Pendant son séjour dans
cette capitale, il s'occupa d'examiner
tous les établissements utiles, et sur-
tout de soigner l'éducation de ses
I enfants. En 1817, il reçut l^ordre de
passer en la même qualité à Londres,
où il donna des fêtes brillantes à l'oc-
casion du troisième mariage de Fer-
dinand VII. Ayant manifesté son op-
position à la révolution de 1820, où
le roi d'Espagne fut conduit prison-
nier à Cadix, il cessa de remplir les
fonctions d'ambassadeur auprès de la
cour de Saint-James et se rendit à
Lucques, dont le souverain, qui était
un infant d'Espagne, le nomma son
ministre plénipotentiaire près la cour
de France. Il présenta ses lettres de
créance à Charles X, le 9 février
1825 ; mais dès que Ferdinand fut
revenu dans sa capitale, le duc de
San-Carlos devint son ambassadeur
à Paris, où il se fit remarquer par son
esprit et l'étendue de ses connaissan-
ces. Il mourut dans cette ville, le
17 juillet 1828, des suites d'un ané-
vrisme. La mort de sa fille, k com-
tesse de Lépine, qu'il aimait tendre-
ment, lui avait d'ailleurs causé une
vive affliction, et l'on pense que ce
chagrin abrégea ses jours. L'aîné de
ses fils, qui jusqu'à sa mort avait
porté le titre de comte del Puerto,
L prit celui de duc de San-Carlos.
WL M~Dj.
^ SAN€A8SAKO ou Sancassani
(Denis Andbé), médecin italien né
à Guallieri en 1659, fit ses études
à l'université de Bologne. Reçu doc-
SAN
89
teur à Page de 19 ans, il alla faire
sa pratique à Florence, dans l'hos-
pice de Sainte-Marie-Nouvelle, et
au bout d'un an il revint à Reg-
giolo, où sa famille s'était retirée
depuis quelque temps. Après avoir
successivement exercé son art à
Gonzague, à Bozolo, à Gazzuolo,
à Reggiolo et à Comacchio , il fut
appelé en 1718 à la cour de Fer-
dinand de Gonzague, duc de Guas-
taila. Il resta auprès de ce prince
jusqu'en 1723, époque où il le quitta,
à la suite de quelques désagréments,
pour recommencer sa vie de médecin
errant de ville en ville. Comacchio,
Fusignagno, Bevagna, Spolète, et
même Guastalla, le reçurent tour à
tour, et il fit dans chacune de ces
villes une station de quelques an-
nées. Enfin arrivé à l'âge de 74 ans,
il voulut prendre du repos, et se
retira à Comacchio, où il continua
cependant d'exercer son art. Frappé
d'un coup d'apoplexie en 1737, il
languit quelques mois, et mourut le
11 mai de l'année suivante. Il avait
publié : I. Phtoes Therapeja cl. viri
JacoM Ripœ medici ihesibus expo-
sita à D.-A. Sancassani medico
totidem antithesibus coniradicta ,
Guastalla, 1683, in-é». II. Polyari'
drium.) nempe dissertationum epi-
stolarium j quibus medica eruditis
intersternendo , sepulchralia non-
nulla monumenta^ turn nova, tum
antiqua^ ab obscuritatis vita ac
squailore vindicata, doctiorum cri-
teriis nituntur, Enmas, cui aitexi-
tur Suggrundarii spécimen, Ferrare,
1701, in-é*». C'est le prospectus d'un
ouvrage historico-médical que Pau-
teur n'a point pubUé. Une des dis-
sertations qu'il devait contenir a été
imprimée à Venise en 1792, sous le
titre de Notices historiques sur l'é-
glise de Saint-Pierre-in-SUvis de
40
SAN
liagnacavallo. [\\. Explication de la
manière de guérir les blessures, en-
seignéeparun auteur français-mo-
derne, Furli, Sariti, 1707, in-8'\ Cet
opuscule est comme une introduction
à la traduction de l'ouvrage de Bel-
loste,dont nous parlerons.Sancassano
voulut démontrer que la méthode
de l'auteur français pour la guérison
des blessures avait déjà été proposée
par le chirurgien César Magati. IV.
Le Chirurgien en campagne, ou Ma-
nière sûre et vraie de soigner les
blessés dans les armées y ouvrage
traduit du français^ Venise, 1708,
in-8S et 1729, 2 vol. in-8o. C'est la
traduction du livre de Belloste qui a
pour titre : Le Chirurgien d'hôpital.
V. Aphorismes généraux pour le
traitement des blessures diaprés Ma-
gati^ Venise, 1713, in-S». VI. L'A-
natomie des eaux, observations et
expériences posthumes d'un philo-
sophe, Padoue, 1715, in-8o. VII. Ma-
gati ressuscité pour l'avantage des
blessés, et pour servir de guide à
ceux qui les soignent, Padoué, in-12.
C'est le prospectus d'un ouvrage qui
n'a pas été publié séparément, mais
qui se trouve dans l'édition des OEu-
vres de Sancassano. VIII. Dilucida-
lions médico-chirurgicales, Rome,
1731-38, 4 vol. in-folio. Dans ce re-
cueil se trouvent non-seulement les
ouvrages que nous avons cités, mais
encore plusieurs écrits de Magati et
de chirurgiens de son école. IX. Phi-
losophie de Callimaque Neridio, P.
A. (pasteur arcadien) (le père Tho-
mas Ceva, jésuite), en VI livres,
traduits du latin en vers libres par
ton ami Olpio Acheruntico, P. A.
(Sancassano), Venise, 1732. C'est à
tort que Portai attribue à Sancassano
les Cinque disinganni chirurgiciper
la cura délie ferite, imprimés à Ve-
nise ^^ ^'^^^' ^^'^ ouvrage appartient
SAN
à Antoine lionaccini, chirurgien de
Coinacchio, mais il est possible que
Sancassano y ait mis la main. Les
écrits de ce médecin qui sot^ restés
inédits pourraient fournir la matière
de dix volumes in-folio. Ses ouvrages
attestent une érudition profonde et
variée, mais aussi une certaine con-
fusion et bizarrerie dans les idées.
Sancassano appartenait à plusieurs
académies italiennes, entre autres a
celle des Arcades de Rome, où il avait
été reçu sous les noms déjà cités
d'Olpio Acheruntico. A— t.
SANCHE I", second roi de Portu-
gal, était fils d'Alphonse-Henriquez,
premier roi de cette contrée, et de
Mafalde , fille d'Amédée , premier
comte de Savoie. Ce prince, né à
Coïmbre le il novembre 1154, fut
instruit dans l'art de la guerre et de
la politique par de grands hommes
et par son père lui-même. Il n'avait
que treize ans lorsqu'il combattit à
Arganal contre le roi de Léon. A
cette époque, les Maures occupaient
encore une grande partie de la pénin-
sule ibérique. Sanche, par les ordres
de son père, courut s'opposer à leurs
incursions dans la province d'Alen-
téjo. Attaqué par eux dans la cam-
pagne d'Ascaraso, il les écrasa et les
mit en fuite. Il ne rentra dans San-
tarem qu'après avoir porté la terreur
de ses armes jusqu'à Séville, ravagé
le territoire ennemi, chassé les Mau-
res de devant Béja, et les avoir vain-
cus dans une bataille rangée. Tandis
qu'il était à Santarem (1184), une im-
mense armée d'infidèles vint l'y assié-
ger. Il se défendit durant huit jours.
Secouru à temps par son père, il sor-
tit de la place et poursuivit les infi-
dèles dont il fit un grand carnage.
Trois jours après la mort d'Alphonse-
Henriquez (août 1 185), il fut couronné
roi de Portugal. Jamais prince n'eut
SAN
des manières plus simples, plus affa
bles , ni un cœur plus généreux. Il
savait être à propos économe et libé-
ral. Il aimait ses sujets et les laissait
approcher de sa personne. A toutes
ces vertus il joignait une grande
prudence, un constant amour du tra-
vail et une noble gravité de carac-
tère. Par ses exemples, il rendit son
peuple actif et patient. A l'époque où
il monta sur le trône, don Sanche
jouit de quelques moments de paix ;
il en profita pour défricher des terres
restées long-temps sans culture, bâtir
des édifices utiles, et réparer un
grand nombre de villes et de bourgs
que les temps, et plus encore les
barbares, avaient à demiruinés. Tous
ces travaux , monuments honorables
de sa munificence et de sa bonté, lui
valurent les titres de laboureur et de
fondateur, qu'il serait heureux que
tous les rois méritassent. Une flotte
nombreuse, portant des Danois, des
Frisons et des Flamands, ayant été
forcée par une tempête à relâcher au
port de Lisbonne, le roi l'accueillit
avec générosité. Comme ces guer-
riers cherchaient des aventures où
ils eussent à gagner de l'or et de la
gloire, il leur proposa la conquête de
Silvès, capitale des Algarves. Ils ac-
ceptèrent avec empressement cette
proposition. Aidé de leur secours,
Sanche eut en deux mois forcé Silvès
à capituler (1189), et ses alliés dispa-
rurent chargés de butin. Cette viile
lui ayant été plus tard enlevée par les
Maures, il sut la reconquérir, et ré-
duire sous sa domination quelques
autres villes des Algarves. C'est alors
que don Sanche prit le titre de roi
des Algarves, et qu'il joignit les ar-
mes de ce royaume à celles de Por-
tugal. Bientôt il fondit sur l'Anda-
lousie, puis alla mettre le siège
devant Serpa, ville de PAlentéjo.
SAN
41
Cette place avait une garnison très-
nombreuse. Don Sanche , craignant
une effusion de sang inutile, eut
la prudence de se retirer en Portu-
gal. Serpa tomba, quelque temps
après, sous les efforts des chevaliers
d'Avis (1). Dans l'année 1190, plu-
sieurs fléaux horribles désolèrent le
Portugal et navrèrent de douleur
l'âme de don Sanche. Une nuée de
Maures, conduits par leur miramolin
(le khalife Abou-Yousouf-Yacoub),
inonda le territoire portugais, et le
ravagea partout d'une manière épou-
vantable. Vignes, oliviers, moissons,
blés récoltés, rien ne fut épargné
par les Maures. Au lieu de leur livrer
bataille, ce qui eût été imprudeni, à
cause de leur nombre, il se contenta
de les observer et de les harceler. Ce
système de guerre lui réussit com-
plètement. Les infidèles, ne trouvant
bientôt plus à vivre dans un pays
qu'ils avaient ravagé et qui était peu
étendu, se virent en proie aux hor-
reurs de la famine, et contractèrent
des maladies contagieuses qui les dé-
cimèrent et les forcèrent à la re-
traite. Le Portugal fut à peine déli-
vré de leur présence, qu'il éprouva
successivement les fléaux de l'inon-
dation, de la sécheresse, de la famine
et de la peste. Don Sanche remédia,
autant qu'il put, à tous ces maux, et
fit preuve d'une inébranlable fermeté
de caractère. Ce qui acheva de dé-
chirer l'âme de ce bon prince, c'est
qu'au milieu de ces affreuses calami-
tés, les Maures fondirent de nouftau
(i) Ces cheraliers portaient un habit
blanc avec une croix verte, terminée par
quatre fleurs de lis, et accorapagnée de deux
oiseaux de sable affrontés. Ils faisaient pro-
fession de combattre sans cesse les infidè-
les. Le titre de Chcvalien d'Avis leur venait
d'une maison qu'on leur avait donnée. Hist,
gin. de Portugal^ tome lU, p- 99-
42
SAN
sur ses États et y portèrent la déso-
lation. Il marcha courageiiseniciit
contre eux, leur enleva deux pla-
ces qu'ils avaient prises, et les con-
traignit à la fuite. En 1195, il eut
à soutenir une guerre sanglante con-
tre Alphonse IX, roi de Léon, qui
avait fait alliance avec lesArabes.il
le battit dans plusieurs rencontres, et
lui prit dans la Galice les villes de Tui,
de San)payo et de Ponte-Vedra. Le
zèle énergique et constant qu'il avait
manifesté jusqu'alors contre les infi-
dèles lui valut des louanges de la
part du pape Célestin III, et une
bulle d'indulgence en faveur de tous
les défenseurs de la religion chré-
tienne. Quatre années après, il eut
la satisfaction da voir le terme d'un
long différend qui existait entre l'ar-
chevêque de Braga et celui de Com-
postelle, au sujet de sept évêchés
dont ils s'étaient disputé la juridic»
tion. A cette époque, il régnait en-
tre les seigneurs portugais des di-
visicms plus funestes encore. Don
Sanche fit tons ses efforts pour les
apaiser; mais il n'y parvint qu'à
demi, ces divisions étant le résul-
tat des mœurs féodales introduites
en Portugal, comme en tant d'au-
tres pays, par ies peuples sep'entrio-
uaux. Don Ssiîiche se montra tou-
jours attentif à combattre les abus qui
prenaient leur source dansces mœurs,
et réussit assez bien à mettre de l'or-
dre et de l'unité dans son gouverne-
ment. Le moyen qu'il employa fut
de se rendre accessibi»8 à tous ses
sujets, d'écouter toutes leurs plain-
tes, toutes leurs observations, et de
prendre en toute chose pour guides
la raison et l'équité. 11 fit plus, il
se mit à parcourir les différentes
villes de son royaume, alin d'être
plus à portée de connaître les be-
soins de ses sujets. C'est par cette
SAN
sage conduite qu'il conquit tous les
cœurs, et se rendit vraiment digne
du titre de père de la patrie. A l'épo-
que où l'on sut que Jérusalem était
tombée sous les armes du puissant
Saladin,il reçutdu pape Innocent 111,
ainsi que tous les princes de la chré-
tienté, l'invitation de marcher à la
délivrance des saints lieux. Il allégua
les malheurs qu'il avait éprouvés
pour se dispenser de répondre à l'ap-
pel du pontife; mais, par des pré-
sents considérables, il détermina les
chevaliers du Temple au voyage de
la terre sainte. On voit qu'en toute
occasion don Sanche ne consultait
jamais que la prudence et le bien de
ses sujets. Ce prince couronna sa vie
militaire par un exploit très-impor-
tant; ce fut la prise d'Elvas, ville de
l'Alentéjo qui était au pouvoir des
Maures. Depuis ce moment (l'an
1200) jusqu'en 1212, il ne s'occupa
plus que du soin de repeupler et de
fonder des villes, de maintenir la
paix au sein de ses États, et d'y in-
troduire les avantages de la civili-
sation. C'est au milieu de ces travaux
si honorables et si dignes d'un roi
que don Sanche termina sa carrière,
à Coïrabre, après une maladie assez
longue, il était âgé de 57 ans et en
avait régné 26. Les dépenses considé-
rablesque la guerre lui avaitoccasion-
liées, ainsi que les fléaux qui avaient
ravagé sa patrie, ne l'empêchèrent
point de laisser à sa mort cinq cent
mille marcs d'or, quatorze cents marcs
d'argent, beaucoup de pierreries et de
meubles précieux. H avait fait un tes-
tament par Lequel il distribuait ces
richesses, si considérables pour le
temps, entre ses enfants, ses parents,
ses amis, les pauvres, les hôpitaux
et les églises. Douce d'Aragon, sa
femme, lui aVait donné plusieurs en-
fants, parmi lesquels Alphonse H
SAN
(my.ce nom, I, 629), qui lui succé-
da au trône. Don Sauche avait eu
aussi de quelques maîtresses des en-
fants qui devinrent la souche de
grandes familles existant encore au-
jourd'hui en Portugal. F — a.
SANCHË li, fils d'Alphonse II,
roi de Portugal, et d'Urraque, fille
d'Alphonse IX, roi de Castille,
était né à Caimbre le 8 sept. 1207.
Le surnom de Capel^ que lui donne
l'histoire, vient du capuchon qu'il
porta dans son enfance, parce qu'é-
tant d'un tempérament très - fai-
ble, ilavait été voué par sa mère à
saint Augustin, et qu'il avait pris
l'habit de cet ordre. Cette circon-
stance ne permet pas de douter qu'il
n'ait passé loin du tumulte des camps
les premières années de sa vie. Ce
fut en 1223 qu'il monta sur le trône,
étant alors âgé que de quinze ans.
11 commença l'exercice de sa puis-
sance par des actes qui attestaient
sa vigilance, sa justice et sa bonté.
Il repeupla Idaîïa, ville que Sanchel®^
avait enlevée aux infidèles, et qu'il
avait ensuite totalement ruinée; il
indemnisa l'archevêque de Braga des
pertes que ce -prélat avait e suyées
sous le règne d'Alphonse II, et rendit
àsestantesles biens dontelles avaient
été dépouillées. Il s'appliquaen même
temps à faire fleurir la religion et à
calmer les mécontentements du cler-
gé. II donna aussi ses soins à l'admi-
nistration des finances. On lui doit um
règlement sage et judicieux touchant
les droits accordés par ses prédéces-
seurs à différents particuliers. Il se
mit ensuite à visiter les provinces de
son royaume, s'elforçant de déraci-
ner les abus qui les affligeaient, et
prenant des informations sur la ma-
nière dont la justice y était rendue.
Ces utiles voyages, par lesquels il
avait mérité l'affection de ses sujets,
SAN
43
étaient à peine terminés, qu'il porta
le ravage sur les terres des infidèles.
Bientôt (1224) il rentra en possession
de la ville de Chavès, qui sous le
règne précédent était tombée au pou-
voir de l'Espagne. Cet avantage était
le fruit d'un traité de paix qu'il avait
signé à Sôtubal avec Ferdinand, roi
de Castille. Tandis qu'il se croyait
en paix, il apprit (1226) que les Mau-
res lui avaient enlevé Elvas, Jure^
mena, Serpa et quelques autres châ-
teaux. Ayant rassemblé son armée à
la hâte, il vola à leur rencontre et
leur livra, sous les murs d'Elvas, une
bataille sanglante oii il les défit com-
plètement. Le résultat de cette vic-
toire fut la fuite des infidèles et la
reprise de toutes les places en leur
pouvoir. Don Sanche entreprit en-
suite une expédition qui couvrit ses
armes de gloire. En 1230, il fondit
sur TAIcntéjo, et en chassa les Mau-
res; de là, se jetant sur les Algarves,
ii y reprit en peu de temps sur l'en-
nemi la plupart des villes dont ses
prédécesseurs avaient été maîtres.
Par ces rapides victoires il abattit le
courage des infidèles. Dans toutes les
places qu'il leur avait enlevées, il
s'empressa de relever les autels du
christianisme et de faire prêcher
l'Évangile. Pour récompenser les che-
valiers de l'ordre de Saint-Jacques a
Alcaçar, lesquels avaient concouru
avecéclâtà cette expédition, ce prince
leur donna les villes d'AIjustraUd'AI-
fuïar, de Pena et plusieurs autres
dont il venait de s'emparer. On a vu
jusqu'alors don Sanche uniquement
occupé du bonheur et de la puissance
de ses États. Le Portugal devait à sa
valeur, à sa prudence, d'être tran-
quilleau dedans et respecté au dehors.
Mais bientôt, s'abandonnant à l'or-
gueil de la victoire, il s'entoure de
flatteurs qui l'égarent et travaillent à
AA
SAN
SAN
lui ravir le cœur de ses sujets par leur
insolenceet leurs exactions. Il n'y eut
plus ni justice ni ordre dans les fi-
nances. Les plaintes des Portugais
n'arrivèrent plus k l'oreille de leur
roi. Ce monarque dégradé s'endormit
au sein de la plus vile débauche. Les
Maures, profitant de ces désordres,
se jetèrent sur les meilleures pro-
vinces, et portèrent partout le pil-
lage, l'incendie et la mort. Don
Sanche ne sait rien et ne peut rien
savoir des horreurs dont son royau-
me est le théâtre. Ce prince, naguère
si vaillant et si sage, n'a plus d'o-
reille que pour les lâches courtisans
qui l'enivrent de leur funeste et
méprisable encens. Au commence-
ment de son règne, il avait montré,
par sa conduite bienveillante , qu'il
désapprouvait les persécutions diri-
gées par son père contre le clergé ;
en 1240, il le persécuta à son tour
d'une manière plus violente encore,
en jetant dans les fers ou dépouillant
de leurs biens, sous les plus frivoles
prétextes, tous ceux des prêtres qui
osaient résister à ses tyranniques
volontés. Cette conduite lui attira,
de la part du pape Grégoire IX,
des censures qu'il aÉfecla de mépri-
ser. Il continua ses injustices et ses
violences. La crainte d'une bulle d'ex-
communication l'obligea cependant,
lui et ses odieux favoris, à se con-
traindre quelque temps. Mais las
bientôt d*une contrainte qu'ils ju-
geaient puérile et honteuse, ils s'a-
bandonnèrent de nouveau à toute
leur fureur contre le clergé. Pour le
braver et l'humilier, don Sanche
alla jusqu'à déclarer les juifs admis-
sibles aux emplois publics. Une guer-
re, dont le roi de Portugal nourris-
sait le projet, vint faire diversion à
CCS désordres. Sortant enfin de son
ignominieuse léthargie, il leva une
armée (1241) dont il confia le com-
mandement au brave don Payo Pérès
Corréa, commandeur de l'ordre de
Saint-Jacques, pour aller conquérir
le royaume des Algarves sur les Mau-
res. Cette guerre fut aussi heureuse
que rapide. Plusieurs places, et no-
tamment Tavira etSilvès, tombèrent
au pouvoir de Corréa; et, malgré les
efforts des infidèles, tout le reste des
Algarves fut réuni au domaine du roi
de Portugal. Cependant don Sanche,
sourd aux plaintes qui lui étaient
journellement adressées, continuait
de gouverner avec tyrannie. Le peu-
ple et les grands éclatèrent en mur-
mures. Il acheva de les aigrir et de
les mécontenter en épousant, d'après
les conseils de ses courtisans, Mencia,
fille de Lopez de Haro, seigneur de
Biscaye, et de dona Urraque, bâtarde
du roi de Léon, Alphonse IX. Mencia
était douée d'une éclatante beauté ;
mais c'était une femme ambitieuse et
méchante. Par ses artifices, elle s'ac-
quit un empire absolu sur le cœur
de son aveugle époux. Les murmures
publics allèrent toujours croissants.
Les grands rassemblés se présentèrent
devant le roi, pour lui exposer les
griefs du peuple, et le prier respec-
tueusement de renvoyer ses ministres,
qu'ils regardaient comme les seuls
auteurs de tous les maux auxquels
la patrie était en proie. Don San-
che leur promit satisfaction ; mais,
oubliant bientôt sa promesse, il garda
ses ministres, à la sollicitation de la
reine, qui les protégeait, parce qu'elle
leur devait sa haute fortune. Le peu-
ple indigné murmura plus haut que
jamais, et les grands, devenus enne-
mis irréconciliables d'un pouvoir
qu'ils ne partageaient point, adressè-
rent leurs plaintes à Grégoire IX, qui
lança une bulle d'excommunication
sur don Sanche et d'interdit sur son
SAN
royaume. Le roi, effrayé, montra le
désir de satisfaire son peuple et de
réformer les abus qui l'avaient jus-
tement irrité ; mais la reine triompha
encore de ce louable désir. Elle sen-
tait trop qu'elle était le premier abus
^ à réformer. Alors la province d'entre
m Douro-et-Minho devint le foyer d'une
P révolte ouverte. Une armée de bour-
geois, marchant sous le commandant
du château d'Ourem, Porto-Carrero,
courut au palais du roi et en arracha
la reine Mencia, qu'on fit passer im-
médiatement en Castille , où elle
mourut. Don Sanche, outré de co-
lère, voulut poursuivre les ravisseurs
de celle qu'il aimait; mais pas un seul
guerrier ne se déclara en sa fa-
veur. Leçon terrible pour les rois qui,
méconnaissant les lois de la justice
et de l'humanité, foulent aux pieds
leurs peuples ! Comme le roi persis-
tait dans son fatal égarement, les
prélats, se faisant l'organe des plain-
tes publiques, tracèrent au pape
(1245) un tableau des dures et con-
tinuelles vexations auxquelles l'État
et l'Église étaient en butte. Ce ta-
bleau, exagéré peut-être, courrouça
le souverain pontife. Innocent IV
(c'était le nom du nouveau pape) se
hâta d'adresser des reproches au roi
de Portugal, et le prévint qu'il avait
chargé trois pré/ats portugais de lui
rendre compte de sa conduite au con-
cile de Lyon, qu'il se proposait de
présider en personne. Le concile se
rassembla bientôt. Don Sanche y
avait envoyé , pour défendre ses
droits, Gomez de Briteirot et Gomez
Yiégas. Mais ces deux ambassadeurs,
trahissant la confiance de leur maî-
tre, se réunirent à ses ennemis, et
donnèrent leur assentiment au choix
que fit le concile, pour gouverner le
Portugal à la place de Sanche II, de
son propre frère Alphonse {voy.
SAN
45
Alphonse III, 1. 1*% p. 630), comte de
Boulogne-sur-Mer. Le pape adop-
ta cette mesure, et donna, le 24
juillet 1245, une bulle par laquelle,
annonçant qu'il voulait relever le
royaume tributaire de l'église ro-
maine par la bonne administration
d'un homme sage, il ordonnait à tous
les Portugais de reconnaître pour
régent du royaume le comte de Bou-
logne. Dans la même bulle, le pontife
romain déclarait qu'il ne prétendait
pas détrôner don Sanche ni son fils,
s'il lui en naissait un qui fût légitime,
mais seulement pourvoir à la con-
servation du Portugal. Enfin il cas-
sait le mariage du roi avec Mencia.
Que dire sur cet acte? N'était-ce pas
la faute des rois, si les chefs de l'église
romainedisposaient ainsi de leurs cou-
ronnes ? Lorsqu'il fallut notifier à don
Sanche la bulle pontificale, il ne se
trouva, pour remplir cette périlleuse
mission, qu'un seul homme ; ce fut
un dominicain nommé Gilles. Le roi
fut consterné. Les grands, dit l'his-
toire, donnèrent quelques marques
de pitié à son malheur ; ce fut peut-
être parce qu'on ne les avait pas con-
sultés sur une mesure si importante.
Cependant don Sanche, au lieu de
courir aux armes, et tout rempli
de la crainte de tomber entre les
mains de son frère, quitta prompte-
ment ses États (1246), résolu de se
retirer à Tolède, auprès du roi de
Castille. Tandis qu'il était à Moreira,
un gentilhomme, don Garcie de Sousa,
vint lui proposer, au nom de plusieurs
seigneurs puissants, d'embrasser sa
défense, pourvu qu'il éloignât de sa
personne Gilles Martin, son favori.
Don Sanche ne voulut point du se-
cours offert à la condition qu'on y
mettait. Cette renonciation à l'es-
poir de remonter sur le trône l'eût
honoré, si son favori avait été un
46
SAN
SAN
ministre intègre ; mais Gilles Martin
n'était qu'un courtisan lâche etavide.
Sanche continua donc son voyage et
arriva à Tolède, où il fut reçu par le
roi de Castille avec tous les honneurs
dus à son rang. Le fléau de la guerre
civile avait déjà comiuencé à déchi-
rer le Portugal ; la mort de Sanche
(janvier 1248) y mit bientôt un terme.
Ce monarque avait régné treize ans.
Sans doute il eût rendu ses peuples
heureux, et eût mérité d'être compté
parmi les bons rois, s'il eût con-
tinué de régner comme il avait com-
mencé, s'il n'eût conçu une passion
funeste pour une femme indigne de
son choix, et surtout s'il ne se fût
livré à d'infâmes ministres. Il était
né avec des inclinations droites ;
il était doux, ami de la justice ;
mais son âme était faible, et il ne
lui a manqué que le talent de savoir
s'entourer d'hommes probes et ca-
pables pour marcher toujours dans
les voies de l'honneur et du devoir.
On sait avec quel courage et quel
succès il combattit les Maures au
commencement de son règne. Il est
certain qu'à l'exception d'Alphon-
se V^, il n'est aucun roi de Portugal
qui ait fait plus de conquêtes que lui
sur les infidèles. Ce prince reçut,
même après son départ du Portugal,
de bien touchants témoignages de
fidélité de la part de Martin de Frei-
tas, gouverneur de Coïmbre. Celui-
ci, ne se croyant pas délié par la
bulle d'Innocent IV des serments
qu'il avait prêtés à don Sanche, se
défendit avec vigueur contre les trou-
pes du régent. Lorsqu'on lui fit sa-
voir la mort de l'ancien roi, il n'y
crut point ; mais, pour s'en assurer,
il demanda et obtint la permission
d'aller à Tolède. Étant venu à la ca-
thédrale , il se fit ouvrir le caveau
où reposait le corps de son maî-
tre, s*agenouilla devant lui, puis se
retira, laissant entre ses mains les
clefs de la ville de Coïmbre. Quand
il fut de retour en Portugal, le nou-
veau roi , touché d'un si beau dé •
vouement, voulut le conserver dans
son gouvernement ; il s'y refusa.
F— A.
SANCIIEZ (Alonso), fils naturel
du roi de Portugal Denis, naquit
en 1286, et, comrn* son père, cul-
tiva les lettres avec ardeur. Denis,
l'un des imitateurs les plus fervents
des troubadours, avait doté la pro-
sodie portugaise de quelques inven-
tions nouvelles, et imaginé le vers
de onze syllabes. Son fils, marchant
sur ses traces, composa un grand
nombre de pelils poèmes qui n'ont
point été publiés, mais dont Macha-
do ( Biblioteca Lusitana, 1. 1, p. 53),
atteste l'existence et le mérite. Es-
pérons qu'un jour le Portugal, délivré
du fléau des discordes civiles, pourra
s'occuper de l'examen attentif de ses
anciens litres littéraires, et que les
poésies d'Aionso Sanchez sortiront
de l'oubli qui jusqu'à présent a été
leur partage. — Sanchez (Miguel)^
auteur draujalique espagnol, à peu
près inconnu en France, était ori-
ginaire de Valladolid , et occupa
l'emploi de secrétaire de l'évêque de
Cuenca. Lope de Vegaen a parlé avec
distinction en plusieurs passages de
ses nombreux écrits ; il lui assigne
le premier rang parmi les successeurs
de Térence, et nous apprend qu'en
1609 Sanchez n'était plus du nombre
des vivants. Les admirateurs de ce
poète lui décernèrent le titre de di-
vin. Nous ne pouvons guère appré-
cier son mérite ; car ses comédies,
demeurées inédites, sont perdues, à
l'exception d'une seule, la Guarda
cuydadosa, qui se trouve comprise
dans la cinquième partie des Corne'
SAN
dias de tope de Vega y otfos auto-
r65, Madrid, 1616. Voici fort succinc-
tement le sujet de ce drame. Un vieil-
lard , nommé Leucato, s'est retiré
avec sa fille Nicée dans une forêt
écartée afin d'y terminer paisible-
ment ses jours. Le prince tie Béarn
s'égare à la chasse, voit Nicée, en de-
vient épris. Un jeune chevalier,
nommé Florencio, aimait déjà cette
belle •, il se déguise en berger, trouve
ainsi les moyens de rester auprès de
Leucato, veille avec soin sur Nicée,
déjoue toutes les tentatives du pri nce,
et finit, en obtenant la main de sa
maîtresse, par avoir la récompense
due à sa flamme. Cette donnée est
traitée avec beaucoup d'agrément ;
le style est à la fois noble et simple ^
le talent que révèle \siGuarda cuy-
dadosa perniet de regretter la dispa-
rition des autres pièces de théâtre de
Miguel Sanchez. B— n— t.
SANCIIEZ (Alonso) de Huelva.
Si l'on en croit l'auteur de l'Histoire
des Incas, c'est ainsi que se nommait
le vieux pilote qui instruisit Chris-
tophe Colomb de l'existence de i'A-
mérique. Cet auteur prétend que A.
Sanchez, étant pilote et trafiquant du
sucre, qu'il allait prendre aux Cana-
ries et à Madère, fut jeté par une
tempête qui dura vingt-neuf jours,
l'an 1484, vers une île à l'ouest, que
depuis on soupçonna être Saint-Do-
mingue. De dix-sept hommes il n'en
resla que six, qui revinrent, selon
quelques-uns, à Tercère, capitale des
Açores, ou à Madère, qu'habitait Co-
lomb, s'occupant à dresser des car-
tes. Ce pilote passa le reste de ses
jours chez cet homme célèbre et y
mourut eu lui laissant tous ses pa-
piers. Si le fait est vr*], ce qui n'est
pas dénué de vraisemblance, et peut
très-bien être admis sans nuire à la
haute réputation du hardi Génois, il
SAN
4T
faut convenir que cela contribua à
confirmer ses conjectureset,ôte à son
entreprise l'eicès de témérité que
l'on serait en droit de lui reprocher.
M — LE.
SAND (Charles-Louis) , assassin
de Kotzebue {voy.ce nom, LXIX, 82),
était né le 5 octobre 1795 à Wunsie-
del, dans le margraviat de Bayreuth,
où son père était conseiller de jus-
tice. Encore enfant, il se fit remar-
quer par une grande douceur et une
extrême timidité. D'jine constitution
débile , ses plus jeunes années se
passèrent dans les maladies , et il
n'échappa à la mort que par les soins
assidus de sa mère, qui l'aimait ten-
drement; Elle-même dirigea ses pre-
mières études^ m*dis imbue d'idées
mystiques, elle les lui inculqua^ et
ces idées jetées dans cette jeune âme,
qui, sous des apparences de calme et
de simplicité , cachait une vive exal-
tation, n'eurent que trop d'influence
sur sa destinée. En 1810, il en-
tra au lycée de sa ville natale, et, à
sa suppression, il suivit le recteur
Saaîfranck, qui l'avait pris en affec-
tion, au gymnase de Hoff, ensuite à
Ratisbonne , puis à Richembourg.
C'est dans cette ville qu'il se trou-
vait, en 1813, lorsque l'Allemagne se
soulevatoutenlièreconlre Napoléon.
Il écrivit alors à sa mère : « C'est à
peine si je puis vous exprimer com-
bien je commence à être calme et
heureux depuis qu'il m'est permis
de croire à l'affranchissement de ma
patrie , que j'entends dire de tous
côtés devoir être si prochain, de cette
patrie que, dans !ija contiance eu
Dieu, je vois d'avance libre et puis-
sante, de cette patrie pour le bon-
heur de laquelle j'accepterais les
plus grauds maux et même la mort...
La bonté de Dieu, qui asauvéet pro-
tégé tant d'hommes pendant la guerre
48
SAN
«Jj^sastrcusft de Trente-Ans, peut et
veut encore aujourd'hui ce qu'elle
put et voulut alors. Quant à moi, je
crois et j'espère. • L'année suivante,
il quitta Richembourg, emportant un
honorable témoignage ainsi conçu :
• Charles Sand est du petit nombre
de ces jeunes gens élus qui se dis-
tinguent à la fois par les dons de
l'esprit et les facultés de Tame ; en
application et en travail, il dépasse
tous ses condisciples, ce qui expli-
que ses progrès rapides et profonds
dans toutes les sciences philoso-
phiques et philologiques; seulement
dans les mathématiques, il aurait
encore quelques études à faire. Les
plus tendres vœux de ses profes-
seurs le suivent à son départ. «Des-
tiné à l'état de pasteur évangélique,
il se rendit à Tubingen pour y suivre
les cours de théologie d'Erchen-
mayer -, mais bientôt les événements
de 1815 l'arrachèrent à cette vie
paisible : toute la jeunesse des uni-
versités couraitaux armes; gouverne-
ments et peuples allaient faire cause
commune. Sand avec une joie en-
thousiaste vint se ranger sous les
bannières de la nationalité germa-
nique. «Mes chers parents, écrit-il
à cette occasion le 22 avril, jusqu'à
présent vous m'avez trouvé soumis
à vos leçons paternelles, jusqu'à pré-
sent je me suis efforcé de me rendre
digne de l'éducation que Dieu m'a
envoyée par vous, et je me suis ap-
pliqué à être capable de répandre
sur ma patrie la parole du Seigneur,
c'est pourquoi je viens aujourd'hui
vous faire sincèrement part du parti
que j'ai pris, certain que, comme pa-
rents tendres et affectueux, vous vous
tranquilliserez, et que , comme pa-
rents allemands et patriotes, vous
louerez plutôt ma résolution que
vous ne chercherez à m'en détour-
SAN
ner. La patrie appelle encore une
fois à son aide : cet appel s'adresse
à moi aussi, car maintenant j'ai le
courage et la force ; il me fallut un
grand combat intérieur, croyez-moi,
pour que je m'abstinsse, lorsqu'en
1813 elle fît entendre son premier
cri, et la conviction seule que des
milliers d'autres combattaient et
triomphaient pour le bien-être de
l'Allemagne, tandis qu'il fallait que
je vécusse, moi, pour l'état paisible
auquel j'étais destiné. Maintenant il
s'agit de conserver la liberté nou-
vellement rétablie... Le danger de
la patrie n'a jamais été si grand
qu'à cette heure, c'est pourquoi, par-
mi la jeunesse allemande, les forts
doivent soutenir les chancelants,
afin que tous se lèvent ensemble.
De tous côtés des volontaires arri-
vent qui demandent à mourir pour
la patrie. Moi aussi je considère
comme un devoir de combattre pour
mon pays... J'ai une famille au
cœur véritablement allemand et qui
me regarderait comme un lâche et
comme un fils indigne, si je ne sui-
vais pas cette impulsion... Adieu
donc, vivez heureux, tout éloigné
que je serai de vous, je suivrai vos
pieuses exhortations. Dans cette
nouvelle voie, je tâcherai toujours de
marcher dans le sentier qui élève au-
dessus des choses de la terre et con-
duit à celles du ciel, et peut-être,
dans cette carrière, la haute satis-
faction de sauver quelques âmes de
leur chute m'est-elle réservée. Sacs
cesse je veux avoir le Seigneur de-
vant les yeux et dans le cœur, afin
de pouvoir soutenir avec joie les pei-
nes et les fatigues de cette guerre
sainte. Comprenez-moi dans vos
prières ; Dieu vous enverra l'espé-
rance de temps meilleurs pour vous
aider à supporter ce malheureux
SAN
temps où nous sommes. Nous ne
pouvons nous revoir bientôt que si
nous sommes vainqueurs; et si nous
étions vaincus (ce dont Dieu nous
garde !), alors ma dernière volonté»
que je vous prie, que je vous conjure
d'accomplir, ma dernière et suprême
volonté serait que vous, mes chers
et dignes parents allemands, quit-
tassiez un pays esclave pour quel-
que autre qui ne serait point encore
sous le joug. Mais pourquoi nous
faire ainsi le cœur triste... N'avons-
nous pas !a cause juste et sainte, et
Dieu n'cst-il pas juste et saint?
Comment ne serions-nous pas vain-
queurs? Vous voyez que quelquefois
je doute : ainsi dans vos lettres ayez
pitié de moi , et n'eifrayez pas mon
âme, car dans tous les cas nous nous
retrouverons toujours dans une au-
tre patrie, et celle-là sera libre et
heureuse.» 1! se révèle dans cette
lettre, à côle du patriotisme le plus
ardent, une exaltation religieuse
qui va jusqu'au mysticisme. Sand alla
donc s'enrôler comme cadet dans les
cliasseurs volontaires bavarois de la
Rézat, (^ui entrèrent en France sans
avoir eu la gloire de combattre, et
comme le disait Sand «d'avoir tué
un seul enn<imi. » L'armée du ma-
réchal de Wrède ne dépassa pas
Auxerre ; et cette ville fut désignée
pour quartiers d'hiver aux chasseurs
de la Rézat; ainsi, l'auteur des Cri-
mes célèbres s'est trompé en faisant
entrer Sand dans Paris, avec son
corps. Une fois Bonaparte renversé,
tous les volontaires qui voulurent re-
tourner dans leurs foyers en reçurent
l'autorisation, et Sand alla visiter
ses parents. Après avoir salué la
délivrance de sa patrie du joug de
l'étranger, restait pour lui, comme
pour beaucoup d'aulres, à voir s'ac-
complir son affranchissement in-
LXiXI.
SAN
49
lérieur; il espéra qu'une nouvelle
ère allait luire pour les )j)euples;
que les gouvernements qui les
avaient fait soulever aux jours du
péril, tiendraient leurs promesses
d'émancipation et de lib< irté, après
la victoire obtenue ; et c'« tst avec ces
idées qu'il alla reprend i e, au com-
mencement de 1810, le cours de ses
études aux universités i ie Tubingen
et d'Erlangen. Bien qu e s'étant fait
inscrire parmi la sociét é de la Teu-
tonia dès le mois d'?/ivril 1815, il
n'y fut reçu que dans < -ette dernière
ville. Il en devint alors un des mem-
bres les plus zélés, et i l fonda à cette
époque, avec quarante de ses condis-
ciples, une société secrète dont il fut
le président; lui-même en avait ré-
digé les statuts. En 181.7, un de ses
amis, en se baignant, s.e noya sous
ses yeux, sans qu'il pût le sau-
ver, et la vive impression de cet évé-
nement lui causa une oialadie qui
mit ses jours en danger. Au mois
d'oct. il se rendit à Eisenach, ren-
dez-vous des étudiants allemands^
pour assister aux fêtes de Wartbourg,
en commémoration de la bataille de
Leipsick. U Histoire d'Allemagne de
Kotzebue y fut solennellement brû-
lée , et c'est sans nul doute à cette
circonstance qu'il faut attribuer la
pensée du crime que Sand se crut
appelé à exécuter. Ce qu'il y a de
sûj-, c'est qu'il voua dès ce moment à
cet écrivain la haine la plus implaca-
ble. Dans cette fête toute patrioti-
que, Sand distribua un écrit, qui a
été imprimé en 1819, sous ce litre :
Le monument le plus important de
la vie de Ch.-L. Sand, natif de
Wunsiedel. C'était un plan de réu-
nion générale et d'association entre
les étudiants de toutes les univ(^r.
sites de l'Allemagne. Ce fut peut-
être ce qui donna lieu à la création
4
i^O
SAN
d<; la iiurschenscliafi^ qui apparut
pour 11 \ première fois apr?»s la célé-
bration (le cette solennité nationale.
Les nu Mnbres présents prêtèrent
serment tle persévérer dans leurs
efforts p( >ur soutenir les droits de la
patrie. : Sand alla ensuite à léna
pour y te rininer ses études théolo-
giques, et ce fut là que commença à
se manifesi ter en lui une teinte som-
bre et prof bndément méditative. On
aurait dit q lu'il entretenait une sor-
te de comi nunication douloureuse
et pénible a> ^ec ses propres pensées.
L'année su ivante, il résolut un
voyage en Sa ixe et eu Prusse-, et du-
rant Tautoinne, il visita successive-
ment les clhamps de bataille celé
bres, puisBerlin, oùil résida quel-
ques jours, pendant lesquels il eut
de fréquentes relations avec des
professeurs. Ce voyage se rattacbait-
il au terribb^ événement qui allait
causer une si grande sensation dans
l'Europe enlièrft ? C'est là une ques-
tion qu'il est impossible de résou-
dre, Sand ayant conservé jusqu'à
son dernier moment le silence le
plus absolu sur ce point, niant toute
complicité, toute participation di-
recte ou indirecte. De retour à léna.
vers la tin de 1818, il n'a plus qu'une
pensée-, son caractère devient de
plus en plus taciturne, d'une mé-
lancolie extrême, et l'on peut s'en
faire idée par une lettre à un de
ses amis d'Heidelberg , que publia,
après le crime, la Nouvelle gazette
de Spire. C'est un mysticisme, une
divagation inexplicables. Plus Sand
avance vers le but qu'il croit lui être
assigné par Dieu, plus il se sent
inspiré ; et la phrase suivante, à la
date du 31 décembre 1818, qui clôt
le journal de ses actions (il l'avait
commencé en 1816), peut montrer
jusqu'à quel point son âme est fa-
SAN
natisée. « Je finis le dernier Jour de
cette année dans une disposition sé-
rieuse et solennelle, et j'ai décidé
que la fête de Noël qui vient de s'é-
couler sera la dernière que je fête-
rai. S'il doit ressortir quelque chose
de nos efforts, si la cause de l'hu-
manité doit prendre le dessus dans
notre patrie^ si, au milieu de cette
époque sans foi, quelques senti-
ments généreux peuvent renaître et
se faire place, c'est à la condition
que le misérable, que le traître, que
le séducteur de la jeunesse, l'in-
fâme Kotzebue sera tombé I Je suis
bien convaincu de ceci, et tant que
je n'aurai pas accompli l'œuvre que
j'ai résolue, je n'aur;ii plus aucun
repos. Seigneur, loi qui sais que
j'ai dévoué ma vie à cette grande
action, je n'ai plus , maintenant
qu'elle est arrêtée en mon esprit,
qu'à te demander la véritable fer-
meté et le courage de l'âme. » Une
circonstance particulière vmt aug-
menter encore en lui cet esprit de
vengeance contre Kotzebue. Après
avoir résidé à Weimar, en qualité
d'agent diplomatique de la Russie,
cet écrivain s'était retiré àManheim,
en butte aux sarcasmes et aux traits
satiriques du professeur Oken, édi-
teur du jourual VJsis, qui paraissait
à léna. Lors du congrès d'Aix-la-
Chapelle, M. de Stourdza, secrétaire
privé de l'empereur Alexandre, ayant
fait paraître un mémoire intitulé
État actuel de l'Allemagne, où les
universités étaient représentées
comme animées d'un esprit d'insu-
bordination et de révolte, Kotzebue
tit dans son journal les plus pom-
peux éloges de cet ouvrage, ce qui
envenima considérablement l'ani-
mosité des étudiants contre lui. Dès
ce moment le plan de Sand est tra-
cé, et, avant de quitter léna, il écrit
SAN
SAN
•5t
à sa famille bim-aimée et h fes amis
tendrement chéris: «J'ai long-temps
hésité avant de vous ouvrir mon âme.
J'étais persuadé que la communica-
lion brusque de mon projet pourrait
diminuer votre douleur, ou an moins
en jjhréger la durée ; mais jee^raignais
dedéchirervotrecœur... Allons! mon
secret, source de mes tourments!
échappe-toi de ce cœur à qui lu fais
éprouvertantdepéniblesangoisses !..
Ce papier, mes chers amis, vous porte
le dernier adieu d'un fils et d'un
frère! Je me suis long-temps con-
sulté avant de me déterminer à agir;
mais le moment est enfin venu où
mes irrésolutions doivent cesser; les
malheurs de mon pays exigent des
actions d'éclat.... De perfides séduc-
teurs deviennent, sans qu'on s'en
doute, les instruments de U ruine
de notre peuple! De ce nombre est
Kotzebue, le plus insidieux et le plus
méprisable de tous, qui adoucit sa
voix pour mieux tromper nos sens,
et dont le nom est passé en proverbe
pour exprimer ce qu'il y a de plus
dépravé de nos jours. H trahit cha-
que jour la patrie de ses ancêtres...
Enveloppé dans le manteau transpa-
rent de sa renommée littéraire, sa
lâcheté n'en est pas moins visible;
mais elle éblouit les yeux, et nous
avalons le poison que renferme
son journal semiuusse... Si nous ne
voulons pas que l'histoire de notre
temps porte le cachet de l'infamie, il
faut qu'il meure!... Quel est donc
celui qui nous délivrera de cet abo-
minable traître? J'ai long-temps at-
tendu dans la douleur et dans les
larmes que quelque être plus coura-
geux que moi se présentât pour rem-
plir cette lâche. Je ne suis point né
pour le meurtre. Qui donc terminera
mes souifrances... ? personne ne se
présente, et chacun a, comme moi, le
droit de compter sur un autre. Tout
retard rendrait notre situation plus
dangereuse. Qui nous sauvera de la
honte si Kotzebue s'éloigne impuni
de notre territoire, pour aller jouir
en Russie des trésors qu'il a si mal
acquis? Comment sortirons-nous de
notre affreuse position si personne
ne se dévoue? J'entends une voix qui
m'ordonne d'exécuter l'arrêt, de por-
ter le coup que réclame l'intérêt de
l'Allemagne! Marchons donc avec
courage! Oui ! je veux aller avec une
confiance religieuse remplir cette
mission de la justice divine : n'hési-
tons pas ! Je veux l'immoler, le traî-
tre! le séducteur et l'opprobre de
ma nation! Un devoir sacré m'y en-
traîne ! Depuis que je sais quel sacri-
fice exige mon pays et que j'ai appris
à connaître ce fourbe, mon son est
fixé, à l'exemple des hommes ver-
tueux de l'antiquité, pour qui toute
considération disparaissait devant
celle du bien public. Ah ! puisse cette
vengrance nationale apprendre à ceux
qui sont revêtus du pouvoir combien
le mensonge et la tyrannie nuisent à
leur cause ! puisse-t elle diriger l'at-
tention de la jeunesse courageuse
d'Allemagne vers le salut de notre
patrie! trop heureux si j'ai porté îa
terreur parmi les méchants, et inspiré
de l'énergie à tous les gens de bien !
Des paroles et des écrits sont sans
(orce, il fnut des actions, et des ac-
tions telles que la mienne, pour faire
impression. Si le coup que je vais
porter peut frapper les esprits, et ra-
nimer l'ardeur du peuple pour la con-
tinuation de cette lutte glorieuse qui,
selon lu volonté du Tout-Puissant,
devait commencer en 1813, mes vœux
les plus ardents seront exaucés. C'est
pour y prendre part que j'ai renoncé
aux rêves les plus délicieux de la vie!
iVIais je suis satisfait et plein de con-
AO
SAN
[\ii\we »»n Dieir, ma routft est traci^e
à travers le meurtre et la mort; ce
n'est qirainsi que je peux m'acquitter
envers mon pays. Mon bonheur eût
été de consacrer mes jours au service
des autels-, mais cette considération
doit-elle m'empêcher de détourner de
mon pays la ruine qui le menace?
L'amour ardent que je lui porte ne
doit-il pas redoubler mon zèle pour
l'iuîerèt général, et me faire braverla
mort pour une si belle cause?... Ma
tendre mère! peut-être direz-vous:
a Voilà donc ce lils que j'ai élevé avec
tant de soin, qui m'a coûté tant d'in-
quiétude ; ce fils que j'aimais tant et
qui me payait de retour, qui dut à
mes ferventes prières de devenir bon
et vertueux , que je me plaisais à
considérer comme le soutien de ma
vieillesse ; l'ingrat ! il m'abandonne! »
Ma respectable mère, que deviendra
notre patrie si personne ne se dévoue
pour son salut? Mais loin de vous tant
de faiblesse! un pareil sentiment
n'est pas dans votre cœur. Femme
généreuse! ne vous ai-je pas sou-
vent entendue vous-même déplorer
les maux de l'humanité et désirer
qu'un autre fît pour la délivrance de
l'Allemagne ce que je vais faire au-
jourd'hui? Je laisse deux frères et
deux sœurs qui pourront vous con-
soler : moi, je vais suivre ma desti-
née... Quand je passerais cinquante
ans déplus sur la terre, ma vie ne se-
rait pas plus remplie qu'elle ne l'a été
dans mes dernières années. . C'est
avec une entière confiance en toi. Dieu
éternel! que je me sépare de mon
pays...Ledernieret le meilleur moyen
de salut est le glaive. Qu'il soit plon-
gé dans le cœur des traîtres; ce n'est
qu'ainsi qu'il est désormais possible
d'assurer le salut de l'Allemagne!...
Adieu!...''Ceii.eieilredeSand, publiée
après son crime, le 17 avril 1819, par
SA?i
\e Mercure Oe Franconie , lit la plus
vive impression en Allemagne; celte
exaltation empreinte d'un si grand
calme émut tous les cœurs. Ce fut
après l'avoir écrite qu'il partit pour
Manheitn, le 9 mars à 4 heures du
matin, avec la pensée bien arrêtée de
tuer Kotzebue, emportant pour tout
bagage deux poignards, une carte de la
Souabe, une autre du cours du Rhin,
leNouveau-Testament,et les poésies de
Kœrner.Durantsonvoyage,il souligna
quelques passages de ces pot^sies , et
ces vers du chant national de la Lyre
et le Glaive étaient marqués d'une
manière toute spéciale : « Pourquoi
« trembler? c'est en faisant des ac-
" lions éclatantes , et en écrasant
• sans frémir la tête du Sfrpent, que
- nous imurrons nous sauver! » Ar-
rivé k Manheim, le 23, dans la ma-
tinée, il alla se loger à l'hôtel du
Weinberg, oîi il s'inscrivit sous le
nom de Heinrichs de Miétau. Aussitôt
il se rendit à la demeure de Kotzebue,
qui était absent ; il laissa son faux
nom à une servante, en disant qu'il
reviendrait dans la journée , qu'il
avait à lui remettre une lettre de sa
mère ; puis il se dirigea vers le jardin
du château, d'où la vue s'étend sur
le Rhin. Là, après être resté plongé
quelques heures dans une sombre rê-
verie et une muette contemplation, il
rentra à l'hôtel, où il dîna à la table
d'hôte de midi avec la plus parfaite
sérénité, causant histoire et religion
avec deux ecclésiastiques, auxquels il
apprit qu'il devait visiter Kotzebue.
11 se rendit elFectivement chez ce-
lui-ci entre 4 et 5 heures. Introduit
dans son cabinet de travail, on le pria
d'attendre. Au bout de quelques mo-
ments Kotzebue arriva. Voici en
quels termes Sand a raconté lui-même
ce terrible drame, qui n'eui pas de
témoins. " Je vis Kotzebue entrer,
SAN
je m*avaiiçai de quelques pas vers lui
etje le saluai: ce qui me coûta leplus,
c'est que je fus obligé de feindre. Je
lui dis qu'en passant par celle ville
j'avais voulu le voir. Après quelques
autres paroles, j« lui dis : Je me fais
gloire!... (alors je tirai un poignard
et je continuai) mais nullement de
toi... traître à la patrie ! En pronon-
çant ces mots je retendis à terre. Je
ne me souviens plus combien de coups
je lui portai. Tout s'est passé avec la
plus grande promptitude; j'ai tiré le
poignard de la manche gauche de
mon habit, où je le tenais caché dans
son fourreau, et je l'en frappai au
côté gauche. 11 étendit seulement les
mains et tomba aussitôt à l'entrée de
l'appartement, à quelques pas de la
porte ^ il est tombé accroupi comme
pour s'asseoir; je le regardai dans
les yeux, pour voir l'état où il était.
Je voulais savoir quel etfet mes coups
avaient produit. Ses yeux étaient dans
une grande agitation ; de sorle que je
n'en vis bientôt plus le blanc. J'en
conclus qu'il n'était pas encore mort ;
mais je ne voulus plus rien lui faire,
je crus en avoir assez fait. En me re-
tournant, lorsque Kotzebue fut tom-
bé, je remarquai un petit enfant qui
était entré par la porte à gauche. Les
cris qu'il poussa me jetèrent dans la
confusion ; je me frappai d'un coup
de poignard, qui me fit dans le côté
gauche de la poitrine une douleur
assez profonde. Je retirai aussitôt la
pointe ; la douleur et la perte de mon
sang augmentèrent lorsque je des-
cendis l'escalier. » Dans la confusion
d'un pareil événement, Sand gagna
facilement la rue. Comme on criait à
l'assassin, il se retourna, tenant tou-
jours son poignard à la main. « Oui,
c'est moi, dit-il, qui ai tué Kotzebue ;
ainsi doivent périr tous les traîtres!
Vive à jamais l'Allemagne, ma patrie,
SAN ryj,
et le peuple allemand ! » Alors, se je-
tant à genoux, il dit encore : • Je te
remercie, ô Dieu ! de m'avoir permis
d'accomplir avec succès cette œuvre
de justice ! » Puis il parut prier avec
ferveur ets'enfonça son poignard dans
la poitrine (1). Qu«nd on le releva
il respirait à peine. On trouva sur lui
un papier qui portait en suscription :
Coup mortel pour Auguste de Kotze-
bue. — La vertu est dans l'union et
dans la liberté. C'était une déclama-
tion insensée, se terminant par cette
phrase : « Dans la grande nation alle-
mande beaucoup d'individus l'empor-
tent sur moi, mais aucun ne hait da-
vantage la lâcheté et la vénalilé des
sentiments du jour. Il faut que je
donne une preuve de ma sincérité,que
je fasse connaître à mon pays l'horreur
que cette dépravation m'inspire. Je
ne vois rien de plus méritoire que de
t'immoler,toi, archi-esclave,égide de
ces temps de corruption, ennemi de la
vertu, traître à mon pays, Auguste de
Kotzebue!» — Transporté à l'hôpital,
on pansa ses blessures ; mais il ne put
répondre que par signes aux premiè-
(i) Quelques mois plus lard (juillet iSiy),
Sand eut un imitateur. Un jeune étudiant
d'Heidelberg, nommé Lohning, qui avait
aussi servi en 18 15, fils d'un apothicaire
d'Idstcin (duché de Nassau), se persuada
qu'il rendrait un signalé service à son pays
en le délivrant de M. Ihel, président d«; la
régence de Wisbaden, qui jouissait de la
coutiance du prince. Il résolut de l'assas-
siner. Ayant trouve M. Ibel à Schwalharh,
il lui porta un cou[) de poignard au visage.
Celui-ci se défendit, et, d'une force physique
bien supérieure, il désarma l'assassin, qui,
tout en se débattant, tira un pistolet de sa
poche et le dirigea sur M. Ibel. Le coup ne
partit point. L'assassin fut mis en prison. Il
montra comme Sand un courage et une force
d'esprit extraordinaires,et il parvint à se don-
ner la mort dans sa prison, en s'ouvrant l'ar
tère du poiguet avec un morceau de verre»
Cette tentative pourrait donner lieu a de cu-
rieuses réflexions. Son auteur, poussé au cri-
me par un vulgaire sentiment d'iraitafioo,
est aujourd'hui complètement oublie.
64
SAN
res (juestions qu'on lui Ht, el pendant
quinze jours on deses^x^ra de sa vie.
Au bout de trois mois, il fut transféré
à la maison de force de Manheim.
Pendant ce temps un jury, sous la
présidence du chancelier baron Ho-
henhurst , instruisait son procès.
Cette instruction ne fut terminée que
le 5 septembre. On voulait faire de
cet événement autre chose qu'un
crime particulier, mais toutes les re-
cherches restèrent infructueuses; il
fut iuipossible de trouvera Sand au-
cun complice et par conséquent de le
présenter comme l'instrument d'un
complot. Cependant les actes de la
procédure ayant été soumis au tribu-
nal supérieur de Mayence, la commis-
sion centrale, dans son rapport à la
diète de Francfort, dit que l'assas-
sinat de Kolzebue était le résultat
d'une impulsion révolutionnaire don-
née aux étudiants par des professeurs.
Son défenseur le représenta comme
atteint d'une aliénaiion mentale, pro-
duite parle fanatisme religieux. Néan-
moins, !e 5 mai 1820, le tribunal su-
périeur de Mayence rendit un arrêt
qui le condamna à avoir la tête
tranchée, et ce jugement fut confirmé
par le grand-duc de Bade. Le 17 mai,
on lui eu lit la lecture ; il l'ecoutaavec
une froide indifférence, et le même
jour il < criyità ses parents : «Je meurs
volontiers , et le Seigneur me don-
nera la force pour que je meure
comme on doit mourir. Je vous écris
parfaitement tranquille et calme sur
toutes choses, et j'espère que votre
vie aussi s'écoulera calme et îran-
quille, jusqu'au moment où nos âmes
se retrouveront pleines d'une nou-
velle force, pour nous aimer et par-
tager ensemble l'éternel bonheur.
Quant à moi, tel j'ai vécu depuis que
je me connais, c'est-à-dire avec une
sérénité pleine de désirs célestes et
SAN
un courageux et infatigable amour
de la liberté, tel je vais mourir. Que
Dieu soit avec vous et avec moi ! »
Quelques jours après, le 20 mai, il
fut exécuté sur la route qui conduit
deManheimàHeidelberg, dans le lieu
que ses partisans appellent encore
Sands Himmelfartswiese (la prairie
de l'ascension au ciel de Sand). On
lui témoigna partout sur son passage
le plus vif intérêt, de l'enthousiasme
même, à ce point qu'on lui jeta
quelques fleurs. Un grand nombre
d'étudiants d'Heidelberg arrivèrent
comme l'exécution venait d'avoir lieu.
Alors beaucoup d'entre eux trempè-
rent leurs mouchoirs dans le sang de
leur condisciple, comme dans celui
d'un héros. Sand mourut avec la fer-
meté qu'il avait toujours montrée, en
prononçant ces dernières paroles : « Je
prends Dieu à témoin que je meurs
pour la liberté de l'Allemagne. » On
lui avait demandé s'il se repentait
de son crime ; « J'y avais pensé
depuis une année entière, répondit-
il, j'y pense depuis quatorze mois, et
mon opinion ne varie en rien; j'ai
fait ce que je devais faire. « La mé-
moire de Scind est aujourd'hui encore
vénérée parmi les étudiants alle-
mands comme celle d'un sai rit martyr
de la liberté ! On peut consulter à son
sujet : 1° Mémoires de Ch.-L. Sand^
suivis d'une justification des uni-
versités d'Allemagne , traduits de
l'anglais, Paris, 1819, in-8°; 2" Ex-
posé de l'enquête contre 6'and, par
le conseiller d'État de Bade ( le baron
Huhenhurst, chancelier de la cour,
président de lu commission spéciale),
Slultgard, chez Cotta. Cet ouvrage,
curieux, fut d'abord saisi ; mais plus
tard l'autorité permit qu'il fût livré
au public, et nous en avons ex-
trait les principaux détails de cette
notice, G—H— N,
SAN
SANDEO (Felino-Marie), histo-
rien et canoniste italien, naquit en
1444 à Felina, dans le diocèse de
Reggio, d'une famille noble de Fer-
rare, et qui était ailie'e à celle de
PArioste. H prit de bonne heure l'ha-
bit ecclésiastique, et se fit recevoir
docteur dans les deux facultés de
théologie et de droit. A peine âgé de
21 ans, il fut nommé professeur des
décrétales à l'université de Ferrare,
où il obtint dans la suite un canoni-
cat. En 1474 il fut rappelé en Tos-
cane par Laurent de Médicis, et il
occupa pendant trois ans la chaire
de droit canon à l'université de Pise ;
puis il abandonna les fonctions du
professorat. Après un intervalle de
quelques années, il reprit cet emploi ;
mais en 1486 il s'en démil de nou-
veau pour aller à Rome tenter la for-
tune. Il fut bien accueilli {«ar le pape
Innocent VIII qui le nomma auditeur
de rote, référendaire des deux signa-
tures, et lui confia le maniement des
affaires les plus importantes. C'est
ainsi qu'il fut chargé de formuler
une réponse pour le roi de Naples
Ferdinand h% qui, dans la persuasion
que le souverain pontife appuyait
secrètement les barons rebelles, de-
mandait avec instince la convoc.i
tion d'un concile général. Sandeo
n'eut pas moins de considération et
de faveur sous le règne suivant.
Alexandre VI lui demanda un mé-
moire touchant les droits que les
Français prétendaient avoir sur le
royaume de Naples, et une histoire
des familles qui avaient tour à tour
régné dans cette contrée. Ces servi-
ces furent récompensés par le titre
de vice-auditeur de la chambre apos-
tolique, puis pdr l'évèché d'Atri et
Penna. Peu de mois après (mai 1495)
Sandeo fut nommé coadjuteur de
l'évêque de Lucques avec la survi-
SAN
5i
vance de Nicolas Sandonnino qui ea
était titulaire ; mais il ne fut pas fort
heureux dans ses doubles fonction ^
épiscopales. Après avoir eu à lutt ^j.
pour l'évêché d'Atri et Penna avec ^^^
intrus qu'appoyait le duc de Mf ^^^^
pensier, vice-roi du royaume df _. ^^^
pies pour Charles VIII, il vc ^j^j^ ^
peine de succéder à iy.andonni no, en
1499, qu'il se vit encOx'e re tirer ce
siège par un puissant riva l qui ij'g_
tait autre que le cardinal de la Bo-
.vère, depuis Jules U. ;^.e pauvre
Sandeo en appela à Ro^/jg. ,Tjiajs au
bout de deux ans ses solliciiations
n'avaient pas encore été entenc/ues,
et il aurait prob<ible „,ent continué à
crier dans le dés p^. si le puissant
cardinal, afficha, nt des prétentions
plus élevées, n'était allé s'établir
dans la capitdledu monde chrétien
et n'avait cédé spontanément à son
concurvent l'évêché en litige; mais
Savideo ne jouit pas iong-temps de
son repos, car il mourut deux ans
après (1503). On a de lui : 1. De regi-
bus Siciliœ et Apuliœ, in queis et no-
minatim de Alfonso, rege Aragonum,
epitome, publié par Michel Ferno
(yoî/.ce nom, LXIV, 97), Rome, 1495,
in-4°.C'estdoucàtortqueVossius, en
parlant de cette histoire, dit qu'elle
n'a paru qu'un siècle après la mort
de l'auteur. Il a sans doute été
trompé par Freher qui, dans l'édi-
tion de Hanovre, 1611, in-4°, préten-
dit que c'était la première. L'éditeur
de la Raccolta di cronache napoli
tane est tombé dans la même erreur
et a de plus confondu Ferno avec
Sandeo, lorsqu'en insérant dans sa
collection (îome 111) l'abrégé cité
nlus haut , il l'intitule Michaelis
Ferai historia compendiaria regni
neapolitani nunc primum ex ms.
eruta. Celle erreur est d'autant plus
grossière que l'ouvrage de Sandeo
:i6
SAN
^^ 'ait été imprime, et pour la Iroi-
siè me fois, dans le Thés. ont. et hist.
itai '• (*^"i- X)- Au reste, cette his-
toire ' malgré ses quatre éditions, n'a
par Ck ''e-mêmeque fort peu de valeur
et ne contient qu'un rapide aperçu
depuis J'«" 537 jusqu'à l'an 1494,
c'est-k-i lire depuis l'occupation de la
Sicile pà r Bélipaire sous Justinien
i»isqu'à l'entrée en campagne de
Charles V.!ÎI pour la conquête de
ISaples. H. /« V libros Decretalium,
Venise, 1 497-99, 3 vol. in-folio. III.
Consilia. IV. >0e indulgentia plena-
ria. V. Addi^iuncula ad Monar-
chiam Pétri de ^lonte. VI. De litte-
ris apostolicis quando noceant pa-
tronis^ ecclesiarum. Tous ces ou-
•vrages ont été réimprimés plusieurs
fois, soit séparément, soit dans diffé-
rentes collections. Sandeo a de plus
laissé un assez grand nombre de tra-
vaux manuscrits, dontquelques'-uns
pourraient servir à l'histoire diplo-
matique du XVe siècle. A— y.
SANDERSON (Robert), évéque
anglican, ne à Rotherham en 1587,
iit de brillantes études achevées à
l'université d'Oxford, où il fut, en
1608, nommé professeur de logique.
. Ses leçons sur ce sujet ont été im-
primées en 1615 et ont eu plusieurs
e:ditions. Il desservit successivement
diverses cures, où il donna l'exemple
d'une profonde piété, d'une tendre
charité, et s'attacha à faire régner la
paix autour de lui. Il prêchait fré-
quemment, mais toujours le manu-
scrit sous les yeux, sans quoi sa timi-
dité extrême eût troublé le cours de
ses idées. Sa capacité pour la déci-
sion des cas de conscience lui avait
fait une grande réputation, et, k ce
litre, Laud, alors évêque de Londres,
l'avait recommandéau roi Charles I^r ;
aussi ce prince l'appelait souvent au-
près de lui el suivait assidûrrtent ses
SAN
prédications. Sanderson étaiten 164b
professeur royal de théologie à Ox-
ford, où il avait aussi un canonicat;
mais, k cette époque orageuse, l'exer-
cice de ses fonctions était bien difli-
cile. 1 1 refusa d'adhérer au fameux co-
venant, et eut une part importatite
k l'exposé dos Motifs de l'université
d'Oxford contre la ligue et le cove-
nant solennels^ le serment négatif et
les ordonnances concernant la disci-
pline et le culte. Il accompagna !e
roi à Hamplon-Court et dans l'île de
Wight, et eut avec lui de fréquen-
tes conférences publiques et particu-
lières. C'est conformément au désir
de Charles I*^ qu'il mit sur le papier
ses sentiments touchant l'épiscopat,
que le parlement prétendait abolir;
et ce qu'il écrivit sur ce point a été
publié plus tard (1661,in-8"),sous ce
litre iL'Èpiscopat, tel que la loi l'a
établi en Angleterre, n'est pas pré-
judiciable au pouvoir royal. En
1648, les visiteurs du parlement le
destituèrent de sa place de profes-
seur et l'expulsèrent de son canoni-
cat, ce qui le réduisit k la cure qu'il
possédait à Boolhby-Pannel, dans le
comté de Lincoln. Là il ne fut pas
épargné parles soldats du parti con-
traire : sa maison fut pillée plusieurs
fois, sa prière publique fut interrom-
pue et lui-même blessé. Mais la res-
tauration lui rendit la paix et sa po-
sition, et réleva même, le 28 octobre
1660, k l'évêché de Lincoln, où il ne
siéga guère que deux ans. Il mourut
le29janv. 1662-63,danssa76«année.
On a de lui, entre autres ouvrages :
I. Logicœ artis compendium., i615.
H. De juramenti obligatione, 1647,
in-8°, traduit en anglais par Char-
les I*'" , alors détenu dans l'île de
Wight, et imprimé k Londres, 16ô5,
in-8°.lil.Une préface étendue k un li-
vre d'Usher, faite sur l'ordre exprès du
SAIS
roi, et intitulée : LePouvoir commu-
niqué par Dieu au prince, et V obéis-
sance requise du sujets etc., 1661,
m-i°'^H\83,\n-S'*.\y . Neuf cas de con-
science^ 1678, in-8°. V. Sermons (au
nombre de 36), recueillis en t vol.
in-fol., 1681, précédés de la Vie de
l'auteur, par Walton. VI. Deobliga-
tione conscienciœ, trad. en anglais,
Londres, 1722, 3 vol. in-S». L.
SANDERSON (Robert ), savant
antiquaire anglais, naquit en 1660, à
Eggleston-Hall,dans le comté pala-
tin de Diirham, d'un juge de paix de
cette province qui avait beaucoup
souffert à cause de son attachement
aux Stuarts durant la guerre civile.
11 reçut sa principale instruction à
l'université de Cambridge, et vint en-
suite à Londres, où il s'attacha à l'é-
tude de la jurisprudence. Il occupa
successivement, et à de ^rands inter-
valles, les emplois de commis aux-Ar-
chives, dans la chapelle des Archives,
et d'huissier {usher) de la haute cour
de Chancellerie (1726). R. Sanderson
avait publié en 1704 une traduction
anglaise des Lettres originales de
Guillaume III, alors qu'il était
prince d'Or ange, à Charles IL àlord
Arlington et à d'autres personna-
ges, avec une relation de la réception
du prince à Middleburgh, et le dis-
cours qu'il prononça à cette occasion.
Ayant déplus écrit quelques ouvra-
ges historiques, il crut pouvoir, en
1714, aspirer à la place d'historio-
graphe de la reine Anne, appuyé qu'il
était par le crédit d'un homme d'État
qui avait été son condisciple à l'uni-
versité, et qui était devenu ambassa-
deur près la cour de France : c'était
le célèbre Matthieu Prior; mais l'es-
poir qu'il avait pu concevoir de ce
côte lut déçu par le changement de
ministère qui suivit la mort de la
reine. La mort d'un trèreainë le ren-
SAN
0/
dit, en 1727, possesseur de propriétés
considérables dans trois provinces
différentes. Parvenu à l'âge de 70 ans»
il contracta mariage pour la qua-
trième fois, mais de ses quatre unions
il ne laissa aucun enfant pour hériter
de sa fortune. Il mourut à Londres,
en 1741, dans sa 79« année. Robert
Sanderson coopéra, pour une bonne
part, à la compilation des Fœdera de
Rymer (voy. ce nom, XXXIX, 393),
et fut seul chargé du travail des
trois derniers volumes,du 18" au 20«.
D'une Histoire de Henri V, qu'il
avait composée en 9 volumes, les 4
premiers se sont perdus, les 5 autres
sont restés en manuscrit parmi ses
papiers. Il avait formé une collection
choisie de livres en diverses langues,
et il a laissé plusieurs volumes ma-
nuscrits, principalement relatifs à
l'histoire et à la cour de Chancellerie,
y compris une copie des Papiers d'É-
tat de Thurloe. L.
SANDFORD (Daniel), prélat au-
glais, issu d'une bonne famille du
comté de Shrop, fut associé du col-
lège Christ-Church, dans l'univer-
sité d'Oxford, où il reçut îe doctorat
en 1802. Les vertus que l'on vit
briller en lui lorsqu'il n'était que
simple pasteur dans l'église presby-
térienne d'Edimbourg fixèrent les
suffrages de ses confrères, qui le
promurent à l'évêché de cette ville :
il fut sacré en 1806. 11 est mort en
1830, âgé de 63 ans. On a de lui,
outre les morceaux qu'il a donnés au
Classical journal : I. Leçons (lec-
tures) sur la semaine de la Passion,
1797, in 8«. H. Sermons principa-
lement destinés aux jeunes person-
nes, 1802, in-12. III. Mandement en-
voyé au clergé de la communion
épiscopale d'Edimbourg, 1807, in-
4°. IV. Sermon pour les écoles lan-
castriennes, Z.
58
SAN
SANDirORT (Edouard), anato-
miste et médecin hoIlaii<lais, né a
Dordrecht le 14 nov. 174*2, fut nommé
professeur à l'université (]<• Leydc, et
acquit beaucoup de réputation, tant
par ses leçons que par les écrits (pj'il
publia. Il mourut le 22 février 1814.
On a de lui : I, liibliothèque des scien-
ces physiques et médicales, La Haye,
1765-75, 4 vol. in-8". H. Observa-
tiones anatomicopathologicœ^ 1778-
81, 4 vol. in-4*', avec fig. \\\. Thésau-
rus dis^ertationum et opusculorum
ad omnem medicinam pertinentium,
Leyde, 177.8 et années suiv., 3 vol.
in-4". \Y. Descriptio muscutorum
hominum, 1781, in-4°. V. Exercita-
tiones anatomico-academicœ, Leyde,
1783-85, 2 part in-4°, avec fig. VI.
Musœum anatomicum Academiœ
^M^dwno-Ba^avcB, Leyde, 1793,2 vol.
grand in -fol,, avec 136 pi. C'est un
ouvrage estimé. On peut consulter
sur Sandifort les Annales de l'Aca-
démie de Leyde, année 1815. Z.
SAJXDYS (Edwin), prélat angli-
can, issu d'une irès-bonne' famille
et né en 1519 dans le comté de Lan-
castre, acheva ses études dans le col-
lège Saint-John de l'université de
Cambridge^ il y fut nommé, en 1547,
principal de Catherine-Hall. Sandys
possédait déjà quelques bénéfices ec-
clésiastiques, lorsque Dudley, duc de
Norlhumberland, vint le solliciter de
prêchera l'appui des prétentions que
lady Jeanne Grey pouvait avoir à la
couronne d'Angleterre après la mort
d'Edouard VI. Saodys eut le malheur
de céder a celte invitation, et le parti
qui soutenait la malheureuse Jeanne
ayaiU échoué, le prédicateur fut en
butteàà'diiipuosilédu pjrti contraire,
qui le destitua de ses foncticais uni-
versitaires et l'expulsa du collège.
Arrivé à Londres^ il fut mis k la Tour,
oîi i! eut JohnBradford(vo^, ce nom,
SAN
V, 456) pour compagnon de capti-
vité; de cette prison il passa dans
celle de Marshalsea, assez douce-
ment traité en raison de riulérèt qu'il
inspira au gouverneur (keeper), zélé
catholique d'abord, qu'il avait amené
au protestantisme. Après (juelques
mois de détention, l'intervention de
sir Thomas Holcroft lui procura la
liberté, au grand mécontentement
deGardiner, évêque de Winchester,
qui tenait beaucoup,disent les auteurs
prolestants.àfaireattacher au bûcher
ce dangereux hérétique. Sandys n'é-
chappa qu'avec peine à ceux qui é-
taient chargés de le reprendre ; li put
enfin s'embarquer pour la Flandre,
ainsi que le docteur Coxe, qui fut de-
puis évêque d'Ely. Parvenu à Stras-
bourg, d'autres calamités l'y atten-
daient : une dyssenterie opiniâtre et
qui dura neuf mois épuisa ses forces ;
la peste lui enleva un fils unique, et la
consomption une épouse dévouée ; de
plus, la discorde se mit entre les An-
glais exilés, au sujet de la discipline
ecclésiastique, il alla passer quelque
temps à Zurich, où il fut bien ac-
cueilli par P. Martyr et parBuliinger;
c'est là qu'il reçut la première nou-
velle du décè.s de la reine Marie. Il
revint à Strasbourg, et bientôt après,
accompagné de son ami Grindal, il se
mit en mesure de regagner son pays
natal. On couronnait la reine Elisa-
beth au moment où il arrivait à Lon-
dres. Une de ses premières occupa-
tions après son retour fut la part qu'il
prit à la discussion solennelle qui eut
lieu entre les plus éminenîs théolo-
giens des deux communions. Le 2i
décembre 155Î* il fut sacré évêque de
Worcester par l'archevêque Parker.
On peut présumer qu'entre ics ver-
tus chrétiennes qui brillaient en lui,
la mansuétude n'était pas celle qui
dominait. Entouré de zélés catholi -
SAN
SAN
50
ques qui lui témoignaient leur aver-
sion, il ne lit aucune démarche pour
désarmer leur animosité; il y eut un
É| jour, entre ses domestiques et ceux
d'un baronnet, son voisin, une mêlée
où, de chaque côté, quelques hommes
reçurent des blessures. Après avoir
occupé le siège de Worcester jus-
qu'en 1570, lorsque Grindal passa
au siège d'York, Sandys lui succéda
comme évêque de Londres, poste au-
j^ quel semblaient l'appeler ses divers
K talents, comme prédicateur et comme
V administrateur. Il le garda six ans,
■ jusqu'à ce que Grindal étant promu à
^' l'archevêché de Canterbury, il fut
admis à le remplacer à Yorki Là
ses tribulations recommencèrent. En
1577, pendant une de ses visites
diocésaines, ayant porté ses pas jus-
qu'à Durham, dont i'évêché était
alors vacant, il s'en vit retuser
l'entrée par \e doyen puritain Whit-
tingham, sur lequel il se crut au-
torisé à lancer l'excommunication.
Nous passons ici sur d'autres avanies
qu'il eut à subir, et qui ne tendaient
pas à moins qu'à le déshonorer. L'é-
vêque Sandys mourut en 1588, âgé
de 79 ans, à Soulhwell, où on lui
reprochait de demeurer trop long-
temps, et encore en y vivant avec
mesquinerie, au lieu de^ résider à
York. Ayant use nombreuse faniilfe
à pourvoir (voi/. Sandys (Georges),
XL, 323), il s'en occupa peut-être
plus qu'il ne convenait a un paslejir
d'âmes. Il est le p emiei évêque an-
glais qui , par sa prudence ou sa
parcimonie, ait jeté les fondements
d'une grande fortune, laquelle a con-
duit ses descendants à la pairie. Les
jugements qui ont été portés sur le
caractère de ce prélat sont peu d'ac-
cord entre eux ; on a parfois vanté
sa douceur et sa patience, et cepen-
dant il est avéré qu'il tut en que-
relie avec ses frères protestants
comme avec les catholiques; avec
son successeur (Aylmer) dans un de
ses diocèses; avec son doyen dans
un autre ; que, dans ses deux pre-
miers diocèses, il traita le clergé avec
une rudesse qui appela l'intervention
du métropolitain. Ce qui n'a pas été
contesté, c'estson savoir, sa pénétra-
tion, son éloquence. Les sermons
qu'il a prêches ont été imprimés pour
la premier*^ fois pende leinpsaprèssa
mort, et de nouveau en 1613, 1 vol.
in-4", contenant vingt-deux discours.
Ils étaient devenus très-rares lorsque
Whitaker en publia une nouvelle
édition, enrichie de la Vie de l'au-
teur, 1812,in-8°. Ed. Sandys a donné
une traduction anglaise des livres
des Hois et des Chroniques, faisant
partie de la version de la Bible com-
mencée en 1565 Quelques-unes de
ses lettres et autres écrits ont été
insérés dans les Annales et dans
les Vies de Parker et de Whitgift,
par Strype, ainsi que dans ['Histoire
de la Heformation, par Burnet, les
Actes de Fox, etc. L.
SAKDYS (sir Edwin), second fils
du précèdent, naquit eu 1561 dans
le comté de Worcester, et étudia à
l'université d'Oxford sous le célèbre
Hookt r. En 1581, une prébende dans
l'église d'York lui fut conférée. 11
voyagea ensuite sur le continent,
avec beaucoup de fruit pour son in-
struction, et l'on ajoute même pour
sa moralité. Pendant son séjour à
Paris, il couiiuença d'écrire un ou-
vrage, de peu d'étendue, sous le titre
d'Europœ spéculum, qui ne fut ter-
miné qu'en 1599. Peut-être n'avait-il
pas dessein de le mettre au jour; mais
il dut enlin s'y résoudre lorsqu'il
en vil paraître une édition iu.primée
^ son insu, d'après une copie impar-
faite, suivie d'une seconde édition
60
SAN
non moins «lëlVclueusc. Ccllo qu'il a
donnée liii-mênie ne fut publiée que
peu (le temps avant sa mort, sous ce
titre : Europœ spéculum (1), ou Ta-
bleau de l'étal de la religion dans
les contrées occidentales du monde,
où Von explique la religion ro-
maine et la tactique de Véglise de
Rome pour la soutenir ; avec quel-
ques autres découvertes mémorables;
ouvrage qui n'avait pas encore été
publié conformément au manuscrit
original de l'auteur. Multum diuque
desideratum, La Haye, 1629, in-é".
Ce livre a été réimprimé en 1637,
in-4°, et en 1673; il a été traduit en
italien et en français. En 1602, Edwin
Sandys résigna sa prébende, et l'an-
née suivante il lut élevé a l'honneur
de la chevalerie par le roi Jacques !'''•,
auquel il avait rendu des services
importants, et qui lui donna encore
en rémunération une belle propriété
à Northborne dans le comté de Kent.
Sir Edwin y mourut en oct. 1629.
C'était un homme habile, loyal, et
un des députés les plus assidus aux
séances du parlement. 11 laissa une
somme de 1,500 livres st. à l'uni-
versité d'Oxford pour la dotation
d'un cours de métaphysique. De cinq
fils dont il était le père, tous, à l'ex-
ception d'un seul, adhérèrent à la
cause du parlement pendantla guerre
civile; même l'un d'eux, JEdtcm, fut
le fameux colonel parlementaire dont
les faits sont signalés dans les écrits
contemporains, et qui, blessé mor-
tellement à la bataille de Worcester,
en 1642, revint expirer dans sa terre
de Northborne, qu'il laissait à son
tils, sir Richard. — Celui-ci fut tué
en 1663 par l'explosion accidentelle
de son fusil de chasse. L.
(i) C'est par erreur qu'à l'article Georges
Sanuys, t. XL, p, 323, une note attribue
YEuropee sptculum à l'évéque Sandys.
SAN
SAXE (Jacqijes-Nokl, baron), cé-
lèbre ingénieur <Ies constructions
navales, né à Brest le 18 février
1740, annonça de bonne heure c«»t
esprit d'observation , merveilleux
instinct du génie qui développe les
aptitudes innées et décide des voca-
tions. Dès l'âge de quinze ans, il fnt,
admis dans l'arsenal comme aspi-
rant é/èue constructeur, et s'appli-
qua à développer ses heureuses fa-
cultés par la pratique la plus assidue .
Élève constructeur en 1758, élève
ingénieur en 1765, sous-ingénieur en
1766, ingénieur ordinaire en 1774,
ingénieur sous-directeur en 1789,
ingénieur en chef en 1794, enlin
inspecteur-général en 1800, il mit
près d'un demi-siècle à parcourir les
degrés de la hiérarchie du génie ma-
ritime, et ne se retira du service
qu'en 1817. Pendant cette longue
carrière, il fut témoin des grandes
luttes navales de 1755 à 1763, de
1778 à 1783, de 1793 à 1802, et de
1803 à 1815. Perfectionnant sans
cesse la théorie par la pratique, il
eut la gloire de créer successive-
ment les divers types des bâtiments
de guerre français, types aujour-
d'hui encore acceptés pour modèlci^^,
même par les marines étrangères.
Nous tâcherons de rappeler , autant
que l'espace le permet, les immenses
travaux qui valurent à Sané le sur-
nom de Vauban de la marine. 11
fournit en 1779 les plans des fré-
gates de 28 et de 26 canons qui furent
construites à Saint-Malo, sous les
noms de la Vénus, V Aigle, la Cléo-
pdtre^ l'Hébé et la Dryade, dont les
qualités nautiques commencèrent sa
réputation. L'année suivante, il con-
struisit à Brest , sur ses propres
plans, le vaisseau de 74 le Norlhum-
berland, dont le succès le fit ad-
mettre au nombre des concurrents.
San;
lorsqu'il fut question de rédiger l<»
plan-type de chaque rang de vais-
seaux dont devait se composer la
tloUe française. En 1782, sou plan-
type du vaisseau de 74, portant des
canons de 18 à la 2^ batterie, fut
choisi parmi tous les projets envoyés
au concours et servit à la construc-
tion des vaisseaux de ce rang, dont
il fut chargé de construire le modèle
à Brest sous le nom du Téméraire,
En 1786, dans un nouveau concours
ouvert pour la construction des vais-
seaux de 118 canons, le plan-ty[)e de
Sané fut adopté, et il en construisit
aussi le modèle sous le nom des
États de Bourgogne. Ce vaisseau,
surnommé la Montagne en 1793 et
l'Océan depuis 1798, fait aujour-
d'hui partie de l'escadre aux ordres
de S. A. R. le prince de Joinville
dans la Méditerranée. En 1788 ,
dans un troisième concours, ayant
pour objet d'obtenir le meilleur mo-
dèle des vaisseaux de 80, le projet
de Sané fut approuvé et servit de
type à la construction de tous les
vaisseaux de ce rang qui seraient mis
en chantier. Ainsi, à partir de 1782
jusqu'à nos jours, tous les vaisseaux
de 74, de 80 et de 118, construits
dans les ports de France, ont eu
pour origine, sans exception, les
trois types de Sané. La marine lui
dut, en outre, ceux de plusieurs au-
tres bâtiments de guerre destinés à
satisfaire à de nouvelles conditions.
En 1794, on désira posséder dans
les escadres des vaisseaux de 74 por-
tant des canons de 24 au lieu de 18
à la deuxième batterie : le plan de
Sané servit à la construction des
vaisseaux le Cassard et le Vétéran.
En 1802, on demanda de petits vais-
seaux de 74, destinés à naviguer fa-
cilement sur l'Escaut. Le plan-type
dressa par Sané pour Ze P/u/ow ser-
SAN
61
vit à Ja construction de tous les
vaisseaux de celte espèce. On désira
introduire dans la marine française,
en 1808, de petits vaisseaux à trois
ponts, à l'instar de ceux des Anglais.
Le plan du vaisseau de 110 de Sané
servit à la construction du vaisseau
le Commerce de Paris et de ceux de
même rang. On demanda aussi des
vaisseaux à trois ponts portant du
18 à la troisième batterie au lieu du
calibre de 12, comme sur l'Océan.
Le plan du vaisseau de 118 l'Auster-
litz^ présenté par Sané, servit des
lors à la construction des grands
vaisseaux à trois ponts mis en chan-
tier dans tous les ports, indépen-
damment de cette nombreuse série
de vaisseaux, Sané fut appelé à com-
biner les plans d'une frégate de 44
portant du 18, et d'une corvette à
gaillards portant des caronades de
24. En 1810, il rédigea le plan-type
de la frégate la Justice^ dont les
qualités à la mer ont eu les plus
grands succès, et ce même plan a été
suivi pour l'exécution d'un grand
nombre de frégates qui ont toujours
conservé une bonne réputation. En-
fin Sané dressa, en 1807, le plan
d'une corvette à gaillards qui ligure
encore au nombre des bâtiments de
la tlotte. Tel est le rapide exposé
des travaux nombreux par lesquels
Sané se distingua comme ingénieur
des constructions navales. «Ce grand
ingénieur, dit M. le baron Ch. Du-
pm, avait reçu de la nature un sen-
timent exquis de la convenance et de
la continuité des formes ^ il pressen-
tait, il devinait, pour ainsi dire, les
inflexions, les courbes les plus favo-
rables à la marche des navires, à la
douceur de leurs oscillations, à la
facilité de leurs évolutions. Cette
application de la théorie à l'expé-
rience produisit des vaisseaux siipé-
62
SAN
rieurs à tous ceux que les modernes
avaient construits jusqu'à cette
<'|)oqiie. La supériorité fut remarqua-
ble surtout pour les vaisseaux à trois
ponts. La milture et la voilure de ces
bâtiments furent si savamment ba-
lancées, que les frégates mêmes
n'olfrirent plus, comparées à ces
vaisseaux, une supériorité d'évolu-
tion et de marche. La marine fran-
çaise se rappelle encore le sentiment
d'admiration que lit naître le vais-
seau l'Océan^ navire à trois ponts,
que le public admirait pour l'élé-
gance et la majesté de ses formes
apparentes, et que les marins ad-
miraient parce qu'il était le vaisseau
le plus facile à manœuvrer et le plus
tin voilier, entre tous les navires du
même rang, qu'on eût construit en
Europe. Il ne suffisait pas au reste
d'avoir conçu les plans et dirigé la
construction des vaisseaux les plus
parfaits , il fallait généraliser cette
supériorité dans toute notre armée
navale. C'est un nouveau service
qui résulta des travaux du baron
Sané. Depuis long-temps les marins
se plaignaient de l'extrême inégalité
que présentaient la marche et les
autres qualités des bâtiments de nos
armées navales. Lorsque plusieurs
vaisseaux devaient naviguer en-
semble, ils étaient forcés de prendre
la vitesse de celui qui s'avançait
avec le plus de lenteur; lorsqu'ils
devaient remonter contre le vent,
ils ne pouvaient louvoyer que sui-
vant la ligne marquée par le vais-
seau qui dérivait davantage; en un
mot, l'uniformité, la conserve de la
marche et des évolutions, impri-
maient nécessairement à la flotte
entière les imperfections dominan-
tes de chaque vaisseau disgracié par
quelque genre que ce fût d'infério-
rité. Par la coïncidence la plus heu-
SAN
reuse, c'était à l'époque où l'art
venait de faire un pas immense par
les travaux de M. Sané, qu'on adopta
la pensée de construire sur un mo-
dèle uniforme les vaisseaux de cha-
que rang. Grâce à cette innovation, la
France, au lieu d'avoir des armées
navales qui manœuvraient avec tous
les genres d'infériorité des plus
mauvais vaisseaux, composa bientôt
des armées dont les navires possé-
dèrent tous les genres de supériorité
que l'art pouvait procurer: c'était l'u-
niformité appliquée à la perfection. »
Appelé, en 1793, en qualité d'ordonna-
teur de la marine, à la direction supé-
rieure du port de Brest , Sané se trou-
va bientôt aux prises avec une po-
pulation égarée par la famine et en
proie au paroxisme révolutionnaire.
Toujours calme et ferme,il suffit à tous
ses devoirs et dut son salut à la pro-
tection du représentant du peuple
Jean-Bon Saint-André, qui vénérait
en lui le citoyen dévoué à la patrie
et l'auteur du vaisseau si bien nom-
mé le Sans-Pareil. Il quitta le poste
d'ordonnateur à Brest pour exercer
les fonctions d'inspecteur des con-
structions navales depuis Saint-Malo
jusqu'à Bayonne. Élevé en 1800 au
grade d'inspecteur- général du génie
maritime, il dut se rendre à Paris,
où il exerça ses hautes fonctions
jusqu'en 1817, époque à laquelle il
fut admis à la retraite. Il était âgé
de 77 ans, dont 62 avaient été si la-
borieusement et si utilement consa-
crés au service de l'État. Il avait été
successivement nommé membre de
l'Aca'lémie des sciences, section de
mécanique, sur la proposition de
Napoléon lui- même, membre de cette
importante section de l'Institut; ba-
ron de l'empire-, chevalier de Saint-
Louis ; grand-cordon de l'ordre de
Saint-Michel j enfin, grand-officier
SAN
de Tordre royal de la Légion-d'Hon-
neur. Combîl^ de distiifclions, qui
touteà avaient été le prix de ses
éminents services, el entouré d'une
famille (l) qui répondait par les
soins les plus touchants a sa profonde
tendresse, le baron Sané s'éteignit le
22 août 1831, à Paris, et ses restes
mortels furent déposés au cimetière
de Montmartre. Au nom de l'Institut
et de la marine, M. Charles Dupin,
dans un discours dont nous regret-
tons de n'avoir pu reproduire qu'un
passage, rendit hommage à la mé-
moire de ce patriarche du génie ma-
ritime {Annales maritimes, année
1831, 2** partie, sciences et arts,
t. II). Le baron Sané était d'une
taille élevée. Sa physionomie, calme
et imposante, révélait la noble can-
deur de son âme. Inaccessible aux
suggestions de l'amour-propre, il ne
connut jamais l'envie. Par un rare
privilège, il sut se concilier le respect
et l'admiration en même temps que
l'affection. Profondément dévoué au
bien public ainsi qu'aux progrès de
l'art qu'il a tant contribué à perfec-
tionner, son nom, inscrit dans les
fastes de la marine, restera toujours
vénéré du pays. Ch— u.
SANÉ (Alexandre-Marie), litté-
rateur, né vers 1773, remplissait les
fonctions de greflier de la justice de
paix du 12« arrondissement de Paris,
lorsqu'il mourut le 31 octobre 1818,
âgé seulement de quarante-cinq ans.
On a de lui : 1. Tableau historique,
topographique et moral des peu-
ples des quatre parties du monde,
comprenant les lois, les coutumes et
les usages de ces peuples^ Paris, 1801 ,
(i) Le barou S.iné a laissé deux filles:
l'uue a épodsé M. Ltroux, direileur des
constructions navales a Brest; l'autre,
M. Rt'urhe, roéde( iu et propi iétaire à Véxe-
lay (youue^.
SAN
63
deux volumes in-8". II. Poésie ly-
rique portugaise, ou Choix des odes
de François Manoel, traduites en
français, avec le texte en regard,
précédées d'une notice sur l'auteur,
et d'une introduction sur la littéra-
ture portugaise, avec des notes his-
toriques, géographiques et littérai-
res, Paris, 1808, in-8° {voy. Manoel
de Nascimento, LXXII, 486). III.
Histoire chevaleresque des Maures
de Grenade, traduite de l'espagnol
de Ginès Ferez de Hita: précédée
fie quelques réflexions sur les Mu-
sulmans d'Espagne, avec des notes
historiques et littéraires, Paris, 1809,
2 vol. in-8°. IV. Nouvelle Gram-
maire portugaise^ Paris, 1810,
in-8«. Z.
SAN-FELICE (Antoine), savant
du XVI* siècle, néà Naples vers 1515
d'une famille noble, fit de bonne
heure profession dans un couvent
de l'observance de Saint-François, et
partages tout son temps entre l'é-
tude et les devoirs de son état. Après
de longues et profondes recherches
sur l'ancienne Italie, il conçut le
projet de décrire toutes les cités de
la Péninsule^ mais, sentant bientôt
combien était vaste une telle entre-
prise, il la circonscrivit à h Cam-
panie. Le livre latin qu'il composa
sur cette contrée annonce non-seule-
ment beaucoup de pénétration et une
grande connaissance de l'antiquité,
mais il est encore écrit avec tant de
pureté que Montfaucon, dans son
Diarium ilalicum, n'hésite pas a
dire que le XVh siècle n'a presque
rien produit d'aussi beau. San-Felice
mourut à INaples en 1570. On a de
lui : I .Clio divina, Naples,! 54 1 , in-4".
C'est un recueil de poésies sur des
sujets sacrés, et qui, dans la suite, fut
réimprimé avec sa Campania, sous
le titre de Carminum Juvenilium
r,-{
SAN
iibri ires. 11. Campania, Naplos,
15(i2, 1566 et 1636, in-4". Dans celte
dernière édition se trouve un éloge
«le San-Felice par le père Orsi. Mais
la meilleure est celle que donna
vAï 1726, in-4", Ferdinand Sau-
Felice, petit -neveu de Fauteur,
qui y ajouta une foule de notes, un
lexique to[)ographique et une bonne
t^-irte chorugrapliique de l'ancienne
€ampanie. i.e même ouvrage se trou-
ve aussi d;ins les Auclores Jlaliœ il-
hislri (Francfort, 1600), et dans le
tome IX du Thésaurus antiq, et hist.
ï/a^., publié à Leyde en 1723. A — y.
SAN-FELIt:E (la marquise Loui-
sf), une des plus intéressantes vic-
times de la i-éaction napolitaine de
1799 (i;02^. RuFFO, LXXX, 146-50),
naquit à Naples en 1768, d'une fa-
mille considérée. Mariée, à l'âge de
18 ans, au marquis de San-Felice, et
douée de tous les avantages que
donnent l'éducation, l'esprit et la
beauté, sa maison devint le rendez-
vous de tout ce que la capitale con-
tenait d'hommes remarquables gar
le talent, la science et la fortune.
C'était l'époque où les événements
survenus en France mettaient en
ébuUition toutes les passions politi-
ques et faisaient naître dans l'esprit
de quelques Italiens l'espoir de chan-
gements analogues dans leur pays. Si
Naples futune des dernières villes de
la Péninsule où les patriotes se mon-
trèrent à découvert, elle fut celle
qui compta parmi les partisans des
idées nouvelles le plus grand nom-
bre de personnes éminentes par la
naissance et le savoir. Une espèce
de vertige s'empara des esprits, les
sociétés secrètes pullulèrent, et cha-
que jour les vit s'accroître en nom-
bre et en importance. Aussi, lorsque
Championuet envahit le royaume,
la conquête ne lui en coûta pas de
SAK
grands efforts, et la république Par-
thénopéenne se constitua promi)l«'-
ment. Mais ce nouvel ordre de cho
ses, malgré l'enthousiasme d'une
partie de la population , n'avait
pas réelleiiient les sympathies du
pays, et il eut besoin de l'appui des
troupes françaises. A peine celles-ci
furenl-elies obligées de commencer
un mouvement rétrograde, que les
royalistes reprirent courage, et for-
mèrent au sein même de la capitale
d'audacieuses entreprises. Un cer-
tain Baker, entre autres, négociant
suisse établi à Naples, devint le chef
d'une conjuration qui devait éclater
à un jour donné, faire tomber les
forts sous le canon de la flottille an-
glo-sicilienne, et surprendre à i'im-
proviste les républicains, dont les
maisons avaient été marquées à l'a-
vance d'un signe particulier. Comme
on le voit, c'était une espèce de vê-
pres siciliennes que Baker méditait.
Pour éviter toute méprise, on avait
distribué aux royalistes des cartes de
sûreté. Le capitaine Baker, frère du
chef des conjurés, était épris de ia
marquise San-Felice, et quoiqu'il ne
fût point payé de retour, il lui ap-
porta une de ces cartes, et lui ex-
pliqua l'usage qu'elle en devait faire.
De son côté, la marquise aimait un
jeune officier républicain, nommé
Ferri, selon Colletta, ou Vincent
Cuoco {voy. Coco, LXI, 169), selon
d'autres, et elle n'eut rien de plus
pressé que de lui remettre le présent
de Baker. Le jeune honune porta le
billet au gouvernement et nomma la
personne de qui il le tenait. La mar-
quise fut aussitôt appelée. Honteuse
de voir ses amours livrées k la pu-
blicité, rougissant de la dénoncia-
tiotî de son amant et forcée de ré-
véler tout ce qu'elle savait, elle refusa
néanmoins de nommer Baker, et dé-
SAN
Clara avtv, une maie énergie qu'elle
mourrait pluiôt qne de payer d'in-
gratitude l'ami géiif^reux qui voulait
la sauver. Mais sa déposition, l'é-
criture du billet et certains signes
qu'on y remarquait, suffirent pour
faire découvrir les auteurs de la
conspiration, et les frères Baker fu-
rent mis en prison, jugés et exé-
cutés. Leur supplice, qui eut lieu
peu de jours avant l'entrée du car-
dinal RufFo à Naples, attira sur la
marquise la vengeance des vain-
queurs. Arrêtée dès les premiers
jours, ainsi qu'une foule d'autres
personnes considérables , elle fut
plus particulièrement désignée à la
rigueur des juges, excités encore par
les récriminations incessantes de la
famille Baker. Une sentence de mort
fut portée contre elle et aurait été
mise aussitôt à exécution, si l'infor-
tunée jeune femme n'avait déclaré
i?tre enc<Mnîe. L'exactitude du fait
fut constatée, et le supplice différé.
Alors, s'il faut en croire le général
Colletta, le roi aurait écrit de Sicile
à la junte pour lui reprocher ce re-
tard, disant que l'excuse n'était qu'un
prétexte et qu'on avait séduit les ex-
perts. On procéda à un second exa-
men qui confirma le premier, et pour
ne laisser aucun doute dans l'esprit
de la cour, on fit partir la marquise
pour Païenne, où elle attendit dans
un cachot le jour qui devait être le
premier pour son enfant et le dernier
pour elle. Sur ces entrefaites, la prin-
cesse Marie-Clémentine, femme du
prince royal, étant accouchée d'un
fils, tenta de faire servir cet heureux
événement au salut de la marquise.
C'est un pieux usage dans la famille
des rois de Naples d'accorder, eu pa-
reille occasion, trois grâces au choix
de la princesse. Celle-ci, pour mieux
assurer le succès de sa demande, et
LXXXI.
SAN
65
montrer toute l'importance qu'elle y
attachait, au lieu de trois grâces ne
voulut en solliciterqu'une seule, celle
de la malheureuse San-Felice, qui
venait d'accoucher, et restait dans
les prisons de Palerme jusqu'à ce
qu'elle eût repris assez de forces
pour supporter le voyage de Naples,
où elle devait être exécutée. Mais
malgré les supplications et les larmes
de sa bru, Ferdinand, excité peut-
être à la vengeance par la reine
Caroline et par lady Hamilton, se
montra non - seulement inflexible ,
mais traita encore assez rudement la
pauvre princesse. Bientôt la marquise
fut transférée à Naples, où elle eut la
tête tranchée;sur la place du Marché.
C'était au mois de juillet 1800,
plusieurs semaines après le décret
d'amnistie qui avait fait cesser les
supplices. Ainsi périt une femme
qui n'était coupable que par amour
et presque sans le savoir, et que sa
naissance, sa jeunesse, sa beauté, sa
position exceptionnelle, que tout en-
fin aurait dû recommander à la clé-
mence royale. A — y.
SANHAGI (Abou-âbdallah-Ma-
homet), fils de Giarumi, nommé
aussi Ben Àgram ou Agrum, célèbre
grammairien, naquit en 682 de l'hé-
gire (1283 de J.-C), et mourut en
723 (1323). Le commentateur Aboul-
Hassan-Ali-Alscadhi observe qu'Er-
penius s'est trompé en croyant que
le niotJg'rwm était le nom d'une ville,
tandis que dans la langue africaine
il signifie homme d'une petite taille,
moine sutite. Sahhagi estauteur d'une
bonne Grammaire, intitulée Giaru-
mia, ovxAgrumia; elle est courte
et très-usitée en Orient^ plusieurs
écrivains l'ont commentée. On en
trouve beaucoup d'exemplaires ma-
nuscrits dans les bibliothèques pu-
bliques de l'Europe, dans celle» du
t>()
SAN
Vatican, de Paris, de l'Escurial, de
Leyde, d'Oxford, et il en a été donné
différentes éditions. La première, la
plus rare et la plus belle, est celle
de Rome, en t592, in 4", très-jolis
caraclères de Médicis; la 2® est celle
de Breslau, en 1610, faiieparKirsten,
avec une traduction latine et beau-
coup de notf's; la 3® est celle de Leyde,
en 1617 par Erpenius {voy. ce nom,
XIII, 275), qui a joint à cette gram-
maire le livre des Cent Régents^ sa
traduction et des commentaires;
c'est la plus correcte. La 4^ est celle
qu'Obicini ou Thomas de Novare a
publiée à Rome, avec sa version
latine, en 1631, in-8", caractères de
la Propagande {voy. Obiciisi, XXXI,
475). Senabel a donné en arabe et en
latin des morceaux de [^Âgrumia
avec ses coiumenîaires, en deux
dissertations académiques, impri-
mées en 1755 et 1756 à Le\âe. — Ali-
lien-Saïd Sanhagi a composé un
livre des Poids et mesures des Ara-
bes^ et Abou-Mahomet-Âbdalazziz
Sanhagi une Histoire du Cairovan.
J-N.
SAK-MARTI\0(Pasinato de).
Voy. Saint-Martin, LXXX, 363.
SANUEY (Agnus (1) Benignus),
savant théologien, doit être compté
dans le petit nombre de ces hommes
couragj'ux et d'une volonté forte,
ayant su vaincre tous les obstaclesqui
s'opposaient à leur instruction et à
leur avancement dans le monde. Il
naquitd Langres, en 1589,de parents
si pauvres, qu'il fut obligé, pour ga -
gner sa vie, de garder les moutons
d'un boucher jusqu'à l'âge de 14 ou
(i) Chaudoa et Feller out traduit Agnui
par Ange. Moréi i, plus exact, a conservé à
Sanrey son préuuiu d'^gnuJ, qu'on lit dans
son épitapbe, rapjiortée par Booaventiire
U'ArgODue, t. II, p. >Si de ses iMelanges,
edit. de 179.5.
SAN
15 ans. Un de ses compagnons» qui
savait lire et qui faisait des jarretiè-
res et des cordons de chapeaux avec
la laine qu'il tirait du dos des mou-
tons, lui apprit à lire et à faire son
petit métier (2). Devenu assez grand
pour être un peu plus qu'un berger,
il revint à la ville, où il entra au
service de M. Médard, avocat du roi.
Lorsqu'on l'envoyait aux offices, il
prenait plaisir à chanter, car il avait
une belle voix et une mémoire si heu-
reuse, qu'il retenait aisément tous les
chants de i'Église. La place de clerc
d'oeuvre étant devenue vacante dans
la paroisse de Saint-Martin, le curé
et les chapelains la lui offrirent, mais
il la refusa, disant qu'il savait à peine
lire, et que les enfants qui l'avaient
vu garder les moutons se moqueraient
de lui. A la fia il se laissa gagner par
un des chapelains, qui le prit en af-
fection et qui lui enseigna à pronon-
cer le latin. Ce bon ecclésiastique lui
ayant fait présent d'un Despautère,
le jeune chantre parvint, au bout de
deux ans, à faire des thèmes où l'on
n'aurait pu trouver une seule faute
contre la syntaxe. Le traitement at-
taché aux fonctions de Sanrey était
si modique, qu'il n'avait pas le moyen
d'acheter de l'huile pour travailler
pendant la nuit^ la nécessité est in-
génieuse ; Srinrey, lorsque chacun
dormait, descendait dans l'église, et
lisaii ou compo.sait ii la lueur de la
lampe qui brûlait devant le taber-
nacle. Les progrès qu'il avait faits
dans la langue latine engagèrent les
chapelains à le placer au collège de
(2) Jameray Duval, qui mourut bibliothé-
caire de l'empereur d'Autricbe, fut gardeur
de diudons dans sa jeunesse {^voj. Dcival,
XII, 4^^ )• L'évèque actuel de Cbambéri,
Mg'Billieti, apprit uoQ'Seuleaieut à lire, mais
eucore le latin, sans maître, pendant qu'il
était berger.
SAN
SAN
67
Langrespour y conlinu(^r ses études;
il y fit sa rhétorique avec tant de
succès, qu'on le jugea capable d'en
occuper la chaire. L'inteulion de
Sanrey était d'embrasser l'état ecclé-
siastique. L'archidiacre de la cathé-
drale de Langres l'envoya à Lyon, et
radressa au P. Théophile Raynaud,
qui ne tarda pas à reconnaître sa ca-
pacité, et qui l'aida de ses conseils
et de ses livres pendant qu'il faisait
son cours de théologie et de philoso-
phie. Dès qu'il fut sous-diacre, il alla
prêcher dans les campagnes voisines
de Lyon; et quand il fut ordonné
prêtre, il se livra entièrement à la
prédication. Pendant le séjour de
Louis XIll et de sa cour à Lyon, en
1(;22, Sanrey prêcha dçvant Anne
d'Autriche , qui lui fit donner un
brevet de prédicateur ordinaire du
roi, avec promesse d<i reconnaî-
tre son mérite à la première occa-
sion. Ses amis lui conseillèrent de
suivre la cour, mais, dans le chemin,
il tomba trois fois de cheval, et re-
vint à Lyon. Quehiue temps après, il
alla disputer la théologale de Beaune,
qui était vacante, et l'emporta sur
quinze ou seize compétiteurs par son
éloquence et par son érudition. Un
des collateurs des chapeilenies de
Langres lui ayant conféré une cha-
pelle, il se démit de la théologale de
Beaune. et retourna dans sa ville na-
tale, où il mourut le 15 oct. 1659. Il
fut inhumé, conformément à ses dé-
sirs, sous la lampe de l'égliseoù il avait
fait ses premières éludes. Bonaven-
ture d'Argonne, auquel nous avons
emprunté les détails qu'on vient de
lire, ajoute que Sanrey ne s'était pas
rendu moins habile dans le grec que
dans le lalin; qu'il avait même étudié
Phébreu et lu tous les Pères de l'É-
glise, entre autres saint Augustin,
qu'il savait presque entièrement par
cœur. Il a beaucoup écrit sur les ma-
tières de la grâce et contre le P. Ba-
got (voy. ce nom, III, 217). Il avait
laissé un mémoire pour servir d'in-
struction à ceux qui voudraient im-
primer sa polémique avec le jésuite.
Cette pièc« a été insérée dans les
Mélanges de Vigneul-Marville (Bo-
nav. d'Argonne), tome II, édit. de
1725. La plupart des ouvrages de
Sanrey sont restés inédits *, il n'a pu-
blié que la première partie d'un livre
ayant pour titre : Jubilus ecclesiœ
triumphus, Langres, Jean Boudot,
1655,in-4^;et un traité intitulé : Pa-
racletus, seu de recta illius pronun-
ciailone tractatus, Paris, Le Bouc,
1643, in-8% volume très-rare qui fi-
gure sous le n" 9,545 du Catalogue
des livres de Camille Falconet, et qui
offre plus d'intérêt que son titre ne
semble en promettre. « On y trouve,
« dit M. Brunet (Manuel du librai-
« re, t. 111), de savantes recherches
« sur plusieurs points d'érudition re-
« latifs aux langues en général et à
« la langue grecque en particulier. »
Chaudon et Feller se trompent quand
ils disent que ce traité fut attaqué
par Thiers, qui voulait qu'on pro-
nonçât Paraclitus et non Paracletus.
La dissertation que ce dernier publia
sur ce sujet, et que le P. INicéron
traite de pure bagatelle, ne parut
que dix ans après la mort de Sanrey,
qui n'y est pas même nommé. Elle
est intitulée : De retinenda in ec-
clesiasticis tibris voce Paraclitus <,
Lyon, 1669, m-V2(voy. Thiers, XLV,
418). Mais la victoire paraît être res-
tée à Sanrey, et les grammairiens
exacts, dit Feller, prononcent sui-
vant son sentiment. Cette dispute
grammaticale, dont le fond semble
assez futile, n'était pas nouvelle. Dès
le IX® siècle, elle avait commencé
entre les évéques de France et d'Al-
68
SAN
JjMD.ip^ne. On peut voir, dniis les
Fragments d'histoire et de littéra-
ture, La Haye, 1706, in-l2 (3), im
aperçu des différents écrits publics à
ce sujet. A. P. et B— l— u.
SAN-SEVERINO (le chevalier
Jules-Robert), néen 1758 à Naples,
de l'une des plus anciennes familles
de ce royaume {voy. San-Severino,
XL, 344), fut, dès son enfance, des-
tine à l'état ecclésiastique, et ea
conséquence placé, à l'âge de six
ans, dans l'abbaye des bénédictins
du Mont-Cassin, où il (ît de rapides
progrès, et fut, au bout de quelques
années, du nombre des douze élèves
d'éiile que la congrégation du Mont-
Cassin envoyait au collège Anselmien
de Rome, pour y perfectionner leurs
études. Il y eut pour professeur de
théologie le célèbre Chiaramonti,
qui depuis fut pape sous le nom de
Pie VU, et il fut envoyé à Plaisance
aussitôt après, pour y professer la
philosophie et la géométrie, puis à
Gènes, où il occupa la chaire des
lettres sacrées, ce qui lui fit conce-
voir la pensée de VHistoire ecclé-
siastique^ dont le style a été comparé
à celui de Tacite. L'enchaînement et
la liaison des faits n'y est pas moins
admirable que dans l'historien de
Rome, au point que dans la Pénin-
sule beaucoup de lecteurs lui ont
donné le glorieux surnom de Tacite
italien. Le roi Ferdinand IV, à qui
il la dédia, le fit recevoir à l'Acadé-
mie royale des sciences de Naples
avant l'âge de trente ans, ce qui était
une faveur Irès-rare. Nommé ensuite
chevalier de Malte, San-Severino se
rendit dans celte île, où il fut par-
faitemeiît accueilli par le grand-
maître Rohan et noaimé historio-
(3) ParîSic.-Hyao do La iloque, deRoueu,
avocat, mort en 17)2. (Barbier, Dicf, dpt
anonym. )
SAN
graphe de Pdidre. 11 n'y resta nt'-an-
moiusciuepeudeteinps.et partit pour
Gênes, d'où les premiers symplOnn'S
de la révolution le forcèrent d'aller
à Florence; il y lit un assez long
séjour, et il fut honoré d'un bre-
vet de naturalisation par la jeune
reine d'Étrurie. Étant retourné dans
sa patrie, il y commença une traduc-
tion italienne de Tacite qui fut im-
primée à l'imprimerie royale de
Naples, 18 vol. in-S", avec le texte
latin en regard. On a encore du
chevalier San-Severino une gram-
maire italienne et quelques poésies
publiées dans divers recueils. Il
mourut dans sa patrie, vers 1820.
— Un autre San-Severino fut pro-
fesseur detlangue et de littérature
italiennes à Gœttingue, puisa Bruns-
wick et à Berlin. Il a publié une
histoire de Bianca Capello, et Vies
des hommes et femmes célèbres d'I-
talie^ 1767, 2 vol. in-12, ainsi que
quelques traductions, entre autres
celle de VArt de la guerre de Fré-
déric II. A— G— s.
SANSON (Charles-Henri), bour-
reau de Paris, fut un des hommes
les plus extraordinaires du dernier
siècle par le contraste de son carac-
tère doux et pieux avec ses horribles
fonctions. Il naquit en 1740, d'une
famille vouée depuis plus de deux
siècles à ce cruel métier, et venue
de Florence au temps de Marie de
Médicis, sous le nom de Sansoni,
qu'elle changea en celui de Sanson
dans l'intention probablement de
paraître plus française. On voit dans
les Mémoires du temps que, sous
le règne de Louis XIII, un Sanson
était exécuteur commissionné par
le duc de Lorges, grand-justicier du
royaume. Ainsi, ce fut par lui qjie
périrent la plupart des victimes du
despotisme de Richelieu, et depuis
SAN /
cette e'poque, la indme place n'a pas
cesse d'être occup<'c par ses descen-
dants, auxquels d'ailleurs on ne put
jamais faire d'aulrereprochcquecelui
de leur terrible profession. Charles-
Henri Sanson était né à Paris, dans
la rue Beauregard, où demeurait son
père. On le fit entrer secrètement, à
l'âge de dix ans, dans une maison d'é-
ducation de Rouen, où il se montra
fort soumis et studieux. Son origine
y resta d'abord ignorée; mais il se vit
obligé d'en sortir dès qu'elle fut con-
nue. Revenu chez son père, on essaya
de l'envoyer dans une autre école;
mais la fatalité de sa naissance l'y
poursuivit encore, el il fut bientôt
forcé (le la quitter. Alors on lui donna
pour précepteur un pauvre abbé, du
nom de Grisel, que son père avait
recueilli par charité, et qui l'instrui-
sit dans de très-bons principes de
piété et de vertu. S'il en profita peu
sous le rapport littéraire, on peut du
moins assurer que, sous le rapport
religieux et moral, son éducation fut
très-bonne, et qu'elle eut les meil-
leurs résultats; mais on sent qu'ainsi
élevé et doué d'un aussi bon natu-
rel, leiils de Sanson dut trouver sa
position affreuse quand il la connut
tout entière, et qu'il ne put se
faire illusion sur la nécessité de
succéder à sou père. Du reste, un as-
sez fort traitement était attaché à son
emploi, et il avait des privilèges
que la révolution a supprimés, en-
tre autres celui d'une sépulture ré-
servée à sa famille dans l'église
Saint-Laurent, où l'on en montre en-
core la place auprès du banc-d'œuvre.
^ Depuis un temps immémorial, les exé-
~ cuteurs des jugements criminels (1)
^ eu France, notamment celui de Pans,
SAN
61)
(i) Par un arrêt du parlement, il était
deftjndu de leur douuer un autre nom.
percevaient pour leur salaire un
droit auquel on donnait un nom dif-
férent dans chaque province. A Paris
il s'appelait droit de navage, et con-
sistait en une espèce de tribut sur
les comestibles, qui se percevait aux
portesde la ville ou dans les marchés,
et qui ne produisait pas moins de
trente mille francs par an, lorsqu'il
fut remplacé en 1776 par un traite-
ment fixe de seize mille livres, plus
deux mille écus pour l'entretien de
l'échafaud, et le logement du pilori,
qui fut démoli enl780. Cet état de cho-
ses dura jusqu'en 1793, où la Conven-
tion nationale fixa, par un décret, le
sort de tous lesbourreaux de France.
Ayant succédé à son père vers 1770,
Charles-Henri Sanson avait eu peu
d'occasions d'exercer son terrible
ministère pendant les paisibles rè-
gnes de Louis XV et de Louis XVI;
mais la révolution devait en amener
de bien nombreuses et de bien cruel-
les. C'est par lui que furent exécutés
Favras, Durosoi, Bachmann et tous
les malheureux que les massacreurs
du 10 août et du 2 septembre 1792
ne purent égorger. Jamais ses fonc-
tions ne lui avaient paru plus péni-
bles.Mais la mort de Louis XVI devait
lui causer des chagrins bien autre-
ment funestes. H hésita d'abord pour
accepter cette horrible mission, et il
ne s'y soumit quepressé, sollicité par
tous les siens, et bien persuadé que
par un refus il s'exposerait à de grands
périls, sans utilité pourle malheureux
prince dont il aggraverait la position
au lieu de l'adoucir. Après lacatastro-
phe il tomba malade et cessa de rem-
plir ses fonctions, dans lesquelles il
fut remplacé par son fils {voy. l'arti-
cle suivant). Ainsi ce n'est pas par lui
que furent exécutés la reine, la sœur
de Louis XVI, le duc d'Orléans, Ma-
lesherbes, Daîiton, Robespierre et
70
SAN
tant d'autres. Un nioisaprès le 21 jan-
vier, il était encore malade, et il
cherchait vainement à se distraire
de son chagrin par des voyages et
d'autres moyens, lorsqu'il lut dans
le Thermomètre politique, journal
que rédigeait le fameux Duhiure, une
inlâme diatribe sur la mort de Louis
XVI , que cet historien calomniait
basseuîent après avoir été son juge,
après l'avoir condamné à réchalaud...
Nous savons bien qu'ensuite, en pré-
sence de Sansou, il n'a pas osé avouer
ses calomnies, et qu'il a déclaré les
avoir empruntées au journal de Car-
ra, les Annales patriotiques ; mais
dans ce cas il lui reste encore l'infa-
mie d'avoir adopté et répété sans
examen un très- odieux mensonge^
et la flétrissure de celui-là comme de
tant d'autres , qu'il a accuruulés
dans ses écrits, doit être connue de
la postérité. Nous le citerons donc
textuellement. Ce fut dans son
journal du 13 février 1793, 22
jours après la mort de Louis XVI,
qu'on lut ce récit calomnieux, que,
par un raflinement d'imposture et
d'audace, le journaliste u;eltait dans
• la bouche du bourreau lui même,
dans un article intitulé: Anecdote
1res -exacte sur V exécution de Louis
Capet... «Au moment où le condamné
« ujouta sur l'échafaud, je fus sur-
« pris de son assurance et de sa
«fermeté^ mais au roulement des
« tambours qui interrompit sa ha-
• rangue, et au mouvement simul-
« tané que firent mes garçons pour
«saisir le condamné^ sur-le-champ
• sa figure se décomposa; il s'écria
« trois fois de suite très-précipitam-
« ment : Je suis perdu...» Le journa-
liste continuant de faire parler
Sanson ajoute : « Le condamné avait
« copieusement soupe la veille, etfor-
'tement déjeuné le matin... Louis
SAN
• Capet avait été dans rillusion jus-
- qu'à l'instant précis de sa mort, et
«il avait compté sur sa grâce. Ceux
• qui l'avaient niaintenu dans cette
« illusion avaient eu sans doute pour
« objet de lui donner une contenance
« assurée, qui pourrait en imposer
• aux spectateurs et à la postérité;
«mais le roulement des tambours
• a dissipé le charme de cette fausse
• ferujeté, et les contemporains ainsi
« que la postérité sauront à (juoi s'en
«tenir sur les derniers moments du
« tyran condamné... » Nous devons
faire remarquer que la partie la
plus odieuse de cette dégoûtante
calomnie, inventée ou répétée par
Dulaure, n'est qu'une répétition des
propos infâmes que les meneurs
de la révolution avaient depuis long-
temps semés parmi le peuple sur
l'intempérance de Louis XVI, qui
lut toujours, quoi qu'en ait dit ré-
cemment un historien célèbre, mais
très mal inforaié sur ce point comme
sur beaucoup d'autres, le plus sobre
et le plus modéré des hommes. San-
son, qui lut ces infâmes calomnies, et
qui mieux que personne savait la
vérité , fut indigné de ces men-
songes, qu'en sa présence même on
avait l'audace de lui attribuer , et il
se hâta de les démentir par une lettre
adressée au journaliste, qui ne Tin-
séra pas, et qui se borna à dire, dans
son numéro du 18 février 1793, que le
citoyen Sanson, exécuteur des juge-
mmt.< criminels, lui avait écrit pour
réclamer contre le récit de la mortde
toMîsCajïe^, publié sous son nom, dé-
clarant que ce récit était de toute
fausseté ;e{ il invita le citoyen San-
son à lui faire parvenir un récit plus
exact ; ce que celui-ci ne manqua pas
de faire aussitôt. Trois jours après (le
21 février), on lut dans le Thermo-
mètre politique ce récit si précieux.
SAN
pour ^histoire, si courageux, sur-
tout, si l'on se reporfe à l'époque où
il fut publié, et si honorable enfin
pour le malheureux Sanson qui ne
craignit pas de le signer. Nous le
donnons dans son intégrité, avec
les fautes d'orthographe et les for-
mules obligées du temps (2). «Ci-
«toyen, un voyage d'un instant a
«été la cause que je n'ais pas eu
• l'honneur de répondre à l'invita-
• tion que vous me faites dans votre
• journal, au sujet de Louis Capet.
« Voici suivant ma promesse l'exacte
« véritée de ce qui c^est passé. Decen-
« dantde la voiture pour l'exécution,
«on lui dit qu'il faloit ôter son
« habit. Il fit quelques difhaulîés en
• disant qu'on pouvoit l'exécuter
« comme il étoit. Sur la represen-
« tation que la chose étoit impos-
• sible, il a lui-même aidé à ôter
«son habit. Il fit encore la même
« difficultée lorsqu'il cest agit de lui
« lier les mains , qu'il donna lui-
«même, lorsque la personne qui la-
» compagnon lui eût dit que c'étoit
«un dernier sacrifice. Alors il s'in-
« forma sy les tambours baileroit
• toujour. Il lui fui répondu que l'on
« n'en savoit rien, et Cretois la véri-
• tée{3). Il monta réchaffaud,etvou-
• lut foncer sur le devant, comme
« voulant parler. Mais on lui repre-
• senta que la chose étoit impossible
• encore ; il se laissa alors conduire à
• l'endroit où on V attachât, et où il
■ s'est écrié très-haut : « Peuple je
« meurs innocent. » Ensuitte se re-
r
(a) Cette lettre a été- la propriété de
M. Tastu, imprim^'iir, qui la teuait de Du-
laure lui-mêiue. Aimé Martin V» ensuite
possédée. Elle appartient niijourd'hiii à la
Bil)liothèque royale,
(3) 11 est évideiit qu'ici Sausoa n'a pas
voulu se nommer, mais que le fut lui qui
fit celte réponse ^ |a question que lui
adressa le tondamnê.
SAN
71
«tournant vers nous, il nous dit»
• Messieurs, je suis innocent de tout
«ce dont on m'inculpe. Je souhaite
«que mon sang puisse cimenter le
« bonheur des François. «Voilà citoyen
« ses dernières et ses véritables pa-
« rôles. L'espèce de petit débat qui
« se fit au pied de l'échaffaud roulloit
■ sur ce qu'il ne croyoit pas néces-
• saire qu'il olat son habit et qu'on
« lui liât les mains. Il fit aussi la pro-
« position de se couper Itii-rnêmc les
« cheveux. Et pour rendre homage à
«là véritée, il a soutenu tout cela
« avec un sang froid et une fermette
• qui nous a tous étonnés. Je reste
«très -convaincu qu'il avoit puisé
• cette fermetée dans les principes de
« la religion dont personne plus que
« lui ne paroissoit pénétrée ny per •
« suadé. Vous pouvez être assuré ,
«citoyen, que voilà la vérité dans
« son plus grand jour. J'ay l'honneur
«d'estre, citoyen, votre concitoyeiî,
«signé Sanson. Paris, ce 20 février
• 1793, l'ani'^de la république fr an
'çoise. • Ce qu'il faut remarquer
dans ce curieux récit de Sanson, c'est
que tout y est parfaitement d'accord
avec ce qu'a dit l'abbé Edgeworth de
Finnont, qui accompagna Louis XVI
jusque sur l'échafaud {voy. Fir-
mom , XIV, 562), et qui, s'il ne
prononça pas les belles paroles qu'on
lui a attribuées : Montez au ciel,
fils de saint Louis^ s'exprima d'une
manière plus simple, mais peut - être
plus convenable à la position du roi
martyr, en lui disani : «Je ne vois
« dans ce nouvel outrage qu'uu der-
« nier trait de ressemblance entre
« Votre Majesté et le Dieu qui va être
«sa récompensée. » Ce qui est bien
sûr, c'est que ces touchantes paroles
du digne ecclésiastique, attestées par
le bourreau lui-même, persuadèrent
Tinfoituné prince, qui aussitôt se re-
72
SAN
SAN
signa et tendit ses mains... Uu doit
s'étonner que d'aussi précieux détails
aient étéomis par tous les historiens,
et que sans le témoignage de Siinson,
sans le hasard qui les a fait tomber
dans nos mains, ils fussent restés
ignorés de la postérité. Ce malheu-
reux avait été l'instrument immo-
bile et le témoin à peu près passif
du supplice-, car ce ne fut pas lui qui
mit en mouvement la terrible ma-
chine, ni lui qui saisit la tête san-
glante, pour la montrer au peuple;
Edgeworth a dit positivement que ce
fut le plus jeune des bourreaux. Cet
horrible spectacle fit sur Sanson le
père unesi vive impression, qu'il tom-
ba malade,et cessad'exercer son cruel
métier jusqu'à sa mort, qui eut lieu
six mois après, dans les regrets les
plus amers d'avoir concouru à un
aussi déplorable événement. Par ses
dispositions testamentaires, il voulut
qu'une messe d'expiation fii L dite, à ses
trais, tous lesansle2ljanvier, pourle
repos de l'âme de Louis XVI ; et tant
qu'il a vécu, son fils et successeur,
dont l'article suit, a religieusement
rempli ce devoir, en chargeant de
faire dire cette messe le curé de Saint-
Laurent, ce qui est connu de tout
le clergé de cette paroisse. Nous le
tenons de plusieurs ecclésiastiques
encore vivants, qui l'ont eux-mêmes
dite. Dans les temps de révolution, ils
furent souvent obligés d'y procéder
dans le silence, et sans apprêts funé-
raires,afin de ménager les susceptibi-
lités régicides encore toutes-puissan-
tes. On priait seulement pour le re-
pos de l'âme de Louis, sans désigner
autrement le roi martyr. Il n'y avait
que leprêtreet lebourreau qui fussent
dans la confidence de cette œuvre de
piété!... Cette espèce d'expiation fut
continuée jusqu'en 1840, tant que
vécut le fils de Charles Henri. Long-
temps il n'y eut pas en France d'au-
tre cérémonie expiatoire, d'autre
protestation contre la condamnation
la plus inique, la plus monstrueuse
qui ait souillé la justice humaine ! Lt
aujourd'hui la nation tout entière
semble en avoir accepté la honte.
On sait que depuis deux siècles les
Anglais protestent encore chaque
année, par une cérémonie d'expiation
publique, contre le meurtre de Char-
les 1«'. En France, personne ne pro-
teste plus contre un attentat qui,
certes, ne fut pas moins inique. La
dernière protestation a été celle du
bourreau!... M— Dj.
SANSON (Henri), fils et succes-
seur du précédent, naquit à Paris en
1767, et fut élevé avec autant de
soins que le comportait la malheu-
reuse position de son père, auquel
il succéda en 1793, lorsque le cha-
grin causé à celui-ci par le supplice
de Louis XVI l'eut précipité dans la
tombe. Ainsi, s'il ne fut pas le bour-
reau de ce prince, il fut celui des nom-
breuses victimes de la terreur do
1793 et 1794. C'est par lui que fu-
rent exécutés la reine Marie-Antoi-
nette,sa sœur Elisabeth, Malesherbes,
le duc d'Orléans et tant d'autres. Du
reste, son caractère, comme celui de
son père, ne fut ni impitoyable ni
cruel ; il était même pieux, faisait
élever chrétiennement ses enfants, et
remplissait exactement ses devoirs
religieux. C'est un témoignageque lui
rend encore tout le clergé de Saint-
Laurent, sa paroisse, qui en a été
témoin. H possédait dans la rue
Neuve-Saint-Jean un hôtel où tous
les samedis il faisait une distribu-
tion de pain aux pauvres du quartier.
Nous trouvons encore sur cet hom-
me non moins extraordinaire que son
père, dans le troisième volume de
l'ouvrage intitulé ; Dix ans à la cour
r
SAN
du roi Louis- Philippe, par M. Ap-
pert, des anecdotes curieuses, et que
nous croyons devoir rapporter. Ce
n'est pas Saiison qui y joue le plus
mauvais rôle. C'était vers l'an 1835,
au temps où le philanthrope des
prisons et des bagnes tenait un rang,
et remplissait des missions que nous
n'expliquerons pas. Reçu très-gra-
cieusement à la cour, ainsi qu'il le
dit et s'en vante ; recevant lui-même
dans sa villa, non loin de l'habita-
tion royale, pêle-mêle avec les bour-
reaux, les forçats, et les espions de
police, les docteurs, les auteurs et les
plus grands personnages de la France
et de l'Angleterre... 11 y a là, on ne
peut le nier, quelquechosede caracté-
ristique pour l'époque. Nous n'en
supprimerons pas un mot. «...Lord
«Durham et lord Ellice, ministre de
• la guerre d'Angleterre, vinrent avec
• mon digne ami Bowring me visi-
■ ter quai d'Orsay , pour prendre
• un jour, afin de nous rendre chez
• Sanson, qui avait offert de monter
« la guillotine pour ces messieurs.
• J'allai donc prévenir l'exécuteur
• que le samedi suivant nous vien-
« drions le prendre. Comme c'était
• la première fois que j'entrais dans
« sa maison (située rue des Marais),
«il fut enchanté de me bien recevoir.
«Madame Sanson avait ouvert la
« porte, et lorsqu'elle apprit mon
• nom, elle m'adressa les plus affec-
«tueux compliments, et appela vite
«son mari qui, en me voyant, s'em-
« pressa de retirer le bonnet de coton
«couvrant sa large et haute tête
■ chauve. Il me reçut avec un respect»
• une déférence embarrassée, etvou-
• lut absolument me faire asseoir
« dans son fauteuil, ce qui, je l'avoue,
• ne me séduisait pas du tout ; encore
- un préjugé. Je remarquai des gra-
«vures pieuses qui entouraient sou
SAN
73
« cabinet ; j'entendais toucher sur
« un piano l'air de la Muette (c'était
«sa petite-fille). Je pensais à tous
« les malheureux qu'il avait exécu-
• tés ;jevoyaisavec horreur ce glaive
« à deux tranchants, marqué par deux
« fils, dont l'un rappelait l'exécution
«de Lally, l'autre celle de La Barre.
«J'étais impressionné, pensif, lors-
« que Sanson me dit : « Monsieur, le
• fauteuil sur lequel vous êtes assis
« appartient depuis bien long-temps
«à notre famille; mon père et ies
« siens y tenaient beaucoup, et s'en
• servaient toujours. » Je ne sais
«pourquoi, mais involontairement
«je me levai de suite de ce fauteuil,
• et pris congé de M. Sanson... Le
« samedi suivant, lord Durham vint
« me chercher dans sa voiture {oîi se
«trouvait son neveu, héritier, je
« crois, de son immense fortune et de
• son nom), mais il avait parlé k tant
« d'Anglais de notre visite à la rue
■ des Marais, qu'une foule de car-
• rosses nous suivirent, comme si
• nous allions à un enterrement.
- Lord Durham me demandait en
• route s'il ne serait pas possible,
• d'acheter un mouton pour le faire
• guillotiner. Je lui répondis que
«cela donnerait lieu, avec raison, à
«de sévères critiques, et il n'insista
« pas. Arrivé rue des Marais, voyant
« que nous étions au moins cinquante
«personnes, j'entrai seul chez le
«bourreau. H était en grande toi-
• lette noire, et il nous conduisit sur
« le bord du canal Saint-Martin, chez
« le peintre, gardien du fatal inslru-
« ment. Là, le caractère anglais eut
« l'occasian de se montrer tel qu'il
« est; chacun voulait toucher au coiî-
«peret, aux paniers, se mettre sur
«la planche qui tient le corps lors-
« qu'on le fait basculer, pour que U
« tête se trouve juste dans la lucarne
74
SAN
SAN
« qui l'enferme et la place au-desnius
«du terrible couteau. Sanson avait
" fait monter enlièrcinpiit et repeiri-
« dre la guillotine, et des boites de
• paille servirentk démontrer la ter-
• rible puissance du couperet. Vidocq
• aidait Sanson et soti fils dans leurs
« explications , qui m'inspiraient la
«plus vive re'pngnance; mais lord
«Durham, lord Ellice, Bowring et
« tous les autres assistants y trouvè-
« rent un spectacle qui les inte'ressa
«beaucoup. Je quittai Sanson en
• abandonnant l'immense cortège,
• moins lord Durham, qui voulut me
• reconduire chez moi, au quai d'Or-
• say. J'engageai, sur la prière de
«plusieurs amis, Sanson à dîner
• pour le samedi suivant, et en ac-
« ceptant il osa ajouter bien timide-
« ment:« Mon fils, qui me remplace
«souvent dans mes fondions, serait
« bien heureux d'avoir le même hon-
• neur. — Comment donc, monsieur
• Sanson? amenez-le ; j'en serai fort
• aise, » répondis-je. Il y eut deux
« re'unions à ma villa de Neuilly, où
« assistaient à dîner MM. de Balzac,
«Alexandre Dumas, Fourier et son
«ze'lé disciple et continuateur, Vic-
« tor Consii; raut, Harel le pinéiio-
« logue, le docteur Chapelain repré-
« sentant le magnétisme, Vidocq,
« Sanson et son (ils, Casimir Brous-
« sais, mon cher docteur et ami, etc.
« Le dernier dîner fut fait par le cui-
« sinier Gillard... » Il est bon de dire
ici que ce (iiliard était un homme
condamné à cinq ans de galères, dont
M. Appert avait obtenu la grâce. On
le ht venir au dessert, et il se mit à
lable ; il prit le café avec tous les
honorables convives... M. Appert
ajoute : « Balzac, \lexandre Dumas
• furent très- spirituels dans leur
• conversation avec Vidocq et les
" Sanson. >» On questionna le fils sur
la sensation qu'il éprouvait eu rem-
plissant son triste ministère. « Je
• suis tout chagrin, répondit-il, lors-
« qu'on me prévient, et j'aime bien
«quand la chose est finie; mais que
«voulez-vous; c'est noire devoir,
• ce sont de grands scélérats; mon
• père, pour les pauvres jeunes gens
• de la Rochelle, si jeunes, si inté-
« ressauts, coupables seulement de
• s'être laissé entraîner, a été, comme
«moi-même, bien désolé!.. )> Plus
loin M. Appert donne quelques détails
non moins curieux sur la vie privée
de la famille Sanson. « C'est encore,
dit-il, le bon vieux temps du Ma-
rais, le dîner à une heure, le goûter
à cinq et le souper à huit heures,
puis après la petile partie de pi-
quet, toujours en famille, bien en-
tendu. L'exécuteur actuel a deux
jolies demoiselles, qu'il élève bien ;
elles jont musiciennes et paraissent
avoir une bonne éducation ; mais
très-probablement elles épouseront
des fils de bourreaux de grandes
villes, car elles auront un peu de
fortune, leurs parents ayant été
fort prudents et fort économes
pour le placement de leurs épar-
gnes. Au sujet de ces mariages, je
me souviens que Vidocq me con-
tait qu'on fit courir le bruit qu'il
avait une fil!e à marier, et que, le
supposant très-riche et sans d'au-
tres enfants, une foule de préten-
dants à devenir son gendre se pré-
sentèrent dans la même semaine,
et parmi eux se trouvaient des fils
d'excellentes ethonorables familles,
mais sans fortune. Vidocq, qui n'a ,
jamais eu d'héritiers , riait beau-
coJip de cet empressement à solli-
« citer l'honneur de s'allier à lui... »
M. Appert s'est trompé dans ses con-
jectures sur la fortune de Sanson,
qui paraissait assez grande, en effrî,
SAN
dans le temps où il était un des ha-
bitués de la maison *, mais elle s'est
fort altérée depuis, et l'on sait qu'en
mars 1847, le fils de celui auquel
nous consacrons cette notice a perdu
son emploi par suite des poursuites de
sescréanciers. Quant àHenriSanson,
il mourut le 22 août 1840, à l'âge
de 73 ans, après avoir rempli tous
ses devoirs de religion. Comme son
père, il n'avait exercé qu'à regret
son redoutable ministère, et il était
d'un caractère fort doux, de mœurs
très régulières. Grand et d'une figure
assez remarquable, on le rencontrait
souvent dans les rues ou à l'église,
et quelquefois au spectacle , surtout
à celui du Vaudeville , où nous
l'avons vu plus d'ime fois dans le
milieu du parterre, souriant aux cou-
plets, aux gestes d'une jeune actrice.
Mercier,quiraaussi remarqué, à cette
même place, fait dans son Nouveau
Tableau de Paris un portrait assez pi-
quant de cette tête chauve, dominant
le parterre, et qui en avait vu tomber
tant d'autres!.. On a imprimé sous le
t'itrede : Mémoires pour servir àVhis-
toire de la révolution française, par
Sanson , exécuteur des arrêts cri-
minels^ Paris, 1830, 2 vol. in-8«,
un ouvrage que le bibliographe
Quérard attribue à M. L'Héritier de
l'Ain, et dans lequel nous n'avons
pas trouvé un mot de vrai, ni même
de vraisemblable, où la moindre des
erreurs est de faire vivreenl830celui
qui expira de cli;igrin six mois après
l'exécution de LouisXVI!.. M — d j.
SANSON (Micolas-Anïoine), gé-
néral du génie, né à Paris le 7 dé-
cembre 1756, de la famille du célè-
bre géographe de ce nom (voy. San-
son, XL, 351 ), était, au commence-
ment delà révolution, professeur au
collège de Sorrèze. Il quitta cet em-
ploi en 1792, pour entrtr dans la
SAN
75
carrière des armes, et servit d'abord
à l'armée des Pyrénées , où il fut
nommé capitaine le 8 sept. 1793, et
chef de bataillon l'année suivante. Il
se distingua surtout au combat de
Saint-Laurent , et passa à l'armée
d'Italie après la paix de Bâle, en
1795. Bien que de peu d'expérience
dans les difficiles travaux de son
arme, il s'y fit remarquer de Bona-
parte , qui le félicita hautement dans
son rapport sur le siège de Mantoue,
en 1796. Deux ans après, il suivit ce
général en Egypte, et se distingua à
Chebreiss,où notre flottille, qui re-
montait le Nil pour arriver au Caire,
essuya un combat meurtrier. Cet
exploit le fit nommer chef de bri-
gade, et il fut chargé, en cette qualité,
de la Construction du fort de Salahié,
sur le chemin de la Syrie, où Bona-
parte devait tenter une expédition,
Sanson l'accompagna encore dans
cette malheureuse entreprise, et il
eut la main traversée d'une balle au
siège de Saint- Jean d'Acre, dans une
reconnaissance où il s'était avancé
jusque suus les murs de la place.
Nomuié ensuite général de brigade,
il resta en Egypte après le départ de
Bonaparte, et servit fort utilement
sous Kléber. Quand Menou eut suc-
cédé à ce général , Sanson fut
chargé des fortifications destinées
à couvrir la place d'Alexandrie, der-
nier refuge des Français dans ce pays.
11 revint en France avec le reste de
l'armée après la capitulation , et y
fut très-bien accueilli parle nouveau
consul, qui le nomma directeur, puis
inspecteur- général des fortifica-
tions, et l'employa presque toujours
auprès de lui à la grande armée, où
Sanson fit les caujpagnes de 1805,
1806 et 1807. Nommé général de di-
vision dans cette dernière année, il
passa à rainiée d'Espagne, après le
76
SAN
SAN
Irailc'- (Je Tilsitt, et y fut ch.irgc de
diriger les sièges de Rose et de Gi-
rone.Cedernierduratrès-loiig-temps
(près d'un an), et les Français y fi-
rent de grandes pertes, dont on a
plus d'une fois voulu rendre le géné-
ral Sanson responsable, ce qui était
peu fondé. Napoléon, qui le consi-
dérait comme un de ses meilleurs
ofliciers, lui confia toujours des em-
plois importants. Il le nomma, en
1810, directeur-général du dépôt de
la guerre, en remplacement d'An-
dréossi, et l'employa dans la cam-
pagne de 1813, à la grande armée,
oii il resta dans la place de Dresde,
sous les ordres de Gouvion-Saint-
Cyr, et fut conduit avec toute la
garnison, comme prisonnier de guer-
re, en Hongrie. Revenu en France
après la chute du gouvernement im-
périal, il fut nommé chevalier de
Saint-Louis le 13 août 1814. Admis à
la retraite l'année suivante, il mou-
rut vers 1840, dans un âge très-
avancé. M— Dj.
SANSON (Louis-Joseph), célèbre
chirurgien, naquit à Paris le 24 janv.
1790 et y mourut le 1" avril 1841. Sa
mère, qui exerçait la profession de
sage-femme dans un ordre assez élevé
et avec autant d'instruction que d'ha-
bileté pratique, lui avait inspiré de
bonne heure le goiit de la chirurgie,
et il était loin d'avoir atteint le terme
de sa première éducation, lorsqu'il
fui lancé dans cette carrière sous les
auspices de ce qu'il y avait alors de
pliisélevédansla chirurgie française,
jl n'était âgé que de treize ans quand
Dupuytren l'accueillit à l'Hôtel-Dieu
sous le patronage de Richerand, qui
avait déjà su en apprécier, dans son
enfance, les plus heureuses disposi-
tions, et il justifia tellement la haute
recommandation qui lui avait valu
cette faveur, qu'il reçut bientôt, eu
témoignage de confiance du grand
chirurgien, l'importante et dillicile
mission de l'accompagner dans toutes
ses visites, de l'assister dans toutes
ses opérations, et même de préparer
les cours d'anatomie et d'anatouue
pathologique en l'absence du pro-
secteur. C'est ainsi qu'il prélud.;it
déjà, homme-enfant, à la haute po-
sition que sa destinée lui réservait
un jour sur ce grand théâtre de l<i
chirurgie européenne. Nommé élève
externe, l'un des premiers, au con-
cours de 1805, alors qu'il avait à
peine quinze ans, il resta attaché à
Dupuytren, qui lui avait déjà voué
toute sa protection en récompense
de son zèle et de son intelligence, et
bientôt il fut appelé à remplacer Mi-
randel, prématurément enlevé à la
science, dans les fonctions de prosec-
teur. En 1807, il fut nommé interne
des hôpitaux et resta encore à ce ti-
tre attaché à Dupuytren, qu'il ne
quittait plus dans la pratique des
opérations, soit à l'Hôtel-Dieu, soit
en ville. C'est dans cette position que
la conscription vint l'arracher à ses
travaux pour l'envoyer à l'armée corn •
me simple soldat; mais, grâce encore
à la bienveillante intervention de Ri-
cherand, il fut incorporé dans la garde
de Paris, et put continuer son service
de prosecteur de Dupuytren et de chi-
rurgien interne à l'Hôtel Dieu, tout
en figurant comme soldat dans les
cadres de l'armée active. Pour sortir
d'une position si précaire, Sanson
prit le parti de solliciter une commis-
sion de chirurgien militaire, et il
l'obtint. Après avoir fait pendant
quelque temps le service de chirur-
gien sous-aide au Gros-Caillou, il fut
appelé à la grande armée, aux ambu-
lances de la garde impériale. C'est là
qu'il doit poursuivre la carrière chi-
rurgicale au milieu de toutes les
SAN
gloires de iVmpire, à côté de Larrey,
(ic Percy, de Broussais, de Paulet et
de tous les hommes qui ont le plus
illustré la médecine et la chirurgie
militaires dans l'exercice de toutes
les sympathies de doctrines nouvel-
les qui germaient alors dans les es-
prits. C'est là qu'il devait trouver ses
amis les plus fidèles et les plus dé-
voués, Ducamp, Boisseau, Roche, Bé-
gin, Jourdau et tant d'autres que la
mort seule devait séparer pour ja-
mais. Rentré dans la vie civile en
1815, après la bataille de Waterloo et
la soumission de l'armée de la Loire
qu'il n'avait pas voulu quitter, il vint
reprendre son service à l'Hôtel-Dieu,
au lieu même ou il avait laissé des
souvenirs et des regrets de ses pre-
miers débuts. 11 s'y livra encore avec
un grand succès à l'enseignement et
à la pratique, faisant des cours d'a-
natomie et de médecine opératoire,
employant le peu de temps qui lui
restait à l'étude des langues ancien-
nes et vivantes, cherchant autant
que possible à compléter ainsi sa pre-
mière éducation, que les circonstan-
ces et la nécessité avaient si brus-
quement et si prématurément inter-
rompue. En 1817, il soutint sa thèse
pour le doctorat sur la taille recto-
vésicale, thèse qui fut le premier si-
gnal de la haute position qu'il devait
prendre dans la carrière chirurgi-
cale. Mais cette position devait encore
lui coûter bien des efforts, bien des
sacrifices et des déceptions de tous
genres. Pendant plus de 15 ans, en
effet, sa vie ne fut qu'une lutte d'é-
preuves laborieuses passée sans in-
terruption dans la voie des concours,
et c'est ainsi du moins qu'il fut nom-
mé successivement : en 1823, chirur-
gien du Bureau central; en 1825,
chirurgien en secondde l'Hôtel-Dieu;
m 1830, agrégé en chirurgie à la fa-
SAN
77
culte de Paris; et enfin, en 183«,
après trois concours, professeur de
clinique chirurgicale en remplace-
ment de Dupuytren. Il ne manquait
plus rien à son ambition et à sa gloire;
car déjà il avait été nommé chirur-
gien consultant du roi en 1832, et
l'Académie royale de médecine lui
avait ouvert ses portes en 1833, en
qualité de membre titulaire. Sanson
était également homme de science et
de pratique; mais il était plus écri-
vain qu'orateur, et ses nombreux
écrits n'attestent pas moins la droi-
ture de son caractère que la noblesse
de son âme et la haute portée de sou
intelligence. Dans tous il sait faire
briller une érudition aussi profonde
que bien choisie; dans tous il mon-
tre la même sévérité de logique , la
même clarté de style et d'expression,
la même indépendance d'esprit. Sa
mauvaise santé l'éloigna souvent des
séances de l'Académie de médecine,
où il eût pu apporter aussi le fruit de
son jugement et de sa pratique;
mais quand il lui arrivait de prendre
la parole dans les hautes questions
chirurgicales qui s'y agitèrent à cer-
taines époques, il savait toujours por-
ter la lumière dans la discussion par
la seule puissance de sa raison ; ce
n'était pas l'éloquence du rhéteur,
maisc'était celle du véritable savant,
cette éloquence qui, partant d'une
conscience éclairée et d'une convic-
tion profonde, va droit à la solution
et rallie au même instant tous les es-
prits. Dans ses leçons de clinique où
la foule se pressait, attirée surtout
par l'intérêt puissant de sa pratique,
dans les rapports de confraternité
qu'on recherchait toujours avec em-
pressement, c'était encore le même
caractère de vérité et de probité
scientifique, la même rectitude de
sens et de jugement, mais, le dirai-je
78
SAN
SAN
aussi, |a même sévénié de formes el
<rexpression , cette austérité de lan-
gage et de inaiiièrcs qu'il portait jus-
que dans ses relations de famille et
que personne n'a pu prendre pour
de la froideur d'âme ou de la séche-
resse de cœur, car Sanson était le
meilleur des hommes. Ceux qui ont
eu le bonheur de vivre avec lui dans
des relations intimes, savent tout ce
qu'il y avait de bon et d'affectueux
dans son cœur. Ceux qui l'ont stiivi
dans sa pratique savent avec quel
intérêt il abordait ses malades, avec
quelle sollicitude il les écoutait ou
les interrogeait , et ils peuvent
dire aussi quelle scrupuleuse con-
science et quelle justesse d'esprit il
apportait dans ses diagnostics, avec
quelle prévoyance il savait s'abstenir,
et de quelles précautions il entourait
ses procédés opératoires; et, qui le
croirait! c'est avec tant de qualités
réunies, c'est avec les plus rares et
les plus précieux dons de l'es-
prit, au milieu de tous les éléments
de succès et de prospérité qui s'of-
fraient à lui, que Sanson passa une
grande partie de sa vie dans la plus
modeste position de fortune. Disciple
fervent et dévoué d'un maître qui lui
avait accordé toutes les faveurs de sa
bienveillance et qu'il avait vu par-
courir tous les degrés de la fortune,
Sanson aurait craint de songer a sa
propre réputation en présence de
celle de son maître, et, comme s'il
rfavail eu d'autre tâche à remplir
que d'assister à son triomphe et de
lui payer la dette de la reconisais-
sance, il prit trop long-temps le parti
de s'oublier lui-même. Mais Dupuy-
tren aussi devait bientôt, et par une
fin prématurée, disparaît] e de !a car-
rière qu'il avait si merveilleuse-
ment illustrée; et Sanson, dans
sa modeste supériorité de talent,
fut loiit étonné un jour de se voir,
seul, appelé à recueillir l'héritage
du plus grand chirurgien de l'é-
poque. Devenue veuve de son chef
par la mort de Dupuytren , l'école
chirurgicale de l'Hôtel-Dieu ne de-
vait pas périr avec lui; mais la mort
du niaîlre semblait avoir rendu son
premier élève indispensable, soit
comme conseil, soit comme opéra-
teur ; et Sanson fut appelé à le rem-
placer par l'opinion publique et par
la voie du concours. C'est alors qu'on
le vit s'élever rapidement dans la
confiance publique el s'élancer com-
me à pas de géant dans la voie de la
fortune; malades et praticiens se
pressaient autour de lui pour avoir
ses conseils, et l'on a vu celte con-
fiance le poursuivre jusqu'à son fau-
teuil d'agonie , jusqu'à son lit de
mort, pour lui demander un dernier
conseil, auquel on attachait le prix
d'un conseil posthume; et ce qu'il
faut dire aussi, comme le témoignage
le plus honorable et le plus vrai du
mérite de Sanson, c'est qu'il fut tou-
jours appelé par ses confrères , par
ses élèves et par ses anciens maîtres,
plulôt que par lés malades eux-uiê-
mes ; car ce n'était pas à l'aide de ce
faux brillant dont certaines réputa-
tions s'entourent qu'il poursuivait
ses succès. Il était aussi simple dans
son langage et ses manières qu'il
était intlexible dans sou caractère.
Quand on avait besoin de lui, on le
trouvait toujours, le pauvre tout aussi
bien que le riche ; mais il dédaigna les
échos de l'adulation et les bruits de
la renommée f et plus d'une fois nous
avons vu sa dignité se révolter con-
tre ces éloges stipendiés ou ces récla-
mes déguisées qui déshonorent trop
souvent noire époque chirurgicale.
Ainsi parvenu au plus haut degré de
réputation et de prospérité, après
SAN
aroir subi tous les genresd'adversité,
Sanson pouvait être fier de sa posi-
tion; mais ce qu'il faut dire encore à
sa louange, c'est qu'il fut aussi sim-
ple dans la fortune qu'il avait été
grand dans le malheur, et il ne se
servit de ses faveurs que pour les ré-
pandre sur tout ce qui l'entourait.
Malheureusement cette fortune ne
fut pas de longue durée ; car c'est au
moment où tant de succès venaient
de réaliser toutes ses illusions de
bonheur, que l'impitoyable mort l'a
frappé, après une succession de sonf-
, frances que l'humaine condition peut
à peine supporter. Une inflammation
chronique du larynx qui le réduisit
pendant plusieurs mois à la nécessité
d'un silence absolu*, bientôt après
une affection chronique de l'estomac
qui, pendant plusieurs années, ren-
dit ses digestions constamment labo-
rieuses, et imprimait à son moral un
^ caractère de morosité habituelle;
puis une affection des voies urinaires
qui lui ôtait, jour et nuit, toute es-
pèce de repos et de sommeil ; et enfin,
comme complément de tant de souf-
frances, une malaflie de la moelJe
épinière qui le condamnait à l'immo-
bilité, qui l'enchaînait pour ainsi
dire dans une habitation qu'il n'avait
choisie que pour satisfaire ses goiils
de mouvement et d'activité; telles
furent les diverses affections qui por-
tèrent successivement les coups les
plus funestes à son organisation; et
si quelque chose pouvait encore ajou-
. ter à une aussi cruelle position, ce
fut de voir celte organisation si vi-
goureuse d'aborjl, se détériorer cha-
que jour kses propres yeux, se dé-
molir pour ainsi dire pièce à pièce,
en présence de la plus mâle intelli-
gence; situation d'autant plus af-
freuse, qu'elle ne lui permit pas seu-
lement d'apercevoir tous les dangers
SAN
79
de sa position et d'en prévenir le
terme funeste, mais encore d'assister
à son propre deuil, à la douleur, aux
regrets qu'il devait laisser aux êtres
les plus chers à son cœur, à de vieux
parents et à un frère dont il était le
soutien, à la digne et vertueuse com-
pagne qu'il devait laisser inconsola-
ble; et c'est ainsi que Sanson n'ap-
parut dans sa gloire que pour souf-
frir et mourir, pour nous donner le
plus triste exemple du néant de la
vie, mais pour nous montrer, du
moins, le plus noble caractère d'hom-
me comme le plus beau modèle de
talent et de probité chirurgicale.
Ses écrits publiés sont : I. Des moyens
de parvenir à la vessie par le rectum
(Thèse pour le doctorat), 1817, in-4°;
réimprimée en 1821, m-S", La taille
recto-vésicale a été adoptée par un
grand nombre de praticiens, surtout
en Italie, entre autres par Vacca-
Berlinghieri et Giorgi d'imola. II. Mé-
moire sur une résection de la mâ-
choire inférieure pratiquée par Du-
p-uytren, pour remédier à une fausse
articulation. (Journ. univ. des scien-
ces médicales, 1820, t. XIX, p. 77.)
111. Exposé de la doctrine de Dupuy-
tren sur le cal, {Journ. univ, des
sciences médicales, Paris,1820, t. XX,
p. 131.) IV. il/moire ayant pour ob-
jet l'introduction de l'air dans les
veines pendant les opérations; iVo-
tice sur le passage du sang dans les
vaisseaux lymphatiques. V. Médecine
opératoire de Sabatier, Ses addi-
tions, faites conjointement avec M.
Bégin, ont porté l'ouvrage de Saba-
tier de 3 à 4 forts voiuujcs in-S"*, Pa-
ris, 1824; nouv. édit., Paris, 1832,
4 vol. in-8". VI. Nouveaux éléments
de pathologie médico-chirurgicale ^
parCh. Roche et L.-J. Sanson. Toute
la partie chiiurgicale (près de 3 vo-
lumes) appartient à Sanson. La
80
SAN
|)^fmi^re édition, en 4 vol. in-S", a
paru eu 1825; la 2" édil. en 1828,
5 vol. in-8°-, la 3«^ en 1833, 5 vol. Vil.
De scirrho externo et prœcipue de
scirrho teslis, 1830. (Thèse pour le
concoursde l'agrégation.) Vill. Quel-
ques observations de débridement
très-large de l'anneau inguinal dans
Topération de la hernie ëlrangle'e.
{Journ. univ. hebdomadaire de mé-
decine, Paris, 1831 , t. V, p. 465.) IX.
Généralités sur la pathologie ex-
terne, mtUhodeà suivre pour son en-
seignement, 1832. (Thèse de con-
cours.) X. La carie et la nécrose
comparées entre elleSy 1833. (Thèse
de concours.) Dans cette thèse on
trouve pour la première fois un ca-
ractère chimique propre à faire dis-
tinguer la ne'crose de la carie. XI. De
la réunion immédiate des plaies : ses
avantages et ses inconvénients, 1834.
(Thèse de concours.) XII. Des hémor-
rhagies traamatiques^ Paris, 1836,
avec fig. (Thèse pour le concours
où Sanson fut proclamé professeur.)
Xni. Mémoire sur une nouvelle ma-
nière de pratiquer l'opération de la
pierre, par G. Dupuytren, terminé et
publié par L.-J. Sanson et L.-J . Bégin,
Paris, 1836, grand in-fol. avec 10 pi.
XIV. Dans le Dictionnaire de méde-
cine et de chirurgie pratique ., 15 vol.
in-8°, les articles suivants: aggluti-
natifs, amaurose, ammoniaque, anki-
lose, anthrax, arsenicale (pâte), arti-
culation, bandages, brayer, cataracte,
cautérisation, compression, diastase,
débridement, diplopie,ectropion, en-
canthis, entorse, exostose, fracture,
gastrototriie, glaucome, héméralopie,
hémiopie, hémophlha'mie, hernies,
hydrophthalmie, hypopyon, incision,
irilis, kératite, luxation, mouchetu-
res, mydriase, myopie, nécrose, nyc-
talopie, œil, ophthalmie, ophthal-
morrhée, ostéite, plaies, presbytie,
- •
SAN
pupille, rétinite, scarilications, sté-
rotite, spina vento.sa, staphylôme,
etc. J— L — Y.
SANTA -BAUBARA ( Pierre-
Thomas Di) , né vers le commence-
ment du XVIII,. siècle , entra dans
l'ordre des carmes et ne tarda pas
à s'y distinguer par sa connaissance
des langues grecque et hébraïque. Il
publia en 1754 l'histoire des cinq
premiers siècles de l'Église. Son ou-
vrage le plus considérable est une
réfutation de la fameuse déclaration
faite par le clergé français en 1682.
Ce livre est rare ; on y trouve une
grande érudition orientaliste. Quand
on lui en parlait, Santa-Barbara di-
sait toujours : « Il n'y a à considérer
« dans ces documents que l'article
• premier, qui concerne l'indépen-
« dance teuiporelle des souverains.
« Les trois autres articles ne sont
« fondés sur aucun droit : ils offen-
« sent les canons, les décisions des
« conciles.» Et il ajoutait : « C'est as-
« sez de l'inconsistance des socié-
« tés politiques; puisqu'on n'y peut
« remédier, il ne faut pas introduire
« la même inconsistance dans la re-
« ligion catholique. » Du reste, il écri-
vait plus contre la Défense attribuée
à Bossuet que contre les articles eux-
mêmes; mais il n'épargnait ni l'un ni
les autres. Le père Santa-Barbara
mourut vers 1766. A— d.
SANTA -CRUZ (Don Alonso
de), savant cosmographe et histo-
rien espagnol , dont le nom ne se
trouve dans aucune biographie, que
don Nicolas Antonio, dans sa Biblio-
theca hispana noua, fait naître à Sé-
vilie, peut-être parce qu'il y a passé
presque toute sa vie, et qu'il appelle
Mathematicarum omnium artium
peritissimus , vint au monde vers
la fin du XV® siècle ou au commen-
cement du XVI*, Nous n'avons trou-
SAN
SAN
81
vë» dans les «écrivains espagnols que
nous avons pu consulter» aucun
renseignement certain ni sur le
Jieu et l'e'poque exacte de sa nais-
sance, ni sur sa famille, ni sur les
premières années de sa vie, ni sur
l'éducation qu'il reçut. A en juger
par ses travaux et par ses ouvrages,
on est porlé à croire qu'il eut de
bons maîtres et qu'il profita de leurs
leçons. En 1524 ou 1525, il fut nom-
mé par le roi d'Espagne trésorier
de l'expédition qui partit de Sévi lie
dans le courant de cette dernière an-
née, sous le commandement de Sé-
bastien Cibot, pour aller à la re-
cherche des îles à épices. Cette ex-
pédition avait pour but principal
de se rendre aux Moluques , afin d'y
porter secours au commandant espa-
gnol Loaysa-, mais il paraît que Ca-
bot, dédaignant et ses instructions
<'t les observations que lui firent à
ce sujet le capitaine Francisco de
Hojas et quelques autres officiers, se
dirigea vers le Rio delà Plata.lLpa-
raît en outre qu'il traita durement
les opposants, parmi lesquels il sem-
ble que Siinta-Cruz figurait, et que
celui-ci se rendit l'organe du mécon-
tentement de ses compatriotes dans
MU rapport qu'il adressa aux autori-
tés supérieures. Quoi qu il en soit,
l'expédition fut de retour k Séville
au mois d'août 1530. Santa-Cruz s'é-
tablit dans cette ville, où il fut nom-
mé, par cédule royale du 7 juii 1.1 536,
cosmographe de la Casa de la Con-
îratacion {1 ) ^ avec un traitement
(i) La Casa de la Conlralacion , dont
Santa-Cruz fut nommé cosmograplie, était
un éla!)lisseraent formé à Séville et à Cadix,
dans lequel ou traitait de tout <e qui con-
cernait le trafu; des Indes-Occidentales, et
on se discutaient souvent des questions
srietîtifiqiies relatives principalement à la
navigation.
LXXXI.
de 30 mille maravédis. Cette même
année , le licencié Juan Suarez de
Carvajal, devenu plus tard évêquede
Lugo,chargédès le 17 août 1535 d'une
mission auprès delà Casa delaCon-
tratacion^ forma une junte ou com-
mission composée de tous les pilotes,
cosmographes et constructeurs de
cartes {maestros de hacer cartat)
marines existant déjà, afin d'en con-
struire une nouvelle, aussi exacte que
possible, pour servir de type à celles
dont on aurait à faire usage pour
naviguer aux Indes - Occidentales.
Dans les conférences, auxquelles
Santa-Cruz assista, la majorité des
pilotes reconnut qu'à Santo - Do-
mingo , l'aiguille aimantée déviait
vers le N.-O., de 2 quarts {noru-
esteaba dos cuartas)^ ( 22" et demi ) ;
à la Havane de deux quarts et demi
(28° 7'), et de trois quarts (33« 45') à
la Nouvelle-Espagne. Quant au sur-
plus des questions discutées dans ces
conférences, il y eut, entre les mem-
bres de la commission, de grandes
contradictions sur lesquelles on ne
put s'entendre faute d'instrumenis
pour noter sûrement les différences
avec quelque approximation. La mar-
che régulière delà variation suggéra
à Santa-Cruz l'idée d'obtenir par ce
moyen la longitude, et à cet effet il fit
un instrument semblable à un compas
azimutal, avec lequel, trouvant la li-
gne méridienne par deux hauteursdu
soleil, il parvenait à connaître la va-
riation. Il présenta cet instrument à
l'em^^ereur Charles-Quint, avec une
carte marine des variations magnéti-
ques , afin qu'il pût voir ce qu'elles
étaient dans les différentes parties
du monde, et que par cette con-
naissance les pilotes fussent en état
de se guider dans leurs routes.
Cette teutative fut renouvelée nu
siècle et demi plus tard \mr le doc-
6
îi?
SAN
SAN
tfiir Hil.U'y (2), qui a éU consirleré
comriîe ayartt. le premier, aprèj»
de grands et nombreux travaux, pu-
blié une carte représentaiit IVtat
(le la variation de l'aiguille pour
l'année 1700, en traçant des cour-
bes par tous les points du globe
dans lesquels la variation est la
même (3). A son exemple, Moun-
taine et Dodson publièrent des
cartes semblables pour les années
1744 et 1756. Ces observations et
d'autres postérieures n'ont pas été
néanmoins suffisantes pour trouver
la loi de ce singulier phénomène,
ainsi que le reconnaissent les
savants modernes, entre autres
Mendoza, dans son Traité de Navi-
yaf iOJi , part. 1'% liv. 2,§ 80, p 76.
Santa -Cruz soumit également à l'em-
pereur un autre moyen nouveau de
connaître la longitude, dont il espé-
rait taire l'essai, ainsi que celui des
instruments inventés par lui , dans
une expédition composée de trois na-
vires bien approvisionnés que Gu-
tierre de Vargas, évêque de Plasencia,
avait fait armer en 1539, et dont il
avait confié le commandement à
Alonso de Camargo. Cette expédi-
tion, à bord de laquelle Santa-Cruz
devait remplir les fonctions de cos-
mographe, était chargée d'explorer le
détroit de Magellan, afin de faciliter
les cofDmunications avec la mer du
Sud (4). Mais il ne put, à son grand
(a) Ëdmciud Halley, l'un des plus grands
astronomes de l'Angleterre, né en i656,
mort en 174^--
(3) M. de Nnvarrete ne nous fait pas con-
naître si la carte de Santa-Crtiz donnait les
variations égales liées par une ligne c(>url)e ;
et c'est justement ce qui fait le mérite de
celle de Halley, publiée en 1701, sous le
titre de Carte des variations de l'aiguille
aimantée.
(4) Suivant Herrera. déead VTI, liv. i,
chap. H, l'expédition conçue par l'évêque
regret, faire les expériences qu'il
s'était proposées, car l'einpereur, dé-
sireux d'assister à ses leçons d'astro-
nomie et de cosmographie, le retint
auprès de lui (5). An mois de no-
vembre de la même année 1539,
Charles-Quint quitta Séville pour se
rendre en Flandre et en Allemagne,
en passant par la France. Ce fut pen-
dant ce voyage que ce prince, voulant
reconnaître les bons services de
Santa-Cruz, l'attacha à la maison
royale (6), en lui assignant un trai-
tement de 35 mille maravédis. 1/es-
time en même temps que le caprice
de l'empereur ayant empêché Santa-
Cruz d'expérimenter, comme il l'a-
vait espéré, sa nouvelle mélhodeainsi
que ses instruments , pendant une
navigation de long cours, il se livra
avec zèle, après le départ de Charles-
Quint, aux fonctions de son emploi,
et construisit deux nouveaux ins-
truments pour observer la longitude.
Il comuiiiniquaen temps convenable
sa carte des variations à son ami
Juan Lopez de Vivero, alcade de la
Corogne, et celui-ci la montra au frère
Rodrigo de Corcuera, religieux béné-
dictin, abbé deSan-Zoil enCarrion,
homme instruit et d'un esprit ingé-
nieux, qui crut avoir découvert par
CCS variations de l'aiguille le moyen
de trouver la longitude, ignorant que
c'était le principal objet que s'était
proposé Santa-Cruz en construisant
ia carte dont on luiavaitdormécom-
munication. Le frère Rodrigo fa-
briqua ensuite un autre instrument
de Plasencia partit de Séville, sous les or-
dres de Camargo, au mois d'août i53g.
(5) Saint François de Borgia , connu à
cette époque sous le nom de marquis de
Lnmbay, suivait aus^i assidûment les cours
de Santa-Cruz, ainsi qu'on le voit dans Ri-
hadeneira, Vida del P. Francisco de Borja,
lih. I, cap. Y,
(6) Se le nombro coifxrifo de la casa re»l.
SAN
SAN
8S
semblable à celui ùe Guillfii (7), t^i
cherchante fortifier par des raisons
philosophiiiues ie système des varia-
tions magnétiques proportionnelles
aux longitudes , et il envoya en
Flandre ce travail, qui fut remis à
l'empereur par !e même Vivero.
Les savants chargés de l'examiner
n'ayant pu parvenir à s'accorder,
l'empereur se rappela alors que
Santa-Cruzlui avait présente' quelque
temps auparavant un système sem-
blable. Informé d'ailleurs par Vivero
que le cosmographe espagnol avait vu
l'instrument du frère Rodrigo, il lui
écrivit à Séville pour l'inviier à lui
faire connaître ce qu'il pensait de son
utilité. Dans une réponse très-déve-
loppée, Santa-Cruz, après avoir fait
l'historique de l'invention ùu moine,
déclara qu'il pensait qu'on n'en tire-
rait pas plus de profit que de celle
de Guillen, accueillie dans l'origine
en Portugal avec une extrême far
veur. Le peu decasque faisait Santa-
(7) Felipe Guillen, apotliicaïre de Sévilie,
homme fort instruit, d'un esprit iugé-
nieux, et grand joueur d'écher:;, informé
par les pilotes des variations qui se re-
marquaieut dans l'aiguille en naviguant de
Séville à la Nouvelle-Espagne, clierclia et
parvint à découvrir un moyen de connaître
la longitude en se servant de ces variations.
Ce faiseur de projets, ainsi que l'ajjjielle
M, de Navarrete, se détermina, en i525, à
se rendre en Portugal, dans l'espoir que
son invention y serait mieux récompensée
que dans sa patrie. l\ la présenta au roi
Jean III, qui en attacha l'auteur à -<-on ser-
vice, et lui atîcorda de grandes faveurs. Pen-
<lant -ion séjour dans ce royaume, Guillen
fabriqua un certain instrument qui était un
cercle gradué avec une petite aiguille et
trois Cls.En observant le soleil à égales hau-
teurs avant et après-midi, ponr déterminer
la méridienne, on obtenait avec cet instru-
ment la variation de l'aiguille, et on eu dé-
duisait la longitude. Cet instrument fut
l)ient(V très-répandu; les savants portugais
eu firent dans l'origine un très-grand cas,
et il y avait peu de pilotes qui n'en Pmpor-
ta».spn! pas dans lesirs navires.
<;ruz d'un système adopté d'abord
avec tant de chaleur provenait delà
diversité et de la confusion des ren-
seignements et des opinions que lui
avaient communiqués les pilotes.
Aussi, pour parvenir à fixer ses idées
à ce sujet, crut-il devoir écrire à
don Antonio de Mendoza, vice-roi
de la Nouvelle-Espagne, pourleprier
de faire vérifier la variation de Tai-
guiiledans les parages de son gou-
vernement. L'étonnement que lui
causa la réponse de celui-ci , qu'à
Mexico l'aiguille déclinait vers l'est
d'un peu moins de deux quarts
(nordesteaha dos cuartas poco me-
nos) (22" 30'), et le désir qu'il conçut
d'obtenir d'autres informations rela-
tivement aux Indes-Orientales, le dé-
terminèrent à se rendre à Lisbonne
en 1545. 11 se mit bientôt en relation
avec les pilotes portugais qui fré-
quentaient ces parages, obtint la
communication de leurs routiers, et
apprit d'eux enfin que si l'aiguille ne
présentait aucune variation au cap
de Bonne -Espérance, en d'autres
points elle offrait beaucoup de diffé-
rences, et était fort irrégulière. Pour
s'en assurer et pour réunir des in -
formations certaines sur plusieurs
questions qu'il avait soumises à ces
pilotes, relativement à leurs naviga-
tions, il acheta sous main {occulta-
mente) leurs livres et leurs rou-
tiers , et eut plusieurs conféren-
ces avec don Juan de Castro, hom-
me très-savant , qui , pendant plu-
sieurs voyages effectués par lui
dans l'Inde, avait tracé à grand
point la carte de ces mers , en y joi-
gnant l'histoire et la description des
choses les plus remarquables, aitïsi
que celle de la mer Rougé jusqu'à
Suez. Castro lui remit ces cartes avec
la traduction des explications qui les
accompagnaient, sous la condition
6.
Si
SAN
(jct» Santa-Cruz ne les nioutrerait à
aucunn pprsonn»^ habitant U*. Portu-
gal. Il affirma que rinslnimeiit de
Guillen n'avait pu lui servir qu'à ol)-
sorver la variation à terre, tandis
qu'en mer on ne pouvait l'employer
à cause du roulis des navires ; et
lit connaître en même temps les va-
riations de raiguille qu'on observait
dans des lieux très-distants l'un de
l'autre, mais plact'S presque sous le
même méridien. Ces observations
renversèrent complélemeut tout le
système de Santa-Cruz, surtout
lorsqu'il eut appris et vu par lui-
mêuje que les pilotes portugais in-
struits par l'expérience ne faisaient
plus aucun cas de la méthode et de
l'instrument de Guillen, même après
les améliorations et les corrections
qu'on y avait faites. Cependant San-
ta-Cruz n'en persista pas moins
à penser que dans la navigation
de Séville à la Nouvelle -Espagne,
sa méthode pourrait être d'une utile
application, si des hommes habiles
munis de bons instruments déter-
minaient avec soin les variations
de Taiguilie sur tous les points de la
mer, des îles et de la terre ferme si-
tués sous le même parallèle, puis-
qu'en di verses latitudes, quoique sous
le même méridien, on avait observé
des différences très -notables. Ce
n'était pas seulement comme cos-
mographe que Santa-Cruz occupait
un rang distingué parmi les savants
de son temps ; car il réunissait à un
génie fécond et à une application
tenace une grande connaissance des
écrivains classiques. Ce fait résulte
évidemment de l'examen qu'il fit, en
«'occupant des causes de la varia-
tion, des opinions de Piine et des
autres anciens sur les propriétés,
l'origine, îa puissance de l'aimant
et sur ses différentes espèces, ainsi
SAN
que de la question élevée alor^^ entr<'
quelques érmlits de savoir si les an-
ciens l'avaient employé dans leurs
navigations et de quelle ujanière. A
l'extravagance de.^ systèmes et des
théories préconisés de son temps,
Santa-Cruz opposait les expériences
et les observations qu'il avait faites
en venant du Rio de la Plata. Il disait
que les Portugais4)laeaient la pointe
de l'aiguille aimantée exactement
sons la fleur de lis de la rose, tandis
que les pilotes espagnols la mettaient
un demi-quart (5" 37' 30") plus à
l'est, ce qui était la variation que l'on
comptait alors à Séville. Il en con-
cluait que les opinions des philoso-
phes étant si différentes quant aux
causes de la variation , et celles des
pilotes quant à sa valeur en divers
lieux, il devenait très-difficile de
trouver par ce moyen la longitude;
on devait donc se contenter de re-
connaître les erreurs que les pilotes
avaient pu faire sur les cartes en
adoptant une variation inexacte, et
d'où il résultait qu'on élevait tou-
tes les îles ainsi que la terre ferme
des Indes de trois degrés de trop
en latitude. Après avoir rempli la
mission qui l'avait amené en Por-
tugal, Santa-Cruz retourna à Sé-
ville, d'où il écrivait à l'empereur
sous la date dulO novembre 1551,
que, malgré le mauvais état de sa
santé, il venait de terminer l'histoire
des rois catholiques, depuis l'an-
née 1490 où l'avait laissée 1 historio-
graphe Hernando del Pulgar, jus-
qu'en 1516, époque de la mort du roi
Ferdinand. Il informe en même temps
ce prince qu'il a écrit l'histoire de
son règne, depuis l'année 1500, épo-
que de sa naissance, jusqu'en 1550,
et qu'il y a fait entrer les événements
survenus dans toutes les parties du
monde, en y joignant une notice sur
SAN
SAN
85
ses ancêtres et sur la luatiière dont
les maisons de Flandre, d'Aragon et
de Castille ont été réunies sur sa
tête. Santa-Cruz ajoute qu'il a ter-
miné en brouillon un livre d'astro-
nomie semblable à celui de Petrus
Apianus (8), avec ses cercles, et des
démonstrations suffisantes pour en
faciliter l'intelligence. 11 dit encore
dans la même lettre qu'il a traduit
du latin en langue vulgaire {en ro-
mance castellano) tout ce qu'Aristote
a écrit sur la philosophie morale,
avec une glose pour éclaircir les pas-
sages obscurs i et qu'il a construit
plusieurs cartes géographiques, par-
mi lesquelles il en cite une d'Espagne
à grand point (de gran îamano) ^
une de France, plus exacte que celle
d'Oronce (9) ; une d'Angleterre ,
d'Ecosse et d'Irlande; une d'Alle-
magne, de Flandre et de Hongrie
avec la Grèce ; une d'Italie , de
Corse, de Sardaigne, de Sicile et de
Candie, et enfin une autre qui com-
prend toute l'Europe. Il s'occuperait,
ajoute-t-ii, de terminer le reste du
monde si ses souffrances ne l'arrê-
taient pas. L'absence de l'empereur,
qui encourageait et protégeait les
travaux et les œuvres littéraires de
Santa-Cruz, est vivement sentie par
lui. Il prie ce souverain de lui accor-
der l'emploi d'architecte des palais
ou forteresses de Séville {obrero de
(8) Àpiano ou plutôt Àpianus, profes-
seur de mathématiques, né à Ingol.stadt,
eu 149^ 6t nu>rt en îô5i, s^appelait Biens-
wiiz. Voulant latiuiser son uom, ainsi que
c'était assez l'usage à cette époque parnnt les
«avants, il le transforma en ce\ui d'yipianut,
qui lui est resté, et sous lequel il est connu,
de Jiiene,dhe\l\e,Jpis, d'où Apianus.
(9) Orouce Fine, cité souvent sous son
préuom d'Oronce ou Orontius, né a Briau-
çou en 1494, fut uoraraé par François 1*^' a
la chaire des mathématiques du collège
royal qu'il occupa jusqu'à sa mort arrivé*
le 6 octobre i535.
los Àlcazares de Seoitla), ou de
l'autoriser du moins à y Diire sa rési-
dence, k cause de la tranquillité et
des avantages que ce séjour offre
pour l'élude et le délassement. Il
éviterait ainsi , dit-il , les grandes
dépenses qu'entraîne le séjour de la
ville où tout est à un prix très-élevé
par suite de la grande quantité d'ar-
gent qui s'y trouve. 11 fnit observer
ensuite que les connaissances qu'i?
possède en géométrie et dans le trace
des plans ne seront pas inutiles pour
la conservation des édifices qu'on
lui aura permis d'habiter. M. de Na-
varrete, auquel nous devons la con-
naissance de cette lettre de Santa-
Cruz, laisse ignorer si la demande
de ce savant fut accueillie. Quelques
années plus tard, probablement au
commencement du rè^^ne de Phi-
lippe II, une commission composée de
cosmographes, d'astronomes et d'au-
tres doctes personnages, fut chargée,
sous la présidence du marquis de
Mondejar, d'examiner quelques ou-
vrages et des instruments de métal
construits par Apianus à l'effet d'ob-
server la longitude. A Santa-Crnz fut
confié le soin de prendre des infor-
mations sur les moyens employés
jusqu'à ce moment, en faisant con-
naître ceux qu'il avait lui-même in-
troduits :, leur exactitude, la facilité
qu'on pourrait avoir à en faire usage,
et l'utilité qui résulterait pour la
navigation de tous ces moyens ou de
quelques-uns d'entre eux. Ce fut l'o-
rigine et la cause de son Livre des
Longitudes^ ouvrage qu'il dédia au
roi Philippe 11 , et qui est son travail
le plus important (10). Après avoir
(lo) 11 a pour titre : Libro de las longiludai
y mariera que hasta agora st ha tenido en et
arte de navegar, eon sus demostraciones y
exemples, .idressé au très-haut et trfc.s-puis-
3.tnt seigtittui tlou Pliilippc IT,roi d'Espagne,
86
SAN
SAN
examine ce que dit Ptoh'mee dans
sou premier livre de géographie,
Sanla-Cruz fait observer dans l'ou-
vrage ci-dessus que ce ge^ographe a
calculé les degrés de latitude et de
longitude en les proportionnant se-
lon la diminution des parallèles ,
depuis la ligne équinoxiale, et que
donner à ces degrés une mesure
égale comme on le fait sur les
cartes plates, est bon pour la Médi-
terranée où l'on navigue en cabotant
{por singladuras)^ eu égard à la di-
rection que l'on prend, au gisement
des points, à la distance qu'on par-
court et à la situation ou à la proxi-
mité des côtes ; moyen qui n'est au
surplus qu'approximatif et que nous
appelons d''estime. Tel est le premier
moyen que Santa-Cruz expose dans
son traité. Le second est celui des
angles de position, qui a l'inconvé-
nient de considérer le côté du rumb
comme corde, tandis que c'est un arc
de grand cercle, la superficie du
giobeéiantsphérique.On doit remar
quer ici que l'auteur ne connaissait
pas la loxodromie(ll)dans lesrumbs
obliques Le troisième moyen est ce-
lui des éclipses de soleil et de lune;
mais Santa-Cruz pense que par suite
de leur peu de fréquence, de la diffi-
culté des calciils, du peu d'exactitu-
de dans la déterminaiion du com-
mencement et de la fin de ces phé-
nomènes, ce moyen ne peut être
utile que pour bien rapporter sur les
caries les îhs et les continents. Il
par Alous» de Saii?a-Cruz, son cosmogra-
p!ie en chef» Le Oiannscrit iuédit de cet ou-
vrage se tti>ave dépo->ç daus la («allé des
mauiistiits de la Bibliothèque royale de
Madrid.
(il) Ou sait que la loxodromie e.'jt la
route que trai.e un LâliiMcat, ou la ligue
epurbe qui rroise obliquement tous les iné'
ridieus, eu formant avec eux ua acglc tou-
stanl. ■
reconnaît que les (>ilotes et les navi-
gateurs ne possèdent pas une in-
struction suffisante pour faire ces ob-
servations ; mais en supposant, ajou-
te-t-il, qu'il se trouvât à bord des
navires des hommes instruits, pour-
vus de bons instruments pour faire
de telles observations, et qu'ils ap-
portassent des lieux de leur départ
les éclipses exactement calculées par
des hommes savants en astrologie,
de Mianière k connaître précisément
le jour, l'heure et la minute où
ces éclipses doivent commencer et
finir , il serait alors possible de
déterminer avec assez de préci-
sion la longitude de quelque lieu
que ce fût où l'on pourrait se trouver
par rapport à ceux d'où on serait
parti. Nous avons déjà parlé du
quatrième moyen que Santa - Cruz
propose pour connaître la longitude
par la variation de l'aiguille, varia-
tion qui était inconnue avant la dé-
couverte de l'Amérique (12). A cette
époque, en effet, les navigateurs re-
marquèrent, pour la première fois,
qu'a partir du méridien des îles du
cap Vert et des Açores, l'aiguille, au
lieu de se diriger vers le nord, incli-
nait vers l'ouest en allant au cou-
chant et vers l'est en allant à l'o-
rient (13); on eut l'idée de déduire de
la régularité de cette altération la
distance k ce méridien, et par consé-
quf'nt ia longitude. Santa-Cruz indi-
que, comme cinquième moyen de con-
naître la longitude, l'observation de
la déclinaison du soleil {indica coma
quinte metodo para conocer la lon-
(12) Voyez le premier voyage de Christo-
phe Colorai), t. Il, p. f5 et 17, de notre
traduction de la Colleelion det vojages et dé-
couvertes des Espagnols..., publiée par don
Martiu Fernande/ de IVavarrele.
(i3) Que desde el meridiano de las islas de
cabo y»rde jr de las Atores para el pomente
noiueiteaba j para el Oriente nordesteaba...
SAN
gitud , el de observar la declina-
cion del sol , etc.) , que Sébastieu
Cabot avait proposée en Angleterre;
mais la connaissance qu'il avait des
erreurs des tables de Ptole'niée ,
d'Oronce et de Werner (14) de'ter-
mine Santà-Cruz à préférer les ob-
servations qu'il a faites à Séville
pour les corriger, et il se lamente
sur les méprises grossières que com-
mettent les pilotes en négligeant
de s'en servir. Quoiqu'il propose la
construction d'un instrument ou
quart de cercle pour observer la
longitude avec certitude, il émet
l'opinion qu'on ne pourra pas l'en»-
ployer à bord, et que les déclinai-
sons ne pourront être prises exacte-
ment tous les jours de l'année, sur-
tout quand le soleil se trouve aux
solstices d'éié et d'hlvei . C'est dans
l'emploi des horloges pour irouver
la longitude que consiste le sixième
moyen proposé par le cosmographe
espagnol. On avait déjà essayé d'obte-
nir une durée de 24 heures précises,
eu moditiant ces instruments de di-
verses manières: les uns les avaient
construits avec des roues d'acier,
des cordes et des poids; d'autres
avec des cordes à guitare et d'a-
cier; d'autres en employant du
sable, comme les ampouletles; d'au-
tres en se servant de l'eau au lieu du
sable, en l'employant de deux façons
différentes ; d'autres avec des vases
(14) Jean Werner ou Vernerus, que les
Espagcjols appellent Verneiio, né eu 1468,
est auteur de plusieuiii ouvrages estimés.
Laluurie cite les suivants daus su Libliogra'
phie astronomique : i* In Ptolêmœi (ieo^ra-
/jAiain, Nuremb.,in-fol., i5i4; '^.^J.Tf^trneri
Traclatts de inolu octavœ spherœ, et summaiia
tnarratio theunca inolûs octava sphara, JNu-
reinb., iM-4*', jSii; 3° Iniroductio geo^ra-
phica Pétri Âpiani in doetisninas Verm^ri
anno'.alionef ; adjuncto radio atironomico, cum
tjuadrante novo, metereoseopt ioeo, longe uii-
Usiimo, etc., Ingohtadt, in fol., i533.
SAN
8T
ou de grandes ampoulettes remplies
de mercure ; et d'autres enfin au
moyen du vent avec lequel on faisait
mouvoir certain poids et avec lui l|i
corde de l'horloge, ou aussi avec le
feu en allumant des mèches imbibées
d'huile, confectionnées de manière à
durer 24 heures. L'heure dans le
port de la sortie étant connue exac-
tement au moyen d'une observation
astronomique, en réglant là-dessus
l'horloge, il était évident qu'en dé-
terminant par une autre observation
semblable l'heure au lieu de l'arrivée
et en la comparant avec celle de
l'horloge , la différence donnerait
celle de la longitude entre les deux
lieux. Mais ces opérations supposaient
dyns le ujouvemenl des horloges une
égalité et une constance qu'on ne
pouvait espérer d'une construction
informe , ni de la nature des maté-
riaux employés , exposés continuel-
lement à l'influence et aux altérations
de la mer et de l'atmosphère. Aussi
Santa-Cruz fut-il amené à conclure
que par le moyen des horloges Use-
rait difficile de connaître la longi-
tude avec la précision requise. Il
était réservé au XVIIF et au XIX®
siècle de perfectionner ce moyen de
manière à rendre son emploi d'une
grande utilité pour la navigation.
Santd-Cruz propose entin comme sep-
tième moyen de donner la longitude
par les distances de la iune aux étoi-
les fixes ou aux planètes. H paraît
que Jean Werner ou Vernerus fut
le premier qui indiqua ce moyen et
qui construisit un instrument aveu
lequel on pouvait prendre toutes les
distances des étoiles dans le ciel et
celles des diilcieots lieux de la terre
relativement au centre du monde.
D'pprès la description de cet instru-
ment et de» moyens de s'en servir,
Sduta-Cruz en fabriqua un sembla-
88
SAN
SAN
ble. Il s't'ii était servi plusieurs
fois pour faire un grand nombre
d'observations de distances des étoi-
les à la lune et aux planètes, et
pour former des tables de leurs po-
sitions respectives, lorsqu'en 1533
il eut occasion de causer à ce sujet
avec Don Antonio de Mendoza au
moment où celui-ci allait se rendre
à la Nouvelle-Espagne en qualité de
vice-roi. Mendoza lui parla d'un
livre qu'il avait rapporté d'Allema-
gne, et dans lequel Petrus Apianus,
qui en était l'auteur, et qui avait lu
l'ouvrage de Werner, donnait la
description et le dessin d'un instru-
ment nommé par lui Rayon astro-
nomique. Santa-Gruz s'étant con-
vaincu que cet instrument ne
différait pas de celui qu'il avait
construit lui-même, reconnut que la
priorité de l'invention appartenait à
Werner, et il eut la modestie de re-
noncer à la publication de son pro-
pre travail. Il n'en continua pas
moins cependant ses observations,
améliora ses tables ainsi que ïa théo-
rie sur laquelle elles étaient fondées,
et sut reconnaître que, lorsque la
lune était à l'écliptique, les observa-
tions étaient plus certaines , et
qu'elles étaient d'autant moins exac-
tes que la latitude était plus grande.
L'insuffisance de ce moyen pour
obtenir la longitude lui étant enfin
démontrée, il imagina un autre in-
strument ou cercle gradué, si com-
pliqué dans l'usage, qu'il ne tarda
pas à avouer lui-même qu'on ne
trouverait pas de pilote assez instruit
pour s'en servir, et qu'il devenait
par conséquent inutile pour les
observations à faire en mer. Il
essaya alors de remédier à ces incon-
vénients en maintenant l'instrument
dans une position verticale au
moyen de grands poids dans la partie
inférieure pour observer le passage
par le méridien de certaines étoiles
et du centre de la lune^maisde nou-
velles difficultés s'étant présentées, il
renonça également au projet qu'il
avait conçu. Variant ses moyens ,
tout en employant les mêmes instru-
ments, Santa-Cruz prétendait qu'en
observant au méridien le passage de
l'étoile polaire et le centre de la lune,
en notant avec une bonne horloge
l'heure et la minute de l'observation
et en cherchant dans les tables la
situation qu'avait en ce moment la
lune dans un autre lieu connu, on
déduirait la différence de méridien
et par conséquent la longitude.
Telles étaient les idées et les tenta-
tives du savant et laborieux cosmo-
graphe espagnol sur ce sujet impor-
tant (15). 11 pensait qu'on ne pourrait
arriver à une application utile
qu'avec des instruments exacts et
d'une grande dimension , en con-
struisant les tables des mouve-
ments du soleil et de la lune pour
un méridien déterminé et en recti-
fiant aussi la situation des étoiles
fixes. Ce qu'il croyait était vrai, dit
M. de Navarrete, mais ni la mécani-
que, ni l'optique n'avaient encore
pu parvenir à donner aux instru-
ments la délicatesse et l'exactitude
nécessaires. En outre les observa-
tions et les théories astronomiques
(i5) Santa-Cruz parle encore d'mi autre
moyen de trouver la longitude imaginé par
Pedro Ruiz de Villegas, savant astronome et
cosmograjibe de la ville de Burgos, par l'ob-
servation du mouvement de la lune eu deux
points différents, par rapport à certaines
étoiles connues, en déduisant de son mou-
vement relatif ce qui provenait de la diffé-
rence des méridiens de ces deux points.
Mais les inconvénients qu'offrait la prati-
que de cei observations étaient tels, que le
même Santa-Crur pensa que ce moyen n«
produirait aucun résultat favorable, spécia-
lement pour I«s navigateurs.
SAN
SAN
89
ne possédaient pas la certitude et la
sûreté suftisantes pour perfectionner
les tables des mouvements célestes,
spécialement de ceux de la lune. Ce
n'est qu'après trois siècles de travaux
constants, exécutés par les hommes
les plus éminents dans les sciences,
qu'on est'Tparvenu à obtenir ce que
le cosmographe espagnol essayait
vainement. Comme pour se consoler
du peu de succès de ses inventions
et de ses incessants labeurs, ainsi
que de l'insuffisance des méthodes
et des instruments dont il avait fait
si souvent l'essai , Santa-Cruz com-
parait quelquefois sa situation à
celle de Petrns Apianus, savant juste-
ment célèbre, luttant aussi inutile-
ment contre les mêmes difficultés et
les mêmes déceptions. En 1560, le
roi Philippe, qui , suivant M. de
IVavarrete,a fait faire tant àc. progrès
à l'histoire ei à la géographie de ses
vastes domaines, ordonna à Santa-
Cruz de composer un ouvrage dans
lequel il devait décrire et représen-
ter toutes les îles découvertes jus-
qu'alors, en indiquant leurs dis-
tances respectives et les routes qu'il
fallait suivre pour se rendre à cha-
cune d'elles, en donnant en même
temps leur histoire et des renseigne-
ments sur leurs antiquités. Cet ou-
vrage, ayant pour titre: Islario
gênerai del Mundo, devait être suivi
d'une description semblable des con-
tinents et comprendre en outre
l'histoire générale et particulière de
chaque province. VIslario gênerai
terminé par Santa-Cruz n'a jamais
été publié. Il est conservé en manu-
scrit dans la Bibliothèque royale de
Madrid. On trouve dans les archives
des Indes de Séville quelques brouil-
lons de l'auteur, contenant l'épî-
tre dédicfttoire à Philippe H, le
prologue et l'explication des huit
tables dont se compose l'ouvrage.
Peu de temps après avoir terminé ce
travail, Santa-Cruz, qui jouissait
comme historien d'une réputation
presque aussi grande que comme
cosmographe, fut chargé par le con-
seil de Castille de donner son avis
sur la première partie des Annales
d'Aragon de Geromino Zurita. La
critique qu'il fit de ce travail fut
trouvée en général trop sévère et
trop partiale; aussi le conseil crut-il
devoir demander un nouveau rapport
à Don Honorato Juan , précepteur
du prince Don Carlos et évêque
d'Osma, et au docteur Juan Paëz de
Castro. On ne dit point quelle fut
l'opinion de l'évêque d'Osma, nrais
Castro, et Âmbrosio de Morales qu'on
leur avait adjoint, tout en rendant
hommage aux vastes connaissances
de Santa-Cruz en cosmographie et
dans l'art de la navigation, se décla-
rèrent hautement les apologistes et
les défenseurs de l'œuvre de Zurita.
Ils reprochèrent en même temps à
son adversaire de ne pas être très-
versé dans l'histoire ancienne de la
Castille, ce qui l'avait induit quel-
quefois en erreur et entraîné dans
des contradictions (16). L'exécution
de l'acte de transaction et de vente
des îles Moluques que l'empereur
Charles - Quint avait consenti le 22
avril t52t)enfaveurdu roi de Portugal
Jean 111, moyennant le paiement
d'une somme de 350,000 ducats
d'or (17) ayant fait naître des difficul-
(i6) On peut consulter à ce sujet une
lettre de Morales à Santa-Cruz, du 20 no-
veinl)re 1664, dans les Opusculos de Morales,
t. I*"^, ]). 3o3 et suiv. ; et Progretot de la hit-
toria de Aragon, par l'archidiacre Dormer,
p. i3S.
(17) ITenera. Ilisloria gêner, de lof Ue-
chos, etc., otc, decad. IV, c.ip. x, j>. «>3. —
Navanete. Colleccion de los Viajes, etc., etc.,
t. IV, Dorum., p. 38g et suiv.
90
SAW
SAN
tés sur la li^rift de déliniitaiioti ou
de déinarcrjtion des possessions des
deux royaumes, le roi d'E-spigne
Philippe II chrir^ea, en ISfiO, une
commission de lui donner son opi-
nion à ce sujet. Santa-Cruz, Pedro
de Médina , les frères Andres de
Urdaneta et Geronimo de Chiivez
furent leis quatre commissaires notu-
més par ce prince. Ils lui présentè-
rent, les 8 et 10 octobre 1566 et les
16 et 17 juillet 1567, huit r.'ippnrls
sur la question de savoir si les îles
Philippines, et en particulier celle
de Zebu , étaient comprises dans
Pacte de cession que l'empereur
avait faite en 1529 au roi de Portugal,
et si les îles Moluques avec une
grande partie des îles Philippines et
d'autres terres voisines se trouvaient
ou non placées dans la limite et la
démarcation de la couronne de Cas-
tille. Après avoir exposé, dans le
Mémoire qu'il présenta à cette occa-
sion, les torts multipliés que ces
diflérends relativement aux limites
portaient à l'exactitude des cartes
marines, attendu que, par des motifs
d'intérêt privé et national on y dimi-
nuait sciemment les degrés de lon-
gitude et qu'on y rétrécissait les
golfes, Santa-Cruz dit qu'il fondait
son opinion sur le routier de Jean
(le Lisbonne {Juan de Lisboa)^ pilote
portugais, avantageusement connu
par ses navigations dans les parages
de l'Inde. Ayant concouru à la décou
verte de ces pays, à une époque où
ces prétentions et ses rivalités n'exis-
taient pas, Jean de Lisbonne ne pou-
vait être soupçonné d'avoir altéré les
situations géograpiiiiiues des lieux ;
aussi Sdnia-Crnz invoquait-il son
(ipinion pour justilier la méfiance
que lui inspiraient les cartes c.n-
siiuites en Portugal depuis 1530. H
HVail appris en outre, pendant sou
séjour dans ce royaume en 1545, que
le docteur Pero Mîmes, cosmo^r?)phe
du roi de Portugal, avait |)rescrit aux
cpnstructeurs de cartes de faire en-
trer dans celles qu'ils dresseraient
certains golfes se trou vaut sur la route
de rinde, bien qu'ils n'eussent pas dû
y être compris. Ils en agissaient ainsi
pour toutes les cartes destinées à
être vendues au public et à sortir du
royaume. Quant àceliesque les pilotes
portugais emportaient avec eux pour
leur usage particulier, ils les rece-
vaient de l'hôtel des Indes établi
à Lisbonne, et au retour de leurs
voyages ils étaient tenu« de les re-
mettre avec les observations qu'ils
avaient pu faire pendant leurs navi-
gations. Aussi Santa-Cruz, en com-
parant les cartes qu'il avait achetées
pendant son séjour à Lisbonne, qui
étaient conformes à celles qu'on
donnait aux pilotes portugais, et qui
paraissaient dressées sansaltérations
d'après l'ancien routier, avec une
autre carte portugaise des mêmes
parages, que le roi avait fait venir
de Sévilie à Madrid, reconnut -il
qu'entre le cap Comorin et Malaca,
on avait retranché huit degrés et de-
îiii sur le golfe de Bengale, et qu'on
avait agi de même pour les îles Mo-
luques. Ces altérations frauduleuses,
commises dans ia confection des
cartes peedant le cours de ce siècle
et du suivant, occasionnèrent de
graves dommages, et retardèrent
grandement les progrès de l'hydro-
graphie. H esî îi rt grcller que M. de
Navarrete ne nous fasse pas con-
naître les résultats produits dans
celte circonstance par les travaux de
Santa-Cruz et des autres commis-
saires. Sauta-Cruz luourul probable-
ment «n 1572, pul^que ce fut le 1 <
octobre de celte année que ses papiers
et ses livres furent remis à Juan
SAN
Lopez de Velasco, qui lui succéda
dans l'emploi de cosniographe en
chef. Outre les ouvrages et les cartes
déjà ciîés dans le cours de cette no-
tice, l'inventaire dressé après sa mort
en fait connaître plusieurs aulres,
parmi lesquels on remarque un nou-
veau Traité des longitudes et de Part
de la navigation, différent de celuv
dont nous avons fait mention. Il
paraît résulter de ce qui précède ,
qu'AIonzo de Santa-Cruz fut le pre-
mier qui conçut et traça les cartes
des variations magnétiques dont
s'occupèrent, un siècle et deuii plus
tard, quelques savants qui essayèrent
de contribuer, par ce moyen, au per-
fectionnement et à la sécurité de la
navigation. Le même cosmographe
ht aussi faire des progrès aux mé-
thodes , aujourd'hui si avancées ,
d'observer la longitude, en appli-
quant à la navigation celles qu'il ju-
geait les plus convenables et les plus
exactes, en inventant des instruments
ingénieux, et en employant des cal-
culs, lesquels, quelque compliqués et
inexacts qu'ils nous paraissent main-
tenant, ne laissent pas d'avoir aplani
la voie pour arriver à l'état actuel
de perfection auquel on est par-
venu. Il résulta également de cette
étudecontinuelleetde ces recherches
multipliées, la connaissance de l'im-
perfection des cartes plates et de la
nécessité de dresser des cartes ré-
duites, ainsi que Santa-Cruz y par-
vint un grand nombre d'années avant
Edouard Wright (18) et Gérard Mer-
cator(i9), auxquels ou attribue gé-
néralement cette invention. Dans
le chapitre 16 d'un ouvrage inli-
(i8) Edouard Wright, ♦'élèbie inathéuni-
ticien auglais, ué vers iô()o, mort en iëi8
ou 1620.
(19) lF8rard Merrator, »elèl)re géomètre,
né a Rupelinoudc, eu i.Sia, mort «u i5q4.
SAN
91
tidé : Différencias de tibros que
hay en el universo, publié en 1540,
un écrivain espagnol, Alejo de Va-
nejas, dit, en rappelant les travaux
de Lorenzo Padilla, archi-diacre de
Ronda , de Florian de Ocauipo, et
de Pedro de Alcocer , « que Sànta-
« Cruz ne se borna pas au tracé de
« la seule Espagne, mais qu'il cor-
• rigea les ancieni»es tables et dressa
« des cartes marines au moyen des
« latitudes et des routiers. Outre
« un grand nombre d'instruments
• qu'il a construits pour faire com-
• prendre la cosmographie , il a
« fait plusieurs globes, l'un projeté
« en surface plane ouvert aux méri-
« diens pour apprécier la propor-
« tion entre les surfaces sphériuues
• et les surfaces planes ; un second
- ouvert à la ligne équinoxiale, les
« pôles restant au centre ; deux
« autres coupés aux deux pôles ,
« l'un dans ie sens du méridien de
« Pîolémée , et l'autre dans celui
« de la ligne de répartition entre
« les rois de Castitle et de Portu-
« gai , qui est éloignée de la côte
« d'Espagne de six cents lieues. On
> lui doit aussi deux autres globes
• dont l'un montre la moitié seplen-
« trionale dans toute la circonlerence
«de la ligne équinoxiale; tl y a
« fait, pour indiquer la moitié infé-
a rieure, quatre incisions ou ouver-
« tures, loqueiles, élevées en surface
« plane, forment le signe de la croix
«autour de ladite ligne; le second
• de ces globes diffère du premier en
« ce qu'il n'a que deux coupures à
- la moitié inférieure, et que, pro-
« jetées en surface plane avec la ligne
" équinoxiale, elles présentent la
« ligure d'un œuf. Parmi les aulres
■ globes qu'on doit encore à Santa-
• Cruz, nous en mentionnerons deux,
^ construits avec les alidades {las la-
92
SAN
SAN
- ntinas){ie Tastrolabc. ; miautrf, tpii
« renferme tout le globe en surface
• plane, et enlin un autre, construit
• de façon (ju'il contient en dessus
- son zodiaque, pour savoir, lorsqu'il
• est midi dans un endroit, l'heure
« qu'il est dans un autre. Il a corrigé,
u en outre, les cœurs (20) deWerner
• et d'Oronce , et il a construit lui-
• même deux cœurs plus parfaits que
« ceux des auteurs corriges par lui. »
Vanejas, après avoir parlé, au cha-
pitre 29 de son ouvrage, des varia-
tions de l'aiguille en différents points
du globe, exprime l'opinion que
« les cartes marines sont toutes
• mal tracées, non par ignorance,
• mais parce qu'il a fallu qu'elles
« pussent être comprises desmarins,
« lesquels ne peuvent naviguer sans
■ rumbs, qui sont les vents signalés
• par les lignes droites qui existent
« sur les cartes. Le point de réunion
" de ces rumbs indique la place de
« la boussole. Ces rumbs ne se peu-
« vent marquer que sur des cartes
« plates. Ainsi , lorsque nous di-
« sons que dix-sept lieues et demie
« correspondent à un degré, celas'en-
• tend sur la ligneéquinoxi^ileousur
• ses parallèles, quoique ces derniers
" aillent en diminuant lorsqu'ils s'en
« éloignent,demêmequeles tranches
« de melon se rétrécissent au fur et à
" mesure qu'on se rapproche des
« extrémités. Ptolémée arrive par
• des calculs à déterminer la dé-
« croissance des différents cercles ;
• mais, comme ce mo\en présente de
«grandes difficultés, Santa -Cruz
(20) On appelait cœurs [corazones) les
t:artes géographiques triaDgulaires , dans
lesquelles on formait la base sur un arc de
l'ëquateur, entre deux méridiens détermi-
nés, lesquels allant eu se rapprochant, leurs
distances respectives diminuaient, ou leurs
l::titudes croissaient jusqu'à la réuuion nu
j>éle.
« lit, sur la demande de Pempereur,
« une carte ouverte par les méridiens
« depuis la ligne équinoxiale jus-
« qu'aux pôles. En prenant sur cette
• carte, avec le comp.is, la distance
« des vides qui existent de méridien'
• à méridien, on a la distance vrait^
« de chaque degré en réduisant la
« distance qui reste en grandes
«lieues.» On reconnaît ici le prin-
cipe et les éléments de la théorie des
cartes réduites dont l'invention n'eut
pas à son origine la perfection à la-
quelle elle a été portée successive-
ment depuis. C'est ainsi que Santa-
Cruzne détermina pas la proportion
dans laquelle on devait augmenter les
degrés de latitude sur les cartes, sui-
vant que les latitudes étaient plus
grandes, et que l'extension des pa-
rallèles était plus petite. En résumé,
il ne savait pas que cette proportion
était celle du rayon au co-sinus de la
latitude, comme on l'a déterminé de-
puis. « Les anciens philosophes, a dit
« un écrivain célèbre (21), eurent le
" défaut de spéculer beaucoup et
" d'observer peu ^ de se donner in-
« liniiiient de peine pour rechercher
« les causes sans vérifier auparavant
« les faits. De là provinrent tant de
« suppositions et si peu de décou-
« vertes, tant d'erreurs mêlées à un
« petit nombre de vérités. » Santa -
Cruz suivit une marche opposée, ainsi
que l'ont fait plusieurs des savants
et des philosophes modernes. Il exa-
mina par lui même, dans ses voyages,
la nature des variations magnétiques;
il réunit à ses propres observations
celles d'autres habiles navigateurs,
tels que l'étaient à cette époque les
(21) André». Dell' origine, de progresii e
délie stato altuale d'ogni telteratura ; t. VIII,
liv. II, chap. 2, p. 480, de la traduction es-
pagnole qui porte pour titre t Hisforia d«
loda la littratura.
SAN
Portugais , et , it force df niëditer et
decomparî^r les différences de leurs
directions en divers points du glo-
be, il inventa les cartes magnéti-
ques, qu'on reproduisit avec succès,
plus de deux siècles plus tard, dans
TEuroDe civilisée, et il s'efforça de
faire des applications de ce phéno-
mène à la solution du problème de
la longitude. Il ne paraît pas que
Santa-Cruz ait jumais eu le titre
d'historiographe , ainsi que l'ont
pensé quelques personnes, et quoi-
qu"*!! soit l'auteur de plusieurs ou-
vrages historiques; il était au sur-
plus infiniment plus instruit en cos-
mographie et dans l!art nautique
qu'en histoire. Don Martin Fernan-
dez de Navarrete , dont l'Espagne
regrette la perte récente , a publié
dans VApendice del Estado de la
Armada pour 1834, une notice bio-
graphique sur Santa-Cruz qui a été
depuis tirée à part (22). Nous y avons
puisé tous les détails que nous don-
nons ici surcecosmographe.D—z— s.
SANTARSiLLI (Antoine), en la-
tin Sanctarellus, vit le jour en 1569
à Adria, dans la république de Venise,
aujourd'hui royaume Lombard- Vé-
nitien. Il entra dans la société de
Jésus, professa pendant long-temps
(9.2) Cette notice a pour titre : Noticia
hiografica y literaria del cosmografo Alonso
de Santa Cruz. Quoique plusieurs des asser-
tions de M. de Navarrete et la descrij)tion
qu'il fait dans cette uotice de quelques-uns
des moyens employés par Santa-Cruz pour
trouver la longitude paraissent presque iu-
conij)rchensiiiles, nous n'avons pas cru de-
voir les passer sous silence par respect pour
la mémoire du savant espagnol. Nous re-
f^rettons seulement qu'il n'ait pas donné
«]nelques extraits du manuscrit de Sauta-
Cruz qui auraient pu faire juger du mérite
de ce cosmograjjhe mieux que tout ce qu'il
a dit «le ses méthodes, parce qu'on peut
sou[)çonuer qu'il se soit un peu laissé in-
flurncei par la connaissance des méthodes
jjoavcllf s.
SAN
93
les bf^Ues-letires et la théologie à
Rome, et y mourut en 1649, La pu-
blication d'un livre, qui est devenu
fort rare, ayant été supprimé presque
partout, a attaché au nom de ce jé-
suite une certaine célébrité. Il est
intitulé: Tractalus de hœresi, schis-
matèy apostasia et soUicitatione ht
sacramento pœnitentiœ, et de potes-
tate romani ponti/icis in his deUctis
puniendis, Rome {apud hœredem
Barth. Zanetti), 1625, in-4° de 26
feuillets non chiffrés, tint au com-
mencement qu'à la fin du vol., et de
644 pages. Dès que ce livre, approuvé
par le général de Tordre et dédié au
cardinal de Savoie, parut en France,
il excita contre les jésuites un vio-
lent orage. Déféré en même temps au
parlement et à la Sorbonne, il fut
supprimé par un arrêt de la cour sou-
veraine du 13 mars 1626, et condam-
né à être lacéré et brûlé par la main
du bourreau, comme contraire aux
lois du royaume, attentatoire à l'au-
torité du roi et aux libertés de l'É-
glise gallicane. Santarelli y avançait
que le pape peut déposer les rois, les
punir de peines temporelles et dis-
penser, pour de justes causes, les su-
jets du serment de fidélité. Les jésui-
tes de France désavouèrent ces doc-
trines de leur confrère par un for-
mulaire qu'on leur dicta et que ceux
de Paris signèrent le 16 mars, même
année 1626. Les facultés de théologie
de Caen, de Toulouse, de Valence, de
Bordeaux , de Reims, de Bourges et
d'Orléans, imitèrent la Sorbonne, et.
comme elle, censurèrent le traité de
Santarelli et en ordonnèrent la sup-
pression. Leurs différents actes fu-
rent recueillis par le docteur Edmond
Richer, qui les fit imprimer, avec une
relation, à Paris, en 1629, in -4°. Voyez,
au sujet de cette affaire qui lit alors
beaucoup de bruit, la notp dont Guill.-
^4
SAN
Franc, de Bnre .1 accompagné le li-
tre du Tract a tu s de hctresi, sous le
n" 956 de sa Bibliographie instruc-
tive. Peignot a reproduit et complété
cette note à la page 114 du t. If de
son Dictionnaire des livres condam-
nés au feu. Voyez également le t. Knfe
['Histoire ecclésiastique de Dupln, et
le t. H de la Collectio judiciorum de
novis erroribus, etc., de l'évêque de
Tulle, d'Argentré. Il est bon de lire
aussi les Mémoires ecclésiastiques du
P. d'Avrigny, année 1626, et la Vie du
P. Coton par le P. d'Orléans. Un ano-
nyme a réfuté le livre du jésuite vé-
nitien par un Libre discours contre
la grandeur et puissance temporelle
des papes, pour la défense du roi très-
chrestien, et des libertés de V Église
gallicane, etc., imprimé sans indi-
cation de ville et sans date. (Catalo-
gue de Gaignat, n'^ 707.) Raoul Bou-
trays {voy. ce nom, V, 407), a
aussi opposé au Tractatus de hœresi
l'écrit suivant : Gallicinium in ait-
quot falsas damnatasque Ant. San-
tarelli assertiones, pro rege chris-
îianissimo, Paris, 1626, in-8" df^ 135
pages. Santarelli a écrit plusi^Mirs
autres ouvrages en italien, notam-
ment un Traité du jubilé de l'année
sainte et des autres jubilés , Rome ,
1624, 1625, in-12; traduit en fran-
çais par Mathieu de Saint-Jean (mas-
que de Jears de La Place), Paris, 1626,
in-12 (Barbier, Dict des anonymes,
n'* 18285). il en a aussi paru une
traductior» latine à Mayence en 1626
( voy. Bibl. soc. Jesu). B — l — u.
SANTAKELLI (Jean-Antoine),
graveur, naquit en 1759, à Mano-
pello, dans les Abruzzes, d'une fa-
mille pauvre et obscure. Placé d'a-
bord chez un peintre de Chieti , il
goûtait fort pou les leçons de son
maître, et s'échappait souvent de
l'atelier pour se rendre à une poterie
SAM
voisii»e, ou il s'amusait à faire des
statuettes en terre cuite. Ses ébau-
ches attirèrent l'attention des reli-
gieuses de l'endroit, qui lui deman-
dèrent un Christ mort, et il l'exécuta
avec un véritable talent. Sur ces
entrefaites, un médecin du lieu lui
ay.'int montré un camée monté sur
un anneau, Santarelli fut émerveillé
de tant de travail dans un si petit
espace, et il o'ésira vivement appren-
dre l'art de graver sur pierre. Mais
à Chieti, personne ne pouvait îe lui
enseigner ; et, bien que dépourvu de
tentes ressources, Santarelli n'hésita
point à prendre la route de Rome.
Là, sans guide, sans soutien, sans
conseil, il surprend en peu de temps
le secret de l'art qui l'a passionné ; il
fabrique lui-même les instruments
nécessaires, et grave nne tête sur
une pierre à fusil, la vend, et avec
le prix il acîiète une pierre moins
commune, y sculpte une autre tête,
puis l'envoie ait célèbre graveur Jean
Pikler, qui admire le travail et veut
en connaître l'auteur. Cet artiste le
prit dans son atelier, et l'on assure
qu'il a souvent signé les œuvres de
soiï élère. Santarelli quitta Pikler au
bout de quelques années, et ouvrit
lui-même un atelier qui devint bien-
tôt célèbre. C'est à lui que les gra-
veurs f'ioivent le perfectionnement
de leur principal outil. Après un sé-
jour de dix-huit ans à Rome, Santa-
relli se rendit en 1797 à Florence, et
fut nommé immédiatement profes-
seur à l'académie des beaux-arts ;
puis, à l'époque de la domination
française, il fut chargé d'enseigner
l'art degraverlescamees.il exerça ces
fonctions jusqu'en 1821, époque oii
il eut uneaitaqne d'épilepsie qui lui
affaiblit considérablement la vue, et
l'obligea de renoncer au professorat.
Santarelli mourut le 30 mai 1826. 1!
.SAN
avait été fait clievalier de l'ordre de
la Réunion par Napoléon, et mem-
bre de la Légion -d'Honneur par
Louis XVIll. Parmi les académies qui
se l'étaient associé, nous nommerons
celles de Berlin, de Vienne, el de
Saint-Luc, à Rome. Cet artiste a
laissé un grand nombre d'ouvrages ;
nous nous bornerons à citer les por-
traits de Dante, Pétrarque, Boccace,
Michel-Ange et Machiavel, qui se
trouvent au musée du Louvre.
Ses médailles les plus remarquables
sont celles qui ont pour sujets Mi-
chel-Ange, la duchesse de Parme ac-
tuelle, et Élisa Baciocchi, sœur de
Napoléon. Santarelli s'était marié
deux fois, et eut (juatre (ils de son
second mariage. L'aîné s'esl livré à
l'élude de la sculpture, et a déjà ac-
quis quelque renom. A — y,
SANTA-IIOSA (le comte Sang-
TORRE de), l'un des principaux insti-
gateurs de la révolution piémonta-ise
en 1821, eî celui qui en est regardé
comme le chef, naquit le iSoct 1783,
à Savigliano, d'une famille peu riche
et récemment atiobiie. Il avait ihx
ans quand il fut amené à l'aruiée
par son père, qui éiait colonel du ré-
giment de Sardaigneel qui fut tué
à la bataille de Mondovi. Nommé
officier, il sedistingua dans qu^^Iques
rencontres; mais les victoires de Bo-
naparte aydut soumis rapidemeut
toute la Haute-Italie et transformé
en républiques la Louibardie et le
Piémont , il renonça à la carrière
des armes et reprit le cours de ses
éludes interrompues par les t^véue-
ments politiques. Les idées qui
prévalaient alors n'avaient point en-
core ses sympathies, et ce fut saus
doute avec regret qu'il vit sou pays ,
auquel !e conquérant avait d'abord
laissé quelque indépendance, se
transformer eu départements fran-
SAN
9r,
i;ais à la suite d'une seconde inva-
sion. Cependant, il s'habitua peu k
peu à ce régime, qui d'ailleurs sem-
blait devoir se prolonger indéfini-
ment, et dès 1807 il acceptait les
fonctions de maire dans sa vil le natale.
Quelques années plus tard il épousa
une fille du comte Vial -Derossi,
jeune personne douée de toutes les
qualités de l'esprit et du cœur, mais
dont la dot n'était pas proportionnée
k l'illustration de son nom, en sorte
que Santa-Rosa, pour pouvoir tenir
un état de maison convenable à l'al-
liance qu'il venait de contracter, fut
obligé de solliciter un emploi dans
l'administration française. Sa de-
mande fut promptemeut accueillie,
et on le nomma (1812), sous-pré-
fet à LaSpezia. Ce fut là que la Res-
tauration le trouva en 1814. Il vit
alors- avec une joie sincère le re-
tour de ses anciens souverains, et
quand Napoléon, en s'échappant de
l'ile d'Elbe, menaçade nouveau l'Eu-
rope d'une conflagration générale ,
Santa-Roia offrit au roi ie service de
son épée, et entra avec le grade de
capitaine dans les grenadiers de la
garde. II espérait sans doute que
l'riccasion de montrer sa bravoure ne
se ferait pas attendre^ car s'il haïs-
sait la vie oiseuse de garnison , il
était parfaitement à sa place dans le
tumulte des camps, on la force desa
constitution, l'extérieur de sa per-
sonne et la nature de son esprit
semblaient l'appeler au comman-
dement. Ses prévisions furent trom-
pées ; car, Cf'tte fois, ce n'était pas
dansb'S riantes plaines de l'Italie,
mais sous le ciel bruuieux de la Bel-
gique, que le hasard des combp.ts al-
lait, décider des destinées de l'Eu-
rope, et la campagne de 1815 ne
fut guère pour les troupes sardes
qu'une suite de marches et de con-
96
SAN
SAN
Ire-marclies. Sania-Rosa renoru;a au
service actif en même temps qu'à l'es-
poir de combattre, et il quitta son
rf'giment pour entrer dans l'adminis-
tration militaire. Un emploi impor-
tant lui fut donné au ministère de la
guerre, où son savoir lui promettait
un avancement rapide. Trop heu-
reux s'il avait voulu concentrer ses
puissantes facultés dans le soin des
alfaires qui lui étaient confiées, au
lieu de les user à la poursuite d'un
rêve ! Trop heureux si, à la considé-
ration que méritent de loyaux et uti-
les services, il n'avait préféré une
gloire éphémère et stérile! Sans les
commotions politiques de 1821, aux-
quelles Santa-Rosa prit tant de part,
le gouvernement piémontais ne se
serait pas arrêté, pendant dix ans,
dans la voie des sages réformes, des
prudentes concessions à l'esprit pu-
blic, et tant d'hommesremarquables
par l'intelligence et surtout par le
caractère n'auraient pas été con-
traints de consumer, loin de leur
pays, une vie errante et malheu-
reuse. Préparé au rôle qu'il allait
jouer par des études fortes, mais in-
cohérentes du reste, ainsi qu'il l'a
depuis avoué, Santa-Rosa se lia avec
les partisans les plus passionnés du
gouvernement constitutionnel , et
comme il était doué d'un esprit supé-
rieur et de beaucoup d'énergie, il
finit par les dominer tous et devint
Tame du mouvement qui se prépa-
rait. Autour de lui se groupaient
le Hiarquisde Saint-Marsan, colonel,
aide-de-camp du roi; le chevalier
Provanade Collegno, officier d'artil-
lerie, écuyer du prince de Carignan;
et le comte de Lisio, capitaine des
chevau -légers. Tous pleins de feu
et d'enthousiasme, ils recrutaient
chaque jour de nouveaux prosélytes
dans l'armée et même à la cour. Les
sociétés secrètes faisaient le reste.
Déjà ils comptaient parmi leurs
adhérents des personnages très-
puissants. Miiis l'adhésion de trois
surtout était importante et piesque
nécessaire à la réussite de leurs des-
seins. L'un était le prince de la
Cisterna, qui jouissait de toute l'in-
fluence que donne une grande for-
tune jointe à de solides qualités
personnelles; ses opinions étaient
assez connues , assez publiquement
avouées pour qu'on pût être certain
de son concours. Il n'en était pas de
même des deux autres , le général
Gifflenga et le prince de Carignan.
Celui-là, bien qu'élevé à l'école de
Tempire, où il n'avait guère pu
s'inspirer des idées libérales, y in-
clinait cependant , mais il était trop
habile, trop prudent, pour se jeter
tête baissée dans une entreprise ha-
sardeuse. H ne donna son aveu que
condiîionnellemenl, ei au moment
d'agir, il se retira tout-à-fait. Quant
au prince, qui était, après ie frère du
roi, l'héritier présomptif de la cou-
ronne, et avait à peine 20 ans, ce fut
le chevalier Provana de Collegno qui
se chargea de le gagner à la cause li-
bérale. Le vœu principal des conspi-
rateurs était de soustraire l'Italie à la
domination autrichienne; et, s'ils dé-
siraient un gouvernement représen-
tatif, c'était moins pour lui-même
que comme un instrument qui devait
servir plus tard à l'indépendance de
riialie. Sur ces entrefaites, la cons-
titution espagnole avait été procla-
mée à Naples, et le mouvement s'était
étendu si rapidement dans tout le
royaume que le nouveau régime s'y
trouva installé presque sans contra-
diction et comme par enchantement.
Peuple, armée, bourgeoisie, no-
blesse, clergé, tous paraissaient sa-
tisfaits du changeniem, et il n'y eut
I
SAN
pas iusqu'au roi Fordinand qui i\e
s'associât, du moins en apparence, à
la joie générale. Mais elle fut de
courte durée. La politique qui domi-
nait alors en Europe ne voulait pas
qu'il s'y établît d'autres gouverne-
ments constitutionnels. L'Autriche
surtout avait intérêt à empêcher que
cela n'eût lieu en Italie. Elle savait
bien que Naples et le Piémont, une
fois soustraits k l'autorité absolue de
leurs souverains respectifs, échappe-
raient non-seulement à son influence,
mais deviendraient de redoutables
ennemis, et qu'elle perdrait tôt ou
tard ses riches possessions dans le
nord de la Péninsule. L'intervention
fut donc résolue, et une armée autri-
chiennedetrente mille hommessedi-
rigea vers les Âbruzzes. Les libé-
raux piémontais pensèrent qu'il
était enfin temps de se prononcer ,
soit pour donner aux Napolitains le
courage de résister, soit pour aggra-
ver les embarras du cabinet de
Vienne, (jui serait ainsi menacé d'une
guerre avec toute l'Italie. Il fut dé-
cidé, entre Santa-Rosa et les autres
meneurs, que le mouvement éclate-
rait simultanément le 10 mars 1821
dans toutes les villes du Piémont oh
il y avait garnison. C'était donc une
révolution militaire; car les chefs
connaissaient assez le pays pour
n'avoir rien à espérer de ce qu'on
appelle le peuple. Par des raisons
particulières, ils voulurent ensuite
ajourner leur entreprise, mais leurs
ordres furent mal exécutés, et au
jour fixé plusieurs garnisons se dé-
clarèrent. En apprenant, le 10, que
la garnison de Fossan s'était mise en
marche et que celle de Turin avait
reçu l'ordre de prendre Jes armes,
Santa-Rosa et Lisio partirent à franc
étrier pour Pignerol, et parcoururent
Fossan, Carmagnole et As! i , trouvant
LXXXI.
SAN
y<
partout le mouvement déjà connnen-
cé ou près de l'êlre. Ils distribuèrent
alors une déclaration datée de Car-
magnole, où ils disaient que leur but
était de soustraire le roi à"la funeste
influence de l'Autriche, de le mettre
en état de fsuivre l'inspiration de
son cœurvraiment italien, et de four-
nir au peuple le moyen de faire con-
naître ses vœux au souverain ; que si
l'on s'éloignait un moment des règles
ordinaires de la subordination mili-
taire, ce n'était qu'à la suite d'une
triste nécessité^ que d'ailleurs on ne
faisait que suivre l'exemple de l'ar-
mée prussienne qui en 1813 sauva
l'Allemagne par la guerre qu'elle fit
à son oppresseur. Des protestations
de dévouement et de fidélité à la
personne du roi terminaient le ma-
nifeste. Santa-Rosa et Lisio arrivè-
rent le 12 mars à Alexandrie,cii leurs
agents avaient eu un plein succès.
Ils avaient été rejoints la veille à
Asti par Saint-Marsan , qui était
parti de Turin en même temps
qu'eux, pour se rendre à Verceil où
son régiment tenait garnison, mais
qui, prévenu par le comte de Sambuy,
colonel en premier, avait été forcé
de rebrousser chemin. A Alexan-
drie, les conspirateurs s'organisè-
rent immédiatement et se distribuè-
rent leurs rôles. Ansaldi, lieutenant-
colonel de la brigade de Savoie , et
l'un des plus ardents promoteurs du
mouvement, fut nommé gouverneur
de Ja division, et Santa-Rosa com-
mandant de la ville et de la garde na-
tionale, qui n'existait pas encore. Ce-
pendant les événements de la pro-
vince avaient mis la capitale en émoi
et faisaient fermenter toutes les têtes.
11 s'y forma de nombreux rassem-
blements d'où ne partaient d'abord
que des cris confus, lorsqu'une voix
plus liardie cria : Vive la eonstitu-
7
'.->.S
SAN
tion e«j3ay«,o(e/ et ce ci;i liO à Piu-
slaut jépéié en chœur par «i^lie au-
\vvs voix. L'autorité voulut alors in-
tervenir; mais elle fut mal secondée
et vit tourner contre elle ceux même
qui devaient l'appuyer. Dans cette
crise, le bon roi Vi^lor-Emmanuel,
qui ne voulait ni faire couler le sang,
ni satisfaireà des exigences bruyam-
ment manifestées , fit publier une
proclamation dans laquelle il cher-
chait à calmer l'eftV'rvescencede l'ar-
mée, en offrant une amnistie sans ré-
serve aux troupes qui rentreraient
dans l'obéissance , et de plus une
augmentation de paie assez considé-
rable. Malgré cela, les troubles al-
laient toujours croissant, et le roi
placé entre raltèrnatîve de manquer
à ses engagements envers l'Autriche,
ou de résister à l'insurrection triom-
phante, n'eut pas la force de se dé-
cider; il abdiqua dans la nuit du 13
mars, et partit pour Nice, après avoir
nommé le prince de Carignan ré-
gent du royaume , en l'absence de
son frère, le duc de Genevois, à qui
la couronne était dévolue, et qui se
trouvait alors à Mode ne. Le régent
manifesta hautement son intention
d'attendre les ordres du nouveau roi
avant de prendre aucune mesure dé-
cisive; mais pressé par lesgensqui
l'entouraient, entraîné peut-être par
les démonstrations populaires qui se
renouvelaicHt à chaque instant de-
vant son palais, oii des hommesigno-
rant, pour la plupart, la valeur de ces
mots, criaient à tue-tête: Vive la
constitution espagnole! il assembla
les anciens ministres du roi avec plu-
sieurs autres personnages, prit leur
avis, et le 14 cette constitution tut
proclamée. Un nouveau niinistère
fut constitué le même jour : il com-
prenait le chevalier Dal Pozzo, pour
l'intérieur^ le chevalier de Villama-
SAN
i ii».'^» lioui* la ^Murre.^X la manne; l'a
vocatGubernatis,pourles finances; le
chevalier Sailli, pou ries affaires élran-
gères. Maïs M. d'î Villamarina ayant
au bout de peu de jours donné sa
démission, Santa-Rosa fut appelé à le
remplacer. Celui-ci s'était hâté, après
l'abdication du roi, de revenir à Tu-
rin, et il avait vivement insisté au-
près du régent pour faire proclamer
la constitution et déclarer la guerre
à l'Autriche. On devine par consé-
quent avec quelles dispositions il
arrivait au pouvoir, qu'il devait bien-
tôt concentrer tout entier dans ses
mains; car dès le lendemain (21
mars), le prince de Carignan, obéis-
sant aux ordres que le nouveau
roi avait consignés dans une procla-
mation datée du 16 mars, renonça
aux fonctions de régent, quitta la
capitale avec toutes les troupes qu'il
put emmener, et prit la route de
Novare. La nouvelle de ce départ
fut à peine connue, que le public se
livra au découragement , et que la
plus grande partie des membres de
lajnnte demandèrent leur démission.
Ainsi ce gouvernement qui n'avaitde
constitutionnel que le nom, et qui ne
faisait que de naîire, était déjà sur le
point de se dissoudre, et aurait dès
lors disparu tout à fait si le che-
valier Dal Pozzo et Santa-Rosa n'a-
vaient habilement fait valoir auprès
de la junle la crainte de tomber
dans l'anarchie, crainte chimérique,
du reste, mais que les ministres met-
taient en avant pour apaiser les con-
sciences timorées de certains mem-
bres, et donner au parti qu'ils al-
laient prendre une apparence de léga-
lité. Les conseillers privés du prince
et une députation du corps mu-
nicipal furent appelés au sein de l'as-
semblée qui fut tenue par la junte
le 22 mars ; mais les premiers refu-
SAN
SAN
9ir»
sèrent de participer aux <J<'libéra-
tions, et se retirèrent : les autres
assistèrent à la séance, et approtj-
vèrent la résolution de retenir les
rênes du gouvernement jusqu'à la
réception de nouveaux ordres du
roi ou du régent. Le ministre de
îa guerre se serait opposé à cette
restriction, qui ne lui semblait pas
conforme aux principes constitu-
tionnels, s'il avait cru possible de
tenir à Turin. A l'exception de la
citadelle, le gouvernement n'y avait
aucune force sur laquelle il pût
compter; aussi Smta-Rosa élaii-il
décidé à le transférer à Alexandri*^,
quand les nouvelles venues de No-
vare le firent changer d'avis. Le ré-
giment des dragons de la reine ayant
quitté l'armée réunie dans cette ville
aux cris deVive la constitution! ce
mouvement releva les espérances du
ministre ; il contremanda les ordres
de départ, et rédigea un ordre du
jour dans lequel il s'efforçait d'abord
de persuader qu'il était une autorité
légitimement constituée, puis il ajou-
tait : « Une déclaration signée par le
« roi Charles-Félix a paru en Pié-
« mont; mais un roi piémontais, au
« milieu des Autrichiens, nos inévi-
• tables ennemis, est un roi captif:
« rien de ce qu'il dit ne peut ni ne
« doit être regardé comme venant de
« lui. Qu'il nous parle sur un sol
• libre, et nous lui prouverons alors
" que nous sommes ses enfants. » 11
finissait par une chaude allocution à
l'armée pour l'engager à l'union et
l'exciter contre l'Autriche. Cet ordre
du jour, communiqué à la junte par
Santa-Rosa, fut loin d'être approuvé.
Un membre lui fit même remarquer
que la raison donnée pour résister
aux injonctions de Charles-Félix
n'était qu'un sophisme; mais le mi-
nistre n'y voulut rien changer. Il ne
sie borna pasaux paroles; il expédia
sur-le-champ des courriers afin de
mettre les troupes en mouvement
stjr tous les points du royaume. Cinq^
bataillons de la garnison de Gênes,
trois de celle de Nice et de Savone,
trois de celle de Savoie, reçurent
l'ordre de se rendre à Alexandrie à
doubles étapes. Il fut ordonné au
général Bellotti de prendre le com-
mandement de la division deNovare,
sur la nouvelle de la défection du
général comte de La Tour. Le géné-
ral Ciravegna eut l'ordre d'appuyer
de ses forces et de son influence le
général Bellotti, et de prendre le
commandement du corps de troupes
de Novare. Le général Bussolino fut
envoyé à Yerceil pour coordonner
ses opérations avec celles d'Ansaldi,
qui avait déterminé le pronuncia-
mento d'Alexandrie. L'ensemble de
toutes ces dispositions montre assez
que le dessein de Santa-Rosa était
de réunir promptement toutes l^s
forces disponibles à la frontière de
Lombardie pour prendre l'initiative
de la guerre contre PAntriche. Mais
ses ordres ne furent pas tous exécu-
tés, et quelques-uns des hommes
qu'il avait chargés des principaux
commandements déclinèrent ce dan-
gereux honneur, en sorte que l'ar-
mée se trouva toui-à-fait dépourvue
de chefs capables et expérimentés
dans la lutte inégale à laquelle on
voulait l'exposer. Aux nouvelles des
défections se joignirent celles de
Naples, encore plus désastreuses, en
sorte que, sans la fermeté de Santa-
Rosa, le soi-disant gouvernement de
Turin se serait évanoui ; mais lui ne
perdit point courage, et tandis que
Dal Pozzo négociait avec le chargé
d'affaires de Russie pour obtenir l'in-
tervention officieuse de l'emperei-r
Alexandre, il continuait les prépara-
100
SAN
SAN
tifs (le guerre. En vain le comte de
La Tour, agissant au nom de Charles-
Félix, lui adressa-t-il, avec la pro-
clamalion du 16 mars, l'ordre formel
de quitter son porte-feuille et de le
remettre au chevalier de l'Escarène,
adjudant-général et premier ofiieier
des bureaux sous le dernier minis-
tère de Victor-Emmanuel^ Santa-
Rcsa resta sourd à cette injonction,
et ne craignit pas de se mettre ainsi
en rébellion ouverte envers son lé-
gitime souverain. Sa conduite était
d'autant plus imprudente qu'un
grand nombre de fonctionnaires ,
aussitôt après le manifeste du prince,
s'étaient empressés de rentrer dans le
devoir et refusèrent tout concours à
l'autorité révolutionnaire. D'ailleurs
celle-ci n'avait réussi à se faire re-
ttonnaître que dans quelques pro-
vinces*, les divisions de Coni et de
Nice, ainsi que toute la Savoie, grâce
à la fermeté des chefs qui y comman-
daient, n'avaient pris aucune part
au mouvement. Les moyens de résis-
tance dont Santa- Rosa pouvait dis-
poser élaient donc fort restreints;
mais plein de foi dans la cause qu'il
défendait, et soutenu par l'énergie
de son organisation, il voulut tenir
tête à l'orage, et ne recula pas au
moment du combat. Il ne pouvait
cependant opposer que cinq ou six
mille hommes au corps autrichien
qui, commandé par le comte de Bub-
na, avançait à grands pas sur Novare,
où s'étaient aussi réunies, sous les
ordres du comte de La Tour, les
fractions de l'armée piémontaise res-
tées fidèles, et dont le nombre égalait
au moins celui des révolutionnaires.
Ceux-ci devaient être commandés
par le général français Guillaume
de Vaudoncourt, qu'on avait appelé
de Suisse, mais qui, n'ayant pas en-
core eu je temps d'arriver, fut rem-
placé par un autre officier de l'em-
pire, le colonel Régis, qui avait joué
un des rôles les plus actifs dans la
révolution. Le 8 avril, les deux par-
tis se rencontrèrent sous les murs de
Novare, et l'action s'engagea ; mais
ce fut moins une bataille qu'une es-
carmouche, car les soldats constitu-
tionnels se débandèrent après quel-
ques coups de feu, et l'armée austro-
sarde put se diriger sans obstacle sur
la capitale pour y déposer la junte et
rétablir l'ancien gouvernement. Ainsi
tout était perdu, et cependant Santa-
Rosa ne désespéra point encore. A la
nouvelle du désastre de Novare, il
résolut de se retirer à Gênes, avec ce
qui restait de troupes dévouées, et
d'y organiser la résistance. H partit
dans la matinée du 9 avril, et fut re-
joint à Acqui par Saint-Marsan, Col-
legnoetLisio,quiavaierjtprispartau
combat de la veille, et qui avaient été
entraînés par leurs soldats en fuite.
