Skip to main content

Full text of "Biographie universelle ancienne et moderne, ou, Histoire, par ordre alphabétique, de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes : Ouvrage entièrement neuf"

See other formats


m 


■v   ^''iVWHI' 


■ifrî"''»-.''* 


0^ 


^rx 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/biographieuniam81mich 


BIOGRAPHIE 


UNIVERSELLE, 


ANCIENNE  ET  MODERNE. 


SUPP 


luipjiuietie  d'E.  DUVERGER,  rue  de  Yerneuil,  4. 


BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE, 

ANCIENNE  ET  MODERNE. 
SUPPLÉMEIVT. 

ou 

SUIfE  DE  l'histoire  ,  PAR  ORDRE  ALPHABÉTigUË  ,  DE  LA  VIK  PUBLigUE 
ET  PRIVÉE  DE  TOUS  LES  HOMMES  (JLl  SE  SONT  FAIT  REMARQUER  PAR 
LEURS  ÉCRITS  ,  LEURS  ACTIONS  ,  LEURS  TALENTS  ,  LEURS  VERTUS  OU 
LEURS    CRIMES. 

OUVRAGE    liîSfTlÈRKMEMT    NEUF, 

RÉDIGÉ  PAR  UNE  SOCIÉTÉ  DE  GENS  DE  LETTRES  ET  DE   SAVA^^S. 


<Judoit  des  égards  aux  vivants;  on  nedoilaux  morts 
que  la  vérité.  (Volt.,  première  f.cilre  iur  OEdipe.) 


TOME  QUATRE-VINGT-UNIÈME. 


A  PARIS, 

AU  BUREAU  DE  LA  BIOGRAPHIE  UNIVERSELLE, 

RUE    DU    BOULOI,     22, 

ET    CHEZ    BECK,   LIBRAIRE, 

RUE  GIT-LE-CŒUR.,  12. 


'1847.        ^^^^^Ur^f'rorsitr-^   -• 

.KDTHCCA    ) 


If/I 


SIGNATURES  DES  AUTEURS 


DO  QUATRE-VINGT-UNIÈME  VOLUME. 


/ 

MM. 

MM. 

Â~D. 

Artaud. 

F-    T  — E. 

De  LA  FONTENELLE. 

A— 6— S. 

De  Angelis, 

G-Y. 

Glev. 

A.  p. 

PÉRiCAUD  aînt^  (Aiil.). 

J— L— ï. 

JOI.LY. 

A — T. 

H.  AUDIFPRET. 

J      N 

Jourdain. 

A— Y. 

Alry  (René). 

L. 

Lefebvre-Cauchy. 

B— B— R. 

Barbier  (Louis). 

L-D-É. 

LEROY-nUPRÉ. 

B— D—E. 

Badiche. 

L — M — X. 

J.  Lamolreux. 

B— F— S. 

BONAFOUS. 

L— P— E. 

Hippolyle  df,  la  Porte 

B— H— D. 

Bernhard. 

M— Dj. 

MiCHAUD  jeune. 

Bl— I. 

Blanqui. 

M— LE. 

Mentelle. 

B— L~M. 

Blumm. 

M— ON. 

Marron. 

B— L— u. 

Blondeaij. 

M— R— T. 

Muret  (Théodore). 

B— N— T. 

Bbunet  (Gustave). 

P~<)T. 

Parisot. 

B— V— E. 

De  Blosseville  (Ernest). 

P—RT. 

Philbert. 

C— H— N. 

Champion  (Maurice). 

P-S. 

PÉRIÈS. 

Ch— U. 

Chassériau. 

P— Y. 

J.  DE  PETIGNY. 

C-L-B. 

De  Combettes-LaboiJ" 

R  — D— N. 

Rbnauldin. 

RELIE. 

S— L. 

SCHOELL. 

C— V— I. 

ClVALlERI. 

St— T. 

De  Stassart. 

C— V— R. 

CUVIER. 

T— R  — L. 

L.  DU  Terrail. 

D— B— s. 

Dubois  (Louis). 

U-I. 

USTÉRl. 

D-G. 

Depping. 

W— R. 

Walckenakr. 

D— z— s. 

Dezos  de  LA  Roquette. 

Z. 

Anonvrne. 

F-A. 

FORTIA  d'Urban. 

BIOGRAPHIE 

UNIVERSELLE. 
SUPPLÉMENT. 


SALM  (Van),  peintre.  Ni  Weyer- 
nam  ni  Houbraken    ne   disent   en 
quelle  année  cet  artiste  est  né  ou  a 
cessé  de  vivre  ;  mais,  d'après  sa  ma- 
nière de  peindre,   il  est  probable 
qu'il  fut  l'élève  de  Corneille-Bona- 
venture  Meester ,  plus  connu   sous 
Je  nom  de  Bo-'Meesters.  Son  genre 
de  peinture  lui  était  particulier.  Il 
n'employait  que  le  blanc  et  le  noir, 
à  l'imitation  des  dessins  à  la  plume. 
On  ne  conçoit  pas  comment  il  sa- 
vait ménager  son  pinceau  de  manière 
à  donner  à  chaque  ligne  la  forme  et 
l'exacte  ressemblance  avec  le  sillon 
du  burin.  Il  n'a  peint  que  des  ma- 
rines et  des  ports  de  mer^  dont  les 
lointains  représentent  une  ville  ou 
des  habitations.  Ces  sujets  sont  or- 
dinairement traités  par  lui  avec  une 
vigueur  et  une  netteté  très-remar- 
quables. Ses  vaisseaux  sont  dessinés 
correctement,  mais  ils  sont  dépour- 
vus de  cette  élégance   et  de  cette 
grâce  que  savaient  y  mettre  Vander 
Velde  et  Backhuysen.  Us  n'ont  pas 
non  plus  la  liberté  et  la  délicatesse 
de  ceux  qu'a  exécutés  Bonaventure 
Meester.  Dans   ses  tempêtes  l'agita- 
tion des  vagues  est  rendue  avec  exac- 
titude et  naturel  ;  mais  les  eaux  man- 

LXXXI. 


quent  quelquefois  de  transparence. 
Dans  ses  calmes  les  vaisseaux  sont 
disposés  d'une  manière  heureuse. 
Quelques  -  unes  de  ses  peintures 
sont  terminées  avec  tant  de  vérité 
et  d'esprit,  qu'au  premier  coup 
d'œil  elles  offrent  l'apparence  d'ex- 
cellents dessins,  et  un  examen  plus 
attentif  ne  leur  fait  rien  perdre  de  ce 
mérite.  Tous  les  ouvrages  de  Salm 
n'ont  pas  le  même  degré  de  perfec- 
tion, mais  les  meilleurs  jouissent  au- 
près des  connaisseurs  d'une  véritable 
estime.  P— s. 

SALM,  général  français,  était  né 
en  1768,  à  Lianville,  près  de  Neuf- 
château  (Vosges).  Entré  au  service 
avant  la  révolution,  comme  simple 
soldat,  il  obtint,  dès  qu'elle  com- 
mença, un  avancement  rapide.  En 
1794  il  commandait  l'avant-garde 
de  l'armée  du  Nord,  sous  Pichegru, 
et  ce  fut  lui  qui  s'empara  d'Utrecht. 
Grièvement  blessé  à  la  prise  de  iMa- 
lines,  dès  qu'il  fut  guéri,  on  le 
chargea  de  prendre  la  forteresse  de 
Grave,  qui  capitula  après  deux  mois 
de  siège.  A  l'époque  du  18  fructidor 
il  fut  destitué,  parce  qu'il  était  alors 
en  relations  avec  Pichegru.  Réintégré 
dans  son  grade  en  1798,  il  alla  servir 


2         '•  5aiBiB#*  '■■ 

avec  distinctiofi  h  l'armi^  d'IiiliP,  et 
reçut  une  nouvelle  blessure  à  la  ba- 
taille de  la  Trébia.  En  1802,  il  lit 
partie  de  la  nialbeureusc  expédition 
de  Saint-Domingue,  où  il  combattit 
avec  avantage  le  général  noir  Cbris- 
tophe.  Revenu  en  France,  il  eut  un 
commandement  dans  la  grande  ar- 
mée, puis  en  Espagne,  où  il  fut  en- 
core blessé,  en  1810,  sous  les  murs 
de  Tarragone.  A  peine  rétabli ,  il 
venait  de  reprendre  son  poste,  lors- 
qu'une balle  le  frappa  mortellement 
au  siège  d'Olivo,  en  mai  1811. 
C— H— N. 
SALM-DYCK  (Constance-Marib 
DE  Théis,  princesse  de),  l'une  des 
femmes  auteurs  les  plus  distinguées 
de  notre  époque,  naquit  à  Nantes,  le 
7  novembre  1767,  d'une  ancienne 
famille  noble,  originaire  de  Picardie. 
Élevée  sous  les  yeux  de  son  père, 
Marie-Alexandre  de  Théis,  j  uge-maî- 
tre  des  eaux  et  forêts  de  la  ville  et 
du  comté  de  Nantes,  auteur  de  plu- 
sieurs ouvrages  estimés  (voy.  Théis, 
XLV,  250),  elle  reçut  une  éducation 
aussi  solide  que  brillante,  et  se  livra, 
dès  ses  premières  années,  à  l'étude  des 
lettres,  des  arts,  et  particulièrement 
de  lapoésie. Bientôt  elle  yjoignit  celle 
de  plusieurs  langues,  de  la  composi- 
tion musicale  et  des  mathématiques. 
Ces  derniers  travaux  contribuèrent  à 
développer  l'espri  t  d'analyse  et  la  rec- 
titude de  jugement  que  l'on  trouve 
dans  ses  diverses  productions.  Douée 
d'une  beauté  remarquable,  elle  ne 
tarda  pas  à  l'orner  des  dons  de  l'es- 
prit. Passionnée  pour  nos  anciens  au- 
teurs, et  surtout  pour  ceux  du  siècle 
de  Louis  XIV,  elle  sut  par  cœur,  dès 
sa  jeunesse,   les  principaux  chefs- 
d'œuvre  de  notre  littérature.  A  peine 
âgée  de  18  ans,  elle  publia  plusieurs 
essais  de  poésie  dans  VÂlmanach  des 
(irâce.<  et  dans  d'autres  recueils  ïit- 


SAL 

téraires.  Une  de  ses  premières  pro- 
ductions fut  la  chanson  de  Bouton  de 
rose^  mise  en  musique  par  Pradher 
et  reproduite  en  1843,  avec  accompa- 
gnement de  piano,  par  Collet,  dans  le 
T.  II  des  Chants  et  Chansons  poputai- 
resde  la  France.  Dès  1785,  l'abbé  de 
Fontenay,  critique  éclairé,  avait  insé- 
ré, dans  \e.  Journal  général  de  France, 
un  rondeau  et  un  sonnet  de  M"*  de 
Théis.Elle  épousa,  en  1789, M.  Pipelet 
de  Leury  (vo2/.Pipelet,LXXVII,276), 
homme  riche,  fils  d'un  secrétaire  du 
roi.  Fixée  à  Paris  par  son  mariage,  elle 
publia  successivement  diverses  pièces 
de  vers  qui  révélèrent  tout  son  talent. 
Pendant  les  tristes  jours  de  1793, 
M"'*^  Constance  Pipelet  chercha  dans 
la  retraite  les  consolations  de  l'étude. 
Ce  fut  alors  qu'elle  s'occupa  de  la 
composition  de  Sapho,  tragédie  ly- 
rique, en  trois  actes  et  en  vers,  jouée 
pour   la  première   fois   au   théâtre 
Louvois,  en  décembre  1794.  Cette 
pièce,  habilement  conçue,  écrite  avec 
inspiration,  harmonie,  chaleur,    et 
dont  le  célèbre  Martini   fit  la  musi- 
que, eut  plus  de  cent  représentations. 
En  1795,  Sedaine  et  Mentelle  firent 
recevoir  A)"^^  Pipelet  comme  membre 
du  Lycée  des  Arts,  réunion  aujour- 
d'hui connue  sous  le  nom  d'Athénée 
des  Arts.  Aucune  femme  n'avait  jus- 
qu'alors fait  partie  de  cette  société 
savante  et  littéraire,  qui  s'était  for- 
mée avant  la  réorganisation  de  l'Ins-* 
tilut,  et  qui  se  composait  d'un  assez 
grand  nombre  d'anciens    académi- 
ciens. M™«  Pipelet  ne  tarda  pas  à  jus- 
liiier  son  admission  par  son  zèle  et 
par  ses  succès.  Elle  lut  dans  plusieurs 
séances  publiques  des  poésies  et  des 
rapports  intéressants,  ainsi  que  le.^ 
éloges  de  vSedain«,  de  Gaviniès  et  de 
Lalande.  Ce  dernier  éloge  fut  com- 
posé à  la  ^demande  de  Lalande,  lui- 
même,  qui,  après  l'avoir  entendue 


SAL 


SAL 


lire,  au  Lycëe,  celui  de  Sedaine,  la 
pria,  comme  plus  tard  le  fit  égale- 
ment Mentelle,  de  composer  son  élo- 
ge, quand  il  ne  serait  plus.  Dans  le 
même  temps  elle  se  fit  aussi  enten- 
dre au  Lycée  des  Étrangers,  connu, 
à  cette  époque,  sous  le  nom  de  Ly- 
cée Marbeuf,  ainsi  qu'à  TAthénée  de 
la  rue  de  Valois,  dit  alors  le  Lycée 
Républicain,  où  Laharpe  professait 
avec  tant  de  succès.  Ce  fut  dans  ces 
réunions  que  madame  Constance  Pi- 
pelet lut  ses  Èpîtres  à  Sophie,  où 
elle  retrace  avec  talent  les  droits  et 
les  devoirs  des  femmes.  Lorsque, 
vers  1 797,  des  contestations  littéraires 
assez  vives  s'élevèrent  sur  les  fem- 
mes auteurs,  elle  ne  prit  d'abord  au- 
cune part  à  ces  discussions,  mais 
bientôt  elle  ne  put  résister  au  désir  de 
plaider  une  cause  qui  était  la  sienne. 
Alors,  comme  toujours,  elle  défendit 
les  droits  de  son  sexe  ]  un  des  plus 
remarquables  morceaux  qu'elle  pu- 
blia à  ce  sujet  est  son  Èpîire  au» 
Femmes.  Ces  vers,  faits  en  réponse  à 
Écouchard  Lebrun,  qui  voulait  in- 
terdire aux  femmes  de  s'occuper  de 
poésie  et  de  littérature,  furent  lus 
par  leur  auteur  au  Lycée  des  Arts, 
ainsi  que  son  Épître  sur  les  dissen- 
sions des  gens  de  lettres.En  1800,  elle 
donna  aux  Français,  sous  le  titre 
de  Camille,  ou  Amitié  et  impru- 
dence, un  drame  en  cinq  actes  et  en 
vers.  Cette  pièce,  malgré  le  mérite 
du  style  et  l'intérêt  des  situations, 
ayant  provoqué  des  critiques  sévè- 
res, fut  retirée  du  théâtre  avant  la 
seconde  représentation.  On  trouve 
dans  le  Journal  de  Paris  du  7  mars 
1800  une  lettre  fort  digne  qu'elle 
écrivit  à  ce  sujet.  M-""  Constance  Pi- 
pelet entrait  dans  sa  35^  année  lors- 
qu'elle épousa,  en  secondes  noces,  au 
commencement  de  1802,  le  prince  de 
Salm-Dyck,  ancien  comte  du  Saint- 


Empire  (l),dont  les  vastes  domaines, 
situés  sur  la  rive  gauche  du  Rhin, 
faisaient  alors  partie  de  la  France.  Sa 
nouvelle   et  brillante    position  ne 


(i)  Nous  croyons  devoir  donner  ici  quelques 
détails  sur  la  généalogie  de  la  famille  de 
Salra-Dyck.  La  maison  de  Salm-Reiffer- 
scheid-Dyck  se  confond  dans  son  origine 
avec  celle  des  anciens  ducs  de  Limbourg  et  de 
Lorraine.  Elle  remonte,  par  une  succession 
non  interrompue  d'aïeux  et  par  chartes  au- 
thentiques, jusqu'à  Walram  1er,  duc  de  Lini- 
bourg  en  1060,  et  à  sa  femme  Adèle,  fille  du 
duc  de  Lorraine,  et  par  eux  jusqu'à  Char- 
lemagne.  Leur  second  fiis,  Gérard,  fut  l'au- 
teur de  la  dynastie  des  comtes  de  Reiffer- 
scheid ,  ainsi  nommés  du  lieu  de  leur  rési- 
dence. Les  descendants  héritèrent,  en  i4i4> 
de  leur  plus  procheparent,  le  comte  de  Salm, 
dans  les  Ardennes,  et  se  nommèrent  depniâ 
lors  comtes  de  Salm  et  deReifferscheid. Étant 
les  plus  anciens  comtes  de  l'empire  germa- 
nique ils  refusèreut  long-temps  le  titre  de 
prince,  et  l'empereur  Ferdinand  II  créa  pour 
eux  le  titre  d'altgraf  (ancien  comte),  auqutfl 
il  attacha  toutes  les  prérogatives  honorifi- 
ques de  celui  de  prince.  Cette  maison  se 
sépara,  en  1678,  en  deux  branches,  dont 
l'une  se  subdivisa  encore  en  trois  autres 
(rojr.  Salm-Kirbourg,  XL,  198).  Celle  de 
Dyck  ne  se  divisa  pas.  Les  possessions  sui^ 
la  rive  gauche  du  Rhin  furent  données  à  )a 
France  par  le  traité  de  Lunéville,  et  firent 
partie,  sous  l'empire,  du  département  de  la 
Roër.  Elles  retournèrent  à  rAlleraagné  eii 
181 5)  et  passèrent  sous  la  domination  d^  la 
Prusse.  Yers  1816,  le  roi  de  Prusse  conféra 
au  chef  de  cette  maison  le  titre  de  prince, 
et  un  vote  héréditaire  aux  Etats  de  la  pro- 
vince du  Rhin  parmi  les  ci-devant  États  im- 
médiats de  l'empire  germanique.  Le  chef 
actuel  de  cette  maison,  le  prince  de  Salm- 
Reifferscheid-Dyck  (Joseph-François-Marie- 
Antoine-Hubert),  mari  de  la  princesse  dé 
Salm,  né  en  1773,  fut  successivement,  ert 
France,  membre  du  Corps-Législatif,  chan- 
celier de  la  4*  cohorte  de  la  Légion-  d'Hon- 
neur, comte  dé  l'empire.  On  doit  à  ce  sa- 
vant botaniste  plusieurs  ouvrages  très-esti- 
mes  sur  Tes  plantes  grasses,  dont  il  possède, 
dans  son  célèbre  jardin  de  Dyck,  d  admira- 
bles et  très-précieuses  collections,  décrites 
par  le  prince  de  Salm  lui-même,  dans  des 
volumes  in-8°  publiés  sous  le  titre  de  Cactœ 
in  horto  D/chetisi  ciilifp,  et  dans  sa  Monogra- 
pliia  generum  nîoes  et  mesembrjranthemi,  ico- 
nihus  illustrata,  Dnsseldorff,  i835  et  an- 
nées suivantes,  in-fol.  M.  le  prince  do  Salm, 
qui  s'est  anssi  livré  à  l'étode  des  scitences^, 
est  membre  de  plusieurs  sociétés  savantes, 

1. 


À  SAL 

channji'a  rien  à  ses  habitiules  lilt(^- 
rairos,  ni  à  ses  opinions;  elle  lui  lit 
seulement   habiter    successivement 
Dyck,  Aix-ia-Chapelle  et  Paris.  Dans 
son  château  de  Dyck,  comme  dans  sa 
maison  de  Paris,  ou  dans  sa  résidence 
d'Aix-la-Chapelle,  elle  avait  souvent 
des  réunious  amicales  composées  de 
littérateurs,  de  savants,  d'artistes  et 
de  personnes  de  distinction.  Une  cor- 
dialité franche  et  libre  régnait  dans 
cette  société,  où  s'unissaient  aux  lu- 
mières de  l'esprit  les  idées  les  plus 
généreuses.  Sous  son  nouveau  nom, 
M>"^  de  Salm  publia  plusieurs  poé- 
sies, parmi  lesquelles  nous  citerons  : 
I,  Épîlre  à  un  jeune  auteur,  sur  l'in- 
dépendance et  les  devoirs  de  Vhomme 
de  lettres,  1806,  in-8<>,  sujet  mis  au 
concours  par  l'Institut.  II.  Êpître  sur 
la  campagne,  1806,  in-S".  III.  ÉpHre 
à  un  vieil  auteur  mécontent  de  se  voir 
oublié,  1809,in-8°.  IV.  Êptlre  sur  la 
rime,  1812,  in-S'^.  Il  a  été  publié,  en 
1819  et  en  1835,  par  MM.  Guerrier  de 
Dumast  et  Berville,  deux  réponses  à 
cette  épîfre  dans  laquelle  l'auteur  a 
combattu,  en  très-beaux  vers,  l'o- 
pinion qui  attache  trop  d'importance 
à  la  richesse  de  la  rime.  V.  Èpître 
sur  la  philosophie,  1814,  in-8o.  VI. 
Discours  sur  le  bonheur  que  procure 
l'étude  dans  toutes  les  situations  de 
la  vie,  1817,  in-8^  Ce  sujet,  mis  au 
concours  par  l'Académie  française, 
valut  à  l'auteur  une  mention  honora- 
ble. VII.  Èpître  àun  honnête  homme 
qui  veut   devenir  intrigant,  1820, 
iu-8°.  VIIL  Épîlre  sur  V esprit  et  l'a- 
véuglement  du  siècle,  1820,  in-8°. 

IX.  Êpître  aux  souverains  absol^is^ 
1831,  in-8°,  vers  traduitsen  grec  mo- 
derne par  M.  Stroumbo,  1831,  in  8«. 

X.  Mes  soixante  ans,  ou  Mes  souve- 
nirs politiques  et  littéraires,  1833, 
in-8<>.  Ce  poème  historique  peut  être 
regardé  comme  les  mémoires  mo- 


SAL 

r.iUK  de  i'.iult'iir;  cVst    le  tableau 
fidèit'  d'urje  vie  ci.usacrf^e  k  l'élude, 
à   l'amour  du   bien,  de  la  justice  «^1 
de  la  vérité.  XI.  Je  mourrai  comme 
fai  vécu,  stances  adressées  à  un  ami, 
1838,  in-S".  L'auteur  av.iit  71  ans 
lorsqu'elle  composa  ce  chant  dithy- 
rambique. Après  avoir  fait  connaître 
les  principales  productions  poétiques 
de  M'"'^  de  Salm,  nous  indiquerons 
parmi  ses  ouvrages  en  prose:  XII. 
Vingt -quatre    heures   d'une  femme 
sensible,  1824,  in- 12.  Ce  roman  sans 
intrigue,  ofirant  une  étude  du  cœur 
humain,  a  été  traduit  en  allemand  par 
M.  Falenstein,  1825,  in-12.  Une  autre 
traduction  allemande  a  été  publiée  par 
M.  Gatty,  à  Kiel,  en  1840.  Xlll.  Pei}- 
sées,   Aix-la-Chapelle,    1828,   in-12. 
De  tous  les  ouvrages  de  l'auteur  ce- 
lui-ci est  l'un  des  plus  importants; 
résultat  de  bien  des  années  de  médi- 
tation ,    il  présente    une    étude  ii- 
dèle  du  cœur  humain  et  surtout  des 
mœurs  de  notre  époque.  Ce  livre  re- 
marquable a  été  plusieurs  fois  réim- 
primé; il  en  a  paru,  depuis  peu,  une 
édition  nouvelle,  grand  in-8",  précé- 
dée d'une  introduction  par  M.  de  Pon- 
gcrville.  Dans  ce  volume,  le  prince  de 
Salm  a  fait  insérer  une  troisième  par- 
tie, entièrement  inédite.  Les  Pensées 
de  la  princesse  de  Salm  ont  été  tra- 
duites en  anglais  par  M.  \V.  Stains, 
Londres,  1844,  in-12.  On  doit  à  M. 
Contrain  une  traduction  allemande, 
imprimée    à    DusseldorlF   en    1835. 
Deux  éditions  des  OEuvres   de  la 
princesse  de  Salm  ont  été  publiées 
en  1835  et  en  1842.  La  première  en 
4  vol.  in-12,  et  la  seconde  en  4 
vol.  in- 8''.   Dès   1811,  ses   Poésies 
avaient  été  réunies  en  1  vol.  in-8", 
réimprimé  en  181  î.  Les  éditions  de 
ses  œuvres^  données  en  1835  et  1842, 
renferment  un  assez  grand  nombre 
de  pièces  dont  on  trouve  le  détail 


SAL 

dans  lu  France  littéraire  de  M.  Qué- 
rard,  tome  VIII,  p.  414.  La  Biogra- 
phie universelle  doit  à  M""=  de  Salm 
les  articles  Sedaine  et  Théis  (Marie- 
Alexandre),  XLI,  430,  et  XLV,  250. 
Parmi  quelques  écrits  inédits  laissés 
par  elle,  nous  citerons  :  [.Les  Droits^ 
épître  politique.  II.  Deux  épîtresiîié- 
diles  à  Sophie.  III.  Les  Allemands 
comparés  aux  Français  dans  leurs 
mœurs,  leurs  usages^  leur  vie  inté- 
rieure et  sociale.  Un  extrait  de  cet 
ouvrage  a  été  inséré  dans  la  Revue 
encyclopédique  de  1826  (T.  XXX,  p. 
581)).  IV.  Mémoires  littéraires.  Elle 
se  proposait  de  donner  dans  ce  livre 
le  tableau  de  la  littérature  et  de  la 
société  de  son  ten)ps,  et  d'insérer 
aussi,  avec  notes,  une  partie  de  la 
correspondance    qu'elle    eniretint, 
pendant  bien  des  années,  avec  di* 
vers  savants  et  littérateurs.  En  1841, 
elle  publia  :  Quelques  lettres  extrai- 
tes de  sa  Correspondance  générale 
de  1805  à  1810;  ce  volume,  tiré  à 
un  très-petit  nombre  d'exemplaires, 
n'a  pas  été  mis  dans  le  commerce.  On 
trouve  dans  le  tome  111  de  l'édition 
in-S"  des  OEuvres  complètes  de  Paul- 
Louis  Courier.^  plusieurs  de  ses  let- 
tres à  M'»«  de  Salm,  à  laquelle  il  avait 
dédié  sa  traduction,  ou  plutôt  son 
imitation  de  VÉloge  d'Hélène  par 
Isocrate.  La  dédicace  placée  en  tête 
de  ce  volume  est  un  chef-d'œuvre 
d'élégance    n;iïve   et  de   bonhomie 
causeuse.  (Voy.  Courier,  LXI,  473.) 
Il  existe,   dans  la  bibliothèque  du 
château    de   Dyck,  un  précieux  et 
très  intéressant  souvenir  des  amitiés 
et  des  relations  du  prince  et  de  la 
princesse  de  Salm;  c'est  un  Album 
en  plusieurs  volumes,  sur  lequel  sont 
inscrits,  souvent  avec  d'assez  longs 
autographes,  ou  avec  des  dessins, 
bien  des  noms  il  lus!  res  dans  la  science, 
dans  les  lellrrs  et  dans  les  arts.  Si 


SAL  5 

les  É pitres  et  les  Pensées  de  M'""  de 
Salm  lui  assurent  une  durable  réputa- 
tion comme  poète  penseur,  el le  se  dis- 
tingue, dans  tout  ce  qu'elle  a  écrit,  par 
la  justesse  des  idées  et  par  la  philo- 
sophie la  plus  saine.  Marie-Joseph 
Chénier  l'avait  surnommée  la  Muse 
de  la  Haison;  il  y  a  en  effet  dans  la 
nature  de  son  talent  quelque  chose 
de  grave  et  de  viril  qui,  parmi  les 
femmes  auteurs,  lui  assigne  un  rang 
spécial.  Peu  de  dames  ont  été  natu- 
rellement plus  aimables  et  plus  véri- 
tablement philosophes;  aux  qualités 
de  l'esprit,  qui  font  le  charme  de  la 
société,  elle  joignait  celles  de  l'âme. 
Un  des  traits  distinctifs  de  son  carac- 
tère élevé,  simple  et  généreux  était 
la  fidélité  de  ses  amitiés,  Tinvaria- 
bilité  de  ses  principes  pendant  un 
demi-siècle  de  changements  et  de  ré- 
volutions successives,  ainsi  que  l'a- 
mour de  la  justice,  uni  à  celui  de 
son  pays,  et  le  besoin  d'exprimef 
librement  des  vérités  qu'elle  croyait 
utiles.  Jusqu'au  dernier  moment  elle 
a  conservé  toCSle  la  force  de  son  es- 
prit, de  son  talent,  et  surtout  l'ardent 
amour  du  travail  qui  fut  le  besoin  de 
toute  sa  vie.  Elle  ne  vivait  en  effet 
que  pour  l'étude,  les  siens  et  ses  amis. 
C'est  presque  au  milieu  d'eux  qu'elle 
est  morte  à  Paris,  après  une  maladie 
de  trois  jours,  le  13  avril  1845,  âgée 
de  78  ans,  regrettée  de  tous  ceux  qui 
ont  pu  la  connaître.  Elle  était  mem- 
bre d'un  grand  nombre  de  sociétés 
académiques  françaises  et  étrangè- 
res.  Du  vivant  de  la  princesse  de 
Salm,  il  a  été  publié  sur  elle  plu- 
sieurs notices  biographiques,  parmi 
lesquelles  nous  citerons  celles    de 
MM.  de  Pongerville,  de  Ladoucette, 
Albert  Montémont  et  Villenave.  Ces 
notices,  insérées  dansdivers  recueils, 
ont  été    imprimées  séparément,    il 
existe  d'elle  plusieurs  portraits  ;  non  s 


SAL 


SAL 


nous  bornerons  à  citer  ceux  de  Giro- 
det,  de  David  (d'Angers),  et  de  Bel- 
liard  :  ce  dernier  a  paru  dans  le  loine 
Il  des    Célébrilés    contemporaines. 

B-IJ— R. 
SALM-KIRBOUaG   (Frédéuk- 
Ernest-Oito,  prince  de),  fils  uni- 
que  du   prince   Frédéric  lll  {voy. 
Salm-Kirbourg,  XL,  198)  et  d'une 
princesse  de    Hohen-ZoUern,    na- 
quit à  Paris  en  1789.  Ayant  perdu 
son  père  à  l'âge  de  cinq  ans,  il  fut 
élevé  par  sa  tante,  la  princesse  de  Ho- 
hen-Zollern,  qui  se  consola,  par  les 
soins  qu'elle  prit  de  son  neveu,  de  la 
perte  d'un  frère  chéri.  Les  biens  du 
jeune  prince,  notamment  l'hôtel  qu'il 
possédait  à  Paris,  confisqués  par  les 
lois  de  la  révolution,  lui  furent  ren- 
dus après  la  chute  de  Robespierre; 
mais  ce  ne  fut  qu'en  1803  que  Bona- 
parte lui  donna  une  principauté  en 
Allemagne ,   pour    l'indemniser  de 
celle  qu'avait  possédée  son   père. 
Il  en  fut  ensuite  dépouillé,   et  re- 
çut en  échange  une  inscription  de 
400,000  fr.   de  rente  sur  le  grand- 
livre,  qu'il  perdit  en  1815,  après  la 
chute  de  Napoléon,  le  gouvernement 
de  la  Restauration  ayant  refusé  de 
payer  une  possession  que  les  trai- 
tés de  cette  époque  faisaient  passer 
dans  les  mains  de  la  Prusse.  Toutes 
ces  vicissitudes  de  fortune  n'empê- 
chèrent pas  le  jeune  prince  de  res- 
ter, comme  ses  ancêtres,  constam- 
ment attaché  à  la  France.  Voué  dès 
l'enfance  à  la  carrière  des  armes,  il 
faisait  ses  études  à  l'école  militaire 
de  Fontainebleau,  en  1806,  lorsqu'il 
s'en  échappa  clandestinement,  et  se 
rendit  avec  son  gouverneur  à  l'armée 
que  Napoléon  commandait  en  Polo- 
gne. Très-satisfait  d'un  tel  zèle,  l'em- 
pereui*  le  nomma,  dès  son  arrivée, 
souS'Ueutenant  dans  un  régiment  de 
hussards,  et  l'attacha  comme  officier 


d'ordonnance  à  .son  quartier-général. 
Le  jeune  prince  fit  en  cette  qualité  la 
glorieuse  campagne  de  1807,  et  il  as- 
sista aux  batailles  d'Elsberg  et  de 
Fricdiand.  Envoyé  à  l'armée  de  Por- 
tugal sous  les  ordres  de  Junot,  à 
la  paix  de  Tilsitt,  il  fut  nommé  capi- 
taine, et  se  rendit,  après  la  capitula- 
tion de  ce  général,  à  Madrid,  où  il  fut 
témoin  de  l'horrible  massacre  du  2 
mai  1808.  Ayant  ensuite  accompagné 
Reille  au  siège  de  Roses,  il  lut  chargé 
par  ce  général  de  porter  k  l'empereur 
des  dépêches  d'une   haute  impor- 
tance, et  ne  fut  accompagné  que  de 
dix  hommes  pour  traverser  des  con- 
trées insurgées.  Ayant  fait  à  Reille  une 
observation  sur  la  faiblesse  de  cette 
escorte,  et  ce  général  lui  ayant  de- 
mandé avec  autant  d'inconvenance 
que  de  grossièreté  s'il  avait  peur,  il 
déclara  énergiquement  qu'après  une 
pareille  question  il  ne  voulait  pas 
prendre  un  homme  de  plus,  et  il  par- 
tit sans  hésister.  A  peine  eut-il  fait 
quelques  lieues  qu'il  fut  arrêté  près 
de  Figuières  par  une  bande  d'insur- 
gés. Il  fit  de  vains  eflbrts  pour  leur 
résister  \  perdit  la  plupart  des  hom- 
mes qui  l'accompagnaient,  fut  percé 
d'une  balle  et  tomba  de  cheval  gra- 
vement blessé.  Alors,  plus  occupé 
de  ses  dépêches  que  de  son  propre 
salut,  il  eut  le  temps  de  les  déchi- 
rer et  d'en  cacher  les  débris  sous 
des  pierres.  Forcé  ensuite  de  se  ren- 
dre,   il   fut   conduit    prisonnier   à 
Tarragone,  puis  à  Gironne,  et  ne  re- 
couvra la  liberté  qu'après  neuf  mois 
de  captivité.  Dès  qu'il  fut  de  retour  à 
Paris,  il  reçut  de  Napoléon  l'ordre 
de  se  rendre  à  son  quartier-général 
pour  remplir  les  fonctions  d'officier 
d'ordonnance.  Il  fit  en  cette  qualité 
la   campagne  d'Autriche,  en  1809; 
combattit  àWagram  et  reçut  le  grade 
de  chef  d'escadron  avec  la  décoration 


SAL 

(le  la  Légioii-d'Honueur.  Nommé 
bientôt  colonel,  il  fut  envoyé  en 
Jtalie  pour  y  commander  le  14®  ré- 
giment de  chasseurs  à  cheval,  où  il 
établit  la  plus  exacte  discipline  et 
qu'il  conduisit  fort  honorablement 
dans  les  campagnes  de  1813  et  1814. 
Revenu  à  Paris  après  la  chute  du  gou- 
vernement impérial,  et  privé  de  ses 
possessions  ainsi  que  de  la  rente  que 
lui  avaitfaite  Napoléon,  et  ne  pouvant 
y  vivre  d'une  manière  digne  de  son 
rang[et  de  son  illustre  naissance,  il 
adressa  de  vaines  réclamations  aux 
gouvernements  de  France  et  de  Prus- 
se, et  mourut  à  Paris  en  1835,  sans 
avoir  été  marié.  En  lui  s'éteignit  la 
branche  des  princes  de  Salm-Kir- 
bourg.  S'étant  présenté,  en  1831, 
comme  candidat  au  trône  de  Belgi- 
que, auquel  fut  appelé  Léopold  de 
Saxe-Cobourg ,  le  prince  Frédéric 
de  Salm  avait  publié  à  cette  occasion 
une  brochure  intitulée  :  De  la  ré- 
gence et  ses  dangers  imminents  pour 
la  Belgique,  Bruxelles,  1831,  in-8°. 

M— Dj. 
8ALIIIEGGIA  (Énée),  surnommé 
LE  Talpino,  peintre,  naquit  à  Ber- 
game  et  apprit  les  principes  de  son 
art  à  Crémone,dans  l'école  des  Cam  pi , 
et  à  Milan,  dans  celle  des  Prococcini. 
Mais  ayant  entendu  célébrer  la  re- 
nommée que  Raphaël  s'était  acquise 
par  ses  immortels  chefs-d'œuvre,  il 
se  rendit  à  Rome  pour  y  recevoir 
des  leçons  de  ce  grand  maître.  Il 
étudia  sous  lui  pendant  14  ans  et  de- 
vint l'un  de  ses  plus  habiles  imita- 
teurs. Le  Saint  Victor  qu'il  a  peint 
pour  les  Olivetains  de  Milan  a  été 
souvent  attribué  à  Raphaël,  et  les 
hommes  qui  ont  fait  une  étude  par- 
ticulière des  ouvrages  de  ce  grand 
maître  ne  peuvent  refuser  à  Sal- 
nieggia  un  rang  honorable  parmi 
ceux  qui  s'en  sont  le  plus  rappro- 


SAL  7 

chés.  La  pureté  des  contours,  qui 
néanmoins  laissent  quelquefois  aper- 
cevoir trop  de  détails;  la  beauté 
idéale  de  ses  têtes  de  jeunes  gens, 
la  morbidesse  du  pinceau,  la  dispo- 
sition des  draperies,  une  certaine 
grâce  dans  le  mouvement  et  dans 
l'expression,  prouvent  jusqu'à  quel 
point  il  cherchait  à  suivre  son  mo- 
dèle, auquel  cependant  il  reste  bien 
inférieur  pour  le  grandiose,  le  sen- 
timent de  l'antique  et  l'entente  de 
la  composition.  Sa  manière  de  pein- 
dre n'est  pas  non  plus  la  même.  Dans 
les  draperies  il  aime  une  plus  grande 
variété  de  couleurs.  Ses  teintes  au- 
jourd'hui se  sont  en  grande  partie 
affaiblies,  et  les  ombres  ont  poussé 
au  noir  comme  dans  toutes  les  au- 
tres peintures  de  cette  époque.  On 
serait  porté  à  croire  que  cet  habile 
artiste  se  bornait,  comme  on  l'a  dit 
du  Poussin  et  de  Raphaël  lui-même, 
à  se  montrer  grand  coloriste  dans 
quelques  tableaux  seulement,  et  k 
négliger  ordinairement  cette  partie 
de  l'art,  satisfait  d'avoir  prouvé  de 
temps  en  temps  qu'il  pouvait  attein- 
dre à  la  supériorité  comme  coloriste. 
On  voit  à  Milan,  dans  l'église  de  la 
Passion,  deux  tableaux  de  son  plus 
beau  style,  représentant  l'un  J.-C. 
en  prière  dans  le  Jardin  des  Olives, 
l'autre  une  Flagellation.  Le  premier 
est  peint  comme  un  Bassan  ;  l'autre, 
qui  est  plein  de  vie  et  du  plus  grand 
caractère,  le  surpasse  peut-être  aussi 
par  la  force  du  coloris.  Bergame 
possède  plusieurs  de  ses  productions, 
et  spécialement  les  deux  tableaux  du 
maître-autel  des  églises  de  Sainte- 
Marthe  et  de  Santa-Grata.  Ce  sont 
ses  deux  chefs-d'œuvre,  et  les  con- 
naisseurs n'ont  pu  encore  décider 
lequel  l'emportait  sur  l'autre.  La 
couleur  en  est  si  belle,  si  brillante, 
si  harmonieuse,  qu'on  ne  peut  se 


8 


SAL 


lasser  de  les  contempler.  Le  sujet 
des  deux  tableaux  est  le  même,  c'est 
J.-C.  dans  une  gloire,  et  dans  le  bas 
du  tableau  un  grand  nombre  de 
saints:  mais  le  second  offre  une  com- 
position qui  dénote  plus  d'art.  L'au- 
teur y  a  introduit  beaucoup  de  rac- 
courcis,d'altitudes  de  têles,d'ex|:res- 
sions  toutes  également  savantes  et 
varie'es^  on  aperçoit  dans  le  fond  la 
ville  de  Bergame,  et  une  belle  archi- 
tecture entièrement  dans  le  goût  de 
Paul  Véronèse  ;  les  draperies  sont  étu- 
diées avec  soin,  et  parmi  les  person- 
nages on  remarque  un  saint  évêque en 
habits  pontificaux,  qui  rappelle  le  Ti- 
tien lui-même.  Les  tableaux  de  galerie 
qu'a  peints  cet  artiste  sont  rares  et 
précieux,  et  ne  sont  pas  aussi  connus 
hors  de  l'Italiequ'ilsdevraient  l'être. 
Salmeggia  ne  s'était  pas  borné  uni- 
quement à  la  pratique  de  son  art  ;  il 
avait  acquis  sur  la  théorie  des  con- 
naissances peu  communes,  qu'il  avait 
réunies  dans  un  Traité  sur  la  pein- 
ture^ écrit  en  1007,  et  qui  existe  en 
original  dans  labibliothèque  du  comte 
Jacques  Carrara  de  Bergame;  cet  ou- 
vrage, dont  quelques  fragments  seu- 
lement ont  été  imprimés  dans  la 
notice  que  le  comte  Francesco-Maria 
Tassi  a  donné  sur  Salmeggia,  est  ce- 
lui d'un  homme  profondément  versé 
dans  son  art.  Cet  habile  artiste  mou- 
rut à  Bergame  le  23  fév.  1626,  dans 
un  âge  fort  avancé.  —  François  Sal- 
meggia, fils  du  précédent,  et  Claire^ 
sa  tille,  cultivèrent  tous  deux  la  pein- 
ture, dont  ils  reçurent  les  principes 
de  leur  père;  mais  ils  parvinrent 
plutôt  à  imiter  sa  manière  qu'à 
s'approprier  sa  science  et  sa  profonde 
théorie.  Cependant  leurs  ouvrages 
font  voir  l'excellence  de  l'éducation 
qu'ils  avaient  reçue.  Comparés  avec 
les  artistes  de  leur  temps  et  avec 
ceux  qui  les  suivirent  imuiédiale- 


SAL 

ment,  ils  se  montrent,  sinon  pleins 
de  vivacité  ,  du  moins  étudiés  et 
exempt.s  des  vices  des  maniéristes.  La 
ville  de  Bcrj^ame  possède  un  gr.nid 
nombre  de  leurs  ouvrages,  et  il  y  a 
iieu  de  croire  ([ue  leur  père  a  mis  la 
main  aux  meilleurs.  On  peut  voir  de 
plus  amples  détails  sur  cette  famille 
d'artistes  dans  le  tome  1"  Délie  vite 
de''  pittori,  scultori,  ed  architetti 
birgamaschif  par  le  comte  Frances- 
co-Maria Tîîssi.  P — s. 

SALMERON  (Cristoval-Garcia). 
peintre  espagnol,  naquit  à  Cuença 
en  1603,  et  fut  élève  de  Pierre  Or- 
rente;  ses  ouvrages  lui  firent  une 
réputation  assez  brillante  pour  que 
Philippe  IV,  dans  un  voyage  à 
Cuença,  le  choisît  pour  peindre  un 
Combat  de  taureaux  qu'il  donna  en 
commémoration  de  la  naissance  de 
Charles  H.  L'artiste  s'est  peint  lui- 
même  dans  cette  composition.  Un 
autre  de  ses  ouvrages,  qui  jouit  aussi 
d'une  grande  célébrité,  est  la  Nati- 
vité du  Sauveur^  que  l'on  voit  dans 
l'église  de  Saiut-Francois,  à  Cuença. 
Ce  peintre  mourut  en  1666.  —  Fran- 
çois Salmeron,  frère  du  précédent, 
naquit  à  Cuença  en  1608,  et  fut  éga- 
lement élève  d'Orrente  ;  mais  la  vue 
des  ouvrages  des  grands  coloristes 
de  l'école  vénitienne  lui  inspira  le 
goût  de  la  couleur,  et  il  se  forma 
dans  cette  branche  de  l'art  une  ma- 
nière si  brillante,  que  l'on  peut  le  re- 
garder comme  un  des  plus  habiles  co- 
loristes de  l'école  espagnole.  C'est  à 
cette  partie  qu'il  s'est  appliqué  spé- 
cialement, et  il  ne  faut  pas  chercher 
dans  ses  ouvrages  une  correction  de 
dessin  et  une  entente  de  la  compo- 
sition qu'il  eût  sans  doute  acquises 
par  la  suite,  si  l'ardeur  avec  laquelle 
il  se  livrait  à  Pétude  ne  Peut  enlevé 
aux  arts  avant  l'âge  de  24  ans.  Le 
peu  de  grands  tdbleaux  qu'il  a  exe- 


sAL  : 

eûtes  exisfent  dans  sa  ville  natale. 
On  connaît  de  lui  un  plus  grand 
nombre  de  tableaux  de  chevalet,  dont 
la  couleur  brillante  fait  pâlir  tous 
ceux  qu'on  place  dans  leur  voisinage. 

P-s. 
SALMON  (Pierre),  surnommé  le 
Fruidier^  t\ii  le  secrétaire,  le  conti- 
dent  du  roi  Charles  VI.  Tout  ce  que 
l'on  connaîtde  sa  personne  se  réduit  à 
cequ'il  nous  apprend  lui-même  dans 
sesécrits,  c'est-à-dire  à  peu  de  chose. 
H  fut  mêlé  à  d'importantes  négocia- 
lions;  se  rendit  pour  les  afTaires  de 
l'État  auprès  du  roi  d'Angleterre, 
auprès  du  pape  et  auprès  du  duc  de 
Bourgogne.  C'était  alors  de  longs  et 
périlleux  voyages.  11  a  laissé  deux 
ouvrages  intitulés  :  Les  demandes 
faites  par  leroi  Charles  VI,  touchant 
l'état  et  le  gouvernement  de  sa  per- 
sonne, avec  les  réponses  de  Salmon; 
les  lamentations  et  épistresde  Pierre 
Salmon.  Ce  dernier  écrit  présente 
un  grand  nombre  de  renseignements 
historiques  curieux. L'auteur,  en  con- 
signant les  détails  de  ses  pérégrina- 
tions diplomatiques,  y  a  inséré  les 
lettres  qui  lui  ont  été  adressées,  et 
transcrit  tout  au  long  celles  qu'il 
a  fait  partir,  exemple  d'indiscrétion 
(jui  de  nos  jours  a  trouvé  des  imita- 
teurs célèbres.  L'auteur  de  V Histoire 
de  Russie,  Lévesque,  fut  le  premier, 
dans  un  méjnoire  publié  au  tome  VU 
des  Notices  et  Extraits  des  manu- 
scrits, qui  lit  connaître  les  produc- 
tions de  Salmon,  jusqu'alors  restées 
oubliées  parmi  les  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  royale-,  Buchon  re- 
produisit cette  notice  ainsi  que  la 
partie  historique  du  livre  de  notre 
auteur  dans  sa  Collection  des  chro- 
niques nationales  françaises,  t.  XV; 
mais  ce  fut  en  1833  que  Crapelet 
publia  pour  la  première  fois  le  texle 
à  peu  près  complet  de  Salmon  dans 


SAL  9 

le  tome  XI  de  sa  Collection  des  an- 
ciens  monuments  de  l'histoire  et  de 
la  langue  française.  Il  ne  crut  pas 
devoir  reproduire,  et  nous  ne  sau- 
rions l'en  blâmer,  la  secorfde  partie 
des  Demandes,  partie  qui  roule  sur 
Dieu  ,  les  anges  ,  la  création  de 
l'homme,  le  paradis,  l'enfer,  l'ante- 
christ ,  le  jugement  dernier.  Rien 
n'égale  la  facilité  avec  laquelle  Sal- 
mon explique  les  plus  profonds  mys- 
tères de  l'histoire  sainte,  si  ce  n'est 
la  facilité  encore  plus  grande  avec 
laquelle  le  monarque  se  contente  des 
explicationsde  son  confident.Charles 
VI  veut  savoir  comment  les  hommes 
se  seraient  multipliés  s'ils  étaient 
restés  dans  le  paradis  terrestre. 
Salmon  réplique  sans  hésiter  que 
«  homme  et  femme  eussent  procréé 
«  et  multeplié  lignée,  se  ilz  n'eussent 
«  péchié  comme  qui  mettroit  sa  main 
«l'une  sur  l'autre,  c'est  à  savoir 
«  comme  se  l'omme  et  la  femme  tou- 
«  choient  eusamble  main  à  main.  >» 
Lç  roi,  satisfait  de  cette  explication, 
demande  alors  comment  la  femme 
eût  enfanté  :  «  Sans  douleur  et  sans 
«peine  quelconque,  en  aussy  peu 
«  d'espace  comme  vous  mettriez  à 
«  ouvrir  vostre  œil  pour  veoir,  et  tan- 
«  tost  que  l'enfant  eust  été  né,  il 
«  eust  parlé  et  aie  et  eust  pris  et 
«  mengié  des  fruis  des  arbres  de 
«  paradis  terrestre.  •  11  est  juste  de 
convenir  que  la  première  partie  des 
Demandes  est  d'un  autre  genre;  elle 
roule  sur  les  devoirs  des  rois,  sur 
ceux  de  ses  conseillers  et  serviteurs- 
Ce  sont  des  maximes  très-sages,  ap- 
plicables à  tous  les  temps,  à  tous 
les  régimes  de  gouvernement.  La 
Bibliothèque  du  roi  en  possède  deux 
manuscrits,  l'un  sur  vélin,  orné  de 
miniatures  d'un  fini  précieux  (neuf 
d'entre  elles  ont  été  reproiiuites 
dans  l'édition  de  Crapelet),  l'autre 


10 


SAL 


SAL 


sur  papier,  sans  aucun  ornement. 
Le  second  manuscrit  offre  une  ré- 
daction plus  récente  que  le  premier-, 
les  raisonnements,  déjà  beaucoup 
trop  longs,  deviennent  intermina- 
bles; les  citations,  fort  accumulées 
dès  le  principe,  s'entassent  en  plus 
grand  nombre  encore;  auteurs  sa- 
crés et  profanes  sont  mis  indistinc- 
tement à  contribution  :  Aristote  et 
saint  Jérôme,  Cicéron  et  saint  Au- 
gustin, Virgile  et  le  maître  des  Sen- 
tences. Il  est  à  croire  que  les  écrits 
encore  inédits  de  Salmon  ne  trouve- 
ront jamais  d'éditeur.    B— n— t. 

SALMOIV  (l'abbé),  mort  en  1782, 
a  donné  des  Poésies  sacrées^  avec  les 
Distiques  moraux  de  Caton,  ira- 
duits  en  vers  français^  Paris,  1751, 
in-12;  réimprimés  sous  le  titre  de 
Préceptes  de  la  vie  civile,  attribués 
à  Caton^  mis  en  distiques  latins^  et 
traduits  en  vers  français,  avec  quel- 
ques poésies  sacrées^  Paris,  1752, 
in-12.  Dans  les  deux  éditions  des 
Distiques  de  Caton,  publiées  par 
A. -M. -H.  Boulard,  en  1798  et  1803, 
Ja  traduction  en  vers  français  est 
celle  de  l'abbé  Salmon,  à  qui  l'on 
doit  encore  une  édition  desOEuvres 
d'Horace  traduites  en  vers  français^ 
avec  des  extraits  des  auteurs  qui 
ont  travaillé  sur  cette  matière,  et 
des  notes  pour  V éclaircissement  du 
texte,  Paris,  1752,  5  vol.  in-12.  Z. 

SALMON  (Robert),  mécanicien 
anglais,  fils  d'un  entrepreneur  de 
bâtiments,  naquit  en  1763  à  Strat- 
ford  sur  Avon,  dans  le  comté  de 
Warwick.  Après  qu'il  eut  reçu  une 
instruction  très-limitée,  on  le  plaça 
chez  un  homme  de  loi  qui ,  se 
trouvant  être,  par  bonheur,  un  maî- 
tre peu  exigeant,  le  laissa  disposer 
de  beaucoup  de  loisir,  et  même  lui 
procura  les  moyens  de  satisfaire  les 
besoins  de  son  intelligence.  Robert 


sut  en  profiter.  Une  des  premières 
manifestations  de  sa  curiosité  fut  de 
désassembler  toutes  les  pièces  de  sa 
montre,  qu'il  remit  ensuite  chacune 
à  sa  place.  La  musique  eut  de  l'al- 
trait  pour  lui  :  des  livres  lui  appri- 
rent à  connaître  les  notes.  Il  fabri- 
qua une  llûte  et  un  violon,  et  parvint 
tout  seul  à  en  jouer  passablement. 
Son  père  ayant  été  chargé  par  l'ar- 
chitecte Henry  Holland  de  diriger 
quelquesconstructions  dans  le  comté 
de  Hamp,  Robert  eut  la  permission 
de  l'accompagner,  et  il  ne  tarda  pas 
à  se  mettre  au  fait  des  occupations 
qui  composent  l'emploi  d'un  con- 
ducteur de  travaux,  emploi  qui  lui 
fut  en  effet  confié  et  qu'il  exerça 
successivement  à  Carlton-House, 
qu'on  réédifiait  alors,  et  à  Woburn- 
Abbey,  où  le  grand  duc  de  Bedford 
eut  occasion  d'apprécier  sa  capacité 
comme  sa  probité  :  ce  seigneur  vit 
dès  lors  en  lui  Phomme  qui  pouvait 
le  mieux  le  seconder  pour  réaliser 
ses  vues  magnifiques.  Ce  fut  en  1794 
que  Salmon  fut  fixé  à  Woburn,  en 
la  double  qualité  d'architecte  et  de 
mécanicien.  Ces  deux  titres,  il  les 
justifia  par  la  participation  qu'il  eut 
à  divers  édifices,  et  par  un  grand 
nombre  d'inventions  utiles.  Holland 
ayant  fait  venir  de  France  un  ou- 
vrier pour  pratiquer  à  Woburn  la 
méthode  de  bâtir  sans  employer  la 
pierre,  qui  manque  sur  ce  sol,  Sal- 
mon suivit  attentivement  le  progrès 
de  l'ouvrage,  reconnut  aisémentcom- 
bien  le  procédé  adopté  était  défec- 
tueux, et  de  son  côté  il  en  inventa 
un  meilleur,  qui  a  été  décrit  dans 
un  mémoire  inséré  au  XXVîI"  vo- 
lume des  Transactions  de  la  Société 
des  arts.  Alors  le  duc  de  Bedford  lui 
ordonna  de  construire  pour  lui- 
même  à  Woburn,  et  suivant  ses  prin- 
cipes, une  maison  avec  ses  dépen- 


SAL 


SAL 


11 


daiices.  C'est  dans  cette  nouvelle 
habitation,  solide  et  de  belle  appa- 
rence, dans  la  construction  de  la- 
quelle il  n'entrait  que  de  la  paille 
hachée  mêlée  de  terre  et  un  peu  de 
chaux  détrempée  et  étendue  à  l'in- 
térieur avec  une  truelle  de  bois,  que 
l'artiste  vécut  désormais,  et  c'est  là 
qu'après    une   courte     absence    il 
revint  mourir.    Les  attributions  de 
sa  surintendance  s'étaient  étendues 
à  mesure  que  son  mérite  s'était  dé- 
veloppé. Ayant  la  direction  des  do- 
maines et  surtout  des  forêts,  il  avait 
introduit,  dans  les  vastes  propriétés 
de  son  patron,  un  ordre  plus  judi- 
cieux et  plus  économique  pour  les 
réparations  et  autres  travaux  à  faire, 
ordre  qui  fut  maintenu  jusqu'à  la 
f nort du  lord, arrivéeen  1802.  Salmon 
se  livra  à  de  nombreuses  expériences 
sur  les  bois,  dont  lerésultat  fut  de  ré- 
futer l'opinion,  trop  accréditée  dans 
ce  temps-là,  qu'il  ne  convient  pas  d'é- 
laguer les  hautes  futaies.  Lemémoire 
qu'il  composa  sur  ce  sujet  est  impri- 
mé ,  avec  des  gravures  représentant 
les  nœudsetles  accidents  lesplus  re- 
marquables du  bois,  dans  le  recueil 
de  la  Société  des  arts.  Le  nouveau 
duc  eut  en  lui  une  égale  confiance  ; 
et  lorsque  Salmon,  sentant  sa  santé 
fort  affaiblie,  désira  cesser  ses  fonc- 
tions, il  n'obtint  qu'avec  peine  la  per- 
mission de  se  retirer.  Il  loua  près 
de  Lambeth  une  chaumière,  comp- 
tant passer  là  ses  derniers  jours;  il  y 
séjourna  une  quinzaine,  mais  sa  pré- 
sence ayant  paru  nécessaire  à  Wo- 
burn,  il  y  retourna;  ce  ne  fut  que 
pour  y  mourir,  le  9  oct.  1821.  Le 
duc  de  Bedford  lui  fit  élever  un  mo- 
nument   dans   l'église    paroissiale 
du  lieu.   Des  vingt-cinq  dernières 
années  de  sa  vie,  il  ne  s'en  était 
guère  passé  qui  ne  fussent  signalées 
par  quelqu'une  de  ses  inventions,  et 


où  il  n'eût  reçu  une  médaille  ou 
quelque  autre  récompense  de  la  So- 
ciété des  arts.  Le  détail  donné  ici  de 
ces  inventions  nous  mènerait  trop 
loin.  Nous  citerons  seulement  un 
hache-paille  à  lames  droites  et  par 
conséquent  uniformes,  au  lieu  d'être 
recourbées  ;  un  semoir  suivant  tou- 
jours la  ligne  directe,  malgré  les 
déviations  du  cheval  qui  le  traîne, 
mais  qui  en  dérive  à  la  volonté  de  la 
main  qui  le  guide.  Il  perfectionna 
les  machines  qui  servent  à  faucher 
le  foin,  à  couper  le  blé,  à  le  battre, 
à  le  vanner.  Plusieurs  de  ces  machi- 
nes sont  décrites  dans  le  recueil  de 
la  Société  des  arts  et  dessinées  dans 
l'Encyclopédie  deRees.  Salmon  ima- 
gina un  piège  à  homme  pour  arrêter, 
sans  leur  faire  beaucoup  de  mal,  les 
déprédateurs  qui  pénètrent  dans  les 
enclos.  On  lui  doit  aussi  un  procédé 
pour  transporter  sur  une  toile  les 
peintures  détachées  des  murs  ou  des 
boiseries  endommagées  ;  une  balance 
qui  marque  les  degrés  de  poids  sur 
un  cadran  pareil  à  celui  des  montres; 
une  machine  mue  par  un  cheval  pour 
retirer  les  objets  tombés  dans  des 
eaux  profondes;  un  bandage  pour 
contenir  les  hernies;    affligé  lui- 
même  de  cette  infirmité,  et  les  ban- 
dages les  plus  recommandés  ne  lui 
procurant  pas  de  soulagement,   il 
avait  dû  recourir  à  son  esprit  inven- 
tif. Ce  bandage,  pour  lequel  il  prit 
un  brevet  d'invention  (depuis  long- 
temps expiré),  a  eu  un  grand  débit  à 
Paris  comme  à  Londres;  il  y  en  avait 
un  dépôt  dans  les  galeries  de  pierre 
du  Palais-Royal.  L'inventeur  a  écrit 
sur  ce  sujet  un  opuscule  :  Ànalysis 
of  the  gênerai  construction  of  Trus- 
ses^  1807,  in-8^  Z. 

SALMON.  Voy.  Salemon,  LXXX. 

SALOMON    (  François-Henri  ) , 
membre  de  l'Académie  française,  na- 


12 


SAL 


qiiit  à  Bordeaux,  le  4  octobre  1629, 
(l'mi  conseiller  au  parlement.  Il  sui- 
vit aussi  la  carrière  de  la  magistra- 
ture et  l'ut  pourvu  ,  à  l'Age  de  vingt- 
deux  ans,  d'une  charge  d'avocat-gé- 
néral au  grand-conseil,  qu'il  exerça 
pendant  neuf  années  avec  quelque 
distinction.  Il  obtint  ensuite  celle  de 
lieutenant-général   du   sénéchal  de 
Guienne  au  présidial  de  Bordeaux. 
Ayant  épousé  la   lille  de    Lanceiot 
de  Lalane ,  président  à  mortier  au 
parlement  de  Bordeaux,  il  fut,  après 
la  mort  de  son  beau-père,  appelé  à 
lui  succéder.  Il  avait  été  admis  à  l'A- 
cadémie française   le  21  novembre 
1646,  en  remplacement  de  Nicolas 
Bourbon,  l'emportant  sur  Pierre  Cor- 
neille qui  s'était  tnis  aussi  sur  les 
rangs  pour  occuper  le  fauteuil  va- 
cant.   «  L'Académie  se    détermina 
«  pour  cette  raison  que  M.  Corneille 
•  faisant  son  séjour  à  la  province, 
«  ne  pouvait  presque  jamais  se  Irou- 
«  ver  aux  assemblées  et  faire  la  fonc- 
a  tion  d'académicien  (1).  »  Ce  motif 
d'exclusion  eût  dû  plutôt  être  appli- 
qué à  un  littérateur  aussi  médiocre 
que  Salomon,  lorsque  peu  de  temps 
après  il  eut  quitté  la  capitale  pour 
aller  s'établir  à  Bordeaux  (2). Au  sur- 
plus ,  il  a  été  jugé  avec  sévérité  par 
un  de  ses  confrères  qui  l'avait  bien 
connu.  Dans  la  liste  raisonnée  de 
quelques  gens  de  lettres  vivants  en 
1662,  dressée  par  ordre  de  Colbert , 
Chapelain  apprécie  en  ces  termes  le 
mérite  littéraire  de  l'heureux  com- 
pétiteur de  Corneille.  "  Il  parle  avec 


(i)  Histoire  de  V Académie  françohe  ,  par 
Pélissoa  (d'Olivet),  Paris,  1730,  tome  I, 
page  210. 

(2)  A  la  vérité,  il  y  a  peu  d'exemples  d'une 
déchéance  prononcée  pour  semblable  mo- 
tif. A  une  époque  rapprochée  de  nous,  ou  ;» 
vu  la  place  de  Deulle  déclarée  vacante,  à 
l'Institut  national,  c  came  de  la  non-rèudence 
du  célèbre  poète. 


SAL 

•  facilité,  mais  avec  peu  d'ordre  et 

•  de  solidité,  et  ses  vers  latins  ne 
«  sont  pas  plus  excellents  que  sa 
«  prose  française  (3).  »  C'est-k-dire 
(jue  ses  vers  et  ses  ouvrages  en  prose 
ne  valaient  pas  mieux  les  uns  que 
les  autres.    Aussi   sont-ils  tombés, 
connne  leur  auteur,  dans  un  oubli 
dont  les  biographes  nos  prédéces- 
seurs n'.ivaieut    pas  cru  devoir  les 
tirer.  On  trouvequelques  autres  par- 
licuiarités  concernant  Salomon  dans 
les  Mélanges  d'histoire  et  de  litté- 
rature de  Vigneul-Marville  (4).  Il  est 
bon  d'observer  toutefois  que  l'an- 
cienneté de  sa  famille  paraît  y  avoir 
été  reculée  au  delà  des  limites  du 
vrai.  Le  président  de  Bordeaux  mou- 
rut sans  postérité  le  2  mars  1670.  Il 
avait  reçu  le  cordon  de  Saint  Michel, 
en  considération  des  services  rendus 
par  lui  à  l'État,  dans  les  mouvements 
de  Toulouse  et  de  Bordeaux.  On  a  de 
lui:  1.  Discours  d'Estat  à  M.  Gro- 
tius  sur  L'histoire  du  cardinal  de 
Bentivoglio,  Paris,  1640,  in-S«.  11. 
Dejudiciis  et  poemis  ,  et  de  officiis 
vitœ  civilis  Romanorum  libri  duo, 
Bordeaux,  1665  ,  in-12.  L'auteur  exa- 
mine sommairement  quelles  étaient 
les  formes  de  la  procédure  criminelle 
chez  les  Romains,  et  donne  de  plus 
amples  détails  sur  la  nature  des  pei- 
nes qui  étaient  prononcées  contre 
les  accusés  reconnus  coupables.  Plu-^ 
sieurs  chapitres  sont  destinés  à  faire 
connaître  les  moyens  de  répression 
des  délits  militaires.  En  traitant  , 
dans  le  second  livre,  des  offices  de  la 
vie  civile,  Tauleur  passe  en  revue  les 
diverses  positions  où  le  citoyen  ro- 
main peut  se  trouver  depuis  l'âge  ou 


(3)  Méhnges  de  littérature  tirés  des  letlies 
manuscrites  de  M.  Chapelain,  Paris,  1726,  in- 
12,  p.  .261. 

(i)  C'est-ii-dire  Donavenlure  d'Argouiic, 
Palis,  1725,  tome  111,  p'ges  jqj  et  Uj\. 


SAL 

il  revt^t  ia  rohp  virile  jusqu'au  mo- 
ment (h  ses  funérailles.  H  jette  aussi 
lin  coup  d'œil  sur  les  classes  variées 
dont  la  société'  se  compose.  Le  mot 
Offices  n'est  donc  pas  pris  ici  pour 
devoirs  ;  i^  magistrat  bordelais  con- 
vient lui-même  que  ce  terme  a  des 
significations  multiples.  Sallengre  a 
fait  réimprimer  ces  deux  traités  dans 
le  troisième  volume  de  son  Trésor 
des  antiquités  romaines  (5).  Pélisson, 
qui  cite  encore  de  Salomon  la  Pa- 
raphrase d'un  psaume  en  vers ,  ne 
fait  connaître  ni  la  date  ni  le  lieu 
de  l'impression  de  cet  opuscule. 

L— M— X. 
SALOMON  (Jean-Baptiste),  mé- 
decin, né  vers  les  premières  a^nnées 
du  XV1II«  siècle,  h  Saint-Jean  de 
Maurienne,  après  avoir  pris  le  doc- 
torat en    médecine   à    l'université 
royale  de  Turin,  fut  nommé  en  1737, 
par  le  roi  Charles-Emmanuel  III , 
médecin    ordinaire    du  château  de 
Miolans  et  des  prisons  de  Chambéry. 
Quoiqu'il  n'ait  laissé  aucun  ouvrage, 
le  jugement  que  J.-J.  Rousseau  a 
porté  de  son  caractère  et  de  son  sa- 
voir lui  a  valu  quelque  célébrité  : 
«  Ayant  quitté    depuis   long -temps 
«  mes  écoliers ,   dit  le  citoyen   de 
«  Genève,  ayant  perdu  le  goût  des 
«  amusements  et  des  sociétés  de  la 
«ville,  je   ne  sortais   plus,  je   ne 
«  voyais  plus  personne,  excepté  ma- 
«  man  (madame  de  Warens)  et  M.  Sa- 
«  lomon,  devenu  depuis  peu  son  mé- 
«  decin  et  le  mien,  honnête  homme, 
«  homme  d'esprit,  grand  cartésien, 
«  qui  parlait  assez  bien  du  système 
«  du  monde,  et  dont  les  entretiens 
«  agréables  et  instructifs  me  valaient 
"  mieux  que  toutes  les  ordonnances. 
•  Je  n'ai  jamais  pu  supporter  ce  sot 

(5)  Thésaurus  novus  aniiquitatuw  romanu' 
ruTO,t,a  Hiijre,  lyiç),  5^ vol,  in-fol,,  pages 
fia'» -667. 


S.\L 


13 


«  et  niais  remplissage  de<î  conversa- 

•  tiens  ordinaires  ;  mais  des  conver-» 
-  sations  utiles  et  solides  m'ont  tou^ 

•  jours  fait  grand  plaisir,  et  je  ne 

•  m'y  suis  jamais  refusé.  Je  prifj 
«  beaucoup  de  goût  à  celles  de  M.  Sa- 

•  lomon  ;  il  me  semblait  que  j'anti- 
«  cipais  avec  lui  sur  ces  hautes  con- 
«  naissances  que  mon  âme  allait  ac- 

•  quérir  quand  elle  aurait  perdu  ses 
«  entraves.  Ce  goût  que  j'avais  pour 
«  lui  s'appliquait  aussi  aux  sujets 
«  qu'il  traitait,  et  je  comm.ençai  de 
«  rechercher  les  livres  qui  pouvaient 

•  m'aider  à  le  mieux  entendre.  »  La 
postérité  de  J.-B.  Salomon  est  tom- 
bée dans  l'obscurité.        B— F — s. 

SALORNAY  (Jean  de),  évêque 
de  Mâcon  à  la  iin  du  XlVe  siècle,  sor- 
tait d'une  ancienne  et  illustre  fa- 
mille de  la  Bresse,  car  on  trouve  en 
l'an  1000,  à  ce  que  rapporte  Le  La- 
boureur dans  le  Livre  des  Masures 
de  VJsle-Barhe  ^  Guichard  ,  sire  de 
Beaujeu,  marié  à  Récoairede  Salor- 
nay.  Jean  de  Salornay,  petit-fils  par 
sa  mère  Adelige  du  président  Pas- 
toret,  qui  devint  un  des  régents  du- 
rant la  minorité  de  Charles  VI,  fut 
élevé  sous  les  yeux  de  son  oncle  et 
de  son  aïeul,  Pierre  de  Salornay,  au- 
quel il  succéda  dans  le  canonicat,  en 
quelque  sorte  héréditaire,   que  ses 
parents  occupaient  au  chapitre  de. 
Lyon.  A  quelques  années  de  là  (1394), 
il  fut  appelé  à  l'évéché  de  Mâcon,  et 
mêlant  alors  à  ses  fonctions  épisco- 
pales  les   soins  politique^  des  im- 
portantes affaires  dont  on  le  retrouve 
sans  cesse  chargé,  il  devint  par  son 
habileté,  par  sa  piéié,  par  la  faveur 
dont  l'honorèrent  les  rois  Charles  V 
et  Charles  VI,  un  des  hommes  les 
plus  considérables  de  ce  temps.  Guil- 
laume de  Salornay,  son  neveu,  avait 
été  désigné  pour  lui  succéder,  mais 
il  mourut  jeune,  et  sa  sœur  Margue- 


14 


SAL 


rite,  mariée  à  son  cousin  Antoine 
Pasloret,  qui  fut  lieutenant-général 
de  l'armée  conduite  par  le  comte  de 
Montpensier  dans  le  royaume  de 
Naples,  soigna  seule  les  dernières 
années  de  l'illustre  prélat.  Jean  de 
Salornay  mourut  plein  de  vertus  et 
de  jours,  vers  le  milieu  durègne  de 
Charles  VII  (1445).  La  maison  de 
Salornay  s'est  divisée  en  plusieurs 
branches  qui  ont  fourni  des  hommes 
distingués  à  l'Église  et  à  l'armée; 
elle  a  eu  même  quelque  alliance  avec 
la  maison  royale.  B — v— e. 

SALT    (Henri)  ,    consul-général 
d'Angleterre  en  Egypte,  membre  de 
la  Société  royale  de  Londres,  cor- 
respondant de  l'Institut  de  France, 
et,  ce  qui  est  préférable  à  tous  ces 
titres,  voyageur  éminent,  dont  les 
relations  sont,  pour  les  pays  qu'il  a 
parcourus,  au  nombre  de  celles  qui 
méritent  le  plus  de  fixer  l'attention 
des  géographes  et    des  historiens. 
Sait   naquit  à  Litchfîeld,  dans  le 
comté  d'York,  et  reçut  sa  première 
éducation  dans  une  école  élémen- 
taire {school-  grammar)  de   cette 
ville.  Sans  doute  il  la^  termina  ail- 
leurs, puisque  cette  éducation  était 
complète  lorsque  le  goût  des  arts 
s'empara  de  lui,  et  qu'il  parut  vou- 
loir s'adonner  exclusivement   à  la 
peinture.  A  cette  époque  le  lord  vi- 
comte Valentia,  qui  avait  quitté  l'é- 
tat militaire  et  qui,  après  un  longsé- 
jour  sur  le  continent,  jouissait  de  sa 
grande  fortune  dans  sa  retraite  pit- 
toresque d'Arley-Hall,  s'ennuya  de 
son  oisiveté,   et  résolut  de  se  ren- 
dre utile  à  son  pays  en   entrepre- 
nant un  grand  voyage.  Il  en  con- 
certa le  plan  avec   le  marquis  de 
Wellesley,  qui  avait  été  gouverneur 
des  possessions  anglaises  dans  l'In- 
de, et  qui  pouvait  être  d'un  puissant 
secours  pour  rexécution  de  ce  projet. 


SAL 

Lord  Valentia  quitta  l'Angleterre,  et 
s'embarqua  sur  la  Minerve  le  3  juin 
1802.  Mais  avant  de  partir,  un  de  ses 
premiers  maîtres,  le  docteur  Butt(l), 
lui  avait  présenté  son  neveu,  Henri 
Sait,  et  lord  Valentia  se  l'était  atta- 
ché et  l'emmena  avec  lui  en  qualité 
de  secrétaire  et  de  dessinateur  (aa 
my  secretary  and  drofts  man).  Il, 
était  impossible,  pour  entreprendre 
avec  succès  un  grand  voyage,  de  faire 
un  meilleur  choix.  Sait,  à  la  connais- 
sance des  langues  anciennes  et  des 
belles-lettres,  réunissait  le  savoir  de 
l'ingénieur  pour  lever  des  plans  ,  le 
talent  de  l'artiste  pour  peindre  et 
pour  dessiner,  une  finesse  d'esprit 
et  une  prudence  au-dessus  de  son 
âge  (2).  Ces  qualités  le  rendaient  un 
intermédiaire  utile  pour  toutes  les 
négociations.  Sait,  en  compagnie  de 
lord  Valentia,  débarqua  à  Madère, 
au  cap  Palmas,  s'arrêta  un  peu  à 
Sainte-Hélène,  puis  au  cap  de  Bonne- 
Espérance,  oii  il  fit  une  excursion 
dans  l'intérieur  du  pays,  toucha  à 
l'île  St-Paul,  aux  îles  Nicobar,  et  le 
20  juin  1803  nos  voyageurs  arrivè- 
rent à  Calcutta.  Alors  ils  entreprirent 
une  grande  tournée  dans  l'intérieur 
de  l'Inde,  et  allèrent  à  Benarès  et  à 
Lucknow  ;  ils  visitèrent  les  ruines  de 
Canouge,  s'embarquèrent  sur  le 
Gange,  et  furent  de  retour  à  Calcutta 
le  7  oct.  Ils  se  rendirent  ensuite  à 
Ceylan,  et  y  séjournèrent,  puis  re- 

(i)  Probablement  George  Butt,  recteur 
de  Stanford,  où  lord  Valentia  fit  une  partie 
de  ses  études.  On  a  de  George  Butt  des  ser- 
mons publiés  entre  les  années  1775  et  179!^. 

(2)  Je  n'ai  pu,  malgré  mes  recherches, 
connaître  la  date  de  la  naissance  de  Sait, 
mais  il  devait  être  fort  jeune  lorsqu'il  s'em- 
barqua eu  1802,  car  en  i8i5  il  passa  à  Pa- 
ris pour  se  rendre  en  Egypte  où  il  avait  été 
nommé  consul-général,  et  quand  il  fut  pré- 
senté à  la  troisième  classe  de  l'Institut  (Aca- 
démie des  belles-lettres),  tout  le  monde  fut 
étonné  de  le  trouver  si  jeune. 


SAL 

tournèrent  sur  le  continent  ;  près  de 
Pondichéry,  Sait  se  sépara  de  lord 
Valentia  pour  aller,  par  des  sentiers 
dangereux  et  peu  pratiqués,  visiter 
ses  Sept-Pagodes  et  peindre  ce  site 
célèbre.  En  février  1804,  ils  pénè- 
trent dans  l'Inde  méridionale,  voient 
Seringapatam ,   font  à  Mysore    une 
visite  au  rayah   de  ce  pays ,  puis 
s'embarquent    a   Madras    pour    se 
rendre  dans  la  mer  Rouge,  dont  ils 
contribuèrent   à   perfectionner   les 
cartes  en  levant  le  plan  de  plusieurs 
baies  et  celui  d'une  île  à  peu  près 
inconnue,  à  laquelle  lord  Valentia 
donna  son  nom.  Sur  ces  côtes  déser- 
tes et  dangereuses  de  l'Arabie  et  de 
l'Afrique  que  baigne  la  mer  Rouge, 
plusieurs  fois  Sait  quitta  lord  Valen- 
tia et  débarqua  sur  le  continent  pour 
observer  le  pays,  le  décrire,  enrichir 
sa  collection  de  vues  et  de  dessins. 
Ses  portraits  d'un  Jeune  pilote  de 
Massouah,  d'un  Abyssin ^  d'un  Sa- 
mouky  prouvent  qu'il  dessinait  aussi 
bien  les  figures  que  le  paysage.  Lord 
Valentia  ayant  eu  à  se  plaindre  de 
l'iman  de  Moka ,  envoya  Sait  porter 
ses  dépêches  au  gouvernement  an- 
glais de  l'Inde.  Sait  s'embarqua  sur 
VAntilope  et  arriva  à  Bombay  le  9 
juillet.  Lord  Valentia  l'y  rejoignit  le 
1 3  septembre. Pendant  leur  résidence 
à  Bombay  et  à  Pounah,ils  firent  des 
excursions  aux  Pagodes  et  aux  fa- 
meuses grottes  de  Salsette  et  d'ÉIé- 
phanta.   En  décembre  1804   et  en 
janvier  1805,  ils  retournèrent  à  Mo- 
ka, à  l'île  Dhalac,  à  Massouah,  età 
Arekko,  où  ils  crurent  reconnaître 
l'emplacement  de  l'antique  ville  dM- 
dulis.  Durant  ses  navigations  sur  la 
mer  Rouge,  lord  Valentia  étant  entré 
en  communication  avec  les  chefs  de 
PAbyssinie,  se  décida,  dans  l'intérêt 
de  son   pays,  à  leur  envoyer    Sait 
comme  ambassadeur.  Celui-ci  partit 


SAL  15 

donc  de  Massouah  avec  une  suite 
convenable  et  des  présents,  le  20  juin 
1805.  C'est  ce  premier  voyage  de 
Sait  dans- l'intérieur  de  l'Abyssinie 
qui  forme  le  troisième  volume  de 
lord  Valentia.  Il  en  est  certainement 
la  partie  la  plus  neuve  et  la  plus  im- 
portante. Écrit  en  entier  par  Sait 
lui-même,   il    intéressa    vivement 
l'Europe  savante  lorsqu'il  fut  publié. 
S'il  n'avait  pas  réussi  complètement 
dans  le  but  principal  de  ses  négocia- 
tions, il  était  du  moins  parvenu  à 
rouvrir    les    communications    des 
chrétiens  d'Europe  avec   les   chré- 
tiens  de  l'Abyssinie,  interrompues 
depuis  plus  de  deux  siècles  et  demi, 
depuis  que  Soliman,  en  1598,  avait, 
par  la  prise  de  Souakem,  de  Massouah 
et  de  l'île  Dhalac,  enfermé  l'Abyssi- 
nie entre  le  désert  et  la  mer,  et  avait 
rendu  impossible  toute  relation  avec 
les  peuples  civilisés.  Sait  retourna  à 
Massouah,  où  il  rejoignit  lord  Valen- 
tia. Ils  passèrent  à  Djidda,  à  Suez, 
et  arrivèreut  au  Caire  le  16  février 
1806;  ils  en  partirent  le  10  mars, 
après  avoir  visité  Rosette ,   Berim- 
bal,  Damiette,  le  lac  Bourlos,  Man- 
sourah,  Bahbiet,  les  restes  du  temple 
d'Isis.  Enfin^  après  avoir  bien  exami- 
né Alexandrie,  dont  Sait  levaleplan, 
nos  voyageurs  s'embarquèrent  le  22 
juin,  entrèrent  dans  le  port  de  Malte 
le  24  août;  le  26  sept.1806  ils  étaient 
à  Gibraltar,  et  juste  un  mois  après  ils 
prirent  terre  à  Portsmouth,et  rentrè- 
rent dans  leur  patrie  après  une  absen- 
ce de  quatre  ans  et  quatre  mois.  Les 
voyages  et  navigations  dans  l'Inde, 
à  Ceylan,  en  Abyssinie  et  en  Egypte 
dans  les  années  1 802-  l80G,de  lord  Va- 
lentia furent,en  1809,  pubtiésen  3  vol. 
i  u-4'',  avec  un  grand  luxe  de  gravures 
et  de  cartes  exécutées  d'après  les  des- 
sins et  les  plans  de  Henri  Sait.  Mais 
indépendamment    des    nombreuses 


16 


SAL 


plancl^'S  qiip  rpiifermail  l*oiivragP, 
Sali  fit  paraître,  en  mC'tm'.  temps  que 
le  voyage,  24  vues  gravées  en  cou- 
leur, sur  un  grand  format,  qui  re- 
produisaient les  l;ihleaux  qu'il  avait 
peints  des  principaux  sites  deslieux 
qu'il  avait  visitds  dans  ses  voya- 
ges; ces  vues,  accoinpagnf^es  d'une 
courte  description  in-4°,  ne  sont  pas 
seulement  faites  pour  le  plaisir  des 
yeux,  elles  donnent  une  plus  com- 
plète connaissance  des  lieux.  La 
17^,  la  2l«,  la  22e  planche  sont 
surtout  très-remarquables  ,  parce 
qu'elles  nous  font  connaître  la  sin- 
gulière conformation  de  ces  mon- 
tagnes isolées,  qui  s'élèvent  abruptes 
en  pains  de  sucre  au-dessus  des 
plaines  qui  les  environnent  et  qu'on 
voit  si  bien  du  village  d'Asceria  à 
Samayut,  dans  la  vallée  de  Calaat. 
Ces  montagnes,  par  la  facilité  de  s'y 
fortifier,  ont  dû,  comme  notre  mon- 
tagne de  Laon  en  France,  celle  de 
Dunbarton  en  Ecosse,  jouer  un  rôle 
important  dans  les  guerres  et  les 
troubles  civils.  C'est  dans  la.planche 
20  de  ce  magnifique  atlas  de  tableaux 
que  se  trouve  la  vue  de  l'obélisque 
d'Axum,  a  laquelle  l'inscription  gra- 
vée, copiée  clans  ce  lieu  et  savam- 
ment commentée  par  le  voyageur, 
donne  un  intérêt  particulier. Si  dans 
plusieurs  parties  de  ses  voyages 
Sait  a  confirmé  quelques-uns  des 
récits  de  Bruce  qui  paraissaient  in- 
vraisemblables, il  en  est  d'autres  oii 
il  l'accuse  d'imposture,  et  quelque- 
fois, suivant  nous,  sans  motifs  suf- 
fisants, comme  quand  il  nie  que  les 
vestiges  de  133  pieds  d'estal,  que 
Bruce  dit  avoir  vus  dans  cette  plaine 
d'Axum,  n'y  existèrent  jamais,  parce 
que  lui,  Sait,  n'eu  a  pas  vu  de  trace. 
Raisonner  ainsi,  c'est  tenir  peu  de 
comple  des  changements  qui  ont  pu 
être  opérés  d.ms  un  pays   pendant 


SAL 

le  cours  d'un  demi-siècle.  Lorsque 
les  voyages  de  lord  Valentia  don- 
naient à  son  secrétaire  dessinateur 
une  célébrité  si  justement  acquise, 
Sait  n'était  plus  en  Angleterre.  Le 
vendredi  20  janv.  1809,  il  s'étaitem- 
barqué  àPortsmouth,  non  pour  ac- 
compagner comme  dessinateur  un  ri- 
che et  puissant  personnage  :  cette  fois 
il  partait  seul,  et  il  était  le  chef  de  la 
mission  qui  lui  était  confiée.  Le  gou- 
vernement britannique,  particulière- 
ment habile  k  bien  choisir  ses  agents, 
et  fort  attentif  à  tout  ce  qui  peut 
étendre  utilement  ses  relations  avec 
le  monde  entier,  avait  compris,  d'a- 
près le  voyage  de  lord  Valentia,  tous 
les  avantages  que  l'Angleterre  pou- 
vait retirer  d'une  alliance  avec  l'A- 
byssinie.  Sait  fut  chargé  de  négocier 
cette  alliance;  il  était  porteur  de 
présents  considérables  et  d'une  let- 
tre du  roi  de  la  Grande-Bretagne  à 
l'empereur  d'Abyssinie.  Mais  les 
guerres  civiles  et  les  querelles  reli- 
gieuses qui  divisaient  ce  pays  de- 
vaient rendre  nuls  tous  les  efforts 
de  Sait  pour  y  établir  des  relations 
durables  et  régulières.  Il  retourna 
en  Europe  deux  ans  après.  Son 
voyage  n'avait  pas  été  inutile  pour 
les  intérêts  commerciaux  de  l'An- 
gleterre. L'état  peu  pacifique  de 
l'Europe  lui  avait  fait  prendre  un 
long  détour  pour  se  rendre  en  Afri- 
que. Comme  dans  son  premier  voya- 
ge, il  avait  touché  à  Madère,  puis  au 
cap  de  Bonne  Espérance^  mais  sa 
navigation  le  long  de  la  côte  orien- 
tale d'Afrique  fut  presque  une  explo- 
ration hydrographique,  et  procura 
beaucoup  de  renseignements  utiles 
sur  les  possessions  portugaises.  Sait 
visita  plusieurs  lieux  sur  lesquels 
depuis  long-temps  on  n'avait  eu  au- 
cune relation,  Mesuril,  Monjou,  Mo- 
zambique, Zanzibar  et  Pemba.  Il  leva 


SAL 


SAL 


17 


le  plan  de  plusieurs  baies.  En  1810 
comme  en  1805,  son  voyage  eu  Abys- 
sinie  se  borna  à  Ja  province  de  Tigré. 
11  traversa  le  formidable  défilé  de 
Taranta,  et  arriva  à  Dixan,  ensuite 
k  Antalow.  Ce  fui  de  Djibba,  et  un 
peu  avant  d'entrer  dans  Antalow,  le 
10  août  iSlO,  près  de  Djibba,  qu'il 
vit  ces  bœufs  galla,  uoniuics  sanga, 
si  remarquables  par  leurs  énormes 
cornes,  allongées  comme  celles  du 
cerf.  Il  séjourna  quelque  temps  à 
Chelicul;  c'est  en  ce  lieu  qu'il  put 
examiner  plus  à  loisir  les  mœurs  et 
les  habitudes  des  Abyssins.  11  passa 
ensuite  par  Agawa  pour  se  rendre 
une  seconde  fois  aux  ruines  d'Axum  ; 
coUationna  encore  l'inscription  pour 
la  redonner  plus  correcte  et  avec  un 
nouveau  commentaire,  et   termina 
ainsi    son    voyage.    Il    retourna   à 
Dixan,  traversa   les  monts  Assaouli, 
arriva    à   Arekko,  traversa    la  mer 
Rouge  et  aborda  à  Moka  ;  puis  en  oc- 
tobre il  se  rendit  à  Bombay,  d'où 
il    s'embarqua   pour    retourner   en 
Europe.  11  quitta  le  cap  de  Bonne- 
Espérance  le  12  décembre,  toucha  à 
Sainte-Hélène  le  20  du  même  mois,  et 
le  10  janvier  1811  entra  dans  le  port 
de  Penzance  à  la  pointe  de  Oornwali, 
Aussitôt  son    arrivée   à  Londres  il 
alla  rendre   compte  de  sa  mission 
au  marquis  de  Wellcsley,  ministre 
des  affaires  étrangères.  Il  s'occupa 
dès  lors  de  la  rédaction  de  son  voya- 
ge, qui  parut  en  1811,  avec  des  gra- 
vures et  des  cartes,  comme  le  voya- 
ge de  lord  Valentia,  dont  le  sien  était 
en  quelque  sorte  la  continuation  ou 
le  complément.  Mais  il  lui  donna  nu 
litre  monstrueusement  prolixe,    et 
qui  est,  pour  ainsi  dire,  une  table  des 
matières.  La  concision  du  litre  d  >s 
voyages  de  lord  Valentia,  où  le  nom 
même  de  Sait  ne  se  trouvait  pas,  où 
ses    travaux   n'étaient    pas    indi- 

LXXXI. 


qués,  n'avait  pas  empêché  qu'on  ne 
distinguât  particulièrement  le  mérite 
de  la  partie  du  voyage  qui  lui  appar- 
tenait en  propre,  et  elle  fut  traduite 
en  français  par  M.  Prévôt,  de  Genève, 
sous  le  titre  de  Voyage  en  Abys^i- 
me,  Paris  et  Genève,  2  vol.  in-s»; 
mais  en  1813  on  publia  à  Paris  une 
traduction  complète  des  voyages  de 
lord  Valentia,  en  4  vol .  in-8<*,  avec  u n 
atlas  dont  le  titre  portait  qu'il  était 
composé  de  cartes,  de  plans,  d'in- 
scriptions anciennes  et  de  vues  di- 
verses dessinées  sur  les   lieux  par 
H.  Sait.  Ces  traductions  avaient  accru 
la  célébrité  de  Sait  sur  le  continent. 
Aussi  lorsque,  dans  l'année  qui  sui- 
vit la  publication  des  voyages  de  lord 
Valentia,  parut  le  nouveau  voyage 
de  Sait,  il  excita  vivement  l'atten- 
tion publique,  mais  ne  remplit  pas 
entièrement  l'attente  qu'on  en  avait 
conçue.  L'auteur  n'avait  presque  vi- 
sité que  les  lieux  déjà  explorés  par 
lui  dans  son  précédent  voyage.   Il 
est  vrai  qu'il  donnait  de  ces  lieux 
des    descriptions    plus    complètes , 
des  renseignements  neufs  sur   les 
établissements  portugais  de  la  côte 
d'Afrique,  des  travaux  hydrographi- 
ques précieux  pour  les  navigateurs,  et 
une  plus  complète  histoire  des  révo- 
lutions politiques  de  PAbyssinie  de- 
puis Bruce;  mais  cependant  ce  nou- 
vel ouvrage,  pour  la  forme  comme 
pour  le  fond,  n'était  réellement  que 
la  continuation  et  en  quelque  sorte 
le  quatrième  volume  des  voyages  de 
lord  Valentia.  Aussi,  celui  qui  avait 
traduit  ces  derniers  voyages  publia- 
t-il  en  1816  une  édition  française  du 
nouveau  voyage  de  Sait  en  deux  vo- 
lumes in-8^  et  un  atlas  de  33  planches, 
composé  de  cartes,  plans,  inscrip- 
tions, portraits  et  vues  diverses.  Ce 
fut  peut-être  le  dernier  travail  de  l'es  • 
timable  traducteur  de  tant  d'ouvra- 

2 


ta 


SAL 


ges  anglais  (3).  li  fit  preuve  de  juge- 
ment en  abrégeant  cousitldrablenienl 
le  titre  de  l'ouvrage  original,  et  fut 
assez  heureux  pour  obtenir  l'appro- 
bation de  celui  dont  il  s'était  rendu 
l'interprète.  Sait,  en  passant  à  Paris, 
alla  voir  Pierre-François  Henry  ;  en 
témoignage  de  satisfaction,  il  lui  fit 
cadeau  d'un  magnifique  exemplaire 
du  voyage  de  lord  Valentia  et  du  sien. 
Un  second  exemplaire  de  ces  voyages 
fut  donné  par  Sait  à  la  bibliothèque 
de  l'Institut  de  France,  lorsqu'il  fut 
présenté  par  un  de  ses  membres  à  la 
classe  d'histoire  et  de  littérature 
ancienne  (l'Académie  des  inscriptions 
et  belles-lettres),  dont  il  avait  été 
nommé  correspondant  le  8  déc.  1815. 
Il  commençait  alors  un  nouveau  voya- 
ge, et  cette  fois  avec  tous  les  avan- 
tages de  la  fortuneetde  la  puissance. 
Sou  gouvernement  l'avait  nommé 
consul-général  d'Angleterreen  Egyp- 
te. Il  alla  résider  au  Caire,  et  fut 
particulièrement  distingué  par  le 
souverain  éclairé  de  ce  pays,  Méhé- 
met-Ali.  il  s'adonna  avec  pjission  à 
l'étude  de  l'ancienne  Egypte,  à  la- 
quelle les  découvertes  de  Ghampol- 
lion  et  d'Young,  son  compatriote,  ve- 
naient d'attacher  un  intérêt  spécial. 
Il  donna  un  gage  des  progrès  qu'il 
avait  faits  dans  cette  étude  par  la 
publication,  en  1825,  d'un  ouvrage 
qui  lit  sensation  parmi  les  érudits, 
quoiqu'il  n'eût  que  la  consistance 
d'une  mince  brochure.  Ce  l\it  son 
Essai  sur  le  système  hiéroglyphi- 
que et  phonétique  du  docteur  Young, 
avec  quelques  découvertes  addi- 
tionnelles qui  le  rendent  applicable 
à  la  lecture  des  noms  anciens  et 
des  nom»  modernes^  Londres,  1825. 
Cet  ouvrage  fut  traduit  en  français 

(3)  Ke^-rt-François   Henry  (vo/.  ce  nom, 
t.  LSVtr,  p.  69, de tette  Biographie.) 


SAL 

deux  ans  après.  Il  commence  par  uno 
lettre  de  M.  Bankes,  qui  dans  ses 
voyages  a  recueilli  tant  de  choses 
curieuses  et  en  a  si  peu  publié.  A 
cette  lettre  est  annexée  une  copie  de 
la  table  d'Abydos,  que  M.  Bankes  a 
découverte  et  copiée  le  premier.  Mais 
M.Caillaud,  qui  l'a  copiée  depuis,  l'a 
publiée  le  premier,  et  sa  copie,  dans 
plusieurs  cartouches ,  ne  s'accorde 
pas  avec  celle  de  M.  Bankes.  L'ou- 
vrage de  Sait  apprit  aussi  que,  d'après 
l'observation  de  M.  Bankes,  le  nom 
du  Pharaon  Tirka  a  été  effacé  partout 
sur  le  fronton  du  petit  temple  de 
Médinet-Abou,  et  remplacé  par  celui 
de  Ptolémée;  circonstance  dont  il 
faut  tenir  un  grand  compte,  quand 
il  s'agit  de  déterminer  l'âge  de  la 
construction  des  anciens  temples  de 
l'Egypte.  Sait,  malgré  les  promesses 
de  son  titre  ,  ne  nous  paraît  pas 
avoir  avancé  la  science  du  déchif- 
frement des  hiéroglyphes  égyptiens*, 
mais  il  semble  qu'il  a  été  ,  après 
celui  qui  a  fondé  cette  science,  le 
premier  qui  en  ait  fait  d'heureuses 
applications,  pour  donner  des  expli- 
cations de  quelques  inscriptions  hié- 
roglyphiqiies  renfermées  dans  de.^v 
cartouches.  Plusieurs  de  ces  explica- 
tions ont  été  accueillies  et  reconnues 
exactes;  il  en  est  qu'on  lui  a  dispu- 
tées, quelques-unes  avec  raison,  et 
quelques-unes  peut-  être  à  tort.  C'est 
en.  1827,  dans  l'année  où  parut  la 
traduction  de  l'Essai  de  Sait,  lorsque 
cet  essai  avait  fait  concevoir  de  légi- 
times espérances  de  lui  voir  hâter 
1rs  progrès  de  l'érudition  égyptienne, 
qu'on  apprit  que  le  3  octobre  il  était 
décédé  sur  la  route  du  Caire  à 
Alexandrie:  son  corps  fut  transporté 
dans  cette  dernière  ville,  et  ses  funé- 
railles furent  les  plus  splendides  de 
toutes  celles  qu'on  y  avait  vues  depuis 
long-temps.  VAnrmal  register,  qui 


SAL 

raconte  ce  fait,  ajoute  qii*il  laissa 
une  fortune  de  deux  cent  raille  tala- 
ris.  W— R. 

SALL'CES(Dieudonnéede),  com- 
tesse deReveI,nëe  à  Turin  le  31  juillet 
1774,  est  un  des  meilleurs  poètes 
italiens  de  notre  époque.  Son  talent 
se  re'vëla  de  bonne  heure  et  fut  mer- 
veilleusenit-nl  secondé  par  les  circon- 
stances. Issue  d'une  famille  ancienne 
et  illustre,  où  le  savoir  et  le  goût 
des  lettres  sont  pour  ainsi  dire  hé- 
réditaires {voy.  Saluces  de  Menusi- 
GLio,  XL,  229),  la  jeune  Dieudonnée 
n*eut  point  à  lutter  contre  les  nom- 
breux obstacles  que  Ton  rencontre 
ordinairement  au  début  de  la  carrière 
littéraire,  et  où  viennent  parfois  se 
briser  les  âmes  les  mieux  trempées 
et  les  plus  heureusement  douées. 
Elle  ne  trouva  au  contraire  autour 
d'elle  que  des  encouragements  de 
toute  espèce.  Parmi  les  littérateurs 
et  les  savants  qui  fréquentaient  sa 
maison,  deux  surtout,  Silvio  Balbis 
et  l'abbé  Charles  Denina,  furent  frap- 
pés de  la  précocité  de  son  esprit  et 
se  plurent  à  le  cultiver.  Ce  dernier 
inspira  à  son  élève  un  attachement 
et  une  estime  donton  trouve  la  noble 
et  chaleureuse  expression  dans  les 
vers  adressés  par  la  jeune  muse  à 
l'éloquent  historien.  Les  premiers 
essais  de  Dieudonnée  furent  écrits 
en  français,  langue  aristocratique 
du  temps  et  qui  était  naturellement 
parlée  dans  une  famille  dont  le  fief 
principal  avait  appartenu  à  la  France 
et  servait  de  limites  à  ses  États.  Mais 
soit  quelle  ne  trouvât  pas  dans  cette 
langue  assez  de  souplesse  pour  le 
rhythme,  soit  qu'elle  rougît  de  l'em- 
ployer au  moment  où  le  gouverne- 
ment français,  devenu  démocratique, 
prenait  l'Italie  pour  champ  de  ba- 
taille dans  son  duel  avec  la  royauté, 
au  moment  où  il  fallait  par  consé- 


SAL 


19 


quent  raviver  dans  tous  les  cœurs 
italiens  l'amour  du  pays  et  le  senti- 
ment de  l'honneur  national,  elle  re- 
vint bientôt  à  sa  langue  maternelle, 
qui  est  d'ailleurs  la  plus  poétique,  la 
plus  harmonieuse  de  l'univers.  M"'= 
de  Saluces  n'avait  que  dix-huit  ans 
lorsqu'elle  fit  insérer  différentes 
pièces  dans  un  recueil  que  l'on  im- 
prinia  à  l'occasion  de  la  mort  de  la 
comtesse  Balbo,  femme  du  savant 
Prosper  Balbo.  L'accueil  que  leur  fit 
le  public  devint  pour  l'auteur  un  vif 
encouragement,  et  dès  ce  moment 
elle  se  consacra  tout  entière  au  culte 
de  la  poésie.  Une  première  édition 
de  ses  vers,  publiée  en  1796,  fut  ra- 
pidement épuisée  et  plaça  du  premier 
coup  M"''  de  Saluces  parmi  les  meil- 
leurs poètes  contemporains  de  l'Ita- 
lie. Le  célèbre  Parini,  juge  ordi- 
nairement sévère,  ne  trouva  pour 
elle  que  des  éloges,  et  plusieurs  so- 
ciétés littéraires  s'empressèrent  de 
l'appeler  dans  leur  sein.  Cela  paraî- 
tra peut-être  singulier  en  France,  où 
le  sexe  est  un  motif  d'exclusion  ab- 
solue, bien  que  les  femmes  prennent 
ici,  plus  que  partout  ailleurs,  une 
part  active  aux  travaux  littéraires. 
Cependant  les  noms  des  Sévigné, 
des  Dacier,  des  Staël,  n'auraient  pas 
été  trop  déplacés  dans  nos  académies 
qui,  au  lieu  d'être  honorées  par  leurs 
membres,  donnent  à  quelques-uns 
leur  plus  grande  illustration.  En 
Italie,  au  contraire,  toute  femme 
qui  s'élève  par  ses  écrits  au-dessus 
du  vulgaire  est  sûre  d'être  accueil- 
lie par  quelque  société  savante,  et 
l'on  a  vu  même  plusieurs  d'entre 
elles  professer  avec  distinction  dans 
les  universités  les  plus  célèbres. 
Aussitôt  après  la  publication  de  ses 
poésies,  M'^«  de  Saluces  fut  nommée 
membre  de  l'Académie  royale  de 
Fossan,  et  l'on  fit  imprimer  à  cette 

2* 


20 


SAL 


occasion  un  recueil  k  la  tête  (luquel 
se  trouvait  un  portrait  du  poète,  par 
'  Valperga,  avec  des  vers  de  Tabbé  de 
Caluso  : 

En  os  Gl.iucillae,  rujtis  j;im  pluiirna  ;>I>  ipsa 
Pulchrior  Ingenii  fst  édita  imago  sui  ; 

vï^tatis  florera  priinoe  qui  conspicis,  acvo 
Haiic  natam  nostrodisciioMulpoiiieuem. 

Le  nom  de  Glaucilla  Eurotea  était 
celui  que    M"""  de    Saluées    avait, 
selon    Tusage,    reçu  de   TAcadémie 
des  Arcades   de  Rome  ,  qui  se  l'était 
associée  peu  de  temps  auparavant. 
Ce  recueil,  intitulé  :  Acclamation^ 
e^c,  était  précédé  d'une  introduc- 
tion où  le  même  abbé  de  Caluso, 
parlant  de  la  précocité  du  talent  de 
îa  jeune  Dieudonnée,  ne  craignait  pas 
de  la  comparer  au  Tasse,  qui  avait, 
lui  aussi,  publié  à  l'âge  de  dix-neuf 
ans  son  poème  de  Renaud.  M'^^  de 
Saluées  épousa,  en  1793,  le    comte 
Maximilien  de  Revel ,    et ,  devenue 
veuve  au  bout  de   trois  ans,  elle 
rentra  daus  sa  famille  pour  ne  plus 
la   quitter.    Lorsque  les   États  sar- 
des furent  rendus  à  leurs' anciens 
souverains,  elle  s'empressa  de  célé- 
brer cet  événement  par  une  ode  qui 
fut  insérée  dans  le  recueil  italien  des 
Poésies  offertes  par  la  ville  de  Turin 
à  S.  M.  la  reine ^  à  V occasion  de  son 
heureuse  arrivée,  1815,  in-fol.  Dans 
l'intervalle,  elle  avait  été  nommée 
membre  de  l'Académie  des  sciences 
de  Turin,  à  laquelle  elle  lut  un  grand 
nombre  de  pièces.  Elle  s'était  aussi 
essayée  dans  la  tragédie  et  en  avait 
écrit  deux  qui  ont  pour  titres  :  Her- 
minie  et  Tullie.  La  première  fut  re- 
présentée en  1804,  mais  seulement 
par  une  société  d'amateurs.  L'œuvre 
principale  de  M"'*'  de  Revel  est  le 
poème  d'ippazia.  L'auteur  n'eut  rier» 
moins  que  la  prétention  de  faire  un 
poème  philosophique,    et  l'on  de- 
vine h  l'avance  toutes  les  difficul- 


SAL 

lés  qu'elle  dut  rencontrer  dans  l'exé- 
cution de  son  programme.  La  scène 
se  passe  au  commencement  du  V^ 
siècle  de  notre  ère,  à  Alexandrie 
d'Egypte,  dans  l'ancienne  forêt  où 
éiait  le  temple  d'Isis  et  d'Osiris. 
L'héroïne  principale  est  [ppazia, 
jeune  vierge  chrétienne  qui  donne 
son  nom  au  poème,  et  qui,  aimant 
un  païen,  éprouve  en  elle  cette  lutte 
intérieure  entre  les  passions  et  le 
devoir,  lutte  dont  on  prévoit  bien 
qu'elle  doit  sortir  triomphante.Parmi 
les  autres  personnages,  on  remarque 
surtout  les  chefs  des  différentes  éco- 
les philosophiques  qui  étaient  alors 
la  gloire  d'Alexandrie.  Faire  ressor- 
tir la  grandeur  des  dogmes  du  chris- 
tianisme, la  noblesse  et  la  pureté  de 
sa  morale,  tel  est  le  but  de  tout  l'ou- 
vrage. La  nature  même  du  sujet  a 
empêché  qiV Ippazia  obtînt  dès  le 
début  un  grand  succès  ;  mais  si  ce 
poème  n'est  pas  destiné  à  devenir 
populaire,  il  est  pour  nous  hors  de 
doute  qu'il  sera  de  plus  en  plus  ap- 
précié par  les  lecteurs  sérieux,  par 
ce  public  d'élite,  dont  les  jugements 
seuls  sont  compétents  en  littérature 
cl  prévalent  tôt  ou  tard  sur  l'indiffé- 
rence et  l'injustice,  comme  sur  les 
engouements  de  la  multitude. /ppasia 
réunit  à  un  haut  degré  les  qualités 
les  plus  propres  à  assurer  le  succès 
d'un  livre.  La  profondeur  de  la  pen- 
sée, la  vivacité  des  images,  l'élégance 
et  la  pureté  du  style,  te  mouvement 
et  l'intérêt  dramatique  de  la  narra- 
tion, tout  démontre  que  ce  poème 
n'a  pas  seulement  été  inspiré  par 
une  imagination  heureusement  douée, 
mais  qu'il  est  encore  le  fruit  de  lon- 
gues méditations  et  de  nombreuses 
veilles.  Cependant,  quel  que  soit 
son  mérite,  nous  préférons  certaines 
compositions  lyriques  du  môme  au- 
teur. L'ode  sur  le  Saint  Sacrement, 


SAL 

par  exemple,  et  celle  qui  a  pour  sujet, 
le  Retour  du  Roi  Victor- Emmanuel 
dans  ses  États  du  continent,  nous 
semblent  dignes  de  figurer  à  côté 
des    meilleures   pièces    que  l'Italie 
possède  en  ce  genre,  et  nous  regret- 
tons que  les  limites  de  cette  notice 
ne  nous  permettent   pas  d'en  citer 
quelques    fragments.     Depuis    son 
veuvage,  M'"''  de  Revel  avait  partagé 
son  temps  entre  ses  études  littérai- 
res et  des  voyages  d'agrément  dans 
différentes  parties  de  l'Italie,  surtout 
à  Florence  et  à  Rome.  Dans  l'hiver 
de  1837,  elle  alla  chercher  un  clitnat 
plus  doux  sous  le  beau  ciel  de  Nice, 
lî.iais  sa  santé,  depuis  long-temps 
compromise  par  un  travail  assidu,  ne 
put  se  rétablir^  elle  fut  atteinte  de 
paralysie  et  mourut  dans  cet  état,  à 
Turin,  le  24  janvier  1840,  avec  une 
résignation  toute  chrétienne.  Elle  a 
laisse  :  I.  Quelques  pièces  dans  le 
*  recueil  intitulé  :  Memoriœ  Henri- 
chettœ  Tapparellœ  Prosperi  Balbi 
uxoris  monumentum^  Turin,  1792, 
in-4°.   11.  Poésies  de  Diodata  Sa- 
luzzo^  surnommée  par  V Académie 
des  Arcades  GlauciUa  Eurotea ,  Tu- 
rin, 1796,  in-8".  La  pièce  qui  sert 
d'introduction,  et  que  l'auteur  dédia 
à  son  père,  fut  reproduite  dans  l'^lw- 
née  poétique^  Venise,  1797,  in-12. 
Cette  première  édition  fut  tin  ée  à  un 
très-petit  nombre  d'exemplaires  et 
distribuée  à  des  amis.  La  seconde 
parut  la  même  année,  2  vol.  in-12.  On 
y  trouve,  outre  quelques  pièces  nou- 
velles, plusieurs  poésies  adressées  à 
l'auteur  par   différentes  personnes. 
M.  le  professeur  Jean  Rosini  de  Pise, 
célèbre  romancier  et  historien  ,  se 
chargea  de  la  troisième  édition  (Pise, 
1802,  2  vol.  in-8«).  Enfin  une  qua- 
trième, augmentée  comme  les  précé- 
dentes, fut  imprimée  à  Turin  par  les 
soins  de  l'auteur,  en  1816-17,  4  vol. 


SAL 


21 


in-S".  L'i  plupart  des  pièces  nou- 
velles avaient  été  lues  à  l'Académie 
des  sciences  de  Turin  et  insérées  dans 
ses  Mémoires,  (\e  l'an  X  (1801)  à  l'an- 
née 1813.  111.  Un  petit  poème  dans  la 
Collection  de  pièces  publiée  par  le 
comte  Napione,  à  l'occasion  de  la 
mort  de  M'»^  Charlotte-Mélanie  Al- 
lieri,  et  dédiée  à  M"'«  de  Revel,  née 
Saluzzo,  Parme,  Bodoni,  1807,  in-8". 
IV.  Ippazia^  ou  des  Philosophies^ 
poème  en  vingt  chants,  Turin,  1817, 
2  vol.  in-80;  seconde  édition,  ibid., 
1830,   2   vol.  in-8«.  V.   Nouvelles, 
Milan,   1830,  in-8^  \l.  La  Sibylle, 
ode   composée  pour  la  séance  so- 
lennelle de  l'Académie  des  sciences 
de  Turin  (3  août  1833),  et  qui  fut,  en 
l'absence  de  l'auteur,  lue  par  le  pro- 
fesseur C. Boucheron,  en  présence  de 
S.  M.  le  roi  Charles-Albert.  VII.  Vers 
écrits  à  Rome,  Turin,  1834,  in-4°. 
On  les  réimprima  ensuite  in-8^,  afin 
de  pouvoir  les  joindre  à  la  4^  édition 
des  Poésies.  Vlll.  Sur  la  mort  du 
comte  Prosper  Balbo,  Canzone,  Tu- 
rin, 1837,  in-8".  IX.  Poésies  pos- 
thumes^ i])id.,  1843,  in-8°,    précé- 
dées d'un  Éloge  historique,  par  M.  le 
comte  Coriolan  de  Bagnolo,  et  sui- 
vies d'un  recueil  de  lettres  écrites  à 
l'auteur  par  les  hommes   les   plus 
éminents  du  monde  littéraire.   Les 
plus  grands  honneurs  furent  rendus 
à  la  mémoire  de  l'illustre  poète.  On 
publia  à  Turin,  peu  de  temps  après 
sa  mort,  un  recueil  de  poésies  au- 
quel les  dames  seules  avaient  pris 
part,  et  où  elles  déploraient  la  perte 
de   leur   modèle.   Parmi  les  éloges 
dont  elle  fut  l'objet,  nous  citerons 
encore  celui  que  M.  Paravia,  profes- 
seur d'éloquence  italienne   à  l'uni- 
versité de  Turin,  fit  insérer  dans  la 
Biografia  degli  Italiani    illustri, 
et  celui  que  prononça  M.   François 
Regli  dans  une  séance  de  l'Athénée 


:22 


SAL 


de  Bergame,  dont  M'"«  de  Revel 
était  membre,  éloge  qui  fut  ensuite 
imprimé  à  Milan  (1840,  in -8")- M'"* 
(ie  Kevei  a  laissé  trois  frères  qui  oc- 
cupent les  dignités  les  plus  énii- 
nentes  à  la  cour  et  à  l'armée  du  roi 
de  Sardaigne  et  jouissent  d'une  gran- 
de considération  dans  toutes  les  clas- 
ses de  la  société.  A— Y. 

SALVADOR  Y  BOSCA  (  le  D' 
don  Juan  ),  botaniste  espagnol,  le 
premier  de  ce  nom  qui  s'est  fait  dis- 
tinguer dans  les  sciences  naturelles, 
naquit  le  G  janvier  1598,  à  Calella, 
en  Catalogne..  Après  avoir  étudié  la 
pharmacie  à  Barcelone,  chez  son 
frère  Joaquin,  l'un  des  meilleurs 
élèves  de  Mico  de  Vich,  avec  lequel 
il  contribua  à  l'ouvrage  publié  par 
Dalécham,  sur  beaucoup  de  plantes 
rares  de  Monserrat  et  du  royaume  de 
Valence,  il  prit  dans  leur  société  un 
goût  passionné  pour  la  botanique  et 
la  chimie.  En  1622  il  fit  un  voyage 
en  Espagne  pour  y  rechercher  et 
étudier  les  plantes  que  ce  royaume 
renferme,  et  se  fit  connaître  de  plu- 
sieurs savants  étrangers,  parmi  les- 
quels nous  citerons  le  père  Jacques 
Barrelier,  de  l'ordre  des  prédica- 
teurs. Il  mourut  le  12  avril  1681. 
—  Salvador  y  Pedrol  (Jacques), 
fils  du  précécent,  que  les  Espagnols 
appellent  le  Salvador  par  excellence, 
et  auquel  ils  prétendent  que  Tour- 
nefort  donnait  le  nom  de  phénix  de 
son  pays,  naquit  à  Barcelone  le  20 
juillet  1649.  Après  avoir  reçu  une 
brillante  éducation  dans  sa  patrie, 
son  père  l'envoya  à  Montpellier  pour 
se  perfectionner  dans  les  sciences 
naturelles,  pour  lesquelles  il  montra 
de  très -bonne  heure  de  grandes 
dispositions.  Il  se  rendit  ensuite 
dans  le  même  but  à  Marseille  et  à 
Toulouse,oii  il  se  lia  intimement  avec 
Chicoyneau,  Magnole  et  Nissolle.  La 


SAL 

réputationde  Salvadoréfaif  tellement 
répandue, que  lorsqueTourncfort  vint 
pour  la  première  fois  herboriser  en 
Espagne, il  y  arriva  muni  de  lettresde 
recommandation  de  plusieurs  savants 
pour  le  botaniste  catalan.  En  1681  et 
1688,  ils  herborisèrent  ensemble 
dans  le  royaume  de  Valence  et  en 
Catalogne,  et  la  conformité  de  leurs 
goûts  et  de  leurs  inclinations  les 
lia  d'iine  vive  amitié,  qui  dura 
autant  que  leur  vie  et  ne  souffrit 
jamais  d'altération.  Le  prince  de  la 
Catolica  et  le  célèbre  JeaA  Ruys 
adressaient  à  Salvador  de  fréquentes 
questions  sur  la  botanique  ^  Pablo 
Boccone  lui  faisait  hommage  de 
ses  œuvres,  en  les  accompagnant 
d'une  collection  des  plantes  de  la 
Skik,  et  le  grand  Boerhaave,  qui 
entretenait  avec  lui  une  correspon- 
dance suivie,  en  parle  d'une  ma- 
nière très- honorable  dans  sa  disser- 
tation académique  sur  les  plantes,  en 
faisant  mention  de  celles  que  le 
savant  catalan  lui  avait  envoyées  et 
qu'il  avait  fait  suivre  de  leur  histoire 
et  de  diverses  observations.  Lorsque 
les  escadres  d'Angleterre ,  de  îlol- 
lande  et  de  Portugal  se  trouvaient 
réunies  dans  le  port  de  Barcelone,  à 
cette  époque  lieu  de  résidence  de 
l'archiduc  Charles,  compétiteur  de 
Philippe  V  à  la  couronne  d'Espagne, 
le  cabinet  de  Salvador  devint  le  point 
de  réunion  de  tous  les  médecins  et 
chirurgiens  de  cette  ville  et  des  flottes 
alliées.  Nicolas-Pio  Garelli,  Félix- 
Gabriel  Longobardo,  Julide  Orosco, 
Antonio  Poda,  Lakaen,  Freind,  Mis- 
teré,  y  traitaient  avec  lui  différentes 
questions  de  médecine,  dechirurgi  e 
de  botanique,  de  pharmacie,  de  ma- 
thématiques et  de  littérature.  C'était 
une  espèce  d'académie  à  laquelle 
chacun  des  savants  soumettait  des 
mémoires  écrits  dans  la  langue  de 


SAL 

son  pays,  que  Salvador  comprenait 
parfaitement.   L'archiduc  ayant  été 
forcé  d'abandonner  la  Catalogne,  Jac- 
ques Salvador  entra  en  relation  avec 
les  médecins  de  Philippe  V,  lesquels, 
en  plusieurs  circonstances,  le  consul- 
tèrent sur  la  santé  de  ce  monarque. 
Jacques  Salvador  fut  chef  d'une  école 
d^o\i  sortirent  Juan    Minuar,   José 
Llobet,  Riera  de  Vich  et  plusieurs 
autres.  Il  ne  se  borna  pas  à  l'étude 
des  sciences  naturelles  et  des  belles- 
lettres,  mais  il  s'occupa  d'économie 
politique  et  d'administration.  Les  ser- 
vices qu'il  avait  rendus  à  ses  conci- 
toyens, et  l'influence  qu'il  exerçait  sur 
eux  et  sur  les  étrangers,  le  firent  élire, 
le  30  nov.1697,  membre  du  conseil  de 
Barcelone.  La  circonstance  était  on 
ne  peut  plus  critique,  car  cette  ville 
soutenait  alors  un  siège  dont  on  ne 
pouvait  prévoir  l'issue.  On  doit  à  Jac- 
ques  Salvador    l'analyse   des    eaux 
thermales  d'Esparraguera ,  près  de 
Monserrato,  dans  lesquelles  il  décou- 
vrit une  vertu  spécifique  contre  l'hy- 
pocondrie. Il  rédigea  une  instruction 
sur  la  manière  dont  ces  eaux  doivent 
être  prises,  et  analysa  également  plu- 
sieurs autres  eaux  thermales  qui  se 
trouvent  en  Catalogne.  Ses  héritiers 
possèdent  un  grand  nombre  de  ma- 
nuscrits qu'il  a  laissés,  et  dont  quel- 
ques-uns ont  paru  intéressants   à 
ceux  qui  les  ont  examinés.  Après  une 
vie  parfaitement   remplie,  Jacques 
Salvador  mourut  dans  un  âge  très- 
avancé,  le  22  juin  1740.  —  Sal- 
vador {Jean),  fils  du  précédent, 
né  à  Barcelone  le  l^'^  décembre  1683, 
botaniste  comme  son  père  et  son 
grand-père,  accompagna   plusieurs 
fois  le  premier  dans  ses  excursions 
scientifiques  en  Catalogne  et  dans  les 
Pyrénées.  Guidé  par  le  célèbre  Ma- 
gnol,  qui  feisait  un  grand  cas  de  lui 
et  l'appelait  son  élève  chéri,  il  visita 


SAL 


23 


en  herborisant  une  partie  de  la  Fran- 
ce, et  dressa  en  particulier  une  flore 
des  environs  de  Montpellier.  Pendant 
les  vacances  de  l'université,  il  voya- 
gea dans  toute  la  Provence,  aidé  des 
conseils  de  Garidel  et  Fouque,  et 
se  rendit  à  Paris  en  1705.  Pendant 
quatre  à  cinq  mois  qu'il  passa  dans 
cette  capitale,  Tournefort,  désirant 
payer  au  fils  tout  ce  qu'il  devait  à 
l'amitié  du  père,  ne  voulut  pas  qu'il 
eût  d'autre  maison  que  la  sienne.  Il 
mit  à  sa  disposition  tous  ses  trésors 
d'histoire  naturelle  ;  lui  donna  d'ex- 
cellents avis,  et  lui  fit  cadeau  d'une 
collection  presque  complète  des  plan- 
tes qu'il  avait  recueillies  dans  son 
voyage  du  Levant.  Pendant  sa  rési- 
dence à  Paris,  le  jeune  Salvador  se  lia 
d'amitié  avec  plusieurs  académiciens, 
entre  autres  Vaillant,  Danty  d'is- 
nard,  etc.  (1),  avec  lesquels  il  entre- 


(i)  C'est  sur  des  renseignements  inexacts 
que,  dans  ses  Memorias  para  ayudaràformar 
un  Diccionario  critico  de  los  escritores  cata- 
lanes, le  savant  évêque  d'Astorga,  don  Félix' 
Tories  Auaat,  annonce  que  Jean  Salvador 
contracta  à  Paris  une  liaison  d'amitié  avec 
Antoine  et  Bernard  de  Jussieu  ,  puisque 
l'aîné  de  ces  frères  ne  vint  dans  la  capitale 
de  la  France  qu'après  la  mort  de  Tourne 
fort  (1708),  et  Beruard  bien  des  années  plu» 
tard.  Quelques  lignes  extraites  d'une  lettre 
manuscrite  adressée  à  l'abbé  Bignon  par  An- 
toine de  Jussieu,  etdontnous  devonsia  com- 
munication à  M.  A.  de  Jussieu,  son  neveu, 
membre  de  l'Académie  des  sciences,  établis- 
sent l'origine  des  relations  entre  les  Jussien, 
et  Salvador. «<  Malgré  les  avantages  que  Barce- 
«  lone  a  sur  beaucoup  d'autres  pays,  par  sa 
«  situation  heureuse,  qui  en  rend  le  territoire 
«  fécond  en  belles  plantes,  je  n'y  ai  trouvé  de 
«  fécond  en  ce  genre  que  MM.  Salvador  père 
«  et  fils,  les  plus  habiles  apothicaires  de  tout 
«  le  pays  ou  plutôt  de  toute  l'Espagne.  Le 
«  fils  a  été  à  Montpellier  mon  compagnon 
«  d'études,  et,  quoiqu'il  fût  alors  très-habile 
«  dans  la  botanique  ,  il  s'y  est  beaucoup 
«  perfectionné  par  les  voyages  qu'il  a  faits 
«  en  France  et  en  Italie.  Je  me  suis  aperçu 
«  de  son  progrès  dans  l'histoire  naturelle 
«<  par  Pâmas  de  plantes,  de  drogues,  de  mi- 
«  uéraux,  d'insectes  et  d'autres  curiosités  de 
u  ce  genre ,  dont  il   a   composé  un  cabinet 


24 


SAL 


tint  depuis  une  correspondance  sui- 
vie et  (il  des  échiiiii^es  de  plantes. 
Salvador  visita  cnsiiile  l'ilalie,  qu'il 
parcourut  en  savant  studieux.  Par- 
mi les  honwnes  distingués  dont  il 
obtint  l'amitié  et  qui  devinrent  ses 
correspondants  ,  nous  nommerons 
Masigli  ,  Triunfeti ,  Langio  ,  etc. 
En  1711,  Salvador  lit  un  voyage 
aux  îles  Baléares;  il  y  recueillit 
un  nombre  considérable  de  plantes 
dout  les  plus  précieuses,  communi- 
quées par  lui  à  Boerhaave,  intime  ami 
de  son  père,  ont  été  publiées  par  ce 
savant.  Quatre  ans  après  (1715),  l'A- 
cadémie royale  des  sciences  de  Paris 
l'élut,  sur  la  présentation  d'Antoine 
de  Jussieu,  membre  correspondant,  et 
en  1716  le  chargea  d'aller,  avec  les 
deux  Jussieu,  herboriser  en  Es- 
pagne et  en  Portugal  aux  frais  du 
gouvernement  français.  En  échange 
des  plantes  que  Jacques  Salvador 
cl  son  (ils  Jean  envoyaient  à  leurs 
correspondants,  ils  reçurent  de  la 
plupart  d'entre  eux,  parmi  lesquels 
nous  citerons  Hermaun ,  Boerhaave, 
Sloan  Petiver  et  plusieurs  autres  , 
ainsi  que  de  l'Académie  des  sciences 
de  Paris,  des  dons  précieux  qui  enri- 
chirent leur  cabinet  et  leur  biblio- 
thèque. C(*tte  dernière  société  leur 
offrit  pour  leur  médailler  une  collec- 
tion complète  des  médailles  frappées 
pour  conserver  le  souvenir  des  ac- 


«  qui  es',  l'unique  qai  soit  à  Barcelone.  La 
M  nécessité  d'avoir  pendant  mon  voyage  un 
«  interprète  de  confiance  et  un  homme  .'•e- 
«  courahle  en  cas  de  maladie,  m'ont  fait  je- 
<c  ter  les  yeux  sur  cet  ami  pour  l'engager  à 
«  m'accompagner  pendant  toute  la  route...  » 
Le  même  A.  de  Jussieu  parle  ainsi  de  Sal- 
vador dans  le  rapport  de  son  voyage  adressé 
par  lui  au  régent  :  «  Je  crus  devoir  me  don- 
«  ner  pour  adjoint  le  sieur  Salvador,  apo- 
«  thicaire  de  Barcelone,  reconnu  pour  le 
«  plus  célèbre  ljotauit>te  de  rc  royatime  et 
«  coiiespnndaut  de  VAcadcmie  dçs  bficu- 


SAL 

lions  mémorables  du  règne  de  Louis 
XIV.  La  mort  prématurée  de  Jean 
Salvador,  arrivée  le  21  février  1720, 
lorsqu'il  venait  à  peine  déterminer 
sa  (juarante-deuxième  année,  causa 
un  vif  chagrin  à  son  père  et  fut  une 
perte   sensible    pour  la  botanique. 
Jean   Salvador    a     laissé    plusieurs 
maniiscrits   inédits.    Il    en    est    un 
dont  la  perte  paraît  fort  regretta- 
ble, d'après  le  titre  qu'il  portait  <t 
qu'on  a  trouvé   écrit  de  sa  propre 
main  ainsi  qu'il  suit  :  «  Botanomas- 
ricoN  catalonicum ,  sive  catalogus 
plantarum  quœ  in  Calaloniœ  mon- 
tibus,  sylvis^  pratis.campis  et  ma- 
ritimis  sponîe  nascuntur  ;  tum  illa- 
rum  quœ  aliqua  cultura  indigent... 
mm    denominatione    locorum    uhi 
proveniunt  ac  mensium  quitus  vi- 
gent   et  florent...  Necnon   virtutes 
juxta  neotericorum  principia  a  cele- 
berrimis  auctoribus  desumptce,  com- 
plurimœque  proprio    experimenlo 
confirmalœ  hr éviter  exponuntur... 
variés   iconibus  descriptionibusque 
illustratur...  Auctore...  »  On  peut 
dire  qu'à  l'exception  des  propri'étés 
des  plantes  {de  las  virtudes) ,  des 
planches  et  des  descriptions,  on  pour- 
rait refaire  ce  catalogue  avec  Ther- 
hier  laissé  par  les  Salvador.  Cava- 
nilles  assure  avoir  vu  à  Paris,  dans  la 
bibliothèque  du  Jardin  botanique,  un 
ouvrage  manuscrit  de  Jean  Salvador, 
sous  ce  titre    :    Observations   sur 
diverses  plantes  rares  qui  se  trouvent 
sur  la  montagne  de  Monserrat  et 
dans  d'autres  parties  de  la  Catalo- 
gne.   Les    recherches   que  M.  Des- 
noyers ,  bibliothécaire   du  Muséum 
d'histoire  naturelle,  a  bien  voulu  faire 
(1847)  dans  cet  établissement,  n'ont 
pu  mettre  au  jour  de  manuscrits  ni 
d'ouvrages  imprimés  des  Salvador. 
M.  de  Jussieu  a  été  plus  he^ireux  ;  Il 
pi.;?>sçtle,  non  le  manuscrit  cjté-pur 


SAL 

Cavanilles,  mais  1»  un  autre  (Je  15  p. 
iii-folio,  accompagné  de  quelques 
mauvais  dessins,  ayant  pour  titre  : 
Réponse  aux  Mémoires  qu'on  a 
envoyés  à  Barcelone  à  Jean  Salva- 
dor, apoticaire{sic)  et  correspondant 
de  l'Académie  royale  des  sciences  de 
Paris,  sur  les  pèches  qui  se  font  aux 
côtes  de  Catalogne^  auxquels  il  ré  ■ 
pond  et  envoyé  les  dessins  nécessai- 
res (2).  A  ce  me'moire  est  jointe  une 
leltre  du  15  novembre  1722,  qui  en 
tixe  la  date.  2°  Un  second  petit  ma- 
nuscrit de  cinq  pages ,  sans  nom 
d'auîeur,  ayant  pour  titre  :  Catalo- 
gus  planlarum  variorum  in  insulis 
Balearicis  mens.  Junio  et  Julio^  A. 
\1V2^  observât  arum  ^  dont  tout  porte 
à  croire  que  Jean  Salvador  est 
l'auteur.  —  Salvador  (Joseph), 
frère  du  précédent,  recul  à  peu  près 
la  même  éducation  et  montra  le 
même  penchant  que  celui-ci  pour 
l'étude  de  la  science  qui  avait  fait  la 
gloire  de  leur  père.  Après  avoir  ob- 
tenu le  degré  de  maître  ès-arts  à 
Barcelone,  il  se  rendit  à  Montpellier 
|iour  y  étudier  la  botanique,  la  chimie 
et  l'anatomie.  Il  explora  ensuite  la 
flore  de  l'île  Minorque,  d'où  il  rap- 
porta plusieurs  plantes  que  son  frère 
n'avait  pu  trouver  dans  une  autre 
excursion.  II  fit  comme  lui  un  voyage 
en  Italie,  et  entra  en  relations  avec 
les  amis  de  son  père  et  de  son  frère. 
Il  mourut  en  1771,  après  avoir  été 
reçu  membre  de  l'Académie  royale 
médicale  d'Espagne.  Les  Salvador, 
avec  un  désintéressement  peu  com- 
mun, se  montrèrent  toujours  prompts 
à  communiquer  leurs  propres  ob- 
servations ,  et  à  fournir  toutes  les 
informations  qui   leur    étaient    de- 


SAL 


25 


(i)  M.  Viilencipnnespfn.se  <jiie  D-ih.mtfl 
s'est  seivi  de  te  rqaoustrit  <l.uis  sou  Histuiif 


mandées.  Antoine  de  Jussieu  doit  au 
premier  Salvador  la  plus  grande 
partie  des  observations  que  le  père 
Barrelier  écrivit  sur  les  plantes  d'Es- 
pagne, de  France  et  d'Italie,  et  qui 
furent  publiées  à  Paris  en  1714;  un 
exemplaire  en  fut  donné  à  la  famille 
en  témoignage  de  reconnaissance,  et 
se  trouve  dans  sa  bibliothèque.  Les 
importants  itinéraires  du  voyage  de 
Tournefort  en  Espagne  et  de  celui  de 
Jussieu  prouvent  la  grande  part 
qu'ont  prise  à  leurs  découvertes  Sal- 
vador père  et  tils.  La  bibliothèque 
et  le  musée  de  cette  famille  sont 
certainement  une  des  curiosités  de 
Barcelone  ;  ils  renferment,  outre  un 
nombre  considérable  d'ouvrages  im- 
primés sur  diftérents  sujets  et  une 
nombreuse  et  précieuse  correspon- 
dance littéraire,  des  produits  appar- 
tenant à  la  minéralogie,  à  la  zoologie, 
la  conchyliologie,  la  chimie,  la  bota- 
nique ,  des  objets  d'antiquité ,  des 
médailles,  etc.,  etc.  Leurs  posses- 
seurs s'occupent  d'en  faire  faire  le 
catalogue  et  la  description,  aidés  de 
la  coopération  de  plusieurs  savants 
espagnols,  parmi  lesquels  on  remar- 
que les  noms  d'Agustin  Yafiez,  de 
José  Camps  y  Camps,  de  Mariano 
Graells,  de  J.  Ripoll,  de  Francisco 
Bolos,  de  Mariano  Lagasca.  H  faut 
donc  espérer  que  cet  ouvrage,  véri- 
table monument  élevé  à  la  gloire  des 
Salvador,  ne  tardera  pas  à  paraître; 
et  qu'en  France,  malgré  le  genre  Sal- 
vadora  consacré  à  leur  souvenir, 
leur  nom  sortira  un  peu  de  cet  oubli 
dû  à  ce  qu'ils  ont  laissé  inédits  leurs 
travaux  scientifiques.  Les  Salvador 
avaient  cependant  un  avantage  sur  ** 
d'autres  botanistes,  celui  de  traiter 
des  plantes  d'Espagne,  au  sujet  des- 
quelles notre  bibliographie  ne  pos- 
sède encore  juj;qu'à  présent  que  des 
d'jcumeuts  incomplets.     O-z— s. 


!^6 


SAL 


SAL 


SALVERTE  (Annic-Joseph-Eusê- 
BE  Baconniere), écrivain  poliliqneet 
député  de  Paris,  naquit  en  cette  ville 
le  18  juillet  1771.  Fils  d'un  adminis- 
trateur des  domaines,  il  (itau  collège 
de  Juilly  d'assez  bonnes  études,  et  fut 
nommé,  à  l'âge  de  dix-huit  ans,  avo- 
cat du  roi  au  Châtelet,  place  fort  f^o- 
norable  et  fort  bonne  pour  un  si  jeune 
homme,  dont  toute  la  famille  d'ail- 
Jeurs  jouissait  d'un  certain  crédit,  en 
raison  de  sa  parenté  avec  Dévalues. 
Ce  crédit  cessa  avec  le  pouvoir  royal 
au  commencement  de  la  révolution,  où 
la  charge  d'avocat  du  roi  fut  suppri- 
mée. Le  jeune  Salverte  eut  donc 
beaucoup  de  raison  d'être  mécontent 
des  innovations,  et,  comme  tous  ses 
parents,  il  se  montra  fort  attaché  a 
l'ancienne  monarchie.  Cependant  il 
obtint  un  emploi  en  1792  au  minis- 
tère des  affaires  étrangères  ,  et  l'an- 
née suivante  il  fut  forcé  de  donner  sa 
démission  par  suite  de  dénonciations. 
11  sollicita  alors  le  grade  de  sous- 
lieutenant  dans  le  génie,  mais  on  le 
lui  refusa,  et  quelques  temps  après 
il  fut  admis  à  l'école  des  ponts-et- 
chaussées,  où  il  professa  l'algèbre. 
Ayant  pris  beaucoupde  part, ainsi  que 
la  plus  grande  partie  des  jeunes  gens 
de  cette  époque,  à  la  réaction  ther- 
midorienne, il  fut  condamné  à  mort 
par  contumace  après  la  journée  du 
13  vendémiaire  an  IV  (1795),  où  le 
parti  révolutionnaire  triompha  et 
dans  laquelle  il  avait  été  l'un  des 
principaux  meneurs  de  la  section  du 
Mont-Blanc.  L'année  suivante  il  ne 
craignit  pas  de  se  présenter  en  per- 
sonne devant  les  tribunaux  pour  y 
faire  purger  sa  contumace,  ce  qui  du 
reste  était  aussi  facile  que  peu  dan- 
gereux. Après  avoir  ainsi  figuré  avec 
quelque  distinction  dans  les  rangs  du 
parti  royaliste,  Salverte  fut  loin  d'en 
conserver  tous  les  principes.  Il  était 


surtout  fort  irréligieux,  et,  dans  tou- 
tes les  occasions,  il  ne  craignait  pas  de 
manifester  sur  ce  point  des  opinions 
que  ne   partageaient  ni  sa  familb' 
ni  ses  amis.  Il  avait  composé  sur  la 
mort  de  Jésus  Christ  une  tragédie 
aussi  mal  conçue  que  ridiculement 
écrite,  et  qu'il  lut  dans  plusieurs  sa- 
lons, dont  le  blâme  et  la  censure  la 
mieux  fondée  ne  purent  le  rappeler 
à  de  meilleurs  sentiments.  En  1797, 
il  fut  secrétaire  d'âge  du  corps  élec- 
toral de  la  Seine ,   puis   il  occupa 
pendant  quelques  années,  dans  l'ad- 
ministration du  cadastre,  une  place 
qui  lui  laissait  beaucoup   de  loisir 
et  lui  permettait  de  se  rendre  aux 
joyeuses  réunions  de  la  société  du  Ca- 
veau moderne,  dont  Désaugiers  était 
président.  H  composa  aussi  dans  le 
même  temps  quelques  écrits  politi- 
ques et  littéraires,  aujourd'hui  com- 
plètement oubliés.  En  1807,  ayant 
concouru    pour  le   prix    de   l'Aca- 
démie sur  ce  sujet  :  Tableau  litté- 
raire de  la  France  au  XYlll  siècle, 
il  obtint  une  mention.  Ce  fut  en  1812 
qu'il  épousa  la  veuve  du  comte  de 
Fleurieu,  qui,  si  on  l'en  croit,  avait 
été  son  ami,  quoique  d'un  âge  beau- 
coup plus  avancé,  et  qui  certes  ne 
lui  avait  pas  inspiré  les  sentiments 
d'irréligion   et  de  démagogie  qu'il 
manifesta  plus  tard.  C'était  du  reste 
une  femme  fort  estimable  et  très- 
instruite.  Lors  de  la  seconde  Restau- 
ration ,  il  quitta  la  France  avec  sa 
femme  et  habita  Genève  pendant  cinq 
ans,  après  lesquels  il  revint  à  Paris, 
où  il  se  mit  à  publier  de  nombreuses 
brochures  sur  les  questions  politi- 
ques du  moment,  et  on  le  vit  à  cette 
époque  le  défenseur  le  plus  zélé  de 
l'enseignement  mutuel  et  des  caisses 
d'épargne.  H  cherchait  depuis  plu- 
sieurs années  à  se  faire  élire  député, 
et  en    182S  il  fut  nommé  par  les 


SAL 

électeurs  du  3^  arrondissement  de 
Paris,  auxquels  il  avait  adressé  sa 
profession  de  foi  dans  une  brochure 
fort  remarquable.  «  Les  principes 
-  que  je  professe  aujourd'hui,  leur 
«  avait  -  il  dit ,  ont  été  consignés 
«  depuis  dix  années  dans  des  opus- 
«  cules  où  je  me  suis  surtout  ef- 
«  forcé  de  rappeler  à  mes  concitoyens 
«  l'importance  des  droits  que  vous 
«  allez  exercer.  11  en  est  un  où  j'é- 
«  tablis  qu'un  député  ne  doit  point 
«  accepter   de  place  du  gouverne- 

•  ment  5  et  je  déclare  que  cette  maxi- 
«  me  sera  toujours  la  règle  de  ma 

•  conduite.Une  grande  indépendance 
«  de  position,  l'absence  de  toute  au- 

•  tre  ambition  que  celledeshonneurs 
«  que  décerne  l'élection  nationale, 
«  une  étude  approfondie  de  l'histoire 

•  sous  les  rapports  qui  intéressent 

•  la  législation  et  la  civilisation,  tels 
«  sont  mes  titres  à  votre  confiance. 

•  L'intérêt  du  pays,  l'exécution  dt  la 
«  volonté  générale,  tels  seront  mes 
m  guides  si  j'ai  le  bonheur  d'obtenir 

•  vos  suffrages.  »  Dès  les  premières 
séances  auxquelles  il  assista,  Salverte 
accusa  le  ministère  qui  venait  d'être 
renvoyé,  et  il  proposa  de  le  mettre 
en  accusation.  Dans  la  séance  du  28 
juin  il  parla  contre  les  jésuites  ;  enfin, 
dans  toutvis  les  occasions,  il  se  montra 
l'un  des  orateurs  les  plus  acharnés 
contre  la  religion  et  le  pouvoir  royal, 
à  ce  point  qu'il  adopta  hautement  le 
projet  de,  refuser  l'impôt  dans  le  cas 
où  la  charte  serait  violée.  Il  vota 
l'adresse  des  221  ;  et  l'on  peut  dire 
sans  exagération  qu'il  fut  un  de  ceux 
qui  contribuèrent  le  plus  à  renver- 
ser la  monarchie.  Lors  des  journées 
de  juillet,  il  n'était  pas  k  Paris  ;  mais 
dès  qu'il  en  fut  averti,  il  s'empressa 
d'accourir  pour  y  prendre  part.  Le 
31  juillet,  il  se  réunit  à  ses  collè- 
gues, et  on  le  vit  à  ce  moment  faire 


SAL 


27 


mille  propositions  diverses  :  il  vou- 
lait que  l'on  prît  pour  bases  des  in- 
stitutions fondamentales  que  l'on  de- 
vait donner  à  la  France,  la  déclara- 
tion adressée    à   la  nation  par    la 
chambre  des  représentants  en  1815; 
puis,  que  dans  la  nouvelle  charte  on 
se  bornât  à  dire  que  les  rapports  des 
cultes    avec    le    gouvernement  se- 
raient réglés  par  une  loi ,  la  reli- 
gion catholique  n'étant  pas  la  reli- 
gion de  l'État  ^  enfin,  que  la  magis- 
trature fût  intégralement  renouvelée. 
Réélu  député  par  le  5®  arrondisse- 
ment de  Paris,  il  proposa  encore, 
dès  que  la  chambre  fut  constituée, 
la  mise  en  accusation  des  minisires 
signataires  des  ordonnances  du  25 
juillet,  et  s'opposa  fortement  à  la 
suppression  de  la  peine  de  mort,  qui 
fut  alors  discutée.  Dans  la  session 
suivante,  il  se  montra  acharné  contre 
la  famille  exilée,  et  demanda  la  mise 
en   accusation   de   la  duchesse   de 
Berry.  Il  était  un  des  membres  les 
plus  exaltés  de   l'extrême  opposi- 
tion de  gauche,  avec  MM.  Lalayette, 
Audry  de  Puyraveau,  Mauguin,  etc., 
et,  comme  tel,  il  fut  l'un  des  signa- 
taires du  fameux  Compte-rendu,  acte 
illégal  et  sans  effet.  Puis  il  se  fit  le 
défenseur  de  la  proposition  qui  rappe- 
lait la  famille  de  Napoléon  en  France. 
Aux  élections  de  183*,  il  ne  fut  point 
réélu  ;  M.  Thiers  l'emporta  sur  lui,  et, 
pourle  dédommager,  ses  partisans  lui 
firent  frapper  une  médaille  comme  té- 
moignage de  leurs  regrets.  Plus  tard, 
cependant,  il  revint  à  la  chambre  re- 
présenter le  5e  arrondissement.  Son 
opposition  ne  fut  ni  moins  vive  ni 
moins  acerbe  ;  il  parlait  sur  toutes 
les  questions,  le  plus  souvent  à  tort 
et  à  travers,  avec  une  volubilité  in- 
croyable. Chose  singulière  !  il  se  dé- 
fendait d'être  républicain,  et  sa  doc- 
trine politique  était  le  gouvernement 


28 


SAL 


fonde  sur  la  soiivoraineté  du  peuple, 
la  soumission  pleine  et  entière  à  la 
majorité  nationale.  Sans  être  orateur, 
il  avait  la  parole  assez  facile,  mais  un 
peu  lourde,  suivant  en  cela  l'impul- 
sion de  son  esprit.  Du  reste,  il  était 
un   des  plus  grands  parleurs  de  la 
chambre,  et  ses  nombreux  discours 
en  sont  la  preuve.  Il  mourut  dans  le 
mois  de  novembre  1839,  sans  avoir 
rempli  aucun  devoir  religieux.  Nous 
avons  cependant  lieu  de  penser  qu'il 
s'était  repenti,   dans   les   derniers 
temps  de  sa  vie,  de  ses  attaques  con- 
tre la  religion,  et  nous  savons  même 
qu'il  s'en  était  ouvert  à  l'un  de  ses 
confrères  à  l'Académie  des  inscrip- 
tions et  belles -lettres,  dont  il  était 
membre  libre,  ce  qui  nou«  fait  croire 
que  ce  fut  par  erreur  ou  au  mépris  de 
ses  dernières  intentions  qu'à  son  en- 
terrement le  corps  ne  fut  pas  présenté 
à  l'église.  Ladéputation  que  l'Acadé- 
mie y  avait  envoyée  selon  l'usage  re- 
fusa d'accompagner  le  convoi,  lors- 
qu'elle fut  informée  de  cette  disposi- 
tion. Il  n'y  eut  que  M.  Letronne  qui, 
en  sa  qualité  de  président,  crut  devoir 
le  suivre  au  cimetière.  La  famille  du 
défunt  se  montra  fort  affligée  d'un 
pareil  scandale.  Les  écrits  publiés 
d'Eusebe  Sal  verte  sont  :  I.  Entretiens 
de  L.  Jun.  Brutus  et  dç  C.  Mutins, 
Paris,  an  II  de  la  république  (1793), 
in-8o.  II.  Êpître  à  une  femme  raison- 
nable^ ou  Essai  sur  ce  qu'on  doit 
croire,  Paris,   1793,  in-8".  III.  Les 
journées    des    12   et    13    germinal 
an  m,  Paris,  1795,  in-8».  IV.  Idées 
constitutionnelles^  impr.  par  ordre 
de  la  Convention,  thermidor  an  III 
(1795),  in-8«».  V.  Le  premier  jour  de 
prairial  y  par  l'auteur  des  Journées 
des  {2  et  13  germinal  y  ?âris,  an  III 
(1795),  in  8°.  VI.  Èpïlre  de  Salluste 
à  César  sur  l'ordre  à  étahlir  dans  La 
république^  traduction,  suivie  d'un 


SAL 

Précis  historique  de  Julius  Exsu- 
pcranlius  ,  Paris,  an  VI  (1798), 
in-8°.  VII.  De  la  balance  du  gou- 
vernement et  de  la  législation  ^  et 
ses  moyens  d^ équilibre  dans  l'état 
actuel  des  choses,  Paris,  an  VI  (1798), 
in-8°.  VIII.  Conjectures  sur  la  cause 
de  la  diminution  apparente  des  eaux 
sur  noire  globe^  Paris,  1799,  in-8". 
IX.  Du  droit  desnations, Pi\ri'^^i'I99  y 
in-8o.  X.  Romances  et  poésies  eroti- 
ques, avec  cette  épigraphe  :  Ed  io 
cantava  l'amore,  Paris,  1799,  in-S". 

XI.  Un  Pot  sans  couvercle  et  rien  de- 
dans, ou  les  Mystères  du  souterrain 
de  la  rue  de  la  Lune^  histoire  mer- 
veilleuse et  véritable,  trad.  du  franc, 
en  langue  vulgaire,  Paris, 1799, in-8<>. 

XII.  Éloge  philosophique  de  Denis 
Diderot,  lu  à  Tlnstitut  national  le 
7  thermidor  an  VIII,  Paris,  1801, 
in-8°.  XIII.  Rapports  de  la  médecine 
avec  la  politique,  Paris,  1800,  in-8<^. 
XIV.  Tableau  littéraire  de  la  France 
au  XVIll*^  siècle,  Paris,  1809,  in-8<', 
ouvrage  qui  a  concouru  pour  le  prix 
de  l'Académie  française  obtenu  par 
Victorin  Fabre.  XV.  De  la  civilisa- 
tion depuis  les  premiers  temps  histo- 
riques  jusqu'à  ta  fin  du  X  VII l^ siècle, 
Paris,  1813,  in^".  XVI.  Néila,oule8 
Serments,  histoire  du  XII«  siècle, 
suivie  d'Enguerrand  de  Baico,  anec- 
dote du  XIII«  siècle,  et  d'Hélène,  Pa- 
ris, 1812,  2  vol.  in-12.  XVII.  Épître 
sur  la  liberté.  La  date  de  cette  pièce, 
qui  parut  à  Bruxelles  en  1817,  en  in- 
dique assez  le  but  et  l'esprit.  C'est 
une  suite  de  lieux  communs  et  d'in- 
jures contre  le  gouvernement  de  la 
Restauration.  XVIII.  Phédosie^  tra- 
gédie en  cinq  actes,  Paris,  1813, 
in-8°,  non  représentée.  XIX.  Des  pé- 
titions, dissertalion  suivie  de  consi- 
dérations sur  l'immutabilité  de  la 
Charte  constitationnclle^  Paris,  1819, 
in-8",  XX.  Un  député  doit  il  accepter 


SAL 

des  places?  1820,  in -8».  XXI.  Des 
maisons  de  santé  destinées  aux  alié- 
nés, Paris,  1821,  in-8«.  XXII.  Essai 
historique  et  philosophique  sur  les 
noms  d'hommes,  dépeuples  et  de  lieux, 
considérés  dans  leurs  rapports  avec 
la  civilisation ^  Paris,  1823,  2  vol. 
in-8°.  XXUl.  Horace  et  l'empereur 
Àuguste^ou  Observations  quipeuvent 
servir  de  complément  aux  commen- 
taires sur  Rome,  Paris,  1823,  in-8°. 
XXIV.  Les  menaces  et  les  promesses, 
dialogue  entre  deux  électeurs,  Paris, 
1824,  in-8°.  XXV.  Du  taux  de  l'ar- 
gent, de  l'intérêt  et  de  la  réduction, 
1824,  in-8"'.  XXVI.  Lettre  à  mon- 
sieur ***,  cultivateur  et  proprié  taire, 
membre  du  collège  d'arrondUsement 
de  ***,  1824,  in-8".  XXVII.  Opinion 
sur  des  pétitions  relatives  aux  jésui- 
te s,  séance  d\i  21  imniS28,?  mis, 1828, 
10-8*.  XXVIII.  Des  sciences  occultes, 
ou  Essai  sur  la  magie,  les  prodiges, 
lesmiracles,  Paris,  1829, 2vol.  in-S». 
XXIX.  Notice  sur  la  vie  et  les  ou- 
vrages de  Cadet  de  Gassicourt,  phar- 
macien, avec  cette  e'pigraphe  tirée  de 
P.  Syrus  :  Âmicum  perdere  est  dam- 
norum  maximum ,  in-8°.  Salverte 
avait  été  intimement  lié  avec  Gassi- 
court,  et  ce  sentiment  se  manifeste  à 
chaque  phrase  de  ce  discours  par 
l'exagération  des  louanges.  XXX. 
Notice  sur  la  vie  et  les  travaux  du 
comte  de  Fleurieu,  imprimée  dans  les 
Annales  des  voyages  et  en  tête  du 
catalogue  de  la  bibliothèque  de  ce 
savant.  Salverte  a  encore  publié  beau- 
coup de  brochures  de  circonstance 
sur  différentes  questions,  et  des  ar-. 
ticles  dans  divers  recueils,  entre  au- 
tres dans  les  Mémoires  de  l'Acadé- 
mie celtique,  dont  il  était  membre; 
dans  le  Mercure  et  VEsprit  des  jour- 
naux, dans  la  Bibliothèque  française 
de  Pougens,  dans  la  Revue  encyclo- 
pédique de  M.  Jullien,  la  Bibliothè- 


SAL 


29 


que  universelle  de  Genève,  etc.  li  a 
laissé  inédite  une  tragédie  intitulée  : 
LaMorl  de  Jésus-Christ,  (\oiï\  ilavait 
fait  plusieurs  lectures  à  ses  amis,  et 
dont  on  peut  juger  l'esprit  et  le  but 
par  les  opinions  anti-religieusos  qu'il 
manifestait  dans  toutes  les  occasions. 
—Salverte  {Aglaé  Deslacs  d'Arcam- 
bal),  épouse  en  premières  noces  du 
comte Claret  de  Fleurieu,  puis  du  pré- 
cédent, morte  en  1826,  a  publié  sous 
le  voile  de  l'anonyme  le  roman  intitu- 
lé: Stella,  histoire  anglaise,  par  ma- 
dame deF..., Paris,  1800,4  vol.  in-12. 
—Salyeute  (Jean-Marie-Eustache), 
frère  aîné  du  précédent,  né  le  20  mars 
1768  et  mort  le  10  décembre  1827,  fui, 
sous  le  régime  impérial,  administra- 
teur des  domaines,  et  dans  les  cent- 
jours  membre  de  la  chambre  des  re- 
•présentants,  puis  mis  à  la  retraite  en 
1818. 11  a  publié  :  Examen  des  bud- 
gets pour  l'année  1818,  des  directions 
générales  et  administrations  des  fi- 
nances, Paris,  1818,  iu-8''.  Cet  ou- 
vrage fut  réfuté  par  M.  Hainsdans  la 
brochure  intitulée  :  Premier  et  der- 
nier mot  sur  un  pamphlet  intitulé  : 
Examen  des  budgets^  etc. 

C— H— N  et  M— D  j. 
SALVIONI  (Joachim),  improvisa- 
teur italien,  naquit  à  Massa  en  1736. 
Destiné  à  l'état  ecclésiastique,  il  fut 
placé  au  collège  de  Prato,  puis  à  celui 
des  jésuites  à  RomCj  où  il  prit  l'iiabi  t 
de  la  société.  Bien  que  fort  jeune  en- 
core, il  fut,  dans  différentes  circon- 
stances, chargé  par  ses  supérieurs'  de 
prononcer  des  discours  et  même  ûvr 
sermons,  ce  dont  il  s'acquitta  de  ma  - 
nière  à  faire  naître  les  plus  grandes 
espérances.  Tel  était  à  cette  époque 
son  enthousiasme  religieux  ,  qu'un 
jour  on  le  vit  parcourir  les  rues  de 
Rome  avec  une  énorme  croix  sur  l'é- 
paule, prêchant  et  exhortant  le  peu- 
ple à  la  péniteuee.  Malheureusement 


30 


SAL 


SAL 


ce  zèle  n^était  pas  une  inspiration 
d'en  haut,  mais  simplement  l'effet 
d'un  commencement  de  fièvre  céré- 
brale, qui  bientôt  dégénéra  en  folie, 
et  obligea  l'enthousiaste  à  quitter  le 
collège  des  jésuites,  où  il  n'avait  pas 
encore  fait  profession,  et  de  rentrer 
dans  sa  famille.  Grâce  à  des  soins 
éclairés,  sa  raison  lui  revint  peu  à  peu, 
et  il  put  passer  pour  guéri  complète- 
ment, bien  que  le  reste  de  sa  vie  se 
trouve  parsemé  d'actes  qui  paraissent 
au  moins  singuliers.  Ainsi,  non  con- 
tent d'avoir  mis  de  côté  l'habit  ecclé- 
siastique, il  voulut  se  marier,  et  porta 
son  choix  sur  celle  de  toutes  les  fem- 
mesqui  pouvait  le  moins  lui  convenir. 
Mais  c'est  surtout  dans  la  publication 
périodique  qu'il  fonda  à  Florence,  sous 
le  litre  de  Mélanges  intéressants  de 
littérature,  que  l'on  trouve  de  nom- 
breuses traces  de  folie.  On  ne  saurait 
croire  combien  de  futilités,  d'extra- 
vagances et,  ce  qui  est  plus  fâcheux, 
de  critiques  acerbes  et  injustes  il  a  en- 
tassées dans  ce  recueil,  d'ailleurs  fort 
peu  volumineux.  Malgré  les  travers 
que  nous  venons  de  signaler,  Sal- 
vioni  n'en  avait  pas  moins  la  répu- 
tation d'un  homme  de  beaucoup  d'es- 
prit et  de  science.  Il  avait  une  grande 
jfacilité    d'élocution    et    improvisait 
avec  une  égale  facilité  en  italien,  en 
latin,  ^n  grec  et  même  en  hébreu.  On 
raconte  de  lui  à  c6  sujet  des  tours  de 
force  vraiment  incroyables.  II  venait 
d'arriver  à  Pise,  oii  la  place  de  pro- 
fesseur de  littérature  l'attendait  au 
séminaire,  et  où  il  n'était  pas  encore 
connu.  On  faisait  ce  jour-là  une  sorte 
de  solennité  littéraire,  et  Salvioni  y 
assista.  Quand  tout  fut  fini,  il  se  leva 
et  demanda  la  permission  de  parler  à 
son  tour;  puis,  dans  une  longue  im- 
provisation en  dysliques  latins,  non- 
seulement  il  décrivit   l'appareil  de 
la  fête,  mais  il  répéta  tous  les  dis- 


cours qui  avaient  été  prononcés,  e(  cela 
en  vers  si  élégants,  d'une  latinité  si 
pure,  que  tous  les  spectateurs  en  res- 
tèrent saisis  d'admiration.  Un  autre 
jour  c'était  à  Lucques,  où  il  s'était 
plusieurs  fois,  mais  en  vain,  porté 
candidat  à  l'académie.  On  l'avait  tou- 
jours écarté  comme  fou.  Peu  de  temps 
après  sa  dernière  déconvenue,  il  se 
trouvait  dans  une  réunion  avec  quel- 
ques-uns des  académiciens  qui  lui 
étaient  le  plus  contraires,  et  il  fut 
chargé  de  faire  une  lecture.  Sa  tâche 
finie,  il  proposa  de  répéter  en  vers 
latins  tout  ce  qu'il  venait  de  lire, 
le  fit  sans  hésitation,  et,  non  content 
de  cela,  y  ajouta  encore  deux  autres 
traductions  aussi  en  vers,  Tune  en 
grec  et  l'autre  en  hébreu.  Comme  on 
le  pense  bien,tout  le  monde  applaudit, 
et  Pacadémie  lui  envoya  le  lendemain 
son  diplôme.  Salvioni  résida  succes- 
sivement à  Lucques,  à  Pise,  à  Flo- 
rence. Dans  cette  dernière  ville,  il 
publia  le  recueil  '  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut,  et  fut  nommé  mem- 
bre de  l'académie  des  Apatisti^  à  la- 
quelle il  donna  de  fréquentes  preuves 
de  son  talent.  Nous  citerons  entre 
autres  la  traduction  qu'il  improvisa 
un  jour  d'une  pièce  de  vers  dans  la- 
quelle un  de  ses  confrères,  aussi  ex- 
jésuite, avait  fait  le  récit  de  sa  vie. 
Voici  les  deux  premiers  vers  : 

Souo  stato  sedici  aoni  gesuita  ; 
Alla  cera  coorta,  i'  dissi  :  Âddio?  etc. 

Salvioni  traduisit  ainsi  : 

Sexque  decemque  ancos  Loyolae  castra  se- 
cutus ; 
Dixi  jesuadis  :  O  nigra  turba,  vale  ! 

Tout  le  reste  est  rendu  avec  la  même 
précision  et  ia  même  élégance.  Sal- 
vioni mourut  k  Pise  en  1796.  Il  s'é- 
tait fait  porter  à  l'hôpital  par  suite 
d'une  de  ces  bizarreriesqui  lui  étaient 
si  communes.  Outre  les  Mélanges, 
il  avait  pubhé  plusieurs  élégies  qu'on 


SÂL 

dit  fort  belles,  mais  qui,  ne  formant 
pas  un  recueil,  ont  probablement  eu 
le  sort  de  la  plupart  des  pièces  im- 
primées sur  des  feuilles  volantes  et 
sont  à  jamais  perdues.  Sa  réputation 
avait  traversé  les  monts,  et  il  comp- 
tait en  France  plusieurs  admirateurs, 
parmi  lesquels  nous  nommerons  Di- 
derot, qui  chercha  à  attirer  Salvioni 
ù  Paris,  et  chargea  de  la  négociation 
un  abbé,  qui  s'y  prit  de  manière  à 
la  faire  avorter.  A — y. 

SALVOLINI  (François),  orienta- 
liste italien,  né  à  Faenza  en  1809, 
d'une  famille  honorable,  fit  ses  pre- 
mières études  à  Bologne ,  et  s'oc- 
cupa de  bonne  heure,  sous  la  direc- 
tion du  célèbre  Mezzofanti,  de  la  lit- 
térature orientale.  Ses  progrès  furent 
rapides,  et  il  expliqua  avec  beaucoup 
de  succès  les  hiéroglyphes.  Ses  publi- 
cations sur  cette  matière  lui  acqui- 
rent une  réputation  méritée  et  furent 
appréciées  parles  savants  de  tous  les 
pays.  Salvolini  était  venu  à  Paris,  et 
il  y  poursuivait  avec  ardeur  le  cours 
de  ses  recherches,  mais  cette  ardeur 
lui  devint  funeste.  Atteint  d'une  ma- 
ladie de  poitrine,  il  succomba,  en 
1838,  à  peine  âgé  de  29  ans.  On  a  de 
lui  :  1.  Des  principales  expressions 
qui  servent  à  la  notation  des  dates 
sur  les  monuments  de  l'ancienne 
Egypte,  diaprés  l'inscription  de  Ro- 
sette; lettres  à  M.  l'abbé  C.  Gazzera, 
Paris,  1832,  in-S».  II.  Campagnes  de 
RamsèS'le-Grand  {Sésostris)  contre 
les  Schéta  et  leurs  ai/ies;  manuscrit 
hiérotique  égyptien,  appartenant  à 
M.Sallier,  à  Aix  eu  Provence.  JNotice 
sur  ce  manuscrit,  Paris,  1835,  hi-8", 
avec  pi.  m.  Analyse  grammaticale 
raisonnée  de  différent  s  textes  anciens 
égyptiens,  Paris,  1836,  in~4°,  avec  un 
cahier  de  planches.  C'est  la  première 
partie  d'un  ouvrage  qui  devait  en 
avoir  quatre  et  contenir  1,200  pages 


SAL 


SI 


et  200  pi.  La  mort  prématurée  du 
jeune  savant  a  malheureusement  em- 
pêché de  compléter  cet  important 
travail,  qui  aurait  placé  l'auteur  au 
rang  des  premiers  orientalistes  de 
l'Europe.  Mais ,  tout  incomplète 
qu'elle  est,  cette  Analyse  fixa  l'at- 
tention des  savants.  Le  docteur  Lee- 
mans,  entre  autres,  premier  conser- 
vateur du  Musée  des  antiques  des 
Pays-Bas  ,  publia  ,  à  son  occasion 
(Leyde  et  Paris,  1839,  in-8"),  une 
Lettre  adressée  à  Salvolini  sur  les 
monuments  égyptiens  portant  des 
légendes  royales  dans  les  musées  des 
antiques  de  Leyde,  de  Londres  et 
dans  quelques  collections  particu- 
lières en  Angleterre,  avec  des  obser- 
vations concernant  l'histoire ,  la 
chronologie  et  la  langue  hiérogly- 
phique des  Égyptiens,  et  un  appen- 
dice sur  les  mesures  de  ce  peuple. 

Z. 
SALVONI  (Pierre -Bernard), 
poète  italien,  né  à  Parme  le  26  sep- 
tembre 1723,  était  fort  jeune  lorsque 
son  père  l'emmena  à  Plaisance,  où  il 
allait  s'établir  comme  limonadier. 
Envoyé  ensuite  à  Pise  pour  y  faire  ses 
études,  il  entra  dans  le  séminaire  de 
cette  ville,  et  même  après  en  être 
sorti  il  porta  encore  pendant  quelque 
temps  l'habit  ecclésiastique.  Voilà 
pourquoi  il  fut  connu  d'abord  sous  le 
nom  d'abbé  Salvoni,  bien  qu'il  n'eiit 
point  reçu  les  ordres  sacrés.  De  re- 
tour à  Plaisance, il  y  fonda  une  impri- 
merie avec  André  Bellici,  son  frère 
utérin.  La  première  publication  qui 
sortit  de  ses  presses  fut  (en  1747)  un 
Choix  de  poésies  des  plus  célèbres  au- 
teurs vivants.  Ce  qu'il  y  a  de  singu- 
lier, c'est  que  Salvoni  ne  craignit  pas 
de  se  mettre  au  nombre  des  illustra- 
tions de  sou  temps,  et  de  faire  figurer 
dans  ce  recueil  plusieurs  de  ses  poé- 
sies. Il  donna  ensuite  une  édition  «lesr 


32 


SAL 


SAM 


«pnvres  dramatiques  de  Mttastase 
(i750),  ce  qui  le,  mit  en  rorn'spoii- 
tlance  avec  l'illustre  poète.  Dans  une 
lettre  que  celui-ci  lui  adressa,  on 
trouve,  à  côté  de  justes  plaintes  sur 
les  fautes  grossières  qui  déparent  l'é- 
dition citée  plus  haut,  des  expres- 
sions d'admiration  pour  le  talent  de 
Salvoni,  comme  poète.  Mais,  malgré 
ces  éloges,  ceux  d'Ange  Mazza  et  de 
quelques  journaux  du  temps,  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  que  les  ouvrages 
deSalvoni  sont  tous  fort  médiocres  et 
méritent  l'oubli  complet  où  ils  sont 
tombés.  Salvoni  était  déjà  agent  gé- 
néral de  la  maison  Sforza  Cesarini, 
dans  la  Lombardie,  lorsqu'il  revint, 
en  1766,  à  Parme  avec  sa  famille,  et 
depuis  il  cumula  ces  fonctions  avec 
celles  de  directeur  de  la  poste' aux 
lettres,  qu'il  conserva  jusqu'à  sa 
mort,  arrivée  en  1784.  Salvoni  était 
membre  de  l'académie  des  Arcades  de 
Rome,  sous  les  noms  de  Nisalvo 
Euritense^  et  appartentiit  à  différentes 
sociétés  littéraires  do  Parme  et  de 
Plaisance.  Il  avait  publié  1 1.  Mas- 
sinissa,  tragédie,  Plaisance,  1744, 
in-8°.  Elle  est  au-dessous  du  médio- 
cre, ni  l'auteur  eut  le  bon  esprit  de 
ne  pas  la  comprendre  dans  l'édition 
de  ses  OEuvres.  II.  Un  Recueil  de  poé- 
sies dont  il  fut  l'éditeur  et  en  partie 
l'auteur,  à  l'occasion  d'un  doctorat. 
Plaisance,  1745,  in-8°.  III.  Choix  de 
charmantes  odes  et  de  compositions 
dramatiques  inédites  de  célèbres  au- 
teurs vivants,  Plaisance,  Salvoni, 
1747,  pet.  in-4''.  IV.  Une  Vie  du  doc- 
teur J.  Schiavi,  mise  à  la  tête  d'une 
édition  de  ses  OEuvres,  publiées  par 
Salvoni,  Plaisance,  1748,  in-8°.  V. 
Compositions  dramatiques  écrites 
par  ordre  de  la  cour  de  Saint-Ilde- 
fonse,  Plaisance,  1753,  in-S^.  VI.  Les 
Combats  des  amants^  comédie  pour 
musique,  Parme,  in-4°.  Cette  pièce 


fut  écrite  par  ordre  du  duc  de  Parme 
et  représentée  sur  le  grand  théûtre 
de  cette  ville  dans  l'automne  de  1772. 
VII.  OEuvres  poétiques^  Plaisance, 
1777,  André  Bellici-Salvoni,  2  vol. 
in-S*»,  avec  le  portrait  de  l'auteur.  Ce 
rt^cueil  contient  la  plupart  des  pièces 
que  nous  avons  citées  et  plusieurs 
autres.  A — y. 

SAMACCHINI  (Horace),  peintre, 
naquit  à  Bologne  en  1532,  et  fut  d'a- 
bord élève  de  Pellegrino  et  des  Lom- 
bards. Contemporain  de  Sabbatini, 
il  se  lia  d'amitié  avec  lui  et  le  suivit 
presque  en  même  temps  dans  le  tom- 
be;<u.  S'étant  rendu  à  Rome  pour  se 
mettre  en  réputation,  il  fut  employé 
par  le  pape  Pie  IV  aux  peintures  de 
la  chapelle  royale  ;  il  se  montra 
habile  imitateur  de  l'école  romaine 
et  mérita  les  louanges  de  Sasari,  qui 
ne  les  prodiguait  pas  facilement,  et 
celles  de  Borghini  et  de  Lomazzo. 
Mais  ce  nouveau  style  qu'il  avait 
adopté  lui  plaisait  bien  moins  que 
les  autres,  et  de  retour  à  Bologne  il 
se  plaignait  souvent  d'avoir  qui l té 
son  pays,  où  il  aurait  pu  perfection- 
ner sa  première  manière,  pour  aller 
en  chercher  péniblement  une  nou- 
velle. Ce  regret  était  injuste-,  le  style 
qu'il  se  forma,  et  qui  tenait  de  celui 
de  divers  maîtres  et  du  sien  propre, 
n'a  retenu  de  tous  que  ce  qu'il  y  a  de 
plus  parfait.  Rien  de  plus  exquis  que 
son  tableau  de  la  Purification,  qui  se 
trouve  dans  l'église  Saint-Jacques  à 
Bologne.  Le  seul  reproche  que  l'on 
puisse  faire  à  cette  belle  production 
(si  toutefois  c'en  est  un),  c'est  le  fini 
extrême  de  l'exécution,  à  laquelle  l'ar- 
tiste employa  plusieurs  années,  étu-  je 
diant  sans  cesse  et  retoucha^nt  son 
ouvrage.  Augustin  Carrache  a  gravé 
ce  tableau  comme  un  des  plus  pré- 
cieux de  Pécole  bolonaise,  et  le  Guide 
n'a  pas  dédaigné  de  s'en  servir  dans 


SAM 

le  tableau  de  la  Purification,  qu'il  a 
peint  dans  l'église  du  Dôme/^de  Mo- 
dène.  Lorsque  son  sujet  l'exigeait, 
Samacchini  savait  montrer  de  la  vi- 
gueur. On  vante  encore  la  chapelle 
qu'il  a  peinte  dans  l'église  du  Dôme- 
de-Parme,  où  il  s'est  plus  approché 
du  Corrège  qu'aucun  peintre  de  l'é- 
cole bolonaise  de  son  temps.  Mais  sa 
production  capitale  est  la  voûte  de 
Saint-Abbondio  à  Crémone.  Le  gran- 
diose et  le  terrible  se  le  disputent 
dans  les  figures  des  prophètes;  leur 
action,  leur  attitude,  que  la  petitesse 
du  lieu  rendait  extrêmement  diffici- 
les, sont  trouvées  et  rendues  avec  un 
grand  bonheur.  Il    a   déployé   une 
science  des  raccourcis  tout  à  fait  rare, 
et  il  semble  qu'il  ait  voulu  réunir 
toutes  les  difficultés  de  l'art  pour  en 
triompher.  Son  principal  talent  était 
pour  la  peinture  à  fresque,  à  laquelle 
il  sut  imprimer  le  cachet  d'un  génie 
vaste,  résolu,  hardi,  sans  jamais  em- 
ployer ni  retouches  ni  repentirs;  mé- 
thode qu'il  n'a  pas  suivie  dans  ses 
tableaux  à  l'huile,  qu'il  tourmentait 
à  force  d'y  revenir.  Cet  habile  artiste 
mourut  en  1577,  âgé  seulement  de 
45  ans.  P— s. 

SAMAUCANDI    (  Abou  -  Leith- 
Nase),  fils  de  Mahomet,  ainsi  nommé 
de  Samarcandi,  lieu  de  sa  naissance, 
est  un  auteur  estimé  de  plusieurs 
ouvrages  de  théologie  et  de  juris- 
prudence, parmi  lesquels  on  distin- 
gue un  Commentaire  sur  le  Coran, 
que  Ton  conserve  en  partie  à  la  bi- 
bliothèque publique  de  Leyde,n°  84. 
—  Un  autre  Samarcandi  (Mahomet)^ 
fils  de  Mahmoud,  mentionnépar  Louis 
Marracci  dans  son  Traité  de  VAl- 
coran^  p.  33,  vivait  en  754  de  l'hé- 
gire (1354  de  J.-C).  On  lui  doit  un 
livre  sur  les  Différentes  leçons  du 
Coran.  Assemani,  dans  sa  Biblioth» 
orient.^  1. 1«%  p.  589,  parle  d'un  ou- 

LXXXI. 


SAM 


33 


vrage  de  ce  Samarcandi ,  intitulé  : 
Poème  arabe  sur  la  véritable  leçon 
du  Coran,  enrichi  des  scholies  de 
Nasser-Eddin-Abou-Cacem  Samar- 
candi ;  terminé  en  758  de  l'hég. 
(1356),  il  se  trouve  parmi  les  ma- 
nuscrits de  Pierre  Duval,  acquis  par 
la  bibliothèque  du  Vatican,  n°  32, 
avec  d'autres  ouvrages  de  notre  au- 
teur. J— N. 

SAMARY  (Philippe),  fils  de  Jean 
Samary,  maître  d'écriture,  fameux 
dans  sa  province,  naquit  à  Carcas- 
sonne  le  5  février  1731.  Il  fit  ses  pre-  . 
mières  études  au  collège  des  jésuites 
dans  cette  ville.  Ces  pères,  qui  eurent 
toujours  un  tact  particulier  pour  re- 
connaître les  talents,  engagèrent  cet 
élève  à  entrer  dans  leur  société;  mais 
il  se  décida  pour  l'état  ecclésiasti- 
que séculier.  Envoyé  à  Toulouse  par 
M.  de  Besons,  son  évêque,  afin  d'y 
prendre  ses  degrés,  il  fit  avec  dis- 
tinction ses  cours  de  philosophie  et 
de  théologie.  Ordonné  prêtre  le  24 
mai  1745,  il  exerça  les  fonctions  du 
saint  ministère  avec  autant  de  zèle 
que  de  capacité.  D'abord  curé  à  Saint- 
Hilaire  (1768) ,   il  ne  s'en  tint  pas 
à  des  prônes,  et  composa  des  sermons 
qui  donnèrent  lieu  de  concevoir  les 
plus  heureuses  espérances  de  son  ta- 
lent. Le  15  déc.  1762,  il  fut  appelé  à 
Lagrasse,  où  il  resta  jusqu'en  1772, 
qu'il  fut  chargé  de  la  cure  de  Saint- 
Nazaire  à  Carcassonne.  C'est  là  qu'il 
développa  son  goût,  nous  avons  pres- 
que dit  son  génie  pour  la  poésie.  Il 
avait  l'esprit  fort  gai,  un  peu  malin 
et  même  satirique;  ce  penchant  l'en- 
traîna. Un  chanoine  d'une  petite  ville, 
homme  très-estimable,  avait  la  manie 
de  faire  de  très-mauvais  vers  ;  ce  qui 
lui  attira  quelques  épigrammes.  Sa- 
mary  le  sut,  et,  excité  par  un  tiers, 
il  fit  pleuvoir  sur  l'infortuné  iiiétro- 
inane  un  déluge  de  vers  patois  fort 

3 


34 


SAM 


SAN 


piquants.  Ces  badinages  de  son  loisir 
ne  l'empêchèrent  pas  d'être  très-r*^- 
gulier  dans  sa  conduite,  et  de  remplir 
fort  exactement  ses  devoirs.  Dans  les 
divers  postes  qu'il  occupa,  il  se  mon- 
tra digne  du  choix  de  ses  supérieurs, 
de  l'estime  de  ses  confrères  et  de  l'af- 
fection, de  la  confiance  de  ses  parois- 
siens. Vivant  dans  un  temps  où  les 
affaires  des  jésuites  et  des  jansénistes 
divisaient  les  esprits,  tout  en  accor- 
dant aux  jugements  du  saint-siége  la 
soumission  qu'un  ecclésiastique  leur 
doit,  il  sut  estimer  les  vertus,  les  ta- 
lents qui  avaient  brillé  dans  leurs 
adversaires.  Mais  comme  il  tâchîi  de 
vivre  d'accord  avec  chaque  paiti,  il 
finit  par  être  suspect  à  tous  les  deux. 
Quelques  personnes  même  soutien- 
nent que  ce  ne  fut  pas  à  tort  que  les 
partisans  des  jésuites  se  plaignirent 
de  sa  prétendue  impartialité,  puis- 
qu'il penchait  un  peu  pour  les  opi- 
nions de  Jansénius.  Si  cela  est,  il  est 
certain  qu'avant  sa  mort  il  a  mani- 
festé des  sentiments  tout  à  fait  con- 
traires  et    d'un  catholique  parfait. 
En  1789  il  fut  nommé  par  le  clergé 
député  aux  États-généraux.  Lors  de 
la   destruction   des  ordres ,  on   le 
compta  au  nombre  des  curés  qui,  les 
premiers,  se  réunirent  au  tiers-état, 
dans   la  crainte  trop    mal  calculée 
qu'une  forte  résistance  n'occasionnât 
de  plus  grands  malheurs.  Il  se  repen- 
tit bientôt  de  sa  faiblesse,  et  parla 
avec  force,  à  la  tribune,  contre  les 
spoliateurs  du  clergé  et  contre  le  re- 
fus que  fit  l'assemblée  nationale  de 
déclarer  la  religion  catholique,  reli- 
gion de  l'État.  Ses  opinions  furent 
imprimées  -,  elles  confirmèrent  l'idée 
qu'il  avait  donnée  de  ses  excellents 
principes  politiques  et  religieux.  Bien- 
tôt la  constitution  civile  du  clergé 
fut  décrétée.  Samary  refusa  le  ser- 
ment prescrit  ]  et  lorsqu'une  nouvelle 


législature  eut  prononcé  le  bannisse- 
ment des  i)rêtres  insermentés,  il 
quitta  la  capitale  pour  se  réfugier  en 
Italie.  Il  fixa  sa  résidence  à  Rome, 
où  il  resta  jusqu'après  la  publication 
du  concordat  de  1801.  Rentré  dans 
son  diocèse  et  revenu  à  Sainl-Nazaire, 
paroisse  de  l'ancienne  cathédrale,  il 
eut  le  chagrin  de  la  voir  occupée  par 
un  curé  constitutionnel,  qui  lui  avait' 
aliéné  l'affection  de  ses  paroissiens. 
Égarés  par  l'esprit  schismatique,  ils 
abhorraient  leur  vrai  pasteur.  On  le 
nomma  quelque  temps  après  (sept, 
1803)  chanoine  et  curé  de  la  nouvelle 
cathédrale.  Mais  on  peut  dire  qu'il 
n'existait  presque  plus.  Son  âge,  ses 
tribulations  l  avaient  totalement 
changé.  Il  ne  fit  que  languir  et  souf- 
frir jusqu'à  sa  mort,  qui  arriva  le 
8  nov.  de  la  même  année.  Quelques- 
uns  de  ses  Sermons  et  instructions 
familières  ont  été  imprimés.      Z. 

SANADON.  Voy.  Bêla,  LVII,  472. 

SAN-CARLOS  (Don  Joseph-Mi- 
chel DE  Carvajal,  duc  de),  l'un  des 
Espagnols  qui,  dans  ces  derniers 
temps,  ont  montré  le  plus  de  zèle  et 
d'attachement  à  leur  ancienne  mo- 
narchie ,  était  grand  d'Espagne , 
capitaine-général,  directeur  de  l'A- 
cadémie, etc.,  et  il  naquit  en  1771 
à  Lima,  dans  le  Pérou,  de  l'ancienne 
famille  de  Carvajal,  qui  se  prétendait 
issue  des  rois  de  Léon.  Il  fit  ses  étu- 
des dans  le  collège  de  cette  ville,  et 
VJîit  en  Espagne  à  l'âge  de  seize  ans, 
par  suite  de  la  réunion  à  la  couronne 
de  la  dignité  de  premier  courrier  des 
Indes,  possédée  par  sa  famille  depuis 
Charles-Quint,  qui  l'avait  accordée  à 
l'un  de  ses  aïeux,  Lorenzo  Galindez  de 
Carvajal,  comme  titre  héréditaire^ 
pour  les  Indes  découvertes  et  à  dé- 
couvrir. Le  duc  de  San-Carlos  entra 
dans  la  carrière  militaire  comme  co- 
lonel en  second  du  régiment  d'infau- 


SAN 

terie  de  Majorque,  dont  son  oncle, 
Louis  de  Carvajal ,  comte  de  la  Union, 
était  colonel.  A  l'âge  de  17  ans,  il  se 
trouva  au  siège  d'Oran,  et  fit  la  cam- 
pagne de  Catalogne  en  1793.  S'étant 
embarqué  volontairement  sur  l'ex- 
pédition dirigée  contre  Toulon  avec 
la  flotte  anglaise  sous  les  ordres 
de  Pamiral  Hood,  il  commanda  la 
droite  de  l'armée  combinée,  dans  l'at- 
taque du  fort  Pharon,  s'y  distin- 
gua par  sa  valeur,  et  fut  nommé 
colonel  du  régiment  de  Majorque.  Il 
obtint  le  brevet  de  brigadier  à  la 
fin  de  cette  campagne.  Le  duc  de 
San-Carlos  se  réunit  ensuite  avec 
son  régiment  à  l'armée  du  Rous- 
sillon ,  où  il  continua  de  rendre  les 
services  les  plus  importants  jusqu'à 
la  mort  du  comte  de  la  Union,  gé- 
néral en  chef  de  cette  armée.  Pour 
le  consoler  de  cette  perte  et  récom- 
penser ses  services,  le  roi  le  nom- 
ma maréchal-de-camp  et  chambellan 
du  prince  des  Asturies,  depuis  Fer- 
dinand VIL  Appelé  à  Madrid  par  ce 
nouvel  emploi,  il  se  fit  remarquer  au 
milieu  d'une  cour  brillante,  et  fut 
nommé,  en  1797,  gouverneur  du 
prince  des  Asturieset  des  infants.  Il 
dirigea  en  celte  qualité  les  leçons  du 
chanoine  Escoïquiz,  qui  était  leur 
précepteur;  mais  son  système  d'édu- 
cation ne  s'accordant  point  avec  les 
vues  du  favori  Godoy,  il  fut  privé  de 
ces  fonctions,  et  nommé  majordome 
de  la  reine  en  1801,  au  moment  où 
l'on  s'occupait  du  mariage  de  Ferdi- 
nand avec  une  princesse  des  Deux- 
Siciles.  En  1805  il  fut  investi  de  la 
charge  de  majordome  du  roi  Char- 
les IV,  et,  eu  1807,  peu  de  temps  avant 
le  fameux  procès  de  l'Escurial,  on  l'é- 
loignadela  cour,  en  le  nommant  vice- 
roi  de  Navarre.  Trois  mois  après  qu'il 
eut  pris  i)ossession  de  sa  vice-royauté 
il  reçut  l'ordre  de  se  constituer  pri- 


SAN 


S5 


sonnier  dans  la  citadelle.  Cette  ar- 
restation avait  pour  prétexte  un 
bruit  qui  s'était  répandu  qu'à  l'épo- 
que où  Charles  IV  était  tombé  ma- 
lade à  Saint-Ildefonse,  le  duc  de  San- 
Carlos  avait  conseillé  au  prince  des 
Asturies,  dans  le  cas  où,  par  la  mort 
de  son  père,  il  viendrait  à  régner, 
d'éloigner  sa  mère  de  toute  influence 
dans  les  affaires,  de  mettre  en  juge- 
ment le  favori  que  tout  le  monde 
détestait,  et  de  s'environner  de  mi- 
nistres fidèles.  Pendant  le  ridicule 
procès  de  l'Escurial,  que  Charles  IV 
lit  subir  à  son  propre  fils  {voy.  Fer- 
dinand VII,  LXIV,  80),  le  ducde  San- 
Carlos  fut  soumis  à  divers  interroga- 
toires, puis  on  l'exila  à  soixante  lieues 
de  Madrid  et  à  vingt  lieues  des  côtes, 
avec  défense  de  fixer  son  domicile 
dans  le  royaume  de  Navarre,  dont 
les  habitants  voyaient  avec  peine  la 
persécution  qu'on  lui  faisait  souffrir. 
Il  fixa  sa  résidence  à  Âlfaro,  lorsque 
les  armées  françaises  entrèrent  en 
Espagne,  sous  le  prétexte  d'aller  en 
Portugal.  Sur  ces  entrefaites,  l'in- 
surrection d'Aranjuez  éclata,  et  le 
prince  Ferdinand  fut  placé  sur  le 
trône  par  suite  de  l'abdication  de  son 
père;  il  appela  aussitôt  auprès  de 
lui  le  duc  de  San-Carlos,  et  le  nom- 
ma de  nouveau  grand-maître  de  sa 
maison  et  membre  de  son  conseil 
privé.  Le  duc  arriva  à  Madrid  peu  de 
jours  avant  le  départ  du  prince  pour 
Bayonne,  et,  de  même  que  le  vieux 
et  sage  Escoïquiz,  ne  soupçonnant 
point  la  perfidie  de  Napoléon,  il 
ne  sut  pas  donner  au  jeune  roi  le 
prudent  avis  de  rester  dans  sa  ca- 
pitale ;  il  l'accompagna  même  jus- 
qu'à Bayonne,  où  ses  yeux  s'ouvri- 
rent enfin.  Dans  plusieurs  conféren- 
ces qu'il  eut  avec  l'empereur  fran- 
çais, il  fit  preuve  de  beaucoup  de 
sens  et   de  courage.   Napoléon   lui 

3. 


36 


SAN 


SAN 


ayant,  à  plusieurs  reprises,  proposé 
pour  Ferdinand  VII  la  couronne 
d'Étrurie  en  échange  de  celle  d'Es- 
pagne, il  déclara  avec  fermeté  que 
le  roi  ne  pouvait  rien  décider  dans 
des  affaires  aussi  grlives,  sans  jouir 
de  toute  liberté  et  sans  le  consente- 
ment des  Cortès.  Les  renonciations 
en  faveur  de  Napoléon  ayant  eu  lieu 
les  5  et  10  mai  1808,  celui-ci  fit  dire 
au  duc  de  San-Carlos  qu'il  espérait 
le  compter  désormais  au  nombre  de 
ses  serviteurs  :  le  duc  répondit  no- 
blement que  Ferdinand  sur  le  trône 
rayant  comblé  d'honneurs ,  il  ne 
l'abandonnerait  pas  dans  le  malheur  ; 
qu'il  préférait  l'estime  de  Napoléon 
à  ses  bienfaits,  et  qu'il  implorait  sa 
protection  seulement  pour  qu'il  lui 
fût  permis  de  suivre  son  maître.  Il 
raccompagna  en  effet  et  resta  avec 
lui  à  Valençay  jusqu'à  ce  que,  sous 
le  prétexte  de  traiter  des  affaires  re- 
latives au  roi  et  aux  infants,  il  fut 
appelé  avec  EscoTquiz  à  Paris,  par 
ordre  de  Napoléon.  L'un  et  l'autre  y 
résidèrent  jusqu'au  mois  d'avril 
1809,  et  profitèrent  de  ce  temps  pour 
conférer  sur  les  affaires  d'Espagne 
avec  les  agents  diplomatiques  d'Au- 
triche, de  Russie  et  de  Prusse.  Les 
soupçons  qu'attira  leur  conduite  pa- 
triotique, et  les  intrigues  d'un  grand 
écuyer  de  Ferdinand  VII,  qui  les 
signala  à  la  police  de  Napoléon, 
comme  ayant  une  influence  dange- 
reuse sur  l'esprit  du  roi,  furent  des 
motifs  pour  les  séparer  :  Escoïquiz 
fut  confiné  à  Bourges  et  le  duc  de 
San-Carlos  à  Lons-le-Saulnier.  Ain- 
si éloigné  des  affaires,  ce  dernier 
se  livra  à  l'étude  de  la  botanique, 
continua  de  cultiver  les  lettres,  la 
politique  et  principalement  l'his- 
toire. Ses  connaissances  dans  cette 
partie  lui  avaient  déjà  valu  le  titre 
Ue  membre    de  l'Académie,   Enfin, 


lorsque  Napoléon  se  vit  obligé  de 
rétablir  Ferdinand  sur  le  trône  d'Es- 
pagne, il  fixa  son  attention  sur  le 
duc  de  San-Carlos  comme  sur  la  per- 
sonne lapins  propre  par  son  carac- 
tère à  concilier  les  opinions  des  par- 
tis. II  l'appela  à  Paris  dans  le  mois 
de  novembre  1813,  et  lui  annonça  sa 
résolution  qu'il  lui  fit  aussi  commu- 
niquer par  le  duc  de  Bassano,  afin 
qu'il  eût  à  se  mettre  en  roule  pour 
Valençay,  où  se  trouvait  déjà  le  di- 
plomate Laforest,  avec  des  pouvoirs 
pour  négocier.  Son  arrivée  satisfit 
singulièrement  le  roi,  surtout  lors- 
que ce  prince  apprit  que  les  répon- 
ses du  duc  à  Napoléon  étaient  con- 
formes à  celles  qu'il  avait  faites  lui- 
même  à  Laforest.  Après  de  longues 
discussions,  San-Carlos  signa,  le8  dé- 
cembre, un  traité  digne  dans  toutes 
ses  dispositions  du  roi,  de  la  nation 
espagnole,  et  semblable  en  substan- 
ce à  ceux  qui  ont  été  faits  dans  des 
circonstances  plus  heureuses.  Il  par- 
tit aussitôt  pour  Madrid,  afin  d'ob- 
tenir la  ratification  de  la  régence. 
Arrivé  dans  celte  capitale  le  6  jan- 
vier 1814,  il  vit  avec  peine  que  tou- 
tes ses  fatigues  étaient  inutiles,  et 
que  son  zèle  l'exposait  à  de  grands 
dangers  au  milieu  de  gens  furieux, 
qui  voyaient  leur  autorité  expirer, 
et  leurs  projets  révolutionnaires  me- 
nacés. On  communiqua  au  duc  de 
San-Carlos  le  décret  des  Cortès,  où  il 
était  ordonné  de  considérer  comme 
traître  quiconque  aurait  des  relations 
de  quelque  nature  que  ce  fût  avec 
Napoléon  ;  et  l'on  n'y  joignait  aucune 
réponse,  si  ce  n'est  une  lettre  de 
compliments  insignifiants  pour  le 
roi,  écrite  par  la  régence.  Convaincu 
de  l'inutilité  d'autres  démarches  et 
craignant  avec  raison  pour  sa  per- 
sonne, il  résolut  de  retourner  à  Va- 
lençay, en  abandonnant  de  nouveau 


SAN 

sa  femme  et  ses  enfants,  qn'iravait 
eu  le  bonheur  de  revoir  après  une  si 
longue  absence.  Obligé  d^entrepren- 
dre  une  nouvelle  négociation  avec 
le  gouvernement  français,  pour  sol- 
liciter le  retour  en  Espagne  du  roi 
et  des  infants,  ainsi  que  l'évacuation 
des  places  occupées  par  les  troupes 
françaises,  quoique  le  traité  n'eût 
point  été  ratifié  par  les  Cortès,  il 
eut,  en  passant  par  la  Catalogne, une 
conférence  à  ce  sujet  avec  le  maré- 
chal Suchet,  qui  accéda  à  ses  désirs. 
Arrivé  à  Valençay,  il  rendit  compte 
du  résultat  de  sa  mission  au  roi,  qui, 
impatient  de  n'avoir  pas  reçu  de  ses 
nouvelles,  lui  avait  expédié  legénéral 
don  Joseph  Palafox,  avec  de  nou- 
velles instructions.  Le  duc  de  San- 
Carlos  repartit  de  Valençay  à  la  re- 
cherche de  Napoléon,  et  après  divers 
voyages  dans  toutes  les  directions, 
la  rapidité  des  mouvements  auxquels 
l'obligeaient  les  opérations  des  ar- 
mées alliées  qui  combattaient  au  sein 
de  la  France  ne  lui  permettant  pas 
de  l'atteindre,  il  se  décida  à  rédiger 
un  mémoire  sur  l'objet  de  sa  négocia- 
tion. Enfin  il  obtint  une  réponse  du 
duc  de  Bassano,  qui  lui  fit  connaître 
que  la  dernière  décision  de  l'empe- 
reur était  que  le  roi  Ferdinand  re- 
tournât en  Espagne  avec  les  infants, 
en  promettant  de  ratifier  le  traité  à 
Madrid,  après  avoir  entendu  son 
conseil,  et  qu'alors  on  évacuerait  les 
places  que  l'armée  française  occupait 
en  Espagne.  Le  jour  où  le  duc  de 
San-Carlos  eut  le  bonheur  de  remet- 
tre à  son  souverain  et  aux  infants 
les  passe-ports  pour  se  rendre  en 
Espagne,  par  le  Roussillon,  sous  le 
nom  de  comte  de  Barcelone,  le  roi 
lui  donna  la  décoration  de  la  Toi- 
son-d'Or  que  lui-même  portait.  Ce 
prince  lui  adressa  en  même  temps 
une  lettre  également  honorable  pour 


SAN 


37 


le  monarque  et  pour  le  sujet;  mais 
le  duc  eut  à  vaincre  de  nouvelles 
difficultés  à  Perpignan,  où  le  maré- 
chal Suchet  s'opposa,  d'après  les 
dernières  instructions  qu'il  avait  re- 
çues, à  la  continuation  du  voyage  ; 
et  il  fut  nécessaire  de  laisser  en 
otage  l'infant  don  Carlos.  Le  duc  né- 
gocia avec  le  maréchal  pour  obtenir 
la  délivrance  de  l'infant,  qui  se  réu- 
nit à  son  aug'îste  frère  à  Girone. 
Il  était  alors  le  seul  ministre  qui  ac- 
compagnât le  roi.  L'autorité  était 
dans  les  mains  des  Cortès,  et  les 
seules  démarches  à  faire  étaient  d'é- 
crire, comme  cela  eut  lieu,  à  la  ré- 
gence, en  manifestant  le  désir  qu'a- 
vait Ferdinand  de  s'occuper  de  tout 
ce  qui  pourrait  contribuer  au  bon- 
heur de  la  nation  ;  de  capter  la  bonne 
volonté  de  Wellington,  dont  l'in- 
fluence était  d'un  grand  poids.  Dans 
ce  but  le  monarque  espagnol  lui 
écrivit  une  lettre  flatteuse,  en  l'as- 
surant qu'il  mettait  un  grand  prix 
à  ses  services  ;  enfin  il  fit  tout  pour 
gagner  du  temps  afin  d'observer  l'o- 
pinion, et  de  connaître  le  véritable 
état  des  choses.  C'est  ce  qui  décida  le 
voyage  de  Saragosse,  Ferdinand  vou- 
lant donner  un  témoignage  de  re- 
connaissance aux  Aragonais  et  à 
Palafox.  Vers  le  milieu  d'avril,  San- 
Carlos  arriva  avec  le  roi  à  Valence, 
où  s'était  rendu  le  cardinal  de  Bour- 
bon, président  de  la  régence,  qui, 
d'après  le  décret  des  Cortès  du  2  fé- 
vrier, continuait  à  gouverner,  mal- 
gré la  présence  du  souverain.  Le  3 
mai,  le  di:cde  San-Carlos  fut  nommé 
premier  ministre  secrétaire  d'État, 
et  le  lendemain  le  roi  signa  le  dé- 
cret par  lequel  il  reprit  les  rênes  du 
gouvernement,  sans  avoir  fait  aucune 
espèce  de  concession.  Toutes  les  me* 
sures  furent  concertées  pour  son 
exécution.  Plusieurs  personnes  re- 


38 


SAN 


comiiiandables  et  de  diverses  opi- 
nions^ qui  sertHuiirent  au  ni.<narqiie, 
contribuèrçul  à  la  rédaction  de  ce  dé- 
cret. Dans  cette  réunion,  quelques 
individus,  voyant  avec  jalousie  l'in- 
fluence du  duc,  cherchèrent  à  as- 
surer leurs  projets  ultérieurs  en 
s'entendant  avec  l'infant  don  Anto- 
nio, qui  déjk  avait  témoigné  du  mé- 
contentement de  n'avoir  point  été 
du  voyage  de  Saragosse  et  d'avoir 
été  envoyé  à  Valence,  oii  la  présence 
d'un  membre  de  la  famille  royale 
était  nécessaire.  Le  duc  n'eut  point 
l'honneur  d'accompagner  le  roi  dans 
sa  voiture  depuis  Valence,  comme 
cela  avait  eu  lieu  auparavant,  mais  il 
conserva  une  grande  influence  jus- 
qu'à son  arrivée  à  Madrid.  Malgré 
la  nomination  de  Macanaz  au  minis- 
tère de  la  justice,  de  Freyre  à  celui 
de  la  guerre,  de  Lardizabal  à  celui 
des  Indes,  et  de  Salazar  à  celui  des 
finances ,  tous  ces  ministres  travail- 
laient plutôt  avec  le  duc  qu'avec  le 
roi,  et  l'on  peut  dire  qu'on  lui  dut 
exclusivement  toutes  les  mesures 
prises  pour  s'assurer  au  moins  une 
partie  de  l'armée,  et  pour  détruire  le 
gouvernement  des  Cortès,  en  lui 
substituant  l'autorité  royale.  Cette 
prodigieuse  révolution,  qui  chan- 
geait l'existence  de  l'Espagne,  eut 
lieu  sans  biuit  et  sans  qu'il  y  eût 
une  seule  goutte  de  sang  répandue. 
Le  duc  continua  d'exercer  les  fonc- 
tions de  ministre  d'État,  avec  le  re*- 
gret  devoir,  dans  différentes  occa- 
sions et  pour  des  objets  importants, 
son  suffrage  repoussé.  Il  expédiait  en 
même  temps  les  affaires  du  ministère 
de  la  maison  du  roi,  et  celles  du  mi- 
nistère de  la  guerre,  que  n'avait  pas 
voulu  accepter  le  général  Freyre, 
jusqu'à  ce  qu'on  le  dispensât  de  cette 
dernière  charge,  qui  fut  confiée  au 
général  Eguia.  Le  roi  de  Prusse  en- 


SAN 

voya  alors  au  duc  les  grandes  déco- 
rations de  l'Aigle-Noir  et  de  l'Aigle- 
Rouge,  et  le  roi  des  Deux-Siciles 
celles  de  Saint-Ferdinand  et  de  Saint- 
Janvier,  avec  une  lettre  flatteuse  sur 
les  négociations  qui  avaient  contri- 
bué à  le  replacer  sur  le  trône  de  Na- 
ples.  Le  duc  de  San-Carlos  sépara  le 
trésor  de  la  couronne  de  celui  de  la 
monarchie,  et  il  introduisit  un  ordre 
très-sévère  dans  les  dépenses  de  la 
maison  du  roi,  en  les  réduisant  à  une 
assignation  de  40  millions  de  réaux 
sur  le  trésor  de  l'État,  en  outre  des 
produits  du  patrimoine  royal,  dont 
il  revendiqua  les  droits  dans  les  pro- 
vinces. Il  établit  une  junte  de  minis- 
tres, qui  se  réunissait  toutes  les  se- 
maines sous  sa  présidence,  et  à 
laquelle  on  appela  les  personnes 
qu'on  avait  l'habitude  de  consulter. 
Il  prit  diverses  mesures  pour  la  ré- 
paration des  routes,  pour  les  canaux, 
pour  la  navigation  du  Guadalquivir, 
pour  la  restauration  des  jardins  bo- 
taniques ;  il  s'occupa  de  la  réinstal- 
lation des  académies  et  sociétés  éco- 
nomiques; porta  tous  ses  soins  à 
rétablir  le  crédit  de  la  banque  de 
Saint-Charles,  dont  il  était  directeur, 
et  dans  des  circonstances  aussi  mal- 
heureuses parvint  à  faire  payer  un  di- 
vidende. Il  proposa  au  roi  la  création 
du  musée  Fernandino  pour  la  pein- 
ture, la  sculpture  et  l'architecture, 
et  en  général  il  annonça  qu'une  pro- 
tection décidée  serait  accordée  à  qui- 
conque se  distinguerait  p%r|ses  ta* 
lents.  Dans  le  mois  de  novembre 
1814,  voyant  qu'il  ne  pouvait  mettre 
à  exécution  le  plan  qu'il  s'était  pro- 
pos*^, et  le  nombre  de  ses  ennemis 
augmentant,  il  demanda  sa  démis- 
sion. Le  roi  l'accepta  et  nomma  pour 
le  remplacer  don  Pedro  Cevallos.  Le 
duc  continua  cependant  d'exercer  le 
ministère  de  la  m&ison  du  roi  jusque 


I  SAN 

"  vers  le  milieu  d'oct.  1815.  Alors  Fer- 
dinand, en  déclarant  qu'il  était  sa- 
tisfait de  ses  services  et  qu'il  n'avait 
rien  perdu  dans  son  estime,  lui  or- 
donna (fe  partirpour  Truxilioen  Es- 
traniadure,oii  il  possédait  une  terre; 
mais  le  lendemain  il  fut  nommé  am- 
bassadeur à  Vienne,  et  s'y  rendit 
aussitôt.  Pendant  son  séjour  dans 
cette  capitale,  il  s'occupa  d'examiner 
tous  les  établissements  utiles,  et  sur- 
tout de  soigner    l'éducation  de  ses 

I  enfants.  En  1817,  il  reçut  l^ordre  de 
passer  en  la  même  qualité  à  Londres, 
où  il  donna  des  fêtes  brillantes  à  l'oc- 
casion du  troisième  mariage  de  Fer- 
dinand VII.  Ayant  manifesté  son  op- 
position à  la  révolution  de  1820,  où 
le  roi  d'Espagne  fut  conduit  prison- 
nier à  Cadix,  il  cessa  de  remplir  les 
fonctions  d'ambassadeur  auprès  de  la 
cour  de  Saint-James  et  se  rendit  à 
Lucques,  dont  le  souverain,  qui  était 
un  infant  d'Espagne,  le  nomma  son 
ministre  plénipotentiaire  près  la  cour 
de  France.  Il  présenta  ses  lettres  de 
créance  à  Charles  X,  le  9  février 
1825  ;  mais  dès  que  Ferdinand  fut 
revenu  dans  sa  capitale,  le  duc  de 
San-Carlos  devint  son  ambassadeur 
à  Paris,  où  il  se  fit  remarquer  par  son 
esprit  et  l'étendue  de  ses  connaissan- 
ces. Il  mourut  dans  cette  ville,  le 
17  juillet  1828,  des  suites  d'un  ané- 
vrisme.  La  mort  de  sa  fille,  k  com- 
tesse de  Lépine,  qu'il  aimait  tendre- 
ment, lui  avait  d'ailleurs  causé  une 
vive  affliction,  et  l'on  pense  que  ce 
chagrin  abrégea  ses  jours.  L'aîné  de 
ses  fils,  qui  jusqu'à  sa  mort  avait 
porté  le  titre  de  comte  del  Puerto, 

L     prit  celui  de  duc  de  San-Carlos. 

WL  M~Dj. 

^  SAN€A8SAKO  ou  Sancassani 
(Denis  Andbé),  médecin  italien  né 
à  Guallieri  en  1659,  fit  ses  études 
à  l'université  de  Bologne.  Reçu  doc- 


SAN 


89 


teur  à  Page  de  19  ans,  il  alla  faire 
sa  pratique  à  Florence,  dans  l'hos- 
pice de  Sainte-Marie-Nouvelle,    et 
au  bout  d'un  an  il  revint  à  Reg- 
giolo,   où  sa  famille   s'était  retirée 
depuis  quelque  temps.  Après  avoir 
successivement    exercé   son    art    à 
Gonzague,  à  Bozolo,  à  Gazzuolo, 
à  Reggiolo  et  à  Comacchio ,  il  fut 
appelé  en   1718  à  la  cour  de  Fer- 
dinand de  Gonzague,  duc  de  Guas- 
taila.  Il  resta  auprès  de  ce  prince 
jusqu'en  1723,  époque  où  il  le  quitta, 
à  la  suite  de  quelques  désagréments, 
pour  recommencer  sa  vie  de  médecin 
errant  de  ville  en  ville.  Comacchio, 
Fusignagno,   Bevagna,   Spolète,    et 
même  Guastalla,  le  reçurent  tour  à 
tour,  et  il  fit  dans  chacune  de  ces 
villes  une  station  de  quelques  an- 
nées. Enfin  arrivé  à  l'âge  de  74  ans, 
il  voulut  prendre  du  repos,    et  se 
retira  à  Comacchio,  où  il  continua 
cependant  d'exercer  son  art.  Frappé 
d'un  coup  d'apoplexie   en  1737,  il 
languit  quelques  mois,  et  mourut  le 
11  mai  de  l'année  suivante.  Il  avait 
publié  :  I.  Phtoes  Therapeja  cl.  viri 
JacoM  Ripœ  medici  ihesibus  expo- 
sita  à    D.-A.  Sancassani  medico 
totidem   antithesibus  coniradicta , 
Guastalla,  1683,  in-é».  II.  Polyari' 
drium.)  nempe  dissertationum  epi- 
stolarium  j  quibus  medica  eruditis 
intersternendo ,  sepulchralia  non- 
nulla  monumenta^  turn  nova,  tum 
antiqua^   ab  obscuritatis  vita  ac 
squailore  vindicata,  doctiorum  cri- 
teriis  nituntur,  Enmas,  cui  aitexi- 
tur  Suggrundarii  spécimen,  Ferrare, 
1701,  in-é*».  C'est  le  prospectus  d'un 
ouvrage  historico-médical  que  Pau- 
teur  n'a  point  pubUé.  Une  des  dis- 
sertations qu'il  devait  contenir  a  été 
imprimée  à  Venise  en  1792,  sous  le 
titre  de  Notices  historiques  sur  l'é- 
glise de  Saint-Pierre-in-SUvis  de 


40 


SAN 


liagnacavallo.  [\\.  Explication  de  la 
manière  de  guérir  les  blessures,  en- 
seignéeparun  auteur  français-mo- 
derne, Furli,  Sariti,  1707,  in-8'\  Cet 
opuscule  est  comme  une  introduction 
à  la  traduction  de  l'ouvrage  de  Bel- 
loste,dont  nous  parlerons.Sancassano 
voulut  démontrer  que  la  méthode 
de  l'auteur  français  pour  la  guérison 
des  blessures  avait  déjà  été  proposée 
par  le  chirurgien  César  Magati.  IV. 
Le  Chirurgien  en  campagne,  ou  Ma- 
nière sûre  et  vraie  de  soigner  les 
blessés  dans  les  armées  y  ouvrage 
traduit  du  français^  Venise,  1708, 
in-8S  et  1729,  2  vol.  in-8o.  C'est  la 
traduction  du  livre  de  Belloste  qui  a 
pour  titre  :  Le  Chirurgien  d'hôpital. 
V.  Aphorismes  généraux  pour  le 
traitement  des  blessures  diaprés  Ma- 
gati^ Venise,  1713,  in-S».  VI.  L'A- 
natomie  des  eaux,  observations  et 
expériences  posthumes  d'un  philo- 
sophe, Padoue,  1715,  in-8o.  VII.  Ma- 
gati ressuscité  pour  l'avantage  des 
blessés,  et  pour  servir  de  guide  à 
ceux  qui  les  soignent,  Padoué,  in-12. 
C'est  le  prospectus  d'un  ouvrage  qui 
n'a  pas  été  publié  séparément,  mais 
qui  se  trouve  dans  l'édition  des  OEu- 
vres  de  Sancassano.  VIII.  Dilucida- 
lions  médico-chirurgicales,  Rome, 
1731-38,  4  vol.  in-folio.  Dans  ce  re- 
cueil se  trouvent  non-seulement  les 
ouvrages  que  nous  avons  cités,  mais 
encore  plusieurs  écrits  de  Magati  et 
de  chirurgiens  de  son  école.  IX.  Phi- 
losophie de  Callimaque  Neridio,  P. 
A.  (pasteur  arcadien)  (le  père  Tho- 
mas Ceva,  jésuite),  en  VI  livres, 
traduits  du  latin  en  vers  libres  par 
ton  ami  Olpio  Acheruntico,  P.  A. 
(Sancassano),  Venise,  1732.  C'est  à 
tort  que  Portai  attribue  à  Sancassano 
les  Cinque  disinganni  chirurgiciper 
la  cura  délie  ferite,  imprimés  à  Ve- 
nise ^^  ^'^^^'  ^^'^  ouvrage  appartient 


SAN 

à  Antoine  lionaccini,  chirurgien  de 
Coinacchio,  mais  il  est  possible  que 
Sancassano  y  ait  mis  la  main.  Les 
écrits  de  ce  médecin  qui  sot^  restés 
inédits  pourraient  fournir  la  matière 
de  dix  volumes  in-folio.  Ses  ouvrages 
attestent  une  érudition  profonde  et 
variée,  mais  aussi  une  certaine  con- 
fusion et  bizarrerie  dans  les  idées. 
Sancassano  appartenait  à  plusieurs 
académies  italiennes,  entre  autres  a 
celle  des  Arcades  de  Rome,  où  il  avait 
été  reçu  sous  les  noms  déjà  cités 
d'Olpio  Acheruntico.  A— t. 

SANCHE  I",  second  roi  de  Portu- 
gal, était  fils  d'Alphonse-Henriquez, 
premier  roi  de  cette  contrée,  et  de 
Mafalde  ,  fille  d'Amédée ,  premier 
comte  de  Savoie.  Ce  prince,  né  à 
Coïmbre  le  il  novembre  1154,  fut 
instruit  dans  l'art  de  la  guerre  et  de 
la  politique  par  de  grands  hommes 
et  par  son  père  lui-même.  Il  n'avait 
que  treize  ans  lorsqu'il  combattit  à 
Arganal  contre  le  roi  de  Léon.  A 
cette  époque,  les  Maures  occupaient 
encore  une  grande  partie  de  la  pénin- 
sule ibérique.  Sanche,  par  les  ordres 
de  son  père,  courut  s'opposer  à  leurs 
incursions  dans  la  province  d'Alen- 
téjo.  Attaqué  par  eux  dans  la  cam- 
pagne d'Ascaraso,  il  les  écrasa  et  les 
mit  en  fuite.  Il  ne  rentra  dans  San- 
tarem  qu'après  avoir  porté  la  terreur 
de  ses  armes  jusqu'à  Séville,  ravagé 
le  territoire  ennemi,  chassé  les  Mau- 
res de  devant  Béja,  et  les  avoir  vain- 
cus dans  une  bataille  rangée.  Tandis 
qu'il  était  à  Santarem  (1184),  une  im- 
mense armée  d'infidèles  vint  l'y  assié- 
ger. Il  se  défendit  durant  huit  jours. 
Secouru  à  temps  par  son  père,  il  sor- 
tit de  la  place  et  poursuivit  les  infi- 
dèles dont  il  fit  un  grand  carnage. 
Trois  jours  après  la  mort  d'Alphonse- 
Henriquez  (août  1 185),  il  fut  couronné 
roi  de  Portugal.  Jamais  prince  n'eut 


SAN 

des  manières  plus  simples,  plus  affa 
bles ,  ni  un  cœur  plus  généreux.  Il 
savait  être  à  propos  économe  et  libé- 
ral. Il  aimait  ses  sujets  et  les  laissait 
approcher  de  sa  personne.  A  toutes 
ces  vertus  il  joignait  une  grande 
prudence,  un  constant  amour  du  tra- 
vail et  une  noble  gravité  de  carac- 
tère. Par  ses  exemples,  il  rendit  son 
peuple  actif  et  patient.  A  l'époque  où 
il  monta  sur  le  trône,  don  Sanche 
jouit  de  quelques  moments  de  paix  ; 
il  en  profita  pour  défricher  des  terres 
restées  long-temps  sans  culture,  bâtir 
des  édifices  utiles,  et  réparer  un 
grand  nombre  de  villes  et  de  bourgs 
que  les  temps,  et  plus  encore  les 
barbares,  avaient  à  demiruinés.  Tous 
ces  travaux ,  monuments  honorables 
de  sa  munificence  et  de  sa  bonté,  lui 
valurent  les  titres  de  laboureur  et  de 
fondateur,  qu'il  serait  heureux  que 
tous  les  rois  méritassent.  Une  flotte 
nombreuse,  portant  des  Danois,  des 
Frisons  et  des  Flamands,  ayant  été 
forcée  par  une  tempête  à  relâcher  au 
port  de  Lisbonne,  le  roi  l'accueillit 
avec  générosité.  Comme  ces  guer- 
riers cherchaient  des  aventures  où 
ils  eussent  à  gagner  de  l'or  et  de  la 
gloire,  il  leur  proposa  la  conquête  de 
Silvès,  capitale  des  Algarves.  Ils  ac- 
ceptèrent avec  empressement  cette 
proposition.  Aidé  de  leur  secours, 
Sanche  eut  en  deux  mois  forcé  Silvès 
à  capituler  (1189),  et  ses  alliés  dispa- 
rurent chargés  de  butin.  Cette  viile 
lui  ayant  été  plus  tard  enlevée  par  les 
Maures,  il  sut  la  reconquérir,  et  ré- 
duire sous  sa  domination  quelques 
autres  villes  des  Algarves.  C'est  alors 
que  don  Sanche  prit  le  titre  de  roi 
des  Algarves,  et  qu'il  joignit  les  ar- 
mes de  ce  royaume  à  celles  de  Por- 
tugal. Bientôt  il  fondit  sur  l'Anda- 
lousie, puis  alla  mettre  le  siège 
devant  Serpa,  ville  de  PAlentéjo. 


SAN 


41 


Cette  place  avait  une  garnison  très- 
nombreuse.  Don  Sanche ,  craignant 
une  effusion   de    sang   inutile,  eut 
la  prudence  de  se  retirer  en  Portu- 
gal.   Serpa   tomba,  quelque    temps 
après,  sous  les  efforts  des  chevaliers 
d'Avis  (1).  Dans  l'année  1190,  plu- 
sieurs fléaux  horribles  désolèrent  le 
Portugal   et  navrèrent  de   douleur 
l'âme  de  don  Sanche.  Une  nuée  de 
Maures,  conduits  par  leur  miramolin 
(le  khalife  Abou-Yousouf-Yacoub), 
inonda  le  territoire  portugais,  et  le 
ravagea  partout  d'une  manière  épou- 
vantable. Vignes,  oliviers,  moissons, 
blés  récoltés,  rien  ne  fut   épargné 
par  les  Maures.  Au  lieu  de  leur  livrer 
bataille,  ce  qui  eût  été  imprudeni,  à 
cause  de  leur  nombre,  il  se  contenta 
de  les  observer  et  de  les  harceler.  Ce 
système  de  guerre  lui  réussit  com- 
plètement. Les  infidèles,  ne  trouvant 
bientôt  plus  à  vivre  dans  un  pays 
qu'ils  avaient  ravagé  et  qui  était  peu 
étendu,  se  virent  en  proie  aux  hor- 
reurs de  la  famine,  et  contractèrent 
des  maladies  contagieuses  qui  les  dé- 
cimèrent et  les  forcèrent  à  la  re- 
traite. Le  Portugal  fut  à  peine  déli- 
vré de  leur  présence,  qu'il  éprouva 
successivement  les  fléaux  de  l'inon- 
dation, de  la  sécheresse,  de  la  famine 
et  de  la  peste.  Don  Sanche  remédia, 
autant  qu'il  put,  à  tous  ces  maux,  et 
fit  preuve  d'une  inébranlable  fermeté 
de  caractère.  Ce  qui  acheva  de  dé- 
chirer l'âme  de  ce  bon  prince,  c'est 
qu'au  milieu  de  ces  affreuses  calami- 
tés, les  Maures  fondirent  de  nouftau 


(i)  Ces  cheraliers  portaient  un  habit 
blanc  avec  une  croix  verte,  terminée  par 
quatre  fleurs  de  lis,  et  accorapagnée  de  deux 
oiseaux  de  sable  affrontés.  Ils  faisaient  pro- 
fession de  combattre  sans  cesse  les  infidè- 
les. Le  titre  de  Chcvalien  d'Avis  leur  venait 
d'une  maison  qu'on  leur  avait  donnée.  Hist, 
gin.  de  Portugal^  tome  lU,  p-  99- 


42 


SAN 


sur  ses  États  et  y  portèrent  la  déso- 
lation.   Il   marcha   courageiiseniciit 
contre  eux,  leur  enleva  deux  pla- 
ces qu'ils  avaient  prises,  et  les  con- 
traignit à  la  fuite.    En  1195,  il  eut 
à  soutenir  une  guerre  sanglante  con- 
tre Alphonse  IX,  roi  de   Léon,  qui 
avait  fait  alliance  avec  lesArabes.il 
le  battit  dans  plusieurs  rencontres,  et 
lui  prit  dans  la  Galice  les  villes  de  Tui, 
de  San)payo  et  de  Ponte-Vedra.  Le 
zèle  énergique  et  constant  qu'il  avait 
manifesté  jusqu'alors  contre  les  infi- 
dèles lui  valut  des  louanges  de  la 
part   du  pape  Célestin  III,  et  une 
bulle  d'indulgence  en  faveur  de  tous 
les  défenseurs  de  la  religion  chré- 
tienne. Quatre  années  après,  il  eut 
la  satisfaction  da  voir  le  terme  d'un 
long  différend  qui  existait  entre  l'ar- 
chevêque de  Braga  et  celui  de  Com- 
postelle,  au  sujet  de  sept  évêchés 
dont  ils  s'étaient  disputé  la  juridic» 
tion.  A  cette  époque,  il  régnait  en- 
tre les  seigneurs  portugais  des  di- 
visicms   plus   funestes  encore.    Don 
Sanche  fit  tons  ses  efforts  pour  les 
apaiser;    mais  il    n'y   parvint  qu'à 
demi,  ces  divisions  étant  le  résul- 
tat des  mœurs  féodales  introduites 
en  Portugal,  comme  en  tant  d'au- 
tres pays,  par  ies  peuples  sep'entrio- 
uaux.  Don  Ssiîiche  se  montra  tou- 
jours attentif  à  combattre  les  abus  qui 
prenaient  leur  source  dansces  mœurs, 
et  réussit  assez  bien  à  mettre  de  l'or- 
dre et  de  l'unité  dans  son  gouverne- 
ment. Le  moyen  qu'il  employa  fut 
de  se  rendre  accessibi»8  à  tous  ses 
sujets,  d'écouter  toutes  leurs  plain- 
tes, toutes  leurs  observations,  et  de 
prendre  en  toute  chose  pour  guides 
la  raison  et  l'équité.  11  fit  plus,  il 
se    mit  à    parcourir  les  différentes 
villes  de  son   royaume,   alin  d'être 
plus  à  portée  de  connaître  les  be- 
soins de  ses  sujets.  C'est  par  cette 


SAN 

sage  conduite  qu'il  conquit  tous  les 
cœurs,  et  se  rendit  vraiment  digne 
du  titre  de  père  de  la  patrie.  A  l'épo- 
que où  l'on  sut  que  Jérusalem  était 
tombée  sous  les  armes  du  puissant 
Saladin,il  reçutdu  pape  Innocent  111, 
ainsi  que  tous  les  princes  de  la  chré- 
tienté, l'invitation  de  marcher  à  la 
délivrance  des  saints  lieux.  Il  allégua 
les  malheurs  qu'il  avait  éprouvés 
pour  se  dispenser  de  répondre  à  l'ap- 
pel du  pontife;  mais,  par  des  pré- 
sents considérables,  il  détermina  les 
chevaliers  du  Temple  au  voyage  de 
la  terre  sainte.  On  voit  qu'en  toute 
occasion  don  Sanche  ne  consultait 
jamais  que  la  prudence  et  le  bien  de 
ses  sujets.  Ce  prince  couronna  sa  vie 
militaire  par  un  exploit  très-impor- 
tant; ce  fut  la  prise  d'Elvas,  ville  de 
l'Alentéjo  qui  était  au  pouvoir  des 
Maures.  Depuis  ce  moment  (l'an 
1200)  jusqu'en  1212,  il  ne  s'occupa 
plus  que  du  soin  de  repeupler  et  de 
fonder  des  villes,  de  maintenir  la 
paix  au  sein  de  ses  États,  et  d'y  in- 
troduire les  avantages  de  la  civili- 
sation. C'est  au  milieu  de  ces  travaux 
si  honorables  et  si  dignes  d'un  roi 
que  don  Sanche  termina  sa  carrière, 
à  Coïrabre,  après  une  maladie  assez 
longue,  il  était  âgé  de  57  ans  et  en 
avait  régné  26.  Les  dépenses  considé- 
rablesque  la  guerre  lui  avaitoccasion- 
liées,  ainsi  que  les  fléaux  qui  avaient 
ravagé  sa  patrie,  ne  l'empêchèrent 
point  de  laisser  à  sa  mort  cinq  cent 
mille  marcs  d'or,  quatorze  cents  marcs 
d'argent,  beaucoup  de  pierreries  et  de 
meubles  précieux.  H  avait  fait  un  tes- 
tament par  Lequel  il  distribuait  ces 
richesses,  si  considérables  pour  le 
temps,  entre  ses  enfants,  ses  parents, 
ses  amis,  les  pauvres,  les  hôpitaux 
et  les  églises.  Douce  d'Aragon,  sa 
femme,  lui  aVait  donné  plusieurs  en- 
fants, parmi  lesquels  Alphonse    H 


SAN 

(my.ce  nom,  I,  629),  qui  lui  succé- 
da au  trône.  Don  Sauche  avait  eu 
aussi  de  quelques  maîtresses  des  en- 
fants qui  devinrent  la  souche  de 
grandes  familles  existant  encore  au- 
jourd'hui en  Portugal.  F — a. 

SANCHË  li,  fils  d'Alphonse  II, 
roi  de  Portugal,  et  d'Urraque,  fille 
d'Alphonse  IX,  roi  de  Castille, 
était  né  à  Caimbre  le  8  sept.  1207. 
Le  surnom  de  Capel^  que  lui  donne 
l'histoire,  vient  du  capuchon  qu'il 
porta  dans  son  enfance,  parce  qu'é- 
tant d'un  tempérament  très  -  fai- 
ble, ilavait  été  voué  par  sa  mère  à 
saint  Augustin,  et  qu'il  avait  pris 
l'habit  de  cet  ordre.  Cette  circon- 
stance ne  permet  pas  de  douter  qu'il 
n'ait  passé  loin  du  tumulte  des  camps 
les  premières  années  de  sa  vie.  Ce 
fut  en  1223  qu'il  monta  sur  le  trône, 
étant  alors  âgé  que  de  quinze  ans. 
11  commença  l'exercice  de  sa  puis- 
sance par  des  actes  qui  attestaient 
sa  vigilance,  sa  justice  et  sa  bonté. 
Il  repeupla Idaîïa,  ville  que Sanchel®^ 
avait  enlevée  aux  infidèles,  et  qu'il 
avait  ensuite  totalement  ruinée;  il 
indemnisa  l'archevêque  de  Braga  des 
pertes  que  ce -prélat  avait  e  suyées 
sous  le  règne  d'Alphonse  II,  et  rendit 
àsestantesles  biens  dontelles  avaient 
été  dépouillées.  Il  s'appliquaen  même 
temps  à  faire  fleurir  la  religion  et  à 
calmer  les  mécontentements  du  cler- 
gé. II  donna  aussi  ses  soins  à  l'admi- 
nistration des  finances.  On  lui  doit  um 
règlement  sage  et  judicieux  touchant 
les  droits  accordés  par  ses  prédéces- 
seurs à  différents  particuliers.  Il  se 
mit  ensuite  à  visiter  les  provinces  de 
son  royaume,  s'elforçant  de  déraci- 
ner les  abus  qui  les  affligeaient,  et 
prenant  des  informations  sur  la  ma- 
nière dont  la  justice  y  était  rendue. 
Ces  utiles  voyages,  par  lesquels  il 
avait  mérité  l'affection  de  ses  sujets, 


SAN 


43 


étaient  à  peine  terminés,  qu'il  porta 
le  ravage  sur  les  terres  des  infidèles. 
Bientôt  (1224)  il  rentra  en  possession 
de  la  ville  de  Chavès,  qui  sous  le 
règne  précédent  était  tombée  au  pou- 
voir de  l'Espagne.  Cet  avantage  était 
le  fruit  d'un  traité  de  paix  qu'il  avait 
signé  à  Sôtubal  avec  Ferdinand,  roi 
de  Castille.  Tandis  qu'il  se  croyait 
en  paix,  il  apprit  (1226)  que  les  Mau- 
res lui  avaient  enlevé  Elvas,  Jure^ 
mena,  Serpa  et  quelques  autres  châ- 
teaux. Ayant  rassemblé  son  armée  à 
la  hâte,  il  vola  à  leur  rencontre  et 
leur  livra,  sous  les  murs  d'Elvas,  une 
bataille  sanglante  oii  il  les  défit  com- 
plètement. Le  résultat  de  cette  vic- 
toire fut  la  fuite  des  infidèles  et  la 
reprise  de  toutes  les  places  en  leur 
pouvoir.  Don  Sanche  entreprit  en- 
suite une  expédition  qui  couvrit  ses 
armes  de  gloire.  En  1230,  il  fondit 
sur  TAIcntéjo,  et  en  chassa  les  Mau- 
res; de  là,  se  jetant  sur  les  Algarves, 
ii  y  reprit  en  peu  de  temps  sur  l'en- 
nemi la  plupart  des  villes  dont  ses 
prédécesseurs  avaient  été  maîtres. 
Par  ces  rapides  victoires  il  abattit  le 
courage  des  infidèles.  Dans  toutes  les 
places  qu'il  leur  avait  enlevées,  il 
s'empressa  de  relever  les  autels  du 
christianisme  et  de  faire  prêcher 
l'Évangile.  Pour  récompenser  les  che- 
valiers de  l'ordre  de  Saint-Jacques  a 
Alcaçar,  lesquels  avaient  concouru 
avecéclâtà  cette  expédition,  ce  prince 
leur  donna  les  villes  d'AIjustraUd'AI- 
fuïar,  de  Pena  et  plusieurs  autres 
dont  il  venait  de  s'emparer.  On  a  vu 
jusqu'alors  don  Sanche  uniquement 
occupé  du  bonheur  et  de  la  puissance 
de  ses  États.  Le  Portugal  devait  à  sa 
valeur,  à  sa  prudence,  d'être  tran- 
quilleau  dedans  et  respecté  au  dehors. 
Mais  bientôt,  s'abandonnant  à  l'or- 
gueil de  la  victoire,  il  s'entoure  de 
flatteurs  qui  l'égarent  et  travaillent  à 


AA 


SAN 


SAN 


lui  ravir  le  cœur  de  ses  sujets  par  leur 
insolenceet  leurs  exactions.  Il  n'y  eut 
plus  ni  justice  ni  ordre  dans  les  fi- 
nances. Les  plaintes  des  Portugais 
n'arrivèrent  plus  k  l'oreille  de  leur 
roi.  Ce  monarque  dégradé  s'endormit 
au  sein  de  la  plus  vile  débauche.  Les 
Maures,  profitant  de  ces  désordres, 
se  jetèrent  sur  les  meilleures  pro- 
vinces, et  portèrent  partout  le  pil- 
lage, l'incendie  et  la  mort.  Don 
Sanche  ne  sait  rien  et  ne  peut  rien 
savoir  des  horreurs  dont  son  royau- 
me est  le  théâtre.  Ce  prince,  naguère 
si  vaillant  et  si  sage,  n'a  plus  d'o- 
reille que  pour  les  lâches  courtisans 
qui  l'enivrent  de  leur  funeste  et 
méprisable  encens.  Au  commence- 
ment de  son  règne,  il  avait  montré, 
par  sa  conduite  bienveillante ,  qu'il 
désapprouvait  les  persécutions  diri- 
gées par  son  père  contre  le  clergé  ; 
en  1240,  il  le  persécuta  à  son  tour 
d'une  manière  plus  violente  encore, 
en  jetant  dans  les  fers  ou  dépouillant 
de  leurs  biens,  sous  les  plus  frivoles 
prétextes,  tous  ceux  des  prêtres  qui 
osaient  résister  à  ses  tyranniques 
volontés.  Cette  conduite  lui  attira, 
de  la  part  du  pape  Grégoire  IX, 
des  censures  qu'il  aÉfecla  de  mépri- 
ser. Il  continua  ses  injustices  et  ses 
violences.  La  crainte  d'une  bulle  d'ex- 
communication l'obligea  cependant, 
lui  et  ses  odieux  favoris,  à  se  con- 
traindre quelque  temps.  Mais  las 
bientôt  d*une  contrainte  qu'ils  ju- 
geaient puérile  et  honteuse,  ils  s'a- 
bandonnèrent de  nouveau  à  toute 
leur  fureur  contre  le  clergé.  Pour  le 
braver  et  l'humilier,  don  Sanche 
alla  jusqu'à  déclarer  les  juifs  admis- 
sibles aux  emplois  publics.  Une  guer- 
re, dont  le  roi  de  Portugal  nourris- 
sait le  projet,  vint  faire  diversion  à 
CCS  désordres.  Sortant  enfin  de  son 
ignominieuse  léthargie,  il  leva  une 


armée  (1241)  dont  il  confia  le  com- 
mandement au  brave  don  Payo  Pérès 
Corréa,  commandeur  de  l'ordre  de 
Saint-Jacques,  pour  aller  conquérir 
le  royaume  des  Algarves  sur  les  Mau- 
res. Cette  guerre  fut  aussi  heureuse 
que  rapide.  Plusieurs  places,  et  no- 
tamment Tavira  etSilvès,  tombèrent 
au  pouvoir  de  Corréa;  et,  malgré  les 
efforts  des  infidèles,  tout  le  reste  des 
Algarves  fut  réuni  au  domaine  du  roi 
de  Portugal.  Cependant  don  Sanche, 
sourd  aux  plaintes  qui  lui  étaient 
journellement  adressées,  continuait 
de  gouverner  avec  tyrannie.  Le  peu- 
ple et  les  grands  éclatèrent  en  mur- 
mures. Il  acheva  de  les  aigrir  et  de 
les  mécontenter  en  épousant,  d'après 
les  conseils  de  ses  courtisans,  Mencia, 
fille  de  Lopez  de  Haro,  seigneur  de 
Biscaye,  et  de  dona  Urraque,  bâtarde 
du  roi  de  Léon,  Alphonse  IX.  Mencia 
était  douée  d'une  éclatante  beauté  ; 
mais  c'était  une  femme  ambitieuse  et 
méchante.  Par  ses  artifices,  elle  s'ac- 
quit un  empire  absolu  sur  le  cœur 
de  son  aveugle  époux.  Les  murmures 
publics  allèrent  toujours  croissants. 
Les  grands  rassemblés  se  présentèrent 
devant  le  roi,  pour  lui  exposer  les 
griefs  du  peuple,  et  le  prier  respec- 
tueusement de  renvoyer  ses  ministres, 
qu'ils  regardaient  comme  les  seuls 
auteurs  de  tous  les  maux  auxquels 
la  patrie  était  en  proie.  Don  San- 
che leur  promit  satisfaction  ;  mais, 
oubliant  bientôt  sa  promesse,  il  garda 
ses  ministres,  à  la  sollicitation  de  la 
reine, qui  les  protégeait,  parce  qu'elle 
leur  devait  sa  haute  fortune.  Le  peu- 
ple indigné  murmura  plus  haut  que 
jamais,  et  les  grands,  devenus  enne- 
mis irréconciliables  d'un  pouvoir 
qu'ils  ne  partageaient  point,  adressè- 
rent leurs  plaintes  à  Grégoire  IX,  qui 
lança  une  bulle  d'excommunication 
sur  don  Sanche  et  d'interdit  sur  son 


SAN 

royaume.  Le  roi,  effrayé,  montra  le 
désir  de  satisfaire  son  peuple  et  de 
réformer  les  abus  qui  l'avaient  jus- 
tement irrité  ;  mais  la  reine  triompha 
encore  de  ce  louable  désir.  Elle  sen- 
tait trop  qu'elle  était  le  premier  abus 
^  à  réformer.  Alors  la  province  d'entre 
m  Douro-et-Minho  devint  le  foyer  d'une 
P  révolte  ouverte.  Une  armée  de  bour- 
geois, marchant  sous  le  commandant 
du  château  d'Ourem,  Porto-Carrero, 
courut  au  palais  du  roi  et  en  arracha 
la  reine  Mencia,  qu'on  fit  passer  im- 
médiatement en  Castille ,  où  elle 
mourut.  Don  Sanche,  outré  de  co- 
lère, voulut  poursuivre  les  ravisseurs 
de  celle  qu'il  aimait;  mais  pas  un  seul 
guerrier  ne  se  déclara  en  sa  fa- 
veur. Leçon  terrible  pour  les  rois  qui, 
méconnaissant  les  lois  de  la  justice 
et  de  l'humanité,  foulent  aux  pieds 
leurs  peuples  !  Comme  le  roi  persis- 
tait dans  son  fatal  égarement,  les 
prélats,  se  faisant  l'organe  des  plain- 
tes publiques,  tracèrent  au  pape 
(1245)  un  tableau  des  dures  et  con- 
tinuelles vexations  auxquelles  l'État 
et  l'Église  étaient  en  butte.  Ce  ta- 
bleau, exagéré  peut-être,  courrouça 
le  souverain  pontife.  Innocent  IV 
(c'était  le  nom  du  nouveau  pape)  se 
hâta  d'adresser  des  reproches  au  roi 
de  Portugal,  et  le  prévint  qu'il  avait 
chargé  trois  pré/ats  portugais  de  lui 
rendre  compte  de  sa  conduite  au  con- 
cile de  Lyon,  qu'il  se  proposait  de 
présider  en  personne.  Le  concile  se 
rassembla  bientôt.  Don  Sanche  y 
avait  envoyé ,  pour  défendre  ses 
droits,  Gomez  de  Briteirot  et  Gomez 
Yiégas.  Mais  ces  deux  ambassadeurs, 
trahissant  la  confiance  de  leur  maî- 
tre, se  réunirent  à  ses  ennemis,  et 
donnèrent  leur  assentiment  au  choix 
que  fit  le  concile,  pour  gouverner  le 
Portugal  à  la  place  de  Sanche  II,  de 
son  propre   frère  Alphonse    {voy. 


SAN 


45 


Alphonse  III,  1. 1*%  p.  630),  comte  de 
Boulogne-sur-Mer.  Le  pape  adop- 
ta cette  mesure,  et  donna,  le  24 
juillet  1245,  une  bulle  par  laquelle, 
annonçant  qu'il  voulait  relever  le 
royaume  tributaire  de  l'église  ro- 
maine par  la  bonne  administration 
d'un  homme  sage,  il  ordonnait  à  tous 
les  Portugais  de  reconnaître  pour 
régent  du  royaume  le  comte  de  Bou- 
logne. Dans  la  même  bulle,  le  pontife 
romain  déclarait  qu'il  ne  prétendait 
pas  détrôner  don  Sanche  ni  son  fils, 
s'il  lui  en  naissait  un  qui  fût  légitime, 
mais  seulement  pourvoir  à  la  con- 
servation du  Portugal.  Enfin  il  cas- 
sait le  mariage  du  roi  avec  Mencia. 
Que  dire  sur  cet  acte?  N'était-ce  pas 
la  faute  des  rois,  si  les  chefs  de  l'église 
romainedisposaient  ainsi  de  leurs  cou- 
ronnes ?  Lorsqu'il  fallut  notifier  à  don 
Sanche  la  bulle  pontificale,  il  ne  se 
trouva,  pour  remplir  cette  périlleuse 
mission,  qu'un  seul  homme  ;  ce  fut 
un  dominicain  nommé  Gilles.  Le  roi 
fut  consterné.  Les  grands,  dit  l'his- 
toire, donnèrent  quelques  marques 
de  pitié  à  son  malheur  ;  ce  fut  peut- 
être  parce  qu'on  ne  les  avait  pas  con- 
sultés sur  une  mesure  si  importante. 
Cependant  don  Sanche,  au  lieu  de 
courir  aux  armes,  et  tout  rempli 
de  la  crainte  de  tomber  entre  les 
mains  de  son  frère,  quitta  prompte- 
ment  ses  États  (1246),  résolu  de  se 
retirer  à  Tolède,  auprès  du  roi  de 
Castille.  Tandis  qu'il  était  à  Moreira, 
un  gentilhomme,  don  Garcie  de  Sousa, 
vint  lui  proposer,  au  nom  de  plusieurs 
seigneurs  puissants,  d'embrasser  sa 
défense,  pourvu  qu'il  éloignât  de  sa 
personne  Gilles  Martin,  son  favori. 
Don  Sanche  ne  voulut  point  du  se- 
cours offert  à  la  condition  qu'on  y 
mettait.  Cette  renonciation  à  l'es- 
poir de  remonter  sur  le  trône  l'eût 
honoré,  si  son  favori  avait  été  un 


46 


SAN 


SAN 


ministre  intègre  ;  mais  Gilles  Martin 
n'était  qu'un  courtisan  lâche  etavide. 
Sanche  continua  donc  son  voyage  et 
arriva  à  Tolède,  où  il  fut  reçu  par  le 
roi  de  Castille  avec  tous  les  honneurs 
dus  à  son  rang.  Le  fléau  de  la  guerre 
civile  avait  déjà  comiuencé  à  déchi- 
rer le  Portugal  ;  la  mort  de  Sanche 
(janvier  1248)  y  mit  bientôt  un  terme. 
Ce  monarque  avait  régné  treize  ans. 
Sans  doute  il  eût  rendu  ses  peuples 
heureux,  et  eût  mérité  d'être  compté 
parmi  les  bons  rois,  s'il  eût  con- 
tinué de  régner  comme  il  avait  com- 
mencé, s'il  n'eût  conçu  une  passion 
funeste  pour  une  femme  indigne  de 
son  choix,  et  surtout  s'il  ne  se  fût 
livré  à  d'infâmes  ministres.  Il  était 
né  avec  des  inclinations  droites  ; 
il  était  doux,  ami  de  la  justice  ; 
mais  son  âme  était  faible,  et  il  ne 
lui  a  manqué  que  le  talent  de  savoir 
s'entourer  d'hommes  probes  et  ca- 
pables pour  marcher  toujours  dans 
les  voies  de  l'honneur  et  du  devoir. 
On  sait  avec  quel  courage  et  quel 
succès  il  combattit  les  Maures  au 
commencement  de  son  règne.  Il  est 
certain  qu'à  l'exception  d'Alphon- 
se V^,  il  n'est  aucun  roi  de  Portugal 
qui  ait  fait  plus  de  conquêtes  que  lui 
sur  les  infidèles.  Ce  prince  reçut, 
même  après  son  départ  du  Portugal, 
de  bien  touchants  témoignages  de 
fidélité  de  la  part  de  Martin  de  Frei- 
tas,  gouverneur  de  Coïmbre.  Celui- 
ci,  ne  se  croyant  pas  délié  par  la 
bulle  d'Innocent  IV  des  serments 
qu'il  avait  prêtés  à  don  Sanche,  se 
défendit  avec  vigueur  contre  les  trou- 
pes du  régent.  Lorsqu'on  lui  fit  sa- 
voir la  mort  de  l'ancien  roi,  il  n'y 
crut  point  ;  mais,  pour  s'en  assurer, 
il  demanda  et  obtint  la  permission 
d'aller  à  Tolède.  Étant  venu  à  la  ca- 
thédrale ,  il  se  fit  ouvrir  le  caveau 
où  reposait  le   corps   de  son  maî- 


tre, s*agenouilla  devant  lui,  puis  se 
retira,  laissant  entre  ses  mains  les 
clefs  de  la  ville  de  Coïmbre.  Quand 
il  fut  de  retour  en  Portugal,  le  nou- 
veau roi ,  touché  d'un  si  beau  dé  • 
vouement,  voulut  le  conserver  dans 
son  gouvernement  ;  il  s'y  refusa. 

F— A. 
SANCIIEZ  (Alonso),  fils  naturel 
du  roi  de  Portugal  Denis,  naquit 
en  1286,  et,  comrn*  son  père,  cul- 
tiva les  lettres  avec  ardeur.  Denis, 
l'un  des  imitateurs  les  plus  fervents 
des  troubadours,  avait  doté  la  pro- 
sodie portugaise  de  quelques  inven- 
tions nouvelles,  et  imaginé  le  vers 
de  onze  syllabes.  Son  fils,  marchant 
sur  ses  traces,  composa  un  grand 
nombre  de  pelils  poèmes  qui  n'ont 
point  été  publiés,  mais  dont  Macha- 
do  (  Biblioteca  Lusitana,  1. 1,  p.  53), 
atteste  l'existence  et  le  mérite.  Es- 
pérons qu'un  jour  le  Portugal,  délivré 
du  fléau  des  discordes  civiles,  pourra 
s'occuper  de  l'examen  attentif  de  ses 
anciens  litres  littéraires,  et  que  les 
poésies  d'Aionso  Sanchez  sortiront 
de  l'oubli  qui  jusqu'à  présent  a  été 
leur  partage.  —  Sanchez  (Miguel)^ 
auteur  draujalique  espagnol,  à  peu 
près  inconnu  en  France,  était  ori- 
ginaire de  Valladolid ,  et  occupa 
l'emploi  de  secrétaire  de  l'évêque  de 
Cuenca.  Lope  de  Vegaen  a  parlé  avec 
distinction  en  plusieurs  passages  de 
ses  nombreux  écrits  ;  il  lui  assigne 
le  premier  rang  parmi  les  successeurs 
de  Térence,  et  nous  apprend  qu'en 
1609  Sanchez  n'était  plus  du  nombre 
des  vivants.  Les  admirateurs  de  ce 
poète  lui  décernèrent  le  titre  de  di- 
vin. Nous  ne  pouvons  guère  appré- 
cier son  mérite  ;  car  ses  comédies, 
demeurées  inédites,  sont  perdues,  à 
l'exception  d'une  seule,  la  Guarda 
cuydadosa,  qui  se  trouve  comprise 
dans  la  cinquième  partie  des  Corne' 


SAN 

dias  de  tope  de  Vega  y  otfos  auto- 
r65,  Madrid,  1616.  Voici  fort  succinc- 
tement le  sujet  de  ce  drame.  Un  vieil- 
lard ,  nommé  Leucato,  s'est  retiré 
avec  sa  fille  Nicée  dans  une  forêt 
écartée  afin  d'y  terminer  paisible- 
ment ses  jours.  Le  prince  tie  Béarn 
s'égare  à  la  chasse,  voit  Nicée,  en  de- 
vient épris.  Un  jeune  chevalier, 
nommé  Florencio,  aimait  déjà  cette 
belle  •,  il  se  déguise  en  berger,  trouve 
ainsi  les  moyens  de  rester  auprès  de 
Leucato,  veille  avec  soin  sur  Nicée, 
déjoue  toutes  les  tentatives  du  pri  nce, 
et  finit,  en  obtenant  la  main  de  sa 
maîtresse,  par  avoir  la  récompense 
due  à  sa  flamme.  Cette  donnée  est 
traitée  avec  beaucoup  d'agrément  ; 
le  style  est  à  la  fois  noble  et  simple  ^ 
le  talent  que  révèle  \siGuarda  cuy- 
dadosa  perniet  de  regretter  la  dispa- 
rition des  autres  pièces  de  théâtre  de 
Miguel  Sanchez.  B— n— t. 

SANCIIEZ  (Alonso)  de  Huelva. 
Si  l'on  en  croit  l'auteur  de  l'Histoire 
des  Incas,  c'est  ainsi  que  se  nommait 
le  vieux  pilote  qui  instruisit  Chris- 
tophe Colomb  de  l'existence  de  i'A- 
mérique.  Cet  auteur  prétend  que  A. 
Sanchez,  étant  pilote  et  trafiquant  du 
sucre,  qu'il  allait  prendre  aux  Cana- 
ries et  à  Madère,  fut  jeté  par  une 
tempête  qui  dura  vingt-neuf  jours, 
l'an  1484,  vers  une  île  à  l'ouest,  que 
depuis  on  soupçonna  être  Saint-Do- 
mingue. De  dix-sept  hommes  il  n'en 
resla  que  six,  qui  revinrent,  selon 
quelques-uns,  à  Tercère,  capitale  des 
Açores,  ou  à  Madère,  qu'habitait  Co- 
lomb, s'occupant  à  dresser  des  car- 
tes. Ce  pilote  passa  le  reste  de  ses 
jours  chez  cet  homme  célèbre  et  y 
mourut  eu  lui  laissant  tous  ses  pa- 
piers. Si  le  fait  est  vr*],  ce  qui  n'est 
pas  dénué  de  vraisemblance,  et  peut 
très-bien  être  admis  sans  nuire  à  la 
haute  réputation  du  hardi  Génois,  il 


SAN 


4T 


faut  convenir  que  cela  contribua  à 
confirmer  ses  conjectureset,ôte  à  son 
entreprise  l'eicès  de  témérité  que 
l'on  serait  en  droit  de  lui  reprocher. 

M  — LE. 

SAND  (Charles-Louis)  ,  assassin 
de  Kotzebue  {voy.ce  nom,  LXIX,  82), 
était  né  le  5  octobre  1795  à  Wunsie- 
del,  dans  le  margraviat  de  Bayreuth, 
où  son  père  était  conseiller  de  jus- 
tice. Encore  enfant,  il  se  fit  remar- 
quer par  une  grande  douceur  et  une 
extrême  timidité.  D'jine  constitution 
débile ,  ses  plus  jeunes  années  se 
passèrent  dans  les  maladies ,  et  il 
n'échappa  à  la  mort  que  par  les  soins 
assidus  de  sa  mère,  qui  l'aimait  ten- 
drement; Elle-même  dirigea  ses  pre- 
mières études^  m*dis  imbue  d'idées 
mystiques,  elle  les  lui  inculqua^  et 
ces  idées  jetées  dans  cette  jeune  âme, 
qui,  sous  des  apparences  de  calme  et 
de  simplicité ,  cachait  une  vive  exal- 
tation, n'eurent  que  trop  d'influence 
sur  sa  destinée.  En  1810,  il  en- 
tra au  lycée  de  sa  ville  natale,  et,  à 
sa  suppression,  il  suivit  le  recteur 
Saaîfranck,  qui  l'avait  pris  en  affec- 
tion, au  gymnase  de  Hoff,  ensuite  à 
Ratisbonne ,  puis  à  Richembourg. 
C'est  dans  cette  ville  qu'il  se  trou- 
vait, en  1813,  lorsque  l'Allemagne  se 
soulevatoutenlièreconlre  Napoléon. 
Il  écrivit  alors  à  sa  mère  :  «  C'est  à 
peine  si  je  puis  vous  exprimer  com- 
bien je  commence  à  être  calme  et 
heureux  depuis  qu'il  m'est  permis 
de  croire  à  l'affranchissement  de  ma 
patrie ,  que  j'entends  dire  de  tous 
côtés  devoir  être  si  prochain,  de  cette 
patrie  que,  dans  !ija  contiance  eu 
Dieu,  je  vois  d'avance  libre  et  puis- 
sante, de  cette  patrie  pour  le  bon- 
heur de  laquelle  j'accepterais  les 
plus  grauds  maux  et  même  la  mort... 
La  bonté  de  Dieu,  qui  asauvéet  pro- 
tégé tant  d'hommes  pendant  la  guerre 


48 


SAN 


«Jj^sastrcusft  de  Trente-Ans,  peut  et 
veut  encore  aujourd'hui  ce  qu'elle 
put  et  voulut  alors.  Quant  à  moi,  je 
crois  et  j'espère.  •  L'année  suivante, 
il  quitta  Richembourg,  emportant  un 
honorable  témoignage  ainsi  conçu  : 
•  Charles  Sand  est  du  petit  nombre 
de  ces  jeunes  gens  élus  qui  se  dis- 
tinguent à  la  fois  par  les  dons  de 
l'esprit  et  les  facultés  de  Tame  ;  en 
application  et  en  travail,  il  dépasse 
tous  ses  condisciples,  ce  qui  expli- 
que ses  progrès  rapides  et  profonds 
dans  toutes    les  sciences    philoso- 
phiques et  philologiques;  seulement 
dans  les   mathématiques,   il   aurait 
encore  quelques  études  à  faire.  Les 
plus  tendres  vœux   de  ses  profes- 
seurs le  suivent  à  son  départ.  «Des- 
tiné à  l'état  de  pasteur  évangélique, 
il  se  rendit  à  Tubingen  pour  y  suivre 
les  cours    de   théologie  d'Erchen- 
mayer  -,  mais  bientôt  les  événements 
de  1815   l'arrachèrent  à  cette   vie 
paisible  :  toute  la  jeunesse  des  uni- 
versités couraitaux  armes;  gouverne- 
ments et  peuples  allaient  faire  cause 
commune.   Sand  avec  une  joie  en- 
thousiaste vint  se  ranger  sous  les 
bannières  de  la  nationalité  germa- 
nique. «Mes  chers  parents,  écrit-il 
à  cette  occasion  le  22  avril,  jusqu'à 
présent  vous  m'avez  trouvé  soumis 
à  vos  leçons  paternelles,  jusqu'à  pré- 
sent je  me  suis  efforcé  de  me  rendre 
digne  de  l'éducation  que  Dieu  m'a 
envoyée  par  vous,  et  je  me  suis  ap- 
pliqué à  être  capable  de  répandre 
sur  ma  patrie  la  parole  du  Seigneur, 
c'est  pourquoi  je  viens  aujourd'hui 
vous  faire  sincèrement  part  du  parti 
que  j'ai  pris,  certain  que,  comme  pa- 
rents tendres  et  affectueux,  vous  vous 
tranquilliserez,  et  que  ,  comme  pa- 
rents allemands  et  patriotes,  vous 
louerez  plutôt   ma  résolution  que 
vous  ne  chercherez  à  m'en  détour- 


SAN 

ner.  La  patrie  appelle  encore   une 
fois  à  son  aide  :  cet  appel  s'adresse 
à  moi  aussi,  car  maintenant  j'ai  le 
courage  et  la  force  ;  il  me  fallut  un 
grand  combat  intérieur,  croyez-moi, 
pour  que  je  m'abstinsse,   lorsqu'en 
1813  elle  fît  entendre  son  premier 
cri,  et  la  conviction  seule  que  des 
milliers    d'autres    combattaient    et 
triomphaient  pour  le  bien-être  de 
l'Allemagne,  tandis  qu'il  fallait  que 
je  vécusse,  moi,  pour  l'état  paisible 
auquel  j'étais  destiné.  Maintenant  il 
s'agit  de  conserver  la  liberté  nou- 
vellement rétablie...  Le  danger  de 
la  patrie   n'a  jamais  été  si  grand 
qu'à  cette  heure,  c'est  pourquoi,  par- 
mi la  jeunesse  allemande,  les  forts 
doivent  soutenir    les    chancelants, 
afin  que  tous  se  lèvent  ensemble. 
De  tous  côtés  des  volontaires  arri- 
vent qui  demandent  à  mourir  pour 
la   patrie.  Moi  aussi  je   considère 
comme  un  devoir  de  combattre  pour 
mon    pays...   J'ai   une   famille   au 
cœur  véritablement  allemand  et  qui 
me  regarderait  comme  un  lâche  et 
comme  un  fils  indigne,  si  je  ne  sui- 
vais pas  cette  impulsion...    Adieu 
donc,  vivez  heureux,  tout   éloigné 
que  je  serai  de  vous,  je  suivrai  vos 
pieuses    exhortations.    Dans    cette 
nouvelle  voie,  je  tâcherai  toujours  de 
marcher  dans  le  sentier  qui  élève  au- 
dessus  des  choses  de  la  terre  et  con- 
duit à  celles  du  ciel,  et  peut-être, 
dans  cette  carrière,  la  haute  satis- 
faction de  sauver  quelques  âmes  de 
leur  chute  m'est-elle  réservée.  Sacs 
cesse  je  veux  avoir  le  Seigneur  de- 
vant les  yeux  et  dans  le  cœur,  afin 
de  pouvoir  soutenir  avec  joie  les  pei- 
nes et  les  fatigues  de  cette  guerre 
sainte.   Comprenez-moi   dans     vos 
prières  ;  Dieu  vous  enverra  l'espé- 
rance de  temps  meilleurs  pour  vous 
aider  à  supporter  ce   malheureux 


SAN 

temps  où  nous  sommes.  Nous  ne 
pouvons  nous  revoir  bientôt  que  si 
nous  sommes  vainqueurs;  et  si  nous 
étions  vaincus  (ce  dont  Dieu  nous 
garde  !),  alors  ma  dernière  volonté» 
que  je  vous  prie,  que  je  vous  conjure 
d'accomplir,  ma  dernière  et  suprême 
volonté  serait  que  vous,  mes  chers 
et  dignes  parents  allemands,  quit- 
tassiez un  pays  esclave  pour  quel- 
que autre  qui  ne  serait  point  encore 
sous  le  joug.  Mais  pourquoi  nous 
faire  ainsi  le  cœur  triste...  N'avons- 
nous  pas  !a  cause  juste  et  sainte,  et 
Dieu  n'cst-il  pas  juste  et  saint? 
Comment  ne  serions-nous  pas  vain- 
queurs? Vous  voyez  que  quelquefois 
je  doute  :  ainsi  dans  vos  lettres  ayez 
pitié  de  moi ,  et  n'eifrayez  pas  mon 
âme,  car  dans  tous  les  cas  nous  nous 
retrouverons  toujours  dans  une  au- 
tre patrie,  et  celle-là  sera  libre  et 
heureuse.»  1!  se  révèle  dans  cette 
lettre,  à  côle  du  patriotisme  le  plus 
ardent,  une  exaltation  religieuse 
qui  va  jusqu'au  mysticisme.  Sand  alla 
donc  s'enrôler  comme  cadet  dans  les 
cliasseurs  volontaires  bavarois  de  la 
Rézat,  (^ui  entrèrent  en  France  sans 
avoir  eu  la  gloire  de  combattre,  et 
comme  le  disait  Sand  «d'avoir  tué 
un  seul  enn<imi.  »  L'armée  du  ma- 
réchal de  Wrède  ne  dépassa  pas 
Auxerre  ;  et  cette  ville  fut  désignée 
pour  quartiers  d'hiver  aux  chasseurs 
de  la  Rézat;  ainsi,  l'auteur  des  Cri- 
mes célèbres  s'est  trompé  en  faisant 
entrer  Sand  dans  Paris,  avec  son 
corps.  Une  fois  Bonaparte  renversé, 
tous  les  volontaires  qui  voulurent  re- 
tourner dans  leurs  foyers  en  reçurent 
l'autorisation,  et  Sand  alla  visiter 
ses  parents.  Après  avoir  salué  la 
délivrance  de  sa  patrie  du  joug  de 
l'étranger,  restait  pour  lui,  comme 
pour  beaucoup  d'aulres,  à  voir  s'ac- 
complir   son  affranchissement   in- 

LXiXI. 


SAN 


49 


lérieur;  il  espéra  qu'une   nouvelle 
ère  allait  luire  pour  les   )j)euples; 
que     les    gouvernements    qui    les 
avaient  fait  soulever  aux    jours  du 
péril,   tiendraient   leurs    promesses 
d'émancipation  et  de  lib<  irté,  après 
la  victoire  obtenue  ;  et  c'«  tst  avec  ces 
idées  qu'il  alla  reprend i  e,  au  com- 
mencement de  1810,  le    cours  de  ses 
études  aux  universités  i  ie  Tubingen 
et  d'Erlangen.  Bien  qu  e  s'étant  fait 
inscrire  parmi  la  sociét  é  de  la  Teu- 
tonia  dès  le    mois  d'?/ivril    1815,  il 
n'y  fut  reçu  que  dans  < -ette  dernière 
ville.  Il  en  devint  alors  un  des  mem- 
bres les  plus  zélés,  et  i  l  fonda  à  cette 
époque,  avec  quarante  de  ses  condis- 
ciples, une  société  secrète  dont  il  fut 
le  président;  lui-même  en  avait  ré- 
digé les  statuts.  En  181.7,  un  de  ses 
amis,  en  se  baignant,  s.e  noya  sous 
ses    yeux,   sans  qu'il    pût   le  sau- 
ver, et  la  vive  impression  de  cet  évé- 
nement lui  causa  une  oialadie    qui 
mit  ses  jours  en  danger.  Au   mois 
d'oct.   il  se  rendit  à  Eisenach,  ren- 
dez-vous des  étudiants    allemands^ 
pour  assister  aux  fêtes  de  Wartbourg, 
en  commémoration  de  la  bataille  de 
Leipsick.  U Histoire  d'Allemagne  de 
Kotzebue  y  fut  solennellement  brû- 
lée ,  et  c'est  sans  nul  doute  à  cette 
circonstance  qu'il  faut  attribuer  la 
pensée  du    crime  que  Sand  se  crut 
appelé  à  exécuter.  Ce  qu'il  y  a  de 
sûj-,  c'est  qu'il  voua  dès  ce  moment  à 
cet  écrivain  la  haine  la  plus  implaca- 
ble.  Dans  cette  fête  toute  patrioti- 
que, Sand  distribua  un  écrit,  qui  a 
été  imprimé  en  1819,  sous  ce  litre  : 
Le  monument  le  plus  important  de 
la  vie  de  Ch.-L.  Sand,    natif  de 
Wunsiedel.  C'était  un  plan  de  réu- 
nion générale  et  d'association  entre 
les  étudiants  de  toutes  les  univ(^r. 
sites  de  l'Allemagne.  Ce  fut  peut- 
être  ce  qui  donna  lieu  à  la  création 

4 


i^O 


SAN 


d<;  la  iiurschenscliafi^  qui   apparut 
pour  11  \  première  fois  apr?»s  la  célé- 
bration   (le  cette  solennité  nationale. 
Les    nu  Mnbres    présents    prêtèrent 
serment    tle   persévérer  dans  leurs 
efforts  p(  >ur  soutenir  les  droits  de  la 
patrie.    :  Sand    alla  ensuite   à   léna 
pour  y  te  rininer  ses  études  théolo- 
giques, et    ce  fut  là  que  commença  à 
se  manifesi  ter  en  lui  une  teinte  som- 
bre et  prof  bndément  méditative.  On 
aurait  dit  q  lu'il  entretenait  une  sor- 
te de  comi  nunication   douloureuse 
et  pénible  a>  ^ec  ses  propres  pensées. 
L'année    su  ivante,   il    résolut    un 
voyage  en  Sa  ixe  et  eu  Prusse-,  et  du- 
rant Tautoinne,  il  visita  successive- 
ment  les  clhamps  de  bataille  celé 
bres,  puisBerlin,  oùil  résida  quel- 
ques jours,  pendant  lesquels  il  eut 
de    fréquentes    relations  avec   des 
professeurs.  Ce  voyage  se  rattacbait- 
il  au  terribb^  événement  qui  allait 
causer  une  si  grande  sensation  dans 
l'Europe  enlièrft  ?  C'est  là  une  ques- 
tion qu'il  est  impossible  de  résou- 
dre, Sand   ayant    conservé  jusqu'à 
son  dernier  moment  le  silence  le 
plus  absolu  sur  ce  point,  niant  toute 
complicité,  toute  participation  di- 
recte ou  indirecte.  De  retour  à  léna. 
vers  la  tin  de  1818,  il  n'a  plus  qu'une 
pensée-,   son  caractère   devient  de 
plus  en  plus  taciturne,  d'une  mé- 
lancolie extrême,  et  l'on  peut  s'en 
faire  idée  par  une  lettre  à  un    de 
ses  amis  d'Heidelberg ,  que  publia, 
après  le  crime,  la  Nouvelle  gazette 
de  Spire.  C'est  un  mysticisme,  une 
divagation  inexplicables.  Plus  Sand 
avance  vers  le  but  qu'il  croit  lui  être 
assigné  par  Dieu,    plus   il  se   sent 
inspiré  ;  et  la  phrase  suivante,  à  la 
date  du  31  décembre  1818,  qui  clôt 
le  journal  de  ses  actions  (il  l'avait 
commencé  en  1816),  peut  montrer 
jusqu'à  quel  point  son  âme  est  fa- 


SAN 

natisée.  «  Je  finis  le  dernier  Jour  de 
cette  année  dans  une  disposition  sé- 
rieuse et   solennelle,  et  j'ai  décidé 
que  la  fête  de  Noël  qui  vient  de  s'é- 
couler sera  la  dernière  que  je  fête- 
rai. S'il  doit  ressortir  quelque  chose 
de  nos  efforts,  si  la  cause  de  l'hu- 
manité doit  prendre  le  dessus  dans 
notre  patrie^  si,  au  milieu  de  cette 
époque   sans    foi,   quelques   senti- 
ments généreux  peuvent  renaître  et 
se  faire  place,  c'est  à  la  condition 
que  le  misérable,  que  le  traître,  que 
le  séducteur  de    la  jeunesse,   l'in- 
fâme Kotzebue  sera  tombé  I  Je  suis 
bien  convaincu  de  ceci,  et  tant  que 
je  n'aurai  pas  accompli  l'œuvre  que 
j'ai  résolue,  je  n'aur;ii   plus  aucun 
repos.    Seigneur,  loi  qui    sais  que 
j'ai  dévoué    ma  vie  à  cette  grande 
action,   je    n'ai    plus ,  maintenant 
qu'elle  est  arrêtée  en  mon  esprit, 
qu'à  te  demander  la  véritable  fer- 
meté et  le  courage  de  l'âme.  »  Une 
circonstance  particulière  vmt  aug- 
menter encore  en  lui  cet  esprit  de 
vengeance  contre  Kotzebue.  Après 
avoir  résidé  à  Weimar,  en  qualité 
d'agent  diplomatique  de  la  Russie, 
cet  écrivain  s'était  retiré  àManheim, 
en  butte  aux  sarcasmes  et  aux  traits 
satiriques  du  professeur  Oken,  édi- 
teur du  jourual  VJsis,  qui  paraissait 
à  léna.   Lors  du  congrès  d'Aix-la- 
Chapelle,  M.  de  Stourdza,  secrétaire 
privé  de  l'empereur  Alexandre, ayant 
fait  paraître   un    mémoire    intitulé 
État  actuel  de  l'Allemagne,  où  les 
universités     étaient     représentées 
comme  animées  d'un  esprit  d'insu- 
bordination et  de  révolte,  Kotzebue 
tit  dans  son  journal  les  plus  pom- 
peux éloges  de  cet  ouvrage,  ce  qui 
envenima    considérablement   l'ani- 
mosité  des  étudiants  contre  lui.  Dès 
ce  moment  le  plan  de  Sand  est  tra- 
cé, et,  avant  de  quitter  léna,  il  écrit 


SAN 


SAN 


•5t 


à  sa  famille  bim-aimée  et  h  fes  amis 
tendrement  chéris:  «J'ai  long-temps 
hésité  avant  de  vous  ouvrir  mon  âme. 
J'étais  persuadé  que  la  communica- 
lion  brusque  de  mon  projet  pourrait 
diminuer  votre  douleur,  ou  an  moins 
en  jjhréger  la  durée  ;  mais  jee^raignais 
dedéchirervotrecœur...  Allons!  mon 
secret,  source  de  mes  tourments! 
échappe-toi  de  ce  cœur  à  qui  lu  fais 
éprouvertantdepéniblesangoisses  !.. 
Ce  papier,  mes  chers  amis,  vous  porte 
le  dernier  adieu  d'un  fils  et  d'un 
frère!  Je  me  suis  long-temps  con- 
sulté avant  de  me  déterminer  à  agir; 
mais  le  moment  est  enfin  venu  où 
mes  irrésolutions  doivent  cesser;  les 
malheurs  de  mon  pays  exigent  des 
actions  d'éclat....  De  perfides  séduc- 
teurs deviennent,  sans  qu'on  s'en 
doute,  les  instruments  de  U  ruine 
de  notre  peuple!  De  ce  nombre  est 
Kotzebue,  le  plus  insidieux  et  le  plus 
méprisable  de  tous,  qui  adoucit  sa 
voix  pour  mieux  tromper  nos  sens, 
et  dont  le  nom  est  passé  en  proverbe 
pour  exprimer  ce  qu'il  y  a  de  plus 
dépravé  de  nos  jours.  H  trahit  cha- 
que jour  la  patrie  de  ses  ancêtres... 
Enveloppé  dans  le  manteau  transpa- 
rent de  sa  renommée  littéraire,  sa 
lâcheté  n'en  est  pas  moins  visible; 
mais  elle  éblouit  les  yeux,  et  nous 
avalons  le  poison  que  renferme 
son  journal  semiuusse...  Si  nous  ne 
voulons  pas  que  l'histoire  de  notre 
temps  porte  le  cachet  de  l'infamie,  il 
faut  qu'il  meure!...  Quel  est  donc 
celui  qui  nous  délivrera  de  cet  abo- 
minable traître?  J'ai  long-temps  at- 
tendu dans  la  douleur  et  dans  les 
larmes  que  quelque  être  plus  coura- 
geux que  moi  se  présentât  pour  rem- 
plir cette  lâche.  Je  ne  suis  point  né 
pour  le  meurtre.  Qui  donc  terminera 
mes  souifrances...  ?  personne  ne  se 
présente,  et  chacun  a,  comme  moi,  le 


droit  de  compter  sur  un  autre.  Tout 
retard  rendrait  notre  situation  plus 
dangereuse.  Qui  nous  sauvera  de  la 
honte  si  Kotzebue  s'éloigne  impuni 
de  notre  territoire,  pour  aller  jouir 
en  Russie  des  trésors  qu'il  a  si  mal 
acquis?  Comment  sortirons-nous  de 
notre  affreuse  position  si  personne 
ne  se  dévoue?  J'entends  une  voix  qui 
m'ordonne  d'exécuter  l'arrêt,  de  por- 
ter le  coup  que  réclame  l'intérêt  de 
l'Allemagne!  Marchons  donc  avec 
courage!  Oui  !  je  veux  aller  avec  une 
confiance  religieuse  remplir  cette 
mission  de  la  justice  divine  :  n'hési- 
tons pas  !  Je  veux  l'immoler,  le  traî- 
tre! le  séducteur  et  l'opprobre  de 
ma  nation!  Un  devoir  sacré  m'y  en- 
traîne !  Depuis  que  je  sais  quel  sacri- 
fice exige  mon  pays  et  que  j'ai  appris 
à  connaître  ce  fourbe,  mon  son  est 
fixé,  à  l'exemple  des  hommes  ver- 
tueux de  l'antiquité,  pour  qui  toute 
considération  disparaissait  devant 
celle  du  bien  public.  Ah  !  puisse  cette 
vengrance  nationale  apprendre  à  ceux 
qui  sont  revêtus  du  pouvoir  combien 
le  mensonge  et  la  tyrannie  nuisent  à 
leur  cause  !  puisse-t  elle  diriger  l'at- 
tention de  la  jeunesse  courageuse 
d'Allemagne  vers  le  salut  de  notre 
patrie!  trop  heureux  si  j'ai  porté  îa 
terreur  parmi  les  méchants,  et  inspiré 
de  l'énergie  à  tous  les  gens  de  bien  ! 
Des  paroles  et  des  écrits  sont  sans 
(orce,  il  fnut  des  actions,  et  des  ac- 
tions telles  que  la  mienne,  pour  faire 
impression.  Si  le  coup  que  je  vais 
porter  peut  frapper  les  esprits,  et  ra- 
nimer l'ardeur  du  peuple  pour  la  con- 
tinuation de  cette  lutte  glorieuse  qui, 
selon  lu  volonté  du  Tout-Puissant, 
devait  commencer  en  1813,  mes  vœux 
les  plus  ardents  seront  exaucés.  C'est 
pour  y  prendre  part  que  j'ai  renoncé 
aux  rêves  les  plus  délicieux  de  la  vie! 
iVIais  je  suis  satisfait  et  plein  de  con- 


AO 


SAN 


[\ii\we  »»n  Dieir,  ma  routft  est  traci^e 
à  travers  le  meurtre  et  la  mort;  ce 
n'est  qirainsi  que  je  peux  m'acquitter 
envers  mon  pays.  Mon  bonheur  eût 
été  de  consacrer  mes  jours  au  service 
des  autels-,  mais  cette  considération 
doit-elle  m'empêcher  de  détourner  de 
mon  pays  la  ruine  qui  le  menace? 
L'amour  ardent  que  je  lui  porte  ne 
doit-il  pas  redoubler  mon  zèle  pour 
l'iuîerèt  général, et  me  faire  braverla 
mort  pour  une  si  belle  cause?...  Ma 
tendre  mère!  peut-être  direz-vous: 
a  Voilà  donc  ce  lils  que  j'ai  élevé  avec 
tant  de  soin,  qui  m'a  coûté  tant  d'in- 
quiétude ;  ce  fils  que  j'aimais  tant  et 
qui  me  payait  de  retour,  qui  dut  à 
mes  ferventes  prières  de  devenir  bon 
et  vertueux  ,  que  je  me  plaisais  à 
considérer  comme  le  soutien  de  ma 
vieillesse  ;  l'ingrat  !  il  m'abandonne!  » 
Ma  respectable  mère,  que  deviendra 
notre  patrie  si  personne  ne  se  dévoue 
pour  son  salut?  Mais  loin  de  vous  tant 
de  faiblesse!  un  pareil  sentiment 
n'est  pas  dans  votre  cœur.  Femme 
généreuse!  ne  vous  ai-je  pas  sou- 
vent entendue  vous-même  déplorer 
les  maux  de  l'humanité  et  désirer 
qu'un  autre  fît  pour  la  délivrance  de 
l'Allemagne  ce  que  je  vais  faire  au- 
jourd'hui? Je  laisse  deux  frères  et 
deux  sœurs  qui  pourront  vous  con- 
soler :  moi,  je  vais  suivre  ma  desti- 
née... Quand  je  passerais  cinquante 
ans  déplus  sur  la  terre,  ma  vie  ne  se- 
rait pas  plus  remplie  qu'elle  ne  l'a  été 
dans  mes  dernières  années.  .  C'est 
avec  une  entière  confiance  en  toi.  Dieu 
éternel!  que  je  me  sépare  de  mon 
pays...Ledernieret  le  meilleur  moyen 
de  salut  est  le  glaive.  Qu'il  soit  plon- 
gé dans  le  cœur  des  traîtres;  ce  n'est 
qu'ainsi  qu'il  est  désormais  possible 
d'assurer  le  salut  de  l'Allemagne!... 
Adieu!...''Ceii.eieilredeSand,  publiée 
après  son  crime,  le  17 avril  1819,  par 


SA?i 

\e  Mercure  Oe  Franconie ,  lit  la  plus 
vive  impression  en  Allemagne;  celte 
exaltation  empreinte  d'un  si  grand 
calme  émut  tous  les  cœurs.  Ce  fut 
après  l'avoir  écrite  qu'il  partit  pour 
Manheitn,  le  9  mars  à  4  heures  du 
matin,  avec  la  pensée  bien  arrêtée  de 
tuer  Kotzebue,  emportant  pour  tout 
bagage  deux  poignards, une  carte  de  la 
Souabe,  une  autre  du  cours  du  Rhin, 
leNouveau-Testament,et  les  poésies  de 
Kœrner.Durantsonvoyage,il  souligna 
quelques  passages  de  ces  pot^sies  ,  et 
ces  vers  du  chant  national  de  la  Lyre 
et  le  Glaive  étaient  marqués  d'une 
manière  toute  spéciale  :  «  Pourquoi 
«  trembler?  c'est  en  faisant  des  ac- 
"  lions  éclatantes  ,  et  en  écrasant 
•  sans  frémir  la  tête  du  Sfrpent,  que 
-  nous  imurrons  nous  sauver!  »  Ar- 
rivé k  Manheim,  le  23,  dans  la  ma- 
tinée, il  alla  se  loger  à  l'hôtel  du 
Weinberg,  oîi  il  s'inscrivit  sous  le 
nom  de  Heinrichs  de  Miétau.  Aussitôt 
il  se  rendit  à  la  demeure  de  Kotzebue, 
qui  était  absent  ;  il  laissa  son  faux 
nom  à  une  servante,  en  disant  qu'il 
reviendrait  dans  la  journée ,  qu'il 
avait  à  lui  remettre  une  lettre  de  sa 
mère  ;  puis  il  se  dirigea  vers  le  jardin 
du  château,  d'où  la  vue  s'étend  sur 
le  Rhin.  Là,  après  être  resté  plongé 
quelques  heures  dans  une  sombre  rê- 
verie et  une  muette  contemplation,  il 
rentra  à  l'hôtel,  où  il  dîna  à  la  table 
d'hôte  de  midi  avec  la  plus  parfaite 
sérénité,  causant  histoire  et  religion 
avec  deux  ecclésiastiques,  auxquels  il 
apprit  qu'il  devait  visiter  Kotzebue. 
11  se  rendit  elFectivement  chez  ce- 
lui-ci entre  4  et  5  heures.  Introduit 
dans  son  cabinet  de  travail,  on  le  pria 
d'attendre.  Au  bout  de  quelques  mo- 
ments Kotzebue  arriva.  Voici  en 
quels  termes  Sand  a  raconté  lui-même 
ce  terrible  drame,  qui  n'eui  pas  de 
témoins.  "   Je  vis  Kotzebue  entrer, 


SAN 

je  m*avaiiçai  de  quelques  pas  vers  lui 
etje  le  saluai:  ce  qui  me  coûta  leplus, 
c'est  que  je  fus  obligé  de  feindre.  Je 
lui  dis  qu'en  passant  par  celle  ville 
j'avais  voulu  le  voir.  Après  quelques 
autres  paroles,  j«  lui  dis  :  Je  me  fais 
gloire!...  (alors  je  tirai  un  poignard 
et  je  continuai)  mais  nullement  de 
toi...  traître  à  la  patrie  !  En  pronon- 
çant ces  mots  je  retendis  à  terre.  Je 
ne  me  souviens  plus  combien  de  coups 
je  lui  portai.  Tout  s'est  passé  avec  la 
plus  grande  promptitude;  j'ai  tiré  le 
poignard  de  la  manche  gauche  de 
mon  habit,  où  je  le  tenais  caché  dans 
son  fourreau,  et  je  l'en  frappai  au 
côté  gauche.  11  étendit  seulement  les 
mains  et  tomba  aussitôt  à  l'entrée  de 
l'appartement,  à  quelques  pas  de  la 
porte  ^  il  est  tombé  accroupi  comme 
pour  s'asseoir;  je  le  regardai  dans 
les  yeux,  pour  voir  l'état  où  il  était. 
Je  voulais  savoir  quel  etfet  mes  coups 
avaient  produit.  Ses  yeux  étaient  dans 
une  grande  agitation  ;  de  sorle  que  je 
n'en  vis  bientôt  plus  le  blanc.  J'en 
conclus  qu'il  n'était  pas  encore  mort  ; 
mais  je  ne  voulus  plus  rien  lui  faire, 
je  crus  en  avoir  assez  fait.  En  me  re- 
tournant, lorsque  Kotzebue  fut  tom- 
bé, je  remarquai  un  petit  enfant  qui 
était  entré  par  la  porte  à  gauche.  Les 
cris  qu'il  poussa  me  jetèrent  dans  la 
confusion  ;  je  me  frappai  d'un  coup 
de  poignard,  qui  me  fit  dans  le  côté 
gauche  de  la  poitrine  une  douleur 
assez  profonde.  Je  retirai  aussitôt  la 
pointe  ;  la  douleur  et  la  perte  de  mon 
sang  augmentèrent  lorsque  je  des- 
cendis l'escalier.  »  Dans  la  confusion 
d'un  pareil  événement,  Sand  gagna 
facilement  la  rue.  Comme  on  criait  à 
l'assassin,  il  se  retourna,  tenant  tou- 
jours son  poignard  à  la  main.  «  Oui, 
c'est  moi,  dit-il, qui  ai  tué  Kotzebue  ; 
ainsi  doivent  périr  tous  les  traîtres! 
Vive  à  jamais  l'Allemagne,  ma  patrie, 


SAN  ryj, 

et  le  peuple  allemand  !  »  Alors,  se  je- 
tant à  genoux,  il  dit  encore  :  •  Je  te 
remercie,  ô  Dieu  !  de  m'avoir  permis 
d'accomplir  avec  succès  cette  œuvre 
de  justice  !  »  Puis  il  parut  prier  avec 
ferveur  ets'enfonça son  poignard  dans 
la  poitrine  (1).  Qu«nd  on  le  releva 
il  respirait  à  peine.  On  trouva  sur  lui 
un  papier  qui  portait  en  suscription  : 
Coup  mortel  pour  Auguste  de  Kotze- 
bue. —  La  vertu  est  dans  l'union  et 
dans  la  liberté.  C'était  une  déclama- 
tion insensée,  se  terminant  par  cette 
phrase  :  «  Dans  la  grande  nation  alle- 
mande beaucoup  d'individus  l'empor- 
tent sur  moi,  mais  aucun  ne  hait  da- 
vantage la  lâcheté  et  la  vénalilé  des 
sentiments  du  jour.  Il  faut  que  je 
donne  une  preuve  de  ma  sincérité,que 
je  fasse  connaître  à  mon  pays  l'horreur 
que  cette  dépravation  m'inspire.  Je 
ne  vois  rien  de  plus  méritoire  que  de 
t'immoler,toi,  archi-esclave,égide  de 
ces  temps  de  corruption,  ennemi  de  la 
vertu,  traître  à  mon  pays,  Auguste  de 
Kotzebue!»  —  Transporté  à  l'hôpital, 
on  pansa  ses  blessures  ;  mais  il  ne  put 
répondre  que  par  signes  aux  premiè- 

(i)  Quelques  mois  plus  lard  (juillet  iSiy), 
Sand  eut  un  imitateur.  Un  jeune  étudiant 
d'Heidelberg,  nommé  Lohning,  qui  avait 
aussi  servi  en  18 15,  fils  d'un  apothicaire 
d'Idstcin  (duché  de  Nassau),  se  persuada 
qu'il  rendrait  un  signalé  service  à  son  pays 
en  le  délivrant  de  M.  Ihel,  président  d«;  la 
régence  de  Wisbaden,  qui  jouissait  de  la 
coutiance  du  prince.  Il  résolut  de  l'assas- 
siner. Ayant  trouve  M.  Ibel  à  Schwalharh, 
il  lui  porta  un  cou[)  de  poignard  au  visage. 
Celui-ci  se  défendit,  et,  d'une  force  physique 
bien  supérieure,  il  désarma  l'assassin,  qui, 
tout  en  se  débattant,  tira  un  pistolet  de  sa 
poche  et  le  dirigea  sur  M.  Ibel.  Le  coup  ne 
partit  point.  L'assassin  fut  mis  en  prison.  Il 
montra  comme  Sand  un  courage  et  une  force 
d'esprit  extraordinaires,et  il  parvint  à  se  don- 
ner la  mort  dans  sa  prison,  en  s'ouvrant  l'ar 
tère  du  poiguet  avec  un  morceau  de  verre» 
Cette  tentative  pourrait  donner  lieu  a  de  cu- 
rieuses réflexions.  Son  auteur,  poussé  au  cri- 
me par  un  vulgaire  sentiment  d'iraitafioo, 
est  aujourd'hui  complètement  oublie. 


64 


SAN 


res  (juestions qu'on  lui  Ht,  el  pendant 
quinze  jours  on  deses^x^ra  de  sa  vie. 
Au  bout  de  trois  mois,  il  fut  transféré 
à  la  maison  de  force  de  Manheim. 
Pendant  ce  temps  un  jury,  sous  la 
présidence  du  chancelier  baron  Ho- 
henhurst ,  instruisait  son  procès. 
Cette  instruction  ne  fut  terminée  que 
le  5  septembre.  On  voulait  faire  de 
cet  événement  autre  chose  qu'un 
crime  particulier,  mais  toutes  les  re- 
cherches restèrent  infructueuses;  il 
fut  iuipossible  de  trouvera  Sand  au- 
cun complice  et  par  conséquent  de  le 
présenter  comme  l'instrument  d'un 
complot.  Cependant  les  actes  de  la 
procédure  ayant  été  soumis  au  tribu- 
nal supérieur  de  Mayence,  la  commis- 
sion centrale,  dans  son  rapport  à  la 
diète  de  Francfort,  dit  que  l'assas- 
sinat de  Kolzebue  était  le  résultat 
d'une  impulsion  révolutionnaire  don- 
née aux  étudiants  par  des  professeurs. 
Son  défenseur  le  représenta  comme 
atteint  d'une  aliénaiion  mentale,  pro- 
duite parle  fanatisme  religieux.  Néan- 
moins, !e  5  mai  1820,  le  tribunal  su- 
périeur de  Mayence  rendit  un  arrêt 
qui  le  condamna  à  avoir  la  tête 
tranchée,  et  ce  jugement  fut  confirmé 
par  le  grand-duc  de  Bade.  Le  17  mai, 
on  lui  eu  lit  la  lecture  ;  il  l'ecoutaavec 
une  froide  indifférence,  et  le  même 
jour  il  <  criyità  ses  parents  :  «Je  meurs 
volontiers ,  et  le  Seigneur  me  don- 
nera la  force  pour  que  je  meure 
comme  on  doit  mourir.  Je  vous  écris 
parfaitement  tranquille  et  calme  sur 
toutes  choses,  et  j'espère  que  votre 
vie  aussi  s'écoulera  calme  et  îran- 
quille,  jusqu'au  moment  où  nos  âmes 
se  retrouveront  pleines  d'une  nou- 
velle force,  pour  nous  aimer  et  par- 
tager ensemble  l'éternel  bonheur. 
Quant  à  moi,  tel  j'ai  vécu  depuis  que 
je  me  connais,  c'est-à-dire  avec  une 
sérénité  pleine  de  désirs  célestes  et 


SAN 

un  courageux  et  infatigable  amour 
de  la  liberté,  tel  je  vais  mourir.  Que 
Dieu  soit  avec  vous  et  avec  moi  !  » 
Quelques  jours  après,  le  20  mai,  il 
fut  exécuté  sur  la  route  qui  conduit 
deManheimàHeidelberg,  dans  le  lieu 
que  ses  partisans  appellent  encore 
Sands  Himmelfartswiese  (la  prairie 
de  l'ascension  au  ciel  de  Sand).  On 
lui  témoigna  partout  sur  son  passage 
le  plus  vif  intérêt,  de  l'enthousiasme 
même,  à  ce  point  qu'on  lui  jeta 
quelques  fleurs.  Un  grand  nombre 
d'étudiants  d'Heidelberg  arrivèrent 
comme  l'exécution  venait  d'avoir  lieu. 
Alors  beaucoup  d'entre  eux  trempè- 
rent leurs  mouchoirs  dans  le  sang  de 
leur  condisciple,  comme  dans  celui 
d'un  héros.  Sand  mourut  avec  la  fer- 
meté qu'il  avait  toujours  montrée,  en 
prononçant  ces  dernières  paroles  :  «  Je 
prends  Dieu  à  témoin  que  je  meurs 
pour  la  liberté  de  l'Allemagne.  »  On 
lui  avait  demandé  s'il  se  repentait 
de  son  crime  ;  «  J'y  avais  pensé 
depuis  une  année  entière,  répondit- 
il,  j'y  pense  depuis  quatorze  mois,  et 
mon  opinion  ne  varie  en  rien;  j'ai 
fait  ce  que  je  devais  faire.  «  La  mé- 
moire de  Scind  est  aujourd'hui  encore 
vénérée  parmi  les  étudiants  alle- 
mands comme  celle  d'un  sai rit  martyr 
de  la  liberté  !  On  peut  consulter  à  son 
sujet  :  1°  Mémoires  de  Ch.-L.  Sand^ 
suivis  d'une  justification  des  uni- 
versités d'Allemagne ,  traduits  de 
l'anglais,  Paris,  1819,  in-8°;  2"  Ex- 
posé de  l'enquête  contre  6'and,  par 
le  conseiller  d'État  de  Bade  (  le  baron 
Huhenhurst,  chancelier  de  la  cour, 
président  de  lu  commission  spéciale), 
Slultgard,  chez  Cotta.  Cet  ouvrage, 
curieux,  fut  d'abord  saisi  ;  mais  plus 
tard  l'autorité  permit  qu'il  fût  livré 
au  public,  et  nous  en  avons  ex- 
trait les  principaux  détails  de  cette 
notice,  G—H— N, 


SAN 

SANDEO  (Felino-Marie),  histo- 
rien et  canoniste  italien,  naquit  en 
1444  à  Felina,  dans  le  diocèse  de 
Reggio,  d'une  famille  noble  de  Fer- 
rare,  et  qui  était  ailie'e  à  celle  de 
PArioste.  H  prit  de  bonne  heure  l'ha- 
bit ecclésiastique,  et  se  fit  recevoir 
docteur  dans  les  deux  facultés  de 
théologie  et  de  droit.  A  peine  âgé  de 
21  ans,  il  fut  nommé  professeur  des 
décrétales  à  l'université  de  Ferrare, 
où  il  obtint  dans  la  suite  un  canoni- 
cat.  En  1474  il  fut  rappelé  en  Tos- 
cane par  Laurent  de  Médicis,  et  il 
occupa  pendant  trois  ans  la  chaire 
de  droit  canon  à  l'université  de  Pise  ; 
puis  il  abandonna  les  fonctions  du 
professorat.  Après  un  intervalle  de 
quelques  années,  il  reprit  cet  emploi  ; 
mais  en  1486  il  s'en  démil  de  nou- 
veau pour  aller  à  Rome  tenter  la  for- 
tune. Il  fut  bien  accueilli  {«ar  le  pape 
Innocent  VIII  qui  le  nomma  auditeur 
de  rote,  référendaire  des  deux  signa- 
tures, et  lui  confia  le  maniement  des 
affaires  les  plus  importantes.  C'est 
ainsi  qu'il  fut  chargé  de  formuler 
une  réponse  pour  le  roi  de  Naples 
Ferdinand  h%  qui,  dans  la  persuasion 
que  le  souverain  pontife  appuyait 
secrètement  les  barons  rebelles,  de- 
mandait avec  instince  la  convoc.i 
tion  d'un  concile  général.  Sandeo 
n'eut  pas  moins  de  considération  et 
de  faveur  sous  le  règne  suivant. 
Alexandre  VI  lui  demanda  un  mé- 
moire touchant  les  droits  que  les 
Français  prétendaient  avoir  sur  le 
royaume  de  Naples,  et  une  histoire 
des  familles  qui  avaient  tour  à  tour 
régné  dans  cette  contrée.  Ces  servi- 
ces furent  récompensés  par  le  titre 
de  vice-auditeur  de  la  chambre  apos- 
tolique, puis  pdr  l'évèché  d'Atri  et 
Penna.  Peu  de  mois  après  (mai  1495) 
Sandeo  fut  nommé  coadjuteur  de 
l'évêque  de  Lucques  avec  la  survi- 


SAN 


5i 


vance  de  Nicolas  Sandonnino  qui  ea 
était  titulaire  ;  mais  il  ne  fut  pas  fort 
heureux  dans  ses  doubles  fonction     ^ 
épiscopales.  Après  avoir  eu  à  lutt     ^j. 
pour  l'évêché  d'Atri  et  Penna  avec     ^^^ 
intrus  qu'appoyait  le  duc  de  Mf    ^^^^ 
pensier,  vice-roi  du  royaume  df  _.  ^^^ 
pies  pour  Charles  VIII,  il  vc  ^j^j^  ^ 
peine  de  succéder  à  iy.andonni   no,  en 
1499,  qu'il  se  vit  encOx'e  re  tirer  ce 
siège  par  un  puissant  riva  l  qui  ij'g_ 
tait  autre  que  le  cardinal    de  la  Bo- 
.vère,    depuis  Jules  U.     ;^.e  pauvre 
Sandeo  en  appela  à  Ro^/jg.  ,Tjiajs  au 
bout  de  deux  ans  ses   solliciiations 
n'avaient  pas  encore   été  entenc/ues, 
et  il  aurait  prob<ible  „,ent  continué  à 
crier  dans  le  dés  p^.  si  le  puissant 
cardinal,  afficha, nt    des  prétentions 
plus   élevées,   n'était   allé  s'établir 
dans  la  capitdledu  monde  chrétien 
et  n'avait  cédé  spontanément  à  son 
concurvent  l'évêché  en  litige;  mais 
Savideo  ne  jouit  pas  iong-temps  de 
son  repos,  car  il  mourut  deux  ans 
après  (1503).  On  a  de  lui  :  1.  De  regi- 
bus Siciliœ  et  Apuliœ,  in  queis  et  no- 
minatim  de  Alfonso,  rege  Aragonum, 
epitome,   publié    par  Michel  Ferno 
(yoî/.ce  nom,  LXIV,  97),  Rome,  1495, 
in-4°.C'estdoucàtortqueVossius,  en 
parlant  de  cette  histoire,  dit  qu'elle 
n'a  paru  qu'un  siècle  après  la  mort 
de    l'auteur.    Il  a    sans   doute    été 
trompé  par  Freher  qui,  dans  l'édi- 
tion de  Hanovre,  1611,  in-4°,  préten- 
dit que  c'était  la  première.  L'éditeur 
de  la  Raccolta  di  cronache  napoli 
tane  est  tombé  dans  la  même  erreur 
et  a  de   plus  confondu  Ferno  avec 
Sandeo,  lorsqu'en  insérant  dans  sa 
collection   (îome  111)   l'abrégé  cité 
nlus  haut ,   il    l'intitule   Michaelis 
Ferai  historia  compendiaria  regni 
neapolitani  nunc  primum  ex  ms. 
eruta.  Celle  erreur  est  d'autant  plus 
grossière  que  l'ouvrage  de  Sandeo 


:i6 


SAN 


^^    'ait  été  imprime,  et  pour  la  Iroi- 
siè    me  fois,  dans  le  Thés.  ont.  et  hist. 
itai  '•  (*^"i-  X)-  Au  reste,  cette  his- 
toire   '  malgré  ses  quatre  éditions,  n'a 
par  Ck  ''e-mêmeque  fort  peu  de  valeur 
et  ne    contient  qu'un  rapide  aperçu 
depuis     J'«"  537  jusqu'à  l'an  1494, 
c'est-k-i  lire  depuis  l'occupation  de  la 
Sicile  pà  r  Bélipaire  sous  Justinien 
i»isqu'à   l'entrée    en   campagne    de 
Charles  V.!ÎI  pour   la  conquête  de 
ISaples.  H.  /«  V  libros  Decretalium, 
Venise,  1 497-99,  3  vol.  in-folio.  III. 
Consilia.  IV.  >0e  indulgentia  plena- 
ria.  V.  Addi^iuncula  ad  Monar- 
chiam  Pétri  de  ^lonte.  VI.  De  litte- 
ris  apostolicis  quando  noceant pa- 
tronis^  ecclesiarum.  Tous  ces   ou- 
•vrages  ont  été  réimprimés  plusieurs 
fois,  soit  séparément,  soit  dans  diffé- 
rentes collections.  Sandeo  a  de  plus 
laissé  un  assez  grand  nombre  de  tra- 
vaux manuscrits,  dontquelques'-uns 
pourraient  servir  à  l'histoire  diplo- 
matique du  XVe  siècle.  A— y. 

SANDERSON  (Robert),  évéque 
anglican,  ne  à  Rotherham  en  1587, 
iit  de  brillantes  études  achevées  à 
l'université  d'Oxford,  où  il  fut,  en 
1608,  nommé  professeur  de  logique. 
.  Ses  leçons  sur  ce  sujet  ont  été  im- 
primées en  1615  et  ont  eu  plusieurs 
e:ditions.  Il  desservit  successivement 
diverses  cures,  où  il  donna  l'exemple 
d'une  profonde  piété,  d'une  tendre 
charité,  et  s'attacha  à  faire  régner  la 
paix  autour  de  lui.  Il  prêchait  fré- 
quemment, mais  toujours  le  manu- 
scrit sous  les  yeux,  sans  quoi  sa  timi- 
dité extrême  eût  troublé  le  cours  de 
ses  idées.  Sa  capacité  pour  la  déci- 
sion des  cas  de  conscience  lui  avait 
fait  une  grande  réputation,  et,  k  ce 
litre,  Laud, alors  évêque  de  Londres, 
l'avait  recommandéau  roi  Charles  I^r  ; 
aussi  ce  prince  l'appelait  souvent  au- 
près de  lui  el  suivait  assidûrrtent  ses 


SAN 

prédications.  Sanderson  étaiten  164b 
professeur  royal  de  théologie  à  Ox- 
ford, où  il  avait  aussi  un  canonicat; 
mais,  k  cette  époque  orageuse,  l'exer- 
cice de  ses  fonctions  était  bien  difli- 
cile.  1 1  refusa  d'adhérer  au  fameux  co- 
venant,  et  eut  une  part  importatite 
k  l'exposé  dos  Motifs  de  l'université 
d'Oxford  contre  la  ligue  et  le  cove- 
nant  solennels^  le  serment  négatif  et 
les  ordonnances  concernant  la  disci- 
pline et  le  culte.  Il  accompagna  !e 
roi  à  Hamplon-Court  et  dans  l'île  de 
Wight,  et  eut  avec  lui  de  fréquen- 
tes conférences  publiques  et  particu- 
lières. C'est  conformément  au  désir 
de  Charles  I*^  qu'il  mit  sur  le  papier 
ses  sentiments  touchant  l'épiscopat, 
que  le  parlement  prétendait  abolir; 
et  ce  qu'il  écrivit  sur  ce  point  a  été 
publié  plus  tard  (1661,in-8"),sous  ce 
litre  iL'Èpiscopat,  tel  que  la  loi  l'a 
établi  en  Angleterre,  n'est  pas  pré- 
judiciable  au  pouvoir  royal.   En 
1648,  les  visiteurs  du  parlement  le 
destituèrent  de  sa  place  de  profes- 
seur et  l'expulsèrent  de  son  canoni- 
cat,  ce  qui  le  réduisit  k  la  cure  qu'il 
possédait  à  Boolhby-Pannel,  dans  le 
comté  de  Lincoln.  Là  il  ne  fut  pas 
épargné  parles  soldats  du  parti  con- 
traire :  sa  maison  fut  pillée  plusieurs 
fois,  sa  prière  publique  fut  interrom- 
pue et  lui-même  blessé.  Mais  la  res- 
tauration lui  rendit  la  paix  et  sa  po- 
sition, et  réleva  même,  le  28  octobre 
1660,  k  l'évêché  de  Lincoln,  où  il  ne 
siéga  guère  que  deux  ans.  Il  mourut 
le29janv.  1662-63,danssa76«année. 
On  a  de  lui,  entre  autres  ouvrages  : 
I.  Logicœ  artis  compendium.,  i615. 
H.  De  juramenti  obligatione,  1647, 
in-8°,  traduit  en  anglais  par  Char- 
les I*'" ,  alors  détenu  dans    l'île  de 
Wight,  et  imprimé  k  Londres,  16ô5, 
in-8°.lil.Une  préface  étendue  k  un  li- 
vre d'Usher, faite  sur  l'ordre  exprès  du 


SAIS 

roi, et  intitulée  :  LePouvoir  commu- 
niqué par  Dieu  au  prince,  et  V obéis- 
sance requise  du  sujets  etc.,  1661, 
m-i°'^H\83,\n-S'*.\y .  Neuf  cas  de  con- 
science^ 1678,  in-8°.  V.  Sermons  (au 
nombre  de  36),  recueillis  en  t  vol. 
in-fol.,  1681,  précédés  de  la  Vie  de 
l'auteur,  par  Walton.  VI.  Deobliga- 
tione  conscienciœ,  trad.  en  anglais, 
Londres,  1722,  3  vol.  in-S».      L. 

SANDERSON  (Robert  ),  savant 
antiquaire  anglais,  naquit  en  1660,  à 
Eggleston-Hall,dans  le  comté  pala- 
tin de  Diirham,  d'un  juge  de  paix  de 
cette  province  qui  avait  beaucoup 
souffert  à  cause  de  son  attachement 
aux  Stuarts  durant  la  guerre  civile. 
11  reçut  sa  principale  instruction  à 
l'université  de  Cambridge,  et  vint  en- 
suite à  Londres,  où  il  s'attacha  à  l'é- 
tude de  la  jurisprudence.  Il  occupa 
successivement,  et  à  de  ^rands  inter- 
valles, les  emplois  de  commis  aux-Ar- 
chives,  dans  la  chapelle  des  Archives, 
et  d'huissier  {usher)  de  la  haute  cour 
de  Chancellerie  (1726).  R.  Sanderson 
avait  publié  en  1704  une  traduction 
anglaise  des  Lettres  originales  de 
Guillaume  III,  alors  qu'il  était 
prince  d'Or  ange,  à  Charles  IL  àlord 
Arlington  et  à  d'autres  personna- 
ges, avec  une  relation  de  la  réception 
du  prince  à  Middleburgh,  et  le  dis- 
cours qu'il  prononça  à  cette  occasion. 
Ayant  déplus  écrit  quelques  ouvra- 
ges historiques,  il  crut  pouvoir,  en 
1714,  aspirer  à  la  place  d'historio- 
graphe de  la  reine  Anne,  appuyé  qu'il 
était  par  le  crédit  d'un  homme  d'État 
qui  avait  été  son  condisciple  à  l'uni- 
versité, et  qui  était  devenu  ambassa- 
deur près  la  cour  de  France  :  c'était 
le  célèbre  Matthieu  Prior;  mais  l'es- 
poir qu'il  avait  pu  concevoir  de  ce 
côte  lut  déçu  par  le  changement  de 
ministère  qui  suivit  la  mort  de  la 
reine.  La  mort  d'un  trèreainë  le  ren- 


SAN 


0/ 


dit,  en  1727,  possesseur  de  propriétés 
considérables  dans  trois  provinces 
différentes.  Parvenu  à  l'âge  de  70  ans» 
il  contracta  mariage  pour  la  qua- 
trième fois,  mais  de  ses  quatre  unions 
il  ne  laissa  aucun  enfant  pour  hériter 
de  sa  fortune.  Il  mourut  à  Londres, 
en  1741,  dans  sa  79«  année.  Robert 
Sanderson  coopéra,  pour  une  bonne 
part,  à  la  compilation  des  Fœdera  de 
Rymer  (voy.  ce  nom,  XXXIX,  393), 
et  fut  seul  chargé  du  travail  des 
trois  derniers  volumes,du  18"  au  20«. 
D'une  Histoire  de  Henri  V,  qu'il 
avait  composée  en  9  volumes,  les  4 
premiers  se  sont  perdus,  les  5  autres 
sont  restés  en  manuscrit  parmi  ses 
papiers.  Il  avait  formé  une  collection 
choisie  de  livres  en  diverses  langues, 
et  il  a  laissé  plusieurs  volumes  ma- 
nuscrits, principalement  relatifs  à 
l'histoire  et  à  la  cour  de  Chancellerie, 
y  compris  une  copie  des  Papiers  d'É- 
tat de  Thurloe.  L. 

SANDFORD  (Daniel),  prélat  au- 
glais,  issu  d'une  bonne  famille  du 
comté  de  Shrop,  fut  associé  du  col- 
lège Christ-Church,  dans  l'univer- 
sité d'Oxford,  où  il  reçut  îe  doctorat 
en  1802.  Les  vertus  que  l'on  vit 
briller  en  lui  lorsqu'il  n'était  que 
simple  pasteur  dans  l'église  presby- 
térienne  d'Edimbourg  fixèrent  les 
suffrages  de  ses  confrères,  qui  le 
promurent  à  l'évêché  de  cette  ville  : 
il  fut  sacré  en  1806.  11  est  mort  en 
1830,  âgé  de  63  ans.  On  a  de  lui, 
outre  les  morceaux  qu'il  a  donnés  au 
Classical  journal  :  I.  Leçons  (lec- 
tures) sur  la  semaine  de  la  Passion, 
1797,  in  8«.  H.  Sermons  principa- 
lement destinés  aux  jeunes  person- 
nes, 1802,  in-12.  III.  Mandement  en- 
voyé au  clergé  de  la  communion 
épiscopale  d'Edimbourg,  1807,  in- 
4°.  IV.  Sermon  pour  les  écoles  lan- 
castriennes,  Z. 


58 


SAN 


SANDirORT  (Edouard),  anato- 
miste  et  médecin  hoIlaii<lais,  né  a 
Dordrecht  le  14  nov.  174*2,  fut  nommé 
professeur  à  l'université  (]<•  Leydc,  et 
acquit  beaucoup  de  réputation,  tant 
par  ses  leçons  que  par  les  écrits  (pj'il 
publia.  Il  mourut  le  22  février  1814. 
On  a  de  lui  :  I,  liibliothèque  des  scien- 
ces physiques  et  médicales,  La  Haye, 
1765-75,  4  vol.  in-8".  H.  Observa- 
tiones  anatomicopathologicœ^  1778- 
81,  4  vol.  in-4*',  avec  fig.  \\\.  Thésau- 
rus dis^ertationum  et  opusculorum 
ad  omnem  medicinam  pertinentium, 
Leyde,  177.8  et  années  suiv.,  3  vol. 
in-4".  \Y.  Descriptio  muscutorum 
hominum,  1781,  in-4°.  V.  Exercita- 
tiones  anatomico-academicœ,  Leyde, 
1783-85,  2  part  in-4°,  avec  fig.  VI. 
Musœum  anatomicum  Academiœ 
^M^dwno-Ba^avcB,  Leyde,  1793,2  vol. 
grand  in -fol,,  avec  136  pi.  C'est  un 
ouvrage  estimé.  On  peut  consulter 
sur  Sandifort  les  Annales  de  l'Aca- 
démie de  Leyde,  année  1815.      Z. 

SAJXDYS  (Edwin),  prélat  angli- 
can, issu  d'une  irès-bonne' famille 
et  né  en  1519  dans  le  comté  de  Lan- 
castre,  acheva  ses  études  dans  le  col- 
lège Saint-John  de  l'université  de 
Cambridge^  il  y  fut  nommé,  en  1547, 
principal  de  Catherine-Hall.  Sandys 
possédait  déjà  quelques  bénéfices  ec- 
clésiastiques, lorsque  Dudley,  duc  de 
Norlhumberland,  vint  le  solliciter  de 
prêchera  l'appui  des  prétentions  que 
lady  Jeanne  Grey  pouvait  avoir  à  la 
couronne  d'Angleterre  après  la  mort 
d'Edouard  VI.  Saodys  eut  le  malheur 
de  céder  a  celte  invitation,  et  le  parti 
qui  soutenait  la  malheureuse  Jeanne 
ayaiU  échoué,  le  prédicateur  fut  en 
butteàà'diiipuosilédu  pjrti  contraire, 
qui  le  destitua  de  ses  foncticais  uni- 
versitaires et  l'expulsa  du  collège. 
Arrivé  à  Londres^  il  fut  mis  k  la  Tour, 
oîi  i!  eut  JohnBradford(vo^,  ce  nom, 


SAN 

V,  456)  pour  compagnon  de  capti- 
vité; de  cette  prison  il  passa  dans 
celle  de  Marshalsea,  assez  douce- 
ment traité  en  raison  de  riulérèt  qu'il 
inspira  au  gouverneur  (keeper),  zélé 
catholique  d'abord,  qu'il  avait  amené 
au   protestantisme.  Après  (juelques 
mois  de  détention,  l'intervention  de 
sir  Thomas  Holcroft  lui  procura  la 
liberté,  au  grand   mécontentement 
deGardiner,  évêque  de  Winchester, 
qui  tenait  beaucoup,disent  les  auteurs 
prolestants.àfaireattacher  au  bûcher 
ce  dangereux  hérétique.  Sandys  n'é- 
chappa qu'avec  peine  à  ceux  qui  é- 
taient  chargés  de  le  reprendre  ;  li  put 
enfin  s'embarquer  pour  la  Flandre, 
ainsi  que  le  docteur  Coxe,  qui  fut  de- 
puis évêque  d'Ely.  Parvenu  à  Stras- 
bourg, d'autres  calamités  l'y  atten- 
daient :  une  dyssenterie  opiniâtre  et 
qui  dura  neuf  mois  épuisa  ses  forces  ; 
la  peste  lui  enleva  un  fils  unique,  et  la 
consomption  une  épouse  dévouée  ;  de 
plus,  la  discorde  se  mit  entre  les  An- 
glais exilés,  au  sujet  de  la  discipline 
ecclésiastique,  il  alla  passer  quelque 
temps  à  Zurich,  où  il  fut  bien  ac- 
cueilli par  P. Martyr  et  parBuliinger; 
c'est  là  qu'il  reçut  la  première  nou- 
velle du  décè.s  de  la  reine  Marie.  Il 
revint  à  Strasbourg,  et  bientôt  après, 
accompagné  de  son  ami  Grindal,  il  se 
mit  en  mesure  de  regagner  son  pays 
natal.  On  couronnait  la  reine  Elisa- 
beth au  moment  où  il  arrivait  à  Lon- 
dres. Une  de  ses  premières  occupa- 
tions après  son  retour  fut  la  part  qu'il 
prit  à  la  discussion  solennelle  qui  eut 
lieu  entre  les  plus  éminenîs  théolo- 
giens des  deux  communions.  Le  2i 
décembre  155Î*  il  fut  sacré  évêque  de 
Worcester  par  l'archevêque  Parker. 
On  peut  présumer  qu'entre  ics  ver- 
tus chrétiennes  qui  brillaient  en  lui, 
la  mansuétude  n'était  pas  celle  qui 
dominait.  Entouré  de  zélés  catholi  - 


SAN 


SAN 


50 


ques  qui  lui  témoignaient  leur  aver- 
sion, il  ne  lit  aucune  démarche  pour 
désarmer  leur  animosité;  il  y  eut  un 
É|  jour,  entre  ses  domestiques  et  ceux 
d'un  baronnet,  son  voisin,  une  mêlée 
où,  de  chaque  côté,  quelques  hommes 
reçurent  des  blessures.  Après  avoir 
occupé  le  siège  de  Worcester  jus- 
qu'en 1570,  lorsque  Grindal  passa 
au  siège  d'York,  Sandys  lui  succéda 
comme  évêque  de  Londres,  poste  au- 
j^  quel  semblaient  l'appeler  ses  divers 
K  talents,  comme  prédicateur  et  comme 
V  administrateur.  Il  le  garda  six  ans, 
■  jusqu'à  ce  que  Grindal  étant  promu  à 
^'  l'archevêché  de  Canterbury,  il  fut 
admis  à  le  remplacer  à  Yorki  Là 
ses  tribulations  recommencèrent.  En 
1577,  pendant  une  de  ses  visites 
diocésaines,  ayant  porté  ses  pas  jus- 
qu'à Durham,  dont  i'évêché  était 
alors  vacant,  il  s'en  vit  retuser 
l'entrée  par  \e  doyen  puritain  Whit- 
tingham,  sur  lequel  il  se  crut  au- 
torisé à  lancer  l'excommunication. 
Nous  passons  ici  sur  d'autres  avanies 
qu'il  eut  à  subir,  et  qui  ne  tendaient 
pas  à  moins  qu'à  le  déshonorer.  L'é- 
vêque  Sandys  mourut  en  1588,  âgé 
de  79  ans,  à  Soulhwell,  où  on  lui 
reprochait  de  demeurer  trop  long- 
temps, et  encore  en  y  vivant  avec 
mesquinerie,  au  lieu  de^  résider  à 
York.  Ayant  use  nombreuse  faniilfe 
à  pourvoir  (voi/.  Sandys  (Georges), 
XL,  323),  il  s'en  occupa  peut-être 
plus  qu'il  ne  convenait  a  un  paslejir 
d'âmes.  Il  est  le  p  emiei  évêque  an- 
glais qui ,  par  sa  prudence  ou  sa 
parcimonie,  ait  jeté  les  fondements 
d'une  grande  fortune,  laquelle  a  con- 
duit ses  descendants  à  la  pairie.  Les 
jugements  qui  ont  été  portés  sur  le 
caractère  de  ce  prélat  sont  peu  d'ac- 
cord entre  eux  ;  on  a  parfois  vanté 
sa  douceur  et  sa  patience,  et  cepen- 
dant il  est  avéré  qu'il  tut  en  que- 


relie  avec  ses  frères  protestants 
comme  avec  les  catholiques;  avec 
son  successeur  (Aylmer)  dans  un  de 
ses  diocèses;  avec  son  doyen  dans 
un  autre  ;  que,  dans  ses  deux  pre- 
miers diocèses,  il  traita  le  clergé  avec 
une  rudesse  qui  appela  l'intervention 
du  métropolitain.  Ce  qui  n'a  pas  été 
contesté,  c'estson  savoir,  sa  pénétra- 
tion, son  éloquence.  Les  sermons 
qu'il  a  prêches  ont  été  imprimés  pour 
la  premier*^ fois  pende  leinpsaprèssa 
mort,  et  de  nouveau  en  1613,  1  vol. 
in-4",  contenant  vingt-deux  discours. 
Ils  étaient  devenus  très-rares  lorsque 
Whitaker  en  publia  une  nouvelle 
édition,  enrichie  de  la  Vie  de  l'au- 
teur, 1812,in-8°.  Ed.  Sandys  a  donné 
une  traduction  anglaise  des  livres 
des  Hois  et  des  Chroniques,  faisant 
partie  de  la  version  de  la  Bible  com- 
mencée en  1565  Quelques-unes  de 
ses  lettres  et  autres  écrits  ont  été 
insérés  dans  les  Annales  et  dans 
les  Vies  de  Parker  et  de  Whitgift, 
par  Strype,  ainsi  que  dans  ['Histoire 
de  la  Heformation,  par  Burnet,  les 
Actes  de  Fox,  etc.  L. 

SAKDYS  (sir  Edwin),  second  fils 
du  précèdent,  naquit  eu  1561  dans 
le  comté  de  Worcester,  et  étudia  à 
l'université  d'Oxford  sous  le  célèbre 
Hookt  r.  En  1581,  une  prébende  dans 
l'église  d'York  lui  fut  conférée.  11 
voyagea  ensuite  sur  le  continent, 
avec  beaucoup  de  fruit  pour  son  in- 
struction, et  l'on  ajoute  même  pour 
sa  moralité.  Pendant  son  séjour  à 
Paris,  il  couiiuença  d'écrire  un  ou- 
vrage, de  peu  d'étendue,  sous  le  titre 
d'Europœ  spéculum,  qui  ne  fut  ter- 
miné qu'en  1599.  Peut-être  n'avait-il 
pas  dessein  de  le  mettre  au  jour;  mais 
il  dut  enlin  s'y  résoudre  lorsqu'il 
en  vil  paraître  une  édition  iu.primée 
^  son  insu,  d'après  une  copie  impar- 
faite, suivie  d'une  seconde  édition 


60 


SAN 


non  moins  «lëlVclueusc.  Ccllo  qu'il  a 
donnée  liii-mênie  ne  fut  publiée  que 
peu  (le  temps  avant  sa  mort,  sous  ce 
titre  :  Europœ  spéculum  (1),  ou  Ta- 
bleau de  l'étal  de  la  religion  dans 
les  contrées  occidentales  du  monde, 
où  Von  explique  la  religion  ro- 
maine et  la  tactique  de  Véglise  de 
Rome  pour  la  soutenir  ;  avec  quel- 
ques  autres  découvertes  mémorables; 
ouvrage  qui  n'avait  pas  encore  été 
publié  conformément  au  manuscrit 
original  de  l'auteur.  Multum  diuque 
desideratum,  La  Haye,  1629,  in-é". 
Ce  livre  a  été  réimprimé  en  1637, 
in-4°,  et  en  1673;  il  a  été  traduit  en 
italien  et  en  français.  En  1602,  Edwin 
Sandys résigna  sa  prébende,  et  l'an- 
née suivante  il  lut  élevé  a  l'honneur 
de  la  chevalerie  par  le  roi  Jacques  !'''•, 
auquel  il  avait  rendu  des  services 
importants,  et  qui  lui  donna  encore 
en  rémunération  une  belle  propriété 
à  Northborne  dans  le  comté  de  Kent. 
Sir  Edwin  y  mourut  en  oct.  1629. 
C'était  un  homme  habile,  loyal,  et 
un  des  députés  les  plus  assidus  aux 
séances  du  parlement.  11  laissa  une 
somme  de  1,500  livres  st.  à  l'uni- 
versité d'Oxford    pour   la  dotation 
d'un  cours  de  métaphysique.  De  cinq 
fils  dont  il  était  le  père,  tous,  à  l'ex- 
ception d'un  seul,  adhérèrent  à  la 
cause  du  parlement  pendantla  guerre 
civile;  même  l'un  d'eux,  JEdtcm,  fut 
le  fameux  colonel  parlementaire  dont 
les  faits  sont  signalés  dans  les  écrits 
contemporains,  et  qui,  blessé  mor- 
tellement à  la  bataille  de  Worcester, 
en  1642,  revint  expirer  dans  sa  terre 
de  Northborne,  qu'il  laissait  à  son 
tils,  sir  Richard.  —  Celui-ci  fut  tué 
en  1663  par  l'explosion  accidentelle 
de  son  fusil  de  chasse.  L. 

(i)  C'est  par  erreur  qu'à  l'article  Georges 
Sanuys,  t.  XL,  p,  323,  une  note  attribue 
YEuropee  sptculum  à  l'évéque  Sandys. 


SAN 

SAXE  (Jacqijes-Nokl,  baron),  cé- 
lèbre ingénieur    <Ies   constructions 
navales,   né  à  Brest  le   18  février 
1740,  annonça  de  bonne  heure  c«»t 
esprit   d'observation  ,    merveilleux 
instinct  du  génie  qui  développe  les 
aptitudes  innées  et  décide  des  voca- 
tions. Dès  l'âge  de  quinze  ans,  il  fnt, 
admis  dans  l'arsenal  comme  aspi- 
rant é/èue  constructeur,  et  s'appli- 
qua à  développer  ses  heureuses  fa- 
cultés par  la  pratique  la  plus  assidue . 
Élève  constructeur  en   1758,  élève 
ingénieur  en  1765,  sous-ingénieur  en 
1766,  ingénieur  ordinaire  en  1774, 
ingénieur   sous-directeur  en  1789, 
ingénieur  en  chef  en   1794,   enlin 
inspecteur-général  en  1800,  il  mit 
près  d'un  demi-siècle  à  parcourir  les 
degrés  de  la  hiérarchie  du  génie  ma- 
ritime, et  ne  se  retira  du  service 
qu'en   1817.   Pendant  cette  longue 
carrière,  il  fut  témoin  des  grandes 
luttes  navales  de  1755  à  1763,  de 
1778  à  1783,  de  1793  à  1802,  et  de 
1803  à    1815.    Perfectionnant  sans 
cesse  la  théorie  par  la  pratique,  il 
eut  la  gloire  de  créer  successive- 
ment les  divers  types  des  bâtiments 
de  guerre  français,  types   aujour- 
d'hui encore  acceptés  pour  modèlci^^, 
même  par  les  marines  étrangères. 
Nous  tâcherons  de  rappeler  ,  autant 
que  l'espace  le  permet,  les  immenses 
travaux  qui  valurent  à  Sané  le  sur- 
nom de  Vauban  de  la  marine.  11 
fournit  en  1779  les  plans  des  fré- 
gates de  28  et  de  26  canons  qui  furent 
construites  à  Saint-Malo,  sous  les 
noms  de  la  Vénus,  V Aigle,  la  Cléo- 
pdtre^  l'Hébé  et  la  Dryade,  dont  les 
qualités  nautiques  commencèrent  sa 
réputation.  L'année  suivante,  il  con- 
struisit à   Brest ,  sur  ses    propres 
plans,  le  vaisseau  de  74  le  Norlhum- 
berland,  dont  le  succès  le  fit  ad- 
mettre au  nombre  des  concurrents. 


San; 

lorsqu'il  fut   question  de  rédiger  l<» 
plan-type  de  chaque  rang  de  vais- 
seaux dont  devait  se  composer  la 
tloUe  française.  En  1782,  sou  plan- 
type  du  vaisseau  de  74,  portant  des 
canons  de  18  à  la  2^  batterie,  fut 
choisi  parmi  tous  les  projets  envoyés 
au  concours  et  servit  à  la  construc- 
tion des  vaisseaux  de  ce  rang,  dont 
il  fut  chargé  de  construire  le  modèle 
à  Brest  sous  le  nom  du  Téméraire, 
En  1786,  dans  un  nouveau  concours 
ouvert  pour  la  construction  des  vais- 
seaux de  118  canons,  le  plan-ty[)e  de 
Sané  fut  adopté,  et  il  en  construisit 
aussi   le   modèle  sous  le   nom   des 
États  de  Bourgogne.  Ce  vaisseau, 
surnommé  la  Montagne  en  1793  et 
l'Océan  depuis    1798,   fait  aujour- 
d'hui partie  de  l'escadre  aux  ordres 
de  S.   A.  R.  le  prince  de  Joinville 
dans    la   Méditerranée.    En    1788  , 
dans  un  troisième  concours,  ayant 
pour  objet  d'obtenir  le  meilleur  mo- 
dèle des  vaisseaux  de  80,  le  projet 
de  Sané  fut  approuvé  et  servit  de 
type  à  la  construction  de  tous  les 
vaisseaux  de  ce  rang  qui  seraient  mis 
en  chantier.  Ainsi,  à  partir  de  1782 
jusqu'à  nos  jours,  tous  les  vaisseaux 
de  74,  de  80  et  de  118,  construits 
dans  les  ports  de  France,  ont   eu 
pour  origine,   sans  exception,   les 
trois  types  de  Sané.  La  marine  lui 
dut,  en  outre,  ceux  de  plusieurs  au- 
tres bâtiments  de  guerre  destinés  à 
satisfaire  à  de  nouvelles  conditions. 
En  1794,  on  désira  posséder  dans 
les  escadres  des  vaisseaux  de  74  por- 
tant des  canons  de  24  au  lieu  de  18 
à  la  deuxième  batterie  :  le  plan  de 
Sané  servit  à  la  construction  des 
vaisseaux  le  Cassard  et  le  Vétéran. 
En  1802,  on  demanda  de  petits  vais- 
seaux de  74,  destinés  à  naviguer  fa- 
cilement sur  l'Escaut.  Le  plan-type 
dressa  par  Sané  pour  Ze  P/u/ow  ser- 


SAN 


61 


vit  à  Ja  construction  de  tous  les 
vaisseaux  de  celte  espèce.  On  désira 
introduire  dans  la  marine  française, 
en  1808,  de  petits  vaisseaux  à  trois 
ponts,  à  l'instar  de  ceux  des  Anglais. 
Le  plan  du  vaisseau  de  110  de  Sané 
servit  à  la  construction  du  vaisseau 
le  Commerce  de  Paris  et  de  ceux  de 
même  rang.  On  demanda  aussi  des 
vaisseaux  à  trois  ponts  portant  du 
18  à  la  troisième  batterie  au  lieu  du 
calibre  de  12,  comme  sur  l'Océan. 
Le  plan  du  vaisseau  de  118  l'Auster- 
litz^  présenté  par  Sané,  servit  des 
lors  à  la  construction  des  grands 
vaisseaux  à  trois  ponts  mis  en  chan- 
tier dans  tous  les  ports,  indépen- 
damment de  cette  nombreuse  série 
de  vaisseaux,  Sané  fut  appelé  à  com- 
biner les  plans  d'une  frégate  de  44 
portant  du  18,  et  d'une  corvette  à 
gaillards  portant  des  caronades  de 
24.  En  1810,  il  rédigea  le  plan-type 
de  la  frégate  la  Justice^  dont  les 
qualités  à   la  mer  ont  eu  les  plus 
grands  succès,  et  ce  même  plan  a  été 
suivi  pour  l'exécution  d'un    grand 
nombre  de  frégates  qui  ont  toujours 
conservé  une  bonne  réputation.  En- 
fin Sané  dressa,  en   1807,  le  plan 
d'une  corvette  à  gaillards  qui  ligure 
encore  au  nombre  des  bâtiments  de 
la  tlotte.  Tel   est    le    rapide  exposé 
des  travaux  nombreux  par  lesquels 
Sané  se  distingua  comme  ingénieur 
des  constructions  navales.  «Ce  grand 
ingénieur,  dit  M.  le  baron  Ch.  Du- 
pm,  avait  reçu  de  la  nature  un  sen- 
timent exquis  de  la  convenance  et  de 
la  continuité  des  formes  ^  il  pressen- 
tait, il  devinait,  pour  ainsi  dire,  les 
inflexions,  les  courbes  les  plus  favo- 
rables à  la  marche  des  navires,  à  la 
douceur  de  leurs  oscillations,  à  la 
facilité  de   leurs  évolutions.  Cette 
application  de  la  théorie  à  l'expé- 
rience produisit  des  vaisseaux  siipé- 


62 


SAN 


rieurs  à  tous  ceux  que  les  modernes 
avaient  construits  jusqu'à  cette 
<'|)oqiie.  La  supériorité  fut  remarqua- 
ble surtout  pour  les  vaisseaux  à  trois 
ponts.  La  milture  et  la  voilure  de  ces 
bâtiments  furent  si  savamment  ba- 
lancées, que  les  frégates  mêmes 
n'olfrirent  plus,  comparées  à  ces 
vaisseaux,  une  supériorité  d'évolu- 
tion et  de  marche.  La  marine  fran- 
çaise se  rappelle  encore  le  sentiment 
d'admiration  que  lit  naître  le  vais- 
seau l'Océan^  navire  à  trois  ponts, 
que  le  public  admirait  pour  l'élé- 
gance et  la  majesté  de  ses  formes 
apparentes,  et  que  les  marins  ad- 
miraient parce  qu'il  était  le  vaisseau 
le  plus  facile  à  manœuvrer  et  le  plus 
tin  voilier,  entre  tous  les  navires  du 
même  rang,  qu'on  eût  construit  en 
Europe.  Il  ne  suffisait  pas  au  reste 
d'avoir  conçu  les  plans  et  dirigé  la 
construction  des  vaisseaux  les  plus 
parfaits ,  il  fallait  généraliser  cette 
supériorité  dans  toute  notre  armée 
navale.  C'est  un  nouveau  service 
qui  résulta  des  travaux  du  baron 
Sané.  Depuis  long-temps  les  marins 
se  plaignaient  de  l'extrême  inégalité 
que  présentaient  la  marche  et  les 
autres  qualités  des  bâtiments  de  nos 
armées  navales.  Lorsque  plusieurs 
vaisseaux  devaient  naviguer  en- 
semble, ils  étaient  forcés  de  prendre 
la  vitesse  de  celui  qui  s'avançait 
avec  le  plus  de  lenteur;  lorsqu'ils 
devaient  remonter  contre  le  vent, 
ils  ne  pouvaient  louvoyer  que  sui- 
vant la  ligne  marquée  par  le  vais- 
seau qui  dérivait  davantage;  en  un 
mot,  l'uniformité,  la  conserve  de  la 
marche  et  des  évolutions,  impri- 
maient nécessairement  à  la  flotte 
entière  les  imperfections  dominan- 
tes de  chaque  vaisseau  disgracié  par 
quelque  genre  que  ce  fût  d'infério- 
rité. Par  la  coïncidence  la  plus  heu- 


SAN 

reuse,  c'était  à  l'époque  où   l'art 
venait  de  faire  un  pas  immense  par 
les  travaux  de  M.  Sané,  qu'on  adopta 
la  pensée  de  construire  sur  un  mo- 
dèle uniforme  les  vaisseaux  de  cha- 
que rang.  Grâce  à  cette  innovation,  la 
France,  au  lieu  d'avoir  des  armées 
navales  qui  manœuvraient  avec  tous 
les    genres    d'infériorité    des   plus 
mauvais  vaisseaux,  composa  bientôt 
des  armées  dont  les  navires  possé- 
dèrent tous  les  genres  de  supériorité 
que  l'art  pouvait  procurer:  c'était  l'u- 
niformité appliquée  à  la  perfection.  » 
Appelé,  en  1793,  en  qualité  d'ordonna- 
teur de  la  marine,  à  la  direction  supé- 
rieure du  port  de  Brest ,  Sané  se  trou- 
va bientôt  aux  prises  avec  une  po- 
pulation égarée  par  la  famine  et  en 
proie  au  paroxisme  révolutionnaire. 
Toujours  calme  et  ferme,il  suffit  à  tous 
ses  devoirs  et  dut  son  salut  à  la  pro- 
tection du  représentant  du  peuple 
Jean-Bon  Saint-André,  qui  vénérait 
en  lui  le  citoyen  dévoué  à  la  patrie 
et  l'auteur  du  vaisseau  si  bien  nom- 
mé le  Sans-Pareil.  Il  quitta  le  poste 
d'ordonnateur  à  Brest  pour  exercer 
les  fonctions  d'inspecteur  des  con- 
structions navales  depuis  Saint-Malo 
jusqu'à  Bayonne.  Élevé  en  1800  au 
grade  d'inspecteur- général  du  génie 
maritime,  il  dut  se  rendre  à  Paris, 
où   il  exerça   ses  hautes  fonctions 
jusqu'en  1817,  époque  à  laquelle  il 
fut  admis  à  la  retraite.  Il  était  âgé 
de  77  ans,  dont  62  avaient  été  si  la- 
borieusement et  si  utilement  consa- 
crés au  service  de  l'État.  Il  avait  été 
successivement  nommé  membre  de 
l'Aca'lémie  des  sciences,  section  de 
mécanique,   sur   la  proposition   de 
Napoléon  lui- même,  membre  de  cette 
importante  section  de  l'Institut;  ba- 
ron de  l'empire-,  chevalier  de  Saint- 
Louis  ;  grand-cordon  de  l'ordre  de 
Saint-Michel  j  enfin,  grand-officier 


SAN 

de  Tordre  royal  de  la  Légion-d'Hon- 
neur.  Combîl^  de  distiifclions,  qui 
touteà  avaient  été  le   prix   de   ses 
éminents  services,  el  entouré  d'une 
famille  (l)  qui    répondait    par    les 
soins  les  plus  touchants  a  sa  profonde 
tendresse,  le  baron  Sané  s'éteignit  le 
22  août  1831,  à  Paris,  et  ses  restes 
mortels  furent  déposés  au  cimetière 
de  Montmartre.  Au  nom  de  l'Institut 
et  de  la  marine,  M.  Charles  Dupin, 
dans  un  discours  dont  nous  regret- 
tons de  n'avoir  pu  reproduire  qu'un 
passage,  rendit  hommage  à  la  mé- 
moire de  ce  patriarche  du  génie  ma- 
ritime {Annales  maritimes,  année 
1831,   2**   partie,  sciences  et  arts, 
t.  II).   Le  baron   Sané  était  d'une 
taille  élevée.  Sa  physionomie,  calme 
et  imposante,  révélait  la  noble  can- 
deur de  son  âme.   Inaccessible  aux 
suggestions  de  l'amour-propre,  il  ne 
connut  jamais  l'envie.  Par  un  rare 
privilège,  il  sut  se  concilier  le  respect 
et  l'admiration  en  même  temps  que 
l'affection.  Profondément  dévoué  au 
bien  public  ainsi  qu'aux  progrès  de 
l'art  qu'il  a  tant  contribué  à  perfec- 
tionner, son  nom,  inscrit  dans  les 
fastes  de  la  marine,  restera  toujours 
vénéré  du  pays.  Ch— u. 

SANÉ  (Alexandre-Marie),  litté- 
rateur, né  vers  1773,  remplissait  les 
fonctions  de  greflier  de  la  justice  de 
paix  du  12«  arrondissement  de  Paris, 
lorsqu'il  mourut  le  31  octobre  1818, 
âgé  seulement  de  quarante-cinq  ans. 
On  a  de  lui  :  1.  Tableau  historique, 
topographique  et  moral  des  peu- 
ples des  quatre  parties  du  monde, 
comprenant  les  lois,  les  coutumes  et 
les  usages  de  ces  peuples^  Paris,  1801 , 

(i)  Le  barou  S.iné  a  laissé  deux  filles: 
l'uue  a  épodsé  M.  Ltroux,  direileur  des 
constructions  navales  a  Brest;  l'autre, 
M.  Rt'urhe,  roéde(  iu  et  propi  iétaire  à  Véxe- 
lay  (youue^. 


SAN 


63 


deux  volumes  in-8".  II.  Poésie  ly- 
rique portugaise,  ou  Choix  des  odes 
de  François  Manoel,  traduites  en 
français,  avec  le  texte  en  regard, 
précédées  d'une  notice  sur  l'auteur, 
et  d'une  introduction  sur  la  littéra- 
ture portugaise,  avec  des  notes  his- 
toriques, géographiques  et  littérai- 
res, Paris,  1808,  in-8°  {voy.  Manoel 
de  Nascimento,   LXXII,   486).  III. 
Histoire  chevaleresque  des  Maures 
de  Grenade,  traduite  de  l'espagnol 
de  Ginès  Ferez  de  Hita:  précédée 
fie  quelques  réflexions  sur  les  Mu- 
sulmans d'Espagne,  avec  des  notes 
historiques  et  littéraires,  Paris,  1809, 
2  vol.  in-8°.  IV.  Nouvelle  Gram- 
maire  portugaise^    Paris,    1810, 
in-8«.  Z. 

SAN-FELICE  (Antoine),  savant 
du  XVI*  siècle,  néà  Naples  vers  1515 
d'une  famille  noble,  fit  de  bonne 
heure  profession  dans  un  couvent 
de  l'observance  de  Saint-François,  et 
partages  tout  son  temps  entre  l'é- 
tude et  les  devoirs  de  son  état.  Après 
de  longues  et  profondes  recherches 
sur   l'ancienne  Italie,  il   conçut  le 
projet  de  décrire  toutes  les  cités  de 
la  Péninsule^  mais,  sentant  bientôt 
combien  était  vaste  une  telle  entre- 
prise, il  la  circonscrivit  à  h  Cam- 
panie.  Le  livre  latin  qu'il  composa 
sur  cette  contrée  annonce  non-seule- 
ment beaucoup  de  pénétration  et  une 
grande  connaissance  de  l'antiquité, 
mais  il  est  encore  écrit  avec  tant  de 
pureté  que  Montfaucon,   dans  son 
Diarium  ilalicum,   n'hésite  pas  a 
dire  que  le  XVh  siècle  n'a  presque 
rien  produit  d'aussi  beau.  San-Felice 
mourut  à  INaples  en  1570.  On  a  de 
lui  :  I  .Clio divina,  Naples,! 54 1 ,  in-4". 
C'est  un  recueil  de  poésies  sur  des 
sujets  sacrés,  et  qui,  dans  la  suite,  fut 
réimprimé  avec  sa  Campania,  sous 
le   titre  de  Carminum  Juvenilium 


r,-{ 


SAN 


iibri  ires.   11.  Campania,   Naplos, 
15(i2, 1566  et  1636,  in-4".  Dans  celte 
dernière  édition  se  trouve  un  éloge 
«le  San-Felice  par  le  père  Orsi.  Mais 
la  meilleure    est    celle  que  donna 
vAï   1726,    in-4",    Ferdinand    Sau- 
Felice,   petit -neveu   de    Fauteur, 
qui  y  ajouta  une  foule  de  notes,  un 
lexique  to[)ographique  et  une  bonne 
t^-irte  chorugrapliique  de  l'ancienne 
€ampanie.  i.e  même  ouvrage  se  trou- 
ve aussi  d;ins  les  Auclores  Jlaliœ  il- 
hislri  (Francfort,  1600),  et  dans  le 
tome  IX  du  Thésaurus  antiq,  et  hist. 
ï/a^.,  publié  à  Leyde  en  1723.   A — y. 
SAN-FELIt:E  (la  marquise  Loui- 
sf),  une  des  plus  intéressantes  vic- 
times de  la  i-éaction  napolitaine  de 
1799  (i;02^.  RuFFO,  LXXX,  146-50), 
naquit  à  Naples  en  1768,  d'une  fa- 
mille considérée.  Mariée,  à  l'âge  de 
18  ans,  au  marquis  de  San-Felice,  et 
douée  de   tous    les   avantages  que 
donnent   l'éducation,  l'esprit  et  la 
beauté, sa  maison  devint  le  rendez- 
vous  de  tout  ce  que  la  capitale  con- 
tenait d'hommes  remarquables  gar 
le  talent,  la  science  et  la  fortune. 
C'était  l'époque  où  les  événements 
survenus    en  France  mettaient   en 
ébuUition  toutes  les  passions  politi- 
ques et  faisaient  naître  dans  l'esprit 
de  quelques  Italiens  l'espoir  de  chan- 
gements analogues  dans  leur  pays.  Si 
Naples  futune  des  dernières  villes  de 
la  Péninsule  où  les  patriotes  se  mon- 
trèrent à  découvert,  elle  fut  celle 
qui  compta  parmi  les  partisans  des 
idées  nouvelles  le  plus  grand  nom- 
bre de  personnes  éminentes  par  la 
naissance  et  le  savoir.  Une  espèce 
de  vertige  s'empara  des  esprits,  les 
sociétés  secrètes  pullulèrent,  et  cha- 
que jour  les  vit  s'accroître  en  nom- 
bre et  en  importance.  Aussi,  lorsque 
Championuet  envahit  le  royaume, 
la  conquête  ne  lui  en  coûta  pas  de 


SAK 

grands  efforts,  et  la  république  Par- 
thénopéenne  se  constitua  promi)l«'- 
ment.  Mais  ce  nouvel  ordre  de  cho 
ses,    malgré    l'enthousiasme  d'une 
partie    de    la    population ,    n'avait 
pas   réelleiiient   les    sympathies  du 
pays,  et  il  eut  besoin  de  l'appui  des 
troupes  françaises.  A  peine  celles-ci 
furenl-elies  obligées  de  commencer 
un  mouvement  rétrograde,  que  les 
royalistes  reprirent  courage,  et  for- 
mèrent au  sein  même  de  la  capitale 
d'audacieuses  entreprises.  Un  cer- 
tain Baker,  entre  autres,  négociant 
suisse  établi  à  Naples,  devint  le  chef 
d'une  conjuration  qui  devait  éclater 
à  un  jour  donné,  faire  tomber  les 
forts  sous  le  canon  de  la  flottille  an- 
glo-sicilienne, et  surprendre  à  i'im- 
proviste   les  républicains,  dont  les 
maisons  avaient  été  marquées  à  l'a- 
vance d'un  signe  particulier.  Comme 
on  le  voit,  c'était  une  espèce  de  vê- 
pres siciliennes  que  Baker  méditait. 
Pour  éviter  toute  méprise,  on  avait 
distribué  aux  royalistes  des  cartes  de 
sûreté.  Le  capitaine  Baker,  frère  du 
chef  des  conjurés,  était  épris  de  ia 
marquise  San-Felice,  et  quoiqu'il  ne 
fût  point  payé  de  retour,  il  lui  ap- 
porta une  de  ces  cartes,  et  lui  ex- 
pliqua l'usage  qu'elle  en  devait  faire. 
De  son  côté,  la  marquise  aimait  un 
jeune   officier  républicain,  nommé 
Ferri,  selon  Colletta,  ou  Vincent 
Cuoco  {voy.  Coco,  LXI,  169),  selon 
d'autres,  et  elle  n'eut  rien  de  plus 
pressé  que  de  lui  remettre  le  présent 
de  Baker.  Le  jeune  honune  porta  le 
billet  au  gouvernement  et  nomma  la 
personne  de  qui  il  le  tenait.  La  mar- 
quise fut  aussitôt  appelée.  Honteuse 
de  voir  ses  amours  livrées  k  la  pu- 
blicité, rougissant  de  la  dénoncia- 
tiotî  de  son  amant  et  forcée  de  ré- 
véler tout  ce  qu'elle  savait,  elle  refusa 
néanmoins  de  nommer  Baker,  et  dé- 


SAN 

Clara  avtv,  une  maie  énergie  qu'elle 
mourrait  pluiôt  qne  de  payer  d'in- 
gratitude l'ami  géiif^reux  qui  voulait 
la  sauver.  Mais  sa  déposition,  l'é- 
criture du  billet  et  certains  signes 
qu'on  y  remarquait,  suffirent  pour 
faire  découvrir    les   auteurs  de    la 
conspiration,  et  les  frères  Baker  fu- 
rent mis  en  prison,  jugés  et  exé- 
cutés.  Leur  supplice,  qui  eut  lieu 
peu  de  jours  avant  l'entrée  du  car- 
dinal RufFo  à  Naples,  attira  sur  la 
marquise   la  vengeance    des   vain- 
queurs.   Arrêtée  dès   les  premiers 
jours,   ainsi   qu'une  foule  d'autres 
personnes    considérables ,    elle  fut 
plus  particulièrement  désignée  à  la 
rigueur  des  juges,  excités  encore  par 
les  récriminations  incessantes  de  la 
famille  Baker.  Une  sentence  de  mort 
fut  portée  contre  elle  et  aurait  été 
mise  aussitôt  à  exécution,  si  l'infor- 
tunée jeune  femme  n'avait  déclaré 
i?tre  enc<Mnîe.   L'exactitude  du  fait 
fut  constatée,  et  le  supplice  différé. 
Alors,  s'il  faut  en  croire  le  général 
Colletta,  le  roi  aurait  écrit  de  Sicile 
à  la  junte  pour  lui  reprocher  ce  re- 
tard, disant  que  l'excuse  n'était  qu'un 
prétexte  et  qu'on  avait  séduit  les  ex- 
perts. On  procéda  à  un  second  exa- 
men qui  confirma  le  premier,  et  pour 
ne  laisser  aucun  doute  dans  l'esprit 
de  la  cour,  on  fit  partir  la  marquise 
pour  Païenne,  où  elle  attendit  dans 
un  cachot  le  jour  qui  devait  être  le 
premier  pour  son  enfant  et  le  dernier 
pour  elle.  Sur  ces  entrefaites,  la  prin- 
cesse Marie-Clémentine,  femme  du 
prince  royal,  étant  accouchée  d'un 
fils,  tenta  de  faire  servir  cet  heureux 
événement  au  salut  de  la  marquise. 
C'est  un  pieux  usage  dans  la  famille 
des  rois  de  Naples  d'accorder,  eu  pa- 
reille occasion,  trois  grâces  au  choix 
de  la  princesse.  Celle-ci,  pour  mieux 
assurer  le  succès  de  sa  demande,  et 

LXXXI. 


SAN 


65 


montrer  toute  l'importance  qu'elle  y 
attachait,  au  lieu  de  trois  grâces  ne 
voulut  en  solliciterqu'une  seule,  celle 
de  la  malheureuse  San-Felice,  qui 
venait  d'accoucher,  et  restait  dans 
les  prisons  de  Palerme  jusqu'à  ce 
qu'elle  eût  repris  assez  de  forces 
pour  supporter  le  voyage  de  Naples, 
où  elle  devait  être  exécutée.  Mais 
malgré  les  supplications  et  les  larmes 
de  sa  bru,  Ferdinand,  excité  peut- 
être  à  la  vengeance  par  la  reine 
Caroline  et  par  lady  Hamilton,  se 
montra  non  -  seulement  inflexible  , 
mais  traita  encore  assez  rudement  la 
pauvre  princesse.  Bientôt  la  marquise 
fut  transférée  à  Naples,  où  elle  eut  la 
tête  tranchée;sur  la  place  du  Marché. 
C'était  au  mois  de  juillet  1800, 
plusieurs  semaines  après  le  décret 
d'amnistie  qui  avait  fait  cesser  les 
supplices.  Ainsi  périt  une  femme 
qui  n'était  coupable  que  par  amour 
et  presque  sans  le  savoir,  et  que  sa 
naissance,  sa  jeunesse,  sa  beauté,  sa 
position  exceptionnelle,  que  tout  en- 
fin aurait  dû  recommander  à  la  clé- 
mence royale.  A — y. 

SANHAGI  (Abou-âbdallah-Ma- 
homet),  fils  de  Giarumi,  nommé 
aussi  Ben  Àgram  ou  Agrum,  célèbre 
grammairien,  naquit  en  682  de  l'hé- 
gire (1283  de  J.-C),  et  mourut  en 
723  (1323).  Le  commentateur  Aboul- 
Hassan-Ali-Alscadhi  observe  qu'Er- 
penius  s'est  trompé  en  croyant  que 
le  niotJg'rwm  était  le  nom  d'une  ville, 
tandis  que  dans  la  langue  africaine 
il  signifie  homme  d'une  petite  taille, 
moine  sutite.  Sahhagi  estauteur  d'une 
bonne  Grammaire,  intitulée  Giaru- 
mia,  ovxAgrumia;  elle  est  courte 
et  très-usitée  en  Orient^  plusieurs 
écrivains  l'ont  commentée.  On  en 
trouve  beaucoup  d'exemplaires  ma- 
nuscrits dans  les  bibliothèques  pu- 
bliques de  l'Europe,  dans  celle»  du 


t>() 


SAN 


Vatican,  de  Paris,  de  l'Escurial,  de 
Leyde,  d'Oxford,  et  il  en  a  été  donné 
différentes  éditions.  La  première,  la 
plus  rare  et  la  plus  belle,  est  celle 
de  Rome,  en  t592,  in  4",  très-jolis 
caraclères  de  Médicis;  la  2®  est  celle 
de  Breslau,  en  1610,  faiieparKirsten, 
avec  une  traduction  latine  et  beau- 
coup de  notf's;  la  3®  est  celle  de  Leyde, 
en  1617  par  Erpenius  {voy.  ce  nom, 
XIII,  275),  qui  a  joint  à  cette  gram- 
maire le  livre  des  Cent  Régents^  sa 
traduction  et  des  commentaires; 
c'est  la  plus  correcte.  La  4^  est  celle 
qu'Obicini  ou  Thomas  de  Novare  a 
publiée  à  Rome,  avec  sa  version 
latine,  en  1631,  in-8",  caractères  de 
la  Propagande  {voy.  Obiciisi,  XXXI, 
475).  Senabel  a  donné  en  arabe  et  en 
latin  des  morceaux  de  [^Âgrumia 
avec  ses  coiumenîaires,  en  deux 
dissertations  académiques,  impri- 
mées en  1755  et  1756  à  Le\âe.  —  Ali- 
lien-Saïd  Sanhagi  a  composé  un 
livre  des  Poids  et  mesures  des  Ara- 
bes^ et  Abou-Mahomet-Âbdalazziz 
Sanhagi  une  Histoire  du  Cairovan. 

J-N. 

SAK-MARTI\0(Pasinato  de). 
Voy.  Saint-Martin,  LXXX,  363. 

SANUEY  (Agnus  (1)  Benignus), 
savant  théologien,  doit  être  compté 
dans  le  petit  nombre  de  ces  hommes 
couragj'ux  et  d'une  volonté  forte, 
ayant  su  vaincre  tous  les  obstaclesqui 
s'opposaient  à  leur  instruction  et  à 
leur  avancement  dans  le  monde.  Il 
naquitd  Langres,  en  1589,de  parents 
si  pauvres,  qu'il  fut  obligé,  pour  ga  - 
gner  sa  vie,  de  garder  les  moutons 
d'un  boucher  jusqu'à  l'âge  de  14  ou 


(i)  Chaudoa  et  Feller  out  traduit  Agnui 
par  Ange.  Moréi  i,  plus  exact,  a  conservé  à 
Sanrey  son  préuuiu  d'^gnuJ,  qu'on  lit  dans 
son  épitapbe,  rapjiortée  par  Booaventiire 
U'ArgODue,  t.  II,  p.  >Si  de  ses  iMelanges, 
edit.  de  179.5. 


SAN 

15  ans.  Un  de  ses  compagnons»  qui 
savait  lire  et  qui  faisait  des  jarretiè- 
res et  des  cordons  de  chapeaux  avec 
la  laine  qu'il  tirait  du  dos  des  mou- 
tons, lui  apprit  à  lire  et  à  faire  son 
petit  métier  (2).  Devenu  assez  grand 
pour  être  un  peu  plus  qu'un  berger, 
il  revint  à  la  ville,  où  il  entra  au 
service  de  M.  Médard,  avocat  du  roi. 
Lorsqu'on  l'envoyait  aux  offices,  il 
prenait  plaisir  à  chanter,  car  il  avait 
une  belle  voix  et  une  mémoire  si  heu- 
reuse, qu'il  retenait  aisément  tous  les 
chants  de  i'Église.  La  place  de  clerc 
d'oeuvre  étant  devenue  vacante  dans 
la  paroisse  de  Saint-Martin,  le  curé 
et  les  chapelains  la  lui  offrirent,  mais 
il  la  refusa,  disant  qu'il  savait  à  peine 
lire,  et  que  les  enfants  qui  l'avaient 
vu  garder  les  moutons  se  moqueraient 
de  lui.  A  la  fia  il  se  laissa  gagner  par 
un  des  chapelains,  qui  le  prit  en  af- 
fection et  qui  lui  enseigna  à  pronon- 
cer le  latin.  Ce  bon  ecclésiastique  lui 
ayant  fait  présent  d'un  Despautère, 
le  jeune  chantre  parvint,  au  bout  de 
deux  ans,  à  faire  des  thèmes  où  l'on 
n'aurait  pu  trouver  une  seule  faute 
contre  la  syntaxe.  Le  traitement  at- 
taché aux  fonctions  de  Sanrey  était 
si  modique,  qu'il  n'avait  pas  le  moyen 
d'acheter  de  l'huile  pour  travailler 
pendant  la  nuit^  la  nécessité  est  in- 
génieuse ;  Srinrey,  lorsque  chacun 
dormait,  descendait  dans  l'église,  et 
lisaii  ou  compo.sait  ii  la  lueur  de  la 
lampe  qui  brûlait  devant  le  taber- 
nacle. Les  progrès  qu'il  avait  faits 
dans  la  langue  latine  engagèrent  les 
chapelains  à  le  placer  au  collège  de 

(2)  Jameray  Duval,  qui  mourut  bibliothé- 
caire de  l'empereur  d'Autricbe,  fut  gardeur 
de  diudons  dans  sa  jeunesse  {^voj.  Dcival, 
XII,  4^^  )•  L'évèque  actuel  de  Cbambéri, 
Mg'Billieti,  apprit  uoQ'Seuleaieut  à  lire,  mais 
eucore  le  latin,  sans  maître,  pendant  qu'il 
était  berger. 


SAN 


SAN 


67 


Langrespour  y  conlinu(^r  ses  études; 
il  y  fit  sa  rhétorique  avec  tant  de 
succès,  qu'on  le  jugea  capable  d'en 
occuper  la  chaire.  L'inteulion  de 
Sanrey  était  d'embrasser  l'état  ecclé- 
siastique. L'archidiacre  de  la  cathé- 
drale de  Langres  l'envoya  à  Lyon,  et 
radressa  au  P.  Théophile  Raynaud, 
qui  ne  tarda  pas  à  reconnaître  sa  ca- 
pacité, et  qui  l'aida  de  ses  conseils 
et  de  ses  livres  pendant  qu'il  faisait 
son  cours  de  théologie  et  de  philoso- 
phie. Dès  qu'il  fut  sous-diacre,  il  alla 
prêcher  dans  les  campagnes  voisines 
de  Lyon;  et  quand  il  fut  ordonné 
prêtre,  il  se  livra  entièrement  à  la 
prédication.  Pendant  le  séjour  de 
Louis  XIll  et  de  sa  cour  à  Lyon,  en 
1(;22,  Sanrey  prêcha  dçvant  Anne 
d'Autriche ,  qui  lui  fit  donner  un 
brevet  de  prédicateur  ordinaire  du 
roi,  avec  promesse  d<i  reconnaî- 
tre son  mérite  à  la  première  occa- 
sion. Ses  amis  lui  conseillèrent  de 
suivre  la  cour,  mais,  dans  le  chemin, 
il  tomba  trois  fois  de  cheval,  et  re- 
vint à  Lyon.  Quehiue  temps  après,  il 
alla  disputer  la  théologale  de  Beaune, 
qui  était  vacante,  et  l'emporta  sur 
quinze  ou  seize  compétiteurs  par  son 
éloquence  et  par  son  érudition.  Un 
des  collateurs  des  chapeilenies  de 
Langres  lui  ayant  conféré  une  cha- 
pelle, il  se  démit  de  la  théologale  de 
Beaune.  et  retourna  dans  sa  ville  na- 
tale, où  il  mourut  le  15  oct.  1659.  Il 
fut  inhumé,  conformément  à  ses  dé- 
sirs, sous  la  lampe  de  l'égliseoù  il  avait 
fait  ses  premières  éludes.  Bonaven- 
ture  d'Argonne,  auquel  nous  avons 
emprunté  les  détails  qu'on  vient  de 
lire,  ajoute  que  Sanrey  ne  s'était  pas 
rendu  moins  habile  dans  le  grec  que 
dans  le  lalin;  qu'il  avait  même  étudié 
Phébreu  et  lu  tous  les  Pères  de  l'É- 
glise, entre  autres  saint  Augustin, 
qu'il  savait  presque  entièrement  par 


cœur.  Il  a  beaucoup  écrit  sur  les  ma- 
tières de  la  grâce  et  contre  le  P.  Ba- 
got  (voy.  ce  nom,  III,  217).  Il  avait 
laissé  un  mémoire  pour  servir  d'in- 
struction à  ceux  qui  voudraient  im- 
primer sa  polémique  avec  le  jésuite. 
Cette  pièc«  a  été  insérée  dans  les 
Mélanges  de  Vigneul-Marville  (Bo- 
nav.  d'Argonne),  tome  II,  édit.  de 
1725.  La  plupart  des  ouvrages  de 
Sanrey  sont  restés  inédits  *,  il  n'a  pu- 
blié que  la  première  partie  d'un  livre 
ayant  pour  titre  :  Jubilus  ecclesiœ 
triumphus,  Langres,  Jean  Boudot, 
1655,in-4^;et  un  traité  intitulé  :  Pa- 
racletus,  seu  de  recta  illius pronun- 
ciailone  tractatus,  Paris,  Le  Bouc, 
1643,  in-8%  volume  très-rare  qui  fi- 
gure sous  le  n"  9,545  du  Catalogue 
des  livres  de  Camille  Falconet,  et  qui 
offre  plus  d'intérêt  que  son  titre  ne 
semble  en  promettre.  «  On  y  trouve, 
«  dit  M.  Brunet  (Manuel  du  librai- 
«  re,  t.  111),  de  savantes  recherches 
«  sur  plusieurs  points  d'érudition  re- 
«  latifs  aux  langues  en  général  et  à 
«  la  langue  grecque  en  particulier.  » 
Chaudon  et  Feller  se  trompent  quand 
ils  disent  que  ce  traité  fut  attaqué 
par  Thiers,  qui  voulait  qu'on  pro- 
nonçât Paraclitus  et  non  Paracletus. 
La  dissertation  que  ce  dernier  publia 
sur  ce  sujet,  et  que  le  P.  INicéron 
traite  de  pure  bagatelle,  ne  parut 
que  dix  ans  après  la  mort  de  Sanrey, 
qui  n'y  est  pas  même  nommé.  Elle 
est  intitulée  :  De  retinenda  in  ec- 
clesiasticis  tibris  voce  Paraclitus <, 
Lyon,  1669,  m-V2(voy.  Thiers,  XLV, 
418).  Mais  la  victoire  paraît  être  res- 
tée à  Sanrey,  et  les  grammairiens 
exacts,  dit  Feller,  prononcent  sui- 
vant son  sentiment.  Cette  dispute 
grammaticale,  dont  le  fond  semble 
assez  futile,  n'était  pas  nouvelle.  Dès 
le  IX®  siècle,  elle  avait  commencé 
entre  les  évéques  de  France  et  d'Al- 


68 


SAN 


JjMD.ip^ne.  On  peut  voir,  dniis  les 
Fragments  d'histoire  et  de  littéra- 
ture, La  Haye,  1706,  in-l2  (3),  im 
aperçu  des  différents  écrits  publics  à 
ce  sujet.  A.  P.  et  B— l— u. 

SAN-SEVERINO   (le  chevalier 
Jules-Robert),  néen  1758  à  Naples, 
de  l'une  des  plus  anciennes  familles 
de  ce  royaume  {voy.  San-Severino, 
XL,  344),  fut,  dès  son  enfance,  des- 
tine à  l'état  ecclésiastique,   et  ea 
conséquence  placé,  à  l'âge  de  six 
ans,  dans  l'abbaye  des  bénédictins 
du  Mont-Cassin,  où  il  (ît  de  rapides 
progrès,  et  fut,  au  bout  de  quelques 
années,  du  nombre  des  douze  élèves 
d'éiile  que  la  congrégation  du  Mont- 
Cassin  envoyait  au  collège  Anselmien 
de  Rome,  pour  y  perfectionner  leurs 
études.  Il  y  eut  pour  professeur  de 
théologie  le  célèbre   Chiaramonti, 
qui  depuis  fut  pape  sous  le  nom  de 
Pie  VU,  et  il  fut  envoyé  à  Plaisance 
aussitôt  après,  pour  y  professer  la 
philosophie  et  la  géométrie,  puis  à 
Gènes,  où  il  occupa  la  chaire  des 
lettres  sacrées,  ce  qui  lui  fit  conce- 
voir la  pensée  de  VHistoire  ecclé- 
siastique^ dont  le  style  a  été  comparé 
à  celui  de  Tacite.  L'enchaînement  et 
la  liaison  des  faits  n'y  est  pas  moins 
admirable  que  dans  l'historien  de 
Rome,  au  point  que  dans  la  Pénin- 
sule  beaucoup   de  lecteurs  lui  ont 
donné  le  glorieux  surnom  de  Tacite 
italien.  Le  roi  Ferdinand  IV,  à  qui 
il  la  dédia,  le  fit  recevoir  à  l'Acadé- 
mie royale  des  sciences  de  Naples 
avant  l'âge  de  trente  ans,  ce  qui  était 
une  faveur  Irès-rare.  Nommé  ensuite 
chevalier  de  Malte,  San-Severino  se 
rendit  dans  celte  île,  où  il  fut  par- 
faitemeiît  accueilli   par    le   grand- 
maître   Rohan  et  noaimé  historio- 


(3)  ParîSic.-Hyao  do  La  iloque,  deRoueu, 
avocat,  mort  en  17)2.  (Barbier,  Dicf,  dpt 
anonym.  ) 


SAN 

graphe  de  Pdidre.  11  n'y  resta  nt'-an- 
moiusciuepeudeteinps.et  partit  pour 
Gênes,  d'où  les  premiers  symplOnn'S 
de  la  révolution  le  forcèrent  d'aller 
à  Florence;   il  y  lit  un  assez   long 
séjour,  et  il  fut  honoré  d'un  bre- 
vet de   naturalisation  par  la  jeune 
reine  d'Étrurie.  Étant  retourné  dans 
sa  patrie,  il  y  commença  une  traduc- 
tion italienne  de  Tacite  qui  fut  im- 
primée  à   l'imprimerie   royale    de 
Naples,  18  vol.  in-S",  avec  le  texte 
latin  en  regard.  On   a  encore  du 
chevalier  San-Severino   une  gram- 
maire italienne  et  quelques  poésies 
publiées   dans  divers    recueils.    Il 
mourut  dans  sa  patrie,  vers  1820. 
—  Un  autre  San-Severino  fut  pro- 
fesseur detlangue  et  de  littérature 
italiennes  à  Gœttingue,  puisa  Bruns- 
wick et    à  Berlin.  Il  a  publié  une 
histoire  de  Bianca  Capello,  et  Vies 
des  hommes  et  femmes  célèbres  d'I- 
talie^  1767,  2  vol.  in-12,  ainsi  que 
quelques  traductions,  entre  autres 
celle  de  VArt  de  la  guerre  de  Fré- 
déric II.  A— G— s. 

SANSON  (Charles-Henri),  bour- 
reau de  Paris,  fut  un  des  hommes 
les  plus  extraordinaires  du  dernier 
siècle  par  le  contraste  de  son  carac- 
tère doux  et  pieux  avec  ses  horribles 
fonctions.  Il  naquit  en  1740,  d'une 
famille  vouée  depuis  plus  de  deux 
siècles  à  ce  cruel  métier,  et  venue 
de  Florence  au  temps  de  Marie  de 
Médicis,  sous  le  nom  de  Sansoni, 
qu'elle  changea  en  celui  de  Sanson 
dans  l'intention  probablement  de 
paraître  plus  française.  On  voit  dans 
les  Mémoires  du  temps  que,  sous 
le  règne  de  Louis  XIII,  un  Sanson 
était  exécuteur  commissionné  par 
le  duc  de  Lorges,  grand-justicier  du 
royaume.  Ainsi,  ce  fut  par  lui  qjie 
périrent  la  plupart  des  victimes  du 
despotisme  de  Richelieu,  et  depuis 


SAN  / 

cette  e'poque,  la  indme  place  n'a  pas 
cesse  d'être  occup<'c  par  ses  descen- 
dants, auxquels  d'ailleurs  on  ne  put 
jamais  faire  d'aulrereprochcquecelui 
de  leur  terrible  profession.  Charles- 
Henri  Sanson  était  né  à  Paris,  dans 
la  rue  Beauregard,  où  demeurait  son 
père.  On  le  fit  entrer  secrètement,  à 
l'âge  de  dix  ans,  dans  une  maison  d'é- 
ducation de  Rouen,  où  il  se  montra 
fort  soumis  et  studieux.  Son  origine 
y  resta  d'abord  ignorée;  mais  il  se  vit 
obligé  d'en  sortir  dès  qu'elle  fut  con- 
nue. Revenu  chez  son  père,  on  essaya 
de  l'envoyer  dans  une  autre  école; 
mais  la  fatalité  de  sa  naissance  l'y 
poursuivit  encore,  el  il  fut  bientôt 
forcé  (le  la  quitter.  Alors  on  lui  donna 
pour  précepteur  un  pauvre  abbé,  du 
nom  de  Grisel,  que  son  père  avait 
recueilli  par  charité,  et  qui  l'instrui- 
sit dans  de  très-bons  principes  de 
piété  et  de  vertu.  S'il  en  profita  peu 
sous  le  rapport  littéraire,  on  peut  du 
moins  assurer  que,  sous  le  rapport 
religieux  et  moral,  son  éducation  fut 
très-bonne,  et  qu'elle  eut  les  meil- 
leurs résultats;  mais  on  sent  qu'ainsi 
élevé  et  doué  d'un  aussi  bon  natu- 
rel, leiils  de  Sanson  dut  trouver  sa 
position  affreuse  quand  il  la  connut 
tout  entière,  et  qu'il  ne  put  se 
faire  illusion  sur  la  nécessité  de 
succéder  à  sou  père.  Du  reste,  un  as- 
sez fort  traitement  était  attaché  à  son 
emploi,  et  il  avait  des  privilèges 
que  la  révolution  a  supprimés,  en- 
tre autres  celui  d'une  sépulture  ré- 
servée à  sa  famille  dans  l'église 
Saint-Laurent,  où  l'on  en  montre  en- 
core la  place  auprès  du  banc-d'œuvre. 
^  Depuis  un  temps  immémorial,  les  exé- 
~  cuteurs  des  jugements  criminels  (1) 
^      eu  France,  notamment  celui  de  Pans, 


SAN 


61) 


(i)  Par    un    arrêt  du  parlement,  il   était 
deftjndu  de  leur  douuer  un  autre  nom. 


percevaient  pour  leur  salaire  un 
droit  auquel  on  donnait  un  nom  dif- 
férent dans  chaque  province.  A  Paris 
il  s'appelait  droit  de  navage,  et  con- 
sistait en  une  espèce  de  tribut  sur 
les  comestibles,  qui  se  percevait  aux 
portesde  la  ville  ou  dans  les  marchés, 
et  qui  ne  produisait  pas  moins  de 
trente  mille  francs  par  an,  lorsqu'il 
fut  remplacé  en  1776  par  un  traite- 
ment fixe  de  seize  mille  livres,  plus 
deux  mille  écus  pour  l'entretien  de 
l'échafaud,  et  le  logement  du  pilori, 
qui  fut  démoli  enl780.  Cet  état  de  cho- 
ses dura  jusqu'en  1793,  où  la  Conven- 
tion nationale  fixa,  par  un  décret,  le 
sort  de  tous  lesbourreaux  de  France. 
Ayant  succédé  à  son  père  vers  1770, 
Charles-Henri  Sanson  avait  eu  peu 
d'occasions  d'exercer  son  terrible 
ministère  pendant  les  paisibles  rè- 
gnes de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI; 
mais  la  révolution  devait  en  amener 
de  bien  nombreuses  et  de  bien  cruel- 
les. C'est  par  lui  que  furent  exécutés 
Favras,  Durosoi,  Bachmann  et  tous 
les  malheureux  que  les  massacreurs 
du  10  août  et  du  2  septembre  1792 
ne  purent  égorger.  Jamais  ses  fonc- 
tions ne  lui  avaient  paru  plus  péni- 
bles.Mais  la  mort  de  Louis  XVI  devait 
lui  causer  des  chagrins  bien  autre- 
ment funestes.  H  hésita  d'abord  pour 
accepter  cette  horrible  mission,  et  il 
ne  s'y  soumit  quepressé,  sollicité  par 
tous  les  siens,  et  bien  persuadé  que 
par  un  refus  il  s'exposerait  à  de  grands 
périls,  sans  utilité  pourle  malheureux 
prince  dont  il  aggraverait  la  position 
au  lieu  de  l'adoucir.  Après  lacatastro- 
phe  il  tomba  malade  et  cessa  de  rem- 
plir ses  fonctions,  dans  lesquelles  il 
fut  remplacé  par  son  fils  {voy.  l'arti- 
cle suivant).  Ainsi  ce  n'est  pas  par  lui 
que  furent  exécutés  la  reine,  la  sœur 
de  Louis  XVI,  le  duc  d'Orléans,  Ma- 
lesherbes,  Daîiton,  Robespierre   et 


70 


SAN 


tant  d'autres.  Un  nioisaprès  le 21  jan- 
vier, il  était  encore  malade,   et   il 
cherchait  vainement  à  se  distraire 
de  son  chagrin  par  des  voyages  et 
d'autres  moyens,  lorsqu'il  lut  dans 
le  Thermomètre  politique,  journal 
que  rédigeait  le  fameux  Duhiure,  une 
inlâme  diatribe  sur  la  mort  de  Louis 
XVI ,  que  cet  historien  calomniait 
basseuîent  après  avoir  été  son  juge, 
après  l'avoir  condamné  à  réchalaud... 
Nous  savons  bien  qu'ensuite,  en  pré- 
sence de  Sansou,  il  n'a  pas  osé  avouer 
ses  calomnies,  et  qu'il  a  déclaré  les 
avoir  empruntées  au  journal  de  Car- 
ra, les  Annales  patriotiques  ;  mais 
dans  ce  cas  il  lui  reste  encore  l'infa- 
mie d'avoir  adopté   et  répété  sans 
examen  un  très- odieux  mensonge^ 
et  la  flétrissure  de  celui-là  comme  de 
tant   d'autres ,    qu'il    a   accuruulés 
dans  ses  écrits,  doit  être  connue  de 
la  postérité.  Nous  le  citerons  donc 
textuellement.     Ce    fut   dans    son 
journal    du    13    février   1793,    22 
jours  après  la  mort  de  Louis  XVI, 
qu'on  lut  ce  récit  calomnieux,  que, 
par  un  raflinement  d'imposture  et 
d'audace,  le  journaliste  u;eltait  dans 
•  la  bouche  du  bourreau  lui  même, 
dans  un  article  intitulé:  Anecdote 
1res -exacte  sur  V  exécution  de  Louis 
Capet...  «Au  moment  où  le  condamné 
«  ujouta  sur  l'échafaud,  je  fus  sur- 
«  pris  de  son    assurance    et  de  sa 
«fermeté^  mais  au   roulement  des 
«  tambours  qui  interrompit  sa  ha- 

•  rangue,  et  au  mouvement  simul- 
«  tané  que  firent  mes  garçons  pour 
«saisir  le  condamné^  sur-le-champ 

•  sa  figure  se  décomposa;  il  s'écria 
«  trois  fois  de  suite  très-précipitam- 
«  ment  :  Je  suis  perdu...»  Le  journa- 
liste continuant  de  faire  parler 
Sanson  ajoute  :  «  Le  condamné  avait 
«  copieusement  soupe  la  veille,  etfor- 
'tement  déjeuné  le  matin...  Louis 


SAN 

•  Capet  avait  été  dans  rillusion  jus- 
-  qu'à  l'instant  précis  de  sa  mort,  et 
«il  avait  compté  sur  sa  grâce.  Ceux 

•  qui  l'avaient  niaintenu  dans  cette 
«  illusion  avaient  eu  sans  doute  pour 
«  objet  de  lui  donner  une  contenance 
«  assurée,  qui  pourrait  en  imposer 

•  aux  spectateurs  et  à  la  postérité; 
«mais   le  roulement  des  tambours 

•  a  dissipé  le  charme  de  cette  fausse 

•  ferujeté,  et  les  contemporains  ainsi 
«  que  la  postérité  sauront  à  (juoi  s'en 
«tenir  sur  les  derniers  moments  du 
«  tyran  condamné...  »  Nous  devons 
faire  remarquer  que  la  partie  la 
plus  odieuse  de  cette  dégoûtante 
calomnie,  inventée  ou  répétée  par 
Dulaure,  n'est  qu'une  répétition  des 
propos  infâmes  que  les  meneurs 
de  la  révolution  avaient  depuis  long- 
temps semés  parmi  le  peuple  sur 
l'intempérance  de  Louis  XVI,  qui 
lut  toujours,  quoi  qu'en  ait  dit  ré- 
cemment un  historien  célèbre,  mais 
très  mal  inforaié  sur  ce  point  comme 
sur  beaucoup  d'autres,  le  plus  sobre 
et  le  plus  modéré  des  hommes.  San- 
son, qui  lut  ces  infâmes  calomnies,  et 
qui  mieux  que  personne  savait  la 
vérité ,  fut  indigné  de  ces  men- 
songes, qu'en  sa  présence  même  on 
avait  l'audace  de  lui  attribuer ,  et  il 
se  hâta  de  les  démentir  par  une  lettre 
adressée  au  journaliste,  qui  ne  Tin- 
séra  pas,  et  qui  se  borna  à  dire,  dans 
son  numéro  du  18  février  1793, que  le 
citoyen  Sanson,  exécuteur  des  juge- 
mmt.<  criminels,  lui  avait  écrit  pour 
réclamer  contre  le  récit  de  la  mortde 
toMîsCajïe^,  publié  sous  son  nom,  dé- 
clarant que  ce  récit  était  de  toute 
fausseté ;e{  il  invita  le  citoyen  San- 
son à  lui  faire  parvenir  un  récit  plus 
exact  ;  ce  que  celui-ci  ne  manqua  pas 
de  faire  aussitôt.  Trois  jours  après  (le 
21  février),  on  lut  dans  le  Thermo- 
mètre politique  ce  récit  si  précieux. 


SAN 

pour  ^histoire,  si  courageux,  sur- 
tout, si  l'on  se  reporfe  à  l'époque  où 
il  fut  publié,  et  si  honorable  enfin 
pour  le  malheureux  Sanson  qui  ne 
craignit  pas  de  le  signer.  Nous  le 
donnons  dans  son  intégrité,  avec 
les  fautes  d'orthographe  et  les  for- 
mules obligées  du  temps  (2).  «Ci- 
«toyen,  un  voyage  d'un  instant  a 
«été  la  cause  que  je  n'ais  pas  eu 

•  l'honneur  de  répondre  à  l'invita- 

•  tion  que  vous  me  faites  dans  votre 

•  journal,  au  sujet  de  Louis  Capet. 
«  Voici  suivant  ma  promesse  l'exacte 
«  véritée  de  ce  qui  c^est  passé.  Decen- 
«  dantde  la  voiture  pour  l'exécution, 
«on  lui  dit  qu'il  faloit  ôter  son 
«  habit.  Il  fit  quelques  difhaulîés  en 

•  disant  qu'on  pouvoit  l'exécuter 
«  comme  il  étoit.  Sur  la  represen- 
«  tation  que  la  chose  étoit  impos- 

•  sible,  il  a  lui-même  aidé  à  ôter 
«son  habit.  Il  fit  encore  la  même 
«  difficultée  lorsqu'il  cest  agit  de  lui 
«  lier  les  mains  ,  qu'il  donna  lui- 
«même,  lorsque  la  personne  qui  la- 
»  compagnon  lui  eût  dit  que  c'étoit 
«un  dernier  sacrifice.  Alors  il  s'in- 
«  forma  sy  les   tambours  baileroit 

•  toujour.  Il  lui  fui  répondu  que  l'on 
«  n'en  savoit  rien,  et  Cretois  la  véri- 

•  tée{3).  Il  monta  réchaffaud,etvou- 

•  lut  foncer  sur  le  devant,  comme 
«  voulant  parler.  Mais  on  lui  repre- 

•  senta  que  la  chose  étoit  impossible 

•  encore  ;  il  se  laissa  alors  conduire  à 

•  l'endroit  où  on  V attachât,  et  où  il 
■  s'est  écrié  très-haut  :  «  Peuple  je 
«  meurs  innocent.  »  Ensuitte  se  re- 

r 

(a)  Cette  lettre  a  été-  la  propriété  de 
M.  Tastu,  imprim^'iir,  qui  la  teuait  de  Du- 
laure  lui-mêiue.  Aimé  Martin  V»  ensuite 
possédée.  Elle  appartient  niijourd'hiii  à  la 
Bil)liothèque  royale, 

(3)  11  est  évideiit  qu'ici  Sausoa  n'a  pas 
voulu  se  nommer,  mais  que  le  fut  lui  qui 
fit  celte  réponse  ^  |a  question  que  lui 
adressa  le  tondamnê. 


SAN 


71 


«tournant   vers  nous,  il  nous  dit» 

•  Messieurs,  je  suis  innocent  de  tout 
«ce  dont  on  m'inculpe.  Je  souhaite 
«que  mon  sang  puisse  cimenter  le 
«  bonheur  des  François. «Voilà  citoyen 
«  ses  dernières  et  ses  véritables  pa- 
«  rôles.  L'espèce  de  petit  débat  qui 
«  se  fit  au  pied  de  l'échaffaud  roulloit 
■  sur  ce  qu'il  ne  croyoit  pas  néces- 

•  saire  qu'il  olat  son  habit  et  qu'on 
«  lui  liât  les  mains.  Il  fit  aussi  la  pro- 
«  position  de  se  couper  Itii-rnêmc  les 
«  cheveux.  Et  pour  rendre  homage  à 
«là  véritée,  il  a  soutenu  tout  cela 
«  avec  un  sang  froid  et  une  fermette 

•  qui  nous  a  tous  étonnés.  Je  reste 
«très -convaincu  qu'il    avoit  puisé 

•  cette  fermetée  dans  les  principes  de 
«  la  religion  dont  personne  plus  que 
«  lui  ne  paroissoit  pénétrée  ny  per  • 
«  suadé.  Vous  pouvez  être  assuré  , 
«citoyen,  que  voilà  la  vérité  dans 
«  son  plus  grand  jour.  J'ay  l'honneur 
«d'estre,  citoyen,  votre  concitoyeiî, 
«signé  Sanson.  Paris,  ce  20  février 

•  1793,  l'ani'^de  la  république  fr an 

'çoise.  •  Ce   qu'il   faut  remarquer 

dans  ce  curieux  récit  de  Sanson,  c'est 

que  tout  y  est  parfaitement  d'accord 

avec  ce  qu'a  dit  l'abbé  Edgeworth  de 

Finnont,  qui  accompagna  Louis  XVI 

jusque   sur  l'échafaud    {voy.   Fir- 

mom ,  XIV,  562),  et  qui,  s'il  ne 

prononça  pas  les  belles  paroles  qu'on 

lui  a  attribuées  :  Montez  au  ciel, 

fils  de  saint  Louis^  s'exprima  d'une 

manière  plus  simple,  mais  peut  -  être 

plus  convenable  à  la  position  du  roi 

martyr,  en  lui  disani  :  «Je  ne  vois 

«  dans  ce  nouvel  outrage  qu'uu  der- 

«  nier  trait  de  ressemblance  entre 

«  Votre  Majesté  et  le  Dieu  qui  va  être 

«sa  récompensée.  »  Ce  qui  est  bien 

sûr,  c'est  que  ces  touchantes  paroles 

du  digne  ecclésiastique,  attestées  par 

le  bourreau  lui-même,  persuadèrent 

Tinfoituné  prince,  qui  aussitôt  se  re- 


72 


SAN 


SAN 


signa  et  tendit  ses  mains...  Uu  doit 
s'étonner  que  d'aussi  précieux  détails 
aient  étéomis  par  tous  les  historiens, 
et  que  sans  le  témoignage  de  Siinson, 
sans  le  hasard  qui  les  a  fait  tomber 
dans  nos  mains,  ils  fussent  restés 
ignorés  de  la  postérité.  Ce  malheu- 
reux avait  été  l'instrument  immo- 
bile et  le  témoin  à  peu  près  passif 
du  supplice-,  car  ce  ne  fut  pas  lui  qui 
mit  en  mouvement  la  terrible  ma- 
chine, ni  lui  qui  saisit  la  tête  san- 
glante, pour  la  montrer  au  peuple; 
Edgeworth  a  dit  positivement  que  ce 
fut  le  plus  jeune  des  bourreaux.  Cet 
horrible  spectacle  fit  sur  Sanson  le 
père  unesi  vive  impression,  qu'il  tom- 
ba malade,et  cessad'exercer  son  cruel 
métier  jusqu'à  sa  mort,  qui  eut  lieu 
six  mois  après,  dans  les  regrets  les 
plus  amers   d'avoir  concouru  à  un 
aussi  déplorable  événement.  Par  ses 
dispositions  testamentaires,  il  voulut 
qu'une  messe  d'expiation  fii  L  dite, à  ses 
trais, tous  lesansle2ljanvier,  pourle 
repos  de  l'âme  de  Louis  XVI  ;  et  tant 
qu'il  a  vécu,  son  fils  et  successeur, 
dont  l'article  suit,  a  religieusement 
rempli  ce  devoir,  en  chargeant  de 
faire  dire  cette  messe  le  curé  de  Saint- 
Laurent,  ce  qui  est  connu  de  tout 
le  clergé  de  cette  paroisse.  Nous  le 
tenons  de  plusieurs  ecclésiastiques 
encore  vivants,  qui  l'ont  eux-mêmes 
dite.  Dans  les  temps  de  révolution,  ils 
furent  souvent  obligés  d'y  procéder 
dans  le  silence,  et  sans  apprêts  funé- 
raires,afin  de  ménager  les  susceptibi- 
lités régicides  encore  toutes-puissan- 
tes. On  priait  seulement  pour  le  re- 
pos de  l'âme  de  Louis,  sans  désigner 
autrement  le  roi  martyr.  Il  n'y  avait 
que  leprêtreet  lebourreau  qui  fussent 
dans  la  confidence  de  cette  œuvre  de 
piété!...  Cette  espèce  d'expiation  fut 
continuée  jusqu'en  1840,  tant  que 
vécut  le  fils  de  Charles  Henri.  Long- 


temps il  n'y  eut  pas  en  France  d'au- 
tre cérémonie  expiatoire,  d'autre 
protestation  contre  la  condamnation 
la  plus  inique,  la  plus  monstrueuse 
qui  ait  souillé  la  justice  humaine  !  Lt 
aujourd'hui  la  nation  tout  entière 
semble  en  avoir  accepté  la  honte. 
On  sait  que  depuis  deux  siècles  les 
Anglais  protestent  encore  chaque 
année,  par  une  cérémonie  d'expiation 
publique,  contre  le  meurtre  de  Char- 
les 1«'.  En  France,  personne  ne  pro- 
teste plus  contre  un  attentat  qui, 
certes,  ne  fut  pas  moins  inique.  La 
dernière  protestation  a  été  celle  du 
bourreau!...  M— Dj. 

SANSON  (Henri),  fils  et  succes- 
seur du  précédent,  naquit  à  Paris  en 
1767,  et  fut  élevé  avec  autant  de 
soins  que  le  comportait  la  malheu- 
reuse position  de  son  père,  auquel 
il  succéda  en  1793,  lorsque  le  cha- 
grin causé  à  celui-ci  par  le  supplice 
de  Louis  XVI  l'eut  précipité  dans  la 
tombe.  Ainsi,  s'il  ne  fut  pas  le  bour- 
reau de  ce  prince, il  fut  celui  des  nom- 
breuses victimes  de   la  terreur  do 
1793  et  1794.  C'est  par  lui  que  fu- 
rent exécutés  la  reine  Marie-Antoi- 
nette,sa  sœur  Elisabeth, Malesherbes, 
le  duc  d'Orléans  et  tant  d'autres.  Du 
reste,  son  caractère,  comme  celui  de 
son  père,  ne  fut  ni  impitoyable  ni 
cruel  ;  il  était  même  pieux,  faisait 
élever  chrétiennement  ses  enfants,  et 
remplissait  exactement   ses  devoirs 
religieux.  C'est  un  témoignageque  lui 
rend  encore  tout  le  clergé  de  Saint- 
Laurent,  sa  paroisse,   qui  en  a  été 
témoin.   H    possédait   dans   la  rue 
Neuve-Saint-Jean  un  hôtel  où  tous 
les  samedis  il  faisait  une  distribu- 
tion de  pain  aux  pauvres  du  quartier. 
Nous  trouvons  encore  sur  cet  hom- 
me non  moins  extraordinaire  que  son 
père,  dans  le  troisième  volume  de 
l'ouvrage  intitulé  ;  Dix  ans  à  la  cour 


r 


SAN 

du  roi  Louis- Philippe,  par  M.  Ap- 
pert, des  anecdotes  curieuses,  et  que 
nous  croyons  devoir  rapporter.  Ce 
n'est  pas  Saiison  qui  y  joue  le  plus 
mauvais  rôle.  C'était  vers  l'an  1835, 
au  temps  où  le  philanthrope  des 
prisons  et  des  bagnes  tenait  un  rang, 
et  remplissait  des  missions  que  nous 
n'expliquerons  pas.  Reçu  très-gra- 
cieusement à  la  cour,  ainsi  qu'il  le 
dit  et  s'en  vante  ;  recevant  lui-même 
dans  sa  villa,  non  loin  de  l'habita- 
tion royale,  pêle-mêle  avec  les  bour- 
reaux, les  forçats,  et  les  espions  de 
police,  les  docteurs,  les  auteurs  et  les 
plus  grands  personnages  de  la  France 
et  de  l'Angleterre...  11  y  a  là,  on  ne 
peut  le  nier, quelquechosede  caracté- 
ristique pour  l'époque.  Nous  n'en 
supprimerons  pas  un  mot.  «...Lord 
«Durham  et  lord  Ellice,  ministre  de 

•  la  guerre  d'Angleterre, vinrent  avec 

•  mon  digne  ami  Bowring  me  visi- 

■  ter   quai   d'Orsay ,   pour  prendre 

•  un  jour,  afin  de  nous  rendre  chez 

•  Sanson,  qui  avait  offert  de  monter 
«  la  guillotine  pour  ces  messieurs. 

•  J'allai  donc   prévenir  l'exécuteur 

•  que  le  samedi  suivant  nous  vien- 
«  drions  le  prendre.  Comme  c'était 

•  la  première  fois  que  j'entrais  dans 
«  sa  maison  (située  rue  des  Marais), 
«il  fut  enchanté  de  me  bien  recevoir. 
«Madame  Sanson  avait  ouvert  la 
«  porte,  et   lorsqu'elle  apprit   mon 

•  nom,  elle  m'adressa  les  plus  affec- 
«tueux  compliments,  et  appela  vite 
«son  mari  qui, en  me  voyant,  s'em- 
«  pressa  de  retirer  le  bonnet  de  coton 
«couvrant    sa  large  et  haute  tête 

■  chauve.  Il  me  reçut  avec  un  respect» 

•  une  déférence  embarrassée,  etvou- 

•  lut  absolument  me  faire  asseoir 
«  dans  son  fauteuil,  ce  qui,  je  l'avoue, 

•  ne  me  séduisait  pas  du  tout  ;  encore 
-  un  préjugé.  Je  remarquai  des  gra- 
«vures  pieuses  qui  entouraient  sou 


SAN 


73 


«  cabinet  ;  j'entendais  toucher  sur 
«  un  piano  l'air  de  la  Muette  (c'était 
«sa  petite-fille).  Je  pensais  à  tous 
«  les  malheureux  qu'il  avait  exécu- 

•  tés  ;jevoyaisavec  horreur  ce  glaive 
«  à  deux  tranchants,  marqué  par  deux 
«  fils,  dont  l'un  rappelait  l'exécution 
«de  Lally,  l'autre  celle  de  La  Barre. 
«J'étais  impressionné,  pensif,  lors- 
«  que  Sanson  me  dit  :  «  Monsieur,  le 

•  fauteuil  sur  lequel  vous  êtes  assis 
«  appartient  depuis  bien  long-temps 
«à  notre  famille;  mon  père  et  ies 
«  siens  y  tenaient  beaucoup,  et  s'en 

•  servaient  toujours.  »  Je  ne  sais 
«pourquoi,  mais  involontairement 
«je  me  levai  de  suite  de  ce  fauteuil, 

•  et  pris  congé  de  M.  Sanson...  Le 
«  samedi  suivant,  lord  Durham  vint 
«  me  chercher  dans  sa  voiture  {oîi  se 
«trouvait  son  neveu,  héritier,  je 
«  crois,  de  son  immense  fortune  et  de 

•  son  nom),  mais  il  avait  parlé  k  tant 
«  d'Anglais  de  notre  visite  à  la  rue 
■  des  Marais,  qu'une  foule  de  car- 

•  rosses  nous  suivirent,  comme  si 

•  nous  allions  à  un  enterrement. 
-  Lord  Durham    me    demandait   en 

•  route  s'il   ne   serait  pas  possible, 

•  d'acheter  un  mouton  pour  le  faire 

•  guillotiner.  Je  lui  répondis  que 
«cela  donnerait  lieu, avec  raison,  à 
«de  sévères  critiques,  et  il  n'insista 
«  pas.  Arrivé  rue  des  Marais,  voyant 
«  que  nous  étions  au  moins  cinquante 
«personnes,  j'entrai  seul  chez  le 
«bourreau.  H  était  en  grande  toi- 

•  lette  noire,  et  il  nous  conduisit  sur 
«  le  bord  du  canal  Saint-Martin,  chez 
«  le  peintre,  gardien  du  fatal  inslru- 
«  ment.  Là,  le  caractère  anglais  eut 
«  l'occasian  de  se  montrer  tel  qu'il 
«  est;  chacun  voulait  toucher  au  coiî- 
«peret,  aux  paniers,  se  mettre  sur 
«la  planche  qui  tient  le  corps  lors- 
«  qu'on  le  fait  basculer,  pour  que  U 
«  tête  se  trouve  juste  dans  la  lucarne 


74 


SAN 


SAN 


«  qui  l'enferme  et  la  place  au-desnius 
«du  terrible  couteau.  Sanson  avait 
"  fait  monter  enlièrcinpiit  et  repeiri- 
«  dre  la  guillotine,  et  des  boites  de 

•  paille  servirentk  démontrer  la  ter- 

•  rible  puissance  du  couperet.  Vidocq 

•  aidait  Sanson  et  soti  fils  dans  leurs 
«  explications  ,  qui  m'inspiraient  la 
«plus  vive  re'pngnance;  mais  lord 
«Durham,  lord  Ellice,  Bowring  et 
«  tous  les  autres  assistants  y  trouvè- 
«  rent  un  spectacle  qui  les  inte'ressa 
«beaucoup.   Je   quittai  Sanson    en 

•  abandonnant    l'immense   cortège, 

•  moins  lord  Durham,  qui  voulut  me 

•  reconduire  chez  moi,  au  quai  d'Or- 

•  say.  J'engageai,  sur  la  prière  de 
«plusieurs  amis,   Sanson  à   dîner 

•  pour  le  samedi  suivant,  et  en  ac- 
«  ceptant  il  osa  ajouter  bien  timide- 
«  ment:«  Mon  fils,  qui  me  remplace 
«souvent  dans  mes  fondions,  serait 
«  bien  heureux  d'avoir  le  même  hon- 

•  neur.  —  Comment  donc,  monsieur 

•  Sanson?  amenez-le  ;  j'en  serai  fort 

•  aise,  »  répondis-je.  Il  y  eut  deux 
«  re'unions  à  ma  villa  de  Neuilly,  où 
«  assistaient  à  dîner  MM.  de  Balzac, 
«Alexandre  Dumas,  Fourier  et  son 
«ze'lé  disciple  et  continuateur,  Vic- 
«  tor  Consii;  raut,  Harel  le  pinéiio- 
«  logue,  le  docteur  Chapelain  repré- 
«  sentant  le  magnétisme,  Vidocq, 
«  Sanson  et  son  (ils,  Casimir  Brous- 
«  sais,  mon  cher  docteur  et  ami,  etc. 
«  Le  dernier  dîner  fut  fait  par  le  cui- 
«  sinier  Gillard...  »  Il  est  bon  de  dire 
ici  que  ce  (iiliard  était  un  homme 
condamné  à  cinq  ans  de  galères,  dont 
M.  Appert  avait  obtenu  la  grâce.  On 
le  ht  venir  au  dessert,  et  il  se  mit  à 
lable  ;  il  prit  le  café  avec  tous  les 
honorables  convives...  M.  Appert 
ajoute  :  «  Balzac,   \lexandre  Dumas 

•  furent    très- spirituels    dans   leur 

•  conversation  avec  Vidocq  et  les 
"  Sanson.  >»  On  questionna  le  fils  sur 


la  sensation  qu'il  éprouvait  eu  rem- 
plissant  son  triste  ministère.  «  Je 

•  suis  tout  chagrin,  répondit-il,  lors- 
«  qu'on  me  prévient,  et  j'aime  bien 
«quand  la  chose  est  finie;  mais  que 
«voulez-vous;  c'est  noire   devoir, 

•  ce  sont  de  grands  scélérats;  mon 

•  père,  pour  les  pauvres  jeunes  gens 

•  de  la  Rochelle,  si  jeunes,  si  inté- 
«  ressauts,  coupables   seulement   de 

•  s'être  laissé  entraîner,  a  été,  comme 
«moi-même,  bien  désolé!..  )>  Plus 
loin  M.  Appert  donne  quelques  détails 
non  moins  curieux  sur  la  vie  privée 
de  la  famille  Sanson.  «  C'est  encore, 

dit-il,  le  bon  vieux  temps  du  Ma- 
rais, le  dîner  à  une  heure,  le  goûter 
à  cinq  et  le  souper  à  huit  heures, 
puis  après  la  petile  partie  de  pi- 
quet, toujours  en  famille,  bien  en- 
tendu. L'exécuteur  actuel  a  deux 
jolies  demoiselles,  qu'il  élève  bien  ; 
elles  jont  musiciennes  et  paraissent 
avoir  une  bonne  éducation  ;  mais 
très-probablement  elles  épouseront 
des  fils  de  bourreaux  de  grandes 
villes,  car  elles  auront  un  peu  de 
fortune,  leurs  parents  ayant  été 
fort  prudents  et  fort  économes 
pour  le  placement  de  leurs  épar- 
gnes. Au  sujet  de  ces  mariages,  je 
me  souviens  que  Vidocq  me  con- 
tait qu'on  fit  courir  le  bruit  qu'il 
avait  une  fil!e  à  marier,  et  que,  le 
supposant  très-riche  et  sans  d'au- 
tres enfants,  une  foule  de  préten- 
dants à  devenir  son  gendre  se  pré- 
sentèrent dans  la  même  semaine, 
et  parmi  eux  se  trouvaient  des  fils 
d'excellentes  ethonorables  familles, 
mais  sans  fortune.  Vidocq,  qui  n'a  , 
jamais  eu  d'héritiers  ,  riait  beau- 
coJip  de  cet  empressement  à  solli- 
«  citer  l'honneur  de  s'allier  à  lui...  » 
M.  Appert  s'est  trompé  dans  ses  con- 
jectures sur  la  fortune  de  Sanson, 
qui  paraissait  assez  grande,  en  effrî, 


SAN 

dans  le  temps  où  il  était  un  des  ha- 
bitués de  la  maison  *,  mais  elle  s'est 
fort  altérée  depuis,  et  l'on  sait  qu'en 
mars  1847,  le  fils  de  celui  auquel 
nous  consacrons  cette  notice  a  perdu 
son  emploi  par  suite  des  poursuites  de 
sescréanciers. Quant  àHenriSanson, 
il  mourut  le  22  août  1840,  à  l'âge 
de  73  ans,  après  avoir  rempli  tous 
ses  devoirs  de  religion.  Comme  son 
père,  il  n'avait  exercé  qu'à  regret 
son  redoutable  ministère,  et  il  était 
d'un  caractère  fort  doux,  de  mœurs 
très  régulières.  Grand  et  d'une  figure 
assez  remarquable, on  le  rencontrait 
souvent  dans  les  rues  ou  à  l'église, 
et  quelquefois  au  spectacle  ,  surtout 
à  celui  du  Vaudeville ,  où  nous 
l'avons  vu  plus  d'ime  fois  dans  le 
milieu  du  parterre,  souriant  aux  cou- 
plets, aux  gestes  d'une  jeune  actrice. 
Mercier,quiraaussi  remarqué,  à  cette 
même  place,  fait  dans  son  Nouveau 
Tableau  de  Paris  un  portrait  assez  pi- 
quant de  cette  tête  chauve,  dominant 
le  parterre,  et  qui  en  avait  vu  tomber 
tant  d'autres!..  On  a  imprimé  sous  le 
t'itrede  :  Mémoires  pour  servir  àVhis- 
toire  de  la  révolution  française,  par 
Sanson ,  exécuteur  des  arrêts  cri- 
minels^ Paris,  1830,  2  vol.  in-8«, 
un  ouvrage  que  le  bibliographe 
Quérard  attribue  à  M.  L'Héritier  de 
l'Ain,  et  dans  lequel  nous  n'avons 
pas  trouvé  un  mot  de  vrai,  ni  même 
de  vraisemblable,  où  la  moindre  des 
erreurs  est  de  faire  vivreenl830celui 
qui  expira  de  cli;igrin  six  mois  après 
l'exécution  de  LouisXVI!..  M — d  j. 
SANSON  (Micolas-Anïoine),  gé- 
néral du  génie,  né  à  Paris  le  7  dé- 
cembre 1756,  de  la  famille  du  célè- 
bre géographe  de  ce  nom  (voy. San- 
son, XL,  351  ),  était,  au  commence- 
ment delà  révolution,  professeur  au 
collège  de  Sorrèze.  Il  quitta  cet  em- 
ploi en  1792,  pour  entrtr  dans   la 


SAN 


75 


carrière  des  armes,  et  servit  d'abord 
à  l'armée  des  Pyrénées ,  où  il  fut 
nommé  capitaine  le  8  sept.  1793,  et 
chef  de  bataillon  l'année  suivante.  Il 
se  distingua  surtout  au  combat  de 
Saint-Laurent ,  et  passa  à  l'armée 
d'Italie  après  la  paix  de  Bâle,  en 
1795.  Bien  que  de  peu  d'expérience 
dans  les  difficiles  travaux  de  son 
arme,  il  s'y  fit  remarquer  de  Bona- 
parte ,  qui  le  félicita  hautement  dans 
son  rapport  sur  le  siège  de  Mantoue, 
en  1796.  Deux  ans  après,  il  suivit  ce 
général  en  Egypte,  et  se  distingua  à 
Chebreiss,où  notre  flottille,  qui  re- 
montait le  Nil  pour  arriver  au  Caire, 
essuya  un  combat  meurtrier.  Cet 
exploit  le  fit  nommer  chef  de  bri- 
gade, et  il  fut  chargé,  en  cette  qualité, 
de  la  Construction  du  fort  de  Salahié, 
sur  le  chemin  de  la  Syrie,  où  Bona- 
parte devait  tenter  une  expédition, 
Sanson  l'accompagna  encore  dans 
cette  malheureuse  entreprise,  et  il 
eut  la  main  traversée  d'une  balle  au 
siège  de  Saint- Jean  d'Acre,  dans  une 
reconnaissance  où  il  s'était  avancé 
jusque  suus  les  murs  de  la  place. 
Nomuié  ensuite  général  de  brigade, 
il  resta  en  Egypte  après  le  départ  de 
Bonaparte,  et  servit  fort  utilement 
sous  Kléber.  Quand  Menou  eut  suc- 
cédé à  ce  général ,  Sanson  fut 
chargé  des  fortifications  destinées 
à  couvrir  la  place  d'Alexandrie,  der- 
nier refuge  des  Français  dans  ce  pays. 
11  revint  en  France  avec  le  reste  de 
l'armée  après  la  capitulation ,  et  y 
fut  très-bien  accueilli  parle  nouveau 
consul,  qui  le  nomma  directeur,  puis 
inspecteur- général  des  fortifica- 
tions, et  l'employa  presque  toujours 
auprès  de  lui  à  la  grande  armée,  où 
Sanson  fit  les  caujpagnes  de  1805, 
1806  et  1807.  Nommé  général  de  di- 
vision dans  cette  dernière  année,  il 
passa  à  rainiée  d'Espagne,   après  le 


76 


SAN 


SAN 


Irailc'-  (Je  Tilsitt,  et  y  fut  ch.irgc  de 
diriger  les  sièges  de  Rose  et  de  Gi- 
rone.Cedernierduratrès-loiig-temps 
(près  d'un  an),  et  les  Français  y  fi- 
rent de  grandes  pertes,  dont  on  a 
plus  d'une  fois  voulu  rendre  le  géné- 
ral Sanson  responsable,  ce  qui  était 
peu  fondé.  Napoléon,  qui  le  consi- 
dérait comme  un  de  ses  meilleurs 
ofliciers,  lui  confia  toujours  des  em- 
plois importants.  Il  le  nomma,  en 
1810,  directeur-général  du  dépôt  de 
la  guerre,  en  remplacement  d'An- 
dréossi,  et  l'employa  dans  la  cam- 
pagne de  1813,  à  la  grande  armée, 
oii  il  resta  dans  la  place  de  Dresde, 
sous  les  ordres  de  Gouvion-Saint- 
Cyr,  et  fut  conduit  avec  toute  la 
garnison,  comme  prisonnier  de  guer- 
re, en  Hongrie.  Revenu  en  France 
après  la  chute  du  gouvernement  im- 
périal, il  fut  nommé  chevalier  de 
Saint-Louis  le  13  août  1814.  Admis  à 
la  retraite  l'année  suivante,  il  mou- 
rut vers  1840,  dans  un  âge  très- 
avancé.  M— Dj. 

SANSON  (Louis-Joseph),  célèbre 
chirurgien,  naquit  à  Paris  le  24  janv. 
1790  et  y  mourut  le  1"  avril  1841.  Sa 
mère,  qui  exerçait  la  profession  de 
sage-femme  dans  un  ordre  assez  élevé 
et  avec  autant  d'instruction  que  d'ha- 
bileté pratique,  lui  avait  inspiré  de 
bonne  heure  le  goiit  de  la  chirurgie, 
et  il  était  loin  d'avoir  atteint  le  terme 
de  sa  première  éducation,  lorsqu'il 
fui  lancé  dans  cette  carrière  sous  les 
auspices  de  ce  qu'il  y  avait  alors  de 
pliisélevédansla  chirurgie  française, 
jl  n'était  âgé  que  de  treize  ans  quand 
Dupuytren  l'accueillit  à  l'Hôtel-Dieu 
sous  le  patronage  de  Richerand,  qui 
avait  déjà  su  en  apprécier,  dans  son 
enfance,  les  plus  heureuses  disposi- 
tions, et  il  justifia  tellement  la  haute 
recommandation  qui  lui  avait  valu 
cette  faveur,  qu'il  reçut  bientôt,  eu 


témoignage  de  confiance  du  grand 
chirurgien,  l'importante  et  dillicile 
mission  de  l'accompagner  dans  toutes 
ses  visites,  de  l'assister  dans  toutes 
ses  opérations,  et  même  de  préparer 
les  cours  d'anatomie  et  d'anatouue 
pathologique  en  l'absence  du  pro- 
secteur. C'est  ainsi  qu'il  prélud.;it 
déjà,  homme-enfant,  à  la  haute  po- 
sition que  sa  destinée  lui  réservait 
un  jour  sur  ce  grand  théâtre  de  l<i 
chirurgie  européenne.  Nommé  élève 
externe,  l'un  des  premiers,  au  con- 
cours de  1805,  alors  qu'il  avait  à 
peine  quinze  ans,  il  resta  attaché  à 
Dupuytren,  qui  lui  avait  déjà  voué 
toute  sa  protection  en  récompense 
de  son  zèle  et  de  son  intelligence,  et 
bientôt  il  fut  appelé  à  remplacer  Mi- 
randel,  prématurément  enlevé  à  la 
science,  dans  les  fonctions  de  prosec- 
teur. En  1807,  il  fut  nommé  interne 
des  hôpitaux  et  resta  encore  à  ce  ti- 
tre attaché  à  Dupuytren,  qu'il  ne 
quittait  plus  dans  la  pratique  des 
opérations,  soit  à  l'Hôtel-Dieu,  soit 
en  ville.  C'est  dans  cette  position  que 
la  conscription  vint  l'arracher  à  ses 
travaux  pour  l'envoyer  à  l'armée  corn  • 
me  simple  soldat;  mais,  grâce  encore 
à  la  bienveillante  intervention  de  Ri- 
cherand, il  fut  incorporé  dans  la  garde 
de  Paris,  et  put  continuer  son  service 
de  prosecteur  de  Dupuytren  et  de  chi- 
rurgien interne  à  l'Hôtel  Dieu,  tout 
en  figurant  comme  soldat  dans  les 
cadres  de  l'armée  active.  Pour  sortir 
d'une  position  si  précaire,  Sanson 
prit  le  parti  de  solliciter  une  commis- 
sion de  chirurgien  militaire,  et  il 
l'obtint.  Après  avoir  fait  pendant 
quelque  temps  le  service  de  chirur- 
gien sous-aide  au  Gros-Caillou,  il  fut 
appelé  à  la  grande  armée,  aux  ambu- 
lances de  la  garde  impériale.  C'est  là 
qu'il  doit  poursuivre  la  carrière  chi- 
rurgicale  au    milieu  de  toutes  les 


SAN 

gloires  de  iVmpire,  à  côté  de  Larrey, 
(ic  Percy,  de  Broussais,  de  Paulet  et 
de  tous  les  hommes  qui  ont  le  plus 
illustré  la  médecine  et  la  chirurgie 
militaires  dans  l'exercice  de  toutes 
les  sympathies  de  doctrines  nouvel- 
les qui  germaient  alors  dans  les  es- 
prits. C'est  là  qu'il  devait  trouver  ses 
amis  les  plus  fidèles  et  les  plus  dé- 
voués, Ducamp,  Boisseau,  Roche,  Bé- 
gin,  Jourdau  et  tant  d'autres  que  la 
mort  seule  devait  séparer  pour  ja- 
mais. Rentré  dans  la  vie  civile  en 
1815,  après  la  bataille  de  Waterloo  et 
la  soumission  de  l'armée  de  la  Loire 
qu'il  n'avait  pas  voulu  quitter,  il  vint 
reprendre  son  service  à  l'Hôtel-Dieu, 
au  lieu  même  ou  il  avait  laissé  des 
souvenirs  et  des  regrets  de  ses  pre- 
miers débuts.  11  s'y  livra  encore  avec 
un  grand  succès  à  l'enseignement  et 
à  la  pratique,  faisant  des  cours  d'a- 
natomie  et  de  médecine  opératoire, 
employant  le  peu  de  temps  qui  lui 
restait  à  l'étude  des  langues  ancien- 
nes et  vivantes,  cherchant  autant 
que  possible  à  compléter  ainsi  sa  pre- 
mière éducation,  que  les  circonstan- 
ces et  la  nécessité  avaient  si  brus- 
quement et  si  prématurément  inter- 
rompue. En  1817,  il  soutint  sa  thèse 
pour  le  doctorat  sur  la  taille  recto- 
vésicale,  thèse  qui  fut  le  premier  si- 
gnal de  la  haute  position  qu'il  devait 
prendre  dans  la  carrière  chirurgi- 
cale. Mais  cette  position  devait  encore 
lui  coûter  bien  des  efforts,  bien  des 
sacrifices  et  des  déceptions  de  tous 
genres.  Pendant  plus  de  15  ans,  en 
effet,  sa  vie  ne  fut  qu'une  lutte  d'é- 
preuves laborieuses  passée  sans  in- 
terruption dans  la  voie  des  concours, 
et  c'est  ainsi  du  moins  qu'il  fut  nom- 
mé successivement  :  en  1823,  chirur- 
gien du  Bureau  central;  en  1825, 
chirurgien  en  secondde  l'Hôtel-Dieu; 
m  1830,  agrégé  en  chirurgie  à  la  fa- 


SAN 


77 


culte  de  Paris;  et  enfin,  en  183«, 
après  trois  concours,  professeur  de 
clinique  chirurgicale  en  remplace- 
ment de  Dupuytren.  Il  ne  manquait 
plus  rien  à  son  ambition  et  à  sa  gloire; 
car  déjà  il  avait  été  nommé  chirur- 
gien consultant  du  roi  en  1832,  et 
l'Académie  royale  de  médecine  lui 
avait  ouvert  ses  portes  en  1833,  en 
qualité  de  membre  titulaire.  Sanson 
était  également  homme  de  science  et 
de  pratique;  mais  il  était  plus  écri- 
vain qu'orateur,  et  ses  nombreux 
écrits  n'attestent  pas  moins  la  droi- 
ture de  son  caractère  que  la  noblesse 
de  son  âme  et  la  haute  portée  de  sou 
intelligence.  Dans  tous  il  sait  faire 
briller  une  érudition  aussi  profonde 
que  bien  choisie;  dans  tous  il  mon- 
tre la  même  sévérité  de  logique ,  la 
même  clarté  de  style  et  d'expression, 
la  même  indépendance  d'esprit.  Sa 
mauvaise  santé  l'éloigna  souvent  des 
séances  de  l'Académie  de  médecine, 
où  il  eût  pu  apporter  aussi  le  fruit  de 
son  jugement  et  de  sa  pratique; 
mais  quand  il  lui  arrivait  de  prendre 
la  parole  dans  les  hautes  questions 
chirurgicales  qui  s'y  agitèrent  à  cer- 
taines époques,  il  savait  toujours  por- 
ter la  lumière  dans  la  discussion  par 
la  seule  puissance  de  sa  raison  ;  ce 
n'était  pas  l'éloquence  du  rhéteur, 
maisc'était  celle  du  véritable  savant, 
cette  éloquence  qui,  partant  d'une 
conscience  éclairée  et  d'une  convic- 
tion profonde,  va  droit  à  la  solution 
et  rallie  au  même  instant  tous  les  es- 
prits. Dans  ses  leçons  de  clinique  où 
la  foule  se  pressait,  attirée  surtout 
par  l'intérêt  puissant  de  sa  pratique, 
dans  les  rapports  de  confraternité 
qu'on  recherchait  toujours  avec  em- 
pressement, c'était  encore  le  même 
caractère  de  vérité  et  de  probité 
scientifique,  la  même  rectitude  de 
sens  et  de  jugement,  mais,  le  dirai-je 


78 


SAN 


SAN 


aussi,  |a  même  sévénié  de  formes  el 
<rexpression ,  cette  austérité  de  lan- 
gage et  de  inaiiièrcs  qu'il  portait  jus- 
que dans  ses  relations  de  famille  et 
que  personne  n'a  pu  prendre  pour 
de  la  froideur  d'âme  ou  de  la  séche- 
resse de  cœur,  car  Sanson  était  le 
meilleur  des  hommes.  Ceux  qui  ont 
eu  le  bonheur  de  vivre  avec  lui  dans 
des  relations  intimes,  savent  tout  ce 
qu'il  y  avait  de  bon  et  d'affectueux 
dans  son  cœur.  Ceux  qui  l'ont  stiivi 
dans  sa  pratique  savent  avec  quel 
intérêt  il  abordait  ses  malades,  avec 
quelle  sollicitude  il  les  écoutait  ou 
les  interrogeait ,  et  ils  peuvent 
dire  aussi  quelle  scrupuleuse  con- 
science et  quelle  justesse  d'esprit  il 
apportait  dans  ses  diagnostics,  avec 
quelle  prévoyance  il  savait  s'abstenir, 
et  de  quelles  précautions  il  entourait 
ses  procédés  opératoires;  et,  qui  le 
croirait!  c'est  avec  tant  de  qualités 
réunies,  c'est  avec  les  plus  rares  et 
les  plus  précieux  dons  de  l'es- 
prit, au  milieu  de  tous  les  éléments 
de  succès  et  de  prospérité  qui  s'of- 
fraient à  lui,  que  Sanson  passa  une 
grande  partie  de  sa  vie  dans  la  plus 
modeste  position  de  fortune.  Disciple 
fervent  et  dévoué  d'un  maître  qui  lui 
avait  accordé  toutes  les  faveurs  de  sa 
bienveillance  et  qu'il  avait  vu  par- 
courir tous  les  degrés  de  la  fortune, 
Sanson  aurait  craint  de  songer  a  sa 
propre  réputation  en  présence  de 
celle  de  son  maître,  et,  comme  s'il 
rfavail  eu  d'autre  tâche  à  remplir 
que  d'assister  à  son  triomphe  et  de 
lui  payer  la  dette  de  la  reconisais- 
sance,  il  prit  trop  long-temps  le  parti 
de  s'oublier  lui-même.  Mais  Dupuy- 
tren  aussi  devait  bientôt,  et  par  une 
fin  prématurée,  disparaît] e  de  !a  car- 
rière qu'il  avait  si  merveilleuse- 
ment illustrée;  et  Sanson,  dans 
sa   modeste  supériorité  de  talent, 


fut  loiit  étonné  un  jour  de  se  voir, 
seul,  appelé  à  recueillir  l'héritage 
du  plus  grand  chirurgien  de  l'é- 
poque. Devenue  veuve  de  son  chef 
par  la  mort  de  Dupuytren ,  l'école 
chirurgicale  de  l'Hôtel-Dieu  ne  de- 
vait pas  périr  avec  lui;  mais  la  mort 
du  niaîlre  semblait  avoir  rendu  son 
premier  élève  indispensable,  soit 
comme  conseil,  soit  comme  opéra- 
teur ;  et  Sanson  fut  appelé  à  le  rem- 
placer par  l'opinion  publique  et  par 
la  voie  du  concours.  C'est  alors  qu'on 
le  vit  s'élever  rapidement  dans  la 
confiance  publique  el  s'élancer  com- 
me à  pas  de  géant  dans  la  voie  de  la 
fortune;  malades  et  praticiens  se 
pressaient  autour  de  lui  pour  avoir 
ses  conseils,  et  l'on  a  vu  celte  con- 
fiance le  poursuivre  jusqu'à  son  fau- 
teuil d'agonie ,  jusqu'à  son  lit  de 
mort,  pour  lui  demander  un  dernier 
conseil,  auquel  on  attachait  le  prix 
d'un  conseil  posthume;  et  ce  qu'il 
faut  dire  aussi,  comme  le  témoignage 
le  plus  honorable  et  le  plus  vrai  du 
mérite  de  Sanson,  c'est  qu'il  fut  tou- 
jours appelé  par  ses  confrères ,  par 
ses  élèves  et  par  ses  anciens  maîtres, 
plulôt  que  par  lés  malades  eux-uiê- 
mes  ;  car  ce  n'était  pas  à  l'aide  de  ce 
faux  brillant  dont  certaines  réputa- 
tions s'entourent  qu'il  poursuivait 
ses  succès.  Il  était  aussi  simple  dans 
son  langage  et  ses  manières  qu'il 
était  intlexible  dans  sou  caractère. 
Quand  on  avait  besoin  de  lui,  on  le 
trouvait  toujours,  le  pauvre  tout  aussi 
bien  que  le  riche  ;  mais  il  dédaigna  les 
échos  de  l'adulation  et  les  bruits  de 
la  renommée f  et  plus  d'une  fois  nous 
avons  vu  sa  dignité  se  révolter  con- 
tre ces  éloges  stipendiés  ou  ces  récla- 
mes déguisées  qui  déshonorent  trop 
souvent  noire  époque  chirurgicale. 
Ainsi  parvenu  au  plus  haut  degré  de 
réputation  et  de  prospérité,  après 


SAN 

aroir  subi  tous  les  genresd'adversité, 
Sanson  pouvait  être  fier  de  sa  posi- 
tion; mais  ce  qu'il  faut  dire  encore  à 
sa  louange,  c'est  qu'il  fut  aussi  sim- 
ple dans  la  fortune  qu'il  avait  été 
grand  dans  le  malheur,  et  il  ne  se 
servit  de  ses  faveurs  que  pour  les  ré- 
pandre sur  tout  ce  qui  l'entourait. 
Malheureusement  cette  fortune  ne 
fut  pas  de  longue  durée  ;  car  c'est  au 
moment  où  tant  de  succès  venaient 
de  réaliser  toutes  ses  illusions  de 
bonheur,  que  l'impitoyable  mort  l'a 
frappé,  après  une  succession  de  sonf- 
,  frances  que  l'humaine  condition  peut 
à  peine  supporter.  Une  inflammation 
chronique  du  larynx  qui  le  réduisit 
pendant  plusieurs  mois  à  la  nécessité 
d'un  silence  absolu*,  bientôt  après 
une  affection  chronique  de  l'estomac 
qui,  pendant  plusieurs  années,  ren- 
dit ses  digestions  constamment  labo- 
rieuses,  et  imprimait  à  son  moral  un 
^  caractère  de  morosité  habituelle; 
puis  une  affection  des  voies  urinaires 
qui  lui  ôtait,  jour  et  nuit,  toute  es- 
pèce de  repos  et  de  sommeil  ;  et  enfin, 
comme  complément  de  tant  de  souf- 
frances, une  malaflie  de  la  moelJe 
épinière  qui  le  condamnait  à  l'immo- 
bilité, qui  l'enchaînait  pour  ainsi 
dire  dans  une  habitation  qu'il  n'avait 
choisie  que  pour  satisfaire  ses  goiils 
de  mouvement  et  d'activité;  telles 
furent  les  diverses  affections  qui  por- 
tèrent successivement  les  coups  les 
plus  funestes  à  son  organisation;  et 
si  quelque  chose  pouvait  encore  ajou- 
.  ter  à  une  aussi  cruelle  position,  ce 
fut  de  voir  celte  organisation  si  vi- 
goureuse d'aborjl,  se  détériorer  cha- 
que jour  kses  propres  yeux,  se  dé- 
molir pour  ainsi  dire  pièce  à  pièce, 
en  présence  de  la  plus  mâle  intelli- 
gence; situation  d'autant  plus  af- 
freuse, qu'elle  ne  lui  permit  pas  seu- 
lement d'apercevoir  tous  les  dangers 


SAN 


79 


de  sa  position  et  d'en  prévenir  le 
terme  funeste,  mais  encore  d'assister 
à  son  propre  deuil,  à  la  douleur,  aux 
regrets  qu'il  devait  laisser  aux  êtres 
les  plus  chers  à  son  cœur,  à  de  vieux 
parents  et  à  un  frère  dont  il  était  le 
soutien,  à  la  digne  et  vertueuse  com- 
pagne qu'il  devait  laisser  inconsola- 
ble; et  c'est  ainsi  que  Sanson  n'ap- 
parut dans  sa  gloire  que  pour  souf- 
frir et  mourir,  pour  nous  donner  le 
plus  triste  exemple  du  néant  de  la 
vie,  mais  pour  nous  montrer,  du 
moins,  le  plus  noble  caractère  d'hom- 
me comme  le  plus  beau  modèle  de 
talent  et  de  probité  chirurgicale. 
Ses  écrits  publiés  sont  :  I.  Des  moyens 
de  parvenir  à  la  vessie  par  le  rectum 
(Thèse  pour  le  doctorat),  1817,  in-4°; 
réimprimée  en  1821,  m-S",  La  taille 
recto-vésicale  a  été  adoptée  par  un 
grand  nombre  de  praticiens,  surtout 
en  Italie,  entre  autres  par  Vacca- 
Berlinghieri  et  Giorgi  d'imola.  II.  Mé- 
moire sur  une  résection  de  la  mâ- 
choire inférieure  pratiquée  par  Du- 
p-uytren,  pour  remédier  à  une  fausse 
articulation.  (Journ.  univ.  des  scien- 
ces médicales,  1820,  t.  XIX,  p.  77.) 
111.  Exposé  de  la  doctrine  de  Dupuy- 
tren  sur  le  cal,  {Journ.  univ,  des 
sciences  médicales,  Paris,1820,  t.  XX, 
p.  131.)  IV.  il/moire  ayant  pour  ob- 
jet l'introduction  de  l'air  dans  les 
veines  pendant  les  opérations;  iVo- 
tice  sur  le  passage  du  sang  dans  les 
vaisseaux  lymphatiques.  V.  Médecine 
opératoire  de  Sabatier,  Ses  addi- 
tions, faites  conjointement  avec  M. 
Bégin,  ont  porté  l'ouvrage  de  Saba- 
tier de  3  à  4  forts  voiuujcs  in-S"*,  Pa- 
ris, 1824;  nouv.  édit.,  Paris,  1832, 
4  vol.  in-8".  VI.  Nouveaux  éléments 
de  pathologie  médico-chirurgicale ^ 
parCh.  Roche  et  L.-J.  Sanson.  Toute 
la  partie  chiiurgicale  (près  de  3  vo- 
lumes)  appartient    à    Sanson.    La 


80 


SAN 


|)^fmi^re  édition,  en  4  vol.  in-S",  a 
paru  eu  1825;  la  2"  édil.  en  1828, 
5  vol.  in-8°-,  la  3«^  en  1833,  5  vol.  Vil. 
De  scirrho  externo  et  prœcipue  de 
scirrho  teslis,  1830.  (Thèse  pour  le 
concoursde  l'agrégation.)  Vill.  Quel- 
ques observations  de  débridement 
très-large  de  l'anneau  inguinal  dans 
Topération  de  la  hernie  ëlrangle'e. 
{Journ.  univ.  hebdomadaire  de  mé- 
decine, Paris,  1831 ,  t.  V,  p.  465.)  IX. 
Généralités  sur  la  pathologie  ex- 
terne, mtUhodeà  suivre  pour  son  en- 
seignement, 1832.  (Thèse  de  con- 
cours.) X.  La  carie  et  la  nécrose 
comparées  entre  elleSy  1833.  (Thèse 
de  concours.)  Dans  cette  thèse  on 
trouve  pour  la  première  fois  un  ca- 
ractère chimique  propre  à  faire  dis- 
tinguer la  ne'crose  de  la  carie.  XI.  De 
la  réunion  immédiate  des  plaies  :  ses 
avantages  et  ses  inconvénients,  1834. 
(Thèse  de  concours.)  XII.  Des  hémor- 
rhagies  traamatiques^  Paris,  1836, 
avec  fig.  (Thèse  pour  le  concours 
où  Sanson  fut  proclamé  professeur.) 
Xni.  Mémoire  sur  une  nouvelle  ma- 
nière de  pratiquer  l'opération  de  la 
pierre,  par  G.  Dupuytren,  terminé  et 
publié  par  L.-J.  Sanson  et  L.-J .  Bégin, 
Paris,  1836,  grand  in-fol.  avec  10  pi. 
XIV.  Dans  le  Dictionnaire  de  méde- 
cine et  de  chirurgie  pratique .,  15  vol. 
in-8°,  les  articles  suivants:  aggluti- 
natifs,  amaurose,  ammoniaque,  anki- 
lose,  anthrax,  arsenicale  (pâte),  arti- 
culation, bandages,  brayer,  cataracte, 
cautérisation,  compression,  diastase, 
débridement,  diplopie,ectropion,  en- 
canthis,  entorse,  exostose,  fracture, 
gastrototriie,  glaucome,  héméralopie, 
hémiopie,  hémophlha'mie,  hernies, 
hydrophthalmie,  hypopyon,  incision, 
irilis,  kératite,  luxation,  mouchetu- 
res, mydriase,  myopie,  nécrose,  nyc- 
talopie,  œil,  ophthalmie,  ophthal- 
morrhée,  ostéite,  plaies,  presbytie, 


-  • 
SAN 

pupille,  rétinite,  scarilications,  sté- 
rotite,  spina  vento.sa,  staphylôme, 
etc.  J— L — Y. 

SANTA  -BAUBARA  (  Pierre- 
Thomas  Di) ,  né  vers  le  commence- 
ment du  XVIII,.  siècle  ,  entra  dans 
l'ordre  des  carmes  et  ne  tarda  pas 
à  s'y  distinguer  par  sa  connaissance 
des  langues  grecque  et  hébraïque.  Il 
publia  en  1754  l'histoire  des  cinq 
premiers  siècles  de  l'Église.  Son  ou- 
vrage le  plus  considérable  est  une 
réfutation  de  la  fameuse  déclaration 
faite  par  le  clergé  français  en  1682. 
Ce  livre  est  rare  ;  on  y  trouve  une 
grande  érudition  orientaliste.  Quand 
on  lui  en  parlait,  Santa-Barbara  di- 
sait toujours  :  «  Il  n'y  a  à  considérer 
«  dans  ces  documents  que  l'article 
•  premier,  qui  concerne  l'indépen- 
«  dance  teuiporelle  des  souverains. 
«  Les  trois  autres  articles  ne  sont 
«  fondés  sur  aucun  droit  :  ils  offen- 
«  sent  les  canons,  les  décisions  des 
«  conciles.»  Et  il  ajoutait  :  «  C'est  as- 
«  sez  de  l'inconsistance  des  socié- 
«  tés  politiques;  puisqu'on  n'y  peut 
«  remédier,  il  ne  faut  pas  introduire 
«  la  même  inconsistance  dans  la  re- 
«  ligion  catholique.  »  Du  reste,  il  écri- 
vait plus  contre  la  Défense  attribuée 
à  Bossuet  que  contre  les  articles  eux- 
mêmes;  mais  il  n'épargnait  ni  l'un  ni 
les  autres.  Le  père  Santa-Barbara 
mourut  vers  1766.  A— d. 

SANTA -CRUZ  (Don  Alonso 
de),  savant  cosmographe  et  histo- 
rien espagnol ,  dont  le  nom  ne  se 
trouve  dans  aucune  biographie,  que 
don  Nicolas  Antonio,  dans  sa  Biblio- 
theca  hispana  noua, fait  naître  à  Sé- 
vilie,  peut-être  parce  qu'il  y  a  passé 
presque  toute  sa  vie,  et  qu'il  appelle 
Mathematicarum  omnium  artium 
peritissimus ,  vint  au  monde  vers 
la  fin  du  XV®  siècle  ou  au  commen- 
cement du  XVI*,  Nous  n'avons  trou- 


SAN 


SAN 


81 


vë»  dans  les  «écrivains  espagnols  que 
nous   avons    pu   consulter»   aucun 
renseignement    certain    ni    sur    le 
Jieu  et  l'e'poque  exacte  de  sa  nais- 
sance, ni  sur  sa  famille,  ni  sur  les 
premières  années  de  sa  vie,  ni  sur 
l'éducation  qu'il  reçut.  A  en  juger 
par  ses  travaux  et  par  ses  ouvrages, 
on  est  porlé  à  croire  qu'il  eut  de 
bons  maîtres  et  qu'il  profita  de  leurs 
leçons.  En  1524  ou  1525,  il  fut  nom- 
mé  par  le  roi  d'Espagne   trésorier 
de  l'expédition  qui  partit  de  Sévi  lie 
dans  le  courant  de  cette  dernière  an- 
née, sous  le  commandement  de  Sé- 
bastien Cibot,   pour  aller  à  la  re- 
cherche des  îles  à  épices.  Cette  ex- 
pédition avait   pour    but  principal 
de  se  rendre  aux  Moluques ,  afin  d'y 
porter  secours  au  commandant  espa- 
gnol Loaysa-,  mais  il  paraît  que  Ca- 
bot, dédaignant  et  ses  instructions 
<'t  les  observations  que  lui  firent  à 
ce  sujet  le  capitaine  Francisco   de 
Hojas  et  quelques  autres  officiers,  se 
dirigea  vers  le  Rio  delà  Plata.lLpa- 
raît  en  outre  qu'il  traita  durement 
les  opposants,  parmi  lesquels  il  sem- 
ble que  Siinta-Cruz  figurait,  et  que 
celui-ci  se  rendit  l'organe  du  mécon- 
tentement de  ses  compatriotes  dans 
MU  rapport  qu'il  adressa  aux  autori- 
tés supérieures.  Quoi  qu  il  en  soit, 
l'expédition  fut  de  retour  k  Séville 
au  mois  d'août  1530.  Santa-Cruz  s'é- 
tablit dans  cette  ville,  où  il  fut  nom- 
mé, par  cédule  royale  du  7  juii  1.1 536, 
cosmographe  de  la  Casa  de  la  Con- 
îratacion  {1  )  ^  avec  un   traitement 


(i)  La  Casa  de  la  Conlralacion ,  dont 
Santa-Cruz  fut  nommé  cosmograplie,  était 
un  éla!)lisseraent  formé  à  Séville  et  à  Cadix, 
dans  lequel  ou  traitait  de  tout  <e  qui  con- 
cernait le  trafu;  des  Indes-Occidentales,  et 
on  se  discutaient  souvent  des  questions 
srietîtifiqiies  relatives  principalement  à  la 
navigation. 

LXXXI. 


de  30  mille  maravédis.  Cette  même 
année ,  le  licencié  Juan  Suarez   de 
Carvajal,  devenu  plus  tard  évêquede 
Lugo,chargédès  le  17  août  1535  d'une 
mission  auprès  delà  Casa  delaCon- 
tratacion^  forma  une  junte  ou  com- 
mission composée  de  tous  les  pilotes, 
cosmographes   et  constructeurs  de 
cartes  {maestros  de  hacer  cartat) 
marines  existant  déjà,  afin  d'en  con- 
struire une  nouvelle,  aussi  exacte  que 
possible,  pour  servir  de  type  à  celles 
dont  on  aurait  à  faire  usage    pour 
naviguer   aux    Indes  -  Occidentales. 
Dans   les    conférences,    auxquelles 
Santa-Cruz  assista,  la  majorité  des 
pilotes    reconnut   qu'à  Santo  -  Do- 
mingo ,  l'aiguille  aimantée  déviait 
vers  le  N.-O.,  de  2  quarts  {noru- 
esteaba  dos  cuartas)^  (  22"  et  demi  )  ; 
à  la  Havane  de  deux  quarts  et  demi 
(28°  7'),  et  de  trois  quarts  (33«  45')  à 
la  Nouvelle-Espagne.  Quant  au  sur- 
plus des  questions  discutées  dans  ces 
conférences,  il  y  eut,  entre  les  mem- 
bres de  la  commission,  de  grandes 
contradictions  sur  lesquelles  on  ne 
put  s'entendre  faute  d'instrumenis 
pour  noter  sûrement  les  différences 
avec  quelque  approximation.  La  mar- 
che régulière  delà  variation  suggéra 
à  Santa-Cruz  l'idée  d'obtenir  par  ce 
moyen  la  longitude,  et  à  cet  effet  il  fit 
un  instrument  semblable  à  un  compas 
azimutal,  avec  lequel,  trouvant  la  li- 
gne méridienne  par  deux  hauteursdu 
soleil,  il  parvenait  à  connaître  la  va- 
riation. Il  présenta  cet  instrument  à 
l'em^^ereur  Charles-Quint,  avec  une 
carte  marine  des  variations  magnéti- 
ques ,  afin  qu'il  pût  voir  ce  qu'elles 
étaient   dans   les  différentes  parties 
du    monde,  et  que  par    cette  con- 
naissance les  pilotes  fussent  en  état 
de     se    guider  dans    leurs    routes. 
Cette  teutative    fut   renouvelée    nu 
siècle  et  demi  plus  tard  \mr  le  doc- 

6 


îi? 


SAN 


SAN 


tfiir  Hil.U'y  (2),  qui  a  éU  consirleré 
comriîe  ayartt.  le  premier,  aprèj» 
de  grands  et  nombreux  travaux,  pu- 
blié une  carte  représentaiit  IVtat 
(le  la  variation  de  l'aiguille  pour 
l'année  1700,  en  traçant  des  cour- 
bes par  tous  les  points  du  globe 
dans  lesquels  la  variation  est  la 
même  (3).  A  son  exemple,  Moun- 
taine  et  Dodson  publièrent  des 
cartes  semblables  pour  les  années 
1744  et  1756.  Ces  observations  et 
d'autres  postérieures  n'ont  pas  été 
néanmoins  suffisantes  pour  trouver 
la  loi  de  ce  singulier  phénomène, 
ainsi  que  le  reconnaissent  les 
savants  modernes,  entre  autres 
Mendoza,  dans  son  Traité  de  Navi- 
yaf iOJi ,  part.  1'%  liv.  2,§  80,  p  76. 
Santa -Cruz  soumit  également  à  l'em- 
pereur un  autre  moyen  nouveau  de 
connaître  la  longitude,  dont  il  espé- 
rait taire  l'essai,  ainsi  que  celui  des 
instruments  inventés  par  lui ,  dans 
une  expédition  composée  de  trois  na- 
vires bien  approvisionnés  que  Gu- 
tierre  de  Vargas,  évêque  de  Plasencia, 
avait  fait  armer  en  1539,  et  dont  il 
avait  confié  le  commandement  à 
Alonso  de  Camargo.  Cette  expédi- 
tion, à  bord  de  laquelle  Santa-Cruz 
devait  remplir  les  fonctions  de  cos- 
mographe, était  chargée  d'explorer  le 
détroit  de  Magellan,  afin  de  faciliter 
les  cofDmunications  avec  la  mer  du 
Sud  (4).  Mais  il  ne  put,  à  son  grand 


(a)  Ëdmciud  Halley,  l'un  des  plus  grands 
astronomes  de  l'Angleterre,  né  en  i656, 
mort  en  174^-- 

(3)  M.  de  Nnvarrete  ne  nous  fait  pas  con- 
naître si  la  carte  de  Santa-Crtiz  donnait  les 
variations  égales  liées  par  une  ligne  c(>url)e  ; 
et  c'est  justement  ce  qui  fait  le  mérite  de 
celle  de  Halley,  publiée  en  1701,  sous  le 
titre  de  Carte  des  variations  de  l'aiguille 
aimantée. 

(4)  Suivant  Herrera.  déead  VTI,  liv.  i, 
chap.  H,  l'expédition  conçue  par  l'évêque 


regret,  faire  les  expériences  qu'il 
s'était  proposées,  car  l'einpereur,  dé- 
sireux d'assister  à  ses  leçons  d'astro- 
nomie et  de  cosmographie,  le  retint 
auprès  de  lui  (5).  An  mois  de  no- 
vembre de  la  même  année  1539, 
Charles-Quint  quitta  Séville  pour  se 
rendre  en  Flandre  et  en  Allemagne, 
en  passant  par  la  France.  Ce  fut  pen- 
dant ce  voyage  que  ce  prince,  voulant 
reconnaître  les  bons  services  de 
Santa-Cruz,  l'attacha  à  la  maison 
royale  (6),  en  lui  assignant  un  trai- 
tement de  35  mille  maravédis.  1/es- 
time  en  même  temps  que  le  caprice 
de  l'empereur  ayant  empêché  Santa- 
Cruz  d'expérimenter,  comme  il  l'a- 
vait espéré,  sa  nouvelle  mélhodeainsi 
que  ses  instruments  ,  pendant  une 
navigation  de  long  cours,  il  se  livra 
avec  zèle,  après  le  départ  de  Charles- 
Quint,  aux  fonctions  de  son  emploi, 
et  construisit  deux  nouveaux  ins- 
truments pour  observer  la  longitude. 
Il  comuiiiniquaen  temps  convenable 
sa  carte  des  variations  à  son  ami 
Juan  Lopez  de  Vivero,  alcade  de  la 
Corogne,  et  celui-ci  la  montra  au  frère 
Rodrigo  de  Corcuera,  religieux  béné- 
dictin, abbé  deSan-Zoil  enCarrion, 
homme  instruit  et  d'un  esprit  ingé- 
nieux, qui  crut  avoir  découvert  par 
CCS  variations  de  l'aiguille  le  moyen 
de  trouver  la  longitude,  ignorant  que 
c'était  le  principal  objet  que  s'était 
proposé  Santa-Cruz  en  construisant 
ia  carte  dont  on  luiavaitdormécom- 
munication.  Le  frère  Rodrigo  fa- 
briqua ensuite  un  autre  instrument 

de  Plasencia  partit  de  Séville,  sous  les  or- 
dres de  Camargo,  au  mois  d'août  i53g. 

(5)  Saint  François  de  Borgia  ,  connu  à 
cette  époque  sous  le  nom  de  marquis  de 
Lnmbay,  suivait  aus^i  assidûment  les  cours 
de  Santa-Cruz,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  Ri- 
hadeneira,  Vida  del  P.  Francisco  de  Borja, 
lih.  I,  cap.  Y, 

(6)  Se  le  nombro  coifxrifo  de  la  casa  re»l. 


SAN 


SAN 


8S 


semblable  à  celui  ùe  Guillfii  (7),  t^i 
cherchante  fortifier  par  des  raisons 
philosophiiiues  ie  système  des  varia- 
tions magnétiques  proportionnelles 
aux  longitudes  ,  et  il  envoya  en 
Flandre  ce  travail,  qui  fut  remis  à 
l'empereur  par  !e  même  Vivero. 
Les  savants  chargés  de  l'examiner 
n'ayant  pu  parvenir  à  s'accorder, 
l'empereur  se  rappela  alors  que 
Santa-Cruzlui  avait  présente' quelque 
temps  auparavant  un  système  sem- 
blable. Informé  d'ailleurs  par  Vivero 
que  le  cosmographe  espagnol  avait  vu 
l'instrument  du  frère  Rodrigo,  il  lui 
écrivit  à  Séville  pour  l'inviier  à  lui 
faire  connaître  ce  qu'il  pensait  de  son 
utilité.  Dans  une  réponse  très-déve- 
loppée,  Santa-Cruz,  après  avoir  fait 
l'historique  de  l'invention  ùu  moine, 
déclara  qu'il  pensait  qu'on  n'en  tire- 
rait pas  plus  de  profit  que  de  celle 
de  Guillen,  accueillie  dans  l'origine 
en  Portugal  avec  une  extrême  far 
veur.  Le  peu  decasque  faisait  Santa- 


(7)  Felipe  Guillen, apotliicaïre  de  Sévilie, 
homme  fort  instruit,  d'un  esprit  iugé- 
nieux,  et  grand  joueur  d'écher:;,  informé 
par  les  pilotes  des  variations  qui  se  re- 
marquaieut  dans  l'aiguille  en  naviguant  de 
Séville  à  la  Nouvelle-Espagne,  clierclia  et 
parvint  à  découvrir  un  moyen  de  connaître 
la  longitude  en  se  servant  de  ces  variations. 
Ce  faiseur  de  projets,  ainsi  que  l'ajjjielle 
M,  de  Navarrete,  se  détermina,  en  i525,  à 
se  rendre  en  Portugal,  dans  l'espoir  que 
son  invention  y  serait  mieux  récompensée 
que  dans  sa  patrie.  l\  la  présenta  au  roi 
Jean  III,  qui  en  attacha  l'auteur  à  -<-on  ser- 
vice, et  lui  atîcorda  de  grandes  faveurs.  Pen- 
<lant  -ion  séjour  dans  ce  royaume,  Guillen 
fabriqua  un  certain  instrument  qui  était  un 
cercle  gradué  avec  une  petite  aiguille  et 
trois  Cls.En  observant  le  soleil  à  égales  hau- 
teurs avant  et  après-midi,  ponr  déterminer 
la  méridienne,  on  obtenait  avec  cet  instru- 
ment la  variation  de  l'aiguille,  et  on  eu  dé- 
duisait la  longitude.  Cet  instrument  fut 
l)ient(V  très-répandu;  les  savants  portugais 
eu  firent  dans  l'origine  un  très-grand  cas, 
et  il  y  avait  peu  de  pilotes  qui  n'en  Pmpor- 
ta».spn!  pas  dans  lesirs  navires. 


<;ruz  d'un  système  adopté  d'abord 
avec  tant  de  chaleur  provenait  delà 
diversité  et  de  la  confusion  des  ren- 
seignements et  des  opinions  que  lui 
avaient  communiqués  les  pilotes. 
Aussi,  pour  parvenir  à  fixer  ses  idées 
à  ce  sujet,  crut-il  devoir  écrire  à 
don  Antonio  de  Mendoza,  vice-roi 
de  la  Nouvelle-Espagne,  pourleprier 
de  faire  vérifier  la  variation  de  Tai- 
guiiledans  les  parages  de  son  gou- 
vernement. L'étonnement  que  lui 
causa  la  réponse  de  celui-ci ,  qu'à 
Mexico  l'aiguille  déclinait  vers  l'est 
d'un  peu  moins  de  deux  quarts 
(nordesteaha  dos  cuartas  poco  me- 
nos)  (22"  30'),  et  le  désir  qu'il  conçut 
d'obtenir  d'autres  informations  rela- 
tivement aux  Indes-Orientales,  le  dé- 
terminèrent à  se  rendre  à  Lisbonne 
en  1545.  11  se  mit  bientôt  en  relation 
avec  les  pilotes  portugais  qui  fré- 
quentaient ces  parages,  obtint  la 
communication  de  leurs  routiers,  et 
apprit  d'eux  enfin  que  si  l'aiguille  ne 
présentait  aucune  variation  au  cap 
de  Bonne -Espérance,  en  d'autres 
points  elle  offrait  beaucoup  de  diffé- 
rences, et  était  fort  irrégulière.  Pour 
s'en  assurer  et  pour  réunir  des  in  - 
formations  certaines  sur  plusieurs 
questions  qu'il  avait  soumises  à  ces 
pilotes,  relativement  à  leurs  naviga- 
tions, il  acheta  sous  main  {occulta- 
mente)  leurs  livres  et  leurs  rou- 
tiers ,  et  eut  plusieurs  conféren- 
ces avec  don  Juan  de  Castro,  hom- 
me très-savant ,  qui ,  pendant  plu- 
sieurs voyages  effectués  par  lui 
dans  l'Inde,  avait  tracé  à  grand 
point  la  carte  de  ces  mers  ,  en  y  joi- 
gnant l'histoire  et  la  description  des 
choses  les  plus  remarquables,  aitïsi 
que  celle  de  la  mer  Rougé  jusqu'à 
Suez.  Castro  lui  remit  ces  cartes  avec 
la  traduction  des  explications  qui  les 
accompagnaient,  sous  la   condition 

6. 


Si 


SAN 


(jct»  Santa-Cruz  ne  les  nioutrerait  à 
aucunn  pprsonn»^  habitant  U*.  Portu- 
gal. Il  affirma  que  rinslnimeiit  de 
Guillen  n'avait  pu  lui  servir  qu'à  ol)- 
sorver  la  variation  à  terre,  tandis 
qu'en  mer  on  ne  pouvait  l'employer 
à  cause  du  roulis  des  navires  ;  et 
lit  connaître  en  même  temps  les  va- 
riations de  raiguille  qu'on  observait 
dans  des  lieux  très-distants  l'un  de 
l'autre,  mais  plact'S  presque  sous  le 
même  méridien.  Ces  observations 
renversèrent  complélemeut  tout  le 
système  de  Santa-Cruz,  surtout 
lorsqu'il  eut  appris  et  vu  par  lui- 
mêuje  que  les  pilotes  portugais  in- 
struits par  l'expérience  ne  faisaient 
plus  aucun  cas  de  la  méthode  et  de 
l'instrument  de  Guillen,  même  après 
les  améliorations  et  les  corrections 
qu'on  y  avait  faites.  Cependant  San- 
ta-Cruz n'en  persista  pas  moins 
à  penser  que  dans  la  navigation 
de  Séville  à  la  Nouvelle -Espagne, 
sa  méthode  pourrait  être  d'une  utile 
application,  si  des  hommes  habiles 
munis  de  bons  instruments  déter- 
minaient avec  soin  les  variations 
de  Taiguilie  sur  tous  les  points  de  la 
mer,  des  îles  et  de  la  terre  ferme  si- 
tués sous  le  même  parallèle,  puis- 
qu'en  di  verses  latitudes,  quoique  sous 
le  même  méridien,  on  avait  observé 
des  différences  très -notables.  Ce 
n'était  pas  seulement  comme  cos- 
mographe que  Santa-Cruz  occupait 
un  rang  distingué  parmi  les  savants 
de  son  temps  ;  car  il  réunissait  à  un 
génie  fécond  et  à  une  application 
tenace  une  grande  connaissance  des 
écrivains  classiques.  Ce  fait  résulte 
évidemment  de  l'examen  qu'il  fit,  en 
«'occupant  des  causes  de  la  varia- 
tion, des  opinions  de  Piine  et  des 
autres  anciens  sur  les  propriétés, 
l'origine,  îa  puissance  de  l'aimant 
et  sur  ses  différentes  espèces,  ainsi 


SAN 

que  de  la  question  élevée  alor^^  entr<' 
quelques  érmlits  de  savoir  si  les  an- 
ciens l'avaient  employé  dans  leurs 
navigations  et  de  quelle  ujanière.  A 
l'extravagance  de.^  systèmes  et  des 
théories  préconisés  de  son  temps, 
Santa-Cruz  opposait  les  expériences 
et  les  observations  qu'il  avait  faites 
en  venant  du  Rio  de  la  Plata.  Il  disait 
que  les  Portugais4)laeaient  la  pointe 
de  l'aiguille  aimantée  exactement 
sons  la  fleur  de  lis  de  la  rose,  tandis 
que  les  pilotes  espagnols  la  mettaient 
un  demi-quart  (5"  37'  30")  plus  à 
l'est, ce  qui  était  la  variation  que  l'on 
comptait  alors  à  Séville.  Il  en  con- 
cluait que  les  opinions  des  philoso- 
phes étant  si  différentes  quant  aux 
causes  de  la  variation  ,  et  celles  des 
pilotes  quant  à  sa  valeur  en  divers 
lieux,  il  devenait  très-difficile  de 
trouver  par  ce  moyen  la  longitude; 
on  devait  donc  se  contenter  de  re- 
connaître les  erreurs  que  les  pilotes 
avaient  pu  faire  sur  les  cartes  en 
adoptant  une  variation  inexacte,  et 
d'où  il  résultait  qu'on  élevait  tou- 
tes les  îles  ainsi  que  la  terre  ferme 
des  Indes  de  trois  degrés  de  trop 
en  latitude.  Après  avoir  rempli  la 
mission  qui  l'avait  amené  en  Por- 
tugal, Santa-Cruz  retourna  à  Sé- 
ville, d'où  il  écrivait  à  l'empereur 
sous  la  date  dulO  novembre  1551, 
que,  malgré  le  mauvais  état  de  sa 
santé,  il  venait  de  terminer  l'histoire 
des  rois  catholiques,  depuis  l'an- 
née 1490  où  l'avait  laissée  1  historio- 
graphe Hernando  del  Pulgar,  jus- 
qu'en 1516,  époque  de  la  mort  du  roi 
Ferdinand.  Il  informe  en  même  temps 
ce  prince  qu'il  a  écrit  l'histoire  de 
son  règne,  depuis  l'année  1500, épo- 
que de  sa  naissance,  jusqu'en  1550, 
et  qu'il  y  a  fait  entrer  les  événements 
survenus  dans  toutes  les  parties  du 
monde,  en  y  joignant  une  notice  sur 


SAN 


SAN 


85 


ses  ancêtres  et  sur  la  luatiière  dont 
les  maisons  de  Flandre,  d'Aragon  et 
de  Castille  ont  été  réunies  sur  sa 
tête.  Santa-Cruz  ajoute  qu'il  a  ter- 
miné en  brouillon  un  livre  d'astro- 
nomie semblable  à  celui  de  Petrus 
Apianus  (8),  avec  ses  cercles,  et  des 
démonstrations  suffisantes  pour  en 
faciliter  l'intelligence.  11  dit  encore 
dans  la  même  lettre  qu'il  a  traduit 
du  latin  en  langue  vulgaire  {en  ro- 
mance castellano)  tout  ce  qu'Aristote 
a  écrit  sur  la  philosophie  morale, 
avec  une  glose  pour  éclaircir  les  pas- 
sages obscurs i  et  qu'il  a  construit 
plusieurs  cartes  géographiques,  par- 
mi lesquelles  il  en  cite  une  d'Espagne 
à  grand  point  (de  gran  îamano)  ^ 
une  de  France,  plus  exacte  que  celle 
d'Oronce  (9)  ;  une  d'Angleterre , 
d'Ecosse  et  d'Irlande;  une  d'Alle- 
magne, de  Flandre  et  de  Hongrie 
avec  la  Grèce  ;  une  d'Italie ,  de 
Corse,  de  Sardaigne,  de  Sicile  et  de 
Candie,  et  enfin  une  autre  qui  com- 
prend toute  l'Europe. Il  s'occuperait, 
ajoute-t-ii,  de  terminer  le  reste  du 
monde  si  ses  souffrances  ne  l'arrê- 
taient pas.  L'absence  de  l'empereur, 
qui  encourageait  et  protégeait  les 
travaux  et  les  œuvres  littéraires  de 
Santa-Cruz,  est  vivement  sentie  par 
lui.  Il  prie  ce  souverain  de  lui  accor- 
der l'emploi  d'architecte  des  palais 
ou  forteresses  de  Séville  {obrero  de 


(8)  Àpiano  ou  plutôt  Àpianus,  profes- 
seur de  mathématiques,  né  à  Ingol.stadt, 
eu  149^  6t  nu>rt  en  îô5i,  s^appelait  Biens- 
wiiz.  Voulant  latiuiser  son  uom,  ainsi  que 
c'était  assez  l'usage  à  cette  époque  parnnt  les 
«avants,  il  le  transforma  en  ce\ui  d'yipianut, 
qui  lui  est  resté,  et  sous  lequel  il  est  connu, 
de  Jiiene,dhe\l\e,Jpis,  d'où  Apianus. 

(9)  Orouce  Fine,  cité  souvent  sous  son 
préuom  d'Oronce  ou  Orontius,  né  a  Briau- 
çou  en  1494,  fut  uoraraé  par  François  1*^'  a 
la  chaire  des  mathématiques  du  collège 
royal  qu'il  occupa  jusqu'à  sa  mort  arrivé* 
le  6  octobre  i535. 


los  Àlcazares  de  Seoitla),  ou  de 
l'autoriser  du  moins  à  y  Diire  sa  rési- 
dence, k  cause  de  la  tranquillité  et 
des  avantages  que   ce  séjour  offre 
pour   l'élude   et  le  délassement.  Il 
éviterait  ainsi ,  dit-il ,  les   grandes 
dépenses  qu'entraîne  le  séjour  de  la 
ville  où  tout  est  à  un  prix  très-élevé 
par  suite  de  la  grande  quantité  d'ar- 
gent qui  s'y  trouve.  11  fnit  observer 
ensuite  que  les  connaissances  qu'i? 
possède  en  géométrie  et  dans  le  trace 
des  plans  ne  seront  pas  inutiles  pour 
la  conservation  des  édifices    qu'on 
lui  aura  permis  d'habiter.  M.  de  Na- 
varrete,  auquel  nous  devons  la  con- 
naissance de  cette   lettre  de  Santa- 
Cruz,  laisse  ignorer   si  la  demande 
de  ce  savant  fut  accueillie.  Quelques 
années  plus  tard,  probablement  au 
commencement  du   rè^^ne  de  Phi- 
lippe II,  une  commission  composée  de 
cosmographes,  d'astronomes  et  d'au- 
tres doctes  personnages,  fut  chargée, 
sous  la    présidence  du  marquis  de 
Mondejar,  d'examiner  quelques  ou- 
vrages et  des  instruments  de  métal 
construits  par  Apianus  à  l'effet  d'ob- 
server la  longitude.  A  Santa-Crnz  fut 
confié  le  soin  de  prendre  des  infor- 
mations sur  les   moyens  employés 
jusqu'à  ce  moment,  en  faisant  con- 
naître ceux  qu'il  avait  lui-même  in- 
troduits :,  leur  exactitude,  la  facilité 
qu'on  pourrait  avoir  à  en  faire  usage, 
et  l'utilité  qui   résulterait   pour  la 
navigation  de  tous  ces  moyens  ou  de 
quelques-uns  d'entre  eux.  Ce  fut  l'o- 
rigine et  la  cause  de  son  Livre  des 
Longitudes^  ouvrage  qu'il  dédia  au 
roi  Philippe  11 ,  et  qui  est  son  travail 
le  plus  important  (10).  Après  avoir 


(lo)  11  a  pour  titre  :  Libro  de  las  longiludai 
y  mariera  que  hasta  agora  st  ha  tenido  en  et 
arte  de  navegar,  eon  sus  demostraciones  y 
exemples,  .idressé  au  très-haut  et  trfc.s-puis- 
3.tnt  seigtittui  tlou  Pliilippc  IT,roi  d'Espagne, 


86 


SAN 


SAN 


examine  ce  que  dit  Ptoh'mee  dans 
sou    premier   livre  de   géographie, 
Sanla-Cruz  fait  observer  dans  l'ou- 
vrage ci-dessus  que  ce  ge^ographe  a 
calculé   les  degrés  de  latitude  et  de 
longitude  en  les  proportionnant  se- 
lon   la  diminution   des    parallèles , 
depuis  la  ligne  équinoxiale,  et  que 
donner  à  ces  degrés  une   mesure 
égale    comme  on    le  fait    sur    les 
cartes  plates,  est  bon  pour  la  Médi- 
terranée où  l'on  navigue  en  cabotant 
{por  singladuras)^  eu  égard  à  la  di- 
rection que  l'on  prend,  au  gisement 
des  points,  à  la  distance  qu'on  par- 
court et  à  la  situation  ou  à  la  proxi- 
mité des  côtes  ;  moyen  qui  n'est  au 
surplus  qu'approximatif  et  que  nous 
appelons  d''estime.  Tel  est  le  premier 
moyen  que  Santa-Cruz  expose  dans 
son  traité.  Le  second  est  celui  des 
angles  de  position,  qui  a  l'inconvé- 
nient de  considérer  le  côté  du  rumb 
comme  corde,  tandis  que  c'est  un  arc 
de  grand   cercle,   la  superficie   du 
giobeéiantsphérique.On  doit  remar 
quer  ici  que  l'auteur  ne  connaissait 
pas  la  loxodromie(ll)dans  lesrumbs 
obliques  Le  troisième  moyen  est  ce- 
lui des  éclipses  de  soleil  et  de  lune; 
mais  Santa-Cruz  pense  que  par  suite 
de  leur  peu  de  fréquence,  de  la  diffi- 
culté des  calciils,  du  peu  d'exactitu- 
de dans  la  déterminaiion  du  com- 
mencement et  de  la  fin  de  ces   phé- 
nomènes, ce   moyen  ne  peut  être 
utile  que  pour  bien  rapporter  sur  les 
caries    les  îhs  et  les  continents.  Il 


par  Alous»  de  Saii?a-Cruz,  son  cosmogra- 
p!ie  en  chef»  Le  Oiannscrit  iuédit  de  cet  ou- 
vrage se  tti>ave  dépo->ç  daus  la  («allé  des 
mauiistiits  de  la  Bibliothèque  royale  de 
Madrid. 

(il)  Ou  sait  que  la  loxodromie  e.'jt  la 
route  que  trai.e  un  LâliiMcat,  ou  la  ligue 
epurbe  qui  rroise  obliquement  tous  les  iné' 
ridieus,  eu  formant  avec  eux  ua  acglc  tou- 
stanl.  ■ 


reconnaît  que  les  (>ilotes  et  les  navi- 
gateurs ne  possèdent  pas  une  in- 
struction suffisante  pour  faire  ces  ob- 
servations ;  mais  en  supposant,  ajou- 
te-t-il,  qu'il  se  trouvât  à  bord  des 
navires  des  hommes  instruits,  pour- 
vus de  bons  instruments  pour  faire 
de  telles  observations,  et  qu'ils  ap- 
portassent des  lieux  de  leur  départ 
les  éclipses  exactement  calculées  par 
des  hommes  savants  en  astrologie, 
de  Mianière  k  connaître  précisément 
le  jour,  l'heure  et  la  minute  où 
ces  éclipses  doivent  commencer  et 
finir ,  il  serait  alors  possible  de 
déterminer  avec  assez  de  préci- 
sion la  longitude  de  quelque  lieu 
que  ce  fût  où  l'on  pourrait  se  trouver 
par  rapport  à  ceux  d'où  on  serait 
parti.  Nous  avons  déjà  parlé  du 
quatrième  moyen  que  Santa  -  Cruz 
propose  pour  connaître  la  longitude 
par  la  variation  de  l'aiguille,  varia- 
tion qui  était  inconnue  avant  la  dé- 
couverte de  l'Amérique  (12).  A  cette 
époque,  en  effet,  les  navigateurs  re- 
marquèrent, pour  la  première  fois, 
qu'a  partir  du  méridien  des  îles  du 
cap  Vert  et  des  Açores,  l'aiguille,  au 
lieu  de  se  diriger  vers  le  nord,  incli- 
nait vers  l'ouest  en  allant  au  cou- 
chant et  vers  l'est  en  allant  à  l'o- 
rient (13);  on  eut  l'idée  de  déduire  de 
la  régularité  de  cette  altération  la 
distance  k  ce  méridien,  et  par  consé- 
quf'nt  ia  longitude.  Santa-Cruz  indi- 
que, comme  cinquième  moyen  de  con- 
naître la  longitude,  l'observation  de 
la  déclinaison  du  soleil  {indica  coma 
quinte  metodo  para  conocer  la  lon- 

(12)  Voyez  le  premier  voyage  de  Christo- 
phe Colorai),  t.  Il,  p.  f5  et  17,  de  notre 
traduction  de  la  Colleelion  det  vojages  et  dé- 
couvertes des  Espagnols...,  publiée  par  don 
Martiu  Fernande/  de  IVavarrele. 

(i3)  Que  desde  el  meridiano  de  las  islas  de 
cabo  y»rde  jr  de  las  Atores  para  el  pomente 
noiueiteaba  j  para  el  Oriente  nordesteaba... 


SAN 

gitud ,  el  de  observar  la  declina- 
cion  del  sol ,  etc.)  ,  que  Sébastieu 
Cabot  avait  proposée  en  Angleterre; 
mais  la  connaissance  qu'il  avait  des 
erreurs  des  tables  de  Ptole'niée , 
d'Oronce  et  de  Werner  (14)  de'ter- 
mine  Santà-Cruz  à  préférer  les  ob- 
servations qu'il  a  faites  à  Séville 
pour  les  corriger,  et  il  se  lamente 
sur  les  méprises  grossières  que  com- 
mettent les  pilotes  en  négligeant 
de  s'en  servir.  Quoiqu'il  propose  la 
construction  d'un  instrument  ou 
quart  de  cercle  pour  observer  la 
longitude  avec  certitude,  il  émet 
l'opinion  qu'on  ne  pourra  pas  l'en»- 
ployer  à  bord,  et  que  les  déclinai- 
sons ne  pourront  être  prises  exacte- 
ment tous  les  jours  de  l'année,  sur- 
tout quand  le  soleil  se  trouve  aux 
solstices  d'éié  et  d'hlvei .  C'est  dans 
l'emploi  des  horloges  pour  irouver 
la  longitude  que  consiste  le  sixième 
moyen  proposé  par  le  cosmographe 
espagnol.  On  avait  déjà  essayé  d'obte- 
nir une  durée  de  24  heures  précises, 
eu  moditiant  ces  instruments  de  di- 
verses manières:  les  uns  les  avaient 
construits  avec  des  roues  d'acier, 
des  cordes  et  des  poids;  d'autres 
avec  des  cordes  à  guitare  et  d'a- 
cier; d'autres  en  employant  du 
sable,  comme  les  ampouletles;  d'au- 
tres en  se  servant  de  l'eau  au  lieu  du 
sable,  en  l'employant  de  deux  façons 
différentes  ;  d'autres  avec  des  vases 


(14)  Jean  Werner  ou  Vernerus,  que  les 
Espagcjols  appellent  Verneiio,  né  eu  1468, 
est  auteur  de  plusieuiii  ouvrages  estimés. 
Laluurie  cite  les  suivants  daus  su  Libliogra' 
phie  astronomique  :  i*  In  Ptolêmœi  (ieo^ra- 
/jAiain,  Nuremb.,in-fol.,  i5i4;  '^.^J.Tf^trneri 
Traclatts  de  inolu  octavœ  spherœ,  et  summaiia 
tnarratio  theunca  inolûs  octava  sphara,  JNu- 
reinb.,  iM-4*',  jSii;  3°  Iniroductio  geo^ra- 
phica  Pétri  Âpiani  in  doetisninas  Verm^ri 
anno'.alionef  ;  adjuncto  radio  atironomico,  cum 
tjuadrante  novo,  metereoseopt  ioeo,  longe  uii- 
Usiimo,  etc.,  Ingohtadt,  in  fol.,  i533. 


SAN 


8T 


ou  de  grandes  ampoulettes  remplies 
de  mercure  ;  et  d'autres  enfin  au 
moyen  du  vent  avec  lequel  on  faisait 
mouvoir  certain  poids  et  avec  lui  l|i 
corde  de  l'horloge,  ou  aussi  avec  le 
feu  en  allumant  des  mèches  imbibées 
d'huile,  confectionnées  de  manière  à 
durer  24  heures.  L'heure  dans  le 
port  de  la  sortie  étant  connue  exac- 
tement au  moyen  d'une  observation 
astronomique,  en  réglant  là-dessus 
l'horloge,  il  était  évident  qu'en  dé- 
terminant par  une  autre  observation 
semblable  l'heure  au  lieu  de  l'arrivée 
et  en  la  comparant  avec  celle  de 
l'horloge ,  la  différence  donnerait 
celle  de  la  longitude  entre  les  deux 
lieux.  Mais  ces  opérations  supposaient 
dyns  le  ujouvemenl  des  horloges  une 
égalité  et  une  constance  qu'on  ne 
pouvait  espérer  d'une  construction 
informe ,  ni  de  la  nature  des  maté- 
riaux employés ,  exposés  continuel- 
lement à  l'influence  et  aux  altérations 
de  la  mer  et  de  l'atmosphère.  Aussi 
Santa-Cruz  fut-il  amené  à  conclure 
que  par  le  moyen  des  horloges  Use- 
rait difficile  de  connaître  la  longi- 
tude avec  la  précision  requise.  Il 
était  réservé  au  XVIIF  et  au  XIX® 
siècle  de  perfectionner  ce  moyen  de 
manière  à  rendre  son  emploi  d'une 
grande  utilité  pour  la  navigation. 
Santd-Cruz  propose  entin  comme  sep- 
tième moyen  de  donner  la  longitude 
par  les  distances  de  la  iune  aux  étoi- 
les fixes  ou  aux  planètes.  H  paraît 
que  Jean  Werner  ou  Vernerus  fut 
le  premier  qui  indiqua  ce  moyen  et 
qui  construisit  un  instrument  aveu 
lequel  on  pouvait  prendre  toutes  les 
distances  des  étoiles  dans  le  ciel  et 
celles  des  diilcieots  lieux  de  la  terre 
relativement  au  centre  du  monde. 
D'pprès  la  description  de  cet  instru- 
ment et  de»  moyens  de  s'en  servir, 
Sduta-Cruz  en  fabriqua  un  sembla- 


88 


SAN 


SAN 


ble.    Il    s't'ii    était    servi    plusieurs 
fois  pour  faire   un    grand   nombre 
d'observations  de  distances  des  étoi- 
les à  la  lune  et   aux    planètes,    et 
pour  former  des  tables  de  leurs  po- 
sitions respectives,  lorsqu'en  1533 
il  eut  occasion  de  causer  à  ce  sujet 
avec  Don   Antonio  de  Mendoza  au 
moment  où  celui-ci  allait  se  rendre 
à  la  Nouvelle-Espagne  en  qualité  de 
vice-roi.  Mendoza   lui    parla    d'un 
livre  qu'il  avait  rapporté  d'Allema- 
gne, et  dans  lequel  Petrus  Apianus, 
qui  en  était  l'auteur,  et  qui  avait  lu 
l'ouvrage   de  Werner,   donnait   la 
description  et  le  dessin  d'un  instru- 
ment nommé  par  lui  Rayon  astro- 
nomique.  Santa-Gruz  s'étant  con- 
vaincu    que    cet    instrument     ne 
différait  pas  de   celui    qu'il    avait 
construit  lui-même,  reconnut  que  la 
priorité  de  l'invention  appartenait  à 
Werner,  et  il  eut  la  modestie  de  re- 
noncer à  la  publication  de  son  pro- 
pre travail.    Il  n'en    continua  pas 
moins  cependant  ses  observations, 
améliora  ses  tables  ainsi  que  ïa  théo- 
rie sur  laquelle  elles  étaient  fondées, 
et  sut  reconnaître  que,  lorsque  la 
lune  était  à  l'écliptique,  les  observa- 
tions   étaient    plus    certaines ,    et 
qu'elles  étaient  d'autant  moins  exac- 
tes que  la  latitude  était  plus  grande. 
L'insuffisance   de   ce    moyen   pour 
obtenir  la  longitude  lui  étant  enfin 
démontrée,  il  imagina  un  autre  in- 
strument ou  cercle  gradué,  si  com- 
pliqué dans  l'usage,  qu'il  ne  tarda 
pas  à   avouer    lui-même  qu'on   ne 
trouverait  pas  de  pilote  assez  instruit 
pour  s'en  servir,  et  qu'il  devenait 
par    conséquent    inutile    pour   les 
observations   à    faire    en    mer.   Il 
essaya  alors  de  remédier  à  ces  incon- 
vénients en  maintenant  l'instrument 
dans    une    position    verticale    au 
moyen  de  grands  poids  dans  la  partie 


inférieure  pour  observer  le  passage 
par  le  méridien  de  certaines  étoiles 
et  du  centre  de  la  lune^maisde  nou- 
velles difficultés  s'étant  présentées,  il 
renonça  également  au   projet  qu'il 
avait  conçu.   Variant  ses  moyens , 
tout  en  employant  les  mêmes  instru- 
ments, Santa-Cruz  prétendait  qu'en 
observant  au  méridien  le  passage  de 
l'étoile  polaire  et  le  centre  de  la  lune, 
en  notant  avec  une  bonne  horloge 
l'heure  et  la  minute  de  l'observation 
et  en  cherchant  dans  les  tables  la 
situation  qu'avait  en  ce  moment  la 
lune  dans  un  autre  lieu  connu,  on 
déduirait  la  différence  de  méridien 
et    par    conséquent    la    longitude. 
Telles  étaient  les  idées  et  les  tenta- 
tives du  savant  et  laborieux  cosmo- 
graphe espagnol  sur  ce  sujet  impor- 
tant (15).  11  pensait  qu'on  ne  pourrait 
arriver    à    une    application    utile 
qu'avec  des  instruments  exacts  et 
d'une  grande    dimension ,  en  con- 
struisant   les    tables    des    mouve- 
ments du  soleil  et  de  la  lune  pour 
un  méridien  déterminé  et  en  recti- 
fiant aussi  la   situation  des  étoiles 
fixes.  Ce  qu'il  croyait  était  vrai,  dit 
M.  de  Navarrete,  mais  ni  la  mécani- 
que, ni  l'optique  n'avaient  encore 
pu  parvenir  à  donner  aux  instru- 
ments la  délicatesse  et  l'exactitude 
nécessaires.  En  outre  les  observa- 
tions et  les  théories  astronomiques 


(i5)  Santa-Cruz  parle  encore  d'mi  autre 
moyen  de  trouver  la  longitude  imaginé  par 
Pedro  Ruiz  de  Villegas,  savant  astronome  et 
cosmograjibe  de  la  ville  de  Burgos,  par  l'ob- 
servation du  mouvement  de  la  lune  eu  deux 
points  différents,  par  rapport  à  certaines 
étoiles  connues,  en  déduisant  de  son  mou- 
vement relatif  ce  qui  provenait  de  la  diffé- 
rence des  méridiens  de  ces  deux  points. 
Mais  les  inconvénients  qu'offrait  la  prati- 
que de  cei  observations  étaient  tels,  que  le 
même  Santa-Crur  pensa  que  ce  moyen  n« 
produirait  aucun  résultat  favorable,  spécia- 
lement pour  I«s  navigateurs. 


SAN 


SAN 


89 


ne  possédaient  pas  la  certitude  et  la 
sûreté  suftisantes  pour  perfectionner 
les  tables  des  mouvements  célestes, 
spécialement  de  ceux  de  la  lune.  Ce 
n'est  qu'après  trois  siècles  de  travaux 
constants,  exécutés  par  les  hommes 
les  plus  éminents  dans  les  sciences, 
qu'on  est'Tparvenu  à  obtenir  ce  que 
le  cosmographe  espagnol  essayait 
vainement.  Comme  pour  se  consoler 
du  peu  de  succès  de  ses  inventions 
et  de  ses  incessants  labeurs,  ainsi 
que  de  l'insuffisance  des  méthodes 
et  des  instruments  dont  il  avait  fait 
si  souvent  l'essai ,  Santa-Cruz  com- 
parait quelquefois  sa  situation  à 
celle  de  Petrns  Apianus,  savant  juste- 
ment célèbre,  luttant  aussi  inutile- 
ment contre  les  mêmes  difficultés  et 
les  mêmes  déceptions.  En  1560,  le 
roi  Philippe,  qui ,  suivant  M.  de 
IVavarrete,a  fait  faire  tant  àc.  progrès 
à  l'histoire  ei  à  la  géographie  de  ses 
vastes  domaines,  ordonna  à  Santa- 
Cruz  de  composer  un  ouvrage  dans 
lequel  il  devait  décrire  et  représen- 
ter toutes  les  îles  découvertes  jus- 
qu'alors, en  indiquant  leurs  dis- 
tances respectives  et  les  routes  qu'il 
fallait  suivre  pour  se  rendre  à  cha- 
cune d'elles,  en  donnant  en  même 
temps  leur  histoire  et  des  renseigne- 
ments sur  leurs  antiquités.  Cet  ou- 
vrage, ayant  pour  titre:  Islario 
gênerai  del  Mundo,  devait  être  suivi 
d'une  description  semblable  des  con- 
tinents et  comprendre  en  outre 
l'histoire  générale  et  particulière  de 
chaque  province.  VIslario  gênerai 
terminé  par  Santa-Cruz  n'a  jamais 
été  publié.  Il  est  conservé  en  manu- 
scrit dans  la  Bibliothèque  royale  de 
Madrid.  On  trouve  dans  les  archives 
des  Indes  de  Séville  quelques  brouil- 
lons de  l'auteur,  contenant  l'épî- 
tre  dédicfttoire  à  Philippe  H,  le 
prologue  et  l'explication  des  huit 


tables  dont  se  compose  l'ouvrage. 
Peu  de  temps  après  avoir  terminé  ce 
travail,  Santa-Cruz,  qui  jouissait 
comme  historien  d'une  réputation 
presque  aussi  grande  que  comme 
cosmographe,  fut  chargé  par  le  con- 
seil de  Castille  de  donner  son  avis 
sur  la  première  partie  des  Annales 
d'Aragon  de  Geromino  Zurita.  La 
critique  qu'il  fit  de  ce  travail  fut 
trouvée  en  général  trop  sévère  et 
trop  partiale;  aussi  le  conseil  crut-il 
devoir  demander  un  nouveau  rapport 
à  Don  Honorato  Juan  ,  précepteur 
du  prince  Don  Carlos  et  évêque 
d'Osma,  et  au  docteur  Juan  Paëz  de 
Castro.  On  ne  dit  point  quelle  fut 
l'opinion  de  l'évêque  d'Osma,  nrais 
Castro,  et  Âmbrosio  de  Morales  qu'on 
leur  avait  adjoint,  tout  en  rendant 
hommage  aux  vastes  connaissances 
de  Santa-Cruz  en  cosmographie  et 
dans  l'art  de  la  navigation,  se  décla- 
rèrent hautement  les  apologistes  et 
les  défenseurs  de  l'œuvre  de  Zurita. 
Ils  reprochèrent  en  même  temps  à 
son  adversaire  de  ne  pas  être  très- 
versé  dans  l'histoire  ancienne  de  la 
Castille,  ce  qui  l'avait  induit  quel- 
quefois en  erreur  et  entraîné  dans 
des  contradictions  (16).  L'exécution 
de  l'acte  de  transaction  et  de  vente 
des  îles  Moluques  que  l'empereur 
Charles  -  Quint  avait  consenti  le  22 
avril  t52t)enfaveurdu  roi  de  Portugal 
Jean  111,  moyennant  le  paiement 
d'une  somme  de  350,000  ducats 
d'or  (17)  ayant  fait  naître  des  difficul- 


(i6)  On  peut  consulter  à  ce  sujet  une 
lettre  de  Morales  à  Santa-Cruz,  du  20  no- 
veinl)re  1664,  dans  les  Opusculos  de  Morales, 
t.  I*"^,  ]).  3o3  et  suiv.  ;  et  Progretot  de  la  hit- 
toria  de  Aragon,  par  l'archidiacre  Dormer, 
p.  i3S. 

(17)  ITenera.  Ilisloria  gêner,  de  lof  Ue- 
chos, etc.,  otc,  decad.  IV,  c.ip.  x,  j>.  «>3.  — 
Navanete.  Colleccion  de  los  Viajes,  etc.,  etc., 
t.  IV,  Dorum.,  p.  38g  et  suiv. 