Tous suivirent la route de Gênes;
mais, arrivés dans cette ville, ils la
trouvèrent en pleine contre-révolu-
tion. Ils ne furent cependant point
inquiétés, et l'on favorisa même leur
évasion. Munis d'abondants secours,
Santa-Rosa et ses compagnons d'in-
fortune S'embarquèrent sur un bâti-
ment qu'on mit à leur disposition,
et firent voile pour Barcelone. Ils
échappèrent ainsi à la sentence de
mort qui fut portée contre eux, et ils
ne furent pendus qu'en effigie. Au
reste , le gouvernement royal se
montra fort modéré après la victoire.
Quelques exécutions seulement eu-
rent lieu, et pour ne pas être obligé
de sévir, on favorisa la fuite d'un
grand nombre de personnes compro-
mises. Nous avons même entendu
raconter que le roi Charles -Félix
ordonna de mettre en liberté un
proscrit qui avait eu la njaladresse
SAN
fie se laisser prendre. Santa-Rosa ne
s'arrêta que peu de jours en Espa-
gne, et prit incognito la route de
Paris, où il se cacha sous le nom de
Conli, et publia sou Histoire de la
révolution piémontaise. Ce livre
e'tant tombé entre les mains de
M. Cousin, lui inspira le désir d'en
connaître l'auteur. Voici comment
ce célèbre philosophe a raconté l'o-
rigine de ses relations avec le révo-
lutionnaire piémontais. « La lecture
de ce livre, écrivit-il dans un article
rempli du plus vif intérêt, et publié
en mars 1840 par la Revue des deux
Mondes^ me frappa vivement , et
pendant quelques jours \e répétais
à tous mes amis : Messieurs, il y
avait un homme à Turin ! Mon ad-
miration redoubla quand on m'ap-
prii que le héros de ce livre en
était aussi l'auteur. Je ne pus me
défendre d'un sentiment de res-
pect en voyant dans le défenseur
d'une révolution malheureuse, cette
absence de tout esprit de parti, cette
loyauté magnanime qui rend justice
à toutes les intentions, et dans les
douleurs les plus poignantes de l'exil
ne laisse percer ni récriminations in-
justes, ni amers ressentiments. L'en-
thousiasme pour une noble cause
porté jusqu'au dernier sacrifice, et
en même temps une modération
pleine de dignité , sans parler du
rare talent marqué à toutes les pages
de cet écrit, composaient à mes yeux
un de ces beaux caractères une fois
plus intéressanis pour moi que les
deux révolutions de Naples et de Pié-
mont. Cet idéal que j'avais tant rêvé
semblait se présenter à moi dans
M. de Santa-Rosa. On me dit qu'il
était à Paris \ je voulus le connaître,
et un de mes amis d'Italie me l'amena
un matin. Je venais de cracher du
sang, et les premières paroles que je
SAN
101
lui dis furent celles-ci : Monsieur,
vous êtes le seul homme que, dans
mon état, je désire encore connaî-
tre ! Combien de fois, depuis, nous
sommes-nous rappelé cette première
entrevue, moi mourant, lui condam-
né à mort, caché sous un nom étran-
ger, sans ressources et presque sans
pain. Notre longue conversation,
dont il fit tous les frais, m'ayant
laissé ému et très-faible, le soir, il
revint savoir de mes nouvelles, puis
il revint le lendemain, puis le lende-
main encore, et au bout de quelques
jours, nous étions l'un pour l'autre
comme si nous avions passé notre
vie ensemble. Il était logé tout près
de moi, rue des Francs-Bourgeois-
Saint-Michel, vis-à-vis la rue Racine,
dans une chambre garnie bien près
des toits, avec un de ses amis de
Turin, qui, sans avoir pris aucune
part à la révolution et sans être com-
promis, avait quitté volontairement
son pays pour le suivre. Quel est
donc cet homme pour lequel on pré-
fère l'exil aux douceurs de la patrie
et de la famille? Il est impossible
d'exprimer le charme de son com-
merce. Ce charme était pour moi
dans l'union de la force et de la
bonté. Je le voyais toujours prêt, h
la moindre lueur d'espérance, à s'en-
gager dans les entreprises les plus
périlleuses, et je le sentais heureux
de passer obscurément sa vie à soi-
gner un ami souffrant. Depuis la fin
d'octobre 1821 jusqu'au l®"" janvier
1822, nous vécûmes ensemble dans
la plus douce et la plus profonde in-
timité. Pendant tout le jour, jusqu'à
cinq ou six heures du soir, il restait
dans sa petite chambre , occupé à
lire et aussi à préparer un ouvrage
sur les gouvernements constitution-
nels au XIX^ siècle. Après son dîner,
et la nuit venue, il sortait de sa cel-
102
SAN
SAN
Iule, gagnait ia rue d'Enler, où je
demeurais, et passait la soirc^e avec
moi, jusqu'à onze Tieures ou minuit.
Santa Rosa avait la passion de la
conversation , et il causait à mer-
veille ; mais j'étais si languissant et
si faible, que je ne pouvais suppor-
ter l'énergie de sa parole. Elle me
donnait la fièvre et une excitation
nerveuse qui se terminait par des
abattements et presque des défail-
lances. Alors l'homme énergique, à
la voix ardente, faisait place à la
créature la plus affectueuse. Com-
bien de nuits n'a-t-il pas passées au
chevet de mon lit ! Dès que j'étais
mieux, il se jetait tout habillé sur
un sofa, et malgré ses chagrins, avec
sa bonne conscience et une santé in-
comparable, il s'endormait en quel-
ques minutes jusqu'à la pointe du
jour. » A l'avènement du ministère
de MM. (le Corbière et de Villèle, ia
police reçut l'ordre de veiller avec
plus de rigueur sur les réfugiés po-
litiques, et M. Cousin , craignant avec
raison queSanta-Rosa ne fût inquié-
té, lui ménagea une retraite a Au-
teuil, chez un de ses amis, M. Vi-
guier. ils s'y établirent tous deux,
et y passèrent les premiers mois de
1822, occvipés, l'un à traduire Pla-
ton, l'autre à étudier les gouverne-
ments Constitutionnels. Ils ne rece-
vaient presque aucune visite, et ne
quittaient même pas l'enceinle du
jardin. Cela dura tant que M. Cousin
put restera Auteuil^ mais celui-ci
ayant été obligé de venir passer quel-
ques jours à Paris pour des soins
que sa santé réclamait, Santa-Rosa,
impatient de le revoir , sortit de sa
retraite et lit une visite à son
ami. En le quittant, il eut l'impru-
dence d'entrer dans un café pour y
lire les journaux; à peine était-il
dehors, qu il fut âssailh par sept ou
huit agents de police, terrassé, con-
duit à la Préfecture et jeté eu pri-
son. Il paraît qu'il avait été reconnu
à la barrière, où il était signalé de-
puis long-temps. Dans la nuit même
de son arrestation, il fut interrogé
par le préfet de police, M. Delavau.
il avoua avoir pris un passe-port
suisse sous un faux nom, expliqua
ce fait par la crainte d'être livré au
gouvernetnenl sarde, et se défendit
avec énergie contre l'imputation d'ê-
tre de connivence avec les hommes
qui conspiraient alors en France. Il
nomma M. Cousin comme le seul
homme qu'il connût à Paris. Cela
suffit pour qu'on ordonnât chez l'ex-
professeur une visite qui n'eut au-
cun résultat. Il en fut de même de
l'instruction, confiée aux soins de
M. Debelleyme, en sorte qu'au bout
de deux mois de détention dans une
des chambres de la salle Saint-Mar-
tin, une ordonnance de non-lieu fut
prononcée. Cependant, Santa-Rosa
n'obtint pas immédiatement sa li-
berté. Il y eut une première oppo-
sition de la part de la police. Il fal-
lut que la cour royale intervînt, et
prononçât formellement la mise
en liberté. M. de Corbière s*op-
posa encore à l'exécution de ce se-
cond jugement , et, par un arrêté
ministériel, il décida que Santa-Rosa
et quelques - uns de ses compa-
triotes , arrêtés comme lui, seraient
relégués en province, et mis sous
la surveillance de ia police. Alençon
fut la résidence assignée à Santa-
Rosa. Il eut beau protester, et de-
mander ou des passe-ports pour l'An-
gleterre, ou l'autorisation de rester
à Paris; il ne reçut aucune réponse,
et il ne fut extrait de sa prison que
pour être dirigé au lieu de sa desti-
nation, sous la surveillance d'un
gendarme, il se consola de l'éloi-
SAN
gnement de son ami par nue active
correspondance qui a été publiée
dans le numéro de la Revue des
deux Mondes dont nous avons parlé.
M. Cousin alla même passer quel-
ques jours avec lui à Alençou, et ils
y resserrèrent les liens d'une amitié
qui était déjà indissoluble. Cepen-
dant, Santa-Rosa n'était rien moins
que rassuré sur l'avenir, el le petit
nombre d'amis qu'il avait laissés a
Paris lui donnaient quelquefois des
nouvelles fort inquiétantes. Le colo-
nel Fabvier entre autres lui écrivit
pour l'engagera se sauver en Angie-
terre, et lui en offrir les moyens.
Mais cela répugnait à Santa>Rosa ,
et il aima mieux courir les chances
d'un second emprisonnement et
peut-être d'une extradilit/n. Cepen-
dant , les j.ournaux de l'opposi-
tion avaient attiré l'attention pu-
blique sur les mesures dont Santa-
Rosa et ses compagnons d'infortune
étaient l'objet, et un député (Stan.
de Girardin) interpella vivement
M. de Corbière à ce sujet. Celui-ci
répondit que les réfugiés, loin de se
plaindre, étaient reconnaissants de
la conduite du gouvernement fran-
çais à leur égard, assertion contre
laquelle Santa-Rosa protesta immé-
diatement dans une longue et cha-
leureuse lettre, à l'adresse du mi-
nistre, et qui fut insérée dans le
Constitutionnel du 18 août 1822.
Elle^irrita !e pouvoir contre lui, et,
peu de jours après, on le faisait
transférer à Bourges, où le préfet
lui projjosa bientôt, au nom de M. de
Corbière, de lui délivrer des passe-
ports pour l'Anglet^^rre. Las de tou-
tes ces tracasseries, il consentit au
voyage, bien qu'il lui eu coûtât beau-
coup de quitter un paysoù il avait des
auiis dévoués. Il partit de Bourges,
le 2 oct., traversa Paiis, où le gen-
SAN
103
darmc qui l'accompagnait lui permit
d'aller voir M. Cousin ; puis il se
rendit à Calais, et s'embarqua pour
l'Angleterre. Arrivé à Londres, et se
trouvant sans ressources , il fit des
efforts inouïs pour se créer une posi-
tion.Les letlresqu'il adressa à ses amis
pendant Ls deux ans qu'il séjourna en
Angleterre sont empreintes, tantôt de
l'exaltation que lui donnait la force
de son caractère, tantôt du profond
abattement où le jetait parfois la
conscience de sa misère. Il luttait
contre une pauvreté toujours crois-
sante ^ car ses biens, d'après les lois
piémontaises , avaient été confis-
qués, et les secours que sa femme,
chargée de trois enfants, pouvait
lui envoyer étaient insuffisants.
U donnai; des leçons d'italien, et
fotirnissait quelques articles à des
journaux, entre autres à la Revue de
Westminster ; mais ce double travail
était peu rétribué, et il fut à la fin
obligé de quitter Londres et tie se
retirer à Nottingham, où il changea
de nom, et se fit professeur d'italien
et de français. Mais il se dégoûta
promptement de ce métier, et revint,
à Londres pour offrir ses services aux
députés grecs. Il leur demaîida le
couynandement d'un bataillon dans
la guerre que la Grèce soutenait
alors contre la Turquie. On lui ré-
pondit que le gouvernement grec
serait très-heureux de l'employer
d'une manière plus importante. On
parlait de lui confier l'administra-
tion de la guerre ou celle des fi-
nances. Il partit donc avec M. deCol-
legno, le 1*"" uov. 1824, muni de
lettres françaises et italiennes ou-
vertes^ remplies d'ex'pressions tlat-
teuses pour lui, et d'autres lettres
cachetées^en grec. Des trois députés
((ui se trouvaient alors à Londres,
deux seulement favorisaient le
104
.SAi\
SAIN
voyage de Satifa-Rosa. Le troisième,
beau-frère du président Conduriolli,
avait toujours paru s'y opposer.
Quoi qu'il en soit, Santa-Rosa fut
reçu froidement par le corps execr.tif
à son arrivée à Napoli de Romanie,
Je 10 décembre. Après quinze jours,
il se présenta de nouveau au secré-
taire-général du gouvernement, Rho-
dios, pour savoir si, prenant en con-
sidération les lettres des députés
grecs à Londres, on voulait l'em-
ployer d'une manière quelconque.
On lui répondit qu'on verrait. Le
2 janvier 1825, il quitta Napoli, pré-
venant le gouvernement qu'il atten-
drait ses ordres à Athènes. Il visita
Épidaure, l'île d'Égine et le temple
de Jupiter panhellénien, débarqua le
5 au soir au Pirée, et arriva à Athènes
le 6. Il consacra quelques jours à exa-
miner les monuments de cette ville.
Ayant trouvé sur une colonne du
temple de Thésée le nom du comte
Vidua, il écrivit le sien à côté de ce-
lui de son ami, qui avait visité Athè-
nes quelques années auparavant. Le
14 janvier, il entreprit une excursion
dans l'Attique, pour voir Marathon
et le cap Sunium. A son retour à
Athènes, il eut quelques accès de fiè-
vre tierce qui l'affaiblirent beaucoup,
et le confirmèrent dans l'idée de se
fixer à Athènes plutôt que de retour-
ner à Napoli, dont l'air malsain au-
rait aggravé sa maladie. Odysseus,
qui paraissait d'intelligence avec les
Turcs, ayant menacé de s'emparer
d'.4thènes, Santa-Rosa contribua à en
organiser la défense. Les Éphémé-
rides d'Athènes parlèrent de son en-
thousiasme et de son activité; mais
son importance cessa avec les me-
naces d'Odysseus , et Santa-Rosa
quitta Athènes pour rejoindre ses
amis à Napoli de Romanie. A cette
époque, on se préparait à entrepren-
dre le siège de Patras; Santa-Ro?a
n'ayant jamais eu aucune réponse
du corps '€xé(utif à ses premières
offres de service, insista de nouveau
pour faire partie de cette expédi-
tion. On lui répondit «que son nom
trop connu pouvait compromettre le
gouvernement grec auprès de la
Sainic-Alliance, et que s'il voulait
continuer à rester en Grèce, on le
priait de le faire sous un autre nom
que le sien, » sans qu'on lui oifrît
pour cela aucun emploi civil ou mi-
litaire. Ce résultat était dû à un en-
voyé du comité philhellénique de
Londres, qui arriva à Napoli porteur
de plaintes de ce comité contre les
députés Luviotti et Orlando,qui com -
promettaient, disait-on, le sort de
la Grèce, en y envoyant des hommes
connus par leur opposition constante
à la Sainte-Alliance. Mais ce fut en
vain que les amis de Santa-Rosa lui
représentèrent qu'il avait rempli
toutes les obligations qu'jl pouvait
avoir contractées envers les dépu-
tés grecs à Londres, qu'il ne devait
rien à une nation qui n'osait pas ou-
vertement avouer ses services; il
partit de Napoli, le 10 avril, habillé
et armé en soldat , sous le nom
de Derossi. Il rejoignit le quar-
tier-général à Tripolitza, et l'armée
destinée à assiéger Patras ayant mar-
ché au secours de Navarin, il accom-
pagna le président à Léondari. Là le
prince Maurocordato se portant en
avant pour reconnaître la position
des armées et l'état de Navarin,
Santa-Rosa demanda à le suivre. Il
prit part à l'affaire du 19 avril con-
tre les troupes d'Jbrahim -Pacha, et
entra le 21 dans Navarin. Resté dans
celte ville, où la faiblesse de la gar-
nison ne permettait pas de prendre
l'offensive , il passa quinze jours k
lire et à attendre \e$ évènements.Çe-
SAN
pendant Parmée grecque destinëe à
faire lever le siège s'élait débandée ^
la flotte grecque n'avait pu empêcher
la flotte turque d'aborder àModon.
Le siège, qui avait paru se ralentir le
dernier jour d'avril, était reprisavec
plusd'ardfur,Ia brèche était ouverte
et praticable, l'ennemi logea cent pas
des murs. Les deux flottes combat-
taient tous les jours devant le port.
Le 7 au soir le vent ayant poussé les
Grecs au nord, on craignit que les
Turcs ne cherchassent à s'emparer
de l'île de Sphactérie, qui couvre le
port. Elle était occupée par 1,000
hommes et armée de quinze canons.
On y envoya 100 hommes de renfort.
Santa-Rosa alla avec eux. Le lende-
main, 8 mai, l'île fut attaque>, et en-
levée en moins d'une heure. Santa-
Rosa fut au nombre des morts, mais
on ne put retrouver son cadavre.
Lorsque l'armée française, comman-
dée par le maréchal Maison , eut as-
suré l'indépendance de la Grèce, le
colonel Ff^bvier, qui faisait partie de
l'expédition, fil élever à son ami un
monument à l'endroit où l'on pré-
sumait qu'il avait succombé, avec
cette inscription : « Au comte Sanc-
H, torre de Santa-Rosa, tué le 9 mai
^ 1825.» Voici, d'après M. Cousin,
le portrait du chef de la révolution
piémontaise. 11 était d'une taille
moyenne, sa tête était forte, le front
chauve, la lèvre et le nez un peu
trop gros, et il portait ordinaire-
ment des lunettes. Rien d'élégant
dans ses manières^ un Ion mâle et,
viril sous des formes infiniment po-
lies. Il était loin d'être beau; mais
sa figure, quand il s'animait, et il
était toujours animé, avait quelque
chose de ai passionné qu'elle deve-
nait intéressante. Ce qu'il y avait de
plus remarquable en lui était une
force de corps ejjtraorJinaire. Ni
SAN
105
grand, ni petit, ni gros, ni maigre,
c'était un véritable lion pour la vi-
gueur et l'agilité. Pour peu qu'il ces-
sât de s'observer , il ne marchait
pas, il bondissait. H avait des mus-
cles d'acier, et sa main était un
étau où il enchaînait les plus ro-
bustes. Il était capable de supporter
les plus longues fatigues, et il sem-
blait né pour les travaux de la guer-
re. Il n'avait aucune ambition, ni de
fortune, ni de rang, et le bien-être
matériel lui était indifférent ^ mais
il avait l'ambition de la gloire. Il
chérissait sincèrement la vertu, il
avait le culte du devoir; mais aussi
le besoin d'aimer et d'être aimé, et
l'amour ou une amitié tendre était
nécessaire à son cœur. Il passait en
Italie pour un homme d'une grande
piété, et, en effet, il était plein de
respect pour le christianisme, dont
il avait fait une étude attentive. Pen-
dant sa détention dans la salle Saint-
Martin, qui pouvait être suivie d'une
extradition, il se prépara sérieuse-
ment à la mort et ne voulut plus lire
que la Bible. Il était même quelque
peu théologien, et à son passage en
Suisse il avait argumenté contre des
pasteurs protestants. Quoique libé-
rai, il redoutait l'influencedes décla-
mations démagogiques, et en voyant
la foi religieuse s'affaiblir dans la
société européenne, il sentait d'oU-
tant plus le besoin d'une philoso-
phie morale, noble et élevée. Il pos-
sédait naturellement la bonne méta-
physique dans une âme généreuse
bien cultivée. Son esprit n'était pas
néanmoins celui d'un homme de let-
tres ou d'un philosophe, mais d'un
militaire et d'un politique. Il avait
l'esprit juste et droit comme lecœur,
il détestait les paradoxes, et dans les
matières graves, les opinions arbi-
traires, p«'rsonnelles lui inspiraient
106
SAN
une profonde répugnance. Il n'avaif
ni étendue ni originalité dans la
pensée, mais i! sentait avec prolon-
deur, et il pariaitaveogravifé et émo-
tion. En politique, ses opinions au-
raient pu passer pour modérées en
deçà des monts, et s'il avait fait par-
tie à cette époque de notre chambre
des députés, il aurait siégé entre
Royer-Collard et Laine. Depuis son
séjour en France, ses opinions poli-
tiques s'étaient un peu modifiées, et,
tout en restant fidèle aux principes
qu'il avait défendus, il regrettait vi-
vement d'avoir pris une part si ac-
tive aux événements de 1821. Il
comprenait enfin que le moment de
l'indépendance de l'Italie et de la
liberté de l'Europe n'était pas encore
venu, et que les moyens violents ne
pouvaient servir qu'à le relarder.
C'est pour cela qu'au lieu d'offrir le ser-
vice de son épée aux Espagnols chez
qui il aurait trouvé une généreuse
hospitalité, il préféra pariir pour la
Grèce, dont la cause lui semblait si-
non plus légitime, au moins d'un suc-
cès plus probable. Au reste, Santa-
Rosa était loin de posséder les con-
naissances nécessaires à un homme
d'état. «J'ai, disail-il, dans une lettre
• à M. Cousin, une instruction si in-
• complète, ou plutôt je suis si igno-
• rant sur une fosie de points im-
• portants, que ce la devient un ob-
" stade presque insurmontable à la
« plupart des travaux que je pour-
" rais entreprendre ; mais j'ai une
« cenaine pratique et une connais-
• sance du matériel des affaires qui
« est rarement unie à une imagina-
« tion ardente, et qui peut faire de
« moi un citoyen propres servir son
« pays avant et après l'orage.» C'est
parfaitement l'impressiou qu'on
éprouve à la lecture de sou Histoire
de la Révolution piemontaisc {Iruris ,
SAN
1821, in-8%sans nom d'auteur),dont
nous avons parlé. Après avoir fait
un tableau fort assombri de l'admi-
nistration sarde depuis 1814, l'au-
teur assure gravement que cette ré-
volution était légitime, et la seule
raison qu'il en donne est que « le
« Piémont était régi par un gouver-
« neuient absolu, où il n'y avait par
• conséquent que des sujets soumis ji
« un maître, ce qui constitue un gou-
• vernement illégal aux yeux de tous
« les publicistes. • Arrivant ensuite
aux faits, il déclare « qu'il ne dira
• que la vérité, mais qu'il ne la dira
• pus tout entière. » Bien que nous
.soyons convaincu que Santa-Rosa
n'était pas capable de mentir de pro-
pos délibéré, nous pensons que son
récit, comme celui de tout homme
de parti, ne doit pas être admis sans
réserve. Pour connaître la vérité sur
lesévénements de 1821, il faut com-
parer entre eux les écrits de Santa-
Rosa et d'Alph. de Beauchamp ; ces
deux historiens étant placés aux
points de vue extrêmes se servent
nalurellementde contre-poids, et le
lecteur impartial fera bien de les
contrôler l'un par l'autre*, mais dans
les jugements qu'ils portent sur les
personnes on doitse défier également
de tous les deux. Santa-Rosa avait
pendant son exil réuni les matériaux
d'un ouvrage qui devait avoir pour
litre : De la Liberté et de ses rap-
ports avec les formes de gouverne-
ment; il avait aussi commencé un
livre sur le congrès de Vérone et
une esquisse de la littérature ita-
lienne, mais rien de tout cela n'a été
publié, et les manuscrits en sont
probablement perdus. A — \.
SAIM'M (Jean), peintre et poète,
pcrede Raphaël (i;.8a>zio, XL, 381).
SAXTI (Georges) , chimiste et
botaniste italien, naquit en 1745,
SAN
à Pienza , d'une famille de robe.
Après avoir fait son cours de collège
à Sienne, il obtint une bourse pour
étudier la nu'decine à l'université de
cette ville. Reçu docteur à l'âge de
vingt ans, il alla faire sa pratique à
l'hospice de Sainte-Marie-Nouvelle
de Florence, puis il concourut en
1773 pour le prix fondé par Birin-
guéri. Il l'emporta sur ses rivaux,
et put ainsi se rendre à l'université
de Montpellier, qui était alors célè-
bre. Après un séjour d'un an dans
cette ville il vint à Paris, muni de
lettres de recommandation pour Bos-
cowich et le marquis de Mirabeau.
Ce dernier lui donna un logement
dans son hôtel, et le présenta à la
première dame d'honneurde la reine,
la duchesse de Senac, qui, à son
tour, le présenta à la cour. Ses bril-
lantes qualités le lirent remarquer
ass«^z pour que le margrave de Bade
le nommât son chargé d'nftaires au-
près du cabinet de Versailles. Mais
cette fonction diplomatique n'était à
peu près qu'honoraire, et Santi put
consacrer la majeure partie de son
temps à l'etuiie des sciences natu-
relles, pour lesquelles il avait une
véritable vocation. Lorsque l'infor-
tuné La Pérouse entreprit un voyage
de circumnavigation, Santi voulut eu
faire partie ; mais il l'ut heureuse-
ment détourné de ce projet par Bos-
cowich. Ea 1783, il fut appelé a Pise,
pour y succéder à Michel-\nge Telli
d.ins la chaire de botanique. Il com-
mença immédiatement à classer, d'a-
près le système de Linné , les plantes
du jardin de Pise, auxquelles sou
prédécesseur avait appliqué le sys-
tème de Tournefort. H s'occupa aussi
de la classilication des objets d'his-
toire naturelledans les musées. Lors-
que la Tosc.Hiie eut été réunie à la
France, Santi fut Hommé inspecteur-
SAN
J07
général des études pour tout le du-
ché, et chef du jury médical établi à
Florence. Après la restauration, le
grand- duc le nomma provéditeur
honoraire de l'université de Pise.
Attaqué depuis pins de vingt ans
d'une hydropisie îhoracique, il suc-
comba à un accès de cette maladie,
le 30 décembre 1822. Outre un traité
sur le Laurus nobilis. qui est estimé,
et une analyse chimique des eaux
thermales de San-Giuliano, près de
Pise, on a de Santi un Voyage au
Montamiaîa et dans le SiennoiSt
Pise, 1795-1806, 3 vol. in-S". Cet
intéressant ouvrage, écrit en italien,
ainsi que les deux opuscules précé-
dents, contient la description d'une
foule de minéraux et de plantes en-
core peu connus. ïl a été traduit en
anglais, et M. le docteur Bodard en
a donné une traduction française,
Lyon, 1802, 2 vol. in-8'^' avec fig.
Le troisième volume, qui a paru de-
puis, n'a pas été traduit. Santi est
encore auteur d'un mémoire écrit eu
français sur les chameaux , de Pise,
et qui se trouve dans leXVlîeVol.des
Annales du Muséum d'histoire natu-
relle. Santi avait préparé un voyage
analogue de Paris à Venise et de Pise
à N^ples, mais ce travail est malheu-
reusement resté manuscrit. A— -T.
SANTILLANE. Voy. JVIendoza,
XXVllI, 282.
SANTIUS (Saint), natif de la
ville d'Alby, fut fait, dans le IX« siè-
cle, prisonnier de guerre, dans les
marches d'Espagne, et amené à Cor-
doue,où le roi Abdérame lui accorda
la liberté et njéme une place dans
ses gardes. i\yant eu le bonheur de
connaître saini Euloge et de se lier
avec lui d'une étroite amitié, il puisa
dans les entretiens qu'il eut avec
ce célèbre martyr un ardent atta-
chement peur la foi, et la force de la
108
SAN
conserver au pe^ril de 5;i vie. Ab-
derame, ayant dans la suite voulu
forcer Santius d'embrasser l'isla-
misme par ses promesses et ses me-
naces, trouva le généreux soldat
inébranlable et d'une fermeté au-
dessus de toute épreuve. Furieux
d'une telle constance, il condamna
le saint à être empalé, pour le punir
de sa désobéissance, qu'il considéra
comme un crime de lèse-majesté.
Saniius expira dans cet horrible
supplice le 5 juin 851. C — L— b.
SAN-TOMMASO (le marquis Fé-
lix CARONEde), écrivain italien, né à
Turin vers 1805, consacra toute sa vie
à la culture des lettres. Plusieurs so-
ciétés savantes de l'Italie le reçurent
au nombre de leurs membres, en-
tre autres les Académies de Turin, de
Brescia, de Lucques et d'Âlbe. A
Turin, il fit partie de la junte de
statistique et de la commission éta-
blie par le roi Charles-Albert pour
la recherche des monuments histo-
riques. Une mort prématurée l'en-
leva en 1842. Il avait publié en
italien: I. Éloge du comte Roger
de Cholex^ prononcé le 15 novembre
1828 dans la séance publique de l'A-
cadémie d'Albe,Turin,1835, in-8«. II.
Essai sur les révolutions de la phi-
losophie depuis Thaïes jusqu'à nos
jours, Turin, 1837, in-8''. Cet essai
avait d'abord paru dans VAnnotatore
piemontese. lll. Considérations sur
la Pharsale de Lucain, ibid., in-S**.
IV. Sur quelques établissements de
bienfaisance^ ibid., in-16. V. Généa-
logie de la royale maison de Savoie^
)bid.,in-4°, avec 18 pi. VI. iN^oticesur
la vie de Bona de S.ivoie, femme de
Galeazzo - Marie Sforza , duc de
Milan, ibid., 1838, in-8^ Vil. Deux
Nouvelles, ibid., 1839, in-12. Vlll.
Discours prononcé à l'Académie
d'Albe dont San-Tommaso était pré-
SAN
sident, Albe, 1839, in-io. Ses (Œu-
vres choisies ont été publiées dans la
Biblioteca scella^ dentelles forment
le 415*^ volume, Milan, Silvestri, 1840,
in-12. A— Y.
SANTVLÏET. Voy. Zantfliet,
LU, 126.
SANVITALE (Jacques) , histo
rien, né le 20 février 1668 à Parme,
d'une famille ancienne, manifesta rtf
bonne heure les plus heureuses dis
positions pour l'état ecclésiastique, et
était destiné par ses parents à entrer
dans la prélature romaine ; mais, en) -
porté par sa vocation, il préféra à la
perspective des honneurs, la vie mo-
deste du cloître, et à peine âgé de 10
ans il prit à Bologne l'habit religieux
dans la compagnie de Jésus. Son novi-
ciat accompli, il alla enseigner les
humanités à Vicence et dans d'autres
villes, puis ayant reçu les ordres sa-
crés, il se consacra pendant quelque
temps à la prédication. Ensuite iî
occupa successivement à Vérone les
chaires de philosophie, de mathémati-
ques et de théologie. Le climat de
cette ville lui étant contraire, il fut
transféré en 1706 à Ferrare où, après
avoir été pendant deux ans confes-
seur au collège des nobles, il fut
chargé d'une chaire de théologie
qu'il occupa avec distinction pendant
19 ans. Il mourut à Bologne le 5 août
1753. Le P. Sanvilale a laissé un
grand nombre d'ouvrages ascéti -
ques et de controverse religieuse,
dont on trouve le catalogue dans
le tome VII des Memorie degli
gcrittoriparmigiani.l^^oiis nous bor-
nerons à citer ceux de ses travaux
qui ont rapport à l'histoire, et qui
ne manquent pas d'une certaine
importance. Ce sont: I. Guerre entre
Charles VI, empereur d'Autriche^ et
Achmet III , grand - seigneur des
Turcs^ avec le traité et la trêve de
SAN
Passaromlz, Venise, 1724, in-8"
(sous le pseudonyme de P. Augustin
Ùmicalia). 11. Mémoires historiques
ée la guerre entre la maison impé-
riale d'Autriche et la royale maison
de Bourbon pour les États de la mo-
narchie espagnole, depuis l'anne'e
1701 jusqu'en 1713, Venise, 1732,
in 4°; seconde édition, ibid., 1734,
in-4o. Elles ne portent toutes deux
au frontispice que les initiales du
pseudonyme déjà cité. lll. Vie et
campagnes du prince Eugène de
Savoie^ Venise, 1738 et 1739, in-4°,
sans nom d'auteur. IV. Notices sur
les faits d'armes entre les princes
belligérants pendant les six pre-
mières années de la guerre de succes-
sion après la mort de l'empereur
Charles F/, avec un Choix d'actions
remarquables des généraux et soldats
italiens dans le XVIl^ siècle ,
Utrecht (Venise), 1752, in-4°. La
seconde partie de cet ouvrage fut
aussi imprimée séparément. Dans les
dernières années de sa vie, le P. San-
vitale eut à soutenir une polémique
des plus vives avec deux autres reli-
gieux, les PP. Daniel Concina et
J.-V. Patuzzi, tous deux domini-
cains, et ils mirent les uns et les
autres, dans Faltaque comme dans la
défense, une âcreté qu'on n'aurait pas
attendue de gens revêtus de l'habit
religieux. Le P. Sanvitale se distingua
surtout par l'amertume de ses pa-
roles, et c'est avec regret qu'on le
vit donner ainsi un démenti aux
préceptes de douceur, de modéra-
tion et d'humilité qu'il avait ré-
pandus à pleines mains dans plusieurs
Vies de personnaj,es pieux et dans
une foule d'autres ouvrages ascéti-
ques. A— Y.
SANVITALE (le comte Jacques-
Antoinr), diplomate et poète italien,
delà même famille que le précédent,
SAN
109
naquit comme lui à Parme, le 23 mai
1699. Son intelligence se développa
de bonne heure , et dès l'âge de
douze ans il composa un qua-
train latin à l'occasion de la pro-
motion de JulesPiazzaau cardinalat.
Eu 1720, il épousa une demoiselle
Cenci, et peu après son père et sou
frère Frédéric étant entrés dans la
compagnie de Jésus, il se trouva
maître absolu d'une fortune consi-
dérable. Ayant le goût de la magni-
ficence et celui des lettres, il se lia
avec tout ce que Parme contenait
alors d'hommes distingués par le
talent ou la science, et il devint leur
Mécène. Le duc Antoine Farnèse
avait pour lui une estime particu-
lière; il le nomma d'abord grand-
connétable de l'ordre militaire de
Saint-Georges, dit de Constantin ,
puis membre de la régence qui de-
vait gouverner l'État après sa mort,
qui eut lieu le 20 janvier 1731. A
cette époque on croyait que sa
veuve, la duchesse Henriette, était
enceinte, et la régence remplit ses
fonctions jusqu'au moment oii cet
espoir se fut tout- à-fait évanoui. La
couronne ducale étant alors dévolue
à l'infant d'Espagne Don Carlos,
qui régna depuis à Naples et en
Espagne, le comte Sanvitale alla
complimenter ce prince à Pise, d'a-
bord, le 13 lévrier 1732, au nom de
la municipalité, dont il était membre;
puis, le 27 mars suivant, au nom de
l'ordre de Constantin. Cependant
Don Carlos ne pouvant pas encore
prendre possession de ses Étals, qui
lui étaient disputés par l'Autriche
et étaient occupés p.tr une armée
sous les ordres du maréchal Pallavi-
cino, chargea le comte Sanvitale de
veiller à ce que le bon ordre régnât
à Parme. Par sa conduiie à la fois
ferme et courtoise vis-à-vis d'\s chefs
110
SAN
SAN
de l'arnit^f autriehienue, il r<>ussit à
11":$ maintenir (hits les limites de la
iuud<'ralion. E[i 1737, il se rendit à
Vienne et captiva la faveur de l'em-
pereur Chîirles VI. Trois ans plus
tard, il fit un second voyage dans
cette capitale, où il avait cté appelé
par ce même prince, qui, arrive à son
heure dernière, témoigna au comte
son regret de ne pouvoir plus lui
donner autrement qu'en paroles des
marques de son affection. Lorsqae
Marie-Thérèse fonda, en 1741, une
Académie à Parme, Sanvitale en fut
nommé membre sous le nom d' Eaco
PaneUenio, et ce fut dans son palais
qu'eut lieu la première réunion
(9 avril 1741). Les États de Parme
ayant été rendus à la maison de
Bourbon , l'infant Don Philippe
choisit pour le représenter à Paris,
le comte Sanvitale, qui refïiplit ces
fonctions de 1751 à 1759. Revenu à
Parme le 10 novembre de cette der-
nière année, il renonça entièrement
aux affaires , fil même cession à
son fils de la majeure partie de ses
biens, et ne s'occupa plus que des
études qui avaient déjà rempli une
grande partie de sa vie. Le comte
Sanvitale mourut à Parme le 6 mars
1780, laissant après lui des regrets
universels, surtout parmi les litté-
rateurs et les poètes, qu'il avait tou-
jours pro(égés et secourus. Sou cœur
fut déposé dans l'église de l'Annon-
ciation, où la famille possédait une
cliapelle, et le corps fut transporté
dans Fontanellato, un des fiefs du
défunt. Son éloge fut prononcé par
le P. J.-M. Pagnini, professeifr d'élo-
quence à l'université. Il avait publié,
entre autres ouvrages : L Chant en
l'honneur de saint François Régis^
Parme, 1738, in 4*^. II. Églogiies,
dans différents recueils de 17*38 à
1748. Ht. Les sept psaumes de la
pénitence, traduits en vers, Venise
1745, in-8% et Parme, 1747, in.l2.
IV. Avis du comte J.-A. Sanvitale,
en réponse à une dissertation de
Louis Saivi , V«'nise, 1746, in-8o.
L'auteur y prend la défense de ceux
qui font encore intervenir les divi-
nités païennes dans leurs poésies,
opinion qui a depuis été vivement
soutenue par Vincent Monti, mais
qui malgré cela nous semble assez
peu raisonnable. V. Poème para-
boliquey Venise, 1746 et 1747, in-
folio. Il fut suggéré à l'auteur par
un passage de Bacon qui, dans son
livre de Augmentis scientiarum, in-
dique le plan d'un poème de ce
genre. Le comte Sanvitale divisa le
sien en trois parties, de six chants
chacune. La première a pour sujet la
morale^ la seconde la politique^ et
la troisième la physique^ c'est-à-
dire la création. Voici le jugement
qu'a porté de ce livre M. Champol-
lion-Figeac dans sa Notice des
accroissements de la bibliothèque de
Grenoble. « C'est, dit-il, un traité
» de morale revêtu des formes poé-
• tiques et mythologiques, et où se
» trouvent toutes les spéculations
■ d'une âme enthousiaste de la vertu
■ et des qualités morales qui enno-
» blissent l'homme. » Les écrivains
contemporains de Sanvitale , qui
avaient trouvé en lui un vrai Mécène,
ne manquèrent pas de porter son ou-
vrage aux nue^ ^ mais , quoiqu'il soit
absurde de prendre leurs éloges à la
lettre, il n'est pas juste non plus
de les demeritir entièrement, car si
le Poème parabolique laisse beau-
coup à désirer sous le rapport de
l'économie et du style, on y trouve
cependant une foule de passages
vraiment remarquables; et, quand il
n'en serait point ainsi, on ne pourrait
refuser au comte l'honneur d'avoii
SAP
SAP
111
le premier mis à exécution un tra~ k Paris, où il étudia encore sous Le
vail de ce genre. L'auteur avait l'ha- Febvre d'Étaples et Josse Clichtove.
bitude d'aller tous les ans passer
quelque temps à Venise, et c'est
pour cela qu'à la ièie du voluuje se
trouve une dédicace en vers au doge
Pierre Grimani. VI. Poème en quatre
chants^ publié à l'occasion d'une
prise de voile, Parme, 1757, in-4°.
II n'y a que le premier chant qui
soit de Sanvitale VIL Quelques piè-
ces en vers et en prose dans un
recueil publié à l'occasion de la
naissance de Don Fernand, fils du
duc de Parme Philippe, 1751, in-
folio. VllI. Castor et Pollux, tra-
gédie traduite du français, avec le
texte en regard, Parme, t758, in-4".
IX. Enée et Lavinie, opéra traduit
en italien pour le théâtre de Paruie,
1761, in-4*'. X. Capitolo, adressé au
même infant le jour où il fut inoculé,
Parme, 1764, in-folio. XL Le tribu-
nal de Jupiterj chant pour le ma-
riage de l'infant Don Carlos avec
Louise de Bourbon, Parme, 1765,
in-40. XII. Euranio et Erasitea^
fable pastorale, Parme, Bodoni, 1773,
in-4° et in-80. Xlll. Andromaque,
tragédie de Racine, traduite en vers
italiens, Parme, Bodoni, 1776, in-8°,
XIV. Poésies diverses dans le (orne
XIII des Poésies des Arcades de Rome ^
dont il était membre. XV. Polyeucte^
tragédie de Corneille, traduite en
vers italiens, Paruie, in-4° sans date.
Les différentes pièces traduites par
Sanvitale furent toutes représentées,
soit au théâtre grand-ducal, soit sur
celui qu'il avait fait élever lui-même
dans sa villa de Fontanellalo et où il
réunissait souvent l'élite de la so-
ciété. A— Y-
SAPU)US(Jea]N Witz), humaniste
Revenu à Schelestat, il y fut chargé
de la direction du collège, et inspira
à ses élèves le goût des auteurs an-
ciens, dont il donna des éditions
estimées. Sapidus s'étant déclaré
pour les doctrines protestantes, fui
obligé de se retirer à Strasbourg, où
il obtint la direction d'un collège.
C'est là qu'il mourut le 8 juin 1560.
Il était lié avec plusieurs sJVants
de cette époque, notamment avec
Érasme. Thomas Plater, qui avait été
son disciple à Schelestat et qui fut
depuis recteur du gymnase de Baie,
parle de luiavec éloge. Outre ses édi-
tions classiques, on a de Sapidus: I.
Des Êpigrammes et des Épitaphes en
latin. II. Des comédies sacrées, entre
autres, Anahion, seu Lazarus redi-
vivus. III. Consolatio de morte Al-
berti^ marchionis badensis. P— rt.
SAPINAITD de Bois-Huguet (le
chevalier de), général vendéen,
plus connu sous le nom de Sapinaud
de la Verrie, naquit près de Morla-
gne en Bas-Poitou, vers 1738, d'une
des plus anciennes familles de la
province. Sapinaud servit pendant
vingt-cinq ans dans les gardes-du-
corps. A la révolution, il ne quitta
pas la France, et fut principalement
retenu par le désir de veiller aux in-
térêts de plusieurs de ses neveux
émigrés. Il vivait au sein d'une pro-
fonde retraite, dans sa terre de la
Verrie, se hornant à la pratique de
toutes les vertus morales et chré-
lieones, quand l'insurrection de la
Vendée éclata. Dès le 10 mars 1793,
les paysans des environs vinrent le
solliciier, comme la plupart des
gentilshommes, de se mettre à leur
cl poêle iutin, néen 1490 à Schelestat tête. Sapir^aud crut de son devoir de
en Alsace, eut d'abord pour maître leur faire sentir la témérité de cette
Bealus Rhenanus, qu'il accompagna guerre qu'ils entreprenaient contre
112
SAP
SAP
la puissante république; ces paysans
insistèrent si vivement et se mon-
trèrent tellement diacides, qu'il dut
alors se rendre à leur vœu. Suivi
(le cet attroupement qui n'était armé
que de fourches, de faux, de bâtons
et de quelques fusils de chasse, il se
dirige vers la petite ville des Her-
biers. Deux compagnies en formaient
la garnison, soutenues par les pa-
triotes du lieu, et par quatre ou
cinq pièces d'artillerie. Néanmoins,
It.s insurgés s'en rendirent maîtres
après quelque résistance. Revenu
momentanément à la Verrie, Sapi-
naud eut le bonheur de sauver
M. de Beaulieu, gentilhomme pa-
triote, que menaçaient les vengean-
ces des paysans. S'étant remis
aussitôt en campagne, il obtint un
avantage aux Guérinières et se
réunit à Royrand ( voy. ce nom ,
LXXX , 122), que la population
avait choisi pareillement pour la
commander. Tous les deux con-
duisaient les insurgés à l'affaire du
19 mars, près de Saint- Vincent
d'Esterlange, restée célèbre sous le
nom de déroute de Marcé. Le géné-
ral Marcé, après avoir passé la
rivière du Lay, s'avançait sur les
Quatre-Chemins , par la grande
route de la Rochelle à Nantes. Sapi-
naud et Royrand se portèrent à sa
rencontre. Ils avaient , comme lui,
environ trois mille hommes^ mais,
dans la colonne républicaine, il se
trouvait quelques troupes de ligne,
commandées par d'habiles officiers,
tels que le colonel Boulard et le
lieutenant -colonel Esprit Baudry,
frère du Vendéen Baudry d'Asson.
Les insurgés se divisèrent : une
partie, suivant l'usage qu'ils adoptè-
rent dans tous les combats, s'épar-
pilla sur les flancs, à la faveur
d'un pays très-cotivert, pour tour-
ner l'ennemi : le reste, conduit par
Sapinaud, s'avança par la grande
route. L'artillerie des républicains
tonn.; : les Vendéens s'étaient jetés
à plal-ventre pis se relevèrent après
le feu et coururent droit aux pièces :
Sapinaud le premier, s'élança sur les
artilleurs et en tua un de sa main.
L'une des pièces fut prise : ce fut
avec beaucoup de peine que les ré-
publicains purent sauver les autres
au milieu de leur défaite. Sapinaud
continua de comujander avec Roy-
rand, l'armée vendéenne dite du
Centre^ et montra constamment une
grande bravoure alliée à une 'piété
exemplaire. Le 25 juillet, une co-
lonne républicaine, sortie de Luçon
sous les ordres du général Tuncq,
vint attaquer le Pont-Charron, pas-
sage important sur le Lay, où les
Vendéens avaient un poste. Une
autre colonne, conduite par l'adju-
dant-général Canier, se porta sur
Saint-Philbert - du - Pont - Charron,
afin de tourner les Vendéens par
leur gauche. Le chevalier Sapinaud
courut vers ce dernier point, ame-
nant une pièce de canon. Averti de
son mouvement par l'erreur ou la
trahison d'un courrier, les républi-
cains portèrent au devant de Sapi-
naud un escadron de gendarmerie.
Tombé dans cette embuscade, il se
défendit avec sa valeur ordinaire.
Déjà blessé grièvement, il fut mas-
sacré sans pitié. Quatre paysans de
de la Verrie (l'un d'eux se nommait
Guiton) se firent tuer en disputant
aux meurtriers le corps de leur an-
cien seigneur. Ce dévouement est
une touchante preuve de l'alFeclion
qu'il avait su mériter. Sapinaud
avait un extérieur avantageux. Sa
taille était haute; environ cinq pieds
six pouces; ses yeux noirs étaient
pleins de vivacilé; sa physionomie
SAP
ouverte et gracieuse reflétait les no-
bles qualités qui honorèrent sa vie.
M— R— T.
SAPINAUD de la Rairie (Char-
les - Henri ) , neveu du précédent ,
naquit au château de Sourdy, près
de la Guubretière, en Bas-Poitou, le
3 décembre 1760. Nommé, en 1778,
cadet-gentilhomme au régiment de
Foix, il se retira du service en 1789,
avec le grade de lieutenant en pre-
niier. Cinq de ses frères, dont quatre
étaient officiers depuis plusieurs an-
nées,avaientémigré.N'ayant pas suivi
leur exemple, il vivait comme son
oncle, retiré au fond de son manoir,
où l'insurrection vendéenne vint
également le chercher pour le créer
un de ses chefs. Il eut part aux diffé-
rents combats livrés par Parmée du
Centre, et passa la Loire, dans le mois
d'octobre 1793, avec la Grande Ar-
mée. Son père, respectable vieillard,
partagea toutes les misères de cette
glorieuse et fatale campagne. Dans
l'effroyable désastre du Mans, il
tomba entre les mains des répu-
blicain«!. Ses trois filles furent prises
avec lui : l'une d'elles n'était pas
mariée^ les deux autres étaient
mesdames Destouches et de Joannis.
Le beau-père de madame Destouches,
ancien chef d'escadre et cordon-
rouge, âgé de 90 ans, sans être ar-
rêté par son âge, tenait aussi sa
place dans les rangs vendéens. Il
essuya jusqu'au bout ces affreuses
épreuves et mourut après la catas-
trophe suprême de Savenay, dans la
chaumière bretonne qui lui donnait
une courageuse hospitalité. Quant à
Sapinaud le père, il fut sans miséri-
corde fusillé, en présence de ses
filles. Son fils étant parvenu à re-
passer la Loire, revint aux environs
de Mortagne : avec MM. de Vaugiraud
lils, les fières Bejarry et quelques
tx\xi.
SAP
IIS
autres officiers, il tâcha de réunir les
éléments de l'ancienne armée du
Centre. Charelte n'avait pas cessé
de combattre dans la basse Vendée.
La Rochejaquelein, à peine revenu
sur la rive gauche de la Loire, y
avait trouvé la mort (28 janvier
1794) ; mais Stofflet, Beauvais, Piet,
deBeaurepaire, etc., grossissaient le
rassemblement formé par lui, et ils
avaient brillamment inauguré celte
nouvelle campagnepar la victoire de
Geste (2 février). Sapinaud, de son
côté, combattit plusieurs fois les ré-
publicains aux environs de Mortagne
et de la Gaubretière. Vainement les
colonnes infernales, organisées par
Turreau , parcouraient la Vendée
dans toutes les directions, le fer et
la torche à la main, ne laissant der-
rière elles que des cadavres et des
ruines fumantes; le Bocage offrait
encore des abris à ses défenseurs.
Ils se glissaient sur les flancs de ces
hordes incendiaires, et souvent ils
leur firent payer cher ces horreurs
inouïes. Bernard de Marigny ,
revenu d'outre-Loire , avait reparu
dans les environs de Cerisais, où
il jouissait d'une grande popula-
rité. Là, il se créait, de son côté, une
petite armée. Son territoire confinait
avec celui de Sapinaud, auquel il
prêta secours pour attaquer Morta-
gne. Le 23 mars, un détachement
sorti de cette ville, pour aller cher-
cher des vivres et des fourrages, fut
exterminé presque jusqu'au dernier
homme. Le lendemain à onze heures
du matin, Sapinaud et Marigny, avec
environ cinq mille hommes, assail-
lirent la place de vive force. Aux
anciennes murailles qui existaient,
les républicains avaient ajouté quel-
ques nouveaux ouvrages. Dépourvus
d'artillerie, les royalistes, après
d'intrépi<ips efforts, furent oblige's
1U
SAP
SAP
iie suspemlre leur attaque; mais
dans h nuit, la garnison, craignant
de ne pouvoir résister k lie nouveaux
assauts, prit le parti d'évacuer la
ville, et se dirigea sur Nantes, où elle
n'arriva pas sans coup férir. Sa-
pinaud se trouvait le mois suivant à
la re'union où les chefs des qujitre
armées (Charette, Stofflet, Marigny
et lui) s'engagèrent, sous peine de
mort pour le contrevenant, a n'agir
que de concert. Cet arrêté fut le
prétexte dont les ennemis du mal-
heureux Marigny se servirent pour
le déclarer déchu de son comman-
dement, et bientôt après, pour le
faire périr {voy. Marigny, XXVll,
141). Après sa mort, il ne resta plus
que trois armées vendéennes. S^pi-
naud prit part, le 6 juin 1794, à l'at-
taque faite en commun contre la
division campée à ChaWans sous les
ordres du général Boussard et de
Tadjudanl-général Chadau. Les Ven-
déens furent repousses. L'armée du
Centre, portée entre les territoires
des deux autres, ne jouait qu'un
rôle secondaire. Elle leur était in-
férieure en importance, et le ca-
ractère deSapinaud, faible et facile,
devait le subordonner à ses deux
collègues. 11 se trouva placé sous
l'influence particulière de Charette,
et se rangea de son côté dans les
différends qui s'élevèrent entre Stof-
flet et le chef de la basse Vendée.
Charette s'éîant rend.u à Beaure-
paire, quartier-général de l'armée
du Centre, y convoqua une réunion
composée de ses principaux ofiiciers
et de ceux de celte armée. Là Stof-
flet fut cité à comparaître pour
s'expliquer sur la création du papier-
monnaie qu'il avait émis. D'après
son refus de se présenter, il fut dé-
claré coupable à son tour d'itifrac-
tior^ .aux conventions stipulées, et
déi'hu du commandement. Sapinaud
fut un des signataires de cette décla-
ration du G décembre 1704, dite
arrêté de Ueaurrpaire. Au surplus,
cette mesure n'eut aucun effet, et
resta purement comminatoire. Sapi-
naud adhéra, le 17 février 1795, au
tr;iité de p;fix conclu à la Jaunaye,
près Nantes, entre Charette et les
délégués de la Convention. On sait
que Stofflet se déclara énergiquement
contre ce traité. Peu s'en fallut
même que l'on ne vît, à cette occa-
sion, éclater dans la Vendée une
guerre intestine. Stofflet, vivement
poursuivi par les républicains, passa
la Sèvre, et se jeta sur le territoire
de Sapinaud. Lorsqu'il entra dans
Beaurepaire, le 1" avril, ce dernier,
heureusement, venait de s'éloigner et
de partir pour Belleville, quartier-
général de Charette. Mais, le 2 mai
suivant, Stofflet lui-même dut si-
gner à Saint-Florent un traité de
paix. Quand !a république humilia
son orgueil au point de négocier
d'égal à égal avec ces Vendéens
qu'elle avait tant de fois proscrits
comme brigands, il s'en fallait
qu'elle fût sincère ; elle ne cherchait
qu'à les diviser et les désarmer. Les
Vendéens, avec raison, considéraient
à peine celte paixcotnme une trêve.
Dès la fin de juin, elle fut rompue.
Charette, invoquarjt tous les man-
ques de foi de l'ennrmi, recommença
les hostilités et enleva, le 26 juin,
le camp des Essarts. Sapinaud pa-
raissait désireux de rester en paix:
néanmoins il ne put se dispenser
d'envoyer ses cavaliers à Charette,
pour seconder le débarquement
d'armes et de munitions opéré par
les bâtiments anglais le 9 août, sur
la côte du Marais. Les troupes qui
sortirent de Saint-Gilles pour s'y
opposer, furent repoussées et bat.
SAP
tues. Pendant les six semaines que
passa le comte d'Artois à l'IIe-Dien.
Charelte stimula vainement l'imnjo-
bilité de Stofflet queBernier, par de
nouvelles combinaisons d'intrigue,
retenait dans les liens de cette paix
acceptée naguère avec tant de
peine. Charelte pressa également
Sapinaud d'agir d'une manière plus
active. EflFeclivement, ce dernier in-
quiéta Mortagne , redevenu , de ce
côté, la place d'armes des républi-
cains. Le général Boussard, qui com-
mandait la garnison, étant sorti pour
une reconnaissance , fut tué dans
une embuscade. En même temps, la
ville fut surprise; mais cette diver-
sion n'eut pas de résultats. S.ipinaud
ne pouvait pas mettre sur pied plus
de trois ou quatre mille hommes.
Hoche, qui commandait alors l'ar-
mée républicaine, fit parcourir son
territoire par des colonnes chargées
de désarmer les campagnes. Quel-
ques mois après, Stofflet se décidait
enfin à une tardive prise d'armes,
mais ce fut pour succomber et périr
un mois avant Charette.D'Autichamp,
proclamé successeur de Stofflet , es-
saya de reformer l'armée de la
haute Vendée. Sapinaud, qui avaitdû
quitter le pays du Centre, se réunit
à lui ; mais leurs eff'orts furent inu-
tiles, et ils durent faire leur soumis-
sion. Sapinaud apporta la sienue
dans le mois de juin 1796, au général
Duthil, qui commandait à Nantes.
L'année suivante, il épousa made-
ujoiselle Marie-Louise de Charette,
fille de madame Charette de Bois
Foucaud qui avait épousé en secon-
des noces le général vendéen, parent
de son premier tnari. Sapinaud n'eut
point de part à la courte guerre de
1799. Pendant le consulat et l'em-
pire, il vécut tranquille dans ses
foyers. Néanmoins, lors de l'inva-
SAP
115
sion de 1814 , sentant la nécessité
de faire intervenir la Vendée dans
ces grands événements, il parcourut
les campagnes, et tout était prêt
pour une levée de boucliers, quand
la chute de Bonaparte fut consom-
mée. Dans les Cent -Jours, Sapi-
naud se trouva naturellement un
des généraux royalistes. Un fatal dé-
faut d'accord paralysa en partie ce
nouveau mouvement. Sapinaud si-
gna, le 31 mai, avec d'Autichamp et
Suzannet, Varrêté de Falleron. par
lequel fut déclarée inopportune l'ex-
pédition de Louis de La Rocheja-
quelein dans le Marais. Aventuré seul
avec son frère Auguste contre des
forces supérieures, Louis dit La
Rochejaquelein trouva une mort glo-
rieuse à l'affaire des Mathes. Désolés,
ses frères d^armes ne songèrent pius
qu'à le pleurer et à le venger. Sapi-
naud , comme le plus ancien des
officiers -généraux de la première
guerre encore existants , reçut le
commandement en chef. Le 21 juin,
fut livré le combat de Roche-Ser-
vière, oii les Vendéens firent inuti-
lement des prodiges de valeur, et
perdirent le brave Suzannet. Le
26 juin, fut signée avec le général
Lamarque la convention de Cholei.
Les Vendéens restaient sous les
armes, en attendant le dénouement,
qui ne pouvait se faire attendre, et
auquel ils avaient puissamment con-
tribué par leur diversion, malgré
les circonstances qui l'entravèrent.
Ce mouvement des Vendéens fut non
moins national que royaliste. L'his-
toire a conservé la noble proposi-
tion qu'ils firent à l'armée de la
Loire de s'unir avec elle, s'il en était
besoin, pour défendre l'intégrité du
territoire français. Sapinaud fut
nommé par Louis XVllI lieutenant-
général et inspecteur -général des
8.
116
SAP
g,n ilrs nationales du départeintiil de
ia Vendée. En outre, il reçut de ce
prince le titre de pair de France et le
cordon de commandeur de Saint-
Louis. Ferdiuaiul VU l'avait décoré
de l'ordre espagnol de Charles Ul.
Sapinaud de la Rairie est ujort en
1829. S'il n'eut pas des talents de
premier ordre, son nom n'en est
pas moins associé dignement a la
gloire vendéenne. — Le chevalier
Jules DE Sapinaud de Boîs-Huguet,
son cousin, né au château de Morta-
gne en 1771, obtint une lieutenance,
en 1786, au régiment des chasseurs
de Lorraine. Il émigra en 1791, fit la
campagne de 1792, et fut placé, à la
fin (le l'année suivante, dans les
hussards de Choiseul. La campagne
de 1794, dans les Pays-Bas, lui four-
nit l'occasion de se distinguer d'une
manière brillante. Attaqué près de
Nimègue par une colonne d'infante-
rie, et n'ayant que soixante hommes
de son régiment, il lua de sa main
le colonel qui commandait cette
colonne, la mit en déroute et s'em-
para de deux pièces de canon. A
la fin de 1795, il passa dans la
Vendée, à l'armée de Charetîe; mais
il ne put partager que les derniers
efforts de ce général. Jules de Sapi-
naud est mort en 1817. Son exté-
rieur était des plus heureux: sa
conversation des plus attrayantes,
et ses connaissances dans l'art de la
guerre attestaient des études sérieu-
ses, appuyées sur la pratique. —
Madame Louise de Charette, veuve
du lieutenant-général pair de France
Sapinaud, et auteur de Mémoires sur
la Vendée , suivis de notices sur les
généraux vendéens^ et d'un Voyage
dans la Vendée, par M. Sapinaud
de Bois-Huguet. Paris, 1823, in-12
et in-8° , est morte à Bourbon-Ven-
dée, le 19. janvier 1832. —Son fils,
SAP
le cht'valirr S apinm)!) de Bois Mu-
guet, a publié une nouvelle édition
de ses Mémoires en 1834. M-r-t.
SAPPA de' Milanesi Jnviziati
Gorreia (le chevalier Alexandre),
littérateur italien, naquit le 19 août
1717,à Alexandrieen Piémont,d'une
famille très-ancienne. Plusieurs de
ses ancêtres s'étaient distingués dans
les armes et les hauts emplois de la
magistrature. Admis au collège des
jésuites de Parme, il y eut pour pro-
fesseur de belles-lettres le fameux
prédicateur Geanelli, qui lui donna
des soins particuliers. 11 y étudia
aussi la jurisprudence et surtout les
mathématiques, qu'il aima toujours
de préférence. Rentré dans le sein
de sa famille, il se livra avec beau-
coup de zèle à son talent poétique,
et publia, sur la mort de Marie-
Élisabelh de Lorraine, reine de Sar-
daigne, plusieurs pièces de vers qui
le firent admettre, sous le nom d'Eu-
maro Marateo, à l'Académie des
Arcades de Rome et dans celle des
Immobiii de sa patrie. Le roi Char-
les-Emmanuel IlIJe nomma réforma-
teur des études des provinces d'A-
lexandrie et de la Lomelline, charge
honorable et gratuite qui lui donnait
l'inspection de l'enseignement, qu'il
exerça avec zèle pendant 28 ans ,
et ne quitta que lorsqu'il fut fait
majordome. Toujours zélé pour la
religion, il composa beaucoup de
poésies en son honneur. Doué d'une
modestie rare, on ne pouvait jamais
le persuader qu'il était éminemment
poète, et qu'il aurait pu égaler les
meilleurs modèles, s'il eût voulu
mettre un frein à son imagination,
comme il a fait dans quelques-uns
de ses sonneis, parmi lesquels on
distingue ceux qu'il publia sur la
mort de son épouse et sur la paix
de 1762. Il s'attachait à rendre son
SAP
style plus touchant que hardi, disant
qu'un poète doit surtout exprimer
les seniiments du cœur, et comme
le sien était si pur, si pieux, il en ré-
sultait un genre de poésie qui, au
premier abord, paraît froid, mais
qui est plein de délicatesse et des
meilleurs sentiments. Il donna un
petit poème en quatre chants, inti-
tulé le Pèlerin heureux^ et dont le
sujet est un homme très-pieux qui
va en Palestine visiter les lieux
saints. Ce poème lut imprimé à Tu-
rin, puis à Alexandrie, et dans le
recueil des œuvres de l'auteur. Il ne
chanta jamais l'amour, si ce n'est
pour son épouse; et, dans les ten-
dres sonnets qu'il composa pour
elle, il a prouvé ce qu'il aurait pu
faire dans ce genre. Tout entier à
des pratiques de piété, aux devoirs
de sa charge et à ses études, il vou-
lut d'abord vivre dans le célibat et
renoncer à ses droits d'aînesse en fa-
veur de son frère; mais celui-ci ayant
refusé, Alexandre, pressé par sa fa-
mille, épousa la fille du marquis
Gozzani de Saint- Georges dont
il eut beaucoup d'enfants. Il mou-
rut le 13 mars 1783. Ce fut un
jour de deuil pour les siens et pour
tout le monde savant. Sa nécrologie
fut imprimée dans le n° 42 de PAn-
thologie de Rome, où, après un
SAP
117
éloge mérité de ses vertus et de son
savoir, on donne une notice de ses
ouvrages. Sa patrie honora sa mé-
moire par une inscription sur mar-
bre qui se conserve dans la salle de
Phôlel-de-ville ; l'Académie des /m-
mobili le célébra également en
prose et en vers dans une séance
solennelle, et.tout cela fut imprimé
en un vol. à Alexandrie, 1783. On
a fait quatre éditions des poésies
d'Alexandre Sappa : r Rime del
sig. cav. D. Àlessandro Sappa, pa-
Irizio Alessandrino ed accademico
Immobile con Vaggiunla in fine di
alcune poésie d^altri membri délia
stessa Accademia^ Alexandrie, 1772,
2 vol. in-8^ II. Rime, arrichite del
di lui elogio e di note da un accade-^
mico Immobile^ dédiées au roi Vic-
tor-Amédée III , Alexandrie, 1787,2
vol.in-4^, avec portrait de l'auteur.
III. Rime scelte^ Gênes, 1788, 1 vol.
in-8**. IV. Poésie scelle, Pavie, 1795,
1 vol. in-8o. V. Des Poésies dans
divers recueils. C— -v~i.
SAPPA de' Milanesi Inviziati
Gorreta (Louis), fils aîné du précé-
dent, naquit en 1755. D'abord offi-
cier dans le régiment provincial de
Casai, il voyagea en Italie, en France,
et fut présenté à Versailles par
le fameux comte d'Aranda à Louis
XV et à ses sœurs. 11 fut, comme son
père, réformateur des études , et en
1791, nommé gentilhomme honoraire
de la chambre. En 1830, il reçut la
grand'croix de Saint- Maurice et
Saint-Lazare, et en 1833 devint chef
de province de cet ordre. Il avait été
trois fois syndic-maire dans sa pa-
trie. Fort instruit dans les mathéma-
tiques et surtout dans la mécanique,
il cultivaaussi la botanique. Homme
intègre, austère et religieux, il jouit
de Pestime et du respect de toutes
les classes et de tous les partis dans
les phases et les vicissitudes si fré-
quentes de cette époque, et mourut
le 16 mai 1837, entouré et regretté
de sa nombreuse famille. 11 s'était
marié en 1783 avec une demoiselle
Grimaldi, sœur de celui qui, en 1814,
fut gouverneur du prince de Cari-
gnan, actuellement roi de Sardaigne;
et, n'ayant pas eu d'enfants mâles, en
lui s'éteignit la famille des Sappa ,
qui si long-temps avait tenu un rang
distingué dans PÉtat. — Sappa de'
Milanesi (Charles-Joseph), frère du
118
SAR
SAR
prec<^dent, lut aumônier du roi, ei
plus tard (1817) princ«»-ëvèqued'Ac-
qui, où il se distinj^ua par ses vertus
et son zèle ♦^vangdlique. il mourut
en 1835 dans un âge avancé. C-v i.
SARAKSI (Aboîjl-Abbas-Ahmed),
fils de Mahomet, mort en 286 de
i'hdgire(899 de J -C), a fait, entre
autres ouvrages, deux livres sur la
Musique^ un grand et un petit ; et
un traité des Jeux, dont celui des
Echecs fait vraisemblablement partie.
Abu! -Parafe appelle aussi notre au-
teur Ibn-Tajeb ; c'est par consé-
quent le fameux philosophe dont
d'Hcrbelot parle à Fart. 1026, qui
composa beaucoup d'ouvrages en
divers genres. Il fut précf'pteur du
calife Motadhed et devint son confi-
dent ; mais ayant eu l'imprudence de
révéler un de ses secrets, il fut tué
par ordre de ce calife. Il a écrit sur
Vlsagoge de Porphyre, et a composé
un livre de Morale, — Il y a différents
auteurs qui portent ce même nom de
Saraksi ; \\s> le tirent de Saraks, dans
leKhoraçan, lieu de leur naissance;
d'Herbelot en fait mention. Il en est
un surtout plus renommé que les
autres, c'est RaMEddin Mahomet,
mort à Damas en 571 de rh<'gire
(1175 de J -€.) ; il est auteur du cé-
lèbre Mohit^ Océan, dont ou a fait
quatre éditions, et d'autres ouvrages
sur la théologie. J — n.
SARBARAZAS. Voy. Schahar-
RAFZ, XLl, 71.
SAR€US (Jean de), issu d'une
très-ancienne et noble maison de
Picardie, était fils d'un conseiller et
chambellandeCharlesVlII. 11 remplit
les mêmes fonctions auprès de Louis
XII, fut capitaine de chevau-légers
et des premiers gens de pied levés en
Picardie. Après la mort de ce dernier
monarque, il devint chambellan et
conseiller ordinaire de François l'^^
maître d'hôtel de la reine Éléonorc»
capitaine de cinquante hommes d'ar-
mes, etc., etc. Du Bellay, auteur
contemporain , parle beaucoup de
lui comme l'ayant vu à l'aclion. Jean
de Sarcus était dans Thérouanne,
ville de l'Artois, et avait charge de
cinq cents hommes de pied , lors-
qu'en 1512, elle fut attaquée par les
Anglais et les Impériaux. En 1522, il
se jeta dans Hesdin avec le c ipitaine
Lalande, étant à la tête de quinze
cents aventuriers', et ils contribuè-
rent à la belle défense de cette place,
dont l'armée combinée de Charles-
Quint et de Henri VIII leva le siège,
après avoir fait deux brèches et n'a-
voir osé donner l'assaut. Il en était
gouverneur en 1526, et fit repentir
le seigneur de Fiennes, gouverneur
de Flandre, d'avoir tenté une sur-
prise. En 1536, le comte de Nassau
ayant attaqué la Picardie, tandis que
Charles Quint, revenu de son expé-
dition d'Afrique, pénétrait témérai-
rement en Provence, Jean de Sarcus
partit de Hain, avec mille hommes de
pied de la légion de Picardie, dont il
était capitaine-général, et couvrit si
bien sa marche, que passant à tra-
vers les villages échappés à peine du
feu qu'y avait mis l'armée de l'em-
pereur, il se jeta dans Péronne, le
jour même où le comte de Nassau
l'investissait. Dans le plan de dé-
fense, Sarcus fut chargé de la brèche
de la porte de Saint-Fursy. Le comte
de Nassau fut repoussé partout avec
la plus grande vigueur, et se vit
obligé de lever le siège, après avoir
fait sauter la grosse tour, fameuse
pour avoir servi de prison à Charles-
le-Simple et à Louis XL C'est en
mémoire et en actions de grâces de
cet événement que, tous les anà, on
faisait k Péronne, le jour de Saint-
Fursy, patron de la ville (16janvier),
SAR
une procession précédée d'une ban-
nière sur laquelle le siège de la ville
était représenté, et où, entre autres
armes, se voyaient celles du sieur de
Sarcus. L'année suivante, il joua en-
core un rôle honorable au siège de
Hesdin,et reçut la garde de la ville et
du château lorsque le roi s'en fut
rendu maître. H mourut peu de temps
après. Il avait fait rebâtir, en 1522, 'e
château dépendant dft la petite ville de
Sarcus, en Picardie. C'est un monu-
ment très-remarquable de l'époque
de la renaissance, enrichi de sculp-
tures beiles et variées, d'ornements
et d'arabesques, plein d'élégance et
de délicatesse (1). Il laissa plusieurs
enfants de sa première femme, Mar-
guerite de Chabanne, sœur du fa-
meux maréchal de la Palisse, entre
autres, François de Sarcus, évêque
du Puy en Velay el aumônier de
Henri ll.Cette famille subsiste encore
aujourd'hui L— p~e.
S\RDI (Thomas di Maltco), né
à Florence, eîubrassa la règle de
Saint-Dominique, dans le monastère
de Sainte Marie-la-Nouvelle', et non
celle des services, comme l'a dit par
erreur le P. Possevin. Altamura, au-
teur d'une Bibliothèque dominicaine
très-fautive, a commis une méprise
bien plus bizarre. Ayant lu dans le
Catalogus de Pocci<inii : Thomas
Malthœi de S ar dis, ut alii habent
Codices^ il s'est imaginé que Codices
était un autre prénom de Sardi. Tho-
mas était son seul prénom, Matthieu
celui de son père, et Sardi son nom
de famille. Après avoir été reçu
bachelier à l'université de Florence,
en 1486, Sardi enseigna la théologie
SAR
119
(l) Les clfiiiieii vestigoî. en avaient dispa-
ru en i837 ; iiiiiis le baron de Tayloi les a
re|)roduitî. daus s.n Vo) âge pittoresque (Mo-
uuuieul!) de Picaidie).
avec une grande réputation, consa-
crant ses loisirs à la culture des let-
tres, surtout de la poésie italienne.
On vante la régularité de ses compo-
sitions, l'élégance et la pureté de
son style. 11 mourut dans le couvent
de Sainte-Marie-la-Nouvelle, le 27
oct. 1517, laissant, entre autres ou-
vrages, un poème intitulé Anima pz-
regrina^ divisé en trois livres, à
l'imitation de la Divine comédie de
Dante, qu'il déclare avoir pris pour
modèle. Il en existe quatre beaux
manuscrits dans les bibliothèques
d'Italie. Le P. Vuicent Fineschi a fait
imprimer le poème de Sardi à Flo-
rence, en 1780, sur l'exemplaire de
Sainte Marie-la-Nouvelle. — Louit
Sabdi, jurisconsulte, né à Ferrare,
mourut en 1445 à Bologne, où il était
professeur de droit à Tuniversitév II
a composé plusieurs ouvrages, dont
le plus connu, intitulé : Dénatura-
libus liberis, de legitimatione et suc-
cessione eorum^ a été imprimé à
Lyon en 1544. — Pierre Sardi, ingé-
nieur romain, a publié en italien :
1. Architecture militaire^ Venise,
1618, m-fol. IL Traité de fortifica-
tions, Venise, 1627. 111. Traite de
rarti^erie, Bologne, 1659, in-fol. IV.
Le chef des bombardiers examiné et
approuvé par le général de Vartil-
lerie. V. Discours sur les machines
de guerre , anciennes et moder-
nes, etc. — Joseph Sardi, architecte
de la république de Venise, était né ii
Morco , près de Côme, et mourut en
1699. Parmi les travaux qu'il a exé-
cutés à Venise, on distingue les fa-
çades des Carmes-Déchaussés, sur le
grand canal, de Sainte-Marie de ?o-
benigo, de l'Hôpital des mendiants,
etc. P^RT.
SAHIS (John), capitaine anglais,
avait déjà fait quelques Voyages ei
avait été facteur à Banlain en 1G08,
120
SAR
SAK
lorsque, h; 18 avril 1611, il partit des
Dunes pour retourner aux Indes,
ayant sous ses ordres trois vaisseaux,
au nombre desquels était le Clove,
qu'il commandait. Le 9 août, il doubla
le ca p de Bonne-Espérance, et au mois
d'octobre 1612, il s'arrêta à Mœli ou
Molalia, une des îles Comores, pour
y faire des provisions. Le roi alla le
visiter à son bord, accepta quelques
présents, et lui demanda une lettre
attestant la manière amicale dont il
avait été reçu, afin de pouvoir la
montrer aux Anglais qui dans la suite
mouilleraient sur cette côte. Saris y
consentit, mais il insinua dans sa
lettre qu'il était prudent de ne pas
trop se fier à ces insulaires , sans
avoir des forces respectables. La
traversée fut assez heureuse jusqu'à
l'île de Socotora, oii le sultan émir
Eben-Sa'id accueillit les Anglais avec
toutes sortes de témoignages d'ami-
tié. Il leur présenta une lettre de
Henri Middieton {voy, ce nom, XXIX,
1), du l®"" septembre 1611, par la-
quelle cet amiral informait ses com-
patriotes des malheurs qu'il avait
éprouvés dans la mer Rouge et de ce
qu'on y avait à craindre de la part
des Turcs. Cependant, comme Saris
était muni d'un passe-port du grand-
seigneur, il résolut, de l'avis de son
conseil, d'entrer dans cette mer et
d'y faire le commerce de dessus les
vaisseaux. On partit donc, et l'on
arriva enfin à travers les détroits
dans la rade de Moka. Hyder-Aga,
qui en était gouverneur, envoya re-
connaître à quelle nation les navires
appartenaient, puis il invita les An-
glais à descendre à terre en leur of-
frant des otages, qui vinrent effecti-
vement à bord. Alors Sans se rendit
chez raga,qui lui fit une réception
des plus flatteuses, lui donua un re-
pas n)agmlique» et le pria d'oublier
tout ce «jue Henri Middieton avait eu
à souffrir de la part du précédent gou-
verneur, qui avait été destitué. Mal-
gré ces démonstrations bienveillan-
tes, Saris, prévenu par un Arabe (jne
l'aga et ses gens n'étaient pas très-
fidèles à tenir leur parole, hésitait à
débarquer, lorsqu'il apprit que Mid-
dieton croisait à l'entrée de la mer
Rouge. Sur les instances de celui-ci
il alla le trouver, et ils tirent en!^em-
ble quelque commerce en n»er. Peu
après, Saris quitta le détroit, revint à
Socotora, puis se dirigea sur Bantam,
d'où il fit partir deux de ses vaisseaux
pour l'Angleterre, gardant le troi-
sième pour le voyage du Japon. Pen-
dant sa route il s'arrêta dans quel-
ques-unes des îles Moluques , où il
fut bien accueilli par les indigènes,
ainsi que par les Hollandais et les
Espagnols qui occupaient des forts.
Enfin, le 10 juin 1613, il arriva vis-
à-vis de Nangasaki, port du Japon
sur la côte occidentale de l'île de
Ximo. Deux pilotes de cette nation
le conduisirent jusqu'à Firando, qui
est à trente lieues vers le nord. Le
roi de cette île vint le visiter à bord,
avec ses femmes qui chantèrent en
s'accompagnant d'instruments de
musique. Ce prince, pour varier les
amusements, fit venir aussi sur le
vaisseau des comédiennes nomades
qui donnèrent des représentations
dramatiques. Le capitaine anglais
remarque, dans sa relation, que ces
femmes si fêtées, si bien payées, et
pour lequelles les seigneurs japonais
oublient quelquefois des épouses
belles et vertueuses, sont cependant
réputées infâmes, et qu'après leur
mort on traîne ignominieusement
leurs corps à la voirie. Saris reçut
encore un grand nombre de visites,
entre autres celles de quelques da-
mes japonaises nouvellement conver-
SAR
ties au christianisme par les jésuites.
Un tableau de Vénus et de Cupidon
qu'il avait dans sa chambre ayant
été pris par elles pour une image
de la Vierge et de l'Enfant Jésus, elles
se mirent à genoux et firent des
prières. Les Anglais craignant de se
rendre le peuple contraire, en décla-
rant le schisme qui les sépare des
catholiques, laissèrent les dames
dans l'erreur, et continuèrent a pré-
senter ce tableau pour un sujet de
piété. Quand ils furent descendus à
terre, le roi leur donna un grand
festin et leur accorda un logement.
Après avoir fait un commerce assez
lucratif, Saris s'embarqua le 2 août
1613, pour Méaco, dans l'île de Ni-
phon, où il arriva sans accident. Il
demanda et obtint une audience de
l'empereur, qui tenait sa cour à Sa-
ronga et auquel il remit une lettre
du roi d'Angleterre ; puis il se rendit
à lédo, où résidait le fils du monarque
japonais, et fut aussi bien reçu par
ce jeune prince qu'il l'avait été par
son père. Peu de temps après, le ca-
pitaine anglais se disposant à partir,
l'empereur lui donna une lettre pour
le roi d'Angleterre, accompagnée de
riches présents, et de plus une com-
mission pour confirmer l'établisse-
ment de son commerce au Japon.
Les choses ainsi arrangées, Sarijs
retourna d'abord à Firando où, pen-
dant son absence, le principal fac-
teur Cocks avait eu la garde du
comptoir 5 il lui laissa de nouveau la.
gestion des affaires. Tranquille alors
sur l'état du commerce de sa nation,
charmé d'avoir contribué à sa pros-
périté en ouvrant la route du Japon,
il s'embarqua pour l'Europe et re-
vint dài"s sa patrie en I615. Sa rela-
tion a été insérée avec celles de Henri
et de David Middleion dans plusieurs
recueils de voyages. M— le.
SAR
121
SARliAN (Jean-Raimond- Pas-
cal) fut l'un de ces écrivains qui
servirent le gouvernement de la Res-
tauration, en quelque façon malgré
lui, et n>'en essuyèrent que des per-
sécutions et des injures, et qui, après
sa chute, furent en butte à toutes
les vengeances de ses ennemis. Né à
Montpellier vers 1780, fils d'un no-
taire de cette ville, il y fit de très-
bonnes études et se destinait à la
carrière du barreau, lorsque le gou-
vernement impérial fut renversé, en
1814.11 embrassa très chaudement la
cause de la Restauration, et fit jouer
dans la même année, ave^c M. Brunier,
unecomédie-vaudevilleintitulée : Le
premier avril, ou le Retour des Bour-
bons. S'étant ensuite rendu dans la
capitale, il y concourut à la rédac-
tion de plusieurs recueils et jour-
naux royalistes, entre autres, le
Conservateur, la Dominicale, la Bi-
bliothèque royaliste^ et enfin le
Drapeau- Blanc , avec Martainville
{voy. ce nom, LXXIII, 217). Il prit
beaucoup de part à la défense de
Canuel et des autres militaires que le
ministère avait destitués pour avoir
réprimé la révolte de Lyon [voy,
Sainneville, LXXX, 281), et fut
compromis avec ce général dans la
conspiration du bord de l'eau, si ri-
diculement imaginée par la police de
ce temps- là. Plus malheureux encore
après la révolution de 1830, Sarran
vécut presque dans le besoin ; néan-
moins, fidèle à ses convictions, il ne
voulut accepter aucune place du
nouveau gouvernement, et se mêla
d'une manière très-active à toutes
les entreprises du parti légitimiste.
11 fut alors chargé de diverses mis-
sions, soit auprès de la duchesse de
Berry, soit auprès de Ferdinand VII,
qui le décora de l'ordre de Char-
les IlL 11 eut aussi à cette époque
122
SAR
SAR
quelques d(*mêMs avec la justice, et,
compromis dans différentes affaires,
il subit plusieurs mois de prison.
Sur la fin de sa vie, il parut avoir
abandonné entièrement la politique,
et mourut à Paris en juin 1844 Ses
ouvrages imprimés sont : I. Le Pre-
mier avril, ou le Retour des ïhmr-
bons, comédie-vaudeville, Montpel-
lier, 1814, in-80. 11. Noticesur M. le
vicomte de Chateaubriand . pair
de France, Montpellier, 1817, in-«".
Ilï. Association constitutionnelle
pour la défense légale des intérêts
légitimes^ ou Mémoire pour servir à
L'histoire de la bascule ministériel-
le, etc., Paris, 1821, in-8*». IV. Delà
nécessité et de la légalité des de-
mandes en indemnités, à raison des
biens vendus par VÈtat, et de toutes
autres réclamations légitimes à
poursuivre par toutes voies et con-
tre qui de droit, au nom d'émigrés
ou autres Français dépossédés, Pa-
ris, 1821, in S''. V. Démenti formel
donné à MM. Manuel et Benjamin-
Constant, Paris, 1822, in-8°. VI. Ob-
servations sur la saisie du Régula-
teurt Paris, 1822, in-S". VII. Rela-
tion de la fête célébréepar une société
agamis de la légitimité., Sous la pré-
sidence de M. Sarran, le 15 octobre
1823, jour de la fête de S. A. R.
Madame, en réjouissance des vic-
toires de l'armée française et de
rheureuse délivrance des Bourbons
d'Espagne, Paris, 1823, in -8*'. Vîll.
Appel d'intérêt public au gouverne-
ment contre le ministère. Paris, 1824,
in-8o. IX. Le cri d'indignation con-
tre la censure, 1824, in-8". X. De
l'état actuel de la liberté de la presse,
Paris, 1824, in-8 . XL Des marchés
Ouvrard et de l'esprit politique et
financier de M. de ViUJle, Paris,
1824, in-S". XII. Du ministère Vil-
lèle et de ées œuvres, 1825, in-8".
XriL Défense de la liberté de la
presse contre les attaques de M de
Ronald: tH'H\, ii)-8o. XIV. Pétition
d'urgence à la Chambre des pairs^
sur l'inhabilité de la. Chambre des
députés actuelle et sur la nécessité
immédiate d'une Chambre nouvelle,
qui remplisse les conditions consti-
tutionnelles et légales, Paris, 1827,
iii 8°. XV. Le Mal et le Remède,
Paris, 1827,in-8°. XVI. De IHnsur-
riction et de la légitimité., appel à la
raison sur Vétat présent de la Fran-
ce^ Paris, 1832, iii-S". On attribue
à Sarrau la réfutation d'une partie
de VHermite en province, de Jouy,
réfutation publiée sous l'initialeS***,
1818, iu-8''. — Sarran, professeur et
(léu)onstrasteur de chirurgie à Mont-
pellier, de la même famille que le
précédent, a publié dans cette ville,
en 1789, des dissertations chirurgi-
cales, in-8<>. M— D j.
SARRASIN , en latin Sarrace-
nus ( JEAN-ANTomE), né à Lyon en
1548, était issu d'une ancienne fa-
mille établie en cette ville et qui a
produit plusieurs personnages dis-
tingués. Fils d'un médecin, il suivit
la fTîême carrière, prit le grade de
docteur à la faculté de Montpellier
en 1573, et mourut en 1602. Il avait
publié De Peste commentarius, Ge-
nève , 1571,in-8o; Lyon, 1572 et
1589, in-8o. On lui doit aussi une
édition esliuiée de Dioscorides, De
materia medica, avec le texte grec,
une version liiîine et des scholies,
dédiée à Henri IV, Francfort, 1598,
in-lol. — Philibert Sarrasin , fils
du précédent, professa la méde-
cine à Lyon, et il écrivit : l** De
laits lumbricis historia ; "l" Epis-
toia de notis l'apidis Bezoar ; De
vomitu admirando , etc. Ces opus'
cules ont été insérés dans les Ob-
servationum centuriœ de Fabrice* d'
SAR
SAR
12â
Hilden (voy. ce nom, XIV, 42). —
Louise Sarrasin, sœur de Jean-An-
toine , s'est rendue célèbre par ses
connaissances dans les langues an-
ciennes. Dès Vàs:e de huit ans, elle
savait, dit-on, l'hébreu, le grec et le
latin, que son père lui aVait appris.
Elle le suivit à Genève en 1551, où
elle épousa Larchevêque ; fut mariée
ensuite à Etienne Leduchat, înérfe-
cin, et enfin à Marc Offredi, médecin
de Crémone, qui, étant devenu aveu-
gle, se faisait lire par sa fensme les
médecins grecset latins. Louise mou-
rut dans un âge très-avancé — Jean
Sarrasin, de la même famille que
les précédents, syndic de la répu-
blique de Genève, éîait né dans cette
ville en 1576, et y mourut en 1032.
Il avait publié, par ordre du conseil :
ie Citadin de Genève en réponse au
Cavalier de Savoie , Paris , 1606 ,
in-S». C'est une réfutation de l'ou-
vrage de Marc-Anioine de Buttet
( voy. ce nom, VI, 397 ), rebtif aux
prétentions des ducs de Savoie sur
le pays de Gefiève. — Michel Sar-
rasin, né à JNuits, en Bourgogne, le
5 septembre 1659, exerça d'abord
la chirurgie^ puis des motifs de
piété le portèrent à entrer au sémi-
naire des Missions étrangères \ mais,
après un an d'épreuve, le supérieur,
qui avait reconnu son goût et ses
heureuses dispositions pour l'art de
guérir, lui conseilla de suivre la car-
rière médiCdle, et Sarrasin déféra à
cet avis. Ayant passé au Canada,
qui alors appartenait à la France, il
s'y maria et y exerça avec succès la
médecine et la chirurgie. Louis XiV
le nomma médecin du roi et membre
du consfeil souverain de Qiirbec.
C'est ià quHl mourut en 1736. Mal-
gré son éloignement , il avait tou-
jours conservé des relations avec les
savaDls de i'aris et de la France. On
a de lui : I. Histoire du castor, im-
primée dans VHist. de l'Acad. des
sciences y 1704, et insérée presque
entièrement dans le Traité des dro-
gues simples de Nie. Lémery, édit.
de 1733. H. Remarques sur une es-
pèce d'érable de l'Amérique septen-
trionale^ etc., dans VHist del'Acad.
des sciences, 1730. III. Histoire
d'un animal qu'on peut appeler Rat
d'Amérique, assez semblable à celui
que Raïus a décrit sous le nom de
Mus Alpinus , dans le Journal des
Savants de 1718. IV. Certificat sur
la découverte, dans le caveau de
l'hôpital près de Québec, des corps
entiers de trois religieuses enterrées
depuis plus de vingt ans et couverts
de chaux vive, dans \es Mémoires de
Trévoux^ aovit i728. V. Lettre sur
les eaux du cap de la Madeleine,
ibid. , mai 1736. Sarrasin a laissé
minuscritun traité sur la pleurésie,
P— RT.
SARRASIN ( Pierre ;, acteur, né
à Dij(m,se passionna dès sa jeunesse
pour le théâtre, et joua la comédie
avec applaudissement dans quel-
ques société.* particulières. Encou-
ragé par ces premiers succès, il vint
à Paris en 1729 5 et, quoiqu'il n'eût
encore paru sur aucun théâtre pu-
blic, il obtint la permission de dé-
bfiter à la Comédie française, par le
ïôle d'OEûf/pe, dans la iragédie de
Pierre Corneille. Sfirrasin y fut ac-
cueilli avec la plus grande faveur,
enleva tous les suffrages, et dès lors
fut admis au nombre des comédiens
ordinaires du roi. Après la mort de
Baron, auquel ri rtvait toujours été
très-attaché, il le ren>plaça dans les
rrdes de rois; il jouait aussi avec
beaucoup de sentiment ks rôles de
pères dans la haute comédie. Cet ac-
teur était fort goûté du public : il
avait du naturel, de la facilité, son
124
SAR
SAR
♦expression ëlait parfois vive et pa-
thétique, mais son jeu ne se soute-
nait pus. On rapporte qu'à une répé-
tition dé la tragédie de ^rufu«, Vol-
taire, qui avait ciiargé Sarrasin du
premier rôle, ne trouvant pas qu'il
rendît avec assez d'énergie ni avec
assez de noblesse l'invocation au
dieu Mars , l'apostropha brusque-
ment: «Songez donc, lui dit-il, que
• vous êtes Brutus, le plus ferme de
«tous les consuls de Rome, et ne
« parlez pas au dieu Mars comme si
« vous disiez : Ah! mon patron, fai-
« tes-moi gagner à la loterie un lot
• de cent francs. * Sarrasin obtint,
en 1756, une pension de mille francs,
qui fut portée à quinze cents, en
1759, lorsqu'il se retira du théâtre
pour cause d'une extinction de voix.
11 mourut en 1763. P— rt.
SARRAZm (le comte Gilbert
de), d'une famille noble d'Auvergne,
était né en 1731. Il entra fort jeune
dans le régiment de Noailles-Dra-
gons', devint colonel , se maria dans
le Vendômois et demanda sa retraite.
En 1789, il fut élu député de la no-
blesse de Vendôme aux États-géné-
raux, où il montra des vues sages
et un esprit conciliant. En 1791
il abandonna la scène politique ,
et émigra durant la Terreur. Ren-
tré plus tard en France , il resta
dans la vie privée jusqu'à la se-
conde Restauration. En septembre
1816, le roi le nomma président du
collège électoral de Loir-et-Cher. Il
mourut quelques années après dans
un âge fort avancé. — Son tils aîné,
M. Adrien de Sarrazin, né en 1773,
bien qu'ayant fait seséludesà l'école
militaire de Vendôme, puisa Brienne,
ne prit pas de service : il se voua à
la carrière des lettres et commença
à se faire connaître en 1802 par une
imitation des Quatre Printemps de
Kleisf , du Premier Navigateur et du
Tableau du déluge de Gessner, et
du Cimetière de campagne de Gray;
puisil publia unedéfense du poème de
la Pitié deDelille. Après la Restau-
ration, M. Decazes, son condisciple u
Vendôme, lui donna dans ses bu-
reaux une place qu'il conserva jus-
qu'en 1820. Depuis ce temps il vécut
dans la retraite. En 1826, il a pan;
un recueil de ses OEuvres , 6 voL
in-18. Z.
SARRAZIN (Jean), général frau>-
çais dont la carrière publique comme-
la vie privée ont mérité d'être flétries>
était né à Saint-Sylvestre (Lot-et~
Garonne), le 15 août 1770, d'un sim-
ple cultivateur, qui lui fit cependant
donner une assez bonne instruction
au collège de Cahors. En 1786, il
s'engagea dans le régiment de Co-
lonel-Général-Dragons ; mais l'an-
née suivante, renonçant à i'état
militaire, il alla s'établir à la Réoie»
où il donna des leçons; puis il de-
vint gouverneur du comte de Ver-
duzan. En 1790, il entra au collège
de Sorrèze, en qualité de professeur
de mathématiques. Cette mais«n ,
comme toutes les écoles militaires
de cette époque, était dirigée par des
religieux (les bénédictins), ce qui a
fait dire à tort qu'il avait été moine.
Il n'y resta que peu de temps, et de
1791 à 1792, il fut précepteur des
tils du prince de Béthune. C'était
alors l'époque des enrôlements vo-
lontaires, et il partit pour l'armée
du Nord. Il se trouvait à Châlons,
chargé d'instruire les aspirants à
l'école d'artillerie, lorsque les habi-
tants de cette ville, après la prise de
Verdun, formèrent un bataillon dont
ils l'élurent adjudant-major. Au com-
mencement de 1793, il commandait
à Metz une compagnie franche ,
quand il fut cassé par le général
SAR
Bouchard, pour avoir pria paft à un
inouvementséditieux.C'estdu moins
l'opinion du général Clarke, dans le
rapport dont nous aurons plus loin
occasion de parler j mais nous croyons
plus exact de dire que ce fut à la
suite de la mesure qui excluait les
oificiers nobles de l'armée que Sar-
razin se vit obligé d'abandonner son
grade ; il passait alors, maigre ses
dénégations, pour fils du comte de
Sarrazin, émigré. 11 reprit du service
comme simple soldat, et rejoignit
la compagnie des chasseurs de la
Gironde à l'armée de l'Ouest ; dans
.cette campagne contre les Vendéens,
il fut remarqué de Marceau, qui le
prit pour secrétaire et le fit officier de
son état-major, tandis que Kléber lui
confia la mise au net de ses notes sur
le siège de Mayence et la guerre de
la Vendée. En même temps, il com-
mença, sous la direction de ces deux
généraux, un ouvrage intitulé : In-
slructions pour les troupes en cam-
pagne.En avril 1794 ,il suivit Marceau
à l'armée du Nord, et assista à la ba-
taille de Fleurus. Cinq mois après, il
fut nommé adjoint de première classe
au corps du génie, et Jourdan le
chargea d'opérer la jonction de l'ar-
mée de Sambre-et-Meuse avec celle
de la Moselle, mission dont il s'ac-
quitta à la satisfaction du général en
chef. A l'attaque de Coblentz, il en-
leva les redoutes du pont de la Mo-
selle, et reçut pour cette action le
grade de chef de bataillon \ puis au
siège de Maestricht celui de chef de
brigade. Il servit ensuite à la gauche
de l'armée de Sambre-et-Meuse, sous
Kléber, qui le désigna pour préparer
le premier passage du Rhin, à Ordin-
gen,prèsdeDusseldorf, en septembre
1795. L'année suivante, il remplit au-
près de Bernadotte les fonctions de
chef d'état-major, dans la campagne
SAR
125
d'Allemagne; puis, en 1797, il l'ac-
compagna à l'armée d'Italie. Après
les préliminaires de Leoben, il fut
nommé gouverneur d'Udine. Comme
Bernadotte, il refusa de s'associer à
Bonaparte dans l'expédition d'E-
gypte ; on l'envoya alors à Rochefort,
avec un commandement dans la divi-
sion Humbert, qui fut appelée à faire
partie du corps expéditionnaire
d'Irlande. Cette troupe , composée,
comme on sait, du rebut des armées
républicaines, débuta par des pro-
diges de valeur. Après avoir débarqué
en Irlande, elle y remporta d'abord
plusieurs victoires, et Sarrazin se
distingua particulièrement à la prise
de Killala (août 1798) et à l'affaire de
Castlebar, ce qui lui valut du général
Humbert le grade de général de bri-
gade, et immédiatement celui de gé-
néral de division. Bientôt cette petite
armée se vit forcée de mettre bas les
armes, mais Sarrazin resta un mois
à peine prisonnier, et il fut échangé
comme général de division. Néan-
moins, le gouvernement directorial
ne se montra pas du tout disposé à
ratifier son avancement si rapide, et
il l'envoya à l'armée d'Italie. Joubert
le chargea de conduire un corps à
l'armée de Rome, avec laquelle il fit,
sous Champiouuet, la campagne de
Naples, en 1799. 11 mérita d'être mis
à l'ordre du jour pour avoir défait
une bande de Napolitains insurgés;
il combattit ensuite à la Trébia, y fut
blessé et nommé général de brigade
sur le champ de bataille. Rappelé
alors, on le désigna pour l'armée de
Suisse; mais, à son passage à Paris,
il trouva Bernadotte au département
de la guerre : c'était son ami, son
ancien général. Devenu ministre, il
lui confia le bureau du mouvement des
troupes, puis celui des nominations.
Sarrazin révèle ici dans ses notes un
m
SÂR
tait curieux : il dit qu'à cette époque
les Jacobins voulaient culbuter le
Directoire pour élever au pouvoir
Jourtlan, Augereau et Bernadotte, et
que le ministère de la guerre lui
était desliné. Initié à ces projets par
Bernadotle , il ajoute qu'il crut de
son devoir de tout dénoncer , et il
juformadu complot Barras et Sieyès.
Certes, ce plan existait ; mais nous
croyons que Sarrazin s'y place sur
une trop grande échelle; toujours
est-il qu'il ne joua pas un beau
rôle en s'en faisant le dénonciateur,
surtout lorsqu'il en tenait les détails
de l'amitié et de la confiance d'un
des premiers intéressés à sa réus-
site. On lui offrit en récompense
l'ambassade de Hollande, qti'il refu-
sa. Bonaparte étant revenu d'Egypte,
Sarrazin se rapprocha de lui, et sans
participer au 18 brumaire d'une ma-
nière aussi active qu'il a bien voulu
le faire croire, il n'y fit aucune op-
position ; on le vit même travailler
à opérer un rapprochement entre
Bonaparte, devenu premier consul,
et Bernadotle, avec qui il resta tou-
jours lié, soit que le i^énéral feignît
de ne point avoir eu connaissance de
ses révélations passées, soit qu'il les
ignorât réellement. Il fut donc l'in-
termédiaire entre le consul et Ber-
nadotte, qui accepta la présidence
de la section de la guerre au conseil
d'État, puis le commandement de
l'armée des Côtes. Ceci dut étonner
les fiers républicains : Bernadotle ne
b'élait-il pas montré l'adversaire le
plus hardi de Bonaparte, au point
de se poser comme son rival (l) la
veille et le jour même de son triom-
SAR
phe kSaint-Cloud ? Aussi cette récon-
cilialion fut loin d'être sincère : les
événements ultérieurs en fournirent
assez la preuve. Il en fut de même
avec le général Moreau, à qui Bo-
naparte confia l'armée du Rhin -, Sar-
razin y servit un instant; mais en
avril 1800, Bernadotle lui donna le
commandement de dix mille grena-
diers réunis au camp d'Amiens. Il
les mena à l'armée d'Italie, où une
rivalité s'établit entre lui et Murât,
ce qui le détermina à demander son
retour en France, où il fut mis à la
réforme. Cependant le rapport du
général Clarke, déjà cité, dit for-
mellement qu'il fut rappelé, et de
plus rayé du tableau de l'état-major-
général, par suite de dénonciations
calomnieuses dont il était l'auteur.
Cette imputation n'est pas prouvée,
mais son caracière turbulent et tra-
cassiersuffirait pour la faire adopter.
Alors il s'occupa exclusivement d'é-
tudier les auteurs qui ont écrit sur
l'art de la guerre, et publia beaucoup
d'articles dans le Guide du jeune mi-
litaire. Il sollicita ensuite d'être em-
ployé en Amérique ou dans les Indes
orientales, puis demanda la permis-
sion d'entrer au service de la répu-
blique batave. Elle lui fut accordée,
mais resta sans etfel, parce que, en
1802, on le rétablit dans son grade de
général de brigade. La cause en est
sans doute qu'il eut le bon esprit de
se rallier au pouvoir consulaire que
dans son mécontentement il avait
considéré comme usurpateur, et de
saisir plusieurs occasions de mani-
fester ses sympathies pour iegouver-
(î) Nous ptiunious douuer ici de curieux
reuseigueraeuts sur toute cette partie de la
vie de Bernadotle; nous renvoyons aux
cUapitie» 19, ^o et ut du tome l*' de VEu~
rope pen'iant. le consulat et Vempire de NapO'
lèon^ par M. Capefigue. Ou y trouvera le
récit de sa conduite et de piquantes con-
versations d'après des notes coinuiuniquces
0t dont l'authenticité est incontestable.
SAR
Dément de Bonaparte : après avoir si-
gne une adresse au premier consul à
Ja conclusion de la p^ix, il vota pour
son pouvoir à vie. On le réemploya
donc, et il alla servira Saint-Domin-
gue, où il ne resta qu'une année, le
ge'néral Rochambeau, successeur de
Lpclerc, lui ayant accordé la faveur de
retourner en France, pour motif de
santé. A son retour, il se montra très-
partisan de l'empire, et (it même pa-
raître un petit écrit sur ce sujet.
Employé sous Augereau au camp de
Brest, il adressa un mémoire à
l'empereur , daté du 23 frimaire
an XIII (14 déc. ISOi), dans lequel
il se faisait l'accusateur des généraux
,e.t des administrriteurs de l'armée.
Cette dénonciation étant venue à se
répandre, il attira sur sa tête le mé-
pris de tous; néannw^ins, il fit avec
ce corps la campagne d'Allemagne,
en 1805 et 1806. Des discussions fort
vives qu'il eut avec le général Heu-
delet, dans la division duquel il ser-
vait, motivèrent son changement;
mais là n'était pas !a seule cause de
cette sorte de disgrâce : en envoyant
au roi de Prusse un exemplaire de
sa brochure sur le couronnement
de Napoléon, il lui avait écrit que le
gouvernement français n'attendait
qu'un prétexte pour lui déclarer la
guerre et pour envahir ses États.
L'empereur, instruit de cette démar-
che plus que répréhensible, lui fit
donner l'ordre de se rendre â Mayen-
ce, d'où le général Keilermanu l'en-
voya à Gand, prendre le oomfuande-
ment du département de l'Escaut ,
sous le général Chambharlac 5 l'an-
née suivante, il passa à celui de
la Lys, après avoir servi un instant
dans la 16^ division militaire ( Lille )
que commandait le général Vau-
damme. Son opposition aux mesures
administratives du préfet de la Lys,
SAR
127
M. de Çhauvelin, le fit reléguer dans
l'ile de Cadzand. Cette position , à
l'embouchure de l'Escaut, était pour-
tant bien importante ; Sarrazin y
continua les intelligences secrètes
que, de son aveu, il entretenait de-
puis quelque temps avec les Anglais;
l'impulsion de Fouché et de Berna-
dotie ne resta point étrangère à ces
coupables négocialion>j,car en ce mo-
ment déjà ils travaillaient à la chute
de Nftp léon, et l'expédition de Wal-
cheren se lia plus qu'on ne pense à
toutes les menées du parti anti-im-
périaliste.Ce fut quelques mois avant
le débarquement des Anglais à Fies-
singne,que Sarrazin reçut l'ordre de
se- rendre au camp deBoulogne^l'em-
f ereur. en agissant ainsi, était-il in-
struit de ses relations avec l'ennemi?
Jl n'est pas douteux qu'il en avait au
moins le soupçon. Sarrazin fut vive-
ment contrarié de ce déplacement,
ainsi qu'il résulte de la lettre qu'il
écrivit plus tard à JNapoléon. Cette
mesure dérangeait son projet de pas-
ser eu Angleterre, comme lui-même
l'avoue dans le mémoire qu'il adressa
au gouvernement britannique en
1811. Il se rendit donc à Boulogne,
tout en conservant la falaie résolu-
tion qu'il avait prise, et, le 10 juin
1810, il l'accomplit sans hésiter.
Embarqué sur un bateau pêcheur, il
le contraignit par la force d'aborder
un brick ennemi, en se disant parle-
mentaire. Il est certain que les An-
glais l'attendaient. On a voulu que
cette désertion se rattachât au parti
royaliste, assertion qu'il n'est pas be-
soin de réfuter. Un mois après son
arrivée à Londres, Sarrazin écrivit à
l'empereur une lettre dans laquelle
il disait : « A l'île de Cadzand j'ai
commencé à vous haïr. Tout ce que
j'ai fait a été par attachement pour
les trouues. J'ai placé l'hôpital dans
128
SAK
une maison vi<le ; on s'en est plaint,
et, d'après cette seule raison, vous
m'avez envoyé, le 11 février 1809, au
camp (le Boulogne, où je suis resté
pendant quinze mois. Vous aviez des
raisons secrètes, je les ai lues dans
vos yeux à votre revue du 25 mai.
Touché n'a pas voulu me faire arrê-
ter, et vous l'avez remplacé par Sa-
vary, homine aussi prompt qu'adroit
à exécuter tous vos ordres. Si j'étais
resté encore vingt-quatre heures à
Boulogne, convenez que je serais
dans un cachot de Vincennes ou dans
les fossés de ce château!... » Ceci
était peut-être vrai; toutefois, Sar-
razin commit une action déshono-
rante. Du reste, il n'en tira pas tout
le parti qu'il avait espéré*, bientôt
on le vit, chose honteuse ! intenter
un procès aux ministres anglais pour
obtenir le prix de sa trahison. Il
avait demandé 60,000 livres sterling
(1,500,000 fr.); on ne voulait lui en
accorder que 25,000 et une pension
de 1,500 liv. ; il exigea que ïe capital
fût calculé de manière à lui compléter
une somme annuelle de 2,500 liv. st.
(62,500 fr.), formant les appointe-
ments de lieutenant-général, grade
que le gouvernement anglais, disait-
il, lui avait reconnu (2). L'affaire en
resta là : on se contenta de lui don-
ner quelques sommes d'argent. Pen-
tlant ce temps , traduit devant un
conseil de guerre, à Lille, il fut con-
(2) Dans son Mémoire au gouvernement art"
glais, Sarraziu demandait un traitement an-
nuel de 3,000 liv. sterl,, 5o,ooo liv. «omp-
taut, et 10,000 pour son usage immédiat;
en outre le grade de lieutenant-général. On
trouve dans son Histoire de la guerre de la
Restauration , une préface, sorte de no-
tice historique sur lui-même, où il n'est pas
entièrement d'accord avec les faits qu'il a
avancés dans son Mémoire. On doit remar-
quer que cet écrit e»t de i8ri et l'autre de
j8[6.
SAR
damné parconlumace, lel5 novend>re
1810, à la peine de mort, comme cou-
pable de désertion k l'ennemi. On lit
dans le Moniteur de cette époque de
violentes diatribes contre lui. C'est
à l'occasion de sa défection, que le
ministre de la guerre, Clarke, pré-
senta, le 30 juin 1810, un rapport,
dans lequel l'ex-général Sarrazin fut
traité fort durement. Le ton de par-
tialité qui y règne à chaque ligne ne
permet pas d'en considérer tous les
faits comme la vérité absolue. De-
puis cette époque on ne sait pas trop
ce qu'il devint; en 1812, il alla en
Suède pour tenter de se rapprocher
de Bernadotte, mais le prince royal
ne voulut pas même le recevoir, et il
reçut l'ordre de repartir immédiate-
ment pour l'Angleterre. Il y fut de
retour le 1*^' février 1813 et s'occupa
spécialement de littérature; il publia
alors dans le Times une série de phi-
lippiques contre Napoléon, puis il pa-
rut un moment en Espagne, à la suite
des armées anglaises. A la Restaura-
tion, il rentra en France, fut rétabli
dans son grade, celui de maréchal-
de-camp, et eut même l'honneur de
présenter au roi son Histoire de
la guerre d'Espagne. Le 12 février
1815 une ordonnance royale le dé-
clara libéré de toute accusation de
désertion. Après le 20 mars, n'ayant
point quitté Paris, il poussa l'audace
jusqu'à se présenter à l'audience
de Napoléon, et à lui écrire même
une longue lettre dans laquelle,
d'après le Mémorial de Sainte-
Hélène, il pactisait avec lui et lui
offrait ses services. Un mandat
d'amener fut la réponse de l'empe-
reur; on l'écroua à l'Abbaye où il
resta jusqu'au 6 juillet, sans doute
oublié, selon les expressions du Mé-
morial. A la seconde Restam-ation,
il reçut l'ordre de <;e retirer à Saint-
SAR
Sylvestre, sou pays natal, avec le
traitement de non-activité de inart^-
chal-de-canip ; mais une ordonnance
royale du 15 janvier 1817 vint le pri-
ver de son grade et de sa pension, et
les motifs de cette détermination
sont restés ignores. II écrivit au gou-
vernement pour réclamer, en s'ap-
puyant sur le service qu'il avait
rendu en livrant les plans de campa-
gne à l'Angleterre, qui même avait
refusé de les lui payer. A ce moment
il épousa la fille d'un propriétaire du
département de Lot-et-Garonne, et
cette union amena bientôt contre
lui une accusation de trigamie.
Venu à Paris pour continuer ses ré-
clamations, il y fut arrêté le 8 oc-
tobre 1818 • l'instruction de son pro-
cès établit qu'il avait déjà épousé
deux femmes, la premièreà Livourne,
t n 1799, et la seconde à Londres, en
1813, en abjurant la religion catholi-
que. Détenu à la Force, il pétitionna
de tous côiés pour obtenir sa liberté^
mais la Chambre des pairs et celle
des députés ne fiient aucune at-
tention à ses demandes ; la justice
<lut avoir son cours, et il fut con-
damné à dix ans de travaux forcés et
au carcan, par arrêt de la cour d'as-
sises du 23 juillet 1819. Il subit l'ex-
position, et fut dégradé solennelle-
ment. 11 adressa encore de nouvelles
pétitions aux chambres ; ces protes-
tations n'aboutirent alors à rien;
seulement, le 21 juin 1822, il sortit
de Bicêtre pour aller habiter une
maison de santé; puis Louis XVIII
le gracia par ordonnance du 11 sept,
suivant; peu de temps après, les jour-
naux annoncèrent qu'il s'était em-
barqué à Anvers pour Lisbonne, où
il espérait, en passant par Tanger,
aller offrir ses services au Grand-
Seigneur; mais le gouvernement
portugais le fit arrêter et embar-
LXXXI.
SAR
12^
quer pour Londres, où il arriva ie 5
avril 1823. Le gouvernement anglais
prit pitié de son dénuement, et il
lui accorda une pension de 400 liv.
sterl. Bernadotte vint aussi à son
aide en lui assurant un secours an-
nuel de 100 louis. Après douze ans
de séjour en Angleterre, il se mit à
voyager ; visita successivement Rot-
terdam, La Haye, Hambourg, Berlin
et Constantinople. En Autriche, il
éprouva quelques difficultés, n'ayant
pas de passe-port français; il retou rna
alors à Hambourg, d'où il se rendit
à Bruxelles. C'est de là qu'il adressa
au roi Louis-Philippe, en 1837, une
lettre qu'il a fait imprimer, où il ren-
dait un compte détaillé de sa déser-
tion de Boulogne. Nous croyons que
tous les faits qu'il avance sont loin
d'être l'exacte vérité. Il écrivit aussi
aux chambres, au maréchal Ciausel,
mais toutes ses démarches restèrent
vaines, et il ne put rentrer en France.
Nous ignorons la date précise de sa
mort, qui eut lieu vers 1840. C'était
un homme d'un caractère vif et ré-
solu, avec un esprit taquin et ma-
laisé ; pourvu des moyens de par-
venir à une haute position, il ne
sut pas s'en rendre digne. Ses ouvra-
ges dénotent même un certain talent
littéraire. En voici la liste : I. Le onze
frimaire^ ou Discours analytique
de la vie, des exploits mémorables
et des droits de Napoléon à la cou-
ronne impériale, prononcé le il fri-
maire à Saint- Pot de Léon, suivi
d'un précis historique des fêtes du
sacre et du couronnement de Napo-
léon /", Paris, 1805, in-8". II. Lettre
à Bonaparte, Londres, 1810, in 8».
III. Réflexions sur le Moniteur ,
Londres, 1810, in-8o. IV. Répliquée
la narration faite par le général
Clarke au général Bonaparte, Lon-
dres, 1810, in-8** (publiée aussi en an-
9
|3U SAU
gl;ns). V. Le Philosophe, ou Notes
historiques et critiques, Londres,
1811,2 vol. in -80. \[. Confessions de
Bonaparte à V abbé Maury, Londres,
1811, in-8" (écrit anonyme et publié
en même temps en anglais). VIL Mé-
moire au gouvernement anglais,
Londres, 1811, in-8''. VIIL Histoire
de la guerre d^ Espagne et de Portu-
gal, de 1807 à 1814, ornée de la
carte d'Espagne et de Portugal, où
sont tracées les marches des armées
française, anglaise et espagnole^
dressée par Lapie, Paris, 1814, in-8®.
IX. Défense des Bourbons de Naples
contre les panégyristes de Vusurpa-
teur Muratf ou Avis au Congrès de
Vienne, Paris, 1815, in-8". X. Cor-
respondance entre le général Jo-
mini et le général Sarrazin, sur la
campagne de 1813, Paris, 1815, in-8".
XL Histoire de la guerre de Russie
et d^ Allemagne, depuis le passage
du Niémen, juin 1S12, jusqu'au pas-
sage du Rhin, Ȕou.1813, Paris, 1815,
in-8<*. XIL Histoire de la guerre de
la Restauration, depuis le passage
de la Bidassoa par les alliés, oct.
1813, jusqu'à la loi d'amnistie du
12 janvier 1816, avec une carte du
théâtre de la guerre^ oii sont tracées
les principales marches des belligé-
rants, Paris, 1816, in-8°. XllI. Ta-
bleau de la Grande-Bretagne, ou
Observations sur l'Angleterre, vue
à Londres et dans les provinces., de
M. le maréchal- de-camp Pillety avec
un supplément, Paris, 1816, in-8°.
Xl^, Mémoire au ministre de la
guerre, Paris, 1816. XV. Examen
analytique et critique d'une Relation
de la bataille de Waterloo, dédiée à
sa grâce lord Wellington, par le gé-
néral 5co(f, Irad. de l'anglais, Paris,
1816. XVI. iMTéwoire au Roi, Paris,
1816. XVII. Mémoire du général
Sarrazin, détenu à la Conciergerie
SAK
Qomme prévenu de bigamie, Pans,
1819, in-8". XVlli. Deuxième mé-
moire, ou Réfutation de l'arrêt de
la Cour de cassation du 18 février
1819, Paris, 1819. XIX. Supplément,
ibid. XX. Mémoire au Roi, 1819,
in 8°. C— H—N.
SARRI (Gaétan), publiciste ita-
lien , né en 1722, à Palerme, étudia
d'abord au collège desjésuites de cette
ville, puis alla fane son droit à Ca-
tane, où il fut reçu docteur en 1740.
Etant entré dans la carrière de la
magistrature, il fut nommé, en 1756,
juge àla Cour prétorienne. En 1763,
année de pénurie, il fut envoyé par
le gouvernement dans la vallée de
Mezzara, afin de recueillir du grain
dont la capitale commençait à man-
quer, et il s'acquitta de sa mission
avec tant de succès, qu'à son retour
on le nomma juge au consistoire, et
presque en même temps professeur
de philosophie morale. Après l'ex-
pulsion des jésuites, on lui confia la
direction générale des études, et
enfin il devint, en 1778, membre de
la grande Cour. Il mourut à Paler-
me le 13 juin 1797. On a de lui:
I. De veteribus moralium philoso-
phorumsectis ad officiorum systema
respondentibus dissertatio proluso-
riacommodataauditoribusmethodo
adornata, Palerme, 1770, in-folio.
IL Droit public de Sicile. L'auteur
avait lu plusieurs fragments de cet
important ouvrage aux académies
del Prato ameno et del Buon gus-
fo, et les cinq premiers chapitres
furent d'abord insérés dans les
Opuscules d'auteurs italiens ( tomes
III-VI), sous ce titre; Le droit de
succession royale au royaume de
Sicile, ils forment le premier des
deux volumes du Gius publico sicu-
io, publiés à Palerme en 1786, in 4",
avec des notes du fils de l'auteur.
SAR
Le r;nanuscrit du troisième volume
était prêt et avait ùéjh obtenu le visa
de la censure, lorsque la mort de
Sarri vint en suspendre l'iirs pres-
sion, et nous ne pensons pas qu'elle
ail été reprise depuis. Cet ouvrage
est en général bien écrit, et, malgré
quelques idées erronées, il jouit en-
core d'une certaine réputation dans
le royaume des Deux-Siciles. A— -y.
SARRUT (Thomas Jacques), gé-
néral français, était né à Saverdun
(Arriège), le 16 août 1764. Destiné à
Tétat ecclésiastique, il fit d'excel-
lentes études au collège dePamiers;
mais, après les avoir terminées, une
véritable vocation l'entraîna vers la
carrière des armes, et à dix-huit ans
il s'engagea comme simple soldat.
Sous-officier lorsque la révolution
éclata, il en adopta les principes
avec plus de modération que la plu-
part de ses camarades. En janvier
1792, il fui nommé capitaine et ser-
vit à l'armée du Nord en qualité
d'adjoint aux adjudants généraux ,
puis de chef de brigade. Il faisait
partie de l'armée du Rhin, sous Mo-
reau, lorsqu'il reçut, en 1800, le
grade de général de brigade. Eu
1803, il fut envoyé à l'armée de Brest,
etchargé ensuite de surveiller la con
struction d'un fort, situé sur la pointe
la plus avancée de la baie de Ber-
laume et de celle de Camaret, dans
la presqu'îje de Toulinguel. Napo-
léon fut si satisfait de son zèle, qu'en
lui donnant le coujmandement de ce
fort, armé de 36 bouches à feu, de
11 mortiers, et destiné à protéger
l'escadre française, il décréta qu'il
porterait le nom de Fort Sarrut. Il
fit la campagne de 1805, et eu 1807,
il passa a l'armée d'Espagne. L'année
suivante, il fut créé général de divi-
sion, en récompense d'une action
éclatante. Le maréchal Soult lui avait
SAR
131
donné l'ordre de côtoyer les bords
de la mer vers les frontières des As-
turies, avec une colonne de 900 hom-
mes ; il rencontra un corps de 6,000
Espagnols établi sur les hauteurs de
San-Vincente de la Barquiera , qui
voulait lui barrer ie passage. Après
un combat acharné, il chassa Fen^
nemi de sa position et lui fit 2,000
prisonniers. 11 continua de servir en
Espagne, déployant autant d'activité
que de courage. Le 20 juin 1813,
jour de la bataille de Vitoria, il était
à la tête de sa division, couvrant la
roule de Bilbao, lorsqu'il fut attaqué
par le général Thomas Graham. Blessé
au milieu du combat, il fut relevé du
champ de bataille par les Anglais,
qui lui donnèrent les soins les plus
empressés, mais sept jours après il
expira. Le général ennemi fit rendre
les honneurs militaires à sa dépouille
mortelle. Sarrut était baron et com-
mandant de la Légion-d'Honneur.
C— H— N.
SARTELON (le chevalier An-
toine-Léger), intendant militaire,
était né à Tulle le 16 octobre 1770.
Il entra fort jeune dans Tadminis-
tration militaire, et fut employé en
qualité de commissaire des guerres
dans la campagne d'Egypte, où il
devint ordonnateur. Après son retour
en France, Bonaparte, qui avait eu
l'occasion d'apprécier ses capacités
administratives, lui confia la place de
secréiaire-général de la guerre. 11 la
quitta eu 1812, pour remplir les
fonctions de commissaire-ordonna-
teur de la Grande-Armée, et c'est avec
ce titre qu'il fit les dernières cam-
pagnes de l'empire. Au commence-
ment de 1814, il fut élu membre du
corps législatif par le département de
la Corrèze ; mais son service actif
l'empêchant d'y siéger, il n'y prit
.séance qu'après le retour des Bour-
i3i>
SAR
SAK
bons, pour lesquels il manifesta toutes
ses sympathies. Bien que s'étant
montré très-opposé au rétablissement
(lu gouvernement impérial,Nap(>léon,
dans la réorganisation de l'armée, le
désigna pour remplir l'emploi élevé
qu'il y avait occupé précédemment.
Sans refuser d'une manière absolue,
il mit de la lenteur à se rendre à son
poste,et les événements lui en épar-
gnèrent la peine. Aussi, à la seconde
Restauration, il fut récompensé de
ce zèle, du reste plus de circon-
stance que d'enthousiasme. On le
nomma commissaire-ordonnateur en
chet de la maison du roi et chevalier
de Saint-Louis. Le collège électoral
de Tulle, dont il était président, le
renvoya à la chambre, et dans la
session de 1815 il vota avec la mino-
ritépl y proposa que les employés du
gouvernement ne pussent pas être
députés. Élu de nouveau après l'or-
donnance du 5 septembre 1816, il
pritla défense du projet de loi sur les
finances, en insistant toutefoissur les
économies ; puis il parla sur le budget
du ministère de laguerre, en deman-
dant qu'on le réduisît de huit mil-
lions. Dans la discussion sur la loi
des élections , il voulut que l'âge
pour être éligible fût fixé à trente
ans,et que la chambre fût renouvelée
intégralement tous les cinq ans. Cette
même année il porta la parole comme
organe du ministère public dans le
procès de l'amiral Linois et du général
Boyer, accusés d'avoir fait arborer à
la Guadeloupe le drapeau tricolore.
Dans la session de 1817, il soutint
les dispositions principales de la loi
sur la liberté de la presse, telles
qu'elles avaient été amendées par la
commission: il en proposai'adoption,
mais avec le jugement par le jury, et
demanda que la loi lût temporaire, et
qu'elle expirât en 1820. Il se monira
aussi favorable à la loi sur le r^rrii-
tement,eii»s'opposant à l'ameudemeiit
proposé par M. de Villèle, que les
aînés de famille fussent exemptés du
service. Faisantallusion à un discours
prononcé par M.CIauselde Cousser-
gues, qui avait cité des preuves reli-
gieuses à l'appui de son opinion, il dit
que d;ins une pareille discussion il
ne fallait pas aller chercher les pa-
triarchesetlareligion. Des murmures
accueillirent ces paroles, et un sifflet
aigu, parti des tribunes, se fit même
entendre. En 1818, Sartelon ne fut
point réélu ; il venait d'être compris
dans l'organisation du corps des in-
tendants ; on l'employa alors dans la
2e division militaire, à Châlons-sur-
Marne, et c'est dans cette ville qu'il
mourut le 2 novembre 1825. 11 a pu-
blié: Lettre de M. Sartelon, ancien
député^ à MM, les électeurs de la
Corrèze, Paris, l8i8,in-8o. C— h— n.
SARTIGES (Bertrand de), né
vers 1260, au château de son nom
près de Mauriac en Auvergne, partit
fort jeune pour la Terre-Sainte, et
fut reçu chevalier du Temple à Tor-
tose, en 1279, par Adhémar de
Peyrusse, qui en avait la mission de
Beaujeu, grand-maîlre. Plus lard, il
se distingua dans les guerres contre
les infidèles, et fut pourvu de la ri-
che commanderie de Cariât eu Au-
vergne, qui était en outre une place
très-forte. Lors du procès de son
ordre sous Philippe-le-Bel , il fut
arrêté avec soixante Templiers de
sa province-, interrogé par Aubert
Aysselin , évêque de Clermont , il
soutint l'innocence de l'ordre, qua-
lifia de faux et controuvés tous les
faits de l'accusation , et figura à
la lête de ces braves chevaliers dont
le courage ne put être ébranlé par
la crainte des tortures et des flam-
mes. Conriuit à Paris, il fut élu par
SAR
les Templiers, réunis le 28 mars
1310, Tun des quatre principaux
députés pour représenter et défen-
dre l'ordre devant la commission
nommée parle pape Clément V, as-
sista en cette qualité à toutes les
séances de cette commission, et ne
se désista de la défense qu'après
avoir été abandonné de la plupart
de ses confrères, et avoir perdu tout
espoir de faire triompher leur cause.
Il protesta contre toutes les procé-
dures dirigées contre l'ordre. Aucune
charge ne pesant sur lui personnel-
lement , il ne put être condamné.
On croit qu'il passa en Allemagne,
où il fut reçu dans l'ordre Teutoni-
que, et où il termina sa carrière. Son
portrait en pied et en costume de
Templier armé, se voit encore chez
le vicomte de Sartiges, au château
de la Prugne, près de Clermont.
Z.
SARTIGES ( Charles-Gabriel-
Eugène, vicomte de), de la même
famille que le précédent, naquit au
château de Sourniac, le 26 décembre
1772; il entra fort jeune à l'école
militaire d'Effiat, d'où il sortit en
septeud)re 1786. Reçu élève de la
marine en 1787, il s'embarqua sur
la gabare la Bayonnaise , com-
mandée par le comte de Capellis;
puis, sur le vaisseau VAchille, et
enfin sur la frégate la Méduse, suc-
cessivement commandée par le che-
valier de Tanouarn et le comte de
Rosily, alors capitaine de vaisseau.
Il fit sur cette dernière les campa-
gnes d'observation sur les côtes
Malitbar et Coromandel, Philippines,
Chine, Cochinchine, etc. Celle-ci
désastreuse sous plusieurs rapports,
le fut surtout par une épidémie ter-
rible. Elle avait pour but le rétablis-
sement du roi de laCochinchine, qui
avait été détrôné ( voy, Pigneau de
SAR
133
Behainey XXXIV, 430 ). De retour en
France le 9 octobre 1791, Sartiges
n'y séjourna que jusqu'au 30 du
même mois, où il se rembarqua
sur la frégate la Fidèle, sous les
ordres de Rosily , avec lequel il
fit, en qualité d'enseigne, une nou-
velle campagne des Indes- Orien-
tales. Il se trouvait à Pondichéry, le
10 juin 1793 , lorsqu'il reçut du
gouverneur-général l'ordre de pren-
dre le commandement des matelots
et canonniers débarqués, destinés à
être employés pendant le siège dont
cette ville était menacée. Le 15 juin
la place fut effectivement investie
par 30,000 Anglais, et ne se rendit
que le 23 août. Trois jours aupara-
vant, le gouverneur, satisfait de la
conduite de Sartiges, l'avait breveté
capitaine. Prisonnier de guerre de-
puis cette époque, il fut détenu dans
plusieurs forts, jusqu'en 1801 ; alors
il fui embarqué sur le vaisseau anglais
leKent^ et conduit à l'Ile-de-France,
où il resta jusqu'en 1803. Revenu en
France sur la corvette VEugénie, il
se démit du service de la marine pour
être sous-préfet de Gannat (25 mars
1807). Le 16 juin 1814, Louis XVIII
le nomma à la préfecture de la
Haute-Loire, ensuite chevalier de
Saint-Louis, puis capitaine de vais-
seau honoraire. La nouvelle du dé-
barquement de Bonaparte, au mois
de mars 1815, le surprit au milieu des
préparatifs qu'il faisait pour recevoir
le duc d'Angoulême, qui visitait alors
les départements méridionaux. Dans
des circonstances aussi graves, Sar-
tiges ne perdit pas un instant pour
que son déparlement restât sous
l'obéissance du roi. H parvint à réu-
nir 2,500 volontaires bien orga-
nisés et armés, qui campèrent aux
limites du département, sur la route
de Lyon, ei; résistèrent aux pro-
1S4
SAR
SAR
nx'sses coiuiiie aux menaces de,
Napoléon jusqu'à ce qu'on eût appris
le départ (le Louis XVIII de sa capi-
tale. Alors Sartiges se retira à
Clermont, où il fut mis en surveil-
lance. Renvoyé à son poste au
second retour du roi, il reprit ses
fonctions au Puy 1^ 14 juillet 1815.
En cette occasion, il reçut de la part
des habitants des démonstrations
non équivoques de leur attachement.
Quelques mois plus tard, le départe-
ment de la Haute-Loire dut à la
prudence et à la fermeté de son
prenjjer magistrat de n'être pas
imposé à une somme énorme qu'exi-
geait le commandant des troupes
autrichiennes. En 1816 et 1817» la
franchise de son caractère ne lui
permit pas de dissimuler qu'il ne
partageait point l'opinion du mi-
nistère; il fit même des tenta-
tives pour faire nommer député
M. de Polignac. Dès ce moment, il
fut aisé de prévoir le sort qui l'atten-
dait. Le système de M. Decazes
ayant prévalu, Sartiges fut écarté de
ses fonctions le 2 juillet 1817. Les
adieux qu'il adressa aux habitants de
la Haute-Loire en les quittant, expri-
ment noblement le regret qu'il
éprouvait de ne pouvoir achever ce
qu'il avait commencé ou médité
pour leur prospérité. Cette pièce
respii-ait en outre le plus entier dé-
vouement aux Bourbons. Le conseil-
général, les conseils d'arrondisse-
ment et municipaux lui répondirent
par des délibérations en termes fort
honorables, et M. de Chateaubriand
le rangea parmi les préfets disgraciés
qui avaient rendu d'importants ser-
vices à la cause royale. Rentré dans
la vie privée il jouissait en paix de sa
retraite, lorsqu'ïine maladie grave le
força de quitter son château de la
Prugne, pour se rendre aux bains
de Balaruc ; mais il ne put aller que
jusqu'à Lyon, où il expira le 9 juillet
1827, à l'âge de 55 ans, après avoir
rempli tous ses devoirs de religion.
Z.
SARTORIUS. Voy. Snyders,
XLII, 505.
SARZANA (le), peintre, prit ce
nom sous lequel il est plus particu-
lièrement connu, delà ville où il na-
quit en 1589. Son véritable nom était
Dominique Fiasella. La vpe d'un
admirable tableau d'André del Sarto,
qui ornait l'autel de l'église des
dominicains de Sarzana, et dont il
n'existe plus aujourd'hui dans cette
église qu'une très-belle copie, ins-
pira au jeune Dominique le goût de
la peinture. Le Paggi dirigea ses
premiers essais; bientôt après il se
rendit à Rome, étudia Raphaël, et
s'imbut en outre de la manière des
divers maîtres qui étaient en crédit
à cette époque. Il passa dans cette
ville dix années de sa vie, jouit,
comme professeur, d'une haute répu-
tation, mérita les louanges de Guide
Reni, et travailla souvent de con-
cert avec le cavalier d'Arpino et le
Passignano. Enfin il alla se fixer à
Gênes, et exécuta dans cette ville et
dans une partie de celles de l'Italie
supérieure un nombre presque in-
croyable de tableaux. Mais cette
abondance surprend moins lorsque
l'on sait qu'il n'a pas mis la dernière
main à la plupart d'entre eux, parce
qu'il n'aimait point à finir ses ouvra-
ges ou qu'il les faisait terminer,
suivant la tradition du pays, par ses
meilleurs élèves. Si on lui pardonne
cette espèce d'impatience, on recon-
naît dans les productions du Sarzana
toutes les qualités d'un grand ar-
tiste. H montre dans plusieurs par-
ties un talent supérieur, et il a peu
dfV'gaux dans les vastes compositions
SAS
SÂS
135
historiques, qu'il invente a\^€C un rare
bonheur; dans le dessin, qui rappelle
souvent le goût de l'e'cole romaine ;
dans la vivacité des têtes, dans la
beauté et la vigueur du coloris de
ses peintures à l'huile, et dans
l'imitation bien entendue qu'il offre
tantôt d'un grand maître , tantôt
d'un autre. C'est ainsi qu'il rappelle
tout-à-faiî Raphaël dans le Saint
Bernard qu'il a fait pour l'église
de Saint- Vincent de Plaisance; et le
Caravage , dans le Saint Augustin
deVillanova^ qu'on voit dans l'église
de ce nom à Gênes. Dans l'église du
dôme à Sarzana , où il a peint le
Massacre des innocents^ et dans la
galerie de l'arclievêché de Milan,
qui possèle de lui un Enfant Jésus ^
il est le rival du Guide. Dans d'au-
tres tableaux il ressemble aux Car-
raches et aux autres bons peintres
de leur école. Toutes les fois qu'il
veut plaire, il ne plaît pas médiocre-
ment: ce désir brille éminemment
dans le tableau qui fait le plus bel
ornement de l'église des Augustins
de Gênes, et qui représente Saint
Antoine abbé, forçant le lion à
creuser dans le désert le tombeau du
premier ermite saint Paul , c'est
un tableau qui frappe d'étonnement.
11 n'est pas rare de rencontrer de
ses productions dans les galeries
particulières. Ses madones sont la
beauté même* elles n'ont peut-être
pas l'idéal de celles de Raphaël ,
mais elles en ont toutes les grâces et
toute la dignité. Fiasella mourut à
Gênes en 1669. P— s.
SAS ( Corneille ) , théologien
belge, né à Turnhout en 1593, pro-
fessa la philosophie à Louvain, puis
la théologie, au séminaire de Mali nés,
où il obtint, en 16*27, un canonicat
de IVglise métropolitaine. Il fut
chargé pur l'archevêque, en 1632,
d'une mission à la cour de Rome
pour les affaires du diocèse. En 1638,
il permuta sa prébende contre un
canonicat de l'église d'Ypres, dont
il exerça plusieurs années les fonc-
tions d'official, et celle de vicaire-
général pendant la vacance du siège.
Il mourut en cette ville le 8 octobre
16o6, et fut inhumé dans la cathé-
drale, où une épitaphe fort honora-
ble fut gravée sur sa tombe. Sas
était non moins versé dans la juris-
pruder^ce que dans la théologie. Ou
a de lui : I Epitome praœeos viriu-
tum theologicarum^ Fidei^ Spei et
CharitatiSf qua média sunt salutis^
Rome, de l'imprimerie du Vatican,
1632, in 12. Plus lard on en déduisit
sept points ou articles de foi comme
indispensablement nécessaires au
salut ; mais cette espèce de symbole
futcondamné* le 16 août 1682, par le
pape Innocent XI , avec d'autres
écrits anonymes renfermant la même
doctrine. ll.OEcumenicumde singu-
laritate clericorum^ illorumque cùm
fœminis extraneis vetit'O contubér-
nio judicium^ Bruxelles, 1653, in -4**;
livre curieux où l'auteur prétend
que les ecclésiastiques ne doivent
point avoir chez eux de femmes,
même vieilles, pour les servir {voy.
FoppeuSy Bibliotheca belgica, t. ^%
p. 217). P— Rï.
SASSI ( Pamphile ), poète italien,
qui a joui au xv^ siècle d'une grande
célébrité, naquit à Modène vers 1455.
Il avait une mémoire vraiment ex-
traordinaire et improvisait des vers
italiens et latins avec une égale faci-
lité. Ayant quitté Modène par suite
de revers de fortune, il alla s'éta-
blir dans un village u'où il faisait
de fréquentes excursions à Vérone
ainsi qu'à Brescia. Ce ne fut qu'au
commencement du xvi« siècle qu'il
revint dans sa ville natale. 11 y don-
136
SAS
naitdepuis plusieurs armées un cours
de littérature, particulièrement des-
tiné à l'explication de Dante et de
Pétrarque, lorsqu'une de ces accusa-
tions d'hérésie, si communes a cette
époque, l'obligea de s'éloigner en-
core une fois de Modène, et de se
réfugier en Romagne auprès d'un de
ses amis, le comte Guido Rangone,
qui lui procura un emploi à Lonzano.
Ce fut là qu'il mourut en 1527. Il
avait publié, entre autres ouvrages ;
I. Brixia Ulustrata^ poème en l'hon-
neur de la ville de Brescia, où il fut
publié en 1498. II. Epigrammatum
lihri quatuor, Distichorum libri duo,
de Bello gallico,de LaudibusVeronœ,
Elegiarum liber unus, Brescia, 1500,
in-4°. Le poème de Bello gallico a
aussi pour titre de Bello Tarensi,
parce qu'il contient une longue des-
cription de la bataille du Taro. On
Ta joint à quelques éditions de VEis-
toire de Venise, de Pierre Giusti-
niani. III. Sonnets et Capiloli, Bres-
cia, 1500, in-4", Milan, 1502,.in-4° ,
Venise, 1504 et 1519, in-4°. IV.
Agislariorum vetustissimœ gentis
origp et de eisdem epigrammatum li-
ber, Brescia, 1502, in-4°. Ce recueil
est dédié au comte Agislario Cassacio
deSumaglia. \. AdOnophriumadvo-
catum patricium venetum carmen ,
in-4°, sans date. VI. Vers en Vhon-
neur de la lyre, Brescia, in 4°, sans
date. VII. Traduction en vers italiens
de la lettre de Lentulus, proconsul de
Judée, au sénat romain. On la trou-
ve dans le Trésor spirituel imprimé à
Venise par Zoppino, en Î518. Le cé-
lèbre Tassoni avait eu le projet de
donner une édition choisie des œu-
vres de Sassi, mais il ne paraît pas
l'avoir mis à exécution. Les contem-
porains de ce poète ont porté sur lui
les jugements les plus divers. Élevé
jusqu'aux nues par les un^, il e,st
SAT
accablé d'injures par les autres, et
l'on pense bien qu'il ne méritait ni
cet excès d'honneur ni cette indi-
gnité. Le fait est que l'on trouve dans
ses poe'sies beaucoup d'imagination,
mais qu'elles manquent de celte pu-
reté, de celte élégance de style qui
seules peuvent sauver un écrivain de
l'oubli. Cependant quelques sonnets
de Sassi seraient lus encore aujour-
d'hui avec plaisir. A — \.
SATURNIN, chef d'une des sec-
tes dans lesquelles se partagea le
gnosticisme , était originaire d'An-
tioche et vivait sous le règne d'A-
drien. Il chercha à former un
corps de doctrine composé de tout
ce qu'il y avait de saillant dans les
croyances qui l'entouraient; des la-
cunes subsistent dans les exposés
de son système tel que nous l'ont
transmis des écrivains des premiers
siècles du christianisme, saint Irénée
et Tertullien, Théodoret et saint
Épiphane. Il publia vers l'an 115
les erreurs des Ménandriens, en don-
nant un nouvel ordre à son sys-
tème sur la création du monde. Sa-
turnin mêla quelques idées chré-
tiennes à des principes qu'il em-
prunta aux dogmes de Zoroastre,
^t y joignit quelques idées prises
chez les kabbalistes. Il admit dans
l'univers deux actions différentes
appartenant à deux empires op-
posés l'un à l'autre. D'après lui ,
sept anges, les sept esprits sidé-
raux, ont créé le monde visible; ils
en gouvernent les diverses parties.
Nous ne pouvons ici exposer le
système théologique de Saturnin,
système oij, à côté d'étranges rêve-
ries, se rencontrent des mythes
d'une grande beauté, où l'on aper-
çoit un esprit subissant l'influence
de Platon et de Phi Ion, animé d'un»-
aversion profonde pour le judaïsm?.
SAT
SAT
4 «> «r
loi
On peut consulter à cet égard VHis-
toire du gnosticisme, par M. Malter
(2^ édïU 1843, 1. 1, liv.III, chap. 3).
Cette école se répandit peu; son
chef ne semble pas s'être adressé à
la foule, et ses rares disciples ne
sortirent guère de la Syrie. Quel-
ques autres sectes leur empruntè-
rent une partie de leurs principes,
notamment la recommandation de
l'abstinence du mariage. Ils dispa-
rurent bientôt , mais les théories
de Saturnin, comme celles des sec-
taires de la même époque et du
même pays, ne forment pas moins
une des phases les plus curieuses
des évolutions de l'esprit humain
sur un théâtre remarquable, sur le
confluent des doctrines judaïques,
chrétiennes, persanes et grecques,
lorsqu'elles se croisaient dans tous
les sens, et lorsque aucune d'elles
n'avait encore acquis la suprématie.
B — N — To
SATURNIN (1) (Saint), premier
évêque de Toulouse, dont la vie est
surtout importante parce qu'elle se
lie à la première prédication chré-
tienne dans les Gaules, et que c'est
une question chronologique long-
temps débattue. Cette prédication
remonte-t-elle jusqu'aux temps des
apôtres? ou bien ne s'est-elle accom-
plie qu'au troisième siècle, sous le rè-
gne de l'empereur Dèce, ainsi que le
rapporteGrégoire de Tours? Il existe
dans le midi d'anciennes et respec-
tables traditions qui font débarquer
sainte Marthe et Lazare à Marseille:
Marthe même vint à Arles sous le
confluent du Rhône, et Trophime
en fut le premier évêque. Ces sou-
venirs se célèbrent encore à Taras-
(l) Oa lui donne dans le midi tlivers
jioms, et plus spécialement celui «le ,s<'int
&««rni«.
con avec la foi la plus entière et la
plus ïiinve. Quelques écrivains re-
portent donc à cette première épo-
que la prédication de saint Saturnin.
Alors Arles, Toulouse étaient de
grands municipes romains, et Mar-
seille déployait sa splendeur de
colonie grecque; le grand com-
merce do ce littoral de la Méditer-
ranée avec la Grèce et la Syrie
devait favoriser ce concours de dia-
cres et d'évêques qui se répandaient
de ce point sur toute la Gaule , pour
faire entendre la parole de Dieu,
Telle est l'opinon de plusieurs
doctes ecclésiastiques. Quant à
saint Saturnin, le témoignage de sa
prédication résulte de divers au-
teurs; voici le texte d'un passage
de Grégoire de Tours (2): « Ce fut
« sous Dèce, dit-il, que sept évê-
« ques furent ordonnés et envoyés
« dans les Gaules pour y prêcher la
« foi, ainsi que le marque l'histoire
« du martyre de saint Saturnin;
« car on y lit: Sous le consulat de
« Dèce et de Gratus, comme on le
« sait par une tradition fidèle, la
« ville de Toulouse eut saint Satur-
• nin pour son premier évêque....
« Voici donc les évêques qui furent
« envoyés, ajoute Grégoire de
« Tours; Gratien à Tours, Trophime
« à Arles, Paul à Narbonne, Satur-
« nin à Toulouse, Denis à Paris,
« Austremoine en Auvergne, et
u Martial à Limoges (3). » Saint Sa-
turnin fit donc partie de cette grande
mission chrétienne dans les Gaules,
tout entières encore au paganisme,
et ce qui ne permet plus de doute à
(2) Le Bréviaire de P;jinpelune tient saint
.Saturnin jiour son premier prédicateur de
la foi chrétienne, et celui de Tolède en fai>
une menti')!! particulière, aiu.M que \ ■> <
eu ses clii o:iiffî3c.> d'E?i)agne. ■
(Ji) Grégoire de Touv.s, livre 1, «h. ■?-^-
t38
SAT
SAT
ce sujet, ainsi que le constate le j'ére
Bonneval dans sa Dissertation sur
le christianisme dans les Gaules,
c'est que l'acie du niait y re de saint
Saturnin est intituU' du deuxième
consulat de Dèce et Gratus, ce qui lixe
positivement la date à l'an 250 ; telle
est aussi l'opinion de l'abl)é Fleory,
qui le place durant la persécution de
Valérien. Saint Saturnin était Grec
d'origine, de la ville de Patras et de
sang patricien. Il n'était pas rare
de voir, dans les écoles gauloises,
des philosophes et des hommes de
science qui venaient d'Athènes ou de
Syrie. Saint Saturnin visita Nîmes,
la ville romaine; Carcassonne, que
devait illustrer saint Papoul; puis
il vint s'établir à Toulouse pour y
enseigner le christianisme, c'est-à-
dire la civilisation; de là, il passa à
Pampelune, à Tolède, pour revenir
bientôt dans la vilie dont il avait été
fait évêqiie. A cette époque tout le
midi des Gaules était peuplé de
belles cités avec des temples, et des
cirques ; le cuite des d'eux y était
en grand respect ; Toulouse avait
ses sanctuaires polythéistes. Or, de-
puis quelques jours les oracles
étaient muets, le feu de divination
ne pénétrait plus les pontifes, et le
peuple, qui cherchait avec une cu-
riosité inquiète la cause de ce si^
lence, remarqua un homme à la
figure grave qui allait visiter la
société des chrétiens. Les actes
disent que saint Saturnin allait à
l'église alors bâtie à Toulouse, ce
qui nous paraît tJU anachronisme;
ce ne pouvait être qu'une chapelle
creusée dan.> des cryptes, où l'on
célébrait le saint sacritice au milieu
<ies tombes; il n'y eut quelques
^iglises, même à Rome, que dans les
lieux ou trois règnes qui précédè-
rent celui de Dioclétien, à plus forte
raison, il ne pouvait pas en exister
dans les municipes gaulois, où le
polythéisme était plus profondé-
ment enraciné et la superstition
plus sauvage. Ces murmures du
peuple redoublaient, lorsqu'un jour
p(mr apaiser la colère des dieux,
le grand pontife ordonna qu'un
jeune taureau indompté serait sa-
crifié sur l'autel. La foule, ivre
de joie, conduisait ce taureau cou-
ronné de fleurs et couvert de ban-
delettes, comme on le voit encore
sur les bas-reliefs antiques, lors-
qu'elle rencontra Saturnin, le pieux
chrétien, et deux diacres, qui se
rendaient à la sainte assemblée.
Aussitôt le peuple s'écria : « Voilà
« les ennemis de Jupiter Capito-
« lin ; qu'on les force à sacrifier
« aux dieux immortels. » Toulouse
avait sonCapitole, ses temples, son
forum comme à Rome même. S^int
Saturnin fut saisi par les païens;
les deux diacres prirent la fuite, et
on le conduisit au pied de la statue
de Jupiter pour sacrifier aux dieux.
Là, repoussant l'encens qu'on lui
ordonnait de jeter dans le trépied
sacré, le pieux confesseur dit d'un
ton ferme et d'une voix sereine :
« Je crois à un seul Dieu qui a créé
« ie ciel et la terre. » Ces paroles
sont à remarquer sous deux rap-
ports; elles supposent d'abord la
grande antiquité des actes, car c'é-
tait par l'idée d'un seul Dieu que les
premiers chrétiens attaquaient le
polythéisme; en .'•econd lieu, en voit
que saint Saturnin appartenait à
l'école grecque d'enseignement et
de philosophie. Continuant, il s'écria
d'un ton railleur : « Ce sont de sin-
« ,i^u Mères divinités que celles qui ne
« parlent plus parce qu'un chrétien
" passe devant elles et refuse de
«leur sacrifier; je devrais cram-
SAT
SAU
130
« dre vos dieux, et ce sont eux qui
« me craignent. «» Alors la multitude
furieuse denirinda d'une se.» le voix
que le taureau indompté traînât le
saint confesseur par une lanière du
haut du portique jusqu'au pied du
temple, qui, toujours à l'imitation
duGapitole de Rome, était placé sur
une hauteur. Lorsque le saint fut
au bas de cette pente rapide, son
corps n'était plus qu'une masse
' sanglante de chairs et d'os. Les
i chrétiens, ses pieux compagnons,
efTrayés de ce spectacle, s'enfuirent,
et son corps serait resté sans sépul-
ture, si deux jeunes filles ne fussent
venues pour l'ensevelir et le cacher
soigneusement, afin d'éviter que les
païens n'en jetassent la poussière
au vent (4). Dans toutes les grandes
circonstances de la vie ou de la
mort, la femme chrétienne se trouve
là avec le dévouement et le courage.
Cinquante ans après, tant les pro-
grès du christianisme furent rapi-
des, Saint Exupère, quatrième évê-
que de Toulouse, ht élever une église
là où le corps du saint avait été en-
seveli : elle s'appelle encore 1 église
du Taur {taurus). Aujourd'hui il
ne reste plus du Capitole, à Tou-
louse, que le nom municipal^ mais
l'église Saint-Saturnin, resplendis-
sante de sa vieillesse, voit la foule
s'agenouiller en ménioire des vieux
temps. Le 6 septembre 1258, les
restes du saint évéque furent trans-
férés dans la magnifique église qui
porte son nom; elle dépendait d'un
très-ancien couvent de religieux
réguliers de Saint -Augustin, qui
furent plus tard sécularisés par le
(4) La date du martyre de saint Safuriiiu
est iiicerlaÏQei les uns l'ont fixée a l'an -iSl,
le;, autres à a5r. Sh fpte est le 2(j ijoveiubre.
L'S Béaéclirtios ont publié s.i vie dans les
pape Clément VIL Ce monastère
avait de grands privilèges; il était
surtout lieu de franchise, et toute
la puissance du duc Didier, qui, à
l'exemple de Frédégonde, ne s'ar-
rêtait devant rien, ne put en faire
sortir une captive qui s'y était réfu-
giée. Nos rois eurent toujours une
grande dévotion à saint Saturnin,
et en cela ils suivaient l'exemple
que leur avait légué Charleniagne,
qui, grand pèlerin, usait de ses lè-
vres la pierre des toiubeaux des
martyrs à Rome. T— r— l.
SAUCEIIOTTE ( Louis-Sébas-
tien ) (1), chirurgien, né à Lunéville
le 10 juin 1741, commença ses étu-
des au collège d'Épinal et s'appli-
qua en même temps à la chirurgie,
dans laquelle il fit des progrès ra-
pides. Attaché aux hôpitaux mi-
litaires, il suivit l'armée française
dans la campagne de Hanovre, et,
quelques années après, s'étant rendu
à Paris, il y reçut des leçons du chi-
rurgien Levret ( voy. ce nom ,
XXIV, 383). De retour dans sa pa-
trie, il obtint, en 1762, le titre de
maître eu chirurgie à la faculté de
Pont-k- Mousson ; ea 1764 le roi Sta-
nislas le nomma son chirurgien or-
dinaire, piiis, avec la qualité de li-
thotomiste en chef des duchés de
Lorraine et de Bar, il le mit à la
tête d'un établissement de charité
pour le 1 raitemcnt des maladies calcu-
leuscs, fondé à Lunéville par les ducs
■de Lorraine, et que Stanislas soutenait
par sa libéralité. Saucerotte déploya
dans cet hospice une telle habileté
(i) L'iiuteur de l Eloge historique de Sau-
cerotte et la Biographie médicale le riom-
ineut Nicolas ; mais M Quérard [France
liltéraire) dit que c'est u«»e erreur, ei que les
vrais prénoms de Sati< eiotte él.iient Louis-
Sebastien. La France littéraire H'Ersih les
}n't donne également.
HO
SAU
SAU
pour Topération de la taille, que sa
rt^putation, sa pratique el ses succès
s'étendirent bien au-delà des limites
de sa province. Il av.iit déjà rem-
porté plusieurs palmes acadéuiiques
(quatre prix de l'académie de chi-
rurgie de Paris, dans les années
1766, 1768, 1774 et 1775) , lors
qu'il oblinr, au concours, en 1779,
la place de chirurgien - major de
la gendarmerie de France ; mais ce
corps ayant été dissous en 1789,
il fut nommé au même emploi dans
le régiment des carabiniers , avec
lequel il prit part aux premières
guerres de la révolution. En 1794,
Saucerotte devint chirurgien en chef
des armées du Nord et de Sambre-
et- Meuse, puis membre du conseil
de santé. Après avoir exercé ces
fonctions pendant plusieurs années
et introduit des améliorations dans
les hôpitaux militaires, il fut admis
à la retraite avec unepension due à ses
nombreux et utiles services. Rentré
dans ses foyers, il reprit aussi acti-
vement que par le passé la pratique
et l'étude théorique de son art ; il
revit ses anciens ouvrages et en
composa de nouveaux. En 1812, il
voulut célébrer d'une manière pa-
triarcale et religieuse l'anniversaire
de la cinquantaine de son mariage
et de sa réception en chirurgie : le
17 aoiit, il se rendit, avec sa femme,
ses enfants, suivis d'un grand nom-
bre de parents et d'amis , à l'église
de sa paroisse, pour y rendre des ac-
tions de grâces au Ciel. Cette céré-
monie touchante fit une vive impres-
sion sur les habitants de Lunéville,
et les deux époux reçurent de leur
part une espèce d'ovation. Sauce-
rotte en conservâtes plus doux sou-
venirs, et il n'en parlait jamais sans
être ému. Mais sa santé, déjachau-
ceJantc depuis qu'il avait éprouvé
une atteinte d'apoplexie en 1811,
allait toujours en déclinant. Une nou
velle atiaque l'enleva le 15 janvier
1814, à l'âge de 73 ans. Associé de
l'ancienne Académie royale de chi-
rurgie de Paris, il était devenu cor-
respondant de l'Institut de Fran-
ce, auquel il communiqua d'impor-
tantes recherches sur les probabili-
tés de la vie humaine; il apparte-
nait aussi aux Sociétés de médecin?^
de Bruxelles, de Paris, de Montpel-
lier, de Strasbourg, de Nancy, et à
plusieurs académies étrangères. Ou
a de Saucerotte : 1. Un mémoire sur
la théorie des contrecoups dans les
lésions de la tête^ et les conséquence*
pratiques qu'on enpeut tirer^ 1769 ;
un autre sur Vhygiène chirurgicale
(en société avec Didelot ), 1775. Ces
deux mémoires, couronnés par l'Aca-
démie royale de chirurgie, ont été
insérés dans les recueils de cette com-
pagnie. II. Examen de plusieurs pré*
jugés et usages abusifs concernant les
femmes enceintes, celles qui sont ac-
couchées^ et les enfants en bas àge^
dont les effets nuisent à la popula-
tion et font dégénérer Vespèce hu-
maine, avec le moyen à'y remédier,
1777,in-8°; mémoire couronné par
l'Académie de Nancy ; traduit en al-
lemand, Erfurt , 1788 , et en russe ,
Saint-Pétersbourg, 1781, 1786, in-S».
111. Dissertatio medica de medica-
mentorum et motus effeclihus in the-
rapia syphilidis^ Strasbourg, 1790,
in-S'*. IV. Histoire abrégée de la li-
thotomie, 1790, in-8°. C'est l'exposé
succinct des procédés que Saucerotte
employait etdesobservationsqu'il eut
fréquemment occasion de faire lors-
qu'il dirigeait l'hôpital de Lunéville.
W. De la conservation des enfants
pendant la grossesse, et de leur édu-
cation physique depuis la naissance
jusqu'à l'âge de six à huit ans; ou-
SAU
vrage auquel le jury pour l*exa-
men de livres élémentaires pro-
posés par la Convention nationale a
décerné !e premier prix, 1796, in-S* ;
Lunéville, I808,in-12. L'auteur dé-
dia la première édition à sa femme,
et la seconde à l'impératrice de Rus-
sie. Cet ouvrage a été réimprimé,
Paris, 1820, in-18; et traduit en
allemand , Leipzig, 1798 , in-8°. VI.
Plusieurs mémoires dans le Bulletin
de la Société Philomatique. VU.
Mélanges de chirurgie, 1801, 2 vol.
in-8o. C'est le recueil des meilleures
productions de Saucerotte. Il y a in-
séré différents mémoires qu'il avait
composés , dont sept obtinrent des
prix académiques ; les uns avaient
été publiés séparément, les autres
étaient restés inédits. Outre ceux
quenousavons déjàcités,on y trouve
tin mémoire sur les corps étrangers
arrêtés dans le rectum; un autre
sur la pustule maligne; un autre
sur la cure radicale de la teigne.
Tous ces écrits, toutes Cfs observa-
tions montrent l'auteur comme un
praticien consommé; c'est le témoi-
gnage que lui ont rendu ses con-
frères. M. le docteur de Haldat a pu-
blié un Éloge historique de Sauce-
rotte, Nancy, 1815, in-S», lu à la So-
ciété royale de cette ville. — Victor
Saucerotte, fils du précédent , a
exercé avec distinction la profession
de dentiste à Moscou et à Paris.
On a de lui un Avis sur la conser-
imtion des dents, avec un Appendice
snr le perfectionnement des dents ar-
tificielles etc., Paris, 1813, in-12. ÎI
a laissé un fils qui est actuellement
doctearen médecine, professeur d'his-
toire naturelle à Lunéville, et auteur
de plusieurs ouvrages. La célèbre tra-
gédienne Raiicourt (t?oy. ce nom ,
XXXVII, 136) appartenait à la fa-
mille Saucerotte. R — D—N.
SAU
141
SA fJDRA Y ou Desaudrais (Chab-
Lts Gaullard de), fut d'abord se-
créJaire de légation française à
Saint-Pétersbourg, à Cunstantino-
ple, à Berlin et à Londres. Entré
dans la carrière des armes, il devint
colonel du génie et obtint la croix de
Saint-Louis. Le 12 juillet 1789, les
électeurs de Paris réunis à l'hôtel-
de-ville, le nommèrent commandant
en second de la milice parisienne,
dont le marquis de Lasa!le(t;oy. ce
nom, LXX, 314) avait été nommé
commandant en chef. Le 14, un ras-
semblement nombreux s'étant porté
à l'Arsenal pour avoir des munitions,
y trouva Clouet, l'un des régisseurs
des poudres et salpêtres; comme il
était revêtu de son uniforme mili-
taire, on le prit pour le marquis de
Launay, gouverneur de la Bastille,
et sans l'intervention de Cholat, un
des assaillants, il allait être massa-
cré. Entraîné cependant à l'hôtel-de-
ville, de nouveaux cris de mort se
firent entendre contre le malheu-
reux Clouet, et c'est là que le che-
valier de Saudray lui sauva la vie au
péril de la sienne, car il reçut en
cette occasion sur la tête un coup
de sabre qui le blessa grièvement.
Sur la proposition de Bailly, chargé,
ainsi que Lafayette, par les élec-
teurs de 89, de solliciter des récom-
penses nationales pour Lasalle et
Saudray, l'Asseniblée constituante,
dans sa dernière séance (30 septem-
bre 1791), rendit un décret accor-
dant à celui-ci une pension de 1,000
francs. En 1792, Saudray, avec le
conct)urs de plusieurs savants, fonda
le Lycée (aujourd'hui Athénée) des
Arts^ dont il devint secrétaire-géné-
ral, et y fut professeur d'économie
politique. Le 5 frimaire an ii ( 25 no-
vembre 1 793 ), il se présenta, comme
orat^^ur d'une députalion de cttte
142
SAU
SAU
société, à la barre de la Cunvenlioti
nationale, annonça les prix décernés
par le Lycée aux auteurs de décou-
vertes utiles, et lit en même temps
hommage de sa |)ensiou de 1,000
francs pour subvenir aux besoins de
la patrie. l,e don fut accepté, et l'on
en proposa la mention honorable;
mais Danton demanda qu'on véri-
tiâl auparavant si cette pension élait
celle que Lafayette avait fait obtenir
à Saudray pour avoir travaillé avec
lui à l'organisation couire-révolu-
lionnaire de la garde nationale, at-
tendu que, dans ce cas, la nation ne
lui devrait pas de remercîments ; et
la mention honoraf)le fui ajournée.
Le 15 floréal an m (4 mai 1795), Sau-
dray, encore à la tête d'une dépu-
tation du Lycée, offrit à la Conven-
tion un pavillon tricolore dont la
partie rouge était teinte avec de l^a
cochenille dite sylvestre, apportée
du Mexique et naturalisée à Saint-
Domingue. 11 donna sur cet objet
quelques détails scientifiques dans
un discours qui fut mentionné ho-
norablement. En 1797, il demanda
au gouvernement la prolongation
du bail et la jouissance gratuite du
cirque, qui existait alors dans le
jardin du Palais-Royal, et oii le Ly-
cée tenait ses séances^ il adressa
aussi au Moniteur une lettre pour
justifier cette ^ociété, à laquelle un
journaliste reprochait de solliciter
continuellement des secours pécu-
niaires. Cependant, sur le rapport
de Camus (5 ventôse an v), la péti-
tion de Saudray fut écartée au con-
seil des Cinq-Cents par l'ordre du
jour. 11 continua de prendre part
aux travaux du Lycée; et dans la
séance publique du 30 vendémiaire
an VII (21 oct. 1798), on mentionna
avec éloge les heureux essais d'une
double échelle à incendie qu'il avait
inventée. Il était membre de l'an-
cienne académie d'Arras, de la so-
cié d'institution de Paris, du bureau
de consultation des arts et métiers,
etc. On a de lui : 1. Plusieurs pièces
de théâtre qui n( paraissent pas
avoir été imprimées. 11. Mémoire
sur la première expérience de la
congélation du mercure à Saint-
Pétersbourg^ 1767. 111. Ode sur l'im-
mortalité de l^âme, présentée à l'a-
cadémie d'Arras, 1789. IV. Plan
d'organisation générale de la force
publique dans l'intérieur du royau-
me, communiqué aux comités mili-
taire et de constitution le 19 mars
1791, in-8". V. C'owr* complet d'é-
conomie politique. VI. Nouvelle
constitution libre des sciences et de$
arts Vil. Annuaire du Lycée des
artSj 1795 et an. suiv., in-12. Vlll.
(avec Jacques -Annibal Ferrières).
J'ai la parole sur les finances^ etc.,
1795,in-8o, P— RT.
SAUGRAIN (Guillaume), librai-
re k Paris, était issu d'une des plus
anciennes familles qui aient exercé
cette profession en France, et un
de ses ancêtres avait été iniprimeur-
libraire de Henri ÎV, alors roi de
Navarre. Guillaume a publié : La
Maréchaussée de France^ ou Recueil
des édits, déclarations, lettres-pa-
tenteSy etc., concernant la création ,
établissement, fonctions, rang, etc.,
de tous les officiers et archers de
maréchaussée, Paris, 1697, in-é". Il
avoue lui-même avoir été aidé par
un oflicier de cette arme dans la ré-
dactior» de son recaeil. — Saugrain
{Claude-Marin), de la même famille,
se livra aussi au commerce de la
librairie et devint syndic de sa com-
munauté. On a de lui : I. Code des
chasses^ Paris, 1713, 1720, 1734,
1753, 1765, 2 vol. in-12. Les nom-
breuses éditions de cet ouvrage attes-
SAU
tent son utilité pour l'époque oui!
a paru. II. Les curiosités de Paris,
de Versailles, de Marly, de Vincen-
nes, de Saint Cloud et des environs^
Paris, 1716, in-12, avecfig. Ce fut le
premier livre dédié à Luis XV.
L'auteur en donna une nouvelle édi-
tion, avec des augmentations four-
nies par Piganiol de la Force, Paris,
1723, 2 vol. in-12, fig. Le Journal
des savants, celui de Verdun, les
Mémoires de Trévoux, rendirent un
compte avantageux de l'ouvrage. 111.
Nouveau voyage de France, géogra-
phique, historique et curieux, dis-
posé par différentes routes, à l'usage
|v des étrangers et des Français, Paris,
P 1718, 1730, in 12. IV. Dictionnaire
universel de la France ancienne et
moderne, Paris, 1726, 3 vol. in-îoL
Vintroduction est de l'abbé des
Thuileries, qui aida Saugrain dans la
rédaction de ce dictionnaire et en
dirigea l'impression (voy. Thuile-
ries, XLV, 578). Le Mercure et les
autres journaux littéraires du temps
en firent l'élOgc . V. Code de la librai-
rie et imprimerie de Paris, ou Con-
férence du règlen»ent arrêté au con-
seil d'État du roi le 28 février 1723
avec les anciennes ordonnances, im-
primé aux frais de la communauté,
Paris, 1744, in-12 Au règlement de
1723, rédigé par le chancelier d'A-
guesseau, Saugrain a joint , comme
corollaires, les édits, déclarations,
arrêts, etc., concernant l'imprimerie,
et même la librairie avant i'iuven-
tion de l'art typographique, c'est-à-
dire depuis 1332 jusq-.i'en 1744.
Quoique la plupart des dispositions
qu'il renferme soient modiHées ou
ahrogét^s , ce recueil n'en est pas
moins curieux et encore recherché.
— Saugkain, de la même lamille
que les précédents, né vers 1736,
exerça d'abord la profession de li-
SAU
14?,
braire , mais l'abandonna quelques
années avant la révolution, lorsque
le comte d'Artois lui confia la garde
de la précieuse bibliothèque du mar-
quis de Paulmy à l'Arsenal, dont il
avait fait l'acquisition et qu'il enri-
chit encore de la seconde partie de
celle du duc de la Vallière, achetée
parles conseils de Saugrain. On sait
que le comte d'Artois, très -opposé,
dès l'origine, aux innovations poli-
tiques, était devenu l'objet de l'ani-
madversion populaire ; aussi, le 14
juillet 1789, jour de la prise de la
Bastille, un rassemi)lement nom-
breux se portait à l'Arsenal dans
l'intention de dévaster la bibliothè*
que appartenant au prince. Une ins-
piration soudaine de Saugrain pré-
serva ce bel établissement d'une
ruine imminente. D'après ses ordres,
le suisse endosse promptement un
habit de la maison du roi, puis i!
ouvre la porte , et celte multitude
forcenée, prenant le change, à la vue
de la livrée royale, se retire sans
counncttre de dégâts. Plus tard Sau-
grain montra une fermeté qui lui lit
souvent courir de grands dangers,
pour conserver intact le dépôt dont
il était resté chargé, et il empêcha
plusieurs fois, pendant le cours de la
révolution, que les livres n'en fussent
dispersés dans d'autres établisse-
ments. Enfin, quand la bibliothèque
de l'Arsenal fut organisée, il en de-
mïmra conservateur et continua de
remplir ces fonctions avec autant de
zèle que d'intelligence, sachant par
son aménité se concilier l'estime des
gens de lettres et de tous ceux qui
étaient en rapport avec lui. Saugrain
mourut 3 Palis en 1806. P — rt.
SAULI ou Suli (Ibrahim), poète
arabe, fils d'Abbas, était né à Bagh-
dad , et mourut à Samarath en 243
de l'hégire (857 de J.-C), Il a com-
X\Â
SAU
SAÎJ
|,u<>e un Dican^ ou recueil de poé-
sies, qui n'est point volumiueux,
mais plein de feu et de génie. Si
l'on on croit Ibn-Khilcan , il était
Géorgien et chrétien ; mais les kha-
lifes onnnyad»-s s'élant emparés de
la Géorgie, il fut fait prisonnier, em-
brassa !e ujahométisme et obtint sa
liberté-— Un autre écrivain du même
nom, dit Abou-Bekr Ben-Mahomet
iien-Jachia^ diComposi^ une Histoire
des Vizii^s et d'autres ouvrages. Il
mourut en 335 de l'hégire ( 946 de
J.-C.)- On lui doit aussi une Histoire
des poètes arabes par ordre alpha-
bétique. D'Herbelot en parle, p. 43
de sa Biblioth. orient. J—n.
SAULNIER (Guillaume), au-
teur dramatique, né à Vrigny en
Normandie, le l®"" juillet 1755, com-
posa un grand nombre d'opéras
qu'il ne put parvenir à faire repré-
senter, et qu'il n'a pas livrés à
l'impression, entre autres, Cam-
byse^ ou Hyder-Kan (proposé en
1790 et 1799); le Triumvirat {il 9b) -^
ta Desctnte des Français en Angle-
terre (1798) ; Almansor (1799, 1806
et 181T), etc. Ses pièces imprimées,
sont: I (avec Dariieux). La Journée
du 10 août 1792, ou la Chute du
dernier tyran., drame en 4 actes
et tn prose, mêlé de chants et
de déclamation, Paris, 1793, in-S».
II (avec Duthil). Le Siège de Thion-
tnllCy drame lyrique en deux actes
et en vers, Paris, 1793, in-8'*. lll.
Mahomet JI, tragédie lyrique en
trois actes et en vers, Paris, 1803,
in-80. En 1820, Saulnier fil des
chaiigenients à l'opéra de Guillard,
intitulé Arvire et Èvélina, qu'il ré-
duisit en deux actes. 11 avait épousé
la sœur du marquis de Livry, était
frère et oncle de célèbres danseuses
de l'Opéra, et employé dans la régie
des jeux, 2.
SAULNIER de lieauregard {ihmi
Antoine, dans le monde, Anne-ÎNi-
colas-Charles) , l'un des plus cé-
lèbres trappistes, naquit a Joigny,
diocèse de Sens, le 20 août 1764.
Son père, Edme Saulnier, était avo-
cat au parlement, prévôt de Joigny
et conseiller -doyen du roi en la
même ville, seigneur de Moulins et
de Flandres, juge supérieurdu comté
de Joigny , juge subdélégué du bar-
reau de Paris et du prévôt des mar-
chands, etc. Sa mère , Marie- Mar-
the Bazin, était une femme fort
pieuse. Ces parents, encore plus re-
commandables par leur conduite re-
ligieuse que par leur position sociale,
voyant les heureuses et précoces dis-
positions de leur fils, et voulant veil-
ler surses premières années, se déci-
dèrent à lui faire donner sous leurs
yeux son éducation première. Si
leurs espérances avaient été grandes,
elles furent surpassées par le suc-
cès. Dès l'âge de cinq ans l'écolier
était capable d'écrire une petite
lettre, et nous dirons, à cette occa-
sion, qu'il conserva toute sa vie, à
un haut degré, le talent épistolaire.
A l'âge de sept ans, il reçut la tonsu-
re, et fut pourvu du bénéfice de No-
tre-Dame de l'Immaculée Conception^
chapelle de l'église paroissiale Saint-
Thibault, à Joigny. Après avoir ter^
miné des études solides, y compris
sa rhétorique, au collège de sa ville
natale, Antoine Saulnier, âgé de
quatorze ans, fut nommé chanoine
de Sens et se fit remarquer de tous
les membres du chapitre par sa
piété ; il passa une année à Sens pour
faire son stage dans la cathédrale et
sa philosophie. Au commencement
de sa dix-septième année , il vint à
Paris , entra au séminaire Saint-
Firmin,tenu par les Lazaristes, et y fit
ce qu'on appelait le Quinquennium.
SAU
Dans cette maison, ses thèses, supé-
rieures en rédaction et en mérite à
celles de ses condisciples, lui pro-
curèrent la fonction de maître des
conférences. Après cinq ans de sé-
jour à Saint-Firmin, il en sortit, en
1788, pour aller habiter le bâtiment
des Bacheliers de la maison de Na-
varre, où il fit sa licence avec beau-
coup d'éclat, dit-on, mais n'eut point
de place assignée, selon l'usage, à
cause des troubles que la révolution
avait déjà jetés même dans les fticul-
tés de théologie (1). Reçu docteur
en 1790, le 20 février (2), Saulnier
désira achever son droit, qu'il avait
commencé dès l'année 1789, sous les
auspices du professeur Sarrête , qui
le prit en affection et l'engagea à
assister aux répétitions qu'il donnait,
trois fois la semaine, aux enfants de
M. d'Aligre, premier président du
parlement de Paris. Ce magistrat, qui
était presque toujours présent aux
leçons de ses enfants, ayant eu
occasion d'entendre argumenter le
jeune abbé, apprécia son mérite et sa
grande facilité à s'exprimer en latin.
Il s'en souvint, et nous lisons que
dix-huit mois plus tard, il nomma
Saulnier conseiller-clerc au parle-
ment de Paris. L'époque nous fait
paraître ce fait un peu douteux.
Quoi qu'il en soit, la révolution, qui
allait renverser le parlement, lequel
avait lui-même sapé les bases du
trône, empêcha le jeune conseiller-
(i) La place assignée dans la licence était
un titre à la distinction et aux honneurs, vu
l'influence qu'exerçait l'opinion attacliée au
mérite du sujet qui l'avait obtenue. — Ou
peut consulter une série d'articles étendus
que nous avons donnés nous-mème, dans
La Voix de la vérité, sur l'histoire et les
usages de l'ancienne et de la nouvelle Sor-
boune.
(2) La dernière liste des docteurs avait
été publiée en 1786.
LXXXI.
SAU
Ui
clerc d'exercer cet honorable emploi.
Tout en se livrant à l'étude du droit,
l'abbé Saulnier voulut acquérir aussi
des connaissances dans les sciences
naturelles et la chimie 5 il assistait
aux leçons de Fourcroy, de Jussieuet
de Daubenton, possédait un alambic
dans sa chambre et se composait un
herbier. Ses connaissances variées
lui furent utiles plus tard à Lulworth
et à Melleray. Le samedi saint, U
avril 1789, il avait été ordonné dans
la chapelle de Tévêché, à Meaux, par
l'évêquedeBabylone. En 1792, quand
un prêtre ne dut plus s'attendre qu'à
des persécutions, Saulnier exerçait
encore le saint ministère. Il fut té-
moin, à Paris, des premiers meur-
tres qui furent l'affreux prélude de
tant d'autres. 11 fallut pourvoir à sa
conservation, et l'abbé Saulnier se
détermina à émigrer et devint, à
Bruxelles, précepteur des enfants
d'un gentilhomme breton, M. de la
Bourdonnaye de Blossac, Plus tard,
il fut repoussé, par l'invasion des
troupes françaises, jusqu'à la petite
ville de Duisbourg, sur le Rhin, d'où
il passa à Londres avec la famille à
laquelle il était attaché. Là, son pro-
jet était de former une institution
de jeunes gens, s'il avait pu déter-
miner à le suivre l'abbé Mey et un
autre de ses amis. Mais, tout à coup,
pressé par la grâce, ayant procuré
un autre précepteur à ses élèves,
après un an de séjour à Londres, il
partit pour le monastère de Lul-
worth, dans le comté de Dorset, que
les Trappistes exilés avaient depuis
peu fondé sur les terres et par la
générosité de lord Weld. Après un fer-
vent noviciat, pendant lequel il por-
tait, avec rhabit religieux, le nom de
frère Antoine^ l'abbé Saulnier fit
généreusement sa profession, le 15
juin 179.'i. Le nouveau religieux était,
10
146
&AU
comme il est facile de le c(»nccvoir,
un des sujets les plus distingués de
la maison*, aussi lui conlia-t-on des
emplois importants, celui de c<^lé-
rier et autres. Jouissant de la con-
fiance des éveques d'Angleterre, il
fut prié d'être, en qualité de confes-
seur extraordinaire , directeur de
plusieurs communautés de femmes
étrangères à son ordre. En 1810, il
succéda au P. dom Maur, supérieur
de la conmiunauté. Depuis treize ans
d'existence, le monastère de Lul-
worth n'avait vu persévérer qu'un
petit nombre de novices, et même
aucun postulant de se présentait.
Sous la direction du P. Antoine, les
religieux reçurent plus de sujets en
quelques mois qu'ils n'en avaient
reçu auparavant en plusieurs an-
nées. Trois ans après son élévation
à la charge de supérieur, le P. An-
toine fut béni solennellement abbé,
par G. Poynter, évêque du district
de Londres ^ mais Lulworth ne fut
pas pour cela érigé en abbaye. Sui-
vant l'usage établi dans l'émigrai'ion
par dom Augustin de Lestrange {voy.
ce nom, LXXI, 401), qui avait même
institué à cette fin un tiers-ordre de
la Trappe, pour se prêter aux besoins
des eirconsiauces, Lulworth élevait,
comme le couvent de Saint-Benoît,
de jeunes enfanta dans la piété et
dans l'étude des langues. Néanmoins
il n'y avait point de tiers-ordre à
Lulworth. La Providence permit que
la vertu et la patience du nouvel
abbé fussent exercées de mille ma-
nières. Tantôt il était, lui comme ses
religieux, victime de la calomnie;
tantôt on accusait la maison de bles-
ser les lois du royaume; tantôt on
défendait la profession des novices,
tantôt on permettait des vœux pour
trois ans. Eu 1815, un religieux,
profès de trois ans, quitta son ordre
SAU
el la religion catholique, accusa
horriblemeui ses anciens confrères,
que dom Aiiioine fui obligé de justi-
fier devant lord Sydmouth, ministre
de l'intérieur, lequel, satisfait des
explications, voulut néanmoins que
dom Antoine se déterminât, vu les
intentions et les dispositions du gou-
vernement anglais, à reconduire ses
religieux en France. Cette transla-
tion de la communauté se fit en
effet en 1817, et le P. abbé ramena
ses moines à l'ancien monastère
de Melleray, arrondissement de Cha-
teaubriant, département de la Loire-
Inférieure. Cette maison, qui avait
jadis appartenu à l'ordre de Cîteaux,
fut érigée en abbaye, et par-là re-
couvra son ancienne destination
et acquit une renommée dont elle
n'avait jamais joui. La Trappe de
Melleray devint bientôt la plus nom-
breuse colonie de Bernardins , et
peut-être la plus célèbre des mai-
sons de la réforme eu France. L'abbé
y fit des entreprises et des établisse-
ments d'agriculture et autres indus-
tries, qui attirèrent sur sa maison
la curiosité et l'intérêt des voya-
geurs, et lui valurent même un rap-
port louangeur d'un ministre. L'é-
vêque de Nantes, qui avait donné des
lettrés de grand-vicaire à dom An-
toine, s'unit aux chevaliers de Saint-
Louis pour engager ce célèbre reli-
gieux à faire l'oraison funèbre du
duc de Berry. II obtint cette ex-
ception aux usages de la Trappe, et
le P. abbé prononça en effet cette
oraison funèbre, dans la chaire de la
cathédrale de Nantes, le 22 mars
1820, cinq semaines après l'assassi-
nat du prince. Huit ans plus tard, il
eut l'honneur de recevoir dans son
abbaye madame la duchesse de Berry,
lors de son voyage dans les provinces
de rOuest, en 1828. Après la mort
SAU
de dom Augustin de Lestrange, arri-
vée en juillet 1827, doin Antoine fut
nommé visiteur des maisons de
Trappistes en France, et, il faut le
dire, s'il mit du zèle à s'acquitter de
cette nouvelle [onction, il n'y porta
pas la prudence qu'on aurait pu at-
tendre et n'obtint pas le succès
qu'il aurait pu désirer. Aucune mai-
son, peut-être, n'eut lieu d'être plei-
nement satisfaite de ses procédés.
A cette époque, non-seulement quel-
ques monastères étaient opposés à
la réforme de dom Augustin et en
suivaient une plus douce ^ mais plu-
sieurs religieux qui devaient gar-
der, par position et par reconnais-
sance, les liaisons les plus étroites
avec ce saint prêtre , avaient rom~
pu avec lui et s'étaient joints aux
opposants. La franchise nous oblige
à signaler ici le P. Marie-Michel
Leport, supérieur de la Trappe de
Belle-Fontaine (Maine - et - Loire) ,
qui oublia tout ce qu'il devait à son
bienfaiteur et supérieur majeur, et
engagea plusieurs moines de sa mai-
son à partager ses idées d'indépen-
dance. Nous avons lieu de croire,
d'après des aveux à nous faits par
dom Antoine, que celui-ci avait été
initié aux projets du P. Marie-Michel
et les avait approuvés. 11 en porta la
peine plus tard, car, devenu visiteur,
il vit la maison de Belle-Fontaine
agir à sou insu et contre son gré
dans son émancipation hiérarchique.
Apprenant que les religieux de ce
monastère projetaient d'élever leur
supérieur à la dignité d'abbé, ce
qu'ils avaient déjà commencé par
une élection, il se rendit à Belle-
Fontaine, et fit ôter du chapitre les
marques de distinction données au
siège de l'abbé futur, disant avec
autorité qu'il n'y avait que lui d'abbé
dans la maison. Il était persuadé, et
SAU
14T
il nous l'avait dit à nous-môme, d'a-
près une promesse du nonce, qu'on
ne nommerait d'abbés pour la France
que de concert avec lui. Les religieux
de Belle-Fontaine députèrent direc-
tement à Rome, et tirent ériger leur
maison en abbaye, à l'insu de dom
Antoine, qui ne fut pas même chargé
de la bénédiction de Tabbé Marie-
Michel, faite par Pévêque d'Angers,
ce à quoi il nous témoigna avoir été
fort sensible. Il était ennemi du tiers-
ordre établi par le zèle de dom Au-
gustin de Lestrange, et travaillait à
le détruire. Dans la visite qu'il lit à
la communauté du tiers -ordre, à
Louvigné-du-Désert (Ille-et-Vilaine),
il dit avec une brusquerie inconce-
vable que celte communauté était
dissoute et que les religieuses étaient
excommuniées. La maison n'en conti-
nua pas moins d'exister, et, lui, con-
tinua* d'y agir en supérieur. Nous
avons cité ces deux traits pour faire
apprécier la c/anduite qu'il tint dans
l'exercice d'un gouvernement qui
troubla sa tranquillité et nuisit à sa
réputation d'administrateur. Il eût
été à désirer pour lui qu'il ne fût
chargé que de son monastère, et
qu'il y établît plus universellement la
régularité extérieure qu'il contri-
buait à maintenir dans les autres.
L'école d'agriculture qu'il avait
fondée était bien plus en dehors des
habitudes monastiques que le tiers-
ordre, dont il condamnait la nou-
veauté et les inconvénients ; et lés
élèves qu'il admettait à cette école
étaient loin d'avoir la tenue conve-
nable des élèves du tiers -ordre.
L'usine ou fabrique de clous exploi-
tée à la porte du couvent, par des
ouvriers étrangers et les religieux,
nous paraissait nuire à la solitude et
au recueillement d'un monastère
dont les cloîtres avaient été détruits
10.
148
SAU
et n'avaient pas excitt^ l«^s premiers
soins du zèle de l'abbé. On dil que
maintenant l'abbaye de Melleray,
plus solitaire, ollre un tableau plus
édifiant. La révolution de juillet vint
jeter le trouble dans celte mai-
son, plus que dans toutes les autres
Trappes. L'exploitation d'un moulin
et les autres usines de Melleray, qui
faisaient honneur à l'industrieuse
aetivité de l'abbé, excitant la jalousie
des intéressés, fournit un prétexte
aux accusations et aux persécutions
exercées contre dom Antoine et ses
religieux. On alléguait surtout que
Melleray pouvait servir de retraite
et d'asile aux royalistes révoltés dans
ces contrées. L'administration dépar-
tementale était animée d'im très-
mauvais esprit ; les Trappistes furent
interrogés et expulsés deMelleray, les
Irlandais et les Anglais, qui y étaient
en grand nombre, furent reconduits
dans leur pays. Dom Antoine resta
dans sa propriété, comme pour ex-
ploiter sa ferme avec un petit nom-
bre d'associés, mais sans pouvoir
recevoir de sujets ni sonner les
exercices monastiques. Les religieux
français dispersés ne purent rentrer
qu'au bout de quelques années. La
persécution de Melleray, dont les
détails ont été imprimés, fait épisode
dans l'histoire ecclésiastique de cette
époque malheureuse. En 1834, les
maisons de Trappistes, en France,
furent unies en congrégation, sous
le gouvernement de l'abbé de la
Grande-Trappe , vicaire-généraUné
de l'abbé des Cisterciens, résidant à
Rome. Dans cette nouvelle combi-
naison, l'abbé de Melleray reste le
premier des quatre abbés de la con-
grégation, ayant droit de visite à
la Grande -Trappe. Quoique toutes
les maisons de France soient unies
en un seul corps , elles diffèrent
SAU
d'usa^^es et nu'me de costume. Il faut
dire, à la louange de dom Antoine,
qu'il a gardé l'étroite observance de
dom Augustin, à laquelle il s'était
toujours uïontré attaché, et la forme
ancienne de la coule, qu'elle avait
ramenée, tandis que dans quelques
monastères on a repris le chaperon,
qui date, dans l'ordre, de l'époque
du relâchement. Chaque année dom
Antoine se rendait , avec les autres
supérieurs des maisons, au chapitre
qui se tenait en septembre à la
Grande-Trappe (Orne), chef-lieu de
la congrégation. Là, il jouissait au
milieu de ses collègues de la dis-
tinction et de la considération que
méritaient ses services, son savoir
et ses vertus. Les religieux étran-
gers, chassés de sa maison en 1831,
avaient formé lemonastèredeMount-
Melleray, en Irlande, et le monastère
du Mont-Saint-Bernard , en Angle-
terre ; les religieux français avaient
été autorisés à revenir près de lui ;
il avait reçu de nouveaux sujets, et
les exercices de son abbaye étaient
depuis quelques années en activité,
quand, après une courte maladie,
muni des sacrements de l'Église, re-
çus avec une ferveur édifiante, il ex-
pira saintement, le 6 janvier 1839, à
l'âge de 74 ans. Un concours nom-
breux du clergé et des fidèles hono-
ra ses funérailles. La Vie du R, P.
D. Antoine Saulnier de Beaure-
gard, abbé de la Trappe de Melle-
ray, rédigée par deux de ses amis
sur des notes fournies par les reli-
gieux de Melleray^ Paris, 1840, est
de M. A. Égron, ancien imprimeur.
Dom Antoine n'a publié que l'Orai-
son funèbre du duc de Berry, pro-
noncée en 1820, laquelle se retrouve
dans la Vie que nous indiquons ici.
Le portrait de ce religieux a été li-
thographie. B— D— E.
SAU
SAULNJER (Pierre- DiEUDONNÉ-
Louis), né à Nancy le 1" janvier
1767,dans une famille de ne'gociants,
se livra à l'étude de la jurisprudence
et fut reçu avocat au parlement de
Lorraine quelque temps avant la
révolution, dont il se montra parti-
san modéré. Lorsque le régime de la
terreur eut cessé, il fut élu président
de la municipalité de Nancy, puis
membre du district et de l'adminis-
tration centrale du département de
la Meurthe ; plus tard le Directoire
exécutif le nomma son commissaire
dans ce même département. Après
la révolution du 18 brumaire il fut
appelé à la préfecture de la Meuse,
et devint ensuite secrétaire-général
du double ministère de la justice et
de la police, réunies dans les mains
du grand-juge Régnier, son compa-
triote. Le ministère de la police ayant
été rétabli en 1804, Saulnicr y fut
nommé aux mêmes fonctions de se-
crétaire-général , qu'il exerça suc-
cessivement sous Fouché et sous
le général Savary, duc de Rovigo.
C'est pendant l'administration de ce
dernier qu'éclata la conspiration de
Malet (voy. ce nom, XXVI, 368), qui
vint échouer à l'état-major de Paris.
Saulnier, accompagné de l'adjudant
Laborde, se rendit alors à l'Hôtel-de-
Ville, désabusa les troupes rassem-
blées sur la place, et même le préfet
du département, qui s'était aussi
laissé tromper {voy. Frochot, LXIV,
523) -, puis il fit mettre en liberté le
ministre Savary et le préfet de po-
lice, que les conjurés avaient arrêtés
et conduits à la Force. Après la Res-
tauration, Saulnier continua de res-
ter attaché, comme secrétaire-géné-
ral, à la direction de la police qui
avait remplacé le ministère. Révoqué
peu de temps avant le 20 mars 1815,
ïl rentra bientôt en fonction souS le
SAU
U9
ministère de Fouché, pendant les
Cent-Jours ; mais, au second| retour
de Louis XVIII, il cessa encore une
fois d'être employé. Élu en 1816 dé-
puté de la Meuse, il siégea constam-
ment au côté gauche,avec l'opposition
libérale , à côté de l'académicien
Etienne, avec qui il était très-lié. Il
s'opposa fortement à l'érection d'une
cour prévôtale dans son département,
et prononça, en 1817,unlong(liscours
contre la suspension de la liberté in-
dividuelle. Le 16 mai de l'année sui-
vante il appuya la pétition de Regnaud
de Saint-Jean-d'Angely {voy. ce nom,
XXX VU, 249), compris dans l'or-
donnance de bannissement, et qui se
plaignait des vexations qu'il éprou-
vait en Belgique. M. Madier deMont-
jau, conseiller à la cour royale de
Nîmes, ayant adressé en 1820, à la
Chambre des députés, une pétition
où il dénonçait des machinations
secrètes tramées dans le département
du Gard, et rappelait les excès com-
mis dans le Midi, en 1815, sur les
protestants et les libéraux, Saulnier,
rapporteur de cette pétition, obtint
qu'elle fût renvoyée au conseil des
ministres. Des motifs de santé l'em-
pêchèrent de se présenter comme
candidat aux élections de 1828, et
dès lors il vécut dans la retraite jus-
qu'à sa mort , arrivée vers 1840.
Saulnier avait épousé mademoiselle
Lacretelîe, sœur des deux académi-
ciens de ce nom. Il a fait imprimer :
1. Opinion sur le rapport de S. Ex.
le minisire de la police générale.,
relatif à la suspension de la liberté
individuelle., Paris , 1817, in-8®. IL
Discours prononcé à la Chambre des
députés, dans la séance du 9 mars
1820, Paris, 1820, in-4«. III. Éclair-
cissements historiques sur la conspi-
ration du général Malet^ en octobre
1812, Paris, 1834, in-S". P—rt.
150 SAU
SAULXIKR (SÉBASTIEN - Louis),
fils du précédent, naquit à Nancy le
28 février 1790, et très-jeune encore
fut envoyé à Paris pour y terminer
ses études sous la direction de Pierre
Lacretelle, son oncle. Nommé en
1811 auditeur au conseil d'État, il
fut chargé d'aller à Wesel interroger
un grand nombre d'individus que les
Anglais avaient débarqués sur les
côtes de la Hollande, réunie alors à
la France. Quoique tous eussent
servi dans les armées étrangères,
Saulnier reconnut bientôt qu'ils n'a-
vaient aucune intention hostile et
leur lit acccorder la permission de
retournev dans leurs pays. Il obtint
aussi de Napoléon, qui se trouvait en
ce moment à Wesel, la mise en liberté
d'un officier prussien, nommé Za-
remba, arrêté comme partisan du
major Schill {voy. ce nom,XLI, 130),
et qui restait détenu dans la forte-
resse, bien que la commission mili-
taire l'eût acquitté. Lors de l'expé-
dition de Russie, Saulnier fat nommé
intendant de la province de Minsk ;
mais, quand l'amiral TschitchakofF
s'en approcha, l'intendant se rendit
au quartier-général, près de Smo-
lensk, et se trouva bientôt exposé
aux désastres de la retraite. Ne pou-
vant plus suivre l'armée dans la
campagne de 1813, Saulnier fui en-
voyé par l'empereur en qualité de
commissaire - général de police à
Lyon. Il y déploya une grande éner-
gie lorsque les armées des alliés
ayant pénétré sur le territoire fran-
çais, le générai Bubna s'avança du
département de l'Ain dans celui du
Rhône, et s'empara du faubourg de
la Croix-Rousse. Un parlementaire
s'étant présenté à Lyon fut accueilli
jusqu'à l'Hôtel-de- Ville par des voci-
férations populaires, et cette démon-
stration, attribuée à Saulnier, déter-
SAU
mina le général autrichien à éva-
cuer la Croix-Rousse, rt retarda de six
semaines la capitulation. Après cet
événement, Saulnier resta sans fonc-
tions ; mais Napoléon, revenu de l'île
d'Elbe en 1815, le nomma préfet de
Tarn-et-Garonne, puis du départe-
ment de l'Aude.'qu'il administra jus-
qu'à la rentrée de Louis XVIII ; et il
ne fut plus employé pendant la Res-
tauration. Fixé à Paris, il s'occupa de
littérature, de sciences, et prit part
à la rédaction de plusieurs recueils
périodiques, tels que la Bibliothèque
historique et la Minerve française^
qui cessèrent de paraître par suite
des lois de censure. Il fit les frais
d'un voyage archéologique de M. Le-
lorrain en Egypte, d'où ce savant
rapporta le fameux zodiaque de Den-
derah, un sarcophage découvert dans
les plaines de Memphis, et beaucoup
d'autres morceaux d'antiquité. Après
la révolution de 1830, Saulnier fut
successivement appelé à la préfec-
ture de la Mayenne et à celle du Loi-
ret. C'est dans ce dernier poste qu'il
mourut, à Orléans, le 23 octobre
1835. Il avait été nommé correspon-
dant de l'Académie des sciences mo-
rales et politiques de l'Institut, réta-
blie en 1832, Saulnier a inséré dans
les deux recueils que nous avons
déjà cités, et surtout dans la Revue
Britannique, qu'il londa en 1825, et
dont il fut directeur jusqu'à sa mort,
un grand nombre d'articles d'écono-
mie politique, les uns originaux, les
autres traduits de l'anglais. Il a publié
séparément : I. Notice sur le voyage
de M. Lelorrain en Egypte^ et obser-
vations sur le zodiaque circulaire de
Denderahy Paris, 1822, in-8°. II.
Aperçu de la situation de la répu-
blique de Buenos-Ayres, III. Bilan
de la guerre et des émeutes, 1831,
in-S**. IV. De la cenlralisation ad-
SAU
ministrative en France, Paris, 1833,
in-8°. Y . Des finances des États-Unis
comparées à celles de la France ^
Paris, 1833, in-8^ Cette brochufe a
été réfutée par Fenimore Couper.
VI. Des routes et des chemins en
France^ et des moyens de les amélio-
rer, Paris, 1835, in-8o. Les quatre
derniers opuscules que nous venons
de mentionner sont extraits de la
Revue Britannique , recueil d'une
haute importance, où l'on trouve, sur
la littérature, les sciences, l'indus-
trie, l'administration, le droit pu-
blic, etc., une foule de documents
précieux. P— rt.
SAUMAREZ (lord Jacques de),
amiral anglais, né le 11 mais «757 à
Saint-Peter-Purt, principale ville de
l'îîe deGuernesey, d'une famille an
cienne et honorable, d'extraction
normande, dont le nom originaire
s'écrivait de Sausmarez, était le se-
cond fils de Mathew de Saumarez,
médecin distingué deGuernesey, et de
Carteret Le Marchant , sa seconde
femme. Après avoir passé quelques
années au collège de sa vilie natale,
le jeune Saumarez, qui avait constam-
ment montré une grande prédilection
pour la marine, dans laquelle deux
de ses oncles avaient obtenu le grade
de capitaine de vaisseau, et où son
frère aîné servait déjà, obtint, en
1767, c'est-à-dire lorsqu'il venait
d'atteindre à peine l'âge de dix
ans, d'être inscrit comme volontaire
sur le vaisseau de guerre Sole-
hy; mais il ne le rejoignit jamais,
et passa une partie de son temps dans
une école des environs de Londres.
Ce ne fut que deux ans après qu'il
s'embarqua pour la première fois sur
le Montréal, comman lé par le capi-
taine Alms, ami de sa famille, avec
lequel il se rendit de Portsmouthdans
la Méditerranée. Il passa ensuite suc-
SAU
151
cessivemei»! sur le Pembroke, puis
siir le Winchelsea et sur le Levant.
Pendant le long séjour que ce dernier
navire fit à Smyrne, Saumarez se for-
tifia dans la connaissance de la lan-
gue française, qu'il avait commencé
d'apprendre à Guernesey. La guerre
ayant éclaté cette année entre l'An-
gleterre et ses colonies de l'Amérique
septentrionale, Saumarez, qui avait
été nommé midshipman en 1770 (1),
futembarqué à bord ûu Bristol, vais-
seau de 50 canons, que montait l'ami-
ral sir Peter Parker, commandant
d'une escadre destinée pour la Caro-
line méridionale. L'activité et le zèle
déployés pendant la traversée par le
jeune midshipman attirèrent sur lui
l'attention du comte de Cornwallis,
commandant des troupes de débar-
quement chargées à bord de l'escadre,
qui offrit de le prendre pour son aide-
de-camp. Malgré l'espoir fondé d'un
rapide avancement sous de pareils
auspices, Saumarez refusa pour con-
tinuer de servir dans la marine. Le
premier engagement sérieux auquel
il prit part, fut l'attaque du fort Sul-
livan, au mois de juin 1776 -, il s'y fit
distinguer, et l'amiral Howe, qui com-
mandait en chef les forces navales
de l'Angleterre dans ces parages, re-
leva au rang de lieutenant, mit sous
ses ordres le Bristol^ et, lui donnant
le titre de sou aide-de-camp, le char-
gea de convoyer le général Clinton et
son armée de La Rochelle à New-York.
Bientôt il reçut le commandement
(i) Si l'on s'en rapporte à l'habile marin,
rédacteur des mémoires de Saumarez, les
midshipmen étaient à cette époque fort mal
nourris à bord des vaisseaux de la marine
royale angluise. Le biscuit qu'on leur don-
nait était plein de vers; ils mange?ient la
|)l)ipart du temps de la viande corrompue ;
ils étaient traités enfin de la manière la plus
dure. Sir JohuKoaS tiouve qu'où est tombé
aujourd'hui dans un excè» coutraiie.
152
SAU
du cutlei* Spilfire; mais attaque; par
des forces supérieures françaises près
de Rode-Island, au mois d'août 1778,
il se vit forcé, pour ne pas tomber
au pouvoir de l'ennemi, d'échouer
son navire et d'y mettre le feu, après
avoir débarqué ses canons, ses muni-
tions et son équipage. Saumarez
fut attaché ensuite à la division de
marins placés sous les ordres du
Commodore Brisbane , et provenant
des équipages des frégates et autres
bâtiments qui avaient été détruits. Il
remplit pendant quelques mois les
fonctions d'aide-de-camp auprès de
cet amiral , puis il fut envoyé en
Angleterre à bord du Leviathan; il
arriva à Porstmouth au commence-
ment de 1779. Au mois de juin 1781,
Saumarez, sur la demande expresse
du vice-amiral Hyde Parker, dont il
avait su acquérir l'estime et l'amitié,
l'accompagna comme lieutenant à
bord du Victory, et le 5 août suivant,
il assista à la bataille navale livrée,
près du Dogger-Bank^ k une flotte
hollandaise commandée par l'amiral
Zoutman. Quoique l'issue en fut dou-
teuse, Hyde Parker fut si satisfait de
la conduite de Saumarez , qu'il le fit
nommer commander, bien qu'il ne
fût encore que second lieutenant ;
il l'avait présenté auparavant au roi
Georges III comme un de ses meilleurs
ofâciers. Après cette action, Hyde Par-
ker, nommé commandant de la sta-
tion des Indes orientales, voulut le
prendre avec lui sur le Cato; mais
cette proposition n'ayant pas eu de
résultat, par une circonstance parti-
culière, Saumarez évita ainsi la mort,
car ce vaisseau ayant mis à la voîle,on
n'en entendit plus parler, et l'on sup-
posa qu'il avait coulé bas à la hauteur
du cap de Bonne-Espérance, et que
l'amiral et son équipage avaient péri.
Placé sous les ordres de l'amiral Kern-
SAU
penfeld , Saumarez, comnwindant le
brûlot la Tniphone, sedistinguaà l'af-
faire du 12 déc. (1781), entre la flotte
anglaise et une flotte française com-
mandée par le comte de Guichen et
chargée de protéger un nombreux
convoi destiné pour l'Âmérique(vo7/.
Guichen, XIX, 78). Il s'empara, dit
l'auteur de ses mémoires, d'un vais-
seau de guerre de 36 canons, après
un combat de vingt minutes-, et par
une manœuvre habile il échappa en -
suite lui-même aux poursuites de
deux vaisseaux français en faisant de
faux signaux de nuit. Activement
employé par l'amiral sir Samuel
Hood, Saumarez reçut de lui, au mois
de février 1782, le commandement du
Russeh vaisseau de ligne de 74 ca-
nons, avec lequel il prit une part ac-
tive à la bataille navale du 12 avril,
donnée près delà Guadeloupe, et qui
se termina par la défaite et la prise
du comte de Grasse par l'amiral an-
glais Rodney. Saumarez fut un de
ceux qui contribuèrent le plus à ce
résultat par la position qu'il prit sous
la poupe de la Viile-de-Paris que
montait l'amiral français. Chargé de
conduire plusieurs prises en Angle-
terre , il profita de l'inaction dans
laquelle le laissait la paix conclue le 3
sept. 1783, pour aller examiner les
nouveaux travaux que la France faisait
exécuter à Cherbourg afin d'y établir
un port militaire. Saumarez , qui s'y
trouvait au moment où Louis XVI
était venu le visiter, fut parfaitement
accueilli par ce monarque. Depuis son
retour d'Amérique, il résida con-
stamment dans sa famille, à Guerne-
sey, où il épousa, le 8 oct. 1788, miss
Marlha Le Marchand. En 1 787 et 1 700,
des difficultés survenues entre l'An-
gleterre et la France le firent remet-
tre en activité ; mais ces différends
n'ayant point eu de suite, il ne quitta
SAU
pas ses foyers. Il n'en fut pas de
même en 1793; la guerre ayant été
de'clarée par la Convention nationale
de France, au commencement de fé-
vrier, le Crescent, de 36 canons, que
Saumarez commandait depuis le 24 du
mois préce'dent, après avoir convoyé
des transports chargés de troupes
pour renforcer les garnisons des îles
du Canal, établit une croisière entre
le 51° et le 47° de latitude et le 12° et
le 18° de longitude ouest, pour pro-
téger le commerce anglais. Son vais-
seau,qui avait éprouvé d'assez fortes
avaries, ayant été radoubé, il remit
en mer, et le 20 octobre il attaqua et
prit près de la pointe de Barfleur,
après un engagement de deux heures
et demie, la frégate française la Réu-
nion de 36 canons, montée de 320
hommes, commandée par le capitaine
Deniau (2), Présenté au roi après
cette action, Saumarez fut fait che-
valier, reçut le commandement d'une
petite escadrille formée des frégates
Crescent et Druid, du brig Liberty
et du cutter Lyon^ sous les ordres
de l'amiral M'Bride. Le 8 juin 1794,
se trouvant à douze lieues environ
au nord de Guernesey avec le Cres-
cent^ le Druide et VÈuridice qu'en-
semble 92 canons, il eut un engage-
ment avec une escadre française de
force infiniment supérieure (3), à la-
quelle il échappa par sa présence
(2) Suivant le rapport anglais , un seul
homme at;rait été blessé à bord du Crescent,
et encore par le recul d'un cauon, tandis
que la frégate fi-ançaise aurait eu 34 hommes
tués et 84 blessés. Le rapporteur anglais
reproche aux Français de tirer si haut qu'à
peine leurs boulets atteignaient le corps du
navire, taudis que les Anglais au contraire
dirigeaient leur feu sur le gouvernail ( at
the rudder)^ et cherchaient à désemparer
l'ennemi, ce à quoi ils parvinrenr.
(3) Suivant les mémoires de Sainiiuitz,
c'étaient :
SAU
153
d'esprit et l'habileté de ses manœu-
vres, dit son biographe ou plutôt
son panégyriste anglais, qui appelle
cette action un exploit signalé qui
lui attira l'admiration de son pays,
et la haute approbation de l'amirauté.
Il continua de croiser sur les côtes
de France à bord de la frégate le
Crescent, et obtint eniin le comman-
dement du vaisseau de ligne l'Ono/i,
avec lequel il assista, le23 juin 1795,
au combat livré près des côtes du
Morbihan sous l'île de Groix par Tami-
ral Bridport, à la flotte française
commandée par l'amiral Villaret (4).
Trois vaisseaux français, VÀlexan-
dre^ le Tigre et le Formidable, res-
tèrent au pouvoir de leur adversaire.
L'expédition anglaise pour la baie
de Quiberon ayant manqué, Sauma-
rez reçut l'ordre de retourner en
Angleterre , où il arriva le 30 dé-
cembre, avec un nombreux convoi
qu'il escortait. Quoiqu'il eiit été
presque constamment en mer et em-
ployé activement, on ne peut citer
aucun événement remarquable dans
cette portion de la vie maritime de
Saumarez jusqu'au 14 février 1797,
qu'il prit part, avec VOrion^k la ba-
taille navale du cap Saint-Vincent,
dans laquelle l'amiral sir John Jer-
vis défit la flotte espagnole com-
mandée par don José de Cordova.
Deux des plus forts vaisseaux espa-
le Scœvola (rasé) de 54 can.
— i656 vreight
of thot.
Brutus ( rasé) de 54
— i656
la Dauaé de 36
— 800
Félicité de 36
— 800
Terreur de 12
— 144
1^2 can. 5o54 j
(4) La flotte française était composée de
12 vaisseaux de ligne et de quelques fré-
gate?, tandis que les Anglais avaient 17
vaisseaux dont 8 à trois ponts, 5 frcgates et
pluïieui'S autre* bâtiments.
15/i
SAU
p;noIs baissèrent I<îur pavillon uv-
vant VOrion^ dont le capitaine ne
reçut cependant de son gouverne
ment qu'une nieiiailie <ror, de in(?ine
qu'un certain nombre de ses cama-
rades (5). Les marins de la flotte
anglaise s'étant niutine's, Saumarez
non-seiilemenl sut conserver dans le
devoir lotit l'équipage de l'Onow,
mais par ses mesures, à la fois pru-
dentes et énergiques, il contribua à
apaiser la révolte qui s'était mani-
festée à bord des autres bâtiments.
Ayant été placé sous les ordres de
Nelson au mois de mai 1798, Sauma-
rez se trouvait avec lui, le T' et le
2 août suivant, à la mémorable ba-
taille d'Aboukir, que les Anglais ap-
pellent du Nil ; il y commandait la
seconde division formant l'avant-
garde, et y fut blessé. Il ne fut pas,
dit-on, satisfait, en ce qui ie concer-
nait, du compte que Nelson rendit
de cette affaire, en ne le distinguant
pas drs autres capitaines, dont il
était le doyen, el quoiqu'il, eût le
premier engagé l'action ; aussi n'ob-
tiut-il aucune faveur particulière de
la couronne. Après l'action, il fut
chargé de conduire en Angleterre,
avec six vaisseaux de ligne, une par-
tie des vaisseaux français capturés;
il y arriva à la fin de l'année. Il
avait sommé vainement, en passant
devant Malte (25 sept. 1798), le géné-
ral Vaubois de lui remettre la ville
et les ports ; un refus aussi concis
qu'énergique fut la seule réponse du
général français (6). Nommé au mois
(5) Sir John Jervis devint comte de Saiut-
Vinceat, et Nelson reçut la graud'croix du
Bain.
(6) Voici la réponse du général Vaiihois,
portant la datf du 4 vendémiaire an 7, telle
qu'elle est rapportée dans les uiéinoiies de
Sauuiarez : « Vkus avez oublié sans doute
« que ce sont des Frauçais qui sont dans
« Malle; Icburt de ses habitants ne di-il pas
SAU
de février suivant l'un des colonels
des troupes de la marine, Saumarez
obtint le conniiandement du Cœsar,
(le 84 canons , et fut attaché à la
flotte du Canal. Au mois d'août 1800,
l'amiral Saint - Vincent lui donna
à commander l'escadre d'avant-garde
avec laquelle il eut à surveiller le
passage du Raz, l'île de Groix et la
baie de Quiberon. Nommé contre-
amiral le V janvier 1801, et baron-
net du Royaume-Uni au mois de
juin suivant, Saumarez avait été
chargé, dès le 7 de ce même mois, de
surveiller le p^rt de Cadix, à la tête
d'une force navale considérable, lors-
que le 5 juillet il apprit qu'une esca-
dre française venait d'entrer dans la
rade d'Algesiras. C'était celle du
contre-amiral Linois, composée de
trois vaisseaux de ligne, dont deux
de 80 et l'autre de 74, et d'une fré-
gate de 40 canons, venant de TouIoDï
qui , n'ayant pu se réunir, ainsi
qu'elle en avait reçu l'ordre, à l'es-
cadre espagnole , commandée par le
contre-amiral don Juan Moreno, avait
dû prendre le parti de se jeter dans
la baie de Gibraltar. Prévoyant qu'il
ne tarderait pas à être attaqué, Li-
nois descendit à terre pour se con-
certer avec les autorités espagnoles,
et organisa le service des batteries
qu'il avait trouvées en fort mauvais
état. Dans la matinée du 6, Saumarez
doubla la pointe del Carnero, à ren-
trée de la baie deGilbratar, avec six
vaisseaux de ligne et une frégate, et
par une manœuvre qui avait réussi
à Aboukir, il disposa ses bâtiments
de manière à passer entre la terre et
la ligne d'embossage, afin de mettre
ainsi la division française entre deux
feux. Mais Linois , prenant immé-
vous regarder. Quant a votre soiuiaatiuu,
les Français n'entcudent [»as ce slyle, ■'
SAU
diatement un parti énergique, fit à
ses vaisseaux le signal de couper
leurs câbles et de s'e'chouer au plein
en profitant de la brise, qui avait
molli et varié du nord au nord-est.
Par suite de cette manœuvre, que les
Anglais euï-mêmes ont appelée fort
habile (7) , et en faisant occuper
avant ses adversaires l'île Verte par
cent trente hommes de la frégate la
Muiron, il força Saumarez à la re-
traite , après un long engagement
dans lequel les vaisseaux de Tamiral
anglais furent très-maltraités, et ce-
lui-ci abandonna le vaisseau de ligne
VHannibalsiU pouvoir de la division
française. Lorsque la nouvelle de cette
action , si honorable pour l'amiral
Linois, parvint en Angleterre, Fa-
mour-propre national fut d*abord vi-
vement blessé d'avoir été vaincu par
des Français ; Nelson et Saumarez
lui-même attribuèrent le non-succès
au manque de vent et à un calme
inattendu {to the failure of the wind
and to a sudden calm which came
on.,.)'^ plus tard on essaya de repré-
senter cette défaite presque comme
un triomphe Après avoir avoué que
l'action d'Algesiras avait été vive-
ment disputée de part et d'autre, que
Linois méritait des éloges pour ses
belles manœuvres, et avoir reconnu
que les Anglais s'étaient crus un
instant si sûrs du succès, que vers
(7) « Praise is cerlainJjr due to admirai
Linois, dit sir John Ross, rédiicteur des Mé-
moires de Saumarez, t. I, p. 366, /or his able
manœuvre of warping h/s ships a giound,
being the onljr chance he hadojf escapingf et
cependant, quoi(ju'il ne cache pas que les
Anglais ont été repousses, que leurs Tais-
seaux ont été fort maltraités , et. que les
Français se sont emparés du vaisseau de
ligne l'/it/nnjftaZ, il ajoute , tant l'esprit de
parti peut aveugler les hommes les plus
éclairés : « /n a national point oj view, the
resuit ivasas complète as if the whole squadron
had ùeen destroj'td,,. «
SAU
155
dix heures du matin, c'est-à-dire
avant les manœuvres de Linois, ils
avaient été sur le point d'envoyer
un parlementaire aux autorités espa-
gnoles d'Algesiras pour les inviter à
livrer les vaisseaux français (8), le
capitaine Brenton, capitaine du Cœ-
sar, cherche à diminuer le mérite
de Linois en prétendant que les Fran-
çais eurent peu de chose à faire et
que ce furent les batteries et les
chaloupes canonnières des Espagnols
qui décidèrent l'action (9). Nous re-
grettons de voir un marin aussi dis-
tingué que le capitaine sir John
Ross s'oublier au point d'avancer,
en parlant de l'affaire d'Algesiras ,
« que les Français, comme on pou-
« vait s'y attendre d'après fjùr mé-
« pris ordinaire pour la vérité {for
« theirusualdisregardtotruth)^ pré-
« sentèrent cette action comme un
« des plus brillants exploits qui aient
« été jamais exécutés, en racontant
• que trois vaisseaux français ont
« battu complètement six vaisseaux
• anglais, dont un a été forcé de se
(8) « Aboui ten o'clock, dit|Brenton, capi-
taine de pavillon de Saumarez, the fre ofthe
french ships appeand to slackcn so much that I
venturedto suggesl to ihe admirai thalajlag of
truce might be sent in, with a notice to the spa-
niards thaï if the british squadron were per~
mitted to lake awaj the french ships wilhout
an) further moie.Uation from the batteries, the
toivn would be respecled, and no further injurjr
doneto it.» Il faut remarquer que les batte-
ries étaient en si mauvais état, que Linois
fut o!>ligé de faire débarquer des artilleurs
français pour les servir. C'est ce que recon-
naît au surplus le capitaine sir Ji)hn Ross
lui-même : « The five strong batteries were
serped with much efject by the french arlil'erj
men »
(9) . . . The action of Algeziras was cer-
tainly obstinaiely fought, and galaniljr con-
tested on both sides. It is true thaï ihe french
had little to do but to attend to their guns,
being either at an anchor in their strong po-
sition, or warping towards the shore In this
opération the spaniard had the hard^sl duty...
C;ip. Brenton, Man. ofSaum., t. I, p. i^d. ^
156
SAU
« rendre à eux (10). «Après lecoinl)at
du 6 juillet, les vaisseaux de Saunia-
rez, quoique ayant soull'crt couside'-
rableinent dans leurs mats et dans
fleurs manœuvres, purent trouver
dans l'arsenal et les chantiers de Gi-
braltar tout ce qui leur manquait et
s'y réparer facilement, à l'exception
toutefois du Pompée^ qui avait été si
complètement endommage dans ses
mâts, dans ses manœuvres et dans
ses voiles, qu'on perdit tout espoir
dé le mettre aussi promptementque
les autres en état de tenir la mer.
L'amiral français était dans une si-
tuation bien différente ; ses vaisseaux
avaient éprouvé, comme ceux de son
adversaire, les plus graves avaries
et perd^; plusieurs de leurs grands
mâts, mais il n'avait pas comme lui à
sa disposition un arsenal bien appro-
visionné, car Algesiras, où il s'était
réfugié, ne lui offrait aucune res-
source, et il était tout à fait impossi-
ble qu'il se rendît à Cadix où il aurait
pu en trouver. Le 9 juillet cependant,
une division espagnole, consistant en
six vaisseaux de ligne et trois fré-
gates, s'élant rendue de Cadix à Al-
gesiras sous le commandement du
contre- amiral Moreno, Linois put
profiter d'une partie du matériel
qu'elle portait pour radouber ses
vaisseaux , et le 12 la flotte franco-
espagnole mit à la voile pour sortir de
la baie de Gibraltar. Quelque impa-
tient que fût Saumarez de réparer
l'échec éprouvé par lui près d'Alge-
(lo) Ces reproches, qae aous nous con-
tenterons d'appeler peu mesurés, sont d'au-
t.iut plus injustes qu'il n'est pas une ligne
dans le rapport que l'amiral Linois fit de
cette affaire au ministre de la marine qui
ne soit conforme à la vérité. 11 n'y dissimule
aucunement le parti qu'il a tiré des batte-
ries de terre et de chaloupes espagnoles qui
ont pris, suivant lui, une part très-aclive à
l'actiuo.
SAU
siras, comme il attendait k tout in-
stant l'escadre de lord Keilh, et qu'il
espérait que d'autres vaisseaux ne
tarderaient pas à lui arriver de Lon-
dres, il se borna pour le moment à
faire des réparations à ceux de ses
vaisseaux maltraités dans l'affaire
du 6. Mais lorsqu'il eut été joint par
le vaisseau de ligne le Superbe et par
la frégate la Tamise, et qu'il eut ap-
pris que la flotte franco -espagnole se
disposait à se rendre soit à Cadix,
soit à Carthagène, il crut devoir se
confier à la fortune pour l'empêcher.
Son intention, dit Brenton, était de
réunir toutes ses forces contre la
portion delà ligne de l'ennemi qu'il
pourrait atteindre, comptant sur les
talents de ses capitaines et la disci-
pline de ses vaisseaux pour compen-
ser la disparité du nombre, surtout
pendant une action de nuit. Il
se forma donc en bataille au vent de
l'armée combinée, et croyant aper-
cevoir quelque désordre dans sa li-
gne,il l'attaqua vivement. Le Superbe,
passant entre \e Real-Carlos (U) et
le San-Hermenegildo, les deux plus
grands vaisseaux de la marine espa-
gnole, commença le feu à onze heu-
res du soir en lâchant sur l'un et
sur l'autre ses bordées de tribord et
de bâbord, et s'éloigna ensuite en
forçant de voiles. Dans l'obscurité,
les deux trois-ponts se prenant réci-
proquement pour ennemis, se livrè-
rent un combat acharné, et le feu s'é-
tant déclaré abord de chacun d'eux,
ils sautèrent simultanément (12).
(ir) Saumarez, Keats, capitaine du Su-
perbe, et M. Hennequin, avec tous les rap-
ports français, donnent à ce navire le même
nom que nous, tandis que M. Thiers l'ap-
pelle le San-Carîos.
(ra) M. Thiers dit, dans son Histoire du
consulat et de l'empire, t. III, p. 127, que
t' Saumarez avait poussé l'acharnement jusqu'à
placer sur ses vaisseaux des fourneaux à rou-
SAU
A la suite de cette terrible explosion,
le S an- Antonio, yaisscàu. récemment
arme, qui formait l'arrière - garde
avec le Real-Carlos et le San-Her-
gir les boulets. . , qu'il s'était cruellement
vengé sans beauconp de gloire pour lui, mais
avec un grand dommage pour la Jlolte espw
gnole. » Les bruits que l'écrivaia frauç;as
transporte assez légèrement, <"e nous sera-
l)le, dans un ouvrage historique, ont en
effet circulé en Espagne à l'époque où eut
lieu l'affaire du 12 juillet. Saurnarez les
fJément positivement dans une lettre qu'il
crut devoir écrire à ce sujet, le 17 août
i8or, à D. Josepli de Mazarredo, comman-
<lant en chef de la marine espagnole à Ca-
ilix.u Having been informed that reports wert
eircalated in Spain, ascribing the destruction
of the two first-rates, Real Carlos and San
Hermenegildo, in the engagement ofthe i^th.
juif last , to red-hot balls from his Majestr's
ships under my command, I take the présent
opportunitj, dit l'amiral anglais, to contradict
in the most positive and formai manner a
report so injurious to the characteristic hu-
manitjr of the British nation, and to assure /our
^xcellencj- that nothing was morevoid oflruth.
This l request fou will be pleased to signi/jr
Mï the most public way possible. . . » Le pas-
sage suivant de la réponse que Mazarredo
fit en anglais à l'amiral Saumarez justifie
complètement celui-ci : « The reports which
hâve been current, that the burning oj the two
royal ships, on the night ofthe 12 th. and
i3 /A, arose from the use of red-hot balls,
which tverefired at theTn,ux\K existed only
AMONG THE IGNORANT PUBLIC, AND HAVE
NOT RECEIVED CREDIT FROM ANY TERSONS
OF CONDITION... « L'amiral Linois n'en dit
pas un mot dans son rapport officiel, et
notre collaborateur Henuequin , si bien
placé pour connaître la vérité, n'y fait au-
cune allusion dans la notice qu'il a consacrée
au (commandant français daussa Biographie
maritime. Nous devons reconnaître toutefois
q^ue sir Jahleel Brenton, déjà cité, dit posi-
tivement que dans l'action du 6 juillet à
laquelle il assistait, les Anglais bridèrent
deux navires ennemis ( burned two of their
first-rates ) ; et que, dans la séance de la
chambre haute du 3o octobre 1801, lord
Saint- Vincent, premier lord de l'amirauté,
vota des reraercîmeuts à Saumarez pour
avoir détruit deux vaisseaux espagnols.. . .
( He had destroyed two spanish men of war. J
Mais ce sont là évidemment des exagéra-
tions de la vanité nationale dont l'inexacti-
tude est démontrée par les déclarations de
ilaumarez et de Mazarredo, et par le silence
3fl Linois et d'Hcnneqiiin.
SAU
lo7
menegîldo, en cherchant h s'éloigner
du foyer de l'incendie, fut entouré
par plusieurs vaisseaux anglais, et
forcé de se rendre (13); le reste
de la flotte combinée se rallia à
peu de distance de Cadix, où le For-
midable., commandé par le capi-
taine Troude, ne tarda pas à la re-
joindre, après avoir soutenu seul un
brillanlcombat contre trois vaisseaux
anglais et une frégate. Le récit de la
bataille des 12 et 13 juillet, qu'on
appela en Angleterre une victoire
signalée, qui surpassait, dit lord
Saint-Vincent , tout ce qu'il avait
appris par ses lectures, ou dont il
avait été témoin {every thing he had
met with in his reading or service) y
excita le plus vif enthousiasme. Sau-
marez fut créé chevalier de l'ordre
du Bain, les deux chambres du par-
lement lui volèrent à l'unanimité des
remercîments, le lord maire ^ les
aldermen et les communes de Lon-
dres lui offrirent les franchises de la
cité avec une épée de la valeur de
cent guinées, et les îles de Jersey et
Guernesey un beau vase d'argent. En-
fin le premier minisire Addington
accorda au plus jeune frère de l'ami-
ral un poslede confiance dans l'île de
Ceylan, produisant un salaire annuel
de deux mille livres sterling. Malgré
cet étalage de récompenses, et malgré
lescloges pompeux donnés dans cette
circonstance à l'amiral anglais, tant
par la presse que par les plus grands
personnages du royaume et par les
hommes les plus distingués de la
(i3) M. Jurien de la Gravière dans les
Guerres maritimes sous la république et sous
l'empire, t. II, p. 109 et 110, nous paraît
avoir traité les Espagnols avt'(; trop de ri-
gueur. Le peu de lignes qu'il consacre aux
combats des 6 et 12 juillet ne représentent
pas ces actions avec nue <omplète exacfi-
t:!de.
158
SAU
SAU
marine britannique, qui comparaient
le brillant fait d'armes de Sauma-
rez (14) à la bataille d'Aboukir (du
Nil), nous pensons qu'p» a grande-
ment exagère' ce succès. Examinons
en effet avec impartialité quelle était
la situation des deux Qottes ennemies
et le but de leurs commandants res-
pectifs, et voyons ensuite quels résul-
tats furent obtenus. La flotte franco •
espagnole était composée des trois
vaisseaux de ligne français qui avaient
pris part au combat d'Algesiras , et
dont on n'avait pu que réparer fort
incomplètement les avaries, et des six
navires espagnols, dont deux à trois
ponts venus de Cadix avec des équi-
pages peu exercés. Sous le rapport
du nombre, la flotte anglaise était
certainement inférieure, puisqu'on
n'y comptait que cinq vaisseaux de
ligne (15)^ mais tous ces vaisseaux,
montés par de vieux marins, étaient
parfaitement équipés et habitués en
outre depuis long-temps à manœu-
vrer de concert. Cet ensemble sur-
tout qui n'existait pas dans la flotte
combinée est cependant si nécessaire,
que sir John Ross lui-même, dans
son compte rendu, atténue, peut-
être sans s'en douter, le mérite qu'a
pu avoir Saumarez,en faisant obser-
ver « qu'il était presque impossible
que neuf vaisseaux (ceux de la flotte
franco-espagnole) qui n'avaient ja-
mais navigué de concert, pussent se
maintenir pendant un certain temps
sur une ligne de front, vent arrière,
assez exactement pour se former en
ligne de bataille lorsqu'on le com-
manderait, surtout par une nuit ob-
scure avec une forte brise : et il est
(i4) «< One of the mosl extraorJinarf un-
dertakings ever known, suivant sir Joliu Ross
( t. I, p. 393 ).
(i5) La flotte corubioée availde plus qua»
tre frégates, chacune de 4^0 canons.
bien évident qu'un vaisseau qui serait
en avant des autres ne pourrait en-
trer dans la ligne de bataille lors-
qu'on ferait le signal de se former
sur l'unedes lignesdu plus près(16).»
En admettant que Moreno et Linois
aient pris de mauvaises disposi-
tions , ainsi que sir John Ross le
leur reproche (17), n'est-il pas cer-
tain que, malgré la fatale méprise
qui causa la perte des deux plus beaux
vaisseaux à trois ponts de la marine
espagnole et diminua non-seulement
la force réelle, mais aussi la force
morale de la flotte combinée, perte
qu'on ne peut attribuer à l'habileté
de Saumarez, puisqu'il se défend lui-
même d'y avoir contribué, celte flotte
atteignit le but qu'elle s'était pro-
posé, celui de se rendre à Cadix, tan-
dis que les Anglais manquèrent le
leur en ne l'empêchant pas d'entrer
dans ce port, comme* ils l'essayèrent
vainement (18) ? Le seul résultat favo-
(16) « Il was scarceljr possible thas niiie
ihips , which had never sailed in companj
wiih each other^ could maintain,for anjr length
of lime, a Une abreasl before the wind so
exactly as to be able to form in a Une ahead
wlien required , especialljr in a dark night
with a strong breeze ; and it must be évident
tha ianjr ship wliich advanced at aU ahead of
the others could never ^el into the Une ofbattle
when the signal was made to form it on either
tack. M
(l'j) « To those conversant in naval affairs»
it most appear mamfesl thaï the disposition
made by admirais Moreno and Linois was one
of the worst that could be devised. . . Moreno
seems to ha*e beenfidlf awareof the probabilitj
ofthe ships firing inioeach other, jet he made
arrangements of ait others the least likelj- to
prevenl it. Had heformedinto two Unes ahead,
wilh the disabled ships in advance, he would
hâve obvialed the risk of firing into each other,
while the one division, bjr shortening sail,
might hâve given timelj assistance to the
other which had been atlacked. » P. 439.
(18) « The admirai, dit Brenton, p. 408,
was also anxious toget his squadron round him,
that he might, with his collected force , reach
Cadi$ before the morning, and eut the enemy
SAU
SAD
159
rable qu'ils obtinrent fut en dëtîni-
tive la prise du San- Antonio^ qui ne
tomba même en leur pouvoir que
parce que, se trouvant placé à l'ar-
rière-garde auprès du San-Hermene-
gildo, en cherchant à s'éloigner de
ce bâtiment embrasé, il fut séparé
des autres vaisseaux et attaqué à la
fois par deux navires ennemis. Ce
résultat faillit même être con» pensé
par la perte du Vénéraile^ tellement
maltraité par le Formidable, com-
mandé par le capitaine Troude, ayant
à se défendre cependant en même
temps contre ]eCœsar, \e Superbe
et la frégate la Tamise, que le vais-
seau anglais fut forcé de s'échouer à
la- côte où Saumarez avait donné
l'ordre de le brûler, daus la crainte
qu'il ne tombât entre les mains des
Français (1 9). Un écrivain qu'on n'ac-
cusera pas d'être trop favorable aux
Français, M. Frédéric Schoeil, dit
dans son Histoire abrégée des traités
de paix, t. VI, p. 127, que «dans
Vétat de supériorité de la marine an-
glaise, Linois eut le 6 juillet (1801)
un succès qui pouvait paraître bril-
lant {'io)... » El en parlant de l'enga-
gement du 12, que « le même amiral
livra un combat qui ne fut pas s4,
offfrom the onljr port in which ihejr could/ind
securiljr. t
(19) « ^« e'^/*' minutes past eight , dit
Brenton, the Vénérable made the signal of
having struck on a shoal. The admirai,,
VERY APPREHENSIVE OF HEK FALiaNO INTO
THE HANDS OF THE ENEMY, Sent me with
discietional orders ta captain Hood, that,
should he not be able to get lier off the shoal,
he might put hi$ men mto ihe Thamcs and
BUKN THE VENERABLE, making the signal
at the same lime for the Tharnes to close with
the Vénérable as soon as possible. »
(20) Le Ciipitaiiie Breufotj liii-iriême s'ax-
prirne i.iiisi eu pHiLtiit de l'affiiire du G:
« Admirai Saumarez had been towed in from
Àlgeziras with his crippUdand de/eated squa-
dron, with the lost of a thip of the Une. » T. [,
p. 411.
heureux. » Après la conclusion de la
paix entre la France, l'Espagne et
l'Angleterre, Saumarez, qui venait
d'êire nommé chevalier de l'ordre du
Bain, fit, au nom de son gouverne-
ment , la rennse des îles Baléares
à l'Espagne (16 juin 1802). Lors
de la reprise des hostilités (1803),
on lui confia le commandement
d'une escadre chargée de la dé-
fense des îles du Canal, que les Fran-
çais paraissaient menacer, et peu
après du blocus des côtes occiden-
tales de France , entre le Havre-de-
Grâce et Ouassant, pendant lequel il
bombarda Granviile et eut quelques
affaires avec des chaloupes canon-
nières. Au mois de janvier 1807, il
fut appelé à un service plus actif et
devint commandant en second de la
flotte du Canal, composée de 27 vais-
seaux de ligne. Le comte de Saint-
Vincent, qui la commandait en chef,
étant tombé malade, il le rem-
plaça avec le titre de vice-amiral,
auquel il venait d'être élevé. Ayant
perdu cette position par suite du
changement de ministère, et le mau-
vais état de sa santé ne lui permet-
tant pas d'accepter le commande-
ment de la station des Indes orien-
tales, quoique ce fût la plus lucrative
de toutes (janvier 1808), il demeura
sans emploi jusqu'au moment oii la
Russie accéda à la proposition qui lui
avait été faite par la France de décla-
rer l'Angleterre en état de blocus
(février 1808). La Suède, restée fidèle
à l'alliance anglaise, avait tout à
craindre de la première de ces puis-
sance» ; aussi Saumarez fut-il envoyé
dans la Baltique pour la protéger
avec une flotte considérable, doift la
présence n'empêcha pas les Russes de
prendre Sweaborg et d'envahir la
Finlande, ce qui amena la révolution
et le renversement du trône de Gus-
100
SAU
SAU
tave !V Adolphe. l)(>s le 17 sept. 1808,
Sauniarez avait cru devoir écrire di-
rectement à l'empereur de Riissie,sans
y être, à ce qu'il paraît, autorisé par
son gouvernement, pour proposer à
ce prince de se désister de toute hos-
tilité contre l'Angleterre et ses alliés,
et de retirer ses troupes de la Fin-
lande suédoise, en lui annonçant que
l'Espagne et le Portugal étaient par-
venus à secouer le joug de la France.
II l'informait en môme temps que les
troupes françaises avaient été forcées
de se rendre à l'armée anglaise, com-
mandée par sir Arthur Wellesley.
Mais cette proposition , désavouée
d'ailleurs par le ministère anglais,
n'eut pas de résultat. Le duc de Su-
dermanie, qui avait succédé à son
neveu sous le nom de Charles XIII
(6 juin 1809), suivit d'abord sa poli-
tique favorable à l'Angleterre, et con-
féra à Saumarez la grand'croix de
Tordre de l'Épée. Ce fut pendant que
ce dernier commandait dans la Bal-
tique que le marquis de la Romana
parvint à se sauver à bord des vais-
seaux anglais (oct. 1808), avec une
partie des troupes espagnoles trans-
portées en Danemark pour agir de
concert avec les Français ^ dès leur
arrivée en Espagne, ces troupes agi-
rent immédiatement contre leurs an-
ciens alliés. .Les avantages remportés
par la Russie ayant forcé le nouveau
roi Charles XIII à conclure avec cette
puissance, le 17 sept. 1809, le traité
de paix de Frederikshamn, par lequel
la Suède cédait tout ce qui lui restait
encore du grand-duché de Finlande
et s'engageait à fermer ses ports aux
navires de guerre et de commerce an-
glais, Saumarez retourna en Angle-
terre à la fin de 1809. Les ordres pé-
remptoires envoyés par Napoléon
pour l'exécution des dispositions du
traité de Frederikshamn contre la
marine anglaise déterminèrent le
gouvernement britannique à mettre
de nouveau Saumarez à la tête de ses
forces maritimes dans la Baltique. Il
arriva dans la rade de Gothembourg
au mois de mai 1810, et se mit immé-
diatement en correspondance avec
M. Poster, ministre plénipotentiaire
anglais à Stockholm, qui fut obligé
de quitter la Suède le mois suivant.
Le 21 août de la même aimée, l'ami-
ral suédois Krusenstjerna annonça
verbalement à Saumarez, de la part
du roi, que ce souverain avait pré-
senté à la diète d'Orebro le prince
de Ponte-Corvo comme son successeur
au trône de Suède (21). Déjà l'élection
était faite: aussi Saumarez ne put
qu'exprimer ses regrets de ce que
son gouvernement n'avait pas été
mis, par une communication faite en
temps opportun, en mesure de sou-
mettre des observations contre l'é-
lection d'un officier-général au ser-
vice de l'ennemi le plus acharné de
l'Angleterre. Néanmoins, lorsque le
nouveau prince royal, qui se trouvait
à Nyborg en Fionie , demanda la
permission de traverser le Beit sans
être molesté, elle fut gracieusement
accordée par Saumarez, placé en ce
moment avec sept vaisseaux de ligne,
six frégates et sloops au centre
d'un convoi de plus de mille voiles,
dont il devait protéger le retour en
Angleterre. Malgré la déclaration de
guerre de la Suède, Saumarez, con-
vaincu que cette mesure avait été ar-
(2i) Cette communication fut faite avec
intention le même joui" que le prince
de Ponte-Corvo fut élu, précisément aûn
d'éviter les objections de l'Angleterre. L'a-
miral suédois affirmait que le prince de
Ponte-Corvo avait promis de transporter en
Suède, comme un gage de ses intentions en
faveur de <;e pays, toute sa fortune s'élevant
à huit millions steiliug ( 9.00 millions de
francs ),
SAU
rach(^e par rinfluence'de la France, et
assnrd d'ailleiirs, par diverse^ décla-
rations confidentiellesdes principales
autorités suédoises, qu'elle ne serait
pas accompagnée des suites ordinai-
res, se décida à ne pas commettre le
premier acte d'hostilité (22). Il se bor-
na à protéger les intérêtsde ses natio-
naux pendant le cours de 1810 et des
années suivantes qu'il fut renvoyé
dans les parages de la Suède. Cette
conduite modérée fut approuvée par
son gouvernement et appréciée par
les Suédois, et tout en conservant les
apparences d'un état de guerre, au-
cun acte réel d'hostilité ne fut com-
mis ni d'un côté ni de l'autre. « Vous
avez été Tange gardien de mon pays,
lui écrivait à la iin de 1812 le baron
Plaîen ; par votre conduite sage, mo-
dérée et loyale, vous avez été la pre-
mière cause de la réussite des plans
conçus contre le démon du continent.
Si vous eussiez tiré un coup de canon
lorsque nuus déclaiânies la guerre à
l'Angleterre, tout serait fini, et'l'Eu-
i'ope serait tombée dans l'esclavage. »
Saumarez cotr. mandait encore la sta-
tion de la Baltique au mois de juillet
1812, quand la Suède et la Russie con-
clurent avec l'Angleterre le traité
d'Orebro, dirigé principalement con-
tre la France. A la suite de ce traité,
il fut nommé par le roi Charles XIII
commandeur grand'croix de Tordre
de l'Épée, et en reçut les insignes que
le prince régent l'autorisa plus tard
à accepter et h porter. Lorsqu'au mois
de novembre il quitta définitivement
ces parages pour retourner en Angle-
SAU
161
(•ia) Le comte Rosen s'exprime aiusi
dans uue déclaration semi-offKielie adressée
par lui a l'amiral Saiimarez : « Le gouverne-
ment suédois déclare, il est vrai, la suerre à la
Grande-Bretagne -, mais il n'est pas dit qu'il
doit employer des mesures d'une hostilité
active, '
LX\X1.
terre, le baron Essen, aide-de-camp
du prince royal de Suède, lui offnt,
au nom du roi, une magnifique épée
de la valeur de 2,000 livres sterl. Re-
tiré depuis cette époque du service
actif, Saumarez chercha à employer
utilement son temps en prenant part
aux travaux de diverses sociétés de
bienfaisance. Le 4 juinlSU, il fut nom-
mé amiral de la Bleue, sans toutefois
qu'un lui confiât de commandement.
Il obtint enfin, le 1^^ o^t. 1831, la
pairie avecle titre de baron, honneurs
qu'il avait sollicités long-temps sans
succès. Depuis son entrée dans la
chambre haute, il y vota en faveur du
bill de réforme et des mesures adop-
tées par lord Grey. Après la retraite
de cet homme d'État, il cessa de pa-
raître au parlement. Au mois d'.oct.
1834, Charles XIV Jean , qui avait
conservé un souvenir reconnaissant
des services rendus par Saumarez à la
Suède dans les années 1810 à 1812,
lui fit présent de son portrait en pied
de grandeur naturelle. Saumarez vé-
cut encore deux ans entièrement re-
tiré des affairés, et mourut dans le
sein de sa famille, le 9 octobre 1836".
Des huit enfants qu'il avait eus de son
mariage avec miss Martha Le Mar-
chant , deux fils et deux filles lui ont
survécu. Le révérend Jacques Sau-
marez, son fils aîné et son succes-
seur à la pairie, a suivi la carrière
ecclésiastique : il était* a la mort
de son père recteur d'une petite
cure. On trouve des détails très-cu-
rieux sur l'amiral Saumarez et sur
l'histoire de la marine anglaise dans
les Memoirs and Correspondance of
aàm. Saumarez, Londres, 1838, 2
vol. in-8», publiés par sir John Ross,
qui avait servi longtemps sous les
ordres de cet amiral.— Deux oncles
du précédent, Philippe et Thomas
Saumarez, capitaines de vaisseau de
11
\6'2
SAU
l.i marjiu» royale aiighiise, s<' sont
fait distinguer. Le premier accom-
pagna * l'amiral Anson dans son
voyage autour du monde et fut tué, le
M octobre 1747, duns un comljat na-
val entre les Français et les Angl.tis ;
ces derniers commandés par l'amiral
Hawke, — Richard Saumahez , mé-
decin étchirurgien, frère de l'amiral,
est auteur de plusieurs ouvrages.
D— z— s.
SAUMERY (DE), aventurier du
XVÎU® siècle et moine apostat, était
né en France et appartenait à l'ordre
de Saiiît-Françojs^ mais, ayant em-
brasse le calvinisme à Menin.il passa
en Angleterre, ti'où il s'endjarqua en
l7l0ppurConstantinople.Aprèsavoir
résidé trois ans dans cette capitale ,
il voyagea en Allemagne, en Italie et
en Hollande, où il tenta vainement de
se faire recevoir ministre protestant.