90 


SAW 


SAN 


tés  sur  la  li^rift  de  déliniitaiioti  ou 
de  déinarcrjtion  des  possessions  des 
deux  royaumes,  le  roi  d'E-spigne 
Philippe  II  chrir^ea,  en  ISfiO,  une 
commission  de  lui  donner  son  opi- 
nion à  ce  sujet.  Santa-Cruz,  Pedro 
de  Médina  ,  les  frères  Andres  de 
Urdaneta  et  Geronimo  de  Chiivez 
furent  leis  quatre  commissaires  notu- 
més  par  ce  prince.  Ils  lui  présentè- 
rent, les  8  et  10  octobre  1566  et  les 
16  et  17  juillet  1567,  huit  r.'ippnrls 
sur  la  question  de  savoir  si  les  îles 
Philippines,  et  en  particulier  celle 
de  Zebu ,  étaient  comprises  dans 
Pacte  de  cession  que  l'empereur 
avait  faite  en  1529  au  roi  de  Portugal, 
et  si  les  îles  Moluques  avec  une 
grande  partie  des  îles  Philippines  et 
d'autres  terres  voisines  se  trouvaient 
ou  non  placées  dans  la  limite  et  la 
démarcation  de  la  couronne  de  Cas- 
tille.  Après  avoir  exposé,  dans  le 
Mémoire  qu'il  présenta  à  cette  occa- 
sion, les  torts  multipliés  que  ces 
diflérends  relativement  aux  limites 
portaient  à  l'exactitude  des  cartes 
marines,  attendu  que,  par  des  motifs 
d'intérêt  privé  et  national  on  y  dimi- 
nuait sciemment  les  degrés  de  lon- 
gitude et  qu'on  y  rétrécissait  les 
golfes,  Santa-Cruz  dit  qu'il  fondait 
son  opinion  sur  le  routier  de  Jean 
(le  Lisbonne  {Juan  de  Lisboa)^  pilote 
portugais,  avantageusement  connu 
par  ses  navigations  dans  les  parages 
de  l'Inde.  Ayant  concouru  à  la  décou 
verte  de  ces  pays,  à  une  époque  où 
ces  prétentions  et  ses  rivalités  n'exis- 
taient pas,  Jean  de  Lisbonne  ne  pou- 
vait être  soupçonné  d'avoir  altéré  les 
situations  géograpiiiiiues  des  lieux  ; 
aussi  Sdnia-Crnz  invoquait-il  son 
(ipinion  pour  justilier  la  méfiance 
que  lui  inspiraient  les  cartes  c.n- 
siiuites  en  Portugal  depuis  1530.  H 
HVail  appris  en  outre,  pendant  sou 


séjour  dans  ce  royaume  en  1545,  que 
le  docteur  Pero  Mîmes,  cosmo^r?)phe 
du  roi  de  Portugal,  avait  |)rescrit  aux 
cpnstructeurs  de  cartes  de  faire  en- 
trer dans  celles  qu'ils  dresseraient 
certains  golfes  se  trou  vaut  sur  la  route 
de  rinde,  bien  qu'ils  n'eussent  pas  dû 
y  être  compris.  Ils  en  agissaient  ainsi 
pour  toutes  les  cartes  destinées  à 
être  vendues  au  public  et  à  sortir  du 
royaume. Quant  àceliesque  les  pilotes 
portugais  emportaient  avec  eux  pour 
leur  usage  particulier,  ils  les  rece- 
vaient de  l'hôtel  des  Indes  établi 
à  Lisbonne,  et  au  retour  de  leurs 
voyages  ils  étaient  tenu«  de  les  re- 
mettre avec  les  observations  qu'ils 
avaient  pu  faire  pendant  leurs  navi- 
gations. Aussi  Santa-Cruz,  en  com- 
parant les  cartes  qu'il  avait  achetées 
pendant  son  séjour  à  Lisbonne,  qui 
étaient  conformes  à  celles  qu'on 
donnait  aux  pilotes  portugais,  et  qui 
paraissaient  dressées sansaltérations 
d'après  l'ancien  routier,  avec  une 
autre  carte  portugaise  des  mêmes 
parages,  que  le  roi  avait  fait  venir 
de  Sévilie  à  Madrid,  reconnut -il 
qu'entre  le  cap  Comorin  et  Malaca, 
on  avait  retranché  huit  degrés  et  de- 
îiii  sur  le  golfe  de  Bengale,  et  qu'on 
avait  agi  de  même  pour  les  îles  Mo- 
luques. Ces  altérations  frauduleuses, 
commises  dans  ia  confection  des 
cartes  peedant  le  cours  de  ce  siècle 
et  du  suivant,  occasionnèrent  de 
graves  dommages,  et  retardèrent 
grandement  les  progrès  de  l'hydro- 
graphie. H  esî  îi  rt  grcller  que  M.  de 
Navarrete  ne  nous  fasse  pas  con- 
naître les  résultats  produits  dans 
celte  circonstance  par  les  travaux  de 
Santa-Cruz  et  des  autres  commis- 
saires. Sauta-Cruz  luourul  probable- 
ment «n  1572,  pul^que  ce  fut  le  1  < 
octobre  de  celte  année  que  ses  papiers 
et  ses  livres    furent    remis  à  Juan 


SAN 

Lopez  de  Velasco,  qui  lui  succéda 
dans  l'emploi  de  cosniographe  en 
chef.  Outre  les  ouvrages  et  les  cartes 
déjà  ciîés  dans  le  cours  de  cette  no- 
tice, l'inventaire  dressé  après  sa  mort 
en  fait  connaître  plusieurs  aulres, 
parmi  lesquels  on  remarque  un  nou- 
veau Traité  des  longitudes  et  de  Part 
de  la  navigation,  différent  de  celuv 
dont  nous  avons  fait  mention.  Il 
paraît  résulter  de  ce  qui  précède , 
qu'AIonzo  de  Santa-Cruz  fut  le  pre- 
mier qui  conçut  et  traça  les  cartes 
des  variations  magnétiques  dont 
s'occupèrent,  un  siècle  et  deuii  plus 
tard,  quelques  savants  qui  essayèrent 
de  contribuer,  par  ce  moyen,  au  per- 
fectionnement et  à  la  sécurité  de  la 
navigation.  Le  même  cosmographe 
ht  aussi  faire  des  progrès  aux  mé- 
thodes ,  aujourd'hui  si  avancées , 
d'observer  la  longitude,  en  appli- 
quant à  la  navigation  celles  qu'il  ju- 
geait les  plus  convenables  et  les  plus 
exactes,  en  inventant  des  instruments 
ingénieux,  et  en  employant  des  cal- 
culs, lesquels,  quelque  compliqués  et 
inexacts  qu'ils  nous  paraissent  main- 
tenant, ne  laissent  pas  d'avoir  aplani 
la  voie  pour  arriver  à  l'état  actuel 
de  perfection  auquel  on  est  par- 
venu. Il  résulta  également  de  cette 
étudecontinuelleetde  ces  recherches 
multipliées,  la  connaissance  de  l'im- 
perfection des  cartes  plates  et  de  la 
nécessité  de  dresser  des  cartes  ré- 
duites, ainsi  que  Santa-Cruz  y  par- 
vint un  grand  nombre  d'années  avant 
Edouard  Wright  (18)  et  Gérard  Mer- 
cator(i9),  auxquels  ou  attribue  gé- 
néralement cette  invention.  Dans 
le  chapitre  16  d'un   ouvrage   inli- 

(i8)  Edouard  Wright,  ♦'élèbie  inathéuni- 
ticien  auglais,  ué  vers  iô()o,  mort  en  iëi8 
ou  1620. 

(19)  lF8rard  Merrator,  »elèl)re  géomètre, 
né  a  Rupelinoudc,  eu  i.Sia,  mort  «u  i5q4. 


SAN 


91 


tidé  :  Différencias  de  tibros  que 
hay  en  el  universo,  publié  en  1540, 
un  écrivain  espagnol,  Alejo  de  Va- 
nejas,  dit,  en  rappelant  les  travaux 
de  Lorenzo  Padilla,  archi-diacre  de 
Ronda ,  de  Florian  de  Ocauipo,  et 
de  Pedro  de  Alcocer  ,  «  que  Sànta- 
«  Cruz  ne  se  borna  pas  au  tracé  de 
«  la  seule  Espagne,  mais  qu'il  cor- 

•  rigea  les  ancieni»es  tables  et  dressa 
«  des  cartes  marines  au  moyen  des 
«  latitudes  et  des  routiers.  Outre 
«  un  grand   nombre   d'instruments 

•  qu'il  a  construits  pour  faire  com- 

•  prendre  la  cosmographie ,  il  a 
«  fait  plusieurs  globes,  l'un  projeté 
«  en  surface  plane  ouvert  aux  méri- 
«  diens  pour  apprécier  la  propor- 
«  tion  entre  les  surfaces  sphériuues 

•  et  les  surfaces  planes  ;  un  second 

-  ouvert  à  la  ligne  équinoxiale,  les 
«  pôles  restant  au  centre  ;  deux 
«  autres  coupés  aux  deux  pôles , 
«  l'un  dans  ie  sens  du  méridien  de 
«  Pîolémée ,  et  l'autre  dans  celui 
«  de  la  ligne  de  répartition  entre 
«  les  rois  de  Castitle  et  de  Portu- 
«  gai ,  qui  est  éloignée  de  la  côte 
«  d'Espagne  de  six  cents  lieues.  On 
>  lui  doit  aussi  deux  autres  globes 

•  dont  l'un  montre  la  moitié  seplen- 
«  trionale  dans  toute  la  circonlerence 
«de  la  ligne  équinoxiale;  tl  y  a 
«  fait,  pour  indiquer  la  moitié  infé- 
a  rieure,  quatre  incisions  ou  ouver- 
«  tures,  loqueiles,  élevées  en  surface 
«  plane,  forment  le  signe  de  la  croix 
«autour  de  ladite  ligne;  le  second 

•  de  ces  globes  diffère  du  premier  en 
«  ce  qu'il  n'a  que   deux  coupures  à 

-  la  moitié  inférieure,  et  que,  pro- 
«  jetées  en  surface  plane  avec  la  ligne 
"  équinoxiale,  elles  présentent  la 
«  ligure  d'un  œuf.  Parmi  les  aulres 
■  globes  qu'on  doit  encore  à  Santa- 

•  Cruz,  nous  en  mentionnerons  deux, 
^  construits  avec  les  alidades  {las  la- 


92 


SAN 


SAN 


-  ntinas){ie  Tastrolabc.  ;  miautrf,  tpii 
«  renferme  tout  le  globe  en  surface 

•  plane,  et  enlin  un  autre,  construit 

•  de  façon  (ju'il  contient  en  dessus 

-  son  zodiaque,  pour  savoir,  lorsqu'il 

•  est  midi  dans  un  endroit,  l'heure 
«  qu'il  est  dans  un  autre.  Il  a  corrigé, 
u  en  outre,  les  cœurs  (20)  deWerner 

•  et  d'Oronce ,  et  il  a  construit  lui- 

•  même  deux  cœurs  plus  parfaits  que 
«  ceux  des  auteurs  corriges  par  lui.  » 
Vanejas,  après  avoir  parlé,  au  cha- 
pitre 29  de  son  ouvrage,  des  varia- 
tions de  l'aiguille  en  différents  points 
du  globe,  exprime  l'opinion  que 
«  les    cartes    marines  sont    toutes 

•  mal  tracées,  non  par   ignorance, 

•  mais  parce  qu'il  a  fallu  qu'elles 
«  pussent  être  comprises  desmarins, 
«  lesquels  ne  peuvent  naviguer  sans 
■  rumbs,  qui  sont  les  vents  signalés 

•  par  les  lignes  droites  qui  existent 
«  sur  les  cartes.  Le  point  de  réunion 
"  de  ces  rumbs  indique  la  place  de 
«  la  boussole.  Ces  rumbs  ne  se  peu- 
«  vent  marquer  que  sur  des  cartes 
«  plates.  Ainsi ,  lorsque  nous  di- 
«  sons  que  dix-sept  lieues  et  demie 
«  correspondent  à  un  degré, celas'en- 

•  tend  sur  la  ligneéquinoxi^ileousur 

•  ses  parallèles,  quoique  ces  derniers 
"  aillent  en  diminuant  lorsqu'ils  s'en 
«  éloignent,demêmequeles  tranches 
«  de  melon  se  rétrécissent  au  fur  et  à 
"  mesure  qu'on  se  rapproche  des 
«  extrémités.    Ptolémée    arrive  par 

•  des  calculs  à  déterminer  la  dé- 
«  croissance  des  différents  cercles  ; 

•  mais,  comme  ce  mo\en  présente  de 
«grandes   difficultés,  Santa -Cruz 

(20)  On  appelait  cœurs  [corazones)  les 
t:artes  géographiques  triaDgulaires ,  dans 
lesquelles  on  formait  la  base  sur  un  arc  de 
l'ëquateur,  entre  deux  méridiens  détermi- 
nés, lesquels  allant  eu  se  rapprochant,  leurs 
distances  respectives  diminuaient,  ou  leurs 
l::titudes  croissaient  jusqu'à  la  réuuion  nu 
j>éle. 


«  lit,  sur  la  demande  de  Pempereur, 
«  une  carte  ouverte  par  les  méridiens 
«  depuis  la  ligne  équinoxiale  jus- 
«  qu'aux  pôles.  En  prenant  sur  cette 

•  carte,  avec  le  comp.is,  la  distance 
«  des  vides  qui  existent  de  méridien' 

•  à  méridien,  on  a  la  distance  vrait^ 
«  de  chaque  degré  en  réduisant  la 
«  distance    qui    reste    en    grandes 
«lieues.»  On  reconnaît  ici  le  prin- 
cipe et  les  éléments  de  la  théorie  des 
cartes  réduites  dont  l'invention  n'eut 
pas  à  son  origine  la  perfection  à  la- 
quelle elle  a  été  portée  successive- 
ment depuis.  C'est  ainsi  que  Santa- 
Cruzne  détermina  pas  la  proportion 
dans  laquelle  on  devait  augmenter  les 
degrés  de  latitude  sur  les  cartes,  sui- 
vant que  les  latitudes  étaient  plus 
grandes,  et  que  l'extension  des  pa- 
rallèles était  plus  petite.  En  résumé, 
il  ne  savait  pas  que  cette  proportion 
était  celle  du  rayon  au  co-sinus  de  la 
latitude,  comme  on  l'a  déterminé  de- 
puis. «  Les  anciens  philosophes,  a  dit 
«  un  écrivain  célèbre  (21),  eurent  le 
"  défaut   de  spéculer  beaucoup    et 
"  d'observer  peu  ^  de  se  donner  in- 
«  liniiiient  de  peine  pour  rechercher 
«  les  causes  sans  vérifier  auparavant 
«  les  faits.  De  là  provinrent  tant  de 
«  suppositions  et  si  peu  de  décou- 
«  vertes,  tant  d'erreurs  mêlées  à  un 
«  petit  nombre  de  vérités.  »  Santa - 
Cruz  suivit  une  marche  opposée,  ainsi 
que  l'ont  fait  plusieurs  des  savants 
et  des  philosophes  modernes.  Il  exa- 
mina par  lui  même,  dans  ses  voyages, 
la  nature  des  variations  magnétiques; 
il  réunit  à  ses  propres  observations 
celles  d'autres  habiles  navigateurs, 
tels  que  l'étaient  à  cette  époque  les 


(21)  André».  Dell' origine,  de  progresii  e 
délie  stato  altuale  d'ogni  telteratura  ;  t.  VIII, 
liv.  II,  chap.  2,  p.  480,  de  la  traduction  es- 
pagnole qui  porte  pour  titre  t  Hisforia  d« 
loda  la  littratura. 


SAN 

Portugais ,  et ,  it  force  df  niëditer  et 
decomparî^r  les  différences  de  leurs 
directions  en  divers  points  du  glo- 
be, il  inventa  les  cartes    magnéti- 
ques, qu'on  reproduisit  avec  succès, 
plus  de  deux  siècles  plus  tard,  dans 
TEuroDe  civilisée,  et  il  s'efforça  de 
faire  des  applications  de  ce  phéno- 
mène à  la  solution  du  problème  de 
la  longitude.  Il  ne  paraît  pas  que 
Santa-Cruz  ait  jumais   eu    le   titre 
d'historiographe ,    ainsi    que    l'ont 
pensé  quelques  personnes,  et  quoi- 
qu"*!!  soit  l'auteur  de  plusieurs  ou- 
vrages historiques;  il  était  au  sur- 
plus infiniment  plus  instruit  en  cos- 
mographie   et  dans    l!art   nautique 
qu'en  histoire.  Don  Martin  Fernan- 
dez  de  Navarrete ,   dont  l'Espagne 
regrette  la  perte  récente ,  a  publié 
dans   VApendice  del  Estado  de  la 
Armada  pour  1834,  une  notice  bio- 
graphique sur  Santa-Cruz  qui  a  été 
depuis  tirée  à  part  (22).  Nous  y  avons 
puisé  tous  les  détails  que  nous  don- 
nons ici  surcecosmographe.D—z— s. 
SANTARSiLLI  (Antoine),  en  la- 
tin Sanctarellus,  vit  le  jour  en  1569 
à  Adria,  dans  la  république  de  Venise, 
aujourd'hui  royaume  Lombard- Vé- 
nitien. Il  entra  dans  la  société  de 
Jésus,  professa  pendant  long-temps 


(9.2)  Cette  notice  a  pour  titre  :  Noticia 
hiografica  y  literaria  del  cosmografo  Alonso 
de  Santa  Cruz.  Quoique  plusieurs  des  asser- 
tions de  M.  de  Navarrete  et  la  descrij)tion 
qu'il  fait  dans  cette  uotice  de  quelques-uns 
des  moyens  employés  par  Santa-Cruz  pour 
trouver  la  longitude  paraissent  presque  iu- 
conij)rchensiiiles,  nous  n'avons  pas  cru  de- 
voir les  passer  sous  silence  par  respect  pour 
la  mémoire  du  savant  espagnol.  Nous  re- 
f^rettons  seulement  qu'il  n'ait  pas  donné 
«]nelques  extraits  du  manuscrit  de  Sauta- 
Cruz  qui  auraient  pu  faire  juger  du  mérite 
de  ce  cosmograjjhe  mieux  que  tout  ce  qu'il 
a  dit  «le  ses  méthodes,  parce  qu'on  peut 
sou[)çonuer  qu'il  se  soit  un  peu  laissé  in- 
flurncei  par  la  connaissance  des  méthodes 
jjoavcllf  s. 


SAN 


93 


les  bf^Ues-letires  et   la  théologie  à 
Rome,  et  y  mourut  en  1649,  La  pu- 
blication d'un  livre,  qui  est  devenu 
fort  rare,  ayant  été  supprimé  presque 
partout,  a  attaché  au  nom  de  ce  jé- 
suite une  certaine  célébrité.  Il  est 
intitulé:  Tractalus  de hœresi, schis- 
matèy  apostasia  et  soUicitatione  ht 
sacramento  pœnitentiœ,  et  de  potes- 
tate  romani  ponti/icis  in  his  deUctis 
puniendis,    Rome   {apud   hœredem 
Barth.  Zanetti),  1625,  in-4°  de  26 
feuillets  non  chiffrés,  tint  au  com- 
mencement qu'à  la  fin  du  vol.,  et  de 
644  pages.  Dès  que  ce  livre,  approuvé 
par  le  général  de  Tordre  et  dédié  au 
cardinal  de  Savoie,  parut  en  France, 
il  excita  contre  les  jésuites  un  vio- 
lent orage.  Déféré  en  même  temps  au 
parlement  et  à  la  Sorbonne,  il  fut 
supprimé  par  un  arrêt  de  la  cour  sou- 
veraine du  13  mars  1626,  et  condam- 
né à  être  lacéré  et  brûlé  par  la  main 
du  bourreau,  comme  contraire  aux 
lois  du  royaume,  attentatoire  à  l'au- 
torité du  roi  et  aux  libertés  de  l'É- 
glise gallicane.  Santarelli  y  avançait 
que  le  pape  peut  déposer  les  rois,  les 
punir  de  peines  temporelles  et  dis- 
penser, pour  de  justes  causes,  les  su- 
jets du  serment  de  fidélité.  Les  jésui- 
tes de  France  désavouèrent  ces  doc- 
trines de  leur  confrère  par  un  for- 
mulaire qu'on  leur  dicta  et  que  ceux 
de  Paris  signèrent  le  16  mars,  même 
année  1626.  Les  facultés  de  théologie 
de  Caen,  de  Toulouse,  de  Valence,  de 
Bordeaux ,  de  Reims,  de  Bourges  et 
d'Orléans,  imitèrent  la  Sorbonne,  et. 
comme  elle,  censurèrent  le  traité  de 
Santarelli  et  en  ordonnèrent  la  sup- 
pression. Leurs  différents  actes  fu- 
rent recueillis  par  le  docteur  Edmond 
Richer,  qui  les  fit  imprimer,  avec  une 
relation,  à  Paris,  en  1629, in -4°.  Voyez, 
au  sujet  de  cette  affaire  qui  lit  alors 
beaucoup  de  bruit,  la  notp  dont  Guill.- 


^4 


SAN 


Franc,  de  Bnre  .1  accompagné  le  li- 
tre du  Tract  a  tu  s  de  hctresi,  sous  le 
n"  956  de  sa  Bibliographie  instruc- 
tive. Peignot  a  reproduit  et  complété 
cette  note  à  la  page  114  du  t.  If  de 
son  Dictionnaire  des  livres  condam- 
nés au  feu.  Voyez  également  le  t.  Knfe 
['Histoire  ecclésiastique  de  Dupln,  et 
le  t.  H  de  la  Collectio  judiciorum  de 
novis  erroribus,  etc.,  de  l'évêque  de 
Tulle,  d'Argentré.  Il  est  bon  de  lire 
aussi  les  Mémoires  ecclésiastiques  du 
P.  d'Avrigny,  année  1626,  et  la  Vie  du 
P.  Coton  par  le  P.  d'Orléans.  Un  ano- 
nyme a  réfuté  le  livre  du  jésuite  vé- 
nitien par  un  Libre  discours  contre 
la  grandeur  et  puissance  temporelle 
des  papes,  pour  la  défense  du  roi  très- 
chrestien,  et  des  libertés  de  V Église 
gallicane,  etc.,  imprimé  sans  indi- 
cation de  ville  et  sans  date.  (Catalo- 
gue de  Gaignat,  n'^  707.)  Raoul  Bou- 
trays    {voy.   ce   nom,  V,  407),  a 
aussi  opposé  au  Tractatus  de  hœresi 
l'écrit  suivant  :  Gallicinium  in  ait- 
quot  falsas  damnatasque  Ant.  San- 
tarelli  assertiones,  pro  rege  chris- 
îianissimo,  Paris,  1626,  in-8"  df^  135 
pages.   Santarelli    a  écrit  plusi^Mirs 
autres  ouvrages  en  italien,   notam- 
ment un  Traité  du  jubilé  de  l'année 
sainte  et  des  autres  jubilés  ,  Rome  , 
1624,  1625,  in-12;   traduit  en  fran- 
çais par  Mathieu  de  Saint-Jean  (mas- 
que de  Jears  de  La  Place),  Paris,  1626, 
in-12  (Barbier,  Dict  des  anonymes, 
n'*  18285).  il  en   a  aussi    paru  une 
traductior»  latine  à  Mayence  en  1626 
(  voy.  Bibl.  soc.  Jesu).      B — l — u. 
SANTAKELLI  (Jean-Antoine), 
graveur,  naquit  en  1759,  à  Mano- 
pello,  dans  les  Abruzzes,  d'une  fa- 
mille pauvre  et  obscure.  Placé  d'a- 
bord chez  un  peintre  de  Chieti ,  il 
goûtait  fort  pou  les  leçons  de  son 
maître,  et  s'échappait  souvent   de 
l'atelier  pour  se  rendre  à  une  poterie 


SAM 

voisii»e,  ou  il  s'amusait  à  faire  des 
statuettes  en  terre  cuite.  Ses  ébau- 
ches attirèrent  l'attention  des  reli- 
gieuses de  l'endroit,  qui  lui  deman- 
dèrent un  Christ  mort,  et  il  l'exécuta 
avec   un  véritable  talent.   Sur  ces 
entrefaites,  un  médecin  du  lieu  lui 
ay.'int  montré  un  camée  monté  sur 
un  anneau,  Santarelli  fut  émerveillé 
de  tant  de  travail  dans  un  si  petit 
espace,  et  il  o'ésira  vivement  appren- 
dre l'art  de  graver  sur  pierre.  Mais 
à  Chieti,  personne  ne  pouvait  îe  lui 
enseigner  ;  et,  bien  que  dépourvu  de 
tentes  ressources,  Santarelli  n'hésita 
point  à  prendre  la  route  de  Rome. 
Là,  sans  guide,  sans  soutien,  sans 
conseil,  il  surprend  en  peu  de  temps 
le  secret  de  l'art  qui  l'a  passionné  ;  il 
fabrique  lui-même  les  instruments 
nécessaires,  et  grave  nne  tête  sur 
une  pierre  à  fusil,  la  vend,  et  avec 
le  prix  il  acîiète  une  pierre  moins 
commune,  y  sculpte  une  autre  tête, 
puis  l'envoie  ait  célèbre  graveur  Jean 
Pikler,  qui  admire  le  travail  et  veut 
en  connaître  l'auteur.  Cet  artiste  le 
prit  dans  son  atelier,  et  l'on  assure 
qu'il  a  souvent  signé  les  œuvres  de 
soiï  élère.  Santarelli  quitta  Pikler  au 
bout  de  quelques  années,  et  ouvrit 
lui-même  un  atelier  qui  devint  bien- 
tôt célèbre.  C'est  à  lui  que  les  gra- 
veurs f'ioivent   le  perfectionnement 
de  leur  principal  outil.  Après  un  sé- 
jour de  dix-huit  ans  à  Rome,  Santa- 
relli se  rendit  en  1797  à  Florence,  et 
fut  nommé  immédiatement  profes- 
seur à   l'académie  des  beaux-arts  ; 
puis,  à  l'époque   de  la  domination 
française,  il  fut  chargé  d'enseigner 
l'art  degraverlescamees.il  exerça  ces 
fonctions  jusqu'en    1821,  époque  oii 
il  eut  uneaitaqne  d'épilepsie  qui  lui 
affaiblit  considérablement  la  vue,  et 
l'obligea  de  renoncer  au  professorat. 
Santarelli  mourut  le  30  mai  1826.  1! 


.SAN 

avait  été  fait  clievalier  de  l'ordre  de 
la  Réunion  par  Napoléon,  et  mem- 
bre de  la  Légion -d'Honneur  par 
Louis  XVIll.  Parmi  les  académies  qui 
se  l'étaient  associé,  nous  nommerons 
celles  de  Berlin,  de  Vienne,  el  de 
Saint-Luc,  à  Rome.  Cet  artiste  a 
laissé  un  grand  nombre  d'ouvrages  ; 
nous  nous  bornerons  à  citer  les  por- 
traits de  Dante,  Pétrarque,  Boccace, 
Michel-Ange  et  Machiavel,  qui  se 
trouvent  au  musée  du  Louvre. 
Ses  médailles  les  plus  remarquables 
sont  celles  qui  ont  pour  sujets  Mi- 
chel-Ange, la  duchesse  de  Parme  ac- 
tuelle, et  Élisa  Baciocchi,  sœur  de 
Napoléon.  Santarelli  s'était  marié 
deux  fois,  et  eut  (juatre  (ils  de  son 
second  mariage.  L'aîné  s'esl  livré  à 
l'élude  de  la  sculpture,  et  a  déjà  ac- 
quis quelque  renom.  A — y, 

SANTA-IIOSA  (le  comte  Sang- 
TORRE  de),  l'un  des  principaux  insti- 
gateurs de  la  révolution  piémonta-ise 
en  1821,  eî  celui  qui  en  est  regardé 
comme  le  chef,  naquit  le  iSoct  1783, 
à  Savigliano,  d'une  famille  peu  riche 
et  récemment  atiobiie.  Il  avait  ihx 
ans  quand  il  fut  amené  à  l'aruiée 
par  son  père,  qui  éiait  colonel  du  ré- 
giment de  Sardaigneel  qui  fut  tué 
à  la  bataille  de  Mondovi.  Nommé 
officier,  il  sedistingua  dans  qu^^Iques 
rencontres;  mais  les  victoires  de  Bo- 
naparte aydut  soumis  rapidemeut 
toute  la  Haute-Italie  et  transformé 
en  républiques  la  Louibardie  et  le 
Piémont ,  il  renonça  à  la  carrière 
des  armes  et  reprit  le  cours  de  ses 
éludes  interrompues  par  les  t^véue- 
ments  politiques.  Les  idées  qui 
prévalaient  alors  n'avaient  point  en- 
core ses  sympathies,  et  ce  fut  saus 
doute  avec  regret  qu'il  vit  sou  pays  , 
auquel  !e  conquérant  avait  d'abord 
laissé  quelque  indépendance,  se 
transformer  eu  départements  fran- 


SAN 


9r, 


i;ais  à  la  suite  d'une  seconde  inva- 
sion. Cependant,  il  s'habitua  peu  k 
peu  à  ce  régime,  qui  d'ailleurs  sem- 
blait devoir  se  prolonger  indéfini- 
ment, et  dès  1807  il  acceptait  les 
fonctions  de  maire  dans  sa  vil  le  natale. 
Quelques  années  plus  tard  il  épousa 
une  fille  du  comte  Vial -Derossi, 
jeune  personne  douée  de  toutes  les 
qualités  de  l'esprit  et  du  cœur,  mais 
dont  la  dot  n'était  pas  proportionnée 
k  l'illustration  de  son  nom,  en  sorte 
que  Santa-Rosa,  pour  pouvoir  tenir 
un  état  de  maison  convenable  à  l'al- 
liance qu'il  venait  de  contracter,  fut 
obligé  de  solliciter  un  emploi  dans 
l'administration  française.  Sa  de- 
mande fut  promptemeut  accueillie, 
et  on  le  nomma  (1812),  sous-pré- 
fet à  LaSpezia.  Ce  fut  là  que  la  Res- 
tauration le  trouva  en  1814.  Il  vit 
alors-  avec  une  joie  sincère  le  re- 
tour de  ses  anciens  souverains,  et 
quand  Napoléon,  en  s'échappant  de 
l'ile  d'Elbe,  menaçade  nouveau  l'Eu- 
rope d'une  conflagration  générale  , 
Santa-Roia  offrit  au  roi  ie  service  de 
son  épée,  et  entra  avec  le  grade  de 
capitaine  dans  les  grenadiers  de  la 
garde.  II  espérait  sans  doute  que 
l'riccasion de  montrer  sa  bravoure  ne 
se  ferait  pas  attendre^  car  s'il  haïs- 
sait la  vie  oiseuse  de  garnison  ,  il 
était  parfaitement  à  sa  place  dans  le 
tumulte  des  camps,  on  la  force  desa 
constitution,  l'extérieur  de  sa  per- 
sonne et  la  nature  de  son  esprit 
semblaient  l'appeler  au  comman- 
dement. Ses  prévisions  furent  trom- 
pées ;  car,  Cf'tte  fois,  ce  n'était  pas 
dansb'S  riantes  plaines  de  l'Italie, 
mais  sous  le  ciel  bruuieux  de  la  Bel- 
gique, que  le  hasard  des  combp.ts  al- 
lait, décider  des  destinées  de  l'Eu- 
rope, et  la  campagne  de  1815  ne 
fut  guère  pour  les  troupes  sardes 
qu'une  suite  de  marches  et  de  con- 


96 


SAN 


SAN 


Ire-marclies.  Sania-Rosa  renoru;a  au 
service  actif  en  même  temps  qu'à  l'es- 
poir de  combattre,  et  il  quitta  son 
rf'giment  pour  entrer  dans  l'adminis- 
tration militaire.  Un  emploi  impor- 
tant lui  fut  donné  au  ministère  de  la 
guerre,  où  son  savoir  lui  promettait 
un  avancement  rapide.  Trop  heu- 
reux s'il  avait  voulu  concentrer  ses 
puissantes  facultés  dans  le  soin  des 
alfaires  qui  lui  étaient  confiées,  au 
lieu  de  les  user  à  la  poursuite  d'un 
rêve  !  Trop  heureux  si,  à  la  considé- 
ration que  méritent  de  loyaux  et  uti- 
les services,  il  n'avait  préféré  une 
gloire  éphémère  et  stérile!  Sans  les 
commotions  politiques  de  1821,  aux- 
quelles Santa-Rosa  prit  tant  de  part, 
le  gouvernement  piémontais  ne  se 
serait  pas  arrêté,  pendant  dix  ans, 
dans  la  voie  des  sages  réformes,  des 
prudentes  concessions  à  l'esprit  pu- 
blic, et  tant  d'hommesremarquables 
par  l'intelligence  et  surtout  par  le 
caractère  n'auraient  pas  été  con- 
traints de  consumer,  loin  de  leur 
pays,  une  vie  errante  et  malheu- 
reuse. Préparé  au  rôle  qu'il  allait 
jouer  par  des  études  fortes,  mais  in- 
cohérentes du  reste,  ainsi  qu'il  l'a 
depuis  avoué,  Santa-Rosa  se  lia  avec 
les  partisans  les  plus  passionnés  du 
gouvernement  constitutionnel  ,  et 
comme  il  était  doué  d'un  esprit  supé- 
rieur et  de  beaucoup  d'énergie,  il 
finit  par  les  dominer  tous  et  devint 
Tame  du  mouvement  qui  se  prépa- 
rait. Autour  de  lui  se  groupaient 
le  Hiarquisde  Saint-Marsan,  colonel, 
aide-de-camp  du  roi;  le  chevalier 
Provanade  Collegno,  officier  d'artil- 
lerie, écuyer  du  prince  de  Carignan; 
et  le  comte  de  Lisio,  capitaine  des 
chevau -légers.  Tous  pleins  de  feu 
et  d'enthousiasme,  ils  recrutaient 
chaque  jour  de  nouveaux  prosélytes 
dans  l'armée  et  même  à  la  cour.  Les 


sociétés  secrètes  faisaient  le  reste. 
Déjà  ils  comptaient  parmi  leurs 
adhérents  des  personnages  très- 
puissants.  Miiis  l'adhésion  de  trois 
surtout  était  importante  et  piesque 
nécessaire  à  la  réussite  de  leurs  des- 
seins. L'un  était  le  prince  de  la 
Cisterna,  qui  jouissait  de  toute  l'in- 
fluence que  donne  une  grande  for- 
tune jointe  à  de  solides  qualités 
personnelles;  ses  opinions  étaient 
assez  connues ,  assez  publiquement 
avouées  pour  qu'on  pût  être  certain 
de  son  concours.  Il  n'en  était  pas  de 
même  des  deux  autres ,  le  général 
Gifflenga  et  le  prince  de  Carignan. 
Celui-là,  bien  qu'élevé  à  l'école  de 
Tempire,  où  il  n'avait  guère  pu 
s'inspirer  des  idées  libérales,  y  in- 
clinait cependant ,  mais  il  était  trop 
habile,  trop  prudent,  pour  se  jeter 
tête  baissée  dans  une  entreprise  ha- 
sardeuse. H  ne  donna  son  aveu  que 
condiîionnellemenl,  ei  au  moment 
d'agir,  il  se  retira  tout-à-fait.  Quant 
au  prince,  qui  était,  après  ie  frère  du 
roi,  l'héritier  présomptif  de  la  cou- 
ronne, et  avait  à  peine  20  ans,  ce  fut 
le  chevalier  Provana  de  Collegno  qui 
se  chargea  de  le  gagner  à  la  cause  li- 
bérale. Le  vœu  principal  des  conspi- 
rateurs était  de  soustraire  l'Italie  à  la 
domination  autrichienne;  et,  s'ils  dé- 
siraient un  gouvernement  représen- 
tatif, c'était  moins  pour  lui-même 
que  comme  un  instrument  qui  devait 
servir  plus  tard  à  l'indépendance  de 
riialie.  Sur  ces  entrefaites,  la  cons- 
titution espagnole  avait  été  procla- 
mée à  Naples,  et  le  mouvement  s'était 
étendu  si  rapidement  dans  tout  le 
royaume  que  le  nouveau  régime  s'y 
trouva  installé  presque  sans  contra- 
diction et  comme  par  enchantement. 
Peuple,  armée,  bourgeoisie,  no- 
blesse, clergé,  tous  paraissaient  sa- 
tisfaits du  changeniem,  et  il  n'y  eut 


I 


SAN 

pas  iusqu'au  roi  Fordinand  qui  i\e 
s'associât,  du  moins  en  apparence,  à 
la  joie  générale.  Mais  elle  fut  de 
courte  durée.  La  politique  qui  domi- 
nait alors  en  Europe  ne  voulait  pas 
qu'il  s'y  établît  d'autres  gouverne- 
ments constitutionnels.  L'Autriche 
surtout  avait  intérêt  à  empêcher  que 
cela  n'eût  lieu  en  Italie.  Elle  savait 
bien  que  Naples  et  le  Piémont,  une 
fois  soustraits  k  l'autorité  absolue  de 
leurs  souverains  respectifs,  échappe- 
raient non-seulement  à  son  influence, 
mais  deviendraient  de  redoutables 
ennemis,  et  qu'elle  perdrait  tôt  ou 
tard  ses  riches  possessions  dans  le 
nord  de  la  Péninsule.  L'intervention 
fut  donc  résolue,  et  une  armée  autri- 
chiennedetrente  mille hommessedi- 
rigea  vers  les  Âbruzzes.  Les  libé- 
raux piémontais  pensèrent  qu'il 
était  enfin  temps  de  se  prononcer  , 
soit  pour  donner  aux  Napolitains  le 
courage  de  résister,  soit  pour  aggra- 
ver les  embarras  du  cabinet  de 
Vienne,  (jui  serait  ainsi  menacé  d'une 
guerre  avec  toute  l'Italie.  Il  fut  dé- 
cidé, entre  Santa-Rosa  et  les  autres 
meneurs,  que  le  mouvement  éclate- 
rait simultanément  le  10  mars  1821 
dans  toutes  les  villes  du  Piémont  oh 
il  y  avait  garnison.  C'était  donc  une 
révolution  militaire;  car  les  chefs 
connaissaient  assez  le  pays  pour 
n'avoir  rien  à  espérer  de  ce  qu'on 
appelle  le  peuple.  Par  des  raisons 
particulières,  ils  voulurent  ensuite 
ajourner  leur  entreprise,  mais  leurs 
ordres  furent  mal  exécutés,  et  au 
jour  fixé  plusieurs  garnisons  se  dé- 
clarèrent. En  apprenant,  le  10,  que 
la  garnison  de  Fossan  s'était  mise  en 
marche  et  que  celle  de  Turin  avait 
reçu  l'ordre  de  prendre  Jes  armes, 
Santa-Rosa  et  Lisio  partirent  à  franc 
étrier  pour  Pignerol,  et  parcoururent 
Fossan,  Carmagnole  et  As!  i ,  trouvant 
LXXXI. 


SAN 


y< 


partout  le  mouvement  déjà  connnen- 
cé  ou  près  de  l'êlre.  Ils  distribuèrent 
alors  une  déclaration  datée  de  Car- 
magnole, où  ils  disaient  que  leur  but 
était  de  soustraire  le  roi  à"la  funeste 
influence  de  l'Autriche,  de  le  mettre 
en  état  de  fsuivre  l'inspiration  de 
son  cœurvraiment  italien,  et  de  four- 
nir au  peuple  le  moyen  de  faire  con- 
naître ses  vœux  au  souverain  ;  que  si 
l'on  s'éloignait  un  moment  des  règles 
ordinaires  de  la  subordination  mili- 
taire, ce  n'était  qu'à  la  suite  d'une 
triste  nécessité^  que  d'ailleurs  on  ne 
faisait  que  suivre  l'exemple  de  l'ar- 
mée prussienne  qui  en  1813  sauva 
l'Allemagne  par  la  guerre  qu'elle  fit 
à  son  oppresseur.  Des  protestations 
de  dévouement  et  de  fidélité  à  la 
personne  du  roi  terminaient  le  ma- 
nifeste. Santa-Rosa  et  Lisio  arrivè- 
rent le  12  mars  à  Alexandrie,cii  leurs 
agents  avaient  eu  un  plein  succès. 
Ils  avaient  été  rejoints  la  veille  à 
Asti  par  Saint-Marsan  ,  qui  était 
parti  de  Turin  en  même  temps 
qu'eux,  pour  se  rendre  à  Verceil  où 
son  régiment  tenait  garnison,  mais 
qui,  prévenu  par  le  comte  de  Sambuy, 
colonel  en  premier,  avait  été  forcé 
de  rebrousser  chemin.  A  Alexan- 
drie, les  conspirateurs  s'organisè- 
rent immédiatement  et  se  distribuè- 
rent leurs  rôles.  Ansaldi,  lieutenant- 
colonel  de  la  brigade  de  Savoie  ,  et 
l'un  des  plus  ardents  promoteurs  du 
mouvement,  fut  nommé  gouverneur 
de  Ja  division,  et  Santa-Rosa  com- 
mandant de  la  ville  et  de  la  garde  na- 
tionale, qui  n'existait  pas  encore.  Ce- 
pendant les  événements  de  la  pro- 
vince avaient  mis  la  capitale  en  émoi 
et  faisaient  fermenter  toutes  les  têtes. 
11  s'y  forma  de  nombreux  rassem- 
blements d'où  ne  partaient  d'abord 
que  des  cris  confus,  lorsqu'une  voix 
plus  liardie  cria  :  Vive  la  eonstitu- 

7 


'.->.S 


SAN 


tion  e«j3ay«,o(e/ et  ce  ci;i  liO  à  Piu- 
slaut  jépéié  en  chœur  par  «i^lie  au- 
\vvs  voix.  L'autorité  voulut  alors  in- 
tervenir; mais  elle  fut  mal  secondée 
et  vit  tourner  contre  elle  ceux  même 
qui  devaient    l'appuyer.   Dans  cette 
crise,  le  bon  roi  Vi^lor-Emmanuel, 
qui  ne  voulait  ni  faire  couler  le  sang, 
ni  satisfaireà  des  exigences  bruyam- 
ment manifestées  ,  fit  publier   une 
proclamation  dans  laquelle  il  cher- 
chait à  calmer  l'eftV'rvescencede  l'ar- 
mée, en  offrant  une  amnistie  sans  ré- 
serve aux  troupes  qui   rentreraient 
dans  l'obéissance ,  et  de  plus  une 
augmentation  de  paie  assez  considé- 
rable. Malgré  cela,   les  troubles  al- 
laient toujours  croissant,  et  le  roi 
placé  entre  raltèrnatîve  de  manquer 
à  ses  engagements  envers  l'Autriche, 
ou  de  résister  à  l'insurrection  triom- 
phante, n'eut  pas  la  force  de  se  dé- 
cider; il  abdiqua  dans  la  nuit  du  13 
mars,  et  partit  pour  Nice,  après  avoir 
nommé  le  prince   de  Carignan  ré- 
gent du  royaume  ,  en  l'absence  de 
son  frère,  le  duc  de  Genevois,  à  qui 
la  couronne  était  dévolue,  et  qui  se 
trouvait  alors  à  Mode  ne.  Le  régent 
manifesta  hautement  son  intention 
d'attendre  les  ordres  du  nouveau  roi 
avant  de  prendre  aucune  mesure  dé- 
cisive; mais  pressé  par  lesgensqui 
l'entouraient,  entraîné  peut-être  par 
les  démonstrations  populaires  qui  se 
renouvelaicHt  à  chaque  instant  de- 
vant son  palais,  oii des  hommesigno- 
rant,  pour  la  plupart,  la  valeur  de  ces 
mots,  criaient  à  tue-tête:  Vive  la 
constitution  espagnole!  il  assembla 
les  anciens  ministres  du  roi  avec  plu- 
sieurs autres  personnages,  prit  leur 
avis,  et  le  14  cette  constitution  tut 
proclamée.  Un    nouveau    niinistère 
fut  constitué  le  même  jour  :  il  com- 
prenait le  chevalier  Dal  Pozzo,  pour 
l'intérieur^  le  chevalier  de  Villama- 


SAN 

i  ii».'^»  lioui*  la  ^Murre.^X  la  manne;  l'a 
vocatGubernatis,pourles  finances;  le 
chevalier  Sailli,  pou  ries  affaires  élran- 
gères.  Maïs  M.  d'î  Villamarina  ayant 
au  bout  de  peu  de  jours  donné  sa 
démission,  Santa-Rosa  fut  appelé  à  le 
remplacer.  Celui-ci  s'était  hâté,  après 
l'abdication  du  roi,  de  revenir  à  Tu- 
rin, et  il  avait  vivement  insisté  au- 
près du  régent  pour  faire  proclamer 
la  constitution  et  déclarer  la  guerre 
à  l'Autriche.  On  devine  par  consé- 
quent avec    quelles   dispositions  il 
arrivait  au  pouvoir,  qu'il  devait  bien- 
tôt concentrer  tout  entier  dans  ses 
mains;   car    dès  le    lendemain  (21 
mars),  le  prince  de  Carignan,  obéis- 
sant  aux    ordres    que    le    nouveau 
roi  avait  consignés  dans  une  procla- 
mation  datée  du  16  mars,  renonça 
aux  fonctions  de  régent,  quitta  la 
capitale  avec  toutes  les  troupes  qu'il 
put  emmener,  et  prit   la  route   de 
Novare.    La  nouvelle   de    ce  départ 
fut  à  peine  connue,  que  le  public  se 
livra  au   découragement ,    et  que  la 
plus  grande  partie  des  membres  de 
lajnnte  demandèrent  leur  démission. 
Ainsi  ce  gouvernement  qui  n'avaitde 
constitutionnel  que  le  nom,  et  qui  ne 
faisait  que  de  naîire,  était  déjà  sur  le 
point  de  se  dissoudre,  et  aurait  dès 
lors  disparu  tout  à  fait  si    le  che- 
valier Dal  Pozzo  et  Santa-Rosa  n'a- 
vaient habilement  fait  valoir  auprès 
de  la  junle  la   crainte    de   tomber 
dans  l'anarchie,  crainte  chimérique, 
du  reste,  mais  que  les  ministres  met- 
taient en  avant  pour  apaiser  les  con- 
sciences timorées  de  certains  mem- 
bres, et  donner  au  parti  qu'ils  al- 
laient prendre  une  apparence  de  léga- 
lité. Les  conseillers  privés  du  prince 
et   une    députation   du    corps  mu- 
nicipal furent  appelés  au  sein  de  l'as- 
semblée qui  fut  tenue  par  la  junte 
le  22  mars  ;  mais  les  premiers  refu- 


SAN 


SAN 


9ir» 


sèrent  de  participer  aux  <J<'libéra- 
tions,  et  se  retirèrent  :  les  autres 
assistèrent  à  la  séance,  et  approtj- 
vèrent  la  résolution  de  retenir  les 
rênes  du  gouvernement  jusqu'à  la 
réception  de  nouveaux  ordres  du 
roi  ou  du  régent.  Le  ministre  de 
îa  guerre  se  serait  opposé  à  cette 
restriction,  qui  ne  lui  semblait  pas 
conforme  aux  principes  constitu- 
tionnels, s'il  avait  cru  possible  de 
tenir  à  Turin.  A  l'exception  de  la 
citadelle,  le  gouvernement  n'y  avait 
aucune  force  sur  laquelle  il  pût 
compter;  aussi  Smta-Rosa  élaii-il 
décidé  à  le  transférer  à  Alexandri*^, 
quand  les  nouvelles  venues  de  No- 
vare  le  firent  changer  d'avis.  Le  ré- 
giment des  dragons  de  la  reine  ayant 
quitté  l'armée  réunie  dans  cette  ville 
aux  cris  deVive  la  constitution!  ce 
mouvement  releva  les  espérances  du 
ministre  ;  il  contremanda  les  ordres 
de  départ,  et  rédigea  un  ordre  du 
jour  dans  lequel  il  s'efforçait  d'abord 
de  persuader  qu'il  était  une  autorité 
légitimement  constituée,  puis  il  ajou- 
tait :  «  Une  déclaration  signée  par  le 
«  roi  Charles-Félix  a  paru  en  Pié- 
«  mont;  mais  un  roi  piémontais,  au 
«  milieu  des  Autrichiens,  nos  inévi- 

•  tables  ennemis,  est  un  roi  captif: 
«  rien  de  ce  qu'il  dit  ne  peut  ni  ne 
«  doit  être  regardé  comme  venant  de 
«  lui.  Qu'il  nous  parle  sur  un  sol 

•  libre,  et  nous  lui  prouverons  alors 
"  que  nous  sommes  ses  enfants.  »  11 
finissait  par  une  chaude  allocution  à 
l'armée  pour  l'engager  à  l'union  et 
l'exciter  contre  l'Autriche.  Cet  ordre 
du  jour,  communiqué  à  la  junte  par 
Santa-Rosa,  fut  loin  d'être  approuvé. 
Un  membre  lui  fit  même  remarquer 
que  la  raison  donnée  pour  résister 
aux  injonctions  de  Charles-Félix 
n'était  qu'un  sophisme;  mais  le  mi- 
nistre n'y  voulut  rien  changer.  Il  ne 


sie  borna  pasaux  paroles;  il  expédia 
sur-le-champ  des  courriers  afin  de 
mettre  les  troupes  en  mouvement 
stjr  tous  les  points  du  royaume.  Cinq^ 
bataillons  de  la  garnison  de  Gênes, 
trois  de  celle  de  Nice  et  de  Savone, 
trois  de  celle  de  Savoie,  reçurent 
l'ordre  de  se  rendre  à  Alexandrie  à 
doubles  étapes.  Il  fut  ordonné  au 
général  Bellotti  de  prendre  le  com- 
mandement de  la  division  deNovare, 
sur  la  nouvelle  de  la  défection  du 
général  comte  de  La  Tour.  Le  géné- 
ral Ciravegna  eut  l'ordre  d'appuyer 
de  ses  forces  et  de  son  influence  le 
général  Bellotti,  et  de  prendre  le 
commandement  du  corps  de  troupes 
de  Novare.  Le  général  Bussolino  fut 
envoyé  à  Yerceil  pour  coordonner 
ses  opérations  avec  celles  d'Ansaldi, 
qui  avait  déterminé  le  pronuncia- 
mento  d'Alexandrie.  L'ensemble  de 
toutes  ces  dispositions  montre  assez 
que  le  dessein  de  Santa-Rosa  était 
de  réunir  promptement  toutes  l^s 
forces  disponibles  à  la  frontière  de 
Lombardie  pour  prendre  l'initiative 
de  la  guerre  contre  PAntriche.  Mais 
ses  ordres  ne  furent  pas  tous  exécu- 
tés, et  quelques-uns  des  hommes 
qu'il  avait  chargés  des  principaux 
commandements  déclinèrent  ce  dan- 
gereux honneur,  en  sorte  que  l'ar- 
mée se  trouva  toui-à-fait  dépourvue 
de  chefs  capables  et  expérimentés 
dans  la  lutte  inégale  à  laquelle  on 
voulait  l'exposer.  Aux  nouvelles  des 
défections  se  joignirent  celles  de 
Naples,  encore  plus  désastreuses,  en 
sorte  que,  sans  la  fermeté  de  Santa- 
Rosa,  le  soi-disant  gouvernement  de 
Turin  se  serait  évanoui  ;  mais  lui  ne 
perdit  point  courage,  et  tandis  que 
Dal  Pozzo  négociait  avec  le  chargé 
d'affaires  de  Russie  pour  obtenir  l'in- 
tervention officieuse  de  l'emperei-r 
Alexandre,  il  continuait  les  prépara- 


100 


SAN 


SAN 


tifs  (le  guerre.  En  vain  le  comte  de 
La  Tour,  agissant  au  nom  de  Charles- 
Félix,  lui  adressa-t-il,  avec  la  pro- 
clamalion  du  16  mars,  l'ordre  formel 
de  quitter  son  porte-feuille  et  de  le 
remettre  au  chevalier  de  l'Escarène, 
adjudant-général  et  premier  ofiieier 
des  bureaux  sous  le  dernier  minis- 
tère de  Victor-Emmanuel^  Santa- 
Rcsa  resta  sourd  à  cette  injonction, 
et  ne  craignit  pas  de  se  mettre  ainsi 
en  rébellion  ouverte  envers  son  lé- 
gitime souverain.  Sa  conduite  était 
d'autant  plus  imprudente  qu'un 
grand  nombre  de  fonctionnaires , 
aussitôt  après  le  manifeste  du  prince, 
s'étaient  empressés  de  rentrer  dans  le 
devoir  et  refusèrent  tout  concours  à 
l'autorité  révolutionnaire.  D'ailleurs 
celle-ci  n'avait  réussi  à  se  faire  re- 
ttonnaître  que  dans  quelques  pro- 
vinces*, les  divisions  de  Coni  et  de 
Nice,  ainsi  que  toute  la  Savoie,  grâce 
à  la  fermeté  des  chefs  qui  y  comman- 
daient, n'avaient  pris  aucune  part 
au  mouvement.  Les  moyens  de  résis- 
tance dont  Santa- Rosa  pouvait  dis- 
poser élaient  donc  fort  restreints; 
mais  plein  de  foi  dans  la  cause  qu'il 
défendait,  et  soutenu  par  l'énergie 
de  son  organisation,  il  voulut  tenir 
tête  à  l'orage,  et  ne  recula  pas  au 
moment  du  combat.  Il  ne  pouvait 
cependant  opposer  que  cinq  ou  six 
mille  hommes  au  corps  autrichien 
qui,  commandé  par  le  comte  de  Bub- 
na,  avançait  à  grands  pas  sur  Novare, 
où  s'étaient  aussi  réunies,  sous  les 
ordres  du  comte  de  La  Tour,  les 
fractions  de  l'armée  piémontaise  res- 
tées fidèles,  et  dont  le  nombre  égalait 
au  moins  celui  des  révolutionnaires. 
Ceux-ci  devaient  être  commandés 
par  le  général  français  Guillaume 
de  Vaudoncourt,  qu'on  avait  appelé 
de  Suisse,  mais  qui,  n'ayant  pas  en- 
core eu  je  temps  d'arriver,  fut  rem- 


placé par  un  autre  officier  de  l'em- 
pire, le  colonel  Régis,  qui  avait  joué 
un  des  rôles  les  plus  actifs  dans  la 
révolution.  Le  8  avril,  les  deux  par- 
tis se  rencontrèrent  sous  les  murs  de 
Novare,  et  l'action  s'engagea  ;  mais 
ce  fut  moins  une  bataille  qu'une  es- 
carmouche, car  les  soldats  constitu- 
tionnels se  débandèrent  après  quel- 
ques coups  de  feu,  et  l'armée  austro- 
sarde  put  se  diriger  sans  obstacle  sur 
la  capitale  pour  y  déposer  la  junte  et 
rétablir  l'ancien  gouvernement.  Ainsi 
tout  était  perdu,  et  cependant  Santa- 
Rosa  ne  désespéra  point  encore.  A  la 
nouvelle  du  désastre  de  Novare,  il 
résolut  de  se  retirer  à  Gênes,  avec  ce 
qui  restait  de  troupes  dévouées,  et 
d'y  organiser  la  résistance.  H  partit 
dans  la  matinée  du  9  avril,  et  fut  re- 
joint à  Acqui  par  Saint-Marsan,  Col- 
legnoetLisio,quiavaierjtprispartau 
combat  de  la  veille,  et  qui  avaient  été 
entraînés  par  leurs  soldats  en  fuite. 
Tous  suivirent  la  route  de  Gênes; 
mais,  arrivés  dans  cette  ville,  ils  la 
trouvèrent  en  pleine  contre-révolu- 
tion. Ils  ne  furent  cependant  point 
inquiétés,  et  l'on  favorisa  même  leur 
évasion.  Munis  d'abondants  secours, 
Santa-Rosa  et  ses  compagnons  d'in- 
fortune S'embarquèrent  sur  un  bâti- 
ment qu'on  mit  à  leur  disposition, 
et  firent  voile  pour  Barcelone.  Ils 
échappèrent  ainsi  à  la  sentence  de 
mort  qui  fut  portée  contre  eux,  et  ils 
ne  furent  pendus  qu'en  effigie.  Au 
reste ,  le  gouvernement  royal  se 
montra  fort  modéré  après  la  victoire. 
Quelques  exécutions  seulement  eu- 
rent lieu,  et  pour  ne  pas  être  obligé 
de  sévir,  on  favorisa  la  fuite  d'un 
grand  nombre  de  personnes  compro- 
mises. Nous  avons  même  entendu 
raconter  que  le  roi  Charles -Félix 
ordonna  de  mettre  en  liberté  un 
proscrit  qui  avait  eu  la  njaladresse 


SAN 

fie  se  laisser  prendre.  Santa-Rosa  ne 
s'arrêta  que  peu  de  jours  en  Espa- 
gne, et  prit  incognito  la  route  de 
Paris,  où  il  se  cacha  sous  le  nom  de 
Conli,  et  publia  sou  Histoire  de  la 
révolution  piémontaise.    Ce    livre 
e'tant  tombé   entre    les    mains    de 
M.  Cousin,  lui  inspira  le  désir  d'en 
connaître  l'auteur.  Voici  comment 
ce  célèbre  philosophe  a  raconté  l'o- 
rigine de  ses  relations  avec  le  révo- 
lutionnaire piémontais.  «  La  lecture 
de  ce  livre,  écrivit-il  dans  un  article 
rempli  du  plus  vif  intérêt,  et  publié 
en  mars  1840  par  la  Revue  des  deux 
Mondes^  me   frappa  vivement ,   et 
pendant  quelques  jours  \e  répétais 
à   tous   mes  amis  :  Messieurs,  il  y 
avait  un  homme  à  Turin  !  Mon  ad- 
miration redoubla  quand  on  m'ap- 
prii    que  le    héros  de  ce  livre    en 
était  aussi  l'auteur.  Je  ne  pus  me 
défendre    d'un    sentiment    de   res- 
pect  en  voyant  dans    le   défenseur 
d'une  révolution  malheureuse,  cette 
absence  de  tout  esprit  de  parti,  cette 
loyauté  magnanime  qui  rend  justice 
à  toutes  les  intentions,  et  dans  les 
douleurs  les  plus  poignantes  de  l'exil 
ne  laisse  percer  ni  récriminations  in- 
justes, ni  amers  ressentiments.  L'en- 
thousiasme  pour  une  noble   cause 
porté  jusqu'au  dernier  sacrifice,  et 
en    même   temps   une    modération 
pleine  de  dignité ,  sans  parler  du 
rare  talent  marqué  à  toutes  les  pages 
de  cet  écrit,  composaient  à  mes  yeux 
un  de  ces  beaux  caractères  une  fois 
plus  intéressanis  pour  moi  que  les 
deux  révolutions  de  Naples  et  de  Pié- 
mont. Cet  idéal  que  j'avais  tant  rêvé 
semblait  se  présenter  à   moi  dans 
M.  de  Santa-Rosa.  On  me  dit  qu'il 
était  à  Paris  \  je  voulus  le  connaître, 
et  un  de  mes  amis  d'Italie  me  l'amena 
un  matin.  Je  venais  de  cracher  du 
sang,  et  les  premières  paroles  que  je 


SAN 


101 


lui  dis  furent  celles-ci  :  Monsieur, 
vous  êtes  le  seul  homme  que,  dans 
mon  état,  je  désire  encore  connaî- 
tre !  Combien  de  fois,  depuis,  nous 
sommes-nous  rappelé  cette  première 
entrevue,  moi  mourant,  lui  condam- 
né à  mort,  caché  sous  un  nom  étran- 
ger, sans  ressources  et  presque  sans 
pain.  Notre    longue   conversation, 
dont  il   fit  tous  les  frais,  m'ayant 
laissé  ému  et  très-faible,  le  soir,  il 
revint  savoir  de  mes  nouvelles,  puis 
il  revint  le  lendemain,  puis  le  lende- 
main encore,  et  au  bout  de  quelques 
jours,  nous  étions  l'un  pour  l'autre 
comme  si  nous  avions  passé  notre 
vie  ensemble.  Il  était  logé  tout  près 
de  moi,  rue  des  Francs-Bourgeois- 
Saint-Michel,  vis-à-vis  la  rue  Racine, 
dans  une  chambre  garnie  bien  près 
des  toits,  avec  un  de  ses  amis  de 
Turin,  qui,  sans  avoir  pris  aucune 
part  à  la  révolution  et  sans  être  com- 
promis, avait  quitté  volontairement 
son  pays  pour  le  suivre.  Quel  est 
donc  cet  homme  pour  lequel  on  pré- 
fère l'exil  aux  douceurs  de  la  patrie 
et  de  la  famille?  Il  est  impossible 
d'exprimer  le  charme  de  son  com- 
merce. Ce  charme  était  pour  moi 
dans  l'union  de  la  force  et  de  la 
bonté.  Je  le  voyais  toujours  prêt,  h 
la  moindre  lueur  d'espérance,  à  s'en- 
gager dans  les  entreprises  les  plus 
périlleuses,  et  je  le  sentais  heureux 
de  passer  obscurément  sa  vie  à  soi- 
gner un  ami  souffrant.  Depuis  la  fin 
d'octobre  1821  jusqu'au  l®""  janvier 
1822,  nous  vécûmes  ensemble  dans 
la  plus  douce  et  la  plus  profonde  in- 
timité. Pendant  tout  le  jour,  jusqu'à 
cinq  ou  six  heures  du  soir,  il  restait 
dans  sa  petite  chambre ,  occupé  à 
lire  et  aussi  à  préparer  un  ouvrage 
sur  les  gouvernements  constitution- 
nels au  XIX^  siècle.  Après  son  dîner, 
et  la  nuit  venue,  il  sortait  de  sa  cel- 


102 


SAN 


SAN 


Iule,  gagnait  ia  rue  d'Enler,  où  je 
demeurais,  et  passait  la  soirc^e  avec 
moi, jusqu'à  onze  Tieures  ou  minuit. 
Santa  Rosa  avait   la  passion   de  la 
conversation ,  et  il  causait  à  mer- 
veille ;  mais  j'étais  si  languissant  et 
si  faible,  que  je  ne  pouvais  suppor- 
ter l'énergie  de  sa  parole.  Elle  me 
donnait  la  fièvre  et  une  excitation 
nerveuse  qui  se  terminait  par  des 
abattements  et  presque  des  défail- 
lances. Alors  l'homme  énergique,  à 
la  voix  ardente,  faisait  place  à  la 
créature  la  plus  affectueuse.  Com- 
bien de  nuits  n'a-t-il  pas  passées  au 
chevet  de  mon  lit  !  Dès  que  j'étais 
mieux,  il  se  jetait  tout  habillé  sur 
un  sofa,  et  malgré  ses  chagrins,  avec 
sa  bonne  conscience  et  une  santé  in- 
comparable, il  s'endormait  en  quel- 
ques minutes  jusqu'à  la  pointe  du 
jour.  »  A  l'avènement  du  ministère 
de  MM.  (le  Corbière  et  de  Villèle,  ia 
police  reçut  l'ordre  de  veiller  avec 
plus  de  rigueur  sur  les  réfugiés  po- 
litiques, et  M.  Cousin ,  craignant  avec 
raison  queSanta-Rosa  ne  fût  inquié- 
té, lui  ménagea  une  retraite  a  Au- 
teuil,  chez  un  de  ses  amis,  M.  Vi- 
guier.  ils  s'y  établirent  tous  deux, 
et  y  passèrent  les  premiers  mois  de 
1822,  occvipés,  l'un  à  traduire  Pla- 
ton, l'autre  à  étudier  les  gouverne- 
ments Constitutionnels.  Ils  ne  rece- 
vaient presque  aucune  visite,  et  ne 
quittaient  même  pas  l'enceinle  du 
jardin.  Cela  dura  tant  que  M.  Cousin 
put  restera  Auteuil^  mais  celui-ci 
ayant  été  obligé  de  venir  passer  quel- 
ques jours  à   Paris  pour  des  soins 
que  sa  santé  réclamait,  Santa-Rosa, 
impatient   de  le  revoir  ,  sortit  de  sa 
retraite    et    lit    une    visite    à    son 
ami.  En  le  quittant,  il  eut  l'impru- 
dence d'entrer  dans  un  café  pour  y 
lire  les  journaux;  à   peine  était-il 
dehors,  qu  il  fut  âssailh  par  sept  ou 


huit  agents  de  police,  terrassé,  con- 
duit à  la  Préfecture  et  jeté  eu  pri- 
son. Il  paraît  qu'il  avait  été  reconnu 
à  la  barrière,  où  il  était  signalé  de- 
puis long-temps.  Dans  la  nuit  même 
de  son  arrestation,  il  fut  interrogé 
par  le  préfet  de  police,  M.  Delavau. 
il  avoua  avoir  pris  un  passe-port 
suisse  sous  un  faux  nom,  expliqua 
ce  fait  par  la  crainte  d'être  livré  au 
gouvernetnenl  sarde,  et  se  défendit 
avec  énergie  contre  l'imputation  d'ê- 
tre de  connivence  avec  les  hommes 
qui  conspiraient  alors  en  France.  Il 
nomma  M.  Cousin  comme  le  seul 
homme  qu'il  connût  à  Paris.  Cela 
suffit  pour  qu'on  ordonnât  chez  l'ex- 
professeur  une  visite  qui  n'eut  au- 
cun résultat.  Il  en  fut  de  même  de 
l'instruction,  confiée  aux  soins  de 
M.  Debelleyme,  en  sorte  qu'au  bout 
de  deux  mois  de  détention  dans  une 
des  chambres  de  la  salle  Saint-Mar- 
tin, une  ordonnance  de  non-lieu  fut 
prononcée.  Cependant,  Santa-Rosa 
n'obtint  pas  immédiatement  sa  li- 
berté. Il  y  eut  une  première  oppo- 
sition de  la  part  de  la  police.  Il  fal- 
lut que  la  cour  royale  intervînt,  et 
prononçât  formellement  la  mise 
en  liberté.  M.  de  Corbière  s*op- 
posa  encore  à  l'exécution  de  ce  se- 
cond jugement ,  et,  par  un  arrêté 
ministériel,  il  décida  que  Santa-Rosa 
et  quelques  -  uns  de  ses  compa- 
triotes ,  arrêtés  comme  lui,  seraient 
relégués  en  province,  et  mis  sous 
la  surveillance  de  ia  police.  Alençon 
fut  la  résidence  assignée  à  Santa- 
Rosa.  Il  eut  beau  protester,  et  de- 
mander ou  des  passe-ports  pour  l'An- 
gleterre, ou  l'autorisation  de  rester 
à  Paris;  il  ne  reçut  aucune  réponse, 
et  il  ne  fut  extrait  de  sa  prison  que 
pour  être  dirigé  au  lieu  de  sa  desti- 
nation, sous  la  surveillance  d'un 
gendarme,  il  se  consola  de  l'éloi- 


SAN 

gnement  de  son  ami  par  nue  active 
correspondance  qui  a  été  publiée 
dans  le  numéro  de  la  Revue  des 
deux  Mondes  dont  nous  avons  parlé. 
M.  Cousin  alla  même  passer  quel- 
ques jours  avec  lui  à  Alençou,  et  ils 
y  resserrèrent  les  liens  d'une  amitié 
qui  était  déjà  indissoluble.  Cepen- 
dant, Santa-Rosa  n'était  rien  moins 
que  rassuré  sur  l'avenir,  el  le  petit 
nombre  d'amis  qu'il  avait  laissés  a 
Paris  lui  donnaient  quelquefois  des 
nouvelles  fort  inquiétantes.  Le  colo- 
nel Fabvier  entre  autres  lui  écrivit 
pour  l'engagera  se  sauver  en  Angie- 
terre,  et  lui  en  offrir  les  moyens. 
Mais  cela  répugnait  à  Santa>Rosa  , 
et  il  aima  mieux  courir  les  chances 
d'un  second  emprisonnement  et 
peut-être  d'une  extradilit/n.  Cepen- 
dant ,  les  j.ournaux  de  l'opposi- 
tion avaient  attiré  l'attention  pu- 
blique sur  les  mesures  dont  Santa- 
Rosa  et  ses  compagnons  d'infortune 
étaient  l'objet,  et  un  député  (Stan. 
de  Girardin)  interpella  vivement 
M.  de  Corbière  à  ce  sujet.  Celui-ci 
répondit  que  les  réfugiés,  loin  de  se 
plaindre,  étaient  reconnaissants  de 
la  conduite  du  gouvernement  fran- 
çais à  leur  égard,  assertion  contre 
laquelle  Santa-Rosa  protesta  immé- 
diatement dans  une  longue  et  cha- 
leureuse lettre,  à  l'adresse  du  mi- 
nistre, et  qui  fut  insérée  dans  le 
Constitutionnel  du  18  août  1822. 
Elle^irrita  !e  pouvoir  contre  lui,  et, 
peu  de  jours  après,  on  le  faisait 
transférer  à  Bourges,  où  le  préfet 
lui  projjosa  bientôt,  au  nom  de  M.  de 
Corbière,  de  lui  délivrer  des  passe- 
ports pour  l'Anglet^^rre.  Las  de  tou- 
tes ces  tracasseries,  il  consentit  au 
voyage,  bien  qu'il  lui  eu  coûtât  beau- 
coup de  quitter  un  paysoù  il  avait  des 
auiis  dévoués.  Il  partit  de  Bourges, 
le  2  oct.,  traversa  Paiis,  où  le  gen- 


SAN 


103 


darmc  qui  l'accompagnait  lui  permit 
d'aller  voir  M.  Cousin  ;  puis  il  se 
rendit  à  Calais,  et  s'embarqua  pour 
l'Angleterre.  Arrivé  à  Londres,  et  se 
trouvant  sans  ressources ,  il  fit  des 
efforts  inouïs  pour  se  créer  une  posi- 
tion.Les  letlresqu'il  adressa  à  ses  amis 
pendant  Ls  deux  ans  qu'il  séjourna  en 
Angleterre  sont  empreintes,  tantôt  de 
l'exaltation  que  lui  donnait  la  force 
de  son  caractère,  tantôt  du  profond 
abattement  où  le  jetait  parfois  la 
conscience  de  sa  misère.  Il  luttait 
contre  une  pauvreté  toujours  crois- 
sante ^  car  ses  biens,  d'après  les  lois 
piémontaises  ,  avaient  été  confis- 
qués, et  les  secours  que  sa  femme, 
chargée  de  trois  enfants,  pouvait 
lui  envoyer  étaient  insuffisants. 
U  donnai;  des  leçons  d'italien,  et 
fotirnissait  quelques  articles  à  des 
journaux,  entre  autres  à  la  Revue  de 
Westminster  ;  mais  ce  double  travail 
était  peu  rétribué,  et  il  fut  à  la  fin 
obligé  de  quitter  Londres  et  tie  se 
retirer  à  Nottingham,  où  il  changea 
de  nom,  et  se  fit  professeur  d'italien 
et  de  français.  Mais  il  se  dégoûta 
promptement  de  ce  métier,  et  revint, 
à  Londres  pour  offrir  ses  services  aux 
députés  grecs.  Il  leur  demaîida  le 
couynandement  d'un  bataillon  dans 
la  guerre  que  la  Grèce  soutenait 
alors  contre  la  Turquie.  On  lui  ré- 
pondit que  le  gouvernement  grec 
serait  très-heureux  de  l'employer 
d'une  manière  plus  importante.  On 
parlait  de  lui  confier  l'administra- 
tion de  la  guerre  ou  celle  des  fi- 
nances. Il  partit  donc  avec  M.  deCol- 
legno,  le  1*""  uov.  1824,  muni  de 
lettres  françaises  et  italiennes  ou- 
vertes^ remplies  d'ex'pressions  tlat- 
teuses  pour  lui,  et  d'autres  lettres 
cachetées^en  grec.  Des  trois  députés 
((ui  se  trouvaient  alors  à  Londres, 
deux     seulement     favorisaient     le 


104 


.SAi\ 


SAIN 


voyage  de  Satifa-Rosa.  Le  troisième, 
beau-frère  du  président  Conduriolli, 
avait  toujours  paru  s'y  opposer. 
Quoi  qu'il  en  soit,  Santa-Rosa  fut 
reçu  froidement  par  le  corps  execr.tif 
à  son  arrivée  à  Napoli  de  Romanie, 
Je  10  décembre.  Après  quinze  jours, 
il  se  présenta  de  nouveau  au  secré- 
taire-général du  gouvernement,  Rho- 
dios,  pour  savoir  si,  prenant  en  con- 
sidération les  lettres  des  députés 
grecs  à  Londres,  on  voulait  l'em- 
ployer d'une  manière  quelconque. 
On  lui  répondit  qu'on  verrait.  Le 
2  janvier  1825,  il  quitta  Napoli,  pré- 
venant le  gouvernement  qu'il  atten- 
drait ses  ordres  à  Athènes.  Il  visita 
Épidaure,  l'île  d'Égine  et  le  temple 
de  Jupiter  panhellénien, débarqua  le 
5  au  soir  au  Pirée,  et  arriva  à  Athènes 
le  6.  Il  consacra  quelques  jours  à  exa- 
miner les  monuments  de  cette  ville. 
Ayant  trouvé  sur  une  colonne  du 
temple  de  Thésée  le  nom  du  comte 
Vidua,  il  écrivit  le  sien  à  côté  de  ce- 
lui de  son  ami,  qui  avait  visité  Athè- 
nes quelques  années  auparavant.  Le 
14  janvier,  il  entreprit  une  excursion 
dans  l'Attique,  pour  voir  Marathon 
et  le  cap  Sunium.  A  son  retour  à 
Athènes,  il  eut  quelques  accès  de  fiè- 
vre tierce  qui  l'affaiblirent  beaucoup, 
et  le  confirmèrent  dans  l'idée  de  se 
fixer  à  Athènes  plutôt  que  de  retour- 
ner à  Napoli,  dont  l'air  malsain  au- 
rait aggravé  sa  maladie.  Odysseus, 
qui  paraissait  d'intelligence  avec  les 
Turcs,  ayant  menacé  de  s'emparer 
d'.4thènes,  Santa-Rosa  contribua  à  en 
organiser  la  défense.  Les  Éphémé- 
rides  d'Athènes  parlèrent  de  son  en- 
thousiasme et  de  son  activité;  mais 
son  importance  cessa  avec  les  me- 
naces d'Odysseus ,  et  Santa-Rosa 
quitta  Athènes  pour  rejoindre  ses 
amis  à  Napoli  de  Romanie.  A  cette 
époque, on  se  préparait  à  entrepren- 


dre le  siège  de  Patras;  Santa-Ro?a 
n'ayant  jamais  eu  aucune  réponse 
du  corps '€xé(utif  à  ses  premières 
offres  de  service,  insista  de  nouveau 
pour  faire  partie  de  cette  expédi- 
tion. On  lui  répondit  «que  son  nom 
trop  connu  pouvait  compromettre  le 
gouvernement  grec  auprès  de  la 
Sainic-Alliance,  et  que  s'il  voulait 
continuer  à  rester  en  Grèce,  on  le 
priait  de  le  faire  sous  un  autre  nom 
que  le  sien,  »  sans  qu'on  lui  oifrît 
pour  cela  aucun  emploi  civil  ou  mi- 
litaire. Ce  résultat  était  dû  à  un  en- 
voyé du  comité  philhellénique  de 
Londres,  qui  arriva  à  Napoli  porteur 
de  plaintes  de  ce  comité  contre  les 
députés  Luviotti  et  Orlando,qui  com  - 
promettaient,  disait-on,  le  sort  de 
la  Grèce,  en  y  envoyant  des  hommes 
connus  par  leur  opposition  constante 
à  la  Sainte-Alliance.  Mais  ce  fut  en 
vain  que  les  amis  de  Santa-Rosa  lui 
représentèrent  qu'il  avait  rempli 
toutes  les  obligations  qu'jl  pouvait 
avoir  contractées  envers  les  dépu- 
tés grecs  à  Londres,  qu'il  ne  devait 
rien  à  une  nation  qui  n'osait  pas  ou- 
vertement avouer  ses  services;  il 
partit  de  Napoli,  le  10  avril,  habillé 
et  armé  en  soldat  ,  sous  le  nom 
de  Derossi.  Il  rejoignit  le  quar- 
tier-général à  Tripolitza,  et  l'armée 
destinée  à  assiéger  Patras  ayant  mar- 
ché au  secours  de  Navarin,  il  accom- 
pagna le  président  à  Léondari.  Là  le 
prince  Maurocordato  se  portant  en 
avant  pour  reconnaître  la  position 
des  armées  et  l'état  de  Navarin, 
Santa-Rosa  demanda  à  le  suivre.  Il 
prit  part  à  l'affaire  du  19  avril  con- 
tre les  troupes  d'Jbrahim -Pacha,  et 
entra  le  21  dans  Navarin.  Resté  dans 
celte  ville,  où  la  faiblesse  de  la  gar- 
nison ne  permettait  pas  de  prendre 
l'offensive  ,  il  passa  quinze  jours  k 
lire  et  à  attendre  \e$  évènements.Çe- 


SAN 

pendant  Parmée  grecque  destinëe  à 
faire  lever  le  siège  s'élait  débandée  ^ 
la  flotte  grecque  n'avait  pu  empêcher 
la  flotte  turque  d'aborder  àModon. 
Le  siège,  qui  avait  paru  se  ralentir  le 
dernier  jour  d'avril,  était  reprisavec 
plusd'ardfur,Ia  brèche  était  ouverte 
et  praticable,  l'ennemi  logea  cent  pas 
des  murs.  Les  deux  flottes  combat- 
taient tous  les  jours  devant  le  port. 
Le  7  au  soir  le  vent  ayant  poussé  les 
Grecs  au  nord,  on  craignit  que  les 
Turcs  ne  cherchassent  à  s'emparer 
de  l'île  de  Sphactérie,  qui  couvre  le 
port.  Elle  était  occupée   par  1,000 
hommes  et  armée  de  quinze  canons. 
On  y  envoya  100  hommes  de  renfort. 
Santa-Rosa  alla  avec  eux.  Le  lende- 
main, 8  mai,  l'île  fut  attaque>,  et  en- 
levée en  moins  d'une  heure.  Santa- 
Rosa  fut  au  nombre  des  morts,  mais 
on  ne  put  retrouver  son  cadavre. 
Lorsque  l'armée  française,  comman- 
dée par  le  maréchal  Maison  ,  eut  as- 
suré l'indépendance  de  la  Grèce,  le 
colonel  Ff^bvier,  qui  faisait  partie  de 
l'expédition,  fil  élever  à  son  ami  un 
monument  à  l'endroit  où  l'on  pré- 
sumait qu'il  avait  succombé,  avec 
cette  inscription  :  «  Au  comte  Sanc- 
H,      torre  de  Santa-Rosa,  tué  le  9  mai 
^      1825.»  Voici,  d'après  M.  Cousin, 
le  portrait  du  chef  de  la  révolution 
piémontaise.    11   était    d'une  taille 
moyenne,  sa  tête  était  forte,  le  front 
chauve,  la  lèvre  et  le  nez  un  peu 
trop  gros,  et  il  portait  ordinaire- 
ment des   lunettes.  Rien  d'élégant 
dans  ses  manières^  un  Ion  mâle  et, 
viril  sous  des  formes  infiniment  po- 
lies. Il  était  loin   d'être  beau;  mais 
sa  figure,  quand  il  s'animait,  et  il 
était  toujours  animé,  avait  quelque 
chose  de  ai  passionné  qu'elle  deve- 
nait intéressante.  Ce  qu'il  y  avait  de 
plus  remarquable  en  lui  était   une 
force    de   corps  ejjtraorJinaire.   Ni 


SAN 


105 


grand,  ni  petit,  ni  gros,  ni  maigre, 
c'était  un  véritable  lion  pour  la  vi- 
gueur et  l'agilité.  Pour  peu  qu'il  ces- 
sât de  s'observer ,   il   ne  marchait 
pas,  il  bondissait.  H  avait  des  mus- 
cles  d'acier,  et  sa   main   était   un 
étau  où  il    enchaînait  les  plus  ro- 
bustes. Il  était  capable  de  supporter 
les  plus  longues  fatigues,  et  il  sem- 
blait né  pour  les  travaux  de  la  guer- 
re. Il  n'avait  aucune  ambition,  ni  de 
fortune,  ni  de  rang,  et  le  bien-être 
matériel  lui  était  indifférent ^  mais 
il  avait  l'ambition  de  la  gloire.  Il 
chérissait   sincèrement  la  vertu,  il 
avait  le  culte  du  devoir;  mais  aussi 
le  besoin  d'aimer  et  d'être  aimé,  et 
l'amour  ou  une  amitié  tendre  était 
nécessaire  à  son  cœur.  Il  passait  en 
Italie  pour  un  homme  d'une  grande 
piété,  et,  en  effet,  il  était  plein  de 
respect  pour  le  christianisme,  dont 
il  avait  fait  une  étude  attentive.  Pen- 
dant sa  détention  dans  la  salle  Saint- 
Martin,  qui  pouvait  être  suivie  d'une 
extradition,  il  se  prépara  sérieuse- 
ment à  la  mort  et  ne  voulut  plus  lire 
que  la  Bible.   Il  était  même  quelque 
peu  théologien,  et  à  son  passage  en 
Suisse  il  avait  argumenté  contre  des 
pasteurs  protestants.  Quoique  libé- 
rai, il  redoutait  l'influencedes  décla- 
mations démagogiques,  et  en  voyant 
la  foi   religieuse  s'affaiblir    dans  la 
société  européenne,  il  sentait  d'oU- 
tant  plus  le   besoin  d'une  philoso- 
phie morale,  noble  et  élevée.  Il  pos- 
sédait naturellement  la  bonne  méta- 
physique  dans  une  âme  généreuse 
bien  cultivée.  Son  esprit  n'était  pas 
néanmoins  celui  d'un  homme  de  let- 
tres ou  d'un  philosophe,  mais  d'un 
militaire  et  d'un  politique.  Il  avait 
l'esprit  juste  et  droit  comme  lecœur, 
il  détestait  les  paradoxes,  et  dans  les 
matières  graves,  les  opinions  arbi- 
traires, p«'rsonnelles  lui  inspiraient 


106 


SAN 


une  profonde  répugnance.  Il  n'avaif 
ni  étendue  ni  originalité  dans  la 
pensée,  mais  i!  sentait  avec  prolon- 
deur,  et  il  pariaitaveogravifé  et  émo- 
tion. En  politique,  ses  opinions  au- 
raient pu  passer  pour  modérées  en 
deçà  des  monts,  et  s'il  avait  fait  par- 
tie à  cette  époque  de  notre  chambre 
des  députés,  il  aurait  siégé  entre 
Royer-Collard  et  Laine.  Depuis  son 
séjour  en  France,  ses  opinions  poli- 
tiques s'étaient  un  peu  modifiées,  et, 
tout  en  restant  fidèle  aux  principes 
qu'il  avait  défendus,  il  regrettait  vi- 
vement d'avoir  pris  une  part  si  ac- 
tive aux  événements  de  1821.  Il 
comprenait  enfin  que  le  moment  de 
l'indépendance  de  l'Italie  et  de  la 
liberté  de  l'Europe  n'était  pas  encore 
venu,  et  que  les  moyens  violents  ne 
pouvaient  servir  qu'à  le  relarder. 
C'est  pour  cela  qu'au  lieu  d'offrir  le  ser- 
vice de  son  épée  aux  Espagnols  chez 
qui  il  aurait  trouvé  une  généreuse 
hospitalité,  il  préféra  pariir  pour  la 
Grèce,  dont  la  cause  lui  semblait  si- 
non plus  légitime,  au  moins  d'un  suc- 
cès plus  probable.  Au  reste,  Santa- 
Rosa  était  loin  de  posséder  les  con- 
naissances nécessaires  à  un  homme 
d'état.  «J'ai,  disail-il,  dans  une  lettre 

•  à  M.  Cousin,  une  instruction  si  in- 

•  complète,  ou  plutôt  je  suis  si  igno- 

•  rant  sur  une  fosie  de  points  im- 

•  portants,  que  ce  la  devient  un  ob- 
"  stade  presque  insurmontable  à  la 
«  plupart  des  travaux  que  je  pour- 
"  rais  entreprendre  ;  mais  j'ai  une 
«  cenaine  pratique  et  une  connais- 

•  sance  du  matériel  des  affaires  qui 
«  est  rarement  unie  à  une  imagina- 
«  tion  ardente,  et  qui  peut  faire  de 
«  moi  un  citoyen  propres  servir  son 
«  pays  avant  et  après  l'orage.»  C'est 
parfaitement  l'impressiou  qu'on 
éprouve  à  la  lecture  de  sou  Histoire 
de  la  Révolution piemontaisc  {Iruris , 


SAN 

1821,  in-8%sans  nom  d'auteur),dont 
nous  avons  parlé.  Après  avoir  fait 
un  tableau  fort  assombri  de  l'admi- 
nistration sarde  depuis  1814,  l'au- 
teur assure  gravement  que  cette  ré- 
volution était  légitime,  et  la  seule 
raison  qu'il  en  donne  est  que  «  le 
«  Piémont  était  régi  par  un  gouver- 
«  neuient  absolu,  où  il  n'y  avait  par 

•  conséquent  que  des  sujets  soumis  ji 
«  un  maître,  ce  qui  constitue  un  gou- 

•  vernement  illégal  aux  yeux  de  tous 
«  les  publicistes.  •  Arrivant  ensuite 
aux  faits,  il  déclare  «  qu'il  ne  dira 

•  que  la  vérité,  mais  qu'il  ne  la  dira 

•  pus  tout  entière.  »  Bien  que  nous 
.soyons  convaincu  que  Santa-Rosa 
n'était  pas  capable  de  mentir  de  pro- 
pos délibéré,  nous  pensons  que  son 
récit,  comme  celui  de  tout  homme 
de  parti,  ne  doit  pas  être  admis  sans 
réserve.  Pour  connaître  la  vérité  sur 
lesévénements  de  1821,  il  faut  com- 
parer entre  eux  les  écrits  de  Santa- 
Rosa  et  d'Alph.  de  Beauchamp  ;  ces 
deux  historiens  étant  placés  aux 
points  de  vue  extrêmes  se  servent 
nalurellementde  contre-poids,  et  le 
lecteur  impartial  fera  bien  de  les 
contrôler  l'un  par  l'autre*,  mais  dans 
les  jugements  qu'ils  portent  sur  les 
personnes  on  doitse  défier  également 
de  tous  les  deux.  Santa-Rosa  avait 
pendant  son  exil  réuni  les  matériaux 
d'un  ouvrage  qui  devait  avoir  pour 
litre  :  De  la  Liberté  et  de  ses  rap- 
ports avec  les  formes  de  gouverne- 
ment; il  avait  aussi  commencé  un 
livre  sur  le  congrès  de  Vérone  et 
une  esquisse  de  la  littérature  ita- 
lienne, mais  rien  de  tout  cela  n'a  été 
publié,  et  les  manuscrits  en  sont 
probablement  perdus.  A — \. 

SAIM'M  (Jean),  peintre  et  poète, 
pcrede  Raphaël  (i;.8a>zio,  XL,  381). 

SAXTI  (Georges)  ,  chimiste  et 
botaniste    italien,  naquit    en   1745, 


SAN 

à  Pienza ,  d'une  famille  de  robe. 
Après  avoir  fait  son  cours  de  collège 
à  Sienne,  il  obtint  une  bourse  pour 
étudier  la  nu'decine  à  l'université  de 
cette  ville.  Reçu  docteur  à  l'âge  de 
vingt  ans,  il  alla  faire  sa  pratique  à 
l'hospice  de  Sainte-Marie-Nouvelle 
de  Florence,  puis  il  concourut  en 
1773  pour  le  prix  fondé  par  Birin- 
guéri.  Il  l'emporta  sur  ses  rivaux, 
et  put  ainsi  se  rendre  à  l'université 
de  Montpellier,  qui  était  alors  célè- 
bre. Après  un  séjour  d'un  an  dans 
cette  ville  il  vint  à  Paris,  muni  de 
lettres  de  recommandation  pour  Bos- 
cowich  et  le  marquis  de  Mirabeau. 
Ce  dernier  lui  donna  un  logement 
dans  son  hôtel,  et  le  présenta  à  la 
première  dame  d'honneurde  la  reine, 
la  duchesse  de  Senac,  qui,  à  son 
tour,  le  présenta  à  la  cour.  Ses  bril- 
lantes qualités  le  lirent  remarquer 
ass«^z  pour  que  le  margrave  de  Bade 
le  nommât  son  chargé  d'nftaires  au- 
près du  cabinet  de  Versailles.  Mais 
cette  fonction  diplomatique  n'était  à 
peu  près  qu'honoraire,  et  Santi  put 
consacrer  la  majeure  partie  de  son 
temps  à  l'etuiie  des  sciences  natu- 
relles, pour  lesquelles  il  avait  une 
véritable  vocation.  Lorsque  l'infor- 
tuné La  Pérouse  entreprit  un  voyage 
de  circumnavigation,  Santi  voulut  eu 
faire  partie  ;  mais  il  l'ut  heureuse- 
ment détourné  de  ce  projet  par  Bos- 
cowich.  Ea  1783,  il  fut  appelé  a  Pise, 
pour  y  succéder  à  Michel-\nge  Telli 
d.ins  la  chaire  de  botanique.  Il  com- 
mença immédiatement  à  classer,  d'a- 
près le  système  de  Linné ,  les  plantes 
du  jardin  de  Pise,  auxquelles  sou 
prédécesseur  avait  appliqué  le  sys- 
tème de  Tournefort.  H  s'occupa  aussi 
de  la  classilication  des  objets  d'his- 
toire naturelledans  les  musées.  Lors- 
que la  Tosc.Hiie  eut  été  réunie  à  la 
France,  Santi  fut  Hommé  inspecteur- 


SAN 


J07 


général  des  études  pour  tout  le  du- 
ché, et  chef  du  jury  médical  établi  à 
Florence.  Après  la  restauration,  le 
grand- duc  le  nomma  provéditeur 
honoraire  de  l'université  de  Pise. 
Attaqué  depuis  pins  de  vingt  ans 
d'une  hydropisie  îhoracique,  il  suc- 
comba à  un  accès  de  cette  maladie, 
le  30  décembre  1822.  Outre  un  traité 
sur  le  Laurus  nobilis.  qui  est  estimé, 
et  une  analyse  chimique  des  eaux 
thermales  de  San-Giuliano,  près  de 
Pise,  on  a  de  Santi  un  Voyage  au 
Montamiaîa  et  dans  le  SiennoiSt 
Pise,  1795-1806,  3  vol.  in-S".  Cet 
intéressant  ouvrage,  écrit  en  italien, 
ainsi  que  les  deux  opuscules  précé- 
dents, contient  la  description  d'une 
foule  de  minéraux  et  de  plantes  en- 
core peu  connus.  ïl  a  été  traduit  en 
anglais,  et  M.  le  docteur  Bodard  en 
a  donné  une  traduction  française, 
Lyon,  1802,  2  vol.  in-8'^'  avec  fig. 
Le  troisième  volume,  qui  a  paru  de- 
puis, n'a  pas  été  traduit.  Santi  est 
encore  auteur  d'un  mémoire  écrit  eu 
français  sur  les  chameaux ,  de  Pise, 
et  qui  se  trouve  dans  leXVlîeVol.des 
Annales  du  Muséum  d'histoire  natu- 
relle. Santi  avait  préparé  un  voyage 
analogue  de  Paris  à  Venise  et  de  Pise 
à  N^ples,  mais  ce  travail  est  malheu- 
reusement resté  manuscrit.    A— -T. 

SANTILLANE.  Voy.  JVIendoza, 
XXVllI,  282. 

SANTIUS  (Saint),  natif  de  la 
ville  d'Alby,  fut  fait,  dans  le  IX«  siè- 
cle, prisonnier  de  guerre,  dans  les 
marches  d'Espagne,  et  amené  à  Cor- 
doue,où  le  roi  Abdérame  lui  accorda 
la  liberté  et  njéme  une  place  dans 
ses  gardes.  i\yant  eu  le  bonheur  de 
connaître  saini  Euloge  et  de  se  lier 
avec  lui  d'une  étroite  amitié,  il  puisa 
dans  les  entretiens  qu'il  eut  avec 
ce  célèbre  martyr  un  ardent  atta- 
chement peur  la  foi,  et  la  force  de  la 


108 


SAN 


conserver  au  pe^ril  de  5;i  vie.  Ab- 
derame,  ayant  dans  la  suite  voulu 
forcer  Santius  d'embrasser  l'isla- 
misme par  ses  promesses  et  ses  me- 
naces, trouva  le  généreux  soldat 
inébranlable  et  d'une  fermeté  au- 
dessus  de  toute  épreuve.  Furieux 
d'une  telle  constance,  il  condamna 
le  saint  à  être  empalé,  pour  le  punir 
de  sa  désobéissance,  qu'il  considéra 
comme  un  crime  de  lèse-majesté. 
Saniius  expira  dans  cet  horrible 
supplice  le  5  juin  851.     C — L— b. 

SAN-TOMMASO  (le  marquis  Fé- 
lix CARONEde),  écrivain  italien,  né  à 
Turin  vers  1805,  consacra  toute  sa  vie 
à  la  culture  des  lettres.  Plusieurs  so- 
ciétés savantes  de  l'Italie  le  reçurent 
au  nombre  de  leurs  membres,  en- 
tre autres  les  Académies  de  Turin,  de 
Brescia,   de  Lucques  et  d'Âlbe.  A 
Turin,  il  fit  partie  de  la  junte  de 
statistique  et  de  la  commission  éta- 
blie par  le  roi  Charles-Albert  pour 
la  recherche  des  monuments  histo- 
riques. Une  mort  prématurée  l'en- 
leva en  1842.    Il  avait    publié  en 
italien:  I.  Éloge  du  comte  Roger 
de  Cholex^  prononcé  le  15  novembre 
1828  dans  la  séance  publique  de  l'A- 
cadémie d'Albe,Turin,1835,  in-8«.  II. 
Essai  sur  les  révolutions  de  la  phi- 
losophie depuis  Thaïes  jusqu'à  nos 
jours,  Turin,  1837,  in-8''.  Cet  essai 
avait  d'abord  paru  dans  VAnnotatore 
piemontese.  lll.  Considérations  sur 
la  Pharsale  de  Lucain,  ibid.,  in-S**. 
IV.  Sur  quelques  établissements  de 
bienfaisance^  ibid.,  in-16.  V.  Généa- 
logie de  la  royale  maison  de  Savoie^ 
)bid.,in-4°,  avec  18 pi.  VI.  iN^oticesur 
la  vie  de  Bona  de  S.ivoie,  femme  de 
Galeazzo  -  Marie    Sforza  ,    duc   de 
Milan,  ibid.,  1838,  in-8^  Vil.  Deux 
Nouvelles,  ibid.,  1839,  in-12.  Vlll. 
Discours    prononcé    à    l'Académie 
d'Albe  dont  San-Tommaso  était  pré- 


SAN 

sident,  Albe,  1839,  in-io.  Ses  (Œu- 
vres choisies  ont  été  publiées  dans  la 
Biblioteca  scella^  dentelles  forment 
le  415*^  volume,  Milan,  Silvestri, 1840, 
in-12.  A— Y. 

SANTVLÏET.    Voy.  Zantfliet, 
LU,  126. 

SANVITALE  (Jacques)  ,  histo 
rien,  né  le  20  février  1668  à  Parme, 
d'une  famille  ancienne,  manifesta  rtf 
bonne  heure  les  plus  heureuses  dis 
positions  pour  l'état  ecclésiastique,  et 
était  destiné  par  ses  parents  à  entrer 
dans  la  prélature  romaine  ;  mais,  en)  - 
porté  par  sa  vocation,  il  préféra  à  la 
perspective  des  honneurs,  la  vie  mo- 
deste du  cloître,  et  à  peine  âgé  de  10 
ans  il  prit  à  Bologne  l'habit  religieux 
dans  la  compagnie  de  Jésus.  Son  novi- 
ciat accompli,  il  alla  enseigner  les 
humanités  à  Vicence  et  dans  d'autres 
villes,  puis  ayant  reçu  les  ordres  sa- 
crés, il  se  consacra  pendant  quelque 
temps  à  la  prédication.  Ensuite  iî 
occupa  successivement  à  Vérone  les 
chaires  de  philosophie,  de  mathémati- 
ques et  de  théologie.  Le  climat  de 
cette  ville  lui  étant  contraire,  il  fut 
transféré  en  1706  à  Ferrare  où,  après 
avoir  été  pendant  deux  ans  confes- 
seur au  collège  des  nobles,  il  fut 
chargé  d'une  chaire  de  théologie 
qu'il  occupa  avec  distinction  pendant 
19  ans.  Il  mourut  à  Bologne  le  5  août 
1753.  Le  P.  Sanvilale  a  laissé  un 
grand  nombre  d'ouvrages  ascéti  - 
ques  et  de  controverse  religieuse, 
dont  on  trouve  le  catalogue  dans 
le  tome  VII  des  Memorie  degli 
gcrittoriparmigiani.l^^oiis  nous  bor- 
nerons à  citer  ceux  de  ses  travaux 
qui  ont  rapport  à  l'histoire,  et  qui 
ne  manquent  pas  d'une  certaine 
importance.  Ce  sont:  I.  Guerre  entre 
Charles  VI,  empereur  d'Autriche^  et 
Achmet  III ,  grand  -  seigneur  des 
Turcs^  avec  le  traité  et  la  trêve  de 


SAN 

Passaromlz,  Venise,  1724,  in-8" 
(sous  le  pseudonyme  de  P.  Augustin 
Ùmicalia).  11.  Mémoires  historiques 
ée  la  guerre  entre  la  maison  impé- 
riale d'Autriche  et  la  royale  maison 
de  Bourbon  pour  les  États  de  la  mo- 
narchie espagnole,  depuis  l'anne'e 
1701  jusqu'en  1713,  Venise,  1732, 
in  4°;  seconde  édition,  ibid.,  1734, 
in-4o.  Elles  ne  portent  toutes  deux 
au  frontispice  que  les  initiales  du 
pseudonyme  déjà  cité.  lll.  Vie  et 
campagnes  du  prince  Eugène  de 
Savoie^  Venise,  1738  et  1739,  in-4°, 
sans  nom  d'auteur.  IV.  Notices  sur 
les  faits  d'armes  entre  les  princes 
belligérants  pendant  les  six  pre- 
mières années  de  la  guerre  de  succes- 
sion après  la  mort  de  l'empereur 
Charles  F/,  avec  un  Choix  d'actions 
remarquables  des  généraux  et  soldats 
italiens  dans  le  XVIl^  siècle  , 
Utrecht  (Venise),  1752,  in-4°.  La 
seconde  partie  de  cet  ouvrage  fut 
aussi  imprimée  séparément.  Dans  les 
dernières  années  de  sa  vie,  le  P.  San- 
vitale  eut  à  soutenir  une  polémique 
des  plus  vives  avec  deux  autres  reli- 
gieux, les  PP.  Daniel  Concina  et 
J.-V.  Patuzzi,  tous  deux  domini- 
cains, et  ils  mirent  les  uns  et  les 
autres,  dans  Faltaque  comme  dans  la 
défense,  une  âcreté  qu'on  n'aurait  pas 
attendue  de  gens  revêtus  de  l'habit 
religieux.  Le  P.  Sanvitale  se  distingua 
surtout  par  l'amertume  de  ses  pa- 
roles, et  c'est  avec  regret  qu'on  le 
vit  donner  ainsi  un  démenti  aux 
préceptes  de  douceur,  de  modéra- 
tion et  d'humilité  qu'il  avait  ré- 
pandus à  pleines  mains  dans  plusieurs 
Vies  de  personnaj,es  pieux  et  dans 
une  foule  d'autres  ouvrages  ascéti- 
ques.  A— Y. 

SANVITALE  (le  comte  Jacques- 
Antoinr), diplomate  et  poète  italien, 
delà  même  famille  que  le  précédent, 


SAN 


109 


naquit  comme  lui  à  Parme,  le  23  mai 
1699.  Son  intelligence  se  développa 
de  bonne  heure ,  et  dès  l'âge  de 
douze  ans  il  composa  un  qua- 
train latin  à  l'occasion  de  la  pro- 
motion de  JulesPiazzaau  cardinalat. 
Eu  1720,  il  épousa  une  demoiselle 
Cenci,  et  peu  après  son  père  et  sou 
frère  Frédéric  étant  entrés  dans  la 
compagnie  de  Jésus,  il  se  trouva 
maître  absolu  d'une  fortune  consi- 
dérable. Ayant  le  goût  de  la  magni- 
ficence et  celui  des  lettres,  il  se  lia 
avec  tout  ce  que  Parme  contenait 
alors  d'hommes  distingués  par  le 
talent  ou  la  science,  et  il  devint  leur 
Mécène.  Le  duc  Antoine  Farnèse 
avait  pour  lui  une  estime  particu- 
lière; il  le  nomma  d'abord  grand- 
connétable  de  l'ordre  militaire  de 
Saint-Georges,  dit  de  Constantin , 
puis  membre  de  la  régence  qui  de- 
vait gouverner  l'État  après  sa  mort, 
qui  eut  lieu  le  20  janvier  1731.  A 
cette  époque  on  croyait  que  sa 
veuve,  la  duchesse  Henriette,  était 
enceinte,  et  la  régence  remplit  ses 
fonctions  jusqu'au  moment  oii  cet 
espoir  se  fut  tout- à-fait  évanoui.  La 
couronne  ducale  étant  alors  dévolue 
à  l'infant  d'Espagne  Don  Carlos, 
qui  régna  depuis  à  Naples  et  en 
Espagne,  le  comte  Sanvitale  alla 
complimenter  ce  prince  à  Pise,  d'a- 
bord, le  13  lévrier  1732,  au  nom  de 
la  municipalité,  dont  il  était  membre; 
puis,  le  27  mars  suivant,  au  nom  de 
l'ordre  de  Constantin.  Cependant 
Don  Carlos  ne  pouvant  pas  encore 
prendre  possession  de  ses  Étals,  qui 
lui  étaient  disputés  par  l'Autriche 
et  étaient  occupés  p.tr  une  armée 
sous  les  ordres  du  maréchal  Pallavi- 
cino,  chargea  le  comte  Sanvitale  de 
veiller  à  ce  que  le  bon  ordre  régnât 
à  Parme.  Par  sa  conduiie  à  la  fois 
ferme  et  courtoise  vis-à-vis  d'\s  chefs 


110 


SAN 


SAN 


de  l'arnit^f  autriehienue,  il  r<>ussit  à 
11":$  maintenir  (hits  les  limites  de  la 
iuud<'ralion.  E[i  1737,  il  se  rendit  à 
Vienne  et  captiva  la  faveur  de  l'em- 
pereur Chîirles  VI.  Trois  ans  plus 
tard,  il  fit  un  second  voyage  dans 
cette  capitale,  où  il  avait  cté  appelé 
par  ce  même  prince,  qui,  arrive  à  son 
heure  dernière,  témoigna  au  comte 
son  regret  de  ne  pouvoir  plus  lui 
donner  autrement  qu'en  paroles  des 
marques  de  son  affection.  Lorsqae 
Marie-Thérèse  fonda,  en  1741,  une 
Académie  à  Parme,  Sanvitale  en  fut 
nommé  membre  sous  le  nom  d' Eaco 
PaneUenio,  et  ce  fut  dans  son  palais 
qu'eut  lieu  la  première  réunion 
(9  avril  1741).  Les  États  de  Parme 
ayant  été  rendus  à  la  maison  de 
Bourbon  ,  l'infant  Don  Philippe 
choisit  pour  le  représenter  à  Paris, 
le  comte  Sanvitale,  qui  refïiplit  ces 
fonctions  de  1751  à  1759.  Revenu  à 
Parme  le  10  novembre  de  cette  der- 
nière année,  il  renonça  entièrement 
aux  affaires ,  fil  même  cession  à 
son  fils  de  la  majeure  partie  de  ses 
biens,  et  ne  s'occupa  plus  que  des 
études  qui  avaient  déjà  rempli  une 
grande  partie  de  sa  vie.  Le  comte 
Sanvitale  mourut  à  Parme  le  6  mars 
1780,  laissant  après  lui  des  regrets 
universels,  surtout  parmi  les  litté- 
rateurs et  les  poètes, qu'il  avait  tou- 
jours pro(égés  et  secourus.  Sou  cœur 
fut  déposé  dans  l'église  de  l'Annon- 
ciation, où  la  famille  possédait  une 
cliapelle,  et  le  corps  fut  transporté 
dans  Fontanellato,  un  des  fiefs  du 
défunt.  Son  éloge  fut  prononcé  par 
le  P.  J.-M.  Pagnini,  professeifr  d'élo- 
quence à  l'université.  Il  avait  publié, 
entre  autres  ouvrages  :  L  Chant  en 
l'honneur  de  saint  François  Régis^ 
Parme,  1738,  in  4*^.  II.  Églogiies, 
dans  différents  recueils  de  17*38  à 
1748.  Ht.  Les  sept  psaumes  de  la 


pénitence,  traduits  en  vers,  Venise 
1745,  in-8%  et  Parme,  1747,  in.l2. 
IV.  Avis  du  comte  J.-A.  Sanvitale, 
en  réponse  à  une  dissertation  de 
Louis  Saivi  ,  V«'nise,  1746,  in-8o. 
L'auteur  y  prend  la  défense  de  ceux 
qui  font  encore  intervenir  les  divi- 
nités païennes  dans  leurs  poésies, 
opinion  qui  a  depuis  été  vivement 
soutenue  par  Vincent  Monti,  mais 
qui  malgré  cela  nous  semble  assez 
peu  raisonnable.  V.  Poème  para- 
boliquey  Venise,  1746  et  1747,  in- 
folio. Il  fut  suggéré  à  l'auteur  par 
un  passage  de  Bacon  qui,  dans  son 
livre  de  Augmentis  scientiarum,  in- 
dique le  plan  d'un  poème  de  ce 
genre.  Le  comte  Sanvitale  divisa  le 
sien  en  trois  parties,  de  six  chants 
chacune.  La  première  a  pour  sujet  la 
morale^  la  seconde  la  politique^  et 
la  troisième  la  physique^  c'est-à- 
dire  la  création.  Voici  le  jugement 
qu'a  porté  de  ce  livre  M.  Champol- 
lion-Figeac  dans  sa  Notice  des 
accroissements  de  la  bibliothèque  de 
Grenoble.  «  C'est,  dit-il,  un  traité 
»  de  morale  revêtu  des  formes  poé- 
•  tiques  et  mythologiques,  et  où  se 
»  trouvent   toutes   les  spéculations 

■  d'une  âme  enthousiaste  de  la  vertu 

■  et  des  qualités  morales  qui  enno- 
»  blissent  l'homme.  »  Les  écrivains 
contemporains  de  Sanvitale ,  qui 
avaient  trouvé  en  lui  un  vrai  Mécène, 
ne  manquèrent  pas  de  porter  son  ou- 
vrage aux  nue^  ^  mais  ,  quoiqu'il  soit 
absurde  de  prendre  leurs  éloges  à  la 
lettre,  il  n'est  pas  juste  non  plus 
de  les  demeritir  entièrement,  car  si 
le  Poème  parabolique  laisse  beau- 
coup à  désirer  sous  le  rapport  de 
l'économie  et  du  style,  on  y  trouve 
cependant  une  foule  de  passages 
vraiment  remarquables;  et,  quand  il 
n'en  serait  point  ainsi,  on  ne  pourrait 
refuser  au  comte  l'honneur  d'avoii 


SAP 


SAP 


111 


le  premier  mis  à  exécution  un  tra~    k  Paris,  où  il  étudia  encore  sous  Le 
vail  de  ce  genre.  L'auteur  avait  l'ha-    Febvre  d'Étaples  et  Josse  Clichtove. 


bitude  d'aller  tous   les   ans  passer 
quelque   temps   à  Venise,  et  c'est 
pour  cela  qu'à  la  ièie  du  voluuje  se 
trouve  une  dédicace  en  vers  au  doge 
Pierre  Grimani.  VI.  Poème  en  quatre 
chants^  publié   à    l'occasion    d'une 
prise  de  voile,  Parme,  1757,  in-4°. 
II  n'y  a  que  le  premier  chant  qui 
soit  de  Sanvitale    VIL  Quelques  piè- 
ces en  vers  et   en   prose  dans  un 
recueil    publié   à    l'occasion  de  la 
naissance  de  Don  Fernand,  fils  du 
duc  de  Parme  Philippe,  1751,  in- 
folio. VllI.   Castor  et  Pollux,  tra- 
gédie traduite  du  français,  avec  le 
texte  en  regard,  Parme,  t758,  in-4". 
IX.  Enée  et  Lavinie,  opéra  traduit 
en  italien  pour  le  théâtre  de  Paruie, 
1761,  in-4*'.  X.  Capitolo,  adressé  au 
même  infant  le  jour  où  il  fut  inoculé, 
Parme,  1764,  in-folio.  XL  Le  tribu- 
nal de  Jupiterj  chant  pour  le  ma- 
riage de   l'infant  Don   Carlos  avec 
Louise  de  Bourbon,   Parme,   1765, 
in-40.   XII.    Euranio  et  Erasitea^ 
fable  pastorale,  Parme,  Bodoni,  1773, 
in-4°  et  in-80.  Xlll.  Andromaque, 
tragédie  de  Racine,  traduite  en  vers 
italiens,  Parme,  Bodoni,  1776,  in-8°, 
XIV.  Poésies  diverses  dans  le  (orne 
XIII  des  Poésies  des  Arcades  de  Rome ^ 
dont  il  était  membre.  XV.  Polyeucte^ 
tragédie  de  Corneille,  traduite  en 
vers  italiens,  Paruie,  in-4°  sans  date. 
Les  différentes  pièces  traduites  par 
Sanvitale  furent  toutes  représentées, 
soit  au  théâtre  grand-ducal,  soit  sur 
celui  qu'il  avait  fait  élever  lui-même 
dans  sa  villa  de  Fontanellalo  et  où  il 
réunissait  souvent  l'élite   de  la  so- 
ciété. A— Y- 
SAPU)US(Jea]N  Witz),  humaniste 


Revenu  à  Schelestat,  il  y  fut  chargé 
de  la  direction  du  collège,  et  inspira 
à  ses  élèves  le  goût  des  auteurs  an- 
ciens, dont  il  donna  des  éditions 
estimées.    Sapidus  s'étant    déclaré 
pour  les  doctrines  protestantes,  fui 
obligé  de  se  retirer  à  Strasbourg,  où 
il  obtint  la  direction  d'un  collège. 
C'est  là  qu'il  mourut  le  8  juin  1560. 
Il    était  lié  avec  plusieurs  sJVants 
de  cette    époque,   notamment  avec 
Érasme.  Thomas  Plater,  qui  avait  été 
son  disciple  à  Schelestat  et  qui  fut 
depuis  recteur  du  gymnase  de  Baie, 
parle  de  luiavec  éloge.  Outre  ses  édi- 
tions classiques,  on  a  de  Sapidus:  I. 
Des  Êpigrammes  et  des  Épitaphes  en 
latin.  II.  Des  comédies  sacrées,  entre 
autres,  Anahion,  seu  Lazarus  redi- 
vivus.  III.  Consolatio  de  morte  Al- 
berti^  marchionis  badensis.  P— rt. 
SAPINAITD  de  Bois-Huguet  (le 
chevalier   de),    général   vendéen, 
plus  connu  sous  le  nom  de  Sapinaud 
de  la  Verrie,  naquit  près  de  Morla- 
gne  en  Bas-Poitou,  vers  1738,  d'une 
des  plus  anciennes  familles  de  la 
province.  Sapinaud  servit  pendant 
vingt-cinq  ans  dans  les  gardes-du- 
corps.  A  la  révolution,  il  ne  quitta 
pas  la  France,  et  fut  principalement 
retenu  par  le  désir  de  veiller  aux  in- 
térêts de   plusieurs  de  ses  neveux 
émigrés.  Il  vivait  au  sein  d'une  pro- 
fonde retraite,  dans  sa  terre  de  la 
Verrie,  se  hornant  à  la  pratique  de 
toutes  les  vertus  morales  et  chré- 
lieones,  quand  l'insurrection  de  la 
Vendée  éclata.  Dès  le  10  mars  1793, 
les  paysans  des  environs  vinrent  le 
solliciier,    comme    la    plupart   des 
gentilshommes,  de  se  mettre  à  leur 


cl  poêle  iutin,  néen  1490  à  Schelestat  tête.  Sapir^aud  crut  de  son  devoir  de 
en  Alsace,  eut  d'abord  pour  maître  leur  faire  sentir  la  témérité  de  cette 
Bealus  Rhenanus,  qu'il  accompagna    guerre  qu'ils  entreprenaient  contre 


112 


SAP 


SAP 


la  puissante  république;  ces  paysans 
insistèrent  si  vivement  et  se  mon- 
trèrent tellement  diacides,  qu'il  dut 
alors  se  rendre  à  leur  vœu.  Suivi 
(le  cet  attroupement  qui  n'était  armé 
que  de  fourches,  de  faux,  de  bâtons 
et  de  quelques  fusils  de  chasse,  il  se 
dirige  vers  la  petite  ville  des  Her- 
biers. Deux  compagnies  en  formaient 
la  garnison,  soutenues  par  les  pa- 
triotes du  lieu,  et  par  quatre  ou 
cinq  pièces  d'artillerie.  Néanmoins, 
It.s  insurgés  s'en  rendirent  maîtres 
après  quelque  résistance.  Revenu 
momentanément  à  la  Verrie,  Sapi- 
naud  eut  le  bonheur  de  sauver 
M.  de  Beaulieu,  gentilhomme  pa- 
triote, que  menaçaient  les  vengean- 
ces des  paysans.  S'étant  remis 
aussitôt  en  campagne,  il  obtint  un 
avantage  aux  Guérinières  et  se 
réunit  à  Royrand  (  voy.  ce  nom , 
LXXX ,  122),  que  la  population 
avait  choisi  pareillement  pour  la 
commander.  Tous  les  deux  con- 
duisaient les  insurgés  à  l'affaire  du 
19  mars,  près  de  Saint- Vincent 
d'Esterlange,  restée  célèbre  sous  le 
nom  de  déroute  de  Marcé.  Le  géné- 
ral Marcé,  après  avoir  passé  la 
rivière  du  Lay,  s'avançait  sur  les 
Quatre-Chemins ,  par  la  grande 
route  de  la  Rochelle  à  Nantes.  Sapi- 
naud  et  Royrand  se  portèrent  à  sa 
rencontre.  Ils  avaient ,  comme  lui, 
environ  trois  mille  hommes^  mais, 
dans  la  colonne  républicaine,  il  se 
trouvait  quelques  troupes  de  ligne, 
commandées  par  d'habiles  officiers, 
tels  que  le  colonel  Boulard  et  le 
lieutenant -colonel  Esprit  Baudry, 
frère  du  Vendéen  Baudry  d'Asson. 
Les  insurgés  se  divisèrent  :  une 
partie,  suivant  l'usage  qu'ils  adoptè- 
rent dans  tous  les  combats,  s'épar- 
pilla sur  les  flancs,  à  la  faveur 
d'un  pays  très-cotivert,  pour  tour- 


ner l'ennemi  :  le  reste,  conduit  par 
Sapinaud,  s'avança  par  la  grande 
route.  L'artillerie  des  républicains 
tonn.;  :  les  Vendéens  s'étaient  jetés 
à  plal-ventre  pis  se  relevèrent  après 
le  feu  et  coururent  droit  aux  pièces  : 
Sapinaud  le  premier,  s'élança  sur  les 
artilleurs  et  en  tua  un  de  sa  main. 
L'une  des  pièces  fut  prise  :  ce  fut 
avec  beaucoup  de  peine  que  les  ré- 
publicains purent  sauver  les  autres 
au  milieu  de  leur  défaite.  Sapinaud 
continua  de  comujander  avec  Roy- 
rand, l'armée  vendéenne  dite  du 
Centre^  et  montra  constamment  une 
grande  bravoure  alliée  à  une  'piété 
exemplaire.  Le  25  juillet,  une  co- 
lonne républicaine,  sortie  de  Luçon 
sous  les  ordres  du  général  Tuncq, 
vint  attaquer  le  Pont-Charron,  pas- 
sage important  sur  le  Lay,  où  les 
Vendéens  avaient  un  poste.  Une 
autre  colonne,  conduite  par  l'adju- 
dant-général  Canier,  se  porta  sur 
Saint-Philbert  -  du  -  Pont  -  Charron, 
afin  de  tourner  les  Vendéens  par 
leur  gauche.  Le  chevalier  Sapinaud 
courut  vers  ce  dernier  point,  ame- 
nant une  pièce  de  canon.  Averti  de 
son  mouvement  par  l'erreur  ou  la 
trahison  d'un  courrier,  les  républi- 
cains portèrent  au  devant  de  Sapi- 
naud un  escadron  de  gendarmerie. 
Tombé  dans  cette  embuscade,  il  se 
défendit  avec  sa  valeur  ordinaire. 
Déjà  blessé  grièvement,  il  fut  mas- 
sacré sans  pitié.  Quatre  paysans  de 
de  la  Verrie  (l'un  d'eux  se  nommait 
Guiton)  se  firent  tuer  en  disputant 
aux  meurtriers  le  corps  de  leur  an- 
cien seigneur.  Ce  dévouement  est 
une  touchante  preuve  de  l'alFeclion 
qu'il  avait  su  mériter.  Sapinaud 
avait  un  extérieur  avantageux.  Sa 
taille  était  haute;  environ  cinq  pieds 
six  pouces;  ses  yeux  noirs  étaient 
pleins  de  vivacilé;  sa  physionomie 


SAP 

ouverte  et  gracieuse  reflétait  les  no- 
bles qualités  qui  honorèrent  sa  vie. 
M— R— T. 
SAPINAUD  de  la  Rairie  (Char- 
les -  Henri  ) ,  neveu  du  précédent , 
naquit  au  château  de  Sourdy,  près 
de  la  Guubretière,  en  Bas-Poitou,  le 
3  décembre  1760.  Nommé,  en  1778, 
cadet-gentilhomme  au  régiment  de 
Foix,  il  se  retira  du  service  en  1789, 
avec  le  grade  de  lieutenant  en  pre- 
niier.  Cinq  de  ses  frères,  dont  quatre 
étaient  officiers  depuis  plusieurs  an- 
nées,avaientémigré.N'ayant  pas  suivi 
leur  exemple,  il  vivait  comme  son 
oncle,  retiré  au  fond  de  son  manoir, 
où    l'insurrection    vendéenne   vint 
également  le  chercher  pour  le  créer 
un  de  ses  chefs.  Il  eut  part  aux  diffé- 
rents combats  livrés  par  Parmée  du 
Centre,  et  passa  la  Loire,  dans  le  mois 
d'octobre  1793,  avec  la  Grande  Ar- 
mée. Son  père,  respectable  vieillard, 
partagea  toutes  les  misères  de  cette 
glorieuse  et  fatale  campagne.  Dans 
l'effroyable  désastre   du    Mans,  il 
tomba  entre  les  mains  des  répu- 
blicain«!.  Ses  trois  filles  furent  prises 
avec  lui  :   l'une   d'elles  n'était  pas 
mariée^    les    deux    autres    étaient 
mesdames  Destouches  et  de  Joannis. 
Le  beau-père  de  madame  Destouches, 
ancien  chef  d'escadre  et   cordon- 
rouge,  âgé  de  90  ans,  sans  être  ar- 
rêté  par   son  âge,   tenait  aussi  sa 
place  dans  les  rangs  vendéens.  Il 
essuya  jusqu'au  bout  ces  affreuses 
épreuves  et  mourut  après  la  catas- 
trophe suprême  de  Savenay,  dans  la 
chaumière  bretonne  qui  lui  donnait 
une  courageuse  hospitalité.  Quant  à 
Sapinaud  le  père,  il  fut  sans  miséri- 
corde fusillé,   en   présence  de  ses 
filles.  Son  fils  étant  parvenu  à  re- 
passer la  Loire,  revint  aux  environs 
de  Mortagne  :  avec  MM.  de  Vaugiraud 
lils,  les  fières  Bejarry  et  quelques 
tx\xi. 


SAP 


IIS 


autres  officiers,  il  tâcha  de  réunir  les 
éléments  de  l'ancienne  armée   du 
Centre.  Charelte  n'avait  pas  cessé 
de  combattre  dans  la  basse  Vendée. 
La  Rochejaquelein,  à  peine  revenu 
sur  la  rive  gauche  de  la  Loire,  y 
avait  trouvé  la  mort    (28  janvier 
1794)  ;  mais  Stofflet,  Beauvais,  Piet, 
deBeaurepaire,  etc.,  grossissaient  le 
rassemblement  formé  par  lui,  et  ils 
avaient  brillamment  inauguré  celte 
nouvelle  campagnepar  la  victoire  de 
Geste  (2  février).  Sapinaud,  de  son 
côté,  combattit  plusieurs  fois  les  ré- 
publicains aux  environs  de  Mortagne 
et  de  la  Gaubretière.  Vainement  les 
colonnes  infernales,  organisées  par 
Turreau  ,  parcouraient  la  Vendée 
dans  toutes  les  directions,  le  fer  et 
la  torche  à  la  main,  ne  laissant  der- 
rière elles  que  des  cadavres  et  des 
ruines  fumantes;  le  Bocage  offrait 
encore  des  abris  à  ses  défenseurs. 
Ils  se  glissaient  sur  les  flancs  de  ces 
hordes  incendiaires,  et  souvent  ils 
leur  firent  payer  cher  ces  horreurs 
inouïes.    Bernard     de     Marigny  , 
revenu  d'outre-Loire ,  avait  reparu 
dans  les  environs  de  Cerisais,  où 
il  jouissait  d'une  grande   popula- 
rité. Là,  il  se  créait,  de  son  côté,  une 
petite  armée.  Son  territoire  confinait 
avec  celui  de  Sapinaud,   auquel  il 
prêta  secours  pour  attaquer  Morta- 
gne. Le  23  mars,  un  détachement 
sorti  de  cette  ville,  pour  aller  cher- 
cher des  vivres  et  des  fourrages,  fut 
exterminé  presque  jusqu'au  dernier 
homme.  Le  lendemain  à  onze  heures 
du  matin,  Sapinaud  et  Marigny,  avec 
environ  cinq  mille  hommes,  assail- 
lirent la  place  de  vive  force.  Aux 
anciennes  murailles  qui  existaient, 
les  républicains  avaient  ajouté  quel- 
ques nouveaux  ouvrages.  Dépourvus 
d'artillerie,    les    royalistes,  après 
d'intrépi<ips  efforts,   furent   oblige's 


1U 


SAP 


SAP 


iie  suspemlre  leur  attaque;  mais 
dans  h  nuit,  la  garnison,  craignant 
de  ne  pouvoir  résister  k  lie  nouveaux 
assauts,  prit  le  parti  d'évacuer  la 
ville,  et  se  dirigea  sur  Nantes,  où  elle 
n'arriva  pas  sans  coup  férir.  Sa- 
pinaud  se  trouvait  le  mois  suivant  à 
la  re'union  où  les  chefs  des  qujitre 
armées  (Charette,  Stofflet,  Marigny 
et  lui)  s'engagèrent,  sous  peine  de 
mort  pour  le  contrevenant,  a  n'agir 
que  de  concert.  Cet  arrêté  fut  le 
prétexte  dont  les  ennemis  du  mal- 
heureux Marigny  se  servirent  pour 
le  déclarer  déchu  de  son  comman- 
dement, et  bientôt  après,  pour  le 
faire  périr  {voy.  Marigny,  XXVll, 
141).  Après  sa  mort,  il  ne  resta  plus 
que  trois  armées  vendéennes.  S^pi- 
naud  prit  part,  le  6  juin  1794,  à  l'at- 
taque faite  en  commun  contre  la 
division  campée  à  ChaWans  sous  les 
ordres  du  général  Boussard  et  de 
Tadjudanl-général  Chadau.  Les  Ven- 
déens furent  repousses.  L'armée  du 
Centre,  portée  entre  les  territoires 
des  deux  autres,  ne  jouait  qu'un 
rôle  secondaire.  Elle  leur  était  in- 
férieure en  importance,  et  le  ca- 
ractère deSapinaud,  faible  et  facile, 
devait  le  subordonner  à  ses  deux 
collègues.  11  se  trouva  placé  sous 
l'influence  particulière  de  Charette, 
et  se  rangea  de  son  côté  dans  les 
différends  qui  s'élevèrent  entre  Stof- 
flet et  le  chef  de  la  basse  Vendée. 
Charette  s'éîant  rend.u  à  Beaure- 
paire,  quartier-général  de  l'armée 
du  Centre,  y  convoqua  une  réunion 
composée  de  ses  principaux  ofiiciers 
et  de  ceux  de  celte  armée.  Là  Stof- 
flet fut  cité  à  comparaître  pour 
s'expliquer  sur  la  création  du  papier- 
monnaie  qu'il  avait  émis.  D'après 
son  refus  de  se  présenter,  il  fut  dé- 
claré coupable  à  son  tour  d'itifrac- 
tior^  .aux  conventions  stipulées,  et 


déi'hu  du  commandement.  Sapinaud 
fut  un  des  signataires  de  cette  décla- 
ration du  G  décembre  1704,  dite 
arrêté  de  Ueaurrpaire.  Au  surplus, 
cette  mesure  n'eut  aucun  effet,  et 
resta  purement  comminatoire.  Sapi- 
naud adhéra,  le  17  février  1795,  au 
tr;iité  de  p;fix  conclu  à  la  Jaunaye, 
près  Nantes,  entre  Charette  et  les 
délégués  de  la  Convention.  On  sait 
que  Stofflet  se  déclara  énergiquement 
contre  ce  traité.  Peu  s'en  fallut 
même  que  l'on  ne  vît,  à  cette  occa- 
sion, éclater  dans  la  Vendée  une 
guerre  intestine.  Stofflet,  vivement 
poursuivi  par  les  républicains,  passa 
la  Sèvre,  et  se  jeta  sur  le  territoire 
de  Sapinaud.  Lorsqu'il  entra  dans 
Beaurepaire,  le  1"  avril,  ce  dernier, 
heureusement,  venait  de  s'éloigner  et 
de  partir  pour  Belleville,  quartier- 
général  de  Charette.  Mais,  le  2  mai 
suivant,  Stofflet  lui-même  dut  si- 
gner à  Saint-Florent  un  traité  de 
paix.  Quand  !a  république  humilia 
son  orgueil  au  point  de  négocier 
d'égal  à  égal  avec  ces  Vendéens 
qu'elle  avait  tant  de  fois  proscrits 
comme  brigands,  il  s'en  fallait 
qu'elle  fût  sincère  ;  elle  ne  cherchait 
qu'à  les  diviser  et  les  désarmer.  Les 
Vendéens,  avec  raison,  considéraient 
à  peine  celte  paixcotnme  une  trêve. 
Dès  la  fin  de  juin,  elle  fut  rompue. 
Charette,  invoquarjt  tous  les  man- 
ques de  foi  de  l'ennrmi,  recommença 
les  hostilités  et  enleva,  le  26  juin, 
le  camp  des  Essarts.  Sapinaud  pa- 
raissait désireux  de  rester  en  paix: 
néanmoins  il  ne  put  se  dispenser 
d'envoyer  ses  cavaliers  à  Charette, 
pour  seconder  le  débarquement 
d'armes  et  de  munitions  opéré  par 
les  bâtiments  anglais  le  9  août,  sur 
la  côte  du  Marais.  Les  troupes  qui 
sortirent  de  Saint-Gilles  pour  s'y 
opposer,  furent  repoussées  et  bat. 


SAP 

tues.  Pendant  les  six  semaines  que 
passa  le  comte  d'Artois  à  l'IIe-Dien. 
Charelte  stimula  vainement  l'imnjo- 
bilité  de  Stofflet  queBernier,  par  de 
nouvelles  combinaisons  d'intrigue, 
retenait  dans  les  liens  de  cette  paix 
acceptée  naguère  avec  tant  de 
peine.  Charelte  pressa  également 
Sapinaud  d'agir  d'une  manière  plus 
active.  EflFeclivement,  ce  dernier  in- 
quiéta Mortagne  ,  redevenu  ,  de  ce 
côté,  la  place  d'armes  des  républi- 
cains. Le  général  Boussard,  qui  com- 
mandait la  garnison,  étant  sorti  pour 
une  reconnaissance  ,  fut  tué  dans 
une  embuscade.  En  même  temps,  la 
ville  fut  surprise;  mais  cette  diver- 
sion n'eut  pas  de  résultats.  S.ipinaud 
ne  pouvait  pas  mettre  sur  pied  plus 
de  trois  ou  quatre  mille  hommes. 
Hoche,  qui  commandait  alors  l'ar- 
mée républicaine,  fit  parcourir  son 
territoire  par  des  colonnes  chargées 
de  désarmer  les  campagnes.  Quel- 
ques mois  après,  Stofflet  se  décidait 
enfin  à  une  tardive  prise  d'armes, 
mais  ce  fut  pour  succomber  et  périr 
un  mois  avant  Charette.D'Autichamp, 
proclamé  successeur  de  Stofflet ,  es- 
saya de  reformer  l'armée  de  la 
haute  Vendée.  Sapinaud,  qui  avaitdû 
quitter  le  pays  du  Centre,  se  réunit 
à  lui  ;  mais  leurs  eff'orts  furent  inu- 
tiles, et  ils  durent  faire  leur  soumis- 
sion. Sapinaud  apporta  la  sienue 
dans  le  mois  de  juin  1796,  au  général 
Duthil,  qui  commandait  à  Nantes. 
L'année  suivante,  il  épousa  made- 
ujoiselle  Marie-Louise  de  Charette, 
fille  de  madame  Charette  de  Bois 
Foucaud  qui  avait  épousé  en  secon- 
des noces  le  général  vendéen,  parent 
de  son  premier  tnari.  Sapinaud  n'eut 
point  de  part  à  la  courte  guerre  de 
1799.  Pendant  le  consulat  et  l'em- 
pire, il  vécut  tranquille  dans  ses 
foyers.  Néanmoins,  lors  de  l'inva- 


SAP 


115 


sion  de  1814 ,  sentant  la  nécessité 
de  faire  intervenir  la  Vendée  dans 
ces  grands  événements,  il  parcourut 
les  campagnes,  et  tout  était  prêt 
pour  une  levée  de  boucliers,  quand 
la  chute  de  Bonaparte  fut  consom- 
mée. Dans  les  Cent -Jours,  Sapi- 
naud se  trouva  naturellement  un 
des  généraux  royalistes.  Un  fatal  dé- 
faut d'accord  paralysa  en  partie  ce 
nouveau  mouvement.  Sapinaud  si- 
gna, le  31  mai,  avec  d'Autichamp  et 
Suzannet,  Varrêté  de  Falleron.  par 
lequel  fut  déclarée  inopportune  l'ex- 
pédition de  Louis  de  La  Rocheja- 
quelein  dans  le  Marais.  Aventuré  seul 
avec  son  frère  Auguste  contre  des 
forces  supérieures,  Louis  dit  La 
Rochejaquelein  trouva  une  mort  glo- 
rieuse à  l'affaire  des  Mathes.  Désolés, 
ses  frères  d^armes  ne  songèrent  pius 
qu'à  le  pleurer  et  à  le  venger.  Sapi- 
naud ,  comme  le  plus  ancien  des 
officiers -généraux  de  la  première 
guerre  encore  existants  ,  reçut  le 
commandement  en  chef.  Le  21  juin, 
fut  livré  le  combat  de  Roche-Ser- 
vière,  oii  les  Vendéens  firent  inuti- 
lement des  prodiges  de  valeur,  et 
perdirent  le  brave  Suzannet.  Le 
26  juin,  fut  signée  avec  le  général 
Lamarque  la  convention  de  Cholei. 
Les  Vendéens  restaient  sous  les 
armes,  en  attendant  le  dénouement, 
qui  ne  pouvait  se  faire  attendre,  et 
auquel  ils  avaient  puissamment  con- 
tribué par  leur  diversion,  malgré 
les  circonstances  qui  l'entravèrent. 
Ce  mouvement  des  Vendéens  fut  non 
moins  national  que  royaliste.  L'his- 
toire a  conservé  la  noble  proposi- 
tion qu'ils  firent  à  l'armée  de  la 
Loire  de  s'unir  avec  elle,  s'il  en  était 
besoin,  pour  défendre  l'intégrité  du 
territoire  français.  Sapinaud  fut 
nommé  par  Louis  XVllI  lieutenant- 
général  et   inspecteur -général  des 

8. 


116 


SAP 


g,n  ilrs  nationales  du  départeintiil  de 
ia  Vendée.  En  outre,  il  reçut  de  ce 
prince  le  titre  de  pair  de  France  et  le 
cordon  de  commandeur  de   Saint- 
Louis.  Ferdiuaiul  VU  l'avait  décoré 
de  l'ordre  espagnol  de  Charles  Ul. 
Sapinaud  de  la  Rairie  est  ujort  en 
1829.   S'il  n'eut  pas  des  talents  de 
premier  ordre,  son  nom  n'en  est 
pas  moins  associé  dignement  a  la 
gloire  vendéenne.  —  Le  chevalier 
Jules  DE  Sapinaud  de  Boîs-Huguet, 
son  cousin,  né  au  château  de  Morta- 
gne  en  1771,  obtint  une  lieutenance, 
en  1786,  au  régiment  des  chasseurs 
de  Lorraine.  Il  émigra  en  1791,  fit  la 
campagne  de  1792,  et  fut  placé,  à  la 
fin   (le   l'année  suivante,    dans   les 
hussards  de  Choiseul.  La  campagne 
de  1794,  dans  les  Pays-Bas,  lui  four- 
nit l'occasion  de  se  distinguer  d'une 
manière  brillante.  Attaqué  près  de 
Nimègue  par  une  colonne  d'infante- 
rie, et  n'ayant  que  soixante  hommes 
de  son  régiment,  il  lua  de  sa  main 
le    colonel    qui   commandait   cette 
colonne,  la  mit  en  déroute  et  s'em- 
para de  deux   pièces  de  canon.   A 
la  fin   de    1795,   il   passa   dans  la 
Vendée,  à  l'armée  de  Charetîe;  mais 
il  ne  put  partager  que  les  derniers 
efforts  de  ce  général.  Jules  de  Sapi- 
naud est  mort  en   1817.  Son  exté- 
rieur   était  des  plus   heureux:  sa 
conversation  des  plus  attrayantes, 
et  ses  connaissances  dans  l'art  de  la 
guerre  attestaient  des  études  sérieu- 
ses, appuyées  sur   la   pratique.  — 
Madame  Louise  de  Charette,  veuve 
du  lieutenant-général  pair  de  France 
Sapinaud,  et  auteur  de  Mémoires  sur 
la  Vendée ,  suivis  de  notices  sur  les 
généraux  vendéens^  et  d'un  Voyage 
dans  la  Vendée,  par  M.  Sapinaud 
de  Bois-Huguet.  Paris,  1823,   in-12 
et  in-8° ,  est  morte  à  Bourbon-Ven- 
dée, le  19. janvier  1832.  —Son   fils, 


SAP 

le  cht'valirr  S apinm)!)  de  Bois  Mu- 
guet, a  publié  une  nouvelle  édition 
de  ses  Mémoires  en  1834.     M-r-t. 

SAPPA   de'  Milanesi   Jnviziati 
Gorreia  (le  chevalier  Alexandre), 
littérateur  italien,  naquit  le  19  août 
1717,à  Alexandrieen  Piémont,d'une 
famille  très-ancienne.  Plusieurs  de 
ses  ancêtres  s'étaient  distingués  dans 
les  armes  et  les  hauts  emplois  de  la 
magistrature.  Admis  au  collège  des 
jésuites  de  Parme,  il  y  eut  pour  pro- 
fesseur de  belles-lettres  le  fameux 
prédicateur  Geanelli,  qui  lui  donna 
des  soins  particuliers.  11  y  étudia 
aussi  la  jurisprudence  et  surtout  les 
mathématiques,  qu'il  aima  toujours 
de  préférence.  Rentré  dans  le  sein 
de  sa  famille,  il  se  livra  avec  beau- 
coup de  zèle  à  son  talent  poétique, 
et  publia,  sur  la  mort  de   Marie- 
Élisabelh  de  Lorraine,  reine  de  Sar- 
daigne,  plusieurs  pièces  de  vers  qui 
le  firent  admettre,  sous  le  nom  d'Eu- 
maro  Marateo,  à  l'Académie  des 
Arcades  de  Rome  et  dans  celle  des 
Immobiii  de  sa  patrie.  Le  roi  Char- 
les-Emmanuel IlIJe  nomma  réforma- 
teur des  études  des  provinces  d'A- 
lexandrie et  de  la  Lomelline,  charge 
honorable  et  gratuite  qui  lui  donnait 
l'inspection  de  l'enseignement,  qu'il 
exerça  avec  zèle  pendant  28  ans , 
et  ne  quitta  que   lorsqu'il  fut  fait 
majordome.  Toujours  zélé  pour  la 
religion,   il  composa  beaucoup  de 
poésies  en  son  honneur.  Doué  d'une 
modestie  rare,  on  ne  pouvait  jamais 
le  persuader  qu'il  était  éminemment 
poète,  et  qu'il  aurait  pu  égaler  les 
meilleurs   modèles,  s'il  eût  voulu 
mettre  un  frein  à  son  imagination, 
comme  il  a  fait  dans  quelques-uns 
de  ses  sonneis,  parmi  lesquels  on 
distingue  ceux  qu'il  publia  sur  la 
mort  de  son  épouse  et  sur  la  paix 
de  1762.  Il  s'attachait  à  rendre  son 


SAP 

style  plus  touchant  que  hardi,  disant 
qu'un   poète  doit  surtout  exprimer 
les  seniiments  du  cœur,  et  comme 
le  sien  était  si  pur,  si  pieux,  il  en  ré- 
sultait un  genre  de  poésie  qui,  au 
premier  abord,  paraît  froid,  mais 
qui  est  plein  de  délicatesse  et  des 
meilleurs  sentiments.  Il  donna  un 
petit  poème  en  quatre  chants,  inti- 
tulé le  Pèlerin  heureux^  et  dont  le 
sujet  est  un  homme  très-pieux  qui 
va    en  Palestine  visiter    les   lieux 
saints.  Ce  poème  lut  imprimé  à  Tu- 
rin, puis  à  Alexandrie,  et  dans  le 
recueil  des  œuvres  de  l'auteur.  Il  ne 
chanta  jamais  l'amour,  si  ce  n'est 
pour  son  épouse;  et,  dans  les  ten- 
dres sonnets  qu'il    composa    pour 
elle,  il  a  prouvé  ce  qu'il  aurait  pu 
faire  dans  ce  genre.  Tout  entier  à 
des  pratiques  de  piété,  aux  devoirs 
de  sa  charge  et  à  ses  études,  il  vou- 
lut d'abord  vivre  dans  le  célibat  et 
renoncer  à  ses  droits  d'aînesse  en  fa- 
veur de  son  frère;  mais  celui-ci  ayant 
refusé,  Alexandre,  pressé  par  sa  fa- 
mille,  épousa  la  fille  du  marquis 
Gozzani    de    Saint- Georges    dont 
il  eut  beaucoup  d'enfants.  Il  mou- 
rut  le    13  mars  1783.  Ce  fut   un 
jour  de  deuil  pour  les  siens  et  pour 
tout  le  monde  savant.  Sa  nécrologie 
fut  imprimée  dans  le  n°  42  de  PAn- 
thologie   de  Rome,    où,  après  un 


SAP 


117 


éloge  mérité  de  ses  vertus  et  de  son 
savoir,  on  donne  une  notice  de  ses 
ouvrages.  Sa  patrie  honora  sa  mé- 
moire par  une  inscription  sur  mar- 
bre qui  se  conserve  dans  la  salle  de 
Phôlel-de-ville  ;  l'Académie  des  /m- 
mobili   le    célébra    également   en 
prose  et  en  vers  dans  une  séance 
solennelle,  et.tout  cela  fut  imprimé 
en  un  vol.  à  Alexandrie,  1783.  On 
a  fait  quatre  éditions   des  poésies 
d'Alexandre  Sappa  :   r  Rime  del 
sig.  cav.  D.  Àlessandro  Sappa,  pa- 


Irizio  Alessandrino  ed  accademico 
Immobile  con  Vaggiunla  in  fine  di 
alcune  poésie  d^altri  membri  délia 
stessa  Accademia^  Alexandrie,  1772, 
2  vol.  in-8^  II.  Rime,  arrichite  del 
di  lui  elogio  e  di  note  da  un  accade-^ 
mico  Immobile^  dédiées  au  roi  Vic- 
tor-Amédée  III ,  Alexandrie,  1787,2 
vol.in-4^,  avec  portrait  de  l'auteur. 
III.  Rime  scelte^  Gênes,  1788,  1  vol. 
in-8**.  IV.  Poésie  scelle,  Pavie,  1795, 
1  vol.  in-8o.  V.  Des  Poésies    dans 
divers  recueils.  C— -v~i. 

SAPPA    de'  Milanesi  Inviziati 
Gorreta  (Louis),  fils  aîné  du  précé- 
dent, naquit  en  1755.  D'abord  offi- 
cier dans  le  régiment  provincial  de 
Casai,  il  voyagea  en  Italie,  en  France, 
et   fut    présenté   à   Versailles    par 
le  fameux  comte  d'Aranda  à  Louis 
XV  et  à  ses  sœurs.  11  fut,  comme  son 
père,  réformateur  des  études  ,  et  en 
1791,  nommé  gentilhomme  honoraire 
de  la  chambre.  En  1830,  il  reçut  la 
grand'croix    de    Saint- Maurice    et 
Saint-Lazare,  et  en  1833  devint  chef 
de  province  de  cet  ordre.  Il  avait  été 
trois  fois  syndic-maire  dans  sa  pa- 
trie. Fort  instruit  dans  les  mathéma- 
tiques et  surtout  dans  la  mécanique, 
il  cultivaaussi  la  botanique.  Homme 
intègre,  austère  et  religieux,  il  jouit 
de  Pestime  et  du  respect  de  toutes 
les  classes  et  de  tous  les  partis  dans 
les  phases  et  les  vicissitudes  si  fré- 
quentes de  cette  époque,  et  mourut 
le  16  mai  1837,  entouré  et  regretté 
de  sa  nombreuse  famille.  11  s'était 
marié  en  1783  avec  une  demoiselle 
Grimaldi,  sœur  de  celui  qui,  en  1814, 
fut  gouverneur  du  prince  de  Cari- 
gnan, actuellement  roi  de  Sardaigne; 
et,  n'ayant  pas  eu  d'enfants  mâles,  en 
lui  s'éteignit  la  famille  des  Sappa , 
qui  si  long-temps  avait  tenu  un  rang 
distingué  dans  PÉtat.  —  Sappa  de' 
Milanesi  (Charles-Joseph),  frère  du 


118 


SAR 


SAR 


prec<^dent,  lut  aumônier  du  roi,  ei 
plus  tard  (1817)  princ«»-ëvèqued'Ac- 
qui,  où  il  se  distinj^ua  par  ses  vertus 
et  son  zèle  ♦^vangdlique.  il  mourut 
en  1835  dans  un  âge  avancé.  C-v  i. 

SARAKSI  (Aboîjl-Abbas-Ahmed), 
fils  de  Mahomet,  mort  en  286  de 
i'hdgire(899  de  J  -C),  a  fait,  entre 
autres  ouvrages,  deux  livres  sur  la 
Musique^  un  grand  et  un  petit  ;  et 
un  traité  des  Jeux,  dont  celui  des 
Echecs  fait  vraisemblablement  partie. 
Abu! -Parafe  appelle  aussi  notre  au- 
teur Ibn-Tajeb  ;  c'est  par  consé- 
quent le  fameux  philosophe  dont 
d'Hcrbelot  parle  à  Fart.  1026,  qui 
composa  beaucoup  d'ouvrages  en 
divers  genres.  Il  fut  précf'pteur  du 
calife  Motadhed  et  devint  son  confi- 
dent ;  mais  ayant  eu  l'imprudence  de 
révéler  un  de  ses  secrets,  il  fut  tué 
par  ordre  de  ce  calife.  Il  a  écrit  sur 
Vlsagoge  de  Porphyre,  et  a  composé 
un  livre  de  Morale, — Il  y  a  différents 
auteurs  qui  portent  ce  même  nom  de 
Saraksi  ;  \\s>  le  tirent  de  Saraks,  dans 
leKhoraçan,  lieu  de  leur  naissance; 
d'Herbelot  en  fait  mention.  Il  en  est 
un  surtout  plus  renommé  que  les 
autres, c'est  RaMEddin  Mahomet, 
mort  à  Damas  en  571  de  rh<'gire 
(1175  de  J  -€.)  ;  il  est  auteur  du  cé- 
lèbre Mohit^  Océan,  dont  ou  a  fait 
quatre  éditions,  et  d'autres  ouvrages 
sur  la  théologie.  J — n. 

SARBARAZAS.  Voy.  Schahar- 
RAFZ,  XLl,  71. 

SAR€US  (Jean  de),  issu  d'une 
très-ancienne  et  noble  maison  de 
Picardie,  était  fils  d'un  conseiller  et 
chambellandeCharlesVlII.  11  remplit 
les  mêmes  fonctions  auprès  de  Louis 
XII,  fut  capitaine  de  chevau-légers 
et  des  premiers  gens  de  pied  levés  en 
Picardie.  Après  la  mort  de  ce  dernier 
monarque,  il  devint  chambellan  et 
conseiller  ordinaire  de  François  l'^^ 


maître  d'hôtel  de  la  reine  Éléonorc» 
capitaine  de  cinquante  hommes  d'ar- 
mes, etc.,  etc.  Du  Bellay,  auteur 
contemporain  ,  parle  beaucoup  de 
lui  comme  l'ayant  vu  à  l'aclion.  Jean 
de  Sarcus  était  dans  Thérouanne, 
ville  de  l'Artois,  et  avait  charge  de 
cinq  cents  hommes  de  pied ,  lors- 
qu'en  1512,  elle  fut  attaquée  par  les 
Anglais  et  les  Impériaux.  En  1522,  il 
se  jeta  dans  Hesdin  avec  le  c  ipitaine 
Lalande,  étant  à  la  tête  de  quinze 
cents  aventuriers',  et  ils  contribuè- 
rent à  la  belle  défense  de  cette  place, 
dont  l'armée  combinée  de  Charles- 
Quint  et  de  Henri  VIII  leva  le  siège, 
après  avoir  fait  deux  brèches  et  n'a- 
voir osé  donner  l'assaut.  Il  en  était 
gouverneur  en  1526,  et  fit  repentir 
le  seigneur  de  Fiennes,  gouverneur 
de  Flandre,  d'avoir  tenté  une  sur- 
prise. En  1536,  le  comte  de  Nassau 
ayant  attaqué  la  Picardie,  tandis  que 
Charles  Quint,  revenu  de  son  expé- 
dition d'Afrique,  pénétrait  témérai- 
rement en  Provence,  Jean  de  Sarcus 
partit  de  Hain,  avec  mille  hommes  de 
pied  de  la  légion  de  Picardie,  dont  il 
était  capitaine-général,  et  couvrit  si 
bien  sa  marche,  que  passant  à  tra- 
vers les  villages  échappés  à  peine  du 
feu  qu'y  avait  mis  l'armée  de  l'em- 
pereur, il  se  jeta  dans  Péronne,  le 
jour  même  où  le  comte  de  Nassau 
l'investissait.  Dans  le  plan  de  dé- 
fense, Sarcus  fut  chargé  de  la  brèche 
de  la  porte  de  Saint-Fursy.  Le  comte 
de  Nassau  fut  repoussé  partout  avec 
la  plus  grande  vigueur,  et  se  vit 
obligé  de  lever  le  siège,  après  avoir 
fait  sauter  la  grosse  tour,  fameuse 
pour  avoir  servi  de  prison  à  Charles- 
le-Simple  et  à  Louis  XL  C'est  en 
mémoire  et  en  actions  de  grâces  de 
cet  événement  que,  tous  les  anà,  on 
faisait  k  Péronne,  le  jour  de  Saint- 
Fursy,  patron  de  la  ville  (16janvier), 


SAR 

une  procession  précédée  d'une  ban- 
nière sur  laquelle  le  siège  de  la  ville 
était  représenté,  et  où,  entre  autres 
armes,  se  voyaient  celles  du  sieur  de 
Sarcus.  L'année  suivante,  il  joua  en- 
core un  rôle  honorable  au  siège  de 
Hesdin,et  reçut  la  garde  de  la  ville  et 
du  château  lorsque  le  roi  s'en  fut 
rendu  maître.  H  mourut  peu  de  temps 
après.  Il  avait  fait  rebâtir,  en  1522,  'e 
château  dépendant  dft  la  petite  ville  de 
Sarcus,  en  Picardie.  C'est  un  monu- 
ment très-remarquable  de  l'époque 
de  la  renaissance,  enrichi  de  sculp- 
tures beiles  et  variées,  d'ornements 
et  d'arabesques,  plein  d'élégance  et 
de  délicatesse  (1).  Il  laissa  plusieurs 
enfants  de  sa  première  femme,  Mar- 
guerite de  Chabanne,  sœur  du  fa- 
meux maréchal  de  la  Palisse,  entre 
autres,  François  de  Sarcus,  évêque 
du  Puy  en  Velay  el  aumônier  de 
Henri  ll.Cette  famille  subsiste  encore 
aujourd'hui  L— p~e. 

S\RDI  (Thomas  di  Maltco),  né 
à  Florence,  eîubrassa  la  règle  de 
Saint-Dominique,  dans  le  monastère 
de  Sainte  Marie-la-Nouvelle',  et  non 
celle  des  services,  comme  l'a  dit  par 
erreur  le  P.  Possevin.  Altamura,  au- 
teur d'une  Bibliothèque  dominicaine 
très-fautive,  a  commis  une  méprise 
bien  plus  bizarre.  Ayant  lu  dans  le 
Catalogus  de  Pocci<inii  :  Thomas 
Malthœi  de  S ar dis,  ut  alii  habent 
Codices^  il  s'est  imaginé  que  Codices 
était  un  autre  prénom  de  Sardi.  Tho- 
mas était  son  seul  prénom,  Matthieu 
celui  de  son  père,  et  Sardi  son  nom 
de  famille.  Après  avoir  été  reçu 
bachelier  à  l'université  de  Florence, 
en  1486,  Sardi  enseigna  la  théologie 


SAR 


119 


(l)  Les  clfiiiieii  vestigoî.  en  avaient  dispa- 
ru en  i837  ;  iiiiiis  le  baron  de  Tayloi  les  a 
re|)roduitî.  daus  s.n  Vo)  âge  pittoresque  (Mo- 
uuuieul!)  de  Picaidie). 


avec  une  grande  réputation,  consa- 
crant ses  loisirs  à  la  culture  des  let- 
tres, surtout  de  la  poésie  italienne. 
On  vante  la  régularité  de  ses  compo- 
sitions, l'élégance  et  la  pureté  de 
son  style.  11  mourut  dans  le  couvent 
de  Sainte-Marie-la-Nouvelle,   le  27 
oct.  1517,  laissant,  entre  autres  ou- 
vrages, un  poème  intitulé  Anima pz- 
regrina^  divisé  en  trois   livres,  à 
l'imitation  de  la  Divine  comédie  de 
Dante,  qu'il  déclare  avoir  pris  pour 
modèle.  Il  en  existe  quatre  beaux 
manuscrits   dans  les   bibliothèques 
d'Italie.  Le  P.  Vuicent  Fineschi  a  fait 
imprimer  le  poème  de  Sardi  à  Flo- 
rence, en  1780,  sur  l'exemplaire  de 
Sainte  Marie-la-Nouvelle.  —  Louit 
Sabdi,  jurisconsulte,  né  à  Ferrare, 
mourut  en  1445  à  Bologne,  où  il  était 
professeur  de  droit  à  Tuniversitév  II 
a  composé  plusieurs  ouvrages,  dont 
le  plus  connu,  intitulé  :  Dénatura- 
libus  liberis,  de  legitimatione  et  suc- 
cessione  eorum^  a  été   imprimé  à 
Lyon  en  1544. — Pierre  Sardi,  ingé- 
nieur romain,  a  publié  en  italien  : 
1.  Architecture   militaire^  Venise, 
1618,  m-fol.  IL  Traité  de  fortifica- 
tions, Venise,  1627.   111.   Traite  de 
rarti^erie, Bologne, 1659, in-fol.  IV. 
Le  chef  des  bombardiers  examiné  et 
approuvé  par  le  général  de  Vartil- 
lerie.  V.  Discours  sur  les  machines 
de   guerre ,    anciennes   et    moder- 
nes, etc.  —  Joseph  Sardi,  architecte 
de  la  république  de  Venise,  était  né  ii 
Morco ,  près  de  Côme,  et  mourut  en 
1699.  Parmi  les  travaux  qu'il  a  exé- 
cutés à  Venise,  on  distingue  les  fa- 
çades des  Carmes-Déchaussés,  sur  le 
grand  canal,  de  Sainte-Marie  de  ?o- 
benigo,  de  l'Hôpital  des  mendiants, 
etc.  P^RT. 

SAHIS  (John),  capitaine  anglais, 
avait  déjà  fait  quelques  Voyages  ei 
avait  été  facteur  à  Banlain  en  1G08, 


120 


SAR 


SAK 


lorsque,  h;  18  avril  1611,  il  partit  des 
Dunes  pour  retourner  aux   Indes, 
ayant  sous  ses  ordres  trois  vaisseaux, 
au  nombre  desquels  était  le  Clove, 
qu'il  commandait.  Le  9  août,  il  doubla 
le  ca p  de  Bonne-Espérance,  et  au  mois 
d'octobre  1612,  il  s'arrêta  à  Mœli  ou 
Molalia,  une  des  îles  Comores,  pour 
y  faire  des  provisions.  Le  roi  alla  le 
visiter  à  son  bord,  accepta  quelques 
présents,  et  lui  demanda  une  lettre 
attestant  la  manière  amicale  dont  il 
avait  été  reçu,  afin  de  pouvoir  la 
montrer  aux  Anglais  qui  dans  la  suite 
mouilleraient  sur  cette  côte.  Saris  y 
consentit,  mais  il  insinua  dans  sa 
lettre  qu'il  était  prudent  de  ne  pas 
trop  se  fier  à  ces  insulaires ,  sans 
avoir  des   forces   respectables.   La 
traversée  fut  assez  heureuse  jusqu'à 
l'île  de  Socotora,  oii  le  sultan  émir 
Eben-Sa'id  accueillit  les  Anglais  avec 
toutes  sortes  de  témoignages  d'ami- 
tié. Il  leur  présenta  une  lettre  de 
Henri  Middieton  {voy,  ce  nom, XXIX, 
1),  du  l®""  septembre  1611,  par  la- 
quelle cet  amiral  informait  ses  com- 
patriotes des  malheurs  qu'il  avait 
éprouvés  dans  la  mer  Rouge  et  de  ce 
qu'on  y  avait  à  craindre  de  la  part 
des  Turcs.  Cependant,  comme  Saris 
était  muni  d'un  passe-port  du  grand- 
seigneur,  il  résolut,  de  l'avis  de  son 
conseil,  d'entrer  dans  cette  mer  et 
d'y  faire  le  commerce  de  dessus  les 
vaisseaux.  On  partit  donc,  et  l'on 
arriva  enfin   à  travers  les  détroits 
dans  la  rade  de  Moka.  Hyder-Aga, 
qui  en  était  gouverneur,  envoya  re- 
connaître à  quelle  nation  les  navires 
appartenaient,  puis  il  invita  les  An- 
glais à  descendre  à  terre  en  leur  of- 
frant des  otages,  qui  vinrent  effecti- 
vement à  bord.  Alors  Sans  se  rendit 
chez  raga,qui  lui  fit  une  réception 
des  plus  flatteuses,  lui  donua  un  re- 
pas n)agmlique»  et  le  pria  d'oublier 


tout  ce  «jue  Henri  Middieton  avait  eu 
à  souffrir  de  la  part  du  précédent  gou- 
verneur, qui  avait  été  destitué.  Mal- 
gré ces  démonstrations  bienveillan- 
tes, Saris,  prévenu  par  un  Arabe  (jne 
l'aga  et  ses  gens  n'étaient  pas  très- 
fidèles  à  tenir  leur  parole,  hésitait  à 
débarquer,  lorsqu'il  apprit  que  Mid- 
dieton croisait  à  l'entrée  de  la  mer 
Rouge.  Sur  les  instances  de  celui-ci 
il  alla  le  trouver,  et  ils  tirent  en!^em- 
ble  quelque  commerce  en  n»er.  Peu 
après,  Saris  quitta  le  détroit,  revint  à 
Socotora,  puis  se  dirigea  sur  Bantam, 
d'où  il  fit  partir  deux  de  ses  vaisseaux 
pour  l'Angleterre,  gardant  le  troi- 
sième pour  le  voyage  du  Japon.  Pen- 
dant sa  route  il  s'arrêta  dans  quel- 
ques-unes des  îles  Moluques ,  où  il 
fut  bien  accueilli  par  les  indigènes, 
ainsi  que  par  les   Hollandais  et  les 
Espagnols  qui  occupaient  des  forts. 
Enfin,  le  10  juin  1613,  il  arriva  vis- 
à-vis  de  Nangasaki,  port  du  Japon 
sur  la  côte  occidentale  de  l'île  de 
Ximo.  Deux  pilotes  de  cette  nation 
le  conduisirent  jusqu'à  Firando,  qui 
est  à  trente  lieues  vers  le  nord.  Le 
roi  de  cette  île  vint  le  visiter  à  bord, 
avec  ses  femmes  qui  chantèrent  en 
s'accompagnant     d'instruments    de 
musique.  Ce  prince,  pour  varier  les 
amusements,  fit  venir  aussi  sur  le 
vaisseau  des  comédiennes  nomades 
qui  donnèrent  des  représentations 
dramatiques.    Le    capitaine  anglais 
remarque,  dans  sa  relation,  que  ces 
femmes  si  fêtées,  si  bien  payées,  et 
pour  lequelles  les  seigneurs  japonais 
oublient   quelquefois    des    épouses 
belles  et  vertueuses,  sont  cependant 
réputées  infâmes,  et  qu'après  leur 
mort   on  traîne   ignominieusement 
leurs  corps  à  la  voirie.  Saris  reçut 
encore  un  grand  nombre  de  visites, 
entre  autres  celles  de  quelques  da- 
mes japonaises  nouvellement  conver- 


SAR 

ties  au  christianisme  par  les  jésuites. 
Un  tableau  de  Vénus  et  de  Cupidon 
qu'il  avait  dans  sa  chambre  ayant 
été  pris  par  elles  pour  une  image 
de  la  Vierge  et  de  l'Enfant  Jésus,  elles 
se  mirent   à  genoux  et  firent  des 
prières.  Les  Anglais  craignant  de  se 
rendre  le  peuple  contraire,  en  décla- 
rant le  schisme  qui  les  sépare  des 
catholiques,    laissèrent    les   dames 
dans  l'erreur,  et  continuèrent  a  pré- 
senter ce  tableau  pour  un  sujet  de 
piété.  Quand  ils  furent  descendus  à 
terre,  le  roi  leur  donna  un  grand 
festin  et  leur  accorda  un  logement. 
Après  avoir  fait  un  commerce  assez 
lucratif,  Saris  s'embarqua  le  2  août 
1613,  pour  Méaco,  dans  l'île  de  Ni- 
phon,  où  il  arriva  sans  accident.  Il 
demanda  et  obtint  une  audience  de 
l'empereur,  qui  tenait  sa  cour  à  Sa- 
ronga  et  auquel  il  remit  une  lettre 
du  roi  d'Angleterre  ;  puis  il  se  rendit 
à  lédo,  où  résidait  le  fils  du  monarque 
japonais,  et  fut  aussi  bien  reçu  par 
ce  jeune  prince  qu'il  l'avait  été  par 
son  père.  Peu  de  temps  après,  le  ca- 
pitaine anglais  se  disposant  à  partir, 
l'empereur  lui  donna  une  lettre  pour 
le  roi  d'Angleterre,  accompagnée  de 
riches  présents,  et  de  plus  une  com- 
mission pour  confirmer  l'établisse- 
ment de  son  commerce  au    Japon. 
Les  choses  ainsi  arrangées,   Sarijs 
retourna  d'abord  à  Firando  où,  pen- 
dant son  absence,  le  principal  fac- 
teur Cocks   avait  eu   la    garde  du 
comptoir  5  il  lui  laissa  de  nouveau  la. 
gestion  des  affaires.  Tranquille  alors 
sur  l'état  du  commerce  de  sa  nation, 
charmé  d'avoir  contribué  à  sa  pros- 
périté en  ouvrant  la  route  du  Japon, 
il  s'embarqua  pour  l'Europe  et  re- 
vint dài"s  sa  patrie  en  I615.  Sa  rela- 
tion a  été  insérée  avec  celles  de  Henri 
et  de  David  Middleion  dans  plusieurs 
recueils  de  voyages.  M— le. 


SAR 


121 


SARliAN    (Jean-Raimond- Pas- 
cal) fut  l'un  de  ces  écrivains  qui 
servirent  le  gouvernement  de  la  Res- 
tauration, en  quelque  façon  malgré 
lui,  et  n>'en  essuyèrent  que  des  per- 
sécutions et  des  injures,  et  qui,  après 
sa  chute,  furent  en  butte  à  toutes 
les  vengeances  de  ses  ennemis.  Né  à 
Montpellier  vers  1780,  fils  d'un  no- 
taire de  cette  ville,  il  y  fit  de  très- 
bonnes  études  et  se  destinait  à  la 
carrière  du  barreau,  lorsque  le  gou- 
vernement impérial  fut  renversé,  en 
1814.11  embrassa  très  chaudement  la 
cause  de  la  Restauration,  et  fit  jouer 
dans  la  même  année,  ave^c  M.  Brunier, 
unecomédie-vaudevilleintitulée  :  Le 
premier  avril,  ou  le  Retour  des  Bour- 
bons. S'étant  ensuite  rendu  dans  la 
capitale,  il  y  concourut  à  la  rédac- 
tion de  plusieurs  recueils  et  jour- 
naux royalistes,  entre   autres,   le 
Conservateur,  la  Dominicale,  la  Bi- 
bliothèque   royaliste^   et  enfin  le 
Drapeau- Blanc ,  avec  Martainville 
{voy.  ce  nom,  LXXIII,  217).  Il  prit 
beaucoup  de  part  à  la  défense  de 
Canuel  et  des  autres  militaires  que  le 
ministère  avait  destitués  pour  avoir 
réprimé  la  révolte  de  Lyon  [voy, 
Sainneville,  LXXX,   281),   et  fut 
compromis  avec  ce  général  dans  la 
conspiration  du  bord  de  l'eau,  si  ri- 
diculement imaginée  par  la  police  de 
ce  temps- là.  Plus  malheureux  encore 
après  la  révolution  de  1830,  Sarran 
vécut  presque  dans  le  besoin  ;  néan- 
moins, fidèle  à  ses  convictions,  il  ne 
voulut   accepter  aucune  place    du 
nouveau  gouvernement,  et  se  mêla 
d'une  manière  très-active  à  toutes 
les  entreprises  du  parti  légitimiste. 
11  fut  alors  chargé  de  diverses  mis- 
sions, soit  auprès  de  la  duchesse  de 
Berry,  soit  auprès  de  Ferdinand  VII, 
qui   le  décora  de  l'ordre   de  Char- 
les IlL  11  eut  aussi  à  cette  époque 


122 


SAR 


SAR 


quelques  d(*mêMs  avec  la  justice,  et, 
compromis  dans  différentes  affaires, 
il  subit  plusieurs  mois  de  prison. 
Sur  la  fin  de  sa  vie,  il  parut  avoir 
abandonné  entièrement  la  politique, 
et  mourut  à  Paris  en  juin  1844  Ses 
ouvrages  imprimés  sont  :  I.  Le  Pre- 
mier avril,  ou  le  Retour  des  ïhmr- 
bons,  comédie-vaudeville,  Montpel- 
lier, 1814,  in-80. 11.  Noticesur  M.  le 
vicomte  de  Chateaubriand .  pair 
de  France,  Montpellier,  1817,  in-«". 
Ilï.  Association  constitutionnelle 
pour  la  défense  légale  des  intérêts 
légitimes^  ou  Mémoire  pour  servir  à 
L'histoire  de  la  bascule  ministériel- 
le, etc., Paris,  1821,  in-8*».  IV.  Delà 
nécessité  et  de  la  légalité  des  de- 
mandes en  indemnités,  à  raison  des 
biens  vendus  par  VÈtat,  et  de  toutes 
autres  réclamations  légitimes  à 
poursuivre  par  toutes  voies  et  con- 
tre qui  de  droit,  au  nom  d'émigrés 
ou  autres  Français  dépossédés,  Pa- 
ris, 1821,  in  S''.  V.  Démenti  formel 
donné  à  MM.  Manuel  et  Benjamin- 
Constant,  Paris,  1822,  in-8°.  VI.  Ob- 
servations sur  la  saisie  du  Régula- 
teurt  Paris,  1822,  in-S".  VII.  Rela- 
tion de  la  fête  célébréepar  une  société 
agamis  de  la  légitimité.,  Sous  la  pré- 
sidence de  M.  Sarran,  le  15  octobre 

1823,  jour  de  la  fête  de  S.  A.  R. 
Madame,  en  réjouissance  des  vic- 
toires de  l'armée  française  et  de 
rheureuse  délivrance  des  Bourbons 
d'Espagne,  Paris,  1823,  in -8*'.  Vîll. 
Appel  d'intérêt  public  au  gouverne- 
ment contre  le  ministère.  Paris,  1824, 
in-8o.  IX.  Le  cri  d'indignation  con- 
tre la  censure,  1824,  in-8".  X.  De 
l'état  actuel  de  la  liberté  de  la  presse, 
Paris,  1824,  in-8  .  XL  Des  marchés 
Ouvrard  et  de  l'esprit  politique  et 
financier   de  M.  de   ViUJle,  Paris, 

1824,  in-S".  XII.  Du  ministère  Vil- 
lèle  et  de  ées  œuvres,  1825,  in-8". 


XriL  Défense  de  la  liberté  de  la 
presse  contre  les  attaques  de  M  de 
Ronald:  tH'H\,  ii)-8o.  XIV.  Pétition 
d'urgence  à  la  Chambre  des  pairs^ 
sur  l'inhabilité  de  la.  Chambre  des 
députés  actuelle  et  sur  la  nécessité 
immédiate  d'une  Chambre  nouvelle, 
qui  remplisse  les  conditions  consti- 
tutionnelles et  légales,  Paris,  1827, 
iii  8°.  XV.  Le  Mal  et  le  Remède, 
Paris,  1827,in-8°.  XVI.  De  IHnsur- 
riction  et  de  la  légitimité.,  appel  à  la 
raison  sur  Vétat  présent  de  la  Fran- 
ce^ Paris,  1832,  iii-S".  On  attribue 
à  Sarrau  la  réfutation  d'une  partie 
de  VHermite  en  province,  de  Jouy, 
réfutation  publiée  sous  l'initialeS***, 
1818,  iu-8''.  — Sarran,  professeur  et 
(léu)onstrasteur  de  chirurgie  à  Mont- 
pellier, de  la  même  famille  que  le 
précédent,  a  publié  dans  cette  ville, 
en  1789,  des  dissertations  chirurgi- 
cales, in-8<>.  M— D  j. 

SARRASIN ,  en  latin  Sarrace- 
nus  (  JEAN-ANTomE),  né  à  Lyon  en 
1548,  était  issu  d'une  ancienne  fa- 
mille établie  en  cette  ville  et  qui  a 
produit  plusieurs  personnages  dis- 
tingués. Fils  d'un  médecin,  il  suivit 
la  fTîême  carrière,  prit  le  grade  de 
docteur  à  la  faculté  de  Montpellier 
en  1573,  et  mourut  en  1602.  Il  avait 
publié  De  Peste  commentarius,  Ge- 
nève ,  1571,in-8o;  Lyon,  1572  et 
1589,  in-8o.  On  lui  doit  aussi  une 
édition  esliuiée  de  Dioscorides,  De 
materia  medica,  avec  le  texte  grec, 
une  version  liiîine  et  des  scholies, 
dédiée  à  Henri  IV,  Francfort,  1598, 
in-lol.  —  Philibert  Sarrasin  ,  fils 
du  précédent,  professa  la  méde- 
cine à  Lyon,  et  il  écrivit  :  l**  De 
laits  lumbricis  historia  ;  "l"  Epis- 
toia  de  notis  l'apidis  Bezoar  ;  De 
vomitu  admirando ,  etc.  Ces  opus' 
cules  ont  été  insérés  dans  les  Ob- 
servationum  centuriœ  de  Fabrice*  d' 


SAR 


SAR 


12â 


Hilden  (voy.  ce  nom,  XIV,  42).  — 
Louise  Sarrasin,  sœur  de  Jean-An- 
toine ,  s'est    rendue  célèbre  par  ses 
connaissances  dans  les  langues  an- 
ciennes. Dès  Vàs:e  de  huit  ans,  elle 
savait,  dit-on,  l'hébreu,  le  grec  et  le 
latin,  que  son  père  lui  aVait  appris. 
Elle  le  suivit  à  Genève  en  1551,  où 
elle  épousa  Larchevêque  ;  fut  mariée 
ensuite  à  Etienne  Leduchat,  înérfe- 
cin,  et  enfin  à  Marc  Offredi,  médecin 
de  Crémone,  qui,  étant  devenu  aveu- 
gle, se  faisait  lire  par  sa  fensme  les 
médecins  grecset  latins.  Louise  mou- 
rut dans  un  âge  très-avancé  —  Jean 
Sarrasin,  de  la  même  famille  que 
les  précédents,  syndic  de  la  répu- 
blique de  Genève,  éîait  né  dans  cette 
ville  en  1576,  et  y  mourut  en  1032. 
Il  avait  publié,  par  ordre  du  conseil  : 
ie  Citadin  de  Genève  en  réponse  au 
Cavalier  de  Savoie  ,  Paris  ,  1606  , 
in-S».  C'est  une  réfutation  de  l'ou- 
vrage de  Marc-Anioine  de  Buttet 
(  voy.  ce  nom,  VI,  397  ),  rebtif  aux 
prétentions  des  ducs  de  Savoie  sur 
le  pays  de  Gefiève.  —  Michel  Sar- 
rasin, né  à  JNuits,  en  Bourgogne,  le 
5  septembre  1659,  exerça  d'abord 
la  chirurgie^   puis    des  motifs   de 
piété  le  portèrent  à  entrer  au  sémi- 
naire des  Missions  étrangères  \  mais, 
après  un  an  d'épreuve,  le  supérieur, 
qui  avait  reconnu  son  goût  et  ses 
heureuses  dispositions  pour  l'art  de 
guérir,  lui  conseilla  de  suivre  la  car- 
rière médiCdle,  et  Sarrasin  déféra  à 
cet  avis.  Ayant    passé    au   Canada, 
qui  alors  appartenait  à  la  France,  il 
s'y  maria  et  y  exerça  avec  succès  la 
médecine  et  la  chirurgie.  Louis  XiV 
le  nomma  médecin  du  roi  et  membre 
du    consfeil    souverain    de  Qiirbec. 
C'est  ià  quHl  mourut  en  1736.  Mal- 
gré son  éloignement ,  il   avait  tou- 
jours conservé  des  relations  avec  les 
savaDls  de  i'aris  et  de  la  France.  On 


a  de  lui  :  I.  Histoire  du  castor,  im- 
primée dans  VHist.  de  l'Acad.  des 
sciences  y  1704,  et  insérée   presque 
entièrement  dans  le  Traité  des  dro- 
gues simples  de  Nie.  Lémery,  édit. 
de  1733.  H.  Remarques  sur  une  es- 
pèce d'érable  de  l'Amérique  septen- 
trionale^ etc.,  dans  VHist  del'Acad. 
des  sciences,    1730.    III.    Histoire 
d'un  animal  qu'on  peut  appeler  Rat 
d'Amérique,  assez  semblable  à  celui 
que  Raïus  a  décrit  sous  le  nom  de 
Mus  Alpinus ,  dans  le  Journal  des 
Savants  de  1718.  IV.  Certificat  sur 
la  découverte,   dans   le  caveau  de 
l'hôpital  près  de  Québec,  des  corps 
entiers  de  trois  religieuses  enterrées 
depuis  plus  de  vingt  ans  et  couverts 
de  chaux  vive,  dans  \es  Mémoires  de 
Trévoux^  aovit  i728.  V.  Lettre  sur 
les  eaux  du   cap  de   la  Madeleine, 
ibid. ,  mai   1736.  Sarrasin  a  laissé 
minuscritun  traité  sur  la  pleurésie, 

P— RT. 

SARRASIN  (  Pierre  ;,  acteur,  né 
à  Dij(m,se  passionna  dès  sa  jeunesse 
pour  le  théâtre,  et  joua  la  comédie 
avec  applaudissement    dans    quel- 
ques société.*  particulières.  Encou- 
ragé par  ces  premiers  succès,  il  vint 
à  Paris  en  1729  5  et,  quoiqu'il  n'eût 
encore  paru  sur  aucun  théâtre  pu- 
blic, il  obtint  la  permission  de  dé- 
bfiter  à  la  Comédie  française,  par  le 
ïôle  d'OEûf/pe,  dans  la  iragédie  de 
Pierre  Corneille.  Sfirrasin  y  fut  ac- 
cueilli avec  la  plus  grande  faveur, 
enleva  tous  les  suffrages,  et  dès  lors 
fut  admis  au  nombre  des  comédiens 
ordinaires  du  roi.  Après  la  mort  de 
Baron,  auquel  ri  rtvait  toujours  été 
très-attaché,  il  le  ren>plaça  dans  les 
rrdes  de  rois;   il  jouait  aussi  avec 
beaucoup  de  sentiment  ks  rôles  de 
pères  dans  la  haute  comédie.  Cet  ac- 
teur était  fort  goûté  du  public  :  il 
avait  du  naturel,  de  la  facilité,  son 


124 


SAR 


SAR 


♦expression  ëlait  parfois  vive  et  pa- 
thétique, mais  son  jeu  ne  se  soute- 
nait pus.  On  rapporte  qu'à  une  répé- 
tition dé  la  tragédie  de  ^rufu«,  Vol- 
taire, qui  avait  ciiargé  Sarrasin  du 
premier  rôle,  ne  trouvant  pas  qu'il 
rendît  avec  assez  d'énergie  ni  avec 
assez  de  noblesse  l'invocation  au 
dieu  Mars ,  l'apostropha  brusque- 
ment: «Songez  donc,  lui  dit-il, que 

•  vous  êtes  Brutus,  le  plus  ferme  de 
«tous  les  consuls  de  Rome,  et  ne 
«  parlez  pas  au  dieu  Mars  comme  si 
«  vous  disiez  :  Ah!  mon  patron,  fai- 
«  tes-moi  gagner  à  la  loterie  un  lot 

•  de  cent  francs.  *  Sarrasin  obtint, 
en  1756,  une  pension  de  mille  francs, 
qui  fut  portée  à  quinze  cents,  en 
1759,  lorsqu'il  se  retira  du  théâtre 
pour  cause  d'une  extinction  de  voix. 
11  mourut  en  1763.  P— rt. 

SARRAZm  (le  comte  Gilbert 
de),  d'une  famille  noble  d'Auvergne, 
était  né  en  1731.  Il  entra  fort  jeune 
dans  le  régiment  de  Noailles-Dra- 
gons',  devint  colonel ,  se  maria  dans 
le  Vendômois  et  demanda  sa  retraite. 
En  1789,  il  fut  élu  député  de  la  no- 
blesse de  Vendôme  aux  États-géné- 
raux, où  il  montra  des  vues  sages 
et  un  esprit  conciliant.  En  1791 
il  abandonna  la  scène  politique , 
et  émigra  durant  la  Terreur.  Ren- 
tré plus  tard  en  France  ,  il  resta 
dans  la  vie  privée  jusqu'à  la  se- 
conde Restauration.  En  septembre 
1816,  le  roi  le  nomma  président  du 
collège  électoral  de  Loir-et-Cher.  Il 
mourut  quelques  années  après  dans 
un  âge  fort  avancé.  —  Son  tils  aîné, 
M.  Adrien  de  Sarrazin,  né  en  1773, 
bien  qu'ayant  fait  seséludesà  l'école 
militaire  de  Vendôme,  puisa  Brienne, 
ne  prit  pas  de  service  :  il  se  voua  à 
la  carrière  des  lettres  et  commença 
à  se  faire  connaître  en  1802  par  une 
imitation  des  Quatre  Printemps  de 


Kleisf ,  du  Premier  Navigateur  et  du 
Tableau  du  déluge  de  Gessner,  et 
du  Cimetière  de  campagne  de  Gray; 
puisil  publia  unedéfense  du  poème  de 
la  Pitié  deDelille.  Après  la  Restau- 
ration, M.  Decazes,  son  condisciple  u 
Vendôme,  lui  donna  dans  ses  bu- 
reaux une  place  qu'il  conserva  jus- 
qu'en 1820.  Depuis  ce  temps  il  vécut 
dans  la  retraite.  En  1826,  il  a  pan; 
un  recueil  de  ses  OEuvres ,  6  voL 
in-18.  Z. 

SARRAZIN  (Jean),  général  frau>- 
çais  dont  la  carrière  publique  comme- 
la  vie  privée  ont  mérité  d'être  flétries> 
était  né  à  Saint-Sylvestre  (Lot-et~ 
Garonne),  le  15  août  1770,  d'un  sim- 
ple cultivateur,  qui  lui  fit  cependant 
donner  une  assez  bonne  instruction 
au  collège  de  Cahors.  En  1786,  il 
s'engagea  dans  le  régiment  de  Co- 
lonel-Général-Dragons ;  mais  l'an- 
née suivante,  renonçant  à  i'état 
militaire,  il  alla  s'établir  à  la  Réoie» 
où  il  donna  des  leçons;  puis  il  de- 
vint gouverneur  du  comte  de  Ver- 
duzan.  En  1790,  il  entra  au  collège 
de  Sorrèze,  en  qualité  de  professeur 
de  mathématiques.  Cette  mais«n  , 
comme  toutes  les  écoles  militaires 
de  cette  époque,  était  dirigée  par  des 
religieux  (les  bénédictins),  ce  qui  a 
fait  dire  à  tort  qu'il  avait  été  moine. 
Il  n'y  resta  que  peu  de  temps,  et  de 
1791  à  1792,  il  fut  précepteur  des 
tils  du  prince  de  Béthune.  C'était 
alors  l'époque  des  enrôlements  vo- 
lontaires, et  il  partit  pour  l'armée 
du  Nord.  Il  se  trouvait  à  Châlons, 
chargé  d'instruire  les  aspirants  à 
l'école  d'artillerie,  lorsque  les  habi- 
tants de  cette  ville,  après  la  prise  de 
Verdun,  formèrent  un  bataillon  dont 
ils  l'élurent  adjudant-major. Au  com- 
mencement de  1793,  il  commandait 
à  Metz  une  compagnie  franche , 
quand  il  fut  cassé  par   le  général 


SAR 

Bouchard,  pour  avoir  pria  paft  à  un 
inouvementséditieux.C'estdu  moins 
l'opinion  du  général  Clarke,  dans  le 
rapport  dont  nous  aurons  plus  loin 
occasion  de  parler  j  mais  nous  croyons 
plus  exact  de  dire  que  ce  fut  à  la 
suite  de  la  mesure  qui  excluait  les 
oificiers  nobles  de  l'armée  que  Sar- 
razin  se  vit  obligé  d'abandonner  son 
grade  ;  il  passait  alors,  maigre  ses 
dénégations,  pour  fils  du  comte  de 
Sarrazin,  émigré.  11  reprit  du  service 
comme  simple  soldat,  et  rejoignit 
la  compagnie  des  chasseurs   de  la 
Gironde  à  l'armée  de  l'Ouest  ;  dans 
.cette  campagne  contre  les  Vendéens, 
il  fut  remarqué  de  Marceau,  qui  le 
prit  pour  secrétaire  et  le  fit  officier  de 
son  état-major,  tandis  que  Kléber  lui 
confia  la  mise  au  net  de  ses  notes  sur 
le  siège  de  Mayence  et  la  guerre  de 
la  Vendée.  En  même  temps,  il  com- 
mença, sous  la  direction  de  ces  deux 
généraux,  un  ouvrage  intitulé  :  In- 
slructions  pour  les  troupes  en  cam- 
pagne.En  avril  1794  ,il  suivit  Marceau 
à  l'armée  du  Nord,  et  assista  à  la  ba- 
taille de  Fleurus.  Cinq  mois  après,  il 
fut  nommé  adjoint  de  première  classe 
au  corps  du  génie,  et  Jourdan  le 
chargea  d'opérer  la  jonction  de  l'ar- 
mée de  Sambre-et-Meuse  avec  celle 
de  la  Moselle,  mission  dont  il  s'ac- 
quitta à  la  satisfaction  du  général  en 
chef.  A  l'attaque  de  Coblentz,  il  en- 
leva les  redoutes  du  pont  de  la  Mo- 
selle, et  reçut  pour  cette  action  le 
grade  de  chef  de  bataillon  \  puis  au 
siège  de  Maestricht  celui  de  chef  de 
brigade.  Il  servit  ensuite  à  la  gauche 
de  l'armée  de  Sambre-et-Meuse,  sous 
Kléber,  qui  le  désigna  pour  préparer 
le  premier  passage  du  Rhin,  à  Ordin- 
gen,prèsdeDusseldorf,  en  septembre 
1795.  L'année  suivante,  il  remplit  au- 
près de  Bernadotte  les  fonctions  de 
chef  d'état-major,  dans  la  campagne 


SAR 


125 


d'Allemagne;  puis,  en  1797,  il  l'ac- 
compagna à  l'armée  d'Italie.  Après 
les  préliminaires  de  Leoben,  il  fut 
nommé  gouverneur  d'Udine.  Comme 
Bernadotte,  il  refusa  de  s'associer  à 
Bonaparte    dans   l'expédition    d'E- 
gypte ;  on  l'envoya  alors  à  Rochefort, 
avec  un  commandement  dans  la  divi- 
sion Humbert,  qui  fut  appelée  à  faire 
partie     du     corps    expéditionnaire 
d'Irlande.  Cette  troupe  ,  composée, 
comme  on  sait,  du  rebut  des  armées 
républicaines,  débuta  par  des  pro- 
diges de  valeur.  Après  avoir  débarqué 
en  Irlande,  elle  y  remporta  d'abord 
plusieurs  victoires,  et  Sarrazin  se 
distingua  particulièrement  à  la  prise 
de  Killala  (août  1798)  et  à  l'affaire  de 
Castlebar,  ce  qui  lui  valut  du  général 
Humbert  le  grade  de  général  de  bri- 
gade, et  immédiatement  celui  de  gé- 
néral de  division.  Bientôt  cette  petite 
armée  se  vit  forcée  de  mettre  bas  les 
armes,  mais  Sarrazin  resta  un  mois 
à  peine  prisonnier,  et  il  fut  échangé 
comme  général  de  division.  Néan- 
moins, le  gouvernement  directorial 
ne  se  montra  pas  du  tout  disposé  à 
ratifier  son  avancement  si  rapide,  et 
il  l'envoya  à  l'armée  d'Italie.  Joubert 
le  chargea  de  conduire  un  corps  à 
l'armée  de  Rome,  avec  laquelle  il  fit, 
sous  Champiouuet,  la  campagne  de 
Naples,  en  1799.  11  mérita  d'être  mis 
à  l'ordre  du  jour  pour  avoir  défait 
une  bande  de  Napolitains  insurgés; 
il  combattit  ensuite  à  la  Trébia,  y  fut 
blessé  et  nommé  général  de  brigade 
sur  le  champ  de  bataille.  Rappelé 
alors,  on  le  désigna  pour  l'armée  de 
Suisse;  mais,  à  son  passage  à  Paris, 
il  trouva  Bernadotte  au  département 
de  la  guerre  :  c'était  son  ami,  son 
ancien  général.  Devenu  ministre,  il 
lui  confia  le  bureau  du  mouvement  des 
troupes,  puis  celui  des  nominations. 
Sarrazin  révèle  ici  dans  ses  notes  un 


m 


SÂR 


tait  curieux  :  il  dit  qu'à  cette  époque 
les  Jacobins  voulaient  culbuter  le 
Directoire  pour  élever  au   pouvoir 
Jourtlan,  Augereau  et  Bernadotte,  et 
que  le  ministère    de    la  guerre   lui 
était  desliné.  Initié  à  ces  projets  par 
Bernadotle ,  il  ajoute  qu'il  crut  de 
son  devoir  de  tout  dénoncer ,  et  il 
juformadu  complot  Barras  et  Sieyès. 
Certes,  ce  plan  existait  ;  mais  nous 
croyons  que  Sarrazin   s'y  place  sur 
une  trop  grande  échelle;  toujours 
est-il   qu'il   ne  joua   pas    un  beau 
rôle  en  s'en  faisant  le  dénonciateur, 
surtout  lorsqu'il  en  tenait  les  détails 
de  l'amitié  et  de  la  confiance  d'un 
des  premiers  intéressés  à  sa  réus- 
site.  On  lui   offrit   en    récompense 
l'ambassade  de  Hollande,  qti'il  refu- 
sa. Bonaparte  étant  revenu  d'Egypte, 
Sarrazin  se  rapprocha  de  lui,  et  sans 
participer  au  18  brumaire  d'une  ma- 
nière aussi  active  qu'il  a  bien  voulu 
le  faire  croire,  il  n'y  fit  aucune  op- 
position ;  on  le  vit  même  travailler 
à  opérer   un   rapprochement  entre 
Bonaparte,  devenu  premier  consul, 
et  Bernadotle,  avec  qui  il  resta  tou- 
jours lié,  soit  que  le  i^énéral  feignît 
de  ne  point  avoir  eu  connaissance  de 
ses  révélations  passées,  soit  qu'il  les 
ignorât  réellement.  Il  fut  donc  l'in- 
termédiaire entre  le  consul  et  Ber- 
nadotte,  qui  accepta   la  présidence 
de  la  section  de  la  guerre  au  conseil 
d'État,  puis  le   commandement  de 
l'armée  des  Côtes.  Ceci  dut  étonner 
les  fiers  républicains  :  Bernadotle  ne 
b'élait-il  pas  montré  l'adversaire  le 
plus   hardi   de  Bonaparte,  au  point 
de  se  poser  comme  son  rival  (l)  la 
veille  et  le  jour  même  de  son  triom- 


SAR 

phe  kSaint-Cloud  ?  Aussi  cette  récon- 
cilialion  fut  loin  d'être  sincère  :  les 
événements  ultérieurs  en  fournirent 
assez  la  preuve.  Il  en  fut  de  même 
avec  le  général  Moreau,  à  qui  Bo- 
naparte confia  l'armée  du  Rhin  -,  Sar- 
razin y  servit  un  instant;  mais  en 
avril  1800,  Bernadotle  lui  donna  le 
commandement  de  dix  mille  grena- 
diers réunis  au  camp   d'Amiens.  Il 
les  mena  à  l'armée  d'Italie,  où  une 
rivalité  s'établit  entre  lui  et  Murât, 
ce  qui  le  détermina  à  demander  son 
retour  en  France,  où  il  fut  mis  à  la 
réforme.  Cependant  le  rapport  du 
général  Clarke,  déjà  cité,  dit  for- 
mellement qu'il  fut  rappelé,  et  de 
plus  rayé  du  tableau  de  l'état-major- 
général,  par  suite  de  dénonciations 
calomnieuses  dont  il  était  l'auteur. 
Cette  imputation  n'est  pas  prouvée, 
mais  son  caracière  turbulent  et  tra- 
cassiersuffirait  pour  la  faire  adopter. 
Alors  il  s'occupa  exclusivement  d'é- 
tudier les  auteurs  qui  ont  écrit  sur 
l'art  de  la  guerre,  et  publia  beaucoup 
d'articles  dans  le  Guide  du  jeune  mi- 
litaire. Il  sollicita  ensuite  d'être  em- 
ployé en  Amérique  ou  dans  les  Indes 
orientales,  puis  demanda  la  permis- 
sion d'entrer  au  service  de  la  répu- 
blique batave.  Elle  lui  fut  accordée, 
mais  resta  sans  etfel,  parce  que,  en 
1802,  on  le  rétablit  dans  son  grade  de 
général  de  brigade.  La  cause  en  est 
sans  doute  qu'il  eut  le  bon  esprit  de 
se  rallier  au  pouvoir  consulaire  que 
dans   son   mécontentement  il  avait 
considéré  comme  usurpateur,  et  de 
saisir  plusieurs  occasions  de  mani- 
fester ses  sympathies  pour  iegouver- 


(î)  Nous  ptiunious  douuer  ici  de  curieux 
reuseigueraeuts  sur  toute  cette  partie  de  la 
vie  de  Bernadotle;  nous  renvoyons  aux 
cUapitie»  19,  ^o  et  ut  du  tome  l*'  de  VEu~ 


rope  pen'iant.  le  consulat  et  Vempire  de  NapO' 
lèon^  par  M.  Capefigue.  Ou  y  trouvera  le 
récit  de  sa  conduite  et  de  piquantes  con- 
versations d'après  des  notes  coinuiuniquces 
0t  dont  l'authenticité  est  incontestable. 


SAR 

Dément  de  Bonaparte  :  après  avoir  si- 
gne une  adresse  au  premier  consul  à 
Ja  conclusion  de  la  p^ix,  il  vota  pour 
son  pouvoir  à  vie.  On  le  réemploya 
donc,  et  il  alla  servira  Saint-Domin- 
gue, où  il  ne  resta  qu'une  année,  le 
ge'néral  Rochambeau,  successeur  de 
Lpclerc,  lui  ayant  accordé  la  faveur  de 
retourner  en  France,  pour  motif  de 
santé.  A  son  retour,  il  se  montra  très- 
partisan  de  l'empire,  et  (it  même  pa- 
raître un  petit  écrit  sur  ce  sujet. 
Employé  sous  Augereau  au  camp  de 
Brest,   il    adressa    un    mémoire    à 
l'empereur  ,    daté    du    23    frimaire 
an  XIII  (14  déc.  ISOi),  dans  lequel 
il  se  faisait  l'accusateur  des  généraux 
,e.t  des  administrriteurs  de  l'armée. 
Cette  dénonciation  étant  venue  à  se 
répandre,  il  attira  sur  sa  tête  le  mé- 
pris de  tous;  néannw^ins,  il  fit  avec 
ce  corps  la  campagne  d'Allemagne, 
en  1805  et  1806.  Des  discussions  fort 
vives  qu'il  eut  avec  le  général  Heu- 
delet,  dans  la  division  duquel  il  ser- 
vait,  motivèrent  son    changement; 
mais  là  n'était  pas  !a  seule  cause  de 
cette  sorte  de  disgrâce  :  en  envoyant 
au  roi  de  Prusse  un  exemplaire  de 
sa  brochure  sur    le  couronnement 
de  Napoléon,  il  lui  avait  écrit  que  le 
gouvernement    français    n'attendait 
qu'un  prétexte  pour  lui  déclarer  la 
guerre  et  pour  envahir  ses   États. 
L'empereur,  instruit  de  cette  démar- 
che plus  que  répréhensible,   lui  fit 
donner  l'ordre  de  se  rendre  â  Mayen- 
ce,  d'où  le  général  Keilermanu  l'en- 
voya à  Gand,  prendre  le  oomfuande- 
ment  du  département  de  l'Escaut , 
sous  le  général  Chambharlac  5  l'an- 
née   suivante,    il  passa  à   celui  de 
la  Lys,  après  avoir  servi  un  instant 
dans  la  16^  division  militaire  (  Lille  ) 
que    commandait  le  général    Vau- 
damme.  Son  opposition  aux  mesures 
administratives  du  préfet  de  la  Lys, 


SAR 


127 


M.  de  Çhauvelin,  le  fit  reléguer  dans 
l'ile  de  Cadzand.  Cette  position ,  à 
l'embouchure  de  l'Escaut,  était  pour- 
tant bien    importante  ;  Sarrazin  y 
continua  les    intelligences  secrètes 
que,  de  son  aveu,  il  entretenait  de- 
puis quelque  temps  avec  les  Anglais; 
l'impulsion  de  Fouché  et  de  Berna- 
dotie  ne  resta  point  étrangère  à  ces 
coupables  négocialion>j,car  en  ce  mo- 
ment déjà  ils  travaillaient  à  la  chute 
de  Nftp  léon,  et  l'expédition  de  Wal- 
cheren  se  lia  plus  qu'on  ne  pense  à 
toutes  les  menées  du  parti  anti-im- 
périaliste.Ce  fut  quelques  mois  avant 
le  débarquement  des  Anglais  à  Fies- 
singne,que  Sarrazin  reçut  l'ordre  de 
se- rendre  au  camp  deBoulogne^l'em- 
f  ereur.  en  agissant  ainsi,  était-il  in- 
struit de  ses  relations  avec  l'ennemi? 
Jl  n'est  pas  douteux  qu'il  en  avait  au 
moins  le  soupçon.  Sarrazin  fut  vive- 
ment contrarié  de  ce  déplacement, 
ainsi  qu'il  résulte  de  la  lettre  qu'il 
écrivit  plus  tard  à  JNapoléon.  Cette 
mesure  dérangeait  son  projet  de  pas- 
ser eu  Angleterre,  comme  lui-même 
l'avoue  dans  le  mémoire  qu'il  adressa 
au    gouvernement    britannique    en 
1811.  Il  se  rendit  donc  à  Boulogne, 
tout  en  conservant  la  falaie  résolu- 
tion qu'il  avait  prise,  et,  le  10  juin 
1810,  il    l'accomplit  sans   hésiter. 
Embarqué  sur  un  bateau  pêcheur,  il 
le  contraignit  par  la  force  d'aborder 
un  brick  ennemi,  en  se  disant  parle- 
mentaire. Il  est  certain  que  les  An- 
glais l'attendaient.  On  a  voulu  que 
cette  désertion  se  rattachât  au  parti 
royaliste,  assertion  qu'il  n'est  pas  be- 
soin de  réfuter.  Un  mois  après  son 
arrivée  à  Londres,  Sarrazin  écrivit  à 
l'empereur  une  lettre  dans  laquelle 
il  disait  :  «  A  l'île  de  Cadzand  j'ai 
commencé  à  vous  haïr.  Tout  ce  que 
j'ai  fait  a  été  par  attachement  pour 
les  trouues.  J'ai  placé  l'hôpital  dans 


128 


SAK 


une  maison  vi<le  ;  on  s'en  est  plaint, 
et,  d'après  cette  seule  raison,  vous 
m'avez  envoyé,  le  11  février  1809,  au 
camp  (le  Boulogne,  où  je  suis  resté 
pendant  quinze  mois.  Vous  aviez  des 
raisons  secrètes,  je  les  ai  lues  dans 
vos  yeux  à  votre  revue  du  25  mai. 
Touché  n'a  pas  voulu  me  faire  arrê- 
ter, et  vous  l'avez  remplacé  par  Sa- 
vary,  homine  aussi  prompt  qu'adroit 
à  exécuter  tous  vos  ordres.  Si  j'étais 
resté  encore  vingt-quatre  heures  à 
Boulogne,  convenez  que  je  serais 
dans  un  cachot  de  Vincennes  ou  dans 
les  fossés  de  ce  château!...  »  Ceci 
était  peut-être  vrai;  toutefois,  Sar- 
razin  commit  une  action  déshono- 
rante. Du  reste,  il  n'en  tira  pas  tout 
le  parti  qu'il  avait  espéré*,  bientôt 
on  le  vit,  chose  honteuse  !  intenter 
un  procès  aux  ministres  anglais  pour 
obtenir  le  prix  de  sa  trahison.  Il 
avait  demandé  60,000  livres  sterling 
(1,500,000  fr.);  on  ne  voulait  lui  en 
accorder  que  25,000  et  une  pension 
de  1,500  liv.  ;  il  exigea  que  ïe  capital 
fût  calculé  de  manière  à  lui  compléter 
une  somme  annuelle  de  2,500  liv.  st. 
(62,500  fr.),  formant  les  appointe- 
ments de  lieutenant-général,  grade 
que  le  gouvernement  anglais,  disait- 
il,  lui  avait  reconnu  (2).  L'affaire  en 
resta  là  :  on  se  contenta  de  lui  don- 
ner quelques  sommes  d'argent.  Pen- 
tlant  ce  temps ,  traduit  devant  un 
conseil  de  guerre,  à  Lille,  il  fut  con- 


(2)  Dans  son  Mémoire  au  gouvernement  art" 
glais,  Sarraziu  demandait  un  traitement  an- 
nuel de  3,000  liv.  sterl,,  5o,ooo  liv.  «omp- 
taut,  et  10,000  pour  son  usage  immédiat; 
en  outre  le  grade  de  lieutenant-général.  On 
trouve  dans  son  Histoire  de  la  guerre  de  la 
Restauration  ,  une  préface,  sorte  de  no- 
tice historique  sur  lui-même,  où  il  n'est  pas 
entièrement  d'accord  avec  les  faits  qu'il  a 
avancés  dans  son  Mémoire.  On  doit  remar- 
quer que  cet  écrit  e»t  de  i8ri  et  l'autre  de 
j8[6. 


SAR 

damné  parconlumace,  lel5  novend>re 
1810,  à  la  peine  de  mort,  comme  cou- 
pable de  désertion  k  l'ennemi.  On  lit 
dans  le  Moniteur  de  cette  époque  de 
violentes  diatribes  contre  lui.  C'est 
à  l'occasion  de  sa  défection,  que  le 
ministre  de  la  guerre,  Clarke,  pré- 
senta, le  30  juin  1810,  un  rapport, 
dans  lequel  l'ex-général  Sarrazin  fut 
traité  fort  durement.  Le  ton  de  par- 
tialité qui  y  règne  à  chaque  ligne  ne 
permet  pas  d'en  considérer  tous  les 
faits  comme  la  vérité  absolue.  De- 
puis cette  époque  on  ne  sait  pas  trop 
ce  qu'il  devint;  en  1812,  il  alla  en 
Suède  pour  tenter  de  se  rapprocher 
de  Bernadotte,  mais  le  prince  royal 
ne  voulut  pas  même  le  recevoir,  et  il 
reçut  l'ordre  de  repartir  immédiate- 
ment pour  l'Angleterre.  Il  y  fut  de 
retour  le  1*^'  février  1813  et  s'occupa 
spécialement  de  littérature;  il  publia 
alors  dans  le  Times  une  série  de  phi- 
lippiques  contre  Napoléon,  puis  il  pa- 
rut un  moment  en  Espagne,  à  la  suite 
des  armées  anglaises.  A  la  Restaura- 
tion, il  rentra  en  France,  fut  rétabli 
dans  son  grade,  celui  de  maréchal- 
de-camp,  et  eut  même  l'honneur  de 
présenter  au  roi  son  Histoire  de 
la  guerre  d'Espagne.  Le  12  février 
1815  une  ordonnance  royale  le  dé- 
clara libéré  de  toute  accusation  de 
désertion.  Après  le  20  mars,  n'ayant 
point  quitté  Paris,  il  poussa  l'audace 
jusqu'à  se  présenter  à  l'audience 
de  Napoléon,  et  à  lui  écrire  même 
une  longue  lettre  dans  laquelle, 
d'après  le  Mémorial  de  Sainte- 
Hélène,  il  pactisait  avec  lui  et  lui 
offrait  ses  services.  Un  mandat 
d'amener  fut  la  réponse  de  l'empe- 
reur; on  l'écroua  à  l'Abbaye  où  il 
resta  jusqu'au  6  juillet,  sans  doute 
oublié,  selon  les  expressions  du  Mé- 
morial. A  la  seconde  Restam-ation, 
il  reçut  l'ordre  de  <;e  retirer  à  Saint- 


SAR 

Sylvestre,  sou  pays  natal,  avec   le 
traitement  de  non-activité  de  inart^- 
chal-de-canip  ;  mais  une  ordonnance 
royale  du  15  janvier  1817  vint  le  pri- 
ver de  son  grade  et  de  sa  pension,  et 
les    motifs  de   cette    détermination 
sont  restés  ignores.  II  écrivit  au  gou- 
vernement pour  réclamer,  en  s'ap- 
puyant  sur    le   service    qu'il   avait 
rendu  en  livrant  les  plans  de  campa- 
gne à  l'Angleterre,  qui  même  avait 
refusé  de  les  lui  payer.  A  ce  moment 
il  épousa  la  fille  d'un  propriétaire  du 
département  de  Lot-et-Garonne,  et 
cette  union    amena   bientôt   contre 
lui    une    accusation    de    trigamie. 
Venu  à  Paris  pour  continuer  ses  ré- 
clamations, il  y  fut  arrêté  le  8  oc- 
tobre 1818  •  l'instruction  de  son  pro- 
cès établit  qu'il  avait  déjà   épousé 
deux  femmes,  la  premièreà  Livourne, 
t  n  1799,  et  la  seconde  à  Londres,  en 
1813,  en  abjurant  la  religion  catholi- 
que. Détenu  à  la  Force,  il  pétitionna 
de  tous  côiés  pour  obtenir  sa  liberté^ 
mais  la  Chambre  des  pairs  et  celle 
des   députés  ne    fiient  aucune  at- 
tention à  ses  demandes  ;  la  justice 
<lut  avoir  son  cours,  et  il  fut  con- 
damné à  dix  ans  de  travaux  forcés  et 
au  carcan,  par  arrêt  de  la  cour  d'as- 
sises du  23  juillet  1819.  Il  subit  l'ex- 
position, et  fut  dégradé  solennelle- 
ment. 11  adressa  encore  de  nouvelles 
pétitions  aux  chambres  ;  ces  protes- 
tations n'aboutirent  alors   à    rien; 
seulement,  le  21  juin  1822,  il  sortit 
de  Bicêtre   pour  aller  habiter  une 
maison  de  santé;  puis  Louis  XVIII 
le  gracia  par  ordonnance  du  11  sept, 
suivant;  peu  de  temps  après,  les  jour- 
naux annoncèrent  qu'il  s'était  em- 
barqué à  Anvers  pour  Lisbonne,  où 
il  espérait,  en  passant  par  Tanger, 
aller  offrir   ses  services  au  Grand- 
Seigneur;    mais    le    gouvernement 
portugais    le  fit   arrêter  et  embar- 

LXXXI. 


SAR 


12^ 


quer  pour  Londres,  où  il  arriva  ie  5 
avril  1823.  Le  gouvernement  anglais 
prit  pitié  de  son  dénuement,  et  il 
lui  accorda  une  pension  de  400  liv. 
sterl.  Bernadotte  vint  aussi  à  son 
aide  en  lui  assurant  un  secours  an- 
nuel de  100  louis.  Après  douze  ans 
de  séjour  en  Angleterre,  il  se  mit  à 
voyager  ;  visita  successivement  Rot- 
terdam, La  Haye,  Hambourg,  Berlin 
et  Constantinople.  En  Autriche,  il 
éprouva  quelques  difficultés,  n'ayant 
pas  de  passe-port  français;  il  retou  rna 
alors  à  Hambourg,  d'où  il  se  rendit 
à  Bruxelles.  C'est  de  là  qu'il  adressa 
au  roi  Louis-Philippe,  en  1837,  une 
lettre  qu'il  a  fait  imprimer,  où  il  ren- 
dait un  compte  détaillé  de  sa  déser- 
tion de  Boulogne.  Nous  croyons  que 
tous  les  faits  qu'il  avance  sont  loin 
d'être  l'exacte  vérité.  Il  écrivit  aussi 
aux  chambres,  au  maréchal  Ciausel, 
mais  toutes  ses  démarches  restèrent 
vaines,  et  il  ne  put  rentrer  en  France. 
Nous  ignorons  la  date  précise  de  sa 
mort,  qui  eut  lieu  vers  1840.  C'était 
un  homme  d'un  caractère  vif  et  ré- 
solu, avec  un  esprit  taquin  et  ma- 
laisé ;  pourvu  des  moyens  de  par- 
venir  à  une  haute  position,  il  ne 
sut  pas  s'en  rendre  digne.  Ses  ouvra- 
ges dénotent  même  un  certain  talent 
littéraire.  En  voici  la  liste  :  I.  Le  onze 
frimaire^  ou  Discours  analytique 
de  la  vie,  des  exploits  mémorables 
et  des  droits  de  Napoléon  à  la  cou- 
ronne impériale,  prononcé  le  il  fri- 
maire à  Saint- Pot  de  Léon,  suivi 
d'un  précis  historique  des  fêtes  du 
sacre  et  du  couronnement  de  Napo- 
léon /",  Paris,  1805,  in-8".  II.  Lettre 
à  Bonaparte,  Londres,  1810,  in  8». 
III.  Réflexions   sur    le    Moniteur , 
Londres,  1810,  in-8o.  IV.  Répliquée 
la  narration  faite  par  le  général 
Clarke  au  général  Bonaparte,  Lon- 
dres, 1810,  in-8** (publiée  aussi  en  an- 

9 


|3U  SAU 

gl;ns).  V.  Le  Philosophe,  ou  Notes 
historiques  et  critiques,  Londres, 
1811,2  vol.  in -80.  \[. Confessions  de 
Bonaparte  à  V abbé  Maury,  Londres, 
1811,  in-8"  (écrit  anonyme  et  publié 
en  même  temps  en  anglais).  VIL  Mé- 
moire au  gouvernement  anglais, 
Londres,  1811,  in-8''.  VIIL  Histoire 
de  la  guerre  d^ Espagne  et  de  Portu- 
gal, de  1807  à  1814,  ornée  de  la 
carte  d'Espagne  et  de  Portugal,  où 
sont  tracées  les  marches  des  armées 
française,  anglaise  et  espagnole^ 
dressée  par  Lapie,  Paris,  1814,  in-8®. 
IX.  Défense  des  Bourbons  de  Naples 
contre  les  panégyristes  de  Vusurpa- 
teur  Muratf  ou  Avis  au  Congrès  de 
Vienne,  Paris,  1815,  in-8".  X.  Cor- 
respondance entre  le  général  Jo- 
mini  et  le  général  Sarrazin,  sur  la 
campagne  de  1813,  Paris,  1815,  in-8". 
XL  Histoire  de  la  guerre  de  Russie 
et  d^ Allemagne,  depuis  le  passage 
du  Niémen,  juin  1S12,  jusqu'au  pas- 
sage du  Rhin,  Ȕou.1813,  Paris,  1815, 
in-8<*.  XIL  Histoire  de  la  guerre  de 
la  Restauration,  depuis  le  passage 
de  la  Bidassoa  par  les  alliés,  oct. 
1813,  jusqu'à  la  loi  d'amnistie  du 
12  janvier  1816,  avec  une  carte  du 
théâtre  de  la  guerre^  oii  sont  tracées 
les  principales  marches  des  belligé- 
rants, Paris,  1816,  in-8°.  XllI.  Ta- 
bleau de  la  Grande-Bretagne,  ou 
Observations  sur  l'Angleterre,  vue 
à  Londres  et  dans  les  provinces.,  de 
M.  le  maréchal- de-camp  Pillety  avec 
un  supplément,  Paris,  1816,  in-8°. 
Xl^,  Mémoire  au  ministre  de  la 
guerre,  Paris,  1816.  XV.  Examen 
analytique  et  critique  d'une  Relation 
de  la  bataille  de  Waterloo,  dédiée  à 
sa  grâce  lord  Wellington,  par  le  gé- 
néral 5co(f,  Irad.  de  l'anglais,  Paris, 
1816.  XVI.  iMTéwoire  au  Roi,  Paris, 
1816.  XVII.  Mémoire  du  général 
Sarrazin,  détenu  à  la  Conciergerie 


SAK 

Qomme  prévenu  de  bigamie,  Pans, 
1819,  in-8".  XVlli.  Deuxième  mé- 
moire, ou  Réfutation  de  l'arrêt  de 
la  Cour  de  cassation  du  18  février 
1819,  Paris,  1819.  XIX.  Supplément, 
ibid.  XX.  Mémoire  au  Roi,  1819, 
in  8°.  C— H—N. 

SARRI  (Gaétan),  publiciste  ita- 
lien ,  né  en  1722,  à  Palerme,  étudia 
d'abord  au  collège  desjésuites  de  cette 
ville,  puis  alla  fane  son  droit  à  Ca- 
tane,  où  il  fut  reçu  docteur  en  1740. 
Etant  entré  dans  la  carrière  de  la 
magistrature,  il  fut  nommé,  en  1756, 
juge  àla  Cour  prétorienne.  En  1763, 
année  de  pénurie,  il  fut  envoyé  par 
le  gouvernement  dans  la  vallée  de 
Mezzara,  afin  de  recueillir  du  grain 
dont  la  capitale  commençait  à  man- 
quer, et  il  s'acquitta  de  sa  mission 
avec  tant  de  succès,  qu'à  son  retour 
on  le  nomma  juge  au  consistoire,  et 
presque  en  même  temps  professeur 
de  philosophie  morale.  Après  l'ex- 
pulsion des  jésuites,  on  lui  confia  la 
direction  générale  des  études,  et 
enfin  il  devint,  en  1778,  membre  de 
la  grande  Cour.  Il  mourut  à  Paler- 
me le  13  juin  1797.  On  a  de  lui: 
I.  De  veteribus  moralium  philoso- 
phorumsectis  ad  officiorum  systema 
respondentibus  dissertatio  proluso- 
riacommodataauditoribusmethodo 
adornata,  Palerme,  1770,  in-folio. 
IL  Droit  public  de  Sicile.  L'auteur 
avait  lu  plusieurs  fragments  de  cet 
important  ouvrage  aux  académies 
del  Prato  ameno  et  del  Buon  gus- 
fo,  et  les  cinq  premiers  chapitres 
furent  d'abord  insérés  dans  les 
Opuscules  d'auteurs  italiens  (  tomes 
III-VI),  sous  ce  titre;  Le  droit  de 
succession  royale  au  royaume  de 
Sicile,  ils  forment  le  premier  des 
deux  volumes  du  Gius  publico  sicu- 
io,  publiés  à  Palerme  en  1786,  in  4", 
avec  des  notes  du  fils  de  l'auteur. 


SAR 

Le  r;nanuscrit  du  troisième  volume 
était  prêt  et  avait  ùéjh  obtenu  le  visa 
de  la  censure,  lorsque  la  mort  de 
Sarri  vint  en  suspendre  l'iirs pres- 
sion, et  nous  ne  pensons  pas  qu'elle 
ail  été  reprise  depuis.  Cet  ouvrage 
est  en  général  bien  écrit,  et,  malgré 
quelques  idées  erronées,  il  jouit  en- 
core d'une  certaine  réputation  dans 
le  royaume  des  Deux-Siciles.  A— -y. 

SARRUT  (Thomas  Jacques),  gé- 
néral français,  était  né  à  Saverdun 
(Arriège),  le  16  août  1764.  Destiné  à 
Tétat  ecclésiastique,  il  fit  d'excel- 
lentes études  au  collège  dePamiers; 
mais,  après  les  avoir  terminées,  une 
véritable  vocation  l'entraîna  vers  la 
carrière  des  armes,  et  à  dix-huit  ans 
il  s'engagea  comme  simple  soldat. 
Sous-officier  lorsque  la  révolution 
éclata,  il   en  adopta    les   principes 
avec  plus  de  modération  que  la  plu- 
part de  ses  camarades.  En  janvier 
1792,  il  fui  nommé  capitaine  et  ser- 
vit  à  l'armée  du  Nord  en   qualité 
d'adjoint  aux  adjudants  généraux , 
puis  de  chef  de  brigade.  Il    faisait 
partie  de  l'armée  du  Rhin,  sous  Mo- 
reau,  lorsqu'il  reçut,  en  1800,   le 
grade  de   général    de  brigade.  Eu 
1803,  il  fut  envoyé  à  l'armée  de  Brest, 
etchargé  ensuite  de  surveiller  la  con 
struction  d'un  fort,  situé  sur  la  pointe 
la  plus  avancée  de  la  baie  de  Ber- 
laume  et  de  celle  de  Camaret,  dans 
la  presqu'îje  de  Toulinguel.  Napo- 
léon fut  si  satisfait  de  son  zèle,  qu'en 
lui  donnant  le  coujmandement  de  ce 
fort,  armé  de  36  bouches  à  feu,  de 
11  mortiers,  et  destiné  à  protéger 
l'escadre   française,  il  décréta  qu'il 
porterait  le  nom  de  Fort  Sarrut.  Il 
fit  la  campagne  de  1805,  et  eu  1807, 
il  passa  a  l'armée  d'Espagne.  L'année 
suivante,  il  fut  créé  général  de  divi- 
sion, en  récompense   d'une  action 
éclatante.  Le  maréchal  Soult  lui  avait 


SAR 


131 


donné  l'ordre  de  côtoyer  les  bords 
de  la  mer  vers  les  frontières  des  As- 
turies,  avec  une  colonne  de  900  hom- 
mes ;  il  rencontra  un  corps  de  6,000 
Espagnols  établi  sur  les  hauteurs  de 
San-Vincente  de  la  Barquiera ,  qui 
voulait  lui  barrer  ie  passage.  Après 
un  combat  acharné,  il  chassa  Fen^ 
nemi  de  sa  position  et  lui  fit  2,000 
prisonniers.  11  continua  de  servir  en 
Espagne,  déployant  autant  d'activité 
que  de   courage.   Le  20  juin  1813, 
jour  de  la  bataille  de  Vitoria,  il  était 
à  la  tête  de  sa  division,  couvrant  la 
roule  de  Bilbao,  lorsqu'il  fut  attaqué 
par  le  général  Thomas  Graham.  Blessé 
au  milieu  du  combat,  il  fut  relevé  du 
champ  de  bataille  par  les  Anglais, 
qui  lui  donnèrent  les  soins  les  plus 
empressés,  mais  sept  jours  après  il 
expira.  Le  général  ennemi  fit  rendre 
les  honneurs  militaires  à  sa  dépouille 
mortelle.  Sarrut  était  baron  et  com- 
mandant de  la  Légion-d'Honneur. 

C— H— N. 
SARTELON  (le  chevalier  An- 
toine-Léger), intendant  militaire, 
était  né  à  Tulle  le  16  octobre  1770. 
Il  entra  fort  jeune  dans  Tadminis- 
tration  militaire,  et  fut  employé  en 
qualité  de  commissaire  des  guerres 
dans  la  campagne  d'Egypte,  où  il 
devint  ordonnateur.  Après  son  retour 
en  France,  Bonaparte,  qui  avait  eu 
l'occasion  d'apprécier  ses  capacités 
administratives,  lui  confia  la  place  de 
secréiaire-général  de  la  guerre.  11  la 
quitta  eu  1812,  pour  remplir  les 
fonctions  de  commissaire-ordonna- 
teur de  la  Grande-Armée,  et  c'est  avec 
ce  titre  qu'il  fit  les  dernières  cam- 
pagnes de  l'empire.  Au  commence- 
ment de  1814,  il  fut  élu  membre  du 
corps  législatif  par  le  département  de 
la  Corrèze  ;  mais  son  service  actif 
l'empêchant  d'y  siéger,  il  n'y  prit 
.séance  qu'après  le  retour  des  Bour- 


i3i> 


SAR 


SAK 


bons,  pour  lesquels  il  manifesta  toutes 
ses  sympathies.  Bien  que  s'étant 
montré  très-opposé  au  rétablissement 
(lu  gouvernement  impérial,Nap(>léon, 
dans  la  réorganisation  de  l'armée,  le 
désigna  pour  remplir  l'emploi  élevé 
qu'il  y  avait  occupé  précédemment. 
Sans  refuser  d'une  manière  absolue, 
il  mit  de  la  lenteur  à  se  rendre  à  son 
poste,et  les  événements  lui  en  épar- 
gnèrent la  peine.  Aussi,  à  la  seconde 
Restauration,  il  fut  récompensé  de 
ce  zèle,  du  reste  plus  de  circon- 
stance que  d'enthousiasme.  On  le 
nomma  commissaire-ordonnateur  en 
chet  de  la  maison  du  roi  et  chevalier 
de  Saint-Louis.  Le  collège  électoral 
de  Tulle,  dont  il  était  président,  le 
renvoya  à  la  chambre,  et  dans  la 
session  de  1815  il  vota  avec  la  mino- 
ritépl  y  proposa  que  les  employés  du 
gouvernement  ne  pussent  pas  être 
députés.  Élu  de  nouveau  après  l'or- 
donnance du  5  septembre  1816,  il 
pritla  défense  du  projet  de  loi  sur  les 
finances,  en  insistant  toutefoissur  les 
économies  ;  puis  il  parla  sur  le  budget 
du  ministère  de  laguerre,  en  deman- 
dant qu'on  le  réduisît  de  huit  mil- 
lions. Dans  la  discussion  sur  la  loi 
des  élections  ,  il  voulut  que  l'âge 
pour  être  éligible  fût  fixé  à  trente 
ans,et  que  la  chambre  fût  renouvelée 
intégralement  tous  les  cinq  ans. Cette 
même  année  il  porta  la  parole  comme 
organe  du  ministère  public  dans  le 
procès  de  l'amiral  Linois  et  du  général 
Boyer,  accusés  d'avoir  fait  arborer  à 
la  Guadeloupe  le  drapeau  tricolore. 
Dans  la  session  de  1817,  il  soutint 
les  dispositions  principales  de  la  loi 
sur  la  liberté  de  la  presse,  telles 
qu'elles  avaient  été  amendées  par  la 
commission:  il  en  proposai'adoption, 
mais  avec  le  jugement  par  le  jury,  et 
demanda  que  la  loi  lût  temporaire,  et 
qu'elle  expirât  en  1820.  Il  se  monira 


aussi  favorable  à  la  loi  sur  le  r^rrii- 
tement,eii»s'opposant  à  l'ameudemeiit 
proposé  par  M.  de  Villèle,  que  les 
aînés  de  famille  fussent  exemptés  du 
service.  Faisantallusion  à  un  discours 
prononcé  par  M.CIauselde  Cousser- 
gues,  qui  avait  cité  des  preuves  reli- 
gieuses à  l'appui  de  son  opinion, il  dit 
que  d;ins  une  pareille  discussion  il 
ne  fallait  pas  aller  chercher  les  pa- 
triarchesetlareligion.  Des  murmures 
accueillirent  ces  paroles,  et  un  sifflet 
aigu,  parti  des  tribunes,  se  fit  même 
entendre.  En  1818,  Sartelon  ne  fut 
point  réélu  ;  il  venait  d'être  compris 
dans  l'organisation  du  corps  des  in- 
tendants ;  on  l'employa  alors  dans  la 
2e  division  militaire,  à  Châlons-sur- 
Marne,  et  c'est  dans  cette  ville  qu'il 
mourut  le  2  novembre  1825. 11  a  pu- 
blié:  Lettre  de  M.  Sartelon,  ancien 
député^  à  MM,  les  électeurs  de  la 
Corrèze, Paris,  l8i8,in-8o.  C— h— n. 
SARTIGES  (Bertrand  de),  né 
vers  1260,  au  château  de  son  nom 
près  de  Mauriac  en  Auvergne,  partit 
fort  jeune  pour  la  Terre-Sainte,  et 
fut  reçu  chevalier  du  Temple  à  Tor- 
tose,  en  1279,  par  Adhémar  de 
Peyrusse,  qui  en  avait  la  mission  de 
Beaujeu,  grand-maîlre.  Plus  lard,  il 
se  distingua  dans  les  guerres  contre 
les  infidèles,  et  fut  pourvu  de  la  ri- 
che commanderie  de  Cariât  eu  Au- 
vergne, qui  était  en  outre  une  place 
très-forte.  Lors  du  procès  de  son 
ordre  sous  Philippe-le-Bel ,  il  fut 
arrêté  avec  soixante  Templiers  de 
sa  province-,  interrogé  par  Aubert 
Aysselin  ,  évêque  de  Clermont ,  il 
soutint  l'innocence  de  l'ordre,  qua- 
lifia de  faux  et  controuvés  tous  les 
faits  de  l'accusation  ,  et  figura  à 
la  lête  de  ces  braves  chevaliers  dont 
le  courage  ne  put  être  ébranlé  par 
la  crainte  des  tortures  et  des  flam- 
mes. Conriuit  à  Paris,  il  fut  élu  par 


SAR 

les  Templiers,  réunis  le  28  mars 
1310,  Tun  des  quatre  principaux 
députés  pour  représenter  et  défen- 
dre l'ordre  devant  la  commission 
nommée  parle  pape  Clément  V,  as- 
sista en  cette  qualité  à  toutes  les 
séances  de  cette  commission,  et  ne 
se  désista  de  la  défense  qu'après 
avoir  été  abandonné  de  la  plupart 
de  ses  confrères,  et  avoir  perdu  tout 
espoir  de  faire  triompher  leur  cause. 
Il  protesta  contre  toutes  les  procé- 
dures dirigées  contre  l'ordre.  Aucune 
charge  ne  pesant  sur  lui  personnel- 
lement ,  il  ne  put  être  condamné. 
On  croit  qu'il  passa  en  Allemagne, 
où  il  fut  reçu  dans  l'ordre  Teutoni- 
que,  et  où  il  termina  sa  carrière.  Son 
portrait  en  pied  et  en  costume  de 
Templier  armé,  se  voit  encore  chez 
le  vicomte  de  Sartiges,  au  château 
de  la  Prugne,  près  de  Clermont. 

Z. 
SARTIGES  (  Charles-Gabriel- 
Eugène,  vicomte  de),  de  la  même 
famille  que  le  précédent,  naquit  au 
château  de  Sourniac,  le  26  décembre 
1772;  il  entra  fort  jeune  à  l'école 
militaire  d'Effiat,  d'où  il  sortit  en 
septeud)re  1786.  Reçu  élève  de  la 
marine  en  1787,  il  s'embarqua  sur 
la  gabare  la  Bayonnaise  ,  com- 
mandée par  le  comte  de  Capellis; 
puis,  sur  le  vaisseau  VAchille,  et 
enfin  sur  la  frégate  la  Méduse,  suc- 
cessivement commandée  par  le  che- 
valier de  Tanouarn  et  le  comte  de 
Rosily,  alors  capitaine  de  vaisseau. 
Il  fit  sur  cette  dernière  les  campa- 
gnes d'observation  sur  les  côtes 
Malitbar  et  Coromandel,  Philippines, 
Chine,  Cochinchine,  etc.  Celle-ci 
désastreuse  sous  plusieurs  rapports, 
le  fut  surtout  par  une  épidémie  ter- 
rible. Elle  avait  pour  but  le  rétablis- 
sement du  roi  de  laCochinchine,  qui 
avait  été  détrôné  (  voy,  Pigneau  de 


SAR 


133 


Behainey  XXXIV,  430  ).  De  retour  en 
France  le  9  octobre  1791,  Sartiges 
n'y  séjourna    que   jusqu'au    30  du 
même    mois,    où   il   se  rembarqua 
sur  la   frégate    la  Fidèle,  sous  les 
ordres    de  Rosily  ,   avec    lequel  il 
fit,  en  qualité  d'enseigne,  une  nou- 
velle campagne    des   Indes- Orien- 
tales. Il  se  trouvait  à  Pondichéry,  le 
10  juin  1793  ,    lorsqu'il    reçut  du 
gouverneur-général  l'ordre  de  pren- 
dre le  commandement  des  matelots 
et  canonniers  débarqués,  destinés  à 
être  employés  pendant  le  siège  dont 
cette  ville  était  menacée.  Le  15  juin 
la  place  fut  effectivement  investie 
par  30,000  Anglais,  et  ne  se  rendit 
que  le  23  août.  Trois  jours  aupara- 
vant, le  gouverneur,  satisfait  de  la 
conduite  de  Sartiges,  l'avait  breveté 
capitaine.  Prisonnier  de  guerre  de- 
puis cette  époque,  il  fut  détenu  dans 
plusieurs  forts,  jusqu'en  1801  ;  alors 
il  fui  embarqué  sur  le  vaisseau  anglais 
leKent^  et  conduit  à  l'Ile-de-France, 
où  il  resta  jusqu'en  1803.  Revenu  en 
France  sur  la  corvette  VEugénie,  il 
se  démit  du  service  de  la  marine  pour 
être  sous-préfet  de  Gannat  (25  mars 
1807).  Le  16  juin  1814,  Louis  XVIII 
le    nomma   à   la   préfecture   de  la 
Haute-Loire,  ensuite   chevalier  de 
Saint-Louis,  puis  capitaine  de  vais- 
seau honoraire.  La  nouvelle  du  dé- 
barquement de  Bonaparte,  au  mois 
de  mars  1815,  le  surprit  au  milieu  des 
préparatifs  qu'il  faisait  pour  recevoir 
le  duc  d'Angoulême,  qui  visitait  alors 
les  départements  méridionaux.  Dans 
des  circonstances  aussi  graves,  Sar- 
tiges ne  perdit  pas  un  instant  pour 
que    son    déparlement  restât   sous 
l'obéissance  du  roi.  H  parvint  à  réu- 
nir 2,500   volontaires  bien    orga- 
nisés et  armés,  qui  campèrent  aux 
limites  du  département,  sur  la  route 
de    Lyon,   ei;  résistèrent  aux  pro- 


1S4 


SAR 


SAR 


nx'sses  coiuiiie  aux  menaces  de, 
Napoléon  jusqu'à  ce  qu'on  eût  appris 
le  départ  (le  Louis  XVIII  de  sa  capi- 
tale. Alors  Sartiges  se  retira  à 
Clermont,  où  il  fut  mis  en  surveil- 
lance. Renvoyé  à  son  poste  au 
second  retour  du  roi,  il  reprit  ses 
fonctions  au  Puy  1^  14  juillet  1815. 
En  cette  occasion,  il  reçut  de  la  part 
des  habitants  des  démonstrations 
non  équivoques  de  leur  attachement. 
Quelques  mois  plus  tard,  le  départe- 
ment de  la  Haute-Loire  dut  à  la 
prudence  et  à  la  fermeté  de  son 
prenjjer  magistrat  de  n'être  pas 
imposé  à  une  somme  énorme  qu'exi- 
geait le  commandant  des  troupes 
autrichiennes.  En  1816  et  1817»  la 
franchise  de  son  caractère  ne  lui 
permit  pas  de  dissimuler  qu'il  ne 
partageait  point  l'opinion  du  mi- 
nistère; il  fit  même  des  tenta- 
tives pour  faire  nommer  député 
M.  de  Polignac.  Dès  ce  moment,  il 
fut  aisé  de  prévoir  le  sort  qui  l'atten- 
dait. Le  système  de  M.  Decazes 
ayant  prévalu,  Sartiges  fut  écarté  de 
ses  fonctions  le  2  juillet  1817.  Les 
adieux  qu'il  adressa  aux  habitants  de 
la  Haute-Loire  en  les  quittant,  expri- 
ment noblement  le  regret  qu'il 
éprouvait  de  ne  pouvoir  achever  ce 
qu'il  avait  commencé  ou  médité 
pour  leur  prospérité.  Cette  pièce 
respii-ait  en  outre  le  plus  entier  dé- 
vouement aux  Bourbons.  Le  conseil- 
général,  les  conseils  d'arrondisse- 
ment et  municipaux  lui  répondirent 
par  des  délibérations  en  termes  fort 
honorables,  et  M.  de  Chateaubriand 
le  rangea  parmi  les  préfets  disgraciés 
qui  avaient  rendu  d'importants  ser- 
vices à  la  cause  royale.  Rentré  dans 
la  vie  privée  il  jouissait  en  paix  de  sa 
retraite,  lorsqu'ïine  maladie  grave  le 
força  de  quitter  son  château  de  la 
Prugne,  pour  se  rendre  aux  bains 


de  Balaruc  ;  mais  il  ne  put  aller  que 
jusqu'à  Lyon,  où  il  expira  le  9  juillet 
1827,  à  l'âge  de  55  ans,  après  avoir 
rempli  tous  ses  devoirs  de  religion. 

Z. 

SARTORIUS.     Voy.    Snyders, 
XLII,  505. 

SARZANA  (le),  peintre,  prit  ce 
nom  sous  lequel  il  est  plus  particu- 
lièrement connu,  delà  ville  où  il  na- 
quit en  1589.  Son  véritable  nom  était 
Dominique  Fiasella.  La  vpe  d'un 
admirable  tableau  d'André  del  Sarto, 
qui  ornait  l'autel  de  l'église  des 
dominicains  de  Sarzana,  et  dont  il 
n'existe  plus  aujourd'hui  dans  cette 
église  qu'une  très-belle  copie,  ins- 
pira au  jeune  Dominique  le  goût  de 
la  peinture.  Le  Paggi  dirigea  ses 
premiers  essais;  bientôt  après  il  se 
rendit  à  Rome,  étudia  Raphaël,  et 
s'imbut  en  outre  de  la  manière  des 
divers  maîtres  qui  étaient  en  crédit 
à  cette  époque.  Il  passa  dans  cette 
ville  dix  années  de  sa  vie,  jouit, 
comme  professeur,  d'une  haute  répu- 
tation, mérita  les  louanges  de  Guide 
Reni,  et  travailla  souvent  de  con- 
cert avec  le  cavalier  d'Arpino  et  le 
Passignano.  Enfin  il  alla  se  fixer  à 
Gênes,  et  exécuta  dans  cette  ville  et 
dans  une  partie  de  celles  de  l'Italie 
supérieure  un  nombre  presque  in- 
croyable de  tableaux.  Mais  cette 
abondance  surprend  moins  lorsque 
l'on  sait  qu'il  n'a  pas  mis  la  dernière 
main  à  la  plupart  d'entre  eux,  parce 
qu'il  n'aimait  point  à  finir  ses  ouvra- 
ges ou  qu'il  les  faisait  terminer, 
suivant  la  tradition  du  pays,  par  ses 
meilleurs  élèves.  Si  on  lui  pardonne 
cette  espèce  d'impatience,  on  recon- 
naît dans  les  productions  du  Sarzana 
toutes  les  qualités  d'un  grand  ar- 
tiste. H  montre  dans  plusieurs  par- 
ties un  talent  supérieur,  et  il  a  peu 
dfV'gaux  dans  les  vastes  compositions 


SAS 


SÂS 


135 


historiques,  qu'il  invente  a\^€C  un  rare 
bonheur;  dans  le  dessin,  qui  rappelle 
souvent  le  goût  de  l'e'cole  romaine  ; 
dans  la  vivacité  des  têtes,  dans  la 
beauté  et  la  vigueur  du  coloris  de 
ses  peintures    à    l'huile,    et   dans 
l'imitation  bien  entendue  qu'il  offre 
tantôt   d'un  grand  maître  ,   tantôt 
d'un  autre.  C'est  ainsi  qu'il  rappelle 
tout-à-faiî  Raphaël  dans   le   Saint 
Bernard    qu'il  a  fait  pour  l'église 
de  Saint- Vincent  de  Plaisance;  et  le 
Caravage ,  dans  le  Saint  Augustin 
deVillanova^  qu'on  voit  dans  l'église 
de  ce  nom  à  Gênes.  Dans  l'église  du 
dôme  à  Sarzana ,  où  il  a  peint  le 
Massacre  des  innocents^  et  dans  la 
galerie  de    l'arclievêché   de   Milan, 
qui  possèle  de  lui  un  Enfant  Jésus ^ 
il  est  le  rival  du  Guide.  Dans  d'au- 
tres tableaux  il  ressemble  aux  Car- 
raches  et  aux  autres  bons  peintres 
de  leur  école.  Toutes  les  fois  qu'il 
veut  plaire,  il  ne  plaît  pas  médiocre- 
ment: ce  désir  brille  éminemment 
dans  le  tableau  qui  fait  le  plus  bel 
ornement  de  l'église  des  Augustins 
de  Gênes,  et  qui  représente  Saint 
Antoine  abbé,  forçant   le  lion    à 
creuser  dans  le  désert  le  tombeau  du 
premier  ermite  saint   Paul ,   c'est 
un  tableau  qui  frappe  d'étonnement. 
11  n'est  pas  rare  de  rencontrer  de 
ses  productions   dans    les  galeries 
particulières.  Ses  madones  sont  la 
beauté  même*  elles  n'ont  peut-être 
pas    l'idéal   de    celles   de  Raphaël , 
mais  elles  en  ont  toutes  les  grâces  et 
toute  la  dignité.  Fiasella  mourut  à 
Gênes  en  1669.  P— s. 

SAS  (  Corneille  ) ,  théologien 
belge,  né  à  Turnhout  en  1593,  pro- 
fessa la  philosophie  à  Louvain,  puis 
la  théologie,  au  séminaire  de  Mali  nés, 
où  il  obtint,  en  16*27,  un  canonicat 
de  IVglise  métropolitaine.  Il  fut 
chargé  pur  l'archevêque,  en   1632, 


d'une  mission  à   la  cour  de  Rome 
pour  les  affaires  du  diocèse.  En  1638, 
il  permuta  sa  prébende  contre  un 
canonicat  de  l'église  d'Ypres,  dont 
il  exerça  plusieurs  années  les  fonc- 
tions d'official,  et  celle  de  vicaire- 
général  pendant  la  vacance  du  siège. 
Il  mourut  en  cette  ville  le  8  octobre 
16o6,  et  fut  inhumé  dans  la  cathé- 
drale, où  une  épitaphe  fort  honora- 
ble fut  gravée  sur  sa  tombe.   Sas 
était  non  moins  versé  dans  la  juris- 
pruder^ce  que  dans  la  théologie.  Ou 
a  de  lui  :  I  Epitome  praœeos  viriu- 
tum  theologicarum^  Fidei^  Spei  et 
CharitatiSf  qua  média  sunt  salutis^ 
Rome,  de  l'imprimerie  du  Vatican, 
1632,  in  12.  Plus  lard  on  en  déduisit 
sept  points  ou  articles  de  foi  comme 
indispensablement    nécessaires    au 
salut  ;  mais  cette  espèce  de  symbole 
futcondamné*  le  16  août  1682,  par  le 
pape   Innocent    XI ,   avec   d'autres 
écrits  anonymes  renfermant  la  même 
doctrine.  ll.OEcumenicumde  singu- 
laritate  clericorum^  illorumque  cùm 
fœminis  extraneis  vetit'O  contubér- 
nio  judicium^  Bruxelles,  1653,  in -4**; 
livre  curieux  où  l'auteur    prétend 
que  les  ecclésiastiques  ne  doivent 
point  avoir  chez  eux  de   femmes, 
même  vieilles,  pour  les  servir  {voy. 
FoppeuSy  Bibliotheca  belgica,  t.  ^% 
p.  217).  P— Rï. 

SASSI  (  Pamphile  ),  poète  italien, 
qui  a  joui  au  xv^  siècle  d'une  grande 
célébrité,  naquit  à  Modène  vers  1455. 
Il  avait  une  mémoire  vraiment  ex- 
traordinaire et  improvisait  des  vers 
italiens  et  latins  avec  une  égale  faci- 
lité. Ayant  quitté  Modène  par  suite 
de  revers  de  fortune,  il  alla  s'éta- 
blir dans  un  village  u'où  il  faisait 
de  fréquentes  excursions  à  Vérone 
ainsi  qu'à  Brescia.  Ce  ne  fut  qu'au 
commencement  du  xvi«  siècle  qu'il 
revint  dans  sa  ville  natale.  11  y  don- 


136 


SAS 


naitdepuis  plusieurs  armées  un  cours 
de  littérature,  particulièrement  des- 
tiné à  l'explication   de  Dante  et  de 
Pétrarque,  lorsqu'une  de  ces  accusa- 
tions d'hérésie,  si  communes  a  cette 
époque,  l'obligea  de  s'éloigner  en- 
core une  fois  de  Modène,  et  de  se 
réfugier  en  Romagne  auprès  d'un  de 
ses  amis,  le  comte  Guido  Rangone, 
qui  lui  procura  un  emploi  à  Lonzano. 
Ce  fut  là  qu'il  mourut  en  1527.  Il 
avait  publié,  entre  autres  ouvrages  ; 
I.  Brixia  Ulustrata^  poème  en  l'hon- 
neur de  la  ville  de  Brescia,  où  il  fut 
publié  en  1498.  II.  Epigrammatum 
lihri  quatuor,  Distichorum  libri  duo, 
de  Bello  gallico,de  LaudibusVeronœ, 
Elegiarum  liber  unus,  Brescia,  1500, 
in-4°.  Le  poème  de  Bello  gallico  a 
aussi  pour  titre  de  Bello  Tarensi, 
parce  qu'il  contient  une  longue  des- 
cription de  la  bataille  du  Taro.  On 
Ta  joint  à  quelques  éditions  de  VEis- 
toire  de  Venise,  de  Pierre  Giusti- 
niani.  III.  Sonnets  et  Capiloli,  Bres- 
cia, 1500,  in-4",  Milan,  1502,.in-4°  , 
Venise,   1504   et   1519,    in-4°.  IV. 
Agislariorum  vetustissimœ  gentis 
origp  et  de  eisdem  epigrammatum  li- 
ber, Brescia,  1502,  in-4°.  Ce  recueil 
est  dédié  au  comte  Agislario  Cassacio 
deSumaglia.  \.  AdOnophriumadvo- 
catum  patricium  venetum   carmen , 
in-4°,  sans  date.  VI.  Vers  en  Vhon- 
neur  de  la  lyre,  Brescia,  in  4°,  sans 
date.  VII.  Traduction  en  vers  italiens 
de  la  lettre  de  Lentulus,  proconsul  de 
Judée,  au  sénat  romain.  On  la  trou- 
ve dans  le  Trésor  spirituel  imprimé  à 
Venise  par  Zoppino,  en  Î518.  Le  cé- 
lèbre Tassoni  avait  eu  le  projet  de 
donner  une  édition  choisie  des  œu- 
vres de  Sassi,  mais  il  ne  paraît  pas 
l'avoir  mis  à  exécution.  Les  contem- 
porains de  ce  poète  ont  porté  sur  lui 
les  jugements  les  plus  divers.  Élevé 
jusqu'aux  nues  par  les  un^,  il  e,st 


SAT 

accablé  d'injures  par  les  autres,  et 
l'on  pense  bien  qu'il  ne  méritait  ni 
cet  excès  d'honneur  ni  cette  indi- 
gnité. Le  fait  est  que  l'on  trouve  dans 
ses  poe'sies  beaucoup  d'imagination, 
mais  qu'elles  manquent  de  celte  pu- 
reté, de  celte  élégance  de  style  qui 
seules  peuvent  sauver  un  écrivain  de 
l'oubli.  Cependant  quelques  sonnets 
de  Sassi  seraient  lus  encore  aujour- 
d'hui avec  plaisir.  A — \. 

SATURNIN,  chef  d'une  des  sec- 
tes dans   lesquelles  se  partagea  le 
gnosticisme  ,  était  originaire  d'An- 
tioche  et  vivait  sous  le  règne  d'A- 
drien.    Il    chercha    à    former    un 
corps  de  doctrine  composé  de  tout 
ce  qu'il  y  avait  de  saillant  dans  les 
croyances  qui  l'entouraient;  des  la- 
cunes subsistent  dans  les  exposés 
de  son  système  tel  que  nous  l'ont 
transmis  des  écrivains  des  premiers 
siècles  du  christianisme,  saint  Irénée 
et   Tertullien,   Théodoret   et  saint 
Épiphane.   Il  publia  vers   l'an  115 
les  erreurs  des  Ménandriens,  en  don- 
nant un  nouvel  ordre  à  son    sys- 
tème sur  la  création  du  monde.  Sa- 
turnin   mêla   quelques  idées  chré- 
tiennes  à   des  principes  qu'il  em- 
prunta aux  dogmes  de  Zoroastre, 
^t  y  joignit  quelques  idées    prises 
chez  les  kabbalistes.  Il  admit  dans 
l'univers    deux    actions  différentes 
appartenant   à    deux   empires    op- 
posés l'un    à  l'autre.  D'après  lui , 
sept  anges,    les  sept  esprits  sidé- 
raux, ont  créé  le  monde  visible;  ils 
en  gouvernent  les  diverses  parties. 
Nous    ne   pouvons    ici  exposer   le 
système   théologique  de  Saturnin, 
système  oij,  à  côté  d'étranges  rêve- 
ries,  se    rencontrent    des    mythes 
d'une  grande  beauté,  où  l'on  aper- 
çoit un  esprit  subissant  l'influence 
de  Platon  et  de  Phi  Ion,  animé  d'un»- 
aversion  profonde  pour  le  judaïsm?. 


SAT 


SAT 


4  «>  «r 

loi 


On  peut  consulter  à  cet  égard  VHis- 
toire  du  gnosticisme,  par  M.  Malter 
(2^  édïU  1843, 1. 1,  liv.III,  chap.  3). 
Cette  école  se  répandit  peu;  son 
chef  ne  semble  pas  s'être  adressé  à 
la  foule,  et  ses  rares  disciples  ne 
sortirent  guère  de  la  Syrie.  Quel- 
ques autres  sectes  leur  empruntè- 
rent une  partie  de  leurs  principes, 
notamment  la  recommandation  de 
l'abstinence  du  mariage.  Ils  dispa- 
rurent bientôt ,  mais  les  théories 
de  Saturnin,  comme  celles  des  sec- 
taires de  la  même  époque  et  du 
même  pays,  ne  forment  pas  moins 
une  des  phases  les  plus  curieuses 
des  évolutions  de  l'esprit  humain 
sur  un  théâtre  remarquable,  sur  le 
confluent  des  doctrines  judaïques, 
chrétiennes,  persanes  et  grecques, 
lorsqu'elles  se  croisaient  dans  tous 
les  sens,  et  lorsque  aucune  d'elles 
n'avait  encore  acquis  la  suprématie. 

B — N — To 

SATURNIN  (1)  (Saint),  premier 
évêque  de  Toulouse,  dont  la  vie  est 
surtout  importante  parce  qu'elle  se 
lie  à  la  première  prédication  chré- 
tienne dans  les  Gaules,  et  que  c'est 
une  question  chronologique  long- 
temps débattue.  Cette  prédication 
remonte-t-elle  jusqu'aux  temps  des 
apôtres? ou  bien  ne  s'est-elle  accom- 
plie qu'au  troisième  siècle,  sous  le  rè- 
gne de  l'empereur  Dèce,  ainsi  que  le 
rapporteGrégoire  de  Tours?  Il  existe 
dans  le  midi  d'anciennes  et  respec- 
tables traditions  qui  font  débarquer 
sainte  Marthe  et  Lazare  à  Marseille: 
Marthe  même  vint  à  Arles  sous  le 
confluent  du  Rhône,  et  Trophime 
en  fut  le  premier  évêque.  Ces  sou- 
venirs se  célèbrent  encore  à  Taras- 


(l)  Oa  lui  donne  dans  le  midi  tlivers 
jioms,  et  plus  spécialement  celui  «le  ,s<'int 
&««rni«. 


con  avec  la  foi  la  plus  entière  et  la 
plus  ïiinve.  Quelques  écrivains  re- 
portent donc  à  cette  première  épo- 
que la  prédication  de  saint  Saturnin. 
Alors  Arles,  Toulouse  étaient  de 
grands  municipes  romains,  et  Mar- 
seille déployait  sa  splendeur  de 
colonie  grecque;  le  grand  com- 
merce do  ce  littoral  de  la  Méditer- 
ranée avec  la  Grèce  et  la  Syrie 
devait  favoriser  ce  concours  de  dia- 
cres et  d'évêques  qui  se  répandaient 
de  ce  point  sur  toute  la  Gaule ,  pour 
faire  entendre  la  parole  de  Dieu, 
Telle  est  l'opinon  de  plusieurs 
doctes  ecclésiastiques.  Quant  à 
saint  Saturnin,  le  témoignage  de  sa 
prédication  résulte  de  divers  au- 
teurs; voici  le  texte  d'un  passage 
de  Grégoire  de  Tours  (2):  «  Ce  fut 
«  sous  Dèce,  dit-il,  que  sept  évê- 
«  ques  furent  ordonnés  et  envoyés 
«  dans  les  Gaules  pour  y  prêcher  la 
«  foi,  ainsi  que  le  marque  l'histoire 
«  du  martyre  de  saint  Saturnin; 
«  car  on  y  lit:  Sous  le  consulat  de 
«  Dèce  et  de  Gratus,  comme  on  le 
«  sait  par  une  tradition  fidèle,  la 
«  ville  de  Toulouse  eut  saint  Satur- 
•  nin  pour  son  premier  évêque.... 
«  Voici  donc  les  évêques  qui  furent 
«  envoyés,  ajoute  Grégoire  de 
«  Tours;  Gratien  à  Tours,  Trophime 
«  à  Arles,  Paul  à  Narbonne,  Satur- 
«  nin  à  Toulouse,  Denis  à  Paris, 
«  Austremoine  en  Auvergne,  et 
u  Martial  à  Limoges  (3).  »  Saint  Sa- 
turnin fit  donc  partie  de  cette  grande 
mission  chrétienne  dans  les  Gaules, 
tout  entières  encore  au  paganisme, 
et  ce  qui  ne  permet  plus  de  doute  à 


(2)  Le  Bréviaire  de  P;jinpelune  tient  saint 
.Saturnin  jiour  son  premier  prédicateur  de 
la  foi  chrétienne,  et  celui  de  Tolède  en  fai> 
une  menti')!!  particulière,  aiu.M  que  \  ■>  < 
eu  ses  clii  o:iiffî3c.>  d'E?i)agne.  ■ 

(Ji)  Grégoire  de  Touv.s,  livre  1,  «h.  ■?-^- 


t38 


SAT 


SAT 


ce  sujet,  ainsi  que  le  constate  le  j'ére 
Bonneval  dans  sa  Dissertation  sur 
le  christianisme  dans  les  Gaules, 
c'est  que  l'acie  du  niait  y  re  de  saint 
Saturnin  est  intituU'  du  deuxième 
consulat  de  Dèce  et  Gratus,  ce  qui  lixe 
positivement  la  date  à  l'an  250  ;  telle 
est  aussi  l'opinion  de  l'abl)é  Fleory, 
qui  le  place  durant  la  persécution  de 
Valérien.  Saint  Saturnin  était  Grec 
d'origine,  de  la  ville  de  Patras  et  de 
sang  patricien.  Il  n'était  pas  rare 
de  voir,  dans  les  écoles  gauloises, 
des  philosophes  et  des  hommes  de 
science  qui  venaient  d'Athènes  ou  de 
Syrie.  Saint  Saturnin  visita  Nîmes, 
la  ville  romaine;  Carcassonne,  que 
devait  illustrer  saint  Papoul;  puis 
il  vint  s'établir  à  Toulouse  pour  y 
enseigner  le  christianisme,  c'est-à- 
dire  la  civilisation;  de  là,  il  passa  à 
Pampelune,  à  Tolède,  pour  revenir 
bientôt  dans  la  vilie  dont  il  avait  été 
fait  évêqiie.  A  cette  époque  tout  le 
midi  des  Gaules  était  peuplé  de 
belles  cités  avec  des  temples,  et  des 
cirques  ;  le  cuite  des  d'eux  y  était 
en  grand  respect  ;  Toulouse  avait 
ses  sanctuaires  polythéistes.  Or,  de- 
puis quelques  jours  les  oracles 
étaient  muets,  le  feu  de  divination 
ne  pénétrait  plus  les  pontifes,  et  le 
peuple,  qui  cherchait  avec  une  cu- 
riosité inquiète  la  cause  de  ce  si^ 
lence,  remarqua  un  homme  à  la 
figure  grave  qui  allait  visiter  la 
société  des  chrétiens.  Les  actes 
disent  que  saint  Saturnin  allait  à 
l'église  alors  bâtie  à  Toulouse,  ce 
qui  nous  paraît  tJU  anachronisme; 
ce  ne  pouvait  être  qu'une  chapelle 
creusée  dan.>  des  cryptes,  où  l'on 
célébrait  le  saint  sacritice  au  milieu 
<ies  tombes;  il  n'y  eut  quelques 
^iglises,  même  à  Rome,  que  dans  les 
lieux  ou  trois  règnes  qui  précédè- 
rent celui  de  Dioclétien,  à  plus  forte 


raison,  il  ne  pouvait  pas  en  exister 
dans  les  municipes  gaulois,  où  le 
polythéisme  était  plus  profondé- 
ment enraciné  et  la  superstition 
plus  sauvage.  Ces  murmures  du 
peuple  redoublaient,  lorsqu'un  jour 
p(mr  apaiser  la  colère  des  dieux, 
le  grand  pontife  ordonna  qu'un 
jeune  taureau  indompté  serait  sa- 
crifié sur  l'autel.  La  foule,  ivre 
de  joie,  conduisait  ce  taureau  cou- 
ronné de  fleurs  et  couvert  de  ban- 
delettes, comme  on  le  voit  encore 
sur  les  bas-reliefs  antiques,  lors- 
qu'elle rencontra  Saturnin,  le  pieux 
chrétien,  et  deux  diacres,  qui  se 
rendaient  à  la  sainte  assemblée. 
Aussitôt  le  peuple  s'écria  :  «  Voilà 
«  les  ennemis  de  Jupiter  Capito- 
«  lin  ;  qu'on  les  force  à  sacrifier 
«  aux  dieux  immortels.  »  Toulouse 
avait  sonCapitole,  ses  temples,  son 
forum  comme  à  Rome  même.  S^int 
Saturnin  fut  saisi  par  les  païens; 
les  deux  diacres  prirent  la  fuite,  et 
on  le  conduisit  au  pied  de  la  statue 
de  Jupiter  pour  sacrifier  aux  dieux. 
Là,  repoussant  l'encens  qu'on  lui 
ordonnait  de  jeter  dans  le  trépied 
sacré,  le  pieux  confesseur  dit  d'un 
ton  ferme  et  d'une  voix  sereine  : 
«  Je  crois  à  un  seul  Dieu  qui  a  créé 
«  ie  ciel  et  la  terre.  »  Ces  paroles 
sont  à  remarquer  sous  deux  rap- 
ports; elles  supposent  d'abord  la 
grande  antiquité  des  actes,  car  c'é- 
tait par  l'idée  d'un  seul  Dieu  que  les 
premiers  chrétiens  attaquaient  le 
polythéisme;  en  .'•econd  lieu,  en  voit 
que  saint  Saturnin  appartenait  à 
l'école  grecque  d'enseignement  et 
de  philosophie.  Continuant,  il  s'écria 
d'un  ton  railleur  :  «  Ce  sont  de  sin- 
«  ,i^u Mères  divinités  que  celles  qui  ne 
«  parlent  plus  parce  qu'un  chrétien 
"  passe  devant  elles  et  refuse  de 
«leur  sacrifier;  je    devrais  cram- 


SAT 


SAU 


130 


«  dre  vos  dieux,  et  ce  sont  eux  qui 
«  me  craignent.  «»  Alors  la  multitude 
furieuse  denirinda  d'une  se.» le  voix 
que  le  taureau  indompté  traînât  le 
saint  confesseur  par  une  lanière  du 
haut  du  portique  jusqu'au  pied  du 
temple,  qui,  toujours  à  l'imitation 
duGapitole  de  Rome,  était  placé  sur 
une  hauteur.  Lorsque  le  saint  fut 
au  bas  de  cette  pente  rapide,  son 
corps  n'était    plus   qu'une     masse 
'      sanglante   de  chairs  et   d'os.    Les 
i      chrétiens,    ses    pieux  compagnons, 
efTrayés  de  ce  spectacle,  s'enfuirent, 
et  son  corps  serait  resté  sans  sépul- 
ture, si  deux  jeunes  filles  ne  fussent 
venues  pour  l'ensevelir  et  le  cacher 
soigneusement,  afin  d'éviter  que  les 
païens  n'en  jetassent  la   poussière 
au  vent  (4).  Dans  toutes  les  grandes 
circonstances   de   la  vie   ou    de  la 
mort,  la  femme  chrétienne  se  trouve 
là  avec  le  dévouement  et  le  courage. 
Cinquante  ans  après,  tant  les  pro- 
grès du  christianisme  furent  rapi- 
des, Saint  Exupère,  quatrième  évê- 
que  de  Toulouse,  ht  élever  une  église 
là  où  le  corps  du  saint  avait  été  en- 
seveli :  elle  s'appelle  encore  1  église 
du  Taur  {taurus).  Aujourd'hui   il 
ne  reste  plus  du  Capitole,  à  Tou- 
louse, que  le  nom  municipal^  mais 
l'église  Saint-Saturnin,  resplendis- 
sante de  sa  vieillesse,  voit  la  foule 
s'agenouiller  en  ménioire  des  vieux 
temps.    Le   6  septembre  1258,  les 
restes  du  saint  évéque  furent  trans- 
férés dans  la  magnifique  église  qui 
porte  son  nom;  elle  dépendait  d'un 
très-ancien    couvent    de    religieux 
réguliers   de    Saint -Augustin,    qui 
furent  plus  tard  sécularisés  par  le 


(4)  La  date  du  martyre  de  saint  Safuriiiu 
est  iiicerlaÏQei  les  uns  l'ont  fixée  a  l'an  -iSl, 
le;,  autres  à  a5r.  Sh  fpte  est  le  2(j  ijoveiubre. 
L'S  Béaéclirtios  ont   publié  s.i  vie  dans   les 


pape  Clément  VIL  Ce  monastère 
avait  de  grands  privilèges;  il  était 
surtout  lieu  de  franchise,  et  toute 
la  puissance  du  duc  Didier,  qui,  à 
l'exemple  de  Frédégonde,  ne  s'ar- 
rêtait devant  rien,  ne  put  en  faire 
sortir  une  captive  qui  s'y  était  réfu- 
giée. Nos  rois  eurent  toujours  une 
grande  dévotion  à  saint  Saturnin, 
et  en  cela  ils  suivaient  l'exemple 
que  leur  avait  légué  Charleniagne, 
qui,  grand  pèlerin,  usait  de  ses  lè- 
vres la  pierre  des  toiubeaux  des 
martyrs  à  Rome.  T— r— l. 

SAUCEIIOTTE  (  Louis-Sébas- 
tien )  (1),  chirurgien,  né  à  Lunéville 
le  10  juin  1741,  commença  ses  étu- 
des au  collège  d'Épinal  et  s'appli- 
qua en  même  temps  à  la  chirurgie, 
dans  laquelle  il  fit  des  progrès  ra- 
pides. Attaché  aux  hôpitaux  mi- 
litaires, il  suivit  l'armée  française 
dans  la  campagne  de  Hanovre,  et, 
quelques  années  après,  s'étant  rendu 
à  Paris,  il  y  reçut  des  leçons  du  chi- 
rurgien Levret  (  voy.  ce  nom  , 
XXIV,  383).  De  retour  dans  sa  pa- 
trie, il  obtint,  en  1762,  le  titre  de 
maître  eu  chirurgie  à  la  faculté  de 
Pont-k- Mousson  ;  ea  1764  le  roi  Sta- 
nislas le  nomma  son  chirurgien  or- 
dinaire, piiis,  avec  la  qualité  de  li- 
thotomiste  en  chef  des  duchés  de 
Lorraine  et  de  Bar,  il  le  mit  à  la 
tête  d'un  établissement  de  charité 
pour  le  1  raitemcnt  des  maladies  calcu- 
leuscs,  fondé  à  Lunéville  par  les  ducs 
■de  Lorraine, et  que  Stanislas  soutenait 
par  sa  libéralité.  Saucerotte  déploya 
dans  cet  hospice  une  telle  habileté 


(i)  L'iiuteur  de  l Eloge  historique  de  Sau- 
cerotte et  la  Biographie  médicale  le  riom- 
ineut  Nicolas  ;  mais  M  Quérard  [France 
liltéraire)  dit  que  c'est  u«»e  erreur,  ei  que  les 
vrais  prénoms  de  Sati<  eiotte  él.iient  Louis- 
Sebastien.  La  France  littéraire  H'Ersih  les 
}n't  donne  également. 


HO 


SAU 


SAU 


pour  Topération  de  la  taille,  que  sa 
rt^putation,  sa  pratique  el  ses  succès 
s'étendirent  bien  au-delà  des  limites 
de  sa  province.  Il  av.iit  déjà  rem- 
porté plusieurs  palmes  acadéuiiques 
(quatre  prix  de  l'académie  de  chi- 
rurgie de  Paris,  dans  les  années 
1766,  1768,  1774  et  1775)  ,  lors 
qu'il  oblinr,  au  concours,  en  1779, 
la  place  de  chirurgien  -  major  de 
la  gendarmerie  de  France  ;  mais  ce 
corps  ayant  été  dissous  en  1789, 
il  fut  nommé  au  même  emploi  dans 
le  régiment  des  carabiniers ,  avec 
lequel  il  prit  part  aux  premières 
guerres  de  la  révolution.  En  1794, 
Saucerotte  devint  chirurgien  en  chef 
des  armées  du  Nord  et  de  Sambre- 
et- Meuse,  puis  membre  du  conseil 
de  santé.  Après  avoir  exercé  ces 
fonctions  pendant  plusieurs  années 
et  introduit  des  améliorations  dans 
les  hôpitaux  militaires,  il  fut  admis 
à  la  retraite  avec  unepension  due  à  ses 
nombreux  et  utiles  services.  Rentré 
dans  ses  foyers,  il  reprit  aussi  acti- 
vement que  par  le  passé  la  pratique 
et  l'étude  théorique  de  son  art  ;  il 
revit  ses  anciens  ouvrages  et  en 
composa  de  nouveaux.  En  1812,  il 
voulut  célébrer  d'une  manière  pa- 
triarcale et  religieuse  l'anniversaire 
de  la  cinquantaine  de  son  mariage 
et  de  sa  réception  en  chirurgie  :  le 
17  aoiit,  il  se  rendit,  avec  sa  femme, 
ses  enfants,  suivis  d'un  grand  nom- 
bre de  parents  et  d'amis ,  à  l'église 
de  sa  paroisse,  pour  y  rendre  des  ac- 
tions de  grâces  au  Ciel.  Cette  céré- 
monie touchante  fit  une  vive  impres- 
sion sur  les  habitants  de  Lunéville, 
et  les  deux  époux  reçurent  de  leur 
part  une  espèce  d'ovation.  Sauce- 
rotte en  conservâtes  plus  doux  sou- 
venirs, et  il  n'en  parlait  jamais  sans 
être  ému.  Mais  sa  santé,  déjachau- 
ceJantc  depuis  qu'il  avait   éprouvé 


une  atteinte  d'apoplexie  en  1811, 
allait  toujours  en  déclinant.  Une  nou 
velle  atiaque  l'enleva  le  15  janvier 
1814,  à  l'âge  de  73  ans.  Associé  de 
l'ancienne  Académie  royale  de  chi- 
rurgie de  Paris,  il  était  devenu  cor- 
respondant de  l'Institut  de  Fran- 
ce, auquel  il  communiqua  d'impor- 
tantes recherches  sur  les  probabili- 
tés de  la  vie  humaine;  il  apparte- 
nait aussi  aux  Sociétés  de  médecin?^ 
de  Bruxelles,  de  Paris,  de  Montpel- 
lier, de  Strasbourg,  de  Nancy,  et  à 
plusieurs  académies  étrangères.  Ou 
a  de  Saucerotte  :  1.  Un  mémoire  sur 
la  théorie  des  contrecoups  dans  les 
lésions  de  la  tête^  et  les  conséquence* 
pratiques  qu'on  enpeut  tirer^  1769  ; 
un  autre  sur  Vhygiène  chirurgicale 
(en  société  avec  Didelot  ),  1775.  Ces 
deux  mémoires,  couronnés  par  l'Aca- 
démie royale  de  chirurgie,  ont  été 
insérés  dans  les  recueils  de  cette  com- 
pagnie. II.  Examen  de  plusieurs  pré* 
jugés  et  usages  abusifs  concernant  les 
femmes  enceintes,  celles  qui  sont  ac- 
couchées^ et  les  enfants  en  bas  àge^ 
dont  les  effets  nuisent  à  la  popula- 
tion et  font  dégénérer  Vespèce  hu- 
maine, avec  le  moyen  à'y  remédier, 
1777,in-8°;  mémoire  couronné  par 
l'Académie  de  Nancy  ;  traduit  en  al- 
lemand, Erfurt ,  1788  ,  et  en  russe  , 
Saint-Pétersbourg,  1781, 1786,  in-S». 
111.  Dissertatio  medica  de  medica- 
mentorum  et  motus  effeclihus  in  the- 
rapia  syphilidis^  Strasbourg,  1790, 
in-S'*.  IV.  Histoire  abrégée  de  la  li- 
thotomie,  1790,  in-8°.  C'est  l'exposé 
succinct  des  procédés  que  Saucerotte 
employait  etdesobservationsqu'il  eut 
fréquemment  occasion  de  faire  lors- 
qu'il dirigeait  l'hôpital  de  Lunéville. 
W.  De  la  conservation  des  enfants 
pendant  la  grossesse,  et  de  leur  édu- 
cation physique  depuis  la  naissance 
jusqu'à  l'âge  de  six  à  huit  ans;  ou- 


SAU 

vrage  auquel  le  jury  pour  l*exa- 
men  de  livres  élémentaires  pro- 
posés par  la  Convention  nationale  a 
décerné  !e  premier  prix,  1796,  in-S*  ; 
Lunéville,  I808,in-12.  L'auteur  dé- 
dia la  première  édition  à  sa  femme, 
et  la  seconde  à  l'impératrice  de  Rus- 
sie. Cet  ouvrage  a  été  réimprimé, 
Paris,  1820,  in-18;  et  traduit  en 
allemand  ,  Leipzig,  1798  ,  in-8°.  VI. 
Plusieurs  mémoires  dans  le  Bulletin 
de  la  Société  Philomatique.  VU. 
Mélanges  de  chirurgie,  1801,  2  vol. 
in-8o.  C'est  le  recueil  des  meilleures 
productions  de  Saucerotte.  Il  y  a  in- 
séré différents  mémoires  qu'il  avait 
composés ,  dont  sept  obtinrent  des 
prix  académiques  ;  les  uns  avaient 
été  publiés  séparément,  les  autres 
étaient  restés  inédits.  Outre  ceux 
quenousavons  déjàcités,on  y  trouve 
tin  mémoire  sur  les  corps  étrangers 
arrêtés  dans  le  rectum;  un  autre 
sur  la  pustule  maligne;  un  autre 
sur  la  cure  radicale  de  la  teigne. 
Tous  ces  écrits,  toutes  Cfs  observa- 
tions montrent  l'auteur  comme  un 
praticien  consommé;  c'est  le  témoi- 
gnage que  lui  ont  rendu  ses  con- 
frères. M.  le  docteur  de  Haldat  a  pu- 
blié un  Éloge  historique  de  Sauce- 
rotte, Nancy,  1815,  in-S»,  lu  à  la  So- 
ciété royale  de  cette  ville.  — Victor 
Saucerotte,  fils  du  précédent ,  a 
exercé  avec  distinction  la  profession 
de  dentiste  à  Moscou  et  à  Paris. 
On  a  de  lui  un  Avis  sur  la  conser- 
imtion  des  dents,  avec  un  Appendice 
snr  le  perfectionnement  des  dents  ar- 
tificielles etc.,  Paris,  1813,  in-12.  ÎI 
a  laissé  un  fils  qui  est  actuellement 
doctearen  médecine,  professeur  d'his- 
toire naturelle  à  Lunéville,  et  auteur 
de  plusieurs  ouvrages.  La  célèbre  tra- 
gédienne Raiicourt  (t?oy.  ce  nom  , 
XXXVII,  136)  appartenait  à  la  fa- 
mille Saucerotte.  R — D—N. 


SAU 


141 


SA  fJDRA Y  ou  Desaudrais  (Chab- 
Lts  Gaullard  de),  fut  d'abord  se- 
créJaire  de  légation  française  à 
Saint-Pétersbourg,  à  Cunstantino- 
ple,  à  Berlin  et  à  Londres.  Entré 
dans  la  carrière  des  armes,  il  devint 
colonel  du  génie  et  obtint  la  croix  de 
Saint-Louis.  Le  12  juillet  1789,  les 
électeurs  de  Paris  réunis  à  l'hôtel- 
de-ville,  le  nommèrent  commandant 
en  second  de  la  milice  parisienne, 
dont  le  marquis  de  Lasa!le(t;oy.  ce 
nom,  LXX,  314)  avait  été  nommé 
commandant  en  chef.  Le  14,  un  ras- 
semblement nombreux  s'étant  porté 
à  l'Arsenal  pour  avoir  des  munitions, 
y  trouva  Clouet,  l'un  des  régisseurs 
des  poudres  et  salpêtres;  comme  il 
était  revêtu  de  son  uniforme  mili- 
taire, on  le  prit  pour  le  marquis  de 
Launay,  gouverneur  de  la  Bastille, 
et  sans  l'intervention  de  Cholat,  un 
des  assaillants,  il  allait  être  massa- 
cré. Entraîné  cependant  à  l'hôtel-de- 
ville,  de  nouveaux  cris  de  mort  se 
firent  entendre  contre  le  malheu- 
reux Clouet,  et  c'est  là  que  le  che- 
valier de  Saudray  lui  sauva  la  vie  au 
péril  de  la  sienne,  car  il  reçut  en 
cette  occasion  sur  la  tête  un  coup 
de  sabre  qui  le  blessa  grièvement. 
Sur  la  proposition  de  Bailly,  chargé, 
ainsi  que  Lafayette,  par  les  élec- 
teurs de  89,  de  solliciter  des  récom- 
penses nationales  pour  Lasalle  et 
Saudray,  l'Asseniblée  constituante, 
dans  sa  dernière  séance  (30  septem- 
bre 1791),  rendit  un  décret  accor- 
dant à  celui-ci  une  pension  de  1,000 
francs.  En  1792,  Saudray,  avec  le 
conct)urs  de  plusieurs  savants,  fonda 
le  Lycée  (aujourd'hui  Athénée)  des 
Arts^  dont  il  devint  secrétaire-géné- 
ral, et  y  fut  professeur  d'économie 
politique.  Le  5  frimaire  an  ii  (  25  no- 
vembre 1 793  ),  il  se  présenta,  comme 
orat^^ur  d'une  députalion   de  cttte 


142 


SAU 


SAU 


société,  à  la  barre  de  la  Cunvenlioti 
nationale,  annonça  les  prix  décernés 
par  le  Lycée  aux  auteurs  de  décou- 
vertes utiles,  et  lit  en  même  temps 
hommage  de  sa  |)ensiou  de  1,000 
francs  pour  subvenir  aux  besoins  de 
la  patrie.  l,e  don  fut  accepté,  et  l'on 
en  proposa  la  mention  honorable; 
mais  Danton  demanda  qu'on  véri- 
tiâl  auparavant  si  cette  pension  élait 
celle  que  Lafayette  avait  fait  obtenir 
à  Saudray  pour  avoir  travaillé  avec 
lui  à  l'organisation  couire-révolu- 
lionnaire  de  la  garde  nationale,  at- 
tendu que,  dans  ce  cas,  la  nation  ne 
lui  devrait  pas  de  remercîments  ;  et 
la  mention  honoraf)le  fui  ajournée. 
Le  15  floréal  an  m  (4  mai  1795),  Sau- 
dray, encore  à  la  tête  d'une  dépu- 
tation  du  Lycée,  offrit  à  la  Conven- 
tion un  pavillon  tricolore  dont  la 
partie  rouge  était  teinte  avec  de  l^a 
cochenille  dite  sylvestre,  apportée 
du  Mexique  et  naturalisée  à  Saint- 
Domingue.  11  donna  sur  cet  objet 
quelques  détails  scientifiques  dans 
un  discours  qui  fut  mentionné  ho- 
norablement. En  1797,  il  demanda 
au  gouvernement  la  prolongation 
du  bail  et  la  jouissance  gratuite  du 
cirque,  qui  existait  alors  dans  le 
jardin  du  Palais-Royal,  et  oii  le  Ly- 
cée tenait  ses  séances^  il  adressa 
aussi  au  Moniteur  une  lettre  pour 
justifier  cette  ^ociété,  à  laquelle  un 
journaliste  reprochait  de  solliciter 
continuellement  des  secours  pécu- 
niaires. Cependant,  sur  le  rapport 
de  Camus  (5  ventôse  an  v),  la  péti- 
tion de  Saudray  fut  écartée  au  con- 
seil des  Cinq-Cents  par  l'ordre  du 
jour.  11  continua  de  prendre  part 
aux  travaux  du  Lycée;  et  dans  la 
séance  publique  du  30  vendémiaire 
an  VII  (21  oct.  1798),  on  mentionna 
avec  éloge  les  heureux  essais  d'une 
double  échelle  à  incendie  qu'il  avait 


inventée.  Il  était  membre  de  l'an- 
cienne académie  d'Arras,  de  la  so- 
cié  d'institution  de  Paris,  du  bureau 
de  consultation  des  arts  et  métiers, 
etc.  On  a  de  lui  :  1.  Plusieurs  pièces 
de  théâtre  qui  n(  paraissent  pas 
avoir  été  imprimées.  11.  Mémoire 
sur  la  première  expérience  de  la 
congélation  du  mercure  à  Saint- 
Pétersbourg^  1767. 111.  Ode  sur  l'im- 
mortalité de  l^âme,  présentée  à  l'a- 
cadémie d'Arras,  1789.  IV.  Plan 
d'organisation  générale  de  la  force 
publique  dans  l'intérieur  du  royau- 
me, communiqué  aux  comités  mili- 
taire et  de  constitution  le  19  mars 
1791,  in-8".  V.  C'owr*  complet  d'é- 
conomie politique.  VI.  Nouvelle 
constitution  libre  des  sciences  et  de$ 
arts  Vil.  Annuaire  du  Lycée  des 
artSj  1795  et  an.  suiv.,  in-12.  Vlll. 
(avec  Jacques -Annibal  Ferrières). 
J'ai  la  parole  sur  les  finances^  etc., 
1795,in-8o,  P— RT. 

SAUGRAIN  (Guillaume),  librai- 
re k  Paris,  était  issu  d'une  des  plus 
anciennes  familles  qui  aient  exercé 
cette  profession  en  France,  et  un 
de  ses  ancêtres  avait  été  iniprimeur- 
libraire  de  Henri  ÎV,  alors  roi  de 
Navarre.  Guillaume  a  publié  :  La 
Maréchaussée  de  France^  ou  Recueil 
des  édits,  déclarations,  lettres-pa- 
tenteSy  etc.,  concernant  la  création  , 
établissement,  fonctions,  rang,  etc., 
de  tous  les  officiers  et  archers  de 
maréchaussée,  Paris,  1697,  in-é".  Il 
avoue  lui-même  avoir  été  aidé  par 
un  oflicier  de  cette  arme  dans  la  ré- 
dactior»  de  son  recaeil.  —  Saugrain 
{Claude-Marin),  de  la  même  famille, 
se  livra  aussi  au  commerce  de  la 
librairie  et  devint  syndic  de  sa  com- 
munauté. On  a  de  lui  :  I.  Code  des 
chasses^  Paris,  1713,  1720,  1734, 
1753,  1765,  2  vol.  in-12.  Les  nom- 
breuses éditions  de  cet  ouvrage  attes- 


SAU 

tent  son  utilité  pour  l'époque  oui! 
a  paru.  II.  Les  curiosités  de  Paris, 
de  Versailles,  de  Marly,  de  Vincen- 
nes,  de  Saint  Cloud  et  des  environs^ 
Paris,  1716,  in-12,  avecfig.  Ce  fut  le 
premier  livre  dédié  à  Luis  XV. 
L'auteur  en  donna  une  nouvelle  édi- 
tion, avec  des  augmentations  four- 
nies par  Piganiol  de  la  Force,  Paris, 
1723,  2  vol.  in-12,  fig.  Le  Journal 
des  savants,  celui  de  Verdun,  les 
Mémoires  de  Trévoux,  rendirent  un 
compte  avantageux  de  l'ouvrage.  111. 
Nouveau  voyage  de  France,  géogra- 
phique, historique  et  curieux,  dis- 
posé par  différentes  routes,  à  l'usage 
|v  des  étrangers  et  des  Français,  Paris, 
P  1718,  1730,  in  12.  IV.  Dictionnaire 
universel  de  la  France  ancienne  et 
moderne,  Paris,  1726,  3  vol.  in-îoL 
Vintroduction  est  de  l'abbé  des 
Thuileries,  qui  aida  Saugrain  dans  la 
rédaction  de  ce  dictionnaire  et  en 
dirigea  l'impression  (voy.  Thuile- 
ries, XLV,  578).  Le  Mercure  et  les 
autres  journaux  littéraires  du  temps 
en  firent  l'élOgc .  V.  Code  de  la  librai- 
rie et  imprimerie  de  Paris,  ou  Con- 
férence du  règlen»ent  arrêté  au  con- 
seil d'État  du  roi  le  28  février  1723 
avec  les  anciennes  ordonnances,  im- 
primé aux  frais  de  la  communauté, 
Paris,  1744,  in-12  Au  règlement  de 
1723,  rédigé  par  le  chancelier  d'A- 
guesseau,  Saugrain  a  joint ,  comme 
corollaires,  les  édits,  déclarations, 
arrêts,  etc., concernant  l'imprimerie, 
et  même  la  librairie  avant  i'iuven- 
tion  de  l'art  typographique,  c'est-à- 
dire  depuis  1332  jusq-.i'en  1744. 
Quoique  la  plupart  des  dispositions 
qu'il  renferme  soient  modiHées  ou 
ahrogét^s ,  ce  recueil  n'en  est  pas 
moins  curieux  et  encore  recherché. 
—  Saugkain,  de  la  même  lamille 
que  les  précédents,  né  vers  1736, 
exerça  d'abord  la  profession  de  li- 


SAU 


14?, 


braire ,  mais  l'abandonna  quelques 
années  avant  la  révolution,  lorsque 
le  comte  d'Artois  lui  confia  la  garde 
de  la  précieuse  bibliothèque  du  mar- 
quis de  Paulmy  à  l'Arsenal,  dont  il 
avait  fait  l'acquisition  et  qu'il  enri- 
chit encore  de  la  seconde  partie  de 
celle  du  duc  de  la  Vallière,  achetée 
parles  conseils  de  Saugrain.  On  sait 
que  le  comte  d'Artois,  très -opposé, 
dès  l'origine,  aux  innovations  poli- 
tiques, était  devenu  l'objet  de  l'ani- 
madversion  populaire  ;  aussi,  le  14 
juillet  1789,  jour  de  la  prise  de  la 
Bastille,  un  rassemi)lement  nom- 
breux se  portait  à  l'Arsenal  dans 
l'intention  de  dévaster  la  bibliothè* 
que  appartenant  au  prince.  Une  ins- 
piration soudaine  de  Saugrain  pré- 
serva ce  bel  établissement  d'une 
ruine  imminente.  D'après  ses  ordres, 
le  suisse  endosse  promptement  un 
habit  de  la  maison  du  roi,  puis  i! 
ouvre  la  porte  ,  et  celte  multitude 
forcenée,  prenant  le  change,  à  la  vue 
de  la  livrée  royale,  se  retire  sans 
counncttre  de  dégâts.  Plus  tard  Sau- 
grain montra  une  fermeté  qui  lui  lit 
souvent  courir  de  grands  dangers, 
pour  conserver  intact  le  dépôt  dont 
il  était  resté  chargé,  et  il  empêcha 
plusieurs  fois,  pendant  le  cours  de  la 
révolution,  que  les  livres  n'en  fussent 
dispersés  dans  d'autres  établisse- 
ments. Enfin,  quand  la  bibliothèque 
de  l'Arsenal  fut  organisée,  il  en  de- 
mïmra  conservateur  et  continua  de 
remplir  ces  fonctions  avec  autant  de 
zèle  que  d'intelligence,  sachant  par 
son  aménité  se  concilier  l'estime  des 
gens  de  lettres  et  de  tous  ceux  qui 
étaient  en  rapport  avec  lui.  Saugrain 
mourut  3  Palis  en  1806.       P — rt. 

SAULI  ou  Suli  (Ibrahim),  poète 
arabe,  fils  d'Abbas,  était  né  à  Bagh- 
dad ,  et  mourut  à  Samarath  en  243 
de  l'hégire  (857  de  J.-C),  Il  a  com- 


X\Â 


SAU 


SAÎJ 


|,u<>e  un  Dican^  ou  recueil  de  poé- 
sies, qui  n'est  point  volumiueux, 
mais  plein  de  feu  et  de  génie.  Si 
l'on  on  croit  Ibn-Khilcan  ,  il  était 
Géorgien  et  chrétien  ;  mais  les  kha- 
lifes onnnyad»-s  s'élant  emparés  de 
la  Géorgie,  il  fut  fait  prisonnier,  em- 
brassa !e  ujahométisme  et  obtint  sa 
liberté-— Un  autre  écrivain  du  même 
nom,  dit  Abou-Bekr  Ben-Mahomet 
iien-Jachia^  diComposi^  une  Histoire 
des  Vizii^s  et  d'autres  ouvrages.  Il 
mourut  en  335  de  l'hégire  (  946  de 
J.-C.)-  On  lui  doit  aussi  une  Histoire 
des  poètes  arabes  par  ordre  alpha- 
bétique. D'Herbelot  en  parle,  p.  43 
de  sa  Biblioth.  orient.       J—n. 

SAULNIER  (Guillaume),  au- 
teur dramatique,  né  à  Vrigny  en 
Normandie,  le  l®""  juillet  1755,  com- 
posa un  grand  nombre  d'opéras 
qu'il  ne  put  parvenir  à  faire  repré- 
senter, et  qu'il  n'a  pas  livrés  à 
l'impression,  entre  autres,  Cam- 
byse^  ou  Hyder-Kan  (proposé  en 
1790  et  1799);  le  Triumvirat  {il 9b) -^ 
ta  Desctnte  des  Français  en  Angle- 
terre (1798)  ;  Almansor  (1799,  1806 
et  181T),  etc.  Ses  pièces  imprimées, 
sont:  I  (avec  Dariieux).  La  Journée 
du  10  août  1792,  ou  la  Chute  du 
dernier  tyran.,  drame  en  4  actes 
et  tn  prose,  mêlé  de  chants  et 
de  déclamation,  Paris,  1793,  in-S». 
II  (avec  Duthil).  Le  Siège  de  Thion- 
tnllCy  drame  lyrique  en  deux  actes 
et  en  vers,  Paris,  1793,  in-8'*.  lll. 
Mahomet  JI,  tragédie  lyrique  en 
trois  actes  et  en  vers,  Paris,  1803, 
in-80.  En  1820,  Saulnier  fil  des 
chaiigenients  à  l'opéra  de  Guillard, 
intitulé  Arvire  et  Èvélina,  qu'il  ré- 
duisit en  deux  actes.  11  avait  épousé 
la  sœur  du  marquis  de  Livry,  était 
frère  et  oncle  de  célèbres  danseuses 
de  l'Opéra,  et  employé  dans  la  régie 
des  jeux,  2. 


SAULNIER  de  lieauregard  {ihmi 
Antoine,  dans  le  monde,  Anne-ÎNi- 
colas-Charles)  ,  l'un  des  plus  cé- 
lèbres trappistes,  naquit  a  Joigny, 
diocèse  de  Sens,  le  20  août  1764. 
Son  père,  Edme  Saulnier,  était  avo- 
cat au  parlement,  prévôt  de  Joigny 
et  conseiller -doyen   du    roi   en   la 
même  ville,  seigneur  de  Moulins  et 
de  Flandres,  juge  supérieurdu  comté 
de  Joigny ,  juge  subdélégué  du  bar- 
reau de  Paris  et  du  prévôt  des  mar- 
chands, etc.  Sa  mère  ,  Marie- Mar- 
the  Bazin,    était  une    femme  fort 
pieuse.  Ces  parents,  encore  plus  re- 
commandables  par  leur  conduite  re- 
ligieuse que  par  leur  position  sociale, 
voyant  les  heureuses  et  précoces  dis- 
positions de  leur  fils, et  voulant  veil- 
ler surses  premières  années,  se  déci- 
dèrent à  lui  faire  donner  sous  leurs 
yeux   son    éducation    première.    Si 
leurs  espérances  avaient  été  grandes, 
elles  furent  surpassées  par  le  suc- 
cès. Dès  l'âge  de  cinq  ans  l'écolier 
était    capable   d'écrire    une    petite 
lettre,  et  nous  dirons,  à  cette  occa- 
sion, qu'il  conserva  toute  sa  vie,  à 
un  haut  degré,  le  talent  épistolaire. 
A  l'âge  de  sept  ans,  il  reçut  la  tonsu- 
re, et  fut  pourvu  du  bénéfice  de  No- 
tre-Dame de  l'Immaculée  Conception^ 
chapelle  de  l'église  paroissiale  Saint- 
Thibault,  à  Joigny.  Après  avoir  ter^ 
miné  des  études  solides,  y  compris 
sa  rhétorique,  au  collège  de  sa  ville 
natale,  Antoine   Saulnier,  âgé   de 
quatorze  ans,  fut  nommé  chanoine 
de  Sens  et  se  fit  remarquer  de  tous 
les   membres  du   chapitre   par    sa 
piété  ;  il  passa  une  année  à  Sens  pour 
faire  son  stage  dans  la  cathédrale  et 
sa  philosophie.  Au  commencement 
de  sa  dix-septième  année ,  il  vint  à 
Paris ,   entra    au    séminaire  Saint- 
Firmin,tenu  par  les  Lazaristes,  et  y  fit 
ce  qu'on  appelait  le  Quinquennium. 


SAU 

Dans  cette  maison,  ses  thèses,  supé- 
rieures en  rédaction  et  en  mérite  à 
celles  de  ses  condisciples,  lui  pro- 
curèrent la  fonction  de  maître  des 
conférences.  Après  cinq  ans  de  sé- 
jour à  Saint-Firmin,  il  en  sortit,  en 
1788,  pour  aller  habiter  le  bâtiment 
des  Bacheliers  de  la  maison  de  Na- 
varre, où  il  fit  sa  licence  avec  beau- 
coup d'éclat,  dit-on,  mais  n'eut  point 
de  place  assignée,  selon  l'usage,  à 
cause  des  troubles  que  la  révolution 
avait  déjà  jetés  même  dans  les  fticul- 
tés  de  théologie  (1).  Reçu  docteur 
en  1790,  le  20  février  (2),  Saulnier 
désira  achever  son  droit,  qu'il  avait 
commencé  dès  l'année  1789,  sous  les 
auspices  du  professeur  Sarrête  ,  qui 
le  prit  en  affection  et  l'engagea  à 
assister  aux  répétitions  qu'il  donnait, 
trois  fois  la  semaine,  aux  enfants  de 
M.  d'Aligre,  premier  président  du 
parlement  de  Paris. Ce  magistrat,  qui 
était  presque  toujours  présent  aux 
leçons  de  ses  enfants,  ayant  eu 
occasion  d'entendre  argumenter  le 
jeune  abbé,  apprécia  son  mérite  et  sa 
grande  facilité  à  s'exprimer  en  latin. 
Il  s'en  souvint,  et  nous  lisons  que 
dix-huit  mois  plus  tard,  il  nomma 
Saulnier  conseiller-clerc  au  parle- 
ment de  Paris.  L'époque  nous  fait 
paraître  ce  fait  un  peu  douteux. 
Quoi  qu'il  en  soit,  la  révolution,  qui 
allait  renverser  le  parlement,  lequel 
avait  lui-même  sapé  les  bases  du 
trône,  empêcha  le  jeune  conseiller- 


(i)  La  place  assignée  dans  la  licence  était 
un  titre  à  la  distinction  et  aux  honneurs,  vu 
l'influence  qu'exerçait  l'opinion  attacliée  au 
mérite  du  sujet  qui  l'avait  obtenue.  —  Ou 
peut  consulter  une  série  d'articles  étendus 
que  nous  avons  donnés  nous-mème,  dans 
La  Voix  de  la  vérité,  sur  l'histoire  et  les 
usages  de  l'ancienne  et  de  la  nouvelle  Sor- 
boune. 

(2)  La  dernière  liste  des  docteurs  avait 
été  publiée  en  1786. 

LXXXI. 


SAU 


Ui 


clerc  d'exercer  cet  honorable  emploi. 
Tout  en  se  livrant  à  l'étude  du  droit, 
l'abbé  Saulnier  voulut  acquérir  aussi 
des  connaissances  dans  les  sciences 
naturelles  et  la  chimie  5  il  assistait 
aux  leçons  de  Fourcroy,  de  Jussieuet 
de  Daubenton,  possédait  un  alambic 
dans  sa  chambre  et  se  composait  un 
herbier.  Ses  connaissances  variées 
lui  furent  utiles  plus  tard  à  Lulworth 
et  à  Melleray.  Le  samedi  saint,  U 
avril  1789,  il  avait  été  ordonné  dans 
la  chapelle  de  Tévêché,  à  Meaux,  par 
l'évêquedeBabylone.  En  1792,  quand 
un  prêtre  ne  dut  plus  s'attendre  qu'à 
des  persécutions,  Saulnier  exerçait 
encore  le  saint  ministère.  Il  fut  té- 
moin, à  Paris,  des  premiers  meur- 
tres qui  furent  l'affreux  prélude  de 
tant  d'autres.  11  fallut  pourvoir  à  sa 
conservation,  et  l'abbé  Saulnier  se 
détermina  à  émigrer  et  devint,  à 
Bruxelles,  précepteur  des  enfants 
d'un  gentilhomme  breton,  M.  de  la 
Bourdonnaye  de  Blossac,  Plus  tard, 
il  fut  repoussé,  par  l'invasion  des 
troupes  françaises,  jusqu'à  la  petite 
ville  de  Duisbourg,  sur  le  Rhin,  d'où 
il  passa  à  Londres  avec  la  famille  à 
laquelle  il  était  attaché.  Là,  son  pro- 
jet était  de  former  une  institution 
de  jeunes  gens,  s'il  avait  pu  déter- 
miner à  le  suivre  l'abbé  Mey  et  un 
autre  de  ses  amis.  Mais,  tout  à  coup, 
pressé  par  la  grâce,  ayant  procuré 
un  autre  précepteur  à  ses  élèves, 
après  un  an  de  séjour  à  Londres,  il 
partit  pour  le  monastère  de  Lul- 
worth, dans  le  comté  de  Dorset,  que 
les  Trappistes  exilés  avaient  depuis 
peu  fondé  sur  les  terres  et  par  la 
générosité  de  lord  Weld.  Après  un  fer- 
vent noviciat,  pendant  lequel  il  por- 
tait, avec  rhabit  religieux,  le  nom  de 
frère  Antoine^  l'abbé  Saulnier  fit 
généreusement  sa  profession,  le  15 
juin  179.'i.  Le  nouveau  religieux  était, 

10 


146 


&AU 


comme  il  est  facile  de  le  c(»nccvoir, 
un  des  sujets  les  plus  distingués  de 
la  maison*,  aussi  lui  conlia-t-on  des 
emplois  importants,  celui  de  c<^lé- 
rier  et  autres.  Jouissant  de  la  con- 
fiance des  éveques  d'Angleterre,  il 
fut  prié  d'être,  en  qualité  de  confes- 
seur extraordinaire ,  directeur  de 
plusieurs  communautés  de  femmes 
étrangères  à  son  ordre.  En  1810,  il 
succéda  au  P.  dom  Maur,  supérieur 
de  la  conmiunauté.  Depuis  treize  ans 
d'existence,  le  monastère  de  Lul- 
worth  n'avait  vu  persévérer  qu'un 
petit  nombre  de  novices,  et  même 
aucun  postulant  de  se  présentait. 
Sous  la  direction  du  P.  Antoine,  les 
religieux  reçurent  plus  de  sujets  en 
quelques  mois  qu'ils  n'en  avaient 
reçu  auparavant  en  plusieurs  an- 
nées. Trois  ans  après  son  élévation 
à  la  charge  de  supérieur,  le  P.  An- 
toine fut  béni  solennellement  abbé, 
par  G.  Poynter,  évêque  du  district 
de  Londres  ^  mais  Lulworth  ne  fut 
pas  pour  cela  érigé  en  abbaye.  Sui- 
vant l'usage  établi  dans  l'émigrai'ion 
par  dom  Augustin  de  Lestrange  {voy. 
ce  nom,  LXXI,  401),  qui  avait  même 
institué  à  cette  fin  un  tiers-ordre  de 
la  Trappe,  pour  se  prêter  aux  besoins 
des  eirconsiauces,  Lulworth  élevait, 
comme  le  couvent  de  Saint-Benoît, 
de  jeunes  enfanta  dans  la  piété  et 
dans  l'étude  des  langues.  Néanmoins 
il  n'y  avait  point  de  tiers-ordre  à 
Lulworth.  La  Providence  permit  que 
la  vertu  et  la  patience  du  nouvel 
abbé  fussent  exercées  de  mille  ma- 
nières. Tantôt  il  était,  lui  comme  ses 
religieux,  victime  de  la  calomnie; 
tantôt  on  accusait  la  maison  de  bles- 
ser les  lois  du  royaume;  tantôt  on 
défendait  la  profession  des  novices, 
tantôt  on  permettait  des  vœux  pour 
trois  ans.  Eu  1815,  un  religieux, 
profès  de  trois  ans,  quitta  son  ordre 


SAU 

el  la  religion  catholique,  accusa 
horriblemeui  ses  anciens  confrères, 
que  dom  Aiiioine  fui  obligé  de  justi- 
fier devant  lord  Sydmouth,  ministre 
de  l'intérieur,  lequel,  satisfait  des 
explications,  voulut  néanmoins  que 
dom  Antoine  se  déterminât,  vu  les 
intentions  et  les  dispositions  du  gou- 
vernement anglais,  à  reconduire  ses 
religieux  en  France.  Cette  transla- 
tion de  la  communauté  se  fit  en 
effet  en  1817,  et  le  P.  abbé  ramena 
ses  moines  à  l'ancien  monastère 
de  Melleray,  arrondissement  de  Cha- 
teaubriant, département  de  la  Loire- 
Inférieure.  Cette  maison,  qui  avait 
jadis  appartenu  à  l'ordre  de  Cîteaux, 
fut  érigée  en  abbaye,  et  par-là  re- 
couvra son  ancienne  destination 
et  acquit  une  renommée  dont  elle 
n'avait  jamais  joui.  La  Trappe  de 
Melleray  devint  bientôt  la  plus  nom- 
breuse colonie  de  Bernardins ,  et 
peut-être  la  plus  célèbre  des  mai- 
sons de  la  réforme  eu  France.  L'abbé 
y  fit  des  entreprises  et  des  établisse- 
ments d'agriculture  et  autres  indus- 
tries, qui  attirèrent  sur  sa  maison 
la  curiosité  et  l'intérêt  des  voya- 
geurs, et  lui  valurent  même  un  rap- 
port louangeur  d'un  ministre.  L'é- 
vêque  de  Nantes,  qui  avait  donné  des 
lettrés  de  grand-vicaire  à  dom  An- 
toine, s'unit  aux  chevaliers  de  Saint- 
Louis  pour  engager  ce  célèbre  reli- 
gieux à  faire  l'oraison  funèbre  du 
duc  de  Berry.  II  obtint  cette  ex- 
ception aux  usages  de  la  Trappe,  et 
le  P.  abbé  prononça  en  effet  cette 
oraison  funèbre,  dans  la  chaire  de  la 
cathédrale  de  Nantes,  le  22  mars 
1820,  cinq  semaines  après  l'assassi- 
nat du  prince.  Huit  ans  plus  tard,  il 
eut  l'honneur  de  recevoir  dans  son 
abbaye  madame  la  duchesse  de  Berry, 
lors  de  son  voyage  dans  les  provinces 
de  rOuest,  en  1828.  Après  la  mort 


SAU 

de  dom  Augustin  de  Lestrange,  arri- 
vée en  juillet  1827,  doin  Antoine  fut 
nommé  visiteur  des  maisons  de 
Trappistes  en  France,  et,  il  faut  le 
dire,  s'il  mit  du  zèle  à  s'acquitter  de 
cette  nouvelle  [onction,  il  n'y  porta 
pas  la  prudence  qu'on  aurait  pu  at- 
tendre et  n'obtint  pas  le  succès 
qu'il  aurait  pu  désirer.  Aucune  mai- 
son, peut-être,  n'eut  lieu  d'être  plei- 
nement satisfaite  de  ses  procédés. 
A  cette  époque,  non-seulement  quel- 
ques monastères  étaient  opposés  à 
la  réforme  de  dom  Augustin  et  en 
suivaient  une  plus  douce  ^  mais  plu- 
sieurs religieux  qui  devaient  gar- 
der, par  position  et  par  reconnais- 
sance, les  liaisons  les  plus  étroites 
avec  ce  saint  prêtre ,  avaient  rom~ 
pu  avec  lui  et  s'étaient  joints  aux 
opposants.  La  franchise  nous  oblige 
à  signaler  ici  le  P.  Marie-Michel 
Leport,  supérieur  de  la  Trappe  de 
Belle-Fontaine  (Maine  -  et  -  Loire) , 
qui  oublia  tout  ce  qu'il  devait  à  son 
bienfaiteur  et  supérieur  majeur,  et 
engagea  plusieurs  moines  de  sa  mai- 
son à  partager  ses  idées  d'indépen- 
dance. Nous  avons  lieu  de  croire, 
d'après  des  aveux  à  nous  faits  par 
dom  Antoine,  que  celui-ci  avait  été 
initié  aux  projets  du  P.  Marie-Michel 
et  les  avait  approuvés.  11  en  porta  la 
peine  plus  tard,  car,  devenu  visiteur, 
il  vit  la  maison  de  Belle-Fontaine 
agir  à  sou  insu  et  contre  son  gré 
dans  son  émancipation  hiérarchique. 
Apprenant  que  les  religieux  de  ce 
monastère  projetaient  d'élever  leur 
supérieur  à  la  dignité  d'abbé,  ce 
qu'ils  avaient  déjà  commencé  par 
une  élection,  il  se  rendit  à  Belle- 
Fontaine,  et  fit  ôter  du  chapitre  les 
marques  de  distinction  données  au 
siège  de  l'abbé  futur,  disant  avec 
autorité  qu'il  n'y  avait  que  lui  d'abbé 
dans  la  maison.  Il  était  persuadé,  et 


SAU 


14T 


il  nous  l'avait  dit  à  nous-môme,  d'a- 
près une  promesse  du  nonce,  qu'on 
ne  nommerait  d'abbés  pour  la  France 
que  de  concert  avec  lui.  Les  religieux 
de  Belle-Fontaine  députèrent  direc- 
tement à  Rome,  et  tirent  ériger  leur 
maison  en  abbaye,  à  l'insu  de  dom 
Antoine,  qui  ne  fut  pas  même  chargé 
de  la  bénédiction  de  Tabbé  Marie- 
Michel,  faite  par  Pévêque  d'Angers, 
ce  à  quoi  il  nous  témoigna  avoir  été 
fort  sensible.  Il  était  ennemi  du  tiers- 
ordre  établi  par  le  zèle  de  dom  Au- 
gustin de  Lestrange,  et  travaillait  à 
le  détruire.  Dans  la  visite  qu'il  lit  à 
la  communauté  du  tiers -ordre,  à 
Louvigné-du-Désert  (Ille-et-Vilaine), 
il  dit  avec  une  brusquerie  inconce- 
vable que  celte  communauté  était 
dissoute  et  que  les  religieuses  étaient 
excommuniées.  La  maison  n'en  conti- 
nua pas  moins  d'exister,  et,  lui,  con- 
tinua* d'y  agir  en  supérieur.  Nous 
avons  cité  ces  deux  traits  pour  faire 
apprécier  la  c/anduite  qu'il  tint  dans 
l'exercice  d'un  gouvernement  qui 
troubla  sa  tranquillité  et  nuisit  à  sa 
réputation  d'administrateur.  Il  eût 
été  à  désirer  pour  lui  qu'il  ne  fût 
chargé  que  de  son  monastère,  et 
qu'il  y  établît  plus  universellement  la 
régularité  extérieure  qu'il  contri- 
buait à  maintenir  dans  les  autres. 
L'école  d'agriculture  qu'il  avait 
fondée  était  bien  plus  en  dehors  des 
habitudes  monastiques  que  le  tiers- 
ordre,  dont  il  condamnait  la  nou- 
veauté et  les  inconvénients  ;  et  lés 
élèves  qu'il  admettait  à  cette  école 
étaient  loin  d'avoir  la  tenue  conve- 
nable des  élèves  du  tiers -ordre. 
L'usine  ou  fabrique  de  clous  exploi- 
tée à  la  porte  du  couvent,  par  des 
ouvriers  étrangers  et  les  religieux, 
nous  paraissait  nuire  à  la  solitude  et 
au  recueillement  d'un  monastère 
dont  les  cloîtres  avaient  été  détruits 

10. 


148 


SAU 


et  n'avaient  pas  excitt^  l«^s  premiers 
soins  du  zèle  de  l'abbé.  On  dil  que 
maintenant  l'abbaye    de    Melleray, 
plus  solitaire,  ollre  un  tableau  plus 
édifiant.  La  révolution  de  juillet  vint 
jeter    le    trouble   dans   celte  mai- 
son, plus  que  dans  toutes  les  autres 
Trappes.  L'exploitation  d'un  moulin 
et  les  autres  usines  de  Melleray,  qui 
faisaient   honneur    à  l'industrieuse 
aetivité  de  l'abbé,  excitant  la  jalousie 
des  intéressés,  fournit  un  prétexte 
aux  accusations  et  aux  persécutions 
exercées  contre  dom  Antoine  et  ses 
religieux.  On  alléguait  surtout  que 
Melleray  pouvait  servir  de  retraite 
et  d'asile  aux  royalistes  révoltés  dans 
ces  contrées.  L'administration  dépar- 
tementale était    animée  d'im  très- 
mauvais  esprit  ;  les  Trappistes  furent 
interrogés  et  expulsés  deMelleray, les 
Irlandais  et  les  Anglais,  qui  y  étaient 
en  grand  nombre,  furent  reconduits 
dans  leur  pays.  Dom  Antoine  resta 
dans  sa  propriété,  comme  pour  ex- 
ploiter sa  ferme  avec  un  petit  nom- 
bre d'associés,  mais   sans  pouvoir 
recevoir    de   sujets   ni  sonner   les 
exercices  monastiques.  Les  religieux 
français  dispersés  ne  purent  rentrer 
qu'au  bout  de  quelques  années.  La 
persécution  de   Melleray,  dont  les 
détails  ont  été  imprimés,  fait  épisode 
dans  l'histoire  ecclésiastique  de  cette 
époque  malheureuse.  En  1834,   les 
maisons  de  Trappistes,  en  France, 
furent  unies  en  congrégation,  sous 
le  gouvernement  de  l'abbé    de  la 
Grande-Trappe ,   vicaire-généraUné 
de  l'abbé  des  Cisterciens,  résidant  à 
Rome.  Dans  cette  nouvelle  combi- 
naison, l'abbé  de  Melleray  reste  le 
premier  des  quatre  abbés  de  la  con- 
grégation, ayant  droit  de  visite  à 
la  Grande -Trappe.  Quoique  toutes 
les  maisons  de  France  soient  unies 
en    un  seul  corps  ,   elles  diffèrent 


SAU 

d'usa^^es  et  nu'me  de  costume.  Il  faut 
dire,  à  la  louange  de  dom  Antoine, 
qu'il  a  gardé  l'étroite  observance  de 
dom  Augustin,  à  laquelle  il  s'était 
toujours  uïontré  attaché,  et  la  forme 
ancienne  de  la  coule,  qu'elle  avait 
ramenée,  tandis  que  dans  quelques 
monastères  on  a  repris  le  chaperon, 
qui  date,  dans  l'ordre,  de  l'époque 
du  relâchement.  Chaque  année  dom 
Antoine  se  rendait  ,  avec  les  autres 
supérieurs  des  maisons,  au  chapitre 
qui  se  tenait  en  septembre  à  la 
Grande-Trappe  (Orne),  chef-lieu  de 
la  congrégation.  Là,  il  jouissait  au 
milieu  de  ses  collègues  de  la  dis- 
tinction et  de  la  considération  que 
méritaient  ses  services,  son  savoir 
et  ses  vertus.  Les  religieux  étran- 
gers, chassés  de  sa  maison  en  1831, 
avaient  formé  lemonastèredeMount- 
Melleray,  en  Irlande,  et  le  monastère 
du  Mont-Saint-Bernard  ,  en  Angle- 
terre ;  les  religieux  français  avaient 
été  autorisés  à  revenir  près  de  lui  ; 
il  avait  reçu  de  nouveaux  sujets,  et 
les  exercices  de  son  abbaye  étaient 
depuis  quelques  années  en  activité, 
quand,  après  une  courte  maladie, 
muni  des  sacrements  de  l'Église,  re- 
çus avec  une  ferveur  édifiante,  il  ex- 
pira saintement,  le  6  janvier  1839,  à 
l'âge  de  74  ans.  Un  concours  nom- 
breux du  clergé  et  des  fidèles  hono- 
ra ses  funérailles.  La  Vie  du  R,  P. 
D.  Antoine  Saulnier  de  Beaure- 
gard,  abbé  de  la  Trappe  de  Melle- 
ray, rédigée  par  deux  de  ses  amis 
sur  des  notes  fournies  par  les  reli- 
gieux de  Melleray^  Paris,  1840,  est 
de  M.  A.  Égron,  ancien  imprimeur. 
Dom  Antoine  n'a  publié  que  l'Orai- 
son funèbre  du  duc  de  Berry,  pro- 
noncée en  1820,  laquelle  se  retrouve 
dans  la  Vie  que  nous  indiquons  ici. 
Le  portrait  de  ce  religieux  a  été  li- 
thographie. B— D— E. 


SAU 

SAULNJER  (Pierre- DiEUDONNÉ- 

Louis),  né  à  Nancy  le  1"  janvier 
1767,dans  une  famille  de  ne'gociants, 
se  livra  à  l'étude  de  la  jurisprudence 
et  fut  reçu  avocat  au  parlement  de 
Lorraine  quelque  temps  avant  la 
révolution,  dont  il  se  montra  parti- 
san modéré.  Lorsque  le  régime  de  la 
terreur  eut  cessé,  il  fut  élu  président 
de  la  municipalité  de  Nancy,  puis 
membre  du  district  et  de  l'adminis- 
tration centrale  du  département  de 
la  Meurthe  ;  plus  tard  le  Directoire 
exécutif  le  nomma  son  commissaire 
dans  ce  même  département.  Après 
la  révolution  du  18  brumaire  il  fut 
appelé  à  la  préfecture  de  la  Meuse, 
et  devint  ensuite  secrétaire-général 
du  double  ministère  de  la  justice  et 
de  la  police,  réunies  dans  les  mains 
du  grand-juge  Régnier,  son  compa- 
triote. Le  ministère  de  la  police  ayant 
été  rétabli  en  1804,  Saulnicr  y  fut 
nommé  aux  mêmes  fonctions  de  se- 
crétaire-général ,  qu'il  exerça  suc- 
cessivement sous  Fouché  et  sous 
le  général  Savary,  duc  de  Rovigo. 
C'est  pendant  l'administration  de  ce 
dernier  qu'éclata  la  conspiration  de 
Malet  (voy.  ce  nom,  XXVI,  368), qui 
vint  échouer  à  l'état-major  de  Paris. 
Saulnier,  accompagné  de  l'adjudant 
Laborde,  se  rendit  alors  à  l'Hôtel-de- 
Ville,  désabusa  les  troupes  rassem- 
blées sur  la  place,  et  même  le  préfet 
du  département,  qui  s'était  aussi 
laissé  tromper  {voy.  Frochot,  LXIV, 
523)  -,  puis  il  fit  mettre  en  liberté  le 
ministre  Savary  et  le  préfet  de  po- 
lice, que  les  conjurés  avaient  arrêtés 
et  conduits  à  la  Force.  Après  la  Res- 
tauration, Saulnier  continua  de  res- 
ter attaché,  comme  secrétaire-géné- 
ral, à  la  direction  de  la  police  qui 
avait  remplacé  le  ministère.  Révoqué 
peu  de  temps  avant  le  20  mars  1815, 
ïl  rentra  bientôt  en  fonction  souS  le 


SAU 


U9 


ministère  de  Fouché,  pendant  les 
Cent-Jours  ;  mais,  au  second|  retour 
de  Louis  XVIII,  il  cessa  encore  une 
fois  d'être  employé.  Élu  en  1816  dé- 
puté de  la  Meuse,  il  siégea  constam- 
ment au  côté  gauche,avec  l'opposition 
libérale ,  à  côté  de  l'académicien 
Etienne,  avec  qui  il  était  très-lié.  Il 
s'opposa  fortement  à  l'érection  d'une 
cour  prévôtale  dans  son  département, 
et  prononça, en  1817,unlong(liscours 
contre  la  suspension  de  la  liberté  in- 
dividuelle. Le  16  mai  de  l'année  sui- 
vante il  appuya  la  pétition  de  Regnaud 
de  Saint-Jean-d'Angely  {voy.  ce  nom, 
XXX VU,  249),  compris  dans  l'or- 
donnance de  bannissement,  et  qui  se 
plaignait  des  vexations  qu'il  éprou- 
vait en  Belgique.  M.  Madier  deMont- 
jau,  conseiller  à  la  cour  royale  de 
Nîmes,  ayant  adressé  en  1820,  à  la 
Chambre  des  députés,  une  pétition 
où  il  dénonçait  des  machinations 
secrètes  tramées  dans  le  département 
du  Gard,  et  rappelait  les  excès  com- 
mis dans  le  Midi,  en  1815,  sur  les 
protestants  et  les  libéraux,  Saulnier, 
rapporteur  de  cette  pétition,  obtint 
qu'elle  fût  renvoyée  au  conseil  des 
ministres.  Des  motifs  de  santé  l'em- 
pêchèrent de  se  présenter  comme 
candidat  aux  élections  de  1828,  et 
dès  lors  il  vécut  dans  la  retraite  jus- 
qu'à  sa  mort ,  arrivée  vers  1840. 
Saulnier  avait  épousé  mademoiselle 
Lacretelîe,  sœur  des  deux  académi- 
ciens de  ce  nom.  Il  a  fait  imprimer  : 
1.  Opinion  sur  le  rapport  de  S.  Ex. 
le  minisire  de  la  police  générale., 
relatif  à  la  suspension  de  la  liberté 
individuelle.,  Paris  ,  1817,  in-8®.  IL 
Discours  prononcé  à  la  Chambre  des 
députés,  dans  la  séance  du  9  mars 
1820,  Paris,  1820,  in-4«.  III.  Éclair- 
cissements historiques  sur  la  conspi- 
ration du  général  Malet^  en  octobre 
1812,  Paris,  1834,  in-S".       P—rt. 


150  SAU 

SAULXIKR  (SÉBASTIEN  -  Louis), 
fils  du  précédent,  naquit  à  Nancy  le 
28  février  1790,  et  très-jeune  encore 
fut  envoyé  à  Paris  pour  y  terminer 
ses  études  sous  la  direction  de  Pierre 
Lacretelle,  son  oncle.   Nommé  en 
1811  auditeur  au  conseil  d'État,  il 
fut  chargé  d'aller  à  Wesel  interroger 
un  grand  nombre  d'individus  que  les 
Anglais  avaient  débarqués  sur  les 
côtes  de  la  Hollande,  réunie  alors  à 
la  France.    Quoique  tous    eussent 
servi   dans  les  armées  étrangères, 
Saulnier  reconnut  bientôt  qu'ils  n'a- 
vaient aucune  intention  hostile  et 
leur  lit  acccorder  la  permission  de 
retournev  dans  leurs  pays.  Il  obtint 
aussi  de  Napoléon,  qui  se  trouvait  en 
ce  moment  à  Wesel,  la  mise  en  liberté 
d'un  officier  prussien,  nommé  Za- 
remba,  arrêté  comme   partisan  du 
major  Schill  {voy.  ce  nom,XLI,  130), 
et  qui  restait  détenu  dans  la  forte- 
resse, bien  que  la  commission  mili- 
taire l'eût  acquitté.  Lors  de  l'expé- 
dition de  Russie,  Saulnier  fat  nommé 
intendant  de  la  province  de  Minsk  ; 
mais,  quand  l'amiral  TschitchakofF 
s'en  approcha,  l'intendant  se  rendit 
au  quartier-général,  près  de  Smo- 
lensk,  et  se  trouva  bientôt  exposé 
aux  désastres  de  la  retraite.  Ne  pou- 
vant plus    suivre    l'armée  dans  la 
campagne  de  1813,  Saulnier  fui  en- 
voyé   par  l'empereur  en  qualité  de 
commissaire  -  général    de    police  à 
Lyon.  Il  y  déploya  une  grande  éner- 
gie   lorsque    les  armées    des  alliés 
ayant  pénétré  sur  le  territoire  fran- 
çais, le  générai  Bubna  s'avança  du 
département  de  l'Ain  dans  celui  du 
Rhône,  et  s'empara  du  faubourg  de 
la  Croix-Rousse.  Un   parlementaire 
s'étant  présenté  à  Lyon  fut  accueilli 
jusqu'à  l'Hôtel-de- Ville  par  des  voci- 
férations populaires,  et  cette  démon- 
stration, attribuée  à  Saulnier,  déter- 


SAU 

mina  le  général   autrichien   à  éva- 
cuer la  Croix-Rousse,  rt  retarda  de  six 
semaines  la  capitulation.  Après  cet 
événement,  Saulnier  resta  sans  fonc- 
tions ;  mais  Napoléon,  revenu  de  l'île 
d'Elbe  en  1815,  le  nomma  préfet  de 
Tarn-et-Garonne,  puis  du  départe- 
ment de  l'Aude.'qu'il  administra  jus- 
qu'à la  rentrée  de  Louis  XVIII  ;  et  il 
ne  fut  plus  employé  pendant  la  Res- 
tauration. Fixé  à  Paris,  il  s'occupa  de 
littérature,  de  sciences,  et  prit  part 
à  la  rédaction  de  plusieurs  recueils 
périodiques,  tels  que  la  Bibliothèque 
historique  et  la  Minerve  française^ 
qui  cessèrent  de  paraître  par  suite 
des  lois  de  censure.  Il  fit  les  frais 
d'un  voyage  archéologique  de  M.  Le- 
lorrain  en  Egypte,  d'où  ce  savant 
rapporta  le  fameux  zodiaque  de  Den- 
derah,  un  sarcophage  découvert  dans 
les  plaines  de  Memphis,  et  beaucoup 
d'autres  morceaux  d'antiquité.  Après 
la  révolution  de  1830,  Saulnier  fut 
successivement  appelé  à  la  préfec- 
ture de  la  Mayenne  et  à  celle  du  Loi- 
ret. C'est  dans  ce  dernier  poste  qu'il 
mourut,   à  Orléans,  le  23  octobre 
1835.  Il  avait  été  nommé  correspon- 
dant de  l'Académie  des  sciences  mo- 
rales et  politiques  de  l'Institut,  réta- 
blie en  1832,  Saulnier  a  inséré  dans 
les  deux  recueils   que  nous  avons 
déjà  cités,  et  surtout  dans  la  Revue 
Britannique,  qu'il  londa  en  1825,  et 
dont  il  fut  directeur  jusqu'à  sa  mort, 
un  grand  nombre  d'articles  d'écono- 
mie politique,  les  uns  originaux,  les 
autres  traduits  de  l'anglais.  Il  a  publié 
séparément  :  I.  Notice  sur  le  voyage 
de  M.  Lelorrain  en  Egypte^  et  obser- 
vations sur  le  zodiaque  circulaire  de 
Denderahy  Paris,   1822,  in-8°.  II. 
Aperçu  de  la  situation  de  la  répu- 
blique de  Buenos-Ayres,  III.  Bilan 
de  la  guerre  et  des  émeutes,  1831, 
in-S**.  IV.  De  la  cenlralisation  ad- 


SAU 

ministrative  en  France,  Paris,  1833, 
in-8°.  Y .  Des  finances  des  États-Unis 
comparées  à  celles  de  la  France ^ 
Paris,  1833,  in-8^  Cette  brochufe  a 
été  réfutée  par  Fenimore  Couper. 
VI.  Des  routes  et  des  chemins  en 
France^  et  des  moyens  de  les  amélio- 
rer, Paris,  1835,  in-8o.  Les  quatre 
derniers  opuscules  que  nous  venons 
de  mentionner  sont  extraits  de  la 
Revue  Britannique ,  recueil  d'une 
haute  importance,  où  l'on  trouve,  sur 
la  littérature,  les  sciences,  l'indus- 
trie, l'administration,  le  droit  pu- 
blic, etc.,  une  foule  de  documents 
précieux.  P— rt. 

SAUMAREZ  (lord  Jacques  de), 
amiral  anglais,  né  le  11  mais  «757  à 
Saint-Peter-Purt,  principale  ville  de 
l'îîe  deGuernesey,  d'une  famille  an 
cienne  et  honorable,  d'extraction 
normande,  dont  le  nom  originaire 
s'écrivait  de  Sausmarez,  était  le  se- 
cond fils  de  Mathew  de  Saumarez, 
médecin  distingué  deGuernesey,  et  de 
Carteret  Le  Marchant ,  sa  seconde 
femme.  Après  avoir  passé  quelques 
années  au  collège  de  sa  vilie  natale, 
le  jeune  Saumarez,  qui  avait  constam- 
ment montré  une  grande  prédilection 
pour  la  marine,  dans  laquelle  deux 
de  ses  oncles  avaient  obtenu  le  grade 
de  capitaine  de  vaisseau,  et  où  son 
frère  aîné  servait  déjà,  obtint,  en 
1767,  c'est-à-dire  lorsqu'il  venait 
d'atteindre  à  peine  l'âge  de  dix 
ans,  d'être  inscrit  comme  volontaire 
sur  le  vaisseau  de  guerre  Sole- 
hy;  mais  il  ne  le  rejoignit  jamais, 
et  passa  une  partie  de  son  temps  dans 
une  école  des  environs  de  Londres. 
Ce  ne  fut  que  deux  ans  après  qu'il 
s'embarqua  pour  la  première  fois  sur 
le  Montréal,  comman  lé  par  le  capi- 
taine Alms,  ami  de  sa  famille,  avec 
lequel  il  se  rendit  de  Portsmouthdans 
la  Méditerranée.  Il  passa  ensuite  suc- 


SAU 


151 


cessivemei»!  sur  le  Pembroke,  puis 
siir  le  Winchelsea  et  sur  le  Levant. 
Pendant  le  long  séjour  que  ce  dernier 
navire  fit  à  Smyrne,  Saumarez  se  for- 
tifia dans  la  connaissance  de  la  lan- 
gue française,  qu'il  avait  commencé 
d'apprendre  à  Guernesey.  La  guerre 
ayant  éclaté  cette  année  entre  l'An- 
gleterre et  ses  colonies  de  l'Amérique 
septentrionale,  Saumarez,  qui  avait 
été  nommé  midshipman  en  1770  (1), 
futembarqué  à  bord  ûu Bristol,  vais- 
seau de  50  canons,  que  montait  l'ami- 
ral sir  Peter  Parker,  commandant 
d'une  escadre  destinée  pour  la  Caro- 
line méridionale.  L'activité  et  le  zèle 
déployés  pendant  la  traversée  par  le 
jeune  midshipman  attirèrent  sur  lui 
l'attention  du  comte  de  Cornwallis, 
commandant  des  troupes  de  débar- 
quement chargées  à  bord  de  l'escadre, 
qui  offrit  de  le  prendre  pour  son  aide- 
de-camp.  Malgré  l'espoir  fondé  d'un 
rapide  avancement  sous  de  pareils 
auspices,  Saumarez  refusa  pour  con- 
tinuer de  servir  dans  la  marine.  Le 
premier  engagement  sérieux  auquel 
il  prit  part,  fut  l'attaque  du  fort  Sul- 
livan, au  mois  de  juin  1776  -,  il  s'y  fit 
distinguer,  et  l'amiral  Howe,  qui  com- 
mandait en  chef  les  forces  navales 
de  l'Angleterre  dans  ces  parages,  re- 
leva au  rang  de  lieutenant,  mit  sous 
ses  ordres  le  Bristol^  et,  lui  donnant 
le  titre  de  sou  aide-de-camp,  le  char- 
gea de  convoyer  le  général  Clinton  et 
son  armée  de  La  Rochelle  à  New-York. 
Bientôt  il  reçut  le  commandement 


(i)  Si  l'on  s'en  rapporte  à  l'habile  marin, 
rédacteur  des  mémoires  de  Saumarez,  les 
midshipmen  étaient  à  cette  époque  fort  mal 
nourris  à  bord  des  vaisseaux  de  la  marine 
royale  angluise.  Le  biscuit  qu'on  leur  don- 
nait était  plein  de  vers;  ils  mange?ient  la 
|)l)ipart  du  temps  de  la  viande  corrompue  ; 
ils  étaient  traités  enfin  de  la  manière  la  plus 
dure.  Sir  JohuKoaS  tiouve  qu'où  est  tombé 
aujourd'hui  dans  un  excè»  coutraiie. 


152 


SAU 


du  cutlei*  Spilfire;  mais  attaque;  par 
des  forces  supérieures  françaises  près 
de  Rode-Island,  au  mois  d'août  1778, 
il  se  vit  forcé,  pour  ne  pas  tomber 
au  pouvoir  de  l'ennemi,  d'échouer 
son  navire  et  d'y  mettre  le  feu,  après 
avoir  débarqué  ses  canons,  ses  muni- 
tions et  son  équipage.  Saumarez 
fut  attaché  ensuite  à  la  division  de 
marins  placés  sous  les  ordres  du 
Commodore  Brisbane  ,  et  provenant 
des  équipages  des  frégates  et  autres 
bâtiments  qui  avaient  été  détruits.  Il 
remplit  pendant  quelques  mois  les 
fonctions  d'aide-de-camp  auprès  de 
cet  amiral ,  puis  il  fut  envoyé  en 
Angleterre  à  bord  du  Leviathan;  il 
arriva  à  Porstmouth  au  commence- 
ment de  1779.  Au  mois  de  juin  1781, 
Saumarez,  sur  la  demande  expresse 
du  vice-amiral  Hyde  Parker,  dont  il 
avait  su  acquérir  l'estime  et  l'amitié, 
l'accompagna  comme  lieutenant  à 
bord  du  Victory,  et  le  5  août  suivant, 
il  assista  à  la  bataille  navale  livrée, 
près  du  Dogger-Bank^  k  une  flotte 
hollandaise  commandée  par  l'amiral 
Zoutman.  Quoique  l'issue  en  fut  dou- 
teuse, Hyde  Parker  fut  si  satisfait  de 
la  conduite  de  Saumarez ,  qu'il  le  fit 
nommer  commander,  bien  qu'il  ne 
fût  encore  que  second  lieutenant  ; 
il  l'avait  présenté  auparavant  au  roi 
Georges  III  comme  un  de  ses  meilleurs 
ofâciers.  Après  cette  action,  Hyde  Par- 
ker, nommé  commandant  de  la  sta- 
tion des  Indes  orientales,  voulut  le 
prendre  avec  lui  sur  le  Cato;  mais 
cette  proposition  n'ayant  pas  eu  de 
résultat,  par  une  circonstance  parti- 
culière, Saumarez  évita  ainsi  la  mort, 
car  ce  vaisseau  ayant  mis  à  la  voîle,on 
n'en  entendit  plus  parler,  et  l'on  sup- 
posa qu'il  avait  coulé  bas  à  la  hauteur 
du  cap  de  Bonne-Espérance,  et  que 
l'amiral  et  son  équipage  avaient  péri. 
Placé  sous  les  ordres  de  l'amiral  Kern- 


SAU 

penfeld  ,  Saumarez,  comnwindant  le 
brûlot  la  Tniphone,  sedistinguaà  l'af- 
faire du  12  déc.  (1781),  entre  la  flotte 
anglaise  et  une  flotte  française  com- 
mandée par  le  comte  de  Guichen  et 
chargée  de  protéger  un  nombreux 
convoi  destiné  pour  l'Âmérique(vo7/. 
Guichen,  XIX,  78).  Il  s'empara,  dit 
l'auteur  de  ses  mémoires,  d'un  vais- 
seau de  guerre  de  36  canons,  après 
un  combat  de  vingt  minutes-,  et  par 
une  manœuvre  habile  il  échappa  en  - 
suite  lui-même  aux  poursuites  de 
deux  vaisseaux  français  en  faisant  de 
faux  signaux  de  nuit.  Activement 
employé  par  l'amiral  sir  Samuel 
Hood,  Saumarez  reçut  de  lui, au  mois 
de  février  1782,  le  commandement  du 
Russeh  vaisseau  de  ligne  de  74  ca- 
nons, avec  lequel  il  prit  une  part  ac- 
tive à  la  bataille  navale  du  12  avril, 
donnée  près  delà  Guadeloupe,  et  qui 
se  termina  par  la  défaite  et  la  prise 
du  comte  de  Grasse  par  l'amiral  an- 
glais Rodney.  Saumarez  fut  un  de 
ceux  qui  contribuèrent  le  plus  à  ce 
résultat  par  la  position  qu'il  prit  sous 
la  poupe  de  la  Viile-de-Paris  que 
montait  l'amiral  français.  Chargé  de 
conduire  plusieurs  prises  en  Angle- 
terre ,  il  profita  de  l'inaction  dans 
laquelle  le  laissait  la  paix  conclue  le  3 
sept.  1783,  pour  aller  examiner  les 
nouveaux  travaux  que  la  France  faisait 
exécuter  à  Cherbourg  afin  d'y  établir 
un  port  militaire.  Saumarez ,  qui  s'y 
trouvait  au  moment  où  Louis  XVI 
était  venu  le  visiter,  fut  parfaitement 
accueilli  par  ce  monarque.  Depuis  son 
retour  d'Amérique,  il  résida  con- 
stamment dans  sa  famille, à Guerne- 
sey,  où  il  épousa,  le  8  oct.  1788,  miss 
Marlha  Le  Marchand.  En  1 787  et  1 700, 
des  difficultés  survenues  entre  l'An- 
gleterre et  la  France  le  firent  remet- 
tre en  activité  ;  mais  ces  différends 
n'ayant  point  eu  de  suite,  il  ne  quitta 


SAU 

pas  ses  foyers.  Il  n'en  fut  pas  de 
même  en  1793;  la  guerre  ayant  été 
de'clarée  par  la  Convention  nationale 
de  France,  au  commencement  de  fé- 
vrier, le  Crescent,  de  36  canons,  que 
Saumarez  commandait  depuis  le  24  du 
mois  préce'dent,  après  avoir  convoyé 
des  transports  chargés  de  troupes 
pour  renforcer  les  garnisons  des  îles 
du  Canal,  établit  une  croisière  entre 
le  51°  et  le  47°  de  latitude  et  le  12°  et 
le  18°  de  longitude  ouest,  pour  pro- 
téger le  commerce  anglais.  Son  vais- 
seau,qui  avait  éprouvé  d'assez  fortes 
avaries,  ayant  été  radoubé,  il  remit 
en  mer,  et  le  20  octobre  il  attaqua  et 
prit  près  de  la  pointe  de  Barfleur, 
après  un  engagement  de  deux  heures 
et  demie,  la  frégate  française  la  Réu- 
nion de  36  canons,  montée  de  320 
hommes,  commandée  par  le  capitaine 
Deniau  (2),  Présenté  au  roi  après 
cette  action,  Saumarez  fut  fait  che- 
valier, reçut  le  commandement  d'une 
petite  escadrille  formée  des  frégates 
Crescent  et  Druid,  du  brig  Liberty 
et  du  cutter  Lyon^  sous  les  ordres 
de  l'amiral  M'Bride.  Le  8  juin  1794, 
se  trouvant  à  douze  lieues  environ 
au  nord  de  Guernesey  avec  le  Cres- 
cent^ le  Druide  et  VÈuridice qu'en- 
semble 92  canons,  il  eut  un  engage- 
ment avec  une  escadre  française  de 
force  infiniment  supérieure  (3),  à  la- 
quelle il  échappa  par  sa  présence 


(2)  Suivant  le  rapport  anglais ,  un  seul 
homme  at;rait  été  blessé  à  bord  du  Crescent, 
et  encore  par  le  recul  d'un  cauon,  tandis 
que  la  frégate  fi-ançaise  aurait  eu  34  hommes 
tués  et  84  blessés.  Le  rapporteur  anglais 
reproche  aux  Français  de  tirer  si  haut  qu'à 
peine  leurs  boulets  atteignaient  le  corps  du 
navire,  taudis  que  les  Anglais  au  contraire 
dirigeaient  leur  feu  sur  le  gouvernail  (  at 
the  rudder)^  et  cherchaient  à  désemparer 
l'ennemi,  ce  à  quoi  ils  parvinrenr. 

(3)  Suivant  les  mémoires  de  Sainiiuitz, 
c'étaient  : 


SAU 


153 


d'esprit  et  l'habileté  de  ses  manœu- 
vres, dit  son  biographe  ou  plutôt 
son  panégyriste  anglais,  qui  appelle 
cette  action  un  exploit  signalé  qui 
lui  attira  l'admiration  de  son  pays, 
et  la  haute  approbation  de  l'amirauté. 
Il  continua  de  croiser  sur  les  côtes 
de  France  à  bord  de  la  frégate  le 
Crescent,  et  obtint  eniin  le  comman- 
dement du  vaisseau  de  ligne  l'Ono/i, 
avec  lequel  il  assista,  le23  juin  1795, 
au  combat  livré  près  des  côtes  du 
Morbihan  sous  l'île  de  Groix  par  Tami- 
ral  Bridport,  à  la  flotte  française 
commandée  par  l'amiral  Villaret  (4). 
Trois  vaisseaux  français,  VÀlexan- 
dre^  le  Tigre  et  le  Formidable,  res- 
tèrent au  pouvoir  de  leur  adversaire. 
L'expédition  anglaise  pour  la  baie 
de  Quiberon  ayant  manqué,  Sauma- 
rez reçut  l'ordre  de  retourner  en 
Angleterre ,  où  il  arriva  le  30  dé- 
cembre, avec  un  nombreux  convoi 
qu'il  escortait.  Quoiqu'il  eiit  été 
presque  constamment  en  mer  et  em- 
ployé activement,  on  ne  peut  citer 
aucun  événement  remarquable  dans 
cette  portion  de  la  vie  maritime  de 
Saumarez  jusqu'au  14  février  1797, 
qu'il  prit  part,  avec  VOrion^k  la  ba- 
taille navale  du  cap  Saint-Vincent, 
dans  laquelle  l'amiral  sir  John  Jer- 
vis  défit  la  flotte  espagnole  com- 
mandée par  don  José  de  Cordova. 
Deux  des  plus  forts  vaisseaux  espa- 


le  Scœvola  (rasé)  de  54  can. 

—  i656  vreight 

of  thot. 

Brutus  ( rasé)  de  54 

—  i656 

la  Dauaé                 de  36 

—     800 

Félicité             de  36 

—     800 

Terreur             de  12 

—     144 

1^2  can.       5o54  j 

(4)  La  flotte  française  était  composée  de 
12  vaisseaux  de  ligne  et  de  quelques  fré- 
gate?, tandis  que  les  Anglais  avaient  17 
vaisseaux  dont  8  à  trois  ponts,  5  frcgates  et 
pluïieui'S  autre*  bâtiments. 


15/i 


SAU 


p;noIs  baissèrent  I<îur  pavillon  uv- 
vant  VOrion^  dont  le  capitaine  ne 
reçut  cependant  de  son  gouverne 
ment  qu'une  nieiiailie  <ror,  de  in(?ine 
qu'un  certain  nombre  de  ses  cama- 
rades (5).  Les  marins  de  la  flotte 
anglaise  s'étant  niutine's,  Saumarez 
non-seiilemenl  sut  conserver  dans  le 
devoir  lotit  l'équipage  de  l'Onow, 
mais  par  ses  mesures,  à  la  fois  pru- 
dentes et  énergiques,  il  contribua  à 
apaiser  la  révolte  qui  s'était  mani- 
festée à  bord  des  autres  bâtiments. 
Ayant  été  placé  sous  les  ordres  de 
Nelson  au  mois  de  mai  1798,  Sauma- 
rez se  trouvait  avec  lui,  le  T'  et  le 
2  août  suivant,  à  la  mémorable  ba- 
taille d'Aboukir,  que  les  Anglais  ap- 
pellent du  Nil  ;  il  y  commandait  la 
seconde  division  formant  l'avant- 
garde,  et  y  fut  blessé.  Il  ne  fut  pas, 
dit-on,  satisfait,  en  ce  qui  ie  concer- 
nait, du  compte  que  Nelson  rendit 
de  cette  affaire,  en  ne  le  distinguant 
pas  drs  autres  capitaines,  dont  il 
était  le  doyen,  el  quoiqu'il,  eût  le 
premier  engagé  l'action  ;  aussi  n'ob- 
tiut-il  aucune  faveur  particulière  de 
la  couronne.  Après  l'action,  il  fut 
chargé  de  conduire  en  Angleterre, 
avec  six  vaisseaux  de  ligne,  une  par- 
tie des  vaisseaux  français  capturés; 
il  y  arriva  à  la  fin  de  l'année.  Il 
avait  sommé  vainement,  en  passant 
devant  Malte (25  sept.  1798),  le  géné- 
ral Vaubois  de  lui  remettre  la  ville 
et  les  ports  ;  un  refus  aussi  concis 
qu'énergique  fut  la  seule  réponse  du 
général  français  (6).  Nommé  au  mois 


(5)  Sir  John  Jervis  devint  comte  de  Saiut- 
Vinceat,  et  Nelson  reçut  la  graud'croix  du 
Bain. 

(6)  Voici  la  réponse  du  général  Vaiihois, 
portant  la  datf  du  4  vendémiaire  an  7,  telle 
qu'elle  est  rapportée  dans  les  uiéinoiies  de 
Sauuiarez  :  «  Vkus  avez  oublié  sans  doute 
«  que  ce  sont  des  Frauçais  qui  sont  dans 
«  Malle;  Icburt  de  ses  habitants  ne  di-il  pas 


SAU 

de  février  suivant  l'un  des  colonels 
des  troupes  de  la  marine,  Saumarez 
obtint  le  conniiandement  du  Cœsar, 
(le  84   canons ,  et  fut  attaché  à  la 
flotte  du  Canal.  Au  mois  d'août  1800, 
l'amiral   Saint  -  Vincent    lui    donna 
à  commander  l'escadre  d'avant-garde 
avec  laquelle  il  eut  à  surveiller  le 
passage  du  Raz,  l'île  de  Groix  et  la 
baie  de  Quiberon.  Nommé  contre- 
amiral  le  V  janvier  1801,  et  baron- 
net  du   Royaume-Uni  au  mois  de 
juin  suivant,    Saumarez    avait  été 
chargé,  dès  le  7  de  ce  même  mois,  de 
surveiller  le  p^rt  de  Cadix,  à  la  tête 
d'une  force  navale  considérable,  lors- 
que le  5  juillet  il  apprit  qu'une  esca- 
dre française  venait  d'entrer  dans  la 
rade  d'Algesiras.    C'était    celle   du 
contre-amiral  Linois,  composée  de 
trois  vaisseaux  de  ligne,  dont  deux 
de  80  et  l'autre  de  74,  et  d'une  fré- 
gate de  40  canons,  venant  de  TouIoDï 
qui ,    n'ayant    pu   se   réunir,   ainsi 
qu'elle  en  avait  reçu  l'ordre,  à  l'es- 
cadre espagnole  ,  commandée  par  le 
contre-amiral  don  Juan  Moreno,  avait 
dû  prendre  le  parti  de  se  jeter  dans 
la  baie  de  Gibraltar.  Prévoyant  qu'il 
ne  tarderait  pas  à  être  attaqué,  Li- 
nois descendit  à  terre  pour  se  con- 
certer avec  les  autorités  espagnoles, 
et  organisa  le  service  des  batteries 
qu'il  avait  trouvées  en  fort  mauvais 
état.  Dans  la  matinée  du  6,  Saumarez 
doubla  la  pointe  del  Carnero,  à  ren- 
trée de  la  baie  deGilbratar,  avec  six 
vaisseaux  de  ligne  et  une  frégate,  et 
par  une  manœuvre  qui  avait  réussi 
à  Aboukir,  il  disposa  ses  bâtiments 
de  manière  à  passer  entre  la  terre  et 
la  ligne  d'embossage,  afin  de  mettre 
ainsi  la  division  française  entre  deux 
feux.  Mais   Linois ,  prenant   immé- 


vous  regarder.  Quant  a  votre  soiuiaatiuu, 
les  Français  n'entcudent  [»as  ce  slyle,  ■' 


SAU 

diatement  un  parti  énergique,  fit  à 
ses   vaisseaux  le  signal  de  couper 
leurs  câbles  et  de  s'e'chouer  au  plein 
en  profitant  de   la  brise,   qui  avait 
molli  et  varié  du  nord  au  nord-est. 
Par  suite  de  cette  manœuvre,  que  les 
Anglais  euï-mêmes  ont  appelée  fort 
habile   (7) ,  et    en  faisant  occuper 
avant  ses  adversaires  l'île  Verte  par 
cent  trente  hommes  de  la  frégate  la 
Muiron,  il  força  Saumarez  à  la  re- 
traite ,  après  un   long  engagement 
dans  lequel  les  vaisseaux  de  Tamiral 
anglais  furent  très-maltraités,  et  ce- 
lui-ci abandonna  le  vaisseau  de  ligne 
VHannibalsiU  pouvoir  de  la  division 
française.  Lorsque  la  nouvelle  de  cette 
action ,  si  honorable  pour  l'amiral 
Linois,  parvint  en  Angleterre,  Fa- 
mour-propre  national  fut  d*abord  vi- 
vement blessé  d'avoir  été  vaincu  par 
des  Français  ;  Nelson  et  Saumarez 
lui-même  attribuèrent  le  non-succès 
au  manque  de  vent  et  à  un  calme 
inattendu  {to  the  failure  of  the  wind 
and  to  a  sudden  calm  which  came 
on.,.)'^  plus  tard  on  essaya  de  repré- 
senter cette  défaite  presque  comme 
un  triomphe   Après  avoir  avoué  que 
l'action  d'Algesiras  avait  été  vive- 
ment disputée  de  part  et  d'autre,  que 
Linois  méritait  des  éloges  pour  ses 
belles  manœuvres,  et  avoir  reconnu 
que  les    Anglais    s'étaient    crus  un 
instant  si  sûrs  du  succès,  que  vers 


(7)  «  Praise  is  cerlainJjr  due  to  admirai 
Linois,  dit  sir  John  Ross,  rédiicteur  des  Mé- 
moires de  Saumarez,  t.  I,  p.  366, /or  his  able 
manœuvre  of  warping  h/s  ships  a  giound, 
being  the  onljr  chance  he  hadojf  escapingf  et 
cependant,  quoi(ju'il  ne  cache  pas  que  les 
Anglais  ont  été  repousses,  que  leurs  Tais- 
seaux  ont  été  fort  maltraités  ,  et.  que  les 
Français  se  sont  emparés  du  vaisseau  de 
ligne  l'/it/nnjftaZ,  il  ajoute  ,  tant  l'esprit  de 
parti  peut  aveugler  les  hommes  les  plus 
éclairés  :  «  /n  a  national  point  oj  view,  the 
resuit  ivasas  complète  as  if  the  whole  squadron 
had  ùeen  destroj'td,,.  « 


SAU 


155 


dix  heures  du  matin,    c'est-à-dire 
avant  les  manœuvres  de  Linois,  ils 
avaient  été  sur  le  point  d'envoyer 
un  parlementaire  aux  autorités  espa- 
gnoles d'Algesiras  pour  les  inviter  à 
livrer   les  vaisseaux  français  (8),  le 
capitaine  Brenton,  capitaine  du  Cœ- 
sar,   cherche  à   diminuer  le  mérite 
de  Linois  en  prétendant  que  les  Fran- 
çais eurent  peu  de  chose  à  faire  et 
que   ce   furent   les  batteries  et  les 
chaloupes  canonnières  des  Espagnols 
qui  décidèrent  l'action  (9).  Nous  re- 
grettons de  voir  un  marin  aussi  dis- 
tingué  que   le   capitaine    sir   John 
Ross  s'oublier  au   point  d'avancer, 
en  parlant  de  l'affaire  d'Algesiras , 
«  que  les  Français,  comme  on  pou- 
«  vait  s'y  attendre  d'après  fjùr  mé- 
«  pris  ordinaire  pour  la  vérité  {for 
«  theirusualdisregardtotruth)^  pré- 
«  sentèrent  cette  action  comme  un 
«  des  plus  brillants  exploits  qui  aient 
«  été  jamais  exécutés,  en  racontant 

•  que  trois   vaisseaux   français   ont 
«  battu  complètement  six  vaisseaux 

•  anglais,  dont  un  a  été  forcé  de  se 

(8)  «  Aboui  ten  o'clock,  dit|Brenton,  capi- 
taine de  pavillon  de  Saumarez,  the  fre  ofthe 
french  ships  appeand  to  slackcn  so  much  that  I 
venturedto  suggesl  to  ihe  admirai  thalajlag  of 
truce  might  be  sent  in,  with  a  notice  to  the  spa- 
niards  thaï  if  the  british  squadron  were  per~ 
mitted  to  lake  awaj  the  french  ships  wilhout 
an)  further  moie.Uation  from  the  batteries,  the 
toivn  would  be  respecled,  and  no  further  injurjr 
doneto  it.»  Il  faut  remarquer  que  les  batte- 
ries étaient  en  si  mauvais  état,  que  Linois 
fut  o!>ligé  de  faire  débarquer  des  artilleurs 
français  pour  les  servir.  C'est  ce  que  recon- 
naît au  surplus  le  capitaine  sir  Ji)hn  Ross 
lui-même  :  «  The  five  strong  batteries  were 
serped  with  much  efject  by  the  french  arlil'erj 
men   » 

(9)  .  .  .  The  action  of  Algeziras  was  cer- 
tainly  obstinaiely  fought,  and  galaniljr  con- 
tested  on  both  sides.  It  is  true  thaï  ihe  french 
had  little  to  do  but  to  attend  to  their  guns, 
being  either  at  an  anchor  in  their  strong  po- 
sition, or  warping  towards  the  shore  In  this 
opération  the  spaniard  had  the  hard^sl  duty... 
C;ip.  Brenton,  Man.  ofSaum.,  t.  I,  p.  i^d.  ^ 


156 


SAU 


«  rendre  à  eux  (10).  «Après  lecoinl)at 
du  6  juillet,  les  vaisseaux  de  Saunia- 
rez,  quoique  ayant  soull'crt  couside'- 
rableinent  dans  leurs  mats  et  dans 
fleurs  manœuvres,  purent  trouver 
dans  l'arsenal  et  les  chantiers  de  Gi- 
braltar tout  ce  qui  leur  manquait  et 
s'y  réparer  facilement,  à  l'exception 
toutefois  du  Pompée^  qui  avait  été  si 
complètement  endommage  dans  ses 
mâts,  dans  ses  manœuvres  et  dans 
ses  voiles,  qu'on  perdit  tout  espoir 
dé  le  mettre  aussi  promptementque 
les  autres  en  état  de  tenir  la  mer. 
L'amiral  français  était  dans  une  si- 
tuation bien  différente  ;  ses  vaisseaux 
avaient  éprouvé,  comme  ceux  de  son 
adversaire,  les  plus  graves  avaries 
et  perd^;  plusieurs  de  leurs  grands 
mâts,  mais  il  n'avait  pas  comme  lui  à 
sa  disposition  un  arsenal  bien  appro- 
visionné, car  Algesiras,  où  il  s'était 
réfugié,  ne  lui  offrait  aucune  res- 
source, et  il  était  tout  à  fait  impossi- 
ble qu'il  se  rendît  à  Cadix  où  il  aurait 
pu  en  trouver.  Le  9  juillet  cependant, 
une  division  espagnole,  consistant  en 
six  vaisseaux  de  ligne  et  trois  fré- 
gates, s'élant  rendue  de  Cadix  à  Al- 
gesiras sous  le  commandement  du 
contre- amiral  Moreno,  Linois  put 
profiter  d'une  partie  du  matériel 
qu'elle  portait  pour  radouber  ses 
vaisseaux  ,  et  le  12  la  flotte  franco- 
espagnole  mit  à  la  voile  pour  sortir  de 
la  baie  de  Gibraltar.  Quelque  impa- 
tient que  fût  Saumarez  de  réparer 
l'échec  éprouvé  par  lui  près  d'Alge- 


(lo)  Ces  reproches,  qae  aous  nous  con- 
tenterons d'appeler  peu  mesurés,  sont  d'au- 
t.iut  plus  injustes  qu'il  n'est  pas  une  ligne 
dans  le  rapport  que  l'amiral  Linois  fit  de 
cette  affaire  au  ministre  de  la  marine  qui 
ne  soit  conforme  à  la  vérité.  11  n'y  dissimule 
aucunement  le  parti  qu'il  a  tiré  des  batte- 
ries de  terre  et  de  chaloupes  espagnoles  qui 
ont  pris,  suivant  lui,  une  part  très-aclive  à 
l'actiuo. 


SAU 

siras,  comme  il  attendait  k  tout  in- 
stant l'escadre  de  lord  Keilh,  et  qu'il 
espérait  que  d'autres  vaisseaux  ne 
tarderaient  pas  à  lui  arriver  de  Lon- 
dres, il  se  borna  pour  le  moment  à 
faire  des  réparations  à  ceux  de  ses 
vaisseaux  maltraités  dans  l'affaire 
du  6.  Mais  lorsqu'il  eut  été  joint  par 
le  vaisseau  de  ligne  le  Superbe  et  par 
la  frégate  la  Tamise,  et  qu'il  eut  ap- 
pris que  la  flotte  franco -espagnole  se 
disposait  à  se  rendre  soit  à  Cadix, 
soit  à  Carthagène,  il  crut  devoir  se 
confier  à  la  fortune  pour  l'empêcher. 
Son  intention,  dit  Brenton,  était  de 
réunir  toutes  ses  forces  contre  la 
portion  delà  ligne  de  l'ennemi  qu'il 
pourrait  atteindre,  comptant  sur  les 
talents  de  ses  capitaines  et  la  disci- 
pline de  ses  vaisseaux  pour  compen- 
ser la  disparité  du  nombre,  surtout 
pendant  une  action  de  nuit.  Il 
se  forma  donc  en  bataille  au  vent  de 
l'armée  combinée,  et  croyant  aper- 
cevoir quelque  désordre  dans  sa  li- 
gne,il  l'attaqua  vivement.  Le  Superbe, 
passant  entre  \e  Real-Carlos  (U)  et 
le  San-Hermenegildo,  les  deux  plus 
grands  vaisseaux  de  la  marine  espa- 
gnole, commença  le  feu  à  onze  heu- 
res du  soir  en  lâchant  sur  l'un  et 
sur  l'autre  ses  bordées  de  tribord  et 
de  bâbord,  et  s'éloigna  ensuite  en 
forçant  de  voiles.  Dans  l'obscurité, 
les  deux  trois-ponts  se  prenant  réci- 
proquement pour  ennemis,  se  livrè- 
rent un  combat  acharné,  et  le  feu  s'é- 
tant  déclaré  abord  de  chacun  d'eux, 
ils    sautèrent    simultanément  (12). 

(ir)  Saumarez,  Keats,  capitaine  du  Su- 
perbe,  et  M.  Hennequin,  avec  tous  les  rap- 
ports français,  donnent  à  ce  navire  le  même 
nom  que  nous,  tandis  que  M.  Thiers  l'ap- 
pelle le  San-Carîos. 

(ra)  M.  Thiers  dit,  dans  son  Histoire  du 
consulat  et  de  l'empire,  t.  III,  p.  127,  que 
t'  Saumarez  avait  poussé  l'acharnement  jusqu'à 
placer  sur  ses  vaisseaux  des  fourneaux  à  rou- 


SAU 

A  la  suite  de  cette  terrible  explosion, 
le  S  an- Antonio, yaisscàu.  récemment 
arme,  qui  formait  l'arrière  -  garde 
avec  le  Real-Carlos  et  le  San-Her- 

gir  les  boulets. . ,  qu'il  s'était  cruellement 
vengé  sans  beauconp  de  gloire  pour  lui,  mais 
avec  un  grand  dommage  pour  la  Jlolte  espw 
gnole.  »  Les  bruits  que  l'écrivaia  frauç;as 
transporte  assez  légèrement,  <"e  nous  sera- 
l)le,  dans  un  ouvrage  historique,  ont  en 
effet  circulé  en  Espagne  à  l'époque  où  eut 
lieu  l'affaire  du  12  juillet.  Saurnarez  les 
fJément  positivement  dans  une  lettre  qu'il 
crut  devoir  écrire  à  ce  sujet,  le  17  août 
i8or,  à  D.  Josepli  de  Mazarredo,  comman- 
<lant  en  chef  de  la  marine  espagnole  à  Ca- 
ilix.u  Having  been  informed  that  reports  wert 
eircalated  in  Spain,  ascribing  the  destruction 
of  the  two  first-rates,  Real  Carlos  and  San 
Hermenegildo,  in  the  engagement  ofthe  i^th. 
juif  last ,  to  red-hot  balls  from  his  Majestr's 
ships  under  my  command,  I  take  the  présent 
opportunitj,  dit  l'amiral  anglais,  to  contradict 
in  the  most  positive  and  formai  manner  a 
report  so  injurious  to  the  characteristic  hu- 
manitjr  of  the  British  nation,  and  to  assure  /our 
^xcellencj-  that  nothing  was  morevoid  oflruth. 
This  l  request  fou  will  be  pleased  to  signi/jr 
Mï  the  most  public  way  possible. .  .  »  Le  pas- 
sage suivant  de  la  réponse  que  Mazarredo 
fit  en  anglais  à  l'amiral  Saumarez  justifie 
complètement  celui-ci  :  «  The  reports  which 
hâve  been  current,  that  the  burning  oj  the  two 
royal  ships,  on  the  night  ofthe  12  th.  and 
i3  /A,  arose  from  the  use  of  red-hot  balls, 
which  tverefired  at  theTn,ux\K  existed  only 

AMONG  THE  IGNORANT  PUBLIC,  AND  HAVE 
NOT  RECEIVED  CREDIT  FROM  ANY  TERSONS 

OF  CONDITION...  «  L'amiral  Linois  n'en  dit 
pas  un  mot  dans  son  rapport  officiel,  et 
notre  collaborateur  Henuequin  ,  si  bien 
placé  pour  connaître  la  vérité,  n'y  fait  au- 
cune allusion  dans  la  notice  qu'il  a  consacrée 
au  (commandant  français  daussa  Biographie 
maritime.  Nous  devons  reconnaître  toutefois 
q^ue  sir  Jahleel  Brenton,  déjà  cité,  dit  posi- 
tivement que  dans  l'action  du  6  juillet  à 
laquelle  il  assistait,  les  Anglais  bridèrent 
deux  navires  ennemis  (  burned  two  of  their 
first-rates )  ;  et  que,  dans  la  séance  de  la 
chambre  haute  du  3o  octobre  1801,  lord 
Saint- Vincent,  premier  lord  de  l'amirauté, 
vota  des  reraercîmeuts  à  Saumarez  pour 
avoir  détruit  deux  vaisseaux  espagnols..  . . 
(  He  had  destroyed  two  spanish  men  of  war.  J 
Mais  ce  sont  là  évidemment  des  exagéra- 
tions de  la  vanité  nationale  dont  l'inexacti- 
tude est  démontrée  par  les  déclarations  de 
ilaumarez  et  de  Mazarredo,  et  par  le  silence 
3fl  Linois  et  d'Hcnneqiiin. 


SAU 


lo7 


menegîldo,  en  cherchant  h  s'éloigner 
du  foyer  de  l'incendie,  fut  entouré 
par  plusieurs  vaisseaux  anglais,  et 
forcé  de  se  rendre  (13);  le  reste 
de  la  flotte  combinée  se  rallia  à 
peu  de  distance  de  Cadix,  où  le  For- 
midable., commandé  par  le  capi- 
taine Troude,  ne  tarda  pas  à  la  re- 
joindre, après  avoir  soutenu  seul  un 
brillanlcombat  contre  trois  vaisseaux 
anglais  et  une  frégate.  Le  récit  de  la 
bataille  des  12  et  13  juillet,  qu'on 
appela  en  Angleterre  une  victoire 
signalée,  qui  surpassait,  dit  lord 
Saint-Vincent ,  tout  ce  qu'il  avait 
appris  par  ses  lectures,  ou  dont  il 
avait  été  témoin  {every  thing  he  had 
met  with  in  his  reading  or  service) y 
excita  le  plus  vif  enthousiasme.  Sau- 
marez fut  créé  chevalier  de  l'ordre 
du  Bain,  les  deux  chambres  du  par- 
lement lui  volèrent  à  l'unanimité  des 
remercîments,  le  lord  maire  ^  les 
aldermen  et  les  communes  de  Lon- 
dres lui  offrirent  les  franchises  de  la 
cité  avec  une  épée  de  la  valeur  de 
cent  guinées,  et  les  îles  de  Jersey  et 
Guernesey  un  beau  vase  d'argent.  En- 
fin le  premier  minisire  Addington 
accorda  au  plus  jeune  frère  de  l'ami- 
ral un  poslede  confiance  dans  l'île  de 
Ceylan,  produisant  un  salaire  annuel 
de  deux  mille  livres  sterling.  Malgré 
cet  étalage  de  récompenses,  et  malgré 
lescloges  pompeux  donnés  dans  cette 
circonstance  à  l'amiral  anglais,  tant 
par  la  presse  que  par  les  plus  grands 
personnages  du  royaume  et  par  les 
hommes   les  plus  distingués  de  la 


(i3)  M.  Jurien  de  la  Gravière  dans  les 
Guerres  maritimes  sous  la  république  et  sous 
l'empire,  t.  II,  p.  109  et  110,  nous  paraît 
avoir  traité  les  Espagnols  avt'(;  trop  de  ri- 
gueur. Le  peu  de  lignes  qu'il  consacre  aux 
combats  des  6  et  12  juillet  ne  représentent 
pas  ces  actions  avec  nue  <omplète  exacfi- 
t:!de. 


158 


SAU 


SAU 


marine  britannique,  qui  comparaient 
le  brillant  fait  d'armes  de  Sauma- 
rez  (14)  à  la  bataille  d'Aboukir  (du 
Nil),  nous  pensons  qu'p»  a  grande- 
ment exagère'  ce  succès.  Examinons 
en  effet  avec  impartialité  quelle  était 
la  situation  des  deux  Qottes  ennemies 
et  le  but  de  leurs  commandants  res- 
pectifs, et  voyons  ensuite  quels  résul- 
tats furent  obtenus.  La  flotte  franco  • 
espagnole  était  composée  des  trois 
vaisseaux  de  ligne  français  qui  avaient 
pris  part  au  combat  d'Algesiras ,  et 
dont  on  n'avait  pu  que  réparer  fort 
incomplètement  les  avaries,  et  des  six 
navires  espagnols,  dont  deux  à  trois 
ponts  venus  de  Cadix  avec  des  équi- 
pages peu  exercés.  Sous  le  rapport 
du  nombre,  la  flotte  anglaise  était 
certainement  inférieure,  puisqu'on 
n'y  comptait  que  cinq  vaisseaux  de 
ligne  (15)^  mais  tous  ces  vaisseaux, 
montés  par  de  vieux  marins,  étaient 
parfaitement  équipés  et  habitués  en 
outre  depuis  long-temps  à  manœu- 
vrer de  concert.  Cet  ensemble  sur- 
tout qui  n'existait  pas  dans  la  flotte 
combinée  est  cependant  si  nécessaire, 
que  sir  John  Ross  lui-même,  dans 
son  compte  rendu,  atténue,  peut- 
être  sans  s'en  douter,  le  mérite  qu'a 
pu  avoir  Saumarez,en  faisant  obser- 
ver «  qu'il  était  presque  impossible 
que  neuf  vaisseaux  (ceux  de  la  flotte 
franco-espagnole)  qui  n'avaient  ja- 
mais navigué  de  concert,  pussent  se 
maintenir  pendant  un  certain  temps 
sur  une  ligne  de  front,  vent  arrière, 
assez  exactement  pour  se  former  en 
ligne  de  bataille  lorsqu'on  le  com- 
manderait, surtout  par  une  nuit  ob- 
scure avec  une  forte  brise  :  et  il  est 


(i4)  «<  One  of  the  mosl  extraorJinarf  un- 
dertakings  ever  known,  suivant  sir  Joliu  Ross 
(  t.  I,  p.  393  ). 

(i5)  La  flotte  corubioée  availde  plus  qua» 
tre  frégates,  chacune  de  4^0  canons. 


bien  évident  qu'un  vaisseau  qui  serait 
en  avant  des  autres  ne  pourrait  en- 
trer dans  la  ligne  de  bataille  lors- 
qu'on ferait  le  signal  de  se  former 
sur  l'unedes  lignesdu  plus  près(16).» 
En  admettant  que  Moreno  et  Linois 
aient  pris  de  mauvaises  disposi- 
tions ,  ainsi  que  sir  John  Ross  le 
leur  reproche  (17),  n'est-il  pas  cer- 
tain que,  malgré  la  fatale  méprise 
qui  causa  la  perte  des  deux  plus  beaux 
vaisseaux  à  trois  ponts  de  la  marine 
espagnole  et  diminua  non-seulement 
la  force  réelle,  mais  aussi  la  force 
morale  de  la  flotte  combinée,  perte 
qu'on  ne  peut  attribuer  à  l'habileté 
de  Saumarez,  puisqu'il  se  défend  lui- 
même  d'y  avoir  contribué,  celte  flotte 
atteignit  le  but  qu'elle  s'était  pro- 
posé, celui  de  se  rendre  à  Cadix,  tan- 
dis que  les  Anglais  manquèrent  le 
leur  en  ne  l'empêchant  pas  d'entrer 
dans  ce  port,  comme*  ils  l'essayèrent 
vainement  (18)  ?  Le  seul  résultat  favo- 


(16)  «  Il  was  scarceljr  possible  thas  niiie 
ihips ,  which  had  never  sailed  in  companj 
wiih  each  other^  could  maintain,for  anjr  length 
of  lime,  a  Une  abreasl  before  the  wind  so 
exactly  as  to  be  able  to  form  in  a  Une  ahead 
wlien  required ,  especialljr  in  a  dark  night 
with  a  strong  breeze  ;  and  it  must  be  évident 
tha  ianjr  ship  wliich  advanced  at  aU  ahead  of 
the  others  could  never  ^el  into  the  Une  ofbattle 
when  the  signal  was  made  to  form  it  on  either 
tack.  M 

(l'j)  «  To  those  conversant  in  naval  affairs» 
it  most  appear  mamfesl  thaï  the  disposition 
made  by  admirais  Moreno  and  Linois  was  one 
of  the  worst  that  could  be  devised.  .  .  Moreno 
seems  to  ha*e  beenfidlf  awareof  the  probabilitj 
ofthe  ships  firing  inioeach  other,  jet  he  made 
arrangements  of  ait  others  the  least  likelj-  to 
prevenl  it.  Had  heformedinto  two  Unes  ahead, 
wilh  the  disabled  ships  in  advance,  he  would 
hâve  obvialed  the  risk  of  firing  into  each  other, 
while  the  one  division,  bjr  shortening  sail, 
might  hâve  given  timelj  assistance  to  the 
other  which  had  been  atlacked.  »  P.  439. 

(18)  «  The  admirai,  dit  Brenton,  p.  408, 
was  also  anxious  toget  his  squadron  round  him, 
that  he  might,  with  his  collected  force  ,  reach 
Cadi$  before  the  morning,  and  eut  the  enemy 


SAU 


SAD 


159 


rable  qu'ils  obtinrent  fut  en  dëtîni- 
tive  la  prise  du  San- Antonio^  qui  ne 
tomba  même  en  leur  pouvoir  que 
parce  que,  se  trouvant  placé  à  l'ar- 
rière-garde  auprès  du  San-Hermene- 
gildo,  en  cherchant  à  s'éloigner  de 
ce  bâtiment  embrasé,  il  fut  séparé 
des  autres  vaisseaux  et  attaqué  à  la 
fois  par  deux  navires  ennemis.  Ce 
résultat  faillit  même  être  con» pensé 
par  la  perte  du  Vénéraile^  tellement 
maltraité  par  le  Formidable,  com- 
mandé par  le  capitaine  Troude,  ayant 
à  se  défendre  cependant  en  même 
temps  contre  ]eCœsar,  \e  Superbe 
et  la  frégate  la  Tamise,  que  le  vais- 
seau anglais  fut  forcé  de  s'échouer  à 
la-  côte  où  Saumarez  avait  donné 
l'ordre  de  le  brûler,  daus  la  crainte 
qu'il  ne  tombât  entre  les  mains  des 
Français  (1 9).  Un  écrivain  qu'on  n'ac- 
cusera pas  d'être  trop  favorable  aux 
Français,  M.  Frédéric  Schoeil,  dit 
dans  son  Histoire  abrégée  des  traités 
de  paix,  t.  VI,  p.  127,  que  «dans 
Vétat  de  supériorité  de  la  marine  an- 
glaise, Linois  eut  le  6  juillet  (1801) 
un  succès  qui  pouvait  paraître  bril- 
lant {'io)...  »  El  en  parlant  de  l'enga- 
gement du  12,  que  «  le  même  amiral 
livra  un  combat  qui  ne  fut  pas  s4, 


offfrom  the  onljr  port  in  which  ihejr  could/ind 
securiljr.  t 

(19)  «  ^«  e'^/*'  minutes  past  eight ,  dit 
Brenton,  the  Vénérable  made  the  signal  of 
having     struck    on   a    shoal.    The  admirai,, 

VERY  APPREHENSIVE  OF  HEK  FALiaNO  INTO 
THE     HANDS     OF    THE    ENEMY,    Sent    me    with 

discietional  orders  ta  captain  Hood,  that, 
should  he  not  be  able  to  get  lier  off  the  shoal, 
he  might  put  hi$  men  mto  ihe  Thamcs  and 
BUKN  THE  VENERABLE,  making  the  signal 
at  the  same  lime  for  the  Tharnes  to  close  with 
the  Vénérable  as  soon  as  possible.  » 

(20)  Le  Ciipitaiiie  Breufotj  liii-iriême  s'ax- 
prirne  i.iiisi  eu  pHiLtiit  de  l'affiiire  du  G: 
«  Admirai  Saumarez  had  been  towed  in  from 
Àlgeziras  with  his  crippUdand  de/eated  squa- 
dron,  with  the  lost  of  a  thip  of  the  Une.  »  T.  [, 
p.  411. 


heureux.  »  Après  la  conclusion  de  la 
paix  entre  la  France,  l'Espagne  et 
l'Angleterre,  Saumarez,  qui  venait 
d'êire  nommé  chevalier  de  l'ordre  du 
Bain,  fit,  au  nom  de  son  gouverne- 
ment ,  la  rennse   des   îles   Baléares 
à  l'Espagne   (16  juin  1802).    Lors 
de  la  reprise  des   hostilités  (1803), 
on    lui    confia    le    commandement 
d'une    escadre    chargée  de  la  dé- 
fense des  îles  du  Canal,  que  les  Fran- 
çais  paraissaient  menacer,  et   peu 
après  du  blocus  des  côtes  occiden- 
tales de  France  ,  entre  le  Havre-de- 
Grâce  et  Ouassant,  pendant  lequel  il 
bombarda  Granviile  et  eut  quelques 
affaires  avec  des  chaloupes  canon- 
nières. Au  mois  de  janvier  1807,  il 
fut  appelé  à  un  service  plus  actif  et 
devint  commandant  en  second  de  la 
flotte  du  Canal,  composée  de  27  vais- 
seaux de  ligne.  Le  comte  de  Saint- 
Vincent,  qui  la  commandait  en  chef, 
étant    tombé    malade,   il    le   rem- 
plaça avec  le  titre  de  vice-amiral, 
auquel  il  venait  d'être  élevé.  Ayant 
perdu    cette  position  par  suite  du 
changement  de  ministère,  et  le  mau- 
vais état  de  sa  santé  ne  lui  permet- 
tant pas  d'accepter  le  commande- 
ment de  la  station  des  Indes  orien- 
tales, quoique  ce  fût  la  plus  lucrative 
de  toutes  (janvier  1808), il  demeura 
sans  emploi  jusqu'au  moment  oii  la 
Russie  accéda  à  la  proposition  qui  lui 
avait  été  faite  par  la  France  de  décla- 
rer l'Angleterre  en  état  de  blocus 
(février  1808).  La  Suède,  restée  fidèle 
à  l'alliance  anglaise,   avait  tout   à 
craindre  de  la  première  de  ces  puis- 
sance» ;  aussi  Saumarez  fut-il  envoyé 
dans  la  Baltique    pour  la  protéger 
avec  une  flotte  considérable,  doift  la 
présence  n'empêcha  pas  les  Russes  de 
prendre  Sweaborg  et   d'envahir  la 
Finlande,  ce  qui  amena  la  révolution 
et  le  renversement  du  trône  de  Gus- 


100 


SAU 


SAU 


tave  !V  Adolphe.  l)(>s  le  17  sept.  1808, 
Sauniarez  avait  cru  devoir  écrire  di- 
rectement à  l'empereur  de  Riissie,sans 
y  être,  à  ce  qu'il  paraît,  autorisé  par 
son  gouvernement,  pour  proposer  à 
ce  prince  de  se  désister  de  toute  hos- 
tilité contre  l'Angleterre  et  ses  alliés, 
et  de  retirer  ses  troupes  de  la  Fin- 
lande suédoise,  en  lui  annonçant  que 
l'Espagne  et  le  Portugal  étaient  par- 
venus à  secouer  le  joug  de  la  France. 
II  l'informait  en  môme  temps  que  les 
troupes  françaises  avaient  été  forcées 
de  se  rendre  à  l'armée  anglaise,  com- 
mandée par  sir  Arthur  Wellesley. 
Mais  cette  proposition ,  désavouée 
d'ailleurs  par  le  ministère  anglais, 
n'eut  pas  de  résultat.  Le  duc  de  Su- 
dermanie,  qui  avait  succédé  à  son 
neveu  sous  le  nom  de  Charles  XIII 
(6  juin  1809),  suivit  d'abord  sa  poli- 
tique favorable  à  l'Angleterre,  et  con- 
féra à  Saumarez  la  grand'croix  de 
Tordre  de  l'Épée.  Ce  fut  pendant  que 
ce  dernier  commandait  dans  la  Bal- 
tique que  le  marquis  de  la  Romana 
parvint  à  se  sauver  à  bord  des  vais- 
seaux anglais  (oct.  1808),  avec  une 
partie  des  troupes  espagnoles  trans- 
portées en  Danemark  pour  agir  de 
concert  avec  les  Français  ^  dès  leur 
arrivée  en  Espagne,  ces  troupes  agi- 
rent immédiatement  contre  leurs  an- 
ciens alliés. .Les  avantages  remportés 
par  la  Russie  ayant  forcé  le  nouveau 
roi  Charles  XIII  à  conclure  avec  cette 
puissance,  le  17  sept.  1809, le  traité 
de  paix  de  Frederikshamn,  par  lequel 
la  Suède  cédait  tout  ce  qui  lui  restait 
encore  du  grand-duché  de  Finlande 
et  s'engageait  à  fermer  ses  ports  aux 
navires  de  guerre  et  de  commerce  an- 
glais, Saumarez  retourna  en  Angle- 
terre à  la  fin  de  1809.  Les  ordres  pé- 
remptoires  envoyés  par  Napoléon 
pour  l'exécution  des  dispositions  du 
traité  de  Frederikshamn    contre  la 


marine  anglaise  déterminèrent  le 
gouvernement  britannique  à  mettre 
de  nouveau  Saumarez  à  la  tête  de  ses 
forces  maritimes  dans  la  Baltique.  Il 
arriva  dans  la  rade  de  Gothembourg 
au  mois  de  mai  1810,  et  se  mit  immé- 
diatement en  correspondance  avec 
M.  Poster,  ministre  plénipotentiaire 
anglais  à  Stockholm,  qui  fut  obligé 
de  quitter  la  Suède  le  mois  suivant. 
Le  21  août  de  la  même  aimée,  l'ami- 
ral suédois  Krusenstjerna  annonça 
verbalement  à  Saumarez,  de  la  part 
du  roi,  que  ce  souverain  avait  pré- 
senté à  la  diète  d'Orebro  le  prince 
de  Ponte-Corvo  comme  son  successeur 
au  trône  de  Suède  (21).  Déjà  l'élection 
était  faite:  aussi  Saumarez  ne  put 
qu'exprimer  ses  regrets  de  ce  que 
son  gouvernement  n'avait  pas  été 
mis,  par  une  communication  faite  en 
temps  opportun,  en  mesure  de  sou- 
mettre des  observations  contre  l'é- 
lection d'un  officier-général  au  ser- 
vice de  l'ennemi  le  plus  acharné  de 
l'Angleterre.  Néanmoins,  lorsque  le 
nouveau  prince  royal,  qui  se  trouvait 
à  Nyborg  en  Fionie ,  demanda  la 
permission  de  traverser  le  Beit  sans 
être  molesté,  elle  fut  gracieusement 
accordée  par  Saumarez,  placé  en  ce 
moment  avec  sept  vaisseaux  de  ligne, 
six  frégates  et  sloops  au  centre 
d'un  convoi  de  plus  de  mille  voiles, 
dont  il  devait  protéger  le  retour  en 
Angleterre.  Malgré  la  déclaration  de 
guerre  de  la  Suède,  Saumarez,  con- 
vaincu que  cette  mesure  avait  été  ar- 


(2i)  Cette  communication  fut  faite  avec 
intention  le  même  joui"  que  le  prince 
de  Ponte-Corvo  fut  élu,  précisément  aûn 
d'éviter  les  objections  de  l'Angleterre.  L'a- 
miral suédois  affirmait  que  le  prince  de 
Ponte-Corvo  avait  promis  de  transporter  en 
Suède,  comme  un  gage  de  ses  intentions  en 
faveur  de  <;e  pays,  toute  sa  fortune  s'élevant 
à  huit  millions  steiliug  (  9.00  millions  de 
francs  ), 


SAU 

rach(^e  par  rinfluence'de  la  France,  et 
assnrd  d'ailleiirs,  par  diverse^  décla- 
rations confidentiellesdes  principales 
autorités  suédoises,  qu'elle  ne  serait 
pas  accompagnée  des  suites  ordinai- 
res, se  décida  à  ne  pas  commettre  le 
premier  acte  d'hostilité  (22).  Il  se  bor- 
na à  protéger  les  intérêtsde  ses  natio- 
naux pendant  le  cours  de  1810  et  des 
années  suivantes  qu'il  fut  renvoyé 
dans  les  parages  de  la  Suède.  Cette 
conduite  modérée  fut  approuvée  par 
son  gouvernement  et  appréciée  par 
les  Suédois,  et  tout  en  conservant  les 
apparences  d'un  état  de  guerre,  au- 
cun acte  réel  d'hostilité  ne  fut  com- 
mis ni  d'un  côté  ni  de  l'autre.  «  Vous 
avez  été  Tange  gardien  de  mon  pays, 
lui  écrivait  à  la  iin  de  1812  le  baron 
Plaîen  ;  par  votre  conduite  sage,  mo- 
dérée et  loyale,  vous  avez  été  la  pre- 
mière cause  de  la  réussite  des  plans 
conçus  contre  le  démon  du  continent. 
Si  vous  eussiez  tiré  un  coup  de  canon 
lorsque  nuus  déclaiânies  la  guerre  à 
l'Angleterre,  tout  serait  fini,  et'l'Eu- 
i'ope  serait  tombée  dans  l'esclavage.  » 
Saumarez  cotr. mandait  encore  la  sta- 
tion de  la  Baltique  au  mois  de  juillet 
1812,  quand  la  Suède  et  la  Russie  con- 
clurent avec  l'Angleterre  le  traité 
d'Orebro,  dirigé  principalement  con- 
tre la  France.  A  la  suite  de  ce  traité, 
il  fut  nommé  par  le  roi  Charles  XIII 
commandeur  grand'croix  de  Tordre 
de  l'Épée,  et  en  reçut  les  insignes  que 
le  prince  régent  l'autorisa  plus  tard 
à  accepter  et  h  porter.  Lorsqu'au  mois 
de  novembre  il  quitta  définitivement 
ces  parages  pour  retourner  en  Angle- 


SAU 


161 


(•ia)  Le  comte  Rosen  s'exprime  aiusi 
dans  uue  déclaration  semi-offKielie  adressée 
par  lui  a  l'amiral  Saiimarez  :  «  Le  gouverne- 
ment suédois  déclare,  il  est  vrai,  la  suerre  à  la 
Grande-Bretagne  -,  mais  il  n'est  pas  dit  qu'il 
doit  employer  des  mesures  d'une  hostilité 
active,  ' 

LX\X1. 


terre,  le  baron  Essen,  aide-de-camp 
du  prince  royal  de  Suède,  lui  offnt, 
au  nom  du  roi,  une  magnifique  épée 
de  la  valeur  de  2,000  livres  sterl.  Re- 
tiré depuis  cette  époque  du  service 
actif,  Saumarez  chercha  à  employer 
utilement  son  temps  en  prenant  part 
aux  travaux  de  diverses  sociétés  de 
bienfaisance.  Le  4  juinlSU, il  fut  nom- 
mé amiral  de  la  Bleue,  sans  toutefois 
qu'un  lui  confiât  de  commandement. 
Il  obtint  enfin,  le  1^^  o^t.  1831,  la 
pairie  avecle  titre  de  baron,  honneurs 
qu'il  avait  sollicités  long-temps  sans 
succès.  Depuis  son  entrée  dans  la 
chambre  haute,  il  y  vota  en  faveur  du 
bill  de  réforme  et  des  mesures  adop- 
tées par  lord  Grey.  Après  la  retraite 
de  cet  homme  d'État,  il  cessa  de  pa- 
raître au  parlement.  Au  mois  d'.oct. 
1834,  Charles  XIV  Jean ,  qui  avait 
conservé  un  souvenir  reconnaissant 
des  services  rendus  par  Saumarez  à  la 
Suède  dans  les  années  1810  à  1812, 
lui  fit  présent  de  son  portrait  en  pied 
de  grandeur  naturelle.  Saumarez  vé- 
cut encore  deux  ans  entièrement  re- 
tiré des  affairés,  et  mourut  dans  le 
sein  de  sa  famille,  le  9  octobre  1836". 
Des  huit  enfants  qu'il  avait  eus  de  son 
mariage  avec  miss  Martha  Le  Mar- 
chant ,  deux  fils  et  deux  filles  lui  ont 
survécu.  Le  révérend  Jacques  Sau- 
marez, son  fils  aîné  et  son  succes- 
seur à  la  pairie,  a  suivi  la  carrière 
ecclésiastique  :  il  était*  a  la  mort 
de  son  père  recteur  d'une  petite 
cure.  On  trouve  des  détails  très-cu- 
rieux sur  l'amiral  Saumarez  et  sur 
l'histoire  de  la  marine  anglaise  dans 
les  Memoirs  and  Correspondance  of 
aàm.  Saumarez,  Londres,  1838,  2 
vol.  in-8»,  publiés  par  sir  John  Ross, 
qui  avait  servi  longtemps  sous  les 
ordres  de  cet  amiral.—  Deux  oncles 
du  précédent,  Philippe  et  Thomas 
Saumarez,  capitaines  de  vaisseau  de 

11 


\6'2 


SAU 


l.i  marjiu»  royale  aiighiise,  s<'  sont 
fait  distinguer.  Le  premier  accom- 
pagna *  l'amiral    Anson    dans    son 
voyage  autour  du  monde  et  fut  tué,  le 
M  octobre  1747,  duns  un  comljat  na- 
val entre  les  Français  et  les  Angl.tis  ; 
ces  derniers  commandés  par  l'amiral 
Hawke,  —  Richard  Saumahez  ,  mé- 
decin étchirurgien,  frère  de  l'amiral, 
est  auteur  de  plusieurs  ouvrages. 
D— z— s. 
SAUMERY  (DE),  aventurier  du 
XVÎU®  siècle  et  moine  apostat,  était 
né  en  France  et  appartenait  à  l'ordre 
de  Saiiît-Françojs^  mais,  ayant  em- 
brasse le  calvinisme  à  Menin.il  passa 
en  Angleterre,  ti'où  il  s'endjarqua  en 
l7l0ppurConstantinople.Aprèsavoir 
résidé  trois  ans  dans  cette  capitale  , 
il  voyagea  en  Allemagne,  en  Italie  et 
en  Hollande,  où  il  tenta  vainement  de 
se  faire  recevoir  ministre  protestant. 
S'étant  rendu  à  Liège,  il  y  fit  abjura- 
tion et  y  demeura  environ  quinze  ans, 
livré  à   des  travaux   littéraires  qui 
étaient  ses  seuls  nrioyens  d'existence; 
mais,  expulsé  de  cette  ville  pour  sou 
inconduite  ,  il  retourna  eu> Hollande, 
où  il  professa  de  nouveau  le  calvi- 
nisnie.Ôn  croit  qu'il  mouri^tàUtrecht 
vers  1770.  Sauinerj,  a  publié  les  ou- 
vrages suivants  ,  ja  plupart  sous  le 
pseucloiiyme  de"J^.  de  Mîrone  :  I. 
VÀnii' chrétien,  ou  l'Esprit  du  cal- 
vinisme 6ppose\àJésus-Christet  à  l'Ê- 
vangile,  Liège,  173 î,  in -12.  ÎL  Mé- 
moires et  aventures  secrètes  et  curieu- 
ses ctun  voyageur  au  Levant,  Liège, 
1732-36,  6  vol.  in  12.  HL  Les  dé- 
lices du  pays  de  Liège,  ou  Descrip- 
tion des  monuments  de  cette  princi- 
pauté, Liège,  1738-44  ,  5^  vol.  in-foi. 
Cet  ouvrage  anonyme  ,   publie  par 
Bver.  Kints,  a  été.  rédigé  par  Saume- 
ry,  aidé,  dit-on,  par  plusieurs  autres 
ecrivainsfauieliqucs.il  est  orné d'uiic 
carte  générale  etde  beaucoup  de  plan- 


SAli 

chcs  en  laille-douce  assez  estimées. 
Le  cin<^uième  volume  contient  des 
notices  sur  les  Liégeois  célèbres.  IV. 
Anecdotes  vénitiennes  et  turques,  ou 
Nouveaux  mémoires  du  comte  deBon 
fiera/,  Utrecht,  1740,  2  vol.  in-l2; 
réimprimés  la  même  année  à  Franc- 
fort, à  Leipzig  et  à  Vienne,  2  vol.  in- 
8",  et  à  La  Haye  en  1748.  Cet  ouvrage, 
qui  porte  le  pseudonyme  de  Mirone, 
a  été  faussement  attribué  au  manfuis 
d'Argensparquelquesbibliographes; 
il  est  réellement  de  Saumery.  Quoi- 
que les  Anecdotes  soient  apocryphes, 
Guyot  des  Herbiers  {voy.  ce  nom, 
LXVl,  326)  en  a  inséré  de  curieux 
morceaux  dans  le  second  volume  des 
Mémoires  du  comte  de  Bonneval , 
dont  il  a  df)nné  une  édition,  1806,  2 
vol.  in-8''.  V.  L'heureux  imposteur, 
ou  Aventures  du  baron  de  Janzac , 
Utrecht,  1740,  in-12.  W.  Aventures 
de  madame  la  duchesse  de  Vaujour^ 
histoirevéritable, LaUsiYeeXXJirechi, 
1741  ,  6  part.  in-8°.  Vil.  Le  Diable 
ermite,  ou  Aventures  d'Astaroth  ban- 
ni des  enfers,  Amsterdam,  1741,  2 
vol   in-12.  Z. 

SAUNDERS  (William),  membre 
de  la  Société  royale  et  du  collège 
royal  des  médecins  de  Londres,  était 
aussi  médecin  extraordinaire  du  roi. 
Né  en  1743,  il  étudia  de  bonne  heure 
toutes  les  parties  de  la  science  médi- 
cale et  fit  plus  particulièrement  des 
recherches  sur  les  maladies  du  foie, 
pour  lesquelles  il  prescrivit  des  pré- 
parations mercurielles,  dont  plus 
tard  cependant  on  a  reconnu  le  dan- 
ger. Le  docteur  Sauuders  fit  plu- 
sieurs voyages  dans  l'Inde  et  contri- 
bua beaucoup  à  introduire  la  vaccine 
dans  l'île  de  Saint-Domingue.  Revenu 
k  Londres,  il  y  pratiqua  avec  un  grand 
succès,  devint  doyen  des  médecins  de 
l'hôpital  de  Guy  et  publia  différents 
écrits  fort  estimés.  S'étant  retiré  à 


SAU 

Enfieid,  il  y  mourut  le  4  juin  1817. 
Ses  ouvrages  imprime's  sont  :  I.  Trai- 
té sur  le  mercure  employé  dans  les 
maladies  vénériennes,  1767,  in- S*'. 

II.  Réponse  à  Geach  et  Alcock  sur  la 
colique  du  Devonshire^  1768,  in-8^ 

III.  Observations  sur  V antimoine, 
1773,  in-8°.  IV.  Traité  sur  l'acide 
méphitique^  1779,  in-8*.  V.  Traité 
sur  le  kina,  1782,  in-S".  Yl.  Disserta- 
tion sur  la  structure  ,  les  fonctions 
et  les  maladies  du  foie,  1793,  in-8^; 
4*  édit.,  1809.  C'est  le  plus  impor- 
tant des  ouvrages  qu'a  publiés  Saun- 
ders.  Le  docteur  Thomas  en  a  donné 
une  traduction  française  avec  des 
notes,  Paris,  1805,  in-8°-  VII.  Ora- 
tio  Harvei  instituto  habita  in  thea- 
tro  collegii  regalis  medicorum  Lon- 
dinensis,  1796,  in-4°;  1797,  in-8°. 
VIII.  De  l'histoire  chimique  et  des 
propriétés  médicales  de  quelques- 
unes  des  eaux  minérales  les  plus  re- 
nommées^ etc.,  1800,  in-8'*;  2*  édit., 
1806.  IX.  Sur  l'hépatite  de  l'Jnde, 
1809,  m-S°.  X.  Un  Cours  de  chimie 
fort  estimé ,  et  différents  mémoires 
insérés  dans  plusieurs  recueils  et 
journaux  scientifiques.  En  1817,  le 
docteur  Saumarez,  qui  avait  été  l'ami 
et  quelquefois  le  collaborateur  de 
Sauuders,  publia  une  nouvelle  édi- 
tion de  son  ouvrage  sur  le  foie,  sui- 
vie des  recherches  sur  l'hépatite  de 
Vinde.  Z. 

SAUNIER  (François  de)  ,  petit- 
lils  d'un  capitaine  châtelain  du  châ- 
teau fort  de  Montbrelton,  en  Langue- 
doc ,  qu'ont  illustré  les  guerres  de 
religion,naquit  à  Saint-Didier  enl665. 
Capitaine  des  réfugiés  irlandais ,  il 
partagea  les  malheurs  des  Français  à 
la  journée  de  la  Boyne,  où  il  reçut 
deux  blessures.  La  prise  de  Lime- 
rick  le  rappela  en  Franche.  Louis  XI V, 
voulant  opérer  une  diversion  en  Hon- 
grie, envoya  des  secours  d'hommes 


SAU 


163 


et   d'argent   à  Ragotzky  {voy.    ce 
nom  ,    XXXVI ,  544  ).   Saunier  re- 
çut   l'ordre    d'aller  au   secours    de 
ce  prince  avec  un  corps  d'élite  dé- 
signé sous   le  nom  de  Compagnie 
des  grenadiers  français ,  gardes  du 
prince  de  Transylvanie.  En  1705 , 
Ragotzki  campa  sur  la  Vaag,  près  du 
pont  de  Seret,  passage  important,  en 
ce  qu'il  pouvait  livrer  au  général  al- 
lemand Herbeville,  non- seulement 
l'armée  hongroise,  mais  la  personne 
du  prince  qui  n'était  qu'à  deux  cents 
pas,  vis-à-vis  le  pont  de  Seret,  Ra- 
gotzky confia  la  garde  de  ce  passage 
à  Saunier  qui  se  retrancha  à  l'une  des 
issues  du  pont,  calculant  que  l'en- 
nemi emploierait  toutes  ses  forces 
pour  se  rendre  maître  de  ce  poste. 
En    effet,  vers  minuit ,   le  général 
Herbeville,  qui  occupait  le  château 
de  Seret ,  abandonné  par  Ragotzky, 
attaqua  le  pont  avec  des  forces  supé- 
rieures à  celles  qu'on  lui  avait  sup- 
posées. Pendant  sept  heures  l'atta- 
que fut  des  plus  meurtrières  ,  mais , 
malgré  leur  perte,  les  grenadiers  fran- 
çais ne  purent  être  forcés, et  leur  com- 
mandant ,  quoique  dangereusement 
blessé ,  sut  résister  à  l'ennemi,  dont 
toute  l'armée  aurait  été  faite  prison- 
nière sans  l'hésitation  des  généraux 
Bercheny  {voy.  ce  nom,  IV,  228)  et 
Gabriel  Guesy  qui  reçurent  ordre  de 
remonter  la  Vaag  et  d'attaquer  Her- 
beville, ce  qu'ils  négligèrent  de  faire, 
craignant  d'être  coupés  et  ne  croyant 
pas  que  Saunier  pût  résister.  Au  mois 
de  novembre  de  la  même  année  et  h. 
l'afl'aire  de  Gibbon ,  le  marquis  des 
AUeurs,  comte  de  Clinchamps,  se  fit 
donner  le  commandement  de  l'aile 
droite  de   l'armée  hongroise,   sous 
prétexte  qu'elle  n'était  composée  que 
de  corps  étrangers  à  la  solde  de  la 
France  ;  mais  le  grand  âge  de  ce  lieu- 
tenant-général ne  lui  permit  pas  de 

11. 


164 


SÀU 


se  conduire  avec  l'aclivitë  que  les 
circonstances  auraient  exigée ,  et 
Tannée  fut  battue.  Les  grenadiers 
français,  chargés  de  couvrir  la  re- 
traite de  l'armée,  le  firent  avec  une 
prudence  et  une  intrépiditéqui  inspi- 
rèrent l'admiration  et  valurent  deux 
ans  après  à  leur  chef  la  gloire  de  faire 
partie  de  l'ordre  de  la  Providence  di- 
vine,  que  Ragotzky  établit  en  1707 
et  dans  lequel  aucun  étranger  ne  pou- 
vait être  admis.  Divers  ofliciers  fran- 
çais avaient  été  pris  et  traités  comme 
des  rebelles.  Des  Alleurs  reçut  l'ordre 
direct  de  donner  un  sauf-conduit  à 
Saunier,  ce  qu'il  exécuta  le  8  septem- 
bre 1707,  étant  au  camp  de  Terebes. 
Dans  une  des  affaires  les  plus  impor- 
tantes  de  la  campagne  de  1708,  puis- 
qu'elle décida  de  la  fin  de  la  guerre 
et  de  la  destinée  de  Ragotzky,  la  ca- 
valerie hongroise  ne  pouvant  soute- 
nir le  choc  d'un  corps  de  rasciens,  prit 
la  fuite.  Le  prince,  croyant  arrêter 
cette  déroute,  se  mit  à  la  tête  d'un  ré- 
giment de  carabiniers,  qui  éprouva 
le  même  sort.  Cherchant  à  rallier  ce 
régiment  qui  fuyait,  son  cheval  s'a- 
bat sous  lui  et  le  renverse  dans  un 
fossé.  Entouré  d'ennemis,  il  était  sur 
le  point  d'être  fait  prisonnier,  lors- 
que Saunier  accourt  avec  ses  grena- 
diers ,  le  dégage  ,  le  met  à  cheval  et 
parvient  à  le  conduire  hors  du  champ 
de  bataille,  dans  un  bois,  et  de  là  re- 
joint les  bagages  dont  la  retraite,  pen- 
dant une  marche  de  trois  lieues,  fut 
protégée  par  le  corps  des  grenadiers 
français  qui  furent  assez  heureux  pour 
pouvoir  se  réfugier  le  lendemain  à  Lo- 
polchane.  A  peine  guéri  des  blessures 
qu'il  avait  reçues  à  Seret,  Saunier, 
soit  pendant  le  combat ,  soit  en  pro- 
tégeant la  retraite,  reçut  encore  deux 
coups  de  feu  et  un  coup  de  sabre  qui 
le  privèrent  pendant  onze  mois  d'un 
service  actif.  Le  général  Karoli  ayant 


SAU 

trahi  la  cause  du  prince  et  fait  h.  son 
détriment  un  traité  de  paix  avec  l'em- 
pereur, auquel  il  livra, en  1710, l'im- 
portante place  de  Cassovie,  le  prince 
se  réfugia  en  Pologne  avec  les  séna~ 
leurs,  les  généraux  et  tout  ce  qu'il  y 
avait  de  considérable  en  Hongrie. 
Saunier  le  suivit,  puis  il  passa  en  Tur- 
quie. Le  marquis  des  Alleurs,  alors 
ambassadeurextraordinaireàlaPorte- 
Ottomane,  lui  donna  un  passe-port 
pour  aller  à  Smyrne  et  de  là  en  Fran- 
ce. Saunier  aborda  à  Toulon  au  mois 
de  mai  1711 ,  et  obtint  du  marquis 
de  Chalmazet  un  second  passe-port 
pour  se  rendre  à  Saint-Didier,  sa  pa- 
trie, où  il  mourut  des  suites  de  ses 
blessures.  Z. 

SAUNIER  (Gaspard  de) ,  ancien 
écuyer  de  l'Académie  de  l'université 
de  Leyde,  est  auteur  des  deux  ouvra- 
ges suivants  :  I.  Traité  de  la  con- 
naissances des  chevaux,  1737,  in-fol. 
IL  L'Art  de  la  cavalerie,  ou  Manière 
de  devenir  bon  écuytr,  etc.,  Paris, 
1756,  in-fol.  avec  fig.  —  Saunier  de 
Beaumont  (l'abbé),  sous- diacre  du 
diocèse  de  Rouen,  écrivain  et  compi- 
lateur du  XVllI^  siècle,  a  publié,  sans 
y  mettre  son  nom  :  I.  Lettre  d'unthéo- 
logien  à  un  avocat,  sur  le  droit  que 
les  curés  ont  dans  le  gouvernement 
deVÈglise^  1719,  in-i2.  IL  Lettres 
'philosophiques ,  sérieuses ,  critiques 
et  amusantes,  traitant  de  la  pierre 
philosophale ,  de  l'incertitude  de  la 
médecine^  etc.,  Paris,  1733,  in-12; 
La  Haye,  1748,  in-12.  Ces  lettressont 
tirées  de  différents  auteurs  ;  mais 
leurs  diverses  suscriptions,  l'épître 
dédicatoire  ,  etc. ,  sont  supposées. 
m.  Le  Gnome,  Paris,  in-12.  IV. 
Onèirologie,  ou  Traité  des  songes, 
en  Hollande  ,  in-12.  V.  Productions 
d'esprit  ,  contenant  tout  ce  que  les 
arts  et  les  sciences  ont  de  rare  et 
de  merveilleux;  ouvrage  crUiqWèet 


sublime  composé  par  le  docteur  Stvîft,    posé  la  Dédaigneuse,   comédie     et 
et  autres  personnes  remplies  d'une    V Allégresse  française^  ou  les  Vœux 
érudition  profonde  ,  avec  des  no-    (accomplis,  avec  un  divertissement  et 
tes  en  plusieurs  endroits,  traduit    wntjaudevi7/e,  à  l'occasion  delà  nais- 
parM.  **%  Paris,  J736,  2  vol.  in-12.     sance  du  dauphin.  Ces  deux  pièces 
C'est  la  traduction  du  Contedu  Ton-    n'ont  pas  été  imprimées.      P— -rt. 
neau  de  Swift,  publiée  à  La  Haye  par        SAUNIER  (Georges)  ,  capitaine 
Van  Elfen,  et  à  laquelle  l'abbé  Sau-     de  vaisseau,  né  à  Toulon  le  10  octo- 
nierafait  beaucoup  de  changements;  ^  bre  1769,  servit  de  bonne  heure  dans 
il  a  composé  notamment  la  première,     la  marine  marchande,  et  il  était'par- 
Ja  troisième  ,  la  dixième  et  la  qua-     venu  au  grade  d'enseigne  sur  la  fré- 
torzième  lettre,  pour  remplacer  ce    gatelaJunon,  lorsque  les  Anglais  en- 
qu'il  y  avait  d'impie  et  de  licencieux     Irèrent  à  Toulon  en  1793.  Après  que 
dans  ce  conte.  YI.  Voyage  d'innigo    cette  ville  eut  été  reprise  par  les  Fran- 
ce Biervillas ,  Portugais,  à  la  côte    çais,  Saunier  s'embarqua  sur  un  ca- 
du  Malabar,  Goa,  Batavia  et  au-     not  avec  huit  hommes,  et  captura 
très  lieux  des  Indes  orientales,  Pa-     pendant  la  nuit,  à  deux  lieues  en  mer, 
ris,  1736,  in-12.  VU.  Histoire  de  la    mi  brick  espagnol  armé  de  six  ca- 
dernière    révolution  arrivée  dans    nons,  monté  de  dix-huit  hommes  et 
l'empire  ottoman,  le  28  sept.  1730 ,     chargé  de  munitions  de  guerre  pour 
avec  quelques  observations  sur  rétat    500,000  fr.  Cet  exploit  lui  valut  le 
delaville  et  empire  de  MarocVMÏs,    grade  de  lieutenant  de  vaisseau  et  le 
1740,  in-12.  Cet  ouvrage  parut  sous     commandement  du  brick  la  Liberté 
Je  pseudonyme  de  Crouzenac,  gen-     de  24  canons.  Bientôt  il  mérita  d'être 
•  tilhomme  gascon.  La  révolution  dont    nommé  capitaine  de  frégate,  puis  ca- 
il  s'agit  est  celle  qui  précipita  du     pitaine  de  vaisseau,  et  reçu'tle  com- 
trône  le  sultan  Achmet  111  pour  y     mandement  du  Guillaume -Tell.  Ce 
faire  monter  son  neveu  Mahmoud  V\    bâtiment  faisant  partie  de  la  flotte  de 
(uoy.  ces  noms,  I,  148,  et  XXVI,  167).     l'amiral  Brueys  qui  conduisit  Bona- 
L'abbé  Saunier  a  été  l'éditeur  d'un    parte  et  son  armée  enÉgypte,se  trouva 
ouvrage  de  Boisvenet  (laïc,  retiré  à    au  sanglant  combat  d'Aboukir  (l«f 
l'hôpital-général  de  Paris),  intitulé  :     août  1798) ,  où  l'amiral  français  fut 
Instructions  chrétiennes  sur  les  souf-    tué  ;  presque  tous  les  naviresVurent 
frances,  par  M.  Vabbè  *** ,  Paris ,    détruits  ou  pris  par  Nelson.  Le  Gêné- 
1732,  in- 12.  —Saunier  {Pierre-    reuxti  le  Guillaume-Tell,  ainsi  que 
Maurice),    littérateur,  était   né  à     deux  frégates,  échappèrent  seuls  au 
Bouen  le  8  octobre  1750.  Outre  quel-    désastre.  Saunier  gagna  l'îledeMalte, 
ques  chansons  insérées  dans  l'Jl/ma-    dont  les  Français  s'étaient  emparés,' 
nach  des  Muses,  on  a  de  lui  :  1.  Ode    et  commanda'l'artillerie  de  la  place 
sur  la  paix  de  Louis  XVI,  1783.  II.     pendant  le  long  siège  qu'elle  soutint. 
Le  Triomphe  de  la  machine  aérosta-    Étant  sorti  du  port,  il  fut  attaqué  par 
tique.  IIL  L' Anti-critique,  ou  Réfle-    une  frégate  et  deux  vaisseaux  anglais 
œionssur  la  critique  et  les  critiques,    qu'il  combattit  durant  toute  la  nuit; 
IV.  Coup  d'œil  sur  la  Comédie  et  sur    mais  au  moment  où,  pour  la  troisiè- 
la  Folle  Journée,  ou  le  Mariage  de    me  fois,  il  tentait  l'abordage,une  balle 
Ifigaro,   de  Beaumarchais,  Paris,    l'atteignit  à  l'œil ,  et  le  Guillaume- 
nSéjin-S^Saunieravait  encorecom-     Tell,  ayant  perdu  tous  ses  mâts ,  fut 


166 


SAU 


SAU 


forcé  d'amener.  Revenu  en  France, 
Saunier  fut  nommé  capitaine  de  vais- 
seau d«  première  classe^  et,  en  février 
1801,  le  premier  consul  lui  donna  le 
commandementd'une  division  navale 
destinée  à  transporter  en  Egypte  des 
munitions  et  des  troupes  sous  les  or- 
dres du  général  Desfourneaux.  Un 
coup  de  vent  sépara  des  autres  bâti-  • 
ments  V Africaine,  que  montait  Sau- 
nier. Cette  frégate ,  dont  la  charge 
était  considérable,  marchait  lente- 
ment ;  elle  fut  poursuivie  et  attaquée, 
vers  le  détroit  de  Gibraltar,  par  un 
vaisseau  anglais  de  cent  soixante  ca- 
nons. Le  combat  fut  terrible  et  dura 
quinze  heures.  Saunier  y  déploya  un 
courage  héroïque;  deux  fois  il  tenta 
l'abordage  que  l'ennemi  évita.  Le  gé- 
néral Desfourneaux  montra  aussi  dans 
cette  action  une  grande  valeur  ;  son 
frère,  son  neveu  ,  ses  trois  aides-de- 
camp  périrent  à  ses  côtés,et  lui-même 
reçut  une  blessure  à  la  poitrine.  Huit 
mille  coups  de  canon  avaient  été  tirés; 
les  canonniers  étaient  tués  ou  blessés, 
les  batteries  démontées, les  vergues  et 
les  mâts  brisés;  le  feu  était  au  vaisseau» 
et  Saunier  se  défendait  encore,  lors- 
qu'un boulet  le  frappa  mortellement. 
V Africaine,  entièrement  désemparée, 
fut  obligée  de  se  rendre.  Le  capitaine 
anglais,  rempli  d'admiration,  prit  le 
sabre  de  Saunier,  et  déclara  qu'il  le 
porterait  toute  sa  vie  en  mémoire  de 
cet  intrépide  marin.  11  voulait  même 
que  son  corps,  transporté  en  Angle- 
terre, y  reçût  les  honneurs  tunèbres; 
mais ,  assailli  par  des  vents  contrai- 
res, il  eut  le  regret  de  ne  pouvoir  l'en- 
sevelir que  dans  les  flots.  Le  gouver- 
nement consulaire  accorda  une  pen- 
sion de  600  fr.  à  la  veuve  de  Saunier, 
et  plaça  ses  deux  fils  au  Pry  tanée  fran- 
çais à  Paris  (plus  tard  lycée  impérial, 
et  aujourd'hui  collège  de  Louis-le- 
Grand).  P— rt. 


SAURAI)  (le  cmte François  de), 
d'une  des  fauiilles  les  plus  anciennes 
de  la  Styrie,  naquit  à  Vienne,  le  19 
septembre  1700,  et  y  fut  élevé  au 
collège  Thérésien.  Après  avoir  par- 
couru tous  les  grades  de  l'adminis- 
tration, et  travaillé  avec  succès  au 
nouveau  cadastre,  objet  particulier 
des  soins  de  Joseph  II ,  il  fut  nom- 
mé, en  1786,  conseiller  au  gouver- 
nement de  Prague,  et,  en  1789,  ca- 
pitaine de  la  ville  de  Vienne,  charge 
qui  répond  à  peu  près  aux  fonctions 
de  préfet  en  France.  En  1791,  il  de- 
vint conseiller  aulique  au  directoire- 
général  de  la  monarchie.  La  réputa- 
tion qu'il  s'acquit  dans  tous  ces  em- 
plois fixa  sur  lui  l'attention  du  prince, 
et  le  vieux  comte  de  Pergen  ne  pou- 
vant plus  exercer  la  charge  de  mi- 
nistre de  la  police,  le  comte  de  Sau- 
rau  lui  fut  adjoint  en  1797.  Cette 
époque  était  celle  du  mouvement  gé- 
néral que  la  révolution  française 
avait  donné  aux  esprits,  et  le  nou- 
veau ministre  eut  à  lutter  contre  ce 
torrent ,  sans  avoir  les  moyens  né- 
cessaires pour  y  résister  ;  car  le  mi- 
nistre des  affaires  étrangères,  Thu- 
gut,  qui  alors  dirigeait  tout,  exerçait 
une  grande  influence  sur  la  police. 
Deux  conspirations  ,  l'une  à  Vienne 
même,  et  l'autre  en  Hongrie,  furent 
néanmoins  étouffées  à  leur  naissance, 
et  les  coupables  livrés  à  la  justice. 
Toutes  les  intrigues  des  ennemis  de 
l'État  lurent  déjouées  par  la  vigilance 
du  comte  de  Saurau,  qui,  informé  de 
tout,  chercha  cependant,  autant  que 
le  lui  permirent  l'imminence  du  dan- 
ger et  l'extrême  sévérité  du  baron 
de  Thuguî,  à  respecter  la  liberté  in- 
dividuelle. Nommé,  en  1795,  prési- 
dent de  la  régence  de  la  Basse-Au- 
triche, et  conservant  en  même  temps 
la  direction  de  la  police,  il  conçut 
le  hardi  projet  de  combattre  l'opi- 


SAU 

nion  par  ropiniou,  et  il  osa,  dans  un 
moment  où  toute  manifesta  (ion  d'es- 
prit public  paraissait  dangereuse, 
appeler  la  masse  de  la  nation  à  se 
prononcer  pour  son  souverain  et  pour 
1  état  de  choses  actuel.  Des  écrits 
destinés  à  combattre  les  principes  ré- 
volutionnaires furent  misa  la  portée 
du  bas  peuple;  des  réunions  patrio- 
tiques se  formèrent,  et  l'on  excita  le 
public  à  émettre  son  vœu  et  son  opi- 
nion dans  de  grandes  réunions  que 
Ton  sut  préparer.  La  nation  justiiia 
l'attente  du  président  du  gouverne- 
ment; le  succès  le  plus  complet  cou- 
ronna une  entreprise  qui  paraissait 
très-hasardeuse  et  contre  laquelle  on 
s'était  prononcé  assez  vivementdans 
le  ministère,  liiiperlurb.-ble  dans  son 
système,  le  comte  deSaurau  le  pour- 
suivit au  milieu  des  désastres  de  la 
guerre,  et  même  lorsque  de  nouveaux 
revers  ébranlèrent  la  monarchie.  En- 
fin quand  Bonaparte  s'avança  ,  en 
1797,  vers  la  capitale,  le  comte  fit 
adopter  la  mesure  la  plus  hardie  et 
la  plus  décisive,  ce  fut  la  levée  eu 
masse.  Les  paysans  s'armèrent  de 
toutes  parts  au  premier  appel.  Ce- 
pendant il  y  eut  a  Vienne  même  un 
moment  d'hésitation,  quoique  l'esprit 
public  fût  excellent.  Alors  le  comte 
fit  éloigner  tous  les  étrangers ,  et 
cette  mesure  fut  à  peine  exécutée, 
que  ce  ne  furent  plus  les  hommes  qui 
manquèrent,  mais  les  armes,  et  qu'il 
fallut  distribuer  des  piques,  après 
avoir  vidé  l'arsenal  de  tous  ses  fusils. 
Les  préliminaires  de  Léoben  rendi- 
rent inutiles  les  effets  de  cette  levée 
extraordinaire;  et,  par  une  des  chan- 
ces les  plus  inexplicables  de  sa  for- 
tune, Bonaparte,  tandis  qu'il  se  trou- 
vait coupé  sur  ses  derrières  par 
l'insurrection  des  Vtniliens,  et  lors- 
qu'il allait  être  obligé  de  se  battre 
avec  une  armée  affaiblie   même  par 


SAU  ■ 


167 


ses  victoires  contre  une  armée  que 
l'enthousiasme  avait  portée  au  grand 
complet  ,  tandis  que  la  levée  géné- 
rale devait  lui  faire  craindre  tous  les 
inconvénients  contre  lesquels  il  a 
lutté  depuis  sans  succès  en  Espagne, 
il  dicta  ia  loi  qu'il  aurait  dû  recevoir. 
Le  comte  deSaurau  acquit,  par  ces 
opérations  aussi  sages  qu'énergiques, 
une  popularité  immense.  L'empereur 
lui  técnoigna  sa  satist.iction ,  et  lui 
donna  une  terre  en  Hongrie.  11  fut 
chargé  dans  la  même  année  de  recréer 
le  coliége  Thérésien,  destiné  k l'édu- 
cation de  la  noblesse,  et  que  l'empe- 
pereur  Josepb  II  avait  supprimé.  Son 
nom  seul  suffit  pour  donner  à  cette 
institution  la  faveur  publique,  et 
pour  y  attirer  un  nombreux  concours 
d'élèves  de  toutes  les  parties  de  la 
monarchie.  La  confiance  du  souve- 
rain et  le  vœu  général  le  portèrent, 
peu  de  temps  après,  au  ministère 
des  finances,  où  son  prédécesseur, 
par  une  misérable  parcimonie,  s'é- 
tait fait  des  enut-mis  jusque  dans  ses 
employés.  Une  des  guerres  les  plus 
dispendieuses  que  l'Autriche  ait  eues 
à  soutenir  venait  de  mettre  ses  fi- 
nances dans  l'état  le  plus  déplorable. 
Cependant  la  paix  de  Campo-Formio 
n'était  évidemment  qu'une  trêve,  et 
il  fallait  encore  se  préparer  à  la 
guerre.  Ce  fut  alors  que  la  nécessité 
lit  adopter  au  baron  de  Thugut  le 
projet  d'accroissement  des  obliga- 
tions de  la  banque,  que  lui  suggéra 
un  ancien  employé  belge.  On  sait 
combien  cette  opération  a  été  fu- 
neste au  crédit  de  la  maison  d'Au- 
triche. Le  comte  de  Saurau combattit 
vivement  ceprojet;  il  s'y  opposa  avec 
tonte  la  fermeté  de  son  caractère; 
mais  l'opinion  du  baron  du  Thugut, 
qui  jouissait  d'une  confiance  illimitée 
auprès  du  souverain,  prévalut. Cette 
mesure  fit  perdre  au  comte  une  par. 


168 


SAU 


SAL 


tiède  sa  popularité,  et  elleaiiiema  de 
la  froideur  entre  le  baron,  le  ministre 
du  cabinet  et  lui.  En  1801,  il  fut  nom- 
mé ambassadeur  à  St-Pétcrsbourg,  et 
le  czar  lui  conféra  la  grand'croix  de 
Saint-Étienne.  II  ne  fut  pas  possible 
au  comte  de  faire  adopter  au  cabinet 
de  Saint-Pétersbourg  le  système  qui 
dans  la  suite  a  sauvé  l'Europe  ;  trop 
d'intérêts  et  trop  d'intrigues  s'y  op- 
posaient alors.  La  Russie  et  la  France 
concoururent  conjointement  à  ladés- 
organisation  ou  plutôt  à  la  destruc- 
tion de  l'empire  germanique,  par  les 
sécularisations  qui  eurent  lieu  à  Ra- 
tisbonne.  En  1803,  le  comte  de  Sau- 
rau  fut  nommé  maréchal  des  États  de 
l'Autriche,  et  il  présida  leur  assem- 
blée jusqu'en  1806,  époque  où  il  de- 
vint commissaire  impérial  en  Styrie, 
Carinthie  et  Carniole.  11  organisa 
dans  ces  provinces  cette  iandwehr 
qui  rendit  de  si  grands  services  En 
1810,  l'empereur  le  nomma  gouver- 
neur-général de  la  province  d'Au- 
triche. Le  système  du  libre  commerce 
des  grains,  qui,  dans  un  pays  essen- 
tiellement agricole,  est  impérieuse- 
ment demandé  par  le  sens  commun, 
fut  introduit,  maintenu  et  protégé, 
malgré  les  préjugés  contre  lesquels 
le  nouveau  gouverneur  était  forcé  de 
lutter.  En  1814,  l'empereur  le  char- 
gea de  l'organisation  des  provinces 
I!lyriennes,évacuées  par  les  Français. 
Enfin,  en  1815,  on  lui  donna  le  gou- 
vernement de  la  Lombardie ,  charge 
plus  pénible  que  toutes  celles  qu'il 
avait  occupées.  Il  était  difficile  de 
faire  oublier  tout  à  coup  aux  habi- 
tants d'une  ville  populeuse  que  cette 
ville  avait  été  la  capitale  d'un  royau- 
me. Un  essaim  d'employés  avaient  été 
renvoyés  ou  mis  à  la  demi-solde,  et 
toutes  les  causes  qui  avaient  con- 
couru à  fomenter  en  France  l'esprit 
de  discorde  et  frayé  le  chemin  à  Na- 


poléon pour  revenir  de' l'île  d'Elbe, 
existaient  en  Lombardie.  Cependant 
l'intégrité  du  gouverneur  surmonta 
les  plus  grands  obstacles,  et  quand  il 
quitta  Milan  en  1817,  pour  se  rendre 
à  l'ambassade  de  Madrid,  il  fut  gé- 
néralement regretté;  et  même  en- 
coreaujourd'hui,  on  se  souvient  dans 
ce  pays  de  sa  modération  et  surtout 
de  son  austère  probité.  Lors  de  la 
guerre  de  Napies,  en  1815,  il  avait 
été  ministre  plénipotentiaire  auprès 
de  l'armée  autrichienne  commandée 
parlefeld-maréchal  Bianchi,  et  qui, 
en  quinze  jours,  mit  fin  au  règne  de 
Murât;  le  roi  Ferdinand  conféra,  à 
cette  occasion,  la  décoration  de  St- 
Ferdinand  en  diamants  au  comte  de 
Saurau.qui  bientôt  fut  chargé  de 
faire  à  l'archiduchesse  Marie-Louise 
Ta  remise  de  son  duché  de  Parme. 
En  1818,  il  fut  nommé  chef  de 
toutes  les  chancelleries  de  l'em- 
pire ,  dignité  nouvelle  qui ,  par  son 
importance,  a  plus  d'éclat  que  la 
place  de  ministre  de  l'iniérieur  en 
France.  Dans  les  dernières  années 
de  sa  vie  il  partagea  en  quelque  fa- 
çon avec  le  prince  de  Metternich  le 
pouvoir  et  la  confiance  du  souverain, 
et  cette  rivalité,  loin  de  nuire  à  la 
marche  des  affaires,  la  rendit  au 
contraire  plus  sûre  et  plus  rapide. 
Le  comte  de  Saurau  mourut  à  Vienne 
vers  1830.  M— Dj. 

SAURI  ou  Saury  (l'abbé),  ne  aux 
environs  de  Rodez  en  1741  .  sui- 
vant la  France  littéraire  de  M.  Qué- 
rard,  et  mort  au  Bengale  en  1785,  d'a- 
près la  Bibliographie  astronomique 
de  Lalande,  fut  professeur  de  philo- 
sophie à  l'université  de  Montpellier 
et  correspondant  de  l'Académie  des 
sciences  de  cette  ville.  Il  paraît  mêaie, 
si  on  ne  l'a  pas  confondu  avec  un 
homonyme,  qu'il  était  aussi  docteur 
de  la  faculté  de  médecine.  On  a  de 


SAU 

lui  :  I.  Institutions  mathématiques 
servant  d'introduction    à  un  cours 
de  philosophie  à  l'usage  des  univer- 
site's  de  France,  dans    lequel  on  a 
renfermé  l'arithmétique,  l'algèbre, 
les  fractions  ordinaires,  etc.,  Paris, 
1770,  in-8^  Une  6^  édition  de  cet 
ouvrage  a  été  publiée  à  Paris,  1834, 
in-8°.  H.  L'Hydroscope  et  le  ventri- 
loque ;  ouvrage  dans  lequel  on  ex- 
plique d'une  manière  naturelle,  à  la 
portée  de  tout  le  monde  :  1°  com- 
ment un  jeune  Provençal  voit  à  tra- 
vers  la  terre-,  2°  par  quel  artifice 
ceux  qu'on  nomme  ventriloques  peu- 
vent parler  de  manière  que  la  voix 
paraisse  venir  du  côté  qu'ils  veulent, 
Amsterdam   et  Paris,  1772,  in-12. 
III. Cours  de  philosophie,  en  français, 
contenant  lalogiqueetla  métaphysi- 
que à  l'usage  des  gens  du  monde^  Paris, 
1772,  3  vol.  in-12,  IV.  Cours  complet 
de  malhémaihiques y    Paris,   1774, 
5  vol.  in-8" ,  avec  fig.  V.  Abrégé  du 
cours  complet  de  mathématiques^  Pa- 
ris, 1774,  in-12,  avec  fig.  vréimprimé 
sous  le  titre  de  Précis  de  mathéma- 
tiques^ à  la  portée  de  tout  le  monde, 
Paris,  1776,  in-12.  VI.  Uéflexions 
d'un  citoyen  sur  le  commerce  des 
grains,  Paris ,  1775  ,  in-8*» ,  ouvrage 
anonyme  que  les  Mémoires  de  Ba- 
chaumont,  année  1775,  attribuent  k 
l'abbé  Sauri.  VII.  La  Morale  d'un 
citoyen  du  monde  ^  ou  la  Morale  delà 
raison,  Paris,  1776, in-12.  VIII. Cours 
de  physique  expérimentale  et  théo- 
rique, Paris,  1776,  4  vol.  in-12.  On 
y  trouve  un   Traité  élémentaire  de 
mécanique    et    d'hydrodynamique. 
IX.  Précis  d'astronomie  à  la  portée 
des  jeunes  gens  de  l'un  et  de  l'autre 
sexe,  et  de  tous  ceux  qui  veulent  s'i- 
nitier dans  cette  science  en  peu  de 
temps   et  sans  beaucoup  de  peine , 
Paris,  1777,  in-12  de  128  pages  avec 
fig.  «  Ce  petit  ouvrage ,  dit  Laiande 


SAU 


169 


(Bibliogr.  astron.,  p.  560) ,  est  tiré 
en  partie  de  mon  Abrégé  d'astrono- 
mie. »    X.   Histoire   naturelle   du 
glohe^  ou  Géographie  physique,  Pa- 
ris, 1778,  2  vol.  in-12;  trad.  en  al- 
lemand,  1778,  in-8°.  XI.  Problèmes 
résolus^  servant  de  supplément  au 
Cours  de  mathématiques, Paris,  1778, 
in-8".  XII.  Physique  du  corps  hu- 
main^ ou  Physiologie  moderne^  1778, 
2  vol.  in-12  (1).  Xin.  Précis  d'his- 
toire naturelle,  1778-79,  5  vol.  in-1 2. 
XIV.  Des  moyens  que  la  saine  mé- 
decine peut  employer  pour  multiplier 
un  sexe  plutôt  que  Vautre,  Paris, 
1779,  in-12.  XV.  Précis  de  physique, 
Paris,  1780,  2  vol.  in-12,  avec  fig. 
Sauri  avait  publié  en  1777,  7  vol. 
in-12,  ses  OEwîjres  comp/é^es,  aux- 
quelles il  ajouta  beaucoup   encore. 
On  a  réuni  plusieurs  de  ses  ouvrages 
sous  le  titre   de  Cours  complet  de 
philosophie,  en  français,  à  l'usage 
des  jeunes  gens  du  monde,  conte- 
nant la  logique,  la  métaphysique,  la 
morale  et  la  physique,  Paris,  1797  , 
8  vol.  in-12.  P— RT. 

SAURIA  (Jean-Charles),  général 
français, né  à  Poligny  (Jura),  le  4  nov. 
1753,  n'avait  pas  dix-sept  ans  lors- 
qu'il s'engagea  dans  le  régiment  de 
Bourbon,  cavalerie,  où  il  servit  jus- 
qu'en 1778,  époque  où  ses  parents  le 
rachetèrent.  Le  4  janvier  1779,  il  se 
fil  agrégera  l'universitéde Besançon. 
Il   vivaif   dans  sa  famille  quand  la 


(1)  Le  Noue  eau  Supplément  à  la  France 
Ultèraire  (  tom.  IV,  pijl)iié  par  l'iibljé  Guiot 
en  1784,  et  regjirdé  comme  très-iiiutifj,  pré- 
sente une  contr.) diction  manifeste  relative- 
ment à  la  Phjsique  du  corps  humain.  Dans 
le  catalogue  des  auteurs,  il  1  attribue  à  Sauri, 
doi'teur  en  méderine,  qu'il  distingue  de 
l'abbé  Sauri;  et,  daus  le  catalogue  des  ou- 
vrages, il  l'attribue  à  l'abbé  Sauri.  li  va 
lieu  do  «Tdire  avec  d'autres  bibliogv;tj)liiN  , 
que  Ir  docteur  et  l'abbé  sout  le  même  per- 
sonnage. 


V70 


SAU 


Révolution  éclata.  Son  titre  d'ancien 
militaire  le  fit  élire,  le  7  avril  1791  , 
capitaine  an  2^  bataillon  du  Jura  , 
qui  rejoignit  bientôt  l'armé^Mlu  Rhin. 
Enjuillet  1793,  il  fut  employé  à  l'état- 
major  de  cette  armée,  eî  le  18  oct., 
chargé  de  visiter  les  châteaux  de  la 
Petite- Pierre  et   de    Lichtemberg. 
Quoique  l'ennemi  fût  répandu  dans 
tout  le  pays,  il  arriva  à  Lichtemberg 
avant  que  la  sonjmation  de  se  rendre 
eût  été  faite   au  coujmandant  de  la 
place.  S^  présence  empêcha  la  capi- 
tulalion,et  l'ennemi  fut  contraint  de 
se  retirer.  Le  24  du  même  mois,  il  fut 
appelé  au   commandement  de  Sa- 
verne,  d'où  il  s'empressa  de  faire 
passer  des  vivres  à  la  garnison  de 
Lichtemberg.  Placé,  dans  ce  nouveau 
poste,  sous  les  ordres  du  général  de 
division  Burcy,  qui  s'efforçait  de  dé- 
bloquer Landau, iiraccomi)agna  dans 
une  de  ses  expéditions.  Ayant  ren- 
contré l'ennemi,  l'afffiire  s'engagea, 
et,  après  sept  heures  de  combat,  les 
Français  allaient  être  contrarints  de 
céder  au  nombre,  lorsque  le  général 
et  leconunandant  Sauria   formèrent 
leur  troupe  en  colonne  d'attaque,  à 
la  tête  de  laquelle  ils  se  placèrent, 
précédant  les  tambours  qui  battaient 
la  charge.  L'ennemi  oppos;^  une  vive 
résistance,  mais  deux  pièces  de  canon 
et  un  obusier,  mis  en  batterie  par  le 
commandant  Sauria,  décidèrent  la 
victoire  au   iiout  d'une  heure.  Peu 
de  jours  après,  un  second  engage- 
ment ayant  eu  lieu,  Burcy  fut  tué  à 
côté  de  Sauria,  qui   n'en  força  pas 
moins  l'ennemi  à  la  retraite.  Les  re- 
présentants du  peuple  Baudot  eî  La- 
coste i'éievèfenlau  grade  dégénérai 
de  brigade  (21  février  1794),  et  l'm- 
vestirent  du  commandement  de  la 
citadelle  de  Strasbourg.  Mais,  le  28 
sept,  suivant ,    le  général  en  chef 
Michaud  le  chargea  de  la  défense  des 


SAtI 

îles  du  Rhin,  avec  ordre  d'établir 
son   quartier-général  à  Herli«heim. 
En  avril    1795,   Pichegru    revint  k 
l'armée  du  Rhin,  à  la  tête  de  laquelle 
il  avait  fait  la  campaj^ne  d'hiver  de 
1793  à  1794,  et  il  choisit  Sauria  pour 
l'accompagner  dans  une  revue  des 
troupes.  Déjà  ce  général  s'était  mis 
secrètement  en  rapport  avec  le  prince 
de  Coudé ^  il  tenta d'eirtraîi.er  Sauria 
dans  ce  parti;  mais,  l'ayant  trouvé 
inébranlable  dans  sa  fidélité  k  la  Ré- 
publique, il  lui  suscita  des  tracasse- 
ries, et  finit  par  ne  point  le  com- 
prendre dans    la  nouvelle   organi- 
sation de  l'année.  Le  3  juillet  1795, 
Sauria  cessa  toutes  fonctions,  et  se 
retira,  emportant  néanmoins  un  cer- 
tificat, signé  des  généraux  Pichegru 
et  Michaud,  attestant  que^  soit  com- 
me commandant  de  Saverne ,  soit 
comme  général  de  brigade,  il  avait 
rempli  ses  fonctions  avec  zèle^  intel- 
ligence, courage  et  patriotisme.  Re- 
nonçant désormais  à  la  carrière  des 
armes,  ël  de  retour  dans  sa  ville  na- 
tale, Sauria  y  remplit  des  fonctions 
municipales  jusqu'au   15  août  1799, 
joiroù  il  fut  nommé  par  leDirectoire 
administrateur  du   département  du 
Jura.  Lors  de  la  révolution  du  18 
brumairt,  plusieurs  administrateurs 
ayant  voulu  former  quelque  oppo- 
sition, Sauria  leur  résista  avec  force, 
et  en  fut  récompensé  par  le  premier 
consul,  qui  le  nomma  inspecteur  des 
forêts  à  Lons-le-Saunier,  poste  qu'il 
occupa  jusqu'à  la  Restauration,  et  où 
il  rendit  d'importants  services.  Ren- 
tréJansla  vie  privée,  il  continua  de 
se   concilier  l'estune  de  ses  conci- 
toyens, et  mouriit  à  Poligny,  le  24 
sept.  1832.  Z. 

SAUSEUIL  (Jean-Nicolas  Jouin 
chevalier  de),  littérateur,  né  à  Paris, 
en  1731,  fut  capitaine  des  gardes  du 
prince  de  Liège  ,  capitaine,  d'infan- 


SAU 

terit  au  service  de  France,  capitaine 
et  major-adjudant  de  la  légion  de 
Tonnerre,  membre  de  la  société'  an- 
glaise pour  l'encouragement  des  arts. 
Ayant  passé  plusieurs  années  en  An- 
gleterre, il  y  acquit  une  profonde 
connaissance  de  la  langue  du  pays  , 
et  s'attacha  à  découvrir  la  meilleure 
méthode  pour  enseigner  aux  étran- 
gers sa  langue  maternelle.  Les  résul- 
tats de  ses  études  et  de  ses  réflexions 
sont  consignés  dans  plusieurs  de  ses 
ouvrages.  Rentré  en  France  et  fixé 
dans  sa  cité  natale,  il  y  fonda  en  1785 
un  ouvrage  périodique ,  le  Censeur 
universel  anglais,  qu'il  rédigea  pen- 
dant quelque  temps ,  secondé  par 
d'autres  hommes  de  lettres.  Nous  n'a- 
vons pu  nous  procurer  de  détails  sur 
les  incidents  de  sa  vie,  ni  même  la 
date  de  sa  mort.  Nous  ne  pouvons  que 
donner  la  liste  de  ses  productions, 
dont  quelques-unes  ont  été  écrites 
par  lui  en  anglais.  I.  An  analysis 
ofthe  french  orthography  {Analyse 
de  l'orthographe  française  ^^  ou  les 
Vrais  Principes  de  la  prononciation 
française,  présentés  dans  des  plans 
ou  tableaux  propres  à  en  faciliter  l'in- 
telligence), Londres,  1772,  vol.  in-S" 
de  390  pages  •,  traduit  depins  par 
l'auteur  sous  le  titre  d''Anatomie  de 
la  langue  française,  1783  ou  1785, 
in-4°.  La  dédicace  qu'il  en  fit  à  l'A- 
cadémie française  est  datée  de  l'uni- 
versité d'Oxford,  !«' jariv.  1773.  Vol- 
taire et  Court  de  Gebelin  écrivirent 
à  ce  sujet  des  choses  flatteuses  à  Sau- 
seuil,  qui  d'ailleurs  attendait  rare- 
ment qu'on  fît  son  éloge^  à  cet  égard, 
il  savait  très-bien  se  servir  lui-même 
et  se  faisait  alors  bonne  part.  II. 
Brachygraphy  of  the  french  verbs... 
(Manière  facile  de  conjuguer  les  ver- 
bes français ,  soit  seuls  ou  en  con- 
struction avec  toutes  les  espèces  d'ac- 
cidents dont  ils  peuvent  être  accom- 


SAU 


17 1 


pagnes),  Londres,  1772,  in-8".  IH' 
Free  thoughts  on  quachs  and  their 
medicines  {Réflexions  détachées  sur 
les  charlatans  et  sur  leurs  remèdes)^ 
Londres,  1776,  in-8o,  écrit  à  l'occa- 
sion de  la  mort  d'Olivier  Goldsmith, 
dont  on  accusait  des  empiriques  que 
l'auteur  s'attache  à  justifier.  Il  s'y 
cache  sous  le  nom  d'un  de  ces  pau- 
vres charlatans  nommé  Spilsbury, 
qui  ne  savait  ni  lire  ni  écrire.  IV. 
Les  Vrais  Principes  de  la  politesse 
et  du  savoir-vivre,  tirés  dt  s  Lettres 
de  lord  Chesterfield  k  son  fils,  2  vol. 
in-8o.  Le  dernier  est  terminé  par 
un  opuscule  du  traducteur  :  Idées 
d'un  citoyen  sur  l'éducation  de  la 
jeunesse.  V.  Grammaire  anglaise , 
traduite  de  Lowth  {voy.  ce  nom  , 
XXV,  320),  1783.  VI.  Emilie  Cor- 
bett,  ou  les  Malheurs  d'une  guerre 
civile  ;  tndmi  àe  ranglais(de  Pratt), 
1783,  3  vol.  in-12.  Ce  roman,  fondé 
sur  des  événements  réels  et  qui  se 
?ont  passés  k  Londres  pendant  la 
guerre  de  la  métropole  avec  ses  co- 
lonies ,  offre  une  lecture  attachante  ; 
il  en  a  été  fait  un  grand  nombre  d'é- 
ditions. Versac  a  donné  de  l'original 
une  traduction  abrégée  :  Hammon  et 
Corbett,  1789, in-12.  Vil.  LeCenseur 
universel  anglais,  ou  Revue  généra- 
le ,  critique  et  impartiale  de  toutes 
les  productions  anglaises  sur  les 
sciences,  la  littérature,  les  beaux- 
arts,  les  manufactures,  le  commerce, 
etc  ,  dédié  à  Madame,  1785,  in-4<*. 
Sauseuil  a  eu  surtout  le  mérite  de 
fonder  cet  ouvrage  utile  que  d'autres 
ont  amélioré;  il  n'y  coopéra  guère 
que  pendant  la  premièreannée(1785), 
et  il  en  profita  largement  pour  y  van- 
ter ou  faire  vanter  ses  propres  écrits. 
De  plus,  cet  écrivain  qui,  dans  un  <ie 
ses  livres,  a  prétendu  enseigner  le 
savoir-vivre,  en  manquait  parfois  et 
même  vis-à-vis  du  public;  et,  pour 


172 


SAU 


un  grammairien,  il  ne  s'exprimait 
pas  loujours  assez  correctement.  Dès 
le  deuxième  volume  du  Censeur,  la 
rédaction  principale  fut  confie'e  à 
Grill'etde  Labaume,  son  collabora- 
teur, qui  modifia  le  plan  de  l'ouvrage, 
et  bientôt  en  diminua  le  format.  VIII. 
Valuable  Secrets  concerning  arts 
and  trades,  etc.  C'est  la  traduction 
en  anglais  du  premier  volume  seule- 
ment des  Secrets  concernant  les  arts 
et  métiers.  IX.  The  Manœuvrer  ; 
traduit  du  français  de  Bourde  de  Vil- 
lehuet,  Londres,  1788,  in-4°.  Sau- 
seuil  a  publié  aussi  quelques  petits 
poèmes;  un  Projet  de  création  d'une 
charge  de  grand-archiviste  de  France 
pour  la  recherche  générale  de  tous 
les  titres  qui  se  trouvent  perdus  dans 
beaucoup  de  familles,  1769,  in-4°  et 
in-12.  L. 

SAUSSAYE  (Mathurin  de  la), 
issu  d'une  noble  et  ancienne  famille 
du  Blésois,  naquit  en  1513,  et  se 
destina  à  l'état  ecclésiastique.  Le  suc- 
cès de  ses  études  en  théologie, el  son 
talent  pour  la  prédication,  le  firent 
parvenir  promptement  aux  dignités 
de  l'Église.  Après  avoir  été  chanoine 
de  la  cathédrale  d'Orléans  et  archi- 
diacre de  Sully,  il  fut  pourvu  du 
prieuré  de  Sainl-Samson  d'Orléans, 
et  devint  un  des  vicaires-généraux  de 
ce  diocèse,  dont  Jean  de  Morvilliers 
était  alors  évêque.  Ce  prélat,  oncle 
maternel  de  Mathurin  de  laSaussaye, 
fut  nommé  garde -des -sceaux  en 
1568  ;  mais  long-temps  avant  cette 
époque  il  avait  été  appelé  dans  les 
conseils  du  roi,  et  chargé  de  plu- 
sieurs ambassades  importantes.  Re- 
présentant de  la  France  au  concile 
de  Trente,  il  se  vit  obligé  de  con- 
fier à  ses  grands-vicaires  toute  l'ad- 
ministration spirituelle  et  tempo- 
relle de  son  diocèse.  Dès  lors,  ne 
croyant    plus    que    sa    conscience 


SAL 

pût  lui  permettre  de  conserver  le 
titre  d'évc^que  sans  en  remplir  les 
fonctions,  il  se  démit  de  l'épiscopat 
avec  l'agrément  du  roi  Charles  IX, 
en  désignant  son  neveu  pourson  suc- 
cesseur. Le  nouvel  évcque  d'Orléans 
fut^sacré  à  Paris  le  4  mars  1564,  mais 
il  ne  prit  possession  que  le  17  mai  de 
l'année  suivante.  La  Providence  l'a- 
vait destiné  à  traverser  des  temps  de 
rudes  épreuves  et  de  calamités  pu- 
bliques. Les  églises  de  son  diocèse, 
dévastées  par  les  protestants  pen- 
dant les  troubles  de  1562,  com- 
mençaient à  peine  à  être  restau- 
rées par  ses  soins  ,  lorsque  la 
ville  d'Orléans  elle-même  fut  prise 
par  le  capitaine  Lanoue  (28  sept. 
1567).  La  province  presque  entière 
tomba  en  même  temps  au  pouvoir  de 
la  faction  calviniste.  Cette  fois,  rien 
ne  manqua  à  l'œuvre  de  destruction  ; 
la  cathédrale  et  plus  de  trois  cents 
églises  furent  démolies  ou  saccagées; 
on  poursuivit  les  prêtres,  on  les 
massacra,  ou  on  les  força  de  fuir.  L'é- 
vêque  lui-même  se  vit  contraint  de  se 
réfugier  à  Tours  avec  son  chapitre,  et 
il  ne  revint  à  Orléans  qu'au  mois  de 
mai  1568,  après  la  publicationdel'édit 
de  pacification  qui  suspenditles  hos- 
tilités entre  les  partis,  édit  qui  ne 
contenta  personne,  et  qu'on  nomma 
la  paix  boiteuse  et  mal  assise.  Le  15 
août  de  la  même  année,  les  catho- 
liques d'Orléans  s'assemblèrent  afin 
de  rédiger  et  signer  un  acte  d'union 
ou  ligue  pour  la  défense  de  leur  foi. 
Cette  assemblée  fut  présidée  par 
Mathurin  de  la  Saussaye,  qui  signa 
l'acte  avec  les  principaux  membres 
de  son  clergé.  A  son  retour,  il  avait 
eu  la  douleur  de  trouver  près  des 
deux  tiers  des  habitants  d'Orléans 
entraînés  au  protestantisme.  Dès  lors 
sa  vie  et  sa  fortune  furent  consacrées 
à  relever  la  religion  de  son  abaisse- 


SAU 

ment  et  les  monuments  chrétiens  de 
leurs  ruines.  Ses  prédications  rame- 
nèrent à  la  foi  catholique  un  grand 
nombre  de  fidèles  e'garés,  tandis  que 
son  inépuisable  charité,  secondée  par 
le  dévouement  de  sa  famille  et  de  ses 
amis,  et  par  les  secours  que  ses  in- 
stantes prières  obtinrent  du  roi ,  lui 
fournit  assez  de  ressources  pour  re- 
bâtir entièrement  plusieurs  églises 
et  pour  rétablir  le  chœur  et  Tautel 
de  ia  cathédrale  de  Sainte-Croix.  En 
1572,  les  bourreaux  de  la  Saint-Bar- 
thélemi  eurent  des  imitateurs  à 
Orléans,  et  les  catholiques  y  prirent 
une  revanche  sanglante  des  meur- 
tres dont  leurs  frères  avaient  été 
victimes  en  15G2  et  1567.  L'évêque 
désapprouva  ces  coupables  repré- 
sailles, mais  n'eut  pas  le  pouvoir  de 
les  empêcher.  En  1576,  Mathurin  de 
la  Saussaye  représenta  f  e  clergé  d'Or- 
îéans  aux  États  de  Blois.  Son  oncle, 
Jacques  de  la  Saussaye,  grand-vicaire 
de  Pontoise ,  en  Parchevêché  de 
Rouen,  assistait  aussi  à  cette  assem- 
blée comme  syndic  délégué  par  le 
clergé  de  France  à  la  suite  de  la  cour. 
Mais  ces  syndics  avaient  assumé 
une  responsabilité  grave  en  donnant, 
«ette  année-là  même,  leur  assentiment 
à  l'aliénation  des  biens  ecclésias- 
tiques jusqu'à  concurrence  de  cin- 
quante mille  livres  de  rente  pour 
payer  les  reîtres  protestants  qui  re- 
fusaient de  quitter  la  France  sans 
avoir  reçu  leur  solde.  L'évêque  de 
Paris,  Pierre  de  Gondi,  était  allé  à 
Rouie  solliciter  la  bulle  qui  autorisa 
cette  spoliation  de  rÉglise,et  Jacques 
de  la  Saussaye  l'avait  accompagné. 
Le  clergé  ne  pardonna  point  aux 
syndics  cet  abandon  de  ses  intérêts, 
ri  dès  les  premières  séances  on  de- 
niauda  qu'ils  fussent  exclus  de  l'as- 
seinblée.  Jacques  de  la  Saussaye  es- 
saya vainement  de  se  justifier,  en  al- 


SAU 


173 


léguant  qu'il  n'avait  cédé  qu'à  la 
violence,  et  que  le  roi  l'avait  menacé 
de  le  faire  jeter  dans  une  basse-fosse 
s'il  résistait  à  sa  volonté.  Les  esprits 
étaient  trop  irrités  pour  admettre 
aucune  excuse  :  l'exclusion  fut  pro- 
noncée, et  l'on  décida  qu'à  l'avenir 
il  n'y  aurait  plus  de  syndics  à  la  suite 
de  la  cour.  Cependant  l'assemblée 
adoucit  ce  que  ces  mesures  pouvaient 
avoir  de  fâcheux,  en  protestant  de 
son  estime  pour  le  caractère  des  syn- 
dics, et  en  déclarant  que,  dans  cette 
décision,  il  n'y  avait  rien  contre  eux 
de  personnel.  Les  procès-verbaux  ne 
nous  font  pas  connaître  la  part  que 
prit  l'évêque  d'Orléans  aux  délibé- 
rations des  États  ;  étranger  aux  in- 
trigues politiques,  il  n'était  occupé 
que  du  bien  de  son  diocèse,  où  il 
mourut  le  9  février  1584,  après  vingt 
ans  d'un  épiscopat  toujours  agité  par 
la  lutte  des  factions.  De  toutes  les 
vertus  que  ses  contemporains  s'accor- 
dèrent à  lui  reconnaître,  celle  qu'il 
pratiqua  le  plus  constamment  fut  la 
charité.  On  peut  jugei'  de  la  place 
qu'elle  occupait  dans  son  cœur  par 
les  dernières  paroles  qu'il  adressa, 
de  son  lit  de  mort,  à  son  neveuCharles 
de  la  Saussaye,  alors  âgé  de  quatorze 
ans  :  «  Mon  ami,  lui  dit-il,  fais  l'au  - 
«  mône  tous  les  jours  de  ta  vie; 
"  omnibus  diebus  vitœ  tuœ,  ex  sub- 
«  stantia  tua  fac  eleemosynam.  » 
(Tobie.)  Puis  il  ajouta:  «Ceci^est 
«  mon  testament  et  ma  dernière  vo- 
«  lonté,  que  je  te  prie  de  n'oublier 
«jamais.  »  C'était  le  plus  beau  com- 
mentaire qu'un  prélat  catholique  pût 
faire  des  doctrines  de  l'Évangile.  Son 
épitaphe,  composée  par  son  neveu,  se 
litencoresur  un  des  piliers  du  chœur 
de  lu  cathédrale  d'Orléans.  P—g— y. 
SAITSSAYE  (Charles  de  la),  ne- 
veu du  précédent,  est  un  (les  plus 
aïiciras    historiens   de    l'Orléanais. 


114 


SAU 


SAU 


Sous  le  titre  à^ Annales  eccleiiœ  Au- 
relianensis,  il  a  publié  en  1615  un 
livre  curieux,  dont  le  style  est  d'une 
latinité  très-pure, et  qui  sera  toujours 
consulté  avec  fruit  par  ceux  qui  vou- 
dront écrire  l'histoire  de  cette  pro- 
viuce.  Il  naquit  à  Orléans,  en  1505, 
d'Olivier  de  la  Saussaye ,  frère  de 
l'évêquc  Mathurin,  et  de  Jeanne-Ma- 
deleine Alleauine,  fille  de  Jacques 
AileauHie,  uiaire  d'Orléans,  dont  la 
famille  était  une  des  plus  considéra- 
bles et  des  plus  anciennes  de  la  ville. 
Les  leçons  et  les  exeniples  du  ver- 
tueux prélat  son  oncle  purent  con- 
tribuer à  développer  sa  vocation  pour 
l'état  ecclésiastique;  mais  elle  sem- 
blait innée  en  lui,  car  dès  sa  première 
jeunesse  il  ne  se  plaisait  qu'aux  exer- 
cices religieux  ;  il  composait  des 
hymnes  en  l'honneur  des  saints,  et 
son  talent  pour  la  chaire  commençait 
à  se  révéler  dans  des  sermons  impro- 
visés au  milieu  de  ses  compagnons 
d'enfance,  qui  l'appelaient  le  petit 
prédicateur.  Il  avait  eu  le  malheur 
de  perdre  uon  père  à  l'âge  de  deux 
ans',  mais  sa  mère  prit  le  plus  grand 
sorn  de  son  éducation,  tout  en  cher- 
chant à  le  détourner  de  son  goût  pour 
la  vie  religieuse  qu'elle  ne  pouvait 
voir  qu'avec  peine,  parce  qu'elle  n'a- 
vait pas  d'autre  enfant  que  lui.  Après 
avoir  reçu  de  son  oncle  mourant  la 
touchante  bénedictiun  que  nousavons 
rapportée  dans  l'article  précédent,  il 
alla  terminer  ses  études  à  Paris,  et, 
pour  se  conformer  à  la  volonté  de  sa 
mère,  il  s'occupa  de  jurisprudence,  et 
se  fit  recevoir  docteur  en  droif  civil 
et  canonique.  On  lui  acheta  une 
charge  de  conseiller  au  grand-conseil, 
afin  de  le  fixer  dans  une  carrière  pour 
laquelle  il  n'avait  aucune  inclination, 
et  on  le  fit  voyager  en  Italie  pour  le 
distraire  des  préoccupations  qui  l'en- 
traînaient vers  l'état  ecclésiastique. 


li  partit  en  1580,  et  son  voyage  dura 
plus  de  trois  ans.  Son  séjour  à  Rome 
et  ses  pieuses  visites  aux  lieux  saints 
ne  firent  que  confirmer  sa  vocation 
naturelle ,  et ,  dans  un  pèlerinage  à 
N.-D.  de  Lorette,  il  fit  vœu  de  consa- 
crer à  Dieu  le  restede  ses  jours.  A  son 
retour,  malgré  les  représentations  de 
sa  mère  et  de  sa  famille,  il  alla  étudier 
la  théologie  à  Paris,  et  fut  reçu  doc- 
teur en  Sorbonne  après  avoir  été  or- 
donné prêtre  par  Jean  del'Aubespine, 
évêque  d'Orléans.  Comme  son  oncle, 
il  s'adonnabeaucoup  à  la  prédication, 
et  l'auteur  de  sa  vie  dit  qu'il  prêcha 
dix-huit  Avents  et  autant  de  Carêmes 
à  Paris,  à  Orléans,  à  Reims  et  dans 
d'au  très  grandes  vil  les, avec  beaucoup 
de  succès.  Sa  modestie  Téloignaitdes 
dignités  ecclésiastiques.  Ce  fut  à  la 
prière  de  ^on  ancien  précepteur,  curé 
de  Saint-Pierre-en-SentelIe,  à  Or- 
léans, qu'il  consentit  à  prendre  le 
gouvernement  de  cette  paroisse,  que 
ce  vénérable  prêtre,  affaibli  par  l'âge, 
était  forcé  d'abandonner.  Un  peu 
plus  tard  ,  il  fut  nommé  à  un  cano- 
nicat  de  la  cathédrale,  et  il  ne  l'ac- 
ceptaqu'aprèsune  longue  résistance. 
Il  en  était  pourvu  depuis  deux  ans  à 
peine,  quand,  le  10  août  1598,  le 
chapitre  l'élut  pour  doyen.  L'évêque 
Jean  de  l'Aubespine  était  mort  le  23 
février  1596,  et  le  siège  resta  vacant 
jusqu'en  1601.  Pendant  ces  huit 
années,  Charles  de  la  Saussaye  fut 
chargé,  en  qualité  de  doyen,  de  Tad- 
ministiation  épiscopale  du  diocèse. 
Il  n'eut  rien  plus  à  cœur  que  la  res- 
tauration de  la  cathédrale  de  Sainte- 
Croix,  commencée  par  son  oncle,  et 
il  eut  le  bonheur  d'obtenir  du  roi 
Henri  IV  la  promesse  d'une  recon- 
struction générale  des  nefs  et  de  la 
façade  qui  étaient  complètement  en 
ruine.  Le  18  avril  1601,  pendant  la 
célébration  du  jubilé,  Charles  de  la 


SAU 

Saussaye  recevait  et  haranguait  à 
Orléans  le  roi  et  la  reine,  qui  venaient 
poser  la  première  pierre  de  ce  magni- 
fique monument.  La  mémoire  de  ce 
fait  est  conservét^  par  une  inscriplioïi 
qu'il  composa  lui-même,  el  qu'il  fit 
mettre  sur  un  pilier  élevé  au-dessus 
de  celte  première  pierre.  On  devait 
penser  qu'après  avoir  gouverné  avec 
éclat .  pendant  huit  ans  ,  le  diocèse 
d'Orléans,  il  serait  appelé  au  siège 
qu'avaient  déjà  si  honorablement  oc- 
cupé son  oncle,  Mathuriu  de  laSaiis- 
saye,  et  son  grand-oncle,  le  gdrde- 
des-sceaux  de  Morvilliers  ;  mais 
la  famille  du  dernier  évêque  ob- 
tint la  prélerence,  et  Gabriel  de 
l'Aubespine,  sacré  à  Roaie  pendant 
le  carême  de  1604  par  le  pape  Clé- 
ment Vill,  lit  son  entrée  solennelle 
à  Orléans  le  14  septembre  de  la 
même  année.  Charles  de  la  Saussaye 
prononça,  en  1610,  l'oraiçon  funèbre 
de  Henri  IV  ;  il  fui  choisi ,  en  1614, 
avec  son  évêque  et  Tabbé  de  Saint- 
Euverte,  pour  représenter  le  clergé 
d'Orléansaux  Étaîs-Généraux  assem- 
blés dans  la  capitaie  du  royauine. 
Ce  fut  sans  doute  à  cette  occtsion 
qu'il  se  fit  coujiaîlre  du  cardinal 
J.-F.  de  Gondi,  premier  archevêque 
de  Paris.  Ce  cardinal  apprécia  son 
mérite,  et  voulut  se  l'attacher  en  lui 
donnant  la  cure  de  Saint-Jacques-la. 
Boucherie.  Reconnaissant  de  ces 
marques  d'une  affection  fondée  sur 
l'estime,  Charles  de  la  Saussaye  con- 
sentit à  changer  de  diocèse  et  de  pa- 
trie ;  mais  son  départ  d'Orieans,  oii 
il  laissait  tant  d'amis  et  oii  ii  avait 
rép/mdu  tant  de  bienfaits.,  lut  un  vé 
rituble  deuil  public  :  «  La  maison  du 
•  doyenuô  en  laquelle  il  demi'uroil, 
«  dit  fauteur  de  sa  vie,  esloit  une 
.  vraye  iiostellene  ouverte  à  tous  les 
«  religieux  et  ecclésiastiques  qui 
«  passoient  à  Orléans,  lesquels  il 


SAU 


175 


«  logeoit  et  traittoit  autant  de  temps 

•  qu'ils  y  vouloient  demeurer,  et  en 

•  sortant,  donnoiî  l'aumosne  à  ceux 

•  qui  estoient  pauvres.»  On  voit  qu'il 
avait  été  fidèle  aux  recommandations 
de  son  vénérable  oncle.  La  réputa- 
tion de  ses  vertus  l'avait  précédé  à 
Paris,  où  il  fut  accueilli  avec  joie  par 
la  population  de  sa  paroisse.  Bientôt 
après ,  le  cardinal ,  voulant  le  rap- 
procher encore  plus  de  sa  personne, 
lui  donna  un  canonicat  à  Noire-Dame, 
el  ce  fut  dans  le  cloître  de  cette  église 
qu'il  mourut  le  21  septembre  1621, 
n'étant  âgé  que  de  56  ans.  Ses  ob- 
sèques furent  célébrées  dans  l'église 
cathédrale;  mais,  suivant  son  désir, 
il  fut  enterré  dans  sa  paroisse  de 
Saint-Jacques-la-Boucherie,  où  l'on 
voyait  son  tombeau  dans  la  chapelle 
de  saint  Charles  Borromée.  Un  de  ses 
paroissiens,  le  sieur  de  la  Saullaye, 
se  rendit  l'interprète  des  regrets  de 
tous  en  consacrant  à  sa  mémoire  un 
livre  qui  parut  à  Paris,  chez  Louys 
Boulenger\  en  1622  ,  in-8",  sous  le 
titre  û' Abrégé  de  la  vie  et  delamort 
de  messire  Charles  de  la  Saussaye. 
Non  moins  savant  que  vertueux,  ce 
digne  ecclésiastiquea  laisséplusieurs 
ouvrages  remarquables,  tels  que  les 
Annales  de  l'église  d'Orléans,  que 
nous  avons  citées  plus  haut,  et  dans 
lesquelles  se  trouve  un  traité  sur  la 
Iranslalion  du  corps  de  saint  Benoît, 
sous  le  titre  ûe  Gloria  Floriacensis 
cœnobii;  uue  vie  de  saint  Grégoire, 
évêque  de  Nicopolis  d'Arménie  ; 
l'histoire  du  martyre  des  saints 
Agoard  et  Gilbert^  une  notice  des 
bénéfices  de  l'église  d'Orléans;  enfin 
une  harangue  au  duc  de  Paslerana, 
ambassad  ur  d'Ë*;p;igne ,  qui  existe 
en  Ms.  à  la  Bibliothèque  royale.  Ses 
scrutons  n'ont  pas  éie  recueiliis.  La 
famille  de  la  Suussaye  subsiste  encore 
dans  le  Blésois,  où  elle  est  représen- 


176 


SAU 


ice  par  M.  Louis  de  la  Saussaye,  mem- 
bre (le  l'Académie  des  Inscriptions. 

P— G— Y. 

SAUSSURE  (Nicolas  de),  agro- 
U(tme,  père  du  naturaliste  de  ce  nom 
{voy.  XL,  476),  était  né  à  Genève  vers 
la  lin  de  1709;  il  fit  de  très-bonnes 
études  et  se  voua  à  la  carrière  des 
lettres  ,   plutôt  comme  distraction 
que  comme  élat  -,  il  s'adonna  spécia- 
lement aux  travaux   agronomiques, 
les  plus  propres,  selon  lui,  à  l'utilité 
générale.    Membre   du  conseil    des 
Deux-Cents  de  Genève,  ainsi  que  de 
plusieurs  académies  scientifiques,  il 
mourut  en  1790,  laissant  la  réputa- 
tion d'un  homme  de    bien,  plein 
d'une  noble  générosité.   La  société 
économique  d'Attch  couronna  un  Mé- 
moire qu'il  lui  avait  adressé  sur  la 
meilleure   manière   de  cultiver  les 
terres^  et  il  existe  de  lui  grand  nom- 
bre  d'articles  intéressants  dans  le 
recueil  de  la  société  de  Berne.  Ses 
principaux  ouvrages  sont:  I.  Pro- 
duits des  Mes  tirés  des  pays  méri- 
dionaux ,  semés    au  printemps  de 
l'^année  1772,  et  sur  la  fin  de  l'au- 
tomne précédent,    1773,   in-12.  II. 
Manière  de  provigner  la  vigne  sans 
engrais^   Berne,    1775,   in-8<>.    III. 
Essai  sur  la  cause  de  la  disette  du 
blé  qu^on  a  éprouvée  dans  une  partie 
de  l'Europe  pendant  sept  ou  huit 
années  qui  ont  suivi  1775,  et  sur  les 
moyens    de    la  prévenir,    Genève, 
1776,  in-12.  IV.  Vignes,  raisins, 
vendanges  et  vins  (tirés  de  l'Ency- 
clopédie de  Diderot  et  d'Alembert), 
Lausanne,  1778,  in-12.   V.  Réponse 
aux  objections  d'un  membre  de  la 
société  d'Auch  contre  une  brochure 
sur  le    produit  des  blés  étrangers 
scmésen  1771  et  1772,  Genève,  1777, 
in-12.  VI.  Essai  sur  la  taille  de  la 
vigne  et  sur  la  rosée^  1780,  in-8°. 
Vil.  /'('  Feu^principe  de  la  fécondité 


SAU 

des  plantes  et  de  la  fertilité  de  la 
ferre,  1783,  in-80.  C— h  — n. 

SAUSSURE  (Nicolas-Thkodore 
de),  petit-fils  du  précédent,  naquit 
à  Genève  le  14  octobre  1767,  et  fut 
d'abord  le  compagnon  et  l'aide  de 
son  père,  l'illuslre  historien  des 
Alpes.  Il  le  suivit  dans  les  mon- 
tagnes et  apprit  de  lui  le  grand 
art  d'observer  la  nature  et  celui,  plus 
rare  encore,  d'être  sobre  de  déduc- 
tions, jusqu'à  ce  que  les  faits  soient 
assez  multipliés etassez  convaincants 
pour  que  leurs  conséquences  Ihéo- 
riquesdeviennent  évidentes  et  incon- 
testables. Lorsqu'en  1787  De  Saus- 
sure fit  sa  mémorable  ascension  au 
Mont-Blanc,  il  ne  voulut  pas  que  son 
fils,  âgé  de  vingt  ans,partageât  les  fa- 
tigues d'un  séjour  prolongé  au  milieu 
des  neiges.  Théodore  resta  donc  au 
pied  delà  montagne  dans  levillagede 
Chamouny,où  il  se  livra  à  un  grand 
nombre  d'expériences  et  d'observa- 
tions correspondantes  qui  devaient 
donner  à  celles  de  son  père  leur 
grande  importance  scientifique.  L'an- 
née suivante,  ils  séjournèrent  ensem- 
ble pendant  dix-sept  jours  sur  le  col 
du  Géant,k  3,428  mètres  au  dessus  de 
la  mer.  Ce  voyage  a  été  décrit  par 
Bénédict  De  Saussure  (Voyages  dans 
les  Alpes).  Pendant  le  séjour  au  col 
du  Géant,  le  père  s'occupait  princi- 
palement de  météorologie  et  de  géo- 
logie. Le  fils  détermina  la  latitude  de 
la  station  et  son  élévation  relative- 
ment aux  différentes  cimes  qui  l'en- 
touraient. Il  fit  ensuite  des  expérien- 
ces sur  la  densité  de  l'air,  qui  furent 
le  sujet  de  son  premier  Mémoire 
dans  le  Journal  de  physique  de  l'ab- 
bé Rozier  (t.  XXXVI,  p.  78,  année 
1790).  A  l'exemple  de  Newton  et  de 
Bouguer,  il  employa  un  pendule, 
c'est-k-dire  une  boule  métallique  de 
13  cent,  de  diamètre, suspendue  à  un 


SAU 

til  d'argent  Cut  2  mètres  de  long,  et 
terminé  par  un  anneau  d'acier  qui 
oscillait  sur  le  tranchant  d'un  cro- 
chet en  cuivre.  On  conçoit  qu'en  fai- 
sant osciller  ce  pendule,  on  puisse 
estimer  la  densité  relative  d'un  flui- 
de. Imaginons,  en  effet,  un  instant 
que  ces  oscillations  se  fassent  dans 
l'eau  ;  on  comprend  que  la  re'sistance 
du  liquide  les  éteindra  plus  vite  que 
dans  l'air;  mais,  dans  l'air  même,  la 
densité  plus  ou  moins  grande  de  la 
couche  dans  laquelle  le  pendule  se 
meut  aura  une  influence  apprécia- 
ble :  moins  l'air  sera  dense,  moins 
son  action  retardatrice  se  fera  sentir. 
Voici  comment  Bouguer  était  par- 
venu à  les  mesurer.  Il  faisait  osciller 
son  pendule  devant  une  règle  hori- 
zontale divisée  en  lignes,  puis  il 
comptait  le  nombre  d'oscillations 
i{\Y\\  fallait  pour  que  les  excursions 
qui  avaient  d^ibord  200  lignes  d'am- 
plitude n'en  eussent  plus  que  160. 
Plus  l'air  était  dense,  moins  ce  nom- 
bre était  grand.  Cette  méthode  offre 
une  foule  de  difficultés  matérielles 
et  d'inexactitudes,  elle  nécessite  une 
foule  de  corrections  qui  la  rendent 
presqoe  inexécutable  dans  la  prati- 
que; ai)sç>'\  Théodore  De  Saussure  ne 
la  mit-il  en  usage  que  concurremment 
avec  la  suivante.  On  sait  qu'un  corps 
solide  pesé  dans  l'eau  perd  en  poids 
une  quantité  précisément  égale  au 
poids  du  volume  d'eau  qu'il  déplace. 
Ce  qui  a  lieu  dans  l'eau  a  lieu  égale- 
ment dans  l'air.  Pour  utiliser  ce  prin- 
cipe, Théodore  De  Saussure  employa 
un  ballon  de  verre  exactement  fermé 
et  de  la  forme  d'un  ellipsoïde  aplati. 
Son  grand  diamètre  était  de  345  mil- 
limètres, le  petit  de  334.  De  Saussure 
prit  pour  unité  le  poids  du  ballon  pesé 
dans  l'air  à  la  température  de  14°,4 
sous  la  pression  barométrique  de  758 
millimètres,  et  75  degrés  de  l'hygro- 

LXXXT. 


SAU 


17 


mètre  à  cheveu.  Il  faut  pour  ce  genre 
d'expériences  des  balances  très-sen- 
sibles; les  siennes  trébuchaient  à  25 
milligrammes.  Mais  avant  de  faire 
ces  expériences,  il  était  nécessaire 
d'étudier,  sous  diverses  pressions, 
l'influence  de  la  chaleur,  qui,  en  di- 
latant l'air,  diminue  sa  densité,  in- 
dépendamment de  la  pression  baro- 
métrique. Il  trouva  qu'une  différence 
de  température  de  6°  à  31"  corres- 
pondait à  une  différence  de  2305 
millimètres,  sous  la  pression  de  758 
millimètres  de  mercure.  L'influence 
de  l'humidité  fut  appréciée  avec  la 
même  rigueur.  Après  ces  études  pré- 
paratoires. De  Saussure  fit  un  grand 
nombre  d'expériences  à  vingt -cinq 
points  situés  à  différentes  hauteurs 
dans  les  montagnes,  entre  300  et 
3,300  mètres  au-dessus  de  la  mer,  et 
mit  ainsi  hors  de  doute  une  des 
grandes  lois  de  la  physique  déjà  éta- 
blie par  Mariotte,  savoir  :  que  la 
densité  de  l'air  est  proportionnelle 
à  la  pression  qu'il  supporte.  Théo- 
dore De  Saussure  ne  continua  pas  à 
marcher  dans  la  voie  où  son  père 
l'avait  fait  entrer.  Priestley,  Bon- 
net et  Senebier  venaient  de  créer  une 
science  pour  ainsi  dire  nouvelle,  la 
physiologie  végétale.  Th.  De  Saus- 
sure résolut  d'éclaircir  par  la  chimie 
le  mode  de  nutrition  des  végétaux. 
Il  ne  craignit  pas  d'aborder  cet  im- 
mense sujet,  et  débuta  en  1797  par 
un  Mémoire  sur  cette  question  :  Va- 
cide  carbonique  est-il  essentiel  à  la 
végétation?  Ce  Mémoire  ouvre  la 
série  de  ses  Recherches  chimiques 
sur  la  végétation ,  dont  l'ensemble 
parut  en  1804  (Paris,  in-8*^),  et  pro- 
duisit une  vive  sensation  dans  le 
mondj^  savant.  Berthollet  fit  sur  cet 
ouvrage  un  rapport  détailléqu'il  ter- 
mine en  regrettant  de  n'avoir  pu 
donner  qu'un  aperçu  de  l'immense 

12 


178 


SAU 


travail  condensé  dans  ce  livre,  (pii 
doit  accroître  la  cf^lébrilé  du  non» 
que    porte    l'auteur.    Cet   ouvrage 
valut  à  De  Saussure  le  titre  de  cor- 
respondant  de   l'Institut.  L'auteur 
prouve   d'abord    qu'une   plante  ne 
saurait  germer  dans  le  vide,  c'est-à- 
dire  dans  un  espace  sans  air  ou  dans 
un  gaz  prive'  d'oxygène  ;  il  montre 
ensuite  que  le    volume    d'oxygène 
absorbé  est  égal  au  volume  du  gaz 
acide  carbonique  que  la  plante  forme 
et  émet  pendant  sa  germination.  Il 
s'assure  que   cet  acide   carbonique 
retarde  la  germination  encore  plus 
que  Tazote  ou  l'hydrogène.  Mais  si 
l'on  met  de  la  potasse  et  de  la  chaux 
sous  les    récipients  où  les  graines 
germent,  ces  bases,  en  absorbant  l'a- 
cide carbonique  à  mesure   qu'il  se 
forme,  favorisent  la  germination.  Il 
fait  voir  de  plus  que  l'influence  de 
la  lumière  est  nulle,  malgré  les  as- 
sertions contraires  dlngenhousz  et 
de  Senebier.  Pans  un  second  Mémoi- 
re, Th.  De  Saussure  étudia  l'action 
de  l'acide  carbonique  sur  les  plantes 
adultes  au  soleil  et  à  l'ombre.  D'après 
ses  expériences,  il  résulte  qu'une 
faible  proportion  d'acide  carbonique 
favorise  la  végétation  des  plantes  qui 
sont  exposées  au   soleil  \  mais  dès 
que  cette  proportion  devient  trop 
forte,  la    plante  est   asphyxiée.  La 
moindre  dose  de  ce  gaz  est  mortelle 
pour  les  végétaux   maintenus  con- 
stamment à  l'abri  de  la  lumière  so 
laire.  Un  troisième  Mémoire  fut  con- 
sacré par  De  Saussure  à  l'étude  de 
Taclion  de  l'oxygène  sur  les  végé- 
taux, et  l'on  y  trouve  la  preuve  que 
les  parties  vertes  absorbent  ce  gaz 
pendant  la  nuit  el  le  restituent  pen- 
dant  le  jour   à  l'air    envirormant. 
Après  avoir  étudié  les  causes  de  l'é- 
boulement  de  Goldau,  Th.  De  Saus- 
sure revint  à  sa  science  favorite,  la 


SAU 

rhiinie  appli(juée  à   la  physiologie 
végétale.  Il  avait  montré  quels  ma- 
tériaux les  plantes  empruntent  h  l'at- 
mosphère, il   lui  restait  à  trouver 
ceux  qu'elles  tirent  du  sol  dans  le- 
quel  leurs  racines   sont  plongées. 
Cette  question   est  le  sujet  du  Mé- 
moire   De     l'influence  du  sol  sur 
quelques  parties  constituantes  des 
végétaux,  lu  à  la  Société  philomati- 
que  au  commencement  de  l'année 
1800.  Ce  Mémoire  complétait  l'en- 
semble de  ses  recherches  sur  la  nu- 
trition des  végétaux.  Dans  celles  qui 
suivirent, il  éclaircit  plusieurs  points 
douteux  et  délicats  de  la  chimie  or- 
ganique, la  composition  de  l'alcool 
et  de  réthersulfurique,  la  décompo- 
sition de  l'amidon  à  la  température 
atmosphérique,  et  sa  conversion  en 
matière  sucrée.  Dans  ce  dernier  tra- 
vail, il  prouva  l'identité  du  sucre 
d'amidon  et  de   raisin ,   et  prépara 
ainsi  les  beaux  travaux  des  chimistes 
actuels  sur  la  fécule.  Enfin,  il  fit  voir 
quelle  était  l'influence  des  fruits  et 
des  fleurs  sur  l'air  atmosphérique. 
Lorsque   Laplace   fit  un  appel  aux 
physiciens  et    aux   chimistes  pour 
déterminer  avec  la  plus  grande  ri- 
gueur ce  qu'il  nommait  les  constan- 
tes de  la  nature,  c'est-à-dire  les  élé- 
ments invariables  du  monde  physi- 
que ,  Théodore  De  Saussure  reprit 
l'analyse  de  l'air  atmosphérique,  et 
ses  expériences,  jointes  à  celles  de 
MM.  Dumas  et  Boussingault,  servi- 
ront à  déterminer  un  jour  si  la  com- 
position de  l'air  ambiant  a  sensible- 
ment varié.  Malgré  sa  prédilection 
marquée  pour  les  sciences  naturelles, 
Théodore  De  Saussure  avait  du  goût 
pour  la  littérature,  et  il  ne  refusa 
point  de  prendre  part  au  maniement 
des  affaires  publiques.  En  1814, 1824 
et  1845,  il  fut  nommé  membre  du 
conseil  représentatif  de  la  république 


SAU 


SAU 


179 


de  Genève,  où  il  figura  toujours  dans 
les  rangs  des  conservateurs.  C'est 
dans  une  séance  de  cette  assemblée 
qu'il  s'opposa  un  jour  à  l'introduc- 
tion dans  les  classes  de  collège  de 
l'étude  des  sciences  naturelles.  Cette 
opposition  semble  singulière  dans  la 
bouche  d'un  naturaliste,  mais  Théo- 
dore De  Saussure  la  motivait  en  di- 
sant que  cet  enseignement  prématu- 
ré ne  servirait  qu'à  produire    des 
coureurs  de  papillons.  Lorsque   le 
congrès  scientifique  seréuniià  Lyon, 
en  1841, Th.  De  Saussure  en  fut  nom- 
mé président  à  l'unanimiié,  et  la  fa- 
cilité d'élocution  qu'il  montra  dans 
l'exercice  de  ses  fonctions  fit  regret- 
ter qu'il  ne  se  fût  pas  livré  à  i'ensei- 
gnement.  Son  amour  de  la  retraite 
l'en   avait  probablement  empêché, 
car  il  fuyait  le  monde  et  passait  à  la 
campagne  tout  le  temps  dont  il  pou- 
vait disposer.  Théodore  De  Saussure 
mourut  à  Genève  à  la  fin    d'avril 
1845.    Il  était  membre   d'un  grand 
nombre  d'académies,  entre  autres  de 
celles  de  Naples,  de  Munich  et  de 
Londres.  Outre   les  Recherches^  il 
avait  publié  dans  différents  recueils 
scientifiques   vingt- cinq  Mémoires 
sur  des  questions  de  chimie,  dont  on 
trouvera  le  détail  dans  la   France 
littéraire  de  M.  Quérard.  Z. 

SjAUTEREAL'  de  Delkveau 
(Jean),  député  à  la  Convention  na- 
tionale ,  était  né  à  Épiry  dans  le  Ni- 
vernais; fils  d'un  notaire  de  ce  vil- 
lage, il  alla  faire  ses  études  et  son 
droit  à  Bourges  où  il  fut  reçu  avocat. 
Aprèsquelquesessaisdauscette  ville, 
il  alla  s'établira  Clermont,  en  Au- 
vergne, où  il  plaida,  pendant  la  courte 
existence  des  grands  bailliages,  Cts 
cours  ayant  été  supprimées  à  l'avè- 
nement de  Louis  XVI,  Sautereau  re- 
vint dans  son  pays,  et  quand  la  révo- 
lution se  manifesta,  il  en  embrassa 


les  principes  avec  ardeur  et  fut  d'a- 
l)urd  procureur-syndic  du  départe- 
ment de  la  Nièvre,  puis,  en  1791,  dé- 
puté à  l'Assemblée  législative,et  l'an- 
née suivante  à  la  Convention.  Quoi- 
que doué  de  quelque  talent,  il  ne 
chercha  point  à  se  faire  remarquer  à 
la  tribune,  mais  il  se  réunit  constam- 
ment au  parti  révolutionnaire.  Dans 
le  procès  du  roi,  il  se  prononça  contre 
l'appel  au  peuple,  et  vota  la  mort. 
11  ne  se  trouvait  point  k  l'assemblée 
lors  du  vote  sur  le  sursis.  Ses  tra- 
vaux législatifs  se  bornèrent  à  quel- 
ques rechercht^s  dans  les  comités. 
Devenu  membre  du  conseil  des  Cinq- 
Cents,  il  défendit,  en  1797,  les  assem- 
blées électorales  de  Ne  vers,  que  de 
Larue  accusait  d'avoir  été  influencées 
par  les  jacobins.  En  mars  1798,  il  fil 
exclure  du  corps  législatif  M.  Delor, 
comme  parent  d'émigré.  Il  en  sortit 
lui-même  k  cette  époque ,  et  fut 
nommé  juge  au  tribunal  d'appel  du 
Cher,  place  qu'il  remplit  jusqu'à  sa 
mort,  arrivée  en  1809.       M— -Dj. 

SAUVAiiE  (le  Père),  jésuite  de 
Lorraine,  est  regardé  comme  le  vé- 
ritable auteur  de  l'ouvrage  anonyme 
intitulé  :  La  Réalité  du  projet  de 
Bourg  -  Fontaine  démontrée  par 
l'exécution^  Paris,  1755,  2  vol.  inl2, 
qu'on  a  quelquefois  attribué  au 
P.  Patouiilet.  Ce  livre,  tiré  de  la 
Relation  juridique  de  Jean  Filleau 
{voy.  ce  nom,  XIV,  535),  et  qui  se 
rattache  aux  querelles  du  jansé- 
nisme, fut  lacéré  et  brûJé,  par  arrêt 
du  parlement  de  Paris  du  21  avril 
1758.  H  n'en  a  pas  moins  été  traduit 
en  latin,  sous  le  titre  de  Veritas 
concilii  Burgofonie  initi ,  en  alle- 
mand ,  en  flamand  ,  et  réimprimé 
plusieurs  fois.  Les  dernières  édi- 
tions, notamment  celle  de  Paris  et 
Liège,  1787,  2  vol.  in-S**,  contien- 
nent une  Réponse  aux  Lettres  qtie 

12. 


180 


SAU 


SAU 


doin  Clémencet  (et  uon  pas  Clément, 
comme  on  Ta  dit  par  erreur  à  Tar- 
ticle  Filleau)  avait  publiées  contre 
cet  ouvrage.  A  l'époque  où  les  parle- 
ments de  France  proscrivirent  l'in- 
stitut des  jésuites,  le  P.  Sauvage,  de 
concert  avec  le  P.  Grou  (voy.  ce 
nom,  LXVI,  106)  et  d'autres  mem- 
bres de  la  société,  lit  paraître  une 
Réponse  au  livre  intitulé  :  Extraits 
des  assertions  dangereuses  et  perni- 
cieuses en  tout  genre,  que  les  soi- 
disant  jésuites  ont,  dans  tous  les 
temps  etpersévéramment,  soutenues, 
enseignées  et  publiées  ,  etc.,  1763- 
65,  4  vol.  in-i°  (voy.  Roussel  de  la 
Tour,  LXXX,  76).  Z. 