S'étant rendu à Liège, il y fit abjura-
tion et y demeura environ quinze ans,
livré à des travaux littéraires qui
étaient ses seuls nrioyens d'existence;
mais, expulsé de cette ville pour sou
inconduite , il retourna eu> Hollande,
où il professa de nouveau le calvi-
nisnie.Ôn croit qu'il mouri^tàUtrecht
vers 1770. Sauinerj, a publié les ou-
vrages suivants , ja plupart sous le
pseucloiiyme de"J^. de Mîrone : I.
VÀnii' chrétien, ou l'Esprit du cal-
vinisme 6ppose\àJésus-Christet à l'Ê-
vangile, Liège, 173 î, in -12. ÎL Mé-
moires et aventures secrètes et curieu-
ses ctun voyageur au Levant, Liège,
1732-36, 6 vol. in 12. HL Les dé-
lices du pays de Liège, ou Descrip-
tion des monuments de cette princi-
pauté, Liège, 1738-44 , 5^ vol. in-foi.
Cet ouvrage anonyme , publie par
Bver. Kints, a été. rédigé par Saume-
ry, aidé, dit-on, par plusieurs autres
ecrivainsfauieliqucs.il est orné d'uiic
carte générale etde beaucoup de plan-
SAli
chcs en laille-douce assez estimées.
Le cin<^uième volume contient des
notices sur les Liégeois célèbres. IV.
Anecdotes vénitiennes et turques, ou
Nouveaux mémoires du comte deBon
fiera/, Utrecht, 1740, 2 vol. in-l2;
réimprimés la même année à Franc-
fort, à Leipzig et à Vienne, 2 vol. in-
8", et à La Haye en 1748. Cet ouvrage,
qui porte le pseudonyme de Mirone,
a été faussement attribué au manfuis
d'Argensparquelquesbibliographes;
il est réellement de Saumery. Quoi-
que les Anecdotes soient apocryphes,
Guyot des Herbiers {voy. ce nom,
LXVl, 326) en a inséré de curieux
morceaux dans le second volume des
Mémoires du comte de Bonneval ,
dont il a df)nné une édition, 1806, 2
vol. in-8''. V. L'heureux imposteur,
ou Aventures du baron de Janzac ,
Utrecht, 1740, in-12. W. Aventures
de madame la duchesse de Vaujour^
histoirevéritable, LaUsiYeeXXJirechi,
1741 , 6 part. in-8°. Vil. Le Diable
ermite, ou Aventures d'Astaroth ban-
ni des enfers, Amsterdam, 1741, 2
vol in-12. Z.
SAUNDERS (William), membre
de la Société royale et du collège
royal des médecins de Londres, était
aussi médecin extraordinaire du roi.
Né en 1743, il étudia de bonne heure
toutes les parties de la science médi-
cale et fit plus particulièrement des
recherches sur les maladies du foie,
pour lesquelles il prescrivit des pré-
parations mercurielles, dont plus
tard cependant on a reconnu le dan-
ger. Le docteur Sauuders fit plu-
sieurs voyages dans l'Inde et contri-
bua beaucoup à introduire la vaccine
dans l'île de Saint-Domingue. Revenu
k Londres, il y pratiqua avec un grand
succès, devint doyen des médecins de
l'hôpital de Guy et publia différents
écrits fort estimés. S'étant retiré à
SAU
Enfieid, il y mourut le 4 juin 1817.
Ses ouvrages imprime's sont : I. Trai-
té sur le mercure employé dans les
maladies vénériennes, 1767, in- S*'.
II. Réponse à Geach et Alcock sur la
colique du Devonshire^ 1768, in-8^
III. Observations sur V antimoine,
1773, in-8°. IV. Traité sur l'acide
méphitique^ 1779, in-8*. V. Traité
sur le kina, 1782, in-S". Yl. Disserta-
tion sur la structure , les fonctions
et les maladies du foie, 1793, in-8^;
4* édit., 1809. C'est le plus impor-
tant des ouvrages qu'a publiés Saun-
ders. Le docteur Thomas en a donné
une traduction française avec des
notes, Paris, 1805, in-8°- VII. Ora-
tio Harvei instituto habita in thea-
tro collegii regalis medicorum Lon-
dinensis, 1796, in-4°; 1797, in-8°.
VIII. De l'histoire chimique et des
propriétés médicales de quelques-
unes des eaux minérales les plus re-
nommées^ etc., 1800, in-8'*; 2* édit.,
1806. IX. Sur l'hépatite de l'Jnde,
1809, m-S°. X. Un Cours de chimie
fort estimé , et différents mémoires
insérés dans plusieurs recueils et
journaux scientifiques. En 1817, le
docteur Saumarez, qui avait été l'ami
et quelquefois le collaborateur de
Sauuders, publia une nouvelle édi-
tion de son ouvrage sur le foie, sui-
vie des recherches sur l'hépatite de
Vinde. Z.
SAUNIER (François de) , petit-
lils d'un capitaine châtelain du châ-
teau fort de Montbrelton, en Langue-
doc , qu'ont illustré les guerres de
religion,naquit à Saint-Didier enl665.
Capitaine des réfugiés irlandais , il
partagea les malheurs des Français à
la journée de la Boyne, où il reçut
deux blessures. La prise de Lime-
rick le rappela en Franche. Louis XI V,
voulant opérer une diversion en Hon-
grie, envoya des secours d'hommes
SAU
163
et d'argent à Ragotzky {voy. ce
nom , XXXVI , 544 ). Saunier re-
çut l'ordre d'aller au secours de
ce prince avec un corps d'élite dé-
signé sous le nom de Compagnie
des grenadiers français , gardes du
prince de Transylvanie. En 1705 ,
Ragotzki campa sur la Vaag, près du
pont de Seret, passage important, en
ce qu'il pouvait livrer au général al-
lemand Herbeville, non- seulement
l'armée hongroise, mais la personne
du prince qui n'était qu'à deux cents
pas, vis-à-vis le pont de Seret, Ra-
gotzky confia la garde de ce passage
à Saunier qui se retrancha à l'une des
issues du pont, calculant que l'en-
nemi emploierait toutes ses forces
pour se rendre maître de ce poste.
En effet, vers minuit , le général
Herbeville, qui occupait le château
de Seret , abandonné par Ragotzky,
attaqua le pont avec des forces supé-
rieures à celles qu'on lui avait sup-
posées. Pendant sept heures l'atta-
que fut des plus meurtrières , mais ,
malgré leur perte, les grenadiers fran-
çais ne purent être forcés, et leur com-
mandant , quoique dangereusement
blessé , sut résister à l'ennemi, dont
toute l'armée aurait été faite prison-
nière sans l'hésitation des généraux
Bercheny {voy. ce nom, IV, 228) et
Gabriel Guesy qui reçurent ordre de
remonter la Vaag et d'attaquer Her-
beville, ce qu'ils négligèrent de faire,
craignant d'être coupés et ne croyant
pas que Saunier pût résister. Au mois
de novembre de la même année et h.
l'afl'aire de Gibbon , le marquis des
AUeurs, comte de Clinchamps, se fit
donner le commandement de l'aile
droite de l'armée hongroise, sous
prétexte qu'elle n'était composée que
de corps étrangers à la solde de la
France ; mais le grand âge de ce lieu-
tenant-général ne lui permit pas de
11.
164
SÀU
se conduire avec l'aclivitë que les
circonstances auraient exigée , et
Tannée fut battue. Les grenadiers
français, chargés de couvrir la re-
traite de l'armée, le firent avec une
prudence et une intrépiditéqui inspi-
rèrent l'admiration et valurent deux
ans après à leur chef la gloire de faire
partie de l'ordre de la Providence di-
vine, que Ragotzky établit en 1707
et dans lequel aucun étranger ne pou-
vait être admis. Divers ofliciers fran-
çais avaient été pris et traités comme
des rebelles. Des Alleurs reçut l'ordre
direct de donner un sauf-conduit à
Saunier, ce qu'il exécuta le 8 septem-
bre 1707, étant au camp de Terebes.
Dans une des affaires les plus impor-
tantes de la campagne de 1708, puis-
qu'elle décida de la fin de la guerre
et de la destinée de Ragotzky, la ca-
valerie hongroise ne pouvant soute-
nir le choc d'un corps de rasciens, prit
la fuite. Le prince, croyant arrêter
cette déroute, se mit à la tête d'un ré-
giment de carabiniers, qui éprouva
le même sort. Cherchant à rallier ce
régiment qui fuyait, son cheval s'a-
bat sous lui et le renverse dans un
fossé. Entouré d'ennemis, il était sur
le point d'être fait prisonnier, lors-
que Saunier accourt avec ses grena-
diers , le dégage , le met à cheval et
parvient à le conduire hors du champ
de bataille, dans un bois, et de là re-
joint les bagages dont la retraite, pen-
dant une marche de trois lieues, fut
protégée par le corps des grenadiers
français qui furent assez heureux pour
pouvoir se réfugier le lendemain à Lo-
polchane. A peine guéri des blessures
qu'il avait reçues à Seret, Saunier,
soit pendant le combat , soit en pro-
tégeant la retraite, reçut encore deux
coups de feu et un coup de sabre qui
le privèrent pendant onze mois d'un
service actif. Le général Karoli ayant
SAU
trahi la cause du prince et fait h. son
détriment un traité de paix avec l'em-
pereur, auquel il livra, en 1710, l'im-
portante place de Cassovie, le prince
se réfugia en Pologne avec les séna~
leurs, les généraux et tout ce qu'il y
avait de considérable en Hongrie.
Saunier le suivit, puis il passa en Tur-
quie. Le marquis des Alleurs, alors
ambassadeurextraordinaireàlaPorte-
Ottomane, lui donna un passe-port
pour aller à Smyrne et de là en Fran-
ce. Saunier aborda à Toulon au mois
de mai 1711 , et obtint du marquis
de Chalmazet un second passe-port
pour se rendre à Saint-Didier, sa pa-
trie, où il mourut des suites de ses
blessures. Z.
SAUNIER (Gaspard de) , ancien
écuyer de l'Académie de l'université
de Leyde, est auteur des deux ouvra-
ges suivants : I. Traité de la con-
naissances des chevaux, 1737, in-fol.
IL L'Art de la cavalerie, ou Manière
de devenir bon écuytr, etc., Paris,
1756, in-fol. avec fig. — Saunier de
Beaumont (l'abbé), sous- diacre du
diocèse de Rouen, écrivain et compi-
lateur du XVllI^ siècle, a publié, sans
y mettre son nom : I. Lettre d'unthéo-
logien à un avocat, sur le droit que
les curés ont dans le gouvernement
deVÈglise^ 1719, in-i2. IL Lettres
'philosophiques , sérieuses , critiques
et amusantes, traitant de la pierre
philosophale , de l'incertitude de la
médecine^ etc., Paris, 1733, in-12;
La Haye, 1748, in-12. Ces lettressont
tirées de différents auteurs ; mais
leurs diverses suscriptions, l'épître
dédicatoire , etc. , sont supposées.
m. Le Gnome, Paris, in-12. IV.
Onèirologie, ou Traité des songes,
en Hollande , in-12. V. Productions
d'esprit , contenant tout ce que les
arts et les sciences ont de rare et
de merveilleux; ouvrage crUiqWèet
sublime composé par le docteur Stvîft, posé la Dédaigneuse, comédie et
et autres personnes remplies d'une V Allégresse française^ ou les Vœux
érudition profonde , avec des no- (accomplis, avec un divertissement et
tes en plusieurs endroits, traduit wntjaudevi7/e, à l'occasion delà nais-
parM. **% Paris, J736, 2 vol. in-12. sance du dauphin. Ces deux pièces
C'est la traduction du Contedu Ton- n'ont pas été imprimées. P— -rt.
neau de Swift, publiée à La Haye par SAUNIER (Georges) , capitaine
Van Elfen, et à laquelle l'abbé Sau- de vaisseau, né à Toulon le 10 octo-
nierafait beaucoup de changements; ^ bre 1769, servit de bonne heure dans
il a composé notamment la première, la marine marchande, et il était'par-
Ja troisième , la dixième et la qua- venu au grade d'enseigne sur la fré-
torzième lettre, pour remplacer ce gatelaJunon, lorsque les Anglais en-
qu'il y avait d'impie et de licencieux Irèrent à Toulon en 1793. Après que
dans ce conte. YI. Voyage d'innigo cette ville eut été reprise par les Fran-
ce Biervillas , Portugais, à la côte çais, Saunier s'embarqua sur un ca-
du Malabar, Goa, Batavia et au- not avec huit hommes, et captura
très lieux des Indes orientales, Pa- pendant la nuit, à deux lieues en mer,
ris, 1736, in-12. VU. Histoire de la mi brick espagnol armé de six ca-
dernière révolution arrivée dans nons, monté de dix-huit hommes et
l'empire ottoman, le 28 sept. 1730 , chargé de munitions de guerre pour
avec quelques observations sur rétat 500,000 fr. Cet exploit lui valut le
delaville et empire de MarocVMÏs, grade de lieutenant de vaisseau et le
1740, in-12. Cet ouvrage parut sous commandement du brick la Liberté
Je pseudonyme de Crouzenac, gen- de 24 canons. Bientôt il mérita d'être
• tilhomme gascon. La révolution dont nommé capitaine de frégate, puis ca-
il s'agit est celle qui précipita du pitaine de vaisseau, et reçu'tle com-
trône le sultan Achmet 111 pour y mandement du Guillaume -Tell. Ce
faire monter son neveu Mahmoud V\ bâtiment faisant partie de la flotte de
(uoy. ces noms, I, 148, et XXVI, 167). l'amiral Brueys qui conduisit Bona-
L'abbé Saunier a été l'éditeur d'un parte et son armée enÉgypte,se trouva
ouvrage de Boisvenet (laïc, retiré à au sanglant combat d'Aboukir (l«f
l'hôpital-général de Paris), intitulé : août 1798) , où l'amiral français fut
Instructions chrétiennes sur les souf- tué ; presque tous les naviresVurent
frances, par M. Vabbè *** , Paris , détruits ou pris par Nelson. Le Gêné-
1732, in- 12. —Saunier {Pierre- reuxti le Guillaume-Tell, ainsi que
Maurice), littérateur, était né à deux frégates, échappèrent seuls au
Bouen le 8 octobre 1750. Outre quel- désastre. Saunier gagna l'îledeMalte,
ques chansons insérées dans l'Jl/ma- dont les Français s'étaient emparés,'
nach des Muses, on a de lui : 1. Ode et commanda'l'artillerie de la place
sur la paix de Louis XVI, 1783. II. pendant le long siège qu'elle soutint.
Le Triomphe de la machine aérosta- Étant sorti du port, il fut attaqué par
tique. IIL L' Anti-critique, ou Réfle- une frégate et deux vaisseaux anglais
œionssur la critique et les critiques, qu'il combattit durant toute la nuit;
IV. Coup d'œil sur la Comédie et sur mais au moment où, pour la troisiè-
la Folle Journée, ou le Mariage de me fois, il tentait l'abordage,une balle
Ifigaro, de Beaumarchais, Paris, l'atteignit à l'œil , et le Guillaume-
nSéjin-S^Saunieravait encorecom- Tell, ayant perdu tous ses mâts , fut
166
SAU
SAU
forcé d'amener. Revenu en France,
Saunier fut nommé capitaine de vais-
seau d« première classe^ et, en février
1801, le premier consul lui donna le
commandementd'une division navale
destinée à transporter en Egypte des
munitions et des troupes sous les or-
dres du général Desfourneaux. Un
coup de vent sépara des autres bâti- •
ments V Africaine, que montait Sau-
nier. Cette frégate , dont la charge
était considérable, marchait lente-
ment ; elle fut poursuivie et attaquée,
vers le détroit de Gibraltar, par un
vaisseau anglais de cent soixante ca-
nons. Le combat fut terrible et dura
quinze heures. Saunier y déploya un
courage héroïque; deux fois il tenta
l'abordage que l'ennemi évita. Le gé-
néral Desfourneaux montra aussi dans
cette action une grande valeur ; son
frère, son neveu , ses trois aides-de-
camp périrent à ses côtés,et lui-même
reçut une blessure à la poitrine. Huit
mille coups de canon avaient été tirés;
les canonniers étaient tués ou blessés,
les batteries démontées, les vergues et
les mâts brisés; le feu était au vaisseau»
et Saunier se défendait encore, lors-
qu'un boulet le frappa mortellement.
V Africaine, entièrement désemparée,
fut obligée de se rendre. Le capitaine
anglais, rempli d'admiration, prit le
sabre de Saunier, et déclara qu'il le
porterait toute sa vie en mémoire de
cet intrépide marin. 11 voulait même
que son corps, transporté en Angle-
terre, y reçût les honneurs tunèbres;
mais , assailli par des vents contrai-
res, il eut le regret de ne pouvoir l'en-
sevelir que dans les flots. Le gouver-
nement consulaire accorda une pen-
sion de 600 fr. à la veuve de Saunier,
et plaça ses deux fils au Pry tanée fran-
çais à Paris (plus tard lycée impérial,
et aujourd'hui collège de Louis-le-
Grand). P— rt.
SAURAI) (le cmte François de),
d'une des fauiilles les plus anciennes
de la Styrie, naquit à Vienne, le 19
septembre 1700, et y fut élevé au
collège Thérésien. Après avoir par-
couru tous les grades de l'adminis-
tration, et travaillé avec succès au
nouveau cadastre, objet particulier
des soins de Joseph II , il fut nom-
mé, en 1786, conseiller au gouver-
nement de Prague, et, en 1789, ca-
pitaine de la ville de Vienne, charge
qui répond à peu près aux fonctions
de préfet en France. En 1791, il de-
vint conseiller aulique au directoire-
général de la monarchie. La réputa-
tion qu'il s'acquit dans tous ces em-
plois fixa sur lui l'attention du prince,
et le vieux comte de Pergen ne pou-
vant plus exercer la charge de mi-
nistre de la police, le comte de Sau-
rau lui fut adjoint en 1797. Cette
époque était celle du mouvement gé-
néral que la révolution française
avait donné aux esprits, et le nou-
veau ministre eut à lutter contre ce
torrent , sans avoir les moyens né-
cessaires pour y résister ; car le mi-
nistre des affaires étrangères, Thu-
gut, qui alors dirigeait tout, exerçait
une grande influence sur la police.
Deux conspirations , l'une à Vienne
même, et l'autre en Hongrie, furent
néanmoins étouffées à leur naissance,
et les coupables livrés à la justice.
Toutes les intrigues des ennemis de
l'État lurent déjouées par la vigilance
du comte de Saurau, qui, informé de
tout, chercha cependant, autant que
le lui permirent l'imminence du dan-
ger et l'extrême sévérité du baron
de Thuguî, à respecter la liberté in-
dividuelle. Nommé, en 1795, prési-
dent de la régence de la Basse-Au-
triche, et conservant en même temps
la direction de la police, il conçut
le hardi projet de combattre l'opi-
SAU
nion par ropiniou, et il osa, dans un
moment où toute manifesta (ion d'es-
prit public paraissait dangereuse,
appeler la masse de la nation à se
prononcer pour son souverain et pour
1 état de choses actuel. Des écrits
destinés à combattre les principes ré-
volutionnaires furent misa la portée
du bas peuple; des réunions patrio-
tiques se formèrent, et l'on excita le
public à émettre son vœu et son opi-
nion dans de grandes réunions que
Ton sut préparer. La nation justiiia
l'attente du président du gouverne-
ment; le succès le plus complet cou-
ronna une entreprise qui paraissait
très-hasardeuse et contre laquelle on
s'était prononcé assez vivementdans
le ministère, liiiperlurb.-ble dans son
système, le comte deSaurau le pour-
suivit au milieu des désastres de la
guerre, et même lorsque de nouveaux
revers ébranlèrent la monarchie. En-
fin quand Bonaparte s'avança , en
1797, vers la capitale, le comte fit
adopter la mesure la plus hardie et
la plus décisive, ce fut la levée eu
masse. Les paysans s'armèrent de
toutes parts au premier appel. Ce-
pendant il y eut a Vienne même un
moment d'hésitation, quoique l'esprit
public fût excellent. Alors le comte
fit éloigner tous les étrangers , et
cette mesure fut à peine exécutée,
que ce ne furent plus les hommes qui
manquèrent, mais les armes, et qu'il
fallut distribuer des piques, après
avoir vidé l'arsenal de tous ses fusils.
Les préliminaires de Léoben rendi-
rent inutiles les effets de cette levée
extraordinaire; et, par une des chan-
ces les plus inexplicables de sa for-
tune, Bonaparte, tandis qu'il se trou-
vait coupé sur ses derrières par
l'insurrection des Vtniliens, et lors-
qu'il allait être obligé de se battre
avec une armée affaiblie même par
SAU ■
167
ses victoires contre une armée que
l'enthousiasme avait portée au grand
complet , tandis que la levée géné-
rale devait lui faire craindre tous les
inconvénients contre lesquels il a
lutté depuis sans succès en Espagne,
il dicta ia loi qu'il aurait dû recevoir.
Le comte deSaurau acquit, par ces
opérations aussi sages qu'énergiques,
une popularité immense. L'empereur
lui técnoigna sa satist.iction , et lui
donna une terre en Hongrie. 11 fut
chargé dans la même année de recréer
le coliége Thérésien, destiné k l'édu-
cation de la noblesse, et que l'empe-
pereur Josepb II avait supprimé. Son
nom seul suffit pour donner à cette
institution la faveur publique, et
pour y attirer un nombreux concours
d'élèves de toutes les parties de la
monarchie. La confiance du souve-
rain et le vœu général le portèrent,
peu de temps après, au ministère
des finances, où son prédécesseur,
par une misérable parcimonie, s'é-
tait fait des enut-mis jusque dans ses
employés. Une des guerres les plus
dispendieuses que l'Autriche ait eues
à soutenir venait de mettre ses fi-
nances dans l'état le plus déplorable.
Cependant la paix de Campo-Formio
n'était évidemment qu'une trêve, et
il fallait encore se préparer à la
guerre. Ce fut alors que la nécessité
lit adopter au baron de Thugut le
projet d'accroissement des obliga-
tions de la banque, que lui suggéra
un ancien employé belge. On sait
combien cette opération a été fu-
neste au crédit de la maison d'Au-
triche. Le comte de Saurau combattit
vivement ceprojet; il s'y opposa avec
tonte la fermeté de son caractère;
mais l'opinion du baron du Thugut,
qui jouissait d'une confiance illimitée
auprès du souverain, prévalut. Cette
mesure fit perdre au comte une par.
168
SAU
SAL
tiède sa popularité, et elleaiiiema de
la froideur entre le baron, le ministre
du cabinet et lui. En 1801, il fut nom-
mé ambassadeur à St-Pétcrsbourg, et
le czar lui conféra la grand'croix de
Saint-Étienne. II ne fut pas possible
au comte de faire adopter au cabinet
de Saint-Pétersbourg le système qui
dans la suite a sauvé l'Europe ; trop
d'intérêts et trop d'intrigues s'y op-
posaient alors. La Russie et la France
concoururent conjointement à ladés-
organisation ou plutôt à la destruc-
tion de l'empire germanique, par les
sécularisations qui eurent lieu à Ra-
tisbonne. En 1803, le comte de Sau-
rau fut nommé maréchal des États de
l'Autriche, et il présida leur assem-
blée jusqu'en 1806, époque où il de-
vint commissaire impérial en Styrie,
Carinthie et Carniole. 11 organisa
dans ces provinces cette iandwehr
qui rendit de si grands services En
1810, l'empereur le nomma gouver-
neur-général de la province d'Au-
triche. Le système du libre commerce
des grains, qui, dans un pays essen-
tiellement agricole, est impérieuse-
ment demandé par le sens commun,
fut introduit, maintenu et protégé,
malgré les préjugés contre lesquels
le nouveau gouverneur était forcé de
lutter. En 1814, l'empereur le char-
gea de l'organisation des provinces
I!lyriennes,évacuées par les Français.
Enfin, en 1815, on lui donna le gou-
vernement de la Lombardie , charge
plus pénible que toutes celles qu'il
avait occupées. Il était difficile de
faire oublier tout à coup aux habi-
tants d'une ville populeuse que cette
ville avait été la capitale d'un royau-
me. Un essaim d'employés avaient été
renvoyés ou mis à la demi-solde, et
toutes les causes qui avaient con-
couru à fomenter en France l'esprit
de discorde et frayé le chemin à Na-
poléon pour revenir de' l'île d'Elbe,
existaient en Lombardie. Cependant
l'intégrité du gouverneur surmonta
les plus grands obstacles, et quand il
quitta Milan en 1817, pour se rendre
à l'ambassade de Madrid, il fut gé-
néralement regretté; et même en-
coreaujourd'hui, on se souvient dans
ce pays de sa modération et surtout
de son austère probité. Lors de la
guerre de Napies, en 1815, il avait
été ministre plénipotentiaire auprès
de l'armée autrichienne commandée
parlefeld-maréchal Bianchi, et qui,
en quinze jours, mit fin au règne de
Murât; le roi Ferdinand conféra, à
cette occasion, la décoration de St-
Ferdinand en diamants au comte de
Saurau.qui bientôt fut chargé de
faire à l'archiduchesse Marie-Louise
Ta remise de son duché de Parme.
En 1818, il fut nommé chef de
toutes les chancelleries de l'em-
pire , dignité nouvelle qui , par son
importance, a plus d'éclat que la
place de ministre de l'iniérieur en
France. Dans les dernières années
de sa vie il partagea en quelque fa-
çon avec le prince de Metternich le
pouvoir et la confiance du souverain,
et cette rivalité, loin de nuire à la
marche des affaires, la rendit au
contraire plus sûre et plus rapide.
Le comte de Saurau mourut à Vienne
vers 1830. M— Dj.
SAURI ou Saury (l'abbé), ne aux
environs de Rodez en 1741 . sui-
vant la France littéraire de M. Qué-
rard, et mort au Bengale en 1785, d'a-
près la Bibliographie astronomique
de Lalande, fut professeur de philo-
sophie à l'université de Montpellier
et correspondant de l'Académie des
sciences de cette ville. Il paraît mêaie,
si on ne l'a pas confondu avec un
homonyme, qu'il était aussi docteur
de la faculté de médecine. On a de
SAU
lui : I. Institutions mathématiques
servant d'introduction à un cours
de philosophie à l'usage des univer-
site's de France, dans lequel on a
renfermé l'arithmétique, l'algèbre,
les fractions ordinaires, etc., Paris,
1770, in-8^ Une 6^ édition de cet
ouvrage a été publiée à Paris, 1834,
in-8°. H. L'Hydroscope et le ventri-
loque ; ouvrage dans lequel on ex-
plique d'une manière naturelle, à la
portée de tout le monde : 1° com-
ment un jeune Provençal voit à tra-
vers la terre-, 2° par quel artifice
ceux qu'on nomme ventriloques peu-
vent parler de manière que la voix
paraisse venir du côté qu'ils veulent,
Amsterdam et Paris, 1772, in-12.
III. Cours de philosophie, en français,
contenant lalogiqueetla métaphysi-
que à l'usage des gens du monde^ Paris,
1772, 3 vol. in-12, IV. Cours complet
de malhémaihiques y Paris, 1774,
5 vol. in-8" , avec fig. V. Abrégé du
cours complet de mathématiques^ Pa-
ris, 1774, in-12, avec fig. vréimprimé
sous le titre de Précis de mathéma-
tiques^ à la portée de tout le monde,
Paris, 1776, in-12. VI. Uéflexions
d'un citoyen sur le commerce des
grains, Paris , 1775 , in-8*» , ouvrage
anonyme que les Mémoires de Ba-
chaumont, année 1775, attribuent k
l'abbé Sauri. VII. La Morale d'un
citoyen du monde ^ ou la Morale delà
raison, Paris, 1776, in-12. VIII. Cours
de physique expérimentale et théo-
rique, Paris, 1776, 4 vol. in-12. On
y trouve un Traité élémentaire de
mécanique et d'hydrodynamique.
IX. Précis d'astronomie à la portée
des jeunes gens de l'un et de l'autre
sexe, et de tous ceux qui veulent s'i-
nitier dans cette science en peu de
temps et sans beaucoup de peine ,
Paris, 1777, in-12 de 128 pages avec
fig. « Ce petit ouvrage , dit Laiande
SAU
169
(Bibliogr. astron., p. 560) , est tiré
en partie de mon Abrégé d'astrono-
mie. » X. Histoire naturelle du
glohe^ ou Géographie physique, Pa-
ris, 1778, 2 vol. in-12; trad. en al-
lemand, 1778, in-8°. XI. Problèmes
résolus^ servant de supplément au
Cours de mathématiques, Paris, 1778,
in-8". XII. Physique du corps hu-
main^ ou Physiologie moderne^ 1778,
2 vol. in-12 (1). Xin. Précis d'his-
toire naturelle, 1778-79, 5 vol. in-1 2.
XIV. Des moyens que la saine mé-
decine peut employer pour multiplier
un sexe plutôt que Vautre, Paris,
1779, in-12. XV. Précis de physique,
Paris, 1780, 2 vol. in-12, avec fig.
Sauri avait publié en 1777, 7 vol.
in-12, ses OEwîjres comp/é^es, aux-
quelles il ajouta beaucoup encore.
On a réuni plusieurs de ses ouvrages
sous le titre de Cours complet de
philosophie, en français, à l'usage
des jeunes gens du monde, conte-
nant la logique, la métaphysique, la
morale et la physique, Paris, 1797 ,
8 vol. in-12. P— RT.
SAURIA (Jean-Charles), général
français, né à Poligny (Jura), le 4 nov.
1753, n'avait pas dix-sept ans lors-
qu'il s'engagea dans le régiment de
Bourbon, cavalerie, où il servit jus-
qu'en 1778, époque où ses parents le
rachetèrent. Le 4 janvier 1779, il se
fil agrégera l'universitéde Besançon.
Il vivaif dans sa famille quand la
(1) Le Noue eau Supplément à la France
Ultèraire ( tom. IV, pijl)iié par l'iibljé Guiot
en 1784, et regjirdé comme très-iiiutifj, pré-
sente une contr.) diction manifeste relative-
ment à la Phjsique du corps humain. Dans
le catalogue des auteurs, il 1 attribue à Sauri,
doi'teur en méderine, qu'il distingue de
l'abbé Sauri; et, daus le catalogue des ou-
vrages, il l'attribue à l'abbé Sauri. li va
lieu do «Tdire avec d'autres bibliogv;tj)liiN ,
que Ir docteur et l'abbé sout le même per-
sonnage.
V70
SAU
Révolution éclata. Son titre d'ancien
militaire le fit élire, le 7 avril 1791 ,
capitaine an 2^ bataillon du Jura ,
qui rejoignit bientôt l'armé^Mlu Rhin.
Enjuillet 1793, il fut employé à l'état-
major de cette armée, eî le 18 oct.,
chargé de visiter les châteaux de la
Petite- Pierre et de Lichtemberg.
Quoique l'ennemi fût répandu dans
tout le pays, il arriva à Lichtemberg
avant que la sonjmation de se rendre
eût été faite au coujmandant de la
place. S^ présence empêcha la capi-
tulalion,et l'ennemi fut contraint de
se retirer. Le 24 du même mois, il fut
appelé au commandement de Sa-
verne, d'où il s'empressa de faire
passer des vivres à la garnison de
Lichtemberg. Placé, dans ce nouveau
poste, sous les ordres du général de
division Burcy, qui s'efforçait de dé-
bloquer Landau, iiraccomi)agna dans
une de ses expéditions. Ayant ren-
contré l'ennemi, l'afffiire s'engagea,
et, après sept heures de combat, les
Français allaient être contrarints de
céder au nombre, lorsque le général
et leconunandant Sauria formèrent
leur troupe en colonne d'attaque, à
la tête de laquelle ils se placèrent,
précédant les tambours qui battaient
la charge. L'ennemi oppos;^ une vive
résistance, mais deux pièces de canon
et un obusier, mis en batterie par le
commandant Sauria, décidèrent la
victoire au iiout d'une heure. Peu
de jours après, un second engage-
ment ayant eu lieu, Burcy fut tué à
côté de Sauria, qui n'en força pas
moins l'ennemi à la retraite. Les re-
présentants du peuple Baudot eî La-
coste i'éievèfenlau grade dégénérai
de brigade (21 février 1794), et l'm-
vestirent du commandement de la
citadelle de Strasbourg. Mais, le 28
sept, suivant , le général en chef
Michaud le chargea de la défense des
SAtI
îles du Rhin, avec ordre d'établir
son quartier-général à Herli«heim.
En avril 1795, Pichegru revint k
l'armée du Rhin, à la tête de laquelle
il avait fait la campaj^ne d'hiver de
1793 à 1794, et il choisit Sauria pour
l'accompagner dans une revue des
troupes. Déjà ce général s'était mis
secrètement en rapport avec le prince
de Coudé ^ il tenta d'eirtraîi.er Sauria
dans ce parti; mais, l'ayant trouvé
inébranlable dans sa fidélité k la Ré-
publique, il lui suscita des tracasse-
ries, et finit par ne point le com-
prendre dans la nouvelle organi-
sation de l'année. Le 3 juillet 1795,
Sauria cessa toutes fonctions, et se
retira, emportant néanmoins un cer-
tificat, signé des généraux Pichegru
et Michaud, attestant que^ soit com-
me commandant de Saverne , soit
comme général de brigade, il avait
rempli ses fonctions avec zèle^ intel-
ligence, courage et patriotisme. Re-
nonçant désormais à la carrière des
armes, ël de retour dans sa ville na-
tale, Sauria y remplit des fonctions
municipales jusqu'au 15 août 1799,
joiroù il fut nommé par leDirectoire
administrateur du département du
Jura. Lors de la révolution du 18
brumairt, plusieurs administrateurs
ayant voulu former quelque oppo-
sition, Sauria leur résista avec force,
et en fut récompensé par le premier
consul, qui le nomma inspecteur des
forêts à Lons-le-Saunier, poste qu'il
occupa jusqu'à la Restauration, et où
il rendit d'importants services. Ren-
tréJansla vie privée, il continua de
se concilier l'estune de ses conci-
toyens, et mouriit à Poligny, le 24
sept. 1832. Z.
SAUSEUIL (Jean-Nicolas Jouin
chevalier de), littérateur, né à Paris,
en 1731, fut capitaine des gardes du
prince de Liège , capitaine, d'infan-
SAU
terit au service de France, capitaine
et major-adjudant de la légion de
Tonnerre, membre de la société' an-
glaise pour l'encouragement des arts.
Ayant passé plusieurs années en An-
gleterre, il y acquit une profonde
connaissance de la langue du pays ,
et s'attacha à découvrir la meilleure
méthode pour enseigner aux étran-
gers sa langue maternelle. Les résul-
tats de ses études et de ses réflexions
sont consignés dans plusieurs de ses
ouvrages. Rentré en France et fixé
dans sa cité natale, il y fonda en 1785
un ouvrage périodique , le Censeur
universel anglais, qu'il rédigea pen-
dant quelque temps , secondé par
d'autres hommes de lettres. Nous n'a-
vons pu nous procurer de détails sur
les incidents de sa vie, ni même la
date de sa mort. Nous ne pouvons que
donner la liste de ses productions,
dont quelques-unes ont été écrites
par lui en anglais. I. An analysis
ofthe french orthography {Analyse
de l'orthographe française ^^ ou les
Vrais Principes de la prononciation
française, présentés dans des plans
ou tableaux propres à en faciliter l'in-
telligence), Londres, 1772, vol. in-S"
de 390 pages •, traduit depins par
l'auteur sous le titre d''Anatomie de
la langue française, 1783 ou 1785,
in-4°. La dédicace qu'il en fit à l'A-
cadémie française est datée de l'uni-
versité d'Oxford, !«' jariv. 1773. Vol-
taire et Court de Gebelin écrivirent
à ce sujet des choses flatteuses à Sau-
seuil, qui d'ailleurs attendait rare-
ment qu'on fît son éloge^ à cet égard,
il savait très-bien se servir lui-même
et se faisait alors bonne part. II.
Brachygraphy of the french verbs...
(Manière facile de conjuguer les ver-
bes français , soit seuls ou en con-
struction avec toutes les espèces d'ac-
cidents dont ils peuvent être accom-
SAU
17 1
pagnes), Londres, 1772, in-8". IH'
Free thoughts on quachs and their
medicines {Réflexions détachées sur
les charlatans et sur leurs remèdes)^
Londres, 1776, in-8o, écrit à l'occa-
sion de la mort d'Olivier Goldsmith,
dont on accusait des empiriques que
l'auteur s'attache à justifier. Il s'y
cache sous le nom d'un de ces pau-
vres charlatans nommé Spilsbury,
qui ne savait ni lire ni écrire. IV.
Les Vrais Principes de la politesse
et du savoir-vivre, tirés dt s Lettres
de lord Chesterfield k son fils, 2 vol.
in-8o. Le dernier est terminé par
un opuscule du traducteur : Idées
d'un citoyen sur l'éducation de la
jeunesse. V. Grammaire anglaise ,
traduite de Lowth {voy. ce nom ,
XXV, 320), 1783. VI. Emilie Cor-
bett, ou les Malheurs d'une guerre
civile ; tndmi àe ranglais(de Pratt),
1783, 3 vol. in-12. Ce roman, fondé
sur des événements réels et qui se
?ont passés k Londres pendant la
guerre de la métropole avec ses co-
lonies , offre une lecture attachante ;
il en a été fait un grand nombre d'é-
ditions. Versac a donné de l'original
une traduction abrégée : Hammon et
Corbett, 1789, in-12. Vil. LeCenseur
universel anglais, ou Revue généra-
le , critique et impartiale de toutes
les productions anglaises sur les
sciences, la littérature, les beaux-
arts, les manufactures, le commerce,
etc , dédié à Madame, 1785, in-4<*.
Sauseuil a eu surtout le mérite de
fonder cet ouvrage utile que d'autres
ont amélioré; il n'y coopéra guère
que pendant la premièreannée(1785),
et il en profita largement pour y van-
ter ou faire vanter ses propres écrits.
De plus, cet écrivain qui, dans un <ie
ses livres, a prétendu enseigner le
savoir-vivre, en manquait parfois et
même vis-à-vis du public; et, pour
172
SAU
un grammairien, il ne s'exprimait
pas loujours assez correctement. Dès
le deuxième volume du Censeur, la
rédaction principale fut confie'e à
Grill'etde Labaume, son collabora-
teur, qui modifia le plan de l'ouvrage,
et bientôt en diminua le format. VIII.
Valuable Secrets concerning arts
and trades, etc. C'est la traduction
en anglais du premier volume seule-
ment des Secrets concernant les arts
et métiers. IX. The Manœuvrer ;
traduit du français de Bourde de Vil-
lehuet, Londres, 1788, in-4°. Sau-
seuil a publié aussi quelques petits
poèmes; un Projet de création d'une
charge de grand-archiviste de France
pour la recherche générale de tous
les titres qui se trouvent perdus dans
beaucoup de familles, 1769, in-4° et
in-12. L.
SAUSSAYE (Mathurin de la),
issu d'une noble et ancienne famille
du Blésois, naquit en 1513, et se
destina à l'état ecclésiastique. Le suc-
cès de ses études en théologie, el son
talent pour la prédication, le firent
parvenir promptement aux dignités
de l'Église. Après avoir été chanoine
de la cathédrale d'Orléans et archi-
diacre de Sully, il fut pourvu du
prieuré de Sainl-Samson d'Orléans,
et devint un des vicaires-généraux de
ce diocèse, dont Jean de Morvilliers
était alors évêque. Ce prélat, oncle
maternel de Mathurin de laSaussaye,
fut nommé garde -des -sceaux en
1568 ; mais long-temps avant cette
époque il avait été appelé dans les
conseils du roi, et chargé de plu-
sieurs ambassades importantes. Re-
présentant de la France au concile
de Trente, il se vit obligé de con-
fier à ses grands-vicaires toute l'ad-
ministration spirituelle et tempo-
relle de son diocèse. Dès lors, ne
croyant plus que sa conscience
SAL
pût lui permettre de conserver le
titre d'évc^que sans en remplir les
fonctions, il se démit de l'épiscopat
avec l'agrément du roi Charles IX,
en désignant son neveu pourson suc-
cesseur. Le nouvel évcque d'Orléans
fut^sacré à Paris le 4 mars 1564, mais
il ne prit possession que le 17 mai de
l'année suivante. La Providence l'a-
vait destiné à traverser des temps de
rudes épreuves et de calamités pu-
bliques. Les églises de son diocèse,
dévastées par les protestants pen-
dant les troubles de 1562, com-
mençaient à peine à être restau-
rées par ses soins , lorsque la
ville d'Orléans elle-même fut prise
par le capitaine Lanoue (28 sept.
1567). La province presque entière
tomba en même temps au pouvoir de
la faction calviniste. Cette fois, rien
ne manqua à l'œuvre de destruction ;
la cathédrale et plus de trois cents
églises furent démolies ou saccagées;
on poursuivit les prêtres, on les
massacra, ou on les força de fuir. L'é-
vêque lui-même se vit contraint de se
réfugier à Tours avec son chapitre, et
il ne revint à Orléans qu'au mois de
mai 1568, après la publicationdel'édit
de pacification qui suspenditles hos-
tilités entre les partis, édit qui ne
contenta personne, et qu'on nomma
la paix boiteuse et mal assise. Le 15
août de la même année, les catho-
liques d'Orléans s'assemblèrent afin
de rédiger et signer un acte d'union
ou ligue pour la défense de leur foi.
Cette assemblée fut présidée par
Mathurin de la Saussaye, qui signa
l'acte avec les principaux membres
de son clergé. A son retour, il avait
eu la douleur de trouver près des
deux tiers des habitants d'Orléans
entraînés au protestantisme. Dès lors
sa vie et sa fortune furent consacrées
à relever la religion de son abaisse-
SAU
ment et les monuments chrétiens de
leurs ruines. Ses prédications rame-
nèrent à la foi catholique un grand
nombre de fidèles e'garés, tandis que
son inépuisable charité, secondée par
le dévouement de sa famille et de ses
amis, et par les secours que ses in-
stantes prières obtinrent du roi , lui
fournit assez de ressources pour re-
bâtir entièrement plusieurs églises
et pour rétablir le chœur et Tautel
de ia cathédrale de Sainte-Croix. En
1572, les bourreaux de la Saint-Bar-
thélemi eurent des imitateurs à
Orléans, et les catholiques y prirent
une revanche sanglante des meur-
tres dont leurs frères avaient été
victimes en 15G2 et 1567. L'évêque
désapprouva ces coupables repré-
sailles, mais n'eut pas le pouvoir de
les empêcher. En 1576, Mathurin de
la Saussaye représenta f e clergé d'Or-
îéans aux États de Blois. Son oncle,
Jacques de la Saussaye, grand-vicaire
de Pontoise , en Parchevêché de
Rouen, assistait aussi à cette assem-
blée comme syndic délégué par le
clergé de France à la suite de la cour.
Mais ces syndics avaient assumé
une responsabilité grave en donnant,
«ette année-là même, leur assentiment
à l'aliénation des biens ecclésias-
tiques jusqu'à concurrence de cin-
quante mille livres de rente pour
payer les reîtres protestants qui re-
fusaient de quitter la France sans
avoir reçu leur solde. L'évêque de
Paris, Pierre de Gondi, était allé à
Rouie solliciter la bulle qui autorisa
cette spoliation de rÉglise,et Jacques
de la Saussaye l'avait accompagné.
Le clergé ne pardonna point aux
syndics cet abandon de ses intérêts,
ri dès les premières séances on de-
niauda qu'ils fussent exclus de l'as-
seinblée. Jacques de la Saussaye es-
saya vainement de se justifier, en al-
SAU
173
léguant qu'il n'avait cédé qu'à la
violence, et que le roi l'avait menacé
de le faire jeter dans une basse-fosse
s'il résistait à sa volonté. Les esprits
étaient trop irrités pour admettre
aucune excuse : l'exclusion fut pro-
noncée, et l'on décida qu'à l'avenir
il n'y aurait plus de syndics à la suite
de la cour. Cependant l'assemblée
adoucit ce que ces mesures pouvaient
avoir de fâcheux, en protestant de
son estime pour le caractère des syn-
dics, et en déclarant que, dans cette
décision, il n'y avait rien contre eux
de personnel. Les procès-verbaux ne
nous font pas connaître la part que
prit l'évêque d'Orléans aux délibé-
rations des États ; étranger aux in-
trigues politiques, il n'était occupé
que du bien de son diocèse, où il
mourut le 9 février 1584, après vingt
ans d'un épiscopat toujours agité par
la lutte des factions. De toutes les
vertus que ses contemporains s'accor-
dèrent à lui reconnaître, celle qu'il
pratiqua le plus constamment fut la
charité. On peut jugei' de la place
qu'elle occupait dans son cœur par
les dernières paroles qu'il adressa,
de son lit de mort, à son neveuCharles
de la Saussaye, alors âgé de quatorze
ans : « Mon ami, lui dit-il, fais l'au -
« mône tous les jours de ta vie;
" omnibus diebus vitœ tuœ, ex sub-
« stantia tua fac eleemosynam. »
(Tobie.) Puis il ajouta: «Ceci^est
« mon testament et ma dernière vo-
« lonté, que je te prie de n'oublier
«jamais. » C'était le plus beau com-
mentaire qu'un prélat catholique pût
faire des doctrines de l'Évangile. Son
épitaphe, composée par son neveu, se
litencoresur un des piliers du chœur
de lu cathédrale d'Orléans. P—g— y.
SAITSSAYE (Charles de la), ne-
veu du précédent, est un (les plus
aïiciras historiens de l'Orléanais.
114
SAU
SAU
Sous le titre à^ Annales eccleiiœ Au-
relianensis, il a publié en 1615 un
livre curieux, dont le style est d'une
latinité très-pure, et qui sera toujours
consulté avec fruit par ceux qui vou-
dront écrire l'histoire de cette pro-
viuce. Il naquit à Orléans, en 1505,
d'Olivier de la Saussaye , frère de
l'évêquc Mathurin, et de Jeanne-Ma-
deleine Alleauine, fille de Jacques
AileauHie, uiaire d'Orléans, dont la
famille était une des plus considéra-
bles et des plus anciennes de la ville.
Les leçons et les exeniples du ver-
tueux prélat son oncle purent con-
tribuer à développer sa vocation pour
l'état ecclésiastique; mais elle sem-
blait innée en lui, car dès sa première
jeunesse il ne se plaisait qu'aux exer-
cices religieux ; il composait des
hymnes en l'honneur des saints, et
son talent pour la chaire commençait
à se révéler dans des sermons impro-
visés au milieu de ses compagnons
d'enfance, qui l'appelaient le petit
prédicateur. Il avait eu le malheur
de perdre uon père à l'âge de deux
ans', mais sa mère prit le plus grand
sorn de son éducation, tout en cher-
chant à le détourner de son goût pour
la vie religieuse qu'elle ne pouvait
voir qu'avec peine, parce qu'elle n'a-
vait pas d'autre enfant que lui. Après
avoir reçu de son oncle mourant la
touchante bénedictiun que nousavons
rapportée dans l'article précédent, il
alla terminer ses études à Paris, et,
pour se conformer à la volonté de sa
mère, il s'occupa de jurisprudence, et
se fit recevoir docteur en droif civil
et canonique. On lui acheta une
charge de conseiller au grand-conseil,
afin de le fixer dans une carrière pour
laquelle il n'avait aucune inclination,
et on le fit voyager en Italie pour le
distraire des préoccupations qui l'en-
traînaient vers l'état ecclésiastique.
li partit en 1580, et son voyage dura
plus de trois ans. Son séjour à Rome
et ses pieuses visites aux lieux saints
ne firent que confirmer sa vocation
naturelle , et , dans un pèlerinage à
N.-D. de Lorette, il fit vœu de consa-
crer à Dieu le restede ses jours. A son
retour, malgré les représentations de
sa mère et de sa famille, il alla étudier
la théologie à Paris, et fut reçu doc-
teur en Sorbonne après avoir été or-
donné prêtre par Jean del'Aubespine,
évêque d'Orléans. Comme son oncle,
il s'adonnabeaucoup à la prédication,
et l'auteur de sa vie dit qu'il prêcha
dix-huit Avents et autant de Carêmes
à Paris, à Orléans, à Reims et dans
d'au très grandes vil les, avec beaucoup
de succès. Sa modestie Téloignaitdes
dignités ecclésiastiques. Ce fut à la
prière de ^on ancien précepteur, curé
de Saint-Pierre-en-SentelIe, à Or-
léans, qu'il consentit à prendre le
gouvernement de cette paroisse, que
ce vénérable prêtre, affaibli par l'âge,
était forcé d'abandonner. Un peu
plus tard , il fut nommé à un cano-
nicat de la cathédrale, et il ne l'ac-
ceptaqu'aprèsune longue résistance.
Il en était pourvu depuis deux ans à
peine, quand, le 10 août 1598, le
chapitre l'élut pour doyen. L'évêque
Jean de l'Aubespine était mort le 23
février 1596, et le siège resta vacant
jusqu'en 1601. Pendant ces huit
années, Charles de la Saussaye fut
chargé, en qualité de doyen, de Tad-
ministiation épiscopale du diocèse.
Il n'eut rien plus à cœur que la res-
tauration de la cathédrale de Sainte-
Croix, commencée par son oncle, et
il eut le bonheur d'obtenir du roi
Henri IV la promesse d'une recon-
struction générale des nefs et de la
façade qui étaient complètement en
ruine. Le 18 avril 1601, pendant la
célébration du jubilé, Charles de la
SAU
Saussaye recevait et haranguait à
Orléans le roi et la reine, qui venaient
poser la première pierre de ce magni-
fique monument. La mémoire de ce
fait est conservét^ par une inscriplioïi
qu'il composa lui-même, el qu'il fit
mettre sur un pilier élevé au-dessus
de celte première pierre. On devait
penser qu'après avoir gouverné avec
éclat . pendant huit ans , le diocèse
d'Orléans, il serait appelé au siège
qu'avaient déjà si honorablement oc-
cupé son oncle, Mathuriu de laSaiis-
saye, et son grand-oncle, le gdrde-
des-sceaux de Morvilliers ; mais
la famille du dernier évêque ob-
tint la prélerence, et Gabriel de
l'Aubespine, sacré à Roaie pendant
le carême de 1604 par le pape Clé-
ment Vill, lit son entrée solennelle
à Orléans le 14 septembre de la
même année. Charles de la Saussaye
prononça, en 1610, l'oraiçon funèbre
de Henri IV ; il fui choisi , en 1614,
avec son évêque et Tabbé de Saint-
Euverte, pour représenter le clergé
d'Orléansaux Étaîs-Généraux assem-
blés dans la capitaie du royauine.
Ce fut sans doute à cette occtsion
qu'il se fit coujiaîlre du cardinal
J.-F. de Gondi, premier archevêque
de Paris. Ce cardinal apprécia son
mérite, et voulut se l'attacher en lui
donnant la cure de Saint-Jacques-la.
Boucherie. Reconnaissant de ces
marques d'une affection fondée sur
l'estime, Charles de la Saussaye con-
sentit à changer de diocèse et de pa-
trie ; mais son départ d'Orieans, oii
il laissait tant d'amis et oii ii avait
rép/mdu tant de bienfaits., lut un vé
rituble deuil public : « La maison du
• doyenuô en laquelle il demi'uroil,
« dit fauteur de sa vie, esloit une
. vraye iiostellene ouverte à tous les
« religieux et ecclésiastiques qui
« passoient à Orléans, lesquels il
SAU
175
« logeoit et traittoit autant de temps
• qu'ils y vouloient demeurer, et en
• sortant, donnoiî l'aumosne à ceux
• qui estoient pauvres.» On voit qu'il
avait été fidèle aux recommandations
de son vénérable oncle. La réputa-
tion de ses vertus l'avait précédé à
Paris, où il fut accueilli avec joie par
la population de sa paroisse. Bientôt
après , le cardinal , voulant le rap-
procher encore plus de sa personne,
lui donna un canonicat à Noire-Dame,
el ce fut dans le cloître de cette église
qu'il mourut le 21 septembre 1621,
n'étant âgé que de 56 ans. Ses ob-
sèques furent célébrées dans l'église
cathédrale; mais, suivant son désir,
il fut enterré dans sa paroisse de
Saint-Jacques-la-Boucherie, où l'on
voyait son tombeau dans la chapelle
de saint Charles Borromée. Un de ses
paroissiens, le sieur de la Saullaye,
se rendit l'interprète des regrets de
tous en consacrant à sa mémoire un
livre qui parut à Paris, chez Louys
Boulenger\ en 1622 , in-8", sous le
titre û' Abrégé de la vie et delamort
de messire Charles de la Saussaye.
Non moins savant que vertueux, ce
digne ecclésiastiquea laisséplusieurs
ouvrages remarquables, tels que les
Annales de l'église d'Orléans, que
nous avons citées plus haut, et dans
lesquelles se trouve un traité sur la
Iranslalion du corps de saint Benoît,
sous le titre ûe Gloria Floriacensis
cœnobii; uue vie de saint Grégoire,
évêque de Nicopolis d'Arménie ;
l'histoire du martyre des saints
Agoard et Gilbert^ une notice des
bénéfices de l'église d'Orléans; enfin
une harangue au duc de Paslerana,
ambassad ur d'Ë*;p;igne , qui existe
en Ms. à la Bibliothèque royale. Ses
scrutons n'ont pas éie recueiliis. La
famille de la Suussaye subsiste encore
dans le Blésois, où elle est représen-
176
SAU
ice par M. Louis de la Saussaye, mem-
bre (le l'Académie des Inscriptions.
P— G— Y.
SAUSSURE (Nicolas de), agro-
U(tme, père du naturaliste de ce nom
{voy. XL, 476), était né à Genève vers
la lin de 1709; il fit de très-bonnes
études et se voua à la carrière des
lettres , plutôt comme distraction
que comme élat -, il s'adonna spécia-
lement aux travaux agronomiques,
les plus propres, selon lui, à l'utilité
générale. Membre du conseil des
Deux-Cents de Genève, ainsi que de
plusieurs académies scientifiques, il
mourut en 1790, laissant la réputa-
tion d'un homme de bien, plein
d'une noble générosité. La société
économique d'Attch couronna un Mé-
moire qu'il lui avait adressé sur la
meilleure manière de cultiver les
terres^ et il existe de lui grand nom-
bre d'articles intéressants dans le
recueil de la société de Berne. Ses
principaux ouvrages sont: I. Pro-
duits des Mes tirés des pays méri-
dionaux , semés au printemps de
l'^année 1772, et sur la fin de l'au-
tomne précédent, 1773, in-12. II.
Manière de provigner la vigne sans
engrais^ Berne, 1775, in-8<>. III.
Essai sur la cause de la disette du
blé qu^on a éprouvée dans une partie
de l'Europe pendant sept ou huit
années qui ont suivi 1775, et sur les
moyens de la prévenir, Genève,
1776, in-12. IV. Vignes, raisins,
vendanges et vins (tirés de l'Ency-
clopédie de Diderot et d'Alembert),
Lausanne, 1778, in-12. V. Réponse
aux objections d'un membre de la
société d'Auch contre une brochure
sur le produit des blés étrangers
scmésen 1771 et 1772, Genève, 1777,
in-12. VI. Essai sur la taille de la
vigne et sur la rosée^ 1780, in-8°.
Vil. /'(' Feu^principe de la fécondité
SAU
des plantes et de la fertilité de la
ferre, 1783, in-80. C— h — n.
SAUSSURE (Nicolas-Thkodore
de), petit-fils du précédent, naquit
à Genève le 14 octobre 1767, et fut
d'abord le compagnon et l'aide de
son père, l'illuslre historien des
Alpes. Il le suivit dans les mon-
tagnes et apprit de lui le grand
art d'observer la nature et celui, plus
rare encore, d'être sobre de déduc-
tions, jusqu'à ce que les faits soient
assez multipliés etassez convaincants
pour que leurs conséquences Ihéo-
riquesdeviennent évidentes et incon-
testables. Lorsqu'en 1787 De Saus-
sure fit sa mémorable ascension au
Mont-Blanc, il ne voulut pas que son
fils, âgé de vingt ans,partageât les fa-
tigues d'un séjour prolongé au milieu
des neiges. Théodore resta donc au
pied delà montagne dans levillagede
Chamouny,où il se livra à un grand
nombre d'expériences et d'observa-
tions correspondantes qui devaient
donner à celles de son père leur
grande importance scientifique. L'an-
née suivante, ils séjournèrent ensem-
ble pendant dix-sept jours sur le col
du Géant,k 3,428 mètres au dessus de
la mer. Ce voyage a été décrit par
Bénédict De Saussure (Voyages dans
les Alpes). Pendant le séjour au col
du Géant, le père s'occupait princi-
palement de météorologie et de géo-
logie. Le fils détermina la latitude de
la station et son élévation relative-
ment aux différentes cimes qui l'en-
touraient. Il fit ensuite des expérien-
ces sur la densité de l'air, qui furent
le sujet de son premier Mémoire
dans le Journal de physique de l'ab-
bé Rozier (t. XXXVI, p. 78, année
1790). A l'exemple de Newton et de
Bouguer, il employa un pendule,
c'est-k-dire une boule métallique de
13 cent, de diamètre, suspendue à un
SAU
til d'argent Cut 2 mètres de long, et
terminé par un anneau d'acier qui
oscillait sur le tranchant d'un cro-
chet en cuivre. On conçoit qu'en fai-
sant osciller ce pendule, on puisse
estimer la densité relative d'un flui-
de. Imaginons, en effet, un instant
que ces oscillations se fassent dans
l'eau ; on comprend que la re'sistance
du liquide les éteindra plus vite que
dans l'air; mais, dans l'air même, la
densité plus ou moins grande de la
couche dans laquelle le pendule se
meut aura une influence apprécia-
ble : moins l'air sera dense, moins
son action retardatrice se fera sentir.
Voici comment Bouguer était par-
venu à les mesurer. Il faisait osciller
son pendule devant une règle hori-
zontale divisée en lignes, puis il
comptait le nombre d'oscillations
i{\Y\\ fallait pour que les excursions
qui avaient d^ibord 200 lignes d'am-
plitude n'en eussent plus que 160.
Plus l'air était dense, moins ce nom-
bre était grand. Cette méthode offre
une foule de difficultés matérielles
et d'inexactitudes, elle nécessite une
foule de corrections qui la rendent
presqoe inexécutable dans la prati-
que; ai)sç>'\ Théodore De Saussure ne
la mit-il en usage que concurremment
avec la suivante. On sait qu'un corps
solide pesé dans l'eau perd en poids
une quantité précisément égale au
poids du volume d'eau qu'il déplace.
Ce qui a lieu dans l'eau a lieu égale-
ment dans l'air. Pour utiliser ce prin-
cipe, Théodore De Saussure employa
un ballon de verre exactement fermé
et de la forme d'un ellipsoïde aplati.
Son grand diamètre était de 345 mil-
limètres, le petit de 334. De Saussure
prit pour unité le poids du ballon pesé
dans l'air à la température de 14°,4
sous la pression barométrique de 758
millimètres, et 75 degrés de l'hygro-
LXXXT.
SAU
17
mètre à cheveu. Il faut pour ce genre
d'expériences des balances très-sen-
sibles; les siennes trébuchaient à 25
milligrammes. Mais avant de faire
ces expériences, il était nécessaire
d'étudier, sous diverses pressions,
l'influence de la chaleur, qui, en di-
latant l'air, diminue sa densité, in-
dépendamment de la pression baro-
métrique. Il trouva qu'une différence
de température de 6° à 31" corres-
pondait à une différence de 2305
millimètres, sous la pression de 758
millimètres de mercure. L'influence
de l'humidité fut appréciée avec la
même rigueur. Après ces études pré-
paratoires. De Saussure fit un grand
nombre d'expériences à vingt -cinq
points situés à différentes hauteurs
dans les montagnes, entre 300 et
3,300 mètres au-dessus de la mer, et
mit ainsi hors de doute une des
grandes lois de la physique déjà éta-
blie par Mariotte, savoir : que la
densité de l'air est proportionnelle
à la pression qu'il supporte. Théo-
dore De Saussure ne continua pas à
marcher dans la voie où son père
l'avait fait entrer. Priestley, Bon-
net et Senebier venaient de créer une
science pour ainsi dire nouvelle, la
physiologie végétale. Th. De Saus-
sure résolut d'éclaircir par la chimie
le mode de nutrition des végétaux.
Il ne craignit pas d'aborder cet im-
mense sujet, et débuta en 1797 par
un Mémoire sur cette question : Va-
cide carbonique est-il essentiel à la
végétation? Ce Mémoire ouvre la
série de ses Recherches chimiques
sur la végétation , dont l'ensemble
parut en 1804 (Paris, in-8*^), et pro-
duisit une vive sensation dans le
mondj^ savant. Berthollet fit sur cet
ouvrage un rapport détailléqu'il ter-
mine en regrettant de n'avoir pu
donner qu'un aperçu de l'immense
12
178
SAU
travail condensé dans ce livre, (pii
doit accroître la cf^lébrilé du non»
que porte l'auteur. Cet ouvrage
valut à De Saussure le titre de cor-
respondant de l'Institut. L'auteur
prouve d'abord qu'une plante ne
saurait germer dans le vide, c'est-à-
dire dans un espace sans air ou dans
un gaz prive' d'oxygène ; il montre
ensuite que le volume d'oxygène
absorbé est égal au volume du gaz
acide carbonique que la plante forme
et émet pendant sa germination. Il
s'assure que cet acide carbonique
retarde la germination encore plus
que Tazote ou l'hydrogène. Mais si
l'on met de la potasse et de la chaux
sous les récipients où les graines
germent, ces bases, en absorbant l'a-
cide carbonique à mesure qu'il se
forme, favorisent la germination. Il
fait voir de plus que l'influence de
la lumière est nulle, malgré les as-
sertions contraires dlngenhousz et
de Senebier. Pans un second Mémoi-
re, Th. De Saussure étudia l'action
de l'acide carbonique sur les plantes
adultes au soleil et à l'ombre. D'après
ses expériences, il résulte qu'une
faible proportion d'acide carbonique
favorise la végétation des plantes qui
sont exposées au soleil \ mais dès
que cette proportion devient trop
forte, la plante est asphyxiée. La
moindre dose de ce gaz est mortelle
pour les végétaux maintenus con-
stamment à l'abri de la lumière so
laire. Un troisième Mémoire fut con-
sacré par De Saussure à l'étude de
Taclion de l'oxygène sur les végé-
taux, et l'on y trouve la preuve que
les parties vertes absorbent ce gaz
pendant la nuit el le restituent pen-
dant le jour à l'air envirormant.
Après avoir étudié les causes de l'é-
boulement de Goldau, Th. De Saus-
sure revint à sa science favorite, la
SAU
rhiinie appli(juée à la physiologie
végétale. Il avait montré quels ma-
tériaux les plantes empruntent h l'at-
mosphère, il lui restait à trouver
ceux qu'elles tirent du sol dans le-
quel leurs racines sont plongées.
Cette question est le sujet du Mé-
moire De l'influence du sol sur
quelques parties constituantes des
végétaux, lu à la Société philomati-
que au commencement de l'année
1800. Ce Mémoire complétait l'en-
semble de ses recherches sur la nu-
trition des végétaux. Dans celles qui
suivirent, il éclaircit plusieurs points
douteux et délicats de la chimie or-
ganique, la composition de l'alcool
et de réthersulfurique, la décompo-
sition de l'amidon à la température
atmosphérique, et sa conversion en
matière sucrée. Dans ce dernier tra-
vail, il prouva l'identité du sucre
d'amidon et de raisin , et prépara
ainsi les beaux travaux des chimistes
actuels sur la fécule. Enfin, il fit voir
quelle était l'influence des fruits et
des fleurs sur l'air atmosphérique.
Lorsque Laplace fit un appel aux
physiciens et aux chimistes pour
déterminer avec la plus grande ri-
gueur ce qu'il nommait les constan-
tes de la nature, c'est-à-dire les élé-
ments invariables du monde physi-
que , Théodore De Saussure reprit
l'analyse de l'air atmosphérique, et
ses expériences, jointes à celles de
MM. Dumas et Boussingault, servi-
ront à déterminer un jour si la com-
position de l'air ambiant a sensible-
ment varié. Malgré sa prédilection
marquée pour les sciences naturelles,
Théodore De Saussure avait du goût
pour la littérature, et il ne refusa
point de prendre part au maniement
des affaires publiques. En 1814, 1824
et 1845, il fut nommé membre du
conseil représentatif de la république
SAU
SAU
179
de Genève, où il figura toujours dans
les rangs des conservateurs. C'est
dans une séance de cette assemblée
qu'il s'opposa un jour à l'introduc-
tion dans les classes de collège de
l'étude des sciences naturelles. Cette
opposition semble singulière dans la
bouche d'un naturaliste, mais Théo-
dore De Saussure la motivait en di-
sant que cet enseignement prématu-
ré ne servirait qu'à produire des
coureurs de papillons. Lorsque le
congrès scientifique seréuniià Lyon,
en 1841, Th. De Saussure en fut nom-
mé président à l'unanimiié, et la fa-
cilité d'élocution qu'il montra dans
l'exercice de ses fonctions fit regret-
ter qu'il ne se fût pas livré à i'ensei-
gnement. Son amour de la retraite
l'en avait probablement empêché,
car il fuyait le monde et passait à la
campagne tout le temps dont il pou-
vait disposer. Théodore De Saussure
mourut à Genève à la fin d'avril
1845. Il était membre d'un grand
nombre d'académies, entre autres de
celles de Naples, de Munich et de
Londres. Outre les Recherches^ il
avait publié dans différents recueils
scientifiques vingt- cinq Mémoires
sur des questions de chimie, dont on
trouvera le détail dans la France
littéraire de M. Quérard. Z.
SjAUTEREAL' de Delkveau
(Jean), député à la Convention na-
tionale , était né à Épiry dans le Ni-
vernais; fils d'un notaire de ce vil-
lage, il alla faire ses études et son
droit à Bourges où il fut reçu avocat.
Aprèsquelquesessaisdauscette ville,
il alla s'établira Clermont, en Au-
vergne, où il plaida, pendant la courte
existence des grands bailliages, Cts
cours ayant été supprimées à l'avè-
nement de Louis XVI, Sautereau re-
vint dans son pays, et quand la révo-
lution se manifesta, il en embrassa
les principes avec ardeur et fut d'a-
l)urd procureur-syndic du départe-
ment de la Nièvre, puis, en 1791, dé-
puté à l'Assemblée législative,et l'an-
née suivante à la Convention. Quoi-
que doué de quelque talent, il ne
chercha point à se faire remarquer à
la tribune, mais il se réunit constam-
ment au parti révolutionnaire. Dans
le procès du roi, il se prononça contre
l'appel au peuple, et vota la mort.
11 ne se trouvait point k l'assemblée
lors du vote sur le sursis. Ses tra-
vaux législatifs se bornèrent à quel-
ques rechercht^s dans les comités.
Devenu membre du conseil des Cinq-
Cents, il défendit, en 1797, les assem-
blées électorales de Ne vers, que de
Larue accusait d'avoir été influencées
par les jacobins. En mars 1798, il fil
exclure du corps législatif M. Delor,
comme parent d'émigré. Il en sortit
lui-même k cette époque , et fut
nommé juge au tribunal d'appel du
Cher, place qu'il remplit jusqu'à sa
mort, arrivée en 1809. M— -Dj.
SAUVAiiE (le Père), jésuite de
Lorraine, est regardé comme le vé-
ritable auteur de l'ouvrage anonyme
intitulé : La Réalité du projet de
Bourg - Fontaine démontrée par
l'exécution^ Paris, 1755, 2 vol. inl2,
qu'on a quelquefois attribué au
P. Patouiilet. Ce livre, tiré de la
Relation juridique de Jean Filleau
{voy. ce nom, XIV, 535), et qui se
rattache aux querelles du jansé-
nisme, fut lacéré et brûJé, par arrêt
du parlement de Paris du 21 avril
1758. H n'en a pas moins été traduit
en latin, sous le titre de Veritas
concilii Burgofonie initi , en alle-
mand , en flamand , et réimprimé
plusieurs fois. Les dernières édi-
tions, notamment celle de Paris et
Liège, 1787, 2 vol. in-S**, contien-
nent une Réponse aux Lettres qtie
12.
180
SAU
SAU
doin Clémencet (et uon pas Clément,
comme on Ta dit par erreur à Tar-
ticle Filleau) avait publiées contre
cet ouvrage. A l'époque où les parle-
ments de France proscrivirent l'in-
stitut des jésuites, le P. Sauvage, de
concert avec le P. Grou (voy. ce
nom, LXVI, 106) et d'autres mem-
bres de la société, lit paraître une
Réponse au livre intitulé : Extraits
des assertions dangereuses et perni-
cieuses en tout genre, que les soi-
disant jésuites ont, dans tous les
temps etpersévéramment, soutenues,
enseignées et publiées , etc., 1763-
65, 4 vol. in-i° (voy. Roussel de la
Tour, LXXX, 76). Z.
SAUVIAC ( Joseph - Alexandre
Betbezé'Larue de), général français,
était né dans le Languedoc, en 1757,
d'une famille noble , mais sans for-
tune. Destiné dès l'enfance à la car-
rière du génie militaire, il entra en
1779, après d'assez bonnes études fai-
tes dans son pays, à l'école de Mé-
zières, d'où il sortit six ans plus tard
lieutenant du génie. Ayant embrassé
la cause de la révolution, il fut nommé
capitaine en 1791 et employé comme
tel aux travaux de Cherbourg sous
Dumouriez, qui l'appela auprès de
lui à l'armée de la Belgique, vers la
fin de 1792. Employé encore l'année
suivante dans la courte expédition
de Hollande que fit ce général, il
fut gravement blessé , le 2 mars ,
d'un coup de mitraille en escaladant
le fort de Dam à Gertruydenberg.
Ayant suivi l'armée dans son mouve-
ment rétrograde vers la frontière
française, il se trouvait employé à
l'état-major général, lorsqu'il fut
blessé de nouveau par un coup de
pied de cheval, dans une reconnais-
sance du camp de César qu'il fit avec
le général en chef Kilmaine. Ne pou-
vant plus alors continuer à l'armée
le m«?me service, il fui nommé com-
mandant de Givet et Charleniont
avec le grade de chef de brigade ou
colonel. A peine eut-il passé un mois
dans ce poste, qu'il reçut du ministre
de la guerre une commission pour
se rendre à l'armée des Pyrénées-
Orientales que commandait de Fiers.
Il y resta peu de temps, et fut bientôt
rappelé à l'armée du Nord où il se
distingua dans plusieurs occasions,
notamment aux batailles de Courtray ,
de Menin et surtout à la conquête de
la Hollande, dont il avait dressé le
plan pour la plus grande partie ,
ainsi que l'a reconnu hautement le
général en chef Pichegru, qui le fit
nommer général de brigade aussitôt
après, et qui regretta vivement de ne
pouvoir l'emmener avec lui à l'armée
du Rhin lorsqu'il en prit le comman-
dement. Les blessures de Sauviac
l'avaient alors condamné à une sorte
d'inactivité qui le força de rester à
Zonnebec où il fut gravement ma-
lade. Dès qu'il fut rétabli, il re-
vint dans la capitale , et il s'y trou-
vait à l'époque du triomphe de
Bonaparte au 13 vendémiaire. On lui
reprocha dans le temps de n'avoir
pas concouru à ce triomphe avec
beaucoup de zèle^ il est probable
que cette circonstance autant que ses
rapports avec Pichegru nuisirent
beaucoup dans la suite à son avan-
cement. Cependant , étant encore à
Paris au moment de la révolution du
18 brumaire, il se rangea assez fran-
chement du parti qui renversa le
Directoire et parut être rentré en
grâce auprès du nouveau consul, qui
l'employa bientôt après à l'armée du
Rhin sous Moreau, mais le priva
ensuite de cet emploi, et même le
suspendit de ses fonctions qu'il ne
recouvra qu'en 1802 où il passa dans
l'arme de la ligne, et devint général
à
SAU
de division. 11 lit eu cette qualité la
campagne de Portugal en 1809 sous
Junot. Depuis cette époque, il cessa
d'être employé et fut mis définitive-
ment à la retraite par le gouverne-
ment de la Restauration, le 20 août
1814. En 1817, on le vit s'occuper
d'expériences de physique. 11 mourut
peu de temps après. Le général Sau-
viac est auteur d'un grand nombre de
Mémoires militaires, politiques et ad-
ministratifs, parmi lesquels sont des
plans de campagne et des négocia-
tions dont il a été chargé, mais qui
sont restés inédits. Ses écrits impri-
més sont : 1. Un Mémoire sur les
sièges de Gertruydenberg et de Crè-
vecœur qu'il avait dirigés, imprimé et
gravé en 1795. II. Aperçu des deux
dernières campagnes de l'armée du
Nord pour servir de réponse à une
Satire contre le général Pichegru,
Paris, 1796, in-8°. III. Coup d'œil
politique et militaire sur le théâtre
de la guerre en général^ remis au
gouvernement après les affaires de la
Trebia, 1800, in-S». 11 avait con-
couru pour l'Éloge de Vauban, pro-
posé par l'Académie française en
1790 ; ce fut Noël , notre collabora-
teur, qui obtint le prix. M — Dj.
SAUVIGNY ( ETIENNE - Louis
BiLLABDON, abbé de) (1) naquit à
Cognacen 1734. Frère puîné d'Edme-
Louis de Sauvigny (voy. ce nom, XL,
p. 496), il suivit comme lui la car-
rière des lettres, mais il le surpassa
en médiocrité. L'un avait pris le
parti des armes-, celui-ci fut destiné
à l'Église. Avant 1789, il n'eut au-
cune part dans la distribution des
bénéfices. Ayant adhéré à la consti-
tution ci\ile du clergé, il finit par
(i) M. Beuchot {Nouveau Nècrologe fratt'
çais, Paris, 1812, in-80, p. 41 ) lui donne
par erxTur les prénoms d'Edme-Louis, qui
.appartiennent à son frèie aiué.
SAU
181
devenir curé de Jarnac. Il lit partie
du concile national assemblé à Paris,
le 15 août 1797, et rédigea le jour-
nal des opérations de ce concile, qui
fut publié en vingt-neuf numéros
in-8", du 17 août au 15 novembre
de la même année. Il mourut à
Paris en 1809 (2). On doit à sa plume
féconde un grand nombre d'ouvra-
ges, tant en prose qu'en vers: I.
Épîire à un homme de lettres retiré
à la campagne, 1777, in-S". II. Lettre
à M. de S*** (Sauvigny), chevalier
de Saint-Louis, par M. l'abbé de S***,
Paris, 1779, in-8°. lïl. Panégyrique
de saint Louis, prononcé à VOra-
toire, Paris, 1780, in-8°. L'auteur
n'a pas été plus heureux qu'un
grand nombre d'autres panégyristes
qui n'ont pu rajeunir un sujet
épuisé. Peut-être trouve-t-on plus de
chaleur dans son œuvre que dans
beaucoup d'autres sur le même sujet,
mais il y règne aussi trop d'emphase.
IV. Oraison funèbre de l'impéra-
trice - reine Marie - Thérèse , 1 78 1 ,
in-S"*. V. César et Pompée , poème,
Paris, 1782, in-8''. C'est une imitation
de Lucain, où les défauts de l'origi-
nal sont plutôt exagérés qu'affaiblis.
VI. Vie de saint Grégoire de Tours,
1785, in-8*'. VII. Discours sur les
devoirs' des sujets envers les souve-
rains^ prononcé dans la chapelle
du Louvre^ en présence de MM. les
membres de l'Académie française,
le 25 aoiit 1786, suivi d'une Ode
(2) C'est par erreur qu'on a donné cette
date comme celle de la mort d'Edme-Louis
de Sauvigny, à son article (XL, 49^)? iJ mou-
rut quelques années après, le 19 août 1812.
Nous devons réparer aussi une omission qui
y a été faitç. Attaché en 1789 à l'état-major
de la cavalerie parisienne, comme adjudant-
général, il en avait le commandement pro-
visoire en 1792, quand il réprima les désor-
dres delà rue de Varennes. Il parut alors a
la barre de la Convention nationale pour en
rendre compte à l'assemblée.
18^
SALi
SAU
au r le prince de Brunswick, qui n'a
point concouru pour le prix, Paris,
I78(), in-S". Les aiite;irs du Petit
Âlmanach des grands hommes ont
persiflé l'auteur sur le choix d'un
pareil sujet. • M. l'abbé de Sauvi-
« gny, disent-ils , s'est surtout si-
« gnalé par son sermon prêché de-
« vant l'Académie française, ou il
« entreprend de prouver qu'il faut
'Obéir aux rois. La difficulté et les
• périls attachés à ce texte vraiment
• neuf, n'arrêtèrent point M. l'abbé,
« qui s'en tira avec autant de cou-
« rage que d'esprit. » Quelques an-
nées plus tard, Rivarol et Champce-
netz auraient-ils tenu le même lan-
gage ? VIU. Histoire de Henri III,
roi de France et de Pologne ; con-
tenant des détails très-intéressants
sur Vassemblée des États-Généraux,
tenue deux fois sous le règne de ce
prince, Paris, 1788, iR-8*>. Quoique
cet ouvrage ne se recommande pas
par la nouveauté des idées ou la pro-
fondeur des vues, il se fait lire avec
intérêt , parce qu'il est un bon
résumé de l'histoire d'uti règne ora-
geux, pendant lequel la faiblesse de
caractère du souverain livra les
peuples à toutes les horreurs de
V anarchie. On doit encore à l'AW)é
de Sauvigny une assez bonne édition
des OEuvres choisies de Bossuet^
Nîmes, 1785-90, 8 vol. in-4», ou
10 vol. iû-8«. L— -M— X.
SACZET (jEAN-BAPirsTE-GuiL-
laume), né à Lyon le 19 septembre
1765, avait fait de solides études au
collège de cette ville. Issu d'une
famille distinguée dans la médecine,
il en continua la réputation, l'ut un des
fondateurs de la Société de médecine
de Lyon, et répandit long-temps un
vif éclat dans les discussions dR cette
compagnie. Sa vie studieuse fut ce-
pendant troublée par nos discordes
civiles. Il passH sans effort delà paix
du cabinet au tumulte des camps.
Chirurgien-major de la cavalerie
lyonnaiseen 1793, il déploya dans ses
fonctions un zèle et un dévouement
dignes d'éloge. Il ne montra pas moins
de courage civil lorsque, après le
29 mai, il se présenta, comme député
de sa ville opprimée, à la Conven-
tion nationale pour expliquer les
événements et demander justice.
Accepter une telle mission, c'était
offrir sa tête. Sauzet ne recula pas
devant ce devoir: aussi fut-il arrêté
et jeté dans les fers d'où il ne sortit
qu'après le 9 thermidor; mais il ne
put supporter le spectacle de sa
patrie livrée au marteau des démo-
lisseurs ; il prit du service dans la
chirurgie militaire , et son mérite
réleva au poste de premier chirur-
gien de l'armée de Rhin-et-Moselle.
Il avait ainsi payé sa dette, quand il
revint à ses foyers, à ses livres, à se*?
malades. C'est de cette époque que
date l'ère de ces brillants concours
pour la place de chirurgien-major
de l'Hôtel-Dieu de Lyon, concours
qui ont placé à un si haut degré
d'estime la médecine lyonnaise. La
lice fut ouverte entre Marc-Antoine
Petit et Sauzet. Le premier l'em-
porta, mais il s'applaudit d'avoir eu
pour émule Sauzet dont il resta
constamment l'ami. Par suite de ce
concours, Sauzet fut pendant dix
ans médecin ordinaire de l'Hôtel -
Dieu, et, pendant dix autres années,
chargé du service médical de l'hos-
pice de la Charité. Une clientèle
nombreuse dut nécessairement sui-
vre d*aussi solides travaux. Toutefois
l'amour du gain n'y eut point de
part. Sauzet était l'ami de ses ma-
lades ; le cardinal Fesch l'honora
constamment de ce titre. Au milieu
de ces exigences, il trouva toujours
SAV
du temps pour la vie de famille. 11
veillait avec un amour patient sur
l'e'ducHtion de deux lils, et, en soi-
gnant en eux le développement des
dons heureux dont il était doué lui-
même, il a préparé une des célé-
brités parlementaires de notre épo-
que. En 1827, il fut un des fonda-
teurs de la société de lecture et
d'encouragement pour l'industrie
lyonnaise, qu'il présida durant plu-
sieurs années. 11 mourut à Lyon le
2 août 1844. A. P.
SAVAGE (William), libraire et lit-
térateur anglais, auteur de quelques
écrits, notamment d'une Histoire de
l'Imprimerie^ est mort en juillet
1843. — Son frère et son associé en
librairie, né en 1767, à Howden en
Yorkshire, a long-te-mps coopéré à
divers journaux , et a publié aussi
plusieurs ouvrages, entre lesquels
on cite: I. Histoire succincte de
l'état actuel du commerce de la
Grande Bretagne, traduit de Rheiu-
hardt, avec des notes et des additions,
1805 , in -8». 11. Le Bibliothécaire
(IheLibrarian), publié par livraisons,
et formantauuioinsS volumes, 1808-
1809. III. Memorabilia^ in 8°. IV.
Observations sur les architectes et
sur la construction des églises de
Paris, 1812, 77 pages in-S». Z.
SaVAHI de Mauléon^ fils de
Raoul et d'Anette de Ré, naquit,
vers la fin du xir siècle, dans le châ-
teau deMauléon, en Poitou. Encoie
enfant lorsqu'il perdit son père, il
fut appelé bien jeune à la posses-
sion de cette belle baron nie. Plus
tard, à la mort de son oncle, Guil-
laume de Mauléon , il fut prince de
Talmonl. Dans l'Àunis, la baronnie
de Châtel-Aillon lui advint, comme
héritier de la maison de ce nom, et
il devait posséder La Rochelle. Mais
ce lieu, simple village dans l'origine,
SAV
183
étantdeveuuunevilleimportante,les
héritiers de Châtel-Aillon reçurent
en échange de l'autorité suzeraine
le comté de Renon et des rentes. Sa-
varjâde Mauléon composa d'abord des
poésies dans l'idiome du midi, et
fut considéré comme un troubadour
distingué. On connaît surtout son
tenson sur celte dame qui, pour en-
courager trois solliciteurs, avait
donné à l'un un regard tendre ,
pressé la main de l'autre, et touché
le pied du troisième en riant. Mais
c'étaient là des amusements de jeu-
nesse, et notre bon Poitevin avait un
autre rôle à jouer. Il semblait vou-
loir s'attacher à Jean-sans-Terre, roi
d'Angleterre , qui possédait sur le
continent l'héritage des Plantage-
nets, quami ce prince déloyal, invité
à la noce de Hugues de Lusignan,
comte de la Marche, et d'Isabelle
d'Angoulême, enlève celle-ci à son
fiancé et l'épouse. Alors une ligue se
forme, et un cri de guerre est poussé
par les hauts seigneurs, de la Loire
à la Dordogne, pour venger l'injure
faite à l'un d'eux. Dans leurs rangs
et à la suite de Hugues-le-Brun ,
poursuivant le roi Jean pour lui
avoir enlevé sa fiancée chérie, se
trouvait Suvari de Mauléon. Un autre
intérêt entraînait ces seigneurs dans
la coalition formée contre le roi
d'Angleterre. Arlhus de Bretagne ,
neveu de ce prince, avait des droits à
régner sur l'Angleterre ; il s'était
rendu à Mirebeaa, accompagné de
Guillaume des Roches, son maréchal,
et d'un bon nombre de grands du
pays. Savari de Mauléon, qui avait,
de concert avec Bertrand de Born,
provoqué déjà par des poésies le
zèle des Poitevins en faveur d'Arîhus,
se présente là avec 30 chevaliers et
70 servants d'armes sous ses ordres.
On voit donc, dès son début, le
184
SAV
SA\
jeune guerrier appelé à peser gran-
dement dans la balance politique, et
prétendre à la gloire militaire.
Néanmoins Jean-sans-Terre arriva à
l'improviste, s'introduisit dans Mi-
rebeau qu'il occupa, délivra sa mère
la reine Aliénor et s'empara de son
neveu Arthus. Savari de Mauléon
et tous les seigneurs poitevins qui
avaient pris parti pour le jeune Ar-
thus furent aussi surpris et faits pri-
sonniers par Jean-sans-Terre ; celui-
ci conduisit son neveu et ses prison-
niers de marque dans la ville de Rouen,
et Ton sait la fin du jeune Arthus
( voy, ce nom, II, 553 ). La plupart
des seigneurs poitevins furent mis
en liberté, parce qu'ils s'obligèrent
à servir leur vainqueur, qui se rendit
exprès dans leur pays, afin de s'assu-
rer de leur fidélité. Quant à Mauléon,
il en fut autrement et on l'envoya en
Angleterre pour demeurer prison-
nier dans le château de Corf. Mais ce
jeune guerrier ne pouvait ainsi de-
meurer sous ies verrous ,, et son
activité belliqueuse lui fit tenter une
entreprise audacieuse et presque in-
croyable. Il était gardé dans le châ-
teau de Corf par quatre hommes
qui, nuit et jour, veillaient assidû-
ment sur sa personne. Or, un jour
il les fit tant boire , qu'il les enivra
complètement , et qu'ils s'endormi-
rent. Savari de Mauléon, voyant ses
gardiens livrés au sommeil , s'em-
para d'une cognée qui était là et mit
ses gardes à mort. Alors, se débar-
rassant des fers dont il était chargé, il
s'établit dans la principale partie de
la forteresse, afin de résister à ceux
qui voudraient l'attaquer. En effet,
Jean-sans-Terre, qui se trouvait à
une journée de Corf, se rendit dès
le lendemain devant ce château, pour
saisir Savari et le mettre a mort.
Celui-ci, réduit à lui seul, n'auraïf
pas pu se détendre bien loti;;-lrnips.
Heur(His<!ineijt qu'Hubert Gautier,
archevêque de Cantorbéry, et beau-
coup de personnages marquants ,
implorèrent le monarque pour un
guerrier si jeune et si intrépide. De
son côté, Savari promit de servir fidè-
lement le roi d'Angleterre et lui
donna sa mère pour otage. Aussitôt
qu'il se fut 'attaché à la fortune de
Jean-sans-Terre , ce prince l'envoya
en Poitou où on le chargea d'un com-
mandement; il s'empressa donc de
réunir ses propres vassaux et se
porta sur Niort dans le dessein de
s'en emparer par surprise. C'était le
dernier jour d'avril, et* cette nuit
même, les habitants de la ville al-
laient à une lieue de là, dans un bois,
pour couper des branches d'arbres,
afin de les placer devant les portes
du maire et des principaux habi-
tants. Or, Mauléon et les siens arri-
vèrent entre la ville et le bois où les
Niortais choisissaient des mais ,
prirent aussi des branches d'arbres
dont ils se couvrirent, et entrèrent
en ville, au lever du jour, le 1«'
mai, n'éprouvant aucune difficulté
pour leur introduction dans la cité,
parce qu'on crut qu'ils étaient les
Niortais sortis quelques heures au-
paravant. Parvenu dans l'intérieur,
Savari se porta aussitôt, aidé d'une
partie des siens, vers le château qu'il
trouva tout dégarni, et dont il s'em-
para. S'étant ainsi rendu maître
de la ville et du château de Niort ,
il s'avança promptement , avec une
partie de ses forces, vers le bois où
étaient ceux qui coupaient les mais,
et les fit tous prisonniers, parce que
ceux-là ne s'attendaient à rien ; mais
il ne les mit pas en prison dure ,
et il se contenta de prendre leur
parole de servir la cause de l'Angle-
terre, en leur faisant donner des
SAV
SAV
18:
gages pour cette promesse. Bienfôt
Savari de Mauléon fut assiégé dans
Niort par tous les membres de la
noblesse du Poitou, demeurée atta-
chée à la cause de la France, parmi
lesquels figuraient Hugues de Lusi-
gnan, comte de la Marche, et même
Guillaume de Mauléon, oncle de
Savari. Ces seigneurs demeurèrent
iong-temps devant la place et ils ne
purent rien faire que moult Mêles
chevaleries, Philippe-Auguste avait
aussi dirigé une armée sur Niort,
mais il crut plus utile de la conduire
vers Chinon, et les seigneurs poite-
vins se portèrent de ce côté-là. En
récompense du dévouement de Sa-
vari de Mauléon, Jean-sans-Terre
lui accorda, en 1206, 200 marcs d'ar-
gent de gratification en le chargeant
de jurer avec Thibault de Blairon
une trêve faite avec Philippe-Au-
guste. Plus tard, il fut établi conser-
vateur de cette trêve pour le roi
d'Angleterre, tandis que Guillaume
de Mauléon occupait la même posi-
tion pour le roi de France. C'est
alors que Bertrand de Born, dans
ses vers satiriques adressés à Savari
de Mauléon, reprochait à Jean-sans-
Terre de préférer à la gloire les
joutes et les chasses, les lévriers et
les faucons ; de tramer une vie sans
honneur, de se laisser dépouiller de
son vivant et de perdre le Poitou,
faute de le secourir. « Savari, disait
encore le troubadour, on peut dire
qu'un roi sans cœur ne fera guère
de conquêtes. A un cœur lâche et
mou, jamais nul homme de résolu-
tion ne pourra s'attacher. » En 1208,
le maréchal Henri Clément et Guil-
laume des Roches, maréchal d'An-
jou, attaquèrent à l'improviste le
vicomte de Thouars et Savari de
Mauléon qui, par l'ordre du roi d'An-
gleterre, étaient entrés sur les terres
du roi de France et y avaient lait un
riche butin. Le vicomte et Savari,
malgré la bravoure qu'ils déployè-
rent, furent battus, et le maréchal et
le sénéchal prirent 30 à 40 chevaliers
du parti anglais, qu'ils envoyèrent
au roi de France, à Paris. Mais voilà
qu'en 1211, le roi Jean-sans-Terre
est excommunié par le pape pour
avoir chassé un légat d'Angleterre.
Alors voulant résister au saint-siége,
sur le continent comme dans son île,
le monarque envoie Savari de Mau-
léon avec des forces considérables
au secours des Albigeois, accusés
d'hérésie et contre qui une croisade
était prêchée. Ces forces consistaient
en Anglais, en Aquitains du nord et
en Gascons. Le guerrier-troubadour
en imposa tellement aux croisés, par
sa vaillance, qu'ils conçurent contre
lui une horreur indicible, formulée
par les injures que l'on trouve dans
la chronique des religieux de Vaux-
Cernay. Au contraire un autre auteur
qualifie Savari d'homme sage et pru-
dent. Toujours est-il qu'il assiégea
Carcassonne et qu'il aida ensuite
Raimond, comte de Toulouse, à re-
prendre plusieurs villes de ses états.
Puis il retourna en Poitou, par le
motif que continuer cette guerre
était se faire reconnaître entaché
d'hérésie, et que le prince pour qui
il combattait ne songeait pas à sub-
venir aux besoins et à la solde de
ceux qui combattaient pour lui.
Cette circonstance amena de la
froideur entre Jean-sans-Terre et
Savari de Mauléon. Alors celui-ci
écouta les offres séduisantes que
lui faisait le roi de France , qui
lui proposait de lui céder La Ro-
chelle, Renon et Cognac. Ces con-
ditions furent acceptées et Mauléon
fut, cette lois, chargé du comniari
dément d'une ilotte, ce qui étonneia
186
SAV
li'autant moins, qu'il aviiil pn'C«>-
demment fait plus d'un armement
dans ses seigneuries maritimes du
Poitou. Ce fut aussi un grand nom-
bre de vaisseaux poitevins (ju'il fut
chargé de rassembler, avec des com-
pagnies de routiers, dans le port de
Boulogne, lieu de réunion de la
flotte, qui s'éleva à 1,700 navires.
« L'Océan, dit Guillaume-le-Bretou,
paraissait trop étroit pour contenir
tant de navires, le vent du midi
semblait manquer de souffle pour
agir à la fois sur tant de voiles, un
œil humain ne pouvait embrasser
toutes ensemble les embarcations
qui mettaient à la fois à la mer. »
La flotte stationna d'abord à Calais
et ensuite à Graveliues. Cepen-
dant, un nombre considérable de
navires étaient demeurés en ar-
rière , et ils arrivèrent au port de
I>am où ils mouillèrent. Là, était un
grand marché de tous les objets
rares du commerce de cette époque.
Or, Savari avait promis, en prenant
possession de cette ville, que les
propriétés seraient respectées : mais
son lieutenant Cadot et les siens, au
mépris d'un traité conclu, enleva
aux habitants de Dam toutes leurs
marchandises pour enrichir son
pays. Cette déloyauté fut bientôt
punie. En effet, les nombreux vais-
seaux mis sous les ordres de Mau-
léon se trouvaient dans une rade
accessible, lorsque tout à coup k;s
embarcations de la côte de la Belgi-
que qui s'éiaient réunies fondent
sur la forêt de navires français, la
mettent en désordre et s'emparent
de trois d'entre eux Du reste, Sa-
vari de Mauléon échappa à ces dé-
sastres et se réfugia en Poitou. Jer:n-
sans -Terre essaya de le ra iieuer
à son parti , eu lui envoyant deux
•Je ses fduidiers , et il ne put y
SAV
réussir. Mais quand le roi d'Angle-
terre eut débarqué à La Roclielle et
qu'il se fut mis en devoir de commen-
cer la Cdui pagne de 1214, il y eut ac-
cord entre ce souverain et Savari.
Celui-ci obtint le titre de sénéchal
de Gascogne et le droit de battre
monnaie, droit dont il usa, puisqu'on
trouve des monnaies de lui. La ba-
taille de Bouvines et l'échec de la
Roche -aux- Moines ayant obligé
Jean-sans-Terre à quitter le conti-
nent et à s'embarquer pour l'Angle-
terre, Savari de Mauléon le suivit
au delà du détroit. Alors les Poite-
vins , les Angevins et les Gascons
prirent une grande influence à la
cour d'Angleterre et supplantèrent
les Anglo-Normands. Puis vint la
lutte des barons anglais contre l'au>
torité royale, et la guerre qui s'en-
suivit, dans laquelle Savari de Mau-
léon eut le commandement des Poi-
tevins et des INormands. Quand le
renvoi des étrangers qui se trou-
vaient en Angleterre eut été arrêté
par la grande charte, convenue entre
les barons et le roi, ce dernier finit
par se retirer avec Savari dans l'île
de Wight, demandant au pape d'être
relevé de sa promesse et avisant
aux moyens de n'en tenir compte. La
guerre recommença donc, et ce fut
notre Poitevin qui en 1215 prit le
commandement de la moitié dei'ar-
mée royale et se mit à agir contre
l'armée des barons, renforcé qu'il
fut par un parti de Poitevins et
de Gascons que lui amenèrent les
seigneurs de Belleville. Ce fut à
cette époque que Savari de Mauléon
parvint à s'emparer, après un long
siège, du château de La Rochelle.
Jean -Sans -Terre, qui se trouvait
là, avait tait pendre déjà quehiues-
uns des prisonniers, et se dispo-
sait à faire subir le luêrne sort à
SAV
tous les autres. Alors son général
courut vers lui pour faire cesser
de barbares exécutions. « Sire, lui
dit-il, la guerre est loin d'être finie
et le sort des armes est incertain; si
vous souillez vos victoires par des
cruautés, vos ennemis, quand ils se-
ront vainqueurs à leur tour, agiront
de la même manière. Qui consentira
à vous servir, s'il a la crainte, lors-
qu'il sera pris les armes à la main,
en combattant pour votre cause, de
mourir d'un supplice ignominieux?»
Ces paroles produisirent leur effet,
et le sang des prisonniers cessa de
couler. Cependant la guerre entre
Jean-sans-Terre et ses barons se
compliqua. Ceux-ci , outrés de la
conduite de leur roi , offrirent la
couronne à Louis, fils aîné du roi de
France, qu'ils considérèrent comme
ayant des droits à régner sur eux,
à cause de sa qualité de fils de Blan-
che de Castille, descendante de la
maison de Plantagenet, et cette offre
fut acceptée par le prince français.
Alors Jean-sans-Terre agit par voie
de confiscation contre les seigneurs
qui s'étaient déclarés contre lui, et
il donna notamment à Savari de
Mauléon les biens paternels et ma-
ternels de Geoffroi de Maudeville,
comte d'Essex, et les terres de Rogier
Bighot. Cependant Loiiis-le-Lion,
malgré l'opposition du pape Inno-
cent m, s'étnit rendu à Londres où
il avait été déclaré roi , et il mar-
cha contre le château de Corf où
était la reine Isabelle d'Angoulême,
femme de Jean-sans-Terre, et Henri
leur fils. Mais Jean-sans Terre, qui
était il Winchester , arriva k Corf
avec Savari de Mauléon, délivra !a
reine et le prince Henri et les amena
k Winchester, qu'il fut bientôt
obligé d'évHcuer En effet, !e prince
Louis vint fau'e le siège de celte
SAV
187
place, renforcé qu'il fut de tous les
chevaliers eî, soldats de la Flan-
dre et des pays maritimes de l'autre
côté du détroit. Il n'y eut que les
Poitevins, qui, sous l'influence
de Savari de Mauléon, restèrent fi-
dèles à la cause qu'ils avaient em-
brassée. Dans une telle position ,
ceux-ci furent obligés de rendre la
place au prince français, pour se re-
tirer sur un autre point. Alors Savari
et les siens se seraient, le lendemain
de la Saint-Michel 1216, emparés du
monastère de Croytand , qu'ils au-
raient livré au pillage, à la dévasta-
tion, et ensuite ils auraient surpris
le château du Plessis. Mais arriva,
le 18 octobre 12i6, à Newark , la
mort de Jean-sans-Terre, et cet évé-
nement, qui, au premier aspect, sem-
blait favorable à Louis- le -Lion ,
tourna contre lui. En effet, tous
les Anglais partisans du roi décédé,
et même ceux qui lui avaient fait la
guerre, se déclarèrent pour Hen-
ri 111 , (ils de ce monarque. Savan
de Mauléon , dès la maladie du
prince, était retourné en Poitou
avec une partie des siens. Il sem-
bla , pendant quelques années, ne
plus songer aux intérêts temporels,
et il résolut d'aller vers les saints
lieux En attendant, il combla de
faveurs plusieurs établissements re-
ligieux , et réunit des fonds afin
de partir pour la croisade. Cette
nouvelle position lui fit obtenir du
pape Honorius III, qui lui donna
à cette occasion le titre de croisé,
la ratification du droit de battre
monnaie dans ses terres. Savari, en
compagnie (ie beaucoup de seigneurs
poitevins, de l'évêque d'Angers et
d'autres ccclésiastiqwes de l'Ouest ,
s'embarqua pour TOrient, et arriva
au c»u»p dev.Mnl Dam ette, en 1218,
auios la retiiiitc des guerriers de
188
SAY
Hollande et tic Frise, leliaitc (\\\\
avait considérablement affaibli l'ar-
mée chrétienne. Savari de Mauléon
déploya un grand courageau siège de
Damiette, concourut puissamment
à la prise de cette ville, en 1219, et
fut considéré, dans cette circon-
stance, comme le libérateur des
chrétiens. Néanmoins, ayant, de
concert avec les autres seigneurs
croisés , demandé inutilement des
secours en hommes et en argent au
pape Honorius 111, il se dirigea sur
la Syrie , et revint en Europe. Le roi
Henri III d'Angleterre lui confia les
importantes fonctions de sénéchal
du Poitou ; et lorsque Louis VIII de
France, qui, ayant succédé à son père
Philippe-Auguste, vint pour soumet-
tre le Poitou à sa domination, Savari
de Mauléon, qui y commandait en
chef, se renferma dans Niort, oii il
fut assiégé le 3 juillet 1223. 11 défen-
dit bien cette place, mais il fut enfin
obligé de capituler, en demeurant
libre avec les siens, sous la promesse
de ne pas combattre contre le roi de
France jusqu'à la Toussaint, excepté
à La Rochelle , boulevard du parti
anglais dans la contrée. Co fut là, en
effet , que notre guerrier se retira.
Bientôt Louis VIII , après avoir em-
porté Saint-Jean-d'Angély, vint as-
siéger cette place mal approvisionnée
et fortement attaquée. Savari espé-
rait des secours qui ne lui arrivèrent
pas, et alors, voyant les Rochellais
décidésà se soumettre,il parlementa,
et obtint de se retirer librement au-
delà du détroit. Danscette campagne,
laconduiteduseigneur poitevin avait
été franche et loyale, et pourtant,
sur le navire anglais qui le portait,
on le représenta comme l'auteur de
tous les désastres que venait de subir
son parti ; on se livra sur sa personne
k des attaques violen|^s,eton mani-
•SAV
lesla même l'intention de l'arrc^ter.
Alors Savari parvint à éviter le
piège qui lui était tendu: il usa de
ruse, el , ayant débarqué sur le sol
français, il se rendit aussitôt à la
cour de Louis VIII , qui l'accueillit
favorablement et lui rendit ses nom-
breuses possessions. Redevenu ainsi
Français, il assista à Paris, le 28 jan-
vier 1226, à une assemblée des no-
tables où l'on arrêta les mesures
à prendre contre les Albigeois.
Quoiqu'il eût autrefois fait la guerre
pour eux , il se décida à les aller
combattre avec Louis VIII en per-
sonne, qui mourut dans cette ex-
pédition. Mauléon revint bientôt
en Poitou, et fut chargé de la garde
des côtes de cette province et des
provinces voisines, ce qui constitua
po-ur lui une sorte d'amirauté. Mais
la mort de Louis VIII ayant fait tom-
ber la tutelle de son fils, Louis IX,
entre les mains de la mère du jeune
prince. Blanche de Castille,une ligue
des seigneurs poitevins se forma
contre la régente, ligue dans laquelle
entra Savari de Mauléon, qu'on accu-
sait alors de brigandages multipliés
et de piraterie sur les terres du roi
de France en Aunis et en Poitou.
Dans la réalité, il fut , en 1226 et
1227, attaché à la cause de l'Angle-
terre et à la confédération des grands
ligués contre l'autorité royale. Ceux-
ci n'ayant pu s'entendre à la confé-
rence de Tours, du 20 février 1227,
plusieurs d'entre eux traitèrent avec
la régente, et arriva le tour de Sa-
vari , qui obtint la restitution de ses
revenus et du mobilier qui lui avait
été enlevé. Néanmoins en 1230 on
voit encore Mauléon continuer ses
pirateries à rencontre du parti fran-
çais, et notamment des habitants de
La Rochelle,en faisant sjesarmements
dans un port peu éloigné de là. En
SAV
même temps, il usait «le grandes gé-
nérosités envers les établissements
religieux. Demeuré, en dernier lieu,
attaché à la cause de l'Angleterre,
il passa dans cette île, où il demeura
les dernières années de sa vie: il y
mourut en 1234, laissant la garde de
Ro ou Raoul, son fils, entre les
mains du roi,avecdes réserves pour
le douaire et les droits de viduité
d'Amabilis du Bois. Quelques mois
avant, en 1232, et en vertu des ordres
du pape, l'archevêque de Bordeaux
avait légitimé ce fils, et le roi d'An-
gleterre lui avait aussi accordé des
lettres de légitimation le 10 mai
1232 , ce qui porterait à croire
qu'Amabilis du Bois aurait été la
concubine plutôt que la femme légi-
time de notre guerrier poitevin.
Toujours est-il que l'état de Raoul
fut contesté plus lard ; mais , étant
mort sans enfants, les biens si im-
portants de la maison de Mauléon
passèrent dans la maison deThouars,
par suite du mariage de Gui, vicomte
de Thouars, avec Alice de Mauléon,
sœur aînée de Savari. La renommée
de celui-ci était si grande, que c'était
beaucoup, dans l'opinion publique,
de lui tenir par les liens du sang.
Aussi son autre sœur, Eustachie ,
dans son testament, ne manque pas
d'indiquer qu'elle est la sœur de ce
personnage. Si, à présent, nous ap-
précions celui-ci, nous trouvons en
lui un des troubadours les plus mar-
quants par ses poésies, bien que
quelques écrivains, sous ce rapport,
l'aient jugé sévèrement, et comme
Ta dit l'auteur de sa vie manuscrite,
en examinant les productions du
maître des braves et du chef de toute
courtoisie, on ne peut s'empêcher
d'y reconnaître un véritable talent
poétique. Né et ayant habité long-
temps dans des pays où la langue
SAV
189
iVoil était l'idiome parlé, fixé longues
années à la cour d'Angleterre, où on
se servait de cet idiome, Savari doit
aussi avoir écrit dans cette langue.
Actuellement, venons à l'apprécia-
tion du personnage dont on vient de
dérouler la vieentière et si peu connue
jusqu'ici. Elle fut pleine d'action et
degloire, cette existence d'un homme
de la terre du Poitou au XIIF siècle.
Sans doute, tout n'est pas à louer
dans ce qu'on a fait connaître, et ces
changements suecessifs de parti ne
sont pas, dans cette série de faits,
ce qui doit paraître le moins extraor-
dinaire. Cependant, qu'on songe à
ces deux qualités, qui alors sem-
blaient se contredire, qui étaient
souvent même en opposition for-
melle, le titre de Français et celui
d'Aquitain du nord ou de Poitevin.
D'après l'un, on se rattachait direc-
tement à la France et aux rois de la
descendance des comtes de Paris, et
par l'autre on tenait comme légi-
times souverains, sauf l'hommage de
ceux-ci à la couronne de France, les
descendants d'Aliénor d'Aquitaine,
à savoir les Plantagenets Sans
doute Mauléon lut un véritable
pirate, dévastant et spoliant les
pays contre lesquels il combat-
tait; mais il n'y avait, dans cette
conduite, rien de contraire aux règles
ordinaires des guerres du moyen-âge,
bien autrement dévastatrices que les
guerres ordinaires de nos jours. En
résumé, on trouve dans Savari de
Mauléon le poète, l'homme d'État,
l'homme de guerre sur terre et sur
mer : or, quelle capacité , quel génie
même suppose une telle réunion de
qualitésdiverses. Aussi le personnage
dont nous venons d'esquisser la vie,
et qui influa tellement, en France et
en Angleterre, sur l'équilibre social
et politique, de répoque où il vécui,
1<)0
SAV
SAY
doit il être considéré k juste titre,
malgré ses variations si multipliées,
roinuie une des gloiresde son siècle.
F— T--E.
SAV AU Y (Jacques), né à Caen
cil 1007, cultiva la poésie latine avec
succès. Encouragé par le célèbre
Huet, son compatriote, il composa et
publia plusieurs poèmes sur la
chasse du lièvre, du renard et de la
louine; du cerf, du chevreuil, du
sanglier et du loup^ et un autre sur
ies règles du manège. En voici les
litres : I. Album Dianœ leporicidœ^
sive venationis leporinœ leges ,
Caen, 1055, iu-12. 11. Venatio vul-
pina et melina, Caen, 1658, in-i2.
111. Yenationis cervinœ^ capreo-
linœ, aprugnœ et lupinœ leges. Caen,
1659, in-4o. IV. Album Hipponœ,
sive Hippodromi leges, Caen, 1662,
in-4°. L'auteur a eu soin de traduire
en marge les termes de vénerie et
d'équitation que les lecteurs com-
prendraient difficilement en latin.
Ces poèmes, où il y a de l'invention
et qui ne manquent pas d'agrément,
sont très- rares et recherchés des
amateurs de poésie didactique. On a
encore de Savary une traduction en
vers latins de VOdyssée d'Homère ^
les Triomphes de Louis Xi F, depuis
son avètument à la couronne, et un
volume de poésies mêlées. Ce littéra-
teur mourut le 27 mars 1070. —
Savary {Jacques)^ médecin de la
marine à Brest, est auteur de plu-
sieurs Mémoires qu*on trouve dans
la Collection académique, et d'une
lettre sur le Grand Vocabulaire
français, insérée dans le Journal
des savants de janvier 1768. Il a tra-
duit de l'angiais : 1. Traité du scor-
but de Lind, Paris, 1756, 2 vol.
m-i2. II. Essai sur l'hydropisie et
nés différentes espèces, par Mouro
le fils, avec des notes et des obser-
vations, Paris, 1760, in-12. Savary
mourut en 1768. P— rï
SAVAIIY (Daniel), contre-amiral
français, était né à Salles, près La
Rochelle , d'une bonne famille de la
province d'Aunis, le 1" février 1743.
Resté orphelin à l'âge de quatre ans,
il fut élevé par un de ses oncles.
Une vocation irrésistible l'entraînant
vers la carrière maritime, il alla
s'embarquer à Rochefort,k peine ses
premières études terminées, comme
pilotin à bord d'un navire de com-
merce, qui partait pour Saint-Do-
mingue. A son retour, la France était
en guerre avec l'Angleterre, et il
demanda de servir dans la marine
royale, en qualité de volontaire*, ce
qui lui fut accordé. Après la paix de
1763, il rentra dans la marine mar-
chande, et durant cinq ans il navigua
pour le compte de la Compagnie des
Indes, comme lieutenant et second
capitaine. Plusieurs voyages de
long cours en Amérique, aux Indes
et en Chine lui firent acquérir une
connaissance pratique et étendue de
la navigation. En 1780, alors que la
gtierre de Louis XVI contre les An-
glais était dans toute sa vigueur, il
fut admis, avec le grade d'enseigne
auxiliaire, sur les navires du roi,
malgré les obstacles qui existaient
à cette époque pour tous ceux qui
n'étaient pas nobles; mais il y avait
cette bonne coutume, qu'en temps
de guerre on prenait dans le com-
merce les marins les plus habiles,
qui connaissaient par expérience les
lointains parages; c'était ce qu'on
appelait les officiers bleus; aux gen-
tilshommes seuls était réservé le ti-
tre d'officier rouge. Cette distinc-
tion amena ciêute des rivalités dont
l'ennemi profita plus d'une fois. Em-
barqué sur VAjax , Savary servit
dans rinde sous le bailli de Snflfren,
SAV
ei prit part à tous les combats que les
escadres françaises eurent à soute-
nir contre l'amiral Hughes. Griève-
ment blessé devant Sadras pn 1782,
cela ne J'empêcha pas, peu de temps
après, de solliciter la faveur de faire
partie des détachements envoyés à
terre , au siège de Trinquemale.
Chargé du commandement d'une
batterie, il fit capituler le fort d'Os-
tembourg et assista ensuite au com-
bat de Goudelour (20 juin 1783), sur
le Saint-Michel. Rentré à Rochefort
en 1784, il ne put s'habiluer au
repos que lui laissait la paix-, et il
accepta les offres d'un armateur de
La Rochelle qui lui proposait le
commandement d'un navire destiné
pour les Indes. Au retour de ce
voyage, Suffren, qui n'avait pas ou-
blié ses bons services, le fit nommer
lieutenant de vaisseau (1" mai 1786).
II alla ensuite faire dans les mers de
rinde un voyage après lequel il ob-
tint la croix de Sainl-Louis ;i788). La
révolution lui donua bientôt un
avancement plus rapide encore. En
1791, il était lieutenant eu pied sur
la Néréide, à Rochefort, lorsque
cette frégate reçut mission de traus-
porter des troupes à Sainî-Do.Jiin-
gue. Assaillie sous les Açores par
une terrible tempête, elle cta.l per-
due, et déjà l'équipage entier avait
abandonné les travaux, pour im-
plorer le secuurs dv ciel; Savary par-
vient à ranimer les esprits, et, diri-
geant le sauvetage avec une a-livilé
indicible, il a le bonheur de voir ses ef-
forts couronnes de succès. Cette belle
action lui valut le commandement
d'une autre frégaie, ia Capricieuse.
destinée à la même niiSMuu. Il l'ac-
compiit sans accident et lut chargé
du commandement de ia station de
Saiut-Luiiis,puis ramena en France le
malheureux Blauchelande, qu'il fut
SAV
191
forcé de remettre dans les mains
des autorités de Rochefort. En jan-
vier 1793, nommé capitaine de vais-
seau, il fut envoyé dans la rivière de
Nantes , afin d*y prendre sous son
escorte un convoi destiné pour les
Antilles. Alors éclataient les pre-
miers troubles de la Vendée; il les
réprima de son propre mouvement,
sur le littoral du tleuve et spéciale-
ment à Saint-Nazaire, Paimbœuf et
Nantes. Le ministre de la marine,
Monge, l'en félicita et lui donna l'or-
dre de rester à l'embouchure de la
Loire avec sa frégate. U s'établit
à terre avec son état - major et
une partie de son équipage, pour
faire une guerre acharnée aux in-
surgés. La Convention, instruite de
son zèle, décréta « que le citoyen
Savary avait bien mérité de la
patrie. » En septembre 1793, il fut
nommé au commandement du vais-
seau Lepelletier, et pendant cinq
mois il commanda la division navale
en rade de l'île d'Aix. On sait la
malheureuse organisation de la ma-
rine française durant la république:
chaqne vaisseau otait devenu un
club où les matelots dominaient en
maîtres absolus, n'exécutant plus les
or 1res des officiers, les chassant
même selon leur bou plaisir. On
pourrait dire que ce fut une des
principales causes des désastres de
notre marine à cette éj.oqiie. Jamais
pareille insubordination ne se vit
sous ie commandement de Sava-
ry; il sut toujours maintenir les
équipages dans une sévère disci-
pline. Plus dune fois, il parut sur le
pont, l'epée à la main, pour faire
rentrer dans le devoir les. matelots
mutinés. Une semblable lermeté ,
dans les circonsiauces où l'on se
trouvait , devait être mal inter-
prétée ; aussi le dénonça-t-on a U
19?
SAV
SAV
sodo.ié populaire de i Rochefort ,
comme ennemi de l'égalité. Soinm(^
(le comparaître devant elle, il donna
lecture , pour toute défense , du
règlement de bord, et plusieurs té-
moins ayant déposé en sa faveur,
les membres de cette singulière juri-
diction le renvoyèrent en le notant
ainsi : Bon patriote, talents distin-
gués. Toutefois le ministre , dans
son intérêt, crut devoir le faire chan-
i;cr de résidence; il partit pour
Toulon où il prit le commandement
(le la Victoire qui fit partie , en
1795 , de l'escadre de Tamiral Mar-
tin, dans la Méditerranée. Ilinon-
tait ce vaisseau dans le fameux com-
bat du Ça 2ra. Entouré de trois vais-
seaux anglais, il sut, par une habile
manœuvre, résister à leurs attaques,
et, plus heureux que le Censeur et le
Ça ira^ échapper à une destruction
inévitable. Il tira, dans l'espace de six
heures, 2,060 coups de canon.Nommé
chef de division en mars 1796, il com-
manda en t798 l'expédition navale,
composée de trois frégates et une
corvette, chargée de conduire en Ir-
lande le corps du général Humbert.
Parti de Rochefort sur la Concorde ^
le 6 août, il passa à travers les croi-
sières anglaises et débarqua, quinze
jours après , les troupes saines et
sauves à Killala. Bientôt de retour
à Rochefort, on le chargea de mener
encore en Irlande un nouveau corps
pour renforcer le premier ; et il
parvint une seconde fois à toucher
les côtes de ce pays, sans avoir couru
aucun danger ^ mais, en apprenant la
capitulation du général Humbert et
la capture de Bompart par les An-
glais, il crut prudent de se retirer
sans débarquer les troupes. A la
sortie du golfe de Higo, il trouve k
sa face l'escadre du Commodore
Warren qui hii iiarre le passage;
celui-ci le croit déjà en son pou-
voir comme Bompart;, mais Savary
l'attaque à Timproviste, démâte un
de ses vaisseaux, coupe sa ligne, ré-
pétant ainsi un des glorieux faits
d'armes de JcanBart, et au milieu de
la confusion que jette parmi l'ennemi
une manœuvre aussi inattendue, il
se soustrait à une perte certaine. Les
Anglais le poursuivirent sans pouvoir
l'atteindre, et il rentra triomphale-
ment a Rochefort avec sa petite esca-
drille. Depuis cette époque jusqu'à la
paix d'Amiens, on lui confia divers
commandements, entre autres celui
de 0 vaisseaux stationnés en rade de
l'île d'Aix. A la fin de 1801, il eut sous
ses ordres une division de l'escadre de
Latouche-Tréville, qui s'armait à Ro-
chefort, pour agir de concert avec
celles de Brest, sous Villaret-Joyeuse,
et de Toulon, sous Gantheaume, tou-
tes trois destinées à l'expédition de
Saint - Domingue dans laquelle il
monta le Héros. Ce fut lui qui
amena en France Toussaint-Louver-
ture, enlevé de vive force par le
général Leclerc au milieu d'un ban-
quet. Le premier consul le nomma
alors contre-amiral, en récompense
du zèle qu'il avait montré dans cette
fatale expédition, puis il l'envoya au
camp de Boulogne commander l'une
des trois grandes divisions de la
flottille. Lorsque l'empereur aban-
donna définitivement sa malencon-
treuse idée d'un débarquement en
Angleterre, Savary, déjà souffrant,
obtint un congé ; une maladie mor-
telle s'empara de lui, et il expira à
Mauzé (Deux-Sèvres), le 21 novembre
1808], laissant la renommée d'un
homme de mer distingué. Sans avoir
la capacité de conduire une armée
navale, il excellait dans le coonman-
dement d'un vaisseau et d'une petite
division. Sa man(e«ivre étaitprompte.
SAV
hardie, téméraire même, et jamais,
chose assez rare alors, dans la
marine surtout, il ne subit d'e'chec
et ne plia sons l'ennemi, échappant
toujours, avec une dextérité merveil-
leuse, aux périls les plus imminents.
Il était commandant de la Légion-
d'Honneur depuis la création de cet
ordre. Ses trois iils occupent un rang
distingué dans la marine, l'armée et
la magistrature. C— h— n.
SAVARY (Louis-Jacques) était
avocat à Évreux, lorsqu'il fut élu dé-
puté de l'Eure à la Convention natio-
nale ; il y vota pour la détention de
Louis XVI jusqu'à la paix, et pour
la sanction par le peuple, sauf les
mesures à prendre en cas d'invasion
du territoire français. Il vota aussi
en faveur du sursis à l'exécution.
Très - opposé aux violences de la
Montagne, il signa contre la tyrannie
de ce parti la protestation du 6 juin
1793, ce qui !e fit décréter d'accusa-
tion , puis mettre hors la loi. Le 9
thermidor ne pouvait manquer de
lui être favorable, lui qui s'était tou-
jours montré modéré, même sons la
Terreur ; le décret qui le frappait fut
révoqué,et en juillet 1795 il devint se-
crétaire de l'assemblée. Il prit ensuite
part à la discussion de l'acte consti-
tutionnel, et présenta un rapport sur
les abus qu'entraînait le discrédit
du papier -monnaie. En avril suivant,
il fut envoyé dans la Belgique avec
Lefebvre. Ayant passé au conseil des
Cinq-Cents à la fin de la session, il
donna sa démisj^ion le 4 novembre
1796, puis devint commissaire près
l'administration desondépartement.
En mars 1799, il fut réélu député
aux Cinq-Cents, où il se montra op-
posé à la crise du 30 prairial, et au
mois de décembre il fit partie du
corps législatif. Après lel8 brumaire
»l avait adressé une lettre à ses com-
LXXXI.
SAV 19S
mettants,dans laquelle il disait : «La
constitution de l'an III , violée en
fructidor an V, en floréal an VI, en
prairial an VII, n'était plus qu'un
faible roseau qui pliait dans tous les
sens et à tous les vents ; des mains
pures, guidées par l'expérience qui
nous manquait en l'an III, vont re-
construire cet édifice usé dès sa nais-
sance. » En janvier 1800 il dévelop-
pa ces mêmes principes, préten-
dant encore que la révolution du
18 brumaire avait été nécessitée par
les nombreux défauts de l'ancienne
constitution. H resta membre du
corps législatif après son premier
renouvellement en mars 1802. Au
mois d'août 1804, il fut élu candidat
au sénat conservateur par le collège
électoral de son département, et
nommé presque en même temps
chancelier de la 14e cohorte de la
Légion-d'Honneur, place qu'il con-
serva jusqu'à la fin de 1815. La loi
sur les régicides ne l'atteignant pas,
puisqu'il n'avait point voté la mort
de Louis XVI , il put rester dans sa
patrie ; seulement , on ne le vit plus
exercer aucune fonction publique, et
il mourut à Évreux dans un âge
avancé. M— Dj.
SAVARY ( Jean-Julien-Marie ) ,
frère du savant voyageur et orienta-
liste {voy. Savary, XL, 509) (l), na-
quit à Vitré le 18 novembre 1753, et
mourut à Paris, âgé de 86 ans, le
27 décembre 1839. Après avoir fait
ses études à Rennes, il fut reçu avo-
cat au parlement de Paris en 1780.
C'était à l'époque où son frère par-
courait les îles de la Grèce et allait
visiter l'Egypte. Savary, qui habi-
tait l'Anjou, fut élu président du tri-
(i) C'est à tort qu'il est désigné dans cet
article par le prénom^ de Nicolas i ses pré-
Qoras étaient Claude-Etienne,
13
194
SAV
bunal (le district deCholIel à la lin
de 1790, et conserva cette fonction
jusqu'au mois de mars 1793, date du
soulèvement de cette partie des dé-
partements de rOuesî. Membre du
conseil-général du département de
Maine-et-Loire et réfugié à Sau-
mur avec plusieurs des fonctionnaires
publics échappés au massacre, il fut
nommé l'un des commissaires civils
chargés d'organiser les moyens les
plus efficaces de résister à l'insur-
rection chaque jour devenue plus
redoutable. Cette mission fit hon-
neur à Savary ^ il rendit beau-
coup de services, parce que, à une
grande connaissance du pays et du
genre tout particulier des popu-
lations, il joignait l'humanité et une
grande fermeté de caractère Aussi
le général Caudaux, qui ne tarda pas
à l'apprécier, s'empressa t-il de l'ap-
peler à son état-major et de l'attacher
au général Kléber: ils se réunirent
à plusieurs autres généraux de la
même armée pour faire nommer Sa-
vary adjudant-général chef de bri-
gade, le 5 novembre 1793. Comme
récompense du bien qu'il avait fait
ou auquel il avait contribué, le dé-
partement de Maine-et-Loire le
députa, en octobre 1795, au conseil
des Cinq-Cents. Sa carrière législa-
tive présente de nombreux travaux
dont la simple nomenclature occupe
dans les Tables du Moniteur l'équi-
valent de plus de deux pages in-S».
Tantôt comme rapporteur, tantôt
comme simple orateur, Savary ne
cessa de s'occuper des moyens les
plus propres à mettre un terme aux
troubles qui déchiraient encore les
départements de l'Ouest. Il fit ac-
corder des secours aux nombreux
réfugiés que la guerre civile avait
chassés de leurs foyers ; il combat-
tit la peine de mort appliquée à la
SAV
simple désertion ; il proposa Tagran-
dissement du Jardin-des-Plantes, et
réclama de promptes mesures pour
prévenir l'affaissement menaçant du
Panthéon ; il sollicita en faveur des
commissions militaires la faculté
de diminuer et de commuer, dans le
cas de circonstances atténuantes, les
peines qu'elles étaient chargées d'ap-
pliquer ; il provoqua un rapport sur
la police des cultes. Les impôts in-
directs, la contribution sur le sel,
les secours à accorder aux veuves et
aux enfants des militaires morts en
défendant la patrie, terminèrent, en
l'an VII, sa mission de membre du
conseil des Cinq-Cents, oii il avait
été nommé secrétaire et ensuite pré-
sident. Cette même année (le 20 mai
1799), Savary passa au conseil des
Anciens, et en fut secrétaire : il y
signala sa carrière législative, tou-
jours active et honorable, en faisant
approuver lacréation de légions dans
les départements de l'Ouest, afin d-y
rétablir l'ordre et d'y faire cesser le
brigandage et les massacres Opposé
au coup d'État, dès long-temps pré-
médité , de ce 18 brumaire ( 9 no-
vembre 1799) qui mit la France, et
bientôt après le continent presque
entier à la discrétion du général
Bonaparte, Savary réclama avec rai-
son contre l'omission très- volontaire
qui avait été faite de son nom, comme
de plusieurs autres, dans la convo-
cation des députés à Saint-Cloud.
Porté d'abord sur une liste de dépor-
tation par les auteurs du ISbrumaire,
il ne tarda pas à être rayé de cette
odieuse table de proscription. Bien-
tôt après, exclu par un autre coup
d'État, il ne reparut plus dans nos
assemblées politiques : il fut nommé
sous-inspecteur aux revues le 22 dé-
cembre 1799, et en cette qualité fit
les campagnes d'Allemagne. Au mois
SAV
d'avril 1812, Savary devint inspec-
teur aux revues , et conserva cette
place jusqu'à la fin de 1815, époque à
laquelle il obtint sa retraite. Il four-
nit à Garât plusieurs documents
précieux pour l'Éloge de Kléber
et de Desaix, et publia en 6 vol. in-8°
(Paris, Baudouin frères, 1824) une
importante collection d'actes et de
correspondances , sous le titre de
Guerres des Vendéens et des Chouans
contre la République française , ou
Annales des départements de l'Ouest
pendant ces guerres, par un officier
supérieur des armées de la Répu-
blique , habitant dans la Vendée
avant les troubles. Cette collection,
où l'on trouve les actes principaux
des deux partis, est accompagnée
d'observations judicieuses et de notes
importantes. L'auteur dit dans sa
préface : • J'ai lu tous les écrits qui
« ont paru sur la Vendée et la
a chouannerie; je les ai analysés,
■ comparés entre eux , dans l'espoir
• d'y trouver la vérité des faits. J'a-
« vais pour en juger le triste avan-
« tage d'avoir été moi-même témoin
« et victime des déplorables événe-
« ments qui ont si long-temps dé-
- sole les départements de l'Ouest.
« J'ai été trompé dans mon attente :
• le résultat de mes recherches m'a
« présenté, au lieu de la vérité, des
« faits altérés ou dénaturés, répétés
« par les écrivains qui se sont suc-
« cédé ^ des jugements dictés par une
« aveugleprévention,enlin une foule
• d'erreurs qui n'échapperont pas à
• rimpariialité de l'histoire. » C'est
d'après ces observations très-fondées,
ainsi que l'auteur de cet article a pti
s'en convaincre lui-même sur les
lieux, que Savary se décida à donner,
au heu d'une histoire qu'il eût fort
bien laite, la collection qui met à
portée de l'écrire, et d'après laquelle
SAV
19S
les hommes impartiaux et judicieux
j)euv('nt appreicieret juger la Vendée
et la chouannerie, guerre civile épou-
vantable qui rappellera aux esprits
attristés ce qu'avait si bien dit Mon-
taigne : a Monstrueuse guerre ! Les
autres agissent en dehors; cette-ci
encore contre soi, se ronge et se dé-
fait par son propre venin. Elle est de
nature si maligne et si ruineuse ,
qu'elle se ruine quant et quant le
reste, et se déchire et se dépêche de
rage.» On peut juger de l'esprit dans
lequel Savary avait envisagé son su-
jet par l'épigraphe qu'il avait em-
pruntée à Tacite: Domestica mala
tristitia operienda ! Calamités do-
mestiques dont, en effet, il faut cou-
vrir l'horreur sous un voile de tris-
tesse! L'auteur était membre, dès
1805, de l'Académie celtique, devenue
Société des antiquaires de France;
il le devint des Académies de Leipzig
etd'Erfurt, ainsi que de la Société
d'histoire naturelle de Hanau. Outre
ses Guerres des Vendéens et des
Chouans, il est auteur des deux ou-
vrages suivants: I. Mon examen de
consciencesur le 18 brumaire anVlII,
Paris, 1819, in-8'', brochure adressée
au comte Cornet, pair de France,
qui avait été l'un des auteurs de
cette journée célèbre. VEœamen de
Savary jette un nouveau jour sur
cette affaire, même après l'ouvrage
de Bigonnet. II. Étrennes du bon
vieux temps, recueil édifiant , par le
frère Candide, ignorantin, Paris,
1820, in-18. — Le fils unique de Sa-
vary (M. Félix Savary), né à Paris le
4 octobre 1797, est membre de l'Aca-
démie des sciences et du Bureau des
longitudes. v d— b— s.
SAVARY ( Anne -Jean - Marie-
René), duc deRovigo,ai(le-de-camp,
ministre de Napoléon, et l'un de ses
serviteurs les plus dévoués , fut , à
13.
196
SAV
nause de cela, surnommé ««on Séide^
ou le Tristan du nouveau Louis XI,
ce qui aurait été parfaitement juste
si Bonaparte se (ut toujours montré
aussi cruel, aussi impitoyable que le
despote -roi du XV® siècle \ mais
comme ce n'est que dans un petit
nombre de faits qu*il peut lui être
comparé , l'histoire doit au moins
reconnaître que, dans ces occasions
heureusement rares, le ministre delà
police impériale ne lit point défaut à
son maître. Savary naquit à Marcq,
près de Vouziers , en Champagne ,
le 26 avril 1774; fils d'un major delà
place de Sedan, qui, appartenant à la
classe roturière, était devenu, par
une exception peu commune, che-
valier de Saint-Louis, et ce qu'on
appelait alors un officier de fortune.
Voué dès l'enfance à la profession
lies armes , le jeune Savary fit ses
études en qualité d'élève du roi au
collège de Saint-Louis, à Metz, et il
les eut à peine achevées, que la Ré-
volution lui ouvrit une carrière plus
large, plus brillante que n'avait été
celle de son père. Il entra en 1790
comme cadet, et fut presque aussitôt
sous-lieutenant dans le régiment de
Royal-Normandie, cavalerie, qui con-
courut, sous les ordres de Bouille, à la
répression des premières émeutes
révolutionnaires parmi les troupes
de la garnison de Nancy, o\i il dé-
ploya du zèle pour la discipline.
Dans d'autres occasions, il se montra
encore fort opposé aux désordres de
la révolution ; mais il n'émigra
point, comme firent la plupart des
officiers de son régiment. Leur
départ ayant favorisé son avance-
ment, il devint capitaine, et fit en
cette qualité les premières campagnes
de cette guerre qui devait être si
longue, si meurtrière, et qui allait
îe conduire à une si haute fortune !
SAV
Après avoir été pendant quelques
jours officier d'ordonnance à Tétat-
major de Custine, il vint k Paris lors
du procès de ce général. On a dit
que ce fut pour se justifier; cepen-
dant il n'y figura point ostensible-
ment, et il est resté sur ce fait quel-
que chose de mystérieux que nous
n'entreprendrons pas d'éclaircir. Ce
qu'il y a de sûr, c'est que, dès son re-
tour à l'armée, il y fut officier d'or-
donnance du nouveau général en
chef, Pichegru, puis de Moreau, son
successeur, et qu'il se distingua dans
plusieurs occasions, notamment au
passage du Rhin,àFriedberg,etdans
la mémorable retraite de Bavière en
1796, ce qui le fit nommer chef d'es-
cadron. S'étant dès lors lié avec
Desaix, qui était adjudant-général,
il devint son adjoint , puis son aide-
de-camp, et se rendit avec luiàParis,
après le traité de Campo-Formio. 11
l'accompagna encore dans ses tour-
nées sur les côtes de l'Océan , où i 1 s'a-
gissait de faire croire à une descente
en Angleterre beaucoup plus que de
l'exécuier.L'expédition d'Egypte, qui
était plus sérieuse, fut entreprise l'an-
née suivante (1798), sous les ordres
de Bonaparte, et Desaix, qui s'était
intimement lié avec ce général, se
montra fort empressé de le suivre.
On sait avec quelle fermeté, quelle
constance il combattit pendant plus
d'un an les Arabes et les Mamelucks
dans les déserts de la Syrie et de la
haute Egypte. Savary ne le quitta
pas dansées glorieuses expéditions,
et tous deux revinrent en France
après le traité d'El-Arisch, au com-
mencement de l'année 1800. Ils dé-
barquèrentauportdeToulon,lorsque
Bonaparte, devenu premier consul,
allait envahir une seconde fois l'Ita-
lie, et ils le rejoignirent sur le champ
de bataille de Marengo, où Desaix
SAV
reçut k l'instant même un comman-
dement, et mourut glorieusement h.
la tête de sa division. Savary était à
ses côtes, et il porta cette triste
nouvelle au premier consul, qui le
nomma aussitôt son aide-de-camp,
et l'attacha pour toujours à sa for-
tune. On sait qu'une des circons-
tances les plus remarquables de cette
bataille de Marengo est la brillante
charge de cavalerie , exécutée si à
propos, et d'une manière si décisive,
par Kellermann , qui , ne voulant
partager avec aucun autre l'honneur
d'un tel exploit, a déclaré formelle-
ment qu'il en avait tout seul conçu
la pensée, et qu'aucun ordre ne lui
en avait été donné ; mais le duc de
Rovigo a repoussé cette prétention,
déclarant que lui même avait porté
l'ordre de cette charge à Kellermann
de la part du premier consul. Ces
assertions contradictoires ont donné
lieu à beaucoup de controverses
(voy. Kellermann, LXVin, 465), et
il est assez difficile aujourd'hui de
prononcer avec quelque certitude
sur cette grave question. Quoi qu'il
en soit, \?. nouvel aide-de-camp jouit
dès ce moment de la plus haute fa-
veur auprès du premier consul. Il
vint avec lui dans la capitale, et fut
un de ses confidents les plus intimes.
Chargé des missions les plus secrètes,
les plus importantes, il se rendit suc-
cessivement k Tours pour l'affaire de
Clément de Ris , à la falaise de Be-
ville pour celle de Georges et de
Pichegru, enfin partout où il y eut à
poursuivre, à déjouer des complots
politiques. C'est pour ce motif
qu'on le fit chef de la gendarmerie
d'élite, espèce de cohorte prétorienne
ou de corps de janissaires spéciale-
ment consacré à la garde, à la sûreté
du consul et à l'exécution de ses
ordres secrets. Savary dirigea en
SAV
19T
même temps un bureau de police ou
de contre-police militaire, destiné à
surveiller, à contrôler toutes les
autres. H eut de nombreux agents
qui opérèrent les arrestations, et
même , a-t-on dit , quelquefois les
exécutions clandestines. Ce fut sur-
tout dans les malheureuses affaires
de Pichegru, de Georges Cadoudal,
du capitaine Wright et du ducd'En-
ghien, que se montra le zèle homi-
cide, le dévouement sans bornes du
nouveau Tristan. Comme ce dernieï
fait est un des plus iniques, des
moins excusés de cette époque, Sa-
vary s'en est défendu avec plusd'in-
sistance, et il a cherché à en rejeter
le blâme sur d'autres, principalement
sur Hullin et Talleyrand. Ce dernier,
selon son usage, n'a point répondu;
mais il n'en a pas été de même du
président de la commission, qui, dans
une réfutation des Mémoires du duc
de Rovigo , intitulée Explication
offerte aux hommes impartiaux , a
ainsi rapporté les faits : = A peine le
• jugement fut-il prononcé, que je*
« me mis à écrire une lettre dans la-
« quelle, me rendant en cela l'inter-
• prête du vœu unanime de la com-
« mission, j'écrivais au premier con-
« sul pour lui faire part du désir
• qu'avait témoigné le prince d'avoir
« une entrevue avec lui , et aussi
« pour le conjurer de remettre une
« peine que la rigueur de la loi ne
« nous avait pas permis d'éluder.
« C'est k cet instant qu'un homme
« qui s'était constamment tenu dans
« la salle du conseil, et que je nom-
« merais k l'instant si je ne réflé-
« chissais que, même en me défen-
« dant , il ne me convient pas d'ac-
« cuser — Que faites-vous là?
« me dit-il, en s'approchant de moi.
« — J'écris au premier consul, lui
. répondig-je. pour lui exprimer le
198
SAV
• vœu du conseil et celui du con-
• damné. — Votre affaire est finie,
« me dit-il, en reprenant sa place :
• maintenant, cela me regarde
• J'avoue que je crus , et plusieurs
« de mes collègues avec moi , qu'il
• voulait dire : Cela me regarde
• d'avertir le premier consul. La
« réponse, entendue en ce sens, nous
• laissait l'espoir que l'avertissement
• n'en serait pas moins donné. Je
« m'entretenais de ce qui venait de
« se passer, sous le vestibule con-
« tigu à la salle des délibérations.
« Des conversations particulières s'é-
« taient engagées ; j'attendais ma
«voiture, qui, n'ayant pu entrer
« dans la cour intérieure, non plus
« que celles des autres membres,
« retarda mon départ et le leur.
« Nous étions nous-mêmes enfermés,
« sans que personne pût communi-
« quer au dehors, lorsqu'une explo-
• sion se fit entendre. ..bruit terrible
« qui retentit au fond de nos âmes
« et les glaça de terreur. Oui, je le
« jure, au nom de tous mes collègues,
« cette exécution ne fut point auto-
" risée par nous. Notre jugement
' portait qu'il en serait envoyé une
« expédition au ministre de la guerre
« et au général en chef gouverneur
« de Paris. L*ordre d'exécution ne
« pouvait être régulièrement donné
« que par ce dernier ; les copies n'é-
» taient pas encore expédiées; elles
« ne pouvaient pas être terminées
• avant qu'une partie de la journée
i ne fût écoulée , et , entré dans
« Paris, j'aurais été trouver le gou-
« verneur, le premier consul , que
« sais-je?... Et tout-à~coup un bruit
• affreux vient nous révéler que le
a prince n'existe plus! Nous igno-
« rons si celui qui a si cruellement
» précipité cette exécution funeste
« avait deç ordres; s'il n'en avait
SAV
«point, lui seul est responsable;
« s'il en avait, la commission, étran-
« gère à ces ordres, la commission
« tenue en charte privée, la com-
« mission dont le dernier vœu était
« pour le salut du prince, n'a pu ni
« en prévenir ni en empêcher l'effet.
• On ne peut l'en accuser. » Après
de tellesexplications,ilnesemblepas
que l'on doive conserver le moindre
doute sur la part que prit réellement
Savary à l'exécution du funeste
arrêt; et si ce ne fut pas lui qui fit
creuser la fosse avant le jugement ,
qui, pour mieux assurer les coups,
ordonna qu'une lanterne fût attachée
à la poitrine du prince , il est au
moins bien sûr que tout cela se fit
en sa présence et avec son appro-
bation. Rien ne peut l'absoudre de
pareils torts, si ce n'est l'ordre
qu'on lui en aurait donné ! Et , en
ce cas, que doit-on penser des tar-
dives dénégations de Napoléon, qui
a dit à Sainte - Hélène que si l'on
n'eût pas, à son insu, précipité l'exé-
cution, il aurait fait grâce? Du reste,
dans ses Mémoires, le duc de Rovigo
convient de beaucoup de" faits; il
se reconnaît pour Vhomme désigné
par Uullin, qui se tint constamment
dans la salle du conseil, disant
que ce fut pour y remplir les fonc-
tions de son grade et exécuter les
ordres qu'il avait reçus ; que s'il se
plaça très - près des juges , ce fut
pour se chauffer..... Il dénie toute
participation à la mort de Pichegru
et à celle du capitaine Wright, Mais
ce qui, plus que tout le reste, prouve
qu'en cela Savary ne dit pas vrai ,
c'est que ce fut surtout après ces fu-
nestes événements que son maître le
combla de toutes sortes de bienfaits.
Nommé alors général de brigade, il
fut général de division l'année sui-
vante, puis sfr^nd ofliitiOf de !a lé
J
SAV
gion-d'Hontieur, et en même temps
charge' des affaires de police les plus
secrètes, enlin de tout ce qui exigeait
du zèle et un dévouement absolu. Il
accompagna Napoléon dans la plu-
part de ses voyages, en Belgique, à
Aix-la-Chapelle, puis dans la campa-
gne d'Austerlitz.oii il fut envoyé deux
fois, avant la bataille, à l'empereur
Alexandre, dans un but d'explora-
tion beaucoup plus que dans de vé-
ritables intentions de paix. Ensuite
il reconduisit l'empereur d'Autriche
dans son camp après la fameuse confé-
rence au bivouac de Napoléon. Lors-
que l'armée russe eut effectué sa
retraite, Napoléon, le chargea d'aller
diriger le siège de Hameln , seule
place qui tînt encore pour les alliés
en Allemagne, et qui succomba dès
qu'elle désespéra d'être secourue.
Alors Savary revint en France avec
Napoléon, et il s'y livra avec un nou-
veau zèle à ses fonctions de police,
qui devinrent d'autant plus impor-
tantes, que Fouché perdait chaque
jour de la confiance qu'il avait d'a-
bord inspirée, et qu'en sa qualité de
militaire, l'aide -de -camp pouvait
remplir beaucoup de missions hors
de la sphère de l'oratorien conven-
tionnel. Ainsi,il avait l'avantage très-
grand d'accompagner son maître à
la guerre, et il le suivit en 1806
dans la campagne de Prusse, à la-
quelle il prit une part assez brillante.
Après les meurtrières affaires de Pul-
tusk et de Golymin , il commajida
temporairement le corps d'armée du
maréchal Lannes, tombé malade^ ce
qui affligea vivement Suchet , dont
l'ancienneté aurait dû prévaloir. Sa-
vary conserva ce commandement pen-
dant le reste de cette mémorable
campagne. Après la bataille d'Ey-
iau, il fut chargé de couvrir la po-
sition de Varsovie» et obtint sur
SAV
199
les Russes un brillant succès , à
Ostrolinka, le 16 février 1806, ce
qui lui fit accorder le grand-cordon
de la Légion -d'Honneur, avec une
pension de 20,000 fr. Les victoi-
res d'Heilsberg et de Friedland,
auxquelles il concourut aussi très-
efficacement, lui valurent le titre de
duc de Rovigo. Ou peut dire qu'il
en était alors à i'apogée de la fa-
veur, et que la confiance qu'avait en
lui Sa Majesté impériale était sans li-
mites. Elle lui en donna une nouvelle
preuve en l'envoyant aussitôt après
la paix de Tilsitt à Kœnigsberg, pour
gouverner la vieille Prusse; puis à
St-Pétersbourg, pour suivre l'exé-
cution des conditions secrètes du
traité. On sait que l'une des plus
importantes de ces conditions était
relative à la famille des Bourbons, à
qui le czar Alexandre avait rendu
l'asile de Mittau, que, dans un accès
de démence, Paul !«' lui avait autre-
fois ôté, et qu'elle n'avait pu retrou-
ver dans les états du roi de Prusse,
où la haine de Napoléon l'avait en-
core poursuivie. Tout ce qu'avait pu
faire la cour de Berlin, pour éviter
des attentats pareils à ceux d'Etten-
heim ou de Varsovie , avait été
d'avertir secrètement les princes
exilés. Nous ne douions pas qu'A-
lexandre, placé par les conventions
de Tilsitt, dans une position à peu
près semblable, n'ait eu recours au
même moyen ; et quand l'aide-de- ^<
camp de Napoléon vint le sommer
de remplir ses promesses , il lui
annonça leur départ , exécuté à son
insu, dit -il, ce qui était peu vrai-
semblable, quoi qu'en ait dit Savary
da'fts ses Mémoires^ publiés vingt ans
plus tard en présence des Bourbons,
auxquels il s'efforçait alors de faire
oublier le passé. Mais la haute so-
ciété de Saint-Pctevî^bourg, qui avait
500
SAV
très-bien compris les motifs de sou
arrivée, et qui n'ignorait rien de ce
qui s' était fait à Vincennesjereçut
fort mal partout où il osa se pré-
senter ; rimpératrice elle - même
lui demanda malignement si son
maître allait quelquefois voir jouer
Ja tragédie de Mérope! Obligé de
dévorer ces affronts, l'aide-de-camp
impérial venait quelquefois raconter
ses chagrins à son amiCauiaincourt,
récemment arrivé avec le titre d'am-
bassadeur. « Je sais bien la cause de
« tout cela, lui dit- il un jour, mais
- je n'en ai point de regret, et si c'é-
• tait à recommencer, je ne ferais pas
« autrement..., même pour toi, mon
• cher Caulaincourt. Si l'empereur
« m'ordonnait demain de te casser la
« tête, je n'hésiterais pas un instant.»
Heureusement pour Caulaincourt ,
Napoléon ne mit pas son aide-de-
camp à une telle épreuve ; s'il l'eût
fait, nous doutons d'autant moins que
Savary ne lui eût donné cette marque
de dévouement , que nous voyons
dans une brochure du maréchal
Grouchy, imprimée en 1829, qu'il
avait dit précisément la même
chose à ce général, dans le palais du
prince de la Paix, à Madrid, en
1808 (1) ; et, d'ailleurs, nous tenons
l'anecdote de Saint - Pétersbourg
d'un témoin auriculaire, d'un convive
de l'ambassade, dont nous ne pou-
vons pas soupçonner la véracité.
> On conçoit que de pareils propos,
(l) *...• Et quel dévouement, dit le ma-
te réchal Grouchy, en s'adressant au duc de
« Rovigo dans sa l)rochurc, que celui dont,
«nouveau Séide, vous donniez si bien la
« mesure en me disant dans le palais du
« prince de la paix à Madrid, que si l'em-
« pereur voulait se défaire de mol, vous
« n'hésiteriez pas un instant à me plonger
« un poignard dans le corps, dussicz-vcus
« m'en frapper jjar derrière, ponr être plub
« sûr de remplir ses intenlions..» »
SAV
iiiccssiunmenî répétés,devaient bien-
tôt venir aux oreilles de l'empereur,
et qu'ils ajoutaient encore k la fa-
veur de l'aidc-de-camp. Lorsqu'il
revint à Paris, après six mois de
séjour en Russie, le duc de Rovigo
reçut de son maître de nouveaux té-
moignages de satisfaction auxquels,
dit-il, ilajoula d'autant plus deprix
que ce n'était pas trop son habitude.
Nous ne concevons pas en vérité cette
récrimination de la part de Savary,
comblé de tant de bienfaits, couvert
de tant de titres, grades et dotations;
nous le concevons d'autant moins,
que la confiance de l'empereur en
son aide-de-camp était alors au plus
haut degré ; que le zèle de celui-ci
semblait augmenter dans la même
proportion. IJne occasion se présenta
bientôt de le déployer d'une manière
plus remarquable encore, ce fut l'in-
vasion de l'Espagne, dès long-temps
méditée par Napoléon. Jamais il
n'avait eu besoin d'un homme pins
dévoué, plus disposé à tout faire, k
tout oser pour obéir k son maître.
Dès qu'il fut averti des événements
d'Aranjuez (2), a dit Savary lui-même
dans ses Mémoires, il l'envoya cher-
cher, se promena avec lui dans le
parc de Saint-Cloud, et lui dit entre
autres choses curieuses, parlant de la
dynastie espagnole : « Si je ne peux
« m'arranger ni avec le père, ni avec
o le fi\s, je ferai maisonnette.., » Ce
peu de mots explique assez les in-
structions que Napoléon donna a son
aide-de-camp, en lui ordonnant de
partir sur-le-champ pour Madrid ,
où le grand-duc de Berg, Murât, se
trouvait déjà à la tête d'une armée.
(2) C'étaient les événeraens d'Aranjuez qui
avaient amené l'abdication de Charles ÎV,
ravénement de Ferdinand Vil, et l'empri-
sonnement de Godov.
SAV
Savary descendit chez lui, et dès les
premières conversations il s'aperçut
que le beau-trère de Napoléon son-
geait aux «iffaires d'Espagne un peu
pour lui : et il ajoute à cette observa-
tion maligneque la portée d'espritdu
personnage n'était. pas des plus éiten-
dwes, que nos premiers malheurs dans
ce pays furent dus à sa légèreté, à ses
folles espérances, enfin qu'il était fort
lié avec le prince de la Paix(Godoy),
qu'ils n'avaient pas moins d'ambition
l'un que l'autre, etc. 11 vit aussi,
dès son arrivée , les ducs de l'In-
fantado, San-Carlos , Escoiquitz et
le nouveau roi Ferdinand VII , à
qui il fut présenté, et qu'il prit sur
lui de qualifier de Majesté, sans y
être autorisé, mais par pure courtoi-
sie, et sans doute dans l'intention de
lui complaire pour arriver à ses fins.
11 prétend dans ses Mémoires, où il
donne avec raison beaucoup de place
à cet événement, que ce fut de lui-
même et en quelque façon spontané-
ment que ce prince eut la pensée de
se rendre à Bayonne au devant de
Napoléon, lequel il l'assura être dis-
posé à venir le visiter dans sa capitale.
Ce qu'il y a de sûr, c'est que Ferdi-
nand Vil partit pour Bayonne dans
un moment où il ne pouvait pas y
être contraint, et qu'il partit accom-
pagné de ses amis, de ses plus fidèles
serviteurs qui ne se défièrent pas
plus que lui du piège qui leur était
tendu. L'aide-de-camp Savary, qui
sans doute en savait davantage, prit
place dans une voiture du cortège
royal sous prétexte qu'étant venu
récemment à franc étrier, il était
fatigué. Voici comment un de nos
plusjudicieuxannalisles, l'auteur des
Mémoirestirés des papiers d'un hom-
me d'État^ a rendu compte de ce
fatal voyage d'après les documents
les plus authentiques. « Dans toutes
SAV
201
« les villes où passait le prince, le
« peuple alarmé de son départ en-
« tourait sa voiture pour l'empêcher
« d'aller plus loin 5 tous lui disaient
« de ne pas se fier à Napoléon. Ar-
• rivé à Burgos, Ferdinand sembla
« hésiter ; mais le général Savary
« fit usage de toute son adresse pour
« le décider à poursuivre jusqu'à
« Vitoria. Alors, se séparant du mo-
« narque, il se rendit en toute hâte
« à Bayonne, pour conférer avec son
• maître sur le sort de son prison -
- nier qui semblait résolu à ne pas
« quitter Vitoria. Savary revint
« auprès du roi avec une lettre de
« Napoléon qui ne donnait à Ferdi-
« nand qu'une espérance bien équi-
« voque d'être reconnu pour roi.
• Mais toutes les ruses furent en-
« core mises en usage par l'aide-de-
« camp pour faire oublier le ton
« brusque et le jargon sentencieux
« de son maître par les protesta-
« tions de l'intérêt le plus sincère.
« Je veux qu'on me coupe le cou,
« disait-il à Ferdinand, si un quart
<» d'heure après l'arrivée de votre
« majesté à Bayonne, l'empereur ne
« vous a pas reconnu roi d'Espagne.»
• C'est par de telles assurances, par
• tous les dehors de la bonne foi et
« de la sincérité, que devait se con-
« sommer la plus odieuse trame...
« Le roi se laissa conduire à Bayonne.
« En cas de refus, il devait être
« enlevé ; les troupes françaises
« étaient prêtes. La veille du départ,
« le général Savary, en sortant de
« chez "Ferdinand, informa par un
« signe un aide-decamp que, ce
« prince étant décidé à le suivre, la
a violence était inutile. Le peuple de
« Vitoria , le voyant monter en voi-
« ture et se diriger vers la France,
« en vint jusqu'à couper les traits de
« son attelage, et à menacer Savary
202
SAV
« en présence des troupes françaises;
• mais le roi, séduit par les caresses
« de ce perfide ministre, fut sourd
« aux prières , aux avis de ses ti-
« dèles sujets, et il courut à sa
« perte. » Il y a plus de trente ans
que tous ces détails ont été ainsi pu-
bliés, et aucune circonstance n'en a
été démentie. Le duc de Rovigo lui-
même en a rapporté la plus grande
partie dans ses Mémoires; il y a
même ajouté, tout en les expliquant
à sa manière, quelques faits qui n'en
sont que la confirmation. Ainsi, à
force de déceptions et de promesses
mensongères, le nouveau roi d'Espa-
gne était venu se livrer lui-même
aux mains de Napoléon ; et, quand
fut accompli cet odieux guet-apens,
il n'y eut plus qu'à consommer l'u-
surpation qu'il méditait depuis long-
temps. Pour cela on eut besoin
du roi Charles IV, qui avait bien
réelle/nent abdiqué en faveur de
son fils , mais à qui l'on persuada
alors qu'il devait reprendre h cou-
ronne, afin de la remettre ensuite à
Napoléon (voy. Charles iv, LX, 468,
et Ferdinand VII, LXIV, 86). On le
fit donc âu^si venir à Bayonne ainsi
que la reine, et lorsque, à la suite de
menaces et de violences inouïes, en
présence de Napoléon, il eut repris
la couronne pour la remettre à celui-
ci, ce fut encore Savary que l'on
chargea d'aller signifier à Ferdi-
nand VU que la maison de Bourbon
avait cessé de régner en Espagne,
qu'elle y était remplacée par celle
de l'empereur, et qu'il devait signer
une renonciation tant pour lui que
pour Us princes de sa famille. On
sait que le jeune roi ne signa point
cette renonciation , qu'il déploya
dans cette occasion le plus beau ca-
ractère, mais qu'il n'en fut pas
moins dépossédé et co»duit prison-
SAV
nier à Valençay avec son frère don
Carlos, laniiis que Savary retournait
a Madrid , où Murât étant tombé
malade, il prit le commandement
des troupes et se trouva placé dans
une position réellement très impor-
tante, mais de beaucoup au-dessus
de sa capacité. Devenu le centre et
en quelque façon le général en chef de
tous les corps français répandus dans
la péninsule, environné partout d'in-
surrections, il n'eut ni assez de/orce
ni assez d'habileté pour les répri-
mer. «D'ailleurs, dit l'auteur des ijfe-
• moires tirés despapier s d'unhomme
"d'État, ni lui ni l'erripereur ne
« concevaient ce qu'était et ce que
« pouvait devenir ou exiger une
• guerre contre des peuples généra-
« lement insurgés^ il perdit tolale-
« ment la tête et ne jugea pas com-
• bien il lui restait de ressources
« avec les 84 mille hommes dont il
« pouvait encore disposer. » C'est
dans ce temps-là que Junot et Dupont,
si imprudemment compromis, furent
contraints de capituler, que d'autres
insurrections éclatèrent sur diffé-
rent points, et que d'autres échecs
semblèrent imminents. Joseph Bona-
parte arriva enfin pour prendre
possession de la couronne d'Espagne,
et au moyen de quelques avantages
obtenus par Bessières il pénétra
jusque dans la capitale. Alors dut
cesser l'espèce de dictature qu'avait
exercée le duc de Rovigo. Il y eut
quelques explications peu flatteuses
avec le nouveau roi, et il fallut que
l'aide-de-camp de Napoléon retour-
nât en France. Le voyage qu'il fit
pour gagner la frontière ne fut pas
sans péril. Obligé de traverser des
pays déjà livrés à l'insurrection, et
où l'on n'ignorait aucun de ses torts
envers Ferdinand VU et envers l'Es-
pagne tout eiitièçe; il n'échappa que
SAV
par unefuitetrès-rapideet àla faveur
de plusieurs déguisements. Enfin il
arriva à Paris sain et sauf^ fut par-
faitement accueilli de son souve-
rain , et reprit aussitôt près de lui
ses fonctions de surveillance et de
secrète police. Sa faveur augmenta
d'autant plus à cette époque, que
celle de deux grands personnages,
Fouché et Talleyrand, parut s'être
considérablement affaiblie; il devint
l'intime confident, le directeur spé-
cial des opérations les plus secrètes,
et surtout de ce i\\i\ appartenait à lasû-
reté personnelle du maître. Napoléon
pensait avec raison que sur ce point
un dévouement absolu, sans réserve,
doit être préféré à tous les avanta-
ges de l'esprit et du savoir. A Paris, à
l'armée, dans tous ses voyages, le duc
de Rovigo ne quittait plus l'empe-
reur, su dedans comme au dehors;
toujours prêt à tout , en police
comme en diplomatie, jamais il
n'avait mieux mérité le nom de
Tristan ou de Séide. Après l'avoT
accompagné aux conférences d'Er-
furt, il le suivit encore en Espagne
à la prise de Madrid, et dans cette
courte campagne d'hiver contre
l'armée anglaise, où il a raconté avec
orgueil que Napoléon fit plusieurs
lieues à pied dans la neige, appuyé
sur son bras. Il le suivit aussi dans
la guerre d'Autriche en 1809, et il a
longuement parlé dans ses Mémoires
de cette mémorable campagne. Quel
que soit son système d'adulation et
de louanges exagérées, il lui échappe
parfois des aveux précieux pour
l'histoire. Aucun historien n'a rap-
porté avec plus de franchise et de
vérité l'incendie d'Ébersberg, la
défaite d'Essling, la destruction des
remparts de Vienne et beaucoup
d'autres faits qu'avec l'autorité de
so« témoignage on ne peut ^\m
.SAV
203
mettre en doute. On trouve aussi dans
ces Mémoires quelques détails cu-
rieux sur le mariage de Napoléon
avec Marie-Louise, sur le refus qu'il
avait éprouvé d'une princesse russe.
Le duc de Rovigo fut présent,comme
on doit le penser, à toutes les fêtes
du mariage autrichien, et il accom-
pagna ensuite le couple impérial
clans la Belgique, en Hollande, etc.
Sous prétexte d'une fièvre violerite
qui le saisit àBreda, il revint inopi-
nément à Paris où le fournisseur
Ouvrard a dit qu'il fut chargé de
l'observer. « En vérité il se fait bien
« de l'honneur, dit fièrement à cette
« occasion l'aide-de-camp impérial ; il
« se croit sans doute un personnage
«bien important.. M. Ouvrard au-
• rait été le premier individu qui eût
« été pour moi l'objet d'une sembla-
« ble mission. D'ailleurs qu'il se
« persuade bien que si la chose avait
" été comme il le dit, je ne lui aurais
« pas fait d'autre honneur que de le
placer en lieu sûr, si cela en avait
• valu la peine, comme je l'ai fait ia
« seule fois qu'on m'ait parlé de
« lui...» C'est précisément au moment
où ie duc de Rovigo prétend avoir
été si éloigné de fonctions de police
qu'il était tout près d'en devenir le
ministre. Ainsi nous touchons à l'é-
poque la plus remarquable de son
histoire. Voici comment il a raconté
lui-mêîue ce grand événement. «Lors-
« qu'on lut cette nomination dans le
• Moniteur ., personne ne voulait y
• croire. L'empereur aurait nommé
« l'ambassadeur de Perse, qui était
• alors à Paris, que cela n'aurait pas
« fait plus de peur. J'eus un véritable
« chagrin de voir la mauvaise dispo-
• sition avec laquelle on parut ac-
• cueillir un officier-général au mj-
« nistère de la police. Dans l'armée
? i)\\ l'on savait moius ce que c'él;^il
20i
SAV
SAV
« que cette besogne, oi» fiouva ma
• nomination d'autant moins ex-
• traordinaire que l'on croyait que
• j'y exerçais déjà quelque surveil-
• lance... J'inspirais de la frayeur à
• tout le monde. Dès que je fus
• nommé, chacun fit ses paquets ; on
« n'entendit parler que d'exils, d'em-
• prisonnements et pis encore;
• enfin je crois que la nouvelle d'une
• peste sur quelques points de !a
• côte n'aurait pas plus effrayé que
« ma nomination au ministère de la
• police. • Après avoir présenté avec
autant de vérité l'état de l'opinion
publique à son égard, le duc de
Rovigo explique avec la même fran-
chise l'embarras où le plaça cette
subite élévation... « J'étais dans la
« confiance, dit-il, que mon prédé-
• cesseur me laisserait quelques do-
• cuments propres à diriger mes
• pas. Il me demanda de rester dans
« le même hôtel que moi, sous pré-
■ texte de rassembler ses effets et
« les papiers qu'il avait à me com-
■ muniquer. J'eus la simplicité de le
« laisser trois semaines dans son
« ancien appartement ; et le jour
« qu'il en sortit, il me rendit pour
« tout papier un mémoire contre la
« maison de Bourbon, lequel avait
« au moins deux ans de date. Il avait
« brûlé le reste, au point que je
« n'eus pas de traces de la moindre
• écriture. H en fut de même lors-
« qu'il fallut me faire connaître les
« agents secrets, de sorte que le fa-
• meux ministère de Fouché, dont
«j'avais eu, comme tout le monde,
• une opinion extraordinaire, com-
• mença à me paraître très-peu de
• chose, ou au moins suspect, puis-
«que l'on faisait difficulté de me
" remettre ce qui intéressait le ser-
« vice de l'État.» Puis, dans un mou-
vement d'amour- propre, il dit avec
une naïveté un peu risible: « J'avais
• cru le ministère dont j'étais pourvu
« une puissance ; je ne le voyais qu'un
« faniôme... Le courage me vint, il
• me ramena de la confiance. J'avais
• une mémoire extraordinaire pour
« les noms et les lieux... Mon intel-
« ligence me fit bientôt trouver des
« moyens qui m'y firent réussir.. »
Et, après une longue énumération
des moyens ingénieux qu'il employa
pour ressaisir les fils et renouer la
trame si méchamment rompue par son
prédécesseur, le nouveau ministre
cite des instructions que lui donna
son maître, telles qu'en vérité nous
n'y croirions point si M. de Rovigo
lui-même ne les avait attestées.
« Voyez tout le monde, lui dit Napo-
• léon ; ne maltraitez personne; on
• vous croit dur et méchant, ce se-
• rait faire beau jeu à vos ennemis
« que de vous laisser aller à des idées
« de réaction. Ne renvoyez personne
• sans lui donner une place équiva-
« lente... Pour me bien servir, il faut
« bien servir l'État. Ce n'est pas en
« faisant mon éloge lorsqu'il n'y a
« pas lieu que l'on me sert : on me
«« nuit au contraire, et j'ai été fort
• mécontent de tout ce qui a été fait
« jusqu'à présent là-dessus. Quand
• vous êtes obligé d'user de voies
« de rigueur, il faut toujours que
« cela soit juste, parce qu'alors vous
• pouvez les mettre sur le devoir de
• votre charge. Ne faites pas comme
« votre prédécesseur qui mettait sur
• mon compte les rigueurs que je ne
« lui commandais pas, et qui s'attri-
« buait les grâces que je lui ordon-
« nais de faire... Traitez bien les
« hommes de lettres. On les a in-
« disposés contre moi en disant que
« je ne les aimais pas, on a eu une
« mauvaise intention en faisant cela;
« sans mes occupations je les verrais
SAY
« plus souvent... Ce sont des hommes
• utiles qu'il faut distinguer, parce
• qu'ils font honneur à la France. »
Ce fut probablement pour se con-
former à celte dernière recomman-
dation que le duc de Rovigo réunit
alors à ses déjeuners quelques gens
de lettres , au nombre desquels
M. Saint-Edme a placé, dans sà Bio-
graphie des hommes de police ,
MM. Etienne, Jay, Tissot et Mi-
chaud (3). C'est à la table de ce singu-
lier Mécène que se discutaient inier
pocula et scyphos la valeur des nou-
velles productions littéraires, et sur-
tout les titres des auteurs à la faveur
impériale. C'était aussi là qu'on dé-
cernait les palmes académiques, et
qu'on nommait les académiciens; on
pourrait même dire que c'est là que
commença le système d'intrigues et
de corruption qui, en excluant de
nos corps savants tous les hommes
indépendants et d'un caractère ho-
norable, y a fait admettre tant de
médiocrités. On sait qu'en 1810 et
1811 ce fut aussi dans cette espèce
de bazar littéraire que l'on reçut et
qu'on tarifa toutes les productions
en prose et en vers destinées à célé-
brer les grands événements du ma-
riage et de la naissance. Et ce qui est
plus bizarre encore, c'est que ce fut
par le même bureau et par les mêmes
hommes que se décidèrent les af-
faires de la religion, que furent ré-
glés les intérêts de l'Eglise. On se
rappelle qu'à cette époque Napoléon,
après s'être emparé des États ponti-
hcaux, avait imaginé de réunir à Paris
(3) Nous croyons devoir déclarer que,
malgré ridentitédti nom, cette désignation
ne pcuî: concerner l'auteur de cette notice,
qui n'rut j;imais le moindre rapport di-
rt;i t lii indirect avec le duc de Rovifjo ni
»vfc Micnn autre homme de police.
SAV
SOS
un concile national qu'il voulut op-
poser à l'autorité du pape. Mais la plus
grande parlie des prélats qui y furent
appelés se niontra lidèle aux lois de
l'Église. Dans l'embarras où le mit
leur opposition , le ministre de la
police ne trouva rien de mieux, selon
sa coutume, que la prison et l'exil.
Quatre prélats des plus honorables
furent enfermes par ses ordres au
donjon de Vincennes, et son Excel-
lence crut avoir tout arrangé, tout
terminé, comme s'il se fût agi de la
discipline d'un régiment ou de celle
d'une escouade de police. Dans le
même temps, il traitait à peu près
de la même manière mesdames de
Staël , Récamier, de Chevreuse, qui
n'avaient pas eu le bonheur de plaire
à son maître, et il faisait arrêter
comme conspirateurs beaucoup de
royalistes et aussi quelques hommes
du parti républicain que Napoléon re-
doutait par-dessus tout. Six nouvelles
prisons d'État récemment construites
furent bientôt peuplées de nombreux
habitants. Cependant, si l'on en
croit les Mémoires du duc de Ro-
vigo, publiés en 1829, personne ne
donna mieux que lui à Napoléon des
avis contre l'arbitraire et le despo-
tisme ; personne ne fit autant d'ef-
forts pour lui inspirer des idées pa-
cifiques: « Vingt fois, dit-il (ma cor-
« respondance ministérielle en fait
-foi), j'osai l'informer que la France
« et l'Europe étaient fatiguées de
« verser du sang, et que s'il ne re-
• nonçait pas à son système de guerre,
« il serait abandonné par les Fran-
• çais et précipité du trône par les
« étrangers. » La conspiration de
Mallet, qui éclata vers la fin de 1812
(voy. Malet, XXVI, 367), oii la puis-
sance impériale fut si inopinément
mise en péril, ne rassura pas le duc
de Rovigo sur l'avenirde son maître.
206
SAV
Lui-même , épargné (Iftus «îôlle in-
tToyable tentative par un ancien ca-
marade {voy. Lahorie, LXIX, 440),
envers leque! il tut moins généreux
le lendemain, se laissa honteusement
conduire et écrouer à la prison de la
Force. Il trouva grâce néanmoins de-
vant l'empereur qui, à son retour de
Moscou, se montra plus sévère envers
le préfet Frochot {voy. ce nom, LXIV,
523), moins blâmable cependant que
le ministre de la police. Mais la fa-
veur de celui-ci augmenta alors d'au-
lant plus que les embarras et les pé-
rils devenaient plus grands, et que
Napoléon perdit vers le même temps
plusieurs de ses serviteurs les plus
dévoués, les plus intimes. Lannes,
Bessières et Duroc moururent suc-
cessivement à la même époque; et
d'autres serviteurs du premier rang
donnèrent de justes défiances; Fou-
ché et Talleyrand étaient devenus
réellement des hommes dangereux.
Enfin il apparut alors des mécon-
tents et presque des rivaux, jusque
dons la famille impériale. On sait que
Louis, Jérôme et surtout Murât ne
portaient qu'avec peine les couronnes
qu'il leur avait données, et que, loin
de trouver en eux des appuis dans
un moment aussi critique , il fut
obligé de réprimer leurs mauvaises
passions. Il est véritablement curieux
de voir, dans les Mémoires du duc de
Rovigo, les intrigues, les ridicules
prétentions du roi Joachim, et l'em-
barras de Napoléon, obligé de feindre
et de souffrir que son beau-frère fût
auprès de lui le commandant de sa ca-
valerie quand déjà il ne pouvait plus
douter de sa félonie. Le chef de la
police impériale a révéié sur tout cela
des secrets inconnus, et son ouvrage
serait véritablement très -précieux
pour l'histoire si, à côté de ces faits,
on n'y remarquait pas un parti pris,
SAV
une résolution invariable de dissi-
muler tous les torts, de louer jus-
qu'aux choses les moins honorables.
Ce système d'éloges exclusifs, (pie
trop d'historiens ont imité, se mani-
feste surtout à l'époque où nous
sommes arrivés, à cette époque de
décadence et de revers, où Napoléon
eut à se défendre contre l'Europe
entière, contre ses ennemis du de-
dans et du dehors, devenus d'autant
plus entreprenants et plus audacieux
qu'ils redoutaient moinssa puissance.
Savary, il faut en convenir, le se-
conda avec beaucoup de zèle. Lors-
que Paris se rendit aux alliés , le
31 mars 1814, il suivit l'impératrice
régente à Blois, d'après un ordre
spécial de l'empereur. Ayant cessé
toutes fonctions quand le gouver-
nement de la Restauration fut établi,
il ne suivit point Napoléon à l'île
d'Elbe, et se retira dans sa terre de
Nainville, près de Fontainebleau.
Cependant il a déclaré dans ses Mé-
moires qu'il se trouvait à Paris le
3 mai, jour de l'entrée du roi,
caché dans la foule , en observa-
teur, et n'étant pas tout à fait
sans crainte pour sa sûreté person-
nelle ; ce qui le décida, a-t-il dit, à
écrire à ce mêmeCzernicheff , qu'il
avait autrefois poursuivi comme
agent secret de l'empereur Alexan-
dre, et qui maintenant, aide-de-camp
du même souverain, pouvait le proté-
ger et lui rendre service. Le général
moscovite n'hésita point ; mais il ren-
contra de grands obstacles dans les
dispositions de son maître, qui étaient
fort changées à l'égard du favori de
Napoléon. Alexandre ne daigna pas
répondre à deux lettres fort respec-
tueuses et fort pressantes de celui
qui avait été auprès de lui l'en-
voyé extraordinaire de son grand
ami. Après avoir essuyé cet affront,
SAV
Savary continua toutefois d'habiter
la capitale , disant qu'il ne se mêlait
en aucune façon d'affaires politiques ;
mais il paraît que la police royale ne
l'en crut pas sur parole, car elle l'o-
bligea de retourner dans ses terres,
d'où il ne revint qu'en mars 1815,
lorsque Napoléon s'échappa de Tile
d'Elbe. Si l'on en croit ses Mé-
moires, il ne prit aucune part aux in-
trigues qui préparèrent ce retour*,
mais ii est évident qu'il ne les ignora
point. « Les hommes à mouvement
" s'agitaient, a-t-il dit, les communi-
« cations de Fouché étaient devenues
« plus actives , et dès les premiers
« jours de février tout annonçait
« l'explosion. On conspirait sur les
« bornes au coin des rues^ et comment
• la police royale n'a-t-el!e rien su,
« rien vu de lout cela? Ce n'est pas
«faute de confidents; car il y en
<^ avait partout. Dans les premiers
"j^ours de février, il était arrivé à
• Paris un jeune négociant de, l'île
» d'Elbe; il demanda à me voir ; mais
« comme je séjournais habituelle-
« ment à la campagne, je profitai de
« la circortsiaiice pour décliner sa
« proposition. Lorsque je sus tout
- ce tripotage^ je me décidai à en-
" voyer quelqu'un à l'empereur pour
« leconjurer de n'ajouter foi à aucune
« insinuation ; car je ne doutais pas
« qu'elle ne couvrît un piège dont il
• serait la victune. Je persistais à
« regarder Fouché comme son enne -
• mi mortel. Je me donnai de la
«peine inutilement; mon messager
«apprit en chemin le débarquement
« de Tempereur. Je ne pouvais pas
« comprendre ce qui avait pu porter
« Napoléon à celle résolution; /cm
• étais au désespoir pour lui.,, »
Ainsi, d'après son témoignage, le <iuc
de Rovigo avait été complètement
étranger à la révolution du 20 mars,et
SAY
20-
l'on eut par conséquent grand tort
plus tard de le comprendre dans l'or-
donnance d'exil qui fut prononcée
contre les auteurs de ce complot. Ce
qui le prouverait encore, c'est que
le ministre de la police royale, Dan-
dré, vint quelques jours avant l'ex-
plosion, lui proposer de faire une vi-
site auroiLouisXVllI,ce qu'il refusa
fièrement, disant qu'il était devenu
tout à fait indifférent aux affaires
de ce monde. Cependant, quelle que
fût cette indifférence, il est notoire
qu'aussitôt que Napoléon arriva aux
Tuileries, le 20 mars J815, son an-
cien aide de-camp se hâta d'aller lui
offrir ses services, et qu'après avoir
refusé le ministère ou le gouverne-
ment de Paris qui lui fut proposé, il
accepta le titre de pair de France et
celui d'inspecteur-général de la gen-
darmerie. Ce nouvel emploi, qui n'é-
tait en apparence qu'une sinécure,
lui permit de continuer ses fonctions
de directeur de la police secrète, ce
qui lui donna peu d'occasions de se
mettre en évidence pendant ce rè-
gne de cent jours. Il ne suivit pas
Napoléon dans sa courte expédition
de Waterloo, mais aussitôt après son
retour dans la capitale, il se montra
encore l'un des plus empressés à le
servir ; et après la seconde abdication
il l'accompagna à Rochefort,oii ii fut
chargé avec Las-Cases d'aller deman-
der au commandant de la station an-
glaise s'il serait permis à i'ex-empe-
reur «le se rendre aux États-Unis
sur unbâtimenineutre, ous'il pour-
rait aller en Angleterre pour y résider
comme simple particulier. On sait
que toutes cesdemandes furent refu-
sées, que les ministres anglais persis-
tèrent à ne considérer Napoléon que
comme prisonnier de guerre, et qu'à
ce titre ils ordonnèrent son trans-
port à l'île Sainte-Hélène. Dès que
208
SAV
celte décision fut connue de Sa-
vary, il se hâta d'écrire à l'amiral
Keiih, commandant la flotte britan-
nique, que le voyage de Sainte-Hé-
lène n'entrait point dans ses calculs,
et qu'il ne lui était pas permis de
disposer de lui à ce point là.... Ce
refus de suivre en un pareil moment
celui qui l'avait comblé de tant de
biens, pour qui naguère il semblait
disposé à tout sacrifier, dut étonner
et même affliger Napoléon^ mais
peut-être qu'il n'en sut rien, car la
réponse de l'amiral anglais n'était pas
encore venue lorsqu'on signifia à Sa-
vary que ni lui ni le général Lallemant
ne pourraient suivre leur ancien
maître à Sainte-Hélène, attendu que
tous deux se trouvaient inscrits sur
la liste de proscription que le gou-
vernement de la Restauration venait
de dresser contre les auteurs du
complot qui avait ramené Bonaparte
à Paris. Ainsi le duc de Rovigo au-
rait pu se dispenser de cette espèce
de défection, de ce refus de suivre
dans l'adversité son maître et son
bienfaiteur. Il lui fit ses adieux
avec beaucoup de calme, puis,
ne songeant plus qu'à lui, il de-
manda au jurisconsulte Samuel Ro-
milly une consultation pour sa-
voir s'il ne devait pas être considéré
comme un simple particulier qui
s'était placé volontairement sous
la protection des lois anglaises. Ce
système, qui était aussi celui de Na-
poléon, n'eut pas plus de succès. Ro-
milly répondit qu'il ferait tout ce
qui dépendrait de lui ; mais, dans le
même temps, des parents du capi-
taine Wnglit et d'autres victimes de
la tyrannie impériale ayant menacé
l'ancien ministre de Napoléon de le
poursuivre devant les tribunaux an-
glais comme auteur du meurtre de
leurs parents, cette menace causa
SAY
au duc une très -vive inquiétude.
Il lui fut même adressé, sur la mort
de lord Bathurst , des questions
qui semblèrent l'inquiéter encore
davantage {voy. Bathurst, LVII ,
291). L'amiral Keith mit lin à ces
perplexités en faisant embarquer
sur une frég.ite, destinée pour Malte
Savary et Lallemant, qui furent em-
prisonnés dès leur arrivée dans cette
île, au fort Emmanuel,où ils restèrent
sept mois. Le duc de Rovigo a dit
que c'est à l'ennui de cette captivité
qu'on doit les Mémoires publiés
douze ans plus tard. Nous savons
qu'il fut aidé dans ce travail par un
jeune militaire qui, ayant aussi voulu
suivre Napoléon dans son exil, en
avait également été empêché par un
ordre du ministère anglais. Ce ne fut
qu'au mois d'avril 181G que les por-
tes du fort Emmanuel furent ouvertes
aux prisonniers. Savary se défiait tel-
lement de tout ce qui l'environnait,
qu'il refusa pendant plusieurs jours
de sortir de cette prison, quoique
la permission lui en eût été donnée.
Il avait dans ses fonctions de police
si souvent tendu à des malheureux des
pièges de ce genre, qu'il craignait de
profiter de la liberté qui lui était ren-
due. C'est par son compagnon d'in-
forlune,qui l'avait aidé dans la rédac-
tion de ses Méfnuires,que nous avons
entendu raconter ce fait, et ce jeune
officier riait encore deux ans après
de la défiance et des terreurs de ce-
lui qui en avait effrayé et trompé
tant d'autres. Savary et Lallemant
furent embarqués sur un vaisseau
anglais qui mettait à la voile pour
Odessa et devait relâcher dans les
ports de Smyrne et de Constantino-
ple. Le duc de Rovigo, qui n'aimait
point la mer, se décida à rester dans
la première de ces deux villes, où son
séjour ne fut pas sans danger , puis-
SAV
qu'il fut obligé d'y vivre caché dans
une maison française, qui se vit elle-
même forcée de le faire partir pour
Trieste, où il n'arriva qu'après une
traversée longue, pénible, et où d'au-
tres infortunes l'attendaient encore.
A son arrivée on le mit en sur-
veillance pendant toute sa quaran-
taine, et, dès qu'elle fut achevée, un
officier de police vint lui annoncer
qu'il était chargé de le conduire à
Gratz. Livré aux plus noirs pressenti-
ments pendant tout le voyage, il fut
surpris bien agréablement lorsqu'on
le mit en liberté dès son arrivée dans
cette ville, et qu'il n'eut plus d'au-
tre souci que de manquer d'argent.
Cette pénurie alla jusqu'à n'avoir pas
quinze sous àdépenser par jour.Mais
sa femme et sa fille aînée étant venues
le visiter lui apportèrent quelque
secours^ et puis le prince de Met-
ternich ayant passé par Gratz avec
IVmpereur François II, il en obtint la
permission de retourner en Syrie, où
il vécut assez bien jusqu'au mois
d'avril 1819. Il eut alors le chagrin
d'apprendre sa condamnation à mort
par le conseil de guerre de Paris
pour sa participation au retour de
Bonaparte en 1815 ^ et ce malheur
fut encore aggravé par la querelle
qu'il eut avec un jeune officier de
marine nomme Flotte, lequel, dans
une fête donnée par le consul de
France, ayant mal parlé de Bona-
parte et surtout de la mort du duc
d'Enghien, Savary, qui était pré-
sent, prit cette attaque pour son
compte, suivit le jeune homme à sa
sortie ; et, l'ayant atteint sur le bord
de la mer, lui demanda une satisfac-
tion militaire que M. Flotte fut loin
de refuser, mais que le duc rendit
impossible en attaquant brutalement
son adversaire qui était sans armes,
et qui , après s'être défendu bra-
LXXXI.
SAV
209
vement , publia les détails de cette
affaire d'une manière qui fit peu
d'honneur à Savary. Ce qui fut plus
fâcheux encore pour celui-ci, c'est
que le duc de Rivière, alors ambas-
sadeur de France à Constantinople,
blâma hautement sa conduite, et qu'il
donna des ordres sévères contre lui.
Ne doutant pas que ces ordres ne
fussent exécutés et qu'ils ne compro-
missent la maison anglaise qui lui
donnait asile, Savary partit aussitôt
pour l'Angleterre, sans passe-port,
sans autorisation , et débarqua à
Londres où il obtint de séjourner
pendant un mois. C'est là qu'une
femme angélique, qui avait pour lui
depuis quinze ans une amitié de père^
et à laquelle il n'eut besoin que d'é-
crire deux mots pour qu'elle accou-
rût de Paris et retournât aussitôt
dans cette capitale , envoya un
passe -port à l'heureux duc, qui
put se mettre en route à l'in-
stant même, et arriver à Paris le 15
décembre 1819. « Depuis ce temps ,
«dit-il, je ne rencontrai que des
« obligeances. On me fit entrer en
- prison pour se conformer à la loi ,
« mais on eut la politesse de prendre
« mon jour. Un officier d'état-major
« vint me chercher chez moi et me
« conduisit à l'Abbaye. J'y fus huit
« jours, et vis enfin le terme d'une
« série de malheurs qui m'avaient
« long-temps semblé ne devoir finir
« que par une catastrophe... « Loin
de là ; le terme de toutes les tribula-
tions du duc de Rovigo, défendu par
l'avocat Dupin aîné devant le con-
seil de guerre de la l'« division mi-
litaire, fut un complet acquittement,
prononcé dès la première séance et
après une très-courte délibération.
La joie qu'il en éprouva fut si grande,
qu'on assure que dès lors il offrit au
gouvernement de la Restauration de
14
210
SAV
le servir avec le mêiiie zèle, la même
énergie qu'il avait servi le gouver-
nement impérial, et que clans un Me'-
moire présenté par lui au ministère
il dit nettement que dans tous les
temps le pouvoir avait besoin d'hom-
mes dévoués, énergiques, capables
dans l'occasion d'un coup de main, et
qui eussent fait leurs preuves... «On
• nemevitjamais,ajouta-t-il,parmi
• les faiseurs d'utopie. Si j'ai apparte-
« nu enquelque chose à la révolution,
« ce n'a jamais été par les doctrines.
« Le maître que j'ai servi n'existe
• plus; je lui ai été dévoué dans la
• puissance et dans l'infortune. On
« doit penser qu'un homme comme
« moi ne se donne pas à moitié. Les
« traditions de l'empire ne sont pas à
• redouter pour la royauté. Elle peut
• au contraire y puiser de la force.
« C'est être conséquent à mes prin-
• cipes que de lui oftVir mon bras. »-
Il y avait certainement dans tout
cela beaucoup de vérité et de raison,
et si le gouvernement de ki Restaura-
tion ne croyait pas devoir alors se
servir ostensiblement de la personne
et de l'expérience du duc, on ne peut
pas douter qu'environné d'ennemis
et de factieux comme il l'était, ce
gouvernement ne dût au moins écou-
ter ses avis ; mais il arriva au con-
traire que Savary ayant un peu lé-
gèrement rappelé dans un journal
la catastrophe du duc d'Enghien, il
reçut la lettre suivante de M. de
Villèle , alors premier ministre :
■ Monsieur le duc, le roi a vu avec
« un extrême mécontentement que
« vous ayez appelé l'attention pu-
« blique sur de funestes souvenirs,
m dont il avait commandé l'oubli à
• ses sujets. Sa Majesté m'ordonne,
• en conséquence, de vous faire con-
« naître que son intention est que
• vous vous^ absteniez de vous pré-
SAV
« senter dans son palais. • On sait
que le mauvais accueil fait à son
dévouement ne rebuta point alors
Savary, qu'il revint à la charge
plusieurs fois, et nous avons lieu
de penser que ses propositions ne
furent pas toujours aussi mal re-
çues ; mais on ne lui donna point la
position qu'il aurait voulue. 11 avait
fini par prendre en pitié ce gou-
vernement de faiblesse et d'irréso-
lution,qui n'avait de force que contre
ses amis. « Si j'étais à votre place,
« dit-il un jour à l'un des ministres,
« j'aurais bientôt débarrassé le roi de
• ces patriotes hypocrites...» On a dit
qu'à l'époque de la guerre d'Espagne
il proposa, si l'on voulait lui confier
un régiment de cavalerie, d'aller
arracher le roi Ferdinand des mains
de la faction libéralequi l'opprimait,
et de rétablir sur son trône celui qu'il
avait autrefois tant contribué à eu
faire tomber. Nous ne pensons pas as-
surément que de pareils projets dus-
sentêtreaccueillis sans examen; mais
lors même que Savary en eût présenté
de meilleurs , les hommes de ce
temps-là étaient incapables d'appré»
cier et de comprendre tout ce qui exi-
geait de la vigueur et de l'énergie.
L'ancien ministre de Napoléon resta
donc dans l'inaction, et il retourna
dans sa terre de Nainville, où il ne pa-
rut plus s'occuper que d'agriculture
et de l'éducation de sa nombreuse fa-
mille (i), voyant peu de monde et ne
paraissant lié à aucun parti. Nous
ne pensons pas qu'il ait eu part aux
intrigues qui amenèrent la chute de
la branche aînée des Bourbons en
1830; cependantle gouvernement qui
leursuccédanetardapasà l'employer,
(i) Le duc de Rovigo avait épousé ma-
demuiselle de Faudoas, de l'une des plu»
anciennes familles de la Bretagne, dont il
«ut sept enfants*
SAV
et il fut nommé, en 1831, comman-
dant militaire de l'Algérie, où il fit,
dès son arrivée, d'excellentes réfor-
mes, mais où il n'eut pas le temps de
diriger des opérations d'une grande
importance. On a bien dit qu'il y ma-
nifesta des habitudes un peu orien-
tales ; mais nous ne savons rien de
positif à cet égard. Ce qui est plus
sûr, c'est qu'il y protégea de tout
son pouvoir la religion catholique,
chose assez remarquable, a dit un
historien , de la part d'un ancien
ministre de la police impériale, et
dans un temps où l'on mettait en
France un voile sur la face du Christ
dans les temples de la justice, où
on laissait piller et démolir les
monuments de la religion. Le duc
de Rovigo ne put pas suivre long-
temps cette louable direction. At-
teint par l'influence du climat, il re-
vint en France, et mourut à Paris
le 2 juin 1833. On ne lira pas sans
en être touché le récit de ses derniers
moments, tel que le donna un jour-
nal de cette époque. «Le dimanche,
à une heure du matin, ce fut le duc
de Rovigo qui demanda à voir
l'archevêque ; et son ami , le gé-
néral Cafarelli , alla le chercher.
Le prélat (M. de Quelen) accourut.
Le duc de Rovigo gardait toute sa
raison et toute la liberté de son es-
prit. Il se confessa , puis il reçut les
sacrements avec des témoignages de
piété extremementtouchants.il suivit
avec attention toutes les prières qui
furent faites, les répétant ensuite com-
me une consolation et une espérance.
Ce qui offrit surtout un spectacle ad-
mirable, ce fut de voir le vieux gé-
néral Cafarelli , cet ancien aide-de-
camp de Napoléon, l'encourager à
son tour par des paroles chrétiennes.
Il lui lisait les prières, et les lui ré-
pétait sur sa demande. L'archevêque
SAV
21Î
ne put résister à ce spectacle; il
fontiit en larmes ainsi que toute la
maison du duc. Enfin , après qu'il
le vit ainsi disposé à la mort, il
lui adressa ses dernières exhor-
tations d'une voix émue, et lui
demanda de donner sa bénédiction
à ses enfants présents ou absents. Il
fallut que le général Cafarelli sou-
tînt le bras du malade. Cette scène
avait rempli tout le monde d'atten-
drissement. L'archevêque y retour-
na dans la journée plusieurs fois,
et toujours il fut accueilli comme un
consolateur et un père. « Je pense
bien, lui dit-il, que jamais mes en-
fants n'oublieront ce que vous avez
fait pour moi. » Sa reconnaissance et
sa joie se peignaient à la fois dans ses
regards et dans tous ses traits. C'est
dans ces sentiments qu'il arriva au
dernier moment , encourageant les
siens, proférant des paroles tou-
chantes, édifiant et consolant tous
ceux qui l'approchaient. « Pour ne
rien omettre dans une vie où tant
de choses sont peu édifiantes, nous
devons encore dire que le duc de
Rovigo fut le bienfaiteur de l'hôpital
de Sedan, et qu'il remplaça la dota-
tion de 50,000 francs qui avait été
faite par Turenne en faveur de cet
établissement , à condition que le
service funèbre de l'illustre guerrier
serait célébré le jour anuiveçsaire
de sa mort. Les écrits de ce gé-
néral et ceux qui ont été pu-
bliés à son occasion sont: I. Ex-
trait des Mémoires de M. le duc de
Rovigo, concernant la catastrophe
de M. le duc d'Enghien, Paris, 1823,
in-80 de 4 et 68 pages. Cet ouvrage,
dont il a paru la même année trois
autres éditions, a été traduit en an-
glais sous ce titre : Extract from
the memoirs of the duke de Ro-
vigo ^ concçrning the death ofthe
14.
212
SAV
ihike d'Enghien, Paris, Galignani ,
1823 , in-8^. II a donné lieu à la
publication d'un grand nombre de
brochures , dont les principales
sont : r Réfutation de Vécrit pu-
llié par M. le duc de Rovigo sur
la catastrophe de monseigneur le duc
d'Enghien^ ac('ompagnée de pièces
justilicatives et suivie de l'Éloge de
monseigneur le ducd'Enghien, qui a
remporte en 1817 le prix k l'académie
de Dijon , par Maquart ; Paris, 1823,
in-8°, trois éditions {voy. Maquart,
LXXIl, 510). 2" Pièces judiciaires et
historiques relatives au procès du
duc d'Enghien^ avec le journal de ce
prince depuis l'instant de son arres-
tation, précédées de la discussion
des actes de ia commission inilitaire
instituée en Tan XII, par le gouver-
nement consulaire, pour juger le duc
d'Enghien, par l'auteur (André-iVIarie-
Jean-Jacques Dupin) de l'opuscule
intitulé : De la libre défense des ac-
cusés, Paris, 1823, in-8°. à'' Extrait
des Mémoires inédits sur la révolu-
tion française^ par Méhée de La Tou-
che, Paris, 1823, in-8"de 95 pages.
Cette brochure a eu une seconde édi-
tion dans la même année (roy . Mehée ,
LXXIII, 408). 4*^ Conduite de Bona-
parte relativement aux assassinats
de monseigneur le duc d'Enghien et
du marquis de Frotté^ par Gautier
(du Var), Paris, 1 823, in-8° (voy. Gau-
tier, LXV, 181). 5° Réponse à M. le
duc de Rovigo f ou Opinion d'un ex-
commissaire de police (Chavard),
pensionné du roi, sur les motifs qui
ont déterminé M. le duc de Rovigo
à faire paraître une brochure ayant
pour titre : Sur la catastrophe de
monseigneur le duc d^Enghien, Paris,
1823, in-8o. 6° Recherche delà vérité,
ou Coup d'œil sur la brochure de
M. le duc de Rovigo j par de L***
(François Delarue, médecin à Paris),
SAV
Paris, 1823, in-8". 7û Explications
offertes aux hommes impartiaux t
par M. le comte Hullin, au sujet de
la commission militaire instituée en
l'an XII, pour juger le duc d'Eo-
ghien (récligc-es par M. Dupin aîné) ,
Paris, 1823, in-8°, deux éditions. S"* Un
Français (Edme- François -Antoine -
Marie Miel, chef de division à la pré-
fecture de la Seine) sur VExirait des
Mémoires de M. Savary, relatifs à
M. le duc d'Enghien^ Paris, 1823,
in -8° {voy. Miel, LXXIV, 58).
9° Quelques observations bien fran-
çaises sur la brochure intitulée: Un
Français sur l'Extrait des Mé-
moires de M. Savary (par le comte
A. de Malessye) , Paris , 1823, in-8o.
10« De MM. le duc de Rovigo et le
prince de Talleyrand , par Achille
Roche, Paris, 1823, in-8^ ii'^ Lettre
(signée Benoît Jolicœur) sur le Do-
cument publié par M. le duc de
Rovigo^ Paris, 1823, in-8°. 12'' Mé-
moires, lettres et pièces authen-
tiques touchant la vie et la mort
de S. A. S. monseigneur Louis-An-
toine-Henri de Bourbon-Condé, duc
d'Enghien^ par M. André Boudard
(de THérault), Paris, 1823, in-8o.
13" Cest lui! Ce n'est pas luil Hé!
mais qui donc? ou le Lavabo po-
litique, Paris, 1823, in.8° de 16
pages. La première moitié du titre
estempruntéedu Mariagede Figaro,
acte V, scène 3. 14" Le duc de Ro-
vigo jugé par lui-même et par ses
contemporains, témoins oculaires, à
l'occasion de son écrit sur la cata-
strophe du duc d'Enghien ; par
F.... E... L..., Paris, 1823, in'8".
IL Mémoires du duc de Rovigo sur
la mort de Pichegru, du capitaine
Wright, de M. Bathurst, et sur quel-
ques autres circonstances de sa vie,
Paris, Ponthieu, 1825, in-8°de26et
72 pages. IIL Mémoires du duc de
SAY
Rovigo pour servir à Vhistoire de
l'empereur Napoléon^ Paris, A. Bos-
sange, 1828, 8 vol. in-8o. Une se-
conde édition a paru la même année.
On a publié, en réponse k ces Mé-
moires : 1° Réfutation du duc de
Rovigo, ou la Vérité sur la bataille
de Marengo (par le général Keller-
mann), Paris, 1828, in-S». 2"^ L'empe-
reur Napoléon et M. le duc de Ho-
vigOi ou le Revers des médailles, par
leS.-J.-M. A***, Paris, Mongie, 1828,
in-8". 3^ Deuxième et dernière ré-
plique d'un ami de la vérité (le gé-
néral Kellermann) à M. le duc de
Rovigo, Paris, 1828, in-8°. 4o Leduc
de Rovigo en miniature^ ou Abrégé
critique de ses Mémoires, par M. L.
de Sévelinges, Paris, 1828, in-8<>. —-
Savary, frère du duc de Rovigo ,
était colonel du 14e régiment de ligne
lorsqu'il fut tué au passage de la
Wakra,en 1806, peu de temps après
la bataille d'Iéna, où il s'était dis-
tingué. M— D j.
SAVIARD (Barthélemi) , né k
Marolles- sur -Seine le 18 octobre
1656, fit d'excellentes études chirur-
gicales, fut reçu à -Saint-Côme, et
pendant dix-sept ans exerça son art à
l'Hôtel-Dieu de Paris, en qualité de
maître chirurgien. 11 se distingua
par son habileté comme opérateur,
et particulièrement comme lithoto-
miste. Sa réputation à cet égard était
si bien établie, qu'il fut souvent ap-
pelé auprès d'un grand nombre de
malades atteints du calcul, et sur
lesquels il pratiqua l'opération de la
taille avec un succès complet. Les
travaux continuels de Saviard ayant
gravement altéré sa santé, il voulut
aller respirer l'air natal, dans l'espoir
de trouver quelque soulagement ;
mais il mourut à Égligny, chez son
frère qui en était curé, le 15 août
1702, âgé seulement de 46 aus. Son
5AV
213
cotps, transporté à Marolles, fut in-
humé dans le tombeau de sa famille.
Outre une Réponse k un article sur
b^s accouchements, inséré dans le
Journal des Savants du 26 nov.
1696, on a de Saviard: Nouveau
Recueil d'observations chirurgi-
cales, Paris, 1702, in-8". L'auteur a
consigné dans cet ouvrage beaucoup
de faits intéressants sur les hernies,
ia ligature de l'artère fémorale, le
ramollissement des os, la rupture
du vagin, la fistule salivaire, etc.,
qu'il avait recueillis pendant sa
longue pratique -, mais des occupa-
tions multipliées, le mauvais état de
sasanté l'empêchèrent de coordonner
et de publier ces Observations. Le
chirurgien Jean Devaux (voy. ce
nom, XI, 260) les mit en ordre, en
corrigea la rédaction, et les fit im-
primer quelques mois après la mort
de son confrère. Plus tard, le docteur
Lerouge en donna une nouvelle édi-
tion, avec des commentaires, Paris,
1784, in-12. Z.
SAVIGNAC (Adélaide-Esther-
Charlotte Dabillon de), l'une des
femmes de notre époque qui ont le
plus écrit, bien qu'elle ait commencé
tard sa carrière littéraire, était née à
Paris, le 5 juillet 1790 , et non pas
1796, comme le dit sa notice, par Mi-
ger, dans le tome V et unique de la
Biographie des femmes-auteurs con-
temporaines françaises., la seule où
l'on trouve un article assez long,
mais incomplet, sur cette femme qui
l'a rédigé probablement elle-même.
Fille d'un officier de la marine royale,
qui était catholique, la jeune Savi-
gnac, dont le prénom d'Adélaïde
a été transformé par elle ou par ses
parents en celui cVAlida qu'elle a
toujours portédepuis, fut élevée dans
la religion protestante par sa mère,
qui d'ailkurs lui donna de bons prin-
21/i
SAV
SAV
cipes, une instmclion joliih et le
goûtdesarts,saiisluifaireiu''gligcrles
soins et les travaux du nien;.ge. Elle
avait vingt ans, et non pas quatorze,
lorsqu'elle perdit son père, et bientôt
des revers de fortune obligèrent la
mère et la tille de renoncer aux plai-
sirs du monde et de la société sans
cependant éloigner d'elles quelques
vrais amis. AlidaSavignacnese livra
qu'avec plus d'ardeur et de persévé-
rance à l'élude; elle se plut surtout
à lire, à méditer, à commenter, avec
le secours de sa mère, les ouvrages
des philosophes, des moralistes et
des historiens les plus célèbres, an-
ciens et modernes. Ce fut en 1825, à
l'âge de 35 ans, qu'elle publia sa pre-
mière œuvre : la Comtesse de Melcy,
ou le Mariage de convenance, ro-
man en 4 vol. in-12. Elle l'avait écrit
pendant l'hiver en veillant et soi-
gnant sa mère malade, à qui elle en
lisait les chapitres à mesure qu'ils
étaient terminés. Sur le frontispice
imprimé de ce premier essai, elle
prit le titre de dame qu'elle conserva
depuis, d'après l'avis de sa mère qui
le trouvait plus convenable que celui
de demoiselle à la publicité des pro-
ductions littéraires. Le frontispice
de ce premier essai portait aussi le
nom de M"»^ Armande Roland, déjà
connue dans les lettres, mais qui
désavoua sa coopération à l'ouvrage,
dès qu'il eut obtenu un succès as-
suré. M"*" de Savignac publia succes-
sivement, chez Gide, libraire, plu-
sieurs petits volumes donnés pour
étrennes, le jour de l'an ; 1. Les Pe-
titsprooerbes dramatiques, 1826, in-
32. II. Histoire d'une pièce de cinq
francs,racontée par elle-même, 1827 ,
in-12. m. Manuscrit trouvé dans un
vieuxMne, i828, in-12. IV. Les Va-
cances, 1828, in-12, fig. V. Théâtre
de mes enfants^ t^2S, in-32. VI. Un
demi-siècle, on Hector et Maxime^
1828, in-32. VII. La Prédiction, ou
Les Deux pensionnaires, 1828, in-32.
VIII. Les Soirées de famille, ou Lec-
tures âmes enfants^ 1829, 4 vol. in-
18, lig. Elle publiait en même temps
ch^z Louis Colas : IX. Encourage-
ments à la jeunesse industrieuse,
1828, 2 vol. in-18^ ouvrage adopté
par la commission d'instruction pu-
blique, et qui a figuré parmi les
bons livres donnés en prixà plusieurs
maisons d'éducation. X. Économie
domestique, ou Conseils à une jeune
mariée, 1829» in-18. XI. Mathieu
Benoît, ou l'Obligeance, 1829, in-18.
XII. La Pauvre Cécile, 1829, in-18.
XIII. La Mère courageuse, 1829, in-
18. Ces petits ouvrages placèrent
M'"® de Savignac à côté de Berquin ,
de Jauffret, de M°*" Leprince de
Beaumont, Edgewort, de Genlis, et
autres auteurs de romans, d'histo-
riettes et de dialogues à l'usage des
enfants. Elle a su mêler dans tous
ses écrits des notions sur l'histoire,
la géographie et sur toutes les con-
naissances qui entrent dans la bonne
éducation. SfS utiles travaux lui mé-
ritèrent une part de collaboration au
Bon Génie, journal de la jeunesse,
créé en 1826 par M. de Jussieu.
Deux articles qu'on lui demanda sur
deux romans nouveaux, et qui fu-
rent publiés sous l'anonyme, dans
VUniversel, la firent attacher à la
rédaction de ce journal pour la cri-
tique de la littérature légère, et elle
rédigea presque seule cette partie
du feuilleton, depuis les derniers
jours de 1829 jusqu'à la disparition
de VUniversel, le 28 juillet 1830.
Elle fut chargée du mêmetravail pour
le Courrier de l'Europe-, mais trou-
vant ce journal moins consciencieux,
moinssympathiqueavecsesopinions,
elle n'y inséra qu'un petit nombre
SAV
d'articles. Elle en a fourni près de
cent cinquante au Journal des fem-
mesj gymnase littéraire, dont la du-
rée ne fut que de vingt-sept mois, de-
puis la fin de 1832 jusqu'en 1834, et
dans lequel elle était spécialement
chargée de rendre compte des ou-
vrages nouveaux. Outre ses bulletins
littéraires, elle y donna aussi une
nouvelle, leDuel, copiée par d'autres
journaux. En 1833, elle fournit, au
4® volume du recueil intitulé les
Heures du soir, une nouvelle inté-
ressante : Tout pardonner, ou le
Rôle d'une femme. De 1833 à 1837,
elle donna dans le Journal des De-
moiselles plus de vingt Nouvelles
et un grand nombre d'articles pu-
pliés chaque mois sur la littérature,
les arts et l'industrie. Mais ces di-
verses collaborations n'absorbaient
pas tous les moments d'Alida Savi-
gnac. Elle composait pour la librairie
Gide: XIV. La Métairie^ Paris,
1832, in- 18, fig. XV. Le Keepsake
français^ 1836, in-4o, deux lilhogra-
phi(S. Pour celle de Louis Janet:
XVI. Les Vacances de la Toussaint,
1832-1836, in-32, fig. XVII. Contes
hleus, 1832, 2 vol. in-32. XVllI. Les
Bonnes petites filles, contes, 1833,
1836 et 1840, in-16, fig. XIX. Le
Livre des Demoiselles, morceaux
choisis de littérature, d'histoire et
de voyages, 1835, in-18. XX. Quatre
historiettes : la Relique de Saint'
Jacques, les Jeux du monastère de
Long-Pont, Salvator le Veuf , les
Frondeurs, les Mémoires de Jacques
Dumont, prieur de Long-Pont., 1836-
1837, 4 vol. in-16. Pourla bibliothè-
que d'éducation d'Eymery : XXI. Les
Paraboles de l'Évangile expliquées
par une mère à ses enfants, 1834, in-
18. XXII. Le Singe merveilleux^ ou
l'Éducation de M. Minet et de 51"*
Cocotte, 1834, in-8» obi., fig. XXIIÏ.
SAV
215
Anselme, ou V Enfant discret, 1835,
in-18, fig. XXÎV. Biorama des en-
fants,o\i le Petit ambitieux, 1835,
in-S» obi., fig. XXV. Pauline, ou la
Petite curieuse, 1835, in-18, fig.XXVI
La Jeune maîtresse de maison.^ ou les
Mœurs parisiennes, 1836, in-18,
fig. XXVII. Les Enfants d 'après
nature : les Petits garçons ; les
Petites filles, 1836 et 1840,2vol.
in-32, fig. ^ faisant partie de la
Semaine, ou Six jours de lecture
pour les enfants. XXVIIÏ. La Jeune
propriétaire, ou VÀrt de vivre à la
campagne, 1837,in-12. Cette année
Alida Savignac perdit sa mère, et ce
triste événement interrompit et ra-
lentit ses nombreux travaux litté-
raires. XXIX. La Mère Valentin, ou
Contes et historiettes de la bonne
femme, 1838, in-12. XXX (avec M.
de Saintes). Galerie pittoresque de
la jeunesse, 1838 à 1843, 2 vol. in-
8* obi. avec lithogr., dessins de
V. Adam. XXXI. Album des enfants
obéissants , ou les Plaisirs de la
campagne, 1839, in-18 obi., lithogr.
XXXII. Alphabet des quatre saisons^
ou Une année chez la bonne maman,
1839, in-16, fig. XXXlIl. Petit Al-
bum récréatif, ou les Plaisirs de la
t)?:/ie, 1839, in-16, fig. XXXIV. Zo^,
ou la Bonne petite sœur, 1840, in-18,
fig. XXXV. Le Génie des bonnes
pensées, iSiO,m'S° obi. fig. XXXVI.
Les Douze mois, cadeau d'étrennes,
1840, in-18, fig. Dans tous ses ou-
vrages, M"*^ de Savignac a montré un
beau caractère et d'excellents prin-
cipes. Elle a su varier son style sui-
vant qu'elle a écrit pour les enfants,
les femmes et les lecteurs d'un âge
mûr. Si ses articles littéraires ont pu
froisser la susceptibilité de quelques
amours-propres, ils ne lui ont point
suscité d'ennemis ; car ils sont tout
à fait exempts de partialité et de per-
216
SAV
soniialités ; le blâme y est souvent
mêlé de justes éloges. Si elle se
montra sévère contre quelques ou-
vrages de M. de Balzac, tels que la
Peau de chagrin, dans le Courrier
de l'Europe^ du 21 août 1831, et ie
Médecin de campagne^ dans le Jour-
nal des Dames, du 21 septembre
1833 , elle ne craignit pas de pa-
raître chanter la palinodie, en don-
nant dans ce dernier journal, le 30
octobre 1832, un article très bien-
veillant sur le Comte de Chabert ,
nouvelle historiquedu mêmeau'teur,
qu'elle avait trouvée dans le Sal-
migondis, recueil decontes. Ses idées
sur l'éducation, bonnes à connaître,
sont consignées dans un article in-
titulé V Anarchie en morale^ et pu-
blié en 1832. L'auteur y passe en
revue les diverses éducations plus
ou moins frivoles, inconséquentes
et contradictoires que Ton donne
généralement aux jeunes personnes,
sans chercher à les rendre plus
vertueuses et plus raisonnables, et
elle y prêche constamment l'amour
de Dieu et l'oubli de soi-même. Les
vertus qu'enseignait Alida Savignac,
elle les pratiquait. Naturellement
gaie, spirituelle et un peu railleuse,
elle était bonne, obligeante, géné-
reuse, bienfaisante et constante dans
ses aifections, comme dans ses goûts
et dans ses habitudes ; elle employait
la majeure partie de ses revenus et
du produit de ses travaux littéraires
à secourir des infortunés et souvent
à obliger des ingrats. Elle a logé
chez elle et nourri gratuitement
pendant douze ans une demoiselle
Rousseau. Elle a conservé près de
quarante ans la même femme de ser-
vice, dont le mari a enseveli le père
et la mère de M-^^- de Savignac qu'il
a ensevelieaussi. Depuis 1 84 1 , la santé
altérée d'Alida l'avail forcée de re-
SAV
noncer à ses travaux continuels pour
des entreprises littéraires. En 1845,
elIepubliaàParis: XXXVII. LeSon^e
d'une petite fille, in-32, fig. En 1846,
pendant un voyage qu'elle fit pour
rétablir sa santé , elle s'arrêta à
Limoges, où sans doute son père
était né, et y publia deux ouvrages :
XXXVIII. Le Chemin de fer, suivi
de II ne faut jamais mentir, in -12,
fig. XXXIX. Les Malheurs d'un en-
fant gâté, suivi de Camocns , in-18,
vignettes. Elle fournit aussi quelques
pièces à une édition des Petits contes
d^unemèreàses enfants, pd^rBouWU et
autres auteurs, imprimée à Limoges,
in-12, fig. Après avoir passé quelques
mois à Tours chez des amis, M"" de
Savignac revint à Paris et y fit pa-
raître son dernier ouvrage. XL.
Almanach des demoiselles pour
Vannée 1847 , in-16, avec gravure.
Peu de temps après, à sa gastrite
qui avait fait des progrès se joignit une
attaque de paralysie dont les suites
hâtèrent sa mort arrivée le 15 mars
1847 , dans sa 57« année. Comme sa
modique fortune était considé-
rablement diminuée par la longue
interruption de ses travaux litté-
raires, par ses œuvres de charité,
par ses prêts d'argent sans billets et
sans reçus , et par la réduction de
ses rentes viagères , sa succession a
été refusée par son plus proche pa-
rent, et son modeste mobilier a été
vendu au profit du domaine public.
Miger attribue à M™« de Savignac des
Abrégés de Vhistoire de France, de
['Histoire d'Angleterre et de VHis-
toire sainte , et 4 vol. de Contes et
historiettes; mais ces ouvrages ne
sont mentionnés ni dans le Journal
de la librairie, ni dans la France
littéraire, à moins qu'ils n'y figurent
comme anonymes. Le portrait grave
de M"'« de Savignac fait partie de la
SAV
collection de ceux qui accompagnent
le t. I" de la Biographie des femmes
auteurs contemporaines. A — t.
SAVIN, auteur et traducteur fran-
çais du XVIII® siècle, naquit à Rouen
et professa les humanités à Bordeaux.
On a de lui : I. OEuvres de M. de
Montreille y Londres (Bordeaux),
1764, in-12; Amsterdam et Paris,
1 768, m~9>° .Montreille est un pseudo-
nyme que Savin avait adopté, et sous
lequel il publia quelques autres ou-
vrages. II. Ulle de Robinson Crusoé,
par M. de Montreilie, Paris, 1768 (et
non 1758), in-12; nouv. édit., sous le
titre de Robinson dans son île,
Londres et Paris , 1774 , in - 12.
111. Adélaïde, ou V Amour et le Re-
pentir, anecdote volée par M. D. M.
(de Montreilie), Amsterdam et Paris,
1770, in-8", fig. D'après la remarque
de Barbier {Dict. des anonymes) ^
les principaux événements de ce ro-
man sont empruntés, sans beaucoup
de déguisement, aux Mémoires de
mademoiselle Bontemps, par Gueu-
lette , aux Lettres de Thérèse , par
Britlard de Lagarde ; aux Amusements
des eaux de 5)3a, par Pœllnitz. VS.Mes
soirées, ou \e M anuel amusanf ,^euî-
château et Paris, 1775, 2 vol. in-12.
On a quelijuefois attribué à Savin
l'Élu et son président , ou Histoire
d'Êraste et de Sophie, Amsterdam et
Paris, 1769, 2 vol. in-12, ouvrage
dont, suivant d'autres bibliographes,
Louis Charpentier serait l'auteur.
Savin a traduit du latin: i^ArgeniSy
traduction libre et abrégée de J. Bar-
clay, Paris, 1771, 2 vol. in-12. Elle
est estimée {voy. Barclay (Jean),
111,360). Le roman d'Argenis ren-
ferme, sous des noms supposés, l'his-
toire des règnes de Henri III et de
Henri IV. 2» Les Hommes illustres
de Pline le jeune, Paris, 1776, in-12.
Savin, en attribuant cet ouvrage à
SAV
21T
Pline le jeune, a suivi une opinion
surannée, car depuis long-temps les
philologues le donnent à Aurelius-
Victor {voy. ce nom, III, 78).
P— RT.
s AVOYE - de - Rollin ( Jacques-
Fortunat), ancien tribun, et préfet
sous le gouvernement impérial, était
né à Grenoble le 18 décembre 1754,
d'une famille de magistrature, et fut
destiné, dès l'enfance, à la même
carrière. Après avoir fait de bonnes
études et son droit dans sa ville na-
tale, il fut reçu avocat. Pourvu, en
1780, d'une charge d'avocat-général
au parlement du Dauphiné, il s'allia
bientôt à l'une des familles les plus
opulentes de cette province (celle des
Périer). Dans les agitations des
parlements qui précédèrent la révo-
lution, il se montra fort opposé à la
cour, et acquit par là une si grande
popularité, qu'à la nouvelle du pre-
mier renvoi de Necker, le peuple de
Grenoble s'étant réuni spontanément
dans une église, l'obligea de présider
cette illégale assemblée, et d'y lire
une pétition que les moteurs de cette
première insurrection venaient de
rédiger en faveur du ministre dis-
gracié, laquelle fut immédiatement
envoyée au roi, revêtue d'un grand
nombre de signatures. L'avocat-
général de Rollin (1) ne prit toute-
fois que peu de part aux troubles qui
éclatèrent ensuite dans toute la
France, et plus particulièrement dans
la province du Dauphiné, et il garda
dans les premières années de la révo-
lution un silence prudent, n'échap-
pant à l'échafaud que par les souve-
(i) On trouve ce nom écrit de plusieurs
manières dans les différentes phases de la
révolution. Ce fut d'abord M. de Rollin tout
court; ensuite Savojre de Rollin, puis Sa-
voj-e'RoUin et enfin le 6ar#re Savojrt'RolUn,
218
SAV
nirs de sa première popularité.!! vint
à Paris sons le Directoire, et fut alors
appelé au bureau consultatif des arts
et manufactures. IVlais il ne reparut
sur la scène politique qu'après la
révolution du 18 brumaire, qui mit
le pouvoir aux mains de Bonaparte.
Nommé membre du tribunat,il y
pi'ononça des discours assez remar-
quables par le talent oratoire, mais
dans lesquels il était difticile de dis-
linguersesopinionset le parti auquel
il appartenaiî, si toutefois il apparte-
nait à un parti. L'un de ses discours
les plus importants est celui qu'il
fit contre l'institution de la Lé-
gion-d'Honneur, dont il devait plus
lard être un des principaux digni-
taires avec le titre de baron , après
avoir dit, en 1802, que cette insti-
tution blessait littéralement la con-
stitution, et qu'un État libre ne
comptait qu'un ordre de citoyens.
II fut deux fois secrétaire de l'as-
semblée, et il y parla encore dans
plusieurs occasions, entre autres pour
la clôture de la liste des émigrés,
pour l'établissement des tribunaux
spéciaux, pour le nouveau mode d'é-
lection fondé sur les listes de nota-
bilités, et qui a duré jusqu'à la loi de
1817 ; enfin, dans le mois de mai
1804, il appuya la proposition faite,
par le tribun Curée, d'élever Napo-
léon Bonaparte à l'empire. Cette der-
nière proposition devint, comme on
doit le penser, le marche-pied des
faveurs et de l'élévation du tribun
Savoye-Rollin, qui, presque aussitôt,
fut nommé substitut du procureur-
général près la haute cour impériale,
puis baron, préfet du département
derEure(juilletl805),eîunpeuplus
tard de celui de la Seine-Inférieure,
qu'il administra jusqu'en 1812, où il
fut destitué pour complicité ou né-
gligence dans Tafifaire du receveur de
SAV
l'octroi Branzon (roy. Mabquezi,
LXXIll, 199). Mais ayant été traduit
pour le même fait devant la cour im-
périale de Paris, toutes les chambres
réunies, il fut acquitté solennelle-
ment et de la manière la plus hono-
rable. L'empereur, se faisant un de-
voir d'obéir à l'opinion publique,
nomma immédiatement Savoye-Rol-
lin préfet des Deux-Nèthes, et il
administra ce département jusqu'à
la séparation de la Belgique, en 1814.
Alors il cessa toutes fonctions publi-
ques, et se retira dans ses propriétés
près de Grenoble,oii Napoléon, reve-
nant de l'île d'Elbe, lui fit offrir la
préfecture de l'Isère, puis celle de la
Côte d'Or, qu'il refusa également.
Ce refus lui ayant donné quelque
crédit auprès du gouvernement de la
Restauration, il fut choisi pour prési-
dent du collège électoral de l'Isère en
septembre 181 5, et par là désigné aux
électeurs qui le nommèrent en effet
député. Dès le commencement de la
session , il siégea dans la chambre
au côté gauche avec l'opposition li-
bérale; ce qui dut le faire réélire par
le même collège après l'ordonnance
de dissolution du 5 septembre 1816.
Alors, continuant de siéger au côté
gauche devenu la majorité, il appuya
dans plusieurs discours les préten-
tions du parti libéral, notamment le
30 janvier 1817, où il parla contre
un projet de loi sur la presse, pré-
senté par M. Pasquier, et qu'il signala
comme la source d'interminables pro-
cès. • Je finis, dit-il, par un vœu que
« je crois celui de toute la France :
« liberté de la presse, répression des
«abus, jugement par jurés... » Il
attaqua plus tard avec beaucoup de
véhémence le budget de la guerre,
présenté par le duc de Feltre, qui,
ayant embrassé la causede la monar-
chie, ne proposait que des mesures
SAX
SAX
219
propres à la maintenir, et ne tarda
pas, à cause de cela, à perdre ce porte-
feuille. Cette opposition de Savoye-
Rollin n'empêcha pas le ministère
équivoque de ce temps-là de le nom-
mer encore une fois président du
collège électoralde l'Isère, lorsque ce
département eut à renouveler sa dé-
putation en 1819. Réélu député pour
la troisième fois, ainsi que l'on devait
s'y attendre, il le fut en même temps
et par les mêmes électeurs que le fa-
meux conventionnel Grégoire. Mais il
ne pouvait pas essuyer comme lui l'af-
front d'une exclusion pour cause d'in-
dignité {voy. Grégoire, LXVI,80).
Toutefois, depuis cette époque, il
prit peu de part aux discussions où
son parti ne put conserver la majo-
rité après l'assassinat du duc de
Berri. Il mourut à Paris le 31 juillet
1823, ayant rempli tous ses devoirs
de religion, et fut inhumé en grande
cérémonie au cimetière de l'Est, oii
le général Foy prononça son oraison
funèbre. Outre ses opinions législa-
,tives, on trouve quelque chose de
Savoye-Rollin dans le volume inti-
tulé : Recueil intéressant de plai-
doyers dans la cause d'une femme
protestante (par Jolly, Farconet et
Savoye liis,avec un discours préli-
minaire du dernier), Genève, 1778,
in 8^ M— Dj.
SAXE-WEOIAR (Charles-Au-
guste, grand-duc de), né le 3 sept.
1757, n'avait encore que 8 mois quand
il perdit son père le duc régnant. Sa
mère , Amalie {voy. ce nom, II, 6),
fille du duc de Brunswick, était
elle-même encore mineure , ayant
alors 18 ans. Cependant , déclarée
bientôt après majeure, elle eut la
tutelle de son fils qui lui avait élé
contestée par d'autres princes de
Saxe. Cette femme, distinguée plus
encore par son goût pour les lettres
et les arts que par son rang , donna
pour gouverneur à son fils Charles-
Auguste et au frère cadet de celui-ci
le comtedeGcertz, qui devint dans la
suite ministre en Prusse, et pour
maîtres le célèbre Wieland et Kne-
bel. Plus tard Schmid, chancelier, fut
chargéde les initier dans les affaires
du gouvernement. Frédéric II, roi
de Prusse, qui vit Charles -Au-
guste dans son enfance , et trouva
plaisir à s'entretenir avec lui, augura
favorablement de son avenir. Sous la
conduite de Gœrtz et de Knebel, les
deux jeunes princes visitèrent rapi-
dement, en 1774, la France et la
Suisse. Dans ce voyage , le jeune
duc vit le poète Gœthe , et lui
voua un attachement qui s'est main-
tenu sans aucun trouble pendant un
demi-siècle. L'année suivante, ayant
atteint l'âge de sa majorité, il épousa
la fille du landgrave de Hesse-Darms-
tadt, dont il avait fait la connais-
sance dans son voyage (voy. l'article
suivant), et prit des mains de sa
mère les rênes du gouvernement,
marchant sur ses traces pour les
égards qu'elle témoignait aux gens
de lettres ^ il fit plus, il vécut amica-
lement avec les grands poètes qui
étaient venus se fixer à "Wcimar ; il
nomma Gœthe même son ministre, et
lui abandonna en partie la direction
des affaires dramatiques. Le château
de Weimar, qu'un incendie avait dé-
truit en 1771, fut rebâti par les soins
de ce prince ; une graude école in-
dustrielle fut fondée, un parc et un
jardin de botanique établis, et
l'Université' d'Iéna , dont il s'occupa
avec une grande sollicitude, reçut
un nouveau lustre. Selon la coutume
des petits princes d'Allemagne, il
avait pris du service auprès d'une
des grandes puissances *, dans sa
qualité de général prussien, il fit en
220
SAX
1792 la campagne contre la France,et
en 1806 il commanda un corps d'ar-
uiee destiné à agir contre Napoléon.
Cette dernière campagne faillit lui
devenir fatale ; car, après la dt^faite
des Prussiens à léna, les Français
entrèrent dans son petit État, et le
mirent à contribution. Il aurait été
traité plus sévèrement encore, si la
graudc-duchesse n^avait réussi, par
sa contenance digne et courageuse,
à calmer le vainqueur et à obtenir
pour Charles-Auguste la permission
de revenir à Weimar. Depuis lors, il
lut forcé d'entrer dans la confédéra-
tion rhénane dont, comme on sait,
Napoléon fut le chef sous le titre de
protecteur. Après la désastreuse cam-
pa :^rie de Moscou, quand la confédé-
ration germanique se rompit pour
faire place à la grande alliance des
souverains du Nord contre l'empe-
reur des Français, Charles-Auguste
y entra, et fournit son contingent à
la grande armée. Après la chute de
Napoléon, il assista au congrès de
Vienne et obtint le titre de grand-
duc avec un agrandissement de terri-
toire. Dès l'année 181C, il convoqua
à Wei?nar un choix de propriétaires
de biens équestres, de bourgeois et
de paysans, pour poser, de concert
avec eux, les bases d'une charte
constitutionnelle. Elle fut rédigée
sans difficulté, promulguée le 5 mai
1816, et exécutée sincèrement et
fidèlement. Le reste de son règne
fut paisible, et le prince vécut assez
long-temps pour recueillir les fruils
de tout le bien qu'il avait fait à son
pays. La fête de l'anniversaire de
son mariage demi-séculaire fut célé-
brée dans tout le grand-duché. En
1828, revenant d'un voyage qu'il
avait fait à la cour de Berlin, il fut
frappé d'apoplexie en roule, et
Hiourut à Graditz près de Torgau.
SAX
Il a sa tombe à Weimar, à côté de
celles des poètes Gœthe et Schiller.
De ses deux lils, l'aîné, Charles-Fré-
déric, (jui a épousé la sœur de l'em-
pereur de Russie Nicolas, lui suc-
céda; le second, Charles-Bernard,
entra au service militaire du roi des
Pays-Bas. D— g.
SAXE-WEIMAR (Loufse, gran-
de-duchesse de), naquit le :^Ojanv.
1757, k Prentzlow, dans TUcker-
mark, où se trouvait en garnison son
père, prince de Hesse, général au
service de Prusse, qui parvint dans la
suite, par droit de succession, au
gouvernement du pays de Hesse-
Darmstadt. Louise passa une partie de
sa jeunesse avec sa mère dans la ville
alsacienne deBouxwiller,et fut élevée
par une institutrice française* M"«
Piavenel.Elle rejoignit son père quand
il eut établi sa cour à Darmstadt.
C'est là qu'elle fut aperçue par le
jeune duc de Saxe-Weimar (i?oy. l'art,
précéd.), qui parcourait l'Allemagne
avec son gouverneur. Ce prince, non
moins frappé de ses charmes exté-
rieurs que de son esprit et de son
goût pour les lettres et les arts, la
demanda en mariage et l'épousa en
1775. La grande- duchesse douairière
Amélie venait de lui remettre les
rênes du gouvernement, laissant au
jeune couple l'exemple de l'amour
des lettres, que les deux époux sui-
virent au point de mériter à leur
capitale les noms d'Athènes et de Fer-
rare de l'Allemagne. On sait que les
poètes les plus distingués trouvèrent
à la cour de Weimar non-seulement
un accueil bienveillant, mais qu'ils
furent traités avec une distinction
dont l'aristocratie aurait pu être
jalouse. La princesse Louise eut sur-
tout pour Gœthe et Wieland les at-
tentions les plus aimables, et elle
honora constamment en leurs per-
SAX
sonnes le m(^rite supérieur. Levifin-
térêtqu'elleprenailà l'art dramatique
encouragea Gœthe à se charger de la
direction du théâtre de Weimar, qui
devint un des meilleurs de TAllema-
gne. Ce goût pour les plaisirs de
l'esprit n'empêcha pas la princesse
de donner ses avis à son mari qui la
consultait sur toutes les al'faires im-
portantes de son gouvernement, et
lui accordait une confiance qu'elle
justifia toujours par les meilleurs
conseils. La cour de Weimar était
citée commecelle de toutes les petites
cours d'Allemagne où régnait le
moins de morgue et de raideur, et
où le mérite et le malheur étaient
accueillis. avec le plus de prévenance
et de bonté. Après la bataille d'Iéna
(1806) cette princesse reçut Napoléon
avec beaucoup de présence d'esprit
et de dignité au bas des escaliers
du château de Weimar. Elle seule
fit tête à l'orage ^ son mari, alors
général au service de Prusse, com-
battait dans l'armée prussienne.
Le vainqueur, qui venait de quitter
le champ de bataille, adressa brus-
quement la parole k la grande-du-
chesse: « Qui êtes-vous, madame? »
Une réponse ferme et prudente éta-
blit bientôt la plus parfaite politesse;
Napoléon promit de ménager le
pays, et finit la conversation par ces
mots : « Dites k votre mari de reve-
nir; il peut rester tranquille dans
sa résidence. » L'État de Weimar
dut ainsi k cette princesse de grands
adoucissements aux maux de la
guerre. Napoléon conçut pour elle
une haute considération. Deux ans
après, pendant son séjour à Erfurt, il
vint la revoir dans son palais et lui
exprima l'estime qu'elle avait su
lui inspirer. Néanmoins, lors de la
guerre de la délivrance en 1813,
cette princesse n'hésita pas de con-
SAX
221
seiller à son mari de faire cause
commune avec la nation allemande,
tout entière soulevée contre Na-
poléon ; elle offrit même ses pa-
rures, afin d'aider à pourvoir aux be-
soins du trésor, et ces parures furent
réellement mises en gage, puis dans
la suite dégagées à son insu par le
grand-duc, qui éprouva un plaisir
bien vif à les lui rendre. Après avoir
célébré avec son époux, en 1825, le
jubilé de leur mari<ige qui avait cin-
quante ans de durée, elle eut la
douleur de le perdre en 1828, et de-
puis lors elle vécut retirée dans sa
maison de campagne de Wilhelms-
thal auprès d'Eisenach où file mou-
rut le 14 février 1830, vingt mois
après son époux. M^e de Staël a dit
de cette princesse : « La duchesse
« Louise de Saxe-Weimar est le vé-
« ritable modèle d'une femme des-
« tinée par la nature au rang le plus
« illustre ; sans prétention comme
« sans faiblesse, elle inspire au même
« degré la confiance et le respect ,
" et l'héroïsme des temps chevale-
« resques est entre dans son âme, sans
« lui rien ôter de la douceur de son
« sexe (1). » On révéla après sa
mort beaucoup d'actes de bienfai-
sance qu'elle avait tenus secrets:
elle payait de petites pensions à un
grand nombre de personnes mal-
heureuses; elle donnait des secours
aux jeunes gens pauvres pour faire
leurs études à léna ; elle poussait
l'attention jusqu'à envoyer des bil-
lets de spectacle à des familles qui
n'avaient pas le moyen de se pro-
curer ce plaisir de l'esprit (2). Loin
d'être éblouie par le rang où elle
(t) De l'Allemagne, part. I, chap. xv.
(2) Voj. la notice <le Boettiger dans YAlI-
gtmeine Z*ÙHn^ d'Augsbourg, x83o,Q'*»9o-'
9a.
!i22
SAX
était placée, elle continua toujours
de vivre modestement-, ses vêtements
étaient d'une extrême simplicité, et
elle préférait la vie retirée aux gran-
des réunions. Elle était vénérée,
chérie par tous les habitants du
grand-duché. La ville de Weimar,
qui n'oublia jamais le service qu'elle
avait rendu en 180G dans les jours
désastreux de l'invasion française,
profita de la fêle du jubilé du couple
auguste pour faire frapper en l'hon-
neur de Louise une médaille avec
son portrait à demi voilé, et ces
mots en allemand : Souvenir du 14
octobre 1806 , par Weimar sauvé,
enfermés dans une couronne de
feuilles de chêne qu'entoure un cercle
himineux d'étoiles (3). D— g.
SAXE -GOTHA et Altenhourg
(Émile-Léopold-Auguste, duc de),
né à Gotha le 23 novembre 1772, suc-
céda à son père le duc Ernest II en
1804 , et continua , en suivant
l'exemple de ce prince , au milieu
des guerres et des révolutions qui
alors désolaient l'Europe, à mainte-
nir ses petits États dans la plus
exacte neutralité. Pour cela, il
s'abstint constamment de prendre
du service dans les armées de la
Prusse ou de l'Autriche, comme le
faisaient la plupart des princes alle-
mands. Ayant contracté dès sa plus
tendre jeunesse le goût de l'étude et
des lettres, il s'y livra constamment,
et composa beaucoup d'écrits remar-
quables par un style pur et facile,
entre autres des romans dans la
forme épistolaire , que l'on dit d'un
très -haut intérêt, mais dont la
plus grande partie est restée manu-
scrite et ne verra probablement ja-
(3) Cette médaille avait été gravée soui
la direction de Gœthe, par Bore, à Ge-
SAY
mais le jour. Il était dans Tusage de
faire écrire sous sa dictée, et l'on
assure que pendant plusieurs heu res
sans interruption son style se sou-
tenait toujours pur et correct, sans
qu'il fût jamais obligé d'avoir re-
cours à des ratures ou à des correc-
tions. Ce prince vécut ainsi paisi-
blement jusqu'au 17 mai 1822 où il
mourut à l'âge de cinquante ans ,
sans postérité , quoiqu'il eût été
marié deux fois. Son frère lui suc-
céda. Si celui-là ne laisse pas d'hé-
ritiers, le territoire de Saxe-Gotha
sera divisé entre les ducs de Saxe-'
Meningen Hildburghausen et Co-
bourg-Saalfeid, seuls descendants
d'Ernest-l(3-Pieux , qui mourut en
1675 et fut chef commun de ces qua-
tre branches de la maison de Saxe.
Le prince Léopold-Auguste est au-
teur d'un livre intitulé : Kyllenion.
Ce sont douze idylles écrites dans le
goût de la poésie pastorale et dont
chacune porte pour suscription le
nom d'un mois grec. D'autres petites
pièces de poésie sont insérées dans le
même volume. Plusieurs ont été mi-
ses en musique parle duc lui-même,
et ses admirateurs trouvent dans son
style la même mélodie que dans ses
compositions musicales. Ce prince
légua , en mourant , ses tableaux , sa
bibliothèque et ses collections d'ob-
jets d'art aux établissements publics
du duché, qui sont nombreux et
très-bien pourvus. B — h— D.
SAXE, Voy- Adolphe {Jean), duc
de Saxe,I, 235, et Frédéric-Au-
guste, roi de Saxe, LXIV, 473.
SAY (Edouard), capitaine an-
glais,vivait dans la seconde moitié du
XVir siècle et n'est connu que par
la relation d'Ovington, Ce voyagenr
nous apprend que Say, après un
naufrage à l'île Macike et un long
séjour à Mascate, s'embarqua pour
SAY
SAY
223
lire de Bombay. Il était accompagné
de dix-huit ou vingt vaisseaux qui
allaient à Surate et dans d'autres
lieux de la dépendance du Grand-
Mogol. Soit qu'ils ne dussentpas faire
toute la route ensemble , soit que le
vent l'eût séparé des autres bâti-
ments, il se trouvait malheureuse-
ment seul lorsqu'il découvrit de loin
deux vaisseaux qui venaient à lui et
qui lui parurent être des corsaires.
Il fit ce qu'il put pour les éviter, jeta
même quelques marchandises à la
mer pour rendre son navire plus
léger. C'étaient, en eifet,des pirates
sanganians, qui habitent sur la côte
d'Afrique, vers l'entrée de la mer
Bouge. Ils ne le quittèrent point et
lui donnèrent la chasse jusqu'à qua-
tre heures après-midi. Alors les bâti-
ments étant proches, on en vint à
l'abordage. Soixanle-dix ou quatre-
vingts de ces brigands sautèrent sur
le vaisseau anglais et tuèrent ceux
qui leur firent résistance ; Say lui-
même reçut un grand coup qui le
blessa grièvement à la main. Ce-
lui qui l'avait frappé allait redou-
bler, lorsqu'il aperçut des boutons
d'or sur l'habit du capitaine. Cette
circonstance lui attira quelque con-
sidération, et on lui laissa la vie en
faveur de ses boutons qu'il aban-
donna aussitôt, ainsi que ses habits.
Il fut dépouillé entièrement; cepen-
dant on s'occupa de sa plaie, on la
pansci^ elle guérit. Dans l'espérance
qu'après l'avoir volé les corsaires
lui rendraient au moins son navire,
Say avait caché 1500 sequins dans
un canon , pour les soustraire à
leurs recherches. Mais, en arrivant
dans leur pays , ils voulurent faire
parade de leur prise et tirèrent toute
l'artillerie , en sorte que le reste de
la fortune du capilaiue anglais fut
dissipé par ce dernier événement.
La reine, ayant appris l'arrivée de
ses gens, ordonna que le capitaine
anglais lui fut amené. Et comme elle
avait , sans doute , un intérêt consi-
dérable dans les prises, elle voulut
savoir le compte rie l'argent et qui
s'en était emparé. Peu satisfaite du
rapport des corsaires , elle exigea
que le capitaine anglais le lui dît : il
ne le savait pas plus qu'elle. Cepen-
dant il fut conduit vers cette prin-
cesse, pendant l'espace de quelques
lieues , sans chapeau et sans souliers,
peine cruelle sous un ciel si brûlant.
Il s'excusa de ne pouvoir satisfaire
sa curiosité sur la prise de son ar-
gent. Pour l'en punir elle commanda
de ne lui donner pour toute boisson
que de l'eau salée. Comme elle s'i-
maginait qu'il y avait opiniâtreté de
la part de son prisonnier, elle tenta un
moyen plus doux que le châtiment
et qui lui paraissait plus sûr. Persua-
dée que tout Européen devait avoir
pour les images un respect égal à
celui que montraient les Portugais,
et n'ayant, comme on peut lecroire,
nulle idée de la réforme anglicane,
elle fit apporter quelques images de
la sainte Vierge et d'autres saints,
et ordonna à Say de jurer par ces
objets de son culte qu'il ne savait
pas en effet lequel des pirates avait
pris l'argent de son vaisseau. Il
fit le serment qu'elle exigeait , et
cette fois il fut cru sur parole. Peu
de jours après on le remit en liberté.
Un vaisseau arabe le conduisit à
Mascate , d'où il passa aux Indes.
C'est là qu'il vit Ovington auquel il
raconta sa catastrophe et donna sur
Aden, Mascate, les côtes de la mer
Rouge et du golfe Pcrsique , des
renseignements curieux que celui-ci
a consignés dans la relation de son
voyage {voy. Ovington, LXXVI,
163). M— LE.
324
SAY
SAY (Jeak-Baptiste), ëcoiiomiste
célèbre. Les grands événements qui
ont agité la fin du dernier siècle et
le commencement du nôtre ont prin-
cipalement frappé l'attention du
monde sous le point de vue politique.
Aussi la plupart des esprits se sont- .
ils préoccupés des changements sur-
venus dans la forme des gouverne-
ments plutôt que des révolutions
accomplies dans la condition écono-
mique et sociale des peuples. Le
premier qui posa les bases de l'éco-
nomie politique, en expliquant les
phénomènes de la richesse, c'est-à-
dire de la puissance des nations,
Adam Smith, venait de mourir au
moment même où commençaient en
France les grandes expériences so-
ciales qui devaient bouleverser le
monde. L'immortel ouvrage du phi-
losophe écossais apparaissait tout à
la fois comme l'inventaire du passé
et le programme de l'avenir. L'auteur
y proclamait la souveraineté du tra-
vail ; il ea donnait la théorie la plus
ingénieuse ; il en étudiait les procé-
dés jusque dans les détails les plus
minutieux. Ces magnifiques analyses
produisirent l'effet d'une révélation;
et, quoique la constitution politique
des divers peuples ne permît pas
d'en espérer le salut des classes labo-
rieuses, on vit partout se relever les
autels avilis du travail, et la valeur
de l'homme s'accroître, en attendant
que le grand mouvement de 1789 lui
rendît sa dignité. Ainsi Adam Smith et
J.-B. Say apparaissent aux contins de
deux mondes qui n'auront bientôt plus
rien de commun, pas une institution,
pas même un souvenir! Au régime
des corporations va succéder celui
de la liberté; au travail des petits
ateliers la puissance des moteurs
mécaniques. La machine à vapeur et
la machine à filer recèlent dans leurs
SAY
flancs une foule de produits matériels
et de questions sociales inconnues à
nos pères. On ne saura pas tout de
suite par combien de soucis ces for-
midables appareils nous feront ex-
pier leur pouvoir. A la fin du XVIII*
siècle, il ne se consommait pas en
Europe une seule pièce de coton qui
ne vînt de l'Inde ; et vingt-cinq ans
après, l'Angleterre en envoyait au
pays môme d'où elle avait tiré jus-
que-là tous les produits semblables.