SAUVIAC  (  Joseph  -  Alexandre 
Betbezé'Larue  de),  général  français, 
était  né  dans  le  Languedoc,  en  1757, 
d'une  famille  noble  ,  mais  sans  for- 
tune. Destiné  dès  l'enfance  à  la  car- 
rière du  génie  militaire,  il  entra  en 
1779,  après  d'assez  bonnes  études  fai- 
tes dans  son  pays,  à  l'école  de  Mé- 
zières,  d'où  il  sortit  six  ans  plus  tard 
lieutenant  du  génie.  Ayant  embrassé 
la  cause  de  la  révolution,  il  fut  nommé 
capitaine  en  1791  et  employé  comme 
tel  aux  travaux  de  Cherbourg  sous 
Dumouriez,  qui  l'appela  auprès  de 
lui  à  l'armée  de  la  Belgique,  vers  la 
fin  de  1792.  Employé  encore  l'année 
suivante  dans  la  courte  expédition 
de  Hollande  que  fit  ce  général,  il 
fut  gravement  blessé ,  le  2  mars , 
d'un  coup  de  mitraille  en  escaladant 
le  fort  de  Dam  à  Gertruydenberg. 
Ayant  suivi  l'armée  dans  son  mouve- 
ment rétrograde  vers  la  frontière 
française,  il  se  trouvait  employé  à 
l'état-major  général,  lorsqu'il  fut 
blessé  de  nouveau  par  un  coup  de 
pied  de  cheval,  dans  une  reconnais- 
sance du  camp  de  César  qu'il  fit  avec 
le  général  en  chef  Kilmaine.  Ne  pou- 
vant plus  alors  continuer  à  l'armée 


le  m«?me  service,  il  fui  nommé  com- 
mandant de  Givet  et  Charleniont 
avec  le  grade  de  chef  de  brigade  ou 
colonel.  A  peine  eut-il  passé  un  mois 
dans  ce  poste,  qu'il  reçut  du  ministre 
de  la  guerre  une  commission  pour 
se  rendre  à  l'armée  des  Pyrénées- 
Orientales  que  commandait  de  Fiers. 
Il  y  resta  peu  de  temps,  et  fut  bientôt 
rappelé  à  l'armée  du  Nord  où  il  se 
distingua  dans  plusieurs  occasions, 
notamment  aux  batailles  de  Courtray , 
de  Menin  et  surtout  à  la  conquête  de 
la  Hollande,  dont  il  avait  dressé  le 
plan  pour  la  plus  grande  partie , 
ainsi  que  l'a  reconnu  hautement  le 
général  en  chef  Pichegru,  qui  le  fit 
nommer  général  de  brigade  aussitôt 
après,  et  qui  regretta  vivement  de  ne 
pouvoir  l'emmener  avec  lui  à  l'armée 
du  Rhin  lorsqu'il  en  prit  le  comman- 
dement. Les  blessures  de  Sauviac 
l'avaient  alors  condamné  à  une  sorte 
d'inactivité  qui  le  força  de  rester  à 
Zonnebec  où  il  fut  gravement  ma- 
lade. Dès  qu'il  fut  rétabli,  il  re- 
vint dans  la  capitale ,  et  il  s'y  trou- 
vait à  l'époque  du  triomphe  de 
Bonaparte  au  13  vendémiaire.  On  lui 
reprocha  dans  le  temps  de  n'avoir 
pas  concouru  à  ce  triomphe  avec 
beaucoup  de  zèle^  il  est  probable 
que  cette  circonstance  autant  que  ses 
rapports  avec  Pichegru  nuisirent 
beaucoup  dans  la  suite  à  son  avan- 
cement. Cependant ,  étant  encore  à 
Paris  au  moment  de  la  révolution  du 
18  brumaire,  il  se  rangea  assez  fran- 
chement du  parti  qui  renversa  le 
Directoire  et  parut  être  rentré  en 
grâce  auprès  du  nouveau  consul, qui 
l'employa  bientôt  après  à  l'armée  du 
Rhin  sous  Moreau,  mais  le  priva 
ensuite  de  cet  emploi,  et  même  le 
suspendit  de  ses  fonctions  qu'il  ne 
recouvra  qu'en  1802  où  il  passa  dans 
l'arme  de  la  ligne,  et  devint  général 


à 


SAU 

de  division.  11  lit  eu  cette  qualité  la 
campagne  de  Portugal  en  1809  sous 
Junot.  Depuis  cette  époque,  il  cessa 
d'être  employé  et  fut  mis  définitive- 
ment à  la  retraite  par  le  gouverne- 
ment de  la  Restauration,  le  20  août 
1814.  En  1817,  on  le  vit  s'occuper 
d'expériences  de  physique.  11  mourut 
peu  de  temps  après.  Le  général  Sau- 
viac  est  auteur  d'un  grand  nombre  de 
Mémoires  militaires,  politiques  et  ad- 
ministratifs, parmi  lesquels  sont  des 
plans  de  campagne  et  des  négocia- 
tions dont  il  a  été  chargé,  mais  qui 
sont  restés  inédits.  Ses  écrits  impri- 
més sont  :  1.  Un  Mémoire  sur  les 
sièges  de  Gertruydenberg  et  de  Crè- 
vecœur  qu'il  avait  dirigés,  imprimé  et 
gravé  en  1795.  II.  Aperçu  des  deux 
dernières  campagnes  de  l'armée  du 
Nord  pour  servir  de  réponse  à  une 
Satire  contre  le  général  Pichegru, 
Paris,  1796,  in-8°.  III.  Coup  d'œil 
politique  et  militaire  sur  le  théâtre 
de  la  guerre  en  général^  remis  au 
gouvernement  après  les  affaires  de  la 
Trebia,  1800,  in-S».  11  avait  con- 
couru pour  l'Éloge  de  Vauban,  pro- 
posé par  l'Académie  française  en 
1790  ;  ce  fut  Noël ,  notre  collabora- 
teur, qui  obtint  le  prix.      M — Dj. 

SAUVIGNY  (  ETIENNE  -  Louis 
BiLLABDON,  abbé  de)  (1)  naquit  à 
Cognacen  1734.  Frère  puîné  d'Edme- 
Louis  de  Sauvigny  (voy.  ce  nom,  XL, 
p.  496),  il  suivit  comme  lui  la  car- 
rière des  lettres,  mais  il  le  surpassa 
en  médiocrité.  L'un  avait  pris  le 
parti  des  armes-,  celui-ci  fut  destiné 
à  l'Église.  Avant  1789,  il  n'eut  au- 
cune part  dans  la  distribution  des 
bénéfices.  Ayant  adhéré  à  la  consti- 
tution ci\ile  du  clergé,  il  finit  par 

(i)  M.  Beuchot  {Nouveau  Nècrologe  fratt' 
çais,  Paris,  1812,  in-80,  p.  41  )  lui  donne 
par  erxTur  les  prénoms  d'Edme-Louis,  qui 
.appartiennent  à  son  frèie  aiué. 


SAU 


181 


devenir  curé  de  Jarnac.  Il  lit  partie 
du  concile  national  assemblé  à  Paris, 
le  15  août  1797,  et  rédigea  le  jour- 
nal des  opérations  de  ce  concile,  qui 
fut  publié  en  vingt-neuf  numéros 
in-8",  du  17  août  au  15  novembre 
de    la   même  année.   Il    mourut  à 
Paris  en  1809  (2).  On  doit  à  sa  plume 
féconde  un  grand  nombre  d'ouvra- 
ges, tant  en  prose  qu'en  vers:  I. 
Épîire  à  un  homme  de  lettres  retiré 
à  la  campagne,  1777,  in-S".  II.  Lettre 
à  M.  de  S***  (Sauvigny),  chevalier 
de  Saint-Louis,  par  M.  l'abbé  de  S***, 
Paris,  1779,  in-8°.  lïl.  Panégyrique 
de  saint  Louis,  prononcé  à  VOra- 
toire,  Paris,  1780,  in-8°.   L'auteur 
n'a  pas  été    plus    heureux    qu'un 
grand  nombre  d'autres  panégyristes 
qui  n'ont    pu    rajeunir    un    sujet 
épuisé.  Peut-être  trouve-t-on  plus  de 
chaleur  dans  son  œuvre  que   dans 
beaucoup  d'autres  sur  le  même  sujet, 
mais  il  y  règne  aussi  trop  d'emphase. 
IV.  Oraison  funèbre  de  l'impéra- 
trice -  reine  Marie  -  Thérèse ,  1 78 1 , 
in-S"*.  V.  César  et  Pompée ,  poème, 
Paris,  1782,  in-8''.  C'est  une  imitation 
de  Lucain,  où  les  défauts  de  l'origi- 
nal sont  plutôt  exagérés  qu'affaiblis. 
VI.  Vie  de  saint  Grégoire  de  Tours, 
1785,  in-8*'.  VII.  Discours  sur  les 
devoirs'  des  sujets  envers  les  souve- 
rains^ prononcé  dans  la  chapelle 
du  Louvre^  en  présence  de  MM.  les 
membres  de  l'Académie  française, 
le  25  aoiit  1786,  suivi  d'une  Ode 

(2)  C'est  par  erreur  qu'on  a  donné  cette 
date  comme  celle  de  la  mort  d'Edme-Louis 
de  Sauvigny,  à  son  article  (XL,  49^)?  iJ  mou- 
rut quelques  années  après,  le  19  août  1812. 
Nous  devons  réparer  aussi  une  omission  qui 
y  a  été  faitç.  Attaché  en  1789  à  l'état-major 
de  la  cavalerie  parisienne,  comme  adjudant- 
général,  il  en  avait  le  commandement  pro- 
visoire en  1792,  quand  il  réprima  les  désor- 
dres delà  rue  de  Varennes.  Il  parut  alors  a 
la  barre  de  la  Convention  nationale  pour  en 
rendre  compte  à  l'assemblée. 


18^ 


SALi 


SAU 


au r  le  prince  de  Brunswick,  qui  n'a 
point  concouru  pour  le  prix,  Paris, 
I78(),  in-S".  Les  aiite;irs  du  Petit 
Âlmanach  des  grands  hommes  ont 
persiflé  l'auteur  sur  le  choix  d'un 
pareil  sujet.  •  M.  l'abbé  de  Sauvi- 
«  gny,  disent-ils ,  s'est  surtout  si- 
«  gnalé  par  son  sermon  prêché  de- 
«  vant  l'Académie  française,  ou  il 
«  entreprend  de  prouver  qu'il  faut 
'Obéir aux  rois.  La  difficulté  et  les 

•  périls  attachés  à  ce  texte  vraiment 

•  neuf,  n'arrêtèrent  point  M.  l'abbé, 
«  qui  s'en  tira  avec  autant  de  cou- 
«  rage  que  d'esprit.  »  Quelques  an- 
nées plus  tard,  Rivarol  et  Champce- 
netz  auraient-ils  tenu  le  même  lan- 
gage ?  VIU.  Histoire  de  Henri  III, 
roi  de  France  et  de  Pologne  ;  con- 
tenant des  détails  très-intéressants 
sur  Vassemblée  des  États-Généraux, 
tenue  deux  fois  sous  le  règne  de  ce 
prince,  Paris,  1788,  iR-8*>.  Quoique 
cet  ouvrage  ne  se  recommande  pas 
par  la  nouveauté  des  idées  ou  la  pro- 
fondeur des  vues,  il  se  fait  lire  avec 
intérêt  ,  parce  qu'il  est  un  bon 
résumé  de  l'histoire  d'uti  règne  ora- 
geux, pendant  lequel  la  faiblesse  de 
caractère  du  souverain  livra  les 
peuples  à  toutes  les  horreurs  de 
V anarchie.  On  doit  encore  à  l'AW)é 
de  Sauvigny  une  assez  bonne  édition 
des  OEuvres  choisies  de  Bossuet^ 
Nîmes,  1785-90,  8  vol.  in-4»,  ou 
10  vol.  iû-8«.  L— -M— X. 

SACZET  (jEAN-BAPirsTE-GuiL- 
laume),  né  à  Lyon  le  19  septembre 
1765,  avait  fait  de  solides  études  au 
collège  de  cette  ville.  Issu  d'une 
famille  distinguée  dans  la  médecine, 
il  en  continua  la  réputation,  l'ut  un  des 
fondateurs  de  la  Société  de  médecine 
de  Lyon,  et  répandit  long-temps  un 
vif  éclat  dans  les  discussions  dR  cette 
compagnie.  Sa  vie  studieuse  fut  ce- 
pendant troublée  par  nos  discordes 


civiles.  Il  passH  sans  effort  delà  paix 
du  cabinet  au  tumulte  des  camps. 
Chirurgien-major  de  la  cavalerie 
lyonnaiseen  1793,  il  déploya  dans  ses 
fonctions  un  zèle  et  un  dévouement 
dignes  d'éloge.  Il  ne  montra  pas  moins 
de  courage  civil  lorsque,  après  le 
29  mai,  il  se  présenta,  comme  député 
de  sa  ville  opprimée,  à  la  Conven- 
tion nationale  pour  expliquer  les 
événements  et  demander  justice. 
Accepter  une  telle  mission,  c'était 
offrir  sa  tête.  Sauzet  ne  recula  pas 
devant  ce  devoir:  aussi  fut-il  arrêté 
et  jeté  dans  les  fers  d'où  il  ne  sortit 
qu'après  le  9  thermidor;  mais  il  ne 
put  supporter  le  spectacle  de  sa 
patrie  livrée  au  marteau  des  démo- 
lisseurs ;  il  prit  du  service  dans  la 
chirurgie  militaire ,  et  son  mérite 
réleva  au  poste  de  premier  chirur- 
gien de  l'armée  de  Rhin-et-Moselle. 
Il  avait  ainsi  payé  sa  dette,  quand  il 
revint  à  ses  foyers,  à  ses  livres,  à  se*? 
malades.  C'est  de  cette  époque  que 
date  l'ère  de  ces  brillants  concours 
pour  la  place  de  chirurgien-major 
de  l'Hôtel-Dieu  de  Lyon,  concours 
qui  ont  placé  à  un  si  haut  degré 
d'estime  la  médecine  lyonnaise.  La 
lice  fut  ouverte  entre  Marc-Antoine 
Petit  et  Sauzet.  Le  premier  l'em- 
porta, mais  il  s'applaudit  d'avoir  eu 
pour  émule  Sauzet  dont  il  resta 
constamment  l'ami.  Par  suite  de  ce 
concours,  Sauzet  fut  pendant  dix 
ans  médecin  ordinaire  de  l'Hôtel - 
Dieu,  et,  pendant  dix  autres  années, 
chargé  du  service  médical  de  l'hos- 
pice de  la  Charité.  Une  clientèle 
nombreuse  dut  nécessairement  sui- 
vre d*aussi  solides  travaux.  Toutefois 
l'amour  du  gain  n'y  eut  point  de 
part.  Sauzet  était  l'ami  de  ses  ma- 
lades ;  le  cardinal  Fesch  l'honora 
constamment  de  ce  titre.  Au  milieu 
de  ces  exigences,  il  trouva  toujours 


SAV 

du  temps  pour  la  vie  de  famille.  11 
veillait  avec  un  amour  patient  sur 
l'e'ducHtion  de  deux  lils,  et,  en  soi- 
gnant en  eux  le  développement  des 
dons  heureux  dont  il  était  doué  lui- 
même,  il  a  préparé  une  des  célé- 
brités parlementaires  de  notre  épo- 
que. En  1827,  il  fut  un  des  fonda- 
teurs de  la  société  de  lecture  et 
d'encouragement  pour  l'industrie 
lyonnaise,  qu'il  présida  durant  plu- 
sieurs années.  11  mourut  à  Lyon  le 
2  août  1844.  A.  P. 

SAVAGE  (William), libraire  et  lit- 
térateur anglais,  auteur  de  quelques 
écrits,  notamment  d'une  Histoire  de 
l'Imprimerie^  est  mort  en  juillet 
1843.  —  Son  frère  et  son  associé  en 
librairie,  né  en  1767,  à  Howden  en 
Yorkshire,  a  long-te-mps  coopéré  à 
divers  journaux ,  et  a  publié  aussi 
plusieurs  ouvrages,  entre  lesquels 
on  cite:  I.  Histoire  succincte  de 
l'état  actuel  du  commerce  de  la 
Grande  Bretagne,  traduit  de  Rheiu- 
hardt,  avec  des  notes  et  des  additions, 
1805  ,  in -8».  11.  Le  Bibliothécaire 
(IheLibrarian),  publié  par  livraisons, 
et  formantauuioinsS  volumes,  1808- 
1809.  III.  Memorabilia^  in  8°.  IV. 
Observations  sur  les  architectes  et 
sur  la  construction  des  églises  de 
Paris,  1812,  77  pages  in-S».       Z. 

SaVAHI  de  Mauléon^  fils  de 
Raoul  et  d'Anette  de  Ré,  naquit, 
vers  la  fin  du  xir  siècle,  dans  le  châ- 
teau deMauléon,  en  Poitou.  Encoie 
enfant  lorsqu'il  perdit  son  père,  il 
fut  appelé  bien  jeune  à  la  posses- 
sion de  cette  belle  baron  nie.  Plus 
tard,  à  la  mort  de  son  oncle,  Guil- 
laume de  Mauléon ,  il  fut  prince  de 
Talmonl.  Dans  l'Àunis,  la  baronnie 
de  Châtel-Aillon  lui  advint,  comme 
héritier  de  la  maison  de  ce  nom,  et 
il  devait  posséder  La  Rochelle.  Mais 
ce  lieu,  simple  village  dans  l'origine, 


SAV 


183 


étantdeveuuunevilleimportante,les 
héritiers  de  Châtel-Aillon  reçurent 
en   échange  de  l'autorité  suzeraine 
le  comté  de  Renon  et  des  rentes.  Sa- 
varjâde Mauléon  composa  d'abord  des 
poésies  dans  l'idiome   du   midi,  et 
fut  considéré  comme  un  troubadour 
distingué.   On  connaît  surtout  son 
tenson  sur  celte  dame  qui,  pour  en- 
courager   trois    solliciteurs,    avait 
donné   à    l'un  un    regard    tendre , 
pressé  la  main  de  l'autre,  et  touché 
le  pied  du  troisième  en  riant.  Mais 
c'étaient  là  des  amusements  de  jeu- 
nesse, et  notre  bon  Poitevin  avait  un 
autre  rôle  à  jouer.  Il  semblait  vou- 
loir s'attacher  à  Jean-sans-Terre,  roi 
d'Angleterre ,   qui  possédait   sur  le 
continent  l'héritage   des  Plantage- 
nets,  quami  ce  prince  déloyal,  invité 
à  la  noce  de  Hugues  de  Lusignan, 
comte  de  la  Marche,   et  d'Isabelle 
d'Angoulême,  enlève  celle-ci  à  son 
fiancé  et  l'épouse.  Alors  une  ligue  se 
forme,  et  un  cri  de  guerre  est  poussé 
par  les  hauts  seigneurs,  de  la  Loire 
à  la  Dordogne,  pour  venger  l'injure 
faite  à  l'un  d'eux.  Dans  leurs  rangs 
et   à   la  suite  de  Hugues-le-Brun  , 
poursuivant   le    roi    Jean    pour  lui 
avoir  enlevé  sa  fiancée  chérie,  se 
trouvait  Suvari  de  Mauléon.  Un  autre 
intérêt  entraînait  ces  seigneurs  dans 
la  coalition   formée   contre    le   roi 
d'Angleterre.  Arlhus  de  Bretagne , 
neveu  de  ce  prince,  avait  des  droits  à 
régner  sur  l'Angleterre  ;  il  s'était 
rendu  à  Mirebeaa,  accompagné  de 
Guillaume  des  Roches,  son  maréchal, 
et  d'un  bon  nombre  de  grands  du 
pays.  Savari  de  Mauléon,  qui  avait, 
de  concert  avec  Bertrand  de  Born, 
provoqué   déjà  par    des  poésies  le 
zèle  des  Poitevins  en  faveur  d'Arîhus, 
se  présente  là  avec  30  chevaliers  et 
70  servants  d'armes  sous  ses  ordres. 
On  voit   donc,  dès   son   début,   le 


184 


SAV 


SA\ 


jeune  guerrier  appelé  à  peser  gran- 
dement dans  la  balance  politique,  et 
prétendre    à    la    gloire    militaire. 
Néanmoins  Jean-sans-Terre  arriva  à 
l'improviste,  s'introduisit  dans  Mi- 
rebeau  qu'il  occupa,  délivra  sa  mère 
la  reine  Aliénor  et  s'empara  de  son 
neveu    Arthus.   Savari  de  Mauléon 
et  tous  les  seigneurs  poitevins  qui 
avaient  pris  parti  pour  le  jeune  Ar- 
thus furent  aussi  surpris  et  faits  pri- 
sonniers par  Jean-sans-Terre  ;  celui- 
ci  conduisit  son  neveu  et  ses  prison- 
niers de  marque  dans  la  ville  de  Rouen, 
et  Ton  sait  la  fin  du  jeune  Arthus 
(  voy,  ce  nom,  II,  553  ).  La  plupart 
des  seigneurs  poitevins  furent  mis 
en  liberté,  parce  qu'ils  s'obligèrent 
à  servir  leur  vainqueur,  qui  se  rendit 
exprès  dans  leur  pays,  afin  de  s'assu- 
rer de  leur  fidélité.  Quant  à  Mauléon, 
il  en  fut  autrement  et  on  l'envoya  en 
Angleterre  pour  demeurer  prison- 
nier dans  le  château  de  Corf.  Mais  ce 
jeune  guerrier  ne  pouvait  ainsi  de- 
meurer  sous  ies   verrous ,,  et  son 
activité  belliqueuse  lui  fit  tenter  une 
entreprise  audacieuse  et  presque  in- 
croyable. Il  était  gardé  dans  le  châ- 
teau  de   Corf  par   quatre  hommes 
qui,  nuit  et  jour,  veillaient  assidû- 
ment sur  sa  personne.  Or,  un  jour 
il  les  fit  tant  boire ,  qu'il  les  enivra 
complètement ,  et  qu'ils  s'endormi- 
rent. Savari  de  Mauléon,  voyant  ses 
gardiens  livrés  au  sommeil ,   s'em- 
para d'une  cognée  qui  était  là  et  mit 
ses  gardes  à  mort.  Alors,  se  débar- 
rassant des  fers  dont  il  était  chargé,  il 
s'établit  dans  la  principale  partie  de 
la  forteresse,  afin  de  résister  à  ceux 
qui  voudraient  l'attaquer.  En  effet, 
Jean-sans-Terre,  qui  se  trouvait  à 
une  journée  de  Corf,  se  rendit  dès 
le  lendemain  devant  ce  château,  pour 
saisir  Savari  et  le  mettre  a   mort. 
Celui-ci,  réduit  à  lui  seul,  n'auraïf 


pas  pu  se  détendre  bien  loti;;-lrnips. 
Heur(His<!ineijt   qu'Hubert   Gautier, 
archevêque  de  Cantorbéry,  et  beau- 
coup   de   personnages  marquants , 
implorèrent  le  monarque  pour  un 
guerrier  si  jeune  et  si  intrépide.  De 
son  côté,  Savari  promit  de  servir  fidè- 
lement le   roi  d'Angleterre   et  lui 
donna  sa  mère  pour  otage.  Aussitôt 
qu'il  se  fut  'attaché  à  la  fortune  de 
Jean-sans-Terre ,  ce  prince  l'envoya 
en  Poitou  où  on  le  chargea  d'un  com- 
mandement; il  s'empressa  donc  de 
réunir  ses   propres   vassaux  et   se 
porta  sur  Niort  dans  le  dessein  de 
s'en  emparer  par  surprise.  C'était  le 
dernier  jour  d'avril,  et*  cette  nuit 
même,  les  habitants  de  la  ville  al- 
laient à  une  lieue  de  là,  dans  un  bois, 
pour  couper  des  branches  d'arbres, 
afin  de  les  placer  devant  les  portes 
du  maire  et  des   principaux  habi- 
tants. Or,  Mauléon  et  les  siens  arri- 
vèrent entre  la  ville  et  le  bois  où  les 
Niortais    choisissaient    des    mais , 
prirent  aussi  des  branches  d'arbres 
dont  ils  se  couvrirent,  et  entrèrent 
en  ville,  au  lever  du  jour,  le  1«' 
mai,  n'éprouvant  aucune  difficulté 
pour  leur  introduction  dans  la  cité, 
parce  qu'on  crut  qu'ils  étaient  les 
Niortais  sortis  quelques  heures  au- 
paravant. Parvenu  dans  l'intérieur, 
Savari  se  porta  aussitôt,  aidé  d'une 
partie  des  siens,  vers  le  château  qu'il 
trouva  tout  dégarni,  et  dont  il  s'em- 
para. S'étant    ainsi    rendu    maître 
de  la  ville  et  du  château  de  Niort , 
il  s'avança  promptement ,  avec  une 
partie  de  ses  forces,  vers  le  bois  où 
étaient  ceux  qui  coupaient  les  mais, 
et  les  fit  tous  prisonniers,  parce  que 
ceux-là  ne  s'attendaient  à  rien  ;  mais 
il  ne  les  mit  pas  en  prison  dure , 
et  il  se  contenta   de  prendre  leur 
parole  de  servir  la  cause  de  l'Angle- 
terre, en  leur  faisant  donner  des 


SAV 


SAV 


18: 


gages  pour  cette  promesse.  Bienfôt 
Savari  de  Mauléon  fut  assiégé  dans 
Niort  par  tous  les  membres  de  la 
noblesse  du  Poitou,  demeurée  atta- 
chée à  la  cause  de  la  France,  parmi 
lesquels  figuraient  Hugues  de  Lusi- 
gnan,  comte  de  la  Marche,  et  même 
Guillaume  de   Mauléon,    oncle   de 
Savari.  Ces  seigneurs  demeurèrent 
iong-temps  devant  la  place  et  ils  ne 
purent  rien  faire  que  moult  Mêles 
chevaleries,  Philippe-Auguste  avait 
aussi  dirigé  une  armée  sur  Niort, 
mais  il  crut  plus  utile  de  la  conduire 
vers  Chinon,  et  les  seigneurs  poite- 
vins se  portèrent  de  ce  côté-là.  En 
récompense  du  dévouement  de  Sa- 
vari de  Mauléon,  Jean-sans-Terre 
lui  accorda,  en  1206, 200  marcs  d'ar- 
gent de  gratification  en  le  chargeant 
de  jurer  avec  Thibault  de   Blairon 
une  trêve  faite  avec  Philippe-Au- 
guste. Plus  tard,  il  fut  établi  conser- 
vateur de  cette   trêve  pour  le  roi 
d'Angleterre,  tandis  que  Guillaume 
de  Mauléon  occupait  la  même  posi- 
tion pour  le  roi   de  France.  C'est 
alors  que  Bertrand  de  Born,  dans 
ses  vers  satiriques  adressés  à  Savari 
de  Mauléon,  reprochait  à  Jean-sans- 
Terre  de  préférer   à  la  gloire    les 
joutes  et  les  chasses,  les  lévriers  et 
les  faucons  ;  de  tramer  une  vie  sans 
honneur,  de  se  laisser  dépouiller  de 
son  vivant  et  de  perdre  le  Poitou, 
faute  de  le  secourir.  «  Savari,  disait 
encore  le  troubadour,  on  peut  dire 
qu'un  roi  sans  cœur  ne  fera  guère 
de  conquêtes.  A  un  cœur   lâche  et 
mou,  jamais  nul  homme  de  résolu- 
tion ne  pourra  s'attacher.  »  En  1208, 
le  maréchal  Henri  Clément  et  Guil- 
laume des  Roches,  maréchal  d'An- 
jou, attaquèrent  à   l'improviste   le 
vicomte   de  Thouars   et  Savari  de 
Mauléon  qui,  par  l'ordre  du  roi  d'An- 
gleterre, étaient  entrés  sur  les  terres 


du  roi  de  France  et  y  avaient  lait  un 
riche  butin.  Le  vicomte  et  Savari, 
malgré  la  bravoure  qu'ils  déployè- 
rent, furent  battus,  et  le  maréchal  et 
le  sénéchal  prirent  30  à  40  chevaliers 
du  parti  anglais,  qu'ils  envoyèrent 
au  roi  de  France,  à  Paris.  Mais  voilà 
qu'en  1211,  le  roi  Jean-sans-Terre 
est  excommunié  par  le  pape  pour 
avoir  chassé  un  légat  d'Angleterre. 
Alors  voulant  résister  au  saint-siége, 
sur  le  continent  comme  dans  son  île, 
le  monarque  envoie  Savari  de  Mau- 
léon avec  des  forces  considérables 
au   secours    des  Albigeois,  accusés 
d'hérésie  et  contre  qui  une  croisade 
était  prêchée.  Ces  forces  consistaient 
en  Anglais,  en  Aquitains  du  nord  et 
en  Gascons.  Le  guerrier-troubadour 
en  imposa  tellement  aux  croisés,  par 
sa  vaillance,  qu'ils  conçurent  contre 
lui  une  horreur  indicible,  formulée 
par  les  injures  que  l'on  trouve  dans 
la  chronique  des  religieux  de  Vaux- 
Cernay.  Au  contraire  un  autre  auteur 
qualifie  Savari  d'homme  sage  et  pru- 
dent. Toujours  est-il  qu'il  assiégea 
Carcassonne    et   qu'il  aida  ensuite 
Raimond,  comte  de  Toulouse,  à  re- 
prendre plusieurs  villes  de  ses  états. 
Puis  il  retourna  en  Poitou,  par  le 
motif  que   continuer   cette  guerre 
était  se  faire    reconnaître   entaché 
d'hérésie,  et  que  le  prince  pour  qui 
il  combattait  ne  songeait  pas  à  sub- 
venir aux  besoins  et  à  la  solde  de 
ceux    qui   combattaient    pour    lui. 
Cette   circonstance    amena    de     la 
froideur  entre   Jean-sans-Terre  et 
Savari    de  Mauléon.    Alors  celui-ci 
écouta    les   offres   séduisantes    que 
lui    faisait  le  roi   de    France ,  qui 
lui   proposait  de   lui  céder  La  Ro- 
chelle, Renon  et  Cognac.  Ces   con- 
ditions furent  acceptées  et  Mauléon 
fut,  cette  lois,  chargé  du  comniari 
dément  d'une  ilotte,  ce  qui  étonneia 


186 


SAV 


li'autant   moins,   qu'il   aviiil   pn'C«>- 
demment  fait  plus  d'un  armement 
dans  ses  seigneuries   maritimes  du 
Poitou.  Ce  fut  aussi  un  grand  nom- 
bre de  vaisseaux  poitevins  (ju'il  fut 
chargé  de  rassembler,  avec  des  com- 
pagnies de  routiers,  dans  le  port  de 
Boulogne,    lieu    de    réunion    de  la 
flotte,  qui   s'éleva   à  1,700  navires. 
«  L'Océan,  dit  Guillaume-le-Bretou, 
paraissait  trop  étroit  pour  contenir 
tant  de  navires,   le  vent   du  midi 
semblait  manquer  de  souffle  pour 
agir  à  la  fois  sur  tant  de  voiles,  un 
œil   humain   ne  pouvait  embrasser 
toutes  ensemble    les    embarcations 
qui  mettaient  à  la  fois  à  la  mer.  » 
La  flotte  stationna  d'abord  à  Calais 
et    ensuite    à  Graveliues.    Cepen- 
dant, un  nombre  considérable  de 
navires    étaient    demeurés    en  ar- 
rière ,  et  ils  arrivèrent  au  port  de 
I>am  où  ils  mouillèrent.  Là,  était  un 
grand  marché  de    tous    les  objets 
rares  du  commerce  de  cette  époque. 
Or,  Savari  avait  promis,  en  prenant 
possession  de  cette   ville,   que  les 
propriétés  seraient  respectées  :  mais 
son  lieutenant  Cadot  et  les  siens,  au 
mépris  d'un   traité  conclu,   enleva 
aux  habitants  de  Dam  toutes  leurs 
marchandises    pour    enrichir    son 
pays.   Cette    déloyauté   fut  bientôt 
punie.  En  effet,  les  nombreux  vais- 
seaux mis  sous  les  ordres  de  Mau- 
léon  se  trouvaient  dans  une   rade 
accessible,  lorsque  tout  à  coup  k;s 
embarcations  de  la  côte  de  la  Belgi- 
que   qui    s'éiaient   réunies  fondent 
sur  la  forêt  de  navires  français,  la 
mettent  en   désordre  et  s'emparent 
de  trois  d'entre  eux    Du  reste,  Sa- 
vari de  Mauléon    échappa  à  ces  dé- 
sastres et  se  réfugia  en  Poitou.  Jer:n- 
sans -Terre    essaya  de   le   ra  iieuer 
à  son  parti ,  eu  lui  envoyant  deux 
•Je    ses    fduidiers ,  et    il  ne  put  y 


SAV 

réussir.  Mais  quand  le  roi  d'Angle- 
terre eut  débarqué  à  La  Roclielle  et 
qu'il  se  fut  mis  en  devoir  de  commen- 
cer la  Cdui pagne  de  1214, il  y  eut  ac- 
cord entre  ce  souverain  et  Savari. 
Celui-ci  obtint  le  titre  de  sénéchal 
de  Gascogne  et  le  droit  de  battre 
monnaie,  droit  dont  il  usa,  puisqu'on 
trouve  des  monnaies  de  lui.  La  ba- 
taille de  Bouvines  et  l'échec  de  la 
Roche -aux- Moines    ayant     obligé 
Jean-sans-Terre  à  quitter   le  conti- 
nent et  à  s'embarquer  pour  l'Angle- 
terre, Savari  de  Mauléon  le  suivit 
au  delà  du  détroit.  Alors  les  Poite- 
vins ,  les  Angevins  et  les  Gascons 
prirent  une  grande  influence  à  la 
cour  d'Angleterre  et  supplantèrent 
les    Anglo-Normands.  Puis  vint  la 
lutte  des  barons  anglais  contre  l'au> 
torité  royale,  et  la  guerre  qui  s'en- 
suivit, dans  laquelle  Savari  de  Mau- 
léon eut  le  commandement  des  Poi- 
tevins et  des  INormands.  Quand  le 
renvoi   des  étrangers  qui  se  trou- 
vaient en  Angleterre  eut  été  arrêté 
par  la  grande  charte,  convenue  entre 
les  barons  et  le  roi,  ce  dernier  finit 
par  se  retirer  avec  Savari  dans  l'île 
de  Wight,  demandant  au  pape  d'être 
relevé  de  sa   promesse  et    avisant 
aux  moyens  de  n'en  tenir  compte.  La 
guerre  recommença  donc,  et  ce  fut 
notre   Poitevin  qui  en  1215  prit  le 
commandement  de  la  moitié  dei'ar- 
mée  royale  et  se  mit  à  agir   contre 
l'armée  des  barons,  renforcé  qu'il 
fut  par  un    parti    de  Poitevins  et 
de  Gascons  que  lui  amenèrent  les 
seigneurs   de    Belleville.   Ce  fut  à 
cette  époque  que  Savari  de  Mauléon 
parvint  à  s'emparer,  après  un  long 
siège,  du  château   de  La  Rochelle. 
Jean -Sans -Terre,  qui  se  trouvait 
là, avait  tait    pendre  déjà  quehiues- 
uns  des  prisonniers,   et  se  dispo- 
sait à  faire  subir  le  luêrne   sort  à 


SAV 

tous   les  autres.  Alors  son  général 
courut  vers    lui   pour   faire   cesser 
de  barbares  exécutions.    «  Sire,  lui 
dit-il,  la  guerre  est  loin  d'être  finie 
et  le  sort  des  armes  est  incertain;  si 
vous  souillez  vos  victoires  par  des 
cruautés,  vos  ennemis,  quand  ils  se- 
ront vainqueurs  à  leur  tour,  agiront 
de  la  même  manière.  Qui  consentira 
à  vous  servir,  s'il  a  la  crainte,  lors- 
qu'il sera  pris  les  armes  à  la  main, 
en  combattant  pour  votre  cause,  de 
mourir  d'un  supplice  ignominieux?» 
Ces  paroles  produisirent  leur  effet, 
et  le  sang  des  prisonniers  cessa  de 
couler.   Cependant  la  guerre  entre 
Jean-sans-Terre  et    ses  barons   se 
compliqua.  Ceux-ci ,    outrés  de   la 
conduite   de   leur  roi ,  offrirent    la 
couronne  à  Louis,  fils  aîné  du  roi  de 
France,  qu'ils  considérèrent  comme 
ayant  des  droits  à  régner  sur  eux, 
à  cause  de  sa  qualité  de  fils  de  Blan- 
che de  Castille,  descendante  de  la 
maison  de  Plantagenet,  et  cette  offre 
fut  acceptée  par  le  prince  français. 
Alors  Jean-sans-Terre  agit  par  voie 
de  confiscation  contre  les  seigneurs 
qui  s'étaient  déclarés  contre  lui,  et 
il  donna   notamment   à  Savari   de 
Mauléon  les  biens  paternels  et  ma- 
ternels de  Geoffroi   de    Maudeville, 
comte  d'Essex,  et  les  terres  de  Rogier 
Bighot.    Cependant    Loiiis-le-Lion, 
malgré  l'opposition  du  pape  Inno- 
cent m,  s'étnit  rendu  à  Londres  où 
il  avait  été  déclaré   roi ,  et   il  mar- 
cha contre  le  château  de  Corf  où 
était  la  reine  Isabelle  d'Angoulême, 
femme  de  Jean-sans-Terre,  et  Henri 
leur  fils.  Mais  Jean-sans  Terre,  qui 
était  il  Winchester ,    arriva  k  Corf 
avec  Savari  de  Mauléon,  délivra  !a 
reine  et  le  prince  Henri  et  les  amena 
k   Winchester,    qu'il     fut    bientôt 
obligé  d'évHcuer  En  effet,  !e  prince 
Louis  vint   fau'e  le  siège  de  celte 


SAV 


187 


place,  renforcé  qu'il  fut  de  tous  les 
chevaliers    eî,  soldats   de  la    Flan- 
dre et  des  pays  maritimes  de  l'autre 
côté  du  détroit.  Il  n'y  eut  que  les 
Poitevins,    qui,     sous    l'influence 
de  Savari  de  Mauléon,  restèrent  fi- 
dèles à  la  cause  qu'ils  avaient  em- 
brassée.  Dans  une   telle  position , 
ceux-ci  furent  obligés  de  rendre  la 
place  au  prince  français,  pour  se  re- 
tirer sur  un  autre  point.  Alors  Savari 
et  les  siens  se  seraient,  le  lendemain 
de  la  Saint-Michel  1216,  emparés  du 
monastère  de  Croytand ,  qu'ils  au- 
raient livré  au  pillage,  à  la  dévasta- 
tion, et  ensuite  ils  auraient  surpris 
le  château  du  Plessis.  Mais  arriva, 
le  18  octobre  12i6,  à  Newark  ,  la 
mort  de  Jean-sans-Terre,  et  cet  évé- 
nement, qui,  au  premier  aspect,  sem- 
blait favorable    à    Louis- le -Lion  , 
tourna  contre   lui.   En   effet,    tous 
les  Anglais  partisans  du  roi  décédé, 
et  même  ceux  qui  lui  avaient  fait  la 
guerre,  se  déclarèrent   pour  Hen- 
ri 111 ,  (ils  de  ce  monarque.  Savan 
de    Mauléon ,    dès    la   maladie    du 
prince,   était    retourné  en  Poitou 
avec  une  partie  des  siens.  Il  sem- 
bla ,  pendant  quelques  années,  ne 
plus  songer  aux  intérêts  temporels, 
et   il  résolut  d'aller  vers  les  saints 
lieux    En  attendant,  il  combla  de 
faveurs  plusieurs  établissements  re- 
ligieux ,    et    réunit  des  fonds   afin 
de    partir  pour  la   croisade.   Cette 
nouvelle  position  lui  fit  obtenir  du 
pape  Honorius  III,  qui   lui  donna 
à  cette  occasion  le  titre  de  croisé, 
la  ratification   du   droit  de   battre 
monnaie  dans  ses  terres.  Savari,  en 
compagnie  (ie  beaucoup  de  seigneurs 
poitevins,  de  l'évêque  d'Angers  et 
d'autres  ccclésiastiqwes  de  l'Ouest , 
s'embarqua  pour  TOrient,  et  arriva 
au  c»u»p  dev.Mnl  Dam  ette,  en  1218, 
auios   la  retiiiitc  des  guerriers  de 


188 


SAY 


Hollande  et  tic  Frise,  leliaitc  (\\\\ 
avait  considérablement  affaibli  l'ar- 
mée chrétienne.  Savari  de  Mauléon 
déploya  un  grand  courageau  siège  de 
Damiette,  concourut  puissamment 
à  la  prise  de  cette  ville,  en  1219,  et 
fut  considéré,  dans  cette  circon- 
stance, comme  le  libérateur  des 
chrétiens.  Néanmoins,  ayant,  de 
concert  avec  les  autres  seigneurs 
croisés ,  demandé  inutilement  des 
secours  en  hommes  et  en  argent  au 
pape  Honorius  111,  il  se  dirigea  sur 
la  Syrie ,  et  revint  en  Europe.  Le  roi 
Henri  III  d'Angleterre  lui  confia  les 
importantes  fonctions  de  sénéchal 
du  Poitou  ;  et  lorsque  Louis  VIII  de 
France,  qui,  ayant  succédé  à  son  père 
Philippe-Auguste,  vint  pour  soumet- 
tre le  Poitou  à  sa  domination,  Savari 
de  Mauléon,  qui  y  commandait  en 
chef,  se  renferma  dans  Niort,  oii  il 
fut  assiégé  le  3  juillet  1223. 11  défen- 
dit bien  cette  place,  mais  il  fut  enfin 
obligé  de  capituler,  en  demeurant 
libre  avec  les  siens,  sous  la  promesse 
de  ne  pas  combattre  contre  le  roi  de 
France  jusqu'à  la  Toussaint,  excepté 
à  La  Rochelle ,  boulevard  du  parti 
anglais  dans  la  contrée.  Co  fut  là,  en 
effet ,  que  notre  guerrier  se  retira. 
Bientôt  Louis  VIII ,  après  avoir  em- 
porté Saint-Jean-d'Angély,  vint  as- 
siéger cette  place  mal  approvisionnée 
et  fortement  attaquée.  Savari  espé- 
rait des  secours  qui  ne  lui  arrivèrent 
pas,  et  alors,  voyant  les  Rochellais 
décidésà  se  soumettre,il  parlementa, 
et  obtint  de  se  retirer  librement  au- 
delà  du  détroit.  Danscette  campagne, 
laconduiteduseigneur  poitevin  avait 
été  franche  et  loyale,  et  pourtant, 
sur  le  navire  anglais  qui  le  portait, 
on  le  représenta  comme  l'auteur  de 
tous  les  désastres  que  venait  de  subir 
son  parti  ;  on  se  livra  sur  sa  personne 
k  des  attaques  violen|^s,eton  mani- 


•SAV 

lesla  même  l'intention  de  l'arrc^ter. 
Alors  Savari  parvint  à  éviter  le 
piège  qui  lui  était  tendu:  il  usa  de 
ruse,  el ,  ayant  débarqué  sur  le  sol 
français,  il  se  rendit  aussitôt  à  la 
cour  de  Louis  VIII ,  qui  l'accueillit 
favorablement  et  lui  rendit  ses  nom- 
breuses possessions.  Redevenu  ainsi 
Français,  il  assista  à  Paris,  le  28  jan- 
vier 1226,  à  une  assemblée  des  no- 
tables où  l'on  arrêta  les  mesures 
à  prendre  contre  les  Albigeois. 
Quoiqu'il  eût  autrefois  fait  la  guerre 
pour  eux  ,  il  se  décida  à  les  aller 
combattre  avec  Louis  VIII  en  per- 
sonne, qui  mourut  dans  cette  ex- 
pédition. Mauléon  revint  bientôt 
en  Poitou,  et  fut  chargé  de  la  garde 
des  côtes  de  cette  province  et  des 
provinces  voisines,  ce  qui  constitua 
po-ur  lui  une  sorte  d'amirauté.  Mais 
la  mort  de  Louis  VIII  ayant  fait  tom- 
ber la  tutelle  de  son  fils,  Louis  IX, 
entre  les  mains  de  la  mère  du  jeune 
prince.  Blanche  de  Castille,une  ligue 
des  seigneurs  poitevins  se  forma 
contre  la  régente,  ligue  dans  laquelle 
entra  Savari  de  Mauléon,  qu'on  accu- 
sait alors  de  brigandages  multipliés 
et  de  piraterie  sur  les  terres  du  roi 
de  France  en  Aunis  et  en  Poitou. 
Dans  la  réalité,  il  fut ,  en  1226  et 
1227,  attaché  à  la  cause  de  l'Angle- 
terre et  à  la  confédération  des  grands 
ligués  contre  l'autorité  royale.  Ceux- 
ci  n'ayant  pu  s'entendre  à  la  confé- 
rence de  Tours,  du  20  février  1227, 
plusieurs  d'entre  eux  traitèrent  avec 
la  régente,  et  arriva  le  tour  de  Sa- 
vari ,  qui  obtint  la  restitution  de  ses 
revenus  et  du  mobilier  qui  lui  avait 
été  enlevé.  Néanmoins  en  1230  on 
voit  encore  Mauléon  continuer  ses 
pirateries  à  rencontre  du  parti  fran- 
çais, et  notamment  des  habitants  de 
La  Rochelle,en  faisant  sjesarmements 
dans  un  port  peu  éloigné  de  là.  En 


SAV 

même  temps,  il  usait  «le  grandes  gé- 
nérosités envers  les  établissements 
religieux.  Demeuré,  en  dernier  lieu, 
attaché  à  la  cause  de  l'Angleterre, 
il  passa  dans  cette  île,  où  il  demeura 
les  dernières  années  de  sa  vie:  il  y 
mourut  en  1234,  laissant  la  garde  de 
Ro  ou  Raoul,  son  fils,  entre  les 
mains  du  roi,avecdes  réserves  pour 
le  douaire  et  les  droits  de  viduité 
d'Amabilis  du  Bois.  Quelques  mois 
avant,  en  1232,  et  en  vertu  des  ordres 
du  pape,  l'archevêque  de  Bordeaux 
avait  légitimé  ce  fils,  et  le  roi  d'An- 
gleterre lui  avait  aussi  accordé  des 
lettres  de  légitimation  le  10  mai 
1232 ,  ce  qui  porterait  à  croire 
qu'Amabilis  du  Bois  aurait  été  la 
concubine  plutôt  que  la  femme  légi- 
time de  notre  guerrier  poitevin. 
Toujours  est-il  que  l'état  de  Raoul 
fut  contesté  plus  lard  ;  mais  ,  étant 
mort  sans  enfants,  les  biens  si  im- 
portants de  la  maison  de  Mauléon 
passèrent  dans  la  maison  deThouars, 
par  suite  du  mariage  de  Gui,  vicomte 
de  Thouars,  avec  Alice  de  Mauléon, 
sœur  aînée  de  Savari.  La  renommée 
de  celui-ci  était  si  grande,  que  c'était 
beaucoup,  dans  l'opinion  publique, 
de  lui  tenir  par  les  liens  du  sang. 
Aussi  son  autre  sœur,  Eustachie , 
dans  son  testament,  ne  manque  pas 
d'indiquer  qu'elle  est  la  sœur  de  ce 
personnage.  Si,  à  présent,  nous  ap- 
précions celui-ci,  nous  trouvons  en 
lui  un  des  troubadours  les  plus  mar- 
quants par  ses  poésies,  bien  que 
quelques  écrivains,  sous  ce  rapport, 
l'aient  jugé  sévèrement,  et  comme 
Ta  dit  l'auteur  de  sa  vie  manuscrite, 
en  examinant  les  productions  du 
maître  des  braves  et  du  chef  de  toute 
courtoisie,  on  ne  peut  s'empêcher 
d'y  reconnaître  un  véritable  talent 
poétique.  Né  et  ayant  habité  long- 
temps dans  des  pays  où  la  langue 


SAV 


189 


iVoil  était  l'idiome  parlé,  fixé  longues 
années  à  la  cour  d'Angleterre,  où  on 
se  servait  de  cet  idiome,  Savari  doit 
aussi  avoir  écrit  dans  cette  langue. 
Actuellement,  venons  à  l'apprécia- 
tion du  personnage  dont  on  vient  de 
dérouler  la  vieentière  et  si  peu  connue 
jusqu'ici.  Elle  fut  pleine  d'action  et 
degloire,  cette  existence  d'un  homme 
de  la  terre  du  Poitou  au  XIIF  siècle. 
Sans  doute,  tout  n'est  pas  à  louer 
dans  ce  qu'on  a  fait  connaître, et  ces 
changements  suecessifs  de  parti  ne 
sont  pas,  dans  cette  série  de  faits, 
ce  qui  doit  paraître  le  moins  extraor- 
dinaire. Cependant,  qu'on  songe  à 
ces  deux  qualités,  qui  alors  sem- 
blaient se  contredire,  qui  étaient 
souvent  même  en  opposition  for- 
melle, le  titre  de  Français  et  celui 
d'Aquitain  du  nord  ou  de  Poitevin. 
D'après  l'un,  on  se  rattachait  direc- 
tement à  la  France  et  aux  rois  de  la 
descendance  des  comtes  de  Paris,  et 
par  l'autre  on  tenait  comme  légi- 
times souverains,  sauf  l'hommage  de 
ceux-ci  à  la  couronne  de  France,  les 
descendants  d'Aliénor  d'Aquitaine, 

à  savoir  les  Plantagenets Sans 

doute  Mauléon  lut  un  véritable 
pirate,  dévastant  et  spoliant  les 
pays  contre  lesquels  il  combat- 
tait; mais  il  n'y  avait,  dans  cette 
conduite,  rien  de  contraire  aux  règles 
ordinaires  des  guerres  du  moyen-âge, 
bien  autrement  dévastatrices  que  les 
guerres  ordinaires  de  nos  jours.  En 
résumé,  on  trouve  dans  Savari  de 
Mauléon  le  poète,  l'homme  d'État, 
l'homme  de  guerre  sur  terre  et  sur 
mer  :  or,  quelle  capacité ,  quel  génie 
même  suppose  une  telle  réunion  de 
qualitésdiverses. Aussi  le  personnage 
dont  nous  venons  d'esquisser  la  vie, 
et  qui  influa  tellement,  en  France  et 
en  Angleterre,  sur  l'équilibre  social 
et  politique,  de  répoque  où  il  vécui, 


1<)0 


SAV 


SAY 


doit  il  être  considéré  k  juste  titre, 
malgré  ses  variations  si  multipliées, 
roinuie  une  des  gloiresde  son  siècle. 

F— T--E. 

SAV  AU  Y  (Jacques),  né  à  Caen 
cil  1007,  cultiva  la  poésie  latine  avec 
succès.  Encouragé  par  le  célèbre 
Huet,  son  compatriote,  il  composa  et 
publia  plusieurs  poèmes  sur  la 
chasse  du  lièvre,  du  renard  et  de  la 
louine;  du  cerf,  du  chevreuil,  du 
sanglier  et  du  loup^  et  un  autre  sur 
ies  règles  du  manège.  En  voici  les 
litres  :  I.  Album  Dianœ  leporicidœ^ 
sive  venationis  leporinœ  leges , 
Caen,  1055,  iu-12.  11.  Venatio  vul- 
pina  et  melina,  Caen,  1658,  in-i2. 
111.  Yenationis  cervinœ^  capreo- 
linœ,  aprugnœ  et  lupinœ  leges.  Caen, 
1659,  in-4o.  IV.  Album  Hipponœ, 
sive  Hippodromi  leges,  Caen,  1662, 
in-4°.  L'auteur  a  eu  soin  de  traduire 
en  marge  les  termes  de  vénerie  et 
d'équitation  que  les  lecteurs  com- 
prendraient difficilement  en  latin. 
Ces  poèmes,  où  il  y  a  de  l'invention 
et  qui  ne  manquent  pas  d'agrément, 
sont  très- rares  et  recherchés  des 
amateurs  de  poésie  didactique.  On  a 
encore  de  Savary  une  traduction  en 
vers  latins  de  VOdyssée  d'Homère  ^ 
les  Triomphes  de  Louis  Xi  F,  depuis 
son  avètument  à  la  couronne,  et  un 
volume  de  poésies  mêlées.  Ce  littéra- 
teur mourut  le  27  mars  1070.  — 
Savary  {Jacques)^  médecin  de  la 
marine  à  Brest,  est  auteur  de  plu- 
sieurs Mémoires  qu*on  trouve  dans 
la  Collection  académique,  et  d'une 
lettre  sur  le  Grand  Vocabulaire 
français,  insérée  dans  le  Journal 
des  savants  de  janvier  1768.  Il  a  tra- 
duit de  l'angiais  :  1.  Traité  du  scor- 
but de  Lind,  Paris,  1756,  2  vol. 
m-i2.  II.  Essai  sur  l'hydropisie  et 
nés  différentes  espèces,  par  Mouro 
le  fils,  avec  des  notes  et  des  obser- 


vations, Paris,  1760,  in-12.  Savary 
mourut  en  1768.  P— rï 

SAVAIIY  (Daniel),  contre-amiral 
français,  était  né  à  Salles,  près  La 
Rochelle  ,  d'une  bonne  famille  de  la 
province  d'Aunis,  le  1"  février  1743. 
Resté  orphelin  à  l'âge  de  quatre  ans, 
il  fut  élevé  par  un  de  ses  oncles. 
Une  vocation  irrésistible  l'entraînant 
vers  la  carrière  maritime,  il  alla 
s'embarquer  à  Rochefort,k  peine  ses 
premières  études  terminées,  comme 
pilotin  à  bord  d'un  navire  de  com- 
merce, qui  partait  pour  Saint-Do- 
mingue. A  son  retour,  la  France  était 
en  guerre  avec  l'Angleterre,  et  il 
demanda  de  servir  dans  la  marine 
royale,  en  qualité  de  volontaire*,  ce 
qui  lui  fut  accordé.  Après  la  paix  de 
1763,  il  rentra  dans  la  marine  mar- 
chande, et  durant  cinq  ans  il  navigua 
pour  le  compte  de  la  Compagnie  des 
Indes,  comme  lieutenant  et  second 
capitaine.  Plusieurs  voyages  de 
long  cours  en  Amérique,  aux  Indes 
et  en  Chine  lui  firent  acquérir  une 
connaissance  pratique  et  étendue  de 
la  navigation.  En  1780,  alors  que  la 
gtierre  de  Louis  XVI  contre  les  An- 
glais  était  dans  toute  sa  vigueur,  il 
fut  admis,  avec  le  grade  d'enseigne 
auxiliaire,  sur  les  navires  du  roi, 
malgré  les  obstacles  qui  existaient 
à  cette  époque  pour  tous  ceux  qui 
n'étaient  pas  nobles;  mais  il  y  avait 
cette  bonne  coutume,  qu'en  temps 
de  guerre  on  prenait  dans  le  com- 
merce les  marins  les  plus  habiles, 
qui  connaissaient  par  expérience  les 
lointains  parages;  c'était  ce  qu'on 
appelait  les  officiers  bleus;  aux  gen- 
tilshommes seuls  était  réservé  le  ti- 
tre d'officier  rouge.  Cette  distinc- 
tion amena  ciêute  des  rivalités  dont 
l'ennemi  profita  plus  d'une  fois.  Em- 
barqué sur  VAjax ,  Savary  servit 
dans  rinde  sous  le  bailli  de  Snflfren, 


SAV 

ei  prit  part  à  tous  les  combats  que  les 
escadres  françaises  eurent  à  soute- 
nir contre  l'amiral  Hughes.  Griève- 
ment blessé  devant  Sadras  pn  1782, 
cela  ne  J'empêcha  pas,  peu  de  temps 
après,  de  solliciter  la  faveur  de  faire 
partie  des  détachements  envoyés  à 
terre  ,  au  siège  de  Trinquemale. 
Chargé  du  commandement  d'une 
batterie,  il  fit  capituler  le  fort  d'Os- 
tembourg  et  assista  ensuite  au  com- 
bat de  Goudelour  (20  juin  1783),  sur 
le  Saint-Michel.  Rentré  à  Rochefort 
en  1784,  il  ne  put  s'habiluer  au 
repos  que  lui  laissait  la  paix-,  et  il 
accepta  les  offres  d'un  armateur  de 
La  Rochelle  qui  lui  proposait  le 
commandement  d'un  navire  destiné 
pour  les  Indes.  Au  retour  de  ce 
voyage,  Suffren,  qui  n'avait  pas  ou- 
blié ses  bons  services,  le  fit  nommer 
lieutenant  de  vaisseau  (1"  mai  1786). 
II  alla  ensuite  faire  dans  les  mers  de 
rinde  un  voyage  après  lequel  il  ob- 
tint la  croix  de  Sainl-Louis  ;i788).  La 
révolution  lui  donua  bientôt  un 
avancement  plus  rapide  encore.  En 
1791,  il  était  lieutenant  eu  pied  sur 
la  Néréide,  à  Rochefort,  lorsque 
cette  frégate  reçut  mission  de  traus- 
porter  des  troupes  à  Sainî-Do.Jiin- 
gue.  Assaillie  sous  les  Açores  par 
une  terrible  tempête,  elle  cta.l  per- 
due, et  déjà  l'équipage  entier  avait 
abandonné  les  travaux,  pour  im- 
plorer le  secuurs  dv  ciel;  Savary  par- 
vient à  ranimer  les  esprits,  et,  diri- 
geant le  sauvetage  avec  une  a-livilé 
indicible, il  a  le  bonheur  de  voir  ses  ef- 
forts couronnes  de  succès. Cette  belle 
action  lui  valut  le  commandement 
d'une  autre  frégaie,  ia  Capricieuse. 
destinée  à  la  même  niiSMuu.  Il  l'ac- 
compiit  sans  accident  et  lut  chargé 
du  commandement  de  ia  station  de 
Saiut-Luiiis,puis  ramena  en  France  le 
malheureux  Blauchelande,  qu'il  fut 


SAV 


191 


forcé  de  remettre  dans  les  mains 
des  autorités  de  Rochefort.  En  jan- 
vier 1793,  nommé  capitaine  de  vais- 
seau, il  fut  envoyé  dans  la  rivière  de 
Nantes  ,  afin  d*y  prendre  sous  son 
escorte  un  convoi  destiné  pour  les 
Antilles.  Alors  éclataient  les  pre- 
miers troubles  de  la  Vendée;  il  les 
réprima  de  son  propre  mouvement, 
sur  le  littoral  du  tleuve  et  spéciale- 
ment à  Saint-Nazaire,  Paimbœuf  et 
Nantes.  Le  ministre  de  la  marine, 
Monge,  l'en  félicita  et  lui  donna  l'or- 
dre de  rester  à  l'embouchure  de  la 
Loire  avec  sa  frégate.  U  s'établit 
à  terre  avec  son  état  -  major  et 
une  partie  de  son  équipage,  pour 
faire  une  guerre  acharnée  aux  in- 
surgés. La  Convention,  instruite  de 
son  zèle,  décréta  «  que  le  citoyen 
Savary  avait  bien  mérité  de  la 
patrie.  »  En  septembre  1793,  il  fut 
nommé  au  commandement  du  vais- 
seau Lepelletier,  et  pendant  cinq 
mois  il  commanda  la  division  navale 
en  rade  de  l'île  d'Aix.  On  sait  la 
malheureuse  organisation  de  la  ma- 
rine française  durant  la  république: 
chaqne  vaisseau  otait  devenu  un 
club  où  les  matelots  dominaient  en 
maîtres  absolus,  n'exécutant  plus  les 
or  1res  des  officiers,  les  chassant 
même  selon  leur  bou  plaisir.  On 
pourrait  dire  que  ce  fut  une  des 
principales  causes  des  désastres  de 
notre  marine  à  cette  éj.oqiie.  Jamais 
pareille  insubordination  ne  se  vit 
sous  ie  commandement  de  Sava- 
ry; il  sut  toujours  maintenir  les 
équipages  dans  une  sévère  disci- 
pline. Plus  dune  fois,  il  parut  sur  le 
pont,  l'epée  à  la  main,  pour  faire 
rentrer  dans  le  devoir  les.  matelots 
mutinés.  Une  semblable  lermeté , 
dans  les  circonsiauces  où  l'on  se 
trouvait ,  devait  être  mal  inter- 
prétée ;  aussi  le  dénonça-t-on  a  U 


19? 


SAV 


SAV 


sodo.ié  populaire  de  i  Rochefort , 
comme  ennemi  de  l'égalité.  Soinm(^ 
(le  comparaître  devant  elle,  il  donna 
lecture  ,  pour  toute  défense ,  du 
règlement  de  bord,  et  plusieurs  té- 
moins ayant  déposé  en  sa  faveur, 
les  membres  de  cette  singulière  juri- 
diction le  renvoyèrent  en  le  notant 
ainsi  :  Bon  patriote,  talents  distin- 
gués. Toutefois  le  ministre ,  dans 
son  intérêt,  crut  devoir  le  faire  chan- 
i;cr  de  résidence;  il  partit  pour 
Toulon  où  il  prit  le  commandement 
(le  la  Victoire  qui  fit  partie ,  en 
1795  ,  de  l'escadre  de  Tamiral  Mar- 
tin, dans  la  Méditerranée.  Ilinon- 
tait  ce  vaisseau  dans  le  fameux  com- 
bat du  Ça  2ra.  Entouré  de  trois  vais- 
seaux anglais,  il  sut,  par  une  habile 
manœuvre,  résister  à  leurs  attaques, 
et,  plus  heureux  que  le  Censeur  et  le 
Ça  ira^  échapper  à  une  destruction 
inévitable.  Il  tira,  dans  l'espace  de  six 
heures,  2,060  coups  de  canon.Nommé 
chef  de  division  en  mars  1796,  il  com- 
manda en  t798  l'expédition  navale, 
composée  de  trois  frégates  et  une 
corvette,  chargée  de  conduire  en  Ir- 
lande le  corps  du  général  Humbert. 
Parti  de  Rochefort  sur  la  Concorde  ^ 
le  6  août,  il  passa  à  travers  les  croi- 
sières anglaises  et  débarqua,  quinze 
jours  après ,  les  troupes  saines  et 
sauves  à  Killala.  Bientôt  de  retour 
à  Rochefort,  on  le  chargea  de  mener 
encore  en  Irlande  un  nouveau  corps 
pour  renforcer  le  premier  ;  et  il 
parvint  une  seconde  fois  à  toucher 
les  côtes  de  ce  pays,  sans  avoir  couru 
aucun  danger  ^  mais,  en  apprenant  la 
capitulation  du  général  Humbert  et 
la  capture  de  Bompart  par  les  An- 
glais, il  crut  prudent  de  se  retirer 
sans  débarquer  les  troupes.  A  la 
sortie  du  golfe  de  Higo,  il  trouve  k 
sa  face  l'escadre  du  Commodore 
Warren  qui  hii    iiarre  le   passage; 


celui-ci  le  croit  déjà  en  son  pou- 
voir comme  Bompart;,  mais  Savary 
l'attaque  à  Timproviste,  démâte  un 
de  ses  vaisseaux,  coupe  sa  ligne,  ré- 
pétant ainsi  un  des  glorieux  faits 
d'armes  de  JcanBart,  et  au  milieu  de 
la  confusion  que  jette  parmi  l'ennemi 
une  manœuvre  aussi  inattendue,  il 
se  soustrait  à  une  perte  certaine.  Les 
Anglais  le  poursuivirent  sans  pouvoir 
l'atteindre,  et  il  rentra  triomphale- 
ment a  Rochefort  avec  sa  petite  esca- 
drille. Depuis  cette  époque  jusqu'à  la 
paix  d'Amiens,  on  lui  confia  divers 
commandements,  entre  autres  celui 
de  0  vaisseaux  stationnés  en  rade  de 
l'île  d'Aix.  A  la  fin  de  1801,  il  eut  sous 
ses  ordres  une  division  de  l'escadre  de 
Latouche-Tréville,  qui  s'armait  à  Ro- 
chefort, pour  agir  de  concert  avec 
celles  de  Brest,  sous  Villaret-Joyeuse, 
et  de  Toulon,  sous  Gantheaume,  tou- 
tes trois  destinées  à  l'expédition  de 
Saint  -  Domingue  dans  laquelle  il 
monta  le  Héros.  Ce  fut  lui  qui 
amena  en  France  Toussaint-Louver- 
ture,  enlevé  de  vive  force  par  le 
général  Leclerc  au  milieu  d'un  ban- 
quet. Le  premier  consul  le  nomma 
alors  contre-amiral,  en  récompense 
du  zèle  qu'il  avait  montré  dans  cette 
fatale  expédition,  puis  il  l'envoya  au 
camp  de  Boulogne  commander  l'une 
des  trois  grandes  divisions  de  la 
flottille.  Lorsque  l'empereur  aban- 
donna définitivement  sa  malencon- 
treuse idée  d'un  débarquement  en 
Angleterre,  Savary,  déjà  souffrant, 
obtint  un  congé  ;  une  maladie  mor- 
telle s'empara  de  lui,  et  il  expira  à 
Mauzé (Deux-Sèvres),  le  21  novembre 
1808],  laissant  la  renommée  d'un 
homme  de  mer  distingué.  Sans  avoir 
la  capacité  de  conduire  une  armée 
navale,  il  excellait  dans  le  coonman- 
dement  d'un  vaisseau  et  d'une  petite 
division.  Sa  man(e«ivre  étaitprompte. 


SAV 

hardie,  téméraire  même,  et  jamais, 
chose  assez  rare  alors,  dans  la 
marine  surtout,  il  ne  subit  d'e'chec 
et  ne  plia  sons  l'ennemi,  échappant 
toujours,  avec  une  dextérité  merveil- 
leuse, aux  périls  les  plus  imminents. 
Il  était  commandant  de  la  Légion- 
d'Honneur  depuis  la  création  de  cet 
ordre.  Ses  trois  iils  occupent  un  rang 
distingué  dans  la  marine,  l'armée  et 
la  magistrature.  C— h— n. 

SAVARY  (Louis-Jacques)  était 
avocat  à  Évreux,  lorsqu'il  fut  élu  dé- 
puté de  l'Eure  à  la  Convention  natio- 
nale ;  il  y  vota  pour  la  détention  de 
Louis  XVI  jusqu'à  la  paix,  et  pour 
la  sanction  par  le  peuple,  sauf  les 
mesures  à  prendre  en  cas  d'invasion 
du  territoire  français.  Il  vota  aussi 
en  faveur  du  sursis  à  l'exécution. 
Très  -  opposé  aux  violences  de  la 
Montagne,  il  signa  contre  la  tyrannie 
de  ce  parti  la  protestation  du  6  juin 
1793,  ce  qui  !e  fit  décréter  d'accusa- 
tion ,  puis  mettre  hors  la  loi.  Le  9 
thermidor  ne  pouvait  manquer  de 
lui  être  favorable,  lui  qui  s'était  tou- 
jours montré  modéré,  même  sons  la 
Terreur  ;  le  décret  qui  le  frappait  fut 
révoqué,et  en  juillet  1795  il  devint  se- 
crétaire de  l'assemblée. Il  prit  ensuite 
part  à  la  discussion  de  l'acte  consti- 
tutionnel, et  présenta  un  rapport  sur 
les  abus  qu'entraînait  le  discrédit 
du  papier -monnaie.  En  avril  suivant, 
il  fut  envoyé  dans  la  Belgique  avec 
Lefebvre.  Ayant  passé  au  conseil  des 
Cinq-Cents  à  la  fin  de  la  session,  il 
donna  sa  démisj^ion  le  4  novembre 
1796,  puis  devint  commissaire  près 
l'administration  desondépartement. 
En  mars  1799,  il  fut  réélu  député 
aux  Cinq-Cents,  où  il  se  montra  op- 
posé à  la  crise  du  30  prairial,  et  au 
mois  de  décembre  il  fit  partie  du 
corps  législatif.  Après  lel8 brumaire 
»l  avait  adressé  une  lettre  à  ses  com- 

LXXXI. 


SAV  19S 

mettants,dans  laquelle  il  disait  :  «La 
constitution  de  l'an  III ,  violée  en 
fructidor  an  V,  en  floréal  an  VI,  en 
prairial  an  VII,  n'était  plus  qu'un 
faible  roseau  qui  pliait  dans  tous  les 
sens  et  à  tous  les  vents  ;  des  mains 
pures,  guidées  par  l'expérience  qui 
nous  manquait  en  l'an  III,  vont  re- 
construire cet  édifice  usé  dès  sa  nais- 
sance. »  En  janvier  1800  il  dévelop- 
pa ces  mêmes  principes,  préten- 
dant encore  que  la  révolution  du 
18  brumaire  avait  été  nécessitée  par 
les  nombreux  défauts  de  l'ancienne 
constitution.  H  resta  membre  du 
corps  législatif  après  son  premier 
renouvellement  en  mars  1802.  Au 
mois  d'août  1804,  il  fut  élu  candidat 
au  sénat  conservateur  par  le  collège 
électoral  de  son  département,  et 
nommé  presque  en  même  temps 
chancelier  de  la  14e  cohorte  de  la 
Légion-d'Honneur,  place  qu'il  con- 
serva jusqu'à  la  fin  de  1815.  La  loi 
sur  les  régicides  ne  l'atteignant  pas, 
puisqu'il  n'avait  point  voté  la  mort 
de  Louis  XVI ,  il  put  rester  dans  sa 
patrie  ;  seulement ,  on  ne  le  vit  plus 
exercer  aucune  fonction  publique,  et 
il  mourut  à  Évreux  dans  un  âge 
avancé.  M— Dj. 

SAVARY  (  Jean-Julien-Marie  ) , 
frère  du  savant  voyageur  et  orienta- 
liste {voy.  Savary,  XL,  509)  (l),  na- 
quit à  Vitré  le  18  novembre  1753,  et 
mourut  à  Paris,  âgé  de  86  ans,  le 
27  décembre  1839.  Après  avoir  fait 
ses  études  à  Rennes,  il  fut  reçu  avo- 
cat au  parlement  de  Paris  en  1780. 
C'était  à  l'époque  où  son  frère  par- 
courait les  îles  de  la  Grèce  et  allait 
visiter  l'Egypte.  Savary,  qui  habi- 
tait l'Anjou,  fut  élu  président  du  tri- 


(i)  C'est  à  tort  qu'il  est  désigné  dans  cet 
article  par  le  prénom^  de  Nicolas  i  ses  pré- 
Qoras  étaient  Claude-Etienne, 

13 


194 


SAV 


bunal  (le  district  deCholIel  à  la  lin 
de  1790,  et  conserva  cette  fonction 
jusqu'au  mois  de  mars  1793,  date  du 
soulèvement  de  cette  partie  des  dé- 
partements de  rOuesî.  Membre  du 
conseil-général  du  département  de 
Maine-et-Loire  et  réfugié  à  Sau- 
mur  avec  plusieurs  des  fonctionnaires 
publics  échappés  au  massacre,  il  fut 
nommé  l'un  des  commissaires  civils 
chargés  d'organiser  les  moyens  les 
plus  efficaces  de  résister  à  l'insur- 
rection chaque  jour  devenue  plus 
redoutable.  Cette  mission  fit  hon- 
neur à  Savary  ^  il  rendit  beau- 
coup de  services,  parce  que,  à  une 
grande  connaissance  du  pays  et  du 
genre  tout  particulier  des  popu- 
lations, il  joignait  l'humanité  et  une 
grande  fermeté  de  caractère  Aussi 
le  général  Caudaux,  qui  ne  tarda  pas 
à  l'apprécier,  s'empressa  t-il  de  l'ap- 
peler à  son  état-major  et  de  l'attacher 
au  général  Kléber:  ils  se  réunirent 
à  plusieurs  autres  généraux  de  la 
même  armée  pour  faire  nommer  Sa- 
vary adjudant-général  chef  de  bri- 
gade, le  5  novembre  1793.  Comme 
récompense  du  bien  qu'il  avait  fait 
ou  auquel  il  avait  contribué,  le  dé- 
partement de  Maine-et-Loire  le 
députa,  en  octobre  1795,  au  conseil 
des  Cinq-Cents.  Sa  carrière  législa- 
tive présente  de  nombreux  travaux 
dont  la  simple  nomenclature  occupe 
dans  les  Tables  du  Moniteur  l'équi- 
valent de  plus  de  deux  pages  in-S». 
Tantôt  comme  rapporteur,  tantôt 
comme  simple  orateur,  Savary  ne 
cessa  de  s'occuper  des  moyens  les 
plus  propres  à  mettre  un  terme  aux 
troubles  qui  déchiraient  encore  les 
départements  de  l'Ouest.  Il  fit  ac- 
corder des  secours  aux  nombreux 
réfugiés  que  la  guerre  civile  avait 
chassés  de  leurs  foyers  ;  il  combat- 
tit la  peine  de  mort  appliquée  à  la 


SAV 

simple  désertion  ;  il  proposa  Tagran- 
dissement  du  Jardin-des-Plantes,  et 
réclama  de  promptes  mesures  pour 
prévenir  l'affaissement  menaçant  du 
Panthéon  ;  il  sollicita  en  faveur  des 
commissions  militaires  la  faculté 
de  diminuer  et  de  commuer,  dans  le 
cas  de  circonstances  atténuantes,  les 
peines  qu'elles  étaient  chargées  d'ap- 
pliquer ;  il  provoqua  un  rapport  sur 
la  police  des  cultes.  Les  impôts  in- 
directs, la  contribution  sur  le  sel, 
les  secours  à  accorder  aux  veuves  et 
aux  enfants  des  militaires  morts  en 
défendant  la  patrie,  terminèrent,  en 
l'an  VII,  sa  mission  de  membre  du 
conseil  des  Cinq-Cents,  oii  il  avait 
été  nommé  secrétaire  et  ensuite  pré- 
sident. Cette  même  année  (le  20  mai 
1799),  Savary  passa  au  conseil  des 
Anciens,  et  en  fut  secrétaire  :  il  y 
signala  sa  carrière  législative,  tou- 
jours active  et  honorable,  en  faisant 
approuver  lacréation  de  légions  dans 
les  départements  de  l'Ouest,  afin  d-y 
rétablir  l'ordre  et  d'y  faire  cesser  le 
brigandage  et  les  massacres  Opposé 
au  coup  d'État,  dès  long-temps  pré- 
médité ,  de  ce  18  brumaire  (  9  no- 
vembre 1799)  qui  mit  la  France,  et 
bientôt  après  le  continent  presque 
entier  à  la  discrétion  du  général 
Bonaparte,  Savary  réclama  avec  rai- 
son contre  l'omission  très- volontaire 
qui  avait  été  faite  de  son  nom,  comme 
de  plusieurs  autres,  dans  la  convo- 
cation des  députés  à  Saint-Cloud. 
Porté  d'abord  sur  une  liste  de  dépor- 
tation par  les  auteurs  du  ISbrumaire, 
il  ne  tarda  pas  à  être  rayé  de  cette 
odieuse  table  de  proscription.  Bien- 
tôt après,  exclu  par  un  autre  coup 
d'État,  il  ne  reparut  plus  dans  nos 
assemblées  politiques  :  il  fut  nommé 
sous-inspecteur  aux  revues  le  22  dé- 
cembre 1799,  et  en  cette  qualité  fit 
les  campagnes  d'Allemagne.  Au  mois 


SAV 

d'avril  1812,  Savary  devint  inspec- 
teur aux  revues ,  et  conserva  cette 
place  jusqu'à  la  fin  de  1815,  époque  à 
laquelle  il  obtint  sa  retraite.  Il  four- 
nit à  Garât  plusieurs  documents 
précieux  pour  l'Éloge  de  Kléber 
et  de  Desaix,  et  publia  en  6  vol.  in-8° 
(Paris,  Baudouin  frères,  1824)  une 
importante  collection  d'actes  et  de 
correspondances  ,  sous  le  titre  de 
Guerres  des  Vendéens  et  des  Chouans 
contre  la  République  française ,  ou 
Annales  des  départements  de  l'Ouest 
pendant  ces  guerres,  par  un  officier 
supérieur  des  armées  de  la  Répu- 
blique ,  habitant  dans  la  Vendée 
avant  les  troubles.  Cette  collection, 
où  l'on  trouve  les  actes  principaux 
des  deux  partis,  est  accompagnée 
d'observations  judicieuses  et  de  notes 
importantes.  L'auteur  dit  dans  sa 
préface  :  •  J'ai  lu  tous  les  écrits  qui 
«  ont  paru  sur  la  Vendée  et  la 
a  chouannerie;  je  les  ai  analysés, 
■  comparés  entre  eux ,  dans  l'espoir 

•  d'y  trouver  la  vérité  des  faits.  J'a- 
«  vais  pour  en  juger  le  triste  avan- 
«  tage  d'avoir  été  moi-même  témoin 
«  et  victime  des  déplorables  événe- 
«  ments  qui  ont  si  long-temps  dé- 
-  sole  les  départements  de  l'Ouest. 
«  J'ai  été  trompé  dans  mon  attente  : 

•  le  résultat  de  mes  recherches  m'a 
«  présenté,  au  lieu  de  la  vérité,  des 
«  faits  altérés  ou  dénaturés,  répétés 
«  par  les  écrivains  qui  se  sont  suc- 
«  cédé  ^  des  jugements  dictés  par  une 
«  aveugleprévention,enlin  une  foule 

•  d'erreurs  qui  n'échapperont  pas  à 

•  rimpariialité  de  l'histoire.  »  C'est 
d'après  ces  observations  très-fondées, 
ainsi  que  l'auteur  de  cet  article  a  pti 
s'en  convaincre  lui-même  sur  les 
lieux,  que  Savary  se  décida  à  donner, 
au  heu  d'une  histoire  qu'il  eût  fort 
bien  laite,  la  collection  qui  met  à 
portée  de  l'écrire,  et  d'après  laquelle 


SAV 


19S 


les  hommes  impartiaux  et  judicieux 
j)euv('nt  appreicieret  juger  la  Vendée 
et  la  chouannerie,  guerre  civile  épou- 
vantable qui  rappellera  aux  esprits 
attristés  ce  qu'avait  si  bien  dit  Mon- 
taigne :  a  Monstrueuse  guerre  !  Les 
autres  agissent  en  dehors;  cette-ci 
encore  contre  soi,  se  ronge  et  se  dé- 
fait par  son  propre  venin.  Elle  est  de 
nature  si  maligne  et  si  ruineuse , 
qu'elle  se  ruine  quant  et  quant  le 
reste,  et  se  déchire  et  se  dépêche  de 
rage.»  On  peut  juger  de  l'esprit  dans 
lequel  Savary  avait  envisagé  son  su- 
jet par  l'épigraphe  qu'il  avait  em- 
pruntée à  Tacite:  Domestica  mala 
tristitia  operienda  !  Calamités  do- 
mestiques dont,  en  effet,  il  faut  cou- 
vrir l'horreur  sous  un  voile  de  tris- 
tesse! L'auteur  était  membre,  dès 
1805,  de  l'Académie  celtique, devenue 
Société  des  antiquaires  de  France; 
il  le  devint  des  Académies  de  Leipzig 
etd'Erfurt,  ainsi  que  de  la  Société 
d'histoire  naturelle  de  Hanau.  Outre 
ses  Guerres  des  Vendéens  et  des 
Chouans,  il  est  auteur  des  deux  ou- 
vrages suivants:  I.  Mon  examen  de 
consciencesur  le  18  brumaire  anVlII, 
Paris,  1819,  in-8'',  brochure  adressée 
au  comte  Cornet,  pair  de  France, 
qui  avait  été  l'un  des  auteurs  de 
cette  journée  célèbre.  VEœamen  de 
Savary  jette  un  nouveau  jour  sur 
cette  affaire,  même  après  l'ouvrage 
de  Bigonnet.  II.  Étrennes  du  bon 
vieux  temps,  recueil  édifiant ,  par  le 
frère  Candide,  ignorantin,  Paris, 
1820,  in-18.  —  Le  fils  unique  de  Sa- 
vary (M.  Félix  Savary),  né  à  Paris  le 
4  octobre  1797,  est  membre  de  l'Aca- 
démie des  sciences  et  du  Bureau  des 
longitudes.  v      d— b— s. 

SAVARY  (  Anne -Jean  -  Marie- 
René),  duc  deRovigo,ai(le-de-camp, 
ministre  de  Napoléon,  et  l'un  de  ses 
serviteurs  les  plus  dévoués ,  fut ,  à 

13. 


196 


SAV 


nause  de  cela,  surnommé  ««on  Séide^ 
ou  le  Tristan  du  nouveau  Louis  XI, 
ce  qui  aurait  été  parfaitement  juste 
si  Bonaparte  se  (ut  toujours  montré 
aussi  cruel,  aussi  impitoyable  que  le 
despote -roi    du    XV®  siècle  \  mais 
comme  ce   n'est  que  dans  un  petit 
nombre  de  faits  qu*il  peut  lui  être 
comparé ,  l'histoire  doit  au  moins 
reconnaître  que,  dans  ces  occasions 
heureusement  rares,  le  ministre  delà 
police  impériale  ne  lit  point  défaut  à 
son  maître.  Savary  naquit  à  Marcq, 
près  de  Vouziers  ,  en  Champagne  , 
le  26 avril  1774; fils  d'un  major  delà 
place  de  Sedan,  qui,  appartenant  à  la 
classe  roturière,  était  devenu,  par 
une  exception  peu  commune,  che- 
valier de  Saint-Louis,  et  ce  qu'on 
appelait  alors  un  officier  de  fortune. 
Voué  dès  l'enfance  à  la  profession 
lies  armes ,  le  jeune  Savary  fit  ses 
études  en  qualité  d'élève  du  roi  au 
collège  de  Saint-Louis,  à  Metz,  et  il 
les  eut  à  peine  achevées,  que  la  Ré- 
volution lui  ouvrit  une  carrière  plus 
large,  plus  brillante  que  n'avait  été 
celle  de  son  père.  Il  entra  en  1790 
comme  cadet,  et  fut  presque  aussitôt 
sous-lieutenant  dans  le  régiment  de 
Royal-Normandie,  cavalerie,  qui  con- 
courut, sous  les  ordres  de  Bouille,  à  la 
répression   des  premières  émeutes 
révolutionnaires  parmi  les  troupes 
de  la  garnison  de  Nancy,  o\i  il  dé- 
ploya du   zèle  pour   la  discipline. 
Dans  d'autres  occasions,  il  se  montra 
encore  fort  opposé  aux  désordres  de 
la    révolution  ;    mais  il    n'émigra 
point,  comme  firent  la  plupart  des 
officiers    de     son    régiment.   Leur 
départ  ayant  favorisé  son  avance- 
ment, il  devint  capitaine,  et  fit  en 
cette  qualité  les  premières  campagnes 
de  cette  guerre  qui  devait  être  si 
longue,  si  meurtrière,  et  qui  allait 
îe  conduire  à  une  si  haute  fortune  ! 


SAV 

Après  avoir  été  pendant   quelques 
jours  officier  d'ordonnance  à  Tétat- 
major  de  Custine,  il  vint  k  Paris  lors 
du  procès  de  ce  général.  On  a  dit 
que  ce  fut  pour  se  justifier;  cepen- 
dant il   n'y  figura  point  ostensible- 
ment, et  il  est  resté  sur  ce  fait  quel- 
que chose  de  mystérieux  que  nous 
n'entreprendrons  pas  d'éclaircir.  Ce 
qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que,  dès  son  re- 
tour à  l'armée,  il  y  fut  officier  d'or- 
donnance du  nouveau    général    en 
chef,  Pichegru,  puis  de  Moreau,  son 
successeur,  et  qu'il  se  distingua  dans 
plusieurs  occasions,  notamment  au 
passage  du  Rhin,àFriedberg,etdans 
la  mémorable  retraite  de  Bavière  en 
1796,  ce  qui  le  fit  nommer  chef  d'es- 
cadron.   S'étant    dès  lors  lié  avec 
Desaix,  qui  était  adjudant-général, 
il  devint  son  adjoint ,  puis  son  aide- 
de-camp,  et  se  rendit  avec  luiàParis, 
après  le  traité  de  Campo-Formio.  11 
l'accompagna  encore  dans  ses  tour- 
nées sur  les  côtes  de  l'Océan ,  où  i  1  s'a- 
gissait de  faire  croire  à  une  descente 
en  Angleterre  beaucoup  plus  que  de 
l'exécuier.L'expédition  d'Egypte,  qui 
était  plus  sérieuse,  fut  entreprise  l'an- 
née suivante  (1798),  sous  les  ordres 
de  Bonaparte,  et  Desaix,  qui  s'était 
intimement  lié  avec  ce  général,  se 
montra  fort  empressé  de  le  suivre. 
On  sait  avec  quelle  fermeté,  quelle 
constance  il  combattit  pendant  plus 
d'un  an  les  Arabes  et  les  Mamelucks 
dans  les  déserts  de  la  Syrie  et  de  la 
haute  Egypte.   Savary  ne  le  quitta 
pas  dansées  glorieuses  expéditions, 
et  tous  deux  revinrent  en  France 
après  le  traité  d'El-Arisch,  au  com- 
mencement de  l'année  1800.  Ils  dé- 
barquèrentauportdeToulon,lorsque 
Bonaparte,  devenu  premier  consul, 
allait  envahir  une  seconde  fois  l'Ita- 
lie, et  ils  le  rejoignirent  sur  le  champ 
de  bataille  de  Marengo,  où    Desaix 


SAV 

reçut  k  l'instant  même  un  comman- 
dement, et  mourut  glorieusement  h. 
la  tête  de  sa  division.  Savary  était  à 
ses  côtes,  et  il    porta  cette  triste 
nouvelle  au  premier  consul,  qui  le 
nomma  aussitôt  son  aide-de-camp, 
et  l'attacha  pour  toujours  à  sa  for- 
tune. On  sait  qu'une   des  circons- 
tances les  plus  remarquables  de  cette 
bataille  de  Marengo  est  la  brillante 
charge  de  cavalerie ,  exécutée  si  à 
propos,  et  d'une  manière  si  décisive, 
par  Kellermann ,  qui ,  ne   voulant 
partager  avec  aucun  autre  l'honneur 
d'un  tel  exploit,  a  déclaré  formelle- 
ment qu'il  en  avait  tout  seul  conçu 
la  pensée,  et  qu'aucun  ordre  ne  lui 
en  avait  été  donné  ;  mais  le  duc  de 
Rovigo  a  repoussé  cette  prétention, 
déclarant  que  lui  même  avait  porté 
l'ordre  de  cette  charge  à  Kellermann 
de  la  part  du  premier  consul.  Ces 
assertions  contradictoires  ont  donné 
lieu   à    beaucoup   de   controverses 
(voy.  Kellermann,  LXVin,  465),  et 
il  est  assez  difficile  aujourd'hui  de 
prononcer  avec    quelque  certitude 
sur  cette  grave  question.  Quoi  qu'il 
en  soit,  \?.  nouvel  aide-de-camp  jouit 
dès  ce  moment  de  la  plus  haute  fa- 
veur auprès  du  premier  consul.  Il 
vint  avec  lui  dans  la  capitale,  et  fut 
un  de  ses  confidents  les  plus  intimes. 
Chargé  des  missions  les  plus  secrètes, 
les  plus  importantes,  il  se  rendit  suc- 
cessivement k  Tours  pour  l'affaire  de 
Clément  de  Ris ,  à  la  falaise  de  Be- 
ville   pour  celle  de  Georges  et  de 
Pichegru,  enfin  partout  où  il  y  eut  à 
poursuivre,  à  déjouer  des  complots 
politiques.    C'est    pour     ce   motif 
qu'on  le  fit  chef  de  la  gendarmerie 
d'élite,  espèce  de  cohorte  prétorienne 
ou  de  corps  de  janissaires  spéciale- 
ment consacré  à  la  garde,  à  la  sûreté 
du  consul  et  à  l'exécution  de  ses 
ordres  secrets.   Savary  dirigea  en 


SAV 


19T 


même  temps  un  bureau  de  police  ou 
de  contre-police  militaire,  destiné  à 
surveiller,   à   contrôler  toutes   les 
autres.  H  eut  de  nombreux  agents 
qui   opérèrent  les  arrestations,  et 
même ,  a-t-on  dit ,  quelquefois  les 
exécutions  clandestines.  Ce  fut  sur- 
tout dans  les  malheureuses  affaires 
de  Pichegru,  de  Georges  Cadoudal, 
du  capitaine  Wright  et  du  ducd'En- 
ghien,  que  se  montra  le  zèle  homi- 
cide, le  dévouement  sans  bornes  du 
nouveau  Tristan.  Comme  ce  dernieï 
fait  est  un  des  plus  iniques,  des 
moins  excusés  de  cette  époque,  Sa- 
vary s'en  est  défendu  avec  plusd'in- 
sistance,  et  il  a  cherché  à  en  rejeter 
le  blâme  sur  d'autres,  principalement 
sur  Hullin  et  Talleyrand.  Ce  dernier, 
selon  son  usage,  n'a  point  répondu; 
mais  il  n'en  a  pas  été  de  même  du 
président  de  la  commission,  qui,  dans 
une  réfutation  des  Mémoires  du  duc 
de  Rovigo ,    intitulée   Explication 
offerte  aux  hommes  impartiaux ,  a 
ainsi  rapporté  les  faits  :  =  A  peine  le 

•  jugement  fut-il   prononcé,  que  je* 
«  me  mis  à  écrire  une  lettre  dans  la- 

«  quelle,  me  rendant  en  cela  l'inter- 

•  prête  du  vœu  unanime  de  la  com- 
«  mission,  j'écrivais  au  premier con- 
«  sul   pour  lui  faire  part  du  désir 

•  qu'avait  témoigné  le  prince  d'avoir 
«  une  entrevue  avec  lui ,  et  aussi 
«  pour  le  conjurer  de  remettre  une 
«  peine  que  la  rigueur  de  la  loi  ne 
«  nous  avait  pas  permis  d'éluder. 
«  C'est  k  cet  instant  qu'un  homme 
«  qui  s'était  constamment  tenu  dans 
«  la  salle  du  conseil,  et  que  je  nom- 
«  merais  k  l'instant  si  je  ne  réflé- 
«  chissais  que,  même  en  me  défen- 
«  dant ,  il  ne  me  convient  pas  d'ac- 

«  cuser —  Que   faites-vous  là? 

«  me  dit-il,  en  s'approchant  de  moi. 
«  —  J'écris  au  premier  consul,  lui 
.  répondig-je.  pour  lui  exprimer  le 


198 


SAV 


•  vœu  du  conseil  et  celui  du  con- 

•  damné.  —  Votre  affaire  est  finie, 
«  me  dit-il,  en  reprenant  sa  place  : 

•  maintenant,  cela  me  regarde 

•  J'avoue  que  je  crus ,  et  plusieurs 
«  de  mes  collègues  avec  moi ,  qu'il 

•  voulait  dire  :    Cela  me  regarde 

•  d'avertir  le  premier  consul.  La 
«  réponse,  entendue  en  ce  sens,  nous 

•  laissait  l'espoir  que  l'avertissement 

•  n'en  serait  pas  moins  donné.  Je 
«  m'entretenais  de  ce  qui  venait  de 
«  se  passer,  sous  le  vestibule  con- 
«  tigu  à  la  salle  des  délibérations. 
«  Des  conversations  particulières s'é- 
«  taient  engagées  ;  j'attendais  ma 
«voiture,  qui,  n'ayant  pu  entrer 
«  dans  la  cour  intérieure,  non  plus 
«  que  celles  des  autres  membres, 
«  retarda  mon  départ  et  le  leur. 
«  Nous  étions  nous-mêmes  enfermés, 
«  sans  que  personne  pût  communi- 
«  quer  au  dehors,  lorsqu'une  explo- 

•  sion  se  fit  entendre. ..bruit  terrible 
«  qui  retentit  au  fond  de  nos  âmes 
«  et  les  glaça  de  terreur.  Oui,  je  le 
«  jure, au  nom  de  tous  mes  collègues, 
«  cette  exécution  ne  fut  point  auto- 
"  risée  par  nous.  Notre  jugement 
'  portait  qu'il  en  serait  envoyé  une 
«  expédition  au  ministre  de  la  guerre 
«  et  au  général  en  chef  gouverneur 
«  de  Paris.  L*ordre  d'exécution  ne 
«  pouvait  être  régulièrement  donné 
«  que  par  ce  dernier  ;  les  copies  n'é- 
»  taient  pas  encore  expédiées;  elles 
«  ne  pouvaient  pas  être  terminées 

•  avant  qu'une  partie  de  la  journée 
i  ne  fût  écoulée ,  et ,  entré  dans 
«  Paris,  j'aurais  été  trouver  le  gou- 
«  verneur,  le  premier  consul ,  que 
«  sais-je?...  Et  tout-à~coup  un  bruit 

•  affreux  vient  nous  révéler  que  le 
a  prince  n'existe  plus!  Nous  igno- 
«  rons  si  celui  qui  a  si  cruellement 
»  précipité  cette  exécution  funeste 
«  avait  deç  ordres;  s'il  n'en  avait 


SAV 

«point,  lui  seul  est  responsable; 
«  s'il  en  avait,  la  commission, étran- 
«  gère  à  ces  ordres,  la  commission 
«  tenue  en  charte  privée,  la  com- 
«  mission  dont  le  dernier  vœu  était 
«  pour  le  salut  du  prince,  n'a  pu  ni 
«  en  prévenir  ni  en  empêcher  l'effet. 
•  On  ne  peut  l'en  accuser.  »  Après 
de  tellesexplications,ilnesemblepas 
que  l'on  doive  conserver  le  moindre 
doute  sur  la  part  que  prit  réellement 
Savary  à  l'exécution  du  funeste 
arrêt;  et  si  ce  ne  fut  pas  lui  qui  fit 
creuser  la  fosse  avant  le  jugement , 
qui,  pour  mieux  assurer  les  coups, 
ordonna  qu'une  lanterne  fût  attachée 
à  la  poitrine  du  prince ,  il  est  au 
moins  bien  sûr  que  tout  cela  se  fit 
en  sa  présence  et  avec  son  appro- 
bation. Rien  ne  peut  l'absoudre  de 
pareils  torts,  si  ce  n'est  l'ordre 
qu'on  lui  en  aurait  donné  !  Et ,  en 
ce  cas,  que  doit-on  penser  des  tar- 
dives dénégations  de  Napoléon,  qui 
a  dit  à  Sainte  -  Hélène  que  si  l'on 
n'eût  pas,  à  son  insu,  précipité  l'exé- 
cution, il  aurait  fait  grâce?  Du  reste, 
dans  ses  Mémoires,  le  duc  de  Rovigo 
convient  de  beaucoup  de"  faits;  il 
se  reconnaît  pour  Vhomme  désigné 
par  Uullin,  qui  se  tint  constamment 
dans  la  salle  du  conseil,  disant 
que  ce  fut  pour  y  remplir  les  fonc- 
tions de  son  grade  et  exécuter  les 
ordres  qu'il  avait  reçus  ;  que  s'il  se 
plaça  très  -  près  des  juges ,  ce  fut 
pour  se  chauffer.....  Il  dénie  toute 
participation  à  la  mort  de  Pichegru 
et  à  celle  du  capitaine  Wright,  Mais 
ce  qui,  plus  que  tout  le  reste,  prouve 
qu'en  cela  Savary  ne  dit  pas  vrai , 
c'est  que  ce  fut  surtout  après  ces  fu- 
nestes événements  que  son  maître  le 
combla  de  toutes  sortes  de  bienfaits. 
Nommé  alors  général  de  brigade,  il 
fut  général  de  division  l'année  sui- 
vante, puis  sfr^nd  ofliitiOf  de  !a  lé 


J 


SAV 

gion-d'Hontieur,  et  en  même  temps 
charge'  des  affaires  de  police  les  plus 
secrètes,  enlin  de  tout  ce  qui  exigeait 
du  zèle  et  un  dévouement  absolu.  Il 
accompagna  Napoléon  dans  la  plu- 
part de  ses  voyages,  en  Belgique,  à 
Aix-la-Chapelle,  puis  dans  la  campa- 
gne d'Austerlitz.oii  il  fut  envoyé  deux 
fois,  avant  la  bataille,  à  l'empereur 
Alexandre,  dans  un  but  d'explora- 
tion beaucoup  plus  que  dans  de  vé- 
ritables intentions  de  paix.  Ensuite 
il  reconduisit  l'empereur  d'Autriche 
dans  son  camp  après  la  fameuse  confé- 
rence au  bivouac  de  Napoléon.  Lors- 
que l'armée  russe  eut  effectué  sa 
retraite,  Napoléon,  le  chargea  d'aller 
diriger  le  siège  de  Hameln ,  seule 
place  qui  tînt  encore  pour  les  alliés 
en  Allemagne,  et  qui  succomba  dès 
qu'elle  désespéra  d'être  secourue. 
Alors  Savary  revint  en  France  avec 
Napoléon,  et  il  s'y  livra  avec  un  nou- 
veau zèle  à  ses  fonctions  de  police, 
qui  devinrent  d'autant  plus  impor- 
tantes, que  Fouché  perdait  chaque 
jour  de  la  confiance  qu'il  avait  d'a- 
bord inspirée,  et  qu'en  sa  qualité  de 
militaire,  l'aide -de -camp  pouvait 
remplir  beaucoup  de  missions  hors 
de  la  sphère  de  l'oratorien  conven- 
tionnel. Ainsi,il  avait  l'avantage  très- 
grand  d'accompagner  son  maître  à 
la  guerre,  et  il  le  suivit  en  1806 
dans  la  campagne  de  Prusse,  à  la- 
quelle il  prit  une  part  assez  brillante. 
Après  les  meurtrières  affaires  de  Pul- 
tusk  et  de  Golymin ,  il  commajida 
temporairement  le  corps  d'armée  du 
maréchal  Lannes,  tombé  malade^  ce 
qui  affligea  vivement  Suchet ,  dont 
l'ancienneté  aurait  dû  prévaloir.  Sa- 
vary conserva  ce  commandement  pen- 
dant le  reste  de  cette  mémorable 
campagne.  Après  la  bataille  d'Ey- 
iau,  il  fut  chargé  de  couvrir  la  po- 
sition de  Varsovie»  et  obtint   sur 


SAV 


199 


les  Russes  un  brillant  succès  ,  à 
Ostrolinka,  le  16  février  1806,  ce 
qui  lui  fit  accorder  le  grand-cordon 
de  la  Légion -d'Honneur,  avec  une 
pension  de  20,000  fr.  Les  victoi- 
res d'Heilsberg  et  de  Friedland, 
auxquelles  il  concourut  aussi  très- 
efficacement,  lui  valurent  le  titre  de 
duc  de  Rovigo.  Ou  peut  dire  qu'il 
en  était  alors  à  i'apogée  de  la  fa- 
veur, et  que  la  confiance  qu'avait  en 
lui  Sa  Majesté  impériale  était  sans  li- 
mites. Elle  lui  en  donna  une  nouvelle 
preuve  en  l'envoyant  aussitôt  après 
la  paix  de  Tilsitt  à  Kœnigsberg,  pour 
gouverner  la  vieille  Prusse;  puis  à 
St-Pétersbourg,  pour  suivre  l'exé- 
cution des  conditions  secrètes  du 
traité.  On  sait  que  l'une  des  plus 
importantes  de  ces  conditions  était 
relative  à  la  famille  des  Bourbons,  à 
qui  le  czar  Alexandre  avait  rendu 
l'asile  de  Mittau,  que,  dans  un  accès 
de  démence,  Paul  !«'  lui  avait  autre- 
fois ôté,  et  qu'elle  n'avait  pu  retrou- 
ver dans  les  états  du  roi  de  Prusse, 
où  la  haine  de  Napoléon  l'avait  en- 
core poursuivie.  Tout  ce  qu'avait  pu 
faire  la  cour  de  Berlin,  pour  éviter 
des  attentats  pareils  à  ceux  d'Etten- 
heim  ou  de  Varsovie  ,  avait  été 
d'avertir  secrètement  les  princes 
exilés.  Nous  ne  douions  pas  qu'A- 
lexandre, placé  par  les  conventions 
de  Tilsitt,  dans  une  position  à  peu 
près  semblable,  n'ait  eu  recours  au 
même  moyen  ;  et  quand  l'aide-de-  ^< 
camp  de  Napoléon  vint  le  sommer 
de  remplir  ses  promesses ,  il  lui 
annonça  leur  départ ,  exécuté  à  son 
insu,  dit -il,  ce  qui  était  peu  vrai- 
semblable, quoi  qu'en  ait  dit  Savary 
da'fts  ses  Mémoires^  publiés  vingt  ans 
plus  tard  en  présence  des  Bourbons, 
auxquels  il  s'efforçait  alors  de  faire 
oublier  le  passé.  Mais  la  haute  so- 
ciété de  Saint-Pctevî^bourg,  qui  avait 


500 


SAV 


très-bien  compris  les  motifs  de  sou 
arrivée,  et  qui  n'ignorait  rien  de  ce 
qui  s' était  fait  à  Vincennesjereçut 
fort  mal  partout  où  il  osa  se  pré- 
senter ;  rimpératrice  elle  -  même 
lui  demanda  malignement  si  son 
maître  allait  quelquefois  voir  jouer 
Ja  tragédie  de  Mérope!  Obligé  de 
dévorer  ces  affronts,  l'aide-de-camp 
impérial  venait  quelquefois  raconter 
ses  chagrins  à  son  amiCauiaincourt, 
récemment  arrivé  avec  le  titre  d'am- 
bassadeur. «  Je  sais  bien  la  cause  de 
«  tout  cela,  lui  dit- il  un  jour,  mais 
-  je  n'en  ai  point  de  regret,  et  si  c'é- 

•  tait  à  recommencer,  je  ne  ferais  pas 
«  autrement...,  même  pour  toi, mon 

•  cher  Caulaincourt.  Si  l'empereur 
«  m'ordonnait  demain  de  te  casser  la 
«  tête,  je  n'hésiterais  pas  un  instant.» 
Heureusement  pour  Caulaincourt , 
Napoléon  ne  mit  pas  son  aide-de- 
camp  à  une  telle  épreuve  ;  s'il  l'eût 
fait, nous  doutons  d'autant  moins  que 
Savary  ne  lui  eût  donné  cette  marque 
de  dévouement ,  que  nous  voyons 
dans  une  brochure  du  maréchal 
Grouchy,  imprimée  en  1829,  qu'il 
avait  dit  précisément  la  même 
chose  à  ce  général,  dans  le  palais  du 
prince  de  la  Paix,  à  Madrid,  en 
1808  (1)  ;  et,  d'ailleurs,  nous  tenons 
l'anecdote  de  Saint  -  Pétersbourg 
d'un  témoin  auriculaire,  d'un  convive 
de  l'ambassade,  dont  nous  ne  pou- 
vons  pas   soupçonner   la  véracité. 

>  On  conçoit  que  de  pareils  propos, 


(l)  *...•  Et  quel  dévouement,  dit  le  ma- 
te réchal  Grouchy,  en  s'adressant  au  duc  de 
«  Rovigo  dans  sa  l)rochurc,  que  celui  dont, 
«nouveau  Séide,  vous  donniez  si  bien  la 
«  mesure  en  me  disant  dans  le  palais  du 
«  prince  de  la  paix  à  Madrid,  que  si  l'em- 
«  pereur  voulait  se  défaire  de  mol,  vous 
«  n'hésiteriez  pas  un  instant  à  me  plonger 
«  un  poignard  dans  le  corps,  dussicz-vcus 
«  m'en  frapper  jjar  derrière,  ponr  être  plub 
«  sûr  de  remplir  ses  intenlions..»  » 


SAV 

iiiccssiunmenî  répétés,devaient  bien- 
tôt venir  aux  oreilles  de  l'empereur, 
et  qu'ils  ajoutaient  encore  k  la  fa- 
veur de   l'aidc-de-camp.    Lorsqu'il 
revint  à  Paris,  après  six  mois  de 
séjour  en  Russie,  le  duc  de  Rovigo 
reçut  de  son  maître  de  nouveaux  té- 
moignages de  satisfaction  auxquels, 
dit-il,  ilajoula  d'autant  plus  deprix 
que  ce  n'était  pas  trop  son  habitude. 
Nous  ne  concevons  pas  en  vérité  cette 
récrimination  de  la  part  de  Savary, 
comblé  de  tant  de  bienfaits,  couvert 
de  tant  de  titres,  grades  et  dotations; 
nous  le  concevons  d'autant  moins, 
que  la  confiance  de  l'empereur  en 
son  aide-de-camp  était  alors  au  plus 
haut  degré  ;  que  le  zèle  de  celui-ci 
semblait  augmenter  dans  la  même 
proportion.  IJne  occasion  se  présenta 
bientôt  de  le  déployer  d'une  manière 
plus  remarquable  encore,  ce  fut  l'in- 
vasion de  l'Espagne,  dès  long-temps 
méditée   par   Napoléon.    Jamais   il 
n'avait  eu  besoin  d'un  homme  pins 
dévoué,  plus  disposé  à  tout  faire,  k 
tout  oser  pour  obéir  k  son  maître. 
Dès  qu'il  fut  averti  des  événements 
d'Aranjuez  (2),  a  dit  Savary  lui-même 
dans  ses  Mémoires,  il  l'envoya  cher- 
cher, se  promena  avec  lui  dans  le 
parc  de  Saint-Cloud,  et  lui  dit  entre 
autres  choses  curieuses,  parlant  de  la 
dynastie  espagnole  :  «  Si  je  ne  peux 
«  m'arranger  ni  avec  le  père,  ni  avec 
o  le  fi\s,  je  ferai  maisonnette..,  »  Ce 
peu  de  mots  explique  assez  les  in- 
structions que  Napoléon  donna  a  son 
aide-de-camp,  en  lui  ordonnant  de 
partir  sur-le-champ    pour   Madrid  , 
où  le  grand-duc  de  Berg,  Murât,  se 
trouvait  déjà  à  la  tête  d'une  armée. 


(2)  C'étaient  les  événeraens  d'Aranjuez  qui 
avaient  amené  l'abdication  de  Charles  ÎV, 
ravénement  de  Ferdinand  Vil,  et  l'empri- 
sonnement de  Godov. 


SAV 

Savary  descendit  chez  lui,  et  dès  les 
premières  conversations  il  s'aperçut 
que  le  beau-trère  de  Napoléon  son- 
geait aux  «iffaires  d'Espagne  un  peu 
pour  lui  :  et  il  ajoute  à  cette  observa- 
tion maligneque  la  portée  d'espritdu 
personnage  n'était. pas  des  plus  éiten- 
dwes,  que  nos  premiers  malheurs  dans 
ce  pays  furent  dus  à  sa  légèreté,  à  ses 
folles  espérances,  enfin  qu'il  était  fort 
lié  avec  le  prince  de  la  Paix(Godoy), 
qu'ils  n'avaient  pas  moins  d'ambition 
l'un  que   l'autre,  etc.  11  vit  aussi, 
dès  son  arrivée ,  les  ducs  de  l'In- 
fantado,  San-Carlos  ,  Escoiquitz  et 
le  nouveau  roi  Ferdinand   VII ,   à 
qui  il  fut  présenté,  et  qu'il  prit  sur 
lui  de  qualifier  de  Majesté,  sans  y 
être  autorisé,  mais  par  pure  courtoi- 
sie, et  sans  doute  dans  l'intention  de 
lui  complaire  pour  arriver  à  ses  fins. 
11  prétend  dans  ses  Mémoires,  où  il 
donne  avec  raison  beaucoup  de  place 
à  cet  événement,  que  ce  fut  de  lui- 
même  et  en  quelque  façon  spontané- 
ment que  ce  prince  eut  la  pensée  de 
se  rendre  à  Bayonne  au  devant  de 
Napoléon,  lequel  il  l'assura  être  dis- 
posé à  venir  le  visiter  dans  sa  capitale. 
Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  Ferdi- 
nand Vil  partit  pour  Bayonne  dans 
un  moment  où  il  ne  pouvait  pas  y 
être  contraint,  et  qu'il  partit  accom- 
pagné de  ses  amis,  de  ses  plus  fidèles 
serviteurs  qui  ne  se  défièrent  pas 
plus  que  lui  du  piège  qui  leur  était 
tendu.  L'aide-de-camp  Savary,  qui 
sans  doute  en  savait  davantage,  prit 
place  dans  une  voiture  du  cortège 
royal  sous    prétexte  qu'étant  venu 
récemment  à  franc  étrier,  il   était 
fatigué.  Voici  comment  un  de  nos 
plusjudicieuxannalisles,  l'auteur  des 
Mémoirestirés  des  papiers  d'un  hom- 
me d'État^  a  rendu  compte  de   ce 
fatal  voyage  d'après  les  documents 
les  plus  authentiques.  «  Dans  toutes 


SAV 


201 


«  les  villes  où  passait  le  prince,  le 
«  peuple  alarmé  de  son  départ  en- 
«  tourait  sa  voiture  pour  l'empêcher 
«  d'aller  plus  loin 5  tous  lui  disaient 
«  de  ne  pas  se  fier  à  Napoléon.  Ar- 

•  rivé  à  Burgos,  Ferdinand  sembla 
«  hésiter  ;  mais  le  général  Savary 
«  fit  usage  de  toute  son  adresse  pour 
«  le  décider  à  poursuivre  jusqu'à 
«  Vitoria.  Alors,  se  séparant  du  mo- 
«  narque,  il  se  rendit  en  toute  hâte 
«  à  Bayonne,  pour  conférer  avec  son 

•  maître  sur  le  sort  de  son  prison - 
-  nier  qui  semblait  résolu  à  ne  pas 
«  quitter  Vitoria.  Savary  revint 
«  auprès  du  roi  avec  une  lettre  de 
«  Napoléon  qui  ne  donnait  à  Ferdi- 
«  nand  qu'une  espérance  bien  équi- 
«  voque   d'être  reconnu    pour  roi. 

•  Mais  toutes  les  ruses  furent  en- 
«  core  mises  en  usage  par  l'aide-de- 
«  camp  pour  faire  oublier  le  ton 
«  brusque  et  le  jargon  sentencieux 
«  de  son  maître  par  les  protesta- 
«  tions  de  l'intérêt  le  plus  sincère. 
«  Je  veux  qu'on  me  coupe  le  cou, 
«  disait-il  à  Ferdinand,  si  un  quart 
<»  d'heure  après  l'arrivée  de  votre 
«  majesté  à  Bayonne,  l'empereur  ne 
«  vous  a  pas  reconnu  roi  d'Espagne.» 

•  C'est  par  de  telles  assurances,  par 

•  tous  les  dehors  de  la  bonne  foi  et 
«  de  la  sincérité,  que  devait  se  con- 
«  sommer  la  plus  odieuse  trame... 
«  Le  roi  se  laissa  conduire  à  Bayonne. 
«  En  cas  de  refus,  il  devait  être 
«  enlevé  ;  les  troupes  françaises 
«  étaient  prêtes.  La  veille  du  départ, 
«  le  général  Savary,  en  sortant  de 
«  chez  "Ferdinand,  informa  par  un 
«  signe  un  aide-decamp  que,  ce 
«  prince  étant  décidé  à  le  suivre,  la 
a  violence  était  inutile.  Le  peuple  de 
«  Vitoria ,  le  voyant  monter  en  voi- 
«  ture  et  se  diriger  vers  la  France, 
«  en  vint  jusqu'à  couper  les  traits  de 
«  son  attelage,  et  à  menacer  Savary 


202 


SAV 


«  en  présence  des  troupes  françaises; 
•  mais  le  roi,  séduit  par  les  caresses 
«  de  ce  perfide  ministre,  fut  sourd 
«  aux  prières  ,  aux  avis  de  ses  ti- 
«  dèles  sujets,  et  il  courut  à  sa 
«  perte.  »  Il  y  a  plus  de  trente  ans 
que  tous  ces  détails  ont  été  ainsi  pu- 
bliés, et  aucune  circonstance  n'en  a 
été  démentie.  Le  duc  de  Rovigo  lui- 
même  en  a  rapporté  la  plus  grande 
partie  dans  ses  Mémoires;  il  y  a 
même  ajouté,  tout  en  les  expliquant 
à  sa  manière,  quelques  faits  qui  n'en 
sont  que  la  confirmation.  Ainsi,  à 
force  de  déceptions  et  de  promesses 
mensongères,  le  nouveau  roi  d'Espa- 
gne était  venu  se  livrer  lui-même 
aux  mains  de  Napoléon  ;  et,  quand 
fut  accompli  cet  odieux  guet-apens, 
il  n'y  eut  plus  qu'à  consommer  l'u- 
surpation qu'il  méditait  depuis  long- 
temps. Pour  cela  on  eut  besoin 
du  roi  Charles  IV,  qui  avait  bien 
réelle/nent  abdiqué  en  faveur  de 
son  fils  ,  mais  à  qui  l'on  persuada 
alors  qu'il  devait  reprendre  h  cou- 
ronne, afin  de  la  remettre  ensuite  à 
Napoléon  (voy.  Charles  iv,  LX,  468, 
et  Ferdinand  VII,  LXIV,  86).  On  le 
fit  donc  âu^si  venir  à  Bayonne  ainsi 
que  la  reine,  et  lorsque,  à  la  suite  de 
menaces  et  de  violences  inouïes,  en 
présence  de  Napoléon,  il  eut  repris 
la  couronne  pour  la  remettre  à  celui- 
ci,  ce  fut  encore  Savary  que  l'on 
chargea  d'aller  signifier  à  Ferdi- 
nand VU  que  la  maison  de  Bourbon 
avait  cessé  de  régner  en  Espagne, 
qu'elle  y  était  remplacée  par  celle 
de  l'empereur,  et  qu'il  devait  signer 
une  renonciation  tant  pour  lui  que 
pour  Us  princes  de  sa  famille.  On 
sait  que  le  jeune  roi  ne  signa  point 
cette  renonciation ,  qu'il  déploya 
dans  cette  occasion  le  plus  beau  ca- 
ractère, mais  qu'il  n'en  fut  pas 
moins  dépossédé  et  co»duit  prison- 


SAV 

nier  à  Valençay  avec  son  frère  don 
Carlos,  laniiis  que  Savary  retournait 
a  Madrid ,  où  Murât  étant  tombé 
malade,  il  prit  le  commandement 
des  troupes  et  se  trouva  placé  dans 
une  position  réellement  très  impor- 
tante, mais  de  beaucoup  au-dessus 
de  sa  capacité.  Devenu  le  centre  et 
en  quelque  façon  le  général  en  chef  de 
tous  les  corps  français  répandus  dans 
la  péninsule,  environné  partout  d'in- 
surrections, il  n'eut  ni  assez  de/orce 
ni  assez  d'habileté  pour  les  répri- 
mer. «D'ailleurs,  dit  l'auteur  des ijfe- 

•  moires  tirés  despapier  s  d'unhomme 
"d'État,  ni  lui  ni  l'erripereur  ne 
«  concevaient  ce  qu'était  et  ce  que 
«  pouvait   devenir   ou    exiger    une 

•  guerre  contre  des  peuples  généra- 
«  lement  insurgés^  il  perdit  tolale- 
«  ment  la  tête  et  ne  jugea  pas  com- 

•  bien  il  lui  restait  de  ressources 
«  avec  les  84  mille  hommes  dont  il 
«  pouvait  encore  disposer.  »  C'est 
dans  ce  temps-là  que  Junot  et  Dupont, 
si  imprudemment  compromis,  furent 
contraints  de  capituler,  que  d'autres 
insurrections  éclatèrent  sur  diffé- 
rent points,  et  que  d'autres  échecs 
semblèrent  imminents.  Joseph  Bona- 
parte arriva  enfin  pour  prendre 
possession  de  la  couronne  d'Espagne, 
et  au  moyen  de  quelques  avantages 
obtenus  par  Bessières  il  pénétra 
jusque  dans  la  capitale.  Alors  dut 
cesser  l'espèce  de  dictature  qu'avait 
exercée  le  duc  de  Rovigo.  Il  y  eut 
quelques  explications  peu  flatteuses 
avec  le  nouveau  roi,  et  il  fallut  que 
l'aide-de-camp  de  Napoléon  retour- 
nât en  France.  Le  voyage  qu'il  fit 
pour  gagner  la  frontière  ne  fut  pas 
sans  péril.  Obligé  de  traverser  des 
pays  déjà  livrés  à  l'insurrection,  et 
où  l'on  n'ignorait  aucun  de  ses  torts 
envers  Ferdinand  VU  et  envers  l'Es- 
pagne tout  eiitièçe;  il  n'échappa  que 


SAV 

par  unefuitetrès-rapideet  àla  faveur 
de  plusieurs  déguisements.  Enfin  il 
arriva  à  Paris  sain  et  sauf^  fut  par- 
faitement accueilli  de  son  souve- 
rain ,  et  reprit  aussitôt  près  de  lui 
ses  fonctions  de  surveillance  et  de 
secrète  police.  Sa  faveur  augmenta 
d'autant  plus  à  cette  époque,  que 
celle  de  deux  grands  personnages, 
Fouché  et  Talleyrand,  parut  s'être 
considérablement  affaiblie;  il  devint 
l'intime  confident,  le  directeur  spé- 
cial des  opérations  les  plus  secrètes, 
et  surtout  de  ce  i\\i\  appartenait  à  lasû- 
reté  personnelle  du  maître.  Napoléon 
pensait  avec  raison  que  sur  ce  point 
un  dévouement  absolu,  sans  réserve, 
doit  être  préféré  à  tous  les  avanta- 
ges de  l'esprit  et  du  savoir.  A  Paris,  à 
l'armée,  dans  tous  ses  voyages,  le  duc 
de  Rovigo  ne  quittait  plus  l'empe- 
reur,  su  dedans  comme  au  dehors; 
toujours  prêt  à  tout ,  en  police 
comme  en  diplomatie,  jamais  il 
n'avait  mieux  mérité  le  nom  de 
Tristan  ou  de  Séide.  Après  l'avoT 
accompagné  aux  conférences  d'Er- 
furt,  il  le  suivit  encore  en  Espagne 
à  la  prise  de  Madrid,  et  dans  cette 
courte  campagne  d'hiver  contre 
l'armée  anglaise,  où  il  a  raconté  avec 
orgueil  que  Napoléon  fit  plusieurs 
lieues  à  pied  dans  la  neige,  appuyé 
sur  son  bras.  Il  le  suivit  aussi  dans 
la  guerre  d'Autriche  en  1809,  et  il  a 
longuement  parlé  dans  ses  Mémoires 
de  cette  mémorable  campagne.  Quel 
que  soit  son  système  d'adulation  et 
de  louanges  exagérées,  il  lui  échappe 
parfois  des  aveux  précieux  pour 
l'histoire.  Aucun  historien  n'a  rap- 
porté avec  plus  de  franchise  et  de 
vérité  l'incendie  d'Ébersberg,  la 
défaite  d'Essling,  la  destruction  des 
remparts  de  Vienne  et  beaucoup 
d'autres  faits  qu'avec  l'autorité  de 
so«  témoignage   on  ne   peut  ^\m 


.SAV 


203 


mettre  en  doute.  On  trouve  aussi  dans 
ces  Mémoires  quelques  détails  cu- 
rieux sur  le  mariage  de  Napoléon 
avec  Marie-Louise,  sur  le  refus  qu'il 
avait  éprouvé  d'une  princesse  russe. 
Le  duc  de  Rovigo  fut  présent,comme 
on  doit  le  penser,  à  toutes  les  fêtes 
du  mariage  autrichien,  et  il  accom- 
pagna ensuite  le  couple  impérial 
clans  la  Belgique,  en  Hollande,  etc. 
Sous  prétexte  d'une  fièvre  violerite 
qui  le  saisit  àBreda,  il  revint  inopi- 
nément à  Paris  où  le  fournisseur 
Ouvrard  a  dit  qu'il  fut  chargé  de 
l'observer.  «  En  vérité  il  se  fait  bien 
«  de  l'honneur,  dit  fièrement  à  cette 
«  occasion  l'aide-de-camp  impérial  ;  il 
«  se  croit  sans  doute  un  personnage 
«bien  important..  M.  Ouvrard  au- 

•  rait  été  le  premier  individu  qui  eût 
«  été  pour  moi  l'objet  d'une  sembla- 
«  ble  mission.  D'ailleurs  qu'il  se 
«  persuade  bien  que  si  la  chose  avait 
"  été  comme  il  le  dit,  je  ne  lui  aurais 
«  pas  fait  d'autre  honneur  que  de  le 

placer  en  lieu  sûr,  si  cela  en  avait 

•  valu  la  peine,  comme  je  l'ai  fait  ia 
«  seule  fois  qu'on  m'ait  parlé  de 
«  lui...»  C'est  précisément  au  moment 
où  ie  duc  de  Rovigo  prétend  avoir 
été  si  éloigné  de  fonctions  de  police 
qu'il  était  tout  près  d'en  devenir  le 
ministre.  Ainsi  nous  touchons  à  l'é- 
poque la  plus  remarquable  de  son 
histoire.  Voici  comment  il  a  raconté 
lui-mêîue  ce  grand  événement.  «Lors- 
«  qu'on  lut  cette  nomination  dans  le 

•  Moniteur .,  personne  ne  voulait  y 

•  croire.  L'empereur  aurait  nommé 
«  l'ambassadeur  de  Perse,  qui  était 

•  alors  à  Paris,  que  cela  n'aurait  pas 
«  fait  plus  de  peur.  J'eus  un  véritable 
«  chagrin  de  voir  la  mauvaise  dispo- 

•  sition  avec  laquelle  on  parut  ac- 

•  cueillir  un  officier-général  au  mj- 
«  nistère  de  la  police.  Dans  l'armée 
?  i)\\  l'on  savait  moius  ce  que  c'él;^il 


20i 


SAV 


SAV 


«  que  cette  besogne,  oi»  fiouva  ma 

•  nomination    d'autant    moins   ex- 

•  traordinaire  que  l'on  croyait  que 

•  j'y  exerçais  déjà  quelque  surveil- 

•  lance...  J'inspirais  de  la  frayeur  à 

•  tout   le  monde.   Dès  que  je  fus 

•  nommé,  chacun  fit  ses  paquets  ;  on 
«  n'entendit  parler  que  d'exils,  d'em- 

•  prisonnements    et     pis    encore; 

•  enfin  je  crois  que  la  nouvelle  d'une 

•  peste  sur  quelques  points  de    !a 

•  côte  n'aurait  pas  plus  effrayé  que 
«  ma  nomination  au  ministère  de  la 

•  police.  •  Après  avoir  présenté  avec 
autant  de  vérité  l'état  de  l'opinion 
publique  à  son  égard,  le  duc  de 
Rovigo  explique  avec  la  même  fran- 
chise l'embarras  où  le  plaça  cette 
subite  élévation...  «  J'étais  dans  la 
«  confiance,  dit-il,  que  mon  prédé- 

•  cesseur  me  laisserait  quelques  do- 

•  cuments   propres    à  diriger   mes 

•  pas.  Il  me  demanda  de  rester  dans 
«  le  même  hôtel  que  moi,  sous  pré- 

■  texte  de  rassembler  ses  effets  et 
«  les  papiers  qu'il  avait  à  me  com- 

■  muniquer.  J'eus  la  simplicité  de  le 
«  laisser  trois  semaines  dans  son 
«  ancien  appartement  ;  et  le  jour 
«  qu'il  en  sortit,  il  me  rendit  pour 
«  tout  papier  un  mémoire  contre  la 
«  maison  de  Bourbon,  lequel  avait 
«  au  moins  deux  ans  de  date.  Il  avait 
«  brûlé  le  reste,  au  point  que  je 
«  n'eus  pas  de  traces  de  la  moindre 

•  écriture.  H  en  fut  de  même  lors- 
«  qu'il  fallut  me  faire  connaître  les 
«  agents  secrets,  de  sorte  que  le  fa- 

•  meux  ministère  de  Fouché,  dont 
«j'avais  eu,  comme  tout  le  monde, 

•  une  opinion  extraordinaire,  com- 

•  mença  à  me  paraître  très-peu  de 

•  chose,  ou  au  moins  suspect,  puis- 
«que  l'on  faisait  difficulté  de  me 
"  remettre  ce  qui  intéressait  le  ser- 
«  vice  de  l'État.»  Puis,  dans  un  mou- 
vement d'amour- propre,  il  dit  avec 


une  naïveté  un  peu  risible:  «  J'avais 

•  cru  le  ministère  dont  j'étais  pourvu 
«  une  puissance  ;  je  ne  le  voyais  qu'un 
«  faniôme...  Le  courage  me  vint,  il 

•  me  ramena  de  la  confiance.  J'avais 

•  une  mémoire  extraordinaire  pour 
«  les  noms  et  les  lieux...  Mon  intel- 
«  ligence  me  fit  bientôt  trouver  des 
«  moyens  qui  m'y  firent  réussir..  » 
Et,  après  une  longue  énumération 
des  moyens  ingénieux  qu'il  employa 
pour  ressaisir  les  fils  et  renouer  la 
trame  si  méchamment  rompue  par  son 
prédécesseur,  le  nouveau  ministre 
cite  des  instructions  que  lui  donna 
son  maître,  telles  qu'en  vérité  nous 
n'y  croirions  point  si  M.  de  Rovigo 
lui-même  ne  les  avait  attestées. 
«  Voyez  tout  le  monde,  lui  dit  Napo- 

•  léon  ;  ne  maltraitez  personne;  on 

•  vous  croit  dur  et  méchant,  ce  se- 

•  rait  faire  beau  jeu  à  vos  ennemis 
«  que  de  vous  laisser  aller  à  des  idées 
«  de  réaction.  Ne  renvoyez  personne 

•  sans  lui  donner  une  place  équiva- 
«  lente...  Pour  me  bien  servir,  il  faut 
«  bien  servir  l'État.  Ce  n'est  pas  en 
«  faisant  mon  éloge  lorsqu'il  n'y  a 
«  pas  lieu  que  l'on  me  sert  :  on  me 
««  nuit  au  contraire,  et  j'ai  été  fort 

•  mécontent  de  tout  ce  qui  a  été  fait 
«  jusqu'à  présent  là-dessus.  Quand 

•  vous  êtes  obligé  d'user  de  voies 
«  de  rigueur,  il  faut  toujours  que 
«  cela  soit  juste,  parce  qu'alors  vous 

•  pouvez  les  mettre  sur  le  devoir  de 

•  votre  charge.  Ne  faites  pas  comme 
«  votre  prédécesseur  qui  mettait  sur 

•  mon  compte  les  rigueurs  que  je  ne 
«  lui  commandais  pas,  et  qui  s'attri- 
«  buait  les  grâces  que  je  lui  ordon- 
«  nais  de  faire...  Traitez  bien  les 
«  hommes  de  lettres.  On  les  a  in- 
«  disposés  contre  moi  en  disant  que 
«  je  ne  les  aimais  pas,  on  a  eu  une 
«  mauvaise  intention  en  faisant  cela; 
«  sans  mes  occupations  je  les  verrais 


SAY 

«  plus  souvent... Ce  sont  des  hommes 

•  utiles  qu'il  faut  distinguer,  parce 

•  qu'ils  font  honneur  à  la  France.  » 
Ce  fut  probablement  pour  se  con- 
former à  celte  dernière  recomman- 
dation que  le  duc  de  Rovigo  réunit 
alors  à  ses  déjeuners  quelques  gens 
de  lettres  ,  au  nombre  desquels 
M.  Saint-Edme  a  placé,  dans  sà  Bio- 
graphie des  hommes  de  police  , 
MM.  Etienne,  Jay,  Tissot  et  Mi- 
chaud  (3).  C'est  à  la  table  de  ce  singu- 
lier Mécène  que  se  discutaient  inier 
pocula  et  scyphos  la  valeur  des  nou- 
velles productions  littéraires,  et  sur- 
tout les  titres  des  auteurs  à  la  faveur 
impériale.  C'était  aussi  là  qu'on  dé- 
cernait les  palmes  académiques,  et 
qu'on  nommait  les  académiciens;  on 
pourrait  même  dire  que  c'est  là  que 
commença  le  système  d'intrigues  et 
de  corruption  qui,  en  excluant  de 
nos  corps  savants  tous  les  hommes 
indépendants  et  d'un  caractère  ho- 
norable, y  a  fait  admettre  tant  de 
médiocrités.  On  sait  qu'en  1810  et 
1811  ce  fut  aussi  dans  cette  espèce 
de  bazar  littéraire  que  l'on  reçut  et 
qu'on  tarifa  toutes  les  productions 
en  prose  et  en  vers  destinées  à  célé- 
brer les  grands  événements  du  ma- 
riage et  de  la  naissance.  Et  ce  qui  est 
plus  bizarre  encore,  c'est  que  ce  fut 
par  le  même  bureau  et  par  les  mêmes 
hommes  que  se  décidèrent  les  af- 
faires de  la  religion,  que  furent  ré- 
glés les  intérêts  de  l'Eglise.  On  se 
rappelle  qu'à  cette  époque  Napoléon, 
après  s'être  emparé  des  États  ponti- 
hcaux,  avait  imaginé  de  réunir  à  Paris 


(3)  Nous  croyons  devoir  déclarer  que, 
malgré  ridentitédti  nom,  cette  désignation 
ne  pcuî:  concerner  l'auteur  de  cette  notice, 
qui  n'rut  j;imais  le  moindre  rapport  di- 
rt;i  t  lii  indirect  avec  le  duc  de  Rovifjo  ni 
»vfc  Micnn  autre  homme  de  police. 


SAV 


SOS 


un  concile  national  qu'il  voulut  op- 
poser à  l'autorité  du  pape.  Mais  la  plus 
grande  parlie  des  prélats  qui  y  furent 
appelés  se  niontra  lidèle  aux  lois  de 
l'Église.  Dans  l'embarras  où  le  mit 
leur  opposition ,  le  ministre  de  la 
police  ne  trouva  rien  de  mieux,  selon 
sa  coutume,  que  la  prison  et  l'exil. 
Quatre  prélats  des  plus  honorables 
furent  enfermes  par  ses  ordres  au 
donjon  de  Vincennes,  et  son  Excel- 
lence crut  avoir  tout  arrangé,  tout 
terminé,  comme  s'il  se  fût  agi  de  la 
discipline  d'un  régiment  ou  de  celle 
d'une  escouade  de  police.  Dans  le 
même  temps,  il  traitait  à  peu  près 
de  la  même  manière  mesdames  de 
Staël ,  Récamier,  de  Chevreuse,  qui 
n'avaient  pas  eu  le  bonheur  de  plaire 
à  son  maître,  et  il  faisait  arrêter 
comme  conspirateurs  beaucoup  de 
royalistes  et  aussi  quelques  hommes 
du  parti  républicain  que  Napoléon  re- 
doutait par-dessus  tout.  Six  nouvelles 
prisons  d'État  récemment  construites 
furent  bientôt  peuplées  de  nombreux 
habitants.  Cependant,  si  l'on  en 
croit  les  Mémoires  du  duc  de  Ro- 
vigo, publiés  en  1829,  personne  ne 
donna  mieux  que  lui  à  Napoléon  des 
avis  contre  l'arbitraire  et  le  despo- 
tisme ;  personne  ne  fit  autant  d'ef- 
forts pour  lui  inspirer  des  idées  pa- 
cifiques: «  Vingt  fois,  dit-il  (ma  cor- 
«  respondance  ministérielle  en  fait 
-foi),  j'osai  l'informer  que  la  France 
«  et  l'Europe  étaient  fatiguées  de 
«  verser  du  sang,  et  que  s'il  ne  re- 

•  nonçait  pas  à  son  système  de  guerre, 
«  il  serait  abandonné  par  les  Fran- 

•  çais  et  précipité  du  trône  par  les 
«  étrangers.  »  La  conspiration  de 
Mallet,  qui  éclata  vers  la  fin  de  1812 
(voy.  Malet,  XXVI,  367),  oii  la  puis- 
sance impériale  fut  si  inopinément 
mise  en  péril,  ne  rassura  pas  le  duc 
de  Rovigo  sur  l'avenirde  son  maître. 


206 


SAV 


Lui-même  ,  épargné  (Iftus  «îôlle  in- 
tToyable  tentative  par  un  ancien  ca- 
marade {voy.  Lahorie,  LXIX,  440), 
envers  leque!  il  tut  moins  généreux 
le  lendemain,  se  laissa  honteusement 
conduire  et  écrouer  à  la  prison  de  la 
Force.  Il  trouva  grâce  néanmoins  de- 
vant l'empereur  qui,  à  son  retour  de 
Moscou,  se  montra  plus  sévère  envers 
le  préfet  Frochot  {voy.  ce  nom,  LXIV, 
523),  moins  blâmable  cependant  que 
le  ministre  de  la  police.  Mais  la  fa- 
veur de  celui-ci  augmenta  alors  d'au- 
lant  plus  que  les  embarras  et  les  pé- 
rils devenaient  plus  grands,  et  que 
Napoléon  perdit  vers  le  même  temps 
plusieurs  de  ses  serviteurs  les  plus 
dévoués,  les  plus  intimes.  Lannes, 
Bessières  et  Duroc  moururent  suc- 
cessivement à  la  même  époque;  et 
d'autres  serviteurs  du  premier  rang 
donnèrent  de  justes  défiances;  Fou- 
ché  et  Talleyrand  étaient  devenus 
réellement  des  hommes  dangereux. 
Enfin  il  apparut  alors  des  mécon- 
tents et  presque  des  rivaux,  jusque 
dons  la  famille  impériale.  On  sait  que 
Louis,  Jérôme  et  surtout  Murât  ne 
portaient  qu'avec  peine  les  couronnes 
qu'il  leur  avait  données,  et  que,  loin 
de  trouver  en  eux  des  appuis  dans 
un  moment  aussi  critique ,  il  fut 
obligé  de  réprimer  leurs  mauvaises 
passions.  Il  est  véritablement  curieux 
de  voir,  dans  les  Mémoires  du  duc  de 
Rovigo,  les  intrigues,  les  ridicules 
prétentions  du  roi  Joachim,  et  l'em- 
barras de  Napoléon,  obligé  de  feindre 
et  de  souffrir  que  son  beau-frère  fût 
auprès  de  lui  le  commandant  de  sa  ca- 
valerie quand  déjà  il  ne  pouvait  plus 
douter  de  sa  félonie.  Le  chef  de  la 
police  impériale  a  révéié  sur  tout  cela 
des  secrets  inconnus,  et  son  ouvrage 
serait  véritablement  très -précieux 
pour  l'histoire  si,  à  côté  de  ces  faits, 
on  n'y  remarquait  pas  un  parti  pris, 


SAV 

une  résolution  invariable  de  dissi- 
muler tous  les  torts,  de  louer  jus- 
qu'aux choses  les  moins  honorables. 
Ce  système  d'éloges  exclusifs,  (pie 
trop  d'historiens  ont  imité,  se  mani- 
feste surtout  à  l'époque  où  nous 
sommes  arrivés,  à  cette  époque  de 
décadence  et  de  revers,  où  Napoléon 
eut  à  se  défendre  contre  l'Europe 
entière,  contre  ses  ennemis  du  de- 
dans et  du  dehors,  devenus  d'autant 
plus  entreprenants  et  plus  audacieux 
qu'ils  redoutaient  moinssa  puissance. 
Savary,  il  faut  en  convenir,  le  se- 
conda avec  beaucoup  de  zèle.  Lors- 
que Paris  se  rendit  aux  alliés ,  le 
31  mars  1814,  il  suivit  l'impératrice 
régente  à  Blois,  d'après  un  ordre 
spécial  de  l'empereur.  Ayant  cessé 
toutes  fonctions  quand  le  gouver- 
nement de  la  Restauration  fut  établi, 
il  ne  suivit  point  Napoléon  à  l'île 
d'Elbe,  et  se  retira  dans  sa  terre  de 
Nainville,  près  de  Fontainebleau. 
Cependant  il  a  déclaré  dans  ses  Mé- 
moires qu'il  se  trouvait  à  Paris  le 
3  mai,  jour  de  l'entrée  du  roi, 
caché  dans  la  foule  ,  en  observa- 
teur, et  n'étant  pas  tout  à  fait 
sans  crainte  pour  sa  sûreté  person- 
nelle ;  ce  qui  le  décida,  a-t-il  dit,  à 
écrire  à  ce  mêmeCzernicheff ,  qu'il 
avait  autrefois  poursuivi  comme 
agent  secret  de  l'empereur  Alexan- 
dre, et  qui  maintenant, aide-de-camp 
du  même  souverain,  pouvait  le  proté- 
ger et  lui  rendre  service.  Le  général 
moscovite  n'hésita  point  ;  mais  il  ren- 
contra de  grands  obstacles  dans  les 
dispositions  de  son  maître,  qui  étaient 
fort  changées  à  l'égard  du  favori  de 
Napoléon.  Alexandre  ne  daigna  pas 
répondre  à  deux  lettres  fort  respec- 
tueuses et  fort  pressantes  de  celui 
qui  avait  été  auprès  de  lui  l'en- 
voyé extraordinaire  de  son  grand 
ami.  Après  avoir  essuyé  cet  affront, 


SAV 

Savary  continua  toutefois  d'habiter 
la  capitale  ,  disant  qu'il  ne  se  mêlait 
en  aucune  façon  d'affaires  politiques  ; 
mais  il  paraît  que  la  police  royale  ne 
l'en  crut  pas  sur  parole,  car  elle  l'o- 
bligea de  retourner  dans  ses  terres, 
d'où  il  ne  revint  qu'en  mars  1815, 
lorsque  Napoléon  s'échappa  de  Tile 
d'Elbe.  Si  l'on  en  croit  ses  Mé- 
moires, il  ne  prit  aucune  part  aux  in- 
trigues qui  préparèrent  ce  retour*, 
mais  ii  est  évident  qu'il  ne  les  ignora 
point.  «  Les  hommes  à  mouvement 
"  s'agitaient,  a-t-il  dit,  les  communi- 
«  cations  de  Fouché  étaient  devenues 
«  plus  actives ,  et  dès  les  premiers 
«  jours  de  février  tout  annonçait 
«  l'explosion.  On  conspirait  sur  les 
«  bornes  au  coin  des  rues^  et  comment 

•  la  police  royale  n'a-t-el!e  rien  su, 
«  rien  vu  de  lout  cela?  Ce  n'est  pas 
«faute  de  confidents;  car  il  y  en 
<^  avait  partout.  Dans  les  premiers 
"j^ours   de  février,  il  était  arrivé  à 

•  Paris  un  jeune  négociant  de,  l'île 
»  d'Elbe;  il  demanda  à  me  voir  ;  mais 
«  comme  je  séjournais  habituelle- 
«  ment  à  la  campagne,  je  profitai  de 
«  la  circortsiaiice  pour  décliner  sa 
«  proposition.  Lorsque  je  sus  tout 
-  ce  tripotage^  je  me  décidai  à  en- 
"  voyer  quelqu'un  à  l'empereur  pour 
«  leconjurer  de  n'ajouter  foi  à  aucune 
«  insinuation  ;  car  je  ne  doutais  pas 
«  qu'elle  ne  couvrît  un  piège  dont  il 

•  serait  la  victune.  Je  persistais  à 
«  regarder  Fouché  comme  son  enne  - 

•  mi  mortel.  Je  me  donnai  de  la 
«peine  inutilement;  mon  messager 
«apprit  en  chemin  le  débarquement 
«  de  Tempereur.  Je  ne  pouvais  pas 
«  comprendre  ce  qui  avait  pu  porter 
«  Napoléon  à  celle  résolution; /cm 

•  étais  au  désespoir  pour  lui.,,  » 
Ainsi,  d'après  son  témoignage,  le  <iuc 
de  Rovigo  avait  été  complètement 
étranger  à  la  révolution  du  20  mars,et 


SAY 


20- 


l'on  eut  par  conséquent  grand  tort 
plus  tard  de  le  comprendre  dans  l'or- 
donnance d'exil  qui  fut  prononcée 
contre  les  auteurs  de  ce  complot.  Ce 
qui  le  prouverait  encore,  c'est  que 
le  ministre  de  la  police  royale,  Dan- 
dré,  vint  quelques  jours  avant  l'ex- 
plosion, lui  proposer  de  faire  une  vi- 
site auroiLouisXVllI,ce  qu'il  refusa 
fièrement,  disant  qu'il  était  devenu 
tout  à  fait  indifférent  aux  affaires 
de  ce  monde.  Cependant,  quelle  que 
fût  cette  indifférence,  il  est  notoire 
qu'aussitôt  que  Napoléon  arriva  aux 
Tuileries, le  20  mars  J815,  son  an- 
cien aide  de-camp  se  hâta  d'aller  lui 
offrir  ses  services,  et  qu'après  avoir 
refusé  le  ministère  ou  le  gouverne- 
ment de  Paris  qui  lui  fut  proposé,  il 
accepta  le  titre  de  pair  de  France  et 
celui  d'inspecteur-général  de  la  gen- 
darmerie. Ce  nouvel  emploi,  qui  n'é- 
tait en  apparence  qu'une  sinécure, 
lui  permit  de  continuer  ses  fonctions 
de  directeur  de  la  police  secrète,  ce 
qui  lui  donna  peu  d'occasions  de  se 
mettre  en  évidence  pendant  ce  rè- 
gne de  cent  jours.  Il  ne  suivit  pas 
Napoléon  dans  sa  courte  expédition 
de  Waterloo,  mais  aussitôt  après  son 
retour  dans  la  capitale,  il  se  montra 
encore  l'un  des  plus  empressés  à  le 
servir  ;  et  après  la  seconde  abdication 
il  l'accompagna  à  Rochefort,oii  ii  fut 
chargé  avec  Las-Cases  d'aller  deman- 
der au  commandant  de  la  station  an- 
glaise s'il  serait  permis  à  i'ex-empe- 
reur  «le  se  rendre  aux  États-Unis 
sur  unbâtimenineutre,  ous'il  pour- 
rait aller  en  Angleterre  pour  y  résider 
comme  simple  particulier.  On  sait 
que  toutes  cesdemandes  furent  refu- 
sées, que  les  ministres  anglais  persis- 
tèrent à  ne  considérer  Napoléon  que 
comme  prisonnier  de  guerre,  et  qu'à 
ce  titre  ils  ordonnèrent  son  trans- 
port à  l'île   Sainte-Hélène.  Dès  que 


208 


SAV 


celte  décision  fut  connue  de  Sa- 
vary,  il  se  hâta  d'écrire  à  l'amiral 
Keiih,  commandant  la  flotte  britan- 
nique, que  le  voyage  de  Sainte-Hé- 
lène n'entrait  point  dans  ses  calculs, 
et  qu'il  ne  lui  était  pas  permis  de 
disposer  de  lui  à  ce  point  là....  Ce 
refus  de  suivre  en  un  pareil  moment 
celui  qui  l'avait  comblé  de  tant  de 
biens,  pour  qui  naguère  il  semblait 
disposé  à  tout  sacrifier,  dut  étonner 
et  même  affliger  Napoléon^  mais 
peut-être  qu'il  n'en  sut  rien,  car  la 
réponse  de  l'amiral  anglais  n'était  pas 
encore  venue  lorsqu'on  signifia  à  Sa- 
vary  que  ni  lui  ni  le  général  Lallemant 
ne  pourraient  suivre  leur  ancien 
maître  à  Sainte-Hélène,  attendu  que 
tous  deux  se  trouvaient  inscrits  sur 
la  liste  de  proscription  que  le  gou- 
vernement de  la  Restauration  venait 
de  dresser  contre  les  auteurs  du 
complot  qui  avait  ramené  Bonaparte 
à  Paris.  Ainsi  le  duc  de  Rovigo  au- 
rait pu  se  dispenser  de  cette  espèce 
de  défection,  de  ce  refus  de  suivre 
dans  l'adversité  son  maître  et  son 
bienfaiteur.  Il  lui  fit  ses  adieux 
avec  beaucoup  de  calme,  puis, 
ne  songeant  plus  qu'à  lui,  il  de- 
manda au  jurisconsulte  Samuel  Ro- 
milly  une  consultation  pour  sa- 
voir s'il  ne  devait  pas  être  considéré 
comme  un  simple  particulier  qui 
s'était  placé  volontairement  sous 
la  protection  des  lois  anglaises.  Ce 
système,  qui  était  aussi  celui  de  Na- 
poléon, n'eut  pas  plus  de  succès.  Ro- 
milly  répondit  qu'il  ferait  tout  ce 
qui  dépendrait  de  lui  ;  mais,  dans  le 
même  temps,  des  parents  du  capi- 
taine Wnglit  et  d'autres  victimes  de 
la  tyrannie  impériale  ayant  menacé 
l'ancien  ministre  de  Napoléon  de  le 
poursuivre  devant  les  tribunaux  an- 
glais comme  auteur  du  meurtre  de 
leurs  parents,  cette  menace  causa 


SAY 

au  duc  une  très -vive  inquiétude. 
Il  lui  fut  même  adressé,  sur  la  mort 
de  lord  Bathurst  ,  des  questions 
qui  semblèrent  l'inquiéter  encore 
davantage  {voy.  Bathurst,  LVII , 
291).  L'amiral  Keith  mit  lin  à  ces 
perplexités  en  faisant  embarquer 
sur  une  frég.ite,  destinée  pour  Malte 
Savary  et  Lallemant,  qui  furent  em- 
prisonnés dès  leur  arrivée  dans  cette 
île,  au  fort  Emmanuel,où  ils  restèrent 
sept  mois.  Le  duc  de  Rovigo  a  dit 
que  c'est  à  l'ennui  de  cette  captivité 
qu'on  doit  les  Mémoires  publiés 
douze  ans  plus  tard.  Nous  savons 
qu'il  fut  aidé  dans  ce  travail  par  un 
jeune  militaire  qui,  ayant  aussi  voulu 
suivre  Napoléon  dans  son  exil,  en 
avait  également  été  empêché  par  un 
ordre  du  ministère  anglais.  Ce  ne  fut 
qu'au  mois  d'avril  181G  que  les  por- 
tes du  fort  Emmanuel  furent  ouvertes 
aux  prisonniers.  Savary  se  défiait  tel- 
lement de  tout  ce  qui  l'environnait, 
qu'il  refusa  pendant  plusieurs  jours 
de  sortir  de  cette  prison,  quoique 
la  permission  lui  en  eût  été  donnée. 
Il  avait  dans  ses  fonctions  de  police 
si  souvent  tendu  à  des  malheureux  des 
pièges  de  ce  genre,  qu'il  craignait  de 
profiter  de  la  liberté  qui  lui  était  ren- 
due. C'est  par  son  compagnon  d'in- 
forlune,qui  l'avait  aidé  dans  la  rédac- 
tion de  ses  Méfnuires,que  nous  avons 
entendu  raconter  ce  fait,  et  ce  jeune 
officier  riait  encore  deux  ans  après 
de  la  défiance  et  des  terreurs  de  ce- 
lui qui  en  avait  effrayé  et  trompé 
tant  d'autres.  Savary  et  Lallemant 
furent  embarqués  sur  un  vaisseau 
anglais  qui  mettait  à  la  voile  pour 
Odessa  et  devait  relâcher  dans  les 
ports  de  Smyrne  et  de  Constantino- 
ple.  Le  duc  de  Rovigo,  qui  n'aimait 
point  la  mer,  se  décida  à  rester  dans 
la  première  de  ces  deux  villes,  où  son 
séjour  ne  fut  pas  sans  danger ,  puis- 


SAV 

qu'il  fut  obligé  d'y  vivre  caché  dans 
une  maison  française,  qui  se  vit  elle- 
même  forcée  de  le  faire  partir  pour 
Trieste,  où  il  n'arriva  qu'après  une 
traversée  longue,  pénible,  et  où  d'au- 
tres infortunes  l'attendaient  encore. 
A  son  arrivée  on  le  mit  en  sur- 
veillance pendant  toute  sa  quaran- 
taine, et,  dès  qu'elle  fut  achevée,  un 
officier  de  police  vint  lui  annoncer 
qu'il  était  chargé  de  le  conduire  à 
Gratz.  Livré  aux  plus  noirs  pressenti- 
ments pendant  tout  le  voyage,  il  fut 
surpris  bien  agréablement  lorsqu'on 
le  mit  en  liberté  dès  son  arrivée  dans 
cette  ville,  et  qu'il  n'eut  plus  d'au- 
tre souci  que  de  manquer  d'argent. 
Cette  pénurie  alla  jusqu'à  n'avoir  pas 
quinze  sous  àdépenser  par  jour.Mais 
sa  femme  et  sa  fille  aînée  étant  venues 
le  visiter  lui  apportèrent  quelque 
secours^  et  puis  le  prince  de  Met- 
ternich  ayant  passé  par  Gratz  avec 
IVmpereur  François  II,  il  en  obtint  la 
permission  de  retourner  en  Syrie,  où 
il  vécut  assez  bien  jusqu'au  mois 
d'avril  1819.  Il  eut  alors  le  chagrin 
d'apprendre  sa  condamnation  à  mort 
par  le  conseil  de  guerre  de  Paris 
pour  sa  participation  au  retour  de 
Bonaparte  en  1815  ^  et  ce  malheur 
fut  encore  aggravé  par  la  querelle 
qu'il  eut  avec  un  jeune  officier  de 
marine  nomme  Flotte,  lequel,  dans 
une  fête  donnée  par  le  consul  de 
France,  ayant  mal  parlé  de  Bona- 
parte et  surtout  de  la  mort  du  duc 
d'Enghien,  Savary,  qui  était  pré- 
sent, prit  cette  attaque  pour  son 
compte,  suivit  le  jeune  homme  à  sa 
sortie  ;  et, l'ayant  atteint  sur  le  bord 
de  la  mer,  lui  demanda  une  satisfac- 
tion militaire  que  M.  Flotte  fut  loin 
de  refuser,  mais  que  le  duc  rendit 
impossible  en  attaquant  brutalement 
son  adversaire  qui  était  sans  armes, 
et  qui ,  après  s'être  défendu  bra- 

LXXXI. 


SAV 


209 


vement ,  publia  les  détails  de  cette 
affaire    d'une  manière   qui  fit   peu 
d'honneur  à  Savary.  Ce  qui  fut  plus 
fâcheux  encore  pour  celui-ci,  c'est 
que  le  duc  de  Rivière,  alors  ambas- 
sadeur de  France  à  Constantinople, 
blâma  hautement  sa  conduite,  et  qu'il 
donna  des  ordres  sévères  contre  lui. 
Ne  doutant  pas  que  ces  ordres  ne 
fussent  exécutés  et  qu'ils  ne  compro- 
missent la  maison  anglaise  qui  lui 
donnait  asile,  Savary  partit  aussitôt 
pour  l'Angleterre,  sans  passe-port, 
sans    autorisation  ,   et  débarqua  à 
Londres  où  il  obtint  de  séjourner 
pendant    un  mois.  C'est  là  qu'une 
femme  angélique,  qui  avait  pour  lui 
depuis  quinze  ans  une  amitié  de  père^ 
et  à  laquelle  il  n'eut  besoin  que  d'é- 
crire deux  mots  pour  qu'elle  accou- 
rût de  Paris  et  retournât  aussitôt 
dans    cette    capitale ,    envoya    un 
passe -port  à   l'heureux  duc,   qui 
put    se    mettre    en   route   à    l'in- 
stant même,  et  arriver  à  Paris  le  15 
décembre  1819.  «  Depuis  ce  temps  , 
«dit-il,  je  ne  rencontrai   que  des 
«  obligeances.  On  me  fit  entrer  en 
-  prison  pour  se  conformer  à  la  loi , 
«  mais  on  eut  la  politesse  de  prendre 
«  mon  jour.  Un  officier  d'état-major 
«  vint  me  chercher  chez  moi  et  me 
«  conduisit  à  l'Abbaye.  J'y  fus  huit 
«  jours,  et  vis  enfin  le  terme  d'une 
«  série  de  malheurs  qui  m'avaient 
«  long-temps  semblé  ne  devoir  finir 
«  que  par  une  catastrophe...  «  Loin 
de  là  ;  le  terme  de  toutes  les  tribula- 
tions du  duc  de  Rovigo,  défendu  par 
l'avocat  Dupin  aîné  devant  le  con- 
seil de  guerre  de  la  l'«  division  mi- 
litaire, fut  un  complet  acquittement, 
prononcé  dès  la  première  séance  et 
après  une  très-courte  délibération. 
La  joie  qu'il  en  éprouva  fut  si  grande, 
qu'on  assure  que  dès  lors  il  offrit  au 
gouvernement  de  la  Restauration  de 

14 


210 


SAV 


le  servir  avec  le  mêiiie  zèle,  la  même 
énergie  qu'il  avait  servi  le  gouver- 
nement impérial,  et  que  clans  un  Me'- 
moire  présenté  par  lui  au  ministère 
il  dit  nettement  que  dans  tous  les 
temps  le  pouvoir  avait  besoin  d'hom- 
mes dévoués,  énergiques,  capables 
dans  l'occasion  d'un  coup  de  main,  et 
qui  eussent  fait  leurs  preuves... «On 

•  nemevitjamais,ajouta-t-il,parmi 

•  les  faiseurs  d'utopie.  Si  j'ai  apparte- 
«  nu  enquelque  chose  à  la  révolution, 
«  ce  n'a  jamais  été  par  les  doctrines. 
«  Le  maître  que  j'ai  servi  n'existe 

•  plus;  je  lui  ai  été  dévoué  dans  la 

•  puissance  et  dans  l'infortune.  On 
«  doit  penser  qu'un  homme  comme 
«  moi  ne  se  donne  pas  à  moitié.  Les 
«  traditions  de  l'empire  ne  sont  pas  à 

•  redouter  pour  la  royauté.  Elle  peut 

•  au  contraire  y  puiser  de  la  force. 
«  C'est  être  conséquent  à  mes  prin- 

•  cipes  que  de  lui  oftVir  mon  bras.  »- 
Il  y   avait  certainement  dans  tout 
cela  beaucoup  de  vérité  et  de  raison, 
et  si  le  gouvernement  de  ki  Restaura- 
tion ne  croyait  pas  devoir  alors  se 
servir  ostensiblement  de  la  personne 
et  de  l'expérience  du  duc,  on  ne  peut 
pas  douter  qu'environné  d'ennemis 
et  de  factieux  comme  il  l'était,  ce 
gouvernement  ne  dût  au  moins  écou- 
ter ses  avis  ;  mais  il  arriva  au  con- 
traire que  Savary  ayant  un  peu  lé- 
gèrement rappelé   dans  un  journal 
la  catastrophe  du  duc  d'Enghien,  il 
reçut  la  lettre    suivante  de  M.  de 
Villèle ,  alors    premier   ministre  : 
■  Monsieur  le  duc,  le  roi  a  vu  avec 
«  un  extrême  mécontentement  que 
«  vous  ayez  appelé  l'attention  pu- 
«  blique  sur  de  funestes  souvenirs, 
m  dont  il  avait  commandé  l'oubli  à 

•  ses  sujets.  Sa  Majesté  m'ordonne, 

•  en  conséquence,  de  vous  faire  con- 
«  naître  que  son  intention  est  que 

•  vous  vous^  absteniez  de  vous  pré- 


SAV 

«  senter  dans  son  palais.  •  On  sait 
que  le  mauvais  accueil  fait   à  son 
dévouement  ne  rebuta  point  alors 
Savary,    qu'il    revint  à   la    charge 
plusieurs  fois,  et  nous   avons  lieu 
de  penser  que  ses  propositions   ne 
furent   pas   toujours  aussi  mal  re- 
çues ;  mais  on  ne  lui  donna  point  la 
position  qu'il  aurait  voulue.  11  avait 
fini  par  prendre  en   pitié  ce  gou- 
vernement de  faiblesse  et  d'irréso- 
lution,qui  n'avait  de  force  que  contre 
ses  amis.  «  Si  j'étais  à  votre  place, 
«  dit-il  un  jour  à  l'un  des  ministres, 
«  j'aurais  bientôt  débarrassé  le  roi  de 
•  ces  patriotes  hypocrites...»  On  a  dit 
qu'à  l'époque  de  la  guerre  d'Espagne 
il  proposa,  si  l'on  voulait  lui  confier 
un  régiment  de   cavalerie,   d'aller 
arracher  le  roi  Ferdinand  des  mains 
de  la  faction  libéralequi  l'opprimait, 
et  de  rétablir  sur  son  trône  celui  qu'il 
avait  autrefois  tant  contribué  à  eu 
faire  tomber. Nous  ne  pensons  pas  as- 
surément que  de  pareils  projets  dus- 
sentêtreaccueillis  sans  examen;  mais 
lors  même  que  Savary  en  eût  présenté 
de  meilleurs  ,  les    hommes  de    ce 
temps-là  étaient  incapables  d'appré» 
cier  et  de  comprendre  tout  ce  qui  exi- 
geait de  la  vigueur  et  de  l'énergie. 
L'ancien  ministre  de  Napoléon  resta 
donc  dans  l'inaction,  et  il  retourna 
dans  sa  terre  de  Nainville,  où  il  ne  pa- 
rut plus  s'occuper  que  d'agriculture 
et  de  l'éducation  de  sa  nombreuse  fa- 
mille (i),  voyant  peu  de  monde  et  ne 
paraissant   lié  à  aucun  parti.  Nous 
ne  pensons  pas  qu'il  ait  eu  part  aux 
intrigues  qui  amenèrent  la  chute  de 
la  branche   aînée  des   Bourbons  en 
1830;  cependantle  gouvernement  qui 
leursuccédanetardapasà  l'employer, 

(i)  Le  duc  de  Rovigo  avait  épousé  ma- 
demuiselle  de  Faudoas,  de  l'une  des  plu» 
anciennes  familles  de  la  Bretagne,  dont  il 
«ut  sept  enfants* 


SAV 

et  il  fut  nommé,  en  1831,  comman- 
dant militaire  de  l'Algérie,  où  il  fit, 
dès  son  arrivée,  d'excellentes  réfor- 
mes, mais  où  il  n'eut  pas  le  temps  de 
diriger  des  opérations  d'une  grande 
importance.  On  a  bien  dit  qu'il  y  ma- 
nifesta des  habitudes  un  peu  orien- 
tales ;  mais  nous  ne  savons  rien  de 
positif  à  cet  égard.  Ce  qui  est  plus 
sûr,  c'est  qu'il  y  protégea  de  tout 
son  pouvoir  la  religion  catholique, 
chose  assez  remarquable,  a  dit  un 
historien ,  de  la  part  d'un  ancien 
ministre  de  la  police  impériale,  et 
dans  un  temps  où  l'on  mettait  en 
France  un  voile  sur  la  face  du  Christ 
dans  les  temples  de  la  justice,  où 
on  laissait  piller  et  démolir  les 
monuments  de  la  religion.  Le  duc 
de  Rovigo  ne  put  pas  suivre  long- 
temps cette  louable  direction.  At- 
teint par  l'influence  du  climat,  il  re- 
vint en  France,  et  mourut  à  Paris 
le  2  juin  1833.  On  ne  lira  pas  sans 
en  être  touché  le  récit  de  ses  derniers 
moments,  tel  que  le  donna  un  jour- 
nal de  cette  époque.  «Le dimanche, 
à  une  heure  du  matin,  ce  fut  le  duc 
de  Rovigo  qui  demanda  à  voir 
l'archevêque  ;  et  son  ami ,  le  gé- 
néral Cafarelli ,  alla  le  chercher. 
Le  prélat  (M.  de  Quelen)  accourut. 
Le  duc  de  Rovigo  gardait  toute  sa 
raison  et  toute  la  liberté  de  son  es- 
prit. Il  se  confessa ,  puis  il  reçut  les 
sacrements  avec  des  témoignages  de 
piété  extremementtouchants.il  suivit 
avec  attention  toutes  les  prières  qui 
furent  faites,  les  répétant  ensuite  com- 
me une  consolation  et  une  espérance. 
Ce  qui  offrit  surtout  un  spectacle  ad- 
mirable, ce  fut  de  voir  le  vieux  gé- 
néral Cafarelli ,  cet  ancien  aide-de- 
camp  de  Napoléon,  l'encourager  à 
son  tour  par  des  paroles  chrétiennes. 
Il  lui  lisait  les  prières,  et  les  lui  ré- 
pétait sur  sa  demande.  L'archevêque 


SAV 


21Î 


ne  put  résister  à  ce  spectacle;  il 
fontiit  en  larmes  ainsi   que  toute  la 
maison  du  duc.  Enfin ,  après  qu'il 
le  vit  ainsi  disposé   à  la  mort,  il 
lui    adressa    ses  dernières  exhor- 
tations   d'une  voix  émue,  et    lui 
demanda  de  donner  sa  bénédiction 
à  ses  enfants  présents  ou  absents.  Il 
fallut  que  le  général  Cafarelli  sou- 
tînt le  bras  du  malade.  Cette  scène 
avait  rempli  tout  le  monde  d'atten- 
drissement. L'archevêque  y  retour- 
na dans  la  journée  plusieurs  fois, 
et  toujours  il  fut  accueilli  comme  un 
consolateur  et  un  père.    «  Je  pense 
bien,  lui  dit-il,  que  jamais  mes  en- 
fants n'oublieront  ce  que  vous  avez 
fait  pour  moi.  »  Sa  reconnaissance  et 
sa  joie  se  peignaient  à  la  fois  dans  ses 
regards  et  dans  tous  ses  traits.  C'est 
dans  ces  sentiments  qu'il  arriva  au 
dernier  moment ,  encourageant  les 
siens,  proférant   des  paroles    tou- 
chantes,  édifiant  et  consolant  tous 
ceux  qui  l'approchaient.  «  Pour  ne 
rien  omettre  dans  une  vie  où  tant 
de  choses  sont  peu  édifiantes,  nous 
devons  encore  dire  que  le   duc  de 
Rovigo  fut  le  bienfaiteur  de  l'hôpital 
de  Sedan,  et  qu'il  remplaça  la  dota- 
tion de  50,000  francs  qui  avait  été 
faite  par  Turenne  en  faveur  de  cet 
établissement ,   à  condition  que  le 
service  funèbre  de  l'illustre  guerrier 
serait  célébré  le  jour  anuiveçsaire 
de  sa  mort.   Les  écrits  de  ce  gé- 
néral  et    ceux    qui    ont   été    pu- 
bliés à  son  occasion  sont:  I.  Ex- 
trait des  Mémoires  de  M.  le  duc  de 
Rovigo,  concernant  la  catastrophe 
de  M.  le  duc  d'Enghien,  Paris,  1823, 
in-80  de  4  et  68  pages.  Cet  ouvrage, 
dont  il  a  paru  la  même  année  trois 
autres  éditions,  a  été  traduit  en  an- 
glais sous  ce  titre  :  Extract  from 
the  memoirs    of  the  duke  de  Ro- 
vigo ^  concçrning  the  death  ofthe 

14. 


212 


SAV 


ihike  d'Enghien,  Paris,  Galignani , 
1823  ,  in-8^.  II  a  donné  lieu  à  la 
publication  d'un  grand  nombre  de 
brochures ,  dont  les  principales 
sont  :  r  Réfutation  de  Vécrit  pu- 
llié  par  M.  le  duc  de  Rovigo  sur 
la  catastrophe  de  monseigneur  le  duc 
d'Enghien^  ac('ompagnée  de  pièces 
justilicatives  et  suivie  de  l'Éloge  de 
monseigneur  le  ducd'Enghien,  qui  a 
remporte  en  1817  le  prix  k  l'académie 
de  Dijon ,  par  Maquart  ;  Paris,  1823, 
in-8°,  trois  éditions  {voy.  Maquart, 
LXXIl,  510).  2"  Pièces  judiciaires  et 
historiques  relatives  au  procès  du 
duc  d'Enghien^  avec  le  journal  de  ce 
prince  depuis  l'instant  de  son  arres- 
tation, précédées  de  la  discussion 
des  actes  de  ia  commission  inilitaire 
instituée  en  Tan  XII,  par  le  gouver- 
nement consulaire,  pour  juger  le  duc 
d'Enghien, par  l'auteur  (André-iVIarie- 
Jean-Jacques  Dupin)  de  l'opuscule 
intitulé  :  De  la  libre  défense  des  ac- 
cusés, Paris,  1823,  in-8°.  à'' Extrait 
des  Mémoires  inédits  sur  la  révolu- 
tion française^  par  Méhée  de  La  Tou- 
che, Paris,  1823,  in-8"de  95  pages. 
Cette  brochure  a  eu  une  seconde  édi- 
tion dans  la  même  année  (roy .  Mehée  , 
LXXIII,  408).  4*^  Conduite  de  Bona- 
parte relativement  aux  assassinats 
de  monseigneur  le  duc  d'Enghien  et 
du  marquis  de  Frotté^  par  Gautier 
(du  Var),  Paris,  1 823,  in-8°  (voy. Gau- 
tier, LXV,  181).  5°  Réponse  à  M.  le 
duc  de  Rovigo f  ou  Opinion  d'un  ex- 
commissaire de  police  (Chavard), 
pensionné  du  roi,  sur  les  motifs  qui 
ont  déterminé  M.  le  duc  de  Rovigo 
à  faire  paraître  une  brochure  ayant 
pour  titre  :  Sur  la  catastrophe  de 
monseigneur  le  duc  d^Enghien,  Paris, 
1823,  in-8o.  6°  Recherche  delà  vérité, 
ou  Coup  d'œil  sur  la  brochure  de 
M.  le  duc  de  Rovigo j  par  de  L*** 
(François  Delarue,  médecin  à  Paris), 


SAV 

Paris,  1823,  in-8".  7û  Explications 
offertes  aux  hommes  impartiaux  t 
par  M.  le  comte  Hullin,  au  sujet  de 
la  commission  militaire  instituée  en 
l'an  XII,  pour  juger  le  duc  d'Eo- 
ghien  (récligc-es  par  M.  Dupin  aîné) , 
Paris, 1823, in-8°, deux  éditions.  S"*  Un 
Français  (Edme- François -Antoine - 
Marie  Miel,  chef  de  division  à  la  pré- 
fecture de  la  Seine)  sur  VExirait  des 
Mémoires  de  M.  Savary,  relatifs  à 
M.  le  duc  d'Enghien^  Paris,  1823, 
in -8°  {voy.  Miel,  LXXIV,  58). 
9°  Quelques  observations  bien  fran- 
çaises sur  la  brochure  intitulée:  Un 
Français  sur  l'Extrait  des  Mé- 
moires de  M.  Savary  (par  le  comte 
A.  de  Malessye) ,  Paris  ,  1823,  in-8o. 
10«  De  MM.  le  duc  de  Rovigo  et  le 
prince  de  Talleyrand ,  par  Achille 
Roche,  Paris,  1823,  in-8^  ii'^ Lettre 
(signée  Benoît  Jolicœur)  sur  le  Do- 
cument publié  par  M.  le  duc  de 
Rovigo^  Paris,  1823, in-8°.  12'' Mé- 
moires, lettres  et  pièces  authen- 
tiques touchant  la  vie  et  la  mort 
de  S.  A.  S.  monseigneur  Louis-An- 
toine-Henri de  Bourbon-Condé,  duc 
d'Enghien^  par  M.  André  Boudard 
(de  THérault),  Paris,  1823,  in-8o. 
13"  Cest  lui!  Ce  n'est  pas  luil  Hé! 
mais  qui  donc?  ou  le  Lavabo  po- 
litique, Paris,  1823,  in.8°  de  16 
pages.  La  première  moitié  du  titre 
estempruntéedu  Mariagede  Figaro, 
acte  V,  scène  3.  14"  Le  duc  de  Ro- 
vigo jugé  par  lui-même  et  par  ses 
contemporains,  témoins  oculaires,  à 
l'occasion  de  son  écrit  sur  la  cata- 
strophe du  duc  d'Enghien  ;  par 
F....  E...  L...,  Paris,  1823,  in'8". 
IL  Mémoires  du  duc  de  Rovigo  sur 
la  mort  de  Pichegru,  du  capitaine 
Wright,  de  M.  Bathurst,  et  sur  quel- 
ques autres  circonstances  de  sa  vie, 
Paris,  Ponthieu,  1825,  in-8°de26et 
72  pages.  IIL  Mémoires  du  duc  de 


SAY 

Rovigo  pour  servir  à  Vhistoire  de 
l'empereur  Napoléon^  Paris,  A.  Bos- 
sange,  1828,  8  vol.  in-8o.  Une  se- 
conde édition  a  paru  la  même  année. 
On  a  publié,  en  réponse  k  ces  Mé- 
moires :  1°  Réfutation  du  duc  de 
Rovigo,  ou  la  Vérité  sur  la  bataille 
de  Marengo  (par  le  général  Keller- 
mann),  Paris,  1828,  in-S».  2"^  L'empe- 
reur Napoléon  et  M.  le  duc  de  Ho- 
vigOi  ou  le  Revers  des  médailles,  par 
leS.-J.-M.  A***,  Paris, Mongie,  1828, 
in-8".  3^  Deuxième  et  dernière  ré- 
plique d'un  ami  de  la  vérité  (le  gé- 
néral Kellermann)  à  M.  le  duc  de 
Rovigo,  Paris,  1828,  in-8°.  4o  Leduc 
de  Rovigo  en  miniature^  ou  Abrégé 
critique  de  ses  Mémoires,  par  M.  L. 
de  Sévelinges,  Paris,  1828,  in-8<>.  —- 
Savary,  frère  du  duc  de  Rovigo , 
était  colonel  du  14e  régiment  de  ligne 
lorsqu'il  fut  tué  au  passage  de  la 
Wakra,en  1806,  peu  de  temps  après 
la  bataille  d'Iéna,  où  il  s'était  dis- 
tingué. M— D  j. 

SAVIARD  (Barthélemi)  ,  né  k 
Marolles- sur -Seine   le  18   octobre 
1656, fit  d'excellentes  études  chirur- 
gicales, fut  reçu  à -Saint-Côme,  et 
pendant  dix-sept  ans  exerça  son  art  à 
l'Hôtel-Dieu  de  Paris,  en  qualité  de 
maître  chirurgien.   11   se  distingua 
par  son  habileté  comme  opérateur, 
et  particulièrement  comme  lithoto- 
miste.  Sa  réputation  à  cet  égard  était 
si  bien  établie,  qu'il  fut  souvent  ap- 
pelé auprès  d'un  grand  nombre  de 
malades   atteints  du   calcul,  et  sur 
lesquels  il  pratiqua  l'opération  de  la 
taille  avec  un  succès  complet.  Les 
travaux  continuels  de  Saviard  ayant 
gravement  altéré  sa  santé,  il  voulut 
aller  respirer  l'air  natal,  dans  l'espoir 
de  trouver  quelque   soulagement  ; 
mais  il  mourut  à  Égligny,  chez  son 
frère  qui  en  était  curé,  le  15  août 
1702,  âgé  seulement  de  46  aus.  Son 


5AV 


213 


cotps,  transporté  à  Marolles,  fut  in- 
humé dans  le  tombeau  de  sa  famille. 
Outre  une  Réponse  k  un  article  sur 
b^s  accouchements,  inséré  dans  le 
Journal  des  Savants  du  26  nov. 
1696,  on  a  de  Saviard:  Nouveau 
Recueil  d'observations  chirurgi- 
cales, Paris,  1702,  in-8".  L'auteur  a 
consigné  dans  cet  ouvrage  beaucoup 
de  faits  intéressants  sur  les  hernies, 
ia  ligature  de  l'artère  fémorale,  le 
ramollissement  des  os,  la  rupture 
du  vagin,  la  fistule  salivaire,  etc., 
qu'il  avait  recueillis  pendant  sa 
longue  pratique  -,  mais  des  occupa- 
tions multipliées,  le  mauvais  état  de 
sasanté  l'empêchèrent  de  coordonner 
et  de  publier  ces  Observations.  Le 
chirurgien  Jean  Devaux  (voy.  ce 
nom,  XI,  260)  les  mit  en  ordre,  en 
corrigea  la  rédaction,  et  les  fit  im- 
primer quelques  mois  après  la  mort 
de  son  confrère.  Plus  tard,  le  docteur 
Lerouge  en  donna  une  nouvelle  édi- 
tion, avec  des  commentaires,  Paris, 
1784,  in-12.  Z. 

SAVIGNAC  (Adélaide-Esther- 
Charlotte  Dabillon  de),  l'une  des 
femmes  de  notre  époque  qui  ont  le 
plus  écrit,  bien  qu'elle  ait  commencé 
tard  sa  carrière  littéraire,  était  née  à 
Paris,  le  5  juillet  1790  ,  et  non  pas 
1796,  comme  le  dit  sa  notice,  par  Mi- 
ger,  dans  le  tome  V  et  unique  de  la 
Biographie  des  femmes-auteurs  con- 
temporaines françaises.,  la  seule  où 
l'on  trouve  un  article  assez  long, 
mais  incomplet,  sur  cette  femme  qui 
l'a  rédigé  probablement  elle-même. 
Fille  d'un  officier  de  la  marine  royale, 
qui  était  catholique,  la  jeune  Savi- 
gnac,  dont  le  prénom  d'Adélaïde 
a  été  transformé  par  elle  ou  par  ses 
parents  en  celui  cVAlida  qu'elle  a 
toujours  portédepuis,  fut  élevée  dans 
la  religion  protestante  par  sa  mère, 
qui  d'ailkurs  lui  donna  de  bons  prin- 


21/i 


SAV 


SAV 


cipes,  une  instmclion  joliih  et  le 
goûtdesarts,saiisluifaireiu''gligcrles 
soins  et  les  travaux  du  nien;.ge.  Elle 
avait  vingt  ans,  et  non  pas  quatorze, 
lorsqu'elle  perdit  son  père,  et  bientôt 
des  revers  de  fortune  obligèrent  la 
mère  et  la  tille  de  renoncer  aux  plai- 
sirs du  monde  et  de  la  société  sans 
cependant  éloigner  d'elles  quelques 
vrais  amis.  AlidaSavignacnese  livra 
qu'avec  plus  d'ardeur  et  de  persévé- 
rance à  l'élude;  elle  se  plut  surtout 
à  lire,  à  méditer,  à  commenter,  avec 
le  secours  de  sa  mère,  les  ouvrages 
des  philosophes,  des  moralistes  et 
des  historiens  les  plus  célèbres,  an- 
ciens et  modernes.  Ce  fut  en  1825,  à 
l'âge  de  35  ans,  qu'elle  publia  sa  pre- 
mière œuvre  :  la  Comtesse  de  Melcy, 
ou  le  Mariage  de  convenance,  ro- 
man en  4  vol.  in-12.  Elle  l'avait  écrit 
pendant  l'hiver  en  veillant  et  soi- 
gnant sa  mère  malade,  à  qui  elle  en 
lisait  les  chapitres  à  mesure  qu'ils 
étaient  terminés.  Sur  le  frontispice 
imprimé  de  ce  premier  essai,  elle 
prit  le  titre  de  dame  qu'elle  conserva 
depuis,  d'après  l'avis  de  sa  mère  qui 
le  trouvait  plus  convenable  que  celui 
de  demoiselle  à  la  publicité  des  pro- 
ductions littéraires.  Le  frontispice 
de  ce  premier  essai  portait  aussi  le 
nom  de  M"»^  Armande  Roland,  déjà 
connue  dans  les  lettres,  mais  qui 
désavoua  sa  coopération  à  l'ouvrage, 
dès  qu'il  eut  obtenu  un  succès  as- 
suré. M"*"  de  Savignac  publia  succes- 
sivement, chez  Gide,  libraire,  plu- 
sieurs petits  volumes  donnés  pour 
étrennes,  le  jour  de  l'an  ;  1.  Les  Pe- 
titsprooerbes  dramatiques,  1826,  in- 
32.  II.  Histoire  d'une  pièce  de  cinq 
francs,racontée par  elle-même,  1827 , 
in-12.  m.  Manuscrit  trouvé  dans  un 
vieuxMne,  i828,  in-12.  IV.  Les  Va- 
cances, 1828,  in-12,  fig.  V.  Théâtre 
de  mes  enfants^  t^2S,  in-32.  VI.  Un 


demi-siècle,  on  Hector  et  Maxime^ 
1828,  in-32.  VII.  La  Prédiction,  ou 
Les  Deux  pensionnaires,  1828,  in-32. 
VIII.  Les  Soirées  de  famille,  ou  Lec- 
tures âmes  enfants^  1829,  4  vol.  in- 
18,  lig.  Elle  publiait  en  même  temps 
ch^z  Louis  Colas  :  IX.  Encourage- 
ments à  la  jeunesse  industrieuse, 
1828,  2  vol.  in-18^  ouvrage  adopté 
par  la  commission  d'instruction  pu- 
blique, et  qui  a  figuré  parmi  les 
bons  livres  donnés  en  prixà  plusieurs 
maisons  d'éducation.  X.  Économie 
domestique,  ou  Conseils  à  une  jeune 
mariée,  1829»  in-18.  XI.  Mathieu 
Benoît,  ou  l'Obligeance,  1829,  in-18. 

XII.  La  Pauvre  Cécile,  1829,  in-18. 

XIII.  La  Mère  courageuse,  1829,  in- 
18.  Ces  petits  ouvrages  placèrent 
M'"®  de  Savignac  à  côté  de  Berquin , 
de  Jauffret,  de  M°*"  Leprince  de 
Beaumont,  Edgewort,  de  Genlis,  et 
autres  auteurs  de  romans,  d'histo- 
riettes et  de  dialogues  à  l'usage  des 
enfants.  Elle  a  su  mêler  dans  tous 
ses  écrits  des  notions  sur  l'histoire, 
la  géographie  et  sur  toutes  les  con- 
naissances qui  entrent  dans  la  bonne 
éducation.  SfS  utiles  travaux  lui  mé- 
ritèrent une  part  de  collaboration  au 
Bon  Génie,  journal  de  la  jeunesse, 
créé  en  1826  par  M.  de  Jussieu. 
Deux  articles  qu'on  lui  demanda  sur 
deux  romans  nouveaux,  et  qui  fu- 
rent publiés  sous  l'anonyme,  dans 
VUniversel,  la  firent  attacher  à  la 
rédaction  de  ce  journal  pour  la  cri- 
tique de  la  littérature  légère,  et  elle 
rédigea  presque  seule  cette  partie 
du  feuilleton,  depuis  les  derniers 
jours  de  1829  jusqu'à  la  disparition 
de  VUniversel,  le  28  juillet  1830. 
Elle  fut  chargée  du  mêmetravail  pour 
le  Courrier  de  l'Europe-,  mais  trou- 
vant ce  journal  moins  consciencieux, 
moinssympathiqueavecsesopinions, 
elle  n'y  inséra  qu'un  petit  nombre 


SAV 

d'articles.  Elle  en  a  fourni  près  de 
cent  cinquante  au  Journal  des  fem- 
mesj  gymnase  littéraire,  dont  la  du- 
rée ne  fut  que  de  vingt-sept  mois,  de- 
puis la  fin  de  1832  jusqu'en  1834,  et 
dans  lequel  elle  était  spécialement 
chargée  de  rendre  compte  des  ou- 
vrages nouveaux.  Outre  ses  bulletins 
littéraires,  elle  y  donna   aussi  une 
nouvelle,  leDuel,  copiée  par  d'autres 
journaux.  En  1833,  elle  fournit,  au 
4®    volume  du  recueil   intitulé  les 
Heures  du  soir,  une  nouvelle  inté- 
ressante :   Tout  pardonner,  ou  le 
Rôle  d'une  femme.  De  1833  à  1837, 
elle  donna  dans  le  Journal  des  De- 
moiselles plus  de  vingt  Nouvelles 
et  un  grand  nombre  d'articles  pu- 
pliés  chaque  mois  sur  la  littérature, 
les  arts  et  l'industrie.  Mais  ces  di- 
verses collaborations  n'absorbaient 
pas  tous  les  moments  d'Alida  Savi- 
gnac.  Elle  composait  pour  la  librairie 
Gide:   XIV.   La   Métairie^  Paris, 
1832,  in- 18,  fig.  XV.  Le  Keepsake 
français^  1836,  in-4o,  deux  lilhogra- 
phi(S.  Pour  celle   de  Louis  Janet: 
XVI.  Les  Vacances  de  la  Toussaint, 
1832-1836,  in-32,  fig.  XVII.  Contes 
hleus,  1832,  2  vol.  in-32.  XVllI.  Les 
Bonnes  petites  filles,  contes,  1833, 
1836   et  1840,  in-16,  fig.  XIX.  Le 
Livre   des   Demoiselles,    morceaux 
choisis  de  littérature,   d'histoire  et 
de  voyages,  1835,  in-18.  XX.  Quatre 
historiettes  :  la  Relique  de  Saint' 
Jacques,  les  Jeux  du  monastère  de 
Long-Pont,  Salvator  le  Veuf ,  les 
Frondeurs,  les  Mémoires  de  Jacques 
Dumont,  prieur  de  Long-Pont.,  1836- 
1837,  4  vol.  in-16.  Pourla  bibliothè- 
que d'éducation  d'Eymery  :  XXI.  Les 
Paraboles  de  l'Évangile  expliquées 
par  une  mère  à  ses  enfants,  1834,  in- 
18.  XXII.  Le  Singe  merveilleux^  ou 
l'Éducation  de  M.  Minet  et  de  51"* 
Cocotte,  1834,  in-8»  obi.,  fig.  XXIIÏ. 


SAV 


215 


Anselme,  ou  V Enfant  discret,  1835, 
in-18,  fig.  XXÎV.  Biorama  des  en- 
fants,o\i  le  Petit  ambitieux,  1835, 
in-S»  obi.,  fig.  XXV.  Pauline,  ou  la 
Petite  curieuse,  1835, in-18,  fig.XXVI 
La  Jeune  maîtresse  de  maison.^  ou  les 
Mœurs  parisiennes,  1836,  in-18, 
fig.  XXVII.   Les  Enfants  d  'après 
nature  :  les    Petits    garçons  ;   les 
Petites  filles,  1836  et  1840,2vol. 
in-32,    fig.  ^  faisant    partie    de    la 
Semaine,  ou  Six  jours  de  lecture 
pour  les  enfants.  XXVIIÏ.  La  Jeune 
propriétaire,  ou  VÀrt  de  vivre  à  la 
campagne,  1837,in-12.  Cette  année 
Alida  Savignac  perdit  sa  mère,  et  ce 
triste  événement  interrompit  et  ra- 
lentit ses  nombreux  travaux  litté- 
raires. XXIX.  La  Mère  Valentin,  ou 
Contes  et  historiettes  de  la  bonne 
femme,  1838,  in-12.  XXX  (avec  M. 
de  Saintes).  Galerie  pittoresque  de 
la  jeunesse,  1838  à  1843,  2  vol.  in- 
8*   obi.    avec  lithogr.,  dessins   de 
V.  Adam.  XXXI.  Album  des  enfants 
obéissants ,  ou  les  Plaisirs  de  la 
campagne,  1839,  in-18  obi.,  lithogr. 
XXXII.  Alphabet  des  quatre  saisons^ 
ou  Une  année  chez  la  bonne  maman, 

1839,  in-16,  fig.  XXXlIl.  Petit  Al- 
bum récréatif,  ou  les  Plaisirs  de  la 
t)?:/ie,  1839,  in-16,  fig.  XXXIV.  Zo^, 
ou  la  Bonne  petite  sœur,  1840,  in-18, 
fig.  XXXV.  Le  Génie  des  bonnes 
pensées,  iSiO,m'S°  obi.  fig.  XXXVI. 
Les  Douze  mois,  cadeau  d'étrennes, 

1840,  in-18,  fig.  Dans  tous  ses  ou- 
vrages, M"*^  de  Savignac  a  montré  un 
beau  caractère  et  d'excellents  prin- 
cipes. Elle  a  su  varier  son  style  sui- 
vant qu'elle  a  écrit  pour  les  enfants, 
les  femmes  et  les  lecteurs  d'un  âge 
mûr.  Si  ses  articles  littéraires  ont  pu 
froisser  la  susceptibilité  de  quelques 
amours-propres,  ils  ne  lui  ont  point 
suscité  d'ennemis  ;  car  ils  sont  tout 
à  fait  exempts  de  partialité  et  de  per- 


216 


SAV 


soniialités  ;  le  blâme  y  est  souvent 
mêlé  de   justes   éloges.    Si  elle  se 
montra  sévère  contre  quelques  ou- 
vrages de  M.  de  Balzac,  tels  que  la 
Peau  de  chagrin,  dans  le  Courrier 
de  l'Europe^  du  21  août  1831,  et  ie 
Médecin  de  campagne^  dans  le  Jour- 
nal des  Dames,  du  21   septembre 
1833 ,  elle  ne  craignit  pas  de  pa- 
raître chanter  la  palinodie,  en  don- 
nant dans  ce  dernier  journal,  le  30 
octobre  1832,  un  article  très  bien- 
veillant sur  le  Comte  de  Chabert , 
nouvelle historiquedu  mêmeau'teur, 
qu'elle  avait  trouvée  dans  le  Sal- 
migondis, recueil  decontes.  Ses  idées 
sur  l'éducation,  bonnes  à  connaître, 
sont  consignées  dans  un  article  in- 
titulé V Anarchie  en  morale^  et  pu- 
blié en   1832.  L'auteur  y  passe  en 
revue  les  diverses  éducations  plus 
ou  moins  frivoles,  inconséquentes 
et   contradictoires  que   Ton  donne 
généralement  aux  jeunes  personnes, 
sans  chercher    à  les    rendre    plus 
vertueuses  et  plus  raisonnables,  et 
elle  y  prêche  constamment  l'amour 
de  Dieu  et  l'oubli  de  soi-même.  Les 
vertus  qu'enseignait  Alida  Savignac, 
elle   les    pratiquait.   Naturellement 
gaie,  spirituelle  et  un  peu  railleuse, 
elle  était  bonne,  obligeante,   géné- 
reuse, bienfaisante  et  constante  dans 
ses  aifections,  comme  dans  ses  goûts 
et  dans  ses  habitudes  ;  elle  employait 
la  majeure  partie  de  ses  revenus  et 
du  produit  de  ses  travaux  littéraires 
à  secourir  des  infortunés  et  souvent 
à  obliger  des  ingrats.  Elle  a  logé 
chez   elle    et    nourri   gratuitement 
pendant  douze  ans  une  demoiselle 
Rousseau.  Elle  a  conservé  près  de 
quarante  ans  la  même  femme  de  ser- 
vice, dont  le  mari  a  enseveli  le  père 
et  la  mère  de  M-^^-  de  Savignac  qu'il 
a ensevelieaussi.  Depuis  1 84 1 ,  la  santé 
altérée  d'Alida  l'avail  forcée  de  re- 


SAV 

noncer  à  ses  travaux  continuels  pour 
des  entreprises  littéraires.  En  1845, 
elIepubliaàParis:  XXXVII.  LeSon^e 
d'une  petite  fille,  in-32,  fig.  En  1846, 
pendant  un  voyage  qu'elle  fit  pour 
rétablir   sa    santé ,  elle    s'arrêta    à 
Limoges,  où  sans  doute  son   père 
était  né,  et  y  publia  deux  ouvrages  : 
XXXVIII.  Le  Chemin  de  fer,  suivi 
de  II  ne  faut  jamais  mentir,  in -12, 
fig.  XXXIX.  Les  Malheurs  d'un  en- 
fant  gâté,  suivi  de  Camocns  ,  in-18, 
vignettes.  Elle  fournit  aussi  quelques 
pièces  à  une  édition  des  Petits  contes 
d^unemèreàses  enfants, pd^rBouWU  et 
autres  auteurs,  imprimée  à  Limoges, 
in-12,  fig.  Après  avoir  passé  quelques 
mois  à  Tours  chez  des  amis,  M""  de 
Savignac  revint  à  Paris  et  y  fit  pa- 
raître  son    dernier    ouvrage.    XL. 
Almanach    des    demoiselles    pour 
Vannée  1847  ,  in-16,  avec  gravure. 
Peu  de  temps  après,  à  sa  gastrite 
qui  avait  fait  des  progrès  se  joignit  une 
attaque  de  paralysie  dont  les  suites 
hâtèrent  sa  mort  arrivée  le  15  mars 
1847  ,  dans  sa  57«  année.  Comme  sa 
modique    fortune    était    considé- 
rablement diminuée  par   la  longue 
interruption  de   ses  travaux  litté- 
raires, par  ses  œuvres  de  charité, 
par  ses  prêts  d'argent  sans  billets  et 
sans  reçus ,  et  par  la  réduction  de 
ses  rentes  viagères ,  sa  succession  a 
été  refusée  par  son  plus  proche  pa- 
rent, et  son  modeste  mobilier  a  été 
vendu  au  profit  du  domaine  public. 
Miger  attribue  à  M™«  de  Savignac  des 
Abrégés  de  Vhistoire  de  France,  de 
['Histoire  d'Angleterre  et  de  VHis- 
toire  sainte  ,  et  4  vol.  de  Contes  et 
historiettes;  mais  ces  ouvrages  ne 
sont  mentionnés  ni  dans  le  Journal 
de  la  librairie,  ni  dans  la  France 
littéraire,  à  moins  qu'ils  n'y  figurent 
comme  anonymes.  Le  portrait  grave 
de  M"'«  de  Savignac  fait  partie  de  la 


SAV 

collection  de  ceux  qui  accompagnent 
le  t.  I"  de  la  Biographie  des  femmes 
auteurs  contemporaines.      A — t. 

SAVIN,  auteur  et  traducteur  fran- 
çais du  XVIII®  siècle,  naquit  à  Rouen 
et  professa  les  humanités  à  Bordeaux. 
On  a  de  lui  :  I.  OEuvres  de  M.  de 
Montreille  y    Londres  (Bordeaux), 
1764,  in-12;  Amsterdam   et  Paris, 
1 768,  m~9>° .Montreille  est  un  pseudo- 
nyme que  Savin  avait  adopté,  et  sous 
lequel  il  publia  quelques  autres  ou- 
vrages. II.  Ulle  de  Robinson  Crusoé, 
par  M.  de  Montreilie,  Paris,  1768  (et 
non  1758), in-12;  nouv.  édit.,  sous  le 
titre    de  Robinson  dans  son  île, 
Londres    et    Paris  ,    1774  ,   in  - 12. 
111.  Adélaïde,  ou  V Amour  et  le  Re- 
pentir, anecdote  volée  par  M.  D.  M. 
(de  Montreilie),  Amsterdam  et  Paris, 
1770,  in-8",  fig.  D'après  la  remarque 
de  Barbier  {Dict.  des  anonymes)  ^ 
les  principaux  événements  de  ce  ro- 
man sont  empruntés,  sans  beaucoup 
de  déguisement,   aux  Mémoires  de 
mademoiselle  Bontemps,  par  Gueu- 
lette  ,  aux  Lettres  de  Thérèse ,  par 
Britlard  de  Lagarde  ;  aux  Amusements 
des  eaux  de  5)3a,  par  Pœllnitz.  VS.Mes 
soirées,  ou  \e  M anuel  amusanf ,^euî- 
château  et  Paris,  1775,  2  vol.  in-12. 
On   a  quelijuefois  attribué  à  Savin 
l'Élu  et  son  président ,  ou  Histoire 
d'Êraste  et  de  Sophie,  Amsterdam  et 
Paris,  1769,    2  vol.  in-12,  ouvrage 
dont,  suivant  d'autres  bibliographes, 
Louis  Charpentier   serait    l'auteur. 
Savin  a  traduit  du  latin:  i^ArgeniSy 
traduction  libre  et  abrégée  de  J.  Bar- 
clay, Paris,  1771,  2  vol.  in-12.  Elle 
est  estimée  {voy.  Barclay  (Jean), 
111,360).  Le  roman  d'Argenis  ren- 
ferme, sous  des  noms  supposés,  l'his- 
toire des  règnes  de  Henri  III  et  de 
Henri  IV.  2»  Les  Hommes  illustres 
de  Pline  le  jeune,  Paris,  1776,  in-12. 
Savin,  en  attribuant  cet  ouvrage  à 


SAV 


21T 


Pline  le  jeune,  a  suivi  une  opinion 
surannée,  car  depuis  long-temps  les 
philologues  le  donnent  à  Aurelius- 
Victor  {voy.  ce  nom,  III,  78). 

P— RT. 

s  AVOYE  -  de  -  Rollin  (  Jacques- 
Fortunat),  ancien  tribun,  et  préfet 
sous  le  gouvernement  impérial,  était 
né  à  Grenoble  le  18  décembre  1754, 
d'une  famille  de  magistrature,  et  fut 
destiné,   dès  l'enfance,  à  la  même 
carrière.  Après  avoir  fait  de  bonnes 
études  et  son  droit  dans  sa  ville  na- 
tale, il  fut  reçu  avocat.  Pourvu,  en 
1780,  d'une  charge  d'avocat-général 
au  parlement  du  Dauphiné,  il  s'allia 
bientôt  à  l'une  des  familles  les  plus 
opulentes  de  cette  province  (celle  des 
Périer).  Dans    les   agitations    des 
parlements  qui  précédèrent  la  révo- 
lution, il  se  montra  fort  opposé  à  la 
cour,  et  acquit  par  là  une  si  grande 
popularité,  qu'à  la  nouvelle  du  pre- 
mier renvoi  de  Necker,  le  peuple  de 
Grenoble  s'étant  réuni  spontanément 
dans  une  église, l'obligea  de  présider 
cette  illégale  assemblée,  et  d'y  lire 
une  pétition  que  les  moteurs  de  cette 
première  insurrection  venaient  de 
rédiger  en  faveur  du  ministre  dis- 
gracié, laquelle  fut  immédiatement 
envoyée  au  roi,  revêtue  d'un  grand 
nombre    de    signatures.    L'avocat- 
général  de  Rollin  (1)  ne  prit  toute- 
fois que  peu  de  part  aux  troubles  qui 
éclatèrent    ensuite    dans    toute    la 
France,  et  plus  particulièrement  dans 
la  province  du  Dauphiné,  et  il  garda 
dans  les  premières  années  de  la  révo- 
lution un  silence  prudent,  n'échap- 
pant à  l'échafaud  que  par  les  souve- 


(i)  On  trouve  ce  nom  écrit  de  plusieurs 
manières  dans  les  différentes  phases  de  la 
révolution.  Ce  fut  d'abord  M.  de  Rollin  tout 
court;  ensuite  Savojre  de  Rollin,  puis  Sa- 
voj-e'RoUin  et  enfin  le  6ar#re  Savojrt'RolUn, 


218 


SAV 


nirs  de  sa  première  popularité.!!  vint 
à  Paris  sons  le  Directoire,  et  fut  alors 
appelé  au  bureau  consultatif  des  arts 
et  manufactures.  IVlais  il  ne  reparut 
sur  la  scène    politique  qu'après  la 
révolution  du  18  brumaire,  qui  mit 
le  pouvoir  aux  mains  de  Bonaparte. 
Nommé   membre  du  tribunat,il  y 
pi'ononça  des  discours  assez  remar- 
quables par  le  talent  oratoire,  mais 
dans  lesquels  il  était  difticile  de  dis- 
linguersesopinionset  le  parti  auquel 
il  appartenaiî,  si  toutefois  il  apparte- 
nait à  un  parti.  L'un  de  ses  discours 
les  plus  importants  est  celui  qu'il 
fit   contre     l'institution    de    la  Lé- 
gion-d'Honneur,  dont  il  devait  plus 
lard  être  un  des  principaux  digni- 
taires avec  le  titre  de  baron  ,  après 
avoir  dit,  en  1802,  que  cette  insti- 
tution blessait  littéralement  la  con- 
stitution, et    qu'un  État  libre  ne 
comptait  qu'un  ordre  de  citoyens. 
II  fut  deux  fois  secrétaire  de  l'as- 
semblée, et  il  y  parla  encore  dans 
plusieurs  occasions, entre  autres  pour 
la  clôture  de  la  liste  des   émigrés, 
pour  l'établissement  des  tribunaux 
spéciaux,  pour  le  nouveau  mode  d'é- 
lection fondé  sur  les  listes  de  nota- 
bilités, et  qui  a  duré  jusqu'à  la  loi  de 
1817  ;  enfin,  dans  le  mois  de  mai 
1804,  il  appuya  la  proposition  faite, 
par  le  tribun  Curée,  d'élever  Napo- 
léon Bonaparte  à  l'empire.  Cette  der- 
nière proposition  devint,  comme  on 
doit  le  penser,  le  marche-pied  des 
faveurs  et  de  l'élévation  du   tribun 
Savoye-Rollin,  qui,  presque  aussitôt, 
fut  nommé  substitut  du  procureur- 
général  près  la  haute  cour  impériale, 
puis  baron,   préfet  du  département 
derEure(juilletl805),eîunpeuplus 
tard  de  celui  de  la  Seine-Inférieure, 
qu'il  administra  jusqu'en  1812,  où  il 
fut  destitué  pour  complicité  ou  né- 
gligence dans  Tafifaire  du  receveur  de 


SAV 

l'octroi  Branzon  (roy.  Mabquezi, 
LXXIll,  199).  Mais  ayant  été  traduit 
pour  le  même  fait  devant  la  cour  im- 
périale de  Paris,  toutes  les  chambres 
réunies,  il  fut  acquitté  solennelle- 
ment et  de  la  manière  la  plus  hono- 
rable. L'empereur,  se  faisant  un  de- 
voir  d'obéir  à  l'opinion   publique, 
nomma  immédiatement  Savoye-Rol- 
lin préfet  des  Deux-Nèthes,  et  il 
administra  ce  département  jusqu'à 
la  séparation  de  la  Belgique,  en  1814. 
Alors  il  cessa  toutes  fonctions  publi- 
ques, et  se  retira  dans  ses  propriétés 
près  de  Grenoble,oii  Napoléon,  reve- 
nant de  l'île  d'Elbe,  lui  fit  offrir  la 
préfecture  de  l'Isère,  puis  celle  de  la 
Côte  d'Or,  qu'il  refusa  également. 
Ce  refus  lui  ayant  donné  quelque 
crédit  auprès  du  gouvernement  de  la 
Restauration,  il  fut  choisi  pour  prési- 
dent du  collège  électoral  de  l'Isère  en 
septembre  181 5,  et  par  là  désigné  aux 
électeurs  qui  le  nommèrent  en  effet 
député.  Dès  le  commencement  de  la 
session  ,  il  siégea  dans  la  chambre 
au  côté  gauche  avec  l'opposition  li- 
bérale; ce  qui  dut  le  faire  réélire  par 
le  même  collège  après  l'ordonnance 
de  dissolution  du  5  septembre  1816. 
Alors,  continuant  de  siéger  au  côté 
gauche  devenu  la  majorité,  il  appuya 
dans  plusieurs  discours  les  préten- 
tions du  parti  libéral,  notamment  le 
30  janvier  1817,  où  il  parla  contre 
un  projet  de  loi  sur  la  presse,  pré- 
senté par  M.  Pasquier,  et  qu'il  signala 
comme  la  source  d'interminables  pro- 
cès. •  Je  finis,  dit-il,  par  un  vœu  que 
«  je  crois  celui  de  toute  la  France  : 
«  liberté  de  la  presse,  répression  des 
«abus,  jugement  par  jurés...  »  Il 
attaqua  plus  tard  avec  beaucoup  de 
véhémence  le  budget  de  la  guerre, 
présenté  par  le  duc  de  Feltre,  qui, 
ayant  embrassé  la  causede  la  monar- 
chie, ne  proposait  que  des  mesures 


SAX 


SAX 


219 


propres  à  la  maintenir,  et  ne  tarda 
pas,  à  cause  de  cela,  à  perdre  ce  porte- 
feuille.  Cette  opposition  de  Savoye- 
Rollin  n'empêcha  pas  le  ministère 
équivoque  de  ce  temps-là  de  le  nom- 
mer encore  une  fois  président  du 
collège  électoralde  l'Isère,  lorsque  ce 
département  eut  à  renouveler  sa  dé- 
putation  en  1819.  Réélu  député  pour 
la  troisième  fois,  ainsi  que  l'on  devait 
s'y  attendre,  il  le  fut  en  même  temps 
et  par  les  mêmes  électeurs  que  le  fa- 
meux conventionnel  Grégoire.  Mais  il 
ne  pouvait  pas  essuyer  comme  lui  l'af- 
front d'une  exclusion  pour  cause  d'in- 
dignité {voy.  Grégoire,  LXVI,80). 
Toutefois,  depuis  cette  époque,  il 
prit  peu  de  part  aux  discussions  où 
son  parti  ne  put  conserver  la  majo- 
rité après  l'assassinat  du  duc  de 
Berri.  Il  mourut  à  Paris  le  31  juillet 
1823,  ayant  rempli  tous  ses  devoirs 
de  religion,  et  fut  inhumé  en  grande 
cérémonie  au  cimetière  de  l'Est,  oii 
le  général  Foy  prononça  son  oraison 
funèbre.  Outre  ses  opinions  législa- 
,tives,  on  trouve  quelque  chose  de 
Savoye-Rollin  dans  le  volume  inti- 
tulé :  Recueil  intéressant  de  plai- 
doyers dans  la  cause  d'une  femme 
protestante  (par  Jolly,  Farconet  et 
Savoye  liis,avec  un  discours  préli- 
minaire du  dernier),  Genève,  1778, 
in  8^  M— Dj. 

SAXE-WEOIAR  (Charles-Au- 
guste, grand-duc  de),  né  le  3  sept. 
1757,  n'avait  encore  que  8  mois  quand 
il  perdit  son  père  le  duc  régnant.  Sa 
mère  ,  Amalie  {voy.  ce  nom,  II,  6), 
fille  du  duc  de  Brunswick,  était 
elle-même  encore  mineure ,  ayant 
alors  18  ans.  Cependant ,  déclarée 
bientôt  après  majeure,  elle  eut  la 
tutelle  de  son  fils  qui  lui  avait  élé 
contestée  par  d'autres  princes  de 
Saxe.  Cette  femme,  distinguée  plus 
encore  par  son  goût  pour  les  lettres 


et  les  arts  que  par  son  rang ,  donna 
pour  gouverneur  à  son  fils  Charles- 
Auguste  et  au  frère  cadet  de  celui-ci 
le  comtedeGcertz,  qui  devint  dans  la 
suite   ministre  en  Prusse,  et  pour 
maîtres  le  célèbre  Wieland  et  Kne- 
bel.  Plus  tard  Schmid, chancelier,  fut 
chargéde  les  initier  dans  les  affaires 
du  gouvernement.  Frédéric  II,  roi 
de   Prusse,  qui   vit    Charles -Au- 
guste dans  son  enfance ,  et  trouva 
plaisir  à  s'entretenir  avec  lui,  augura 
favorablement  de  son  avenir.  Sous  la 
conduite  de  Gœrtz  et  de  Knebel,  les 
deux  jeunes  princes  visitèrent  rapi- 
dement,  en  1774,  la  France  et  la 
Suisse.    Dans  ce  voyage  ,  le  jeune 
duc    vit    le   poète   Gœthe ,  et  lui 
voua  un  attachement  qui  s'est  main- 
tenu sans  aucun  trouble  pendant  un 
demi-siècle.  L'année  suivante,  ayant 
atteint  l'âge  de  sa  majorité,  il  épousa 
la  fille  du  landgrave  de  Hesse-Darms- 
tadt,  dont  il  avait  fait  la  connais- 
sance dans  son  voyage  (voy.  l'article 
suivant),   et  prit  des  mains  de  sa 
mère  les  rênes  du  gouvernement, 
marchant  sur  ses  traces  pour  les 
égards  qu'elle  témoignait  aux  gens 
de  lettres  ^  il  fit  plus,  il  vécut  amica- 
lement avec  les  grands  poètes  qui 
étaient  venus  se  fixer  à   "Wcimar  ;  il 
nomma  Gœthe  même  son  ministre,  et 
lui  abandonna  en  partie  la  direction 
des  affaires  dramatiques.  Le  château 
de  Weimar,  qu'un  incendie  avait  dé- 
truit en  1771,  fut  rebâti  par  les  soins 
de  ce  prince  ;  une  graude  école  in- 
dustrielle fut  fondée,  un  parc  et  un 
jardin     de    botanique    établis,    et 
l'Université'  d'Iéna  ,  dont  il  s'occupa 
avec  une  grande   sollicitude,  reçut 
un  nouveau  lustre.  Selon  la  coutume 
des  petits  princes   d'Allemagne,  il 
avait  pris  du  service  auprès  d'une 
des  grandes   puissances  *,    dans  sa 
qualité  de  général  prussien,  il  fit  en 


220 


SAX 


1792  la  campagne  contre  la  France,et 
en  1806  il  commanda  un  corps  d'ar- 
uiee  destiné  à  agir  contre  Napoléon. 
Cette  dernière  campagne  faillit  lui 
devenir  fatale  ;  car,  après  la  dt^faite 
des  Prussiens  à  léna,  les  Français 
entrèrent  dans  son  petit  État,  et  le 
mirent  à  contribution.  Il  aurait  été 
traité  plus  sévèrement  encore,  si  la 
graudc-duchesse  n^avait  réussi,  par 
sa  contenance  digne  et  courageuse, 
à  calmer  le  vainqueur  et  à  obtenir 
pour  Charles-Auguste  la  permission 
de  revenir  à  Weimar.  Depuis  lors,  il 
lut  forcé  d'entrer  dans  la  confédéra- 
tion rhénane  dont,  comme  on  sait, 
Napoléon  fut  le  chef  sous  le  titre  de 
protecteur.  Après  la  désastreuse  cam- 
pa :^rie  de  Moscou,  quand  la  confédé- 
ration germanique  se  rompit  pour 
faire  place  à  la  grande  alliance  des 
souverains  du  Nord  contre  l'empe- 
reur des  Français,  Charles-Auguste 
y  entra,  et  fournit  son  contingent  à 
la  grande  armée.  Après  la  chute  de 
Napoléon,  il  assista  au  congrès  de 
Vienne  et  obtint  le  titre  de  grand- 
duc  avec  un  agrandissement  de  terri- 
toire. Dès  l'année  181C,  il  convoqua 
à  Wei?nar  un  choix  de  propriétaires 
de  biens  équestres,  de  bourgeois  et 
de  paysans,  pour  poser,  de  concert 
avec  eux,  les  bases  d'une  charte 
constitutionnelle.  Elle  fut  rédigée 
sans  difficulté,  promulguée  le  5  mai 
1816,  et  exécutée  sincèrement  et 
fidèlement.  Le  reste  de  son  règne 
fut  paisible,  et  le  prince  vécut  assez 
long-temps  pour  recueillir  les  fruils 
de  tout  le  bien  qu'il  avait  fait  à  son 
pays.  La  fête  de  l'anniversaire  de 
son  mariage  demi-séculaire  fut  célé- 
brée dans  tout  le  grand-duché.  En 
1828,  revenant  d'un  voyage  qu'il 
avait  fait  à  la  cour  de  Berlin,  il  fut 
frappé  d'apoplexie  en  roule,  et 
Hiourut  à  Graditz  près  de  Torgau. 


SAX 

Il  a  sa  tombe  à  Weimar,  à  côté  de 
celles  des  poètes  Gœthe  et  Schiller. 
De  ses  deux  lils,  l'aîné,  Charles-Fré- 
déric, (jui  a  épousé  la  sœur  de  l'em- 
pereur de  Russie  Nicolas,  lui  suc- 
céda; le  second,  Charles-Bernard, 
entra  au  service  militaire  du  roi  des 
Pays-Bas.  D— g. 

SAXE-WEIMAR  (Loufse,  gran- 
de-duchesse de),  naquit  le  :^Ojanv. 
1757,  k  Prentzlow,  dans  TUcker- 
mark,  où  se  trouvait  en  garnison  son 
père,  prince  de  Hesse,  général  au 
service  de  Prusse,  qui  parvint  dans  la 
suite,  par  droit  de  succession,  au 
gouvernement  du  pays  de  Hesse- 
Darmstadt.  Louise  passa  une  partie  de 
sa  jeunesse  avec  sa  mère  dans  la  ville 
alsacienne  deBouxwiller,et  fut  élevée 
par  une  institutrice  française*  M"« 
Piavenel.Elle  rejoignit  son  père  quand 
il  eut  établi  sa  cour  à  Darmstadt. 
C'est  là  qu'elle  fut  aperçue  par  le 
jeune  duc  de  Saxe-Weimar  (i?oy.  l'art, 
précéd.),  qui  parcourait  l'Allemagne 
avec  son  gouverneur.  Ce  prince,  non 
moins  frappé  de  ses  charmes  exté- 
rieurs que  de  son  esprit  et  de  son 
goût  pour  les  lettres  et  les  arts,  la 
demanda  en  mariage  et  l'épousa  en 
1775.  La  grande- duchesse  douairière 
Amélie  venait  de  lui  remettre  les 
rênes  du  gouvernement,  laissant  au 
jeune  couple  l'exemple  de  l'amour 
des  lettres,  que  les  deux  époux  sui- 
virent au  point  de  mériter  à  leur 
capitale  les  noms  d'Athènes  et  de  Fer- 
rare  de  l'Allemagne.  On  sait  que  les 
poètes  les  plus  distingués  trouvèrent 
à  la  cour  de  Weimar  non-seulement 
un  accueil  bienveillant,  mais  qu'ils 
furent  traités  avec  une  distinction 
dont  l'aristocratie  aurait  pu  être 
jalouse.  La  princesse  Louise  eut  sur- 
tout pour  Gœthe  et  Wieland  les  at- 
tentions les  plus  aimables,  et  elle 
honora  constamment  en  leurs  per- 


SAX 

sonnes  le  m(^rite  supérieur.  Levifin- 
térêtqu'elleprenailà  l'art  dramatique 
encouragea  Gœthe  à  se  charger  de  la 
direction  du  théâtre  de  Weimar,  qui 
devint  un  des  meilleurs  de  TAllema- 
gne.  Ce  goût  pour  les  plaisirs  de 
l'esprit  n'empêcha  pas  la  princesse 
de  donner  ses  avis  à  son  mari  qui  la 
consultait  sur  toutes  les  al'faires  im- 
portantes de  son  gouvernement,  et 
lui  accordait  une  confiance  qu'elle 
justifia  toujours  par  les  meilleurs 
conseils.  La  cour  de  Weimar  était 
citée  commecelle  de  toutes  les  petites 
cours  d'Allemagne  où  régnait  le 
moins  de  morgue  et  de  raideur,  et 
où  le  mérite  et  le  malheur  étaient 
accueillis. avec  le  plus  de  prévenance 
et  de  bonté.  Après  la  bataille  d'Iéna 
(1806)  cette  princesse  reçut  Napoléon 
avec  beaucoup  de  présence  d'esprit 
et  de  dignité  au  bas  des  escaliers 
du  château  de  Weimar.  Elle  seule 
fit  tête  à  l'orage  ^  son  mari,  alors 
général  au  service  de  Prusse,  com- 
battait dans  l'armée  prussienne. 
Le  vainqueur,  qui  venait  de  quitter 
le  champ  de  bataille,  adressa  brus- 
quement la  parole  k  la  grande-du- 
chesse: «  Qui  êtes-vous,  madame?  » 
Une  réponse  ferme  et  prudente  éta- 
blit bientôt  la  plus  parfaite  politesse; 
Napoléon  promit  de  ménager  le 
pays,  et  finit  la  conversation  par  ces 
mots  :  «  Dites  k  votre  mari  de  reve- 
nir; il  peut  rester  tranquille  dans 
sa  résidence.  »  L'État  de  Weimar 
dut  ainsi  k  cette  princesse  de  grands 
adoucissements  aux  maux  de  la 
guerre.  Napoléon  conçut  pour  elle 
une  haute  considération.  Deux  ans 
après,  pendant  son  séjour  à  Erfurt,  il 
vint  la  revoir  dans  son  palais  et  lui 
exprima  l'estime  qu'elle  avait  su 
lui  inspirer.  Néanmoins,  lors  de  la 
guerre  de  la  délivrance  en  1813, 
cette  princesse  n'hésita  pas  de  con- 


SAX 


221 


seiller  à   son  mari   de  faire  cause 
commune  avec  la  nation  allemande, 
tout    entière   soulevée   contre   Na- 
poléon ;  elle    offrit   même  ses  pa- 
rures, afin  d'aider  à  pourvoir  aux  be- 
soins du  trésor,  et  ces  parures  furent 
réellement  mises  en  gage,  puis  dans 
la  suite  dégagées  à  son  insu  par  le 
grand-duc,  qui  éprouva  un  plaisir 
bien  vif  à  les  lui  rendre.  Après  avoir 
célébré  avec  son  époux,  en  1825,  le 
jubilé  de  leur  mari<ige  qui  avait  cin- 
quante  ans    de  durée,   elle  eut  la 
douleur  de  le  perdre  en  1828,  et  de- 
puis lors  elle  vécut  retirée  dans  sa 
maison  de  campagne  de  Wilhelms- 
thal  auprès  d'Eisenach  où  file  mou- 
rut le  14  février  1830,  vingt  mois 
après  son  époux.  M^e  de  Staël  a  dit 
de  cette  princesse  :    «  La  duchesse 
«  Louise  de  Saxe-Weimar  est  le  vé- 
«  ritable  modèle  d'une  femme  des- 
«  tinée  par  la  nature  au  rang  le  plus 
«  illustre  ;  sans  prétention  comme 
«  sans  faiblesse,  elle  inspire  au  même 
«  degré  la  confiance  et  le  respect , 
"  et  l'héroïsme  des  temps  chevale- 
«  resques  est  entre  dans  son  âme,  sans 
«  lui  rien  ôter  de  la  douceur  de  son 
«  sexe   (1).  »    On  révéla  après  sa 
mort  beaucoup  d'actes  de  bienfai- 
sance qu'elle   avait  tenus  secrets: 
elle  payait  de  petites  pensions  à  un 
grand  nombre  de   personnes    mal- 
heureuses; elle  donnait  des  secours 
aux  jeunes  gens  pauvres  pour  faire 
leurs  études  à  léna  ;  elle   poussait 
l'attention  jusqu'à  envoyer  des  bil- 
lets de  spectacle  à  des  familles  qui 
n'avaient  pas  le  moyen  de  se  pro- 
curer ce  plaisir  de  l'esprit  (2).  Loin 
d'être  éblouie  par  le  rang  où  elle 


(t)  De  l'Allemagne,  part.  I,  chap.  xv. 

(2)  Voj.  la  notice  <le  Boettiger  dans  YAlI- 
gtmeine  Z*ÙHn^  d'Augsbourg,  x83o,Q'*»9o-' 
9a. 


!i22 


SAX 


était  placée,  elle  continua  toujours 
de  vivre  modestement-,  ses  vêtements 
étaient  d'une  extrême  simplicité,  et 
elle  préférait  la  vie  retirée  aux  gran- 
des réunions.  Elle  était  vénérée, 
chérie  par  tous  les  habitants  du 
grand-duché.  La  ville  de  Weimar, 
qui  n'oublia  jamais  le  service  qu'elle 
avait  rendu  en  180G  dans  les  jours 
désastreux  de  l'invasion  française, 
profita  de  la  fêle  du  jubilé  du  couple 
auguste  pour  faire  frapper  en  l'hon- 
neur de  Louise  une  médaille  avec 
son  portrait  à  demi  voilé,  et  ces 
mots  en  allemand  :  Souvenir  du  14 
octobre  1806 ,  par  Weimar  sauvé, 
enfermés  dans  une  couronne  de 
feuilles  de  chêne  qu'entoure  un  cercle 
himineux  d'étoiles  (3).  D— g. 

SAXE -GOTHA  et  Altenhourg 
(Émile-Léopold-Auguste,  duc  de), 
né  à  Gotha  le  23  novembre  1772,  suc- 
céda à  son  père  le  duc  Ernest  II  en 
1804 ,  et  continua ,  en  suivant 
l'exemple  de  ce  prince ,  au  milieu 
des  guerres  et  des  révolutions  qui 
alors  désolaient  l'Europe,  à  mainte- 
nir ses  petits  États  dans  la  plus 
exacte  neutralité.  Pour  cela,  il 
s'abstint  constamment  de  prendre 
du  service  dans  les  armées  de  la 
Prusse  ou  de  l'Autriche,  comme  le 
faisaient  la  plupart  des  princes  alle- 
mands. Ayant  contracté  dès  sa  plus 
tendre  jeunesse  le  goût  de  l'étude  et 
des  lettres,  il  s'y  livra  constamment, 
et  composa  beaucoup  d'écrits  remar- 
quables par  un  style  pur  et  facile, 
entre  autres  des  romans  dans  la 
forme  épistolaire ,  que  l'on  dit  d'un 
très -haut  intérêt,  mais  dont  la 
plus  grande  partie  est  restée  manu- 
scrite et  ne  verra  probablement  ja- 


(3)  Cette  médaille  avait  été  gravée  soui 
la  direction  de  Gœthe,  par   Bore,   à  Ge- 


SAY 

mais  le  jour.  Il  était  dans  Tusage  de 
faire  écrire  sous  sa  dictée,  et  l'on 
assure  que  pendant  plusieurs  heu  res 
sans  interruption  son  style  se  sou- 
tenait toujours  pur  et  correct,  sans 
qu'il   fût  jamais  obligé  d'avoir  re- 
cours à  des  ratures  ou  à  des  correc- 
tions. Ce  prince  vécut  ainsi  paisi- 
blement jusqu'au  17  mai  1822  où  il 
mourut  à  l'âge  de   cinquante  ans , 
sans    postérité ,   quoiqu'il    eût  été 
marié  deux  fois.  Son  frère  lui  suc- 
céda. Si  celui-là  ne  laisse  pas  d'hé- 
ritiers, le  territoire  de  Saxe-Gotha 
sera  divisé  entre  les  ducs  de  Saxe-' 
Meningen  Hildburghausen    et  Co- 
bourg-Saalfeid,   seuls    descendants 
d'Ernest-l(3-Pieux ,  qui  mourut    en 
1675  et  fut  chef  commun  de  ces  qua- 
tre branches  de  la  maison  de  Saxe. 
Le  prince    Léopold-Auguste  est  au- 
teur d'un  livre  intitulé  :  Kyllenion. 
Ce  sont  douze  idylles  écrites  dans  le 
goût  de  la  poésie  pastorale  et  dont 
chacune  porte  pour  suscription  le 
nom  d'un  mois  grec.  D'autres  petites 
pièces  de  poésie  sont  insérées  dans  le 
même  volume.  Plusieurs  ont  été  mi- 
ses en  musique  parle  duc  lui-même, 
et  ses  admirateurs  trouvent  dans  son 
style  la  même  mélodie  que  dans  ses 
compositions  musicales.  Ce   prince 
légua ,  en  mourant ,  ses  tableaux ,  sa 
bibliothèque  et  ses  collections  d'ob- 
jets d'art  aux  établissements  publics 
du    duché,  qui  sont  nombreux  et 
très-bien  pourvus.  B — h— D. 

SAXE,  Voy-  Adolphe  {Jean),  duc 
de  Saxe,I,  235,  et  Frédéric-Au- 
guste, roi  de  Saxe,  LXIV,  473. 

SAY  (Edouard),  capitaine  an- 
glais,vivait  dans  la  seconde  moitié  du 
XVir  siècle  et  n'est  connu  que  par 
la  relation  d'Ovington,  Ce  voyagenr 
nous  apprend  que  Say,  après  un 
naufrage  à  l'île  Macike  et  un  long 
séjour  à  Mascate,  s'embarqua  pour 


SAY 


SAY 


223 


lire  de  Bombay.  Il  était  accompagné 
de  dix-huit  ou  vingt  vaisseaux  qui 
allaient  à  Surate  et  dans  d'autres 
lieux  de  la  dépendance   du  Grand- 
Mogol.  Soit  qu'ils  ne  dussentpas  faire 
toute  la  route  ensemble ,  soit  que  le 
vent  l'eût  séparé  des  autres  bâti- 
ments, il  se  trouvait  malheureuse- 
ment seul  lorsqu'il  découvrit  de  loin 
deux  vaisseaux  qui  venaient  à  lui  et 
qui  lui  parurent  être  des  corsaires. 
Il  fit  ce  qu'il  put  pour  les  éviter,  jeta 
même   quelques  marchandises  à  la 
mer  pour  rendre   son  navire   plus 
léger. C'étaient,  en  eifet,des  pirates 
sanganians,  qui  habitent  sur  la  côte 
d'Afrique,  vers  l'entrée  de   la  mer 
Bouge.  Ils  ne  le  quittèrent  point  et 
lui  donnèrent  la  chasse  jusqu'à  qua- 
tre heures  après-midi.  Alors  les  bâti- 
ments étant  proches,   on  en  vint  à 
l'abordage.  Soixanle-dix  ou  quatre- 
vingts  de  ces  brigands  sautèrent  sur 
le  vaisseau  anglais  et  tuèrent  ceux 
qui  leur  firent  résistance  ;  Say  lui- 
même  reçut  un  grand  coup  qui  le 
blessa  grièvement  à  la   main.  Ce- 
lui qui  l'avait  frappé  allait  redou- 
bler, lorsqu'il  aperçut  des  boutons 
d'or  sur  l'habit  du  capitaine.  Cette 
circonstance  lui  attira  quelque  con- 
sidération, et  on  lui  laissa  la  vie  en 
faveur  de  ses   boutons  qu'il   aban- 
donna aussitôt,  ainsi  que  ses  habits. 
Il  fut  dépouillé  entièrement;  cepen- 
dant on  s'occupa  de  sa  plaie,  on  la 
pansci^  elle  guérit.  Dans  l'espérance 
qu'après  l'avoir   volé  les  corsaires 
lui  rendraient  au  moins  son  navire, 
Say  avait  caché  1500  sequins  dans 
un   canon ,   pour  les    soustraire   à 
leurs  recherches.  Mais,  en  arrivant 
dans  leur  pays ,  ils  voulurent  faire 
parade  de  leur  prise  et  tirèrent  toute 
l'artillerie ,  en  sorte  que  le  reste  de 
la  fortune  du  capilaiue  anglais  fut 
dissipé  par  ce  dernier  événement. 


La  reine,  ayant  appris  l'arrivée  de 
ses  gens,  ordonna  que  le  capitaine 
anglais  lui  fut  amené.  Et  comme  elle 
avait ,  sans  doute  ,  un  intérêt  consi- 


dérable dans  les  prises,  elle  voulut 
savoir  le  compte  rie  l'argent  et  qui 
s'en  était  emparé.  Peu  satisfaite  du 
rapport  des  corsaires  ,  elle  exigea 
que  le  capitaine  anglais  le  lui  dît  :  il 
ne  le  savait  pas  plus  qu'elle.  Cepen- 
dant il  fut  conduit  vers  cette  prin- 
cesse, pendant  l'espace  de  quelques 
lieues ,  sans  chapeau  et  sans  souliers, 
peine  cruelle  sous  un  ciel  si  brûlant. 
Il  s'excusa  de  ne  pouvoir  satisfaire 
sa  curiosité  sur  la  prise  de  son  ar- 
gent. Pour  l'en  punir  elle  commanda 
de  ne  lui  donner  pour  toute  boisson 
que  de  l'eau  salée.  Comme  elle  s'i- 
maginait qu'il  y  avait  opiniâtreté  de 
la  part  de  son  prisonnier,  elle  tenta  un 
moyen  plus  doux   que  le  châtiment 
et  qui  lui  paraissait  plus  sûr.  Persua- 
dée que  tout  Européen  devait  avoir 
pour  les  images  un  respect  égal  à 
celui  que  montraient  les  Portugais, 
et  n'ayant,  comme  on  peut  lecroire, 
nulle  idée  de  la  réforme  anglicane, 
elle  fit  apporter  quelques  images  de 
la  sainte  Vierge  et  d'autres  saints, 
et  ordonna  à  Say  de  jurer  par  ces 
objets  de  son  culte  qu'il  ne  savait 
pas  en  effet  lequel  des  pirates  avait 
pris    l'argent  de   son   vaisseau.    Il 
fit  le  serment  qu'elle  exigeait ,  et 
cette  fois  il  fut  cru  sur  parole.  Peu 
de  jours  après  on  le  remit  en  liberté. 
Un    vaisseau    arabe    le  conduisit  à 
Mascate  ,  d'où  il  passa  aux   Indes. 
C'est  là  qu'il  vit  Ovington  auquel  il 
raconta  sa  catastrophe  et  donna  sur 
Aden,  Mascate,  les  côtes  de  la  mer 
Rouge   et  du  golfe   Pcrsique  ,   des 
renseignements  curieux  que  celui-ci 
a  consignés  dans  la  relation  de  son 
voyage  {voy.  Ovington,  LXXVI, 

163).  M— LE. 


324 


SAY 


SAY  (Jeak-Baptiste),  ëcoiiomiste 
célèbre.  Les  grands  événements  qui 
ont  agité  la  fin  du  dernier  siècle  et 
le  commencement  du  nôtre  ont  prin- 
cipalement frappé  l'attention  du 
monde  sous  le  point  de  vue  politique. 
Aussi  la  plupart  des  esprits  se  sont-  . 
ils  préoccupés  des  changements  sur- 
venus dans  la  forme  des  gouverne- 
ments plutôt  que  des  révolutions 
accomplies  dans  la  condition  écono- 
mique et  sociale  des  peuples.  Le 
premier  qui  posa  les  bases  de  l'éco- 
nomie politique,  en  expliquant  les 
phénomènes  de  la  richesse,  c'est-à- 
dire  de  la  puissance  des  nations, 
Adam  Smith,  venait  de  mourir  au 
moment  même  où  commençaient  en 
France  les  grandes  expériences  so- 
ciales qui  devaient  bouleverser  le 
monde.  L'immortel  ouvrage  du  phi- 
losophe écossais  apparaissait  tout  à 
la  fois  comme  l'inventaire  du  passé 
et  le  programme  de  l'avenir.  L'auteur 
y  proclamait  la  souveraineté  du  tra- 
vail ;  il  ea  donnait  la  théorie  la  plus 
ingénieuse  ;  il  en  étudiait  les  procé- 
dés jusque  dans  les  détails  les  plus 
minutieux.  Ces  magnifiques  analyses 
produisirent  l'effet  d'une  révélation; 
et,  quoique  la  constitution  politique 
des  divers  peuples  ne  permît  pas 
d'en  espérer  le  salut  des  classes  labo- 
rieuses, on  vit  partout  se  relever  les 
autels  avilis  du  travail,  et  la  valeur 
de  l'homme  s'accroître,  en  attendant 
que  le  grand  mouvement  de  1789  lui 
rendît  sa  dignité.  Ainsi  Adam  Smith  et 
J.-B.  Say  apparaissent  aux  contins  de 
deux  mondes  qui  n'auront  bientôt  plus 
rien  de  commun,  pas  une  institution, 
pas  même  un  souvenir!  Au  régime 
des  corporations  va  succéder  celui 
de  la  liberté;  au  travail  des  petits 
ateliers  la  puissance  des  moteurs 
mécaniques.  La  machine  à  vapeur  et 
la  machine  à  filer  recèlent  dans  leurs 


SAY 

flancs  une  foule  de  produits  matériels 
et  de  questions  sociales  inconnues  à 
nos  pères.  On  ne  saura  pas  tout  de 
suite  par  combien  de  soucis  ces  for- 
midables appareils  nous  feront  ex- 
pier leur  pouvoir.  A  la  fin  du  XVIII* 
siècle,  il  ne  se  consommait  pas  en 
Europe  une  seule  pièce  de  coton  qui 
ne  vînt  de  l'Inde  ;  et  vingt-cinq  ans 
après,  l'Angleterre  en  envoyait  au 
pays  môme  d'où  elle  avait  tiré  jus- 
que-là tous  les  produits  semblables. 
Il  avait  suffi  de  deux  petits  cylindres 
tournant  en  sens  inverse  pour  chan- 
ger de  fond  en  comble  les  rapports 
de  l'Europe  avec  l'Asie.  Telle  était 
la  tendance  économique  du  monde 
lorsque  J.-B.  Say  recueillit  la  succes- 
sion de  son  illustre  devancier.  Notre 
grand  économiste  naquit  à  Lyon,  le 
5  janvier  1767,  d'une  famille  de  ré- 
fugiés protestants.  Il  était  l'aîné  de 
trois  garçons.  Son  père,  négociant 
honorable,  lui  fit  donner  une  éduca- 
tion solide,  et  l'envoya  en  Angleterre 
pour  y  apprendre  la  langue  anglaise 
et  la  connaissance  des  affaires  com- 
merciales. Ce  fut  alors  qu'une  cir- 
constance, en  apparence  futile,  pro- 
duisit sur  son  esprit  une  impression 
profonde,  et  détermina  peut-être  son 
goût  pour  l'étude  de  l'économie  poli- 
tique. A  l'époque  où  il  était  en  pen- 
sion,dans  un  village  près  de  Londres, 
l'impôt  des  portes  et  fenêtres,  très- 
sévère,  comme  on  sait,  en  Angleterre, 
venait  d'être  voté.  Le  jeune  Say  oc- 
cupait une  petite  chambre  éclairée 
par  deux  fenêtres  :  son  maître  trouva 
tout  simple  d'en  faire  condamner 
une  pour  échapper  à  la  taxe.  «  ÎMe 
voilà  donc  privé  d'une  fenêtre  sans 
que  le  trésor  en  soit  plus  riche,  se 
dit  tout  bas  le  jeune  économiste  ;  à 
quoi  servira  donc  cet  impôt?  »  Et, 
trente  ans  plus  tard,  il  publia,  dans 
son  Cours  complet  d'économie  poli- 


SAY 

tique^  lejchapitre  curieux  des  impôts 
qui  ne  rapportent  rien  au  fiic.  En 
revenant  d'Angleterre,  J.-B.  Say  fut 
placé  en  qualité  de  commis  dans  une 
maison  de  banque.  11  attribuait  lui- 
même  aux  habitudes  d'ordre  qu'il 
avait  contractées  dans  cet  austère 
noviciat  la  rectitude  de  jugement  et 
les  tendances  positives  de  son  esprit. 
Il  n'estimait  l'aisance  qu'il  eut  tou- 
jours et  la  fortune  qu'il  n'eut  jamais, 
qu'en  raison  de  l'indépendance  qu'el- 
les peuvent  assurer  à  l'esprit  et  quel- 
quefois au  caractère.  «  On  voit,  écri- 
vait-il vers  la  fin  de  sa  vie,  beaucoup 
de  personnes  qui  ont  trop  de  respect 
pour  l'argent,  et  cela  dégoûte.  On  en 
voit  aussi  qui  en  ont  trop  peu,  et  elles 
tombent  dans  la  misère.  Que  n'a-t- 
on pour  l'argent  tout  le  respect  qu'il 
mérite,  et  rien  de  plus?  >  J.-B.  Say 
entra  bientôt  dans- les  bureaux  d'une 
compagnie  d'assurances  dirigée  par 
Clavière,  qui  fut  depuis  ministre  des 
finances.  Clavière  lui  ayant  prêté 
un  exemplaire  de  V Essai  sur  la  ri- 
chesse des  nations,  le  jeune  commis, 
saisi  d'admiration  pour  le  génie 
d'Adam  Smith,  se  hâta  d'acheter  l'ou- 
vrage, et  ne  s'en  sépara  plus.  I!  était 
alors  âgé  de  vingt- quatre  ans,  et  son 
premier  début  littéraire  fut  une  bro- 
chure sur  la  liberté  de  la  presse 
(1789,  in-8o).  Elle  n'était  pas  très- 
bonne,  et  quoiqu'il  eût  pu  s'en  con- 
soler beaucoup  plus  tard  en  lisant 
celles  de  notre  temps,  il  ne  se  par- 
donna jamais  l'enflure  et  le  mau- 
vais goût  qui  déparaient  ce  premier 
essai.  Mirabeau  l'employa  quelque 
temps  après  à  la  rédaction  du  Cour- 
rier de  Provence,  ce  qui  le  lia  d'ami- 
tié avec  les  principaux  écrivains  de 
l'époque,  et  lorsqu'en  1792  l'inva- 
sion de  la  Champagne  appela  la 
France  aux  combats,  ils  partirent 
presque  tous,  organisés  en  compa- 
ULXXI. 


SAY 


225 


gnie  des  arts.  A  peine  arrivé  de  l'ar- 
mée, J.-B.  Say  épousa,  le  25  mai 
1793,  mademoiselle  Deloches,  fille 
d'un  ancien  avocat  aux  conseils,  et 
cette  union  si  bien  assortie,  qui  de- 
vait durer  près  de  quarante  ans,  fixa 
définitivement  le  jeune  écrivain  à 
Paris.  Les  catastrophes  financières 
de  l'époque  avaient  détruit  la  fortune 
de  son  père  et  ne  lui  permettaient 
guère  de  tenter  la  sienne  dans  le 
commerce.  Il  se  voua  dès  lors  sans 
réserve  au  culte  des  sciences  et  des 
lettres  ,non  moins  profané  un  momen  t 
que  tous  les  autres  cultes.  Il  fonda 
en  1794,  avec  Chamfort,  Ginguené, 
Amaury  Duval  et  Andrieux,  le  pre- 
mier recueil  littéraire  sorti  des  orages 
de  notre  révolution,  la  Décade  philo- 
sophique (1).  Ce  fut  comme  la  résur- 
rection du  goût  et  des  principes  en 
littérature,  en  morale  et  en  politique. 
J.-B.  Say  conserva  pendant  six  années 
la  rédaction  en  chef  de  ce  recueil, 
dontlacollectionjusqu'en  1807  forme 
cinquante-quatre  volumes.  Il  y  avait 
fait  un  excellent  apprentissage  des 
grandes  questions  dont  la  France 
poursuivait  la  solution  au  milieu  des 
tempêtes,  lorsqu'il  fut  nommé,  en 
décembre  1799,  membre  du  tribunal, 
sous  le  consulat  de  Bonaparte.  C'était 
précisément  à  ce  moment  qu'allait 
finir  le  règne  des  tribuns.  J.-B.  Say, 
sincèrement  dévoué  aux  intérêts  df 
la  liberté,  ne  larda  point  à  s'en  aper- 
cevoir. Il  s'occupait  de  travaux  finan- 
ciers et  de  réformes  économiques 
sans  perdre  aucune  occasion  de  pro- 
tester contre  les  empiétements  du 
nouveau  César,  et  fut  bientôt  après 
éliminé  du  tribunat.  Le  premier 
consul,  qui  avait  deviné  la  portée  de 
son  esprit,  essaya  de  le  séduire,  mais 

(i)  À  cette  épqoe  J.>B.  Say  changea  son 
prfDOjn  en  celui  d'jukus.  ^ 

15 


)S2G 


SAY 


SA  Y 


ne  pût  vôilicre  sa  rt^pugnancfi  natu- 
i*elle  pour  les  itnpflts  de  consomma- 
tion. J.-b.  Say  se  démit  des  fonctions 
lucratives  de  receveur  des  droits- 
réunis  du  département  de  l'Allier, 
auxquelles  il  avait  été  nommé.  Il 
lui  fallut  chercher  dans  l'industrie 
l'indépendance  que  lui  refusaient  les 
emplois  publics,  et  il  organisa  une 
filature  de  coton.  On  le  vit  dans  les 
galeries  du  conservatoire  des  arts  et 
m^iers,  qu'un  jour  il  devait  illustrer 
par  son  enseignement,  étudier  com- 
me un  simple  ouvrier  les  procédés  de 
la  fabrication,  monter  et  démonter 
les  métiers,  assisté  de  son  fils  qui  lui 
servait  de  rattacheur.  La  ténacité  de 
son  caractère  ne  fut  rebutée  par  au- 
cun obstacle.  Il  s'établit  dans  le  dé- 
partement de  l'Oise ,  puis  sur  une 
plus  vaste  échelle  dans  celui  du  Pas- 
de-CalaiSj  tour  a  tour  ingénieur,  ar- 
chitecte, mécanicien,  potier  déterre  ; 
et  dans  ce  rude  exercice  de  toutes  les 
professions,  il  apprit  à  connaître  et  à 
analyser  les  procédés  des  arts.  C'est 
ainsi  qu'il  a  pu  apprécier  les  incon- 
vénients relatifs  au  choix  des  empla- 
cements pour  les  manufactures,  à 
l'insuffisance  des  débouchés  ,  au 
mauvais  état  des  roules  et  des  ca- 
naux, et  donner  aux  entrepreneurs 
d'industrie  les  leçons  de  sa  propre 
expérience.  En  l'an  V  (1797),  la 
classe  des  sciences  morales  et  politi- 
ques de  l'Institut  de  France  avait  mis 
au  concours  la  question  suivante  : 
«  Quels  sont  les  moyens  de  fonder  la 
morale  chez  un  peuple?  »  puis  celle- 
ci  :  «  Quelles  sont  les  institutions 
les  plus  favorables  pour  atteindre 
un  tel  but?»  et  comme  il  est  arrivé 
quelquefois  de  nos  jours  en  pareille 
occurrence,  l'Institut  avait  dû  garder 
son  prix,  parce  que  la  question  n'é- 
tait pas  de  celles  qu'on  pût  résoudre 
dans  un  Mémoire  académique.  J.-B. 


Say  coiieourut  sans  suedès  en  en- 
voyant une  nouvelle  sentimentale, 
intitulée  :  Olbie.  Olbie  est  une  suc- 
cursale de  Salente  dont  l'Idoménée 
est  un  peu  pâle,  quoique  plein  de 
bonnes  intentions.  Il  propose  aux 
Olbiens  pour  livre  de  morale  un 
Traité  d'économie  politique  ^  que 
J.-B.  Say  se  chargera  de  leur  fournir 
en  1803.  C'est  en  effet  à  cette  épo- 
que qu'a  paru  la  première  édition  du 
grand  ouvrage  de  ce  célèbre  écono- 
miste, et  ce  livre  aurait  produit  une 
plus  grande  sensation ,  si  la  France, 
distraite  de  l'étude  par  la  gloire, 
n'eût  réservé  alors  toute  son  admi- 
ration pour  un  seul  homme.  Le 
Traité  d'économie  politique,  même 
avant  les  perfectionnements  que  cet 
ouvrage  a  reçus  dans  cinq  éditions 
successives,  était  déjàune  œuvre  ori- 
ginale et  considérable.  Quelque  opi- 
nion qu'on  eût  des  doctrines  de  l'au- 
teur, son  livre  était  principalement 
remarquable  par  la  méthode,  la  clar- 
té et  l'esprit  d'observation.  Adam 
Smith  avait  découvert  sans  doute  les 
vérités  fondamentales  de  la  science, 
à  peine  entrevues  par  les  physiocra- 
tes  du  dix-huitième  siècle  ;  il  les  avait 
démontrées  d'une  manière  admira- 
ble*, mais  son  livre  immortel  avait 
besoin  d'être  mis  à  la  portée  de  tou- 
tes les  intelligences  et  au  service  de 
toutes  les  nations.  Quelques  démon- 
strations essentielles  y  manquaient  ; 
des  faits  très-importants  n'étaient 
pas  à  leur  place.  J.-B.  Say  a  remis 
tout  en  ordre,  créé  la  nomenclature, 
rectifié  les  définitions,  et  donné  à  la 
science  une  base  solide  en  même 
temps  que  des  limites  régulièt-es. 
L'économie  politique  n'est  à  sesyeùx 
que  l'exposé  des  lois  qui  régissent  la 
production,  la  distribution  et  la  coh- 
sommation  des  richesses.  Les  lichei- 
Sffs  se  produisent  au  moyen  "Aestiéi 


say 

grandes  bratîches  qui  i-ésumênt  tous 
les  travaux  matériels  ;  l'agriculture, 
l'industrie  et  le  commerce.  Les  capi- 
taux et  les  fonds  de  terre  sont  les 
principaux  instruments  de  la  pro- 
duction. Le  travail  de  l'homme,  com- 
biné avec  celui  de  la  nature  et  des 
machines,  donne  la  vie  à  tout  cet 
ensemble  de  ressources  qui  com- 
posent le  fonds  commun  des  socié- 
tés. Mais  ce  qui  assure  une  renommée 
durable  à  J.-B.  Say,  ce  sont  les  dé- 
monstrations neuves  et  irrésistibles 
dont  il  a  appuyé  sa  théorie  des  dé- 
houchés.  Cette  théorie,  fondée  sur 
l'observation  scrupuleuse  des  faits, 
a  prouVé  que  les  nations  ne  payaient 
les  produits  qu'avec  des  produits,  et 
que  toute  loi  qui  leur  défend  d'ache- 
ter les  empêche  de  vendre.  Tous  les 
peuples  sont  donc  solidaires  dans  la 
bonne  comme  dans  la  mauvaise  for- 
tune ;  les  guerres  sont  des  foliés  qui 
ruinent  même  le  vainqueur,  et  déjà 
l'on  peut  juger,  par  la  sollicitude  des 
gouvernements  à  cet  égard,  que  les 
principes  de  J.-B.  Say  ont  pénétré 
dans  les  conseils  des  rois.  Il  a  dé- 
montré comme  une  vérité  mathéma- 
tique et  pratique  ce  qui  ne  paraissait 
qu'une  utopie  philosophique;  il  a 
convié  toutes  les  nations  aux  dou- 
ceurs de  la  paix  par  l'attrait  de  leur 
intérêt  personnel.  On  peut  juger  si 
cette  publication  dut  paraître  intem- 
pestive à  l'époque  des  guerres  achar- 
nées qui  désolaient  toute  l'Europe. 
J.-B.  Say  prêchait  la  liberté  du  com- 
ifterce  en  présence  du  blocus  conti- 
nental, l'allégement  des  ta'Xes  en  re- 
gard de  l'exagération  croissante  des 
droits- réunis,  l'économie  des  capi- 
taux au  centre  du  plus  effroyable 
gaspillage  dont  le  monde  ait  été  té- 
moin. Combien  tous  ces  événements 
donnaient  raison  à  ses  doctrines!  et 
combien  il  devait  gémir  de  voir  la 


SAY 


227 


banqueroute  devenue  deux  fois,  en 
moins   de  dix  ans ,   une  arme  de 
guerre  et  comme  un  moyen  de  gou- 
vernement! Pour  comble  d'amertu- 
me, les  événements  qui  offensaient 
si  profondément  ses  opinions  éco- 
nomiques ne  menaçaient  pas  moins 
sa   position   manufacturière;   l'ex- 
cès des  droits  sur  les  matières  pre- 
inières ,  les  prohibitions ,  les  con- 
fiscations rendaient    son   industrie 
périlleuse ,  et  il  la  céda   tout    en- 
tière  à  un  associé,  pour  revenir  à 
Paris  vers  la  fin  de  1812.  Le  souvenir 
de  ce  temps  douloureux  ne  s'efFaçâ 
jamais  entièrement  de  sa  mémoire, 
et  lui  dicta  plus  tard  quelques  pa- 
roles passionnées,  les  seules  qui  dé- 
parent la  sévère  impartialité  de  ses 
écrits.  Il  ne  voulut  jamais  voir  dans 
l'empereur  qu'un  grand  dissipateur 
de  capitaux,  qu'un  inflexible  con- 
sommateur d'hommes.  Vers  la  fin  de 
sa  vie,  l'âge  même  n'avait  pas  apaisé 
ce  farouche  ressentiment.  Aussi  lé 
vit-on  applaudir  à  la  chute  de  l'em- 
pire, sans  être  attaché  à  la  Restaura- 
tion ,  qui  ne  tarda  point  à  tromper 
ses  espérances.  Il  profita  néanmoins 
des  libertés  de  181 4  pour  donner  une 
seconde  édition  de  son  Traité,  tthÈ- 
supérieure    à  la   première   et  bien 
mieux  accueillie.  La   paix   ouvrait 
alors  une  carrière  nouvelle  à  l'écorto- 
mie  politique.  Les  mers,  long-temps 
fermées  ,  étaient  redevenues  libres; 
l'Angleterre ,  écrasée  sous  le  poids 
de  sa  dette  el  réduite  au  régime  du 
papier -monnaie ,  allait  bientôt   re- 
prendre les  paiements  en  espèces; 
les  ci'ises  manufacturières   né  de^ 
valent  pas  tarder  à  éclater  Sou'sl'eiïï- 
pire  de  la  concurrence  illimitée.  Oh 
n'avait  vu  à  l'œuvre  qu'nne  seule 
partie    des    théories    économiques 
d''Adam  SiMth  et  dé  J.-B.  Say.  La 
rareté  des  capitaux,  détournés  par  la 

15. 


S28 


SAY 


guerre ,  n'avaitf  pas  encore  permis 
aux  entrepreneurs  des  luttes  sembla- 
bles à  celles  de  nos  jours;  la  rareté 
des  bras  laissait  encore  aux  classes 
ouvrières  quelques  chances  favora- 
bles pour  débattre  le  prix  des  salai- 
res. L'Europe  ne  connaissait  que  les 
difficultés  économiques  de  la  guerre; 
il  lui  manquait  l'expérience  des  em- 
barras de  la  paix  ,  plus  graves  peut- 
être  et  d'une  solution  plus  compli- 
quée. Toutefois  ces  embarras  ne  se 
manifestèrent  pas  dans  les  premières 
années  de  repos ,  dont  J.-B.  Say  pro- 
fila pour  retourner  en  Angleterre 
avec  la  mission  de  constater  la  situa- 
tion industrielle  de  ce  pays.  11  y  fut 
accueilli  avec  beaucoup  de  distinc- 
tion par  les  plus  grands  économistes 
de  l'époque,  Ricardo,  Malthus  et 
Jeremy  Bentham.  On  le  fit  même  as- 
seoir, à  Glasgow ,  dans  la  chaire 
d'Adam  Smith,  honneur  insigne, 
dont  il  se  montra  profondément  tou- 
ché. La  brochure  qu'il  publia  à  son 
retour,  sous  le  titre  De  l'Angleterre 
et  des  Anglais ,  témoignait  vivement 
de  son  antipathie  pour  les  profusions 
des  gouvernements,  et  contenait  plu- 
sieurs avertissements  d'une  nature 
vraiment  prophétique.  Cet  écrit  fut 
suivi  du  Catéchisme  d'économie  poli- 
tique,  ouvrage  élémentaire  excellent, 
où  l'auteur  a  réuni  dans  un  petit 
nombre  de  pages,  et  sous  la  forme  fa- 
milière du  dialogue,  les  principes 
fondamentaux  de  la  science.  A  ce 
moment  d'arrêt  dans  sa  vie,  J.-B. 
Say  voulut  se  recueillir  en  lui-même 
et  jeter  un  regard  philosophique  sur 
les  choses  de  ce  monde.  Il  fit  impri- 
mer sous  le  titre  de  Petit  Volume  un 
recueil  de  pensées  écrites  à  la  ma- 
nière de  Franklin  et  empreintes  d'une 
finesse  naïve,  où  domine  toujours  la 
verve  caustique  de  son  esprit.  Ce 
petit  livre  le  peint  mieux  que  ses 


SAY 

autres  œuvres,  tel  qu'il  était  dans  sâ 
vie  privée,  sceptique,  railleur,  en- 
nemi de  tout  préjugé,  sévère  pour 
lui-même  autant  que  pour  autrui, 
indépendant,  laborieux,  économe.  H 
aimait  la  critique  et  il  en  profitait 
quand  elle  était  fondée.  ■  Il  y  a  un 
point,  disait-il,  sur  lequel  il  fant  se 
résigner  quand  on  écrit  :  c'est  d'être 
lu  légèrement  et  d'être  jugé  du  haut 
en  bas.  »  La  verve  de  son  esprit  ai- 
mait surtout  à  s'exercer  aux  dépens 
des  hommes  sans  convictions,  dont 
le  nombre  est  toujours  grand  aux 
époques  de  troubleetde  changements 
politiques.Voicicommentilen  parle: 
«  Un  homme  sans  principes  se  ren- 
contre avec  un  homme  qui  a  des 
principes.  Ils  causent  ensemble  ;  ils  se 
méprisent  tous  les  deux.  Quel  est 
celui  qui  a  le  plus  de  mépris  pour 
l'autre?  Vous  croyez  que  c'est  celui 
qui  a  des  principes  ?  Vous  vous  trom- 
pez ;  c'est  celui  qui  n'en  pas.  »  Ces 
courtes  citations  du  Petit  Volume  de 
J.-B.  Say  suffiront  pour  donner  une 
idée  de  la  nature  originale  de  son  es- 
prit. On  conçoit  combien  elle  eut  à 
s'exercer  durant  la  réaction  écono- 
mique qui  signala  les  premières  an- 
nées de  la  Restauration.  Elle  avait 
promis,  dans  un  accès  d'enthou- 
siasme, la  suppression  des  droits- 
réunis,  que  la  nécessité  força  pour- 
tant de  conserver  sous  le  nom  de  con- 
tributions indirectes  ;  on  nomma  à  ce 
sujet  une  commission  dont  J.-B.  Say 
fut  membre,  mais  il  refusa  de  pren- 
dre part  à  des  travaux  désormais  inu- 
tiles ,  et  revint  à  ses  études  favorites. 
Il  fit  paraître  presque  en  même  temps 
la  3^  édition  de  son  Traité ,  et  deux 
écrits  intéressants  sur  la  Navigation 
intérieure  de  la  France.  Le  succès 
croissant  de  ses  doctrines  appelait 
chaque  jour  davantage  l'attention  du 
public  sur  sa  personne.  On  le  lisait 


SAY 

avec  ardeur,  on  de'sira  l'entendre  ^  il 
donna  ses  premières  leçons  à  l'Athé- 
ne'e  royal  de  Paris,  pendant  deux 
hivers,  avec  un  grand  succès,  et 
presque  aussitôt  la  4«  édition  du 
Traité,  déjà  traduit  dans  plusieurs 
langues,  et  considéré  dans  toute 
l'Europe  comme  un  livre  classi- 
que. L'économie  politique  se  popu- 
larisait de  plus  en  plus  sous  son 
influence  5  les  princes  mêmes  n'en 
dédaignaient  pas  l'étude,  et  J.-B.  Say 
en  compta  plusieurs  parmi  ses  élèves. 
Cependant,  à  mesure  qu'il  s'efforçait 
de  maintenir  la  science  dans  de  justes 
limites  par  la  précision  rigoureuse  du 
langage  et  la  justesse  de  ses  déduc- 
tions, des  athlètes  célèbres  le  for- 
çaient de  descendre  dans  l'arène,  et 
engageaient  avec  lui  une  lutte  éner- 
gique. Ses  trois  plus  dignes  adver- 
saires furent  Malthus,  Ricardo  et 
Sismondi.  Le  premier  veitait  de 
publier  son  Essai  sur  le  principe 
de  la  population^  et  une  théoriei^ha- 
sardée  de  quelques-uns  des  phéno- 
mènes les  plus  intéressants  de  la 
production.  J.-B.  Say  lui  adressa 
cinq  lettres  remarquables,  qui  ont 
été  imprimées  dans  la  collection  de 
ses  œuvres  posthumes,  et  qui  mé- 
ritent d'être  lues  avec  attention, 
quoiqu'elles  traitent  de  quelques 
points  de  controverse  plutôt  que 
des  vrais  intérêts  de  la  science.  C'est 
au  terrible  livre  de  Malthus-,  sur 
la  population,  que  J.-B.  Say  au- 
rait dû  s'attaquer  j  mais  il  en  adopta 
pleinement  toutes  les  conclusions, 
si  durement  commentées  et  dé- 
veloppées par  Ricardo  ,  dans  son 
ouvrage  sur  le  Principe  de  Vimpôt. 
Nous  ne  parlerons  point  de  leurs 
débats  dogmatiques  sur  la  théorie  du 
fermage,  ni  des  protestations  élo- 
quentes de  Sismondi  sur  les  abus  de 
la  concurrence  et  des  instruments 


SAY 


229 


du  crédit.  Ces  grandes  luttes  se  sont 
reproduites  bien  plus  formidables  de 
nos  jours.  Au  moment  où  elles  s'en- 
gageaient d'une  manière  si  digne  et  si 
grave  entre  les  fondateurs  de  l'éco- 
nomie politique,  nul  n'aurait  osé 
supposer  qu'elles  descendraient  un 
jour  sur  la  place  publique,  et  que  le 
fléau  du  paupérisme,  signalé  par 
Malthus,  s'étendrait  comme  un  vaste 
réseau  sur  toute  l'Angleterre.  Ces 
illustres  penseurs  avaient  le  senti- 
ment profond  du  mal  qui  affligeait 
la  sociétéindustrielle ,  mais  ils  étaient 
loin  d'en  prévoir  toutes  les  consé- 
quences. La  liberté  leur  semblait  as- 
sez forte  et  assez  ingénieuse  pour  se 
suffire  ;  ils  ne  lui  demandaient  que  de 
la  retenue  ;  et  de  la  tempérance  en 
toute  chose.  Malthus  condamnait  au 
célibat  les  deux  tiers  de  l'espèce  hu- 
maine 5  il  grondait  les  enfants  qui 
s'avisaient  de  naître  sans  revenus, 
et  leur  annonçait  la  famine  d'une 
voix  paternelle,  tandis  que  Sismondi 
demandait  grâce  pour  eux  aux  ma- 
chines, et  pour  leurs  pères  aux  ban- 
quiers. Ricardo  supputait  froidement 
le  contingent  nécessaire  de  victimes 
à  immoler  sur  les  autels  de  la  con- 
currence, comme  un  général  calcule 
laperted'hommesindispensablepour 
enlever  une  redoute.  Tel  était  le  ca- 
ractère des  débats  établis  au  foyer 
même  de  la  science  économique , 
lorsque  J.-B.  Say  fut  appelé  à  la 
professer  au  conservatoire  des  arts 
et  métiers,  à  la  suite  d'un  travail 
remarquable  présenté  à  M.  le  baron 
Thénard,  sur  l'utilité  de  l'enseigne- 
ment industriel.  Il  en  avait  très-bien 
signalé  l'importance  au  milieu  du 
développement  désordonné  de  toutes 
les  industries  ;  aussi  mit-il  tous  ses 
soins  à  lui  donner  un  caractère  d'ap- 
plication immédiate.  Sa  vieille  expé- 
rience de  manufacturier  lui  fut  d'un 


230 


SAY 


grand  secours  dans  ceffe  lùclie  diffi- 
cile, où  il  aurait  obtenu  les  plus  bril- 
lants succès,  si  ses  leçons  orales 
avaient  été  improvisées.  Malgré  la 
promptitude  naturelle  de  son  esprit 
et  la  sûreté  de  sa  mémoire,  J.-B.  Say 
ne  put  jamais  se  décider  à  cette 
épreuve  périlleuse,  et  il  prit  le  parti 
de  lire  toutes  ses  leçons.  Il  craignait 
les  longueurs  et  les  redites  j  il  aimait 
mieux  éclairer  que  séduire;  il  préfé- 
rait la  qualité  des  auditeurs  à  la  quan- 
tité. Le  nombre  des  siens  avait  tou- 
jours été  borné:  il  conçut  Theureuse 
idée  de  l'agrandir,  en  publiant  ses 
leçons  du  conservatoire,  sous  le  titre 
de  Cours  complet  d'économie  poli- 
tique pratique, ouvrage  consiûéràhle, 
que  les  industriels  préféreront  tou- 
jours à  son  Traité,  quoiqu'il  n'en  ait 
pas  la  belle  ordonpance,  la  précision 
et  la  méthode.  J.-B.  Say  a  réuni  dans 
cette  vaste  encyclopédie  économique 
Jes  faits  destinés  à  justifier  ses  théo- 
ries et  à  les  éclairer.  On  sent  qu'il 
éprouvait  déjà  le  contre-coup  de  la 
réactipn  qui  s'opérait  dans  le  monde 
contre  les  doctrines  anglaises.  Il  en 
avait  lui-même  attaqué  quelques-unes, 
mais  iladoptait  pleinement  toutes  les 
autres.  A  l'heure  où  il  vivait,  et  en 
France  surtout,  l'abus  des  travail- 
leurs dans  les  manufactures  n'avait 
pas  encore  légitimé  le  cri  d'alarme 
poussé  par  Sismondi,  et  motivé  les 
lois  que  nous  venons  de  promulguer. 
Lç  Cours  complet  d''économie  poli- 
tique obtint  un  grand  et  beau  succès, 
môme  après  la  publication  de  la 
cinquième  édition  du  Traité^  qui 
restera  toujours,  selon  nous,  le  pre- 
mier titre  de  J.-B.  Say  à  l'estime  de 
§es  contemporains.  On  n'y  trouve 
aucune  trace  des  systèmes  hardis  qui 
^commencèrent  à  se  faire  jour  et  à 
eççal^der  la  science  après  la  révolu- 
tion de  1330.  Ce  vain  bruit  d'ptopies 


SAY 

expirait  à  sa  porte.  II  n'entamait  de 
discussion  qu'avec   des  adversaires 
sérieux,  et  ne  se  laissait  point  étour- 
dir par  le  fracas  des  rues.  Il  travail- 
lait  à    l'amélioration    des    classes 
pauvres,  sans  rechercher  leur  faveur 
ni  craindre  leur  blâme.  Il  disait  des 
vérités  austères  aux  peuples  et  aux 
rois,  avec  l'impartialité  dédaigneuse 
d'un  philosophe  uniquement  occupé 
des  intérêts  de  la  science  et  de  l'hu- 
manité. Toutç  la  presse  française  se 
pénétrait  de  ses  doctrines,  sans  en 
connaître  l'auteur,  qui  vivait  à  l'écart, 
entouré  de  sa  famille  et  d'un  petit 
cercle  d'amis  dévoués.  C'est  là  qu'il 
recevait,   une  fois  par  semaine,  les 
hommes  les  plus  distingués  de  son 
temps  et  les  savants  étrangers,  dont 
aucun  ne  manquait  de  venir  lui  ren- 
dre hommage.  La  haute  supériorité 
de  son  esprit  se  révélait  dans  ces 
conversations  intimes,  qu'il  savait 
animer  par  des  saillies  originales  et 
une  richesse  de  connaissances  inépui- 
sable. Il  aimait  à  railler  les  hommes 
du  pouvoir,  et  il  ne  laissait  passer 
aucune  occasion  de  stigmatiser  les 
mauvais  livres  et  les  mauvaises  me- 
sures en  économie  politique.  Les  lois 
de  douanes  restrictives   dont  nous 
souflVons  tant  aujourd'hui,  et  qui  ont 
chargé  de  droits  si  funestes  les  fers, 
les  laines,  les  bestiaux,  n'ont  pas  eu 
d'adversaire  plus  prononcé.  Nul  n'a 
travaillé  avec  plus  de  persévérance  à 
fiépopulariser  la  guerre,  les  entraves, 
les  prohibitions  i  à  faire  apprécier 
l'importance  des  travaux  publics,  des 
routes,  descanaux.  Jamais,  d'ailleurs, 
à  aucune  autre  époque  de  l'histoire, 
la  science  n'avait  eu  l'occasion  de 
faire  de  plus  magnifiques  expériences. 
La  splendeur  des  événements  poli- 
tiques pâlit  devant  la  gravité  des 
questions  économiques  et  sociales, 
résolues  om  posées  dan^  les  cinquante 


anwéç^  qui  viennent  d^  ^'écouler, 
A  peine  J,-R,  S^y  avait-il  annoncé  la 
dernière  heur^  du  système  colonial, 
que  nous  perdions  Saint-Domingue, 
et  les  Espagnols  rAmérique  tout  en- 
tière. L'Angleterre  elle-même  était 
forcée  de  capituler  sur  celte  grave 
question  en  modifiant,  au  profit  delà 
liberté  commerciale,  le  monopole  su- 
r^pné  de  la  compagnie  des  Indes.  La 
faillite  des  banques  provinciales  de  la 
Grande-Bretagne   et   de  celles  des 
États-Unis  témoignaientde  la  justesse 
de  ses  vues  en  matière  de  crédit; 
l'association  des  douanes  allemandes 
devenait  la  première  protestation  of- 
fieielle  des  gouvernements  contre  le 
système  prohibitif.  Une  simple  que- 
relle de  tarif  a  manqué  jeter  la  dis- 
corde au  sein  de  l'Union  américaine, 
et  toutes  les  tempêtes  amoncelées  sur 
nos  têtes  ne  commencent  à  se  dissi- 
per qu'en  présence    du    souverain 
maître  des  peuples  et  des  rois,  l'in- 
térêt général  de  l'humc^nité.  Ce  sera 
l'éternel  honneur  de  J.-B.  Say  d'avoir 
soutenu,  démontré,  proclamé  l'ex- 
celleacede  ces  principes,  et  leur  do- 
mination irrévocable  sur  la  politique 
du  monde.  Heureux  s'il  avait  réussi 
à  résoudre  aussi  complètement  les 
problèmes  redoutables  du  paupérisme 
et  de  la  concurrence!  Il  a  laissé  cette 
pénible  tâche  à  ses  successeurs  ;  mais 
la  sienne  a  été  assez  belle  et  assez 
bien  remplie  pour  suffire  à  sa  gloire. 
On  l'a  vu  détourner  les  yeux  du  triste 
spectacle  de  la  misère  des  classes 
ouvrières  en  Angleterre  ;  il  ne  Ta 
jamais  connue  dans  sa  hideuse  pro- 
fondeur. Il   n'avait  gardé  souvenir 
que  des  merveilles  de  l'industrie, 
sans  entendre  le  cri  des  souffrances 
qu'elle  traîne  k  sa  suite  dans  l'état 
présent  de  soq  organisation.  Il  ad- 
mirait la  puissance  des  grands  capi- 
taux sans  redouter  leur  despotisme. 


SAY 


231 


Son  cœur  compatissait  vivement  aux 
maux  de  ses  semblables,  mais  il  lui 
était  resté  quelque  chose  du  fatalisme 
de  Malthus'  et  de  l'école  économique 
anglaise.  Quand  il  vit  s'élever,  après 
le  mouvement  de  1830,  les  bannières 
inconnues  et  menaçantes  des  écoles 
nouvelles,il  parut  éprouverunesortc 
de  surprise  ;  il  ne  voulut  jamais  aller 
à  la  rencontre  de  cet  horizon  nébu- 
leux derrière  lequel  on  prétendait 
traiter  les  grandes  questions  de  l'a- 
venir. Il  refusa  de  se  commettre  avec 
des  gens  qui  ne  parlaient  plus  ni  la 
langue  économique,   ni   la   langue 
française.  Il  garda  le  silence  le  plus 
absolu.  Déjà  même  il  éprouvait  une 
sorte  de  lassitude   causée   par  son 
application  continuelle  au   travail. 
Le  gouvernement  de  juillet  vpnait  de 
lui  confier  la  chaire  d'économie  poli- 
tique du  collège  de  France,  et  il  s'y 
était  dévoué  tout  entier  avec  sa  fidé- 
lité habituelle  au  devoir,  quand  la 
mort  de  sa  femme  le  frappa  du  coup 
le  plus  terrible.  Madame  Say  avait  ré- 
pandu sur  l'existence  de  son  mari  un 
charme  inexprimable  ;  elle  réunissait 
au  plus  haut  degré  la  dignité  du  ca- 
ractère, l'élévation  de  l'esprit,  la 
simplicité  bienveillantedes  manières. 
Ce  stoïcien,  en  perdant  sa  femme,  se 
sentit  frappé  a  mort.  Dès  ce  moment 
sa  santé  alla  toujours  en  déclinant. 
Plusieursaltaques d'apoplexie  avaient 
c^dé  aux  soins  du  docteur  Duméril , 
son  médecin  et  son  ami  ;  une  der- 
nière, plus  forte  (jue  les  autres,  mit 
fin  à  ses  jours  le  15  novembre  1^32. 
J.-B.  Say  était  âgé  de  66  ans  ;^  il  lais- 
sait quatre  enfants,  deux  fils  et  deux 
filles  \  l'une  d'elles  était  la  femme  de 
l'honorable  Ch.  Comte,  dont  l'Aca- 
démie des  sciences  morales  et  poli- 
tiques devait  bientôt  avoir  à  déplorer 
la  mort    prématurée.   Les  servicies 
épiinents  que  ce  grand  économiste  a 


2Z2 


SA  Y 


rendus  à  la  science  sont  désormais 
appréciés  de  l'Europe  tout  entière, 
malgré  l'injustice  avec  laquelle  cer- 
tains écrivains  ont  essayé  de  les  mé- 
connaître. C'est  J.-B.  Say  qui  a  con- 
stitué l'économie  politique  à  l'état  de 
science  d'application,  en  assignant  au 
travail  et  aux  capitaux  leur  véritable 
rôle  dans  la  production  industrielle, 
et  en  déterminant,  de  la  manière  la 
plus  précise,  les  fonctions  de  la  mon- 
naie et  les  conditions  du  crédit  \  c'est 
lui  qui  a  fondé  le  nouveau  droit  des 
nations  en  frappant  dans  sa  base  le 
système  suranné  de  la   balance  de 
commerce,  source  de  tant  de  guerres 
funestes  et  d'erreurs  économiques. 
Grâce    à    l'heureuse   influence  des 
écrits  de  J.-B.  Say,  les  peuples  les 
plus  belliqueux  ont  tourné  leur  acti- 
vité vers  des  travaux  plus  durables  , 
la  puissance  a  passé  du  côté  de  la  ri- 
chesse. La  seule  question  importante 
que  J.-B.  Say  n'ait  pas  pu  résoudre  est 
celle  de  la  distribution  équitable  des 
profits  du  travail,  qui  excite  aujour- 
d'hui à  si  juste  titre  la  sollicitude 
des    gouvernements.    Aussi    long- 
temps  qu'il    y  aura    des   millions 
d'hommes  privés  des  premières  né- 
cessités  de  la  vie ,   au  sein  d'une 
société  riche  de  tant  de  capitaux  et 
de  tant  de  machines,  la  tâche  des 
économistes  ne  sera  pas  finie.  La  ci- 
vilisation est  appelée  à  couvrir  d'une 
protection  commune,  comme  fait  le 
soleil,  le  riche  et  le  pauvre,  le  fort 
et  le  faible,  l'habitant  des  villes  et 
celui  des  campagnes.  Il  faudra  bien 
réfléchir  long-temps  encore  sur  un 
système  de  production  qui  nous  force 
de  chercher  des  consommateurs  aux 
extrémités  du  monde,  quand  à  nos 
propres  portes,  au  sein  de  notre  pa- 
trie, nous  avons  des  travailleurs  qui 
manquent  de  tout!  Le  grand  effort 
des  économistes  de  Técolc  de  J.-B. 


SAY 

Say  a  été   de  conquérir  la  liberté 
pour  le  travail;  la  tâche  de  ses  succes- 
seurs sera  de  l'organiser.  J.-B.  Say 
est  mort  comme  il  avait  vécu,  fidèle 
à  ses  doctrines  économiques,  philo- 
sophiques, politiques,  quelque  peu 
susceptible    et    fier,    comme    un 
homme  sûr  de  lui-même,  et  qui  n'a 
jamais  baissé  le  front  devant  aucun 
pouvoir,  peuple  ou  rois,  mais  tou- 
joi^rs  sincèrement  préoccupé  des  in- 
térêts de  l'humanité.  Ses  habitudes 
de  travail  avaient  quelque  chose  de 
l'austérité  de  son  caractère;  ses  li- 
vres, ses  notes,  ses  cahiers  toujours 
parfaitement  en  ordre  comme  ses 
idées,  témoignaient  à  toute  heure  du 
jour  de  son  dévouement  à  la  science. 
il  entretenait  avec  les  plus  grands 
économistes  de  son  temps  une  cor- 
respondance active  qui  tenait  de  la 
polémique,  et  dans  laquelle  il  excel- 
lait à  traiter  les  plus  hautes  ques- 
tions, il  était  classique  en  littéra- 
ture, plus  voltairien  que  protestant 
dans  ses    croyances,    et   de  l'école 
de   Condiliac    en    philosophie.    En 
toute  chose,  d'ailleurs,  sa  tolérance 
était  à  la  hauteur  de  ses  opinions. 
Une  de  ses  parentes,  née  comme  lui 
dans  la   religion    réformée ,    mais 
beaucoup  plus  orthodoxe,  lui  avait 
envoyé  une  Bible  annotée,  quelques 
jours  avant  sa  mort.  -  Je  vous  re- 

•  mercie  beaucoup,  lui  écrivit-il, 
«  ma  chère  cousine,  du  présent  que 
«  vous  m'avez  lait  ;  mais  je  n'ai  pas 
«  d'inquiétude  pour  mon  salut,  tant 
«.  est  grande  ma  confiance  en  la 
«  bonté   infinie    du   Créateur.  Son 

•  existence  m'est  révélée  par  ses  œu- 
«  vres  et  je  n'ai  besoin  d'aucune  ré- 
«  vélation  pour  savoir  ce  que  j'en 
«  dois  penser.  Toutefois,  il  y  a  un 
«  point  sur  lequel  mes  convictions 
«  ont  le  bonheur  de  s'accorder  avec 

•  les  vôtres,  c'est  que  nous  devons 


SAY 

«  être  remplis  d'indulgence  les  uns 

•  envers  les  autres,  et  faire  du  bien 

•  à  notre  prochain  selon  notre  pou- 
«  voir  et  notre  position.  J'ai  l'intime 
«  persuasion  que  cela  suffit  pour  être 
«  sauvé ,  et  il  n'est  pas  possible 
«  qu'aucun  de  mes  semblables  soit 

•  plus  tranquille  que  moi  sur  l'issue 
«  de  cette  question  ;  mais  en  même 
«  temps  je  sens  une  extrême  recon- 
«  naissance  pour  tous  ceux  qui  pen- 
«  sent,  comme  vous,  que  cela  ne 
«  suffit  pas.  »  J.-B.  Say  n'apparte- 
nait en  France  à  aucun  corps  savant, 
mais  il  était  membre  des  principales 
académies  de  l'Europe;  l'académie 
des  sciences  de  Saint-Pétersbourg, 
celles  de  Madrid,  de  Berlin,  de  Na- 
ples  le  comptaient  parmi  leurs  as- 
sociés. Sa  place  était  marquée  au 
sein  de  l'AcaJémie  des  sciences  mo- 
rales et  politiques,  mais  il  y  avait  à 
peine  quinze  jours  que  cette  savante 
compagnie  venait  d'être  rétablie 
quand  la  mort  le  frappa  subitement. 
Voici  l'indication  bibliographique  des 
différents  ouvrages  de  J.-B.  Say 
dont  nous  avons  rendu  compte  dans 
le  cours  de  cette  notice:  I.  La  liberté 
de  la  presse,  Paris,  1789,  in-8<> 
(anonyme).  II.  OlMe,  ou  Essai  sur 
les  moyens  de  réformer  les  mœurs 
d'une  nation,  Paris,  1800,  in-8®. 
m.  Traité  d'économie  politique^  ou 
Simple  exposition  de  la  manière 
dont  se  forment,  se  distribuent  et  se 
consomment  les  richesses,  Paris, 
1803,  2  vol.  in  8o;  seconde  édition, 
entièrement  refondue  et  augmentée 
d'un  épitome  des  principes  fonda- 
mentaux  de  l'économie  politique^ 
Paris,  1814,  2  vol.  in-8°;  3«  édition, 
1817  ;  4%  1819  -,  5%  1826,  3  vol.  in-8«. 
Toutes  ces  éditions  ont  été  revues 
par  l'auteur,  excepié  la  6^,  publiée 
par  son  fils.  Le  Traité  d'économie 
politique  a  été  traduit  dans  toutes 


SAY 


233 


les  langues  de  l'Europe.  Une  traduc- 
tion espagnole,  entre  autres ,  par 
D.  Juan-Sanchez  Rivera,  a  paru  à 
Bordeaux,  1822,  4  vol.  in-12;  5»  edi- 
cion,  Paris,  1836,  4  vol.  in-12.  IV.  De 
l'Angleterre  et  des  Anglais,  Paris, 
1815,  in-8°-,  3^  édit.,  1816,  in^". 
V.  Catéchisme  d'économie  politi- 
que, ou  Instruction  familière,  qui 
montre  de  quelle  façon  les  richesses 
sont  produites,  distribuées  et  con- 
sommées dans  la  société;  ouvrage 
fondé  sur  des  faits  et  utile  aux  diffé- 
rentes classes  d'hommes,  en  ce  qu'il 
indique  les  avantages  que  chacun 
peut  retirer  de  sa  position  et  de  ses 
talents,  Paris,  1815,  in-12;  seconde 
édition,  entièrement  refondue  et 
augmentée  de  notes,  Paris,  1822, 
in-12;  nouvelle  édition,  avec  une 
préface  par  Ch.  Comte,  gendre  de 
l'auteur,  Paris,  1834,  in-12;  trad.  en 
espagnol,  Paris,  1822,  in-12.  \l.  Pe- 
tit Volume, contenant  quelques  aper- 
çus des  hommes  et  de  la  société,  Paris, 
1817-1818,  in-18.  VU.  Des  canaux 
de  navigation  dans  Vétat  actuel  de  la 
France^  Paris,  1818,  in-8<>.  VIII.  De 
l'importance  du  port  de  la  Villette, 
Paris,  1818,  in-8®.  IX.  Lettres  à 
Malthus^  sur  différents  sujets  d'éco- 
nomie politique,  notamment  sur  les 
causes  de  la  stagnation  du  com- 
merce, Paris.  1820,  in-8®  ;  trad.  en 
espagnol,  Paris,  1827,  in-12.  X. 
Économie  politique  sur  la  balance 
des  consommations  avec  les  produc- 
tions, Paris,  1824,  in-8o.  XI.  Essai 
historique  sur  l'origine,  les  progrès 
et  les  résultats  probables  de  la  sou- 
veraineté  des  Anglais  aux  Indes, 
Paris,  1824,  in-8<>.  Ces  deux  derniers 
opuscules  sont  extraits  de  la  Revue 
encyclopédique.  XI L  Économie  po- 
litique. Esquisse  de  l'économie  po- 
litique moderne ,  de  sa  nomencla- 
ture,  de  son  histoire  et  de  sa  biblio- 


m 


SAY 


graphie,  Paris,  1820,  in-S".  Cet  arti- 
cle a  été  inséré  dans  V Encyclopédie 
progresHve,  et  traduit  en  espagnol, 
sous  le  titre  d'Jntroduccion  a  la 
economia  politica,  Paris  ,  1827, 
in-18.  Xlll.  Programme  du  cours 
êtéconomie  industrielle  en  1828-29 
(au  conservatoire  des  arts  et  mé- 
tiers), in-80.  XIV.  Cours  complet 
d*  économie  politique  pratique,  Paris, 
1828-30,  6  vol.  in-8«5  une  nouvelle 
édition  a  paru  après  la  mort  de 
Fauteur.  XV.  Mélanges  et  corres- 
pondance d'économie  politique ,  ou- 
vrage posthume,  publié,  avec  une 
notice  historique  sur  la  vie  et  les 
ouvrages  de  Say,  par  Ch.  Comte,  son 
gendre,  Paris,  .1833,  in-S».  Outre  les 
Lettres  à  Malthus,  déjà  imprimées  en 
1820,  on  y  trouve  la  correspondance 
de  Say  avec  Dupont  de  Nemours, 
Th.  Jefferson,  Dav.  Ricardo,  etc. 
XVI.  Un  grand  nombre  d'articles 
dans  la  Décade  philosophique  ,  la 
Revue  encyclopédique ,  le  Diction- 
naire de  la  conversation  et  autres 
recueils.  Say  avait  même  fourni , 
^ans  sa  jeunesse,  quelques  morceaux 
de  poésie  à  VÂlmanach  des  Muses. 
Il  a  rédigé  VÂbrégé  de  la  vie  de 
Franklin^  placé  en  tête  de  la  Science 
du  bonhomme  Richard,  édition  de 
1794  (voy.  Franklin,  XV,  529).  Il  a 
ajouté  des  notes  explicatives  et  cri- 
tiques aux  Principes  de  l'Économie 
politique  et  de  Vimpôt,  de  David  Ri- 
cardo, trad.  de  l'anglais  par  Con- 
stancio,  Paris,  1819,  2  vol.  in-S** 
(voy.  Ricardo,  XXXVIT,  507);  puis 
au  Cours  d'Économie  politique  dt 
Henri  Storch, édition  de  Paris,  1823, 
4  vol.  in-8°.  Enfin  il  atraduit  de  l'an- 
glais le  Nouveau  Voyage  en  Suisse  , 
par  miss  Helena-Maria  Williams,  Pa- 
ris, 1798,2  vol.  in-S**.  Le  Journal  des 
Économistes  j  de  mars  1847,  a  pu- 
blié une  Lettre  inédite  de  J-B.  Say 


SAY 

sur  \la  Banque  de  France.  On  an- 
nonce en  ce  moment,  à  la  librairie 
de  Gnillaumin,  une  édition  complète 
des  Œuvres  de  J.-B.  Say,  qui  com- 
prendra quelques  fragments  inédits. 
—  Des  deux  frères  de  J.-B.  Say,  l'un 
(Horace)  fut  blessé  au  bras  droit,  en 
1799,  pendant  le  siège  deSaint-Jean- 
d'Acre,  où  il  servait  avec  distinction 
en  qualité  de  chef  de  bataillon  du 
génie,  et  mourut  à  Césarée  par  suite 
de  ramputation  (2)  ;  l'autre  (Louis) 
est  mort  en  1840  à  Paris  où  il  s'était 
retiré,  après  avoir  été  long-temps 
raffineur  de  sucre  à  Nantes.  Celui-ci 
est  auteur  de  quelques  écrits  écono- 
miques peu  importants,  dans  les- 
quels il  affectait  de  redresser  de 
prétendues  erreurs  de  son  frère, 
sans  s'apercevoir  qu'il  avait  grand 
besoin  lui-même  qu'on  redressât  les 
siennes  (3).  B—l— i. 

SAYER  (Franck),  poète  anglais, 
naquit  à  Londres,  le  3  mars  1763. 
Ayant  perdu  son  père  de  bonne  heure, 
il  ne  reçut  point  une  éducation  régu- 
lière ;  et  après  avoir  ébauché  ses  étu- 


(2)  Horace  Say  avait  concouru  avec  son 
frère,  en  1797,  à  la  rédaction  de  la  Décade 
philosophique,  et  il  avait  fourni  un  Cours  de 
fortifications  au  Journal  de  l'Ecole  polytech- 
nique (torn.  I,  1794). 

(3)  Les  ouvrages  de  Louis  Say  sont  :  I, 
Principales  causes  de  la  richesse  ou  de  la  mit 
sère  des  peuples  et  des  particuliers,  Paris, 
18 18.  II.  Considérations  sur  l'industrie  et  la 
législation,  sous  le  rapport  de  leur  influence 
sur  la  richesse  des  Etats,  et  examen  critique 
des  principaux  ouvrages  qui  ont  paru  sur  l'é- 
conomie politique,    Paris,  1822,  in-8''.  III. 

Traité  élémentaire  de  la  richesse  individuelle 
et  de  la  richesse  publique f  et  éclaircissements 
sur  les  principales  questions  d'économie  poli' 
tique,  Paris,  1827,  in-S*'^  une  traduction 
en  anglais  fut  imprimée  k  Nantes  en  1829. 
IV.  Etudes  sur  la  richesse  des  nations  et  réfu- 
tation des  principales  erreurs  en  économie  poli- 
tique, Paris,  i836,  in-S^.V.  Influence  de  la 
morale  et  des  dogmes  religieux  sur  la  richesse 
des  nations^  Nantes  (sans  date);  réimprimée 
dans  le  Traité  élémentaire  de  la  richesse. 


SAY 

des  à  Yarmouth,  où  sa  mère  s'était 
retirée  pour  être  au  sein  de  sa  fa- 
lïiille,  puis  à  North-Walsham,  où  il 
eut  entre  autres  condisciples  Nelson, 
du  reste  beaucoup  plus  âgé  que  lui, 
et  enfin  à  Palgrave  oii  Barbauld,  le 
mari  d'une  des  Saphos  de  l'époque, 
la  gracieuse  miss  Laetitia  Aikin,  cu- 
mulait avec  le  titre  de  prédicateur 
d'une  chapelle  de  dissidents  les  mai- 
gres profits  d'une  petite  pension,  il 
fut  placé  dans  une  maison  de  com- 
merce à  Yarmouth  même.  La  régu- 
larité, le  formalisme  de  cette  nou- 
velle existence  lui  déplurent  singu- 
lièrement, et  sop  aïeul  maternel  lui 
ayant  laissé  un  bien  rural  de  cent 
trente  acres  à  peu  près,  il  profita  de 
5a  majorité  pour  dire  adieu  au  comp- 
toir et  pour  se  mettre  en  devoir 
^e  vivre  un  jour  en  gentleman 
fyrmer.  Toutefois  étant  dépourvu 
des  premières  notions  de  l'agricul- 
ture ,  il  alla  se  mettre  comme  en 
apprentissage  chez  un  habile  culti- 
vateur d'Oulton  (comté  de  Suffolk), 
pour  revenir  de  là  régir  ses  domai- 
nes de  Palgrave,  car  c'est  à  Palgraye 
qu'était  situé  l'héritage.  Mais  il  pe 
tarda  pas  à  s'apercevoir  que  l'agri- 
culture pratique  était  plus  loin  en- 
core de  convenir  à  ses  goûts  que  le 
commerce.  Rêveur  et  poète  par  na- 
ture, il  s'était  figuré  que  sa  vie  au 
sein  du  cottage  serait  une  idylle  per- 
pétuelle. Quelques  mois  de  contact 
avec  la  dure  réalité  lui  apprirent 
que  l'on  ne  peut  mener  de  front  une 
ferme  et  l'existence  littéraire  dont 
son  imagination  lui  avait  présenté 
la  perspective.  Il  abandonna  donc 
en  mêmp  temps  Oulton  et  ses  plans 
pour  Palgrave  et  revint  passer  un 
peu  de  temps  auprès  de  sa  mère  à 
Yarmouth.  Sa  famille  insistait  pour 
qu'il  fît  choix  d'une  carrière.  Il  n'eût 
tenu  qu'à  lui  d'entrer  avantageuse- 


SAY 


235 


mei^t  dans  les  ordres  ;  un  M.  Alric, 
son  oncle  par  alliance,  avait  reçu  de 
l'évêque  de  Lincoln  Thurlow,  père 
du  chancelier,  l'invitation  de  lui  dé- 
signer un  protégé  à  son  choix  pour 
un  bénéfice  de  300  liv.  (7500  f.)  de 
rente,  et  un  mot  aurait  suffi  à  Sayer 
pour  se  voir  assurer  cette  position. 
Il  ne  le  voulut  pas*,  et  si,  comme  on 
le  dit,  son  refus  eut  pour  cause 
l'attachement  qu'il  professait  pour  le 
méthodisme,  on  ne  peut  que  donner 
des  éloges  à  son  désintéressement. 
Nous  ne  dissimulerons  pas  pourtant 
que  sous  plus  d'un  rapport  il  n'eût 
agi  fort  sagement  en  acceptant  -,  et 
puisque,  en  fin  de  compte  et  sans 
avantage  aucun,  il  en  vint  à  répudier 
sa  foi  première  pour  embrasser  la 
doctrine  anglicane,  il  est  fâcheux 
pour  lui  que  cette  conversion  (qu'on 
n'eût  pas  même  appelée  conversion 
chez  un  homme  de  20  ans)  n'ait  pas 
eu  lieu  plus  tM.  Quoi  qu'il  en  soit, 
peu  de  temps  après,  il  annonçait  à 
sa  mère  qu'il  allait  étudier  la  mé- 
decine, ou  plutôt  la  chirurgie  -,  et 
cjans  ce  but,  après  avoir  vendu  son 
domaine,  il  se  rendit  d'abord  à  Lon- 
dres, où  il  eut  pour  maîtres  Cruick- 
shftnk,Baillie,  Hunter,  puis  à  Edim- 
bourg dont  il  s'absenta  plus  4'une 
fois  pour  se  livrer  à  des  pèlerinages 
poétiques,  bien  plus  (ians  ses  goûts 
q^e  les  études  professionnelles,  et  fi- 
nalement en  Hollande.  Il  avait  songé 
d'abord  à  se  faire  recevoir  docteur 
à  Leyde^mais  les  règlements  de  IJu- 
piversité  ne  permettaient  de  confé- 
rer ce  grade  qu'au  bout  d'un  séjour 
plus  long  que  celui  qu'il  comptait  y 
fair^,  ou  peut-être  n'était-il  pas  de 
forcp  à  supporter  des  examens  un 
peu  sévères.  Heureusement  il  y  en 
avait  une  autre  tout  près  de  là,  celle 
d'Harderwick,  laquelle  ne  faisait  pas 
grande  figure,  eutre  Leydeet  Frane- 


236 


SAY 


ker,  mais  où  l'on  était  plus  coulant. 
C'est  là  que  Sayer  se  vit  décoré  du 
titre  auquel  il  aspirait.  Nous  disons 
le  titre,  car  chemin  faisant,  et  même 
avant  d'avoir  quitté  l'école,  il  avait 
reconnu  que  sa  vocation  pour  la  chi- 
rurgie avait  été  une  illusion  comme 
toutes  les  autres  \  il  était  venu  à  bout 
de  surmonter  son  dégoût  pour  la  dis- 
section^ mais  les  opérations  chirur- 
gicales agissaient  trop  violemment 
sur  sa  sensibilité  pour  qu'il  pût  s'y 
décider.   Évidemment   Sayer  aurait 
été  fort  à  plaindre  s'il  eût  été  dans  la 
nécessité  de  subvenir  à  ses  besoins 
par  ses  gains.  Mais  dès  ce  moment 
le  peu  qu'il  avait  suffisait  pour  le 
mettre  à  l'abri  d'une  obligation  trop 
pesante  pour  lui  ;  et  à  mesure  qu'il 
avança  dans  la  vie  divers  héritages 
toujours  modiques,  il  est  vrai,  vin- 
rent ajouter  à  son  bien-être.  11  put 
donc  se  laisser  aller  à  ses  goûts  de 
rêverie  et  de  poésie.  Il  avait  étudié 
la  littérature,  ou  plutôt  les  littéra- 
tures, et  principalement    certaines 
d'entre  elles  avec  amour  :  la  primi- 
tive    tragédie    grecque     avec    ses 
chœurs,  le  lyrisme  de  Klopstock,  la 
mythologie  et  les  sagas  de  l'Islande, 
les  vieilles  ballades  de  la  Grande- 
Bretagne  avaient  frappé  son  imagi- 
nation et  allumé  en  lui  un  vif  en- 
thousiasme. Il  avait  même  quelque 
temps  cru  en  Ossian,  mais  les  ob- 
servations qu'il  fit  pendant  une  de 
ses  traversées  en  Ecosse  le  guérirent 
de  cette   idée,  et  de  la  part  d'un 
jeune  homme,  peu  expérimenté  en- 
core,  cette    promptitude    à   sortir 
de  l'erreur  prouve   du  tact.  Libre 
désormais  de  préoccupations,  Sayer 
se  sentit  le  besoin  de  fondre  en  une 
œuvre  d'art  toutes  les  idées,  toutes 
les  impressions  que  ses  lectures  fa- 
vorites avaient  éveillées  en  lui.  De  là 
les  Esquisses  dramatiques  qu'il  pu- 


SAY 

blia  en  1790  et  qui  furent  reçues  avec 
applaudissement ,  sinon  par  la  foule, 
du  moins  par  les  connaisseurs,  par  les 
lecteurs  d'élite. En  Allemagne  surtout 
son  ouvrage  plut  singulièrement,  et 
dès  ce  moment  le  poète  fut  classé  par- 
mi les  notabilités  de  l'époque.  Fut- 
ce  un  bien  pour  sa  réputation?  On 
ne  saurait  le  dire.  Sayer  depuis  ce 
temps  ne  déploya  pas  une  grande  ac- 
tivité, d'où  l'on  a  conclu  que  si  le 
succès  ne  Tavait  pas  comme  endor- 
mi, le  désir  de  la  gloire  l'eût  aiguil- 
lonné davantage.  A  nos  yeux,  rien 
n'est  moins  clair.  Sayer  sans  doute 
était  une  nature  poétique,  mais  c'é- 
tait une  nature  paresseuse,  c'était 
surtout  une  nature  exclusive  et  mo- 
notone.   Dominé,    pris  tout  entier 
par  certaines  impressions,   il  était 
comme  inaccessible  à  toutes  les  au- 
tres, quoique  hautement  poétiques 
ou  pittoresques.  Ainsi  forcloses,  ces 
impressions     nouvelles     n'auraient 
donc  pu  trouver  en  lui  un  interprète 
passionné,  original  ;  aussi  ne  som- 
mes-nous pas  étonné  que  le  reste 
de  sa  vie  se  soit  passé  surtout  à  cor- 
riger, à  limer  son  premier  ouvrage, 
et  que  peu  à  peu,  après  avoir  semblé 
prédestiné  à  prendre  un  haut  rang 
dans  la  pléiade   contemporaine,   il 
soit  presque  tombé  dans  l'oubli.  Son 
existence    provinciale    contribuait 
d'ailleurs  à    cette  nonchalance  de 
son  esprit  et  à  cette  éclipse  de  son 
nom.  Les  quarante  dernières  années 
de  la  vie  de  Sayer  se  passèrent  sans 
événements  mémorables  autres  que 
sa   conversion  à  l'anglicanisme    et 
son  entrée  dans  les  ordres.  Toute- 
fois il  ne  voulut  point  de  bénéfices. 
Les  recherches  d'antiquité,  d'archi- 
tecture ,  d'histoire,  et  quelques  piè- 
ces fugitives  qu'il  envoyait  de  temps 
en  temps  à  la  Revue  d'Edimbourg 
étaient  ses  plus  graves  occupations. 


SAY 

il  mourut  le  16  août  1816.  Ses  amis 
perdirent  en  lui  un  joyeux  et  aima- 
ble compagnon  et  un  des  hommes 
dont  la  conversation  avait  le  plus  de 
charme.  11  n'avait  pas  la  fougue  pétil- 
lante, l'intarissable  verve  deColerid- 
ge;  mais  il  intéressait,  il  instruisait, 
il  amusait,  et  Ton  sortait  d'à  côté  de 
lui  la  tête  moins  fatiguée,  les  idées 
plus  en  ordre  que  lorsqu'on  avait  vu  se 
déployer  le  chaos  fantasmagorique  du 
célèbre  causeur  de  Londres.  LesOEu- 
vres  complètes  de  Sayer  ont  été  pu- 
bliées par  son  ami  Taylor  avec  sa  vie 
fort  détaillée  (Norwich,  1823,  2  vol. 
in-8o). Elles  se  composent  :  l^desEs- 
quisses  dramatiques  déjà  citées,  et 
qui  parurent  en  1790,  in-é*',  2^  édit., 
1792,2  vol.  in  8°,  3^  édit.,  1803; 
2°  de  Poésies  diverses^  qu'il  avait  pu- 
bliées sous  le  titre  de:  Nugœ  poeticœ, 
1  SOS-jS^des  Recherchesméthapysiques 
et  littéraires  (son  2«  ouvrage,  1793)  ; 
4°  enfin  de  Mélanges  d^ antiquité  et 
d'histoire  (qui  vinrent  après  les/?e- 
cherchese,taLyaiUiksNugœ),iS05.Ses 
Esquisses  sont  au  nombre  de  quatre, 
parmi  lesquelles  Moïna  et  Starno 
sont  les  principales.  Les  sujets  en 
sont  plus  que  simples,  et  compa- 
rativement aux  canevas  de  Sayer, 
ceux  d'Eschyle  sont  des  imbroglios 
très-compliqués.  A  vrai  dire,  il  ne 
faut  y  voir,  en  dépit  du  titre  donné 
par  Fauteur,  que  des  dialogues  ou 
monologues  lyriques.  Le  style  en  est 
remarquable  par  la  vigueur,  par  les 
images,  par  la  noblesse  ^  on  y  recon- 
naît facilement  l'admirateur  de  Dry- 
den.  Mais  les  caractères  sont  peu  dé- 
veloppés, les  péripéties  générale- 
ment sont  nulles.  Toutefois  il  faut 
en  exceptcr,dans  Moïna,  le  moment 
oii  l'héroïne  qu'on  croit  désormais 
libre  par  la  mort  d'Harold  et  sûre 
par  conséquent  de  devenir,  grâce  à 
son  veuvage,  l'épouse  de  Carill,  son 


SAY 


237 


anci«n  fiancé,  entend  le  chœur  lui 
révéler  que  la  loi  des  Scandinaves  est 
que  la  veuve  soit  ensevelie  avec  son 
mari.  Les  vers  de  Sayer  (dans  Jlfoïna 
et  dans  Starno),  même  ceux  où  do- 
mine le  lyrisme,  et  qui  ont  moins  des 
dix  syllabes  habituelles  pour  levers 
épique  et  le  vers  tragique,  sont  sans 
rime.  L'harmonie,  il  faut  l'avouer, 
en  dépit  de  tout  ce  qu*on  peut  allé- 
guer à  l'appui  de  ce  système,  n'en  est 
pas  suffisamment  riche  et  saisis- 
sante. Toutefois,  il  ne  faudrait  pas, 
en  s'écartant  de  l'avis  des  admira- 
teurs de  notre  poète,  passer  à  l'ex- 
trême contraire  et  nier  qu'il  y  ait  du 
rhythme  dans  sa  versification  lyri- 
que. On  a  beaucoup  abusé  du  vers 
blanc  chez  tous  les  peuples  qui  l'ad- 
mettent, et  surtout  du  vers  blanc 
au-dessous  de  dix  syllabes,  et  du 
vers  blanc  irrégulier.  Milton  lui- 
même, en  Angleterre,  a  bien  des  fois 
péché  contre  le  nombre  dans  le 
Samson  Dagoniste,  et  Glover,  dans 
sa  Médée,  a  bien  moins  réussi  encore 
avec  plus  de  prétentions.  Il  est  vrai 
que  Collins,  dans  son  Ode  au  soir^ 
avait  donné  un  exemple  tout  con- 
traire. Sayer  en  approche  sans  l'é- 
galer, et  puisqu'il  avait  résolu  de 
ne  point  avoir  recours  à  la  rime 
pour  les  deux  premières  stances,  il 
faut  louer,  sinon  l'idée,  du  moins  le 
mode  d'exécution  de  l'idée,  et  peut- 
être  est-ce  à  la  manière  assez  heureu- 
se dont  il  s'en  tira  qu'est  dû  l'emploi 
du  même  mètre  dans  le  Thalaba  de 
Soulhey.  Parmi  les  Nugœ  de  Sayer, 
nous  remarquerons  principalement 
son  conte  de  Guy  de  Warwick  et  le 
Fragment  sur  Jack  le  tueur  de 
géants.  Dans  l'un  et  dans  l'autre  il 
déploie  beaucoup  d'humour  ;  et  le 
style, héroïque  d'allures  et  défor- 
mes, tandis  que  les  sujets  sont  ou 
burlesques  ou  vulgaires  ,  présente 


238 


SAY 


un  contraste  intime,  plein  en  même 
temps  de  bonhomie  et  de  vérité.  La 
forme  héroïque  reflète  le  sérieux  naïf 
avec  lequel  certaines  gens  traitent 
leurs  affaires  plus  solennellement 
que  l'on  ne  traite  quelquefois  les  af- 
faires d'État;  et  cependant  l'ironie 
est  transparente  :  le  lecteur  voit  et 
l'importance  que  prennent  les  objets 
ou  les  événements  aux  yeux  des  ac- 
teurs, et  la  futilité  de  ces  mêmes  évé- 
nements, de  ces  mêmes  objets  vus  de 
haut,et  c'est  lui  qui  a  le  plaisir  de  voir 
de  haut,  de  regarder  en  pitié,  de  sou- 
rire. On  a  parfois  comparé  Sayer  à 
Gray.  Ils  ont  de  l'analogie  en  ceci, 
que  tous  deux  s'inspirent  plus  de 
certains  livres  de  prédilection  que  de 
la  nature;  mais,  si  Gray  est  supérieur 
pour  la  profondeur  du  sentiment,  il 
est  inférieur  pour  l'éclat  dans  le  ly- 
risme, et  pour  la  plaisanterie  dans 
la  narration.  P— ot. 

SAY£R  (Edouard),  jurisconsulte 
anglais,  cultiva  la  poésie  et  la  pein- 
ture avec  un  égal  succès.  En. 1784,  il 
servit  de  conseil  à  lord  Hood  dans 
l'ardente  lutte  électorale  de  West- 
minster. Mais  le  zèle  qu'il  déploya  en 
cette  circonstance  ne  lui  rapporta  pas 
grand  profit ,  ce  qui  le  dégoûta  de 
rendre  par  la  suite  de  pareils  services. 
Il  se  livra  désormais  tout  entier  au 
dessin  et  à  la  littérature.  11  fit  des 
caricatures  aussi  mordantes  que  spi- 
rituelles, en  même  temps  que  des 
pièces  de  vers  politiques,  se  vouant 
exclusivement  au  genre  satirique , 
avec  le  crayon  comme  avec  la  plu- 
me. Ses  principaux  ouvrages  sont: 
I.  Lindor  et  Adélaïde ,  conte  moral, 
in-12.  II.  Essais  littéraires  et  poli- 
tiques ,  in-îi°.  III.  Observations  au 
sujet  du  sermon  du  docteur  Price  sur 
la  Révolution  française,  1789,  in-s*». 
IV.  Observations  sur  la  police  de 
Westminster,  1792,in-4%  On  lui  doit 


SCA 

aussi  plusieurs  publications  sous  le 
voile  de  l'anonyme.  Z. 

SCAIBANI.  Foy.  Chéibani,  VIII, 

320. 

SCAMS-EDDIN  (Aboul- Abbas). 
Voy.  Ibn-Khilcan,  XXI,  156. 

SCANAROLO  (Antonio),  mé- 
decin modenais  du  commencement 
du  XV^  siècle ,  prit  part  aux  dis- 
cussions qui  s'étaient  engagées  au 
'sujet  d'une  maladie  funeste  connue 
depuis  peu  en  Europe  ^  il  écrivit  une 
Dissertatio  utilis  de  morbo  gaUico^ 
qui  vit  le  jour  à  Bologne  en  1498,  et 
qui  a  reparu  dans  le  recueil  de  Louis 
Luvigni  :  De  morbo  gallico  omnia 
quœ exstantfYenise,  15665t.  I,p.  110 
et  p.  123  de  l'édition  donnée  par 
H.  Boerhaave,  Leyde,  1728,  in-folio. 

B— N— T. 

SCANELLO  (Cristoforo)  ,  sur- 
nommé l'Aveugle  {il  Cieco) ,  poète 
italien  du  XVP  siècle.  Au  talent  près, 
qui  lui  manqua  totalement,  il  eut  en 
ce  monde  le  même  sort  que  celui 
qu'on  prête  à  Homère  :  comme  lui,  il 
fut  errant  et  privé  de  la  lumière  du 
jour.  Les  épopées  badines  de  l'Arioste 
et  de  Bojardo  avaient  mis  en  vogue 
les  chants  relatifs  aux  paladins  de  la 
chevalerie;  c'était  des  poèmes  che- 
valeresques que  le  public  demandait 
aux  auteurs.  Quiconque  savait  écrire 
s'empressait  de  composer  des  vers  en 
ce  genre,  et  l'émulation  allait  même 
plus  loin.  Un  personnage  que  Bojardo 
avait  le  premier  fait  connaître,  le  vo- 
race  et  poltron  Rodomont  {Roda- 
rrtonte)^  fut  le  héros  que  célébra 
Scanello.  Son  livre  parut  à  Fermo, 
en  1562,  sous  le  titre  de  Stances  sur 
la  mort  de  Rodomont ,  donnant  le 
récit  des  exploits  de  ce  furibond 
personnage  dans  t^autre  monde-  Ce 
mince  volume  fut  réimprimé  en  1582, 
à  Orviète.  Malgré  ces  deux  éditions, 
il  est  fort  rare,  et  il  ne  mérite  guère 


SCA 

d'être  mieux  connu  qu'il  ne  l'est. 
Danftle  Contrario,  Marco  Bahdarini, 
Mario  Tellucini,  célébrèrent,  à  peu 
près  à  la  même  époque,  les  exploits 
de  Rodomont.  Antonio  Legname  em- 
boucha la  trompette  en  l'honneur 
des  prouesses  de  son  fils  Rodomon- 
liij.  Tout  cela  est  descendu  au  fond 
du  fleuve  d*oubli  avec  VInvenzione 
poetica  de  l'Aveugle  de  Forli  ;  des 
centaines  d'autres  poèmes  épiques 
plus  récents  ont  encore  été  rejoindre 
ceux  que  nous  venons  d'indiquer. 

B — N— T. 
SCAN]VAVINI(Marco-Aurelio), 
peintre,  naquit  à  Ferrare  en  1655,  et 
fut  élève  de  Cignani.  On  doit  le 
compter  parmi  le  très-petit  nombre 
d'artistes  qui  se  proposèrentdesuivre 
ce  maître  dans  cette  scrupuleuse  exac- 
titude qui  est  un  des  principaux  carac- 
tères de  son  talent.  Scannavini  était 
naturellement  lent,  et  il  ne  savait 
renvoyer  un  ouvrage  de  son  atelier 
que  lorsqu'il  lui  paraissait  également 
terminé  jusque  dans  toutes  ses  moin- 
dres parties.  Marié  et  père  de  famille, 
personne  plus  que  lui  n'aurait  eu 
besoin  d'un  peu  d'activité,  et  cepen- 
dant, malgrésesbesoinsdomestiques, 
il  ne  put  jamais  se  décider  à  changer 
de  méthode,  et  il  voyait  sans  envie 
l'expéditif  Avenzi,  son  condisciple  et 
son  inférieur,  obtenir  tous  les  tra- 
vaux, tandis  que  lui  et  ses  enfants 
végétaient  dans  le  besoin.  La  noble 
iamilleBevilacqua  vint  àson  secours, 
et  l'on  ne  doit  pas  passer  sous  silence 
qu'outre  le  prix  convenu,  elle  lui 
accorda  une  gratification  considéra- 
ble lorsqu'il  eut  terminé  les  figures 
de  l'appartement  dont  l'Aldrovandi 
avait  fait  les  encadrements.  11  a  peint 
aussi  un  petit  nombre  de  fresques^ 
mais  il  était  peu  propre  à  ce  genre 
de  peinture,  qui  exige  de  la  rapidité 
dans  Vexéculion.    Ses   tableaux  à 


SCA 


239 


Thuile  sont  plus  nombreux.  Parmi 
les  plus  remarquables  on  cite  le 
Saint  Thomas  dé  Villanova,  aux 
Augustins  déchaux,  et,  dans  l'église 
de  la  Mortara ,  la  Sainte  Brigitte  en 
extase,  soutenue  par  des  anges.  Plu- 
sieurs galeries  particulières  de  Fer- 
rare  renferment  de  ses  productions. 
Ce  sont,  ou  des  portraits,  pour  les- 
quels il  avait  un  talent  singulier,  ou 
des  sitjets  historiques  de  demi- figures 
à  la  manière  de  Cignani.  11  y  déploie 
une  grâce,  un  empâtement  de  cou- 
leur, une  vigueur  de  teintes  qui  sou- 
tiennent le  parallèle  avec  tous  les 
autres  tableaux  qui  les  avoisinent , 
et  il  n'a  manqué  à  cet  astiste , 
mort  à  la  fleur  de  l'âge  en  1698, 
que  d'être  plus  favorisé  des  dons  de 
la  fortune.  P— s. 

SCARPA  (Antoine),  l'un  des  chi- 
rurgiens les  plus  distingués  des 
temps  modernes,  naquit  le  13  juin 
1747,  d'une  famille  de  négociants, 
à  Casteilo-Moîta  du  Frioul,  aujour- 
d'hui province  de  Trévise.  Un  de  ses 
oncles,  l'abbé  Paul,  charmé  de  ses 
heureuses  dispositions,  prit  soin  de 
son  enfance  et  lui  apprit  le  latin,  les 
mathématiques  et  la  littérature.  L'en- 
fant répondit  par  son  application  aux 
espérances  de  son  oncle,  et,  dès  l'âge 
de  quatorze  ans,  il  avait  terminé  ses 
humanités.  C'est  à  cette  époque  que 
son  goût  le  poussa  d'une  manière  ir- 
résistible à  embrasser  la  carrière  mé- 
dicale. Avec  le  consentement  de  son 
oncle,  il  partit  pour  Padoue.  Là  il 
étudia  d'abord  la  physique  expéri- 
mentale, et,  comme  tous  les  hommes 
qui  se  sont  distingués  dans  l'art  de 
guérir,  il  montra  de  bonne  heure 
une  prédilection  très-marquée  pour 
les  éludes  anatomiques.  Les  chaires 
de  Pavie  étaient  alors  occupées  par 
huit  professeurs,  et  Morgagni ,  le 
plus  célèbre,venait,  à  l'âge  de  quatre- 


240 


SCA 


vingts  ans,  de  publier  son  grand  ou- 
vrage :  De  gedibus  et  causis  morbo- 
rum.  Le  vieillard  perdit  la  vue  peu 
de  (emps  après.  Quelques  mois  lui 
avaient  suffi  pour  apprécier  le  talent 
et  le  zèle  de  Scarpa.  Il  le  fit  son  se- 
crétaire et  l'admit  dans  son  intimité. 
Le  jeune  élève  lisait  à  son  illustre 
protecteur  les  différentes  consulta- 
tions qui  lui  arrivaient    de    toute 
rEurope,et  il  y  répondait  sous  la  dic- 
tée du  maître.  Scarpa  était  en  outre 
chargé  de  mettre  en  ordre  certains 
mémoires,  soit  en  italien,  soit  en  la- 
tin ,  que  Morgagni  se  réservait  de 
corriger.  Les  heures  qui  n'étaient 
pas  consacrées  à  la  médecine  se  pas- 
saient en  partie  à  la  lecture  des  auteurs 
latins  dont  le  professeur  commen- 
tait les  principaux  passages.  C'est 
par  ces  exercices  que  Scarpa  acquit 
cette  élégance  qu'on  reni^rque  en  gé- 
néral dans  ses  écrits  et  qui  mérite 
à  elle  seule  de  grands  éloges.   Les 
progrès  qu'il  fit  en  anatomie  furent 
tels ,   qu'après   deux   ans    d'études 
il  aidait    et    remplaçait   au  besoin 
le  prosecteur  des  travaux  anatomi- 
ques.  Ce  zèle  lui  valut  la  protection 
spéciale  du  professeur   Calza  ,  qui 
lui  donna    des    leçons    d'obstétri- 
que et  lui  apprit  à  modeler  en  cire 
les  organes  génitaux  de  la  femme  et 
les  produits  de  la  conception.  Scarpa 
profitait  du  tçmps  des  vacances  pour 
aller  prendre,  à  Bologne,  des  leçons 
de  chirurgie  du  docteur  Riviera,  dis- 
ciple de  Molinelli.  Deux  ans  après, 
il    fut     reçu    docteur.    Morgagni , 
quoique    infirme,    voulut   lui  con- 
férer  lui-même   ce   titre  scientifi- 
que et  mourut  peu  de  temps  après 
(1771)  dans  les  bras  de  son  élève  chéri, 
et  après  l'avoir  nommé  son  exécuteur 
testamentaire.  L'illustre  médecin,  à 
la  fin  d'une  carrière  consacrée  tout 
entière  au  culte  de  la  science,  ne  pou- 


SCA 

vait  mieux  faire  pour  elle  que  de  lui 
laisser,  en  la  personne  de  Scarpa,  un 
disciple  savant  et  studieux,  et  pour 
ainsi  dire  une  manifestation  vivante 
de  son  zèle  pour  la  médecine  qu'il 
avait  tant  aimée.  Morgagni  avait  eu 
pour  protecteur  et  ami  Valsalva;  il 
mourait  après  avoir  lancéScarpa  dans 
la  carrière  médicale.  Dépositaire  des 
secrets  de  son  vieux  maître  et  d'une 
expérience  de  soixante  ans,  Scarpa, 
lui  aussi;  adoptera  un  jour  un  fiis 
dans  la  science,  l'Italien  Jacopi  qui, 
moins  heureux  ,  s'éteindra  à  la  fleur 
de  l'âge  et  du  talent.  Il  se  disposait 
à  quitter  Padoue ,  pour  aller  encore 
à  Venise,  lorsque  Jérôme  Vandelli 
reçut  de  son  frère,  premier  médecin 
du  duc  de  Modène,  une  lettre  qui 
offrait  à  Scarpa,  de  la  part  du  prince, 
la  chaire  d'anatomie  et  de  chirurgie. 
Scarpa  reste  indécis.  Jeune  encore,  il 
n'ose  se  montrer  sur  un  si  grand  théâ- 
tre. Il  cède  enfin  aux  instances  de  ses 
amis,  il  part  et  commence  peu  de 
temps  après  ses  premières  leçons. 
Le  succès  dépassa  son  attente^ tous 
ses  élèves  admirèrent  l'élégance, 
la  lucidité  de  ses  démonstrations, 
et  surtout  son  grand  savoir  et  ses 
belles  préparations  anatomiques.  Il 
n'avait  pas  encore  vingt-cinq  ans  ! 
Nommé  bientôt  chirurgien  en  chef  de 
l'hôpital  militaire,  il  fit  un  cours  d'o- 
pérations sur  le  cadavre.  De  concert 
avec  le  professeur  Rosa,  il  commença 
des  recherches  sur  le  sang:  sujet  bien 
obscur  à  cette  époque  ,  mais  que  les 
progrès  ultérieurs  de  la  chimie  et  les 
travaux  de  MM.  Andral  et  Gavar- 
ret  ont  éclairé  dans  ces  derniè- 
res années.  Scarpa  publia  un  mé- 
moire sur  l'organe  de  l'ouïe.  Le 
rôle  qu'il  fait  jouer  à  la  fenêtre  ronde 
et  au  tympan  secondaire  est  beau- 
coup trop  important.  En  effet,  on 
sait  que  les  oiseaux,  chez  lesquels  la 


SCA 

fenêtre  ronde  existe  à  peine,  enten- 
dent cependant  à  de  grandes  distan- 
ces et  avec  une  admirable  délica- 
tesse. Malgré  les  recherches  de 
Scarpa ,  malgré  ses  débats  avec  Gai  - 
vani  qui  poursuivait  les  mêmes  étu- 
des, malgré  les  longues  discussions 
qui  occupèrent  le  monde  savant  à 
cette  époque,  cette  difficile  ques- 
tion est  encore  dans  le  vague  des 
hypothèses.  En  1779,  Scarpa  fit  pa- 
raître un  livre  en  latin  portant  le  ti- 
tre à.'' Annotations  sur  les  ganglions 
et  les  plexus  nerveux.  Comme  Me- 
kel,  il  pense  que  l'usage  des  gan- 
glions est  de  diviser  et  de  réunir  les 
nerfs  pour  les  faire  servir  avec  plus 
d'ensemble  et  d'harmonie  au  jeu  des 
organes.  Le  rôle  qu'il  attribue  au 
grand  sympathique  laisse  encore 
beaucoup  à  désirer,  malgré  la  magni- 
ficence d'érudition  avec  laquelle  il 
aborde  un  sujet  si  obscur.  Ces  hau- 
tes questions  scientifiques, qui  de- 
vaient vingt  ans  plus  lard  occuper 
le  génie  de  Bichat,  sont  encore  en- 
vironnées aujourd'hui  d'un  voile 
épais  ,  comme  toutes  celles  qui  se 
rattachent  aux  phénomènes  pri- 
mitifs de  la  vie.  Le  duc  François 
venait  de  mourir  ;  son  successeur, 
Hercule  111  ,  entreprit  des  réformes 
dans  les  établissements  d'instruction 
publique^  et  chargea  Scarpa  d'aliter 
étudier  en  France  et  en  Angleterre 
l'organisation  des  écoles.  Celui-ci 
fut  donc  obligé  de  suspeidre  ses 
leçons:  il  y  avait  huit  ans  qu'il 
professait  et  cinq  qu'il  faisait  par- 
tie de  la  société  de  médecine  de 
Paris.  Pendant  ce  voyage,  qui  dura 
deux  ans ,  il  assista  aux  belles  le- 
çons cliniques  de  Vicq-d'Azyr  qui 
lui  laissa  ses  entrées  libres  dans 
l'amphithéâtre  de  la  Charité.  Scarpa 
en  profita  pour  continuer  les  recher- 
ches qu'il  avait  commencées  depuis 


SCA 


m 


plusieurs  années  sur  l'odorat,  et^qui 
parurent  quelque  temps  après.  H  fit 
admirer  ses  heureuses  dispositions 
pour  les  études  anatomiques  en  dissé- 
quant avec  la  plus  grande  exactitude, 
et  dessinant  ensuite  d'une  main  ha- 
bile les  filets  nerveux  de  la  première 
paire.  Scarpa  se  lia  d'amitié  avec  l'o- 
culiste Wensel  et  frère  Côme,  le  plus 
célèbre  lithotomisle  de  son  temps; 
enfin,  comme  si  rien  ne  devait  échap- 
per à  son  immense  désir  de  savoir, 
il  prit  part  aux  recherches  de  Ti- 
phènes,  qui  s'occupait  de  la  gué- 
rison  des  pieds-bots.  Cette  branche 
de  la  chirurgie  ,  qui  a  donné  dans 
ces  dernières  années  de  si  merveil- 
leux résultats,  était  alors  entièrement 
inconnue  de  la  plupart  des  chirur- 
giens. Scarpa  se  mit  en  rapport 
avec  Brambilla  ,  premier  chirurgien 
de  l'empereur  Joseph  11,  qui  se  trou- 
vait alors  à  Paris.  L'amitié  qui  de- 
vait désormais  les  unir  commença 
sous  d'heureux  auspices.  Brambilla 
était  né  àPavie;  il  eut  bientôt  appré- 
cié les  talents  du  professeur  de  Mo- 
dène ,  et,  comme  il  lui  demandait  les 
motifs  die  sa  présence  à  Paris  :  «  Je 
suis  un  grand  seigneur  en  disgrâce, 
lui  dit  Scarpa  en  riant,  je  voyage.  » 
Brambilla  n'oublia  pas  ces  paroles, 
et  résolut  d'attacher  Scarpa  aux  hô- 
pitaux de  Pavie.  Au  mois  de  juin  de 
l'année  1781  parut  l'ouvrage  sur 
l'organe  de  l'odorat.  Bientôt  il  écri- 
vit l'observation  curieuse  d'un  ma- 
lade qui  présentait  un  anévrysme  de 
la  crosse  de  l'aorte.  Ce  seul  exemple 
servit  comme  de  point  de  départ  aux 
beaux  travaux  qu'il  publia  dans  la 
suite  sur  le  même  sujet.  Le  malade 
ayant  succombé,  on  découvrit  que 
la  crosse  de  l'aorte  s'était  ouverte  à 
l'extérieur  entre  le  sternum  et  la 
première  côte.  Cette  observation , 
rédigée  par  Scarpa  lui-même,  se 

16 


242 


SCA 


trouve  consignée  dans  les  Bulletins 
de  la  Société  de  médecine  de  1781. 
En  quittant  Paris  il  se  rendit  à  Lon- 
dres, où  il  fut  accueilli  par  Pott,  les 
deux  Hunter,  Cruickshank  et  Shel- 
don.  La  vue  du  cabinet  anatomique 
de  J.  Hunter  Ini  donne  l'idée  d'en 
posséder  un  semblable;  aussitôt  il 
redevient  pfosecteur  d'amphithéâtre, 
comme  à  Padoue,  et  commence  les 
premières  injections  au  mercure  des 
vaisseaux  lymphatiques.  Ces  prépa- 
rations faites  en  grand  nombre  par 
lui,  ou  sous  ses  yeux,  furent  dirigées 
les  unes  sur  Pavie,  les  autres  en- 
voyées à  Charenton-le-Pont,  près 
Paris,  où  elles  se  trouvent  encore. 
Scarpa  étudia  ensuite  d'une  manière 
spéciale  l'anatomie  comparée  avec 
Jean  Hunter  et  les  accouchements 
avecGuiIlaume*,illeur  communiqua 
ses  réflexions  comparatives  sur  les 
études  médicales  en  France  et  en  An  • 
gleterre.  Il  les  loue  de  leur  grande 
habileté  dans  l'art  du  diagnostic,  par 
cela  même  qu'ils  mettent  moins  de 
promptitude  dans  leur  jugement  que 
la  plupart  des  médecins  français ,  et 
il  croit  trouver  en  Angleterre  une 
appréciation  plus  éclairée  qu'en 
France  des  règles  de  l'hygiène  ;  tou- 
tefois ,  il  s'étonne  que  les  maladies 
des  yeux  soient  si  peu  étudiées  dans 
leur  pays.  Il  est  curieux  de  con- 
naître le  jugement  porté  par  un 
homme  d'un  tel  mérite.  Les  mala- 
dies des  yeux  étaient  alors  en  effet  si 
peu  étudiées  en  Angleterre,  que  c'est 
Scarpa  qui  donna  la  première  impul- 
sion aux  esprits  vers  cette  intéres- 
sante partie  des  affections  chirurgi- 
cales. Le  premier  livre  de  quelque 
importance  qui  ait  paru  dans  ce  pays 
est  la  traduction  de  celui  de  Scarpa 
(Trattato  délie  principali  malattie 
degli  occhi).  Scarpa,  sur  le  point  de 
quitter  l'Angleterre,  tomba  grave" 


SCA 

ment  malade.  A  peine  convalescent, 
il  revint  à  Paris,  où  il  resta  peu  de 
jours,  se  rendit  à  Montpellier  qu'il 
ne  fit  pour  ainsi  dire  que  traverser, 
et  revit  enfin  Modène  dans  les  der- 
niers mois  de  1782,  au  moment  de 
la  réouverture  des  cours.  Scarpa  se 
disposait  à  commencer  le  sien,  lors- 
qu'une lettre  de  Brambilla  lui  apprit 
que  l'empereur  Joseph  II,  ayant  créé 
à  Pavie  une  chaire  d'anatomie,  de 
clinique  chirurgicale  et  d'opéra- 
tions, lui  offrait  cette  chaire  avec  400 
séquins  d'appointements  et  une  in- 
demnité pour  le  déplacement.  L'il- 
lustre chirurgien  hésite,  il  craint  de 
se  montrer  ingrat  envers  le  duc  de 
Modène  son  bienfaiteur,  et  n'accepte 
enfin  que  sur  l'invitation  formelle 
de  ce  dernier.  11  se  rendit  à  Pavie 
vers  la  fin  de  1783,  et  commença  ses 
leçons  par  un  discours  latin  sur  la 
manière  d'acquérir  les  connaissances 
anatomiques  nécessaires  à  la  prati- 
que chirurgicale.  Les  paroles  du  maî- 
tre furent  écoutées  avec  enthousias- 
me. Dans  une  exposition  brillante  de 
l'histoire  de  l'art  à  cette  époque ,  il 
indiquait  les  moyens  d'étudier  avec 
fruit  l'anatomie^ilfaisaitressortirson 
immense  importance  pour  les  appli- 
cations du  manuel  opératoire,  et 
donnait  en  même  temps  d'utiles  con- 
seils à  tous  ceux  qui  voulaient  faire 
de  rapides  progrès  dans  la  carrière. 
Et  quel  autre  pouvait  mieux  que 
l'élève  de  Morgagni  servir  de  guide 
aux  jeunes  gens  studieux  ,  lui  qui 
avait  été  élevé  dans  la  science  par  un 
des  plus  grands  praticiens  du  dernier 
siècle  ?  L'année  suivante,  Scarpa  fit 
un  voyage  à  Vienne  avec  le  célèbre 
Alexandre  Volta.  Joseph  11  aimait  les 
savants,  il  s'était  fait  leur  protecteur 
et  les  traitait  avec  la  plus  grande 
bienveillance.  Les  deux  voyageurs 
furent  accueillis   avec  distinction. 


SCA 

comblés  de   présents  et  invités  à 
voyager  aux  frais  de  l'empereur.  Pen- 
dant un  mois  de  séjour  qu'il  fit  à 
Vienne ,  Scarpa  répéta  les  curieuses 
expériences  sur   la  transfusion  du 
sang,  dans  lesquelles  il  avait  aidé 
le  professeur  Rosa  {voy.  ce  nom, 
LXXIX,  425).  Il  voyagea  ensuite 
avec  Volta  en  Bohême,  en  Saxe  et 
en  Prusse.  Enfin ,  après  avoir  visité 
l'État  de  Brunswick,  celui  de  Ha- 
novre, il  rentra  en  Italie  par  la  Ba- 
vière et  le  Tyrol.  Les  deux  savants 
s'étaient  particulièrement  arrêtés  à 
Prague,  à  Dresde,  à  Helmstadt,  à 
Gœttingue,  s'occupant  partout  des 
intérêts  de  la  science  et  des  nou- 
velles découvertes.  C'est  dans  cette 
longue  course  à  travers  l'Europe  que 
Scarpa  acquit  cette  prodigieuse  expé- 
rience qui  fit  de  lui  un  des  plus  grands 
cliniciens  des  temps  modernes.  A 
son  retour  à  Pavie,  il  fut  agréable- 
ment surpris  de  trouver  un  bel  am  - 
phithéâtre  et  un  arsenal  complet  de 
tous  les  instruments  de  chirurgie 
dont   l'empereur  venait   de    doter 
l'école  de  médecine.  Scarpa    avait 
sous  les  yeux  les  instruments  les 
plus  anciens  dont  il  avait  lu  la  des- 
cription dans  les  vieux  ouvrages,  et 
reconnaissait  tous  ceux  qu'il  avait 
vus  pendant  ses  visites  aux  prin- 
cipales facultés  de  l'Europe.  L'^inau- 
guration  de  l'amphithéâtre  eut  lieu 
en  1785.  Scarpa,  dans  un  discours 
latin  des  plus  élégants ,  fit  entendre 
que  l'école  de  Pavie  allait  prendre 
le  premier  rang  parmi  celles  de  l'Eu- 
rope, et  que  lui-même  ne  négligerait 
rien  pour  ajouter  à  sasplencjeur.  En 
effet,  il  s'occupa  plus  que  jamais  de 
travaux  anatomiques.  Deux  ans  aupa- 
ravant, quand  il  avait  pris  possession 
de  sa  chaire,  le  musée  de  l'école 
était  dans  un  triste  état*,  à  peine 
pouvaU-on  comptpr  vingt-neuf  pré- 


SCA 


243 


parations  dues  à  Rezia.  Elles  furent 
en  peu  de  temps  portées  par  le  grand 
anatomiste  à  trois  cent  soixante-six. 
Les  principales  avaient  pour  but  de 
faciliter  l'étude  de  la  splanchnolo- 
gie,  de  la  névrologie  et  des  organes 
des  sens.  On  y  remarquait  surtout 
avec  le  plus  grand  intérêt  des  prépa- 
rations sur  des  objets  microscopi- 
ques à  l'instar  de  ceux  de  Lieberkiin. 
Scarpa  termina  son  second  liyre  des 
Annotations  anatomiques  sur  l'odo- 
rat et  les  nerfs  que  ce  sens  emprunte 
à  la  cinquième  paire.  Il  avait  dissé- 
qué avec  la  plus  minutieuse  exacti- 
tude jusque  sur  le  revers  de  la  mern- 
brane  pituitaire  tous  les  filets  ner- 
veux dont  les  principales  branches 
n'avaient  pu  être  suivies  par  Sœm- 
mering  que  jusqu'à  la  lame  criblée 
de  l'éthmoïde.  Scarpa  donne  une  des- 
cription exacte  des  nerfs  qui  vien- 
nent du  trifacial ,  et  indique  le  pre- 
mier l'existence  du  nerf  naso-palatin 
entrevu  par  Cotugno.  Il  devait  reve- 
nir plus  tard  sur  la  distribution  des 
fiîets  nerveux  de  la  première  paire, 
et  ceux  de  la  cinquième   dans   le 
grand  ouvrage  qu'il  publia  en  1790 
sous  le  titre  de  Recherches  sur  l'ouïe 
et  l'odorat.  Pour  faciliter  à  l'illustre 
professeur  les  moyens  d'instruction 
qu'il  prodiguait  à  ses  élèvps,  et  comme 
un  hommage  de  plus  rendu  à  ses  ta- 
lents, on  créa  pour  lui  une  chaire  de 
chirurgie  pratique  à  l'hôpital  civil. 
Les  sociétés  savantes  étrangères  se 
firent  un  honneur  de  l'admettre  dans 
leur   sein.  Membre  de    l'académie 
royale  de  Berlin  depuis   plusieurs 
années,  il  fit  bientôt  partie  de  celle 
de  Joseph  II  à  Vienne,  de  la  société 
royale  de  Londres  et  de  celle  d'Edim- 
bourg. Cependant  la  politique  et  la 
guerre  allaient    envahir    le    s;:nc- 
tuaire    de    la  science    et   arracher 
pour  un  moment  notre  illustre  chi- 

16. 


m 


SCA 


nirgien  h  ses  paisibles  travaux.  La 
révolution  française  commençait  à 
bouleverser  l'Europe  entière;  et  l'I- 
talie ,  par  sa  position  ge'ographique 
et  son  importance  politique,  devait 
la  première  en  ressentir  l'influence. 
Les    batailles    de    Bussignana,   de 
Novi ,  de  la  Trebbia,  fournirent  au 
professeur  de  Pavie  l'occasion  de 
pratiquer  un  grand  nombre  d'opéra- 
tions. Ces  temps  de  révolutions  et 
de   combats  augmentèrent ,  comme 
malgré  lui,  les  connaissances ,  déjà 
si    étendues,  qu'il   avait    acquises 
sur  les  lésions  traumatiques.  Tou- 
tefois il    n'avait  jamais  eu  l'occa- 
sion   de    les  observer    sur  un    si 
vaste  théâtre.  Pendant  le  sac  de  Pa- 
vie ,  il  donna  aux  habitants  l'exem- 
ple d'un  grand   courage  en  allant 
lui-même   au-devant    du  danger. 
Quand   tout  eut  cédé   à  la  force, 
Scarpa  se  retira  dans  l'amphithéâtre 
de  l'école,  et,  comme  ces  guerriers 
des  temps  antiques  qui  se  réfugiaient 
dans  les  temples  de  leurs  dieux  pour 
les  défendre,  il  s'opposa  énergique- 
ment  à  ce  qu'on  enlevât  la  collection 
anatomique  qu'il  avait  eu  tant  de 
peine  à  créer.   En  1792,  il  fit  pa- 
raître son  bel  ouvrage  sur  le  sys- 
tème nerveux.  Contrairement  à  l'o- 
pinion de  Behrens,  élève  de  Sœmme- 
ring,  et  de  Loder,  le  professeur  de 
Pavie,  par  une  dissection  admirable, 
démontrait  l'existence  des  nerfs  du 
cœur.  Les  planches  de  ce  magnifique 
ouvrage ,  gravées  par  Anderloni  sur 
les    dessins   originaux  de  Scarpa , 
étonnent  réellement  par  la  multi- 
tude des  filets  nerveux  qui  s'entre- 
croisent dans  une  trame  inextrica- 
ble, et  que  l'œil  le  plus  exercé  a  peine 
à  saisir.  Elles  montrent  la  distribu- 
tion des  nerfs  de  tous  les  viscères  de 
la  poitrine  et  particulièrement  du 
cœur,  péjèi  depuis  long-temps,  dans 


SCA 

ses  cours,  il  avait  prouvé  l'existence 
des  nerfs  (Je  cet  organe,  par  la  mul- 
tiplicité même  de  ses  mouvements 
dans  les  émotions  que  donne  une 
joie  vive  ou  une  profonde  indigna- 
tion. DU  reste,  les  palpitations  ner- 
veuses, déterminées  ou  non  par  des 
affections  morbides,  avaient  égale- 
ment servi  de  texte  au  professeur 
pour  soutenir  son  opinion.  Cepen- 
dant la  preuve  matérielle  de  l'exis- 
tence des  nerfs  du  cœur  pouvait  et 
devait  seule  être  admise  sans  contes- 
tation.  Cette  découverte  produisit 
une  grande  sensation  parmi  les  sa- 
vants. L'empereur  François  II  en- 
voya à  Scarpa  4,000  sequins  comme 
un  témoignage  de  sa  haute  estime. 
Quelque    temps    après ,  on    forma 
un    directoire    médical ,    composé 
des    professeurs     de     l'université 
et   d'un   praticien  distingué  de  la 
ville.  Scarpa  était  chargé  de  l'exa- 
men des  jeunes  docteurs  qui  vou- 
laient exercer;   car,  en  Italie,  on 
exige  un  examen  spécial  avant  d'au- 
toriser la  pratique  de  la  médecine.  Il 
surveillait  en  outre  les  médecins, 
les  chirurgiens  et  les  pharmaciens  de 
la  Lombardie.  J.-P.  Frank,  venu  de 
Gœttingue  à  Pavie  sur  l'invitation  de 
rempereur,étaitdéjàdepuisplusieurs 
années  professeur  dans  cette  ville;  il 
présidait  le  directoire  pour  la  méde- 
cine et  la  pharmacie,  Scarpa  pour  la 
chirurgie.  Les  Français  avaient  triom- 
phé en  Italie;  le  régime  politique  de 
la   Lombardie    était    changé  ;    elle 
n'appartenait  plus  à  l'Autriche  ;  on 
venait  d'organiser  les  Juniori,  espèce 
d'assemblée  analogue  au  conseil  des 
Cinq-Cents  en    France.  Scarpa  fut 
désigne  pour  en  faire  partie  ;  mais , 
trop  attaché  aux  principes  de  la  mo- 
narchieauxquels  il  devait  sa  fortune, 
il  refusa ,  et  ne  fut  point  inquiété. 
En  1796  fut  fondée  la  république 


SCA 

transpadane.  Scarpa,  comme  fonc- 
tionnaire public,  était  tenu  de  prê- 
ter serment   au   nouvel   ordre   de 
choses.  Son  refus  motiva  son  renvoi  ; 
il  perdit  toutes  ses  places  et  rentra 
dans  la  vie  privée.  Il  s'en  consola  en 
visitant  un  plus  grand  nombre  de 
pauvres  et  en  se  livrant  avec  plus  de 
tranquillité  à  ses  travaux.  Cependant 
il  trouva  dans  sa  retraite  des  com- 
pensations ;  il  fut  nommé,  en  1798, 
membre  du  collège  royal  de  Madrid, 
et,  en  1800,  du  collège  royal  des  chi- 
rurgiens de  Londres.  Ces  années  pas- 
sées loin  du  professorat  permirent  à 
Scarpa  de  faire  paraître  la  première 
édition  de  son  Traité  sur  les  maladies 
des  yeux,  qui  fut  traduit  dans  pres- 
que toutes  les  langues  de  l'Europe. 
Enfin,  en  1803,  deux  autres  ouvrages 
du  même  praticien  furent  accueillis 
avec  un  égal  succès.  C'est  un  traité 
sur  les  pieds-bots,  et  surtout  le  grand 
mémoire  sur  les  anévrysmes,  dont  les 
planches  furent  encore  gravées  par 
Anderloni ,  mais  sur  les  dessins  ori- 
ginaux du  frère  de  l'auteur.  C'est  à 
cette  époque  que  Scarpa  reçut  le  plus 
bel  hommage  qu'un  savant  puisse 
envier  :  on  le  nomma  membre  cor- 
respondant de  l'Académie  des  scien- 
ces de  Paris.  Il  fut  préféré,  dans  cette 
circonstance,  au  célèbre  Humphrey 
Davy.  Depuis  1802,  il  faisait  partie  de 
l'Institut  italien  des  lettres,  sciences 
et  arts  \  il  le  méritait  à  double  titre, 
d'abord  comme  un  des  premiers  chi- 
rurgiens de  son  époque ,  et  aussi 
comme  un  artiste  des  plus  habiles. 
Nous  savons  qu'il  avait  dessiné  avec 
une  rare  perfection  les  planches  de 
ses  principaux  ouvrages.  Il  était  en 
outre  grand  amateur  de  tableaux,  et 
montrait  dans  leur  appréciation  une 
incontestable  supériorité.  En  1805, 
Napoléon  alla  se  faire  couronner  roi 
d'Italie  à  Milan  -,  il  visita  l'univer- 


SCA 


2i\ 


site  de  Pavie,  reçut  les  professeurs 
et   demanda    où   était   le    docteur 
Scarpa.  On   lui    répondit  qu'ayant 
refusé  de  prêter  le  serment  exigé 
par  les  lois,  il  avait  renoncé  à  son 
emploi.    «Eh!  qu'importent  le   re- 
«  fus  du  serment  et  les  opinions  po- 
«  litiques?  répliqua  l'empereur;  le 
«  docteur  Scarpa  honore  l'université 
«  et  mes  États.  •  L'illustre  médecin 
lui  ayant  été  présenté  quelque  temps 
après  :  «  Quels  que  soient  vos  senti- 
«  ments,  lui  dit  Napoléon,  je  les  res- 
«  pecte  ;  mais  je  ne  puis  souffrir  que 
«  vous  restiez  séparé  d'une  institu- 
«  lion  dont  vous  ê(es  l'ornement.  Un 
«  homme  tel  que  vous  doit,  comme 
«  un  brave  soldat,  mourir  au  champ 
«  d'honneur.  »   Scarpa  redevint  ce 
qu'il  était  quelques  années  aupara- 
vant ;  bi'en  plus,  l'empereur  le  nom- 
ma son  chirurgien  honoraire  avec 
une  pension  de  4,000  fr.,  le  fit  che- 
valier de  la  Légion-d'Honneur  et  de 
la  Couronne-de-Fer.  Peu  de  temps 
après,  on  lui  proposa  de  le  porter  au 
corps  législatif;  mais  Scarpa  ne  vou- 
lut point  accepter.  Il  eut  toute  sa  vie 
la  politique  en   horreur,  et  n'eut 
qu'une  seule  ambition,  la  plus  belle 
pour  un  médecin  :  celle  de  la  science. 
En  1809  et  1810,  il  fit  paraître  un 
ouvrage  ayant  pour  titre  :  Mémoires 
anatomiques   et  chirurgicaux  sur 
les  hernies.  Ce  livre  mit  le  comble  à 
sa  gloire.  Consulté  de  toute  l'Eu- 
rope, comme  l'avait  autrefois   été 
son  maître  Morgagni ,   comme  lui 
aussi  il  était  heureux  de  jouir  enfin 
de  la  réussite  et  de  la  satisfaction  que 
donnent  les  difficultés  vaincues.  Pos- 
sesseur d'une  grande  fortune,  cor- 
respondant avec  toutes  les  académies 
de  l'Europe  dont  il  recevait  les  mé- 
moires, il   était  comme  un  centre 
vers  lequel  venaient  converger  tous 
les  progrès  scientifiques  de  l'époque. 


246 


SCA 


Les  princes  le  consultaient,  cl,  en  sa 
qualité  de  médecin  du  roi  d'ilalie,  il 
était  raccoucheur  de  la  femme  d'Eu- 
gène Beauharnais  (Auguste-Amélie , 
princesse  de  Bavière);  tout  enfin 
paraissait  concourir  à  son  bonheur. 
Ne  pouvant  suffire  à  ses  immenses 
travaux,  il  avait  adopté  un  jeune  mé- 
decin plein  de  mérite,  déjà  professeur 
à  l'université  de  Pavie,  et  auquel, 
s'il  fallait  en  croire  certains  bruits, 
il  tenait  par  les  liens  les  plus  intimes 
du  sang.  La  mort,  en  frappant  le  doc- 
teur Jacopi,  porta  un  coup  terrible  à 
Scarpa,  qui  s'était  plu  à  le  considé- 
rer comme  un  des  soutiens  de  sa  vieil- 
lesse. Cette  perte  et  des  infirmités 
douloureuses  le  firent  tomber  dans 
un  profond  accablement  ;  il  renonça 
dès  lors  à  l'enseignement  public,  et 
chercha  des  consolations  dans  la  lit- 
térature, qui  avait  souri  aux  pre- 
miers efforts  de  sa  jeunesse.  En  1 8 12, 
à  l'âge  de  soixante-cinq  ans,  il  devint 
directeur  de  l'école  de  Pavie.  Bien 
qu'il  fût  temps  pour  lui  de  prendre 
dii  repos,  il  écrivit  néanmoins  une 
foule  de  méhioires  sur  différents  su- 
jets; et  dans  tous  on  remarque  son 
grand  savoir  et  son  prodigieux  ta- 
lent d'observation.  Scarpa  possédait 
au  village  de  Bosnasco  une  maison 
de  campagne  qu'il  s'était  plu  à  em- 
bellir. C'est  là  qu'il  venait  chaque 
année  se  reposer  du  tumulte  et  des 
discussions  de  l'école  ;  c'est  là  qu'il 
composa  les  ouvrages  qui  ont  fait  sa 
gloire.  Passionné  pour  les  beaux- 
arts,  il  enrichit  cette  délicieuse  de- 
meure d'un  grand  nombre  de  tableaux 
qu'il  tira  de  l'Italie,  cette  terre  clas- 
sique des  chefs-d'œuvre.  Dans  cette 
collection,  figuraient  des  aquarelles 
et  des  miniatures  dues  au  pinceau  de 
Scarpa  lui-même,  et  qui  auraient  fait 
honneur  à  un  artiste  de  profes- 
sion. Pour  éviter  les  inconvénients 


SCA 

du  changement  brusque  de  la  vie  ac- 
tive qu'il  avait  toujours  menée  avec 
sa  nouvelle  position  plus  tranquille, 
il  avait  pris  le  goût  de  la  chasse  et 
de  la  culture.  En  1820,  il  fit  un  long 
voyage  dans  l'Italie  méridionale,  avec 
le  docteur  Rusconi  ;  c'était  comme 
un  adieu  triste  et  tendre  qu'il  adres- 
sait aux  chefs-d'œuvre  qu'avait  vus 
naître  le  siècle  des  Médicis,  aux  mo- 
numents élevés  par  le  génie  de  Mi- 
chel-Ange, aux  tableaux  de  Titien, 
de  Paul  Véronèse,  des  Carrache,  aux 
toiles  impérissables  de  Raphaël,  qui 
semblent  avoir  adopté  pour  patrie  la 
gracieuse  ville  de  Florence.  Enfin  il 
terminait  sa  carrière  environné  des 
souvenirs  poétiques  et  des  ouvrages 
littéraires  qui  avaient  fait  les  délices 
de  sa  jeunesse.  Tite-Live ,  Cicéron  , 
Virgile  et  tous  les  grands  écrivains 
qui  avaient  illustré  le  siècle  d'Au- 
guste, charmaient  encore  les  loisirs 
de  ses  vieux  jours.  De  haute  taille  et 
d'une  physionomie  sévère,  il  offrait 
dans  toute  sa  personne  une  gravité 
mêlée  de  quelque  rudesse  f  d'une  sé- 
vérité de  principes  incontestable,  il 
conserva  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  une 
sorte  de  hauteur  dans  son  commerce 
avec  les  hommes.  Il  ne  connut  point 
les  doux  épanchements  du  cœur.  Un 
seul  homme,  le  professeur  Jacopi, 
sut  lui  inspirer  une  vive  amitié. 
Il  semblait  que  le  grand  chirurgien 
ne  voulût  laisser  germer  dans  son 
cœur  d'autre  amour  que  celui  de  la 
science.  Aussi,  malgré  ses  infirmités 
et  la  faiblesse  de  sa  vue,  il  continua 
ses  travaux,  et  trois  mois  avant  de 
mourir  il  fit  paraître  le  troisième  vo- 
lume de  ses  opuscules  chirurgicaux. 
Dans  une  lettre  adressée  à  "Weber, 
on  trouve  des  idées  profondes  sur 
les  ganglions  nerveux  et  des  aper- 
çus qui  faisaient  l'admiration  de  Cu- 
vier.   Enfin,  après  cinq  années  de 


SCA 

souffrances ,  Scarpa  mourut  à  Pavie 
dans  la  nuit  du  30  octobre  1832 ,  en- 
tre les  bras  de  son  successeur  le  doc- 
teur Panizza ,  fidèle  à  la  religion  de 
ses  pères,  partisan  des  idées  monar- 
chiques qu'il  avait  toujours  aimées, 
et  auxquelles  il  avait  à  une  époque 
sacrifié  tous  ses  intérêts.  Il  y  a  ce- 
pendant une  tache  dans  la  vie  de  cet 
homme  illustre.  11  était  d'une  avarice 
presque  sordide,  et  ce  défaut  perce 
même  dans  son   testament.  Quoi- 
qu'il possédât  une  fortune  considéra- 
ble, il  ne  fit  pas  lenioindre  legs  de 
bienfaisance,  et  il  institua  son  léga- 
taire universel  un  de  ses  neveux. 
Scarpa  est  un  des  hommes  les  plus 
éminents  que  présente  la  chirurgie 
militaire.  Comme  beaucoup  de  mé- 
decins du  temps  de  l'empire ,  il  em- 
brassa d'abord   la  pratique  civile , 
mais,  comme  eux,  il  fut  emporté  par 
le  torrent  de  la    politique,  et  cet 
homme  paisible  vécut  un  moment 
au  milieu  des  camps.  Tandis  que  nos 
armées  détruisaient  en  Italie  la  puis- 
sance autrichienne  et  que  les  rois 
de  l'Europe  ligués  contre  la  France 
défendaient  leurs  trônes  menacés,  la 
science,  qui  n'a  point  de  patrie,  trou- 
vait le  moyen  de  grandir  au  sein 
des  orages,  et  poursuivait  en  silence 
sa  tâche  commencée  à  travers  les 
siècles.  Percy,  qui  connaissait  si  bien 
le  cœur  du  soldat^  Desgenettespri^n- 
nier  de  guerre  en  Russie  et  renvoyé 
en  France  par  l'empereur  Alexan- 
dre dont  il  avait  soigné   les    sol- 
dats avec  un  si  beau  dévouement; 
enfin  le  talent  et  la  probité  prover- 
biale de  Larrey  ne  donnent-ils  pas 
une  belle  idée  des  chirurgiens  mili- 
tairesdelafinduXVlli®  siècle?  Scarpa 
vécut  pour  ainsi  dire  dans  un  mo- 
mentdetransitîbn.Commé les  beaux- 
Arts  et  les  lettres ,  la  médecine  avait 
eu  aussi  son  époque, de  renaissance. 


SCA 


247 


Héritier  des  immenses  découvertes 
et  des   erreurs   grossières  que  lui 
avaient  laissées  les  temps  antiques 
et  le  moyen  âge ,  l'art  de  guérir  en 
arrivant  aux  siècles  derniers  semble 
un  moment  se  recueillir  ;  les  vieilles 
et  inutiles   maximes  tombent  dans 
l'oubli,  les  préjugés  disparaissent, 
et  bientôt  va  naître  un  nouvel  or- 
dre  de  choses.  Pendant  les    deux 
siècles  qui  précèdent  Scarpa ,  la  mé- 
decine se  dépouille  peu  à  peu  de  ses 
fictions,  l'anatomie  entre  dans  une 
ère  nouvelle  ,  les  préceptes  chirur- 
gicaux trouvent  des  applications  uti- 
les,   et    la  chimie  va   se   montrer 
dans  toute  sa  splendeur.  Studieuse 
époque!  au  commencement  de  la- 
quelle apparaît  en  France  la  naïve  et 
magnifique  image  d'Ambroise  Paré', 
et  que  l'on  voit  finir  par  l'illustre 
académie  de  chirurgie.  La  période 
d'années  pendant    laquelle    Scarpa 
fournit  sa  longue  et  laborieuse  car- 
rière n'est  plus  qu'un  enchaînement 
successif  des  découvertes  les  plus 
importantes.  L'anatomie  passe  à  l'état 
de  science  exacte ,  la  physiologie  ap- 
puyée sur  les   belles  études  de  la 
chimie  moderne  explique  la  plupart 
des  phénomènes  vitaux ,  l'art  chi- 
rurgical opère  de  véritables  prodi- 
ges -,  enfin ,  l'application  de  la  vac- 
cine, l'hygiène  et  le  traitement  des 
maladies,  fopt  monter  la  moyenne 
de  la  vie  humaine  de  28  à  33  années. 
Le  principal  mérite  de  Scarpa  est 
d'avoir  contribué  en  grande  partie 
à  donner  l'impulsion  vers  les  bonnes 
études  médicales  et  surtout  vers  les 
recherches  anatou^iques.  On  peut  à 
juste  titre  le  considérer  comme  un 
de  ceux   qui  ont  préparé  l'état  de 
la  chirurgie  tel  qu'il  existe  aujour- 
d'hui. Parlant,   presque  toutes    les 
langues  de  l'Europe,  il  était  au  cou- 
rant de  ce  qui  se  passait  dans  le 


248 


SCA 


inonde  médical.  Son  activité  dévo- 
rante et  son  immense  désir  de  savoir 
expliquent  comment  il  a  pu  faire  la 
grande  quantité  d'ouvrages  et  de  mé- 
moiresquMI  publia  sur  les  sciences  et 
les  beaux-arts.  Mais  ce  qui  est  vrai- 
ment extraordinaire,  c'estque  Scarpa 
n'eut  toute  sa  vie  qu'une  salle  de 
trente  malades,  et  que  c'est  avec  un 
aussi  petit  nombre  de  faits  patholo- 
giques qu'il  fournit  néanmoins  tant 
d'aperçus  de  la  plus  haute  impor- 
tance. Ainsi  la  seule  inspection  cada- 
vérique d'un  individu  mort  d'ané- 
vrysme  lui  servit  de  base  pour  écrire 
le  magnifique  ouvrage  sur  ces  affec- 
tions. Si  on  considère  ses  œuvres  chi- 
rurgicales en  elles-mêmes,  on  voit 
que  Scarpa  se  recommande  surtout 
parson  traité  des  maladies  des  yeux, 
ses  travaux  sur  la  ligature  et  son  ou- 
vrage sur  les  hernies.  Dans  son  traité 
d'ophthalmologie,  on  trouve  d'abord 
une  grande  clarté.  Les  médecins  qui 
se  sont  spécialement  occupés  de  cette 
partie  de  la  science,  savent,  com- 
bien il  est  difficile,  dans  les  com- 
mencements ,  de  se  rappeler  et  de 
bien  saisir  les  nuances  délicates  qui 
séparent  dans  certains  ouvrages  telle 
et  telle  affection  du  globe  oculaire. 
Les  Allemands  entre  autres  ont  établi 
tant  de  divisions  et  subdivisions,  que 
l'esprit  le  plus  attentif  a  beaucoup 
de  peine  à  se  retrouver  dans  ce  dédale 
de  minuties  scientifiques.Si  l'ouvrage 
de  Scarpa  présente  moins  de  richesse 
d'érudition,  toujours  est-il  qu'on 
embrasse  plus  facilement  l'ensemble 
et  les  données  thérapeutiques.  Le 
grand  mérite  de  ce  livre  est  la  su- 
périorité de  talent  avec  laquelle  est 
écrit  le  chapitre  de  la  cataracte. 
Lorsqu'il  parut,  on  ne  connaissait 
guère  en  France  qu'un  traité  par 
maître  Jean  ,  imprimé  à  Troyes  en 
1707,  et  deux  autres  plus  |récents  : 


SCA 

l'undA  à  Deshay  Gendron  (1)\  et 
l'autre  à  Desmonceaux  (2).  Il  faut 
donc  tenir  compte  à  l'auteur  de 
l'époque  où  il  vivait  et  surtout  de 
l'imperfection  des  instruments  dont 
on  pouvait  disposer.  On  songe  peu 
aujourd'hui,  en  lisant  un  traité  de 
chirurgie  où  l'on  trouve  les  procédés 
opératoires  décrits  avec  une  si  mi- 
nutieuse exactitude  et  les  inductions 
thérapeutiques  en  apparence  si  fa- 
ciles à  saisir,  on  songe  peu  à  tout  ce 
qu'il  a  fallu  dejugement,  nous  dirons 
presque  de  génie  ,  à  ces  pères  de  la 
science,  pour  nous  laisser  l'héritage 
de  leurs  longues  méditations.  Scarpa 
défendit  dans  son  livre,  dans  ses 
cours  et  par  sa  correspondance,  la 
méthode  d'abaissement  dans  le  trai- 
tement de  la  cataracte.  Il  fallut  toute 
son  opiniâtreté  ,  la  haute  autorité  de 
son  nom  pour  éloigner  les  opérateurs 
de  la  méthode  par  extraction.  On  sait 
quecetle  opération  est  souvent  un  vé- 
ritablequitteou  double,  etqu'en  vou- 
lant extraire  le  cristallin,  on  s'ex- 
pose à  vider  l'œil  tout  entier.  Scarpa 
est  l'inventeur  d'une  aiguille  à  cata- 
racte qui  porte  son  nom.  La  mé- 
thode par  abaissement,  qu'il  tira  de 
l'oubli ,  eut  bientôt  un  défenseur 
dans  le  célèbre  Dubois.  Aujourd'hui 
toutesces  choses  ont  reçu  la  sanction 
des  années;  et  seulement  à  l'excep- 
tion d'un  savant  professeur  de  Paris, 
M.  Roux,  et  d'un  petit  nombre  d'opé- 
rateurs, tout  le  monde  pratique  l'opé- 
ration delacataracte  parabaissement. 
Cette  méthode  beaucoup  plus  simple 
n'expose  pas  à  des  chances  aussi  mal- 
heureuses ,  et  peut  être  pour  ainsi 
dire  renouvelée  indéfiniment  ;  on  sait 
que  Dupuytren   l'a  pratiquée  jus- 

(i)  Paris,  1770,  2  Tol.  in-i2. 

(2)  Traité  des  maladies  des  jeux  et  des 
oreilles,  ptiT  Desmonceaux.  Paris,  1786,2 
vol.  in-S", 


SCA  , 

qu'à  onze  fois  sur  le  même  sujet  qui 
finit  par  guérir.Les  travaux  de  Scarpa 
sur  les  ancvrysmes  sont  encore  très- 
remarquables.  A  l'exemple  de  Haller 
et  de  Murray ,  il  fait  voir  que  les  ar- 
tères ,  parties  d'un  centre  commun , 
vont  aux  extrémités  ducorps  humain 
par  une  succession  non  interrompue 
desubdivisions^  il  embrasse  l'ensem- 
bledes  différentes  anastomosesde  l'ar- 
bre artériel,  et  montre  de  quelle  ma- 
nière se  rétablit  la  circulation  quand 
un  vaisseau  d'un  certain  calibre  se 
trouve  oblitéré. Il  explique  comment 
l'extensibilité  des  artères  se  prête  à 
une  dilatation  progressive  pour  en- 
voyer à  un  membre  dont  la  principa- 
le artère  a  été  liée  la  somme  de  fluide 
sanguin  qui  lui estnécessaire. Passant 
à  l'anatomie  pathologique  du  vais- 
seau, il  n'admet  qu'un  seul  ane'- 
vrysme ,  celui  dont  la  cause  réside- 
rait dans  une  sorte  de  cachexie  vas- 
culaire,  qui  altérerait  d'une  manière 
toute  spéciale  la  contexture  même  du 
tissu;  il  nie  à  tort  la  dilatation  par- 
tielle du  cœur  ou  des  artères.  Cette 
affection ,  que  l'on  peut  considérer 
comme  un  anévrysme  partiel,  a  été 
beaucoup  mieux  étudiée  depuis*,  on 
sait  que  l'illustre  Talma  mourut 
d'une  dilatation  partielle  du  cœur. 
Comme  traitement,  Scarpa  conseille 
d'appliquer  la  compression  ou  une 
ligature  entre  le  cœur  et  le  vaisseau 
malade  et  dans  un  point  où  l'artère 
conserve  toute  son  intégrité.  Le  but 
du  chirurgien  est  de  déterminer  une 
inflammation  adhésive  qui  oblitère  le 
canal  artériel.  On  conçoit  que  cette 
inflammation  bienfaisante  ne  peut 
s'opérer  que  lorsque  l'artère  est 
saine.  Scarpa  conseille  de  ne  pas  bri- 
ser les  tuniques  internes  en  serrant 
le  til  de  la  ligature.  De  nombreuses 
expériences  sur  leschiens  lui  avaient 
appris  que  l'oblitération  du  vaisseau 


SCA 


249 


a  lieu  plus  facilement  'par  la  simple 
juxtaposition  de  la  tunique  interne, 
soit  par  la  compresssion  médiate, 
soit  par  le  simpk  étranglement  pro- 
duit par  un  lien  à  ligature.  Il  se 
montre  partisan  de  l'opération  de 
la  ligature  par  la  méthode  française 
dite  d'Anel ,  qui  permet  d'une  ma- 
nière plus  facile  la  circulation  du 
sang  au  moyen  des  anastomoses.  La 
méthode  de  Hunter  laisse  en  ce  sens 
moins  de  chances  de  réussite.  Dans  le 
traitement  de  l'anévrysme  de  l'ar- 
tère poplitée,  Hunter  avait  conseillé 
de  lier  l'artère  à  sa  sortie  du  troi- 
sième adducteur;  Scarpa  eut  le  pre- 
mier l'heureuse  idée  de  porter  le  fil 
de  la  ligature  au  bas  de  l'espace  in- 
guinal ;  il  évitait  ainsi  toutes  les  dif- 
ficultés qui  se  rencontrent  dans  la 
méthode  précédente.  C*est  dans  son 
traité  des  anévrysmes  que  Scarpa 
brille  surtout  par  ses  connaissances 
anatomiques.  Dans  quelles  circon- 
stances l'art  opératoire  peut-il  reti- 
rer de  plus  belles  indications  ?  De- 
puis que  Scarpa  a  si  ingénieusement 
décrit  les  anastomoses  artérielles  du 
corps  humain,  on  a  lié  les  carotides, 
la  crurale,  les  artères  iliaques  ex- 
terne et  interne.  Un  chirurgien  an- 
glais, Astley  Cowper,  a  même  osé 
porter  le  fil  d'une  ligature  jusque 
sur  l'aorte  abdominale;  et,  poussant 
à  l'extrême  limite  la  confiance  dans 
l'efficacité  des  anastomoses  artériel- 
les, il  a  entre  autres  invoqué,  pour  le 
rétablissement  de  la  circulation  du 
sang*  chez  le  malade  qu'il  a  opéré, 
l'anastomose  de  la  mammaire  interne 
et  de  l'épigastrique.  On  sait  aujour- 
d'hui ce  qu'il  faut  penser  de  la  multi- 
plicité des  anévrysmes  chez  le  même 
indi'Vidu,  et  de  ce  que  les  médecins 
ont  imaginé  d'appeler  la  cachexie  ané- 
vrysmale.  11  ne  fallait,  cependant, 
rien  moins  que  l'autorité  d'un  des 


250 


SCA 


praticiens  les  plus  distingués  de  notre 
époque   pour    éclairer   entièrement 
cette  question  et  faire  voir  que  cette 
maladie  est  le  résultat  de  Tinflamma- 
tion  se  prolongeant  sur  les  tubes  ar- 
tériels. Voici  à  cet  égard  ce  que  dit 
M.  Bégin  de  la  prétendue  diathèse 
anévrysmale.  «  Qui  ne  voit  qu'elle  ne 
consiste,  chez  les  sujets  sur  lesquels 
on  l'observe,   que  dans  l'existence 
d'artérites  chroniques,  étendues  et 
profondes,  dont  les  progrès,  en  don- 
nant lieu,  sur  divers  points,  aux  mê- 
mes désordres,  multiplient  successi- 
vement aussi  les  mêmes  résultats?» 
Dictionnaire  de  médecine  et  de  chi- 
rurgie pratiques  (tome  li,  p.  414). 
Dans  l'ouvrage  in-fol.  sur  les  hernies, 
on  reconnaît  encore  l'anatomiste  ha- 
bile et  le  grand  chirurgien.  Scarpa  in- 
dique d'une  manière  admirable  le 
mécanisme  de  production  de  certaines 
hernies  inconnues  ou  inexpliquées 
avant  lui.  Contrairement  à  l'opinion 
reçue,  il  montre  que  ce  qu'on  regar- 
dait comme  un  anneau  est  réelle- 
ment une  sorte  de  canal  qiri  semble 
prêt  à  recevoir  les  différents  organes 
qu'une  disposition   locale   particu- 
lière  ou  un    effort    imprévu   tend 
^  chasser  à  l'extérieur.  Scarpa  se 
montre    partisan    du    débridement 
multiple  de  l'anneau,  et  donne  à  cet 
égard    des    conseils   que    les   plus 
grands  chirurgiens  ont  suivis  avec 
succès.  Enfin,  il    a   jeté   dans   cet 
immortel  ouvrage  le  plus  gr^nd  jour 
sur  le  mécanisme  que  la  naturq  .em- 
ploie à  réparer  les  pertes  d'intes- 
tin gangrené  par  suite  de  l'étrangle- 
ment, sur  la  formation  de  l'infundi- 
bulum  et  l'éperon  intestinal.   L'in- 
fluence des    écrits   de   Scarpa    fut 
immense.  Nous  ayons  vu  que  c'est 
lui  qui  donna  en  Angleterre  les  pre- 
mières notions  exactes  sur  les  mala- 
dies des  yeux  \  ses  préceptes  d'ana- 


SCA 

tomie  chirurgicale ,  semés  k  chaque 
page  dans  ses  œuvres,  se  répandirent 
partout.  Les  deux  plus  grands  hom- 
mes, quand  on  parle  de  médecine 
opératoire  et  d'anatomie,  Dupuytreu 
et  Cuvier,  étaient  ses  admirateurs. 
L'Europe  entière,  malgré  la  difficulté 
des  communications,  applaudit  à  ses 
succès;  et  les  différentes  académies 
sanctionnèrent  par  des  votes  una- 
nimes les  éloges  du  public  médical. 
Scarpa  fut  un  savant  dans  toute  l'ac- 
ception du  mot.  Quelques  grands  chi- 
rurgiens ont  dû  leur  réputation  à  une 
élocution  facile  et  à  la  méthode  bril- 
lante avec  laquelle  ils  exposaient  à 
un  auditoire  attentil"  les  progrès  de 
la  science;  d'autres  ont  obtenu  les 
suffrages  par  leur  manière  heureuse 
de  pratiquer  les  opérations.  Scarpa 
eut  tout  cela  sains  doute,  mais  il  est 
surtout  remarquable  par  son  esprit 
d'analyse  et  d'observation  pratique  ; 
non-seulement  il  possédait  les  écrits 
des  médecins  de  l'antiquité  et  aurait 
pu  comme  tant  d'autres  les  citer  à 
tout  propos,  mais  encore  il  les  com- 
mentait et  savait  au  besoin  combattre 
leurs  opinions  pour  en  émettre  de 
meilleures.  Scarpa  est  l'homme  des 
découvertes,  si  l'on  peut  appeler  ainsi 
la  manière  d'observer    ce  que    lès 
autres  n'ont  jamais  vu,  ou  n'ont  fait 
qu'entrevoir  Imparfaitement.  Si  l'on 
jette  un  rapide  coup  d'œil  sur  l'épo- 
que où  il  vécut ,    on  voit  qu'il  eut 
de   glorieux   collaborateurs   et   fui 
avec  eux  un  des  rénovateurs  de  la 
médecine  et  d£  la   chirurgie   mo- 
dernes. Dans  l'ouvrage  que  Morgagni 
publia  en  1712  sous  le  titre  de  Nova 
institutionum  medicarum  idea^  ce 
grand  praticien  donne  d'excellents 
conseils  aux  jeunes  gens  qui  étudient 
la  médecine  ;  il  leur  recommande  l'é- 
tude de  l'anatomie  pratique ,  les  en- 
gage à  voyager,  à  suivre  les  hôpi- 


SCA 

taux  et  à  écrire  en  latin.  Scarpa,  on 
le  sait,  écouta  les  conseils  de  son 
maître  ;  il  lut  les  ouvrages  de  Ruysch, 
Boerhaave,  Heister,  Winslow,  Mekel, 
Senac,  tous  contemporains  de  Mor- 
gagni.  L'impulsion  donnée  par  ces 
grands  anatomistes  se  continue  et 
s'étend  dans  la  période  d'années  qui 
s'écoule  après  eux.  Camper  (3)  écrit 
un  ouvrage  d'auatomie,  Santorini(4) 
fait  paraître  des  planches  sur  cette 
matière,  et  les  vaisseaux  lymphati- 
ques sont  décrits  par  Masgagni  (5). 
Bientôt  SœmmeHng  (6)  met  au  jour 
un  Traité  d'anatomie  générale  tt 
n'est  pour  ainsi  dire  que  le  précur- 
seur de  Bichat.  Cet  homme,  d'unim- 
mense  talent,  apparaît  quelques  an- 
nées sur  la  scène  médicale,  et  dans 
les  courts  instants  que  lui  laisse  sa 
dévorante  activité  pour  l'étude  des 
dissections  anatomiques,  il  fait  deux 
ouvrages  qu'il  donne  avant  de  mou- 
rir, comme  un  gage  éternel  de  son 
génie.  Enfin ,  plus  récemment  , 
BoyeretChaussier,  Gail,Spurzheim, 
et  enfiti  Cuvier  apportent  dans  Të- 
tude  de  l'anatomie  la  plus  rigou- 
reuse exactitude.  L'étude  des  ma- 
ladies chii-urgicales  comme  la  scien- 
ce anatomique  fait  de  continuels 
progrès,  depuis  la  naissance  de  Scar- 
pa jusqu'à  sa  mort;  les  discussions 
qui  ont  lieu  sur  quelques  modes  de 
médecine  opératoire  n'y  apporteiit 
aucun  obstacle.  Scarpa,  dàhs  ce 
mouvement  scientifique ,  seconde 
l'œuvre  de  l'illustre  Jean-Louis  Pe- 
tit; il  est  lui-même  aidé  avec  bon- 


SCA 


251 


(3)  P.    Camper.   Démon strationes    ànàlo- 
mictBy  Amst.,  1760,  in-folio. 

(4)  J.-D.   Sanlorjni.   Tahulœ   anatomica, 
Parme,   1776,  in-folio. 

(5)  Masgagni.    tasorum   Ij-mphaticorum 
historia.  Sienne,  1787,  in-folio. 

(6)  Sœmmering.  1)*   eorporis  Kiéianî  fa- 
hric.y  1794»  6  vol.  in-80. 


heur  par  Chopart  et  Lassus,  enfin 
par  le  grand  chirurgien  (Desauît) 
qui  vit  naître  et  mourir  Bichat,  et 
dont  les  restes  sont  en  ce  moment 
déposés  sous  le  péristyle  de  l'Hôtel- 
Dieu.  Si  on  envisage  l'ensemble  des 
études  essentiellement  médicales , 
on  ne  voit  dans  une  période  de 
soixante  ans  qu'une  suite  d'opinions 
et  de  systèmes  qui,  la  plupart  du 
temps  contradictoires,finissent  néan- 
moins par  faire  jaillir  la  lumière  et 
amènentdes  résultats  immenses  dans 
le  diagnostic  et  le  traitement  des 
maladies.  Depuis  le  grand  Syden- 
ham  Jusqu'à  nos  jours^  que  de  re- 
cherches, que  de  théories  ingénieu- 
ses pour  expliquer  les  causes  des 
maladies!  discussions  souvent  ha- 
sardées, quelquefois  pleines  de  gé- 
nie, que  le  même  siècle  et  souvent 
la  même  année  vit  se  montrer  et  dis- 
paraître. Les  noms  de  Sauvages,  de 
Bordeu,  de  Stoll,  de  Zimmermann, 
de  Torti,et  ceux  de  Barthez,  Cullen, 
Brown,  Pinel,  Broussais,  ne  disent- 
ils  pas  toute  cette  époque?  Les  der- 
niers toutefois  rappellent  d'une  ma- 
nière plus  exacte  l'agitation  des 
idées  médicales  du  temps  de  Scarpa, 
discussions  auxquelles  ce  grand  chi- 
rurgien ne  prit  pas  une  part  active, 
mais  qui  furent  loin  de  lui  être  in- 
différentes. En  1780  Cullen,  nourri 
des  préceptes  d'Hippocrate  et  de 
Galien,  met  au  jour  une  doctrine 
médicale  qui  n'est  qu'une  nouvelle 
forme  des  idées  antiques,  enrichie 
de  découvertes  basées  sur  la  circu- 
lation du  sang  et  les  progrès  de  l'a- 
natomie, lorsque  s'élève  à  côté  de 
lui  et  sous  ses  yeux  un  systèmehardi, 
quoique  erroné  dans  ses  applications 
comme  dans  son  principe.  L'Écossais 
Brown,  élève  de  Cullen,  combat  tou- 
tes les  théories  de  son  maître,  et 
soutient  que  la  vie  ne  s'entretient 


253 


SCA 


que  par  l'incitation.  Les  idées  de 
firown  sur  les  phénomènes  de  Texi- 
stence  et  la  manière  d'être  des  af- 
fections morbides  passèrent  en  Al- 
lemagne et  en  Italie,  oii  elles 
trouvèrent  beaucoup  de  partisans. 
Rasori,  en  inventant  le  contro-sti- 
«lulisme,  attaqua  vivement  les  idées 
■de  Brown.  Celui-ci  conseille  les  ex- 
citants dans  la  plupart  des  affections 
morbides,  notamment  dans  l'apo- 
plexie ;  Rasori,  au  contraire,  ne  voit 
presque  toujours  dans  les  maladies 
qu'un  excès  d'incitaiion  et  ordonne 
les  débilitants  :  c'est  la  méthode  de 
Brown  en  sens  inverse.  Malgré  l'op- 
position de  Rasori,  les  idées  du 
médecin  écossais  jouirent  d'une 
certaine  faveur,  et  il  fallut  l'infa- 
tigable activité  de  Broussais  pour 
détruire  en  entier  cette  doctrine  ho- 
micide, dont  Brown  fut  lui-même 
la  plus  remarquable  victime.  Brous- 
sais, après  avoir  étouffé  dans  ses  bras 
puissants  le  Brownisme  qui  venait  de 
naître,  combattit  la  théorie  de  Pinel 
sur  les  fièvres  essentielles,  fascina  la 
jeunesse  française  par  sa  parole  élo- 
quente, la  fit  renoncer  à  deux  mille 
ans  de  croyances  médicales  pour  lui 
imposer  ses  idées  sur  l'inflammation. 
Magnifique  doctrine,  trop  séduisante 
et  trop  facile  pour  être  durable,  et 
qui  est  morte  en  partie  avec  son  il- 
lustre auteur!  N'en  sommes- nous 
pas  venus  aujourd'hui,  en  chirurgie 
et  en  médecine,  à  une  époque  que 
nous  pourrions  appeler  éclectique,  oii 
chaque  praticien  consciencieux,  en 
appréciant  froidement ,  comme  le 
fera  la  postérité,  les  idées  contempo- 
raines, doit  adopter  celles  qui  lui 
paraissent  le  plus  en  rapport  avec  la 
nature,  qui  sera  toujours  le  premier 
guide  du  médecin  ?  Nous  diviserons 
les  travaux  de  Scarpa  en  anatomi- 
ques  et  chirurgicaux.  Les  premiers 


SCA 

sont  :  I.  De  structura  fenestrœ  ro- 
tundœ  auris  et  de  iympano  secun- 
dario  anatomicœ  observationeSy 
Modène,  t772,  in-4°.  Haller,  dans  sa 
Bibliotheca  anatomica  (t.  XI  , 
p.  696),  fait  le  plus  grand  éloge  de 
cet  ouvrage.  II.  Ânatomicarum  an- 
notationum  liber  primusdegangliis 
et  pleœubus  nervorum^  Modène, 
1779,  in-4°,  avec  fig.  Il  existe  une 
autre  édition  sans  date  niindicalion 
de  lieu,  mais  elle  fut  hautement  dé- 
savouée par  l'auteur.  Elle  est  d'ail- 
leurs incomplète  et  fourmille  de  fau- 
tes d'impression.  III.  De  promoven- 
dis  ânatomicarum  administratio- 
num  rationibus  oratio  ad  tyrones 
habita  in  audit,  magno  Archigymn. 
ticin.y  Pavie,  1783,  in-4o.  Le  profes- 
seur Ludwig  fit ,  peu  de  temps  après, 
réimprimer  ce  discours  à  Leipsick. 
IV.  Sur  un  taureau-vache  appelé 
par  les  Anglais  Free-Martin^  Vé- 
rone, 1784  {voy.  Mém.  de  la  Société 
italienne,  t.  II,  part.  H).  C'est  un 
fait  constant  que  toutes  les  fois 
qu'une  vache  dépose  en  même  temps 
deux  individus  mâles  ou  femelles,  ces 
deux  individus  sont  complets.  Mais  si 
l'un  d'eux  est  mâle  et  que  l'autre 
soit  en  apparence  femelle,  ce  der- 
nier, pour  parler  rigoureusement, 
n'est  ni  mâle  ni  femelle,  et  par  con- 
séquent impropre  à  la  génération. 
C'est  un  être  tout  à  fait  en  dehors  de 
l'ordre  naturel  ordinaire,  car  il  réu- 
nit, d'une  manière  imparfaite  il  est 
vrai,  les  parties  génitales  de  l'un  et 
et  de  l'autre  sexe.  Les  anciens  avaient 
eu  connaissance  de  ce  phénomène, 
témoin  Columelle,  qui,  ne  pouvant 
appeler  un  tel  être  ni  taureau,  ni  va- 
che, lui  donne  le  nom  de  taure. 
Scarpa  en  communiqua  un  exemple 
à  la  Société  littéraire  italienne  de 
Vérone,  venant  ainsi  à  l'appui  de 
ceux  qu'avait  déjà  annoncés  le  ce- 


SCA 

lèbre  Jean  Hunter.  V.  In  solemni 
theatri  anatomici  ticinensis  dedica- 
tione  oratio^  Pavie ,  1785  ,  in-4*'. 
VI.  Ànatomicarum  annotationum 
liber  secundus,  de  organo  olfactus 
prœcipuo,  deque  nervis  nasalibus  e 
pari  quinto  nervorum  cerebri,  Pa- 
vie, 1785,  in~4°;  Pavie  et  Milan, 
1792,  in-é**,  avec  fig.  VU.  Dener- 
vo  spinali  ad  octavum  cerebri  ac- 
cessorio  commentarius ,  mémoire 
inséré  dans  les  Àcta  med.  chirur- 
gica  de  Vienne,  t.  l^^ ,  année  1783. 
Vlll.  Anatomicœ  disquisitiones  de 
audiiu  et  o//acfi*,  Pavie,  1789,  in- 
fol.,  avec  fig.  IX.  Tabulce  nevrolo- 
gicœ  ad  illustrandam  historiam 
anatomicam  cardiacorum  nervo- 
rum, noni  nervorum  cerebri,  glosso 
pharyngei,  et  pharyngei  ex  octavo 
cerebri^  Pavie,  1794,  in-fol.,aveclig. 
X.  De  penitiori  ossium  itructura, 
Leipsick,  1799,  in-4°;  réimprimé 
dans  les  Mémoires  de  physiologie  et 
de  chirurgie,  publiés  par  Leveillé, 
Paris,  1804,  in-S».  En  1823  ,  le  doc- 
teur Meding,  dans  sa  thèse  pour  le 
doctorat,  ayant  élevé  des  doutes  sur 
la  doctrine  de  Scarpa,  celui-ci  fit 
réimprimer  son  ouvrage  sous  le  titre 
De  anatomia  et  pathologia  ossium^ 
Pavie,  1827  ,  in-4°,  après  y  avoir 
ajouté  un  Mémoire  de  eœpansione 
ossium,  deque  eorumdem  callo  post 
fracturam.  XI.  De  gangliis  nervo- 
rum deque  origine  et  essentia  nervi 
intercostalis  ad  illustrem  virum 
Benricum  Weber  anatomicum  lip- 
siensem  Epistola ,  1831.  XII.  De 
gangliis  deque  utriusque  ordinis 
nervorum per  universum  corpus  dis- 
tributione  ad  eumdem  Epislola^ 
1831.  Ces  deux  lettres  se  trouvent 
dans  les  Opuscules  de  chirurgie, 
dont  nous  parlerons  plus  loin.  Les 
principaux  ouvrages  chirurgicaux 
de  Scarpa  sont  ;  XIH,  Essai  d'obser- 


SCA 


253 


vations  et  d'expériences  sur  les  prin- 
cipales maladies  des  yeux,  Pavie, 
1801,  in-4%  avec  fig.  La  cinquième 
édition  a  pour  titre  :  Traité  des  prin- 
cipales maladies  des  yeux,  Pavie, 
1816,  2  vol.  in-80.  Cetexcellent  livre 
a  été  traduit  dans  presque  toutes  les 
langues  de  l'Europe,  et  trois  fois  en 
français  :  par  M.  Leveillé  (Paris,  1802, 
2  vol.  in-8o;  seconde  édition,  1807)^ 
par  MM.  J.-B.  Bousquet  et  IN.  Bel- 
langer  (Paris  et  Montpellier,  1821, 
jn-8<>)  ;  et  enfin  par  MM.  Fournier- 
Pescay  etBégin  (Paris,  1821,  2  vol. 
in-8°).  XIV.  Mémoire  sur  les  pieds- 
bots  et  sur  la  manière  de  corriger 
cette  difformité  congénitale,  Pavie, 
1803,  in-4'',  avec  fig.,  traduit,  par 
M.  Leveillé  dans  les  Mémoires  ciiés 
plus  haut.  XV.  Sur  l'anévrysme  : 
Réflexions  et  observations  anato- 
mico' chirurgicales,  Pavie,  1804,  in- 
fol.,  avec  fig.  ;  traduit  en  français, 
parM.J.Delpech,  Paris,  1813,1815  et 
1821,  in-8*',  et  par  M.  C.-P.  OUivier, 
Paris,  Î821,  in-8°.  XVI.  Sur  les  her- 
nies, mémoires  anatomico- chirurgie 
eaux,  Milan,  1809,  in-fol.;  Irad. 
en  français  par  M.  Cayol,  Paris,  1812, 
in-8«,  et  par  M.  Ollivier,  Paris,  1823, 
in-8°.  XVII.  Éloge  historique  de 
Jean^Baptiste  Carcano-Leone^  Mi- 
lan, 1813,  in-4°.  Carcano  avait  été 
professeur  d'anatomie  à  Tuniversilé 
dePadoue, depuis  1573jusqu'en  1600, 
et  avait  publié  des  Traités  estimés. 
Cet  Éloge  a  été  traduit  en  anglais 
par  M.  Wishart,  professeur  de  chi- 
rurgie à  Edimbourg.  XVIII.  Mémoire 
sur  la  ligature  des  principales  ar- 
tères des  membres^  avec  un  appen- 
dice à  l'ouvrage  sur  Vanévrysme,  Pa- 
vie, 1817,  in-4o;trad.  en  franc.,  1822, 
in-8°.  XIX.  Lettre  au  professeur  An- 
toine Vaccd-Berlinghieri,  sur  la  li- 
gature des  grosses  artères,  et  réponse 
de  celui-ci,  Pise,  in-8°,  XX.  lettre 


254 


SCA 


au  docteur  Omodei,  sur  la  ligature 
temporaire  des  grosses  artères  des 
membres^  Milan,  in-8°.  XXI.  Sur  la 
taille  hypogaslrique  pour  l'extrac- 
tion de  la  pierre,  Milan,  1820,  in-4°. 
XXn.  Sur  le  squirre  et  le  chancre^ 
Milan,  1821,  in^".  XXlU.Sur  la  her- 
nie du  périnée,  Pavie,  1821,  in-fol., 
avec  fig.;  trad.  en  franc,  par  MM.  01- 
livirr  etBichard,  Paris,  1823,  in-8°. 
XXIV.  Essai  d'observations  sur  la 
taille  recto-vésicale  pour  l'extrac- 
tion de  la  pierre^  Pavie,  1823,  in- 
fol.,  avec  fig.  *,  traduit  par  M.  OUi- 
vier,  sous  le  titre  de  Traité  de  Vo- 
pération  de  la  taille,  Paris  et  Mont- 
pellier, 1825,  in-80.  XXV.  Mémoire 
sur  rhydrocèle  du  cordon  sperma- 
tique,  Pavie,  1823,  in-fol.,  avec  tig.; 
trad.  franc,  par  M.  Ollivier,  et  inse'- 
ré  dans  les  Archives  générales  de 
médecine.  XXVI.  Pourquoi  la  liga- 
ture temporaire  de  la  grosse  artère 
d'un  membre  pour  obtenir  la  guéri- 
son  radicale  de  V anévrysme  a  été 
parfois  regardée  comme  inefficace; 
dans  les  Annales  d'Omcdei  (1830), 
et  traduit  par  M.  Ollivier  dans  les 
Archives  générales  de  médecine.  Les 
écrits  de  Scarpa,  cités  depuis  le  nu- 
méro XVIII,  ont  été  réunis  et  publiés 
avec  un  grand  nombre  d'autres  mé- 
moires inédits  du  même  auteur  dans 
les  Opuscules  de  chirurgie,  Pavie, 
1825-1832,  3  vol.  m-4",  avec  fig. 
Scarpa  a  de  plus  laissé  deux  écrits 
qui  attestent  une  profonde  connais- 
sance dans  les  arts.  Ce  sont  :  1**  Let- 
tre au  comte  Marenzi^  sur  un  por- 
trait attribué  à  Raphaël  (dans  la 
Bibliotheca  italiana  de  juin  1829  )  ; 
2°  Sur  un  casque  en  fer  d'un  travail 
exquis,  opuscule  publié  en  1831.  Le 
docteur  Vannoni  entreprit,  en  1886, 
une  édition  des  œuvres  complètes 
de  Scarpa,  dans  laquelle  les  ouvra- 
ges latins  sont  traduits  en  italien  et 


SCA 

augmentés  des  notes  de  Vaccà,  Betti, 
Laennec,01livier,etc.  ,Florence,  trois 
parties  in-8"  à  deux  colonnes.  — 
Scarpa  avait  un  frère  {Dominique)., 
médecin  comme  lui,  qui  Paida  dans 
plusieurs  de  ses  travaux ,  surtout 
dans  le  dessin  des  planches  anato- 
miques.  Il  est  mort  en  1844. 

L.— D— É. 
SCARPARIA  (jACQUES-A?<GEde), 
l'un  des  Italiens  qui  montra  le  plus 
de  zèle  pour  la  renaissance  des  let- 
tres et  des  arts,  naquit  en  Toscane. Ce 
fut  lui  qui,  vers  l'an  1397,  attira  Ma- 
nuel Chrysoloras  de  Venise  k  Flo- 
rence. Sous  la  direction  de  cet  ha- 
bile maître,  il  fit  de  tels  progrès  dans 
l'étude  de  la  langue  grecque,  qu'il 
reçut  bientôt  du  pape  Alexandre  V 
la  mission  de  traduire  en  latin  la 
Géographie  de  Ptolémée.  Cette  tra- 
duction fut  imprimée  pour  la  pre- 
mière fois  à  Bologne,  chez  Domini- 
que de  Lupis  ,  sous  la  date  de  1462 
(M.  CCCC.  LXII),  et  cette  date,  évi- 
demment erronée ,  a  rendu  cette 
édition  célèbre  parmi  les  bibliogra- 
phes. Le  premier  ouvrage  publié  en 
Italie  avec  date  est  le  Lactance,  sorti 
en  1465  des  presses  du  monastère 
de  Subiaco;  le  Ptolémée  est  bien 
moins  ancien  ;  personne  ne  le  con- 
teste, mais  comment  faut-il  rectifier 
l'indication  de  son  frontispice  ?  Quel- 
ques savants  pensent  qu'il  y  a  un  X 
d'oublié  ;  d'autres  qu'il  a  été  omis 
deux  XX;  d'autres,  enfin  (et  cette 
opinion  est  la  plus  vraisemblable), 
c'est  qu'un  I  a  pris  la  place  d'un  L , 
et  qu'il  faut  lire  LXLI,  ce  qui  signi- 
fie 1491.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  existe 
de  ce  Ptolémée  une  autre  édition 
d'Augsbourg,  1482,  que  les  curieux 
recherchent  à  cause  des  trente-deux 
cartes  gravées  en  bois  qu'elle  ren- 
ferme. Des  exemplaires  imprimés  sur 
peau-vélin  ont  été  payés,  à  Londres, 


SCA 

au-delà  de  trente  livres  sterliiig,  à 
la  vente  des  belles  bibliothèques  de 
Sykes  et  d'Hibbert.On  connaît  quel- 
ques autres  éditions,  mais  elles  ne 
sont  pas  d'un  grand  prix.  La  criti- 
que moderne  a  relevé  diverses  mé- 
prises dans  le  travail  de  Scarparia; 
cependant  il  faut,pour  être  juste  à  son 
égard,  lui  tenir  compte  du  peu  de  res- 
sources qu'il  avait  k  sa  disposition, 
lorsqu'il  ne  pouvait  consulter  que  des 
manuscrits    déplorablement   incor- 
rects. En  1400,  il  se  rendit  à  Constan- 
tinople,  d'où  il  revint  à  Rome,  et  en 
1405  il  fut  élevé  à  l'emploi  impor- 
tant de  secrétaire  intime  du  pape. 
Son  nom  s'est  retrouvé  sur  un  acte 
daté  de  1410,   mais  on  ignore  ce 
qu'il  devint  depuis  et  quelle  fut  l'é- 
poque de  sa  mort.  Il  a  laissé  une 
Histoirede  Cicérone  réimprimée  plu- 
sieurs fois  durant  le  XVl^  siècle  ;  une 
lettre  qu'il  adressa  kChrysoloras  sur 
l'élection  du  pape  Grégoire  XII  a  été 
publiée  avec  les  lettres  de  Léonard 
Dati  (Florence,  1743,  in-8°,  p.  61- 
95).  Il  reste  encore  à  l'état  de  ma- 
nuscrit diverses    traductions    qu'il 
acheva  de  quelques  ouvrages  grecs. 
Mehus  a  donné  une  notice  sur  sa  vie 
dans  l'édition  que  nous  venons  d'in- 
diquer des  Lettres  de  Dati.  Pour  de 
plus  amples  détails,  nous  renverrons 
à  Nicéron,  à  Prosper  Marchand  et  à 
Mazzucchelli.  B— n — ï. 

SCARPELÏ.II\I(rabbé  FÉLICIEN), 
astronome  italien,  naquit  à  Foligno 
le  20  octobre  1762.  11  entra  de  bonne 
heure  dans  la  carrière  ecclésiastique 
et  se  rendit,  jeune  encore,  à  Rome  où 
il  remplit  différents  emplois,  tout  en 
se  livrant  à  l'étude  des  sciences  et 
surtout  de  l'astronomie.  Il  était 
professeur  à  l'Académie  de  Rome 
lorsqu'il  fut  envoyé  en  1802  aux  co- 
mices assemblés  à  Lyon.  C'est  à  lui 
que  Rome  doit  la  fondation  de  l'ob- 


SCA 


255 


servatoire  du  Capitole  et  la  restau- 
ration de  l'Académie  des  Lincei  dont 
il  devint  secrétaire  perpétuel.  L'ab- 
bé  Scarpellini    mourut  à  Rome   le 
l^"^  décembre  1840.  11  avait  été  fait 
chevalier  de   la  Légion-d'Honneur 
par  Napoléon.  Parmi   ses  ouvrages 
nous  citerons  :  ï.  Tableau  des  opé- 
rations faites  à  Rome  pour  l'éta- 
hlissement    du  système    métrique^ 
Rome,  1811.  II.  Mémoire  sur  queU 
ques  nouveaux  réflecteurs  en  cuivre 
pour  les  grands  teiescopes.  Après  la 
mort  de  Scarpellini,  le  gouverne- 
ment   romain  s'empressa  d'acheter 
le  cabinet  de  physique  qu'il  avait 
formé  et  dont  les  principaux  instru- 
ments avaient  été  confectionnés  par 
lui-même.  Voy,  pour  plus  de  dé- 
tails la  notice  italienne  qu'a  publiée 
sur   ce  savant  M.  Benoît  Trompée 
(Pise,  1841,  in-8";  et  sec.  éd.,  Rome, 
1841, in-8»).  Z. 

SCARUFFÏ  (Gaspard),  le  plus 
ancien  écrivain  d'économie  politi- 
que de  l'Italie,  naquit  à  Reggio,  vers 
1515,  d'une  famille  noble  et  riche. 
Il  était  encore  fort  jeune  lorsqu'il 
fut  chargé  de  diriger  l'hôtel  des  mon- 
naies qui  existait  dans  sa  ville  natale, 
et  il  remplit  cet  emploi  avec  beau- 
coup de  talent.  Les  connaissances 
qu'il  y  acquit  le  firent  envoyer, 
en  1575,  auprès  du  duc  de  Ferrare 
Alphonse  II,  afin  de  prendre  les  me- 
sures propres  à  arrêter  les  désordres 
monétaires  qui  devenaient  de  jour 
enjour  plus  affligeants,  et  qui  avaient 
leur  source  dans  les  guerres  de 
Charles  -•  Quint.  Plusieurs  années 
après  cette  députation ,  Scaruffi  pu- 
blia le  mémoire  qu'il  avait  rédigé 
pour  le  duc,  et  qu'il  intitula:  VAli- 
tinonfo  per  far  ragione  e  concor- 
danza  d'oro  e  â^argetito  che  servira 
in  universale  per  provvedere  agit 
infiniii  abusi  del  tosare  e  guastarc 


056 


SCA 


moneff,  etc.,  Reggio,  Hercoliaiio  Bar- 
toli,  1582 ,  in-8°.  Dans  cet  ouvrage, 
qui  est  devenu  très-rare  et  qui  est 
dédié  au  comte  Alphonse  Tassoni , 
juge  au  tribunal  des  sages  et  conseil- 
ler intime  du  duc  de  Ferrare,  Fau- 
teur propose  de  soumettre  tous  les 
objets  d'or  et  d'argent  à  la  garantie, 
c'est-à-dire  à  la  marque,  et  c'est  par 
conséquent  à  lui  qu'on  doit  l'adop- 
tion d'une  mesure  aussi  sage  et  qui  est 
aujourd'hui  universelle.  Il  y  propo- 
sait aussi  un  seul  système  monétaire 
pour  tout  l'univers,  et  indiquait  les 
moyens  d'arriver  à  ce  résultat  ;  mais 
cette  seconde  mesure  ne  devait  être 
commencée  en  France  que  deux  siè- 
cles plus  tard  ,  et  ce  n'est  que  très- 
liuitement  qu'elle  se  propage  chez 
les  autres  nations.  Scaruffi  était  fort 
riche  et  faisait  un  emploi  magnifique 
de  sa  fortune.  11  acheta,  au  prix  de 
1,200  écus  d'or,  deux  statues  colos- 
sales représentant  Hercule  et  Lépi- 
dos,  de  démenti,  plus  connu  sous 
son  prénom  de  Prosper  d'après  l'u- 
sage   italien    pour  les  artistes.   Ce 
sculpteur  était  fort  lié  avec  lui  et 
avait  écrit  sur  son  livre  un  commen- 
taire qui  a  pour  titre:  Brève  istruzio- 
ne  sopra  il  discorso  fatto  dal  magn. 
M,  G.  Scaruffi  per  regolare  le  cose 
delli  denari,  et  qui  fut  joint  à  VÀli- 
tinonfo.  Scaruffi  mourut  à  Reggio  en 
1584.  A— Y. 

SCAYENIUS(Broenum),  conseil- 
ler d'État  et  bibliophile  danois  ,  fut 
d'abord  facteur  de  lacompagnie  asia- 
tique ,  à  laquelle  il  procura  des  bé- 
néfices considérables  pendant  sa  ges- 
tion au  Bengale.  Pour  l'en  récom- 
penser on  frappa  à  son  retour  une 
médaille  en  son  honneur,  et  il  ob- 
tint en  même  temps  le  titre  de  con- 
seiller de  justice.  Scavenius  fit  un 
noble  emploi  de  la  fortune  qu'il  avait 
amassée  dans  le  cours  de  ses  voya- 


SCA 

ges.  Il  encouragea  l'agriculture,  les 
sciences,  les  arts  et  ceux  qui  les  cul- 
tivent; lui-même  publia  quelques 
ouvrages  et  fournit  des  fonds  pour 
des  recherches  relatives  aux  anti- 
quités nationales.  Ayant  conçu  le 
projet  d'établir  à  Copenhague  une 
bibliothèque  publique,  il  acquit  à 
cet  effet  celle  de  P.-T.  Vandal ,  mais 
elle  fut  consumée  par  un  incendie 
en  1794;  il  répara  ce  malheur  en 
achetant  la  bibliothèque  du  conseil- 
ler Schmidt,  à  laquelle  il  annexa  des 
collections  de  médailles  et  d'histoire 
naturelle.  Cet  établissement  fut  en- 
core détruit,  en  1807,  lors  du  bom- 
bardement de  Copenhague  par  les 
Anglais.  Enfin,  Waldum  ,  son  ami , 
voulant  seconder  ses  intentions  gé- 
néreuses, lui  légua,  en  1815,  une 
troisième  bibliothèque.  Scavenius 
mourut,  dans  sa  terre  de  Giorslow, 
le  20  juin  1820.  Z. 

SCAVINI  (J.-M.),  docteur-méde- 
cin, naquit  à  Saluées,  en  Piémont,  en 
1761,  fit  ses  études  médicales  k  Tu- 
rin et  acquit  dans  cette  ville  une 
grande  réputation  par  la  pratique  de 
son  art.  Nommé  professeur  de  clini- 
que à  l'Université ,  il  enseigna  avec 
beaucoup  de  succès  et  composa  en 
même  temps  plusieurs  écrits  très-re- 
marquables. Il  mourut  à  Turin  en 
1825.  On  a  de  lui  :  I.  Précis  histori- 
que de  la  doctrine  de  l'inflamma- 
tion, depuis  Hippocrate  jusqu'à  nos 
jours,  Turin,  1811,  in-8".  II.  Obser- 
vation sur  Vamputation  faite  à  un 
enfant  de  cinq  mois  du  doigt  an- 
nulaire de  la  main  droite,  ayant  la 
forme  et  les  dimensions  du  gros  or- 
teil d'un  adulte;  suivie  de  quelques 
remarques  sur  l'influence  de  l'ima- 
gination de  la  femme  grosse  sur  le 
fœtus  renfermé  dans  son  sein,  Turin, 
1812,  in-8°,  avec  une  planche,  lll. 
Une  Dissertation  en  langue  italienne 


SCE 

sur  la  goutte  et  les  goutteux.  Ce  sa- 
vant venait  d'achever  un  ouvrage 
plus  important  encore  que  ses  autres 
écrits,  et  dont  les  amis  de  la  science 
attendent  la  publication.  B— n— t. 
SCtVE (Maurice),  écrivain  lyon- 
nais de  la  première  moitié  du  XVI® 
siècle,  cultiva  la  poésie,  la  musique, 
fut  peintre  et  architecte.  Il  fui  acca- 
blé des  éloges  les  plus  pompeux  par 
les  écrivains  du  teujps;  Clément  Ma- 
rot,  E.  Dolet,  Sainte-Marthe  l'ont 
porte  aux  nues.  Il  faut  convenir  que 
de  tels  panégyriques  doivent  nous 
inspirer  quelques  craintes  pour  ceux 
de  nos  grands  hommes  auxquels  les 
journaux  et  les  revues  du  jour  pro- 
diguent leur  admiration  ;  peut-être 
auront-ils,  dans  trois  ou  quatre  siè- 
cles, un  sort  pareil  à  celui  de  Scève. 
Les  œuvres  de  ce  poète  ne  se  rencon- 
trent aujourd'hui  que  chez  quelques 
bibliophiles  jaloux  de  posséder  ce 
que  fort  peu  de  gens  peuvent  avoir. 
En  1544,  il  mil  au  jour,  sous  le  titre 
de  Délie,  object  de  plus  haulte 
vertu^  un  volume  in-8»,  contenant 
458  dizains  et  cinquante  emblèmes 
gravés  sur  bois,  le  tout  en  l'hon- 
neur d'une  belle  qu'il  célèbre  en 
vers  presque  inintelligibles. C'est  un 
mélange  d'érudition ,  de  concetti 
rattinés,  de  tout  ce  que  l'imitation 
de  Pétrarque  a  pu  suggérer  de  plus 
subtil  et  de  plus  recherché.  M.  Sain- 
te-Beuve, dans  son  Tableau  histori- 
que et  critique  de  la  poésie  fran- 
çaise^ a  cité  quelques  dizains,  les 
meilleurs  qu'il  ait  pu  retirer  de  cet 
illisible  recueil.  En  1547,  Scève  livra 
à  l'impression  un  dialogue  pastoral, 
intitulé  :  Saulsaye^  églogue  de  la 
vie  solitaire.  Philerme,  blâmé  par 
son  ami  Anlyre  de  se  plaire  dans 
une  solitude  farouche,  lui  répond 
que  se  voyant  dédaigné  de  Belline  , 
la  souveraine  de  son  cœur,  il  s'est 

LXXXI. 


SCH 


3&7 


retiré  dans  un  lieu  sauvage  : 

Pour  resjouyr  quelque  pea  ses  esprits 
Qui  tant  estoyentde  mortel  deuil  surpris. 

11  y  a  quelques  traits  de  passion  dans 
celte  pièce,  et  le  style  ne  manque  ni 
de  naturel  ni  d'élégance.  Un  libraire 
intelligent  et  amateur  des  vieux  mo- 
numents'de  notrelitiérature,M.  Pon- 
tier,  donna,  en  1829,  une  réimpres- 
sion de  la  Saulsaye;  79  exemplaires 
seulement  en  furent  tirés.  Scève  est 
encore  auteur  d'une  autre  églogue, 
intitulée  :  Arion  (Lyon,  1536,  in-8«), 
consacrée  à  déplorer  le  trépas  pré- 
maturé de  François ,  dauphin  de 
France  et  fils  de  François  P'^;  il  fit 
imprimer,  en  1562,  un  long  poème 
en  vers  alexandrins  sous  le  nom  du 
Microcosme-,  mais,  à  part  leur  rareté, 
qui  est  incontestable,  ces  deux  écrits 
n'ont  rien  qui  les  recommande  à 
l'attention  des  curieux.  B~n— t. 

S  C  H  A  D  O W  (Jean  -  Godefroi)  , 
professeur  et  vice-directeur  de  TA- 
cadéaiie  des  beaux-arts  de  Berlin, 
et  l'un  des  plus  célèbres  sculpteursde 
l'Allemagne,  naquiten  1764,à Berlin, 
et  monira  de  bonne  heure  un  goût 
décidé  pour  le  dessin;  mais  son  père, 
pauvre  tailleur  chargé  de  famille, 
n'eût  jamais  pu  mettre  à  profit  les 
heureuses  dispositions  de  ce  fils  sans 
l'intérêt  qu'elles  inspirèrent  aux 
premiers  artistes  de  la  Prusse.  Scha- 
dow  avait  déjà  faitdegrands  progrès 
dans  l'art  de  la  sculpture  lorsqu'il 
s'enfuit  a  Vienne  avec  une  jeune  tille 
qu'il  aimait  et  qu'il  y  épousa  à  l'âge 
de  vingt  -  un  ans.  Son  beau  -  père 
ayant  consenti  à  l'envoyer  en  Italie, 
il  s'y  rendit  en  1785  et  passa  deux- 
années  à  étudier  avec  un  zèle  infa- 
tigable dans  les  Musées  du  Vatican 
et  du  Capitole.  En  1788,  le  ministre 
d'État  Heinitz  lui  fit  avoir  l'emploi 
de  sculpteur  de  la  cour.  Son  pre- 
mier grand   ouvrage  en  Allemagne 

17 


us 


SCH 


fut  le  monument  élevé  au  jeutïe 
comte  de  La  Marche,  fils  naturel  de 
Frédéric-Ie-Grand.  Ce  superbe  tra- 
vail fut  bientôt  suivi  de  plusieurs 
autres  non  moins  remarquables,  et 
parmi  lesquels  nous  citerons  la  sta- 
tue colossale  du  général  de  Ziethon, 
en  uniforme  de  hussard;  la  statue 
du  grand  Frédéric  à  Stettin^  celle  de 
Léopold  de  Dessau,  à  Berlin  ;  le  mo- 
nument du  général  de  Tauenzien,  à 
Breslau,  et  celui  de  Bliicher,  à  Ros- 
tock.  Schadowa  modelé  le  quadrige 
placé  sur  la  porte  de  Brandebourg, 
h  Berlin;  il  a  encore  exécuté  plu- 
sieurs bustes  d'hommes  célèbres. 
—  Ses  deux  fils  ont  suivi  comme  lui 
la  carrière  des  arts  :  Taîné,  Jean- 
Rodolphe,  .mort  prématurément  à 
Rome,  était  d<'jà  compté  au  rang  des 
premiers  sculpteurs  {voy,  Schadow, 
XLI,  64);  l'autre,  Frédéric- 6rwi^- 
/auwe,  né  en  1789, peintre  distingué, 
a  pris  une  grande  part  à  la  réforme 
artistique  de  l'Allemagne.  11  fut  nom- 
mé, en  1826,  directeur  de  l'Académie 
de  Dusseldorff.  Z. 

SCH.^FER  (  Geoffroi-Henri  ), 
célèbre  philologue  allemand,  naquit 
à  Leipzig  le  27  septembre  1764,  fit 
ses  éludes  dans  cette  ville  et  y  devint 
professeur  de  grec,  puis  conserva- 
teur de  la  bibliothèque  de  l'Univer- 
sité, à  laquelle  avait  été  réunie  sa 
belle  coUeciicn  d'auteurs  classiques 
grecs  et  latins  acquise  par  le  roi  de 
Saxe  en  1818.  Le  temps  qu'il  dut 
consacrer  à  ses  importantes  fonctions 
ne  l'empêcha  pas  de  concourir  à  beau- 
coup d'entreprises  littéraires  et  de 
donner  des  éditions  ,  accompagnées 
de  très-bons  comnieutaires,  de  diffé- 
rents auteurs  grecs  et  latins,  tels 
qu'Hérodote, Démoslhène,  Apollonius 
deRhodes,Pinddre,Homère, Sophocle, 
Denys  d'Halicaroasse.  Il  concourut 
également  à  la   révision  de   beau- 


SCH 

coup  d'éditioas  stéréotypes  d'auteui^ 
grecs  et  à  l'édition  du  Tkesauru» 
latinitatis  de  Henri  Estienne,  im- 
primée à  Londres  par  le  libraire 
Vaipy.  Schaiffer  avait  commencé  lui- 
même  par  être  libraire  en  société 
avec  un  autre  savant,  et  son  édition  de 
V  Athénée^  1796;avait  été  publiéedans 
sa  librairie.  11  mourut  à  Leipzig  le 
I4n!arsl8i0.  D— g. 

SCH.^TZLER  (Jean-Laurent)  , 
banquier  et  député,  né  dans  le  pays 
d'Anspachen  1768,  entra  à  l'âge  de 
quinze  ans  en  apprentissage  dans 
une  maison  de  commerce  à  Franc- 
fort ;  plus  tard,  il  se  rendit  à  Aix-la- 
Chapelle,  où  il  fut  commis  chez  un 
fabricant  de  drap,  et  oii  il  entreprit 
pour  son  compte  et  accessoirement 
la  fabrication  des  broderies.  En 
1789,  il  s'associa  avec  un  homme 
malheureusement  taré  pourreprendre 
l'ancienne  exploitation  des  mines 
de  plomb  argentifère  de  Trarbach, 
près  de  la  Moselle;  cette  association 
lui  fit  perdre  tout  son  patrimoine. 
Heureux  ,  sans  autre  perte,  de  pou- 
voir se  retirei' d'une  entreprise  aussi 
mauvaise,  il  entra  en  1791  dans  la 
maison  de  banque  de  Liebert  à 
Augsbourg  ;  il  y  gagna  tellement  la 
confiance  du  chef,  que  celui-ci  lui 
donna  sa  fille  en  mariage.  En  1800, 
Schaetzier  fonda  lui-même  une  maison 
de  banque  dans  cette  ville ,  et,  avec 
son  amour  de  l'ordre  et  son  esprit 
d'entreprise,  il  sut  la  faire  prospérer 
en  peu  de  temps.  Il  fit  partie  en 
1804  de  la  commission  chargée  de 
pourvoir  aux  besoins  financiers  de 
la  ville,  et  désignée  sous  le  nom 
singulier  de  la  députation  pour  lu 
sublévation  ;  il  signa  les  billets  émis 
par  cette  commission.  En  octobre 
1805,  lors  de  la  reddition  d'Ulm  et 
de  l'approche  des  troupes  françaises, 
il  fut  envoyé  au  quartier-général 


SCH 

^ooiiiie  député  du  comaierce  U'Augs- 
bourg  afin  d'obtenir  des  ménagements 
pourcette  ville,  et  après  l'occupation 
d'Augsbourg    il   eut    une,  nouvelle 
mission  dans  laquelle  il   obtint  de 
Napoléon  une  réduction  des  réqui- 
sitions que  le  commandant  français 
avait, ordonnées;  ensuite  il  pourvut 
avec  sa  sagacité  ordinaire  à  l'appro- 
visionnement de  la  ville,  et  satisfit 
tellement    les  autorités    françaises, 
qu'elles  lui  annoncèrent  la   remise 
des  réquisitions   restantes.   Bientôt 
après,  Augsbourg  fut  incorporé  à  la 
Bavière.  Dans  les  circonstances  pres- 
santes oii  la  guerre  avait  mis  le  nou- 
veau gouvernement ,  la  banque   de 
SchcBtzler  vint  à  son   secours   par 
des  prêts  considérables  ;  aussi  fut-il 
nommé  en  1807,  par  le  roi  de  Bavière, 
conseiller  de  ses  finances.  L'année 
suivante,  il  fit  partie  de  la  commission 
composée  de  deux  jurisconsultes  et 
d'autant  de  négociants  que  le  gou- 
vernement  bavarois   avait   chargée 
d'élaborer  le   projet   d'un   coJe  de 
commerce.  Ce  fut  Schœtzler  q^ii  dé- 
termina   le  gouvernement    à  faire 
frapper   des  thalers   ou  écus  à  la 
couronne  qui  eurent  un  cours  très- 
considérable    et   supplantèrent    les 
mauvaises  monnaies  en  circulation. 
La  ville  où  il  s'était  enrichi  ressentit 
les  heureux  effets  de  sa  prospérité; 
Schaelzler    y  fonda   plusieurs    éta- 
blissements   de    bienfaisance ,   tels 
qu'une  distribution  de  soupes  éco- 
nomiques,   une   école    industrielle 
avec  dotation  pour  les  enfants  qui 
en  sortaient  munis  d'un  certificat  de 
bonne   conduite;    puis   une   caisse 
d'épargne  qui  paie  une  rente  plus 
élevée  que  d'autres    caisses  et  qui 
n'est  que  pour  les  habitants  d'Augs- 
bourg.  Il  donna  aussi  des  capitaux 
pour  l'école  des  arts  et  pour  la  mai- 
son ctes  orphelias  du  culte  évangé- 


SCH 


2^d 


lique.  11  releva   en  outre  la  corpo- 
ration des  tisserands,  et   la  mit  à 
même  de  fournir  jusqu'à  quarante 
mille  pièces  de  cotonnades  par  an. 
Ses  concitoyens  le  nommèrent  pr^^^ 
posé  des  délégués  de  la  commune, 
et  député  à  la  première  assemblée 
des  États,  il  avait  racheté  le  château 
de  Tyrnau,  auprès  de  Passau,  qui 
avait  été  possédé    par  ses  ancêtres 
et  il  fit  renouveler  par  le  gouver- 
nement bavarois  les  lettrfô  de  no- 
blesse qu'ils  avaient  eues.  Sa  bien- 
faisance  se    manifesta    jusqu'à  ses 
derniers    moments.   Obligé    de    se 
rendre  à  Kreith  pour  y  prendre  les 
eaux,  il  y  fonda  des  places  pour  les 
pauvres  malades;  dans  la  maison  de 
correction  de  Plassenbourg  il  fit  éta- 
blir une  école  pour  les  jeunes  dé- 
tenus. On  cite  encore  un  grand  nom, 
bre  d'autres  bienfaits  de  ce  charitabk 
négociant,  il  venait  de  donner  trois 
cloches   à    l'église    Sainte- Anne    à 
Augsbourg,  et  elles  devaient  sonner 
pour  la  première  fois  à  la  bénédiction 
nnptiale  de  sa  fille;  mais  il  mourut 
l'avant-veille  de  ce  jour,  le  26  mars 
1826,  et  les  nouvelles  cloches  furent 
sonnées  pour  ses  funérailles.  Voyez 
Liierat.  Conversations  Blatt^  1826, 
n**  118.  D— G. 

SCHAFERTIN  ou  SCHEFCR- 
TIX,  natif  du  canton  d'Uri,  habile 
sculpteur  en  bois ,  devint  fameux 
par  ses  figures  de  mendiants  et  par 
ses  Guillaume  Tell ,  qu'il  exécutait 
en  grand  nombre,  vers  1785.  La 
sculpture  en  pierre  dont  il  s'occu- 
pait de  même  ne  lui  réussit  pas  au- 
tant. IJ— I. 

SCHACiËN  (Gilles),  peintfe  hol- 
landais, né  à  Alckmaer  en  1616,  fui 
élève  de  Ravestein  et  de  Verbeck. 
Rempli  d'activité  et  du  désir  d'étu- 
dier la  nature,  il  n'avait  que  21  ans 
lorsiju'U  abandonna  sa  famille  et  ses 


260 


SCH 


liiaùfeî  pour  se  renilto  à  Dantzijf, 
où  ie  peintre  Brasser  le  reçut  à  mer- 
veille et  voulut  le  retenir.  A  Elbing, 
il  n^ëprouva  pas  un  accueil   moins 
flatteur  de  Sirobel,  peimre  de  Tem- 
pereur  et  du  roi  de  Pologne.  Mais 
ayant  fait  le  portrait  de  ce  dernier 
monarque ,  le  tableau  fut  trouvé  si 
beau,  que  Slrbel  craignit  un  rival 
dangereux ,    et    téuioigna    la    plus 
grande   froideur  à  Schagen  ;  alors 
celui  -  ci  prit  son   parti   et   revint 
par    Dintzick   à   AlckniHer.    Quel- 
que temps  après,  il  s'embarquii  pmr 
Dieppe,   et   vint  à  Paris ,  où    il  fit 
plusieurs  belles  copies  du  Chriêt  et 
du  Saint  Jean  de  Michel-Ange,  et 
d'une   Vierge  avec   l'enfant  Jésus 
d'après  Rubens.  il  y  montra  une  li- 
berté et  une  puissance  de  pinceau, 
une  fermeté  d'exécution  et  une  force 
de  coloris  égalesà  l'original  même.  Se 
sentant  alors  capable  d'entreprendre 
autre  chose  que  des  copies,  il  passa  en 
Angleterre,  où  il  se  lia  avec  l'amiral 
Tromp.  Cet  illustre  marin  ,  sur  le 
point  de  livrer  combat  à  l'amiral  es- 
pagnol d'Oquendo,  mit  à  la  disposi- 
tion de  Schagen  une  petite  frégate 
sur  laquelle  il  put  se  trouver  à  portée 
de  peindre  l'action.  Lassé  enfin  de 
cette  vie  errante ,  il  alla  se  fixer  à 
Alckmaer  ;  il  y  fut  reçu  architecte,  et 
les  magistrats  de  la  ville  lui  confiè- 
rent la  direction  des  travaux  publics^ 
il  continua  de  cultiver  la  peinture 
avec  succès ,  et  mourut  riche  et  ho- 
noré le  18  avril  16C8.  P— s. 

SCHAK  (le  conseiller  Hermann- 
Ewald),  l'un  des  savants  les  plus 
distingués  de  l'Allemagne,  était  né 
en  1744  et  mourut  à  Coitbus  le 
5  mai  1822.  Il  a  traduit  Spinosa,  H 
a  composé  lui-même  plusieurs  ou- 
vrages philosophiques  aussi  remar- 
quables par  l'érudilion  que  par  la 
profondeur  des  vues.  Jusqu'à  ses 


SCH 

derniers  jf>nrs,  il  ne  cessa  pas  d'êire 
un  des  collaliorateurs  les  plus  actifs 
de  la  Gazelle  littéraire  de  UaUe^  à 
laquelle  il  fournissait  fréquemment 
des  articles  sur  la  philosophie  et  sur 
la  fr.jnc-uiaç<mnerie.  Sa  droiture  et 
sa  probité  él.iient  égales  à  son  sa- 
voir, et  il  fut  universellement  re- 
greiié.  Z. 

SCHALL  (Chables),  auteur  dra- 
matique allemand,  né  à  Breslau  en 
1780,  était  fiis  d'un  négoci.mt, 'et de- 
vait entrer  dans  la  carrière  où  sori 
père  avait  fait  fortune.  Celui-<ii  te- 
nait une  maison  honorable  et  ras- 
semblait chez  lui  une  société  distin- 
guée.  Le  fils ,  sûr  de  ses  moyens 
d'existence,  préféra  être  homme  du 
monde  et  auteur  par  amusement.  H 
fit  le  charme  des  sociétés  par  sou  es- 
prit et  firir  sa  facilité  d'élocution,  et 
l'on  assure  qu'il  n'a  pas  su  riietlre 
dans  ses  pièces  de  théâtre  la  moitié 
de  l'esprit  qu'il  prodiguait  dans  ses 
conversations  pleines  d'enjouement 
et  d.ins  ses  causeries  piquantes.  Il 
paraissait  avoir  fait  une  étude  parti- 
culière du  théâtre,  et  en  parlait  très- 
bien.  Il  fut  même  politique  autant 
qu'il  était  permis  de  l'être  alors  en 
Prusse  ;  et  à  l'époque  où  les  événe- 
ments politiques  lui  avaient  fait  per- 
dre une  grande  partie  de  la  fortune 
paternelle,  il  fonda  un  journal,  la 
Nouvelle  Gazette  de  Breslau.  La  con- 
trainte imposée  par  la  censure  en 
Allemagne  ne  nous  met  pas  en  état 
de  juger  de  ce  que  ce  journal  serait 
devenu  si  l'auteur  avait  eu  ses  cou- 
dées franches;  aussi  n'est-ce  que  par 
ses  pièces  de  théâire,  surtout  par 
ses  bluettes,  que  Cli.  Schall  s'est 
fait  quelque  réputation.  Ce  sont  en- 
tre autres  :  Regarde  à  qui  tu  te  fies 
(eu  alleuiaud,  Trau^  schau,  wem)'^ 
la  Partie  de  whist  interrompue;  le 
Baiser  et  le  soufflet;  la  Fureur  de 


SCH 

théâtre,  sorte  de  parodie  d'un  genre 
qui  avait  envahi  la  scène  allemaride. 
Une  anecdote  d-^  la  vie  de  Kanl  lui 
fournit  le  sujet  d'une  pièce  qu'ii  a  in- 
titulée le  Boulon  et  Vhabit  de  pelu- 
che. On  voit  que  l'autour  cherchait 
à  piquer  la  curiosité  du  public  par 
des  titres  singuliers.  Il  termina  par 
un  drame  bien  noir,  l'Épée  et  le  fu- 
seau, dont  VacUon  se  passe  dans  les 
temps  du  régime  féodal.  On  n'était 
pas  habitué  à  le  voir  si  sérieux,  et 
cette  pièce  n'eut  guère  de  succès, 
tandis  que  ses  bluettes  se  sont  njain- 
tenues  au  répertoire.  Il  médita  aussi 
le  pian  d'un  roman  de  mœurs;  mais 
il  le  médita  si  long-temps,  qu'il  ne 
le  fit  jamais.  Après  avoir  passé  plu- 
sieurs années  à  Berlin,  il  revint  dans 
sa  ville  natale,  et  y  mourut  à  la 
suite  d'une  maladie  longue  et  dou- 
loureuse le  18  août  1833.       D~G, 

SCHANK  (John),  amiral  anglais, 
membre  de  la  société  royale  de  Lon- 
dres, ué  vers  1746,  entra  de  bonne 
heure  dans  la  marine  marchande,  et 
commença  a.  servir  en  1757  sur  le 
vaisseau  de  guerre  l'Elisabeth^ alors 
commandé  par  Hugli  Palhser.  C^t 
officier  ayant  pris  le  c  nimandem-  ut 
d'un  autre  bâtiment,  Srhank,  qui 
avait  croisé  avec   lui  entre  le  cap 
Clean  et  le  cap  Finistère,  l'accom- 
pagna en  qualité  de  miiîlre  d'écjui- 
page  ou  de  pilote  {masttr's  mate)j 
emploi  qui  supposait  des  connais- 
sances  nautiques.   Après  avoir   été 
midshipman  sous  sir  Georges  Rod- 
ney,  qu'il  suivit  à  la  J.imaï|ue,  et 
sous  d'autres  amiraux,  il  hit  nommé 
lieutenant  après  18  ans  d'un  labo- 
rieux apprentissage;   il    commença 
alors  à  se   distinguer   par  son   ta- 
lent pour  la  mécani«iue.  Ce  qui  le 
fit  d'abord  connaître  fut  la  construc- 
tion d'un  hamac  qui ,  au  moyen  de 
poulies,  pouvait  s*élcver  ou  s'abais- 


SCH 


261 


.«•er  a  volonté.  Au  commencement  de 
la  gfjerre  d'Amérique,  il  reçut  le 
coujmandement  d'un  shooner  armé 
de  dix  canons,  qui  fut  stationné  sur 
la  rivière  Saint-Laurent  en  Canada. 
Mais  son  habileté  dans  les  construc- 
tions le  fit  choisir  pour  surintendant 
du  département  maritime  à  Saint- 
Jean.  Ce  fut  par  ses  soins  que  furent 
construits  une  multitude  de  petits 
bâtiments  destinés  à  s'opposer  aux 
flottilles  des  Américains  et  à  leurs 
entreprises  sur  les  lacs*,  on  lui  dut 
aussi  le  vaisseau  de  guerre  l'inflexi- 
hlCj  qui  fut  mis  en  état  de  servir  en 
moitié  moins  de  temps  qu'on  en  eût 
employé  à  Portsmouth  même;  et 
l'invention  de  ponts  flottants  pour 
passer  les  ruisseaux  et  les  rivières 
rapides  de  l'Amérique.  Il  fut  d'abord 
récompensé  par  le  grade  de  capi- 
taine en  second,  et  enfin,  en  1783, 
par  celui  de  capitaine  en  pied.  A  la 
paix,  Schank  s'occupa  de  perfection- 
ner la  forme  des  bâtiments;  il  en 
construisit  de  très-légers  avec  des 
quilles  glissantes  ,  qui  prenaient 
moins  d'eau  que  ceux  que  l'on 
construisait  auparavant  ;  on  en  fit 
rexpérience  sur  la  Tamise  en  1790, 
et  il  fut  reconnu  qu'ils  allaient 
deux  fois  plus  vite  que  ceux  d'an- 
cienne construction.  Un  cutter  du 
roi,  de  120  tonneaux,  construit 
d'après  le  nouveau  modèle  sous  la 
surveillance  du  capitaine  Schank, 
fut  lancé  à  Plymouth  en  1791,  et 
nommé  V Essai.  Tous  les  marins  en 
furent  satisfaits.  Depuis  cette  épo- 
que, on  en  construisit  plusieurs  sur  le 
même  modèle,  entre  autres  le  vais- 
seau Lady  NtUon^  qui  fut  employé 
à  un  voyage  de  découvertes  en  1800, 
1801  et  1802, à  laNûuvelle-Gdllesmé- 
ridionale,et  qui  revint  sans  avaries. 
En  1794,  Schank  fut  nommé  agent- 
général  pour  les  transports  destines 


262 


SCH 


SCÏf 


à  convoyer  les  troupes  qni  se  ren- 
daient aux  Indes  occidentales  sous 
lord  Howick,  et  resta  quelque  temps 
avec  elles  à  la  Marlinique,  dont  les 
Anglais  venaient  de  s'emparer.  Pen- 
dant le  reste  de  la  guerre,  il  fut 
chargé  de  surveiller  les  embarca- 
tions pour  le  continent,  et  fut  parti- 
culièrement utile,  en  1799,  lors  de 
Pexpédition  de  Hollande.  Il  fut  en- 
suite nomme'  l'un  des  commissaires 
du  conseil  de  l'amirauté',  place  qu'il 
exerça  jusqu'en  1802,  qu'il  donna  sa 
démission.  Il  était  spécialement 
chargé  du  soin  des  prisonniers,  et 
entretint  à  cette  occasion  une  cor- 
respondance suivie  avec  M.  Otto, 
qui  s'était  plaint  de  la  manière  in- 
humaine avec  laquelle  les  prison- 
niers français  étaient  traités.  Dans 
ses  réponses,  Schank  et  les  autres 
commissaires  firent  connaître  la 
quantité  de  pain  et  de  viande  qu'on 
donnait  à  chaque  individu,  et  firent 
observer  que  le  mal  provenait  de  ce 
que  quelques-uns  des  prisonniers 
qui  avaient  de  l'argent  achetaient 
les  provisions  de  leurs  compa- 
gnons d'infortune  souvent  même 
pour  un  mois,  en  ne  leur  laissant 
que  le  plus  strict  nécessaire  pour 
soutenir  leur  existence.  Après  la 
rupture  du  traité  d'Amiens,  Schank 
fut  chargé  d'inspecter  les  côtes  de- 
puis Holy-Island  jusqu'à  Ports- 
month,  et  obtint,  en  1805,  le  grade 
de  contre-amiral  ;  il  fut  nommé  vice- 
amiral  en  1810,  puis  amiral  du  pa- 
villon Bleu  en  1821.  Devenu  presque 
aveugle  par  suite  de  la  cataracte,  il 
mourut  à  Dawlish,  dans  le  comté  de 
Devon,  le  6  mars  1823.  Schank  fut 
un  des  fondateurs  de  la  société  pour 
Pencouragement  et  l'amélioration  de 
Parchitecture  navale.  Il  avait  publié 
sur  cette  matière  un  ouvrage  inti' 
tulé  :  Fjff  mi«e  de  deux  bateaux  et 


d'un  cutter  avec  des  quilles  glis- 
santes^ 1793,  in-fol.  Z. 

SCIIARANDIN  (Jean-Jacques), 
natif  de  Soleure,  y  exerça  la  méde- 
cine avec  succès  au  milieu  du  XVll* 
siècle.  Il  publia  deux  ouvrages,  l'un 
sous  le  titre  de  Ratio  conservandœ 
sanitatis  (Amsterd.,  1649,  in-8°); 
l'autre  sous  celui  de  Modus  et  ratio 
visendi  œgrosi'^oXe.MTt^  1670,in-12). 
Ce  dernier  fut  réimprimé  k  Erfort  en 
1749,  in-8*.  Il  contient  de  fort  bons 
préceptes  sur  l'exercice  de  l'art  ;  l'au- 
teur s'est  attaché  à  la  médecine  hip- 
pocratique,  et  il  n'aimait  point  la 
chimie  ni  les  nouvelles  théories  que 
de  son  temps  on  fondait  sur  cette 
science.  U— i. 

SCHARFFENBERG  (  Albrecht 
von  ),  poète  allemand  du  moyen  âge, 
vivait  en  Bavière  de  1325  à  1350  ;  il 
fut  Pun  des  principaux  auteurs  du 
Titurel^  épopée  chevaleresque  qui 
fait  suite  au  Parcival  de  Wolfram 
von  Eschenbach.  Ce  poème  entre 
dans  la  famille  de  ceux  qui  célèbrent 
ce  mystérieux  Saint-Gréal  lequel  a  si 
fort  occupé,  durant  plusieurs  siècles, 
le  public  et  les  rimeurs.  Il  se  com- 
pose de  quarante-huit  mille  vers  en- 
viron, partagés  en  strophes  de  sept 
vers.  Dans  la  quatre-vingt-sixième 
strophe,  l'auteur  reconnaît  qu'il  est 
redevable  du  sujet  de  son  œuvre  au 
troubadour  Kyot  (ou  Guyot).  L'édi- 
tion originale  du  Titurel  forme  un 
volume  in-folio  de  377  feuillets  avec 
la  date  de  1477,  mais  sans  nom  de 
ville  ni  de  libraire;  les  caractères 
sont  les  mêmes  que  ceux  qu'a  em- 
ployés Mentelin  à  Strasbourg.  Ce 
volume  est  d'une  extrême  rareté: 
mais  San -Marte,  dans  son  édition 
de  Wolfram  d'Eschenbach  (Mag- 
debourg,  1836),  en  a  donné  <îe 
lonçs  extraits  (t.  II,  p.  87-296);  et, 
abrégé,  mis  en  idiome  moderne,  ce 


SCH 

poème  forme  le  tome  VI  de  la  Biblio- 
thèque nationale  allemande  (  Leip- 
zig, 1842).  Les  historiens  de  la  lit- 
térature germanique,  Rosenkranz  et 
Gervinns  surtout ,  Tont  analysé  ;  en 
France ,  il  n'est  pas  même  connu  de 
nom.  B~N— T. 

SCHARNHORST  (Gelhard- 
David  de),  général  prussien  ,  fut  un 
des  plus  distingués  de  notre  époque, 
et  l'un  de  ceux  qui  eurent  le  plus  de 
part  à  la  restauration  de  cette  mo- 
narchie de  Frédéric  II,  tombée  en 
un  même  jour  si  bas ,  et  relevée 
sitôt  au  premier  rang  des  puis- 
sances ,  par  l'enthousiasme  de  la  na- 
tion et  par  les  eiforts  de  quelques 
hommes  courageux  ,  parmi  les- 
quels Scharnhorst  doit  sans  nul 
doute  être  mis  en  première  ligne. 
Né  à  Hamelsée  dans  le  Hanovre  en 
1756  ,  il  fut  destiné  par  son  père,  qui 
avait  fait  des  pertes  dans  sa  fortune, 
à  la  profession  de  fermier-cultiva- 
teur; mais  un  goût  irrésistible, 
qu'augmentèrent  encore  la  lecture  de 
quelques  ouvrages  historiques  et  les 
récits  d'anciens  militaires ,  le  fit  en- 
trer dans  la  carrière  des  armes.  Ad- 
mis à  l'école  qu'avait  établie  h.  Slcin- 
hude  le  prince  de  Schaumbourg- 
Lippe  ,  il  y  fit  des  progrès  rapides  , 
et  au  bout  de  cinq  ans  put  en- 
trer conducteur  dans  le  train  d'ar- 
tillerie ,  d'où  le  général  Estof  le  fit 
passer  peu  de  temps  après  comme 
enseigne  dans  son  régiment,  en  le 
chargeant  de  l'instruction  des  sous- 
officiers.  Dès  lors  fort  studieux,  et 
s'nttachant  à  toutes  les  parties  de  la 
théorie  militaire,  il  dressa  des  ta- 
bleauic  statistiques  très-utiles  pour 
les  états-majors  et  le  dénombrement 
des  troupes;  et  dans  le  même  temps, 
il  inventa  des  lunettes  microméti- 
qucs,  non  moins  utiles  pour  les  re- 
eonnaissances  et  les  découvertes  des 


SCH 


26S 


avant-postes.  11  avait  à  peine  vingt- 
cinq  ans,  lorsqu'il  fut  nommé  lieu- 
tenant d'artillerie  dans  les  troupes 
de  l'électeur  de  Hanovre,  et  presque 
aussitôt  professeur  à  l'école  n^ili- 
taire.  Capitaine  d'état-major  en 
1792,  il  obtint  le  commandement 
d'une  compagnie  d'artillerie  légère, 
et  fit  en  1793,  à  la  tête  de  cette  trou- 
pe sous  les  ordres  du  duc  d'York, 
la  campagne  des  Pays-Bas,  où  il  se 
distingua  en  plusieurs  occasions, 
notamment  dans  la  retraite  de  Menin, 
où  le  général  Hammerstein,  qui 
commandait  en  chef,  n'hésita  point 
à  lui  attribuer  avec  une  rare  fran- 
chise la  plus  grande  partie  de  la 
gloire  qu'il  s'était  acquise.  Scharn- 
horst reçut,  pourcela,  du  roi  d'Angle- 
terre un  sabre  d'honneur  avec  le 
grade  de  lieutenant-colonel.  Peu  de 
temps  après,  il  entra  au  service  de 
Prusse,  et  fut  particulièrement  dis- 
tingué parle  duc  de  Brunswick,  alors 
considéré  comme,  le  plus  habile  des 
chefs  de  l'armée  prussienne.  Nommé 
aussitôt  lieutenant-colonel  du  3"  ré- 
giment d'artillerie,  il  passa  plus  tard 
dans  l'état-major  comme  quartier- 
maître-lieutenant,  et  fut  ensuite 
chargé  de  l'instruction  des  officiers 
dans  la  capitale.  C'était  Tépoque  où 
la  Prusse,  ayant  fait  sa  paix  séparée 
avec  la  république  française,  son 
armée  eut  peu  d'occasions  de  com- 
battre, Scharnhorst,  ne  voulant  pas 
que  ce  temps  fût  entièrement  perdu 
pour  lui ,  l'employa  à  se  perfection- 
ner dans  toutes  les  parties  de  la  théo- 
rie militaire;  et  il  composa  divers 
écrits  qui  lui  firent  une  grande  ré- 
putation et  qui  ont  beaucoup  contri- 
bué aux  progrès  de  la  science  en  Al- 
lemagne. Le  roi  lui  donna  en  1804 
le  grade  de  colonel  avec  des  lettres 
de  noblesse,  et  il  le  chargea  avec  le 
général  Rlenesebeck  de  l'éducation 


261 


SCH 


militaire  du  prince  royal  (aiijour- 
d  hiii  roi).  Lorsque  la  guerre  contre 
!a  France  éclata  en  1806,  Scharn- 
horst  était  employé  comme  quartier- 
maître -général  du  principal  corps 
d'armée.  Il  assista  en  cette  qualité 
à  la  bataille  d'Auerstaedt,  et,  quoique 
blessé  deux  fois,  il  concourut  puis- 
samment à  la  brillante  retraite  sur  Lu- 
beck  qu'exécuta  le  corps  de  Bliicher. 
Compris  dans  la  capitulation  à  la- 
quelle ce  général  se  vit  contraint,  il 
fut  bientôt  échangé  et  revint  au  corps 
d'armée  qui ,  réuni  à  l'armée  russe, 
combattit  si  glorieusement  à  Eylau. 
Après  la  paix  de  Tiisitt,  Scharnorst 
était  sans  nul  doute  du  petit  nombre 
des  chefs  de  l'armée  prussienne  aux- 
quels on  ne  pouvait  faire  aucun  re- 
proche. Le  roi  lui  donna  en  consé- 
(|uence  de  grandes  preuves  de  con- 
fiance. Nommé  major -général  et 
président  de  la  commission  char- 
gée de  réorganiser  l'armée,  il  fut 
réelleuïent  le  ministre  delà  guerre. 
C'est  dans  ces  fonctions  si  délicates, 
si  difficiles  en  de  pareilles  circon- 
stanciés, qu'il  déploya  à  la  fois  tant 
de  sagesse,  d'énergie,  et  qu'au  mo- 
ment où  les  défaites  de  Napoléon 
en  Russie  vinrent  offrir  aux  Prussiens 
une  si  belle  occasion  de  se  sous- 
traire à  l'oppression  qui  les  acca- 
blait, leur  armée,  qui  semblait  pour 
toujours  anéantie,  se  leva  spontané- 
ment plus  brillante ,  plus  nom- 
breuse et  plus  zélée  pour  la  défense 
de  la  patrie  qu'on  ne  l'avait  jamais 
vue.  Ce  fut  surtout ,  on  ne  peut  en 
douter,  par  l'habileté  et  le  dévoue- 
ment de  Scharnorst  que  s'effec- 
tuèrent ces  prodiges.  Lorsque  , 
sous  la  protection  de  l'armée  russe 
victorieuse,  les  enseignes  prussien- 
nes se  déployèrent  avec  tant  d'éclat 
en  1813  dans  les  plaines  de  la  Saxe, 
ce  fut  encore  par  Blucher  et  par 


SCH 

Scharnhorst  qu'elles  furent  dirigées. 
Le  premier  éiaif  général  en  chef,  et 
le  second  son  chef  d'élat-major.  Blii- 
cher, si  brave,  si  énergique,  n'était 
pas,  on  le  sait  assez,  doué  de  beau- 
coup d'instruction  etd'habileté;  per- 
sonne plus  que  Scharnorst  n'était  en 
étatde  lesuppléersous  ce  rapport.  Si 
l'un  fut  le  bras  ,  la  force  de  l'armée, 
on  peutdireque  l'autre  en  fut  la  tête  et 
la  pensée. C'est  ainsi  que  furent  obte- 
nus les  triomphes  de  Dennewitz,de  la 
Salzbach ,  de  Leipzig  ,  etc.  Mais 
Scharnhorst  n'eut  pas  le  bonheur 
d'assister  à  ces  dernières  victoires 
qu'il  avait  tant  contribué  à  préparer 
en  organisant  les  bataillons  de  Land- 
wer, en  inspirant  àtoute  la  population 
prussienne  un  si  grand  enthousiasme. 
Blessé  mortellement  k  Lutzen,  aux 
lieux  mêmes  où,  deux  siècles  aupara- 
vant, était  mort  le  héros  de  la  Suède 
Gustave-Adolphe, il  expira  le  28  juin 
1813,  à  Pr<igue,  où  il  avait  voulu  sui- 
vre son  roi.  Pour  bien  apprécier  tout 
ce  que  fit  alors  cet  habile  et  brave 
générai,  nous  citerons  textuellement 
le  rapport  de  lord  Castlereagh  sur 
les  succès  de  la  coalition.  •  ...La 
«  gloire  de  la  Prusse,  dit  ce  minis- 

•  tre  au  parlement,  n'est  pas  moins 
«  grande.  Lorsque  l'on  commença  à 
«  négocier  avec  cette  puissance,  on 
«  necrut  pas  qu'elle  pourrait  fournir 
«  des  forces  considérables  ;  mais  ce 
«  qui  caractérise  cette  guerre,  c'est 

•  que  le  pays  qui  avait  le  plus  souf- 

•  fert  s'est  relevé  avec  le  plus  d'éclat. 
«  L'esprit  de  la  nntion  s'est  éveillé  ; 
«  il  sut  triompher  de  toutes  les  diffi- 
«  cultes,  renouvela  l'époque  la  plus 
-  glorieuse  de  l'histoire  de  Prusse, 

•  et  fit  naître  une  armée  qui  sut  se 

•  placer  à  côté  de  celle  des  pluspuis- 

•  sauts  empires.  Il  est  de  mon  devoir 
"  de  déclarer  que  dans  ce  moment 
«  la  Prusse  fournisisait  pins  de  deux 


SCH 

cent  mille  hommes.  Je  dois  en 
même  temps  rendre  justice  aux 
talents  et  ;»ux  services  signalés  du 
général  Scharnhorst,  quia  été  tué 
dans  la  bataille  de  Lutzen.  C'est 
à  ses  efforts  infatigables  qu'on  doit 
en   grande   parlie    le    révei!    de 

l'énergie    prussii;nne Après 

sa  mort,  sa  place  a  élé  supérieu- 
rement remplie  pur  le  général 
Gneisenau.  L'un  et  l'autre  ont 
prouvé  ce  que  leur  pays  pouvait 
effectuer,  et  le  dernier  a  fait  voir 
qu'on  n'a  pas  négligé  de  mettre  à 
profit  le  temps  de  l'armistice.  Pen- 
dant sa  durée,  il  a  formé  70  batail- 
lons, dont  cinquante  ont  com- 
battu glorieusement  sous  le  géné- 
ral Bliicher.  Je  puis  affirmer  que 
même  dans  les  plus  beaux  temps 
du  grand  Frédéric,  l'aruiée  prus- 
siettne  n'a  jamais  été  plus  nom- 
breuse, mieux  disciplinée,  mieux 
dressée  à  des  opérations  militaires 
que  dans  le  moment  actuel.  Quoi- 
que nouvellement  levée,eliea  com- 
battu et  vaincu  les  troupes  exercées 
de  la  France...  »  Cet  éloge  mérité 
fut  alors  répété  par  toutes  les  bou- 
ches de  la  renommée  en  Europe,  et 
le  nom  de  Scharnhorst  est  resté  un 
des  plus  vénérés  dans  les  annales 
prussiennes.  Plusieurs  fêtes  funèbres 
furent  célébrées  en  son  honneur,  et 
sa  statue  de  marbre  est  un  des  plus 
beaux  ornements  de  la  Pl;;ce  Roynle 
à  Berlin.  Différentes  notices  biogra- 
phiques lui  ont  été  consacrées  ,  no- 
tamment dans  le  recueil  intitulé  :  Les 
Béros  de  la  Prusse^  Weiinar,  1830. 
Les  plus  répandus  des  ouvrages  de 
Scharnhorst  sont:  1.  Manuel  pour 
les  o//îc<er5  ,  Hanovre,  1787,  2  vol. 
in-8%  nouv.  édition,  1814,  3  vol. 
11.  Àlmanach  milUaire,  1794,  in-8«; 
nouv.  édition,  1816.  111.  Jourral 
mtijtafre,  1788,  1805.  M— dj. 


SCH 


265 


SCHARNWEBER    (  Chrétien- 

Fkédéric  ) ,  économiste    allemand  , 
naquit  en  1770  dans  la  propriété  ru- 
rale de  Wehnde  auprès  de  Gœltingue, 
qui  appartenait  à  son  père.  Celui-ci, 
après  avoir  été  receveur  à  H  iiiovre, 
fit  de  mauvaises  affaires  ;  ce  qui  força 
le  fils,  qui  n'avait  reçu  aucune  in- 
struction suivie,  à  entrer  comme  co- 
piste dans  une  maison  du  pays  de 
Hanovre ,  puis  à  s'engager  comme 
simple  soldat  d'abord  au  service  de 
Suède,  et  ensuite  à  celui  de  Prusse. 
Plus    tard   il  trouva   moyen  d'ob- 
tenir son  congé  et  d'entrer  en  qualité 
de  secrétaire  chez  un  fonctionnaire 
public.  Ce  fut  dans  la  maison  de  son 
patron  que  Scharnweber  fit  connais- 
sance avec  le  ministre  Hardenberg; 
le   secrétaire   hanovrien,    à  défaut 
d'études  classiques,  avait  porté  son 
attention  sur  le  sort  de  la  classe  agri- 
cole en  Allemagne;  il  avait  conçu  de 
bonnes  idées  sur   les   moyens  d'a- 
méliorer ce  sort,  et  il  exposait  ces 
idées  avec  un  ft^u,  un  enthousiasme 
qui  entraînait  les  auditeurs.  Ce  fut 
probablement  là  ce  qui  lui  procura 
l'estime  et  la  protection  du  ministre 
prussien.   11  obtint  le  titre  de  con- 
seiller militaire  et  fut  placé  en  cette 
qualité  dans  le  pays  d'Ânspach  dont 
Hardenbergavait  la  direction.  Qunud 
ceUit-ci  fut  appelé  au  siège  du  gou- 
vernement, Scharnweber  s'élani  dé- 
mis de  ses  fonctions  le  suivit  à  Ber- 
lin, et  acheta  un  bien  rural  à  Lich- 
tenberg,  près  de  cette  capitale  ,  pour 
y  mettre  en   pratique  les  procédés 
de  culture  améliorée  qu'il  avait  pro- 
jetés. Sa  tt  rre    devint  bieniôt  une 
espèce  d  école  normale  pour  les  éco- 
nomistes allemands   qui  allèrent  y 
étudier  les  perfectionnementsde  l'a- 
griculture.Mais  le  défaut  de  capitaux, 
la  guerre  et  l'invasion  de  l'armée 
française  dérangèrent  tout.  Scharn- 


266 


SCH 


weber  s'endetta,  et  s'estima  heureux 
de  pouvoir  céder  son  bien  rural  à  son 
protecteur,  quand  celui-ci  en  1810 
fut  rentre'  au  minisière,  et  d'oc- 
cuper sous  ses  auspices  le  poste  de 
conseiller  d'État.  C'est  alors  qu'il 
fut  à  même  de  réaliser  ses  ide'es 
d'amélioration  du  sort  de  la  classe 
agricole;  car Hardenberg,  peut-être 
persuadé  par  l'éloquence  de  Scharn- 
weber,  ayant  résolu  de  procéder 
à  une  réforme  des  anciennes  insti- 
tutions féodales,  chargea  son  pro- 
tégé de  préparer  l'édit  royal  con- 
cernant les  rapports  futurs  entre  les 
seigneurs  et  les  paysans,  puis  la  loi 
sur  la  culture  des  terres,  qui  l'un  et 
l'autre  furent  promulgués  en  1811, 
mais  dont  la  dernière  a  été  modifiée, 
quelques-uns  disent  gâtée,  cinq  ans 
après  «  Si  les  paysans  en  Prusse,  dit 
wn  auteur  allemand  (1),  non-seu- 
lement jouissent  de  la  liberté  per- 
sonnelle, mais  ont  une  propriété 
réelle  ,  ils  le  doivent,  après  Dieu  et 
la  révolution  française,  à  Scharn- 
weber  qui  a  servi  d'organe  à  la  con- 
stitution de  leurs  droits.  »  Après 
cette  œuvre  importante,  qui  pourtant 
ne  lui  valut  de  la  part  de  son  gou- 
vernement aucune  distinction,  au- 
cune récompense,  il  n'eut  plus,  à  ce 
qu'il  paraît,  d'influence  sur  les  af- 
faires. En  1821,  une  maladie  ner- 
veuse le  priva  de  l'usage  de  ses  fa- 
cultés intellectuelles,  et  il  mourut 
l'année  suivante  dans  l'hospice  de  la 
ville  de  Hoechst.Tant  qu'il  avait  eu 
l'usage  de  la  raison  ,  l'aspect  des 
améliorations  produites  dans  la  si- 
tuation des  paysans  l'avait  consolé  et 
soutenu.  D— g. 

SCHAUB  (Luq)    naquit  à  Bâle 


uni  Litêr/^tur^   Leipzigr^  r834,  vol.  IV, ^  . 


SCH 

en  1690,  et  mourut  à  Londres  en 
1758.  Après  avoir  fait  ses  études  à 
Bâle  et  à  Saint-Aubin  ,  il  fut  créé 
docteur  en  droit  et  obtint  la  place 
de  secrétaire  près  de  l'ambassadeur 
d'Angleterre  en  Suisse,  M.Stanyan, 
dont  il  a  traduit  en  français  l'ouvrage 
connu  sous  ce  titre  :  L'État  de  la 
Suisse.  Il  le  suivit  à  Londres,  d'où  il 
revint  la  même  année  (1714)  en 
qualité  de  secrétaire  de  légation 
de  lord  Cobham ,  ministre  britan- 
nique à  Vienne ,  après  le  départ 
duquel  il  resta  dans  cette  ville 
pendant  deux  ans  comme  chargé 
d'affaires.  Il  assista  ensuite  au  con- 
grès de  Cambrai  et  se  trouva  em- 
ployé successivement  dans  différentes 
missions  diplomatiques  près  les 
cours  d'Espagne,  de  France  et  de 
Pologne.  Georges  1"  le  créa  che- 
valier en  1720.  Il  revint  en  Suisse  et 
rendit  à  son  canton  de  fort  bons 
services  en  1736,  dans  une  contes- 
tation assez  désagréable  qui  lui  était 
survenue  avec  la  France  touchant  la 
pêche  du  Rhin.  Deux  ans  après  ,  il 
eut  quelque  part  à  la  médiation 
de  Genève  et  se  prononça  ouver- 
tement en  faveur  des  magistrats 
contre  la  bourgeoisie.  Le  gouver- 
nement de  Bâle  lui  avait  conféré  une 
place  honoraire  au  conseil  d'État, 
où  il  ne  siégea  point,  étant  retourné 
en  Angleterre.  11  cultiva  les  lettres, 
surtout  la  poésie.  De  son  mariage 
avec  M""  de  Buisson,  veuve  de  M.  de 
Perme,  chevalier  de  Saint-Saphorin, 
contracté  en  1740,  il  laissa  deux 
filles.  U— I. 

SCHAUENBURG  (AdolpheIII  de) 
était  né,  vers  la  fin  du  XV«  siècle, 
de  Josse,comte  deSchauenburg,etdc 
Marie  de  Nassau.  Chanoine  des  égli- 
ses métropolitaines  de  Cologne  et  de 
Mayence,  puis  prévôt  de  celle  de 
Liège,  il  devint,  en   1535  ,  coadju- 


SCïf 

tenr  d'Herman  ,  archevêque  et  élec- 
teur de  Cologne,  qui  Tavait  lui-même 
de'signe'  pour  cette  haute  fonction. 
Le  16  avril  1546  ,  le  pape  Paul  III 
ayant  lancé  une  sentence  de  déposi- 
tion contre  Herman ,  à  cause  de  la 
protection  quMl  accordait  à  la  nou- 
velle secte  du  luthéranisme,qui  faisait 
alors  de  rapides  progrès  dans  toute 
rAllemagne,  il  fut  choisi  le  7  juillet 
suivant  pour  le  remplacer.  Cette  dé- 
position menaçait  d'amener  de  gra- 
ves désordres:  si  le  peuple  ne  fai- 
sait aucune  difficulté  d'obéir  au 
souverain  pontife ,  la  noblesse  et 
la  bourgeoisie,  alléguant  le  serment 
qui  les  liait  à  leur  ancien  arche- 
vêque ,  refusaient  de  reconnaître 
Adolphede  Schauenburg.  Enfin, Her- 
inihi,  pour  tout  concilier,  consentit 
à  se  démettre  de  son  archevêché.  Le 
25  février  1547, il  publia  son  abdica- 
tion et  Adolphe  fut  proclamé.  Néan- 
moins, il  ne  prit  solennellement  pos- 
session du  siège  épiscopal  de  Colo- 
gne que  le  28  juillet  1550.  On  re- 
marqua qu'il  fît  son  entrée  triom- 
phale dans  la  vieille  cité  à  la  tête  de 
deux  mille  cavaliers;  les  esprits  y 
étaient  alors  fort  agités,  et  cette  pré- 
caution pouvait  devenir  utile.  Ses 
premiers  soins  se  portèrent  à  répa- 
rer le  mal  qu'avait  fait  son  prédé- 
cesseur, non -seulement  en  tolé- 
rant ,  mais  en  protégeant  le  schis- 
me de  la  réforme.  En  1549,  dans 
le  carême ,  il  assembla  un  con- 
cile provincial ,  où  furent  renouve- 
lés les  canons  des  conciles  précé- 
dents sur  le  dogme  et  la  discipline. 
En  1552,  il  alla  au  concile  de  Trente, 
et  Olaus  Magnus ,  archevêque  d'Up- 
sal,  dans  son  Historia  de  gentibua 
septmtriomlibus  (\\i'i\  lui  dédia^dit 
que  dans  cette  assemblée  iiu'y  eut 
qu'une  voix  pour  f«alter  sfm  zH^ , 
sa  prudence,  son  humanité  ^  que  les 


SCH 


267 


hommes  doctes  et  les  savants  pré- 
lats qui  accouraient  pour  Tentendrc 
le  regardaient  comme  un  oracle  (er- 
restrede  la  sagt&se  divine^  tant  il  ap- 
portait de  lumière  et  de  gravité  dans 
ses  dissertations  sur  les  matières  les 
plus  importantes.  11  quitta  Trente 
précipitamment  à  la  nouvelle  que 
les  Français,  alliés  des  princes  pro- 
testants d'Allemagne,  étaient  sur  le 
point  d'envahir  son  électorat-  Par 
d'habiles  et  actives  négociations,  il 
fit  venir  en  toute  hâie  des  secours 
des  Pays-Bas  et  de  la  Franche-Comté, 
qui  le  mirent  à  même  d'assurer  la 
sûreté  du  pays  soumis  à  sa  domina- 
tion. Dès-lors,  il  n'eut  plus  qu'une 
pensée, celle  de  maintenir  son  clergé 
dans  la  foi  catholique  romaine  en  s'op- 
posant  à  la  propagation  de  l'hérésie  de 
Luther  ;  il  s'y  livrait  avecsollicitude, 
lorsque  la  mort  le  surprit  à  Bruhl  le 
20  septembre  1556.  Malgré  sa  haute 
renommée  scientifique,  on  ne  con- 
naît de  lui  aucun  ouvrage.  Il  fut  in- 
humé dans  la  cathédrale  de  Cologne 
où  l'on  voit  encore  aujourd'hui  son 
épitaphe,  à  côté  de  celle  d'Antoine 
de  Schauenburg,  sou  frère,  qui  lui 
succéda  sur  le  siège  de  Cologne  et  qui 
mourut  deux  ans  après,  le  18  juin 
1558,  au  château  de  Golesberg. 

C— H— N. 

SCHAUENBURG  (•)  (  Alexis - 
Henri -Antoïne-Balthasar,  baron 
d«),  général  français,  était  né  à  Heile- 
mer(Moselle),  le  31  juillet  1748,  d'une 
ancienne  et  noble  famille.  A  qua- 
torze ans,  il  entra  conune  cadet  vo- 
lontaire dans  le  régiment  d'Alsace, 
infanterie,  où  il  fut  nommé  sous- 
lieutenant  en  1764  et  lieutenant 
en  1767,   Il  devint  ensuite   major 


(i)  C'est  ainsi  qu'il   »i|jnait ,  et  non  pas 
boarg. 


268 


SCH 


dans  le  régiment  de  Nassau,  puis 
chevalier  de  Saint-Louis  et  meslre- 
de  -  camp.  Lorsque  la  révolution 
éclata,  il  en  adopta  les  principes 
et  obtint  un  rapide  avancement. 
Nommé,  en  1792,  général  de  brigade, 
il  fut  employé  comme  chef  d'étai- 
major-générai  à  l'armée  du  Centre, 
sous  Kellermann,  avec  lequel  il  as- 
sista à  la  bataille  de  Vaimy.  Ensuite 
il  remplit  ces  mêmes  fonctions  à 
Parmée  de  la  Moselle,  sous  Beurnon- 
ville.  Créé  général  de  division  le  8 
mars  1793,  il  eut  pendant  un  mois 
le  commandement  en  chef  de  cette 
armée,  et  fut  suspendu  de  ses  fonc- 
tions comme  noble,  et  un  peu,  a  l-on 
dit,  pour  incapacité  k  la  suite  de  la 
défaite  de  Pirmasens  et  de  quelques 
autres  échecs.  11  vivait  retiré  à  Toul 
lorsque. dans  les  premiers  jours  d'oc- 
tobre, il  fut  arrêté,  conduit  à  Paris 
et  renfermé  à  l'Abbaye.  Là,  il  publia 
un  Mémoire  justificatif,  dans  lequel, 
récapitulant  les  services  qu'il  avait 
rendus  à  la  cause  républicaine  et  à 
rarmée,il  demandait  que  sa  conduite 
fiit  examinée.  11  disait  qu'en  1791,  à 
Besançon,  la  société  populaire  lui  a- 
vait  donné  une  couronne  civique  pour 
sa  conduite  dans  une  insurrection  di- 
rigée contre  les  patriotes,  qu'il  avait 
remis  sa  croix  de  Saint-Louis  aux 
représentants  avant  même  la  pro« 
mulgation  du  décret  qui  la  suppri- 
mait, et  que  plus  de  cent  officiers 
avaient,  d'après  son  impulsion, suivi 
cet  exemple.  Heureusement  ses 
plaintes  ne  furent  pas  même  enten- 
dues, et  il  resta  ignoré  sous  les  ver- 
rous de  Robespierre.  Le  9  thermi- 
dor lui  rendit  la  liberté  comme  à  ses 
nombreux  compagnons  d'infortune, 
et  alors  il  fut  réintégré  dans  son 
grade.  En  1796,  il  servit  sous  le  gé- 
néral Schérer  a.  l'armée  du  Rhin,  et 
expulsa  du  fort  de  Kehl  un  corps  au- 


SCH 

trichien  qui  yavait  pénétré.  En  1798, 
il  fut  détaché  de  celte  armée  à  la 
tête  d'une  division  pour  aller  ren- 
forcer l'armée  d'Helvétie.  Ayant  reçu 
l'ordre  de  s'avancer  sur  les  cantons 
de  Berne  et  de  Soleure,  il  arriva  sous 
les  murs  de  cette  place,  et  adressa 
au  commandant  une  sommation 
d'une  impitoyable  énergie  :  "Le  Di- 
te rectoire  exécutif,  dit-il ,  m'ordon- 

•  ne  d'occuper  la  ville  de  Soleure.  Si 
«j'éprouve  la  moindre  résistance,  et 

•  qu'une  seule  goutte  de  sang  soit 

•  versée,  les  membres  du  gouverne- 

•  ment  soleurien  en  répondront  sur 
«  leurs  têtes,  et  j'en  ferai  la  justice 

•  la  plus  prompte  et  la  plus  inexo- 
«  rable.  Notifiez  la  volonté  du  Direc- 
«  toire  à  votre  gouvernement.  Je 
«  vous  accorde  une  demi-heure  pour 
-  vous  déterminer;  passé  ce  temps, 
«  je  brûle  votre  ville  et  je  passe  la 
«  garnison  au  iil  de  l'épée.  »  Devant 
de  pareilles  menaces,  il  n'y  avait 
guère  à  balancer;  Soleure  ouvrit  ses 
portes,  cequi  n'empêcha  pas  la  solda- 
tesque de  la  traiter  à  peu  près  comme 
une  ville  prise  d'assaut.  Tous  les 
villages  des  environs  furent  égale- 
ment livrés  au  pillage.  Pendant  ce 
temps,  les  autres  divisions  de  l'ar- 
mée d'Helvétie,  celle  du  général 
Mesnard  et  celle  du  général  Brune, 
commandant  en  chef,  marchaient  sur 
Berne.  Schauenburg  prit  la  même 
direction ,  et  le  3  mars ,  la  vieille 
cité  fut  forcée  de  capituler.  Il 
soutint  ensuite  vaillamment  plu- 
sieurs combats  contre  la  milice 
et  la  landsturm  bernoises,  notam- 
ment le  5  mars ,  dans  le  Gran- 
holz,  près  de  Fraubrunnen.  •  VEx- 
terminateur  des  bergers  de  VUnder- 
wald,  dit  Mallet-Dupan,  avoue,  dans 
son  rapport  au  Directoire,  n'avoir 
pas  vu  de  journée  plus  chaude,  et 
ajoute  :  «Une grande  quantité d'ha- 


SCH 

hitant^  des  différents  cantons  furent 
t(^uioinsdu  combat;  leur  visage  s'al- 
longeait à  mesure  que  nous  avan- 
cions. Si  nous  n'eussions  pas  dompté 
ces  hommes  aveuglés,  dans  peu  l'in- 
surrection serait  devenue  générale. 
La  victoire  acoûté  beaucoup  de  sang, 
mais  c'étaient  des  rebelles  qu'il  fallait 

soumettre »  Le  général  Schauen- 

burg  détruisit  le  couvent  de  Notre- 
Dame-des-Ermites,  centre  de  l'in- 
surrection, et  fit  arrêter  le  rédac- 
teur de  la  Gazette  du  Haut- Rhin, 
pour  y  avoir  excité.  11  provoqua 
aussi  des  mesures  sévères  contre 
un  député  suisse,  M  Bilhter,  qui 
avait  fait  des  réclamations  sur  la 
conduite  de  l'armée  française.  La 
conquête  de  Berne  une  fois  assu- 
rée, Schauenburg  fixa  son  quartier- 
général  à  Soleure,  portant  !e  gros 
de  ses  forces  vers  le  canton  de  Zu- 
rich. A  l'exemple  de  Brune,  il  s'em- 
para de  toutes  les  caisses  publiques 
à  Fribourg,  à  Soleure,  puis  il  fit  en- 
lever et  transporter  dans  la  citadelle 
de  Strasbourg-  cinq  magistrats  de 
cette  ville.  Le  28  mars,  il  fut  nommé 
commandant  en  chef ,  en  rernplace- 
^  meut  de  Brune,  et  il  établit  son 
quartier-général  à  Zurich.  H  n'avait 
alors  en  mains  que  le  pouvoir  mili- 
taire; le  pouvoir  civil  était  délégué 
à  Lecarlier,  qui  !e  céda  bientôt  à 
Bapinat  {voy.  ce  nom,  LXXV11I,333). 
S,'ilrne  participa  que  d'une  manière 
^  indirecte  aux  exactions  de  cet  odieux 
agent  ,  on  peut  du  moins  assurer 
qu'il  ne  fit  rien  pour  les  empêcher; 
peut-être  n'en  avait-il  pas  le  pouvoir; 
mais  on  doit  reconnaître  que  tous  ces 
ac!  es  arbitraires,  ces  levéts  d'argent, 
ces  contributions  forcées  n'étaient  pas 
tellement  éloignés  de  son  caractère 
qu'il  pût  s'en  indigner.  Il  démentit 
alors  le  bruit  d'un  projet  de  réunion 
de  la  Suisse  à  la  France.  Ayant  reçu 


SCH 


2ô^) 


du  Directoire  l'ordre  de  sounietlie 
Claris  et  les  petits  cantons  démocra- 
tiques, il  marcha  principalement  con- 
tre les  insurgés  du  district  de  Stanz  ; 
mais  les  montagnards,  conduits  par 
deux  braves  officiers,  MM.  de  Para- 
vicini  et  Reding,  repoussèrent  ses 
attaques;  en  quelques  semaines  ils 
lui  tuèrent  trois  mille  hommes  et  le 
forcèrent  à  la  retraite  par  une  con- 
vention qui  ferma  l'entrée  des  pe- 
tits cantons  aux  Français.  On  lui 
ordonna  ensuite  d'envahir  les  Gri- 
sons, mais  bieniôt  il  reçut  contre- 
ordre  pour  ne  point  donner  un  mo- 
tif de  rupture  à  l'Autriche.  Le  Direc= 
toire  alla  même  plus  loin  :  lorsque 
les  généraux  Bellegarde  et  Auffen- 
berg  entrèrent  à  Coire,  lel7oc(.,  il 
fit  déclarer,  par  Schauenburg,  que 
cette  démarche  ne  devait  troiibjer  en 
rien  la  bonne  harmonie  entre  l'em- 
pire et  le  gouvernement  directorial. 
L'armée  française  était  alors  can- 
tonnée aux  frontières  orientales  de 
laSuisse,  depuis  Schaffhouse  jusqu'au 
canton  d'Uri  ;  forte  de  20,000  hom- 
mes, elle  avait  des  garnisons  à  Bâie, 
à  Schaffhouse,  à  Zurich.  A  la  fin  de 
septembre  1798,  la  ville  de  Berne 
lui  conféra  le  droit  de  bourgeoisie,  et 
le  nouveau  corps  législatif  helvétique, 
voulant  reconnaître  ses  services, 
déclara  qu'il  avait  bien  mérité  de  la 
Suisse,  ce  qui  était  une  véritable  dé- 
rision, si  l'on  examine  tout  ce  que 
ce  pays  avait  souffert  sous  sa  domi- 
nation. L'année  suivante,  il  fut  rem- 
placé dans  le  commandement  en  chef 
de  l'armée  d'Helvétie  par  Masséna. 
Accusé  par  le  député  Briot,  il  vint  à 
Paris  pour  se  justifier  auprès  du 
Directoire,  ce  qui  ne  fut  point  diffi- 
cile en  ce  temps  de  corruption  et  de 
rapine.  On  le  nomma  même  in- 
specteur-général d'infanterie,  et  de- 
puis ce  moment  jusqu'à  la  seconde 


270 


SCH 


Restauration  il  ne  cessa  j^as  d'eu 
remplir  les  foDctions  dans  la  cin- 
quième division  (Strasbourg).  Du- 
rant tout  l'Empire  on  ne  le  vil  donc 
s'occuper  que  de  règlements,  de  ma- 
nœuvres et  d'inspections  de  troupes. 
Bien  qu'il  ail  toujours  eu  la  réputa- 
tion d*un  assez  bon  instructeur,  nous 
sommes  loin  de  croire,  comme  nous 
l'avons  lu  quelque  part,  que  ce  fut 
lui  qui  organisa  presque  toutes  les 
armées  pendant  le  régime  impérial, 
et  qui  recréa  en  France  la  tactique 
de  l'infanterie.  Ce  sont  là  certaine- 
ment des  services  auxquels  il  parti- 
cipa d'une  manière  active,  mais  li- 
mitée. En  1814  ,  il  commandait  à 
Tours  le  dépôt  général  de  la  grande 
armée-,  Louis  XVlll  lui  donna  la 
croix  de  grand -officier  de  la  Lé- 
gion-d'Honneur  ainsi  que  celle  de 
commandeur  de  Saint-Louis,  et  le 
chargea  du  licenciement  de  plusieurs 
régiments  de  la  vieille  garde,  qu'il 
réorganisa  en  garde  royale., Mis  en- 
suite en  disponibilité,  il  se  redra  en 
Alsace  ;  après  les  Cent-Jours,  pen- 
dant lesquels  il  n'exerça  aucune 
fonction,  on  lui  donna  sa  retraite. 
Il  mourut  en  septembre  1831,  à  sa 
terre  de  Gendertheim  (Bas -Rhin). 
Le  général  Schauenburg  était  d'une 
taille  élevée  et  avait  une  voix  retentis- 
sante dans  le  commandement,  à  ce 
point  qu'il  «e  faisait  entendre  de 
tout  un  corps  d'armée.  Il  a  publie': 
Instruction  concernant  les  manœu- 
vres de  Vinfanterie,  par  l'inspecteur- 
général  de  l'infanterie  de  l'armée 
du  Rhin,  Strasbourg,  an  viii  (1800), 
in-12. —  Ses  quatre  tils  ont  tous  suivi 
la  carrière  militaire:  l'aîné  mourut 
maréchal-de^campen  1838, après  avoir 
fait  les  guerres  de  l'Empire  et  servi 
sept  ans  dans  l'armée  d'Afrique.  Le 
second,  capitaine  de  grenadiers,  fut 
tué  à  lu  bataille  d'Heilsberg.  Le  plus 


SÇH 

jeune ,  lieutenant  de  cavalerie  ;,  e»t 
mort  sous  la  Restauration.  Le  troi- 
sième  est  le  baron  de  Schauenburg, 
colonel  d'état-major,  ancien  député 
du  Bas-Rhin,  et  aujourd'hui  pair  de 
France.  C— H— n. 

SCHEBISTERI  (Mahmoud  ) , 
poète  persan,  ainsi  nommé  du  lieu 
de  sa  naissance ,  Schebister  près  de 
Tauris,  mourut  dans  cette  dernière 
ville,  l'an  720  de  l'hégire  (1320  de 
J.-C.)  Lecheik  SaM-Huraïni  du  Kho- 
rassan  lui  ayant  adressé  quinze  de- 
mandes, il  y  répondit  par  un  poème 
ascétique ,  intitulé  GiildMheni  rus 
(le  Parterre  des  secrets).  Un  orien- 
taliste prussien,  Thuluck,  avait  in- 
séré dans  deux  de  ses  ouvrages  la 
traduction  de  quatre  cents  des  dis- 
tiques qui  forment  cette  composition 
parfois  peu  intelligible.  M.  de  Ham- 
mer-Purgstall  l'a,  pour  la  première 
fois,  publiée  en  entier  et  avec  luxe,  en 
joignant  au  texte  persan  une  tra- 
duction allemande  (  Pesth  ,  18S8 , 
in-40).  B— N— T. 

SCHEDE  (Paul).  Voy.  Melissus, 
LXXIII,  418. 

SCHËDEL  (Frédéric),  marchand 
hollandais,  fut  choisi  par  le  conseil 
de  Batavia  pour  aller  à  Canton  s'as- 
surer des  dispositions  des  Chinois,  et 
y  traiter  du  commerce  entre  les  deux 
nations.  En  conséquence,  il  partit  de 
Formose  le  20  janvier  1653, montant 
une  riche  frégate.  Arrivé  près  d'Hey- 
tamen  dans  la  rivière  de  Canton,  il 
fut  agréablement  surpris  de  voir 
venir  à  son  bord  l'amiral  chinois, 
qui  lui  apportait  des  compliments 
de  la  part  des  magistrats  de  la  ville. 
Cependant,  malgré  ce  bon  accueil  ap- 
parent, il  fut  bientôt  abandonné  par 
cet  amiral ,  et  ensuite  fouillé  sans 
aucun  ménagement  aux  portes  de 
Canton.  11  découvrit  plus  tard  que 
ce  premier   désagrément  ;  qui  fut 


SCH 

suivi  àe  beaucoup  d'autres,  lui  i"e* 
naft  des  Portugais ,  dëjà«fl  relation 
avec  la  Chine  et  ne  négligeant  rien 
pour  en  éloigner  les  autres  Euro- 
péens. La  patience  hollandaise  ne  se 
rebuta  pas  de  ces  contre-temps:  re- 
doublant de  soins  auprès  des  magis- 
trats, il  parvint  à  leur  faire  goûter 
d'un  excellent  vin  auquel  ils  s'ac- 
coutumèrent volontiers.  Ces  manda- 
rins adoucis  lui  ménagèrent  une  au- 
dience du  vice-roi.  Quoique  sa  mar- 
che se  fît  avec  pompe,  il  fut  insulté 
sur  la  route  par  le  petit  peuple,  dont 
les  outrages  le  louchèrent  d'autant 
moins  qu'ils  s'exhalaient  en  propos 
pour  lui  inintelligibles. Le  vice-roi  lui 
donna  un  très-beau  dîner,  et  la  ma- 
nière dont  il  le  congédia  ne  fut  pas 
moins  gracieuse,  il  y  avait  peu  de 
temps  que  cet  empire  venait  pour  la 
seconde  fois  d'êlre  conquis  par  les 
Tartares.La  mère  du  vice-roi,qui  était 
de  celte  nation,  souhaita  voir  les 
Hollandais.  Schedel  fut  très- bien 
reçu  de  cette  dame.  Et  pendant 
sa  visite,  il  fit  jouer  par  ses  trom- 
pettes plusieui-s  fanfares  qui  plurent 
beaucoup  à  l'assemblée.  De  leur 
côté,  les  Portugais  mirent  tout  en 
œuvre  pour  perdre  les  Hollandais 
dans  l'esprit  des  grands  et  du  peu- 
ple. Ils  n'auraient  cependant  réussi 
que  très-faiblement,  si  un  commis- 
saire arrivé  de  Pékin  n'eût  appuyé 
leurs  propos  auprès  du  vice-roi.  H 
insista  sur  la  nécessité  de  connaître 
la  volonté  de  l'empereur  avant  de 
prendre  aucun  engagement  avec  une 
nation  étrangère  Cette  ^objection  pa- 
rut si  embarrassante  au  vice-roi ,  qu'il 
conseilla  à  Scliedel  de  partir ,  sous 
prétexte  que  le  gouverneur  de  Ba- 
tavia le  rappelait,  il  mit  en  effet  à 
la  voile,  et  emporta <ies  lettres  de  ce 
magistrat ,  par  lesquelles  il  pro- 
mettait au  gouverneur  son  amitié 


SCH 


«71 


et  tous  les  services  ({ui  dépendraient 
de  lui.  Il  lui  conseilla  également 
d'envoyer  de  riches  présents  au 
grand  -  Ithan  en  Tartarie.  Schede 
fut  renvoyé  une  seconde  fois  en  Chi- 
ne ,  accompagnant  Zacharie  Wage- 
naar.  H  fut  bien  reçu  de  l'amiral 
qu'il  avait  vu  dans  son  premier 
voyage;  celui-ci  le  renvoya  cependant 
au  mandarin  Tu-tang.  Les  Portugais 
n'ayant  pas  cessé  d'agir  pour  nuire 
aux  Hollandais,  et  ceux-là  n'ayant 
pas  voulu  se  prêter  à  l'avidité  des 
Chinois  qui  demandaient  des  sommes 
exorbitantes  pour  accorder  seule- 
ment des  audiences,  la  négociation 
n'eut  aucun  résultat.  Néanmoins 
elle  fit  voir  aux  Hollandais  qu'ils  s'y 
étdient  mal  pris  d'abord  ,  et  qu'ils 
pourraient  se  mieux  conduire  dans 
la  suite.  Schedel  avec  les  siens  re- 
mit à  la  voile  pour  Baîavia,et  cam- 
muniqua  de  nouvelles  vues  sur  la 
manière  de  s'introduire  en  Chine. 
Yoy. Histoire  des  Voyages^  Collection 
de  Thévenot.  M — le. 