Il avait suffi de deux petits cylindres
tournant en sens inverse pour chan-
ger de fond en comble les rapports
de l'Europe avec l'Asie. Telle était
la tendance économique du monde
lorsque J.-B. Say recueillit la succes-
sion de son illustre devancier. Notre
grand économiste naquit à Lyon, le
5 janvier 1767, d'une famille de ré-
fugiés protestants. Il était l'aîné de
trois garçons. Son père, négociant
honorable, lui fit donner une éduca-
tion solide, et l'envoya en Angleterre
pour y apprendre la langue anglaise
et la connaissance des affaires com-
merciales. Ce fut alors qu'une cir-
constance, en apparence futile, pro-
duisit sur son esprit une impression
profonde, et détermina peut-être son
goût pour l'étude de l'économie poli-
tique. A l'époque où il était en pen-
sion,dans un village près de Londres,
l'impôt des portes et fenêtres, très-
sévère, comme on sait, en Angleterre,
venait d'être voté. Le jeune Say oc-
cupait une petite chambre éclairée
par deux fenêtres : son maître trouva
tout simple d'en faire condamner
une pour échapper à la taxe. « ÎMe
voilà donc privé d'une fenêtre sans
que le trésor en soit plus riche, se
dit tout bas le jeune économiste ; à
quoi servira donc cet impôt? » Et,
trente ans plus tard, il publia, dans
son Cours complet d'économie poli-
SAY
tique^ lejchapitre curieux des impôts
qui ne rapportent rien au fiic. En
revenant d'Angleterre, J.-B. Say fut
placé en qualité de commis dans une
maison de banque. 11 attribuait lui-
même aux habitudes d'ordre qu'il
avait contractées dans cet austère
noviciat la rectitude de jugement et
les tendances positives de son esprit.
Il n'estimait l'aisance qu'il eut tou-
jours et la fortune qu'il n'eut jamais,
qu'en raison de l'indépendance qu'el-
les peuvent assurer à l'esprit et quel-
quefois au caractère. « On voit, écri-
vait-il vers la fin de sa vie, beaucoup
de personnes qui ont trop de respect
pour l'argent, et cela dégoûte. On en
voit aussi qui en ont trop peu, et elles
tombent dans la misère. Que n'a-t-
on pour l'argent tout le respect qu'il
mérite, et rien de plus? > J.-B. Say
entra bientôt dans- les bureaux d'une
compagnie d'assurances dirigée par
Clavière, qui fut depuis ministre des
finances. Clavière lui ayant prêté
un exemplaire de V Essai sur la ri-
chesse des nations, le jeune commis,
saisi d'admiration pour le génie
d'Adam Smith, se hâta d'acheter l'ou-
vrage, et ne s'en sépara plus. I! était
alors âgé de vingt- quatre ans, et son
premier début littéraire fut une bro-
chure sur la liberté de la presse
(1789, in-8o). Elle n'était pas très-
bonne, et quoiqu'il eût pu s'en con-
soler beaucoup plus tard en lisant
celles de notre temps, il ne se par-
donna jamais l'enflure et le mau-
vais goût qui déparaient ce premier
essai. Mirabeau l'employa quelque
temps après à la rédaction du Cour-
rier de Provence, ce qui le lia d'ami-
tié avec les principaux écrivains de
l'époque, et lorsqu'en 1792 l'inva-
sion de la Champagne appela la
France aux combats, ils partirent
presque tous, organisés en compa-
ULXXI.
SAY
225
gnie des arts. A peine arrivé de l'ar-
mée, J.-B. Say épousa, le 25 mai
1793, mademoiselle Deloches, fille
d'un ancien avocat aux conseils, et
cette union si bien assortie, qui de-
vait durer près de quarante ans, fixa
définitivement le jeune écrivain à
Paris. Les catastrophes financières
de l'époque avaient détruit la fortune
de son père et ne lui permettaient
guère de tenter la sienne dans le
commerce. Il se voua dès lors sans
réserve au culte des sciences et des
lettres ,non moins profané un momen t
que tous les autres cultes. Il fonda
en 1794, avec Chamfort, Ginguené,
Amaury Duval et Andrieux, le pre-
mier recueil littéraire sorti des orages
de notre révolution, la Décade philo-
sophique (1). Ce fut comme la résur-
rection du goût et des principes en
littérature, en morale et en politique.
J.-B. Say conserva pendant six années
la rédaction en chef de ce recueil,
dontlacollectionjusqu'en 1807 forme
cinquante-quatre volumes. Il y avait
fait un excellent apprentissage des
grandes questions dont la France
poursuivait la solution au milieu des
tempêtes, lorsqu'il fut nommé, en
décembre 1799, membre du tribunal,
sous le consulat de Bonaparte. C'était
précisément à ce moment qu'allait
finir le règne des tribuns. J.-B. Say,
sincèrement dévoué aux intérêts df
la liberté, ne larda point à s'en aper-
cevoir. Il s'occupait de travaux finan-
ciers et de réformes économiques
sans perdre aucune occasion de pro-
tester contre les empiétements du
nouveau César, et fut bientôt après
éliminé du tribunat. Le premier
consul, qui avait deviné la portée de
son esprit, essaya de le séduire, mais
(i) À cette épqoe J.>B. Say changea son
prfDOjn en celui d'jukus. ^
15
)S2G
SAY
SA Y
ne pût vôilicre sa rt^pugnancfi natu-
i*elle pour les itnpflts de consomma-
tion. J.-b. Say se démit des fonctions
lucratives de receveur des droits-
réunis du département de l'Allier,
auxquelles il avait été nommé. Il
lui fallut chercher dans l'industrie
l'indépendance que lui refusaient les
emplois publics, et il organisa une
filature de coton. On le vit dans les
galeries du conservatoire des arts et
m^iers, qu'un jour il devait illustrer
par son enseignement, étudier com-
me un simple ouvrier les procédés de
la fabrication, monter et démonter
les métiers, assisté de son fils qui lui
servait de rattacheur. La ténacité de
son caractère ne fut rebutée par au-
cun obstacle. Il s'établit dans le dé-
partement de l'Oise , puis sur une
plus vaste échelle dans celui du Pas-
de-CalaiSj tour a tour ingénieur, ar-
chitecte, mécanicien, potier déterre ;
et dans ce rude exercice de toutes les
professions, il apprit à connaître et à
analyser les procédés des arts. C'est
ainsi qu'il a pu apprécier les incon-
vénients relatifs au choix des empla-
cements pour les manufactures, à
l'insuffisance des débouchés , au
mauvais état des roules et des ca-
naux, et donner aux entrepreneurs
d'industrie les leçons de sa propre
expérience. En l'an V (1797), la
classe des sciences morales et politi-
ques de l'Institut de France avait mis
au concours la question suivante :
« Quels sont les moyens de fonder la
morale chez un peuple? » puis celle-
ci : « Quelles sont les institutions
les plus favorables pour atteindre
un tel but?» et comme il est arrivé
quelquefois de nos jours en pareille
occurrence, l'Institut avait dû garder
son prix, parce que la question n'é-
tait pas de celles qu'on pût résoudre
dans un Mémoire académique. J.-B.
Say coiieourut sans suedès en en-
voyant une nouvelle sentimentale,
intitulée : Olbie. Olbie est une suc-
cursale de Salente dont l'Idoménée
est un peu pâle, quoique plein de
bonnes intentions. Il propose aux
Olbiens pour livre de morale un
Traité d'économie politique ^ que
J.-B. Say se chargera de leur fournir
en 1803. C'est en effet à cette épo-
que qu'a paru la première édition du
grand ouvrage de ce célèbre écono-
miste, et ce livre aurait produit une
plus grande sensation , si la France,
distraite de l'étude par la gloire,
n'eût réservé alors toute son admi-
ration pour un seul homme. Le
Traité d'économie politique, même
avant les perfectionnements que cet
ouvrage a reçus dans cinq éditions
successives, était déjàune œuvre ori-
ginale et considérable. Quelque opi-
nion qu'on eût des doctrines de l'au-
teur, son livre était principalement
remarquable par la méthode, la clar-
té et l'esprit d'observation. Adam
Smith avait découvert sans doute les
vérités fondamentales de la science,
à peine entrevues par les physiocra-
tes du dix-huitième siècle ; il les avait
démontrées d'une manière admira-
ble*, mais son livre immortel avait
besoin d'être mis à la portée de tou-
tes les intelligences et au service de
toutes les nations. Quelques démon-
strations essentielles y manquaient ;
des faits très-importants n'étaient
pas à leur place. J.-B. Say a remis
tout en ordre, créé la nomenclature,
rectifié les définitions, et donné à la
science une base solide en même
temps que des limites régulièt-es.
L'économie politique n'est à sesyeùx
que l'exposé des lois qui régissent la
production, la distribution et la coh-
sommation des richesses. Les lichei-
Sffs se produisent au moyen "Aestiéi
say
grandes bratîches qui i-ésumênt tous
les travaux matériels ; l'agriculture,
l'industrie et le commerce. Les capi-
taux et les fonds de terre sont les
principaux instruments de la pro-
duction. Le travail de l'homme, com-
biné avec celui de la nature et des
machines, donne la vie à tout cet
ensemble de ressources qui com-
posent le fonds commun des socié-
tés. Mais ce qui assure une renommée
durable à J.-B. Say, ce sont les dé-
monstrations neuves et irrésistibles
dont il a appuyé sa théorie des dé-
houchés. Cette théorie, fondée sur
l'observation scrupuleuse des faits,
a prouVé que les nations ne payaient
les produits qu'avec des produits, et
que toute loi qui leur défend d'ache-
ter les empêche de vendre. Tous les
peuples sont donc solidaires dans la
bonne comme dans la mauvaise for-
tune ; les guerres sont des foliés qui
ruinent même le vainqueur, et déjà
l'on peut juger, par la sollicitude des
gouvernements à cet égard, que les
principes de J.-B. Say ont pénétré
dans les conseils des rois. Il a dé-
montré comme une vérité mathéma-
tique et pratique ce qui ne paraissait
qu'une utopie philosophique; il a
convié toutes les nations aux dou-
ceurs de la paix par l'attrait de leur
intérêt personnel. On peut juger si
cette publication dut paraître intem-
pestive à l'époque des guerres achar-
nées qui désolaient toute l'Europe.
J.-B. Say prêchait la liberté du com-
ifterce en présence du blocus conti-
nental, l'allégement des ta'Xes en re-
gard de l'exagération croissante des
droits- réunis, l'économie des capi-
taux au centre du plus effroyable
gaspillage dont le monde ait été té-
moin. Combien tous ces événements
donnaient raison à ses doctrines! et
combien il devait gémir de voir la
SAY
227
banqueroute devenue deux fois, en
moins de dix ans , une arme de
guerre et comme un moyen de gou-
vernement! Pour comble d'amertu-
me, les événements qui offensaient
si profondément ses opinions éco-
nomiques ne menaçaient pas moins
sa position manufacturière; l'ex-
cès des droits sur les matières pre-
inières , les prohibitions , les con-
fiscations rendaient son industrie
périlleuse , et il la céda tout en-
tière à un associé, pour revenir à
Paris vers la fin de 1812. Le souvenir
de ce temps douloureux ne s'efFaçâ
jamais entièrement de sa mémoire,
et lui dicta plus tard quelques pa-
roles passionnées, les seules qui dé-
parent la sévère impartialité de ses
écrits. Il ne voulut jamais voir dans
l'empereur qu'un grand dissipateur
de capitaux, qu'un inflexible con-
sommateur d'hommes. Vers la fin de
sa vie, l'âge même n'avait pas apaisé
ce farouche ressentiment. Aussi lé
vit-on applaudir à la chute de l'em-
pire, sans être attaché à la Restaura-
tion , qui ne tarda point à tromper
ses espérances. Il profita néanmoins
des libertés de 181 4 pour donner une
seconde édition de son Traité, tthÈ-
supérieure à la première et bien
mieux accueillie. La paix ouvrait
alors une carrière nouvelle à l'écorto-
mie politique. Les mers, long-temps
fermées , étaient redevenues libres;
l'Angleterre , écrasée sous le poids
de sa dette el réduite au régime du
papier -monnaie , allait bientôt re-
prendre les paiements en espèces;
les ci'ises manufacturières né de^
valent pas tarder à éclater Sou'sl'eiïï-
pire de la concurrence illimitée. Oh
n'avait vu à l'œuvre qu'nne seule
partie des théories économiques
d''Adam SiMth et dé J.-B. Say. La
rareté des capitaux, détournés par la
15.
S28
SAY
guerre , n'avaitf pas encore permis
aux entrepreneurs des luttes sembla-
bles à celles de nos jours; la rareté
des bras laissait encore aux classes
ouvrières quelques chances favora-
bles pour débattre le prix des salai-
res. L'Europe ne connaissait que les
difficultés économiques de la guerre;
il lui manquait l'expérience des em-
barras de la paix , plus graves peut-
être et d'une solution plus compli-
quée. Toutefois ces embarras ne se
manifestèrent pas dans les premières
années de repos , dont J.-B. Say pro-
fila pour retourner en Angleterre
avec la mission de constater la situa-
tion industrielle de ce pays. 11 y fut
accueilli avec beaucoup de distinc-
tion par les plus grands économistes
de l'époque, Ricardo, Malthus et
Jeremy Bentham. On le fit même as-
seoir, à Glasgow , dans la chaire
d'Adam Smith, honneur insigne,
dont il se montra profondément tou-
ché. La brochure qu'il publia à son
retour, sous le titre De l'Angleterre
et des Anglais , témoignait vivement
de son antipathie pour les profusions
des gouvernements, et contenait plu-
sieurs avertissements d'une nature
vraiment prophétique. Cet écrit fut
suivi du Catéchisme d'économie poli-
tique, ouvrage élémentaire excellent,
où l'auteur a réuni dans un petit
nombre de pages, et sous la forme fa-
milière du dialogue, les principes
fondamentaux de la science. A ce
moment d'arrêt dans sa vie, J.-B.
Say voulut se recueillir en lui-même
et jeter un regard philosophique sur
les choses de ce monde. Il fit impri-
mer sous le titre de Petit Volume un
recueil de pensées écrites à la ma-
nière de Franklin et empreintes d'une
finesse naïve, où domine toujours la
verve caustique de son esprit. Ce
petit livre le peint mieux que ses
SAY
autres œuvres, tel qu'il était dans sâ
vie privée, sceptique, railleur, en-
nemi de tout préjugé, sévère pour
lui-même autant que pour autrui,
indépendant, laborieux, économe. H
aimait la critique et il en profitait
quand elle était fondée. ■ Il y a un
point, disait-il, sur lequel il fant se
résigner quand on écrit : c'est d'être
lu légèrement et d'être jugé du haut
en bas. » La verve de son esprit ai-
mait surtout à s'exercer aux dépens
des hommes sans convictions, dont
le nombre est toujours grand aux
époques de troubleetde changements
politiques.Voicicommentilen parle:
« Un homme sans principes se ren-
contre avec un homme qui a des
principes. Ils causent ensemble ; ils se
méprisent tous les deux. Quel est
celui qui a le plus de mépris pour
l'autre? Vous croyez que c'est celui
qui a des principes ? Vous vous trom-
pez ; c'est celui qui n'en pas. » Ces
courtes citations du Petit Volume de
J.-B. Say suffiront pour donner une
idée de la nature originale de son es-
prit. On conçoit combien elle eut à
s'exercer durant la réaction écono-
mique qui signala les premières an-
nées de la Restauration. Elle avait
promis, dans un accès d'enthou-
siasme, la suppression des droits-
réunis, que la nécessité força pour-
tant de conserver sous le nom de con-
tributions indirectes ; on nomma à ce
sujet une commission dont J.-B. Say
fut membre, mais il refusa de pren-
dre part à des travaux désormais inu-
tiles , et revint à ses études favorites.
Il fit paraître presque en même temps
la 3^ édition de son Traité , et deux
écrits intéressants sur la Navigation
intérieure de la France. Le succès
croissant de ses doctrines appelait
chaque jour davantage l'attention du
public sur sa personne. On le lisait
SAY
avec ardeur, on de'sira l'entendre ^ il
donna ses premières leçons à l'Athé-
ne'e royal de Paris, pendant deux
hivers, avec un grand succès, et
presque aussitôt la 4« édition du
Traité, déjà traduit dans plusieurs
langues, et considéré dans toute
l'Europe comme un livre classi-
que. L'économie politique se popu-
larisait de plus en plus sous son
influence 5 les princes mêmes n'en
dédaignaient pas l'étude, et J.-B. Say
en compta plusieurs parmi ses élèves.
Cependant, à mesure qu'il s'efforçait
de maintenir la science dans de justes
limites par la précision rigoureuse du
langage et la justesse de ses déduc-
tions, des athlètes célèbres le for-
çaient de descendre dans l'arène, et
engageaient avec lui une lutte éner-
gique. Ses trois plus dignes adver-
saires furent Malthus, Ricardo et
Sismondi. Le premier veitait de
publier son Essai sur le principe
de la population^ et une théoriei^ha-
sardée de quelques-uns des phéno-
mènes les plus intéressants de la
production. J.-B. Say lui adressa
cinq lettres remarquables, qui ont
été imprimées dans la collection de
ses œuvres posthumes, et qui mé-
ritent d'être lues avec attention,
quoiqu'elles traitent de quelques
points de controverse plutôt que
des vrais intérêts de la science. C'est
au terrible livre de Malthus-, sur
la population, que J.-B. Say au-
rait dû s'attaquer j mais il en adopta
pleinement toutes les conclusions,
si durement commentées et dé-
veloppées par Ricardo , dans son
ouvrage sur le Principe de Vimpôt.
Nous ne parlerons point de leurs
débats dogmatiques sur la théorie du
fermage, ni des protestations élo-
quentes de Sismondi sur les abus de
la concurrence et des instruments
SAY
229
du crédit. Ces grandes luttes se sont
reproduites bien plus formidables de
nos jours. Au moment où elles s'en-
gageaient d'une manière si digne et si
grave entre les fondateurs de l'éco-
nomie politique, nul n'aurait osé
supposer qu'elles descendraient un
jour sur la place publique, et que le
fléau du paupérisme, signalé par
Malthus, s'étendrait comme un vaste
réseau sur toute l'Angleterre. Ces
illustres penseurs avaient le senti-
ment profond du mal qui affligeait
la sociétéindustrielle , mais ils étaient
loin d'en prévoir toutes les consé-
quences. La liberté leur semblait as-
sez forte et assez ingénieuse pour se
suffire ; ils ne lui demandaient que de
la retenue ; et de la tempérance en
toute chose. Malthus condamnait au
célibat les deux tiers de l'espèce hu-
maine 5 il grondait les enfants qui
s'avisaient de naître sans revenus,
et leur annonçait la famine d'une
voix paternelle, tandis que Sismondi
demandait grâce pour eux aux ma-
chines, et pour leurs pères aux ban-
quiers. Ricardo supputait froidement
le contingent nécessaire de victimes
à immoler sur les autels de la con-
currence, comme un général calcule
laperted'hommesindispensablepour
enlever une redoute. Tel était le ca-
ractère des débats établis au foyer
même de la science économique ,
lorsque J.-B. Say fut appelé à la
professer au conservatoire des arts
et métiers, à la suite d'un travail
remarquable présenté à M. le baron
Thénard, sur l'utilité de l'enseigne-
ment industriel. Il en avait très-bien
signalé l'importance au milieu du
développement désordonné de toutes
les industries ; aussi mit-il tous ses
soins à lui donner un caractère d'ap-
plication immédiate. Sa vieille expé-
rience de manufacturier lui fut d'un
230
SAY
grand secours dans ceffe lùclie diffi-
cile, où il aurait obtenu les plus bril-
lants succès, si ses leçons orales
avaient été improvisées. Malgré la
promptitude naturelle de son esprit
et la sûreté de sa mémoire, J.-B. Say
ne put jamais se décider à cette
épreuve périlleuse, et il prit le parti
de lire toutes ses leçons. Il craignait
les longueurs et les redites j il aimait
mieux éclairer que séduire; il préfé-
rait la qualité des auditeurs à la quan-
tité. Le nombre des siens avait tou-
jours été borné: il conçut Theureuse
idée de l'agrandir, en publiant ses
leçons du conservatoire, sous le titre
de Cours complet d'économie poli-
tique pratique, ouvrage consiûéràhle,
que les industriels préféreront tou-
jours à son Traité, quoiqu'il n'en ait
pas la belle ordonpance, la précision
et la méthode. J.-B. Say a réuni dans
cette vaste encyclopédie économique
Jes faits destinés à justifier ses théo-
ries et à les éclairer. On sent qu'il
éprouvait déjà le contre-coup de la
réactipn qui s'opérait dans le monde
contre les doctrines anglaises. Il en
avait lui-même attaqué quelques-unes,
mais iladoptait pleinement toutes les
autres. A l'heure où il vivait, et en
France surtout, l'abus des travail-
leurs dans les manufactures n'avait
pas encore légitimé le cri d'alarme
poussé par Sismondi, et motivé les
lois que nous venons de promulguer.
Lç Cours complet d''économie poli-
tique obtint un grand et beau succès,
môme après la publication de la
cinquième édition du Traité^ qui
restera toujours, selon nous, le pre-
mier titre de J.-B. Say à l'estime de
§es contemporains. On n'y trouve
aucune trace des systèmes hardis qui
^commencèrent à se faire jour et à
eççal^der la science après la révolu-
tion de 1330. Ce vain bruit d'ptopies
SAY
expirait à sa porte. II n'entamait de
discussion qu'avec des adversaires
sérieux, et ne se laissait point étour-
dir par le fracas des rues. Il travail-
lait à l'amélioration des classes
pauvres, sans rechercher leur faveur
ni craindre leur blâme. Il disait des
vérités austères aux peuples et aux
rois, avec l'impartialité dédaigneuse
d'un philosophe uniquement occupé
des intérêts de la science et de l'hu-
manité. Toutç la presse française se
pénétrait de ses doctrines, sans en
connaître l'auteur, qui vivait à l'écart,
entouré de sa famille et d'un petit
cercle d'amis dévoués. C'est là qu'il
recevait, une fois par semaine, les
hommes les plus distingués de son
temps et les savants étrangers, dont
aucun ne manquait de venir lui ren-
dre hommage. La haute supériorité
de son esprit se révélait dans ces
conversations intimes, qu'il savait
animer par des saillies originales et
une richesse de connaissances inépui-
sable. Il aimait à railler les hommes
du pouvoir, et il ne laissait passer
aucune occasion de stigmatiser les
mauvais livres et les mauvaises me-
sures en économie politique. Les lois
de douanes restrictives dont nous
souflVons tant aujourd'hui, et qui ont
chargé de droits si funestes les fers,
les laines, les bestiaux, n'ont pas eu
d'adversaire plus prononcé. Nul n'a
travaillé avec plus de persévérance à
fiépopulariser la guerre, les entraves,
les prohibitions i à faire apprécier
l'importance des travaux publics, des
routes, descanaux. Jamais, d'ailleurs,
à aucune autre époque de l'histoire,
la science n'avait eu l'occasion de
faire de plus magnifiques expériences.
La splendeur des événements poli-
tiques pâlit devant la gravité des
questions économiques et sociales,
résolues om posées dan^ les cinquante
anwéç^ qui viennent d^ ^'écouler,
A peine J,-R, S^y avait-il annoncé la
dernière heur^ du système colonial,
que nous perdions Saint-Domingue,
et les Espagnols rAmérique tout en-
tière. L'Angleterre elle-même était
forcée de capituler sur celte grave
question en modifiant, au profit delà
liberté commerciale, le monopole su-
r^pné de la compagnie des Indes. La
faillite des banques provinciales de la
Grande-Bretagne et de celles des
États-Unis témoignaientde la justesse
de ses vues en matière de crédit;
l'association des douanes allemandes
devenait la première protestation of-
fieielle des gouvernements contre le
système prohibitif. Une simple que-
relle de tarif a manqué jeter la dis-
corde au sein de l'Union américaine,
et toutes les tempêtes amoncelées sur
nos têtes ne commencent à se dissi-
per qu'en présence du souverain
maître des peuples et des rois, l'in-
térêt général de l'humc^nité. Ce sera
l'éternel honneur de J.-B. Say d'avoir
soutenu, démontré, proclamé l'ex-
celleacede ces principes, et leur do-
mination irrévocable sur la politique
du monde. Heureux s'il avait réussi
à résoudre aussi complètement les
problèmes redoutables du paupérisme
et de la concurrence! Il a laissé cette
pénible tâche à ses successeurs ; mais
la sienne a été assez belle et assez
bien remplie pour suffire à sa gloire.
On l'a vu détourner les yeux du triste
spectacle de la misère des classes
ouvrières en Angleterre ; il ne Ta
jamais connue dans sa hideuse pro-
fondeur. Il n'avait gardé souvenir
que des merveilles de l'industrie,
sans entendre le cri des souffrances
qu'elle traîne k sa suite dans l'état
présent de soq organisation. Il ad-
mirait la puissance des grands capi-
taux sans redouter leur despotisme.
SAY
231
Son cœur compatissait vivement aux
maux de ses semblables, mais il lui
était resté quelque chose du fatalisme
de Malthus' et de l'école économique
anglaise. Quand il vit s'élever, après
le mouvement de 1830, les bannières
inconnues et menaçantes des écoles
nouvelles,il parut éprouverunesortc
de surprise ; il ne voulut jamais aller
à la rencontre de cet horizon nébu-
leux derrière lequel on prétendait
traiter les grandes questions de l'a-
venir. Il refusa de se commettre avec
des gens qui ne parlaient plus ni la
langue économique, ni la langue
française. Il garda le silence le plus
absolu. Déjà même il éprouvait une
sorte de lassitude causée par son
application continuelle au travail.
Le gouvernement de juillet vpnait de
lui confier la chaire d'économie poli-
tique du collège de France, et il s'y
était dévoué tout entier avec sa fidé-
lité habituelle au devoir, quand la
mort de sa femme le frappa du coup
le plus terrible. Madame Say avait ré-
pandu sur l'existence de son mari un
charme inexprimable ; elle réunissait
au plus haut degré la dignité du ca-
ractère, l'élévation de l'esprit, la
simplicité bienveillantedes manières.
Ce stoïcien, en perdant sa femme, se
sentit frappé a mort. Dès ce moment
sa santé alla toujours en déclinant.
Plusieursaltaques d'apoplexie avaient
c^dé aux soins du docteur Duméril ,
son médecin et son ami ; une der-
nière, plus forte (jue les autres, mit
fin à ses jours le 15 novembre 1^32.
J.-B. Say était âgé de 66 ans ;^ il lais-
sait quatre enfants, deux fils et deux
filles \ l'une d'elles était la femme de
l'honorable Ch. Comte, dont l'Aca-
démie des sciences morales et poli-
tiques devait bientôt avoir à déplorer
la mort prématurée. Les servicies
épiinents que ce grand économiste a
2Z2
SA Y
rendus à la science sont désormais
appréciés de l'Europe tout entière,
malgré l'injustice avec laquelle cer-
tains écrivains ont essayé de les mé-
connaître. C'est J.-B. Say qui a con-
stitué l'économie politique à l'état de
science d'application, en assignant au
travail et aux capitaux leur véritable
rôle dans la production industrielle,
et en déterminant, de la manière la
plus précise, les fonctions de la mon-
naie et les conditions du crédit \ c'est
lui qui a fondé le nouveau droit des
nations en frappant dans sa base le
système suranné de la balance de
commerce, source de tant de guerres
funestes et d'erreurs économiques.
Grâce à l'heureuse influence des
écrits de J.-B. Say, les peuples les
plus belliqueux ont tourné leur acti-
vité vers des travaux plus durables ,
la puissance a passé du côté de la ri-
chesse. La seule question importante
que J.-B. Say n'ait pas pu résoudre est
celle de la distribution équitable des
profits du travail, qui excite aujour-
d'hui à si juste titre la sollicitude
des gouvernements. Aussi long-
temps qu'il y aura des millions
d'hommes privés des premières né-
cessités de la vie , au sein d'une
société riche de tant de capitaux et
de tant de machines, la tâche des
économistes ne sera pas finie. La ci-
vilisation est appelée à couvrir d'une
protection commune, comme fait le
soleil, le riche et le pauvre, le fort
et le faible, l'habitant des villes et
celui des campagnes. Il faudra bien
réfléchir long-temps encore sur un
système de production qui nous force
de chercher des consommateurs aux
extrémités du monde, quand à nos
propres portes, au sein de notre pa-
trie, nous avons des travailleurs qui
manquent de tout! Le grand effort
des économistes de Técolc de J.-B.
SAY
Say a été de conquérir la liberté
pour le travail; la tâche de ses succes-
seurs sera de l'organiser. J.-B. Say
est mort comme il avait vécu, fidèle
à ses doctrines économiques, philo-
sophiques, politiques, quelque peu
susceptible et fier, comme un
homme sûr de lui-même, et qui n'a
jamais baissé le front devant aucun
pouvoir, peuple ou rois, mais tou-
joi^rs sincèrement préoccupé des in-
térêts de l'humanité. Ses habitudes
de travail avaient quelque chose de
l'austérité de son caractère; ses li-
vres, ses notes, ses cahiers toujours
parfaitement en ordre comme ses
idées, témoignaient à toute heure du
jour de son dévouement à la science.
il entretenait avec les plus grands
économistes de son temps une cor-
respondance active qui tenait de la
polémique, et dans laquelle il excel-
lait à traiter les plus hautes ques-
tions, il était classique en littéra-
ture, plus voltairien que protestant
dans ses croyances, et de l'école
de Condiliac en philosophie. En
toute chose, d'ailleurs, sa tolérance
était à la hauteur de ses opinions.
Une de ses parentes, née comme lui
dans la religion réformée , mais
beaucoup plus orthodoxe, lui avait
envoyé une Bible annotée, quelques
jours avant sa mort. - Je vous re-
• mercie beaucoup, lui écrivit-il,
« ma chère cousine, du présent que
« vous m'avez lait ; mais je n'ai pas
« d'inquiétude pour mon salut, tant
«. est grande ma confiance en la
« bonté infinie du Créateur. Son
• existence m'est révélée par ses œu-
« vres et je n'ai besoin d'aucune ré-
« vélation pour savoir ce que j'en
« dois penser. Toutefois, il y a un
« point sur lequel mes convictions
« ont le bonheur de s'accorder avec
• les vôtres, c'est que nous devons
SAY
« être remplis d'indulgence les uns
• envers les autres, et faire du bien
• à notre prochain selon notre pou-
« voir et notre position. J'ai l'intime
« persuasion que cela suffit pour être
« sauvé , et il n'est pas possible
« qu'aucun de mes semblables soit
• plus tranquille que moi sur l'issue
« de cette question ; mais en même
« temps je sens une extrême recon-
« naissance pour tous ceux qui pen-
« sent, comme vous, que cela ne
« suffit pas. » J.-B. Say n'apparte-
nait en France à aucun corps savant,
mais il était membre des principales
académies de l'Europe; l'académie
des sciences de Saint-Pétersbourg,
celles de Madrid, de Berlin, de Na-
ples le comptaient parmi leurs as-
sociés. Sa place était marquée au
sein de l'AcaJémie des sciences mo-
rales et politiques, mais il y avait à
peine quinze jours que cette savante
compagnie venait d'être rétablie
quand la mort le frappa subitement.
Voici l'indication bibliographique des
différents ouvrages de J.-B. Say
dont nous avons rendu compte dans
le cours de cette notice: I. La liberté
de la presse, Paris, 1789, in-8<>
(anonyme). II. OlMe, ou Essai sur
les moyens de réformer les mœurs
d'une nation, Paris, 1800, in-8®.
m. Traité d'économie politique^ ou
Simple exposition de la manière
dont se forment, se distribuent et se
consomment les richesses, Paris,
1803, 2 vol. in 8o; seconde édition,
entièrement refondue et augmentée
d'un épitome des principes fonda-
mentaux de l'économie politique^
Paris, 1814, 2 vol. in-8°; 3« édition,
1817 ; 4% 1819 -, 5% 1826, 3 vol. in-8«.
Toutes ces éditions ont été revues
par l'auteur, excepié la 6^, publiée
par son fils. Le Traité d'économie
politique a été traduit dans toutes
SAY
233
les langues de l'Europe. Une traduc-
tion espagnole, entre autres , par
D. Juan-Sanchez Rivera, a paru à
Bordeaux, 1822, 4 vol. in-12; 5» edi-
cion, Paris, 1836, 4 vol. in-12. IV. De
l'Angleterre et des Anglais, Paris,
1815, in-8°-, 3^ édit., 1816, in^".
V. Catéchisme d'économie politi-
que, ou Instruction familière, qui
montre de quelle façon les richesses
sont produites, distribuées et con-
sommées dans la société; ouvrage
fondé sur des faits et utile aux diffé-
rentes classes d'hommes, en ce qu'il
indique les avantages que chacun
peut retirer de sa position et de ses
talents, Paris, 1815, in-12; seconde
édition, entièrement refondue et
augmentée de notes, Paris, 1822,
in-12; nouvelle édition, avec une
préface par Ch. Comte, gendre de
l'auteur, Paris, 1834, in-12; trad. en
espagnol, Paris, 1822, in-12. \l. Pe-
tit Volume, contenant quelques aper-
çus des hommes et de la société, Paris,
1817-1818, in-18. VU. Des canaux
de navigation dans Vétat actuel de la
France^ Paris, 1818, in-8<>. VIII. De
l'importance du port de la Villette,
Paris, 1818, in-8®. IX. Lettres à
Malthus^ sur différents sujets d'éco-
nomie politique, notamment sur les
causes de la stagnation du com-
merce, Paris. 1820, in-8® ; trad. en
espagnol, Paris, 1827, in-12. X.
Économie politique sur la balance
des consommations avec les produc-
tions, Paris, 1824, in-8o. XI. Essai
historique sur l'origine, les progrès
et les résultats probables de la sou-
veraineté des Anglais aux Indes,
Paris, 1824, in-8<>. Ces deux derniers
opuscules sont extraits de la Revue
encyclopédique. XI L Économie po-
litique. Esquisse de l'économie po-
litique moderne , de sa nomencla-
ture, de son histoire et de sa biblio-
m
SAY
graphie, Paris, 1820, in-S". Cet arti-
cle a été inséré dans V Encyclopédie
progresHve, et traduit en espagnol,
sous le titre d'Jntroduccion a la
economia politica, Paris , 1827,
in-18. Xlll. Programme du cours
êtéconomie industrielle en 1828-29
(au conservatoire des arts et mé-
tiers), in-80. XIV. Cours complet
d* économie politique pratique, Paris,
1828-30, 6 vol. in-8«5 une nouvelle
édition a paru après la mort de
Fauteur. XV. Mélanges et corres-
pondance d'économie politique , ou-
vrage posthume, publié, avec une
notice historique sur la vie et les
ouvrages de Say, par Ch. Comte, son
gendre, Paris, .1833, in-S». Outre les
Lettres à Malthus, déjà imprimées en
1820, on y trouve la correspondance
de Say avec Dupont de Nemours,
Th. Jefferson, Dav. Ricardo, etc.
XVI. Un grand nombre d'articles
dans la Décade philosophique , la
Revue encyclopédique , le Diction-
naire de la conversation et autres
recueils. Say avait même fourni ,
^ans sa jeunesse, quelques morceaux
de poésie à VÂlmanach des Muses.
Il a rédigé VÂbrégé de la vie de
Franklin^ placé en tête de la Science
du bonhomme Richard, édition de
1794 (voy. Franklin, XV, 529). Il a
ajouté des notes explicatives et cri-
tiques aux Principes de l'Économie
politique et de Vimpôt, de David Ri-
cardo, trad. de l'anglais par Con-
stancio, Paris, 1819, 2 vol. in-S**
(voy. Ricardo, XXXVIT, 507); puis
au Cours d'Économie politique dt
Henri Storch, édition de Paris, 1823,
4 vol. in-8°. Enfin il atraduit de l'an-
glais le Nouveau Voyage en Suisse ,
par miss Helena-Maria Williams, Pa-
ris, 1798,2 vol. in-S**. Le Journal des
Économistes j de mars 1847, a pu-
blié une Lettre inédite de J-B. Say
SAY
sur \la Banque de France. On an-
nonce en ce moment, à la librairie
de Gnillaumin, une édition complète
des Œuvres de J.-B. Say, qui com-
prendra quelques fragments inédits.
— Des deux frères de J.-B. Say, l'un
(Horace) fut blessé au bras droit, en
1799, pendant le siège deSaint-Jean-
d'Acre, où il servait avec distinction
en qualité de chef de bataillon du
génie, et mourut à Césarée par suite
de ramputation (2) ; l'autre (Louis)
est mort en 1840 à Paris où il s'était
retiré, après avoir été long-temps
raffineur de sucre à Nantes. Celui-ci
est auteur de quelques écrits écono-
miques peu importants, dans les-
quels il affectait de redresser de
prétendues erreurs de son frère,
sans s'apercevoir qu'il avait grand
besoin lui-même qu'on redressât les
siennes (3). B—l— i.
SAYER (Franck), poète anglais,
naquit à Londres, le 3 mars 1763.
Ayant perdu son père de bonne heure,
il ne reçut point une éducation régu-
lière ; et après avoir ébauché ses étu-
(2) Horace Say avait concouru avec son
frère, en 1797, à la rédaction de la Décade
philosophique, et il avait fourni un Cours de
fortifications au Journal de l'Ecole polytech-
nique (torn. I, 1794).
(3) Les ouvrages de Louis Say sont : I,
Principales causes de la richesse ou de la mit
sère des peuples et des particuliers, Paris,
18 18. II. Considérations sur l'industrie et la
législation, sous le rapport de leur influence
sur la richesse des Etats, et examen critique
des principaux ouvrages qui ont paru sur l'é-
conomie politique, Paris, 1822, in-8''. III.
Traité élémentaire de la richesse individuelle
et de la richesse publique f et éclaircissements
sur les principales questions d'économie poli'
tique, Paris, 1827, in-S*'^ une traduction
en anglais fut imprimée k Nantes en 1829.
IV. Etudes sur la richesse des nations et réfu-
tation des principales erreurs en économie poli-
tique, Paris, i836, in-S^.V. Influence de la
morale et des dogmes religieux sur la richesse
des nations^ Nantes (sans date); réimprimée
dans le Traité élémentaire de la richesse.
SAY
des à Yarmouth, où sa mère s'était
retirée pour être au sein de sa fa-
lïiille, puis à North-Walsham, où il
eut entre autres condisciples Nelson,
du reste beaucoup plus âgé que lui,
et enfin à Palgrave oii Barbauld, le
mari d'une des Saphos de l'époque,
la gracieuse miss Laetitia Aikin, cu-
mulait avec le titre de prédicateur
d'une chapelle de dissidents les mai-
gres profits d'une petite pension, il
fut placé dans une maison de com-
merce à Yarmouth même. La régu-
larité, le formalisme de cette nou-
velle existence lui déplurent singu-
lièrement, et sop aïeul maternel lui
ayant laissé un bien rural de cent
trente acres à peu près, il profita de
5a majorité pour dire adieu au comp-
toir et pour se mettre en devoir
^e vivre un jour en gentleman
fyrmer. Toutefois étant dépourvu
des premières notions de l'agricul-
ture , il alla se mettre comme en
apprentissage chez un habile culti-
vateur d'Oulton (comté de Suffolk),
pour revenir de là régir ses domai-
nes de Palgrave, car c'est à Palgraye
qu'était situé l'héritage. Mais il pe
tarda pas à s'apercevoir que l'agri-
culture pratique était plus loin en-
core de convenir à ses goûts que le
commerce. Rêveur et poète par na-
ture, il s'était figuré que sa vie au
sein du cottage serait une idylle per-
pétuelle. Quelques mois de contact
avec la dure réalité lui apprirent
que l'on ne peut mener de front une
ferme et l'existence littéraire dont
son imagination lui avait présenté
la perspective. Il abandonna donc
en mêmp temps Oulton et ses plans
pour Palgrave et revint passer un
peu de temps auprès de sa mère à
Yarmouth. Sa famille insistait pour
qu'il fît choix d'une carrière. Il n'eût
tenu qu'à lui d'entrer avantageuse-
SAY
235
mei^t dans les ordres ; un M. Alric,
son oncle par alliance, avait reçu de
l'évêque de Lincoln Thurlow, père
du chancelier, l'invitation de lui dé-
signer un protégé à son choix pour
un bénéfice de 300 liv. (7500 f.) de
rente, et un mot aurait suffi à Sayer
pour se voir assurer cette position.
Il ne le voulut pas*, et si, comme on
le dit, son refus eut pour cause
l'attachement qu'il professait pour le
méthodisme, on ne peut que donner
des éloges à son désintéressement.
Nous ne dissimulerons pas pourtant
que sous plus d'un rapport il n'eût
agi fort sagement en acceptant -, et
puisque, en fin de compte et sans
avantage aucun, il en vint à répudier
sa foi première pour embrasser la
doctrine anglicane, il est fâcheux
pour lui que cette conversion (qu'on
n'eût pas même appelée conversion
chez un homme de 20 ans) n'ait pas
eu lieu plus tM. Quoi qu'il en soit,
peu de temps après, il annonçait à
sa mère qu'il allait étudier la mé-
decine, ou plutôt la chirurgie -, et
cjans ce but, après avoir vendu son
domaine, il se rendit d'abord à Lon-
dres, où il eut pour maîtres Cruick-
shftnk,Baillie, Hunter, puis à Edim-
bourg dont il s'absenta plus 4'une
fois pour se livrer à des pèlerinages
poétiques, bien plus (ians ses goûts
q^e les études professionnelles, et fi-
nalement en Hollande. Il avait songé
d'abord à se faire recevoir docteur
à Leyde^mais les règlements de IJu-
piversité ne permettaient de confé-
rer ce grade qu'au bout d'un séjour
plus long que celui qu'il comptait y
fair^, ou peut-être n'était-il pas de
forcp à supporter des examens un
peu sévères. Heureusement il y en
avait une autre tout près de là, celle
d'Harderwick, laquelle ne faisait pas
grande figure, eutre Leydeet Frane-
236
SAY
ker, mais où l'on était plus coulant.
C'est là que Sayer se vit décoré du
titre auquel il aspirait. Nous disons
le titre, car chemin faisant, et même
avant d'avoir quitté l'école, il avait
reconnu que sa vocation pour la chi-
rurgie avait été une illusion comme
toutes les autres \ il était venu à bout
de surmonter son dégoût pour la dis-
section^ mais les opérations chirur-
gicales agissaient trop violemment
sur sa sensibilité pour qu'il pût s'y
décider. Évidemment Sayer aurait
été fort à plaindre s'il eût été dans la
nécessité de subvenir à ses besoins
par ses gains. Mais dès ce moment
le peu qu'il avait suffisait pour le
mettre à l'abri d'une obligation trop
pesante pour lui ; et à mesure qu'il
avança dans la vie divers héritages
toujours modiques, il est vrai, vin-
rent ajouter à son bien-être. 11 put
donc se laisser aller à ses goûts de
rêverie et de poésie. Il avait étudié
la littérature, ou plutôt les littéra-
tures, et principalement certaines
d'entre elles avec amour : la primi-
tive tragédie grecque avec ses
chœurs, le lyrisme de Klopstock, la
mythologie et les sagas de l'Islande,
les vieilles ballades de la Grande-
Bretagne avaient frappé son imagi-
nation et allumé en lui un vif en-
thousiasme. Il avait même quelque
temps cru en Ossian, mais les ob-
servations qu'il fit pendant une de
ses traversées en Ecosse le guérirent
de cette idée, et de la part d'un
jeune homme, peu expérimenté en-
core, cette promptitude à sortir
de l'erreur prouve du tact. Libre
désormais de préoccupations, Sayer
se sentit le besoin de fondre en une
œuvre d'art toutes les idées, toutes
les impressions que ses lectures fa-
vorites avaient éveillées en lui. De là
les Esquisses dramatiques qu'il pu-
SAY
blia en 1790 et qui furent reçues avec
applaudissement , sinon par la foule,
du moins par les connaisseurs, par les
lecteurs d'élite. En Allemagne surtout
son ouvrage plut singulièrement, et
dès ce moment le poète fut classé par-
mi les notabilités de l'époque. Fut-
ce un bien pour sa réputation? On
ne saurait le dire. Sayer depuis ce
temps ne déploya pas une grande ac-
tivité, d'où l'on a conclu que si le
succès ne Tavait pas comme endor-
mi, le désir de la gloire l'eût aiguil-
lonné davantage. A nos yeux, rien
n'est moins clair. Sayer sans doute
était une nature poétique, mais c'é-
tait une nature paresseuse, c'était
surtout une nature exclusive et mo-
notone. Dominé, pris tout entier
par certaines impressions, il était
comme inaccessible à toutes les au-
tres, quoique hautement poétiques
ou pittoresques. Ainsi forcloses, ces
impressions nouvelles n'auraient
donc pu trouver en lui un interprète
passionné, original ; aussi ne som-
mes-nous pas étonné que le reste
de sa vie se soit passé surtout à cor-
riger, à limer son premier ouvrage,
et que peu à peu, après avoir semblé
prédestiné à prendre un haut rang
dans la pléiade contemporaine, il
soit presque tombé dans l'oubli. Son
existence provinciale contribuait
d'ailleurs à cette nonchalance de
son esprit et à cette éclipse de son
nom. Les quarante dernières années
de la vie de Sayer se passèrent sans
événements mémorables autres que
sa conversion à l'anglicanisme et
son entrée dans les ordres. Toute-
fois il ne voulut point de bénéfices.
Les recherches d'antiquité, d'archi-
tecture , d'histoire, et quelques piè-
ces fugitives qu'il envoyait de temps
en temps à la Revue d'Edimbourg
étaient ses plus graves occupations.
SAY
il mourut le 16 août 1816. Ses amis
perdirent en lui un joyeux et aima-
ble compagnon et un des hommes
dont la conversation avait le plus de
charme. 11 n'avait pas la fougue pétil-
lante, l'intarissable verve deColerid-
ge; mais il intéressait, il instruisait,
il amusait, et Ton sortait d'à côté de
lui la tête moins fatiguée, les idées
plus en ordre que lorsqu'on avait vu se
déployer le chaos fantasmagorique du
célèbre causeur de Londres. LesOEu-
vres complètes de Sayer ont été pu-
bliées par son ami Taylor avec sa vie
fort détaillée (Norwich, 1823, 2 vol.
in-8o). Elles se composent : l^desEs-
quisses dramatiques déjà citées, et
qui parurent en 1790, in-é*', 2^ édit.,
1792,2 vol. in 8°, 3^ édit., 1803;
2° de Poésies diverses^ qu'il avait pu-
bliées sous le titre de: Nugœ poeticœ,
1 SOS-jS^des Recherchesméthapysiques
et littéraires (son 2« ouvrage, 1793) ;
4° enfin de Mélanges d^ antiquité et
d'histoire (qui vinrent après les/?e-
cherchese,taLyaiUiksNugœ),iS05.Ses
Esquisses sont au nombre de quatre,
parmi lesquelles Moïna et Starno
sont les principales. Les sujets en
sont plus que simples, et compa-
rativement aux canevas de Sayer,
ceux d'Eschyle sont des imbroglios
très-compliqués. A vrai dire, il ne
faut y voir, en dépit du titre donné
par Fauteur, que des dialogues ou
monologues lyriques. Le style en est
remarquable par la vigueur, par les
images, par la noblesse ^ on y recon-
naît facilement l'admirateur de Dry-
den. Mais les caractères sont peu dé-
veloppés, les péripéties générale-
ment sont nulles. Toutefois il faut
en exceptcr,dans Moïna, le moment
oii l'héroïne qu'on croit désormais
libre par la mort d'Harold et sûre
par conséquent de devenir, grâce à
son veuvage, l'épouse de Carill, son
SAY
237
anci«n fiancé, entend le chœur lui
révéler que la loi des Scandinaves est
que la veuve soit ensevelie avec son
mari. Les vers de Sayer (dans Jlfoïna
et dans Starno), même ceux où do-
mine le lyrisme, et qui ont moins des
dix syllabes habituelles pour levers
épique et le vers tragique, sont sans
rime. L'harmonie, il faut l'avouer,
en dépit de tout ce qu*on peut allé-
guer à l'appui de ce système, n'en est
pas suffisamment riche et saisis-
sante. Toutefois, il ne faudrait pas,
en s'écartant de l'avis des admira-
teurs de notre poète, passer à l'ex-
trême contraire et nier qu'il y ait du
rhythme dans sa versification lyri-
que. On a beaucoup abusé du vers
blanc chez tous les peuples qui l'ad-
mettent, et surtout du vers blanc
au-dessous de dix syllabes, et du
vers blanc irrégulier. Milton lui-
même, en Angleterre, a bien des fois
péché contre le nombre dans le
Samson Dagoniste, et Glover, dans
sa Médée, a bien moins réussi encore
avec plus de prétentions. Il est vrai
que Collins, dans son Ode au soir^
avait donné un exemple tout con-
traire. Sayer en approche sans l'é-
galer, et puisqu'il avait résolu de
ne point avoir recours à la rime
pour les deux premières stances, il
faut louer, sinon l'idée, du moins le
mode d'exécution de l'idée, et peut-
être est-ce à la manière assez heureu-
se dont il s'en tira qu'est dû l'emploi
du même mètre dans le Thalaba de
Soulhey. Parmi les Nugœ de Sayer,
nous remarquerons principalement
son conte de Guy de Warwick et le
Fragment sur Jack le tueur de
géants. Dans l'un et dans l'autre il
déploie beaucoup d'humour ; et le
style, héroïque d'allures et défor-
mes, tandis que les sujets sont ou
burlesques ou vulgaires , présente
238
SAY
un contraste intime, plein en même
temps de bonhomie et de vérité. La
forme héroïque reflète le sérieux naïf
avec lequel certaines gens traitent
leurs affaires plus solennellement
que l'on ne traite quelquefois les af-
faires d'État; et cependant l'ironie
est transparente : le lecteur voit et
l'importance que prennent les objets
ou les événements aux yeux des ac-
teurs, et la futilité de ces mêmes évé-
nements, de ces mêmes objets vus de
haut,et c'est lui qui a le plaisir de voir
de haut, de regarder en pitié, de sou-
rire. On a parfois comparé Sayer à
Gray. Ils ont de l'analogie en ceci,
que tous deux s'inspirent plus de
certains livres de prédilection que de
la nature; mais, si Gray est supérieur
pour la profondeur du sentiment, il
est inférieur pour l'éclat dans le ly-
risme, et pour la plaisanterie dans
la narration. P— ot.
SAY£R (Edouard), jurisconsulte
anglais, cultiva la poésie et la pein-
ture avec un égal succès. En. 1784, il
servit de conseil à lord Hood dans
l'ardente lutte électorale de West-
minster. Mais le zèle qu'il déploya en
cette circonstance ne lui rapporta pas
grand profit , ce qui le dégoûta de
rendre par la suite de pareils services.
Il se livra désormais tout entier au
dessin et à la littérature. 11 fit des
caricatures aussi mordantes que spi-
rituelles, en même temps que des
pièces de vers politiques, se vouant
exclusivement au genre satirique ,
avec le crayon comme avec la plu-
me. Ses principaux ouvrages sont:
I. Lindor et Adélaïde , conte moral,
in-12. II. Essais littéraires et poli-
tiques , in-îi°. III. Observations au
sujet du sermon du docteur Price sur
la Révolution française, 1789, in-s*».
IV. Observations sur la police de
Westminster, 1792,in-4% On lui doit
SCA
aussi plusieurs publications sous le
voile de l'anonyme. Z.
SCAIBANI. Foy. Chéibani, VIII,
320.
SCAMS-EDDIN (Aboul- Abbas).
Voy. Ibn-Khilcan, XXI, 156.
SCANAROLO (Antonio), mé-
decin modenais du commencement
du XV^ siècle , prit part aux dis-
cussions qui s'étaient engagées au
'sujet d'une maladie funeste connue
depuis peu en Europe ^ il écrivit une
Dissertatio utilis de morbo gaUico^
qui vit le jour à Bologne en 1498, et
qui a reparu dans le recueil de Louis
Luvigni : De morbo gallico omnia
quœ exstantfYenise, 15665t. I,p. 110
et p. 123 de l'édition donnée par
H. Boerhaave, Leyde, 1728, in-folio.
B— N— T.
SCANELLO (Cristoforo) , sur-
nommé l'Aveugle {il Cieco) , poète
italien du XVP siècle. Au talent près,
qui lui manqua totalement, il eut en
ce monde le même sort que celui
qu'on prête à Homère : comme lui, il
fut errant et privé de la lumière du
jour. Les épopées badines de l'Arioste
et de Bojardo avaient mis en vogue
les chants relatifs aux paladins de la
chevalerie; c'était des poèmes che-
valeresques que le public demandait
aux auteurs. Quiconque savait écrire
s'empressait de composer des vers en
ce genre, et l'émulation allait même
plus loin. Un personnage que Bojardo
avait le premier fait connaître, le vo-
race et poltron Rodomont {Roda-
rrtonte)^ fut le héros que célébra
Scanello. Son livre parut à Fermo,
en 1562, sous le titre de Stances sur
la mort de Rodomont , donnant le
récit des exploits de ce furibond
personnage dans t^autre monde- Ce
mince volume fut réimprimé en 1582,
à Orviète. Malgré ces deux éditions,
il est fort rare, et il ne mérite guère
SCA
d'être mieux connu qu'il ne l'est.
Danftle Contrario, Marco Bahdarini,
Mario Tellucini, célébrèrent, à peu
près à la même époque, les exploits
de Rodomont. Antonio Legname em-
boucha la trompette en l'honneur
des prouesses de son fils Rodomon-
liij. Tout cela est descendu au fond
du fleuve d*oubli avec VInvenzione
poetica de l'Aveugle de Forli ; des
centaines d'autres poèmes épiques
plus récents ont encore été rejoindre
ceux que nous venons d'indiquer.
B — N— T.
SCAN]VAVINI(Marco-Aurelio),
peintre, naquit à Ferrare en 1655, et
fut élève de Cignani. On doit le
compter parmi le très-petit nombre
d'artistes qui se proposèrentdesuivre
ce maître dans cette scrupuleuse exac-
titude qui est un des principaux carac-
tères de son talent. Scannavini était
naturellement lent, et il ne savait
renvoyer un ouvrage de son atelier
que lorsqu'il lui paraissait également
terminé jusque dans toutes ses moin-
dres parties. Marié et père de famille,
personne plus que lui n'aurait eu
besoin d'un peu d'activité, et cepen-
dant, malgrésesbesoinsdomestiques,
il ne put jamais se décider à changer
de méthode, et il voyait sans envie
l'expéditif Avenzi, son condisciple et
son inférieur, obtenir tous les tra-
vaux, tandis que lui et ses enfants
végétaient dans le besoin. La noble
iamilleBevilacqua vint àson secours,
et l'on ne doit pas passer sous silence
qu'outre le prix convenu, elle lui
accorda une gratification considéra-
ble lorsqu'il eut terminé les figures
de l'appartement dont l'Aldrovandi
avait fait les encadrements. 11 a peint
aussi un petit nombre de fresques^
mais il était peu propre à ce genre
de peinture, qui exige de la rapidité
dans Vexéculion. Ses tableaux à
SCA
239
Thuile sont plus nombreux. Parmi
les plus remarquables on cite le
Saint Thomas dé Villanova, aux
Augustins déchaux, et, dans l'église
de la Mortara , la Sainte Brigitte en
extase, soutenue par des anges. Plu-
sieurs galeries particulières de Fer-
rare renferment de ses productions.
Ce sont, ou des portraits, pour les-
quels il avait un talent singulier, ou
des sitjets historiques de demi- figures
à la manière de Cignani. 11 y déploie
une grâce, un empâtement de cou-
leur, une vigueur de teintes qui sou-
tiennent le parallèle avec tous les
autres tableaux qui les avoisinent ,
et il n'a manqué à cet astiste ,
mort à la fleur de l'âge en 1698,
que d'être plus favorisé des dons de
la fortune. P— s.
SCARPA (Antoine), l'un des chi-
rurgiens les plus distingués des
temps modernes, naquit le 13 juin
1747, d'une famille de négociants,
à Casteilo-Moîta du Frioul, aujour-
d'hui province de Trévise. Un de ses
oncles, l'abbé Paul, charmé de ses
heureuses dispositions, prit soin de
son enfance et lui apprit le latin, les
mathématiques et la littérature. L'en-
fant répondit par son application aux
espérances de son oncle, et, dès l'âge
de quatorze ans, il avait terminé ses
humanités. C'est à cette époque que
son goût le poussa d'une manière ir-
résistible à embrasser la carrière mé-
dicale. Avec le consentement de son
oncle, il partit pour Padoue. Là il
étudia d'abord la physique expéri-
mentale, et, comme tous les hommes
qui se sont distingués dans l'art de
guérir, il montra de bonne heure
une prédilection très-marquée pour
les éludes anatomiques. Les chaires
de Pavie étaient alors occupées par
huit professeurs, et Morgagni , le
plus célèbre,venait, à l'âge de quatre-
240
SCA
vingts ans, de publier son grand ou-
vrage : De gedibus et causis morbo-
rum. Le vieillard perdit la vue peu
de (emps après. Quelques mois lui
avaient suffi pour apprécier le talent
et le zèle de Scarpa. Il le fit son se-
crétaire et l'admit dans son intimité.
Le jeune élève lisait à son illustre
protecteur les différentes consulta-
tions qui lui arrivaient de toute
rEurope,et il y répondait sous la dic-
tée du maître. Scarpa était en outre
chargé de mettre en ordre certains
mémoires, soit en italien, soit en la-
tin , que Morgagni se réservait de
corriger. Les heures qui n'étaient
pas consacrées à la médecine se pas-
saient en partie à la lecture des auteurs
latins dont le professeur commen-
tait les principaux passages. C'est
par ces exercices que Scarpa acquit
cette élégance qu'on reni^rque en gé-
néral dans ses écrits et qui mérite
à elle seule de grands éloges. Les
progrès qu'il fit en anatomie furent
tels , qu'après deux ans d'études
il aidait et remplaçait au besoin
le prosecteur des travaux anatomi-
ques. Ce zèle lui valut la protection
spéciale du professeur Calza , qui
lui donna des leçons d'obstétri-
que et lui apprit à modeler en cire
les organes génitaux de la femme et
les produits de la conception. Scarpa
profitait du tçmps des vacances pour
aller prendre, à Bologne, des leçons
de chirurgie du docteur Riviera, dis-
ciple de Molinelli. Deux ans après,
il fut reçu docteur. Morgagni ,
quoique infirme, voulut lui con-
férer lui-même ce titre scientifi-
que et mourut peu de temps après
(1771) dans les bras de son élève chéri,
et après l'avoir nommé son exécuteur
testamentaire. L'illustre médecin, à
la fin d'une carrière consacrée tout
entière au culte de la science, ne pou-
SCA
vait mieux faire pour elle que de lui
laisser, en la personne de Scarpa, un
disciple savant et studieux, et pour
ainsi dire une manifestation vivante
de son zèle pour la médecine qu'il
avait tant aimée. Morgagni avait eu
pour protecteur et ami Valsalva; il
mourait après avoir lancéScarpa dans
la carrière médicale. Dépositaire des
secrets de son vieux maître et d'une
expérience de soixante ans, Scarpa,
lui aussi; adoptera un jour un fiis
dans la science, l'Italien Jacopi qui,
moins heureux , s'éteindra à la fleur
de l'âge et du talent. Il se disposait
à quitter Padoue , pour aller encore
à Venise, lorsque Jérôme Vandelli
reçut de son frère, premier médecin
du duc de Modène, une lettre qui
offrait à Scarpa, de la part du prince,
la chaire d'anatomie et de chirurgie.
Scarpa reste indécis. Jeune encore, il
n'ose se montrer sur un si grand théâ-
tre. Il cède enfin aux instances de ses
amis, il part et commence peu de
temps après ses premières leçons.
Le succès dépassa son attente^ tous
ses élèves admirèrent l'élégance,
la lucidité de ses démonstrations,
et surtout son grand savoir et ses
belles préparations anatomiques. Il
n'avait pas encore vingt-cinq ans !
Nommé bientôt chirurgien en chef de
l'hôpital militaire, il fit un cours d'o-
pérations sur le cadavre. De concert
avec le professeur Rosa, il commença
des recherches sur le sang: sujet bien
obscur à cette époque , mais que les
progrès ultérieurs de la chimie et les
travaux de MM. Andral et Gavar-
ret ont éclairé dans ces derniè-
res années. Scarpa publia un mé-
moire sur l'organe de l'ouïe. Le
rôle qu'il fait jouer à la fenêtre ronde
et au tympan secondaire est beau-
coup trop important. En effet, on
sait que les oiseaux, chez lesquels la
SCA
fenêtre ronde existe à peine, enten-
dent cependant à de grandes distan-
ces et avec une admirable délica-
tesse. Malgré les recherches de
Scarpa , malgré ses débats avec Gai -
vani qui poursuivait les mêmes étu-
des, malgré les longues discussions
qui occupèrent le monde savant à
cette époque, cette difficile ques-
tion est encore dans le vague des
hypothèses. En 1779, Scarpa fit pa-
raître un livre en latin portant le ti-
tre à.'' Annotations sur les ganglions
et les plexus nerveux. Comme Me-
kel, il pense que l'usage des gan-
glions est de diviser et de réunir les
nerfs pour les faire servir avec plus
d'ensemble et d'harmonie au jeu des
organes. Le rôle qu'il attribue au
grand sympathique laisse encore
beaucoup à désirer, malgré la magni-
ficence d'érudition avec laquelle il
aborde un sujet si obscur. Ces hau-
tes questions scientifiques, qui de-
vaient vingt ans plus lard occuper
le génie de Bichat, sont encore en-
vironnées aujourd'hui d'un voile
épais , comme toutes celles qui se
rattachent aux phénomènes pri-
mitifs de la vie. Le duc François
venait de mourir ; son successeur,
Hercule 111 , entreprit des réformes
dans les établissements d'instruction
publique^ et chargea Scarpa d'aliter
étudier en France et en Angleterre
l'organisation des écoles. Celui-ci
fut donc obligé de suspeidre ses
leçons: il y avait huit ans qu'il
professait et cinq qu'il faisait par-
tie de la société de médecine de
Paris. Pendant ce voyage, qui dura
deux ans , il assista aux belles le-
çons cliniques de Vicq-d'Azyr qui
lui laissa ses entrées libres dans
l'amphithéâtre de la Charité. Scarpa
en profita pour continuer les recher-
ches qu'il avait commencées depuis
SCA
m
plusieurs années sur l'odorat, et^qui
parurent quelque temps après. H fit
admirer ses heureuses dispositions
pour les études anatomiques en dissé-
quant avec la plus grande exactitude,
et dessinant ensuite d'une main ha-
bile les filets nerveux de la première
paire. Scarpa se lia d'amitié avec l'o-
culiste Wensel et frère Côme, le plus
célèbre lithotomisle de son temps;
enfin, comme si rien ne devait échap-
per à son immense désir de savoir,
il prit part aux recherches de Ti-
phènes, qui s'occupait de la gué-
rison des pieds-bots. Cette branche
de la chirurgie , qui a donné dans
ces dernières années de si merveil-
leux résultats, était alors entièrement
inconnue de la plupart des chirur-
giens. Scarpa se mit en rapport
avec Brambilla , premier chirurgien
de l'empereur Joseph 11, qui se trou-
vait alors à Paris. L'amitié qui de-
vait désormais les unir commença
sous d'heureux auspices. Brambilla
était né àPavie; il eut bientôt appré-
cié les talents du professeur de Mo-
dène , et, comme il lui demandait les
motifs die sa présence à Paris : « Je
suis un grand seigneur en disgrâce,
lui dit Scarpa en riant, je voyage. »
Brambilla n'oublia pas ces paroles,
et résolut d'attacher Scarpa aux hô-
pitaux de Pavie. Au mois de juin de
l'année 1781 parut l'ouvrage sur
l'organe de l'odorat. Bientôt il écri-
vit l'observation curieuse d'un ma-
lade qui présentait un anévrysme de
la crosse de l'aorte. Ce seul exemple
servit comme de point de départ aux
beaux travaux qu'il publia dans la
suite sur le même sujet. Le malade
ayant succombé, on découvrit que
la crosse de l'aorte s'était ouverte à
l'extérieur entre le sternum et la
première côte. Cette observation ,
rédigée par Scarpa lui-même, se
16
242
SCA
trouve consignée dans les Bulletins
de la Société de médecine de 1781.
En quittant Paris il se rendit à Lon-
dres, où il fut accueilli par Pott, les
deux Hunter, Cruickshank et Shel-
don. La vue du cabinet anatomique
de J. Hunter Ini donne l'idée d'en
posséder un semblable; aussitôt il
redevient pfosecteur d'amphithéâtre,
comme à Padoue, et commence les
premières injections au mercure des
vaisseaux lymphatiques. Ces prépa-
rations faites en grand nombre par
lui, ou sous ses yeux, furent dirigées
les unes sur Pavie, les autres en-
voyées à Charenton-le-Pont, près
Paris, où elles se trouvent encore.
Scarpa étudia ensuite d'une manière
spéciale l'anatomie comparée avec
Jean Hunter et les accouchements
avecGuiIlaume*,illeur communiqua
ses réflexions comparatives sur les
études médicales en France et en An •
gleterre. Il les loue de leur grande
habileté dans l'art du diagnostic, par
cela même qu'ils mettent moins de
promptitude dans leur jugement que
la plupart des médecins français , et
il croit trouver en Angleterre une
appréciation plus éclairée qu'en
France des règles de l'hygiène ; tou-
tefois , il s'étonne que les maladies
des yeux soient si peu étudiées dans
leur pays. Il est curieux de con-
naître le jugement porté par un
homme d'un tel mérite. Les mala-
dies des yeux étaient alors en effet si
peu étudiées en Angleterre, que c'est
Scarpa qui donna la première impul-
sion aux esprits vers cette intéres-
sante partie des affections chirurgi-
cales. Le premier livre de quelque
importance qui ait paru dans ce pays
est la traduction de celui de Scarpa
(Trattato délie principali malattie
degli occhi). Scarpa, sur le point de
quitter l'Angleterre, tomba grave"
SCA
ment malade. A peine convalescent,
il revint à Paris, où il resta peu de
jours, se rendit à Montpellier qu'il
ne fit pour ainsi dire que traverser,
et revit enfin Modène dans les der-
niers mois de 1782, au moment de
la réouverture des cours. Scarpa se
disposait à commencer le sien, lors-
qu'une lettre de Brambilla lui apprit
que l'empereur Joseph II, ayant créé
à Pavie une chaire d'anatomie, de
clinique chirurgicale et d'opéra-
tions, lui offrait cette chaire avec 400
séquins d'appointements et une in-
demnité pour le déplacement. L'il-
lustre chirurgien hésite, il craint de
se montrer ingrat envers le duc de
Modène son bienfaiteur, et n'accepte
enfin que sur l'invitation formelle
de ce dernier. 11 se rendit à Pavie
vers la fin de 1783, et commença ses
leçons par un discours latin sur la
manière d'acquérir les connaissances
anatomiques nécessaires à la prati-
que chirurgicale. Les paroles du maî-
tre furent écoutées avec enthousias-
me. Dans une exposition brillante de
l'histoire de l'art à cette époque , il
indiquait les moyens d'étudier avec
fruit l'anatomie^ilfaisaitressortirson
immense importance pour les appli-
cations du manuel opératoire, et
donnait en même temps d'utiles con-
seils à tous ceux qui voulaient faire
de rapides progrès dans la carrière.
Et quel autre pouvait mieux que
l'élève de Morgagni servir de guide
aux jeunes gens studieux , lui qui
avait été élevé dans la science par un
des plus grands praticiens du dernier
siècle ? L'année suivante, Scarpa fit
un voyage à Vienne avec le célèbre
Alexandre Volta. Joseph 11 aimait les
savants, il s'était fait leur protecteur
et les traitait avec la plus grande
bienveillance. Les deux voyageurs
furent accueillis avec distinction.
SCA
comblés de présents et invités à
voyager aux frais de l'empereur. Pen-
dant un mois de séjour qu'il fit à
Vienne , Scarpa répéta les curieuses
expériences sur la transfusion du
sang, dans lesquelles il avait aidé
le professeur Rosa {voy. ce nom,
LXXIX, 425). Il voyagea ensuite
avec Volta en Bohême, en Saxe et
en Prusse. Enfin , après avoir visité
l'État de Brunswick, celui de Ha-
novre, il rentra en Italie par la Ba-
vière et le Tyrol. Les deux savants
s'étaient particulièrement arrêtés à
Prague, à Dresde, à Helmstadt, à
Gœttingue, s'occupant partout des
intérêts de la science et des nou-
velles découvertes. C'est dans cette
longue course à travers l'Europe que
Scarpa acquit cette prodigieuse expé-
rience qui fit de lui un des plus grands
cliniciens des temps modernes. A
son retour à Pavie, il fut agréable-
ment surpris de trouver un bel am -
phithéâtre et un arsenal complet de
tous les instruments de chirurgie
dont l'empereur venait de doter
l'école de médecine. Scarpa avait
sous les yeux les instruments les
plus anciens dont il avait lu la des-
cription dans les vieux ouvrages, et
reconnaissait tous ceux qu'il avait
vus pendant ses visites aux prin-
cipales facultés de l'Europe. L'^inau-
guration de l'amphithéâtre eut lieu
en 1785. Scarpa, dans un discours
latin des plus élégants , fit entendre
que l'école de Pavie allait prendre
le premier rang parmi celles de l'Eu-
rope, et que lui-même ne négligerait
rien pour ajouter à sasplencjeur. En
effet, il s'occupa plus que jamais de
travaux anatomiques. Deux ans aupa-
ravant, quand il avait pris possession
de sa chaire, le musée de l'école
était dans un triste état*, à peine
pouvaU-on comptpr vingt-neuf pré-
SCA
243
parations dues à Rezia. Elles furent
en peu de temps portées par le grand
anatomiste à trois cent soixante-six.
Les principales avaient pour but de
faciliter l'étude de la splanchnolo-
gie, de la névrologie et des organes
des sens. On y remarquait surtout
avec le plus grand intérêt des prépa-
rations sur des objets microscopi-
ques à l'instar de ceux de Lieberkiin.
Scarpa termina son second liyre des
Annotations anatomiques sur l'odo-
rat et les nerfs que ce sens emprunte
à la cinquième paire. Il avait dissé-
qué avec la plus minutieuse exacti-
tude jusque sur le revers de la mern-
brane pituitaire tous les filets ner-
veux dont les principales branches
n'avaient pu être suivies par Sœm-
mering que jusqu'à la lame criblée
de l'éthmoïde. Scarpa donne une des-
cription exacte des nerfs qui vien-
nent du trifacial , et indique le pre-
mier l'existence du nerf naso-palatin
entrevu par Cotugno. Il devait reve-
nir plus tard sur la distribution des
fiîets nerveux de la première paire,
et ceux de la cinquième dans le
grand ouvrage qu'il publia en 1790
sous le titre de Recherches sur l'ouïe
et l'odorat. Pour faciliter à l'illustre
professeur les moyens d'instruction
qu'il prodiguait à ses élèvps, et comme
un hommage de plus rendu à ses ta-
lents, on créa pour lui une chaire de
chirurgie pratique à l'hôpital civil.
Les sociétés savantes étrangères se
firent un honneur de l'admettre dans
leur sein. Membre de l'académie
royale de Berlin depuis plusieurs
années, il fit bientôt partie de celle
de Joseph II à Vienne, de la société
royale de Londres et de celle d'Edim-
bourg. Cependant la politique et la
guerre allaient envahir le s;:nc-
tuaire de la science et arracher
pour un moment notre illustre chi-
16.
m
SCA
nirgien h ses paisibles travaux. La
révolution française commençait à
bouleverser l'Europe entière; et l'I-
talie , par sa position ge'ographique
et son importance politique, devait
la première en ressentir l'influence.
Les batailles de Bussignana, de
Novi , de la Trebbia, fournirent au
professeur de Pavie l'occasion de
pratiquer un grand nombre d'opéra-
tions. Ces temps de révolutions et
de combats augmentèrent , comme
malgré lui, les connaissances , déjà
si étendues, qu'il avait acquises
sur les lésions traumatiques. Tou-
tefois il n'avait jamais eu l'occa-
sion de les observer sur un si
vaste théâtre. Pendant le sac de Pa-
vie , il donna aux habitants l'exem-
ple d'un grand courage en allant
lui-même au-devant du danger.
Quand tout eut cédé à la force,
Scarpa se retira dans l'amphithéâtre
de l'école, et, comme ces guerriers
des temps antiques qui se réfugiaient
dans les temples de leurs dieux pour
les défendre, il s'opposa énergique-
ment à ce qu'on enlevât la collection
anatomique qu'il avait eu tant de
peine à créer. En 1792, il fit pa-
raître son bel ouvrage sur le sys-
tème nerveux. Contrairement à l'o-
pinion de Behrens, élève de Sœmme-
ring, et de Loder, le professeur de
Pavie, par une dissection admirable,
démontrait l'existence des nerfs du
cœur. Les planches de ce magnifique
ouvrage , gravées par Anderloni sur
les dessins originaux de Scarpa ,
étonnent réellement par la multi-
tude des filets nerveux qui s'entre-
croisent dans une trame inextrica-
ble, et que l'œil le plus exercé a peine
à saisir. Elles montrent la distribu-
tion des nerfs de tous les viscères de
la poitrine et particulièrement du
cœur, péjèi depuis long-temps, dans
SCA
ses cours, il avait prouvé l'existence
des nerfs (Je cet organe, par la mul-
tiplicité même de ses mouvements
dans les émotions que donne une
joie vive ou une profonde indigna-
tion. DU reste, les palpitations ner-
veuses, déterminées ou non par des
affections morbides, avaient égale-
ment servi de texte au professeur
pour soutenir son opinion. Cepen-
dant la preuve matérielle de l'exis-
tence des nerfs du cœur pouvait et
devait seule être admise sans contes-
tation. Cette découverte produisit
une grande sensation parmi les sa-
vants. L'empereur François II en-
voya à Scarpa 4,000 sequins comme
un témoignage de sa haute estime.
Quelque temps après , on forma
un directoire médical , composé
des professeurs de l'université
et d'un praticien distingué de la
ville. Scarpa était chargé de l'exa-
men des jeunes docteurs qui vou-
laient exercer; car, en Italie, on
exige un examen spécial avant d'au-
toriser la pratique de la médecine. Il
surveillait en outre les médecins,
les chirurgiens et les pharmaciens de
la Lombardie. J.-P. Frank, venu de
Gœttingue à Pavie sur l'invitation de
rempereur,étaitdéjàdepuisplusieurs
années professeur dans cette ville; il
présidait le directoire pour la méde-
cine et la pharmacie, Scarpa pour la
chirurgie. Les Français avaient triom-
phé en Italie; le régime politique de
la Lombardie était changé ; elle
n'appartenait plus à l'Autriche ; on
venait d'organiser les Juniori, espèce
d'assemblée analogue au conseil des
Cinq-Cents en France. Scarpa fut
désigne pour en faire partie ; mais ,
trop attaché aux principes de la mo-
narchieauxquels il devait sa fortune,
il refusa , et ne fut point inquiété.
En 1796 fut fondée la république
SCA
transpadane. Scarpa, comme fonc-
tionnaire public, était tenu de prê-
ter serment au nouvel ordre de
choses. Son refus motiva son renvoi ;
il perdit toutes ses places et rentra
dans la vie privée. Il s'en consola en
visitant un plus grand nombre de
pauvres et en se livrant avec plus de
tranquillité à ses travaux. Cependant
il trouva dans sa retraite des com-
pensations ; il fut nommé, en 1798,
membre du collège royal de Madrid,
et, en 1800, du collège royal des chi-
rurgiens de Londres. Ces années pas-
sées loin du professorat permirent à
Scarpa de faire paraître la première
édition de son Traité sur les maladies
des yeux, qui fut traduit dans pres-
que toutes les langues de l'Europe.
Enfin, en 1803, deux autres ouvrages
du même praticien furent accueillis
avec un égal succès. C'est un traité
sur les pieds-bots, et surtout le grand
mémoire sur les anévrysmes, dont les
planches furent encore gravées par
Anderloni , mais sur les dessins ori-
ginaux du frère de l'auteur. C'est à
cette époque que Scarpa reçut le plus
bel hommage qu'un savant puisse
envier : on le nomma membre cor-
respondant de l'Académie des scien-
ces de Paris. Il fut préféré, dans cette
circonstance, au célèbre Humphrey
Davy. Depuis 1802, il faisait partie de
l'Institut italien des lettres, sciences
et arts \ il le méritait à double titre,
d'abord comme un des premiers chi-
rurgiens de son époque , et aussi
comme un artiste des plus habiles.
Nous savons qu'il avait dessiné avec
une rare perfection les planches de
ses principaux ouvrages. Il était en
outre grand amateur de tableaux, et
montrait dans leur appréciation une
incontestable supériorité. En 1805,
Napoléon alla se faire couronner roi
d'Italie à Milan -, il visita l'univer-
SCA
2i\
site de Pavie, reçut les professeurs
et demanda où était le docteur
Scarpa. On lui répondit qu'ayant
refusé de prêter le serment exigé
par les lois, il avait renoncé à son
emploi. «Eh! qu'importent le re-
« fus du serment et les opinions po-
« litiques? répliqua l'empereur; le
« docteur Scarpa honore l'université
« et mes États. • L'illustre médecin
lui ayant été présenté quelque temps
après : « Quels que soient vos senti-
« ments, lui dit Napoléon, je les res-
« pecte ; mais je ne puis souffrir que
« vous restiez séparé d'une institu-
« lion dont vous ê(es l'ornement. Un
« homme tel que vous doit, comme
« un brave soldat, mourir au champ
« d'honneur. » Scarpa redevint ce
qu'il était quelques années aupara-
vant ; bi'en plus, l'empereur le nom-
ma son chirurgien honoraire avec
une pension de 4,000 fr., le fit che-
valier de la Légion-d'Honneur et de
la Couronne-de-Fer. Peu de temps
après, on lui proposa de le porter au
corps législatif; mais Scarpa ne vou-
lut point accepter. Il eut toute sa vie
la politique en horreur, et n'eut
qu'une seule ambition, la plus belle
pour un médecin : celle de la science.
En 1809 et 1810, il fit paraître un
ouvrage ayant pour titre : Mémoires
anatomiques et chirurgicaux sur
les hernies. Ce livre mit le comble à
sa gloire. Consulté de toute l'Eu-
rope, comme l'avait autrefois été
son maître Morgagni , comme lui
aussi il était heureux de jouir enfin
de la réussite et de la satisfaction que
donnent les difficultés vaincues. Pos-
sesseur d'une grande fortune, cor-
respondant avec toutes les académies
de l'Europe dont il recevait les mé-
moires, il était comme un centre
vers lequel venaient converger tous
les progrès scientifiques de l'époque.
246
SCA
Les princes le consultaient, cl, en sa
qualité de médecin du roi d'ilalie, il
était raccoucheur de la femme d'Eu-
gène Beauharnais (Auguste-Amélie ,
princesse de Bavière); tout enfin
paraissait concourir à son bonheur.
Ne pouvant suffire à ses immenses
travaux, il avait adopté un jeune mé-
decin plein de mérite, déjà professeur
à l'université de Pavie, et auquel,
s'il fallait en croire certains bruits,
il tenait par les liens les plus intimes
du sang. La mort, en frappant le doc-
teur Jacopi, porta un coup terrible à
Scarpa, qui s'était plu à le considé-
rer comme un des soutiens de sa vieil-
lesse. Cette perte et des infirmités
douloureuses le firent tomber dans
un profond accablement ; il renonça
dès lors à l'enseignement public, et
chercha des consolations dans la lit-
térature, qui avait souri aux pre-
miers efforts de sa jeunesse. En 1 8 12,
à l'âge de soixante-cinq ans, il devint
directeur de l'école de Pavie. Bien
qu'il fût temps pour lui de prendre
dii repos, il écrivit néanmoins une
foule de méhioires sur différents su-
jets; et dans tous on remarque son
grand savoir et son prodigieux ta-
lent d'observation. Scarpa possédait
au village de Bosnasco une maison
de campagne qu'il s'était plu à em-
bellir. C'est là qu'il venait chaque
année se reposer du tumulte et des
discussions de l'école ; c'est là qu'il
composa les ouvrages qui ont fait sa
gloire. Passionné pour les beaux-
arts, il enrichit cette délicieuse de-
meure d'un grand nombre de tableaux
qu'il tira de l'Italie, cette terre clas-
sique des chefs-d'œuvre. Dans cette
collection, figuraient des aquarelles
et des miniatures dues au pinceau de
Scarpa lui-même, et qui auraient fait
honneur à un artiste de profes-
sion. Pour éviter les inconvénients
SCA
du changement brusque de la vie ac-
tive qu'il avait toujours menée avec
sa nouvelle position plus tranquille,
il avait pris le goût de la chasse et
de la culture. En 1820, il fit un long
voyage dans l'Italie méridionale, avec
le docteur Rusconi ; c'était comme
un adieu triste et tendre qu'il adres-
sait aux chefs-d'œuvre qu'avait vus
naître le siècle des Médicis, aux mo-
numents élevés par le génie de Mi-
chel-Ange, aux tableaux de Titien,
de Paul Véronèse, des Carrache, aux
toiles impérissables de Raphaël, qui
semblent avoir adopté pour patrie la
gracieuse ville de Florence. Enfin il
terminait sa carrière environné des
souvenirs poétiques et des ouvrages
littéraires qui avaient fait les délices
de sa jeunesse. Tite-Live , Cicéron ,
Virgile et tous les grands écrivains
qui avaient illustré le siècle d'Au-
guste, charmaient encore les loisirs
de ses vieux jours. De haute taille et
d'une physionomie sévère, il offrait
dans toute sa personne une gravité
mêlée de quelque rudesse f d'une sé-
vérité de principes incontestable, il
conserva jusqu'à la fin de sa vie une
sorte de hauteur dans son commerce
avec les hommes. Il ne connut point
les doux épanchements du cœur. Un
seul homme, le professeur Jacopi,
sut lui inspirer une vive amitié.
Il semblait que le grand chirurgien
ne voulût laisser germer dans son
cœur d'autre amour que celui de la
science. Aussi, malgré ses infirmités
et la faiblesse de sa vue, il continua
ses travaux, et trois mois avant de
mourir il fit paraître le troisième vo-
lume de ses opuscules chirurgicaux.
Dans une lettre adressée à "Weber,
on trouve des idées profondes sur
les ganglions nerveux et des aper-
çus qui faisaient l'admiration de Cu-
vier. Enfin, après cinq années de
SCA
souffrances , Scarpa mourut à Pavie
dans la nuit du 30 octobre 1832 , en-
tre les bras de son successeur le doc-
teur Panizza , fidèle à la religion de
ses pères, partisan des idées monar-
chiques qu'il avait toujours aimées,
et auxquelles il avait à une époque
sacrifié tous ses intérêts. Il y a ce-
pendant une tache dans la vie de cet
homme illustre. 11 était d'une avarice
presque sordide, et ce défaut perce
même dans son testament. Quoi-
qu'il possédât une fortune considéra-
ble, il ne fit pas lenioindre legs de
bienfaisance, et il institua son léga-
taire universel un de ses neveux.
Scarpa est un des hommes les plus
éminents que présente la chirurgie
militaire. Comme beaucoup de mé-
decins du temps de l'empire , il em-
brassa d'abord la pratique civile ,
mais, comme eux, il fut emporté par
le torrent de la politique, et cet
homme paisible vécut un moment
au milieu des camps. Tandis que nos
armées détruisaient en Italie la puis-
sance autrichienne et que les rois
de l'Europe ligués contre la France
défendaient leurs trônes menacés, la
science, qui n'a point de patrie, trou-
vait le moyen de grandir au sein
des orages, et poursuivait en silence
sa tâche commencée à travers les
siècles. Percy, qui connaissait si bien
le cœur du soldat^ Desgenettespri^n-
nier de guerre en Russie et renvoyé
en France par l'empereur Alexan-
dre dont il avait soigné les sol-
dats avec un si beau dévouement;
enfin le talent et la probité prover-
biale de Larrey ne donnent-ils pas
une belle idée des chirurgiens mili-
tairesdelafinduXVlli® siècle? Scarpa
vécut pour ainsi dire dans un mo-
mentdetransitîbn.Commé les beaux-
Arts et les lettres , la médecine avait
eu aussi son époque, de renaissance.
SCA
247
Héritier des immenses découvertes
et des erreurs grossières que lui
avaient laissées les temps antiques
et le moyen âge , l'art de guérir en
arrivant aux siècles derniers semble
un moment se recueillir ; les vieilles
et inutiles maximes tombent dans
l'oubli, les préjugés disparaissent,
et bientôt va naître un nouvel or-
dre de choses. Pendant les deux
siècles qui précèdent Scarpa , la mé-
decine se dépouille peu à peu de ses
fictions, l'anatomie entre dans une
ère nouvelle , les préceptes chirur-
gicaux trouvent des applications uti-
les, et la chimie va se montrer
dans toute sa splendeur. Studieuse
époque! au commencement de la-
quelle apparaît en France la naïve et
magnifique image d'Ambroise Paré',
et que l'on voit finir par l'illustre
académie de chirurgie. La période
d'années pendant laquelle Scarpa
fournit sa longue et laborieuse car-
rière n'est plus qu'un enchaînement
successif des découvertes les plus
importantes. L'anatomie passe à l'état
de science exacte , la physiologie ap-
puyée sur les belles études de la
chimie moderne explique la plupart
des phénomènes vitaux , l'art chi-
rurgical opère de véritables prodi-
ges -, enfin , l'application de la vac-
cine, l'hygiène et le traitement des
maladies, fopt monter la moyenne
de la vie humaine de 28 à 33 années.
Le principal mérite de Scarpa est
d'avoir contribué en grande partie
à donner l'impulsion vers les bonnes
études médicales et surtout vers les
recherches anatou^iques. On peut à
juste titre le considérer comme un
de ceux qui ont préparé l'état de
la chirurgie tel qu'il existe aujour-
d'hui. Parlant, presque toutes les
langues de l'Europe, il était au cou-
rant de ce qui se passait dans le
248
SCA
inonde médical. Son activité dévo-
rante et son immense désir de savoir
expliquent comment il a pu faire la
grande quantité d'ouvrages et de mé-
moiresquMI publia sur les sciences et
les beaux-arts. Mais ce qui est vrai-
ment extraordinaire, c'estque Scarpa
n'eut toute sa vie qu'une salle de
trente malades, et que c'est avec un
aussi petit nombre de faits patholo-
giques qu'il fournit néanmoins tant
d'aperçus de la plus haute impor-
tance. Ainsi la seule inspection cada-
vérique d'un individu mort d'ané-
vrysme lui servit de base pour écrire
le magnifique ouvrage sur ces affec-
tions. Si on considère ses œuvres chi-
rurgicales en elles-mêmes, on voit
que Scarpa se recommande surtout
parson traité des maladies des yeux,
ses travaux sur la ligature et son ou-
vrage sur les hernies. Dans son traité
d'ophthalmologie, on trouve d'abord
une grande clarté. Les médecins qui
se sont spécialement occupés de cette
partie de la science, savent, com-
bien il est difficile, dans les com-
mencements , de se rappeler et de
bien saisir les nuances délicates qui
séparent dans certains ouvrages telle
et telle affection du globe oculaire.
Les Allemands entre autres ont établi
tant de divisions et subdivisions, que
l'esprit le plus attentif a beaucoup
de peine à se retrouver dans ce dédale
de minuties scientifiques.Si l'ouvrage
de Scarpa présente moins de richesse
d'érudition, toujours est-il qu'on
embrasse plus facilement l'ensemble
et les données thérapeutiques. Le
grand mérite de ce livre est la su-
périorité de talent avec laquelle est
écrit le chapitre de la cataracte.
Lorsqu'il parut, on ne connaissait
guère en France qu'un traité par
maître Jean , imprimé à Troyes en
1707, et deux autres plus |récents :
SCA
l'undA à Deshay Gendron (1)\ et
l'autre à Desmonceaux (2). Il faut
donc tenir compte à l'auteur de
l'époque où il vivait et surtout de
l'imperfection des instruments dont
on pouvait disposer. On songe peu
aujourd'hui, en lisant un traité de
chirurgie où l'on trouve les procédés
opératoires décrits avec une si mi-
nutieuse exactitude et les inductions
thérapeutiques en apparence si fa-
ciles à saisir, on songe peu à tout ce
qu'il a fallu dejugement, nous dirons
presque de génie , à ces pères de la
science, pour nous laisser l'héritage
de leurs longues méditations. Scarpa
défendit dans son livre, dans ses
cours et par sa correspondance, la
méthode d'abaissement dans le trai-
tement de la cataracte. Il fallut toute
son opiniâtreté , la haute autorité de
son nom pour éloigner les opérateurs
de la méthode par extraction. On sait
quecetle opération est souvent un vé-
ritablequitteou double, etqu'en vou-
lant extraire le cristallin, on s'ex-
pose à vider l'œil tout entier. Scarpa
est l'inventeur d'une aiguille à cata-
racte qui porte son nom. La mé-
thode par abaissement, qu'il tira de
l'oubli , eut bientôt un défenseur
dans le célèbre Dubois. Aujourd'hui
toutesces choses ont reçu la sanction
des années; et seulement à l'excep-
tion d'un savant professeur de Paris,
M. Roux, et d'un petit nombre d'opé-
rateurs, tout le monde pratique l'opé-
ration delacataracte parabaissement.
Cette méthode beaucoup plus simple
n'expose pas à des chances aussi mal-
heureuses , et peut être pour ainsi
dire renouvelée indéfiniment ; on sait
que Dupuytren l'a pratiquée jus-
(i) Paris, 1770, 2 Tol. in-i2.
(2) Traité des maladies des jeux et des
oreilles, ptiT Desmonceaux. Paris, 1786,2
vol. in-S",
SCA ,
qu'à onze fois sur le même sujet qui
finit par guérir.Les travaux de Scarpa
sur les ancvrysmes sont encore très-
remarquables. A l'exemple de Haller
et de Murray , il fait voir que les ar-
tères , parties d'un centre commun ,
vont aux extrémités ducorps humain
par une succession non interrompue
desubdivisions^ il embrasse l'ensem-
bledes différentes anastomosesde l'ar-
bre artériel, et montre de quelle ma-
nière se rétablit la circulation quand
un vaisseau d'un certain calibre se
trouve oblitéré. Il explique comment
l'extensibilité des artères se prête à
une dilatation progressive pour en-
voyer à un membre dont la principa-
le artère a été liée la somme de fluide
sanguin qui lui estnécessaire. Passant
à l'anatomie pathologique du vais-
seau, il n'admet qu'un seul ane'-
vrysme , celui dont la cause réside-
rait dans une sorte de cachexie vas-
culaire, qui altérerait d'une manière
toute spéciale la contexture même du
tissu; il nie à tort la dilatation par-
tielle du cœur ou des artères. Cette
affection , que l'on peut considérer
comme un anévrysme partiel, a été
beaucoup mieux étudiée depuis*, on
sait que l'illustre Talma mourut
d'une dilatation partielle du cœur.
Comme traitement, Scarpa conseille
d'appliquer la compression ou une
ligature entre le cœur et le vaisseau
malade et dans un point où l'artère
conserve toute son intégrité. Le but
du chirurgien est de déterminer une
inflammation adhésive qui oblitère le
canal artériel. On conçoit que cette
inflammation bienfaisante ne peut
s'opérer que lorsque l'artère est
saine. Scarpa conseille de ne pas bri-
ser les tuniques internes en serrant
le til de la ligature. De nombreuses
expériences sur leschiens lui avaient
appris que l'oblitération du vaisseau
SCA
249
a lieu plus facilement 'par la simple
juxtaposition de la tunique interne,
soit par la compresssion médiate,
soit par le simpk étranglement pro-
duit par un lien à ligature. Il se
montre partisan de l'opération de
la ligature par la méthode française
dite d'Anel , qui permet d'une ma-
nière plus facile la circulation du
sang au moyen des anastomoses. La
méthode de Hunter laisse en ce sens
moins de chances de réussite. Dans le
traitement de l'anévrysme de l'ar-
tère poplitée, Hunter avait conseillé
de lier l'artère à sa sortie du troi-
sième adducteur; Scarpa eut le pre-
mier l'heureuse idée de porter le fil
de la ligature au bas de l'espace in-
guinal ; il évitait ainsi toutes les dif-
ficultés qui se rencontrent dans la
méthode précédente. C*est dans son
traité des anévrysmes que Scarpa
brille surtout par ses connaissances
anatomiques. Dans quelles circon-
stances l'art opératoire peut-il reti-
rer de plus belles indications ? De-
puis que Scarpa a si ingénieusement
décrit les anastomoses artérielles du
corps humain, on a lié les carotides,
la crurale, les artères iliaques ex-
terne et interne. Un chirurgien an-
glais, Astley Cowper, a même osé
porter le fil d'une ligature jusque
sur l'aorte abdominale; et, poussant
à l'extrême limite la confiance dans
l'efficacité des anastomoses artériel-
les, il a entre autres invoqué, pour le
rétablissement de la circulation du
sang* chez le malade qu'il a opéré,
l'anastomose de la mammaire interne
et de l'épigastrique. On sait aujour-
d'hui ce qu'il faut penser de la multi-
plicité des anévrysmes chez le même
indi'Vidu, et de ce que les médecins
ont imaginé d'appeler la cachexie ané-
vrysmale. 11 ne fallait, cependant,
rien moins que l'autorité d'un des
250
SCA
praticiens les plus distingués de notre
époque pour éclairer entièrement
cette question et faire voir que cette
maladie est le résultat de Tinflamma-
tion se prolongeant sur les tubes ar-
tériels. Voici à cet égard ce que dit
M. Bégin de la prétendue diathèse
anévrysmale. « Qui ne voit qu'elle ne
consiste, chez les sujets sur lesquels
on l'observe, que dans l'existence
d'artérites chroniques, étendues et
profondes, dont les progrès, en don-
nant lieu, sur divers points, aux mê-
mes désordres, multiplient successi-
vement aussi les mêmes résultats?»
Dictionnaire de médecine et de chi-
rurgie pratiques (tome li, p. 414).
Dans l'ouvrage in-fol. sur les hernies,
on reconnaît encore l'anatomiste ha-
bile et le grand chirurgien. Scarpa in-
dique d'une manière admirable le
mécanisme de production de certaines
hernies inconnues ou inexpliquées
avant lui. Contrairement à l'opinion
reçue, il montre que ce qu'on regar-
dait comme un anneau est réelle-
ment une sorte de canal qiri semble
prêt à recevoir les différents organes
qu'une disposition locale particu-
lière ou un effort imprévu tend
^ chasser à l'extérieur. Scarpa se
montre partisan du débridement
multiple de l'anneau, et donne à cet
égard des conseils que les plus
grands chirurgiens ont suivis avec
succès. Enfin, il a jeté dans cet
immortel ouvrage le plus gr^nd jour
sur le mécanisme que la naturq .em-
ploie à réparer les pertes d'intes-
tin gangrené par suite de l'étrangle-
ment, sur la formation de l'infundi-
bulum et l'éperon intestinal. L'in-
fluence des écrits de Scarpa fut
immense. Nous ayons vu que c'est
lui qui donna en Angleterre les pre-
mières notions exactes sur les mala-
dies des yeux \ ses préceptes d'ana-
SCA
tomie chirurgicale , semés k chaque
page dans ses œuvres, se répandirent
partout. Les deux plus grands hom-
mes, quand on parle de médecine
opératoire et d'anatomie, Dupuytreu
et Cuvier, étaient ses admirateurs.
L'Europe entière, malgré la difficulté
des communications, applaudit à ses
succès; et les différentes académies
sanctionnèrent par des votes una-
nimes les éloges du public médical.
Scarpa fut un savant dans toute l'ac-
ception du mot. Quelques grands chi-
rurgiens ont dû leur réputation à une
élocution facile et à la méthode bril-
lante avec laquelle ils exposaient à
un auditoire attentil" les progrès de
la science; d'autres ont obtenu les
suffrages par leur manière heureuse
de pratiquer les opérations. Scarpa
eut tout cela sains doute, mais il est
surtout remarquable par son esprit
d'analyse et d'observation pratique ;
non-seulement il possédait les écrits
des médecins de l'antiquité et aurait
pu comme tant d'autres les citer à
tout propos, mais encore il les com-
mentait et savait au besoin combattre
leurs opinions pour en émettre de
meilleures. Scarpa est l'homme des
découvertes, si l'on peut appeler ainsi
la manière d'observer ce que lès
autres n'ont jamais vu, ou n'ont fait
qu'entrevoir Imparfaitement. Si l'on
jette un rapide coup d'œil sur l'épo-
que où il vécut , on voit qu'il eut
de glorieux collaborateurs et fui
avec eux un des rénovateurs de la
médecine et d£ la chirurgie mo-
dernes. Dans l'ouvrage que Morgagni
publia en 1712 sous le titre de Nova
institutionum medicarum idea^ ce
grand praticien donne d'excellents
conseils aux jeunes gens qui étudient
la médecine ; il leur recommande l'é-
tude de l'anatomie pratique , les en-
gage à voyager, à suivre les hôpi-
SCA
taux et à écrire en latin. Scarpa, on
le sait, écouta les conseils de son
maître ; il lut les ouvrages de Ruysch,
Boerhaave, Heister, Winslow, Mekel,
Senac, tous contemporains de Mor-
gagni. L'impulsion donnée par ces
grands anatomistes se continue et
s'étend dans la période d'années qui
s'écoule après eux. Camper (3) écrit
un ouvrage d'auatomie, Santorini(4)
fait paraître des planches sur cette
matière, et les vaisseaux lymphati-
ques sont décrits par Masgagni (5).
Bientôt SœmmeHng (6) met au jour
un Traité d'anatomie générale tt
n'est pour ainsi dire que le précur-
seur de Bichat. Cet homme, d'unim-
mense talent, apparaît quelques an-
nées sur la scène médicale, et dans
les courts instants que lui laisse sa
dévorante activité pour l'étude des
dissections anatomiques, il fait deux
ouvrages qu'il donne avant de mou-
rir, comme un gage éternel de son
génie. Enfin , plus récemment ,
BoyeretChaussier, Gail,Spurzheim,
et enfiti Cuvier apportent dans Të-
tude de l'anatomie la plus rigou-
reuse exactitude. L'étude des ma-
ladies chii-urgicales comme la scien-
ce anatomique fait de continuels
progrès, depuis la naissance de Scar-
pa jusqu'à sa mort; les discussions
qui ont lieu sur quelques modes de
médecine opératoire n'y apporteiit
aucun obstacle. Scarpa, dàhs ce
mouvement scientifique , seconde
l'œuvre de l'illustre Jean-Louis Pe-
tit; il est lui-même aidé avec bon-
SCA
251
(3) P. Camper. Démon strationes ànàlo-
mictBy Amst., 1760, in-folio.
(4) J.-D. Sanlorjni. Tahulœ anatomica,
Parme, 1776, in-folio.
(5) Masgagni. tasorum Ij-mphaticorum
historia. Sienne, 1787, in-folio.
(6) Sœmmering. 1)* eorporis Kiéianî fa-
hric.y 1794» 6 vol. in-80.
heur par Chopart et Lassus, enfin
par le grand chirurgien (Desauît)
qui vit naître et mourir Bichat, et
dont les restes sont en ce moment
déposés sous le péristyle de l'Hôtel-
Dieu. Si on envisage l'ensemble des
études essentiellement médicales ,
on ne voit dans une période de
soixante ans qu'une suite d'opinions
et de systèmes qui, la plupart du
temps contradictoires,finissent néan-
moins par faire jaillir la lumière et
amènentdes résultats immenses dans
le diagnostic et le traitement des
maladies. Depuis le grand Syden-
ham Jusqu'à nos jours^ que de re-
cherches, que de théories ingénieu-
ses pour expliquer les causes des
maladies! discussions souvent ha-
sardées, quelquefois pleines de gé-
nie, que le même siècle et souvent
la même année vit se montrer et dis-
paraître. Les noms de Sauvages, de
Bordeu, de Stoll, de Zimmermann,
de Torti,et ceux de Barthez, Cullen,
Brown, Pinel, Broussais, ne disent-
ils pas toute cette époque? Les der-
niers toutefois rappellent d'une ma-
nière plus exacte l'agitation des
idées médicales du temps de Scarpa,
discussions auxquelles ce grand chi-
rurgien ne prit pas une part active,
mais qui furent loin de lui être in-
différentes. En 1780 Cullen, nourri
des préceptes d'Hippocrate et de
Galien, met au jour une doctrine
médicale qui n'est qu'une nouvelle
forme des idées antiques, enrichie
de découvertes basées sur la circu-
lation du sang et les progrès de l'a-
natomie, lorsque s'élève à côté de
lui et sous ses yeux un systèmehardi,
quoique erroné dans ses applications
comme dans son principe. L'Écossais
Brown, élève de Cullen, combat tou-
tes les théories de son maître, et
soutient que la vie ne s'entretient
253
SCA
que par l'incitation. Les idées de
firown sur les phénomènes de Texi-
stence et la manière d'être des af-
fections morbides passèrent en Al-
lemagne et en Italie, oii elles
trouvèrent beaucoup de partisans.
Rasori, en inventant le contro-sti-
«lulisme, attaqua vivement les idées
■de Brown. Celui-ci conseille les ex-
citants dans la plupart des affections
morbides, notamment dans l'apo-
plexie ; Rasori, au contraire, ne voit
presque toujours dans les maladies
qu'un excès d'incitaiion et ordonne
les débilitants : c'est la méthode de
Brown en sens inverse. Malgré l'op-
position de Rasori, les idées du
médecin écossais jouirent d'une
certaine faveur, et il fallut l'infa-
tigable activité de Broussais pour
détruire en entier cette doctrine ho-
micide, dont Brown fut lui-même
la plus remarquable victime. Brous-
sais, après avoir étouffé dans ses bras
puissants le Brownisme qui venait de
naître, combattit la théorie de Pinel
sur les fièvres essentielles, fascina la
jeunesse française par sa parole élo-
quente, la fit renoncer à deux mille
ans de croyances médicales pour lui
imposer ses idées sur l'inflammation.
Magnifique doctrine, trop séduisante
et trop facile pour être durable, et
qui est morte en partie avec son il-
lustre auteur! N'en sommes- nous
pas venus aujourd'hui, en chirurgie
et en médecine, à une époque que
nous pourrions appeler éclectique, oii
chaque praticien consciencieux, en
appréciant froidement , comme le
fera la postérité, les idées contempo-
raines, doit adopter celles qui lui
paraissent le plus en rapport avec la
nature, qui sera toujours le premier
guide du médecin ? Nous diviserons
les travaux de Scarpa en anatomi-
ques et chirurgicaux. Les premiers
SCA
sont : I. De structura fenestrœ ro-
tundœ auris et de iympano secun-
dario anatomicœ observationeSy
Modène, t772, in-4°. Haller, dans sa
Bibliotheca anatomica (t. XI ,
p. 696), fait le plus grand éloge de
cet ouvrage. II. Ânatomicarum an-
notationum liber primusdegangliis
et pleœubus nervorum^ Modène,
1779, in-4°, avec fig. Il existe une
autre édition sans date niindicalion
de lieu, mais elle fut hautement dé-
savouée par l'auteur. Elle est d'ail-
leurs incomplète et fourmille de fau-
tes d'impression. III. De promoven-
dis ânatomicarum administratio-
num rationibus oratio ad tyrones
habita in audit, magno Archigymn.
ticin.y Pavie, 1783, in-4o. Le profes-
seur Ludwig fit , peu de temps après,
réimprimer ce discours à Leipsick.
IV. Sur un taureau-vache appelé
par les Anglais Free-Martin^ Vé-
rone, 1784 {voy. Mém. de la Société
italienne, t. II, part. H). C'est un
fait constant que toutes les fois
qu'une vache dépose en même temps
deux individus mâles ou femelles, ces
deux individus sont complets. Mais si
l'un d'eux est mâle et que l'autre
soit en apparence femelle, ce der-
nier, pour parler rigoureusement,
n'est ni mâle ni femelle, et par con-
séquent impropre à la génération.
C'est un être tout à fait en dehors de
l'ordre naturel ordinaire, car il réu-
nit, d'une manière imparfaite il est
vrai, les parties génitales de l'un et
et de l'autre sexe. Les anciens avaient
eu connaissance de ce phénomène,
témoin Columelle, qui, ne pouvant
appeler un tel être ni taureau, ni va-
che, lui donne le nom de taure.
Scarpa en communiqua un exemple
à la Société littéraire italienne de
Vérone, venant ainsi à l'appui de
ceux qu'avait déjà annoncés le ce-
SCA
lèbre Jean Hunter. V. In solemni
theatri anatomici ticinensis dedica-
tione oratio^ Pavie , 1785 , in-4*'.
VI. Ànatomicarum annotationum
liber secundus, de organo olfactus
prœcipuo, deque nervis nasalibus e
pari quinto nervorum cerebri, Pa-
vie, 1785, in~4°; Pavie et Milan,
1792, in-é**, avec fig. VU. Dener-
vo spinali ad octavum cerebri ac-
cessorio commentarius , mémoire
inséré dans les Àcta med. chirur-
gica de Vienne, t. l^^ , année 1783.
Vlll. Anatomicœ disquisitiones de
audiiu et o//acfi*, Pavie, 1789, in-
fol., avec fig. IX. Tabulce nevrolo-
gicœ ad illustrandam historiam
anatomicam cardiacorum nervo-
rum, noni nervorum cerebri, glosso
pharyngei, et pharyngei ex octavo
cerebri^ Pavie, 1794, in-fol.,aveclig.
X. De penitiori ossium itructura,
Leipsick, 1799, in-4°; réimprimé
dans les Mémoires de physiologie et
de chirurgie, publiés par Leveillé,
Paris, 1804, in-S». En 1823 , le doc-
teur Meding, dans sa thèse pour le
doctorat, ayant élevé des doutes sur
la doctrine de Scarpa, celui-ci fit
réimprimer son ouvrage sous le titre
De anatomia et pathologia ossium^
Pavie, 1827 , in-4°, après y avoir
ajouté un Mémoire de eœpansione
ossium, deque eorumdem callo post
fracturam. XI. De gangliis nervo-
rum deque origine et essentia nervi
intercostalis ad illustrem virum
Benricum Weber anatomicum lip-
siensem Epistola , 1831. XII. De
gangliis deque utriusque ordinis
nervorum per universum corpus dis-
tributione ad eumdem Epislola^
1831. Ces deux lettres se trouvent
dans les Opuscules de chirurgie,
dont nous parlerons plus loin. Les
principaux ouvrages chirurgicaux
de Scarpa sont ; XIH, Essai d'obser-
SCA
253
vations et d'expériences sur les prin-
cipales maladies des yeux, Pavie,
1801, in-4% avec fig. La cinquième
édition a pour titre : Traité des prin-
cipales maladies des yeux, Pavie,
1816, 2 vol. in-80. Cetexcellent livre
a été traduit dans presque toutes les
langues de l'Europe, et trois fois en
français : par M. Leveillé (Paris, 1802,
2 vol. in-8o; seconde édition, 1807)^
par MM. J.-B. Bousquet et IN. Bel-
langer (Paris et Montpellier, 1821,
jn-8<>) ; et enfin par MM. Fournier-
Pescay etBégin (Paris, 1821, 2 vol.
in-8°). XIV. Mémoire sur les pieds-
bots et sur la manière de corriger
cette difformité congénitale, Pavie,
1803, in-4'', avec fig., traduit, par
M. Leveillé dans les Mémoires ciiés
plus haut. XV. Sur l'anévrysme :
Réflexions et observations anato-
mico' chirurgicales, Pavie, 1804, in-
fol., avec fig. ; traduit en français,
parM.J.Delpech, Paris, 1813,1815 et
1821, in-8*', et par M. C.-P. OUivier,
Paris, Î821, in-8°. XVI. Sur les her-
nies, mémoires anatomico- chirurgie
eaux, Milan, 1809, in-fol.; Irad.
en français par M. Cayol, Paris, 1812,
in-8«, et par M. Ollivier, Paris, 1823,
in-8°. XVII. Éloge historique de
Jean^Baptiste Carcano-Leone^ Mi-
lan, 1813, in-4°. Carcano avait été
professeur d'anatomie à Tuniversilé
dePadoue, depuis 1573jusqu'en 1600,
et avait publié des Traités estimés.
Cet Éloge a été traduit en anglais
par M. Wishart, professeur de chi-
rurgie à Edimbourg. XVIII. Mémoire
sur la ligature des principales ar-
tères des membres^ avec un appen-
dice à l'ouvrage sur Vanévrysme, Pa-
vie, 1817, in-4o;trad. en franc., 1822,
in-8°. XIX. Lettre au professeur An-
toine Vaccd-Berlinghieri, sur la li-
gature des grosses artères, et réponse
de celui-ci, Pise, in-8°, XX. lettre
254
SCA
au docteur Omodei, sur la ligature
temporaire des grosses artères des
membres^ Milan, in-8°. XXI. Sur la
taille hypogaslrique pour l'extrac-
tion de la pierre, Milan, 1820, in-4°.
XXn. Sur le squirre et le chancre^
Milan, 1821, in^". XXlU.Sur la her-
nie du périnée, Pavie, 1821, in-fol.,
avec fig.; trad. en franc, par MM. 01-
livirr etBichard, Paris, 1823, in-8°.
XXIV. Essai d'observations sur la
taille recto-vésicale pour l'extrac-
tion de la pierre^ Pavie, 1823, in-
fol., avec fig. *, traduit par M. OUi-
vier, sous le titre de Traité de Vo-
pération de la taille, Paris et Mont-
pellier, 1825, in-80. XXV. Mémoire
sur rhydrocèle du cordon sperma-
tique, Pavie, 1823, in-fol., avec tig.;
trad. franc, par M. Ollivier, et inse'-
ré dans les Archives générales de
médecine. XXVI. Pourquoi la liga-
ture temporaire de la grosse artère
d'un membre pour obtenir la guéri-
son radicale de V anévrysme a été
parfois regardée comme inefficace;
dans les Annales d'Omcdei (1830),
et traduit par M. Ollivier dans les
Archives générales de médecine. Les
écrits de Scarpa, cités depuis le nu-
méro XVIII, ont été réunis et publiés
avec un grand nombre d'autres mé-
moires inédits du même auteur dans
les Opuscules de chirurgie, Pavie,
1825-1832, 3 vol. m-4", avec fig.
Scarpa a de plus laissé deux écrits
qui attestent une profonde connais-
sance dans les arts. Ce sont : 1** Let-
tre au comte Marenzi^ sur un por-
trait attribué à Raphaël (dans la
Bibliotheca italiana de juin 1829 ) ;
2° Sur un casque en fer d'un travail
exquis, opuscule publié en 1831. Le
docteur Vannoni entreprit, en 1886,
une édition des œuvres complètes
de Scarpa, dans laquelle les ouvra-
ges latins sont traduits en italien et
SCA
augmentés des notes de Vaccà, Betti,
Laennec,01livier,etc. ,Florence, trois
parties in-8" à deux colonnes. —
Scarpa avait un frère {Dominique).,
médecin comme lui, qui Paida dans
plusieurs de ses travaux , surtout
dans le dessin des planches anato-
miques. Il est mort en 1844.
L.— D— É.
SCARPARIA (jACQUES-A?<GEde),
l'un des Italiens qui montra le plus
de zèle pour la renaissance des let-
tres et des arts, naquit en Toscane. Ce
fut lui qui, vers l'an 1397, attira Ma-
nuel Chrysoloras de Venise k Flo-
rence. Sous la direction de cet ha-
bile maître, il fit de tels progrès dans
l'étude de la langue grecque, qu'il
reçut bientôt du pape Alexandre V
la mission de traduire en latin la
Géographie de Ptolémée. Cette tra-
duction fut imprimée pour la pre-
mière fois à Bologne, chez Domini-
que de Lupis , sous la date de 1462
(M. CCCC. LXII), et cette date, évi-
demment erronée , a rendu cette
édition célèbre parmi les bibliogra-
phes. Le premier ouvrage publié en
Italie avec date est le Lactance, sorti
en 1465 des presses du monastère
de Subiaco; le Ptolémée est bien
moins ancien ; personne ne le con-
teste, mais comment faut-il rectifier
l'indication de son frontispice ? Quel-
ques savants pensent qu'il y a un X
d'oublié ; d'autres qu'il a été omis
deux XX; d'autres, enfin (et cette
opinion est la plus vraisemblable),
c'est qu'un I a pris la place d'un L ,
et qu'il faut lire LXLI, ce qui signi-
fie 1491. Quoi qu'il en soit, il existe
de ce Ptolémée une autre édition
d'Augsbourg, 1482, que les curieux
recherchent à cause des trente-deux
cartes gravées en bois qu'elle ren-
ferme. Des exemplaires imprimés sur
peau-vélin ont été payés, à Londres,
SCA
au-delà de trente livres sterliiig, à
la vente des belles bibliothèques de
Sykes et d'Hibbert.On connaît quel-
ques autres éditions, mais elles ne
sont pas d'un grand prix. La criti-
que moderne a relevé diverses mé-
prises dans le travail de Scarparia;
cependant il faut,pour être juste à son
égard, lui tenir compte du peu de res-
sources qu'il avait k sa disposition,
lorsqu'il ne pouvait consulter que des
manuscrits déplorablement incor-
rects. En 1400, il se rendit à Constan-
tinople, d'où il revint à Rome, et en
1405 il fut élevé à l'emploi impor-
tant de secrétaire intime du pape.
Son nom s'est retrouvé sur un acte
daté de 1410, mais on ignore ce
qu'il devint depuis et quelle fut l'é-
poque de sa mort. Il a laissé une
Histoirede Cicérone réimprimée plu-
sieurs fois durant le XVl^ siècle ; une
lettre qu'il adressa kChrysoloras sur
l'élection du pape Grégoire XII a été
publiée avec les lettres de Léonard
Dati (Florence, 1743, in-8°, p. 61-
95). Il reste encore à l'état de ma-
nuscrit diverses traductions qu'il
acheva de quelques ouvrages grecs.
Mehus a donné une notice sur sa vie
dans l'édition que nous venons d'in-
diquer des Lettres de Dati. Pour de
plus amples détails, nous renverrons
à Nicéron, à Prosper Marchand et à
Mazzucchelli. B— n — ï.
SCARPELÏ.II\I(rabbé FÉLICIEN),
astronome italien, naquit à Foligno
le 20 octobre 1762. 11 entra de bonne
heure dans la carrière ecclésiastique
et se rendit, jeune encore, à Rome où
il remplit différents emplois, tout en
se livrant à l'étude des sciences et
surtout de l'astronomie. Il était
professeur à l'Académie de Rome
lorsqu'il fut envoyé en 1802 aux co-
mices assemblés à Lyon. C'est à lui
que Rome doit la fondation de l'ob-
SCA
255
servatoire du Capitole et la restau-
ration de l'Académie des Lincei dont
il devint secrétaire perpétuel. L'ab-
bé Scarpellini mourut à Rome le
l^"^ décembre 1840. 11 avait été fait
chevalier de la Légion-d'Honneur
par Napoléon. Parmi ses ouvrages
nous citerons : ï. Tableau des opé-
rations faites à Rome pour l'éta-
hlissement du système métrique^
Rome, 1811. II. Mémoire sur queU
ques nouveaux réflecteurs en cuivre
pour les grands teiescopes. Après la
mort de Scarpellini, le gouverne-
ment romain s'empressa d'acheter
le cabinet de physique qu'il avait
formé et dont les principaux instru-
ments avaient été confectionnés par
lui-même. Voy, pour plus de dé-
tails la notice italienne qu'a publiée
sur ce savant M. Benoît Trompée
(Pise, 1841, in-8"; et sec. éd., Rome,
1841, in-8»). Z.
SCARUFFÏ (Gaspard), le plus
ancien écrivain d'économie politi-
que de l'Italie, naquit à Reggio, vers
1515, d'une famille noble et riche.
Il était encore fort jeune lorsqu'il
fut chargé de diriger l'hôtel des mon-
naies qui existait dans sa ville natale,
et il remplit cet emploi avec beau-
coup de talent. Les connaissances
qu'il y acquit le firent envoyer,
en 1575, auprès du duc de Ferrare
Alphonse II, afin de prendre les me-
sures propres à arrêter les désordres
monétaires qui devenaient de jour
enjour plus affligeants, et qui avaient
leur source dans les guerres de
Charles -• Quint. Plusieurs années
après cette députation , Scaruffi pu-
blia le mémoire qu'il avait rédigé
pour le duc, et qu'il intitula: VAli-
tinonfo per far ragione e concor-
danza d'oro e â^argetito che servira
in universale per provvedere agit
infiniii abusi del tosare e guastarc
056
SCA
moneff, etc., Reggio, Hercoliaiio Bar-
toli, 1582 , in-8°. Dans cet ouvrage,
qui est devenu très-rare et qui est
dédié au comte Alphonse Tassoni ,
juge au tribunal des sages et conseil-
ler intime du duc de Ferrare, Fau-
teur propose de soumettre tous les
objets d'or et d'argent à la garantie,
c'est-à-dire à la marque, et c'est par
conséquent à lui qu'on doit l'adop-
tion d'une mesure aussi sage et qui est
aujourd'hui universelle. Il y propo-
sait aussi un seul système monétaire
pour tout l'univers, et indiquait les
moyens d'arriver à ce résultat ; mais
cette seconde mesure ne devait être
commencée en France que deux siè-
cles plus tard , et ce n'est que très-
liuitement qu'elle se propage chez
les autres nations. Scaruffi était fort
riche et faisait un emploi magnifique
de sa fortune. 11 acheta, au prix de
1,200 écus d'or, deux statues colos-
sales représentant Hercule et Lépi-
dos, de démenti, plus connu sous
son prénom de Prosper d'après l'u-
sage italien pour les artistes. Ce
sculpteur était fort lié avec lui et
avait écrit sur son livre un commen-
taire qui a pour titre: Brève istruzio-
ne sopra il discorso fatto dal magn.
M, G. Scaruffi per regolare le cose
delli denari, et qui fut joint à VÀli-
tinonfo. Scaruffi mourut à Reggio en
1584. A— Y.
SCAYENIUS(Broenum), conseil-
ler d'État et bibliophile danois , fut
d'abord facteur de lacompagnie asia-
tique , à laquelle il procura des bé-
néfices considérables pendant sa ges-
tion au Bengale. Pour l'en récom-
penser on frappa à son retour une
médaille en son honneur, et il ob-
tint en même temps le titre de con-
seiller de justice. Scavenius fit un
noble emploi de la fortune qu'il avait
amassée dans le cours de ses voya-
SCA
ges. Il encouragea l'agriculture, les
sciences, les arts et ceux qui les cul-
tivent; lui-même publia quelques
ouvrages et fournit des fonds pour
des recherches relatives aux anti-
quités nationales. Ayant conçu le
projet d'établir à Copenhague une
bibliothèque publique, il acquit à
cet effet celle de P.-T. Vandal , mais
elle fut consumée par un incendie
en 1794; il répara ce malheur en
achetant la bibliothèque du conseil-
ler Schmidt, à laquelle il annexa des
collections de médailles et d'histoire
naturelle. Cet établissement fut en-
core détruit, en 1807, lors du bom-
bardement de Copenhague par les
Anglais. Enfin, Waldum , son ami ,
voulant seconder ses intentions gé-
néreuses, lui légua, en 1815, une
troisième bibliothèque. Scavenius
mourut, dans sa terre de Giorslow,
le 20 juin 1820. Z.
SCAVINI (J.-M.), docteur-méde-
cin, naquit à Saluées, en Piémont, en
1761, fit ses études médicales k Tu-
rin et acquit dans cette ville une
grande réputation par la pratique de
son art. Nommé professeur de clini-
que à l'Université , il enseigna avec
beaucoup de succès et composa en
même temps plusieurs écrits très-re-
marquables. Il mourut à Turin en
1825. On a de lui : I. Précis histori-
que de la doctrine de l'inflamma-
tion, depuis Hippocrate jusqu'à nos
jours, Turin, 1811, in-8". II. Obser-
vation sur Vamputation faite à un
enfant de cinq mois du doigt an-
nulaire de la main droite, ayant la
forme et les dimensions du gros or-
teil d'un adulte; suivie de quelques
remarques sur l'influence de l'ima-
gination de la femme grosse sur le
fœtus renfermé dans son sein, Turin,
1812, in-8°, avec une planche, lll.
Une Dissertation en langue italienne
SCE
sur la goutte et les goutteux. Ce sa-
vant venait d'achever un ouvrage
plus important encore que ses autres
écrits, et dont les amis de la science
attendent la publication. B— n— t.
SCtVE (Maurice), écrivain lyon-
nais de la première moitié du XVI®
siècle, cultiva la poésie, la musique,
fut peintre et architecte. Il fui acca-
blé des éloges les plus pompeux par
les écrivains du teujps; Clément Ma-
rot, E. Dolet, Sainte-Marthe l'ont
porte aux nues. Il faut convenir que
de tels panégyriques doivent nous
inspirer quelques craintes pour ceux
de nos grands hommes auxquels les
journaux et les revues du jour pro-
diguent leur admiration ; peut-être
auront-ils, dans trois ou quatre siè-
cles, un sort pareil à celui de Scève.
Les œuvres de ce poète ne se rencon-
trent aujourd'hui que chez quelques
bibliophiles jaloux de posséder ce
que fort peu de gens peuvent avoir.
En 1544, il mil au jour, sous le titre
de Délie, object de plus haulte
vertu^ un volume in-8», contenant
458 dizains et cinquante emblèmes
gravés sur bois, le tout en l'hon-
neur d'une belle qu'il célèbre en
vers presque inintelligibles. C'est un
mélange d'érudition , de concetti
rattinés, de tout ce que l'imitation
de Pétrarque a pu suggérer de plus
subtil et de plus recherché. M. Sain-
te-Beuve, dans son Tableau histori-
que et critique de la poésie fran-
çaise^ a cité quelques dizains, les
meilleurs qu'il ait pu retirer de cet
illisible recueil. En 1547, Scève livra
à l'impression un dialogue pastoral,
intitulé : Saulsaye^ églogue de la
vie solitaire. Philerme, blâmé par
son ami Anlyre de se plaire dans
une solitude farouche, lui répond
que se voyant dédaigné de Belline ,
la souveraine de son cœur, il s'est
LXXXI.
SCH
3&7
retiré dans un lieu sauvage :
Pour resjouyr quelque pea ses esprits
Qui tant estoyentde mortel deuil surpris.
11 y a quelques traits de passion dans
celte pièce, et le style ne manque ni
de naturel ni d'élégance. Un libraire
intelligent et amateur des vieux mo-
numents'de notrelitiérature,M. Pon-
tier, donna, en 1829, une réimpres-
sion de la Saulsaye; 79 exemplaires
seulement en furent tirés. Scève est
encore auteur d'une autre églogue,
intitulée : Arion (Lyon, 1536, in-8«),
consacrée à déplorer le trépas pré-
maturé de François , dauphin de
France et fils de François P'^; il fit
imprimer, en 1562, un long poème
en vers alexandrins sous le nom du
Microcosme-, mais, à part leur rareté,
qui est incontestable, ces deux écrits
n'ont rien qui les recommande à
l'attention des curieux. B~n— t.
S C H A D O W (Jean - Godefroi) ,
professeur et vice-directeur de TA-
cadéaiie des beaux-arts de Berlin,
et l'un des plus célèbres sculpteursde
l'Allemagne, naquiten 1764,à Berlin,
et monira de bonne heure un goût
décidé pour le dessin; mais son père,
pauvre tailleur chargé de famille,
n'eût jamais pu mettre à profit les
heureuses dispositions de ce fils sans
l'intérêt qu'elles inspirèrent aux
premiers artistes de la Prusse. Scha-
dow avait déjà faitdegrands progrès
dans l'art de la sculpture lorsqu'il
s'enfuit a Vienne avec une jeune tille
qu'il aimait et qu'il y épousa à l'âge
de vingt - un ans. Son beau - père
ayant consenti à l'envoyer en Italie,
il s'y rendit en 1785 et passa deux-
années à étudier avec un zèle infa-
tigable dans les Musées du Vatican
et du Capitole. En 1788, le ministre
d'État Heinitz lui fit avoir l'emploi
de sculpteur de la cour. Son pre-
mier grand ouvrage en Allemagne
17
us
SCH
fut le monument élevé au jeutïe
comte de La Marche, fils naturel de
Frédéric-Ie-Grand. Ce superbe tra-
vail fut bientôt suivi de plusieurs
autres non moins remarquables, et
parmi lesquels nous citerons la sta-
tue colossale du général de Ziethon,
en uniforme de hussard; la statue
du grand Frédéric à Stettin^ celle de
Léopold de Dessau, à Berlin ; le mo-
nument du général de Tauenzien, à
Breslau, et celui de Bliicher, à Ros-
tock. Schadowa modelé le quadrige
placé sur la porte de Brandebourg,
h Berlin; il a encore exécuté plu-
sieurs bustes d'hommes célèbres.
— Ses deux fils ont suivi comme lui
la carrière des arts : Taîné, Jean-
Rodolphe, .mort prématurément à
Rome, était d<'jà compté au rang des
premiers sculpteurs {voy, Schadow,
XLI, 64); l'autre, Frédéric- 6rwi^-
/auwe, né en 1789, peintre distingué,
a pris une grande part à la réforme
artistique de l'Allemagne. 11 fut nom-
mé, en 1826, directeur de l'Académie
de Dusseldorff. Z.
SCH.^FER ( Geoffroi-Henri ),
célèbre philologue allemand, naquit
à Leipzig le 27 septembre 1764, fit
ses éludes dans cette ville et y devint
professeur de grec, puis conserva-
teur de la bibliothèque de l'Univer-
sité, à laquelle avait été réunie sa
belle coUeciicn d'auteurs classiques
grecs et latins acquise par le roi de
Saxe en 1818. Le temps qu'il dut
consacrer à ses importantes fonctions
ne l'empêcha pas de concourir à beau-
coup d'entreprises littéraires et de
donner des éditions , accompagnées
de très-bons comnieutaires, de diffé-
rents auteurs grecs et latins, tels
qu'Hérodote, Démoslhène, Apollonius
deRhodes,Pinddre,Homère, Sophocle,
Denys d'Halicaroasse. Il concourut
également à la révision de beau-
SCH
coup d'éditioas stéréotypes d'auteui^
grecs et à l'édition du Tkesauru»
latinitatis de Henri Estienne, im-
primée à Londres par le libraire
Vaipy. Schaiffer avait commencé lui-
même par être libraire en société
avec un autre savant, et son édition de
V Athénée^ 1796;avait été publiéedans
sa librairie. 11 mourut à Leipzig le
I4n!arsl8i0. D— g.
SCH.^TZLER (Jean-Laurent) ,
banquier et député, né dans le pays
d'Anspachen 1768, entra à l'âge de
quinze ans en apprentissage dans
une maison de commerce à Franc-
fort ; plus tard, il se rendit à Aix-la-
Chapelle, où il fut commis chez un
fabricant de drap, et oii il entreprit
pour son compte et accessoirement
la fabrication des broderies. En
1789, il s'associa avec un homme
malheureusement taré pourreprendre
l'ancienne exploitation des mines
de plomb argentifère de Trarbach,
près de la Moselle; cette association
lui fit perdre tout son patrimoine.
Heureux , sans autre perte, de pou-
voir se retirei' d'une entreprise aussi
mauvaise, il entra en 1791 dans la
maison de banque de Liebert à
Augsbourg ; il y gagna tellement la
confiance du chef, que celui-ci lui
donna sa fille en mariage. En 1800,
Schaetzier fonda lui-même une maison
de banque dans cette ville , et, avec
son amour de l'ordre et son esprit
d'entreprise, il sut la faire prospérer
en peu de temps. Il fit partie en
1804 de la commission chargée de
pourvoir aux besoins financiers de
la ville, et désignée sous le nom
singulier de la députation pour lu
sublévation ; il signa les billets émis
par cette commission. En octobre
1805, lors de la reddition d'Ulm et
de l'approche des troupes françaises,
il fut envoyé au quartier-général
SCH
^ooiiiie député du comaierce U'Augs-
bourg afin d'obtenir des ménagements
pourcette ville, et après l'occupation
d'Augsbourg il eut une, nouvelle
mission dans laquelle il obtint de
Napoléon une réduction des réqui-
sitions que le commandant français
avait, ordonnées; ensuite il pourvut
avec sa sagacité ordinaire à l'appro-
visionnement de la ville, et satisfit
tellement les autorités françaises,
qu'elles lui annoncèrent la remise
des réquisitions restantes. Bientôt
après, Augsbourg fut incorporé à la
Bavière. Dans les circonstances pres-
santes oii la guerre avait mis le nou-
veau gouvernement , la banque de
SchcBtzler vint à son secours par
des prêts considérables ; aussi fut-il
nommé en 1807, par le roi de Bavière,
conseiller de ses finances. L'année
suivante, il fit partie de la commission
composée de deux jurisconsultes et
d'autant de négociants que le gou-
vernement bavarois avait chargée
d'élaborer le projet d'un coJe de
commerce. Ce fut Schœtzler q^ii dé-
termina le gouvernement à faire
frapper des thalers ou écus à la
couronne qui eurent un cours très-
considérable et supplantèrent les
mauvaises monnaies en circulation.
La ville où il s'était enrichi ressentit
les heureux effets de sa prospérité;
Schaelzler y fonda plusieurs éta-
blissements de bienfaisance , tels
qu'une distribution de soupes éco-
nomiques, une école industrielle
avec dotation pour les enfants qui
en sortaient munis d'un certificat de
bonne conduite; puis une caisse
d'épargne qui paie une rente plus
élevée que d'autres caisses et qui
n'est que pour les habitants d'Augs-
bourg. Il donna aussi des capitaux
pour l'école des arts et pour la mai-
son ctes orphelias du culte évangé-
SCH
2^d
lique. 11 releva en outre la corpo-
ration des tisserands, et la mit à
même de fournir jusqu'à quarante
mille pièces de cotonnades par an.
Ses concitoyens le nommèrent pr^^^
posé des délégués de la commune,
et député à la première assemblée
des États, il avait racheté le château
de Tyrnau, auprès de Passau, qui
avait été possédé par ses ancêtres
et il fit renouveler par le gouver-
nement bavarois les lettrfô de no-
blesse qu'ils avaient eues. Sa bien-
faisance se manifesta jusqu'à ses
derniers moments. Obligé de se
rendre à Kreith pour y prendre les
eaux, il y fonda des places pour les
pauvres malades; dans la maison de
correction de Plassenbourg il fit éta-
blir une école pour les jeunes dé-
tenus. On cite encore un grand nom,
bre d'autres bienfaits de ce charitabk
négociant, il venait de donner trois
cloches à l'église Sainte- Anne à
Augsbourg, et elles devaient sonner
pour la première fois à la bénédiction
nnptiale de sa fille; mais il mourut
l'avant-veille de ce jour, le 26 mars
1826, et les nouvelles cloches furent
sonnées pour ses funérailles. Voyez
Liierat. Conversations Blatt^ 1826,
n** 118. D— G.
SCHAFERTIN ou SCHEFCR-
TIX, natif du canton d'Uri, habile
sculpteur en bois , devint fameux
par ses figures de mendiants et par
ses Guillaume Tell , qu'il exécutait
en grand nombre, vers 1785. La
sculpture en pierre dont il s'occu-
pait de même ne lui réussit pas au-
tant. IJ— I.
SCHACiËN (Gilles), peintfe hol-
landais, né à Alckmaer en 1616, fui
élève de Ravestein et de Verbeck.
Rempli d'activité et du désir d'étu-
dier la nature, il n'avait que 21 ans
lorsiju'U abandonna sa famille et ses
260
SCH
liiaùfeî pour se renilto à Dantzijf,
où ie peintre Brasser le reçut à mer-
veille et voulut le retenir. A Elbing,
il n^ëprouva pas un accueil moins
flatteur de Sirobel, peimre de Tem-
pereur et du roi de Pologne. Mais
ayant fait le portrait de ce dernier
monarque , le tableau fut trouvé si
beau, que Slrbel craignit un rival
dangereux , et téuioigna la plus
grande froideur à Schagen ; alors
celui - ci prit son parti et revint
par Dintzick à AlckniHer. Quel-
que temps après, il s'embarquii pmr
Dieppe, et vint à Paris , où il fit
plusieurs belles copies du Chriêt et
du Saint Jean de Michel-Ange, et
d'une Vierge avec l'enfant Jésus
d'après Rubens. il y montra une li-
berté et une puissance de pinceau,
une fermeté d'exécution et une force
de coloris égalesà l'original même. Se
sentant alors capable d'entreprendre
autre chose que des copies, il passa en
Angleterre, où il se lia avec l'amiral
Tromp. Cet illustre marin , sur le
point de livrer combat à l'amiral es-
pagnol d'Oquendo, mit à la disposi-
tion de Schagen une petite frégate
sur laquelle il put se trouver à portée
de peindre l'action. Lassé enfin de
cette vie errante , il alla se fixer à
Alckmaer ; il y fut reçu architecte, et
les magistrats de la ville lui confiè-
rent la direction des travaux publics^
il continua de cultiver la peinture
avec succès , et mourut riche et ho-
noré le 18 avril 16C8. P— s.
SCHAK (le conseiller Hermann-
Ewald), l'un des savants les plus
distingués de l'Allemagne, était né
en 1744 et mourut à Coitbus le
5 mai 1822. Il a traduit Spinosa, H
a composé lui-même plusieurs ou-
vrages philosophiques aussi remar-
quables par l'érudilion que par la
profondeur des vues. Jusqu'à ses
SCH
derniers jf>nrs, il ne cessa pas d'êire
un des collaliorateurs les plus actifs
de la Gazelle littéraire de UaUe^ à
laquelle il fournissait fréquemment
des articles sur la philosophie et sur
la fr.jnc-uiaç<mnerie. Sa droiture et
sa probité él.iient égales à son sa-
voir, et il fut universellement re-
greiié. Z.
SCHALL (Chables), auteur dra-
matique allemand, né à Breslau en
1780, était fiis d'un négoci.mt, 'et de-
vait entrer dans la carrière où sori
père avait fait fortune. Celui-<ii te-
nait une maison honorable et ras-
semblait chez lui une société distin-
guée. Le fils , sûr de ses moyens
d'existence, préféra être homme du
monde et auteur par amusement. H
fit le charme des sociétés par sou es-
prit et firir sa facilité d'élocution, et
l'on assure qu'il n'a pas su riietlre
dans ses pièces de théâtre la moitié
de l'esprit qu'il prodiguait dans ses
conversations pleines d'enjouement
et d.ins ses causeries piquantes. Il
paraissait avoir fait une étude parti-
culière du théâtre, et en parlait très-
bien. Il fut même politique autant
qu'il était permis de l'être alors en
Prusse ; et à l'époque où les événe-
ments politiques lui avaient fait per-
dre une grande partie de la fortune
paternelle, il fonda un journal, la
Nouvelle Gazette de Breslau. La con-
trainte imposée par la censure en
Allemagne ne nous met pas en état
de juger de ce que ce journal serait
devenu si l'auteur avait eu ses cou-
dées franches; aussi n'est-ce que par
ses pièces de théâire, surtout par
ses bluettes, que Cli. Schall s'est
fait quelque réputation. Ce sont en-
tre autres : Regarde à qui tu te fies
(eu alleuiaud, Trau^ schau, wem)'^
la Partie de whist interrompue; le
Baiser et le soufflet; la Fureur de
SCH
théâtre, sorte de parodie d'un genre
qui avait envahi la scène allemaride.
Une anecdote d-^ la vie de Kanl lui
fournit le sujet d'une pièce qu'ii a in-
titulée le Boulon et Vhabit de pelu-
che. On voit que l'autour cherchait
à piquer la curiosité du public par
des titres singuliers. Il termina par
un drame bien noir, l'Épée et le fu-
seau, dont VacUon se passe dans les
temps du régime féodal. On n'était
pas habitué à le voir si sérieux, et
cette pièce n'eut guère de succès,
tandis que ses bluettes se sont njain-
tenues au répertoire. Il médita aussi
le pian d'un roman de mœurs; mais
il le médita si long-temps, qu'il ne
le fit jamais. Après avoir passé plu-
sieurs années à Berlin, il revint dans
sa ville natale, et y mourut à la
suite d'une maladie longue et dou-
loureuse le 18 août 1833. D~G,
SCHANK (John), amiral anglais,
membre de la société royale de Lon-
dres, ué vers 1746, entra de bonne
heure dans la marine marchande, et
commença a. servir en 1757 sur le
vaisseau de guerre l'Elisabeth^ alors
commandé par Hugli Palhser. C^t
officier ayant pris le c nimandem- ut
d'un autre bâtiment, Srhank, qui
avait croisé avec lui entre le cap
Clean et le cap Finistère, l'accom-
pagna en qualité de miiîlre d'écjui-
page ou de pilote {masttr's mate)j
emploi qui supposait des connais-
sances nautiques. Après avoir été
midshipman sous sir Georges Rod-
ney, qu'il suivit à la J.imaï|ue, et
sous d'autres amiraux, il hit nommé
lieutenant après 18 ans d'un labo-
rieux apprentissage; il commença
alors à se distinguer par son ta-
lent pour la mécani«iue. Ce qui le
fit d'abord connaître fut la construc-
tion d'un hamac qui , au moyen de
poulies, pouvait s*élcver ou s'abais-
SCH
261
.«•er a volonté. Au commencement de
la gfjerre d'Amérique, il reçut le
coujmandement d'un shooner armé
de dix canons, qui fut stationné sur
la rivière Saint-Laurent en Canada.
Mais son habileté dans les construc-
tions le fit choisir pour surintendant
du département maritime à Saint-
Jean. Ce fut par ses soins que furent
construits une multitude de petits
bâtiments destinés à s'opposer aux
flottilles des Américains et à leurs
entreprises sur les lacs*, on lui dut
aussi le vaisseau de guerre l'inflexi-
hlCj qui fut mis en état de servir en
moitié moins de temps qu'on en eût
employé à Portsmouth même; et
l'invention de ponts flottants pour
passer les ruisseaux et les rivières
rapides de l'Amérique. Il fut d'abord
récompensé par le grade de capi-
taine en second, et enfin, en 1783,
par celui de capitaine en pied. A la
paix, Schank s'occupa de perfection-
ner la forme des bâtiments; il en
construisit de très-légers avec des
quilles glissantes , qui prenaient
moins d'eau que ceux que l'on
construisait auparavant ; on en fit
rexpérience sur la Tamise en 1790,
et il fut reconnu qu'ils allaient
deux fois plus vite que ceux d'an-
cienne construction. Un cutter du
roi, de 120 tonneaux, construit
d'après le nouveau modèle sous la
surveillance du capitaine Schank,
fut lancé à Plymouth en 1791, et
nommé V Essai. Tous les marins en
furent satisfaits. Depuis cette épo-
que, on en construisit plusieurs sur le
même modèle, entre autres le vais-
seau Lady NtUon^ qui fut employé
à un voyage de découvertes en 1800,
1801 et 1802, à laNûuvelle-Gdllesmé-
ridionale,et qui revint sans avaries.
En 1794, Schank fut nommé agent-
général pour les transports destines
262
SCH
SCÏf
à convoyer les troupes qni se ren-
daient aux Indes occidentales sous
lord Howick, et resta quelque temps
avec elles à la Marlinique, dont les
Anglais venaient de s'emparer. Pen-
dant le reste de la guerre, il fut
chargé de surveiller les embarca-
tions pour le continent, et fut parti-
culièrement utile, en 1799, lors de
Pexpédition de Hollande. Il fut en-
suite nomme' l'un des commissaires
du conseil de l'amirauté', place qu'il
exerça jusqu'en 1802, qu'il donna sa
démission. Il était spécialement
chargé du soin des prisonniers, et
entretint à cette occasion une cor-
respondance suivie avec M. Otto,
qui s'était plaint de la manière in-
humaine avec laquelle les prison-
niers français étaient traités. Dans
ses réponses, Schank et les autres
commissaires firent connaître la
quantité de pain et de viande qu'on
donnait à chaque individu, et firent
observer que le mal provenait de ce
que quelques-uns des prisonniers
qui avaient de l'argent achetaient
les provisions de leurs compa-
gnons d'infortune souvent même
pour un mois, en ne leur laissant
que le plus strict nécessaire pour
soutenir leur existence. Après la
rupture du traité d'Amiens, Schank
fut chargé d'inspecter les côtes de-
puis Holy-Island jusqu'à Ports-
month, et obtint, en 1805, le grade
de contre-amiral ; il fut nommé vice-
amiral en 1810, puis amiral du pa-
villon Bleu en 1821. Devenu presque
aveugle par suite de la cataracte, il
mourut à Dawlish, dans le comté de
Devon, le 6 mars 1823. Schank fut
un des fondateurs de la société pour
Pencouragement et l'amélioration de
Parchitecture navale. Il avait publié
sur cette matière un ouvrage inti'
tulé : Fjff mi«e de deux bateaux et
d'un cutter avec des quilles glis-
santes^ 1793, in-fol. Z.
SCIIARANDIN (Jean-Jacques),
natif de Soleure, y exerça la méde-
cine avec succès au milieu du XVll*
siècle. Il publia deux ouvrages, l'un
sous le titre de Ratio conservandœ
sanitatis (Amsterd., 1649, in-8°);
l'autre sous celui de Modus et ratio
visendi œgrosi'^oXe.MTt^ 1670,in-12).
Ce dernier fut réimprimé k Erfort en
1749, in-8*. Il contient de fort bons
préceptes sur l'exercice de l'art ; l'au-
teur s'est attaché à la médecine hip-
pocratique, et il n'aimait point la
chimie ni les nouvelles théories que
de son temps on fondait sur cette
science. U— i.
SCHARFFENBERG ( Albrecht
von ), poète allemand du moyen âge,
vivait en Bavière de 1325 à 1350 ; il
fut Pun des principaux auteurs du
Titurel^ épopée chevaleresque qui
fait suite au Parcival de Wolfram
von Eschenbach. Ce poème entre
dans la famille de ceux qui célèbrent
ce mystérieux Saint-Gréal lequel a si
fort occupé, durant plusieurs siècles,
le public et les rimeurs. Il se com-
pose de quarante-huit mille vers en-
viron, partagés en strophes de sept
vers. Dans la quatre-vingt-sixième
strophe, l'auteur reconnaît qu'il est
redevable du sujet de son œuvre au
troubadour Kyot (ou Guyot). L'édi-
tion originale du Titurel forme un
volume in-folio de 377 feuillets avec
la date de 1477, mais sans nom de
ville ni de libraire; les caractères
sont les mêmes que ceux qu'a em-
ployés Mentelin à Strasbourg. Ce
volume est d'une extrême rareté:
mais San -Marte, dans son édition
de Wolfram d'Eschenbach (Mag-
debourg, 1836), en a donné <îe
lonçs extraits (t. II, p. 87-296); et,
abrégé, mis en idiome moderne, ce
SCH
poème forme le tome VI de la Biblio-
thèque nationale allemande ( Leip-
zig, 1842). Les historiens de la lit-
térature germanique, Rosenkranz et
Gervinns surtout , Tont analysé ; en
France , il n'est pas même connu de
nom. B~N— T.
SCHARNHORST (Gelhard-
David de), général prussien , fut un
des plus distingués de notre époque,
et l'un de ceux qui eurent le plus de
part à la restauration de cette mo-
narchie de Frédéric II, tombée en
un même jour si bas , et relevée
sitôt au premier rang des puis-
sances , par l'enthousiasme de la na-
tion et par les eiforts de quelques
hommes courageux , parmi les-
quels Scharnhorst doit sans nul
doute être mis en première ligne.
Né à Hamelsée dans le Hanovre en
1756 , il fut destiné par son père, qui
avait fait des pertes dans sa fortune,
à la profession de fermier-cultiva-
teur; mais un goût irrésistible,
qu'augmentèrent encore la lecture de
quelques ouvrages historiques et les
récits d'anciens militaires , le fit en-
trer dans la carrière des armes. Ad-
mis à l'école qu'avait établie h. Slcin-
hude le prince de Schaumbourg-
Lippe , il y fit des progrès rapides ,
et au bout de cinq ans put en-
trer conducteur dans le train d'ar-
tillerie , d'où le général Estof le fit
passer peu de temps après comme
enseigne dans son régiment, en le
chargeant de l'instruction des sous-
officiers. Dès lors fort studieux, et
s'nttachant à toutes les parties de la
théorie militaire, il dressa des ta-
bleauic statistiques très-utiles pour
les états-majors et le dénombrement
des troupes; et dans le même temps,
il inventa des lunettes microméti-
qucs, non moins utiles pour les re-
eonnaissances et les découvertes des
SCH
26S
avant-postes. 11 avait à peine vingt-
cinq ans, lorsqu'il fut nommé lieu-
tenant d'artillerie dans les troupes
de l'électeur de Hanovre, et presque
aussitôt professeur à l'école n^ili-
taire. Capitaine d'état-major en
1792, il obtint le commandement
d'une compagnie d'artillerie légère,
et fit en 1793, à la tête de cette trou-
pe sous les ordres du duc d'York,
la campagne des Pays-Bas, où il se
distingua en plusieurs occasions,
notamment dans la retraite de Menin,
où le général Hammerstein, qui
commandait en chef, n'hésita point
à lui attribuer avec une rare fran-
chise la plus grande partie de la
gloire qu'il s'était acquise. Scharn-
horst reçut, pourcela, du roi d'Angle-
terre un sabre d'honneur avec le
grade de lieutenant-colonel. Peu de
temps après, il entra au service de
Prusse, et fut particulièrement dis-
tingué parle duc de Brunswick, alors
considéré comme, le plus habile des
chefs de l'armée prussienne. Nommé
aussitôt lieutenant-colonel du 3" ré-
giment d'artillerie, il passa plus tard
dans l'état-major comme quartier-
maître-lieutenant, et fut ensuite
chargé de l'instruction des officiers
dans la capitale. C'était Tépoque où
la Prusse, ayant fait sa paix séparée
avec la république française, son
armée eut peu d'occasions de com-
battre, Scharnhorst, ne voulant pas
que ce temps fût entièrement perdu
pour lui , l'employa à se perfection-
ner dans toutes les parties de la théo-
rie militaire; et il composa divers
écrits qui lui firent une grande ré-
putation et qui ont beaucoup contri-
bué aux progrès de la science en Al-
lemagne. Le roi lui donna en 1804
le grade de colonel avec des lettres
de noblesse, et il le chargea avec le
général Rlenesebeck de l'éducation
261
SCH
militaire du prince royal (aiijour-
d hiii roi). Lorsque la guerre contre
!a France éclata en 1806, Scharn-
horst était employé comme quartier-
maître -général du principal corps
d'armée. Il assista en cette qualité
à la bataille d'Auerstaedt, et, quoique
blessé deux fois, il concourut puis-
samment à la brillante retraite sur Lu-
beck qu'exécuta le corps de Bliicher.
Compris dans la capitulation à la-
quelle ce général se vit contraint, il
fut bientôt échangé et revint au corps
d'armée qui , réuni à l'armée russe,
combattit si glorieusement à Eylau.
Après la paix de Tiisitt, Scharnorst
était sans nul doute du petit nombre
des chefs de l'armée prussienne aux-
quels on ne pouvait faire aucun re-
proche. Le roi lui donna en consé-
(|uence de grandes preuves de con-
fiance. Nommé major -général et
président de la commission char-
gée de réorganiser l'armée, il fut
réelleuïent le ministre delà guerre.
C'est dans ces fonctions si délicates,
si difficiles en de pareilles circon-
stanciés, qu'il déploya à la fois tant
de sagesse, d'énergie, et qu'au mo-
ment où les défaites de Napoléon
en Russie vinrent offrir aux Prussiens
une si belle occasion de se sous-
traire à l'oppression qui les acca-
blait, leur armée, qui semblait pour
toujours anéantie, se leva spontané-
ment plus brillante , plus nom-
breuse et plus zélée pour la défense
de la patrie qu'on ne l'avait jamais
vue. Ce fut surtout , on ne peut en
douter, par l'habileté et le dévoue-
ment de Scharnorst que s'effec-
tuèrent ces prodiges. Lorsque ,
sous la protection de l'armée russe
victorieuse, les enseignes prussien-
nes se déployèrent avec tant d'éclat
en 1813 dans les plaines de la Saxe,
ce fut encore par Blucher et par
SCH
Scharnhorst qu'elles furent dirigées.
Le premier éiaif général en chef, et
le second son chef d'élat-major. Blii-
cher, si brave, si énergique, n'était
pas, on le sait assez, doué de beau-
coup d'instruction etd'habileté; per-
sonne plus que Scharnorst n'était en
étatde lesuppléersous ce rapport. Si
l'un fut le bras , la force de l'armée,
on peutdireque l'autre en fut la tête et
la pensée. C'est ainsi que furent obte-
nus les triomphes de Dennewitz,de la
Salzbach , de Leipzig , etc. Mais
Scharnhorst n'eut pas le bonheur
d'assister à ces dernières victoires
qu'il avait tant contribué à préparer
en organisant les bataillons de Land-
wer, en inspirant àtoute la population
prussienne un si grand enthousiasme.
Blessé mortellement k Lutzen, aux
lieux mêmes où, deux siècles aupara-
vant, était mort le héros de la Suède
Gustave-Adolphe, il expira le 28 juin
1813, à Pr<igue, où il avait voulu sui-
vre son roi. Pour bien apprécier tout
ce que fit alors cet habile et brave
générai, nous citerons textuellement
le rapport de lord Castlereagh sur
les succès de la coalition. • ...La
« gloire de la Prusse, dit ce minis-
• tre au parlement, n'est pas moins
« grande. Lorsque l'on commença à
« négocier avec cette puissance, on
« necrut pas qu'elle pourrait fournir
« des forces considérables ; mais ce
« qui caractérise cette guerre, c'est
• que le pays qui avait le plus souf-
• fert s'est relevé avec le plus d'éclat.
« L'esprit de la nntion s'est éveillé ;
« il sut triompher de toutes les diffi-
« cultes, renouvela l'époque la plus
- glorieuse de l'histoire de Prusse,
• et fit naître une armée qui sut se
• placer à côté de celle des pluspuis-
• sauts empires. Il est de mon devoir
" de déclarer que dans ce moment
« la Prusse fournisisait pins de deux
SCH
cent mille hommes. Je dois en
même temps rendre justice aux
talents et ;»ux services signalés du
général Scharnhorst, quia été tué
dans la bataille de Lutzen. C'est
à ses efforts infatigables qu'on doit
en grande parlie le révei! de
l'énergie prussii;nne Après
sa mort, sa place a élé supérieu-
rement remplie pur le général
Gneisenau. L'un et l'autre ont
prouvé ce que leur pays pouvait
effectuer, et le dernier a fait voir
qu'on n'a pas négligé de mettre à
profit le temps de l'armistice. Pen-
dant sa durée, il a formé 70 batail-
lons, dont cinquante ont com-
battu glorieusement sous le géné-
ral Bliicher. Je puis affirmer que
même dans les plus beaux temps
du grand Frédéric, l'aruiée prus-
siettne n'a jamais été plus nom-
breuse, mieux disciplinée, mieux
dressée à des opérations militaires
que dans le moment actuel. Quoi-
que nouvellement levée,eliea com-
battu et vaincu les troupes exercées
de la France... » Cet éloge mérité
fut alors répété par toutes les bou-
ches de la renommée en Europe, et
le nom de Scharnhorst est resté un
des plus vénérés dans les annales
prussiennes. Plusieurs fêtes funèbres
furent célébrées en son honneur, et
sa statue de marbre est un des plus
beaux ornements de la Pl;;ce Roynle
à Berlin. Différentes notices biogra-
phiques lui ont été consacrées , no-
tamment dans le recueil intitulé : Les
Béros de la Prusse^ Weiinar, 1830.
Les plus répandus des ouvrages de
Scharnhorst sont: 1. Manuel pour
les o//îc<er5 , Hanovre, 1787, 2 vol.
in-8% nouv. édition, 1814, 3 vol.
11. Àlmanach milUaire, 1794, in-8«;
nouv. édition, 1816. 111. Jourral
mtijtafre, 1788, 1805. M— dj.
SCH
265
SCHARNWEBER ( Chrétien-
Fkédéric ) , économiste allemand ,
naquit en 1770 dans la propriété ru-
rale de Wehnde auprès de Gœltingue,
qui appartenait à son père. Celui-ci,
après avoir été receveur à H iiiovre,
fit de mauvaises affaires ; ce qui força
le fils, qui n'avait reçu aucune in-
struction suivie, à entrer comme co-
piste dans une maison du pays de
Hanovre , puis à s'engager comme
simple soldat d'abord au service de
Suède, et ensuite à celui de Prusse.
Plus tard il trouva moyen d'ob-
tenir son congé et d'entrer en qualité
de secrétaire chez un fonctionnaire
public. Ce fut dans la maison de son
patron que Scharnweber fit connais-
sance avec le ministre Hardenberg;
le secrétaire hanovrien, à défaut
d'études classiques, avait porté son
attention sur le sort de la classe agri-
cole en Allemagne; il avait conçu de
bonnes idées sur les moyens d'a-
méliorer ce sort, et il exposait ces
idées avec un ft^u, un enthousiasme
qui entraînait les auditeurs. Ce fut
probablement là ce qui lui procura
l'estime et la protection du ministre
prussien. 11 obtint le titre de con-
seiller militaire et fut placé en cette
qualité dans le pays d'Ânspach dont
Hardenbergavait la direction. Qunud
ceUit-ci fut appelé au siège du gou-
vernement, Scharnweber s'élani dé-
mis de ses fonctions le suivit à Ber-
lin, et acheta un bien rural à Lich-
tenberg, près de cette capitale , pour
y mettre en pratique les procédés
de culture améliorée qu'il avait pro-
jetés. Sa tt rre devint bieniôt une
espèce d école normale pour les éco-
nomistes allemands qui allèrent y
étudier les perfectionnementsde l'a-
griculture.Mais le défaut de capitaux,
la guerre et l'invasion de l'armée
française dérangèrent tout. Scharn-
266
SCH
weber s'endetta, et s'estima heureux
de pouvoir céder son bien rural à son
protecteur, quand celui-ci en 1810
fut rentre' au minisière, et d'oc-
cuper sous ses auspices le poste de
conseiller d'État. C'est alors qu'il
fut à même de réaliser ses ide'es
d'amélioration du sort de la classe
agricole; car Hardenberg, peut-être
persuadé par l'éloquence de Scharn-
weber, ayant résolu de procéder
à une réforme des anciennes insti-
tutions féodales, chargea son pro-
tégé de préparer l'édit royal con-
cernant les rapports futurs entre les
seigneurs et les paysans, puis la loi
sur la culture des terres, qui l'un et
l'autre furent promulgués en 1811,
mais dont la dernière a été modifiée,
quelques-uns disent gâtée, cinq ans
après « Si les paysans en Prusse, dit
wn auteur allemand (1), non-seu-
lement jouissent de la liberté per-
sonnelle, mais ont une propriété
réelle , ils le doivent, après Dieu et
la révolution française, à Scharn-
weber qui a servi d'organe à la con-
stitution de leurs droits. » Après
cette œuvre importante, qui pourtant
ne lui valut de la part de son gou-
vernement aucune distinction, au-
cune récompense, il n'eut plus, à ce
qu'il paraît, d'influence sur les af-
faires. En 1821, une maladie ner-
veuse le priva de l'usage de ses fa-
cultés intellectuelles, et il mourut
l'année suivante dans l'hospice de la
ville de Hoechst.Tant qu'il avait eu
l'usage de la raison , l'aspect des
améliorations produites dans la si-
tuation des paysans l'avait consolé et
soutenu. D— g.
SCHAUB (Luq) naquit à Bâle
uni Litêr/^tur^ Leipzigr^ r834, vol. IV, ^ .
SCH
en 1690, et mourut à Londres en
1758. Après avoir fait ses études à
Bâle et à Saint-Aubin , il fut créé
docteur en droit et obtint la place
de secrétaire près de l'ambassadeur
d'Angleterre en Suisse, M.Stanyan,
dont il a traduit en français l'ouvrage
connu sous ce titre : L'État de la
Suisse. Il le suivit à Londres, d'où il
revint la même année (1714) en
qualité de secrétaire de légation
de lord Cobham , ministre britan-
nique à Vienne , après le départ
duquel il resta dans cette ville
pendant deux ans comme chargé
d'affaires. Il assista ensuite au con-
grès de Cambrai et se trouva em-
ployé successivement dans différentes
missions diplomatiques près les
cours d'Espagne, de France et de
Pologne. Georges 1" le créa che-
valier en 1720. Il revint en Suisse et
rendit à son canton de fort bons
services en 1736, dans une contes-
tation assez désagréable qui lui était
survenue avec la France touchant la
pêche du Rhin. Deux ans après , il
eut quelque part à la médiation
de Genève et se prononça ouver-
tement en faveur des magistrats
contre la bourgeoisie. Le gouver-
nement de Bâle lui avait conféré une
place honoraire au conseil d'État,
où il ne siégea point, étant retourné
en Angleterre. 11 cultiva les lettres,
surtout la poésie. De son mariage
avec M"" de Buisson, veuve de M. de
Perme, chevalier de Saint-Saphorin,
contracté en 1740, il laissa deux
filles. U— I.
SCHAUENBURG (AdolpheIII de)
était né, vers la fin du XV« siècle,
de Josse,comte deSchauenburg,etdc
Marie de Nassau. Chanoine des égli-
ses métropolitaines de Cologne et de
Mayence, puis prévôt de celle de
Liège, il devint, en 1535 , coadju-
SCïf
tenr d'Herman , archevêque et élec-
teur de Cologne, qui Tavait lui-même
de'signe' pour cette haute fonction.
Le 16 avril 1546 , le pape Paul III
ayant lancé une sentence de déposi-
tion contre Herman , à cause de la
protection quMl accordait à la nou-
velle secte du luthéranisme,qui faisait
alors de rapides progrès dans toute
rAllemagne, il fut choisi le 7 juillet
suivant pour le remplacer. Cette dé-
position menaçait d'amener de gra-
ves désordres: si le peuple ne fai-
sait aucune difficulté d'obéir au
souverain pontife , la noblesse et
la bourgeoisie, alléguant le serment
qui les liait à leur ancien arche-
vêque , refusaient de reconnaître
Adolphede Schauenburg. Enfin, Her-
inihi, pour tout concilier, consentit
à se démettre de son archevêché. Le
25 février 1547, il publia son abdica-
tion et Adolphe fut proclamé. Néan-
moins, il ne prit solennellement pos-
session du siège épiscopal de Colo-
gne que le 28 juillet 1550. On re-
marqua qu'il fît son entrée triom-
phale dans la vieille cité à la tête de
deux mille cavaliers; les esprits y
étaient alors fort agités, et cette pré-
caution pouvait devenir utile. Ses
premiers soins se portèrent à répa-
rer le mal qu'avait fait son prédé-
cesseur, non -seulement en tolé-
rant , mais en protégeant le schis-
me de la réforme. En 1549, dans
le carême , il assembla un con-
cile provincial , où furent renouve-
lés les canons des conciles précé-
dents sur le dogme et la discipline.
En 1552, il alla au concile de Trente,
et Olaus Magnus , archevêque d'Up-
sal, dans son Historia de gentibua
septmtriomlibus (\\i'i\ lui dédia^dit
que dans cette assemblée iiu'y eut
qu'une voix pour f«alter sfm zH^ ,
sa prudence, son humanité ^ que les
SCH
267
hommes doctes et les savants pré-
lats qui accouraient pour Tentendrc
le regardaient comme un oracle (er-
restrede la sagt&se divine^ tant il ap-
portait de lumière et de gravité dans
ses dissertations sur les matières les
plus importantes. 11 quitta Trente
précipitamment à la nouvelle que
les Français, alliés des princes pro-
testants d'Allemagne, étaient sur le
point d'envahir son électorat- Par
d'habiles et actives négociations, il
fit venir en toute hâie des secours
des Pays-Bas et de la Franche-Comté,
qui le mirent à même d'assurer la
sûreté du pays soumis à sa domina-
tion. Dès-lors, il n'eut plus qu'une
pensée, celle de maintenir son clergé
dans la foi catholique romaine en s'op-
posant à la propagation de l'hérésie de
Luther ; il s'y livrait avecsollicitude,
lorsque la mort le surprit à Bruhl le
20 septembre 1556. Malgré sa haute
renommée scientifique, on ne con-
naît de lui aucun ouvrage. Il fut in-
humé dans la cathédrale de Cologne
où l'on voit encore aujourd'hui son
épitaphe, à côté de celle d'Antoine
de Schauenburg, sou frère, qui lui
succéda sur le siège de Cologne et qui
mourut deux ans après, le 18 juin
1558, au château de Golesberg.
C— H— N.
SCHAUENBURG (•) ( Alexis -
Henri -Antoïne-Balthasar, baron
d«), général français, était né à Heile-
mer(Moselle), le 31 juillet 1748, d'une
ancienne et noble famille. A qua-
torze ans, il entra conune cadet vo-
lontaire dans le régiment d'Alsace,
infanterie, où il fut nommé sous-
lieutenant en 1764 et lieutenant
en 1767, Il devint ensuite major
(i) C'est ainsi qu'il »i|jnait , et non pas
boarg.
268
SCH
dans le régiment de Nassau, puis
chevalier de Saint-Louis et meslre-
de - camp. Lorsque la révolution
éclata, il en adopta les principes
et obtint un rapide avancement.
Nommé, en 1792, général de brigade,
il fut employé comme chef d'étai-
major-générai à l'armée du Centre,
sous Kellermann, avec lequel il as-
sista à la bataille de Vaimy. Ensuite
il remplit ces mêmes fonctions à
Parmée de la Moselle, sous Beurnon-
ville. Créé général de division le 8
mars 1793, il eut pendant un mois
le commandement en chef de cette
armée, et fut suspendu de ses fonc-
tions comme noble, et un peu, a l-on
dit, pour incapacité k la suite de la
défaite de Pirmasens et de quelques
autres échecs. 11 vivait retiré à Toul
lorsque. dans les premiers jours d'oc-
tobre, il fut arrêté, conduit à Paris
et renfermé à l'Abbaye. Là, il publia
un Mémoire justificatif, dans lequel,
récapitulant les services qu'il avait
rendus à la cause républicaine et à
rarmée,il demandait que sa conduite
fiit examinée. 11 disait qu'en 1791, à
Besançon, la société populaire lui a-
vait donné une couronne civique pour
sa conduite dans une insurrection di-
rigée contre les patriotes, qu'il avait
remis sa croix de Saint-Louis aux
représentants avant même la pro«
mulgation du décret qui la suppri-
mait, et que plus de cent officiers
avaient, d'après son impulsion, suivi
cet exemple. Heureusement ses
plaintes ne furent pas même enten-
dues, et il resta ignoré sous les ver-
rous de Robespierre. Le 9 thermi-
dor lui rendit la liberté comme à ses
nombreux compagnons d'infortune,
et alors il fut réintégré dans son
grade. En 1796, il servit sous le gé-
néral Schérer a. l'armée du Rhin, et
expulsa du fort de Kehl un corps au-
SCH
trichien qui yavait pénétré. En 1798,
il fut détaché de celte armée à la
tête d'une division pour aller ren-
forcer l'armée d'Helvétie. Ayant reçu
l'ordre de s'avancer sur les cantons
de Berne et de Soleure, il arriva sous
les murs de cette place, et adressa
au commandant une sommation
d'une impitoyable énergie : "Le Di-
te rectoire exécutif, dit-il , m'ordon-
• ne d'occuper la ville de Soleure. Si
«j'éprouve la moindre résistance, et
• qu'une seule goutte de sang soit
• versée, les membres du gouverne-
• ment soleurien en répondront sur
« leurs têtes, et j'en ferai la justice
• la plus prompte et la plus inexo-
« rable. Notifiez la volonté du Direc-
« toire à votre gouvernement. Je
« vous accorde une demi-heure pour
- vous déterminer; passé ce temps,
« je brûle votre ville et je passe la
« garnison au iil de l'épée. » Devant
de pareilles menaces, il n'y avait
guère à balancer; Soleure ouvrit ses
portes, cequi n'empêcha pas la solda-
tesque de la traiter à peu près comme
une ville prise d'assaut. Tous les
villages des environs furent égale-
ment livrés au pillage. Pendant ce
temps, les autres divisions de l'ar-
mée d'Helvétie, celle du général
Mesnard et celle du général Brune,
commandant en chef, marchaient sur
Berne. Schauenburg prit la même
direction , et le 3 mars , la vieille
cité fut forcée de capituler. Il
soutint ensuite vaillamment plu-
sieurs combats contre la milice
et la landsturm bernoises, notam-
ment le 5 mars , dans le Gran-
holz, près de Fraubrunnen. • VEx-
terminateur des bergers de VUnder-
wald, dit Mallet-Dupan, avoue, dans
son rapport au Directoire, n'avoir
pas vu de journée plus chaude, et
ajoute : «Une grande quantité d'ha-
SCH
hitant^ des différents cantons furent
t(^uioinsdu combat; leur visage s'al-
longeait à mesure que nous avan-
cions. Si nous n'eussions pas dompté
ces hommes aveuglés, dans peu l'in-
surrection serait devenue générale.
La victoire acoûté beaucoup de sang,
mais c'étaient des rebelles qu'il fallait
soumettre » Le général Schauen-
burg détruisit le couvent de Notre-
Dame-des-Ermites, centre de l'in-
surrection, et fit arrêter le rédac-
teur de la Gazette du Haut- Rhin,
pour y avoir excité. 11 provoqua
aussi des mesures sévères contre
un député suisse, M Bilhter, qui
avait fait des réclamations sur la
conduite de l'armée française. La
conquête de Berne une fois assu-
rée, Schauenburg fixa son quartier-
général à Soleure, portant !e gros
de ses forces vers le canton de Zu-
rich. A l'exemple de Brune, il s'em-
para de toutes les caisses publiques
à Fribourg, à Soleure, puis il fit en-
lever et transporter dans la citadelle
de Strasbourg- cinq magistrats de
cette ville. Le 28 mars, il fut nommé
commandant en chef , en rernplace-
^ meut de Brune, et il établit son
quartier-général à Zurich. H n'avait
alors en mains que le pouvoir mili-
taire; le pouvoir civil était délégué
à Lecarlier, qui !e céda bientôt à
Bapinat {voy. ce nom, LXXV11I,333).
S,'ilrne participa que d'une manière
^ indirecte aux exactions de cet odieux
agent , on peut du moins assurer
qu'il ne fit rien pour les empêcher;
peut-être n'en avait-il pas le pouvoir;
mais on doit reconnaître que tous ces
ac! es arbitraires, ces levéts d'argent,
ces contributions forcées n'étaient pas
tellement éloignés de son caractère
qu'il pût s'en indigner. Il démentit
alors le bruit d'un projet de réunion
de la Suisse à la France. Ayant reçu
SCH
2ô^)
du Directoire l'ordre de sounietlie
Claris et les petits cantons démocra-
tiques, il marcha principalement con-
tre les insurgés du district de Stanz ;
mais les montagnards, conduits par
deux braves officiers, MM. de Para-
vicini et Reding, repoussèrent ses
attaques; en quelques semaines ils
lui tuèrent trois mille hommes et le
forcèrent à la retraite par une con-
vention qui ferma l'entrée des pe-
tits cantons aux Français. On lui
ordonna ensuite d'envahir les Gri-
sons, mais bieniôt il reçut contre-
ordre pour ne point donner un mo-
tif de rupture à l'Autriche. Le Direc=
toire alla même plus loin : lorsque
les généraux Bellegarde et Auffen-
berg entrèrent à Coire, lel7oc(., il
fit déclarer, par Schauenburg, que
cette démarche ne devait troiibjer en
rien la bonne harmonie entre l'em-
pire et le gouvernement directorial.
L'armée française était alors can-
tonnée aux frontières orientales de
laSuisse, depuis Schaffhouse jusqu'au
canton d'Uri ; forte de 20,000 hom-
mes, elle avait des garnisons à Bâie,
à Schaffhouse, à Zurich. A la fin de
septembre 1798, la ville de Berne
lui conféra le droit de bourgeoisie, et
le nouveau corps législatif helvétique,
voulant reconnaître ses services,
déclara qu'il avait bien mérité de la
Suisse, ce qui était une véritable dé-
rision, si l'on examine tout ce que
ce pays avait souffert sous sa domi-
nation. L'année suivante, il fut rem-
placé dans le commandement en chef
de l'armée d'Helvétie par Masséna.
Accusé par le député Briot, il vint à
Paris pour se justifier auprès du
Directoire, ce qui ne fut point diffi-
cile en ce temps de corruption et de
rapine. On le nomma même in-
specteur-général d'infanterie, et de-
puis ce moment jusqu'à la seconde
270
SCH
Restauration il ne cessa j^as d'eu
remplir les foDctions dans la cin-
quième division (Strasbourg). Du-
rant tout l'Empire on ne le vil donc
s'occuper que de règlements, de ma-
nœuvres et d'inspections de troupes.
Bien qu'il ail toujours eu la réputa-
tion d*un assez bon instructeur, nous
sommes loin de croire, comme nous
l'avons lu quelque part, que ce fut
lui qui organisa presque toutes les
armées pendant le régime impérial,
et qui recréa en France la tactique
de l'infanterie. Ce sont là certaine-
ment des services auxquels il parti-
cipa d'une manière active, mais li-
mitée. En 1814 , il commandait à
Tours le dépôt général de la grande
armée-, Louis XVlll lui donna la
croix de grand -officier de la Lé-
gion-d'Honneur ainsi que celle de
commandeur de Saint-Louis, et le
chargea du licenciement de plusieurs
régiments de la vieille garde, qu'il
réorganisa en garde royale., Mis en-
suite en disponibilité, il se redra en
Alsace ; après les Cent-Jours, pen-
dant lesquels il n'exerça aucune
fonction, on lui donna sa retraite.
Il mourut en septembre 1831, à sa
terre de Gendertheim (Bas -Rhin).
Le général Schauenburg était d'une
taille élevée et avait une voix retentis-
sante dans le commandement, à ce
point qu'il «e faisait entendre de
tout un corps d'armée. Il a publie':
Instruction concernant les manœu-
vres de Vinfanterie, par l'inspecteur-
général de l'infanterie de l'armée
du Rhin, Strasbourg, an viii (1800),
in-12. — Ses quatre tils ont tous suivi
la carrière militaire: l'aîné mourut
maréchal-de^campen 1838, après avoir
fait les guerres de l'Empire et servi
sept ans dans l'armée d'Afrique. Le
second, capitaine de grenadiers, fut
tué à lu bataille d'Heilsberg. Le plus
SÇH
jeune , lieutenant de cavalerie ;, e»t
mort sous la Restauration. Le troi-
sième est le baron de Schauenburg,
colonel d'état-major, ancien député
du Bas-Rhin, et aujourd'hui pair de
France. C— H— n.
SCHEBISTERI (Mahmoud ) ,
poète persan, ainsi nommé du lieu
de sa naissance , Schebister près de
Tauris, mourut dans cette dernière
ville, l'an 720 de l'hégire (1320 de
J.-C.) Lecheik SaM-Huraïni du Kho-
rassan lui ayant adressé quinze de-
mandes, il y répondit par un poème
ascétique , intitulé GiildMheni rus
(le Parterre des secrets). Un orien-
taliste prussien, Thuluck, avait in-
séré dans deux de ses ouvrages la
traduction de quatre cents des dis-
tiques qui forment cette composition
parfois peu intelligible. M. de Ham-
mer-Purgstall l'a, pour la première
fois, publiée en entier et avec luxe, en
joignant au texte persan une tra-
duction allemande ( Pesth , 18S8 ,
in-40). B— N— T.
SCHEDE (Paul). Voy. Melissus,
LXXIII, 418.
SCHËDEL (Frédéric), marchand
hollandais, fut choisi par le conseil
de Batavia pour aller à Canton s'as-
surer des dispositions des Chinois, et
y traiter du commerce entre les deux
nations. En conséquence, il partit de
Formose le 20 janvier 1653, montant
une riche frégate. Arrivé près d'Hey-
tamen dans la rivière de Canton, il
fut agréablement surpris de voir
venir à son bord l'amiral chinois,
qui lui apportait des compliments
de la part des magistrats de la ville.
Cependant, malgré ce bon accueil ap-
parent, il fut bientôt abandonné par
cet amiral , et ensuite fouillé sans
aucun ménagement aux portes de
Canton. 11 découvrit plus tard que
ce premier désagrément ; qui fut
SCH
suivi àe beaucoup d'autres, lui i"e*
naft des Portugais , dëjà«fl relation
avec la Chine et ne négligeant rien
pour en éloigner les autres Euro-
péens. La patience hollandaise ne se
rebuta pas de ces contre-temps: re-
doublant de soins auprès des magis-
trats, il parvint à leur faire goûter
d'un excellent vin auquel ils s'ac-
coutumèrent volontiers. Ces manda-
rins adoucis lui ménagèrent une au-
dience du vice-roi. Quoique sa mar-
che se fît avec pompe, il fut insulté
sur la route par le petit peuple, dont
les outrages le louchèrent d'autant
moins qu'ils s'exhalaient en propos
pour lui inintelligibles. Le vice-roi lui
donna un très-beau dîner, et la ma-
nière dont il le congédia ne fut pas
moins gracieuse, il y avait peu de
temps que cet empire venait pour la
seconde fois d'êlre conquis par les
Tartares.La mère du vice-roi,qui était
de celte nation, souhaita voir les
Hollandais. Schedel fut très- bien
reçu de cette dame. Et pendant
sa visite, il fit jouer par ses trom-
pettes plusieui-s fanfares qui plurent
beaucoup à l'assemblée. De leur
côté, les Portugais mirent tout en
œuvre pour perdre les Hollandais
dans l'esprit des grands et du peu-
ple. Ils n'auraient cependant réussi
que très-faiblement, si un commis-
saire arrivé de Pékin n'eût appuyé
leurs propos auprès du vice-roi. H
insista sur la nécessité de connaître
la volonté de l'empereur avant de
prendre aucun engagement avec une
nation étrangère Cette ^objection pa-
rut si embarrassante au vice-roi , qu'il
conseilla à Scliedel de partir , sous
prétexte que le gouverneur de Ba-
tavia le rappelait, il mit en effet à
la voile, et emporta <ies lettres de ce
magistrat , par lesquelles il pro-
mettait au gouverneur son amitié
SCH
«71
et tous les services ({ui dépendraient
de lui. Il lui conseilla également
d'envoyer de riches présents au
grand - Ithan en Tartarie. Schede
fut renvoyé une seconde fois en Chi-
ne , accompagnant Zacharie Wage-
naar. H fut bien reçu de l'amiral
qu'il avait vu dans son premier
voyage; celui-ci le renvoya cependant
au mandarin Tu-tang. Les Portugais
n'ayant pas cessé d'agir pour nuire
aux Hollandais, et ceux-là n'ayant
pas voulu se prêter à l'avidité des
Chinois qui demandaient des sommes
exorbitantes pour accorder seule-
ment des audiences, la négociation
n'eut aucun résultat. Néanmoins
elle fit voir aux Hollandais qu'ils s'y
étdient mal pris d'abord , et qu'ils
pourraient se mieux conduire dans
la suite. Schedel avec les siens re-
mit à la voile pour Baîavia,et cam-
muniqua de nouvelles vues sur la
manière de s'introduire en Chine.
Yoy. Histoire des Voyages^ Collection
de Thévenot. M — le.
SCIli^.DONI (Pierre), philosophe
italien, naquit en 1759, à Sassuolo,
dans le duché de Modène. Devenu
orphelin de bonne heure, il fut con-
duit avec le reste de sa famille à For-
migine, chez un oncle maternel, au-
près duquel il resta jusqu'à l'âge de
treize ans. Il fut alors envoyé à Mo-
dène pour faire ses études au collège
des Jésuites, où il se fit remarquer
par l'activité de son esprit et de sa
mémoire. H étudia ensuite le droit,
et se fit recevoir docteur, quoiqu'il
goûtât fort peu cette science et qu'il
préférât s'adonner à l'élude des
beaux-arts, des langues et de la phi-
losophie. Mais, pour être agréable à
son oncle qui était aussi établi à Mo-^
dène, il entra dans l'étude d'un avo-
cat, et parut s'absorber pendant quel-
que temps dans l'étnde du droit, au
au
SCH
5CH
point d'apprendre par cœur tout le
code modenois. Cependant après ce
tour de force, sa véritable vocition
reprit le dessus et rfvSta pins ferme que
la volonté île Toiicle, qui finit par cé-
der, laissant au jeune jurisconsulte
toute sa liberté d'aetion. Schcdoni
visita successivement Venise, Flo-
rence. Rome et Niipies, et se lia dans
ses voyages avec l'abbé Morelli, avec
Raphaël Morghen et Canova. Reve-
nu à Moiiène, il s'occupa counne par
Je passé de différentes publications,
et ne voulut jamais accepter de loac-
tions publiques. Ce fut seulement en
1827 que, pour ne pas désoblig^^r son
souverain, il consi^ntnà être un des
douze censeurs pour les livres. Sche-
duni mourut à Modène, le 27 nov.
1835 On a de lui en italien; l. Essai
sur les jeuœ^ Modène, 1788, in-8».
Ctt opuscule, qui a été plusieurs fois
réimprimé, fut publié à l'occasion
d'un édit par lequel le duc Hercule
déff^ndit les jeux dans ses Étals.
Schedoni eut la hardiesse d'aitaquer
celte mesure et motiva fortement son
opinion, n»ais dans un style un peu
boursouflé ei déclamatoire. 11. Éloge
d'Augustin Faradisi ^ ia- 8**, trois
éditions. 111. Des moyens de pré-
venir et de diminuer les maux de la
guerre^ Modène, l80i. IV. Mémoire
sur les qualités et les défauts du Pa-
négyrique de Trajan, que Schedoni
envoya à l'académie de Lucques ,
pour concourir au prix proposé par
elle, et qui obtint une médaille d'or.
y. Éloge de Muratori, qui fit décer-
ner à l'auteur une autre médaille
d'or par le corps municipal de Mo-
dène, VI. Mémoire sur la violation
de la pudeur dans les beaux arts.
VII. Opuscule de voyages , Modène,
1806, in 8o. Vlll. Sur les tragédies
d' Al fier i, Modène, 1806, in 8% étude
critique dans laquelle, après avoir
rendu hommage aux qualités de
style du poète d'Asti, Schedoni l'ac-
cuse d'avoir violé • Tordre moral
« que recommandent également tou-
• tes les lois du théâtre et l'utilité
• publique. » IX. Les influences
morales.^ ouvrage qui a valu à l'au-
teur le titre de créateur de la mo-
rale expérimentale. X. Coup d'œil
sur la science de la législation de
Filangitri^ Modène, 1826, in 8«>.
Sched»»ni y attaque le célèbre éco-
notiiisle napolitain qu'il avait déjà
critiqué dans un Mémoire sur la li-
berté de la presse, lu à l'académie de
Modène. Il reçut à rocc;ision de ce
livre un bref du pape Léon XM, qui,
entre autres éloges, disait : Materies
operis est hujusmodi, ut ejus Itctio
in hoc difficillimo reipublicœ guber-
nandœ munere magna nobis usai
essepossit. XI Appendice à l'ouvrage
précédent et à ïaLeltre de M deChd-
teaubriand sur la liberté de la
presse, Modène, 1827, in-8''. Xll.
Principes moraux du théâtre, XIII.
Traduction italienne de douze dis-
cours de Cicéron. XIV. Id. de la Vie
d'Agricola , de Tacite. XV. Choix
des meilleurs sonnets italiens, avec
des notes, Modène, 1827, Schedoni
avdit aussi pris part à la rédaction
de la Voix de la vérité, et des Mé-
moires de religion, de littérature et
de morale, que l'on publie à Modène.
A-Y.
SGHF:iDEL (François - Cristo -
PHE de), théologien allemand, né en
1748 à Ellingen, petite vi'le qui ap-
partenait alors à l'ordre Teutonique,
et où son père exerçait les fonctions
d'intendant pour cet ordre équestre,
se voua à l'état ecclésiastique dans
le séminaire de Mayence,et, ordonné
prêtre en 1772, il se chargea de
Téducalion du jeune comte de Sta»
dion ; puis, ayant obtenu le doctorat
SCH
(héologique, il fut nommé en 1 778 su-
périeur du séminaire, et quatre ans
après professeur d'une chaire peut-
être unique en son espèce à l'univer-
sité de Mayence , celle de la polémi-
que pour la théologie], qui fut
probablement créée pour lui. Il
chercha à en prouver l'utilité par un
écrit qui parut en 1784, h l'occasion
de la fête séculaire de l'université de
Mayence, sous le titre De natura,
utilitate etjustis limitibus theologiœ
polemicœ in scholis seorsim a dog-
matica iraetanda. Dans la même
année il fut nommé doyen de la fa-
culté de théologie. Après la retraite
des troupes françaises qui avaient
occupé momentanément Mayence en
1790, l'électeur le nomma chancelier
de l'université de cette ville. Quand
Mayence fut définitivement réuni à
la république française, Scheidel
suivit son souverain à Aschaffen-
bourg où il eut la cure de Sainte-
Agathe, et fut attaché en qualité de
conseiller au vicariat général. En
1807 le prince primat le nomma
régent du séminaire de la même
ville, et plus tard professeur de la
faculté théologique à l'université
qu'il venait d'y fonder. Mais bientôt
après , Aschaffenbourg ayant été
réuni au royaume de Bavière, Schei-
del prit sa retraite, et en 1826 il
donna sa démission comme curé de
Sainte -Agathe. Le roi de Bavière
lui accorda la décoration de l'ordre
du Mérite civil. Scheidel mourut le
12 août 1730. D-G.
SCHELL (Alexandre de), né,
vers 1716, dans le cercle deSouabe,
d'une famille noble qu'un procès
avait ruinée, annonça fort jeune jes
plus heureuses dispositions pour
l'étude des langues^ il en parlait six
lorsque, à peine âgé de vingt ans, il
débuta dans la carrière des armes. Le
LXXXI.
SCH
273
crédit dont jouissait la maison de
Lœwenstein , à laquelle sa mère ap-
partenait, lui valut une lieulenance.
Son régiment fut cédé par le duc de
Wurtemberg au roi de Prusse, à l'é-
poque de la guerre de Silésie. On
l'envoya, par suite de quelques écarts
de jeunesse, en 1744, dans un régi-
ment de garnison. C'était une puni-
tion sévère; t^lle démoralisa com-
plètement ce jeune homme , doué
d*'un cœur nobieettout à la fois d'une
imagination fougueuse.Quandil se vit
continédansla citadelle de Glatz, son
mécontentement, son irritation n'eu-
rent point de bornes; il résolut de
saisir la première occasion de déser-
ter. Le baron de Trenck, le mêmequi
combla la mesure de ses malheurs et
de sa vie aventureuse en venant se
mêler à la révolution française et
recevoir la mort sur un échafaud,
se trouvait au nombre des prison-
niers que renfermait Glatz. Schell
favorisa son évasion , et tons deux ,
non toutefois sans avoir couru de
grands dangers, parvinrent à gagner
les frontières de la Bohême. Après
avoir erré près d'une année en Po-
logne, ils arrivèrent à Vienne, où,
par la protection de l'excellent
prince Charles de Lorraine, Trenck
obtint pour son libérateur un brevet:
de lieutenant^ mais la malheureuse
passion du jeu dominait Schell au
point de lui faire perdre tout esprit
de conduite. Déserteur du service
autrichien , obligé de changer d«
nom , il devint, sous celui deLesch,
officier dans les troupes de Modène.
Son mauvais destin le força bientôt
de quitter cette position ; il fut simple
soldat, puis secrétaire fourrier d'un
régiment suisse à la solde du roi d(>
Sardaigne. Alors il prit la ferme ré-
solution de s'amender, ne joua plus
et secréad'honorables moyens d'exis-
18
274
5ÇH
tence par ses leçons de langue, (\e
ipusiqne et dje d^sin ; \\ eut môme
la satisfaction de pouvoir faire par-
venir périodiquement des secours à
sa famille. Le baron de Trenck, sorti
des prisons de Magdebourg en 1763,
ne put découvrir la retraite du mal-
heureux exilé qu'au bout de six an-
nées de recherches. Leurs relations
se renouvelèrent en 1769, et les deux
amis passèrent ensemble , en 1772 ,
quatre mois à Aix-la-Chapelle où le
baron s'était marié. Cependant des
intérêts de cœur (car l'âge n'avait
pas affaibli son penchant pour le
sexe) et l'expiration du congé qu'il
avait obtenu ne permirent pas à
Schell de prolonger davantage son
séjour dans cette ville; il reprit la
route d'Alexandrie où résidait son
régiment. Sa santé s'altéra..., une af-
freuse maladie, la pierre, lui fit éprou-
ver d'horribles souffrances , et , dé-
goûté de la vie, il prit du poison
qu'il portait constamment sur lui.
Le 26 mai 1776, on le trouva mort
dans son lit. Il avait placé sur sa ta-
ble un testament daté déjà du 213
mars, ainsi que des lettres d'adieu
pour son colonel et pour ses amis^
il en écrivit une fort touchante, deux
jours avant la catastrophe, au baron
de Trenck. Il laissa des odes eroti-
ques, des satires et des chansons,
quelques-unes écrites en langue alle-
mande et le plus grand nombre en
italien. Une partie de ces ouvrages a
été traduite en prose française, ainsi
que plusieurs de ses lettres, sous ce
titre : Lettres et Aventures d'Alexan-
dre de Schell , suivies de son testa-
ment^ etc., 2 pet. vol. in-12, Paris,
1789 , c'est-à-dire une année après
l'apparition des Mémoires du baron
de Trenck, que Le Tourneur fit con-
naître aux lecteurs français et dont
la vogue fut prodigieuse. Voici le
SCH
portrait que trace d'Alexandre de
Sch«U son traducteur : « Il était d'une
• stature médiocre , mais assez bien
« fait; il avait un port noble sans
• affectation, un air sombre, surtout
« dans ses dernières années, mais
« qui n'était pas repoussant ; l'œil
• enfoncé, mais vif; il était enclin à
« la colère et savait néanmoins se
« modérer; aucun homme, malgré le
• mépris qu'il affectait pour ses sem-
« blables , ne fut plus sensible aux
• misères de l'humanité. » St — t.
SCHëLLëXBëKG (Jean-Rodol-
phe), peintre, naquit à Baie en I746,et
mourut à Winterthur le 6 août 1806.
Son père Jean-Ulric, et plus encore
son aïeul maternel, Rodolphe Huber,
développèrent en lui le talent du pein-
tre, et Huber, excellent artiste, lui
donna les premières leçons de l'art.
Doué d'une imagination vive et d'un
grand enthousiasme , il sut s'appro-
prier le style vigoureux de son aïeul
pendant le séjour qu'il fit à Winter-
thiir, dans la ville natale de son père,
après la mort de Huber; il apprit en
même temps l'art de la gravure. Une
fâcheuse maladie,occasionnée par une
chute où il se frappa à la tête, lui fit
oublier presque tout ce qu'il avait
appris, à l'exception du dessin, de
manière que, comme il lui fallut ap-
prendre de nouveau à lire et à écrire,
il se servit, en attendant, du dessin
pour communiquer ses idées. Il se
rendit ensuite a Bâle où il fit des
portraits et nombre de petits ta-
bleaux qui offraient des sujets tirés
de la vie commune. Une autre ma-
ladie lui survint au moment où il
devait suivre un Anglais dans un
voyage d'Italie. C'est alors que, du»-
rant un séjour qu'il fit à Zurich che?
le chanoine Gessner, il prit du goût
pour l'histoire naturelle et devint ex-
cellent peintre et graveur de plantes
SCH
et d'animaui. L'Histoire des insectes
et les Genres d'insectes, i^àtGutzer, les
Archives et le Magasin entomologi-
que, par Fuessli, {'Entomologie hel-
vétique^ par Clairville, le Voyage
en Suisse^ par Andreae, les Plantes
et arbustes d'agrément (1797), V His-
toire des amaranthes , par Willde-
now, les Journaux de botanique^
publiés par Usteri et Romer, VHis^
toire des écrevisses, par Kerbst, et
d'autres ouvrages encore, sont ornés
d'un très-grand nombre de planches
dessinées et gravées par Schellem-
berg. L'entomologie surtout devint
son étude favorite ; et, après avoir
vendu à l'électeur Théodore de Ba-
vière une collection de 2,000 des-
sins coloriés d'insectes, il en com-
mença une autre , qui , dans 60
volumes in -8°, contient plus de
4,500 planches coloriées d'insectes,
la plupart suisses. Le nombre de ses
autres gravures n'est pas moins con-
sidérable. On en trouve dans l'ou-
vrage de Lavater, sur Uphysiogno -
monie^ dans le grand Livre élémen-
laî're de Basedow ; il a gravé à peu près
tous les portraits de VHistoire des
Artistes de la Suisse.^ par Fuessli, une
collection de soixante planches
d'histoires de la Bible, un recueil
de figures pour une collection de fa-
bles , d'autres pour une danse des
morts, dans le genre d'Holbein, des
figures satiriques qu'il nommait ses
railleries, etc. Ses poésies manu-
scrites, la plupart satiriques , for-
ment plusieurs volumes. Après avoir
passé quelques années à Bâle et à
Berne, il s'était fixé à Winterthiir.
Laborieux, économe, d'un commerce
aimable, bon époux et bon père, il a
joui d'une considération méritée
parmi ses concitoyens. La société
des artistes de Zurich a donné dans
sesÉtrennes pour 1807 le portrait et
SCH
275
la vie de Schellenberg accompa-
gnée d'une planche de plantes et
d'insectes, gravée d'après ses des-
sins. U— I.
SCHELTEMA (Jacques), écrivain
hollandais, était né le 14 mai 1767,
à Franeker, province de Frise. Après
de fortes études dans sa ville natale,
il fut reçu gradué en droit en 1786
et 'se mit à exercer la profession d'a-
vocat. S'étant prononcé pour le parti
patriote et ayant pris une part active
aux troubles qui agitèrentà cette épo-
que les Provinces-Unies, il crut pru-
dent de s'expatrier lors de l'intervea-
lion prussienne qui rétablit le sta-
thouder. S'étant réfugié à Steinfort, il
y rencontra le jurisconsulte Vander-
Marck, réfugié comme lui, et dans la
vie oisive de l'exil il suivit assidû-
ment les leçons de ce célèbre profes-
seur. En 1789 , il rentra dans son
pays , vint se fixer à Amsterdam, et
s'y livra au commerce. La haute con-
sidération dont il jouissait lorsque
s'établit en 1795 la république ba-
tave, sous la protection de l'armée
française, et l'empressement avec le-
quel il adopta ce changement politi-
que, le firent nommer membre du co-
mité qui remplaça le conseil d'État.
Son attention se porta spécialement
sur les questions financières. Élu dé-
puté à la Convention nationale en
1797, il fut désigné par cette assem-
blée pour faire partie de la commis-
sion des finances. Bien qu'apparte-
nant à l'opinion patriote, il ne voulut
point se rendre complice des excès
de la fraction extrême ; sa modéra-
tion, sans être aussi grande que celle
de Schimmelpenninck {voy, ce nom
dans ce volume), son ami, l'était as-
sez pour qu'il refusât de s'associer
aux violences et aux désordres. Cette
sage conduite le fit. comprendre au
nombre des membres de la Conven-
ir/
270
SCH
tioii ^rrèiés, le 22 janvier 1793, aux-
quels on donna la Maison au bois
pour prison. Le 12 juin suivant, le
parti modéré ayant repris le dessus ,
Scheltema recouvra la liberté comme
tous ses compagnons de captivité. îl
reçut alors un emploi dans les finan-
ces, puis une ch.irge de conseiller-
juge à la cour d'appel de Kampen.
Devenu membre du comité de marine
en 1801, avec la direction du conten-
tieux des douanes, il quitta ces fonc-
tions en 1805 pour celles de conseil-
ler des finances. Presque au même
moment il fut pourvu de la place
lucrative de commis -général pour
les droits d'entrée et de sortie de
la ville d'Amsterdam. La réunion
de la Hollande à l'empire français
changea encore une fois sa position,
et il devint juge de paix de Zaan-
dam. Ce fut vers cette époque qu'il
commença d'une manière exclusive
sa carrière d'écrivain. 11 publia plu-
sieurs ouvrages qui eurent un véri-
table succès. La plupart des sociétés
littéraires de Hollande le comptè-
rent bientôt parmi leurs membres.
Après la révolution de 1813 et la
restauration de la maison d'Orange,
on le nomma greffier du conseil de
la marine du royaume des Pays-
Bas^ mais en 1819, la suppression de
ce conseil le priva de son emploi ; il
n'en fut pas dédommagé, et désormais
il vécut dans la retraite , en dehors
des affaires publiques, ne s'occupant
plus que très -peu de littérature.
Aveuglé par son [)atriotisme,il s'était
fait le défenseur d'une idée depuis
long-temps répandue en Hollande,
que l'invention de l'imprimerie ap-
partenait àLaurentCoster.filsde Jean
le sacristain {Coster) âê Harlem. Mal-
gré le Mémoire de M. Koning sur ce
sujet, couronné par cette ville en
1816, et les vains efforts de Schel-
SCH
tema, Guttenberg et Mayence seront
toujours le savant et la cité insépara-
liies de cette belle découverte. Schel-
tema était membre des académies
de Saint-Pétersbourg et de Moscou. Il
mourut vers 1 830. Ses principaux ou-
vrages sont : 1. La Hollande politi-
que^ ou Biographie des hommes d'É-
tat les plus distingués de la Hol^
lande^ Amsterdam, 1805-1806. H.
Discours sur les lettres de Hooft, Am-
sterdam, 1806. m. Mémoire sur la
vie et les mérites de deux femmes cé-
lèbres , Anne et Marie Tesselchade
Vischer, 1807. IV. Parallèle de la
délivrance de la domination espa-
gnole en 1571 et de la délivrance de
la domination française en 1813 ,
Amsterdam, 1813, in-S». V. Séjour
de Pierre - le- Grand , empereur de
Russie, en Hollande^ en 1697 et 1717,
Amsterdam, 1814, 2 vol. in-8°. Ayant
trouvé de nombreux matériaux,Schel-
tema refondit cet ouvrage et le pu-
blia avec des augmentations consi-
dérables sous ce nouveau titre : La
Russie et la Hollande, considérées
dans leurs rapports réciproques , 4
vol. in-8o, 1817-1819. VI. La der-
nière campagne de Napoléon Bona-
parte^ Amsterdam, 1816. VII. Mé-
moire sur l'esprit de la loi des doua-
nes, de 1725, Amsterdam, 1816. VIII.
Mélanges historiques et littéraires ,
Amsterdam, 1817-1819. C— h— n.
SCHELTÏNGA (Gerlach), juris-
consulte hollandais, après avoir pro-
fessé à Deventer, fut appelé à la
chaire de droit civil à l'université
de Leyde en 1738. Il la remplit avec
distinction , et mourut le 9 février
1765. On a de lui, outre trois haran^
gués académiques: Projur/sconsuffîs
et jurisprudentia , 1738, De officia
magistratus, 1745, De jure civili
Romano , jurîsconsultis non suffi-
ciente quidem, sed tamen necessario.
SCH
1761 ; deux dissertations De emanci-
patione, recueillies dans le tome //
de la Jurisprudentia aniiqua de
Daniel Feileniberg ; et deux Mémoi-
res critiques sur des passages de
jurisconsultes grecs, dans le Novus
thésaurus juris civiliset canonici de
Meerman, tome III et t. V. M— on.
SCIIEMS - EDDÏN. Voy. Ibn-
KHILCAN, XXÏ, 156,etSÉlD-BÉCHAR,
XLI, 480.
SCHENCK (Jf.an-Georges), fils
de Jean Schenck de GrafFenberg
{voy. ce nom, XLI, 108), naquit à
Fribourg en Brisgau, dans la seconde
moitié du XVI® siècle. Comme son
père, il se distingua dans l'exercice
de la médecine, et ne mérite pas
moins que lui l'honneur d'une men-
tion dans les fastes de cette science.
C'est à Haguenau qu'il la pratiqua
avec beaucoup de succès, et qu'il se
livra en même temps à un travail de
cabinet qui nous a valu p'usieurs
écrits dignes d'une certaine estime.
C'est aussi dans cette ville qu'il
mourut vers 1620. On lui doit la pre-
mière édition, en 2 vol. in-8**, des
Observations^ etc., publiées par son
père, en sept parties séparées (1).
Parmi ses propres ouvrages, nous
citerons seulement les trois suivants,
que l'on recherche encore, et nous y
joindrons le jugement qu'en porte la
Biographie du Dictionnaire des
sciences médicales, en renvoyant à
cette Biographie pour les titres des
six autres productions de l'auteur.
I. De formandis medicinœ studiis et
schola medica const>tuenda En-
chiridion, Strasbourg, 1607, in-12.
« On y trouve les Consilia de studio
medico de Mercuriali, Sylvius, Cas-
SCH
277
(i) La dernière traite De Vtnenis ( des
poisons ), et noa De venercis, comme ou
l'a imprimé par erreur à la fin de l'article
consacré à Jean S<'benck.
tellamis et Placotomus. C'est un ou-
vrage utile. » Nous ajouterons qu'on
le lirait avec fruit en ce moment où
Ton se préoccupe généralement
d'une organisation nouvelle de l'en-
seignement médical et de tout ce
qui a rapport à l'art de guérir. H.
Lithogenesia, seu de microcosmi
membris petrefactis et cakulis eidem
microcosmo per varias matrices in-
natis, Francfort, 1608, in-l». «Cet
ouvrage mérite d'être lu, mais avec
réserve ; il contient beaucoup de
faits controuvés, exagérés ou dou-
teux. C'est un livre à consulter pour
l'histoire de l'anatomie pathologi-
que. » III. Monstrorum historia
mirabilis ^ibid, 1609, pet. in-4°, fig.
« Ce livre est rempli de fables 5 on
ne doit y puiser qu'avec réserve et
critique. » Ce sont précisément ces
fables qui le rendent amusant pour
le plus grand nombre des lecteurs.
On ne le rencontre pas facilement.
B— L— u.
SCHEPF (Thomas), natif de Bri-
sach, devint médecin de la ville de
Berne et y mourut de la peste le 31
août 1577. Sa Carte du canton de
Berne, publiée en 18 feuilles,
l'an 1578, et retouchée par Albert-
Meyer, en 1672, est la plus nettCç^ la
plus exacte, la plus grande et en
même temps la plus rare de toutes
les cartes de ce canton suisse; et, vu
le temps de sa composition, on ne
saurait qu'admirer cet ouvrage. Un
Commentaire de la carte ne mérite
pas moins d'attention ^ on en con-
serve des copies manuscrites dans
les bibliothèques suisses, sous ce
titre : Inclytœ Bernatum urbis cum
omni ditionis suœ agro et provin-
dis delineatio chorographictty secun
dum cujusque loci justiorem et lon-
gitudlnemet latitudinem cœli, libris
II complexa, etc. \}—u
578
SCH
SCHËKB (Philippe) naquit à
Bischofszell en Suisse eu 1553, et
mourut professeur à l'Université
d'Altdorf en 1605. Dès sa jeunesse
il montra un esprit facile et enjoué,
ainsi qu'un goût décidé pour les
sciences. Il étudia la médecine et la
philosophie à Bâle et en Italie. En
1580, il fut nommé professeur de
logique à l'Université de Bâle, et il y
o)}tint ensuite la chaire de philoso-
phie morale. En 1586 il se rendit à
Altdorf, où la chaire de médecine et
de philosophie lui fut conférée. Ses
talents et son éloquence lui acquirent
de la célébrité, et son auditoire fut
fort nombreux.La plupart de ses écrits
sont des pièces académiques ^ voici
les titres de quelques-uns : Diseur sus
politici in Aristotelis de republica
liiros , Francfort , 1610 , in - S».
Iheses medicœ coUectœ et editœ a
Casp, Hofmanno , Leipzig, 161é ,
in-S". U— I.
SCHËRER ( Jean-Jacques ) na-
quit à Saint-Gall en 1654, et y mou-
rut en 1733. Il avait occupé diffé-
rentes places ecclésiastiques dans sâ
ville natale, et il y a soigné les ar-
chives et la bibliothèque. Outre un
grand nombre de dissertations et
d'ouvrages ascétiques, de traduc-
tions, etc., il a publié (en 1698 et
1708, à Saint-Gall, in-8») le Syn-
chronismus historiée universalis sy-
nopticus, et, en 1698, un Aperçu de
la Chronique de Saint-Gall (en al-
lemand). On conserve dans la biblio-
thèque de la ville de Saint-Gall quel-
ques volumes manuscrits, dans les-
quels il a donné la suite de la Chro-
nique de Vadianus. U— i.
SCUËRËR (Jean-Benoit), his-
torien et publiciste, né k Strasbourg
en 1741, fut commis au ministère des
affaires étrangères à Versailles, et
séjourna long-temps en Russie, ce
SCH
qui le mit à même d'acquérir beau-
coup de renseignements sur l'his-
toire de cet empire. Revenu dans sa
patrie, il y mourut dans les premières
années de la révolution. On a de lui :
1. Recherches historiques et géogra-
phiques sur le Nouveau-Mondey Pa-
ris, 1777, in-80, fig. U. Histoire rai-
sonnée du commerce de la Russie,
Paris, 1788, 2 vol. in-8^ III. An-
nales de la petite Russie, ou Histoire
des Cosaques Zaporogues et des Co-
saques de l'Ukraine ou de la petite
Russie, depuis son origine jusqu'à
nos jours , suivies d'un Abrégé de
Vhistoire des hetmans des Cosa-
ques et de pièces justificatives, tra-
duit d'après les manuscrits conser-
vés à Kief, enrichi de notes , Paris,
1788, 2 vol. in-12. J.-B. Scherer a
encore écrit en allemand beaucoup
d'ouvrages sur le droit public et sur
l'histoire. — Scherer ( Alexandre-
Nicolas) a publié un Mémoire sur
les propriétés de l'acide carbonique
représenté par le feu^ etc. , inséré dans
les Actes de l'Académie des sciences
de Saint-Pétersbourg (1806). Z.
SCHEUKEMANN ( Henning ) ,
médecin dans le XVI* siècle à Bam-
berg et ensuite à Aschersleben, s'af-
filia aux frères Rose -Croix, et,
comme eux, dédaigna les connaissan-
ces scientifiques et physiologiques.
Ses idées s'éloignent de celles de
Paracelse , mais elles sont aussi
chimériques, et il les expose dans un
langage obscur et presque inintel-
ligible. Ce serait entreprendre une
tâche des plus rebutantes et des
plus superflues que d'essayer l'ex-
position étendue de théories aussi
creuses et aussi justement vouées au
mépris. D'après notre auteur, la na-
ture interne de l'homme est divisée
en sept différents degrés d'après les
sept changements qu'elle subit et
SCH
qui sont la combustion i la sublima-
tion^ la dissolution, la putréfaction,
la distillation, la coagulation, la tein-
ture. Ces sept changements font
perdre aux trois éléments Jeur forme,
leur astre, en même temps qu'ils
leur donnent des qualités sensibles
et visibles. Les trois éléments pro-
duisent par leurs différentes modifi-
cations dix espèces, savoir, quatre
de mercure, trois de soufre et trois
de seU Les quatre espèces de mer-
cure sont le mercure pneumosus ^
cremosus, suMimatus^ prœcipitatus ;
les trois genres de soufre sont le
congelatum, le resolutum, le coagu-
latum; enfin les trois espèces de sel
ont pour désignations le calcinatum,
le resolutum , le reverberatum. Les
combinaisons de ces divers corps
sont les causes de toutes les mala-
dies , de tous les phénomènes de la
vie organique. Tout cela est exposé
dans un style emphatique et barbare
qui révèle l'ignorance la plus invin-
cible des premiers principes de la
science réelle. Personne, à coup sûr,
n'est tenté aujourd'hui de lire les
divers écrits de Scheunemann, parmi
lesquels figure surtout sa Medicina
reformata, Francfort, 1617; mais
nous avons jugé utile de rappeler ici
ces étranges systèmes, parce qu'ils
se retrouvent plus ou moins déve-
loppés et modifiés dans un grand
nombre de traités sur l'art de guérir,
mis au jour durant les cinquante
premières années du XVII® siècle.
B — N — T.
SCHEURER (Samuel), né à
Berne, fit d'excellentes études dans
sa patrie. Il était encore très- jeune
lorsque la chaire d'éloqiience du
collège de cette ville lui fut conférée
en 1709. Il entreprit en 1717 et
1718, aux frais du gouvernement, «n
voyage par l'Alkmagne, la Hollande
SCH
279
et l'Angleterre. De retour à Èerne, il
y obtint, en 1718, la chaire de théo-
logie, qu'il occupa jusqu'à sa mort,
arrivée en 1747. Outre un nombre
considérable de dissertations , dont
on ne désignera ici que celle de Afi-
raculis^ qui renferme l'histoire d'un
jeûne observé pendant une longue
série d'années , celle de Litterarum
potius litteratorum nœvis (Berne,
1728, 1730), et quelques écrits as-
cétiques, il a publié le Mausolée ber^
nais (2 vol. in-8° en allemand, Berne,
1740-1741), composé des vies des au-
teurs de la réforme de l'Église de Ber-
ne au XVI® siècle. Ces biographies
renferment des documents pré-
cieux pour l'histoire de la réforme
elle-même, et ne sont qu'une par-
tie d'un travail plus complet que
l'auteur s'était proposé de donner
ensuite sur l'histoire ecclésiastique
de Berne , travail dont on conserve
les fragments manuscrits dans les
archives du conseil ecclésiastique de
cette ville, U— i.
SCHIAVO (1) (Dominique), litté-
rateur italien, naquit en 1718, à Pa-
lerme, d'une famille obscure mais
aisée, et qui put ainsi lui faire don-
ner une bonne éducation. Il profita
à merveille des soins dont il fut l'ob-
jet, se distingua dans son cours de
collège, et comme il se destinait à la
carrière ecclésiastique, il alla étudier
la théologie à l'université de Catane,
où il se fit recevoir successivement
docteur dans là sacrée faculté, fen
JUULi
'•*■ ■■<>■• '^■-':
(i) M. Jean Renda, dans la notice qu'il
a consacrée à èé savant ( Bio'grafià degli
Italiani iUuslri del secolo XVIU\ lui donne
constamment le nom de ScAVO. jNous som-?
nies e^penda(nt bien certain qu'il s appelait
StiHiÀVo jinàis comme ce mot Veut dire ti-
c/afe, il serait possible que d»ns les rapports
ordinaires de la vie, on eût pris l'habitude
de supprimer les lettres Ai, pv courtoisie
pbUt le savant àbbé.
280
SCH
droit civil et en droit canon. Revenu
à Palerme, il obtint d'abord un bé-
nf^fice, puis un canonicat à la cathï^-
drale, vraie sinécure qui lui permit
de se consacrer tout entier à l'étude.
L'histoire, la diplomatique, la nu-
mismatique nationale, la critique,
les langues anciennes et modernes,
l'occupèrent tour à tour, et il a laissé
sur chacune de ces branches du sa-
voir humain des écrits estimés qui
sont, pour la plupart, disséminés
dans diftérents recueils importants.
Lui-même en fonda un en 1755 sous
le titre de Mémoires pour servir à
l'histoire litléraire de la Sicile. Dans
le prospectus, il promettait de donner
non-seulement le catalogue des ma-
nuscrits inédits dont il avait connais-
sance, et d'illustrer les nombreuses
inscriptions et médailles qui res-
taient enfouies dans les musées, mais
encore de publier des extraits et des
critiques des livres nouveaux, de te-
nir le public au courant des décou-
vertes scientifiques, et surtout de
compléter les lacunes laissées par
Mongitoredansl'histoirelittérairede
la Sicile. Malheureusement il ne fut
pas fidèle à ses promesses. C'est en
vain qu'on chercherait dans son re-
cueil des matériaux pour l'histoire
littéraire contemporaine. Tout ce
qu'il publia se rapporte à des temps
éloignés, et ferait croire que la Sicile,
à cette époque, ne trouvait pas dans
le mouvement intellectuel du pays de
quoi défrayer une feuille hebdoma-
daire. Il est vrai que les il/emone, dont
il paraissait chaque semaine une li-
vraison, en forme de lettre, n'eurent
qu'un an d'existence (Palerme, 175C,
2 vol. in-8°), courte durée qui n'a sans
doute pas permise l'auteur d'exécuter
s^n programme dans toute l'étendue
qu'il lui avait d'abord assignée. L'abbé
Schiavo s'était lié dans sa jeunesse
SCII
avec le prince de Torremuzza, qu'il
dirigea et aida dans ses publications,
surloui(\àns\à Collection des inscrip-
tions de Sicile (Palerme, 1769, in-
fol . ). Ce fut de concert avec ce savant
qu'il fonda à Palerme une nouvelle
académie qui prit le nom de Colonia
Colomharia, et qu'il donna une nou-
velle impulsion aux travaux de l'A-
cadémie, plus ancienne, du Buon
Gusto, dont il fut directeur. L'abbé
Schiavo mourut à Palerme d'une ma-
ladiede consomption, le 20 juin 1773,
et laissa une réputation assez solide
pour que long-temps après sa mort
l'abbé Scinà {voy. ce nom ci-dessous)
pût dire que Schiavo était l'âme de
la littérature, non-seulement de Pa-
lerme, mais de toute la Sicile. En
effet, ce savant consacra toute sa vie,
d'une manière exclusive, k éclaircir
des points de l'histoire politique ,
littéraire, monumentale et même na-
turelle de son pays. Les Memorie
cités plus haut en font foi, ainsi que
de nombreuses dissertations et no-
lices publiées, soit dans les mémoires
de l'Académie du Buon Gusto^ soit
dans les Opuscules scientifiques et
littéraires, de Calogera, soit enfin
dans les Opuscules d'auteurs sici-
liens. — Schiavo {Michel)^ frère du
précédent, naquit à Palerme en 1705,
entra dans la carrière ecclésiasti-
que, devint chanoine de la cathé-
drale, puis inquisiteur provincial,
et enfin évêque de Mazara en 1766.
Il mourut le l«f décembre 1771.
Membre de l'Académie du Buon
Gusto, il y avait lu une dissertation,
en forme de discours, sur la question
de savoir si la Sicile n'avait pas pen-
dant quelque temps reconnu l'auto-
rité du patriarche de Constantinople
au lieu de celle du souverain pontife.
Schiavo traduisit ensuite ce mémoire
en latin et le publia en 1737 (Pa-
SCH
ierme, pet. in-4»). On lui doit en
outre une Vie de la vénérable sœur
Benoîte Regio (Palerme, 1742, in-4<>)
et une Dissertation historico- dog-
matique sur la patrie^ la sainteté et
la science du saint pontife Agathon
(Palerme, 1731, pet. in-4°k A— y.
SCHIKANEDER (Emmanuel),
acteur et auteur dramatique alle-
mand, né en 1751, joua dès sa pre-
mière jeunesse sur les théâtres en Au-
triche. Ddnslasuitejl se mit à écrire
des livrets pour les compositeurs
d'opéras ; il en fit un grand nombre,
mais aucun d'eux n'a égalé le succès
de la Flûte enchantée, dont Mozart
fit la musique. Les admirateurs du
grand compositeur ont dit que c'était
malgré le livret que l'opéra avait eu
une si grande vogue. Il est vrai que
Schikaneder n'est pas habile dans
le dialogue, et qu'il n'est pas grand
poète ; mais son canevas assez bon a
fourni au musicien Toccasion de dé-
ployer son génie, et Schikaneder,
connaissant à fond le goût du grand
public, avait soin de s'y conformer.
L'opéra de Mozart fut d'un bon rap-
port à l'auteur du livret. Il dirigea
successivement le théâtre de Prague
et celui de Leopoldstadt à Vienne avec
assez de succès pour* pouvoir ériger
à ses frais un nouveau théâtre plus
vaste que celui qu'il avait dirigé
jusqu'alors. Mnis le bonheur ne le
suivit pas long-temps. Il fit de mau-
vaises affaires, et ftit obligé de re-
mettre en d'autres mains la direction
théâtrale. Dès-lors il vécut à Vienne
presque dans Findigence ] il y mou-
rut le 21 septembre 1812. D— g.
SCHILDBERGER (Jean), voya-
geur du moyen âge, recommandable
par l'étendue de ses périlleuses pé-
régrinations, naquit à Munich dans la
seconde moitié du XIV*' siècle. Il ac-
compagna l'empereur Sigismond se
SCH
281
rendant en Hongrie pour guerroyer
contre les Turcs. Devenu, en 1396,
captif des soldats de Bajazet, envoyé
en Asie, tombant au pouvoir de Ti-
mour, passant au service de divers
khans et émirs, Schildberger par-
courut laPerse, le Khorassan, et s'en-
fonça jusque dans les contrées les
plus reculées de la Mongolie. Après
vingt-deux ans d'absence et après
avoir souffert toutes sortes de maux
et de faligues, il rentra dans sa pa-
trie; il se délassa en écrivant de mé-
moire la relation de ses voyages, re-
lation naïve où se rencontrent de
curieux détails sur les mœurs des
peuplades asiatiques , et où se mon-
tre une crédulité aveugle à côté
d'une ignorance complète des plus
simples notions de la géographie.
On n'y regardait point alors de si
près, et la relation de Schildberger
obtint un succès de vogue. L'art
typographique s'empressa de la re-
produire; elle obtint au XV^ siè-
cle quatre éditions (trois sans
date et une portant l'indication de
1494 ). Elle tomba ensuite dans l'ou-
bli; on l'en a fort imparfaitement
retirée de nos jours en la publiant
derechef à Munich en 1813. Schild-
berger pourrait offrir des rapproche-
ments curieux avec Marco Polo , et
sa relation serait un complément
utile à celle de Rubruquis, de Jean
de Carpin et autres qui ont retracé,
comme lui, les habitudes bizarres,
les usages singuliers, les pompes
demi-sauvages, sujets d'étonnement
pour les Européens que le sort jetait
parmi ces hordes tartares dont les
courses s'étendaient des confins de
la Chine aux frontières de la Silésie.
B — N~T.
SCmLLING(FRÉDÉRIC-GuSTAVE),
un des plus féconds, des plus agréa-
bles et des plus spirituels romanciers
'2^'i
SCH
allemands, naquit le 25 novemLre
1767 à Dresde, et eut pour parrain
le célèbre satirique Rabener. Ayafit
perdu sa mère en 1776, il fut élevé
quelque temps dans la maison d'une
parente à Bischoffswerda , puis il
fréquenta quatre ans de suite (de
1779 à 1781) comme externe Técole
princière de Meissen. Mais quoique
Horace lui plût et qu'il trouvât le
latin une admirable langue pour les
inscriptions, la nature ne l'avait pas
destiné à devenir un savant. N'ayant
encore que quatorze ans, et en dépit
de sa faible santé, il entra dans l'ar-
tillerie saxonne comme simple sol-
dat. Sa constitution s'y fortifia, il
mérita et conquit avantageusement
de Tavancement, et en 1787 il était
aide d'artillerie. En 1794, aprèsavoir
fait partie du contingent saxon auxi-
liaire de la Prusse dans la campagne
du Rhin, et assisté ainsi au siège et
à la reddition de Mayence, aux com-
bats de Moorlautern et à nombre
d'autres engagements avec les Fran-
çais, il reçut l'épaulette de sous-
lieutenant. Bientôt le traité de Baie,
en rétablissant la paix dans toute
l'Allemagne occidentale, rendit à
Schilling les loisirs de la vie de garni-
son, mais aussi ajourna pour lui l'es-
poir de son avancement ultérieur. Dès
lors il chercha dans la culture des let-
tres un délassement et même un moyen
d'ajouter àses ressources pécuniaires.
Il était marié depuis 1791, et qui pis
est, il était chargé de famille. Déjà
plusieurs années auparavant il avait
préludé par quelques essais. Tout
jeune encore en 1783, il avait abordé
le théâtre en donnant Élise Colmar^
puis un peu plus tard il avait présenté
au public un petit volume dont la
Ir" page portait le simple titre de
Poésies. Nous laissons de côté sa
Dimidllogie et sort Voyageur sen~
SCH
iimental, qui nous le montrent hé-
sitant encore sur la voie qu'il doit
suivre. Mais au moment où nous
sommes arrivés, évidemment il n'y a
plusdedoute pour lui. D'une part il a
reconnu que,"si l'on en excepte quel-
ques privilégiés, la poésie ne mène à
rien, tandis que la prose facile et lucra-
tive tapisse du moins le fond de la
caisse. De l'autre il a senti en lui le
talent de conter ; et ni l'esprit, ni
la sensibilité, ni l'usage du monde,
ni l'invention, ni certaine instruction
commode ne lui manquent abso-
lument. Tout l'invite donc à écrire
le roman pour lequel Toisiveté eu-
ropéenne tient toujours et de plus
en plus des débouchés tout prêts. Il
commence par achever (1796) son
Gui de Sohnsdom dont le 1" volume
a paru en 1791 ; puis, après sept
autres cadeaux de même genre à ce
sultan blasé qu'on nomme le public,
il finit par se concilier, avec la Femme
comme elle est, les sympathies des
habitués des cabinets littéraires, et
à partir de ce moment ilest sûr de
voir rechercher ou accepter par les
libraires tout ce qui sort de sa plume :
il lui suffit de signer sur le titre par
V auteur de la Femme comme elle est.
Du reste, la vie âe Schilling ne pré-
sente pour ainsi dire point d'évé-
nements. Premier lieutenant en 1803,
prisonnier en 1806 lors de la cam-
pagne d'Iéna, relâché sur parole
comme une infinité d'autres, puis en
1808, après un an et demi environ
de séjour à Freiberg, où il était allé
passer le temps de son inactivité
forcée, transféré avec une partie du
corps d'artillerie dans le grand-du-
ché de Varsovie que la paix de Tilsitt
venait de créer en faveur du roi
de Saxe , il habita tour à tour et la
capitale et Dantzig, ne cessant d'écri rc
an milieu de ces déplacements , et
SCH
accueilli avec honneur dans tous les
cercles. Il venait de recevoir enfin le
grade de capitaine en 1809, quand
une névralgie chronique le contrai-
gnit à solliciter son congé. Il l'obtint
au commencement de 1810, et il se
hâta d'aller retrouver ses pénates de
Freiberg dont, jusqu'à 1817, il ne
s'éloigna que pour un voyage d'agré-
ment à Hambourg. Finalement il
alla s'établir à Dresde, sa ville natale ;
et il y vécut encore vingt-deux ans.
Sa mort ent lieu le 30 juillet 1839.
Depuis sept ans, il avait cessé
d'écrire. La collection des OEiivres
complètes de Schilling (chez Arnold,
à Dresde, 1819) était de 50 vol. in-8^
Il y en a une de 80 en format plus por-
tatif. Elles se composent surtout de
romans dont voici les titres : I. Gui
de Sohnsdom^Freiherg et Annaberg,
1791-1796 , 4 vol. II. Les Cyanes^
Freiberg, 1796 et 1797, 2 vol. III.
Dracon, démon de l'enfer, Weissen-
fels, 1798; 2® édit., Dresde, 1811.
IV. La suite de Gui de Sohnsdom, ou
Jules, Freiberg, 1798, 2 vol.; 2^ édit.,
1808. V. Les secrets de Rosette, Pirna»
1798 et 1799, 2 vol.; 2^ édit. , 1802;
3*^ , 1825 . VI. Bagatelles de la 2® cam-
pagne sur le Rhin moyen^ par Ze-
Mdée Coucou, maître d'artillerie de
la vil le impériale d'Eulenhausen^ la
V^ année du Congrès de Rastadt,
Pirna, 1799; 2« édit. , 1810. VII. La
belle Sibylle, Pirna, 1799, 2 vol.;
2" édit. , 1810. VIÎI. Les Confessions
de Clairette, Dresde, 1799, 3 vol.; 2^
édit., 1815, un seul volume. ÏX.
Le Voyage après la mort, Pirna, 1 800;
2" édit. , 1823. X. La Femme comme
elle est, Pirna, 1800 ; 2« édit. , 1810.
XI. L'Homme comme il est, ou Pen-
dant de la Femme comme elle est,
Pirna, 1800; 2e édit. , 1802; 3e ,
1819. XII. Gothold, roman comique,
Pirna, 1801 et 1802, 2 vol. XIU. La
SCH
283
Vie du purgatoire, suite du Voyage
après la mort, Pirna, 1801, fig. XIV.
La Bonne Femme, Vïrnsi, 1802,2 vol.
XV. Le Roman dans le Roman, ou
^n^e/o, Pirna, 1802. XVI. La Feuille
de trèfle, par Fr. de Laun (en soc.
avec l'auteur des Enfants trouvés),
Dresde, 1802, 3 vol. ; 2° édit., 1808.
XVII. Les Fausses routes de la vie.
Géra et Leipzig, 1809 (publiées aussi
sous le titre d^Aventures et amours
de Félix ^ robinsonade. XVIlï. Le
Confesseur, Pirna, 1803, 2 vol.; 2^
édit. , Dresde, 1805. XIX. Les Ter(-
tatrices^ Pirna, 1804; 2^ édit., 1806;
3% 1819. XX. La Nuit de Noël,
Dresde, 1805 ; 2^ édit. , 1816. XXI.
Les Amis du soir ^ Dresde, 1805,
3 vol.; 2«édit., 1814. XXIL Les
Oranges, Dresde, 1806, 2 vol.; 2«
édit., 1819. XXIII. Le Protecteur
des filles, Dresde, 1807 ; 2^ édit., 1823.
XXIV. La Pluie d'aérolithes par le
feu Zébédée Coucou, le jeune maître
d'artillerie de la feu ville impériale
d'Eulenhausen, la l^e Année de la
paix éternelle, Dresde, 1808. XXV.
L'Examen de la Fiancée (d. Braut-
schau), Dresde, 1809, 2 vol. XXVI.
Le Servant d'amour, roman co-
mique, Dresde, 1810, 4 vol. XXVII.
Contes, Dresde, 1811, 4 vol.
XX VIII. La Lune de miel de mon
mariage (die Flitterwochen meiner
Ehe), Dresde, 1812. XXIX. Histoires,
Dresde, 1812, 3 vol. XXX. Les Feux
follets, Dresde, 1813, 3 vol. XXXI.
L'Oracle, ou Trois jours de la vie
de Madeleine, Dresde, 1814. XXXII.
Laure au bain, Dresde, 1814, 2 vol.
XXXIII. Le Germe du mal, Dresde,
1815, 2 vol. XXXIV. Le Meurtrier,
Dresde, 1816. XXXV. Les Esprits
de la montagne, Dresde, 1816.
XXXVI. Flocons, Dresde, 1816, 2
vol. XXXVII. Walmann VArcher,
Dresde, 1817. XXXVIIl. les Esprits
284
SCH
SCH
dejoie^ Dresde, 1817. XXXIX. Les
Opprimés, roman comique, Dresde,
1815. XL. La Visite, Dresde, 1818.
XLI. Quelques pages du Livre du
passé, Dresde, 1818. XLII. La Mai-
sonnette du diable, roman comique,
Dresde, 1818. XLIII. L'Inquiétude,
Dres(\e^lS\9,Z v.XUY. Le petit Chez-
soi,Dresdp, 1819. XLV. Les Chemins
de fFd/awd,Dresde,1819. XLVl. Ma-
tériaux, Dresde, 1820, 2 vol. XLVII.
La Famille Biirger, Dresde, 1820,
3 vol. XLVlIi. Les Filles de Wal-
low, ou la Suite d» la famille Biir-
ger, Dresde, 182^1, 3vol. XLIX.
Esquisses (Zeichnùn^en), Dresde,
1821, 2 vol. L. Wolfgang, ou le
Nom en action, Dresde, 1822, 2 vol.
Ll. Tableaux domestiques, Dresde,
1822, 3 vol. LU. Portraits, Dresde,
1823, LUI. Léandre^ Dresde, 1823,
2 vol. LIV. Histoires (Historien) ,
Dresde, 1825, 3 vol. LV. Le Domes-
tique, Dresde, 1825, 2 vol. LVI. Les
Compagnons, Dresde, 1825, 2 vol.
LVII. Images, Dresde, 1826. LVIIÎ.
Les Vieilles connaissances, Dresde,
1827. LIX. Les Frères et Sœurs,
Dresde, 1827, 2 vol. LX. La Bonne
étoile et la mauvaise^ Dresde, 1827,
8 vol. LXI. Les Trois dimanches,
Dresde, 1829. LXH. Les Surprises,
Dresde, 1830, 2 vol. LXIII. Le Nain
de la cour, Dresde, 1830. Il faut y
joindre, en collaboration avec Laun
et Kind, le Fantôme, Dresde, 1814 ;
avec Laun et Streckfuss, le Man-
teau, Dresde, 1813; avec Laun et
Lindau , Ma femme et moi, Dresde,
1819 (chacun de ces volumes con-
tient trois nouvelles signe'es chacune
d'un des auteurs). On peut reprocher
des longueurs, des ne'gligences, des
incorrections à beaucoup de ces ou-
vrages; mais ils brillent par l'origi-
nalité: Schilling ne sait ce que c'est
que s'asservir à une école. Au mérite
de l'invention iljljoint celui d'une
variété rare et merveilleuse certes
quand on songe au nombre de vo-
huncs sortis de sa plume. Son ton
décèle l'homme du monde ^ son dia-
logue est vif, piquant. Plusieurs
de ses contes sont des modèles du
genre. On doit de plus à Schilling
des Poésies, Freiberg et Annaberg,
1789, 1 vol. ; quelques opuscules de
circonstance , comme Gloses sur
quelques contrées et quelques vil-
les de l'Allemagne septentrionale
vues dans le courant de 1806, 1807 ;
2« édit. , 1809 , et des Eclaircis-
sements sur le théâtre de la cour de
Stuttgart, Stuttgart, 1832; plu-
sieurs pièces de théâtre, savoir:
V Élise Colmar, drame, Dresde,
l783(avec une préface du prof. Meiss-
ner) ; 2" Ce qwjpeuvent les murailles,
comédie, Freiberg, 1789 ; 3' la Phar-
macie merveilleuse , farce, Dresde,
1816; plus dtui petit« écrits qu'il
donne comme des traductions : la
Dianialogie du prince de Beloselski^
ou Tableau philosophique de Vesprit
(trad. du fr.), Freiberg et Annaberg,
1791 ; le Voyageur sentimental^ ou
mon Voyage à Yverdon (du français
de Vernes) , Dresde, 1791. P— or.
SCHILT (Jean-Jacques), général
français, était né à Saar (Bas-Rhin)
le 13 mai 1761. Entré comme simple
soldat dans le régiment de Nassau, en
1779, il y était sous-oflicier lorsque la
révolution éclata. En 1791, il fiit
nommé quartier-maîire trésorier, et
alla servir à l'armée des Pyrénées-
Occidentales. Employé constamment
à l'avant-garde, il se distingua dans
toutes les rencontres avec les Espa-
gnols, et principalement aux sièges
de Fontarabie, de Saint-Sébastien,
de Vittoria et de Bilbao. En moins
de trois ans, il franchit tous les gra-
des, jusqu'à celui de général de bri-
SCH
gatîe, auquel il fut élevé le 19 ven-
démiaire an III. A la conclusion de
la paix avec l'Espagne (1795) , il
passa à l'armée de TOuest comman-
dée par Hoche , puis par Hédou-
ville et Brune. Il y resta jusqu'à
l'entière pacification de la Vendée, à
laquelle il prit une grande part.
Sous le consulat il fit partie de l'ar-
mée d'Italie, et combattit à la bataille
de Marengo (1800), où il mérita les
éloges de Bonaparte pour son sang-
froid et son intrépidité. Il se fit en*-
core remarquer au passage du Mincio
et de l'Adige, à la prise de Rivoli et
de la Corona. Il eut, après la paix de
Lunéville, le commandement de Mi-
lan, ensuite celui du département des
Alpes-Maritimes. En 1809 il servit
en Italie sous le prince Eugène, se
distingua à la bataille de Saciie, puis
s'empara de Trieste. Il continua
d'être en activité jusqu'à la Restau-
ration de 1814, après laquelle il rentra
dans la vie privée. Définitivement
mis à la retraite en 1816, il mcjurut
quelques années plus tard. Napoléon
l'avait créé baron et commandant de
la Légion -d'Honneur. M— Dj.
SCHIMMELPENNINCK ( RuT-
ger-Jean), grand -pensionnaire de
la république batave , était né à De-
vénter, le 31 octobre 1761 , d'une des
plus anciennes finnilles de la province
d'Over Yssel. Destiné au barreau, il
alla compléter ses études à l'univer-
sité de Leyde, alors fort renommée,
où il étudia la jurisprudence sous les
célèbres professeurs Pestel etVander-
Kessel. Ses progrès furent rapides.
En 1784 , une émeute ayant éclaté
parmi le peuple, les étudiants de
l'université s'armèrent pour la répri-
mer, et d'une voix unanime ils lechoi-
sirent pour chef. La prudence éner-
gique qu'il déploya lui fit décer-
ner par la régence de Leyde une mé-
SCH
285
daille d'honneur. A la fin de cette
même année, c'est-à-dire à l'âge de
23 ans, il fut reçu docteur en droit,
après avoir soutenu avec éclat sa
Dissertatio de imperio populari rite
iemperato, Leyde, 1776 (l)5lesuccès
qu'elle obtint parmi les savants lui
mérita aussitôt l'honneur bien rare
d'une traduction en hollandais. Il y
traçait les devoirs des gouvernants ,
flétrissait le despotisme et l'oppres-
sion d'un seul ou de plusieurs, et
vantait une sage liberté, appuyée sur
de bonnes lois. Après avoir exercé
quelque temps comme avocat à
Leyde, il vint s'établira Amsterdam,
où ses succès ne tardèrent pas à
le placer au premier rang du barreau^
Dans les agitations politiques de
1785 et 1786, il fut du parti des pa-
triotes qui, désireux de changements,
demandaient une représentation na-
tionale plus en rapport avec l'esprit
du pays. Cependant son patriotisme
n'allait pas jusqu'à partager les erre-
ments de la démocratie turbulente
qui voulait tout bouleverser. Il en
blâmait au contraire les excès, pré-
voyant que cette ardeur nuirait à
la cause populaire. En effet , que
résulta-t-il des folles tentatives de
cette opinion extrême? M. de Ver-
gennes, qui d'abord avait promis aux
patriotes l'appui de la France, les
abandonna ; la Prusse soutint le
stathouder, dont le rétablissement,
grâce à son intervention armée, s'ac-
complit en 1787. Au lieu de quitter
sa patrie comme un grand nombre
de ses amis, Schimmelpenninck resta
à Amsterdam ; il ne craignit même
pas de défendre dans un chaleureux
( r ) Pendant sofl ambassade à Paris, Schim -
melpenniack en a fait imprimer une éditiou
chez P. Didot; mais aile porte le lieu et ja
date delà première imprsssion, Leyde, 1784.
286
SGH
plaidoyer quelques partisans de To-
pinion vaincue, traduits en justice
pour avoir exercé des fonctions dans
le gouvernement national. Depuis
cette époque jusqu'à l'invasion fran-
çaise (1795), qui assura le triomphe
du parti anti-stathoudérien , il ne
fut plus que jurisconsulte et avocat.
Un des premiers il accepta la pro-r
tection des Français et concourut
à l'établissement de la république
batave. La réputation de talent et
de probité qu'il avait acquise le fit
alors élire président de la mu-
nicipalité d'Amsterdam. Les prin-
cipes de sagesse et de modération
qu'il apporta dans ces fonctions lui
gagnèrent l'estime générale; aussi,
quand la nouvelle constitution eut
définitivement organisé la républi-
que batave, avec une assemblée na-
tionale , il y fut nommé député et
s'y distingua non - seulement par
des vues droites et modérées , mais
encore par une éloquence réelle et
persuasive. Réélu à la Convention
nationale, il ne crut pas devoir ad-
hérer à la déclaration exigée pour
prendre séance, aimant mieux ren-
trer dans la vie privée que de s'as-
socier aux déclamations passionnées
de cette fraction républicaine qui
allait faire dominer la violence et le
désordre. Pendant toute la durée de
ce pouvoir réactionnaire , il ne se
mêla en aucune façon à la politique;
mais après la journée du 12 juin
1798, qui fit passer l'autorité dan.-^ les
mains du parti modéré, il reparut
d'une manière active dans les affaires,
et ici commence sa carrière diplo-
matique. Il fallait notifier au gou-
vernement français le changement
qui venait de s'opérer en Hollande,
ou, pour parler plus exactement, lui
en rendre compte, lui en démon-
trer la nécessité, et une mission
SCH
aussi délicate exigeait autant d'ha-
bileté que de modération. On jeta les
yeux sur Schimmelpenninck; mais
il refusa d'abord de se charger de
cette négociation, sous prétexte que
la diplomatie n'était point son fait ;
forcé d'accepter, il partit pour Paris,
mais à la condition expresse qu'une
fois l'affaire conduite à bonne fin, il
serait libre de revenir dans sa patrie
et de se consacrer à ses travaux ha-
bituels. Cette pensée était-elle sin-
cère? Sa probité désintéressée ne
permet guère d'en douter ; toutefois,
avec un désir continuel de ne pas s'oc-
cuper de fonctions publiques, il ne
cessa d'en remplir. C'était une véri-
table faiblesse de caractère plutôt que
toute autre chose ; et par ce man-
que de fermeté il nuisit beaucoup à
l'indépendance de son pays, avec les
meilleures intentions. Le Directoire
français, qui devina tout le parti qu'il
pourrait tirer d'un tel défaut dans
l'agent d'une puissance étrangère,
manifesta le désir de voir Schim-
melpenninck, après sa mission ac-
complie , résider à Paris en qualité
d'ambassadeur. On le nomma donc
à ce posté, et il l'occupait encore lors
du 18 brumaire. Bonaparte, sen-
tant la nécessité de ménager la ré-
publique batave, prodigua à son re-
présentant toutes sortes de caresses ;
il l'invita à ses galas, à ses fêtes,
et lui témoigna toujours une vive
amitié personnelle. Cette politique
de flatterie était dans les habitudes de
Napoléon quand il voulait séduire un
agent diplomatique ; elle lui réussit
parfaitement avec Schimmelpeninnck
qui se montra dès lors très-dévoué h
ses intérêts. La Hollande avait déjà
fait de grands sacrifices, mais sous
le consulat elle fut moins l'alliée
de la république française que sa
tributaire. Bonaparte la domina en
SCH
SCH
287
tïiiître absolu, et lui donna une nou-
velle constitution (17 octoJ)re 180|),
plus en rapport avec ses vues de
gouvernement despotique. Dans cette
œuvre, il fut puissamment secondé
par Schimmelpenninck,qui désormais
fut l'instrument de ses volontés,
avec la mission de les faire exécuter
par le Directoire batave. Plus Bona-
parte exerçait sa domination sur
ia Hollande, plus il voulait faire
croire à Tindépendance de ce pays ;
et lorsqu'il fut question de traiter
de la paix avec l'Angleterre, il le fit
admettre comme puissance libre dans
les négociations ; mais lui-même en
désigna le plénipotentiaire, qui, ainsi
qu'on le devine, fut Schiuimelpen-
ninck. Malgré cette position subor-
donnée, il joua un rôle actif au con-
grès d'Amiens, et par son habile mé-
diation, il parvint à concilier lord
Cornwallis et Joseph Bonaparte, ce
qui n'était pas très facile, ces deux
plénipotentiaires étant en désac-
cord sur chaque question. Les né-
gociations furent même plus d'une
fois sur le point d'être rompues.
Schimmelpenninck et le chevalier
d'Azzara, plénipotentiaire d'Espagne,
se montrèrent animés d'une sage
modération, et c'est à leur zèle qu'on
dut le traité de paix du 27 mars 1802.
Cependant, la tâche du premier n'é-
tait pas terminée; il fallait obte-
nir la ratificalion de l'Angleterre, et
c'est pour arriver à ce but qu'il fut
nommé amb(4ssadeur à Londres. Mal-
gré tous ses efforts, la paix d'Amiens
ne put subsister long-temps, et une
nouvelle rupture entre la France et
la Grande-Bretagne vint encore pla-
cer la république batave dans une
position très - difticile. Schimmel-
penninck proposa le principe d'une
neutralité absolue, ce que le cabinet
anglais accepta volontiers, mais à des
conditions que Bonaparte ne voulut
point admettre, et la Hollande se vit
de nouveau entraînée dans une voie
funeste pour son commerce, sa marine
et son indépendance. Schimmel-
penninck retourna alors dans sa pa-
trie, et, le cœur ulcéré, il se retira
dans ses propriétés de la province
d'Over-Yssel, où désormais il réso-
lut de vivre en dehors des affaires.
A peine y était-il installé, se livrant
à des travaux littéraires et agricoles,
qu'il reçut une lettre pressante du
premier consul (juillet 1803) qui l'en-
gageait à se rendre auprès de lui, h
Bruxelles, pour conférer sur des ob-
jets de la plus haute importance.
C'était là sans doute un ordre plus
qu'une [invitation , et le gouverne-
ment batave lui ayant écrit de son
côté pour qu'il y obtempérât, toute
résistance fut impossible. Il eut
plusieurs conférences avec Bona-
parte, qui , manifestant la plus vive
sollicitude pour sa personne, parla
aussi de l'intérêt que lui inspirait la
république batave, des projets qu'il
avait formés pour son bonheur, enfin
de la nécessité pour Schimmelpen-
ninck de l'aider dans cette grande
œuvre. Pour cela il fallait revenir
en France comme ambassadeur, et la
demande en fut aussitôt adressée au
gouvernement hollandais, qui l'ac*
corda sans répliquer, Schimmelpen-
ninck arriva à Paris vers la fin de
1803, et s'y trouvait lors de l'éléva-
tion de Napoléon à l'empire. Il n'hé-
sita point, comme on doit le penser,
à reconnaître le nouveau souverain,
qui, dès le mois de septembre sui-
vant, le fit venir auprès de lui à
Cologne pour lui démontrer que l'é-
tat politique de l'Europe ne permet-
tait plus que la république batave
restât organisée de la même manière,
que son directoire exécutif était usé,
288
SCH
qu'elle avait besoin d'un pouvoir plus
fort, plusen harmonie avec celui delà
France; enfin qu'il avait conçu l'idée
de placer ce pays sous une constitu-
tion monarchique. C'était là un lan-
gage bien dllférent de celui que Na-
poléon avait tenu à Bruxelles l'année
précédente. Mais l'ordre fut positif,
et Schiminelpenninck essaya vaine-
ment quelques représentations. Na-
poléon ne sortit pas de cette dure
alternative: ou la Hollande se choi-
sira un chef, ou elle sera réunie à
la France. L'ambassadeur se hâta de
faire connaître à son gouvernement
cette terrible décision, et aussitôt il
lui fut repondu qu'à tout prendre,
une indépendance, même nominale,
valait mieux qu'un complet anéan-
tissement, qu'il fallait tout accepter
plutôt que la réunion. Schlmmelpen-
ninck rédigea alors lui-même un pro-
jet de constitution sur le modèle de
celle des États-Unis, avec un président
électif; mais Napoléon le repoussa.
S'il consentait à conserver la forme
républicaine, il voulait au moins que
le chef du gouvernement fût in-
amovible, qu'il prît le titre de grand-
pensionnaire, et le corps législatif
celui de hauts et puissants seigneurs;
enfin il ajouta que c'était lui qu'il
avait choisi pour cette importante
charge. Schimmelpenninck refusa
d'abord, comme toujours; mais l'em-
pereur l'exigea, et la nouvelle cons-
titution, ainsi formulée, fut préseniée
à l'acceptation de la Hollande, qui
l'adopta avec sa soumission habi-
tuelle. Au mois de mars'1805, Schim-
melpenninck prit en mains les rênes
de l'État. Le discours qu'il prononça
à cette occasion est d'une extrême
modération, et il annonce un grand
zèle pour le bien public. Sa trop
courte administration fut ea effet
pleine d'ordre et de régularité; mais
SCH
les exigences toujours croissantes de
Napoléon vinrent en arrêter le dé-
veloppement. Bientôt, la Hollande,
érigée en royaume, passa sous le
sceptre de Louis Bonaparte, qui fut
proclamé le 5 juin 1806. Schimmel-
penninck refusa son adhésion à ce
changement. Nommé président à vie
de Leurs Hautes Puissances, il ne
voulut point accepter cette dignité
et rentra de nouveau dans la vie pri-
vée, se promettant bien cette fois de
ne plus en sortir. Le nouveau roi
Louis le décora de ses ordres et tenta
à diverses reprises de l'appeler au-
près de lui ; il avait besoin de son
expérience , de ses conseils. Mais
Schimmelpenninck ne consentit ja-
mais à paraître à sa cour. C'est peut-
être la seule occasion de sa vie où il
ait montré un peu de fermeté. L'ab-
dication de Louis ayant amené la
réunion de la Hollande à l'empire,
Napoléon se souvint encore de Schim-
melpenninck ; il le nomma comte,
sénateur et grand-trésorier de l'or-
dre des Trois-Toisons. Devenu sujet
français, il ne pouvait repousser ces
honneurs sans s'attirer la haine du
puissant empereur. H accepta donc,
et vint même à Paris pour y faire acte
de présence au sénat. H s'y trouvait
lors de la chute de l'empire en mars
1814. Après avoir signé la déchéance
de Napoléon, il donna sa démission
le 14 avril et retourna dans son pays.
L'année suivante , à la création du
royaume des Pays-Bas, il fut nommé
membre de la première chambre des
États-Généraux, et Louis XVllI lui
confirma le grade de grand-cordon de
la Légion-d'Honneur et le titre de
comte, dont il ne .s'était jamais paré.
II avait toujours eu la vue très-faible,
et bientôt il fut affligé d'une cécité
complète. Malgré cette funeste infir-
mité, il trouvait dans sa mémoire des
SCH
moyens de distraction. Son savoir
était immense, ses connaissances très-
e'tendues; il parlait plusieurs langues
et possédait à fond toutes les littéra-
tures. Ce fut dans de longs entre-
tiens avec les savants et les érudits
de la Hollande qu'il passa les derniè-
res années de sa vie. II mourut à l'âge
de 63 ans, à Amsterdam, le 13 février
1825. C— H— N.
SCHINCHINELLI (Antoine), mé-
decin italien, célèbre en son temps,
mourut à Crémone en 1438. Il nous est
parvenu les titres de quelques-uns
de ses ouvrages, tels qu'un Traité de
la pratique médicale , une Apologie
de divers écrits de Galien^ un Traité
de la composition des médicaments,
mais tout cela est perdu , ou du
moins demeure inédit et assurément
ne verra jamais le jour. B— n — t.
SCHII>iD£L (Charles-Guillaume
Othon-Auguste de), littérateur alle-
mand, naquit en 1776. Son père pos-
sédait la seigneurie de Schœnbrunn
dans le pays de Gœrlitz en Lusace j
c'est là que le fils résida habituelle-
ment quand, après avoir fait ses étu-
des de droit à l'université de Leipzig,
il fut revenu dans son pays pour y
occuper diverses fonctions hono-
rables, telles que celles de député,
délégué, membre de diverses com-
missions, enfin chef du landsturm.
11 donna la Cure de la paroisse à son
ancien précepteur Kœhler, et il
ordonna dans Ja suite que le curé
de Schœnbrunn fût conservateur- né
de la bibliothèque du château, la-
quelle ne devait jamais être déplacée.
Malgré ses fonctions administratives
il se livra avec zèle à la culture des
lettres, et fut président de la société
des sciences pour la Haute-Lusace.
il publia en 1800 une traduction
allemande de la Jérusalem délivrée
qu'il fit suivre en 181? d'un commen-
LXXXI.
SCH
289
taire imprimé à Leipzig. Il avait tra-
duit également en 1802 les VeilUes
du Tasse. En 1806 il fit paraître une
Notice biographique sur Neumann,
recteur du gymnase de Gœrlitz,
où SchindeU avait commencé ses
études. Mais son principal ouvrage
est celui des Auteurs allemands du
sexe féminin dans le XIX* siècle,
1822-1825, 3 vol. On présume qu'il
avait été amené à l'idée de faire cet
ouvrage, par son mariage avec la
fille de M"*^ de Gersdorf qui s'est
fait connaître dans la littérature de
Sun pays. Schindel a fait insérer
plusieurs morceaux dans les jour-
naux allemands, entre autres un sur
la possibilité de faire cesser Je duel.
D-G.
SCHINKË ( J. - Crétien ~ Got-
thelf), savant allemand, natif de
Querfurt, passade Técole religieuse
de Zeitz à l'université de Leipzig; et
là, quoique se destinant à Fétat ec-
clésiastique , fit marcher de front
avec ses études théologiques celle des
langues et des antiquités classiques :
Wolf, Keil, Rosenuiuller le comp-
taient au nombre de leurs auditeurs
assidus. Toutefois il étudiait encore
plus par lui-njême,etc'est à ces efforts
indépendants que plus tard il attri-
bua la meilleure partie de ce qu'il
valait. Né le 21 décembre 1782, il
n'avait pas encore vingt ans quand il
acheva son triennat universitaire en
1802 , et quand il entra comme
instituteur particulier dans une
maison opulente. Il devint ensuite
pasteur de Wespitz (1806), et cinq
ans après il joignit aux avantages
de ce poste celui de prédicateur à
Wedlitz. Quoique ne négligeant
aucune des fonctions que lui im-
posait ce double titre, Schinke,
dont la vocation principale était la
science, trouvait du temps soit potir
19
290
$CH
SCH
s'occ^jper de ses études chéries, soit
pour en communiquer les fruits au
public, et ou le vil en même temps
coopérer k divers recueils renom-
més, fournir des articles à VEncy-
clopédie d'Ersch et Gruber, et pu-
blier des volumes sans collaborateur.
11 est vrai qu'à partir de 182$ à peu
près il renonça aux recensions, à la
critique ; mais il n'en déploya que
plus d'activité dans le champ de la
composition proprement dite. Cette
activité même s'augmentait avec
l'âge, et véritablement le laborieux
écrivain abusait de ses forces L'au-
rore le trouvait sur ses livres.
Médiocrement amateur de sociétés,
il recevait volontiers la visite de
quelques rares amis, et parfois il
allait les voir à son tour, pourvu
qu'ils n'eussent point élu domicile
trop loin ; car alors il se privait du
plaisir d'aller chercher leur compa-
gnie. Le défaut d'exercice lui valut
un commencement d'hydropisie ,
dont il eut le bonheur de se débar-
rasser, mais il ne tint compte de cet
avis de la Parque, et il continua deux
ans encore sa vie ordinaire. Cepen-
dant il venait d'y faire exception et de
se distraire par une petite excursion
à Gredau et par une conversation de
quelques heures avec un docte ami,
lorsqu'en se préparant à regagner
ses pénates par le chemin de fer de
Leipzig à Magdebourg, à la porte
même du bureau et en se séparant
de son ami, il fut frappé d'apoplexie
et tomba raide mort sur le parquet,
le 20 novembre 1839. On a de lui,
entre autres écrits : I. la Vie et la
Mortj ou les Déesses du destin, sui-
vant les doctrines et l'art de l'an-
tiquité^ notamment de l'antiquité
grecque, Leipzig, 1825. N'y a-t-ilpas
un, StipgMlier rapprochement à faire
entjpe, ç^tte i|dé,e du destin, de la, wort
2^ssez puissante pour lui dicter uu
volume, et celte mort même si fou-
droyante et si déplorable aux yeux
des uns, si heureuse suivant les
autres par sa rapidité même et par le
peu de souffrance qui semble l'avoir
accompagnée? II. L'Archéologie de
la confirmation^ ou Recueil complet
et méthodique de maximes bibliques
pour ceux qui se préparent à rece-
voir cesacrementy Halle, 182(J (en al I . ,
« vollstœnd. u. geordnete Samml.
bibl.Denkspruche o. Arch.d.konf.» ).
111. Comment Dinter conçoit et se
figure le sainte le vrai et le beau
( Dinler's Ansichten u. Bilder d.
Heiligen...), Neustadt, 1833, 2 vol.
Cet ouvrage fut composé à l'occasion
de l'édition des OEuvres de Dinter
que lui confia le libraire Wagner,
après la mort de ce théologien remar-
quable qui, lui-même, avait distin-
gué, parmi les articles critiques faits
sur sa Bible des maîtres d'école ,
celui de Schinke. IV. Manuel de
Vhistoire de la littérature grecque
pour V instruction dans les gymnases,
et pour l'autodidaxie, Magdebourg,
1838. C'est un commentaire de la
1" section du 1" volume de VEncy-
clopédie de Schaaf pour la connais-
sance de l'antiquité. V. Ses nom-
breux articles dans VEncyclopédie
d'Ersch et Gruber à laquelle il ne
cessa de travailler jusqu'à sa mort.
VL Ses articles dans la Gaz, litt.
universelle de Halle, dans la Biblio-
thèque critiq. des prédicateurs de
Rœst, etc., etc. Nous avons vu qu'en
1833 il fut chargé de soigner l'éd.
des Œuvres de Dinter. Il fut choisi de
même par l'éditeur de VEncyclopédie
de Schaaf pour présider à cette édi-
tion, mais il se débarrassa des soins
de la 1" et de la 2« section des deux
premiers volumes sur le D' Hermann
de Magdebourg,. et ne surveilla que
SCH
la 3' section de chacun de ces volu-
mes, lesquelles traitaient Tune de
la mythologie, Tautre de l'archéo-
logie des Grecs et des Romains.
P— OT.
SCHINKEL (Charles-Fbédéric),
architecte allemand, était né en 1781
à Neu-Ruppin^ dans la marche de
Brandebourg. Ayant annoncé dès son
enfance du goût pour les arts, il fut
confié à un architecte habile, Gilly de
Berlin, auquel il succéda tout jeune
qu'il était; mais voyant ce qui lui
manquait pour perfectionner son
goût, il fit dans les années 1803 et
1805 des voyages en Autriche, en Italie
et en France , et ce ne fut qu'à son
retour qu'il commença à se distin-
guer. Dès son début, la guerre dés-
astreuse de la Prusse contre Napo-
léon arrêta tous les grands travaux
d'architecture à Berlin. Schinkel se
créa alors une ressource en se fai-
sant dessinateur et peintre de paysa-
ges. Les portefeuilles qu'il avait rap-
portés de ses voyages lui servirent à
cet effet. Il exécuta un panorama de Pa-
lerme, et travailla aux tableaux que
Gropius montrait au public, artiste-
ment éclairés dans le genre du Diora-
ma. De plus, Schinkel peignit des dé-
cors pour le théâtre. Au retour de
la paix, il reprit son état d'architecte.
En 1810, il entra en qualité d'asses-
seur dans la commission ou, comme
on disait, dans la députation des bâ-
timents. Un incendie ayant détruit
en 1S17 le théâtre de Berlin, Schin-
kel fut chargé d'en élever un nou-
veau : il lui donna à l'extérieur la
forme d'un temple grec ; à l'intérieur,
il le décora richement de peintures,
médaillons, arabesques, etc. En 1811
il fut reçu membre de l'Académie des
beaux-arts à Berlin, et en 1820 il eut
une chaire de professeur attachée à
cette académie ; l'année précédente
SCH
291
il était entré dans la commission
des constructions, au ministère du
commerce et de l'industrie*, enfin
en 1839, il obtint la direction géné-
rale des bâtiments pour le royaume*
Il était devenu le premier, presque
le seul architecte de la capitale, et
outre les travaux qu'il était chargé
d'exécuter, il était fréquemment con-
sulté pour des constructions du de-
hors. Il construisit le musée, oii le roi
a fait placer ensuite le buste de l'ar-
tiste. Pour l'érection de cet édifice,
il avait fallu changer le cours de la
Sprée. Ses autres monuments à Ber-
lin sont : le corps-de-garde royal,
le pont du château, la porte de Pots-
dam, l'école du génie et de l'artillerie
avec la rue Guillaume; parmi ses
constructions au dehors, il faut citer
le casino de Potsdam, celui de Glie-
neke auprès de cette ville , le petit
château de Tegel, la maison des ca-
valiers dans l'île des Paons. Il de-
vait construire une cathédrale à Ber-
lin; mais l'exécution en fut ajournée.
Dans ses moments de loisirs, Schinkel
s'amusait à peindre des paysages
avec architecture, ou, tout en cau-
sant, il faisait avec la plume jdes
dessins qui sont recherchés. En 1824,
ayant entrepris un nouveau voyage
en Italie, il en avait rapporté un beau
paysage qui fut offert, au nom de la
ville de Berlin, à la princesse Louise
lors de son mariage avec le prince
Frédéric desl Pays-Bas. Schinkel mou-
rut le 9 octobre 1841. Le roi de Prusse
lui avait donné la décoration de
l'ordre de l'Aigle Rouge. L'Institut de
France et d'autres corps savants se
Tétaient associé. Les plans d'archi-
tecture projetés et exécutés par cet
artiste ont été recueillis en'6 cahiers
in-fol., Berlin, 1819 et ann. suiv.
Voy. Nekrolog der Deutschen pour
rannéel841,Vol. IL D--g.
19.
292
SCH
SCHINZ (Jean-Henri), Instorieri,
naquit à Zurich, en 1725, et mourut
en 1800. N(^gociant et magistrat dans
sa ville natale, il s'est occupé avec
succès de l'histoire et des antiquités,
et son Essai sur Vhùtoire du com-
merce de Zurich^ imprimé en 1763,
in-8°, en allemand, est rempli de re-
cherches savantes et intéressantes,
lia enrichi les Actes de la Société
de physique de Zurich de quel-
ques Mémoires relatifs à des re-
cherches sur le commerce. —
ScHiNZ {Christophe- S alomon) ^ mé-
decin, naquit à Zurich en 1734 et y
mourut en 1784. il fit ses études dans
sa ville natale sous la direction de
son parent, le célèbre Jean Gessner,
et ensuite à Tubingue et à Leyde.
11 voyagea en France et exerça son
art avec bonheur et succès à Zurich.
En 1778, il fut nommé professeur de
physique et de mathématiques. Il a
bien mérité de sa patrie par la part
essentielle qu'il eut à l'introduction
de l'inocuiation de la petite vérole,
ainsi qu'à l'établissement d'une école
spéciale de médecine, fondée par le
dévouement généreux de plusieurs
médecins et chirurgiens de Zurich.
Les Actes de la Société de physique
de cette ville renferment plusieurs
de ses Mémoires. Il a publié, en
1774, V Introduction à l'étude de
la botanique, in-fol. avec tig. (en
allemand). De ses dissertations on
ne citera que les trois qui ont pour
titre : De itineribus per Helvetiam
cum fructu facienàis , 1781 à 1783,
et celle Deutilitate scientiœ physicœ
in rite abeundo munere sacroy adji-
ciuntur quœdam de scientia physio-
gnomica ejusque recto msm, 1780.—
ScHiNZ {Jean- Rodolphe)^ néh Zurich
en 1745 , y mourut en 1790. Voué à
l'état ecclésiastique, il fit ses études
au gymnase de sa ville natale. Son
goût le porta à cultiver de p»éférence
les sciences naturelles et économi-
ques. Il parcourut la Suisse dans des
voyages répétés, et il fit un long sé-
jour, chez un ami, dans le canton du
Tessin , qui formait alors les baillia-
ges italiens. Son goût pour les voya-
ges et pour l'observation de la nature
l'engagea à suivre le fils d'un riche
négociant dans ses voyages en France
et en Italie. De retour à Zurich, il
devint curé en 1778. Excellent pa-
triote, d'une probité parfaite et de
mœurs austères , il ne négligea au-
cune occasion pour prêcher les ver-
tus qui conviennent aux républiques.
11 fut un des membres les plus zélés
de la Société de physique, et les pro-
grès de l'agi iculture du canton de
.Zurich lui sont dus en partie. Les six
cahiers de fragments pour servir à
la connaissance delà Suisse, Zurich,
1783 à 1791, en allemand, renfer-
ment les observations précieuses
qu'il avait recueillies dans ses diffé-
rents voyages. Dans un Éloge de Bod-
wer, publié en 1783,il a développé les
grands services que, comme poète ,
comme critique et coujme protec-
teur de KIopstock, cet homme illustre
a rendus à sa patrie. Son Elogium sa-
cerdoîis S. -P. Pustelli, Zurich,! 773,
in-8'', consacre la mémoire d'un
homme de bien. {Vie de J.-R. Schinz,
par S.-L. Nuscheler, Zurich, 1793,
in-8*', en allemand.) U — i.
SCHIOPPALALBA (Jean Bap-
tiste), né à Venise en 1721, mérita
d'être appelé par Lalande {Voyage
d'Italie , tom. VIîI, p. 544) Vun des
plus grands hellénistes de cette ville.
Il avait été quelque temps attaché
en qualité d'aumônier à l'école de
Sainte-Marie de la Charité, et fut en-
suite l'un des deux présidents des
grands séminaires fondés par le sé-
nat à Venise. Son principal ouvrage
SCH
SCH
293
est une dissertation intitule'e : In
perantiquam sacram tabulam grœ-
cam, insigni sodalitio Sanctœ-Ma-
riœ Charitaiis Venetiarwn, a car-
dinale iiessarione dono datam^ Ve-
nise, 1777, in-4°. Elle est divisée^en
dix chapitres, le premier desquels
contient des éclaircissements sur
l'origine de ces monuments chez les
premiers chrétiens qui s'en servaient
ponry enfermer des reliques. Schiop*
palalba mourut à Venise le 23 juillet
1797. A-G-s.
SCHIPANI (le chevalier Louis-
Joseph) , général de la république
napolitaine en 1799, était né à Ca-
tanzaro, en Calabre, d'une famille
noble. Lieutenant dans un batail-
lon provincial, lorsque le général
Championnet s'empara de Naples,
il adopta avec enthousiasme la cause
des Français, et fut nommé com-
mandant d'une légion républicaine,
destinée à réprimer l'insurrection
de la Calabre. A la tête de huit
cents hommes, il prit la route de
Salerne, et rencontra à Castelluccia
un corps d'insurgés conduits par
Sciarpa , l'un des chefs des bandes
royalistes , qui voulurent s'opposer
à son passage-, l'avantage ne resta pas
de son côté, et dès-lors les commu-
nications entre Naples et les Cala-
bres furent coupées. Cet échec com-
promit singulièrement l'existence de
la nouvelle république ^ de tous cô-
tés elle eut à se défendre contre les
populations soulevées en masse.
Schipani, avec les débris de son pe-
tit corps de patriotes, marcha ensuite
contre la ville de Sarno pour en
étouffer les mouvements insurrec-
tionnels; il y releva l'arbre de la li-
berté et fit brûler sur la place publi-
que quelques vieux portraits du roi
et de la reine. Mais, à ce moment,
la république parthénopéenne tou^
chait à sa ruine ; le cardinal Ruffo
(yoy. cenom, LXXX, 146) arrivait
sous les murs de Naples, en traver-
sant les colonnes républicaines de
Schipani et de Wirtz, qui ne surent
pas profiter de cette circonstance ;
ils le laissèrent passer tranquille-
ment , tandis qu'ils pouvaient l'in-
quiéter, le harceler et désorganiser
ainsi, ou au moins compromettre
l^ armée de la foi^ si mal discipli-
née. Au lieu de marcher de con-
cert , ces deux chefs républicains
voulurent combattre chacun de son
côté ; Wirtz trouva la mort sur le
champ de bataille; Schipani, plus
malheureux , fut arrêté près deHa
Torre dell' Annunziata, au moment
oii il allait quitter l'Italie. Le gou-
vernement monarchique étant alors
rétabli à Naples, on le transporta
dans l'île de Procida, et, au mépris
de la capitulation qui garantissait
qu'aucune poursuite ne serait dirigée
contre les partisansde la république,
il devint une des premières victimes
de la réaction. Spéciale, le grand mo-
teur des potences royales, ne l'épar-
gna pas plus que tant d'autres ; et il
mourut sur l'échafaud, à la fin de
1799 , avec un courage digne d'un
meilleur sort. C— h— n.
SCHIRUSI (NouREDDiN- Moham-
med-Abdallah al), tel est le nom d'un
Persan qui était , en 1659, médecin
du Grand-Mogol; il écrivit un Trai-
té de matièremédicale qui fut regardé
comme un oracle, depuis le golfe per-
siquejusqu'à l'embouchure du Gange,
et dont les copies se multiplièrent en
arabe, en persan et en hindou. Selig-
man , dans une Notice (en allemand)
sur trois manuscrits orientaux , a
donné (p. 26-41) un extrait de cet
ouvrage, et Fr. Gladwin l'a publié à
Calcutta (1792, in-4«) avec une Ira-,
duction anglaise, B-^n— T.
Î94
SCH
SCIILABERNDORF (Christo-
PHE-GEonGES -Gustave, comte de),
philanthrope prussien, naquit à Bres-
lau, et non, comme on Ta dit, à Stet-
tin, en 1749. Sa famille était des phis
nobles et des plus riches de laPomé-
ranie. Son oncle, le général deSchla-
berndorf, avait rendu des services
signalés à Frédéric II. Son père, le
comte Ernest-Guillaume, gouver-
neur de la Silésie, jouissait d'un
grand crédit auprès de ce prince.
Malheureusement pour son fils, il
mourut quand à peine celui-ci entrait
dans l'adolescence. Gustave n'en fit
pas moins de très-bonnes études au
gymnase de Francfort -sur -l'Oder,
puis à l'université de Halle. Mais
l'étude qui le captiva surtout, ce fut
celle de la philosophie, et, chose
assez extraordinaire à cette époque,
celle de la philosophie humanitaire,
dont le nom était encore à créer.
Grand admirateur de Kant, jamais
pourtant il ne s'emprisonna dans les
arides formules de ce métaphysicien
sans entrailles, de ce logicien sans
pitié. Les grandes idées de charité,
de fraternité, de perfectibilité, s'em-
parèrent vivement de son imagina-
tion ; et indépendamment des devoirs
imposés par la stricte morale, par la
morale vulgaire, il demeura persuadé
que c'en était un que de contribuer
à répartir plus également le bien-être
physique et moral parmi les hom-
mes, et de travailler à l'améliora-
tion des masses, soit relativement à
leur sort matériel, soit relativement
aux développements de l'intelligence
et de la vertu. Nous ne nierons pas
que ces doctrines n'aient été jusqu'à
un certain point empreintes chez lui
deriliuminisme allemand. Mais il ne
faudrait en contester ni la sincérité
parfaite ni l'utilité en une foule d'oc-
casions. Le premier acte de sa ma-
SCH
jorité en fournit une preuve écla-
tante. Son oncle était mort pauvre
et laissant plusieurs enfants. Son
père, adoptant en quelque sorte ses
neveux, avait voulu corriger les ri-
gueurs de la fortune à leur égard ;
et, par un codicille spécial, il leur
avait légué, comme à des fils puînés,
de fortes sommes ou des propriétés.
Les tuteurs de Gustaveavaient trouvé
moyen d'éluder ces dispositions, sans
reculer même devant un de ces pro-
cès où presque toujours le plus riche
l'emporte, qu'il ait tort ou raison.
Les réclamants leur imputaient d'a-
voir soustrait le codicille. Dès que
Schlaberndorf fut majeur, il s'em-
pressa de remettre à ses cousins de
fortes valeurs mobilières économi-
sées par ses hommes d'affaires, et
il promit de les indemniser complè-
tement, le temps aidant, de tout le
préjudice qu'ils prétendaient leur
avoir été fait. Il s'occupa ensuite
d'être utile à ses vassaux, et dès ce
temps il fit beaucoup pour eux. Sa
fortune, qui montait à une huitaine
de millions, lui permettait beaucoup
en effet; et, pour être plus libre d'en
disposer à son gré, il ne se maria
point. Mais plus il faisait d'efforts
pour guérir les plaies sociales dont
la Silésie, principalement dans les
campagnes, lui offrait le spectacle,
plus il se sentait pénétré d'antipathie
et de dégoût pour un ordre de cho-
ses si différent de l'idéal qu'il rêvait
et avec lequel l'avaient familiarisé les
écrits des philosophes, tant français
qu'anglais, et quelques pages choi-
sies des penseurs allemands. Il
résolut d'aller étudier hors de son
pays les moyens d'améliorer le sort
des masses, et il partit dans cette
vue en 1784 avec le célèbre baron
de Stein, son ami, qu'animaient les
mêmes tendances. L'Angleterre eut
S€H
l'honneur de leur prèrtitèi-e visite, et
Schlaberndorf n'y resta pas moins
de six ans (1784-1790), pendant les-
quels il apprit à fond la langue, se
mit en fréquentes relations avec les
hommes les plus distingués de la
Grande-Bretagne, notamment avec
les whigs et les autres représentants
des opinions les plus avancées , et,
analysant le mécanisme de la consti-
tution anglaise , comprit que tout
ce fastueux et décevant appareil de
représentation n'était au fond qu'une
représentation au bénéfice de l'aris-
tocratie, souveraine ou dominatrice
du souverain. Il ne se borna pas à
ces observations et à des vues plus
ou moins spéculatives : témoin du
sort rigoureux auquel trop souvent
l'inhospitalité britannique condamne
les malheureux étrangers attardés
sans argent, et même avec de l'ar-
gent, sur le sol d'Albion, il provoqua,
il aida très-largement de ses fonds
l'institution d'une société de bien-
faisance pour les pauvres Allemands,
institution qui n'a pas cessé de
prospérer et qui existe encore. Grâce
à cette association, les Allemands re-
poussés des hôpitaux et des autres
établissements de l'Angleterre, qui
tous étaient exclusivement réservés
aux nationaux, trouvent en cas de
détresse des secours qui leur man-
quaient autrefois. L'éducation aussi
lui semblait non moins nécessaire
que la satisfaction donnée aux be-
soins matériels ; il regardait la popu-
lation entière comme ayant droit au
bienfait de l'éducation ; et dès 1785,
très-peu de temps après avoir quitté
son pays, il rédigea un testament
olographe par lequel, laissant aux
deux cousins qu'il avait à cette épo-
que et à leur postérité toute sa
fortune non féodale, h titre de fidéi-
commis perpétuel, il stipulait l'éta-
•^CH
1^95
blissemeut d'une caisse d'écoles yiU
lageoises devant percevoir pendant
J5 ans moMié des revenus du fidéi-
commis, puis quatre dixièmes pen-
dant 10 ans, et ainsi de suite en di-
minuant graduellement jusqu'à ce
qu'on ne dût plus servir à la caisse
qu'une rente d'un dixième à perpé-
tuité. Il indiquait, de plus, le mode
d'accumulation des intérêts, les rè-
gles à suivre pour le choix des insti-
tuteurs, les émoluments à leur don-
ner; il recommandait la créatioii
d'une école normale, etc., etc. Toutes
ces dispositions tombèrent,tant parce
qu'il survécut à l'un et à l'autre des
cousins ses légataires, que par les
modifications qui survinrent ensuite
dans ses idées, et par le mauvais vou-
loir de ses collatéraux. Cependant il
avait franchi la Manche vers le com-
mencement de 1791, et il pouvait
suivre de ses yeux les développe-
ments déj'à gigantesques et profon-
dément irréguliers de notre grande
rénovation sociale. Long-temps en-
core il eu préconisa les principes et
les coryphées les plus célèbres. Mais
peu à peu pourtant ses louanges se
restreignaient, se' mélangeaient de
blâme. Comment, quelque dépouillé
qu'il pût être dès préjugés de grand
seigneur, et quelque ardeur qu'il
sentît pour la cause de la démocratie,
un homme dont le vœu était le soula-
gement de ses semblables eût-il pU
approuver ïès violences perpétuelles
qui souillèrent 17èi2*, le 20 juin, le
10 août, les inassacres dé septembre
et toute cette suite d'horreurs dont
ces événements furent le signal? Bien
que Schlaberndorf fût , à n'en pas
douter, l'ami dévoué de la révolution
française , même si déploràblement
égarée dans sa route , bien qu'au
temp s où se p réparait l'invasion prus-
sienne, informé de ce qui se tranîiait
S96
SCH
de l'autre c6ié du Rhin, il employât
son influence en son pays pour détour-
ner le cabinet de Potsdam d'un pro-
jet que tout annonçait devoir porter
Je coup de grilce à la France révolu-
tionnaire, et que des démarches si
peu prévues l'eussent compromis
très-gravement auprès des ministres
et du roi Frédéric-Guillaume II , il
devint bientôt suspect aussi aux me-
neurs de la république nouvelle. Il
eut un jour une discussion avec Bour-
don de l'Oise ; et, plus fort que lui
dans l'art du raisonnement, il réfuta
sans grande peine les déclamations
furibondes et atroces du député. Mais
le lendemain un mandat d'arrêt était
lancé contre lui ; et i| fut emprisonné
en janvier 1793, n'ayant pour toute
ressource que 700 fr. en assignats.
II est vrai que les offres de secours
ne lui «lanquèreut pas ; mais presque
toutes venaient de royalistes que le
sort réunissait sous les mêmes ver-
rous que lui, quoiq^ue diamétralement
opposés d'opinions, et. qui du reste
comptaient bien que les procédés des
républicains guériraient leur com-
pagnon lie son amour pour la répu-
blique. Il n'en fut rien ; et cramponné
à ce' principe que les torts des hom-
mes ne changent tien à la nature des
choses, il n'en devint peut-être que
plus inébranlable dans ses convic-
tions ; il rejeta résolument toute es-
pècç d'assistance de ses camarades
d'in/ortujie, alliés ou non d'opinion,
il VQiiluV ne rien devoir qu'à lui-
mêine; et pour premier échantillon
de ^a ferme volonté, il commença
par se restreindre, en vrai Diogène,
au plus strict nécessaire, c'est-à-dire
au pain et à l'eau que fournissait la
prison. Puis ^ pour augmenter son
très-modique pécule, il donna des
leçons d^allemand et d'anglais à qui
youlaii ejfi.pretidre, U semblait n'a-
SCH
voir ni crainte ni souci de la mort, qui
pourtant pouvait l'atteindre comme
tout ce qui l'environnait. On eût dit
même qu'il provoquait les tyrans du
jour. Las d'être en butte aux brutalités
du geôlier, les détenus résolurent un
jour d'adresser une plainte au co-
mité de salut public. Mais quand il
s'agit de formuler la plainte, chacun
regardait les autres. Qui se charge-
rait d'attacher le grelot PSchlabern-
dorf n'hésita pas : il rédigea la péti-
tion, et en termes si énergiques, que
quand il fut question de signer, per-
sonne n'osa, sauf un officier écossais,
du nom d'Abernethy,et Schlaberndorf
lui-même. On ne dit pas que les
vexations du geôlier cessèrent , mais
toujours est-il que l'audace des pos-
tulants ne fut pas punie. Il en fut de
même quand enfin ce fut le tour de
Schlaberndorf de comparaître devant
le tribunal révolutionnaire. Avec un
calme parfait et avec autant d'aisance
que s'il eût été le juge, il fit sonner
si haut le contraste de son rang en
son pays et des opinions qui l'avaient
entraîné à venir fraterniser avec les
Français en train de briser leurs
chaînes, qu'il dérouta le président et
que le tribunal se contenta de le faire
reconduire en prison. Enfin la chute
de Robespierre lui rendit la liberté.
Il n'en profita point pour abandonner
la France, dont la révolution l'inté-
ressait toujours. Connu de tous les
chefs des partis qui se disputaient
le pouvoir, il ne pouvait aux yeux
d'aucun passer pour l'ennemi de la
France, malgré sa qualité de Prussien;
et il ne pouvait non plus inspirer
d'ombrage sérieux à personne, car
quoique plein de clairvoyance et
pressentant les événements, quoique
gémissant sur la marche rétrograde
de la liberté sous le Directoire, et re-
gardant le 18 brumaire comme unç
SCH
calamité, il était trop utopiste et
trop haut monté dans le domaine
des abstractions pour descendre ac-
tivement de sa personne dans le
concret et se mêler au positif des
événements. Tout en se désolant
ainsi de voir chaque jour tendre à la
reconstruction de la monarchie^ il
répandit autour de lui ses bienfaits
avec autant de lumière que de géné-
rosité ^ il soulagea des infortunes, il
prêta un concours actif à d'utiles in-
ventions. La stéréotypie surtout lui
fut redevable en grande partie de ses
améliorations. Herhan put largement
puiser à sa bourse toujours ouverte,
et le mot même de clicher, tiré du
radical allemand klalschen (frapper),
à défaut de radical français qui puisse
bien exprimer l^pération principale
du stéréotypage, atteste la part d'ac-
tion prise par un Allemand à ce nou-
vel aspect de Part des Faust, Scheffer
et Guttenberg. Pendant ce temps les
parents de Schlaberndorf en Allema-
gne s'attachaient à le présenter au
gouvernement, non-seulement com-
me un homme dangereux, comme un
ennemi des monarchies et de son
pays, mais comme un fou ; et il faut
avouer que les excentricités un peu
fortes du comte Gustave prêtaient à
ces imputations. Le roi de Prusse,
Frédéric-Guillaume III, ne sut pas,
dans tout ce fracas, distinguer la vé-
rité de la calomnie. Il commença par
priver Schlaberndorf d'une prébende
qu'il avait acquise à Magdebourg. Il
mit ensuite tous ses biens sous
le séquestre (1803) , sans toutefois
asquiescer aux sollicitations des col-
latéraux qui en demandaient la con-
fiscation à leur profit. Heureusement
le comte avait, les années précéden-
tes, tiré des fonds considérables de
son pays et les avait placés en France.
Il prodigua des secours aux prison-
SCH
297
niers prussiens en 1806 ; et grâce à la
considération dont il jouissait, en
dépit de ses singularités et de son
républicanisme peu goûté sous Na-
poléon, il obtint pour les plus distin-
gués de ses compatriotes malheureux
la permission de résider à Paris tout
le Temps de leur captivité. Quand la
Silésie fut conquise, le baron Mou-
nier, nommé administrateur du cer-
cle de Glogaii, où étaient situés les
biens de Schlaberndorf, lui offrit ses
services pour lever le séquestre dont
ils étaient grevés : le comte refusa
noblement, ne voulant pas devoir à
l'occupation étrangère la réparation
d'iine iniquité consommée par ses
compatriotes. Justice enfin lui fut
rendue par le cabinet deBerlin. Recon-
naissant etle peu de fondement des re-
proches articulés contre lui, et com-
bien il portait toujours d'amour à la
Prusse, les ministres, au bout de neuf
ans, levèrent l'interdit qui pesait sur
sesbiens.Onétaitalorsalaveilledela
campagne de Russie. Schlaberndorf
en avait prévu l'issue. Il détestait
Napoléon. Tout en reconnaissant son
génie, il n'avait cessé de voir en lui
l'oppresseur de la liberté, le destruc-
teur des progrès réalisés par la grande
commotion sociale de 1789, celui par
qui reculaient l'émancipation et le
bonheur de l'humanité... L'abaisse-
ment de la Prusse après les campa-
gnes d'iéna et de Friediand avait
changé cette antipathie en haine pro-,
fonde, et il ne s'en cachait pas-, il
s'énonçait même si haut à ce sujet ,
qu'on peut s'étonner que le gouver-
nement impérial ne lui en ait jamais
fait sentir son mécontentement. Pro-
bablement Napoléon s'en tenait à le
regarder comme un idéologue; peut-
être eût-il été de moins bonne com-
position, s'il eût su que Schl^^bern-
dorf favorisait la formation des sa-
298
SCH
SCH
ciétés patriotiques allemandes qui
avaient pour but d'abord l'affran-
chissement du territoire, et aux-
quelles Stein et Gneisenau avaient si
grande part. Sitôt que la Prusse, au
commencement de 1813, prit parti
contre Napoléon, le comte fit hom-
mage au roi d'une somme de 10,000
thalers (60,000 fr.) pour aider aux Irais
de la guerre, et envoya au comte de
Goitz six autres mille francs pour le
service des hôpitaux. Il donna im-
mensément aussi pendant les trois
premiers mois de 1814 pour les pri-
sonniers prussiens, et leur fit tenir
de fortes sommes par le jeune pein-
tre Franck , son compatriote , dont
il encourageait alors les premiers
essais. Paris tomba au pouvoir des
alliés; Schlaberndorf reçut dans le
domicile plus que modeste qu'il occu-
pait rue de Richelieu, presque vis-à-
vis du Théâtre-Français, la visite de
Stein, son ancien ami, de Gneisenau,
de Hardenberg et de beaucoup d'au-
tres notabilités prussiennes. On lui
proposa même de le présente!" au roi
Frédéric-Guillaume; mais il s'y re-
fusa, et la même offre, renouvelée en
1815, le trouva pareillement inébran-
lable. On comprend en effet que
l'homme qui n'avait jamais pardonné
à Napoléon d'avoir détrôné la liberté
ne pût guère goûter les principes
absolutistes des souverains qui ve-
naient de le renverser; et quoique
passant pour visionnaire, il ne l'était
pas assez pour s'imaginer long-temps
que les cabinets et les chancelleries
s'occuperaient sérieusement de réa-
liser les promesses plus ou moins
explicites faites au Tugendbund.
D'ailleurs la disgrâce de Stein, la re-
traite de Gneisenau,n'auraient permis
aucune illusion, eût-il été tenté d'en
avoir. 11 se consolait en pensant que
le triomphe de ses idées n'était qu'a»
journé. En attendant, il continuait à
répandre des bienfaits partout où sa
main pouvait atteindre. Il fut un des
ardents promoteurs de l'éducation
mutuelle. En 1816, les cultivateurs
de la rive gauche du Rhin étaient
affligés d'une disette causée par les
intempéries de la saison , il envoya
des sommes considérables destinées
à leur soulagement. Devenu en 1819
héritier de l'usufruit d'une comman-
derie dont le revenu s'élevait à plu-
sieurs milliers de francs, il en trans-
mit en pur don la succession au
séminaire des maîtres d'école de
Breslau. C'est entre les soins d'une
philanthropie toute positive et toute
pratique, et l'étude des hautes ques-
tions de philosophie sociale, notam-
ment de celles qui se réfèrent à l'é-
ducation, que Schlaberndorf passa les
dernières comme les précédentes an-
nées de sa vie ; et ce qu'il s'était
efforcé d'accomplir de son vivant, il
voulut le continuer à perpétuité après
sa mort. Sa fortune, évaluée alors à
10 millions de francs, devait être con-
sacrée tout entière à des fondations
de bienfaisance et d'instruction pu-
blique. 11 s'était fait apporter le testa-
ment de Montyon, et il en méditait
les stipulations. Ceux qui l'ont le
mieux connu à cette époque ont sou-
vent parlé des vastes projets dont il
les entretenait pour des établisse-
ments posthumes, et nombre de cir-
constances ont fait penser qu'il avait
rédigé des dispositions dernières afin
d'en assurer l'exécution. Malheureu-
sement , si ce testament exista, ou il
fut confié aux mains de tiers infi-
dèles, ou, renfermé chez lui , il fut
soustrait par quelque agent des héri-
tiers dont il eût trahi les espérances.
Ce qu'il y a de certain , c'est que Schla-
berndorf ayant été frappé au bout
d'une assez courte maladie, le 21 août
SCH
1824,011 ne rencontra pas trace chez
lui d'acte testamentaire, et que des
collatéraux héritèrent de tout. Quoi-
que âgé de 74 ans lorsqu'il expira,
nul doute que Schiaberndorf n'eût pu
vivre bien plus long-temps s'il eût
pris, soit de sa santé, soit de sa per-
sonne, les soins même les plus vul-
gaires. Mais son incurie sous l'un
et l'autre rapport passe tout ce que
l'on peut imaginer. Ne sachant point
se préserver d'exagération et de pué-
rilités , il érigea en quelque sorte
en maxime de conduite ce que la né-
cessité seule, au temps de son incar-
cération , l'avait forcé de subir ; et
cet habit,celinge toujours les mêmes
qu'il avait portés tandis que la nation
le logeait, redevenu libre il continua
de les porter sans désemparer. Il ne
les quitta jamais ^ ce furent eux qui
le quittèrent, le linge d'abord après
plusieurs années de service, puis les
diverses pièces de l'habillement. Il
en vint à ne plus avoir qu'une vieille
redingote appliquée immédiatement
sur la peau, et qui elle-même élimée,
déchirée , trouée , rapiécée , crevant
de nouveau, ne cachait qu'impar-
faitement sa nudité. Jamais de bains.
Le rasoir lui était devenu non moins
étranger que la pâte d'amande. Nous
faisons grâce du reste à la délicatesse
de nos lecteurs ; mais qu'ils soient
certains que ni Diogène à Corinthe,
ni ChodruC'Duclos sous les arcades
du Palais-Royal, ne furent plus mai-
grement et plus répulsivement ac-
coutrés. Son logement ne valait guère
mieux que son costume. Il consistait
en une chambre avec alcôve et un
petit cabinet, hôtel desDeux-Siciles,
rue de Richelieu : une petite table,
quelques vieux meubles sales et dé-
labrés, quatre ou cinq fauteuils ou
chaises en formaient tout le matériel,
en y joignant quantité de livres et de
SCH
299
papiers, la plupart empilés, eubés,
ou pêle-mêle gisant sur le carreau et
obstruant le passage. Long-temps le
comte avait gardé l'habitude de sortir
au moins les soirs, et d'aller dîner
à sept, à huit, à neuf et même à onze
heures du soir, chez quelque restau-
rateur ou limonadier duPalais-Royal;
fréquemment même il s'y traitait
fort bien, et il se faisait servir des
repas de financier et de gourmet
raffiné, au grand ébahissement des
spectateurs, et non sans inquiétude
de la part des garçons et parfois des
maîtres de café ou de restaurant qui
ne le connaissaient pas encore. Mais
comme, faute de vêtements, le comte
avait fini par ne plus sortir de chez
lui, on avait fini par ne plus même
faire semblant de nettoyer sa cham-
bre, et rien n'égale la saleté au milieu
de laquelle il avait le courage de
vivre. C'est là pourtant qu'il recevait
la visite de beaucoup de personnes
distinguées par le rang ou par l'es-
prit, et qui, pour jouir du charme de
sa conversation, bravaient un spec-
tacle véritablement repoussant. Cette
malpropreté, le défaut d'exercice, sa
perpétuelle contension d'esprit, des
chagrins , l'irrégularité dans les
heures des repas, du sommeil et
du travail, tout cela ne pouvait
manquer de nuire gravement à la
santé du solitaire. Un catarrhe vio-
lent vint à diverses reprises lui donner
avis de porter un peu plus d'atten-
tion aux soins matériels de la vie.
Il n'en tint compte. Finalement une
hydropisie de poitrine se déclara. Il
consentit alors à prendre des bains,
à se faire faire du linge, et il se laissa
transférer aux BatignoUes dans une
maison de santé ; mais il était trop ^
tard, et sa mort suivit de près son
changement de domicile. Cette mort
ne fut pleurée, en Prusse , ni de ses
300
SCH
collatéraux qui attendaient impa-
tiemment sa dépouille, ni de ses vas-
saux qui ne l'avaient pas entrevu
depuis quarante ans. A Paris, oii on
Pappréciait , il laissa des regrets.
Clair, précis, méthodique et per-
suasif, il avait vraiment le don de la
parole ; sa conversation avec les
hommes faits était attrayante, in-
structive et originale. Par sa naïveté,
par la variélé de ses récits ou des
réflexions dont il les semait, il ex-
cellait à intéresser l'enfance dont
l'admirable instinct avait bientôt
reconnu en lui un ami. Il avait beau-
coup de lecture, il avait beaucoup
médité; et, quoique trop porté à ne
voir les objets que d'un côté, on ne
pouvait lui refuser une pénétration
rare. Au moral la bonté, l'intrépidité
formaient les deux traits dominants
de son caractère. Son attitude sous
la Terreur comme sous Napoléon
prouve qu'il n'avait peur de rien.
Son indépendance d'esprit, n'était
pas moindre. Mais, inébranlable
dans ses convictions, il était tolérant
pour celles desautres. Quoique fidèle
au vocabulaire de la Révolution et
ayant en haine tout privilège et tout
monopole , quoique pénétré de ce
principe des radicaux , que tous les
hommes doivent jouir de droits po-
litiques égaux, il n'eût jamais fait de
révolution par la force pour en venir
là. Quant à ses bizarreries, nous les
avons assez laissé apercevoi r dans cet
article ; il est superflu d'y insister, il
serait ridicule de les nier absolument,
bien qu'évidemment on ait dû les
exagérer, car elles ne prêtaient que
trop à la charge. Schlaberndorf n'en
fut pas moins un homme vertueux,
un grand cœur, un bienfaiteur de
"^ l'humanité tant qu'il vécut, et il n'a
sans doute pas tenu à lui qu'il ne le
fût de même après sa mort. On a dit
SCH
qu'à l'instant où il fut incarcéré
il était à la veille de se marier, il peut
se faire qu'il en ait été ainsi; mais au
fond il est aisé de voir qu'il n'était
pas né pour le mariage, et qu'il n'eut
pas souvent de grands efforts à faire
pour en écarter la pensée. Il n'existe
riend'in)primédeSchîaberndorf.Mais
on a trouvé dans ses papiers des
fuanuscrits tant allemands que fran-
çais sur la morale, sur la politique
et sur la philosophie. Pour la plupart
de ces travaux, nous ne savons vrai-
ment s'il est à regretter qu'ils n'aient
pas vu le jour ; mais il est croyable
qu'il y aurait eu, ou même qu'il y
aurait encore quelque fruit à retirer
de ceux qui roulent sur l'éducation
et sur la théorie de la parole. Il avait
étudié à fond la voix, et avait établi
une théorie des sons plus exacte et
plus étendue que celles qui avaient
paru jusqu'alors. Le docteur Fried-
lander en a publie un résumé, mais
très-succinci et très-incomplet. Telle
était l'habileté de Schlaberndorf sur
le mécanisme vocal, qu'un jour, dans
une expérience publique, l'abbé
Sicard montrant un échantillon
des progrès des sourds-muets dans
la prononciation de quelques sons, le
comte ne demanda qu'un quart
d'heure pour leur faire prononcer dis-
tinctement d'autres sons que jamais
leur instituteur n'avait pu leur faire
articuler, et il y parvint. Son orai-
son funèbre fut prononcée par le
pasteur Gœpp, et imprimée sous ce
titre: Discours funèbre prononcé
dans l'église des chrétiens de la
Confession d'Âugshourg à Paris ^
2iaotitiS24, aux funérailles de
Gustave , comte de Schlaberndorf^
doyen du chapitre de Magdebourg ^
Paris, 1825, in-8°. P— ot.
SCHLEGEL (Auguste Guillal^
ME de), le plus telibre critique de
SCH
l'Allemagne', grand poète d'ailleurs,
et linguiste du premier ordre, naquit
le 5 septembre 1767, à Hanovre. Il
était le neveu du tragique Jean-Èlie
et de Jean-Henri<f le premier tra-
ducteur de Thomson et d'Young, en
allemand 5 son père lui-même , Jean-
Adolphe, quoique premier prédica-
teur de Hanovre et surintendant à
Lunebourg, a laissé, entre autres
œuvres poétiques, des fables estima-
bles (voî/. SCHLEGEL, XLl , 160). 11
reçut sa première éducation dans sa
ville natale, moitié au sein de la
maison paternelle, moitié dans les
écoles. A l'étude des languts an-
ciennes il joignit de fort bonne
heure celle du français, de l'anglais,
de l'italien, de l'espagnol. On l'en-
voya ensuite à Gœttingue, afin qu'il
s'y livrât à la théologie. Cette ville
universitaire était alors le centre
d'un développement littéraire très-
varié. Tandis que Heyne y poussait à
l'étude plus intime, plus complète
de l'antiquité , et y offrait un mo-
dèle de l'alliance encore rare de
l'érudition et du goût , une généra-
tion de jeunes poètes, les Stolberg,
les Mille, lesBoie, les Leisewitz, les
Biirger cherchaient des voies nou-
vellessous des inspirations inquiètes,
auxquelles avaient donné naissance
le lyrisme de Klopstock, l'enthou-
siasme de chevalerie de Gœthe et l'es-
prit d'investigation de Lessing ; et
Voss, plulôtdoué de talent que de gé-
nie, non-seulement rendait sensible à
TAllemagne la merveilleuse flexibi-
lité de l'allemand pour reproduire
les formes étrangères , mais servait
de médiateur entre l'art antique et
l'art moderne, en fondant la pensée
antique dans le moule moderne, en
faisant croire à l'homogénéité du mo-
dèle et de la copie qui semblait moins
une copie qu'un décalque, qu'un
SCH
301
trompe l'œil. Ce mouvement exerça
sur Schlegei la plus vive attraction j
Heyne, en l'encourageant dans l'étude
des antiquités, des littératures, ache-
va de déterminer sa vocation secrète,
ou du moins de le remettre sur la
voie ^ il abandonna la théologie.
Toutefois ses débuts ne furent pas
ceux d'un homme de haute et brû~
lante imagination. Naguère, dansune
solennité scolaire , il avait lu une
histoire de la métrique allemande :
en ce moment il se laissa charger
pour Heyne de l'index de l'édition
de Virgile. Au lieu d'une froide
nomenclature de mots épars et sans
liaison, les lecteurs eurent là le
tableau complet de la langue poé-
tique des Romains au siècle d'Au-
guste. Il se voyait décerner en même
temps un accessit pour une disser-
tation sur la géographie d'Homère ;
il émettait sur l'origine des Pélasges
une opinion neuve, qui, longues an-
nées plus tard, devait trouver place
dans sou appréciation critique des
idées de Niebuhr^il insérait dans
VÀlmanach des Muses de Gœttingue
et dans V Académie des beaux arts
des essais poétiques qui attirèrent
sur lui l'attention de Biirger, à tel
point que vers 1791 l'auteur de
Lénore lui adressait un sonnet, l'en-
gageant à faire revivre pour l'Alle-
magne cette forme immortalisée par
Pétrarque, le saluant du nom déjeune
aigle, et le voyant franchir la voie
qui mène au temple du soleil. Mais
de ce que Schlegei ne fut pas théo-
logien, il n'en résulte pas qu'il fût
essentiellement ou exclusivement
poète. La mort de son père (eu
1793) et l'insuffisance de la fortune
dont il hérita l'obligèrent à entrer
comme précepteur particulier chez
un banquier (Mûller), qui l'emmena
dans la capitale de la Hollande. U
302
SCH
resta ainsi quatre ans éloigné de sa
patrie, ne laissant que rarement
échapper de sa plume quelques
pièces fugitives, mais s'instruisant
de plus en plus dans les littératures,
en étudiant les procédés, en recher-
chant les conditions, en scrutant les
théories admises ou possibles : Dante
attira principalement son attention.
De retour à Test du Rhin dans l'été de
1795, après la conquête de la Hollande
par Pichegru , ce fut à léna et non
à Gœttingue qu'il débarqua; mais
léna est à six lieues de Weimar,
et Weimar, alors l'Athènes d'outre-
Rhin, Weimar où l'on apercevait
à côté de Goethe , Wieland , à côté
de Hcrder, Novalis et Schiller,
Weimar d'où l'on correspondait avec
Kant, Jakobi , Fichte, exerçait une
forte action sur léna, décidément
hostile aux codexi vulgaires donnés
par la France comme promulgués par
Aristote ou commelogiquementdéri-
vésd'Aristote.On s'agitait pour savoir
que faire. On sentait vaguement le
besoin d'un principe, d'une loi, d'un
procédé. On variait bien sur tous
les tons le mot nature; mais ce
mot était vague, il ne définissait rien,
il n'y avait rien de positif dans l'af-
fectation à se ranger sous ce dra-
peau, que la réalité d'une réaction
contre l'ancien goût. Klopstock, mal-
gré sa puissante inspiration, s'était
perdu dans l'idéalisme avec ses an-
ges, et le nihilisme avec ses bardes.
Les quatreoucinq drames marquants
de Lessing ne s'éloignaient point
essentiellement de la forme, de la
coupe, de la monotone régularité
reprochées à la scène française, si
l'on en excepte Miss Sara Samp-
son, dont la haute beauté n'est pas
sans tache. Gœthe, après avoir, dans
Gœtz de Berlichingen, jeté à pleines
mains les vives peintures chevale-
SCH
resques, en était revenu à la vie mo-
derne, au drame bourgeois dans Cla-
vijo, à l'imitation plus ou moins
libre des types d'Euripide et de Ra-
cine dans Iphigénie et dans le Tasse.
Enfin Schiller flottait, et la sève des
Brigands ne bouillonnait pas dans
ses nouveaux drames désordonnée et
fougueuse comme par le passé. Il y
avait du génie dans toutes ces têtes
weimariennes , mais il n'y avait pas
science raisonnée de ce que l'on fai-
sait ; il y avait des idées , il n'y
avait pas de système ; il y avait l'en-
vie d'êtce une école , il n'y avait pas
d'école; on était net dans l'opposi-
tion à telle ou telle recette litttéraire ,
on ne pouvait pas formuler ce qu'il
fallait mettre à la place. Les hardis
artistes avaient donc grand besoin
d'un homme qui trouvât le mot et
la loi de leurs œuvres, et qui leur dît
non pas qu'ils avaient raison (comme
tout nourrisson des Muses armé de
sa plume d'oie, ils le croyaient as-
sez), mais comment et pourquoi ils
avaient raison. Auguste-Guillaume
Schlegel fut cet homme: soit comme
écrivain, soit comme professeur d'es-
thétique, il posalesaxiomes,il établit
les théorèmes, il déduisit les corollai-
res en vertu desquels Weimar d'a-
bord, puis presque toute l'Allemagne
tinrent pourarticle de foi que la Grè-
ce et Rome, la Grèce surtout, avaient
eu leurs procédés d'art parfaits pour
leur temps, que le moyen âge avait
eu les siens très-différents, que l'Ita-
lie et l'Angleterre et la péninsule
hispanique en avaient connu aussi
de fort beaux, que la France avait
été toujours , depuis le Wh siè-
cle, très-pauvrement dotée sous ce
rapport. Tout cela ne fut pas émis à
la fois ; mais de prime abord Schle-
gel avait conçu en lui-même les pre-
miers linéaments de ce système qu'il
SCH
développa logiquement en en dédui-
sant les conséquences, tantôt à Tétat
de théories pures, tantôt à propos
de tel ou tel ouvrage qu'il caractéri-
sait et qu'il cotait suivant ses idées,
tantôt par l'un et l'autre de ces pro-
cédés à la fois. Ainsi se trouva com-
plètement constitué au bout de quel-
ques années le système romantique,
dogmatisant et attaquant tout à la
fois, ayant ses formules, et censu-
rant dédaigneusement celles des au-
tres, prouvant sa propre légitimité
à lui, et démonétisant le vieil art
poétique recrépi par Laharpe. On a
vu plus haut la forte part qu'eut
dans cette tâche Frédéric son frère.
A Guillaume certes appartenaient
l'initiative, la perspicacité. Il voyait
le premier et plus à fond : il signa-
lait avec certaine froideur et sans
prétention pédantesque à la rigueur
mathématique. Si la chaude véhé-
mence et la logique de sou frère com-
plétaient utilement ce qui lui man-
quait peut-être, on peut dire d'une
part que ces qualités ne réussissaient
pas également auprès de tous les
publics ; de l'autre, que Frédéric, en
gt^néral, ne déployait son éloquence,
n'échelonnait ses déductions que sur
le mot ou sous l'inspiration d'Au-
guste, bien que, nourris des mêmes
idées puisées au sein des mêmes
auteurs et pénétrés des mêmes aver-
sions, ils aient su très-souvent met-
tre la main, chacun de son côté, sur
des idées en partie analogues. Peu
de temps après le retour de Schle-
gel en Allemagne, les Heures, mal-
gré le beau nom de Schiller, leur fon-
dateur, et malgré de fort habiles
collaborateurs, étaient obligées, par
l'indifférence publique, de céder le
champ libre à des recueils plus terre
à terre, ne laissant d'autre trace de
leur courte existence que VAlma-
SCH
303
nach des Muses, censé les rempla-
cer. Schlegel, qui dès sa réappari-
tion à l'est du Rhin avait fourni
aux Heures divers articles (sur
Dante, sur la langue, la poésie,
le mètre, sur Shakspeare), dont un
peu plus tard VAlmanach des Muses
aussi reçut des productions, ne dés-
espéra pas de faire entendre sa
voix du haut d'un tribunal périodi-
que sur les hautes questions d'art et
de littérature. Il créa, de concert
avec son frère et Tieck , la revue
dite Athenœum , et pendant trois
ans (1798-1800) qu'elle parut,
il fit preuve d'une activité prodi-
gieuse, analysant et discutant à fond
à peu près tout ce qui paraissait
d'un peu important en Allemagne et
en Italie, en Angleterre eten France,
examinant d'un ton un peu tran-
chant , un peu acerbe , mais d'a-
près des principes à lui et d'un
point de vue à lui. Les Caracté-
ristiques et Critiques suivirent de
près (1801), et posèrent plus net-
tement encore les bases de cette
poétique qu'il formulait et appuyait
d'exemples pris généralement parmi
les ouvrages des contemporains. D'un
côté, il proclamait, en réponse aux La-
Motte de l'Allemagne, que, la forme
poétique, que le vers n'est point une
superfétation, un tour de force, une
mélodieuse inutilité, que tenir au
mètre ou au rhythme n'est pas le
fait d'un esprit routinier, que ce lan-
gage auquel on conteste le naturel
est le seul qui naturellement s'assor-
tisse à l'inspiration, et qu'il fait par-
tie de l'accent idéalisateur. De l'autre,
il osait soutenir que les formes de
l'antiquité grecque et latine, belles
en leur temps, avaient été belles par
leur conformité à l'esprit qui les
animait, mais que cet esprit ou s'é-
tant éteint; ou ayant été débordé,
304
SCH
des formes nouvelles avaient été né-
cessaires, et qu'en s'asservissant à
celles du passé Pon n'avait embrassé,
comme en s'attachant aux urnes fu-
nèbres, que la cendre des morts. En
même temps il publiait huit volumes
d'une traduction allemande de Shak-
speare, bien supérieure à celle de
"Wieland, et offrait ainsi par le fait à
ses compatriotes, soit une vive et in-
tarissable source d'inspiration puis-
samment en harmonie avec l'esprit
germanique, soit un modèle que tou-
tefois il n'ordonnait pasde reproduire
strictement par un calque factice
et servile. Il se délassait de ses
travaux en quelque sorte techni-
ques, par des créations qui fussent
à lui en propre, par des poésies déta-
chées, par des élégies, par des son-
nets, où il se montrait tantôt animé
des souvenirs de la vie et de la pen-
sée antiques, tantôt admirateur des
grands poètes de la renaissance ita-
lienne et des trésors de poésie et
d'art dont l'Église recèle le, germe.
Aux faciles succès de Kotzebue et
surtout aux grossières insultes que
ce dramaturge avait entassées con-
tre M'"'' de Staël dans son Ane hy-
perboréen^ il répondit par son Arc
de triomphe en Vhonneur du pré-
sident de théâtre Kotzebue. La
mort de celui de ses frères aînés
qui était au service de la compagnie
des Indes lui inspira la belle Épitre
de Néoptolème à Diodes ( 1799) ,
comme celle d'une jeune fille, sa pa-
rente, Augusta Bœhmer, le jeta pour
long-temps dans des pensées mé-
lancoliques qu'il exhala dans une
nouvelle suite de sonnets. Bientôt
après, il eut la douleur de voir INo-
valis descendre, tout jeune encore,
dans la tombe (1802). L'Allemagne
perdait en lui l'espérance d'un grand
poète, Schlegel perdait un ami. 11
SCH
n'en comptait que bien peu. Frédé-
ric, déjà sur la pente qui devait le
conduire à l'absolutisme et au mys-
ticisme, avait embrassé le catholi-
cisme à Cologne, et ce passage en
un camp étranger tendait à rendre
moins vives les sympathies des
deux frères (comparez la fin de
Tanicle, bibliographie, n^ XXVlll).
Gœthe et Schiller, bien que ne
pouvant pas rompre ouvertement
des lances contre Schlegel, étaient
très-peu favorablement disposés pour
lui : ils affectaient de ne voir en lui
qu'un critique, un amateur de litté-
rature, mais non un poète, un ar-
tiste ; et sa critique même, ses prin-
cipes esthétiques, sa doctrine sur les
sources de l'art, ils insinuaient tantôt
que tout cela était ou contestable ,
ou appliqué sans grand à-propos,
tantôt qu'il n'y avait là que peu de
chose qui lui fût propre. La réalité,
c'est qu'ils étaient impatientés de le
voir à peu près indépendant à côté
d'eux, indépendant en ce que l'on
voyait en lui le critique, comme en
eux les hommes de génie de l'école
nouvelle, et en ce qu'il se taillait
dans le champ de la littérature un
domaine à lui, où nul ne semblait
venir qu'après lui, indépendant aussi
en ce que parfois il osait, quoique
avec d'extrêmes ménagements, trou-
ver encore quelque chose à désirer
dans Gœthe. La preuve de cette
hostilité, que Schlegel, au reste, a
voulu atténuer, et qu'il compare à
des nuages altérant passagèrement ♦
la sérénité d'un beau ciel , ne se
montre pas seulement dans la cor-
respondance de ce dernier avec
Schiller; des mots glissés dans une
conversation, dans une préface, dans
un article de journal ou de revue,
portaient des traces de cette acrimo-
nie. Schlegel s'en lassa ; et , goûtant
SCH
peu d'ailleurs Paspecl des lieux où
il venait de perdre sa femme, la fille
de Michaëlis, résolut d'aller planter
sa tente un peu à l'écart. Il se rendit
à Berlin , où bientôt il ouvrit un
cours sur la littérature et les arts,
cours qui futtrès-fréquenté par l'élite
de société. Tout en en réunissant les
matériaux , il acheva une tragédie
d'/on, imitée d'Euripide, mais lar-
gement et profondément remaniée.
11 traduisit ensuite cinq pièces de
Calderon, moment décisif dans sa
vie et peut-être dans l'histoire de
la critique en Europe ; car c'est
alors que ses idées sur J'art ro-
mantique, encore un peu étroites
et un peu incertaines jusque-là,
s'épanouirent, se formulèrent et
s'assirent ; et Schiller lui-même en
vint à dire en lisant ces chefs-d'œu-
vre si long-temps incompris de l'Eu-
rope : • Que de fautes Gœthe et moi
aurions évitées si nous avions connu
plus tôt Calderon ! » Quelque temps
après, parut sous le titre à^ Antholo-
gie etc. (Blumenstraeusse), un choix
de poésies italiennes, espagnoles et
portugaises, avec une dédicace aux
poètes mêmes dont il interprétait les
chants. « Recevez, leur dit-il, rece-
vez l'offrande de ces fleurs, hommes
sacrés! comme à des dieux je vous fais
hommage de vos propres dons, etc. •
Un de ses ennemis, Immermann, lui
adresse à ce propos cette injurieuse
apostrophe : « Tu as, Guillaume, dé-
chiré ta robe allemande en Angle-
terre, puis en Italie et dans les som-
bres contrées deBrahma. » S'il fallait
se conformer à la lettre à cette bou-
tade , toute étude de littérature
étrangère , toute comparaison de
poètes de l'un et de l'autre côté de
la Manche, de l'un et de l'autre côté
des Pyrénées, de l'un et de l'autre
côté du Rhin, serait inutile et blâ-
LXXXI.
SCH
20^
mable. Telle ne fut pas la sensation
de madame de Staël. Elle se trouvait
à Berlin en 1804. Elle fut charmée
de l'originalité, de l'indépendance,
du mouvement d'esprit de Schlegel.
Elle n'avait rien entendu de pareil
en France ni même ailleurs ^ et pour-
tant que n'avait-elle pas entendu?
Schlegel, de son côté, subit la magie
de la conversation de Corinne : tout
ce qu'elle ressentait, elle l'exprimait
avec passion et sympathie. Il enten-
dit avec délices son éloge sortir de
sa bouche. 11 espéra encore plus. 11
consentit à faire partie de sa maison
eommc instituteur de ses enfants,
et il la suivit en Italie, en France,
en Suiss.e lorsqu'elle y fut appelée
par la mort de Necker. Sous plus
d'un rapport il y gagna : il s'arra-
chait à l'existence toujours un peu
étroite, un peu comprimée du savant
en Allemagne, puis il se trouvait eu
contact et aux prises avec bien des
faits nouveaux. Mais sous plus d'un
rapport aussi il eut à regretter
cette décision. D'abord jamais il
n'obtint dans le cœur de celle qui le
traînait après son char la place qu'il
avait ambitionnée ; et dès lors on
comprend que plusieurs de ceux qu'i I
fallait voir là devaient lui être sou-
verainement odieux, Benjamin Con-
stant en première ligne. Puis, mal-
gré la délicatesse attentive de la
maîtresse de la maison, il n'était pas
toujours traité avec toute la défé-
rence qu'il eiit souhaitée dans le ca-
ravansérail que, à Coppet et autres
lieux, madame de Staël tenait ouvert
à tous les admirateurs de ses talents.
Il souffrait de voir quelques visi-
teurs tentés de croire que toutes
ses idées esthétiques et critiques lui
étaient souillées par la dame de céans.
Par nature d'ailleurs, il était inquiet
et susceptible dans les relations quo-
20
306
SCH
S€H
tidiennes de la vie. En France enlin,
il vit plus d'une fois les opinions
qu'il exprimait sur la valeur des oeu-
vres d'art françaises et non fran-
çaises, ainsi que sur celle des théo-
ries toujours florissantes de LouisXlV
à Napoléon, combattues plus forte-
ment et avec moins d'insuccès qu'il
ne l'eût cru possible : il en garda
toujours certaine haine à nos pau-
vres compatriotes, à moins qu'on ne
veuille mettre cette antipathie vrai-
ment extrême dans l'extrême sur le
compte de quelque mystérieuse souf-
france de cœur indissolublement liée
dans sa pensée au souvenir de notre
pays. Cependant, à quelque interrup-
tion près, il resta douze ans de suite
dans cette situation, même après qu'il
ne fut plus question d'élever les en-
fants de madame de Staël. Son séjour à
Paris fut signalé par sa Comparaison
des deux Phèdres^ qui fit surgir con-
tre la témérité du novateur un con-
cert de clameurs et d'injures, mais
qui certes lui valut de prime-^bord
une célébrité que dix chefs-d'œuvre
ne lui eussent pas donnée chez nous.
AVienne, où il accompagna ensuite sa
patronne et où lui fut faite une belle
réception, il exposa devant un nom-
breux auditoire ses idées sur l'art
théâtral^ elles eurent un retentisse-
ment, un succès prodigieux. Faut-il
en dire le vrai pourquoi? Nul doute
à nos yicux que le talent du profes-
seur, la nouveauté de ses aperçus, la
fécondité de ses théories , ne tussent
pour quelque chose dans l'enthou-
siasme qui l'accueillait. Mais Schle-
gel se recommandait par mieux que
tout cela: il avait la France en haine,
il rapetissait Racine, il démonétisait
Corneille, il ravalait Molière au rang
de bouffon; on peut penser si les
autres étaient hachés menu. C'était
un hmim sur les plaies d'Àusterlitz
et de Wagram , et les rancunes au-
trichienaes, n'osant rien contre le
conquérant , s'en donnaient à cœur
joie sur nos poètes. C'est là aussi
l'esprit qui perce au travers de bien
des pages de l'Allemagne de madame
de Staël ; et la police impériale n'eut
pas tout à fait tort d'y voir cette ten-
dance, non que les opinions émises
soit par la châtelaine de Coppet, soit
par le professeur, manquassent de
sincérité', mais elles étaient passion-
nées, surtout de la part du dernier,
et s'adaptaient à merveille à des im-
pressions passionnées. Schlegel, à
Vienne, termina sa quinzième et der-
nière leçon par une allocution pa-
triotique dont ses auditeurs furent
effrayés. 11 alla ensuite voir sa mère
et ses frères à Hanovre, devenue une
des préfectures du royaume de West-
phalie, et il y gémit avec le vieux
Heyne (comme plus tard avec Muller
à Casse!) sur l'anéantissement de l'in-
dépendance allemande. De là il re-
vint à Coppet en traversant laFrance ;
mais il n'y resta guère au-delà de
1810. Le préfet du Léman écrivit au
ministre de la police qu'il y avait à
Coppet un certain M. Chelègue atta-
ché long-temps à madame de Staël,
anti-Français, etc., etc. M. Chelègue
fut expulsé du territoire de l'empire
français. Berne alors devint son re-
fuge; mais bientôt on lui déclara
que, fût-il naturalisé Suisse, il ne se-
rait pas long-temps à l'abri des dé-
marches de la politique française.
Survint l'année 1812; madame de
Staël elle-même fut obligée de quitter
Coppet, et par un immense détour
(Suisse, Tyrol, Autriche, Gallicic,
Russie, Finlande, Suède) alla gagner
l'Angleterre. Jusqu'à Stockholm
Schlegel fut constamment près d'elle
pendant cet énorme voyage. Arrivé
à Stockholm au moment où j^erna-
5CH
dotte rQwpait avec Napoléon (1812),
il fut reçu par ce prince avec de
grandes marques de confiance; et
bientôt il écrivit, sous Tinspiratioa
du cabinet suédois sans doute, mais
certes aussi sous celle de son anti-
pathie pour notre pays, deux bro-
chures politiques où l'animosité se
montre encore plus que le talent
( voy. plus bas , bibliographie ,
n°^ XXVI eti XXVII) , puis il sui-
vit le prince royal en Allemagne
et fit partie de son quartier-gé-
néral pendant les campagnes de
1813 et 1814. On juge bien qu'avec
de semblables précédents , quand
Schlegel alla rejoindre à Londres
madame de Staël pour la ramener
bientôt après en France, il y fut Tob-
jet d'un fort bel accueil: ses le-
çons de Vienne, au reste, avaient été
imprimées sous le titre de Cours de
littérature dramatique ; et les An-
glais reconnaissaient qu'il leur ap-
prenait à eux-mêmes à mieux com-
prendre le génie, la Valeur de leur
Shakspeare. Vinrent enfin les évé-
nements de 1814. Schlegel, toujours
à la suite de madame de Sta«l , ne
dédaigna pas de visiter à son aise et
même d'habiter cette odieuse France,
purgée du Corse, il est vrai, mais oti,
tout comme par le passé, on jouait
Phèdre et l'on regardait le Poquelin
comme autre chose qu'un bateleur j
et cependant on réimprimait, l'an-
née même de la Restauration, une
traduction en notre langue du Cours
de littérature. Le nom de Schlegel
en devint profondément impopu-
laire ; et, quoique l'ouvrage eût peu
de débit , partant assez peu de
lecteurs, ses idées soulevèrent, sinon
une polémique en règle, du moins
des persiflages assez fréquents et
des demi-réfutations. Les champions
du goût français n'étaient pas fortl,
SCH
30î
il faut le dire ; et mises à part les
rectifications à faire aux iniques sen-
tences portées contre nos grande
hommes, la cause n'était pas bonne.
La philosophie, la profondeur, les
vues fécondes , la rectitude et l'élé-
vation que communiquent à l'esprit
les habitudes comparatives, le sen-
timent de l'art, du beau, de l'idéal,
de la variété des procédés et des
formes qui mènent au but, de l'har-
monie qui doit exister entre elles et
l'état tant intellectuel que moral des
civilisations, tout cela était du côté
du critique allemand ; mais bien peu
de personnes pouvaient le voir en
1815 et dans les années qui suivirent
immédiatement. Petit à petit cepen-
dant, ces doctrines devaient gagner
du terrain parmi nous et devenir,non
pas dans tous leurs détails et sur-
tout dans leurs applications passion-
nées, soit à des pays entiers, soit à
quelques individualités éminentes, la
base de toute critique haute et fé-
conde. Mais Schlegel ne devait point
voir de ses yeux ce triomphe.
Dès 1815, il avait fait en Italie un
second voyage , et s'y était occupé
d'antiquités romaines et étrusque^.
Il revint, mais la mort de madame
de Staël (14 juillet 1817) rompit le
seul lien qui l'attachât à la France.
Il ne resta guère à Paris après cet
événement que le temps nécessaire
pour soigner (avec MM. le duc de
Broglie et Aug! de Staël) l'impres-
sion des Considérations sur la révo-
lution française; et l'année même où
eut lieu cette publication (I818),ilalla
s'établir à Bonn, dont l'université,
réorganisée par le roi de Prusse à
cette époque, voyait ses chaires rem-
plies par les Niebuhr, les Brandis,
les Welcker, les Arndt , les Naeke,
les Lassen. Recommandé au souve-
rain par de puissants protecteurs,
;i08
SCH
SCH
par s;i rmoniniee ei aussi par ses ef-
forts contre le vainqu«Mir d'iéna et
d'Eylau, Schlegel devint le collègue
de ces habiles professeurs, bien que
personnellement Niebuhr lui gardât
et lui ait toujours gardé rancune de
rarticle que récemment il avait pu-
blié sur son Histoire romaine dans
les Annales d'Heidelherg. Bonn dut
être d'autant plus fière de posséder
IMIIustre critique parmi ses titu-
laires, qu'il n'eût tenu qu'à lui d'a-
voir un poste analogue à Berlin. A
partir de ce moment , la vie de
Schlegel change du tout au tout;
uon-seulemcnt il ne lutte plus , il
n'innove plus, il ne se mêle plus
aux distractions et au tumulte
du monde, mais encore ses éludes
littéraires deviennent tout autres.
De la critique il passe à la linguis-
tique ; du moyen âge, qu'il avait
tant contribué à replacer sous son
vrai jour et à montrer comme aussi
poétique que l'antiquité grecque, il
passe à un njonde plus différent de
ces deux âges que ces deux âges ne
diffèrent entre eux , en un mot , de
l'Europe il passe à l'Inde. Pendant les
quatre années de son séjour à Paris,
il s'était livré à peu près en secret ,
sans éclat du moins , à l'étude du
sanscrit, et il y avait fait de très-
grands progrès. A peine à Bonn,
il fit agréer au gouvernement prus-
sien ridée d'avoir en cette ville
une imprimerie sanscrite, dont il
comptait bien faire grand usage lui-
même, mais que d'autres aussi ont
glorieusement utilisée ; et il fut
chargé d'aller à Paris en jeter les
bases en faisant fondre une collec-
tion de caractères dévanagaris. De
retour dans sa ville universitaire, il
commença la publication de sa Bi-
bliothèque indienne , puis vint le
Bhagavat-Gita , et enfin, après
longues années, la traduction latine
avec le tevte en regard du Ramaia-
na. Bien avant que ce dernier ou-
vrage fût terminé, la réputation de
Schlegel comme indianiste était ré-
pandue par tonte l'Europe; et de
Paris , de Cambridge et d'Oxford
il était consulté comme un oracle
par ceux qui préparaient des publi-
cations sanscrites. Les premières
années de Schlegel à Bonn furent
peut-être les plus heureuses de sa
vie, si l'on veut ne point tenir compte
des espérances et de cette plénitude de
sensations, l'apanage de la jeunesse.
En 1823 il réunit à sa chaire la conser-
vation du Musée des antiquités natio-
nales, Distinctions, considération,
titres honorifiques , lettres de no-
blesse, fortune aisée et loisirs voués
à des études de son choix, il réunis-
sait la plus grande partie de ce qui
décore et facilite la vie. Encore actif
de sa personne , il voyageait tantôt
à Paris, tantôt à Londres, à Oxford,
à Cambridge, à Hayleybury, pour y
examiner les manuscrits indiens des
bibliothèques, tantôt en Allemagne ;
et à Londres il faisait encore avec
succès, en 1827, un cours sur l'his-
toire des beaux-arts. 11 jouissait de
sa gloire passée et s'en construi-
sait une nouvelle ; ses idées critiques
prenaient chaque jour un peu plus
faveur au dehors, en France même
et dans les pays qui jurent par la
France ; dès 1825 , leur triomphe
n'était plus douteux ; lié avec Lassen
et Naeke, indianistes comme lui , il
avait le plaisir de voir de plus autour
de lui comme une jeune cour. Beau-
coup d'étrangers en passant à Bonn
venaient le visiter; il les recevait
obligeamment, avec un peu d'em-
phase peut-être; il aimait surtout,
s'il s'en trouvait plusieurs ensemble
et qu'ils fussent de pays différents, à
SCH
enlretenir chacun d'eux dans sa lan-
gue originaire. Ou devine cependant
qu'il n'en fut point ainsi jusqu'à la
fin de sa vie.Schiegel devait mourir
presque octoge'naire, en 1844. Non-
seulement le temps en marchant lui
enlevait des amis, des appréciateurs,
des contemporains qui même eussent-
ils e'ie' ses adversaires autrefois ,
dataient du moins de la même épo-
que que lui. Les doctrines aussi
avançaient, ses théories étaient dé-
passées; hardi novateur jadis, il se
trouvait arriéré. Comnie tant d'au-
tres, lorsqu'ils sont témoins d un ra-
pide mouvement qu'ils ne peuvent
plus suivre, encore moins conduire,
il en conçut de Ja mauvaise humeur,
ii s'exhala en censures, qui, justes
sur bien des points, exagérées ou
fausses sur d'autres, avaient le tort
de ressembler aux récriminations
du diisappointenient. L'impopularité
semble avoir été une fatalité de
Schlegel : d'année en année les sym-
pathies se retirèrent de lui sans
qu'on lui refusât l'estime; le vide se
faisait autour de lui; on l'oubliait.
Lorsque les journaux, les uns après
les autres, répétèrent la nouvelle de
sa mort, bien des gens s'écrièrent :
« Quoi , il était encore vivant ! » lî
eut aussi la contrariété de s'entendre
imputer des sentiments de catholi-
cisme caché : aussi zélé protestant
que son frère était devenu zélé catho-
lique, il s'en défendit avec chaleur.
Quoique poète remarquable et savant
du premier ordre, c'est comme cri-
tique surtout que Schlegel mérite un
rang à part dans l'histoire littéraire.
Nul n'a émis un aussi grand nombre
d'idées profondes, justes, aptes à
féconder le génie, l'esprit ; nul n'a
fait faire plus de pas importants aux
théories d'art, en les établissant sur
leur vrai terrain, en les restreignant
SCH
309
aux limites qu'elles ne doivent pas
dépasser, en voulant qu'elles 'affer-
missent et stimulent l'esprit, non
qu'elles le débilitent et le gênent.
Plus impartial en poésie que Winc-
kelmann en peinture et en sculp-
ture, il ne se contente pas de péné-
trer le mystère, de proclamer et de
faire sentir la beauté de l'art antique,
si imparfaitement comprise pendant
long -temps, mais il sent que la
forme antique, mai gré sa haute beau-
té, n'est pas la seule forme légitime;
en présence de ce spécieux aphorisme
que le beau doit être éternel et im-
muable entièrement, il distingue le
beau en lui-même etla réalisation du
beau par l'homme dans une œuvre
d'art ; et puisque la civilisation n'est
pas la barbarie, puisque le chrétien
n'est pas le païen, puisque l'ère de
l'esclavage n'est pas celle de l'émanci-
pation, bien que le barbare et le
civilisé, le païen et le chrétien, l'es-
clave et l'émancipé soient sembla-
blement hommes, il conçoitque l'œu-
vre d'art, pour réaliser l'idéal devant
des hommes de degrés de civilisation
différents, ait recours à des procédés
différents. L'art chrétien, l'art du
moyen âge ne doivent pas être l'art
polythéiste, l'art gréco-romain. L'é-
popée chevaleresque n'a pas dû s'as-
treindre au type homérique ; et Sha-
kespeare , Calderon , par cela même
qu'ils se sont mus dans d'autres
milieux qu'Eschyle et Euripide, ont
dû suivre une autre ligne qu'Eschyle
et Euripide. Sénèque au contraire,
par cela même qu'il a voulu suivre
ces derniers en plein empire romain
et quand rien ne restait de la vieille
simplicité, du vieil héroïsme et des
vieilles croyances, a été absurde; et
les contemporains de Louis XfV, en
reproduisant à quinze siècles de là
les mêmes formes très-légèrement
310
SCH
modifiées par le ton de la cour, par
l'emphase et par une politesse factice,
n'ont su adapter leur œuvre ni à la
société antique ni à la société mo-
derne. Ce qui distingue surtout
Schlegel dans le développement de
CCS vues, c'est que son coup d'œil est
synthétique et comparateur; il con-
naît l'art ancien comme l'art mo-
derne, et l'art de l'âge intermédiaire
comme les deux autres; il connaît
Brahma comme Jupiter et le Christ;
îl connaît les mœurs, l'histoire, les
langues comme les littératures. On
ne saurait nier que Herder lui ait ou-
vert la voie par cette élégante flexi-
bilité qui lui faisait, à lui aussi, sentir
et rendre les produits de civilisations
diverses. Mais Herder ne donne que
les produits mêmes, et de la lecture
de ses livres il ne résulte qu'un fait
thiir, et qu'on savait déjà, moins
bien pourtant qu'après l'avoir lu :
c'est qu'il est des procédés et des
formes diverses ; et comme en fait
tîhaque procédé et chaque forme
d'art, quand c'est Herder qui s'en
Sert, exercent certain charme sur le
lecteur,on penche à croire que chaque
inanière a son mérite. Toutefois il
fallait en administrer la] preuve, il
fallait signaler le lien de ces formes
différentes, l'unité dans la diversité,
il fallait préciser le principe et trou-
ver la loi. C'est à Schlegel que l'es-
thétique moderne doit tout cela. La
critique à cette hauteur et avec cette
y)riginalité suppose du génie , car
c'est, elle aussi, une création. On ne
saurait dénier à Schlegel cette qua-
lité. N'oublions pas d'ailleurs que
comme son frère et plus que son frère,
comme Herder et plus que Herder,
il s'est montré habilejoûteur en imi-
tàtiôii des formes d'autres âges ou
d'atitres contrées, et qu'il a su repro-
duire avec la coupe et l'attitude exté-
SCH
rieure l'esprit interne, les qualités et
lesdéfectuosités, les grâces et le man-
que de grâce des compositions qu'il
voulait faire comprendre, tantôt en
s'en tenant strictement à la manière
imitée, tantôt en laissant l'esprit mo-
derne et germanique déteindre sur
les calques. Cttte habileté se remar-
que jusque dans des traductions
latines, où pourtant il reste assez
voisin du mot à mot. Il était facile,
correct et pur ; son style didactique
est fort bon, quoiqu'il n'ait pas le
coloris et la véhémence de celui de
son frère, et quoique nous ne puissions
être de son avis quand il répondait k
cette demande : « Qui est-ce qui écrit
bien aujourd'hui? Tieck et moi , »
c'est-à-dire «Tieck seul et moi.»— Voi-
ci la liste des ouvrages de Schlegel,
distribués en quatre groupes, criti-
que, poésie , philologie^ sanskrite, et
œuvres diverses : I et II. Sa part
aux deux recueils plus haut men-
tionnés, l'Athenœum de Berlin, 3 vol.
in-S", 1798-1800, et les Caracté-
ristiques et Critiques qui ne sont
qu'une collection d'articles insérés
dans divers journaux (Kœnigsberg,
1801, 2 volumes; nouvelle édition,
Berlin , 1828). Entre autres mor-
ceaux remarquables on y a sur-
tout distingué Vexamen de Roméo
et Juliette^ un jugement sur Burger,
et l'article sur l'Homère de Voss. On
a vu que l'un et l'autre recueil, mal-
gré les vues un peu absolues et l'ac-
cent un peu superbe du critique prin-
cipal , ont exercé l'influence la plus
heureuse comme la plus décidée et la
plus vive sur l'Allemagne. ïll Compa-
raison des deux Phèdres, Paris et Ber-
lin, 1807 (en français). Il y a deux
parties à distinguer dans cet ou-
vrage : le jugement que le critique
porte sur ce que doit être Ife rôle
d'Hippblyte, et febn appfëciàfion du
rôle de Phèdre. La prcinJère est irré-
prochable. Nou seulement il y mon-
tre l'Hippolyte français glacial et
presque ridicule, ce qui n'avai\ point
absolument échappé aux critiques
français ; mais il y met en relief tout
ce qu'il y a de délicieusement poéti-
que dans l'arôme sauvage de l'inex-
périence indomptée de l'Hippolyte
d'Euripide, et par cela même il met
en relief toute la vulgarité, le bour-
geois de celui que Racine a substitué
au modèle. Mais dans la seconde il
est injuste en ne reconnaissant pas
combien la Phèdre moderne, même
comme conception et en mettant à
part les beautés de détail, est supé-
rieure à la Phèdre grecque. Il ne
voit pas qu'en dernière analyse la
pièce d'Euripide n'est guère qu'un
chef-d'œuvre de plastique et que
Phèdre est dramatique : il ne voit pas
que V Hippoly te S léphanephore est un
marbre, et que P/ièdre est une femme.
Ce sont l'un et l'autre deux chefs-
d'œuvre, mais d'un ordre tout diifé-
reot, parce qu'ils émanent de civi-
lisations toutes différentes, et il y a
du premier au s^ond toute la dis-
tance qu'il y a de la civilisation, de
la psychologie du XVIl« siècle à celle
du temps de Socrate; et, pour ache-
ver de dire notre pensée, le jugement
^uc nous portons ici nous semble
n'être que le corollaire des principes
esthétiques de Schlegel bien com-
pris : il nous paraît étrange que, au
point de vue qu'il avait adopté et
avec la supériorité qu'il accorde vo-
lontiers à l'art du moyen âge et de
la renaissance sur l'art ancien, il
n'ait pas ainsi apprécié les deux ou-
vrages. NuUe subtilité ne peut dé-
truire celte contradiction ,et au total
cette aberration ne s'explique pour
nous que par deux causes qui entraî-
nèrent Schleg«l à son insu : l*anc,
sai
311
cette antipathie, dont nous ivonsiiéjà
parlé, pour la France; l'autre, le dé-
sir de frapper un grand coup et de
faire parler de lui. iV Leçons d'art
dramatique €t de littérature, Heidel-
berg, 1809-tl, 3 vol., 2e éd. 1817 ;
etc.; traduit en français par Mme Dec-
ker de Saussure, sous le titre de Court
de littérature dramatique^ Paris, 1809
et 1814, 3vol.in-8%et dans presque
toutes les langues de l'Europe. Cet ou-
vrage devenu classique, malgré des
fautes et des exagérations,est la rédac
tiondesqtiinze leçons qu'il fit àVienne
en 1808 devant l'élite de la société de
cette capitale de l'Autriche. C'est
principalement à ce travail que s'ap-
plique ce que nous avons dit ci-des-
sus du but, de Tidée fondamentale et
du développement systématique des
principes esthétiques de Schlegel,
et aussi de l'inQuence qu'il a exercée
sur la critique. La partie ancienne
décèle un savoir profond autant
qu'une sagacité critique exquise. Les
caractères des trois grands tragiques
sont tracés de main de maître. Il ap-
précie avec non moins de justesse et
de hauteur Métastase , Alfieri, les
poètes scéniques de l'Angleterre et
de l'Espagne. Pour ces derniers,
sa critique s'empreint d'enthou-
siasme ; et c'est là surtout qu'il mé-
rite cet éloge décerné par Mnie de
Staël, que nul plus que lui ne peint
en traits de feu par son analyse le
génie des grands hommes, et ne ré^
vêle mieux les secrets de la faculté
eréatrice. Arrivé à notre théâtre, il
porte à l'excès une sévérité juste
dans le fond, tant qu'elle s'adresse
aux insuffisances, aux vulgarités, aux
tours de force que nous nous sommes
trop long-temps habitués à croire in-
hérents à l'essence de Tart, et -qui
n'en sont qu'une forme accidentelle,
bonne ou tolérable dans quelque» cw,
312
SCH
puérile, fausse, monotone et funeste
le plus souvent, et il méconnaît la
hauteur de génie, la puissance de poé-
sie de nos grands maîtres. Il est peut-
être encore plus inexcusable pour
Molière, dont la réputation lui semble
en partie usurpée; et l'on en est
d'autant plus étonné que. l'on pou-
vait s'attendre à le voir nous accor-
der dans la comédie la supériorité
qu'il nous refuse dans la tragédie,
puisqu'à son dire les règles dont
s'embarrassaient à tort nos tragiques
étaient favorablesà la comédie. Quant
à la partietliéorique,ladiscussiondes
trois unités y occupe une place con-
sidérable : il les envisage en elles-
mêmes et il les envisage historique-
ment, en se demandant si elles peu-
vent réellement se décorer de l'auto
rite d'Aristote. On sait aujourd'hui ce
qu'il faut penser de cette dernière
question : la poétique qui porte le
nom d'Aristote n'est pas de lui et ce
n'est qu'un fragment : l'unité de lieu
n'y est pas nommée ; à peine y trouve-
t-on quelques lignes sur l'unité de
temps, et dans ces lignes rien qui
ressemblée une loi. Quant aux unités
en elles-mêmes, il démontre que
l'unité d'action seule est possible ,
que celle-là même a besoin d'être
définie, que La Motte l'a le mieux
comprise en y substituant l'unité
d'intérêt. Il a fait justice de ce
prétendu besoin d'illusion com-
plète dont on arguait pour démon-
trer les autres unités, et il en si-
gnalel'impossibilité comme la puéri-
lité ; puis il établit ce que c'est réel-
lement que l'illusion produite par les
beaux-arts. M. de Châteaugiron a
dit que la traduction française du
Cours dramatique de Schlegel était
due à la plumedeMi^e de Staël {voy.
Barbier, Dict. dei anonymes^ 2« éd.,
n" 3131), mais évidemment c'est
SCH
une erreur: M. Quérard s'est donné
la peine de la réfuter par les témoi-
gnages réimis du libraire et du fils de
M'î^e Necker de Saussure-, la nature
des choses y répond peut-être en-
core plus victorieusement : traduire
répugnait au génie de M^e de Staël :
passe s'i I se fût agi de quelques pages,
mais trois volumes entiers, cela ne
saurait s'admettre un moment. V.
Observations sur la langue et la
littérature provençale^ Paris, 1818,
in- 8° (en français) , auxquelles il
faut joindre ses articles dans le Jour-
nal des Débats en 1833 et 34, à pro-
pos de cette opinion de Fauriel qu'à
la langue romaine avait succédé sur
la totalité, ou peu s'en faut, de la
France, de l'Italie et de l'Espagne,
la langue provençale, qui elle-même
avait donné naissance à l'italien, au
castillan, au portugais et au français.
Il s'y attache à combattre la celto-
manie si commune il y a un tiers de
siècle parmi les étymologistes fran-
çais. Raynouard a rendu compte de
cet ouvrage dans le Journal des Sa-
vants. VI. Leçons sur l'histoire et
la théorie des beaux-arts, traduites
en français par A. -P. Couturier, Ber-
lin, 1827; Paris, 1830, in-8«. Ces
leçons n'étaient qu'au nombre de
seize et ne forment dans la version
française que 187 pages. Le traduc-
teur les a complétées en y ajoutant
trois articles du Conversation' s Lexi-
co/i, tous trois dus à la plume d'Aug.-
Guill. Schlegel, et roulant sur l'his-
toire de l'architecture, de la peinture
et de la sculpture, avec des notes où
i! fait connaître les artistes français.
VII. Divers articles épars soit dans
de grandes compilations (par exem-
ple les trois dont il vient d'être ques-
tion), soit dans des recueils, entre
autres : 1<» Dante, Pétrarque et Boc-
cace, dans la Revue des Deux-Monde i
SCH
du 15 août 1836 (4^ série, t. VU, 400-
418, en français par conséquent), à
propos de l'opinion émise par
M. Rosetti (dans son Sullo spirito
antipapale che produsse la Rifor-
ma) qu'il existait au XIV® et au
XV^ siècle par toute l'Italie une
société secrète liée à celle des Al-
bigeois et comptant pour affiliés
Dante, Pétrarque, Boccace, dont pour
ce motif les écrits étaient com-
posés en style à double entente; 2<> les
Idées sur l'avenir de la littérature
allemande^ Londres, 1825; 3° les
Hecherches sur les Niebelungen, tant
dans le Musée allemand de 1811 que
dans les Annales de Heidelbtrg
(il y fait justice de toutes les folles
hypothèses débitées sur cette antique
époque, et les matériaux qu'il a re-
cueillis ont servi depuis aux éditeurs
et aux appréciateurs du vieux poème
germanique); 4** un article sur VHis-
toire romaine deNiebuhr, aussi dans
les Annales de Heidelberg (c'est sans
contredit le coup le plus violent qui
ait été porté aux épopées que Niebuhr
voit dans la primitive histoire ro-
maine) ; b° une Lettre sur les chevaux
de bronze de Venise, dans la Biblio-
tecaitaliana de Milan (il y professe la
même opinion que Mustoxidi et s'é-
lève contre celle de Cicognara) ; 6® et
7° la Dissertation sur Niobé etjja
Notice sur le peintre JeandeFiesole,
dans le même recueil ; 8" Discours
d'ouverture du Cours à l'université
de Bonn, trad. et inséré dans la ^e-
vue germ.; 9° un autre article sur
Shakspeare (dans les Heures)^ article
qui devint le point de dépari de ses
autres travaux sur ce grand poètedra-
matique. Vlll, IX et X. Vie de Nec-
ker, dans les Zeiigenosen. Poésies di-
verses Jubm^ue, 1800, 2« éd., 1811 ;
et Nouveau recueil d'œuvres poéti-
ques, Heidelberg, 1811-1815, 2 vol.
SCH
313
Une partie de ces poésies avait paru
d'abord dans divers recueils,soit sépa-
rément, soit par groupes, notamment
dans VAlmanach des Muses de 1802,
qu'il édita en commun avec Tieck.
Outre les pièces que nous avons déjà
nommées, on doit remarquer Pro-
méthée, l'Art grec^ Pygmalion, où
tout est grec, où l'enthousiasme de
l'artiste est porté jusqu'au délire, où
l'on voit le feu sacré, jadis refusé à
Prométhée, venir animer la pierre à
la voix de l'amour ; Arion, qui ma-
tériellement n'est qu'une simple ro-
mance, et où cependant l'on trouve
un drame entier dont l'intérêt croît k
chaque strophe; l'Alliance de VÈ-
gliseet des arts, si remarquable par
l'originalité de la pensée, par la verve
de l'expression; la Chapelle de Eus
senacht, si saisissante, si frappante
de vérité pour quiconque a vu la
Suisse; le Génie de S. Lucas^ où telle
est la touchante naïveté du récit,
qu'on croirait entendre un enfant
conter la légende ; le chant premier
et unique de Tristan, ce remanie-
ment inachevé du poème chevale-
resque de Godefroi de Strasbourg et
de Henri de Vribert, imitateurs eux-
mêmes de Thomas de Bretagne; et
enfin la magnifique élégie de Rome,
dédiée à M™'' de Staël et bien digne
en effet d'être dédiée à l'illustre au-
teur de Corinne. C'est en quelque
sorte une histoire poétique et topo-
graphique de la ville éternelle, c'est
une description lyrique où tous les
souvenirs, toutes les couleurs vien-
nent se fondre pour former le tableau
féerique d'un sol si riche en merveil-
les. Seul peut-être, le 4® chant de
Childe-Harold l'emporte sur celte
sublime impression de voyage. Beau-
coup des morceaux que nous venons
de caractériser appartiennent au se-
cond recueil des poésies de Schlegel.
su
SCH
11 l'emporte notablement -en effet
sur le premier pour l'oclat, pour la
variété, pour la profondeur, et il dé-
cèle pitis de maturité, tout en ne por-
tant nulle trace d'un refroidissetnent
de verve et d'imagination. XI. Jon,
tragédie dont l'idée est puisée dans
Euripide, mais qui n'est ni traduite
ni même imitée d'Euripide, et qui lit
naître une vive polémique entre
Bernhardt, Schiller el l'auteur. V In-
dépendant (Freymûthige), que diri-
geait Kotzebue, et la Gazette du
monde élégant , oix Schlegel écri-
vit, en furent les principaux orga-
nes. Xlï. Le couronnement de la
àainte Vierge et les miracles de saint
Dominique, Paris, 1817, in- fol. avec
15 pi., trad. en français la même
année. XIll. Les 8 premiers vol. el
un cahier de la traduction du Théâ-
tre complet de Shakspeare. Ces huit
volumes contiennent Roméo et Ju-
liette, le Songe d'une nuit d'été,
Jules César y Ce que vous voudrez,
la Tempête, Uamlet, le Marchand
de Venise, Comme il vous plaira^ le
B.oi Jean, Richard 11, Henri IV ^
Henri V, Henri VI, plus Richard IIL
Tieck acheva cetie belle version.
Cette traduction , dont quelques
longs fragments avaient paru d'abord
dans les recueils de Schiller, avait
placé de prime abord Schlegel au
rang des poètes allemands remar-
quables, plus peut-être qn'un ou-
vrage original. XIV. Théâtre espa-
flfnoi,Berlin, 1803-1809, 2 vol. in-8o.
C'est la traduction de cinq pièces de
Calderon, savoir : V Adoration de la
Croix^ l'Amour, voilà Venchante-
ment, l'Écharpe et la fleur, le Prince
constant, le Pont de Mantible (ces
'deux dernières en 1809). Plus encore
que dans la version de Shakspeare,
Schlegel y est admirable <le sou-
plesse et de fidélité ; il rend tout,
SClî
mètre , rhythrae , couleurs , asso-
nance; et cette stricte reproduction
des détails n'empêche pas qu'il n'ait
parfaitement rendu le mouvement
et la vie de l'ensemble. Il y prend
tous les tons, il s'y colore de toutes
les nuances dont scintille le génie
de l'inépuisable La Barca : la fierté
du Castillan, le feu de l'Arabe, le
lyrisme et le dialogue, la vie po-
sitive et les aspirations mystiques
sont formulés avec le même bonheur,
avec la même puissance : comme en
lisant l'original on croit voir trembler
une goutte de rosée, ou jouer un
rayon de soleil, ou briller une perle
sur chaque couplet, il semble que
cha^e vers exhale un arôme de
poésie. XV. La traductio» de divers
morceaux choisis de la Divine corné
die. XVI. V Anthologie (Blumen-
strœusse) italo-hispanoportugaise ,
Berlin, 1804. Pétrarque, le Tasse ,
•Guarini , Cervantes, leCamoëns sont
les principaux poètes auxquels Schle-
gel demande les fleurs de sa guir-
lande poétique. X VU. La Bibliothèque
indienne, contenant six livraisons,
Bo«n, 1820-26, 2 vol. XVIII. Bhaga-
vat-Gita, id est ôedTîéoicv p.éXoç, sive
Crishnœ et Arjunœ colloquium de
rehus divinis^ etc., Bonn, 1823, in-
8°, texte sanskrit avec traduction
latine et notes critiques. XIX. Le
Ramaïana , texte , trad. lat. et notes,
Bonn, 1829-1836, 2 vol. in-S». XX.
L'Hitopadesa.) 2 parties , Bonn,
1829, 1831. XXI. Réflexions sur
l'étude des langues asiatiques adres-
sées à sir James Mackintosh, et
suivies d'une Lettre à sir Horace^
Hayman Wilson, etc. (en français),
Bonn, 1831. XXII. Essai sur l'ori-
gine des Hindous. XXIII. Trois ar-
ticles dans VAlmanach de Berlin
de 1829, 183J et 1834, résumant
toutes les connaissances actuelles
SCH
SCtt
515
sut PInde, plus des Ohsenatîons
iUr quelques médaillés bactriennes
et indo-scythiques nouvellement dé-
couvertes (Journal asiatique j nov.
1818). XXiV et XXV. Les deux
brochures èôhtre Napoléon. Elles
sont intitule'es : l'uile, Sur le Système
continental et sur ses rapports avec
la Suède (Hambourg, 1813, Al-
tona, 1813, Paris et Genève, 1814);
l'autre, Dépêches et lettres intercep-
tées par des partis détachés de
l'armée combinée du Nord de l'Al-
lemagne^ i^ partie (et unique),
Hanovre, 1814, in-8^ Dans la pre-
mière, il essayait de rassurer la Suède
effrayée de la de'termination de ses
chefs, et il faisait appel à l'Europe
pour qu'elle s'unît contre l'oppres-
seur commun; il voyait l'esprit de
vettige et d'erreur pousser à sa ruine
l'usurpateur de tant de trônes; il
traçait l'histoire des quinze der-
nières années, altérant la proportion,
le caractère ou la portée des faits,
dépréciant les actions de l'empereur,
méconnaissant même son génie. Il
porte d'ailleurs une attention toute
particulière à distinguer entre Napo-
léon et les Français ; ses assertions,
son style, quand il s'agit d'eux, sont
pleins de convenance; et l'on est à
se demander si cette brochure ne se
lie pas au plan rêvé par Bernadotte
de remplacer Napoléon du gré même
et en Quelque sorte sur le vœu des
Français. Dans l'autre, qui avait pour
titre Tableau de Vempire français
e% 1813, et dont la partie essentielle
est la publication de dépêches na-
poléoniennes interceptées par les
soins des alliés, il faisait précéder
ces pièces d'un commentaire où tour
à tour il s'évertuait à singer Machia-
vel et Lucien. Tout cela n'eût point
abouti à grand'chose , si Napoléon
€Ût toujours eu la fortune comme à
BàutXên et k Lntzen. XXVI. Exiplî-
cation de quelques malentendus, etc.
Berlin, 1828 C'est une réponse à l'as-
sertion à coup sûr très-arbitraire,
très-hasardeusede M. d'Eckstein, qui
de certains passages de Schlegel avait
cru pouvoir induire que comme son
frère il passerait au catholicisme vers
lequel il gravitait déjà,et que l'époque
de cette conversion n'était pas éloi-
gnée. Scblegel repousse avec énergie,
et ce nous semble avec justesse, cette
imputation de crypto-càtholicisme
(comme l'appelaient déj^ de zélés pro-
testants), et chemin faisant il donne
de curieux détails sur sa vie. 11 est
clair qu'il en a fourni aussi plusieurs ,
ainsi que les bases d'une appréciation
de son talent et de son rôle dans l'his-
toire littéraire de l'Allemagne, à la
Biographie de Rabbe et Boisjolin
(vol. du Supplément). Les Débats
aussi, malgré leur longue fidélité à la
cause du classicisme, la seule sur la-
quelle ils aient gardé trente ans
le même langage, ont admis dans
leurs colonnes des articles de Schle-
gel : ils portent les initiales W. de S.
(Wilhelm pour Guillaume). On sait
de plus que Schlegel fournit la plu-
part des matériaux sur lesquels M™*^
de Staè'l écrivit ses trois volumes de
VAllemagne, et principalement la
partie relative à la haute philosophie;
le chapitre surKant porte surtout les
traces de sa collaboration. Mais c'est
à tort qu'on voudrait lui faire hon-
neur de la rédaction totale; il est
évident d'ailleurs que quantité de
jugements, de concessions à l'esprit
français sont diamétralement opposés
à ce que l'on pourrait attendre de
Schlegel. Suivant le Journal des
Débats, il aurait laissé de volu-
mineux Mémoires et diverses piè-
ces en vers français, notamment des
Épigrammes qui, dit -on, feraient
316
SCII
scandale. Il paraît que quant aux Mé-
moires, le bruit n'est pas exact. Du
reste, Schlegel écrivait très-élég.im-
ment en français. On a vu que plu-
sieurs de ses ouvrages avaient été
composés en cette langue, et même
il réunit sur la fin de sa vie la plu-
part de ses opuscules de ce genre,
sous le litre d'Essais littéraires et
historiques y 'Bonn ^ 1842. P— or.
SCHLEGEL ( Charles - Guil-
laume-Frédéric de), poète, philo-
sophe et critique allemand , frère
du célèbre Auguste-Guillaume dont
l'article précède et avec lequel il a
loiîg-temps tenu le sceptre de la
critique, ne montra d'abord que
peu de penchants littéraires , bien
qu'ayant beaucoup d'esprit et de vi-
vacité, et fut en conséquence des«
tiné au commerce. Né le 1 2 mars 1772,
il était le plus jeune de toute la fa-
mille, et après avoi r achevé ses études
dans Hanovre,sa ville natale, chez son
frère aîné (qui mourut en 1825 con-
seiller de consistoire dans celte
ville), il fut placé chez le banquier
Schlemm de Leipzig, à peu près au
moment où Auguste-Guillaume com-
mençait à se faire un nom : il avait
alors seize ans. Il ne tarda pas à se
déplaire dans sa nouvelle carrière;
et rompant à l'amiable avec ses pa-
trons, il prit, d'accord avec son père,
le chemin des universités de Leipzig,
puis de Gœttingue, et suivit avec la
plus grande assiduité les cours d'his-
toire, de philosophie et de philologie
ancienne. Il poussa surtout assez loin
pour son âge les études philologi-
ques sur Platon, et il entreprit avec
Schleïermacher (que toutefois il laissa
bientôt seul à cette tâche) de le tra-
duire tout entier; il lut et relut les
tragiques grecs, tâchant de bien saisir
l'essence de leur art, leurs procé-
dés, leur tendance; il se pénétra de
SCH
Winckelmann, puis se demandant si
tout était vrai, et môme qu'est-ce
qu'il y avait de vrai dans Winckel-
mann , absorbé dans la contempla-
tion des chefs-d'œuvre de la galerie de
Dresde (1 789) , comparant les procédés
des artistes anciens aux grandes œu-
vres de la renaissance et aux toiles
si vantées alors et réellement si
belles de Mengs, il en vint à jeter
pour lui-même les fondements d'une
théorie des beaux -arts, d'une es-
thénque. De là en 1793 , c'est-à-dire
lorsqu'il entrait à peine dans sa
vingt-unième année, son Essai sur
l'école poétique grecque qui parut
dans la Berlin. Monatschrift et que
suivit bientôt (1794) un autre ar-
ticle. De la valeur esthétique de la
comédie grecque. Tous deux déce-
laient un esprit investigateur et re-
montant aux principes, bi n que
circonscrit pour le moment aux for-
mes parlées de l'art, et tous deux
furent reçus avec assez de faveur,
Heyne vanta publiquement l'érudi-
tion du jeune auteur que ses parents
ne pouvaient plus blâmer d'avoir
renoncé au commerce. Son père d'ail-
leurs venait de mourir (1793). Ce-
pendant, n'ayant que peu de fortune,
Frédéric eut quelque temps encore à
lutter contre les incouvénients d'une
situation gênée et précaire. On le vit
successivement dans quelques villes
nord-ouest et du nord de l'Allema-
gne, sans qu'il arrivât à s'y iBxer.
Habitant de Berlin où il avait ses en-
trées dans plusieurs sociétés remar-
quables, par la position distinguée
ou par l'esprit de leurs membres, il
voyait diverses Revues, notamment
en 1797 le Lycée des beaux-arts de
celte ville, admettre quelqnes-uns de
ses articles. Bientôt las de n'être là
qu'en second, il entrppri!, eu 1798,
avec son frère Auguste-Guillaume ei
SGH
avec Tieck,lM//tenQ>wmdftB<»rlin dont
ils publièrent trois volumes en trois
années. 11 était ainsi en train de se
fonder une re'putation et une car-
rière, quand l'éclat de sa passion
pour madame de Veit et la sépara-
tion de cette dame d'avec son mari
le déterminèrent , bien que leurs
nœuds vinssent d'être cimentés à
l'autel , à se rabattre en 1800 sur
léna , où pendant quelque temps
il donna des leçons particulières
pour s'aider à vivre. Chemin faisant
d'ailleurs il avait publié un tome P'
intitulé Les Grecs et les Romains
(Hambourg, 1797), le premier ou-
vrage sans doute où aient été em-
ployées les dénominations de classi-
ques et de romantiques 5 puis la
première partie du 1^^ volume de
VHistoire des Grecs et des Romains
publiée en 1798 à Berlin, et qui,
bornée à l'exposé des événements
politiques, devait avoir pour suite
l'exposé des évolutions tant philo-
sophiques qu'artistiques du monde
romain et avait signalé un penseur
de plus à ceux qui savent lire et
apprécier. Un public assez nom-
breux attendait avec certaine impa-
tience ce complément qu'il ne donna
jamais sous la forme promise, mais
qu'on écrirait facilement aujour-
d'hui avec les idées qu'il a émises
depuis. Àlarcos ensuite avait paru
et même avait été joué, une seule
fois il est vrai , et sans succès. Mais
ce ne pouvait être là une décep-
tion profonde ; Alarcos était une
étude et non une œuvre scénique,
laite sérieusement pour être goiitée
par le public qui applaudissait à
Kotzebue. Enfin le roman inachevé
de Lucinde en 1800 semble attes-
ter que Frédéric Schlegel s'était
donné la tâche d'aborder successive-
ment des genres divers pour les
SCH
âir
abandonner aussitôt. Tel n'était pas
son but pourtant, et l'inconstance ou
les prétentions ambitieuses qu'on
pourrait se croire en droit de lui
reprocher à celte époque, disparais-
sent devant une simple réflexion,
c'est que Frédéric ainsi que son frère
était un critique sachant produire.
On a souvent, et certes avec assez de
justice, demandé à ceux qui se posent
au rez-de-chaussée d'un journal ou
derrière les créneaux d'une revue,
juges infaillibles de l'épopée et du
drame, du roman et de l'histoire,
qu'est-ce qu'ils ont fait; et c'est
pour eux que semble avoir été écrit,
soit le vers de Florian :
Messieurs,je siffle bien, maisje ne chante pas,
soit cet autre alexandrin :
La critique est aisée et l'art est difficile.
Ne trouvons donc pas mauvais que
quelques-uns d'entre eux fassent ex-
ception à la règle,et tentent, eux aussi,
déchanter: reconnaissons que par cela
même qu'ils joueront les deux rôles,
ils apporteront, toutes choses égales
d'ailleurs, à celui de critique des lu-
mières et des inspirations venues de
celui de l'artiste. Mais aussi recon-
naissons que la critique tendant par
sa nature à embrasser tous les gen-
res, en d'autres termes, à être ency-
clopédique, celui chez qui domine
l'esprit critique doit, s'il s'aban-
donne souvent à sa muse, aborder,
porté par el le, des genres aussi divers
que ceux qu'il passe en revue dans ses
recensions. Nous en comprendrons
mieux Frédéric Schlegel. Critique
avant et par-dessus tout, il éprouvait
pourtant le besoin de faire descendre
ses principes dans quelque œuvre, et
le genre de l'œuvre variait quand il
créait comme quand il discutait. Mal-
heureusement, il faut le dire, le point
de vue esthétique variait aussi, du
318
scu
moins quant an détail et à U formule
saisissablç, et il devait varier encore
plus sous peu de temps, bien qu'il
persistât incontestablement dans une
tendance, dans une idée. La ten-
dance, c'est la re'action contre le goût
français ou plus largement contre
les théories conventionnelles, contre
le factice, contre la susceptibilité
dédaigneuse qui rejette tout ce qui
s'écarte du type convenu et qui sort
de l'ornière. L'idée, c'est celle d'in-
spiration dérivant d'une vue intelli-
gente et inipressive de la nature.
Mais primitivement il avait admis
que cette inspiration s'était trouvée
à haut degré chez les Grecs, et que
là étaient les modèles par excellence.
Et tacitement il admettait, ce nous
semble, que cette inspiration n'a lieu
que sous la pression d'une loi du de-
voir, d'une force morale quelcon-
que. D'ailleurs la nature, pour lui,
ne s'était point présentée exclusive-
ment sous sa face matérielle ; le ma-
tériel même n'occupait pour lui que
l'arrière-plan : le visible et le pal-
pable, la peinture et la statuaire,
tout en passant devant ses yeux, n'a-
vaient en quelque sorte que frappé
sa rétine, sans envahir son cerveau
et son cœur. 11 n'en est plus là au
moment où paraît Lucinde : d'une
part, la nature a pris pour lui l'as-
pect pittoresque et sculptural; et de
l'autre, des goûts ou des habitudes
d'atelier, la fréquence de plaisirs
faciles ou d'émotions exagérées ,
quelques irrégularités ébruitées de
sa vie d'intérieur, les orages tantôt
préludes et tantôt corollaires du
scandale, l'ont amené à peu près à
placer dans l'impressionnabilité,dans
la sensibilité que ne retient pas la
morale, la source unique ou princi-
pale de l'inspiration. Il est vrai que
les joies (nous devrions peut-être
SGH
dire « les jouissance», » Genu$$ ) de
la sensibilité sont doubles : il y a
celles de la chair, il y a celles de
l'esprit; c'est dans leur réunion >
dans leur complexité, que réside le
suprême bonheur ; il y a plus, l'être
heureusement doué ou qui raftine
possède en quelque sorte la jouis-
sance de la jouissance. Mais quoique
dans toute cette théorie arrivée à sa
plus haute puissance il y ait bien
plus de visions et d'utopies que de
réalités, ce n'en est pas moins sur la
sensitivité que tout repose. Deux ans
plus tard, nouvelle variation; et
celle-ci a été amèrement reprochée à
Schlegel par un grand nombre de ses
compatriotes : se trouvant à Colo-
gne, il quitta la foi protestante pour
le catholicisme, et abjura solennel-
lement avec sa femme. Ce n'est pas
nous qui ferons un crime au savant
néophyte de s'être rangé sous l'obé-
dience à laquelle est restée fidèle la
majorité de la France, et surtout il
nous paraît que la sincérité de sa
conversion ne saurait être révoquée
en doute ; mais il est permis d'en re-
chercher, d'en bien peser les motifs.
Ces motifs, il nous semble, ne reposent
ou du moins ne reposèrent d'abord
sur rien de théologique : c'est une
conversion tout esthétique. On a
beau rompre avec Aristote, Boileau
et Blair, la littérature, la philoso-
phie, l'art ont des lois, ont une loi
du moins; or, cette loi n'est certes ni
dans l'impression ni dans la collec-
tion des impressions que l'âme hu-
maine peut sentir. Qu'on admette
maintenant, avec Fréd. Schlegel, que
l'âme n'a pas, outre la sensibilité,
une faculté propre et qui ne reflète
par une révélation permanente plus
ou moins lucide, la loi suprême du
beau, le critérium suprême du vrai,
on sera logiquement forcé à mettre
SCH
cette loi hors de l'esseBtiaHté de
l'âme humaine, comme hors de ta
nature physique, en d'autres termes,
à ne la croire saisissable que moyen-
nant une révélatioiï extérieure posi-
tive sans cesse proférée et en dépôt
aux mains d'une autorité visible re-
montant de siècle en siècle au révé-
lateur. La doctrine catholique, sui-
vant Schlegel, domine la science et
Part , la politique et la philosophie ;
sans elle, pas de doctrine; donc pas
de loi, pas d*art, pas de science. La
conversion de notre auteur est donc
remarquable à deux titres : d'une
part, comme ayant eu lieu de par
l'art et par la science, et non d'après
un besoin religieux tel qu'on le dé-
finit et qu'on l'entend pour l'ordi-
naire^ de l'autre, comme supposant
que l'âme ne porte pas en elle, au
moins à l'état latent, et l'impératif
esthétique auquel toute œuvre d'art
doit se trouver conforme, et les
moyens de reconnaître le vrai. Nous
n'essaierons pas de discuter ce sys-
tème; nous nous contenterons de
remarquer combien il peut oifrir«t
d'attraits et de probabilités aux âmes
molles et voluptueuses, soit gros-
sières et clouées au physique, soit
extatiques et raffinées, puisqu'il leur
répète que l'âme humaine est toute
dans la sensibilité, que l'âme hu-
maine n'a point en elle de faculté
invariable, souveraine, prononçant
avec certitude, apte par conséquent
à constituer la science. C'est ainsi
que d'un excès on tombe sans grande
contradiction dans l'autre excès;
c'est ainsi que le sensualisme ou
l'hédonisme sans contre-poids in-
terne peut mener au mysticisme.
Nous ne voyons pas pourquoi dans
ce système, si l'on en pressait les
conséquences, on ne prétendrait pas
que les conciles œcuméniques peu-
SCH
Zt^
ve«t décider infailliblement du mé-
rite des œuvres d'art, d* la valeur
des théories, de la préférence k don-
ner aux classiques sur les romanti-
ques ou réciproquement. Frédéric
Schlegel n'en vint pas là, même dans
la fausse vie esthétique oit il entrait,
et que du reste il sema de quantité
d'idées en même temps justes et fé-
condes. Divers articles des Caracté-
ristiques et critiques , publiées l'an-
née précédente (1801) en société
avec son frère, et oti avec plusieurs
morceaux anciens en paraissaient de
nouveaux, laissent apercevoir celte
évolution qui grondait encore sour-
dement dans le cerveau de Frédéric
Schlegel. Elle est sensible surtout
dans l'article sur Wilhelm Meister,
dont il interprète richement et sa-
vamment les détails. Brouillé ô>a
reste avec beaucoup de ses amis ou
du moins les trouvant très-froids par
suite du pas éclatant qu'il venait de
faire, il dit adieu pour un temps à
l'Allemagne, et vint passer k Paris
de deux à trois ans. C'était le lieu
le plus convenable pour ses nouvelles
convictions et pour les études aux-
quelles il comptait se livrer encore
afin de mettre en reliefla grandeur de
sa pensée, la puissance de l'inspira-
tion catholique. L'iade l'attirait sur-
tout. Les hautes et vastes doctrines
du panthéisme, tout inconciliables
qu'elles sont avec la doctrine chré-
tienne, lui semblaient pourtant avoir,
par l'énergique symbolisme qu'elles
manifestent, la plus grande analogie
avec l'essence d'un catholicisme sou-
verain des consciences du monde tem-
porel. H consacra donc u n temps con-
sidérable à l'étude du sanscrit, pour
laquelle il n'existait encore que peu
de secours, et il parvint k certaine ha-
bileté dans l'ancienne langue sacrée
des Prahmanes. U lut d'ailleurs, un
320
SCH
peu superficiellement peut-être, une
lorte partie de tout ce qui depuis une
trentaine d'années s'était écrit à
Calcutta et en Enrope sur la pénin-
sule cisgangétique. 11 entra en rela-
tions étroites avec le professeur
Alexandre Hamilton et avec Langlès ;
et ainsi furent ramassés les maté-
riaux de VEssai sur la langue et la
philosophie des Indiens, qui toute-
fois ne devait paraître que plus tard.
Désireux de formuler l'application
de ses idées catholiques ou catholico-
brahmaniques aux questions de
science et d'art, il fonda un nouveau
recueil périodique {VEurope) qui vé-
cut trois ans, remarquable surtout par
ses articles, et il fit des lectures pu-
bliques à des auditeurs choisis. Quel-
que temps après, il visitait son frère à
Coppet, passait à Dresde avec madame
de Staè'l el avec lui, revoyait Cologne,
éditait de vieilles poésies chevaleres-
ques du moyen âge, la plupart in-
édites, imitait, en vers qui serraient
de près le texte^ ce grand {>oème de
Turpin intitulé le Roland, auquel ont
tant puisé ou voulu faire croire qu'ils
avaient puisé les Bojardoet lesArios-
te. Nous le retrouvons en 1 800 àVien-
ne, où, dit-on, l'avait appelé le désir
de réunir des matériaux pour un
drame historique qu'il comptait faire
sur Charles-Quint , et où sans doute
auraient figuré Luther, Maurice de
Saxe, et Philippe II recevant de son
père, avec les couronnes espagnoles,
la mission de conserver, dans cette
partie du globe au moins, le catholi-
cisme intact. Est-il bien vrai que
son but fût si exclusivement litté-
raire ? Quoi qu'il en puisse être, tou-
jours est-il qu'il fut présenté à M. de
Metternich, que cet homme d'État le
goûta extrêmement et le nomma se-
crétaire aulique, que la guerre de
1809 entre Napoléon et l'Autriche
SCH
ayant éclaté, et tandis que l'empereur
des Français avait l'Espagne sur
les bras, Frédéric Schlegel écrivait
en même temps des proclamations
et des sonnets prophétiques moins
vrais, mais mieux reçus que les pro-
phéties de Cassandre, et qu'il suivit
jusqu'à Landshut, comme membre
de la commission de la guerre,
le comte de Stadion. Mais l'archi-
duc Louis ayant battu en retraite ,
Schlegel rebroussa de même sur
Vienne et plus loin ; et il vit de ses
yeux, après la défaite de Wagram,
le monarque autrichien donner sa
fille à Napoléon. Il n'avait pas prédit
ce dénouement dans ses sonnets. En
revanche, il adressa cet adieu k la
future impératrice des Français :
c Ayez , Madame , la tête et le cœur
de Marie-Thérèse » {Bel dir sei The-
resta' s Geist und Muth!) L'histoire
dira si le vœu a mieux été réalisé
que la prophétie. Le gouvernement
autrichien cependant ne feignit point
l'entente cordiale avec le cabinet des
Tuileries; et Marie-Louise était à
peine partie, que Fréd. Schlegel
fonda en société avec Pilât, le secré-
taire particulier de M. de Metternich,
cet Observateur autrichien qui re-
cevait les élucubrations de Gentz
(voy, ce nom, LXV, 242) et con-
sorts, et où tout ce qui se passait
en France, en Espagne et dans la
confédération germanique était pré-
senté sous le jour le plus vrai, disait-
on , mais en réalité sous le jour le
plus hostile. Nul doute que le tout
ne fût rédigé sous l'inspiration très-
directe de la chancellerie , et que
grand nombre d'articles n'eussent,
quoique non avoués, une valeur of-
ficielle. Schlegel même ne figurait
guère là que comme prête-nom. Dès
1811, il abandonna la rédaction à
Pilât et à son collaborateur Hart-
SCH
inann. Aussi euML le temps de faire
à Paise, sur l'histoire et sur la litté-
rature, des leçons qui remplirent la
plus grande partie de 1811 et de
1812, et qui furent suivies d'un plein
succès. Cependant les oscillations de
la campagne de 1813 avaient décidé
le beau-père de Napoléon à se sépa- ,
rer de son gendre et même à le com-
battre. Schlegel alors fut arraché à
son repos pour rédiger un pam-
phlet qui devait préparer Topinion
à ce revirement. Il portait assez de
haine à la France en général , à Na-
poléon en particulier, pour saisir
avec bonheur cette circonstance et
pour plaider avec véhémence en fa-
veur de la solution qu'allaient adop-
ter ses maîtres. Il fut anobli à cette
occasion. Après le congrès de Vienne
et lors de l'organisation de la diète
fédérative, il suivit à Francfort-sur-
le-Mein, comme premier secrétaire
d'ambassade , le comte de Buol-
schauenstein, nommé président de la
diète. On se promettait sans doute
beaucoup de son influence parmi les
hommes de lettres et les savants.
Absolutiste, mais au nom de cette
idée que la direction des affaires hu-
maines doit être régie par l'intelli-
gence et que l'intelligence générale-
ment est associée au pouvoir et peut
l'être chaque jour davantage, sa-
chant d'ailleurs manier la plume et
la parole, Schlegel en effet devait
inspirer moins d'antipathie aux ad-
versaires des systèmes de l'Aulriche
que beaucoup d'Autrichiens. Toute-
fois, il faut reconnaître que sa con-
version et sa véhémence dans le sens
du principe d'autorité ne pouvaient
être populaires. Et comme chaque
année l'amenait un peu plus près du
mysticisme, il n'eut que peu d'action
sur les affaires auxquelles du reste
il n'était naturellement pas très-apte.
LXXXU
SCH
321
Le gouvernement autrichien le sen-
tit; et finalement Fr. de Schlegel ré-
signa ses fonctions en 1819; mais
il conserva son traitement entier,
c'est-à-dire 3,000 florins, comme
pension de retraite. Sa vie , depuis
ce moment, fut exclusivement intel-
lectuelle. 11 semblait croire qu'il
avait pour mission de combattre,
soit au nom de l'histoire univer-
selle du monde, soit de par la philo-
sophie et Va priori, ce qu'il nommait
l'esprit raisonneur du siècle ; et il
sortait volontiers de la contempla-
tion pour la polémique ; il entrete-
nait des correspondances avec le
maître et les coryphées de doctrines
excessives comme les siennes ; il
prétendait par des leçons publiques
porter le coup de mort à l'espri! de
liberté, et avancer le « règne de vé-
rité. ' Il entreprit ainsi à Vienne,
en 1827, un cours sur la philosophie
de la vie, et il y laissa éclater un
mysticisme très-exalté, proclamant
la lumière magnétique, ne reculant
ni devant la doctrine des nombres
ni devant la série des illuîninations
progressives de l'âme. Toutes singu-
lières que peuvent et doivent sem-
bler ces théories, le professeur trou-
va encore assez de curieux ou même
d'approbateurs pour pouvoir avec
avantage livrer ses lectures à l'im-
pression, et pour souhaiter recom-
mencer cette exposition sur un autre
terrain. Aussi le vit-on, à la fin de
1828 et à Dresde, où il revenait tou-
jours avec plaisir, ouvrir un cours
sur la philosophie de la vie ; et quoi-
qu'il y eût quelque chose à payer pour
la carte d'entrée, son auditoire se
composait bien de cent cinquante des
premières personnes de la ville. Il
n'eut pas le temps de mener à fin ses
leçons. Une apoplexie le frappa su-
bitement, le 12 janvier 1829, au sor-
21
322
SCH
tir du dîner-, et il rendit le der-
nier soupir dans les bras de sa nièce,
avant même l'arrivée du docteur
qu'on s'empressa de mander. Cet
événement n'était peut-être pas im-
prévu: Fréd. Schlegel avait tcAijours
eu à redouter physiquement le trop
de santé , et il eût été pour lui d'une
sage hygiène de faire plus fréquem-
^ ment diversion aux travaux d'esprit,
aux études ou à la méditation, sinon
par de rudes exercices, au moins par
de longues promenades. Cela eût
mieux valu que de s'abandonner
comme îl le faisait à des prévisions
mélancoliques qui venaient le saisir
de temps à autre au milieu de ses
rêves mystiques, et de prophétiser à
ses amis , à Tiek entre autres , que
brève était la distance qui le séparait
de la tombe. Toutefois on peut dire
qu'intellec4uellement il avait four-
ni toute la série de ses évolutions,
et que désormais on ne pouvait
plus attendre de lui rien d'impor-
tant. Nous l'avous vu parcourant
successivement les divers points
d'une orbite assez vaste pour sem-
bler presque en contradiction avec
lui-même , concevant d'abord l'art
comme les Grecs, et croyant qu'il
reproduit par l'intelligence et pour
le mettre sous les yeux l'intellec-
tuel de la nature , puis faisant pré-
dominer et les esprits matériels de
cette même nature et la sensibilité ;
pais quand il est frappé des varia-
tions, de l'incertitude que ce point
de vue entraîne, allant chercher son
invariable, sa loi, hors de l'intelli-
gence humaine et dans l'autorité ,
comprenant ainsi les hautes beautés
de l'art chrétien et du moyen âge,
mais les dérivant toutes de cette
idée , abondant dès lors de plus en
plus dans sa divinisation de l'auto-
rité, dans ses dithyrambes à la ré-
SCH
vélation et à l'Égliye romaine , et
après avojr transplanté dans l'art des
idées légilimesseulement en religion,
les relransplantant dans la politique,
el par suite de cette exaltation qui
grossit et martingale sans cesse, abou-
tissant au mysticisme. Évidemment
le but était dépassé depuis long-
temps, et même depuis long-temps
Schlegel avait cessi^ de mêler des
traits de lumière à ses ténèbres , des
jugements équitables et impartiaux
à sa partialité, à l'injustice trop fré-
quente de beaucoup de ses appré-
ciations. Sous ce point de vue comme
sous celui de l'originalité de sa cri-
tique primitive, il reste bien au-
dessous de son frère Auguste-Guil-
laume, avec lequel il a certes beau-
coup de points de contact. On les
avait nommé les Dioscures littérai-
reSy et, en effet, ils méritaient ce
nom. Ainsi qu'Auguste, Frédéric a
uni ses créations poétiques à la criti-
que ; ainsi qu'Auguste il a cru que les
formes littéraires de toutes nations et
de tout â^^e devaient être méditées à
fond et comprises au lieu d'être mé-
prisées sur parole, et par là il a donné
l'élan et la vogue à l'histoire litté-
raire, dont la nécessité n'avait ja-
mais été suffisamment comprise. Ainsi
qu'Auguste il a pesé et préconisé
comme source de l'art l'inspiration,
la nature; ainsi qu'Auguste il a voué
au mépris et à la haine les pro-
ductions françaises , surtout celles
du théâtre, et il a vaillamment con-
tribué au triomphe de l'élément ro-
mantique; ainsi qu'Auguste il a été
idolâtre de Goethe et deShakspeare;
ainsi que lui il a étudié la langue
comme les mœurs, les phases du dé-
veloppement intellectuel des Hin-
dous, et il a été très-décidément un
des créateurs du mouvement qui a
porté tant de linguistes vers l'étude
SCH
de la langue et de la littérature sans-
crites. En tout ceci pourtant il a
beaucoup plus subi qu'exercé d'in-
fluence, si on le compare à son frère ;
et l'originalité qui lui reste consiste
à peu près uniquement dans cette
espèce de mouvement sans arrêt qui
le fit aboutir au mysticisme. Ce sera
un titre plutôt à l'attention curieuse
qu'à l'admiration réfléchie de la pos-
térité. Se convertir, changer d'avis
pour mieux faire, est certes chose
louable , mais ne prouve pas une
rectitude, une fermeté d'esprit ex-
trême, surtout si l'on change plus
d'une fois ; puis il est toujours fâ*
cheux de changer en présence de
tous, de formuler successivement
les deux opinions par la presse, de
se déjuger du haut de la rampe, le
parterre pouvant à son choix crier
bravo ou siffler. On voit par exemple
chez Schlegel converti nombre de
passages où sont prodigués au ma-
riage des éloges extatiques, qui ne
vont à rien moins qu'à en faire l'état
par excellence , le sanctuaire moral
de la vie terrestre, etc., etc. (nous
supprimons les images les plus vives,
les métaphores les plus exaltées);
rien de mieux , mais tout ce lyrisme
est-il bien persuasif, quand d'une
œuvre antérieure (Lucinde) ressort k
peu près le contraire ? et les gens
sages ne se diront-ils pas tout sim-
plement que ces deux peintures si
diverses, tracées sans doute avec
sincérité autant qu'avec verve, ne
sont en définitive que deux boutades
différentes d'un homme extrême
dans ses sensations de bonheur
comme dans ses sensations doulou-
reuses, et que le vrai se trouve à
égale distance de toutes les deux? Il
n'y a pas jusqu'à l'orthodoxie de Fr.
Schlegel qui ne puisse être sérieu-
sement contestée. L'Église romaine,
SCH
323
sans doute , peut être flattée de ral-
lier nominalement un tel homme;
et les hommes de bon goût et de
bon sens avec lesquelsil se trouvait
marcher dès lors sous le même éten-
dard , ne croyaient pas bien néces-
saire de discuter trop sévèrement
les détails de sa foi. Au fond pourtant,
et même avant qu'il se fût placé sur
le terrain périlleux du mysticisme,
les scrupuleux ne se sentaient pas
pleinement édifiés sur sa foi ; et son
catholicisme ressemblait fort à une
espèce de panthéisme chrétien. H
est plein de douceur pour l'Inde,
il n'a pas assez d'encens pour Cal-
déron,'dont pourtant certaines idées
qui semblent chez lui fondamentales
( témoin La vie est un songe , et
Tout est véritéf tout est mensonge)
ne choqueraient point un yogi qui
voit dans le monde la Maïade Brahm
et le but de l'être dans la nivritti.
Tout mysticisme d'ailleurs n'impli-
que-t-il pas un panthéisme? et dès
lors si Schlegel finit par être mys-
tique, n'est-ce pas parce qu'aupara*
vaut il était à son insu ou à son es-
cient panthéiste? L'analyse de son
Histoire de la littérature en pré-
sentera encore d'autres preuves.
Tout ceci d'ailleurs s'accorde très-
bien avec les qualités d'esprit et de
style de Schlegel. Il savait penser,
mais il ne savait pas toujours dé-
gager Sa pensée de nuages ; il voyait
beaucoup, mais sous une face ; il
écrivait avec éloquence, véhémence
même, mais bien souvent avant d'a-
voir mûri ses idées, et son style réagis-
sant sur l'idée, tandis que c'est à l'idée
d'agir sur le style , il s'affermissait
pour un temps dans un point de vue,
parce qu'il l'avait exprimé ; puis, plus
tard, la force analytique du langage
amenait à passer sous ses yeux des élé-
ments de détails non vus d'abord an
21.
324
SCll
moment où il construisait \e système;
il voulait en tenir compte et com-
pléter; en complétant, il sortait de
la position puise ; en sortant de la
position prise, il changeait. Il avait
imparfaitement niesu-^é sa parallaxe,
dès lors il avait mal fait le calcul, il
revenait sur sa mesure. Plût au ciel
que c'eût toujours été pour faire
mieux ! Un autre reproche très-
grave dont ses panégyristes ne sau-
raient le sauver, et qui se lie très-
bien aussi avec ce que nous savons
de lui, c'est son manque de persé-
vérance pour épuiser une matière
ou achever un grand travail.Jl en-
tamait avec transport , continuait
avec tiédeur et n'achevait pas ; la
trace s'en montre non-seulement
dans ces ouvrages dont il n'a pas
donné le deuxième volume, mais
même dans ceux qui matériellement
sont contenus en un seul. — Voici
dans un ordre méthodique les ou-
vrages de Fr. de Schlegel, en com-
mençant par les livres et morceaux
critiques, soit qu'ils appartiennent à
la critique pure, soit qu'ils s'y rap-
portent comme histoire littéraire ou
préludes. I. Sur la poésie des Grecs
et des Romains, Hamb., 1797, et His-
toire de la poésie épique parmi les
Grecs , ou Coup d'œil rétrospectif
sur les vues de Wolf^ relativement
aux poèmes d'Homère. Ses deux
premiers articles du Berlin' s Mo-
natschift étaient la base du premier
de ces ouvrages ; mais il y ajoutait
des détails et des preuves quant à la
partie grecque, et la comparaison
avec les phases du développement
poétique à Rome achevait d'élargir
le sujet premier. Toutefois, il s'en
faut de beaucoup qu'il l'eût traité dans
toute son étendue et avec toute la
profondeur souhaitable. Seulement,
relativement à son âge, il y avait là
SCH
un vrai mérite, des vues originales
et une force de critique à laquelle on
n'était pas habitué. II. Histoire des
Grecs et des Romains^ t. 1®% 1*^* par-
tie, Berlin, 1798. Nous avons dit plus
haut quelque chose de cet ouvrage,
qu'on pourrait presque regarder com-
me la continuation du premier ,
bien que le progrès y soit sensible.
III. Entretiens sur la poésie y 1800.
Il y pose en principe que le symbole
et la mythologie sont inséparables de
toute vraie poésie ; et l'infériorité
poétique de l'âge moderne, relative-
ment à l'âge ancien, tient justement,
dit-il, à cette absence de mythologie,
d'aperception symbolique du monde.
« Mais , ajoute-t-il , cette absence
cessera , le temps approche où l'âme
humaine pensera derechef par sym-
boles, et alors nous pourrons tout
de bon essayer d'avoir un art et une
science, impossibles jusque-là. » IV.
Essai sur la langue et la philosophie
des Indiens (trad. en fr., 1° par Man-
get, Genève, l809, in-12 ; 2" par Ma-
zure, Paris,1837, in-8*'). Comme nous
l'avons dit, ce volume a eu le mérite de
provoquer les études sanscrites, mais
il a été depuis long-temps extraordi-
nairement dépassé. Il se compose de
quatre livres, consacrés le premier
à la langue, le deuxième à la philo-
sophie, le troisième à l'histoire, et le
quatrième à la poésie des Hindous.
Ce dernier, à trois ou quatre pages
près, ne contient que cinq fragments
poétiques (le commencement du Ra-
matana^ la Cosmogonie selon le
premier livre des lois de Manou, un
extrait du Bhagavat-Gîta et deux
passages de V Histoire de Sakountala
d'après le Mahabharata). A coup sûr
ces fragments offraient un grand in-
térêt en un temps où l'on ne possé-
dait ni la traduction de Sakountala,
par Chézy, ni celle du Dharmasas-
SCH
ira , par Loiseleur-Deslongchamps ,
ni même celle du Bamaïana en an-
glais, par Wilkins. Toutefois, l'on ne
peut s'empêcher de regretter que
Frëd. Schlegel n'ait pas placé en tête
au moins quelques linéaments de
riiistoire littéraire de l'Inde, n'eus-
sent-ils été que des jalons pour une
his-toire littéraire future- Il était cer-
tainement possible dès-lors de se les
procurer un peu moins secs et moins
informes que les maigres indications
placées au bout du livre deuxième.
Le dernier, au reste, est lui-même
très-insuffisant. Colebrooke, dans ses
Mémoires sur les Védas {Âsiat. Re-
search., VIII, 77), avait été beaucoup
plus riche et plus précis sur les sectes
philosophiques de Tlnde, bien que
moins fécond en rapprochements
avec les écoles de la Grèce. Schle-
gel ici pèche sous deux rapports :
1° quoique généralement assez vrai,
ii flotte, il est vague, et il lui arrive
même de s'égarer tout-à-fait, sur
le Sankhya, par exemple, dont il mé-
connaît le caractère matérialiste;
2° toutes proportions gardées , il est
beaucoup trop longet il hasarde beau-
coup dans les filiations de doctrines
qu'il suppose dans l'Inde ou hors de
l'Inde. On peut lui contester, de sys-
tème à système , la différence essen-
tielle, dit-il, qu'il signale entre le
système de l'émanation et du pan-
téisme. Dans l'exposition même du
panthéisme il oublie de mention-
ner que le monde et Brahma ne sont
pas adéquates, même comme illusion
figurée et être suprême, mais que le
monde n'est localisé que dans un
quart de cette substance souveraine ,
dont trois quarts débordent la vaste
totalité des Lukas. Les deux livres
restants sont sujets à beaucoup moins
de reproches, mais c'étaient aussi les
plus faciles. Celui qui traite de la
SCll
323
langue est principalement remar-
quable. S'il n'épuise pas la fleur du
sujet, il donne du moins des indica-
tions justes; il met bien en relief la
phénoménologie grammaticale du
sanscrit; il tient égal compte des
radicaux et de la syntaxe ; il place au
juste point de vue l'affinité des lan-
gues indiennes et de celles de l'Eu-
rope , ainsi que de quelques langues
intermédiaires. Enfin, chose remar-
quable chez lui , il ne sacrifie pas à
la chimère d'une langue mère uni-
que, mais il voit simplement des fa-
milles de langues,et il se tient au moins
dans une sage neutralité. L'histoire,
qui forme le sujet du quatrième li-
vre , présente plusieurs morceaux
importants, principalement dans le
chapitre premier relatif à l'origine
de la poésie, aux mythologies , et
dans le troisième, qui a pour litre:
Des colonies et de la constitution de
VInde, Lors même qu'il ne donne
pas de solutions, ou que ses solu-
tions ne peuvent plaire, on a là, du
moins, un excellent programme de
questions. V. Histoire de la litté-
rature ancienne et moderne^ Vienne,
1815; trad. en fr. par W. Duckett,
Pans, 1829, 2 vol. in-8° (1). C'est
de tous les ouvrages de Schlegel le
plus connu en France, parce que
long-temps ce fut avec Lof fter et Mwi-
ler et avec ['Essai sur la langue et
la littérature des Hindous, le seul
qui eût été traduit en français.
L'exposition est généralement claire :
le style est beau, l'auteur semble
dominer son sujet avec le plus
grand calme et n'être mû en écri-
vant par aucune passion. Cette ap-
parence d'impartialité commence par
(i) M. Duckett a désavoué sa traduction,
effectivement très-imparfaite. M. Quérard
persiste a la lui attribuer {Fr, htt.,\lll,S2'S).
326
SCH
SCH
prendre le lecteur. 11 laiit du temps ou
une grande habitude, une grande
connaissance des matièhes parcou-
rues par Frédéric, pour s'apercevoir
que trop souvent les preuves man-
quent, qu'il entasse les hypolhèses,
qu'il oublie de citer les auteurs qui
pourraient déposer contre ses théo-
ries, qu'il omet tout ce qu'il lui con-
vient d'omettre. Ainsi, par exemple,
il ne nomme pas Démosthène, dont
tout le tort à ses yeux était sans
doute d'avoir lutté contre la pré-
pondérance de Philippe. Il assure
que les nobles sont les précep-
teurs naturels du genre humain,
rôle que, même au point de vue
absolutiste, le clergé aurait beau-
coup plus droit de revendiquer.
Toutefois, il est un grand nombre de
points habilement et lumineusement
touchés. Son plan , qui consiste
à partir de la Grèce pour revenir en-
suite à l'Orient, quand les arts de la
Grèce sont fécondés et un instant re-
nouvelés par le mélange des tradi-
tions indiennes, hébraïques et per-
sanes , est ingénieux. Rien de plus
juste que sa distinction du dévelop-
pement intellectuel de la Grèce, qui
est pur et tout-à-fait indépendant,
tandis qu'en Orient il est soumis aux
entraves d'une constitution sacerdo-
tale, et qu'à Rome il subit Tascendant
de la politique. Il explique très-bien,
s'il ne légitime, le défaut de patrio-
tisme de Pindare et son peu de sym-
pathie pour les victoires sur les Mè-
des; il saisit parfaitement dans Vir-
gile le poète national ; il est impar-
tial pour Tacite, ce qui peut étonner
un peu. Il signale avec raison le
commencement d'une phase nouvelle
à l'avènement d'Adrien , et à quel-
ques inexactitudes, quelques oscilla-
tions près, il trace savamment les
principales lignes du tableau des
écoles mystiques alexandrines ; il sai-
sit et fait comprendre l'attitude diffé-
rente du savant de l'Orienietdecelui
de l'Occident vis-à-vis du christianis-
me.Toutce qui vient ensuite, legrand
rôle du christianisme , son influence
au moment de l'invasion , l'heureuse
et féconde pression qu'il exerça sur
les barbares, son alliance avec le gé-
nie du nord, et, en tête des produits
qui en sortirent, la formation du nou-
veau génie poétique qui donne la che-
valerie, les trouvères, les légendes
et grands cycles épiques, l'idéali-
sation de la femme et de l'amour, le
roman, est aujourd'hui acquis à
l'histoire littéraire comme axiome
ou comme simples éléments , fa-
miliers à quiconque effleure ces ques-
tions ; et si Schlegel n'a pas été le
seul à importer ces résultats , qui se
révélaient en même temps à plus
d'un savant, il a eu certainement sa
bonne part de la découverte comme-
de la vulgarisation. Nous ne le sui-
vrons pas dans ce qu'il dit de la lit-
térature provençale , des chants
du Nord, de l'Edda, de la littéra-
ture runique , des Niebelungen ,
du Romancero (quoique là par-
ticuhèrement il soit admirable),
du drame espagnol et surtout de
Calderon , qu'il classe à la tête de
tous les poètes dramatiques, sans en
excepter Shakspeare. Nous avoue-
rons qu'au cas même où nous accep-
terions ce jugement (que nous com-
prenons comme résultat), ce ne
serait ni à cause du Prince Constant
et de l'Adoration de la croix ^ ni de
par ce principe que le but de l'art
doit être l'édiflcation des masses,
l'explication religieuse de l'énigme
de la vie. Nous sommes un peu sur-
pris aussi de le voir préférer Ca-
moëns au Tasse; et comme le Tasse
à son tour est mis au-dessous de
SCH
SCII
827
Dante, Dante par cela même est
déclaré inférieur à Camoëns. En
revanche, le mouvement et le carac-
tère de Luther sont parfaitement
retracés ; et justice éclatante est ren-
due au formidable réformateur. Il
n'en est pas ainsi de Descartes , de
Pascal, de Kant lui-même, de Schil-
ler, auquel il semble égaler Werner.
Quant à la période contemporaine
dont ces deux derniers noms font
partie, s'il n'apprécie pas toujours
avec justesse , s'il garde toutes ses
sympathies pour les Novalis, les
Saint-Martin, les Stollberg, s'il voit
au travers du prisme mystique et
avec toutes les illusions du verre
grossissant la portée des doctrines
qu'il affectionne, il décrit du moins
avec justesse et en témoin qui sait
comprendre autant que voir le mou-
vement intellectuel au milieu duquel
il a vécu. Enfin sa vue dominante,
qui consiste à classer les litté-
ratures diverses, non d'après ce que
nous croirions leur mérite comme
produits de l'art , mais d'après l'in-
tensité ou l'efficacité plus ou moins
sensible de leur tendance religieuse,
cette vue, quoique fondamentalement
fausse au moins sous deux rapports,
peut mener pourtant à des formules
plus heureuses, et donne lieu à bien
des aperçus nouveaux, piquants ou
riches en corollaires. Peut-on en dire
autant d'une autre idée qu'il repro-
duit plus d'une fois sous formes di-
verses dans le courant du livre, et
suivant laquelle ce serait une inter-
prétation incomplète et insuffisante
que les deux dont on se contente
pour les livres saints (celle de la
lettre et celle de l'esprit)? Il faut,
dit-il, il faut une troisième interpré-
tation « plus élevée que les précé-
dentes et ayant pour base le sens
mystique caché, lequel, avec ou sans
figure, repose sur le mystère de Tâme
et de son union avec Dieu. » C'est
un point délicat sur lequel nous lais-
serons statuer lesjuges en matière de
foi. VI. Lectures sur la philosophie
de rM'sfoire, Vienne, 1829, tr. enfr.
par l'abbé Lechat, Paris, 1836, 2 vol.
in-8». Bien que nous rangions ce livre,
le dernier qu'ait publié l'auteur, au
nombre de ceux qui ont trait à la
poésie, aux beaux-arts ou à la scien-
ce, c'est à peine si Fr. Schlegel s'y
occupe de ces matières. C'est sur-
tout la civilisation, la destinée hu-
manitaire qu'il étudie. Tout son
livre, dont au reste la lecture est
attrayante pour quiconque réunit
un peu d'enthousiasme à l'amour
des idées collectives , est une
utopie du passé, du présent et de
l'avenir. Il déduit toute la série des
événements humains de l'Être même,
de l'Être un et suprême, de l'Être
aux trois attributs. Verbe, Force,
Lumière; le Verbe a révélé, la Force
propage le Verbe par toute la terre,
la Lumière sera le partage des intel-
ligences européennes, initiatrices et
dominatrices du monde. Et d'autre
part, cependant , il affiche la pré-
tention de fortifier par des faits les
idées qu'il émet; il exploite, s'il ne
les résume complètement, et sous
leur vrai point de vue , les travaux
desColebrooke,desChampollion,des
Rémusat , des Humboldt , des Schu-
bart. Ses chapitres sur les mœurs,
les institutions et l'état social des
Chinois, des Égyptiens, des Hébreux,
des anciens Germains , celui des
Guelfes et des Gibelins, ceux qu'il
consacre à la réforme, méritent sur-
tout l'attention. VIL Philosophie de
la vie, Vienne, 1825 (trad. en fr. par
l'abbéGuenot, Paris, 1 837, 2 v. in-8«).
Cet ouvrage est la rédaction du cours
qu'il fit à Vienne en 1827, On y
328
SCH
SCH
trouve de belles pages, peu de choses
véritablement neuves, même comme
forme, une philosophie surannée,
qui a la prétention d'être populaire,
et qui ne manque pas de certain
piquant, bien qu'elle ne puisse ni
être soutenue, ni même exercer d'ac-
tion un peu sérieuse. VIII. Tableau
de l'histoire moderne, Vienne, 181 1
(trad. en Ir. par Cherbuliez, Paris,
1830, 2 vol. in-80). IX, X, XI.
Sa part aux trois recueils pério-
diques ci-dessus nommés, VAthénée
de Berlin ( avec son frère et Tieck),
les Caractéristiques et Critiques
(avec son frère), et VEurope, à peu
près à lui seul ou du moins sans col-
laborateurs importants {voy. la fin
de l'article relatif à sa femme, Do-
rothée de Schlegel). Ses articles
pour VAthénée sont les plus faibles.
Dans les Caractéristiques il en a
d'excellents, quoique généralement
un peu sévères, sauf lorsqu'il s'agil
de Gœthe. Ce sont au total ceux
dont on peut le mieux adopter les
résultats, et où l'on peut presque
toujours profiter des remarques sans
être obligé de les modifier profondé-
ment. Dans l'Europe, le talent est
plus transcendant, et pour un esprit
supérieur et habile à trier le bien
d'avec le mal, c'est là qu'il y a le plus
à gagner -, mais c'est là aussi qu'il y
a le plus à se défier. XII. Le Musée
allemand^ autre recueil périodique,
Vienne, 1810-1813, 2 vol. in 8°. XIII.
Concordia, revue destinée à con-
cilier les opinions sur la politique, la
religion et lesarts. XIV. VAlmanach
patriotique,iSOQ.XY.])[yersarticles
éparsdans d'autres recueils, et parmi
lesquels nous mentionnerons, outre
son double début dans le Ber^ i)fo«a<-
schrift ^ 1° Gœi/ie( fragments) dans
l'Allemagne de Redchard, 1796, 2«
liv., p. 258, etc.; 2° A l'éditeur de
V Allemagne sur TAImanach des Mu-
ses de Schiller, même rec, 6* liv.,
p. 348, etc.-, 3« Georges Forster,
fragment caractéristique de classi-
ques allemands, dans le Lycée des
Beaux- Arts y t. I, 1" part., 1797;
4° Jugement artistique de Denys sur
Isocrate, dans le Musée attique de
Wieland,t.IIl, 1797. XVI. La tragé-
die &'Alarcos, jouée sans succès à
Weimar et à Berlin. C'est pourtant
l'essai poétique le plus remarquable
de Fréd. Schlegel. XVll. Dts poésies
diverses dans le Jardin poétique
(Dichtergarten) de Rostof, 1807,
dans la Branche d'olivier de Georges
Passyeo, Vienne, 1819-1822, etc., etc.
La plupart de ces morceaux sont ly-
riques , et l'on y distingue notam-
ment les sonnets et les tercets. On a
reproché à Fr. de Schlegel, à propos
de ceux-ci, de trop tenir à la coupe,
de trop rechercher l'élégance, au
lieu de la force, et on lui a dit un
peu aigrement qu'il n'en était pas de
l'Allemagne comme de l'Italie, où,
grâce à la sonorité de la langue, la
forme est tout, le fond n'est rien. Ce
blâme, fondé peut-être pour quel-
ques-uns des in»tateurs de F. Schle-
gel, est peu juste pour lui ; car évi-
demment il ne s'est pas outre me-
sure préoccupé de la forme, mais on
peut lui reprocher d'avoir voulu en
quelque sorte galvaniser sa poésie
en donnant à tous les objets de la
nature, aux végétaux, aux pierres,
aux vents, à l'eau, une vitalité sur-
naturelle , d'avoir semé à pleines
mains l'intelligence ou la sensitivité
à tous les degrés de l'être , d'avoir,
ainsi que le croyant en Brahma, fait
palpiter l'âme universelle dans tous
ses vers. Ce n'est là, au reste, que la
réalisation de ses doctrines, pan-
théistes aux trois quarts et mysti-
ques au grand complet. Nous con-
SCll
SCH
329
viendrons même que, restreint en
certaines limites et harmonieuse-
ment adapté aux sujets, au temps,
aux hommes qu'on fait parler, cet
accent , qui semble animer ei inté-
resser la liature entière aux scènes
qui passent sous nos yeux, peut pro-
duire de gramls effets et procéder
d'une inspiration vraie. Mais il faut
savoir éviter l'aftectation et ne pas
fatiguer. D'autres, au reste, ont fait
comme Schlegel, Shelley entre au-
tres, Shelley, panthéiste aussi, mais
logique et athée; et Ton pourrait
bien rapprocher comme ayant déjà,
quoique moins savamment, penché
vers ce mode de lyrisme, dès le
dix -septième siècle, les poètes
de l'école de Nurenberg, XVIII.
Chants hiéroglyphiques (en tête de
l'édit. des poésies du mystique Nico-
las). Ces chants offrent le même ca-
ractère que nous venons de signaler
dans bon nombre des Poésies diver^
ses. XIX. Une part dans le Promé-
thée de L. de Seckendorf et de Stoll.
XX. Une traduction^ en mètres alle-
mands, des Poésies latines deLother
et de Maller. Ces poésies avaient
été d'abord composées en langue
romane par dame Marguerite, com-
tesse de Vaudemont et duchesse de
Lorraine, puis, traduites en italien,
elles avaient été mises en allemand
en 1405, par dame Elisabeth, com-
tesse de Nassau-Saarbruck, fille de
dame Marguerite et du duc Frédéric
de Lorraine. Quoique , comme on
le devine de reste, il n'y ait point là
mérite d'idées et d'invention pour
l'interprète , on peut dire qu'inter-
préter ainsi c'est presque produire.
La souplesse de la langue allemande
sans doute facilite notablement la
tâche à qui veut reproduire l'allure
et la couleur des débris du vieil âge.
Pourtant , on ne peut méconnaître
que Fr. de Schlegel possède, comme
son frère, un merveilleux talent de
revivifîcation, et que cette traduc-
tion se recommande par une très-
grande supériorité de style. XXI.
Lucinde, ou la Maudite , 1" partie,
1800. La 2« ne parut jamais. Pour
la forme comme pour l'esprit, Lu-
cinde est une copie de la Fiammetta
de Boccace. Pour les curieux d'anec-
dotes littéraires, elle off're cet attrait
tout spécial que Fréd. Schlegel y
retrace, en l'idéalisant beaucoup,
l'histoire de ses amours-, et physio-
logiquement comme moralement il
peut y avoir de l'utilité à mettre en
relief les liens secrets qui unissent
l'exagération des jouissances physi-
ques et des opinions paradoxales à la
folie. Toutefois, il n'y avait là rien
de bien neuf^ et ce n'est que la
beauté de la mise en œuvre, soit
comme peinture d'art, soit comme
souffle éloquent de morale, qui pour-
rait tirer Lucinde de la foule des ou-
vrages où à la suite des passions ap-
paraît la démence temporaire ou
incurable. 11 s'en faut que Fauteur
en soit là : l'accent n'est pas celui du
conteur qui réprouve sévèrement et
avec autorité (au contraire, on pour-
rait y voir le premier manifeste de
guerre du roman anti-conjugal) \ et
son pinceau n'est pas celui de l'ar-
tiste qui sait dégrader les couleurs
et faire aimer ses hérts. Il croyait
qu'on s'amuserait beaucoup de ces
quelques pages de sa vie, et qu'on en
demanderait la suite à grands cris.
Soit que sa célébrité ne fût pas telle
qu'on eût ainsi faim et soif de ses
mémoires ou que l'on trouvât quel-
que fatuité dans ses prétentions, soit
qu'en réalité les lecteurs fussent pé-
niblement alfectés du récit de scè-
nes, les unes très-peu morales, les
autres douloureuses ou flétrissantes.
330
SCH
sa Lucinde n'intéressa pas; elle ne
fut même pas très-Iue, quoique très-
décne'e; et telle fut probablement
la vraie raison qui l'empêcha de
poursuivre , quoique fort souvent
on ait fait honneur de cette inter-
ruption à son désir d'éviter du scan-
dale. Parmi les morceaux de polé-
mique auxquels donna lieu la publi-
cation de Lucinde^ doivent se re-
marquer surtout les Lettres intimes
de Schleiermacher dans VAthe-
nœum. On doit de plus à Frédéric
Schlegel la traduction, en alle-
mand d'une histoire (française) de la
reine Marguerite de Valois, femme
de Henri IV, Leipzig, 1809; les deux
volumes (ci-dessus mentionnés) de
chants et poésies du moyen âge;
un choix des pensées , théories et
croyances de Lessing, sous le titre
d'Esprit de Lessing , etc. , 1804
(recueil où ce qui appartient en
propre à notre auteur dénote beau-
coup d'admiration pour Lessing ,
mais un développement d'esprit en-
core peu avanoé relativement à ce
qu'il devait être); puis conjointement
avec Tieck, une édition des Écrits
de Novatis^ 1802, réimprimés deux
fois encore depuis; et enfin un Al-
manach pour l'an 1806, Berlin, 1806.
Il a aussi été l'éditeur de la traduc-
tion allemande de Corinne; mais ce
n'est pas lui qui se fit ainsi l'inter-
prète de madame de Staël ; c'est , en
grande partie du moins, à sa femme
Dorothée Schlegel qu'il faut en faire
honneur. On avait donné à Vienne,
en 1822 et 1823, une édition , en
douze vol. in-8", des OEuvres com-
plètes de Fréd. de Schlegel , telles
qu'elles étaient à cette époque. On
voit qu'il n'y a que peu de choses à y
ajouter pour qu'effectivement tout
y soit compris. On a publié à
Bonn , en 1836 , un volume de
SCH
fragments philosophiques tirés des
leçons de Frédéric de Schlegel. —
Dorothée de Schlegel , sa femme ,
était fille du célèbre juif Meridelsohn
et avait épousé en premièrps noces
un marchand de Berlin, Simon Veit,
auprès duquel elle jouissait d'une
existence agréable et brillante. N^e
avant 1770, elle approchait de trente
ans, si même elle n'avait dépassé cet
âge, et elle était mère de plusieurs
enfants, quand pour la première fois
vers 1798 elle aperçut Frédéric de
Schlegel. Nous ne dirons pas que
M"* Veit fut une beauté; mais expres-
sive, passionnée, reine d'un petit
cercle sur lequel elle exerçait une
véritable fascination, elle était belle
pour les privilégiés peu nombreux
devant lesquels se déployait dans
son exubérance l'âme éminemment
impressionnable et chaleureuse dont
l'avait douée la nature. Elle sentait
en artiste, elle aspirait à faire sentir
comme elle ce qui l'entourait , son
esprit était cultivé, ses manières
étaient celles du monde. Bientôt une
passion réciproque les unit secrète-
ment ; puis, soit nécessité, soit droi-
ture et franchise, elle se sépara de
son mari, pour devenir la femme de
celui qu'elle préférait. Cette double
'démarche n'eut pas lieu sans reten-
tissement et sans blâme. Mais elle
sut se rattacher et conserver autour
d'elle des adhérents choisis et chers
à son cœur, à commencer parsa sœur
Rachel. Toutefois il est croyable que
si, très-peu de temps après ces évé-
nements, parut le roman inachevéde
Lucinde dont il a été question un
peu plus haut, ce fut le besoin d'une
apologie, indirecte du moins, qui en
éveilla l'idée chez Schlegel. H est
croyable aussi que, si les deux époux
quittèrent Berlin pour aller s'établir
à léna , ce fut aussi pour éviter de
SCH
se trouvpr davantage en contact
avec les témoins de plus d'une scène
orageuse et interprétée à leur désa-
vantage. Mais l'existence étroite
d'Iéna ne put plaire long-temps à
M™« de Schlegel ; et le désir de se dé-
ployer sur un théâtre plus vaste lui
fit songer à tenter la fortune à Paris.
En sibylle inspirée, elle prophétisait
à son époux que de hautes destinées
leur étaient réservées dans la capi-
tale de la France, que ce pays agité
par le besoin d'innovations devait
aspirer à connaître les littératures
étrangères et à se renouveler par elles,
qu'il y avait là une belle place à
prendre pour qui saurait la prendre,
etc., etc. Tout cela ne manquait pas
complètement de vérité. Mais la Vel-
léda brandebourgeoise ne tenait pas
compte du temps qui serait néces-
saire pour que la pression de l'idée
allemande sur la routine française,
qui portait pour enseigne Poétique
d'Aristote, devînt un peu sensible et
eût chance de triompher. Frédéric de
Schlegel n'étaitpas l'homme qu'il fal-
lait pour agir énergiquentent sur
l'esprit des Français ; et sa femme
elle-même, malgré ce qu'il y avait de
séduction dans sa manière et dans
cette alliance d'un esprit fin et cul-
tivé avec les grâces de son sexe, ne
suffisait pas au rôle qu'elle ambition-
nait pour elle et pour lui. L'effet
pourtant ne fut pas nul. Très-certai-
nement ils préparèrent l'impression
plus forte produite par V Allemagne
deM-nedeStaël. A leur thé du di-
manche assistaient, avec des Alle-
mands et divers étrangers, plu-
sieurs Français distingués par la po-
sition ou par IVsprit. C'est chez
M"^«de Schlegel que Chezy rencontra
la baronne de Hastfer, que plus tard
il épousa; et de ce petit cercle com-
mencèrent à rayonner, quoique peu
SCH
331
remarquées d'abord, les premières
influences germaniques. Malgré le
rang élevé que tenait dans ce cercle
la maîtresse de la maison, elle n'at-
fectait point de prétentions extraor-
dinaires ; ou plutôt, si elle affectait
quelque chose, elle affectait d'être la
simplicité même, bien qu'elle fît
quelquefois des lectures devant le
docte cercle. Elle s'effaçait devant son
mari, ne voulant que briller des re-
flets de sa gloire^ elle répétait qu'elle
n'avait d'autre participation à ses
ouvrages que de les recopier; elle
ne confiait qu'à peu d'amis ce qu'elle
écrivait et composait elle-même, et
quelquefois on mit sur le compte de
Frédéric ce qui sortait de la plume
de Dorothée. Ainsi la traduction al-
lemande de V Allemagne est due à
la plume de Mme de Schlegel, et
long-temps on l'attribua au mari qui
sans doute était plus qu'à la hauteur
de cette tâche, mais qui enfin ne
l'avait pas entreprise; et il paraît qu'il
en est de même de plus d'une pièce en
vers ou en prose qui porte le nom de
Schlegel. On doit aussi à cette femme
spirituelle une traduction de mor-
ceaux choisis de Merlin, et divers ar-
ticles de VEurope signés D. Elle
avait résolu de donner une deuxième
partie du Florentin , et elle mit
la main à l'œuvre, mais elle n'a^
cheva pas. Elle entretenait avec ses
amis une correspondance active, et
qui, si elle voyait le jour, offrirait
plus d'une particularité intéressante.
Mme (Je Schlegel survécut dix ans à
son époux, et ne mourut qu'au mois
d'août 1839. P— OT.
SCHLEGEL (Chrétienne-Caro-
line Lucius, dame), morte nonagé-
naire en 1833, s'est fait ou plutôt
s'était fait dès la fin du siècle der-
nier un nom comme femme de let-
tres , à Hue époque où le sexe
882
SCH
SCH
u'avait pas autant de prétentions que
de nos jours à la renomm^'e, et où
surtout il était moins familiarisé avec
les recettes du charlatanisme; et
pourtant on peut tenir pour sûr
qu'elle ne le cédait guère en qualités
brillantes, soit de style, soit de pen-
sée, à la plupart de celles qui ont
jeté le plus d'étincelles et fait pé-
tiller le plus de fusées. Son père oc-
cupait un assez mince emploi dans
les bureaux de la maison privée
d*Auguste III (l'électeur de Saxe,
roi de Pologne) , et comme son
maître, il menait la vie nomade,
tantôt à Dresde, tantôt à Var-
sovie. A Dresde pourtant était son
domicile, à Dresde vivait sa femme,
à Dresde naquit Caroline. Son édu-
cation ne fut pas négligée, mais ne
fut pas dispendieuse. Les fréquentes
absences du père, les habitudes de
la mère, qui s'entendait mieux aux
soins du ménage qu'à la littérature,
le peu d'aisance de la famille , s'op-
posaient à ce que l'on mît à grands
frais la jeune personne en pension.
Mais elle avait le goût de l'étude et
de la lecture; et tout le temps qu'elle
ne passait pas à tricoter, à ravauder
et à coudre, ou à seconder sa mère,
elle le passait avec les livres. Elle
apprit ainsi l'anglais , l'italien, et
surtout la langue française qu'elle
affectionnait et parlait fort bien ; elle
s'appliqua solitairement à traduire,
soit en prose, soit en vers, ce qui
la frappait ou l'intéressait dans les
littératures étrangères; pour per-
fectionner sa diction, elle entretint
une correspondance assidue avec
une amie de son enfance : cette
correspondance élait en quelque
sorte le journal de sa vie intime.
On comprend combien ce genre
d'exercice devait former l'esprit et
le style, en même temps surexalter
l'imagination et le cœur de celle
qui l'entreprenait ; et l'on ne sera
que médiocrement étonné de voir un
jour la jeune Lucius, à l'étroit dans un
cercle par trop domestique, se sentir
la fantaisie d'écrire à Gellert qu'elle
ne connaissait que par ses œuvres,
et par le retentissement de ses cours
à Leipzig, mais dont les œuvres si
délaissées depuis et les cours au fond
si vides exerçaient une fascination
prodigieuse, principalement sur les
femmes. La sentimentalité, la morale
à l*eau de rose étaient en vogue en
cette année 1760; et la religiosité
un peu vague de Gellert, son mysti-
cisme, sa mélancolie, sa phraséologie
aux nuances tendres, prose fouettée
que l'on prenait pour de la poésie,
moins justement que nous prenons,
nous, sa poésie pour de la prose ;
cette espèce de sacerdoce laïc dans
lequel il se drapait, cet appel qu'il
fait à la persuasion au lieu de vouloir
opérer la conviction, tout cela s'as-
sortissait parfaitement au milieu
dans lequel résonnait sa parole.
Ajoutons d'ailleurs que l'âge de Gel-
lert et sa rigidité de principes suf-
fisaient pour prévenir toute mésinter-
prétation. Nous ne savons combien
de temps l'aimable Saxonne com-
battit son idée ; mais enfin, préludant
à la désinvolture du X1X« siècle
et Bettina d'un homme qui n'é-
tait pas Gœthe , mais qu'on divi-
nisait comme Gœthe , le 21 oc-
tobre 1760, elle décocha sa pre-
mière lettre, que suivirent beaucoup
d'autres missives, et encouragée par
les réponses qu'elle recevait de temps
en temps, ellecontinua ainsi neuf ans
durant. La mort seule du fabuliste mit
ïin terme à cette correspondance (3
déc. 1769). Dans l'intervalle au reste
elle avait vuGellert à Leipzig; et ie
digne vieillard qu'elle vénérait comme
SCH
uiip^reenradorantcommeuiihomme
de génie, comme le modèle des ver-
tus et, ce qui re'sumait tout alors ,
comme Têtre le plus sensible, lui
avait fait voir toutes ses lettres réu-
nies et conservées dans une cassette
particulière. Elle eut un autre prtit
triomphe. Une autre jeune fille, une
autre Caroline, M"" Kirchhof de Kott-
biis (depuis M""- GUlde), se mit de
même en relations épistolaires avec
Gellert. Mais suffire à toutes ces
traites tirées sur lui par l'amabilité
féminine était au-dessus des forces
de Gellert, un peu blasé d'ailleurs
comme tous les sultans ^ et, quoique
flatté de Thommage, il envoya les
missives à M"« Lucius, la chargeant
de répondre. Les deux Carolines en-
gagèrentainsi un commerce de lettres
qui dura long-temps , et , bien que
rivales au fond, se lièrent entre elles
d'une amitié dont rien n"'autorise à
suspecter la sincérité; il est vrai que
M™* Giilde mourut fort jeune.
M"^ Lucius était aussi en corres-
pondanceavec plusieurs autres nota-
bilités, avec J. Jakobi, par exemple,
et avec le feld-maréchal comte de
Kaickreuth. Agée de trente-quatre
ans (6 oct. 1774), elle accepta la
main du pasteur de Burgwerden près
de Weissenfels, mais elle n'eut point
d'enfants de ce mariage heureux sous
tous les autres rapports; et six ans
après, elle eut la joie d'unir sa sœur,
plus jeune qu'elle de huit ans, à ce
même GiJlde de Koîbiis , veuf de
son ancienne amie l'autre Caroline,
mais elle la perdit au bout de dix
mois (1781), et il ne lui resta plus
de sa famille que son vieux père qui
lui-même rendit le dernier soupir en
1783. Quant à son époux, il survécut
trente ans encore à toutes ces morts
si rapides , et elle-même elle survé-
cut vingt ans et demi à son mari : sa
SCH
333
lin n'eut lieu en effet que le 21 août
1833. Depuis juin 1814, elle était re-
venue se fixer à Dresde, sa ville na-
tale, avec une fille adoptive dont le
vénérable Schlegeî et elle avaient fait
choix en 1796. Depuis long-temps le
monde littéraire l'avait oubliée. Sa
conversation pourtant était encore
facile et vive : jusque dans le voisi-
nage de sa caducité elle conserva une
grande force de caractère, de la ré-
solution, de la sérénité. A quatre-
vingt-quatre ans moins quelques
mois, elle subit une opération redou-
table au sein droit, et son sang-froid
fut pour beaucoup dans la réussite.
La principale composition de Caroline
Schlegel et celle qui prouve le mieux
ce dont elle eût été capable, avec un
peu moins de modestie et un peu
plusd'encouragement, c'est sa tragé-
die bourgeoise anonyme, intitulée:
Duval et Charmille, Leipzig, 1778.
Ce fut aussi son premier ouvrage.
Reich ne l'imprima que malgré elle.
Le fait sur lequel roule le drame n'est
que trop réel et s'était passé à Dresde.
Caroline, à qui sa sœur le manda,
n'eut ni trêve ni repos qu'elle n'en
eût fait cinq actes en y intercalant
des morceaux de poésie. On y trouve
de l'intérêt, du pathétique, de belles
scènes, mais tout y décèle le peu
d'habitude du théâtre. On doit de
plus à Caroline Schlegel des traduc-
tions des Delights of a religious life
d'Harwuod , Leipzig, 1781, du Rê-
veur sensible^ de Blanchard , Zeitz ,
1799 , 2 vol. ; des tomes 3 et 4 des
Instructions d'un père à ses enfants
sur la nature et la religion, par
Abr. Trembley , Leipzig, 1776-80,
5 voL La traduction a é(é publiée
sous le nom de Klausing. On a im-
primé à Leipzig, en J823, un volume
sous le titre de Correspondance de
Gellert et de M"' Lucius, mais il ne
934
i SCH
SCH
s'y trouve qu'une partie, et même
la moindre partie des lettres de Ca-
roline. P~OT.
SCIILEIËRMACIIEK (Frédéric-
Daniel-Ernest), un des plus célèbres
théologiens protestants , naquit à
Breslau le 21 novembre 1768, et fit
ses premières études au gymnase des
frères moraves à Niesky, où il reçut
une éducation.très-pieuse, puis au sé-
minaire de Barby, et enfin à l'univer-
sité de Halle , où Semler déjà vieux
achevait sa brillante carrière, et où
WolfFcommençait la sienne. Schleier-
macher y obtint de grands suc-
cès, et il fut aussitôt après distingué
par une famille puissante qui le
chargea de l'éducation de plusieurs
enfants. Il fut ensuite vicaire à
Landsberg-sur-la-Warta , puis au-
mônier de l'hospice de la Charité
(1796-1802), à Berlin, où il se lia
intimement avec les Schlegel, et fut
leur collaborateur dans la rédaction
de VÂthenœum {voy. Schlegel dans
ce vol.). Enfin, en 1802,, il fut
nommé pasteur dans un village de
la Poméranie. Sa réputation s'é-
tant alors considérablement accrue,
il fut appelé à l'université de Halle
pour y professer la théologie et la
philosophie, avec le titre de prédi-
cateur de l'université. Son début y
fut très-brillant. Mais l'invasion des
armées de N«poléon (1806) mit fin à
cette belle existence. L'université
ayant été supprimée , et la ville de
Halle condamnée par le traité de Til-
sitt à faire partie du royaume de
Westphalie, créé pour le plus jeune
des frères de Bonaparte, Schleier-
macher revint à Berlin , où quelque
temps il demeura sans emploi ;
mais en 1809 il fut nommé prédi-
cateur à l'église de la Trinité, puis
pourvu en 1810 de la chaire de théo-
logie que l'on y créa cette année.
Reçu en 1811 à l'académie des scien-
ces, trois ans après il devint secré-
taire de la section philosophique
de cette société savante. C'est après
avoir exercé long -temps avec le
plus grand succès ces importantes
fonctions, qu'il mourut dans cette
ville le 12 février 1834. Bien que re-
marquable en philosophie, sans tou-
tefois y avoir été créateur, Schleier-
macher devra surtout un nom dans
la postérité à ses spéculations théo-
logiques. Là véritablement il a été
original.. Pénétré d'un côté, soit de
la puissance de l'ancienne et sim-
ple foi évangélique comme nourri-
ture substantielle de notre sentiment
religieux , soit de l'impuissance du
rationalisme pour satisfaire ce be-
soin, mais, d'autre part, reconnais-
sant le bon droit du rationalisme dans
les questions philologiques, histo-
riques et critiques, et l'impossibilité
de défendre sur ce point la totalité
des solutions traditionnelles ; certain
de plus, et c'est sur ce point qu'il
insistait, qu'il ne saurait y avoir de
contradiction entre la conscience re-
ligieuse et la conscience dialectique
ou métaphysique, toutes deux égale-
ment légitimes, également inhérentes
à l'essence de l'âme humaine , il
prétendit concilier ces deux faits
antinomiques en apparence , et il
s'efforça* de dégager ce qu'il appelait
la substance de la foi chrétienne des
revêtements historiques que la cri-
tique moderne ne saurait désormais
admettre, et l'offrir sous une forme
contre laquelle la dialectique ne
puisse avoir d'objection. Aux yeux
de Schleiermacher, l'essence de la
religion ne réside ni dans la pensée,
ni dans la volonté, ni dans l'union
de la pensée, de la volonté, du sen-
timent. C'est le sentiment seul ^ c'est
le sentiment que l'univers comme
SCH
infini, comme dépassaut la totalité
des choses finies, produit sur l'hom-
me, le sentiment de dépendance ab-
solue de l'homme à l'égard de Dieu
(car telle est la dernière formule à
laquelle il s'est arrêté). Il en conclut
que tout ce qui , dans l'humanité,
relève de la pensée ou de la volonté,
notion, formule, dogme , acte, peut
être plus ou moins étroitement lié à
la religion, mais n'est pas la religion.
Il en conclut aussi que peu importe
à la piété de savoir si le monde a été
créé par l'Être suprême ou est éternel,
tandis qu'elle a besoin de sentir que
le monde n'agit et ne se conserve
que par son action ; et de même pour
le Christ, dont il considère la per-
sonnalité comme le seul exemple qui
ait jamais été de la plénitude de la
conscience divine s'incorporanî dans
la conscience humaine. C'est sur
cette identification complète des deux
consciences ou des deux natures, que
doit se porter, selon lui, le regard
de la piété: la partie miraculeuse de
l'histoire du Sauveur ne lui semble
point essentielle. Wous laissons de
côté les développements très -variés,
très-riches, et certes très-contesta-
bles , mais très-ingéuieux et très-
féconds de ce système religieux. On
comprend qu'il ait été l'objet de beau-
coup d'attaques, de controverses,
el qu'on l'ail en même temps accusé
de panthéisme et d'épicuréisme. Les
rationalistes y ont vu du mysticisme ;
les orthodoxes, du rationalisme^ et
l'auteur ne s'est pas complètement
justifié de ces reproches. Il nous suf-
fira de dire qu'il n'a pas laissé d'é-
cole. Mais son influence ne s'est
point du tout éteinte avec lui, et les
deux écoles contraires qui aujour-
d'hui partagent l'Allemagne Ihéolo-
gique, celle de Nitzsch et Tholuck,
celle de Baur et Strauss, procèdent
SCH
335
de lui. La question telle qu'il l'a po-
sée, et la distinction du christianisme
historique d'avec le christianisme
sentiment sont dorénavant inévi-
tables. Zéié partisan de l'indépen-
dance de l'Église, Schleiermacher
a souvent manifesté une opposition
courageuse au pouvoir politique,
notamment dans l'affaire de la li-
turgie. Enfin il a pris une part fort
active à toutes les questions qui ont
agité l'Église luthérienne pendant
sa vie, et il a publié plusieurs bro-
chures très- remarquables à cette
occasion. Les ouvrages dans les-
quels on peut suivre le développe-
ment successif de son système
religieux sont : I. Discours sur la
religion adressés aux gens in-
struits qui la dédaignent, 1799;
4e édit., 1831. II. Lettres intimes
sur le roman de Lucinde de Fréd.
Schlegel, publiées d'abord dans 1'^-
thenœum^ puis en 1 vol. séparé, 1800.
m. Monologues, 1800; 5eédit., 1836.
IV. Esquisses d'une critique de la
morale telle qu'elle a été systémati-
sée jusqu'à présent, 1803; 2*= édit.,
1834. Y. La Veille de Noël, dialo-
gue, 180(5; 3« édit., 1837. VI. Ex-
posé succinct de la science théolo-
gique,mQ;2^ém., 1830. Vil. La
Foi chrétienne exposée dans son en-
semble , d'après les principes de
l'Église évangélique, 1821-22, 2 vol.
in - 8% 2« édit. , 1830. VIII. Deux
Dissertations, l'une sur la prédesti-
nation, l'autre sur la Trinité. IX.
Deux Lettres à M. de Liicke dans des
Revues théologiques. X. Disserta-
tion sur la prétendue première Épîire
de saint Paul à Timothée, 1807,
in-8°. XI. Sur les écrits de saint
Luc, 1817, in-80. Lors de son pre-
mier séjour à Berlin, Schleiermacher
avait commencé avec Fréd. de Schle-
gel, puis il continua seul et poussa
336
SCH
en avant une traduction de Platon
(1804-1810), qui toutefois fut inter-
rompue après le 6' volume, et ne fut
achevée qu'après sa mort. On lui
doit encore un travail fort étendu
sur Heraclite d'Èphèse , dans le
l^*" volume du Musée de WolfF et
Buttmann, et beaucoup de disserta-
tions et discours lus à l'académie
de Berlin. Z.
SCIILEZ (Jean-Ferdinand), pas-
teur à Schliz, dans le grand-duché
de Hesse-Darmstadt, naquit le 27 juin
1759, à Ippesheim (aujourd'hui cer-
cle de la Rezat, en Bavière), où son
père remplissait les mêmes fonc-
tions. Il avait Tesprit léger, et fort
porté, par conséquent, à s'ennuyer
des matières sérieuses : ses premiè-
res études s'en ressentirent ; elles
ne furent pas absolument manquées
cependant. 11 en fut de même lors-
qu'il étudia à l'université d'Iéna. Il
aborda, il effleura tout : il n'appro-
fondit rien , et toutefois il sortit
de cette école , sachant assez de
théologie et incapable de rester
court. De retour dans la maison pa-
ternelle, il ne tarda pas à devenir
l'adjoint, le second de son père, à qui
son âge et ses infirmités rendaient
difficile l'exercice de sa profession,
et finalement il lui succéda. Quoique
nécessairement la vie d'un ministre
de l'Évangile, à la campagne, soit
des plus monotones, celle de Schlez
fut accidentée par les peines qu'il se
donnait pour introduire mainte pe-
tite innovatioïi dans sa paroisse, par
les obstacles qu'il rencontrait, par
les tiraillemeiils auxquels donnait
lieu cette diversité de vues entre les
opposants et lui. Mais, hors du
cercle étroit l'OÙ se passaient ces
microscopiques événements, le ré-
cit ne saurait en offrir d'intérêt.
Qu'il nous suffise de dire que Schlez,
SCH
dans son administration pastorale,
faisait preuve de lumières, de zèle et
d'activité d'esprit, mais qu'il avait
les défauts de ses qualités, et que
son désir de réformes semblait par-
fois de la manie. Sa parole dans la
chaire évangélique était très- vive ; ^
il improvisait toujours. Il aimait
aussi à écrire. A l'université il avait
fait imprimer quelques vers. Pasteur
d'ippesheim, il donna un recueil de
Poésies, que précédèrent et suivirent
diverses autres publications. En 1799
parut la première édition de son
Grégoire Frappefort (Greg. Schlag-
hart), où se montre à nu le caractère
de son esprit passionné pour ce qu'il 11
croit le bien, acerbe contre la rou-
tine et l'abus, et malgré de bonnes
intentions un peu tyrannique, un peu
étroit. L'ouvrage trouva des cen-
seurs, mais il eut aussi des fauteurs,et
même parmi des personnages consi-
dérables. Un comte de Gœrtz surtoiit
en fut frappé, et bientôt fit venir
l'auteur à Schliz (1800) avec les titres
d'inspecteur et conseiller de consis-
toire. Schlez put alors agir plus en
grand que dans sa première paroisse,
et il développa en même temps avec
plus de convenance,et sans une résis-
tance aussi opiniâtre de la part des
personnes, ce besoin d'améliorations
qui le tourmentait. 11 introduisit une
liturgie nouvelle, il apporta dans
l'enseignement primaire des modifi-
cations nombreuses, heureuses la
plupart, tant pour l'épurement des
doctrines, des lectures, que pour les
progrès de l'instruction ; et généra-
lement il conquit la considération,
la bienveillance de tout ce qui l'en-
tourait. H finit par devenir premier
pasteur de Schliz, et reçut l'ordre de
Louis. Sa mort eut lieu le 7 septem-
bre 1839. Depuis long-temps il ne
prêchait plus, ce qui ne l'empêchait
SCH
pas de jouir de certaine réputation
comme prédicateur: probablement il
préférait ne la pas compromettre.
Parmi ses ouvrages, que nous n'in-
diquerons pas tous, et dont beau-
coup se réfèrent directement ou in-
directement à l'éducation primaire,
on distingue surtout des contes ou
petits romans , qui le placent au
rang des auteurs qui ont su le
mieux parler à l'enfance le langage
qu'elle aime et qu'elle comprend. En
voici les principaux : I. Poésies mê-
lées, 1793. La plupart sont des com-
positions lyriques. Elles ne man-
quent pas de feu, de mouvement,
mais l'enthousiasme, la fantaisie s'y
montrent peu, et au total elles ne se
distinguent pas de la foule des pu-
blications prétendues poétiques que
chaque jour voit naître et mourir.
Schlez est plus lettré que poète, plus
homme d'esprit que lettré. H y a
chez lui beaucoup de spontanéité,
d'heureuses saillies, mais peu de
suite, peu d'instruction, sauf celle
qui s'acquiert par la pratique même.
Lorsqu'il composa ses premières
pièces de poésies, il n'avait, qui le
croirait? il n'avait pas encore lu un
poète allemand. H. Sermons prêches
à la campagne, Heilbronn, 1794,
2 vol. Il en avait déjà fait paraître
un volume à Nurenberg, en 1788.
UT. L'Ami du peuple, pour 1798,
1799 et 1800, Nurenberg. IV. Gré-
goire Frappe fort et Laurent Richard,
Nurenberg, 1799 ^ 2*^ et 3*^ éd., 1803.
V. Petits romans populaires (kl.
romant. Volksschriften), Heilbronn,
1802. VI. Histoire du village de
Traulenheim^ 3® édition, 1817. VU.
VAmi des enfants, 4^ éd., Giessen,
1834., VIII, IX. Oswald entre ses
amis et ses en/ant<?, Darmstadt, 1826,
et Dialogue entre le forestier Oswald
et ses amis, Darmstadt, 1837. X.
r\x\i.
SCH
:{?ri
Paraboles, Gie^^en, 1837. \î. Petiie
histoire naturelle, 2*^ éd.^ Heilbronn,
1829, 2 vol. Le titre allemand (ge-
meinfasslich geordnete u. gemein-
niiz. Naturg.) indique que Schlez n'a
voulu prendre dans l'histoire natu-
relle que ce qu'elle offre de traits
utiles, et n'a présenté des méthodes
que ce que le jeune âge peut com-
prendre aisément. XU. Manuel pour
les instituteurs des écoles populaires,
2« éd., 1837, G vol. XUL La morale,
en exemples, 4^ éd., Giessen, 1824.
P-^OT.
SCHLIPPENBACH (Ulric-Hex
ri-Gustave, baron de), littérateur
allemand, naquit à Gros-Wormsahten
en Courlande en 1774. S'étant pré-
paré à la carrière des emplois publics
dans les universités de Kœnigsberg
et de Leipzig, il revint dans sa pa-
trie et fut nommé en 1799 notaire
provincial, et en 1807 landrath (es-
pèce de sous-préfet) du cercle de
Pilten, et directeur de la chancellerie
du comité de l'ordre équestre. Deux
ans après, le gouvernement russe le
nomma membre de la commission
législative ; il fut dans la suite ad-
joint à la commission chargée de
préparer l'amélioration du sort des
paysans en Courlande, et il rédigea
les résultats des travaux de cette
commission ; ce qui lui procura, de la
part de l'empereur Alexandre, des
témoignages de satisfaction, tels que
la jouissance temporaire d'un do-
maine de la couronne. U avait été
admis en 1808 dans le nouvel ordre
de Malte que le gouvernement russe
avait vainement essayé de restaurer.
En 1818, Schlippenbach entra en
qualité de conseiller dans la cour de
justice supérieure à Mittau, et quatre
ans après il eut la présidence de la
commission législative pour sa pro-
vince; l'empereur lui donna la déco-
22
:î38
SCH
SCH
ral»»»n de l'ordre* «le Sainte Anne. Ce
nMgistral fonda en 181G la soeiélé
couilandaise pour la littérature et
les arts. Il mourut à Mittau en 1826.
Qu()i(|ue fonctionnaire public russe,
il a loujoiirs écrit en allemand. Ses
ouvrages sont : I. Curonia et Wega^
ouvrage périodique qu'il publia de-
puis 1806 jusqu'en 1809. II. /conoio^ie
du siècle actuel, Riga, 1807.111 Péré-
grinations pittoresques dans la Cour-
lande, ^i^a^iSOd. {\. Poésies y M\i\au y
1812. On dit que Schlippenbach im-
provisait facilement des vers et de la
musique. V. Mémoires pour servir à
l'histoire de la guerre, Mittau, 1813,
4 cahiers. \i. Fleurs de la vie, Ham-
bourg, 1816, 2 vol. Vil. Souvenirs
d'un voyagea Pétersbourg en 1814,
Hambourg, 1818. 2 vol. Voy. Zeit-
genossen, 3e série, tome II. D— g.
SCHMALTZ (lecomtede),publi-
ciste allemand, s'est fait une re-
nommée très-impopulaire en 1815 et
Î816 par ses fougueux écrits contre
les sociétés secrètes et les principes
qu'elles voulaient propager. Né à
Hanovre eu 1759, il était professeur
de droit public à Berlin et conseiller
intime du roi de Prusse, lorsqu'il
publia en 1815 un ouvrage inti-
tulé : Le Tugend-Bund et les sociétés
secrètes. C'était une vive attaque
contre toutes les associations pa-
triotiques de 1813. H y traitait
de révolutionaaires , de démago-
gues , les membres de ces sociétés.
Bliicher, Gneisenau, Grûner, qui,
après avoir pris tant de part à leur
formation , en demeuraient encore
les soutiens, n'y étaient pas épar-
gnés. Schmaltz accusait ces ar-
dents patriotes de marcher à la
destruction des trônes par leurs me-
nées démagogiques , et peut-être
qu'en cela il oubliait trop que c'était
à eux au contraire que le roi de Prusse
devait le rrlahlissemenldu sien. Mais
la victoire obtenue, on sait que les
puissances germaniques tinrent peu
de compte des promesses qu'elles
avaient faites dans ce genre, au jour
des levées en masse et du soulève-
ment contre l'oppresseur de l'Alle-
magne; que, Napoléon vaincu, l'Eu-
rope cul peur de l'incendie qu'elle
avait elle-uiêmealiunjé-, de là résulta
la prudente nécessité d'éteindre
l'embrasement qui menaçait de
s'étendre : c'est ce qui explique
l'appui quetrouvaSchmallz àla cour
de Berlin. On a même dit, avec quel-
que raison, qu'il n'entreprit sa guerre
de plume contre les idées libérales
que d'après les insinuations du ca-
binet prussien. Quoi qu'il en soit,
il fit hommage de son écrit à Frédéric-
Guillaume III, qui lui en témoigna sa
satisfaction, en le décorant de l'ordre
du Mérite civil. Cette première bro-
chure fut suivie de quelques autres,
non moins vives en faveur de l'auto-
rité royale, et bientôt toute l'Alle-
magne retentit de ces publications.
Des réfutations acerbes, railleuses,
surgirent de tous côtés , dénonçant
l'esprit anti-national du conseiller
Schmaltz ; on traita ses écrits d'infâ-
mes libelles, de calomnieux pam-
phlets. La passion s'en mêla, et cette
querelle politique faillit se transfor-
mer en une luttearmée. Trois officiers
des gardes adressèrent des cartels à
Schmaltz, qui laissa à l'autorité le soii!
de répondre à ces provocations, dont
les auteurs furent arrêtés et punis.
Désormais il fut en butte à la plus
grande impopularité; les attaques,
les récriminations, les injures même
vinrent fondre sur lui. Un docteur
en philosophie, M. Fœrster, qui avait
combattu dans la guerre nationale,
le somma de se présenter au milieu
du grand auditoire pour y soutenir
SCH
publiquement, coutre lui, les thèses
de ses écrits; ce n'était plus une
rencontre sur le terrain, mais un duel
académique. Dans la brochure que
ce zélé patriote lui adressa, sous le
titre De l'enthousiasme des Prus-
siens en 1813 , il disait qu'en com-
mençant sa lutte littéraire avec
M. Schmaltz, il invoquerait le Dieu
qui l'avait protégé dans les combats
et qui l'avait guéri de ses blessures.
« Toi, ajoutait-il, toi mon adversaire,
« fais aussi ta prière à Dieu si tu le
« peux , sinon invoque les faux dieux
• à qui tu as vendu ton âme. » Mal-
gré le retentissement qu'eut cette
proposition, Schmaltz n'y répondit
pas ; seulement, avec uue certaine
ironie dédaigneuse , il poursuivit
tranquillement la mission qu'il s'était
donnée, sans s'inquiéter des vives at-
taques dont il continua d'être l'objet,
persistant dans sa haine contre le li-
béralisme germanique et dans sa
défense de la monarchie absolue. En
1816, il publia encore quelques bro-
chures sur le même sujet, qu'il était
loin, disait-il, d'avoir épuisé l'année
précédente. Le bruit courut alors que
divers procès devaient lui être inten-
tés par des personnes outragées ,
mais aucune réclamation judiciaire
n'eut lieu, d'où l'on conclut qu'il y
avait eu accommodement, grâce à
des moyens mystérieux. Après cela
Schmaltz ne fit plus guère parler de
lui, se consacrant tout entier à ses
fonctions de professeur de droit pu-
blic. Il mourut à Berlin, en 1831.
Outre les brochures que nous avons
citées, on lui doit : I. Le droit des
gens européen, trad. en français par
le comt-e Léopold de Bohm , Paris,
1823, iUtS". II. Économie politique,
traduite en français par Henri Jouf-
froy, Paris, 1826, 2 vol. in-8^
C— H— N.
SCH
339
SCHillETTAU(lecomteFRÉDÉRir-
GuiLLAUME- Charles de), général
prussien, né à Berlin le 12avril 1742,
était neveu du feld-maréchal de ce
nom {voy. Schmettau, XLI, 180),
et , comme ses ancêtres, entra fort
jeune dans la carrière des armes. Il
fit une partie de la guerre de sept ans ,
puis celle de Bavière en 1778, et
enfin celle de France en 1792.
Nommé lieutenant-général en 1796.
il commandait une division sous le
duc de Brunswick en 1806 , à la
célèbre bataille d'Auerstadt , oii ,
après avoir combattu glorieusement,
il reçut une blessure grave à la-
quelle il ne survécut que peu de
jours. Ainsi il n'eut pas le chagrin
de voir périr une monarchie que lui
et ses aïeux avaient si bien défen-
due. On a de lui : I. Mémoires
secrets de la guerre de Hongrie pen-
dant les campagnes de 1737-1739,
Francfort, 1772, 1786, in-8^ II. Carte
du duché de Mecklenbourg-Schwerin
et de MecUenbourg-Strelitz, 1788,
en 25 feuilles. III. Mémoire pour
servir d'explication à la carte du
duché de Mecklenbourg-Schwerin^
1 788, in-4MV. Mémoire raisonné swr
la campagne de 177S en Bohême, par
l'armée prussienne, aux ordres de
S. M. le roi y etswr plusieurs objets
concernant Vart pratique de la
guerre^ Berlin, 1789, grand in-4o
avec cartes. On attribue au comte de
Schmettau une traduction de Wer-
ther , roman de Gœthe, publiée
sous nom d'Aubry, avec ce titre
fautif : Les Passions du jeune Wer-
ther, Paris, 1778, in-8°. — Il ne faut
pas le confondre, comme a fait Bar-
bier {Dict. des anonymes), avec
le comte Waldemar - Frédéric de
ScHMETTOW, qui publia un Abrégé
du droit public d'Allemagne, Km-
sterdam,1778, in-8". M— DJ.
22,
?A0
SCH
SCH
wSCHMID (Jf.an-Rodolpiie) naquit
en 1590 à Stein, petite ville située
sur les bords du Rhin, près de Sehaff-
house. Les aventures les plus singu-
lières ont élevé à de hautes dignités
cet homme qui, dans son enfance,
déserta deux fois l'école de Stein et
Tatclier d'un orfèvre h Lindau. Un
officier italien le prit à son service;
et il fut fait prisonnier par les Turcs,
qui le conduisirent comme esclave
à Constantinople. 11 y apprit la
langue turque, fut rançonné et de-
vint rinterprète de l'ambassade au-
trichienne. Bientôt il développa le
talent de négociateur, et comme tel
il fut employé dans différentes occa-
sions. Ferdinand H le nomma en
1029 son résident auprès du sultan,
et il resta quinze ans dans celte
place. En 1047, l'empereur le créa
baron de Schtvarzenborn , et lui
conféra les emplois de conseiller
aulique de guerre et d'inspecteur-
général des forêts en Autriche. En
1049, il fut nommé internonceauprès
du suUun Mahomet IV. H ratifia Tan-
née suivante, comme ambassadeur,
la paix conclue avec la Porte. Il
fut président du conseil aulique en
1650, et l'empereur Léopold lui
continua les faveurs de son pré-
décesseur, en le nommant son con-
seiller intime. Schmid était venu
revoir sa patrie en 1664, pour de-
mander au nom de l'empereur l'as-
sistance des Suisses contre les Ttircs.
11 obtint d'eux un millier de quintaux
de poudre, ainsi que la permission
de recruter. Il mourut à Vienne
en 1607. U— 1.
SCHMID (François -Vincent) na-
quit à Altorf, chef-lieu du canton
d'Uri,en 1758. Il entra au service de
France, qu'il quitta quelques années
après pour revenir ^Jans sa patrie,
où lui furent conférés successivement
divers emplois civils et militaires.
Il s'occupa dans ses loisirs de recher-
ches historiques, et en 1788 et 1790,
il publia deux volumes de ['Histoire
générale de la républiqiie d'Urit Zug,
in-8<* (en allemand), qui vont jus-
qu'à l'année 1481 et dont la suite
n'existe pas. Le mérite de ces deux
volumes se trouve dans divers docu-
ments peu ou point connus, qu'ils
renferment ; car d'ailleurs l'auteur
manque absolument des talents de
l'historien, et ce qu'il donne pour
l'histoire de son canton en est plu-
tôt une espèce d'épopée. Tout lui
paraît grand, admirable et sublime,
et de tous les États, soit anciens, soit
modernes, celui des Uraniens est
le plus noble, le plus puissant et le
plus remarquable ; dans ce pays en-
core, la famille des Schmid l'emporte
par sa noblesse et par ses vertus, sur
tout ce qu'il y a de grandeur et de
noblesse dans l'univers. On ne sau-
rait s'imaginer l'excès de la fanfaron-
nade folle et ridicule avec laquelle
est écrite la vie de son père, qu'il
publia en 1796 (Bâle, in -8°); en
voici le titre traduit littéralement
avec la devise qui l'accompagne :
« Charles -François de Schmid, na-
« tif d'Uri, le grand et le bien-aimé,
« le landamman du canton d'Uri, le
« plus loué et estimé, le représen-
" tant de la confédération helvétique
« le plus digne. Flos ille Uelvetiœ^
« décor ille ac gloria terrœ, imperii
« splendor, gentis et orbis amor, r>
Il faut remarquer que le père était
vivant quand le fils le célébrait
ainsi , et que dans cet éloge il n'y a
pas un seul trait pour lequel cette
gloire de la terre pourrait mériter
une place quelconque dans un Dic-
tionnaire biographique. On a en-
core du (ils un second écrit du même
genre : Promenade patriotique faite
SCH
au champ de bataille près St-Jac-
ques devant Bdle^ le 21 novembre
1792 (Eâle, in -80, en allemand).
L'auteur commandait alors le con-
tingent d'Uri pour le cordon de neu-
tralité à Baie. En 1799, Schmid
était à la tète des habitants d'Uri
qui s'opposaient à l'entrée d«s
Français dans leur pays; il prêcha
l'insurrection etl'armenient général :
les petites garnisons qui se trou-
vaient dans quelques villages de la
vallée durent l'évacuer; faute de
canons d'airain, î^chmid fit con-
struire des canons de bois munis de
cercles de fer. Le 8 mai , lorsqu'il
était occupé des moyens de défense
contre l'approche des troupes fran-
çaises commandées par le général
Soult, le premier coup de canon tiré
par celles-ci le renversa mort près
deFluclen. U— i.
SCH311D ou SCHMIDT (Félix).
Voy. Faber, XIV, 2.
SCHMIDT (Frédéric-Samuel de)
naquit à Berne en 1737, et mourut a
Francfort-sur-le-Mein le U avril
1796. Il fit ses études en théologie
dans sa ville natale, où il fut ad-
mis au saint ministère en 1761.
Peu après il abandonna la théologie,
entraîné par son goût pour les anti-
quités, que lui avait donné son père
Albert Schmid , membre lui-même
de la société des antiquaires de Lon-
dres, et dont on trouve quelques
Mémoires dans le Mercure suisse
(1736 et 1737). Frédéric Samuel se
fit connaître par différents prix que
l'Académie des inscriptions, à Paris,
lui décerna en 1757, 1758 et 1759.
Il devint correspondant de l'Acadé-
mie et fut reçu membre des sociétés
de Londres, Munich, Cassel, etc.
Le gouvernement de Berne le char-
gea, en 1756, de l'examen des anti-
quités découvertes dans l'Argovie^
SCH
341
h Baie, on lui conféra une chaire
honoraire d'antiquités en 1762. Il
quitta la Suisse en 1765 , pour se
rendre à Carlsruhe , où il fut appelé
comme directeur de la bibliothèque
et des cabinets du margrave. Quel-
ques années après, il se maria à
Francfort, où il se trouva chargé
de missions diplomatiques par le
margrave de Bade et d'autres
princes de l'Allemagne. Il ajouta
à son nom celui de seigneur de
Uossm. Voici les titres des écrits qu'il
a publiés: I. Dissertation sur une
colonie égyptienne établie aux Indes,
Berne, 1759. W.Diss. de zodiacinos-
tri origine œgyptiaca, Berne, 1760.
III. Recueil d'antiquités trouvées à
Avenche^ à Culm et en d'autres lieux
de la Suisse, Berne, 1760,in-4°, avec
35 planches^ réimprimé à Franc-
fort, en 1771, in-4°. C'est un des ou-
vrages les plus remarquables sur les
antiquités de la Suisse. IV. Mémoires
sur les Oolithes, Berne, 1764, in-4°.
V. Opuscula , qui bus res antiquœ ,
prœcipue œgyptiacœ, eœplanantur^
Carlsruhe ,1765,in-8o. VI. De sacer-
dolibus et sacrificiis Mgyptiorum,
1768, in-80. On trouve encore de ses
Mémoires dans les recueils de V Aca-
démie des inscriptions, dans le Jour-
nal étranger , les Excerpta totius
italicœ et helveticœ litteraturœ, etc.
U— I.
SCHMIDT (Henri de), l'un des
plus habiles généraux de l'armée
autrichienne, était né en 1743. Entré
au service dès sa plus tendre jeu-
nesse, il avait fait contre les Turcs et
dans les Pays-Bas toutes les guerres
qui précédèrent celles de la révolu-
tion. Distingué dès le commence-
ment par l'archiduc Charles, il fut
long-temps le chef d'état-major de
ce prince, et il le seconda merveil-
leusement dans toutes ses campa-
342
SCH
SCH
gnes, nofaminent dans celle de 1796
en Bavière et en Franconie. Il était
sous les ordres de l'archiduc Ferdi-
nand, et il faisait de vains efforts
pour re'parer le de'sastre d'Ulm
[voy. Mack, LXII, 288), lorsqu'il fût
tué au combat de Direnstein le
11 novembre 1805. M— Dj.
SCHMIDT (Ernest-Auguste), lit-
térateur et traducteur allemand , né
en 1746, eut pour parrain le duc de
Saxe-Weimar, Ernest-Auguste, qui
lui donna ses prénoms. Il fit d'excel-
lentes études sous les auspices de ce
prince, et retrouva la même bien-
veillance dans le duc Charles-Au-
guste {voy. Saxe-Weimar, dans ce
vol., p. 219), son fils et son succes-
seur, qui plus tard le nomma con-
servateur de sa bibliothèque , fonc-
tions que Schmidt exerça jusqu'à sa
mort, arrivée en novembre 1809. En
profitant des loisirs que lui laissait
son emploi, il aurait pu acquérir par
ses talents une réputation littéraire
plus étendue; mais il était naturelle-
ment indolent: un long travail, la
lecture même d'un ouvrage volumi-
neux l'effrayaient. On a de lui un
Dictionnaire allemand et espagnol^
en deux parties, la première publiée
en 1795, et la seconde en 1805. II a
traduit du latin en allemand les
Lettres de Pline le jeune ; de l'anglais,
l'Origine et les progrès du langage^
par lord Monboddo; de l'espagnol,
le Tacano de Quevedo (inséré dans le
Magasin de la littérature espagnole
de Bertuch) ; les Lettres sur Vltalie,
par l'abbé Jean Andrès; V Histoire
du Nouveau- Monde y par Mugnoz.
Enfin Schmidt a laissé une imitation
de l'héroïde de Pope, intitulée Hé-
loïseet Âbeilard, et quelques autres
poésies erotiques. P — rt.
wSCHMIDT (Frédéric-Chrétien),
naturaliste allemand, né en 1755 à
Gotha, fréquenta pour ses études
plusieurs universités d'Allemagne,
et prit ensuite un emploi dans leg
finances de son pays de Gotha ; et
comme ses fonctions lui laissaient
assez de loisirs, il s'occupa de la bâ-
tisseet du jardinage; enfin pour cher-
cher une distraction après la mort
d'un de ses enfants, il se jeta dans
l'étude de l'histoire naturelle, sur-
tout de la minéralogie et de la con-
chyliologie, et parvint à former une
des plus nombreuses collections de
coquilles en Allemagne, renfermant
plus de 17,000 pièces décrites par son
possesseur dans un catalogue de 15
volumes in- fol. Sur la recomman-
dation de M. de Humboldt, qui avait
été étonné de la richesse de ce ca-
binet, le duc de Saxe-Cobourg en
fit l'acquisition pour la réunir, après
la mort de Schmidt qui en conserva
la jouissance viagère, à son cabinet
d'histoire naturelle dans le château
de Friedenstein à Gotha, oii elle est
maintenant, et où l'on voit aussi le
buste du collecteur. Les étrangers
instruits qui passaient dans cette
ville ne manquaient pas de visiter la
maison de Schmidt comme une des
curiosités du pays. Il avait le projet
de s'occuper, après le placement de
son cabinet de coquilles, à recueillir
des séries de zoophytes, mais il ne
vécut pas assez long-temps pour réa-
liser ce dessein. Il avait publié en
1818 à Gotha un Essai sur le meil-
leur arrangement et sur la conser-
vation des objets d'histoire natu-
relle et d^arts , surtout des collec-
tions de coquilles, avec la description
des systèmes et des écrits conchylio-
logiques , et la comparaison des
six systèmes les meilleurs et le» plus
modernes. Antérieurement il avait
fait paraître une Description histo-
rique et minéralogique de la contrée
SCH
SCH
343
d'iéna^ avec des hypothèses sur les
causes des révolutions physiques de
ce terrain^ Gotha, 1779. Mais un tra-
vail d'une toute autre espèce, bien
pi us considérableet plus dispendieux,
dont il entreprit la publication, fut
son Architecte bourgeois^ ou In-
struction pour ceux qui désirent bâtir
et se mettre en état, par un grand
nombre de plans différents^ de pro-
jeter l'arrangement de leurs de-
meures^ Gotha, 5 vol. in -fol. avec
400 pi., qui représentent une variété
infinie d'habitations de ville, de
maisons de campagne, de bâtiments
accessoires , de jardins et de pa-
villons, etc. Ces cinq volumes pa-
rurent successivement de 1790 jus-
qu'en 1799, à ses frais; il en résulta
pour lui une telle fatigue, qu'il tom-
ba malade, et qu'il lui fallut une an-
née pour se rétablir ; dès lors il re-
nonça à l'idée qu'il avait eue de
porter à huit le nombre des volumes
de ce grand ouvrage , dont la vente
fut probablement loin de le dédom-
mager des frais qu'il avait faits.
11 ne fut guère plus heureux à
l'égard de trois ouvrages d'une autre
sorte, auxquels il attacha beaucoup
d'importance, mais qui laissèrent le
public indifférent, quoique l'auteur
l'assurât qu'on en tirerait des avan-
tages incalculables; c'étaient un
Manuel pour conduire un ménage,
puis le Formulaire d'un journal à
tenir pour les dépenses du ménage;
et enfin le Modèle d'un livre à tenir
pour les dépenses d'une maison,
1800. On trouva que l'auteur s'as-
treignait à des enregistrements
trop minutieux et trop nombreux.
Schmidt mourut le 26 décembre 1830.
Il avait été associé à plusieurs corps
savants ; son souverain lui avait don-
né le titre insignifiant de conseiller
de commission, D— g.
SCUAllDT (Jean-Ernest-Chbé-
TiEN), théologien allemand, fils d'un
pasteur et maître d'école d'un vil-
lage de Hesse, nommé Busenborn,
naquit en 1772. Il paraît que ses an-
nées d'études à l'université de Gies-
sen se partagèrent entre de profon-
des lectures et le cabaret, et qu'il y
contracta le goiit de la boisson. Heu-
reusement ce goût ne l'empêcha pas
des'instruireprofondément. A l'exem-
ple de son père, il embrassa la car-
rière ecclésiastique; mais s'aperce-
vanl qu'il ne serait pas bon prédica-
teur,il préféra l'instruction publique,
et débuta en 1793 à l'université de
G'iessen en qualité de docent ou en-
seignant libre, faisant des cours sur
les classiques grecs et l'hisloireecclé-
siasiique , puis, n'y trouvant pas de
quoi vivre, il entra comme maître
au pedagogium^ collège de la même
ville. Il s'y fit connaître par une dis-
sertation philologique : Observatà
inSext.Aur.Fropertiiquœdamlocay
Giessen, 1794, in-4*'. Sou premier ou-
vrage, qui avait eu pour objet le livre
de l'Ecclésiaste du Vieux Testament ,
est intitulé : Une des plus anciennes
et plus belles idylles de l'Orient, /,
Moïse, 49, traduite de nouveau avec
des remarques, Giessen, 1793. Puis
il publia une Clef philologique et
exégétique du Nouveau Testament,
Giessen, 1795-97, 2 vol. chacun en
2 parties, dont la dernière, toutefois,
ne parut qu'en 1805 par les soins de
Welcker.Il écrivit dans plusieurs re-
cueils théologiques et en entreprit
un lui-même sous le titre de Biblio-
thèque pour la critique et Vexégèse
du Nouveau Testament et de la plus
ancienne histoire ecclésiastique ; en
outre il fut un des collaborateurs de
la Bibliothèque de la littérature mo-
derne théologique et pédagogique, du
Journal pour éclaircir les droits et
344
SCH
SCH
les devoirs de Vhonime il du citoyen,
etc. Ea 1797, il lit paraître son Traité
de la morale^ eu égard principe Ic-
tnent aux préceptes moraux du chris-
tianisme ; puis un Avis au public
non instruit, concernant l'athéisme
de Fichtc, et V Esprit de la littéra-
ture théologique de l^ année 1797.
Trois ans après parut son Esquisse
de l'histoire de V Église chrétienne,
qui fut refondue dans une nouvelle
édition en 1803 sous le titre de Ma-
nuel de l'histoire de l'Église cliré-
tienne, et une 3'^ édition fut iuiprirnëe
en 1823. Reprenant ce sujet, Fauteur
le développa dans un ouvrage sous le
même titre, en 6 volumes, qui paru-
rent de 1801 à 1820, et dont les 4 pre-
miers eurent une seconde édition ;
c'est dire que les travaux de Schmidt
sur l'histoire ecclésiastique eurent
du succès chez les protestants. Beau-
coup de professeurs dans les facul-
tés théologiques les prirent pour
guide dans leurs cours. Ils lui atti-
rèrent de grandes distinctions dans
son pays. Dès l'année 1798 il avait
été nommé professeur de théologie
à l'université de Giessen; en 1803 il
eut la place de bibliothécaire de cette
université, et. le titre de conseiller
ecclésiastique. Son souverain le nom-
ma historiographe de la Hesse et
l'appela dans la commission législa-
tive. L'université de Halle lui décerna
le litre de docteur en théologie. En
1813 il eut la direction du séminaire
philologique à Giessen, et en 1820,
lors de l'introduction du régime re-
présentatif, il fut revêtu de la dignité
de prélat et appelé dans la Chambre
haute, où il prit une part active aux
délibérations pendant une dizaine
d'années, le plus souvent dans le sens
des intentions du gouvernement, sans
toutefois se prononcer contre l'op-
position, de borte qu'il semble que
son î^ystèmr, s'il en avait un, ait été
de bien vivre avec tous les partis, de
louvoyer entre eux et de n'en heurter
aucun de front. On lui a sévèrement
reproché cotte position entre deux.
11 est vrai qu'il était d'une santé lan-
guissante. On le blâme aussi de n'a-
voir rien fait pour améliorer l'in-
struction primaire, quoiqu'il en eût eu
la surveillance pendant assez long-
temps, et on cite de lui plus de bons
mots «lue de mesures utiles. En sa
qualité d'historiographe de son pays,
chargé de continuer l'ouvrage com-
mencé par Wenck, il se contenta de
publier en 1818 et 19 les 2 premiers
volumes d'une nouvelle Histoire de
la Hesse, moins étendiie que la pré-
cédente. Ce fut probablement à cause
de ces deux ouvrages, restés in-
complets, que les États du grand -
duché de Hesse, après la mort de
Schmidt, qui eut lieu à Giessen, le
4 juin 1831, supprimèrent la place
d'historiographe et en appliquèrent
les appointements à l'augmentation
des fonds pour la bibliothèque. Voyez
sur la vie et les ouvrages de Schmidt
les vol. XIII à XVII de V Histoire des
savants et auteurs hessois., parStrie-
der, et les Zeiîgenossen , 3« série,
t. 111. D-G.
SCHMIDT (Martin -Henri -Au-
guste), poète allemand , né en 1776
à Brunswick, avait dirigé ses études
k Gœttingue vers la théologie.
Après avoir fait d'abord une éduca-
tion particulière dans une famille
noble , au pays de Lunebourg , il
fut nommé prédicateur pour les
troupes, et en cette qualité il ac-
compagna l'armée prussienne dans
ses campagnes de 180G et 1807.
Cinq ans après, il obtint le pas-
toral de Teltow, auprès de Pots-
dam, qu'il échangea en 1817 contre
celui de Derenburg, auprès de Hdl
SCH
berstddl. On a de lui quelques ser-
mons prononeés pendant ses fonc-
tions à l'armée et ailleurs ; mais il
s'est fait une plus grande réputation
par ses poésies, surtout par celles
qui ont pour objet les événements
politiques et militaires de l'Allema-
gne, qui avaient probablement ex-
cité son enthousiasme, d'autant plus
qu'il avait vu de près les efforts de
l'armée prussienne pour défendre la
palrie.On distingue entre autres : La
Bataille des peuples auprès de Leip-
zig ^ chant héroïque, Berlin, 1814,
T éd\t.,lSi^;Berlinàla déesse de la
Victoire, poènae, Berlin, 1814; le
Passage da^aréchal surleRhin,ûc-
tion(mémedate),et les Grandesjour-
néesdejuin 1815, poème héroïque en
6 chants, Berlin, 1816. On loue pour-
tant plus les intentions que l'exécu-
tion de toutes ces compijsitions pa-
triotiques. Schsiidt a encore publié
New - Richmond^ poème descriptif,
Brunswick, 1806; V Esprit deUenri-
le-Lion^ poème (même date) ; Élec-
tron, poésies composées sur les bords
de ia mer Baiiî'gue, Leipzig et Berlin,
1810; Albert et Mathilde^ ou les
Éléments (même date). Ses amis ont
dû faire un choix parmi ses œuvres
poétiques, pour les publier au béné-
fice de sa famille. H a traduit en
allemand les Nuits d'Young^ et il a
été l'un des éditeurs d'un recueil de
morceaux religieux intitulé Festga-
ben^ c'est-à-dire dons de fête. Schmidt
mourut le 7 mars 1830. D— g.
SCHMITÏII (Nicolas), néà Œ-
denbourg, en Hongrie, entra dans la
compagnie de Jésus, professa les
humanités et la théologie dans plu-
sieurs maisons de cet ordre, et devint
recteur du collège de ïirnau, où il
mourut en 1767. C'était un homme
d'une vaste érudition, et qui en même
temps écrivait avec autant de pureté
SCH
04l>
que d'élégance. On a de lui : i. Séries
archiepiscorum Sîrigonieniiium,Ti r-
nau, 1751, 2 vol. in-8®. II. Episcopi
Agrienses^ fide diplomatica concin-
nati, 1758, in-8°. III. Imperatores
otiomannici , a capta Constantino-
polij cum epitome principum Turca-
rum ad annum 1718, Tirnau, 1760,
2 vol. in-fol. Cette histoire des em-
pereurs ottomans est la continuation
de celle du P. François Borgia Keri
{voy. ce nom, XXII, 320). Regardée
comme une des meilleures que l'on
possédât alors, elle peut encore au-
jourd'hui être consultée avec fruit.
Z.
SCHMITZ (Ch.-Fr.-L.), natura-
liste allemand, né en Bavière vers
1780, se livra dès sa plus tendre jeu-
nesse à l'étude de l'histoire naturelle,
et fut l'élève du célèbre chimiste
Gehlen. H porta spécialement son at-
tention sur les moyens d'améliorer
la fabrication des porcelaines en Ba-
vière, et, après la mort de son maître,
continua ses expériences sur l'emploi
des oxydes des nouveaux métaux. La
Bavière lui doit un procédé pour
l'emploi du platine, et un autre pour
tirer, à l'usage de la porcelaine, une
couleur jaune d'un fossile indigène,
le tantalite. Ses dispositions remar-
quables pour cette branche d'indus
trie engagèrent le gouvernement à
l'envoyer en France et en Angle-
terre, afin qu'il y étudiât la fabrica-
tion de la porcelaine. Schmitz ob-
serva fort en détail la manufacture
de Sèvres, sur laquelle il fit de très-
bons rapports ^ il examina aussi
les formations de terres à porce-
laine de Saiiît-Yrieix , fut nommé
correspondant des sociétés philorna-
tique et d'histoire naturelle de Paris,
et envoya à Munich une suite d'é-
chantillons bruts qui fut donnée à la
manufacture de Sèvres. En Angle-
346
SCH
terre, il observa attentivement la fa-
brication de la poterie fine , vit les
formations de terre à porcelaine de
Cornouaiiles, et envoya de là des
coupes de roches. H se proposait
d'étudier le proce'dé de J. Smith à
Drotwich, pour extraire le sel à l'aide
de la vapeur, lorsqu'il se noya dans
la Tamise, où son corps fut trouvé
le 11 mai 1324. On ignore si ce fut
par accident ou par suicide. Les ob-
servations manuscrites qu'il a lais-
sées sont très-imparfaites. Il avait
inséré dans les recueils périodiques
plusieurs notices sur le graphite, sur
Je lavage du sable de quartz, sur
l'emploi de l'oxyde de tantale (co-
lumbium)^ etc. Dans le tome VIII
de l'académie de Munich , il y a de
lui un mémoire sur les formations
et les fossiles d'opale. B— h— d.
SCI1l>1IJZ (Rodolphe) , peintre,
naquit en 1670, à Regensperg, dans
le canton de Zurich, et fut élève de
Mathieu Fuessli, le jeune, qui voulut
le diriger vers le genre historique.
Mais c'était pour le portrait que
Schmuz avait les plus rares disposi-
tions, et c'est à les cultiver qu'il
mit tousses soins. Ayant appris les
succès qu'avaient obtenus en Angle-
terre Lely, Klostermann et Kneller,
il prit le parti d'aller à Londres pour
tâcher d'y utiliser ses talents. Arrivé
dans cette ville, il se fit connaître
avantageusement de Kneller et par-
vint à rimiter avec une si grande
perfection , qu'il partagea bientôt la
vogue dont jouissait ce peintre , et
s'attira l'attention du public. Ses
succès allaient toujours croissant et
il commençait à faire fortune lorsque
la mort le frappa, au milieu de sa
carrière, vi\ 1715. On ne conçoit
pas le motif pour lequel Edwards a
passé sous silence un artisfe aussi
recommanddble , quoiqtie Smith et
SCH
Faber aient gravé un grand nombre
de ses portraits. P— s.
SCHNÉE (Gotthirf-Heniu), agro-
nome et poète allemand, né en 1761
au village de Siersleben, dans le pays
de Mansfeld, entra jeune dans l'état
ecclésiastique, pour lequel il s'était
préparé dans les universités de Halle
et de Leipzig. Après avoir été pen-
dant quelque temps précepteur dans
des maisons particulières, il obtint
du prince Ferdinand de Prusse, en
1790jepastoratdeGross-Œuer dans
le Mansfeld ; et en 1809 il en reçut
un plus considérable, celui de Schar-
tau, dans le district de Magdebourg.
Il avait fondé, dans le Mansfeld, une
société littéraire ayant pour but d'é-
riger un grand monument àLuther,et
il rendit conipte,dans une brochure
publiée en 1823, des efforts de cette
association. Le roi de Prusse lui ac-
corda eq 1819 la décoration de l'or-
dre de l'Aigle-Rouge. Schnée mou-
rut le 12 janvier 1830, après avoir
travaillé beaucoup pour hâter les
progrès de l'agriculture. Il fonda en
1803 h Gazette agronomique^ qui se
continue depuis ce temps. Ses autres
ouvrages dans ce genre sont : An-
nuaire pour les agronomes, Leipzig
et Halle, 1811, qu'il a continué jus-
qu'en 1825 ; Manuel de l'agriculture
et de l'élève des bestiaux pour les
écoles de campagne, 2« édit., Halle,
1821; Manuel général de l'économie
rurale et domestique, ou Diction-
naire d^histoire naturelle, d'écono-
mie et de technologie, Halle, 1819,
2 vol. avec pi.; /e Fermier commen-
çant, manuel des propriétaires ru-
raux, 3« édit., Halle, 1829; Manuel
des mères de famille à la ville et à
la campagne, EhWt, 1825, avec grav.
Dans sa jeunesse il avait débute en
littérature par des romans, tels que
Charles et Élise, Leipzig, 1792,
SCH
Edouard Wilmann^ 1792, et par des
Poésies qui oui été éditées à Franc-
fort, en 1790, par Al. Schreiber.
D— G.
SCHNEIDER (Joseph-Xavier)
naquit à Lucerneen 1750, et mourut
à Strasbourg, à la suite d'une opé-
ration chirurgicale, en 1784. Curé à
Scheipfer, dans le pays d'Enllebuch,
du canton de Lucerne,il remplit les
devoirs de sa place avec un grand
zèle, et il employa ses loisirs à l'étude
de l'histoire et de la statistique de
sa patrie. En 1782, il publia VHistoire
du pays de l' Entlebuch {Lucerney
2 vol. in-8** en allemand), où l'on
trouve, avec des traits et des docu-
ments historiques qui n'étaient que
peu ou point connus avant lui ,
la topographie du pays. Elle fut
suivie de trois cahiers (Lucerne,
1783, in -8°), qui renferment les
descriptions particulières des mon-
tagnes de l'Entlebuch. Le Musée
helvétique^ publié par Fuessli, ainsi
que le Magasin d'Histoire naturelle
de la Suisse^ par le docteur Hupfner,
contiennent plusieurs de ses mémoi-
res. D'un caractère aimable et com-
plaisant, Schneider fut en relations
amicales et scientifiques avec un
grand nombre d'hommes lettrés de la
Suisse. Le curé lucernois Thaddée
Millier a donné son éloge dans le
Musée helvétiquCy sept. 1784. U— i.
SCHNEIDER (Antoine Virgile),
général français, était né à Bouque-
non (Bas-Rhin) le 22 mars 1779.
Après avoir étudié les mathématiques
à Strasbourg, il revint à Paris suivre
les cours de l'école polytechnique
comme élève externe. Son père, qui
était médecin, perdit alors sa modi-
que fortune, et le jeune Schneider se
trouva sans ressources, presque dans
le besoin. Loin de se décourager, il
travailla avec ardeur, et, en but te aux
SCH
34T
privations de tous genres, dénué
même du nécessaire, il écrivit un
ouvrage d'histoire et de statistique
sur l'île de Corfou, où il démontra
l'utilité commerciale et militaire de
la possession de cette île pour la
France. Cet ouvrage fut présenté à
Bonaparte, qui immédiatement fit
expédier à Schneider, à peine âgé de
vingt-un ans, un brevet de lieu-
tenant-adjoint danç le génie mili*
taire. Il fit ses premières armes a la
bataille de Mareugo, et devint en-
suite aide-de-camp du général Du-
hesme, puis de Musnier. En 1808, il
alla servir à l'armée d'Espagne, et,
après la bataille de Tudela, il lut fait
capitaine au 115^ régiment de ligne.
Au fameux siège de Sarragosse, il dé-
ploya tant de zèle et de courage qu'il
reçut,sousles murs mêmes de la plac*',
la croix de la Légion-d'Honneur.
Blessé à la, bataille de Maria, il ren-
tra en France , puis retourna en Es-
pagne, où il assista au siège de Fi-
guières. Le duc de Tarente le choisit
pour aller à Paris rendre compte au
ministre de la guerre des événements
de ce siège. 11 était alors chef de
bataillon, et Clarke, l'ayant pris
pour aide-de-camp, le chargea de
diverses missions dont il s'acquitta
avec une grande habileté. La plus
importante fut celle qu'il remplit, en
1811, aux îles Ioniennes, où il con-
çut l'idée du savant ouvrage qu'il a
publié sur ces contrées célèbres.
Ayant rassemblé les notes de ce tra-
vail au milieu des ruines et des sou-
venirs de l'antiquité, il en écrivit les
premières pages à Corfou, sons le feu
des canonnières anglaises. Promu au
grade de major, il fit partie de l'ex-
pédition de Russie, et y commanda
la 17'' demi-brigade d'infanterie.
Renfermé dans Dantzick, j1 déploya
un conrage infaligabb: à la défi'use
(48
8CH
de cette place, où une faible garnison
résista pendant un an aux efforls de
l'arine'e russe. Rapp, dont le nom est
inséparable de ce glorieux siège, a
cité plusieurs fois dans ses Mémoi-
res le major Schneider comme un ex-
cellent oflicier, notamment pour sa
résistance dans le faubourg d'Ohra.
On sait que l'empereur Alexandre re-
fusa de ratifier la capitulation de
Dantzick, et que la garnison, consi-
dérée comme prisonnière de guerre,
fut conduite en Russie. Les événe-
ments (de 1814 lui ayant rendu la
liberté, Schneider revint en France et
fut fait colonel par le gouvernement
royal. A l'époque des Cent-Jours, il se
trouvait en non-activité. Mais Rapp,
ayant accepté de Napoléon le com-
mandement du 5« corps, désigna lui-
môme Schneider pou r son chef d'état-
major; ce qui fut cause qu'après la se-
conde Restauration il resta sans em-
ploi jusqu'en 1819, où on le nomma
commandant de la légion de l'Indre,
puis colonel du 20^ léger. C'est avec
ce régiment qu'il fit la campagne
d'Espagne en 1823, dans le 3*^ corps
sous le général Obert. Il contribua
beaucoup à la prise de Pampelune,
dont il ouvrit la tranchée, comme le
plus ancien colonel. Nommé maré-
chal-de-camp en 1825, à l'occasion
du sacre de Charles X, on le vit par-
ticiper aux travaux de plusieurs com-
missions pour la révision des ma-
nœuvres d'infanterie et commander
une brigade au camp de Sainl-Omer.
En 1828, il sollicita la faveur d'un
emploi dans le corps d'observation
destiné à occuper la Morée^ c'était
une terre qu'il aimait de prédilection
parce qu'il l'avait étudiée et qu'il la
connaissait. On ne lit donc aucune
difficulté de satisfaire à son ardent
désir, et on le plaça à la tête de la
■6^ brigade. Ce fut lui qui enleva Pa-
SCH
tras aux Turcs et qui ouvrit le siège
du château de Morée. Au rappel du
maréchal Maison, il lui succéda dans
le commandement en chef, et, à la
première nouvelle de la révolution
de juillet, il arbora le drapeau trico-
lore et n'hésita pas à reconnaître les
faits accomplis. Dès le 15 août 1830,
il écrivit de Modon, au ministre de la
guerre : « Les troupes sous mes or-
« dres et moi adhérons et nous sou-
« mettons aux mesures que la France
« a jugées nécessaires k son salut et
« k ses libertés. L'adhésion est una-
« nime parmi nous, et je n'aurai pas
• un seul oflicier qui n'adopte avec
• grand plaisir le nouvel ordre de
« choses. » On a prétendu qu'à cette
époque il offrit au nouveau gouver-
nement de se jeter, à la tête de sa
division, au milieu de l'Italie, pour
exciter une insurrection. Mais ce
n'était pas la direction que devaient
prendre les choses. Schneider reçut
l'ordre de ramener en France le corps
d'armée de la Morée, et le gouverne-
ment de la Grèce lui fit alors présent
d'une épée d'honneur. A son retour il
fut élevé, le 13 août 1831, au grade
de lieutenant-général, et dès la fin
de l'année suivante le maréchal Soult
l'appela k la direction du personnel
et des opérations militaires au mi-
nistère de la guerre ; mais il se démit
de cette place lorsque le maréchal
donna sa démission (18 juillet 1834).
Il venait d'être élu député de Sarre-
guemines, et à ce moment commence
sa carrière législative et politique.
Dans la Chambre , il fit toujours
preuve d'une honorable indépen-
dance, et son opposition, d'un libé-
ralisme modéré, n'eut rien de sj'^sté-
matique, votant tantôt pour, tantôt
contre les actes du pouvoir, d'après
sa conviction, sans s'inquiéter des
cabinets qui se succédaient alors avec
SCH
tant de rapidité. Cette conduite par-
lementaire ne l'empêcha pas de faire
partie des comités d'infanterie et de
cavalerie, ni d'être charge' d'inspec-
tions annuelles. Dans l'administra-
tion du 12 mai 1839, il accepta le
portefeuille de la guerre. On pour-
rait peut-être lui reprocher de s'être
fait un peu trop, dans ces impor-
tantes fonctions, le sous-se'cretaire
d'État du président du conseil, le
maréchal Soujt, et de n'avoir montré
aucune couleur politique. S'absor-
bant dans les soins de son départe-
ment, il ne s'occupa que de mesures
utiles au bien de l'armée, et on lui
doit la loi sur l'organisation de l'é-
tat-major, aujourd'hui en vigueur. A
la formation du ministère Thiers, le
1*"" mars 1840, il fut remplacé par
le général Despans - Cubières, qui
rinvestit, après le vote des fortifica-
tions, du commandement de la divi-
sion campée autour de Paris. 11 de-
vint ensuite président du comité
consultatif de l'infanterie, et le 11
avril 1844 grand-croix de la Légion-
d'Honneur. Celte même année, il
eut un instant le commandement,
par intérim^ de la 1'^ division mili-
taire (Paris). Il était compris dans la
première section du cadre de l'état-
major-général lorsqu'il mourut à
Paris le 11 juillet 1847. Ses obsèques
eurent lieu en grande pompe, et son
corps fut inhumé au Père-Lachaise :
le général Paixhans et le colonel
Cerfbeer, ses collègues à la Chan\bre
des députés, prononcèrent des dis-
cours sur sa tombe. C'était un hom-
me d'une taille élevée, fort affable et
d'une probité incontestable. On a
dit que la veille de sa mort, en ap-
prenant les accusations de corruption
dirigées contre MM. Teste et Cubiè-
res, il regretta amèrement d'avoir
mêlé son nom à des entreprises in-
SCfl
349
dustrielles. (Il avait été administra-
teur du chemin de fer de Bordeaux à
Cette.) Plusieurs journaux ont même
rapporté ses paroles, peu flatteuses
pour l'époque. Schneider a publié :
I. Description des îles Ioniennes, de-
puis les temps fabuleux et héroïques
jusqu'à ce jour, avec un nouvel atlas^
par un officier supérieur ., ouvrage
revu et précédé d'un discours préli-
minaire par Bory de Saint-Vincent,
Paris, 1823, in-8'' avec atlas in-4".
II. Résumé des attributions et des
devoirs de V infanterie légère en cam-
pagne^ Paris, 1823, in-32 avec 3 plan-
ches. Ce petit livre fait partie de la
Bibliothèque de Vofjicier. Schneider
a fourni un grand nombre d'articles
au Spectateur militaire, dont il était
un des rédacteurs. C— h— n.
SCHNEIDER. Voy. Snyders,
XLII, 505.
SCHNORFF(WALTHER),fiIsd'UI-
ric, avoyer de la ville de Bade, en
Argovie,que l'empereur Ferdinand II
avait créé chevalier de l'empire,
devint lui-même greffier de la ville
de Bade, et fut l'auteur d'un ou-
vrage historique pseudonyme, très-
impartial , bien écrit , et qui an-
nonce une connaissance exacte des
affaires de l'Helvétie de son temps:
Bellum civile helveticum nuperri-
mmn Peregrini Simplicii Amerini,
1057, iu - 12 ; réimprimé dans le
Thesaur. hist. Helv. Quelques per-
sonnes, et les éditeurs eux-mêmes de
ce recueil, doutent que Schnorlf soit
l'auteur du livre, qu'ils attribuent à
un Léonard Pappus , chanoine de
Constance. — Son pelit-fils {Beat-
Antoine)^ conseiller de l'évêque de
Bâie et de l'abbé de Saint-Gall,
mort en 1729, a publié un ouvrage
de jurisprudence, intitulé: Clavis
themilogiœ^ sive librorum utriusque
juris anatomia, 1098, in-8". U— i.
:uo
SCH
SCHODELER (Wf.hnkr) naquit
à Brerngarten, petite ville de l'Ar
govie, en Suisse, où il lut greffier
d'abord, et ensuite avoyer, de 1520
à 1532. On conserve de lui une
Chronique de Suisse, fort curieuse,
dont la première partie donne ['his-
toire détaillée de la guerre de Zurich
de 1430 rt 1444, et dans laquelle l'au-
teur se range du côté des Suisses con-
tre Zurich ; la seconde partie com-
prend \cs guerres de Souabe^de Bour-
gogne et du Milanais, et si elle copie
Schilling pour les premières, en re-
vanche elle offre des détails exacts
et mtéressants sur les affaires et les
combats d'Italie. U— i.
SCHŒDDE (George-Guillaume),
littérateur hessois,uéàNordhausen le
12fév. 1759,passa son enfance à Wal
dau,oùson père fut transféré comme
pasteur, et après avoir fini ses pre-
niières études à Cassel, ses cours
académiques à Hambourg et à Gœi-
tingue, exerça quelque temps comme
avocat à Cassel. Nommé ensuite as-
sesseur du tribunal criminel de cette
ville, il y resta plusieurs années en
cette qualité, jusqu'à ce que, la révo-
lution française ayant éclaté, la li-
berté avec laquelle il s'exprimait sur
l'arbitraire, les abus, la tyrannie de
l'administration et des tribunaux le
fit tomber dans la disgrâce de ses
supérieurs et reléguer à Riuteln avec
le simpietitre d'assesseur fiscal. Tou-
tefois, avant que l'année entière fût
écoulée, on lui donna un poste plus
important à Ziegenberg, à quatre
lieues de Cassel; et dix ansplus tard,
eu dépit d'une plainte que signèrent
contre lui quelques-uns de ses admi-
nistrés et qui donna lieu à une en-
quête du conseiller Giesler, loin de
voir sa conduite objet d'un blâme, il
reçut des éloges, le titre de conseil-
ler, dont on était moins prodigue
SCH
ulor'; qu'aujcturd'hui, et entin les li
1res de bailli en chef et juge criminel
à Schmalkalde. Le pays souffrait
beaucoup du manque de subsis-
tances, et de la stagnation des in-
dustries locales. Schœdde multiplia
ses efforts pour atténuer les souf-
frances et la misère de la population,
pour ranimer le filage, le tissage, les
usines où se traitaient le fer et l'a-
cier, et quelque succès couronna ses
tentatives. L'année suivante, survint
la guerre, depuis long-temps prévue,
entre Napoléon et la Prusse -, les
Français occupèrent le pays, mais
diverses révoltes les inquiétèrent ou
plutôt les irritèrent. Schmalkalde fut
du nombre des villes où se manifes-
tèrent ces mouvements, qui par eux-
mêmes ne pouvaient aboutir à rien;
un détachement italien arriva bien-
tôt chargé de punir la ville rebelle.