SCIli^.DONI  (Pierre),  philosophe 
italien,  naquit  en  1759,  à  Sassuolo, 
dans  le  duché  de  Modène.  Devenu 
orphelin  de  bonne  heure,  il  fut  con- 
duit avec  le  reste  de  sa  famille  à  For- 
migine,  chez  un  oncle  maternel,  au- 
près duquel  il  resta  jusqu'à  l'âge  de 
treize  ans.  Il  fut  alors  envoyé  à  Mo- 
dène pour  faire  ses  études  au  collège 
des  Jésuites,  où  il  se  fit  remarquer 
par  l'activité  de  son  esprit  et  de  sa 
mémoire.  H  étudia  ensuite  le  droit, 
et  se  fit  recevoir  docteur,  quoiqu'il 
goûtât  fort  peu  cette  science  et  qu'il 
préférât  s'adonner  à  l'élude  des 
beaux-arts,  des  langues  et  de  la  phi- 
losophie. Mais,  pour  être  agréable  à 
son  oncle  qui  était  aussi  établi  à  Mo-^ 
dène,  il  entra  dans  l'étude  d'un  avo- 
cat, et  parut  s'absorber  pendant  quel- 
que temps  dans  l'étnde  du  droit,  au 


au 


SCH 


5CH 


point  d'apprendre  par  cœur  tout  le 
code  modenois.  Cependant  après  ce 
tour  de  force,  sa  véritable  vocition 
reprit  le  dessus  et  rfvSta  pins  ferme  que 
la  volonté  île  Toiicle,  qui  finit  par  cé- 
der, laissant  au  jeune  jurisconsulte 
toute  sa  liberté  d'aetion.  Schcdoni 
visita  successivement  Venise,  Flo- 
rence. Rome  et  Niipies,  et  se  lia  dans 
ses  voyages  avec  l'abbé  Morelli,  avec 
Raphaël  Morghen  et  Canova.  Reve- 
nu à  Moiiène,  il  s'occupa  counne  par 
Je  passé  de  différentes  publications, 
et  ne  voulut  jamais  accepter  de  loac- 
tions  publiques.  Ce  fut  seulement  en 
1827  que,  pour  ne  pas  désoblig^^r  son 
souverain,  il  consi^ntnà  être  un  des 
douze  censeurs  pour  les  livres.  Sche- 
duni  mourut  à  Modène,  le  27  nov. 
1835  On  a  de  lui  en  italien;  l.  Essai 
sur  les  jeuœ^  Modène,  1788,  in-8». 
Ctt  opuscule,  qui  a  été  plusieurs  fois 
réimprimé,  fut  publié  à  l'occasion 
d'un  édit  par  lequel  le  duc  Hercule 
déff^ndit  les  jeux  dans  ses  Étals. 
Schedoni  eut  la  hardiesse  d'aitaquer 
celte  mesure  et  motiva  fortement  son 
opinion,  n»ais  dans  un  style  un  peu 
boursouflé  ei  déclamatoire.  11.  Éloge 
d'Augustin  Faradisi  ^  ia- 8**,  trois 
éditions.  111.  Des  moyens  de  pré- 
venir et  de  diminuer  les  maux  de  la 
guerre^  Modène,  l80i.  IV.  Mémoire 
sur  les  qualités  et  les  défauts  du  Pa- 
négyrique de  Trajan,  que  Schedoni 
envoya  à  l'académie  de  Lucques  , 
pour  concourir  au  prix  proposé  par 
elle,  et  qui  obtint  une  médaille  d'or. 
y.  Éloge  de  Muratori,  qui  fit  décer- 
ner à  l'auteur  une  autre  médaille 
d'or  par  le  corps  municipal  de  Mo- 
dène, VI.  Mémoire  sur  la  violation 
de  la  pudeur  dans  les  beaux  arts. 
VII.  Opuscule  de  voyages  ,  Modène, 
1806,  in  8o.  Vlll.  Sur  les  tragédies 
d' Al  fier  i,  Modène,  1806,  in  8%  étude 
critique  dans  laquelle,  après  avoir 


rendu  hommage  aux  qualités  de 
style  du  poète  d'Asti,  Schedoni  l'ac- 
cuse d'avoir  violé  •  Tordre  moral 
«  que  recommandent  également  tou- 

•  tes  les  lois  du  théâtre  et  l'utilité 

•  publique.  »  IX.  Les  influences 
morales.^  ouvrage  qui  a  valu  à  l'au- 
teur le  titre  de  créateur  de  la  mo- 
rale expérimentale.  X.  Coup  d'œil 
sur  la  science  de  la  législation  de 
Filangitri^  Modène,  1826,  in  8«>. 
Sched»»ni  y  attaque  le  célèbre  éco- 
notiiisle  napolitain  qu'il  avait  déjà 
critiqué  dans  un  Mémoire  sur  la  li- 
berté de  la  presse,  lu  à  l'académie  de 
Modène.  Il  reçut  à  rocc;ision  de  ce 
livre  un  bref  du  pape  Léon  XM,  qui, 
entre  autres  éloges,  disait  :  Materies 
operis  est  hujusmodi,  ut  ejus  Itctio 
in  hoc  difficillimo  reipublicœ  guber- 
nandœ  munere  magna  nobis  usai 
essepossit.  XI  Appendice  à  l'ouvrage 
précédent  et  à  ïaLeltre  de  M  deChd- 
teaubriand  sur  la  liberté  de  la 
presse,  Modène,  1827,  in-8''.  Xll. 
Principes  moraux  du  théâtre,  XIII. 
Traduction  italienne  de  douze  dis- 
cours de  Cicéron.  XIV.  Id.  de  la  Vie 
d'Agricola ,  de  Tacite.  XV.  Choix 
des  meilleurs  sonnets  italiens,  avec 
des  notes,  Modène,  1827,  Schedoni 
avdit  aussi  pris  part  à  la  rédaction 
de  la  Voix  de  la  vérité,  et  des  Mé- 
moires de  religion,  de  littérature  et 
de  morale,  que  l'on  publie  à  Modène. 

A-Y. 

SGHF:iDEL  (François  -  Cristo  - 
PHE  de),  théologien  allemand,  né  en 
1748  à  Ellingen,  petite  vi'le  qui  ap- 
partenait alors  à  l'ordre  Teutonique, 
et  où  son  père  exerçait  les  fonctions 
d'intendant  pour  cet  ordre  équestre, 
se  voua  à  l'état  ecclésiastique  dans 
le  séminaire  de  Mayence,et,  ordonné 
prêtre  en  1772,  il  se  chargea  de 
Téducalion  du  jeune  comte  de  Sta» 
dion  ;  puis,  ayant  obtenu  le  doctorat 


SCH 

(héologique,  il  fut  nommé  en  1 778  su- 
périeur du  séminaire,  et  quatre  ans 
après  professeur  d'une  chaire  peut- 
être  unique  en  son  espèce  à  l'univer- 
sité de  Mayence  ,  celle  de  la  polémi- 
que pour  la  théologie],  qui  fut 
probablement  créée  pour  lui.  Il 
chercha  à  en  prouver  l'utilité  par  un 
écrit  qui  parut  en  1784,  h  l'occasion 
de  la  fête  séculaire  de  l'université  de 
Mayence,  sous  le  titre  De  natura, 
utilitate  etjustis  limitibus  theologiœ 
polemicœ  in  scholis  seorsim  a  dog- 
matica  iraetanda.  Dans  la  même 
année  il  fut  nommé  doyen  de  la  fa- 
culté de  théologie.  Après  la  retraite 
des  troupes  françaises  qui  avaient 
occupé  momentanément  Mayence  en 
1790,  l'électeur  le  nomma  chancelier 
de  l'université  de  cette  ville.  Quand 
Mayence  fut  définitivement  réuni  à 
la  république  française,  Scheidel 
suivit  son  souverain  à  Aschaffen- 
bourg  où  il  eut  la  cure  de  Sainte- 
Agathe,  et  fut  attaché  en  qualité  de 
conseiller  au  vicariat  général.  En 
1807  le  prince  primat  le  nomma 
régent  du  séminaire  de  la  même 
ville,  et  plus  tard  professeur  de  la 
faculté  théologique  à  l'université 
qu'il  venait  d'y  fonder.  Mais  bientôt 
après ,  Aschaffenbourg  ayant  été 
réuni  au  royaume  de  Bavière,  Schei- 
del prit  sa  retraite,  et  en  1826  il 
donna  sa  démission  comme  curé  de 
Sainte -Agathe.  Le  roi  de  Bavière 
lui  accorda  la  décoration  de  l'ordre 
du  Mérite  civil.  Scheidel  mourut  le 
12  août  1730.  D-G. 

SCHELL  (Alexandre  de),  né, 
vers  1716,  dans  le  cercle  deSouabe, 
d'une  famille  noble  qu'un  procès 
avait  ruinée,  annonça  fort  jeune  jes 
plus  heureuses  dispositions  pour 
l'étude  des  langues^  il  en  parlait  six 
lorsque,  à  peine  âgé  de  vingt  ans,  il 
débuta  dans  la  carrière  des  armes.  Le 

LXXXI. 


SCH 


273 


crédit  dont  jouissait  la  maison  de 
Lœwenstein ,  à  laquelle  sa  mère  ap- 
partenait, lui  valut  une  lieulenance. 
Son  régiment  fut  cédé  par  le  duc  de 
Wurtemberg  au  roi  de  Prusse,  à  l'é- 
poque de  la  guerre  de  Silésie.  On 
l'envoya,  par  suite  de  quelques  écarts 
de  jeunesse,  en  1744,  dans  un  régi- 
ment de  garnison.  C'était  une  puni- 
tion sévère;  t^lle  démoralisa  com- 
plètement ce  jeune  homme ,  doué 
d*'un  cœur  nobieettout  à  la  fois  d'une 
imagination  fougueuse.Quandil  se  vit 
continédansla  citadelle  de  Glatz,  son 
mécontentement,  son  irritation  n'eu- 
rent point  de  bornes;  il  résolut  de 
saisir  la  première  occasion  de  déser- 
ter. Le  baron  de  Trenck,  le  mêmequi 
combla  la  mesure  de  ses  malheurs  et 
de  sa  vie  aventureuse  en  venant  se 
mêler  à  la  révolution  française  et 
recevoir  la  mort  sur  un  échafaud, 
se  trouvait  au  nombre  des  prison- 
niers que  renfermait  Glatz.  Schell 
favorisa  son  évasion  ,  et  tons  deux , 
non  toutefois  sans  avoir  couru  de 
grands  dangers,  parvinrent  à  gagner 
les  frontières  de  la  Bohême.  Après 
avoir  erré  près  d'une  année  en  Po- 
logne, ils  arrivèrent  à  Vienne,  où, 
par  la  protection  de  l'excellent 
prince  Charles  de  Lorraine,  Trenck 
obtint  pour  son  libérateur  un  brevet: 
de  lieutenant^  mais  la  malheureuse 
passion  du  jeu  dominait  Schell  au 
point  de  lui  faire  perdre  tout  esprit 
de  conduite.  Déserteur  du  service 
autrichien  ,  obligé  de  changer  d« 
nom  ,  il  devint,  sous  celui  deLesch, 
officier  dans  les  troupes  de  Modène. 
Son  mauvais  destin  le  força  bientôt 
de  quitter  cette  position  ;  il  fut  simple 
soldat,  puis  secrétaire  fourrier  d'un 
régiment  suisse  à  la  solde  du  roi  d(> 
Sardaigne.  Alors  il  prit  la  ferme  ré- 
solution de  s'amender,  ne  joua  plus 
et  secréad'honorables  moyens  d'exis- 

18 


274 


5ÇH 


tence  par  ses  leçons  de  langue,  (\e 
ipusiqne  et  dje  d^sin  ;  \\  eut  môme 
la  satisfaction  de  pouvoir  faire  par- 
venir périodiquement  des  secours  à 
sa  famille.  Le  baron  de  Trenck,  sorti 
des  prisons  de  Magdebourg  en  1763, 
ne  put  découvrir  la  retraite  du  mal- 
heureux exilé  qu'au  bout  de  six  an- 
nées de  recherches.  Leurs  relations 
se  renouvelèrent  en  1769,  et  les  deux 
amis  passèrent  ensemble ,  en  1772 , 
quatre  mois  à  Aix-la-Chapelle  où  le 
baron  s'était  marié.  Cependant  des 
intérêts  de  cœur  (car  l'âge  n'avait 
pas  affaibli  son  penchant  pour  le 
sexe)  et  l'expiration  du  congé  qu'il 
avait  obtenu  ne  permirent  pas  à 
Schell  de  prolonger  davantage  son 
séjour  dans  cette  ville;  il  reprit  la 
route  d'Alexandrie  où  résidait  son 
régiment.  Sa  santé  s'altéra...,  une  af- 
freuse maladie,  la  pierre,  lui  fit  éprou- 
ver d'horribles  souffrances ,  et ,  dé- 
goûté de  la  vie,  il  prit  du  poison 
qu'il  portait  constamment  sur  lui. 
Le  26  mai  1776,  on  le  trouva  mort 
dans  son  lit.  Il  avait  placé  sur  sa  ta- 
ble un  testament  daté  déjà  du  213 
mars,  ainsi  que  des  lettres  d'adieu 
pour  son  colonel  et  pour  ses  amis^ 
il  en  écrivit  une  fort  touchante,  deux 
jours  avant  la  catastrophe,  au  baron 
de  Trenck.  Il  laissa  des  odes  eroti- 
ques, des  satires  et  des  chansons, 
quelques-unes  écrites  en  langue  alle- 
mande et  le  plus  grand  nombre  en 
italien.  Une  partie  de  ces  ouvrages  a 
été  traduite  en  prose  française,  ainsi 
que  plusieurs  de  ses  lettres,  sous  ce 
titre  :  Lettres  et  Aventures  d'Alexan- 
dre de  Schell ,  suivies  de  son  testa- 
ment^ etc.,  2  pet.  vol.  in-12,  Paris, 
1789 ,  c'est-à-dire  une  année  après 
l'apparition  des  Mémoires  du  baron 
de  Trenck,  que  Le  Tourneur  fit  con- 
naître aux  lecteurs  français  et  dont 
la  vogue  fut  prodigieuse.  Voici  le 


SCH 

portrait  que  trace  d'Alexandre  de 
Sch«U  son  traducteur  :  «  Il  était  d'une 

•  stature  médiocre ,  mais  assez  bien 
«  fait;  il  avait  un  port  noble  sans 

•  affectation,  un  air  sombre,  surtout 
«  dans  ses  dernières  années,  mais 
«  qui  n'était  pas  repoussant  ;  l'œil 

•  enfoncé,  mais  vif;  il  était  enclin  à 
«  la  colère  et  savait  néanmoins  se 
«  modérer;  aucun  homme,  malgré  le 

•  mépris  qu'il  affectait  pour  ses  sem- 
«  blables ,  ne  fut  plus  sensible  aux 

•  misères  de  l'humanité.  »  St — t. 
SCHëLLëXBëKG  (Jean-Rodol- 
phe), peintre,  naquit  à  Baie  en  I746,et 
mourut  à  Winterthur  le  6  août  1806. 
Son  père  Jean-Ulric,  et  plus  encore 
son  aïeul  maternel,  Rodolphe  Huber, 
développèrent  en  lui  le  talent  du  pein- 
tre, et  Huber,  excellent  artiste,  lui 
donna  les  premières  leçons  de  l'art. 
Doué  d'une  imagination  vive  et  d'un 
grand  enthousiasme ,  il  sut  s'appro- 
prier  le  style  vigoureux  de  son  aïeul 
pendant  le  séjour  qu'il  fit  à  Winter- 
thiir,  dans  la  ville  natale  de  son  père, 
après  la  mort  de  Huber;  il  apprit  en 
même  temps  l'art  de  la  gravure.  Une 
fâcheuse  maladie,occasionnée  par  une 
chute  où  il  se  frappa  à  la  tête,  lui  fit 
oublier  presque  tout  ce  qu'il  avait 
appris,  à  l'exception  du  dessin,  de 
manière  que,  comme  il  lui  fallut  ap- 
prendre de  nouveau  à  lire  et  à  écrire, 
il  se  servit,  en  attendant,  du  dessin 
pour  communiquer  ses  idées.  Il  se 
rendit  ensuite  a  Bâle  où  il  fit  des 
portraits  et  nombre  de  petits  ta- 
bleaux qui  offraient  des  sujets  tirés 
de  la  vie  commune.  Une  autre  ma- 
ladie lui  survint  au  moment  où  il 
devait  suivre  un  Anglais  dans  un 
voyage  d'Italie.  C'est  alors  que,  du»- 
rant  un  séjour  qu'il  fit  à  Zurich  che? 
le  chanoine  Gessner,  il  prit  du  goût 
pour  l'histoire  naturelle  et  devint  ex- 
cellent peintre  et  graveur  de  plantes 


SCH 

et  d'animaui.  L'Histoire  des  insectes 
et  les  Genres  d'insectes, i^àtGutzer,  les 
Archives  et  le  Magasin  entomologi- 
que,  par  Fuessli,  {'Entomologie  hel- 
vétique^ par  Clairville,  le  Voyage 
en  Suisse^  par  Andreae,  les  Plantes 
et  arbustes  d'agrément  (1797),  V His- 
toire des  amaranthes  ,  par  Willde- 
now,  les  Journaux  de  botanique^ 
publiés  par  Usteri  et  Romer,  VHis^ 
toire  des  écrevisses,  par  Kerbst,  et 
d'autres  ouvrages  encore,  sont  ornés 
d'un  très-grand  nombre  de  planches 
dessinées  et  gravées  par  Schellem- 
berg.  L'entomologie  surtout  devint 
son  étude  favorite  ;  et,  après  avoir 
vendu  à  l'électeur  Théodore  de  Ba- 
vière une  collection  de  2,000  des- 
sins coloriés  d'insectes,  il  en  com- 
mença une  autre ,  qui ,  dans  60 
volumes  in -8°,  contient  plus  de 
4,500  planches  coloriées  d'insectes, 
la  plupart  suisses.  Le  nombre  de  ses 
autres  gravures  n'est  pas  moins  con- 
sidérable. On  en  trouve  dans  l'ou- 
vrage de  Lavater,  sur  Uphysiogno - 
monie^  dans  le  grand  Livre  élémen- 
laî're  de  Basedow  ;  il  a  gravé  à  peu  près 
tous  les  portraits  de  VHistoire  des 
Artistes  de  la  Suisse.^  par  Fuessli,  une 
collection  de  soixante  planches 
d'histoires  de  la  Bible,  un  recueil 
de  figures  pour  une  collection  de  fa- 
bles ,  d'autres  pour  une  danse  des 
morts,  dans  le  genre  d'Holbein,  des 
figures  satiriques  qu'il  nommait  ses 
railleries,  etc.  Ses  poésies  manu- 
scrites, la  plupart  satiriques  ,  for- 
ment plusieurs  volumes.  Après  avoir 
passé  quelques  années  à  Bâle  et  à 
Berne,  il  s'était  fixé  à  Winterthiir. 
Laborieux,  économe,  d'un  commerce 
aimable,  bon  époux  et  bon  père, il  a 
joui  d'une  considération  méritée 
parmi  ses  concitoyens.  La  société 
des  artistes  de  Zurich  a  donné  dans 
sesÉtrennes  pour  1807  le  portrait  et 


SCH 


275 


la  vie  de  Schellenberg  accompa- 
gnée d'une  planche  de  plantes  et 
d'insectes,  gravée  d'après  ses  des- 
sins. U— I. 

SCHELTEMA  (Jacques),  écrivain 
hollandais,  était  né  le  14  mai  1767, 
à  Franeker,  province  de  Frise.  Après 
de  fortes  études  dans  sa  ville  natale, 
il  fut  reçu  gradué  en  droit  en  1786 
et 'se  mit  à  exercer  la  profession  d'a- 
vocat. S'étant  prononcé  pour  le  parti 
patriote  et  ayant  pris  une  part  active 
aux  troubles  qui  agitèrentà  cette  épo- 
que les  Provinces-Unies,  il  crut  pru- 
dent de  s'expatrier  lors  de  l'intervea- 
lion  prussienne  qui  rétablit  le  sta- 
thouder. S'étant  réfugié  à  Steinfort,  il 
y  rencontra  le  jurisconsulte  Vander- 
Marck,  réfugié  comme  lui,  et  dans  la 
vie  oisive  de  l'exil  il  suivit  assidû- 
ment les  leçons  de  ce  célèbre  profes- 
seur. En  1789 ,  il  rentra  dans  son 
pays ,  vint  se  fixer  à  Amsterdam,  et 
s'y  livra  au  commerce.  La  haute  con- 
sidération dont  il  jouissait  lorsque 
s'établit  en  1795  la  république  ba- 
tave,  sous  la  protection  de  l'armée 
française,  et  l'empressement  avec  le- 
quel il  adopta  ce  changement  politi- 
que, le  firent  nommer  membre  du  co- 
mité qui  remplaça  le  conseil  d'État. 
Son  attention  se  porta  spécialement 
sur  les  questions  financières.  Élu  dé- 
puté à  la  Convention  nationale  en 
1797,  il  fut  désigné  par  cette  assem- 
blée pour  faire  partie  de  la  commis- 
sion des  finances.  Bien  qu'apparte- 
nant à  l'opinion  patriote,  il  ne  voulut 
point  se  rendre  complice  des  excès 
de  la  fraction  extrême  ;  sa  modéra- 
tion, sans  être  aussi  grande  que  celle 
de  Schimmelpenninck  {voy,  ce  nom 
dans  ce  volume),  son  ami,  l'était  as- 
sez pour  qu'il  refusât  de  s'associer 
aux  violences  et  aux  désordres.  Cette 
sage  conduite  le  fit.  comprendre  au 
nombre  des  membres  de  la  Conven- 
ir/ 


270 


SCH 


tioii  ^rrèiés,  le  22  janvier  1793,  aux- 
quels on  donna  la  Maison  au  bois 
pour  prison.  Le  12  juin  suivant,  le 
parti  modéré  ayant  repris  le  dessus , 
Scheltema  recouvra  la  liberté  comme 
tous  ses  compagnons  de  captivité.  îl 
reçut  alors  un  emploi  dans  les  finan- 
ces, puis  une  ch.irge  de  conseiller- 
juge  à  la  cour  d'appel  de  Kampen. 
Devenu  membre  du  comité  de  marine 
en  1801,  avec  la  direction  du  conten- 
tieux des  douanes,  il  quitta  ces  fonc- 
tions en  1805  pour  celles  de  conseil- 
ler des  finances.  Presque  au  même 
moment  il  fut  pourvu  de  la  place 
lucrative  de  commis -général  pour 
les  droits  d'entrée  et  de   sortie  de 
la   ville   d'Amsterdam.   La   réunion 
de  la   Hollande  à  l'empire    français 
changea  encore  une  fois  sa  position, 
et  il  devint  juge  de  paix  de  Zaan- 
dam.  Ce  fut  vers  cette  époque  qu'il 
commença  d'une  manière  exclusive 
sa  carrière  d'écrivain.  11  publia  plu- 
sieurs ouvrages  qui  eurent  un  véri- 
table succès.  La  plupart  des  sociétés 
littéraires  de   Hollande   le  comptè- 
rent bientôt  parmi  leurs  membres. 
Après  la  révolution  de  1813  et  la 
restauration  de  la  maison  d'Orange, 
on  le  nomma  greffier  du  conseil  de 
la  marine  du   royaume  des    Pays- 
Bas^  mais  en  1819,  la  suppression  de 
ce  conseil  le  priva  de  son  emploi  ;  il 
n'en  fut  pas  dédommagé,  et  désormais 
il  vécut  dans  la  retraite ,  en  dehors 
des  affaires  publiques,  ne  s'occupant 
plus  que  très -peu  de   littérature. 
Aveuglé  par  son  [)atriotisme,il  s'était 
fait  le  défenseur  d'une  idée  depuis 
long-temps  répandue  en  Hollande, 
que  l'invention  de  l'imprimerie  ap- 
partenait àLaurentCoster.filsde  Jean 
le  sacristain  {Coster)  âê  Harlem.  Mal- 
gré le  Mémoire  de  M.  Koning  sur  ce 
sujet,  couronné  par  cette  ville  en 
1816,  et  les  vains  efforts  de  Schel- 


SCH 

tema,  Guttenberg  et  Mayence  seront 
toujours  le  savant  et  la  cité  insépara- 
liies  de  cette  belle  découverte.  Schel- 
tema était  membre  des  académies 
de  Saint-Pétersbourg  et  de  Moscou.  Il 
mourut  vers  1 830.  Ses  principaux  ou- 
vrages sont  :  1.  La  Hollande  politi- 
que^ ou  Biographie  des  hommes  d'É- 
tat les  plus  distingués  de  la  Hol^ 
lande^  Amsterdam,  1805-1806.  H. 
Discours  sur  les  lettres  de  Hooft,  Am- 
sterdam, 1806.  m.  Mémoire  sur  la 
vie  et  les  mérites  de  deux  femmes  cé- 
lèbres ,  Anne  et  Marie  Tesselchade 
Vischer,  1807.  IV.  Parallèle  de  la 
délivrance  de  la  domination  espa- 
gnole en  1571  et  de  la  délivrance  de 
la  domination  française  en  1813 , 
Amsterdam,  1813,  in-S».  V.  Séjour 
de  Pierre  -  le-  Grand ,  empereur  de 
Russie,  en  Hollande^  en  1697  et  1717, 
Amsterdam,  1814, 2  vol.  in-8°.  Ayant 
trouvé  de  nombreux  matériaux,Schel- 
tema  refondit  cet  ouvrage  et  le  pu- 
blia avec  des  augmentations  consi- 
dérables sous  ce  nouveau  titre  :  La 
Russie  et  la  Hollande,  considérées 
dans  leurs  rapports  réciproques ,  4 
vol.  in-8o,  1817-1819.  VI.  La  der- 
nière campagne  de  Napoléon  Bona- 
parte^ Amsterdam,  1816.  VII.  Mé- 
moire sur  l'esprit  de  la  loi  des  doua- 
nes, de  1725,  Amsterdam,  1816.  VIII. 
Mélanges  historiques  et  littéraires  , 
Amsterdam,  1817-1819.  C— h— n. 
SCHELTÏNGA  (Gerlach),  juris- 
consulte hollandais,  après  avoir  pro- 
fessé à  Deventer,  fut  appelé  à  la 
chaire  de  droit  civil  à  l'université 
de  Leyde  en  1738.  Il  la  remplit  avec 
distinction ,  et  mourut  le  9  février 
1765.  On  a  de  lui,  outre  trois  haran^ 
gués  académiques:  Projur/sconsuffîs 
et  jurisprudentia ,  1738,  De  officia 
magistratus,  1745,  De  jure  civili 
Romano ,  jurîsconsultis  non  suffi- 
ciente  quidem,  sed  tamen  necessario. 


SCH 

1761  ;  deux  dissertations  De  emanci- 
patione,  recueillies  dans  le  tome  // 
de  la  Jurisprudentia  aniiqua  de 
Daniel  Feileniberg  ;  et  deux  Mémoi- 
res critiques  sur  des  passages  de 
jurisconsultes  grecs,  dans  le  Novus 
thésaurus  juris  civiliset  canonici  de 
Meerman,  tome  III  et  t.  V.  M— on. 
SCIIEMS  -  EDDÏN.    Voy.   Ibn- 

KHILCAN,  XXÏ,  156,etSÉlD-BÉCHAR, 

XLI,  480. 

SCHENCK  (Jf.an-Georges),  fils 
de  Jean  Schenck  de  GrafFenberg 
{voy.  ce  nom,  XLI,  108),  naquit  à 
Fribourg  en  Brisgau,  dans  la  seconde 
moitié  du  XVI®  siècle.  Comme  son 
père,  il  se  distingua  dans  l'exercice 
de  la  médecine,  et  ne  mérite  pas 
moins  que  lui  l'honneur  d'une  men- 
tion dans  les  fastes  de  cette  science. 
C'est  à  Haguenau  qu'il  la  pratiqua 
avec  beaucoup  de  succès,  et  qu'il  se 
livra  en  même  temps  à  un  travail  de 
cabinet  qui  nous  a  valu  p'usieurs 
écrits  dignes  d'une  certaine  estime. 
C'est  aussi  dans  cette  ville  qu'il 
mourut  vers  1620.  On  lui  doit  la  pre- 
mière édition,  en  2  vol.  in-8**,  des 
Observations^  etc.,  publiées  par  son 
père,  en  sept  parties  séparées  (1). 
Parmi  ses  propres  ouvrages,  nous 
citerons  seulement  les  trois  suivants, 
que  l'on  recherche  encore,  et  nous  y 
joindrons  le  jugement  qu'en  porte  la 
Biographie  du  Dictionnaire  des 
sciences  médicales,  en  renvoyant  à 
cette  Biographie  pour  les  titres  des 
six  autres  productions  de  l'auteur. 
I.  De  formandis  medicinœ  studiis  et 
schola  medica  const>tuenda  En- 
chiridion,  Strasbourg,  1607,  in-12. 
«  On  y  trouve  les  Consilia  de  studio 
medico  de  Mercuriali,  Sylvius,  Cas- 


SCH 


277 


(i)  La  dernière  traite  De  Vtnenis  (  des 
poisons  ),  et  noa  De  venercis,  comme  ou 
l'a  imprimé  par  erreur  à  la  fin  de  l'article 
consacré  à  Jean  S<'benck. 


tellamis  et  Placotomus.  C'est  un  ou- 
vrage utile.  »  Nous  ajouterons  qu'on 
le  lirait  avec  fruit  en  ce  moment  où 
Ton  se  préoccupe  généralement 
d'une  organisation  nouvelle  de  l'en- 
seignement médical  et  de  tout  ce 
qui  a  rapport  à  l'art  de  guérir.  H. 
Lithogenesia,  seu  de  microcosmi 
membris  petrefactis  et  cakulis  eidem 
microcosmo  per  varias  matrices  in- 
natis,  Francfort,  1608,  in-l».  «Cet 
ouvrage  mérite  d'être  lu,  mais  avec 
réserve  ;  il  contient  beaucoup  de 
faits  controuvés,  exagérés  ou  dou- 
teux. C'est  un  livre  à  consulter  pour 
l'histoire  de  l'anatomie  pathologi- 
que. »  III.  Monstrorum  historia 
mirabilis ^ibid,  1609,  pet.  in-4°,  fig. 
«  Ce  livre  est  rempli  de  fables  5  on 
ne  doit  y  puiser  qu'avec  réserve  et 
critique.  »  Ce  sont  précisément  ces 
fables  qui  le  rendent  amusant  pour 
le  plus  grand  nombre  des  lecteurs. 
On  ne  le  rencontre  pas  facilement. 

B— L— u. 
SCHEPF  (Thomas),  natif  de  Bri- 
sach,  devint  médecin  de  la  ville  de 
Berne  et  y  mourut  de  la  peste  le  31 
août  1577.  Sa  Carte  du  canton  de 
Berne,  publiée  en  18  feuilles, 
l'an  1578,  et  retouchée  par  Albert- 
Meyer,  en  1672,  est  la  plus  nettCç^  la 
plus  exacte,  la  plus  grande  et  en 
même  temps  la  plus  rare  de  toutes 
les  cartes  de  ce  canton  suisse;  et,  vu 
le  temps  de  sa  composition,  on  ne 
saurait  qu'admirer  cet  ouvrage.  Un 
Commentaire  de  la  carte  ne  mérite 
pas  moins  d'attention  ^  on  en  con- 
serve des  copies  manuscrites  dans 
les  bibliothèques  suisses,  sous  ce 
titre  :  Inclytœ  Bernatum  urbis  cum 
omni  ditionis  suœ  agro  et  provin- 
dis  delineatio  chorographictty  secun 
dum  cujusque  loci  justiorem  et  lon- 
gitudlnemet  latitudinem  cœli,  libris 
II  complexa,  etc.  \}—u 


578 


SCH 


SCHËKB  (Philippe)  naquit  à 
Bischofszell  en  Suisse  eu  1553,  et 
mourut  professeur  à  l'Université 
d'Altdorf  en  1605.  Dès  sa  jeunesse 
il  montra  un  esprit  facile  et  enjoué, 
ainsi  qu'un  goût  décidé  pour  les 
sciences.  Il  étudia  la  médecine  et  la 
philosophie  à  Bâle  et  en  Italie.  En 
1580,  il  fut  nommé  professeur  de 
logique  à  l'Université  de  Bâle,  et  il  y 
o)}tint  ensuite  la  chaire  de  philoso- 
phie morale.  En  1586  il  se  rendit  à 
Altdorf,  où  la  chaire  de  médecine  et 
de  philosophie  lui  fut  conférée.  Ses 
talents  et  son  éloquence  lui  acquirent 
de  la  célébrité,  et  son  auditoire  fut 
fort  nombreux.La  plupart  de  ses  écrits 
sont  des  pièces  académiques  ^  voici 
les  titres  de  quelques-uns  :  Diseur  sus 
politici  in  Aristotelis  de  republica 
liiros ,  Francfort ,  1610 ,  in  -  S». 
Iheses  medicœ  coUectœ  et  editœ  a 
Casp,  Hofmanno  ,  Leipzig,  161é  , 
in-S".  U— I. 

SCHËRER  (  Jean-Jacques  )  na- 
quit à  Saint-Gall  en  1654,  et  y  mou- 
rut en  1733.  Il  avait  occupé  diffé- 
rentes places  ecclésiastiques  dans  sâ 
ville  natale,  et  il  y  a  soigné  les  ar- 
chives et  la  bibliothèque.  Outre  un 
grand  nombre  de  dissertations  et 
d'ouvrages  ascétiques,  de  traduc- 
tions, etc.,  il  a  publié  (en  1698  et 
1708,  à  Saint-Gall,  in-8»)  le  Syn- 
chronismus  historiée  universalis  sy- 
nopticus,  et,  en  1698,  un  Aperçu  de 
la  Chronique  de  Saint-Gall  (en  al- 
lemand). On  conserve  dans  la  biblio- 
thèque de  la  ville  de  Saint-Gall  quel- 
ques volumes  manuscrits,  dans  les- 
quels il  a  donné  la  suite  de  la  Chro- 
nique de  Vadianus.  U— i. 

SCUËRËR  (Jean-Benoit),  his- 
torien et  publiciste,  né  k  Strasbourg 
en  1741,  fut  commis  au  ministère  des 
affaires  étrangères  à  Versailles,  et 
séjourna  long-temps  en  Russie,  ce 


SCH 

qui  le  mit  à  même  d'acquérir  beau- 
coup de  renseignements  sur  l'his- 
toire de  cet  empire.  Revenu  dans  sa 
patrie,  il  y  mourut  dans  les  premières 
années  de  la  révolution.  On  a  de  lui  : 
1.  Recherches  historiques  et  géogra- 
phiques sur  le  Nouveau-Mondey  Pa- 
ris, 1777,  in-80,  fig.  U.  Histoire  rai- 
sonnée  du  commerce  de  la  Russie, 
Paris,  1788,  2  vol.  in-8^  III.  An- 
nales de  la  petite  Russie,  ou  Histoire 
des  Cosaques  Zaporogues  et  des  Co- 
saques de  l'Ukraine  ou  de  la  petite 
Russie,  depuis  son  origine  jusqu'à 
nos  jours ,   suivies  d'un  Abrégé  de 
Vhistoire  des  hetmans   des  Cosa- 
ques et  de  pièces  justificatives,  tra- 
duit d'après  les  manuscrits  conser- 
vés à  Kief,  enrichi  de  notes ,  Paris, 
1788,  2  vol.  in-12.  J.-B.  Scherer  a 
encore  écrit  en  allemand  beaucoup 
d'ouvrages  sur  le  droit  public  et  sur 
l'histoire.  —  Scherer  (  Alexandre- 
Nicolas)  a  publié  un  Mémoire  sur 
les  propriétés  de  l'acide  carbonique 
représenté  par  le  feu^  etc. ,  inséré  dans 
les  Actes  de  l'Académie  des  sciences 
de  Saint-Pétersbourg  (1806).      Z. 

SCHEUKEMANN  (  Henning  ) , 
médecin  dans  le  XVI*  siècle  à  Bam- 
berg  et  ensuite  à  Aschersleben,  s'af- 
filia aux  frères  Rose -Croix,  et, 
comme  eux,  dédaigna  les  connaissan- 
ces scientifiques  et  physiologiques. 
Ses  idées  s'éloignent  de  celles  de 
Paracelse ,  mais  elles  sont  aussi 
chimériques,  et  il  les  expose  dans  un 
langage  obscur  et  presque  inintel- 
ligible. Ce  serait  entreprendre  une 
tâche  des  plus  rebutantes  et  des 
plus  superflues  que  d'essayer  l'ex- 
position étendue  de  théories  aussi 
creuses  et  aussi  justement  vouées  au 
mépris.  D'après  notre  auteur,  la  na- 
ture interne  de  l'homme  est  divisée 
en  sept  différents  degrés  d'après  les 
sept  changements  qu'elle  subit  et 


SCH 

qui  sont  la  combustion  i  la  sublima- 
tion^  la  dissolution,  la  putréfaction, 
la  distillation,  la  coagulation,  la  tein- 
ture.  Ces   sept  changements   font 
perdre  aux  trois  éléments  Jeur  forme, 
leur  astre,  en  même  temps  qu'ils 
leur  donnent  des  qualités  sensibles 
et  visibles.  Les  trois  éléments  pro- 
duisent par  leurs  différentes  modifi- 
cations dix  espèces,  savoir,  quatre 
de  mercure,  trois  de  soufre  et  trois 
de  seU  Les  quatre  espèces  de  mer- 
cure sont  le  mercure  pneumosus  ^ 
cremosus,  suMimatus^  prœcipitatus  ; 
les  trois  genres  de  soufre  sont  le 
congelatum,  le  resolutum,  le  coagu- 
latum;  enfin  les  trois  espèces  de  sel 
ont  pour  désignations  le  calcinatum, 
le  resolutum ,  le  reverberatum.  Les 
combinaisons  de  ces  divers   corps 
sont  les  causes  de  toutes  les  mala- 
dies ,  de  tous  les  phénomènes  de  la 
vie  organique.  Tout  cela  est  exposé 
dans  un  style  emphatique  et  barbare 
qui  révèle  l'ignorance  la  plus  invin- 
cible des  premiers  principes  de  la 
science  réelle.  Personne,  à  coup  sûr, 
n'est  tenté  aujourd'hui  de  lire  les 
divers  écrits  de  Scheunemann,  parmi 
lesquels  figure  surtout  sa  Medicina 
reformata,  Francfort,   1617;  mais 
nous  avons  jugé  utile  de  rappeler  ici 
ces  étranges  systèmes,  parce  qu'ils 
se  retrouvent  plus  ou  moins  déve- 
loppés et  modifiés  dans  un  grand 
nombre  de  traités  sur  l'art  de  guérir, 
mis  au  jour  durant  les  cinquante 
premières  années  du  XVII®  siècle. 

B — N — T. 
SCHEURER  (Samuel),  né  à 
Berne,  fit  d'excellentes  études  dans 
sa  patrie.  Il  était  encore  très- jeune 
lorsque  la  chaire  d'éloqiience  du 
collège  de  cette  ville  lui  fut  conférée 
en  1709.  Il  entreprit  en  1717  et 
1718,  aux  frais  du  gouvernement,  «n 
voyage  par  l'Alkmagne,  la  Hollande 


SCH 


279 


et  l'Angleterre.  De  retour  à  Èerne,  il 
y  obtint,  en  1718,  la  chaire  de  théo- 
logie, qu'il  occupa  jusqu'à  sa  mort, 
arrivée  en  1747.  Outre  un  nombre 
considérable  de  dissertations ,  dont 
on  ne  désignera  ici  que  celle  de  Afi- 
raculis^  qui  renferme  l'histoire  d'un 
jeûne  observé  pendant  une  longue 
série  d'années ,  celle  de  Litterarum 
potius  litteratorum  nœvis  (Berne, 
1728,  1730),  et  quelques  écrits  as- 
cétiques, il  a  publié  le  Mausolée  ber^ 
nais  (2  vol.  in-8°  en  allemand, Berne, 
1740-1741),  composé  des  vies  des  au- 
teurs de  la  réforme  de  l'Église  de  Ber- 
ne au  XVI®  siècle.  Ces  biographies 
renferment  des  documents  pré- 
cieux pour  l'histoire  de  la  réforme 
elle-même,  et  ne  sont  qu'une  par- 
tie d'un  travail  plus  complet  que 
l'auteur  s'était  proposé  de  donner 
ensuite  sur  l'histoire  ecclésiastique 
de  Berne ,  travail  dont  on  conserve 
les  fragments  manuscrits  dans  les 
archives  du  conseil  ecclésiastique  de 
cette  ville,  U— i. 

SCHIAVO  (1)  (Dominique),  litté- 
rateur italien,  naquit  en  1718,  à  Pa- 
lerme,  d'une  famille  obscure  mais 
aisée,  et  qui  put  ainsi  lui  faire  don- 
ner une  bonne  éducation.  Il  profita 
à  merveille  des  soins  dont  il  fut  l'ob- 
jet, se  distingua  dans  son  cours  de 
collège,  et  comme  il  se  destinait  à  la 
carrière  ecclésiastique,  il  alla  étudier 
la  théologie  à  l'université  de  Catane, 
où  il  se  fit  recevoir  successivement 
docteur  dans  là  sacrée  faculté,  fen 


JUULi 


'•*■  ■■<>■•  '^■-': 


(i)  M.  Jean  Renda,  dans  la  notice  qu'il 
a  consacrée  à  èé  savant  (  Bio'grafià  degli 
Italiani  iUuslri  del  secolo  XVIU\  lui  donne 
constamment  le  nom  de  ScAVO.  jNous  som-? 
nies  e^penda(nt  bien  certain  qu'il  s  appelait 
StiHiÀVo  jinàis  comme  ce  mot  Veut  dire  ti- 
c/afe,  il  serait  possible  que  d»ns  les  rapports 
ordinaires  de  la  vie,  on  eût  pris  l'habitude 
de  supprimer  les  lettres  Ai,  pv  courtoisie 
pbUt  le  savant  àbbé. 


280 


SCH 


droit  civil  et  en  droit  canon.  Revenu 
à  Palerme,  il  obtint  d'abord  un  bé- 
nf^fice,  puis  un  canonicat  à  la  cathï^- 
drale,  vraie  sinécure  qui  lui  permit 
de  se  consacrer  tout  entier  à  l'étude. 
L'histoire,  la  diplomatique,  la  nu- 
mismatique nationale,  la  critique, 
les  langues  anciennes  et  modernes, 
l'occupèrent  tour  à  tour,  et  il  a  laissé 
sur  chacune  de  ces  branches  du  sa- 
voir humain  des  écrits  estimés  qui 
sont,  pour  la  plupart,  disséminés 
dans  diftérents  recueils  importants. 
Lui-même  en  fonda  un  en  1755  sous 
le  titre  de  Mémoires  pour  servir  à 
l'histoire  litléraire  de  la  Sicile.  Dans 
le  prospectus,  il  promettait  de  donner 
non-seulement  le  catalogue  des  ma- 
nuscrits inédits  dont  il  avait  connais- 
sance, et  d'illustrer  les  nombreuses 
inscriptions  et  médailles  qui  res- 
taient enfouies  dans  les  musées,  mais 
encore  de  publier  des  extraits  et  des 
critiques  des  livres  nouveaux,  de  te- 
nir le  public  au  courant  des  décou- 
vertes scientifiques,  et  surtout  de 
compléter  les  lacunes  laissées  par 
Mongitoredansl'histoirelittérairede 
la  Sicile.  Malheureusement  il  ne  fut 
pas  fidèle  à  ses  promesses.  C'est  en 
vain  qu'on  chercherait  dans  son  re- 
cueil des  matériaux  pour  l'histoire 
littéraire  contemporaine.  Tout  ce 
qu'il  publia  se  rapporte  à  des  temps 
éloignés,  et  ferait  croire  que  la  Sicile, 
à  cette  époque,  ne  trouvait  pas  dans 
le  mouvement  intellectuel  du  pays  de 
quoi  défrayer  une  feuille  hebdoma- 
daire. Il  est  vrai  que  les  il/emone,  dont 
il  paraissait  chaque  semaine  une  li- 
vraison, en  forme  de  lettre,  n'eurent 
qu'un  an  d'existence  (Palerme,  175C, 
2  vol.  in-8°),  courte  durée  qui  n'a  sans 
doute  pas  permise  l'auteur  d'exécuter 
s^n  programme  dans  toute  l'étendue 
qu'il  lui  avait  d'abord  assignée.  L'abbé 
Schiavo  s'était  lié  dans  sa  jeunesse 


SCII 

avec  le  prince  de  Torremuzza,  qu'il 
dirigea  et  aida  dans  ses  publications, 
surloui(\àns\à  Collection  des  inscrip- 
tions de  Sicile  (Palerme,  1769,  in- 
fol .  ).  Ce  fut  de  concert  avec  ce  savant 
qu'il  fonda  à  Palerme  une  nouvelle 
académie  qui  prit  le  nom  de  Colonia 
Colomharia,  et  qu'il  donna  une  nou- 
velle impulsion  aux  travaux  de  l'A- 
cadémie, plus  ancienne,  du  Buon 
Gusto,  dont  il  fut  directeur.  L'abbé 
Schiavo  mourut  à  Palerme  d'une  ma- 
ladiede  consomption, le  20  juin  1773, 
et  laissa  une  réputation  assez  solide 
pour  que  long-temps  après  sa  mort 
l'abbé  Scinà  {voy.  ce  nom  ci-dessous) 
pût  dire  que  Schiavo  était  l'âme  de 
la  littérature,  non-seulement  de  Pa- 
lerme, mais  de  toute  la  Sicile.  En 
effet,  ce  savant  consacra  toute  sa  vie, 
d'une  manière  exclusive,  k  éclaircir 
des  points  de  l'histoire  politique , 
littéraire,  monumentale  et  même  na- 
turelle de  son  pays.  Les  Memorie 
cités  plus  haut  en  font  foi,  ainsi  que 
de  nombreuses  dissertations  et  no- 
lices  publiées,  soit  dans  les  mémoires 
de  l'Académie  du  Buon  Gusto^  soit 
dans  les  Opuscules  scientifiques  et 
littéraires,  de  Calogera,  soit  enfin 
dans  les  Opuscules  d'auteurs  sici- 
liens. —  Schiavo  {Michel)^  frère  du 
précédent,  naquit  à  Palerme  en  1705, 
entra  dans  la  carrière  ecclésiasti- 
que, devint  chanoine  de  la  cathé- 
drale, puis  inquisiteur  provincial, 
et  enfin  évêque  de  Mazara  en  1766. 
Il  mourut  le  l«f  décembre  1771. 
Membre  de  l'Académie  du  Buon 
Gusto,  il  y  avait  lu  une  dissertation, 
en  forme  de  discours,  sur  la  question 
de  savoir  si  la  Sicile  n'avait  pas  pen- 
dant quelque  temps  reconnu  l'auto- 
rité du  patriarche  de  Constantinople 
au  lieu  de  celle  du  souverain  pontife. 
Schiavo  traduisit  ensuite  ce  mémoire 
en  latin  et  le  publia  en  1737  (Pa- 


SCH 

ierme,  pet.  in-4»).  On  lui  doit  en 
outre  une  Vie  de  la  vénérable  sœur 
Benoîte  Regio  (Palerme,  1742,  in-4<>) 
et  une  Dissertation  historico- dog- 
matique sur  la  patrie^  la  sainteté  et 
la  science  du  saint  pontife  Agathon 
(Palerme,  1731,  pet.  in-4°k    A— y. 

SCHIKANEDER  (Emmanuel), 
acteur  et  auteur  dramatique  alle- 
mand, né  en  1751,  joua  dès  sa  pre- 
mière jeunesse  sur  les  théâtres  en  Au- 
triche. Ddnslasuitejl  se  mit  à  écrire 
des  livrets  pour  les  compositeurs 
d'opéras  ;  il  en  fit  un  grand  nombre, 
mais  aucun  d'eux  n'a  égalé  le  succès 
de  la  Flûte  enchantée,  dont  Mozart 
fit  la  musique.  Les  admirateurs  du 
grand  compositeur  ont  dit  que  c'était 
malgré  le  livret  que  l'opéra  avait  eu 
une  si  grande  vogue.  Il  est  vrai  que 
Schikaneder  n'est  pas  habile  dans 
le  dialogue,  et  qu'il  n'est  pas  grand 
poète  ;  mais  son  canevas  assez  bon  a 
fourni  au  musicien  Toccasion  de  dé- 
ployer son  génie,  et  Schikaneder, 
connaissant  à  fond  le  goût  du  grand 
public,  avait  soin  de  s'y  conformer. 
L'opéra  de  Mozart  fut  d'un  bon  rap- 
port à  l'auteur  du  livret.  Il  dirigea 
successivement  le  théâtre  de  Prague 
et  celui  de  Leopoldstadt  à  Vienne  avec 
assez  de  succès  pour* pouvoir  ériger 
à  ses  frais  un  nouveau  théâtre  plus 
vaste  que  celui  qu'il  avait  dirigé 
jusqu'alors.  Mnis  le  bonheur  ne  le 
suivit  pas  long-temps.  Il  fit  de  mau- 
vaises affaires,  et  ftit  obligé  de  re- 
mettre en  d'autres  mains  la  direction 
théâtrale.  Dès-lors  il  vécut  à  Vienne 
presque  dans  Findigence  ]  il  y  mou- 
rut le  21  septembre  1812.       D— g. 

SCHILDBERGER  (Jean),  voya- 
geur du  moyen  âge,  recommandable 
par  l'étendue  de  ses  périlleuses  pé- 
régrinations, naquit  à  Munich  dans  la 
seconde  moitié  du  XIV*'  siècle.  Il  ac- 
compagna l'empereur  Sigismond  se 


SCH 


281 


rendant  en  Hongrie  pour  guerroyer 
contre  les  Turcs.  Devenu,  en  1396, 
captif  des  soldats  de  Bajazet,  envoyé 
en  Asie,  tombant  au  pouvoir  de  Ti- 
mour,  passant  au  service  de  divers 
khans  et  émirs,  Schildberger  par- 
courut laPerse,  le  Khorassan,  et  s'en- 
fonça jusque  dans  les  contrées  les 
plus  reculées  de  la  Mongolie.  Après 
vingt-deux  ans  d'absence  et  après 
avoir  souffert  toutes  sortes  de  maux 
et  de  faligues,  il  rentra  dans  sa  pa- 
trie; il  se  délassa  en  écrivant  de  mé- 
moire la  relation  de  ses  voyages,  re- 
lation naïve  où  se  rencontrent  de 
curieux  détails  sur  les  mœurs  des 
peuplades  asiatiques  ,  et  où  se  mon- 
tre une  crédulité  aveugle  à  côté 
d'une  ignorance  complète  des  plus 
simples  notions  de  la  géographie. 
On  n'y  regardait  point  alors  de  si 
près,  et  la  relation  de  Schildberger 
obtint  un  succès  de  vogue.  L'art 
typographique  s'empressa  de  la  re- 
produire; elle  obtint  au  XV^  siè- 
cle quatre  éditions  (trois  sans 
date  et  une  portant  l'indication  de 
1494  ).  Elle  tomba  ensuite  dans  l'ou- 
bli; on  l'en  a  fort  imparfaitement 
retirée  de  nos  jours  en  la  publiant 
derechef  à  Munich  en  1813.  Schild- 
berger pourrait  offrir  des  rapproche- 
ments curieux  avec  Marco  Polo ,  et 
sa  relation  serait  un  complément 
utile  à  celle  de  Rubruquis,  de  Jean 
de  Carpin  et  autres  qui  ont  retracé, 
comme  lui,  les  habitudes  bizarres, 
les  usages  singuliers,  les  pompes 
demi-sauvages,  sujets  d'étonnement 
pour  les  Européens  que  le  sort  jetait 
parmi  ces  hordes  tartares  dont  les 
courses  s'étendaient  des  confins  de 
la  Chine  aux  frontières  de  la  Silésie. 

B  — N~T. 
SCmLLING(FRÉDÉRIC-GuSTAVE), 

un  des  plus  féconds,  des  plus  agréa- 
bles et  des  plus  spirituels  romanciers 


'2^'i 


SCH 


allemands,  naquit  le  25  novemLre 
1767  à  Dresde,  et  eut  pour  parrain 
le  célèbre  satirique  Rabener.  Ayafit 
perdu  sa  mère  en  1776,  il  fut  élevé 
quelque  temps  dans  la  maison  d'une 
parente  à  Bischoffswerda ,  puis  il 
fréquenta  quatre  ans  de  suite  (de 
1779  à  1781)  comme  externe  Técole 
princière  de  Meissen.  Mais  quoique 
Horace  lui  plût  et  qu'il  trouvât  le 
latin  une  admirable  langue  pour  les 
inscriptions,  la  nature  ne  l'avait  pas 
destiné  à  devenir  un  savant.  N'ayant 
encore  que  quatorze  ans,  et  en  dépit 
de  sa  faible  santé,  il  entra  dans  l'ar- 
tillerie saxonne  comme  simple  sol- 
dat. Sa  constitution  s'y  fortifia,  il 
mérita  et  conquit  avantageusement 
de  Tavancement,  et  en  1787  il  était 
aide  d'artillerie.  En  1794,  aprèsavoir 
fait  partie  du  contingent  saxon  auxi- 
liaire de  la  Prusse  dans  la  campagne 
du  Rhin,  et  assisté  ainsi  au  siège  et 
à  la  reddition  de  Mayence,  aux  com- 
bats de  Moorlautern  et  à  nombre 
d'autres  engagements  avec  les  Fran- 
çais, il  reçut  l'épaulette  de  sous- 
lieutenant.  Bientôt  le  traité  de  Baie, 
en  rétablissant  la  paix  dans  toute 
l'Allemagne  occidentale,  rendit  à 
Schilling  les  loisirs  de  la  vie  de  garni- 
son, mais  aussi  ajourna  pour  lui  l'es- 
poir de  son  avancement  ultérieur.  Dès 
lors  il  chercha  dans  la  culture  des  let- 
tres un  délassement  et  même  un  moyen 
d'ajouter  àses ressources  pécuniaires. 
Il  était  marié  depuis  1791,  et  qui  pis 
est,  il  était  chargé  de  famille.  Déjà 
plusieurs  années  auparavant  il  avait 
préludé  par  quelques  essais.  Tout 
jeune  encore  en  1783,  il  avait  abordé 
le  théâtre  en  donnant  Élise  Colmar^ 
puis  un  peu  plus  tard  il  avait  présenté 
au  public  un  petit  volume  dont  la 
Ir"  page  portait  le  simple  titre  de 
Poésies.  Nous  laissons  de  côté  sa 
Dimidllogie  et  sort  Voyageur  sen~ 


SCH 

iimental,  qui  nous  le  montrent  hé- 
sitant encore  sur  la  voie  qu'il  doit 
suivre.  Mais  au  moment  où  nous 
sommes  arrivés,  évidemment  il  n'y  a 
plusdedoute  pour  lui.  D'une  part  il  a 
reconnu  que,"si  l'on  en  excepte  quel- 
ques privilégiés,  la  poésie  ne  mène  à 
rien,  tandis  que  la  prose  facile  et  lucra- 
tive tapisse  du  moins  le  fond  de  la 
caisse.  De  l'autre  il  a  senti  en  lui  le 
talent  de  conter  ;  et  ni  l'esprit,  ni 
la  sensibilité,  ni  l'usage  du  monde, 
ni  l'invention,  ni  certaine  instruction 
commode  ne  lui  manquent  abso- 
lument. Tout  l'invite  donc  à  écrire 
le  roman  pour  lequel  Toisiveté  eu- 
ropéenne tient  toujours  et  de  plus 
en  plus  des  débouchés  tout  prêts.  Il 
commence  par  achever  (1796)  son 
Gui  de  Sohnsdom  dont  le  1"  volume 
a  paru  en  1791  ;  puis,  après  sept 
autres  cadeaux  de  même  genre  à  ce 
sultan  blasé  qu'on  nomme  le  public, 
il  finit  par  se  concilier,  avec  la  Femme 
comme  elle  est,  les  sympathies  des 
habitués  des  cabinets  littéraires,  et 
à  partir  de  ce  moment  ilest  sûr  de 
voir  rechercher  ou  accepter  par  les 
libraires  tout  ce  qui  sort  de  sa  plume  : 
il  lui  suffit  de  signer  sur  le  titre  par 
V auteur  de  la  Femme  comme  elle  est. 
Du  reste,  la  vie  âe  Schilling  ne  pré- 
sente pour  ainsi  dire  point  d'évé- 
nements. Premier  lieutenant  en  1803, 
prisonnier  en  1806  lors  de  la  cam- 
pagne d'Iéna,  relâché  sur  parole 
comme  une  infinité  d'autres,  puis  en 
1808,  après  un  an  et  demi  environ 
de  séjour  à  Freiberg,  où  il  était  allé 
passer  le  temps  de  son  inactivité 
forcée,  transféré  avec  une  partie  du 
corps  d'artillerie  dans  le  grand-du- 
ché de  Varsovie  que  la  paix  de  Tilsitt 
venait  de  créer  en  faveur  du  roi 
de  Saxe ,  il  habita  tour  à  tour  et  la 
capitale  et  Dantzig,  ne  cessant  d'écri  rc 
an  milieu  de  ces  déplacements ,  et 


SCH 

accueilli  avec  honneur  dans  tous  les 
cercles.  Il  venait  de  recevoir  enfin  le 
grade  de  capitaine  en  1809,  quand 
une  névralgie  chronique  le  contrai- 
gnit à  solliciter  son  congé.  Il  l'obtint 
au  commencement  de  1810,  et  il  se 
hâta  d'aller  retrouver  ses  pénates  de 
Freiberg  dont,  jusqu'à  1817,  il  ne 
s'éloigna  que  pour  un  voyage  d'agré- 
ment à  Hambourg.  Finalement  il 
alla  s'établir  à  Dresde,  sa  ville  natale  ; 
et  il  y  vécut  encore  vingt-deux  ans. 
Sa  mort  ent  lieu  le  30  juillet  1839. 
Depuis  sept  ans,  il  avait  cessé 
d'écrire.  La  collection  des  OEiivres 
complètes  de  Schilling  (chez  Arnold, 
à  Dresde,  1819)  était  de  50  vol.  in-8^ 
Il  y  en  a  une  de  80  en  format  plus  por- 
tatif. Elles  se  composent  surtout  de 
romans  dont  voici  les  titres  :  I.  Gui 
de  Sohnsdom^Freiherg  et  Annaberg, 
1791-1796 ,  4  vol.  II.  Les  Cyanes^ 
Freiberg,  1796  et  1797,  2  vol.  III. 
Dracon,  démon  de  l'enfer,  Weissen- 
fels,  1798;  2®  édit.,  Dresde,  1811. 
IV.  La  suite  de  Gui  de  Sohnsdom,  ou 
Jules,  Freiberg,  1798,  2  vol.;  2^  édit., 
1808.  V.  Les  secrets  de  Rosette,  Pirna» 
1798  et  1799,  2  vol.;  2^  édit.  ,  1802; 
3*^ ,  1825 .  VI.  Bagatelles  de  la  2®  cam- 
pagne sur  le  Rhin  moyen^  par  Ze- 
Mdée  Coucou,  maître  d'artillerie  de 
la  vil  le  impériale  d'Eulenhausen^  la 
V^  année  du  Congrès  de  Rastadt, 
Pirna,  1799;  2«  édit. ,  1810.  VII.  La 
belle  Sibylle,  Pirna,  1799,  2  vol.; 
2"  édit. ,  1810.  VIÎI.  Les  Confessions 
de  Clairette,  Dresde,  1799,  3  vol.;  2^ 
édit.,  1815,  un  seul  volume.  ÏX. 
Le  Voyage  après  la  mort,  Pirna,  1 800; 
2"  édit. ,  1823.  X.  La  Femme  comme 
elle  est,  Pirna,  1800  ;  2«  édit. ,  1810. 
XI.  L'Homme  comme  il  est,  ou  Pen- 
dant de  la  Femme  comme  elle  est, 
Pirna,  1800;  2e  édit. ,  1802;  3e  , 
1819.  XII.  Gothold,  roman  comique, 
Pirna,  1801  et  1802,  2  vol.  XIU.  La 


SCH 


283 


Vie  du  purgatoire,  suite  du  Voyage 
après  la  mort,  Pirna,  1801,  fig.  XIV. 
La  Bonne  Femme,  Vïrnsi,  1802,2  vol. 
XV.  Le  Roman  dans  le  Roman,  ou 
^n^e/o,  Pirna, 1802.  XVI.  La  Feuille 
de  trèfle,  par  Fr.  de  Laun  (en  soc. 
avec  l'auteur  des  Enfants  trouvés), 
Dresde,  1802,  3  vol.  ;  2°  édit.,  1808. 
XVII.  Les  Fausses  routes  de  la  vie. 
Géra  et  Leipzig,  1809  (publiées  aussi 
sous  le  titre  d^Aventures  et  amours 
de  Félix  ^  robinsonade.  XVIlï.  Le 
Confesseur,  Pirna,  1803,  2  vol.;  2^ 
édit. ,  Dresde,  1805.  XIX.  Les  Ter(- 
tatrices^  Pirna,  1804;  2^  édit.,  1806; 
3%  1819.  XX.  La  Nuit  de  Noël, 
Dresde,  1805  ;  2^  édit. ,  1816.  XXI. 
Les  Amis  du  soir  ^  Dresde,  1805, 
3  vol.;  2«édit.,  1814.  XXIL  Les 
Oranges,  Dresde,  1806,  2  vol.;  2« 
édit.,  1819.  XXIII.  Le  Protecteur 
des  filles, Dresde,  1807  ;  2^  édit.,  1823. 
XXIV.  La  Pluie  d'aérolithes  par  le 
feu  Zébédée  Coucou,  le  jeune  maître 
d'artillerie  de  la  feu  ville  impériale 
d'Eulenhausen,  la  l^e  Année  de  la 
paix  éternelle,  Dresde,  1808.  XXV. 
L'Examen  de  la  Fiancée  (d.  Braut- 
schau),  Dresde,  1809,  2  vol.  XXVI. 
Le  Servant  d'amour,  roman  co- 
mique, Dresde,  1810,  4  vol.  XXVII. 
Contes,  Dresde,  1811,  4  vol. 
XX VIII.  La  Lune  de  miel  de  mon 
mariage  (die  Flitterwochen  meiner 
Ehe),  Dresde,  1812.  XXIX.  Histoires, 
Dresde,  1812,  3  vol.  XXX.  Les  Feux 
follets,  Dresde,  1813,  3  vol.  XXXI. 
L'Oracle,  ou  Trois  jours  de  la  vie 
de  Madeleine,  Dresde,  1814.  XXXII. 
Laure  au  bain,  Dresde,  1814,  2  vol. 
XXXIII.  Le  Germe  du  mal,  Dresde, 
1815,  2  vol.  XXXIV.  Le  Meurtrier, 
Dresde,  1816.  XXXV.  Les  Esprits 
de  la  montagne,  Dresde,  1816. 
XXXVI.  Flocons,  Dresde,  1816,  2 
vol.  XXXVII.  Walmann  VArcher, 
Dresde,  1817.  XXXVIIl.  les  Esprits 


284 


SCH 


SCH 


dejoie^  Dresde,  1817.  XXXIX.  Les 
Opprimés,  roman  comique,  Dresde, 
1815.  XL.  La  Visite,  Dresde,  1818. 
XLI.  Quelques  pages  du  Livre  du 
passé,  Dresde,  1818.  XLII.  La  Mai- 
sonnette du  diable,  roman  comique, 
Dresde,  1818.  XLIII.  L'Inquiétude, 
Dres(\e^lS\9,Z  v.XUY.  Le  petit  Chez- 
soi,Dresdp,  1819.  XLV.  Les  Chemins 
de  fFd/awd,Dresde,1819.  XLVl.  Ma- 
tériaux, Dresde,  1820,  2  vol.  XLVII. 
La  Famille  Biirger,  Dresde,  1820, 
3  vol.  XLVlIi.  Les  Filles  de  Wal- 
low,  ou  la  Suite  d»  la  famille  Biir- 
ger, Dresde,  182^1,  3vol.  XLIX. 
Esquisses   (Zeichnùn^en),   Dresde, 

1821,  2  vol.  L.  Wolfgang,  ou  le 
Nom  en  action,  Dresde,  1822,  2  vol. 
Ll.  Tableaux  domestiques,   Dresde, 

1822,  3  vol.  LU.  Portraits,  Dresde, 

1823,  LUI.  Léandre^  Dresde,  1823, 
2  vol.  LIV.  Histoires  (Historien) , 
Dresde,  1825,  3  vol.  LV.  Le  Domes- 
tique, Dresde,  1825,  2  vol.  LVI.  Les 
Compagnons,  Dresde,  1825,  2  vol. 
LVII.  Images,  Dresde,  1826.  LVIIÎ. 
Les  Vieilles  connaissances,  Dresde, 
1827.  LIX.  Les  Frères  et  Sœurs, 
Dresde,  1827,  2  vol.  LX.  La  Bonne 
étoile  et  la  mauvaise^  Dresde,  1827, 
8  vol.  LXI.  Les  Trois  dimanches, 
Dresde,  1829.  LXH.  Les  Surprises, 
Dresde,  1830,  2  vol.  LXIII.  Le  Nain 
de  la  cour,  Dresde,  1830.  Il  faut  y 
joindre,  en  collaboration  avec  Laun 
et  Kind,  le  Fantôme,  Dresde,  1814  ; 
avec  Laun  et  Streckfuss,  le  Man- 
teau, Dresde,  1813;  avec  Laun  et 
Lindau  ,  Ma  femme  et  moi,  Dresde, 
1819  (chacun  de  ces  volumes  con- 
tient trois  nouvelles  signe'es  chacune 
d'un  des  auteurs).  On  peut  reprocher 
des  longueurs,  des  ne'gligences,  des 
incorrections  à  beaucoup  de  ces  ou- 
vrages; mais  ils  brillent  par  l'origi- 
nalité: Schilling  ne  sait  ce  que  c'est 
que  s'asservir  à  une  école.  Au  mérite 


de  l'invention  iljljoint  celui  d'une 
variété  rare  et  merveilleuse  certes 
quand  on  songe  au  nombre  de  vo- 
huncs  sortis  de  sa  plume.  Son  ton 
décèle  l'homme  du  monde  ^  son  dia- 
logue est  vif,  piquant.  Plusieurs 
de  ses  contes  sont  des  modèles  du 
genre.  On  doit  de  plus  à  Schilling 
des  Poésies,  Freiberg  et  Annaberg, 
1789,  1  vol.  ;  quelques  opuscules  de 
circonstance ,  comme  Gloses  sur 
quelques  contrées  et  quelques  vil- 
les de  l'Allemagne  septentrionale 
vues  dans  le  courant  de  1806,  1807  ; 
2«  édit. ,  1809  ,  et  des  Eclaircis- 
sements sur  le  théâtre  de  la  cour  de 
Stuttgart,  Stuttgart,  1832;  plu- 
sieurs pièces  de  théâtre,  savoir: 
V  Élise  Colmar,  drame,  Dresde, 
l783(avec  une  préface  du  prof.  Meiss- 
ner)  ;  2"  Ce  qwjpeuvent  les  murailles, 
comédie,  Freiberg,  1789  ;  3'  la  Phar- 
macie merveilleuse  ,  farce,  Dresde, 
1816;  plus  dtui  petit«  écrits  qu'il 
donne  comme  des  traductions  :  la 
Dianialogie  du  prince  de  Beloselski^ 
ou  Tableau  philosophique  de  Vesprit 
(trad.  du  fr.),  Freiberg  et  Annaberg, 
1791  ;  le  Voyageur  sentimental^  ou 
mon  Voyage  à  Yverdon  (du  français 
de  Vernes) ,  Dresde,  1791.  P— or. 
SCHILT  (Jean-Jacques),  général 
français,  était  né  à  Saar  (Bas-Rhin) 
le  13  mai  1761.  Entré  comme  simple 
soldat  dans  le  régiment  de  Nassau,  en 
1779,  il  y  était  sous-oflicier  lorsque  la 
révolution  éclata.  En  1791,  il  fiit 
nommé  quartier-maîire  trésorier,  et 
alla  servir  à  l'armée  des  Pyrénées- 
Occidentales.  Employé  constamment 
à  l'avant-garde,  il  se  distingua  dans 
toutes  les  rencontres  avec  les  Espa- 
gnols, et  principalement  aux  sièges 
de  Fontarabie,  de  Saint-Sébastien, 
de  Vittoria  et  de  Bilbao.  En  moins 
de  trois  ans,  il  franchit  tous  les  gra- 
des, jusqu'à  celui  de  général  de  bri- 


SCH 

gatîe,  auquel  il  fut  élevé  le  19  ven- 
démiaire an  III.  A  la  conclusion  de 
la  paix  avec  l'Espagne  (1795) ,  il 
passa  à  l'armée  de  TOuest  comman- 
dée par  Hoche ,  puis  par  Hédou- 
ville  et  Brune.  Il  y  resta  jusqu'à 
l'entière  pacification  de  la  Vendée,  à 
laquelle  il  prit  une  grande  part. 
Sous  le  consulat  il  fit  partie  de  l'ar- 
mée d'Italie,  et  combattit  à  la  bataille 
de  Marengo  (1800),  où  il  mérita  les 
éloges  de  Bonaparte  pour  son  sang- 
froid  et  son  intrépidité.  Il  se  fit  en*- 
core  remarquer  au  passage  du  Mincio 
et  de  l'Adige,  à  la  prise  de  Rivoli  et 
de  la  Corona.  Il  eut,  après  la  paix  de 
Lunéville,  le  commandement  de  Mi- 
lan, ensuite  celui  du  département  des 
Alpes-Maritimes.  En  1809  il  servit 
en  Italie  sous  le  prince  Eugène,  se 
distingua  à  la  bataille  de  Saciie,  puis 
s'empara  de  Trieste.  Il  continua 
d'être  en  activité  jusqu'à  la  Restau- 
ration de  1814,  après  laquelle  il  rentra 
dans  la  vie  privée.  Définitivement 
mis  à  la  retraite  en  1816,  il  mcjurut 
quelques  années  plus  tard.  Napoléon 
l'avait  créé  baron  et  commandant  de 
la  Légion -d'Honneur.       M— Dj. 

SCHIMMELPENNINCK  (  RuT- 
ger-Jean),  grand -pensionnaire  de 
la  république  batave ,  était  né  à  De- 
vénter,  le  31  octobre  1761 ,  d'une  des 
plus  anciennes  finnilles  de  la  province 
d'Over  Yssel.  Destiné  au  barreau,  il 
alla  compléter  ses  études  à  l'univer- 
sité de  Leyde,  alors  fort  renommée, 
où  il  étudia  la  jurisprudence  sous  les 
célèbres  professeurs  Pestel  etVander- 
Kessel.  Ses  progrès  furent  rapides. 
En  1784 ,  une  émeute  ayant  éclaté 
parmi  le  peuple,  les  étudiants  de 
l'université  s'armèrent  pour  la  répri- 
mer, et  d'une  voix  unanime  ils  lechoi- 
sirent  pour  chef.  La  prudence  éner- 
gique qu'il  déploya  lui  fit  décer- 
ner par  la  régence  de  Leyde  une  mé- 


SCH 


285 


daille  d'honneur.  A  la  fin  de  cette 
même  année,  c'est-à-dire  à  l'âge  de 
23  ans,  il  fut  reçu  docteur  en  droit, 
après  avoir  soutenu  avec  éclat  sa 
Dissertatio  de  imperio  populari  rite 
iemperato,  Leyde,  1776  (l)5lesuccès 
qu'elle  obtint  parmi  les  savants  lui 
mérita  aussitôt  l'honneur  bien  rare 
d'une  traduction  en  hollandais.  Il  y 
traçait  les  devoirs  des  gouvernants , 
flétrissait  le  despotisme  et  l'oppres- 
sion d'un  seul  ou  de  plusieurs,  et 
vantait  une  sage  liberté,  appuyée  sur 
de  bonnes  lois.  Après  avoir  exercé 
quelque  temps  comme  avocat  à 
Leyde,  il  vint  s'établira  Amsterdam, 
où  ses  succès  ne  tardèrent  pas  à 
le  placer  au  premier  rang  du  barreau^ 
Dans  les  agitations  politiques  de 
1785  et  1786,  il  fut  du  parti  des  pa- 
triotes qui,  désireux  de  changements, 
demandaient  une  représentation  na- 
tionale plus  en  rapport  avec  l'esprit 
du  pays.  Cependant  son  patriotisme 
n'allait  pas  jusqu'à  partager  les  erre- 
ments de  la  démocratie  turbulente 
qui  voulait  tout  bouleverser.  Il  en 
blâmait  au  contraire  les  excès,  pré- 
voyant que  cette  ardeur  nuirait  à 
la  cause  populaire.  En  effet  ,  que 
résulta-t-il  des  folles  tentatives  de 
cette  opinion  extrême?  M.  de  Ver- 
gennes,  qui  d'abord  avait  promis  aux 
patriotes  l'appui  de  la  France,  les 
abandonna  ;  la  Prusse  soutint  le 
stathouder,  dont  le  rétablissement, 
grâce  à  son  intervention  armée,  s'ac- 
complit en  1787.  Au  lieu  de  quitter 
sa  patrie  comme  un  grand  nombre 
de  ses  amis,  Schimmelpenninck  resta 
à  Amsterdam  ;  il  ne  craignit  même 
pas  de  défendre  dans  un  chaleureux 


(  r  )  Pendant  sofl  ambassade  à  Paris,  Schim  - 
melpenniack  en  a  fait  imprimer  une  éditiou 
chez  P.  Didot;  mais  aile  porte  le  lieu  et  ja 
date  delà  première imprsssion,  Leyde,  1784. 


286 


SGH 


plaidoyer  quelques  partisans  de  To- 
pinion  vaincue,  traduits  en  justice 
pour  avoir  exercé  des  fonctions  dans 
le  gouvernement  national.   Depuis 
cette  époque  jusqu'à  l'invasion  fran- 
çaise (1795),  qui  assura  le  triomphe 
du  parti  anti-stathoudérien  ,  il  ne 
fut  plus  que  jurisconsulte  et  avocat. 
Un  des  premiers  il  accepta  la  pro-r 
tection  des  Français   et  concourut 
à   l'établissement  de  la  république 
batave.  La  réputation  de  talent  et 
de  probité  qu'il  avait  acquise  le  fit 
alors    élire    président   de   la    mu- 
nicipalité d'Amsterdam.   Les  prin- 
cipes de  sagesse  et  de  modération 
qu'il  apporta  dans  ces  fonctions  lui 
gagnèrent  l'estime  générale;  aussi, 
quand  la  nouvelle  constitution  eut 
définitivement  organisé  la  républi- 
que batave,  avec  une  assemblée  na- 
tionale ,  il  y  fut  nommé  député  et 
s'y    distingua   non  -  seulement    par 
des  vues  droites  et  modérées  ,  mais 
encore  par  une  éloquence  réelle  et 
persuasive.  Réélu  à  la  Convention 
nationale,  il  ne  crut  pas  devoir  ad- 
hérer à  la  déclaration  exigée  pour 
prendre  séance,  aimant  mieux  ren- 
trer dans  la  vie  privée  que  de  s'as- 
socier aux  déclamations  passionnées 
de  cette  fraction  républicaine  qui 
allait  faire  dominer  la  violence  et  le 
désordre.  Pendant  toute  la  durée  de 
ce  pouvoir  réactionnaire  ,  il  ne  se 
mêla  en  aucune  façon  à  la  politique; 
mais  après  la  journée  du  12  juin 
1798,  qui  fit  passer  l'autorité  dan.-^  les 
mains  du  parti  modéré,  il  reparut 
d'une  manière  active  dans  les  affaires, 
et  ici  commence  sa  carrière  diplo- 
matique.  Il  fallait  notifier  au  gou- 
vernement français   le  changement 
qui  venait  de  s'opérer  en  Hollande, 
ou,  pour  parler  plus  exactement,  lui 
en  rendre  compte,  lui  en  démon- 
trer  la  nécessité,  et  une  mission 


SCH 

aussi  délicate  exigeait  autant  d'ha- 
bileté que  de  modération.  On  jeta  les 
yeux  sur  Schimmelpenninck;  mais 
il  refusa  d'abord  de  se  charger  de 
cette  négociation,  sous  prétexte  que 
la  diplomatie  n'était  point  son  fait  ; 
forcé  d'accepter,  il  partit  pour  Paris, 
mais  à  la  condition  expresse  qu'une 
fois  l'affaire  conduite  à  bonne  fin,  il 
serait  libre  de  revenir  dans  sa  patrie 
et  de  se  consacrer  à  ses  travaux  ha- 
bituels. Cette  pensée  était-elle  sin- 
cère?   Sa  probité  désintéressée  ne 
permet  guère  d'en  douter  ;  toutefois, 
avec  un  désir  continuel  de  ne  pas  s'oc- 
cuper de  fonctions  publiques,  il  ne 
cessa  d'en  remplir.  C'était  une  véri- 
table faiblesse  de  caractère  plutôt  que 
toute  autre  chose  ;  et  par  ce  man- 
que de  fermeté  il  nuisit  beaucoup  à 
l'indépendance  de  son  pays,  avec  les 
meilleures  intentions.  Le  Directoire 
français,  qui  devina  tout  le  parti  qu'il 
pourrait  tirer  d'un  tel  défaut  dans 
l'agent  d'une    puissance  étrangère, 
manifesta   le  désir  de  voir  Schim- 
melpenninck,  après  sa  mission  ac- 
complie ,  résider  à  Paris  en  qualité 
d'ambassadeur.  On  le  nomma  donc 
à  ce  posté,  et  il  l'occupait  encore  lors 
du    18  brumaire.  Bonaparte,  sen- 
tant la  nécessité  de  ménager  la  ré- 
publique batave,  prodigua  à  son  re- 
présentant toutes  sortes  de  caresses  ; 
il  l'invita  à  ses  galas,  à  ses  fêtes, 
et  lui  témoigna  toujours  une  vive 
amitié  personnelle.  Cette  politique 
de  flatterie  était  dans  les  habitudes  de 
Napoléon  quand  il  voulait  séduire  un 
agent  diplomatique  ;  elle  lui  réussit 
parfaitement  avec  Schimmelpeninnck 
qui  se  montra  dès  lors  très-dévoué  h 
ses  intérêts.  La  Hollande  avait  déjà 
fait  de  grands  sacrifices,  mais  sous 
le  consulat  elle  fut  moins   l'alliée 
de  la  république  française  que  sa 
tributaire.  Bonaparte  la  domina  en 


SCH 


SCH 


287 


tïiiître  absolu,  et  lui  donna  une  nou- 
velle constitution  (17  octoJ)re  180|), 
plus  en  rapport  avec  ses  vues  de 
gouvernement  despotique.  Dans  cette 
œuvre,  il  fut  puissamment  secondé 
par  Schimmelpenninck,qui  désormais 
fut  l'instrument  de  ses  volontés, 
avec  la  mission  de  les  faire  exécuter 
par  le  Directoire  batave.  Plus  Bona- 
parte exerçait  sa  domination  sur 
ia  Hollande,  plus  il  voulait  faire 
croire  à  Tindépendance  de  ce  pays  ; 
et  lorsqu'il  fut  question  de  traiter 
de  la  paix  avec  l'Angleterre,  il  le  fit 
admettre  comme  puissance  libre  dans 
les  négociations  ;  mais  lui-même  en 
désigna  le  plénipotentiaire,  qui,  ainsi 
qu'on  le  devine,  fut  Schiuimelpen- 
ninck.  Malgré  cette  position  subor- 
donnée, il  joua  un  rôle  actif  au  con- 
grès d'Amiens,  et  par  son  habile  mé- 
diation, il  parvint  à  concilier  lord 
Cornwallis  et  Joseph  Bonaparte,  ce 
qui  n'était  pas  très  facile,  ces  deux 
plénipotentiaires  étant  en  désac- 
cord sur  chaque  question.  Les  né- 
gociations furent  même  plus  d'une 
fois  sur  le  point  d'être  rompues. 
Schimmelpenninck  et  le  chevalier 
d'Azzara,  plénipotentiaire  d'Espagne, 
se  montrèrent  animés  d'une  sage 
modération,  et  c'est  à  leur  zèle  qu'on 
dut  le  traité  de  paix  du  27  mars  1802. 
Cependant,  la  tâche  du  premier  n'é- 
tait pas  terminée;  il  fallait  obte- 
nir la  ratificalion  de  l'Angleterre,  et 
c'est  pour  arriver  à  ce  but  qu'il  fut 
nommé  amb(4ssadeur  à  Londres.  Mal- 
gré tous  ses  efforts,  la  paix  d'Amiens 
ne  put  subsister  long-temps,  et  une 
nouvelle  rupture  entre  la  France  et 
la  Grande-Bretagne  vint  encore  pla- 
cer la  république  batave  dans  une 
position  très  -  difticile.  Schimmel- 
penninck proposa  le  principe  d'une 
neutralité  absolue,  ce  que  le  cabinet 
anglais  accepta  volontiers,  mais  à  des 


conditions  que  Bonaparte  ne  voulut 
point  admettre,  et  la  Hollande  se  vit 
de  nouveau  entraînée  dans  une  voie 
funeste  pour  son  commerce,  sa  marine 
et  son  indépendance.  Schimmel- 
penninck retourna  alors  dans  sa  pa- 
trie, et,  le  cœur  ulcéré,  il  se  retira 
dans  ses  propriétés  de  la  province 
d'Over-Yssel,  où  désormais  il  réso- 
lut de  vivre  en  dehors  des  affaires. 
A  peine  y  était-il  installé,  se  livrant 
à  des  travaux  littéraires  et  agricoles, 
qu'il  reçut  une  lettre  pressante  du 
premier  consul  (juillet  1803)  qui  l'en- 
gageait à  se  rendre  auprès  de  lui,  h 
Bruxelles,  pour  conférer  sur  des  ob- 
jets de  la  plus  haute  importance. 
C'était  là  sans  doute  un  ordre  plus 
qu'une  [invitation ,  et  le  gouverne- 
ment batave  lui  ayant  écrit  de  son 
côté  pour  qu'il  y  obtempérât,  toute 
résistance  fut  impossible.  Il  eut 
plusieurs  conférences  avec  Bona- 
parte, qui ,  manifestant  la  plus  vive 
sollicitude  pour  sa  personne,  parla 
aussi  de  l'intérêt  que  lui  inspirait  la 
république  batave,  des  projets  qu'il 
avait  formés  pour  son  bonheur,  enfin 
de  la  nécessité  pour  Schimmelpen- 
ninck de  l'aider  dans  cette  grande 
œuvre.  Pour  cela  il  fallait  revenir 
en  France  comme  ambassadeur,  et  la 
demande  en  fut  aussitôt  adressée  au 
gouvernement  hollandais,  qui  l'ac* 
corda  sans  répliquer,  Schimmelpen- 
ninck arriva  à  Paris  vers  la  fin  de 
1803,  et  s'y  trouvait  lors  de  l'éléva- 
tion de  Napoléon  à  l'empire.  Il  n'hé- 
sita point,  comme  on  doit  le  penser, 
à  reconnaître  le  nouveau  souverain, 
qui,  dès  le  mois  de  septembre  sui- 
vant, le  fit  venir  auprès  de  lui  à 
Cologne  pour  lui  démontrer  que  l'é- 
tat politique  de  l'Europe  ne  permet- 
tait plus  que  la  république  batave 
restât  organisée  de  la  même  manière, 
que  son  directoire  exécutif  était  usé, 


288 


SCH 


qu'elle  avait  besoin  d'un  pouvoir  plus 
fort, plusen harmonie  avec  celui  delà 
France; enfin  qu'il  avait  conçu  l'idée 
de  placer  ce  pays  sous  une  constitu- 
tion monarchique.  C'était  là  un  lan- 
gage bien  dllférent  de  celui  que  Na- 
poléon avait  tenu  à  Bruxelles  l'année 
précédente.  Mais  l'ordre  fut  positif, 
et  Schiminelpenninck  essaya  vaine- 
ment quelques  représentations.  Na- 
poléon ne  sortit  pas  de  cette  dure 
alternative:  ou  la  Hollande  se  choi- 
sira un  chef,  ou  elle  sera  réunie  à 
la  France.  L'ambassadeur  se  hâta  de 
faire  connaître  à  son  gouvernement 
cette  terrible  décision,  et  aussitôt  il 
lui  fut  repondu  qu'à  tout  prendre, 
une  indépendance,  même  nominale, 
valait  mieux  qu'un  complet  anéan- 
tissement, qu'il  fallait  tout  accepter 
plutôt  que  la  réunion.  Schlmmelpen- 
ninck  rédigea  alors  lui-même  un  pro- 
jet de  constitution  sur  le  modèle  de 
celle  des  États-Unis,  avec  un  président 
électif;  mais  Napoléon  le  repoussa. 
S'il  consentait  à  conserver  la  forme 
républicaine,  il  voulait  au  moins  que 
le  chef  du  gouvernement  fût  in- 
amovible, qu'il  prît  le  titre  de  grand- 
pensionnaire,  et  le  corps  législatif 
celui  de  hauts  et  puissants  seigneurs; 
enfin  il  ajouta  que  c'était  lui  qu'il 
avait  choisi  pour  cette  importante 
charge.  Schimmelpenninck  refusa 
d'abord, comme  toujours;  mais  l'em- 
pereur l'exigea,  et  la  nouvelle  cons- 
titution, ainsi  formulée,  fut  préseniée 
à  l'acceptation  de  la  Hollande,  qui 
l'adopta  avec  sa  soumission  habi- 
tuelle. Au  mois  de  mars'1805,  Schim- 
melpenninck prit  en  mains  les  rênes 
de  l'État.  Le  discours  qu'il  prononça 
à  cette  occasion  est  d'une  extrême 
modération,  et  il  annonce  un  grand 
zèle  pour  le  bien  public.  Sa  trop 
courte  administration  fut  ea  effet 
pleine  d'ordre  et  de  régularité;  mais 


SCH 

les  exigences  toujours  croissantes  de 
Napoléon  vinrent  en  arrêter  le  dé- 
veloppement. Bientôt,  la  Hollande, 
érigée  en  royaume,  passa  sous  le 
sceptre  de  Louis  Bonaparte,  qui  fut 
proclamé  le  5  juin  1806.  Schimmel- 
penninck refusa  son  adhésion  à  ce 
changement.  Nommé  président  à  vie 
de  Leurs  Hautes  Puissances,  il  ne 
voulut  point  accepter  cette  dignité 
et  rentra  de  nouveau  dans  la  vie  pri- 
vée, se  promettant  bien  cette  fois  de 
ne  plus  en  sortir.  Le  nouveau  roi 
Louis  le  décora  de  ses  ordres  et  tenta 
à  diverses  reprises  de  l'appeler  au- 
près de  lui  ;  il  avait  besoin  de  son 
expérience ,  de  ses  conseils.  Mais 
Schimmelpenninck  ne  consentit  ja- 
mais à  paraître  à  sa  cour.  C'est  peut- 
être  la  seule  occasion  de  sa  vie  où  il 
ait  montré  un  peu  de  fermeté.  L'ab- 
dication de  Louis  ayant  amené  la 
réunion  de  la  Hollande  à  l'empire, 
Napoléon  se  souvint  encore  de  Schim- 
melpenninck ;  il  le  nomma  comte, 
sénateur  et  grand-trésorier  de  l'or- 
dre des  Trois-Toisons.  Devenu  sujet 
français,  il  ne  pouvait  repousser  ces 
honneurs  sans  s'attirer  la  haine  du 
puissant  empereur.  H  accepta  donc, 
et  vint  même  à  Paris  pour  y  faire  acte 
de  présence  au  sénat.  H  s'y  trouvait 
lors  de  la  chute  de  l'empire  en  mars 
1814.  Après  avoir  signé  la  déchéance 
de  Napoléon,  il  donna  sa  démission 
le  14  avril  et  retourna  dans  son  pays. 
L'année  suivante ,  à  la  création  du 
royaume  des  Pays-Bas,  il  fut  nommé 
membre  de  la  première  chambre  des 
États-Généraux,  et  Louis  XVllI  lui 
confirma  le  grade  de  grand-cordon  de 
la  Légion-d'Honneur  et  le  titre  de 
comte,  dont  il  ne  .s'était  jamais  paré. 
II  avait  toujours  eu  la  vue  très-faible, 
et  bientôt  il  fut  affligé  d'une  cécité 
complète.  Malgré  cette  funeste  infir- 
mité, il  trouvait  dans  sa  mémoire  des 


SCH 

moyens  de  distraction.  Son  savoir 
était  immense,  ses  connaissances  très- 
e'tendues;  il  parlait  plusieurs  langues 
et  possédait  à  fond  toutes  les  littéra- 
tures. Ce  fut  dans  de  longs  entre- 
tiens avec  les  savants  et  les  érudits 
de  la  Hollande  qu'il  passa  les  derniè- 
res années  de  sa  vie.  II  mourut  à  l'âge 
de  63  ans,  à  Amsterdam,  le  13  février 
1825.  C— H— N. 

SCHINCHINELLI  (Antoine),  mé- 
decin italien,  célèbre  en  son  temps, 
mourut  à  Crémone  en  1438. Il  nous  est 
parvenu  les  titres  de  quelques-uns 
de  ses  ouvrages,  tels  qu'un  Traité  de 
la  pratique  médicale ,  une  Apologie 
de  divers  écrits  de  Galien^  un  Traité 
de  la  composition  des  médicaments, 
mais  tout  cela  est  perdu ,  ou  du 
moins  demeure  inédit  et  assurément 
ne  verra  jamais  le  jour.      B— n — t. 

SCHII>iD£L  (Charles-Guillaume 
Othon-Auguste  de),  littérateur  alle- 
mand, naquit  en  1776.  Son  père  pos- 
sédait la  seigneurie  de  Schœnbrunn 
dans  le  pays  de  Gœrlitz  en  Lusace  j 
c'est  là  que  le  fils  résida  habituelle- 
ment quand, après  avoir  fait  ses  étu- 
des de  droit  à  l'université  de  Leipzig, 
il  fut  revenu  dans  son  pays  pour  y 
occuper  diverses  fonctions  hono- 
rables, telles  que  celles  de  député, 
délégué,  membre  de  diverses  com- 
missions, enfin  chef  du  landsturm. 
11  donna  la  Cure  de  la  paroisse  à  son 
ancien  précepteur  Kœhler,  et  il 
ordonna  dans  Ja  suite  que  le  curé 
de  Schœnbrunn  fût  conservateur- né 
de  la  bibliothèque  du  château,  la- 
quelle ne  devait  jamais  être  déplacée. 
Malgré  ses  fonctions  administratives 
il  se  livra  avec  zèle  à  la  culture  des 
lettres,  et  fut  président  de  la  société 
des  sciences  pour  la  Haute-Lusace. 
il  publia  en  1800  une  traduction 
allemande  de  la  Jérusalem  délivrée 
qu'il  fit  suivre  en  181?  d'un  commen- 

LXXXI. 


SCH 


289 


taire  imprimé  à  Leipzig.  Il  avait  tra- 
duit également  en  1802  les  VeilUes 
du  Tasse.  En  1806  il  fit  paraître  une 
Notice  biographique  sur  Neumann, 
recteur  du  gymnase  de  Gœrlitz, 
où  SchindeU  avait  commencé  ses 
études.  Mais  son  principal  ouvrage 
est  celui  des  Auteurs  allemands  du 
sexe  féminin  dans  le  XIX*  siècle, 
1822-1825,  3  vol.  On  présume  qu'il 
avait  été  amené  à  l'idée  de  faire  cet 
ouvrage,  par  son  mariage  avec  la 
fille  de  M"*^  de  Gersdorf  qui  s'est 
fait  connaître  dans  la  littérature  de 
Sun  pays.  Schindel  a  fait  insérer 
plusieurs  morceaux  dans  les  jour- 
naux allemands,  entre  autres  un  sur 
la  possibilité  de  faire  cesser  Je  duel. 

D-G. 

SCHINKË  (  J.  -  Crétien  ~  Got- 
thelf),  savant  allemand,  natif  de 
Querfurt,  passade  Técole  religieuse 
de  Zeitz  à  l'université  de  Leipzig;  et 
là,  quoique  se  destinant  à  Fétat  ec- 
clésiastique ,  fit  marcher  de  front 
avec  ses  études  théologiques  celle  des 
langues  et  des  antiquités  classiques  : 
Wolf,  Keil,  Rosenuiuller  le  comp- 
taient au  nombre  de  leurs  auditeurs 
assidus.  Toutefois  il  étudiait  encore 
plus  par  lui-njême,etc'est  à  ces  efforts 
indépendants  que  plus  tard  il  attri- 
bua la  meilleure  partie  de  ce  qu'il 
valait.  Né  le  21  décembre  1782,  il 
n'avait  pas  encore  vingt  ans  quand  il 
acheva  son  triennat  universitaire  en 
1802 ,  et  quand  il  entra  comme 
instituteur  particulier  dans  une 
maison  opulente.  Il  devint  ensuite 
pasteur  de  Wespitz  (1806),  et  cinq 
ans  après  il  joignit  aux  avantages 
de  ce  poste  celui  de  prédicateur  à 
Wedlitz.  Quoique  ne  négligeant 
aucune  des  fonctions  que  lui  im- 
posait ce  double  titre,  Schinke, 
dont  la  vocation  principale  était  la 
science,  trouvait  du  temps  soit  potir 

19 


290 


$CH 


SCH 


s'occ^jper  de  ses  études  chéries,  soit 
pour  en  communiquer  les  fruits  au 
public,  et  ou  le  vil  en  même  temps 
coopérer  k  divers  recueils  renom- 
més, fournir  des  articles  à  VEncy- 
clopédie  d'Ersch  et  Gruber,  et  pu- 
blier des  volumes  sans  collaborateur. 
11  est  vrai  qu'à  partir  de  182$  à  peu 
près  il  renonça  aux  recensions,  à  la 
critique  ;  mais  il  n'en  déploya  que 
plus  d'activité  dans  le  champ  de  la 
composition  proprement  dite.  Cette 
activité  même  s'augmentait  avec 
l'âge,  et  véritablement  le  laborieux 
écrivain  abusait  de  ses  forces  L'au- 
rore le  trouvait  sur  ses  livres. 
Médiocrement  amateur  de  sociétés, 
il  recevait  volontiers  la  visite  de 
quelques  rares  amis,  et  parfois  il 
allait  les  voir  à  son  tour,  pourvu 
qu'ils  n'eussent  point  élu  domicile 
trop  loin  ;  car  alors  il  se  privait  du 
plaisir  d'aller  chercher  leur  compa- 
gnie. Le  défaut  d'exercice  lui  valut 
un  commencement  d'hydropisie  , 
dont  il  eut  le  bonheur  de  se  débar- 
rasser, mais  il  ne  tint  compte  de  cet 
avis  de  la  Parque,  et  il  continua  deux 
ans  encore  sa  vie  ordinaire.  Cepen- 
dant il  venait  d'y  faire  exception  et  de 
se  distraire  par  une  petite  excursion 
à  Gredau  et  par  une  conversation  de 
quelques  heures  avec  un  docte  ami, 
lorsqu'en  se  préparant  à  regagner 
ses  pénates  par  le  chemin  de  fer  de 
Leipzig  à  Magdebourg,  à  la  porte 
même  du  bureau  et  en  se  séparant 
de  son  ami,  il  fut  frappé  d'apoplexie 
et  tomba  raide  mort  sur  le  parquet, 
le  20  novembre  1839.  On  a  de  lui, 
entre  autres  écrits  :  I.  la  Vie  et  la 
Mortj  ou  les  Déesses  du  destin,  sui- 
vant les  doctrines  et  l'art  de  l'an- 
tiquité^ notamment  de  l'antiquité 
grecque,  Leipzig,  1825.  N'y  a-t-ilpas 
un,  StipgMlier  rapprochement  à  faire 
entjpe,  ç^tte  i|dé,e  du  destin,  de  la,  wort 


2^ssez  puissante  pour  lui  dicter  uu 
volume,  et  celte  mort  même  si  fou- 
droyante et  si  déplorable  aux  yeux 
des  uns,  si  heureuse  suivant  les 
autres  par  sa  rapidité  même  et  par  le 
peu  de  souffrance  qui  semble  l'avoir 
accompagnée?  II.  L'Archéologie  de 
la  confirmation^  ou  Recueil  complet 
et  méthodique  de  maximes  bibliques 
pour  ceux  qui  se  préparent  à  rece- 
voir cesacrementy  Halle,  182(J  (en  al  I . , 
«  vollstœnd.  u.  geordnete  Samml. 
bibl.Denkspruche  o.  Arch.d.konf.»  ). 
111.  Comment  Dinter  conçoit  et  se 
figure  le  sainte  le  vrai  et  le  beau 
(  Dinler's  Ansichten  u.  Bilder  d. 
Heiligen...),  Neustadt,  1833,  2  vol. 
Cet  ouvrage  fut  composé  à  l'occasion 
de  l'édition  des  OEuvres  de  Dinter 
que  lui  confia  le  libraire  Wagner, 
après  la  mort  de  ce  théologien  remar- 
quable qui,  lui-même,  avait  distin- 
gué, parmi  les  articles  critiques  faits 
sur  sa  Bible  des  maîtres  d'école  , 
celui  de  Schinke.  IV.  Manuel  de 
Vhistoire  de  la  littérature  grecque 
pour  V instruction  dans  les  gymnases, 
et  pour  l'autodidaxie,  Magdebourg, 
1838.  C'est  un  commentaire  de  la 
1"  section  du  1"  volume  de  VEncy- 
clopédie  de  Schaaf  pour  la  connais- 
sance de  l'antiquité.  V.  Ses  nom- 
breux articles  dans  VEncyclopédie 
d'Ersch  et  Gruber  à  laquelle  il  ne 
cessa  de  travailler  jusqu'à  sa  mort. 
VL  Ses  articles  dans  la  Gaz,  litt. 
universelle  de  Halle,  dans  la  Biblio- 
thèque critiq.  des  prédicateurs  de 
Rœst,  etc.,  etc.  Nous  avons  vu  qu'en 
1833  il  fut  chargé  de  soigner  l'éd. 
des  Œuvres  de  Dinter.  Il  fut  choisi  de 
même  par  l'éditeur  de  VEncyclopédie 
de  Schaaf  pour  présider  à  cette  édi- 
tion, mais  il  se  débarrassa  des  soins 
de  la  1"  et  de  la  2«  section  des  deux 
premiers  volumes  sur  le  D' Hermann 
de  Magdebourg,.  et  ne  surveilla  que 


SCH 

la  3' section  de  chacun  de  ces  volu- 
mes, lesquelles  traitaient  Tune  de 
la  mythologie,  Tautre  de  l'archéo- 
logie des  Grecs  et  des  Romains. 

P— OT. 

SCHINKEL  (Charles-Fbédéric), 
architecte  allemand,  était  né  en  1781 
à  Neu-Ruppin^  dans  la  marche  de 
Brandebourg.  Ayant  annoncé  dès  son 
enfance  du  goût  pour  les  arts,  il  fut 
confié  à  un  architecte  habile,  Gilly  de 
Berlin,  auquel  il  succéda  tout  jeune 
qu'il  était;  mais  voyant  ce  qui  lui 
manquait   pour    perfectionner   son 
goût,  il  fit  dans  les  années  1803  et 
1805  des  voyages  en  Autriche,  en  Italie 
et  en  France ,  et  ce  ne  fut  qu'à  son 
retour  qu'il  commença  à  se  distin- 
guer. Dès  son  début,  la  guerre  dés- 
astreuse de  la  Prusse  contre   Napo- 
léon arrêta  tous  les  grands  travaux 
d'architecture  à  Berlin.  Schinkel  se 
créa  alors  une  ressource  en  se  fai- 
sant dessinateur  et  peintre  de  paysa- 
ges. Les  portefeuilles  qu'il  avait  rap- 
portés de  ses  voyages  lui  servirent  à 
cet  effet.  Il  exécuta  un  panorama  de  Pa- 
lerme,  et  travailla  aux  tableaux  que 
Gropius  montrait  au  public,  artiste- 
ment  éclairés  dans  le  genre  du  Diora- 
ma.  De  plus,  Schinkel  peignit  des  dé- 
cors pour  le  théâtre.  Au  retour  de 
la  paix,  il  reprit  son  état  d'architecte. 
En  1810,  il  entra  en  qualité  d'asses- 
seur dans  la  commission  ou,  comme 
on  disait,  dans  la  députation  des  bâ- 
timents. Un  incendie  ayant  détruit 
en  1S17  le  théâtre  de  Berlin,  Schin- 
kel fut  chargé  d'en  élever  un  nou- 
veau :  il  lui  donna  à  l'extérieur  la 
forme  d'un  temple  grec  ;  à  l'intérieur, 
il  le  décora  richement  de  peintures, 
médaillons,  arabesques,  etc.  En  1811 
il  fut  reçu  membre  de  l'Académie  des 
beaux-arts  à  Berlin,  et  en  1820  il  eut 
une  chaire  de  professeur  attachée  à 
cette  académie  ;  l'année  précédente 


SCH 


291 


il  était  entré  dans  la  commission 
des  constructions,  au  ministère  du 
commerce  et  de  l'industrie*,  enfin 
en  1839,  il  obtint  la  direction  géné- 
rale des  bâtiments  pour  le  royaume* 
Il  était  devenu  le  premier,  presque 
le  seul  architecte  de  la  capitale,  et 
outre  les  travaux  qu'il  était  chargé 
d'exécuter,  il  était  fréquemment  con- 
sulté pour  des  constructions  du  de- 
hors. Il  construisit  le  musée,  oii  le  roi 
a  fait  placer  ensuite  le  buste  de  l'ar- 
tiste. Pour  l'érection  de  cet  édifice, 
il  avait  fallu  changer  le  cours  de  la 
Sprée.  Ses  autres  monuments  à  Ber- 
lin sont  :  le   corps-de-garde  royal, 
le  pont  du  château,  la  porte  de  Pots- 
dam,  l'école  du  génie  et  de  l'artillerie 
avec  la  rue  Guillaume;  parmi  ses 
constructions  au  dehors,  il  faut  citer 
le  casino  de  Potsdam,  celui  de  Glie- 
neke  auprès  de  cette  ville ,  le  petit 
château  de  Tegel,  la  maison  des  ca- 
valiers dans  l'île  des  Paons.  Il  de- 
vait construire  une  cathédrale  à  Ber- 
lin; mais  l'exécution  en  fut  ajournée. 
Dans  ses  moments  de  loisirs,  Schinkel 
s'amusait  à  peindre   des   paysages 
avec  architecture,  ou,  tout  en  cau- 
sant, il  faisait  avec  la  plume  jdes 
dessins  qui  sont  recherchés.  En  1824, 
ayant  entrepris  un  nouveau  voyage 
en  Italie,  il  en  avait  rapporté  un  beau 
paysage  qui  fut  offert,  au  nom  de  la 
ville  de  Berlin,  à  la  princesse  Louise 
lors  de  son  mariage  avec  le  prince 
Frédéric  desl  Pays-Bas.  Schinkel  mou- 
rut le  9  octobre  1841.  Le  roi  de  Prusse 
lui   avait  donné  la   décoration  de 
l'ordre  de  l'Aigle  Rouge.  L'Institut  de 
France  et  d'autres  corps  savants  se 
Tétaient  associé.  Les  plans  d'archi- 
tecture projetés  et  exécutés  par  cet 
artiste  ont  été  recueillis  en'6  cahiers 
in-fol.,  Berlin,  1819  et  ann.  suiv. 
Voy.  Nekrolog  der  Deutschen  pour 
rannéel841,Vol.  IL        D--g. 

19. 


292 


SCH 


SCHINZ  (Jean-Henri),  Instorieri, 
naquit  à  Zurich,  en  1725,  et  mourut 
en  1800.  N(^gociant  et  magistrat  dans 
sa  ville  natale,  il  s'est  occupé  avec 
succès  de  l'histoire  et  des  antiquités, 
et  son  Essai  sur  Vhùtoire  du  com- 
merce de  Zurich^  imprimé  en  1763, 
in-8°,  en  allemand,  est  rempli  de  re- 
cherches savantes  et  intéressantes, 
lia  enrichi  les  Actes  de  la  Société 
de  physique  de  Zurich  de  quel- 
ques Mémoires  relatifs  à  des  re- 
cherches sur  le  commerce.  — 
ScHiNZ  {Christophe- S alomon) ^  mé- 
decin, naquit  à  Zurich  en  1734  et  y 
mourut  en  1784.  il  fit  ses  études  dans 
sa  ville  natale  sous  la  direction  de 
son  parent,  le  célèbre  Jean  Gessner, 
et  ensuite  à  Tubingue  et  à  Leyde. 
11  voyagea  en  France  et  exerça  son 
art  avec  bonheur  et  succès  à  Zurich. 
En  1778,  il  fut  nommé  professeur  de 
physique  et  de  mathématiques.  Il  a 
bien  mérité  de  sa  patrie  par  la  part 
essentielle  qu'il  eut  à  l'introduction 
de  l'inocuiation  de  la  petite  vérole, 
ainsi  qu'à  l'établissement  d'une  école 
spéciale  de  médecine,  fondée  par  le 
dévouement  généreux  de  plusieurs 
médecins  et  chirurgiens  de  Zurich. 
Les  Actes  de  la  Société  de  physique 
de  cette  ville  renferment  plusieurs 
de  ses  Mémoires.  Il  a  publié,  en 
1774,  V Introduction  à  l'étude  de 
la  botanique,  in-fol.  avec  tig.  (en 
allemand).  De  ses  dissertations  on 
ne  citera  que  les  trois  qui  ont  pour 
titre  :  De  itineribus  per  Helvetiam 
cum  fructu  facienàis ,  1781  à  1783, 
et  celle  Deutilitate  scientiœ physicœ 
in  rite  abeundo  munere  sacroy  adji- 
ciuntur  quœdam  de  scientia  physio- 
gnomica  ejusque  recto  msm,  1780.— 
ScHiNZ  {Jean- Rodolphe)^ néh Zurich 
en  1745  ,  y  mourut  en  1790.  Voué  à 
l'état  ecclésiastique,  il  fit  ses  études 
au  gymnase  de  sa  ville  natale.  Son 


goût  le  porta  à  cultiver  de  p»éférence 
les  sciences  naturelles  et  économi- 
ques. Il  parcourut  la  Suisse  dans  des 
voyages  répétés,  et  il  fit  un  long  sé- 
jour, chez  un  ami,  dans  le  canton  du 
Tessin  ,  qui  formait  alors  les  baillia- 
ges italiens.  Son  goût  pour  les  voya- 
ges et  pour  l'observation  de  la  nature 
l'engagea  à  suivre  le  fils  d'un  riche 
négociant  dans  ses  voyages  en  France 
et  en  Italie.  De  retour  à  Zurich,  il 
devint  curé  en  1778.  Excellent  pa- 
triote, d'une  probité  parfaite  et  de 
mœurs  austères ,  il  ne  négligea  au- 
cune occasion  pour  prêcher  les  ver- 
tus qui  conviennent  aux  républiques. 
11  fut  un  des  membres  les  plus  zélés 
de  la  Société  de  physique,  et  les  pro- 
grès de  l'agi iculture  du  canton  de 
.Zurich  lui  sont  dus  en  partie.  Les  six 
cahiers  de  fragments  pour  servir  à 
la  connaissance  delà  Suisse,  Zurich, 
1783  à  1791,  en  allemand,  renfer- 
ment les  observations  précieuses 
qu'il  avait  recueillies  dans  ses  diffé- 
rents voyages.  Dans  un  Éloge  de  Bod- 
wer,  publié  en  1783,il  a  développé  les 
grands  services  que,  comme  poète  , 
comme  critique  et  coujme  protec- 
teur de  KIopstock,  cet  homme  illustre 
a  rendus  à  sa  patrie.  Son  Elogium  sa- 
cerdoîis  S. -P.  Pustelli,  Zurich,! 773, 
in-8'',  consacre  la  mémoire  d'un 
homme  de  bien.  {Vie  de  J.-R.  Schinz, 
par  S.-L.  Nuscheler,  Zurich,  1793, 
in-8*',  en  allemand.)  U — i. 

SCHIOPPALALBA  (Jean  Bap- 
tiste), né  à  Venise  en  1721,  mérita 
d'être  appelé  par  Lalande  {Voyage 
d'Italie  ,  tom.  VIîI,  p.  544)  Vun  des 
plus  grands  hellénistes  de  cette  ville. 
Il  avait  été  quelque  temps  attaché 
en  qualité  d'aumônier  à  l'école  de 
Sainte-Marie  de  la  Charité,  et  fut  en- 
suite l'un  des  deux  présidents  des 
grands  séminaires  fondés  par  le  sé- 
nat à  Venise.  Son  principal  ouvrage 


SCH 


SCH 


293 


est  une  dissertation  intitule'e  :  In 
perantiquam  sacram  tabulam  grœ- 
cam,  insigni  sodalitio  Sanctœ-Ma- 
riœ  Charitaiis  Venetiarwn,  a  car- 
dinale iiessarione  dono  datam^  Ve- 
nise, 1777,  in-4°.  Elle  est  divisée^en 
dix  chapitres,  le  premier  desquels 
contient  des  éclaircissements  sur 
l'origine  de  ces  monuments  chez  les 
premiers  chrétiens  qui  s'en  servaient 
ponry  enfermer  des  reliques.  Schiop* 
palalba  mourut  à  Venise  le  23  juillet 
1797.  A-G-s. 

SCHIPANI  (le chevalier  Louis- 
Joseph)  ,   général  de  la  république 
napolitaine  en  1799,  était  né  à  Ca- 
tanzaro,  en  Calabre,  d'une  famille 
noble.  Lieutenant  dans  un   batail- 
lon provincial,  lorsque   le   général 
Championnet   s'empara   de   Naples, 
il  adopta  avec  enthousiasme  la  cause 
des  Français,  et  fut  nommé   com- 
mandant d'une  légion  républicaine, 
destinée  à   réprimer   l'insurrection 
de    la   Calabre.   A  la  tête  de  huit 
cents  hommes,  il  prit  la  route  de 
Salerne,  et  rencontra  à  Castelluccia 
un    corps   d'insurgés   conduits  par 
Sciarpa ,  l'un  des  chefs  des  bandes 
royalistes  ,  qui  voulurent  s'opposer 
à  son  passage-,  l'avantage  ne  resta  pas 
de  son  côté,  et  dès-lors  les  commu- 
nications entre  Naples  et  les  Cala- 
bres  furent  coupées.  Cet  échec  com- 
promit singulièrement  l'existence  de 
la  nouvelle  république  ^  de  tous  cô- 
tés elle  eut  à  se  défendre  contre  les 
populations     soulevées    en    masse. 
Schipani,  avec  les  débris  de  son  pe- 
tit corps  de  patriotes,  marcha  ensuite 
contre  la  ville   de   Sarno  pour  en 
étouffer  les  mouvements  insurrec- 
tionnels; il  y  releva  l'arbre  de  la  li- 
berté et  fit  brûler  sur  la  place  publi- 
que quelques  vieux  portraits  du  roi 
et  de  la  reine.  Mais,  à  ce  moment, 
la  république  parthénopéenne  tou^ 


chait  à  sa  ruine  ;  le  cardinal  Ruffo 
(yoy.  cenom,  LXXX,  146)  arrivait 
sous  les  murs  de  Naples,  en  traver- 
sant les  colonnes  républicaines  de 
Schipani  et  de  Wirtz,  qui  ne  surent 
pas  profiter  de  cette  circonstance  ; 
ils  le  laissèrent  passer  tranquille- 
ment ,  tandis  qu'ils  pouvaient  l'in- 
quiéter, le  harceler  et  désorganiser 
ainsi,  ou  au  moins  compromettre 
l^ armée  de  la  foi^  si  mal  discipli- 
née. Au  lieu  de  marcher  de  con- 
cert ,  ces  deux  chefs  républicains 
voulurent  combattre  chacun  de  son 
côté  ;  Wirtz  trouva  la  mort  sur  le 
champ  de  bataille;  Schipani,  plus 
malheureux ,  fut  arrêté  près  deHa 
Torre  dell'  Annunziata,  au  moment 
oii  il  allait  quitter  l'Italie.  Le  gou- 
vernement monarchique  étant  alors 
rétabli  à  Naples,  on  le  transporta 
dans  l'île  de  Procida,  et,  au  mépris 
de  la  capitulation  qui  garantissait 
qu'aucune  poursuite  ne  serait  dirigée 
contre  les  partisansde  la  république, 
il  devint  une  des  premières  victimes 
de  la  réaction.  Spéciale,  le  grand  mo- 
teur des  potences  royales,  ne  l'épar- 
gna pas  plus  que  tant  d'autres  ;  et  il 
mourut  sur  l'échafaud,  à  la  fin  de 
1799  ,  avec  un  courage  digne  d'un 
meilleur  sort.  C— h— n. 

SCHIRUSI  (NouREDDiN- Moham- 
med-Abdallah al),  tel  est  le  nom  d'un 
Persan  qui  était ,  en  1659,  médecin 
du  Grand-Mogol;  il  écrivit  un  Trai- 
té de  matièremédicale  qui  fut  regardé 
comme  un  oracle,  depuis  le  golfe  per- 
siquejusqu'à  l'embouchure  du  Gange, 
et  dont  les  copies  se  multiplièrent  en 
arabe,  en  persan  et  en  hindou.  Selig- 
man ,  dans  une  Notice  (en  allemand) 
sur  trois  manuscrits  orientaux  ,  a 
donné  (p.  26-41)  un  extrait  de  cet 
ouvrage,  et  Fr.  Gladwin  l'a  publié  à 
Calcutta  (1792,  in-4«)  avec  une  Ira-, 
duction  anglaise,  B-^n— T. 


Î94 


SCH 


SCIILABERNDORF  (Christo- 
PHE-GEonGES -Gustave,  comte  de), 
philanthrope  prussien,  naquit  à  Bres- 
lau,  et  non,  comme  on  Ta  dit,  à  Stet- 
tin,  en  1749.  Sa  famille  était  des  phis 
nobles  et  des  plus  riches  de  laPomé- 
ranie.  Son  oncle,  le  général  deSchla- 
berndorf,  avait  rendu  des  services 
signalés  à  Frédéric  II.  Son  père,  le 
comte  Ernest-Guillaume,  gouver- 
neur de  la  Silésie,  jouissait  d'un 
grand  crédit  auprès  de  ce  prince. 
Malheureusement  pour  son  fils,  il 
mourut  quand  à  peine  celui-ci  entrait 
dans  l'adolescence.  Gustave  n'en  fit 
pas  moins  de  très-bonnes  études  au 
gymnase  de  Francfort -sur -l'Oder, 
puis  à  l'université  de  Halle.  Mais 
l'étude  qui  le  captiva  surtout,  ce  fut 
celle  de  la  philosophie,  et,  chose 
assez  extraordinaire  à  cette  époque, 
celle  de  la  philosophie  humanitaire, 
dont  le  nom  était  encore  à  créer. 
Grand  admirateur  de  Kant,  jamais 
pourtant  il  ne  s'emprisonna  dans  les 
arides  formules  de  ce  métaphysicien 
sans  entrailles,  de  ce  logicien  sans 
pitié.  Les  grandes  idées  de  charité, 
de  fraternité,  de  perfectibilité,  s'em- 
parèrent vivement  de  son  imagina- 
tion ;  et  indépendamment  des  devoirs 
imposés  par  la  stricte  morale,  par  la 
morale  vulgaire,  il  demeura  persuadé 
que  c'en  était  un  que  de  contribuer 
à  répartir  plus  également  le  bien-être 
physique  et  moral  parmi  les  hom- 
mes, et  de  travailler  à  l'améliora- 
tion des  masses,  soit  relativement  à 
leur  sort  matériel,  soit  relativement 
aux  développements  de  l'intelligence 
et  de  la  vertu.  Nous  ne  nierons  pas 
que  ces  doctrines  n'aient  été  jusqu'à 
un  certain  point  empreintes  chez  lui 
deriliuminisme  allemand.  Mais  il  ne 
faudrait  en  contester  ni  la  sincérité 
parfaite  ni  l'utilité  en  une  foule  d'oc- 
casions. Le  premier  acte  de  sa  ma- 


SCH 

jorité  en  fournit  une  preuve  écla- 
tante. Son  oncle  était  mort  pauvre 
et  laissant  plusieurs  enfants.  Son 
père,  adoptant  en  quelque  sorte  ses 
neveux,  avait  voulu  corriger  les  ri- 
gueurs de  la  fortune  à  leur  égard  ; 
et,  par  un  codicille  spécial,  il  leur 
avait  légué,  comme  à  des  fils  puînés, 
de  fortes  sommes  ou  des  propriétés. 
Les  tuteurs  de  Gustaveavaient  trouvé 
moyen  d'éluder  ces  dispositions,  sans 
reculer  même  devant  un  de  ces  pro- 
cès où  presque  toujours  le  plus  riche 
l'emporte,  qu'il  ait  tort  ou  raison. 
Les  réclamants  leur  imputaient  d'a- 
voir soustrait  le  codicille.  Dès  que 
Schlaberndorf  fut  majeur,  il  s'em- 
pressa de  remettre  à  ses  cousins  de 
fortes  valeurs  mobilières  économi- 
sées par  ses  hommes  d'affaires,  et 
il  promit  de  les  indemniser  complè- 
tement, le  temps  aidant,  de  tout  le 
préjudice  qu'ils  prétendaient  leur 
avoir  été  fait.  Il  s'occupa  ensuite 
d'être  utile  à  ses  vassaux,  et  dès  ce 
temps  il  fit  beaucoup  pour  eux.  Sa 
fortune,  qui  montait  à  une  huitaine 
de  millions,  lui  permettait  beaucoup 
en  effet;  et,  pour  être  plus  libre  d'en 
disposer  à  son  gré,  il  ne  se  maria 
point.  Mais  plus  il  faisait  d'efforts 
pour  guérir  les  plaies  sociales  dont 
la  Silésie,  principalement  dans  les 
campagnes,  lui  offrait  le  spectacle, 
plus  il  se  sentait  pénétré  d'antipathie 
et  de  dégoût  pour  un  ordre  de  cho- 
ses si  différent  de  l'idéal  qu'il  rêvait 
et  avec  lequel  l'avaient  familiarisé  les 
écrits  des  philosophes,  tant  français 
qu'anglais,  et  quelques  pages  choi- 
sies des  penseurs  allemands.  Il 
résolut  d'aller  étudier  hors  de  son 
pays  les  moyens  d'améliorer  le  sort 
des  masses,  et  il  partit  dans  cette 
vue  en  1784  avec  le  célèbre  baron 
de  Stein,  son  ami,  qu'animaient  les 
mêmes  tendances.  L'Angleterre  eut 


S€H 

l'honneur  de  leur  prèrtitèi-e  visite,  et 
Schlaberndorf  n'y  resta  pas  moins 
de  six  ans  (1784-1790),  pendant  les- 
quels il  apprit  à  fond  la  langue,  se 
mit  en  fréquentes  relations  avec  les 
hommes  les  plus  distingués  de  la 
Grande-Bretagne,  notamment  avec 
les  whigs  et  les  autres  représentants 
des  opinions  les  plus  avancées ,  et, 
analysant  le  mécanisme  de  la  consti- 
tution anglaise ,  comprit  que  tout 
ce  fastueux  et  décevant  appareil  de 
représentation  n'était  au  fond  qu'une 
représentation  au  bénéfice  de  l'aris- 
tocratie, souveraine  ou  dominatrice 
du  souverain.  Il  ne  se  borna  pas  à 
ces  observations  et  à  des  vues  plus 
ou  moins  spéculatives  :  témoin  du 
sort  rigoureux  auquel  trop  souvent 
l'inhospitalité  britannique  condamne 
les  malheureux  étrangers  attardés 
sans  argent,  et  même  avec  de  l'ar- 
gent, sur  le  sol  d'Albion,  il  provoqua, 
il  aida  très-largement  de  ses  fonds 
l'institution  d'une  société  de  bien- 
faisance pour  les  pauvres  Allemands, 
institution  qui  n'a  pas  cessé  de 
prospérer  et  qui  existe  encore.  Grâce 
à  cette  association,  les  Allemands  re- 
poussés des  hôpitaux  et  des  autres 
établissements  de  l'Angleterre,  qui 
tous  étaient  exclusivement  réservés 
aux  nationaux,  trouvent  en  cas  de 
détresse  des  secours  qui  leur  man- 
quaient autrefois.  L'éducation  aussi 
lui  semblait  non  moins  nécessaire 
que  la  satisfaction  donnée  aux  be- 
soins matériels  ;  il  regardait  la  popu- 
lation entière  comme  ayant  droit  au 
bienfait  de  l'éducation  ;  et  dès  1785, 
très-peu  de  temps  après  avoir  quitté 
son  pays,  il  rédigea  un  testament 
olographe  par  lequel,  laissant  aux 
deux  cousins  qu'il  avait  à  cette  épo- 
que et  à  leur  postérité  toute  sa 
fortune  non  féodale,  h  titre  de  fidéi- 
commis  perpétuel,  il  stipulait  l'éta- 


•^CH 


1^95 


blissemeut  d'une  caisse  d'écoles  yiU 
lageoises  devant  percevoir  pendant 
J5  ans  moMié  des  revenus  du  fidéi- 
commis,  puis  quatre  dixièmes  pen- 
dant 10  ans,  et  ainsi  de  suite  en  di- 
minuant graduellement  jusqu'à  ce 
qu'on  ne  dût  plus  servir  à  la  caisse 
qu'une  rente  d'un  dixième  à  perpé- 
tuité. Il  indiquait,  de  plus,  le  mode 
d'accumulation  des  intérêts,  les  rè- 
gles à  suivre  pour  le  choix  des  insti- 
tuteurs, les  émoluments  à  leur  don- 
ner; il    recommandait  la  créatioii 
d'une  école  normale,  etc.,  etc.  Toutes 
ces  dispositions  tombèrent,tant  parce 
qu'il  survécut  à  l'un  et  à  l'autre  des 
cousins  ses  légataires,  que  par  les 
modifications  qui  survinrent  ensuite 
dans  ses  idées,  et  par  le  mauvais  vou- 
loir de  ses  collatéraux.  Cependant  il 
avait  franchi  la  Manche  vers  le  com- 
mencement de  1791,  et  il  pouvait 
suivre  de  ses  yeux  les  développe- 
ments déj'à  gigantesques  et  profon- 
dément irréguliers  de  notre  grande 
rénovation  sociale.  Long-temps  en- 
core il  eu  préconisa  les  principes  et 
les  coryphées  les  plus  célèbres.  Mais 
peu  à  peu  pourtant  ses  louanges  se 
restreignaient,  se'  mélangeaient  de 
blâme.  Comment,  quelque  dépouillé 
qu'il  pût  être  dès  préjugés  de  grand 
seigneur,   et   quelque  ardeur  qu'il 
sentît  pour  la  cause  de  la  démocratie, 
un  homme  dont  le  vœu  était  le  soula- 
gement de  ses  semblables  eût-il  pU 
approuver  ïès  violences  perpétuelles 
qui  souillèrent  17èi2*,  le  20  juin,  le 
10  août,  les  inassacres  dé  septembre 
et  toute  cette  suite  d'horreurs  dont 
ces  événements  furent  le  signal?  Bien 
que  Schlaberndorf  fût ,  à  n'en  pas 
douter,  l'ami  dévoué  de  la  révolution 
française ,  même  si  déploràblement 
égarée  dans  sa  route  ,  bien  qu'au 
temp  s  où  se  p  réparait  l'invasion  prus- 
sienne, informé  de  ce  qui  se  tranîiait 


S96 


SCH 


de  l'autre  c6ié  du  Rhin,  il  employât 
son  influence  en  son  pays  pour  détour- 
ner le  cabinet  de  Potsdam  d'un  pro- 
jet que  tout  annonçait  devoir  porter 
Je  coup  de  grilce  à  la  France  révolu- 
tionnaire, et  que  des  démarches  si 
peu    prévues   l'eussent    compromis 
très-gravement  auprès  des  ministres 
et  du  roi  Frédéric-Guillaume  II ,  il 
devint  bientôt  suspect  aussi  aux  me- 
neurs de  la  république  nouvelle.  Il 
eut  un  jour  une  discussion  avec  Bour- 
don de  l'Oise  ;  et,  plus  fort  que  lui 
dans  l'art  du  raisonnement,  il  réfuta 
sans  grande  peine  les  déclamations 
furibondes  et  atroces  du  député.  Mais 
le  lendemain  un  mandat  d'arrêt  était 
lancé  contre  lui  ;  et  i|  fut  emprisonné 
en  janvier   1793,  n'ayant  pour  toute 
ressource  que  700  fr.  en  assignats. 
II  est  vrai  que  les  offres  de  secours 
ne  lui  «lanquèreut  pas  ;  mais  presque 
toutes  venaient  de  royalistes  que  le 
sort  réunissait  sous  les  mêmes  ver- 
rous que  lui,  quoiq^ue  diamétralement 
opposés  d'opinions,  et. qui  du  reste 
comptaient  bien  que  les  procédés  des 
républicains  guériraient  leur   com- 
pagnon lie  son  amour  pour  la  répu- 
blique. Il  n'en  fut  rien  ;  et  cramponné 
à  ce'  principe  que  les  torts  des  hom- 
mes ne  changent  tien  à  la  nature  des 
choses,  il  n'en  devint  peut-être  que 
plus  inébranlable  dans  ses  convic- 
tions ;  il  rejeta  résolument  toute  es- 
pècç  d'assistance  de  ses  camarades 
d'in/ortujie,  alliés  ou  non  d'opinion, 
il  VQiiluV  ne  rien  devoir  qu'à  lui- 
mêine;  et  pour  premier  échantillon 
de  ^a  ferme  volonté,  il  commença 
par  se  restreindre,  en  vrai  Diogène, 
au  plus  strict  nécessaire,  c'est-à-dire 
au  pain  et  à  l'eau  que  fournissait  la 
prison.  Puis  ^  pour  augmenter  son 
très-modique  pécule,  il  donna  des 
leçons  d^allemand  et  d'anglais  à  qui 
youlaii  ejfi.pretidre,  U  semblait  n'a- 


SCH 

voir  ni  crainte  ni  souci  de  la  mort,  qui 
pourtant  pouvait  l'atteindre  comme 
tout  ce  qui  l'environnait.  On  eût  dit 
même  qu'il  provoquait  les  tyrans  du 
jour.  Las  d'être  en  butte  aux  brutalités 
du  geôlier,  les  détenus  résolurent  un 
jour  d'adresser  une  plainte  au  co- 
mité de  salut  public.  Mais  quand  il 
s'agit  de  formuler  la  plainte,  chacun 
regardait  les  autres.  Qui  se  charge- 
rait d'attacher  le  grelot  PSchlabern- 
dorf  n'hésita  pas  :  il  rédigea  la  péti- 
tion, et  en  termes  si  énergiques,  que 
quand  il  fut  question  de  signer,  per- 
sonne n'osa,  sauf  un  officier  écossais, 
du  nom  d'Abernethy,et  Schlaberndorf 
lui-même.  On  ne  dit  pas  que  les 
vexations  du  geôlier  cessèrent ,  mais 
toujours  est-il  que  l'audace  des  pos- 
tulants ne  fut  pas  punie.  Il  en  fut  de 
même  quand  enfin  ce  fut  le  tour  de 
Schlaberndorf  de  comparaître  devant 
le  tribunal  révolutionnaire.  Avec  un 
calme  parfait  et  avec  autant  d'aisance 
que  s'il  eût  été  le  juge,  il  fit  sonner 
si  haut  le  contraste  de  son  rang  en 
son  pays  et  des  opinions  qui  l'avaient 
entraîné  à  venir  fraterniser  avec  les 
Français  en  train  de  briser  leurs 
chaînes,  qu'il  dérouta  le  président  et 
que  le  tribunal  se  contenta  de  le  faire 
reconduire  en  prison.  Enfin  la  chute 
de  Robespierre  lui  rendit  la  liberté. 
Il  n'en  profita  point  pour  abandonner 
la  France,  dont  la  révolution  l'inté- 
ressait toujours.  Connu  de  tous  les 
chefs  des  partis  qui  se  disputaient 
le  pouvoir,  il  ne  pouvait  aux  yeux 
d'aucun  passer  pour  l'ennemi  de  la 
France,  malgré  sa  qualité  de  Prussien; 
et  il  ne  pouvait  non  plus  inspirer 
d'ombrage  sérieux  à  personne,  car 
quoique  plein  de  clairvoyance  et 
pressentant  les  événements,  quoique 
gémissant  sur  la  marche  rétrograde 
de  la  liberté  sous  le  Directoire,  et  re- 
gardant le  18  brumaire  comme  unç 


SCH 

calamité,  il  était  trop  utopiste  et 
trop  haut  monté  dans  le  domaine 
des  abstractions  pour  descendre  ac- 
tivement de  sa  personne  dans  le 
concret  et  se  mêler  au  positif  des 
événements.  Tout  en  se  désolant 
ainsi  de  voir  chaque  jour  tendre  à  la 
reconstruction  de  la  monarchie^  il 
répandit  autour  de  lui  ses  bienfaits 
avec  autant  de  lumière  que  de  géné- 
rosité ^  il  soulagea  des  infortunes,  il 
prêta  un  concours  actif  à  d'utiles  in- 
ventions. La  stéréotypie  surtout  lui 
fut  redevable  en  grande  partie  de  ses 
améliorations.  Herhan  put  largement 
puiser  à  sa  bourse  toujours  ouverte, 
et  le  mot  même  de  clicher,  tiré  du 
radical  allemand  klalschen  (frapper), 
à  défaut  de  radical  français  qui  puisse 
bien  exprimer  l^pération  principale 
du  stéréotypage,  atteste  la  part  d'ac- 
tion prise  par  un  Allemand  à  ce  nou- 
vel aspect  de  Part  des  Faust,  Scheffer 
et  Guttenberg.  Pendant  ce  temps  les 
parents  de  Schlaberndorf  en  Allema- 
gne s'attachaient  à  le  présenter  au 
gouvernement,  non-seulement  com- 
me un  homme  dangereux,  comme  un 
ennemi  des  monarchies  et  de  son 
pays,  mais  comme  un  fou  ;  et  il  faut 
avouer  que  les  excentricités  un  peu 
fortes  du  comte  Gustave  prêtaient  à 
ces  imputations.  Le  roi  de  Prusse, 
Frédéric-Guillaume  III,  ne  sut  pas, 
dans  tout  ce  fracas,  distinguer  la  vé- 
rité de  la  calomnie.  Il  commença  par 
priver  Schlaberndorf  d'une  prébende 
qu'il  avait  acquise  à  Magdebourg.  Il 
mit  ensuite  tous  ses  biens  sous 
le  séquestre  (1803) ,  sans  toutefois 
asquiescer  aux  sollicitations  des  col- 
latéraux qui  en  demandaient  la  con- 
fiscation à  leur  profit.  Heureusement 
le  comte  avait,  les  années  précéden- 
tes, tiré  des  fonds  considérables  de 
son  pays  et  les  avait  placés  en  France. 
Il  prodigua  des  secours  aux  prison- 


SCH 


297 


niers  prussiens  en  1806  ;  et  grâce  à  la 
considération  dont  il  jouissait,  en 
dépit  de  ses  singularités  et  de  son 
républicanisme  peu  goûté  sous  Na- 
poléon, il  obtint  pour  les  plus  distin- 
gués de  ses  compatriotes  malheureux 
la  permission  de  résider  à  Paris  tout 
le  Temps  de  leur  captivité.  Quand  la 
Silésie  fut  conquise,  le  baron  Mou- 
nier,  nommé  administrateur  du  cer- 
cle de  Glogaii,  où  étaient  situés  les 
biens  de  Schlaberndorf,  lui  offrit  ses 
services  pour  lever  le  séquestre  dont 
ils  étaient  grevés  :  le  comte  refusa 
noblement,  ne  voulant  pas  devoir  à 
l'occupation  étrangère  la  réparation 
d'iine  iniquité  consommée  par  ses 
compatriotes.  Justice  enfin  lui  fut 
rendue  par  le  cabinet  deBerlin. Recon- 
naissant etle  peu  de  fondement  des  re- 
proches articulés  contre  lui,  et  com- 
bien il  portait  toujours  d'amour  à  la 
Prusse,  les  ministres,  au  bout  de  neuf 
ans,  levèrent  l'interdit  qui  pesait  sur 
sesbiens.Onétaitalorsalaveilledela 
campagne  de  Russie.  Schlaberndorf 
en  avait  prévu  l'issue.  Il  détestait 
Napoléon.  Tout  en  reconnaissant  son 
génie,  il  n'avait  cessé  de  voir  en  lui 
l'oppresseur  de  la  liberté,  le  destruc- 
teur des  progrès  réalisés  par  la  grande 

commotion  sociale  de  1789,  celui  par 
qui  reculaient  l'émancipation  et  le 
bonheur  de  l'humanité...  L'abaisse- 
ment de  la  Prusse  après  les  campa- 
gnes d'iéna  et  de  Friediand  avait 
changé  cette  antipathie  en  haine  pro-, 
fonde,  et  il  ne  s'en  cachait  pas-,  il 
s'énonçait  même  si  haut  à  ce  sujet , 
qu'on  peut  s'étonner  que  le  gouver- 
nement impérial  ne  lui  en  ait  jamais 
fait  sentir  son  mécontentement.  Pro- 
bablement Napoléon  s'en  tenait  à  le 
regarder  comme  un  idéologue;  peut- 
être  eût-il  été  de  moins  bonne  com- 
position, s'il  eût  su  que  Schl^^bern- 
dorf  favorisait  la  formation  des  sa- 


298 


SCH 


SCH 


ciétés  patriotiques  allemandes  qui 
avaient  pour  but  d'abord  l'affran- 
chissement du  territoire,  et  aux- 
quelles Stein  et  Gneisenau  avaient  si 
grande  part.  Sitôt  que  la  Prusse,  au 
commencement  de  1813,  prit  parti 
contre  Napoléon,  le  comte  fit  hom- 
mage au  roi  d'une  somme  de  10,000 
thalers  (60,000  fr.)  pour  aider  aux  Irais 
de  la  guerre,  et  envoya  au  comte  de 
Goitz  six  autres  mille  francs  pour  le 
service  des  hôpitaux.  Il  donna  im- 
mensément aussi  pendant  les  trois 
premiers  mois  de  1814  pour  les  pri- 
sonniers prussiens,  et  leur  fit  tenir 
de  fortes  sommes  par  le  jeune  pein- 
tre Franck ,  son  compatriote ,  dont 
il  encourageait  alors  les  premiers 
essais.  Paris  tomba  au  pouvoir  des 
alliés;  Schlaberndorf  reçut  dans  le 
domicile  plus  que  modeste  qu'il  occu- 
pait rue  de  Richelieu,  presque  vis-à- 
vis  du  Théâtre-Français,  la  visite  de 
Stein,  son  ancien  ami,  de  Gneisenau, 
de  Hardenberg  et  de  beaucoup  d'au- 
tres notabilités  prussiennes.  On  lui 
proposa  même  de  le  présente!"  au  roi 
Frédéric-Guillaume;  mais  il  s'y  re- 
fusa, et  la  même  offre,  renouvelée  en 
1815,  le  trouva  pareillement  inébran- 
lable. On  comprend  en  effet  que 
l'homme  qui  n'avait  jamais  pardonné 
à  Napoléon  d'avoir  détrôné  la  liberté 
ne  pût  guère  goûter  les  principes 
absolutistes  des  souverains  qui  ve- 
naient de  le  renverser;  et  quoique 
passant  pour  visionnaire,  il  ne  l'était 
pas  assez  pour  s'imaginer  long-temps 
que  les  cabinets  et  les  chancelleries 
s'occuperaient  sérieusement  de  réa- 
liser les  promesses  plus  ou  moins 
explicites  faites  au  Tugendbund. 
D'ailleurs  la  disgrâce  de  Stein,  la  re- 
traite de  Gneisenau,n'auraient  permis 
aucune  illusion,  eût-il  été  tenté  d'en 
avoir.  11  se  consolait  en  pensant  que 
le  triomphe  de  ses  idées  n'était  qu'a» 


journé.  En  attendant,  il  continuait  à 
répandre  des  bienfaits  partout  où  sa 
main  pouvait  atteindre.  Il  fut  un  des 
ardents  promoteurs  de  l'éducation 
mutuelle.  En  1816,  les  cultivateurs 
de  la  rive  gauche  du  Rhin  étaient 
affligés  d'une  disette  causée  par  les 
intempéries  de  la  saison ,  il  envoya 
des  sommes  considérables  destinées 
à  leur  soulagement.  Devenu  en  1819 
héritier  de  l'usufruit  d'une  comman- 
derie  dont  le  revenu  s'élevait  à  plu- 
sieurs milliers  de  francs,  il  en  trans- 
mit en  pur  don  la  succession  au 
séminaire  des  maîtres  d'école  de 
Breslau.  C'est  entre  les  soins  d'une 
philanthropie  toute  positive  et  toute 
pratique,  et  l'étude  des  hautes  ques- 
tions de  philosophie  sociale,  notam- 
ment de  celles  qui  se  réfèrent  à  l'é- 
ducation, que  Schlaberndorf  passa  les 
dernières  comme  les  précédentes  an- 
nées de  sa  vie  ;  et  ce  qu'il  s'était 
efforcé  d'accomplir  de  son  vivant,  il 
voulut  le  continuer  à  perpétuité  après 
sa  mort.  Sa  fortune,  évaluée  alors  à 
10  millions  de  francs,  devait  être  con- 
sacrée tout  entière  à  des  fondations 
de  bienfaisance  et  d'instruction  pu- 
blique. 11  s'était  fait  apporter  le  testa- 
ment de  Montyon,  et  il  en  méditait 
les  stipulations.  Ceux  qui  l'ont  le 
mieux  connu  à  cette  époque  ont  sou- 
vent parlé  des  vastes  projets  dont  il 
les  entretenait  pour  des  établisse- 
ments posthumes,  et  nombre  de  cir- 
constances ont  fait  penser  qu'il  avait 
rédigé  des  dispositions  dernières  afin 
d'en  assurer  l'exécution.  Malheureu- 
sement ,  si  ce  testament  exista,  ou  il 
fut  confié  aux  mains  de  tiers  infi- 
dèles, ou,  renfermé  chez  lui ,  il  fut 
soustrait  par  quelque  agent  des  héri- 
tiers dont  il  eût  trahi  les  espérances. 
Ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c'est  que  Schla- 
berndorf ayant  été  frappé  au  bout 
d'une  assez  courte  maladie,  le  21  août 


SCH 

1824,011  ne  rencontra  pas  trace  chez 
lui  d'acte  testamentaire,  et  que  des 
collatéraux  héritèrent  de  tout.  Quoi- 
que âgé  de  74  ans  lorsqu'il  expira, 
nul  doute  que  Schiaberndorf  n'eût  pu 
vivre  bien  plus  long-temps  s'il  eût 
pris,  soit  de  sa  santé,  soit  de  sa  per- 
sonne, les  soins  même  les  plus  vul- 
gaires. Mais  son  incurie  sous  l'un 
et  l'autre  rapport  passe  tout  ce  que 
l'on  peut  imaginer.  Ne  sachant  point 
se  préserver  d'exagération  et  de  pué- 
rilités ,  il  érigea  en  quelque  sorte 
en  maxime  de  conduite  ce  que  la  né- 
cessité seule,  au  temps  de  son  incar- 
cération ,  l'avait  forcé  de  subir  ;  et 
cet  habit,celinge  toujours  les  mêmes 
qu'il  avait  portés  tandis  que  la  nation 
le  logeait,  redevenu  libre  il  continua 
de  les  porter  sans  désemparer.  Il  ne 
les  quitta  jamais  ^  ce  furent  eux  qui 
le  quittèrent,  le  linge  d'abord  après 
plusieurs  années  de  service,  puis  les 
diverses  pièces  de  l'habillement.  Il 
en  vint  à  ne  plus  avoir  qu'une  vieille 
redingote  appliquée  immédiatement 
sur  la  peau,  et  qui  elle-même  élimée, 
déchirée ,  trouée ,  rapiécée ,  crevant 
de  nouveau,  ne  cachait  qu'impar- 
faitement sa  nudité.  Jamais  de  bains. 
Le  rasoir  lui  était  devenu  non  moins 
étranger  que  la  pâte  d'amande.  Nous 
faisons  grâce  du  reste  à  la  délicatesse 
de  nos  lecteurs  ;  mais  qu'ils  soient 
certains  que  ni  Diogène  à  Corinthe, 
ni  ChodruC'Duclos  sous  les  arcades 
du  Palais-Royal,  ne  furent  plus  mai- 
grement et  plus  répulsivement  ac- 
coutrés. Son  logement  ne  valait  guère 
mieux  que  son  costume.  Il  consistait 
en  une  chambre  avec  alcôve  et  un 
petit  cabinet,  hôtel  desDeux-Siciles, 
rue  de  Richelieu  :  une  petite  table, 
quelques  vieux  meubles  sales  et  dé- 
labrés, quatre  ou  cinq  fauteuils  ou 
chaises  en  formaient  tout  le  matériel, 
en  y  joignant  quantité  de  livres  et  de 


SCH 


299 


papiers,  la  plupart  empilés,  eubés, 
ou  pêle-mêle  gisant  sur  le  carreau  et 
obstruant  le  passage.  Long-temps  le 
comte  avait  gardé  l'habitude  de  sortir 
au  moins  les  soirs,  et  d'aller  dîner 
à  sept,  à  huit,  à  neuf  et  même  à  onze 
heures  du  soir,  chez  quelque  restau- 
rateur ou  limonadier  duPalais-Royal; 
fréquemment  même  il  s'y  traitait 
fort  bien,  et  il  se  faisait  servir  des 
repas  de  financier  et  de  gourmet 
raffiné,  au  grand  ébahissement  des 
spectateurs,  et  non  sans  inquiétude 
de  la  part  des  garçons  et  parfois  des 
maîtres  de  café  ou  de  restaurant  qui 
ne  le  connaissaient  pas  encore.  Mais 
comme,  faute  de  vêtements,  le  comte 
avait  fini  par  ne  plus  sortir  de  chez 
lui,  on  avait  fini  par  ne  plus  même 
faire  semblant  de  nettoyer  sa  cham- 
bre, et  rien  n'égale  la  saleté  au  milieu 
de  laquelle  il  avait  le  courage  de 
vivre.  C'est  là  pourtant  qu'il  recevait 
la  visite  de  beaucoup  de  personnes 
distinguées  par  le  rang  ou  par  l'es- 
prit, et  qui,  pour  jouir  du  charme  de 
sa  conversation,  bravaient  un  spec- 
tacle véritablement  repoussant.  Cette 
malpropreté,  le  défaut  d'exercice,  sa 
perpétuelle  contension  d'esprit,  des 
chagrins  ,  l'irrégularité  dans  les 
heures  des  repas,  du  sommeil  et 
du  travail,  tout  cela  ne  pouvait 
manquer  de  nuire  gravement  à  la 
santé  du  solitaire.  Un  catarrhe  vio- 
lent vint  à  diverses  reprises  lui  donner 
avis  de  porter  un  peu  plus  d'atten- 
tion aux  soins  matériels  de  la  vie. 
Il  n'en  tint  compte.  Finalement  une 
hydropisie  de  poitrine  se  déclara.  Il 
consentit  alors  à  prendre  des  bains, 
à  se  faire  faire  du  linge,  et  il  se  laissa 
transférer  aux  BatignoUes  dans  une 
maison  de  santé  ;  mais  il  était  trop  ^ 
tard,  et  sa  mort  suivit  de  près  son 
changement  de  domicile.  Cette  mort 
ne  fut  pleurée,  en  Prusse ,  ni  de  ses 


300 


SCH 


collatéraux  qui  attendaient  impa- 
tiemment sa  dépouille,  ni  de  ses  vas- 
saux qui  ne  l'avaient  pas  entrevu 
depuis  quarante  ans.  A  Paris,  oii  on 
Pappréciait ,  il  laissa  des  regrets. 
Clair,  précis,  méthodique  et  per- 
suasif, il  avait  vraiment  le  don  de  la 
parole  ;  sa  conversation  avec  les 
hommes  faits  était  attrayante,  in- 
structive et  originale.  Par  sa  naïveté, 
par  la  variélé  de  ses  récits  ou  des 
réflexions  dont  il  les  semait,  il  ex- 
cellait à  intéresser  l'enfance  dont 
l'admirable  instinct  avait  bientôt 
reconnu  en  lui  un  ami.  Il  avait  beau- 
coup de  lecture,  il  avait  beaucoup 
médité;  et,  quoique  trop  porté  à  ne 
voir  les  objets  que  d'un  côté,  on  ne 
pouvait  lui  refuser  une  pénétration 
rare.  Au  moral  la  bonté,  l'intrépidité 
formaient  les  deux  traits  dominants 
de  son  caractère.  Son  attitude  sous 
la  Terreur  comme  sous  Napoléon 
prouve  qu'il  n'avait  peur  de  rien. 
Son  indépendance  d'esprit,  n'était 
pas  moindre.  Mais,  inébranlable 
dans  ses  convictions,  il  était  tolérant 
pour  celles  desautres. Quoique  fidèle 
au  vocabulaire  de  la  Révolution  et 
ayant  en  haine  tout  privilège  et  tout 
monopole  ,  quoique  pénétré  de  ce 
principe  des  radicaux  ,  que  tous  les 
hommes  doivent  jouir  de  droits  po- 
litiques égaux,  il  n'eût  jamais  fait  de 
révolution  par  la  force  pour  en  venir 
là.  Quant  à  ses  bizarreries,  nous  les 
avons  assez  laissé  apercevoi  r  dans  cet 
article  ;  il  est  superflu  d'y  insister,  il 
serait  ridicule  de  les  nier  absolument, 
bien  qu'évidemment  on  ait  dû  les 
exagérer,  car  elles  ne  prêtaient  que 
trop  à  la  charge.  Schlaberndorf  n'en 
fut  pas  moins  un  homme  vertueux, 
un  grand  cœur,  un  bienfaiteur  de 
"^  l'humanité  tant  qu'il  vécut,  et  il  n'a 
sans  doute  pas  tenu  à  lui  qu'il  ne  le 
fût  de  même  après  sa  mort.  On  a  dit 


SCH 

qu'à  l'instant  où  il  fut  incarcéré 
il  était  à  la  veille  de  se  marier,  il  peut 
se  faire  qu'il  en  ait  été  ainsi;  mais  au 
fond  il  est  aisé  de  voir  qu'il  n'était 
pas  né  pour  le  mariage,  et  qu'il  n'eut 
pas  souvent  de  grands  efforts  à  faire 
pour  en  écarter  la  pensée.  Il  n'existe 
riend'in)primédeSchîaberndorf.Mais 
on  a  trouvé  dans  ses  papiers  des 
fuanuscrits  tant  allemands  que  fran- 
çais sur  la  morale,  sur  la  politique 
et  sur  la  philosophie.  Pour  la  plupart 
de  ces  travaux,  nous  ne  savons  vrai- 
ment s'il  est  à  regretter  qu'ils  n'aient 
pas  vu  le  jour  ;  mais  il  est  croyable 
qu'il  y  aurait  eu,  ou  même  qu'il  y 
aurait  encore  quelque  fruit  à  retirer 
de  ceux  qui  roulent  sur  l'éducation 
et  sur  la  théorie  de  la  parole.  Il  avait 
étudié  à  fond  la  voix,  et  avait  établi 
une  théorie  des  sons  plus  exacte  et 
plus  étendue  que  celles  qui  avaient 
paru  jusqu'alors.  Le  docteur  Fried- 
lander  en  a  publie  un  résumé,  mais 
très-succinci  et  très-incomplet.  Telle 
était  l'habileté  de  Schlaberndorf  sur 
le  mécanisme  vocal,  qu'un  jour,  dans 
une  expérience  publique,  l'abbé 
Sicard  montrant  un  échantillon 
des  progrès  des  sourds-muets  dans 
la  prononciation  de  quelques  sons,  le 
comte  ne  demanda  qu'un  quart 
d'heure  pour  leur  faire  prononcer  dis- 
tinctement d'autres  sons  que  jamais 
leur  instituteur  n'avait  pu  leur  faire 
articuler,  et  il  y  parvint.  Son  orai- 
son funèbre  fut  prononcée  par  le 
pasteur  Gœpp,  et  imprimée  sous  ce 
titre:  Discours  funèbre  prononcé 
dans  l'église  des  chrétiens  de  la 
Confession  d'Âugshourg  à  Paris  ^ 
2iaotitiS24,  aux  funérailles  de 
Gustave  ,  comte  de  Schlaberndorf^ 
doyen  du  chapitre  de  Magdebourg ^ 
Paris,  1825,  in-8°.  P— ot. 

SCHLEGEL  (Auguste  Guillal^ 
ME  de),  le  plus  telibre  critique  de 


SCH 

l'Allemagne',  grand  poète  d'ailleurs, 
et  linguiste  du  premier  ordre,  naquit 
le  5  septembre  1767,  à  Hanovre.  Il 
était  le  neveu  du  tragique  Jean-Èlie 
et  de  Jean-Henri<f  le  premier  tra- 
ducteur de  Thomson  et  d'Young,  en 
allemand  5  son  père  lui-même ,  Jean- 
Adolphe,  quoique   premier  prédica- 
teur de  Hanovre  et  surintendant  à 
Lunebourg,  a  laissé,  entre    autres 
œuvres  poétiques,  des  fables  estima- 
bles (voî/.  SCHLEGEL,  XLl ,  160).  11 
reçut  sa  première  éducation  dans  sa 
ville  natale,   moitié  au  sein  de   la 
maison  paternelle,  moitié  dans  les 
écoles.  A  l'étude   des  languts  an- 
ciennes il  joignit    de    fort    bonne 
heure  celle  du  français,  de  l'anglais, 
de  l'italien,  de  l'espagnol.  On  l'en- 
voya ensuite  à  Gœttingue,  afin  qu'il 
s'y  livrât  à  la  théologie.  Cette  ville 
universitaire  était  alors    le  centre 
d'un  développement  littéraire  très- 
varié.  Tandis  que  Heyne  y  poussait  à 
l'étude  plus  intime,  plus  complète 
de  l'antiquité ,  et  y  offrait  un  mo- 
dèle  de   l'alliance  encore   rare  de 
l'érudition  et  du  goût ,  une  généra- 
tion de  jeunes  poètes,  les  Stolberg, 
les  Mille,  lesBoie,  les  Leisewitz,  les 
Biirger  cherchaient  des  voies  nou- 
vellessous  des  inspirations  inquiètes, 
auxquelles  avaient  donné  naissance 
le  lyrisme  de  Klopstock,    l'enthou- 
siasme de  chevalerie  de  Gœthe  et  l'es- 
prit d'investigation  de  Lessing  ;  et 
Voss,  plulôtdoué  de  talent  que  de  gé- 
nie, non-seulement  rendait  sensible  à 
TAllemagne  la  merveilleuse  flexibi- 
lité de  l'allemand   pour  reproduire 
les  formes  étrangères  ,  mais  servait 
de  médiateur  entre  l'art  antique  et 
l'art  moderne,  en  fondant  la  pensée 
antique  dans  le  moule  moderne,  en 
faisant  croire  à  l'homogénéité  du  mo- 
dèle et  de  la  copie  qui  semblait  moins 
une  copie   qu'un  décalque,   qu'un 


SCH 


301 


trompe  l'œil.  Ce  mouvement  exerça 
sur  Schlegei  la  plus  vive  attraction  j 
Heyne, en  l'encourageant  dans  l'étude 
des  antiquités,  des  littératures,  ache- 
va de  déterminer  sa  vocation  secrète, 
ou  du  moins  de  le  remettre  sur   la 
voie  ^   il   abandonna   la   théologie. 
Toutefois  ses  débuts  ne  furent  pas 
ceux  d'un  homme  de  haute  et  brû~ 
lante  imagination.  Naguère,  dansune 
solennité  scolaire  ,  il  avait  lu  une 
histoire  de  la  métrique  allemande  : 
en  ce  moment  il  se  laissa  charger 
pour  Heyne  de  l'index  de  l'édition 
de  Virgile.    Au   lieu   d'une    froide 
nomenclature  de  mots  épars  et  sans 
liaison,   les    lecteurs   eurent  là  le 
tableau   complet  de  la  langue  poé- 
tique des  Romains  au  siècle  d'Au- 
guste. Il  se  voyait  décerner  en  même 
temps  un  accessit   pour  une  disser- 
tation sur  la  géographie  d'Homère  ; 
il  émettait  sur  l'origine  des  Pélasges 
une  opinion  neuve,  qui,  longues  an- 
nées plus  tard,  devait  trouver  place 
dans  sou  appréciation  critique  des 
idées  de  Niebuhr^il  insérait   dans 
VÀlmanach  des  Muses  de  Gœttingue 
et  dans  V Académie  des  beaux  arts 
des  essais  poétiques  qui  attirèrent 
sur  lui  l'attention  de  Biirger,  à  tel 
point   que   vers    1791   l'auteur  de 
Lénore  lui  adressait  un  sonnet,  l'en- 
gageant à  faire  revivre  pour  l'Alle- 
magne cette  forme  immortalisée  par 
Pétrarque,  le  saluant  du  nom  déjeune 
aigle,  et  le  voyant  franchir  la  voie 
qui  mène  au  temple  du  soleil.  Mais 
de  ce  que  Schlegei  ne  fut  pas  théo- 
logien, il  n'en  résulte  pas  qu'il  fût 
essentiellement    ou    exclusivement 
poète.  La  mort   de   son    père    (eu 
1793)  et  l'insuffisance  de  la  fortune 
dont  il  hérita  l'obligèrent  à  entrer 
comme  précepteur  particulier  chez 
un  banquier  (Mûller),  qui  l'emmena 
dans  la  capitale  de  la  Hollande.  U 


302 


SCH 


resta  ainsi  quatre  ans  éloigné  de  sa 
patrie,    ne    laissant  que   rarement 
échapper    de   sa    plume    quelques 
pièces  fugitives,  mais  s'instruisant 
de  plus  en  plus  dans  les  littératures, 
en  étudiant  les  procédés,  en  recher- 
chant les  conditions,  en  scrutant  les 
théories  admises  ou  possibles  :  Dante 
attira  principalement  son  attention. 
De  retour  à  Test  du  Rhin  dans  l'été  de 
1795,  après  la  conquête  de  la  Hollande 
par  Pichegru ,  ce  fut  à  léna  et  non 
à  Gœttingue  qu'il  débarqua;  mais 
léna  est  à  six  lieues  de  Weimar, 
et  Weimar,  alors  l'Athènes  d'outre- 
Rhin,  Weimar  où    l'on  apercevait 
à  côté  de  Goethe ,  Wieland ,  à  côté 
de   Hcrder,    Novalis    et  Schiller, 
Weimar  d'où  l'on  correspondait  avec 
Kant,  Jakobi ,  Fichte,  exerçait  une 
forte  action  sur  léna,   décidément 
hostile  aux  codexi  vulgaires  donnés 
par  la  France  comme  promulgués  par 
Aristote  ou  commelogiquementdéri- 
vésd'Aristote.On  s'agitait  pour  savoir 
que  faire.  On  sentait  vaguement  le 
besoin  d'un  principe,  d'une  loi,  d'un 
procédé.  On  variait  bien  sur  tous 
les  tons  le  mot   nature;   mais    ce 
mot  était  vague,  il  ne  définissait  rien, 
il  n'y  avait  rien  de  positif  dans  l'af- 
fectation à  se  ranger  sous  ce  dra- 
peau, que  la  réalité  d'une  réaction 
contre  l'ancien  goût.  Klopstock,  mal- 
gré sa  puissante  inspiration,  s'était 
perdu  dans  l'idéalisme  avec  ses  an- 
ges, et  le  nihilisme  avec  ses  bardes. 
Les  quatreoucinq  drames  marquants 
de   Lessing  ne   s'éloignaient  point 
essentiellement  de  la  forme,  de  la 
coupe,   de  la  monotone    régularité 
reprochées  à  la  scène  française,  si 
l'on  en  excepte  Miss  Sara  Samp- 
son,  dont  la  haute  beauté  n'est  pas 
sans  tache.  Gœthe,  après  avoir,  dans 
Gœtz  de  Berlichingen,  jeté  à  pleines 
mains  les  vives  peintures  chevale- 


SCH 

resques,  en  était  revenu  à  la  vie  mo- 
derne, au  drame  bourgeois  dans  Cla- 
vijo,  à  l'imitation  plus  ou  moins 
libre  des  types  d'Euripide  et  de  Ra- 
cine dans  Iphigénie  et  dans  le  Tasse. 
Enfin  Schiller  flottait,  et  la  sève  des 
Brigands  ne  bouillonnait  pas  dans 
ses  nouveaux  drames  désordonnée  et 
fougueuse  comme  par  le  passé.  Il  y 
avait  du  génie  dans  toutes  ces  têtes 
weimariennes  ,  mais  il  n'y  avait  pas 
science  raisonnée  de  ce  que  l'on  fai- 
sait ;    il  y  avait   des  idées ,  il  n'y 
avait  pas  de  système  ;  il  y  avait  l'en- 
vie d'êtce  une  école ,  il  n'y  avait  pas 
d'école;  on  était  net  dans  l'opposi- 
tion à  telle  ou  telle  recette  litttéraire , 
on  ne  pouvait  pas  formuler  ce  qu'il 
fallait  mettre  à  la  place.  Les  hardis 
artistes  avaient  donc  grand  besoin 
d'un  homme  qui  trouvât  le  mot  et 
la  loi  de  leurs  œuvres,  et  qui  leur  dît 
non  pas  qu'ils  avaient  raison  (comme 
tout  nourrisson  des  Muses  armé  de 
sa  plume  d'oie,  ils  le  croyaient  as- 
sez), mais  comment  et  pourquoi  ils 
avaient  raison.    Auguste-Guillaume 
Schlegel  fut  cet  homme:  soit  comme 
écrivain,  soit  comme  professeur  d'es- 
thétique, il  posalesaxiomes,il  établit 
les  théorèmes,  il  déduisit  les  corollai- 
res en  vertu  desquels  Weimar  d'a- 
bord, puis  presque  toute  l'Allemagne 
tinrent  pourarticle  de  foi  que  la  Grè- 
ce et  Rome,  la  Grèce  surtout,  avaient 
eu  leurs  procédés  d'art  parfaits  pour 
leur  temps,  que  le  moyen  âge  avait 
eu  les  siens  très-différents,  que  l'Ita- 
lie et  l'Angleterre  et  la  péninsule 
hispanique  en  avaient  connu  aussi 
de  fort  beaux,  que  la  France  avait 
été  toujours ,  depuis  le  Wh  siè- 
cle, très-pauvrement  dotée  sous  ce 
rapport.  Tout  cela  ne  fut  pas  émis  à 
la  fois  ;  mais  de  prime  abord  Schle- 
gel avait  conçu  en  lui-même  les  pre- 
miers linéaments  de  ce  système  qu'il 


SCH 

développa  logiquement  en  en  dédui- 
sant les  conséquences,  tantôt  à  Tétat 
de  théories  pures,  tantôt  à  propos 
de  tel  ou  tel  ouvrage  qu'il  caractéri- 
sait et  qu'il  cotait  suivant  ses  idées, 
tantôt  par  l'un  et  l'autre  de  ces  pro- 
cédés à  la  fois.  Ainsi  se  trouva  com- 
plètement constitué  au  bout  de  quel- 
ques années  le  système  romantique, 
dogmatisant  et  attaquant  tout  à  la 
fois,  ayant  ses  formules,  et  censu- 
rant dédaigneusement  celles  des  au- 
tres, prouvant  sa  propre  légitimité 
à  lui,  et  démonétisant  le  vieil  art 
poétique  recrépi  par  Laharpe.  On  a 
vu  plus  haut  la  forte  part  qu'eut 
dans  cette  tâche  Frédéric  son  frère. 
A  Guillaume  certes  appartenaient 
l'initiative,  la  perspicacité.  Il  voyait 
le  premier  et  plus  à  fond  :  il  signa- 
lait avec  certaine  froideur  et  sans 
prétention  pédantesque  à  la  rigueur 
mathématique.  Si  la  chaude  véhé- 
mence et  la  logique  de  sou  frère  com- 
plétaient utilement  ce  qui  lui  man- 
quait peut-être,  on  peut  dire  d'une 
part  que  ces  qualités  ne  réussissaient 
pas  également  auprès  de  tous  les 
publics  ;  de  l'autre,  que  Frédéric,  en 
gt^néral,  ne  déployait  son  éloquence, 
n'échelonnait  ses  déductions  que  sur 
le  mot  ou  sous  l'inspiration  d'Au- 
guste, bien  que,  nourris  des  mêmes 
idées  puisées  au  sein  des  mêmes 
auteurs  et  pénétrés  des  mêmes  aver- 
sions, ils  aient  su  très-souvent  met- 
tre la  main,  chacun  de  son  côté,  sur 
des  idées  en  partie  analogues.  Peu 
de  temps  après  le  retour  de  Schle- 
gel  en  Allemagne,  les  Heures,  mal- 
gré le  beau  nom  de  Schiller,  leur  fon- 
dateur, et  malgré  de  fort  habiles 
collaborateurs,  étaient  obligées,  par 
l'indifférence  publique,  de  céder  le 
champ  libre  à  des  recueils  plus  terre 
à  terre,  ne  laissant  d'autre  trace  de 
leur  courte  existence  que   VAlma- 


SCH 


303 


nach  des  Muses,  censé  les  rempla- 
cer. Schlegel,  qui  dès  sa  réappari- 
tion à  l'est  du  Rhin  avait  fourni 
aux  Heures  divers  articles  (sur 
Dante,  sur  la  langue,  la  poésie, 
le  mètre,  sur  Shakspeare),  dont  un 
peu  plus  tard  VAlmanach  des  Muses 
aussi  reçut  des  productions,  ne  dés- 
espéra pas  de  faire  entendre  sa 
voix  du  haut  d'un  tribunal  périodi- 
que sur  les  hautes  questions  d'art  et 
de  littérature.  Il  créa,  de  concert 
avec  son  frère  et  Tieck ,  la  revue 
dite  Athenœum ,  et  pendant  trois 
ans  (1798-1800)  qu'elle  parut, 
il  fit  preuve  d'une  activité  prodi- 
gieuse, analysant  et  discutant  à  fond 
à  peu  près  tout  ce  qui  paraissait 
d'un  peu  important  en  Allemagne  et 
en  Italie,  en  Angleterre  eten  France, 
examinant  d'un  ton  un  peu  tran- 
chant ,  un  peu  acerbe ,  mais  d'a- 
près des  principes  à  lui  et  d'un 
point  de  vue  à  lui.  Les  Caracté- 
ristiques et  Critiques  suivirent  de 
près  (1801),  et  posèrent  plus  net- 
tement encore  les  bases  de  cette 
poétique  qu'il  formulait  et  appuyait 
d'exemples  pris  généralement  parmi 
les  ouvrages  des  contemporains.  D'un 
côté,  il  proclamait,  en  réponse  aux  La- 
Motte  de  l'Allemagne,  que,  la  forme 
poétique,  que  le  vers  n'est  point  une 
superfétation,  un  tour  de  force,  une 
mélodieuse  inutilité,  que  tenir  au 
mètre  ou  au  rhythme  n'est  pas  le 
fait  d'un  esprit  routinier,  que  ce  lan- 
gage auquel  on  conteste  le  naturel 
est  le  seul  qui  naturellement  s'assor- 
tisse  à  l'inspiration,  et  qu'il  fait  par- 
tie de  l'accent  idéalisateur.  De  l'autre, 
il  osait  soutenir  que  les  formes  de 
l'antiquité  grecque  et  latine,  belles 
en  leur  temps,  avaient  été  belles  par 
leur  conformité  à  l'esprit  qui  les 
animait,  mais  que  cet  esprit  ou  s'é- 
tant  éteint;  ou  ayant  été  débordé, 


304 


SCH 


des  formes  nouvelles  avaient  été  né- 
cessaires, et  qu'en  s'asservissant  à 
celles  du  passé  Pon  n'avait  embrassé, 
comme  en  s'attachant  aux  urnes  fu- 
nèbres, que  la  cendre  des  morts.  En 
même  temps  il  publiait  huit  volumes 
d'une  traduction  allemande  de  Shak- 
speare,  bien  supérieure  à  celle  de 
"Wieland,  et  offrait  ainsi  par  le  fait  à 
ses  compatriotes,  soit  une  vive  et  in- 
tarissable source  d'inspiration  puis- 
samment en  harmonie  avec  l'esprit 
germanique,  soit  un  modèle  que  tou- 
tefois il  n'ordonnait  pasde  reproduire 
strictement  par  un  calque  factice 
et  servile.  Il  se  délassait  de  ses 
travaux  en  quelque  sorte  techni- 
ques, par  des  créations  qui  fussent 
à  lui  en  propre,  par  des  poésies  déta- 
chées, par  des  élégies,  par  des  son- 
nets, où  il  se  montrait  tantôt  animé 
des  souvenirs  de  la  vie  et  de  la  pen- 
sée antiques,  tantôt  admirateur  des 
grands  poètes  de  la  renaissance  ita- 
lienne et  des  trésors  de  poésie  et 
d'art  dont  l'Église  recèle  le,  germe. 
Aux  faciles  succès  de  Kotzebue  et 
surtout  aux  grossières  insultes  que 
ce  dramaturge  avait  entassées  con- 
tre M'"''  de  Staël  dans  son  Ane  hy- 
perboréen^  il  répondit  par  son  Arc 
de  triomphe  en  Vhonneur  du  pré- 
sident de  théâtre  Kotzebue.  La 
mort  de  celui  de  ses  frères  aînés 
qui  était  au  service  de  la  compagnie 
des  Indes  lui  inspira  la  belle  Épitre 
de  Néoptolème  à  Diodes  (  1799) , 
comme  celle  d'une  jeune  fille,  sa  pa- 
rente, Augusta  Bœhmer,  le  jeta  pour 
long-temps  dans  des  pensées  mé- 
lancoliques qu'il  exhala  dans  une 
nouvelle  suite  de  sonnets.  Bientôt 
après,  il  eut  la  douleur  de  voir  INo- 
valis  descendre,  tout  jeune  encore, 
dans  la  tombe  (1802).  L'Allemagne 
perdait  en  lui  l'espérance  d'un  grand 
poète,  Schlegel  perdait  un  ami.  11 


SCH 

n'en  comptait  que  bien  peu.  Frédé- 
ric, déjà  sur  la  pente  qui  devait  le 
conduire  à  l'absolutisme  et  au  mys- 
ticisme, avait  embrassé  le  catholi- 
cisme à  Cologne,  et  ce  passage  en 
un  camp  étranger  tendait  à  rendre 
moins  vives  les  sympathies  des 
deux  frères  (comparez  la  fin  de 
Tanicle,  bibliographie,  n^  XXVlll). 
Gœthe  et  Schiller,  bien  que  ne 
pouvant  pas  rompre  ouvertement 
des  lances  contre  Schlegel,  étaient 
très-peu  favorablement  disposés  pour 
lui  :  ils  affectaient  de  ne  voir  en  lui 
qu'un  critique,  un  amateur  de  litté- 
rature, mais  non  un  poète,  un  ar- 
tiste ;  et  sa  critique  même,  ses  prin- 
cipes esthétiques,  sa  doctrine  sur  les 
sources  de  l'art,  ils  insinuaient  tantôt 
que  tout  cela  était  ou  contestable  , 
ou  appliqué  sans  grand  à-propos, 
tantôt  qu'il  n'y  avait  là  que  peu  de 
chose  qui  lui  fût  propre.  La  réalité, 
c'est  qu'ils  étaient  impatientés  de  le 
voir  à  peu  près  indépendant  à  côté 
d'eux,  indépendant  en  ce  que  l'on 
voyait  en  lui  le  critique,  comme  en 
eux  les  hommes  de  génie  de  l'école 
nouvelle,  et  en  ce  qu'il  se  taillait 
dans  le  champ  de  la  littérature  un 
domaine  à  lui,  où  nul  ne  semblait 
venir  qu'après  lui,  indépendant  aussi 
en  ce  que  parfois  il  osait,  quoique 
avec  d'extrêmes  ménagements,  trou- 
ver encore  quelque  chose  à  désirer 
dans  Gœthe.  La  preuve  de  cette 
hostilité,  que  Schlegel,  au  reste,  a 
voulu  atténuer,  et  qu'il  compare  à 
des  nuages  altérant  passagèrement  ♦ 
la  sérénité  d'un  beau  ciel ,  ne  se 
montre  pas  seulement  dans  la  cor- 
respondance de  ce  dernier  avec 
Schiller;  des  mots  glissés  dans  une 
conversation,  dans  une  préface,  dans 
un  article  de  journal  ou  de  revue, 
portaient  des  traces  de  cette  acrimo- 
nie. Schlegel  s'en  lassa  ;  et ,  goûtant 


SCH 

peu  d'ailleurs  Paspecl  des  lieux  où 
il  venait  de  perdre  sa  femme,  la  fille 
de  Michaëlis,  résolut  d'aller  planter 
sa  tente  un  peu  à  l'écart.  Il  se  rendit 
à   Berlin  ,   où  bientôt  il  ouvrit  un 
cours  sur  la  littérature  et  les  arts, 
cours  qui  futtrès-fréquenté  par  l'élite 
de  société.  Tout  en  en  réunissant  les 
matériaux  ,  il  acheva  une  tragédie 
d'/on,  imitée  d'Euripide,  mais  lar- 
gement et  profondément  remaniée. 
11  traduisit  ensuite  cinq  pièces  de 
Calderon,  moment  décisif  dans  sa 
vie  et  peut-être  dans  l'histoire  de 
la   critique  en   Europe  ;   car    c'est 
alors  que  ses  idées  sur    J'art   ro- 
mantique, encore   un  peu   étroites 
et   un   peu    incertaines  jusque-là, 
s'épanouirent,    se    formulèrent    et 
s'assirent  ;  et  Schiller  lui-même  en 
vint  à  dire  en  lisant  ces  chefs-d'œu- 
vre si  long-temps  incompris  de  l'Eu- 
rope :  •  Que  de  fautes  Gœthe  et  moi 
aurions  évitées  si  nous  avions  connu 
plus  tôt  Calderon  !  »  Quelque  temps 
après,  parut  sous  le  titre  à^ Antholo- 
gie etc.  (Blumenstraeusse),  un  choix 
de  poésies  italiennes,  espagnoles  et 
portugaises,  avec  une  dédicace  aux 
poètes  mêmes  dont  il  interprétait  les 
chants.  «  Recevez,  leur  dit-il,  rece- 
vez l'offrande  de  ces  fleurs,  hommes 
sacrés!  comme  à  des  dieux  je  vous  fais 
hommage  de  vos  propres  dons,  etc.  • 
Un  de  ses  ennemis,  Immermann,  lui 
adresse  à  ce  propos  cette  injurieuse 
apostrophe  :  «  Tu  as,  Guillaume,  dé- 
chiré ta  robe  allemande  en  Angle- 
terre, puis  en  Italie  et  dans  les  som- 
bres contrées  deBrahma.  »  S'il  fallait 
se  conformer  à  la  lettre  à  cette  bou- 
tade ,    toute    étude   de    littérature 
étrangère ,    toute    comparaison   de 
poètes  de  l'un  et  de  l'autre  côté  de 
la  Manche,  de  l'un  et  de  l'autre  côté 
des  Pyrénées,  de  l'un  et  de  l'autre 
côté  du  Rhin,  serait  inutile  et  blâ- 

LXXXI. 


SCH 


20^ 


mable.  Telle  ne  fut  pas  la  sensation 
de  madame  de  Staël.  Elle  se  trouvait 
à  Berlin  en  1804.  Elle  fut  charmée 
de  l'originalité,  de  l'indépendance, 
du  mouvement  d'esprit  de  Schlegel. 
Elle  n'avait  rien  entendu  de  pareil 
en  France  ni  même  ailleurs  ^  et  pour- 
tant que  n'avait-elle  pas  entendu? 
Schlegel,  de  son  côté,  subit  la  magie 
de  la  conversation  de  Corinne  :  tout 
ce  qu'elle  ressentait,  elle  l'exprimait 
avec  passion  et  sympathie.  Il  enten- 
dit avec  délices  son  éloge  sortir  de 
sa  bouche.  11  espéra  encore  plus.  11 
consentit  à  faire  partie  de  sa  maison 
eommc  instituteur  de  ses  enfants, 
et  il  la  suivit  en  Italie,  en  France, 
en  Suiss.e  lorsqu'elle  y  fut  appelée 
par  la  mort  de  Necker.  Sous  plus 
d'un  rapport  il  y  gagna  :  il  s'arra- 
chait à  l'existence  toujours  un  peu 
étroite,  un  peu  comprimée  du  savant 
en  Allemagne,  puis  il  se  trouvait  eu 
contact  et  aux  prises  avec  bien  des 
faits  nouveaux.  Mais  sous  plus  d'un 
rapport  aussi  il  eut  à  regretter 
cette  décision.  D'abord  jamais  il 
n'obtint  dans  le  cœur  de  celle  qui  le 
traînait  après  son  char  la  place  qu'il 
avait  ambitionnée  ;  et  dès  lors  on 
comprend  que  plusieurs  de  ceux  qu'i  I 
fallait  voir  là  devaient  lui  être  sou- 
verainement odieux,  Benjamin  Con- 
stant en  première  ligne.  Puis,  mal- 
gré la  délicatesse  attentive  de  la 
maîtresse  de  la  maison,  il  n'était  pas 
toujours  traité  avec  toute  la  défé- 
rence qu'il  eiit  souhaitée  dans  le  ca- 
ravansérail que,  à  Coppet  et  autres 
lieux,  madame  de  Staël  tenait  ouvert 
à  tous  les  admirateurs  de  ses  talents. 
Il  souffrait  de  voir  quelques  visi- 
teurs tentés  de  croire  que  toutes 
ses  idées  esthétiques  et  critiques  lui 
étaient  souillées  par  la  dame  de  céans. 
Par  nature  d'ailleurs,  il  était  inquiet 
et  susceptible  dans  les  relations  quo- 

20 


306 


SCH 


S€H 


tidiennes  de  la  vie.  En  France  enlin, 
il  vit  plus  d'une  fois  les  opinions 
qu'il  exprimait  sur  la  valeur  des  oeu- 
vres d'art  françaises  et  non  fran- 
çaises, ainsi  que  sur  celle  des  théo- 
ries toujours  florissantes  de  LouisXlV 
à  Napoléon,  combattues  plus  forte- 
ment et  avec  moins  d'insuccès  qu'il 
ne  l'eût  cru  possible  :  il  en  garda 
toujours  certaine  haine  à  nos  pau- 
vres compatriotes,  à  moins  qu'on  ne 
veuille  mettre  cette  antipathie  vrai- 
ment extrême  dans  l'extrême  sur  le 
compte  de  quelque  mystérieuse  souf- 
france de  cœur  indissolublement  liée 
dans  sa  pensée  au  souvenir  de  notre 
pays.  Cependant,  à  quelque  interrup- 
tion près,  il  resta  douze  ans  de  suite 
dans  cette  situation,  même  après  qu'il 
ne  fut  plus  question  d'élever  les  en- 
fants de  madame  de  Staël.  Son  séjour  à 
Paris  fut  signalé  par  sa  Comparaison 
des  deux  Phèdres^  qui  fit  surgir  con- 
tre la  témérité  du  novateur  un  con- 
cert de  clameurs  et  d'injures,  mais 
qui  certes  lui  valut  de  prime-^bord 
une  célébrité  que  dix  chefs-d'œuvre 
ne  lui  eussent  pas  donnée  chez  nous. 
AVienne,  où  il  accompagna  ensuite  sa 
patronne  et  où  lui  fut  faite  une  belle 
réception,  il  exposa  devant  un  nom- 
breux auditoire  ses  idées  sur  l'art 
théâtral^  elles  eurent  un  retentisse- 
ment, un  succès  prodigieux.  Faut-il 
en  dire  le  vrai  pourquoi?  Nul  doute 
à  nos  yicux  que  le  talent  du  profes- 
seur, la  nouveauté  de  ses  aperçus,  la 
fécondité  de  ses  théories ,  ne  tussent 
pour  quelque  chose  dans  l'enthou- 
siasme qui  l'accueillait.  Mais  Schle- 
gel  se  recommandait  par  mieux  que 
tout  cela:  il  avait  la  France  en  haine, 
il  rapetissait  Racine,  il  démonétisait 
Corneille,  il  ravalait  Molière  au  rang 
de  bouffon;  on  peut  penser  si  les 
autres  étaient  hachés  menu.  C'était 
un  hmim  sur  les  plaies  d'Àusterlitz 


et  de  Wagram ,  et  les  rancunes  au- 
trichienaes,  n'osant  rien  contre  le 
conquérant ,  s'en  donnaient  à  cœur 
joie  sur  nos  poètes.  C'est  là  aussi 
l'esprit  qui  perce  au  travers  de  bien 
des  pages  de  l'Allemagne  de  madame 
de  Staël  ;  et  la  police  impériale  n'eut 
pas  tout  à  fait  tort  d'y  voir  cette  ten- 
dance, non  que  les  opinions  émises 
soit  par  la  châtelaine  de  Coppet,  soit 
par  le  professeur,  manquassent  de 
sincérité',  mais  elles  étaient  passion- 
nées, surtout  de  la  part  du  dernier, 
et  s'adaptaient  à  merveille  à  des  im- 
pressions passionnées.  Schlegel,  à 
Vienne,  termina  sa  quinzième  et  der- 
nière leçon  par  une  allocution  pa- 
triotique dont  ses  auditeurs  furent 
effrayés.  11  alla  ensuite  voir  sa  mère 
et  ses  frères  à  Hanovre,  devenue  une 
des  préfectures  du  royaume  de  West- 
phalie,  et  il  y  gémit  avec  le  vieux 
Heyne  (comme  plus  tard  avec  Muller 
à  Casse!)  sur  l'anéantissement  de  l'in- 
dépendance allemande.  De  là  il  re- 
vint à  Coppet  en  traversant  laFrance  ; 
mais  il  n'y  resta  guère  au-delà  de 
1810.  Le  préfet  du  Léman  écrivit  au 
ministre  de  la  police  qu'il  y  avait  à 
Coppet  un  certain  M.  Chelègue  atta- 
ché long-temps  à  madame  de  Staël, 
anti-Français,  etc.,  etc.  M.  Chelègue 
fut  expulsé  du  territoire  de  l'empire 
français.  Berne  alors  devint  son  re- 
fuge; mais  bientôt  on  lui  déclara 
que,  fût-il  naturalisé  Suisse,  il  ne  se- 
rait  pas  long-temps  à  l'abri  des  dé- 
marches de  la  politique  française. 
Survint  l'année  1812;  madame  de 
Staël  elle-même  fut  obligée  de  quitter 
Coppet,  et  par  un  immense  détour 
(Suisse,  Tyrol,  Autriche,  Gallicic, 
Russie,  Finlande,  Suède)  alla  gagner 
l'Angleterre.  Jusqu'à  Stockholm 
Schlegel  fut  constamment  près  d'elle 
pendant  cet  énorme  voyage.  Arrivé 
à  Stockholm  au  moment  où  j^erna- 


5CH 

dotte  rQwpait  avec  Napoléon  (1812), 
il  fut  reçu  par  ce  prince  avec  de 
grandes  marques  de  confiance;  et 
bientôt  il  écrivit,  sous  Tinspiratioa 
du  cabinet  suédois  sans  doute,  mais 
certes  aussi  sous  celle  de  son  anti- 
pathie pour  notre  pays,  deux  bro- 
chures politiques  où  l'animosité  se 
montre  encore  plus  que  le  talent 
(  voy.  plus  bas ,  bibliographie  , 
n°^  XXVI  eti  XXVII) ,  puis  il  sui- 
vit le  prince  royal  en  Allemagne 
et  fit  partie  de  son  quartier-gé- 
néral pendant  les  campagnes  de 
1813  et  1814.  On  juge  bien  qu'avec 
de  semblables  précédents ,  quand 
Schlegel  alla  rejoindre  à  Londres 
madame  de  Staël  pour  la  ramener 
bientôt  après  en  France,  il  y  fut  Tob- 
jet  d'un  fort  bel  accueil:  ses  le- 
çons de  Vienne,  au  reste,  avaient  été 
imprimées  sous  le  titre  de  Cours  de 
littérature  dramatique  ;  et  les  An- 
glais reconnaissaient  qu'il  leur  ap- 
prenait à  eux-mêmes  à  mieux  com- 
prendre le  génie,  la  Valeur  de  leur 
Shakspeare.  Vinrent  enfin  les  évé- 
nements de  1814.  Schlegel,  toujours 
à  la  suite  de  madame  de  Sta«l ,  ne 
dédaigna  pas  de  visiter  à  son  aise  et 
même  d'habiter  cette  odieuse  France, 
purgée  du  Corse,  il  est  vrai,  mais oti, 
tout  comme  par  le  passé,  on  jouait 
Phèdre  et  l'on  regardait  le  Poquelin 
comme  autre  chose  qu'un  bateleur  j 
et  cependant  on  réimprimait,  l'an- 
née même  de  la  Restauration,  une 
traduction  en  notre  langue  du  Cours 
de  littérature.  Le  nom  de  Schlegel 
en  devint  profondément  impopu- 
laire ;  et,  quoique  l'ouvrage  eût  peu 
de  débit ,  partant  assez  peu  de 
lecteurs,  ses  idées  soulevèrent,  sinon 
une  polémique  en  règle,  du  moins 
des  persiflages  assez  fréquents  et 
des  demi-réfutations.  Les  champions 
du  goût  français  n'étaient  pas  fortl, 


SCH 


30î 


il  faut  le  dire  ;  et  mises  à  part  les 
rectifications  à  faire  aux  iniques  sen- 
tences  portées   contre  nos  grande 
hommes,  la  cause  n'était  pas  bonne. 
La  philosophie,  la  profondeur,  les 
vues  fécondes ,  la  rectitude  et  l'élé- 
vation que  communiquent  à  l'esprit 
les  habitudes  comparatives,  le  sen- 
timent de  l'art,  du  beau,  de  l'idéal, 
de  la  variété  des  procédés  et  des 
formes  qui  mènent  au  but,  de  l'har- 
monie qui  doit  exister  entre  elles  et 
l'état  tant  intellectuel  que  moral  des 
civilisations,  tout  cela  était  du  côté 
du  critique  allemand  ;  mais  bien  peu 
de  personnes  pouvaient  le  voir  en 
1815  et  dans  les  années  qui  suivirent 
immédiatement.  Petit  à  petit  cepen- 
dant, ces  doctrines  devaient  gagner 
du  terrain  parmi  nous  et  devenir,non 
pas  dans  tous  leurs  détails  et  sur- 
tout dans  leurs  applications  passion- 
nées, soit  à  des  pays  entiers,  soit  à 
quelques  individualités  éminentes,  la 
base  de  toute  critique  haute  et  fé- 
conde. Mais  Schlegel  ne  devait  point 
voir    de    ses    yeux    ce    triomphe. 
Dès  1815,  il  avait  fait  en  Italie  un 
second  voyage ,  et  s'y  était  occupé 
d'antiquités  romaines  et  étrusque^. 
Il  revint,  mais  la  mort  de  madame 
de  Staël  (14  juillet  1817)  rompit  le 
seul  lien  qui  l'attachât  à  la  France. 
Il  ne  resta  guère  à  Paris  après  cet 
événement  que  le  temps  nécessaire 
pour  soigner  (avec  MM.  le  duc  de 
Broglie  et  Aug!  de  Staël)  l'impres- 
sion des  Considérations  sur  la  révo- 
lution française;  et  l'année  même  où 
eut  lieu  cette  publication  (I818),ilalla 
s'établir  à  Bonn,  dont  l'université, 
réorganisée  par  le  roi  de  Prusse  à 
cette  époque,  voyait  ses  chaires  rem- 
plies par  les  Niebuhr,  les  Brandis, 
les  Welcker,  les  Arndt ,  les  Naeke, 
les  Lassen.  Recommandé  au  souve- 
rain par  de  puissants  protecteurs, 


;i08 


SCH 


SCH 


par  s;i  rmoniniee  ei  aussi  par  ses  ef- 
forts contre  le  vainqu«Mir  d'iéna  et 
d'Eylau,  Schlegel  devint  le  collègue 
de  ces  habiles  professeurs,  bien  que 
personnellement  Niebuhr  lui  gardât 
et  lui  ait  toujours  gardé  rancune  de 
rarticle  que  récemment  il  avait  pu- 
blié sur  son  Histoire  romaine  dans 
les  Annales  d'Heidelherg.  Bonn  dut 
être  d'autant  plus  fière  de  posséder 
IMIIustre  critique  parmi  ses  titu- 
laires, qu'il  n'eût  tenu  qu'à  lui  d'a- 
voir un  poste  analogue  à  Berlin.  A 
partir  de  ce  moment ,  la  vie  de 
Schlegel  change  du  tout  au  tout; 
uon-seulemcnt  il  ne  lutte  plus  ,  il 
n'innove  plus,  il  ne  se  mêle  plus 
aux  distractions  et  au  tumulte 
du  monde,  mais  encore  ses  éludes 
littéraires  deviennent  tout  autres. 
De  la  critique  il  passe  à  la  linguis- 
tique ;  du  moyen  âge,  qu'il  avait 
tant  contribué  à  replacer  sous  son 
vrai  jour  et  à  montrer  comme  aussi 
poétique  que  l'antiquité  grecque,  il 
passe  à  un  njonde  plus  différent  de 
ces  deux  âges  que  ces  deux  âges  ne 
diffèrent  entre  eux ,  en  un  mot ,  de 
l'Europe  il  passe  à  l'Inde.  Pendant  les 
quatre  années  de  son  séjour  à  Paris, 
il  s'était  livré  à  peu  près  en  secret , 
sans  éclat  du  moins  ,  à  l'étude  du 
sanscrit,  et  il  y  avait  fait  de  très- 
grands  progrès.  A  peine  à  Bonn, 
il  fit  agréer  au  gouvernement  prus- 
sien ridée  d'avoir  en  cette  ville 
une  imprimerie  sanscrite,  dont  il 
comptait  bien  faire  grand  usage  lui- 
même,  mais  que  d'autres  aussi  ont 
glorieusement  utilisée  ;  et  il  fut 
chargé  d'aller  à  Paris  en  jeter  les 
bases  en  faisant  fondre  une  collec- 
tion de  caractères  dévanagaris.  De 
retour  dans  sa  ville  universitaire,  il 
commença  la  publication  de  sa  Bi- 
bliothèque  indienne ,  puis  vint  le 
Bhagavat-Gita ,   et    enfin,    après 


longues  années,  la  traduction  latine 
avec  le  tevte  en  regard  du  Ramaia- 
na.  Bien  avant  que  ce  dernier  ou- 
vrage fût  terminé,  la  réputation  de 
Schlegel  comme  indianiste  était  ré- 
pandue par  tonte  l'Europe;  et  de 
Paris ,  de  Cambridge  et  d'Oxford 
il  était  consulté  comme  un  oracle 
par  ceux  qui  préparaient  des  publi- 
cations sanscrites.  Les  premières 
années  de  Schlegel  à  Bonn  furent 
peut-être  les  plus  heureuses  de  sa 
vie,  si  l'on  veut  ne  point  tenir  compte 
des  espérances  et  de  cette  plénitude  de 
sensations,  l'apanage  de  la  jeunesse. 
En  1823  il  réunit  à  sa  chaire  la  conser- 
vation du  Musée  des  antiquités  natio- 
nales, Distinctions,  considération, 
titres  honorifiques  ,  lettres  de  no- 
blesse, fortune  aisée  et  loisirs  voués 
à  des  études  de  son  choix,  il  réunis- 
sait la  plus  grande  partie  de  ce  qui 
décore  et  facilite  la  vie.  Encore  actif 
de  sa  personne ,  il  voyageait  tantôt 
à  Paris,  tantôt  à  Londres,  à  Oxford, 
à  Cambridge,  à  Hayleybury,  pour  y 
examiner  les  manuscrits  indiens  des 
bibliothèques,  tantôt  en  Allemagne  ; 
et  à  Londres  il  faisait  encore  avec 
succès,  en  1827,  un  cours  sur  l'his- 
toire des  beaux-arts.  11  jouissait  de 
sa  gloire  passée  et  s'en  construi- 
sait une  nouvelle  ;  ses  idées  critiques 
prenaient  chaque  jour  un  peu  plus 
faveur  au  dehors,  en  France  même 
et  dans  les  pays  qui  jurent  par  la 
France  ;  dès  1825  ,  leur  triomphe 
n'était  plus  douteux  ;  lié  avec  Lassen 
et  Naeke,  indianistes  comme  lui ,  il 
avait  le  plaisir  de  voir  de  plus  autour 
de  lui  comme  une  jeune  cour.  Beau- 
coup d'étrangers  en  passant  à  Bonn 
venaient  le  visiter;  il  les  recevait 
obligeamment,  avec  un  peu  d'em- 
phase peut-être;  il  aimait  surtout, 
s'il  s'en  trouvait  plusieurs  ensemble 
et  qu'ils  fussent  de  pays  différents,  à 


SCH 

enlretenir  chacun  d'eux  dans  sa  lan- 
gue originaire.  Ou  devine  cependant 
qu'il  n'en  fut  point  ainsi  jusqu'à  la 
fin  de  sa  vie.Schiegel  devait  mourir 
presque  octoge'naire,  en  1844.  Non- 
seulement  le  temps  en  marchant  lui 
enlevait  des  amis,  des  appréciateurs, 
des  contemporains  qui  même  eussent- 
ils   e'ie'   ses   adversaires    autrefois  , 
dataient  du  moins  de  la  même  épo- 
que que    lui.    Les  doctrines    aussi 
avançaient,  ses  théories  étaient  dé- 
passées; hardi  novateur  jadis,  il  se 
trouvait  arriéré.  Comnie  tant  d'au- 
tres, lorsqu'ils  sont  témoins  d  un  ra- 
pide mouvement  qu'ils  ne  peuvent 
plus  suivre,  encore  moins  conduire, 
il  en  conçut  de  Ja  mauvaise  humeur, 
ii  s'exhala  en  censures,  qui,  justes 
sur  bien  des   points,  exagérées  ou 
fausses  sur  d'autres,  avaient  le  tort 
de  ressembler   aux    récriminations 
du  diisappointenient.  L'impopularité 
semble   avoir   été    une    fatalité   de 
Schlegel  :  d'année  en  année  les  sym- 
pathies  se    retirèrent  de   lui   sans 
qu'on  lui  refusât  l'estime;  le  vide  se 
faisait  autour  de  lui;  on  l'oubliait. 
Lorsque  les  journaux,  les  uns  après 
les  autres,  répétèrent  la  nouvelle  de 
sa  mort,  bien  des  gens  s'écrièrent  : 
«  Quoi ,  il  était  encore  vivant  !  »    lî 
eut  aussi  la  contrariété  de  s'entendre 
imputer  des   sentiments  de  catholi- 
cisme caché  :  aussi  zélé  protestant 
que  son  frère  était  devenu  zélé  catho- 
lique, il  s'en  défendit  avec  chaleur. 
Quoique  poète  remarquable  et  savant 
du  premier  ordre,  c'est  comme  cri- 
tique surtout  que  Schlegel  mérite  un 
rang  à  part  dans  l'histoire  littéraire. 
Nul  n'a  émis  un  aussi  grand  nombre 
d'idées  profondes,  justes,    aptes  à 
féconder  le  génie,  l'esprit  ;  nul  n'a 
fait  faire  plus  de  pas  importants  aux 
théories  d'art,  en  les  établissant  sur 
leur  vrai  terrain,  en  les  restreignant 


SCH 


309 


aux  limites  qu'elles  ne  doivent  pas 
dépasser,  en  voulant  qu'elles 'affer- 
missent et  stimulent  l'esprit,    non 
qu'elles   le  débilitent  et  le  gênent. 
Plus  impartial  en  poésie  que  Winc- 
kelmann  en  peinture   et  en  sculp- 
ture, il  ne  se  contente  pas  de  péné- 
trer le  mystère,  de  proclamer  et  de 
faire  sentir  la  beauté  de  l'art  antique, 
si  imparfaitement  comprise  pendant 
long -temps,  mais  il    sent  que   la 
forme  antique,  mai  gré  sa  haute  beau- 
té, n'est  pas  la  seule  forme  légitime; 
en  présence  de  ce  spécieux  aphorisme 
que  le  beau  doit  être  éternel  et  im- 
muable entièrement,  il  distingue  le 
beau  en  lui-même  etla  réalisation  du 
beau  par  l'homme  dans  une  œuvre 
d'art  ;  et  puisque  la  civilisation  n'est 
pas  la  barbarie,  puisque  le  chrétien 
n'est  pas  le  païen,  puisque  l'ère  de 
l'esclavage  n'est  pas  celle  de  l'émanci- 
pation, bien  que  le  barbare  et  le 
civilisé,  le  païen  et  le  chrétien,  l'es- 
clave et  l'émancipé  soient  sembla- 
blement  hommes,  il  conçoitque  l'œu- 
vre d'art,  pour  réaliser  l'idéal  devant 
des  hommes  de  degrés  de  civilisation 
différents,  ait  recours  à  des  procédés 
différents.   L'art  chrétien,  l'art  du 
moyen  âge  ne  doivent  pas  être  l'art 
polythéiste,  l'art  gréco-romain.  L'é- 
popée chevaleresque  n'a  pas  dû  s'as- 
treindre au  type  homérique  ;  et  Sha- 
kespeare ,  Calderon  ,  par  cela  même 
qu'ils   se   sont   mus  dans  d'autres 
milieux  qu'Eschyle  et  Euripide,  ont 
dû  suivre  une  autre  ligne  qu'Eschyle 
et  Euripide.  Sénèque  au  contraire, 
par  cela  même  qu'il  a  voulu  suivre 
ces  derniers  en  plein  empire  romain 
et  quand  rien  ne  restait  de  la  vieille 
simplicité,  du  vieil  héroïsme  et  des 
vieilles  croyances,  a  été  absurde;  et 
les  contemporains  de  Louis  XfV,  en 
reproduisant  à  quinze  siècles  de  là 
les  mêmes  formes   très-légèrement 


310 


SCH 


modifiées  par  le  ton  de  la  cour,  par 
l'emphase  et  par  une  politesse  factice, 
n'ont  su  adapter  leur  œuvre  ni  à  la 
société  antique  ni  à  la  société  mo- 
derne. Ce  qui  distingue  surtout 
Schlegel  dans  le  développement  de 
CCS  vues,  c'est  que  son  coup  d'œil  est 
synthétique  et  comparateur;  il  con- 
naît l'art  ancien  comme  l'art  mo- 
derne, et  l'art  de  l'âge  intermédiaire 
comme  les  deux  autres;  il  connaît 
Brahma  comme  Jupiter  et  le  Christ; 
îl  connaît  les  mœurs,  l'histoire,  les 
langues  comme  les  littératures.  On 
ne  saurait  nier  que  Herder  lui  ait  ou- 
vert la  voie  par  cette  élégante  flexi- 
bilité qui  lui  faisait,  à  lui  aussi,  sentir 
et  rendre  les  produits  de  civilisations 
diverses.  Mais  Herder  ne  donne  que 
les  produits  mêmes,  et  de  la  lecture 
de  ses  livres  il  ne  résulte  qu'un  fait 
thiir,  et  qu'on  savait  déjà,  moins 
bien  pourtant  qu'après  l'avoir  lu  : 
c'est  qu'il  est  des  procédés  et  des 
formes  diverses  ;  et  comme  en  fait 
tîhaque  procédé  et  chaque  forme 
d'art,  quand  c'est  Herder  qui  s'en 
Sert,  exercent  certain  charme  sur  le 
lecteur,on  penche  à  croire  que  chaque 
inanière  a  son  mérite.  Toutefois  il 
fallait  en  administrer  la]  preuve,  il 
fallait  signaler  le  lien  de  ces  formes 
différentes,  l'unité  dans  la  diversité, 
il  fallait  préciser  le  principe  et  trou- 
ver la  loi.  C'est  à  Schlegel  que  l'es- 
thétique moderne  doit  tout  cela.  La 
critique  à  cette  hauteur  et  avec  cette 
y)riginalité  suppose  du  génie  ,  car 
c'est,  elle  aussi,  une  création.  On  ne 
saurait  dénier  à  Schlegel  cette  qua- 
lité. N'oublions  pas  d'ailleurs  que 
comme  son  frère  et  plus  que  son  frère, 
comme  Herder  et  plus  que  Herder, 
il  s'est  montré  habilejoûteur  en  imi- 
tàtiôii  des  formes  d'autres  âges  ou 
d'atitres  contrées,  et  qu'il  a  su  repro- 
duire avec  la  coupe  et  l'attitude  exté- 


SCH 

rieure  l'esprit  interne,  les  qualités  et 
lesdéfectuosités,  les  grâces  et  le  man- 
que de  grâce  des  compositions  qu'il 
voulait  faire  comprendre,  tantôt  en 
s'en  tenant  strictement  à  la  manière 
imitée,  tantôt  en  laissant  l'esprit  mo- 
derne et  germanique  déteindre  sur 
les  calques.  Cttte  habileté  se  remar- 
que jusque  dans  des  traductions 
latines,  où  pourtant  il  reste  assez 
voisin  du  mot  à  mot.  Il  était  facile, 
correct  et  pur  ;  son  style  didactique 
est  fort  bon,  quoiqu'il  n'ait  pas  le 
coloris  et  la  véhémence  de  celui  de 
son  frère,  et  quoique  nous  ne  puissions 
être  de  son  avis  quand  il  répondait  k 
cette  demande  :  «  Qui  est-ce  qui  écrit 
bien  aujourd'hui?  Tieck  et  moi  ,  » 
c'est-à-dire  «Tieck  seul  et  moi.»— Voi- 
ci la  liste  des  ouvrages  de  Schlegel, 
distribués  en  quatre  groupes,  criti- 
que, poésie  ,  philologie^  sanskrite,  et 
œuvres  diverses  :  I  et  II.  Sa  part 
aux  deux  recueils  plus  haut  men- 
tionnés, l'Athenœum  de  Berlin,  3  vol. 
in-S",  1798-1800,  et  les  Caracté- 
ristiques et  Critiques  qui  ne  sont 
qu'une  collection  d'articles  insérés 
dans  divers  journaux  (Kœnigsberg, 
1801,  2  volumes;  nouvelle  édition, 
Berlin  ,  1828).  Entre  autres  mor- 
ceaux remarquables  on  y  a  sur- 
tout distingué  Vexamen  de  Roméo 
et  Juliette^  un  jugement  sur  Burger, 
et  l'article  sur  l'Homère  de  Voss.  On 
a  vu  que  l'un  et  l'autre  recueil,  mal- 
gré les  vues  un  peu  absolues  et  l'ac- 
cent un  peu  superbe  du  critique  prin- 
cipal ,  ont  exercé  l'influence  la  plus 
heureuse  comme  la  plus  décidée  et  la 
plus  vive  sur  l'Allemagne.  ïll  Compa- 
raison des  deux  Phèdres,  Paris  et  Ber- 
lin, 1807  (en  français).  Il  y  a  deux 
parties  à  distinguer  dans  cet  ou- 
vrage :  le  jugement  que  le  critique 
porte  sur  ce  que  doit  être  Ife  rôle 
d'Hippblyte,  et  febn  appfëciàfion  du 


rôle  de  Phèdre.  La  prcinJère  est  irré- 
prochable. Nou  seulement  il  y  mon- 
tre l'Hippolyte  français  glacial  et 
presque  ridicule,  ce  qui  n'avai\  point 
absolument  échappé  aux  critiques 
français  ;  mais  il  y  met  en  relief  tout 
ce  qu'il  y  a  de  délicieusement  poéti- 
que dans  l'arôme  sauvage  de  l'inex- 
périence indomptée  de  l'Hippolyte 
d'Euripide,  et  par  cela  même  il  met 
en  relief  toute  la  vulgarité,  le  bour- 
geois de  celui  que  Racine  a  substitué 
au  modèle.  Mais  dans  la  seconde  il 
est  injuste  en  ne  reconnaissant  pas 
combien  la  Phèdre  moderne,  même 
comme  conception  et  en  mettant  à 
part  les  beautés  de  détail,  est  supé- 
rieure à  la  Phèdre  grecque.  Il  ne 
voit  pas  qu'en  dernière  analyse  la 
pièce  d'Euripide  n'est  guère  qu'un 
chef-d'œuvre  de  plastique  et  que 
Phèdre  est  dramatique  :  il  ne  voit  pas 
que  V Hippoly  te  S léphanephore est  un 
marbre,  et  que  P/ièdre  est  une  femme. 
Ce  sont  l'un  et  l'autre  deux  chefs- 
d'œuvre,  mais  d'un  ordre  tout  diifé- 
reot,  parce  qu'ils  émanent  de  civi- 
lisations toutes  différentes,  et  il  y  a 
du  premier  au  s^ond  toute  la  dis- 
tance qu'il  y  a  de  la  civilisation,  de 
la  psychologie  du  XVIl«  siècle  à  celle 
du  temps  de  Socrate;  et,  pour  ache- 
ver de  dire  notre  pensée,  le  jugement 
^uc  nous  portons  ici  nous  semble 
n'être  que  le  corollaire  des  principes 
esthétiques  de  Schlegel  bien  com- 
pris :  il  nous  paraît  étrange  que,  au 
point  de  vue  qu'il  avait  adopté  et 
avec  la  supériorité  qu'il  accorde  vo- 
lontiers à  l'art  du  moyen  âge  et  de 
la  renaissance  sur  l'art  ancien,  il 
n'ait  pas  ainsi  apprécié  les  deux  ou- 
vrages. NuUe  subtilité  ne  peut  dé- 
truire celte  contradiction  ,et  au  total 
cette  aberration  ne  s'explique  pour 
nous  que  par  deux  causes  qui  entraî- 
nèrent Schleg«l  à  son  insu  :  l*anc, 


sai 


311 


cette  antipathie,  dont  nous  ivonsiiéjà 
parlé,  pour  la  France;  l'autre,  le  dé- 
sir de  frapper  un  grand  coup  et  de 
faire  parler  de  lui.  iV  Leçons  d'art 
dramatique  €t  de  littérature,  Heidel- 
berg,  1809-tl,  3  vol.,  2e  éd.  1817  ; 
etc.;  traduit  en  français  par  Mme  Dec- 
ker de  Saussure,  sous  le  titre  de  Court 
de  littérature  dramatique^  Paris,  1809 
et  1814,  3vol.in-8%et  dans  presque 
toutes  les  langues  de  l'Europe.  Cet  ou- 
vrage devenu  classique,  malgré  des 
fautes  et  des  exagérations,est  la  rédac 
tiondesqtiinze  leçons  qu'il  fit àVienne 
en  1808  devant  l'élite  de  la  société  de 
cette  capitale  de  l'Autriche.  C'est 
principalement  à  ce  travail  que  s'ap- 
plique ce  que  nous  avons  dit  ci-des- 
sus du  but,  de  Tidée  fondamentale  et 
du  développement  systématique  des 
principes  esthétiques  de  Schlegel, 
et  aussi  de  l'inQuence  qu'il  a  exercée 
sur  la  critique.  La  partie  ancienne 
décèle  un  savoir  profond  autant 
qu'une  sagacité  critique  exquise.  Les 
caractères  des  trois  grands  tragiques 
sont  tracés  de  main  de  maître.  Il  ap- 
précie avec  non  moins  de  justesse  et 
de  hauteur  Métastase ,  Alfieri,  les 
poètes  scéniques  de  l'Angleterre  et 
de  l'Espagne.  Pour  ces  derniers, 
sa  critique  s'empreint  d'enthou- 
siasme ;  et  c'est  là  surtout  qu'il  mé- 
rite cet  éloge  décerné  par  Mnie  de 
Staël,  que  nul  plus  que  lui  ne  peint 
en  traits  de  feu  par  son  analyse  le 
génie  des  grands  hommes,  et  ne  ré^ 
vêle  mieux  les  secrets  de  la  faculté 
eréatrice.  Arrivé  à  notre  théâtre,  il 
porte  à  l'excès  une  sévérité  juste 
dans  le  fond, tant  qu'elle  s'adresse 
aux  insuffisances,  aux  vulgarités,  aux 
tours  de  force  que  nous  nous  sommes 
trop  long-temps  habitués  à  croire  in- 
hérents à  l'essence  de  Tart,  et  -qui 
n'en  sont  qu'une  forme  accidentelle, 
bonne  ou  tolérable  dans  quelque»  cw, 


312 


SCH 


puérile,  fausse,  monotone  et  funeste 
le  plus  souvent,  et  il  méconnaît  la 
hauteur  de  génie,  la  puissance  de  poé- 
sie de  nos  grands  maîtres.  Il  est  peut- 
être  encore  plus  inexcusable  pour 
Molière, dont  la  réputation  lui  semble 
en  partie  usurpée;  et  l'on  en  est 
d'autant  plus  étonné  que.  l'on  pou- 
vait s'attendre  à  le  voir  nous  accor- 
der dans  la  comédie  la  supériorité 
qu'il  nous  refuse  dans  la  tragédie, 
puisqu'à  son  dire  les  règles  dont 
s'embarrassaient  à  tort  nos  tragiques 
étaient  favorablesà  la  comédie. Quant 
à  la  partietliéorique,ladiscussiondes 
trois  unités  y  occupe  une  place  con- 
sidérable :  il  les  envisage  en  elles- 
mêmes  et  il  les  envisage  historique- 
ment, en  se  demandant  si  elles  peu- 
vent réellement  se  décorer  de  l'auto 
rite  d'Aristote.  On  sait  aujourd'hui  ce 
qu'il  faut  penser  de  cette  dernière 
question  :  la  poétique  qui  porte  le 
nom  d'Aristote  n'est  pas  de  lui  et  ce 
n'est  qu'un  fragment  :  l'unité  de  lieu 
n'y  est  pas  nommée  ;  à  peine  y  trouve- 
t-on  quelques  lignes  sur  l'unité  de 
temps,  et  dans  ces  lignes  rien  qui 
ressemblée  une  loi.  Quant  aux  unités 
en  elles-mêmes,  il  démontre  que 
l'unité  d'action  seule  est  possible , 
que  celle-là  même  a  besoin  d'être 
définie, que  La  Motte  l'a  le  mieux 
comprise  en  y  substituant  l'unité 
d'intérêt.  Il  a  fait  justice  de  ce 
prétendu  besoin  d'illusion  com- 
plète dont  on  arguait  pour  démon- 
trer les  autres  unités,  et  il  en  si- 
gnalel'impossibilité  comme  la  puéri- 
lité ;  puis  il  établit  ce  que  c'est  réel- 
lement que  l'illusion  produite  par  les 
beaux-arts.  M.  de  Châteaugiron  a 
dit  que  la  traduction  française  du 
Cours  dramatique  de  Schlegel  était 
due  à  la  plumedeMi^e  de  Staël  {voy. 
Barbier,  Dict.  dei  anonymes^  2«  éd., 
n"  3131),    mais  évidemment  c'est 


SCH 

une  erreur:  M.  Quérard  s'est  donné 
la  peine  de  la  réfuter  par  les  témoi- 
gnages réimis  du  libraire  et  du  fils  de 
M'î^e  Necker  de  Saussure-,  la  nature 
des  choses  y  répond  peut-être  en- 
core plus  victorieusement  :  traduire 
répugnait  au  génie  de  M^e  de  Staël  : 
passe  s'i  I  se  fût  agi  de  quelques  pages, 
mais  trois  volumes  entiers,  cela  ne 
saurait  s'admettre  un  moment.  V. 
Observations  sur  la  langue  et  la 
littérature  provençale^  Paris,  1818, 
in- 8°  (en  français)  ,  auxquelles  il 
faut  joindre  ses  articles  dans  le  Jour- 
nal des  Débats  en  1833  et  34,  à  pro- 
pos de  cette  opinion  de  Fauriel  qu'à 
la  langue  romaine  avait  succédé  sur 
la  totalité,  ou  peu  s'en  faut,  de  la 
France,  de  l'Italie  et  de  l'Espagne, 
la  langue  provençale, qui  elle-même 
avait  donné  naissance  à  l'italien,  au 
castillan,  au  portugais  et  au  français. 
Il  s'y  attache  à  combattre  la  celto- 
manie  si  commune  il  y  a  un  tiers  de 
siècle  parmi  les  étymologistes  fran- 
çais. Raynouard  a  rendu  compte  de 
cet  ouvrage  dans  le  Journal  des  Sa- 
vants. VI.  Leçons  sur  l'histoire  et 
la  théorie  des  beaux-arts,  traduites 
en  français  par  A. -P.  Couturier,  Ber- 
lin, 1827;  Paris,  1830,  in-8«.  Ces 
leçons  n'étaient  qu'au  nombre  de 
seize  et  ne  forment  dans  la  version 
française  que  187  pages.  Le  traduc- 
teur les  a  complétées  en  y  ajoutant 
trois  articles  du  Conversation' s  Lexi- 
co/i,  tous  trois  dus  à  la  plume  d'Aug.- 
Guill.  Schlegel,  et  roulant  sur  l'his- 
toire de  l'architecture,  de  la  peinture 
et  de  la  sculpture,  avec  des  notes  où 
i!  fait  connaître  les  artistes  français. 
VII.  Divers  articles  épars  soit  dans 
de  grandes  compilations  (par  exem- 
ple les  trois  dont  il  vient  d'être  ques- 
tion), soit  dans  des  recueils,  entre 
autres  :  1<»  Dante,  Pétrarque  et  Boc- 
cace,  dans  la  Revue  des  Deux-Monde i 


SCH 

du  15  août  1836  (4^  série,  t.  VU,  400- 
418,  en  français  par  conséquent),  à 
propos  de  l'opinion  émise  par 
M.  Rosetti  (dans  son  Sullo  spirito 
antipapale  che  produsse  la  Rifor- 
ma)  qu'il  existait  au  XIV®  et  au 
XV^  siècle  par  toute  l'Italie  une 
société  secrète  liée  à  celle  des  Al- 
bigeois et  comptant  pour  affiliés 
Dante,  Pétrarque, Boccace, dont  pour 
ce  motif  les  écrits  étaient  com- 
posés en  style  à  double  entente;  2<>  les 
Idées  sur  l'avenir  de  la  littérature 
allemande^  Londres,  1825;  3°  les 
Hecherches  sur  les  Niebelungen,  tant 
dans  le  Musée  allemand  de  1811  que 
dans  les  Annales  de  Heidelbtrg 
(il  y  fait  justice  de  toutes  les  folles 
hypothèses  débitées  sur  cette  antique 
époque,  et  les  matériaux  qu'il  a  re- 
cueillis ont  servi  depuis  aux  éditeurs 
et  aux  appréciateurs  du  vieux  poème 
germanique);  4**  un  article  sur  VHis- 
toire  romaine  deNiebuhr,  aussi  dans 
les  Annales  de  Heidelberg  (c'est  sans 
contredit  le  coup  le  plus  violent  qui 
ait  été  porté  aux  épopées  que  Niebuhr 
voit  dans  la  primitive  histoire  ro- 
maine) ;  b°  une  Lettre  sur  les  chevaux 
de  bronze  de  Venise,  dans  la  Biblio- 
tecaitaliana  de  Milan  (il  y  professe  la 
même  opinion  que  Mustoxidi  et  s'é- 
lève contre  celle  de  Cicognara)  ;  6®  et 
7°  la  Dissertation  sur  Niobé  etjja 
Notice  sur  le  peintre  JeandeFiesole, 
dans  le  même  recueil  ;  8"  Discours 
d'ouverture  du  Cours  à  l'université 
de  Bonn,  trad.  et  inséré  dans  la  ^e- 
vue  germ.;  9°  un  autre  article  sur 
Shakspeare  (dans  les  Heures)^  article 
qui  devint  le  point  de  dépari  de  ses 
autres  travaux  sur  ce  grand  poètedra- 
matique.  Vlll,  IX  et  X.  Vie  de  Nec- 
ker,  dans  les  Zeiigenosen.  Poésies  di- 
verses Jubm^ue,  1800,  2«  éd.,  1811  ; 
et  Nouveau  recueil  d'œuvres  poéti- 
ques, Heidelberg,  1811-1815,  2  vol. 


SCH 


313 


Une  partie  de  ces  poésies  avait  paru 
d'abord  dans  divers  recueils,soit  sépa- 
rément, soit  par  groupes,  notamment 
dans  VAlmanach  des  Muses  de  1802, 
qu'il  édita  en  commun  avec  Tieck. 
Outre  les  pièces  que  nous  avons  déjà 
nommées,  on  doit  remarquer  Pro- 
méthée,  l'Art  grec^  Pygmalion,  où 
tout  est  grec,  où  l'enthousiasme  de 
l'artiste  est  porté  jusqu'au  délire,  où 
l'on  voit  le  feu  sacré,  jadis  refusé  à 
Prométhée,  venir  animer  la  pierre  à 
la  voix  de  l'amour  ;  Arion,  qui  ma- 
tériellement n'est  qu'une  simple  ro- 
mance, et  où  cependant  l'on  trouve 
un  drame  entier  dont  l'intérêt  croît  k 
chaque  strophe;  l'Alliance  de  VÈ- 
gliseet  des  arts,  si  remarquable  par 
l'originalité  de  la  pensée,  par  la  verve 
de  l'expression;  la  Chapelle  de  Eus 
senacht,  si  saisissante,  si  frappante 
de  vérité  pour  quiconque  a   vu  la 
Suisse;  le  Génie  de  S.  Lucas^  où  telle 
est  la  touchante  naïveté  du  récit, 
qu'on  croirait  entendre    un  enfant 
conter  la  légende  ;  le  chant  premier 
et  unique  de  Tristan,  ce  remanie- 
ment inachevé  du  poème  chevale- 
resque de  Godefroi  de  Strasbourg  et 
de  Henri  de  Vribert,  imitateurs  eux- 
mêmes  de  Thomas  de  Bretagne;  et 
enfin  la  magnifique  élégie  de  Rome, 
dédiée  à  M™''  de  Staël  et  bien  digne 
en  effet  d'être  dédiée  à  l'illustre  au- 
teur de  Corinne.  C'est  en  quelque 
sorte  une  histoire  poétique  et  topo- 
graphique de  la  ville  éternelle,  c'est 
une  description  lyrique  où  tous  les 
souvenirs,  toutes  les  couleurs  vien- 
nent se  fondre  pour  former  le  tableau 
féerique  d'un  sol  si  riche  en  merveil- 
les. Seul  peut-être,  le  4®  chant  de 
Childe-Harold  l'emporte  sur  celte 
sublime  impression  de  voyage.  Beau- 
coup des  morceaux  que  nous  venons 
de  caractériser  appartiennent  au  se- 
cond recueil  des  poésies  de  Schlegel. 


su 


SCH 


11  l'emporte  notablement  -en  effet 
sur  le  premier  pour  l'oclat,  pour  la 
variété,  pour  la  profondeur,  et  il  dé- 
cèle pitis  de  maturité,  tout  en  ne  por- 
tant nulle  trace  d'un  refroidissetnent 
de  verve  et  d'imagination.  XI.  Jon, 
tragédie  dont  l'idée  est  puisée  dans 
Euripide,  mais  qui  n'est  ni  traduite 
ni  même  imitée  d'Euripide,  et  qui  lit 
naître  une  vive  polémique  entre 
Bernhardt,  Schiller  el  l'auteur.  V In- 
dépendant (Freymûthige),  que  diri- 
geait Kotzebue,  et  la  Gazette  du 
monde  élégant ,  oix  Schlegel  écri- 
vit, en  furent  les  principaux  orga- 
nes. Xlï.  Le  couronnement  de  la 
àainte  Vierge  et  les  miracles  de  saint 
Dominique,  Paris,  1817,  in- fol.  avec 
15  pi.,  trad.  en  français  la  même 
année.  XIll.  Les  8  premiers  vol.  el 
un  cahier  de  la  traduction  du  Théâ- 
tre complet  de  Shakspeare.  Ces  huit 
volumes  contiennent  Roméo  et  Ju- 
liette, le  Songe  d'une  nuit  d'été, 
Jules  César  y  Ce  que  vous  voudrez, 
la  Tempête,  Uamlet,  le  Marchand 
de  Venise,  Comme  il  vous  plaira^  le 
B.oi  Jean,  Richard  11,  Henri  IV ^ 
Henri  V,  Henri  VI,  plus  Richard  IIL 
Tieck  acheva  cetie  belle  version. 
Cette  traduction ,  dont  quelques 
longs  fragments  avaient  paru  d'abord 
dans  les  recueils  de  Schiller,  avait 
placé  de  prime  abord  Schlegel  au 
rang  des  poètes  allemands  remar- 
quables, plus  peut-être  qn'un  ou- 
vrage original.  XIV.  Théâtre  espa- 
flfnoi,Berlin,  1803-1809,  2  vol.  in-8o. 
C'est  la  traduction  de  cinq  pièces  de 
Calderon,  savoir  :  V Adoration  de  la 
Croix^  l'Amour,  voilà  Venchante- 
ment,  l'Écharpe  et  la  fleur,  le  Prince 
constant,  le  Pont  de  Mantible  (ces 
'deux  dernières  en  1809).  Plus  encore 
que  dans  la  version  de  Shakspeare, 
Schlegel  y  est  admirable  <le  sou- 
plesse et  de  fidélité  ;  il  rend  tout, 


SClî 

mètre ,  rhythrae  ,  couleurs  ,  asso- 
nance; et  cette  stricte  reproduction 
des  détails  n'empêche  pas  qu'il  n'ait 
parfaitement  rendu  le  mouvement 
et  la  vie  de  l'ensemble.  Il  y  prend 
tous  les  tons,  il  s'y  colore  de  toutes 
les  nuances  dont  scintille  le  génie 
de  l'inépuisable  La  Barca  :  la  fierté 
du  Castillan,  le  feu  de  l'Arabe,  le 
lyrisme  et  le  dialogue,  la  vie  po- 
sitive et  les  aspirations  mystiques 
sont  formulés  avec  le  même  bonheur, 
avec  la  même  puissance  :  comme  en 
lisant  l'original  on  croit  voir  trembler 
une  goutte  de  rosée,  ou  jouer  un 
rayon  de  soleil,  ou  briller  une  perle 
sur  chaque  couplet,  il  semble  que 
cha^e  vers  exhale  un  arôme  de 
poésie.  XV.  La  traductio»  de  divers 
morceaux  choisis  de  la  Divine  corné 
die.  XVI.  V Anthologie  (Blumen- 
strœusse)  italo-hispanoportugaise , 
Berlin,  1804.  Pétrarque,  le  Tasse  , 
•Guarini ,  Cervantes,  leCamoëns  sont 
les  principaux  poètes  auxquels  Schle- 
gel demande  les  fleurs  de  sa  guir- 
lande poétique. X  VU.  La  Bibliothèque 
indienne,  contenant  six  livraisons, 
Bo«n,  1820-26, 2  vol.  XVIII.  Bhaga- 
vat-Gita,  id  est  ôedTîéoicv  p.éXoç,  sive 
Crishnœ  et  Arjunœ  colloquium  de 
rehus divinis^  etc.,  Bonn,  1823,  in- 
8°,  texte  sanskrit  avec  traduction 
latine  et  notes  critiques.  XIX.  Le 
Ramaïana ,  texte ,  trad.  lat.  et  notes, 
Bonn,  1829-1836,  2  vol.  in-S».  XX. 
L'Hitopadesa.)  2  parties ,  Bonn, 
1829,  1831.  XXI.  Réflexions  sur 
l'étude  des  langues  asiatiques  adres- 
sées à  sir  James  Mackintosh,  et 
suivies  d'une  Lettre  à  sir  Horace^ 
Hayman  Wilson,  etc.  (en  français), 
Bonn,  1831.  XXII.  Essai  sur  l'ori- 
gine des  Hindous.  XXIII.  Trois  ar- 
ticles dans  VAlmanach  de  Berlin 
de  1829,  183J  et  1834,  résumant 
toutes  les  connaissances  actuelles 


SCH 


SCtt 


515 


sut  PInde,  plus  des  Ohsenatîons 
iUr  quelques  médaillés  bactriennes 
et  indo-scythiques  nouvellement  dé- 
couvertes (Journal  asiatique  j  nov. 
1818).  XXiV  et  XXV.  Les  deux 
brochures  èôhtre  Napoléon.  Elles 
sont  intitule'es  :  l'uile,  Sur  le  Système 
continental  et  sur  ses  rapports  avec 
la  Suède  (Hambourg,  1813,  Al- 
tona,  1813,  Paris  et  Genève,  1814); 
l'autre,  Dépêches  et  lettres  intercep- 
tées par  des  partis  détachés  de 
l'armée  combinée  du  Nord  de  l'Al- 
lemagne^ i^  partie  (et  unique), 
Hanovre,  1814,  in-8^  Dans  la  pre- 
mière, il  essayait  de  rassurer  la  Suède 
effrayée  de  la  de'termination  de  ses 
chefs,  et  il  faisait  appel  à  l'Europe 
pour  qu'elle  s'unît  contre  l'oppres- 
seur commun;  il  voyait  l'esprit  de 
vettige  et  d'erreur  pousser  à  sa  ruine 
l'usurpateur  de  tant  de  trônes;  il 
traçait  l'histoire  des  quinze  der- 
nières années,  altérant  la  proportion, 
le  caractère  ou  la  portée  des  faits, 
dépréciant  les  actions  de  l'empereur, 
méconnaissant  même  son  génie.  Il 
porte  d'ailleurs  une  attention  toute 
particulière  à  distinguer  entre  Napo- 
léon et  les  Français  ;  ses  assertions, 
son  style,  quand  il  s'agit  d'eux,  sont 
pleins  de  convenance;  et  l'on  est  à 
se  demander  si  cette  brochure  ne  se 
lie  pas  au  plan  rêvé  par  Bernadotte 
de  remplacer  Napoléon  du  gré  même 
et  en  Quelque  sorte  sur  le  vœu  des 
Français.  Dans  l'autre,  qui  avait  pour 
titre  Tableau  de  Vempire  français 
e%  1813,  et  dont  la  partie  essentielle 
est  la  publication  de  dépêches  na- 
poléoniennes interceptées  par  les 
soins  des  alliés,  il  faisait  précéder 
ces  pièces  d'un  commentaire  où  tour 
à  tour  il  s'évertuait  à  singer  Machia- 
vel et  Lucien.  Tout  cela  n'eût  point 
abouti  à  grand'chose ,  si  Napoléon 
€Ût  toujours  eu  la  fortune  comme  à 


BàutXên  et  k  Lntzen.  XXVI.  Exiplî- 
cation  de  quelques  malentendus,  etc. 
Berlin,  1828  C'est  une  réponse  à  l'as- 
sertion à  coup  sûr  très-arbitraire, 
très-hasardeusede  M.  d'Eckstein,  qui 
de  certains  passages  de  Schlegel  avait 
cru  pouvoir  induire  que  comme  son 
frère  il  passerait  au  catholicisme  vers 
lequel  il  gravitait  déjà,et  que  l'époque 
de  cette  conversion  n'était  pas  éloi- 
gnée. Scblegel  repousse  avec  énergie, 
et  ce  nous  semble  avec  justesse,  cette 
imputation  de  crypto-càtholicisme 
(comme  l'appelaient  déj^  de  zélés  pro- 
testants), et  chemin  faisant  il  donne 
de  curieux  détails  sur  sa  vie.  11  est 
clair  qu'il  en  a  fourni  aussi  plusieurs , 
ainsi  que  les  bases  d'une  appréciation 
de  son  talent  et  de  son  rôle  dans  l'his- 
toire littéraire  de  l'Allemagne,  à  la 
Biographie  de  Rabbe  et  Boisjolin 
(vol.  du  Supplément).  Les  Débats 
aussi,  malgré  leur  longue  fidélité  à  la 
cause  du  classicisme,  la  seule  sur  la- 
quelle ils  aient  gardé  trente  ans 
le  même  langage,  ont  admis  dans 
leurs  colonnes  des  articles  de  Schle- 
gel :  ils  portent  les  initiales  W.  de  S. 
(Wilhelm  pour  Guillaume).  On  sait 
de  plus  que  Schlegel  fournit  la  plu- 
part des  matériaux  sur  lesquels  M™*^ 
de  Staè'l  écrivit  ses  trois  volumes  de 
VAllemagne,  et  principalement  la 
partie  relative  à  la  haute  philosophie; 
le  chapitre  surKant  porte  surtout  les 
traces  de  sa  collaboration.  Mais  c'est 
à  tort  qu'on  voudrait  lui  faire  hon- 
neur de  la  rédaction  totale;  il  est 
évident  d'ailleurs  que  quantité  de 
jugements,  de  concessions  à  l'esprit 
français  sont  diamétralement  opposés 
à  ce  que  l'on  pourrait  attendre  de 
Schlegel.  Suivant  le  Journal  des 
Débats,  il  aurait  laissé  de  volu- 
mineux Mémoires  et  diverses  piè- 
ces en  vers  français,  notamment  des 
Épigrammes  qui,  dit -on,  feraient 


316 


SCII 


scandale.  Il  paraît  que  quant  aux  Mé- 
moires, le  bruit  n'est  pas  exact.  Du 
reste,  Schlegel  écrivait  très-élég.im- 
ment  en  français.  On  a  vu  que  plu- 
sieurs de  ses  ouvrages  avaient  été 
composés  en  cette  langue,  et  même 
il  réunit  sur  la  fin  de  sa  vie  la  plu- 
part de  ses  opuscules  de  ce  genre, 
sous  le  litre  d'Essais  littéraires  et 
historiques  y 'Bonn  ^  1842.     P— or. 

SCHLEGEL    (  Charles  -  Guil- 
laume-Frédéric de),  poète,  philo- 
sophe et  critique    allemand ,  frère 
du  célèbre  Auguste-Guillaume  dont 
l'article  précède  et  avec  lequel  il  a 
loiîg-temps  tenu    le    sceptre  de  la 
critique,   ne   montra    d'abord  que 
peu  de   penchants  littéraires  ,  bien 
qu'ayant  beaucoup  d'esprit  et  de  vi- 
vacité, et  fut  en  conséquence  des« 
tiné  au  commerce.  Né  le  1 2  mars  1772, 
il  était  le  plus  jeune  de  toute  la  fa- 
mille, et  après  avoi  r  achevé  ses  études 
dans  Hanovre,sa  ville  natale,  chez  son 
frère  aîné  (qui  mourut  en  1825  con- 
seiller   de    consistoire    dans    celte 
ville),  il  fut  placé  chez  le  banquier 
Schlemm  de  Leipzig,  à  peu  près  au 
moment  où  Auguste-Guillaume  com- 
mençait à  se  faire  un  nom  :  il  avait 
alors  seize  ans.  Il  ne  tarda  pas  à  se 
déplaire  dans  sa  nouvelle  carrière; 
et  rompant  à  l'amiable  avec  ses  pa- 
trons, il  prit,  d'accord  avec  son  père, 
le  chemin  des  universités  de  Leipzig, 
puis  de  Gœttingue,  et  suivit  avec  la 
plus  grande  assiduité  les  cours  d'his- 
toire, de  philosophie  et  de  philologie 
ancienne.  Il  poussa  surtout  assez  loin 
pour  son  âge  les  études  philologi- 
ques sur  Platon,  et  il  entreprit  avec 
Schleïermacher  (que  toutefois  il  laissa 
bientôt  seul  à  cette  tâche)  de  le  tra- 
duire tout  entier;  il  lut  et  relut  les 
tragiques  grecs,  tâchant  de  bien  saisir 
l'essence  de  leur  art,  leurs  procé- 
dés, leur  tendance;  il  se  pénétra  de 


SCH 

Winckelmann,  puis  se  demandant  si 
tout  était  vrai,  et  môme  qu'est-ce 
qu'il  y  avait  de  vrai  dans  Winckel- 
mann ,  absorbé  dans  la  contempla- 
tion des  chefs-d'œuvre  de  la  galerie  de 
Dresde  (1 789) ,  comparant  les  procédés 
des  artistes  anciens  aux  grandes  œu- 
vres de  la  renaissance  et  aux  toiles 
si    vantées  alors   et    réellement  si 
belles  de  Mengs,  il  en  vint  à  jeter 
pour  lui-même  les  fondements  d'une 
théorie  des  beaux -arts,  d'une   es- 
thénque.  De  là  en  1793  ,  c'est-à-dire 
lorsqu'il   entrait   à    peine  dans  sa 
vingt-unième  année,  son  Essai  sur 
l'école  poétique  grecque  qui    parut 
dans  la  Berlin.  Monatschrift  et  que 
suivit  bientôt  (1794)  un  autre  ar- 
ticle. De  la  valeur  esthétique  de  la 
comédie  grecque.   Tous  deux  déce- 
laient un  esprit  investigateur  et  re- 
montant aux   principes,    bi  n  que 
circonscrit  pour  le  moment  aux  for- 
mes parlées  de  l'art,  et  tous  deux 
furent  reçus  avec  assez  de  faveur, 
Heyne  vanta  publiquement  l'érudi- 
tion du  jeune  auteur  que  ses  parents 
ne   pouvaient   plus   blâmer  d'avoir 
renoncé  au  commerce.  Son  père  d'ail- 
leurs venait  de  mourir  (1793).  Ce- 
pendant, n'ayant  que  peu  de  fortune, 
Frédéric  eut  quelque  temps  encore  à 
lutter  contre  les  incouvénients  d'une 
situation  gênée  et  précaire.  On  le  vit 
successivement  dans  quelques  villes 
nord-ouest  et  du  nord  de  l'Allema- 
gne, sans  qu'il  arrivât  à  s'y  iBxer. 
Habitant  de  Berlin  où  il  avait  ses  en- 
trées dans  plusieurs  sociétés  remar- 
quables, par  la  position  distinguée 
ou  par  l'esprit  de  leurs  membres,  il 
voyait  diverses  Revues,  notamment 
en  1797  le  Lycée  des  beaux-arts   de 
celte  ville, admettre  quelqnes-uns  de 
ses  articles.  Bientôt  las  de  n'être  là 
qu'en  second,  il  entrppri!,  eu  1798, 
avec  son  frère  Auguste-Guillaume  ei 


SGH 

avec  Tieck,lM//tenQ>wmdftB<»rlin  dont 
ils  publièrent  trois  volumes  en  trois 
années.  11  était  ainsi  en  train  de  se 
fonder  une  re'putation  et  une  car- 
rière, quand   l'éclat  de   sa  passion 
pour  madame  de  Veit  et  la  sépara- 
tion de  cette  dame  d'avec  son  mari 
le   déterminèrent ,   bien  que   leurs 
nœuds  vinssent   d'être  cimentés   à 
l'autel ,  à  se  rabattre  en  1800  sur 
léna ,   où    pendant  quelque   temps 
il  donna    des   leçons    particulières 
pour  s'aider  à  vivre.  Chemin  faisant 
d'ailleurs  il  avait  publié  un  tome  P' 
intitulé  Les  Grecs  et  les  Romains 
(Hambourg,  1797),  le  premier  ou- 
vrage sans  doute  où  aient  été  em- 
ployées les  dénominations  de  classi- 
ques et  de  romantiques  5   puis    la 
première  partie  du  1^^  volume  de 
VHistoire  des  Grecs  et  des  Romains 
publiée  en  1798  à  Berlin,  et  qui, 
bornée  à  l'exposé   des  événements 
politiques,  devait  avoir  pour  suite 
l'exposé  des  évolutions  tant  philo- 
sophiques qu'artistiques  du  monde 
romain  et  avait  signalé  un  penseur 
de  plus  à  ceux  qui  savent  lire  et 
apprécier.    Un  public  assez   nom- 
breux attendait  avec  certaine  impa- 
tience ce  complément  qu'il  ne  donna 
jamais  sous  la  forme  promise,  mais 
qu'on   écrirait    facilement    aujour- 
d'hui avec  les  idées  qu'il  a  émises 
depuis.  Àlarcos  ensuite  avait  paru 
et  même  avait  été  joué,  une  seule 
fois  il  est  vrai ,  et  sans  succès.  Mais 
ce  ne  pouvait  être  là  une   décep- 
tion   profonde  ;  Alarcos   était    une 
étude  et  non  une  œuvre  scénique, 
laite  sérieusement  pour  être  goiitée 
par  le  public  qui   applaudissait   à 
Kotzebue.  Enfin  le  roman  inachevé 
de  Lucinde  en   1800  semble  attes- 
ter  que    Frédéric    Schlegel    s'était 
donné  la  tâche  d'aborder  successive- 
ment des  genres   divers  pour  les 


SCH 


âir 


abandonner  aussitôt.  Tel  n'était  pas 
son  but  pourtant,  et  l'inconstance  ou 
les  prétentions  ambitieuses  qu'on 
pourrait  se  croire  en  droit  de  lui 
reprocher  à  celte  époque,  disparais- 
sent devant  une  simple  réflexion, 
c'est  que  Frédéric  ainsi  que  son  frère 
était  un  critique  sachant  produire. 
On  a  souvent,  et  certes  avec  assez  de 
justice,  demandé  à  ceux  qui  se  posent 
au  rez-de-chaussée  d'un  journal  ou 
derrière  les  créneaux  d'une  revue, 
juges  infaillibles  de  l'épopée  et  du 
drame,  du  roman  et  de  l'histoire, 
qu'est-ce  qu'ils  ont  fait;  et  c'est 
pour  eux  que  semble  avoir  été  écrit, 
soit  le  vers  de  Florian  : 

Messieurs,je  siffle  bien,  maisje  ne  chante  pas, 

soit  cet  autre  alexandrin  : 

La  critique  est  aisée  et  l'art  est  difficile. 