Schœdde reçut l'injonction de faire
d'activés et sévères recherches sur
les auteurs et les complices de l'é-
chauffourée. Il atermoya si bien et
eut l'art de trouver si peu de charges,
qu'en définitive personne ne fut puni.
Quoique Allemand fidèle, Schœdde,
lorsque la Hesse, ravie à ses maîtres,
devint le noyau du royaume de West-
phalie, ne refusa point de servir le
nouveau régime. On l'a vu, quinze
ans avant l'époque à laquelle nous
sommes arrivés, tenant un langage
analogue à celui des Français à la
veille d'ériger la république; il est
assez simple qu'il se soit plie plus
vite et plus facilement que d'autres
à la domination française. Son adhé-
sion au gouvernement de Jérôme fut
assez éclatante, puisqu'il n'hésita
point à consigner ses sentiments
dans une Ode au roi de Westphalie,
ode qui fut mise en musique par
Vierling. Aussi le général Bœrner,
commandant du département de la
SCH
Werra, lere<onimanda-l-il à Jérôme,
i]ui ordonna lui-même au ministre
Siméon de le mettre sur la liste des
sujets à placer incessamment. En
effet, dès février 1808, il reçut sa
nomination de président au tribunal
d'Eschwege. En revanche, quand l'é-
lecteur Guillaume l®"" revint dans ses
États après les grands événements
de l'automne de 1813, la position de
Schœddefut singulièrement compro-
mise. En vain il fit valoir et les mé-
nagements qu'il avait toujours ap-
portés pour sa part dans l'exécution
des mesurer relatives à la conscrip-
tion, et le zèle avec lequel il avait
concouru à la levée de recrues dans
le pays deSchmalkalde pour le compte
du souverain légitime, et un chant
de guerre contrai les Français tiré à
3,000 exemplaires, et qui était de-
venu populaire parmi les Hessois.
L'organisation française fut détruite,
et dès lors plus de président au tri-
bunal d'Eschwege. Le titre de bailli
en chef (le Schmalkalde renaquit de
sa cendre, mais ne renaquit point
pour Schœdde. Notre ex-président
luf heureux de trouver à se placer
comme conseiller de chancellerie à
Varel au service du prince de Ben-
tinck,qui sollicitait alors auprès du
congrès de Vienne la seigneurie de
Varel et Kniphausen (1815). Mais
les demandes du comte n'ayant
point été admises, il résilia son poste
et alla remplir à Francfort celui de
conseiller secret de légation pour le
tluc de Hesse - Hombourg (1818)',
enfin l'année suivante, par l'inter-
médiaire de son beau-frère, le géné-
ral Ochs, il rentra en grâce auprès
de son souverain, qui, avec son an-
cienne place de bailli eu chef juge
au tribunal criminel de Schmalkalde,
lui conféra le titre de conseiller de
SCH
351
régence. Plus tard, quand à l*avéne-
ment de Guillaume H on sépara l'ad-
ministration d'avec la justice propre-
ment dite, Schœdde conserva son
titre, et de plus reçut celui de con-
seiller de cercle de Schmalkalde,
parce qu'on tenait à le garder dans
un pays qu'il connaissait à fond et
qui le connaissait. 11 y avait fait beau-
coup de bien depuis la restauration*,
il continua de même avec autant de
lumières que de zèle. Il aida essen-
tiellement par exemple aux amélio-
rations introduites dans l'agriculture
et les prairies, il diminua la mendi-
cité, il facilita l'institution des écoles
du dimanche. Enfin, en 1830, il fut
appelé à Fulde comme membre de la
régence. C'est là qu'il mourut le 22
aoiit 1835. Au milieu de tous ces
soins d'affaires judiciaires et d'admi-
nistration, Schœdde avait toujours
trouvé du temps à donner aux let-
tres. Il était membre de plusieurs
sociétés savantes. Il a laissé des poé-
sies, et principalement des satires et
des drames; sa tragédie de V Alle-
mand à Naples fut jouée à Cassel
en 1788 avec grand succès, et l'in-
cendie du théâtre interrompit seul
les représentations ; une autre œuvre
tragique, la Vengeance et V Amours
fut également représentée à Schmal-
kalde et accueillie avec faveur (1805).
Quelque chose de plus prodigieux
peut être,c'est que, tout en cultivant
ainsi les muses, il s'occupait d'agro-
nomie avec succès, et qu'à l'époque
même où il livrait à la scène l'Alle-
mand à Naples, son Mémoire sur la
serre des fruits était couronné par la
société d'agriculture et des arts de
Cassel. P— OT.
SCHOELL (Maximilien-Samson-
Frédéric), publiciste et philologue,
fut ua des écrivains politiques et
SS5
SCH
SCH
littéraires les plus féconds de notre
époque. Sa vie, très-agitée, fut tra-
versée par beaucoup de vicissitudes
(l.ms !;i carrière des révolutions et
dans celle du couniiercc ; car il ne se
contenta pas de se mêler aux événe-
ments politiques et de composer des
livres, il en imprima et en vendit à
plusieurs reprises dans divers pays.
Enfin, il fut notre collaborateur dans
cette Biographie universelle^ à la-
quelle il a donné de très-bons ar-
ticles, et dont quelques-uns, notam-
ment les Schulembourgi restés iné-
dits, parce qu'ils nous parvinrent
trop tard , sont imprimés dans ce
supplément , et plus particulière-
ment dans ce 81« volume. Frédéric
Schoell naquit le 8 mai 1766, dans un
bourg de la principauté^ de Nassau-
Saarbruck, où son père était bailli.
Orphelin dès l'âge de sept ans, il lit
ses premières études au gymnase de
Bouxwiller, puis à l'université de
Strasbourff, où il reçut des leçons
d'histoire et de droit public du cé-
lèbre Koch, qui le prit en affection,
et dont il a parlé dans plusieurs
passages de ses écrits avec admira-
tion et reconnaissance. Ses études
étaient achevées en 1787, quand il
fut attaché par la veuve du général
fie Kroock à l'éducation de son lils,
et qu'il accompagna ce jeune Livo-
nien dans ses voyages en Italie et en
France. Se trouvant à Paris en 1789.
lorsque éclatèrent les premiers dés-
ordres de la révolution, il partagea
d'abord les idées sous l'influence des-
quelles s'opérait cette grande com-
motion, ce qui était fort naturel à
son âge et dans sa position ; mais
nous verrons qu'il fut prompt à se
déclarer contre les innovations quand
il en reconnut les dangers. Avant
de se lancer dans l'aventureuse
carrière de la politique , il suivit
à Saint-Pétersbourg la famille
russe à laquelle il s'était atta-
ché , mais dont il se sépara bien-
tôt pour revenir à Strasbourg où il
revendiqua le droit de bourgeoisie
qu'avaient eu ses ancêtres (1). Il
entra, en 1790, dans la carrière du
barreau, qui convenait assez bien à
son élocution facile dans les deux lan-
gues (l'allemand et le français) et aux
avantagesd'unbel organeetd'un phy-
sique remarquable. La première cause
qu'il eutà défendre fut celle de Koch,
son ancien maître, que dans le langage
de cette époque on accusait de fana-
tisme, parce qu'il avait soustrait à
l'encan universel des biens natio-
naux les propriétés des écoles et
des églises protestantes en Alsace.
Schoell obtint beaucoup de succès
dans cette affaire, et la brochure qu'il
publia sous ce titre en allemand : Vn
mot sur le décret du 10 août 1790, qui
assure leurs biens aux protestants
d'Alsace , lui fit un commencement
de réputation. Il fut aussitôt nom-
mé membre du conseil du départe-
ment du Bas-Rhin, puis substitut du
procureur-général de la commune de
Strasbourg. C'est en cette qualité
qu'il signa avec Dietrich, dont il était
l'ami, les belles et énergiques pro-
testations de ces autorités contre la
déchéance de Louis XVI au 10 août
1792 (voy.DiETRiCH,XI, 346)-, et lors-
que cet infortuné maire fut envoyé
au tribunal révolutionnaire, il prit
ouvertement sa défense dans une
autre brochure Sur Friedrich Die-
trich,eoc -maire de Strasbourg, et sur
ses accusateurs^ Strasbourg, 1793,
in-8". Cette publication , très-cou-
(i) La ville de Strasbourg, par suite d'an-
ciennes capitulations , avait conservé sous
la raonarchie les formes d'une république
beaucoup plus vraies et plus réelles que
tout ce qu'où a l';iit depuis au nom de la
liberté et de l'éoidité.
SCH
rageuse à une \e[\o époque, ex(^ita
(le plus en plu<î coufre Schoell la
haine «les Jacobins; il fut mis en
arrestation, et oblige de se sauver
aussitôt après avoir été rendu à la
liberté. Alors il se cacha aux environs
de Colmar, puis dans les Vosges et à
Mulhouse, d'où il gagna la Suisse,
déguisé en garçon boucher. Après
un séjour de quelques mois à Baie,
où il fit pour la première fois des
affaires de librairie, la réputation de
son savoir qui commençait à se ré-
pandre en Allemagne le lit appeler
à Woimar, cette nouvelle Athènes,
où il trouva quelques amis, et où
la grande- duchesse Louise, comme
lui élève de Bouxviller {voy. Saxe-
Weimar, dans ce vol., p. 220), lui fit
le meilleur accueil. Il n'y resta néan-
moins que peu de temps, ayant été
chargé par Decker, de Berlin, de
la direction d'un établissement que
cet imprimeur venait de former à
Posen. Schoell ne séjourna encore
que quelques mois dans cette
ville, où il rédigea, sous le titre de
Prusse méridionale, une gazette dans
laquelle se trouve une série de beaux
articles historiques de sa composition
qui furent traduits en français et
réimprimés dans l'histoire du procès
de Louis XVi, sous le titre (.V His-
toire des factions en France. Schoell
ne quitta l'imprimerie de Posen que
pour aller en diriger une autre que
le même Decker possédait à Baie.
Il se trouvait dans cette ville lorsque
la paix y fut conclue, en 1795, entre
le roi de Prusse et la république
française. Cette circonstance donna
une grande impulsion aux affaires de
la maison Decker, qui devint bientôt
l'entrepôt de la plupart des livres
français qui se vendaient en Suisse
et en Allemagne. Schoell la dirigea
long-temps, et il y lit d'assez bonnes
LXXXI.
SCH
oo«»
affairesjusqu'àrannéel803,oùilvint
s'établir à Paris, associé des frères
Levrault. Cette société se maintint
jusqu'en 1806, où elle fut obligée de
se dissoudre après des pertes consi-
dérables.Sehoellcontinuanéanmoins
seul les affaires de la maison, qui ac-
quit beaucoup d'importance, et il
forma de grandes entreprises, entre
autres la publication des Voyages de
Humboldt et Bompland et celle d'un
Dictionnaire des sciences naturelles
rédigé par les plus distingués de nos
savants. Mais la stagnation du com-
merce et surtout les funestes consé-
quences du blocus continental ame-
nèrent bientôt sa ruine, et, comme
beaucoup d'autres li braires de la capi-
tale, il se trouvait dans une position
très-fâcheuse quand les alliés entrè-
rent k Paris en 18H. Alors, vivement
recommandé par M. de Humboldt et
spécialement protégé par le baron de
Hardenberg, il entra dans la diplo-
matie prussienne à laquelle on pense
qu'il avait déjà rendu quelques servi-
ces. Admis dès lors dans le cabinet
du roi de Prusse avec le titre de con-
seiller de cour, il resta, au départ de
ce monarque, comme attaché à l'am-
bassade prussienne près de la cour de
France, jusqu'au retour de Bonaparte
échappé de l'île d'Elbe en mars 1815.
Alors,appeléà Vienne par le prince de
Hardenberg, il passa par Strasbourg,
et se trouva dans cette ville au mo-
ment où Suchet, qui y commandait ,
se disposait à faire passer les troupes
sous le drapeau de Napoléon. De con-
cert avec ses amis Levrault,Schoell fit
de vains efforts pour que le maréchal
demeurât fidèle au roi, et il a donné
sur ce fait, dans le sixième volume de
son Recueil de pièces officielles , des
détails extrêmement curieux. 11 ne
quitta Strasbourg que quand cette
ville eut passé définitivement sous le
354
SCH
SCH
pouvoir de Napolron>el il se reiulità
Vienne où il resta jusqu'à la fin du
congrès. Revenue Paris aussitôtaprès
le rétablissement de Louis XVill^ il
y reçut le litre de conseiller aulique
de S. M. le roi de Prusse^ atlaché à
sa légation à Paris, Dans cette
position il prit une grande part aux
négociations qui amenèrent les trop
fameux traités de 1815. Sans doute
qu'il ne dépendit pas de lui que ces
traités ne fussent moins funestes à
la France, car il était au fond très-
attaché à sa première patrie. Son
traitement, comme celui de tous les
fonctionnaires prussiens, était peu
considérable ; mais il s'en dédom-
mageait par son commerce de librai-
rie qu'il n'avait point interrompu, et,
par des publications dont la chan-
cellerie prussienne lui fournissait les
éléments. Quelques-unes de ces pu-
blications , entre autres ceîle du
Recueil de pièces officielles destinées
à détromper les Français sur les
événementSy9vo\. în-8'', eurent alors
un très-grand succès, et l'histoire y
trouveencore des documents précieux
et irrécusables sur cette malheu-
reuse époque. Schoell se rendit à
Aix-la-Chapelle, en 1818, avec Har-
denberg , et il le suivit encore à
Troppau, à Laybach et à Rome en
1820. Il était auprès de lui à Gênes
lorsque ce ministre y mourut le 26
novembre 1822 ; et il retourna à Ber-
lin aussitôt après, mais son crédit
n'y était plus le même depuis la mort
de son protecteur. Cependant il fut
nommé membre du conseil de censure;
mais il n'eut plus de part aux affaires
de l'Étit. On a pensé que l'intolérant
Frédéric-Guillaume ne lui pardon-
nait pas d'avoir permis qu'une de ses
filles se fît catholique. C'est alors que
Schoell ouvrit daus cette capitale, de-
vant un nombreux auditoire, le cours
d'histoire que plus tard il a lait im-
primer, et qui est resté son plus im-
portant et son plus volumineux ou-
vrage. TouteTois c'est moins une
histoire qu'une juxta-position d'his-
toire, sauf pour la 4® partie où les
tomes XXXVII et XXXVIII synthé-
tisent bien le tableau des faits de
1715 à 1789. Très-raremeut l'auteur
se peru»et quelque animation de style
ou quelque profondeur; eniin les di
verses parties de l'ouvrage sont dé-
mesurément dispi*oporlioiinées. Di-
visé en quatre grandes parties, les
trois premières de 11 volumes, plus
unetableen 1 volume, il nedonne les
dix siècles du moyen âge que comme
1"^^ part ie,et 1453-1 618 en sont une 2%
1618-1715 la 3% 17151789 la i«. Les
subdivisions mêmes sont quelquefois
peu heureuses dans la 1'* partie.
Ainsi couper le moyen âge eu 5 sec-
tions, dont la 2* de 800 à 963, pour
faire aller la 3« de 963 à 1073, c'est
morceler disgracieusement une des
périodes les plus nettes de l'histoire,
le moyen âge n'en ayant évidemment
que 4 ou 3, et la 2« dans tous les
cas s'étendant de 800 ou plutôt de
752 à 1073 ou plutôt 1095. Les deux
dernières parties (21 volumes ou 23
avec les tables) ne sont guère d'ail-
leurs que la réimpression augmentée
des Traités de paix. Malgré les dé-
fauts que nous signalons et les res-
trictions quenous mêlonsà l'éloge, le
Cours d'histoire des États européens
sera long-temps un manuel fort utile.
Quoique insuffisant, pour les quatre
subdivisions établies par Schoell
daus le moyen âge, il contient là
même beaucoup de détails qu'on cher-
cherait vainement dans d'autres li-
vres usuels. La 5* section du moyen
âge et toute la 2« partie (XllI-XXIll)
sont écrites dans des proportions
tout à fait heureuses, et un peu de
SCH
SCH
355
froideur, un peu de sécheresse à paît,
elles peuvent presque s'appeler des
compilations parfaites. Dans les deux
dernières se trouvent une foule de
de'tails importants , surtout pour
ce qui touche aux négociations, aux
traités, et plusieurs parties sont écri-
tes de main de maître , par exemple
la guerre de Trente-Ans, l'hisioire
de Suède depuis l'avénement de la
maison de Deux Ponts, la période de
la politique oscillante (1715-1740),
la neutralité armée du Nord, etc.
Il faut regretter que presque jamais,
surtout flepuis 1648, on n'ait, quand
il s'agit de la biographie des hom-
mes influents, que des traits officiels,
et que le respect de l'auteur pour les
têtes couronnées elles chancelleries
l'empêche de donner jamais au vif
et au vrai \d^ physionomie des per-
sonnages. Lisez le chapitre sur l'An-
gleterre, de 1715 à 1789; vous y ver-
rez les ailfances, les partis, les ba-
tailles, les sessions et dissolutions du
parlement, les conquêtes et les per-
tes, mais jamais vousne vous doute-
rez de ce que c'était que Georges lei ,
Georges II et Georges III, de ce que
c'était que Walpole et Bolmgbroke,
et Chatam, et Bute et North. Onde-
vinebienque l'histoire de la politique
prussienne y présente encore plus
de lacunes et de réticences, surtout
dans les derniers temps, où cette po-
litique fut conduite avec tant de dis-
simulation et de duplicité. Mais il ne
pouvait guère en être autrement dans
une entreprise que l'auteur annonça
par son prospectus être faite sous la
protection de S. M. prussienne, et
avec de nombreuses souscriptions de
sa famille, ainsi que d'autres grands
souverains. On remarque l'impartia-
lité avec laquelle toutefois Schoell
parle fin protestantisme. Les pages
qu'il consacre à l'histoire de la ré-
fornte sont vraiment des modèles
sous ce point de vue, et contrastent
bien avec le ton de dénigrement et
d'insolence de mauvais goût qui re-
vient si souvent chez les Anglais,
quand ils traitent cette matière. On
pourrait même dire que Schoell parle
quelquefois en catholique. Il semble
véritablement porter dans son cœur
les jésuites, que jamais il ne nomme
qu'avec vénération et qu'il s'appli-
que à disculper, autant que le peut
un historien instruit et de bonne
foi, de tous les torts qui leur ont été
imputés. Leur cause, à ses yeux, était
celle des monarchies, et leur chute a
été, dit-il, pour beaucoup dansles bou-
leversements de l'Europe qui ont suivi
de si près l'actede Ganganelli.Ce fut
surtout pour publier son Cours d'his-
toire que Schoell revint en France
au commencement de 1830 , avec
une assez forte pension du roi de
Prusse dont il avait probablement
reçu des instructions. Il se trouvait
k Paris lors de la révolution de juil-
let, qui parut le contrarier vivement,
mais ne l'empêcha pas de travail-
ler avec ardeur à sa grande publi-
cation. Il en avait déjà fait paraître
30 volumes lorsqu'il mourut le 6
août 1833. Il laissa le manuscrit des
autres presque achevé, et ils ont été
publiées|par les soins de M. Guérard,
notre collaborateur. Pihan de La Fo-
rest en a donné, dans la même année,
une très-bonne analyse qu'il a fait
précéder d'une Notice historique sur
l'auteur. Les écrits que Schoell a pu-
bliés, indépendamment de ceux que
nous avons indiqués dans le cours de
cet article, sont: I. La continuation
du Voyage pittoresque en Alsace,
dont les cinq premières livraisons
avaient été rédigées par Grandidier
et les deux autres par Schoell, Stras-
bourg, 1785 90, in-4". Il (avec les
23.
356
SCH
professeurs Fritz, Dahlerrt Pries, dfi
Strasbourg;) Journal de la deuxième
Assemblée naiionale depuis le i>-'Oct.
ndi jusqu'au V aoûl 1792, Stras-
bourg, 4 vol.in-8" ((Miallemaïul). 111.
Grammaire de la langue allemande,
à Vusage des Français, Strasbourg:,
1793, in-8°. IV. Répertoire de litté-
rature ancienne^on Choix d'auteurs
ckii^siques grecs et latins^ etc., Paris,
1808, 2 vol. in-8° ; 2" édit, 1810. V.
Précis de la Révolution française et
des guerres que la France a soute-
nues jusqu'au V^ avril 180[iyin-S°. La
date de ce livre indique assez que la
censure impériale y a exercé son in-
llucnce. VI. Tableau des peuples qui
habitent VEurope, classés d'après les
langues qu'ils parlent et la religion
qu'ils professent, Paris, 1809, in-18,
seconde édition (augmentée d'utiles
et larges suppléments, la plupart sur
la linguistique), 1812, 1 voî. in-8".
VÏI. Éléments de chronologie histo-
rique, Paris, 1812, 2 vol. in- 18;
Vlil. Précis de l'histoire universelle,
politique, ecclésiastique et littéraire,
depuis la création du monde jusqu'à
la paixde Schœnbrunn, traduit de
Pallemand de Zopf, par Jansen, Paris,
1810, 5 vol. ia-12 (la part de Schoell
ici comprend la partie politique des
deux derniers siècles, presque toutes
les notices sur les littérateurs du
nord, deux mémoires sur les langues
et les religions des peuples de l'Eu-
rope , plus la table alphabétique).
IX. Description abrégée de Rome
ancienne, d'après Ligorius, Donati,
Nardinif Adler et des voyageurs mo-
dernes^ etc., Paris, 1811, in 12; 2^
édit., 1812, 2 vol. in-i8, dans la Bi-
bliothèque historique à l'usage de
la jeunesse. X. Histoire abrégée de
la littérature grecque, depuis son
origine jusqu'à la prise de Cou-
stantinoplc, Paris, 1813, 2 vol. i!l-8^
SCH
C'est un résmnétrè.s-succinct et très-
sec, mais généraleuicnt très-exact et
h peu près sullisant, pour qui n'est
pas un savant de profession , de tout ce
que l'on connaissait alors d'essentiel
sur la littérature greccjue. Les deux
volumes ont eu les honneurs d'une
deuxième édition, mais chacun à part
et très-différemment. Le deuxième en
elfet a été réimprimé tout simplenjent
sous le titre d'Histoire abrégée de la
littérature grecque sacrée et ecclé-
siastique^ Paris, 1832,in-8*>. Le pre-
mier, sous le titre à^Histoire de la
littérature grecque profane, Paris,
1823-1825, s'est distendu en 8 vol.
in-8'' au moyen d'indications biblio-
graphiques et d'extraits placés au
bout de la notice de chaque auteur.
Schoell a de plus tiré à part la table
chronologique qui terminait tout l'ou-
vrage et lui a donné ce titre: XI.
Table systématique de Vhistoire de
la Grèce, Paris, 1813, in-8". XII.
Histoire abrégée de la littérature
romaine^ Paris, 1815, 4 vol. in-8°.
XIIÏ. Congrès de Vienne, Recueil de
pièces officielles relatives à cette as-
assemblée et qu''elle a publiées, Paris,
1816-18, 0 vol. in-8". Il ne faut pas
confondre ce rec'ueil avec le volume
intitulé Teœîe du congrès de Vienne
au 9 juin 1815 avec les pièces qui y
sont annexées, etc., Paris, 18i5,
lequel n'est que le huitième tome tiré
à part des Pièces officielles en 9 vol.
ci-dessus mentionnées. XIV. //ùfoîVe
abrégée des traités de paix entre les
puissances de VEurope, depuis la
paix de Westphalie, par Koch, en-
tièrement refondue et augmentée jus-
qu'au traité de Vienne par Schoell,
15 vol. in-8°, Paris, 1817-18. La pre-
mière édition avait paru en 179(5, 2
vol. in-8**. Schoell, élève, ami cl léga-
taire des manuscrits de Koch, a lait
de cette sociuulc édili<jn un ouvraire
SCH
tout-à-fait neuf et beaucoup plus
c'teudu, où chaque traité forme un
chapitre particulier, et dans lequel
le nouveau rédacteur a indiqué les
motifs ou les preiextes de la
guerre XV. Annuaire généalogi-
que et historique fpour les années
1819 22), Paris, 1818-21, 4 vol. iu-18.
XVI. Archives historiques et poli-
tiques,ou Recueil depièccs officielles,
mémoires^ morceaux historiques,
inédits oxipeu connus, relatifs à l'his-
toire des XVI 11' et XIX" siècles, fai-
sant suite au Recueil de pièces ainsi
qu'à l'Histoire des traités de paix,
Paris, 1818-19, 3 vol. in-8«. XVII.
Esquisse d'unehistoire de ce qui s'est
passé en Europe depuis le commen-
cement de la révolution française
jusqu'au renversement de l'empire de
Jionaparte,?iiV\s, 1823, in-8«. XVIIÎ.
Cours d'histoire des États européens^
depuis le bouleversement de Vempire
d'Occident jusqu'en 1789, Paris,
1830 et années suivantes, 4G vol.
in-8". Nous ajouterons à ce que nous
avons dit sur cet ouvrage que ce fut
le dernier et le plus considérable de
Fauteur. Il y a rassemblé la plupart
de ses précédentes publications his-
toriques \ tout y est parfaitement
classé et résumé. C'est s;insnul doute
la collection la plus utile de ce genre.
Lors de la publication des Mémoires
tirés des papiers d^un homme d'État
(1828),Schoell fut soupçonné parle
cabinet de Berlin d'avoir fourni les
matériaux de cet ouvrage remarqua-
ble, que le public attribua d'abord
au prince de Hardenberg ; mais il
paraît que Schoell se justilia osten-
siblement du moins, et que l'on sait
aujourd'hui positivement que c'était
par une autre voie que Beauchamp,
véritable auteur de ce recueil, s'était
en effet procuré des matériaux échap-
pés au portefeuille du ministre prus-
SCH
357
sien {voy. Hardeinberg, LXVI, 415).
Quoi qu'il en soit, on peut dire qu'à
défaut d'autres preuves , ce soupçon
seul de la part du cabinet prussien
prouve assez pour l'exactitude des
renseignements. M — Dj.
SCMŒNFELD ( le baron de),
général prussien, était officier supé-
rieur lorsqu'il entra au service des
Pays-Bas autrichiens, soulevés contre
l'empereur Joseph H. Ce fut sans nul
doute sur l'ordre de son gouverne-
ment qu'il vint offrir son épée aux
patriotes brabançons. La Prusse avait
besoin d'un ngeuthabilcqui lui rendît
compte de toutes les phases de la ré
voltc ; de plus, en ce moment elle
était intéressée à ce que ces provin-
ces secouassent le joug autrichien.
Schœnfeld se mêla donc à cette lutte
d'une manière fort active , et sa
mission fut autant diplomatique que
militaire. Nommé général par l'in-
fluence de Van-der-Noot {voy. Noot,
LXXV, 466) , il se montra d'abord
très - dévoué à la cause patrioti-
que, et commanda les insurgés dans
plusieurs rencontres. Mais bientôt il
reçut de sa cour des instructions se-
crêtes tout à fait opposées. Ce chan-
gement tenait à une considération
de politique générale-, la dévolution
française venait d'éclater, et en pré-
sence de ce foyer de désordre rui
menaçait l'Europe entière, les sou-
verains durent faire cause commu-
ne. Frédéric-Guillaume et Le^pold
se réunirent à Reichenbach, et de
cette entrevue résulta le traité d'al-
liance du 27 juillet 1790, dont une
des principales conditions portaitque
la Prusse ne mettrait plus aucun ob-
stacle à la répression de la révolte des
Pays-Bas. Ce fut durant ces négocia-
lions que Dumouriez vint à Bruxelles.
Schœnfeld ne lui cacha pnscpiede
l'issue des conférences de Keichen-
358
SCH
bacli dépendait le sort de la Belgique.
En effet, le dénouement ne se fit point
attendre : Schœnîeld, depuis la dis-
grâce de Van-der-Mersch {voy, ce
nom, XLVll, 432) à laquelle il avait
particulièrementcontribué,comman-
dait en chef Parmée nationale. 1 1 n'op-
posa qu'une très-faible résistance au
corpsdu général Bender. En quelques
marches et presque sans coup férir,
les Autrichiens rétablirent la domi-
nation de l'empereur. Schœnfeld re-
tourna alors en Prusse, où le roi lui
fit uji gracieux accueil et l'éleva au
grade de général. En 1792, il alla à
Coblentz remplir une mission de con-
fiance auprès des princes français,
puis il commanda une des divisions
de l'armée prussienne en Champagne.
L'année suivante, il fut employé au
siège (le Mayence et dirigea les atta-
ques de Kostheim. Celle du mois de
mai ne réussit pas, mais, plus heureux
le 8 juillet,ils'emparadeceposte Le
courage et l'habileté qu'il y déploya
lui valurent la décoration de- l'Ai-
gle-Rouge, avec une lettre flatteuse
de son souverain. Le 14 septembre,
il combattit àPirmasens, et la charge
de cavalerie qu'il fit exécuter si har-
diment décida du succès; il y fut
blessé, et le roi, dans une lettre de
félicilation sur sa bravoure, lui en
expçima tous ses regrets. En 1794,
Schœnfeld servit en Pologne ; déta-
ché sur la rive gauche de la Vistule,
pour couvrir de ce côté le siège de
Varsovie,il repoussa, le 27 août, Ma-
dalanski qui voulait se jeter dans la
province de Posen. Blessé de nou-
veau grièvement dans cette cam-
pagne, il se retira en Prusse et mou-
rut peu de temps après, vers le com-
mencement de 1795. C — H— N.
SCHŒNLEBEN (Anna), célèbre
empoisonneuse, qu'avec quelque rai-
son onaconipareeà la Briimlliers,ua
SCH
(1 u it à Nuremberg en 1760 et perdit ses
parents dès sa première enfance. Éle-
vée avec beaucoup de soin par son
tuteur qui l'aimait tendrement, elle
resta près de lui jusqu'à Page de
19 ans, et épousa ensuite un notaire
nommé Zwazinger. La solitude et la
tristesse de la vie conjugale contras-
taient péniblement à ses yeux avec
la gaîté de la maison qu'elle venait
de quitter. Délaissée par son mari,
que des goûts ignobles éloignaient
de toute société , elle charma ses
ennuis par la lecture des romans nou-
veaux, cherchant à oublier ses cha-
grins en pleurant sur ceux de Wer-
ther,de Malvina, etc. La fortune qu'An-
na avait eue de ses parents fut bientôt
dissipée par l'extravagance de Zwa-
zinger; et, à l'âge de 25 ans, elle se
trouva réduite à la misère, sans pou-
voir espérer aucun adoucissement à
son malheur par l'affection de son
mari ou l'estime publique. Nour-
rie d'idées romanesques qui avaient
encore exalté la vivacité naturelle de
ses passions, sans aucun principe qui
pût la garantir des dangers qui en-
vironnent une femme jeune, jolie et
sans appui, elle se livra sans réserve
aux séductions qui s'offrirent à elle.
Son mari, tombé dans le dernier de-
gré d'avilissement, ne rougit pas de
tirer parti de la honte de celle dont
il avait causé la ruine, et jusqu'à sa
mort, qui arriva quelques années
après, il partagea la demeure et les
infâmes profits de sa femme. Après
la mort de Zwazinger, la vie d'Anna
fut une scène continuelle d'abjection
et de licence effrénée. Forcée de
montrer de rattachement quand elle
n'en éprouvait aucun, raillée ou trai-
tée avec mépris quand elle éprouvait
un véritable désir de plaire, sans
asile, sans amis, elle devint une hy-
pocrite consommée. Une haine impla
I
SCH
cable contre le genre humain s'em-
para de son cœur, en éloigna tout
sentiment honnête, et n'y laissa que
la déterniin;ition profonde d'ainélio-
rer son sort par tous les moyens pos-
sibles. Ce fut en 1808 qu'un conseil-
ler à la cour de Pegnitz, nommé Gla-
ser, la prit à son service en qualité
de gouvernante. 11 était sép.iré de sa
femme; Anna fit tous ses efforts
pour rapprocher les deux époux et y
réussit, à la satisfaction de toute la
ville ; mais cette réunion fut de
courte durée, car bientôt après le
retour de madame Gloser au domicile
conjugal, ellefut saisie d'une violente
maladie qui l'emporta en moins de
troisjours. M. Glaser, voulant s'éloi-
gner.de Pegnitz après cet événement,
plaça Anna chez un célibataire son
ami, le conseiller Grohmann, dont la
faible santé demandait des soins as-
sidus. La gouvernante montra en vain
un zèle et une intelligence remarqua-
bles dans son nouvel emploi ; la ma-
ladie du conseiller devint plus grave,
et il mourut le 8 mai 1809 dnns les
bras d'Anna Schœnleben, qui ne l'a-
vait pas quitté un seul instant, et qui
parut inconsolable de sa perte. La
bonne réputation que lui avaitacquise
sa patience , son habileté comme
garde-malade, la firent entrer chez
le président Gebhard, dont la femme
accoucha peu de jours après. Son
zèle ne se ralentit pas dans cette mai-
son, et chacun vantait les soins que
la mère et l'enfant recevaient d'elle
lorsque, le septième jour après ses
couches, la jeune femme fut saisie
de spasmes, de vomissements, de con-
vulsions, pendant lesquelles elle s'é
cria qu'elle avait été empoisonnée.
Elle mourut dans d'inexprimables
douleurs. M. Gebhard pensi^ne pou-
voir trouver une meilleure gouver-
nante pour son enfant que celle qui
scu
359
avait montré tant d'assiduité et d'in-
tt^lligence pend.mt la maladie de sa
femme; il lui remit entre les mains
le petit orphelin et lui confia la surin-
tendance de sa maison. Quelques
amis essayèrent inutilement de le dé-
tourner de cette résolution, en lui re-
présentant ia fatalité qui semblait
poursuivre cette femme dont l'arri-
vée était un présage de mort dans^
toutes les maisons qui l'avaient
reçue. Le président repoussa ces
insinuations et continua de donner
à Anna tous les témoignages d'une
confiance illimitée. Ses amis ne se
rebutèrent cependant pas, et au bout
de six mois, aidés de quelques cir-
constances qui jetaient du louche sur
la conduite de la gouvernante, ils ob-
tinrent enfin son renvoi, que M. Ge-
bhard lui annonça avec tous les mé-
nagements capablesd'adoucir le coup
dont il la frappait à regret. En appre-
nant celte nouvelle inattendue, Anna
parut d'abord très-émue, témoigna un
vif regret de se séparer d'un enfant
qu'elle avait vu naître, mais ne fit
entendre aucune plainte, et résolut
de partir pour Baireuth le jour sui-
vant. Elle employa le peu de temps
qui lui restait à mettre tout en ordre
dans la maison, distribua des provi-
sions pour les jours suivants, fit
prendre du café aux autres servantes,
et, avant de monter dans la voilure
que son maît re lui avait procurée pour
son voyage , elle donna à l'enfant
un biscuit trempé dans du lait pour
apaiser les cris qu'il jetait en la quit-
tant. A peine une heure était -elle
écoulée depuis son départ, que les
servantes et l'enfant furent pris de
violentes douleurs qui durèrent une
partie de la journée, et qui les mirent
aux portes du tombeau. Les soupçons
que l'on avait conçus prirent alors
plus de consistance ; on examina tout,
360
SClI
SCH
et l'on trouva enliii trente grains
d'arsenic dans un baril de sel ({ui
avait été rempli le matin même par la
gouvernante. 11 ne pouvait plus res-
ter aucun doute sur la série de n]orts
extraordinaires qui s'étaient succédé
dans les maisons habitées par Anna
Schœnleben. On s'étonna seulement
d'à voi r si longtemps fermé lesyeux sur
des preuves aussi évidentes, et toutes
lescirconstances qui jusque-là avaient
passé inaperçues se présentèrent à la
mémoire de ceux qui en avaieut été les
témoins. On se rappela, par exemple,
que deux amis de son maître ayant
dîné avec lui le 10 août 1809 avaient
été saisis dans la soirée de vomisse-
ments, convulsions, spasmes sem-
blables à ceux qui avaient tourmenté
les servantes le jour du départ d'Anna,
et dont l'infortunée madame Gebhard
était morte quelques mois aupara-
vant. Dans une autre occasion, elle
avait donné un verre de vin blanc à
un domestique qui était venu appor-
ter uii message, et, à son retour chez
son maître, cet homme avait été assez
mal pour garder le lit pendant plu-
sieurs jours. Une lille de cuisine, qui
se querellait fréquemment avec elle,
avait éprouvé les mêmes symptômes
que ses compagnes, après avoir pris
une tasse de café donnée par cette
détestable femme. Enfin, le 1" sep-
tembre de la même année , son
maître, qui avait réuni quelques
amis, l'ayant envoyée à la cave
pour y chercher de la bière, fut atta-
qué, une heure après, lui et sept des
convives, de spasmes et de vomisse-
ments. Quoiqu'il fut difficile, après
le temps écoulé depuis la mort des
personnes que l'on supposait avoir
e'té victimes de la misérable Schœn-
leben, de pouvoir recueillir des preu-
ves certaines à l'inspection de leurs
cadavres, on procéda cependant à
l'exhumation, (|uii>roduisit les traces
les plus évi(h:ntcs de la présence de
l'arsenic. Cette substance se retrouva
encore intacte dans l'estomac de ma-
dame Gebhard. Tendant ce temps,
Anna vivait tranquille à Baireuth, en
apparence insensible à l'orage q«ii
grondait sur su tête. Son hypocrisie
la conduisit même à écrire ii son maî-
tre, pendant la route, pour lui repro-
cher l'ingratitudedontil s'étaitrendu
coupable en renvoyant celle qui, de-
puis six mois, avait été l'ange tuté-
laire de son enfant orphelin... Bien
plus, en passant à Nuremberg, elle
osa aller demander un asile à la mère
de sa dernière victime, !a femme du
président Gebhard. Arrivée h. Bai-
reuth, elle écrivit encore plusieurs
fois à ce dernier, dans le but évident
de l'engager à la reprendre chez lui.
Enfin elle fit quelques tentatives, éga-
lement infructueuses, pour rentrer
chez son premier maître, M. G laser.
Le mandat décerné contre elle fut
mis à exécution le 19 octobre. En la
fouillant , on trouva deux petits
paquets d'arsenic et deux autres
de cobalt arsenical. Malgré tant de
preuves accablantes, elle persista
long-temps à tout nier^ ce ne fut que
le 16 avril 1810, pendant une nou-
velle lecture du procès-verbal de la
levée du corps de madame Glaser,
qu'elle confessa enfin lui avoir deux
lois administré du poison. L'issue
d'un semblable procès ne pouvait être
douteuse : Anna Schœleben fut cou-
damnée à la peine de mort. Elle en-
tendit prononcer sa sentence sans
manifester la moindre émotion, et
dit aux juges, avec un horrible sang-
froid, que leur arrêt sauvait la vie à
beaucoup de monde ; «car, ajouta-t-
elic, je sens que si j'avais vécu,
rien n'aurait pu m'cmpêcher de faire
encore usage du puibon. » Z.
SCH
SCIIOLARIUS (George), cl plus
tard GENNADirS , patriarche de
Coristanlinople , naquit selon toute
apparence dans celte ville , et au
coinineiiccment du XV siècle, car il
semble avoir été plus jeune que son
ami Pliileiphe (1) né, comme on sait,
en 1398.Quoiquedestiné à la carrière
du droit, il étudia et approfondit la
philosophie et la théologie : la philo-
sophie, puisque Mart. Crusius,sur de
bonnes autorités sans doute, lui
donne la qualification de philosophe ^
la théologie, puisque nous le verrons
plus tard traiter avec habileté des
matières théologiques éminemment
controversées. Nous ignorons quels
furent ses débuts , mais il n'avait
guère que, 30 ans quand il devint
juge-général sous Jean VU, et se-
crétaire de l'empereur. Le premier
de ces titres équivalait presque a ce
que nous nommerions le ministère
de la justice, à ceci pièsque l'empire
de Byzance, vers 1435, était réduit à
de si minces proportions, que Con-
stanlinople mise à part, il eût à peine
égalé eu territoire huit de nos dé-
partements moyens. Ses occupations
pourtant étaient nombreuses, dif-
ficiles , et il s'en plaint souvent.
Toutefois elles ne l'empêchaient pas
de trouver des loisirs pour cultiver
la littérature , et pour entretenir
une correspondance active avec des
notabilités intellectuelles de l'épo-
que, notamment avec François Phi-
leiphe dont il avait fait la connais-
(i) En effet il résulte d'une épigijiraine
de Philelphc «jue Scliolarius étJiit tout jeune
(vEapbv Trâvu) quand le docte Italien, jeune
aussi lui-même, vint à Constautinople. Alla-
tius, il tst vrai, pictenil que t.es versserap-
ï»oitcnl à liu autre George Scholarius Gea-
nailius, nicliopolitc de Phases. Mais ce poiut
de vue lieut a son idée qu'il y eut plusieurs
Geuuaùiiij, iilce gratuite et fausse, aujour-
d'iiui abaudonuco (lo/. la uolc 4 ci-après).
SCH
S6l
sauce à Conslanlinople dans sa pre-
mière jeunesse , avec Âmbroise le
Camaldule, avec le vénitien Marc
Lipoman , et , dans l'empire grec
même, avec le grand-duc Luc Nota-
ras, avec le frère de l'empereur ,
Constantin Dragasès, qui lui-même
monta sur ie trône et fut le dernier
des empereurs grecs. Il comptait
encore parmi ses amis un troisième-^
prince impérial, le despote Théo-
dore, dont il a écrit l'oraison fu-
nèbre ; l'évêque Marc d'Ephèse, au-
quel il dédie sa défense d'Aristotc
contre Gémiste Phéthon ; l'arche-
vêque de Crète, Paisios, et nombre
d'autres dignitaires, soit ecclésias-
tiques, soit laïques. Il alliait la piété
au savoir, et même il semble avoir
de bonne heure incliné vers la vie
ascétique, puisque , n'ayant pas en-
core accompli sa trentième année,
il fit notoirement le vœu d'aller se
confiner dans la solitude, c'est-à-dire
probablement de se faire moine. Ce
vœu était-il parfaitement sincère?
C'est un point sur lequel, pour qui
connaît les Byzantins, il serait
difficile de prononcer. Le fait est
qu'il difiéra long -temps, très-
long-temps , la réalisation de cette
promesse à Dieu. Ce fut surtout,
dit-il, parce que, renfermé derrière
les grilles du cloître, il eût laisse
sans appui , sans consolateur, les
auteurs de ses jours. Nous ne con-
testerons pas. Seulement l'histoire a
droit de remarquer que cette excuse
pouvait durer long-temps, et que
lorsqu'il cessa de pouvoir alléguer
celle-là, il en trouva d'autres sous sa
main. Au fait, l'empire grec alors
était en proie aux plus graves em-
barras : d'un côté les Osmanlis ne
cessaient de s'étendre en Thracc, de
l'autre rimpuissance grecque rendait
sans cesse i»lus pressante la grande
362
SCH
question à l'ordre du jour, « En
p.'isserait-on, pour obtenir les secours
(le rOccident, par la nécessité de l'o-
btdience laiine? » On suit à quel poijit
les avis étaient partagés. Mais on
peut résumer la discussion par
deux mots : les Politiques penchaient
pour la réunion ; les Zélés, ceux qui
attendaient du ciel un miracle et
qui n'examinaient pas les voies et
'^moyens, voulaient rester Église à
part. Scholarius, au temps où il
coîumence à jouer un rôle connu,
était des premiers. Il mit à nu son
opinion dans deux opuscules, dont
l'un avait pour but de prouver,
non-seulement par des autorités et
des preuves humaines, mais par les
Ecritures mêmes, que rien ne s'op-
posait à la réunion des deux Églises,
tandis que l'autre recherchait par
quels moyens pouvait s'opérer l'u-
nion reconnue légitime autant
qu'utile. Aussi fut-il du nombre de
ceux qui accompagnèrent l'empe-
reur lorsqu'il s'embarqua pour l'Ita-
lie en 1437. Il eût souhaité séjourner
un peu à Venise auprès de Marc
Lipoman son ami, mais force lui fut
de passer outre, et de se rendre im-
médialement à Ferrare, d'où, quel-
que temps après, il gagna Florence.
Son nom n'est pas au bas des Acte^
du concile, puisqu'il était encore laï-
que à cette époque Mais on le trouve
mentionné dans Ja 25® session du
concile. Jean lui demandait s'il opi-
nait pour ou contre l'union: le grand-
juge répondit par l'aitirmative, et
rappela qu'il avait écrit en faveur
de la solution qu'on était à la veille
d'admettre. Et un peu plus bas les
Actes parlent de trois écrits deScho-
larius offerts au concile après le dis-
cours de Bessarion. Il est vrai que
l'on a soupçonné dans ces deux pas-
sages une double interpolation de
wSCH
la part de quelque Grec zélé pour
l'Union ; mais cette^ hypotbèse ne
repose sur rien, et loin d'être né-
cessaire, elle laisse au contraire une
lacune dans le compte-rendu de la
session. Quant à l'objection qu'on
veut tirer de l'attitude inverse prise
pt'U de temps après par Scholarius.
est-il étonnant, est-il sans exemple
de voir chanter la palinodie ? Ne rem-
plirait-on pas des pages avec les
noms de ceux qui tour à tour ont
écrit pour et contre l'Union ? Ne com-
prend-o.a pas qu'un Grec, un Fana-
riote, et même, pour voir en beau les
choses, un patriote peu scrupuleux
entraîné à un peu de coaipiaisance
en matière de foi par l'espoir de voir
l'Église latine sauver Byzance des
mains de l'Infidèle, n'ait plus senti
le même laisser-aller, le même désir
de conciliation, une fois qu'il devint
bien avéré pour lui que Constanti-
nople, sujette ou non du saint-siége,
serait également délaissée? A notre
sens voilà les causes de la palinodie
deScholarius. Divers ouvrages sortis
de sa plume {voy. plus bas) annon-
cèrent à tous les Grecs son retour
aux doctrines nationales de l'Église
byzantine. Jean Vil en montra
une indignation qui n'était peut-
être que simulée , mais qui pour
la foule semblait témoigner une
opposition vive entre le prince
et le ministre. Scholarius n'en resta
pas moins en place-, et même il donne
ce mécontentement du souverain
comme une des causes qui l'empê-
chèrent encorèd'embrasser la vie
monastique. «On eût pensé, dit-il,
que la disgrâceetpeut-êïre la crainte
des vengeances impériales m'aurait
poussé à chercher un asile au sein
du cioître. » Il semble même qu'il
prononçait tous les samedis soirs,
quoique laïque, devant le monarque
SCH
et le sénat, des discours religieux
assez semblables à des homélies ,
coutume dont on trouve çà et là des
exemples dans l'histoire âa Bas-
Empire (2). Au restes! jamais il y eut
dissidence sérieuse entre Scholarius
et Jean VII, elle disparut presque
entièrement vers la fin du règne de
ce prince ; et notre auteur lui-même
dit qu'au vu et au su de tous, son
maître lui avait rendu ses bonnes
grâces lorsqu'il expira. Et pourtant
Scholarius était aussi loin que jamais
de revenir à l'obédience latine. Au
contraire, il venait de recevoir les
derniers soupirs de l'évêque Marc
d'Éphèse, si connu par l'indomptable
opiniâtreté de son opposition au
concile, et de prêter serment en ses
mains que partout et toujours il
combattraii les décrets de Florence.
L'occasion s'en offrit bientôt; Con-
stantin Dragasès monta sur le trône.
Scholarius, qui savait son penchant
pour l'union, fut un de ceux qui
s'opposèrent à ce que son couronne-
ment eût lieu sur-le-champ , ou
plutôt qui favorisèrent Démétrius
son cadet, sous, prétexte qu'il était
Porphyrogénète. Puis bientôt le
nouveau monarque ayant requis les
secours des Latins contre les Turcs, le
papeNicolasV ne répondit que par des
promesses conditionnelles, exigeant
au préalable la reconnaissancedu con-
cile de Florence par les Grecs , et
envoyant à Constantinople l'évêque
de Cortone pour discuter la question
religieuse. Scholarius se montra,
verbalement peut-être, mais certai-
nement et surtout par écrit, très-
contraire au vœu du pontife. Mais
Constantin, menacé par l'implacable
Mahomet II qui montait sur le trône
en ce moment (1451), et qui brûlait
(a) Par txcniplr, Léon U phîloiiophe.
SCH
363
d'inaugurer son avènement par la
prise de Constantinople, se déclarait
pour la réunion, de laquelle il croyait
pouvoir attendre son salut. Scho-
larius, incapable de faire face plus
long-temps, donna sa démission par
une lettre où il s'évertue à réfuter
les imputations de ses ennemis, et il
se retira dans le couvent du Tout-
Puissant (Pantocrator). Il est croya-
ble que de là il intrigua encore
contre les unionistes, et peut-être
contre l'empereur. En revanche , il
était en butte à bien des espionnages,
à bien des menaces de la part de ce
prince. Pendant un temps sans doute
il espéra revenir aux affaires, et il
ne fit pas profession, mais finalement
il s'y décida, et il prit avec le froc
le nom de Genuadius (3) qui com-
mençait par la même initiale que
le premier de ceux qu'il portait, et
qui semble avoir été dans sa pensée
une allusion à l'intrépidité généreuse
dont il se glorifiait. Il était encore,
s'il faut s'en tenir à l'autorité de
Ducas, au couvent du Tout-Puissant
quand , en réponse aux proposi-
tions portées à Rome de la part de
Constantin par Bryennius Léontarès,
arriva en nov. 1452 un légat du
saint -siège, Isidore, cardinal de
Russie. Dragasès et ses fidèles sou-
scrivirent alors aux décreîs de Flo-
rence ; mais la majorité des grands,
du clergé, de la population laïque
était notoirement hostile, et une
foule fanatique se précipita en tu-
multe au monastère habité par Gen-
nadius, demandant à voir, à entendre
le nouveau solitaire. On l'appela hors
de sa cellule, on le soujma, on le con-
jura (le donner sou avis : long-temps
il refusa de paraître, (t jusqu'au
bout il évita de répondre de vive voix;
(3) Têwa^aç, géuérfox , iptitpide.
154
scu
SCH
seulement il finit par cntr'oiivrir
comme furtivement l'huis desa cel-
lule, alficha en dehors sa décision, et
referma sa porte en toute haie. L'àir
mystérieux de l'ex-grand-juge ne
pouvait qu'ajouter à la curiosité des
regardants. Ils s'-em pressèrent de
lire. L'aftiche commençait par ces
mots : « Malheureux Romains , d'où
vient que vous vous égarez ? »
et il continuait sur le même ton, je-
tant l'anathème sur ceux qui met-
taient leur confiance dans les Latins
et qui répudiaient la foi de leurs
pères. Beaucoup de tètes s'exaltèrent
à cette lecture : il y eut des clameurs,
des rassemblements, des désordres
par la ville ^ des séditieux dans les
tavernes buvaient à la santé de la
Vierge, la suppliaient de protéger
Constantinople contre Mahomet 11,
comme jadis elle l'avait défendue de
Chosroès, et vociféraient contre les
azymites. Au total , toute cette
échauffource n'eut d'autre résultat
que de diviser et de désaffèclionner
plus complètement les Grecs, qu'au
reste rien ne pouvait sauver. On a
souvent parlé de cette déplorable
monomanie théologique qui poussait
les Grecs à dogmatiser, à disputer,
tandis que les Turcs étaient à leurs
portes et assiégeaient leurs murailles;
et il y a au moins quelque justesse
dans ces reproches.Très-certainement
Gennadius fut un de ceux qui abon-
dèrent ainsi dans le sens des poin-
tilleries inopportunes et stériles. La
fin de 1452 et le commencement de
1453 furent employés par lui à écrire,
à discourir sur l'illégimité du schis-
me, à prophétiser la ruine de l'em-
pire et la prise de la ville, prophétie
trop exacte, mais dont l'exactitude
ne tenait point à la fusion des deux
Églises. Quand Constantinople fut
prise (29 mai 1453),Genuadius> ainsi
que beaucoup d'autres, prit la fuite, l
et se cacha aux environs de la capi-
tale. Mais bientôt , soit qu'on eût
trouvé le lieu de son asile, soit qu'il
eût été instruit que le sultan, en
dépit des cruautés partiellesdont ses
Turcs ne se firent pas faute , affec-
tait de traiter ses vaincus avec cer-
taine clémence et aspirait à rétablir
l'ordre, il regagna par contrainte
plutôt que par persuasion son cou-
vent désert; il fut chargé d'y réunir
ce qu'il pourrait de moines ; ceux qui
avaient été faits esclaves lui furent
rendus sans rançon. On lui fournil des
moyens pour relever l'église détruite^
avec l'autorisation, si ce n'est par or-
drede Mahomet H. Puis, le patriarche
Grégoire s'élant démis de sa haute
dignité pour se retirer à Rome,
et le siège étant resté vacant, un jour
le padichah se plaignit à quelques
membres du clergé grec de ne point
encore avoir reçu les salutations de
leur chef ; et ceux-ci lui ayant ré-
pondu qu'ils étaient sans chef pour
l'instant , et qu'ils n'avaient ose en
nommer un depuis l'abdication du
dernier, il ordonna qu'on procédât
sans délai à l'élection suivant les
formes usitées. Malgré ces caprices
de bonté, de tolérance du conquérant,
bien peu d'ambitieux, en ce moment
si voisin encore des horreurs et des
enivrements de la victoire, pouvaient
convoiter un poste qui n'offrait guère
que des périls. Le choix tomba sur
Gennadius. Vainement il essaya, os-
tensiblement du moins, de décliner
cet honneur. Il se résigna donc, et
un même jour le vit recevoir le dia-
conat, la prêtrise, le caractère épi-
scopal, et finalement l'onction pa-
triarcale. Mahomet II , auquel il alla
rendre ses hommages, aflecta de le
recevoir avec respect et affabilité,
déclara que le cérémonial jadis usité
SCH
h la cour pour l'investifnre du pa-
triarolio sorail. suivi par lui et par
ses successeurs, sauf en ce qui dé-
rogerait à la loi du prophète ; et le
jour de la ce'rénionie, en effet , il
traita magnifiquement Gonnadius, le
fit asseoir près de lui à table, lui mit
en main un riche bâton pastoral
d'argent doré et ciselé, le reconduisit
à la porte du palais où il lui fit donner
un cheval blanc superbement har-
naché, et ordonna que plusieurs de
ses pachns l'accompagnassent jus-
qu'au temple des Saints - Apôtres-,
et une forte somme fut même
versée au trésor patriarcal. Malgré
ces marques d'honneur et cette nui-
îiificence, Gennadius ne tarda sans
doute pas à se trouver en dissidence
avec ses nouveaux maîtres, car très-
peu de temps après, en 1153 même
ou au plus tard dans le commence-
ment de 1454, il abandonna de re-
chef Constantinople. Mais on décou-
vrit sa retraite, et il fut contraint
de rentrer dans sa ville métropoli-
taine. Le souverain, au reste, vint en
personne lui rendre visite, soit pour
adoucir ce qu'il y avait de disgra-
cieux dans cette contrainte, soit pour
s'entretenir des griefs dont le pa-
triarche croyait pouvoir se plaindre,
soit enfin pour inspecter par lui-même
l'état des choses et contenter sa cu-
riosité sur l'Église grecque. Le seul
déiail que nous ayons sur cette en-
trevue, c'est que Mahomet questionna
le patriarche sur la religion chré-
tienne, dont celui-ci lui exposa les
principaux dogmes et la morale,
absolument comme s'il eût voulu le
convertira notre foi. Cet exposé, re-
manié sans doute, existe encore:
c'est Gennadius même qui crut utile
aux fidèles, et peut-être à lui
pour n'être pas soupçonné de con-
descendances coupables, de donner
SCH
365
h plein cette information au publie.
Sans doute on ne peut croire un
moment que l'orgueilleux maître
de Conslantinople daignât simuler
l'ombre même de disposition à em-
brasser le christianisme, ou que les
Grecs dépossédés se laissassent aller
à un leurre semblable. Mais du moins
ils pouvaient se llatter qu'on ne les
opprimerait pas, que ceux d'entre
eux qui accepteraient de bonne grâce
la domination turque, seraient res-
pectés dans leur existence, leur li-
berté, leurs biens et leur foi. Or il
y avait encore beaucoup de Grecs à
soumettre à cette époque. Deux frères
de Jean Vil et de Dragasès (jThomas
et Démétrius), gouvernaient divers
districts du Péloponèse. Toujours
fauteurs de l'union, ils étaient en
rapportavecCalixte V ,et il n'y avait
rien d'impossible à ce que le Pélo-
ponèse devînt le rendez-vous d'une
flotte chrétienne coalisée pour l'ex-
pulsion des Osmanlis et la restau-
ration de l'empire grec. Mais Gen-
nadius ne partageait point ces
idées flatteuses , et chaque jour sa
situation lui semblait moins tenable.
Il ne pouvait protéger efficacement
ses co-religionnaires contre l'arro-
gance et la brutalité de leurs vain-
queurs; et ces co-religionnaires eux-
mêmes il les trouvait plus dérai-
sonnables, plus ingouvernables que
les Turcs. Il supplia Mahomet de
lui permettre d'abdiquer, et Mahomet
y consentit enfin à regret. On rap-
porte ordinairement cette démission
à l'an 1459 : il est croyable qu'on se
trompe d'un ou deux ans, et qu'il y
eut comme un interrègne de Genna-
dius à son successeur. Redevenu
simple moine, l'ex-patriarche se re-
tira au couvent de Prodrome sur le
mont Ménecée ; mais un ordre le
contraignit de revenir dans la capi-
:i66
SCH
laie. Rien n'indique an reste qu'il se
soit mêlé (l'attaires politiques depuis
ce temps ^ et le grand nombre d'écrits
qu'il semble avoir rédigés depuis sa
retraite ne permet guère de suppo-
ser qu'il se soit occupé d'autre chose
en son cloître que de ihéologie et de
piété. Sa mort eut lieu, suivant l'opi-
nion la plus répandue, en 1460 ; mais
les titres circonstanciés de deux ou
trois de ses ouvrages dans quelques
manuscrits nous engagent à reculer
au moins jusqu'à 1464 la date de cet
événement. Les écrits de Geuna-
dius sont nombreux; il nous parait
hors de doute que nous les avons
presque tous , sauf pourtant les
lettres; mais la liste qu'en donne
Allatius est très-incomplèie, et il faut
recourir à l'édition harlesienue
delàBibliolh. grœca de Fabricius>
pour suppléer aux énormes lacunes
du premier de ces savants. Généra-
lement on les dispose en trois
groupes selon qu'ils ont été composés
avant, pendant ou après son pa-
triarcat. La division n'est point heu-
reuse, tant à cause de l'incertitude
qui règne sur la date de certaines
compositions que parce que les
lettres se répartissent entre les trois
époques. Kous n'indiquerons ici que
les plus remarquables de ces ou-
vrages, en commençant par les écrits
dogmatiques sans rapport avec l'u-
nion. Ce sont : \. Exposé de la foi
chrétienne (en 24 chapitres) , Helm-
stsedt, 1611, in -4° (grec - latin ,
traduction de Grégoire Hermo-
nyme de Sparte), et aussi dans
ïHœresiologium^ 1656, in-f°, p. 397,
et ôditts là Biblioth.patrum, IV, 950.
Nous avons dit à quelle occasion fut
composé cet ouvrage, qui est censé
la réponse aux questi(>ns de Maho-
met Il sur le christianisme, lors de
sa visite à l'église des Saints-Apôtres.
SCH
Il f n existe une traduction, non pas i
arabe, mais turque, d'un Ahmed-
Pacha (de Karaveria?), et un abrégé
grec qu'on peut être tenté de regar-
der comme un simple extrait du
grand traité, mais qui pourrait bien
avoir été le premier jet, et en quel-
que sorte le canevas de Gennadius.
II. Demandes et réponses sur la di-
vinité de Jésus-Christ Notre Sei-
gneur (n" 1289, Bibl. royale). C'est la
relation d'une discussion qu'il eut à
Serrhes avec deux Turcs venus pour
l'y voir et converser avec lui après
son abdication. III. Un Dialogue
contre les Juifs^ ou Réfutation de
l'erreur juive par l'Écriture et
l'histoire , et Exhortation à la vé-
rité (u°« 778, 1293, 1294 de la Bibl.
royale, 33 de Barocci).IV.Pnncipa/e,«î
prophéties relatives à J.-C. N.-S.
(anc. n'*2959 de la Bibl. royale). V.
Contre les Automatistes et les Hel-
lénistes (n°* 1289, 1292, 1294 de la
Bibl. royale). Cet ouvrage fut écrit
lorsqu'il était au couvent de Prodro-
me. VI. Du culte primitif en Vhon-
neur de la Divinité (n^s 1289, 1294,
2135 de la Bibl. royale). VIL Apo-
logie pour les cinq chapitres du
concile de Florence (la légitimité
du Filioque , la prédestination , la
transsubstantiation dans les azymes,
le purgatoire, la primauié du
siège de Rome , d'où l'obédience
de Constantinople). VIII. Deux vo-
lumes sur la procession du S aint-
Esprit,contre les Latins i\e premier,
n° 1290 Bibl. roy., 395 bibl. du
S. syn. de Moskou, etc.; le deuxième,
n°* 1291 Bibl. roy., 68 bibl. imp. de
Vienne, 17 bibl. laur. de Flor., 13 du
S. syn. de Moskou, et au couvent de
Saint-Séverin à Naples). Le premier
de ces deux volumes fut écrit avant
la prise de Constantinople et après
son colloque avec l'évêque de Cor-
SCH
tone en présence de remperenr
Jean VII. Le second fui composé
post<^rieurement, on ne peut dire
exactement à quelle époque, mais
entre 1447etl458, puisqu'il est dédié
et qu'il fut envoyé à l'empereur de
TrébizondeJeanIVComnène.Lenom
de l'auteur manque dans beaucoup
de manuscrits : aussi Barocci, dans
son Catalogue des manuscrits d'An-
gleterre, l'attribue-l-il àGennadius,
archevêque de Bulgarie (4) ; et Mat-
Ihsei, dans ses Notices des manuscrits
de Moskou^ n'énonce-l-il qu'avec un
doute ridée que George Sciiolarius
en est l'auteur. Mais l'incertitude
disparaît devant la note catégorique
mise en tête du manuscrit 1290 de
Paris. IX. Dialogue sur le Saint-
Esprit (n° 395 de la Bibl. de Moskou),
le même sans doute qu'un Dialogue
sur la procession du Saint-Esprit^
dirigé contre les Latins, où il discute
surtout la doctrine de saint Thomas
et de Scott , et où les personnages
qu'il met en scène sont Olbien, Eu-
loge et Benoît. X. De la Providence
et de la prédestination^ en 4 livres
(le premier, n® 1289 de la Bibl. roy.^
(4) 11 y a eu plusieurs autres Getinadius,
outre l'archevêque de Bulgitrie noiitmé
ici ; et l'on en trouve l'éaumération dans
Faliricius ; mais c'est à tort qu'Allatius
a cru qu'jl y avait eu eu ces derniers temps
de l'eiupire jusqu'à trois Genuadius, les-.
quels auraient tous trois porté d'abord les
noms de George et de Srliolurius. Assez
loug-temps ou a suivi cette opinion ; mais
elle n'est fondée sur aucun témoignage,
et nulle induction raisonnable ne force d'y
avoir recours: s'imaginer que le même
personnage ne peut avoir été .>oiiret contre
rUuioM suivant les temps, et en conclure
que le Scholarius du concile de Florence
ne peut être le même que le Scholarius
si opposé au Fihoque, si fougueux contre
les Latiur, est tout-a-fait gratuit. Voy au
reste sur cette questio.-a, qu'il nous semble
inutile de discuter à fond ici et qui ne fait
plus doute aujourd'hui, la longue note de
Fabricius et Harles vers le i;ommeacemeat
de l'art. Genuadius^
SCH
36T
les troisième et quatrième, n°* 2955
et 2959 ; le deuxième publié à Augs-
bourg en 1(03, in-i*», par Hœschel,
ettrad. en latin par le jésuite Ch.
Libertinus ou Freyiich , Breslau,
1681, in 4o: c'est probablement le
premier qui a été donné par Thor-
lacius sous le titre de Gennadii
Constantinopolitani de Providentia
opus anecdotum^ Copenh. , 1825,
in-4°, 23 pages. XI. Deux livres sur
le purgatoire (n" 1292, Bibl. roy^
Allatius les regarde comme dépour-
vus d'élégance et de valeur ; Harles
proteste contre ce jugement); plus
une Réponse sommaire aux objec-
tions des Latins contre ses opinions
relativement au purgatoire^ et une
Lettre à Jean de Thessalonique
sur le même sujet. XU. Quelques
mots contre l'opinion des Latins
( 26vTO{i.ov xarà «J'd^nç t. A ) (n° 1292 ,
Bibl. royale). XllI. Histoire de tout
ce qui s'est passé à Ferrare et
à Florence entre les Grecs et les
Latins ((i"*61, 72, 73 de la bibl.
imp. de Vienne). XIV. Divers dis-
cours en forme d'Homélies (sur la
transfiguration par exemple , sur
l'assomption de la sainte Vierge,
sur la décollation de saint Jean-
Baptiste) ; les tiois Discours sur la
réunion des deux Églises (on les lit,
dit-onȈla suite de VHist. du concile
deFerrare et FI. dans lesmanuscrits
61, 72, 75 de la bibl. de Vienne), des
Éloges funèbres ihi despote Théodore
et de Théod. Sopliien, la Monodie
sur la prise de Conslantinople, et
divers petits traités qualifiés Xo'-yoi
(dans la Turco-Grœcia de Crusius et
dans la Bibl.patrum) contre la simo-
nie sur la diôérence des péchés mor-
tels ei véniels, sur ce qu'il ne se fait
plus de miracles cumme autrefois.
XV. Des Lettres éparses dans divers
manuscrits, notamnaent dans les ma-
ses
SCH
nusrrils grecs 1 2r»o, 1 289, 1 202, 1 295,
1297, 2135, 2051 (le la Bibliothèque
r()yaîc,(lans Ie30i3olim Colb.,dans
celui qui était cot(^ 2955 au temps
de Fabricius, dans les 105, 179, 180
de Turin, et qui roulent, quelques-
unes sur des affaires particulières, la
plupart sur la politique, sur les af-
faires religieuses, sur des questions
philosophiques ou théologiques. Mê-
me en réunissant tout ce que nous
donnent ainsi les Mss., il est à croire
que nous sommes loin de posséder
toutes les lettres écrites par Gen-
nadius et toutes celles qui au-
raient mérité de passer à la posté-
rité : en effet, celles même qui sont
groupées en nombre (n«* 1292 et an-
cien n° 2955) ne sont évidemment
qu'un choix, une sorie à' Elégants
extracts. Nous remarquerons princi-
palement celles qu'il adresse à Phi-
lelphe,à Lipoman, à fra Ambrosio, au
grand-duc (il y en a deux, la deuxiè-
me contient une invective violente
contre les Latins), à l'empereur, au
secrétaire ( {Jt.£aâ5;tov , l'une et l'autre
sur les affaires de Florence), à l'em-
pereur de Trébizonde, au métropoli-
tain d'Éphèse, au moine Maxime
(jadis Sophien), et auxSinaïtes, sur
divers points de discipline, sur le
droit d'abdication des évêques, même
sans autorisation du patriarche, sur
la simonie qu'il déplore et que pour-
tant, dit-il, la faiblesse des temps
ordonne de traiter avec certains mé-
nagements, sur la réception k faire
aux Latins et aux Arméniens qui se
rendent aux saint lieux) , et l'ency-
clique à tous les fidèles, dans la-
quelle il expose les raisons de sa dé-
mission. De plus, Gennadius est sou-
vent nommé dans les Catenœ. Mais
c'est à tort qu'on lui a fait honneur
d'une Vie de saint Grégoire de Na-
zianze. P— ot.
SCH
SCHOMRERGou mieux SciiOEN-
BRRG (Gaspard de), père de Henri de
Schombcrg, comte de Nantciiil, le
vainqueur de C.istelnaudary mort en
1032(1)01/. ce nom,XLl, 220), était
originaire de Misnie. Il commandait
les troupes allemandes au service de
France et joignait à ce titre celui de
chambellan de Charles IX quand eut
lieu la Saint-Barthélemi. Le gouver-
nement, après ce coup audacieux,
se sentit cependant embarrassé en
présence des puissances étrangères.
On sait de quelle façon l'empereur
Maximilien, quoique autrichien,
quoique catholique et beau-père du
roi de France, improuva et déplora
la résolution à laquelle s'était laissé
entraîner son gendre. Bien plus grave
encore était l'embarras en présence
des puissances protestantes, conslau-
tes alliées de la France depuis sa
lutte contre l'omnipotence autri-
chienne sous François P"^ et Henri
II, et garantes en quelque sorte de
l'existence des protestants en France.
Catherine, ou Charles IX, prit à leur
égard le pire peut-être de tous les
partis et à coup sûr le plus honteux,
celui de mentir ; et Schomberg fut
chargé d'aller remettre de la part du
roi de France aux électeurs Palatin
et de Saxe, au landgrave de Hesse et
au duc de Deux-Ponts un mémoire
où, entre autres passages, se lisait le
suivant i « Avertie de la conspiration
« de l'amiral et de ses amis pour tuer
« le roi et toute la famille royale, sa
« majesté a été contrainte de lâcher
• la main à MM. de la maison de
• Guisequi, le 24 de ce mois d'août,
« ont tué ledit amiral et quelques au-
« très gentilshommes de sa faction ,
«s'étant la motion grandement ac-
« crue parmi le peuple pour être la
• jambe de ladite conspiration et
• bien irrité d\ivoir vu sadite. m:i-
SCH
SCH
369
« jesté contr;»inte avec la reine sa
« mère et messeigneurs ses frères de
• se resserrer dans son château du
« Louvre avec leurs gardes , et de
« tenir leurs portes fermées pour
« s'assurer contre la force et violence
« qu'on leur voulait faire, et pour la-
« quelle exécuter aucuns gentiis-
« hommes dudit amiral avaient passé
« la nuit dedans ledit château cachés
• en des chambres pour aider à ceux
«qui devaient venir dehors en plus
« grand nombre.... ^ de toutes les-
« quelles choses le peuple aigri a
« exercé grande violence sur ceux de
« la nouvelle religion, dont les chefs
« qui se trouvaient audit Paris ont
« été tués : ce qui est advenu au grand
« regret de sadite majesté, et toute-
« fois par l'occasion qu'ils en ont
« donnée eux-mêmes les premiers...»
Puis un peu plus bas ses instruc-
tions portent : • Et ce faisant, le sieur
« de Schomberg les assurera ( les
« quatre princrs)...que,en ce qui est
« advenu il n'est point question du
« fait de la religion ni de la rupture
« de redit de pacification *, mais que
• la chose est procédée de la malheu-
« reuse conspiration qu'ils avaient
« faite contre sa majesté, connue
« partant de certains indices que l'on
« ne la pouvait plusignorer et tarder
« à y pourvoir sans le certain péril
« de leurs personnes, etc., etc. » Ces
assertions ne trompèrent personne,
et les princes qu'on voulait dupiT
répondirent en termes qui laissaient
voir à nu leur incrédulité. Mais
tontes ces pièces, presque inconnues
pendant deux siècles et que Moser
imprima le premier, t. IV de ses
Beitrœge zu d. Staais u. Vcl-
kcrrecht, sont importantes pour faite
connaître à quel point la cour de
Charles IX elle-même fut épouvantée
de son œuvre, et manqua de courage
LXXXf.
Gaspard de Schomberg continua de
commander les troupes allemandes
au service de France, sons les rè-
gnes de Henri III et de Henri IV. Il
mourut subitement dans sa voiture
en 1609. P— OT.
* SCHOMBERG( Armand Frédé-
ric de), maréchal de France, né vers
1619, était d'une autre famille que
le précédent, quoique son vrai nom
fût aussi Schœnberg. Dans l'article
qui lui a été consacré (t. XLl, p. 225-
26), on n'a fait qu'indiquer ses cam-
pagnes de Portugal, oii il ajouta ce-
pendant de nouveaux titres à sa
gloire militaire. Nous réparons ici
cette omission. — Après le traité des
Pyrénées (i 659), Schomberg, alors
lieutenant-général dans les armées
françaises, passa avec l'agrément de
la cour de France au service d'Al-
phonse VI, roi de Portugal, qui, sous
la tutelle de sa mère, soutenait une
lutte acharnée contre l'Espagne. Il
amenaitaveclui un corps de Français,
parmi lesquels se trouvaient d'ex-
cellents ingénieurs. Il fut reçu avec
les démonstrations de la considéra-
tion la plus haute pour son mérite et
son caractère. Schomberg, revêtu du
titre de mestre-de-camp-général ,
partit bientôt pour l'Alentéjo, pro-
vince contre laquelle on savait que
les Castillansdevaient incessamment
tourner tout l'effort de leurs armes.
Il se hâta de la mettre en état de
défense, en reconnaissant ses posi-
tions et ses rivières, en garnissant
ses villes de troupes capables de
soutenir un siège. 11 rassembla en-
suite, à Elvas, un conseil de guerre
oùil lit comprendre l'impossibilité de
conserver l'Alentéjo sans une armée
nombreuse et aguerrie. î! y avait à
peine six mois qu'il servait sous les
drapeaux du Portugal, et déjà des
bruits injurieux , fruits abjects de
24
370
SCW
SCH
l'envie, circulaient sur son compte.
Des ofliciers portugais , oft'usqués
par l'éclal de s;i réputation, publiaient
qu'il ne se tenait à Elvas que parce
qu'il ne se sentait pas capable de
ranger une armée en bataille. Pour
faire taire ces bruits, le brave Schom-
berg rejoignit l'armée, et ne tarda
pas à donner des preuves irrécu-
sables de sa valeur et de son ha-
bileté. A la tête de huit cents che-
vaux, il fondit sur le territoire es-
pagnol et le ravagea ; puis, ren-
contrant la cavalerie ennemie, guidée
par don Juan d'Autriche lui-même,
il l'attaqua et la tailla en pièces.
Après ce brillant exploit, il reprit le
chemin d'EIvas. Demeuré maître du
commandement de l'armée, après le
départ du général en chef (le comte
d'Atougia), il se conduisit à l'égard
des soldats avec tant de justice et de
bonté, qu'il s'en fit adorer. Déjà il
possédait au plus haut degré la con-
fiance de la reine-régente qui lui
avait perm.is de choisir dans Ja cava-
lerie les officiers et les soldats qu'il
estimerait le plus II se montra digne
de son commandement provisoire
par sa vigilance et son activité. Un
corps de cavaliers espagnols fut at-
taqué et dissipé par ses troupes, aux
environs de Badajoz. Peu de jours
après (1662), s'étant mis en embus-
cade dans un lieu nommé Sagragès ,
avec une poignée de soldats, il en-
leva un convoi considérable de mu-
nitions. Cependant il n'avait pas en-
core étouffé l'envie , car , lorsque
don Ménésès vint le remplacer dans
le commandement de l'Alentéjo, il
lui donna d'utiles avis qui furent
rejetés. Mais il força bientôt à
l'admirer les Portugais même les
plus jaloux de son mérite. Quand
l'armée campa auprès d'Estremos,
il dirigea cette opération avec une
si rare habileté, qu'à son arrivée
(12 mai 1062), don Juan d'Au-
triche, désespérant de pouvoir for-
cer les Portugais dans leur camp,
renonça au dessein qu'il avait formé
de les attaquer, et se retira surBor-
ba, bien qu'il fût à la tête d'une
armée considérable. Le comte de
Schomberg tomba impétueusement
sur l'arrière-garde des Espagnols, et
lui fit plusieurs prisonniers impor-
tants. Dans la campagne suivante
(1663), il fit exécuter sur les bords
de la Dégèbe de savanles manœuvres
qui furent couronnées d'un plein
succès, et obtinrent l'admiration
même de don Juan d'Autriche. Ayant
reconnu, aux disp'ositions que ce
prince avait prises, qu'il se préparait
à canonnerlecamp portugais, Schom-
berg trouva moyen de rendre cette
artillerie inutile, en plaçant trois bat-
teries de canon sur des hauteurs
d'où l'on découvrait le camp ennemi,
en fortifiant ses deux ailes de l'élite
desessoldats, enfin en faisant éteindre
les feux de son armée.Tout cela s'exé-
cuta pendant la nuit. Les Espagnols
n'avaient rien remarqué. Le len-
demain, quand ils voulurentattaquer,
ils tentèrent d'inutiles efforts, et fu-
rent obligés deseretirer sur Badajoz.
Schomberg les poursuivit vivement
et revint avec un bon nombre de
prisonniers. De si importants ser-
vices, tant de zèle et d'expérience
dans l'art militaire, au lieu de met-
tre fin aux injurieux discours de
l'envie, ne firent qu'irriter cette
vile passion \ l'habile et sage ca-
pitaine garda le silence avec no-
blesse, et continua de servir avec
dévouement. Peu de jours après, il
se couvrit encore de gloire dans une
bataille près d'Ameyxial, où les Por-
tugais défirent les Espagnols. Il y
montra son habileté ordinaire à
SCH
asseoir un camp , à ranger des trou-
pes en bataille, ainsi que tout le cou-
rage et l'intrépidité d'un soldat. Le
comte de Schomberg partit ensuite
pour aller mettre le sie'ge devant
Évora dont, les Espagnols étaient
maîtres depuis quelque temps. Par
les savantes dispositions que lui
suggéra son génie militaire, il força
en peu de jours Tennemi à capituler.
D'Évora il courut visiter Portalègre ,
Castelvidé , et il répara les retran-
chements d'Alter , deVeiros, de
Fronteira et de Montforté. Malgré
tant d'actions si utiles et si hono-
rables, il continua d'être en butte à
lajalousiedeses compagnons d'armes
et d'essuyer de criantes injustices.
Lassé enfin de ces indignités, Schom-
berg se rendit à Lisbonne pour s'en
plaindre. Ses ennemis essayèrent de
le noircir aux yeux de la cour, en sou-
tenant qu'il était moins utile qu'em-
barrassant, et ils lui reprochèrent
de s'arroger tout le commandement,
et d'empêcher les soldats étrangers
(il y avait des Français et des Anglais
dans l'armée portugaise ) d'obéir
aux officiers - généraux portugais.
Schomberg crut de son honneur
de répondre ii des griefs si nettement
articulés, et il le lit d'une manière
à la fois noble et victorieuse, prou-
vant qu'il n'avait jamais donné
d'ordres, concernant les opérations
militaires, que lorsque les généraux
portugais avaient refusé de le faire,
ou qu'on avait exécuté quelque fausse
démarche dont il fallait prévenir
les dangereuses conséquences, qu'il
y avait du péril à, affronter ou la
presque certitude que le succès ne
couronnerait pas sou zèle. Il soutint
ensuite que les Anglaiset les Français
lui devaient obéissance, préféra-
blement atout autre olticier, puisque
leurs rois les avaient placés sous son
SCH
371
commandement; puis il loua leur
courage et leur conduite. La calomnie
fut vaincue, et la cour rendit justice
au vaillant général. L'un de ses plus
opiniâtres ennemis, Gilles Vas-Lobo>
fut rappelé d'Elvasdont il était gou-
verneur, et Schomberg reçut lui-
même le commandement de Sétubal.
Cette juste satisfaction le consola de
toutes ses peines, et l'on s'aperçut
bientôt de son retour à l'armée portu-
gaise. Vers le milieu de l'année 1665,
il prit part à la mémorable bataille de
Montès-Claros ou Villaviciosa, dont
le succès fut dû a sa haute habileté,
ainsi qu'à l'intrépidité des Françaiset
des Anglais. Dans ce combat, qui
avait duré huit heures, les Espagnols
perdirent quatorze mille hommes
tués ou pris, leur artillerie, leurs
bagages et leurs enseignes. Voilà
par quels triomphes Schomberg
sut répondre aux calomnies. II cou-
rut alors au secours de la province
d'Entre -Douro- et- Minho, et en
chassa l'ennemi, après l'avoir battu
dans plusieurs rencontres. A son re-
tour, il fut nommé gouverneur-gé-
néral de l'Alentéjo. Cette faveur, qu'il
méritait à tant de 1itres,redoub!ason
zèle pour la cause qu'il avait em-
brassée. Il fit une irruption dans
l'Andalousie, où il répandit la terreur
de ses armes, et recueillit un butin
considérable. De là il se rendit à Aron-
chès pour fortifier cette place. C'est
alors que le roi de Portugal (Al-
phonse VI), voulant récompenser
les importants services qu'il lui
avait rendus , le créa comte de Mer-
tola. Quelque temps après, il lui
confia le commandement général
de ses troupes. Schomberg justifia
pleinement une si haute confiance ;
car il sut toujours tenir les Espagnols
en respect, jusqu'au moment où la
paix fut conclue (1668) entre l'Espa-
24.
3:2
SCH
SCH
gneet le Portugal. Alors Schomberg,
revenant en France, continua de se
signaler dans les armées de LouisXl V,
et reçut le bâton de niarécbal en 1675.
Plus lard, ayant embrassé la cause
du prince d'Orange contre le mal-
heureux Jacques II, roi d'Angleterre,
il fut lue à la bataille de la Boyne
en 1G90 {voy. l'art, précité). F~a.
SC^kOPEJVHAIjER (Jeanne Tro-
SïNA, dame) , littératrice allemande,
connue surtout comme romancière,
naquit en juillet 17/0, à Dantzig. La
famille Trosina était à l'aise; son père
portait le titre de sénateur. Son édu-
cation [ut excellente; douée des plus
heureuses dispositions, la jeune fille
répondit par de rapides progrès aux
soins de ses maîtres. Le français et
l'anglais lui devinrent familiers com-
me le polonais et l'allemand. Elle ne
resta étrangère ni aux sciences ni à
la musique; mais ce fut surtout la
peinture qu'elle cultiva avec passion
et succès. Toute jeune encore, elle
prit fantaiiîie de devenir une autre
Angélica Kaufmann , et elle demanda
avec instance d'être envoyée à Berlin
pour y recevoir des leçons, pour s'y
livrer aux travaux à l'aide desquels
pouvait se réaliser ce vœu, le plus cher
de son âme ; mais elle fut obligée
d'y renoncer, car sa famille ne pou-
vait ni aller là s'installer avec elle,
ni la laisser seule dans cette ville,
avec son inexpérience et sa jeu-
nesse ; on trouvait incompatibles
avec le rang d'une fille de sénateur
les habitudes d'une jeune artiste qui
voulait s'établir dans un musée avec
ses couleurs etsespinceaux. Des pen-
sées de mariage d'ailleurs vinrent la
distraire : elle était fiancée presque
depuis l'enfance avec Henri-Fioris
Schopenhauer, riche négociant, qui
avait vécu en Angleterre. Cette union
eut lieu vers 1789. Très-peu de temps
après, achevèrent de se démasquer
les vues de la Prusse sur Dantzig.
Frédéric-Gui llajime II, en échange
de l'alliance ({u'il offrait à la Pologne,
demandait la cession de cette ville
gênée déjà depuis 1785 par les res-
trictions que Frédéric II avait mises
à son commerce, pour l'amener de
lassitude à souhaiter son incorpora-
tion à la monarchie prussienne. Les
vues du cabinet de Berlin n'abouti-
rent à rien pour l'instant, mais on ne
prévoyait quetrop leur prochaine réa-
lisation. La jeune femme dont l'esprit
avait beaucoup de la vigueur et de
l'exaltation ordinaires à cette époque,
et sur laquelle les mots de républi-
que et d'indépendance exerçaient un
grand prestige, se sentit mal à l'aise
dans une cité qui allait perdre ses
franchises et sa nationalité : elle en-
treprit, en compagnie de son mari,
un voyage de longue haleine. Ils tra-
versèrent la Prusse , séjournèrent à
Berlin, visitèrent diverses contrées
de l'Allemagne entre la province
brandebourgeoise et le Rhin, et fran-
chissant ce fleuve près de Strasbourg,
se rendirent à Paris, où ils virent de
leurs yeux l'horizon politique se
' charger de nuages bien autrement
noirs encore que ceux qui couvraient
l'horizon de Dantzig. Ils contemplè-
rent le malheureux roi , la triste
reine qui n'avaient plus que quelque
quinze moisà jouir des débris de leur
pouvoir. Gagnant ensuite Calais et
Douvres, ils allèrent admirer les
magnificences de Londres, qui eut
pour eux un grand charme s'il faut en
juger par le temps qu'ils y restèrent.
Ils avaient ainsi passé deux ans hors
deleur patrie, quand en 1793, quittant
la capitale de l'Angleterre, ils pri-
rent la route du BrabantetdelaFlan-
dre, pour se rapprocher successive-
ment du Rhin, de l'Elbe, de l'Oder, de
SCH
la Vistule. Mais Dantzig, lorsqu'ils y
reparurent , était encore plus près
(le perdre son indépendance qu'au
moment de leur départ. La cession à
la Prusse venait d'être décidée ; et
notre lière voyageuse, de son côté,
soit républicanisme, soit antipathie
pour la Prusse, décida en l'apprenant
qu'elle ne serait jamais sujette du
roi Frédéric-Guillaume il. Son mari
consentit k tout ce qu'elle voulut.
En vingt-quatre heures ils eurent fait
leurs arrangements pour le départ.
Elle put quitter la ville avant qu'un
seul soldat prussien y eût mis le pied
pour l'occuper^ et, malgré l'amour
que des âmes comme !a sienne portent
au sol natal, elle n'y revint que deux
fois, l'une quelques mois après son
expatriation, pour présider ou assis-
ter à la vente de leur maison et de
leurs propriétés , l'autre en 1806.
Hambourg, véritable république sous
le nom de ville impériale, devint
alors sa résidence, ou plutôt son do-
micile, car elle ne résidait guère. De
179i à 1806, il y eut peu d'années
dont elle n'employât une bonne par-
tie à satisfaire son goût pour les
voyages. Une de ses pérégrinations
principales fut celle de 1803: non
contente de traverser la Hollande et
de renouveler connaissance avec Lon-
dres, elle visita une grande partie de
la péninsule anglaise, poussa jusqu'en
Ecosse, puis revint par les Pays-Bas
à Paris, oii tant de chefs - d'œuvre
conquis sur l'Italie attiraient les amis
de l'art. M"^^ Schopenhauer s'y livra
à la miniature sous la direction d'Au-
gustin , et chaque matin la trouvait
dans l'atelier d'un des peintres en
renom. Elle s'arracha cependant à
ces enchantements, mais ce ne fut
pas pour revenir en droite ligne k
Hambourg. Elle se rendit à Genève,
non sans faire un grand circuit pour
SCH
373
voir la France méridionale ; puis
elle s'enfonça dans cette Suisse si
pittoresque: elle contempla de ses
yeux ces Alpes, ces lacs, ces vallées,
ces cascades si souvent représentées
par les peintres; et quand elle fut
sortie par le lac de Constance du
pays 011 elle était entrée par le lac
Ltinian, elle visita Munich, Vienne,
la Silésie, le Riesengebirgt^, la Bo-
hême, la Saxe, le Brandebourg, Dant-
zig enfin. Mais cette même année
1806, oii elle revoyait Hambourg ,
elle eut le malheur de perdre son
époux. Alors M™« Schopenhauer re-
nonça au séjour de cette ville désor-
mais sinistre pour elle, et elle alla
établir sa résidence k Weimar, où
tanid'illustres génies avaient élu do-
micile. Elle y était k peine bien in-
stallée,que les Français, vainqueurs k
léna, l'occupèrent, non sans de grands
désordres. Intrépide et habituée aux
usages comme k l'idiome des Fran-
çais, la jeune veuve dans ces moments
difficiles fit preuve d'une présence
d'esprit, d'une adresse peu com-
munes; et non -seulement elle sut
préserver sa personne et ses pro-
priétés de toute atteinte, mais sa
maison servit d'asile et sa recom-
mandation de sauve-garde k beau-
coup de personnes qui sans elle
auraient eu des risques graves à
courir. Lors même que cet heu-
reux début n'eût pas fixé sur elle de
prime abord l'attention et l'estime,
les qualités qu'elle déployait dans
les phases quotidiennes de la vie lui
eussent fait vite des amis et des ad-
mirateurs. Jeune encore et riche,
spirituelle et gracieuse, instruite et
sentant, pratiquant les arts, comment
n'eût-elle pas vu sa place marquée
d'avance dans toute société d'élite ,
ou plutôt comment ne fût-elle pas
devenue le centre de la meilleure
374
SCH
soeip'td?Gœthe fut le premier à pro-
clamer tout ce qu'il trouvait de dis-
tingué dans la nouvelle lîabitante de
Weimar: Wieland en dit autant^
Falk, Fernow, Bertuch, Meier accla-
mèrent,de grandes dames iirentécho;
et les autres, hommes et femmes,
suivirent lé torrent. Bien peu de per-
sonnes, en effet, ont mieux réuni que
M"fi* Schopenhauer toutes les con-
ditions au moyen desquelles le mon-
de artiste, littérateur et le beau
inonde peuvent entrer en contact.
Son salon était un terrain limitro-
phe où l'intelligence pouvait briller,
où la discussion pouvait déployer ses
ailes, où l'art pouvait se livrer à ses
inspirations , sans que les distrac-
tions un peu moins sublimes, thé,
paris, bouillotte, valse et musique
fussent exilées. On pouvait à volonté
y inscrire un dizain ou un sonnet sur
son album, y improviser sur le piano,
y croquer un paysage ou une charge
sur le vélin. La maîtresse de Ja mai-
son semblait dans les premiers temps
n'avoir point d'autres prétentions
que celles d'une femme aimable
comprenant tout, s'intéressant à
tout et avide d'hommages comme
toute beauté qui achève son règne.
Ces prétentions-là ont l'avantage de
ne pas offusquer démesurément la
susceptibilité des lettrés et des ar-
tistes, ni même celle des femmes. On
sent qu'à la longue avec son esprit
et ses goûts, et dans une telle posi-
tion, M^e Schopenhauer ne pouvait
guère manquer de devenir auteur.
Elle commença modestement , par
une simple Description des portraits
de Gœlhe , de Wieland , de Schiller
et de Kilgelgen ; puis elle s'essaya
dans le genre biographique en don-
nant, à la sollicitation du libraire
Cotta, la Yie de Fernow, Tubingue,
1810. Ensuite parurent les Souve-
SCH
nirs d'un voyage en Angleterre, en
Ecosse, etc., pendant les années iSOZ-
1805, 3 vol., dont les 2 premiers à
Rudolstadt en 1813, le 3« (qu'on a
aussi donné à part, sous le titre de
Voyage dans le midi de la France
jusqu'à Chamouni) en 1817, et aussi
à Rudolstadt (2« édit., Leipzig, 1818,
les deux premiers volumes, et Leip-
zig, 1824, le dernier; 3« édit., Leip-
zig, 1826, les deux premiers). Cette
relation , pleine de grâce et d'in-
térêt, d'instruction et de (inesse, est
fort au-dessus des prétentieuses ou
plates divagations des touristes or-
dinaires. Mais où brillait plus encore
le talent de l'auteur, ce fut dans un
petit volume intitulé Nouvelles, et
mis au jour a Rudolstadt en 1816,
après son deuxième et avant son troi-
sième volume. Elle ne tarda point,
par cette conscience que l'artiste a
tôt ou tard de l'aptitude particulière
dont l'a doué la nature, à consacrer au
roman toutes ses facultés littéraires ;
et ainsi se succédèrent rapidement,
au grand plaisir et à l'applaudisse-
ment des lecteurs , une foule de
productions , telles que Gabrielle
(1819-20), \siTante (Francfort-sur-le-
Mein, 1823, 2 vol , 2« édit., Leipzig,
1837,2 vol); 5iriome(Leipzig, 1828,
3 vol.), ilfa grandHante, tirée des
papiers d'un vieillard (Stuttgard,
1830), le Voyage en Italie (Franc-
furt-sur-le Mein , 1836), Richard
Wood (Leipzig, 1837, 2 vol.), le tout
entrecoupé tantôt de petits recueils
de morceaux plus courts , intitulés
Récits (Francfort-sur-le-Mein, 1825-
28, 8 vol.; 2« édit., 1835), Nou-
velles (Francfort-sur-le-Mein, 1830,
2 vol.), Nouvelles nouvelles (Franc-
fort, 1832,3 vol.), deux nouvelles, le
Mendiant de Sainte - Colombe et
Marguerite d'Ecosse (Francfort,
1836) , tantôt de deux nouvelles re-
SCH
lationsde voyages, intitulées, l'une,
Excursion sur le Rhin et dans les
contrées environnantes, dans Vété
de la première année de paix ( Leip-
zig, 1818) ; l'autre, Excursion sur
le Bas-Rhin et en Belgique en 1S28
(Leipzig, 1831, 2 vol.), et enfin d'un
opuscule qui n'est pas sans impor-
tance pour l'histoire de l'art , Jean
d*Eyli et ses successeurs. De tous
ces ouvrages, Gabrielle est sans
contredit le plus remarquable. Le
caractère de la femme y est saisi
avec un bonheur, y est tracé avec
une fidélité' sans égale : îe grand
monde y est décrit avec autant de
grâce que de justesse ; une nuance
d'ironie y perce souvent , mais d'iro-
nie sans âcreté, sans désespoir, com-
me si sous les notes élégantes du
ténor une basse continue disait Cosi
siam tutti, La variété ajoute au char-
me de ce panorama où tout plaît
également, tableaux et simples es-
quisses. Mais tous les autres contes
ou romans de notre auteur présen-
tent plus ou moins les mêmes quali-
tés, et l'on y retrouve la mêmetouche.
Les dernières années de M"« Scho-
penhauer furent moins heureuses
que les précédentes : elle perdit une
partie de sa fortune en 1819, et peut-
être ce malheur fut-il pour quelque
chose dans la rapidité avec laquelle, à
partir de cette époque,se succédèrent
ses œuvreslittéraires. Pourquoi faut-
il que ce dont le public aurait, dans
cette hypothèse, à se féliciter ait dû
être pour elle une source d'amer-
tume! Elle supporta oe revers non-
seulement avec résignation, mais avec
courage, et tout en restreignant son
état de maison, elle fit bonne conte-
nance devant la mauvaise fortune.
En 1828 seulement elle abandonna
Weimar, trouvant ce climat trop
froid et trop rude pour sa santé ,
SCH
375
et Bonn dès-lors devint son séjour.
En 1837, dans l'été, sur l'invitatio
du grand-duc de Weimar, elle revint
voir cette résidence, sa deuxième pa-
trie, puisque nous ne pouvons comp-
ter Hambourgque comme un pied-à-
terre, où elle fit halte. Mais dès le mois
de septembre elle gagna ïéna. C'est
là qu'elle expira l'année suivante, le
17 avril, après avoir éprouvé pen-
dant l'hiver un mieux sensible, mais
qui se démentit bientôt. M"™« Scho-
penhauser avait à un très-haut de-
gré le sens du beau , du grand et
du vrai; pleine de droiture comme
de courage, elle était enthousiaste de
liberté, et jusqu'au bout de sa vie
elle conserva du penchant au moins
pour le nom de république : pourtant
elle était aristocratique de ton, de
manières, de prédilections et d'habi-f
tudes : le plat, le trivial, le vulgaire
lui faisaient horreur.Ce n'est certaine,
ment pas elle qui eût divinisé le laid,
et qui, lasse d'admirer toujours les
mêmes belles formes, eût imaginé
d'y substituer le difforme ou le bi-
zarre. Mme Schopenhauer était, dans
toute la force du terme, une femme du
monde; elle en avait la pénétration,
l'amabilité, l'aisance, elle ne se sen-
tait vivre que là ; mais ce qu'elle
nommait le monde ne se composait
pas exclusivement d'hommes en
gants frais et de femmes ruisselantes
de pierreries, il lui fallait encore au-
tour d'elle les beaux -arts, la conver-
sation, l'esprit, le goût; elle était
encyclopédique, éclectique. Le goût
multiple en même temps qu'élevé
et pur se révèle aussi par ces
voyages, où elle a besoin de saturer
ses yeux des pompes de la civilisa-
tion et des merveilles de la nature;
Londres et le Rhin, Paris et les Al-
pes , il faut qu'elle fouille ce que
recèlent leurs entrailles , qu'elle
376
SCH
y puise des inspirations, qu'elle y
butine des tableaux, qu'elle en assi-
mile quelque chose à sa pensée, k son
être. Et pourtant elle ne ressemblait
point à une pythonisse qui déclame ;
vous vous fussiez imaginé,quand vous
deviez être présenté chez elle, que
vous alliez entendre du dithyrambe,
ou tout au moins des périodes i au
contraire, rien de plus facile, de
plus contant que sou langage-, elle
affectionnait même lejovial-, elle sai-
sissait à merveille en toutes choses
le côté comique. Il en élait de cela
comme de sa personne, que beaucoup
de monde &e figurait d'une taille
élevée et majestueuse, tandis qu'elle
était petite et un peu épaisse. Sa
toilette était tonjours riche et d'une
élégance qui tenait de la recln-rche.
Cependant eiUt avait !e talent de pa-
raître sifiiple. Outre les ouvrages que
nous avons nommés, M^^'*' Schoperi-
haner a fourni des articles (en assez
grand nonsbre, et souvent anohyuies^
an Journal du luxe et des modes, de
Bertuch, à la Feuille matinale des
gens du monde, à la Gazette du soir,
à VAlmanach duRhin^ à la Cornélie^
à VUranie. On a donné une collection
de ses OEuvres complètes (moins la
plus grande partie des articles ci-
dessus), Leipzig et Francfort -sur-
le-Mein, 1830 et 1831, 24 petits vol.
in-8°. P— OT.
SCHOPPER (Hartmann), né en
1542 àNeumarck, s'est fait connaître
par une traduction en latin du fameux
Roman du Renart^ qu'il commença
en 1565 lorsqu'il servait sous les
drapeaux de l'empereur Maximi-
lien II. Il la termina en peu de temps,
et la fit paraître à Francfort, en 1567.
De nouvelles éditions mises au jour
en 1574, 1579,1589, 1595, en attes-
tent le succès. D'après les promesses
dfi frontispice, cet ouvrage est écrit
SCH
en un latin tout aussi élégant que celui
de Cicéron (ad elegantiam et mundi-
liam Ciceronis latinitate donalos).
Cependant ce n'est pas, comme bien
on peut croire, pour sa latinité que
les bibliophiles de nos jours recher-
chent encore ce volume, mais pour
les gravures en bois qui le décorent
et qui ont plusieurs fois, notamment
à Francfort en 1588, été publiées à
part avec de courtes explications
eu vers latins et allemands. Schopper
composa de même les vers latins qui
accompagnent un curieux volume
bien connu des amateurs sous le titre
de Panoplia, omnium illiber alium^
mechanicarum aut sedentariarum
artiuni gênera continen s :c\'st, ou le
voit,une sorte de panoramades divers
métiers de l'époque, auquel cent
trente joliesgravnresen bois par Jost
Âmmon donneiit du prix. On fait sur-
tout cas de l'édition latine de Franc-
fort, 1568, où les planches sont plus
belles qne dans les réimpressions de
1573 et 1574. Le Manuel du Libraire
indiqueanssi une édition de Francfort,
IseSjin 4", avec des vers al lemands de
Hans Sachs , précédée d'une autre
datée de 1564, dont parle Singer dans
son bel ouvragesur les cartes à jouer
(Londres, 1817, in-4°), et de deux
des planches de laquelle il donne
(p. 115) les fac-simile. Schopper n*ou-
blie personne; depuis le pape et
l'empereur jii<5qn'au vendeur d'orvié-
tan, il fait défiler devant lui toutes les
professions, et consacre dix vers à
chacune, avec un quatrain au-dessus
de l'estampe et un sixain au-dessous.
Plusieurs de ces pièces ne sont pas
mal tournées ; il faut toutefois un
rare courage pour en lire un certain
nombre. B — n — t.
SCHOTT (Henri-Augïjste), un
des plus savants théologiens alle-
mands de son temps, était né le 5
SCH
décembre 1780 à Leipzig, où son père,
jurisconsulte distingué , cumulait
avec le titre d'assesseur au tribunal
supérieur les fonctions de profes-
seurdeDigeste à l'université de cette
ville. Au soriir de l'école de Nicolai
où avaient eu lieu ses premières
études, le jeune Scholt commença
par se livrer avec ardeur à la phi-
lologie et à la philosophie, mais en
fin de cause la théologie l'emporta;
et dès la troisième année de son cours
académique , c'est à elle qu'il consa-
cra presque exclusivement tout son
temps. A la vocation ecclésiasti(iue
cependant il en joignait une autre,
c'était celle du haut enseignement.
Il mit ses soins à se trouver dans
les conditions qui pouvaient lui en
ouvrir les portes. Sa thèse Ciceronis
de fine eloqueniiœ senlentia^ etc.
(I80i) lui valut Taulorisation défaire
des leclurts acadéiuuiues. En 1805,
après avoir reçu divers (ucoura-
gements et être devenu membre
de la Société anthropologique diri-
gée par Car us, il fut nommé profes-
seur extraordinaire de piiilosophie.
Il passa trois ans après avec le même
titre à une chaire de théologie, et
dès lors, s'il eût lenu à toute force à
être nanti sur-le-champ d'un titula-
riat, il n'aurait eu qu'à dire oui, car il
lui en fut olfert un à Kiel ; mais il
préféra ne point quitter l'Allemagne,
et bientôt, en etfet, il se vit indemni-
ser du retard qu'il consentait à subir.
Dès 1810 il put remplir àWittenberg
la quatriènje chaire de théologie,
et en 1812 il fut un des deux
professeurs nommés à léna par le
grand-duc Charles- Auguste après
la mort de Griesbach et de Schuiid.
Il s'était à peine mis en possession
de sa chaire, que déjà, par une créa-
tion éminemment utile et toute nou-
velle, il acquérait des droits à la vive
SCH 37T
reconnaissance de l'Église protes-
tante. Cette création, c'était. celle
d'une école normale de prédication
(homiletische Seininar). Non-seule-
ment il en sortit un grand nom-
bre de prédicateurs habiles , mais
encore cet établissement servit de
modèle à plusieurs institutions
semblables dont s'enrichirent di-
verses universités. Schott, jusqu'au
dernier moment de sa vie, resta di-
recteur de cette école, et donna, tant
par sa direction que par ses leçons
et ses exemples, un élan prodigieux
aux élèves. Ses cours aushi étaient
parfaite a-nt suivis, soit qu'il com-
mentai le Nouveau ou l'Ancien Tes-
lament, soit qu'il exposûi ic. dogme
ou bien qu'il tournît le précepte et
l'exemple de ce que doit être l'élocu-
tioiidu prédicateur^ aussi son renom
à léna el hors d'iéna était-il extraor-
dinaire. Il rrcut à diverses reprises
des propositions pour plusieurs uni-
versités voisines, ('elle de Heidelberg
entre autres montra par des invita-
tions très-pressantes à quel point elle
eût été flattée de le compter parmi ses
professeurs. 11 les déclina de même.
Peut-être ia vraie cause de cette fidé-
lité à sa ville universitaire, c'est
qu'ailleurs il n'eût pas eu une école
à diriger. A léna il enseignait et
il prêchait. On comprend qu'il
tînt à l'un comme à l'autre. Doué
à un haut degré du talent de la pa-
role , il se plaisait à l'exercer : il
eût souffert d'en voir restreindre
l'exercice. Remarquons cependant
que cette rare facilité d'éloculion
avalises bornes. Schott ne brillait
pas par l'invention, il avait peu d'i-
dées originales; mais il avait du
savoir, il exposait, il élucidait admi-
rablement ce qu'il savait, et sa logi-
que était vigoureuse, irrésistible.
D'ailleurs il avait toujours sur chaque
378
SCH
SCH
sujet une multitude d'exemples , qui
en même temps e'claircissaient la
matière et captivaient l'attention.
Quoiqu'il y eût incontestablement
chez lui beaucoup de spontanéité,
l'art peut-être avait fait plus que
la nature: il connaissait à fond
toutes les ressources de la rhéto-
rique anciennes et modernes. Per-
sonne comme lui ne s'entendait à
en développer les mystères aux jeu-
nes lévites du protestantisme; per-
sonne autant que lui, aux préceptes
les plus secs, les plus matériels des
rhéteurs de l'antiquité, ne joignait
le talent de mettre en relief, de faire
jaillir tout ce que la psychologie et la
science de la phe'noménologie morale
de l'homme peuvent fournir d'élé-
ments à l'éloquence de la chaire.
Schott mourut le 29 décembre 1835
au retour des eaux d'Ems, dont il re-
venait assez bien portant pour qu'on
le crût et que lui - même se crût
guéri, quoiqu'en principe il ne se
fût jamais fait illusion sur la faiblesse
de sa constitution et qu'il se fût tou-
jours cru destiné à mourir avant la
vieillesse. On a de lui, entre autres
ouvrages : LTe^v/i p/,Topt>47i quœvulgo
intégra Dionysio Halicarnassensi
tribuitur, etc., avec traduction la-
tine et commentaire, Leipzig, 1804.
11. Esquisse (Kurzer Entwurf) d'une
théorie de Véloquence, etc., Leipzig,
1807; 2« édit., 1815. lll. Théorie de
l'éloquence et son application à l'élo-
quence de la chaire, Leipzig, 1815,
(1814), 1824, 1827, 1828, 3 vol, le
second subdivisé en 2 tom.; 2e édit.
(des deux premiers volumes). 1827,
1833. Le tome premier pose les prin-
cipes généraux, tant philosophiques
que religieux, de l'éloquence de la
chaire ; le deuxième est consacré à
l'invention , la première partie du
troisième à la disposition, et la se-
conde à l'exposition et au style. IV.
Epitome theohgiœ ehrislîanœ dog-
maticœ in nsum scholar. academi-
car, adornata, Leipzig, 1811; "i* édi-
tion très-au^mf»ntee et modifiée, 1822,
(1821). V. Opuscula exegelica, cri-
tica^dogmatica, etc. ^ Leipzig, 2 vol.,
1817, 1818 VI. Isagoge historico-
critica , in libros novifœderis^ léna,
1830. VII (en société avec Winzer).
Libri sacri antiqui fœderis ex ser-
mone hebrœo in latinum translati,
etc., Altona et Leipzig, 1816, l*"" vo-
lume. Les autres n'ont pas paru. On a
plus lard donné des exemplaires avec
ce titre: Pentateuchus ex sermone
hebrœoin latinum translatus. Schott
etW^inzeront joint à leur texte des
notes contenant les variantes prin-
cipales, et aussi les principales va-
riétés de traduction. VIIÏ (encore
avec Vimzer). Commentariiin libros
aposlolicos Novi Testamenti, Leip-
zig, 1833, l^"^ volume. IX, X, XI et
XII. Discours chrétiens et religieux
prononcés à diverses fêtes et diman-
ches.^ Leipzig, 1812 (1811) ; Prédica-
tions et homélies (geistliche Reden,
in-4o), la plupart relatifs aux événe-
ments du temps, léna, lSl5\Nouveau
recueil de prédications et d^homélies
prononcées à V église de V Académie
et à la nouvelle église de la ville^
léna, 1832 ; Nouveau choix d'homé-
lies et autres prédications^ Neustadt,
1830. XIII. Exposés religieux des
passages usuels et de textes choisis
(Christl. Religionsvortrîege ub.,etc.).
Gotha et Erfurt, 1819 (1818), 2 vol.
XIV (avec Rehkop). Feuille des pré-
dicateur s, ou Recueil périodique pour
entretenir le sentiment religieux
dans les fonctions pastorales (fiir
Prediger, Eine Zeitschrift z. Bêle-
bung d. Religiositœtfd. Predigtami),
Leipzig, 1811-1812, 3 vol. (chacun de
3 livraisons). XV. Beaucoup de pro-
SCH
SCH
379
grammes int^^ressants, dont toutefois
la plupart se retrouvent dans les
Opusculacrit., etc. XVI. Des articles
dans plusieurs recueils périodiques,
particulièrement dans les Memoran-
dtt du prédicateur (Memorabilien f.
das Studium d. Predigers) de Tzschi-
ner dont il publia, en l'absence de
l'éditeur, le tome IV, l''^ livraison.
P— OT.
SCIIOUISKI. Voy. Zouisri, LU,
476.
SCHRADIN (Nicolas), bourgeois
de Lucerne en Suisse et sous-se-
crétaire d'État, est le premier des
historiens suisses dont Touvrage
ait été' imprimé. Sa Description de
la guerre de Souabe parut en vers
allemands, à Sursée, en 1500, in-4".
Ce livre offre des figures gravées en
bois assez bien faites, et il est infini-
ment rare. U— I.
SCîlRANK (François de Paule
de), laborieux naturaliste et poly-
graphe bavarois, naquit le 21 aoiit
1747, à Varnbach-sur-l'lnn, où son
père était juge du couvent; passa
de bonne heure avec lui à Passau
et , après avoir reçu la première
éducation dans la maison pater-
nelle, fréquenta le collège que di-
rigeaient les jésuites. 11 trouva
là d'excellents maîtres, et, répondant
à leur zèle par un zèle non moins
vif, il acquit rapidement des connais-
sances. On remarqua qu'en rhéto-
rique, au lieu de s'en tenir, suivant
l'usage, au vers latin, il risquait des
essais de versification allemande
dans lesquels il y avait de la sou-
plesse et de la grâce. Une pastorale
qu'il adressa au cardinal-évêque de
Lemberg le fit admettre parmi les
jésuites de cette ville, en qualité de
novice, et les pères, suivant leur cou-
tume , l'envoyèrent successivement
dans diverses maisons hongroises de
leur ordre, à Choprony, à Dieur, à
Naguy-Chombath (Œdenbonrg,Raab,
Tyrnau). Le P. Sluha, qu'il vit dans
la première de ces villes, lui inspira
le goiit de l'histoire naturelle-, tou-
tefois il ne s'y livra pas exclusive-
ment sur-le-champ, et à Naguy-Chom-
bath surtout il donna beaucoup de
temps à la philosophie et aux ma-
thématiques, aux belles-lettres et à
la philologie. A Vienne, où il alla
ensuite, le grec et l'hébreu l'occupè-
rent conjointement aveclathéologi^^
puis il fut chargé à Lintz d'une
classe inférieure (1769).ll remplissait
encore cette chaire quand en 1774
la destruction de son ordre vint lui
rendre la liberté d'autant plus plei-
nement qu'il n'avait pas même encore
reçu le sous-diaconat. Mais loin de
mettre à profit cette circonstance, il
se hâta de se faire administrer cet
ordre mineur dès l'automne de 1774,
à Passau, et quinze mois après (déc.
1775) il était ordonné prêtre à
Vienne. Probablement il eût sou-
haité trouver un poste de haut en-
seignement dans l'université de cette
vilie : quelques protecteurs l'encou-
ragèrent, et il parvint à se faire con-
férer le doctorat en théologie. Mais à
mesure qu'il faisait des pas vers le
but, il voyait les difficultés se gros-
sir. Bavarois, il ne trouvait en Au-
triche que très-peu de dispositions à
le traiter suivant son mérite, et on
lui faisait des conditions qui l'eus-
sent lié plus qu'il ne le voulait. Il se
résignadonc à revenir à Passau. Mais
là même il ne put trouver de place
immédiatement, et il dut se conten-
ter d'une chaire de physique et de
mathématiques à Amberg. On le
vit ensuite chargé de la rhétorique
à Burghausen, où de plus il fut di-
recteur rie la société agronomique et
conseiller spirituel de l'électeur de
380
SCH
Bavière. Il passa en 178i à Ingols-
tudt pour y professer l'agronomie et
subsidiaircinent la botanique, l'art
du forestier et l'art du mineur. Il y
joignit même la zoologie à partir de
1799. Mais lorsque trois ou quatre
ans plus tard on l'appela d'Ingolsladt
à Landshut, on ne lui dem.mda plus
que de la botanique. Il y compta
parmi ses élèves le prince royal, dont
il eut le bonheur de se concilier les
bonnes grâces et la conliance; aussi
le roi Maximilien- Joseph lui ac-
corda-t-il, en 1808, la décoration
de l'ordre du Mérite civil, et l'année
suivante il fut appelé à Munich par
l'Académie royale des sciences, pour
y disposer un jardin botanique. Mais
auparavant il fit un voyage scientifi-
que à Venise et dans le royaume d'I-
talie, en compagnie du physiologiste
Tiedemann. De retour en sa patrie,
il déploya malgré son âge une acti-
vité, une énergie extrême pour l'exé-
cution de l'œuvre qui lui était con-
fiée , et secondé par son collègue
Martius, il fit du jardin botanique de
Munich un des plus beaux établisse-
ments connus de ce genre. Il était
pi us que sexagénaire pourtant à cette
époque. Dix ans encore, cette vigueur
de caractère et d'esprit se soutint,
non sans étonnement et quelquefois
mécontentement de ceux qui l'en-
touraient. Il n'en fut plus absolu-
ment de même après 1819 et sur-
tout après 1822. Insensiblement il
dérivait de l'histoire naturelle pro-
prement dite vers des idées qui s'y
liaient, mais incidemment. La reli-
gion n'avait jamais cessé d'exercer
sur lui son empire, mais la médita-
tion rel igieuse prenait désormais une
plusfortepartdesontemps,absorbaii
une plus forte part de son attention.
Ces préoccupations nouvelles s'é-
taient déjà fait jour dès 1811, dans la
SCH
Fête du Seigneur. On les retrouve
bien plus marquées dans ce discours
conçu sous l'empire du Cœli enar-
rant gloriam Dei, ainsi que l'indi-
que le titre même : La nature an-
nonce Dieu^ et prononcé en 1826.
Chronologiquement, il clôt la série
de ses ouvrages. N'y a-t-il pas en
vérité quelque chose de touchant
et de singulièrement philosophique
dans l'ensemble de cette carrière in-
tellectuelle qui débute par la poésie
pour se livrer ensuite à la science,
et par-dessus tout à une science po-
sitive s'il en fut jamais, l'histoire na-
turelle, et qui de cette contempla-
tion des phénomènes, des conditions
et des formes innombrablement va-
riées de la vie, arrive enfin, pour ré-
capituler tout ce qui s'est passé sous
ses yeux, à la paraphrase du verset
du psalmiste ? Zoologie et botanique,
insectes et entozoaires, mines et fo-
rêts, en dernière analyse, tout amè-
ne à cette conclusion : «■ Il est un
Dieu , » et c'est le savant même, le
savant long-temps voué à d'arides
recherches qui laisse échapper ce cri
comme le résuitat le plus net de ses
immenses travaux. Schrank mourut
le 23 décembre 1835, dans sa quatre-
vingt-neuvième année. C'était un
homme consciencieux, probe, inflexi-
ble et allant obstinément et droit au
but dès qu'il le croyait utile oujuste.
Plein de désintéressement, il ne ca-
pitulait pas plus avec les intérêts
d'autrui qu'avec lui-même : les fai-
blesses, les sordides calculs, tout
cela trouvait en lui un adversaire
sans pitié, ou pour mieux dire sans
oreilles. Très-sensible à la louange,
il ne l'écoutait pourtant avec plaisir
que si elie venait de l'homme qui la
méritait lui-même ; et s'il lui était
adressé un compliment par quelqu'un
qu'il méprisât, il répondait par d'à-
SCH
cerbes et presque injurieuses paro-
les. On comprend que de cette façon
il devait avoir beaucoup d'ennemis.
II eût peut-être succombé à leurs at-
taques, si son caractère de prêtre
n'eût été pour lui un bouclier et
n'eût aide' à la haute pureté' de sa vie
pour le protéger contre la calomnie.
Quoi qu'on puisse ou même quoi
qu'on doive penser de cette âpreté
d'un caractère énergiquement trem-
pé . mais raide et tranchant, on
avouera qu'il y a là de quoi changer
un peu les idées qu'on se fait ordi-
nairement des jésuites, ou du moins
de quoi prouver qiâ'ils comptaient
dans leur ordre des hommes bien
incapables de ces ménagements, de
cette adresse cauteleuse qu'on s'est
plu à représenter comme insépara-
bles de leur robe. Voici les ouvrages
de Schrank, rangés non pas selon
l'ordre chronologique, dont on ne ti-
rerait ici rien d'utile, mais suivant
un ordre méthodique,en commençant
par les ouvrages d'histoire naturelle,
en faisant précéder le particulier du
général et en réunissant par groupes
vers la fin les opuscules de minime
importance, les articles épars et les
essais qui ont plus ou moins la cou-
leur littéraire. I. Sur la manière
d'étudier l'histoire naturelle, Ratis-
bonne, 1780. II. Introduction à l'é-
tude de l'histoire naturelle, Augs-
bourg, 1783. 111. Traits fondamen"
taux de l'histoire naturelle prise
dans son ensemble et de la zoologie
(en deux parties, à l'usage deceux qui
suivent les cours publics), Erlangen,
1801.1V. Passe-temps de Landshut^
Landsh., 1802 et 1803, 2 livr., 3 pi.
(donnés aussi sous le titre proba-
blement ralraîchi de : Recueil de
petits traités pour l'extension de
l'histoire naturelle:), 1803, et plus
^ard, Recueil de petits traités pour
SCH
381
Vextension de Vhistoire naturelle et
Additions aux Traits fondamentaux
de Vhistoire naturelle des plantes et
de la zoologie, Landshut, 1809, 2
livr., 3 pi. V. Morceaux d'histoire
nafwrei/e, Leipzig, 1776. VI. Traités
d'une société particulière de natu-
ralistes et de praticiens de l'écono-
mie rurale (Œkonomie) de la Haute-
Allemagne^ Munich, 1792, 6 pi. VII.
Lettres d^un naturaliste sur l'Autri-
che, sur Salzbourg, sur Passait et
sur Berchtesgaden. VIII. Lettres sur
Vhistoire naturelle et l'exploitation
économique des marais du Danube,
Manheim, 1795, 1 pi. IX. Lettres à
H.-B. Swan , sur Vhistoire natu-
relle, la physique et Vexploitation
rurale, précédées de trois Traités
d'histoire naturelle, Erlang., 1802,
4 pi. X. Voyage en Bavière, Munich,
1786, grav. XL Voyage dans lesmon-
tagnes méridionales de la Bavière^
pour observer des objets de botani-
que et d'agronomie, avec des notices
sur les mœurs , Vhabillement et
autres particularités remarquables
Munich, 1793. XII. Fauna boica,
1798-1803, 3 vol. XlII. Enumtratio
insectorum Austriœ indigenorum ,
Augsbourg, 1781. XIV. Catalogue
des espèces de vers intestinaux jus-
qu'ici connus, etc., Munich, 1787;
2« édit., 1788. XV. Traité de la
nourriture des bestiaux à Vétable,
Burghausen, 1780. XVI. Éléments
de botanique, Munich, 1785, et
Traits fondamentaux de Vhistoire
naturelle des plantes^ Erlangen,
1803. Le second ouvrage est, à pro-
prement parier, un remaniement
très-augmenté du premier, X Vil. Z)c5
vaisseaux latéraux des plantes et de
leur utilité. Halle, 1794, 3 pi. XVIll.
Du sommeil des plantes et des proprié-
tés phytographiques en liaison avec
ce phénomène, Ingolst,, 1792. XiX.
383
SCH
Flore de Bavière^ Laiiilshut, 1789 ,
2 V. XX. Catalugits plantar. horti
acad. landishulani^ Landsli., 1805.
XXI. Flora monacensis, seuplantœ
circaMonachium nascentes, Munich,
1811-1821,92 liv., pi. de Mayrhofer.
XXII. Planiœ rariores horti acad.
monacensis descriplœ et observatio-
nibus auctœ, lOlivr. Nurenb., 1817-
1822, 10 pi- par livr. XXllI. Primi-
tiœ Florœ salisburgensis cum disser-
tationeprœvia de discrimine planta-
runiab animalibus, Francfort, 1791,
2 pi. XXIV. Éléments de Vart du
mineur, ingolst., 1793. XXV. Essais
poétiques , Augsbourg, 1774. Ce fut
le premier de tous ses ouvrages.
XXVI. Histoire succincte des esprits
éminents de la Grèce et de Rome,
Augsbourg, 1781. XX VU. Divers opus
cules, discours, programmes, etc.,
relatifs soit à des objets scientifi-
ques, soit à d'autres matières, tels
que : 1** Sur la mort du roi de France
Louis XVI, Ingolst., 1793. 2° UFête
duStigneur,ou le Livre d'édification^
etc., Landshut, 1811. L'auteur s'ef-
force d'y montrer que l'histoire de
chaque fêle éclaircit et raconte le
fond de chacune des cérémonies ec-
clésiastiques que l'on y pratique.
3^ La Nature annonce Dieu, Munich,
1826. i^ L'Histoire des Allemands en
Alsace, Munich, 1793. 5° Pensées sur
l'éducation de la jeunesse des cam-
pagnes, Burghausen, 1779 (dise).
ij^Discoursen commémoration du doc-
teur en philosophie et en théologie
Paul Hupfauer, Landshut, 1808. T
Une religieuse peut-elle être membre
d'une académie des sciences ? Munich,
1819.8° Les Princes de la lune... Ce
n'est pas un roman. Landshut, 1808.
XXVIU. Les Éphémérides littérai
res, 6livr. (d'abord avec Hellersper,
puis seul), Ingolst., 1799-1801 ; et
un grand nombre d'articles dans les
SCH
recueils périodiques et scientifiques
du temps, tels que les Mémoires de
la Société des curieux de ta nature
de Berlin, les Acla Erford., les An-
nales de la Société de Wétéravie, les
Transactions de la Société économi-
que de Burghausen , les Nouvelles
Transactions physiques de fAcadé'
mie des sciences deMunich,\esCurieux
de la nature de Halle, le Nouveau
Magasin entomologique de Fuessli,
les Annales botaniques d'Ustéri, la
Gazette d'horticulture de Sprengel,
VAlmanach de physique de Salz-
bourg,de Hubner, [es Notices d'his-
toire naturelle, relatives à la Haute-
Allemagne, de MoU, la Gazette bo-
taniquey le Magasin botanique de
Zurich, les Mémoires de la Société
botanique de Ratisbonne, etc., etc.
Quelques-uns de ces articles, accom-
pagnés de quelques morceaux nou-
veaux, ont été imprimés sous le titre
de Recueil d'articles d'histoire natu-
relle et de physique, Nurenberg,
1799, pi. Schrank a donné une nou-
velle édition, augmentée et à l'usage
de la Bavière, du Catéchisme d'agri-
culture, de Mayer, Munich, 1785; et
de là Synopsis plantarum succulent, ,
de Haworth, pareillement retravail-
lée, augmentée et modifiée à l'usage
de la Bavière, Nurenberg, 1819.
P — OT.
* SCHRÉBER (Jean-Chrétien-
Daniel de), naturaliste allemand, né
en' 1739, k Weissensee, en Thurin-
ge, acheva ses éludes à Halle, et s'y
adonna principalement aux sciences
médicales; mais bientôt l'histoire
naturelle lui inspira une passion
exclusive. Frappé de la prodigieuse
influence qu'exerçait alors Linné
sur presque toutes les parties de
cette science, il se rendit, en 1758,
à Upsal, pour y jouir des leçons de
ce grand homme. Accueilli dès lors
SCH
SCH
383
avec bonté, ce fut sous la présidence
du grand naturaliste que, deux ans
plus tard, il soutint sa thèse de doc-
teur. Schréber était sans contredit
un des disciples les plus distingués
de Linné, et il contribua beaucoup
à consolider ses doctrines, noiain-
ment l'emploi et l'usage du système
sexuel. 11 ne tarda pas à revenir en
Allemagne. Nommémédecin de l'école
du pœdagogium de Lulzen, il y fit
des cours de médecine. Il quitta cette
ville, en 1764, pour aller habiter
Leipzig, où il venait d'être nommé
membre de la société économique,
dont il fut ensuite secrétaire. Mais,
en 1769, il fut appelé à l'université
d'Erlangen, comme professeur ordi-
naire de médecine, d'histoire natu-
relle, de botanique^ avec le titre
de conseiller aulique. Vingt-deux
ans après, il fut nommé président de
l'académie impérialedes naturalistes,
conseiller impérial, etc., et reçut de
l'empereur d'Allemagne des lettres
de noblesse. Schréber devint succes-
sivement membre de quarante so-
ciétés savantes en Allemagne et en
pays étranger; et peu de naturalistes
allemands ont joui, dans leur patrie,
d'une aussi grande célébrité ; ce qui
s'explique moins par le mérite de ses
ouvrages que par ses qualités socia-
les, son obligeance, son éloignement
pour toute querelle littéraire, sa ti-
midité même, enfin par les places
qu'il a occupées. 11 mourut le 10 dé-
cembre 1810. Schréber a publié: I.
Icônes planlarum minus cognita-
rum decas, in-fol.. Halle, 1766. 11.
Beschreibung der Grœser ( Descrip-
tion des graminées), l'*' part., in-fol.,
Leipzig, 1769; 2« part., r« section.,
id.,ibid., 1710,2- sect., id., ibid.,
1774; 2« part, (qui n'est qu'une
autre continuation de la 2e part.,
indiquée ci-dessus), id., ibid., 1810.
Ces dififérentes sections sont accom-
pagnées de cinquante-quatre plan-
ches offrant des figures coloriées
de graminées. Cet ouvrage est
destiné aux agriculteurs autant
qu'aux botanistes. La description
technique, déjà assez longue, de
chaque plante, est suivie de détails
en général beaucoup plus étendus
sur son histoire, son utilité, etc.
V Ânthoxanthum odoratum , par
exemple, occupe 12 pages. Néanmoins
il ne satisfait complètement aucune
des deux classes de lecteurs. La partie
usuelle contient d'excellents rensei-
gnements, mais elle est loin de pré-
senter toutes les espèces utiles, et
la partie scientifique se compose de
descriptions exactes, mais isolées,
sans classification, et même sans fixa-
tion de caractères génériques . Schré-
ber a donc peu avancé la connaissance
des graminéeS; sous le point de vue
classique, mais seulement celle des
espèces, tant par les descriptions que
par les figures,, qui représentent le
port des objets très-fidèlement. Elles
sontaccompagnées d'analyses détail-
lées, médiocres dans les premières
sections, beaucoup meilleures dans
la dernière, mais trop petites et bien
moins complètes que celles de plu-
sieurs ouvrages de la même époque
ou postérieurs. III. De Phasco ohser^
vationes, Leipzig, 1770, in-4°. L'au-
teur prouve que la coiffe existe dans
toutes les espèces de ce genre, et met
en avant l'opinion que les paraphyses
font les fonctions d'anthères. lY.Spî-
cilegium florœLipsicœ, L^ipzig^mi^
in-8°; ouvrage peu reclierché. V.
Planlarum verticillatarum unila-
biatarum gênera et species, une fig.,
Leipzig, 1774, in-40. Q^^.^l ujj^. ico-
nographie îrès-déiaillée des genres
Ajuga et Teucrium , dans laquelle
Schréber cherche à éclaircir la syno-
384
SCH
Tiy tnie des anciens, d isti ngiie les «leux
genres, décrit leurs espèces, et ex-
pose leurs divers avantages. Ces
plantes, qui tiennent, pour ainsi
dire, le milieu entre les verbe'n.icees
et les labiées, sont beaucoup mieux
connues maintenant. La présence
d'un péricarpe, que Schréber n'ad-
met pas plus que Linné, y est bien
plus manifeste que dans les autres
labiéfs. Sous plusieurs autres rap-
ports, cet ouvrage peut êlre utile
aux botanistes qui s'occupent de
cette importante famille. VI. Ueber
die Sœugthiere (sur les mammifères),
ouvrage considérable commencé en
1775 à Erlangen, in-4°., continué
maintenant par M. Goldfuss, et qui
.n'est point encore près d'être termi-
né. Le plan était de donner des figu-
res coloriées de tous les mammifères,
avec un texte historique et explica-
tif. Le fonddu recueil de figures con-
sista d'abord en copies de celles de
Buffon, dont une grande partie n'était
même coloriée que d'après h s des-
criptions ; mais l'auteur y ajouta en-
suite toutes celles lies Spicilegia et
desGim'^dePallas et plusieurs autres
qu'il eut occasion de faire exécuter
d'après nature, ou d'extraire de di-
vers ouvrages. Le texte est compilé
d'après divers auteurs et avec aS'-ez
de soin. Ou y trouve des faits tirés
d'écrits peu répandus ; et, bien que
les rapports naturels des animaux y
soient peu approfondis et qu'il n'y
soit pas question de leur anatoniie,
c'est encore, après Bnlïon et Pallas,
l'ouvrage le plus utile à consulter
sur la première classe des animaux.
La continuation par M. Goldfuss est
plus au courant de l'état actuel de la
science que les premiers volumes. Vil.
Mantissa editionis 4 materiœ me-
dicœ Linnœi, Erlangen, 1782, in-8".
W\\. De Persea jEgyptiorum , V"
SCH
diss., in-fol., Erlangen, 1787; 2* et
3« diss., id., ibid., 1788. Schréber
prétend que la Persea est le Cordia
myxa de Linné; mais le fruit de cet
arbren'a point les caractères attribués
au Penea [lar Théophraste. Silvestre
de Sacy a établi son identité avec le
Lebakh des auteurs arabes ; et M . De-
lile,dans un mémoire lu ii l'Académie
des sciences, en 1818, paraît avoir
prouvé que le Persea ou Lebakh est
voisin du Ximenia^ et doit former
un genre particulier, qu'il nomme
Balanites. IX. Enfin Schréber est
auteur de la huitième édition du Gê-
nera plantarum de Linné, un vol.
in-8°. Cet ouvrage a obtenu un grand
succèsen Allemagne, où il est encore
cité. Les éditions précédentes y su-
bissent de nombreux changements.
Quelques genres y sont réunis à
d'autres, et beaucoup de nouveaux y
sont introduits, sans que l'auteur ait
rendu compte de ses motifs autre-
ment que par la fixation des carac-
tères. Enfin beaucoup de noms admis
sont remplacés par d'autres, sans
nécessité. Un grand nombre de Dis-
sertations du même auteur ont été
insérées dans les Actes de l'Acadé-
miedescurieuxde lanature.Le genre
Schrebera, de la famille des Rham-
noïdeSj a été dédié par Linné à ce sa-
vant naturaliste. C — v — R.
SCHREÏBERCAloys-Guillaume),
poète, romancier et historien alle-
mand d'une fécondité prodigieuse, né
à Kapel, dans le pays de Bade, en
1763, fut d'abord maître à l'école de
Bade, puis précepteur dans la famille
du comte de Westphalen, ministre
badois. En 1798, lors du célèbre con-
grès, il se rendit à Bastadt, on ne
sait pourquoi. A cette époque il avait
déjà publié une vingtaine d'ouvrage.«5,
entre autres : Feuilles dramatur-
giqueSy Francfort, 1788, 6 volumes;
SCH
Journal du théâtre de Mayence j
Mayence, 1788 ; le Revenant, comédie
en 2 actes, Offenbach, 1789^ la Fian-
cée sous le voile, come'die en 1 acte,
Francfort, 1789 ; Pièces de théâtre^
ibid., 1789 ; Livre de prières du roi
de Prusse, Offenbach , 1790; Rhap-
sodies^ Francfort, 1790 ; Tableaux
dramatiques. Vienne, 1791 ; Consi-
dérations pour les citoyens aile-
mandStk l'occasion des événements
du temps, 1792 ; Scènes de la vie de
Faust^ Offenbach, 1192-^ Laharpe,
opéra-comique, Offenbach, 1793;
Lubies^ contes et tableaux, Franc-
fort, 1793; Feuilles dédiées au génie
du siècle^ Brème, 1793 ; Remarques
faites dans un voyage depuis Stras-
bourg jusqu'à la mer Baltique, Of-
fenbach, 1793-94, 2part.; Wollmar,
Brème, 1793 ; Scènes des derniers
jours de Marie- Antoinette de France,
Offenbach, 179i ; la Constitution de
Rome au temps de la république,
avec une comparaison entre Vanc.
république romaine et la nouv. ré-
publique française, Francfort, 1794 ;
V Ermite dans l' Eichthal^Oiknhâch,
\79i; la Conjuration contreVenise,
Brème, 1794; Visions, dialogues
et contes, ibid., 1795; Excursions
en Allemagne, Leipzig, 1795 : Contes
romantiques, Francfort, 1795,2 vol.;
iePe/mw, Oftenbach, 1796; Recueil
de modèles du style allemand pour
les écoles^ ibid., 1796; Lubies et
rêveries d'un homme qui n'est ni
cosmopolite, ni bourgeois de son
quartier, Francfort, 1796; Voyage
de mon cousin dans sa chambre,
Brème, 1797, 2 vol.; Marbod et
Hermann, ou la première ligue ger-
manique^ Francfort. Il avait entre-
pris aussi quelques feuilles pério-
diques , telles que Musarion et la
Feuille rouge ;msLis, faute de succès,
il avait fallu les laisser en chemin ,
LXXXI.
SCH
385
ce qui ne l'empêcha pas d'en entre-
prendre encore d'autres dans la suite,
telles qu'une Gazette générale des
arts et une Feuille hebdomadaire
badoise: la dernière a duré un an «t
demi. Son séjour au congrès ne
donna pas lieu à moins de quatre
ouvrages nouveaux. Ce furent : Al-
manach du congrès de Rastadt ,
avec un plan de la ville çt une vue
du château, Rastadt, 1798 ; Manuel
du Congrès de Rastadt, ib., 1798-99,
qu'il publia en plusieurs parliesavec
le résident hanovrien de Schwarlz-
kopf ; Lettres d'un envoyé parti-
culier^ ib , 1798, 2 vol., auxquelles
succéda plus tard un Âlmanach de
Rastadt, Mduheim , 1801. Débar-
rassé du congrès, Schreiber reprit
le cours de ses publications litté-
raires, et donna successivement :
Adélaïde de Messine, Leipzig, 1802 ;
Tableaux de l'enfance et du bonheur
domestique, Dusseldorf, 1805; la
Conjuration de Fiesque présentée
dramatiquement^ Zurich, i804;;a
Peinture, Dortmund , 1804; Es-
quisses et contes, Leipzig, 1804;
Manuel de l'Esthétique, Heidelberg,
1809; Biographie de Charles-Fré-
déric, grand-duc de Bade, ib., 1811;
Poésies et contes^ ib., 1812 ; Roses
d'automne, Cdvlsruhe, 1814; l'Ami
des ménages rhénans, ib., 1816; le
Retour du guerrier, Francfort, 1816;
Histoire de Bade^ Carlsruhe, 1817;
la Naissance du Sauveur, ib., 1817;
OEuvres poétiques. Tu bingue ,1817-
18, HvoL; les chants allémaniqueset
les contes en vers faisant partie de
ce recueil ont été imprimés aussi sé-
parément ; Ce que la maison de Bade
a fait pour l'empire d'Autriche.
Heidelberg, 1819;2eédir., 1821;Com-
ronncs de myrtes et de cyprès,
Stuttgart, 1820, 2 vol.; V Allemagne
et les Allemands depuis les temps
25
386
8CH
lexplus reculés jusqu'à la mort de
Charlemagne^ Carisruhe 1823, 4
cah. avec fig. ^ Du style d'affaires et
du débit mdley ibid , 1824; Histoire
et description d'Aix-la-Chapelle,
Borcette, Spa et les environs^ Heidel-
berg, 1824; Rapport de la société
pour les arts et l'industrie dans le
grand-duché de Bade, Carisruhe,
1816; la Navigation à la vapeur
sur le Rhin et sur le lac de Constan-
ce, Heideîberg, 1827; Nouvelles^
Carisruhe, 1839, 2 vol. On a pu re-
marquer quelques lacunes dans la
se'rie des années; on se tromperait
si l'on croyait que le fécond écrivain
se soit reposé pendant ce temps. Au
contraire, il composa et publia alors
un genre d'ouvrages que nous devons
signaler séparément, et qui ont fait
connaître Schreiber de tous les
voyageurs qui visitent les bords du
Rhin. Cesont ces guides ou itinéraires
dont on se munit avant de monter
sur les bateaux à vapeur, en wa-
gon ou en diligence. C'est d'abord
le Guide des voyageurs sur le Rhin,
depuis S chaffhouse jusqu'en Hollan-
de, é^édit., Heideîberg, 1836, dont il
a été fait une traduction française ,
2» édil., 1818 ; le Choix des tradi-
tions populaires des contrées du
Rhin , de la forêt Noire et des Vos-
ges^ tiré de cet itinéraire a été im-
primé séparément , Heideîberg ,
1839-40, 2 vol. II a paru aussi un
extrait de l'itinéraire sous le titre de
Livre de poche pour ceux qui voya-
gent sur le Rhin^ Heideîberg, 1821 ;
et, comme supplément, l'auteur avait
fait paraître dès l'an 1833 un No-
menclateur topographique des rives
du Rhin. A l'itinéraire il fit succéder
un Manuel des voyageurs a Bade,
dans la vallée de Murg et dans la
forêt Noire^ Heideîberg, 1818, avec
une carie et neuf vues ; un Gmdç 4^$
SCH
voyageurs dans le grand^duché de
/^ade, qui avait été précédé 15 ans
auparavant d'essais moins complets,
et un Guide des voyageurs dans la
Suisse^ le Tyrol et le SalzbourÇy pour
faire suite à l'itinéraire sur le Rhin,
Heideîberg, 1836, avec une carte.
Tous ces guides sont bien rédigés et
peuvent être cités comme modèles
de ce genre d'ouvrages , étant rem-
plis de renseignements à la fois in-
structifs et intéressants. Schreiber est
encore auteur de Vues du Rhin^
Francfort, 1804-6, 3 cah.; d'un ou-
vrage sur Heideîberg et ses environs^
sur Griesbach et ses environs , et sur
les Tombeaux impériaux dans la ca-
thédrale de 9pire,Fnbo\irg^ 1815.11 a
fait le texte de quelques ouvrages à
gravures, entre autres des Costumes
nationaux de l'Allemagne, De 1808
à 1812, il a publié VAlmanach de
Heideîberg, et de 1816 à 1840 il a été
l'éditeur de Cornélie, almanachpour
les dames allemandes. U avait été
nommé professeur au lycée de Bade
en 1800, et à l'université de Heideî-
berg en 1805. Dans la suite il avait
été appelé à Carisruhe comme histo-
riographe de Bade, charge plus hono-
rifique que réelle, et il avait fini par
s'établir dans cette ville, oùil termina
ses jours, le 21 oct. 1841. D — g.
SCHRIëCK (Adrien van), ou
Schrieckius, savant des Pays-Bas, na-
quit à Bruges le 26 décembre 1560.
Après avoir terminé ses premières
études dans sa patrie, il vint à Paris
faire sa philosophie et son droit. De
retour en Flandre, il fut successive-
ment bailli de plusieurs villes, et en-
fin conseiller des archiducs Albert
et Isabelle, ainsi que de la ville
d'Ypres, où il mourut en 1621, le 26
décembre, jour anniversaire de sa
naissance. « C'était, dit Paquot, un
homme fort versé dans les langues
SCH
savantes et dans Tantiquité tant sa-
crée que profane ; mais il manquait
de jugement pour profiter de ses con-
naissances. »Schrieck fut le véritable
pendant de notre Pierre Le Loyer
{voy. ce nom, XXV, 322), et comme
ce visionnaire, il donna dans tous les
excès, pour ne pas dire les folies de
la science étymologique. Il consacra
une partie de sa vie à la composition
d'un grand ouvrage, que certains
amateurs recherchent encore comme
un monument des aberrations de la
pensée humaine. Il s'était proposé
de prouverque les Flamands ont une
langue et une origine beaucoup plus
anciennequelesGrecsetlesRomains,
et de plus, que les langues flamande,
celtique et tudesque ne diffèrent
guère de la langue hébraïque, qu'elles
n'en sont qu'un dialecte, et que les
peuples qui les parlent ont précédé
les Chaldéens. Pour démontrer tout
cela, il déploie une érudition im-
mense, mais très-mal digérée, remon-
tant au commencement du monde,
torturant l'histoire et la géographie,
et entassant les explications les plus
hétéroclites, les étymologies les plus
bizarres et les plus absurdes des mots
grecs et hébreux, qu'il rend dans un
flamand souvent, barbare, etc., etc.
On peut voir, dans les Mémoires lit-
téraires de Paquot, un échantillon de
ces belles choses, et le long titre fla-
mand du livre, écrit toutefois en la-
tin, et portant ce second titre en
cette langue : Originum rerumque
Celticarum et Belgicarum libri
XXIII, Ypres, Franc. Bellet, 1614,
in-fol. d'environ 900 pages. L'auteur
a donné, même imprimeur, même
ville, même format,deux suppléments
à ce volume, l'un, en 1615, sous le
titre de Monitorum secundorum U-
Iri F, etc., et l'autre, en 1620, sous
QQÏniiï'Adversariorum libri IV, etc.
SCH
38T
Ces trois parties se trouvent rare-
ment réunies. Avant de publier cet
ouvrage singulier, Schrieck avait fait
paraître VHistoire et origine de la
fête nommée der Thuynen, à Ypres
(en flamand), Ypres, Bellet, 1610, in-
12^ réimprimée aux frais de la ville
en 1733, aussi in-12. B— l— u.
S€HRŒDER, acteur ti auteur
dramatique allemand, fils d'une co-
médienne, né le 3 nov. 1744, figura
dès l'âge de trois ans sur le théâtre en
Russie, où sa mère était allée, et où
ellesemariaavecl'acteur Ackerman.
Le nouveau couple dirigea ensuite
une troupe et fit jouer le jeune Schrœ -
der dans le nombre, en diverses villes
de la Russie, de la Pologne et de la
Prusse. Maltraité et négligé par ses
parents, Schrœder dut s'estimer
heureux d'être envoyé au collège de
Kœnigsberg, pour apprendre quelque
choses mais bientôt après, l'approche
de l'armée russe fit déguerpir la
troupe de comédiens, et M™^ Schrœ-
der n'eut pas, à ce qu'il paraît, le
temps de penser à son fils. Un pauvre
savetier, à qui la garde du théâtre
était confiée, eut pitié de lui, et lui
apprit à raccommoder des souliers,
à boire de l'eau-de-vie. Après ce
savetier, ce furent des danseurs de
corde qui eurent soin du jeune
comédien abandonné. A la fin, ses
parents semblèrent se souvenir de
lui ; ils le mirent dans le commerce à
Lubeck, chez un oncle ; mais cette
carrière n'était pas de son goût. Sa
paresse, sa dissipation, pour ne pas
dire sa mauvaise conduite, le firent
renvoyer ; et il alla rejoindre ses
parents en Suisse , et jouer dans
leur troupe. Tout ce qu'il apprit
dans cette vie vagaboude, ce fut
la danse 5 et en 1764, quand la
troupe vint s'établir à Hambourg, ce
fut lui qui dirigea le ballet 5 mais
25.
888
SCH
comme il n'y avait pas bcanconp à
diriger, il devint acteur tragique,
partngea la direction du théâtre avec
sa mère après la mort de son beau-
père (t770), et développa un talent
dramatique qui tut généralement
admiré. S'étant marié avec une
femîue qu'il lorma pour la scène, et
étant devenu seul directeur du théâ-
tre de Hambourg, il sut lui donner
un éclat qu'il n'avait jamais eu ; et
quoiqu'il eût mené jusque-là la vie
d'un aventurier, il introduisit dans
sa troupe un ordre et des mœurs
qui la lirent respecter. Non content
de jouer dans les pièces des autres,
il en composa lui-même avec un
grand succès ; de ce nombre furent
le Testament, le Bourru, et le Porte-
Enseigne. H imita un grand nombre
de pièces des Ihéâtresétrangers, sur-
tout il essaya pour la première fois
de mettre en scène quelques-unes
des pièces de Shakspeare ; et il est
hors de doute que cette dernière
tentative, venant si peu de' temps
après les rudes coups portés aux
vieux systèmes par la Dramaturgie
de Hamlourg de Lessing , n'ait
contribué pour beaucoup aux nou-
velles allures de la littérature germa-
nique. S'étant démis de la direction,
il parcourut avec sa femme l'Alle-
magne , la France , et vint jouer au
théâtre de la cour à Vienne ; puis, de
retour à Hambourg, il reprit la di-
rection, mais avec moins de bonheur
qu'auparavant. En 1798, il se retira
dans un bien rural qu'il avait acheté.
Cependant, comme après sa retraite
le théâtre avait déchu rapidement, il
céda en 1811 aux instances qui lui
furent faites pour reprendre encore
la direction; mais il ne put parvenir
à rendre à ce théâtre son ancienne
splendeur. Il mourut le 3 septembre
1816.Schrœder avait pris une part ac-
SCH
tivp aHX travaux de la loge des francs-
maçons dont il était le président-,
aussi célébra-t-elle avec pompe ses
funérailles. Le poète Tieck fait de
lui un bol éloge en le considérant
comme acltur. «Schrœder, dit -il
dans son Phantasus^ avait cette ima-
nation créatrice qui est la qualité la
plus indispensable pour l'acteur,
et sachant qu'il la possédait, il était
capable, grâce à son esprit et à sa
sagacité, de faire des découvertes
qui portaient son étude et son art à
un développement, aune maturité
parfaite; de là la diversité de son jeu,
son assurance dans le comique, dans
le tragique, ainsi que dans les rôles
à caractère ; de là l'exécution com-
plète de tout ce qu'il entreprenait;
mais aussi il n'entreprenait rien de
ce qui ne pouvait lui réussir. L'école
de sa jeunesse ne lui avait pas été
inutile : il avait dansé dans le ballet
et chanté dans l'opéra; c'est ainsi
qu'il était devenu l'artiste le plus
varié, le plus habile, le plus sûr de
lui-même; et, comme il montrait
toutes ces qualités dans un style
élevé, il était en ce sens le phis
grand acteur de sa nation... Sa voix
était un peu enrouée, et venant par
le nez; son corps avait des formes
grêles et manquait, dans sa vieillesse
du moins, de belles proportions ; mais
quand il entrait en scène, tout cela
disparaissait, on voyait non plus
l'acteur, mais le personnage ; chaque
pas, chaque accent, chaque mou-
vement était dans son rôle, et faisait
un trait du tableau qu'il s'agis-
sait de représenter ; il avait même
l'art de fondre les talents infé-
rieurs qui l'entouraient en un tout
parfaitement harmonieux... ' On ne
retrouve pas cet artiste universel
dans ses œuvres dramatiques , qui
sont presque toutes des traductions
SCH
ou imitations d'œuvres étrangères.
Il écrivait pour son théâtre et pour
sa personne, et quiconque l'a vu
dans divers rôles de ses pièces,
a pu s'apercevoir qu'elles n'étaient
qu'un fond sur lequel le talent le
plus grand et le plus merveilleux se
déployait avec hardiesse et en pleine
liberté. Toutefois il faut nommer
parmi ses pièces, outre celles dont
les titres précèdent , le Cousin de
Lisbonne^ le Portrait de la mère^
le Bailli Graumann, l'Eau qui dort
est Veau qui noie (StilleWassersind
lief). Il existe une édition complète
de son Théâtre, donné par Bulow,
Berlin, 1831, 4 vol. iu-8». — Sa
femme, Sophie Burger , était une
tragédienne distinguée , et faisait
surtout l'ornement de la scène
viennoise. Elle avait divorcé d'avec
Schrœder, et épousé l'acteur Kunst ;
mais bientôt après elle avait quitté
ce second mari comme le premier. —
La fille des époux Schrœder, appelée
Minna Schboeder Devrient depuis
son union avec l'acteur Devrient, est
au théâtre dès son enfance, et après
avoir joué la tragédie , elle s'est
adonnée à l'opéra, puis est devenue
la première cantatrice d'Allemagne.
Paris et Londres ont eu occasion d'ad-
mirer son chant sur la scène. D — g.
SCHRŒÏER (J. -Jérôme) , savant
astronome allemand , naquit le 30
août 1745 à Erfurt.Ses parents le des-
tinaient au droit, et c'est dans cette
vue que le jeune homme partit pour
l'université deGœttingue. Mais bien-
tôt il se dégoiita des Institutes ,
des Pandectes, et il se mit à suivre
avec une assiduité croissante les le-
çons du mathéiiiaticien Kœstner,
avec lequel il se lia et qui fit naître
en lui le goiit de l'astronomie. Ce
goût ne tarda pas à devenir une pas-
sion, et Schrojter tlevint ujj habile et
SCH
389
trés-ulile observateur. Toutefois il
ne s'écarta pas entièrement des
drapeaux de Thémis, et après avoir
reçu ses degrés en jurisprudence il
enîra comme employé à la chambre
de justice de Hanovre. Ce n'est que
pendant ses instants de loisir qu'il
appliquait ses yeux de lynx au té-
lescope. H eut ainsi le bonheur de
signaler le premier aux astronomes
beaucoup de faits qui leur étaient
inconnus sur le soleil, sur Vénus (en
1779 et en 1780), et enfin sur la
lune, à laquelle désormais il voua
une atleiition extraordinaire. Geor-
ges 111, en qualité d'électeur de Ha-
novre, et le duc de Brunswick-Lune-
bourg nommèrent Schrœter grand-
bailli {oberamtmann) de Lilienthal
près deBrême. Désormais fixé, Schrœ-
ter n'eut plus d'autre ambition que
de vouer sa vie à la science. Tant
par sa fortune propre que par les
avantages de sa place, il était à mê-
me de se livrer à ses goûts. Il fit gra-
ver sous ses yeux et chez lui par
Tischbein les planches de son grand
ouvrage sur la lune; il avait fait
construire un très-bel observatoire,
et peu à peu il le garnit des instru-
ments les plus précis et les plus par-
faits. Pour en diminuer le prix de
revient, il voulut en organiser une
fabrication près de lui, et il se trou-
va bientôt qu'il pouvait y gagner.
Instruit par ses soins, son jardinier
parvint à fondre et à polir des mi-
roirs de télescope qui ne le cédaient
guère à ceux des meilleurs fabricants
en ce genre, mais qui coûtaient beau-
coup moins cher. Moyennant 700 fr.,
par exemple, on se procurait ce qu'à
peine on aurait obtenu pour 7,000 à
Londres, un miroir de 15 pieds de
diamètre. Le télescope dont se ser-
vait habituellement Schrœter pour
ses observations n*eu avait que 13,
390
SCJI
Lalando, cependant, le proclam.'iil en
1803 dans sa Bibliographie astro-
nomique (p. 837) le meilleur peut-
être de tous ceux qui existaient à
cette époque , et ne'anmoins ceux
d'Herschel jouissaient d'une célé-
brité européenne. Au reste, les in-
struments de Schrœter n'avaient pas
tous ces dimensions gigantesques, et
d'ordinaire les diamètres n'excé-
daient pas 7 pieds. Schrœter reçut le
titre de directeur de l'observatoire
et eut pour adjoint Harding d'abord
et ensuite Harding et Bessel. 11 fut
ëlu en 1792 membre de l'Académie
des sciences de Gœttingue dont de-
puis plusieurs années il était corres-
pondant. L'Institut de France (classe
des sciences) se l'adjoignit aussi sous
ce titre. Schrœter mourut en 1816,
avec le renom d'un des plus studieux
et des plus habiles observateurs qui
aient aidé aux progrès de l'astrono-
mie. Compatriote d'Herschel, il offre
plus d'un trait de ressemblance avec
lui, soit par le perfectionnement des
instruments , soit parce qu'il était
surtout observateur. En effet, il ap-
porta , ce qui du reste n'est pas
exclusivement leur mérite à eux
^eux , et ce qui est éminemment
dans l'esprit de la science ac-
tuelle, des soins extrêmes et minu-
tieux à tout ce qui peut rendre pré-
cis, exacts et incontestables les ré-
sultats obtenus. Il renouvelait et
multipliait les observations; il était
ingénieux à trouver les circonstan-
ces les plus propres à la vision des
phénomèneset qui laissaient le moins
de chance à l'erreur. Il ne se fiait
jamais, pour quoi que ce fût d'un peu
grave, à sa mémoire, et consignait
sur-le-champ par écrit ce qu'il ve-
nait de prouver. Aussi l'observatoire
de Lilienthal a-t il joui depuis les
vingt dernières années duXVIIP siè-
SCH
cle d'une célébrité européenne, et le
nom de Schrœter est inséparable de
celui de Lilienthal. On peut être sur-
pris qu'il n'ait été le premier à signa-
ler aucune des quatre planètes té-
lescopiques dont la découverte a
inauguré le X1X« siècle et dont le
nombre, comme on sait, vient d'être
augmenté d'une cinquième par Henc-
ke. Mais, d'une part, la découverte
de Junon semble rejaillir en partie
sur lui, puisqu'elle fut faite à Lilien-
thal par son collaborateur Harding;
de l'autre, on doit à Schrœter un
grand nombre d'observations capi-
tales sur ces quatre petits astres.
C'est à ses mesures qu'on s'en rap-
porte le plus ordinairement, tant
pour leurs diamètres apparents que
pour leurs diamètres réels; c'est
d'après ses remarques sur le chan-
gement d'éclat de la lumière de Ju-
non qu'on soupçonna pour cette
planète une rotation exécutée en 27
heures. Les principaux écrits de
Schrœter sont: 1. Mémoires (Bey-
traege) sur de nouvelles découvertes
astronomiques f Berlin, 1788, in-8'',
8 pL, suivis un peu plus tard de
deux tomes de Nouveaux Mémoires
sur, etc. Entre antres parties impor-
tantes de ces mémoires, on remar-
quera ce que Schrœter appelle Frag
ments hermo graphique s. Ce sont
des observations sur la planète de
Mercure. Il en étudie la rotation, les
montagnes, l'atmosphère, et il arrive
sur tous ces points à des résultats,
ou déterminés plus exactement , ou
tout nouveaux. II. Observations
sur les taches du soleil^ sur sa lu-
mière^ etc., Erfurt, 1789,in-4% 5 pi.
(et dans les Acta eruditorum d'Er-
furt). III. Fragments sélénotopogra-
phiqueSj Helmstœdt, 1791, in-4°, 45
pi. Cet ouvrage se compose de 5 par-
ties ou sections. Dans la première,
SCH
l'auteur s'occupe surtout des effets
divers produits sur la surface de la
lune par des réflexions différentes de
la lumière et fait connaître ses mé-
thodes d'observation, de dfssin et de
mesure : il s'y trouve d'excellentes
choses et des détails très-intéres-
sants. La deuxième partie contient la
topographie proprement dite, avec
des cartes spéciales de la mer des
Crises, de la région de Cléomède,
Geminus, Messala et Céphée, dePiu-
tarque et Sénèque, etc., etc. Dans la
troisième se trouvent décrites les
mutations observées dans l'astre
ainsi que diverses apparitions dignes
de remarque. Tel est, par exemple,
un enfoncement dans Hével, de îa
forme d'un cratère, enfoncement que
Schrœter croit s'être formé entre le
24 cet. 1787 et le 27 août 1788 ; tels
sont aussi les changements survenus
à la surface de la mer des Crises. La
quatrième est consacrée à des taches
lumineuses observées à la face noc-
turne de la lune et dans les régions
qui environnent soit Aristarque, soit
Platon. Enfin, la cinquième division
est relative à la configuration et à la
constitution physique de la lune. Il
s'y étend sur les montagnes et les
cratères de notre satellite. A celles-là
il donne de lOOà 8,000 mètres ; à ceux-
ci de 320 à 5,800 ou 5,900 mètres. Il
regarde ces cratères comme s'étant
formés non par dépression, mais par
l'effet des éruptions, la ceinture de
montagnesqui les environne^tantun
produit rejeté par le volcan. Le dia-
mètre du cratère irait de 4 à 15 milles
géographiques (de 30 à 108 kilom.).
Y a-t-il des rivières, des ruisseaux
dans la lune ? il ne le nie pas ; mais
il nie formellement qu'il s'en trouve
d'aussi considérables que ceux de la
terre, c'est-à-dire de 1,000 mètres et
plus de largeur : on les verrait, dit-il,
SCH
391
avec nos instruments, surtout auprès
de la limite d'illumination. IV et V.
Fragments cythéréo graphiques, V"
partie, ou Observations sur les mon-
tagnes gigantesques et la rotation de
Vénus , Erfurt, 1793, in-4o, 3 pi., et
dans les Âcta academ. Mogunt. , 1 794 ,
et 2« partie , ou Observations sur
V atmosphère de Vénus, et Fragments
aphroditographiques , Helmstaedt,
1796, in -4°, fig. Dans le premier
de ces deux ouvrages, Schrœter d'a-
bord réunit les résultats d'observa-
tions qu'il suivait depuis 1779 sur les
taches de Vénus; et déclarant que
jamais, malgré des efforts multipliés,
il n'a pu les voir aussi distinctes
que celles de Mars, de Jupiter et de
Saturne, il prétend qu'elles ne lui
semblent pas propres à faire con-
naître avec précision la rotation de
cette planète. Il est remarquable,
cependant, que par l'emploi des ob-
servations qu'il nous communique
on arriverait à peu près à la pé-
riode de rotation fixée par Cassini.
Quant à l'orographie de Vénus, les
détails dans lesquels il entre sont
trop nombreux pour qu'on puisse
en donner ici l'idée : beaucoup étaient
absolument nouveaux. Il a notable-
ment ajouté aussi à ce qu'on savait
sur l'atmosphère de Vénus. Ce sujet
n'avait encore fourni avant lui que
quelques observations peu impor-
tantes qu'on peut trouver dans 1'^^-
tronomie de Lalande (t. 11), et à vrai
dire l'existence même de cette at-
mosphère n'était pas rigoureusement
démontrée. Schrœter Tamise hors de
doute; il a vu de plus qu'elle est
moins dense que la nôtre , mais
beaucoup plus dense que celle qu'il
attribue à la lune. Il a de même in-
diqué une libration de la planète et
attiré Tattention sur divers change-
ments considérables survenus à sa
392,
SCH
surface. VI. Nouveaux Mémoires
pour les progrès de l'astronomie^
Gœtfingue, 1798-1800, 2 vol. in-8°,
Hg. VII. Observations faites à Li-
lienthal sur les planètes nouvelle-
ment découvertes, Cérès, Pallas etju-
non^ pour arriver à des notions préci-
ces et exactes siir leur grandeur, leur
atmosphère et d'autres rapports na
iurels remarquables du système so-
laire, GœUingue, 1805 , in-8°, 2 pi.
Vesta n'avait pas encore été décou-
verte aa moment où Schrœter don-
na ce volume extrêmement précieux,
tant à cause de ses propres observa-
tions que par l'addition qu'il a fait«
de la traduction du Mémoire d'Her-
schel sur Cérès et Pallas (dans les
Transact. philosoph. ûe 1802). Du
reste, quelque grande que soit l'au-
torité du célèbre astronome de
Slough, il faut avouer qu'ici la palme
resteaux deux observateurs de Lilien-
thal. Non-seuleinent Schrœter etHar-
ding ont plus vu, mais ils ont mieux
vu qu'Herschel. Ce dernier évaluait
très -différemment de Schrœter les
dimensions du noyau solide des deux
planètes soumises à son examen, Cé-
rès et Pallas. Schrœter ne balance pas
à le regarder comme dans l'erreur, et
il assigne même les causes de cette
erreur, due surtout, dit- il, à ce que
le micromètre de projection était
trop loin de l'œil de l'astronouie. En
effet, dans les observations de Slough,
le micromètre employé par Herschel
était à 178 pieds anglais. Les nom-
breuses observations qui suivent
roulent non-seulement, ainsi que le
titre l'indique, sur les dimensions et
l'atmosphère des trois astéroïdes (le
troisième toutefois où Junon n'en a
pas de visible à nos télescopes), mais
aussi sur la forme, sur la grandeur,
sur l'inclinaison, sur les nœuds de
leur g orbites, sur leurs inasëes, leur
SCH
densité, sur la pesanteur à leur sur-
face, et surtout sur les relations qui
en résultent entre eux et les autres
astres du système. Ces relations sont
certainement une des parties les plus
curieuses du volume et une de celles
qui suggèrent le plus de réflexions.
Schrœter ne néglige pas non plus la
question cosmogonique ; et tandis
qu'Olbers émet le soupçon que les
trois astéroïdes et ceux qui plus tard
pourront être découverts dans les
mêmes régions proviennent du bri-
sement d'une planète, soit par une
force qui lui était propre, soit par la
rencontre d'un corps étranger, d'une
comète par exemple , il aime mieux
présumer qu'il existe dans des ré-
gions de l'espace, et notamment dans
la région entre Mars et Jupiter, une
quantité de matière chaotique qui
s'agglonière en masses plus ou moins
considérables, plus ou moins ellip-
tiques, et qui peut-être finira par
n'être qu'une seule planète. VIII.
Fragments cronographiques, ou Dé-
tails propres à donner des positions
plus précises sur la planète de Satur-
ne^ sur son anneau, sur ses satellites,
Gœtlingue, 1808, in-8°, 2 pi. Les
principaux points touchés ici par
Schrœter sont la rotation de l'an-
neau, l'inclinaison de ses deux an-
ses l'une par rapport à l'autre, la
détermination de la ligne de ses
nœuds relativement àl'écliptique,et
la détermination de son épaisseur
moyenne, enfin l'inégalité, l'aspérité
de la surface. Cette inégalitéavait déjà
été soupçonnée par les prédécesseurs
de Schrœter; mais il était réservé au
bailli de Lilienthal démontrera quel
point elle dépasse tout ce qu'on peut
imaginer. Le mot de montagne est
beaucoup trop faible pour désigner
convenablement les hauteurs qui
bérisseut h mvhcn de cet mimu^
SCH
SCH
393
Colles qu*il remarqua d'abord et qui
allaientàlis m. géog. (environ 818
kiloni.) d'élévation perpendiculaire,
élaient loin d'être les plus gigantes-
ques: il en vit d'autres que ses dé-
ductions et SCS calculs lui firent por-
ter k iCO.et même à 303 m. géog.(t'nv.
1,260 et 2,250 kilom.). Dans cette hy-
pothèse, les aspérite's delasurface de
l'anneau sont à son épaisseur comme
3 et même comme 5.5 est à 1. Ce ne
sont plus des montagnes, ce sont des
masses plus volumineuses que notre
lune, que plusieurs des satellites de
Jupiter et de Saturne , que les qua-
très astéroïdes réunis. De ces com-
paraisons à i*idée qu'il y a eu dans la
région de Saturne une grande quan-
tité de matière chaotique, dont le res-
te, après la formation de la planète,
s'amoncela en gros amas irréguliers
à peu près dans ie plan de l'équateur
de Salurne , il n'y avait qu'un pas :
Schrœter ne pouvait manquer de le
faire. Toutefois, rien n'est encore ac-
quis k la science sur ce point. Une
autre assertion très-extraordinaire,
très-curieuse de Schrœter, mais qui
est encore plus loin d'être acceptée
des astronomes, c'est que l'anneau
est immobile. Ainsi Herschel, ainsi
Laplace auraient erré en prononçant
l'un d'après ses observations, l'autre
par ses calculs, que l'anneau accoin-
plitun mouvement de rotation dans
la période très-courte de 10 heures et
demie, et conséquemment avec une
rapidité extraordinaire ! 11 faut lire
dans Schrœter même les observations
elles raisonnements sur lesquels il
se fonde pour s'inscrire ainsi en faux
contre une assertion que lui-même
long-temps avaitcrue vraie. IX. Fra^r-
ments hermographiques, ou Recher-
ches pour faire mieux connu Ure la
planète de Mercure avec des observa-
tions êu.r celle de Vesta, GoHtingue.
1816, in-8°. La principale portion de
ce volume n'est pas, comme on pour-
rait se l'imaginer, une réimpression
un peu augmentée et corrigée des
Fragm. hermog. que contenaient ses
Beitrœgede 1800: c'est une série de
détails absolument nouveaux, très-
riches, très-intéressants, et qu'il ob-
tint de 1801 k 1815 (aussi ajoute-t-il
à l'intitulé que nous avons donné les
deux mots : seconde partie). Des six
sections qui composent cestragments,
les deux premières sont consacrées
d'abord à l'étude des aspects des ex-
trémités (]*•■ la pianète observée dans
sa phase Tiiciforme, et, comme alors,
on lésait, une de sesextrénsités est
tronquée, aux corollaires (ju'il est
possible et légitiiiie d'en tirer, puis
aux bandes et aux taches (pour ne
pas dire à l'absence de taches) que
peut présenter la surface apparente
de la planète pendant sa rotation, et
enfin, k la constitution même de cet
aslre. Dans la troisième section, il
recherche l'inclinaison de l'orbite
sur l'équateur et la porte a[)proxi-
mativement k 20 ". Dans la quatriè-
me viennent des considérations sur
l'égalité ou l'inégalité delà surface
de Mercure; et de la forme tronquée
de sa pointe méridionale il conclut
qu'il doit y avoir vers le pôle corres-
pondante cette pointe des montagnes
énormes, au moins égales pour la hau-
teur k celles de la lune et de Vénus.
La cinquième est rempli^ par des ob-
servations sur l'atmosphère et par
les conséquences que Schrœter en
déduit , sur la grandeur et la rapi-
dité des changements qui s'opèrent
danscette atmosphère, sur la célérité
de ses masses qui va en moyenne k 18
pieds par seconde, sur la ressem-
blance quiconséquemment existe en-
tre cette planète et celle de Mars
ainsi que la notre, sur la fréquencti
scn
SCH
beaucoup plus graude des nu.iges
dans l'hémisphère m(?ridional, sur
la prohabilité d'un clin)at spécial
à cet héujisphère, sur le peu d'in-
fluence que la variation des saisons
doit probablement y exercer. Quant
à la sixième section, il ne s'y agit
que de la rotation qu'on portait à 24
heures solaires moyennes plus quel-
ques minutes , et que, d'après ses prc-
pres observations combinées avec
celles de Bessel, il réduit à 24 h. 0'
50". 11 essaie après cela de dire par
quelle cause physique les rotations
des 4 planètes les plus voisinee du
soleil et les moins considérables
(les astéroïdes exceptés) prennent
presque deux fois et demie plus de
temps que celles des deux grosses
planètes; mais ici ses efforts ne sont
pas heureux, et cette belle question
reste encore à résoudre. X. Plusieurs
Mémoires et beaucoup de notes ou
communications sommaires éparses
dans les feuilles scientifiques, notam-
ment dans le Recueil de la > société
des amis de Vhistoire naturelle^ à
Berlin, dans \esAlmanachs astrono-
miques de Bade, à partir de 1786,
dans les Êphémérides géographiques
de Zach, etc., etc. P— or.
SCHRŒTER (Frédéric -Char-
les-Constantin), peintre, né le 31
mars 1794, était le fils d'un vé-
térinaire de régiment saxon. On
voulut d'abord en faire un phar-
macien, puis, revirement assez bi-
zarre, ou le niit en apprentissage
chez un menuisier. Là on lui apprit
quelques éléments de dessin linéaire.
C'est alors que sa vocation se ré-
véla, et au lieu de lits, de chaises et
autres objets semblables, il se mit à
imiter des maisons, des arbres, des
paysages, des figures. Ses belles dis-
positions n'attendrirent pas son père,
et long-temps encore il poussa la ver-
lope et le rabot. Enfin pourt;int, en
1811, quand il eut été déclaréquitte
des obligations militnires de l'enfant
de troupe, il put se livrer à ses
goûts et, conformément à l'avis du
peintre Schmalfoss, visiter l'Acadé-
mie de peinture de Leipzig. 11 avait
alors seize ans. Il possédait si peu de
ressources pécuniaires que, ne pou-
VJint payer le loyer d'une chambre à
Leipzig, il demeurait àSkeuditz avec
son père, et se rendait à pied de là jus-
qu'à Leipzig, plusieurs fois par se-
maine, pour y suivre les cours. Heu-
reusement le directeur de l'Académie
et le receveur - général de l'accise
provinciale (SchnorretKeyl) ne tar-
dèrent pas à le remarquer. Keyl sur-
tout prit intérêt à lui au point de
l'envoyer à Dresde avec son fils, afin
de s'y perfectionner (1818). Schrœ-
ter ne pouvait manquer de faire de
grands progrès au milieu des chefs-
d'œuvre et desartistes de cette ville:
il remporta deux prix et fut admis
dans l'atelier de Pochmann. Entre
autres talents, il avait celui de saisir
parfaitement la ressemblance, et il
résolut de l'utiliser immédiatement.
Il revint à Leipzig ',61 malgré le pro-
verbe, juste si souvent, qu'on n'est
pas prophète en son pays, il eut
bientôt de la clientèle. Mais le champ
un peu borné dans lequel il semblait
s'être circonscrit ne fut pas long-
temps sanss'agrandir. Il ad vintqu'un
jour ayant voulu réunir dans un
même cadre le portrait d'une mère
et celui de la fille, il les représenta
l'une filant, l'autre faisant de la den-
telle. Ce groupe formait un tableau
de genre tout à fait délicieux; etsur-
le-champ le libraire Knobloch en
offrit 100 thalersà l'auteur. L'aven-
ture fit du bruit, chacun voulut voir
l'œuvre à son tour. Il en fut fait
exhibition publique, et tandis que
SCH
les curinix enchérissaient les uns
sur les autres en louanges, Schnorr
conseillai! au jeune artiste de se li-
vrer uniquement de'sormais à la
peinture de genre, lui promettant
dans cette voie honneur et profit.
Schrœter en crut ses conseils, et il
n'eut point à s'en- repentir. Tout
Dresde fut dans l'enchantement de
ses Petits Drôles (1824), et ad-
mira les gestes, les poses, les mines
variées des fripons de petits pay-
sans et des ivrognes auxquels ils font
des niches : personne surtout ne
pouvait regarder sans pouffer de
rire ce gros et robuste paysan qui
semble ronfler de toutes ses forces
et auquel ses malins persécuteurs, en
lui chatouillant le dessous du nez
avec un épi d'orge, font faire une si
épanouissante grimace. Il est vrai
que de tous les admirateurs aucun
n'acheta le tableau. Mais par contre,
Schrœter l'ayant, un an et quelques
mois plus tard, exposé à Berlin,
avec un pendant, vit l'une et l'autre
production sévèrement critiquées
par les arbitres du goût, mais re-
cherchées par les amateurs et bien
payées. Aux censures, d'ailleurs, ne se
mêlait point d'expression de mépris.
On le critiquait en artistede valeur, et
grâce à lui, la peinture de genre pre-
nait dans les discussions une pl.ice
plus considérable qu'on n'était habi-
tué à la lui accorder. Schrœter, par
suite de cette disposition des esprits,
fixa sa demeure à Berlin. Et, en effet,
il ramena complètement à lui les es-
prits des Berlinois. L'exposition de
1828 eut de lui quatre tableaux : le
Maître de musique, VObservateur,
VAppétit, le Sermon. Très-peu de
reproches et de restrictions se mê-
lèrent aux louanges qu'ils obtin-
rent tous les quatre, et le moindre
se vendit à un prix très - conve -
SCH
91
oyo
nable. Chaque année, à partir de ce
temps, ajoutait à son renom, et Ton
recherchait de plus en pins ses ou-
vrages, qui furent encore au nombre
de quatre à l'exposition de 1830, sa-
voir : V Anniversaire de la mère-
grand, la Cuisine.) le Potier et son
voisin, le Dîner de pain sec. Schrœ-
ter se surpassa encore quand en
1832 il peignit sa Vente à Vencan
après le décès du peintre. C'est sans
contredit son chef-d'œuvre. La com-
position en est riche, les groupes
sont heureusement disposés, les
physionomies parlent, et il serait dif-
ficile de trouver un coloris plus déli-
catement nuancé : verve, expression,
détails, ensemble, tout y est vrai-
ment digne d'admiration, tout décèle
la touche d'un maître. Nul doute
pourtant que Schrœter n'eût été in-
finiment plus loin s'il eût vécu, car
chaque année son talent grandissait.
Mais déjà la mort avait marqué sa
proie. Depuis long-temps il, avait la
poitrine prise, quand en 1833 il se
rendit aux eaux de Salzbrunn. Cha-
que épisode un peu intéressant du
voyage fournissait à son facile et
jovial pinceau des scènes pleines
d'humour et de vérité. Quel Alle-
mand ne connaît, grâce à la litho-
graphie, le Paillasse de Warm-
brunn, la Fille de café, la Halte
juive en voyage et la Noce d'or? et
quelque imparfait que soit l'art de
Sennefelder pour reproduire la pein-
ture, qui n'a éprouvé tantôt un
charme puissant et intime, tantôt un
accès de gaîté folle devant ces cro-
quades délicieuses? Les deux derniè-
res surtout ont quelque chose d'ini-
mitable. Elles furent achevées, la
Halte en 1833, la Noce en 1834.
L'année suivante, Schrœter expi-
rait le 18 octobre, n'ayant encore
que quarante ans. Il fallait l'appro-
196
SCH
SCH
che de ce funeste dt^iiouemeiit pour
qu'un peu de mélancolie vînt chez
lui se mêler à la jovialité. De là son
avant-dernier tableau, où l'on voit
un vieillard assis devant une table
avecune jeune fille derrière laquelle
un enfant joue à Ja poupée. De là
aussi peut-être le dernier, la Mère
faisant entrer de force à l'école son
petit garçon qui regimbe : car ,
quoiqueen un sens il n'y aitlàqu'un
effet plaisant à saisir, pour qui pé-
nètre plus avant, n'y a-t-il pas dans
cette scène un avant goût et un
symbole de la vie, oii tout est con-
trariété, où nous nous révoltonscon-
tre le devoir et contre l'utile, où
nous n'obéissons qu'à la force du
poignet? P— or.
SCIlLliER T ou DE SCHUBERT
(Frédéric -Théodore), astronome
renommé, naquit le 30 octobre 1758.
Bien qu'il eût huit frères et sœurs,
et qu'il fût le huitième, la position
sullisamment lucrative de son père,
professeur de théologicàTufiiversité,
et plus tard conseiller ecclésiastique
eu chef à Greifswalde, lui permit de
recevoir une excellente éducation,
tant par des instituteurs domesti-
ques qu'au gymnase de Greifswalde.
H réunissait d'ailleurs le zèle et l'ap-
titude, et dès le premier âge il ma-
nifesta les plus heureuses disposi-
tions. Il avait perdu son père (1774)
depuis deux ans, quand, très-jeune
encore, il commença son triennal
académique à Gœttingue (1776-1 779).
Destiné à la carrièrt^ ecclésiastique,
il suivit surtout le cours de théolo-
gie ^ mais à cette étude il joignit
celle des idiomes orientaux, et il se
fit remarquer de Michaëlis, dont il
fut disciple assidu. Forcé ensuite de
se créer des ressources en attendant
qu'il eût atteint Tâge où l'on reçoit
les ordres, il alld reconduite deux
jeunes Suédois dans leur patrie, puis
quatre ans durant il habita, comme
précepteur particulier des enfants du
major de Cronhelm de Bartelshagen,
les environs de Stralsund en Pomé-
ranie suédoise. Cette époque de sa
vie décida de son avenir-, car c'est
dans cette maison qu'il prit le goût
de l'astronomie, à laquelle jusqu'a-
lors il était étranger, et c'est dans
cette maison que plus tard il se choi-
sit et obtint une épouse. Le major,
passionné pour la science des Kepler
et des Herschel, possédait une belle
collection d'instruments astronomi-
ques. Les circonstances et l'exemple
font tout le plus souvent. Schubert
ne tarda point à partager les prédi-
lections et les travaux de son pa-
tron ; il devint y[i\ très-habile et in-
fatigable observateur, et, voulant
joindre la théorie à la pratique, il
ne recula point devant une étude
fort approfondie des mathématiques.
On le vit ensuite (1783) passer à Re-
vel, toujours chargé des mêmes fonc-
tions de précepteur particulier. Mais
il ne les exerça que peu de temps, et
le gouvernement russe, toujours en
quête des capacités étrangères, se
l'attacha comme inspecteur du cercle
d'Habsal en Esthonie.Là il se signala
en employant les moments de loisir
que lui laissait son service militaire
à faire des cours aux jeunes cadets
des provinces baltiques. Il en résulta
qu'en 1785 l'académie des sciences
de St-Pétersbourg l'appela dans celte
ville avec le litre de son géographe.
Schubert s'empressa d'y réparer
les dommages causés par un récent
incendie au célèbre globe terrestre,
de Goff. Adjoint dès l'aimée suivante
à la classt; de mathématiques, et bien-
tôt membre du conseil académique,
il ftnit par devenir (en 1789) mem-
bre titulaire de rdcadémie. Ctlleci
SCH
Pavait chargé, en 1788, de rédiger
son Annuaire (Kalcnder), tâche qu'il
remplit ou fut censé remplir plus de
trente ans. De front avec ce travail
et avec ses fonctions de géographe,
il faisait marcher ses études astro-
nomiques ; et son Traité d'astrono-
mie théorique, en trois voluuies, dé-
dié au grand-duc Alexandre (1798),
popularisa son nom comme astro-
nome. Il est probable que cette pu-
blication ne fut pas sans influence
sur le titre qu'il obtint bientôt après
d'inspecteur de la bibliothèque et du
cabinet des médailles de l'académie
(1799). Quatre ans plus tard, Alexan-
dre le chargea de faire aux officiers
de rétat-major un cours d'astrono-
mie pratique, et, en 1804 , il devint
premier astronome de l'observatoire
de Tacadémie. Usant toujours, dans
l'intérêt de la science, de la grande
considération qui l'entourait, il fit
adopter au gouvernement l'idée
d'attacher un astronome à la flotte
de Cronstadt, et d'en avoir un à Ni-
colaïef. C'est lui qui désigna les can-
didats au choix du monarque ; c'est
lui qui fît le plan de l'observatoire
de Nicolaïef. Il accompagna, en 1805,
l'ambassade russe en Chine, en qua-
lité de chef de la section scientifi-
que, avec mission de recueillir sur-
tout les documents astronomiques et
littéraires. Il lui fut assuré à cet ef^
fet, outre ses appointements qui cou-
raient toujours, 8,000 roubles une
fois donnés, plus une pension de
1.000 roubles réversible à sa fa-
mille, au cas où il mourrait pendant
le voyage. Le bataillon de savants
que commandait Schubert en cette
occasion se composait du colonel
d'Auvray, de cinq autres officiers de
la suite de l'empereur, de son fils,
qui fit depuis un beau chemin dans
l'armée, du médecin Harry, d'un
SCH
897
comte Potocki et de quatre natura-
listes. De Kazan, où les voyageurs
s'étaient rendus par Novgorod-la-
Grande, par Tver et par Moscou,
l'itinéraire passait ensuite par Éka-
térinbourg,les monts Ourals,Tobolsk,
Irkoutsk et Kiachta, sur laqi^elle
l'expédition devait se rabattre au cas
où elle ne pourrait pénétrer dans le
Céleste-Empire. Mais tout se passa
heureusement ; et Schubert put rap-
porter, tant de la Chine que de la
Sibérie, un grand nombre d'obser-
vations précieuses. Les récompenses
ne lui manquèrent pas ; et tout en
nous plaisa!it à rendre justice à ses
mérites divers et à son activité infa-
tigable, il faut avouer qu'il ne recu-
lait pas devant le cumul. Grâce au
patronage de l'impératrice-mère, il
fut mis, en 1808, à la tête de la ré-
daction de VÂlmanach allemand de
Saint-Pétersbourg, qui sort du cer-
cle des futiles publications du jour
de l'an par les morceaux d'astrono-
mie, de physique, de géographie et
d'histoire que Ton y rencontre. En
1810, il fut chargé de la partie alle-
mande de la Gazette de Sainl-Pé-
tersbourg, ou Gazette de la cour,
moins toutefois les articles de poli-
tique extérieure. En 1813 enfin, il
prit rang parmi les membres du col-
lège de l'amirauté, avec la mission
spéciale de dresser les instructions
nautiques et aussi de préparer 1'^^-
manach maritime (Seekalender) à
l'usage des officiers de marine. Sa
vie depuis ce temps n'offre rien de
particulier, si ce n'est que, conseil-
ler de collège depuis 1799, conseiller
d'État provincial depuis 1804, il fut
promu, en 1816, au rang de conseil-
ler d'État (ce qui en Russie donne
droit au titre d'excellence, et que
de nombreuses sociétés savantes ,
tant en Allemagne qu'en Danemark,
398
SCH
en Suède, en France, en Italie et dans
TAmérique du Nord, inscrivirent son
nom sur la liste de leurs membres.
Sa mort eut lieu le 22 octobre 1825
(10 octobre russe), après une ma-
ladie de peu de durée. La veille en-
core, non - seulement il corrigeait
des épreuves, mais il méditait
des articles. La nuit, des figures géo-
métriques assiégèrent en quelque
sorte son imagination : il ne put y
tenir, il se leva, sonna, se fit appor-
ter un tableau de mathématiques, se
livra tout haut à quelques calculs, et
traça quelques lignes illisibles, mais
formula distinctement la solution
d'un problème difficile, après quoi il
retourna au lit, pour ne plus se re-
lever. vSa femme l'avait précédé au
tombeau. Il laissait, outre un fils
dont nous avons dit quelques mots,
et qu'on a vu à Paris, en 1814, quar-
tier-maître-général du corps russe
de Voronzof, cinq filles, dont l'aînée
mariée au consul-général de Russie
à Rio-Janeiro, M. de Langs'dorf. La
munificence de l'empereur Nicolas
assura aux quatre autres une pension
de 7,000 roubles papier. — Schubert
était principalement remarquable
par la souplesse et la variété de ses
talents. Astronome consommé, pra-
tique, il était en même temps très-
habile mathématicien ; il était versé
en physique ^ il était fort en histoire
naturelle, en anatomie. Il parlait le
français et l'anglais comme les natio-
naux de ces deux contrées ^ son style
allemand est classique ^ fort différent
de la plupart des étrangers qui vont
faire leur fortune en Russie, il pos-
sédait le russe. Il n'avait point ou-
blié ce qu'il avait appris des langues
orientales à Gœttingue. Il avait la
parole facile, lucide, gracieuse; il
aspirait toujours à la forme litté-
raire ; il s'élevait quelquefois à l'é-
SCH
loquence lorsque son sujet s'y prê-
tait, par exemple, s'il avait à parler
du système solaire, à en récapituler
les grandes lois, l'équilibre, l'har-
monie, la stabilité; k en déduire les
corollaires que ces grands phéno-
mènes semblent appeler. Il était,
comme ses compatriotes, grand con-
naisseur en musique, et, qui plus est,
il jouait du piano, du violon, de la
flûte et du hautbois, nous n'oserions
dire « en maître, » mais pourtant on
l'a dit avant nous. On doit à Schu-
Dert les ouvrages qui suivent :
I. Traité d^ astronomie théorique
(en ail.), 1798, 3 vol. gr. in-4», fig.;
2'^ éd. (en fr.), 1822, 3 vol. in-é", fig.
Bien que cette deuxième édition ne
soit souvent qu'une traduction de
l'ancien texte, les augmentations et
les rectifications nécessitées par les
immenses progrès de la science y
sont si nombreuses, qu'on peut la
regarder presque comme un autre
ouvrage. Toutefois Schubert y a
gardé les principaux linéaments de
sa division générale. Ainsi son pre-
mier volume traite de la sphère cé-
leste et des mouvements apparents ;
dans le second arrive ce qu'il nomme
l'astronomie rationnelle, ou exposi-
tion des procédés par lesquels des
effets observés et mesurés les astro-
nomes se sont efforcés de remonter
aux causes qui les produisent. Dans
le troisième, qu'il consacre à la géo-
graphie physique, nous trouvons les
principes généraux de la mécanique,
leur application à la théorie newto-
nienne, les effets de l'attraction des
corps célestes les uns sur les autres,
la rotation des planètes, la précession
des équinoxes, la nutation, les per-
turbations, enfin la théorie de la
lune et des autres satellites, notam-
ment de ceux de Jupiter. Il est cer-
tain, à notre avis, que cette marche,
SCH
dans laquelle on laisse trop long-
temps le lecteur s'en rapporter aux
apparences, est préjudiciable pour
l'étude de rastronomie, et donne à
l'esprit des habitudes dont il est
presque impossible ensuite de pren-
dre le contre-pied ^ mais il est cer-
tain aussi qu'elle a de la grandeur :
elle nous fait assister au développe-
ment historique de la science, et
c'est là, certes, un spectacle ma-
jestueux que celui de ces hom-
mes, de ces générations qui vien-
nent à tour de rô'îe apporter leur
quote-part à l'édifice d'abord si hum-
ble et si chancelant de la science,
de tous ces efforts, de tous ces sys-
tèmes qui se succèdent pendant des
siècles, corrigeant toujours l'erreur
antérieure et ajoutant des faits nou-
veaux ; au temps même où l'astro-
nomie n'a encore ni instruments, ni
hautes méthodes, ni moyens expédi-
tifs, ni moyens de contrôle, il y a
plaisir à voir comment observent et
raisonnent , conunent calculent et
imaginent les Hindous, les Chaldéens,
les Égyptiens et les Grecs, les Phi-
lolaiis, les Méton , les Hipparques,
les Callippe , les Aristarque de Sa-
mos et les Ptolémée. Et à vrai dire,
pour qui n'étudierait l'astronomie
qu'en aniateur, pour qui préférerait
l'histoire de la science à la science
même, la manière de Schubert serait
la meilleure. II. Astronomie popu-
laire (en ail. aussi), St-Péiersb.,
1808, 3 vol.-, 2« éd., 1810, gr. in-8°.
\\i- Histoire de r astronomie {en diW .)^
StPélersb., 1804, m-S\ IV. In-
structions pour déterminer astrono-
miquement les longitudes, et latitudes
(enall.),St-Pétersh., 1806,gr.in-i".
Cet opuscule, composé pour les of-
liciers de l'etat-major auxijuelsil Fut
chargé en 1803 de faire un cours
d'astronomie, fut immédiatement
SCH
â99
traduit en russe, et a eu plusieurs
éditions dans les deux langues.
V. De Vemploi du galvanisme sur
les sourds de naissance, Dresde,
in-8^. VI. Divers Mémoires ou Notes
de mathématiques, d'astronomie et
de géographie dans les Nova Acta
Ac. se. petropoL, et dans les Mém.
de VAc. des se, de St-Pétersbourg,
qui ont fait suite aux Nova Acta,
Les voici, au complet pour ledeuxième
recueil, à peu près au complet pour
le premier, et suivant l'ordre métho-
dique le plus naturel : i"" Réflexions
sur la théorie du calcul différentiel
(t. V, 1815, lUpages: ce mémoire est
capital) ^ 2» Démonstration du théo-
rème de Taylor (VU, 1820)^ 3" Dé-
monstration générale du théorème
de Newton sur la relation qui existe
entre les coefficients d'une équation
et la somme des puissances de leurs
racines (11, 1812 : cette démonstra-
tion est plus commode que celle
qu'on trouve chez Kœstner, Éléments
d'analyse des grandeurs infinies,
§ 751); 4° De la sommation des
suites (X, 1826) ; 5^ De la solution
des équations implicites à deux va-
riables (X, 1826) ; 6° Des maxima et
minima des fonctions de plusieurs
variables {Y^ 1815); 7^ Réflexions
sur les principes de la mécanique
(IX, 1824) ; 8° Réflexions sur les cas
de rebroussement (VI, 1821) ^. 9° De
curva loxodromica in corpore quo-
vis rotundo descripta (XV, 1808).
Ainsi que l'indique le litre même, ce
n'est pas sur la sphère seulement
que Schubert recherche la loi et les
propriétés de la loxodromique. Il re-
cherche ce que devient sur l'ellip-
soïde, sur l'hyperboloïMe, sur le pa-
raboloïde, cette courbe si intéres-
sante en navigation. De la discussion
générale qu'il institue ainsi résul-
tent, chemin faisant, beaucoup de
400
SCH
propositions importantes. Ainsi, par
exemple, la projection orlhogriphi-
quedelaloxodromiquetracéesurune
sphère est une spirale logarithmi-
que ^ et la loxodromique menée sur
un paraboloïde jouit de cetle pro-
priété remarquable qu'un corps
obéissant à la gravitation seule par-
court en temps égaux des éléments
de ladite loxodromique (de sorte que
deux ou plusieurs corps partant au
même instant d'un même méridien
parabolique, mais de points diffé-
remment éloignés du pôle, se trou-
veront au bout d'un laps de teuips
placés sur un même méridien autre
que le premier). 10^ De laprécession
en ascension droite et en déclinaison
(IX, 1825)^ 11® De l'aberration des
étoiles fixes (VI, 1818) ; 12» Remar-
ques sur la méthode des anciens pour
déterminer la parallaxe de la Lune
(VIII, 1823)^ 13° Nouvelle inéthode
pour réduire les distances lunaires
(X, 1826)-, 14° Deux propositions
(VI, 1788), l'une pour la détermina-
tion de l'azimuth et de l'angle ho-
raire d'une étoile, l'autre pour dé-
terminer la hauteur polaire; 15®
Animadversiones de methodo de de-
terminandi locum cometœ opë pro-
jectionis (XV, 1808) ; 16° De l'usage
du micromètre annulaire (V, 1815);
170 De l'accroissement des diamètres
apparents du Soleil et de la Lune
causé par la réfraction {Xi, 1827),
quatre mémoires posthumes ; 18° Ta-
bles de la correction du midi (VIII,
1822) ; 19° Observation de l'éclipsé
du 11 fév. 1804 et des Pléiades le
12 avril (I, 1809) ; 20" Remarques
sur quelques équations de la Lune
(II, 1810)-, 21° Des passages de Mer-
cure sur le Soleil dans le XIX' siècle,
et des deux passages de Vénus devant
le Soleil le 9 déc. 1874 et le 6 déc.
1882 (XIV, 1806) ^ 22° Théorie de
SCH
Mars, et principalement des pertur-
bations qu'occasionnent dans sa ré-
volution Jupiter, Vénus et la Terre
(XIV, 1800); 23° Des perturbations
que Jupiter cause dans les mouve-
ments de Cérès (XIV, 1806) ; 24° Cal-
cul de V opposition de Jupiter obser-
vée à St-Pétersbourg l'an 1816 (V,
1817); 25° Opposition de Jupiter et
occultations observées à l'obs. de
l'Acad. (VI, 1818) ; 26° Calcul de
l'opposition d'Uranus et de Saturne
observéeà St-Pétersb., tS0S{llS09)\
27« Calcul des observations de la
grande comète de 1807 faites à l'obs.
de St-Pétersb. (l, 1809); 28° Obser-
valions de la comète de 1811 faites à
l'obs. de St'Pétersb. (IV, 1813);
29° Calcul des observations de la co-
mète de 1815 faites à Vobs., etc. (V,
1817); 30° (avec Wisniewsky) Pas-
sage de la comète de 1819 aw méri-
dien, observée à Vobs. de l'Acad. des
se. (VII, 1822); 31° Observations
faites à l'obs. de VÀc. de St-Pétersb,
(II 1810); '62" De la projection stéréo-
graphique du sphéroïde elliptique
(deux parties, la l--^, V, 1789, la 2^,
VI, 1790). Quelque légère que soit la
différence entre le méridien de la
sphère et celui d'un ellipsoïde à aussi
faible excentricité que la terre, ce-
pendant c'est une recherche mathé-
matique qui ne peut manquer d'in-
térêt que celle de cette différence;
et déjà Lowitz, dans le Deutsche
Staatsgeog. de 1753, avait donné
des formules pour la projection sté-
nographique du sphéroïde, mais sans
les démontrer. Schubert reprend ici
le problème. Il admet pour la rela-
tion entre les deux axes le chiffre
posé par Newton, que les obser-
vations modernes ne tendent à di-
minuer que d'un dixième au plus, et
calcule ce qui advient alors, soit
avec la projection polaire, soit avec
SCH
SCH
401
la projection équatoréaie, soit enfin
avec la projection horizontale ; il
trouve que pour des cartes spe'ciales,
c'est-à-dire ne représentant que peu
de pays sur de grands espaces, il est
bon d'avoir e'gard à l'ellipticitë; et
il indique un procédé suivi aujour-
d'hui pour obtenir les projections
des méridiens elliptiques. SS» Dé-
termination des latitudes et longi-
tudes de divers points de la Russie
(d'Europe, entre autres Polotsk, Ar-
khangel, Onega, Vitegra) (XV, 1808)',
34° Détermination astronomique de
quelques villes de Vcmpire russe (I,
1806) ; 35" Position géographique
de quelques lieux de L'empire russe
(II, 1810) ; 36° Détermination de la
position géographique de Bacou (X,
1826). VU, Beaucoup d'articles dans
VAlmanach de Bode, entre autres '■
VDu nombre des étoiles fixes {iSOby^
2° Sur le problème de Kepler (1820);
3" Des mouvements des planètes dans
Véther (1802) ; 4° Calcul de la véri-
table anomalie d'une planète (1820);
5" Calcul des passages des planètes
inférieures sur le Soleil (1803) ; 6°
Des perturbations opérées par l'ac-
tion de Jupiter sur les nouvelles pla-
nètes (1801) ; 7" Sur la théorie de la
Lune selon Ptolémée (1805) ; 8" 06-
gervations de la comète d'oct. 1807
(1812) ; 9° Détermination géogra-
phique de quelques points de la
Russie d'Asie (1818, v. pins haut,
n"33 et 35). VIII. 10 (dans les Mm.
sur la marine, les sciences et les let-
tres, publiés par l'Amirauté russe,
t. VIII, 1824) Opinion sur les obser-
vations des lieutenants Vrangel et
Anjou; 2° (dans les n°' 13-16 du
Vestnik Erropii ou Courrier de l'Eu-
rope de 1 825 ) Sur l'invention du
papier, en ail. ; 3" (dans les n°' 149,
150, 156, 158, du Morgenblatt de
1332) Du cerveau et de l'intelligence
des animaux. La plupart de ces ar-
ticles, mémoires et notes ont été
réunis sous le titre de Mélanges
(Vermischte Schriften), Stuttgart,
1823 et ann. suivantes, 7 vol. \\\-\'\
— Un autre Schubert [François) ,
musicien autrichien , né a Vienne
en 1795 et mort dans cetie ville en
1830, s'est fait un nom comnie com-
positeur. Ses parents avaient sou-
haité le pousser vers la philosophie
et le haut enseigi ement ; mais s.i vo-
cation en décida autrement : il fît,
presque sans maîtres, derapirles pro-
grès en musique ; et le chanteur Vo-
gel lui ouvrit l'entrée des cercles les
plus distingués. Le talent du jeune
artiste fit le reste. Il excellait sur-
tout pour le chant mélancolique et
grave*, el rien n'égale la su-ivité de
quelques-uns de ses chants ou mélo-
dies (en allemand lieder ^ pluriel
àe;lied). Il y ad'ailleursde l'origina-
lité, du mouvement, de la largeur
dans les motifs. Le roi des Aunes,
l'Attente, V Ave Maria, la Trinité,
bien d'autres airs encore se recom-
mandent à ces titres. Aussi, la musi-
que de Schubert, après avoir été po-
pulaire d*un bout à l'antre de l'Alle-
magne, a-t-el!e franchi le Rhin, et
commence-t-elle à prendre droit de
bourgeoisie, non-seulement en Belgi-
que, eu France, mais d.ms des pays
encore plus rebelles à l'harmonie, en
Angleterre, p. ex. Ou a de Schubert,
outre S( s mélodies, des tno.ç et des
quatuors y ]}\^\ns de fantaisie, de rê-
verie, (le saillies heureuses, mais qui
ne sont pas toujours accessibles à
tous, et qui pourraient ne pas avoir
de prime abord, au milieu d'un au-
ditoire populeux, autant de succès
qu'une musique moins compliquée
et moins hardie. Il faut y joindre
des symphonies en petit nombre, tou-
tes également du caractère le plus
26
402
SCH
élevc^, de l'instrumenlationla plus ri-
che, du chant le pi us pur. C'est même à
ce chant que les admirateurs deSchu-
bert le reconnaîtront toujours : dans
ses grandes comme dans ses ptitites
compositions, c'est l'homme du lied;
et il y a dans ses morceaux les
plus chargés de modulations et les
moins intelligibles pour le vulgaire
des phrases piquantes ou rêveuses
qui s'emparent de la mémoire et de
la vogue. P — OT.
SCHUCHHARD ( Loms Henri),
grammairien allemand , naquit à
Amorbach , en Bavière, le 24 sep-
tembre 1795, et fut destiné par sa
famille à la carrière commerciale.
Après avoir fait de bonnes études en
Saxe, il vint fort jeune encore à Pa-
ris, où il entra dans une maison de
commerce *, mais bientôt il se livra
exclusivement à son goût pour la
littérature et les études grammati-
cales. A la connaissance de l'alle-
mand et du français il joignait celle
de l'anglais et de l'italien, et s'était
nourri de la lecture des meilleurs
auteurs anciens et modernes. 11 fit
même quelques voyages pour com-
pléter son instruction. De retour à
Paris en 1819, Schuchhard épousa
M"^ Ernouf, fille d'un colonel et pa-
rente du général. Vers cette époque
le duc de Kent {voy. ce nom, LXVIII,
490), qui avait entendu parler de lui
avantageusement, voulut en faire son
secrétaire, et l'invita à venir à Amor-
bach, lieu qu'il avait choisi pour ré-
sider sur le continent avec la prin-
cesse douairière de Leiningen, fille
du duc de Saxe-Cobourg, à laquelle
il s'était marié, et dont il eut la prin-
cesse Victoria , actuellement reine
d'Angleterre. Schuchhard pouvait
craindre que le nom de sa femme ne
sonnât mal dans cette noble fa-
mille en rappelant celui du général
SCH
Ernouf, qui, en 1793 et 1794, avait
combattu dans les rangs de l'armée
républicainecontre le prince de Saxe-
Cohourg {voy, ce nom,XL, G84) pen-
dant la campagne de Flandre. H n'en
fut rien -, les jeunes époux, parfaite-
ment accueillis à Amorbach,voyaient
s'ouvrir devant eux un avenir pro-
spère, lorsque la mort du duc de
Kent fit évanouir toutes leurs espé-
rances ^ et ils revinrent à Paris.
Schuchhard sollicita et obtint une
place de professeur de langue allei-
mandeàl'école militaire de la Flèche.
Abandonnant les méthodes surannées
employées jusque-là pour l'étude de
cette langue ; profitant des travaux
des meilleurs grammairiens français
sur les principes généraux de la lin-
guistique , science dans laquelle ,
d'ailleurs, il était lui-même très-
versé, il parvint à coordonner un
système d'enseignement clair et
précis, dont les progrès rapides de ^j
ses élèves justifièrent !a bonté. Il ne
se contenta pas de le développer dans
ses leçO'Hs orales, il voulut encore
l'expliquer dans un ouvrage élémen-
taire qu'on pût mettre entre les
mains des étudiants. Malgré les
souffrances que lui causait une ma-
ladie de poitrine qui ruinait sa santé,
il ne cessa d'y travailler avec une
ardeur excessive; et, après l'avoir
terminé, il le soumit à l'approbation
du ministre de la guerre. MM. Hase
et Letronne, membres de l'Institut,
nommés pour examiner la grammaire
de Schuchhard, en rendirent le
compte le plus avantageux, et décla-
rèrent qu'elle était supérieure à toutes
celles qu'on avait publiées jusqu'a-
lors. Le 4 octobre 1823, le ministre
adressa à l'auteur une leltre très-
flatteuse, dans laquelle il l'informait
que son ouvrage était adopté pour
les écoles militaires de Saint-Cyr
SCH
, et de la Flèche. Schuchhard survé-
cut peu à cet heureux succès ; il ex-
pira le 26 janvier 1824, âgé seule-
ment de 28 ans, et emportant les
regrets unanimes de ses élèves et des
professeurs ses collègues. Né dans
la religion protestante, il était fort
pieux dans sa croyance. Un discours
fut prononcé sur sa tombe par M. le
général d'Aulion, commandant de
l'école militaire de la Flèche. La
grammaire de Schuchhard est divi-
sée en quatre parties : la première
traite de la prononciation et de la
classification des lettres ; la seconde
àts neuf parties du discours; la troi-
sième, en forme de supplément, con-
tient l'analyse des deux premières ;
la quatrième partie expose dans un
style correct , et avec une justesse
remarquable, les règles de la syntaxe.
Ce livre fut publié sous le litre de
Grammaire allemande , par feu
M. L.-H. Schuchhard , professeur
à Vècole royale de la Flèche^ ou-
vrage adopté par le gouvernement
pour les écoles royales militaires^
Paris, 1825, in-8**, précédé d'une
Note biographique sur l'auteur, par
MM. Hase et Letronne. Schuchhard
laissa parmi ses manuscrits deux
ouvrages qui devaient servir de com-
plément à sa grammaire, l'un sur les
thèmes j l'autre sur les versions ; mais
il n'eut pas le temps d'y mettre la
dernière main. P— or.
SCHUFFER ( J. -C. ), profes-
seur allemand , du commencement
du dernier siècle, mit au jour à
Amsterdam, en 1720, en deux tomes
in-4° , un ouvrage curieux et fort
peu connu en France, intitulé : Proef-
nemingen.,. ( Recherches sur l'art de
fabriquer le papier avec diverses
substances.) Ctt écrit présente des
échantillons de papier fait avec
IreiJte-lrois substances différentes.
SCH
403
Pareils essais ont été reproduits avec
zèle à plusieurs reprises. Toutefois
ces fabrications d'un nouveau genre
n'ont pas été poussées bien loin, et
il n'en est guère résulté que quelques
volumes auxquels cette petite cir-
constance donne un prix que le
mérite propre ne saurait leur faire
obtenir. Les curieux accueillent vo-
lontiers les OEuvres du marquis de
Villette, Londres (Paris), 1786, in-
18, parce qu'elles sont imprimées
sur papier de guimauve ; ils recher-
chent aussi un petit volume intitulé :
Les Loisirs des bords du Loing (par
Pelée de Varennes) , 1784, in-12,
imprimé sur divers papiers fabriqués
avec des herbes , d'après le procédé
qu'avait inventé M. Léorier de l'Isle.
Nous avons eu connaissance d'un
volume imprimé sur bois à Châlons,
en 1835. B— n— t.
SCHLLENBOURG ( Guernabd
de). Deux individus de la famille de
Schulenbourg portant le nom de
Guernard (Werner) se sont rendus
célèbres dans le XV*= et le XVI1« siè-
cle. Le premer, surnommé Cor prin-
cipis ^ né en 1439, se consacra
au service des élecieurs de Brande-
bourg Frédéric II et Albert- Achille.
11 commanda leurs troupes dans leurs
guerres avec les ducs de Poméranie,
et devint l'auteur de leur réconcilia-
tion. La forteresse de Garz oiî il com-
mandait, ayant été surprise par le
duc Wratislas X, en 1474, Schulen-
bourg gagna tellement la faveur du
duc de Poméranie, dont il était le
prisonnier, et de son successeur Bo-
gislas X le Grand, que ce fut sous sa
médiation que les deux parties con-
clurent, le 25 mai 1479, la transac-
tion de Prenzldu, qui termina leurs
différends. Il entra dès lors au service
de Bogislas, qui le mit à la tête de
ruduunistralion de son pays. En 1490,
26.
.^0{
SCH
SCH
i! r(Mivoyn avec, iindpsrs roiipins, Ri-
chard de Schnienbourg, maître pro-
vincial de l'ordre Teutonique, en
Brandebourg, auprès de Casimir IV,
roi de Pologne, pour demander la
main de sa fil le A n ne-Lou ise. E n 1490,
Bogislas, allant en pèlerinage à Jéru-
salem, remit le gouvernement à Schu-
lenbourgetà son chancelier, Georges
de Kleist. Giiernard njoiimt en 1519.
— Le second Schulenbourg du nom
de Guernard , qui termina sa vie
comme feld -maréchal au service du
Danemark, naquit à Apenbourg, le 3
juillet 1679. En 1693, il alla faire ses
études à l'université d'Ufrecht. Dans
les années 1700, 1701 et 1702, il
voyagea en Italie, en France et en An-
gleterre , et leva en 1703 une com-
pagnie de dragons pour le service du
roi de Danemark. Il fit, avec les
troupes danoises qui étaient à la
solde des puissances maritimes, tou-
tes les camp;ignes de la guerre pour
la successitm d'Espagne , dans les
Pays-Bas et sur le Danube, assista aux
batailles de Ilochstedt, deRamillies,
de Malplaquet, à toutes les grandes
affaires, et avança successivement
jusqu'au grade de lieutenant-colonel.
En 1713, il obtint un régiment de
dragons qui portait son nom , et en
1719, le grade de général-major. En
1730, il fut envoyé comme ministre
plénipotentiaire à Paris , où il resta
jusqu'en 1739; pendant ce temps
il avait élé promu au grade de
lieutenant-général. En quittant cette
capitale, il reçut l'ordre de TÉlé-
phant. Alors il se retira à SIeswick.
En 1741, il commanda le corps de
six mille hommes que le Danemark
fournit à l'Angleterre et qui faisait
partie de l'armée destinée à combat-
tre le maréchal de Maillebois; mais
comme la France et l'Angleterre
s'accordèrent sur la neutralité du
pays de Hanovre, cette armée fut dis-
soute. En 1741, le roi de Danemark
l'éleva au rang de comte; et six ans
après il fut appelé à Copenhague
comme chef de la garde à cheval,
puis nomme feld-maréchal en 1748,
et ministre de la guerre en 1753. Il
mourut le 7 septembre 1755, laissant
de son épouse, qui était une demoi-
selle de Brockdorff, deux fils, dont
l'aînémourut en 1803 lieutenant-gé-
néral, et le cadet, qui avait été minis-
tre du Danemark à Dresde, mourut
en 1810 , l'un et l'autre sans posté-
rité. ^ S— L.
SCHULENBOURG (jACQUEsde),
feld-maréchal impérial , né le 25
mars 1515 à Betzendorf, était frère
d'Alexandre {voy. l'article suivant).
Il fit ses études aux universités de
Prague et de Paris Son père l'avait
destiné à la carrière civile, mais en-
traîné par son penchant pour l'stat
militaire il entra au service de
Charles-Quint, et il fit ses premières
armes contre les Turcs sous le céi bre
Antoine de Leyva. Ayant été blessé,
il fut fait prisonnier et vendu trois
fois comme esclave. Enfin Sigismond,
roi de Pologne, le racheta pour 400
ducats, et en fit présent à sa fille,
l'épouse de Joachim II, électeur de
Brandebourg. 11 suivit en 1542 ce
prince, comme capitaine de ses Tra-
bans ( on appelait alors ainsi les
gardes), en Hongrie, où Joachim II
commandait l'armée impériale. Il
y fonda sa réputation par le cou-
rage qu'il montra au siège de Pesth,
où il marcha à la tête du premier
assaut. Il eut le malheur d'y perdre
son père Malhias, qui y assistait
comme conseiller de l'électeur de
Brandebourg, et qu'un boulet de
canon emporta sans qu'on pût retrou-
ver son corps. Jacques gagna dans
cette campagne TafFection du duc Mau-
8CH
rice , qui devint ensuite électeur de
Saxe, et auquel il s'attacha dès lors.
En 1545 il fut nommé capilaine de ca-
valerie au service de l'empereur, et
en 15^8, par l'élecieur deSdxe, capi-
taine du bailliage de Gommeon, place
lucrative. Sous l'électeur Maurice, il
dirigea le siège de Magdebourg que ce
prince prolongea plus d'un an pour
masquer les préparatifs contre Char-
les-Quint. En 1552, il suivit Maurice
dans sa marche sur le Tyrol, et en-
suitecontre les Turcs. Dans la guerre
de l'électeur contre le margrave Al-
bert de Brandebourg , guerre qui
coûta, en 1553, la vie à Maurice,
Schiilenbourg commandait les trou-
pes de Henri, duc de Brunswick ,
allié de Maurice. Après la mort de ce
grand prince, il entra au service de
l'empereur, lit en 1557 une campa-
gne contre les Turcs, et fut promu
en 15G6 au grade de feld-maréchal.
En cette qualité il commanda le
siégedu château-fort de Grimmastein
prés Gotha, à la tel e de l'armée
d'exécution. L'empereur l'avait élevé,
ainsi que ses frères, au rang de baron.
J. de Schulenbourg mourut le jour
de Pâjues 1576 à Magdebourg. La
devise qu'il avait prise de l'épître
de saint Jacques : Sit omnis homo
velox ad audiendum, tardus au-
tem ad loquendum^el tardusad iram,
peint très-bien son caractère. S— l.
SCIIULENBOUÊiG (Alexandre
de), surnommé de Jérusalem^ célè-
bre voyageur, était lils deMathiasde
Schulenbourg, conseiller de l'élec-
teur de Brandebourg, et frère du feld-
maréchal Jacques (roy. l'article pré-
cédent). Il naquit en 1535 àAlten-
hausen, et fut élevé d'abord à Prague,
ensuite aux universités de Franc-
forl-sur-rOfler et de Wittenberg. A
l'âge de dix-huit ans, en 1553, il en-
tra au service, assista aux sièges de
SCH
405
Hesdin et de Thérouanue; en 1557 il
accompagna son frère Jacques contre
les Turcs, et l'année suivante il fit
la campagne de Flandre et de Pi-
cardie sous le margrave de Baireuth.
A l'âge de vingt-cinq ans, il com-
mença les voyages qui Pont rendu
fameux. 11 passa d'abord trois ans
en France , parcourut ensuite
toute l'Italie, et se rendit à Malte.
De cette île il fit plusieurs caravanes
contre les infidèles, et se distingua
par une valeur brillante. Il voulait
après cela s'en retourner en Aile-
magne, mais arrivé à Venise, l'envie
lui vint d'explorer l'Orient. 11 alla à
Corfou, en Chypre et en Egypte, et
de là au mont Sinaï en Arabie; il
visita Jérusalem et se mit en
route pour voir le Jourdain. Des
Bédouins le pillèrent et l'emme-
nèrent prisonnier. Lui et son com-
pagnon de voyage tuèrent les gar-
diens qui leur avaient été donnés,
et se sauvèrent au couvent de Saba
oii ils furent guéris de leurs bles-
sures. Du port de Tripoli en Syrie
il passa en Chypre et à Candie, et de
là à Venise. Arrivé dans» cette ville,
ayant appris que les Turcs étaient
entrés à main armée en Hongrie, il
fit sa seconde campagne contre eux
sous les ordres du comte Gonthier
de Schwarzbourg, qui commandait
l'armée impériale en Hongrie. L'an-
née précédente il avait été élevé
avec ses frères au rang de baron
du Saint- Empire. Après la cam-
pagne de 1566 il retourna par la Po-
logne, la Silésie et la Saxe à Altens-
tein ; en 1567, il assista au siège de
Grimmastein , et visita Dantzig et
Copenhague. A peine de retour dans
la maison paternelle, informé que
le duc d'Albe marchait contre les
Pays-bas, sur-le-champ il alla joindre
le comte Guillaume de Nassau , dont
40G
SCH
SCH
ranriiîe était campo'e sur les bords
(le l'Eiiis. Peu de jours après sou
arrivée, le 21 juiu 1508, rarniée
hollandaise fut nuitamment surprise
par les Espagnols à Jemgum ; et c'est
dans cette affaire que Schulenbourg
perdit la vie. J. Eschner a écrit en
vers latins la vie de Schulenbourg
sous ce titre : Àleœandri Schulen-
burgii, saxonis equitis^ olim et no-
bilissimi et fortissimi , vita, 111
libris illusirata, etc., a Johanne
Fraxineo Tyrigata, Witemb., 1587.
C'est un livre rare et curieux. vS— l.
SCHULENBOURG (Jean de ),
comte de Montdejeu^ connu en Fran-
ce sous le nom de Schulenberg, des-
cendait de Jean de Schulenbourg, qui ,
vers 1406, quitta la Marche de Bran-
debourg pour se fixer dans le duché
de Luxembourg, où il acquit pour
lui et sa famille la charge de maré-
chal héréditaire. Un de ses descen-
dants, Jean-le-Page, ayant acheté la
terre de Monldejeu, près d'Attigny,
sur l'Aisne, la famille prit le nom de
Schulemberg de M ont de j eu. Eiie avait
obtenu, en 1488 , des lettres de na-
turalisation en France. Jean de Schu-
lenberg naquit en 1598. Il fit ses pre-
mières armes sous le maréchal de
Bouillon, et se distingua aux tenta-
tives que Charles-Emmanuel, duc de
Savoie, fit pour débloquer Verceil.
En 1620, il fut envoyé au secours de
l'électeur palatin Frédéric V, comme
capitaine d'un escadron de cavalerie
légère, et assista à la bataille de Pra-
gue. Aux sièges de Saint-Jean-d'An-
gely et de Montauban, en 1621, il
commanda les régiments de Vau-
demont et de Phaisbourg. En 1636,
il défendit, comme mestre-de-camp,
pendant quatorze mois , Coblentz
contre les troupes impériales et au-
trichiennes, puis la forteresse de Her-
mannstein (aujourd'hui Ehrenbrei-
stein). A son retour, il obtint les
gouvernements des places de Rue et
Crotoy. Au siège de Hesdin, en 1639,
auquel Louis XWI assista, il fut nom-
mé maréchal-de-camp, se distingua
en 1649 au passage de l'Escaut et fut
nommé lieutenant-général en 1650.
Devenu gouverneur d'Arras en 1652,
il défendit cette place avec une grande
valeur en 1654, jusqu'à ce que le
maréchal deTurenne la délivrât par
la bataille du 25 août. En 1658,
Louis XIV lui conféra le bâton de
maréchal de France, le nomma, en
1661, gouverneur d'Artois, et lui
donna, le 31 décembre de la même
année, le cordon bleu. En 1665, il
échangea son gouvernement d'Artois
contre celui du Berry, et mourut en
1671 dans sa terre de Montdejeu, sans
laisser de postérité mâle. S — l.
* SCIlULEMiOURG ( Mathias-
Jean, comte de), un des plus grands
capitaines duXVlII^ siècle, naquit le
8 août 1661 à Emden, près Magde-
bourg. Son père, Gustave-Adolphe
de Schulenbourg , était conseiller
privé de l'électeur de Brandebourg,
et président de la chambre des do-
maines du duché de Magdebourg. Le
jeune comte reçut une éducation lit-
téraire soignée, d'abord à Wolfen-
buttel , puis à l'Académie protes-
tante de Saumur, qui était très-fré-
quentéepardes étrangers de grandes
familles; car, outre l'enseignement
des sciences pour lesquelles elle
possédait des professeurs célèbres,
on y trouvait l'occasion de se perfec-
tionner dans la langue française,
qui était alors celle de toutes les cours
d Europe, principalement en Alle-
magne. Schulenbourg fut téuioin de
la destruction de cette école par
suite de la révocation de l'édit de
Nantes, en 1685. Après son retour
en Allemagne , il entra comme
SCH
gentilhomme de U chambre et en
même temps comme capitaine chez
les ducs Rodolphe-Auguste et An-
toine-Ulric de Brunswick qui ré-
gnaient ensemble. Mais la vie pacifi-
que de cette cour ne convenantguère
à son humeur belliqueuse, il sollicita
et obtint la permission de faire
comme volontaire la campagne de
1687contre les Turcs, sous le duc de
Lorraine et Télecteur de Bavière. Il
servit ensuite pendant neuf ans
dans les Pays - Bas et sur le Rhin,
dans le corps de Brunswick qui
faisait partie de l'armée des alliés.
Nommé en 1690 major, puis lieute-
nant-colonel, et enfin colonel d'un
régiment de dragons, dès 1692 il
fut envoyé aux cours de Cassel , Bai-
reuth, Darmstadt, Stuttgard et Dur-
lach, pour négocier une confédé-
ration de ces princes avec les ducs
de Brunswick- Wolfenbuttel , ayant
pour objet de s'opposer à l'érection
d'un 9® électorat en faveur de la
maison de Brunswick-Lunebourg.
En 1693 il fut envoyé pour le même
objet à Gotha, en 1694 à Munster, et
l'année suivante à Bruxelles auprès
de l'électeur de Bavière. En 1697 il
assista, comme simple observateur,
au congrès de Ryswick. Ce fut là
qu'il négocia avec les ministres de
Victor-Amédée son entrée au ser-
vice de Savoie avec le grade de gé-
néral-major. Il amena au duc un ré-
giment d'infanterie qu'il avait levé
en Allemagne. Avant de se rendre
à Turin, il fut envoyé par le duc de
Brunswick, à Paris, sous prétexte de
complimenter Louis XIV sur la con-
clusion de la paix de Ryswick et sur
le mariage du duc deBourgogne ; mais,
dans le fait, pour connaître les dispo-
sitions de la France à l'égard du
neuvième électorat. En 1699 il fit,
sous les ordres du lieutenant-général
SCH
407
des Bayps, la campagne contre les re-
belles Vaudois, et se trouva au com-
bat de Vico, le 26 mai. En 1700, il fut
envoyé à Turin pour apaiser une ré-
volte, et de là à Nice pour inspecter
les troupes qui s'y trouvaient ré-
unies. Le duc de Savoie s'étant allié
à Louis XIV, Schuïenbourg se vit, à
son grand regret , dans une armée
opposée au prince Eugène, pour le-
quel il professait la plus grande vé-
nération. Grièvement blessé à la ba-
taille de Chiari, le l*»" sept. 1701, il
quitta le service de Savoie (1) après
sa guérison , et voulut se rendre
auprès de Guillaume III, mais en
route il apprit que ce monarque ve-
nait d'expirer. Cependant sa ré-
putation militaire était déjà telle,
qu'Auguste II , roi de Pologne , qui
avait besoin d'officiers expérimentés
dans sa guerre contre Charles XIÏ,
le prit à son service avec le grade
de lieutenant-général. C'est ici que ^
commence la carrière brillante de
ce général si célèbre par ses re-
traites. Dans la bataille de Clissow
(20 juillet 1702), où Charles XII défit
le roi et le feld-maréchal Steinau,
Schuïenbourg, à la tête de l'infante-
rie saxonne, disputait encore la vic-
toire lorsque la cavalerie avait depuis
long-temps pris la fuite , et il sauva
cette infanterie d'une déroute com-
plète. Steinau, auquell'infortune pa-
raissait s'être attachée, ayant été sur-
pris par le roi de Suède (1" mai 1703) à
Pultusk derrière le Bog,Schulenbourg
(i) On yoit,par ce que nous Tenons de
dire, que le dernier biographe de Schuïen-
bourg a eu tort de supposer qu'il quitta le
service de Savoie, parce qu'il répugnait à
ses principes religieux de marcher contre les
Var:dois. L'expédition contre ces sectaires
eut lieu en 1699 et non en 1702. Schuïen-
bourg ne se fit pas scrupule de combattre
des rebelles dont la religion n'était que le
prétexte. :
408
8CH
SCH
sauva les débris de son corps. Bientôt
après il reçut le coiiiinaiideintMit de
10,000 Saxons qu'Auguste II s'était
engagé de l'ouruir à l'empenuir. il
assista, le 20 sept. 1703, à la ba-
taille de Schweiningen, où Tarrnée
combinée du maréchal de Villars et de
l'électeur de Bavière battit le comte
de Slyrum, qui commandait les Im-
périaux^ et ce fut encore lui qui cou-
vrit la retraite. Il eut quelque temps
après l'avantage de s'emparer d'un
convoi français chargé d'effets mili-
taires et de 30,000 louis. Cependant
la mauvaise tournure que ies affaires
avaient prise en Pologne engagea
le roi à Un ordonner de quitter sur-
le-champ l'armée autrichienne avec
son corps. Persuade que cette déiec-
lion n'était ni honorable ni facile à
exécuter, il attendit un second or-
dre, et lorsqu'il l'eut reçu il avertit
les généraux autrichiens des dispo-
sitions de son souverain ; puis, sans
attendre leur consentement, il se
mit en marche. Cette conduite du
roi-électeur, qui indigna beaucoup
la cour de Vienne . ne fit pas de
tort à l'estime qu'on y avait pour
Schulenbourg. Celui-ci trouva l'ar-
mée saxonne, toujours comman-
dée par St^inau, à Guben, où il la
joignit avec sa troupe. Le feld-uja-
réchal passa l'Oder, et s'amusa à dé-
vaster les possessions du roi Sta-
nislas. Déjà l'ordre était donné de
mettre le feu au magnifique château
de Reissen, près Lissa ; mais Schulen-
bourg, à qui cet ordre barbare fut
adressé, différa de l'exécuter, et ob-
tint finalement qu'il fût révoqué. La
mésintelligence qui éclata entre
Steinau et lui fit rappeler celui ci et
Schulenbourg eut un commandement
indépendant, il s'était porté devant
Po!>naiiie où il tenait le général Mar-
leld comme bloqué. Sachant (pue
Meyerleld, qui avec un corps de 3,000
chevaux était venu au secours du pre-
mit*r, campait sur l'autre côté delà
Warth^, en face de Posiianie, où il
attendait de nouveaux renforts, il
résolut de le surprendre avant l'ar-
rivée de ceux-ci. En conséquence, il
quitta le camp avec une partie de ses
troupes, et s'éloigna de Posnanie.
Étant parvenu à la distance de deux
lieues , il passa la rivière et se tourna
subitement contre Meyerfeld ; mais
ce général, averti par un déserteur,
était sous les armes, renforcé par de
l'inJauterie et de l'artillerie qu'en
toute hâte il avait tirées de la ville. Il
en résulta, le 9 août 170i, un combat
qui força le général suédois à se jeter
dans les faubourgs de Posn<inie, d'où
il se retira ensuite à Thorn, laissant
Mardefeld avec une garnison dans la
capitale de la Grande-Pologne. Schu-
lenbourg l'assiégea, mais au bout de
quinze jours il fut appelé à Varsovie,
où il se trouva de nouveau sous
les ordres de Steinau. Cette contra-
riété le décida à demander sa dé-
mission pour la fin de la campagne.
Cependant l'approche de Charles Xll
et de Stanislas, avec des forces supé-
rieures, obligea Auguste H à sortir
de la capitale pour aller à Craco-
vie ; Schulenbourg, avec i'infanterie
saxonne, eut ordre de se retirer par
Kalisch en Saxe. Charles Xll le pour-
suivit à la tête de 10,000 hommes de
cavalerie, et le força enfin à lui li-
vrer bataille à Punice, à quelques
lieues de Lissa (7 nov.), au milieu
de vastes plaines dans lesquelles il
semblait impossible de résister à une
nombreuse cavalerie. Schulenbourg
n'en avait que bien peu , tandis que
celle de l'ennemi était très-forte. Il
forma son infanterie en bataillon
carré et résista k cinq attaques fu-
rieuses des Suédois. U reçut dans
SCH
SCH
409
celte journée, sur son corps et dans
ses habits , huit balles dont trois le
blessèrent. Il prouva ainsi ce que
seul il avait soutenu contre les gé-
néraux d'Auguste U, que l'infanterie
en plaine peut tenir contre de la
cavalerie, même sans chevaux de
frise, moyennant des dispositions
habiles ei surtout une grande fer-
meté. Charles Xll, qui se plaignait
que sa campagne de Pologne res:
semblât à une chasse plus qu'à une
gijerre, trouva enfin un adversaire
aussi habile, plus habile peut-être
qu'il ne le souhaitait. Dans la nuit
Schulenbourg continua d'abord sur
Gurau, puis au-delà de Gurau, cette
retraite, qui est regardée comme un
exploit très-glorieux , et que tous
les tacticiens, notamment Foiard, ont
vivement admirée. Au moment même
où le roi de Suède le croyait enfermé
entre lePorts et l'Oder, il traversa le
grand fleuve, après avoir fait cent
lieues en onze jours, par de très-
mauvais chemins, manquant sou-
vent de vivres. Charles XII parut
sur la rive droite quelques instants
après que Schulenbourg eut touché
larivegauche:jamaispeut être pour-
suite n'avait été plus acharnée. Le
roi de Suède, au reste, combla d'é-
loges le général qui lui avait échap-
pé (2). « Aujourd'hui, dit-il, Schu-
lenbourg nous a vaincus. » Au-
guste 111 le nomma général d'in-
fanterie et colonel de sa garde à
pied^ il lui refusa la démission qu'il
demandait itérativement. Schulen-
bourg passa Tannée 1705 en Saxe,
occupé à former une nouvelle armée,
(2) S<:huIenl)ourg lui ayant f:iit deman-
der par un trompette les<;orpb de quelques
officiers qu'il voulait envoyer à U-urs fa-
injlles, Charles XII lépondi!: qu'il ferait
euterrer tous lt;s morts t>ui le teirain où le
l'omliat a\;jitc;é liné, et qu'il ue poiiv;!it
pab y avou de ^epultuie plus houorablc.
qu'il porta à 15 bataillons et 40
escadrons, composés de Français et
de Suisses faits ]>risoni.icrs de
guerre, qui s'étaient enrôlés pour
mieux déserter. Les officiers étaient
ou inexpérimentés ou peu accoutu-
més à la discipline sévère que Sec-
kendorlf voulait introduire à la place
de la licence que Steinau avait tolé-
rée. En déc.1705 le ministèresaxon fit
arrêter le fameux Patkul, qui était ac-
crédité comme ministre de Russie au-
près d'Auguste II. Les véritables mo-
tifs de cet acte, qui paraît un outrage
au droit des gens, ne sont pas encore
bien connus (3)* ils doivent avoir
été très-graves, puisque iong-temps
après Schulenbourg déclara avoir
conseillé cette démarche. Dans une
lettre du roi, datée de Grodno, !e 2
janv. 1702, et qui se trouve parmi
les papiers que possède la famille de
Schulenbourg, Auguste II dit : » Son
« arrestation était le seul moyen de
« prévenir les pernicieux desseins
« qu'il aurait indubitablement mis
« en exécution.» Au plus fort de l'hi-
ver, en janvier 1706, Schulenbourg
reçut l'ordre de conduire son armée
indisciplinée dans la Grande-Polo-
gne, pour en déloger le général sué-
dois Rhenskiœld, qui y commandait
un corps de 15,000 hommes. Après
avoir fait vainement des représenta-
tions contre cet ordre désastreux, il
(3) Lesvrais motifs (puisqu'il est question
ici de motifs et non de prétextes) sont bien
simples. L'uu, c'est la lâcheté d'Auguste II
qui savait à quel point Charles Xll exécrait
Patkul, et qui, à la veille de signci- la hon-
teuse paix d'Allraudslœdt, se figurait que
par l'extradition de Patkul il obtiendrait de
meilleures condi;ions ; l'antre, c'est que cette
Livonie, si long temps pomme de discorde
entre la Pologne, la Suéde et la Russie,
Patkul u'avait pas plus d'euvie de la voir a
la Pologne qu'a la Suède, et qu'il travaillait
pour Pierre -le -Grand et non ponr Au-
guste II. P-ox.
410
se»
SCH
fallut obéir. Le 30 janvier, Schulen-
bourg passa l'Oder^ Rhenskiœld l'at-
tendait à Fraustadl avec environ dix
mille hommes. Sr'lmlenbourg, qui en
comptait le double, mais qui savait
leur insuffisance tant pour l'expé-
rience et la valeur que parce qu'ils
e'taient de quatre nations différentes,
prit toutes les précautions qui pou-
vaient diminuer le désavantage de
sa position, mais il fut mal secondé.
L'engagement ne dura pas une demi-
heure ; dès le commencement de l'af-
faire, le général Dunewald, qui com-
mandait la cavalerie saxonne, prit la
fuite; les sept mille auxiliaires russes
qu'épouvantait le nom seul des Sué-
dois jetèrent leurs armes après avoir
tiré un coup de fusil, et ils furent
imités par l'infanterie saxonne.
Les Français , ex - prisonniers de
Hochstedt, cessèrent d'agir dès qu'ils
eurent vu tomber leur colonel, et le
jour même ils prirent du service avec
transport dans les rangs suédois.
A peine Schulenbourg , qui était
grièvement blessé, put -il se sau-
ver avec deux hommes. Toute son
artillerie tomba dans les mains des
Suédois; les bagages furent pillés par
les fuyards mêmes, et les vainqueurs
trouvèrent sur le champ de bataille
six mille fusils chargés. L'armée
saxonne était détruite. Il fut fait,
à la demande de Schulenbourg, une
enquête sévère sur cet événement,
par une commission que présida le
comte de Zinzendorff, ennemi dé-
claré de Schulenbourg Elle procéda
avec la plus grande mollesse contre
les coupables, et montra beaucoup
de partialité pour les officiers qui
avaient trouvé des protecteurs, tan-
dis que d'autres, dont la faute était
moins grande, furent sévèrement
punis. Mais l'opinion publique s'était
trop fortement prononcée en faveur
du général pour que la commission
osât rinciilper. Le roi désapprouva
hautement la procédure, et donna à
Schulenbourg un témoignage public
desasatisfaction.Au mois d'août 1700,
Charles Xll arriva en Saxe; l'armée
électorale, qui se trouvait toujours
dans le plus pitoyable état, ne put pen-
sera lui résister. Schulenbourg ayant
reçu ordre de la conduire sur le Rhin
pour la mettre en sûretié^ sa marche
par la Thuringe et la Franconie, sans
argent et harcelé par les Suédois, fut
très-pénible. Après la paix d'Alt-
raudslaedt, il ramena les troupes en
Thuringe, où elles prirent des quar-
tiers d'hiver, et Schulenbourg se
rendit auprès du roi. Il éprouva la
vérité du proverbe qui dit que
les malheureux ont tort , fut froide-
ment reçu, et eut la mortification
de voir, après la retraite définitive
du feld-maréchal Steinau, Auguste H
confier ses fonctions au général
russe Ogilvie, quoiqu'il eût solen-
nellement promis à Schulenbourg le
commandementdetoutes ses troupes.
Pendant le séjour que Charles XII
fit en Saxe , ce général le visita
plusieurs fois, et fut reçu avec une
grande distinction; ce prince ai-
mait à s'entretenir avec lui sur des
affaires militaires. Auguste II ayant
fait arrêter ses ministres qui avaient
négocié la paix d'Altraudstaedt, et le
bruit s'étant répandu que la liberté
de Schulenbourg était menacée, l'é-
lecteur de Hanovre, qui avait pour
maîtresse la sœur de celui-ci , lui
offrit un asile à sa cour. Le géné-
ral se plaignit à Auguste des bruits
injurieux auxquels il était en butte,
et demanda la permission de visiter
quelques cours d'Allemagne pour les
démentir. Avec l'agrément du roi
s'étant rendu à Hanovre, il y trouva
l'électeur sur le point d'aller prendre
SCH
le commandement de l'armée de l'Em-
pire sur le Rhin. Ce prince demanda
à Dresde pour Schulenbourg le com-
mandement du corpsauxiliairesaxon
qu'Auguste avait mis à la solde des
États-Généraux , ce qui ne lui fut
accordé qu'en 1709. En attendant il
alla seul à l'armée des alliés, et y ar-
riva assez à temps pour assister au
fameux siège de Lille, formé par le
prince Eugène et Mariborough, C'est
dans cette mémorable opération et
aux autres sièges que les alliés en-
treprirent dans les Pays-Bas, que
Schulenbourg acquit une grande ex-
périence dans Ja partie de l'art mili-
taire , qui par la suite devint son
principal titre à l'immortalité. Au
siège de Tournay en 1709, il com-
manda une des trois attaques, et con-
tribua puissamment à la reddition
de la place. Il eut encore une part
glorieuse à la victoire de Malplaquet
(11 septembre) après laquelle le
prince Eugène lui témoigna haute-
ment sa satisfaction. Pendant lescam-
pagnes de 1709 et 1710, il servit de
mentor au jeune comte Maurice de
Saxe, fils naturel du roi, que celui-ci
lui avait confié pour qu'il lui apprît
le métier des armes. La famille pos-
sède la correspondance du général
avec son élève. Lorsqu'elle aura été
publiée, comme on se propose de le
faire, il ne sera plus possible de mé-
connaître la franchise et le courage
avec lesquels Schulenbourg repre-
nait le jeune prince de son penchant
à s'amuser à des bagatelles , au lieu
de s'appliquer à des choses sérieuses.
Ainsi la France, pour laquelle ce hé-
ros était élevé, doit aussi de la recon-
naissance à son premier maître. En
1710 il fut, conjointement avec le gé-
néral Fagel, chargé du siège de Bé-
thune , qu'il força à capituler le 28
août. Comme le comte de Flemming,
SCH
411
avec qui Schulenbourg avait eu des
altercations, venait d'obtenir le com-
mandement général de l'armée saxon-
ne , celui-ci demanda décidément sa
démission. Auguste y consentit avec
peine, et lui remit une gratilication
de 12,000 rixth. pour l'indemniser
des pertes qu'il avait faites à son
service. Schulenbourg passa les qua-
tre années suivantes soit dans sa
terre d'Emden, près de Magdebourg,
soit à Hanovre, soit à Vienne. En
1712 il assista au couronnement de
Charles VI à Francfort, et en 1713
au congrès d'Utrecht. Vers la fin de
l'année 1715, il s'ouvrit pour lui une
nouvelle carrière de gloire. Par l'in-
fluence du prince Eugène de Savoie,
la cour de Vienne conclut avec la
république de Venise, que les Turcs
venaient d'expulser de la Morée, une
alliance en vertu de laquelle elle pro-
mit dedéclarer laguerre à cet ennemi
du nom chrétien. A la recommanda-
lion du même héros, les Vénitiens
confièrent le commandement de leurs
troupes au général Schulenbourg,
et le 5 octobre il fut passé entre ce-
lui-ci et l'ambassadeur vénitien à
Vienne un traité par lequel il en-
tra pour trois ans au service de
la république avec le grade de feld-
maréchal et des appointements de
13,000 ducats d'or (120,000 francs).
Pour témoigner sa satisfaction de cet
arrangement, l'empereur éleva le
feld- maréchal et ses frères au rang
de comtes d'Empire, Schulenbourg
arriva à Venise avant la fin de l'an-
née. La fermeté de son caractère, sa
modestie et ses manières insinuantes
lui gagnèrent promplement l'affec-
tion de tous les membres de la Sei-
gneurie, même de ceux qui s'étaient
opposés à sa nomination. Il trouva
l'armée de la république, sa marine
et ses forteresses dans un état dé-
•iV2
SCH
plorable. Ses représentations en-
gagèrent le gouvernement à prendre
à sa solde 16.000 hommes fournis
par (les princes d'Empire, et à recru-
ter ses armées en offrant de forts en-
gagements. Dans un mémoire qu'il
présenta au sénat, il exposa les mo-
tifs qui (levaient le faire renoncer à la
conquête de la Morée pour tenter celle
de l'Albanie, possession plus facile à
maintenir et assurant à la républi-
que l'empire de la mer ionienne. Mais
avant qu'on pût délibérer sur ce
mémoire, Scluilenbourg s'embarqua
le 2 février 1716, parce qu'on reçut
l'avis que les Turcs menaçaient les
îles ioniennes. Ayant trouvé les for-
tifications de Corfou dans le plus
mauvais état, et les liabitants mal dis-
posés, il travailla avec la plus grande
activité à mettre la ville en état de
(iéfense, pressa le sénat d'envoyer
des secours considérables et n'en ob-
tint que de médiocres. Le Sjuiliet, les
Turcs débarquèrent dans l'île avec
30,000 hommes d'infanterie, 3,000
chevaux et une artillerie formi-
dable. Les seuls véritables soldats
que Schulenbourg eût à leur op-
poser ne se montaient d'abord qu'au
nombre de 1,600; mais le siège
n'était pas encore commencé lors-
que la flotte vénitienne du prové-
diteur Cornaro attaqua celle des
Turcs dans le canal de Corfou, la
força de se sauver à Butrinto, et dé-
loarqua 1,000 honmies de troupes al-
lemandes et beaucoup de munitions
de guerre. Le siège que soutint alors
Corfou est un des plus célèbres du
XVill'=siècle,etseulilplaceraitSchu-
lenbourg au rang des plus illustres
capitaines, si tant d'autres exploits
ne l'y avaient également placé. Com-
n)e tous les historiens en parlent,
nous nous bornerons à dire que
tout ce qu'une armée assiégeante
SCH
peut employer d'efforts et même de
fureur, ainsi (pie tout ce qu(^ la dé-
fense peut montrer de prudence, de
bravoure, de persévérance fut réci-
proquement épuisé. Toutes les mai-
sons de la ville furent détruites par
le leu de l'ennemi Plusieurs fois les
Turcs se trouvèrent en possession
d'une partiedesfortificHtious; tout le
monde pressait Schulenbourg de se
rendre, lui seul fut inébranlable.
Son courage s'affermit de plus en
plus, lorsque des vaisseaux, qui
avaient pénétré dans le canai, lui
amenèrent, avec des munitions de
guerre et de boucha- , 1,500 sol-
dats allemands et suédois qui, faits
prisonniers en Poméranie, s'étaient
engagés au service de la république.
Le 19 août , après une sortie qui
avait fait de grands ravages dans les
retrarichements des Turcs , ceux-ci
entreprirent un assaut général qui
se prolongea pendant six heures.
Déjà ils étaient maîtres de tous les
ouvrages extérieurs, les forces des
assiégés étaient épuisées et les rem-
parts en partie dégarnis , lorsque
Schulenbourg sauva la place par
un trait héroïque. A la tête de 800
hommes il ht une sortie par une
porte latérale , et tomba à l'impro-
viste sur les derrières des Turcs.
Dans un instant, ceux-ci, qui se
croyaient déjà maîtres de la ville,
furent mis en désordre et chassés
jusqu'à leurs retranchements avec
une perte de 4,000 hommes. Schu-
lenbourg, s'atlendant à un second
assaut, employa le reste du jour et la
nuit suivante à la réparation des for-
tifications. L'assaut eut lieu en effet
le 20, mais les Turcs étaient tel-
lement découragés, que le feu de
l'artillerie suffit pour les repousser.
Enfin, la nature elle-méfiie vint au
secours de la bravoure. Le même:
SCH
jour une tempête eifroyable accom-
pagnée d'une averse couvrit d'eau les
fortifications, remplit les mines et
gâta toute la poudre des assièges;
mais elle inonda en même temps les
trauclie'es des Turcs, renversa leurs
tentes, et détruisit entièrement leur
camp. Ils s'enfuirent vers leurs vais-
seaux, abandonnant soixante bouches
à feu, leurs chevaux, mulets, cha-
meaux et vivres. Outre la perte qu'ils
avaient essuyée, deux nouvelles
funestes précipitèrent leur retraite :
celle de la destruction de leur grande
armée par le prince Eugène à Sa-
lankemen , et celle de l'approche
d'une escadre composée de vaisseaux
espagnols, portugais et pontificaux,
qui venait pour renforcer la flotte
vénitienne. Le siège de Corfou coûta
la vie à 15,000 Ottomans; en sau-
vant cette place, Schulenbourg sauva
Venise elle-même; car c'était sur
cette ville qu'aussitôt après la prise
de Corfou le séraskier devait se
porter. Le feld-maréchal, après avoir
fait réparer les fortifications et s'être
emparé, le 8 septembre, de Butrinto,
se rendit à Venise où il fut reçu
avec des acclamations générales, et
comblé d'honneurs et de présents.
Les marins le portèrent sur leurs
épaules, depuis son vaisseau jusqu'au
trône du doge, qui lui remit au nom
du sénat une épéegarniede diamants
de la valeur de 8,000 ducats d'argent
(32,000 fr.). Outre son traitement
convenu pour trois ans, on lui assura
une pension viagère de 5,000 ducats
d'argent (20,000 Ir.). On fit frapper
des médailles en son honneur; son
buste fut placé à l'entrée de l'arse-
nal, et sastitueen marbre, exécutée
par Iinbiauchi, fut érigée dans la
citadelle de Corfou, où elle est encore
respectée par toutes les nations qui
x)nt successivement possédé cette
SCH
41S
belle colonie. On a remarqué commt'
une chose singulière que, dans le dé-
sastre que cette ville éprouva le 21
mars 1718 par l'explosion d'un ma-
gasin à poudre, qui renversa presque
toutes les maisons et coûta la vieil
quelques milliers d'hommes, la stiitue
du feld-maréchal resta debout, quoi-
que placée près du magasin. Ce qui
acheva de gagner à ce héros le cœur des
Vénitiens, ce fut la modestie avec la-
quelle il parla de ce qu'il avait fait lui-
même, et les éloges qu'il donna aux
nobles qui avaient partagé ses drtn-
gers. Nous devons encore rapporter
cnmme un trait caractéristique, que
Schulenbourg profila de l'enthou-
siasme causé par sa présence à Venise
pour demander, en faveur de ses co-
religionnaires, des privilèges qui pa-
raissaient incompatibles avec les lois
de la république et qui tous furent
accordés. Il s'occupa pendant l'hi-
ver du plan qu'il avait tracé pour la
conquête de l'Albanie. Au printemps
de 1717, il se rendit à Rome où il
reçut l'accueil le plus gracieux du
pape Clément XI. Comme, en zélé
protestant, il ne voulut pas se soumet-
tre à l'étiquette de la cour de Rome,
le pontife le vit sans cérémonie dans
le jardin du Vatican, et le fit trai-
ter, pendant son séjour, par un de
ses cardinaux. Le feld-maréchal ne
fut pas moins bien reçu par le vice-
roi de Naples, et de celte ville il 5e
rendit à Otrante, d^où il s'embarqua
pour Corfou ; il y fut retenu pendant
une grande partie de la campagne
parles apprêts que faisaient les Turcs
pour renouveler le siège. La saison
ne permettant plus d'^xéculer cette
année la conquête de l'Albanie, il se
contenta de prendre Prevesa,Vouitza
etl'Arta, dont la posses>iou, avec
celle de Butrinto , assura celle de
Corfou. Les Vénitiens, animés par
414
SCH
SCH
Schulenbourg, tirent de grands pré-
paratifs pour la campagne de 1718.
Le 22 juillet de cette année, le feld-
maréchal mit le siège devant Duici-
gno, première place de l'Albanie. Il
était sur le point de s'en emparer,
lorsque, le l^"* août, il reçut l'ordre de
mettre lin aux hostilités, parce que la
paix allait être signée: elle l'était
effectivement depuis le 21 juillet. Cet
ordre jeta Schulenbourg dans un
grand embarras , car le séraskier,
qui approchait avec des renforts,
faisait semblant d'ignorer la con-
clusion de la paix. Ce ne fut qu'a-
vec le plus grand danger, et les
armes à la main, qu'il put gagner les
vaisseaux vénitiens et embarquer ses
troupes. Cette retraite lui fit encore
un honneur infinie Après la paix, la
république de Venise n'ayant plus
besoin d'un feld- maréchal, s'ho-
nora en renouvelant, de trois en
trois ans, le traité conclu avec lui.
Ainsi, elle se montra plus reconnais-
sante des services qu'on lui avait
rendus, que ne le firent, à la même
époque, plusieurs monarques pour
lesquels des étrangers avaient risqué
leur vie (4). Schulenbourg Ht recon-
struire les fortifications de Corfou
d'après un nouveau plan qui ne fut
achevé qu'en 1729, et s'occupa pen-
dant le reste de ses jours à mettre
toutes les places de la république
dans un état de défense respectable.
Sa résidence ordinaire, dans les der-
niers temps de sa vie, était à Vérone,
mais il fit souvent des absences assez
longues. C'est ainsi qu'en 1726 il alla
voir à Londres sa sœur Ermingarde-
Mélusine, que son royal fitiii, Geor-
ges 1", avait créée duchesse de Ken-
dale, et l'empereur princesse d'Eber-
stein {voy. Kendale, au second
(4) Voy. uotammeut l'article de SeckeN-
DORF, t. XIII, ^l'i.
Supplément). Jamais étranger n'a-
vait encore été accueilli en Angle-
terre comme il le fut. Le roi et les
grands le comblèrent d'honneurs; le
maréchal de Broglie, qui se trouvait
à Londres comme ambassadeur de
France, se mettant au-dessus de l'é-
tiquette, lui fit la première visite.
Georges I" lui montra une confiance
particulière, et eut avec lui de lon-
gues conversations. A son retour le
feld-maréchal passa par Berlin, où
Frédéric -Guillaume 1" le décora de
l'ordre de l'Aigle-JNoir, distinction
qu'il dut, non au rôle que sa sœur
jouait auprès d'un monarque que le
roi de Prusse détestait , mais à l'es-
time que ce prince avait pour sa per-
sonne. Schulenbourg eut la sagesse
de se contenter de la part de gloire,
à la vérité assez belle, qu'il avait
acquise, et de ne pas rechercher un
autre service où il eût pu cueillir de
nouveaux lauriers. «Vous avez, dit-il
dans une lettre à Voltaire , qui lui
avait demandé des détails sur ses
campagnes de Pologne , vous avez
voulu faire briller encore une fois
mon épée, qui est enrouillée par la
vieillesse et l'inaction, et que je n'ai
pas jugé à propos d'exposer davantage
aux vicissitudes de la fortune et à
l'orage après avoir trouvé un bon
port. » Non-seulement Schulenbourg
ne rechercha pas une nouvelle occa-
sion de se distinguer, mais les papiers
conservés par sa famille prouvent
qu'il se refusa à celles qui s'offri-
rent d'elles-mêmes. Après la malheu-
reuse campagne de 1734 en Italie, le
prince Pio, ambassadeur impérial à
Venise, eut ordre de se transporter
secrètement à Vérone pour offrir à
ce vieillard plus que septuagénaire
le commandement des arujees impé-
riales en Italie. Schulenbourg ré-
pondit que sa capitulation le liait
SCH
SCH
415
encore pendant vingt mois au ser-
vice de la république de Venise,
et qu'il ne pouvait pas le quitter sans
son consentement. Celle-ci l'ayant
refusé , l'empereur s'adressa au roi
de Prusse, et le pria d'employer son
autorité pour rappeler Schulenbourg
qui était son vassal. Le 3 oct. 1734,
Frédéric - Guillaume P"^ écrivit au
feld-maréchal en ces termes: « Comme
je trouve votre présence fort néces-
saire par beaucoup de raisons pres-
santes, je vous ordonne, sous peine
d'encourir mon indignation, de vous
rendre ici, sans faute, dans Tannée
future. » Schulenbourg déclara alors
que rien au monde ne pourrait le
porter à violer les lois de l'honneur
et de la reconnaissance en quittant
le service de la république avant le
terme fixé par sa capitulation. Le roi
de Prusse approuva ces principes
dans une lettre du 26 nov. 1734, et la
république de Venise changea sa ca-
piiulation triennale en un engage-
ment pour la vie : exemple unique
dans les annales de cette république !
En 1737 le roi de Prusse tenta en-
core de fixer Schulenbourg à Berlin :
le feld-maréchal Grumbkow lui offrit
en son nom la même charge qu'il
occupait à Venise, en le dispensant
de tous les détails du service, et pour
ne jouir que des avantages attachés à
cet, emploi. 11 répondit qu'un vieillard
désabusé du monde ne devait songer
qu'à la tombe, etque, quant à lui, son
unique soin était de penser aux choses
futures, afin de voir approcher sa fin.
comme le sage devait faire, sans la dé-
sirer ni la craindre. Cet illustre guer-
rier mourut, à Vérone, le 14 mars 1747,
à l'âge de 87 ans. Son corps fut trans-
porté à Venise et enseveli à l'arsenal.
Il ne s'était jamais marié, mais il avait
un fils naturel qu'il fit élever sous le
nom de Gludebeck , et qui resta
imbécile toute sa vie. Son neveu
bien-aimé, Adolphe-Frédéric, ayant
été tué à la bataille de Mollwitz, Schu-
lenbourg institua son héritier uni-
versel Louis-Ferdinand d'OEynhau-
sen, fils aîné de sa sœur, auquel il
permit de prendre le nom de Schu-
lenbourg. Il existe dans les archives
du ministère de la guerre de Prusse
un fragment de mémoires de Schu-
lenbourg , écrits en français , qui
traite principalement de ses cam-
pagnes en Pologne : il l'avait envoyé
en 1740 à Voltaire, pour s'en servir
dans sa vie de Charles XII. Ce frag-
ment a été publié dans les Denkwur-
digkeiten fur die Kriegskunde und
Kriegs geschichte , que des officiers
prussiens ont fait imprimer en 1817.
Une notice sur Schulenbourg se
trouve dans le \o\.L\\{ des Genealo-
gisch historische Nachrichten, qui a
paru en 1743* Les auteurs de cet
ouvrage périodique y annoncèrent
par erreur sa mort. Avec ces maté-
riaux, M. Varnhagen a compilé la Vie
du feld-maréchal, insérée dans ses
Biographische Denkmale , Berlin ,
1824, in- 8". Outre ces notices, nous
nous sommes servi, pour la rédac-
tion de la nôtre, de matériaux inédits.
S— L.
SCHULENïiODRG (Lévin-Fré-
DÉRic de), grand- maître d'artillerie
au service de Sardaigne, né en 1670,
entra en 1686 comme simple soldat
au service de Brandebourg, assista
en 1689 comme caporal au siège de
Bonn, fut fait prisonnier à la bataille
de Fleurus le l*"^ juillet 1690 , se
rançonna lui-même, et fit les autres
campagnes jusqu'à la paix de Rys-
wick, comme lieutenant. Son cousin,
Mathias-Jean {voy. l'art, précéd.), lui
donna une compagnie dans le ré-
giment qu'il forma pour le duc de
Savoie, en 1698^ et lorsqu'en 1702
4U>
SCH
SCH
ce gént^ral quitta le service du duc,
Levin-Fréderic fut nommé colonel
de ce même régiment. Il se distingua
au siège d'Ivrée, qu'il défendit en
1704 contre le duc de La Feuillade;
et en 170() par la défense de la cita-
delle de Turin. Il avança successi-
vement jusqu'au grade de grand-
maître d'artillerie, et il en est sou-
vent question dans les Mémoires de
Berwick. Sur son lit rie mort, le roi
de Sardaigne et le prince de Piémont
lui promirent de donner son ré-
giment à son neveu Christophe-Da-
niel [voy. ci-dessous) , et de le con-
férer toujours à un Schulenbourg
tant qu'il y aurait un membre de
cette famille à leur service. Il mourut
\v 17 mai 1729, et fut enterré à Saint-
Jean d'Agrogne, paroisse protestante
de la vallée de Lucerne. S— l.
SCHULENBOURG (Christophe-
Daniel, baron de), général d'infan-
terie au service de Sardaigne, né à
Angern, près de Magdebourg, !e 17
février 1679, entra le 27 juin 1701
dans le régiment de son cousin Ma-
thias-Jean, et fut nommé colonel en
1729, à la mort de son oncle Lévin-
FrédérJc [voy. l'article précédent).
En 1734 il fut promu au grade
de général -major, et en 1742 à celui
de lieutenant-général , après avoir
pris la citadelle de Modène. La
même année, il commanda l'aile
droite de Tarmée de Sardaigne,
passa le mont Cenis, et repoussa les
Espagnols en Dauphiné. En 1744, il
obtint ie grade de général d'infante-
rie, quitta le service en 1754, et se
retira à sa terre d'Angern, où il mou-
rut le 22 novembre 1763. S— L.
SCHULENBOURG (Adolphe-Fré-
déric de), général prussien, naquit
à Wollenbultel , le 5 décembre
1685 : fit ses premières études, jus-
qu'en 1701, à l'académie noble de
Lunebourg, et pendant les trois
années suivantes à Utrecht. Depuis
1705, il servit comme volontaire dans
les troupes de Hanovre aux Pays-Bas.
Après la bataille de Ramillies, il ob-
tint un escadron de cavalerie au ré-
giment du général Alexandre de
Scbulenhourg, et le commanda dans
les batailles d'Oudenarde et de Mal-
plaquet. Il reçut à la dernière une
blessure grave. En 1711, il fut nom-
mé major. Après la paix d'Ulrecht,
il entra comme lieutenant-colonel au
service de Prusse; en 1715, il assista
au siège de Stralsund ;en 1718, il fut
promu au grade de colonel , et obtint
en 1724 un régiment de grenadiers à
cheval. En 1728, Frédéric-Guillau-
me !•''■ le nomma général-major, et
en 1739 lieutenant général. Ce mo-
narque lui avait accordé sa confiance
et l'admit dans sa tabagie-, ce qui
était une grande marque de faveur.
Schulenbourg, qui ne fumait pas, en
fut dispensé, à condition toutefois
d'avoir, comme les autres , une
pipe à la bouche. Le roi le choisit en
1732 pour aller annoncer à Vienne
les fiançailles du prince royal avec
une nièce de l'impératrice. Cette
mission fut d'autant plus agréable
que la cour de Vienne avait noué
beaucoup d'intrigues pour faire réus-
sir le mariage. {Voy. Seckendorf,
XLl, 417.) En 1734 il fut désigné pour
accompagner le prince royal dans la
campagne sur le Rhin, et l'accord qui
dès ce moment régna entre le roi et
son fils fut en grande partie son ou
vrage. Il obligea le prince royal en
lui prêtant de l'argent avec un grand
désintéressement : on sait que le roi
était très-économe. Le rôle de favori
qu'il avait joué auprès de celui-ci
l'engagea à se retirer lors de l'avé-
nement de Frédéric II, qui lui avait
donné quelques motifs de méconten-
tpment ; mais ce prince répara tout
en lui conférant l'ordre de l'Aigle-
Noir. Cette faveur et la probabilité
d'une guerre prochaine le retinrent
au service. A la bataille de Moliwitz
(10 avril 1741), il commanda la ca-
valerie, qui fut plusieurs fois repous-
sée par celle de Marie-Thérèse.
Schiilenbourg voyant le décourage-
ment de ses troupes, et ne voulant
probablement pas survivre à la tache
dont son régiment s'était souillé, se
mit à la têle du premier escadron
(dont en qualité de colonel il était ca-
pitaine), et attaqua l'infanterie îiutri-
chienne. Lui-même ettousles officiers
de l'escadron périrent sur le champ de
bataille. Il fut enseveli à Betzendorf,
dans le caveau de sa famille. Adolphe
de Schulenbourg avait épousé une
demoiselle de Bartensleben ,qui par
le décès de ses frères devint Thérilière
de sa maison, dont les riches posses-
sions entrèrent ainsi dans la famille
de Schulenbourg. Il laissa quatre fils
et huit filles. Son oncle maternel le
feld-maréchal Mathias-Jean leur lé-
gua par codicille la moitié de sa ga-
lerie de tableaux, à condition qu'elle
resterait comme fiJéi-commis dans le
palais Schulenbourg à Berlin (aujour-
d'hui palais Radziwil). Lui-même assu-
ra le bien-être de sa descendance par
ses dispositions testamentaires. S— L.
SCHULENBOURG - WOLFS-
BOURG (GUEBHARD-GUERNABD de),
ministre prussien, fils d'Adolphe-Fré-
déric, naquit le 20 décembre 1722, à
Wolfsbourg,terreallodialedesamère
dont il hérita en 1756, et devint ainsi
le fondateur de la branche de Schu-
lenbourg-Wolfsbourg. Il étudia à
Helmstœdt et à Leipzig , et entra en
1746 au service de Prusse comme
conseiller d'ambassade. En 1764,
Frédéric II l'envoya comme deuxième
ambassadeur au couronnement de
Ï.WXÏ.
SCH
417
Joseph II , puis comme ministre k
Stuttgard, pour arranger en qualité
de médiateur les différends du duc de
Wurtemberg avec les États (\u pays.
En 1769, à la mort du dernier mar-
grave de Baireuth, il fut chargé de
mettre le margrave d'Anspach en
possession de la^ principauté de Bai-
reuth, et en même temps de négocier
l'abdication du margrave Alexandre,
qui n'avait pas d'enfants, en f.iveiir
de la ligne royale de Prusse. Cette
négociation, qui échoua alors, réus-
sit 22 ans plus tard (voy. Anspach,
LV!, 352). En 1776, Schulenbourg
fut nommé ministre d'État. En 1778,
il fit un riche héritage. Sa tante,
nièce elle-même de la fameuse du-
chesse de Kendale ( grand'tante de
Guebhard-Guernard), et femme de-
puis 1733 de lord Chesterfield, mou-
rut en 1778 après avoir institué
Schulenbourg son légataire univer-
sel ^ elle-même, en 1743, avait hé-
rité de la duchesse de Kendale.
Schulenbourg passa les dernières
années de sa vie retiré des affaires,
soit au château de Wolfsbourg, soit
à Brunswick ; mais Frédéric II l'ap-
pela souvent pour quelques semaines
à Potsdam, et il appartenait au pe-
tit comité des amis du monarque.
Cette seule circonstance suffirait
pour lui accorder une place dans
cette galerie biographique. Il mou-
rut à WoUsbourg, le 23 août 1788,
laissant de son épouse, néede Vel-
îheim, sept enfants. S— L.
SUHULEXBOUBG - WOLFS-
BOURG(Charles-Guebhard GuER-
NARD, comte de), fils aîné du pré-
céilent, naquit le 21 mars 1763 à
Brunswick, fit ses études au gymnase
de Klosterbergen près Magdebourg,
ensuite au Carolinum de Brunswick,
et finalement, de 1782 k 1786, à Gœt-
tingen. 11 conduisit ensiiite le prince
î?7
418
SCH
SCH
Iu^r(^ditairfi de Brunswick (qui mou-
rut eu 1800, peu de semaines avant
son |)è,re), en Suisse et dans la France
méridionale, et fut envoyé plus tard
pour le chercher en Italie et le sui-
vre à la Haye où ce prince se maria.
Lorsque les États du royaume de
Westphalie , création éphémère de
Bonaparte , furent convoqués, Schu-
lenbourg fut d'abord nommé prési-
dent du collège électoral du dépar-
tement de l'Ocker, et ensuite des
États mêmes, place où il se conduisit
avec dignité, et se concilia l'estime
publique. Aussi la domination étran-
gère eut elle à peine cessé en Al-
lemagne, que le duc de Brunswick,
Frédéric-Guillaume, le mit à la tête
du gouvernement en le nommant
ministre dirigeant de ses États. Il
suivit ce souverain au quartier-géné-
ral des alliés à Langres. Certai-
nes circonstances l'engagèrent alors
à se démettre de sa charge, pour se
retirer dans ses terres ; mais ce qui
prouve la haute opinion qu'on avait
de sa probité et de ses talents, c'est
qu'après la bataille des Quatre-Bras,
qui coûta la vie au duc Frédéric-
Guillaume, le prince régent d'Angle-
terre, à qui , comme au plus proche
agnat^ la tutelle du jeune duc fut dé-
volue, ne voulut sedécharger de l'ad-
ministration du pays que sur Schulen-
bourg qu'il engagea de reprendre
la place de ministre dirigeant. Il
la remplit jusqu'à sa mort, arrivée le
25 décembre 1818. Sa mémoire est
bénie dans le pays. De son épouse,
née de Munchhausen, il laissa une
nombreuse famille. S— l.
SCHULENBOLRG- ŒYNHAU-
SEN (Louis-Ferdinand, comte de),
grand-rnaître de Tartillerie d'Autri-
che, fils de Raban-Christophe d'Œyn-
hausen et de Sophie-Julien ue, sœur
de Mathias-Jean, comle de Schuien-
bourg, né en 1701, entra fort jeune
au service d'Autriche. En 1723, son
oncle maternel l'ayant trouvé comme
capitaine en garnison à Naples, l'em-
mena avec lui à Corfou, et lui permit,
dès 1724, de prendre le nom de
comte de Schulenbourg , sous le-
quel il s'est rendu célèbre. En 1725,
il reçut le grade de lieutenant-colo-
nel, et en 1733 celui de colonel. Il se
distingua à la bataille de Bifonto, en
1734, et fut fait prisonnier. L'année
suivante il obtint un régiment d'in-
fanterie avec le rang de général-major.
11 lit les campagnes de 1737 à 1739 en
Hongrie, et acquit beaucoup de gloire
aux combats de Cornia et de Mehadra
des 4 et 15 juillet 1738, et comme
lieutenant-général à celui deGrotzka
du 23 juillet 1739. Au mois de mars
1741, il fut envoyé comme ministre
plénipotentiaire à Turin, pour négo-
cier une alliance défensive qui devait
couvrir les provinces autrichiennes
d'Italie contre la France etTEspagne.
Schulenbourg eut affaire à un habile
politique, ie marquis d'Orméa; il
fallut vaincre bien des difficultés
avant de conclure le traité du 1^' fé-
vrier 1742. Schulenbourg commanda
l'aile droite des Autrichiens à la ba-
taille de Campo-Santo du 8 février
1743, et fit la campagne de 1744 sur
le Rhin, et en Bohême sous les ordres
du feld-maréchal Traun. En 1745,
ayant été nommé grand- maître d'ar-
tillerie, il commanda un instant en
chef l'armée autrichienne en Italie,
après le départ de Lobkowitz. Au
commencement de 1747, il fut
chargé , à la place du comte de
Botta, de l'expédition qui devait
châtier la ville de Gênes. II montra,
en cette occasion , tous les talents
d'un grand général ; déjà il était
maître de Sestri di Ponente et de
YaUri,.et assez prèsdelavillepourla
SCH
cerner, lorsque l'approche de l'armée
du maréchal deBelle-Isle par le comté
de Nice l'obligea de lever le blocus le
31 juillet. Cet échec le fit tomber en
disgrâce, et il fut rappelé le 22 août.
Schulenbourg embrassa la religion
catholique en 1753. Il mourut à
Vienne, le 16 février 1754, des suites
d'une chute de chevai qu'il avait
faite devant Gênes en 1747. 11 laissa
plusieurs enfants de la veuve du
prince Adam de Lichtenstein, fille
d'un comte de Kottulinsky, qu'il avait
épousée en 1740. S— l.
SCHULENBOURG - KEIINERT
(Frédéric-Guillaume, comte de), mi-
nistre d'État de Prusse , né à Keh-
nert, dans le duché de Magdebourg,
le 22 nov. 1742, reçut son éducation
littéraire au gymnase de Kloster-
bergen et à l'académie noble de Bran-
debourg ; entra en 1760 comme cor-
nette au service de Prusse, et fit les
dernières campagnes de la guerre de
Sept-Ans. Une blessure reçue à ia
tête l'ayant rendu incapable du ser-
vice militaire actif, il donna sa
démission en 1765; mais Frédéric II
le nomma, en 1767, conseiller pro-
vincial (place qui répond à celle de
sous-préfet) du duché de Salzwedel ;
en 1769, vice -directeur, ensuite
président de la chambre des domai-
nes, et en 1771, ministre d'État,
chef des provinces prussiennes en
Basse-Saxe et en Westphalie, chef
du département des forêts, mines et
usines de toute la monarchie, et
président du directoire de la banque.
H céda cependant, en 1774, le dé-
partement des mines et usines à un
autre ministre. En 1778, le roi lui
confia le ministère de la guerre et
l'intendance de l'armée du prince de
Prusse^ le nomma, en 1782, chef du
commerce maritime ; lui donna, en
1784, l'ordre de l'Aigle-IHoir, et l'é-
SCH
419
leva, en 1786, au rang de comte.
Après la mort de Frédéric II, Schu-
lenbourg se démit de toutes ses
charges, et se retira dans ses terres ;
mais lorsque les conjonctures politi-
ques firent craindre une guerre avec
la Russie, l'armée prussienne étant
déjà en marche, on crut avoir besoin
des talents administratifs de Schu-
lenbourg, et Frédéric-Guillaume II
le rappela, le 17 mai, pour le charger
du matériel de la guerre, du dépar-
tement des provinces de Magdebourg
et Halberstadt, ainsi que de la direc-
tion de la banque et du commerce
maritime. Le 5 novembre de la même
année, il rentra dans la carrière mi-
litaire comme lieutenant -général;
fut nommé président du collège de
guerre, et en 1791 ministre du ca-
binet et des affaires étrangères à la
place du comte de Herzberg, dont la
cour de Vienne exigea la retraite,
avant de s'allier à la Prusse pour
combattre la révolution de France.
Schulenbourg fut déchargé de pres-
que tous ses départements civils ,
mais il conserva le ministère de la
guerre , ainsi que la présidence
de la banque. En sa double qua-
lité de ministre des affaires étran-
gères et de ministre de la guerre,
il accompagna le roi pendant la
malheureuse campagne de 1792 ,
où la Prusse trompa l'attente de
beaucoup de Français et surtout celle
de l'infortuné Louis XVI , qu'elle
devait sauver comme elle l'avait an-
noncé, et que loin de là elle poussa
à l'échafaud par une vaine et in-
utile démonstration {voy. Dumou-
RiEZ , LXUI, 160). Le comte de
Schulenbourg, plus loyal et plus
généreux que les autres conseillers
de Frédéric-Guillaume II {voy. Haug-
wrrz, LXVI, 477), voulait qu'on mar-
chât sans hésilution au secours du
27.
450
SCH
SCU
roi (le France, et il fut près d'en-
traîner à cette de'cision le faible
monarque; nnais les conseils du duc
de Brunswick l'emportèrent, et les
partisans de la retraite et des tempo-
risations parvinrent à Hiire renvoyer
Schulenbourg à Berlin. Le roi lui-
même fut sur le point d'y retourner
sous prétexte de quelques mouve-
ments d'insurrection dans les provin-
ces polonaises. Peu de temps après son
retour dans cette capitale, Schulen-
bourg fut remplacé dans le ministère
des affaires étrangères par Haugwitz
qui en prit possession le 21 ianv.1793,
le jour même où Louis XVi mourait
sur l'échafaud ! Schulenbourg, qui
conserva en apparence le portefeuille
de la guerre, fut envoyé à l'armée du
Rhin qui venait de s'emparer de
Mayence par une capitulation ; et il
passa toute l'année 1794 dans cette
contrée, où obligé de défendre les
opérations de Mœllendorff et de
Kalckreuth, qui y commandaient
(voy. ces deux noms, XXIX, ,205, et
LXVlll, 391), il eut à soutenir avecle
minisire anglais, Malmesbury (voy.
ce nom, LXXM, 442), qui voulait for-
cer les généraux de la Prusse à rem-
plir les engagements de cette puis-
sance, des discussions très-vives et
d'autant plus pénibles qu'au fond il
n'approuvait point la conduite de
son cabinet. Comme dans l'expédition
de France en 1792, il fut encore
vaincu par ses rivaux, et les intri-
gues qui prévalurent ne tardèrent
pas à surmonter les répugnances du
roi. Le traité de Bâie fut conclu, et
Schulenbourg, forcé de quitter le
ministère de la guerre, se retira à
Kehnert, en conservant la direction
de la banque et de la loterie, dépar-
tements auxquels, enl 796, fut ajouté
celui des affaires Hiédicales. Ces places
de peu d'importance ne l'obligèrent
pas k résider à Berlin. La confiance
que Frédéric Guillaume III avait tou-
jours en ce minisire, malgré les intri-
gues du parti de Haugwitz, l'eng;jgea
à le rappeler de nouveau dans la capi-
taleetàlenon»mer, le 19 février 1798,
conttôleur- général des finances,
chef de Sa chambre des comptes, et
au mois de mai suivant général de
cavalerie. En mars 1800 , il obtint
l'inspection du trésor royal , et en
juin, la place lucrative de grand-
maître des postes. Si, comme on l'as-
sure, il a fait beaucoup d'améliora-
tions dans ce service, il en a laissé
encore plus à faire à ses successeurs.
Ce que personne ne lui conteste,
c'est d'avoir augmenté, par ses rè-
glements , les revenus de la cou-
ronne. Lorsque, en 1801, la Prusse
occupa l'électorat de Hanovre, pour
le sauver d'une occupation française,
il fut chargé de l'administralioti de ce
pays, et s'en acquitta k la satisfaction
égale du gouvernement et du peuple.
En 1802 et 1803, le roi lui donna la
commission de prendre possession
des provinces assignées k la Prusse
k titre d'indemnités, et k cette occa-
sion il reçut une belle dotation dans
la principauté de Hildesheim. En
1806 il prit pour la seconde fois l'ad-
ministraiion de l'électorat de Hano-
vre. Après la malheureuse issue de
la campagne de cette année, il suivit
le roi k Kœnigsberg, mais se retira,
dès qu'il le put, dans sa (erre de
Kehnert. La paix de Tilsit ayant privé
le roi du ministre qui jouissait prin-
cipalement de sa conGancp, le baron
de Hardenberg, et qui plus tard fut
rappelé pour aider Frédéric - Guil-
laume III à sauver la monarchie, ce
prince sentant le besoin de s'en-
tourer de conseillers (idèleset expéri-
mentés,désira Schulenbourg à la pla-
ce importante de président de lacom-
SCH SCH 421
mission qui fut élablie à Berlin, pour taire chargé de dresser les acies
défendre les intérêts du peuple con- publics. Cet emploi ne pouvant con-
tre l'avidité des agents de Bona- venir à son activité turbulente, il le
parte. Mais le comte refusa tout em- garda peu de temps , et se livra à Pa-
pîoi quelconque, tant parce que sa griculture. En 1792, il épousa la
santé était tellement délabrée qu'il iille du directeur des mines de
suffisait à peine à 1 administration Sainte-Marie, et quelques années
de ses propres biens, que parce qu'é- après, profitant du désordre qui ré-
tant devenu, par l'érection du royau- gnait en France, il se mit à faire la
me de Westphalie, vassal de Jérôme contrebande, industrie dangereuse,
Bonaparte, il ne pouvait servir plus mais lucrative, qu'il exerça bientôt
long-temps la Prusse, sans une per- sur une vaste échelle. Lui-même
mission expresse de celui-là, per- ne cachait pas qu'avant d'être ob-
mission qui lui eût été sans doute servateur militaire il avait été chef
refusée. Bientôt après il entra au ser- de contrebandiers, et il disait que
vice de Jérôme, et on vit l'homme la contrebande et la police se res-
qui avait été honoré de la confiance semblent beaucoup. A ce métier pé-
d'une triple génération de rois de rillcux il posa les premières bases
Prussepar.iîtreà cette cour de Cissel, d'une fortune qui, par des moyens
si éphémère et si dissolue , affublé aussi peu honorables, devait s*ac-
taniôt du costume de conseiller d'É- croître considérablement dans la
lat, tantôt de l'imifurme de général suite. En 1800, il alla à Strasbourg
de division du royaume de West- établir une manufacture; mais il est
phalie. Il survécut à ce royaume, et à croire que le commerce ne l'ab-
mourut le 7 avril 1815, laissant deux sorba pas assez pour qu'il ne pût
filles, dont l'aînée a épousé un comte déjà s'occuper d'espionnage en Aile
de Schweritj, et la cadette le prince magne et sur le Rhin. Ce ne fut
de Hatzfeld, celui qui pensa en 1806 néanmoins qu'au commencement de
être victime d'un caprice de Napo- l'empire qu'on le vit s'y livrer d'une
léon, et que sa femme sauva, si l'on en manière exclusive. Venu à Paris en
croit les mémoires de celui-ci. Z. 1804, il fut présenté par l'aide-de-
SCIIULEIl , et non Schalter camp Rapp, son compatriote, à Na-
(Georges). Foî/. Sabiin, LXXX, 228. poléon , qui lui conféra un grade
SCHULMKISTER (Charles), dans l'armée, et l'attacha à Savary,
l'un des agents de police les plus dès lors suprême directeur de la
habih;s qu'ait eus Napoléon, prit une police militaire. Cette faveur nous
grande part aux intrigues qui, dans paraît la preuve évidente que déjà
beaucoup d'occasions et surtout en il avait eu occasion de montrer
Allemagne, accompaj^nèrent ses vie- son intelligence en cette matière,
toires Né en Alsace le 13 août 1770, Bonaparte aimait surtout les ca-
il était iils d'un sous-intend;int, qui ractères lins et rusés, les dévoue-
le fit entrer à quinze «ns, comme ments aveugles, et Schulmeister,
cadet, dans les hussards de Con- réunissant au plus haut degré ces
flans ; mais il quitta presque aussitôt deux avantages, fut dès ce moment
le service pour achever ses éludes, le plus habile et le plus discret
et, en 1788, il devint actuaire au agent de sa police. Il serait impos-
bailliage de Kork, sorte de secré- sible de dire toutes les missions
422
SCH
de confiance dont il fui cliargd, parce
qu'elles Turent toujours Ircs-sccrèt es.
La nature de celle qu'if remplit, k
l'ouverture de la campagne de 1805,
auprès de Mack, assiégé dans Ulm,
est restée inconnue ; on sait seule-
ment qu'il pénétra dans la place par
une poterne, sous un déguisement, et
qu'il eut plusieurs conférences avec
le général autrichien, lesquelles
contribuèrent beaucoup à l'inexpli-
cable capitulation. Là, certainement,
ne dut pas se borner son action sur
l'armée autrichienne, dont il parlait
parfaitement la langue. « Chargé de
remettre une lettre à un personnage
important, dit Cadet - Gassicourt ,
dans son Voyage en Autriche, Schul-
meister passa chez l'ennemi comme
bijoutier, muni d'excellents passe-
ports, et portant avec lui une riche
collection de diamants et de bijoux ;
mais il fut vendu, arrêté et fouille'.
Sa lettre était dans le double fond
'd'une boîte d'or. On la trouva, et on
eut la sottise de la lire tout haut de-
vant lui. Jugé et condamné à mort,
il fut livré aux soldats qui devaient
l'exécuter ; mais il était nuit, et l'on
remit son supplice au lendemain.
Alors il reconnaît, parmi ceux qui le
gardent, un déserteur français, cause
avec lui, le séduit par l'appât du
gain, fait venir du vin, boit avec son
escorte, glisse de i'opium dans la
boisson, enivre ses gardes, prend un
de leurs habits, s'échappe avec le
Français, et, avant de rentrer, trouve
le moyen de prévenir celui pour qui
était la lettre saisie de ce qu'elle
contenait et de ce qui lui était ar-
rivé. « Ce récit a un peu l'air d'un
«roman, ajoute Cadet-Gassicourt5
« il m'a été attesté par vingt officiers
« supérieurs, qui reconnaissent que,
« dans ce genre, on n'avait jamais
« trouvé un homme plus adroit. »
SCH
Nous ignorons si tous Ces détails
sont exacts^ mais ce qui est sflr,
c'est que, fait prisonnier par les
Autrichiens, Schulmeister parvint à
s'échapper. Après la prise de Vienne,
Napoléon le nomma commissaire-
général de la police de cette capitale,
et on lui doit cette justice, qu'il sut y
maintenir la tranquillité et le bon
ordre durant toute l'occupation ,
bien qu'il n'eût à sa disposition
que trente -quatre gendarmes d'é-
lite. Il est vrai qu'il inspirait une
grande terreur aux habitants de
cette paisible cité. Après la paix de
Presbourg, il se retira dans son do-
maine de Meinau , près de Stras-
bourg; mais la campagne de Prusse
le rappela bientôt à l'armée, et ce
fut sans doute pour mieux observer
et mieux agir qu'il reçut le com-
mandement d'un petit corps d'a-
vant-garde, formé d'une partie du
1^*^ de hussards et du 7*= de chasseurs à
cheval. Après la bataille de Warren,
dans le Mecklenbourg, où il assista,
il reçut l'ordre de poursuivre le gé-
néral Usedom, puis de s'emparer de
Wismar. La manière dont il prit
cette ville mérite d'être racontée.
Escorté de sept hommes, il s'avance
au milieu de la nuit , surprend le
poste qui gardait la porte, le désarme,
contraint à se rendre quinze officiers
et quelques centaines de Prussiens,
qui formaient la garnison ; et Wis-
mar est en son pouvoir... Attaqué par
un escadron de hussards, lui et ses
sept hommes le repoussent, et font
prisonniers le commandant et vingt
soldats. Le lendemain matin, Savary,
à la tête de cinquante hommes de
cavalerie, marche contre le corps
d'Usedom, fort de trois mille hommes
avec une bonne artillerie, et ce géné-
ral met bas les armes presque sans
cojnbaltre. De Wismar, Schulmeister
SCH
SCH
An
s^avance sur Rostock, suivi de vingt-
cinq hussards ^ il en prend possession,
et s'empare de dix-huit navires qui
se trouvaient dans le port. Ces avan
tages presque incroyables furent dus
plus encore aux habiles séductions
de cet homme qu'à sa valeur mili-
taire. On sait que dans cette rapide
campagne, comme dans celle d'Au-
triche, Part de la guerre n'assura
pas seul la victoire, et que la reddi-
tion des principales places de la mo-
narchie prussienne ne fut pas moins le
re'sultat desne'gociations secrètes que
de la force des armes. Schulmeister
contribua beaucoup à ce genre de
succès. II fut ensuite envoyé au siège
de Dantzig , et après la capitulation
de cette ville il vint rejoindre la
grande armée, au moment où s'ou-
vrait la seconde campagne de Polo-
gne. Il assista aux batailles d'Heils-
berget de Friedland avec les fusiliers
de la garde, sous le commandement
de Savary, qui dès-lors était son
véritable chef sous tous les rap-
ports. Le lendemain de l'occu-
pation de Kœnigsberg ( 16 juin 1807),
il en fut nommé commissaire-géné-
ral, fonctions qu'il remplit jusqu'à la
paix de Tilsit. L'année suivante, à
l'entrevue d'Erfurt , il fut chargé
de diriger la police et de veiller a
la sûreté des deux souverains. Du-
rant la campagne de 1809, il conti-
nua d'être employé comme militaire
et comme homme de police. On sait
que les négociations secrètes ne fu-
rent pas plus négligées dans cette
guerre que dans les précédentes. La
trahison du commissaire-général de
l'armée autrichienne, PafFbender,
chargé de pourvoir à la nourriture
et à l'entretien des troupes, en est
un irrécusable témoignage (1). Ces
(c) Ou lit dans V Histoire de l'Europe pen-
sortes de service n'empêchèrent pas
Scliulmeistf^r de se distinguer dans
plusieurs combats, et particulière-
ment à Landshut, où il pénétra un
des premiers à la tête des grenadiers
du 17« de ligne, en traversant l'Iser
sur un pont embrasé. Après la red-
dition de Vienne, la police lui en fut
une seconde fois confiée, et il montra
encore dans ce poste difficile au-
tant de sagesse que de modération.
A la paix de Vienne, il affecta de re-
noncer au métier qu'il exerçait de-
puis cinq ans, et auquel il avait ga-
gné 40,000 fr. de rentes. Désormais
retiré à Strasbourg, i! ne se mêla,
dumoins ostensiblement, à aucun des
faits ultérieurs de l'empire. Cepen-
dant, propriétaire de plusieurs ma-
nufactures, il put bien, sous prétexte
de voyager pour ses propres affaires,
accepter quelques missions de con-
fiance. Une chose certaine , c'est
que sous la première Restauration
il travailla au triomphe du com-
plot qui avait pour but le retour de
Napoléon. Ayant établi le centre de
ses opérations dans les départements
du Rhin, il faisait parvenir à l'île
d'Elbe les observations qu'il recueil-
lait et le résultat de ses manœuvres.
Aussi, après le 20 mars, son dévoue-
ment trouva sa récompense j et il re-
çut encore diverses missions impor-
tantes, dont il s'acquitta avec son in-
telligence et son zèle habituels. Ces
nouveaux services appelèrent sur lui
l'attention des alliés en 1815^ son
nom était bien connu en Allemagne,
dant le consulat et V empire de Napoléon, par
M. Capefigue, t. VII, ch, 2 : « Quels que
« fussent les soins de l'arcbidiic Charles, la
« corruption était parvenue à s'infiltrer
» même dans l'administration de l'armée; le
«quartier -maître -général avait été arrêté
« pour avoir vendu les secrets delà campagne
« au général Andréossi et communiqué les
« états d'administration du couseil aulique. »
À'2A
SCH
SCH
vA Bliiclier résolut de le faire arrtUer.
Le 27 juillet, ii se rendait à une terre
qu'il possédait sur la route de Vin-
ceniies, lorsqu'un piquet de cavaltrie
prussienne s'empara de sa personne,
feignant de le prendre pour le géné-
ral Vandamme. Dans cette croyance,
i! se laissa mener à Charonne , au-
près du général Kleist, disant qu'il
lui serait facile de prouver qu'il y
avait erreur. Une fois là, on lui ap-
prit qu'on savait parfaitement qui il
était, et qu'on avait ordre de le con-
duire à Wesel. Ce fut sans doute
une violation du droit des gens ;
mais qu'est-ce que le droit en pré-
sence de la force ? A son arrivée dans
cette forteresse, on commença d'in-
struire son procès, et, après quelques
mois de détention , on le mit en
liberté. Ce parti était le plus sage.
Le gouvernement prussien se con-
tenta d'une foule de renseignements
secrets sur les hommes et les choses
que lui fournit cette instruction ju-
diciaire. Scliulmeisler revint alors à
Paris, où il vécut dans une retraite
fort douce, partageant ses loisirs en-
tre la capitale, la campagne et Stras-
bourg, Possesseur d'une grande for-
tune, il donna des fêtes somptueuses
dans sa belle habitation de Boissy-
Saint-Léger. C'est là qu'il mourut en
1846, très-regretté des pauvres, aux-
quels il distribuait denombreusesau-
mônes. Nous ne pouvons mieux faire
connaître ce personnage extraordi-
naire qu'en donnant le portrait qu'en
a tracé Cadet -Gassicourt : » D'cine
intrépidité rare, d'une présence d'es-
prit imperturbable et d'une finesse
prodigieuse, il a l'œil vif, le regard
pénétrant, l'air sévère et résolu, les
mouvements brusques, l'organe so-
nore et ferme ; sa taille est moyenne,
mais il est robuste. Il connaît TAu-
trichc parfaitement, et dessine de
main de maître le portrait des indi-
vidus qui y jouent un grand rôle. Il
porte au front de profondes cicatri-
ces, qui prouvent (ju'il n'a point re-
culé dans les occasions critiques. • —
Son fils est mort à Paris, en 1845,
d'une chute de cheval; il se livrait
au coujmerce de la banque, et était
capitaine d'élat-major de la garde
nationale. C— H — n.
Sr.IIULZ DE SCHULZENHEIN ( DA-
vid), médecin suédois, né le I7 mars
1732, était fils de Jacques Schulz,
médecin du régiment de Dalécarlie.
Il commença ses études à Técole de
Westeraa et alla les continuer en
1774 à Kœnigsberg, dans la maison
du professeur Marquard, puis au col-
lège Frédéric jusqu'en 1747, époque
où il devint étudiant à l'uiiiversilé
de cette ville. Jl embrassa la carrière
médicale, et publia en 1750, pourdis-
sertalion inaugurale, un mémoire
médico-légal, intitulé : De medicina
forensi, prœler differentiam, vulnera
in Absolute kthalia et Per accidens
distinguentem , nullam prorsus ag-
noscente. Il subit peu de temps
après l'examen théorique, et fut at-
taché comme prosecteur au savant
professeurBiittner. Déjà remarquable
par ses talents, le jeune Schulz reçut
les offres les plus avantageuses pour
rester en Allemagne, mais il préféra
retourner dans sa patrie (1751), où
il vint se ranger parmi les disciples
de Rosen et de Linné. L'un et l'autre
ne tardèrent pas à apprécier les
heureu.ses dispositions de leur élève ;
et peu de temps après son arrivée
à Upsal, il fut chargé par le premier
de le seconder dans leprofessorat de
l'anatomie en général , et obtint
une double chaire d'anatomie com-
parée et d'art vétérinaire. Nommé
en 1753 prosecteur au théâtre ana-
tomique de Stockholm, il ne cou-
SCH
linua pcis moins de rester à Up-
sal, où J'auiiée suivante il soutint,
sous ie tilrecZe^mes/, une thèse très-
importante, dans laquelle, par suite
d'observations physiologiques, il dé-
fend la théorie de Haller sur Tir-
ritabiliîé Promu au grade de doc-
teur en 1754, Schulz fut chargé, par
la commission de santé, de se ren-
dre en Angleterre pour y prendre
connaissance des procédés de l'ino-
culation. Muni de recommandations
de Linné, il trouva l'accueil le plus
honorable. La fréquentation des hô-
pitaux et ses rapports avec les pre-
miers praticiens de Londres augmen-
tèrent encore ses connaissances déjà
très-étendues. Leduc d'Argyl, qui se
trouvait en Angleterre à la même
époque, lui offrit de visiter avec lui
une partie de l'Europe et de l'Asie \
mais , constant dans ses affections,
il crut se devoir avant tout à sa
patrie. En quittant l'Angietcrre, il
passa sur le continent, visita Paris et
plusieurs autres villes remarquables;
et, de retour à Stockholm, il publia la
Relation de son voyage sous lepoint
devuemédical etytraitaspécialement
de l'inoculation. Ce travail, juste-
ment apprécié, fut bientôt traduit en
anglais et en allemand. A partir de
cette époque, Schulz fixa sa rési-
dence à Stockholm , désireux de
consacrer tous ses soins au bien
public, et la capitale de la Suède lui
est redevable de p'usieurs insti-
tutions utiles. Appelé à diriger la
maison d'accouchemerst, il fut ho-
noré du titre de professeur et élu
membre de l'académie des sciences.
Pour sa réception il présenta une sa-
vante dissertation sur les soins à
donner aux enfants en général, et
deux ans après, en quittant la pré-
sidence de rillustre compagnie, il
piuU'jiK^u un discours 6ur les moyens
SCH
42(
de parvenir le plus heureusement à
la vieillesse. Ces travaux ont été
traduits en allemand, de même que
son traité sur la méthode de préve-
nir et guérir le pourpre. Il y a aussi
une traduction en français et en hol-
landais de ce traité, qui lui valut de
la part de l'académie un honneur
qu'il crut de son devoir de ne pas ac-
cepter. Chargé en 1769 d'inoculer
les enfants du roi, Schulz fut, dans
la même année, choisi par le prin-
ce pour son premier médecin ;
mais assujetti par là à des fonc-
tions qui l'auraient empêché de
remplir celles de professeur, il s'ex-
cusa, et le monarque, appréciant sa
franchise , lui accorda des lettres
de noblesse, qisi le tirent admet-
tre au palais de l'ordre des nobles
sous le nom de Schulz von Schul-
zenheim. Cependant sa santé com-
mençant à s'altérer par suite des tra-
vaux auxquels l'entraînait un zèle
trop ardent, il se vit obligé en 17 78
dese démettre de toute*; ses fonctions
publiques. Mais loin de rester dans
l'inaction, il employa son temps à
composer plusieurs ouvrages sur
l'art de guérir et à perfectionner la
Pharmacopea suecica. Si d'un côté
la science lui est redevable d'une
grande amélioration sous le rapport
médical, de l'autre il se lit remar-
quer pav sa haute capacité et par son
zèle pour h», bien public, dans plu-
sieurs diètes auxquelles il assista.
Toutes les occasions où il lui fut pos-
sible de parler en faveur des insti-
tutions médicales, il les saisit avec
empressement. On lui doit, sur les
finances et l'économie politique de la
Suède, un ouvrage fort intéressant,
dont la première partie parut eu 1 79 i ,
et la seconde deux ans après. Ses
écrits en général se distinguent par
un style simple et élégant, ei les élo-
426
SCIÏ
SCH
gps qu'il a pronoiiC(^s h la mémoire de
plusieurs fie ses concitoyens portent
le carjictère d'une véritable (élo-
quence. H assista comme membrede
la noblesse aux sessions des États de
1789, de 1800, de 1809, de 1812,
de 1815, et il y déploya une grande
connaissance des affaires publiques ;
ses principes étaient ceux d'un libé-
ralisme sage et modéré. Nommé en
1809 président au collège de santé, il
fut six ans après élevé à la même di-
gnité près des collèges royaux, et
décoré de la grande croix de l'or-
dre de Wasa. De son côté , l' Ara-
demie des sciences de Stockholm
fit frapper en son honneur une
médaille d'or, ayant pour emblè-
me le serpent d'Esculape avec ces
mots : Âcumine et vigilantia , et
I)ortant au revers cette inscription :
Claro per LIV annos socio, Àcade-
mia Reg. scient. Siieciœ, 1814. Enfin
les médecins et les pharmaciens de
Stockholm , pour reconnaître les
grands services qu'il avait rendus à
la science et à l'humanité, firent exé-
cuter son buste en marbre, et le pla-
cèrent dans la salle des séances du
collège de santé. On lit sur le piédes-
tal : Au médecin , à Vhomme d'État
et au citoyen. Arrivé à un âge qui
nécessite le repos et la tranquillité,
Schulx donna sa démission de prési-
dent du collège de santé, lel5j?m-
vier 1822. Il ne survécut pas long-
temps à ce sacrifice, et termina à
Stockholm sa glorieuse carrière, le
24 avril 1823. Outre les ouvrages déjà
cités, on a de ce docteur une foule
de traités et de mémoires originaux,
imprimés séparément ou insérés dans
lesactes des diverses sociétés savantes
qui le comptèrent parmi leurs mem-
bres , des Éloges fort bien écrits de
Ch. Linné fils, du secrétaire Schrœ-
der, du colonel de Pahlen, du direc-
tenr en chef d'vtlrcl, du conseiller
médical Odlielius, du comte Liljen-
kr-mtz , producticms auxquelles il
faut ajouter une tragédie. B— l— M.
SCIIULZ (Frédéric-Edouard) ,
jeune professeur allemand de la plus
haute espérance , né à Darmstadten
1799, fut nommé en 1822, après avoir
pris ses degrés de docteur, professeur
de philosophie à l'université de Gies-
sen, en Hesse; mais pour compléter
son instruction il se rendit à Paris, et
s'y adonna à l'élude des langues
orientales; puis vint le désir de voir
l'Orient. Il partit en 1826, et voyagea
aux frais et par les ordres du roi de
France. Il avait mission expresse de
visiter les parties les moins connues
de la Turquie asiatique et de la Perse,
dans un but scientifique et littéraire.
Il devait particulièrement aller jus-
qu'à lezdjdans le centre de la Perse,
et y séjourner, autant qu'il serait né-
cessaire, parmi les sectateurs de l'an-
tique religion de Zoroastre, dont
cette ville est le chef-lieu, pour y
étudier les plus anciennes langues de
la Perse et y recueillir ce qui peut
exister encore des ouvrages de Zo-
roastre. Il était muni d'amples in-
structions que lui avait données le
ministre des affaires étrangères. La
guerre survenue entre la Perse et la
Russie apporta de grands obstacles à
l'exécution de cette entreprise, mais
elle ne découragea pas le docteur
Schulz. Il sut njettre à profit le temps
qu'il passa à Constantinople et dans
les provinces asiatiques de l'em-
pire russe, dans le Caucase et sur la
mer Caspienne; il traversa toute
l'Asie Mineure et les régions les plus
barbares et les plus difficiles de l'Ar-
ménie et du Kourdistan. Il explora
dans le plus grand détail les ruines
jusqu'alors inconnues de la ville de
Sémiramis dans l'Arménie, où il co-
SCH
pia 42 inscriptions de la' phis haute
antiquité, et la plupart d'une grande
étendue. On avait lieu d'espérer que
le séjour que ce savant devait faire
dans la Perse nous procurerait une
ample collection d'observations ex-
trêmement importantes. Connaissant
également bien les langues turque,
arabe et persane, très-versé dans la
littérature de tous leis peuples de
l'Orient, possédant une instruction
classique forte et profonde, un esprit
juste et cultivé, jamais aucun voya-
geur ne fut peut-être aussi bien
préparé pour visiter avec fruit
les régions qu'il devait parcou-
rir. Une lettre de Tiflis, sous la date
du 1*^' janvier 1830, annonça que
cet intrépide et intéressant voyageur
avait été massacré dans le Kour-
distan, aux frontières d'inalhuerilé,
entre les villages de Bash-Kallah et
de Pcrihan Nichin. Ce fut par une
lettre de l'envoyé d'Angleterre à
Tauris qu'on apprit ce cruel événe-
ment ; deux domestiques, un soldat
et un sergent persan qui accompa-
gnaient le docteur Schulz furent éga-
ment massacrés. Z.
SCHUMACHER. (Christian-Fré-
DÉRic), docteur en médecine et pro-
fesseur de chirurgie à l'Académie de
Copenhague, naquit le 15 novembre
1757, àGluckstadt, dans le duché de
Holstein. Son père était sous-officier
dans un régiment, et, quoique pau-
vre, il fit tous ses efforts pour procu-
rer de l'éducation à son enfant, au-
quel il avait reconnu un esprit éveillé
et une intelligence facile. C'est ainsi
qu'il parvint, en l'envoyant dans les
écoles, à lui faire donner les premiers
principes de la langue latine. D'un
autre côté, le chirurgien du régiment,
qui était un homme instruit, prit
sous sa protection le jeune Schuma-
cher, et l'initia dans les connaissances
SCH
427
de l'anatomie, de la médecine et de la
chirurgie; il lui donna aussi des le-
çons de botanique, science dans la-
quelle Schumacher devait acquérir
plus tard une réputation distinguée.
Celui-ci, à peine âgé de 16 ans, de-
vint chirurgien d'une compagnie
dans te régiment où servait son père.
Mais il avait un ardent désir d'aug-
menter la somme de ses connaissan-
ces, et ce fut avec la plus grande
joie qu'il obtint, en 1777.. un congé
de huit mois, pour aller fréquenter
les hautes écoles de Copenhague et
profiter des leçons de Callisen, de
Rottbœll, de Saxtorph, de Tode et
autres professeurs en renom. Son
congé expiré , i) fut obligé d'aller à
Rendsbourg reprendre les fonctions
de son modeste emploi, mais il avait
laissé dans la capitale du Danemark
des souvenirs qui devaient l'éleverà
une haute position. En 1778. le pro-
fesseur d'anatomie Rottbœll lui écri-
vit de quitter sa place et d'accepter
celle de prosecteur à l'université.
Il le prit tellement en affection ,
qu'il le reçut dans sa maison pen-
dant quelque temps , et lui aplanit
toutes les difficultés pour compléter
son éducation médicale. En 1784 ,
toujours avide deconnaissances nou-
velles, Schumacher s'embarqua et
fit un voyage dans la mer Méditerra-
née, pour approfondir divers sujets
d'histoire naturelle et voir des pays
étrangers. A son retour, il obtint Une
pension. Lors de la formation de
l'Académie royale de chirurgie (da-
noise), en 1785, il y eut le titre d'ad-
joint, puis devint chirurgien de l'hô-
pital Frédéric. En 1786 il partit aux
frais du gouvernement pour aller à
Paris en passant par l'Allemagne. Là,
non-seulement il assista aux leçons
de Desault , de Vicq-d'Azyr, de Sa-
batier, de Daubenton , de Louis, de
4l>8
SCH
Bnudelocque, mais comme il lui était
enjoint expressément de s'adonner
particulièrement à la chimie ainsi
qu'à la minéralogie, de se mettre au
courant des immorielles découvertes
de Lavoisier, et de suivre les leçons
de Fourcroy, il contracta des liaisons
avec les célèbres botanistes L'Héri-
tier, Desfontaines, Jussieu, et. par
des excursions botaniques, il trouva
le moyen d'augmenter son herbier.
En 1788, il quitta Paris pour se trans-
porter à Londres, dont il visita les
hôpitaux, et où il assista aux leçons
de Baillie, de Fordyce,deCruikshank
et deLoddes. 11 fit connaissance avec
Banks, dans la bibliothèque duquel
il allait passer ses heures de loisir :
aussi lui témoigna-t-il sa reconnais-
sance en lui dédiant dans la suite
un de ses ouvrages. En 1789, il re-
vint à Copenhague, et fut nommé à
une chaire de chimie, qui était va-
cante. En 1795, il devint professeur
de l'académie, et premier chirurgien
de l'hôpital Frédéric, poste important
qu'il remplit sans interruption jus-
({u'en 1813. Il avait eu l'occasion
d'exercer ses talents à la mémorable
bataille devant Copenhague le 2 avril
1801, et au bombardement de cette
ville 2n août 1807. Ses services et
son dévouement ne restèrent point
sans récompense : non-seulement il
eut plusieurs gratifications considé-
rables, mais encore il fut nommé chi-
rurgien de la cour en 1811, conseiller
d'Éial etchevalier de Tordre de Dane-
brog, dont il reçut les insignes delà
main mêmedu roi. En 1813, il se démit
de toutes ses charges, et se retira à sa
maison de campagne non loin de Co-
penhague, où il consacra ses loisirs
aux sciences. Cependant il quitta sa
retraite en 1819, pour accepter la
place de professeur d'anatomie à l'u-
niversité de Copenhague ainsi que
SCll
cellede directeur du musée anthropo-
logique, emplois dont il restaen pos-
session jusqu'à sa mort, arrivée le 9
déc. 1830. En 1828, Schumacher, en-
core plein (le vigueur, avait célébré,
au milieu d'un nombreux cercle
d'amis et d'étudiants, son jubilé
universitaire. Lors du bombar-
dement de Copenhague, pendant
qu'il était occupé à secourir ses
compatriotes blessés, il avait perdu
tout ce (ju'il possédait. Il avait été
marié trois fois, et,, par son troi-
sième mariage avec une riche veuve,
toutes ses pertes avaient été réparées
et suivies d'une aisance qui le ren-
dit indépendant. Outre le muséum
anthropologique qui était son ou-
vrage, il avait encore formé trois
autres collections qui consistaient,
la première en plantes, minéraux,
insectes et coquilles^ la seconde en
objets relatifs à la pharmacie, et la
troisième en instruments de chirur-
gie. Ses écriis sont nombreux; nous
ne citerons que les principaux. 1.06-
servations médico-chirurgicales ^ en
allemand, Copenhague, 1800. IL
Enumeratio plantarum in partibus
Sielandiœ septentrionalis atque
orientalis , 1 parties, Copenhague,
1801. La première partie a ététraduite
en 1804 par M.Kielsen, en langue da-
noise : cet ouvrage contient un grand
nombre de dessins de champignons,
que Schumacher a peints lui-même.
IIL Essai d'un catalogue des mi-
néraux simples qui se trouvent
dans les États septentrionaux du
Danemark^ en allemand, avec des
planches, Copenhague. 1801 ; c'est
cet ouvrage que Schumacher dédia
au baronnet Banks. IV. Principes
d'anatomie, V"- partie , ostéologie,
en allemand et en danois, Copen-
hague, 1807. V. Médicaments offi-
cinaux du règne végétal, qui crois-
SCH
sent sans culture daiu les États da-
nois, ou qui peuvent y être cultivés^
Copenhague, 1808: on a joint des
planches à cet ouvrage, qui a paru
en alleniaud et en danois. VI. Esi^ai
d^un nouveau système des habi-
tations des vers testacés, en français,
Copenhague, 1817. Cette production
importante, dédiée au roi, est ac-
compagnée de vingt -deux planches
gravées. VII. Botanique médicale^
à l'usage des étudiants en médecine
et en pharmacie^ 2 parties, Copen-
hague, 1825-1826. VIII. Descriptio
musei anthropologici universitaiis
hafniensis,Copenh<is;ue, 1828. Outre
ces ouvrages, Schumacher a publié
plusieurs mémoires dans les recueils
de la Société de médecine, de celle
d'histoire naturelle et de celle des
sciences de Copenhague , et dans
quelques écrits périodiques de cette
époque. Il était membre ou corres-
pondant d'un grand nombre de So-
ciétés académiques R— d— n.
SCÏIURIG (Martin), médecin al-
lemand, après avoir reçu le doctorat
à Erfurt en 1688, alla exercer sa pro-
fession à Dresde, où il obtint la
placede physicien, et mourut en 1733.
Outre des traductions en langue al-
lemande, on a de lui : I. Dissertatio
de hœmoptysi , léna, 1688, in-4'*.
H. Spermatologia, seu de semine
humano^ ejusque natura et usu, si-
mulque opus gêner ationis pertinens,
de castratione et de hermaphrodi-
tis, etc., Francfort, 1720, 1721, in-
4". C'est un traité de la génération
de l'homme et de tout ce qui contri-
bue à sa propagation, oii l'auteur
aborde non-seulement les questions
de niédecine légale , mais encore
celles qui se rapportent à la théolo-
gie morale et aux cas de conscience.
Par execnple, il condamne expressé-
uu^nt l'emploi de remèdes qui viole-
SCH
429
raient les règles de la continence,
même quand il s'agirait d'éviter la
mort. III. Chylologia , seu succi
hominis nutritii consideralio phy-
sico-medico forensis. De appetitu
nimio, voracitate, rerum etesculen-
tormn coritupiscentia , nausea et
inedia diurna farragine rerum prœ-
ter naturam in ventriculo et intes-
Unis latilantium aut vomitu rejec-
tarum De merdœ usu medico^ Dres-
de, 1725, in-4". IV. Sialographia,
seu salivœ humanœ consideratio ,
ejus natura et usus^ simulque mor-
sus brutorum et hominis rabies ,
Dresde, 1727, in-4*'. V. Muliebria,
morborum genitalium muiiebrium
consideratio, Dresde, 1729, in-4o.
VI. Parthenologia, hoc est virgini-
tatis consideratio, qua ad eam. per-
tinentes puberlas et menstrualio ,
necnon de partium muiiebrium pro
virginilatis custvdia^ etc., tradun-
fur, Dresde et Leipzig, 1729, 1734, in-
4''.Ce trailé, comme le titre l'annonce,
est divisé en trois parties, dont la
première concerne l'âge de puberté,
la seconde la menstruation, et la troi-
sième les signes de virginité. Schu-
rig pense qu'il n'y en a point de cer-
tains, et il se borne à rapporter les
divers sentiments des auteurs sur le
passage du 22*^ chapitre du Deutéro-
nome, relatif à ce sujet: mais il
n'en adopte aucun en particulier.
VII. Gynœcologia, hoc est congres-
sus muliebris, qua utriusque sexus
salacitas et caslitas^ necnon coilus
ipse, ejusque voluptas^ cum obser-
vationibus ^ etc., eœhibentur^ Dresde
et Leipzig, 1730, 1734, in-4". C'est
un traité de médecine légale de
l'habitation de l'homme avec la fem-
me par rapport aux fins du mariage.
VI II. Syllepsiologia^ hoc est concep-
tusmuliebris consideratio, de gra-
viditate vera^ falsa, occulta^ diu-
430
SCH
turna^ de gravidarum privilegiis,
animi paihematis et impressioni-
bus, Dresde, 173J, in-4«. \X, Em-
bryologia^ hoc est infantis humant
consideralio : partus prœmaturus et
serotinu4 ; partus per vias insolilas;
partus supposititius, Dresde, 1732,
in-é'*. X. Lilhologiay seu calculi hu-
mani consideratio, effectusmorbosiy
symptomata, eoccretio, anaiysis li-
thonlriptica , calculi brutorum ,
bezoar , etc., Dresde, 1744, in-4°.
Xi. Uœmalologia ^ seu sanguinis
consideralio, quantitas , defectus ,
excretio prœttrnaturalis. De corde
varia, Dresde, 1744, in-*". Tous ces
ouvrages, d'après la Biographie du
Dictionnaire des sciences médicales,
aimonceut un homme très-érudit,
mais un écrivain sans goût. Il faut
néanmoins excepter de ce jugement
sévère 1^ la Lithologia, qui contient
des observations propres à l'auteur,
et qui, suivant Haller, n'est point dé-
pourvue d'utilité ; 2" VHœmatolo^ia^
où l'on rencontre des faits patholo-
giques d'une certaine valeur pour le
médecin pratricien. R — d — ^n.
SCHUSTER (Ignace), un des
plus célèbres acteurs comiques de
l'Allemagne, et en quelque sorte le
Potier de l'Autriche, naquit le 20 juil-
let 1779, à Vienne. Il dut sa pre-
mière éducation musicale à la collé-
giale de Schotten, où son père était
employé et où il resta de 1787 à
1796. Eibler, le maître de chapelle
de la cour, remarquason talent, et le
recoujmanda. U en résulta pour
Schuster l'admission dans plusieurs
grandes et riches maisons ; et celles-
ci le produisant à leur tour, il arriva
au bout de quelques années à voir
parfois Marinelli, le directeur du
théâtre de Léopolstadt. Ce dernier
sentit bientôt qu'il y avait là une
précieuse acquisition à faire, et il
SCH
engagea le jeune homme. Schuster
lit ses débuts sur le théâtre de Vien-
ne, le U décembre 1801, dans le rôle
de Jean Schneck, et peu de soirées
lui suflirent pour devenir dans le
comique un des favoris du parterre.
Dans les commencements cependant
il fallait qu'il se contentât des petits
rôles ou de rôles fort secondaires.
Mais un soir enfin ayant paru pour la
première fois comme l'hiérophante,
dans la parodie intitulée la JVow-
velle Âlceste, l'originalité de son
jeu comique fut si saisissante et
provoqua si complètement un rire
inextinguible, que ceux même de
ses camarades que sa supériorité
tendait à remettre dans l'ombre ne
purent lui refuser leurs suffrages, et
que le quinteux Baumann lui-même
dit avec un assez piètre calembour :
« Voilà un Schuster (cordonnier) qui
ne travaille pas sur les formes com-
munes. » En effet, à la beauté, à la
souplesse de la voix, Schuster unis-
sait un jeu, un talent de mimique
tel qu'on le trouve rarement chez un
chanteur. A partir de ce moment,
tous les premiers rôles de farce fu-
rent de son emploi. Les Périnet, les
Kringstein, dans leurs parodies et
autres folies ou caricatures drama-
tiques, inséraient toujours un rôle
pour Schuster ; et son nom devint
populaire , il dépassa de beau-
coup l'enceinte de Vienne comme
inséparable de l'idée des Croquemi-
taine et des Pandolfe. Son triomphe
était le rôle de M. de Hirschkopf
(tête de cerf), dans H ans à Vienne ^
et dans Bans en ses foyers. Cette
sphère, un peu étroite, malgré les
bellesqualités qu'y déployait Schuster
et les bravos qui l'accueillaient tou-
jours, s'agrandit en 1812. Deux nou-
veaux auteurs, BœurleetCh. Meisle,
eurent le mérite de comprendre que
SCH
l'artiste si goûté des Viennais était
d'étoffe à jouer autre chose que la
charge, la parodie et le bas comique.
Ils écrivirent pour lui des pièces d'un
genre un peu plus relevé. La pre-
mière fut le Bourgeois de Vienne.
Schuster, dans le rôle de Staberl, y
enleva les applaudissements, et ce
qu'il y eut de plus remarquable, son
public habituel ne fut pas seul à lui
prodiguer les témoignages de ses
admirations frénétiques; beaucoup
d'étrangers, et du plus haiit parage,
et d'un goût très difdcile, parce que
l'élite de tous les théâtres avait
passé sous leurs yeux, qualifièrent
Schuster de grotesque inimitable.
Les représentations du Bourgeois
de Vienne remontent à 1813, mais
on le représentait encore souvent
en 1814 : il sembla que le con-
grès de Vienne lui donnait une vie
nouvelle. Ministres et têtes couron-
nées, Anglais et Russes, tous vinrent
écouter et dérider leurs fronts mo-
narchiques ou diplomatiques aux
gaucheries prétentieuses et aux ba-
lourdises de Staberl. Le ciel nous
préserve d'énumérer les tabatières,
les montres, les bagues ornées de
brillants et les rouleaux d'or dont le
comblèrent à l'envi les excellences,
les éminences, les altesses, voire les
majestés, à commencer par Sa Ma-
jesté Prussienne! Il suffit de dire que
c'est depuis ce temps, et grâce sans
doute aux indélébiles souvenirs de
gaîié qu'il laissa aux auguiftes et sé-
rénissimes personnages, que sa i'é-
putation, par un nouvel essor, fran-
chit les bornes de l'Autriche et se
répandit par tout le Nord. On l'appe-
lait fréquemment à Presbourg , à
Pesth, à Prague, à Briinn, à Grœtz, à
MunicU, à Dresde, k Bade, à Trop-
pau, à Berlin, à Aix-la-Chapelle; et
partout il excitait les mêmes trans-
SCH
431
ports que dans son pays, partout, ce
qui ne manquait pas d'importance, il
moissonnait avec les lauriers de for-
tes sommes pour de très-courts en-
gagements , plus, des bénéfices et
autres primes très-rondes. En un
mot, bien peu d'acteurs en Allema-
gne avaient su comme lui mettre en
pratique le précepte d'Horace , Utile
dulci. Il faut dire que chaque jour
il semblait gagner en verve, en pro-
fondeur, en originalité. Indépen-
damment de son Staberl, où toujours
on se plut à le revoir, il créa un grand
nombre de rôles où il suffisait de le
voir paraître pour pouffer de rire,
tant il saisissait habilement le côté
plaisant de chaque chose et de cha-
que homme, tant il le mettait en sail-
lie, en n'ayant pas l'air de s'en aper-
cevoir, tant il déployait de vérité,
tant il graduait toutes les nuances et
arrivait naturellement de ce que
vous voyez tous les jours aux situa-
tions, aux énormités, aux extrava-
gances exceptionnelles, sans qu'on y
vît une charge. Il excellait dans l(;s
rôles de parasite, et nous en citerions
une demi-douzaine, qui tous, lors-
qu'il s'en acquittai t,ét aient plusdiver-
tissants les uns que les autres. Pour
l'ivresse, il était inimitable dans le
chaussetier de Wiirfel de la Saint-
Léopold^ il en rendait toutes les
phases, depuis le premier épanouisse-
ment jusqu'au sommeil et au réveil,
entrecoupé de bâillements et de ho-
quets, avec une perfeci ion sans égale:
ce qu'on en rapporte et ce que nous
sommes forcé d'en croire fait pâlir
les anecdotes si connues sur le jeu
(le Garrtck dans ces rôles. Autant
Garrick y surpassait Préville , de
l'aveu même dé Préville, autant
Schuster y surpassait Garrick. C'est
peut-être qiiesi Garrick trouvait dans
son île nébuleuse de plus nombreux
432
sr:H
riiodèlf s que nous n'en avons dans no-
tre France, en revanche l'Allemagne
en fournit encore plus qu'Albion et de
plus complets. Maison Schuster était
au-dessus de tout éloge, c'était dans
la Fausse prima donna. Il faut, pour
atteindre à l'idéal du grand rôle de
cette pièce, unir au talent d'un ac-
teur qui ne charge qu'avec goût et
pour ainsi dire avec noblesse, tout
en déployant de la verve , le larynx
et la science d'une cantatrice. C'est
justement ce que l'on trouvait dans
Schuster et ceque l'on aurait en vain
demandé à bien des acteurs. Ni trilles
ni roulades ne pouvaient l'effrayer;
l'aisance, la grâce, la vélocité, la
justesse avec lesquelles il exécutait le
caprice (quodiibet) du premier acte,et
dans la scène d'un concert, les va-
riationsde M"'<^Catalani passent tout
ce que l'on peut imaginer 5 et chez
un peuple musical par excellence,
les tré[)ignements, les applaudisse-
ments, les feux croisés de bravo et
Irava ne finissaient pas. On en
était à se demander très-sèrieuse-
ment si le parodiste le cédait en ta-
lent à la parodiée. Lu reine du chant
elle-même voulut eutendreSchustcr,
et l'on assure qu'elle rit véritable-
ment de bon cœur et mêla très-sin-
cèrement ses éloges à ceux de la
foule. Nous indiquerons encore par-
mi les rôles dont l'honneur revient
bien plus à Schuster qu'aux auteurs
mêmes qui les ont tracés, Tancrède,
dans la parodie opéra de ce nom; le
gouverneur , dans Olhello ou le
More de Ff«ise ; Purgantius, dans
Roch Pimpernickel ; \e maître d'é-
cole, dans le Grenadier autrichien;
Fabien, dans la Fée Gracieuse et la
Fée Hargneuse ( Fee Sanftmuîh u.
Fee Gallsucht); l'administrateur
Wolferl, dans la Sylphide; le souf-
fleur, dans la Représentation à &é-
SCH
néfice; le Jupiter, ât Jupiter à Vienne:
le maître de chapelle Croquenote,
dans la Répétition générale ; le
cordonnier Chauvesouris , dans le
Manteau du docteur Faust ; le l.osé-
nius du Gouverneur dans Vembar-
ra5, ou du Misogyne entre l'enclume
et le marteau (d. Weiberfeind in d.
Klemme); M. de Springerl, dans le
Boucher d'OEdenbourg ; K ramper),
dans Gisperl et Fisperl ; Schieberl ,
dans le Mariage par loterie ;D'\G^hï\e,
dans Diogène et Alexandre. Malheu-
reusement pour lesamis de l'art dra-
matique, Schuster n'était pas d'une
forte constitution. Déjà la perte de sa
femme (Rosine Weiss) qui, elle aussi,
avait joué au théâtre de Vienne, mais
qui avait renoncé à cette carrière
depuis son mariage, avait ébranlé sa
santé (1817). En janvier 1824, il fut
assez malade pour donner de sérieu-
ses inquiétudes. Quoiqu'il n'eût en-
core que quarante-quatre ans à cette
époque, il lui eût fallu durepos. Les
fatigues de la vie théâtrale, de la vie
aux lumières le minaient peu à peu,
comme elles minent, un peu plus tôt
un peu plus tard , ceux qui s'y sont
voués. Et il ne lui était guère loisi-
ble d'y renoncer; car, d'une part, il
avait la conscience d'un talent, sinon
croissant, du moins toujours égala
lui-même, et chaque année il créait
des rôles nouveaux \ de l'autre, cou-
rant de Troppau àBerlin, de Pesth à
Aix-la Chapelle,il voyait sinon gran-
dir, du moins se multiplier les sym-
pathies du public, et dans ce public il
comptait les plus hauts personnages,
et l'empereur d'Autriche lui-même
qui l'avait nommé un des chanteurs
desa chapelle, et qui souvent le dési-
gnait pour venir jouera son théâtre
deLachsenbuurg. Schuster continua
ainsi, sans autres incidents dans sa
vie que les pérégrinations lucratives
SCH
et les bénéfices dont nous avons
parlé. Il mourut le 6 novembre 1835.
La Gazette générale des théâtres de
Vienne proposa pour lui l'épitaphe
suivante : « Ci-gît Ignace Schuster
le comique, qui, trente ans durant, a
fait rire des milliers de spectateurs
et ne les a fait pleurer qu'une fois, le
jour de sa mort, le 6 nov. 1835. »
Schuster était aussi habile musicien
que bon acteur et bon chanteur. 11
entendait la composition, et ses mo-
tifs étaient des plus heureux. Nul
doute que si sa voix et sa mimique ne
l'eussent appelé, puis fixé sur la scè-
ne, il ne fôt devenu un des maestri
les plus distingués de l'Allemagne.
On lui doit la musique du Monde re-
tourné, du Voyage en Souabe, delà
parodie d^Othello^ le More de Venise,
du Peintre Klex, de Hamlet, prince
de Flanemark , de Maître Cou-
rage! à l'ouvrage! de ïd Sorcellerie
naturelle^ de la Voix de la nature,
de Jupiter à Vienne^ et une partie de
celle de la Représentation à béné-
fice. Il fut aussi le collaborateur de
Told pour les paroles du Jupiter ; et
diverses allocutions comiques qu'il
adressa au parterre de Vienne, et
dont on a gardé mémoire, prouvent
qu'il eût tout aussi parfaitement que
Meisle etBaeurle écrit les pièces dans
lesquelles il paraissait. 11 existe
beaucoup de portraits de Schuster.
Un des plus frappants et des plus
agréables certainement, c'est celui
de Schrœder, qui le montre dans le
rôle de la fausse Prima donna, au
moment où la prétendue dame, en
grande parure à la Catalani, darde
coquettement ses œillades du côté
des loges. P— ot.
SCHUTZ (Chrétien-Godefroi)
était im homme de lettres plutôt
qu'un savant, et un honune d'esprit
.encore plus qu'un hunjme de lettres,
LXXXI.
SCH
433
Ce fut par les agréments de l'esprit,
joints à ceux du caractère , qu'il se
(it une position que l'érudition ne
donne pas toujours. H naquil le 19
mai 1747 à Dederslsedt, dans la par-
tie prussienne du comté de Mans-
feld,et il était l'aîné de huit enfants.
Bien jeune encore , il vit la maison
paternelle pillée de fond en comble
pendant la guerre de Sept-Ans. Ja-
mais son père, quoique appelé plus
tard à Aschersleben comme premier
pasteur, ne put, malgré les avanta-
ges de cette position supérieure, ré-
parer le désastre qu'il avait éprouvé
et suffire convenablement aux dé-
penses de sa trop nombreuse famille ;
et finalement, il mourut en 1772, la
laissant dans une gêne bien voisine
de la misère. Chrétien-Godefroi se
trouva ainsi avoir de grands et oné-
reux devoirs à remplir. De l'école des
orphelins de Halle il avait passé de
bonne heure à l'université, et là,
comme dans ses premières études, il
s'était fait admirer par ses talents,
par la précoce richesse de ses cou-
naissances. Outre la théologie néces-
saire pour la carrière ecclésiastique
qu'il comptait suivre à l'exemple de
son père, il cultivait la philosophie,
les langues savantes. Semler i'avail
pris en amitié et lui avait ménagé
une petite place de professeur de
mathématiques à l'Académie des ca-
dets {Ritterakad,) de Brandebourg
(17()8), d'oii l'année suivante, quand
Schirach fut forcé, par suite des fâ-
cheuses affaires qu'il se mit sur les
bras , d'abandonner sa position ,
Schiitz était venu occuper sa chaire
aux appointements de 150 th. Là, par
son débit facile, animé, par son en-
thousiasme communicatif pou ries an-
ciens et surtout par l'élégance des
traductions qu'il improvisait, les mê-
lant à ses explications; il avait con-
28
434
SCH
quis de primo abord l'estime de ses
élèves et jouissait déjà de certain re-
nom. C'est en cet état que le trouva
révénement qui faisait de lui le chef
de sa famille. Il n'en déclina point
les obligations et n'en déploya que
plus de zèle et de ténacité au travail.
Il en fut récompensé d'abord par la
chaire de philosophie qui lui fut
donnée en 1775, mais à titre extraor-
dinaire, puis (1778) par le titulariat
d'une chaire de même noiïi à l'école
normale, créée à la sollicitation de
Semler près le séminaire théologi-
que, et enfin par la possession de la
chaire de poésie et d'éloquence à l'u-
niversité d'Iéna (1779). Alors, enfin,
pour la première fois, il se sentit un
peu à l'aise et heureux. Son traite-
ment, qui naguère encore ne se mon-
tait qu'à 300 thalers, était plus que
doublé; il venait de se marier (à la
fille du feu professeur Danovius),
et l'université à laquelle il apparte-
nait était réputée pour le mofnent
une des plus riches de l'Allemagne
en capacités. Il faut avouer, Cepen-
dant, qu'il n'en rehaussa pas beau-
coup l'éclat dans les commencements.
Ses ennemis auraient pu dire même
qu'il ne se montra pas à la hauteur
de sa tâche. Il lisait, ce que font
sans doute beaucoup de professeurs,
mais c'était toujours se confondre
dans la foule ; il oubliait parfois de
se rendre à son poste, et parfois il
était malade : somme toute, l'audi-
toire était fort peu nombreux, et il
eût été possible, sans grand inconvé-
nient, de supprimer la place. Heureu-
sement, il prit idée à un M. de Stroth,
directeur du gynjnase de Gotha, de
fonder un recueil périodique où se-
raient analysées toutes les œuvres
littéraires, et il jeta les yeux sur
Schiitz pour en être le directeur
(1784).Wieland,Griesbach, Bertuch,
SCH
Ilufeland, approuvèrent le projet et
promirent leur concours: la revue
prit le litre de Gazette universelle
de littérature. Peu d'hommes ont
possédé plus que S( hiitz les qualités
essentielles au critique journaliste.
Joignant à une grande facilité de
langage des connaissances profondes
el variées, il était à même d'écrire,
vite sans juger superficiellement; et
d'autre part il était impartial par ca-
ractère comme par l'habitude de
comparer. Rédacteur principal de la
Gazette univ. delitt. d^Iénay bientôt
il la vit en pleine voie de prospérité.
Ce résultat, auquel il avait incontes-
tablement la plus grosse part, re-
jaillissait sur ses cours : le profes-
seur en lui était rehaussé par l'écri-
vain. Quelque négligence qu'il ap-
portât fréquemment à ses fonctions
académiques , l'auditoire voyait en
lui l'ami, le correspondant de Gœthe,
de Schiller, de Herder, de Humboldt,
de Paulus, de Wieland , le Reviewer
qui tenait le sceptre ou la férule de la
renommée, le conseiller aulique (car
le duc deWeimar l'avait décoré de
ce titre en 1780). Sa maison était, en
quelque sorte, une des plus agréables
de la ville, et l'aménité, les grâces
de madame Schiitz , bonne ména-
gère le matin, le soir dame élégante
et spirituelle, y contribuaient. On
était sûr à peu près de rencontrer
toujours chez lui, danslecours d'une
journée, quelque notabilité de l'Alle-
magne ou de l'étranger. Finalement
pourtant, il survint à notre heureux
couple des rivaux dans la personne
de Frédéric Schlegel et de sa femme,
qui en 1800 s'établirent à léna. Mais
la rivalité ne dura pas, et la constel-
lation habituée à briller sous le ciel
de Berlin ne put long -temps s'ac-
commoder d'une université de pro-
vince. Schiitz vit donc bientôt les
SCH
arrivants repartir et s'élancer vers
Paris; seulement il eut le regret de
sentir qu'aux yeux de bien des gens,
même d'iéna, celui qui s'éclipsait de
leur ville avait de quoi l'éclipser, et
que, s'il désertait la place , c'était
pour faire ses évolutions dans une
sphère supérieure. Il ne tarda guère
lui-même à s'éloigner des lieux où
s'étaient passées ses plus belles an-
nées, et il se transporta en 1804 à
Halle, où l'appelait le roi de Prusse.
Le gouvernement prussien lui fit
même présent, à cette occasion, de
10,000 thalers en or, sans doute
comme indemnité de déplacement;
et moyennant ce dédommagement
magnifique , il acheta la maison
de son ancien professeur et pro-
tecteur Semler. Pour comble de bon-
heur, il avait réussi (non sans lon-
gues et difficiles négociations) à se
faire donner par le duc de Weimar
l'autorisation de conserver la rédac-
tion en chef de la Gazette univ, litt.,
et qui plus est de la faire paraître à
Halle. Ces prospérités furent inter-
rompues par l'explosion de la guerre
entre Napoléon et la Prusse. léna fut
pillé; aucune maison peut-être ne
fut aussi complètement vidée que
celle de Schiitz ; puis l'université fut
supprimée par l'empereur des Fran-
çais, et les professeurs restèrent
11 mois sans traitement, tandis que
les feuilles littéraires ressentaient
les atteintes de cette maladie
qu'on a nommée le désabonnement.
Schiilz pensait à se rendre à Berlin
pour s'y procurer des ressources sous
la protection du moïiarque, quand
l'université de Halle fut réorganisée,
mais par le gouvernement de West-
phalie. 11 y reprit alors sa place avec
l'agrément du prince dont il cessait
momentanément d'être le sujet, et il
vit encore quelques beaux jours. Son
SCH
435
fils épousa, en 1808, la jeune veuve
<lu docteur Hendel de Stargard. La
présence dans sa maison d'une bru
spirituelle et gaie, qui avait été, sous
le nom de madame Meyer, une des
actrices favorites du public deBerlin,
fil renaître dans la demeure du sexa-
génaire Schiitz la joie et les divertis-
sements qu'en avaient bannis les
tristes péripéties des deux dernières
années. On y jouait aux tableaux
dramatiques, on y représentait même
le proverbe, la comédie, la parodie
ou la scène lyrique. L'aristarque, le
conseiller, le professeur, ne dédai-
gnait pas de prendre part à ces fêtes,
sinon comme acteur, du moins
comme ordonnateur en même temps
que spectateur. Les événements mar-
chaient pendant ce temps ; le royau-
me de Westphalie tomba en ruines
après la. bataille de Leipzig, et en
1814, l'université de Halle, fondue
avec celle de Wittemberg, redevint
prussienne. Schiitz eut grande part
dans tout c^ qui se fit à celte occa-
sion ; et il eut l'art de garder sa po-
sition dans la faculté remaniée, bien
qu'il lût reconnu que ses leçons et
lectures n'étaient plus , si elles
avaient jamais été, de grande utilité.
Le roi Frédéric-Guillaume 111 ajouta
même 200 th. à ses appointements en
1817 ; et l'année suivante, quand eut
lieu le jubilé du professeur en tant
que docteur, il lui envoya la décora-
tion de l'Aigle-Rouge , 3« classe.
Schiitz survécut quinze ans encore à
celte cérémonie. Mais insensiblement
il voyait disparaître tout ce qui avait
charmé sa vie. En 1823, mourut sa
femme qui, même dans un âge avancé,
avait beaucoup de la vivacité, de
l'amabilité de ses jeunes années. Son
fils ensuite fut obligé de quitter Halle,
et finalement sa bru alla rejoindre sa
fille qu'elle avait mariée en Poméra-
28.
436
SCH
SCH
nio. Les ])laisantprips, les bons mots
que Iflchnit encore alors de trouver
Schïitz octogénaire étaient empreints,
à son insu peut-être, de certaine
amertume , et navraient le cœur
parce qu'elles p^irtaient d'un cœur
blessé, souflVant de l'ingratitude
d'antrui. Loçon poignante et qui se
renouvelle tous les jours : on s'est
habitué, on a habitué les siens à
chercher partout le plaisir, on est
quitté dès qu'on a cessé d'en fournir
son contingent à la communauté!
Schlitz expira le 7 mai 1832. On peut
s'étonner de cette longue carrière en
pensant qu'il n'était pas vigoureuse-
ment constitué. A deux reprises dif-
férentes, en 1796 et 1802, il avait été
dangereusement malade. On a vu par
ce qui précède que son caractère était
très-gai : il l'était peut-être trop ; et
même au milieu des désastres de
1806, des incertitudes de 1807, au
milieu des alertes de 1813, partout il
trouvait le mol pour rire. Ce rire,
au reste, était toujours bienveillant,
et jamais il ne se fût permis la satire
sur une personne de sa connaissance.
Il avait aussi sa source en partie dans
une conscience pure et dans un vrai
courage :de là une sérénité inaltéra-
ble, ou du moins qu'altéraient à peine
les plus fâcheux événements. Schiitz
avait d'ailleurs debeiles et charman-
tes qualités : il était adroit, délié; il
était conciliant, il savait ménager les
amours-propres; il savait avertir,
refuser, restreindre sans offenser; il
aimait et pratiquait l'équité. Rien de
plus touchant que la reconnaissance
qu'il eut toujours des bontés deSem-
leràson égard. Ce sentiment survécut
môme au coup qui enleva ce patron
de sa jeunesse, et devint comme un
culte. Nous avons dit qu'à Halle il
habitait la maison habitée par Sem-
ler, et professait dans la salle où
Semler avait professé; souvent au
nom, à l'idée de Semler, ses yeux se
remplissaient de larmes. Comme in-
telligence, Schiitz aussi mérite une
place fort élevée. Nous n'avons point
dissimulé les insuffisances de ses
cours. Mais la cause de ces insuffi-
sances , c'est qu'il n'en prenait qu'à
son aise, comme sont trop enclins à
le faire messeigneurs des revues et
feuilletons. Très-certainement Schiitz
avait beaucoup d'esprit, d'entrain et
de piquant pour un savant, et beau-
coup de savoir pour un journaliste.
Cette érudition, il est vrai, n'est pas
ce qu'on peut imagmer de plus pro-
fond, pour l'Allemagne surtout : évi-
demment Schiitz, comme érudit, n'est
que de seconde force. Comme philo-
logue, tantôt il s'élance 6U delà,
tantôt il reste en deçà du texte; il
corrige trop aisément et introduit
trop gratuitement des corrections
dans le texte (ce défaut surtout de-
vint extrême dans sa vieillesse), et
plus souvent encore il saute à pieds
joints sur des difficultés, soit d'in-
terprétation, soit de texte, comme
sans les soupçonner, il interprète de
travers, il n'opère pas des corrections
faciles : il n'a pas en métrique les
connaissances essentielles, et surtout
ce tact sans lequel on se fourvoie
même avec des connaissances très-
réelles. Enfin , il n'a pas comme
Heyne un sens très-large de l'anti-
quité, comme Gœthe et les Schlegel
un .sens large de l'art : il est instruit,
spirituel, équitable, il aime le beau,
il comprend certaines formes, mais
il ne s'identifie pas à elles, à tout
encore moins, il n^atteintqu'à denji-
hauteur, il se heurte sans cesse aux
angles. Les principales œuvres phi-
lologiques de Schiitz sont ses éditions
d'Eschyle et d'Aristophane. La pre-
mière {jEschyli tragœdiœ, etc) est
SCH
en 5 volumes, qui parurent à Halle
de 1782 à 1821, et comprend un
commentaire qu'on réimprima sous
un titre particulier : les tomes 1, 2,
3 ont eu les honneurs dkme 2^ édi-
tion. 11 avait préludé à ce grand tra-
vail : 1^ par son Commentationum in
JEschyli tragœdiam quœ inscripla
est Âgamemnon libellus 1, léna,
1779-80, 2 part.; 2° par son Jischyli
Promelheus vinctus^ Halle, 1781. Il
a donné depuis, sans commentaire,
JEschyli tragœdiœ denuo recens, ^
léna, 1800, 2 v., et A^schyli irag. in
us.schoL^ Halle, 1827. Quanta l'édi-
tion d'Ari-slopliane, il ne s'y mit que
dans sa vieillesse, et il n'eut pas le
temps de l'achever. Elle ne se com-
pose que d'un volume en deux parties
intitulé Aristophanis comœdiœ^ Leip-
zig, 1821. Il avait auparavant traduit
les Nuées en allemand, Halle, 1798,
2^ édition. On doit de plus à Sehulz
une Chre<tomathie grecque, Halle ,
1772, 3 v.: une édition des Phéni-
ciennes d'Euripide, Halle, 1772; Xe-
nophontis memorahilia Socratis,
Halle, 1780-, 3« éd., 1822 ^M. T. Cice-
ronùOj?erar/teïonca, Leipzig, 1804,
3 v., M. r. Ciceronis Epistolœ Um-
poris ordinecomposilœ, Halle, 1809-
1812, 3 vol., M. T. Ciceronis Opéra
quœ supersunt omnia, Leipzig, 1814-
1820, 20 V., dont les quatre derniers
tirés à piiri sous le titre de Lexicon
Ciceronianum ^ plus des Opuscuia
philologica et philosophica, Halle,
1830, au nombre de 31; Doctrina
parlicularum latinœ linguœ, Dessau
et Leipzig, 1784, et une édit. de la
Doctr. parlicularum grœc, de Ho-
geveen, Dessau, 1782 (dont il parut
un extrait à l'usage des écoles, Leip-
zig, 1788; 2« éd., 1806). Parmi ses
autres écrits, indépendamment de la
loule de recensions cl autres articles
qu'il a donnés à son propre journal
SCH
437
la Gaz. univ. litt d'Iêna (et aussi à
la Gaz. des savants de Halle^ de
1772 à 1778, puis à l'ancienne Gaz,
d'Iéna, depuis 1779), se remarquent
les ouvrages suivants : I. Manuel
pour la formation de Vesprit et du
goût, Halle, 1776-1778, 2 v. II. In-
troduction à la philosophie spécula-
tive ou métaphysique, Lemgo, 1775.
111 . Éléments de logique (Grundsaeze
der L.), Lemgo, 1773. W .Correspon-
dance sur l'éducation et la littérature
(paedagogische u. liter. Briefwech-
sel), V^ (et unique) partie. Halle,
1781. Y. Les échantillons, ou pièces,
actes, etc., léna et Leipzig, 1803.
C'est une brochure contre Aug.-G.
Schelling, et ce que Schiitz nomme
le schellingianisme. Le titre alle-
mand est ainsi conçu : Species facti
nebst Aktenstiicken., etc. VI. Prome-
nades littéraires, Halle, 1784. VII.
Divers opuscules tant en allemand
qu'en latin, comme: 1° Orbis huma-
niorum studiorum breviter delinea-
ius^ léna, 1779 ; 2° Diss. super Aristo-
telis deanima sententia, Halle, 1770;
3° D. de origine ac sensu pulchritu-
dinis., Halle, 1768; 4" Sur le génie
et les écrits de Lessing, Halle, 1781 ;
5° Catéchisme du droit, du devoir
et de la sagesse, à l'usage des écoles
bourgeoisies et rurales; 6" Discours
prononcés au séminaire en l'honneur
de Semler, Halle, 1776; 7" Memoria
Jo. Miilleri, Halle, 1809. Schiitz a
édité la traduction par Danovius des
Lettres de Roustan pour la défense
de la religion chrét., Halle, 1783,
V Académie des grâces (Lemgo, 1774-
1780, 5 V.), à laquelle de plus il a
lourni beaucoup de morceaux. Enfin
il a traduit du français VEssai ana-
lytique de Bonnet sur les forces de
l'âme (Brème, 1770, 2 vol. in-8°),
ainsi que les OEuvresde Marmoniel.
— Parmi les homonymes du journa-
438
SCIl
SCK
liste d'I(^na, se distingue Charlef'(\c,
SciiuTZ, excellent militaire, ne' le 19
mai 1784, àSaalbach,piès Hof, mort
le 28 septembre 1833, à Marseille,
au retour d'une excursion faite en
Catalogne pour le rétablissement de
sa santé. Il était entré de bonne
heure au service dans le régiment de
Zweifel, avait eu part à la triste cam-
pagne de 1806, s'était ensuite fait
admettre dans le nouveau régiment
des gardes, avait été élève assidu de
l'école de Scharnhorst ; puis pendant
les campagnes de 1813 et 1814, de-
venu major à l'état-major-général de
la brigade du prince Charles de Meck-
lenbourg, il avait assisté aux batailles
de Grand-Govschen, de Bautzen, de
la Katzbach , de Wartenbourg, de
Leipzig, de Montmirail, de Laon, de
Paris. A Leipzig, il avait été blessé
très-grièvement. Ses services furent
récompensés par la collation de di-
vers ordres, par le grade de lieute-
nant-colonel, par le titre de com-
mandant-général de la Saxe^ puis
(en 1821) par celui de général de la
7^ brigade d'infanterie ^ enfin (1829),
par celui d'inspecteur des troupes
prussiennes des forteresses de Mayen-
ce et de Luxembourg. Dans l'inter-
valle de 1814 à 1821,il lit des voyages
de longue haleine en Angleterre , en
Danemark , en Suède et en d'autres
contrées. Mais son titre principal à
l'attention de la postérité , c'est une
admirable flîsïoere des changements
politiques survenus en France sous
le règne de Louis XVI. C'est un mo-
nument de la perspicacité comme de
la persévérance et du talent de re-
cherches de l'auteur. La France
même pourrait beaucoup apprendre
par la traduction de cet ouvrage qui
contient une foule de renseignements
inédits et qui met en lumière des
particularités inconnues. L'auteur y
est très-impartial , monarchique du
reste, mais peu charmé de la conduite
des monarques et surtout de leurs
ministres. Aussi ne pouvant guère le
démentir et n'osant le disgracier,
prit-on le parti de traiter son ou-
vrage comme sans conséquence, —
ou , comme dit Gœthe pour expri-
mer ce procédé, de le « tenir au se-
cret" (sekretiren)^ — nous dirions,
nous . depuis 1840 , « de l'enter-
rer. " P — OT.
SCHUYLER (Philippe), major-gé-
néral américain, né en 1731,entrafort
jeune dans la carrière militaire, et
passa successivement par tous les
grades. Quand la guerre de l'indé-
pendance éclata, il était officier supé-
rieur et jouissait d'une haute consi-
dération. S'étant prononcé pour la
cause de l'émancipation, il fut chargé
en 1775, par le congrès de Philadel-
phie , de concert avec Monlgom-
mery (voy. ce nom, XXIX, 575)
d'envahir le Canada avec un petit
corps de troupes insurgées, pour en
chasser les Anglais. 11 tomba ma-
lade en route, et Montgommery con-
tinua seul cette expédition. Après
sa guérison, Schuyler reçut le com-
mandement de l'armée du nord ; en
1777, lorsque Eurgoyne s'avança sur
lui, tous ses efforts consistèrent à
retarder la marche du général anglais;
mais à ce moment il fut remplacé
par Gates, et se vit contraint de quit-
ter le commandement à la veille de
combattre. Le congrès, peu satisfait
de sa conduite qui paraissait faible,
ordonna même une enquête ; mais il
n'eut pas de peine à se disculper.
Néanmoins il ne fut plus employé
dans l'armée et se livra tott entier à
la vie politique; il devint membre du
congrès de New- York, puis en 1789,
lors de l'établissement du 'gouverne-
ment actuel des États-Unis, il fut élu
SCH
sénateur, titre qu'il possédait encore
quand il mourut à Albany, en 1804.
C'était un homme d'un caractère plein
de vigueur, avec une grande sagesse
de vues et d'idées. C— h— n.
SCHWABE (Jean - Gottlob - Sa-
muel), philologue allemand, néàNie-
derrosla, aux environs de Weimar,
le 27 nov. 1746, avait pour père un
savant et honnête prédicateur avec
neuf frères et sœurs. Pour comble de
malheur, les dix enfants restèrent or-
phelins lorsque Schwabe était à peine
âgé de huit ans. Cependant son édu-
cation ne fut pas négligée : il fré-
quenta le gymnase de Weimar à par-
tir de 1762, puis l'université d'iéna
pendant les cinq années de 1765 à
1770. Les professeurs Millier, Riedel
et Walch s'intéressèrent à lui ; di-
vers essais philologiques achevèrent
de le recommander; et il lui fut
permis de faire quelques lectures
publiques sur les odes d'Horace.
Bientôt il obtint un emploi à la bi-
bliothèque et au cabinet de médailles
du duc de Weimar. Les 100 florins
que lui valait cette modeste position
ne lui procurant pas de quoi vivre,
pour combler le déficit il fut obligé
de donner des leçons. Mais la con-
versation du savant Bartholomae et la
facilité accordée à Schwabe de feuil-
leter à loisir les trésors de la biblio-
thèque, compensèrent amplement
pour lui les soucis de sa gêne pécu-
niaire. Toutefois, et quoique d'abord
son ambition fût de succéder comme
bibliothécaire au titulaire de cette
époque, il accepta en 1774 la direc-
tion de l'école latine de Buttstaedt,
moyennant une allocation bien mince
encore, et il y resta douze ans en dé-
pit de propositions plus avantageuses
qui lui furent faites, soit pour Riga,
soit pour Halle ou Mersebourg. Son
zèle et son habileté améliorèrent les
SCH
439
revenus de l'école, qui, de douze
élèves qu'elle comptait lors de son
entrée, arriva graduellement au chif-
fre de trente-quatre ; et quoique pres-
que tout son temps fût absorbé par
six heures de classes, par les soins
matériels de l'institution et par d'au-
tres occupations inhérentes au pro-
fessorat, il trouvait moyen encore
de vaquer à des travaux d'érudition.
Mandé enfin à Weimar même, en
1786, il ne tarda point à y recevoir,
à la mort de Nolde,le titre de co-rec-
teur ; et, bornant là dorénavant son
ambition, il en remplit 38 ans les
fonctions, au milieu des vicissitudes
qui bouleversèrent l'Allemagne, mais
qui n'atteignirent point l'Athènes
saxonne, et moins encore le gymnase
dont Schwabe était le vizir. Il ne
comptait alors pas moins de 50 an-
nées d'exercice. Le gouvernement,
en lui donnant sa retraite, lui laissa
ses appointements complets; le
collège venait de lui faire un su-
perbe jubilé (1820); la faculté de
philosophie d'iéna lui conféra^ !e
grade de docteur ; le grand-duc lui
décerna la médaille d'argent de l'or-
dre du Mérite. Quoique presque oc-
togénaire à cette époque, il survécut
encore onze ans à ces honneurs, et
jusqu'au dernier moment il ne cessa
de s'occuper de ses études favorites.
Toutefois, un affaiblissement de la
vue avait fini par gêner infiniment
ses travaux ; et dans les quatre ou
cinq dernières années de sa vie il en
était réduit à se faire faire la lecture
et à dicter. Sa mort eut lieu le 20
septembre 1835. Schwabe n'était
pas seulement un fort habile lati-
niste, il avait étudié avec amour
l'histoire et les antiquités de son
pays, il était numismate passable, il
avait de la finesse et de l'élégance
d'esprit. Son ouvrage capital est sans
440
scu
contredit son (édition de Phèdre sous
le litre de Phœdri Aug. Ub. fab.
libri V ad codd. mss. etoptimas edi-
tiones recognovit, varietatem lectio-
nis et commentarium perpetuam ad-
jecit J.-G.-S. Schwabe^ accedunt
Romuli fabular. œsopiar. libri IV
ad cod. divionemem et perantiquam
editionem ulmcnsem nunc primum
emendati ettabulis illustrati^Bruns-
wick, 1806, 2 vol. Il avait préludé à
ce travail par une réimpression du
P/ièdr(j de Burmann, avec des notes
Variorum, et avec les siennes, Halle,
1779-1781, 3 parties, et par un pro-
gramme intitulé : De nova Phœdri
editione addito specimine observa-
tionum, Weimar, 1805. Il faut y
joindre quatre Dissertations sur
Vauthenticiié {khha.x\AUmgen iib. d.
Aechlheil...) des fables de Phèdre^
accompagnées de remarques sur la
bibliographie moderne de Phèdre et
le mss. de'Peroîto, dissertations qui
furent l'ouvrage de son extrême vieil-
lesse, et qui parurent dans lesNouv.
archives de philologie et de pédago-
gique de Seebod (2e ann., 3« !iv.;
3e a., 1"^^ 1.; 3« a., 4« 1.-, 4« a., n^s 46
et 47), avec un appendice (5" a., nos
43 et 44 du même recueil, et Gaz.
génér. des écoles, 2e partie, 1831,
n» 126; 1832, n"' 66 et 67). Le Phè-
dre de Schwabe a été sur-le-champ
regardé comme le meilleur texte et
le meilleur commentaire de cet au-
teur. Valpy en a reproduit le texte,
la préface, la vie de Phèdre et VAp-
paratus criticus dans la grande col-
lection latine, et J.-B. Gail l'a in-
corporé tout entier dans la Biblio-
thèque classique dç Lemaire, avec des
additions. Les autres écrits princi-
paux de Schwabe sont: I. De apparaiu
critico qui prodest Juvenali vel
emendando vel interprctando, Wei-
mar. 1791. C'est un simple pro-
SCH
grAinme, mais qui décèle des études
approfondies sur Juvénal ; en ellet
Schwabe aurait voulu donner un tra-
vail sur cet auteur, et il avait re-
cueilli dans ce but de nombreux ma-
tériaux qui passèrent à Gurlitt. II.
Éclaircissements (en ail) sur Ana-
créon^ auxquels nous joindrons ses
Animadversiones criticœ in Ana-
creontis carmina, Weimar, 1778, 2
progr., Weimar, 1781-1783. III. De
Deo Thoro commentatio , léna, 1767,
1 planche (ce fut son premier tra-
vail). IV. Notice historique (en ail.)
sur les nombreux monuments relatifs
à Luther qui se trouvent dans le
grand-duché de Saxe-Weimar-Ei-
senach, etc., Weimar, 1817, 3 grav.
L'auteur y entre dans des détails in-
téressants sur l'origine et la marche
de la réforuie, et donne des anec-
dotes peu connues ou absolument
inconnues sur la jeunesse du fameux
réformateur. V. Notice historique
sur la ci-devant ville palatine de
Dornbourg-surSaale^^eimair, 1825
(en ail.). Cet opuscule contient aussi
beaucoup de choses neuves au point
de vue archéologique, et aide à com-
prendre la vie des villes au moyen
âge. Il est tiré en partie de chroni-
ques et autres sources inédites. VI.
Plusieurs articles d'archéologie tels
que : l** De monumentis sepulcrali-
bus sachsenburgicis comm.^ in qua
diversaantiquitatumgermanicarum
argumenta penitius illustrantur.^
Leipz., 1770, pi.; 1° sur une amulette
allemande (dans le Geschichtsfor'
scher, ou Indagateur historique de
Meusel , ire p.^ Halle, 1775); 3° sur
diverses antiquités déterrées près de
Fliihrstadt, dans le duché de Wei-
mar, en 1774 (même rec, 2* p.. Halle,
1776). VIL Sur Galliène, prétendue
femme de Charlemagne (même rec,
5c p., Halle, 1777). VlII. Matériaux
SCH
SCH
441
pour la biographie du duc de Saxe
Jean-Guillaume^ rédigés sur des do-
cuments inédits, en 2 parties, la Ire,
qui n'était qu'un simple programme,
Weimar, 1774, réimp. dans VÂllgem.
thuring. Valerlandskunde, nos 20 et
27, p. 158, etc.; la 2e dans le Ges-
chichtsf. de Meuse!, Fe part. IX. 1*^
Historia scholœ buttstadiensis lit-
teraria.prog., Weimar, 1775; et 2°
Solennia sœcularia gymnasii Wil-
helmoernestini....addita comm. de
schola vimariensi oppidana et pro-
vincialii etc., Weimar, 1816, prog.
X. Quelques traductions de Théo-
crite, léna, 1769 ;,de Pline le Jeune,
Weimar, 1778. XI. Des Poésies de
circonstance, tant en allemand qu'en
latin. Xll. Des articles de critique,
tant dans les Betrachtungen ub. d.
neuesten hist- Schiften (ou Consid. sur
les ouv. historiq. modernes) de Meu-
sel (ÂKenbourg, 5 v.), que dans la
Gaz. des savants d'ie'na et d'Erfurt.
On a fait honneur à Schwabe d'un
prog. en ail. sur la lecture d'Homère
dans les écoles ; cet opuscule est de
Schmidt, son successeur. P — ot.
SCHWARTZ (François-Xavier),
général français, était né en Alsace
le 8 février 1762. Entré très-jeune
ftu service, la révolution française le
trouva sous-officier aux hussards de
Chamboran ; il devint bientôt capi-
taine dans ce même régiment, avec
lequel il fit les guerres de la répu-
blique. En 1797 il en fut nommé
lieutenant-colonel, puis colonel. Il
était à la tête du 5^ hussards à la
bataille d'Austerlitz, et Ja bravoure
qu'il déploya dans cette glorieuse
journée lui valut la croix de com-
mandant de la Légion - d'Honneur.
Élevé l'année suivante au grade de
général de brigade, il continua de se
distinguer dans toutes les campagnes
deTenipire, et lorsque laKestama-
tion arriva il commandait le grand
dépôt des remontes, à Amiens. Il fut
fait alors chevalier de Saint-Louis ;
mais ayant servi durant les Cent-
Jours, il fut mis à ia retraite en
vertu de l'ordonnance du 4 septem-
bre 1816. Il mourut en 1826. Napo-
léon l'avait créé baron. C— H— N.
SCHWEDÏAUR. Yoy. Swediaur,
XLIV, 262.
SCHWEÏCKART (Jean-Adam),
graveur, naquit à Nuremberg en
1722, et fut élève de Georges-Martin
Preisler. Il alla se perfectionner en
Italie, et pendant un séjour de dix-
huit ans à Florence, où il fut reçu
membre de l'académie des beaux-
arts, il travailla à la gravure des
pierresantiquf s du cabinet de Stosch.
De retour dans sa patrie, il grava un
grand nombre de pièces d'après les
tableaux et dessins des premiers
maîtres. Ses portraits sont exécutés
d'une manière ferme et hardie, mais
ils montrent un peu trop le métal, et
l'on y désirerait, avec un arrangement
de tailles moins compassé, un peu
plus de cette fonte admirable de cou-
leurs que possédait si éminemment
Edelinck. Mais ce qui doit assurer la
réputal ;on de Schweickart, c'est qu'il
est l'inventeur de la manière d'imi-
ter par la gravure les dessins au lavis.
C'est d'après ce procédé qu'il a gravé
plusieurs dessins de Gabbiani, pour
la collection d'Hugford , parmi les-
quels on distingue la Vierge avec
Venfant Jésus, à qui le Père éternel
montre la croix. P— s.
SCHWEIGHiEllSER (Jean), cé-
lèbre philologue, né à Strasbourg le
26 juin 1742 , était d'une famille qui
a présenté le phénomène de trois
générations distinguées dans la phi-
lologie. Le grand-père (Jean George),
pasteur de l'église de Saint-Thomas
à Strasbourg , fut très versé dans
U2
SCH
l'h('breii et dans d'autres langncs
orientales. Son fils , sujet de cet
article, le surpassa en érudition, et
son petit-fiis soutint dignement la
gloire de cet illustre non). Jean
Schweighœuser, marchant sur les
traces de son père , fit un cours
complet d'études à Strasbourg, et
coîume il se destinait à la même
carrière, il s'essaya dans la prédi-
cation ^ mais avide d'apprendre
encore , après avoir épuisé la philo-
sophie et la théologie , il pénéîra
dans les sciences, telles que l'astro-
nomie, la botanique et l'anatomie.
On eût dit que son esprit voulait
embrasser toutes les connaissances
humaines; mais il paraît que la phi-
losophie avait sa préférence, et que
s'il avait été maître de sa destinée, il
serait devenu décidément philosophe.
Ayant déjà suivi les cours de presque
tous les professeurs de Strasbourg,
il al la étudier en 1 767 l'arabe et le sy-
rien chez De Guignes à Paris, l'hé-
breu chez Michaëlis à Gœttingue, le
grec chez Reiske à Leipzig, et che-
min faisant, il vit les principaux sa-
vants d'Allemagne, se rendit de là en
Angleterre, et revint par les Pays-Bas
dans sa ville natale, après avoir beau-
coup profité des bibliothèques et de
la conversation des philologues de
tous ces pays. Comme la philosophie,
ainsi que nous l'avons dit, était sa
science favorite , il demanda une
chaire pour l'enseigner; mais n'obtint
d'abord qu'une place d'adjoint ou
suppléant. Il publia alors succes-
sivement plusieurs dissertations par
lesquelles on voit que c'était surtout
l'école écossaise qui avait son assen-
timent. La première est intitulée :
An clarior pleniorque homini data
sit rerum corporearum quam pro-
priœ mentis cognitio ? Strasbourg ,
1770. La seconde traite De sensu mo-
scn
rali, 1773 *, elle fut suivie de Senten-
tiarum philosophicarum fasciculi
i//, 1774-75. Il mit une autre disser-
tation, sur l'origine de la philosophie
morale des Écossais, à la tête d'une
réimpression du Compendium logicœ
de Hutcheson , Strasbourg, 1771.
Bientôt après il fut nommé professeur
titulaire de lachaire de philosophie,
et à l'occasion de son installation il
prononça un discours sur les rap-
ports entre l'étude de la philosophie
et celle des langues. Il y a encore de
la philosophie dans un recueil de
Lectures allemandes qu'il publia à
l'usage du gymnase de Strasbourg,
afin de familiariser les écoliers avec
les notions des choses naturelles et
surnaturelles. Dans la seconde partie
de la carrière de Schweighœuser la
philologie prédomina, et c'est dans
celle-là qu'il s'est rendu célèbre, il
s'était lié avec Brunck, commissaire
des guerres, qu'un penchant irrésis-
tible portait vers la littérature
grecque. Il mit les résultats de ses
recherches à la disposition de l'érudit
strasbourgeois. Schweighaeuser dé-
buta dans la carrière d'éditeur et de
critique par deux petites éditions
avec notes , intitulées : Sophoclis
Electra et Euripidis Àndromache^
Strasbourg, 1779, in-8o, et Sophoclis
OEdipus tyrannus et Euripidis
Orestes, ibid. Une entreprise bien
autrement importante fut sa grande
édition de l'histoire romaine d'Ap-
pien, pour laquelle Musgrave lui
avait légué ses notes, et qui avait
exigé la collation des anciens codices
qui se trouvaient dans les diverses
bibliothèques de l'Europe : Âppiani
quœ super sunt novo studio conqui-
sivit,digessit^ adfidemcodd. mss.re-
censuit, supplevit, emaculavit, va-
rietatem lectionum adjecit, latinam
versionem emendavit, adnotationi-
SCH
bus tiariorum suisque illustravit^
indic. instruxit J. Schweighœuser ,
Leipzig, 1785,3 vol. in-8o.Ce long titre
indique exactement les divers genres
de travaux auxquels il avait fallu se
livrer pour donner une édition sa-
tisfaisante de l'historien de Rome.
Le savant éditeur avait appelé l'atten-
tion du public sur cette entreprise
par deux dissertations préliminaires
en forme de thèses académiques :
Eœercitationes inAppiani Alexandr.
Romanas historias^ et De impressis
ac manuscriptis historiarum Appia-
ni codicibus^ imprimées toutes deux
à Strasbourg en 1781. Pureté du
texte, classement bien entendu des
livres d'Appien, complément des la-
cunes, voilà ce que tfette édition doit
au savant de Strasbourg. Il procéda
avec le même soin, la même sagacité
et la même érudition à la publication
du texte de Polybe. Gronovius et
Casaubon avaient déjà préparé le
terrain; cependant, grâce aux ma-
nuscrits consultés et aux travaux
particuliers de l'éditeur, Polybe ga-
gna à être édité de nouveau: Poly-
bii historiarum. quidquid superest,
emendatiore interpretatione, varie-
tate lectionis, adnotationibus, indi-
cibus illustravit J.Schw., Leipzig ,
1789-1795, 8 parties en 9 volumes
in-8°. La révolution française éclata
pendant cette publication. Schweig-
haeuser sortit d'abord de son cabinet
pour aider k la réforme de l'État, fit
partie du conseil de la commune, et
vit prendre les armes à son fils sur
lequel il fondait tout son espoir
pour la continuation de ses travaux ;
mais les excès révolutionnaires ne
tardèrent pas à le dégoûter, et sa
modération finit par le rendre sus-
pect, au point qu'il fut arrêté. 11
avait épousé une femme charmante
par son esprit enjoué^ elle fut assez
SCIH
443
adroite pour obtenir la conversion
de la prison en un éloignement.
Toute la famille alla s'établir dans
une petite ville de Lorraine, et là le
philologue, autant par goût que par
nécessité, reprit activement son Po-
lybe^ et y travailla jour et nuit.
Un voisin le voyant écrire pendant
que d'autres dormaient, le dénonça
comme un homme entretenant des
correspondances secrètes. Heureuse-
ment l'arrivée d'une lettre de remer-
cîment du gouvernement révolution-
naire, auquel il avait fait hommage
des premiers volumes de son Polybe,
le sauva du danger d'une nouvelle
incarcération , et après la chute de
Robespierre il put retournée- dans
ses foyers. Dès-lors, il ne se mêla
plus que de la littérature classique.
Appien et Polybe l'avaient conduit
à Suidas qui cite souvent ces deux
auteurs pi donna, sous forme de dis-
sertations académiques, Emendatio-
nes et observationes in Smdam, Stras-
bourg, 1789. Puis vint une petite
édition de VEnchiridion d'Épictète,
qui fut immédiatement suivie d'une
plus grande : Epicteti manuale et Ce-
betis tabula, grœce etlatine,Le\pi\^,
1798,in-8°; et enfin unegrande édi-
tion des œuvres du même philosophe
avec le commentaire de Simplicius,
pourlequel il avait eu la satisfaction
défaire collationner neuf manuscrits
de la bibliothèque de Paris par son
fils Godefroi,qui fit là son début dans
la carrrière de l'érudition. Cet ou-
vrage est intitulé: Epicteteœ philo-
sophiœ monumenta, Leipzig, 1799-
1800, 5 vol. (en six parties), dont
les trois premiers contiennent: Epic-
teti dissertât, ab Ariano digest. U-
brilV, ejusdemEnchiridion et exde-
perditis sermonibus fragmenta , avec
version latine, notes et index; et les
deux derniers Simplicii commentarii
AU
SGH
in Epicteti Enchiridion , Enchiridii
paraphrasis christ iana et Nili En-
chiridion.Dàns un codex de Paris qui
lui avait été confié, Schweighaeuser
avait découvert un passage à peu
près inédit sur le devoir du philoso-
phe de s'abstenir de fonctions pu-
bliques sous un mauvais gouverne-
ment, et même de quitter la patrie.
Dans les circonstances où l'on se
trouvait, ce passage parut si piquant
à son fils alors à Paris et auquel il
le communiqua, que celui-ci en fit le
sujet d'une notice pour l'Institut
national qui le fit insérer dans le
tome 1^'^de ses Mémoires^ imprimés
en l'an IV. Dans la suite, le père
publia encore séparément une édi-
tion de Cebetis tabula , Strasbourg,
1806, in- 12, avec des corrections
provenant en partie de la collation
de quelques codices de Paris, faite
par son fils. D'Epiclète Schweig-
haeuser passa aux Deipnosophistes
d'Athéuée, dont il se chargea pour la
collection de Deux -Ponts,, après
avoir travaillé jusqu'alors pour la
librairie de Weidmann à Leipzig :
Athenœi Deipnosophistarum libri
XV ex optimis codic- mss. emendavit
acsupplevity nova latina versione et
animadvers. Casauboni aliorumque
et suis illustravit et Indic. instruxit
J.Schw.^ Strasbourg, 1801-1807, 14
vol. in-8°, dans lesquels il n'a pour-
tant pas inséré toutes les notes de
Casaubon; V Index grœcitatisy man-
que aussi. Les cinq premiers volumes
comprennent le texte avec la version
latine, et les neuf volumes suivants
sont réservés aux notes et aux ta-
bles. Schweighaeuser recueillit en-
suite ses petites dissertations et les
publia sous le titre â^Opuscula aca-
(iemica,Deux-Ponts,1806,2vol. con-
nant, le premier, celles qui se rap-
portent à la philosophie, et le second
SCH
les thèses philologicjues.Lorsde l'or-
ganisation des écoles centrales il
avait été chargé d'enseigner les lan-
gues anciennes à celle deStrasbourg,
et l'Institut national l'avait nommé
son correspondant pour la 3« classe.
En 1802, la suppression des écoles
centrales le priva d'une partie de ses
appointeuieuts, et il eut la douleur
de perdre sa femme ; en 1806 il suc-
céda en qualité de bibliothécaire à
son ancien collègue Oberlin, dont il
avait honoré publiquement la mé-
moire au nom de l'Académie proles-
tante par un discours latin : Me-
moriam Oberlini commendat acad.
argent. (1807), et comme il y avait
dans. cette bibliothèque des codices
des lettres deSénèque, il en donna une
édition nouvelle pour la collection
dite de Deux ?on\s: L. Ann. Senecœ
Epistolœ morales^ adfidem veterum
librorum, in his 3 mss. argentorat.
recognovit. emendavit, notis que cri-
ticis illuslravit J. Schw., 1809, 2
vol. in-S". Lors de l'organisation de
l'Université impériale, Schweighaeu-
ser fut nommé professeur de littéra-
ture grecque et doyen de la faculté
des lettres dans sa ville natale. Cet
hommage rendu à son mérite ne tarda
pas à être troublé par la perte de son
second fils Charles, officier d'artille-
rie, qui avait été blessé mortellement
à la bataille d'EssIing. Il lui resta
cinq enfants, dont l'aîné marchait,
comme on a vu , sur ses traces ;
une fille encore jeune se voua entiè-
rement aux soins qu'exigeait son iso-
lement. C'était, comme il disait, sou
Antigone, et ces soins lui avaient été
recommandés vivement par sa mère
mourante. Schweighaeuser chercha
selon .sa coutume des distractions
dans l'étude : malgré son âge avan-
cé il entreprit la tâche immense de
publier Hérodote à l'iuslar desautres
SCH
grandes éditions qu'il avait données;
et, non-seulement il acheva cette édi-
tion, fferorfoh' Historiarumlibri JA',
cum nova versione latina, varias
lectiones, ex b codd.mss,eme'ndatas
et locupletatas, Wesselingiiet Walc-
kenarii aliorumque annotationes et
suas adjecit cum indic. J. Schw.,
Strasbourg, 1816, 6 vol. in-8% dont
les quatre premiers contienne I; le
texte,la version latine et les variantes,
et les deux derniers les notes critiques
et Fancien glossaire; mais il donna en-
core un Lexicon Herodoteum quo et
styli Herodotei universa ratio enu-
deateexplicatur^e\c.,iS2i^'îvo\.m-
8° à 2 colonnes, à la tête desquels le
libraire plaça le portrait de l'auteur.
Ces travaux immenses ne l'empêchè-
rent pas de fournir des matériaux
pour l'édition du Thésaurus linguœ
grecœ préparée en Angleterre. Dès
l'an 1810, Schweighœuser eut pour
suppléant dans ses cours de grec son
fils aîné, qui le suppléa aussi à la fa-
culté protestante. Dahler le remplaça
comme professeurd'hébreu à ia^même
faculté. En 1824 il renonça à la place
de doyen, et il fut assez heureux l'an-
née suivante de pouvoir cédera son lils
sa place de bibliothécaire. Schwei-
ghœuser était doué d'une forte con-
stitution et d'une sanlé très-ro-
buste. Après des travaux forcés il
cherchait une récréation dans des
excursions pédestres au milieu des
Vosges. Mais pendant les grands froids
de l'hiver de 1830, il succomba le 19
janvier à une fluxion de poitrine. Il
avait défendu toute pompe pour ses
funérailles; cependant Dahler, au
nom du séminaire protestant, pu-
blia une ample biographie du défunt
(Memoriœ J. Schw. sacrum^ Stras-
bourg, 1830)-, et le professeur Cuvier
prononça en son honneur un discours
devant les autorités académiques
SCH
445
( Éloge historique, etc., ibid., 1830).
Schweighaeuser avait été nommé en
1821 chevalier de la Légion -d'Hon-
neur, et cinq ans après, la société de
littén'ittire classique de Londres lui
avait décerné une médaille d'or. D— g.
SCHWEIGHAEUSER ( Jean -
Geoffroi), philologue et antiquaire,
iils du précédent, naquit à Strasbourg
le 2 janv. 1776. Atteint par la pre-
mière réquisition, il fut enrôlé dans
un corps qui devait défendre le
Rhin ; mais au milieu du tumulte
des camps il n'en conserva pas
moins le goût des lettres que son
père lui avait inspiré, et dès qu'il
fut dégagé de ses devoirs militaires,
il s'adonna tout entier à la philo-
logie. A l'âge de vingt ans il se ren-
dit à Paris pour collationner, ainsi
qu'il a été dit dans l'article précé-
dent, les manuscrits grecs pour les
éditions de son père, et il donna à
l'Institut la notice sur le fragment
de Simplicius découvert dans un
manuscrit. Ayant accepté la mis-
sion délicate de diriger l'éducation
des enfants de M. Voyer d'Argen-
son, il accompagna celui-ci k sa terre
des Ormes, près de Poitiers, où il
passait tous les étés. L'hiver on re-
venait à Paris. Lorsque M. d'Argen-
son fut nommé préfet à Anvers, il le
suivit dans cette nouvelle résidence,
et ne revint à Strasbourg qu'après
avoir accompli sa tâche, qui ne dura
pas moins de douze années. Schwei-
ghœuser eut aussi l'honneur de con-
tribuer à l'éducation du duc de Bro-
glie. Ses premiers essais l'avaient
fait connaître avantageusement des
savants philologues de la capitale;
il acheva de conquérir leur estime
par la publication d'une nouvelle
édition des Caractères de Théo-
phraste, traduits par La Bruyère
(Paris, stéréotypie d'Herhao, an X
44G
SCH
SCH
(1802), 3 vol. in-12). Les notes inté-
ressantes dont elle est enrichie sont
en partie consacrées à ramener la
version de La Bruyère à un sens plus
littéral, à explnjucr par là des usages
qu'on ne pourrait concevoir si l'on
traduisait autrement, enfin à rap-
procher des différents textes donnés
par les éditeurs de Théophraste la
véritable leçon qui convient aux pas-
sages les plus difficiles du livre des
Caractères, Dans la comparaison des
variantes et des remarques de Ca-
saubon, de Fischer, de Schneider, de
Coray , etc., Schweighaeuser fait
preuve de la plus grande sagacité et
d'une profonde connaissance de la
langue grecque. Le commentateur a
ajoute à ses notes un Aperçu de l'his-
toire de la morale en Grèce avant
Théophraste et la traduction de Ca-
ractères tirés de différents auteurs
anciens, tels qu'Aristote, Dion,Ghry-
sostôme. Ses travaux littéraires et
philologiques s'étendaient encore à
d'autres objets. C'est ainsi qu'il en-
treprit, sous la direction de Vis-
couti, la description des Antiques du
musée Napoléon, gravés par M. Pi-
roli, in-4**. Mais une maladie grave
le força d'interrompre, à partir de la
cinquième livraison, cette publica-
tion, qui fut continuée par Petit-
Radel. Il fournissait aussi des articles
au Magasin encyclopédique, aux Ar-
chives littéraires y au Publiciste ^
journal quotidien, auquel travail-
laieut alors MM. Suard , Vander-
bourg, Guizot, de Barante, Dupont
de Nemours, etc. A peine en conva-
lescence, il fit paraître, sous le titre
de Dernier don de Lavaler à ses
amis, Paris (Treuttel et Wurtz),
anXUl (1805), pet. in-12 de 72 pages,
une traduction de cent maximes ou
sentences que le célèbre physiogno-
nioniste n'avait fait imprimer que
pour ses amis, et dont, peu de temps
avant sa mort, il avait donné un
exemplaire à Schweighœuser, qui,
dans sa version, se lit une règle de
conserver autant que possible les
tours de phrases de l'original. Dans
quelques observations préliminaires,
il apprécia parfaitement et en peu
de mots le caractère religieux et
moral du philosophe de Zurich.
M. Quérard, qui, dans sa France
littéraire, a donné d'ailleurs une
notice fort bien faite sur les travaux
de Schweighaeuser, n*a pas parlé de
cet écrit. Il a également omis la
mention de la Vie de Christ. -Guill.
Koch, professeur d'histoire, etc.,
publiée par Schweighaeuser , au
nom du séminaire protestant, Stras-
bourg, 1814, in-8o de 78 pages.
Dès 1810 il fut adjoint à son père
pour la chaire de littérature grecque
à Strasbourg dont il devint profes-
seur titulaire après la retraite de
son père , auquel il succéda aussi en
qualité de bibliothécaire. Le sémi-
naire protestant de cette ville, oii il
était professeur de littérature latine
depuis 1812, lui confia les mêmes
fonctions. Les Recherches et anti-
quités du Bas-Rhin, sur lesquelles
il publia une Notice en 1822, lui va-
lurent la première médaille que l'A-
cadémie des Inscriptions et Belles-Let-
tres eut à décerner dans ses séan-
ces publiques, et quelque temps après
il fut nommé associé correspondant
de ce corps savant. Ayant rédigé
ensuite un Mémoire sur les antiquités
de Strasbourg (1822), il entreprit
avec M. de Golbéry un grand ouvrage
pittoresque sur les Antiquités de
l'Alsace, en un vol. in-fol. Il fit pa-
raître encore une Explication du
plan topographique de Venceinte
antique appelée le mur païen, située
autour de la montagne de Sainte-
SCH
Odile, et une Énumération des mo
numents les plus remarquables du
département du Bas-Rhin^ Stras-
bourg, 1844, in-8°, avec planches,
ouvrage composé pour le congrès
scientifique qui avait été tenu dans
cette ville deux ans auparavant.
D'autres travaux archéologiques de
ce savant suât disséminés dans divers
recueils. Ainsi, le Magasin encyclo-
pédique contient de lui une descrip-
tion des arènes de Poitiers ; le
Kunstblatt de Stuttgart, une notice
de la peinture sur verre encaustique
(1820), une autre de la partie tech-
nique de la peinture sur verre (1830),
et une troisième concernant la danse
des morts figurée à Strasbourg (1824).
11 y a encore dans le tom. 11 des Mé-
moires de la société des sciences de
Strasbourg un mémoire de lui sur
Fancien Argentoratum. Enfin les
Mémoires de la société roy, des an-
tiquaires de France, dont il était
correspondant, contiennent dans le
tome Xll un Mémoire sur les monu-
ments celtiques du département du
Bas- Rhin et de quelques cantons
adjacents, et dans le tome XVll, des
observations sur la poterie romaine,
objet qu'il avait beaucoup étudié de-
puis la découverte d'une ancienne
fabrique de cette poterie dans la pe-
tite ville de Rhein-Zabern , située
entre Lauterbourg et Spire. 11 avait
acquis sur les lieux une quantité as-
sez considérable de vases rouges
gallo-romains qu'il croyait provenir
(le cette poterie. Il se proposait d'en
publier la description , mais il n'a
tait graver que quatorze planches
représentant les figures et les bas-
reliels les plus remarquabies de celte
colleclion, quicomprenau aussi plu-
sieurs stalueites en bronze. Ces
planches forment un cahier in-4o,
sous le titre d'Antiquités de Rhein-
SCH
447
Zabern, lequel ne paraît pas avoir
été livré à la pubHcité. Schwei-
ghaeuser a contribué en outre à
V Annuaire du Bas- Rhin, il s'était
essayé quelquefois dans la poésie^ on
cite de lui entre autres un poème sur
la marche de la civilisation, dont le
premier chant seul a été imprimé à
Brunnen 1821. Douze ans avant sa
mort, qui arriva le 14 mars 1844, il
avait été atteint d'une paralysie qui
rendit la fin de sa vie très-séden-
taire sans toutefois l'empêcher de
travailler. Il avait épousé mademoi-
selle Sophie Lauth, fille du médecin
distingué de ce nom, connu par plu-
sieurs ouvrages estimés , laquelle a
prodigué à son mari les soins les
plus touchants jusqu'à l'heure de la
séparation dernière. Au savoir le
plus étendu, Schweighaeuser joignait
une aménité parfaite ; des mœurs
douces et un caractère obligeant.
Aussi s'était-il concilié d'illustres
amitiés, et se rappelait-il avec jouis-
sance les marques d'intérêt qu'il
avait reçues de Suard,de Camille Jor-
dan, de de Gerando, de Vanderbourg,
de Rossel, etc. D— g. et L— m— x.
SCHWEIGH/EUSER (Jean), pa-
rent des précédents, naquit à Stras-
bourg en 1753, fit de bonnes études,
et seconda Basedow {voy. ce nom ,
111, 473) dans la direction du collège
que celui-ci avait fondé à Dessau ,
sous le tiire de Philanthropinon.
En 1781 il obtint l'emploi de con-
seiller Ue légation du duché de Bade,
et en 1782 il entra comme professeur
au gymnase de Bouxviller, où il en-
seigna les sciences et la littérature.
Pendant la révolution il fut nommé
secrétaire interprèle du département
du Bas-Rhin, et plus tard garde des
archives à la préfecture de Stras-
bourg, où il mourut.le 8 avril 1801.
C'était un homme probe, laborieux
448
SCH
et plein de zèle pour rinstriiclion de
la jeunesse. On a de lui : I. Des Cours
d'astronomie^ de mathématiques et
de géographie historique , à l'usage
du gymnase de UouxvUler (eu alle-
^ niand), imprimt^s à Pirmasens, de
1784 à 1785, en 4 vol. in-8°. H. In-
struction élémentaire sur la langue
française (en allemand), Strasbourg,
1790-91, 2 volumes in-8°. III. In-
strucliôn raisonnée sur les calculs
d'une utilité générale , adaptés aux
nouveaux poids et mesures, Stras-
bourg et Paris, an IX (1801), in-t2,
et quelques autres écrits relatifs à
l'e'ducation. Z.
SCHWENDI (Lazare), baron de
HoHENLANDSBERG , géne'ral autri-
chien, né en 1525 au château de
Schwendi , dans l'Autriche supé-
rieure, entra à l'âge de vingt ans au
service de l'empereur Charles-Quint.
Au commencement de la guerre de
Schmalkalde en 1546, ce prince l'en-
voya â Strasbourg , à Augsbourg et
dans d'autres villes iuipériales pour
sonder leurs dispositions. Revenu de
cette mission, et nommé colonel,
Schwendi amena au mois de sep-
tembre 1546, à l'empereur, qui cam-
pait près d'Ingolstadt, un renfort de
.12,000 hommes qu'il avait levés
en Autriche et dans le Tyrol. Après
la bataille de Muhlberg (24 avril 1547),
et la convention de Wiltenberg par
laquelle Jean-Frédéric fut obligé de
céder l'électorat de Saxe à son cousin
le duc Maurice, Schwendi occupa
Gotha, dont il fit raser les fortifica-
tions. Pendant le siège de Magde-
bourg, que le prince Maurice dirigea
en 1551, au nom de Charles-Quint,
il remplit pour l'empereur les fonc-
tions de couîmissaire. De 1553 à 1556,
il servit en Hongrie contre les Turcs.
En 1557, employé à l'armée de Phi-
lippe il dans les Pays-Bas, il se dis-
SCH
tingua à la bataille de Saint-Quentin,
et en 1558 à celle de Gravelines. A la
prière de Tempereur Maximilien II,
le roi Philippe lui permit de rentrer
au service de la maison d'Autriche.
Nommé lieutenant-général et com-
mandant en chef de l'armée autri-
chienne en Hongrie, Schwendi fut
chargé de soumettre le prince
Jean de Zapoly et de repousser les
troupes que le Grand-Seigneur avait
envoyées à son secours. Les succès
qu'il obtint dans les campagnes de
1564, 65 et 66 justifièrent la confiance
que Maximilien avait mise en se^ la-
lents. Bathor, Ujhanga (Ungrisch-
Neustadt), Szendred, Saagh, Pelsœg,
Krasnahorka et plusieurs autres pla-
ces furent emportées d'assaut. Le sul-
tan Soliman était alors occupé devant
Malte dont il ne put s'emparer, quoi-
qu'il y eût développé toutes les forces
de l'empire ottoman. Ce siège ne lui
permit point d'envoyer des secours
en Hongrie ; mais ayant été obligé
d'abandonner Malte , il résolut de
s'en venger sur l'Autriche. Schwendi
se rendit en toute hâte à Vienne
pour représenter à l'empereur la
grandeur et l'imminence du danger
auquel les États héréditaires étaient
exposés. Pendant son absence, les
Turcs prirent Erdoed et Neustadt.
11 leur enleva plus tard la dernière de
ces places ; en 1566, il défendit Tokay
contre Zapoly et s'empara de Mont-
gatz où il fit un riche butin. De là il
vint se placer sur la Theiss, vis-à-vis
le camp de l'ennemi. L'empereur
Maximilien, ses frères Ferdinand et
Charles amenèrent de puissants se-
cours à Tarmée. Cependant on ne
put délivrer Sigeth , que le brave
Zrini défendit jusqu'au dernier mo-
ment. Soliman était mort le 4 septem-
bre 1566, tt deux ans nprès .sou suc-
cesseur Sélim U conclut un armi-
SCH
stice avec Maxiir.ilif'n. D'après cpKp
convention, l'empereur resta eu pos-
session des conquêtes que Schwendi
avait faites en Hongrie. A cette épo-
que se termine la carrière militaire
de ce général ; il déposa le comman-
dement de l'armée ainsi que le gou-
vernement de Kasovie , l'empereur
voulant l'employer dans la diploma-
tie. Aprèsavoiraccompagné ce prince
aux diètes de Ratisbonne, il se retira
sur ses terres en Alsace et dans la
Souabe, où il écrivit les ouvrages sui -
vants qui ont paru après sa mort :
I. Gouvernement de l'empire germa-
nique (en allem.), Francfort, 1612.
II. Organisation d'une armée, fonc-
tions que les chefs ont à y remplir
(alL), Dresde , 1576. III. De bello
contra Turcas gerendo. Pendant que
Schwendi était en quartier d'hiver
ea Hongrie, 1565-1566, il rédigea
pour l'empereur Maximilien des ob-
servations sur rorgunisulion de Tar-
mée ottomane , sur celle de l'armée
autrichienne, sur la conduite qu'il
convenait de tenir envers les Turcs,
sur les dangers auxquels on s'ex-
posait en les poussant à la guerre.
Ce uïémoire, compose' en allemand,
a été publié dans le Journal mili-
taire d'Autriche, t. XXI. Schwendi
mourut dans sa terre de Kilchhofen,
le 28 mai 1584. G— y.
SCHWERIN (OïTON de), diplo-
mate allemand, né le 8 mars 1616 en
Poméranie , d'une ancienne et no-
ble famille, où naquit plus tard
l'illustre maréchal de Frédéric II
( voy . ScHWERiN , XLI , 283) , fut
nommé en 1638 gentilhomme de
la chambre de Georges-Guillaume,
électeur de Brandebourg ; en 1640,
directeur de la chambre des do-
maines de ce prince^ en 1645,
conseiller privé du grand-électeur;
quelque temps après, grand-maître
Ï.XXXI.
SCI
449
de l'éiectrice, et plus tard, gouver-
neur des deux fils de l'électeur ,
Charles-Emile et Frédéric, lequel fut
par la suite premier roi de Prusse.
En 1648 , l'empereur le nomma
baron de l'empire , et Frédéric-
Guillaume lui conféra la charge hé-
réditaire de caniérier de la Marche de
Brandebourg. Ce prince l'employa
aux négociations les plus impor-
tantes et l'envoya comme ministre
aux cours de Pologne et de Suède. H
négocia et signa les traités de Kœnigs-
berg, du 6 janvier 1656, de Liban,
du 10 novembre 1656, et de Walau,
du 19 septembre 1657, qui font épo-
que, les deux derniers surtout, dans
l'histoire de la Prusse, dont ils ont
brisé les liens de vassalité. Le 13
octobre 1658, l'électeur le nomma
premier ministre et président du
conseil privé pour toutes les affaires
d'Etat, de justice et de féodalité. Il
paya ses services par de riches dota-
tions situées dans la Prusse, en Po-
méranie , dans le duché de Clèves,
et lui conféra la seigneurie de Vieux-
Ladsburg dans la Marche électorale.
Schwerin mourut le 14 novembre
1679. — Son fils, nomrné également
Otton, né le 14 avril 1645, et mort en
1705, fut élevé en 1700 au rang de
comte du saint-empire romain. Il fut
ministre de Prusse auprès des cours
de Londres et de Vienne, et conseil-
ler privé d'État. S— L.
SCÏARPA (Gherardo Curci, dit),
l'un des plus fameux chefs des ban-
des royalistes dans la guerre napoli-
taine de 1799, exerçait les fonctions
de commandant des troupes de la po-
lice de la province de Salerne, lors-
que les Français, sous le général
Championnet, firent la conquête du
royaume de Naples. Plein d'ardeur
et d'un noble enthousiasme pour la
cause royale, Sciarpa réunit un grand
29
450
SCI
SCI
nombre d'insurg^'S , se mit à Ipmt
h'ie et concoiinit piiissaiirment ,iii
soulèvement gener.il de ia Fouille,
ainsi qu'à la formation de Tarmee de
\à Sainte- Foi ^ dont lecHrdinal Ruffo
tut le géne'ral en ehef. Ce prcMat lui
ayant donné iecommamlement d'une
division, il y déploya la plus infatiga-
ble énergie, sans se montrer aussi
cruel que Fra-Diavolo, et les succès
qu'il obtint contre Schipani {voy. ce
nom dans ce vol., p. 293) contribuè-
rent beaucoup à la chute de l'éphémère
république parthénopéenne.On peut
lire dans V Histoire de Naples, deCol-
letta, lerécitde ses valeureuses ac-
tions. Après s'être emparé successive-
ment de Campistrino, de Salerne et
de Castellamare, il suivit la marche
yictorieuse de Ruffo sur Naples, et
dans les combats qui eurent lieu sous
les murs de cette ville, on le vit faire
preuve du plus grand courage. Si
le roi Ferdinand , rétabli sur son
trône, laissa un libre cours à la san-
glante réaction , il n'oublia point
ceux qui avaient participé à la res-
tauration de sa maison ; tous reçu-
rentdes récompenses. Sciarpa eut le
litre de baron et le grade de colonel
avec 4,000 ducais de pension et des
terres. 11 fit, ensuite partie de la pe-
tite armée que Ferdinand IV envoya
contre Rome pour en chasser les
Français, et (jui se dispersa sous les
murs de l'antique cité au premier
coup de canon du général Grenier,
qui y copnmandait alors. Depuis ce
moment, il ne fut plus question de
Sciarpa, et à la seconde chute des
Bourbons de Naples , il se retira en
Sicile, où il vécut et mourut dans
une complète obscurité. C— h— n.
SCILLATl (Nicolas), médecin
et philosophe de la fin du XV«
siècle, composa divers traités de mé-
decine, un entre autres sur la mala-
die vénéiKMiue (|u'il écrivit à Barce-
lonne en 1401, et un autre sur les
avantages de la pauvreté. De (dioi
philosophorum paupertate appeten-
da,t'19('),in r, sans imiirai ion de lieu.
Quehjues écrivains plus modernes,
Tilenius, Bartoli, etc., ont, comme
Scillati , célébré les douceurs de la
misère, qui, en dépit de ses panégyris-
tes, restera long-temps encore plus
commune qu'ambitionnée. B-n-t.
SCINA (l'abbé Dominique), savant
littérateur, né à Palerme en 1765,
reçut l'éducation que pouvait lui
donner une famille pauvre et ob-
scure, dans un pays alors séparé pour
ainsi dire du reste du monde. Des-
tiné à l'état ecclésiastique, le seul où
les enfants du peuple pouvaient ob-
tenir de la considération, il faisait
les études qu'on croyait nécessaires
pour un prêtre, lorsque son profes-
seur de théologie le chanoine Grego-
rio, historien distingué, lui fit lire
l'essai de Hume Sur V entendement
humain. Scinà entra dans les ordres
pour se faire une position, mais, se
bornant désormais aux sciences où
l'intelligence peut marcher toute
seule et d'un pas assuré, il s'adonna
spécialement à la physique et à l'his-
toire. Pendant les premières quarante
années de sa vie il s'abstint de toute
publication. On ne le connaissait que
comme un excellent professeur de
l'académie, depuis université de Pa-
lerme, où il fut le premier à donner
un cours complet de physique expé-
rimentale, et où il remplaça souvent
le professeur de littérature grecque.
Personne peut-être ne devinait le
travail qui, à cette époque, se faisait
dans son intelligence, et que nous
retrouvons aujourd'hui si nettement
dans ses ouvrages. Après avoir plané
sur toutes les connaissances humai-
nes, tant science que tradition» il en
SCI
avait saisi les rapports , los avait
classds dans son esprit, et en avait
tiré (les principes ge'nëraux; il ne
s'agissait que de porter ces princi-
pes sur les faits matériels ou moraux.
Scinà ne voulut entrer dans l'arène
que quand il sentit toutes ses forces.
II débuta par une introduction à la
physique, imprimée à Palerme en
1803. Dans cet ouvrage remarqua-
ble, qu'il appelait la logique des
sciences naturelles, il établit trois
époques pour leur développement;
et après avoir dessiné d'une main
ferme les caractères des deux pre-
mières, qu'il appela de Galilée et de
Newton, il annonça la troisième dans
laquelle la physique et la chimie ne
devaient faire qu'une seule science;
et il alla jusqu'à tracer la marche de
cette innovation. Hommage donc à
son génie pour cette prophétie qui se
vérifie déjà! Dans le reste de ses
œuvres scientifiques nous ne voyons
plus le même talent. Aucune décou-
verte ne lui est due. On admire ce-
pendant la méthode, la force et la
clarté de l'expression dans son
cours de physique, publié peu de
temps après V Introduction, et réim-
primé en 1828 et 1829, parfaitement
au niveau de la science, et adopté
dans plusieurs collèges d'Italie. Sa
topographie de Palerme (1818), vrai
modèle de l'application de toutes les
sciences naturelles à l'étude spéciale
d'un pays, n'est pas sans défauts. Ses
autres écrits de circonstance. Sur les
tournants du détroit de Messine,i8\i ;
Sur une éniplion de l'Etna (même
année); Sur les tremblements de terre
des iUadon/es, 1819; Sur l'îlot volca-
nique formé en 1831,pm de la Sicile;
Sur les os fossiles des environs de
Palerme, 1831, etc., frappent tou-
jours par la grande justesse des
idées, mais ne présenlent ni des
SCI
4M
théories ni des faits nouveaux. Aussi
n'aurions - nous eu à parler que
d'un génie manqué, s'il n'avait pas
réalisé en histoire la pensée qu'il
lui était impossible de suivre jus-
qu'au bout dans les sciences phy-
siques. Dans celles-ci il ne pouvait
pas étudier les faits de manière à sa-
tisfaire son esprit sévère et positif,
puisqu'il se trouvait presque sans
instruments, et en dehors du com-
merce des savants , d'abord à cause
de la guerre, et, depuis 1815, parce
qu'une réaction politique s'appesantit
sur la Sicile. Son premier essai his-
torique publié en 1808 ne s'écarta pas
des sciences naturelles : ce fut la
Biographie de Maurolicus, grand
mathématicien de Messine au XVh
siècle. Cet ouvrage fut suivi de près
(1813) par deux volumes sur Em^
pédocle. où l'auteur put s'étendre
sur toutes les sciences physiques et
philosophiques , sur la littérature
et la politique, qui occupèrent tour
à tour la vie du grand philosophe
d'Agrigente. Depuis cette publica-
tion, Scinà ne songea sérieusement
qu'à l'histoire littéraire de la Sicile.
Là il avait devant lui un but plus no-
bleque lasimple science, caril s'agis-
sait de retremper par l'histoire le
courage d'un peuple qu'il croyait op-
primé. Ce fut une mission qu'il tâcha
de remplir sans compromettre sa per-
sonne ni ses places, ni les bénéfices
ecclésiastiquesdont il jouissait. Aussi,
bien que nommé historiographe du
royaume de Sicile, voulant esquiver
l'entreprise trop hardie d'une his-
toire politique, il se retrancha dans
l'histoire littéraire pour porter ses
coups sans danger. Après s'être mêlé
un peu plus ouverleaient à la politi-
que en 1821 , et avoir rempli une
mission de la ville de Palerme au-
près du roi Ferdinand F"*, à l'occa-
29.
452
SCI
SCI
siori (lu congrès de Laybach, il reprit
son travail, en pubUanUa Biographie
d' Archimède (IHTi); ensuite une tra-
duction en vers italiens des Frag-
ments d^Archcstrate, Paleruie,1825,
et V Histoire littéraire de la Sicile au
XVI 11^ siècle, 1 825k 1 827,3 vol. in-8^
Enfin il réunit dans un tableau ma-
gnifique toutes les notices littéraires
des Grecs siciliens; mais il n'arriva
pas à donner la dernière main à cet
ouvrage, dont quelques morceaux
avaient paru de 1832 à 1836, et qui
ne fut imprimé, presque complet et
en un seul volume, qu'en 1840, après
la mort de l'auteur. Les œuvres his-
toriques de Scinà se distinguent par
cette lucidité qui était inséparable de
son intelligence; elles sont un mo-
dèle d'histoire littéraire. Après avoir
établi les faits par une critique à la-
quelle rien n'échappe , il en découvre
les liens, il devine la marche de l'es-
prit d'un homme d'abord, ensuite
de toute une époque: ici il recon-
struit un système sur quelques frag-
ments épars, là il explique les pro-
grès des lettres ou des sciences par
les événements politiques; et une
fois sur ce terrain, il commence à
frapper de sa rude main quiconque
a fait le moindre tort à sa patrie,
n'importe k quelle époque. L'fl^isfoî're
littéraire delà Sicile, dontil illustra
les deux périodes extrêmes, et qu'il
avait l'intention de compléter par
des traités sur les temps romains, sur
le moyen âge, et la renaissance jus-
qu'au XVUP siècle, est donc l'ou-
vrage d'un bon citoyen et d'un
philosophe. Sous le rapport de la
forme , Scinà peut figurer au nom-
bre des premiers écrivains de l'Italie
moderne. S'il ne brille point par les
finesses de l'élocution , par cette
souplesse, qu'il ne put pas donner
à son style, n'en ayant jantais eu
dans .son caractère, il se fait re-
marquer par la force, la précision, la
dignité et l'élégance. Jouissantd'une
haute considération, il fut chargé
de plusieurs commissions perma-
nentes ou temporaires , dans les-
quelles il rendit de grands services
à l'instruction publique. Nous cite-
rons un projet d'instruction publique
fait pour le parlement de 1813, et par
lequel chaque paroisse aurait eu une
école primaire à la charge des moi-
nes, si nombreux et si riches en
Sicile , chaque commune une école
de géographie et d'histoire, et chaque
district un collège aux frais des évê-
ques. Les deux universités de Palerme
et de Catane eussent été mieux or-
ganisées, et l'on aurait placé au som-
met de la pyramide (c'est ainsi qu'il
s'exprimait), une académie qui eût
réuni les fonctions partagées en
France entre l'Institut etl'Université.
Ce projet resta sans suite; mais l'au-
teur, appelé plus tard au conseil uni-
versitaire, tacha d'organiser l'ensei-
gnement laïque en Sicile, autant que
le permettait le gouvernement. Il
restaura la bibliothèque commu-
nale de Palerme qui est devenue si
utile. Chargé de la direction de plu-
sieurs établissements d'éducation pu-
blique , il porta dans les affaires
d'administration la capacité qui
le distinguait dans les études. L'en-
vie de certaines personnes , l'inté-
rêt individuel de bien d'autres ,
l'esprit de classe qui lui susci-
tèrent des désagréments, étaient ai-
guillonnés, à vrai dire, par le carac-
tère de l'abbé Scinà, homme aussi
dur qu'honnête, excessivement fier,
prêt en toute occasion k se brouiller
et à engager une bataille. Il ne savait
pardonner le talent qu'à ses amis, et
ne pardonnait la vanité à personne.
Du reste, il était bienfaisant, dévoué
SCI
à sa famille , à ses atnis et d'une
conduite irréprochable. Ses opinions
politiques se prononçaient pour un
gouvernement représentatif modéré,
mais il voulait avant tout la na-
tionalité sicilienne. Aigri par les
atteintes portées à la constitution
du pays, il allait jusqu'à l'injustice
contre les idées d'unité italienne,
dont la réalisation lui paraissait bien
éloignée. En général l'espérance,
cette grande vertu du citoyen, était
morte dans son cœur. Si quelqu'un
de ses amis lui tenait des propos de
politique, il répondait: siamo hirhi
( nous sommes des coquins ), as-
sertion vague et mauvaise excuse
qui d'ailleurs n'était pas étonnante
chez un homme s'attristant toujours
sur le sort de sa chère Sicile, avec
ia persuasion qu'on ne pouvait pas
l'améliorer. Avancé en âge et devenu
presque aveugle , il fut frappé au
cœur en voyant paraître à Palerme
le choléra, dont il pressentit les
funestes conséquences. Atteint par
le tléau, il y succomba, malgré son
tempéramentdefer, le 13 juillet 1837,
à l'âge de 72 ans. Son corps, jeté sur
un corbillard, fut inhumé sans hon-
neurs et pêle-mêle avec quinze ou
seize cents victimes du même jour.
Ce ne fut qu'après la disparition de
l'épidémie que sa famille lui éleva un
modeste monument dans le cimetière
deSantO'Spirito, et que l'Académie
des sciences et lettres de Palerme
lui rendit les honneurs funèbres
dans une séance où éclatèrent d'une
manière fâcheuse de mauvaises pas-
sions politiques. Z.
SCIO (ÉTiE!NNE),violoniste et com-
positeur musicien, né à Bordeaux en
1766, suivit, dès son enfance, la pro-
fession de son père. Ses progrès y
furent si rapides, qu'en 1788 il était
premier violou au grand théâtre de
SCI
453
Marseille. Ce fut là qu'il épousa l'ac-
trice dont la célébrité avait déjà com-
mencé sous le nom de Crécy. Bour-
sault-Malherbe, qui était alors ac-
teur et directeur de ce théâtre, ayant
fondé à Paris celui de Molière, dans
la rue Saint-Martin, y engagea les
deux époux en 1791. Scio y fut chef
d'orchestre et composa la musique
de quelques opéras de circonstance,
tels que la France régénérée, qui
obtint un succès de vogue ; le Réveil
de Camaillaka, le Sofa^ etc., qui
furent moins bien accueillis. Le théâ-
tre Molière étant tombé en décadence
sous une nouvelle direction, en 1792,
Scio fut engagé avec sa femme au
théâtre Feydeaii, où il ne fut plus
que le chef des seconds violons. Il y
donna la même année : Lisidore et
Monrose^ et en 1793 Lysia. Il com-
posa aussi pour le théâtre de la
Cité : le Tambourin de Provence
(1793). Le premier de ces opéras
obtint plus de succès que les autres.
Atteint de phthisie pulmonaire. Scio
mourut à Paris le 21 février 1796, à
l'âge de 29 ans. — Scio {Claudine-
Angélique Legrand, femme) ^ célèbre
actrice el cantatrice de l'Opéra-Co-
mique, épouse du précédent, na-
quit à Lille en 1770. On a dit
que ses parents n'appartenaient pas
aux dernières classes de la société,
et qu'ils soignèrent son éducation.
Comment donc négligèrent-ils ses
dispositions naturelles pour la
musique, et pourquoi ne s'opposè-
rent-ils pas à sa vocation pour le
théâtre, lorsqu'elle se consacra à cette
carrière? On ignore l'époque, le lieu
de ses premiers débuts et les motifs
qui la déterminèrent; mais il est
certain qu'en 1787 elle était attachée,
sous le nom de M"*' Crécy, au théâtre
de Montpellier, et qu'elle y tenait un
des premiers rangs dans la troupe ly-
454
SCI
riqiie, lorsqu'on 1788 ell« obtint un
con{T(^ pour aller, avec son camarade
Gaveaux, donner des représentations
à Avignon, où elle joua et chanta
avec tant de succès Agathedans/Mmt
de la maison, et Colette dans le De-
vin du village, qu'on lui jeta sur le
théâtre une couronne et nn couplet,
lequel fut sans doute k début poétique
d'Auguste Gilles, qui prit depuis le
nom de Saint-Gilles, en devenant
le beau -frère du second consul
Canibacérès. En 1789, M"« Crécy
fut engagée au grand théâtre de
Marseille, où elle remplit avec un
talent supérieur les premiers rôles
dans divers opéras-conhques, tels
qii'Azémia, Michel dans les Petits
Savoyards , Zerbine dans la Ser-
vante maîtresse, etc. Elle quitta le
nom de Crécy en épousant Scio,
qu'elle suivit en 1791 à Paris au théâ-
tre Molière, dont le répertoire mé-
diocre n'empêcha pas M™^ Scio d'y
acquérir assez de réputation pour
obtenir, en 1792, un engagement au
théâtre Feydeau. Là son talent fut
mieux apprécié et utilisé. Après avoir
débuté par les rôles de LodoïsJca dans
l'opéra de Cherubini, de Velbina dans
le Marquis de Tulipano, de Belinde
dans la Colonie, elle y créa ceux de
Louise dans l'Amour filial , ou la
Jambe de bois, de l'amoureuse dans
Lisidore et Monrose, et d'Euphémie
dans les Visitandines. On ne put y
admirer que le beau timbre et la pu-
reté de sa voix; mais bientôt elle se
fi t applaudir comme actrice et comme
cantatrice dans des rôles plu» impor-
tants : Séraphine dans la Caverne,
Juliette dans le Roméo de Steibelt,
Claudine dans le Petit commission
nairey Calypso dans Télémaque, Fui
bert dans le Petit matelot, Léonore
dans V Amour conjugal^ Médée dans
l'opéra de ce iium , Talma dans le
SCI
Voyage en Grèce, Constance dans les
Deux journées, etc. Si M""® Scio con-
tribua au succès de plusieurs de ces
ouvrages et à la réputfition de leurs
auteurs , on peut dire aussi que
quelques-uns de ces rôles, tels que
Calypso, Médée et Constance, écrits
pour elle par Lesueur et Cherubini,
sur un ton trop haut et pour une
voix, sinon plus étendue et plus
sonore, du moins plus robuste que
la sienne, l'usèrent de bonne heure
et abrégèrent ses jours, en flattant
son amour -propre, car elle s'en était
chargée par ambition plutôt que par
complaisance. M'"*' Scio n'était pres-
que pas musicienne, maison ne pou-
vait s'en apercevoir, tant elle avait
l'oreille délicate, tant elle avait d'a-
plomb pour la mesure et de justesse
dans la voix. Malgré ses succès dans
les ariettes de bravoure et à roula-
des, elle at)andonna ce genre insi-
gnifiant pour se borner au chant no-
ble et sentimental dans lequel elle ex-
cellait. Sans être jolie, M""* Scio avait
une taille et une physionomie qui ne
manquaient ni de dignité ni d'ex-
pression. A une âme ardente, elle
joignait beaucoup d'intelligence et
une parfaite connaissance de la scène.
Un mot de Steibelt est le plus bel
éloge de cette actrice. Dirigeant k
Londres une répétition de sa Ca-
milla^ et peu satisfait des cantatrices
italiennes chargées des principaux
rôles, il se rappela son Roméo et
Juliette, et s'écria : Où est madame
Scio? Lôrs de la réunion des deux
troupes d'Opéra-Comique, en 1801,
elle fit partie de la nouvelle société
dramatique et du comité d'admini-
stration. Elle joua avec succès, au
théâtre Favart, le principal rôle de
femme dans plusieurs opéras anciens,
Pierre-leGrand^ FéHx^ ou l'Enfant
trouvé, Raoul Barbe-Bleue^ et sur-
SCO
iouiàsins Zoraïmeet Zulnar. kccueW-
lie avec la même bienveillance, elle
parut dfpuisavec moins d'éclat sur les
théâtres Favart et Feydeau et tit de
fréquentes absences. Ses efforts sur-
naturels, et surtout l'irrégularité de
sa conduite, avaient épuisé sa santé.
Passionnée pour son art, elle était
quelquefois forcée par une subite
hémorrhagie d'entrer dans la coulisse
et reparaissait bientôt sur la scène
avec moins d'effroi que les témoins
de cet accident. On lui avait toujours
reproché une déclamation un peu
emphatique qui , s'éloignant de la dic-
tion naturelle, aurait pu paraître
choquante si sa pantomime n'eût pas
été l'expression vraie de la nature.
Trois ou quatre ans avant sa mort,
elle n'était plus que le soleil cou-
chant, et ne se faisait remarquer que
comme actrice. En général elle était
mieux sous l^^s habits d'homme que
sous ceux de son sexe. Elle eut tou-
jours beaucoup de succès dans les tra
vestissements, notamment en 1803
dans la Jeune prude de Dupaty, où
elle passait et repassait d'un sexe à
l'autre avec une rapidité prodigieuse.
Devenue veuve en 1796, elle avait
épousé, le 18 juillet 1802, un em-
ployé du trésor, et joignant les noms
de ses deux maris, elle se fit appeler
depuis Scio- Messie. Mais ayant di-
vorcé , le 18 septembre 1806, avec
son second époux, Antoine -Louis
Messie, et non pas Messier, elle avait
repris le nom du premier, lorsqu'une
phthisie pulmonaire causée par ses
excès termina ses jours, le 14 juillet
1807, à l'âge de 37 ans. A— t.
SCOUBIA<,(Bruiso-Cas!iviir), pré-
dicateur et inslitulrur français ,
né le i mars 1706 à Montauban ,
d'une famille noble et riche , reçut
une éducation toute chrétienne, d'a-
bord dans la maison de son père, puis
SCO
4&5
dans l'institution de l'abbé Liautard.
On le destinait à l'école polytech-
nique et il avait déjà fait toutes ses
études préparatoires, lorsqu'il renon-
ça tout-à-coup à ce projet pour em-
brasser l'état ecclésiastique. Il entra
au mois d'octobre 1815 au séminaire
deSaint-Sulpice,et s'y fil remarquer
parsa piété etlesqualités de son cœur
et de son esprit. Lrsqu'il eut reçu
le diaconat, l'évêque de Quimp-r,
M. Crouseilhes, qui était son oncle,
demanda et obtint pour lui un cano-
nicat dans son diocèse; mais le jeune
abbé, comprenant tout ce qu'aurait
d'insolite une semblable nomination,
refusa le bénéfice, et même, après
avoir été ordonné prêtre, résista aux
nouvelles instances qui lui furent
faites, et entra (1820) dans la mai-
son des missionnaires fondée par
l'abbé de Rauzau. Le succès de ses
prédications suggéra à Frayssinous,
alors ministre de l'instruction pu-
blique, de l'attacher à l'instruction
religieuse, et il créa pour lui un nou-
vel emploi , celui d'aumônier de
l'université, spécialement chargé de
donner des retraites dans les collèges.
C'était en 1823, et Scorbiac exerça
ces fonctions jusqu'au moment où
l'évêque d'Hermopolis quitta le mi-
nistère de l'instruction publique.
Quelques années avaientsuffi à l'abbé
de Scorbiac pour visiter la plupart
des collèges de France, où sa parole
pleine d'onction produisit sur un
grand nombre d'élèves les plus salu-
taires effets^ et , si depuis 1830 on a
remarqué un retour sensible aux
idées religieuses dans les générations
naissantes, on peut dire san< crainte
que l'abbé deScorbiaca beaucoup C'^n-
tribué à ce mouvement. Dansh^s ra-
res intervalles de ses missions,ii de-
meurait à Paris, et continuait en
quelque sorte sou œuvre, en réu-
456
SCO
SCO
Hissant dans l'appartement qu'on lui
avait donné à la Sorbonne une foule
de jeunes gens, avocats, médecins,
professeurs, ecclésiastiques, qui dis-
cutaient entre eux les questions reli-
gieuses et philosophiques auxquelles
les circonstances pouvaient prêter
le plus d'intérêt. L'abbé de Scorbiac
dirigeait ces utiles débats et y pre-
nait lui-même une part fort active.
Lorsque l'emploi d'aumônier de l'uni-
versité eut été supprimé, le pieux
missionnaire, qui comprenait tout le
besoin que la jeunesse de France
avait de son influence, s'associa avec
son ami M. l'abbé de Salinis, pour
rendre au collège de Juilly son an-
cienne splendeur. Ce fut en 1828
qu'ils en prirent possession, et dès
la première année ils comptèrentun
grand nombre de pensionnaires. De
toute part, dit M. l'abbé Cœur [voy.
V Univers religieux du 8 octobre
1846), on y vit accourir la plus bril-
lante jeunesse du royaume. Les élè-
ves étaient étonnés deretrouv'erune
imagede la famille dans les mursd'un
collège. C'est le caractère particulier
que Scorbiacet M. de Salinis avaient
donné à leur maison. Ils avaient re-
marqué que dans la plupart des
maisons d'éducation, où l'on exige
chaque mois le billet de confession,
où tout le monde à certaines époques
est tenu d'approcher de la sainte
table, rélève finit par considérer les
pratiques religieuses les plus sacrées
comme de purs devoirs de collège,
dont il se hâte de s'affranchir à la pre-
mière occasion. Malheureusement,
Scorbiac et l'abbé de Salinis furent
obligés de renoncer à la direction de
ce collège en 1841, et quelque soin
qu'ils aient mis dans le choix de leurs
successeurs, il ne semble pas que
ceux-ci aient pu conserver sur les
élèves le même ascendant, car on n'a
sans doute pas oublié les désordres
qui y éclatèrent un peu plus tard et
qui eurent du retentissement dans la
presse. L'abbé de Scorbiac se retira
à Bordeaux, (»ù il lut nommé vicairt!-
général et chargé de la direction
d'une maison religieuse. Là, il conti-
nua, comme par le passé , à se livrer
à la prédication, et à réunir chez lui,
dans des soirées littéraires, l'élite
de la société. Avant de se fixer
dans cette ville, il fit avec son as-
socié le pèlerinage de Rome et fut
accueilli avec une bienveillance toute
particulière par le pape Grégoire
XVÎ alors régnant. Dans l'étéde 1846,
il fut appelé auprès de son frère, le
baron de Scorbiac, qui était ton)bé
gravement malade^ lui-même fut
atteint en route d'une dyssenterie,
et il était à peine arrivé à Montau-
ban qu'il fut obligé de s'aliter. Il
mourut peu de jours après (le 1^' oc-
tobre 1846), eu laissant des regrets
universels et la réputation d*un
saint homme. L'abbé de Scorbiac
avait le titre de vicaire- général
de Monlaub.in, et il était chanoine
honoraire de Meaux. Ses sermons
n'ont point été publiés, mais ils mé-
riteraient de l'être, si l'on peut ju-
ger de leur mérite par la profonde
impression qu'ils ont laissée dans
l'esprit de ceux qui les ont entendus.
Ce prédicateur, dit M. l'abbé Mel-
chior Dulac dans la notice qu'il lui
a consacrée {voy. ['Université catho-
lique de janvier 1847), avait un véri-
table talent oratoire. Ne perdant
jamais de vue son sujet , l'unité,
cette loi suprême des œuvres de
l'esprit, régnait dans ses discours ;
l'ordonnance en était simple ,
exempte de toute confusion, les di-
visions naturelles et fortement uiar-
([uées. C'était surtout cet accent de
foi qu'on ne peut traduire et qui par •
SCO
SCO
457
taitde son àme,ces rayons de candeur
et de loyauté qu'on ne saurait pein-
dre et qui illuminaient son visage,
c'était ià ce qui subjuguait ses jeu-
nes auditeurs. Tout ce qu'on pos-
sède aujourd'hui de l'abbé de
Scorbiac consiste dans une Histoire
de la philosophie (?àr'\s^ 1836, in-S''),
qu'il publia sous le voile de l'ano-
nyme, avec M. de Salinis. Il fut aussi
l'un des fondateurs de V Université
catholique f mais il s'occupa beau-
coup plus de la direction que de la
rédaction de cette revue. A— y.
SCOTT (Thomas), théologien an-
glais, natif du comté d'York, s'en-
rôla, très-peu de temps après avoir
reçu les ordres, sons la bannière du
presbytérianisme le plus fervent, ce
qui le fit nommer chapelain-adjoint
de l'hôpital Lock, quand le révérend
Martin Madan fut obligé de renoncer
à cette place pour avoir publique-
ment défendu la polygamie. Il avait
pour collègue dans ce poste un M. de
Coetlogon , non moins ardent que
lui ; et les deux prédicants en vin-
rent bientôt à laisser éclater leurs
dissentiments sur divers points plus
ou moins graves de doctrine. Les an-
ciens de l'église ne voulurent donner
raison ni à l'un ni à l'autre, et l'on
sépara les deux zélés champions en
les envoyant argumenter chacun
dans une paroisse séparée. Scott de-
vint ainsi vicaire d'Olney, et plus
lard recteur d'Aston-Sandford,d'oii
linalemeiit il passa en qualité de
cure à Weston, Underwood et Raven-
stoke. On a de lui : I. La Bible de
famille^ avec des notes, 1796, 4 vol.
in-4°; 5, éd., 1810. II. Tables chro-
nologiques de la Bible avec des
cartes, 18tl, in-l». III. Essais sur
les sujets religieux les plus impor-
tants,1190, in-12 ; 4e éd., 1800, in-8^
IV. Traité sur l'accroissement de
Vétat de grâce, ïn-%'^. V. De l'inspi-
ration de la Sainte Écriture en
réponse à l'Age de raison, de Paine,
1796, in -8°. VI. Les droits de Dieu,
1793, in-12. VII. La doctrine de
l'Écriture sur le gouvernement civil
et sur les droits des sujets^ 1792,
in-12. VIII. Considérations sur les
garanties^ et la nature de la foi^
1798, in-8°. IX. Sur les signes du
temps^ 1799, in-8o. X. Remarques
sur la Réfutation du Calvinisme, de
l'évêque de Lincoln, 1812, 2 vol.
iit-8". XI. La force de la vérité^ ou
Narration merveilleuse de ma vie^
1779, in-12; 8« éd., 1811. XII. Des
Sermons qui n'ont pas été réunis. Th.
Scott a donné une édition du Pèlerin
de Bunyan , avec des notes et une
vie de l'auteur, 1801, in-8«. Z.
SCOTT (sir Walter), poète, an-
tiquaire, historien remarquable et
romancier du premier ordre, le pre-
mier peut-être de tous les roman-
ciers dont se glorifie la littérature,
était issu d'une des familles écos-
saises les plus honorables de la fron-
tière, ou, comme disent nos voisins,
du Border. Grand ami des généalo-
gies par goiit, par conviction et par
calcul (par goût, puisqu'il était ido-
lâtre (le toute vieille chose ; par
conviction, puisque le torysme avait
en lui un fervent champion ; par
calcul, puisque la parenté des Scott
avec les ducs de Buccleugh faisait
de ceux-ci les patrons naturels et les
puissants appuis de ceux-là), Walter
Scott n'a pas manqué de nous initier
à la chronique de ses ancêtres. Mais
eût-il gardé le silence sur ce point
(et c'eût été un tort, car plus d'une
fois son sujet amenait l'obligation
d'en parler), les admirateurs de sou
talent auraient (enté d'y suppléer, cl
certainement ils auraient réussi. Ce
coup d'œil rétrospectif sur les Scott
458
SCO
SCO
ne iiianque an reste pas d'intérêi : il
y a cliarriie et profit à retrouver
epars cIm'z ces horumes <lii passé, que
nous ignorerioris à jamais sans leur
glorieux (iesrendarit, les pririci();:ux
linéaments, les grands traits carac-
téristiques que présente la physio-
nomie de l'immortel écrivain. — On
vient de voir que les Scott étaient
du pur sang des Buccleiigh. L'aïeul
paternel de notre auteur était un
simple fermier. Ce paysan, ainsi que
le duc, remontait incontestablement,
à ce qu'on nous assure, à sir Walter
Scott de Branxholme, le chef du clan.
A plusieurs degrés plus bas se re-
trouve un Michel Scott, dit le Mer-
lin écossais, qui, comme l'auteur des
Purilaim et d'ivanhoe, a été qualifié
de romancier magicien {wizard ro-
mancer) ; car, nous dit sa légende,
«son Coursier magique ébranlait les
tours de Notre-Dame jusqu'en ses
fondements, quand il piaffait dans
son écurie de Drummeizier ; » et
quelques-uns de ces modernes qui
s'acharnent à transformer le mer-
veilleux en raretés possibles ont vu
dans Michel, au lieu d'un Merlin, un
second Roger Bacon. Un autre Scott
a été comparé à Chaucer, comme
notre Scott à Shakespeare. Y eût-il
de l'exagération dans ces assimila-
tions hasardeuses, ii est clair que
tout n'est pas faux dans ces tradi-
tions, que ces Scott tranchaient
avec leurs entours par l'intelligence,
qu'une fée semblait leur avoir prêté
la baguette qu'elle abandonnerait
quelques générations plus tard au
plus digne représentant de leur race.
Surviennent ensuite ces luttes ci-
viles, où ce n'est plus à l'intc-lli-
gence qu'est le rôle principal, où la
volonté, la foi, se posetil avec éclat.
Parmi les iils de sir William Scott
de Hudcn se distingue Walter Scoti
de Haeburu, le troisième d'entre
eux. Walter em])rasse. le quak/risme,
qui com menée à trouver des adeples
en Ecosse. Mais l'iustani est mal
choisi. La restauration, fraîche en-
core, redoute toute dissidence reli-
gieuse; elle aperçoit dans le renon-
cement du gentleman à la foi de ses
pères un attentatau premierchef, et
le pauvre Walter éprouve des persé-
cutions ; il est jeté en prison, et voit
ses trois fils livrés à son frère aîné ,
afin d'être élevés dans les principes
de l'Église d'Ecosse, le tout à ses
frais, et moyennant de fortes soui-
mes prélevées sur ses biens (1065).
Il n'obtient son transport de laTol-
boolh d'Edimbourg à une geôle plus
douce, celle de Jedbourg, qu'en fai-
sant paraître des dispositions à re-
prendre ses anciens errements. Des
trois fils qu'il laisse en mourant, le
deuxième est le bisaïeul de notre il-
lustre écrivain. Ainsi que lui, il a
nom Walter Scott ; mais il n'a ni
terre bironiale, ni sir devant son
nom : du reste, il a étudié au collège
de Glasgow; il est l'ami, le corres-
pondant du docteur Piteairne; il est
zélé jacobite; il a fait vœu de ne
couper sa barbe que quand les
Stuarts auront recouvré leur cou-
ronne : aussi le rasoir n'effleure t-il
jamais cette large barbe, el Walter
esî-il surnommé Walter le-Barbu.
Nous arrivons au fermier, l'aïeul pa-
ternel du seigneur d'Abbotsford. Ro-
bert Scott (tel était son nom) avait
sa demeure dans le comté de Rox
burgh,a Sandyknow, près de Smail-
hoim-Tower. C'était un vieillard aux
mœurs fortes et patriarcales, in-
struit, érbiirè, .s'eniendant à mer-
veiile eu agriculture, et dont la uié-
moire, lung-tempsen honneur dans
la vallée de la l'éviot, n'a pas eueort
j)éri. Le vieux Deau, i\àU)> la /'r/*on
f
à
SCO
SCO
45Ô
d'Edimbourg, a quelques-uns de ses
traits; et la lerme que lui donne, dans
le roman, le duc d'Argyle, en considé-
ration d«' sa fille, est l'idédlisalion du
paisible manoir de Sandyknow. Grâce
à l'honorable aisance qu'avait ac-
quise par ses travaux le vénérable
Robert. Walter, son fils el le père de
notre Walter, put, en 1755 et à
l'âge de vingt-cinq ans, acheter une
charge de writer to the signet (1); et
peu de temps après il obtint la main
de miss Rulherford, tille d'un profes-
seur de médecitje de l'université d'E-
dimbourg, et sœur de Daniel Ruther-
ford, habile médecin et chimiste,
auquel les Anglais attribuent la dé-
couverte de l'azote. De ce mariage na-
quirent six fils et une fille (2). Walter
était le Iroisième. Il vint au monde à
Edimbourg, le 15 août 1771, et l'on
a remarqué celle coïncidence d'anni-
versaire entre Napoléon et lui. La
maison où il vit le jour n'existe plus.
C'était un mesquin édifice donnant
sur une allée quiconduisait à la porte
du collège de Wyud.Le wriler en ha-
bitait le troisième étage*, mais quel-
ques mois après la naissance de son
troisième fils il la quitta pour aller
demeurer dans George's Square, puis
il la vendit, et comme elle se trouvait
sur ralignemcnt d'une nouvelle rue
qui devait longer la façade nord des
(i) On nomme aiu<i dus liummes de loi
qui out seuls le droit de rédiger les actes
soumis au sceau ro}al.
(a) Jean, l'aîné, devint capitaiue d'infan-
terie ; mais la délicatesse de sa santé le con-
traignit à quitter le servite, Daniel, le a^,
prit du service sur mer, mais fut enlevé à
la fleur de l'âge. Thomas, le 4e, suivit la
carrière de sou jjere, et fut quelques an-
nées durant l'homme d'aftaires du marquis
d'Abercoru : plus tard il fut nommé payeur
du 70* I cgimeut et j»uss 1 au Caua.la où il
mourut eu 1822. (l'était un homme de ta-
lent; et nous verrous <ju'il fut un de ceux
que l'eu ion|)(()iiiia <]'<'lic ou de pouvoir
Mie l'auteur de H autilej .
nouveaux bâtiments de l'Université,
on l'abattit. Il est fâcheux que Ton
ne pût, à cette époque, prévoir k cé-
lébrité du jeune Walter. Probable-
ment ou eût changé les plans plutôt
que de sacrifier la maison -, ou si
enfin le sacrifice eût été jugé néces-
saire, on l'eût reconstruite pièce à
pièce avec les mêmes matériaux, sur
quelque autre e.?iplacement, comme
la maison de Shakespeare , que les
Anglo-Américains viennent d'acheter
et transplantent dans le Nouveau-
Monde. C'est donc partie dans
George's-Square, partie aussi à la
ferme de Sandyknow, que s'écoula la
première enfance de Scott. Son père
ne s'occupait de lui que fort peu.
C'était un excellent homme, régulier,
probe, bienveillant , sincère, mais
qui n'avait rien de transcendant, et
qui, tiré des devoirs de sa profession,
ne trouvait que peu de choses à dire
et à faire. Il en était tout autrement
de sa femme. Élevée dans un milieu
où l'intelligence tenait plus de place,
mise de bonne heure, el malgré son
jeune âge, à la tête de la maison de
son père; habilifée à s'entretenir
avec des savants et des hommes qui
maniaient habilement la parole *, for-
mée aux meilleures manières (ma-
nières qu'au reste on trouverait bien
gauches, bien inélégantes aujour-
d'hui (3)) parles mistrissEuphémia
(3) Un seul exemple va mettre à même
de juger. Du temfis de mistriss Ogilvie il
était de bjn ton de ne jamais ^'appuyer le
dos eoutre le dos d'uu siège, La digue Ecos-
saise n'avait pas manqué de recommander
cette précaution à ses élèves; et telle était
la force de l'habitude que nli.^tliss Scott,
âgée de quatre - viugts ans, n'uV voulu,
pour neu au monde, se laisser aller eu ar-
rière sur sa Ja-rgèie on sur sa < aiiseuse, et
qu'elle se tenait ferme et raide sur son
séauldes heures entières, comme si l'œil de
la sévère Og'lvic tut cm ore clé la hj.it|uc
*!!! elle.
460
SCO
SCO
Saint-Clair el les mistrissOgilvie,qne
Ton regardait comme sans égales, la
dernière surtout, pour l'éducation des
jeunes personnes, la mère de Walter
Scott était véritablement une femme
supérieure, tant par le caractère que
par l'esprit. On sait combien , la
plupart du temps , les (ils tiennent
de la mère, tandis que le père se
reflète, au moral et au physique,
dans sa tille. Très -certainement
Walter Scott est un exemple de plus
de ce fait : on peut reconnaître en
lui un peu du writer to the signet ,
mais on y reconnaissait bien mieux
encore l'humeur, les tendances qu'il
avait puisées avec le sang chez sa
mère, et que corroborèrent bientôt
ses leçons, ses exemples. Au bon sens,
à la prudence, elle unissait l'instinct
poétique et artistique. Elle ne faisait
point de vers (ceux qui l'ont dit, et
que réfute suffisamment la dénéga-
tion de Walter Scott, ont été abusés
par une double homonymie, celle de
mistriss Scott de Wauchope, née Ru-
therford, qui effectivement a publié
des poésies de sa composition ) ;
mais elle était l'admiratrice et l'amie
de cet Allan Ramsay, vivant réper-
toire des légendes du Border , et
le restaurateur de la poésie écossaise,
l'auteur d'une pastorale dont nulle
langue ne possède l'équivalent. Elle
s'honorait de recevoir le pauvre et
sublime Burns, le chantre de Tom
O'Shanter^ le peintre du Samedi
soir, dans une chaumière; elle cau-
sait des heures entières avec l'aveu-
gle Blacklock, dont l'enveloppe bril-
lait encore moins au milieu du beau
monde que celle de Burns. Évidem-
ment pour éprouver autant d'attrait
qu'en éprouvait la mère de Scott
pour la conversation de tous ces
poètes, il fallait être leur sœur en
poésie. Le fils hérita de ces goûts, et
l'atmosphère du salon maternel dé-
veloppa ce germe précieux qu'il ap-
portait à sa naissance. Le séjour à
Sandyknow y fut aussi pour beau-
coup. Nous avons dit qu'entre
George's-Square et la ferme du bon
Robert se partagèrent les ébats de
la première enfance de Scott. La
rustique demeure était dans une
situation ravissante, sur une hau-
teur, à peu de dislance de la belle
nappe d'eau dite Leader-Water, et
dominait presque toute la vallée de la
Tweed ; à peu de distance s'aper-
cevait , bâtie sur un roc , la petite
forteresse de Smailholm-Tower, des-
tinée dans le passé à protéger la
frontière, et riche en souvenirs de
guerre, d'amour et de magie. Scott
lui-même, dans l'introduction au
3" chant de Marmion , raconte
comme quoi « ces rochers qui s'éle-
vaient dans la nue et cette tour de la
montagne charmaient l'éveil de son
imagination ; » comme quoi « cette
tour chancelante lui semblait le plus
grand ouvrage de la puissance hu-
maine;» comme quoi, « bien qu'il
n'y eût là ni large fleuve qui appelât
la muse héroïque, ni bosquets où
soupirassent des brises d'été , to
prompt of love a softer taie, et qu'à
peine un humble filet d'eau provo-
quât l'hommage du chalumeau d'un
berger, un instinct poétique lui fut
donné par ces vertes collines, par ce
ciel clair et azuré, etc., etc. (4). »
(4) Tlien risp ihose crags, that moumain lovrer
Which charmed niy f.iinj's wakening hour;
puis un peu plus bas :
And slill I thougbt lliat shaltei'd lower
Tbe mightiest woik of liuinan power ;
et en remoataufc de quelques lignes,
Theugh no broad river swept along
To claiiu percbaiice heroic song,
Thougli sigli'd 110 groves in sinniiier gal(s
To prompt of love n ^oftc^ laïc ,
Tbougli scarce a puny slrcamlel's spssd
C.laim'd bornage froai a sbepbuid's leeJ,
Yel was poelic iiiipulie giveii
B^ ihe gieenhill and clear Llue heafcu.
SCO
Si donc l*enfant, qu'on avait mis Jà
surtout pour fortifier sa santé par
l'air pur de la campagne, ne s'en
trouva pas beaucoup plus vigoureux
au physique, nui doute au moins
qu'il n'en soit revenu l'imagination
plus fleurie, i'impressionnabilité plus
vive, l'esprit plus ouvert. Mais tout
cela ne pouvait tenir lieu de l'édu-
cation du collège, et bientôt sonna
pour lui l'heure des tribulations
scolastiques. 11 fut d'abord mis en
pension à Musselbourg, sur la côte, à
quelques milles seulement d'Edim-
bourg ; puis , entre huit et neuf
ans, il entra à l'École-Supérieure ou
grand collège d'Edimbourg, où bril-
laient alors les noms des Ruddiman,
des Grey , des Adam , etc. Fraser,
sous qui Scott passa d'abord deux
ans, était un des plus rudes fla-
gellants de l'ancien régime. Rien
n'indique toutefois qu'il ait souvent
usé de son système sur Scott ^ mais
il paraissait encore plus loin d'être
enthousiasmé, soit de son travail, soit
de ses dispositions naissantes. II y
avait même au nombre des profes-
seurs un docteur Paterson, tout cousu
de grec, aux yeux duquel Walter
était un enfant stupide, vu qu'il avait
osé donner à l'Arioste la préférence
sur IIomère.Bîairfut plus clairvoyant,
et annonça la future célébrité de celui
qui, pour le moment, n'était qu'un
médiocre écolier, manquant le thè-
me et s'entendant mal à retourner
le vers latin. Toutefois, il sympathisa
davantage avec ce genre d'enseigne-
ment, quand, après avoir deux ans
répété le rudiment avec Fraser (car
le même professeur faisait parcou-
rir à ses élèves toute une série de
classes), il eut pour maître le doc-
leur Alexandre Adam, l'auteur des
Anliquités romaines , si connues.
C'est qu'Adam ne se bornait pas à
SCO
461
l'explication sèche des auteurs : il
l'assaisonnait de détails sur les
mœurs et coutumes des anciens 5 ces
détails, il les donnait avec amour,
avec abondance ; il avait de la bon-
homie et de la magie de Plutar-
que 5 il faisait revivre les siècles, les
hommes et les usages dont il par-
lait; antiquaire, il éveillait en Scott
la fibre de l'antiquaire. Aussi ses pro-
grès dans cette phase de son éduca-
tion scolaire furent-ils sensibles ; et,
tandis qu'auparavant il occupait en
moyenne la vingt-cinquième place
parmi ses condisciples, sous Adam il
était classé onzième. Malgré ce suc-
cès relatif, la véritable éducation de
Scott était celle qu'il se donnait par
lui-même : il lisait beaucoup déjà, et,
doué d'une facile et forte mémoire,
il se meublait ainsi la tête d'une
foule de connaissances historiques
ou d'idées parlant à l'iviiagination.
II cultivait instinctivement en lui
cette faculté. Un de ses plaisirs les
plus vifs était de conter et d'enten-
dre conter, ce qu'il faisait à tour de
rôle, lorsqu'il avait rencontré un ca-
marade qui partageât son goût pour
ce genre de joute. Il en eut deux de
cette espèce, l'un dont il nous a caché
le nom, l'autre J. Leyden, qui mourut
jeune en Inde, après avoir publié de
magnifiques poésies,appris huit ou dix
langues, et couru des aventures mer-
veilleuses. Son talent p»ur la narra-
tion avait fini par percer, et l'avait
rendu populaire parmi ses camarades,
qui quelquefois, pendant les heures
de récréation, faisaient cercle autour
de lui, écoutant un de ces beaux con-
tes qu'il brodait si bien. 11 n'aimait
guère moins les exercices du corps,
et de cette façon surtout il brillait ,
comme il le dit, beaucoup plus dans
la cour que dans la classe. Toutes les
fois qu'il s'agissait de déployer de la
{^?
S€()
sm
force, i\e l'agilifr, de l'.iHrossp, on
«'•l.iit sûr (!<' le trouver de l.i partie.
Il ne manquait p.is une des batailles
parfois s;ingl.mtfs (pie se iivriienf
alors ies élèves du grand eollège et
la jeunesse des ruelles et des fau-
bourgs, conduite par rindoinptable
Culottes - vertes ( Green - breeches ),
(ju'un jour pourtant les aristocrati-
(pies amis de Walter, substituant
l'épée aux armes ordinaires, fail-
lirent tuer. W marchait les neuf pas
sur la saillie angul.iire du roc qui
soutient le château d'Edimbourg (5),
et il fit le même tour de force sur les
rochers ^VArthur's Seat ^ tous ex-
ploits fort à la mode parmi les jeunes
écervelésde l'époque, et sur lesquels
Scott est pins tard revenu avec com -
plaisance, soit dans la dernière pré-
face des Waverley Novels, soit lors-
qu'il trace le caractère de l'opiniâtre
Callum-beg , soit lorsqu'il décrit le
site de Muschat'sCairn où a lieu l'en-
trevue de Robertson et JÎe Jeanie-
Deans. On ne s'étonnera pas qu'avec
ces habitudes et avec ses notions en-
core un peu enfantines de la chevale-
rie et de la vie d'aventures il songeât
à embrasser la carrière militaire ,
d'autant plus qu'au nombre de ses
oncles était un capitaine Scott dent
plus d'une fois les récits l'avaient
charmé. Byrou aussi, quinze ans plus
tard, devait avoir de ces pensées en
son enfance, mais elles se colorèrent
chez lui de teintes voyantes et ter-
ribles: il commandait en imagination
de graves cavaliers à noires armures,
qu'il nommait par anticipation les
(5) Cela s'appelait kitlle nine steps .- killle
fest un mot intraduisible spécialement em-
ployé pour désigner la marche du chat,
'moelleuse, lesre et circonspecte. Les neuf
pas en (piestion devaient se faire -mr un
étroit ourlet de roc occupé, a une largeur
de main près, par une tour qui surplombe
le sol à une effrayante hauteur.
hnuznrih noirs de Byrnn. Malheu-
reusement pour Scott, (|uoi(pie ses
parents penchassent assez à le laisser
suivre sa fantaisie, il fallut bien se
rendre aux observations de ceux qui
lui déclarèrent que, pied-bot comme
il l'était, jamais il ne serait admis
dans les rangs de l'armée. Cette
infirmité , nouveau rapport avec
Byron, provenait, suivant les uns, des
maladies de son jeune âge, selon les
autres de ce que sa nourrice l'avait
laissé tomber de ses bras à deux ans.
Ce n'était donc pas un mal de nais-
sance, et Scott ne pouvait pas comme
Byron maudi re à ce proposia pruderie
de sa mère, bien que comme Byron il
pût se plaindre d'être vainement
livré aux soins des Gavin-Wilson,
des Graham. Elle ne l'empêchait ni
de courir ni de sauter, ni, comme
ou l'a vu, de marcher les neuf pas.
Lors donc qu'il entendit l'arrêt
prononcé contre ses prétentions à
la gloire de héros, il éprouva
une mortification cruelle, il alla
se suspendre par les poignets au
volet de la fenêtre de sa chambre
à coucher, comme Cervantes nous re-
présente le chevalier de la Triste
Figure accroché aux volets par la
perfide Maritorne; et quand, au bout
de cinq quarts d'heure ou plus,
l'ayant découvert dans cette gênante
posture, on lui demanda ce que si-
gnifiait cette étrange fantaisie : « Cela
signifie, répondit-il, que si Je n'ai pas
lajambe, j'ai \ebrrrrasd\)n soldat.»
Ne pouvant donc plus se bercer de
l'espoir des épaulettes et du plumet,
Scottcontinua ses éludes. et del'Éco-
le-Supérieure il passa, n'ayant que
douze ans (1783), à l'Université oii il
devait en rester trois. Là, ses études
furent très-irrégulières, parce que sa
santé très-délicate l'obligeait à de fré-
quentes absences. 11 y eut un moment
SCO
surtout où s'dtant rompu un vaissfiu
sanguin, il lut, cliosecrtidl»* jioiir lui,
condaïuno par l« rnédeciu à ganlcr
une iujniobilité absolue et le silence.
Celte longue sécjuestratiou fut une
<Ies e'poques décisives (Je sa vie. C'est
alors que son goût pour la lecture ne
trouvant plus de contre- poids dans
la possibilité des exercicrs i^hysi-
ques, il s'y livra sans réserve. Le fa-
meux cabinei littéraire fondé par Al-
la n Ramsay fut couiuie un océan où
il se plongea du matin au soir, et par-
fois du soiraunntin. Romans, pièces
de théâtre , poèmes , voyages , es-
sais moraux , tout l'attirait à tour
de rôle. Non-seulement \e Spectateur^
le Jaseur, le Rôdeur, le Connais-
seur, etc., etc. lui passèrent sous les
yeux ; il dévora les Amadis , digéra
>s Cyrus et les Cassandres. L'Orient
comme l'Occident, le vieux monde et
le moyen âge, la chevalerie comme
les temps modernes passaient, se
pressaient sous ses yeuv. Une telle
consommation d'œuvres d'imagina-
tion devait avoir pour effet de déve-
lopper en lui la fibre Imaginative,
pour peu (ju'il en eût, et il en avait.
Mais il en résultait un inconvénient
grave, c'est qu'il s'habituait à ne pas
(lisiingucr assez sérieusement le fic-
tif d'avec le réel, et le romanesque
d'avec l'historique. On pourrait
bien en signaler un autre, c'est que
lisant toujours et n'écrivant jamais,
toujours passif par conséquent et
rarement actif, notre jeune glouton
de livres ne se formait point un
style, et ne pouvait savoir ce que
C'est que composer. L'art de la corn-
position suppose surtout le choix et
le frein : or, le choix , le frein,
voilà surtout ce qui manquait aux
études toutes volontaires, toutes so-
litaires (lu pauvre malade. Il ne faut
pas perdre de vue cependant que par
SCO
ÂC,?,
m trait tout particulier à Scott, ce
n'est pas uniquement la liclion qui
le captivait; elle ne venait même
qu'en seconde ligne; c'était l'aspect
historique incorporé à la fiction et
retrouvable sous la fiel ion qui le
séduisait principalement; non qu'il
aimât l'histoire en elle-même, l'his-
toire comme histoire, telle que nous
nous la sommes long -temps figu-
rée, consistant surtout en faits et
en dates. Ainsi réduite à l'état de
squelette, l'histoire était pour lui
aride et repoussante : il la voulait vi-
vante et formant tableau. Et de là un
peu plus tard ses prédilections d'an-
tiquaire: à défaut du tout vivant que
n'CODstitue la synthèse, il allait du
moins cherchant tantôt le principe
de vie, tantôt les formes extérieures
encore empreintes de vie par les-
quelles ce principe se manifeste. Ce
passage de la lecture pure et simple
à l'archéologie ne tarda pas à se ma-
nifester chez Scott. Sitôt qu'il put
être regardé comuie en convales-
cence, il dut, par ordre du médecin,
aller chercher une atmosphère moins
épaisse que celle d'Edimbourg: il se
rendit auprès de son oncle le capi-
taine, qui vivait paisibleujeut de sa
retraite dans les délicieux et pitto-
resques environs de Kelso. Ce res-
pectable uiilitiire n'avait que peu de
livres, mais le pays, indépendamment
de la beauté de ses sites, avait bon
nombre de monuments et surtout de
souvenirs; ici les ruines de l'abbaye
de Kelso, là la place de l'ancienne
ville <le Roxbourg, à quelques milles
au-delà les abbayes de Jedbourg
d'un côté, de Melrose de l'autre, plus
loin encore les clochers et les tou-
relles des Carrel des Douglas, puis
encore le château de Fleurs, et le
beau pont sur la Tweed au point où
elle reçoit la Teviot, puis enfin l'ab-
464
SCO
SCO
l)aye de Dry bourg, le terme alors de
ses pins longs pèlerinages, terme
qu'il pouvait atteindre en une mati-
née. Et tous ces noms, Roxbourg,
Jedbourg, Dryboing, Kelso,MeIrose,
les Carr, les Douglas, provoquaient
de sa part des interrogations sans tin,
auxquelles les vieilles gens, les sub-
alternes oisifs, les mendiants no-
mades avaient toujours des re'ponses
toutes prêtes , réponses brodées de
bizarres traditions, de merveilleuses
légendes, et parfois de ballades. La
contrée au milieu de laquelle s'évo-
quaient ainsi les héros et les événe-
ments des anciens jours s'harmo-
niait admirablement à ce que l'on
contait, et par elle-même était pleine
de charmes. Les hauteurs de Ruber-
shaw et le triple sommet des co-
teaux d'Eldon semblaient la barrière
d'un champ clos où tout était en-
chantement et délices, La Tweed dé-
roulait ses eaux capricieuses au mi-
lieu d'une valléeriche en romantiques
et sauvages aspects. Non loin de là
était le village d'Ednam, patrie de
Thomson, et au pied de la Hundilee,
la scène du bain de Musidore. Il y a
plus, la société ne manquait pas ab-
solumentàWalter.AKelso habitaient
lesBallantyne, parmi lesquels il de-
vait trouver un imprimeur et des
relations d'amitié qui furent du-
rables ; et non loin de Kelso, sa patrie,
vivait une mislressHenderson, qua-
keresse, qui mit k sa disposition sa
bibliothèque, à condition qu'il por-
terait toujours sur lui au moins un
des discours de la Société des Amis.
Scott ne se convertit point pour cela,
mais l'accueil qu'il avait trouvé dans
cette maison grava pour toujours
en son cœur un souvenir gracieux ,
témoin les riantes et paisibles cou-
leurs desquelles il a peint dans Red-
gauntlet un ultérieur de quakers,
couleurs si douces au fond, malgré
une légère teinte de moquerie, que
les adeptes eux mêmes ne sauraient,
nous ne dirons pas s'en fâcher, il est
entendu qu'ils ne se fâchent jamais,
mais lui en garder rancune. Cepen-
dant, au milieu de ces distractions
et de ces études vagabondes, la santé
de Scott devint enfin ce que l'on
voulait, à ceci près que l'infirmité
de son pied lui resta. On peut
même dire qu'il devint robuste.
Byron, sans être un Adonis, tenait
un peu de l'Adonis ; Scott, sans être
un Hercule, se rapprochait un peu
du type d'Hercule. Il était de haute
taille. Nous avons vu un échantillon
de sa force de poignet. H aimait l'é-
quitation, et l'on comprend qu'il fut
meilleur cavalier que marcheur. Si-
tôt que son père le vit apte à sui-
vre régulièrement des études, sans
l'envoyer davantage au collège rat-
traper le temps perdu et s'appro-
visionner de ce qui lui manquait
évidemment du côté du latin et sur-
tout du grec, il le jeta vers la ju-
risprudence, ou pour mieux dire dans
la cléricature, car tout en allant
entendre Dick et tel autre savant
professeur commenter les lois civi-
les, le jeune Scott faisait les fonc-
tions de clerc chez son père, et se
familiarisait avec ce qu'il y a de plus
spécial, de plus caractéristique dans
la chicane. Si c'est en forgeant qu'on
devient forgeron, dans une contrée
et chez une race processive , c'est
en transcrivant des actes qu'on ap-
prend aies rédiger, en les rédigeant
qu'on arrive à posséder la science des
nullités et des garanties, des délais
et des mises en demeure, des excep-
tions, des provisions, des prescrip-
tions, etc. Walter ne sourcilla point
devant ce vocabulaire que tant de
jeunes incompris eussent déclaré
SCO
ne pas vouloir ou ne pas pouvoir com-
prendre. II sentait que, bien que pou-
vant compter sur quelque fortune de
ses parents, il devait en attendre de
lui-même le complt^ment, et que ce
complément il ne lai lait pas le deman-
der à l'imagination, aux rêves poé-
tiques et à sa plume. Et pourtant,
quoique loin alors d'être ce qu'il de-
vint depuis, il y avait déjà en lui
plus d'instincts poétiques , plus de
fantaisie que chez beaucoup de
jeunes-France ou de jeunes-Albion
que nous avons vus décliner toute
occupation matérielle et positive
incompitibleavec leur génie... Scott
a donné plus d'un bel exemple aux
artistes, aux écrivains : un de ceux
qu'on ne saurait trop admirer et re-
commander à la foule des jeunes
gens , c'est cette parfaite docilité
avec laquelle il se soumit aux exi-
gences de sa position, aux désirs de
ses parents, abandonnant ou suspen-
dant, pour les reprendre tout au plus
aux heures de récréation, des études
pour lesquelles il devait avoir cer-
taine prédilection , et les sacri-
fiant sans hésiter aux poudreuses
liasses de dossiers. La législation
écossaise, à cette époque, était un
dédale plus inextricable et plus ab-
surde que celle de l'Anglelerre. Il
fallait donc double dose de courage
à notre jeune clerc. Mais bientôt le
travail même porta en lui sa récom-
pense. Ce qui pour d'autres eût été
tout simplement aride devint pour
Scott une source de jouissances. La
loi écossaise n'était si bizarre, si fa-
vorable à la chicane qu'à cause des
vieux usages dont elle portait la
trace; et ces usages le plus souvent
se perdaient dans les profondeurs du
moyen-âge, ou se liaient à une foule
de phénomènes et de faits curieux.
L'ardeur avec laquelle naguère l'é-
LXXXI.
SCO
465
colier cloué au lit avait dévoré lé-
gendes, fictions,vieux chants et voya-
ges , l'étudiant en procès l'apportait
maintenant à scruter les iusiilulions
féodales, les privilèges, les coutumes
des anciens jours, les vieux dictons,
tout ce qui exhalait un parfum de
vieille relique, toutes les empreintes
visibles encore des civilisations fos-
siles. La science en droit y gagnait
quelque chose, mais plus encore la
science de ce qu'avait été la vie an-
cienne. Ce n'était pas le légiste, c'é-
tait le curieux de vieilleries, législa-
tives ou autres, qui butinait apis
matutinœ more modoque^ des do-
cuments dans le guêpier de Thémis.
La physionomie toute particulière
de l'Ecosse à cette époque ajou-
tait à la portée des renseignements
qu'il récoltait ainsi. On était com-
me sur les limites de deux mondes,
de deux ordres de pensées tout diffé-
rents, l'un qui se mourait , l'autre
qui, vivant depuis long-temps, mais
lent à faire son chemin, était enlin
à la veille d'un plein triomphe. Les
souvenirs jacobites n'étaient désor-
mais qu'une ombre; les vieilles idées
de clan expiraient ; la puissance des
chefs, le dévouement de leurs hommes
avaient perdu presque toute leur
force et ne gardaient que peu de
prestige, sauf à l'extrême nord; les
velléités d'indépendance, devenues
brigandages ou contraventions, dis-
paraissaient devant la loi, qui chaque
jour gagnait du terrain. 11 restait en-
core assez du passé pour qu'un esprit
délié, subtil, flairât la piste et refît le
chemin suivi pendant des siècles par
les générations; il n'en restait point
assez pour que ce passé se perpétuât
même dans ces débris. C'est là ce qui
frai»pait le jeune clerc, non-seule-
ment lorsqu'il feuilletait les vieux et
les modernes répertoires du droit,
30
m>
SCO
SCO
rnflis lorsqu'il fallait proc(^(ler, instni
ineiilrr. Assez souvent, (piaF)d il
s'agissait de mettre un mandat à
exécution sur terres nn peu loin-
taines, un peu reculées, le magistrat
ou l'homme d'aflaires devait prendre
ses précautions comme pour une pe-
tite guerre. Notre jeune clerc lui-
même, un jour, pour remplir une
formalité légale qui devait parfaire
une transaction entre les Maclaren
et leurs parties adverses, transaction
convenue à l'avance par tous les in-
téressés, n'y procéda qu'en compagnie
d'un sergent et de six hommes du
régiment en garnison à Stirling,
parce que les Maclaren, sans refuser
de remplir leurs obligations, avaient
déclaréqu'ils ne souifriraient pas que
la formalité en question s'accomplît
sur leursterrestantqu'iis y seraient.
La présence d'un suppôt de la loi tran-
chant du maître chez eux leur sem-
blait un outrage à leur dignité. N'en
doutons donc pas, ce temps qui chez
bien d'autres n'eût été véritablement
passé qu'à creuser un sillon dans
l'ornière de la routine grossissait
le trésor de Walter Scott et lui ré-
vélait plus que ses lectures pré-
cédentes les mystères des anciens
jours, les raisons d'être grâce aux-
quelles tout a éié, en son temps, les
ressorts et les conditions de la vie
d'autrefois. La pratique et l'actualité
ne lui étaient pas moins utiles : le
positif des affaires à suivre, la nature
spéciale de chaque procès, les noms
propres et la biographie plus ou
moins morcelée de ceux pour qui ,
contre qui ou sur qui l'on plaide,
tout cela offrait souvent des éléments
romanesques, et cependant corri-
geait, par le fait même de la réa-
lité, la tendance à se perdre dans
l'impossible, si fréquente chez les
esprits romanesques. Ce mélange de
réel et d'idéal, nue des premières
conditions d'une belle œuvre d'ima-
gination, nulle pari peul-èlre <>n ne
l'acquerra plus sûrement qu'en
voyant de près comment se régissent
les affaires humaines : respirez un an
ou deux l'air de la chancellerie , des
camps, des coulisses, des bureaux et
du barreau, pour peu qu'il y ait en
vous verve imaginative et conteuse,
vous conterez et imaginerez beau-
coup, mais vos imaginations et vos
contes se joueront dans le sens de la
réalité. Que de romans inspirés par
les Mémoires de l'Étoile, de Saint-
Simon, de Bassompierre ou par la
Chronique de Froissart! Que de
volumes de feuilletons dans les
Causes célèbres ou la Gazette des
Tribunaux, ou, ce qui revient au
même, dans les dossiers et les sacs
à procès ! Veut-on avoir la preuve
que dès ces temps même les incidents
de la vie procédurière du légiste lui
fournissaient des éléments dont plus
tard profiterait le romancier, qu'on
se rappelle les scènes si plaisantes de
Redgauntlet, oii figure le pauvre
Peter Peebles, et surtout l'instant
auquel il montre le jeune Allan plai-
dant pour son déplorable client, et
gagnant, à la grande surprise des plus
vieux conseillers, une cause réputée
perdue par tout le barreau d'Edim-
bourg ; eh bien ! et le fait et le nom
même sont réels. La cause par la-
quelle Scott débuta au barreau en
1792 fut justement celle de cet in-
décrottable Peebles , et s'il- ne la
gagna complètement , s'il brillante
un peu son rôle en s'idéalisant sous
le nom du jeune Kairford, du moins
mit-il l'affaire en bonne voie. Il était
alors très-près de vingt-un ans, et
il y en avait cinq qu'il se préparait.
Les examens qui précédèrent son
admission ne furent pas sévères \ et
SCO
k en juger par les registres de la
faculté il n'eut pas même la peine de
soutenir de thèse sur les Pandectes ,
comme c'était généralement l'usage :
il en fut quitte pour la harangue
latine que les récipiendaires pronon-
çaient en présence de la cour réunie.
Apres quoi il prit un logement dans
Castle-Street , qui passait alors pour-
un des beaux quartiers de la ville,
donna de sa faconde et de son talent
en allai res l'échantillon dont nous
venons de parler, puis attendit les
clients. Soit qu'ils n'abondassent pas,
soit plutôt qu'au bout de quelques
essais il ne se sentît pas cette flui-
dité de paroles et cet entrain, celte
chaleur, cette dextérité de discussion
persuasive sans laquelle un avocat
ne s'élève jamais au-dessus du second
rang, soit entin que ses goûts poé-
tiques et buissonniers reprissent le
dessus, et qu'après avoir complu
à ses parents pour le choix d'un
état, il crût le temps venu de faire
ce qui lui plaisait,.il ne plaida que
fort peu, et presque toujours aux
assises provinciales de la cour cri-
minelle. Un jour pourtant il fut
presque éloquent , et il enleva
les suffrages de tout son auditoire,
y compris les magistrats, en rele-
vant un vice de forme dans le ver-
dict du jury : il y mit tant de véhé-
mence et coula si bien à fond le point
de droit que l'accusé fut acquitté.
Mais il faut l'avouer, ces moments
furent rares dans sa courte carrière
d'avocat: son père, brave tabellion
de la vieille roche, et les amis de
son père, hochaient la tête en le
voyant quitter le solide pour les
brouillards de l'Hélicon , et pré-
voyaient dans leur sagesse qu'il vé-
géterait toujours^ ce fut bien pis
quand le vieux wriler to the signet
étant mort, le tils abandonna tout-
SCO
467
à-lait la pratique du barreau. Mais
fort positif au milieu de ses rêves,
Scott avait pris de bonne heure
la résolution d'arriver à un poste
judiciaire ou quasi -judiciaire qui
n'exigeât pas en quelque sorte
tous les jours exhibition de bril-
lantes facultés et lutte acharnée
dans le champ clos du tribunal.
Nous le verrons atteindre ce but en
1799. Kn attendant, de front avec les
travaux de sa profession, il mena ceux
qui devenaient de plus en plusde son
goût.Lebesoinde composer le travail-
lait à son insu.Mais, chose étonnante,
ou tout au moins remarquable ! il
commença par des vers. Déjà, anté-
rieurement à sa réception comme avo-
cat, il en avait, à ce qu'il paraît, en-
voyé quelques-uns à V Abeille du
docteur Anderson, car on y trouve
sous la rubrique du 9 mai 1792 la
mention suivante: « L'éditeur regrette
que les vers de W. S. soient trop défec-
tueux pour être publiés. » Suivant
lui-même, il avait éprouvé à l'École
Supérieure un autre mécompte tou-
jours à propos de poésie : il avait com-
posé une dizaine de verssur un orage,
et ses camarades, ses maîtres même
lesavaientassez admirés, quand tout-
à-coup la femme d'un apothicaire voi-
sin déclara qu'il avait copié sa pièce
da[is un vieux Magazine. Ce n'était
pas vrai, mais l'assertion prit, et il
en ressentit un tel dépit, qu'il jeta
les vers au feu (6), et il fut quelques
(6) On lit dans une feuille de Greenock
(juillet 1825 ) que d'autres vers compo-
sés à i3 ans par Scott, au luomeut où il
arrivait daus cotte sauvage et romantique
contrée de la Tweed qui produisit sur sa pen-
sée tant d'impressiou , écliappcrent aux
flammes, et elle les douue comme autlieu-
tiijues. Les voici, bien ei;itendu que uous
ne les garantissons pas .
Cheeiful woke the inorn o'er rugged Glencoi-
Culessan seem'cl smiling
30.
468
SCO
SCO
années sans essayer un Iw'mislirhe.
Tel était son peu d'iiabitude^ que
quand la corde poétique se réveilla
eu lui, II crut d'abord que la lacilité
matérielle lui manquait absolument.
Il parcourait un jour en bateau avec
un autre gentleman un de ces beaux
lacs que plus qu'un autre il a con-
tribué k immortaliser.Les deux amis,
d;ins ces hours ofidleness, imaginè-
rent de se mettre à faire, chacun deson
côléjie plus de vers qu'ils pourraient.
Au bout de trois heures environ ils
n'en avaient encore fait que six à eux
deux ; et Walter dit k son camarade :
« Je vois bien que nous ne saurions ni
l'un ni l'autre gagner notre vie k ver-
silierî» Prophétie bien singulièrement
démentie quelques années après ! Une
des occupations surérogatoires de
Scott, pendant les dernières années
de son noviciat, avait été d'apprendre
l'allemand. Un article lupar Macken-
zie k la société royale d'Edimbourg
en 1788 lui avait révélé l'existence
par delà le Rhin d'une littérature
toute neuve, riche, sympathique avec
les arcanes du moyen-âge ; et comme
d'autre part l'allemand offre plus en-
core de rapports avec le dialecte
écossais de la langue anglaise qu'avec
le pur et classique anglais même, il
entama résolument en compagnie
de quelques amis l'élude de cet idio-
me, regimbant du reste assez sou-
vent contre leur initiateur commun,
un docteur Willich, qui voulait qu'on
sût la grammaire avant d'aborder
les explications, et qui pour premier
Âi'dgartan L^guiling
Sofily muimur'd Lochlong's ruflled wa?cs bclow.
Mac Farlane's lone scat lay open to the scène,
Thp cobbicr wildly glooniing,
Its base «weetly blnoming,
The berring-bussej moor'd on the sea-lakc of preen.
Uow sweei to behold Ihee, dear part of our Isie !
Thy mouiiiains pieice the cloiids
Witb unnunibcr'd fleecy crowds,
And Iby lochs leeni witb wealtli for oui- loil.
ouvrage à traduire mit aux mains de
ses é[è.\vs la Mort d' Abel. Ileûl voulu
nager lout de suite en plein Kant ou
en plein Gœthe.Maisl'imperturbable
instituteur tint bon, et force fut de
patienter. Du reste, on riait beaucoup
k ces petites conférences ; et si les
progrès furent lents, ils furent réels.
Scott comprenait passablement l'al-
lemandleplusrelevé,leplusdifficile,
quand arriva dans la capitale de
l'Ecosse le fameux auteur du Moiney
Lewis qui, ayant une connaissance
profonde de la littérature allemande,
avait donné des ballades imitées de
l'allemand et frappantes par l'ori-
ginalité comme par le mérite du
style, des scènes et des peintures.
Présenté à Lewis par lady Charlotte
Campbell , Scott crut qu'il y avait de
la renommée à gagner sur les traces
de cet énergique littérateur. Loin de
lui pour le talent poétique, c'est
ainsi qu'il se jugeait lui-même, il
l'emportait pour la richesseet l'exac-
titude du répertoire où il comptait
puiser idées et couleurs, tableaux
et sentiments. Il prit donc, quelque
étrange que cela nous paraisse, la
détermination de se former un style
sur celui de Lewis. Il ne lui res-
tait plus qu'à rencontrer un sujet
qui stimulât sa veine. C'est ce qui ne
manqua pas ; et la fameuse ballade
de Lénore en eut l'honneur. Un soir
qu'il était chez Dugald Stewart (1793
ou 94), il entendit mistriss Barbauld,
alors en visite k Edimbourg; lire une
traduction en vers anglais de l'étran-
ge œuvre de Bûrger. L'impression
produite sur lui par cette composi-
tion fut prodigieuse: il n'eut point
de repos qu'il n'eût fait venir de
Leipzig le volume qui la contenait,
et une fois qu'il l'eut entre les mains,
il se mit involontairement k la tra-
duire, lui aussi, en rimes anglaises,
i
SCO
et il ne désempara que lorsqu'il eut
fini sa tâche : il y passa la nuit, et
plus alerte cette fois, sans doute
parce qu'il était plus inspiré que le
jour de sa promenade sur Teau, il
acheva le matin avec l'aurore la
66* des stances commencées la veille
après souper. II ne s'en tint pas là,
et il mit encore en vers anglais quel-
ques autres morceaux de Biirger,
notamment le Sauvage chasseur.
Assez long-temps, soit à cause de sa
robe, soit crainte du grand public,
Walter ne laissa courir de ces essais
que des copies manuscrites ; mais il
est dans la nature du poète de ne
pouvoir garder long-temps le huis-
clos, et Scott céda, sans grande
peine, aux sollicitations de ses amis
lettrés , lesquels l'engageaient à
lancer son ballon d'essai. Il n'impri-
ma pourtant que Lénore et le Sau-
vage chasseur (sous le titre de la
Chasseet Guillaume et Hélène, 1796).
Mais, hélas ! il ne retira pas ses frais.
Ayant donné, suivant l'usage, beau-
coup d'exemplaires, il n'en vendit
que quelques-uns; le reste alla,
commeilleconfesse candidement lui-
même, chez le layetier doubler des
malles. Il ne pouvait guère en être au-
trement de l'ouvrage d'un débutant,
d'un provincial, d'un intrus qui ve-
nait en robe et en konnet carré chez
les Muses, et cela au moment où la
place était inondée de traductions, et
où Taylor venait de faire paraître,
dans le Monthly Magazine^ cette
imitation qui avait provoqué celle
de Scott. Aussi cet échec ne le décou-
ragea-t-il pas. Mais d'autres soins
l'empêchèrent de le réparer immé-
dialemant. Pendant les quatre ou
cinq ans de 1790 à 1795, le contre-
coup de la révolution française s'é-
tait fait vivement sentir en Ecosse
comme en Angleterre, et l'horizon
SCO
469
politique avait été chargé de nuages
gros de tempêtes ! Il y avait eu des
clubs, des banquets égalitaires, des
discours contre la tyrannie et l'aris-
tocratie, et surtout on avait parlé
d'un partage plus rationnel du sol de
la patrie... Mais en ce moment tout
changeait; le ministère anglais, à la
veille d'une explosion interne, avait
été sauvé par ce qui aurait pu le per-
dre, l'imminence d'une invasion de '
la part de la France. Il avait fait re-
tentir très haut cette nouvelle par la
grosse caisse du Times, et tous les
échos dans la presse et dans les
chambres grossirent encore le péril.
Ce fut comme un révulsif! l'irri-
tation des esprits se répercuta sur
un autre point: on ne parla plus
que d'indépendance nationale me-
nacée; les neutres, les tièdes, se
rallièrent aux chefs du gouverne-
ment. Aux préoccupations de li-
berté se substituèrent celles d'invio-
labilité (\y\ pays : s'armer et veiller
partout où un débarquement était
possible , tel fut le cri de la popula-
tion habilement inquiétée. La tac-
tique était parfaite: crier « Aux
armes, citoyens!» c'était toujours
donner pâture à ce besoin fébrile et
factice d'émotions qui travaillait les
massesetqui ne pouvait disparaître en
un instant. De tous côtés se multi-
plièrent les enrôlements volontaires
et se formèrent des milices. Le Midlo-
thian finit par avoir la sienne à l'in-
star de tant d'autres comtés, et natu-
rellement les gentlemen ne pouvant se
confondre avec la tourbe se réunirent
en un corps de cavalerie (1797) au-
quel on donna le nom de régiment.
Walter-Scott, dès-lors tury extrême-
ment pronncé, dut à la protection du
duc de Buccleugh d'en être nommé
adjudant ; et la manière dont il s'ac-
quitta de ses devoirs acheva de le
470
SCO
mettre dans les bonnes pjraces de son
noble parent. Il sut aussi d'ailleurs
se faire goûter de tout le monde au
régiment : il était d'humeur facile,
affable» serviable et gai, fort bon
écuyer malgré sa jambe, nous l'avons
dit, et alerte officier quoique homme
de loi. Toute cette popularité n'em-
pêcha pas qu'ayant voulu trancher du
Tyrtée ou du Rouget de Lille en com-
posant un Chant de guerre de la ca-
valerie de Midlothian, il ne réus-
sit point à conquérir les suffrages
comme poète : au contraire même,
à ce que nous assurent des témoins
oculaires très amis de Scott, les of-
ficiers firent gorges chaudes de la
poésie de leur camarade, et ils en
répétaient les vers avec des in-
flexions et des gestes burlesques,
qu'ils accompagnaient d'un déluge
de quolibets et de lazzi. Les mots
Tohorse! to horse! (7), début
de sa première stance, ne se pro-
nonçaient plus sans exciter un rire
malin. Et cependant il s'en faut de
beaucoup qu'il y ait rien de ridi-
cule dans cette pièce, si ce n'est
que les dangers rimes par le poète
n'existèrent que dans la cervelle des
patriotes écossais, que ses batailles
se réduisirent à des parades, qu'il y
eut encore moins de coups d'épée sur
les rives du Frith-de-Forth que d'eau
sous le pont du Mançanarès, que
MM. les gentlemen riders auraient
aussi bien fait d'aller chasser le re-
nard, et que le poète, qui plus tard
aima tant les épigraphes, qu'il en
place une, ou deux , ou trois en tête
de chaque chapitre de ses romans,
aurait bien pu donner pour devise à
son chant de guerre cette ligne fa-
meuse , « Tant tués que blessés, per-
sonne de mort! » Que des imperti-
(7) A cheval ! à cheval !
SCO
nonces, plus ou moins semblables
à celles-ci , aient ou non frappé
souvent l'oreille de Scott, il était
en ce même moment trop occupé
de relations plus douces pour être
très-sensible à ces petits mécomptes
de l'homme de lettres. Il recherchait
la main d'une jeune Lyonnaise émi-
grée, mademoiselle Charpentier (qui
sous la plume des biographes anglais,
un peu trop littéralement copiés par
quelques-ims des nôtres, s'est trans-
formée en miss Carpenter). La jeune
personne avait alors perdu son père
et se trouvait sous la tutelle de lord
Downshire, à Gilsland, dans le Cum-
berland. C'est dire qu'elle était
encore en deçà de ses dix-huit ans.
Quoique un peu pâle, une belle peau,
une taille svelte, une profusion de
cheveux noirs, les grâces et la viva-
cité françaises faisaient de la jeune
étrangère le point de mire de bien
des prétendants, d'autant plus qu'elle
joignait à ces qualités aimables
10,000 francs de rente qui étaient à
elle dès ce moment. Si épris qu'il
pût être, le futur n'était point
homme à négliger ce chapitre in-
téressant. Le mariage eut lieu à
Carlislele24 décembre 1797. Moins
astreint que jamais à chercher des
causes pour vivre , Scott com-
mença bientôt après à mener la vie
qu'il avait rêvée. Au lieu de rester à
Edimbourg pendant les vacances du
tribunal, il alla les passer dans une
charmante retraite à Lasswade sur
les bordsde l'Esk, à cinq milles de la
capitale. Il faisait de fréquentes
tournées dans le sud de l'Ecosse, re-
cueillant les traditions, les prophé-
ties, les dictons, les ballades, et en-
suite notant les sites, explorant les
monuments, analysant les mœurs, et
de cette façon réunissant encore
mieux que par ses livres et par le
SCO
SCO
471
coup d*œil fugitif qu'il jetait sur le
monde du vasistas de son étude, les
éléments de ses futures compositions.
Un de ces voyages fut fait en com-
pagnie de Stoddart qui, dans ses Re-
marques sur les paysages et les cou-
tumes de l'Ecosse, nous a dépeint
sous des traits enchanteurs le cot-
tage de Lasswade et conservé de cu-
rieuses particularités sur l'excursion
même. Nous y lisons entre autres
traits inattendus que, si le seigneur
du lieu lui servait de cicérone au
milieu de contrées comme il n'en
avait point vu et de mœurs qu'il
n'eût point comprises, en revanche
il l'initiait lui, fils de Londres, au
mouvement de la littérature britan-
nique contemporaine et lui révélait
l'école lakiste dont , jusqu'alors ,
notre Écossais ignorait le nom :
ainsi Byron à dix-huit ans ne savait
ce que c'était qu'une Revue! Mais le
compagnon de voyage habituel de
Scott était le substitut du shérif du
comté, un M. Shortreed de Jedburgh,
qui connaissait à fond le pays, et
qui long-temps resta surpris de voir
le curieux avocat d'Edimbourg lors-
qu'il entendait quelque longue lé-
gende ou ballade, lorsqu'un événe-
ment ou un trait de mœurs digne de
mention arrivait a sa connaissance,
pratiquer des coches de formes va-
riées sur de" petits morceaux de bois
semblables aux tailles des boulan-
gers, ou, si l'on trouve cette assimi-
lation triviale, aux runes des anciens
Scandinaves: c'étaient autant de notes
hiéroglyphiques dont lui seul avait
le sens, comme les Péruviens jadis
avaient celui de leurs quipos ^ et
grâce auxquelles, sans perdre grand
temps et sans avoir ni crayon ni
plume et encre sur lui, il fixait des
données fugitives et multipliées.
Parfois il confiait de ces tablettes
aux goussets et aux poches de son
ami qui finissait par en avoir, disait-
il, en appliquant ici l'hémistiche de
Burns, « de quoi raccommoder un
moulin (8). «Nous présumons cepen-
dant que cette algèbre de nouvelle
espèce n'avait de sens pour lui que
dans un laps de temps très-court, et
que le soir ou le lendemain il repor-
tait sur le papier ce qu'il avait gros-
sièrement mnémonisésurses bâtons.
Tout en amassant ainsi les notions
les plus détaillées et les plus profon-
des sur sa terre natale, Scott ne né-
gligeait ni l'allemand ni l'Alle-
magne. C'est ce qu'on put voir quand
en 1799 il publia une traduction de
cette pièce par laquelle Gœthe appa-
rut si brillamment sur la scène dra-
matique, Gœtz de Berlichingen. Si
de tels travaux n'étaient pas de ceux
qui pouvaient donner beaucoup de
poids à son nom parmi les sévères
attorneys et les membres de la cour
d'Edimbourg, ils n'empêchaient pas
que les recommandations du duc de
Buccleugh et l'appui de Dundas ne
lui fissent obtenir, en quelque sorte
comme étrennes (au mois de décem-
bre 1799 ), le titre de shérif du
comté de Selkirk , accompagné de
7,500 francs d'appointements. Le ciel
nous préserve de dire qu'un emploi
rétribué de cette façon était une siné-
cure ! Mais il est du moins permis de
répéter après et d'après les anns de
Walter Scott que les fonctions de sa
charge n'étaient pas écrasantes. Il les
accomplissait toutes consciencieuse-
ment, nous en sommes convaincu :
mais quand toutes étaient accom-
plies, il lui restait bien encore les
trois quarts de son temps pour se
livrer aux distractions archéologi-
(8) Might \ià\e uieodt'd a mill.
172
SCO
ques et littéraires qu'il préférait à
toutes les autres, et dont il semble
qu'à celte époque le goût croissait
chez lui d'année en année. C'est à ce
moment où le siècle des Walpole et
des Akenside allait céder I4 place au
nôtre que Scott devenait antiquaire
dans l'acception littérale du mot, et
se mettait k explorer les magasins de
bric-à-brac et les arrière-boutiques
des bouquinistes Nous ne le suivrons
pas dans ses allées et venues, dans
ses chasses aux médailles et aux po-
teries ébréchées, dans ses colloques
avec les détenteurs de manuscrits et
d'éditions rares, d'autographes et de
vieilles complaintes. Si l'on veut
voir tracé de main de maître le por-
trait de Scott, comme curieux et
comme fureteur, on n'a qu'à lire
dans le premier tome de V Antiquaire
tout ce que Pauteur y dit du vieil
Oldbuck: pas un coup de pinceau
qui ne soit exact, exact sans carica-
ture. C'est aussi vers cette période
de sa vie qu'il commença ses rêves,
très-modestes d'abord , sur Abbots-
f'ord, qu'il n'avait pas encore à lui,
mais qu'il voyait de ses fenêtres.
Obligé par sa nouvelle place de
résider au moins une partie de
l'année dans le comté de Selkirk ,
il avait été se fixer au manoir
d'Ashesteil près du confluent de la
Yarrow avec la Tweed et l'Ettrick, à
peu de distance de ia ville de Sel-
kirk. Sur la rive opposée était au
milieu de ses pauvres domaines,
comme il les nommait, un ancien
château délabré auquel sans doute
la résidence d'un abbé jointe au voi-
sinage d'un gué commode (double
souvenir qu'il a glissé dans le Mona-
stère) avait valu autrefois le nom
d'Abbotsford(9). Il se pritdeten-
(()) On dit puurljut qu'Abbotsfoid est un
SCO
dresse pour ce vénérable débris ,
qui d'ailleurs avait le mérite d'être
à lui, et il résolut de le remettre
un jour en état. Mais auparavant il
était nécessaire de battre monnaie,
ce qui ne pouvait se faire qu'en ob-
tenant un autre poste plus lucratif
que son humble shérifat ou qu'en
découvrant un filon argentifère sous
les sables de la littérature. Sous l'un
comme sous l'autre rapport, bientôt
il devait être servi à souhait; mais
force fut d'attendre encore un peu.
En 1800 parurent les Histoires mer-
veilleuses (Taies of the wonder) de
Lewis; et de ces récits en vers, deux
avaient été fournis par Scott, la Veille
de la Saint' Jean et GlenfUas. Mais
le livre n'eut pas tout le retentisse-
ment sur lequel on comptait; et les
deux morceaux poétiques de Scott,
quoique remarqués de quelques juges
compétents et impartiaux, ne lui va-
lurent que de tièdes approbations.
Nul son de trompe n'avait à l'avance
proclamé son nom : les lecteurs an-
glais ne pouvaient de prirne-abord
sauter aux vers écrits par un Écossais:
et tant de noms fameux venaient
avant et après lui dans ce recueil
bigarré, que le sien en était dans le
cône d'ombre. Il eut plus de chance
deux ans après, lorsque, réunissant
en un même corps d'ouyragetoutce
que lui avaient fourni de précis et
nom (le l'invention deVV:ilter Scott, du riioius
comme tjom du lieu qu'il a rendu si ccièlire
en l'haljitant. Le noyau de ses propricfésen
ces parages fut une ferme dite Cartley-Hole,
qu'il acheta du D"" Douglas, ministre de la
paroisse de Galashiel.Au basdes terres coule
la Tweed, remarquable en cet endroit p.'.r
un gué ; et comme l'abbaye de Melrose est
là tout près de l'antre côté du fleuve, l'ima-
gination de Scott vit là le gué de l'abbé et
son domaine devint la terre du gué de l'ahbé.
— - Abbotsford est à 3 kilomètres de Mcl-
robe, petite ville du coraiô de Roxbouig,
elle-raérae à 5 kilomètres d'Edimbourg.
SCO
SCO
473
d'intéressant ses minutieuses recher-
ches sur le Border, ses lectures et ses
pc'régrinations, il publiasousle titre
de Chants des ménestrels de la fron-
tière écossaise (Minstrelsy, etc.),
trois volumes de prose et de vers, de
traditions et de réflexions, d'éthique
et d'histoire, d'œuvres anciennes et
d'imitations modernes, dont le titre
indique suffisamment le sujet. On
reconnut, en Ecosse surtout, que
cetle publication décelait une con-
naissance approfondie de tout ce
qui regarde ce pays et que l'auteur
avait groupé une multitude de faits
qui s'illuminaient mutuellement , et
dont la plupart n'étaient connus
que d'un petit nombre de curieux.
Il figurait lui- même comme mé-
nestrel dans cette longue galerie,
car il n'avait point oublié d'y réim-
primer sa Marseillaise des cava-
liers de Middiothian. Somme toute,
Scott, par sa Minstrelsy^ prit rang
parmi les lettrés et les archéolo-
gues en réputation d'Aberdeen à
Glasgow, et dont le nom n'était pas
absolument ignoré à Londres. Tou-
tefois ce n'était là qu'un succès
d'estime. Cependant, il se sentit
assez encouragé pour faire un pas
de plus. Il y avait dans la biblio-
thèque des avocats d'Edimbourg
un manuscrit unique au monde ,
contenant le roman ou poème de
sirTristremdeThomarsd'Ercildoune,
vulgairement dit Thomas-le-Rimeur.
Ce poème, le plus ancien monument
de la poésie écossaise, est le fond de
notre Tristan de Léonais, mais il est
infiniment plus court, et nul doute
aussi qu'il ne l'ait précédé. Scott
en publia une analyse sous le titre
de Précis de Vhistoire de sir Tris-
<rem (1804), et comme avec lastance
xcv du chant troisième le manuscrit
déchiré laissait les lecteurs en sus-
pens, il ajouta une conclusion dans
laquelle il a imité le vieux langage
et l'extrême concision de Thomas-le-
Rimeur avec un bonheur extraor-
dinaire. Chatterton n'a pas fait
mieux dans ses imitations du vieux
Rowley, ou plutôt, s'il faut tout dire,
Chatterton a fait moins bien, car il
n'a guère saisi que le langage et la
forme extérieure du vieux temps, il ne
s'en était point assimilé à fond l'es-
prit; le XVni« siècle paraît souvent
chez lui. Scott est plus maître de lui,
et d'ailleurs il connaissait plus inti-
mement ce qu'il voulait simuler: et
comment s'en étonner? il avait deux
fois l'âge du pauvre écolier de Bris-
tol , et il appartenait à un pays où
tout est plus caractérisé qu'en An-
gleterre. Le public cepcfidant ne
s'intéressa que médiocrement à la
nouvelle production de notre auteur,
et eut presque l'air de ne pas la com-
prendre. Le petit poème dont il l'ac-
compagna, et qui tout entier était de
sa composition, Thomas-le-Rimeur,
passa de même presque inaperçu. Il
n'en est que plus surprenant de
voir avec combien de laveur fut
accueilli l'année suivante le Lai du
dernier ménestreL Sans contredit il
y a là bien autrement de talent que
dans tout ce que l'auteur avait donné
jusqu'alors. Désormais il a cessé
d'être traducteur, imitateur, compi-
lateur : voici un ouvrage tout en-
tier de lui , qui est presque de lon-
gue haleine , sans être trop long
(il n'a que six chants). La forme est
celle du vieux roman en vers, le
rhythme peut changer et tour-à-
tour avoir l'allure héroïque ou fa-
milière. Jamais d'emphase dans le
style, du merveilleux en très-forte
proportion , mais un merveilleux
qui s'harnionje à des croyances
populaires dont les traces sont
474
SCO
SCO
vivantes encore, et des nuances
dVsprit moderne parfaitement jus-
tifie'es par le cadre qu'a choisi le
poète. En effet, dans qnelle bouche
place-t-il son récJt ? dans celle d'un
vieux me'nestrel, le dernier de la ra-
ce, cfu'il suppose avoir survécu h la
révolution dont fut témoin son en-
fance. Sa manière d'ailleurs, tout en
reproduisant avec une certaine fidé-
lité les façons et !a physionomie anti-
ques , rappelle celle des Lakistes qui
étaient toujours à la mode en pro-
vince, et qui comptaient encore en
poésie. C'étaient sans doute des
éléments de succès. Cependant y
a-t-il là de quoi expliquer tout le
succès ? Nous sommés tenté de
croire que non. Il nous semble
que Scott apparaissant pour la pre-
mière fois sur la scène littéraire
armé de son Lai du dernier mé-
nestrel n'eût pas trouvé la popu-
larité qui cette fois récompensa son
travail. C'est que ses publications
précédentes, malgré leur peude re-
tentissement, avaient préparé le pu-
blic à l'entendre : il avait familiarisé
d'avance Ecosse et Anp^leterre à ce
dont il comptait les entretenir : ce
n'est pas son éducation à lui seul qu'il
avait faite parde^rés,c'étaitaussi celle
de ses amis et entours, c'était aussi
celle de ses compatriotes et de ses
voisins. Nous verrons plus tard com-
bien en général les introductions de
Walter Scott sont longues et ternes:
eh bien, il en fut de sa fortune litté-
raire comme de ses romans : les pre-
miers échelons n'annoncent rien
d'éclatant et d'extraordinaire , au
contraire; et pourtant c'étaient des
assises solides, en quelque sorte
des pilotis cachés dans l'eau et du
milieu desquels devait enfin sur-
gir aux yeux de tous un édifice in-
submersible. Inscrit nomen famœ ,
cette spirituelle expression de Tacite
semble avoir été créée pour les gens
qui vont à la e:Ioire par le procédé
Scott. On vt'ndit dans l'espace de
quelques mois deux mille exem-
plaires in 4° ,et six millo exemplai-
res in -8" du Dernier méne!(trel^ ce. qui
produisait presque 200,000 francs ,
et la vogue ne se ralentit pas ,
puisque douze autres éditions se
succédèrent en huit ans (la 13^ in-
8° est de 1812). A coup sûr, c'était là
une vente prodigieuse pour le temps,
et pour un ouvrage sortant des pres-
ses d'Edimbourg, nous ajouterions
volontiers « et pour un poème, »
surtout en songeant que ce poème ne
roulait sur rien de moderne. Aussi
à partir du Dernier ménestrel, les li-
braires eurent-ils les yeux fixés sur
Walter Scott, et son nom fut un de
ceux qui peuvent servir de passe-port
à tout ce qu'on veut, et même à des
compilations qui n'ont rien de com-
mun avec les œuvres d'art. Il usa de
ce privilège prudemment, c'est-
à-dire qu'il attendit trois ans encore,
et que, lorsqu'il crut le moment ve-
nu, il entremêla toujours avec l'ou-
vrage de pacotille la composition
qui devait ajouter à ses titres de
poète ou d'artiste. Ainsi, ses Ballades
et Pièces lyriques virent le jour en
1806, ses OEuvres poétiques {5 vol. in-
8o) où à beaucoup de morceaux con-
nus s'en trouvaient joints plusieurs
tout-à-fait inédits parurent dès 1806;
et 1807 fut absorbé par la composi-
tion de Marmion, qui vit le jour en
1808, et qu'accueillit une triple salve
d'applaudissements , avec lesquels
tranchaient à peine, soit les lignes
satiriques, soit qiielques lazzi équi-
voques de Byron (10). Si cette même
(lo) Dau!) ces vers à peu près iutradrii-
I
SCO
SCO
475
année 1808 il laissa placer son nom en
tète d'une réimpression des OEuvres
complètes de Dryden , auxquelles,
il ajouta la vie de l'auteur et des
notes, si les Mémoires du capitaine
Georges Carleton et l'édition de
la Reine Hoo-Hall, de Strutt, re-
montent pareillementà 1808, en 1808
aussi parut le drame des Anciens
temps, et, il faut remarquer que Strutt
ayant laissé son roman inachevé Jes
derniers chapitres furent écrits par
notre auteur. S'il participait à la
rédaction de IdQuarterly Rewiewei
de VEdinburgh Review, et s'il four-
nissait des chapitres historiques à
V Ànnual Register de 1808, si nous le
trouvons éditeur des Traites delord
Somers en 1809, si en 1810 il donne
les Pièces et documents officiels, de
sir Ralph Sadier (avec Ciifford), et
les M ém. désir Robert Cary ^ si en-
fin il paie un dernier tributaux mânes
de la spirituelle Anna Seward, en soi-
gnant l'édition de ses OEuvres poé-
tiques , si l'on ne veut voir dans
V Iconographie illustrée du Lai du
dernier ménestrel {iS0S,m-4c'') qu'un
travail matériel, tout aussi peu lit-
téraire que des notes, la Dame du
lac, en 1810 même, vint protes-
ter contre ceux qui auraient pu
supposer qu'il s'endormait sur ses
lauriers, et, sans avoir autant de
débit que le Lai, obtint encore plus
de popularité : imitée, dramatisée,
découpée en romances, citée par ex-
traits, on la mil en musique, on en
donna le nom k des robes, à des cha-
peaux. Deux autres [^ùcmes, la Vi-
sibles sur les nouvelles littéraires du jour:
Pretty miss Jacqueline
lliis a nose nquilin«
And would as»erl rude
Tliiiigs of mis!> Gerlriide;
Wbile Scott and Rlarmiun
Shall le.id an arniy on
And will Rt'liama look
l.iku a tivii't; Mamcliike.
sion de Rodrigue et Rokeby, se suc-
cédèrent en 1811 et 1813, et précédè-
rent l'édition des OEuvres de Swift,
qui, dans la même année, fut suivie
du Lord des Iles. Ces compositions
nouvelles étaient-elles de nouveaux
fleurons à la couronne de Scott, ou
bien décelaient-elles la décadence?
justifiaient-elles l'enthousiasme de
quelques-uns de ses fervents admi-
rateurs , ou bien l'homme de goût
devait-il faire chorus avec les nom-
breuses parodies et bouffonnerie^
des poètes populaires tant hors du
théâtre qu'au théâtre ?(ll)Nt)US y re-
viendrons. Mais d'abord notons que
la parodie ne s'adresse qu'au succès
et à la célébrité. Le succès, il aug-
mentait encore, et c'est lors de la
publication de Rokeby que Scott en
vit l'apogée pour sa poésie. Il fut
vendu de cet ouvrage huit mille
exemplaires en trois mois(240,000fr.);
il s'en écoula encore de sept à huit
mille depuis, et l'on citait prover-
bialement alors le poète écossais
comme celui auquel ses vers avaient
valu les profits les plus fabuleux.
Bientôt, il est vrai, cette gloire de-
vait passer à l'auteur de Childe~Ha-
roîd (12) , mais alors et même
quatre ou cinq ans après , quoique
Childe-Harold et bien d'autres su-
blimes boutades du seigneur de New-
stead eussent vu le jour, c'était en-
core le portefeuille de Scott qui était
le plus reçu. A cette époque, dureste,
(ir) On compterait peut-être vingt pa-
rodies faites sur les œuvres poétiques de
Scott; et Colman le jeiiuc lui-même lui
administrait le coup de patte.
Haru of the Pats, tliat roilliig long lias lahi
In thf dai'k bossoni of S.iint-Allan's bojf.
Will nobody be gÏTing you a jog.
(12) Eu ne considérant que les succès de
Scott comme poète, car, par .sesrofu^nis, par
ses éditions, il recueillit certes iufiuimcnt
plus que lord pyron.
476
SCO
il y avait long-temps que les profits
de ses œuvres littéraires ne ligu-
raient que pour la plus faible partie
dans son budget des receltes. Tou-
jours patroué par le duc de Buc-
cleugh, il avait ;ijouté à son shérifat,
en 1806, la charge de greffier en
chef à la cour des sessions. Ce titre,
qui n'a rien de retentissant, donnait
pourtant bon an, mal an, à l'heureux
titulaire, qui en encaissait réellement
les émoluments, au moins 40,000 fr.,
et par la suite il produisit des re-
venus peut-être triples ou quadru-
ples. La nomination de Scott à cette
place lucrative fut un des derniers
actes du troisième et dernier mini-
stère de Pitt, qui nous semble bien
lin peu avoir ici récompensé le tory
déterminé, mais qiii,s'il fint en croire
les paroles qu'on lui prèle, ne vit en
cette occurrence que l'homme de let-
tres et Tauteur du Lai du dernier
ménestrel. Toutefois la nomination
n'était point encore expédiée, quoi-
que Georges 111 l'eût signée, lui aussi,
en manifestant comme son ministre
le plaisir qu'il éprouvait à donner ce
témoignage de son estime à un
homme de génie; mais Scott n'avait
point acquitté les droits, et dès lors
ne pouvait encore avoir en poche le
royal warrant, quand tout à coup la
mort du célèbre lord de la tréso-
rerie amena la dissolution du cabi-
net. Heureusement Fox, en arrivant
aux affaires, ne voulut point mettre
obstacle à l'avancement d'un écri-
vain pour lequel il avait plus d'une
fois marqué de l'admiration; et le
numéro de la Gazette qui annonça
les nominations d'Erskine et de
Clerk aux postes, l'un d'avocat-gé-
néral, l'autre de solliciteur-général
(8 mars 18U6), contenait aussi la
mention officielle de l'élévation de
Holre auteur. Ainsi Tou peut dire
SCO
que whigs et tories coopérèrent
à sa nouvelle situation , et que
deux opinions toujours hostiles fu-
rent unanimes sur son compte. A
vrai dire, cependant, ce que lit Fox
en cette occasion ne fut qu'une for-
malité : c'eût été une énormité que
de revenir sur un acte consommé,
quoique non porté au journal offi-
ciel ; et le ministre whig lui-même
le reconnut en disant gracieuse-
ment : « Ce que je fais n'est qu'une
justice ; j'eusse souhaité que ce fût
une faveur. » Il est vrai que trois
ou quatre années se passèrent pen-
dant lesquels les droits de la charge
furent touchés par son prédécesseur
et cédant. Mais enfin, d'assez bonne
heure encore, son tour vint. La pé-
riode de 1804 à 1813 fut donc pour
Scott ou la plus belle ou une des
plus belles phases de sa vie : loisir,
richesses, sécurité, labeurs selon son
goût, consciencedesontalent, gloire,
rien ne lui manquait, d'autant plus
qu'il arrondissait ses propriétés au-
tour d'Abbotsford (13), qu'il faisait
Tacquisilion du vieux manoir (1805),
(i3) Abbotsford et les terres qu'y joi-
gnit riuccessivement W;ilter Scott lui coû-
tèrent un peu moins de cinquante mille
liv, sterl., c'est-à-dire environ douze cent
cinquitnte raille francs. Il falluit avoir ainsi
qu'il l'avait la manie de la propriélé, de
la getulemanship (que Messieurs les gent-
lemen nous permettent de forger ce mot )
pour conclure de ces marcbés. Tout
le bien ue rapporte j)iis plus de dix-buit
mille francs, ou à peine un et demi pour
cent. Le sol en est pauvre, et il le doit eu
grande partie à ce que tout ce pays était
grevé en faveur des villages de Dornick et
«le Mclrose d'une servitude ou redevance
dite ofleal and divot et qui consistait eu ceci,
que l'on venait s'y approvisionner périodi-
quement de certaine quantité «le ferre végé-
tale. A la longue, presque tout l'bumus a
été enlevé. La situation d'ailleurs n'est pas
belle : la vallée de la Tweed est monotone ;
ses eaux embellissent le paysage sans l'ani-
mer, et de tous côté* des muntagucs peu
pittoresqueb borneut la vue.
SCO
qu'il le relevait, l'embellissait, l'en-
toiirait de plantations, le transfor-
mait en musée d'antiquités et de cu-
riosités : il vint l'habiter en 1811,
ei ce fut depuis ce temps sa résidence
ordinaire. Nul événement grave,
nulle calamité ne venait interrompre
le cours de cette vie heureuse. On
eût dit que le malheur pouvait l'ap-
procher, le menacer , mais non l'at-
teindre. Au temps où il composait
son Lord des Iles, dans l'été de
1814 , s'étant embarqué avec les
commissaires du Northern -Light-
House -Service et avec les shérifs
des divers comtés maritimes de
rÉcosse, pour faire aux Orcades un
voyage qui fut délicieux, il advint
qu'au retour ils rencontrèrent dans
les parages des îles Hébrides un ar-
mateur américain , fort disposé à
capturer le navire et à conduire la
lumineuse compagnie à New- York.
Mais en définitive que se fit-il? John
Yankie fut plein de courtoisie pour
John Bull ; et au moment où Scott se
voyait déjà en perspective colon for-
cé dans l'Amérique septentrionale ,
le pirate patenté laissa voguer vers
leurs foyers shérifs et servants du
Light-House. Néanmoins lout a un
terme et tout s'use. Lors même que no-
tre poêle aurait toujours entendu des
louanges égales bercer son oreille, il
s'en serait lassé peut - être ; mais les
louanges perdaient de leur force.
Cette popularité, qu'il avait con-
quise par le rajeunissement de vieil-
les légendes, toujours monotones,
froides si on ne les anime par la
multiplicité, par la variété des inci-
dents, à la manière de l'Arioste, ou
par l'emploi des ressorts modernes
ne pouvait avoir qu'un temps, parce
que l'étonnenient dure peu. De là
les rudes attaques des parodistes,
incapables de dire avec précision
SCO
477
ce qui manquait à Scott, mais sen-
tant à merveille que quelque chose
luijmanquait pour prendre rang par-
mi les princes de l art. Quoique ces
attaques fussent comme un hom-
mage, quoique Scott gardât encore
le haut du pavé sur les assaillants,
il n'était pas impossible de prévoir
que les traits finiraient par porter
coup -, qu'on se rappellerait quelques-
unes de ces épigrammes qui corrodent
les renommées et les percent à jour,
enfin qu'un reflux énorme suivrait !a
haute marée. Il avait eu un moment de
stérilité après Marmion et surtout
après la Dame du lac. Un incident
acheva de lui ouvrir les yeux. Son
libraire Ballantyne disait un jour en
plaisantant ce que nous avons dit
plus haut : « Il ont beau faire, tant
que Votre Honneur mettra son nom
sur la première feuille du livre, le
livre se vendra. » Loin d'être flatté
de l'éloge, notre auteur se trouva
froissé de passer pour un ex-génie,
vivant en quelque sorte sur sa répu-
tation, sur son passé, grâce à la
constance routinière d'un public (|ui
n'examinait plus, et il se promit de
sonder ce qu'il en était en publiant
ses prochaines poésies sous le voile
de l'anonyme. Il ne le fit pas immé-
diatement cependant. Le Lord des
/fes parut sans déguisement (18t4),
ainsi que son Champ de bataille de
Waterloo (1815). Nous ne disons
rien des Lettres de Paul, qui, mal-
gré l'époque à laquelle elles se rap-
portent, ne sont que de l'année sui-
vante,et qui d'ailleurs sont en prose,
non plus que des Antiquités de la
frontière anglo-écossaise, avec des-
criptions et illustrations, lesquelles
remontent à l'année précédente. Mais
vers le môme temps il lança sur
l'océan de la publicité deux petites
felouquos si\ns mettre son nom à la
478
SCO
SCO
poupe, les FiançaUles de Triermain
cl Harold l'indomptable. Si les pau-
vres esquifs ne liretil point tout à
l'ait naufrage, ils (irenl eau sous le
souffle orageux de la critique, et
âme qui vive ne soupçonna pour lors
de quel chantier ils sortaient. Scott,
après cette épreuve , eut le bon es-
prit de ne pas regimber comme l'ar-
chevêque de Grenade contre la sen-
tence du public i seulement, puisque
ce rebelle public déjà blasé ne goû-
tait plus ce qu'il lui offrait sous une
forme, il résolut de la lui présenter
sous une autre. Pendant seize ans en
core,siron nous permet d'imiter une
locution parlementaire fameuse, il
joua le même air, essayantde lejouer
accompagné d'agréments, ou, si on
l'aime mieux, il servit le même mets
à une sauce différente. Waveriey,
ou l'Ecosse il y a soixante ans, si-
gnale le point de départ de cette nou-
velle carrière. Nous ne répéterons pas
ce que l'on sait, qu'il avait déjà quel-
que dix ou douze ans auparavant
écrit les sept premiers chapitres et
tracé l'esquisse du plan de Waveriey
d'après un passage de l'histoire de
Thoinas-le-Rimeur (14). Mais, même
(14} Suivaut Scott lui-mêiue, il avait
romraencé Waverlej au temps où il s'occu-
pait de Thoinas-le-Rimeur ( donc vers 1802 ),
mais il n'avait f)as achevé le premier cha-
pitre. Uu peu j)lus tard, vers x8o5, il se re-
mit à l'œuvre, et sept chapitres se trouvaient
faits, quand, eu ayant lu le ccuameucement à
un aini qui avait un uora en littérature, il
l'ut assez découragé par ses avis pour jeter
cet es.'.ai d.ms les tiroirs d'un vieux pupitre
qu'il relégua eu x8ii avec les vieux meu-
bles dans uu grenier d'Abbotsford. A di-
verses reprises cepeirtlant il s'était senti
l'envie de revenir a ce travail eu dépit de
l'anatlième de son ami, mais il ne savait où
trouver ses vieux cahiers, et il ne pouvait se
résoudre a récrire ce qu'il avait déjà couche
sur le papier, Un hasard le remit enfin sur la
voie. Un de ses amis ayant envie de pécher a la
ligne dormaute, il alla chercher de la ficelle
et autres objets au grenier, et il mit la main
sur ces feuillets si long-temps égarés.
abstraction faite de cette origine,
l'identité fondamentale des idées est
sensible. Sans doute Waveriey est
un roman et non plus un poème, un
ouvrage en trois volumes et non plus
un mince livret où domine le papier
blanc, un tissu d'aventures, d'épi-
sodes, de péripéties, de scènes filées,
enchevêtrées avec art, et non plus
un simple canevas, où tout flotte,
où tout est décousu , un tableau
dont les traits sont rapprochés de
nous, et où se reflète le monde mo-
derne. Mais, malgré les différences,
il n'en est pas moins vrai que là,
comme dans les poèmes par lesquels
il préludait, c'est l'Ecosse surtout
qui est décrite, c'estdaiis le Border ou
à peu de distance de cette zone anglo-
écossaise que se passent les événe-
ments,c'est par la fidélité avec laquelle
palpitent les mœurs,les superstitions,
les prédilections et les haines an-
ciennes, les querelles de clans, le
jacobitisme, les idées chevaleresques,
héroïques par une face, burlesques
par l'autre, que la nouvelle produc-
tion de Scott tranche avec la foule
des insipides Novels que chaque jour
voyait éclore a Londres, Paris et
Leipzig, C'est Bradwardine, c'est
Flora Mac-lvor,ce n'est pas Waveriey
qui captive et qui émeut dans Wa-
veriey : ce livre n'est que le pré-
texte d'une septième ou huitième
pérégrination que l'auteur nous fait
faire à sa suite du Northumberland
au comté de Slirling. Partout on
retrouve avec le souffle poétique
et l'art de faire revivre les âges pas-
sés tiette science immense, infailli-
ble et minutieuse des choses de l'E-
cosse, que personne au monde ne
possédait au même point que le docte
Écossais. Aussi est-ce en vain que
toujours sous le coup de la pa-
role de Ballantyne, ei ne voulant
SCO
SCO
479
devoir de succès qii'h l'ouvrage Ini-
meme, il lit, pour Waverley connue
pour les Fiançailles et pour Ha-
rold, c'est-à-dire ne signa point le
roman, et même plus tard, au fort du
succès des autres Novels , ne laissa
pas transpirer son nom. Dès que
la question fut à l'ordre du jour,
les habiles, les connaisseurs e1 la
masse du public le désignèrent im-
médiatement comme l'auteur, quoi-
qu'il ne manquât pas de gens d'un
autre avis. Du reste, l'ënigme ne fut
point agitée avec passion dans les pre-
miers temps. Bien qu'au bout de six
semaines ou deux mois, car il fallut ce
temps pour gou) penser l'effet de l'ab-
sence de nom, TFauerZe?/ à Londres
encore plus qu'en Ecosse ait eu un
vrai succès, témoin les douze mille
exemplaires qui s'en débitèrent, ce
n'était pas là de l'extase et de la fré-
nésie, ce n'était pas cet engouement,
cet entraînement, ce ravissement que
le peuple le moins entraînable du
globe exprime si bien par le mot de
rapture^ et il y eut des protestations
en vers et en prose (15). Cette exal-
tation de l'enthousiasme n'atteignit
son paroxysme que par degrés, Guy
Mannering et V Antiquaire {tSib et
(i5) On lui conseillait d'en revenir au plus
tôt à la forme poétique : la rime et la me-
sure, lui disait-ou, font tolérer bien des
fautes, mais de la prose comme la sieuue,
c'était du travail eu pure perte.
Ail you Write now oniy lesseus jour crédit ;
And how could you tliiiik, too of takinj,' lo edit?
A good deal's endured where tbere's mcasure and
rhyme ;
Bu» prose such as yours is a pure wast oftime.
Et un autre le faisant parler lui-même, non
sans force de scolismes , commence eu ces
termes :
Flocks, wander where you like, I dinna care :
ru break niy reed aiid nerer wbistle naair.
Qu'on nous permette de remarquer eu pas-
sant que ce dinna écossais u'est autre que
le verbe do avec la négative not devenue na
( not déjà se proaon^^t presque nat ).
to) ajoutant à l'impression de Wa-
verley^ la première série des Contes
démon Hôte (181G) à celle qu'avaient
produite Guy et V Antiquaire, puis
Rob-Roy en 1818 venant y mettre le
comble. A cet instant la sensation
qui n'avait cessé d'aller martinga-
lant fut, véritablement extraordi-
naire. L'admiration était extrême ,
et la curiosité piquée de mille ma-
nières. Déjà les ouvrages précé-
dents avaient donné lieu à nombre
de conjectures. La plupart des per-
sonnages passaient pour des por-
traits plus que pour des types. Jona-
than Oldbuck était ou Skœneou Scott
lui- même, ou tel autre bibliomane en
renom. Le manteau-bleu Ëdie Ochil-
tree était un vieux mendiant connu
dans tout le pays, et l'on ne jurait
que par lui d'un bouta l'autre du
Mearns , du Moray et du comté
d'Aberdeen. Par Fairport il fallait
entendre Arbroath ou Aberbrodith
dans le comté d'Angus; le vieux châ-
teau d'Eltangowan que vous cher-
cheriez en vain sur la carte topo-
graphique la plus détaiyée était, au
dire des experts, le mandez de Caer-
lavreek. Mais les rapprochements ,
les interprétations et les hypothèses
prirent bien un autre essor quand
Rob-Roy pnrut. On ne voulait pas
voir là un romau, c'étaient des mé-
moires dont on n'avait que changé
les noms pro[)res. Dans les Osbal-
distones on trouvait les Selbys de
Biddlestone^ et ainsi de suite pour
tous les personnages, même pour
l'excellenl bailli Nicol Jarvie dont on
suivait la généalogie bien des degrés
au-delà de son père le diacre (16), et
(l6) Le célèbre acteur Maclcriu, un des
favoris du public d'Edimbourg, se plaisait
à improviser eu société dans le rôle du bailli
Nicol Jarvie, en s'inspiraut du dialogue de
Walter Scott, et eu le brodant de mainte
480
SCO
aussi pour les localités, tant des
Higlilaiuls que des Lowlands. Ainsi,
par exemple, on montre aujourd'hui
au voyageur la colline du haut de la-
quelle Diana Vernou fait voir à son
cousin l'horizon bleu que dessinent
les monts de lÉcosse, et l'on vous
dirait le nom du lac où 1% terrible
Hélène fait précipiter l'espion qui a
livré son mari. Sous l'impression de
cette nature grandiose et âpre, si
largement peinte, et avec laquelle
viennent s'harmoniser si heureuse-
ment les Rob-Roy,lesMac-Gregor et
toute cette population fauve que meut
un de leurs signes, les touristes com-
mencèrent à dévier de l'autre côté
de Berwick beaucoup des courses
que jadis ils dirigeaient du côté de
la Manche ; on fut curieux de visiter
ces montagnes du Perthshire, de
l'Invernesshire, si sauvageiîlent ha-
bitées naguère. Cette admiration en
commun, ces pèlerinages poussés du
sud au nord par les tils de Sassenachs
chez les héritiers des Gaëls, ont plus
fait pour le rapprochement des An-
glais et des Écossais que ries centai-
nes de statuts et des milliers de pala-
bres, tant des philosophes que des
célébrités et nullités parlementaires.
Comment eût-il été possible qu'en
se préoccupant à ce point des héros
et des sites, on ne se fût pas aussi
enquis de l'auteur? 11 s'est toujours
Irouvé des amateurs de charades,
et c'en était une que ce nom qui si
souvent revenait frapper les yeux,
« l'auteur de Waverley. » On n'a-
et mainte charge, qui, une fois comprise
1:> primitive donnée, coulèrent de source
comme dans les commedie deW arte de l'Italie;
et l'ou a souvent vu notre romancier à l'abri
sous son pseudonyme, rire aux larmes des
comiques propos et des lazzi au milieu des-
quels revient s;itis cesse ce refrain ; Mon
pire le diacre.
SCO
vait pas été long-temps k deviner
quand le romancier avait voulu
s'adapter un second masque en met-
tant le Nain noir et Vieille-mor-
talité sur le com\)\c ùe son hôte f que
le facétieux Jédediah Cleisbolham
n'était que Vduteurôe Waverley [il).
Mais là revenait toujours la grande
question, l'auteur de Waverley qnel
est-il? Chaque production nouvelle
venait fournir de nouvelles raisons
en faveur de Scott, mais quelques-
unes contre. On ne pouvait croire,
par exemple, que l'ardent antiquaire
eût persiflé si résolument les croyants
aux vieilles médailles et aux vestiges
de castramétation romaine, jusque
dans Id personne d'Oldbuck qu'il
ne représente pas pourtant comme
un niais, comme un sir Arthur
Wardour. La description de la pa-
nique de Fairport à la nouvelle d'une
prochaine invasion de Français
passait à Kelso pour l'ouvrage de
l'imprimeur Ballantyne, à Fraser-
bourg pour celui d'un Saltown. Le
comte de Home aussi avait ses par-
tisans, et plus tard, lors de l'appa-
rition de Péveril du PiCj il devint
évident pour quelques personnes
que l'auteur de tous ces récits était
un frère de Walter, le capitaine Tho-
mas, alors en Amérique , mais qui
avait résidé dans l'île de Man et avait
puisé aux registres de cet ex-royau-
me. Quelques-uns pensaient à un
triumvirat composé d'un homme de
loi, d'un homme d'église et d'un
homme du monde quelque peu vir-
tuose et quelque peu maniaque. Les
plus avisés, reconnaissant sous la va-
(17) Scott avait même eu l'idée de s'en
adapter un troisième lorsqu'il composait
Ivanhoe, celui de Laurent Templeton; mais
il y renonça, vu que déjà l'ou publiait sous
le nom de « l'auteur de Waverley » une
troisième série des Contes de mon hôte.
SCO
riétë des tableaux ridentit<^ de la
touche, l'assimilai ion des matériaux
à une seule et même pensée, allaient
chercher l'artiste sous le rabat d'un
ministre presbytérien d'Éiiimboiirg,
homme de haut talent, mais que des
imputations odieuses avaient cou-
tidiul à quitter la ville et pouvaient
engager à ne pas laisser tomber au
frontispice d'un livre un nom qui n'é-
tait plus qu'un triste passe-port. Mais,
en déliiiitive , c'est sur Scott que
se concentraient généralement les
soupçons. Byron, à qui jamais le se-
cret ne fut révélé, n'en doutait pas,
et quelques-uns peut-être de ceux
qui ostensiblement semblaient d'un
autre avis dissimulaient leur vraie
croyance par jalousie, par lassitude
d'entendre nommer the great un-
known (grand inconnu) un homme
qui avait déjà des titres de gloire sans
celui-lk. Telle était la force de l'opi-
nion sur ce point que Scott, sans ja-
mais avouer qu'il lut l'auteur de
Waverley,]ugedïik propos, pour évi-
ter les dénégations et discussions
sans fin, de répondre quelquefois aux
civilités adressées à l'auteur de Wa-
verley.Hn jour, par exemple, qu'il dî-
nait à la cour, le prince régent or-
donna de présenter une corbeille de
fruits k l'auteur de Waverley^ et
Scott prit une grappe. Un soir au
théâtre d'Edimbourg, à l'instant où
il prenait place avec lord Erskine, la
salle retentit d'applaudissemeuts,d'a-
bord pour le right honourabte lord ,
ensuite pour l'auteur de Waverley.ei
Scott s'avança jusqu'aubord de laloge
comme s'il acceptait le compliment
et remerciait. Quelque signilicative
que semble d'abord cette attitude
en présence du cri public, il faut bien
reconnaître qu'au fond elle ne prou-
ve rien j dès que celui qui a rendu de
bonn»' grâce politesse pour politesse
LXXXI.
SCO
481
h ses concitoyens déclare qu'il n'y a
eu là de sa part que condescendance,
et peur d'.être de mauvais goût en
faisant la sourde oreille. Jamais, de
quelque manière que s'y prissent ses
intimes amis, sauf les trois ou quatre
personnes qui connaissaient le mys-
tère, on ne parvint à le laire sortir de
ce langage. «Je reconnaisquec'estmoi
qu'on prétend désigner, mais je ne
reconnais point avoir droit à cette
désignation. » Ce qu'il y a de pro-
digieux dans cet incognito qui dura
près de douze ans, c'est qu'il n'en
était pas ici comme pour les Lettres
de Junius qu'on pouvait commodé-
ment jeter dans une boîte de jour-
nal, et qui, vu leur brièveté, pou-
vaient toujours être rédigées de
manière à ne pas avoir besoin de
révision. Mais Scott donna plus de
soixante volumes de romans sans que
l'on en sût davantage. La copie était
transcrite par des mains sûres avant
d'être remise au compositeur ; on ti
rait de chaque épreuve deux exeui-
plaires; sur le second, Ballantyne
ou un confident reportait les cor-
rections que la main de Walter Scott
avait opérées sur le premier. Il
est des princes, des ministres dont
les autographes sont rares sur le
marché ^ mais ceux de l'auteur de
Waverley l'étaient bien autrement :
on n'en trouvait à aucun prix, per-
sonne ne pouvait se vanter d'en pos-
séder, et pourtant que n'eussent pas
donné les curieux poyr en avoir! 11
fallait voir les journalistes et tout ce
qui avait accès dans l'imprimerie pri-
vilégiée, rôder autour de la casse, ca-
joler le metteur en pages, jouer au tin
avec le prote,et entreprendra' juscju'à
l'insouciant petit porteur d'épreuves.
Tactique perdue ! car personne d'en-
tre eux ne savait le mot et n'avait
d'indices écrits. Les vrais indices
31
482
SCO
liaient ceux qu'avait flairt^s \p bon
sens de la inajoritc^ , cette connais-
sance si exquise de l'Ecosse, dos an-
tiquités et de la chicane , cette rail-
lerie bienveillante , ce scepticisme
adouci à l'endroit de légendes com-
plaisamment racontées cependant ;
c'étaient aussi les dépenses d'Ahbots-
lord, dépenses auxquelles n'eussent
pu suflire les émoluments de ses deux
places si chacun de ses romans n'eût
été un ruisseau venant grossir le
fleuve de sa fortune. Mais on ignorait
le chiftVe exact auquel montaient ses
prodigalités pour ce beau lieu. Et
eulin il est loisible à chacun de bâtir,
de planter, d'improviser un com-
mencement de musée à crédit, et
quelques-uns croyaient que telle était
la conduite de Scott, quoique géné-
ralement l'Ecossaissoit parcimonieux
et prudent. Notre romancier, d'ail-
leurs, avait trouvé un excellent moyen
pour faire prendre le change à ceux
qui pensaient qu'il pouvait alimenter
son Pactole en dérivant un iiletdela
caisse du libraire, c'éîait de con-
tinuer à mettre ostensiblement
son nom en tête de publications
qui, quoique quelques-unes d'entre
elles fussent simplement des édi-
tions ou réimpressions, ne laissaient
pas d'exiger assez de temps , indé-
pendamment d'articles divers four-
nis à V Encyclopédie britannique ^
aux deux Revues déjà nommées et
même à d'autres recueils de moindre
renom. Entre Guy Mannering et
VAntiquaire au commencement de
1816 et à l'issue d'un voyage en
Belgique et en France il donna ,
non-seulement son Champ de ba-
laiUe de Waterloo^ simple effusion
lyrique de quelques centaines de
vers, mais aussi ses Lettres de PauU
qui forment un volume de poids,
sinon de valeur ^ et très-peu de temps
SCO
après paraissaient les Antiquités
d'Islande, gros in-4'* dont l'idée
peut-être ne venait pas de lui, mais
dont il avait consciencieusement
élaboré sa part, tandis que Jameson et
Weber faisaient le reste. Il en fut de
même après l'apparition de /?o6 Roy
et de la 2® série des Contes de mon
hôte, qui comme Rob Roy vit le jour
en 1818. A peu près en même temps
que la 3^ série, 1819, fut mise au jour
la Description des Regalia (insignes
et objets de prix de la couronne
royale) d'Ecosse. Ivanhoe, qui vint
ensuite et qui signale le commence-
ment de 1820, se composait et se tirait
tandis qu'il fabriquait, au vu et au su
de tous, des textes sur les Antiquités
et beaux sites des provinces de VÊ'
cosse,Tro\s autres romans, le Mona-
stère., VAbbé^ Kenilwqrth sesuccédè-
rent rapidement, les deux premiers
cette année même, le 3« en 1821 ;
et cependant le romancier, alors souf-
frant et assujetti à un régime, trouva
le temps d'être publiciste et de don-
ner dans la Gazette hebdomadaire
d'Édim&ourgfCEdinb.weekly journal)
trois articles contre la réforme par-
lementaire. Avec le Pirate et les
Aventures de Nigel en 1822 , coïn-
cidèrent l'édition des Poésies po-
pulaires et triolets de Carey, et son
poème d^Halidon Uill, L'année sui-
vante vit paraître d'une part, sans
nom comme leurs aînés, Péveril du
Pic et Quentin Durward, de l'autre,
la Croix de Macduff par sir Walter
Scott, baronnet (cartel était son titre
depuis 1820). Il venait d'ajouter à
cette liste ^^5 Eaux de St-Ronan et
Redgauntlet (1824), plus les Contes
des Croisades (1825), quand tout à
coup la crise commerciale de cette
année vint jeter un voile sombre
sur sa destinée , et le river en
quelque sorte à la chaîne pour toute
SCO
SCO
483
s.i vie. Son librairo, Constahlf, dont
jusqu'alors la fortune avait semblé
inébranlable, fut entraîné par les
catastrophes qui se succédaient , et
Scott s'y trouva compris pour deux
millions (qu'il faut lui pardonner d'a-
voir, par une exagération de roman-
cier, portés à trois). A l'accent avec
lequel s'expriment quelques-uns de
ceux qui ont parlé de celte phase de
la vie de Scott, on devrait croire que
dans toute cette affaire il n'y aurait
eu qu'abnégation et dévouement de la
part de notre auteur, lequel, voyant
Constable dans l'embarras, lui au-
rait prêté son endos jusqu'à concur-
rence des deux ou trois millions.
D'autres, s'ils arrivaient à formuler
leur idée, seraient plutôt d'avis que
la somme représentait ce dont le
libraire était redevable à l'écrivain
pour ses travaux. Nous pensons qu'il
ne faut admettre ni l'une ni l'autre
de ces hypothèses dans sa totalité et
que toutes deux réunies ne suffisent
pas encore à rendre compte du gros
chiffre auquel se montaient les eifets
de commerce dont Scott demeurait
responsable. En combinant ses pro-
pres aveux tirés de ses lettres , de
ses préfaces, et ceux de quelques-
uns de ses amis, voici ce qui nous
paraît ressortir incontestablement
des faits connus. Scott avait besoin
de trop d'argent et en dépensait
trop ( nous n'entendons point ici
l'en blâmer, mais nous mainte-
nons l'expression) pour qu'on puisse
supposer que son libraire fût ex-
cessivement arriéré avec lui. D'au-
tre part pourtant le libraire ne pou-
vait le satisfaire avec autant de cé-
lérité que Scott le souhaitait. Qu'en
résulta-t-il? Ce que nous voyons
tous les jours sur une échelle un peu
moins colossale pour l'ordinaire :
complaisances mutuelles , effets à
longs termes et dont l'échéance ne
viendrait sans doute qu'après la fin
des travaux promis, mais dont la
confection et la mise en circulation
précédaient de beaucoup l'exécution
des travaux, renouvellements, et en-
fin soit pour faciliter les paiements à
vue des billets échus, soit comme
bon office en reconnaissance d'un
bon office, endos par Scott d'effets
qui n'entraient pas dans son porte
feuille. Ceci posé, les sommes dont il
avait à tenir compte aux créanciers
de la faillite se rangent d'elles-mê-
mes en trois classes, celles qui
payaient des travaux effectués, celles
qui étaient réglées à l'avance; pour
des ouvrages encore sur le chantier
ou dans les brouillards de la Yarrow,
celles dont la contre-valeur n'avait
profité qu'à Constable. Autant il est
indubitable que celles-ci et les pre-
mières constituaient des pertes
réelles pour l'écrivain laborieux et
pour l'ami confiant, autant il est
clair que les secondes ne peuvent
sérieusement être regardées comme
telles. Il y avait là mécompte, nous
l'avouerons, et mécompte d'autant
plus inopportun, que, contrairement
à la circonspection écossaise bien
connue, le romantique baronnet
avait dépensé à l'avance ce qu'il
n'avait pas encore gagné ; mais
désappointement n'est pas perte :
Constable avait signé, Scott avait
donné en paiement, mais Constable
ne payait pas et Scott n'avait rien
fait ; au total donc les créanciers
seuls étaient en risque de perdre.
Que l'on mette à présent en ligne de
compte le tant pour cent que Scott ou
ses ayants cause tirèrent desdébris de
Constable, on sera porté à réduire les
deux ou trois millions de perte à
quinze ou treize cent mille francs.
C'est encore un total immense ; et
3t.
484
SCO
SCO
Ton aurait tort dMmaginer que nous
cluMolions à diminuer Scott parce
que nous rauuMious son malheur aux
proportions qui nous semblent avoir
été les seules vraies: bien que nous
fassions la biographie d'un roman-
cier, nous n'entendons pas faire un
roman. Il en sera de même dans notre
jugement sur la conduite qu'il tint en
cette occasion. Il annonça hautement
qu'il paierait tout, principal et inté-
rêts, bien entendu qu'il aurait du
temps, et il se mit vaillamment en
mesure de satisfaire à ses promesses.
A noire avis, les panégyristes et les
gens à la suite ont semblé trop frap-
pés de la probité de cette annorice ;
comme si c'était en quelque sorte
excès de probité, cou^me si par déli-
catesse excessive Scott ici se fût
chargé des dettes d'un autre. Sans
doute il faisait acte de probité, mais
il remplissait un devoir : des dettes,
lesunes lui étaient personnelles, pour
les autres il avait répondu, et quel-
que cruel qu'il fût de payer pour au-
trui, en équité comme en justice il
était débiteur. Et d'autre part, com-
ment comprendre que, membre d'une
cour de justice, il eût pu, nous ne
disons pas avec honneur, mais avec
espoir de conserver son poste, dé-
serter l'obligation de solder ses
créanciers, comme il le disait, jus-
qu'au dernier pJackPCe dont il faut
le louer sans restriction, c'est de son
courage. S'il pâlit, s'il chancela, il
ne tomba point sous le coup qui en
eût écrasé tant d'autres, pas plus
qu'il ne conçut d'amertume contre
ceux qui le méconnaissaient, qui
blâmaient ou calomniaient sa con-
duite, qui tendaient à le décourager.
Suivant les uns, en effet, il avait
connu le trisle état des affaires de
Consiable, et il l'avait aidé à tromper
ses créanciers j selon les autres, qu'il
eût des torts ou qu'il n'eût que du
malheur, jamais il ne viendrait à
bout de se libôrer. Quelques uns re-
maniuaient inalignenient (pi'il avait
marié son fils aîné, l'année précé-
dente, à une héritière de soixante
mille livres st., et qu'a celte occa-
sion ii avait cédé à ce fils ou tous ses
domaines ou la nue-propriété d'Ab-
botsford, et que le château qu'il se
réservait comme propriété person-
nelle n'eût pas produit, si on l'eût
vendu, plus de 250,000 francs. Pour
dire ce que nous en pensons, nous
soupçonnons que la ruine de la grande
maison d'Edimbourg n'avait pas été
pour Scott un événement tout à fait
inattendu, et que bien résolu à faire
face au malheur s'il venait le frap-
per, et à ne frustrer personne, il
n'avait toutef<)is pas voulu que ses
créanciers pussent immédiatement
et impitoyablement tomber sur des
biens au soleil. Il savait qu'évidem-
Hîent on s'entendrait, on l'attendrait
quand on ne lui verrait de fortune
propre que jusqu'à concurrence de
12 pour cent de ses dettes; mais si
l'on eût eu sous la main assez d'im-
meubles pour se couvrir de tout, on
n'eût pas attendu. La liquidation
de Constable fut terminée en
janvier 1826. Mais dès novembre
de l'année précédente, Scott avait
commencé à préparer sa libéra-
tion, qu'il ne voulait devoir qu'à
lui - même. Un banquier de Lon-
dres lui avait fait parvenir une
forte somme, remboursable à une
époque indéterminée : il n'accep-
ta pas. Il eût accepté, peut-être,
si une souscription gigantesque,
comme celle qui dota les enfants du
général Foy, eût immédiatement ré-
pondu à l'annonce de son malheur, si
la générosité européenne eût réalisé
ce beau mot d'un noble duc: «Scott
SCO
endetté de 2 millions ! Que chacun
rie ceux qui lui doivent des heures
déhcieuses lui donne une pièce de
six pences et sa dette est payée!»
Mais les hommes sont ingrats , et
Scott necomptapassur des souscrip-
tions. II commença par faire assurer
sa vie pour vingt-deux mille iiv. st.
(550,000 fr.) au profit de ses créan-
ciers , et promit au reste de tout
payer en dix ans. II fit vendre à l'en-
chère sa maison d'Édiaibourg et son
mobilier pour habiter un second
étage dans cette rue du Château , et
dans cette maison oii tout jeune
encore et nouvellement reçu avocat
il avait fixé ses pénates , et qui
n'était plus du beau quartier
d'Edimbourg. Il livra comme gage
tous les meubles et effets d'Ab-
botsford à réméré. Enfin, pendant
les séjours qu'il faisait dans cette
demeure chérie, il ne recevait plus
comme par le passé. Cette hospita-
lité grandiose et féerique qui si
Iong-tem;»>s avait été un de ses plai-
sirs les plus doux, il y renonça au
grand préjudice des touristes et des
curieux plutôt qu'au sien. Du reste,
cette solitude qu'il s'imposait ne se
trouva bientôt que trop eu harmonie
avec une perte plus cruelie peut-
être (15 mai 1826). Lady Scott,
qui n'avait jamais cessé de lui être
chère, bien que son extrême irrita-
bilité nerveuse l'eût souvent fait
souffrir, succomba la même année.
Renfermé dans son cabinet, ne se
laissant que rarement interrom-
pre par les visites, il barrait en
quelque sorte le passage à la douleur
en s'absorbant corps et âme dans le
labeur en même temps intellectuel
et matériel d'im;jginer etd'écrire. Le
premier résultat de cette herniétique
réclusion fut Woodstock^ où l'on ne
îjent que trop la contrainte d'un tra-
SCO
485
vail mécanique, où rien ne s'épanouit
et ne rit au soleil, où la fantaisie ne
donn.e pas de coup d'aile. Woodstock
avait été promis à Çoustable et réglé
en billets. Les créanciers deman-
daient en conséquence que le manu-
scrit leur en fût livré gratis et que
îes bénéfices en fussent pour eux. En
droit strict, ils avaient raison. Mais
Scott s'y refusa péremp^toi rement, et
ils furent forcés d'abandonner leurs
prétentions. C'eût été un grand mal-
heur s'il eût cédé : Us exigences se
fussent sans doute accrues, et du
roman, qui n'était qu'une bagatelle,
se seraient étenduesà une œuvre plus
importante, arrêtée déjà en conseil
secret avec Constable et à laquelle
peul-être Scott avait déjà porté la
main dès 1825, la Vie de Napoléon.
En effet, son dessein d'éerire !'his-
toire était déjà ancien, puisqu'il le
déclare nettement dans la préface de
la Fiancée qui remonte à 1819; et
il est présumable que Georges IV,
dans les conversations qu'il eut avec
lui à Edimbourg en 1822, le fortifia
dans sa résolution. On a souvent ré-
pété dji moins que c'est à la sollicita-
tion de ce Inonarque que Scott se fit
l'historiographe de la révolution
française et de Napoléon, et on le
comprend, l'ex prince-régent ayant
si bien profité de l'une et tant poussé
à la perte de l'autre. !l est d'ailleurs
hors de doute que nombre de pièces
officielles importantes et de rensei-
gnements précieux furent rais par le
gouvernement britannique à la dis-
position de l'écrivain. Mais aupara-
vant il crut à propos de faire un tour
en France, soit pour recueillir des
documents et fixer des dates, soit
pour se distraire et rétablir sa sauté
délabrée. Déjà, en 1818, une fièvre
bilieuse de la nature la plus maligne
l'avait long-tey^ps cluué au lit et
186
SCO
avait porte un coup à sa constitution
si robuste pendant les trente années
précédentes. Il s'en était relevé;
mais, quoique n'ayant plus besoin de
garder la chambre, il avait encore
souffert deux ans et plus, et de loin
en loin il sentait tourner autour de
lui son ennemi.On comprend donc que
dans le moment actuel, tant de com-
motions, tant d'inquiétudes, tant de
peines, tant de veilles et tant de la-
beurs l'eussent prostré; et il fallut
ou secouer ce faix en changeant de
lieu ou périr sur place. H vint donc
à Londres d'abord, où, conformément
aux propositions qui lui avaient été
faites, les archives du ministère lui
furent ouvertes. Puis laissant der-
rière lui son île nébuleuse, que
nous appellerions volontiers l'île du
spleen , il alla passer une partie de
l'automne de 1826 à Paris, en com-
pagnie de la plus jeune de ses filles
(l'aînée était mariée et restait en
Ecosse). Il y reçut un accueil bril-
lant et flatteur, et il eût été ravi lui-
même, il l'avoue, s'il n'eût tenu
alors à passer inaperçu, sauf près de
quelques privilégiés, tels que son
éditeur français de la rue Saint-
Germain-des-Prés, le maréchal Mac-
donald,dont le nom atteste assez
l'origine, le duc de Raguse, toujours
fort mal avec les bonapartistes aveu-
gles, et qui n'en était que mieux au-
près de ceux qui ne virent dans Napo-
léon que le soldat heureux. Ce der-
nier, non-seulement lui communiqua
des particularités importantes pour
l'histoire de son héros, mais encore
voulut le présenter à Charles X.
Scott vit donc aux Tuileries cet in-
fortuné monarque que plus tard il
devait retrouver exilé à Holyrood :
lui qui a tant jeté de fleurs sur les
Stuarts, il s'entendit adresser de
gracieuses et chevaleresques paroles
SCO
par celui des Stuarts do France qui
rappelle le pins Jacques II. Mais ce
qui valait mieux, l'exercice, la nou-
veauté des objets , le mouvement
du voyage et aussi la beauté du
ciel , la douceur du climat , l'amé-
nité des mœurs, opérèrent- heureu-
sement stir son moral, et détendirent
son esprit toujours monté au diapa-
son le plus fatigant. H en convint
lui-même dans une conversation :
« Mon office (de greffier) et ma Vie
de Napoléon, dit-il, harassaient ma
pensée et mon corps, mon insomnie
était perpétuelle, je n'ai recommencé
à dormir qu'à Paris. » Ce compte
rendu, où respire la vérité même,
ne semble-t-il pas la paraphrase de
l'exclamation du Bonhomme, quand
il dit :
Si Dieu me prête vie,
Je le verrai ce pays où l'on dortt
Et dès son retour, plein de tout ce
qu'il avait vu, lu, appris, respiré en
quelque sorte et absorbé par tous
les pores, rendu à la plénitude de la
santé, de la force et de la vie, il se
mit à dicter les neuf volumes de
cette histoire impériale si merveil-
leuse, si compliquée, si difficile à
coordonner, plus difficile çncore à
voir du vrai point de vue et à domi-
ner. Nous parlerons plus tard du mé-
rite intrinsèque de la nouvelle pu-
blication. Ici, où nous nous occu-
pons des événements de la vie de
Scott,nous devons dire que l'ouvrage,
qui eût été si beau s'il eût été à la
hauteur du sujet, mais qui ne pouvait
guère l'être,bâclécommeil le fut avec
une célérité plus que napoléonienne
(car l'auteur ne mit pas un an à l'é-
crire), ne souleva pas, même aux
bords de la Tweed et de la Tamise, ks
applaudissements que les habitants du
Hoyaume-Uni auraient été heureux
SCO
de lui donner. A. plus forte raison
en frit-il de même en France, et nous
doutons que Téditeur, enrichi par
les romans qu'il écoulait à tant de
milliers d'exemplaires depuis dix
ans, et qu'il réimprimait toujours en
variant les formats, se soit félicité
d'avoir grossi de ce colis sa car-
gaison. Quant à l'Angleterre, ce fut
et ce devait être différent; s'il n'y
eut point de hourra, il n'y eut point
non plus de haro ; et pécuniairement
la première édition du Napoléon fut
pour Scott ou plutôt pour ses créan-
ciers une brillante affaire. Le ma-
nuscrit leur valut 350,000 francs.
Après ce bel à-compte si lestement
payé, et qui démontrait que les pro-
messes de l'écrivain n'excédaient
pas les bornes du possible, il crut
pouvoir revenir à quelques-unes de
ces habitudes dont l'interruption
avait été une de ses souffrances les
plus vives. L'antique hospitalité re-
naquit, vivante image de celle du
clan. Les embellissements d'Abboîs-
ford continuèrent. Il grossit encore
ses riches collections d'armures, de
meubles, de ÇMCffc/is (18) et de livres.
Il n'y voyait nulle témérité , l'in-
térêt qu'avait éveillé son malheur
se manifestant au moins aussi vif
depuis le commencement de sa li-
bération qu'au moment même de la
catastrophe, et la confiance d'ail-
leurs devant s'accroître encore de-
puis sa déclaration publique au dîner
de VEdinburgh theatrical fund (27
fév. 1827). Le nom de l'auteur de
Waverley avait cessé d'être un mys-
tère depuis que, par suite du sinistre
de Constable , les syndics avaient
trouvé dans les papiers du failli les
manuscrits des fameux romans ano-
nymes tous écrits, ou de la même
liiain que les poèmes de Walter
(i8) Espèces de tasser antiques.
SCO
487
Scott, ou de celle de son secrétaire,
J. Lyddiard,etquemême on en avait
vendu à l'encan pour d'assez bons
prix, quoique fort au-dessous de ce
que l'on comptait en tirer. Mais que
l'on juge par là de l'inconstance et
de la versatilité du public ! tant que
Scott avait refusé de se recon-
naître l'auteur des romans , c'est
à lui que l'opinion dominante les
attribuait exclusivement ; depuis
qu'il ne niait plus, on lui adjoignait
volontiers des collaborateurs, on ju-
geait impossible qu'il eût tout fait,
on citait telle ou telle portion con-
sidérable de Péveril ou de Kenil-
worth qui était sortie de la plume
de tel ami, ou commensal, ou parent,
ou même étranger. Ce fut pour en fi-
nir avec ces bruits que Scott, en pré-
sence de tant de convives lettrés, fit
cette déclaration solennelle, qu'on
a bien pu prendre pour un aveu ar-
raché à sa modestie, mais qui, au fond,
n'était que la revendication de ses
droits exclusifs au titre d'auteur des
Waverley Novels. C'était à la fois
défendre sa gloire et diminuer d'au-
tant l'éternelle inquiétude des créan-
ciers ; car la fécondité du débiteur
leur promettait la moisson riche et
des dividendes pour eux seuls. Nul
doute, en effet, bien que l'esclavage
tue l'inspiration, qu'il ne fût venu à
bout de tout, sans autres aides que
les gouttes d'encre tombées de sa
plume, s'il eût pu dix ans encore la
faire courir sur le papier. Sans met-
tre en ligne de compte ses autogra-
phes, que plus d'une fois les étran-
gers couvrirent d'or (19), les recueils
périodiques les mieux places sollici-
taient sa collaboration avec ardeur :
la Quarterly Review, dirigée par son
gendre, recevait et payait splendide-
l'io) Le manuscrit de V Antiquaire fut
acbeté ;Vo Uv. st., ou laSo ii\
488
SCO
ment ses articles; il écrivait succes-
sivement les trois volumes de ses
Contes d^un grand-père (1828, 1829,
1830); il réimprimait Ses OEuvres
complètes par livraisons mensuelles,
en ajoutant par an un nouveau ro-
man, et abandonnait à ses créanciers
la moitié des bénéfices de cette édi-
tion (ainsi parurent les deux séries
des Chroniques de la Canongate, en
1827 et 1828, Anne de Geierstein, en
1829) ; il refondait la matière des
Contes d'un grand-père en deux vo-
lumes, dont s'emparait VEncyclopé-
die du docteur Lardner (1830), en les
intitulant Histoire d'Ecosse, landis
qu'une autre collection, la Biblio-
thèque de Famille (Family Library),
s'enrichissait de ses eu rieuses JLef/r«5
sur la démonologie et la sorcellerie;
et que, comme pour protester par
quelque œuvre d'art contre ceux qui
ne voyaient plus en lui qu'un com-
pilateur à la vapeur, il réunissait en
un volume le Jugement de Devorgoil
et la tragédie (VÂuchidrane. Ce
n'était sans doute pas une réponse
bien péremptoire, et nous somuies
obligé (l'avouer qu'à part quelques
exceptions dont nous reparlerons,
les nouvelles productions de Scott
ôtaient plus qu'elles n'ajoutaient à sa
gloire. Le grand et presque unique
avantage qu'il en retirât était d'avoir
sans cesse à jeter de nouveaux lin-
gots dans le gouffre du déficit. Con-
formément à ses engagements, il l'a-
vait déjà comblé à peu près à moitié
à la fin de 1830, puisqu'il avait payé
à cette époque 1,350,000 fr., ce qui,
défalcation faite des intérêts décrois-
sants, laissait bien près d'im million
sur le principal. Mais ce perpétuel
labeur, le souci et enfin l'âge, plus
irrémédiable que le reste, se réunis-
saient pour l'accabler, et lui-même
il sentait de temps en temps souffler
SCO
sur lui par bouffées le vent du
découragement. En novembre 1830,
il résigna cette place de greffier en
chef dont depuis vingt-quatre ans il
remplissait les fonctions; toutefois, à
l'exemple de son prédécesseur, il
"^arda une forte quote-part des émo-
luments. L'hiver suivant, il éprouva
des symptômes de paralysie : la
jambe gauche s'affaiblissait graduel-
lement, et le faisait souffrir; sa lan-
gue était moins prompte à expri-
mer sa pensée. 11 était loin de croire
cependant qu'elles dussent sitôt
lui refuser le service. Se promenant
au commencement de 1831 avec
Wordsworth, il lui détaillait le plan
d'un ouvrage qui commençait à
prendre forme dans son cerveau.
« Comment ! s'écria son interlocu-
teur, vous pensez à donner encore
quelque chose au public! — Si j'y
pense! répondit Scott. Oh ! j'ai en-
core vingt ans de pensée et de santé
par-devers moi. » Effectivement, il
n'avait pas tout à fait soixante
ans ; mais il ne faisait pas attention
que pour la constitution un médecin
lui en eût donné soixante-dix. Ce-
pendant il comprit qu'il était néces-
saire d'user de plus de ménage-
ments; et il crut faire merveille en
prenant de l'exercice encore plus
que par le passé, en allant aux as-
semblées de comté, en courant aux
meetings, etc. Ce n'était point là ce
qu'une sage hygiène lui eût recom-
mandé. Il aurait fallu au contraire
qu'il évitât les agitations morales.
Déjà la révolution de 1830 avait été
pour lui une secousse violente. La
vue de Charles X à Holyrood l'avait
énm profondément. L'imminence de
la présentation du bill de réforme
par lord Russell porta son mécon-
tentement au comble. Profondément
attaché à 1^ lettre de la vieille cou
SCO
SCO
489
stitution britannique, il voyait dans
la moindre atteinte au svstèrne la
décadence de la Grande-Bretagne,
et il croyait du devoir de tout loyal
et fidèle sujet de s'opposer à ce
malheur. Il ne balança donc pas,
malgré sa faiblesse, à se rendre au
meeting de Roxburgh (en mars
1831) , et il écouta non sans impa-
tience les harangues des ministé-
riels presque jusqu'au bout de la
séance. Mais enfin il denmnda la pa-
role, et, s'animant à mesure qu'il en
disait davantage, il excita plus d'une
fois des murmures par la véhémence
avec laquelle il caractérisa la pré-
tendue absurdité, l'iniquité, l'in-
constitutionnalilé des améliorations
réclamées. Il tendait le bras si raide
qu'il semblait montrer le poing aux
auditeurs. Frappant les hustings à
grands revers de main, il disait :
« Oui, eussé-je dû rougir ces ais de
mon sang, j'aurais voulu rendre le
dernier soupir en combattant ces
mesures, » puis les démonstrations
énergiques et la sonorité toujours
fort grande de son poignet ne produi-
sant que peu d'eftét : « A quoi bon,
dit-il, copier les modt^s politiques de
la France? car dans ces innovations
que nous nommons réformes , il
n'y a que mode et caprice, et d'où
vous viennent ces caprices? de la
France. » Et enfin , pour terminer :
« 11 tant que je prenne congé de vous,
gentlemen, et je le ferai avec le mot
bien connu du gladiateur à l'empe-
reur : Monfwrus vos saiutai 1« Cette
péroraison ne toucha pas l'assem-
blée; elle exaspéra même quelques
assistants , à tel point qu'il partit
des rangs quelques coups de sifflet.
Scott affecta de, ne pas s'en aperce-
voir, mais il les entendit fort bien ;
et, après qu'un autre orateur rut
exprimé son opinion , il p^rut dere-
chef à la tribune, et dans cette seconde
allocution il déclara ne pas plus se
soucier d'entendre siffler certaines
gens que d'entendre braire un âne
dans les champs. On voit assez au
ton de cette réponse que , malgré
cette impassibilité apparente, Scott
avait été blessé au cœur, et que quel-
que mépris qu'il affectât pour les ré-
formistes, c'était pour lui un rude dis-
appointement que de ne pas se voir,
même dans l'arène politique, égale-
ment vénéré par ses compatriotes de
toute nuance, presbytériens comme
anglicans , radicaux comme ultra-
tories. Et pourtant il connaissait,
car qui l'a mieux rendue? la furie
des passions politiques. Mais la va-
nité aveugle toujours , même quand
elle est fondée: on se croit pré-
cieux, aimé; hélas! qu'on serait
heureux de n'être qu'oublié, in-
différent! La belle saison suivante
fut triste pour Walter ScoU. On ne
saurait dire si c'étaient les fuogrcs de
la question de reforme ou les progrès
de sa mauvaise santé qui le tour-
mentaient le plus. Mais, contraire-
menf'a ses habitudes passées, il était
devenu quinteux, morose, inégal :
la susceptibilité de feu lady Scott
paraissait revivre en lui : il semblait
qu'il eût un fantôme devant les
yeux, le fantôme de la révolution
française passant les mers et venant
secouer ses lorches sur l'Angleterre.
Tout cela ne l'empêcha pas de pu-
blier encore , dans le courant de
cette année si douloureuse , deux
autres romans, Robert, comte de
Paris j et le Château périlleux^ for-
mant la quatrième «éiie des Contes
de mon hôte. Évidemment Tinlen-
tion de So(jtt n'était pas de s'en te-
nir là. 11 fit à L'udres une apparition
en octobre l83i, pour compulser
des manuscrits au ISritish Musam,
490
SCo
méditant, on n'en peut douter, ou un
vingt-neuvième roman ou une his-
toire, bien que nous ne puissions
décider lequel, l'un et l'autre peut-
être. Mais dès qu'il fut de retour
en son pays, les médecins lui dé-
clarèrent qu'il ne pouvait songer
à passer Je rude hiver en Ecosse, et
qu'il devait aller chercher son réta-
blissement sous un ciel plus doux.
II opta pour l'Italie. Le cabinet, tout
whig qu'il était, et quelque violent
adversaire qu'il eût trouvé dans
Scott, s'honora en mettant à sa dis-
position un navire de l'État, le
Barham , qui faisait voile pour
Malte, et qui, après un court séjour
dans cette île, le débarqua, le 27 dé-
cembre., à Naples. Il y avait deux
mois jour pour jour qu'il avait quitté
Portsmouth. Sa santé avait paru s'a-
méliorer dans la traversée, et cer-
tainement le beau ciel, le doux hi-
ver napolitains, n'empirèrent pas sa
situation. Il put même écrire quel-
ques pages d'un roman qu'il intitu-
lait Bizarro, et jeter le plan d'un
autre qui roulait sur ce siège de
Malte au souvenir duquel est attaché
indissolublement le grand nom de
Parisot de la ValeHe. Mais rien ne
pouvait réparer des ravages aussi pro-
fonds que ceux dont l'âge et le cha-
grin Pavaient rendu victime. Il vit
Rome au mois d'avril, et Tivoli, et
Albani, et Frascati ; mais ni ses jam-
bes ni même ses yeux ne suffi-
saient à visiter la centième partie
de ces merveilles , qui jadis eussent
fait bondir son cœur de poète et
d'antiquaire. 11 renonça même bientôt
à les voir : ne goûtant plus, n'en-
tendant pas les explications, rien ne
l'intéressait. A quoi bon se charger
de souvenirs quand la vie s'en va? Il
sentit lui-même, malgré les flatteuses
eiipérances dont essayaientdeleber-
/SCO
cer ses amis, et quoique la lamp<»
semblât se ranimer quelquefois, que
l'huile était bien basse. Il donna
l'ordre de repartir pour l'Ecosse, et
voulut mourir dans sa patrie. Le
voyage se fit un peu plus rapidement
peut-êlrequ'il n'eût été à propos dans
son éiat de santé : du reste, il fit
lui même tout ce qu'il fallait pour
accroître son mal^ il travailla un
jour dix-sept heures. Aussi fut-il en
danger de périr : il tomba aux envi-
rons de Nimègue dans un état d^n-
sensibilité complète *, et si un de
ses domestiques ne l'eût saigné, on
n'eût ramené en son pays que sa
dépouille mortelle. Enfin pourtant
on arriva au mois de mai à Londres,
où sa fille aînée, sou gendre, ses
amis eurent la douleur de le voir
apathique, sans parole, sans mé-
moire, presque sans pensée, les lè-
vres inertes, les yeux mornes, et
dans cet état déplorable où les amis
ne savent plus s'ils doivent souhai-
ter la prolongation de la vie de celui
qui n'est plus que l'ombre de lui-
même. Il avait prédit que telle serait
pour lui la période la plus voi-
sine de la mort ; car ainsi avaient
fini son aïeul, son père ; et il fallait
qu'il eût observé ce déclin signifi-
catif de l'être avec un bien sinistre
attrait, car il l'a représenté d'une
manière saisissante dans les Chro-
niques de la Canongate. Parfois
pourtant la pensée, la parole lui
revinrent à l'aide du repos, et il en
profita pour demander à revoir
« l'Ecosse ! l'Ecosse ! • Rien ne pouvait
désormais le sauver -, on s'empressa
d'accéder à ce cri, à ce vœu su-
prême, avec toutes les précau-
tions imaginables pour le trans-
port. On quitta Londres le 7 juillet,
on atteignit Edimbourg le 9, Abbots-
lord le 11. Les nuages qui pesaient
SCO
sur sa pensée s'éclaircirent alors un
peu : il reconnut à Fushiebridge sa
vieille hôtesse, type supposé de Meg
Dodds; il pressa la main de son ami
Loidlaw. Un moment on eut l'espoir
qu'il pourrait se rétablir un peu ; ce
fut pendant un long somme qu'il fit,
et qui ne dura pas moins de vingt-
sept heures. Mais ce faible espoir fut
trompé ^ et il acheva de mourir le 21
sept. 1832. A l'auptopsie son cerveau
présenta des indices frappants du
trouble que trop de travaux avaient
apporté dans la faculté de penser: plu-
sieurs parties de l'encéphale étaient
affaissées sous des globules aqueux.
De Vix cette prostration, cette mélan-
colie dont il ne pouvait secouer le
nuage. Un cercueil de plomb revêtu
de drap noir à ornements dorés reçut
son corps. Le convoi fut moins nom-
breux qu'on ne l'avait présumé : sur
trois cents personnes conviées par
lettres à la triste cérémonie, un tiers
peut-être fit défaut, et il ne vint
spontanément d'Edimbourg que dix
ou douze étrangers. Soixante voitures
de toutes sortes et quelques cavaliers
composèrent donc tout le cortège.
L'atmosphère,chargée des brouillards
si communs en Ecosse, était lugubre
et comme en deuil du grand peintre
de la nature écossaise. Le long de la
roule, à Selkirk et Melrose, paysans
et citadins marquaient assez , sans
suivre les obsèques, leurs sympathies
pour l'illustre compatriote. Tonte
transaction commerciale fut suspen-
due, et les enseignes voilées de noir.
On atteignit ainsi Drybourg à la nuit
tombante. Les Scott avaient là un
caveau de famille au milieu des ruines
de l'abbaye. Le vénérable principal
(le l'université d'Edimbourg, G.-
George Baird, presque nonagénaire,
avait prononcé sur les restes de son
aucieii élève, avant de «juilter Âb-
SCO
[91
botsford, une prière presbytérienne:
à Drybourg, l'office funèbre fut cé-
lébré selon le rite anglican par un
autre ecclésiastique (J. Williams,
recteur de l'académie d'Edimbourg).
A Glascow, tous les navires mirent le
pavillon en berne. Un peu plus tard
on lui érigea, sur la place Saint-Geor-
ges de cette ville, une colonne dont
la première pierre fut posée , le 2
oct. 1837, par le lord-prévôt , au
milieu des magistrats, avec proces-
sion des francs-maçons et accompa-
gnement du 9« de lanciers. On lui a
érigé aussi un beau monument à
Edimbourg. — L'extérieur de Walter
Scott était sans grâce, même dans sa
jeunesse, et sans distinction , même
quand il se vit recherché des som-
mités du grand monde. Le ménestrel
de la frontière , le baronnet de la
vallée de la Tweed ressemblait à un
rude paysan, à un gros et âpre fer-
mier, ou tout au plus à un régisseur
de biens ruraux ou à un notaire de
campagne. Ses vêtements étaient
communs. Il avait de haut six pieds
anglais ; il était gros de poitrine,
sans tendance h l'obésité, du moins
jusqu'à quarante-cinq ans. Mais il
y avait dans tout son air, dans
ses allures, quelque chose de gauche
et presque de souffrant. Ou sentait
comme de l'inharmonie dans sa per-
sonne. Évidemment la cause de cette
étrangeté, c'était sa jambe, ou plutôt
la disposition organique dont pro-
venait l'infirmité de cette jambe. En
effet, bien qu'il n'en eût qu'une de
difforme (la droite), l'autre se termi-
nait par un pied démesurément long.
La tête était mieux et sans défaut de
conformation. Aussi n'existe- 1 -il
guère de lui que des portraits et
des bustes. On cite comme le plus
beau de ces derniers celui de Chan-
trey, qui u rendu magnifiquement
493
SCO
rexprcssioii de la lête dn pocic. Il
Tant en dire autant de sou porlrait
p;ir Watsoti Gordon, qui Ta fixé sur
la toile, souriant d'un rire gracieux
k quelque pensée comique et l'œil
ferme, non par l'abaissement de la
paupière supérieure, mais parce que
l'inférieure s'est relevée. Cette par-
ticularité rare, et qui demeura ina-
perçue pour presque tous les autres
artistes, était un trait caractéristique
de la physionomie de Scolt, ainsi
que la forme ronde et peu agréable
de son nez, et la distance un peu forte
de son nez à sa bouche, et la hauteur
de sa tête an-dessus des sourcils ,
avec cette différence que ces derniers
traits étaient constants, et que ce re-
lèvement des paupières inférieures ne
l'était pas. Souvent, en effet, il avait
une expression solennelle, par exem-
ple quand il parlait d'un objet ou
d'un être qui lui inspirait de la vé-
nération, et plus souvent encore son
expression était tout-à-fait nulle.
Ses yeux mêmes étaient pour,rordi-
naire petits et presque sans regard,
ce qui, avec des cheveux dNin blond
très-pâle, qui furent blancs de bonne
heure, des joues pleines, de gros
sourcils gris, quelque chose d'in-
certain dans le port de la têle, ache-
vait d'empreindre un stigmate de
vulgarité sur une face qu'on eût
souhaitée plus rayonnante ou plus
labourée. Nous ne nous en étonnons
point pour notre part; jamais l'ac-
cent, le style et la couleur, jamais la
marche de la pensée chez Scott ne
nous avaient fait imaginer qu'il eût
habituellement du volcanique en soa
regard, et quiconque a observé ces
yeux émoussés et ternes que lève sur
vous le mathématicien interrompu
dans une intégration , pourra con-
clure par induction ce que devait
émettre d'éclairs et d'étincelles l'ceil
SCO
de Tantiqnaire se repliant sur l'in-
terne et fouillant le passé. Il était
des moments cependant où Scott avait
le regard moins éteint; et on l'a vu,
même à son bureau de greffier, quand,
arrêté soudainement et cessant de
faire courir sa plume , au bout de
deux ûu trois niinuîes il trouvaitou
le souvenir fugitif ou la solution
cherchée , lever un instant ia têle
avant de reprendre le travail. Ses
yeux étaient comme inondés d'un
fluide lumineux en même temps qu'à
sa mémoire oii à son intelligence
affluait le torrent des pensées, et sa
bouche souriait comme celle de l'ora-
teur au moment qui lui découvre un
vaste horizon d'idées. Sa conversa-
tion était de même : jamais, pour les
étrangers du moins et les siujples
connaissances, elle n'offrait l'incan^
descent, le piquant, l'émouvant de
Shéridan ou de Coleridge^ à peine
même offrait -elle de loin en loin
ce que vous vous fussiez attendu à
y trouver, quelque chose du gra-
cieux de Goldsmith ou de l'humour
d'Addison. En vain vous mettiez la
conversation sur ce qu'il connaissait
le mieux ou affectionnait le plus,
sur son Ecosse, sur la minstrelsy,
sur les quaichs, sur les Kelpies, sur
les objets d'art et d'antiquité qui
l'entouraient, sur ses propres ouvra-
ges*, il arrivait même que, voulant
plaire, il n'échangeait des heures
durant que des lieux communs, sans
rien de saillant, d'intéressant ou
d'instructif. Nul doute à nos yeux
qu'il n'en fût pas et surtout qu'il
n'en eût pas toujours été ainsi. Plus
jeune et quand il était en sympa-
tiiie, en confiance, qu'il recueillait
des matériaux, qu'il interrogeait,
qu'il n'était point censé poser, il de-
vait y avoir parfois profit et plaisir
à l'entendre. Mais tout cela en défi -
SCO
nitive nVst qu'exception , et l'on
pent, toujours regarder deux points
comme incontestables : l'un, que
cette conversation qui mousse et pé-
tille, qui tantôt s'élève au drame ou
au lyrisme, tantôt sVffile en épi-
grammes, ou s'effeuille en madri-
gaux, ou s'éparpille en bluettes,
n'était ni dans les moyens ni dans les
goûts de Walter Scott; l'autre, que
même pour la conversation unie et
sensée sans vulgarité, peu d'interlo-
cuteurs trouvaient en lui l'homme
qui voulût ou qui sût leur tenir tête.
En réalité il y avait en lui ce qu'un
de nos amis nommait un jour plum
heum quid, certaine lourdeur qui
nuisait à l'essor de la pensée : de
là sa parole comme embourbée, pâ-
teuse, incolore, sans sonorité. La
plume à la main, au contraire, il
cause à ravir, il jette le niot, il re-
lève la réplique, il laisse et reprend
la parole avec bonheur, il est vigou-
reux, précis, incisif, il est bonhomme
et homme d'esprit, et, s'il y a iieu,
il devient éloquent. Voilà pourquoi
so!i dialogue est généralement ad-
mirable, pourquoi ses préfaces le
plus souvent égalent, quand elles ne
surpassent, ce qu'il y a de plus 'îx-
quis dans le Spectateur, pourquoi
ses lettres présentent au plus haut
degré la réunion de tout ce qui
consiitue la perfection épistolaire.
On retrouve quelque chose de ce
mélange d'insuffisance et de qualités
dans les résultats de .ses études lin-
guisl iques. Doué d'une très-heureuse
mémoire et pouvant retenir de lon-
gues tirades de vers entendues une
ou deux fois, il n'avait pourtant pas
poussé très-loin, lui, antiquaire,
l'étude (lu gaélique et de l'anglo
saxon. Il savait très- passablement
l'espagnol et l'italien, bien l'alle-
mand^ très-bien le français; dans
SCO
49:
aucune de ces langues cependant il
n'eût pu converser long-temps avec
élégance, aisance et fiiiesse. Le fran-
çais même, qu'il avait cultivé plus
particulièrement, qu'il possédait au
point d'entendre peut-être mieux
que beaucoup de nos compatriotes
nos vieux chroniqueurs et nos vieux
poètes, il le parlait ou le prononçait
assez incorrectement pour qu'un de
ses admirateurs de ce côté-ci de la
Manche s'écriât : « Ah ! comme il es-
tropiait le français du bon sire de
Joinville ! » Phénomène du reste
fort peu surprenant en un pays où
Shéridan et Burke, citant à la cham-
bre des communes je ne sais quel
pnssage français où était le mol mal-
heureux, se reprenaient mutuelle-
ment sur leur prononciation, l'un
prétendant qu'il fallait dire méluru,
l'autre tenant bon pour moiirou,
Walter Scott était doué d'un grand
courage moral. La manière dont it
prit le revers qui l'accabla en
1825 en fournit une preuve à la-
quelle nous en ajouterons une autre,
c'est que ce fut pendant les terribles
accès qui suivirent sa maladie bi-
lieuse de 1818 qu'il dicta les aum-
santes scènes où figure la burlesque
figure deCaleb. Quelquefois, au mo-
ment le phis plaisant du dialogue,
une crise coupait la vojx au malade;
il s'arrêtait un instant, puis, se fai-
sant répéter le dernier mot, il re-
prenait le fil du récit. Cet éloge ba-
nal, gravé sur tant de tombes et la
plupart du temps si hors de propos,
« bon fils, bon frère, bon père, bon
époux...," Scott le méritaaussi da/js
toute la force du terme; et l'éloge
doit être d'autant plus vif que bien
souvent il lui en coûta pour s'en
montrer digne. Nous l'avons vu ob-
tempérer aux goûts de son père plu-
tôt que de suivre les siens en se met-
494
SCO
tant à copier des minutes et à li^diger
lies actes ; il eut souvent besoin de
patience avec les nerfs de lady Scott ;
il ne balança pas à faire de très-
grands sacrifices pour son fils aîné,
et ce fut surtout à cause de sa tille
cadette qu'en 1827 il consentit à res-
susciter en quelque sorte pour la vie
mondaine. Ce fut d'ailleurs le désir
de laisser aux siens une fortune in-
contestée qui, après 1825, le préci-
pita dans les travaux qui accélérè-
rent le terme de sa vie. Il fut de
même bon maître, bon collègue et
bon ami. Il était comme un père pour
ses vassaux ; il veillait à leur bien-
être, mettait leurs enfants en ap-
prentissage, leur fournissait des tra-
vaux. Presque tous les ornements
gothiques d'Abbotsford furent exé-
cutés par des paysans formés, in-
struits sous ses yeux, et qui la plu-
part devinrent, grâce à lui, d'excel-
lents ouvriers. Ainsi Voltaire à Fer-
ney. Il peut se faire que l'un et
l'autre y aient trouvé leur compte ;
mais la population y trouvait aussi
le sien. La bienveillance était eui-
preinte sur son visage, à tel point
que ceux même qui d'abord auraient
été tentés de le croire hostile se sen-
taient rassurés en l'apercevant. Un
jour qu'il faisait au Liddesdale une
(le ces excursions poétiques par les-
quelles il se retrempait l'imagina-
tion, et que, sous les auspices de
Shortreed , il commençait à s'in-
staller chez un brave fermier absent
alors pour quelques moments, son
compagnon de voyage, voulant don-
ner une plus haute idée de l'étranger
àWilIie O'Milburn (c'était le nom du
paysan), lui dit aussitôt qu'il fut re-
venu : « Hé ! hé ! nous avons ici un
avocat... Il est en cet instant à l'é-
curie, donnant un coup d'œil à son
cheval. "Grand effroi de la part du
SCO
fermier; car, à cette époque, loi et
homme (!e loi étaient des mots fort
mal sonnants à l'oreille des gens de
la vallée, souvent brouillés avec la
justice. Le prudent Écossais ne dit
rien, mais il alla pousser une recon-
naissance autour de l'écurie pour sa-
voir à quoi s'en tenir sur la férocité
du loup-cervier. Il en revint la face
épanouie : « C'est là l'avocat ? dit-il.
— Oui, Willie. — Diantre soit de
ma peur! C'est tout-à-fait un enfant
de notreîcoin (20) ! » Ses amis, qui
furent nombreux, et même de simples
connaissances, le trouvaient obli-
geant, dévoué. Son commerce était
sûr, son affection inébranlable. Il
était si droit que dans une circon-
stance donnée on pouvait prédire
avec exactitude, le connaissant, ce
qu'il allait faire. Des étourderies,
des fautes même ne l'aliénaient pas :
quand une fois on l'avait conquis, on
le possédait pour la vie. D'excellent
conseil, il n'imposait pourtant pas
ses avis ; et s'il grondait, il aidait,
quoique avec prudence, comme le
vieil Oldbuck, dont il a saisi à mer-
veille la nuance de parcimonie et de
générosité , parce que c'était la
sienne. Au total, on peut dire qu'il
n'était guère avare que de son
temps : time is money, et il eût pu
dire, lui, au taux qu'avaient atteint
ses ouvrages, second is silver, mi-
nute is gold. C'est à lui qu'on attri-
bue l'invention de ces cadrans dont
les aiguilles, adaptées à la sonnette,
s'arrêtent sur tel ou tel point de la
circonférence, selon l'ordre adonner,
de façon que le domestique ne vienne
pas interrompre le maître pour re-
cevoir de lui un ordre verbal. Du
reste, quoique ainsi économe des mi-
nutes, Scott, dont la devise était de
(20) Yun's jiist. a cliicld like omsells.
SCO
ne céder en rien, trouvait des heures
à donner à la socie'té, à la prome-
nade : il ne travaillait que le matin,
avant et après le déjeuner jusque
vers une heure ; il se trouvait alors
(les jours où la besogne taillée à l'a-
vance se réduisait à conter, à dialo-
guer, à décrire, à exécuter en un
uiot) avoir achevé à peu près une
feuille d'impression, d'où environ
vingt-cinq feuilles ou un volume
tous les mois, s'il ne se relâchait
point de sa ponctualité habitiielle.
Il avait été un peu gastronome avant
l'âge de quarante ans ; à mesure qu'il
avançait vers la vieillesse, il le de-
venait de moins en moins : cepen-
dant il ne faisait point comme Vol-
taire, que paraître et disparaître à
table. La séance levée, on passait
dans la bibliothèque, où la conver-
sation, la harpe de mistriss Lockhart
ou le piano de Scott, de superbes
collections de gravures à feuilleter,
occupaient les hôtes qui là encore
savouraient sans s'en apercevoir une
création de Walter ; car tout chez
lui émanait de lui : sa demeure était
un petit royaume où tout était em-
preint de sa volonté calme et sans fra-
cas, mais efficace et impulsive (21).
(21) Voici de quelle maoière M. d'Haussez
léfiit le «hâteau d'A!)botsford : « La route,
que nous mîmes sept heures à parcourir,
traverse uu pays montagneux sans être
pittoresque, cultivé quoique dépourvu
d'iiahitations , et qui n'est remarquable
que par la monotonie d'une vallée dont
la route occupe le l'ond, à quatie milles
d'Abhotsford. On passe a peu de distance
de Melrose, petite ville baignée par une
rivière qui, dans son cours rapide, met
en mouvement de nombreuses machines.
Deux milles plus loin on trouve la Tweed,
et on arrive, par une pente rapide, à un
château d'architecture gothique, situé au
pied d'une colline fort élevée, sur laquelle
<les ])lantations récemment faites entou-
rent uu parc fortva.ste. Eu avant du châ-
teau se trouve une cour peu spacieuse,
formée par un mur crénelé de l'autr»
SCO
495
Tout dans le château comme dans
ses romans allait de soi-même et au
côté. La vue, bornée par des moutagnes,
ne peut se développer que sur uue prai-
rie, à l'extrémité de laquelle coule la
Tweed, dont les eaux tranquilles eui-
bellisseut le paysage sans l'aijitncr. Ce
n'est que de la cour que l'on j)eut saisir
l'ensemble du bâtiment et se rendre
compte de la bizarrerie de son architec-
ture. Sir Walter Scott, qui a puisé les
sujets de ses principaux ouvrages dans le
moyen âge, s'est attaché à reproduire le
style des édifices de cette époque dans
toute sou originalité, dans tous ses défauts,
jusque dans ses nombreux ia<;onvénienls.
A Pextérieur, l'originalité que l'on re-
proche aux châteaux des onzième et dou-
zième siècles apparaît dans toute son ex-
travagance. L'architecte a dû faire des
frais extraordinaires de mémoire ou d'ima-
gination pour varier comme il l'a fait la
forme et la dimension des croisées et des
ornements disparates dont il a surchargé
les façades de plusieurs corps de logis
appliqués les uns contre les autres pour
en coinjmser une habitation unique. Un
péristyle en saillie conduit à une pièce
assez vaste dont les murs sont entière-
ment couverts d'armes, d'armures, de tous
les pays, de tous les âges, et d'objets de
curiosité de tous genres. A gau<'he une
porte étroite ouvre sur un palier très-
resserré, d'où l'on passe dans une salle à
manger; de celle-ci dans un salon, à la
suite duquel une pièce immense |)résente
une bibliothèque précieuse par le nom-
bre et le choix des livres encadrés avec
beaucoup de goût dans une décoration de
style gothique. Sur un des côtés de la
bibliothèque se trouve une porte qui fait
communiquer avec le cabinet de travail.
Un escalier étroit, rapide, à marches très-
éîevées, mène à l'étage supérieur, «lans
lequel on a pratiqué plusieurs chambres
peu spacieuses, communiquant entre elles
par uu corridor dont la dimension se
refuse au passage de deux personnes
man-hant de front. L'ameublement de
celte étrange habitation en compense l'in-
commodité par sou originalité. Presque
tous les meubles qui le composent sont
historiques, et leur destination primitive
est indiquée par des iuscrijjtions gravées
sur des plaques en cuivre incrusté. Pour
se faire une idée de la richesse et de la
variété de celte collection, il faut savoir
que tous les seigneurs des trois royaumes
se sont fait une sorte de devoir de l'en-
richir des objets les plus curieux que ren-
fermaient leurs châteaux, cl qu'elle est
4%
SCO
nii<Mix comme pA cnclianlement ,
laiit (lu fouri de son cabinet, sans
faire un pas lui-même, il faisait ha-
bilement mouvoir les rouages ei les
ressorts! Jamais d'apprêts, moins de
luxe que de comiort, mille petits
soins, une propreté féerique, une
température égale et tiède en dépit
du 50'= ou 57^ degré de latitude et
d'une rivière marécageuse ; des do-
mestiques glissant les pieds envelop-
pés de flanelle le long d'immenses
galeries et prévenant vos désirs sans
attendre l'appel de la sonnette ; dans
chaque chambre une fourniture com-
plète de bureau, crayons, bibliothè-
que en miniature, cahiers d'estam-
pes, petite horloge, tuyau de bronze
donnant ad libitum, par un seul tour
de vis, une éclatante lumière. S'il est
vrai que» loger un ami c'est se char-
ger de son bonheur pour tout le
tiinps qu'on le possède, » soit faste,
soit cœur, soit bon goût, jamais per-
sonne mieux que Walter Scott ne
réalisa ce programme. JNé irritable,
ou nous l'assure, ou du moins assez
impressionnable pour qu'il ne tînt
qu'à lui d'avoir un caractère très-
difficile (22), il atténua si bien, la
« ainsi d<!veuue une espèce de musée con-
" sacré à 1;) réuuion de tout, ce que le pays
« où le régime féodal s'e^t perpétué le plus
<c loi)g-tein[)S avait conservé de précieux
« dans ce genre. » Par exemple, un miroir
d'Anne de Boleyn, deux fauteuils de Marie
Stuart, etc., etc., — et <ette urne de por-
pli yre recueillie eu Grèce par Byrou, et con-
teuaut des ossements.
(22) En effet, nous avons vu que Scott,
quand l'afflictiou l'atteignit, devint moins
facile à vivre. Il est à remarquer qu'il a
peint admirai)Ipinent cette dis[)osition à s'ir-
riter de tout quand un malheur est proche:
témoin sir Arthur Wardour à la veille d'être
arrêté pour dettes, et le duc de Rothsay
quand il croit aller a une partie de plaisir-
et qu'il marche a la mort en comp iguie de
sir John Ramorny.
SCO
bonne santé aidant et peut-être aus.si
le bien-être, ces fâcheuses disjmsi-
tions, qu'on vantait son égalité d'hu-
meur, sa douceur, son esprit de con-
ciliation et de tolérance. Il était
tolérant en effet, quoique homme à
principes et quoique ferme pour ne
pas dire opiniâtre, étroit et un peu
partial sur ce qu'en politique, en re-
ligion et en fait d'organisation so-
ciale il croyait au-dessus de la dis-
cussion. Généralement toute polé-
mique lui déplaisait , même sur
des points de littérature et d'anti-
quités. Aussi ne répondit-il jamais
à aucune des critiques portées sur
ses ouvrages. Il n'eût tenu qu'à lui
sans douie de rendre blessure pour
blessure : mais il a gardé tout
entière sa verve d'ironie pour les
personnages moqueurs de ses ro-
mans. « J'ai toujours laissé tomber,
dit-il, les parodies et les plaisante-
ries dirigées contre moi, me gardant
bien, quand quelques-unes de ces
fusées sifflaient sous mes pieds, de
les ramasser comme font les éco-
liers pour les rejeter à ceux qui les
avaient lancées, me rappelant sage-
ment qu'on peut les voir éclater en
ses mains. » C'est ce que l'on re-
marque surtout à propos du Mo-
nastère, dont nous ne contesterons
pas la faiblesse comme œuvre d'art
et comme peinture de mœurs, mais
où l'on a blâmé trop sévèrement les
apparitions et ie rôle de la Dame
bianche d'Avenel. Le romancier ne
réclama point ^ la Dame blanche tint
peu de place dans VÂbbé, qui fit
suite au Monastère ;^u\s immédiate-
ment après il passa de l'Ecosse à
l'Angleterre, de la reine Marie à la
reine Elisabeth, en écrivant Kenil-
worth. Il est très-probable que cette
appréhension des vaines querelles
fut l'une des grandes raisons qui le
SCO
déterminèrent à commencer en quel-
que sorte une seconde existence lit-
téraireà l'abri derrière le nom d' «au-
teur de Waverley, »et que le charme
d'un mystère analogue à celui de
Chatterton, étonnant les curieux pur
ses Rowley^s Reliques, ou de Wal-
poie, donnant le Château d'Otranie,
ne venait qu'en seconde ligne. Grâce
à cette longanimité ou à cette insou-
ciance de ce qu'on pouvait décocher
de désagréable sur son compte, Scott
se maintint en paix avec le genus ir-
ritabile comme avec les gentlemen
ses collègues et ses voisins. Ceux-ci,
jamais il ne les effarouchait, parce
que jamais il n'apportait en société
de prétentions à l'esprit, parce qu'il
restait bonhomme, parce qu'il avait
toujours l'air bon rentier, ou maî-
tre-greffier, ou paisible fermier, et
parce qu'il ne redevenait littéra-
teur que dans sa bibliothèque ou
avec les littérateurs. Et les litté-
rateurs eux-mêmes étaient forcés
de ne plus lui être hostiles, ou du
moins l'étaient infiniment moins
qu'ils ne l'eussent été, et cela parce
qu'il souriait au talent, fût-il encore
en herbe , parce qu'il distribuait
avec plaisir l'éloge ou l'encourage-
ment à tout ce qui le méritait sans
acception d'école ou de nuance poli-
tique. Southey et Shelley, Jeffrey et
Gifford, Wordsworth et Campbell ,
Lewis et Joanna Baillie avaient cha-
cun, à titres divers, part k son admi-
ration et à ses louanges, qui pourtant
n'étaient pas des louanges banales et
qui surtout n'impliquaient pas ap-
probation des écarts de quelques-
uns d'entre eux. Byron lui-même,
qui l'avait d'abord compris dans
ses anathèmes contre les Scot-
tish Reviewers, parce qu'il apparte-
nait à la Revue (V Edimbourg , et
dont le courroux n'était pas encore
SCO
497
tout-à-fait éteint lorsqu'il publia sou
second recueil de poésies mêlées^
sut ensuite que Scott n'avait été
pour rien dans le fameux article de
1807 et se lia avec lui d'une amitié
aus.si cordiale que pouvaient le per-
mettre la distance des lieux et la
diversité des humeurs. (1 lut avec
délices les Waverley Novels , van-
ta sans-arrière pensée comme sans
réserve le caractère de l'auteur,
et lui dédia Caïn. Cette aménité
de Scott, cette absence de morgue
et de jalousie ;ne se bornaient
point à des paroles, il agissait aussi
en faveur de ceux qui annonçaient
quelque talent. C'est lui qui , ap-
préciant de prime-abord le mérite
de Bertram, recommanda Maturin
à Byron, alors membre du comité de
Drury - Lane. Il aplanit à Jacques
Hogg, si connu sous le nom du barde
d'EttricJCf les obstacles que le man-
que de fortune et l'infériorité de
rang multipliaient autour de lui.
Bien d'autres débutants sur la
scène littéraire lui durent leur en-
trée et quelques bravos et droits
d'auteur ^ bien d'autres vétérans
dans la détresse lui durent une as-
sistance pécuniaire dont son em-
pressement et sa délicatesse de pro-
cédés doublaient le prix; et quand
son propre désastre le mit dans l'im-
possibilité de rendre ce genre de
service à ses confrères, il essaya
fréquemment par les recensions qu'il
faisait de leurs ouvrages, dans la
Quarterly ou ailleurs, d'améliorer
leur position : on pourrait même
dire que quelquefois ses intentions
charitables l'entraînèrent un peu
avant dans la voie de l'indulgence,
et il le sentit, il l'avoua peu chari-
tablement peut-être : « Je fais de
«mon mieux, disait -il, mais ils
« me démentent par de mauvais
.32
498
SCO
- oiivra^rs. Il est des grns qui se
« donnent, pour se damner eux-
. niriîios, une peine incroyable; rien
« ne peut les sauvrr! >- (Damn si-
gnifie siffler^ aussi bien que dam-
ner.) Ku reste, quelque soin que sem-
blât prendr«* Scott de s'effacer, de
rechercher Tobscurité, il est de fctit
qu'il s'arrangea fort dexlrement
pour s'attirer la célébrité. Volon-
tairement ou non, il se trouve qu'il
conduisit l'affaire de sou renom
comme la plupart de ses romans. En
général ses débuts sont peu bril-
lants, le style d'abord est lourd,
le coloris terne, l'allure vulgaire; on
est tenté de croire l'ouvrage pres-
que mauvais , c'est-à-dire insigni-
fiant: cependant on tient le livre,
on tourne quelques feuillets; l'inté-
rêt naît, il grandit, le tableau s'a-
nime quoique peu brillant encore,
les personnages vivent , quoique le
plaisir seul de voir la vie si bien re-
présentée attache sur eux l'œii des
regardants, puis peu à peu, indé-
pendamment du talent avec Jequel
le magicien les a fait revivre, ils va-
lent la peine d'être regardés, on les
cotiteniple pour eux-mêmes; le récit
nous captive, les scènes nous ravis-
sent, et nous sommes transportés
d'admiraîiwn. Certes , ni les traduc-
tions de Biirger et de Goethe, ni les
éditions des State papers et des trai-
tés de Somers ne préparaient à la
Dame du Lac; et la vogue un peu
factice du poète ne donnait à pré-
voir, nous ne disons pas la popula-
cité, mais l'immense talent, l'im-
mortalité du romancier. Le mystère
dont il s'environnait, si diaphane
qu'il fût, ajoutait au succès en irri-
tant la curiosité. Puis venaient les
merveilles d'Âbbotsford devenu châ-
teau, devenu musée, devenu enfin
un but de pérégrination, pour les
SCO
élégants de Piccadilly, pour les tou-
ristes de toutes les classes. En vrai lils
de l'Ecosse, en homme des anc.irris
jours, Wail»*r Scott aimait à ex<!r-
cer en son palais des Mille et
une Nuits une hospitalité tenant à
la fois de l'antique par la cordialité,
du moderne par le comfort et la
part faite à l'intellectuel, mais cette
hospitalité on la lui rendait au cen-
tuple. Non-seulement tout grand
seigneur, tout riche étranger se
croyait tenu en conscience à recon-
naître l'accueil de l'illustre proprié-
taire par quelque don selon son
cœur et qui venait ajouter soit à la
beauté du manoir, soit à la splen-
deur des collections, mais chaque
visitant allait répétant ses impres-
sions et faisant sa partie dans la
symphor.'ie à grand orchestre qui
retentissait alors de la pointe de
Caithness au Spartivento, ou plus
loin, en l'honneur de l'inépuisable
conteur; et la célébrité qu'on aurait
crue à son apogée croissait encore.
Scott-Hall, Scott-Castle, Soott-Ma-
nor ou Scott-House , par quelque
dénomination que nous voulions la
désigner, la résidence du baronnet
romancier devenait de plus en plus
comme une autre Médine où tout
croyant en Robin -Hood devait au
moins faire un pèlerinage. Bien que
rien ne lasse si vite que l'admira-
tion, bien qu'on s'ennuie d'entendre
nommer « le grand , » comme d'en-
tendre nommer « le juste, » bien que
dès 1820 on eût crié (après le Mona-
stère et VAbbé), au déclin et à l'é-
puisement, clameurs réfutées avec
tant d'éclat par le rapide enfante-
ment de Kenilworih, du Pirate,
de Nigel, de Péveril , de Quentin et
des Récits des Croisades, bien
qu'enfin Woodstock eût donné lieu
aux vieilles imputations de se re-
SCO
SCO
499
produire, rerithousiasme ne liaiss.i
sensiblement qu'à parlir de la pu-
blicatioR de V Histoire de Napoléon,
qu'en Angleterre même on ne trouva
ni à la hauteur du sujet, ni sufOsam-
ment iînpartiale. Scott fit de la cen-
dre du grand lionime des guinées et
un premier service pour la grosse
faim de ses créanciers , mais ce fut
tout. Ni la Fille du Médecin , ni la
Jolie fille de Perth, qui toutes deux
mériient rang parmi ses plus no-
bles créations après les Puritains
et Ivanhoe , qui semblaient pro-
mettre une nouvelle série d'énergi-
ques et ravissants chefs-d'œuvre,
ne relevèrent sa réputation de cet
échec. La locomotive depuis ce
temps ne fonctionna plus qu'à vitesse
expirante; mais comme pourtant,
même sans addition de vapeur, on
marche quelque temps en vertu de la
vitesse acquise, Abbotsford,grâceaux
touristes et surtout aux touristes de
l'étranger, ne chôma pas, et Scott put
croireque son opinion politique seule
le dépopularisait. Sa vanité réelle, si
dissimulée qu'elle fût, se trahit d'un
autre côté. Né de très-petite famille,
malgré sa descendance du pur sang
des Buccleugh, et ne pouvant se qua-
lifier de gentleman que parce que
quiconque n'exerce pas d'état ma-
nuel est gentleman, il tenait immen-
sément à paraître tout de bon de la
gentry ; et comme, surtout aux yeux
d'un tory, on n'est dûment de la
genlry qu'en étant propriétaire, ac-
quérir ou agrandir des propriétés fut
le rêve de son jeune âge ;les embellir,
les faire admirer fut le bonheur de
son âge mûr et de sa vieillesse.
D'ailleurs le notable propriétaire, le
squire, est juge de paix en son dis-
trict (riiez nos voisins), la juridiction
est comme le signe et la sanction de
la propriété, vieil us féodal, puisque
la féodalité, comme toutes les civili-
sations naissantes, identifie presque
la propriété à la souveraineté, et ré-
duit la souveraineté à trois points,
guerroyer , juger , lever des taxes.
Notre antiquaire, qui pouvait se (tire
quelque peu clerc d'ailleurs, se vit
donc servi à souhait quand un par-
chemin ministériel vint l'autoriser à
prendre le titre de squire, et qu'au
lieu de Scott il s'entendit appeler sir
Waller; et ce fut encore bien mieux
quand au commencement de son rè-
gne Georges IV lui écrivit avec cette
suscription « sir Walter Scott baron-
net, » galanterie d'autant plus flat-
teuse que c'était le premier titre con-
féré par l'ex- régent depuis qu'il
était roi. On a dit que Scott était
plus fier de ce titre que de ses
ouvrages, et que même c'est parce
qu'il croyait déroger en parais-
sant dans l'arène littéraire qu'il
s'était tenu caché si long-temps
pendant sa carrière de romancier.
Il y a du vrai au fond de ces as-
sertions, bien qu'il faille en modi-
fier l'expression : par exemple, puis-
que c'est en 1820 que Georges IV
monta sur le trône, ce n'est pas le
baronnet qui eût dérogé en signant
les premières Waverley Novels^
c'eût, tout au plus été le squire ou
le gentleman. Nous soupçonnerions
aussi que peut-être Scott dans les
commencements s'imagina qu'un
gentleman ne descend pas en se fai-
sant poète, mais que le roman ternit
l'écusson. Et enfin la noblesse de
robe a toujours été un peu plus
vaine que celle d'épée : le mot
Novel jure avec la robe noire et le
bonnet carré. Scott l'aviil senti
quand on augurait si mal de lui
parce qu'il passait plus de temps
à glaner des ballades et à lire de
l'espagnol qu'à balayer de sa loge
32.
500
SCO
la s:ill»> (les Pas-Perdus- et il nous
l'a (lit à sa façon (juand, dans l'intro-
duction aux Chroniques de la Canon-
gate , il met aux. prises le flâneur
Croftangry et maître Fairscribe.
Dans celte hypothèse, il aurait
sacrilié moins à ses propres idées
qu'à celles d'autrui. C'est bien en
ell'et ce que nous retrouvons chez
lui. Il heurte rarement, il ne fronde
jamais; il cède, mais il cède dans des
limites à lui connues , et en der-
nière analyse il ne fait que ce
qui convient à ses goûts. Il y a
mieux, il rit, avec mesure et sotto
voce, le plus souvent sans en avoir
l'air, mais il ril des choses devant
lesquelles il baisse pavillon, et qu'il
semble respecter, nous dirions même
qu'il respecte. Car c'est là un des
traits les plus particuliers de son
génie ; nous n'avons pas dit assez
lorsque nous disions : « Il se rit des
légendes qu'il aime et des vieilles
institutions qu'il vénère, » il faut
dire aussi : « Il aime, il vénère
ce dont il rit. » Oui , il est aussi
sceptique, aussi moqueur que qui
que ce soit, il apprécie parfaite-
ment !a barbarie des temps féo-
daux, l'inhumanité des uns, la
fréquente hypocrisie et la licence
des autres, l'ignorance de tous.
Il préfère mille fois, non-seulement
à ce vieux régime , mais à tous les
ordres de choses qu'il est possible
d'entrevoir dans l'avenir, l'ordre
actuellement existant, la succession
protestante, la septennalité, etc.,
sans Miodification de quelque genre
que ce soit. Et cependant ce vieux
régime, si différent de ce qui est à
présent, ce vieux régime qu'il a fallu
ruiner aux trois quarts, si ce n'est
de fond en comble, pour obtenir la
civilisation normale moderne et in-
troniser la maison d'Hanovre avec
SCO
ses corollaires, il le porte dans son
cœur, il s'intéresse aux houunes de
sac et de corde avec lesquels il nous
met en contact; il a du tendre pour
la chanteuse errante, et il offrirait
l'aile de la plus délicieuse grouse des
Lowlands au plus ignorant des frères
qui lui content, d'après la Bible sans
doute , mais avecques moult varia-
tions, les prouesses par lesquelles
se signalent es tournois les jeunes
chevaliers du clan de Benjamin. Com-
ment concilier une contradiction si
flagrante? On le peut, ce nous sem-
ble, si l'on pense que Scott, essen-
tiellement homme de patience et de
tempérament , d'ailleurs sachant
l'histoire à fond, et habitué par la
pratique des tribunaux à calculer le
pourquoi et le comment des événe-
ments humains, devait penser que
chaque forme en son temps avait
été à sa place, avait rempli son
objet , avait fonctionné utilement,
quitte à disparaître quand elle se-
rait usée, faussée ou dépassée. D'une
part donc il est à mille lieues de
ce rationalisme étroit qui ne veut
rien admettre de bien que ce qui se
fait chez nous et de notre temps, et
qui voudrait la monarchie constitu-
tionnelle à Saint-Pétersbourg et le
jury parmi les Béloutches; il aime et
vénère des formes qui, liées au culte
des ancêtres, se sont trouvées en
harmonie avec les âges où elles ont
fleuri, et ont d'ailleurs produit de
beaux fruits, non pas sans mélange
il est vrai ; de l'autre, se transpor-
tant en idée à ces époques qu'il dé-
crit, il y voit et les individus et les
masses aussi persuadés de leurs per-
fections, de la justesse de leurs idées,
de la nécessité, de la légitimité de
l'ordrede choses en vigueur, de l'im-
possibilité d'être autrement, que les
plus tranchants des modernes peu-
SCO
vent rétro de la supériorité de l'ère
actuelle sur toutes les autres, et s'il
raille il ne raille en quelque sorte
qu'en famille, et comme on rirait des
travers d'une mère-grand, impertur-
bablement satisfaite des modes an-
tiques, qu'elle crut et croit encore
un effort du bon goiil. Un der-
nier trait couronne le caractère de
Walter Scott, c'est la pureté morale
de toutesses œuvres. Tandisque tant
d'autres croient tout justifier en di-
sant avec le bel esprit de Bilbilis:
Lasciva est nobis pagina , vita
proba est ; tandis que tant d'autres,
et c'est l'usage de nos jours, affichent
la vie d'excentricités, de dissolution
et de folie, et transportent dans leurs
ouvrages les tableaux dans lesquels
ils se révent acteurs, corrompus, nous
l'avouerons, par la société actuelle,
mais corrupteurs à leur tour, Scott
déploie partout le sens moral le plus
pur, et réussit à ne jamais blesser la
pudeur. Serait-ce parce qu'il ignore
l'art de peindre ou de faire parler
l'amour? qu'on se rappelle Rcbecca,
Fenella, Conachar! Ou bien parce
qu'il se refuse à mettre en scène des
passions illégitimes, des appétits
brutaux, des trafics honteux? mais
qu'est-ce donc alors que la Bégom et
Richard Middiemas? qu'est-ce que
lady Bingo et lord Etherington?
qu'est-ce que Warner? qu'est-ce que
Bois-Briant et deBracy, lorsque pour
la première fois ils s'adressent à leurs
prisonnières dans le château de
Front-de-Bœuf? qu'est-ce surfout
que Chyffinch et sa -compagne?
Qu'on étudie bien les scènes aux-
quelles nous faisons allusion, et
l'on verra comment on peut tout
indiquer et ne jamais froisser l'o-
reille la plus sévère, la plus déli-
cate, que dis-je, comment un peut,
en injprégnant le style de tous les
SCO
ÔOl
feux de la passion la plus ardente, y
tenir sans cesse associée une ex-
pression de chasteté délicieuse! Le
même tact, la même mesure pré-
sident aux autres peintures. H nous
intéresse vivement parfois à des
êtres hideux , tyranniques ou fu-
nestes; il n'a jamais l'accent de
l'approbation pour la ligne qu'ils
suivent , et il ne fait pas germer
en nous cette pensée : « Eh mais ! ces
habiles gens ont raison î Le succès,
la puissance sont tout. » On a beau
trouver adorables la finesse , la
force d'esprit et la science profonde
de Dwining, jamais personne n'est
tenté de souhaiter qu'il triomphe
(sauf quand il démontre par le fait
comme quoi l'on peut pendre un
homme sans que mort s'ensuive)
et personne ne s'identifie avec lui.
— Examinons exclusivement à pré-
sent les œuvres mêmes de Scott,
et tachons de caractériser son talent.
Nous reconnaîtrons d'abord que,
bien qu'on puisse distinguer en lui
trois hommes, le poète, le romancier
et l'historien (on pourrait dire cinq en
ajoutant l'archéologue et le critique),
le romancier éclipse le reste. Évi-
demment il était de première force
sur certaines parties de l'archéolo-
gie du moyen âge ; il s'est montré
critique éclairé, consciencieux, fin
quelquefois et généralement de bon
goût dans un grand nombre de re-
censions, dans ses préfaces, en tête
des poètesou beaux espritsqu'il citait
dans sa Biographie des Romanciers.
Il y aurait mauvaise foi et l'on aurait
mauvaise grâce à lui refuser, outre
des connaissances historiques très-
variées et très-profondes, quoique
irrégulièrespeut-être et incomplètes,
sauf pour les annales de son pays,
plusieurs des belles qualités de l'his
lorien, la pénétration, le désir du
502
SCO
vrai, la recherche des causes et des
ressorts an jeu desquels sont dus les
événements, et enfin du talent pour
conter et pour décrire. Sa poésie
est pleine de grâce et de facilité,
sa phrase coule limpide et pure,
ses descriptions sont fleuries, ses
récitsont de l'animation, de l'intérêt,
de la variété *, archaïsmes et style
moderne, vieux tons gris féodal et
nuances dix-neuvième siècle s'y ma-
rient, ou s'y opposent, ou s'y suc-
cèdent avec bonheur et non sans
certain charme. De tout cela cepen-
dant ne sort ni grande poésie, ni
grande histoire, ni haute critique, ni
science complète. Un des caractères
de l'esprit de Scott, et celui qu'on
retrouve partont, même dans ce
qu'il a produit de plus parfait, c'est
Timpossibililé d'embrasser des en-
sembles. En archéologie il ressemble
à celui qui connaîtrait quatre ou
cinq faces d'un hécatontaèdre et qui
sur chaque face sculpterait à satiété,
à l'infini des facettes nouvelles. Sa
critique, toute de détail, ne laisse pas
apercevoir les principes premiers sur
lesquels repose l'arrêt qu'il prononce;
elle n'a ni largeur, ni fécondité, ni
grande portée. De même en histoire,
il avance au jour le jour, il tourne
sans cesse à l'anecdote, il détaille
des minuties, il ne sait pas donner les
grands coups de pinceau; l'ensemble
échappe; puis l'idée du merveilleux
le possédant toujours, il en outre
l'expression s'il en trouve sur sa
route; s'il n'en trouve pas, il en fa-
brique en différenciant un peu la
couleur de ce qui n'est qu'extraordi-
naire. Ce merveilleux, au reste,
même dans les plus grands sujets,
n'excède javnais les proportions de
celui auquel il est habitué ; c'est
le merveilleux des romanceros et
des ballades, iiu merveilleux fami-
sco
lier, demi- bourgeois, demi -jon-
gleur, qui ne vous fait pas peur,
qui uf! vous dépasse pas de trente
coudées, que vous pétrissezà volonté,
qui pousse à rire. Que l'on passe à sa
poésie, où ni ce genre de merveilleux
ni la prédominance que lui donne
l'auteur ne constituent un défaut ,
on est pourtant forcé de reconnaître
que dans ces poèmes tout gracieux
les qualités qui font le grand poète,
le feu, la verve, la rapidité, l'énergie,
la hardiesse, la fierté de dessin, l'é-
blouissante richesse de coloris n'exi-
stent qu'à faible dose. Aucune ne
manque, mais aucune n'abonde assez
pour vous dominer, vous trans-
porter; même dans le Lai dudernier
ménestrel, dans Marmion et dans la
Damedu Lac^il y adu talent,beaucoup
de talent, il y a surtout du savoir-
faire, il n'y a pas de génie; c'est de
la gravure au pointillé, c'est de la
lithographie sur une pierre trop pâ-
teuse ; tout est posé, rien n'est jeté :
Scott poète cisèle, il ne coule pas
en bronze; il vous électrise tout
doucement avec son petit conduc-
teur, il ne vous foudroie pas avec sa
batterie électrique. Aussi la vogue
réelle, nous l'avens dit, dont il
jouit et dont il continua de jouir
après avoir à peu près cessé de courre
la rime ne se serait sans doute pas
prolongée Jong-temps s'il eût persé-
véré k suivre sa voie poétique, sur-
tout en présence de Byron, Caglios-
tro qui magnétise et galvanise si
vigoureusement son monde. Et il y
avait du vrai dans ce qu'il nous dit
quelque part, « qu'il cessa de poétiser
quaud il s'aperçut que Byron allait
s'emparer du sceptre de la poésie. »
Est-ce à dire que si Byron n'était venu
il aurait continué d'être le premier?
Non-seulement nous ne le croyons
pas, nous qui regardons et Crabbe,
.SCO
et Wordsworth, et Coleridge, et Sou-
they, comme de plus grands poètes
que Scott; mais nous ne croyons pas
que Scott le crût. Ou nous nous trom-
pons, ou il commençait à s'aperce-
voir qu'il était dans une impasse
dont il avait touché le boui ^ que s'il
continuait à s'y mouvoir, ce serait
toujours faire la même route, en
d'autres termes, que lors même qu'il
essaierait d'un autre genre, d'une
autre forme poétique , soit longue
épopée, soit drame, d'une part, la
tournure de son esprit et ses prédi-
lections le ramèneraient toujours au
type de M armion; de l'autre, la gêne
de la rime , de la mesure l'eujpê-
cherail de déployer toute la lar-
geur de ses ailes, d'étaler toute la
richesse de son écrin. Dans le ro-
man, au contraire, il est à l'aise, il
est tout lui-même, il est prodigue
de richesses descriptives , il est
poète de la même façon que l'auteur
du Lorddes lies, et il l'est de dix au
très pi us originales et plus libres; de
plus il est peintre, il est historien, il
est psychologue, aussi délié que La
Bruyère, aussi enjoué, aussi profond
que Le Sage. Il a surtout fait voir
que le roman est une épopée, il y a ré-
vélé des ressources inaperçues, il l'a
relevé, dignifié en quelque sorte. Il a
fourni le modèle du roman histo-
rique tel qu'il se fait aujourd'hui
quand on le lait bon, et en ce sens
il a créé toute une école, tout un art.
Ce n'est pas qu'il soit au-dessus de
la critique ou que nul ne le sur-
passe. Don Quichotte sera toujours,
comme œuvre typique et comme
œuvre comique, le roman hors ligne;
Gil Blas, par l'inlinie variété des
tableajix condensés dans une même
œuvre, nous semble aux plus belles
études morales de Scott c»^ qtj'est l-'al-
cool au liquide qui le fournit,et l'idéal
SCO
50
du roman biographique; Clarisse
enfin, par la hauteur de la concep-
tion, par la puissance d'exécution,
par la persévérance de l'idée se per-
pétuant une et multiforme au tra-
vers des trois phases de l'action
(Clarisse chez son père, Clarisse en
lutte avec Lovelace, Clarisse après
sa chute) , reste encore, m dépit du
style et des fautes de Richardson, le
premier des romans qui ne sont
ni symboliques ni cycliques. On
peut comprendre que la Nouvelle
Héloïse^ et même l'étrange épo-
pée de Rabelais semblent émaner
aussi d'une sphère supérieure à celle
où se meut notre auteur. Mais ces
exceptions faites, nous ne voyons,
en tenant compte à la fois de la fé-
condité de l'artiste et de la valeur
des œuvres, etaussi de l'originalitéde
la manière, nul romancier qui, même
de loin, égale Scott. Pareillement en
fait de défauts, si nous sommes forcé
d'en apercevoir beaucoup, d'éminen-
tes qualités les rachètent et s'y lient.
Sans doute la composition laisse pres-
que toujours à désirer ; la diffusion
et la minutie des détails sont impa-
tientantes, les proportions sont mal
gardées ; les introductions sont len-
tes, lourdes, ennuyeuses: habituel-
lement le style se sent de la préci-
pitation avec laquelle le custos ro-
tulorum bâclait ses seize pages in-S»
tous les matins, comme un sous-
greffier le plus de rôles possible de
ses grosses; il ne prend de noblesse,
de fermeté, de coloris, de précision,
d'éloquence que quand la force des
situations le maintient au - dessus
de son niveaii habituel. Mais con-
venons aussi que ces siiuaiions ,
dont l'effet est si puissant, revien-
nent souvent. Reconnaissons que
quelquefois de vives et saisissan-
tes introductions nous amènent
504
SCO
immédiatement au cœur des faits.
Tel est, par exemple, ce dramatique
début de la Fille du médecin, trans-
porté presque mot pour mot sur
la scène française dans le prologue
de Richard Dariington; tel est le
dialogue initial de l'Écossais Kenuelh
et de l'Arabe près de la fontaine de
l'oasis dans Richard en Palestine;
tel est celui du capitaine Dalgetty et
de deux cavaliers dans Une Légende
de Montrose^ pour peu qu'on laisse
de côté le i*"' ch.^lel esldans Quen-
tin Durward le danger du jeune hé-
ros, appréhendé au corps par Trois-
Échelles et son camarade, et sur le
point d'être accroché à la potence,
parce qu'on le prend pour le bohé-
mien dont Louis XI, après l'avoir
chargé d'une mission secrète, veut
ainsi s'assurer le silence. Souvenons-
nous enfin que, lors même qu'il n'en
est pas ainsi, lorsque la prolixité de
Scott nous rebute à l'entrée de l'ou-
vrage, et que nous sommes tentés de
sauter quinze ou vingt feuillets de
peur de rester embourbés, nous ne
tardons pas à nous apercevoir que si
nous cédons à la tentation, nous
comprenons moins en quel milieu
va se jouer le drame*, que si au con-
traire nous prenons patience, peu à
peu tout semble calqué sur nature,
tout se revêt de réalité, comme dans
un panorama où d'abord nous n'a-
percevons que des cartons infor-
mes, barbouillés avec un manche à
balai; bienlôt l'impression change,
la fascination commence, au bout de
quelques minutes l'illusion est com-
plète. Peu d'hommes ont porté aussi
loin et aussi fréquemment que Wal-
ter Scott cette faculté de doter de
réalité ses tableaux ; et quelque ha-
bile qu'il soit à décrire, c'est surtout
lorsqu'il ne décrit pas qu'on croit
avoir les sites, les moiuinients, lesob-
SCO
jets matériels sous les yeux. Les êtres
vivants à leur tour (mais ici, bien
que nous retrouvions le même ta-
lent, nous le retrouvons à une plus
haute puissance), chez lui les êtres
vivants, disons-nous, vivent, mar-
chent, sentent, respirent; nous
croyons voir palpiter leur sein, fré-
mir leurs lèvres, scintiller leurs
yeux. Le récit n'est pas un récit,
c'est un drame, c'est une représenta-
tion scénique vivante, comme tout à
l'heure la description n'était pas une
description , c'était un décor. Le
dialogue ajoute encore à cette magie.
De temps en temps sans doute Scott
donne un peu trop à la subtilité, aux
poétiques ou romantiques souvenirs,
au bonheur de décocher un petit
sarcasme; mais, en général, le dia-
logue est admirablement conduit,
phrasé, nuancé, eu égard aux situa-
tions et au caractère, aux passions
ou au but des interlocuteurs, surtout
à mesure que les scènes sont fortes,
les péripéties graves, les émotions
profondes, les crises décisives, car
alors surtout l'expression s'élève,
s'épure, se précise, se colorie et se
passionne : plus de vulgarité, plus
un mot d'inutile, pas un même qu'on
puisse remplacer : chaque terme cal-
que la pensée et frappe au but avec
la justesse de la flèche de Tell. Il
n'est pas rare qu'en ces occasions
Scott atteigne à la plus haute élo-
quence , à cette éloquence démosthé-
nienne qui jaillit des faits comme
sans le vouloir et comme leur plus
simple formule. Le flegme, le ton de
procès-verbal qu'il garde même alors,
ajouientsingulièrementà l'effet. Nous
n'en voulons citer qu'un exemple,
mais il en vaut mille! En quelle
langue existe-t-il paroles plus cor-
rosivement éloquentes que dans cette
allocution suprême du vieux Mdc-
SCO
Eagh a Tunique fils q»ii lui reste :
« Kenneth, écoute bien les dernières
paroles de ton père , etc. » Nous
ne pouvons transcrire tout , mais
on conçoit bien que dès les pre-
miers mots le jeune homme prenne
un air plussombreet plusfaroucheà
mesure que Mac-Eagh lui parle, et
qu'il tienne fixé sur lui un regard
expressif, en portant la main sur le
poignard passé dans la ceinture de
cuir qui attache son plaid en lam-
beaux. Mais le vieillard, 'sûr d'une
vengeance plus simple et plus sa-
vante: « Non, ce n'est pas de ta main
«qu'il doit périr! 11 te demandera
• fies nouvelles du camp. Dis-
« lui, etc.. N'attenjls pas sa réponse,
« mais disparais rapide comme l'é-
« clair qui vient de sortir d'un nuage
« noir. Pars à l'instant, mon entant
« chéri ! pour moi, je ne reverrai pas
« tes traits, je ne reconnaîtrai plus
" le bruit de ta course légère. Un
« moment pourtant! écoute les der-
« niers avis de ton père... Ne recon-
■ nais point de maître, ne reçois la
« loi de personne, ne te mets aux
• gages de qui que ce soit. Ne bâtis
« point de maison, ne cultive pas la
• terre, que les daims des montagnes
« soient tes troupeaux ; ou si tu en
« manques, fiiis ta proie de ce que.
• possèdent les Saxons ou ces High-
• landers, Saxons par le cœur, qui
« estiment plus leurs bœufs et leurs
« moutons que l'honneur et la li-
« berté ; mais tant mieux! nous n'en
« avons que plus de moyens de ven~
« geance. N'oublie pas les amis de
• notre race... Si un Mac lan vient
« à toi la tcte du fils du roi à la
« main, donne-lui asile, protége-le,
« combats pour lui, eiil-il une ar-
« méc à sa poursuite : ce clan a été
« i'ami du nôtre de temps immémo -
f riai... Adieu, enfant bien-aiméj
SCO
505
« puisses-tu mourir comme tes an-
« cêtres, avant que les infirmités,
« les maladies, la vieillesse t'aient
« privé des forces du corps et de
«l'énergie de l'âme/ Pars! pnrs!
« mais conserve ta liberté et n'oublie
« jamais ni un service ni une injure. »
Ainsi ceCeltedevieilleroche,qui voit
les idées modernes gagner du terrain,
use de ce qu'il y a de plus sacré dans
le cœur humain, la piété filiale, pour
perpétuer, autant qu'il est en lui, la
vie sauvage, la déprédation, la jus-
tice sommaire, la vendette! Ainsi
un jour, quand la civilisation eu-
ropéenne et chrétienne importée par
la France étreindra le Maroc, le der-
nier représentant de la nationalité
barbare qui ne croit qu'au Koran et
au poignard sera éloquent , pathé-
tique, impérieux pour recommander
à ses fils, comme l'héritage le plus
précieux, la barbarie de ses pères.
Ce qui achève de rendre superbe ce
langage si véhément, dont chaque
coup porte, dont chaque syllabe va
s'incruster indélébilement au coeur,
c'est qu'il moule trait pour trait le
caractère et achève de mettre en re-
lief la physionomie de celui qui
parle ; c'est là ce qu'on retrouve sans
cesse dans Scott Jamais personne,
même Shakspeare ou Molière dans
ses plus beaux passages, n'a possédé
plus complètement l'art de retléter
le cjractère par les expressions , et
surtout ne l'a manifesté si constam-
ment. La peau n'accuse pas plus fi-
dèlement la forme des chairs et ne
s'adapte pas plus hermétiquement
aux muscles que la parole, dans le
dialogue ou monologue de Scott, ne
révèle l'homme intérieur et ne sem-
ble en faire partie intégrante. Les
mots ]>rétés à chacun sont tellement
trouvés, que l'on croirait impossible,
une [ois |d situation donnée, qu'il
506
SCO
puisse s¥noncer autrenieiif , et sur-
tout que hieti peu de lecteurs com-
prennent qu'il y ait (nu'itjiie chose de
dinieile à Taire ainsi parler, à repré-
senter ainsi au vif l'individu : c'est
que plus le portrait est re'ussi, moins
reiïort s*' montre. Ceux-là seuls qui
savent peindre peuvent supputer ce
que le tableau a coûté au peintre. On
ne s'élonnerd plus, ceci posé, que
jamais chez Scott on ne voie le ca-
ractère se démentir sans bonne et
valable raison : et même alors il est
évident, témoin Mowbray dans les
Eaux^ que la variation n'est qu'ap-
parente. Ce qui s'en va n'était qu'ac-
cidentel et tenait aux circonstances,
tandis que ce qui survit, c'est l'in-
time de l'âme mis à nu par la mar-
che du temps ou par les événements
qui déteignent sur elle, mais ne
changent pas ses principes consti-
tuants. L'insecte passe par divers
états, et chaque forme subséquente
est l'inévitable conséquence de celle
qui précède; de même l'âme hijmaine
subit parfois des altérations si fortes
qu'elles semblent des transsubstan -
tiations, et ce ne sont que (les trans-
t'ormaiions tout au plus. Shakspeare
n'est pas toujours irrépréhensible
dans ces métamorphoses à vue, qu'il
fait subira ses héros (et dans les DcMo;
gentilshommes de Vérone^ par exem-
ple, Protée a beau se nommer Protée,
on ne saurait comprendre pourquoi
ses trahisons, ses crimes). On aurait
grand tort, ce nous semble, d'adres-
ser le même reproche à Scott. Au
reste rarement il otfre le spectacle
de ces variations, et l'on pourrait
même dire que lors(|u'il s'en trouve
chez lui , il les indique plutôt
qu'il ne les peint : en réalité il
a laissé à traiter à d'autres ce
magnifique et difficile sujet , l'é-
volution d'un caractère , c'est-à-
SCO
(lire la série des transformations
d'un caractère qui, le même au fond,
revêt au travers de phases diverses
des aspects divers. C'est surtout leur
persistance qii'il a mise en sjiillie:
Naturam expel/as fiirca,tamen usquerecurret
Voilà ce qu'il se plaît et ce (ju'il
excelle à rendre sensible., el son-
vent en quelques traits comme je-
tés au hasard, témoin, vers la fin
de la Prison d'Edimbourg, l'épisode
du Siffleur. Quant aux caractères en
eux-mêmes, abstraction faite de la
constance avec laquelle il les main-
tient et de la puissance avec laquelle
il les exprime et les développe, fai-
sant s.sns cesse découler visiblement
les actes du car;iclère eî burinant de
plus en plus le caractère par les ac-
tes, leur beauté, leur variété, leur
groupement sont généralement au-
dessus de tout éloge. C'est une im-
mense galerie d'originaux, apparte-
uant à des contrées, à des opinions, à
des races diverses, et tout est peint
avec la même fidélité, la même verve,
la même profondeur, la même ptiis-
sance de pathétique on de burlesque;
et nous ajouterons avec la n^ême phi-
losophie, car la philosophie de la vie
est là toutentière. Tantôt ce sont de
grandes ou âpres figures touchées
avec la vigueur et la sublimité cor-
nélieiines (Bois-Briant, Balfonr de
Burleigh, Ravenswood, Torquil du
Chêne, lady Ashton, lady Glenallan,
la SaxonneUlrique); ailleurs au con-
traire éclate toute la finesse du ci-
seau de Benvenuto, soit qu'il fasse
passer devawt nous de suaves et
pur(/s physionomies, les Minna, les
Brenda, les miss Hériot, les Amy
Robsart, les Rose Bradwardine, les
Jeanie D;'aus, soit que nous nous
trouvions en face d'êtres ou perlides
ou funestes, l'envieuse Ailsie, l'é-
goïste Leicesler, l'impassible Clavcr-
SCO
house, le faux Warner, l'hypocrite
Rashieigh, le brillant Etheririgton,
l'astucieux Christian , le venimeux
Dwining, l'infâme Middlemas. Mais
des créations plus belles encore sont,
celles où à Icji (inesse d<' touche, à la
vigueur, à la correction, il a fallu que
l'artiste joignît la sensibilité, !a ma-
gie du pinceau et la faculté d'idéali-
sation la plus rare (Fenelia, Rebecca
tiennent le premier rang dans
cette classe, et s'il est possible de
dire que Tune procède en partie de
la Mignon de Wilhelm Mdster, l'au-
tre est tout entière lille de l'imagi-
nation de Scott). Dans ce dioramade
personnages de toute sorte figurent
aussi de hautes célébrités histori-
ques : les unessout représentées avec
un art exquis, et peut-être y eutre-
t-il un peu de fantaisie, parce que
Scott a plutôt voulu en faire des
types que des portraits, pourlanl
elles sont éminemment reconnaissa-
bles (Claverhouse, Richard, Saladin),
les autres sont de strictes portrai-
tures, telles que l'histoire elle-même
n'en a pas fait (Jacques I*"", Char-
les Il etBuckingham, Élisabelh, Ma-
rie Stuart , Alexis et Anne Comnène,
et surtout Louis XI, que toutefois il
aurait encore mieux représenté s'il
avait retouché son ouvrage au bout
de quelques années). Un lecteur su-
perficiel pourrait troiiver que beau-
coup de ligures se ressemblent, que
les vieilles lenHues à mine sibylline
reviennent trop fréquemment, qu'il
nous fait voir trop long-temps mau-
vaise compagnie en nous tenant
parmi des meiidiants, des gens de
rien,des bandits, desidiots, etc., etc.
Mais qu'on examine plus à fond, on
sentira qu'au contraire Scott s'en-
tend a merveille à distinguer autant
qu'ils doivent èîro disi indues les
personnages qu'il y a chance de con-
sco
507
fondre ( par exemple les six Osbaldis-
hnni.ThornhiUet les autres comme
dit le père), et que même, quoique
appartenant à deux romans distincts,
ce qui lui fournissait une excuse,
Meg Merrilies n'a rien de Norna. On
sentira, pour peu qu'on se rappelle
Édie Ochiltrie. que quelques-uns des
personnages subalternes qu'il intro-
duit jouent le rôle le plus impor-
tant, et souvent ce sont eux qui
donnent lieu aux plus grands effets,
(ainsi les scènes déchirantes qui ac-
conipagiient les funérailles de Stee-
nie Mueklebackit). On sentira enfin
que si Scott nous ramène un peu
souvent des êtres dont Pintelligence
n'est plus saine ou n'est pas com-
plète, en fin de compte on n'en énu-
mérerait guère plus d'une demi-dou-
zaine dans quatre-vingt-quatre (ou
cent douze) volumes de romans, que
ces infortunés diffèrent tous les uns
d< s autres, soit par le mode et Tin-
terisité de leur trouble intellectuel,
soit par leurs habitudes, leur sexe,
leur rang (quoi de plus éloigné, par
exemple, que Gillatleyet Allan, que
MegWiidfire et Clara Mowbray ou
Lucie Ashton, que Norna et la vieille
Etspeîh?) et que cette peinture de
la plus triste des dégradations hu-
maines est précisément une de celles
qui sont devenues sous sa plume les
plus émouvantes, les plus riches en
leçons de tous les genres. Quoi de
plus poignant et de plus instructif
que Lucie lentement assassinée dans
son intelligence par l'aveugle et
impitoyable politique de sa mère et
par sa clairvoyante complice Ailsie?
Et sous un autre rapport, quelle ma-
gnifique étude que cette Lucie, dou-
ble et incomplète, tenant de son père
par sa faiblesse, par l'impuissance
où elle est de dire non à ce (|ui l'op-
prime, icnaui de sa mcie par l'iuva-
508
SCO
riabilité de ses volontés, en consé-
quence incapable d'articuler un mot
en présence de lady Ashton, mênie
quand Ravenswood est là prêt à la
sauver, bien déterminée cependant
à n'être jam.iis à Bucklaw et entraî-
née ainsi à l'acte homicide qui forme
la catastrophe ! N'oublions pas une
dernière classe de caractères, classe
qui revient souvent , mais qui est si
éminemment diversifiée que jamais
la monotonie ne s'y fait sentir : ce
sont les comiques, les burlesques.
Chose étrange ] quelques-uns , tout
en étant bafouables, nous attendris-
sent jusqu'aux larmes (Caleb, par
exemple), ou nous commandent la
vénération ( le baron de Bradwar-
dine), pour ne pas parler de ceux
que nous nous bornons à aimer (le
bailli Nicol Jarvie ) ou à suivre, à
écouter d'un œii curieux ( le capi-
taine ou major Daigetty). Il faut
joindre à cette liste le sempiternel
Peter Peebles, l'imperturbable Mo-
niplies, Dominie Sampson le solen-
nel, le bonnetier Proudfute, si pol-
tron , si travaillé de la manie de
paraître brave, sir Mungo Malagrow-
ther, le nabab Touchwood, le paci-
ficateur Hector Maesurk. Bien que,
comme nous l'avons dit, les carac-
tères et le dialogue soient ce qui
l'emporte chez Scott, l'action en
général n'est pas sans mérite. Le
plus souvent elle n'offre pas par
elle-même un intérêt très-puissant.
Nous en excepterons pourtant la
Fiancée de Lammermoor y et jusqu'à
un certain point Ivanhoe^ là Fille du
médecin, V Antiquaire, U Prison
d'Edimbourg. Mais en réalité c'est
surtout dans les détails que réside
l'intérêt, et comme il est extrême-
ment vif, non-seulement dans ceux
<les cinq ouvrages (juc nous venons
de nommer, mais dans presque tous
SCO
les autres, on est porté à l'attribuer
à la conception fondamentale même.
Dans quelques-uns, du reste, l'ac-
tion est presque nulle, et pendant
un volume rien ne bouge, ne vient
secouer le staiu quo : n)ais c'est
l'exception. Généralement, sans que,
la fable soit surchargée d'incidents,
sans que l'intrigue soit multiple et
compliquée, sans imbroglio à l'es-
pagnole, sans nœud à proprement
parler, on a des événements , dos
péripéties, des scènes fort variées ,
et certainement dans chaque roman
(sauf deux ou trois ) il y a de quoi
tailler plusieurs scénario : il en est
même de véritablement riches, /tan-
hoe,pav exemple. Quanta l'intérêt
de curiosité, ce n'est pas celui qui
domine chez Scott : cependant il
ne lui est pas étranger et il sait l'é-
veiller au plus haut degré'dans plus
d*un cas, dans le Monastère .^ par
exemple, et dans les Eaux. La nar-
ration est parfaitement ce qu'elle
doit être et l'est toujours. Le ton,
sans cesser d'être simple, est très-
varié; il n'est pas rare qu'il s'y
élève au sublime , et là , comme
dans le développement de certains
caractères , se retrouvent de nou-
veau les grands traits à la Cor-
neille, le modelé de Buonarolti. Ces
expressions ne sembleront pas trop
fortes à qui se rappellera la descrip-
tion de l'émeute d'Edimbourg, le
siège et l'incendie de Front-de-Bœuf,
le tournoi du dimanche des Ra-
meaux où retentissent tant de fois :
Air son Eachin ! Avec tout cela ,
Scott brille-t-il par l'invention? A
notre avis, oui, bien quetrès-souvent
il ait puisé des inspirations, des
idées premières, dans les Causes cé-
lèbres, dans celles qui se vidaient
lui présent, ctdansles légendes, tra-
ditions et ballades; bien que même
SCO
SCO
509
quelquefois il ait fait des emprunts
à ries œuvres d'art. Ainsi, par exem-
ple, outre Feneila, copie de Gœthe,
nous signalerons le sublime tableau
où Ton voit Torquil dévouer à la
mort , qu'ils subissent tous les uns
après les autres, neuf fils pour sau-
ver son chef Hector et ensuite périr
lui-même. (N'y at-il pas là imita-
tion évidente du vieux Diègue Arias
envoyant ses fils les uns après les
autres mourir pour l'honneur de
Zamora , quand le traître Vellido
Dolfos a tué don Sanche?) Nous
signalerons deux superbes scènes
à Ivanhoe: celle où la belle Israé-
lite, qui «aime mieux confier son âme
à Dieu que son honneur à un Tem-
plier, » s'élance sur la haute plate-
forme d'où elle peut en un clin d'œil
se précipiter sur les pavés, et tient
ainsi l'audacieux chevalier à dis-
tance, et celle où, garde-malade
d'ivanhoe forcément immobile, elle
examine au travers des meurtrières
les manœuvres des assiégeants et
des assiégés et les lui détaille. Celle-
ci est évidemment la seconde scène de
l'acte premier ùes Phéniciennes d'Eu-
ripide; dans celle-là les admirateurs
de Richardson reconnaîtront Clarisse,
quittant pour la première fois sa
chambre depuis la nuit du soporifi-
que,et au moment même où Lovelace,
entouré de ses immondes et dociles
alliés, la croit en son pouvoir, lui
échappant par cette simple circon-
stance qu'il y a six pas des coalisés
à elle, et qu'elle tient appuyée sur
son sein lu pointe d'un petit canif
prèteàs'enpercer s'ils avancent, s'ils
tentent de l'empêcher de sortir.
Scott s'est gardé de nous prêter à
rire avec le petit canif, mais au fond
la situation est identique, à ceci près
que Rebeeca n'a pas pris de sopori-
licpie et n'est pas de cel les qui eu pren-
nent. Un autre mérite de Scott, c'est
que par cela qu'il reflète si scrupu-
leusement la réalité, même lorsqu'il
imagine, il ne donne point d'idée
fausse de ce que c'est que le inonde.
La vertu n'est pas toujours triom-
phante, ou du moins n'a pas toujours
la meilleure part des richesses et des
honneurs. Jeanie Deans est la femme
d'un pauvre ministre de village;
Euphémieest grande dame, est fêtée
à la cour, est toute une saison la lionne
de Londres. Lady Ashton survit à
tous les siens, à sa fille, à ses fils, à
son époux, et morte repose sous des
marbres magnifiques, tandis que ses
victimes n'ont ni tombe ni inscrip-
tion. Feneila n'est point aimée, ni
Rébecca ; elles ne sont pas préférées
du moins ; et de pâles créatures, des
Alice, des lady Rowena, espèces
d'idoles muettes, l'emportent sans
lutte sur des rivales qui leur cèdent
bien peu en attraits et qui les sur-
passent mille fois par l'héroïsme, par
le dévouement, par les dons de l'es-
prit. Toutefois, qu'on n'aille pas ima-
giner que Scott ait pour système de
représenter la vertu malheureuse, la
perversité ou l'incapacité triom-
phante, et donner le prix Montyon
à ceux que réclame le bagne. Au
contraire, il croit et fait croire que,
même moins brillamment récom-
pensée aux yeux du vulgaire, la vertu
trouve en elle-même une félicité in-
terne qui vaut le bonheur extérieur.
Jeanie Deans est plus heureuse que
lady Staunton. Et souvent du fond du
récit jaillissent à Timproviste, pour
qui sait les comprendre, des leçons
profondes, d'autant plus aptes à ren-
dre prudents que Tauteur ne semble
pas le moins du monde les avoir
prévues, et songer à prêcher le lec-
teur. Ainsi, par exemple, le Siffleur,
ce fils d'un amour illégitime, a sucé
510
SCO
SCO
avec le lait «le i.i bolif^inienne! les
ii.ceiirs zif^ennes, est «levenii le pu-
pille du i)rigaH(l Duuacha-Dhu , et
probableineni est le meurtrier de
sou père qi/i s'épuise eu recherches
pour le trouver. Ainsi Flora, dont
l'exaltation royaliste n'a jamais con-
nu de limites, Flora, qui verserait
sou sang pour son frère, ainsi que
pour la causé sainte des Stuarts ,
Flora, au dernier itiouient et quand
Fergus va être exécuté, est assiégée
non par le remords, mais par l'idée
, que sans elle Fergus ne périrait pas,
qu'il n'eiit pas pris les armes pour ses
maîtres proscrits, que son ardeur se
serait éparpillée sur vingt objets.'
Voilà la pensée, voilà le vautour qui
silencieusement et sans relâche lui
dévorera le cœur au fond du couvent
catholique où elle va passer ses
jours : «C'est moi, c'est moi qui l'ai
tué.» Quelle leçon! leçon, donnée
sans que l'auteur intervienne «l'un
mot, sans blâme même et sans qu'on
cesse un seul moment de reconnaître
ce qu'il y avai t de grandiose et de beau
dans cette surexcitation, dont le dé-
nouement est si funeste! Les détails
dans lesquels nous venons d'entrer
sur les particularités du génie «ie
Scott permettent de comprendre
comment on a pu fréquemment le
comparer à Shakspeare ; ils nous per-
mettent aussi d'être bref sur ce paral-
lèle, et de lui appliquer à lui-même
ce qu'il dit de ce grand maître:
« C'était un homme universel ^ ses
« regards embrassent tous les as-
« pects variés de la vie, et sou ima-
a gination a peint avec le même
« talent le roi sur son trône et le
- paysan qui mange des châtaignes
« au feu de N<'ël. » Les ressem-
blances sont nombreuses, frappan-
tes , tant pour les qualités que
pour les fautes, tant pour la variété.
la vérité, l'agencement des caraclè-
res que pour l'action. Mais, «l'une
part, le drame sera toujours, par sa
forme, par la succession obligée des
scènes, des actes, par la nécessité
où est le poète de s'effacer pour lais-
ser agir et parler les personnages,une
œuvre à la fois plus artistique et plus
virile; de l'autre, Shakspeare n'a
pas la prolixité de Scott, il plane plus
haut que lui et plus long-temps dans
les régions d'en haut; un feu latent le
consume et ne se consume jamais;
celui de notre greffier ne manque
pas de force et d'éclat, mais il faut le
rallumer souvent. Ne comparons pas
une planète au soleil! Quant a des
rapprochements avec les hommes
contemporains, i! n'en est qu'un qui
puisse trouver place ici, c'est celui
qui leplaceen face et comme émule de
lord Byron. Scott et Byron sont sans
contredit les deux plus grands noms
de la littérature britannique au
XIX^ siècle , et neuf dixièmes au
moins de la littérature française ac-
tuelle relèvent de tous deux. Peu
d'hommes cependani , soit comme
hommes, soit comme littérateurs,sont
plus différents eu politique. L'un est
whigdes plus avancés, pour ne pas
dire radical au moins à moitié, l'autre
est tory des plus étroits : et quel est le
tory? celui qui n'a qu'un mince pa-
triuioine,qui vit en partie du plumitif
et de sa plume, qui s'habille de gros
drap, monte le poney, et n'a ni gran-
des manières, ni jargon d'Almack ;
quel est le whig ? celui à qui sa nais-
sance assigne place dans la chambre
haute, qui raffole au moins pour un
temps de la high-life, qui veut qu'on
l'appelle • le Beau, » qui devient le
roi de la mode à Londres pendant un
an (1813), et qui ne pardonna ja-
mais au tsar ( car inde irœ, quoique
bien peu s'en aperçoivent) de l'avoir
SCO
supplanté en 1814 (Jans l'admiration
(le la intîtiopole. Comme hoiiimcs
privés, même opposition. A nos yeux
Byron , malgré ses bootades, ses
coups de boutoir et certaine per-
versité dans so'/f mélier de Lovelace,
avait peut-être autant de bonté que
Scott; mais cette bonté, pour la plu-
part de ceux qui avaient les yeux
fixés sur lui, n'était pas plus visible
que s'il eût habile la Nouvelle-Zé-
lande: sa vie n'était qu'excentriciié,
désordres fougueux , défis jetés à la
terre et au ciel, aux hommes et aux
choses. Scott roule des eaux plus
paisibles, il n'envoie de cartel à rien
ni à personne; le papier sur lequel il
grossoie n'est pas mieux réglé que
lui. L'orgueil de Byron irrite et
froisse, il est tout en dehors, il exi^e
l'adoration, il se complique de mé-
pris, notamment pour les Anglais,
pour les Anglaises, pour l'Angle-
terre, pour les ministres, pour le
régent. L'orgueil de Scott est plus
ïnoelleux, plus rentré; il savoure
réloge in petto, à buis clos, en gour-
met; Écossais jusqu'au bout des on-
gles, il n'eu est pas moins idolâtre
de la vieille Angleterre et de la mo-
derne ; surtout il se garde bien de
voir des taches à l'hermine du ré-
gent. Cette diversité d'humeur ne
pouvait manquer de passer dans les
œuvres littéraires. Partout Byron
laisse prédominer son individualité ;
c'est lui qu'on voit , qu'on entend ,
qu'on a posant en face de soi; ce
sont ses propres impressions, ses
sensations , ses indignations , ses
ambitions qu'il fait retentir à vos
oreilles. S'il vous peint le monde,
ce n'est pas le monde tel qu'il
est , c'est le monde tel qu'il le
rêve ou qu'il le convoite ; un site
même ou un monument, il y met de
lui par un iugement ou par un sou-
SCO
5tl
venir. Généralement, au contraire,
Scott s'etface ou du moins se place
au second plan, comme le bras qui
fait mouvoir les marionnettes : c'est
des autres qu'il nous parle et qu'il
met en relief les pliysionomies, les
actes; il vise à l'exactitude et Tob-
tient ; il est portraitiste en même
temps que peintre. Il résulte de cette
première différence que les héros de
Byron et Byron lui-même au fond
éveillent peu de sympathies , tandis
que ceux de Scott en excit» nt beau-
coup; que Byron est toujours lyrique,
même hors de l'ode, tandis que Scott
l'est rarement; que Byron n'a ni le
talent de conter (à moins qu'on ne
prenne Beppo pour un conte et Don
Juan pour une épopée), ni la faculté
dramatique (quoique Sardanapale
soit une fort belle chose), tandis
qu'en Scott nous avons reconnu le
conteur éminent et dramaiiste du
premier ordre ; que Byron n'est pas
exempt de monotonie et ne nous a
guère présenté que trois beaux
types, dont il a beaucoup varié les
noms, nous l'avouons, et cinq ou six
situations, tandis que chez Scott les
situations et les types se comptent
par centaines. Un second trait carac-
téristique de Byron, c'est d'être ex-
trême : de là les plus hautes qualités
et de graves défauts. Extrême, il est
passionné, il est chaleureux, il est
rapide, il est fébrile, il coule à pleins
bords, bondissant, inondant la rive;
il reflète à profusion de riches ima-
ges ; son coloris est vif, suave, pro-
fond ; son style palpite; son vers
est frappé. Il n'en est pas moins vrai
non seulement que toute cette ma-
gnificence fatigue, mais qu'il y a au
fond de tout cela du faux et du vide.
H a beau nous placer dans un cou-
rant galvanique , il émotionne et
n'émeut pas ; il est chaleureux et il
ois
SCO
SCO
ost froid comme ces glaciers des Al-
pes qui semblent flamboyer au so-
leil ; il est abondant et il dit peu,
comme la musique où l'inslmmenla-
tion est admirable et le chant peu
de chose : luxe et indigence. L'illu-
sion même ou ne naîi pas, ou ne
dure pas ce que durent les illusions
d'art : ces enchantements, dont sa
muse est si prodigue, ce faste orien-
tal, ces pachas, ces noires prisons,
ces Gulnare, ces Haïdée, ces volup-
tés, ces dévouements exceptionnels,
on ne s'approprie pas, on ne s'assi-
mile pas véritablement tout cela
comme il le faudrait pour que le
charme fût complet. Vous éprouvez
en lisant quelque chose de l'impres
sion que vous causent des expé-
riences de fantasmagorie : le poète
est un prestidigitateur; ou plutôt
vous vous élevez au ciel des liouris
comme si vous mâchiez la pastille de
hachich, mais il y a dans votre vo-
lupté même quelque chose de verti-
gineux, et vous retombez à terre
atrophié. Byron, d'ailleurs, voit le
monde à faux : hypocondre, blasé,
insatiable et malconlent, il trouve
mesquin, ou insigniiiant , ou misé-
rable, ou stupide, ce que les autres
ou vantent ou supportent; tout lui
donne des nausées ou met en ébul-
lition sa bile ; il dédaigne et dénigre ;
il est acerbe, inique et intolérant ;
mieux placé que tant d'autres con-
vives au banquet de la vie, il trouve
fades les ananas dont il a trop goûté.
C'est lui qui mêle la strychnine à
son sorbet, et il le déclare amer ; et
même lorsqu'il ne l'est pas, il s'ima-
gine qu'il l'est : le pli d'une rose
lui fait jeter les hauts cris. Enfin,
et c'est un tort plus grave (car
être pessimiste et misanthrope est
plutôt un malheur qu'un tort, et
c'est au plus un vice d'esprit, ce
n'est pas un vice de coeur), le sei-
gneur de Newstead , s'il est bon au
fond de l'âme, est immoral et Test
toujours: le plaisiretl'orgueil, voilk
les grands articles de sou code. Ses
héros foulent tout aux pieds, et s'ils
font le bien, c'est qu'il leur plaît de
le faire, ils n'y sont pas tenus : ce
n'est pas pour des hommes comme
eux (c'est-à-dire « ce n'est pas pour
un homme comme moi, lord Noël-
Gordon Byron »), que la morale est
faite ^ jus et fas, mots vides de sens
pour les Lara, les Caïri, les Manfred :
giaours, renégats, pirates ou fratri-
cides, ces êtres pétris de kaolin peu-
vent-ils compter pour quelque chose
la vie d'un homme, l'honneur d'une
femme ? Charmants et funestes mé-
téores, ils brisent ce qu'ils touchent ;
mais quel honneur d'être brisés par
eux! Ne vous en faites pas faute, mes-
seigneurs, et laissez dire ; de stupides
jurés vous condamneront, mais le
verdict de Byron est not guilty. Sous
tous les rapports,à l'intellectuel et au
moral, le baronnet est l'antipode du
noble lord. Ce serait nous répéter que
de détailler trait pour trait l'opposi-
tion fondamentale qui ressort si clai-
rement de ce que nous avons dit tout
au long pour l'un, en abrégé mais
suffisamment pour l'autre. Que l'on
prenne le contre-pied de tout ce qui
précède sur le chantre de Manfred,
et l'on saura ce que c'est que le pein-
tre de V Antiquaire et de Jeanie
Deans. Cherchera qui des deux doit
être donnée la préférence est chose
oiseuse s'il en fut jamais : chacun,
lorsque l'on agite des questions sem-
blables, a ses prédilections et se dé-
cide par elles. On aura beau mettre en
relief cette inépuisable forcecréatrice
qui brille chez Scott, et insister sur la
variété de ses tableaux, répéter qu'il
sait conter, (pi'il est dramatique, et
SCO
indiquer ciiKfnante passages où il le
dispute en verve, en énergie, en nia-
gnilicence, en sublime aux plus grands
poètes, aux plus éloquents orateurs,
il y aura toujours des milliers de
personnes qui trouveront que le ly-
risme byronien est d'une sphère su-
périeure à celle du drame; qu'il ci-
sèle octaves et stances à la Spenser
avec une maesfn'a et en même temps
avec une facilité que n'a pas son ri-
val en griffonnant la simple prose ;
que, pour la prose même, c'est Vol-
taire seul, ou Rabelais, ou Beaumar-
chais, ou Quevedo, ou Aristophane,
qu'il est permis de lui comparer ;
que nui, sauf ces vieux aveugles,
princes de l'épopée, Homère, Milton
et Camoëns, ne manie si impériale-
ment le vers et ne porte si royale-
ment le laurier; qu'il y a en lui du
César et du Napoléon, du lion et de
l'aigle. Nous ne disputerons pas, et
dès qu'il plaira au ciel de nous oc-
troyer un peu de farniente, nous
passerons une heure à relire la
Fiancée d'Àbydos, un jour à renouer
avec la Fiancée de Lammermoor, —
Bien que nous ayons donné , chemin
faisant, les titres de presque tous les
écrits de Walter Scott, nous croyons
indispensable de les réunir ici tous,
non dans l'ordre chronologique de la
composition ou de la publication,
ordre qui ne nous importe plus, mais
méihodiquement,d'après les matières
traitées et le genre auquel appar-
tiennent les ouvrages. Ils se dis-
tribuent naturellement en quatre
groupes : Poésie, Roman, Histoire,
Critique, plus les éditions qu'il a
soignées ou enrichies, soit d'é-
claircissements et de notes, soit
d'une notice biographique. Commen-
çons par énumérer ceux-ci ; ce sont :
T. OEuvres de J. JDryden (avec no-
tice et notes), Edimbourg. t808,
LXXXI.
SCO 513
18 vol. in-8^ 11. OEuvres de Jona-
than Swift (aussi avec notice et
notes), Édimb., 1814, 19 vol. in-8".
Swift a été à notre avis fort utile à
Walter Scott, qui nulle part ne pou-
vait mieux s'initier à l'art du sar-
casme, bien qu'il n'ait jamais été
aussi acerbe. 111. OEuvres poétiques
de miss Anna Seward, Édimb., 1810,
3 vol. in •8'^. C'est cette même miss
Seward qui, en 1797, lisait un soir
ch?z Ferguson la traduction de la
ballade de Lénore, et qui de tous les
bavardages vrais ou faux, qu'elle re-
cueillait, a formé une correspondance
qui ne manque pas d'intérêt. ÎV. Mé-
moires de Gwynne sur la grande
guerre civile, années 1653 et 54,
1822. V. Mémoires de La Roche -
jaquelin (avec préface), Édimb., 1827.
VI. En société avec Clifford, Pièces
et documents officiels (State Papers),
de Ralph Sadier, et ses Lettres ^
Édimb., 1810, 2 vol. in-i». Vîl. Re-
cueil des Traités de lord Somers,
Édimb., 1809-1812, 3 vol. in-4<'. On
verra un peu plus bas que bon nom-
bre des morceaux qui appartiennent
en propre à Scott dans ces publica-
tions ont été réédités plus tard, et
sont devenus parties intégrantes de
ses volumes formés de pièces et mor-
ceaux. Nous aurions pu à toute force
joindre à cette liste des ouvrages
édités la Minstrelsy (voy, plus bas) ;
mais l'empreinte du génie de Scott
y est trop fortement marquée pour
que nous ayons dû nous y décider, et
comme d'ailleurs ce travail a été ré-
imprimé tout au long, tant en anglais
qu'en français, dans les OEuvres com-
pièfes de notre auteur, nous l'y lais-
sons. Des quatre classes dont se com-
posent, nous l'avons dit, ces OEuvres
complètes, lespoésies se présentent les
premières. Les unes sont antérieures
à 1814 et à l'apparition de Waverley:
33
14
SCO
SCO
1rs autres ont été. composées poslé-
rieurenicnt, et suitout dans les der-
nières années de la vie de Scotl. On
peut aussi les subdiviser d'une autre
façon, Romans poétiques, Drames,
Poésies diverses : celles-ci se réfèrent
à toutes les périodes; de ceux-là,
au contraire, les uns sont anté-
rieurs à 1814 (ce sont les Romans
poétiques)^ les autres sont tous des
années suivantes (ce sont les Dra-
mes). Les Romans poétiques, pour
nous servir d'un nom qui est devenu
fort usité en ces derniers temps, sont
au nombre de neuf, si Ton y com-
prend Tristrem, et de onze, si l'on
veut y joindre les deux chants épi-
ques, Rodéric et Waterloo. Le drame
ne fournit à proprement parler que
qtiaire pièces (qui porteront les
n°5 Xl-XV). On en aura cinq, si l'on
n'écarte pas Gœtz, qu'effectivement
notjs classerons au n» XVL Sous le
XVI1« et dernier se réuniront tous
les autres vers, à moins que le hasard
ne nous découvre un autre drame ou
roman poétique. Voici donc la nomen-
clature complète des OEuvr es poéti-
ques de Scot (.[.Le Lai du dernier mé-
nestrel, Èdimh., 1805, in-4°; 1808,
in-8" ; l.i'^ éd., 1812, in-8" (1808 vit
paraître de plus \ es Descriptions and
illustrations ofihe Lay, etc., in-4°).
II. Marmion, Édimb., 1808, in-4°.
m. La Dame du Lac, Édimb., 1810,
in-4«. IV. Harold l'indomptable.
V. Rokeby, Éd , 1813, in-4°. VI. Le
Lord des lies, Éd., 1814, in-4°. Vil.
Thomas-le-Rimeur. Vlll. Précis de
l'histoire de Tristrem, Éd., 1804,
in-8°; 2« éd., 1806. IX. Les Fian-
çailles de Triermain (dans les OEuv.
poét , 1806). X. La Vision de Rodé-
ric (le dernier roi goth d'Espagne),
1811, in-8°. C'est un fort beau poème,
tout entier original (ce qui le distin-
gue de Tristrem) et du reste inspiré
par ce beau roman. XI. Le Champ de
bataille deWaterloo,Lom\., I8ir),in-
8". XII. Halidon Uill, Éd., 1822. Ce
n'est qu'une esquisse Cw. drame, mais
très-belle : l'héroïque, le pathétique
s'y combinent de manière à produire
de grands «iïéts. XIII. La Croix de
Macduffiddus la collection de Joanna
Baillie) Encore un drame de petite
dimension, mais qui ne manque pas
de mérite. XIV et XV. Le Tribunal
de Devorgoil , drame, et Auchi-
dranCf ou le Comté d'Âyr, tragédie.
XVI. Gœtz de Berlichingen à la
main de fer, trad. de l'ail, de Gœthe,
Éd., 1799. XVII. Poésies diverses,
c'est-à-dire Chants lyriques, bal-
lades, élégies, fragments, etc. On ne
les trouve toutes que dans le Sir
Walttr Scott' s poetical works, qu'on
peut adjoindre comme tome IX aux
huit volumes de la grande édition
in-8° c(»mpacte à deux colonnes de
Galignani. Scott lui-même avait
donné : 1° Ballades et Pièces ly-
riques, Édimb., 1806, in-8o. On y
trouve, en assez nombreuse et bonne
compagnie, les deux ballades imitées
de Biirger (c'est-à-dire Lénore, mé-
tamorphosée en Guillaume et Hélène,
et le Sauvage chasseur, très-recon-
nasssable sous son nouveau litre, la
Chasse), les deux chants fournis aux
Taies oftltewonderôe Lewis {Glen-
finsal et la Veillée de Saint-Jean), et
[eïàineuxChantdurégimentdecava-
lerie de Midlothian. 2 ' Quelques au-
tres pièces de ce genre dans le recueil
de ses OEuvres poétiques, Éd., 1806,
5 vol. in-8''. Il serait intéressant d'y
réunir les effusions plus ou moins
lyriques dont il a semé quelques-
uns de ses romans, par exemple, le
Joyeux Frère (Vlvanhoe^ le Tu dois
mourir de la Jolie fille de Perth.
Les romans de Scott ou, comme on
dit, ses romans historiques ne vont
SCO
pas à moins de v'ingt^sept, si d'une
part nous comptons pour un le Nain
noir ainsi qu'on doit le faire, malgré
sa brièveté, tandis que de l'autre
nous ne tenons pas compte des quatre
récits qui dans la première série des
Chroniques de la Canongate précè-
dent La Fille du médecin (ou que
nous transformions en quelque sorte
ce titre en celui de LaFille du mé-
decin et quatre petites nouvelles).
Du reste on peut regarder le Miroir
de ma tante Marguerite comme un
vingt-huitième roman. Des vingt-
sept premiers, quinze se rapportent à
l'Ecosse et aux Orcades : les six qui
viennent ensuite nous conduisent en
Angleterre,puis sur le continent, mais
sans nous écarter bien loin encore,
tant que nous lisons les trois suivants
dont les événements se passent en
France, en Belgique, en Allemagne,
et finalement nous nous élançons avec
les héros des trois derniers à Constan-
tinople, en Palestine, dans l'Inde, en
un mot en Orient. Notons pourtant
que, toujours fidèle à l'idée nationale
ou peut-être par un procédé d'art qui
lui facilite sa tâche de portraitiste,
Scott, qui semble connaître la Fran ce,
la Belgique, l'Allemagne, Byzance, la
Syrie, le Dékhan, presque aussi par-
faitement que son Ecosse, jette tou-
jours un Écossais au milieu de cette
contrée étrangère qu'il a choisie pour
théâtre des événements-, ainsi Nigel,
Péveril , Quentin, Kenneth, Middle-
mas, etc. Grâce à la baguette féerique
du wizard d'Abbotsford, et du reste
la fiction ici est conforme à la réalité,
il en est des Écossais comme des
Gascons, ils prennent partout (nous
voulons dire ils s'implantent): l'Écos-
sais chez lui, l'Écossais chez les au-
tres, voilà l'alpha et l'oméga, voiià
le résumé des vingt-sept romans.
L'auteur est fort pour les épigraphes.
SCO
Ô15
comme on sait; il en met en tête de
chaque chapitre, il en met en tête de
chaque ouvrage, il eut dû en prendre
une pour toute la collection : c'eût été
L^ Ecosse quand même. Le grand ro-
mancier, le grand inconnu est aussi
le grand patriote. Son nom même,
son nom de famille bien entendu,
semble l'y avoir prédestiné, car
Scott a voulu dire Écossais, et si au-
jourd'hui l'on dit Scotman^ au temps
ancien l'on a dit les « Scots » et les
Pietés, et cette survivance de la forme
antique ne peut que flatter un anti-
quaire. Terminons, avant de passer
au tableau des romans de Scott ran-
gés dans cet ordre, mi-chronologi-
que et géographique, mi -idéologi-
que qui nous semble naturel, par
nous débarrasser de l'ambiguïté des
titres collectifs Contes de mon hôte.
Chroniques de la Canongate^ Récits
des croisades. Ces derniers n'ont ja-
mais formé qu'une série en quatre
volumes (1825), contenant le Conné-
table de^Chester et Bichard en Pa-
lestine. Les Choniques de la Canon-
gate au contraire en forment deux de
trois volumes qui se succédèrent sans
interruption en 1827, 1828, et dont
la r« comprend avec la Fille du
médecin les quatre petits récits an-
nexes, tandis que la 2« se réduit à la
Jolie Fille de Perth. Enfin les Contes
û(e mon /lofe se composent de quatre sé-
ries données au public en 1816, 1818,
1819, 1831, et composées de trois
et de quatre volumes (dans la pri-
mitive édit. angl.). Le Nain noir, les
Puritains forment la V^ série ; ta 2"^
est remplie par la Prison ; dans la a»"
viennent la Fiancée et Une Légende ;
à la 4^ appartiennent le Comte de
Paris et le Château périlleux. Ceci
posé, voici comment s'échelonnent
les vingt-huit romans. I. LaSaint-
Valenlin^ ou la Jolie fille de Perth
33.
510
SCO
(i>'=sériedesC/<r.dcfaCan.),Édimh.,
1825. Ici les acteurs sont contem-
porains de Jacques T", c'est-à-dire
que nous sommes encore au moyen
âge. Peut-être manque-t-il quel-
que chose à la peinture de l'état
social et des mœurs de ce temps
pour qu'elle soit parfaite. Mais,
somme toute, le roman est excel-
lent : quoique appartenant à cette
dernière pe'riode de la vie de Wal-
ter Scott qu'on se représente non
sans raison comme haletante et
donnant des signes visibles de fai-
blesse , il peut prendre rang auprès
de Waverley ^ de Kenilworih^ de
Quentin Durward, et au-dessus de
Woodstock, de VÂbbé, du Monastère^
peut-être même de l'Antiquaire,
II, llf. Le Monastère et l'Albé ,
suite du Monastère, Edimbourg,
1820, 3 vol. in-12. On regarde ces
deux productions comme les plus
faibles de l'auteur après les trois
ouvrages de sa vieillesse. Quant à
nous, nous les préférons non-seu-
lement à ces trois derniers, mais en-
core à Woodstock. Nous ne nions pas
du reste que Scott n'y soit inférieure
lui-même, et c'est pour nous un regret
d'autant plus vif que l'infortunée
Marie Stuart y joue un rôle , et que
nous souhaiterions à cette gracieuse
et si touchante physionomie un cadre
digne d'elle. Trop de rapidité nuit,
quoi qu'on en puisse dire, même au
génie; et il n'est pas étonnant que
celui qui, en douze mois (de 1820 et
21), écrivait et imprimait les douze
volumes d'Jtjan/ioc, du Monastère,
de l'Abbé, de Kenilworth^ n'ait pas
toujours été à la même hauteur. IV.
La fiancée de Lammermoor, Édimb.,
1819, 2 vol. in-12 (ou 2 vol. et demi).
C'est, comme il a été dit, une partie
de la 3® série des Contes de mon hôte.
L'ouvrage est trop connu, et nous en
SCO
avons même trop parlé déjà, quoique
accidentellement et sans toucher les
choses essentielles, pour qu'il con-
vienne d'en essayer l'analyse. C'est
certainement, malgré sa médiocre
dimension, un des chefs-d'œuvre
de Scott. On sait avec combien de
transport le théâtre en tout pays
s'est emparé de ce sujet , qui a
fourni drame, vaudeville et opéra.
Comme l'événement, trop malheu-
reusement réel, dont Scott nous
offre le tableau idéalisé se rapporte
aux premières années du XVll® siè-
cle, nous avons laissé l'ouvrage à
la place qu'il occupait dans les Con-
tes de mon hôte, avant le suivant,
V. Une Légende de Montrose, ou,
comme on l'a intitulée souvent en
français, VOfficier de fortune (fin de
la 3® série des Contes de mon hôte),
Édimb., 1819, 1 vol. in-12 (ou 1 vol.
et demi). Rien ne ressemble moins
au précédent récit que cette compo-
sition éminemment originale. Quoi-
quemoins longue que ia Fiancée, elle
est encore peut-être plus admirable :
la vie de soldat pendant la première
moitié du XVII® siècle et la vie du
clan, la guerre civile, sont rendues de
main de maître. Dalgetty est dessiné
encore avec plus de vigueur que le ba-
ron de Bradwardine : son ambassade
surtout et la mort de son cheval Gus-
tave sont quelque chose d'inimagi-
nable. Molière lui-même n'a jamais
rencontré comique plus franc. VI.
VII. Le Nain noir et Vieille-morta-
lité ( ou dans les traductions fran-
çaises les Puritains d^Écosse, ou la
Bataille du pont de Bothwell),
Édimb., 1817, 3 vol. in-12. Ces deux
ouvrages forment la 3® série des
Contes de mon hôte : le premier est
fort court et n'a rien de très-remar-
quable; le second, au contraire, est
un des romans les plus carrés par la
SCO
base, les plus hardis de dessin, les
plus chauds de couleur qu'on ait ja-
mais écrits. 11 dispute la palme à
Ivanhoe^ et bien des artistes le préfè-
rent. Il n'en a pas les beautés raci-
niennes, le pathétique déchirant, le
comique de bon goût, les délicatesses
infinies, la variété; mais l'impres-
sion en est plus âpre, plus profonde.
Le nom de pont de Bolhwell indi-
que assez à quelle époque, de si-
nistre mémoire, se passe l'action.
VUl.LeCœur de M idlothian, ou, dans
la traduction française, la Prison
d'Edimbourg, Le premier de ces deux
mots est proverbialement le syno-
nyme de l'autre. C'est encore une des
plus belles compositions de l'auteur,
quoique tout n'y soit pas delà même
force. La trop fameuse émeute Por-
teous en 1737, qui est un fait réel, et
le caractère deJeanie, sont ce que
l'on y admire le plus. IX (bien que
l'événement soit antérieur au sujet
de la Prison). Rob-Roy (mot k mot
Rob le Rouge^ c'est-à-dire le Roux)^
Édimb., 1818, a vol. in-12. On se
rappelle que c'est par cet ouvrage,
le sixième en date parmi les ro-
mans , que Scott prit définitivement
le haut rang dont il ne devait pas
descendre. C'est effectivement un
chef-d'œuvre. Là se trouvent Diana,
Rashleigh, NicolJarvie, André Fair-
service, Helena, Mac-Grégor, l'Es-
pion , tous groupés si curieusement
autour de Rob-Roy ; et Rob-Roy lui-
même, quoiqu'il ne serve guère que
de prétexte aux tableaux, ne figure
pas d'une manière trop indigne de
l'idée qu'en donnaient les innom-
brables récits populaires qui cou-
raient encore sur son compte au
temps où Scott courait les légendes,
du Liddesdale aux Grampians. Rob-
Roy mourut eu 1737; il avait pris
part, comme de raison, à la grande
SCO
51T
insurrection de 1715 en faveur du
Prétendant, et c'est avec cette in-
surrection que coKicident les der-
niers chapitres du roman,dans lequel
on pourrait voir la première pièce
d'une trilogie dont Waverley serait
la seconde partie, comme Redgauntlet
en serait la troisième. X. Waverley ^o\i
VÉcosse il y a soixante ans, Édimb.,
1814,3 V. in-8 On se rappelle quede
tous les romans historiques ou vrais
romans de Scott, Waverley fut chro-
nologiquement,le premier; puis,que
l'auteur, pour être exact, aurait dû
dire soixante-huit ou en nombre rond
soixante-dix ans. Nous avons d'ail-
leurs parlé avec éloge de cet ouvrage.
Qu'il nous suffise ici d'ajouter non-
seulement qu'il se classe très-avanta-
geusement parmi les romans de Scott,
mais encore que , sans égaler ses
chefs-d'œuvre, il laisse apercevoir
le germe de toutes les belles quali-
tés qu'il a déployées depuis. H y est
peintre admirable, le récit y devient
souvent de l'épopée, le rôle comi-
que est un des meilleurs qu'il ait
jamais produits, et il en a produit
beaucoup ; quelquefois enfin il at-
teint le sublime. Waverley de plus
présente ceci de particulier qu'on ne
saurait dire si c'est la face histori-
que qui domine dans l'ouvrage ou
si c'est la description des mœurs
écossaises (tant s'en faut que ce soit
un défaut) : de telle sorte que pris
comme œuvre presque historique, il
forme comme une trilogie naturelle
{voy. plus haut) avec celui qui le
précède et celui qui le suit, et qu'en-
visagé comme description de mœurs,
il se range dans la même classe que
V Antiquaire , Guy et les Eaux. XI.
Redgauntlet, Edimb., 1824, 3 v. in-12.
Le sujet est l'apparition de Charles-
Edouard, alors Prétendant, sur les
côtes d'Ecosse, en 1761. On sait que
518
SCO
SCO
cette tentative lut sans résultnt et
n'amena pas d'effusion de sang. Le
roman, sans être égal à Waverley
et snrtont à Rob-Roy, est intéres-
sant et comme étude de l'adoucis-
sement des opinions jacobites au
moment où venait de monter sur le
trône le troisième prince de la mai-
son d'Hanovre, le premier qui fût
né en Angleterre, et par un certain
nombre de faits spéciaux qu'on con-
naissait peu ou qu'on avait perdus de
vue quand Scott fixa sur eux l'at-
tention, par exemple, sur le rôle
de mistriss Walkenshaw auprès du
prince. XII. Guy Mannering^ou l'As-
trologue, Edimbourg, 1815, 3 vol.
in -12. Ici commence la série des
peintures qu'on peut nommer con-
temporaines. Le fait capital, c'est-à-
dire la reconnaissance de Brown
comme IJenri Bertram d'Ellango-
wan, se place de 1761 à 1796, puis-
que l'aïeul de Henri a pris part dans
sa jeunesse à la révolte de 1715, et
que le jeune homme sert dans l'Inde
en un temps où le nom de IVlahrattes
est populaire. L'intrigue est traitée
négligemment , et bien des détails
sont un peu faibles, ujais la vie des
(Contrebandiers et des bohémiens est
souvent bien peinte. Gossiin est le
précurseur de Rashleigh ; Hazlewood
demeurera l'inimitable type des Bri-
doison seigneurs de château ; dans
PIcydell est incarnée toute la basoche
de la vieille Edimbourg ;nous ne re-
parlerons pas de Dinmont et de Meg^
et enfin, même malgré le peu d'art
avec lequel la fable est construite,
on voit le gertue d'une reconnais-
sance d'un genre neuf dans ce sachet
que porte toujours Henri depuis l'en-
fance , et qui contient l'horoscope
tiré jadis par le colonel. XIII. L'An-
tiquaire, Édmibourg , 1816, 3 vol.
!!j-r4, Les scènes décrites dans Tiln-
liquaire sont censées avoir lien <»n
1796 et 1803, en un temps où l'on
redoutait une invasion française.
Il y a très-peu d'action dans l'Anti-
quaire , qui n'offre , avec de su-
perbes descriptions et de curieuses
scènes de mœurs, que des épiso-
des très -lâchement réunis les uns
aux autres, pour ne rien dire de la
nouvelle contée par miss Wardour, et
qui est un hors-d'œuvre à l'espagnole.
Toutcel*a n'empêche pas qu'il n'y ait,
dans la tragique aventure d'Elisabeth
Néviile , l'esquisse d'un admirable
drame. La rieuse et imprudente nnss
Néviile, l'altière et avide comtesse
de Glenallan, la vindicative et forte
EIspeth, séide femelle de la comtesse,
quels éléments et quel groupe! Quels
repoussoirs, que descènes délicieuses
et sombres,que de pathétique pouvait
en éclore, si Scott n'eût passé à côté
du vrai sujet pour nous parler des
félicités et des tribulations de ses
amis les antiquaires dont plusieurs,
il est vrai, se blousent ou se laissent
attraper quelquefois, mais ce ne sost
pas les habiles, ce n'est pas Oldbuck !
ce n'est pas lui ! ou c'est si rare, si
rare!... XIV. Les Eaux de Saint-
Ronan, Édimb. , 1824, 3 vol., in-12.
Les tableaux que renferme cet ou-
vrage doivent être considérés comme
contemporains dans toute la force
du terme. On a souvent dit et im-
primé que c'est un des ouvrages
les plus faibles du romancier, que
la décadence y est sensible , etc.,
etc. Rien n'est plus faux. L'action
sans doute est peu de chose dans les
Eaux^ et on ne la raconte à la fin
qu'en abrégé et comme un proces-ver-
bal. Mais c'est là un procédé fréquent
chez Scott, et même dans des romans
fort admirés, particulièrement dans
V Antiquaire; puis c'est comme pein-
ture de mœurs que doivent être con-
SCO
SCO
519
sidért'es les Eaux de Saint- Ronan.
Sous ce rapport, c'est son chef-d'œu-
vre; et l'auteur de Gil Blas et du
Diable boiteux {on par parenthèse il y
a vingt fois moins d'ëvénemenls que
dans les Eaux), s'honorerait d'avoir
tracé cet inimitable tableau de genre.
On ne saurait rien troaver de plus
achevé, de plus varié, de plus sa-
vamment contrasté, que ces nom-
breuses figures crayonnées ou buri-
nées par l'artiste. 11 y a là de tout,
des croquis et des tableaux, des por-
traits et des types, de l'exact et de
la caricature. Il y a surtout de la
satire, satire des buveurs d'eau et
des médecins, des patrons el des pa-
trones, des néophobes et des cou-
reurs de nouveautés , des savants
et des ignares, du beau sexe, hélas !
après la saiire du sexe fort, feu de
file de satires qui ne corrigera per-
sonne, mais qui n'en est pas moins
réjouissant à contempler d'une place
de sûreté. XV. Le Pirate ^tdimb.,
1822, 3 vol. , in-8°. C'est encore en
grande partie un tableau de mœurs,
au milieu duquel pourtant il a jeté
du fantastique et de l'action. Tout
n'en est pas également heureux, mais
l'hospitalité du vieux Magnus, l'as-
saut de la baleine, l'agronome, sont
encore de ces amusantes peintures
où s'empreint l'humeur de Scott.
Le groupe ravissant que forment
Minna et Brenda est connu de ceux
même qui n'ont jamais lu ses ouvra-
ges. Norna est peinte avec des traits
grandioses en harmonie avec la sau-
vage puissance des vagues qui battent
l'archipel du septentrion, des tempê-
tes qui fouettent ces vagues. La scène
est presque d'un bout à l'autre aux
Orcades, et c'est l«'. seul roman où
Scott nous ait ouvert le tableau de ces
îles, de ces mers loiulaines. 11 est
visible qu'il s'est plus d'une fois in-
spiré des Sfigas dont quelques-unes
sont encore dans la mémoire des ha-
bitants de Feroc, et nous verrons
d'ailleiirs plus bas des traces visibles
de l'étude qu'il avait faite de la lit-
térature islandaise dans l'ordre chro-
nologique d'après les époques aux-
quelles l'écrivain place les événe-
ments. XVI. Jvan/ioe, Édimb.,1820,
3 vol. in-12. Nous n'ajouterons rien
aux aperçus que çà et là nous avons
jetés dans le cours de la biogra-
phie sur quelques-uns des éléments
et des tableaux de ce roman, et sur-
tout à ce que nous venons d'en
dire à propos des Puritains. On le
regarde habituellement comme ce
que Scott a produit de pl'is parfait.
La scène est en Angleterre et sous
Richard Cœur-de Lion, peu après son
évasion des cachots de l'Autriche.
XVll Les Fiancées, ou, dans nos tra-
ductions, le Connétable de Chester,
Édimb., 1825, 2 vol. in-12 (dans les
Récits des croisades). La scène est sur
les confins de l'Angleterre et des
principautés de Galles. L'auteur y
peint admirablement la misère des
pays à l'abandon, tandis que les ba-
rons, chevaliers et hommes d'armes
sont en Palestine. XVIII. Kenil-
worth, Édimb., 1821, 3 vol. in-12.
Elisabeth et sa cour, et surtout ce
misérable et imbécile dandy de Lei-
cester, n'ont jamais été mieux repré-
sentés. La tragique aventure liée à
cette description ne semble avoir été
que trop réelle, quoique Scott l'ait
fort modiliée. XIX, XX, XXI. Les
Aventures de Nigel, Édimb., 1822,
3 vol.; Woodstock, Éd., 182G, 3
vol.-, Pevm/ du Pic, Éd., 1823, 4
vol. Ces trois ouvrages ont cela de
commun que les événements qu'y
raconte Scott sont censés avoir lieu
sous Jacques 1«' , sous Cromwell, sous
Charles 11. Nous n'avons pas besuiit
Ô20
SCO
de répéter combien le second est fai-
ble. Quant aux deux autres, ils sont
du plus grand mérite, mais particu-
lièrement Péverily que nous plaçons
parmi les chefs-tl'œuvre, malgré les
longueurs du commencement. La
cour de Charles 11 et Charles II
lui-même y sont daguerréotypes au
vif, plus parfaitement encore peut-
être, plus agréablement qu'Elisabeth
et ses entours dans Kenihoorth -^
et à cuki des portraits si frappants
de Tilus Oates, de JeftVries, de
Chiffinch, de Buckinghatu, où tout
est réel, où presque tout est justi-
ciable de la satire, l'imagination et
la sensibilité trouvent à mi-route
cette péri, née du cerveau de Gœthe,
et qui, sous la plume de Scott, a pris
le nom de Fenella. XXII, XXIII.
Quentin Durward, Édimb,, 1823,
3 vol. in-S*', et Anne de Geierstein,
ou la Fille du brouillard, intitulée
aussi (en français) Charles- le-Témé-
raire, Édimb., 1829, 3 vol. in-8°. Ce
dernier titre indique l'époque et, jus-
qu'à un certain point, un des héros
de l'action qui se passe généralement
dans les contrées limitrophes de
l'Allemagne , de la France et en
Suisse. Dans Quentin Durward ,
la grande physionomie que le poète
a tenté de reproduire, c'est celle de
Louis XI. Nous avons dit que le por-
trait laisse à désirer; il ressemble ce-
pendant, et au total c'est un des plus
jolis romans de Scott, un des plus
relus. XXIV. Le Château dangereux,
Édimb., 1831, 2 vol. in-12(dans la
4*^ série des Contes de mon hôte).
XXV. Robert comte de Paris .^ dans
cette même 4® série, 3 vol. in-12,
XXVI. Le Talisman^ traduit en fran-
çais sous le titre de Richard en Pa-
lestine (seconde partie des Récits
des croisades), Édimb., 1825, 2 vol.
iu-t'i. Nous regardons cet ouvrage,
SCO
nn peu moins long que la plupart des
romans de Scott, comme ce qu'il a
produit de plus lin, de plus achevé.
Nous n'entendons pas dire par là qu'en
doive le préfér*M" aux chefs-d'œuvre
de grandiose, de pathétique caractéri-
sés plus haut, mais nous ne craignons
pas de formuler notre admiration par
deux mots : Richard est une perle
comme Ivanhoe un diamant de la
plus belle eau et sans tache. XXVll.
La Fille du médecin, Édimb., 1827,
à peu près 1 vol. et demi de la l'"^ sé-
rie des Chroniques de la Canongate:
quatre autres contes occupent le vo-
lume et demi restant, mêlés de cau-
series. Celles-ci sont pleines du
charme humorique habituel à l'é-
crivain. Les quatre premiers récits
ne valent que par les détails : la Veuve
des Highlands pourtant commence à
sortir de ligne. Mais la Fille du
médecin surpasse tout le reste. La
narration est facile et l'intérêt des plus
vifs : peu de romans de notre auteur
l'égalent sous ce rapport. L'introduc-
tion, la mort de la mère de Middiemas
exhalantson âme aveclechantsur les
touches du clavier, l'hôpital de Port-
smouth ; puis, dans l'Inde, les intri-
gues du Pekouah, l'astuce profonde
de la Begom, menant de front les vo-
luptés et les affaires, et plus forte
que son perfide favori; enfin Tippou,
Haïder-Ali, l'éléphant, tout y est dra-
matique. XXVIll. Le Miroir de ma
tante Marguerite et autres contes,
Édimb.,1830,1 vol in-12. Passons aux
ouvrages hi.storiques,en commençant
par l'histoire politique, l'histoire litté-
raire devant nous servir de transition
pour arriver au quatrième groupe
( Critique et Mélanges ). Dans le
troisième nous trouvons doncri. Vie
de Napoléon Bonaparte, précédée
d'un tableau préliminaire de la ré-
volution française, tdimb» et Luud.
SCO
1827, 9 vol. in-8». L^apparition dans
les eaux de la Seine de ce pamphlet
de haut bord, tout barbouillé des
couleurs l)ritanniques, souleva le
courroux de la vague bonapartiste. Le
gc'uc'ral Gourgaud fit feu de toute
son artillerie, et pointa juste quel-
quefois, quoique trop e'chauffé pour
y voir toujours bien clair (23); l'ex-roi
de Hollande, plus maître de lui, lança
des grenades sur tous les points à sa
portée (24); un anonyme, M.***, avait
ouvert lafusillade,et continuait d'en-
dommager les œuvres du commodore
Waltcr (25), tandis qu'un autre ano-
nyme, C***, manœuvrait autour de lui
avec un petit brûlot. Hélas ! ce n'é-
tait pas la peine de se donner tant de
mouvement. Le navire était trop mal
doublé, trop mal conduit pour bien
siller à la mer. Métaphore à part,
comme nous n'aimons pas à flageller
les morts, nous ne dirons que peu de
chose et de ce Tableau de la révo-
lution française si au-dessous de sa
Vie de Napoléon, et de cette Vie
même de Napoléon^ si oubliée au-
jourd'hui. Et d'abord ce sera pour
confesser que cet oubli peut-être
est trop complet. Le livre de Scott
nous est précieux à deux titres.
Nous l'avons déjà remarqué, il con-
tient des documents (noyés, il est
(aS) Réfutation de la Vie de Napoléon, par
Scott^ par le général G., Paris, 1827, 2 par-
ties in-S".
(24) Réponse à sir Waher Scott sur son
histoire da Napoléon, Paris, 182S; 2e édit.,
1829.
(25) Réfutation de la Vie de Napoléon de
sir Waher Scott, par M '*% Paris, 1827,2
vol. iu-12. Cet ouvrage anonyme, le pre-
mier en date, si nous ne nous trompons,
de tous cenx que fit cdore la compilation
deScotf, est l'œuvre d'un homme très-fort,
et sff recommande par un ton de parfaite
modération. Il rend justice a ce qu'il y a
do luii.ildt; dans Scott, et souvent même
le resi)C(t pour un beau talcut qm s'éc.u'C
JLii a douué trop d'iadulyeucc.
SCO
o21
vrai, dans un océan de vulgarités)
sur la politique britannique , sur
ses méfaits ou désappointements de
la politique napoléonienne. Puis il
est curieux de l'étudier pour voir
quels bruits vrais ou faux , et par-
mi ces derniers quelles niaiseries ,
quelles pauvretés couraient sur
le compte de Napoléon parmi nos
judicieux voisins. Nous savons
bien ce qu'on a fait avaler de poufs
au peuple le plus spirituel de la
terre; mais il n'est pas mal de sa-
voir de quelle taille sont ceux que
digère John Bull, et Scott nous
rend le service de prouver qu'il di-
gérerait le bœuf Béhémoth à la seule
condition qu'on le lui serve pi-
menté de grosses insultes aux dogs
frenchmen. Puisque l'opinion est une
force , puisqu'elle se compose de
croyances, les unes peut-être raison-
nables, les autres absurdes, etpuisque
ces dernières vont bien à 80 ou 90
pour 100 du total, nous avons de
l'obligation à celui qui nous fait
connaître ces éléments d'une force
dont se sont manifestés si cruelle-
ment les gigantesques effets. Or,
personne mieux que Scott ne pou-
vait remplir cette tâche par son
habitude des légeufles , sagas,
complaintes et vieux chants popu-
laires qui, comme les chœurs dans la
tragédie antique et mieux que les
chœurs, reflètent non seulement les
prouesses ou les crimes des anciens
jours, mais les sensations, les idées
qu'elles ont fait naître chez les
masses. Mais, il faut le dire, ce genre
de mérite est dangereux. Le devoir
de l'historien est d'être au-dessus de
ces idées qu'il aperçoit et nous fait
apercevoir, de ne pas se laisser aller
au fantastique et au patriarcal, de ne
pas tourner au bonhomme, de ne i»as
changer l'histoire eu une longue bal-
522
SCO
hule. CVsl là le tort, l'inexcns.ihle
tort de Scotl. Nous laissons décote ses
routes, dotit quelques-unes si grossiè-
res, son ignorance des partis de la ré-
volution, et même de tonte la révo-
lution, ses appréciations fausses, sa
partialitéde tory et d'Anglais si forte
qu'elle l'a fait accuser de mensortge
volontaire (bien à tort sans doute,
car rien n'était plus loin de son ca-
ra(^tère probe et droit, mais avec des
apparences de raison); nous laissons,
dis-je, de côté toutes ces censures ;
mais il est an fond de tout l'ouvrage
un vice plus grave et qu'on a moins
aperçu, c'est que Scott n'est jamais
historien dans cette histoire ; il n'est
pas romancier non plus : il est lé-
gendaire. Il parle de faits contempo-
rains, mathématiques en quelque
sorte ei dont les arêtes sont si vives
que les angles peuvent se mesurer
par degrés , minutes et secondes ,
comme d'aventures ossianiques dont
les brumes des Grampians efface-
raient les contours. Les maréchaux
de Pempire ont l'air des douze pairs
de la Table-Ronde, et le César, le
Gengis du XIX*" siècle devient chez
lui tantôt un sir William Wallace,
tantôt un ogre courant de Léoben au
Caire et du Caire au Kremlin avec
ses bottes de sept Wiues.Al. Histoire
de l'Église d'Angleterre. Ul. Histoire
d'Ecosse, Édimb., 2 vol. in-8<^ (dans
VHist. gén. des lies- Britanniques,
qui fait partie de la Cabinet cydope-
dia^ de Lardner, et à laquelle Mac-
kintosh fournit VHist. d'Angl., et
Moore, celle d'Irlande). 11 faut se
garder de confondre cet ouvrage
avec le suivant. IV. Contes d'un
grand-père sur l'histoire d'Ecosse,
Édimb., 1828, 1829, 1830 (3 vol. for-
mant 3 séries). C'est une véritable
histoire d'Ecosse contée n l'enfance,
ei bien contée. On regrette qu'elle
SCO
n'aille pas au delà de l'avènement
de Jacques VI au trône d'Angleterre
sous le nom de Jacques I-' (l'enfant
auquel Scott conte et même déilie
cet abrég(\ c'est son petit-fils, Hugh
Lockhart, qu'il appelle Hugh Little-
john ou Petit-Jean) V. Contes d'un
grand père sur l'histoire de France.
VI. Bon nombre d'articles publiés
après sa mort par les éditeurs, sous
le titre d'Etudes historiques et Mé-
langes d'histoire, de biographie et de
littérature. Ce sont, en défalquant
l'Histoire d'Ecosse^ ['Histoire de
l'Église d'Angleterre et les articles
sur Ralph S ad 1er., sur LordSomer-
ville, sur les OEuvres de Hume, sur
les Mém. de Sepys, sur Lady Suf-
folk): 1° un Essai sur la chevalerie ;
2° Amadis des Gaules; 3" la Chro-
nique du Cid; 4^ Froissart ; 5^
Mémoires sur Vannée 1745; 6° les
Vendéens de France et les High-
landers d'Ecosse; ?„ Procès d'É-
tat et procès criminels. Vil. Bio-
graphie littéraire des romanciers
célèbres, Edimbourg, 1829. Il aurait
dû ajouter» de l'Angleterre, » cardes
romanciers célèbres, Lesage est le
seul qu'il ait nommé. Quant à ses
compatriotes, nous trouvons là Ri-
chardson, Fielding, Smolleti, Sterne,
Johnstone , Johnson , Goldsmilh ,
Anne Radclifïè, Walpole, Macken-
zie, Clara Reeve, Bage, Cumberland,
et dans les dernières éditions Swift,
Maturin,Charlotte Smith et Daniel de
Foe. VIII. Mémoires biographiques,
2 vol. in -12 ; ce sont encore de sim-
ples biographies, mais de personnages
très-Hivers, Swift, Charlotte Smith,
sir R. Sadier, J. Leyden , Arme
Seward, De Foe, le duc de Buccleiigh
et Qupensberry, lord Somerville,
Georges IH, lord Byron, le duc d'York.
IX. Diverses autres t)iograpliies qu'où
aurait [)u joindre à celles du u" 7;
SCO
SCO
523
la Vie de Molière, un article Kemhle,
un art. Mistriss Kelley, les art. God-
win, Hoffmann, miss Husten, etc.
X. Ce que l'on trouve de ses Lettres
dans les Mémoires et correspon-
dance, Londres, 1833, publie's par
les soins de M. Lockhart. Dans la
quatrième rubrique des OEuvres de
Scott, c'est-à-dire parmi les ouvra-
ges ou travaux critiques et les miscel-
lanées, se rangent : 1. Les Chants des
ménestrels de la frontière de V Angle-
terre et de V Ecosse, 1802, 3 vol. in-8o.
Il n'en avait d'abord paru que deux,
lesquels ne contenaient que des
chants anciens avec les remarques
et introductions nécessaires^ dans
le troisième figurèrent les imitations
modernes. Le travail de Scott, tarrt
pour souder les uns aux autres que
pour élucider ces divers morceaux,
est excellent, à tel point qu'un cri-
tique qui est aussi un biographe de
notreauteur, Allan Cunningham, pré-
fère ces notes aux chants eux-mê-
mes. Notre admiration ne va pas jus-
que-là. n. Antiquités de la frontière
anglo-écossaise avec descripitions et
illustrations, Londres, 1814,2 vol. in-
8°. III. Notions sur les magnificences
royales del'Écosse,Èd\n)h.,\S19.iy,
Antiquités et sites pittoresques des
provinces d'Ecosse, Èdimb., 1819. V
(en collaboration avec Rob. Jame-
son et H. Weber), Les Antiquités is-
landaises, Éd., 1815, in-4°. VI. Es-
sai sur le drame, ou, au plus long,
Essai sur le théâtre et l'art drama-
tigue(d'abord simple article de revue
comme VEssai sur la chevalerie
et le suivant, puis réimprimé , soit
comme volume à part, soit dans les
OEuvres complètes). VII. Essai lit-
téraire sur le roman -, plus tard
on l'a mis eu tête de la Biogra-
phie des romanciers célèbres. VIII.
Divers articles, dont les éditeurs pos-
thumes ont fait une Histoire de la
poésie anglaise.) et dont les sujets
sont : 1" les vieux poètes anglais ;
2° les romans en vers; 3® les an-
ciennes ballades; 4° les chants po-
pulaires; 5» et 6" Chaucer,Spenser:
7° et S^ Chatterton, Burns; 9" Ley-
den (placé aussi dans les Mémoires
biographiques) ; 10", 11« et 12° Sou-
they,Campbell, Byron; 13° lespoètes
vivants; 14^ la poésie islandaise et
ses rapports avec la poésie anglaise ;
15^ l'Eyrbiggia saga, etc IX. Let-
tres sur la démonologie et la sorcel-
lerie, Londres, 1817-1830. X. Lettres
de Paul à ses parents. XI Discours
religieux. XII. Miscelianées : 1° sur
la Pêche du saumon ; 2° sur les Fo-
rêts ; 3° sur les Jardins; 4° sur la
Cui sine ^e\c. On a cru quelque temps
et tout à fait à tort que Scott était
Vàiiteur delà Belle sorcière deGlass-
lyn, du Château de Pontefract et
de Walcadmor, lous romans qui ont
été traduits en notre langue, les deux
premiers par M'"* Collet, Paris, 1821,
2 vol. in- 12, et 1821, 4 vol. in 12
(2^ édit., 1823), le dernier par De-
fauconpret (le plus connu des tra-
ducteurs de Scott), Paris, 1825,
3 vol. in-12. Parmi les meilleures édi-
tions anglaises de Scott, la première
place ap[)artient à celle dont il fut !e
réviseur et qu'il nommait sonOpus
magnum Elle a pour titre familier:
Waverley Novels., ou, plus au long ,
Sir Walter Scott's complète Novels,
Taies and Ilomances,et contient tous
les romans, plus des introductions,
préfaces et notes. La publication com-
mença dès 1829, mais ne fut achevée
qu'en 1834.' Elle se compose de 48 vo-
lumes in-12, lesquels, tirés à 12,000
exemplaires ehacun, forment un
total de 570,000 volumes. l.'Athc-
nœum dès 1830, ne comptant que sur
40 volumes (sur 180,000 par couse-
624
SCO
quent pour toute l'édition), en esti-
mait le profit à 2,500,000 fr. On l'a
rééditée eu 1837 et années suivantes.
li existe une autre édition en 52
vol. in-8°, moins belle,mais plus com-
plète. Les presses françaises ont pu-
blié aussi un nombre prodigieux
de volumes de Scott, tant en an-
glais qu'en français (26). Pour
commencer par les éditions et textes
anglais,nous plaçons en tête celled'.A.
etW. Galignani {The complète works
ofWalter Scott)^ de 1827 à 1 834 : elle
est grand in-8<^ à deux colonnes, et se
compose de huit volumes de prose
(dont un supplémentaire avec por-
traits). De bonnes notes et un glos-
saire des mots écossais ajoutent à sa
valeur. Non seulement les OEuvres
poétiques forment un vol. à part ,
mais encore pour la prose il y a deux
sortes d'exemplaires, les uns de cinq,
les autres de huit volumes. Les pre-
miers ne contiennent que dix romans.
Dans les seconds, le tome V offre
avec Woodstock^ la Vie de Dryden,
les Biographies des romanciers, les
Lettres de Paul, Gœtz, les Essais sur
(26) L;i première traduction d'uu ou-
rrage de Scolt eu français est due à M. Jos.
Martin et celle de Guy Mannering, 1816.
Ensuite vint celle de PÀnliquaire, par Ma-
dame Maraise, 18 17. M. Defauconpret ne
parut que le troisième en 1818, comme tra-
ducteur des Pan/a/nf (ae édition, 1820);
et l'on revit encore M. Jos. Martin la même
année comme traducteur de fVaverley
(9.*" édit., 182 f, 3c édit., 1822. Il avait été
sitnulé dès 1820 une 2^ édit., de telle sorte
que celle de 1821 serait la troisième, celle
de 1822 la quatrième ). A partir de 1819,
le libraire NicoUe commença le monopole
îles œuvres de Scott eu acheliint la pro-
priété des traductions de V Antiquaire et de
(lUjr, en enlevant lorsqu'il les réimprima
l(;s noms de la traductrice et du traducteur.
Toutefois il faut dire que M. Defauconpret
ou refit ou retoucha celle de l'Anti-
quaire. Quant à la question posée par quel-
«jijcs curieux : M. A.-J-D. Defaucoupict est-
il ou uon l'auteur uuiquu des autres traduc-
tious ? elle uous semble oiseuse.
SCO
le drame, sur la chevalerie et le ro-
man. Le tome VU s'ouvre par les deux
séries des Chr. de la Canong.^ et par
Anne^ pour finir par les Contes sur
Vhistoire d^Écosse. Le tome VIII, au
contraire, finit par les Contes et Es-
sais^ et par deux tomdns{ Robert et Le
Château)^ et le glos.saire; VHistoire
d'Ecosse^ les Contes sur celle de
France, les Mém. biograph., précè-
dent, plus les Sermons, la Maison
d'Aspen, le Tribunal de Devergoil
et la Démonologie. On voit par
cette énumération que les OEuvres
complètes ne sont pas absolument
complètes. 11 faut en dire autaiit
d'une autre édition donnée aussi par
la librairieGalignani, de 1820 à 1832,
en 115 vol. în-12 (qu'habituellement
on relie en 54); les OEuvres poéti-
ques y sont comprises, mais le carac-
tère, le papier, la justification ne sont
pas les mêmes. L'édition de Baudry,
si tant est qu'on puisse nommer édi-
tion deux séries de volumes qui ont
chacune leur numérotation à part ,
contient un peu davantage , mais
n'offre pas tout encore. La première
série (en 28 vol. in-8'^), ne contient
que les romans historiques (24 vol.),
plus tout un volume de Notices
and Anecdotes illustrative of tho
incidents, etc., (t. 25) et les Contes
d'un grand -père sur l'histoire
d'Ecosse {t. 26-28); dans la 2« masse,
intitulée : Completion of sir Wal-
ter Scott's works, se trouvent 1° les
Poésies^ y compris les essais dra-
matiques (t. 1-6); 2° sept vo-
lumes dits Miscellaneous prose
Works (ou Vie de Dryden, de Swift,
des Romanciers, les Mém. biograph.,
les Lettres de PauU les articles criti-
ques sur la poésie et le roman, les
Essais sur la chevalerie, sur le ro-
man, sur le drame, les Antiquités
prov., la Démonologie)-. a" la Vie
SCO
de Napoléon, en 6 vol., total t 19. En
joignant.! ces deux masses d*ouvra-
ges les trois volumes de la Vie de
Scott^ par Lockhart, on arrive à
50 volumes. Toutes les autres entre-
prises pour donner un Scott complet,
même comme remaniement , ont
e'choué successivement : la collection
Glaclîin, qui devait avoir 60 vol. in-
18, s'est arrêtée après le 13«, et ne se
compose que de 4 romans ; celle de
Ledoux et fils, 1830-31, in-8o, n'en a
que trois, Waverley, Guy et l'Anti-
quaire. La totalité des œuvres de
Scott existe, traduite en français, et
a paru chez Ch. Gosselin, portant
en tête (sauf pour le Miroir de ma
tante M ar guérite, (\m est de M™* Gos-
selin), le nom d'A.-J.-B. Defau-
conpret, comme traducteur : elle ne
comprend pas moins de 161 volumes
dont 101 de romans historiques , grâce
à notre habitude de chasser plus que
les Anglais en typographie, et d'é-
tirer les trois volumes usuels qu'af-
fectionnent chez eux Romances et
Novels, de façon à en tailler quatre
dans trois ; mais tous ces volumes
réunis ne forment pas réellement des
œuvres complètes. Ils sortent de
presses différentes *, ils n'ont de com-
mun que d'être tous de fort laids in-
^ 12, la plupart ayant paru séparément.
A partir de 1821, une fois le goût
du public prononcé en faveur du ro-
mancier écossais, chaque production
de sa plume parut le même jour à
Londres ou à Edimbourg en anglais,
et à Paris en français : il y avait en-
tente cordiale entre le libraire d'ou-
tre-Manche et celui de la rue Saint-
Germain-d es-Prés. A mesure que
Scott donnait le bon à tirer d'une
feuille, elle était traduite à Londres,
et la copie française était livrée au
cojîjpositeur. Quand plus tard naquit
l'idée de faire un tout de cette masse
SCO
52.'
d'ouvragesisolés et analogues, on leur
donna, indépendamment du numéro
particulier à chaque volume d'un
même ouvrage, une numérotation
générale, dans laquelle on suivit
l'ordre chronologique de publica-
tion en Angleterre. Il faut d'ailleurs
savoir gré à l'éditeur d'avoir tenu
à donner tout Scott, même ce qui
devait le moins se vendre. Il est vrai ,
qu'il lui devait cette galanterie ,
puisque dès avant 1836 il avait
vendu de ses romans et de son
iYa^oieon 1,452,000 volumes, tant
d'autres éditions plus ou moins de
luxe que de celle-ci. Mal lieu reusr-
ment il n'est pas une de ces autres
éditions qui soit complète, quoique
toutes portent cette étiquette au
frontispice. La plus jolie, celle de
Gosselin, que nous trouvons du goût
le meilleur, est grand in-18 (on a dit
à tort in-12), sur vélin, avec gra-
vures, cartes géographiques, fac-
similé, portrait, et se compose de
84 vol. C'est après l'écoulement de
cette édition, heureusement conçue,
que l'ancien et le nouvel éditeur se
réunirent (avec un tiers) pour don-
ner l'éd. en 30 vol. ou 230 liv. in-S»
à 121 grav., dont il a été parlé plus
haut. Bientôt ils en entreprirent une
autre : celle-là eût été compacte,
grand in-8^ à 2 col. ^ mais il n'en pa-
rut que 2 livraisons de 10 pages cha-
cune (1835). Pagnerre et Furne repu-
blient aujourd'hui l'édition in -8" en
30 vol. Après les diverses éditions
de la traduction de Defauconpret,
il faut nommer en première ligne,
en fait d'éditions collectives, celles
d'Armand Aubrée, dont la traduc-
tion passe aussi pour être due à
une seule et même plume, celle de
M. Alb. de Montémont : elle ne vaut,
tout bien examiné, ni moins ni plus
que celle de Defauconpret; s'il s'en
526
SCO
est moins vendu, le libraire et le
traducteur ne peuvent s'en prendre
qu'à ce qu'ils venaient trop tard ,
et à ce que la place était prise près
de notre public roulinier. Leur 5^
édition collective remonte à 1829-
32, et se compose de 27 vol. in-8° ;
la 2% loin d'être complète, n'en a que
18 in-18, et parut en 1830 ; la 3« est
de 27 vol. iu-80 à 2 col., et porte le
millésime de 1835, etc. : elle a été
suivie d'une quatrième (1837, 30 vol.
in-8<^), qui est meilleure, et contient
VHist. d'Ecosse, les Lettres sur la
Démonologie, et les OEuvres poéti-
ques avec addition de morceaux qui
n'avaient paru dans nulle collection.
Dès 1832, M. Alb. de Montémont
avait donné à part les OEuv. poét.^
mais moins complètes, et ne formant
qu'un volume. Dans l'éd. de 1837, les
OEuv. poét, remplissent 2 vol., et le
traducteur accole à son nom celui de
L. Barré comme collaborateur Vien-
nent ensuite, et l'éd. in- 18 de Le-
cointe, 1829-30, qui devait se com-
poser de 30 ouvr. formant 38 vol., et
qui s'est arrêtée au 8% n'ayant donné
que r Antiquaire, Guy, la Jolie Fille,
le Nain, la Prison, les Puritains,
Rob-Roy, Waverley (elle est assez
jolie, et ses grav. sont celles de l'éd.
in-18 de Gosselin), et les quelques
vol. de l'éd. gr. in-8°de la trad. de M.
Vivien, 1837 et ann.suiv.,qui promet-
tait de nous donner enfin, en 26 vol.,
Scott tout entier, y compris les mé-
langes et les moindres fragments,
mais qui jusqu'ici n'a livré au
public que partie des romans ; et
les prétendues OEuvres choisies de
Scott, par les frères Chaillot, les-
quelles ne sont que les romans qu'ils
ont traduits sans choix sérieux
{l^ Antiquaire, Guy, Ivanhoe , la
Jolie Fille., Kenilworth, le Nain, la
Prison^les Puritains; cette éd. est
SCO
in-18, à 4 vol. par roman le plus sou-
vent, et sort des presses avignonaises,
mais porte en bas la double indication
Avignon et Paris); et les réimpres-
sions assez jolies et fort commodes
de la trad. de Defauconpret, format
Charpentier, chez Gustave Barba,
réimpressions qui jusqu'ici ne com-
prennent que 12 à 15 romans, savoir:
V Antiquaire, Guy.^ Ivanhoe^ les Pu-
ritains, la Prison, Quentin, Nigel,
Péveril^ Kenilworth^ RobRoy, etc.
A tous les noms qui viennent de pas-
ser sous nos yeux (Defauconpret, de
Montémont, Chaillot, Barré, Jos. Mar-
tin, M'n« Maraise, M""» Collet, Mn™« Ch.
Gosselin), doivent s'ajouter comme
traducteurs de Scott, ceux de Cohen
{Anne de Geerstein), de H. Villemain
{Rob-Roy qu'il appelle Robert le
Rouge Mac- Greg or), àe J.-T. Pari-
sot {Kenilworth, 1821, 4 vol. in-12,
avec notices sur le château de Kenil-
worth et le comte de Leicester), de
J.-J. B. {Marmion, 1820, 2 vol. in-
12), d'Am. Pichot {Lettres de Paul,
1822 ou 1834, 3 vol. in-12. Romans
poétiques, 1820-21, 8 totn. en 9 vol.
in-12), d'Artaud {Chants populaires
des frontières méridionales de l'E-
cosse, 1826, 4 vol. in-12), de Loëve-
Weimar ( Ballades , Légendes et
Chants populaires de l'Angleterre,
par Scott, Moore, Campbell et les
anciens poètes, 1825, in-8<>), de
}lim^ Louise Swanton-Belloc {Maison
d'Aspen, dans le Keepsake français-
anglais publié par Soulié, 1830, in-8<>).
Il existe des traductions des romans
et de quelques autres ouvrages de
Scott dans toutes les langues de
l'Europe. Dès 1823 on traduisait ses
œuvres en allemand. Les Poésies, des
fragments de son Redgaunilet et la Fie
de Lesage, ont eu les honneurs de la
traduction russe. En France même on
a donné la traduction en espagnol de
SCO
dix au moins de ses romans, isolé-
ment d'abord ( à Bordeaux, à Perpi-
gnan, à Paris), puis on les a repro-
duits à Perpignan , dans une édition
générale qui contient 15 romans avec
la Vie de Napoléon^ et qui devait
^ller à 80 vol. Les ouvrages les plus
curieux sur Scott, outre les Mémoi-
res et Correspondance de Walter
Scott, par Lockhart (Paris, Bauciiy,
5 vol. Jii-8", traduits en français par
Defauconpret, chez Gosselin), sont :
Walter Scott et lord Ryron, ou
Voyagea Ahbotsfordet àNewstead,
par W. Irwing (traduit en fiançais
par madenioiselleSobry,1835, in-8");
Walter Scott et les Écossais ,
par Leitch Bitchie, traduction fran-
çaise anonyme, Paris, 1835, in-S»^,
21 gravures d'après les dessins de
Catterniole. Ensuite viennent et
la Notice biographique et litté-
raire sur sir Walter Scott, d'Allan
Cunningham, 1833, in-8'', 176 pages
(réinip. dans l'édition en 30 volumes
in-8", Furne et Gosselin, et dont il
existe mie traduction libre dans la
Bibliothèque universelle de Genève^
lom. m de 1832, pages 168-190), et
le Caractère littéraire de sir Walter
Scott, par sir Edgerton Brydges
(traduit en français dans la Biblio-
thèque universelle de Genève, t. III,
de 1832, pages 351-365).EnfînM. Am.
Pichot a publié un Essai sur la vie
et les ouvrages de Walter Scott, en
tête de la traduction des ouvrages
poétiques ; et ses Soirées d'Âb-
bots.^ord contiennent beaucoup de
renseignemenis précieux qu'il avait
été puiser à la source. — Des quatre
enfants que Scott a laissés vivanis,
les deux fils sont morts aujour-
d'hui, et tous deux sans postérité
mâle. Le plus jeune, Charles Scott,
après avoir travaillé au Foreig^p,-
Office^ avait été attaché à la légation
SCO
527
de Naples ; l'aîné, sir Walter Scott,
que nous avons vu investi par notre
auteur de la nue-propriété d'Abbots-
ford lors de son mariage,en 1825, avec
la riche miss Jobson, était major-
général au moment de sa mort. On
assure qu'il n'avait jamais lu un
des ouvrages de son illustre père.
La baronnie s'est éteinte en sa per-
sonne, mais les biens ont trouvé un
maître dans cet enfant aujourd'hui
jeune homme et cornette au 10« de
lanciers, auquel Scott a dédié ses
Contes d'un grand-père et donnait
familièremeni le nom de Little-John.
C'est maintenant sir Hugh John
Walter Scott Lockhart. P— ot.
SCOTT (JoHN),ditScoTT Waring,
du nom d'une propriété considérable
qu'il hérita d'un de ses parents dans
le comté de Chester , naquit sinon à
Shrewsbury, du moins dans le comté
de Shrop,enl737oul738. La famille,
homonyme de tant de Scott que pré-
sente l'Ecosse, semble effectivement
avoir été originaire de cette contrée ^
et comme Walter il se vantait d'une
consanguinité lointaine avec le duc de
Buccleugh. 11 avait quatre frères dont
trois s'engagèrent et prospérèrent
au service de la compagnie des Indes.
Il fit comme eux, et des cinq jeunes
Scott un seul resta en Angl,eterre et
alla se fixer à Londres, où nous ne
le suivrons pas. John ne faisait que
d'entrer dans l'adolescence lorsqu'il
prit le parti des armes et mit la
mer entre sa patrie et lui. H occupa
d'abord un rang des plus subalternes
et n'avança que par degrés. Il était
doué d'un vrai talent pour écrire, et
n'occupant encore qu'uu grade infé-
rieur à Faltegour, il formula sa pen-
sée sur l'administraiion de Hastings
en termes acerbes et offensants, mais
calculés habilement pour produire
de Peffet. Le gouverneur-général
m
SCO
SCO
du Bengale, au [ieii de faire peser sa
vengeance sur l'audacieux, comprit
qu'il y avait là un homme de talent,
et qu'il fallait le convertir à sa cause.
Comment s'y prit-il, quels furent les
arguments irrésistibles dont il fit
usage pour le convaincre de sa justice
envers et contre tous, de sa douceur
pour les naturels du pays, de son
désintéressement avec les princes, de
son horreur pour toute mesure arbi-
traire, pour la guerre, les massacres
et le pillage? Nous l'ignorons^ mais
le fait est qu'il sembla le convain-
cre pleinement, puisqu'il devint un
des familiers, des commensaux du
gouverneur. Le fait est aussi que no-
tre gentleman du Shropshire devint
de lieutenant capitaine, de capitaine
commandant, décommandant major.
H eût fini sans doute par conquérir la
double épaulette si Hastings n'eût
jugé à propos de lui faire quitter
le militaire pour le civil. Voyant les
nuages grossir et s'amonceler à l'ho-
rizon, il savait que ce ne seraient
ni les populations ni les princes
de l'Inde qui viendraient à son se-
cours par des témoignages ; il com-
prenait que ses morauxxîompatriotes,
tout en ne lâchant ni une roupie,
ni un pouce de terrain, s'indigne-
raient au récit abrégé des moyens
qu'il avait mis en œuvre pour en
venir là *, enfin il ne pouvait se dissi-
muler que maître Junius Francis,
qu'il forçait à quitter la péninsule
cisgangéiique pour aller rêvera l'âge
d'or dans l'innocente Albion, saurait
dès son arrivée battre la grosse caisse
et sonner le tocsin contre sa manière
de faire rentrer le budget de la dé-
vanie du Bengale. Comment parer,
comment rabattre les coups? 11 lui
fallait un agent en Angleterre, et il
fallait que cet agent eût de la fa-
conde,de l'activité, de l'audace. Scott
était son homme, car Scott savait ma-
nier le pistolet, l'épée et la pande. Il
se hâta de l'envoyer sur les pas de son
ambitieux antagoniste, en attendant
qu'il lût lui-même forcé de revenir.
Ce n'est pas tout, c'est à la tribune du
parlement qu'allaient se produire les
imputations accusatrices, c'est donc
sur les bancs du parlement que devait
siégt^r l'avocat qu'il chargeait de sa
défense. Cette difficulté en ce pays
de bourgs-pourris n'était point faite
pour arrêter le pacha millionnaire
qui, enchérissant sur Verres, avait
piraté pour ses juges, pour ses élec-
teurs, pour son défenseur et pour
lui. Scott alla représenter nous ne
savons quels freemen à la chambre
des communes. 11 ne tarda point à s'y
poser en champion, en agent avéré de
Hastings, et on le reconnut, non offi-
ciellement, mais formellement et de
fait en cette qualité. Les ennemis
du gouverneur-général, malgré leur
haine, différaient toujours l'attaque.
Scott , las de celte longue halte
sous les armes, prit intrépidement
l'initiative et jeta en face de tous le
gant dans la lice, un peu avant le
moment où Hastings rentrait en An-
gleterre. On a varié sur l'à-propos de
cette mesure. Les uns n'y ont vu
qu'un coup de tête, et prétendent
que c'est ce défi qui fit de Burke un
adversaire si violent et si tenace de
Hastings ; les autres pensent que la
lutte aurait eu lieu un peu plus tôt un
peu plus lard, et que dès lors il était
mieux de l'engager sur-le-champ. Scott
d'ailleurs avait préparé les voies j il
avait distribué de l'argent jusque
chez des ministres; il avait intéressé
au succès de Hastmgsde grandes fa-
milles, qui trouvaient dans la protec-
tion du gouverneur du Bengale des
débouchés pour leurs cadets. Il avait
surtout agi sur l'opinion au moyeu
SCO
de la presse , et. il ne cessait de faire
usage de cette arrne puissante monfft-
ly^ comme on dit, daily and almost
hourly. li faut avouer qu'il s'enten-
dait, comme un homme du XIX" siè-
cle, à la manier : gazettes ou revues,
journaux de ville ou journaux de pro-
vince, feuilles quotidiennes, hebdo-
madaires ou mensuelles, il avait de
tout aux ordres de sa caisse, toujours
abondamment garnie. Tantôt il fai-
sait donner en même temps toute
sa périodique escouade , tantôt les
louanges, les apologies, la discussion
grave, la polémique légère , les let-
tres, dialogues, anecdotes , réclama-
tions, démentis, pouffs, calembours
se succédaient comme un feu de file.
Ayant ainsi d'avance chauffé l'opi-
nion, stimulé les intérêts particu-
liers, la vanité, la cupidité, l'opiniâ-
treté nationales, chatouillé les oisifs
et les rieurs , après ces préludes ,
qui certes atteignaient bien leur
but en empêchant que le public
n'entendît qu'un son, celui de l'ac-
cusation, il eut raison, ce nous sem-
ble, d'engager enfin un débat inévi-
table ; et la preuve qu'il eut raison,
c'est que des charges plus claires que
le jour, et dont en bonne conscience
la dixième partie devait suffire pour
écraser un prévenu, restèrent, as-
sez douteuses ou assez légères pour
que ^Hastings pût toujours avoir des
espérances et finît par l'emporter. Il
nous est impossible, et il serait
de médiocre intérêt aujourd'hui, de
suivre pied à pied Scott dans toutes
les marches et contre-marches de sa
tactique aux couloirs et à la tribune
de la chambre, aux avenues des mi-
nistères, aux bureaux des journaux
aux clubs, aux salons, aux eaux de
Bath et partout; mais, en somme, il
' faut reconnaître que sa vigilance, son
adresse et son audace ne se démenti-
rwxi.
SCO
629
rrnt jamais. Souvent il faisait sa par-
tie dans le concert à grand orchestre
qu'il dirigeait ad majorem gloriam
de son client, et il se tirait fort pas-
sablement du solo, soit pamphlet, soit
discours à la chambre, bien que ses
adversaires, les Fox, les Burke, les
Shéridan n'en convinssent pas, et
que, plaisantant souvent les autres,
il prêtât parfois lui-même le flanc à la
plaisanterie. Ainsi, par exemple, se
plaignant de ce que les ministres,
dans cette lutte, n'agissaient pas de
bonne guerre et cherchaient des res-
sources où la loyauté leur interdisait
d'aller en chercher, il dit qu'un qui-
dam avait reçu 25 guinées pour déni-
cher dans ses publications, à lui Scott,
des passages que l'on pût donner
commeoutrageux et sentant le libelle.
Lord JNorth répondit que s'il s'était
trouvé un homme au monde capable
de lire tout ce que le major avait écrit,
^il avait bien gagné ces malheureuses
vingt -cinq guinées; et Shéridan
ajouta que, si le fait était vrai, ce
devait être une consolation pour le
major d'être sûr que ses brochures
avaient au moins un lecteur! De sem-
blables saillies, au reste, ne prou-
vent rien; il sera toujours loisible de
dire à un écrivain qu'on ne le lit pas,
et quelque prompt , quelque heureux
qu'il puisse être à la riposte, le sar-
casme aura toujours été détaché. Les
ennemis de Haslings trouvaient in
petto que Scott était encore trop lu.
Aussi ne se bornaient-ils pas aux sim-
ples saillies pour en avoir raison. Le
général Burgoyne monta un jour à la
tribune pour dénoncer les libertés
prises par le major Scott dans une
lettre adressée au Diary (16 mai
1790), et il eut le plaisir de le faire
admonester par la chambre comme
ayant, par un écrit scandaleux, par
un vrai libelle, violé ses devoirs de
34
530
SCO
SCO
rnemhrede la chambre ett^ncouni la
privation du privilège parlemenlaire.
Il n'en continua que plus ardemment
sesefforts^il contrecarra sans relâche
les manœuvres de ses ennemis; il
empêcha la production des documents
qu'il croyait de mauvais effet pour
la cause de son client ; il mit admi-
rablement en relief ces deux faits,
l'un que Taccusé avait laissé la
compagnie dix lois plus riche et
maîtresse de territoires dix fois plus
vastes qu'elle ne l'était avant qu'il
fût à la tête de ses affaires, et que,
grâce à son administration et à cette
habile conduite qu'on récompensait
par un impeachment^ la Grande-Bre-
tagne avait gagné, k l'est, plus que les
North et les Burgoyne ne lui avaient
fait perdre dans l'ouest pendant le
même temps; l'autre, que ces mesures
financières, que l'on qualifiait d'exac-
tions, de tyrannie, les successeurs de
Hastings les continuaient , et que
l'Aoude et le Bengale rendaient de
jour en jour davantage, de telle sorte
que de deux choses l'une, ou Has-
tings ne les avait pas pressurés outre
mesure, ou il ne fallait pas le mettre
seul en cause. Il tenait ainsi dans
une fausse position et dans l'impos-
sibilité de nuire autant qu'il l'eût
voulu le cabinet fort tiède et fort
équivoque ami de Hastings, et qui
plus d'une fois avait été sur le point
de le sacrifier. H avait visé d'abord
et réussi à traîner en longueur le
procès, sachant le proverbe tempo
è galanVuomo; mais maintenant que
les antagonistes voulaient user eux-
mêmes de ce moyen, dans l'espérance
d'un nouveau ministère, il s'appli-
qua de toutes ses forces à raccour-
cir les débals. Finalement le verdict
fut prononcé après neuf ans de con-
testations et d'incertitudes, non sur
les pi océdés du gouverneur-général,
n)ais sur la qualification politique que
l'égoïsme anglais devait dormer a ces
procédés, sur l'impunité, la punition
ou la récompense qu'elle accorderait
à l'auteur des méfaits dont elle tenait
opiniâtrémentàmoissonner les fruits.
Clive avait été condamné pour bien
moins que Hastings! il y avait progrès:
du moins la Grande-Bretagne avait
la pudeur de ne point marquer à
l'épaule celui qui volait pour elle. La
vie politique de Scott se termina avec
ce procès. On eût dit qu'il n'attendait
que ce moment pour se vouer à la
retraite et à l'hyménée. Bien qu'ap-
prochant de la soixantaine, il con-
duisit k l'autel une ex -actrice de
quelque célébrité , miss Hughes ,
acheta une belle propriété aux envi-
rons de Folham, et fixa ses pénates
dans une charmante habitation qui
en faisait partie. Miss Hughes, ou
plutôt lady Scott-Waring, périt en
1812 par accident : le pied lui man-
qua au moment où elle voulait des-
cendre de nuit un escalier ; son corps
roula du haut en bas des degrés, et
quand on le retrouva le lendemain,
elle avait cessé de vivre. Le major se
hâta de recommencer un second ro-
man en épousant mistriss Eston qui
avait long-temps auparavant renoncé
k la carrière dramatique. Il n'avait
alors pas moins de soixante-seize ans,
et il survécut encore six ans k cette
union. Sa mort arriva le 5 mai
1819. Voici la liste de ses écrits : I.
Courte revue des événements qui ont
eu lieu au Bengale pendant les dix
dernières années^ 1782, in-8°, H. Ex-
posé des événements survenus au
Bengale pendant V administration de
M, Hastings, 1784, in-8°. 111. Deux
Lettres à Vhonorable Edm. Burke^
en réponse aux insinuations et aux
faux exposés palpables que contient
son pamphlet mtifM/e Neuvième Rap.
SCO
port du comitd choisi, 1783, in-S". IV.
Lettre à M. Fox sur le Mil de Vlnde,
1783^m8°,W . Réplique audiscours de
M. Burke sur le MU des Indes orien-
tales, 1784, in-8«. VI. Considéra-
tions sur l'influence que la conduite
des ministres de Sa Majesté a exer-
cée sur la compagnie des Indes orien-
tales et sur M. Hastings^ 1784, in -8°.
Vil. Discours à la chambre des
communes sur le MU de Déclaration^
1788, in-8°. VIII. Observations sur
l'État comparatif de M. Shéridan,
1788, in- 4°. IX. Accusation contre
M. Burke, 1788, in-8o. X. Dix Let-
tres au peuple de la Grande-Bretagne
par lin whig, 1789, in-8". XI. Lettre
à l'honorable Ch.-J. Fox sur les
hors-d'œuvres et.matériaiix relatifs
aux affaires étrangères que pré-
sente le discours tenu par M. Burke
à Westminster -Hall , 1789, in-8°.
XII. Deuxième Lettre à M. Fox,
contenant la décision dép.mtive du
gouverneur- général et du conseil du
Bengale sur les charges articulées
contre le radjah Deby-Sing, 1789,
in-8°. XHl. Troisième Lettre à M.
Fox sur le même sujet, 1789, in- 8°.
XIV. Discours prononcé à la cham-
bre des communes, démontrant V ac-
croissement des revenus du Bengale
sous l'administration de M. Has-
tings, 1791, in-8«. XV. Lettre à M.
Dodsley, à l'effet de réfuter certains
faits mis sousun faux jour dans la
partie historique de TAnnual Regis-
ter, 1791, in-8o.XVI. Lettre à sir Phi-
lip Fraj[tcis^ esq., 1791, in 8'^. XVII.
Deux Lettres à Georges Hardinge^
esq., 1791, in-8\ XVIII. Lettre à
l'honorable E dm. Burke, 1791, in-8».
XIX. Observations sur les mémoires
du règne de Georges III, par Bels-
/iam,1796, in-S». XX. Observations
sur l'état présent de la Compagnie
des Indes orientales, i"" éd., 1808,
SCO
OO I
in -8". XXÏ. Réponse â une Lettre
adressée à 3. Scott Waring, esq.^et
Réfutation des Observations ilUbé-
rales et inexactes de l'écrivain ano-
nyme, 1808, in-8". XXII. Lettre au
révérend J. Owen en réponse aux
Objections que soulèvent de sa part
les Observations mr Vétat présent
de la Compagnie des Indes orien-
tales ^ 1808, in-8°. XXIII. Remar-
ques sur deux sermons prêches de-
vant l'université d'Oxford sur la
probabilité de la conversion des na-
turels de l'Inde aux idées du chris-
tianisme, 1808, in-S". XXIV. Lettres
à l'éditeur de la Revue d'Édimbouro;^,
e?i réponse à la critique de l'ouvrage
de lord Lauderdale . intitulé Aperçu
sur la Compagnie de.s Ih'Ips orien-
tales, 1808. in 8". WY. Supplément
à la Lettre ci-dessus. î8i0. in-R".
XXVI Remarques sur les R^'cher-
ches chrétiennes en Asie du jy Ru-
chman, 1812, in-8„. XXVIl, Re-
marques sur la Lettre de M. Wey-
land à M. Hiis^h Inglis, concernant
l'e'tat de !a religion dans l'Inde, 1813,
in-8„ (1). — Jonathan Scott , son
second frère, e'tait né en 1753 ou an
commencement de 1754. Il reçut les
premiers éléments d'éducation clas-
sique à Shrewsbury, sa ville natale ,
à l'école royale libre de grammaire ;
puis, n'ayant encore que douze ans,
il fut expédié dans l'Inde, où, tout
en suivant la carrière de la guerre,
il acquit des connaissances linguis-
tiques dont ch-ique jour le besoin se
faisait sentir. Conmiemilitaire il n at-
teignit que le grade de capitaine au
(i) tl ne faut pa.s t-onfondre le défeii'ieur
de Uiistings avec un autre .Scott Waring,
liistorien iet voyageur remarquable, autour
d'un Tour à C/iiras, d'un Vojrage de l'Inde
(Bombai, iSo;"), «;t Londres, 1807, «"-4"). ^t
d'une Histoire de l'empire maliratte , rom-
pobéc principalement d'après les auteurs
peràdUb de l'Inde, Loudies, iSoomd-I".
532
SCO
service de la Compagnie des Indes ^
mais le gouverneur-général du Ben-
gale, appréciantson mérite, le nomma
secrétaire du bureau de la Perse. De
retour en Angleterre, il fut nommé
professeur des langues orientales au
collège royal militaire et à celui de
la Compagnie des Indes. D'utiles et
savantes publications montrèrent
combien il était à sa place dans
ce poste difficile ; et l'université
d'Oxford, afin de lui témoigner son
estime, lui envoya le diplôme de
docteur en droit (26 juin 1805). C'est
qu'effectivement Scott n'était pas un
de ces linguistes qui ne savent que
des mots: il savait aussi les luis, et
avait étudié à fond l'histoire de
l'Orient , c'est-à-dire ce qu'il est
possible de savoir de cette histoire
dont les indigènes, et surtout ceux
qui habitent entre le Sindh et le
Ho-ti-Kiang, sont si peu soucieux.
Est-il besoin d'ajouter qu'il avait
été, dès le temps de Hastings, mem-
bre de la Société asiatique de- Cal-
cutta? Ce qui double le mérite de
Scott l'orientaliste, c'est qu'il était
le meilleur et le plus simple des
hommes. Sa mort eut lieu le 11 fé-
vrier 1 829. On a de lui : I. Une traduc-
tion des Mémoires d'Éradut-Khan^
1786, in-é" ( Irédeut-Khan était un
noble Hindou contemporain des em-
pereurs Aureng-Zeb, Chah-Allom et
Djihandar-Chah. Son ouvrage con-
tient des anecdotes qui expliquent
le rapide progrès de l'empire mon-
gol, après la mort du premier de ces
princes. II. Une traduction du Livre
complet de Férichthâh, c'est-à-dire de
l'histoire du Dékhan par cet homme
d'État et d'une continuation par di-
vers savants hindous, 2 vol. in-é".
L'ouvrage de Ferichthâh va, comme
on sait, des commencements de la con-
quête mahométane à 1630 ; les con-
sco
tinuateurs poursuivent jusqu'à la ré-
duction (les royaumes et principautés
particulières en provinces mongoles
par Aureng-Zeb. L'auteur y a joint
un aperçu des règnes suivants jus-
qu'à l'époque de la publication, et
l'histoire du Bengale depuis l'avè-
nement d'Ali verdi-Khan jusqu'à 1780.
Le travail de Scott se recommande
d'ailleurs par des notes qui jettent
beaucoup de jour sur l'histoire et
sur les usages des habitants du
pays. Quant à la traduction même,
elle a été dépassée en ces derniers
temps par celle de Briggs (1829),
mais il est assez visible que si Scott
n'avait défriché le terrain, Briggs ne
l'aurait pas exploité ensuite avec tant
de bonheur. III. Bahar - Danouch
(c'est-à dire Jardin des connaissan-
ces), roman oriental traduit du per-
san d'EwaintOullah, 1799,3 vol. in-
8°. IV. Contes , anecdotes et lettres ,
traduits de l'arabe et du persan,
1800, in-8o, 446 pages. V. Les Nuits
arabes , avec un choix de contes
arabes inconnus et inédits jusqu'ici
pour les Européens, Londres, 1811,
6 vol. in-S". Le texte arabe a été revu
et corrigé sur des manuscrits ; une
traduction accompagne le texte ;
tous les contes additionnels étaient
inédits, ainsi que l'indique le ti-
tre; en tête s'offre une introductiqri
instructive et riche de faits; enfin,
des notes excellentes élucident tout
ce qui pourrait rester d'obscur sur
les usages et la religion des .Orien-
taux. Les nouveaux ctm.es ont été
traduits de l'anglais en français par
M"^« Alex. Aragon, sous le pseudony-
me de M™« Renée Roger, pour l'édi-
tion des Mille et une Nuits, de M. Ed.
Gautier, Paris, 18V3. VL Coup
d^œil historique et politique sur le
Dekhan, 1798, in-S». C'est le seul ou-
vrage de l'auteur qui ne soit paii uuê
SCO
Iraduction du persan ou de l'arabe.
On y remarque principalement une
esquisse sur retendue et les revenus
du royaume de M.iïssour, tel qu'il était
sous Tippou, au commencement de
1798. Quelques exemplaires ont de
plus un appendice avec réponse aux
objections faites contre les résultats
proclamésdanslabrochure. Ces objec-
tions proviennent, dit-il, de ce qu'on
ne se rend pas compte des change-
ments survenus dans le Maïssour, de
1792 à 1798 ; qu'on se pénètre bien
du traité de partage de 1792 et des
effets matériels qu'il a produits, on
verra que tous les chiffres sont inat-
taquables.— Richard Scott, frère des
deux précédents et l'aîné de Jonathan
en même temps que le cadet de John,
passa aussi un temps considérable
de sa vie dans l'Inde. Il était entré
au service comme cadet en 1768, et
iJ se signala comme excellent ofticier
et brave soldat, sous sir Eyre Coote,
dans la lutte contre Haïder-Ali, puis,
sous le marquis de Cornwallis, dans
la guerre contre Tippou. L'épaulette
de lieutenant-colonel fut la récom-
pense de ses services, et il se retira,
en 1797, avec la retraite complète.
H paraît que, depuis son arrivée jus-
qu'en 1793, il avait tenu un journal
de tout ce qui se passait de remar-
quable dans l'Hindoustan, tant sous
le rapport politique qu'au point de
vue militaire. A sa mort, qui arriva
vers 1825, uu quatrième frère, Henri
Scott, qui, lui aussi, avait été nanti
assez long-temps d'une position im-
portante au Bengale, mais qui était
revenu rapporter sa tête au comté
natal, conçut l'idée de publier les
manuscrits du lieutenant-colonel, et
sonda les libraires qui sondèrent le
public à cet effet. Il faut croire que
lohu Bull en dvakt assez des Mah-
rattes, d'Hdïder-Ali, de Tippou, des
SCR
538
campagnes deComwallis et de Coote,
des triomphes sur les Français et les
Hollandais, qu'enfin il regardait tous
ces événements comme du prétérit
passé. Il est peut-être à regretter qu'il
ait si peu mordu à l'hameçon, et
que sir H. Scott, esq. of Beslow-
Hall, co. Salop, ait été dans la né-
cessité d'abandonner ses projets.
P— OT.
SCROFANI (Xavier), historien
et économiste italien, naquit le 21
novembre 1756, à Modica en Sicile,
et fut élevé par un de ses oncles ma-
ternels, monseigneur Alagona, évê-
que de Syracuse. Il se destinait à la
carrière des autels et prit en effet les
ordres sacrés, mais il n'exerça jamais
aucune fonction du saint ministère,
et il paraît même que dans la suite
il cessa de porter l'habit ecclésiasti-
que. A rage de trente ans, il alla vi-
siter l'Italie et s'arrêta particulière-
ment à Florence, où il se lia entre
antres avec le chanoine Zucchini, di-
recteur du jardin expérimental d'a-
griculture. Il vint ensuite à Paris et se
mit en rapport avec Raynal dont il
avait étudié les ouvrages, et avec Ro-
zier, auteur du Dictionnaire d'agri-
culture. Témoin des événements qui
préparèrent et firent éclater la révolu-
tion,il ensuivit les phases avec la plus
grande attention, et lorsqu'en 1791
il eut quitté la France pour retour-
ner à Florence, il se hâta de publier
dans cette dernière ville une bro-
chure intitulée Tous ont tort^ ou Let-
tres à mon oncle sur la révolution
française. Ce livre, écrit avec beau-
coup de modération et de convenan-
ce, fit une grande sensation, et l'on
devine par le litre même que l'au-
leur se constitue eu quelque façon
juge entre les différents partis qui
agitaient la France, et qu'il se mon-
tre également sévère pour chacun
534
SCR
d'eux. Deux ouvrages sur «les sujets
d'économie politiquequ'il publia suc-
cessivement lui valurent d'être ad-
mis à l'Académie de la Crusca, et
d'être appelé à Venise où il fut d'a-
bord nommé professeur d'agricul-
ture, puis surintendant- général de
l'agriculture et du commerce avec
le Levant, fonctions qui l'obligèrent
à un long voyage pour recueillir sur
les lieux mêmes les renseignements
nécessaires. Ce fut ainsi qu'il visita
tour à tour l'Archipel, la Morée,
l'Asie-Mineure, TAnatolie, la Syrie et
l'Egypte. A son retour, il écrivit la
relation de son voyage. Elle a reçu les
plus grands éloges de M. de Chateau-
briand dans la préface de rJfmeraî're,
et de Malle-Brun dans sa. Géographie.
Lorsque Napoléon retrancha Venise
du nombre des nations, Scrofani vint
se fixer à Paris et y fut nommé
membre correspondant de l'Institut.
Il y reprit avec ardeur ses études fa-
vorites, et publia plusieurs ouvrages
qui ajoutèrent à sa réputation d'his-
torien et d'économiste. En 1809 il ren-
tra dans le royaume de Naples , mais
tant que Murât resta sur le trône, il
n'obtint aucun emploi. Ce fut proba-
blement à cet oubli, qui ressemblait
à une disgrâce et l'était peut - être
en effet, que Scrofani dut d'être
nommé en 1814 par le roi Ferdinand
directeur de la statistique et du re-
censement. H conserva cet emploi
jusqu'en 1822, mais, à cetteépoque,
il fut mis à la retraite à cause de la
sympathie qu'il avait montrée pour
les idées constitutionnelles pendant
' lepeu de temps qu'elles avaient triom-
phé dans le royaume. Il se retira
alors à Palerme, et il ne cessa de s'oc-
cuper des études qui avaient fait sa
gloire , jusqu'à sa mort, arrivée le
7 mars 1835, et non en 1829, comme
l'assure la Biographie des contem-
SCIl
porains. On a de lui : I. Tous ont
«or/, Florence, 1791, in-8®, sans nom
d'auteur. Ce livre est, comme nous
l'avons dit, unehistoireetune appré^
ciation des événements survenus en
France pendant les années 1788, 89 et
90. Les faits y sont racontés avec la
plus scrupuleuse vérité, et jugés avec
la siigacité d'un homme qui voit les
choses de haut et ne se passionne
pour aucun parti. H serait curieux
de lire auj ourd'hui comment Scrola u i
jugeait dès 1791 les hommes qui
faisaient tant debruità cette époque,
et ses portraits, quoique peu flattés,
n'en paraîtraient pas moins ressem-
blants. On peut dire qu'il a pris la
nature sur le fait, et en sa qualité de
témoin complètement désintéressé,
sonjugementestdu plus grand poids.
Son livre fut traduit en français ,
puis réimprimé en italien avec quel-
ques additions ; mais il nous a été
impossible de vérifier ce fait, mal-
gré l'opiniâtreté de nos recherches.
Peut-être cette traduction a-t-ello
paru en Suisse ou en Italie même, ce
qui aura empêché qu'elle parvînt à
la connaissance de notre savant bi-
bliographe, M. Quérard. H. Essai
sur le commerce en général des
nations de VEurope^avec un aperçu
sur le commerce de la Sicile en par-
ticulier, Y enise^^n 92, in-8''-, trad.
en français, Paris, 1802, in-8° Le mi-
nistre Roland avait aussi commencé
une traduction de cet opuscule, mais
il n'eut pas le temps de l'achever. La
seconde partie av^iit paru sf^parément
sous le titrê'de Hilan du commerce
de la Sicile fondé sur une observa-
tion décennale de 1773 à 1782, et
tiré des registres des douanes de
l'Europe, 11 1. La Vraie richesse de la
campagne, ou Cours d'agriculture,
Venise, 1793, tom. l^S in-8°. [V.Rê
flexions sur les subsistances , tirées
SCR
SCR
de faits observés en Toscane. Elles
lurent iinpriruf^es k Florence en
1795, à la suite tle la Comparaison
de la richesse, etc., du sénateur
Bilfi Tolomis. Aux Réflexions il faut
ajouter un Mémoire sur la liberté
du commerce des grains que Scrofani
avait présenté au roi de Naplespour
lui prouver que la liberté absolue du
commerce était lameilleure garantie
de la prospérité agricole de la Si-
cile. V. Voyage en Grèce, fait en 1794
et 1795, avec la relation de l'état ac-
tuel de l'agriculture et du commerce
des îles vénitiennes, de la Moréeetde
la Basse -Romélie, Londres, 1799-
1800, 3 vol. in-80. Scrofani commence
par peindre la Grèce telle qu'elle
était à l'époque de son voyage, et il
décrit tous les monuments* qu'elle
possédait encore ; mais il ne se bor-
ne pas à constater les faits, il les ac-
compagne de réflexions où éclate
une exquise sensibilité et une gran-
de élévation de pensées. Il a su
ainsi allier l'exactitude des recher-
ches et des documents avec le char-
me du récit, et par ce dernier carac-
tère il rappelle parfois quelques-uns
de nos plus charmants touristes con-
temporains. Le troisième volume est
tout entier consacré à la statistique
commerciale et agricole, et présente
tous les détails qu'on devait atten-
dre d'un voyageur aussi conscien-
cieux. Cet ouvrage a été traduit en
français par M. J.-F.-C. Blanvillain,
Paris. 1801, 3 vol. in-8°. VI. 5ur Za
valeur et la transmission des biens
immeubles en Europe, depuis la dé-
couverte de l'Amérique. VIL Une
description des Fêtes de Vénus, que
M. Qiiérard , trompé par la Biogra-
phie des conlemporains, a pris à tort
pour une nouvelle. VIII. Mémoires
sur les braux-arts, dédiés au cheva-
lier Kjuiius-Quirinus Visconti, 1800,
2 vol. in-8o. IX. /.a guerre des es-
claves en Sicile du temps des Ro-
mains, suivie de la guerre des trois
mois^ Paris, 1806, in-8<*; traduite en
français par M. J. Naudet, 1807,
in-S^'.La guerre contre les esclaves de
Sicile est une des plus longues et des
plus terribles qu'ait eues à soutenir
le peuple romain, car elle dura plus
de vingt ans et coûta un million
d'hommes à la république. On n'a-
vait cependant .sur ces événements
que des relations sommaires et in-
complètes ou des fragments épars
dans Dion-Cassius, Diodore de Sicile,
Valerius, Athénée, Tacite et quel-
ques autres. Scrofani a comblé les
lacunes. Il a rassemblé, classé, ana-
lysé et éclairci par la confrontation
tous les passages qu'il a pu trouver
dans les historiens, et avec ces maté-
riaux il est parvenu à former une
histoire dans laquelle il explique et
développe avec clarté les causes, les
commencements, les progrès et la
fin de ces guerres longues et dévas-
tatrices. Quant à la Guerre des trois
mois, c'est le récit de la campagne
d'Austerlitz. X. Mémoire sur un vase
étrusque (en français), lu à l'Institut et
imprimé dans le Moniteur de 1806,
p. 236. —Autre Mémoire sur le mê-
me sujet, aussi inséré dans le Moni-
teur ,dnnée 1809, pag. 1099 et 1892.
XL Mémoire sur les poids et mesu-
res d'Italie, comparés au système
métrique de France , Paris, 1808 ,
in-8". Ce travail avait été demandé à
l'auteur par le ministre de l'inté-
rieur. Xll. Lettre sur un paysage de
Claude Lorrain, Naples, 1809,in-8°.
XIIL Parallèle des dames françaises
et italiennes^ Gynopoli (Naples),
1810, in-80. XIV. De la domination
des étrangers en Sicile, Palerme,
1823. in-S»; réimprimé à Paris l'an-
née suivante. L'auteur dans cette
530
SCK
liistoirft remonte aux temps les plus
reculées et. s'arrêfe un règne de Char-
les III (l'Espagne. XV. Mémoires
d'économie politique^ Pise, 1820,
in-8°. On a réuni sons ce titre : Opus-
cule sur la liberté du commerce, les
Réflexions donl nous avons déjà parlé
et deux écrits qui ont pour objet,
SCft
Tiin, le système desimpôtsdansPan-
liquile et dans les temps modernes,
l'autre, des considérations sur les
manufactures de l'Italie. On doit en-
core à Scrofani une notice sur l'as-
tronome Piazzi , et un éloge du
grand -duc de Toscane Léopold, qui
depuis parvint à l'empire. A — y.
FIN DU QUATRE-VINGT-UNIEME VOLUME.
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