Ne  trouvons  donc  pas  mauvais  que 
quelques-uns  d'entre  eux  fassent  ex- 
ception à  la  règle,et  tentent,  eux  aussi, 
déchanter:  reconnaissons  que  par  cela 
même  qu'ils  joueront  les  deux  rôles, 
ils  apporteront,  toutes  choses  égales 
d'ailleurs,  à  celui  de  critique  des  lu- 
mières et  des  inspirations  venues  de 
celui  de  l'artiste.  Mais  aussi  recon- 
naissons que  la  critique  tendant  par 
sa  nature  à  embrasser  tous  les  gen- 
res, en  d'autres  termes,  à  être  ency- 
clopédique, celui  chez  qui  domine 
l'esprit  critique  doit,  s'il  s'aban- 
donne souvent  à  sa  muse,  aborder, 
porté  par  el  le,  des  genres  aussi  divers 
que  ceux  qu'il  passe  en  revue  dans  ses 
recensions.  Nous  en  comprendrons 
mieux  Frédéric  Schlegel.  Critique 
avant  et  par-dessus  tout,  il  éprouvait 
pourtant  le  besoin  de  faire  descendre 
ses  principes  dans  quelque  œuvre,  et 
le  genre  de  l'œuvre  variait  quand  il 
créait  comme  quand  il  discutait.  Mal- 
heureusement, il  faut  le  dire,  le  point 
de  vue  esthétique  variait  aussi,  du 


318 


scu 


moins  quant  an  détail  et  à  U  formule 
saisissablç,  et  il  devait  varier  encore 
plus  sous  peu  de  temps,  bien  qu'il 
persistât  incontestablement  dans  une 
tendance,  dans  une  idée.  La  ten- 
dance, c'est  la  re'action  contre  le  goût 
français  ou  plus  largement  contre 
les  théories  conventionnelles,  contre 
le  factice,  contre  la  susceptibilité 
dédaigneuse  qui  rejette  tout  ce  qui 
s'écarte  du  type  convenu  et  qui  sort 
de  l'ornière.  L'idée,  c'est  celle  d'in- 
spiration dérivant  d'une  vue  intelli- 
gente et  inipressive  de  la  nature. 
Mais  primitivement  il  avait  admis 
que  cette  inspiration  s'était  trouvée 
à  haut  degré  chez  les  Grecs,  et  que 
là  étaient  les  modèles  par  excellence. 
Et  tacitement  il  admettait,  ce  nous 
semble,  que  cette  inspiration  n'a  lieu 
que  sous  la  pression  d'une  loi  du  de- 
voir, d'une  force  morale  quelcon- 
que. D'ailleurs  la  nature,  pour  lui, 
ne  s'était  point  présentée  exclusive- 
ment sous  sa  face  matérielle  ;  le  ma- 
tériel même  n'occupait  pour  lui  que 
l'arrière-plan  :  le  visible  et  le  pal- 
pable, la  peinture  et  la  statuaire, 
tout  en  passant  devant  ses  yeux,  n'a- 
vaient en  quelque  sorte  que  frappé 
sa  rétine,  sans  envahir  son  cerveau 
et  son  cœur.  11  n'en  est  plus  là  au 
moment  où  paraît  Lucinde  :  d'une 
part,  la  nature  a  pris  pour  lui  l'as- 
pect pittoresque  et  sculptural;  et  de 
l'autre,  des  goûts  ou  des  habitudes 
d'atelier,  la  fréquence  de  plaisirs 
faciles  ou  d'émotions  exagérées  , 
quelques  irrégularités  ébruitées  de 
sa  vie  d'intérieur,  les  orages  tantôt 
préludes  et  tantôt  corollaires  du 
scandale,  l'ont  amené  à  peu  près  à 
placer  dans  l'impressionnabilité,dans 
la  sensibilité  que  ne  retient  pas  la 
morale,  la  source  unique  ou  princi- 
pale de  l'inspiration.  Il  est  vrai  que 
les  joies  (nous  devrions  peut-être 


SGH 

dire  «  les  jouissance»,  »  Genu$$  )  de 
la  sensibilité  sont  doubles  :  il  y  a 
celles  de  la  chair,  il  y  a  celles  de 
l'esprit;  c'est  dans  leur  réunion > 
dans  leur  complexité,  que  réside  le 
suprême  bonheur  ;  il  y  a  plus,  l'être 
heureusement  doué  ou  qui  raftine 
possède  en  quelque  sorte  la  jouis- 
sance de  la  jouissance.  Mais  quoique 
dans  toute  cette  théorie  arrivée  à  sa 
plus  haute  puissance  il  y  ait  bien 
plus  de  visions  et  d'utopies  que  de 
réalités,  ce  n'en  est  pas  moins  sur  la 
sensitivité  que  tout  repose.  Deux  ans 
plus  tard,  nouvelle  variation;  et 
celle-ci  a  été  amèrement  reprochée  à 
Schlegel  par  un  grand  nombre  de  ses 
compatriotes  :  se  trouvant  à  Colo- 
gne, il  quitta  la  foi  protestante  pour 
le  catholicisme,  et  abjura  solennel- 
lement avec  sa  femme.  Ce  n'est  pas 
nous  qui  ferons  un  crime  au  savant 
néophyte  de  s'être  rangé  sous  l'obé- 
dience à  laquelle  est  restée  fidèle  la 
majorité  de  la  France,  et  surtout  il 
nous  paraît  que  la  sincérité  de  sa 
conversion  ne  saurait  être  révoquée 
en  doute  ;  mais  il  est  permis  d'en  re- 
chercher, d'en  bien  peser  les  motifs. 
Ces  motifs,  il  nous  semble, ne  reposent 
ou  du  moins  ne  reposèrent  d'abord 
sur  rien  de  théologique  :  c'est  une 
conversion  tout  esthétique.  On  a 
beau  rompre  avec  Aristote,  Boileau 
et  Blair,  la  littérature,  la  philoso- 
phie, l'art  ont  des  lois,  ont  une  loi 
du  moins;  or,  cette  loi  n'est  certes  ni 
dans  l'impression  ni  dans  la  collec- 
tion des  impressions  que  l'âme  hu- 
maine peut  sentir.  Qu'on  admette 
maintenant,  avec  Fréd.  Schlegel,  que 
l'âme  n'a  pas,  outre  la  sensibilité, 
une  faculté  propre  et  qui  ne  reflète 
par  une  révélation  permanente  plus 
ou  moins  lucide,  la  loi  suprême  du 
beau,  le  critérium  suprême  du  vrai, 
on  sera  logiquement  forcé  à  mettre 


SCH 

cette  loi  hors  de  l'esseBtiaHté  de 
l'âme  humaine,  comme  hors  de  ta 
nature  physique,  en  d'autres  termes, 
à  ne  la  croire  saisissable  que  moyen- 
nant une  révélatioiï  extérieure  posi- 
tive sans  cesse  proférée  et  en  dépôt 
aux  mains  d'une  autorité  visible  re- 
montant de  siècle  en  siècle  au  révé- 
lateur. La  doctrine  catholique,  sui- 
vant Schlegel,  domine  la  science  et 
Part ,  la  politique  et  la  philosophie  ; 
sans  elle,  pas  de  doctrine;  donc  pas 
de  loi,  pas  d*art,  pas  de  science.  La 
conversion  de  notre  auteur  est  donc 
remarquable  à  deux  titres  :  d'une 
part,  comme  ayant  eu  lieu  de  par 
l'art  et  par  la  science,  et  non  d'après 
un  besoin  religieux  tel  qu'on  le  dé- 
finit et  qu'on  l'entend  pour  l'ordi- 
naire^ de  l'autre,  comme  supposant 
que  l'âme  ne  porte  pas  en  elle,  au 
moins  à  l'état  latent,  et  l'impératif 
esthétique  auquel  toute  œuvre  d'art 
doit  se  trouver  conforme,  et  les 
moyens  de  reconnaître  le  vrai.  Nous 
n'essaierons  pas  de  discuter  ce  sys- 
tème; nous  nous  contenterons  de 
remarquer  combien  il  peut  oifrir«t 
d'attraits  et  de  probabilités  aux  âmes 
molles  et  voluptueuses,  soit  gros- 
sières et  clouées  au  physique,  soit 
extatiques  et  raffinées,  puisqu'il  leur 
répète  que  l'âme  humaine  est  toute 
dans  la  sensibilité,  que  l'âme  hu- 
maine n'a  point  en  elle  de  faculté 
invariable,  souveraine,  prononçant 
avec  certitude,  apte  par  conséquent 
à  constituer  la  science.  C'est  ainsi 
que  d'un  excès  on  tombe  sans  grande 
contradiction  dans  l'autre  excès; 
c'est  ainsi  que  le  sensualisme  ou 
l'hédonisme  sans  contre-poids  in- 
terne peut  mener  au  mysticisme. 
Nous  ne  voyons  pas  pourquoi  dans 
ce  système,  si  l'on  en  pressait  les 
conséquences,  on  ne  prétendrait  pas 
que  les  conciles  œcuméniques  peu- 


SCH 


Zt^ 


ve«t  décider  infailliblement  du  mé- 
rite des  œuvres  d'art,  d*  la  valeur 
des  théories,  de  la  préférence  k  don- 
ner aux  classiques  sur  les  romanti- 
ques ou  réciproquement.  Frédéric 
Schlegel  n'en  vint  pas  là,  même  dans 
la  fausse  vie  esthétique  oit  il  entrait, 
et  que  du  reste  il  sema  de  quantité 
d'idées  en  même  temps  justes  et  fé- 
condes. Divers  articles  des  Caracté- 
ristiques et  critiques ,  publiées  l'an- 
née précédente  (1801)  en  société 
avec  son  frère,  et  oti  avec  plusieurs 
morceaux  anciens  en  paraissaient  de 
nouveaux,  laissent  apercevoir  celte 
évolution  qui  grondait  encore  sour- 
dement dans  le  cerveau  de  Frédéric 
Schlegel.  Elle  est  sensible  surtout 
dans  l'article  sur  Wilhelm  Meister, 
dont  il  interprète  richement  et  sa- 
vamment les  détails.  Brouillé  ô>a 
reste  avec  beaucoup  de  ses  amis  ou 
du  moins  les  trouvant  très-froids  par 
suite  du  pas  éclatant  qu'il  venait  de 
faire,  il  dit  adieu  pour  un  temps  à 
l'Allemagne,  et  vint  passer  k  Paris 
de  deux  à  trois  ans.  C'était  le  lieu 
le  plus  convenable  pour  ses  nouvelles 
convictions  et  pour  les  études  aux- 
quelles il  comptait  se  livrer  encore 
afin  de  mettre  en  reliefla  grandeur  de 
sa  pensée,  la  puissance  de  l'inspira- 
tion catholique.  L'iade  l'attirait  sur- 
tout. Les  hautes  et  vastes  doctrines 
du  panthéisme,  tout  inconciliables 
qu'elles  sont  avec  la  doctrine  chré- 
tienne, lui  semblaient  pourtant  avoir, 
par  l'énergique  symbolisme  qu'elles 
manifestent,  la  plus  grande  analogie 
avec  l'essence  d'un  catholicisme  sou- 
verain des  consciences  du  monde  tem- 
porel.  H  consacra  donc  u n  temps  con- 
sidérable  à  l'étude  du  sanscrit,  pour 
laquelle  il  n'existait  encore  que  peu 
de  secours,  et  il  parvint  k  certaine  ha- 
bileté dans  l'ancienne  langue  sacrée 
des  Prahmanes.  U  lut  d'ailleurs,  un 


320 


SCH 


peu  superficiellement  peut-être,  une 
lorte  partie  de  tout  ce  qui  depuis  une 
trentaine  d'années  s'était  écrit  à 
Calcutta  et  en  Enrope  sur  la  pénin- 
sule cisgangétique.  11  entra  en  rela- 
tions étroites  avec  le  professeur 
Alexandre  Hamilton  et  avec  Langlès  ; 
et  ainsi  furent  ramassés  les  maté- 
riaux de  VEssai  sur  la  langue  et  la 
philosophie  des  Indiens,  qui  toute- 
fois ne  devait  paraître  que  plus  tard. 
Désireux  de  formuler  l'application 
de  ses  idées  catholiques  ou  catholico- 
brahmaniques  aux  questions  de 
science  et  d'art,  il  fonda  un  nouveau 
recueil  périodique  {VEurope)  qui  vé- 
cut trois  ans,  remarquable  surtout  par 
ses  articles,  et  il  fit  des  lectures  pu- 
bliques à  des  auditeurs  choisis.  Quel- 
que temps  après,  il  visitait  son  frère  à 
Coppet,  passait  à  Dresde  avec  madame 
de  Staè'l  el  avec  lui,  revoyait  Cologne, 
éditait  de  vieilles  poésies  chevaleres- 
ques du  moyen  âge,  la  plupart  in- 
édites, imitait,  en  vers  qui  serraient 
de  près  le  texte^  ce  grand  {>oème  de 
Turpin  intitulé  le  Roland,  auquel  ont 
tant  puisé  ou  voulu  faire  croire  qu'ils 
avaient  puisé  les  Bojardoet  lesArios- 
te.  Nous  le  retrouvons  en  1 800  àVien- 
ne,  où,  dit-on,  l'avait  appelé  le  désir 
de  réunir  des  matériaux  pour  un 
drame  historique  qu'il  comptait  faire 
sur  Charles-Quint ,  et  où  sans  doute 
auraient  figuré  Luther,  Maurice  de 
Saxe,  et  Philippe  II  recevant  de  son 
père,  avec  les  couronnes  espagnoles, 
la  mission  de  conserver,  dans  cette 
partie  du  globe  au  moins,  le  catholi- 
cisme intact.  Est-il  bien  vrai  que 
son  but  fût  si  exclusivement  litté- 
raire ?  Quoi  qu'il  en  puisse  être,  tou- 
jours est-il  qu'il  fut  présenté  à  M.  de 
Metternich,  que  cet  homme  d'État  le 
goûta  extrêmement  et  le  nomma  se- 
crétaire aulique,  que  la  guerre  de 
1809  entre  Napoléon  et  l'Autriche 


SCH 

ayant  éclaté,  et  tandis  que  l'empereur 
des  Français  avait  l'Espagne  sur 
les  bras,  Frédéric  Schlegel  écrivait 
en  même  temps  des  proclamations 
et  des  sonnets  prophétiques  moins 
vrais,  mais  mieux  reçus  que  les  pro- 
phéties de  Cassandre,  et  qu'il  suivit 
jusqu'à  Landshut,  comme  membre 
de  la  commission  de  la  guerre, 
le  comte  de  Stadion.  Mais  l'archi- 
duc Louis  ayant  battu  en  retraite  , 
Schlegel  rebroussa  de  même  sur 
Vienne  et  plus  loin  ;  et  il  vit  de  ses 
yeux,  après  la  défaite  de  Wagram, 
le  monarque  autrichien  donner  sa 
fille  à  Napoléon.  Il  n'avait  pas  prédit 
ce  dénouement  dans  ses  sonnets.  En 
revanche,  il  adressa  cet  adieu  k  la 
future  impératrice  des  Français  : 
c  Ayez  ,  Madame ,  la  tête  et  le  cœur 
de  Marie-Thérèse  »  {Bel  dir  sei  The- 
resta' s  Geist  und  Muth!)  L'histoire 
dira  si  le  vœu  a  mieux  été  réalisé 
que  la  prophétie.  Le  gouvernement 
autrichien  cependant  ne  feignit  point 
l'entente  cordiale  avec  le  cabinet  des 
Tuileries;  et  Marie-Louise  était  à 
peine  partie,  que  Fréd.  Schlegel 
fonda  en  société  avec  Pilât,  le  secré- 
taire particulier  de  M.  de  Metternich, 
cet  Observateur  autrichien  qui  re- 
cevait les  élucubrations  de  Gentz 
(voy,  ce  nom,  LXV,  242)  et  con- 
sorts, et  où  tout  ce  qui  se  passait 
en  France,  en  Espagne  et  dans  la 
confédération  germanique  était  pré- 
senté sous  le  jour  le  plus  vrai,  disait- 
on  ,  mais  en  réalité  sous  le  jour  le 
plus  hostile.  Nul  doute  que  le  tout 
ne  fût  rédigé  sous  l'inspiration  très- 
directe  de  la  chancellerie ,  et  que 
grand  nombre  d'articles  n'eussent, 
quoique  non  avoués,  une  valeur  of- 
ficielle. Schlegel  même  ne  figurait 
guère  là  que  comme  prête-nom.  Dès 
1811,  il  abandonna  la  rédaction  à 
Pilât  et  à  son  collaborateur  Hart- 


SCH 

inann.  Aussi  euML  le  temps  de  faire 
à  Paise,  sur  l'histoire  et  sur  la  litté- 
rature, des  leçons  qui  remplirent  la 
plus  grande  partie  de  1811  et  de 
1812,  et  qui  furent  suivies  d'un  plein 
succès.  Cependant  les  oscillations  de 
la  campagne  de  1813  avaient  décidé 
le  beau-père  de  Napoléon  à  se  sépa-  , 
rer  de  son  gendre  et  même  à  le  com- 
battre. Schlegel  alors  fut  arraché  à 
son  repos  pour  rédiger  un  pam- 
phlet qui  devait  préparer  Topinion 
à  ce  revirement.  Il  portait  assez  de 
haine  à  la  France  en  général ,  à  Na- 
poléon en  particulier,  pour  saisir 
avec  bonheur  cette  circonstance  et 
pour  plaider  avec  véhémence  en  fa- 
veur de  la  solution  qu'allaient  adop- 
ter ses  maîtres.  Il  fut  anobli  à  cette 
occasion.  Après  le  congrès  de  Vienne 
et  lors  de  l'organisation  de  la  diète 
fédérative,  il  suivit  à  Francfort-sur- 
le-Mein,  comme  premier  secrétaire 
d'ambassade ,  le  comte  de  Buol- 
schauenstein,  nommé  président  de  la 
diète.  On  se  promettait  sans  doute 
beaucoup  de  son  influence  parmi  les 
hommes  de  lettres  et  les  savants. 
Absolutiste,  mais  au  nom  de  cette 
idée  que  la  direction  des  affaires  hu- 
maines doit  être  régie  par  l'intelli- 
gence et  que  l'intelligence  générale- 
ment est  associée  au  pouvoir  et  peut 
l'être  chaque  jour  davantage,  sa- 
chant d'ailleurs  manier  la  plume  et 
la  parole,  Schlegel  en  effet  devait 
inspirer  moins  d'antipathie  aux  ad- 
versaires des  systèmes  de  l'Aulriche 
que  beaucoup  d'Autrichiens.  Toute- 
fois, il  faut  reconnaître  que  sa  con- 
version et  sa  véhémence  dans  le  sens 
du  principe  d'autorité  ne  pouvaient 
être  populaires.  Et  comme  chaque 
année  l'amenait  un  peu  plus  près  du 
mysticisme,  il  n'eut  que  peu  d'action 
sur  les  affaires  auxquelles  du  reste 
il  n'était  naturellement  pas  très-apte. 
LXXXU 


SCH 


321 


Le  gouvernement  autrichien  le  sen- 
tit; et  finalement  Fr.  de  Schlegel  ré- 
signa ses  fonctions  en  1819;  mais 
il  conserva  son  traitement  entier, 
c'est-à-dire  3,000  florins,  comme 
pension  de  retraite.  Sa  vie ,  depuis 
ce  moment,  fut  exclusivement  intel- 
lectuelle. 11  semblait  croire  qu'il 
avait  pour  mission  de  combattre, 
soit  au  nom  de  l'histoire  univer- 
selle du  monde,  soit  de  par  la  philo- 
sophie et  Va  priori,  ce  qu'il  nommait 
l'esprit  raisonneur  du  siècle  ;  et  il 
sortait  volontiers  de  la  contempla- 
tion pour  la  polémique  ;  il  entrete- 
nait des  correspondances  avec  le 
maître  et  les  coryphées  de  doctrines 
excessives  comme  les  siennes  ;  il 
prétendait  par  des  leçons  publiques 
porter  le  coup  de  mort  à  l'espri!  de 
liberté,  et  avancer  le  «  règne  de  vé- 
rité. '  Il  entreprit  ainsi  à  Vienne, 
en  1827,  un  cours  sur  la  philosophie 
de  la  vie,  et  il  y  laissa  éclater  un 
mysticisme  très-exalté,  proclamant 
la  lumière  magnétique,  ne  reculant 
ni  devant  la  doctrine  des  nombres 
ni  devant  la  série  des  illuîninations 
progressives  de  l'âme.  Toutes  singu- 
lières que  peuvent  et  doivent  sem- 
bler ces  théories,  le  professeur  trou- 
va encore  assez  de  curieux  ou  même 
d'approbateurs  pour  pouvoir  avec 
avantage  livrer  ses  lectures  à  l'im- 
pression,  et  pour  souhaiter  recom- 
mencer cette  exposition  sur  un  autre 
terrain.  Aussi  le  vit-on,  à  la  fin  de 
1828  et  à  Dresde,  où  il  revenait  tou- 
jours avec  plaisir,  ouvrir  un  cours 
sur  la  philosophie  de  la  vie  ;  et  quoi- 
qu'il y  eût  quelque  chose  à  payer  pour 
la  carte  d'entrée,  son  auditoire  se 
composait  bien  de  cent  cinquante  des 
premières  personnes  de  la  ville.  Il 
n'eut  pas  le  temps  de  mener  à  fin  ses 
leçons.  Une  apoplexie  le  frappa  su- 
bitement, le  12  janvier  1829,  au  sor- 

21 


322 


SCH 


tir  du  dîner-,  et  il  rendit  le  der- 
nier soupir  dans  les  bras  de  sa  nièce, 
avant  même  l'arrivée  du  docteur 
qu'on  s'empressa  de  mander.  Cet 
événement  n'était  peut-être  pas  im- 
prévu: Fréd.  Schlegel  avait  tcAijours 
eu  à  redouter  physiquement  le  trop 
de  santé ,  et  il  eût  été  pour  lui  d'une 
sage  hygiène  de  faire  plus  fréquem- 
^  ment  diversion  aux  travaux  d'esprit, 
aux  études  ou  à  la  méditation,  sinon 
par  de  rudes  exercices,  au  moins  par 
de  longues  promenades.  Cela  eût 
mieux  valu  que  de  s'abandonner 
comme  îl  le  faisait  à  des  prévisions 
mélancoliques  qui  venaient  le  saisir 
de  temps  à  autre  au  milieu  de  ses 
rêves  mystiques,  et  de  prophétiser  à 
ses  amis ,  à  Tiek  entre  autres ,  que 
brève  était  la  distance  qui  le  séparait 
de  la  tombe.  Toutefois  on  peut  dire 
qu'intellec4uellement  il  avait  four- 
ni toute  la  série  de  ses  évolutions, 
et  que  désormais  on  ne  pouvait 
plus  attendre  de  lui  rien  d'impor- 
tant. Nous  l'avous  vu  parcourant 
successivement  les  divers  points 
d'une  orbite  assez  vaste  pour  sem- 
bler presque  en  contradiction  avec 
lui-même  ,  concevant  d'abord  l'art 
comme  les  Grecs,  et  croyant  qu'il 
reproduit  par  l'intelligence  et  pour 
le  mettre  sous  les  yeux  l'intellec- 
tuel de  la  nature ,  puis  faisant  pré- 
dominer et  les  esprits  matériels  de 
cette  même  nature  et  la  sensibilité  ; 
pais  quand  il  est  frappé  des  varia- 
tions, de  l'incertitude  que  ce  point 
de  vue  entraîne,  allant  chercher  son 
invariable,  sa  loi,  hors  de  l'intelli- 
gence humaine  et  dans  l'autorité , 
comprenant  ainsi  les  hautes  beautés 
de  l'art  chrétien  et  du  moyen  âge, 
mais  les  dérivant  toutes  de  cette 
idée ,  abondant  dès  lors  de  plus  en 
plus  dans  sa  divinisation  de  l'auto- 
rité, dans  ses  dithyrambes  à  la  ré- 


SCH 

vélation  et  à  l'Égliye  romaine ,  et 
après  avojr  transplanté  dans  l'art  des 
idées  légilimesseulement en  religion, 
les  relransplantant  dans  la  politique, 
el  par  suite  de  cette  exaltation  qui 
grossit  et  martingale  sans  cesse,  abou- 
tissant au  mysticisme.  Évidemment 
le  but  était  dépassé  depuis  long- 
temps, et  même  depuis  long-temps 
Schlegel  avait  cessi^  de  mêler  des 
traits  de  lumière  à  ses  ténèbres ,  des 
jugements  équitables  et  impartiaux 
à  sa  partialité,  à  l'injustice  trop  fré- 
quente de  beaucoup  de  ses  appré- 
ciations. Sous  ce  point  de  vue  comme 
sous  celui  de  l'originalité  de  sa  cri- 
tique primitive,  il  reste  bien  au- 
dessous  de  son  frère  Auguste-Guil- 
laume, avec  lequel  il  a  certes  beau- 
coup de  points  de  contact.  On  les 
avait  nommé  les  Dioscures  littérai- 
reSy  et,  en  effet,  ils  méritaient  ce 
nom.  Ainsi  qu'Auguste,  Frédéric  a 
uni  ses  créations  poétiques  à  la  criti- 
que ;  ainsi  qu'Auguste  il  a  cru  que  les 
formes  littéraires  de  toutes  nations  et 
de  tout  â^^e  devaient  être  méditées  à 
fond  et  comprises  au  lieu  d'être  mé- 
prisées sur  parole,  et  par  là  il  a  donné 
l'élan  et  la  vogue  à  l'histoire  litté- 
raire, dont  la  nécessité  n'avait  ja- 
mais été  suffisamment  comprise.  Ainsi 
qu'Auguste  il  a  pesé  et  préconisé 
comme  source  de  l'art  l'inspiration, 
la  nature;  ainsi  qu'Auguste  il  a  voué 
au  mépris  et  à  la  haine  les  pro- 
ductions françaises ,  surtout  celles 
du  théâtre,  et  il  a  vaillamment  con- 
tribué au  triomphe  de  l'élément  ro- 
mantique; ainsi  qu'Auguste  il  a  été 
idolâtre  de  Goethe  et  deShakspeare; 
ainsi  que  lui  il  a  étudié  la  langue 
comme  les  mœurs,  les  phases  du  dé- 
veloppement intellectuel  des  Hin- 
dous, et  il  a  été  très-décidément  un 
des  créateurs  du  mouvement  qui  a 
porté  tant  de  linguistes  vers  l'étude 


SCH 

de  la  langue  et  de  la  littérature  sans- 
crites. En  tout  ceci  pourtant  il  a 
beaucoup  plus  subi  qu'exercé  d'in- 
fluence, si  on  le  compare  à  son  frère  ; 
et  l'originalité  qui  lui  reste  consiste 
à  peu  près  uniquement  dans  cette 
espèce  de  mouvement  sans  arrêt  qui 
le  fit  aboutir  au  mysticisme.  Ce  sera 
un  titre  plutôt  à  l'attention  curieuse 
qu'à  l'admiration  réfléchie  de  la  pos- 
térité. Se  convertir,  changer  d'avis 
pour  mieux  faire,  est  certes  chose 
louable ,  mais  ne  prouve  pas  une 
rectitude,  une  fermeté  d'esprit  ex- 
trême, surtout  si  l'on  change  plus 
d'une  fois  ;  puis  il  est  toujours  fâ* 
cheux  de  changer  en  présence  de 
tous,  de  formuler  successivement 
les  deux  opinions  par  la  presse,  de 
se  déjuger  du  haut  de  la  rampe,  le 
parterre  pouvant  à  son  choix  crier 
bravo  ou  siffler.  On  voit  par  exemple 
chez  Schlegel  converti  nombre  de 
passages  où  sont  prodigués  au  ma- 
riage des  éloges  extatiques,  qui  ne 
vont  à  rien  moins  qu'à  en  faire  l'état 
par  excellence  ,  le  sanctuaire  moral 
de  la  vie  terrestre,  etc.,  etc.  (nous 
supprimons  les  images  les  plus  vives, 
les  métaphores  les  plus  exaltées); 
rien  de  mieux ,  mais  tout  ce  lyrisme 
est-il  bien  persuasif,  quand  d'une 
œuvre  antérieure  (Lucinde)  ressort  k 
peu  près  le  contraire  ?  et  les  gens 
sages  ne  se  diront-ils  pas  tout  sim- 
plement que  ces  deux  peintures  si 
diverses,  tracées  sans  doute  avec 
sincérité  autant  qu'avec  verve,  ne 
sont  en  définitive  que  deux  boutades 
différentes  d'un  homme  extrême 
dans  ses  sensations  de  bonheur 
comme  dans  ses  sensations  doulou- 
reuses, et  que  le  vrai  se  trouve  à 
égale  distance  de  toutes  les  deux?  Il 
n'y  a  pas  jusqu'à  l'orthodoxie  de  Fr. 
Schlegel  qui  ne  puisse  être  sérieu- 
sement contestée.  L'Église  romaine, 


SCH 


323 


sans  doute ,  peut  être  flattée  de  ral- 
lier nominalement  un  tel  homme; 
et  les  hommes  de  bon  goût  et  de 
bon  sens  avec  lesquelsil  se  trouvait 
marcher  dès  lors  sous  le  même  éten- 
dard ,  ne  croyaient  pas  bien  néces- 
saire de  discuter  trop  sévèrement 
les  détails  de  sa  foi.  Au  fond  pourtant, 
et  même  avant  qu'il  se  fût  placé  sur 
le  terrain  périlleux  du  mysticisme, 
les  scrupuleux  ne  se  sentaient  pas 
pleinement  édifiés  sur  sa  foi  ;  et  son 
catholicisme  ressemblait  fort  à  une 
espèce  de  panthéisme  chrétien.  H 
est  plein  de  douceur  pour  l'Inde, 
il  n'a  pas  assez  d'encens  pour  Cal- 
déron,'dont  pourtant  certaines  idées 
qui  semblent  chez  lui  fondamentales 
(  témoin  La  vie  est  un  songe ,  et 
Tout  est  véritéf  tout  est  mensonge) 
ne  choqueraient  point  un  yogi  qui 
voit  dans  le  monde  la  Maïade  Brahm 
et  le  but  de  l'être  dans  la  nivritti. 
Tout  mysticisme  d'ailleurs  n'impli- 
que-t-il  pas  un  panthéisme?  et  dès 
lors  si  Schlegel  finit  par  être  mys- 
tique, n'est-ce  pas  parce  qu'aupara* 
vaut  il  était  à  son  insu  ou  à  son  es- 
cient panthéiste?  L'analyse  de  son 
Histoire  de  la  littérature  en  pré- 
sentera encore  d'autres  preuves. 
Tout  ceci  d'ailleurs  s'accorde  très- 
bien  avec  les  qualités  d'esprit  et  de 
style  de  Schlegel.  Il  savait  penser, 
mais  il  ne  savait  pas  toujours  dé- 
gager Sa  pensée  de  nuages  ;  il  voyait 
beaucoup,  mais  sous  une  face  ;  il 
écrivait  avec  éloquence,  véhémence 
même,  mais  bien  souvent  avant  d'a- 
voir mûri  ses  idées,  et  son  style  réagis- 
sant sur  l'idée,  tandis  que  c'est  à  l'idée 
d'agir  sur  le  style ,  il  s'affermissait 
pour  un  temps  dans  un  point  de  vue, 
parce  qu'il  l'avait  exprimé  ;  puis,  plus 
tard,  la  force  analytique  du  langage 
amenait  à  passer  sous  ses  yeux  des  élé- 
ments de  détails  non  vus  d'abord  an 

21. 


324 


SCll 


moment  où  il  construisait  \e  système; 
il  voulait  en  tenir  compte  et  com- 
pléter; en  complétant,  il  sortait  de 
la  position  puise  ;  en  sortant  de  la 
position  prise,  il  changeait.  Il  avait 
imparfaitement  niesu-^é  sa  parallaxe, 
dès  lors  il  avait  mal  fait  le  calcul,  il 
revenait  sur  sa  mesure.  Plût  au  ciel 
que  c'eût    toujours  été  pour  faire 
mieux  !   Un    autre    reproche   très- 
grave  dont  ses  panégyristes  ne  sau- 
raient le  sauver,  et  qui  se  lie  très- 
bien  aussi  avec  ce  que  nous  savons 
de  lui,  c'est  son  manque  de  persé- 
vérance pour  épuiser   une    matière 
ou  achever  un  grand  travail.Jl  en- 
tamait avec   transport ,    continuait 
avec  tiédeur  et  n'achevait  pas  ;  la 
trace   s'en    montre   non-seulement 
dans  ces  ouvrages  dont  il  n'a  pas 
donné  le   deuxième    volume,  mais 
même  dans  ceux  qui  matériellement 
sont  contenus  en  un  seul. —  Voici 
dans  un  ordre  méthodique  les  ou- 
vrages de  Fr.  de  Schlegel,  en  com- 
mençant par  les  livres  et  morceaux 
critiques,  soit  qu'ils  appartiennent  à 
la  critique  pure,  soit  qu'ils  s'y  rap- 
portent comme  histoire  littéraire  ou 
préludes.  I.  Sur  la  poésie  des  Grecs 
et  des  Romains,  Hamb.,  1797,  et  His- 
toire de  la  poésie  épique  parmi  les 
Grecs ,  ou  Coup  d'œil  rétrospectif 
sur  les  vues  de  Wolf^  relativement 
aux   poèmes   d'Homère.  Ses  deux 
premiers  articles  du  Berlin' s  Mo- 
natschift  étaient  la  base  du  premier 
de  ces  ouvrages  ;  mais  il  y  ajoutait 
des  détails  et  des  preuves  quant  à  la 
partie  grecque,  et  la  comparaison 
avec  les  phases  du  développement 
poétique  à  Rome  achevait  d'élargir 
le  sujet  premier.   Toutefois,  il  s'en 
faut  de  beaucoup  qu'il  l'eût  traité  dans 
toute  son  étendue  et  avec  toute  la 
profondeur  souhaitable.  Seulement, 
relativement  à  son  âge,  il  y  avait  là 


SCH 

un  vrai  mérite,  des  vues  originales 
et  une  force  de  critique  à  laquelle  on 
n'était  pas  habitué.  II.  Histoire  des 
Grecs  et  des  Romains^  t.  1®%  1*^*  par- 
tie, Berlin,  1798.  Nous  avons  dit  plus 
haut  quelque  chose  de  cet  ouvrage, 
qu'on  pourrait  presque  regarder  com- 
me   la    continuation  du    premier , 
bien  que  le  progrès  y  soit  sensible. 
III.  Entretiens  sur  la  poésie  y  1800. 
Il  y  pose  en  principe  que  le  symbole 
et  la  mythologie  sont  inséparables  de 
toute  vraie  poésie  ;  et   l'infériorité 
poétique  de  l'âge  moderne,  relative- 
ment à  l'âge  ancien,  tient  justement, 
dit-il,  à  cette  absence  de  mythologie, 
d'aperception  symbolique  du  monde. 
«  Mais ,  ajoute-t-il ,  cette  absence 
cessera ,  le  temps  approche  où  l'âme 
humaine  pensera  derechef  par  sym- 
boles, et  alors  nous  pourrons  tout 
de  bon  essayer  d'avoir  un  art  et  une 
science,  impossibles  jusque-là.  »  IV. 
Essai  sur  la  langue  et  la  philosophie 
des  Indiens  (trad.  en  fr.,  1°  par  Man- 
get,  Genève,  l809,  in-12  ;  2"  par  Ma- 
zure,  Paris,1837,  in-8*').  Comme  nous 
l'avons  dit,  ce  volume  a  eu  le  mérite  de 
provoquer  les  études  sanscrites,  mais 
il  a  été  depuis  long-temps  extraordi- 
nairement  dépassé.  Il  se  compose  de 
quatre  livres,  consacrés  le  premier 
à  la  langue,  le  deuxième  à  la  philo- 
sophie, le  troisième  à  l'histoire,  et  le 
quatrième  à  la  poésie  des  Hindous. 
Ce  dernier,  à  trois  ou  quatre  pages 
près,  ne  contient  que  cinq  fragments 
poétiques  (le  commencement  du  Ra- 
matana^   la  Cosmogonie   selon  le 
premier  livre  des  lois  de  Manou,  un 
extrait  du  Bhagavat-Gîta  et  deux 
passages  de  V Histoire  de  Sakountala 
d'après  le  Mahabharata).  A  coup  sûr 
ces  fragments  offraient  un  grand  in- 
térêt en  un  temps  où  l'on  ne  possé- 
dait ni  la  traduction  de  Sakountala, 
par  Chézy,  ni  celle  du  Dharmasas- 


SCH 

ira ,  par  Loiseleur-Deslongchamps , 
ni  même  celle  du  Bamaïana  en  an- 
glais, par  Wilkins.  Toutefois,  l'on  ne 
peut  s'empêcher  de  regretter  que 
Frëd.  Schlegel  n'ait  pas  placé  en  tête 
au  moins  quelques  linéaments  de 
riiistoire  littéraire  de  l'Inde,  n'eus- 
sent-ils été  que  des  jalons  pour  une 
his-toire  littéraire  future-  Il  était  cer- 
tainement possible  dès-lors  de  se  les 
procurer  un  peu  moins  secs  et  moins 
informes  que  les  maigres  indications 
placées  au  bout  du  livre  deuxième. 
Le  dernier,  au  reste,  est  lui-même 
très-insuffisant.  Colebrooke,  dans  ses 
Mémoires  sur  les  Védas  {Âsiat.  Re- 
search.,  VIII,  77),  avait  été  beaucoup 
plus  riche  et  plus  précis  sur  les  sectes 
philosophiques  de  Tlnde,  bien  que 
moins  fécond  en  rapprochements 
avec  les  écoles  de  la  Grèce.  Schle- 
gel ici  pèche  sous  deux  rapports  : 
1°  quoique  généralement  assez  vrai, 
ii  flotte,  il  est  vague,  et  il  lui  arrive 
même  de  s'égarer  tout-à-fait,  sur 
le  Sankhya,  par  exemple,  dont  il  mé- 
connaît le  caractère  matérialiste; 
2°  toutes  proportions  gardées ,  il  est 
beaucoup  trop  longet  il  hasarde  beau- 
coup dans  les  filiations  de  doctrines 
qu'il  suppose  dans  l'Inde  ou  hors  de 
l'Inde.  On  peut  lui  contester,  de  sys- 
tème à  système ,  la  différence  essen- 
tielle, dit-il,  qu'il  signale  entre  le 
système  de  l'émanation  et  du  pan- 
téisme.  Dans  l'exposition  même  du 
panthéisme  il  oublie  de  mention- 
ner que  le  monde  et  Brahma  ne  sont 
pas  adéquates,  même  comme  illusion 
figurée  et  être  suprême,  mais  que  le 
monde  n'est  localisé  que  dans  un 
quart  de  cette  substance  souveraine  , 
dont  trois  quarts  débordent  la  vaste 
totalité  des  Lukas.  Les  deux  livres 
restants  sont  sujets  à  beaucoup  moins 
de  reproches,  mais  c'étaient  aussi  les 
plus  faciles.  Celui  qui  traite  de  la 


SCll 


323 


langue  est  principalement  remar- 
quable. S'il  n'épuise  pas  la  fleur  du 
sujet,  il  donne  du  moins  des  indica- 
tions justes;  il  met  bien  en  relief  la 
phénoménologie  grammaticale  du 
sanscrit;  il  tient  égal  compte  des 
radicaux  et  de  la  syntaxe  ;  il  place  au 
juste  point  de  vue  l'affinité  des  lan- 
gues indiennes  et  de  celles  de  l'Eu- 
rope ,  ainsi  que  de  quelques  langues 
intermédiaires.  Enfin,  chose  remar- 
quable chez  lui ,  il  ne  sacrifie  pas  à 
la  chimère  d'une  langue  mère  uni- 
que, mais  il  voit  simplement  des  fa- 
milles de  langues,et  il  se  tient  au  moins 
dans  une  sage  neutralité.  L'histoire, 
qui  forme  le  sujet  du  quatrième  li- 
vre ,  présente  plusieurs  morceaux 
importants,  principalement  dans  le 
chapitre  premier  relatif  à  l'origine 
de  la  poésie,  aux  mythologies ,  et 
dans  le  troisième,  qui  a  pour  litre: 
Des  colonies  et  de  la  constitution  de 
VInde,  Lors  même  qu'il  ne  donne 
pas  de  solutions,  ou  que  ses  solu- 
tions ne  peuvent  plaire,  on  a  là,  du 
moins,  un  excellent  programme  de 
questions.  V.  Histoire  de  la  litté- 
rature ancienne  et  moderne^  Vienne, 
1815;  trad.  en  fr.  par  W.  Duckett, 
Pans,  1829,  2  vol.  in-8°  (1).  C'est 
de  tous  les  ouvrages  de  Schlegel  le 
plus  connu  en  France,  parce  que 
long-temps  ce  fut  avec  Lof fter  et  Mwi- 
ler  et  avec  ['Essai  sur  la  langue  et 
la  littérature  des  Hindous,  le  seul 
qui  eût  été  traduit  en  français. 
L'exposition  est  généralement  claire  : 
le  style  est  beau,  l'auteur  semble 
dominer  son  sujet  avec  le  plus 
grand  calme  et  n'être  mû  en  écri- 
vant par  aucune  passion.  Cette  ap- 
parence d'impartialité  commence  par 

(i)  M.  Duckett  a  désavoué  sa  traduction, 
effectivement  très-imparfaite.  M.  Quérard 
persiste  a  la  lui  attribuer  {Fr,  htt.,\lll,S2'S). 


326 


SCH 


SCH 


prendre  le  lecteur.  11  laiit  du  temps  ou 
une  grande  habitude,  une  grande 
connaissance  des  matièhes  parcou- 
rues par  Frédéric,  pour  s'apercevoir 
que  trop  souvent  les  preuves  man- 
quent, qu'il  entasse  les  hypolhèses, 
qu'il  oublie  de  citer  les  auteurs  qui 
pourraient  déposer  contre  ses  théo- 
ries, qu'il  omet  tout  ce  qu'il  lui  con- 
vient d'omettre.  Ainsi,  par  exemple, 
il  ne  nomme  pas  Démosthène,  dont 
tout  le  tort  à  ses  yeux  était  sans 
doute  d'avoir  lutté  contre  la  pré- 
pondérance de  Philippe.  Il  assure 
que  les  nobles  sont  les  précep- 
teurs naturels  du  genre  humain, 
rôle  que,  même  au  point  de  vue 
absolutiste,  le  clergé  aurait  beau- 
coup plus  droit  de  revendiquer. 
Toutefois,  il  est  un  grand  nombre  de 
points  habilement  et  lumineusement 
touchés.  Son  plan ,  qui  consiste 
à  partir  de  la  Grèce  pour  revenir  en- 
suite à  l'Orient,  quand  les  arts  de  la 
Grèce  sont  fécondés  et  un  instant  re- 
nouvelés par  le  mélange  des  tradi- 
tions indiennes,  hébraïques  et  per- 
sanes ,  est  ingénieux.  Rien  de  plus 
juste  que  sa  distinction  du  dévelop- 
pement intellectuel  de  la  Grèce,  qui 
est  pur  et  tout-à-fait  indépendant, 
tandis  qu'en  Orient  il  est  soumis  aux 
entraves  d'une  constitution  sacerdo- 
tale, et  qu'à  Rome  il  subit  Tascendant 
de  la  politique.  Il  explique  très-bien, 
s'il  ne  légitime,  le  défaut  de  patrio- 
tisme de  Pindare  et  son  peu  de  sym- 
pathie pour  les  victoires  sur  les  Mè- 
des;  il  saisit  parfaitement  dans  Vir- 
gile le  poète  national  ;  il  est  impar- 
tial pour  Tacite,  ce  qui  peut  étonner 
un  peu.  Il  signale  avec  raison  le 
commencement  d'une  phase  nouvelle 
à  l'avènement  d'Adrien ,  et  à  quel- 
ques inexactitudes,  quelques  oscilla- 
tions près,  il  trace  savamment  les 
principales   lignes  du  tableau    des 


écoles  mystiques  alexandrines  ;  il  sai- 
sit et  fait  comprendre  l'attitude  diffé- 
rente du  savant  de  l'Orienietdecelui 
de  l'Occident  vis-à-vis  du  christianis- 
me.Toutce  qui  vient  ensuite,  legrand 
rôle  du  christianisme ,  son  influence 
au  moment  de  l'invasion  ,  l'heureuse 
et  féconde  pression  qu'il  exerça  sur 
les  barbares,  son  alliance  avec  le  gé- 
nie du  nord,  et,  en  tête  des  produits 
qui  en  sortirent,  la  formation  du  nou- 
veau génie  poétique  qui  donne  la  che- 
valerie, les  trouvères,  les  légendes 
et  grands  cycles  épiques,  l'idéali- 
sation de  la  femme  et  de  l'amour,  le 
roman,  est  aujourd'hui  acquis  à 
l'histoire  littéraire  comme  axiome 
ou  comme  simples  éléments ,  fa- 
miliers à  quiconque  effleure  ces  ques- 
tions ;  et  si  Schlegel  n'a  pas  été  le 
seul  à  importer  ces  résultats ,  qui  se 
révélaient  en  même  temps  à  plus 
d'un  savant,  il  a  eu  certainement  sa 
bonne  part  de  la  découverte  comme- 
de  la  vulgarisation.  Nous  ne  le  sui- 
vrons pas  dans  ce  qu'il  dit  de  la  lit- 
térature provençale  ,  des  chants 
du  Nord,  de  l'Edda,  de  la  littéra- 
ture runique  ,  des  Niebelungen  , 
du  Romancero  (quoique  là  par- 
ticuhèrement  il  soit  admirable), 
du  drame  espagnol  et  surtout  de 
Calderon ,  qu'il  classe  à  la  tête  de 
tous  les  poètes  dramatiques,  sans  en 
excepter  Shakspeare.  Nous  avoue- 
rons qu'au  cas  même  où  nous  accep- 
terions ce  jugement  (que  nous  com- 
prenons comme  résultat),  ce  ne 
serait  ni  à  cause  du  Prince  Constant 
et  de  l'Adoration  de  la  croix ^  ni  de 
par  ce  principe  que  le  but  de  l'art 
doit  être  l'édiflcation  des  masses, 
l'explication  religieuse  de  l'énigme 
de  la  vie.  Nous  sommes  un  peu  sur- 
pris aussi  de  le  voir  préférer  Ca- 
moëns  au  Tasse;  et  comme  le  Tasse 
à  son  tour  est  mis  au-dessous  de 


SCH 


SCII 


827 


Dante,  Dante   par  cela  même   est 
déclaré    inférieur  à  Camoëns.   En 
revanche,  le  mouvement  et  le  carac- 
tère de    Luther  sont  parfaitement 
retracés  ;  et  justice  éclatante  est  ren- 
due au  formidable  réformateur.   Il 
n'en  est  pas  ainsi  de  Descartes ,  de 
Pascal,  de  Kant  lui-même,  de  Schil- 
ler, auquel  il  semble  égaler  Werner. 
Quant  à  la  période  contemporaine 
dont  ces  deux  derniers  noms  font 
partie,  s'il  n'apprécie  pas  toujours 
avec  justesse ,  s'il  garde  toutes  ses 
sympathies   pour  les  Novalis,    les 
Saint-Martin,  les  Stollberg,  s'il  voit 
au  travers  du  prisme   mystique  et 
avec  toutes  les  illusions  du  verre 
grossissant  la  portée  des  doctrines 
qu'il  affectionne,  il  décrit  du  moins 
avec  justesse  et  en  témoin  qui  sait 
comprendre  autant  que  voir  le  mou- 
vement intellectuel  au  milieu  duquel 
il  a  vécu.  Enfin  sa  vue  dominante, 
qui   consiste    à    classer    les   litté- 
ratures diverses,  non  d'après  ce  que 
nous  croirions  leur  mérite  comme 
produits  de  l'art ,  mais  d'après  l'in- 
tensité ou  l'efficacité  plus  ou  moins 
sensible  de  leur  tendance  religieuse, 
cette  vue,  quoique  fondamentalement 
fausse  au  moins  sous  deux  rapports, 
peut  mener  pourtant  à  des  formules 
plus  heureuses,  et  donne  lieu  à  bien 
des  aperçus  nouveaux,  piquants  ou 
riches  en  corollaires.  Peut-on  en  dire 
autant  d'une  autre  idée  qu'il  repro- 
duit plus  d'une  fois  sous  formes  di- 
verses dans  le  courant  du  livre,  et 
suivant  laquelle  ce  serait  une  inter- 
prétation incomplète  et  insuffisante 
que  les  deux  dont  on  se  contente 
pour  les  livres  saints  (celle  de  la 
lettre  et  celle  de  l'esprit)?  Il  faut, 
dit-il,  il  faut  une  troisième  interpré- 
tation «  plus  élevée  que  les  précé- 
dentes et  ayant  pour  base  le  sens 
mystique  caché,  lequel,  avec  ou  sans 


figure,  repose  sur  le  mystère  de  Tâme 
et  de  son  union  avec  Dieu.  »  C'est 
un  point  délicat  sur  lequel  nous  lais- 
serons statuer  lesjuges  en  matière  de 
foi.  VI.  Lectures  sur  la  philosophie 
de  rM'sfoire,  Vienne,  1829,  tr.  enfr. 
par  l'abbé  Lechat,  Paris,  1836,  2  vol. 
in-8».  Bien  que  nous  rangions  ce  livre, 
le  dernier  qu'ait  publié  l'auteur,  au 
nombre  de  ceux  qui  ont  trait  à  la 
poésie,  aux  beaux-arts  ou  à  la  scien- 
ce, c'est  à  peine  si  Fr.  Schlegel  s'y 
occupe  de  ces  matières.  C'est  sur- 
tout la  civilisation,  la  destinée  hu- 
manitaire   qu'il    étudie.  Tout    son 
livre,  dont  au  reste   la  lecture  est 
attrayante   pour  quiconque    réunit 
un   peu    d'enthousiasme  à  l'amour 
des     idées    collectives ,    est     une 
utopie  du  passé,  du  présent  et  de 
l'avenir.  Il  déduit  toute  la  série  des 
événements  humains  de  l'Être  même, 
de  l'Être  un  et  suprême,  de  l'Être 
aux  trois  attributs.  Verbe,  Force, 
Lumière;  le  Verbe  a  révélé,  la  Force 
propage  le  Verbe  par  toute  la  terre, 
la  Lumière  sera  le  partage  des  intel- 
ligences européennes,  initiatrices  et 
dominatrices  du  monde.  Et  d'autre 
part,  cependant ,  il  affiche  la  pré- 
tention de  fortifier  par  des  faits  les 
idées  qu'il  émet;  il  exploite,  s'il  ne 
les  résume  complètement,  et  sous 
leur  vrai  point  de  vue ,  les  travaux 
desColebrooke,desChampollion,des 
Rémusat ,  des  Humboldt ,  des  Schu- 
bart.  Ses  chapitres  sur  les  mœurs, 
les  institutions  et  l'état  social  des 
Chinois,  des  Égyptiens,  des  Hébreux, 
des  anciens   Germains ,    celui    des 
Guelfes  et  des  Gibelins,  ceux  qu'il 
consacre  à  la  réforme,  méritent  sur- 
tout l'attention.  VIL  Philosophie  de 
la  vie,  Vienne,  1825  (trad.  en  fr.  par 
l'abbéGuenot,  Paris,  1 837, 2  v.  in-8«). 
Cet  ouvrage  est  la  rédaction  du  cours 
qu'il   fit  à   Vienne  en  1827,  On  y 


328 


SCH 


SCH 


trouve  de  belles  pages,  peu  de  choses 
véritablement  neuves,  même  comme 
forme,  une  philosophie  surannée, 
qui  a  la  prétention  d'être  populaire, 
et  qui  ne  manque    pas  de  certain 
piquant,  bien  qu'elle  ne   puisse  ni 
être  soutenue,  ni  même  exercer  d'ac- 
tion un  peu  sérieuse.  VIII.  Tableau 
de  l'histoire  moderne,  Vienne,  181 1 
(trad.  en  Ir.  par  Cherbuliez,  Paris, 
1830,  2  vol.    in-80).    IX,  X,  XI. 
Sa  part  aux  trois   recueils   pério- 
diques ci-dessus  nommés,  VAthénée 
de  Berlin  (  avec  son  frère  et  Tieck), 
les    Caractéristiques    et    Critiques 
(avec  son  frère),  et  VEurope,  à  peu 
près  à  lui  seul  ou  du  moins  sans  col- 
laborateurs importants   {voy.  la  fin 
de  l'article  relatif  à  sa  femme,  Do- 
rothée  de   Schlegel).    Ses  articles 
pour  VAthénée  sont  les  plus  faibles. 
Dans   les    Caractéristiques  il  en  a 
d'excellents,  quoique  généralement 
un  peu  sévères,  sauf  lorsqu'il  s'agil 
de   Gœthe.  Ce  sont  au  total  ceux 
dont  on  peut  le  mieux  adopter  les 
résultats,  et  où  l'on  peut  presque 
toujours  profiter  des  remarques  sans 
être  obligé  de  les  modifier  profondé- 
ment. Dans  l'Europe,  le  talent  est 
plus  transcendant,  et  pour  un  esprit 
supérieur  et  habile  à  trier  le  bien 
d'avec  le  mal,  c'est  là  qu'il  y  a  le  plus 
à  gagner  -,  mais  c'est  là  aussi  qu'il  y 
a  le  plus  à  se  défier.  XII.  Le  Musée 
allemand^  autre  recueil  périodique, 
Vienne,  1810-1813, 2  vol.  in  8°.  XIII. 
Concordia,  revue  destinée  à  con- 
cilier les  opinions  sur  la  politique,  la 
religion  et  lesarts.  XIV.  VAlmanach 
patriotique,iSOQ.XY.])[yersarticles 
éparsdans  d'autres  recueils,  et  parmi 
lesquels  nous  mentionnerons,  outre 
son  double  début  dans  le  Ber^  i)fo«a<- 
schrift  ^  1°  Gœi/ie( fragments)  dans 
l'Allemagne  de  Redchard,  1796,  2« 
liv.,  p.  258,  etc.;  2°  A  l'éditeur  de 


V Allemagne  sur  TAImanach  des  Mu- 
ses de  Schiller,  même  rec,  6*  liv., 
p.  348,  etc.-,  3«  Georges  Forster, 
fragment  caractéristique  de  classi- 
ques allemands,  dans  le  Lycée  des 
Beaux- Arts  y  t.  I,  1"  part.,  1797; 
4°  Jugement  artistique  de  Denys  sur 
Isocrate,  dans  le  Musée  attique  de 
Wieland,t.IIl,  1797.  XVI.  La  tragé- 
die &'Alarcos,  jouée  sans  succès  à 
Weimar  et  à  Berlin.  C'est  pourtant 
l'essai  poétique  le  plus  remarquable 
de  Fréd.  Schlegel.  XVll.  Dts  poésies 
diverses  dans   le  Jardin  poétique 
(Dichtergarten)   de   Rostof,   1807, 
dans  la  Branche  d'olivier  de  Georges 
Passyeo,  Vienne,  1819-1822,  etc.,  etc. 
La  plupart  de  ces  morceaux  sont  ly- 
riques ,  et  l'on  y  distingue  notam- 
ment les  sonnets  et  les  tercets.  On  a 
reproché  à  Fr.  de  Schlegel,  à  propos 
de  ceux-ci,  de  trop  tenir  à  la  coupe, 
de  trop  rechercher  l'élégance,  au 
lieu  de  la  force,  et  on  lui  a  dit  un 
peu  aigrement  qu'il  n'en  était  pas  de 
l'Allemagne  comme  de  l'Italie,  où, 
grâce  à  la  sonorité  de  la  langue,  la 
forme  est  tout,  le  fond  n'est  rien.  Ce 
blâme,  fondé  peut-être  pour  quel- 
ques-uns des  in»tateurs  de  F.  Schle- 
gel, est  peu  juste  pour  lui  ;  car  évi- 
demment il  ne  s'est  pas  outre  me- 
sure préoccupé  de  la  forme,  mais  on 
peut  lui  reprocher  d'avoir  voulu  en 
quelque  sorte  galvaniser  sa  poésie 
en  donnant  à  tous  les  objets  de  la 
nature,  aux  végétaux,  aux  pierres, 
aux  vents,  à  l'eau,  une  vitalité  sur- 
naturelle ,   d'avoir  semé  à    pleines 
mains  l'intelligence  ou  la  sensitivité 
à  tous  les  degrés  de  l'être ,  d'avoir, 
ainsi  que  le  croyant  en  Brahma,  fait 
palpiter  l'âme  universelle  dans  tous 
ses  vers.  Ce  n'est  là,  au  reste,  que  la 
réalisation   de   ses  doctrines,  pan- 
théistes aux  trois  quarts  et  mysti- 
ques au  grand  complet.  Nous  con- 


SCll 


SCH 


329 


viendrons  même  que,  restreint  en 
certaines  limites  et  harmonieuse- 
ment adapté  aux  sujets,  au  temps, 
aux  hommes  qu'on  fait  parler,  cet 
accent ,  qui  semble  animer  ei  inté- 
resser la  liature  entière  aux  scènes 
qui  passent  sous  nos  yeux,  peut  pro- 
duire de  gramls  effets  et  procéder 
d'une  inspiration  vraie.  Mais  il  faut 
savoir  éviter  l'aftectation  et  ne  pas 
fatiguer.  D'autres,  au  reste,  ont  fait 
comme  Schlegel,  Shelley  entre  au- 
tres, Shelley,  panthéiste  aussi,  mais 
logique  et  athée;  et  Ton  pourrait 
bien  rapprocher  comme  ayant  déjà, 
quoique  moins  savamment,  penché 
vers  ce  mode  de  lyrisme,  dès  le 
dix -septième  siècle,  les  poètes 
de  l'école  de  Nurenberg,  XVIII. 
Chants  hiéroglyphiques  (en  tête  de 
l'édit.  des  poésies  du  mystique  Nico- 
las). Ces  chants  offrent  le  même  ca- 
ractère que  nous  venons  de  signaler 
dans  bon  nombre  des  Poésies  diver^ 
ses.  XIX.  Une  part  dans  le  Promé- 
thée  de  L.  de  Seckendorf  et  de  Stoll. 
XX.  Une  traduction^  en  mètres  alle- 
mands, des  Poésies  latines  deLother 
et  de  Maller.  Ces  poésies  avaient 
été  d'abord  composées  en  langue 
romane  par  dame  Marguerite,  com- 
tesse de  Vaudemont  et  duchesse  de 
Lorraine,  puis,  traduites  en  italien, 
elles  avaient  été  mises  en  allemand 
en  1405,  par  dame  Elisabeth,  com- 
tesse de  Nassau-Saarbruck,  fille  de 
dame  Marguerite  et  du  duc  Frédéric 
de  Lorraine.  Quoique ,  comme  on 
le  devine  de  reste,  il  n'y  ait  point  là 
mérite  d'idées  et  d'invention  pour 
l'interprète ,  on  peut  dire  qu'inter- 
préter ainsi  c'est  presque  produire. 
La  souplesse  de  la  langue  allemande 
sans  doute  facilite  notablement  la 
tâche  à  qui  veut  reproduire  l'allure 
et  la  couleur  des  débris  du  vieil  âge. 
Pourtant ,  on  ne  peut  méconnaître 


que  Fr.  de  Schlegel  possède,  comme 
son  frère,  un  merveilleux  talent  de 
revivifîcation,  et  que  cette  traduc- 
tion se  recommande  par   une  très- 
grande  supériorité  de  style.    XXI. 
Lucinde,  ou  la  Maudite ,  1"  partie, 
1800.  La  2«  ne  parut  jamais.  Pour 
la  forme  comme  pour  l'esprit,  Lu- 
cinde  est  une  copie  de  la  Fiammetta 
de  Boccace.  Pour  les  curieux  d'anec- 
dotes littéraires,  elle  off're  cet  attrait 
tout  spécial  que  Fréd.  Schlegel  y 
retrace,    en  l'idéalisant   beaucoup, 
l'histoire  de  ses  amours-,  et  physio- 
logiquement  comme  moralement  il 
peut  y  avoir  de  l'utilité  à  mettre  en 
relief  les  liens  secrets  qui  unissent 
l'exagération  des  jouissances  physi- 
ques et  des  opinions  paradoxales  à  la 
folie.  Toutefois,  il  n'y  avait  là  rien 
de  bien   neuf^  et  ce  n'est  que   la 
beauté  de  la  mise  en  œuvre,  soit 
comme  peinture  d'art,  soit  comme 
souffle  éloquent  de  morale,  qui  pour- 
rait tirer  Lucinde  de  la  foule  des  ou- 
vrages où  à  la  suite  des  passions  ap- 
paraît  la  démence    temporaire    ou 
incurable.  11  s'en  faut  que  Fauteur 
en  soit  là  :  l'accent  n'est  pas  celui  du 
conteur  qui  réprouve  sévèrement  et 
avec  autorité  (au  contraire,  on  pour- 
rait y  voir  le  premier  manifeste  de 
guerre  du  roman  anti-conjugal)  \  et 
son  pinceau  n'est  pas  celui  de  l'ar- 
tiste qui  sait  dégrader  les  couleurs 
et  faire  aimer  ses  hérts.  Il  croyait 
qu'on  s'amuserait  beaucoup  de  ces 
quelques  pages  de  sa  vie,  et  qu'on  en 
demanderait  la  suite  à  grands  cris. 
Soit  que  sa  célébrité  ne  fût  pas  telle 
qu'on  eût  ainsi  faim  et  soif  de  ses 
mémoires  ou  que  l'on  trouvât  quel- 
que fatuité  dans  ses  prétentions,  soit 
qu'en  réalité  les  lecteurs  fussent  pé- 
niblement alfectés  du  récit  de  scè- 
nes, les  unes  très-peu  morales,  les 
autres  douloureuses  ou  flétrissantes. 


330 


SCH 


sa  Lucinde  n'intéressa  pas;  elle  ne 
fut  même  pas  très-Iue,  quoique  très- 
décne'e;  et  telle  fut  probablement 
la  vraie  raison  qui  l'empêcha  de 
poursuivre ,  quoique  fort  souvent 
on  ait  fait  honneur  de  cette  inter- 
ruption à  son  désir  d'éviter  du  scan- 
dale. Parmi  les  morceaux  de  polé- 
mique auxquels  donna  lieu  la  publi- 
cation de  Lucinde^  doivent  se  re- 
marquer surtout  les  Lettres  intimes 
de  Schleiermacher  dans  VAthe- 
nœum.  On  doit  de  plus  à  Frédéric 
Schlegel  la  traduction,  en  alle- 
mand d'une  histoire  (française)  de  la 
reine  Marguerite  de  Valois,  femme 
de  Henri  IV,  Leipzig,  1809;  les  deux 
volumes  (ci-dessus  mentionnés)  de 
chants  et  poésies  du  moyen  âge; 
un  choix  des  pensées ,  théories  et 
croyances  de  Lessing,  sous  le  titre 
d'Esprit  de  Lessing ,  etc. ,  1804 
(recueil  où  ce  qui  appartient  en 
propre  à  notre  auteur  dénote  beau- 
coup d'admiration  pour  Lessing , 
mais  un  développement  d'esprit  en- 
core peu  avanoé  relativement  à  ce 
qu'il  devait  être);  puis  conjointement 
avec  Tieck,  une  édition  des  Écrits 
de  Novatis^  1802,  réimprimés  deux 
fois  encore  depuis;  et  enfin  un  Al- 
manach  pour  l'an  1806,  Berlin,  1806. 
Il  a  aussi  été  l'éditeur  de  la  traduc- 
tion allemande  de  Corinne;  mais  ce 
n'est  pas  lui  qui  se  fit  ainsi  l'inter- 
prète de  madame  de  Staël  ;  c'est ,  en 
grande  partie  du  moins,  à  sa  femme 
Dorothée  Schlegel  qu'il  faut  en  faire 
honneur.  On  avait  donné  à  Vienne, 
en  1822  et  1823,  une  édition  ,  en 
douze  vol.  in-8",  des  OEuvres  com- 
plètes de  Fréd.  de  Schlegel ,  telles 
qu'elles  étaient  à  cette  époque.  On 
voit  qu'il  n'y  a  que  peu  de  choses  à  y 
ajouter  pour  qu'effectivement  tout 
y  soit  compris.  On  a  publié  à 
Bonn ,    en    1836 ,    un   volume   de 


SCH 

fragments  philosophiques  tirés  des 
leçons  de  Frédéric  de  Schlegel.  — 
Dorothée  de  Schlegel  ,  sa  femme  , 
était  fille  du  célèbre  juif  Meridelsohn 
et  avait  épousé  en  premièrps  noces 
un  marchand  de  Berlin,  Simon  Veit, 
auprès  duquel  elle  jouissait  d'une 
existence  agréable  et  brillante.  N^e 
avant  1770,  elle  approchait  de  trente 
ans,  si  même  elle  n'avait  dépassé  cet 
âge,  et  elle  était  mère  de  plusieurs 
enfants,  quand  pour  la  première  fois 
vers  1798  elle  aperçut  Frédéric  de 
Schlegel.  Nous  ne  dirons  pas  que 
M"*  Veit  fut  une  beauté;  mais  expres- 
sive, passionnée,  reine  d'un  petit 
cercle  sur  lequel  elle  exerçait  une 
véritable  fascination,  elle  était  belle 
pour  les  privilégiés  peu  nombreux 
devant  lesquels  se  déployait  dans 
son  exubérance  l'âme  éminemment 
impressionnable  et  chaleureuse  dont 
l'avait  douée  la  nature.  Elle  sentait 
en  artiste,  elle  aspirait  à  faire  sentir 
comme  elle  ce  qui  l'entourait  ,  son 
esprit  était  cultivé,  ses  manières 
étaient  celles  du  monde.  Bientôt  une 
passion  réciproque  les  unit  secrète- 
ment ;  puis,  soit  nécessité,  soit  droi- 
ture et  franchise,  elle  se  sépara  de 
son  mari,  pour  devenir  la  femme  de 
celui  qu'elle  préférait.  Cette  double 
'démarche  n'eut  pas  lieu  sans  reten- 
tissement et  sans  blâme.  Mais  elle 
sut  se  rattacher  et  conserver  autour 
d'elle  des  adhérents  choisis  et  chers 
à  son  cœur,  à  commencer  parsa  sœur 
Rachel.  Toutefois  il  est  croyable  que 
si,  très-peu  de  temps  après  ces  évé- 
nements, parut  le  roman  inachevéde 
Lucinde  dont  il  a  été  question  un 
peu  plus  haut,  ce  fut  le  besoin  d'une 
apologie, indirecte  du  moins,  qui  en 
éveilla  l'idée  chez  Schlegel.  H  est 
croyable  aussi  que,  si  les  deux  époux 
quittèrent  Berlin  pour  aller  s'établir 
à  léna ,  ce  fut  aussi  pour  éviter  de 


SCH 

se  trouvpr  davantage    en    contact 
avec  les  témoins  de  plus  d'une  scène 
orageuse  et  interprétée  à  leur  désa- 
vantage.    Mais    l'existence    étroite 
d'Iéna   ne   put  plaire  long-temps  à 
M™«  de  Schlegel  ;  et  le  désir  de  se  dé- 
ployer sur  un  théâtre  plus  vaste  lui 
fit  songer  à  tenter  la  fortune  à  Paris. 
En  sibylle  inspirée,  elle  prophétisait 
à  son  époux  que  de  hautes  destinées 
leur  étaient  réservées  dans  la  capi- 
tale de  la  France,  que  ce  pays  agité 
par  le  besoin  d'innovations   devait 
aspirer  à  connaître  les  littératures 
étrangères  et  à  se  renouveler  par  elles, 
qu'il  y  avait  là  une  belle  place  à 
prendre  pour  qui  saurait  la  prendre, 
etc.,  etc.  Tout  cela  ne  manquait  pas 
complètement  de  vérité.  Mais  la  Vel- 
léda  brandebourgeoise  ne  tenait  pas 
compte  du  temps  qui  serait  néces- 
saire pour  que  la  pression  de  l'idée 
allemande  sur  la  routine  française, 
qui  portait  pour  enseigne  Poétique 
d'Aristote,  devînt  un  peu  sensible  et 
eût  chance  de  triompher.  Frédéric  de 
Schlegel  n'étaitpas  l'homme  qu'il  fal- 
lait pour  agir    énergiquentent   sur 
l'esprit  des  Français  ;  et  sa  femme 
elle-même,  malgré  ce  qu'il  y  avait  de 
séduction  dans  sa  manière  et  dans 
cette  alliance  d'un  esprit  fin  et   cul- 
tivé avec  les  grâces  de  son  sexe,  ne 
suffisait  pas  au  rôle  qu'elle  ambition- 
nait pour  elle  et  pour   lui.  L'effet 
pourtant  ne  fut  pas  nul.  Très-certai- 
nement ils  préparèrent  l'impression 
plus  forte  produite  par  V Allemagne 
deM-nedeStaël.  A   leur  thé  du  di- 
manche assistaient,  avec  des  Alle- 
mands et    divers     étrangers,   plu- 
sieurs Français  distingués  par  la  po- 
sition  ou    par  IVsprit.    C'est    chez 
M"^«de  Schlegel  que  Chezy  rencontra 
la  baronne  de  Hastfer,  que  plus  tard 
il  épousa;  et  de  ce  petit  cercle  com- 
mencèrent à  rayonner,  quoique  peu 


SCH 


331 


remarquées  d'abord,  les  premières 
influences  germaniques.  Malgré  le 
rang  élevé  que  tenait  dans  ce  cercle 
la  maîtresse  de  la  maison,  elle  n'at- 
fectait  point  de  prétentions  extraor- 
dinaires ;  ou  plutôt,  si  elle  affectait 
quelque  chose,  elle  affectait  d'être  la 
simplicité  même,  bien  qu'elle  fît 
quelquefois  des  lectures  devant  le 
docte  cercle.  Elle  s'effaçait  devant  son 
mari,  ne  voulant  que  briller  des  re- 
flets de  sa  gloire^ elle  répétait  qu'elle 
n'avait  d'autre  participation  à  ses 
ouvrages  que  de  les  recopier;  elle 
ne  confiait  qu'à  peu  d'amis  ce  qu'elle 
écrivait  et  composait  elle-même,  et 
quelquefois  on  mit  sur  le  compte  de 
Frédéric  ce  qui  sortait  de  la  plume 
de  Dorothée.  Ainsi  la  traduction  al- 
lemande de  V Allemagne  est  due  à 
la  plume  de  Mme  de  Schlegel,  et 
long-temps  on  l'attribua  au  mari  qui 
sans  doute  était  plus  qu'à  la  hauteur 
de  cette  tâche,  mais  qui  enfin  ne 
l'avait  pas  entreprise;  et  il  paraît  qu'il 
en  est  de  même  de  plus  d'une  pièce  en 
vers  ou  en  prose  qui  porte  le  nom  de 
Schlegel.  On  doit  aussi  à  cette  femme 
spirituelle  une  traduction  de  mor- 
ceaux choisis  de  Merlin,  et  divers  ar- 
ticles de  VEurope  signés  D.  Elle 
avait  résolu  de  donner  une  deuxième 
partie  du  Florentin ,  et  elle  mit 
la  main  à  l'œuvre,  mais  elle  n'a^ 
cheva  pas.  Elle  entretenait  avec  ses 
amis  une  correspondance  active,  et 
qui,  si  elle  voyait  le  jour,  offrirait 
plus  d'une  particularité  intéressante. 
Mme  (Je  Schlegel  survécut  dix  ans  à 
son  époux,  et  ne  mourut  qu'au  mois 
d'août  1839.  P— OT. 

SCHLEGEL  (Chrétienne-Caro- 
line Lucius,  dame),  morte  nonagé- 
naire en  1833,  s'est  fait  ou  plutôt 
s'était  fait  dès  la  fin  du  siècle  der- 
nier un  nom  comme  femme  de  let- 
tres ,  à   Hue    époque   où    le  sexe 


882 


SCH 


SCH 


u'avait  pas  autant  de  prétentions  que 
de  nos  jours  à  la  renomm^'e,  et  où 
surtout  il  était  moins  familiarisé  avec 
les  recettes  du  charlatanisme;  et 
pourtant  on  peut  tenir  pour  sûr 
qu'elle  ne  le  cédait  guère  en  qualités 
brillantes,  soit  de  style,  soit  de  pen- 
sée, à  la  plupart  de  celles  qui  ont 
jeté  le  plus  d'étincelles  et  fait  pé- 
tiller le  plus  de  fusées.  Son  père  oc- 
cupait un  assez  mince  emploi  dans 
les  bureaux  de  la  maison  privée 
d*Auguste  III  (l'électeur  de  Saxe, 
roi  de  Pologne) ,  et  comme  son 
maître,  il  menait  la  vie  nomade, 
tantôt  à  Dresde,  tantôt  à  Var- 
sovie. A  Dresde  pourtant  était  son 
domicile,  à  Dresde  vivait  sa  femme, 
à  Dresde  naquit  Caroline.  Son  édu- 
cation ne  fut  pas  négligée,  mais  ne 
fut  pas  dispendieuse.  Les  fréquentes 
absences  du  père,  les  habitudes  de 
la  mère,  qui  s'entendait  mieux  aux 
soins  du  ménage  qu'à  la  littérature, 
le  peu  d'aisance  de  la  famille  ,  s'op- 
posaient à  ce  que  l'on  mît  à  grands 
frais  la  jeune  personne  en  pension. 
Mais  elle  avait  le  goût  de  l'étude  et 
de  la  lecture;  et  tout  le  temps  qu'elle 
ne  passait  pas  à  tricoter,  à  ravauder 
et  à  coudre,  ou  à  seconder  sa  mère, 
elle  le  passait  avec  les  livres.  Elle 
apprit  ainsi  l'anglais  ,  l'italien,  et 
surtout  la  langue  française  qu'elle 
affectionnait  et  parlait  fort  bien  ;  elle 
s'appliqua  solitairement  à  traduire, 
soit  en  prose,  soit  en  vers,  ce  qui 
la  frappait  ou  l'intéressait  dans  les 
littératures  étrangères;  pour  per- 
fectionner sa  diction,  elle  entretint 
une  correspondance  assidue  avec 
une  amie  de  son  enfance  :  cette 
correspondance  élait  en  quelque 
sorte  le  journal  de  sa  vie  intime. 
On  comprend  combien  ce  genre 
d'exercice  devait  former  l'esprit  et 
le  style,  en  même  temps  surexalter 


l'imagination  et  le  cœur  de  celle 
qui  l'entreprenait  ;  et  l'on  ne  sera 
que  médiocrement  étonné  de  voir  un 
jour  la  jeune  Lucius,  à  l'étroit  dans  un 
cercle  par  trop  domestique,  se  sentir 
la  fantaisie  d'écrire  à  Gellert  qu'elle 
ne  connaissait  que  par  ses  œuvres, 
et  par  le  retentissement  de  ses  cours 
à  Leipzig,  mais  dont  les  œuvres  si 
délaissées  depuis  et  les  cours  au  fond 
si  vides  exerçaient  une  fascination 
prodigieuse,  principalement  sur  les 
femmes.  La  sentimentalité,  la  morale 
à  l*eau  de  rose  étaient  en  vogue  en 
cette  année  1760;  et  la  religiosité 
un  peu  vague  de  Gellert,  son  mysti- 
cisme, sa  mélancolie,  sa  phraséologie 
aux  nuances  tendres,  prose  fouettée 
que  l'on  prenait  pour  de  la  poésie, 
moins  justement  que  nous  prenons, 
nous,  sa  poésie  pour  de  la  prose  ; 
cette  espèce  de  sacerdoce  laïc  dans 
lequel  il  se  drapait,  cet  appel  qu'il 
fait  à  la  persuasion  au  lieu  de  vouloir 
opérer  la  conviction,  tout  cela  s'as- 
sortissait  parfaitement  au  milieu 
dans  lequel  résonnait  sa  parole. 
Ajoutons  d'ailleurs  que  l'âge  de  Gel- 
lert et  sa  rigidité  de  principes  suf- 
fisaient pour  prévenir  toute  mésinter- 
prétation.  Nous  ne  savons  combien 
de  temps  l'aimable  Saxonne  com- 
battit son  idée  ;  mais  enfin,  préludant 
à  la  désinvolture  du  X1X«  siècle 
et  Bettina  d'un  homme  qui  n'é- 
tait pas  Gœthe  ,  mais  qu'on  divi- 
nisait comme  Gœthe ,  le  21  oc- 
tobre 1760,  elle  décocha  sa  pre- 
mière lettre,  que  suivirent  beaucoup 
d'autres  missives,  et  encouragée  par 
les  réponses  qu'elle  recevait  de  temps 
en  temps,  ellecontinua  ainsi  neuf  ans 
durant.  La  mort  seule  du  fabuliste  mit 
ïin  terme  à  cette  correspondance  (3 
déc.  1769).  Dans  l'intervalle  au  reste 
elle  avait  vuGellert  à  Leipzig;  et  ie 
digne  vieillard  qu'elle  vénérait  comme 


SCH 

uiip^reenradorantcommeuiihomme 
de  génie,  comme  le  modèle  des  ver- 
tus et,  ce  qui  re'sumait  tout  alors , 
comme  Têtre  le  plus  sensible,  lui 
avait  fait  voir  toutes  ses  lettres  réu- 
nies et  conservées  dans  une  cassette 
particulière.  Elle  eut  un  autre  prtit 
triomphe.  Une  autre  jeune  fille,  une 
autre  Caroline,  M""  Kirchhof  de  Kott- 
biis  (depuis  M""-  GUlde),  se  mit  de 
même  en  relations  épistolaires  avec 
Gellert.  Mais  suffire  à  toutes  ces 
traites  tirées  sur  lui  par  l'amabilité 
féminine  était  au-dessus  des  forces 
de  Gellert,  un  peu  blasé  d'ailleurs 
comme  tous  les  sultans  ^  et,  quoique 
flatté  de  Thommage,  il  envoya  les 
missives  à  M"«  Lucius,  la  chargeant 
de  répondre.  Les  deux  Carolines  en- 
gagèrentainsi  un  commerce  de  lettres 
qui  dura  long-temps  ,  et ,  bien  que 
rivales  au  fond,  se  lièrent  entre  elles 
d'une  amitié  dont  rien  n"'autorise  à 
suspecter  la  sincérité;  il  est  vrai  que 
M™*  Giilde  mourut  fort  jeune. 
M"^  Lucius  était  aussi  en  corres- 
pondanceavec  plusieurs  autres  nota- 
bilités, avec  J.  Jakobi,  par  exemple, 
et  avec  le  feld-maréchal  comte  de 
Kaickreuth.  Agée  de  trente-quatre 
ans  (6  oct.  1774),  elle  accepta  la 
main  du  pasteur  de  Burgwerden  près 
de  Weissenfels,  mais  elle  n'eut  point 
d'enfants  de  ce  mariage  heureux  sous 
tous  les  autres  rapports;  et  six  ans 
après,  elle  eut  la  joie  d'unir  sa  sœur, 
plus  jeune  qu'elle  de  huit  ans,  à  ce 
même  GiJlde  de  Koîbiis ,  veuf  de 
son  ancienne  amie  l'autre  Caroline, 
mais  elle  la  perdit  au  bout  de  dix 
mois  (1781),  et  il  ne  lui  resta  plus 
de  sa  famille  que  son  vieux  père  qui 
lui-même  rendit  le  dernier  soupir  en 
1783.  Quant  à  son  époux,  il  survécut 
trente  ans  encore  à  toutes  ces  morts 
si  rapides  ,  et  elle-même  elle  survé- 
cut vingt  ans  et  demi  à  son  mari  :  sa 


SCH 


333 


lin  n'eut  lieu  en  effet  que  le  21  août 
1833.  Depuis  juin  1814,  elle  était  re- 
venue se  fixer  à  Dresde,  sa  ville  na- 
tale, avec  une  fille  adoptive  dont  le 
vénérable  Schlegeî  et  elle  avaient  fait 
choix  en  1796.  Depuis  long-temps  le 
monde  littéraire  l'avait  oubliée.  Sa 
conversation  pourtant  était  encore 
facile  et  vive  :  jusque  dans  le  voisi- 
nage de  sa  caducité  elle  conserva  une 
grande  force  de  caractère,  de  la  ré- 
solution, de  la  sérénité.  A  quatre- 
vingt-quatre  ans  moins  quelques 
mois,  elle  subit  une  opération  redou- 
table au  sein  droit,  et  son  sang-froid 
fut  pour  beaucoup  dans  la  réussite. 
La  principale  composition  de  Caroline 
Schlegel  et  celle  qui  prouve  le  mieux 
ce  dont  elle  eût  été  capable,  avec  un 
peu  moins  de  modestie  et  un  peu 
plusd'encouragement,  c'est  sa  tragé- 
die bourgeoise  anonyme,  intitulée: 
Duval  et  Charmille,  Leipzig,  1778. 
Ce  fut  aussi  son  premier  ouvrage. 
Reich  ne  l'imprima  que  malgré  elle. 
Le  fait  sur  lequel  roule  le  drame  n'est 
que  trop  réel  et  s'était  passé  à  Dresde. 
Caroline,  à  qui  sa  sœur  le  manda, 
n'eut  ni  trêve  ni  repos  qu'elle  n'en 
eût  fait  cinq  actes  en  y  intercalant 
des  morceaux  de  poésie.  On  y  trouve 
de  l'intérêt,  du  pathétique,  de  belles 
scènes,  mais  tout  y  décèle  le  peu 
d'habitude  du  théâtre.  On  doit  de 
plus  à  Caroline  Schlegel  des  traduc- 
tions des  Delights  of  a  religious  life 
d'Harwuod ,  Leipzig,  1781,  du  Rê- 
veur sensible^  de  Blanchard ,  Zeitz  , 
1799 ,  2  vol.  ;  des  tomes  3  et  4  des 
Instructions  d'un  père  à  ses  enfants 
sur  la  nature  et  la  religion,  par 
Abr.  Trembley ,  Leipzig,  1776-80, 
5  voL  La  traduction  a  é(é  publiée 
sous  le  nom  de  Klausing.  On  a  im- 
primé à  Leipzig,  en  J823,  un  volume 
sous  le  titre  de  Correspondance  de 
Gellert  et  de  M"'  Lucius,  mais  il  ne 


934 


i     SCH 


SCH 


s'y  trouve  qu'une  partie,  et  même 
la  moindre  partie  des  lettres  de  Ca- 
roline. P~OT. 

SCIILEIËRMACIIEK  (Frédéric- 
Daniel-Ernest),  un  des  plus  célèbres 
théologiens  protestants ,  naquit  à 
Breslau  le  21  novembre  1768,  et  fit 
ses  premières  études  au  gymnase  des 
frères  moraves  à  Niesky,  où  il  reçut 
une  éducation.très-pieuse,  puis  au  sé- 
minaire de  Barby,  et  enfin  à  l'univer- 
sité de  Halle ,  où  Semler  déjà  vieux 
achevait  sa  brillante  carrière,  et  où 
WolfFcommençait  la  sienne.  Schleier- 
macher  y  obtint  de  grands  suc- 
cès, et  il  fut  aussitôt  après  distingué 
par  une  famille  puissante  qui  le 
chargea  de  l'éducation  de  plusieurs 
enfants.  Il  fut  ensuite  vicaire  à 
Landsberg-sur-la-Warta  ,  puis  au- 
mônier de  l'hospice  de  la  Charité 
(1796-1802),  à  Berlin,  où  il  se  lia 
intimement  avec  les  Schlegel,  et  fut 
leur  collaborateur  dans  la  rédaction 
de  VÂthenœum  {voy.  Schlegel  dans 
ce  vol.).  Enfin,  en  1802,,  il  fut 
nommé  pasteur  dans  un  village  de 
la  Poméranie.  Sa  réputation  s'é- 
tant  alors  considérablement  accrue, 
il  fut  appelé  à  l'université  de  Halle 
pour  y  professer  la  théologie  et  la 
philosophie,  avec  le  titre  de  prédi- 
cateur de  l'université.  Son  début  y 
fut  très-brillant.  Mais  l'invasion  des 
armées  de  N«poléon  (1806)  mit  fin  à 
cette  belle  existence.  L'université 
ayant  été  supprimée ,  et  la  ville  de 
Halle  condamnée  par  le  traité  de  Til- 
sitt  à  faire  partie  du  royaume  de 
Westphalie,  créé  pour  le  plus  jeune 
des  frères  de  Bonaparte,  Schleier- 
macher  revint  à  Berlin ,  où  quelque 
temps  il  demeura  sans  emploi  ; 
mais  en  1809  il  fut  nommé  prédi- 
cateur à  l'église  de  la  Trinité,  puis 
pourvu  en  1810  de  la  chaire  de  théo- 
logie que  l'on  y  créa  cette  année. 


Reçu  en  1811  à  l'académie  des  scien- 
ces, trois  ans  après  il  devint  secré- 
taire de  la  section  philosophique 
de  cette  société  savante.  C'est  après 
avoir  exercé  long -temps  avec  le 
plus  grand  succès  ces  importantes 
fonctions,  qu'il  mourut  dans  cette 
ville  le  12  février  1834.  Bien  que  re- 
marquable en  philosophie,  sans  tou- 
tefois y  avoir  été  créateur,  Schleier- 
macher  devra  surtout  un  nom  dans 
la  postérité  à  ses  spéculations  théo- 
logiques. Là  véritablement  il  a  été 
original.. Pénétré  d'un  côté,  soit  de 
la  puissance  de  l'ancienne  et  sim- 
ple foi  évangélique  comme  nourri- 
ture substantielle  de  notre  sentiment 
religieux ,  soit  de  l'impuissance  du 
rationalisme  pour  satisfaire  ce  be- 
soin, mais,  d'autre  part,  reconnais- 
sant le  bon  droit  du  rationalisme  dans 
les  questions  philologiques,  histo- 
riques et  critiques,  et  l'impossibilité 
de  défendre  sur  ce  point  la  totalité 
des  solutions  traditionnelles  ;  certain 
de  plus,  et  c'est  sur  ce  point  qu'il 
insistait,  qu'il  ne  saurait  y  avoir  de 
contradiction  entre  la  conscience  re- 
ligieuse et  la  conscience  dialectique 
ou  métaphysique,  toutes  deux  égale- 
ment légitimes, également  inhérentes 
à  l'essence  de  l'âme  humaine ,  il 
prétendit  concilier  ces  deux  faits 
antinomiques  en  apparence ,  et  il 
s'efforça*  de  dégager  ce  qu'il  appelait 
la  substance  de  la  foi  chrétienne  des 
revêtements  historiques  que  la  cri- 
tique moderne  ne  saurait  désormais 
admettre,  et  l'offrir  sous  une  forme 
contre  laquelle  la  dialectique  ne 
puisse  avoir  d'objection.  Aux  yeux 
de  Schleiermacher,  l'essence  de  la 
religion  ne  réside  ni  dans  la  pensée, 
ni  dans  la  volonté,  ni  dans  l'union 
de  la  pensée,  de  la  volonté,  du  sen- 
timent. C'est  le  sentiment  seul  ^  c'est 
le  sentiment  que  l'univers  comme 


SCH 

infini,  comme  dépassaut  la  totalité 
des  choses  finies, produit  sur  l'hom- 
me, le  sentiment  de  dépendance  ab- 
solue de  l'homme  à  l'égard  de  Dieu 
(car  telle  est  la  dernière  formule  à 
laquelle  il  s'est  arrêté).  Il  en  conclut 
que  tout  ce  qui ,  dans  l'humanité, 
relève  de  la  pensée  ou  de  la  volonté, 
notion,  formule,  dogme  ,  acte,  peut 
être  plus  ou  moins  étroitement  lié  à 
la  religion,  mais  n'est  pas  la  religion. 
Il  en  conclut  aussi  que  peu  importe 
à  la  piété  de  savoir  si  le  monde  a  été 
créé  par  l'Être  suprême  ou  est  éternel, 
tandis  qu'elle  a  besoin  de  sentir  que 
le  monde  n'agit  et  ne  se  conserve 
que  par  son  action  ;  et  de  même  pour 
le  Christ,  dont  il  considère  la  per- 
sonnalité comme  le  seul  exemple  qui 
ait  jamais  été  de  la  plénitude  de  la 
conscience  divine  s'incorporanî  dans 
la  conscience  humaine.  C'est  sur 
cette  identification  complète  des  deux 
consciences  ou  des  deux  natures,  que 
doit  se  porter,  selon  lui,  le  regard 
de  la  piété:  la  partie  miraculeuse  de 
l'histoire  du  Sauveur  ne  lui  semble 
point  essentielle.  Wous  laissons  de 
côté  les  développements  très -variés, 
très-riches,  et  certes  très-contesta- 
bles ,  mais  très-ingéuieux  et  très- 
féconds  de  ce  système  religieux.  On 
comprend  qu'il  ait  été  l'objet  de  beau- 
coup d'attaques,  de  controverses, 
el  qu'on  l'ail  en  même  temps  accusé 
de  panthéisme  et  d'épicuréisme.  Les 
rationalistes  y  ont  vu  du  mysticisme  ; 
les  orthodoxes,  du  rationalisme^  et 
l'auteur  ne  s'est  pas  complètement 
justifié  de  ces  reproches.  Il  nous  suf- 
fira de  dire  qu'il  n'a  pas  laissé  d'é- 
cole. Mais  son  influence  ne  s'est 
point  du  tout  éteinte  avec  lui,  et  les 
deux  écoles  contraires  qui  aujour- 
d'hui partagent  l'Allemagne  Ihéolo- 
gique,  celle  de  Nitzsch  et  Tholuck, 
celle  de  Baur  et  Strauss,  procèdent 


SCH 


335 


de  lui.  La  question  telle  qu'il  l'a  po- 
sée,  et  la  distinction  du  christianisme 
historique  d'avec  le  christianisme 
sentiment  sont  dorénavant  inévi- 
tables. Zéié  partisan  de  l'indépen- 
dance de  l'Église,  Schleiermacher 
a  souvent  manifesté  une  opposition 
courageuse  au  pouvoir  politique, 
notamment  dans  l'affaire  de  la  li- 
turgie. Enfin  il  a  pris  une  part  fort 
active  à  toutes  les  questions  qui  ont 
agité  l'Église  luthérienne  pendant 
sa  vie,  et  il  a  publié  plusieurs  bro- 
chures très- remarquables  à  cette 
occasion.  Les  ouvrages  dans  les- 
quels on  peut  suivre  le  développe- 
ment successif  de  son  système 
religieux  sont  :  I.  Discours  sur  la 
religion  adressés  aux  gens  in- 
struits  qui  la  dédaignent,  1799; 
4e  édit.,  1831.  II.  Lettres  intimes 
sur  le  roman  de  Lucinde  de  Fréd. 
Schlegel,  publiées  d'abord  dans  1'^- 
thenœum^  puis  en  1  vol.  séparé,  1800. 
m.  Monologues,  1800;  5eédit.,  1836. 
IV.  Esquisses  d'une  critique  de  la 
morale  telle  qu'elle  a  été  systémati- 
sée jusqu'à  présent,  1803;  2*=  édit., 
1834.  Y.  La  Veille  de  Noël,  dialo- 
gue, 180(5;  3«  édit.,  1837.  VI.  Ex- 
posé succinct  de  la  science  théolo- 
gique,mQ;2^ém.,  1830.  Vil.  La 
Foi  chrétienne  exposée  dans  son  en- 
semble ,  d'après  les  principes  de 
l'Église  évangélique,  1821-22,  2  vol. 
in  -  8%  2«  édit. ,  1830.  VIII.  Deux 
Dissertations,  l'une  sur  la  prédesti- 
nation, l'autre  sur  la  Trinité.  IX. 
Deux  Lettres  à  M.  de  Liicke  dans  des 
Revues  théologiques.  X.  Disserta- 
tion sur  la  prétendue  première  Épîire 
de  saint  Paul  à  Timothée,  1807, 
in-8°.  XI.  Sur  les  écrits  de  saint 
Luc,  1817,  in-80.  Lors  de  son  pre- 
mier séjour  à  Berlin,  Schleiermacher 
avait  commencé  avec  Fréd.  de  Schle- 
gel, puis  il  continua  seul  et  poussa 


336 


SCH 


en  avant  une  traduction  de  Platon 
(1804-1810),  qui  toutefois  fut  inter- 
rompue après  le  6'  volume,  et  ne  fut 
achevée  qu'après  sa  mort.  On  lui 
doit  encore  un  travail  fort  étendu 
sur  Heraclite  d'Èphèse ,  dans  le 
l^*"  volume  du  Musée  de  WolfF  et 
Buttmann,  et  beaucoup  de  disserta- 
tions et  discours  lus  à  l'académie 
de  Berlin.  Z. 

SCIILEZ  (Jean-Ferdinand),  pas- 
teur à  Schliz,  dans  le  grand-duché 
de  Hesse-Darmstadt,  naquit  le  27  juin 
1759,  à  Ippesheim  (aujourd'hui  cer- 
cle de  la  Rezat,  en  Bavière),  où  son 
père  remplissait  les  mêmes  fonc- 
tions. Il  avait  Tesprit  léger,  et  fort 
porté,  par  conséquent,  à  s'ennuyer 
des  matières  sérieuses  :  ses  premiè- 
res  études  s'en  ressentirent  ;  elles 
ne  furent  pas  absolument  manquées 
cependant.  11  en  fut  de  même  lors- 
qu'il étudia  à  l'université  d'Iéna.  Il 
aborda,  il  effleura  tout  :  il  n'appro- 
fondit rien  ,  et  toutefois  il  sortit 
de  cette  école ,  sachant  assez  de 
théologie  et  incapable  de  rester 
court.  De  retour  dans  la  maison  pa- 
ternelle, il  ne  tarda  pas  à  devenir 
l'adjoint,  le  second  de  son  père,  à  qui 
son  âge  et  ses  infirmités  rendaient 
difficile  l'exercice  de  sa  profession, 
et  finalement  il  lui  succéda.  Quoique 
nécessairement  la  vie  d'un  ministre 
de  l'Évangile,  à  la  campagne,  soit 
des  plus  monotones,  celle  de  Schlez 
fut  accidentée  par  les  peines  qu'il  se 
donnait  pour  introduire  mainte  pe- 
tite innovatioïi  dans  sa  paroisse,  par 
les  obstacles  qu'il  rencontrait,  par 
les  tiraillemeiils  auxquels  donnait 
lieu  cette  diversité  de  vues  entre  les 
opposants  et  lui.  Mais,  hors  du 
cercle  étroit  l'OÙ  se  passaient  ces 
microscopiques  événements,  le  ré- 
cit ne  saurait  en  offrir  d'intérêt. 
Qu'il  nous  suffise  de  dire  que  Schlez, 


SCH 

dans  son  administration  pastorale, 
faisait  preuve  de  lumières,  de  zèle  et 
d'activité  d'esprit,  mais  qu'il  avait 
les  défauts  de  ses  qualités,  et  que 
son  désir  de  réformes  semblait  par- 
fois de  la  manie.  Sa  parole  dans  la 
chaire  évangélique  était  très- vive  ;  ^ 
il  improvisait  toujours.  Il  aimait 
aussi  à  écrire.  A  l'université  il  avait 
fait  imprimer  quelques  vers.  Pasteur 
d'ippesheim,  il  donna  un  recueil  de 
Poésies,  que  précédèrent  et  suivirent 
diverses  autres  publications.  En  1799 
parut  la  première  édition  de  son 
Grégoire  Frappefort  (Greg.  Schlag- 
hart),  où  se  montre  à  nu  le  caractère 
de  son  esprit  passionné  pour  ce  qu'il  11 
croit  le  bien,  acerbe  contre  la  rou- 
tine et  l'abus,  et  malgré  de  bonnes 
intentions  un  peu  tyrannique,  un  peu 
étroit.  L'ouvrage  trouva  des  cen- 
seurs, mais  il  eut  aussi  des  fauteurs,et 
même  parmi  des  personnages  consi- 
dérables. Un  comte  de  Gœrtz  surtoiit 
en  fut  frappé,  et  bientôt  fit  venir 
l'auteur  à  Schliz  (1800)  avec  les  titres 
d'inspecteur  et  conseiller  de  consis- 
toire. Schlez  put  alors  agir  plus  en 
grand  que  dans  sa  première  paroisse, 
et  il  développa  en  même  temps  avec 
plus  de  convenance,et  sans  une  résis- 
tance aussi  opiniâtre  de  la  part  des 
personnes,  ce  besoin  d'améliorations 
qui  le  tourmentait.  11  introduisit  une 
liturgie  nouvelle,  il  apporta  dans 
l'enseignement  primaire  des  modifi- 
cations nombreuses,  heureuses  la 
plupart,  tant  pour  l'épurement  des 
doctrines,  des  lectures,  que  pour  les 
progrès  de  l'instruction  ;  et  généra- 
lement il  conquit  la  considération, 
la  bienveillance  de  tout  ce  qui  l'en- 
tourait. H  finit  par  devenir  premier 
pasteur  de  Schliz,  et  reçut  l'ordre  de 
Louis.  Sa  mort  eut  lieu  le  7  septem- 
bre 1839.  Depuis  long-temps  il  ne 
prêchait  plus,  ce  qui  ne  l'empêchait 


SCH 

pas  de  jouir  de  certaine  réputation 
comme  prédicateur:  probablement  il 
préférait  ne  la  pas  compromettre. 
Parmi  ses  ouvrages,  que  nous  n'in- 
diquerons pas  tous,  et  dont  beau- 
coup se  réfèrent  directement  ou  in- 
directement à  l'éducation  primaire, 
on  distingue  surtout  des  contes  ou 
petits    romans  ,  qui  le    placent  au 
rang  des   auteurs  qui    ont    su    le 
mieux  parler  à  l'enfance  le  langage 
qu'elle  aime  et  qu'elle  comprend.  En 
voici  les  principaux  :  I.  Poésies  mê- 
lées, 1793.  La  plupart  sont  des  com- 
positions lyriques.  Elles   ne   man- 
quent pas  de   feu,  de  mouvement, 
mais  l'enthousiasme,  la  fantaisie  s'y 
montrent  peu,  et  au  total  elles  ne  se 
distinguent  pas  de  la  foule  des  pu- 
blications prétendues  poétiques  que 
chaque  jour  voit  naître  et  mourir. 
Schlez  est  plus  lettré  que  poète,  plus 
homme  d'esprit  que  lettré.  H  y  a 
chez  lui  beaucoup  de  spontanéité, 
d'heureuses   saillies,   mais    peu  de 
suite,  peu  d'instruction,  sauf  celle 
qui  s'acquiert  par  la  pratique  même. 
Lorsqu'il    composa    ses    premières 
pièces  de  poésies,  il  n'avait,  qui  le 
croirait?  il  n'avait  pas  encore  lu  un 
poète  allemand.  H.  Sermons  prêches 
à  la  campagne,  Heilbronn,  1794, 
2  vol.  Il  en  avait  déjà  fait  paraître 
un  volume  à  Nurenberg,  en  1788. 
UT.   L'Ami  du  peuple,  pour  1798, 
1799  et  1800,  Nurenberg.  IV.  Gré- 
goire Frappe  fort  et  Laurent  Richard, 
Nurenberg,  1799  ^  2*^  et  3*^  éd.,  1803. 
V.   Petits  romans  populaires  (kl. 
romant.  Volksschriften),  Heilbronn, 
1802.  VI.   Histoire  du  village  de 
Traulenheim^  3®  édition,  1817.  VU. 
VAmi  des  enfants,  4^  éd.,  Giessen, 
1834.,  VIII,  IX.  Oswald    entre  ses 
amis  et  ses  en/ant<?,  Darmstadt,  1826, 
et  Dialogue  entre  le  forestier  Oswald 
et  ses  amis,  Darmstadt,    1837.  X. 
r\x\i. 


SCH 


:{?ri 


Paraboles, Gie^^en,  1837.  \î.  Petiie 
histoire  naturelle,  2*^  éd.^  Heilbronn, 
1829,  2  vol.  Le  titre  allemand  (ge- 
meinfasslich  geordnete  u.  gemein- 
niiz.  Naturg.)  indique  que  Schlez  n'a 
voulu  prendre  dans  l'histoire  natu- 
relle que  ce  qu'elle  offre  de  traits 
utiles,  et  n'a  présenté  des  méthodes 
que  ce  que  le  jeune  âge  peut  com- 
prendre aisément.  XU.  Manuel  pour 
les  instituteurs  des  écoles  populaires, 
2«  éd.,  1837,  G  vol.  XUL  La  morale, 
en  exemples,  4^  éd.,  Giessen,  1824. 

P-^OT. 

SCHLIPPENBACH  (Ulric-Hex 
ri-Gustave,  baron  de),  littérateur 
allemand,  naquit  à  Gros-Wormsahten 
en  Courlande  en  1774.  S'étant  pré- 
paré à  la  carrière  des  emplois  publics 
dans  les  universités  de  Kœnigsberg 
et  de  Leipzig,  il  revint  dans  sa  pa- 
trie et  fut  nommé  en  1799  notaire 
provincial,  et  en  1807  landrath  (es- 
pèce de  sous-préfet)  du  cercle  de 
Pilten,  et  directeur  de  la  chancellerie 
du  comité  de  l'ordre  équestre.  Deux 
ans  après,  le  gouvernement  russe  le 
nomma  membre  de  la  commission 
législative  ;  il  fut  dans  la  suite  ad- 
joint à  la  commission  chargée  de 
préparer  l'amélioration  du  sort  des 
paysans  en  Courlande,  et  il  rédigea 
les  résultats  des  travaux  de  cette 
commission  ;  ce  qui  lui  procura,  de  la 
part  de  l'empereur  Alexandre,  des 
témoignages  de  satisfaction,  tels  que 
la  jouissance  temporaire  d'un  do- 
maine de  la  couronne.  U  avait  été 
admis  en  1808  dans  le  nouvel  ordre 
de  Malte  que  le  gouvernement  russe 
avait  vainement  essayé  de  restaurer. 
En  1818,  Schlippenbach  entra  en 
qualité  de  conseiller  dans  la  cour  de 
justice  supérieure  à  Mittau,  et  quatre 
ans  après  il  eut  la  présidence  de  la 
commission  législative  pour  sa  pro- 
vince; l'empereur  lui  donna  la  déco- 

22 


:î38 


SCH 


SCH 


ral»»»n  de  l'ordre*  «le  Sainte  Anne.  Ce 
nMgistral  fonda  en  181G  la  soeiélé 
couilandaise  pour  la  littérature  et 
les  arts.  Il  mourut  à  Mittau  en  1826. 
Qu()i(|ue  fonctionnaire  public  russe, 
il  a  loujoiirs  écrit  en  allemand.  Ses 
ouvrages  sont  :  I.  Curonia  et  Wega^ 
ouvrage  périodique  qu'il  publia  de- 
puis 1806  jusqu'en  1809. II. /conoio^ie 
du  siècle  actuel,  Riga,  1807.111  Péré- 
grinations pittoresques  dans  la  Cour- 
lande,  ^i^a^iSOd. {\.  Poésies  y  M\i\au  y 
1812.  On  dit  que  Schlippenbach  im- 
provisait facilement  des  vers  et  de  la 
musique.  V.  Mémoires  pour  servir  à 
l'histoire  de  la  guerre,  Mittau,  1813, 
4  cahiers.  \i.  Fleurs  de  la  vie,  Ham- 
bourg, 1816,  2  vol.  Vil.  Souvenirs 
d'un  voyagea  Pétersbourg  en  1814, 
Hambourg,  1818.  2  vol.  Voy.  Zeit- 
genossen,  3e  série,  tome  II.  D— g. 
SCHMALTZ  (lecomtede),publi- 
ciste  allemand,  s'est  fait  une  re- 
nommée très-impopulaire  en  1815  et 
Î816  par  ses  fougueux  écrits  contre 
les  sociétés  secrètes  et  les  principes 
qu'elles  voulaient  propager.  Né  à 
Hanovre  eu  1759,  il  était  professeur 
de  droit  public  à  Berlin  et  conseiller 
intime  du  roi  de  Prusse,  lorsqu'il 
publia  en  1815  un  ouvrage  inti- 
tulé :  Le  Tugend-Bund  et  les  sociétés 
secrètes.  C'était  une  vive  attaque 
contre  toutes  les  associations  pa- 
triotiques de  1813.  H  y  traitait 
de  révolutionaaires ,  de  démago- 
gues ,  les  membres  de  ces  sociétés. 
Bliicher,  Gneisenau,  Grûner,  qui, 
après  avoir  pris  tant  de  part  à  leur 
formation ,  en  demeuraient  encore 
les  soutiens,  n'y  étaient  pas  épar- 
gnés. Schmaltz  accusait  ces  ar- 
dents patriotes  de  marcher  à  la 
destruction  des  trônes  par  leurs  me- 
nées démagogiques ,  et  peut-être 
qu'en  cela  il  oubliait  trop  que  c'était 
à  eux  au  contraire  que  le  roi  de  Prusse 


devait  le  rrlahlissemenldu  sien.  Mais 
la  victoire  obtenue,  on  sait  que  les 
puissances  germaniques  tinrent  peu 
de  compte  des  promesses  qu'elles 
avaient  faites  dans  ce  genre,  au  jour 
des  levées  en  masse  et  du  soulève- 
ment contre  l'oppresseur  de  l'Alle- 
magne; que,  Napoléon  vaincu,  l'Eu- 
rope cul  peur  de  l'incendie  qu'elle 
avait  elle-uiêmealiunjé-,  de  là  résulta 
la  prudente  nécessité  d'éteindre 
l'embrasement  qui  menaçait  de 
s'étendre  :  c'est  ce  qui  explique 
l'appui  quetrouvaSchmallz  àla  cour 
de  Berlin.  On  a  même  dit,  avec  quel- 
que raison,  qu'il  n'entreprit  sa  guerre 
de  plume  contre  les  idées  libérales 
que  d'après  les  insinuations  du  ca- 
binet prussien.  Quoi  qu'il  en  soit, 
il  fit  hommage  de  son  écrit  à  Frédéric- 
Guillaume  III,  qui  lui  en  témoigna  sa 
satisfaction,  en  le  décorant  de  l'ordre 
du  Mérite  civil.  Cette  première  bro- 
chure fut  suivie  de  quelques  autres, 
non  moins  vives  en  faveur  de  l'auto- 
rité royale,  et  bientôt  toute  l'Alle- 
magne retentit  de  ces  publications. 
Des  réfutations  acerbes,  railleuses, 
surgirent  de  tous  côtés ,  dénonçant 
l'esprit  anti-national  du  conseiller 
Schmaltz  ;  on  traita  ses  écrits  d'infâ- 
mes libelles,  de  calomnieux  pam- 
phlets. La  passion  s'en  mêla,  et  cette 
querelle  politique  faillit  se  transfor- 
mer en  une  luttearmée.  Trois  officiers 
des  gardes  adressèrent  des  cartels  à 
Schmaltz,  qui  laissa  à  l'autorité  le  soii! 
de  répondre  à  ces  provocations,  dont 
les  auteurs  furent  arrêtés  et  punis. 
Désormais  il  fut  en  butte  à  la  plus 
grande  impopularité;  les  attaques, 
les  récriminations,  les  injures  même 
vinrent  fondre  sur  lui.  Un  docteur 
en  philosophie,  M.  Fœrster,  qui  avait 
combattu  dans  la  guerre  nationale, 
le  somma  de  se  présenter  au  milieu 
du  grand  auditoire  pour  y  soutenir 


SCH 

publiquement,  coutre  lui,  les  thèses 
de  ses  écrits;  ce  n'était  plus  une 
rencontre  sur  le  terrain, mais  un  duel 
académique.  Dans  la  brochure  que 
ce  zélé  patriote  lui  adressa,  sous  le 
titre  De  l'enthousiasme  des  Prus- 
siens en  1813  ,  il  disait  qu'en  com- 
mençant sa  lutte  littéraire  avec 
M.  Schmaltz,  il  invoquerait  le  Dieu 
qui  l'avait  protégé  dans  les  combats 
et  qui  l'avait  guéri  de  ses  blessures. 
«  Toi,  ajoutait-il,  toi  mon  adversaire, 
«  fais  aussi  ta  prière  à  Dieu  si  tu  le 
«  peux  ,  sinon  invoque  les  faux  dieux 
•  à  qui  tu  as  vendu  ton  âme.  »  Mal- 
gré le  retentissement  qu'eut  cette 
proposition,  Schmaltz  n'y  répondit 
pas  ;  seulement,  avec  uue  certaine 
ironie  dédaigneuse ,  il  poursuivit 
tranquillement  la  mission  qu'il  s'était 
donnée,  sans  s'inquiéter  des  vives  at- 
taques dont  il  continua  d'être  l'objet, 
persistant  dans  sa  haine  contre  le  li- 
béralisme germanique  et  dans  sa 
défense  de  la  monarchie  absolue.  En 
1816,  il  publia  encore  quelques  bro- 
chures sur  le  même  sujet,  qu'il  était 
loin,  disait-il,  d'avoir  épuisé  l'année 
précédente.  Le  bruit  courut  alors  que 
divers  procès  devaient  lui  être  inten- 
tés par  des  personnes  outragées , 
mais  aucune  réclamation  judiciaire 
n'eut  lieu,  d'où  l'on  conclut  qu'il  y 
avait  eu  accommodement,  grâce  à 
des  moyens  mystérieux.  Après  cela 
Schmaltz  ne  fit  plus  guère  parler  de 
lui,  se  consacrant  tout  entier  à  ses 
fonctions  de  professeur  de  droit  pu- 
blic. Il  mourut  à  Berlin,  en  1831. 
Outre  les  brochures  que  nous  avons 
citées,  on  lui  doit  :  I.  Le  droit  des 
gens  européen,  trad.  en  français  par 
le  comt-e  Léopold  de  Bohm  ,  Paris, 
1823,  iUtS".  II.  Économie  politique, 
traduite  en  français  par  Henri  Jouf- 
froy,  Paris,  1826,  2  vol.  in-8^ 

C— H— N. 


SCH 


339 


SCHillETTAU(lecomteFRÉDÉRir- 
GuiLLAUME- Charles  de),  général 
prussien,  né  à  Berlin  le  12avril  1742, 
était  neveu  du  feld-maréchal  de  ce 
nom  {voy.  Schmettau,  XLI,  180), 
et ,  comme  ses  ancêtres,  entra  fort 
jeune  dans  la  carrière  des  armes.  Il 
fit  une  partie  de  la  guerre  de  sept  ans , 
puis  celle  de  Bavière  en  1778,  et 
enfin  celle  de  France  en  1792. 
Nommé  lieutenant-général  en  1796. 
il  commandait  une  division  sous  le 
duc  de  Brunswick  en  1806 ,  à  la 
célèbre  bataille  d'Auerstadt ,  oii , 
après  avoir  combattu  glorieusement, 
il  reçut  une  blessure  grave  à  la- 
quelle il  ne  survécut  que  peu  de 
jours.  Ainsi  il  n'eut  pas  le  chagrin 
de  voir  périr  une  monarchie  que  lui 
et  ses  aïeux  avaient  si  bien  défen- 
due. On  a  de  lui  :  I.  Mémoires 
secrets  de  la  guerre  de  Hongrie  pen- 
dant les  campagnes  de  1737-1739, 
Francfort,  1772, 1786,  in-8^  II.  Carte 
du  duché  de  Mecklenbourg-Schwerin 
et  de  MecUenbourg-Strelitz,  1788, 
en  25  feuilles.  III.  Mémoire  pour 
servir  d'explication  à  la  carte  du 
duché  de  Mecklenbourg-Schwerin^ 
1 788,  in-4MV. Mémoire  raisonné swr 
la  campagne  de  177S  en  Bohême,  par 
l'armée  prussienne,  aux  ordres  de 
S.  M.  le  roi  y  etswr  plusieurs  objets 
concernant  Vart  pratique  de  la 
guerre^  Berlin,  1789,  grand  in-4o 
avec  cartes.  On  attribue  au  comte  de 
Schmettau  une  traduction  de  Wer- 
ther ,  roman  de  Gœthe,  publiée 
sous  nom  d'Aubry,  avec  ce  titre 
fautif  :  Les  Passions  du  jeune  Wer- 
ther, Paris,  1778,  in-8°.  —  Il  ne  faut 
pas  le  confondre,  comme  a  fait  Bar- 
bier {Dict.  des  anonymes),  avec 
le  comte  Waldemar  -  Frédéric  de 
ScHMETTOW,  qui  publia  un  Abrégé 
du  droit  public  d'Allemagne,  Km- 
sterdam,1778,  in-8".        M— DJ. 

22, 


?A0 


SCH 


SCH 


wSCHMID  (Jf.an-Rodolpiie)  naquit 
en  1590  à  Stein,  petite  ville  située 
sur  les  bords  du  Rhin,  près  de  Sehaff- 
house.  Les  aventures  les  plus  singu- 
lières ont  élevé  à  de  hautes  dignités 
cet  homme  qui,  dans  son  enfance, 
déserta  deux  fois  l'école  de  Stein  et 
Tatclier  d'un  orfèvre  h  Lindau.  Un 
officier  italien  le  prit  à  son  service; 
et  il  fut  fait  prisonnier  par  les  Turcs, 
qui  le  conduisirent  comme  esclave 
à  Constantinople.  11  y  apprit  la 
langue  turque,  fut  rançonné  et  de- 
vint rinterprète  de  l'ambassade  au- 
trichienne. Bientôt  il  développa  le 
talent  de  négociateur,  et  comme  tel 
il  fut  employé  dans  différentes  occa- 
sions. Ferdinand  H  le  nomma  en 
1029  son  résident  auprès  du  sultan, 
et  il  resta  quinze  ans  dans  celte 
place.  En  1047,  l'empereur  le  créa 
baron  de  Schtvarzenborn ,  et  lui 
conféra  les  emplois  de  conseiller 
aulique  de  guerre  et  d'inspecteur- 
général  des  forêts  en  Autriche.  En 
1049, il  fut  nommé  internonceauprès 
du  suUun  Mahomet  IV.  H  ratifia  Tan- 
née suivante,  comme  ambassadeur, 
la  paix  conclue  avec  la  Porte.  Il 
fut  président  du  conseil  aulique  en 
1650,  et  l'empereur  Léopold  lui 
continua  les  faveurs  de  son  pré- 
décesseur, en  le  nommant  son  con- 
seiller intime.  Schmid  était  venu 
revoir  sa  patrie  en  1664,  pour  de- 
mander au  nom  de  l'empereur  l'as- 
sistance des  Suisses  contre  les  Ttircs. 
11  obtint  d'eux  un  millier  de  quintaux 
de  poudre,  ainsi  que  la  permission 
de  recruter.  Il  mourut  à  Vienne 
en  1607.  U— 1. 

SCHMID  (François -Vincent)  na- 
quit à  Altorf,  chef-lieu  du  canton 
d'Uri,en  1758.  Il  entra  au  service  de 
France,  qu'il  quitta  quelques  années 
après  pour  revenir  ^Jans  sa  patrie, 
où  lui  furent  conférés  successivement 


divers  emplois  civils  et  militaires. 
Il  s'occupa  dans  ses  loisirs  de  recher- 
ches historiques,  et  en  1788  et  1790, 
il  publia  deux  volumes  de  ['Histoire 
générale  de  la  républiqiie  d'Urit  Zug, 
in-8<*  (en  allemand),  qui  vont  jus- 
qu'à l'année  1481  et  dont  la  suite 
n'existe  pas.  Le  mérite  de  ces  deux 
volumes  se  trouve  dans  divers  docu- 
ments peu  ou  point  connus,  qu'ils 
renferment  ;  car  d'ailleurs  l'auteur 
manque  absolument  des  talents  de 
l'historien,  et  ce  qu'il  donne  pour 
l'histoire  de  son  canton  en  est  plu- 
tôt une  espèce  d'épopée.  Tout  lui 
paraît  grand,  admirable  et  sublime, 
et  de  tous  les  États,  soit  anciens,  soit 
modernes,  celui  des  Uraniens  est 
le  plus  noble,  le  plus  puissant  et  le 
plus  remarquable  ;  dans  ce  pays  en- 
core, la  famille  des  Schmid  l'emporte 
par  sa  noblesse  et  par  ses  vertus,  sur 
tout  ce  qu'il  y  a  de  grandeur  et  de 
noblesse  dans  l'univers.  On  ne  sau- 
rait s'imaginer  l'excès  de  la  fanfaron- 
nade folle  et  ridicule  avec  laquelle 
est  écrite  la  vie  de  son  père,  qu'il 
publia  en  1796  (Bâle,  in -8°);  en 
voici  le  titre  traduit  littéralement 
avec  la  devise  qui  l'accompagne  : 
«  Charles -François  de  Schmid,  na- 
«  tif  d'Uri,  le  grand  et  le  bien-aimé, 
«  le  landamman  du  canton  d'Uri,  le 
«  plus  loué  et  estimé,  le  représen- 
"  tant  de  la  confédération  helvétique 
«  le  plus  digne.  Flos  ille  Uelvetiœ^ 
«  décor  ille  ac  gloria  terrœ,  imperii 
«  splendor,  gentis  et  orbis  amor,  r> 
Il  faut  remarquer  que  le  père  était 
vivant  quand  le  fils  le  célébrait 
ainsi ,  et  que  dans  cet  éloge  il  n'y  a 
pas  un  seul  trait  pour  lequel  cette 
gloire  de  la  terre  pourrait  mériter 
une  place  quelconque  dans  un  Dic- 
tionnaire biographique.  On  a  en- 
core du  (ils  un  second  écrit  du  même 
genre  :  Promenade  patriotique  faite 


SCH 

au  champ  de  bataille  près  St-Jac- 
ques  devant  Bdle^  le  21  novembre 
1792  (Eâle,  in -80,  en  allemand). 
L'auteur  commandait  alors  le  con- 
tingent d'Uri  pour  le  cordon  de  neu- 
tralité à  Baie.  En  1799,  Schmid 
était  à  la  tète  des  habitants  d'Uri 
qui  s'opposaient  à  l'entrée  d«s 
Français  dans  leur  pays;  il  prêcha 
l'insurrection  etl'armenient  général  : 
les  petites  garnisons  qui  se  trou- 
vaient dans  quelques  villages  de  la 
vallée  durent  l'évacuer;  faute  de 
canons  d'airain,  î^chmid  fit  con- 
struire des  canons  de  bois  munis  de 
cercles  de  fer.  Le  8  mai ,  lorsqu'il 
était  occupé  des  moyens  de  défense 
contre  l'approche  des  troupes  fran- 
çaises commandées  par  le  général 
Soult,  le  premier  coup  de  canon  tiré 
par  celles-ci  le  renversa  mort  près 
deFluclen.  U— i. 

SCH311D  ou  SCHMIDT  (Félix). 
Voy.  Faber,  XIV,  2. 

SCHMIDT  (Frédéric-Samuel  de) 
naquit  à  Berne  en  1737,  et  mourut  a 
Francfort-sur-le-Mein     le    U   avril 
1796.  Il  fit  ses  études  en  théologie 
dans    sa  ville  natale,  où  il  fut  ad- 
mis  au   saint   ministère    en    1761. 
Peu  après  il  abandonna  la  théologie, 
entraîné  par  son  goût  pour  les  anti- 
quités, que  lui  avait  donné  son  père 
Albert  Schmid  ,  membre  lui-même 
de  la  société  des  antiquaires  de  Lon- 
dres, et  dont   on  trouve  quelques 
Mémoires  dans  le   Mercure  suisse 
(1736  et  1737).  Frédéric  Samuel  se 
fit  connaître  par  différents  prix  que 
l'Académie  des  inscriptions,  à  Paris, 
lui  décerna  en  1757,  1758  et  1759. 
Il  devint  correspondant  de  l'Acadé- 
mie et  fut  reçu  membre  des  sociétés 
de  Londres,  Munich,    Cassel,  etc. 
Le  gouvernement  de  Berne  le  char- 
gea, en  1756,  de  l'examen  des  anti- 
quités découvertes  dans  l'Argovie^ 


SCH 


341 


h  Baie,  on  lui  conféra  une  chaire 
honoraire  d'antiquités  en  1762.  Il 
quitta  la  Suisse  en  1765 ,  pour  se 
rendre  à  Carlsruhe ,  où  il  fut  appelé 
comme  directeur  de  la  bibliothèque 
et  des  cabinets  du  margrave.  Quel- 
ques années  après,  il  se  maria  à 
Francfort,  où  il  se  trouva  chargé 
de  missions  diplomatiques  par  le 
margrave  de  Bade  et  d'autres 
princes  de  l'Allemagne.  Il  ajouta 
à  son  nom  celui  de  seigneur  de 
Uossm.  Voici  les  titres  des  écrits  qu'il 
a  publiés:  I.  Dissertation  sur  une 
colonie  égyptienne  établie  aux  Indes, 
Berne,  1759.  W.Diss.  de  zodiacinos- 
tri  origine  œgyptiaca,  Berne,  1760. 
III.  Recueil  d'antiquités  trouvées  à 
Avenche^  à  Culm  et  en  d'autres  lieux 
de  la  Suisse,  Berne,  1760,in-4°,  avec 
35  planches^  réimprimé  à  Franc- 
fort, en  1771,  in-4°.  C'est  un  des  ou- 
vrages les  plus  remarquables  sur  les 
antiquités  de  la  Suisse.  IV.  Mémoires 
sur  les  Oolithes,  Berne,  1764,  in-4°. 
V.  Opuscula  ,  qui  bus  res  antiquœ  , 
prœcipue  œgyptiacœ,  eœplanantur^ 
Carlsruhe  ,1765,in-8o.  VI.  De sacer- 
dolibus  et  sacrificiis  Mgyptiorum, 
1768,  in-80.  On  trouve  encore  de  ses 
Mémoires  dans  les  recueils  de  V Aca- 
démie des  inscriptions,  dans  le  Jour- 
nal étranger ,  les  Excerpta  totius 
italicœ  et  helveticœ  litteraturœ,  etc. 

U— I. 
SCHMIDT  (Henri  de),  l'un  des 
plus  habiles  généraux  de  l'armée 
autrichienne,  était  né  en  1743.  Entré 
au  service  dès  sa  plus  tendre  jeu- 
nesse, il  avait  fait  contre  les  Turcs  et 
dans  les  Pays-Bas  toutes  les  guerres 
qui  précédèrent  celles  de  la  révolu- 
tion. Distingué  dès  le  commence- 
ment par  l'archiduc  Charles,  il  fut 
long-temps  le  chef  d'état-major  de 
ce  prince,  et  il  le  seconda  merveil- 
leusement dans  toutes   ses  campa- 


342 


SCH 


SCH 


gnes,  nofaminent  dans  celle  de  1796 
en  Bavière  et  en  Franconie.  Il  était 
sous  les  ordres  de  l'archiduc  Ferdi- 
nand, et  il  faisait  de  vains  efforts 
pour  re'parer  le  de'sastre  d'Ulm 
[voy.  Mack,  LXII,  288),  lorsqu'il  fût 
tué  au  combat  de  Direnstein  le 
11  novembre  1805.  M— Dj. 

SCHMIDT  (Ernest-Auguste),  lit- 
térateur et  traducteur  allemand  ,  né 
en  1746,  eut  pour  parrain  le  duc  de 
Saxe-Weimar,  Ernest-Auguste,  qui 
lui  donna  ses  prénoms.  Il  fit  d'excel- 
lentes études  sous  les  auspices  de  ce 
prince,  et  retrouva  la  même  bien- 
veillance dans  le  duc  Charles-Au- 
guste {voy.  Saxe-Weimar,  dans  ce 
vol.,  p.  219),  son  fils  et  son  succes- 
seur, qui  plus  tard  le  nomma  con- 
servateur de  sa  bibliothèque ,  fonc- 
tions que  Schmidt  exerça  jusqu'à  sa 
mort,  arrivée  en  novembre  1809.  En 
profitant  des  loisirs  que  lui  laissait 
son  emploi,  il  aurait  pu  acquérir  par 
ses  talents  une  réputation  littéraire 
plus  étendue; mais  il  était  naturelle- 
ment indolent:  un  long  travail,  la 
lecture  même  d'un  ouvrage  volumi- 
neux l'effrayaient.  On  a  de  lui  un 
Dictionnaire  allemand  et  espagnol^ 
en  deux  parties,  la  première  publiée 
en  1795,  et  la  seconde  en  1805.  II  a 
traduit  du  latin  en  allemand  les 
Lettres  de  Pline  le  jeune  ;  de  l'anglais, 
l'Origine  et  les  progrès  du  langage^ 
par  lord  Monboddo;  de  l'espagnol, 
le  Tacano  de  Quevedo  (inséré  dans  le 
Magasin  de  la  littérature  espagnole 
de  Bertuch)  ;  les  Lettres  sur  Vltalie, 
par  l'abbé  Jean  Andrès;  V Histoire 
du  Nouveau-  Monde  y  par  Mugnoz. 
Enfin  Schmidt  a  laissé  une  imitation 
de  l'héroïde  de  Pope,  intitulée  Hé- 
loïseet  Âbeilard,  et  quelques  autres 
poésies  erotiques.  P — rt. 

wSCHMIDT  (Frédéric-Chrétien), 
naturaliste  allemand,  né  en  1755  à 


Gotha,  fréquenta  pour  ses  études 
plusieurs  universités  d'Allemagne, 
et  prit  ensuite  un  emploi  dans  leg 
finances  de  son  pays  de  Gotha  ;  et 
comme  ses  fonctions  lui  laissaient 
assez  de  loisirs,  il  s'occupa  de  la  bâ- 
tisseet  du  jardinage;  enfin  pour  cher- 
cher une  distraction  après  la  mort 
d'un  de  ses  enfants,  il  se  jeta  dans 
l'étude  de  l'histoire  naturelle,  sur- 
tout de  la  minéralogie  et  de  la  con- 
chyliologie, et  parvint  à  former  une 
des  plus  nombreuses  collections  de 
coquilles  en  Allemagne,  renfermant 
plus  de  17,000  pièces  décrites  par  son 
possesseur  dans  un  catalogue  de  15 
volumes  in- fol.  Sur  la  recomman- 
dation de  M.  de  Humboldt,  qui  avait 
été  étonné  de  la  richesse  de  ce  ca- 
binet, le  duc  de  Saxe-Cobourg  en 
fit  l'acquisition  pour  la  réunir,  après 
la  mort  de  Schmidt  qui  en  conserva 
la  jouissance  viagère,  à  son  cabinet 
d'histoire  naturelle  dans  le  château 
de  Friedenstein  à  Gotha,  oii  elle  est 
maintenant,  et  où  l'on  voit  aussi  le 
buste  du  collecteur.  Les  étrangers 
instruits  qui  passaient  dans  cette 
ville  ne  manquaient  pas  de  visiter  la 
maison  de  Schmidt  comme  une  des 
curiosités  du  pays.  Il  avait  le  projet 
de  s'occuper,  après  le  placement  de 
son  cabinet  de  coquilles,  à  recueillir 
des  séries  de  zoophytes,  mais  il  ne 
vécut  pas  assez  long-temps  pour  réa- 
liser ce  dessein.  Il  avait  publié  en 
1818  à  Gotha  un  Essai  sur  le  meil- 
leur arrangement  et  sur  la  conser- 
vation des  objets  d'histoire  natu- 
relle et  d^arts  ,  surtout  des  collec- 
tions de  coquilles,  avec  la  description 
des  systèmes  et  des  écrits  conchylio- 
logiques ,  et  la  comparaison  des 
six  systèmes  les  meilleurs  et  le»  plus 
modernes.  Antérieurement  il  avait 
fait  paraître  une  Description  histo- 
rique et  minéralogique  de  la  contrée 


SCH 


SCH 


343 


d'iéna^  avec  des  hypothèses  sur  les 
causes  des  révolutions  physiques  de 
ce  terrain^  Gotha,  1779.  Mais  un  tra- 
vail d'une  toute  autre  espèce,  bien 
pi  us  considérableet  plus  dispendieux, 
dont  il  entreprit  la  publication,  fut 
son  Architecte  bourgeois^  ou  In- 
struction pour  ceux  qui  désirent  bâtir 
et  se  mettre  en  état,  par  un  grand 
nombre  de  plans  différents^  de  pro- 
jeter l'arrangement  de  leurs  de- 
meures^  Gotha,  5  vol.  in -fol.  avec 
400  pi.,  qui  représentent  une  variété 
infinie  d'habitations  de  ville,  de 
maisons  de  campagne,  de  bâtiments 
accessoires ,  de  jardins  et  de  pa- 
villons, etc.  Ces  cinq  volumes  pa- 
rurent successivement  de  1790  jus- 
qu'en 1799,  à  ses  frais;  il  en  résulta 
pour  lui  une  telle  fatigue,  qu'il  tom- 
ba malade,  et  qu'il  lui  fallut  une  an- 
née pour  se  rétablir  ;  dès  lors  il  re- 
nonça à  l'idée  qu'il  avait  eue  de 
porter  à  huit  le  nombre  des  volumes 
de  ce  grand  ouvrage ,  dont  la  vente 
fut  probablement  loin  de  le  dédom- 
mager des  frais  qu'il  avait  faits. 
11  ne  fut  guère  plus  heureux  à 
l'égard  de  trois  ouvrages  d'une  autre 
sorte,  auxquels  il  attacha  beaucoup 
d'importance,  mais  qui  laissèrent  le 
public  indifférent,  quoique  l'auteur 
l'assurât  qu'on  en  tirerait  des  avan- 
tages incalculables;  c'étaient  un 
Manuel  pour  conduire  un  ménage, 
puis  le  Formulaire  d'un  journal  à 
tenir  pour  les  dépenses  du  ménage; 
et  enfin  le  Modèle  d'un  livre  à  tenir 
pour  les  dépenses  d'une  maison, 
1800.  On  trouva  que  l'auteur  s'as- 
treignait à  des  enregistrements 
trop  minutieux  et  trop  nombreux. 
Schmidt  mourut  le  26  décembre  1830. 
Il  avait  été  associé  à  plusieurs  corps 
savants  ;  son  souverain  lui  avait  don- 
né le  titre  insignifiant  de  conseiller 
de  commission,  D— g. 


SCUAllDT  (Jean-Ernest-Chbé- 

TiEN),  théologien  allemand,  fils  d'un 
pasteur  et  maître  d'école  d'un  vil- 
lage de  Hesse,  nommé  Busenborn, 
naquit  en  1772.  Il  paraît  que  ses  an- 
nées d'études  à  l'université  de  Gies- 
sen  se  partagèrent  entre  de  profon- 
des lectures  et  le  cabaret,  et  qu'il  y 
contracta  le  goiit  de  la  boisson.  Heu- 
reusement ce  goût  ne  l'empêcha  pas 
des'instruireprofondément.  A  l'exem- 
ple de  son  père,  il  embrassa  la  car- 
rière  ecclésiastique;  mais  s'aperce- 
vanl  qu'il  ne  serait  pas  bon  prédica- 
teur,il  préféra  l'instruction  publique, 
et  débuta  en  1793  à  l'université  de 
G'iessen  en  qualité  de  docent  ou  en- 
seignant libre,  faisant  des  cours  sur 
les  classiques  grecs  et  l'hisloireecclé- 
siasiique  ,  puis,  n'y  trouvant  pas  de 
quoi  vivre,  il  entra  comme  maître 
au  pedagogium^  collège  de  la  même 
ville.  Il  s'y  fit  connaître  par  une  dis- 
sertation  philologique  :   Observatà 
inSext.Aur.Fropertiiquœdamlocay 
Giessen,  1794,  in-4*'.  Sou  premier  ou- 
vrage, qui  avait  eu  pour  objet  le  livre 
de  l'Ecclésiaste  du  Vieux  Testament , 
est  intitulé  :  Une  des  plus  anciennes 
et  plus  belles  idylles  de  l'Orient,  /, 
Moïse,  49,  traduite  de  nouveau  avec 
des  remarques,  Giessen,  1793.  Puis 
il   publia  une  Clef  philologique  et 
exégétique  du  Nouveau  Testament, 
Giessen,  1795-97,   2  vol.  chacun  en 
2  parties,  dont  la  dernière,  toutefois, 
ne  parut  qu'en  1805  par  les  soins  de 
Welcker.Il  écrivit  dans  plusieurs  re- 
cueils théologiques  et  en  entreprit 
un  lui-même  sous  le  titre  de  Biblio- 
thèque pour  la  critique  et  Vexégèse 
du  Nouveau  Testament  et  de  la  plus 
ancienne  histoire  ecclésiastique  ;  en 
outre  il  fut  un  des  collaborateurs  de 
la  Bibliothèque  de  la  littérature  mo- 
derne théologique  et  pédagogique,  du 
Journal  pour  éclaircir  les  droits  et 


344 


SCH 


SCH 


les  devoirs  de  Vhonime  il  du  citoyen, 
etc.  Ea  1797,  il  lit  paraître  son  Traité 
de  la  morale^  eu  égard  principe Ic- 
tnent  aux  préceptes  moraux  du  chris- 
tianisme ;  puis   un  Avis  au  public 
non  instruit,  concernant  l'athéisme 
de  Fichtc,  et  V Esprit  de  la  littéra- 
ture théologique  de  l^ année   1797. 
Trois  ans  après  parut  son  Esquisse 
de  l'histoire  de  V Église  chrétienne, 
qui  fut  refondue  dans  une  nouvelle 
édition  en  1803  sous  le  titre  de  Ma- 
nuel de  l'histoire  de  l'Église  cliré- 
tienne,  et  une 3'^  édition  fut  iuiprirnëe 
en  1823.  Reprenant  ce  sujet, Fauteur 
le  développa  dans  un  ouvrage  sous  le 
même  titre,  en  6  volumes,  qui  paru- 
rent de  1801  à  1820,  et  dont  les  4  pre- 
miers eurent  une  seconde  édition  ; 
c'est  dire  que  les  travaux  de  Schmidt 
sur  l'histoire   ecclésiastique  eurent 
du  succès  chez  les  protestants.  Beau- 
coup de  professeurs  dans  les  facul- 
tés théologiques    les    prirent   pour 
guide  dans  leurs  cours.  Ils  lui  atti- 
rèrent de  grandes  distinctions  dans 
son  pays.  Dès  l'année  1798  il  avait 
été  nommé  professeur  de  théologie 
à  l'université  de  Giessen;  en  1803  il 
eut  la  place  de  bibliothécaire  de  cette 
université,  et.  le  titre  de  conseiller 
ecclésiastique.  Son  souverain  le  nom- 
ma historiographe  de  la   Hesse  et 
l'appela  dans  la  commission  législa- 
tive. L'université  de  Halle  lui  décerna 
le  litre  de  docteur  en  théologie.  En 
1813  il  eut  la  direction  du  séminaire 
philologique  à  Giessen,  et  en  1820, 
lors  de  l'introduction  du  régime  re- 
présentatif, il  fut  revêtu  de  la  dignité 
de  prélat  et  appelé  dans  la  Chambre 
haute,  où  il  prit  une  part  active  aux 
délibérations  pendant  une   dizaine 
d'années,  le  plus  souvent  dans  le  sens 
des  intentions  du  gouvernement,  sans 
toutefois  se  prononcer  contre  l'op- 
position, de  borte  qu'il  semble  que 


son  î^ystèmr,  s'il  en  avait  un,  ait  été 
de  bien  vivre  avec  tous  les  partis,  de 
louvoyer  entre  eux  et  de  n'en  heurter 
aucun  de  front.  On  lui  a  sévèrement 
reproché  cotte  position  entre  deux. 
11  est  vrai  qu'il  était  d'une  santé  lan- 
guissante. On  le  blâme  aussi  de  n'a- 
voir rien    fait  pour  améliorer  l'in- 
struction primaire,  quoiqu'il  en  eût  eu 
la  surveillance  pendant  assez  long- 
temps, et  on  cite  de  lui  plus  de  bons 
mots  «lue  de  mesures  utiles.   En  sa 
qualité  d'historiographe  de  son  pays, 
chargé  de  continuer  l'ouvrage  com- 
mencé par  Wenck,  il  se  contenta  de 
publier  en  1818  et  19  les  2  premiers 
volumes  d'une  nouvelle  Histoire  de 
la  Hesse,  moins  étendiie  que  la  pré- 
cédente. Ce  fut  probablement  à  cause 
de  ces  deux   ouvrages,  restés  in- 
complets, que  les  États  du  grand - 
duché  de  Hesse,   après  la  mort  de 
Schmidt,  qui  eut  lieu  à  Giessen,  le 
4  juin  1831,  supprimèrent  la  place 
d'historiographe  et  en  appliquèrent 
les  appointements  à  l'augmentation 
des  fonds  pour  la  bibliothèque.  Voyez 
sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Schmidt 
les  vol.  XIII  à  XVII  de  V Histoire  des 
savants  et  auteurs  hessois.,  parStrie- 
der,  et  les   Zeiîgenossen  ,  3«  série, 
t.  111.  D-G. 

SCHMIDT  (Martin -Henri -Au- 
guste), poète  allemand  ,  né  en  1776 
à  Brunswick,  avait  dirigé  ses  études 
k  Gœttingue  vers  la  théologie. 
Après  avoir  fait  d'abord  une  éduca- 
tion particulière  dans  une  famille 
noble ,  au  pays  de  Lunebourg ,  il 
fut  nommé  prédicateur  pour  les 
troupes,  et  en  cette  qualité  il  ac- 
compagna l'armée  prussienne  dans 
ses  campagnes  de  180G  et  1807. 
Cinq  ans  après,  il  obtint  le  pas- 
toral de  Teltow,  auprès  de  Pots- 
dam,  qu'il  échangea  en  1817  contre 
celui  de  Derenburg,  auprès  de  Hdl 


SCH 

berstddl.  On  a  de  lui  quelques  ser- 
mons prononeés  pendant  ses  fonc- 
tions à  l'armée  et  ailleurs  ;  mais  il 
s'est  fait  une  plus  grande  réputation 
par  ses  poésies,  surtout  par  celles 
qui  ont  pour  objet  les  événements 
politiques  et  militaires  de  l'Allema- 
gne, qui  avaient  probablement  ex- 
cité son  enthousiasme,  d'autant  plus 
qu'il  avait  vu  de  près  les  efforts  de 
l'armée  prussienne  pour  défendre  la 
palrie.On  distingue  entre  autres  :  La 
Bataille  des  peuples  auprès  de  Leip- 
zig ^  chant  héroïque,  Berlin,  1814, 
T  éd\t.,lSi^;Berlinàla  déesse  de  la 
Victoire,  poènae,  Berlin,  1814;  le 
Passage  da^aréchal  surleRhin,ûc- 
tion(mémedate),et  les  Grandesjour- 
néesdejuin  1815,  poème  héroïque  en 
6  chants,  Berlin,  1816.  On  loue  pour- 
tant plus  les  intentions  que  l'exécu- 
tion de  toutes  ces  compijsitions  pa- 
triotiques. Schsiidt  a  encore  publié 
New  -  Richmond^  poème  descriptif, 
Brunswick,  1806;  V Esprit  deUenri- 
le-Lion^  poème  (même  date)  ;  Élec- 
tron, poésies  composées  sur  les  bords 
de  ia mer  Baiiî'gue,  Leipzig  et  Berlin, 
1810;  Albert  et  Mathilde^  ou  les 
Éléments  (même  date).  Ses  amis  ont 
dû  faire  un  choix  parmi  ses  œuvres 
poétiques,  pour  les  publier  au  béné- 
fice de  sa  famille.  H  a  traduit  en 
allemand  les  Nuits  d'Young^  et  il  a 
été  l'un  des  éditeurs  d'un  recueil  de 
morceaux  religieux  intitulé  Festga- 
ben^  c'est-à-dire  dons  de  fête.  Schmidt 
mourut  le  7  mars  1830.  D— g. 

SCHMITÏII  (Nicolas),  néà  Œ- 
denbourg,  en  Hongrie,  entra  dans  la 
compagnie  de  Jésus,  professa  les 
humanités  et  la  théologie  dans  plu- 
sieurs maisons  de  cet  ordre,  et  devint 
recteur  du  collège  de  ïirnau,  où  il 
mourut  en  1767.  C'était  un  homme 
d'une  vaste  érudition,  et  qui  en  même 
temps  écrivait  avec  autant  de  pureté 


SCH 


04l> 


que  d'élégance.  On  a  de  lui  :  i.  Séries 
archiepiscorum  Sîrigonieniiium,Ti  r- 
nau,  1751,  2  vol.  in-8®.  II.  Episcopi 
Agrienses^  fide  diplomatica  concin- 
nati,  1758,  in-8°.  III.  Imperatores 
otiomannici ,  a  capta  Constantino- 
polij  cum  epitome  principum  Turca- 
rum  ad  annum  1718,  Tirnau,  1760, 
2  vol.  in-fol.  Cette  histoire  des  em- 
pereurs ottomans  est  la  continuation 
de  celle  du  P.  François  Borgia  Keri 
{voy.  ce  nom,  XXII,  320).  Regardée 
comme  une  des  meilleures  que  l'on 
possédât  alors,  elle  peut  encore  au- 
jourd'hui être  consultée  avec  fruit. 

Z. 
SCHMITZ  (Ch.-Fr.-L.),  natura- 
liste allemand,  né  en  Bavière  vers 
1780,  se  livra  dès  sa  plus  tendre  jeu- 
nesse à  l'étude  de  l'histoire  naturelle, 
et  fut  l'élève  du  célèbre  chimiste 
Gehlen.  H  porta  spécialement  son  at- 
tention sur  les  moyens  d'améliorer 
la  fabrication  des  porcelaines  en  Ba- 
vière, et,  après  la  mort  de  son  maître, 
continua  ses  expériences  sur  l'emploi 
des  oxydes  des  nouveaux  métaux.  La 
Bavière  lui  doit  un  procédé  pour 
l'emploi  du  platine,  et  un  autre  pour 
tirer,  à  l'usage  de  la  porcelaine,  une 
couleur  jaune  d'un  fossile  indigène, 
le  tantalite.  Ses  dispositions  remar- 
quables pour  cette  branche  d'indus 
trie  engagèrent  le  gouvernement  à 
l'envoyer  en  France  et  en  Angle- 
terre, afin  qu'il  y  étudiât  la  fabrica- 
tion de  la  porcelaine.  Schmitz  ob- 
serva fort  en  détail  la  manufacture 
de  Sèvres,  sur  laquelle  il  fit  de  très- 
bons  rapports  ^  il  examina  aussi 
les  formations  de  terres  à  porce- 
laine de  Saiiît-Yrieix ,  fut  nommé 
correspondant  des  sociétés  philorna- 
tique  et  d'histoire  naturelle  de  Paris, 
et  envoya  à  Munich  une  suite  d'é- 
chantillons bruts  qui  fut  donnée  à  la 
manufacture  de  Sèvres.  En  Angle- 


346 


SCH 


terre,  il  observa  attentivement  la  fa- 
brication de  la  poterie  fine ,  vit  les 
formations  de  terre  à  porcelaine  de 
Cornouaiiles,  et  envoya  de  là  des 
coupes  de  roches.  H  se  proposait 
d'étudier  le  proce'dé  de  J.  Smith  à 
Drotwich,  pour  extraire  le  sel  à  l'aide 
de  la  vapeur,  lorsqu'il  se  noya  dans 
la  Tamise,  où  son  corps  fut  trouvé 
le  11  mai  1324.  On  ignore  si  ce  fut 
par  accident  ou  par  suicide.  Les  ob- 
servations manuscrites  qu'il  a  lais- 
sées sont  très-imparfaites.  Il  avait 
inséré  dans  les  recueils  périodiques 
plusieurs  notices  sur  le  graphite,  sur 
Je  lavage  du  sable  de  quartz,  sur 
l'emploi  de  l'oxyde  de  tantale  (co- 
lumbium)^  etc.  Dans  le  tome  VIII 
de  l'académie  de  Munich  ,  il  y  a  de 
lui  un  mémoire  sur  les  formations 
et  les  fossiles  d'opale.  B— h— d. 
SCI1l>1IJZ  (Rodolphe)  ,  peintre, 
naquit  en  1670,  à  Regensperg,  dans 
le  canton  de  Zurich,  et  fut  élève  de 
Mathieu  Fuessli,  le  jeune,  qui  voulut 
le  diriger  vers  le  genre  historique. 
Mais  c'était  pour  le  portrait  que 
Schmuz  avait  les  plus  rares  disposi- 
tions, et  c'est  à  les  cultiver  qu'il 
mit  tousses  soins.  Ayant  appris  les 
succès  qu'avaient  obtenus  en  Angle- 
terre Lely,  Klostermann  et  Kneller, 
il  prit  le  parti  d'aller  à  Londres  pour 
tâcher  d'y  utiliser  ses  talents.  Arrivé 
dans  cette  ville,  il  se  fit  connaître 
avantageusement  de  Kneller  et  par- 
vint à  rimiter  avec  une  si  grande 
perfection ,  qu'il  partagea  bientôt  la 
vogue  dont  jouissait  ce  peintre ,  et 
s'attira  l'attention  du  public.  Ses 
succès  allaient  toujours  croissant  et 
il  commençait  à  faire  fortune  lorsque 
la  mort  le  frappa,  au  milieu  de  sa 
carrière,  vi\  1715.  On  ne  conçoit 
pas  le  motif  pour  lequel  Edwards  a 
passé  sous  silence  un  artisfe  aussi 
recommanddble ,  quoiqtie  Smith  et 


SCH 

Faber  aient  gravé  un  grand  nombre 
de  ses  portraits.  P— s. 

SCHNÉE  (Gotthirf-Heniu),  agro- 
nome et  poète  allemand,  né  en  1761 
au  village  de  Siersleben,  dans  le  pays 
de  Mansfeld,  entra  jeune  dans  l'état 
ecclésiastique,  pour  lequel  il  s'était 
préparé  dans  les  universités  de  Halle 
et  de  Leipzig.  Après  avoir  été  pen- 
dant quelque  temps  précepteur  dans 
des  maisons  particulières,  il  obtint 
du  prince  Ferdinand  de  Prusse,  en 
1790jepastoratdeGross-Œuer  dans 
le  Mansfeld  ;  et  en  1809  il  en  reçut 
un  plus  considérable, celui  de  Schar- 
tau,  dans  le  district  de Magdebourg. 
Il  avait  fondé,  dans  le  Mansfeld,  une 
société  littéraire  ayant  pour  but  d'é- 
riger un  grand  monument  àLuther,et 
il  rendit  conipte,dans  une  brochure 
publiée  en  1823,  des  efforts  de  cette 
association.  Le  roi  de  Prusse  lui  ac- 
corda eq  1819  la  décoration  de  l'or- 
dre de  l'Aigle-Rouge.  Schnée  mou- 
rut le  12  janvier  1830,  après  avoir 
travaillé  beaucoup  pour  hâter  les 
progrès  de  l'agriculture.  Il  fonda  en 
1803  h  Gazette  agronomique^  qui  se 
continue  depuis  ce  temps.  Ses  autres 
ouvrages  dans  ce  genre  sont  :  An- 
nuaire pour  les  agronomes,  Leipzig 
et  Halle,  1811,  qu'il  a  continué  jus- 
qu'en 1825  ;  Manuel  de  l'agriculture 
et  de  l'élève  des  bestiaux  pour  les 
écoles  de  campagne,  2«  édit.,  Halle, 
1821;  Manuel  général  de  l'économie 
rurale  et  domestique,  ou  Diction- 
naire d^histoire  naturelle,  d'écono- 
mie et  de  technologie,  Halle,  1819, 
2  vol.  avec  pi.;  /e  Fermier  commen- 
çant, manuel  des  propriétaires  ru- 
raux, 3«  édit.,  Halle,  1829;  Manuel 
des  mères  de  famille  à  la  ville  et  à 
la  campagne,  EhWt,  1825,  avec  grav. 
Dans  sa  jeunesse  il  avait  débute  en 
littérature  par  des  romans,  tels  que 
Charles   et  Élise,  Leipzig,   1792, 


SCH 

Edouard  Wilmann^  1792,  et  par  des 
Poésies  qui  oui  été  éditées  à  Franc- 
fort, en  1790,  par  Al.  Schreiber. 

D— G. 
SCHNEIDER  (Joseph-Xavier) 
naquit  à  Lucerneen  1750,  et  mourut 
à  Strasbourg,  à  la  suite  d'une  opé- 
ration chirurgicale,  en  1784.  Curé  à 
Scheipfer,  dans  le  pays  d'Enllebuch, 
du  canton  de  Lucerne,il  remplit  les 
devoirs  de  sa  place  avec  un  grand 
zèle,  et  il  employa  ses  loisirs  à  l'étude 
de  l'histoire  et  de  la  statistique  de 
sa  patrie.  En  1782,  il  publia  VHistoire 
du  pays  de  l' Entlebuch  {Lucerney 
2  vol.  in-8**  en  allemand),  où  l'on 
trouve,  avec  des  traits  et  des  docu- 
ments historiques  qui  n'étaient  que 
peu  ou  point  connus  avant  lui , 
la  topographie  du  pays.  Elle  fut 
suivie  de  trois  cahiers  (Lucerne, 
1783,  in -8°),  qui  renferment  les 
descriptions  particulières  des  mon- 
tagnes de  l'Entlebuch.  Le  Musée 
helvétique^  publié  par  Fuessli,  ainsi 
que  le  Magasin  d'Histoire  naturelle 
de  la  Suisse^  par  le  docteur  Hupfner, 
contiennent  plusieurs  de  ses  mémoi- 
res. D'un  caractère  aimable  et  com- 
plaisant, Schneider  fut  en  relations 
amicales  et  scientifiques  avec  un 
grand  nombre  d'hommes  lettrés  de  la 
Suisse.  Le  curé  lucernois  Thaddée 
Millier  a  donné  son  éloge  dans  le 
Musée  helvétiquCy  sept.  1784.  U— i. 

SCHNEIDER  (Antoine  Virgile), 
général  français,  était  né  à  Bouque- 
non  (Bas-Rhin)  le  22  mars  1779. 
Après  avoir  étudié  les  mathématiques 
à  Strasbourg,  il  revint  à  Paris  suivre 
les  cours  de  l'école  polytechnique 
comme  élève  externe.  Son  père,  qui 
était  médecin,  perdit  alors  sa  modi- 
que fortune, et  le  jeune  Schneider  se 
trouva  sans  ressources,  presque  dans 
le  besoin.  Loin  de  se  décourager,  il 
travailla  avec  ardeur, et,  en  but  te  aux 


SCH 


34T 


privations  de  tous  genres,  dénué 
même  du  nécessaire,  il  écrivit  un 
ouvrage  d'histoire  et  de  statistique 
sur  l'île  de  Corfou,  où  il  démontra 
l'utilité  commerciale  et  militaire  de 
la  possession  de  cette  île  pour  la 
France.  Cet  ouvrage  fut  présenté  à 
Bonaparte,  qui  immédiatement  fit 
expédier  à  Schneider,  à  peine  âgé  de 
vingt-un  ans,  un  brevet  de  lieu- 
tenant-adjoint danç  le  génie  mili* 
taire.  Il  fit  ses  premières  armes  a  la 
bataille  de  Mareugo,  et  devint  en- 
suite aide-de-camp  du  général  Du- 
hesme,  puis  de  Musnier.  En  1808,  il 
alla  servir  à  l'armée  d'Espagne,  et, 
après  la  bataille  de  Tudela,  il  lut  fait 
capitaine  au  115^  régiment  de  ligne. 
Au  fameux  siège  de  Sarragosse,  il  dé- 
ploya tant  de  zèle  et  de  courage  qu'il 
reçut,sousles  murs  mêmes  de  la  plac*', 
la  croix  de  la  Légion-d'Honneur. 
Blessé  à  la,  bataille  de  Maria,  il  ren- 
tra en  France ,  puis  retourna  en  Es- 
pagne, où  il  assista  au  siège  de  Fi- 
guières.  Le  duc  de  Tarente  le  choisit 
pour  aller  à  Paris  rendre  compte  au 
ministre  de  la  guerre  des  événements 
de  ce  siège.  11  était  alors  chef  de 
bataillon,  et  Clarke,  l'ayant  pris 
pour  aide-de-camp,  le  chargea  de 
diverses  missions  dont  il  s'acquitta 
avec  une  grande  habileté.  La  plus 
importante  fut  celle  qu'il  remplit,  en 
1811,  aux  îles  Ioniennes,  où  il  con- 
çut l'idée  du  savant  ouvrage  qu'il  a 
publié  sur  ces  contrées  célèbres. 
Ayant  rassemblé  les  notes  de  ce  tra- 
vail au  milieu  des  ruines  et  des  sou- 
venirs de  l'antiquité,  il  en  écrivit  les 
premières  pages  à  Corfou,  sons  le  feu 
des  canonnières  anglaises.  Promu  au 
grade  de  major,  il  fit  partie  de  l'ex- 
pédition de  Russie,  et  y  commanda 
la  17''  demi-brigade  d'infanterie. 
Renfermé  dans  Dantzick,  j1  déploya 
un  conrage  infaligabb:  à  la  défi'use 


(48 


8CH 


de  cette  place,  où  une  faible  garnison 
résista  pendant  un  an  aux  efforls  de 
l'arine'e  russe.  Rapp,  dont  le  nom  est 
inséparable  de  ce  glorieux  siège,  a 
cité  plusieurs  fois  dans  ses  Mémoi- 
res le  major  Schneider  comme  un  ex- 
cellent oflicier,  notamment  pour  sa 
résistance  dans  le  faubourg  d'Ohra. 
On  sait  que  l'empereur  Alexandre  re- 
fusa de  ratifier  la  capitulation  de 
Dantzick,  et  que  la  garnison,  consi- 
dérée comme  prisonnière  de  guerre, 
fut  conduite  en  Russie.  Les  événe- 
ments (de   1814  lui  ayant  rendu  la 
liberté,  Schneider  revint  en  France  et 
fut  fait  colonel  par  le  gouvernement 
royal.  A  l'époque  des  Cent-Jours,  il  se 
trouvait  en  non-activité.  Mais  Rapp, 
ayant  accepté  de  Napoléon  le  com- 
mandement du  5«  corps,  désigna  lui- 
môme  Schneider  pou  r  son  chef  d'état- 
major;  ce  qui  fut  cause  qu'après  la  se- 
conde Restauration  il  resta  sans  em- 
ploi jusqu'en  1819,  où  on  le  nomma 
commandant  de  la  légion  de  l'Indre, 
puis  colonel  du  20^  léger.  C'est  avec 
ce  régiment  qu'il  fit  la  campagne 
d'Espagne  en  1823,  dans  le  3*^  corps 
sous  le  général  Obert.  Il  contribua 
beaucoup  à  la  prise  de  Pampelune, 
dont  il  ouvrit  la  tranchée,  comme  le 
plus  ancien  colonel.  Nommé  maré- 
chal-de-camp en  1825,  à  l'occasion 
du  sacre  de  Charles  X,  on  le  vit  par- 
ticiper aux  travaux  de  plusieurs  com- 
missions pour  la  révision  des  ma- 
nœuvres d'infanterie  et  commander 
une  brigade  au  camp  de  Sainl-Omer. 
En  1828,  il  sollicita  la  faveur  d'un 
emploi  dans  le  corps  d'observation 
destiné  à  occuper  la  Morée^  c'était 
une  terre  qu'il  aimait  de  prédilection 
parce  qu'il  l'avait  étudiée  et  qu'il  la 
connaissait.  On  ne  lit  donc  aucune 
difficulté  de  satisfaire  à  son  ardent 
désir,  et  on  le  plaça  à  la  tête  de  la 
■6^  brigade.  Ce  fut  lui  qui  enleva  Pa- 


SCH 

tras  aux  Turcs  et  qui  ouvrit  le  siège 
du  château  de  Morée.  Au  rappel  du 
maréchal  Maison,  il  lui  succéda  dans 
le  commandement  en  chef,  et,  à  la 
première  nouvelle  de  la  révolution 
de  juillet,  il  arbora  le  drapeau  trico- 
lore et  n'hésita  pas  à  reconnaître  les 
faits  accomplis.  Dès  le  15  août  1830, 
il  écrivit  de  Modon,  au  ministre  de  la 
guerre  :  «  Les  troupes  sous  mes  or- 
«  dres  et  moi  adhérons  et  nous  sou- 
«  mettons  aux  mesures  que  la  France 
«  a  jugées  nécessaires  k  son  salut  et 
«  k  ses  libertés.  L'adhésion  est  una- 
«  nime  parmi  nous,  et  je  n'aurai  pas 

•  un  seul  oflicier  qui  n'adopte  avec 

•  grand  plaisir  le  nouvel  ordre  de 
«  choses.  »  On  a  prétendu  qu'à  cette 
époque  il  offrit  au  nouveau  gouver- 
nement de  se  jeter,  à  la  tête  de  sa 
division,  au  milieu  de  l'Italie,  pour 
exciter  une  insurrection.  Mais  ce 
n'était  pas  la  direction  que  devaient 
prendre  les  choses.  Schneider  reçut 
l'ordre  de  ramener  en  France  le  corps 
d'armée  de  la  Morée,  et  le  gouverne- 
ment de  la  Grèce  lui  fit  alors  présent 
d'une  épée  d'honneur.  A  son  retour  il 
fut  élevé,  le  13  août  1831,  au  grade 
de  lieutenant-général,  et  dès  la  fin 
de  l'année  suivante  le  maréchal  Soult 
l'appela  k  la  direction  du  personnel 
et  des  opérations  militaires  au  mi- 
nistère de  la  guerre  ;  mais  il  se  démit 
de  cette  place  lorsque  le  maréchal 
donna  sa  démission  (18  juillet  1834). 
Il  venait  d'être  élu  député  de  Sarre- 
guemines,  et  à  ce  moment  commence 
sa  carrière  législative  et  politique. 
Dans  la  Chambre  ,  il  fit  toujours 
preuve  d'une  honorable  indépen- 
dance, et  son  opposition,  d'un  libé- 
ralisme modéré,  n'eut  rien  de  sj'^sté- 
matique,  votant  tantôt  pour,  tantôt 
contre  les  actes  du  pouvoir,  d'après 
sa  conviction,  sans  s'inquiéter  des 
cabinets  qui  se  succédaient  alors  avec 


SCH 

tant  de  rapidité.  Cette  conduite  par- 
lementaire ne  l'empêcha  pas  de  faire 
partie  des  comités  d'infanterie  et  de 
cavalerie,  ni  d'être  charge'  d'inspec- 
tions annuelles.  Dans  l'administra- 
tion du  12  mai  1839,  il  accepta  le 
portefeuille  de  la  guerre.  On  pour- 
rait peut-être  lui  reprocher  de  s'être 
fait  un  peu  trop,  dans  ces  impor- 
tantes fonctions,  le  sous-se'cretaire 
d'État  du  président  du  conseil,  le 
maréchal  Soujt,  et  de  n'avoir  montré 
aucune  couleur  politique.  S'absor- 
bant  dans  les  soins  de  son  départe- 
ment, il  ne  s'occupa  que  de  mesures 
utiles  au  bien  de  l'armée,  et  on  lui 
doit  la  loi  sur  l'organisation  de  l'é- 
tat-major,  aujourd'hui  en  vigueur.  A 
la  formation  du  ministère  Thiers,  le 
1*""  mars  1840,  il  fut  remplacé  par 
le  général  Despans  -  Cubières,  qui 
rinvestit,  après  le  vote  des  fortifica- 
tions, du  commandement  de  la  divi- 
sion campée  autour  de  Paris.  11  de- 
vint ensuite  président  du  comité 
consultatif  de  l'infanterie,  et  le  11 
avril  1844  grand-croix  de  la  Légion- 
d'Honneur.  Celte  même  année,  il 
eut  un  instant  le  commandement, 
par  intérim^  de  la  1'^  division  mili- 
taire (Paris).  Il  était  compris  dans  la 
première  section  du  cadre  de  l'état- 
major-général  lorsqu'il  mourut  à 
Paris  le  11  juillet  1847.  Ses  obsèques 
eurent  lieu  en  grande  pompe,  et  son 
corps  fut  inhumé  au  Père-Lachaise  : 
le  général  Paixhans  et  le  colonel 
Cerfbeer,  ses  collègues  à  la  Chan\bre 
des  députés,  prononcèrent  des  dis- 
cours sur  sa  tombe.  C'était  un  hom- 
me d'une  taille  élevée,  fort  affable  et 
d'une  probité  incontestable.  On  a 
dit  que  la  veille  de  sa  mort,  en  ap- 
prenant les  accusations  de  corruption 
dirigées  contre  MM.  Teste  et  Cubiè- 
res, il  regretta  amèrement  d'avoir 
mêlé  son  nom  à  des  entreprises  in- 


SCfl 


349 


dustrielles.  (Il  avait  été  administra- 
teur du  chemin  de  fer  de  Bordeaux  à 
Cette.)  Plusieurs  journaux  ont  même 
rapporté  ses  paroles,  peu  flatteuses 
pour  l'époque.  Schneider  a  publié  : 

I.  Description  des  îles  Ioniennes,  de- 
puis les  temps  fabuleux  et  héroïques 
jusqu'à  ce  jour,  avec  un  nouvel  atlas^ 
par  un  officier  supérieur .,  ouvrage 
revu  et  précédé  d'un  discours  préli- 
minaire par  Bory  de  Saint-Vincent, 
Paris,  1823,  in-8''  avec  atlas  in-4". 

II.  Résumé  des  attributions  et  des 
devoirs  de  V infanterie  légère  en  cam- 
pagne^ Paris,  1823,  in-32  avec  3  plan- 
ches. Ce  petit  livre  fait  partie  de  la 
Bibliothèque  de  Vofjicier.  Schneider 
a  fourni  un  grand  nombre  d'articles 
au  Spectateur  militaire,  dont  il  était 
un  des  rédacteurs.         C— h— n. 

SCHNEIDER.  Voy.  Snyders, 
XLII,  505. 

SCHNORFF(WALTHER),fiIsd'UI- 
ric,  avoyer  de  la  ville  de  Bade,  en 
Argovie,que  l'empereur  Ferdinand  II 
avait  créé  chevalier  de  l'empire, 
devint  lui-même  greffier  de  la  ville 
de  Bade,  et  fut  l'auteur  d'un  ou- 
vrage historique  pseudonyme,  très- 
impartial  ,  bien  écrit ,  et  qui  an- 
nonce une  connaissance  exacte  des 
affaires  de  l'Helvétie  de  son  temps: 
Bellum  civile  helveticum  nuperri- 
mmn  Peregrini  Simplicii  Amerini, 
1057,  iu  -  12  ;  réimprimé  dans  le 
Thesaur.  hist.  Helv.  Quelques  per- 
sonnes, et  les  éditeurs  eux-mêmes  de 
ce  recueil,  doutent  que  Schnorlf  soit 
l'auteur  du  livre,  qu'ils  attribuent  à 
un  Léonard  Pappus ,  chanoine  de 
Constance.  —  Son  pelit-fils  {Beat- 
Antoine)^  conseiller  de  l'évêque  de 
Bâie  et  de  l'abbé  de  Saint-Gall, 
mort  en  1729,  a  publié  un  ouvrage 
de  jurisprudence,  intitulé:  Clavis 
themilogiœ^  sive  librorum  utriusque 
juris  anatomia,  1098,  in-8".    U— i. 


:uo 


SCH 


SCHODELER  (Wf.hnkr)  naquit 
à  Brerngarten,  petite  ville  de  l'Ar 
govie,  en  Suisse,  où  il  lut  greffier 
d'abord,  et  ensuite  avoyer,  de  1520 
à  1532.  On  conserve  de  lui  une 
Chronique  de  Suisse,  fort  curieuse, 
dont  la  première  partie  donne  ['his- 
toire détaillée  de  la  guerre  de  Zurich 
de  1430  rt  1444,  et  dans  laquelle  l'au- 
teur se  range  du  côté  des  Suisses  con- 
tre Zurich  ;  la  seconde  partie  com- 
prend \cs  guerres  de  Souabe^de  Bour- 
gogne et  du  Milanais,  et  si  elle  copie 
Schilling  pour  les  premières,  en  re- 
vanche elle  offre  des  détails  exacts 
et  mtéressants  sur  les  affaires  et  les 
combats  d'Italie.  U— i. 

SCHŒDDE  (George-Guillaume), 
littérateur  hessois,uéàNordhausen  le 
12fév.  1759,passa  son  enfance  à  Wal 
dau,oùson  père  fut  transféré  comme 
pasteur,  et  après  avoir  fini  ses  pre- 
niières  études  à  Cassel,  ses  cours 
académiques  à  Hambourg  et  à  Gœi- 
tingue,  exerça  quelque  temps  comme 
avocat  à  Cassel.  Nommé  ensuite  as- 
sesseur du  tribunal  criminel  de  cette 
ville,  il  y  resta  plusieurs  années  en 
cette  qualité,  jusqu'à  ce  que,  la  révo- 
lution française  ayant  éclaté,  la  li- 
berté avec  laquelle  il  s'exprimait  sur 
l'arbitraire,  les  abus,  la  tyrannie  de 
l'administration  et  des  tribunaux  le 
fit  tomber  dans  la  disgrâce  de  ses 
supérieurs  et  reléguer  à  Riuteln  avec 
le  simpietitre  d'assesseur  fiscal.  Tou- 
tefois, avant  que  l'année  entière  fût 
écoulée,  on  lui  donna  un  poste  plus 
important  à  Ziegenberg,  à  quatre 
lieues  de  Cassel;  et  dix  ansplus  tard, 
eu  dépit  d'une  plainte  que  signèrent 
contre  lui  quelques-uns  de  ses  admi- 
nistrés et  qui  donna  lieu  à  une  en- 
quête du  conseiller  Giesler,  loin  de 
voir  sa  conduite  objet  d'un  blâme,  il 
reçut  des  éloges,  le  titre  de  conseil- 
ler, dont  on  était  moins  prodigue 


SCH 

ulor';  qu'aujcturd'hui,  et  entin  les  li 
1res  de  bailli  en  chef  et  juge  criminel 
à  Schmalkalde.    Le    pays  souffrait 
beaucoup    du    manque  de   subsis- 
tances, et  de  la  stagnation   des   in- 
dustries locales.  Schœdde  multiplia 
ses  efforts  pour  atténuer  les  souf- 
frances et  la  misère  de  la  population, 
pour  ranimer  le  filage,  le  tissage,  les 
usines  où  se  traitaient  le  fer  et  l'a- 
cier, et  quelque  succès  couronna  ses 
tentatives.  L'année  suivante,  survint 
la  guerre,  depuis  long-temps  prévue, 
entre  Napoléon  et   la  Prusse  -,    les 
Français  occupèrent  le  pays,  mais 
diverses  révoltes  les  inquiétèrent  ou 
plutôt  les  irritèrent.  Schmalkalde  fut 
du  nombre  des  villes  où  se  manifes- 
tèrent ces  mouvements,  qui  par  eux- 
mêmes  ne  pouvaient  aboutir  à  rien; 
un  détachement  italien  arriva  bien- 
tôt chargé  de  punir  la  ville  rebelle. 
Schœdde  reçut  l'injonction  de  faire 
d'activés  et  sévères  recherches  sur 
les  auteurs  et  les  complices  de  l'é- 
chauffourée.  Il  atermoya  si  bien  et 
eut  l'art  de  trouver  si  peu  de  charges, 
qu'en  définitive  personne  ne  fut  puni. 
Quoique  Allemand  fidèle,  Schœdde, 
lorsque  la  Hesse,  ravie  à  ses  maîtres, 
devint  le  noyau  du  royaume  de  West- 
phalie,  ne  refusa  point  de  servir  le 
nouveau  régime.  On  l'a  vu,  quinze 
ans  avant  l'époque  à  laquelle  nous 
sommes  arrivés,  tenant  un  langage 
analogue  à  celui  des  Français  à  la 
veille  d'ériger  la  république;  il  est 
assez  simple  qu'il  se  soit  plie  plus 
vite  et  plus  facilement  que  d'autres 
à  la  domination  française.  Son  adhé- 
sion au  gouvernement  de  Jérôme  fut 
assez  éclatante,   puisqu'il  n'hésita 
point   à  consigner   ses  sentiments 
dans  une  Ode  au  roi  de  Westphalie, 
ode  qui  fut  mise  en  musique  par 
Vierling.  Aussi  le  général  Bœrner, 
commandant  du  département  de  la 


SCH 

Werra,  lere<onimanda-l-il  à  Jérôme, 
i]ui  ordonna  lui-même  au  ministre 
Siméon  de  le  mettre  sur  la  liste  des 
sujets  à  placer  incessamment.  En 
effet,  dès  février  1808,  il  reçut  sa 
nomination  de  président  au  tribunal 
d'Eschwege.  En  revanche,  quand  l'é- 
lecteur Guillaume  l®""  revint  dans  ses 
États  après  les  grands  événements 
de  l'automne  de  1813,  la  position  de 
Schœddefut  singulièrement  compro- 
mise. En  vain  il  fit  valoir  et  les  mé- 
nagements qu'il  avait  toujours  ap- 
portés pour  sa  part  dans  l'exécution 
des  mesurer  relatives  à  la  conscrip- 
tion, et  le  zèle  avec  lequel  il  avait 
concouru  à  la  levée  de  recrues  dans 
le  pays  deSchmalkalde  pour  le  compte 
du  souverain  légitime,  et  un  chant 
de  guerre  contrai  les  Français  tiré  à 
3,000  exemplaires,  et  qui  était  de- 
venu populaire  parmi  les  Hessois. 
L'organisation  française  fut  détruite, 
et  dès  lors  plus  de  président  au  tri- 
bunal d'Eschwege.  Le  titre  de  bailli 
en  chef  (le  Schmalkalde  renaquit  de 
sa  cendre,  mais  ne  renaquit  point 
pour  Schœdde.  Notre  ex-président 
luf  heureux  de  trouver  à  se  placer 
comme  conseiller  de  chancellerie  à 
Varel  au  service  du  prince  de  Ben- 
tinck,qui  sollicitait  alors  auprès  du 
congrès  de  Vienne  la  seigneurie  de 
Varel  et  Kniphausen  (1815).  Mais 
les  demandes  du  comte  n'ayant 
point  été  admises,  il  résilia  son  poste 
et  alla  remplir  à  Francfort  celui  de 
conseiller  secret  de  légation  pour  le 
tluc  de  Hesse  -  Hombourg  (1818)', 
enfin  l'année  suivante,  par  l'inter- 
médiaire de  son  beau-frère,  le  géné- 
ral Ochs,  il  rentra  en  grâce  auprès 
de  son  souverain,  qui,  avec  son  an- 
cienne place  de  bailli  eu  chef  juge 
au  tribunal  criminel  de  Schmalkalde, 
lui  conféra  le  titre  de  conseiller  de 


SCH 


351 


régence.  Plus  tard,  quand  à  l*avéne- 
ment  de  Guillaume  H  on  sépara  l'ad- 
ministration d'avec  la  justice  propre- 
ment dite,  Schœdde  conserva  son 
titre,  et  de  plus  reçut  celui  de  con- 
seiller de  cercle  de  Schmalkalde, 
parce  qu'on  tenait  à  le  garder  dans 
un  pays  qu'il  connaissait  à  fond  et 
qui  le  connaissait.  11  y  avait  fait  beau- 
coup de  bien  depuis  la  restauration*, 
il  continua  de  même  avec  autant  de 
lumières  que  de  zèle.  Il  aida  essen- 
tiellement par  exemple  aux  amélio- 
rations introduites  dans  l'agriculture 
et  les  prairies,  il  diminua  la  mendi- 
cité, il  facilita  l'institution  des  écoles 
du  dimanche.  Enfin,  en  1830,  il  fut 
appelé  à  Fulde  comme  membre  de  la 
régence.  C'est  là  qu'il  mourut  le  22 
aoiit  1835.  Au  milieu  de  tous  ces 
soins  d'affaires  judiciaires  et  d'admi- 
nistration, Schœdde  avait  toujours 
trouvé  du  temps  à  donner  aux  let- 
tres. Il  était  membre  de  plusieurs 
sociétés  savantes.  Il  a  laissé  des  poé- 
sies, et  principalement  des  satires  et 
des  drames;  sa  tragédie  de  V Alle- 
mand à  Naples  fut  jouée  à  Cassel 
en  1788  avec  grand  succès,  et  l'in- 
cendie du  théâtre  interrompit  seul 
les  représentations  ;  une  autre  œuvre 
tragique,  la  Vengeance  et  V Amours 
fut  également  représentée  à  Schmal- 
kalde et  accueillie  avec  faveur  (1805). 
Quelque  chose  de  plus  prodigieux 
peut  être,c'est  que,  tout  en  cultivant 
ainsi  les  muses,  il  s'occupait  d'agro- 
nomie avec  succès,  et  qu'à  l'époque 
même  où  il  livrait  à  la  scène  l'Alle- 
mand à  Naples,  son  Mémoire  sur  la 
serre  des  fruits  était  couronné  par  la 
société  d'agriculture  et  des  arts  de 
Cassel.  P— OT. 

SCHOELL  (Maximilien-Samson- 
Frédéric),  publiciste  et  philologue, 
fut  ua  des  écrivains  politiques  et 


SS5 


SCH 


SCH 


littéraires  les  plus  féconds  de  notre 
époque.  Sa  vie,  très-agitée,  fut  tra- 
versée par  beaucoup  de  vicissitudes 
(l.ms  !;i  carrière  des  révolutions  et 
dans  celle  du  couniiercc  ;  car  il  ne  se 
contenta  pas  de  se  mêler  aux  événe- 
ments politiques  et  de  composer  des 
livres,  il  en  imprima  et  en  vendit  à 
plusieurs  reprises  dans  divers  pays. 
Enfin,  il  fut  notre  collaborateur  dans 
cette  Biographie  universelle^  à  la- 
quelle il  a  donné  de  très-bons  ar- 
ticles, et  dont  quelques-uns,  notam- 
ment les  Schulembourgi  restés  iné- 
dits, parce  qu'ils  nous  parvinrent 
trop  tard ,  sont  imprimés  dans  ce 
supplément ,  et  plus  particulière- 
ment dans  ce  81«  volume.  Frédéric 
Schoell  naquit  le  8  mai  1766,  dans  un 
bourg  de  la  principauté^  de  Nassau- 
Saarbruck,  où  son  père  était  bailli. 
Orphelin  dès  l'âge  de  sept  ans,  il  lit 
ses  premières  études  au  gymnase  de 
Bouxwiller,  puis  à  l'université  de 
Strasbourff,  où  il  reçut  des  leçons 
d'histoire  et  de  droit  public  du  cé- 
lèbre Koch,  qui  le  prit  en  affection, 
et  dont  il  a  parlé  dans  plusieurs 
passages  de  ses  écrits  avec  admira- 
tion et  reconnaissance.  Ses  études 
étaient  achevées  en  1787,  quand  il 
fut  attaché  par  la  veuve  du  général 
fie  Kroock  à  l'éducation  de  son  lils, 
et  qu'il  accompagna  ce  jeune  Livo- 
nien  dans  ses  voyages  en  Italie  et  en 
France.  Se  trouvant  à  Paris  en  1789. 
lorsque  éclatèrent  les  premiers  dés- 
ordres de  la  révolution,  il  partagea 
d'abord  les  idées  sous  l'influence  des- 
quelles s'opérait  cette  grande  com- 
motion, ce  qui  était  fort  naturel  à 
son  âge  et  dans  sa  position  ;  mais 
nous  verrons  qu'il  fut  prompt  à  se 
déclarer  contre  les  innovations  quand 
il  en  reconnut  les  dangers.  Avant 
de  se  lancer  dans  l'aventureuse 
carrière  de  la  politique  ,  il  suivit 


à  Saint-Pétersbourg  la  famille 
russe  à  laquelle  il  s'était  atta- 
ché ,  mais  dont  il  se  sépara  bien- 
tôt pour  revenir  à  Strasbourg  où  il 
revendiqua  le  droit  de  bourgeoisie 
qu'avaient  eu  ses  ancêtres  (1).  Il 
entra,  en  1790,  dans  la  carrière  du 
barreau,  qui  convenait  assez  bien  à 
son  élocution  facile  dans  les  deux  lan- 
gues (l'allemand  et  le  français)  et  aux 
avantagesd'unbel  organeetd'un  phy- 
sique remarquable.  La  première  cause 
qu'il  eutà  défendre  fut  celle  de  Koch, 
son  ancien  maître,  que  dans  le  langage 
de  cette  époque  on  accusait  de  fana- 
tisme,  parce  qu'il  avait  soustrait  à 
l'encan  universel  des  biens  natio- 
naux les  propriétés  des  écoles  et 
des  églises  protestantes  en  Alsace. 
Schoell  obtint  beaucoup  de  succès 
dans  cette  affaire,  et  la  brochure  qu'il 
publia  sous  ce  titre  en  allemand  :  Vn 
mot  sur  le  décret  du  10  août  1790,  qui 
assure  leurs  biens  aux  protestants 
d'Alsace ,  lui  fit  un  commencement 
de  réputation.  Il  fut  aussitôt  nom- 
mé membre  du  conseil  du  départe- 
ment du  Bas-Rhin,  puis  substitut  du 
procureur-général  de  la  commune  de 
Strasbourg.  C'est  en  cette  qualité 
qu'il  signa  avec  Dietrich,  dont  il  était 
l'ami,  les  belles  et  énergiques  pro- 
testations de  ces  autorités  contre  la 
déchéance  de  Louis  XVI  au  10  août 
1792  (voy.DiETRiCH,XI,  346)-,  et  lors- 
que cet  infortuné  maire  fut  envoyé 
au  tribunal  révolutionnaire,  il  prit 
ouvertement  sa  défense  dans  une 
autre  brochure  Sur  Friedrich  Die- 
trich,eoc -maire  de  Strasbourg, et  sur 
ses  accusateurs^  Strasbourg,  1793, 
in-8".  Cette  publication ,  très-cou- 

(i)  La  ville  de  Strasbourg,  par  suite  d'an- 
ciennes capitulations  ,  avait  conservé  sous 
la  raonarchie  les  formes  d'une  république 
beaucoup  plus  vraies  et  plus  réelles  que 
tout  ce  qu'où  a  l';iit  depuis  au  nom  de  la 
liberté  et  de  l'éoidité. 


SCH 

rageuse  à  une  \e[\o  époque,  ex(^ita 
(le  plus  en  plu<î  coufre  Schoell  la 
haine  «les  Jacobins;  il  fut  mis  en 
arrestation,  et  oblige  de  se  sauver 
aussitôt  après  avoir  été  rendu  à  la 
liberté.  Alors  il  se  cacha  aux  environs 
de  Colmar,  puis  dans  les  Vosges  et  à 
Mulhouse,  d'où  il  gagna  la  Suisse, 
déguisé  en  garçon  boucher.  Après 
un  séjour  de  quelques  mois  à  Baie, 
où  il  fit  pour  la  première  fois  des 
affaires  de  librairie,  la  réputation  de 
son  savoir  qui  commençait  à  se  ré- 
pandre en  Allemagne  le  lit  appeler 
à  Woimar,  cette  nouvelle  Athènes, 
où  il  trouva  quelques  amis,  et  où 
la  grande- duchesse  Louise,  comme 
lui  élève  de  Bouxviller  {voy.  Saxe- 
Weimar,  dans  ce  vol.,  p.  220),  lui  fit 
le  meilleur  accueil.  Il  n'y  resta  néan- 
moins que  peu  de  temps,  ayant  été 
chargé  par  Decker,  de  Berlin,  de 
la  direction  d'un  établissement  que 
cet  imprimeur  venait  de  former  à 
Posen.  Schoell  ne  séjourna  encore 
que  quelques  mois  dans  cette 
ville,  où  il  rédigea,  sous  le  titre  de 
Prusse  méridionale,  une  gazette  dans 
laquelle  se  trouve  une  série  de  beaux 
articles  historiques  de  sa  composition 
qui  furent  traduits  en  français  et 
réimprimés  dans  l'histoire  du  procès 
de  Louis  XVi,  sous  le  titre  (.V His- 
toire des  factions  en  France.  Schoell 
ne  quitta  l'imprimerie  de  Posen  que 
pour  aller  en  diriger  une  autre  que 
le  même  Decker  possédait  à  Baie. 
Il  se  trouvait  dans  cette  ville  lorsque 
la  paix  y  fut  conclue,  en  1795,  entre 
le  roi  de  Prusse  et  la  république 
française.  Cette  circonstance  donna 
une  grande  impulsion  aux  affaires  de 
la  maison  Decker,  qui  devint  bientôt 
l'entrepôt  de  la  plupart  des  livres 
français  qui  se  vendaient  en  Suisse 
et  en  Allemagne.  Schoell  la  dirigea 
long-temps,  et  il  y  lit  d'assez  bonnes 

LXXXI. 


SCH 


oo«» 


affairesjusqu'àrannéel803,oùilvint 
s'établir  à  Paris,  associé  des  frères 
Levrault.  Cette  société  se  maintint 
jusqu'en  1806,  où  elle  fut  obligée  de 
se  dissoudre  après  des  pertes  consi- 
dérables.Sehoellcontinuanéanmoins 
seul  les  affaires  de  la  maison,  qui  ac- 
quit beaucoup  d'importance,  et  il 
forma  de  grandes  entreprises,  entre 
autres  la  publication  des  Voyages  de 
Humboldt  et  Bompland  et  celle  d'un 
Dictionnaire  des  sciences  naturelles 
rédigé  par  les  plus  distingués  de  nos 
savants.  Mais  la  stagnation  du  com- 
merce et  surtout  les  funestes  consé- 
quences du  blocus  continental  ame- 
nèrent bientôt  sa  ruine,  et,  comme 
beaucoup  d'autres  li  braires  de  la  capi- 
tale, il  se  trouvait  dans  une  position 
très-fâcheuse  quand  les  alliés  entrè- 
rent k  Paris  en  18H.  Alors,  vivement 
recommandé  par  M.  de  Humboldt  et 
spécialement  protégé  par  le  baron  de 
Hardenberg,  il  entra  dans  la  diplo- 
matie prussienne  à  laquelle  on  pense 
qu'il  avait  déjà  rendu  quelques  servi- 
ces. Admis  dès  lors  dans  le  cabinet 
du  roi  de  Prusse  avec  le  titre  de  con- 
seiller de  cour, il  resta,  au  départ  de 
ce  monarque,  comme  attaché  à  l'am- 
bassade prussienne  près  de  la  cour  de 
France,  jusqu'au  retour  de  Bonaparte 
échappé  de  l'île  d'Elbe  en  mars  1815. 
Alors,appeléà  Vienne  par  le  prince  de 
Hardenberg,  il  passa  par  Strasbourg, 
et  se  trouva  dans  cette  ville  au  mo- 
ment où  Suchet,  qui  y  commandait , 
se  disposait  à  faire  passer  les  troupes 
sous  le  drapeau  de  Napoléon.  De  con- 
cert avec  ses  amis  Levrault,Schoell  fit 
de  vains  efforts  pour  que  le  maréchal 
demeurât  fidèle  au  roi,  et  il  a  donné 
sur  ce  fait,  dans  le  sixième  volume  de 
son  Recueil  de  pièces  officielles ,  des 
détails  extrêmement  curieux.  11  ne 
quitta  Strasbourg  que  quand  cette 
ville  eut  passé  définitivement  sous  le 


354 


SCH 


SCH 


pouvoir  de  Napolron>el  il  se  reiulità 
Vienne  où  il  resta  jusqu'à  la  fin  du 
congrès.  Revenue  Paris  aussitôtaprès 
le  rétablissement  de  Louis  XVill^  il 
y  reçut  le  litre  de  conseiller  aulique 
de  S.  M.  le  roi  de  Prusse^  atlaché  à 
sa  légation  à  Paris,  Dans  cette 
position  il  prit  une  grande  part  aux 
négociations  qui  amenèrent  les  trop 
fameux  traités  de  1815.  Sans  doute 
qu'il  ne  dépendit  pas  de  lui  que  ces 
traités  ne  fussent  moins  funestes  à 
la  France,  car  il  était  au  fond  très- 
attaché  à  sa  première  patrie.  Son 
traitement,  comme  celui  de  tous  les 
fonctionnaires  prussiens,  était  peu 
considérable  ;  mais  il  s'en  dédom- 
mageait par  son  commerce  de  librai- 
rie qu'il  n'avait  point  interrompu, et, 
par  des  publications  dont  la  chan- 
cellerie prussienne  lui  fournissait  les 
éléments.  Quelques-unes  de  ces  pu- 
blications ,  entre  autres  ceîle  du 
Recueil  de  pièces  officielles  destinées 
à  détromper  les  Français  sur  les 
événementSy9vo\.  în-8'',  eurent  alors 
un  très-grand  succès,  et  l'histoire  y 
trouveencore  des  documents  précieux 
et  irrécusables  sur  cette  malheu- 
reuse époque.  Schoell  se  rendit  à 
Aix-la-Chapelle,  en  1818,  avec  Har- 
denberg ,  et  il  le  suivit  encore  à 
Troppau,  à  Laybach  et  à  Rome  en 
1820.  Il  était  auprès  de  lui  à  Gênes 
lorsque  ce  ministre  y  mourut  le  26 
novembre  1822  ;  et  il  retourna  à  Ber- 
lin aussitôt  après,  mais  son  crédit 
n'y  était  plus  le  même  depuis  la  mort 
de  son  protecteur.  Cependant  il  fut 
nommé  membre  du  conseil  de  censure; 
mais  il  n'eut  plus  de  part  aux  affaires 
de  l'Étit.  On  a  pensé  que  l'intolérant 
Frédéric-Guillaume  ne  lui  pardon- 
nait pas  d'avoir  permis  qu'une  de  ses 
filles  se  fît  catholique.  C'est  alors  que 
Schoell  ouvrit  daus  cette  capitale,  de- 
vant un  nombreux  auditoire,  le  cours 


d'histoire  que  plus  tard  il  a  lait  im- 
primer, et  qui  est  resté  son  plus  im- 
portant et  son  plus  volumineux  ou- 
vrage. TouteTois  c'est  moins  une 
histoire  qu'une  juxta-position  d'his- 
toire, sauf  pour  la  4®  partie  où  les 
tomes  XXXVII  et  XXXVIII  synthé- 
tisent bien  le  tableau  des  faits  de 
1715  à  1789.  Très-raremeut  l'auteur 
se  peru»et  quelque  animation  de  style 
ou  quelque  profondeur;  eniin  les  di 
verses  parties  de  l'ouvrage  sont  dé- 
mesurément dispi*oporlioiinées.  Di- 
visé en  quatre  grandes  parties,  les 
trois  premières  de  11  volumes,  plus 
unetableen  1  volume,  il  nedonne  les 
dix  siècles  du  moyen  âge  que  comme 
1"^^  part ie,et  1453-1 618 en  sont  une  2% 
1618-1715  la  3%  17151789  la  i«.  Les 
subdivisions  mêmes  sont  quelquefois 
peu  heureuses  dans  la  1'*  partie. 
Ainsi  couper  le  moyen  âge  eu  5  sec- 
tions, dont  la  2*  de  800  à  963,  pour 
faire  aller  la  3«  de  963  à  1073,  c'est 
morceler  disgracieusement  une  des 
périodes  les  plus  nettes  de  l'histoire, 
le  moyen  âge  n'en  ayant  évidemment 
que  4  ou  3,  et  la  2«  dans  tous  les 
cas  s'étendant  de  800  ou  plutôt  de 
752  à  1073  ou  plutôt  1095.  Les  deux 
dernières  parties  (21  volumes  ou  23 
avec  les  tables)  ne  sont  guère  d'ail- 
leurs que  la  réimpression  augmentée 
des  Traités  de  paix.  Malgré  les  dé- 
fauts que  nous  signalons  et  les  res- 
trictions quenous  mêlonsà  l'éloge,  le 
Cours  d'histoire  des  États  européens 
sera  long-temps  un  manuel  fort  utile. 
Quoique  insuffisant,  pour  les  quatre 
subdivisions  établies  par  Schoell 
daus  le  moyen  âge,  il  contient  là 
même  beaucoup  de  détails  qu'on  cher- 
cherait vainement  dans  d'autres  li- 
vres usuels.  La  5*  section  du  moyen 
âge  et  toute  la  2«  partie  (XllI-XXIll) 
sont  écrites  dans  des  proportions 
tout  à  fait  heureuses,  et  un  peu  de 


SCH 


SCH 


355 


froideur, un  peu  de  sécheresse  à  paît, 
elles  peuvent  presque  s'appeler  des 
compilations  parfaites.  Dans  les  deux 
dernières  se  trouvent  une  foule  de 
de'tails   importants ,    surtout    pour 
ce  qui  touche  aux  négociations,  aux 
traités, et  plusieurs  parties  sont  écri- 
tes de  main  de  maître  ,  par  exemple 
la  guerre  de  Trente-Ans,  l'hisioire 
de  Suède  depuis  l'avénement  de  la 
maison  de  Deux  Ponts,  la  période  de 
la  politique  oscillante  (1715-1740), 
la   neutralité  armée  du   Nord,  etc. 
Il  faut  regretter  que  presque  jamais, 
surtout  flepuis  1648,  on  n'ait,  quand 
il  s'agit  de  la  biographie  des  hom- 
mes influents,  que  des  traits  officiels, 
et  que  le  respect  de  l'auteur  pour  les 
têtes  couronnées  elles  chancelleries 
l'empêche  de  donner  jamais  au  vif 
et  au  vrai  \d^  physionomie  des  per- 
sonnages. Lisez  le  chapitre  sur  l'An- 
gleterre, de  1715  à  1789;  vous  y  ver- 
rez les  ailfances,  les  partis,  les  ba- 
tailles, les  sessions  et  dissolutions  du 
parlement,  les  conquêtes  et  les  per- 
tes, mais  jamais  vousne  vous  doute- 
rez de  ce  que  c'était  que  Georges  lei , 
Georges  II  et  Georges  III,  de  ce  que 
c'était  que  Walpole  et  Bolmgbroke, 
et  Chatam,  et  Bute  et  North.  Onde- 
vinebienque  l'histoire  de  la  politique 
prussienne  y  présente    encore  plus 
de  lacunes  et  de  réticences,  surtout 
dans  les  derniers  temps,  où  cette  po- 
litique fut  conduite  avec  tant  de  dis- 
simulation et  de  duplicité.  Mais  il  ne 
pouvait  guère  en  être  autrement  dans 
une  entreprise  que  l'auteur  annonça 
par  son  prospectus  être  faite  sous  la 
protection  de  S.  M.  prussienne,  et 
avec  de  nombreuses  souscriptions  de 
sa  famille,  ainsi  que  d'autres  grands 
souverains.  On  remarque  l'impartia- 
lité avec  laquelle  toutefois  Schoell 
parle  fin  protestantisme.  Les  pages 
qu'il  consacre  à  l'histoire  de  la  ré- 


fornte    sont  vraiment  des  modèles 
sous  ce  point  de  vue,  et  contrastent 
bien  avec  le  ton  de  dénigrement  et 
d'insolence  de  mauvais  goût  qui  re- 
vient si   souvent  chez   les  Anglais, 
quand  ils  traitent  cette  matière.  On 
pourrait  même  dire  que  Schoell  parle 
quelquefois  en  catholique.  Il  semble 
véritablement  porter  dans  son  cœur 
les  jésuites,  que  jamais  il  ne  nomme 
qu'avec  vénération  et  qu'il  s'appli- 
que à  disculper,  autant  que  le  peut 
un    historien  instruit  et  de  bonne 
foi,  de  tous  les  torts  qui  leur  ont  été 
imputés.  Leur  cause,  à  ses  yeux,  était 
celle  des  monarchies,  et  leur  chute  a 
été, dit-il, pour  beaucoup  dansles  bou- 
leversements de  l'Europe  qui  ont  suivi 
de  si  près  l'actede  Ganganelli.Ce  fut 
surtout  pour  publier  son  Cours  d'his- 
toire que  Schoell  revint  en  France 
au   commencement  de    1830  ,  avec 
une  assez  forte  pension  du   roi  de 
Prusse  dont  il  avait  probablement 
reçu  des  instructions.  Il  se  trouvait 
k  Paris  lors  de  la  révolution  de  juil- 
let, qui  parut  le  contrarier  vivement, 
mais  ne   l'empêcha   pas  de  travail- 
ler avec  ardeur  à  sa  grande  publi- 
cation. Il  en  avait  déjà  fait  paraître 
30  volumes  lorsqu'il  mourut  le  6 
août  1833.  Il  laissa  le  manuscrit  des 
autres  presque  achevé,  et  ils  ont  été 
publiées|par  les  soins  de  M.  Guérard, 
notre  collaborateur.  Pihan  de  La  Fo- 
rest  en  a  donné,  dans  la  même  année, 
une  très-bonne  analyse  qu'il  a  fait 
précéder  d'une  Notice  historique  sur 
l'auteur.  Les  écrits  que  Schoell  a  pu- 
bliés, indépendamment  de  ceux  que 
nous  avons  indiqués  dans  le  cours  de 
cet  article,  sont:  I.  La  continuation 
du    Voyage  pittoresque  en  Alsace, 
dont  les  cinq  premières  livraisons 
avaient  été  rédigées  par  Grandidier 
et  les  deux  autres  par  Schoell,  Stras- 
bourg, 1785  90,  in-4".  Il  (avec  les 

23. 


356 


SCH 


professeurs  Fritz,  Dahlerrt  Pries,  dfi 
Strasbourg;)  Journal  de  la  deuxième 
Assemblée  naiionale  depuis  le  i>-'Oct. 
ndi  jusqu'au  V  aoûl  1792,  Stras- 
bourg, 4  vol.in-8"  ((Miallemaïul).  111. 
Grammaire  de  la  langue  allemande, 
à  Vusage  des  Français,  Strasbourg:, 
1793,  in-8°.  IV.  Répertoire  de  litté- 
rature ancienne^on  Choix  d'auteurs 
ckii^siques  grecs  et  latins^  etc.,  Paris, 
1808,  2  vol.  in-8°  ;  2"  édit,  1810.  V. 
Précis  de  la  Révolution  française  et 
des  guerres  que  la  France  a  soute- 
nues jusqu'au  V^  avril  180[iyin-S°.  La 
date  de  ce  livre  indique  assez  que  la 
censure  impériale  y  a  exercé  son  in- 
llucnce.  VI.  Tableau  des  peuples  qui 
habitent  VEurope,  classés  d'après  les 
langues  qu'ils  parlent  et  la  religion 
qu'ils  professent,  Paris,  1809,  in-18, 
seconde  édition  (augmentée  d'utiles 
et  larges  suppléments,  la  plupart  sur 
la  linguistique),  1812,  1  voî.  in-8". 
VÏI.  Éléments  de  chronologie  histo- 
rique, Paris,  1812,  2  vol.  in- 18; 
Vlil.  Précis  de  l'histoire  universelle, 
politique,  ecclésiastique  et  littéraire, 
depuis  la  création  du  monde  jusqu'à 
la  paixde  Schœnbrunn,  traduit  de 
Pallemand  de  Zopf,  par  Jansen,  Paris, 
1810, 5  vol.  ia-12  (la  part  de  Schoell 
ici  comprend  la  partie  politique  des 
deux  derniers  siècles,  presque  toutes 
les  notices  sur  les  littérateurs  du 
nord,  deux  mémoires  sur  les  langues 
et  les  religions  des  peuples  de  l'Eu- 
rope ,  plus  la  table  alphabétique). 
IX.  Description  abrégée  de  Rome 
ancienne,  d'après  Ligorius,  Donati, 
Nardinif  Adler  et  des  voyageurs  mo- 
dernes^ etc.,  Paris,  1811,  in  12;  2^ 
édit.,  1812,  2  vol.  in-i8,  dans  la  Bi- 
bliothèque historique  à  l'usage  de 
la  jeunesse.  X.  Histoire  abrégée  de 
la  littérature  grecque,  depuis  son 
origine  jusqu'à  la  prise  de  Cou- 
stantinoplc,  Paris,  1813,  2  vol.  i!l-8^ 


SCH 

C'est  un  résmnétrè.s-succinct  et  très- 
sec,  mais  généraleuicnt  très-exact  et 
h  peu  près  sullisant,  pour  qui  n'est 
pas  un  savant  de  profession ,  de  tout  ce 
que  l'on  connaissait  alors  d'essentiel 
sur  la  littérature  greccjue.  Les  deux 
volumes  ont  eu  les  honneurs  d'une 
deuxième  édition,  mais  chacun  à  part 
et  très-différemment.  Le  deuxième  en 
elfet  a  été  réimprimé  tout  simplenjent 
sous  le  titre  d'Histoire  abrégée  de  la 
littérature  grecque  sacrée  et  ecclé- 
siastique^ Paris,  1832,in-8*>.  Le  pre- 
mier, sous  le  titre  à^Histoire  de  la 
littérature  grecque  profane,  Paris, 
1823-1825,  s'est  distendu  en  8  vol. 
in-8'' au  moyen  d'indications  biblio- 
graphiques et  d'extraits  placés  au 
bout  de  la  notice  de  chaque  auteur. 
Schoell  a  de  plus  tiré  à  part  la  table 
chronologique  qui  terminait  tout  l'ou- 
vrage et  lui  a  donné  ce  titre:  XI. 
Table  systématique  de  Vhistoire  de 
la  Grèce,  Paris,  1813,  in-8".  XII. 
Histoire  abrégée  de  la  littérature 
romaine^  Paris,  1815,  4  vol.  in-8°. 
XIIÏ.  Congrès  de  Vienne,  Recueil  de 
pièces  officielles  relatives  à  cette  as- 
assemblée  et  qu''elle  a  publiées,  Paris, 
1816-18,  0  vol.  in-8".  Il  ne  faut  pas 
confondre  ce  rec'ueil  avec  le  volume 
intitulé  Teœîe  du  congrès  de  Vienne 
au  9  juin  1815  avec  les  pièces  qui  y 
sont  annexées,  etc.,  Paris,  18i5, 
lequel  n'est  que  le  huitième  tome  tiré 
à  part  des  Pièces  officielles  en  9  vol. 
ci-dessus  mentionnées. XIV. //ùfoîVe 
abrégée  des  traités  de  paix  entre  les 
puissances  de  VEurope,  depuis  la 
paix  de  Westphalie,  par  Koch,  en- 
tièrement refondue  et  augmentée  jus- 
qu'au traité  de  Vienne  par  Schoell, 
15  vol.  in-8°,  Paris,  1817-18.  La  pre- 
mière édition  avait  paru  en  179(5,  2 
vol.  in-8**.  Schoell,  élève,  ami  cl  léga- 
taire des  manuscrits  de  Koch,  a  lait 
de  cette  sociuulc  édili<jn  un  ouvraire 


SCH 

tout-à-fait   neuf  et  beaucoup   plus 
c'teudu,  où  chaque  traité  forme  un 
chapitre  particulier,  et  dans  lequel 
le  nouveau  rédacteur  a  indiqué  les 
motifs    ou     les    preiextes    de     la 
guerre    XV.   Annuaire  généalogi- 
que et  historique   fpour  les  années 
1819  22), Paris,  1818-21,  4  vol. iu-18. 
XVI.  Archives  historiques  et  poli- 
tiques,ou  Recueil depièccs  officielles, 
mémoires^    morceaux    historiques, 
inédits  oxipeu  connus,  relatifs  à  l'his- 
toire des  XVI 11'  et  XIX"  siècles,  fai- 
sant suite  au  Recueil  de  pièces  ainsi 
qu'à  l'Histoire  des  traités  de  paix, 
Paris,  1818-19,  3  vol.  in-8«.  XVII. 
Esquisse  d'unehistoire  de  ce  qui  s'est 
passé  en  Europe  depuis  le  commen- 
cement de  la   révolution  française 
jusqu'au  renversement  de  l'empire  de 
Jionaparte,?iiV\s,  1823,  in-8«.  XVIIÎ. 
Cours  d'histoire  des  États  européens^ 
depuis  le  bouleversement  de  Vempire 
d'Occident    jusqu'en    1789,    Paris, 
1830  et  années  suivantes,  4G  vol. 
in-8".  Nous  ajouterons  à  ce  que  nous 
avons  dit  sur  cet  ouvrage  que  ce  fut 
le  dernier  et  le  plus  considérable  de 
Fauteur.  Il  y  a  rassemblé  la  plupart 
de  ses  précédentes  publications  his- 
toriques \  tout  y  est  parfaitement 
classé  et  résumé.  C'est  s;insnul  doute 
la  collection  la  plus  utile  de  ce  genre. 
Lors  de  la  publication  des  Mémoires 
tirés  des  papiers  d^un  homme  d'État 
(1828),Schoell  fut  soupçonné  parle 
cabinet  de  Berlin  d'avoir  fourni  les 
matériaux  de  cet  ouvrage  remarqua- 
ble, que  le  public  attribua  d'abord 
au  prince  de   Hardenberg  ;   mais  il 
paraît  que  Schoell  se  justilia  osten- 
siblement du  moins,  et  que  l'on  sait 
aujourd'hui  positivement  que  c'était 
par  une  autre  voie  que  Beauchamp, 
véritable  auteur  de  ce  recueil,  s'était 
en  effet  procuré  des  matériaux  échap- 
pés au  portefeuille  du  ministre  prus- 


SCH 


357 


sien  {voy.  Hardeinberg,  LXVI,  415). 
Quoi  qu'il  en  soit,  on  peut  dire  qu'à 
défaut  d'autres  preuves  ,  ce  soupçon 
seul  de  la  part  du  cabinet  prussien 
prouve  assez  pour  l'exactitude  des 
renseignements.  M — Dj. 

SCMŒNFELD  (  le  baron  de), 
général  prussien,  était  officier  supé- 
rieur lorsqu'il  entra  au  service  des 
Pays-Bas  autrichiens,  soulevés  contre 
l'empereur  Joseph  H.  Ce  fut  sans  nul 
doute  sur  l'ordre  de  son  gouverne- 
ment qu'il  vint  offrir  son  épée  aux 
patriotes  brabançons.  La  Prusse  avait 
besoin  d'un  ngeuthabilcqui  lui  rendît 
compte  de  toutes  les  phases  de  la  ré 
voltc  ;  de  plus,  en  ce  moment  elle 
était  intéressée  à  ce  que  ces  provin- 
ces secouassent  le  joug  autrichien. 
Schœnfeld  se  mêla  donc  à  cette  lutte 
d'une  manière  fort  active  ,  et  sa 
mission  fut  autant  diplomatique  que 
militaire.  Nommé  général  par  l'in- 
fluence de  Van-der-Noot  {voy.  Noot, 
LXXV,  466) ,  il  se  montra  d'abord 
très  -  dévoué  à  la  cause  patrioti- 
que, et  commanda  les  insurgés  dans 
plusieurs  rencontres.  Mais  bientôt  il 
reçut  de  sa  cour  des  instructions  se- 
crêtes  tout  à  fait  opposées.  Ce  chan- 
gement tenait  à  une  considération 
de  politique  générale-,  la  dévolution 
française  venait  d'éclater,  et  en  pré- 
sence de  ce  foyer  de  désordre  rui 
menaçait  l'Europe  entière,  les  sou- 
verains durent  faire  cause  commu- 
ne. Frédéric-Guillaume  et  Le^pold 
se  réunirent  à  Reichenbach,  et  de 
cette  entrevue  résulta  le  traité  d'al- 
liance du  27  juillet  1790,  dont  une 
des  principales  conditions  portaitque 
la  Prusse  ne  mettrait  plus  aucun  ob- 
stacle à  la  répression  de  la  révolte  des 
Pays-Bas.  Ce  fut  durant  ces  négocia- 
lions  que  Dumouriez  vint  à  Bruxelles. 
Schœnfeld  ne  lui  cacha  pnscpiede 
l'issue  des  conférences  de  Keichen- 


358 


SCH 


bacli  dépendait  le  sort  de  la  Belgique. 
En  effet,  le  dénouement  ne  se  fit  point 
attendre  :  Schœnîeld,  depuis  la  dis- 
grâce de  Van-der-Mersch  {voy,  ce 
nom,  XLVll,  432)  à  laquelle  il  avait 
particulièrementcontribué,comman- 
dait  en  chef  Parmée  nationale.  1 1  n'op- 
posa qu'une  très-faible  résistance  au 
corpsdu  général  Bender.  En  quelques 
marches  et  presque  sans  coup  férir, 
les  Autrichiens  rétablirent  la  domi- 
nation de  l'empereur.  Schœnfeld  re- 
tourna alors  en  Prusse,  où  le  roi  lui 
fit  uji  gracieux  accueil  et  l'éleva  au 
grade  de  général.  En  1792,  il  alla  à 
Coblentz  remplir  une  mission  de  con- 
fiance auprès  des  princes  français, 
puis  il  commanda  une  des  divisions 
de  l'armée  prussienne  en  Champagne. 
L'année  suivante,  il  fut  employé  au 
siège  (le  Mayence  et  dirigea  les  atta- 
ques de  Kostheim.  Celle  du  mois  de 
mai  ne  réussit  pas, mais,  plus  heureux 
le  8  juillet,ils'emparadeceposte  Le 
courage  et  l'habileté  qu'il  y  déploya 
lui  valurent  la  décoration  de-  l'Ai- 
gle-Rouge,  avec  une  lettre  flatteuse 
de  son  souverain.  Le  14  septembre, 
il  combattit  àPirmasens,  et  la  charge 
de  cavalerie  qu'il  fit  exécuter  si  har- 
diment décida  du  succès;  il  y  fut 
blessé,  et  le  roi,  dans  une  lettre  de 
félicilation  sur  sa  bravoure,  lui  en 
expçima  tous  ses  regrets.  En  1794, 
Schœnfeld  servit  en  Pologne  ;  déta- 
ché sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule, 
pour  couvrir  de  ce  côté  le  siège  de 
Varsovie,il  repoussa,  le  27 août,  Ma- 
dalanski  qui  voulait  se  jeter  dans  la 
province  de  Posen.  Blessé  de  nou- 
veau grièvement  dans  cette  cam- 
pagne, il  se  retira  en  Prusse  et  mou- 
rut peu  de  temps  après,  vers  le  com- 
mencement de  1795.         C — H— N. 

SCHŒNLEBEN  (Anna),  célèbre 
empoisonneuse,  qu'avec  quelque  rai- 
son onaconipareeà  la  Briimlliers,ua 


SCH 

(1  u  it  à  Nuremberg  en  1760  et  perdit  ses 
parents  dès  sa  première  enfance.  Éle- 
vée avec  beaucoup  de  soin  par  son 
tuteur  qui  l'aimait  tendrement,  elle 
resta  près  de  lui  jusqu'à  Page  de 
19  ans,  et  épousa  ensuite  un  notaire 
nommé  Zwazinger.  La  solitude  et  la 
tristesse  de  la  vie  conjugale  contras- 
taient péniblement  à  ses  yeux  avec 
la  gaîté  de  la  maison  qu'elle  venait 
de  quitter.  Délaissée  par  son  mari, 
que  des  goûts  ignobles  éloignaient 
de  toute  société ,  elle  charma  ses 
ennuis  par  la  lecture  des  romans  nou- 
veaux, cherchant  à  oublier  ses  cha- 
grins en  pleurant  sur  ceux  de  Wer- 
ther,de  Malvina, etc. La  fortune  qu'An- 
na avait  eue  de  ses  parents  fut  bientôt 
dissipée  par  l'extravagance  de  Zwa- 
zinger; et,  à  l'âge  de  25  ans,  elle  se 
trouva  réduite  à  la  misère,  sans  pou- 
voir espérer  aucun  adoucissement  à 
son  malheur  par  l'affection  de  son 
mari  ou  l'estime  publique.  Nour- 
rie d'idées  romanesques  qui  avaient 
encore  exalté  la  vivacité  naturelle  de 
ses  passions,  sans  aucun  principe  qui 
pût  la  garantir  des  dangers  qui  en- 
vironnent une  femme  jeune,  jolie  et 
sans  appui,  elle  se  livra  sans  réserve 
aux  séductions  qui  s'offrirent  à  elle. 
Son  mari,  tombé  dans  le  dernier  de- 
gré d'avilissement,  ne  rougit  pas  de 
tirer  parti  de  la  honte  de  celle  dont 
il  avait  causé  la  ruine,  et  jusqu'à  sa 
mort,  qui  arriva  quelques  années 
après,  il  partagea  la  demeure  et  les 
infâmes  profits  de  sa  femme.  Après 
la  mort  de  Zwazinger,  la  vie  d'Anna 
fut  une  scène  continuelle  d'abjection 
et  de  licence  effrénée.  Forcée  de 
montrer  de  rattachement  quand  elle 
n'en  éprouvait  aucun,  raillée  ou  trai- 
tée avec  mépris  quand  elle  éprouvait 
un  véritable  désir  de  plaire,  sans 
asile,  sans  amis,  elle  devint  une  hy- 
pocrite consommée.  Une  haine  impla 


I 


SCH 

cable  contre  le  genre  humain  s'em- 
para de  son  cœur,  en  éloigna  tout 
sentiment  honnête,  et  n'y  laissa  que 
la  déterniin;ition  profonde  d'ainélio- 
rer  son  sort  par  tous  les  moyens  pos- 
sibles. Ce  fut  en  1808  qu'un  conseil- 
ler à  la  cour  de  Pegnitz,  nommé  Gla- 
ser,  la  prit  à  son  service  en  qualité 
de  gouvernante.  11  était  sép.iré  de  sa 
femme;  Anna  fit  tous  ses  efforts 
pour  rapprocher  les  deux  époux  et  y 
réussit,  à  la  satisfaction  de  toute  la 
ville  ;  mais  cette  réunion  fut  de 
courte  durée,  car  bientôt  après  le 
retour  de  madame  Gloser  au  domicile 
conjugal,  ellefut  saisie  d'une  violente 
maladie  qui  l'emporta  en  moins  de 
troisjours.  M.  Glaser,  voulant  s'éloi- 
gner.de  Pegnitz  après  cet  événement, 
plaça  Anna  chez  un  célibataire  son 
ami,  le  conseiller  Grohmann,  dont  la 
faible  santé  demandait  des  soins  as- 
sidus. La  gouvernante  montra  en  vain 
un  zèle  et  une  intelligence  remarqua- 
bles dans  son  nouvel  emploi  ;  la  ma- 
ladie du  conseiller  devint  plus  grave, 
et  il  mourut  le  8  mai  1809  dnns  les 
bras  d'Anna  Schœnleben,  qui  ne  l'a- 
vait pas  quitté  un  seul  instant,  et  qui 
parut  inconsolable  de  sa  perte.  La 
bonne  réputation  que  lui  avaitacquise 
sa  patience ,  son  habileté  comme 
garde-malade,  la  firent  entrer  chez 
le  président  Gebhard,  dont  la  femme 
accoucha  peu  de  jours  après.  Son 
zèle  ne  se  ralentit  pas  dans  cette  mai- 
son, et  chacun  vantait  les  soins  que 
la  mère  et  l'enfant  recevaient  d'elle 
lorsque,  le  septième  jour  après  ses 
couches,  la  jeune  femme  fut  saisie 
de  spasmes,  de  vomissements,  de  con- 
vulsions, pendant  lesquelles  elle  s'é 
cria  qu'elle  avait  été  empoisonnée. 
Elle  mourut  dans  d'inexprimables 
douleurs.  M.  Gebhard  pensi^ne  pou- 
voir trouver  une  meilleure  gouver- 
nante pour  son  enfant  que  celle  qui 


scu 


359 


avait  montré  tant  d'assiduité  et  d'in- 
tt^lligence  pend.mt  la  maladie  de  sa 
femme;  il  lui  remit  entre  les  mains 
le  petit  orphelin  et  lui  confia  la  surin- 
tendance de   sa   maison.   Quelques 
amis  essayèrent  inutilement  de  le  dé- 
tourner de  cette  résolution,  en  lui  re- 
présentant  ia  fatalité  qui  semblait 
poursuivre  cette  femme  dont  l'arri- 
vée était  un  présage  de  mort  dans^ 
toutes    les    maisons    qui    l'avaient 
reçue.    Le    président    repoussa    ces 
insinuations  et  continua  de  donner 
à  Anna  tous  les  témoignages  d'une 
confiance  illimitée.  Ses  amis  ne  se 
rebutèrent  cependant  pas,  et  au  bout 
de  six  mois,  aidés  de  quelques  cir- 
constances qui  jetaient  du  louche  sur 
la  conduite  de  la  gouvernante,  ils  ob- 
tinrent enfin  son  renvoi,  que  M.  Ge- 
bhard lui  annonça  avec  tous  les  mé- 
nagements capablesd'adoucir  le  coup 
dont  il  la  frappait  à  regret.  En  appre- 
nant celte  nouvelle  inattendue,  Anna 
parut  d'abord  très-émue,  témoigna  un 
vif  regret  de  se  séparer  d'un  enfant 
qu'elle  avait  vu  naître,  mais  ne  fit 
entendre  aucune  plainte,  et  résolut 
de  partir  pour  Baireuth  le  jour  sui- 
vant. Elle  employa  le  peu  de  temps 
qui  lui  restait  à  mettre  tout  en  ordre 
dans  la  maison,  distribua  des  provi- 
sions   pour   les    jours  suivants,  fit 
prendre  du  café  aux  autres  servantes, 
et,  avant  de  monter  dans  la  voilure 
que  son  maît  re  lui  avait  procurée  pour 
son   voyage ,  elle  donna  à  l'enfant 
un  biscuit  trempé  dans  du  lait  pour 
apaiser  les  cris  qu'il  jetait  en  la  quit- 
tant. A  peine  une  heure  était -elle 
écoulée  depuis  son  départ,  que  les 
servantes  et  l'enfant  furent  pris  de 
violentes  douleurs  qui  durèrent  une 
partie  de  la  journée,  et  qui  les  mirent 
aux  portes  du  tombeau.  Les  soupçons 
que  l'on  avait  conçus  prirent  alors 
plus  de  consistance  ;  on  examina  tout, 


360 


SClI 


SCH 


et  l'on  trouva  enliii  trente  grains 
d'arsenic  dans  un  baril  de  sel  ({ui 
avait  été  rempli  le  matin  même  par  la 
gouvernante.  11  ne  pouvait  plus  res- 
ter aucun  doute  sur  la  série  de  n]orts 
extraordinaires  qui  s'étaient  succédé 
dans  les  maisons  habitées  par  Anna 
Schœnleben.  On  s'étonna  seulement 
d'à voi  r  si  longtemps  fermé  lesyeux  sur 
des  preuves  aussi  évidentes,  et  toutes 
lescirconstances  qui  jusque-là  avaient 
passé  inaperçues  se  présentèrent  à  la 
mémoire  de  ceux  qui  en  avaieut  été  les 
témoins.  On  se  rappela,  par  exemple, 
que  deux  amis  de  son  maître  ayant 
dîné  avec  lui  le  10  août  1809  avaient 
été  saisis  dans  la  soirée  de  vomisse- 
ments, convulsions,  spasmes  sem- 
blables à  ceux  qui  avaient  tourmenté 
les  servantes  le  jour  du  départ  d'Anna, 
et  dont  l'infortunée  madame  Gebhard 
était  morte  quelques  mois  aupara- 
vant. Dans  une  autre  occasion,  elle 
avait  donné  un  verre  de  vin  blanc  à 
un  domestique  qui  était  venu  appor- 
ter uii  message,  et,  à  son  retour  chez 
son  maître,  cet  homme  avait  été  assez 
mal  pour  garder  le  lit  pendant  plu- 
sieurs jours.  Une  lille  de  cuisine,  qui 
se  querellait  fréquemment  avec  elle, 
avait  éprouvé  les  mêmes  symptômes 
que  ses  compagnes,  après  avoir  pris 
une  tasse  de  café  donnée  par  cette 
détestable  femme.  Enfin,  le  1"  sep- 
tembre de  la  même  année ,  son 
maître,  qui  avait  réuni  quelques 
amis,  l'ayant  envoyée  à  la  cave 
pour  y  chercher  de  la  bière,  fut  atta- 
qué, une  heure  après,  lui  et  sept  des 
convives,  de  spasmes  et  de  vomisse- 
ments. Quoiqu'il  fut  difficile,  après 
le  temps  écoulé  depuis  la  mort  des 
personnes  que  l'on  supposait  avoir 
e'té  victimes  de  la  misérable  Schœn- 
leben, de  pouvoir  recueillir  des  preu- 
ves certaines  à  l'inspection  de  leurs 
cadavres,  on   procéda   cependant  à 


l'exhumation,  (|uii>roduisit  les  traces 
les  plus  évi(h:ntcs  de  la  présence  de 
l'arsenic.  Cette  substance  se  retrouva 
encore  intacte  dans  l'estomac  de  ma- 
dame Gebhard.  Tendant  ce  temps, 
Anna  vivait  tranquille  à  Baireuth,  en 
apparence  insensible  à  l'orage  q«ii 
grondait  sur  su  tête.  Son  hypocrisie 
la  conduisit  même  à  écrire  ii  son  maî- 
tre, pendant  la  route,  pour  lui  repro- 
cher l'ingratitudedontil  s'étaitrendu 
coupable  en  renvoyant  celle  qui,  de- 
puis six  mois,  avait  été  l'ange  tuté- 
laire  de  son  enfant  orphelin...  Bien 
plus,  en  passant  à  Nuremberg,  elle 
osa  aller  demander  un  asile  à  la  mère 
de  sa  dernière  victime,  !a  femme  du 
président  Gebhard.  Arrivée  h.  Bai- 
reuth, elle  écrivit  encore  plusieurs 
fois  à  ce  dernier,  dans  le  but  évident 
de  l'engager  à  la  reprendre  chez  lui. 
Enfin  elle  fit  quelques  tentatives,  éga- 
lement infructueuses,  pour  rentrer 
chez  son  premier  maître,  M.  G  laser. 
Le  mandat  décerné  contre  elle  fut 
mis  à  exécution  le  19  octobre.  En  la 
fouillant ,  on  trouva  deux  petits 
paquets  d'arsenic  et  deux  autres 
de  cobalt  arsenical.  Malgré  tant  de 
preuves  accablantes,  elle  persista 
long-temps  à  tout  nier^  ce  ne  fut  que 
le  16  avril  1810,  pendant  une  nou- 
velle lecture  du  procès-verbal  de  la 
levée  du  corps  de  madame  Glaser, 
qu'elle  confessa  enfin  lui  avoir  deux 
lois  administré  du  poison.  L'issue 
d'un  semblable  procès  ne  pouvait  être 
douteuse  :  Anna  Schœleben  fut  cou- 
damnée  à  la  peine  de  mort.  Elle  en- 
tendit prononcer  sa  sentence  sans 
manifester  la  moindre  émotion,  et 
dit  aux  juges,  avec  un  horrible  sang- 
froid,  que  leur  arrêt  sauvait  la  vie  à 
beaucoup  de  monde  ;  «car,  ajouta-t- 
elic,  je  sens  que  si  j'avais  vécu, 
rien  n'aurait  pu  m'cmpêcher  de  faire 
encore  usage  du  puibon.  »  Z. 


SCH 

SCIIOLARIUS  (George),  cl  plus 
tard  GENNADirS ,  patriarche  de 
Coristanlinople ,  naquit  selon  toute 
apparence  dans   celte  ville ,  et  au 
coinineiiccment  du  XV  siècle,  car  il 
semble  avoir  été  plus  jeune  que  son 
ami  Pliileiphe  (1)  né,  comme  on  sait, 
en  1398.Quoiquedestiné  à  la  carrière 
du  droit,  il  étudia  et  approfondit  la 
philosophie  et  la  théologie  :  la  philo- 
sophie, puisque  Mart.  Crusius,sur  de 
bonnes    autorités   sans    doute,  lui 
donne  la  qualification  de  philosophe  ^ 
la  théologie,  puisque  nous  le  verrons 
plus  tard  traiter  avec  habileté  des 
matières  théologiques  éminemment 
controversées.  Nous  ignorons  quels 
furent  ses  débuts ,  mais  il  n'avait 
guère  que,  30  ans  quand  il  devint 
juge-général  sous  Jean  VU,  et  se- 
crétaire de  l'empereur.  Le  premier 
de  ces  titres  équivalait  presque  a  ce 
que  nous  nommerions  le  ministère 
de  la  justice,  à  ceci  pièsque  l'empire 
de  Byzance,  vers  1435,  était  réduit  à 
de  si  minces  proportions,  que  Con- 
stanlinople  mise  à  part,  il  eût  à  peine 
égalé  eu  territoire  huit  de  nos  dé- 
partements moyens.  Ses  occupations 
pourtant   étaient  nombreuses,  dif- 
ficiles ,  et   il  s'en  plaint  souvent. 
Toutefois  elles  ne  l'empêchaient  pas 
de  trouver  des  loisirs  pour  cultiver 
la  littérature ,  et   pour   entretenir 
une  correspondance  active  avec  des 
notabilités  intellectuelles  de  l'épo- 
que, notamment  avec  François  Phi- 
leiphe  dont  il  avait  fait  la  connais- 

(i)  En  effet  il  résulte  d'une  épigijiraine 
de  Philelphc  «jue  Scliolarius  étJiit  tout  jeune 
(vEapbv  Trâvu)  quand  le  docte  Italien,  jeune 
aussi  lui-même,  vint  à  Constautinople.  Alla- 
tius,  il  tst  vrai,  pictenil  que  t.es  versserap- 
ï»oitcnl  à  liu  autre  George  Scholarius  Gea- 
nailius,  nicliopolitc  de  Phases.  Mais  ce  poiut 
de  vue  lieut  a  son  idée  qu'il  y  eut  plusieurs 
Geuuaùiiij,  iilce  gratuite  et  fausse,  aujour- 
d'iiui  abaudonuco  (lo/.  la  uolc  4  ci-après). 


SCH 


S6l 


sauce  à  Conslanlinople  dans  sa  pre- 
mière jeunesse ,  avec  Âmbroise  le 
Camaldule,  avec  le  vénitien  Marc 
Lipoman  ,  et ,  dans  l'empire  grec 
même,  avec  le  grand-duc  Luc  Nota- 
ras,  avec  le  frère  de  l'empereur , 
Constantin  Dragasès,  qui  lui-même 
monta  sur  ie  trône  et  fut  le  dernier 
des   empereurs   grecs.  Il  comptait 
encore  parmi  ses  amis  un  troisième-^ 
prince  impérial,  le  despote  Théo- 
dore, dont  il  a  écrit  l'oraison  fu- 
nèbre ;  l'évêque  Marc  d'Ephèse,  au- 
quel il  dédie  sa  défense  d'Aristotc 
contre  Gémiste  Phéthon  ;    l'arche- 
vêque de  Crète,  Paisios,  et  nombre 
d'autres  dignitaires,  soit  ecclésias- 
tiques, soit  laïques.  Il  alliait  la  piété 
au  savoir,  et  même  il  semble  avoir 
de  bonne  heure  incliné  vers  la  vie 
ascétique,  puisque ,  n'ayant  pas  en- 
core accompli  sa  trentième  année, 
il  fit  notoirement  le  vœu  d'aller  se 
confiner  dans  la  solitude,  c'est-à-dire 
probablement  de  se  faire  moine.  Ce 
vœu  était-il  parfaitement  sincère? 
C'est  un  point  sur  lequel,  pour  qui 
connaît    les    Byzantins,    il    serait 
difficile  de  prononcer.  Le  fait  est 
qu'il    difiéra   long -temps,     très- 
long-temps  ,  la  réalisation   de  cette 
promesse   à  Dieu.  Ce  fut  surtout, 
dit-il,  parce  que,  renfermé  derrière 
les  grilles  du  cloître,  il  eût  laisse 
sans  appui ,   sans  consolateur,   les 
auteurs  de  ses  jours.  Nous  ne  con- 
testerons pas.  Seulement  l'histoire  a 
droit  de  remarquer  que  cette  excuse 
pouvait  durer  long-temps,  et  que 
lorsqu'il  cessa  de  pouvoir  alléguer 
celle-là,  il  en  trouva  d'autres  sous  sa 
main.   Au  fait,  l'empire  grec  alors 
était  en  proie  aux  plus  graves  em- 
barras :  d'un   côté  les  Osmanlis  ne 
cessaient  de  s'étendre  en  Thracc,  de 
l'autre  rimpuissance  grecque  rendait 
sans  cesse  i»lus  pressante  la  grande 


362 


SCH 


question  à  l'ordre  du  jour,  «  En 
p.'isserait-on,  pour  obtenir  les  secours 
(le  rOccident,  par  la  nécessité  de  l'o- 
btdience  laiine?  »  On  suit  à  quel  poijit 
les  avis  étaient  partagés.  Mais  on 
peut  résumer  la  discussion  par 
deux  mots  :  les  Politiques  penchaient 
pour  la  réunion  ;  les  Zélés,  ceux  qui 
attendaient  du  ciel  un  miracle  et 
qui  n'examinaient  pas  les  voies  et 
'^moyens,  voulaient  rester  Église  à 
part.  Scholarius,  au  temps  où  il 
coîumence  à  jouer  un  rôle  connu, 
était  des  premiers.  Il  mit  à  nu  son 
opinion  dans  deux  opuscules,  dont 
l'un  avait  pour  but  de  prouver, 
non-seulement  par  des  autorités  et 
des  preuves  humaines,  mais  par  les 
Ecritures  mêmes,  que  rien  ne  s'op- 
posait à  la  réunion  des  deux  Églises, 
tandis  que  l'autre  recherchait  par 
quels  moyens  pouvait  s'opérer  l'u- 
nion reconnue  légitime  autant 
qu'utile.  Aussi  fut-il  du  nombre  de 
ceux  qui  accompagnèrent  l'empe- 
reur lorsqu'il  s'embarqua  pour  l'Ita- 
lie en  1437.  Il  eût  souhaité  séjourner 
un  peu  à  Venise  auprès  de  Marc 
Lipoman  son  ami,  mais  force  lui  fut 
de  passer  outre,  et  de  se  rendre  im- 
médialement  à  Ferrare,  d'où,  quel- 
que temps  après,  il  gagna  Florence. 
Son  nom  n'est  pas  au  bas  des  Acte^ 
du  concile,  puisqu'il  était  encore  laï- 
que à  cette  époque  Mais  on  le  trouve 
mentionné  dans  Ja  25®  session  du 
concile.  Jean  lui  demandait  s'il  opi- 
nait pour  ou  contre  l'union:  le  grand- 
juge  répondit  par  l'aitirmative,  et 
rappela  qu'il  avait  écrit  en  faveur 
de  la  solution  qu'on  était  à  la  veille 
d'admettre.  Et  un  peu  plus  bas  les 
Actes  parlent  de  trois  écrits  deScho- 
larius  offerts  au  concile  après  le  dis- 
cours de  Bessarion.  Il  est  vrai  que 
l'on  a  soupçonné  dans  ces  deux  pas- 
sages une  double  interpolation  de 


wSCH 

la  part  de  quelque  Grec  zélé  pour 
l'Union  ;  mais  cette^  hypotbèse  ne 
repose  sur  rien,  et  loin  d'être  né- 
cessaire, elle  laisse  au  contraire  une 
lacune  dans  le  compte-rendu  de  la 
session.  Quant  à  l'objection  qu'on 
veut  tirer  de  l'attitude  inverse  prise 
pt'U  de  temps  après  par  Scholarius. 
est-il  étonnant,  est-il  sans  exemple 
de  voir  chanter  la  palinodie  ?  Ne  rem- 
plirait-on pas  des  pages  avec  les 
noms  de  ceux  qui  tour  à  tour  ont 
écrit  pour  et  contre  l'Union  ?  Ne  com- 
prend-o.a  pas  qu'un  Grec,  un  Fana- 
riote,  et  même,  pour  voir  en  beau  les 
choses,  un  patriote  peu  scrupuleux 
entraîné  à  un  peu  de  coaipiaisance 
en  matière  de  foi  par  l'espoir  de  voir 
l'Église  latine  sauver  Byzance  des 
mains  de  l'Infidèle,  n'ait  plus  senti 
le  même  laisser-aller,  le  même  désir 
de  conciliation,  une  fois  qu'il  devint 
bien  avéré  pour  lui  que  Constanti- 
nople,  sujette  ou  non  du  saint-siége, 
serait  également  délaissée?  A  notre 
sens  voilà  les  causes  de  la  palinodie 
deScholarius.  Divers  ouvrages  sortis 
de  sa  plume  {voy.  plus  bas)  annon- 
cèrent à  tous  les  Grecs  son  retour 
aux  doctrines  nationales  de  l'Église 
byzantine.  Jean  Vil  en  montra 
une  indignation  qui  n'était  peut- 
être  que  simulée  ,  mais  qui  pour 
la  foule  semblait  témoigner  une 
opposition  vive  entre  le  prince 
et  le  ministre.  Scholarius  n'en  resta 
pas  moins  en  place-,  et  même  il  donne 
ce  mécontentement  du  souverain 
comme  une  des  causes  qui  l'empê- 
chèrent encorèd'embrasser  la  vie 
monastique.  «On  eût  pensé,  dit-il, 
que  la  disgrâceetpeut-êïre  la  crainte 
des  vengeances  impériales  m'aurait 
poussé  à  chercher  un  asile  au  sein 
du  cioître.  »  Il  semble  même  qu'il 
prononçait  tous  les  samedis  soirs, 
quoique  laïque,  devant  le  monarque 


SCH 

et  le  sénat,  des  discours  religieux 
assez  semblables  à   des  homélies , 
coutume  dont  on  trouve  çà  et  là  des 
exemples  dans   l'histoire  âa    Bas- 
Empire  (2).  Au  restes!  jamais  il  y  eut 
dissidence  sérieuse  entre  Scholarius 
et  Jean  VII,  elle  disparut  presque 
entièrement  vers  la  fin  du  règne  de 
ce  prince  ;  et  notre  auteur  lui-même 
dit  qu'au  vu  et  au  su  de  tous,  son 
maître  lui  avait  rendu  ses  bonnes 
grâces  lorsqu'il  expira.  Et  pourtant 
Scholarius  était  aussi  loin  que  jamais 
de  revenir  à  l'obédience  latine.  Au 
contraire,  il  venait  de  recevoir  les 
derniers  soupirs  de  l'évêque  Marc 
d'Éphèse,  si  connu  par  l'indomptable 
opiniâtreté    de   son    opposition  au 
concile,  et  de  prêter  serment  en  ses 
mains  que  partout  et    toujours   il 
combattraii  les  décrets  de  Florence. 
L'occasion  s'en  offrit  bientôt;  Con- 
stantin Dragasès  monta  sur  le  trône. 
Scholarius,  qui  savait  son  penchant 
pour  l'union,  fut  un  de   ceux  qui 
s'opposèrent  à  ce  que  son  couronne- 
ment   eût   lieu    sur-le-champ ,  ou 
plutôt    qui    favorisèrent  Démétrius 
son  cadet,  sous, prétexte  qu'il  était 
Porphyrogénète.     Puis    bientôt    le 
nouveau  monarque  ayant  requis  les 
secours  des  Latins  contre  les  Turcs,  le 
papeNicolasV  ne  répondit  que  par  des 
promesses  conditionnelles,  exigeant 
au  préalable  la  reconnaissancedu  con- 
cile de  Florence  par   les  Grecs  ,  et 
envoyant  à  Constantinople  l'évêque 
de  Cortone  pour  discuter  la  question 
religieuse.    Scholarius  se   montra, 
verbalement  peut-être,  mais  certai- 
nement et  surtout  par  écrit,   très- 
contraire  au  vœu   du  pontife.  Mais 
Constantin,  menacé  par  l'implacable 
Mahomet  II  qui  montait  sur  le  trône 
en  ce  moment  (1451),  et  qui  brûlait 

(a)  Par  txcniplr,  Léon  U  phîloiiophe. 


SCH 


363 


d'inaugurer  son  avènement  par   la 
prise  de  Constantinople,  se  déclarait 
pour  la  réunion,  de  laquelle  il  croyait 
pouvoir  attendre  son  salut.    Scho- 
larius, incapable  de  faire  face  plus 
long-temps,  donna  sa  démission  par 
une  lettre  où  il  s'évertue  à  réfuter 
les  imputations  de  ses  ennemis,  et  il 
se  retira  dans  le  couvent  du  Tout- 
Puissant  (Pantocrator).  Il  est  croya- 
ble que    de  là  il   intrigua  encore 
contre  les  unionistes,  et  peut-être 
contre  l'empereur.  En   revanche ,  il 
était  en  butte  à  bien  des  espionnages, 
à  bien  des  menaces  de  la  part  de  ce 
prince.  Pendant  un  temps  sans  doute 
il  espéra  revenir  aux  affaires,  et  il 
ne  fit  pas  profession,  mais  finalement 
il  s'y  décida,  et  il  prit  avec  le  froc 
le   nom  de  Genuadius  (3)  qui  com- 
mençait par  la  même   initiale   que 
le  premier  de  ceux  qu'il   portait,  et 
qui  semble  avoir  été  dans  sa  pensée 
une  allusion  à  l'intrépidité  généreuse 
dont  il  se  glorifiait.  Il  était  encore, 
s'il  faut  s'en  tenir  à   l'autorité  de 
Ducas,  au  couvent  du  Tout-Puissant 
quand  ,   en   réponse    aux    proposi- 
tions portées  à  Rome  de  la  part  de 
Constantin  par  Bryennius  Léontarès, 
arriva   en   nov.  1452    un  légat   du 
saint -siège,   Isidore,  cardinal    de 
Russie.  Dragasès  et  ses  fidèles  sou- 
scrivirent alors  aux  décreîs  de  Flo- 
rence ;  mais  la  majorité  des  grands, 
du  clergé,   de  la  population   laïque 
était   notoirement    hostile,  et  une 
foule  fanatique  se  précipita  en  tu- 
multe au  monastère  habité  par  Gen- 
nadius,  demandant  à  voir,  à  entendre 
le  nouveau  solitaire.  On  l'appela  hors 
de  sa  cellule,  on  le  soujma,  on  le  con- 
jura (le  donner  sou  avis  :  long-temps 
il   refusa   de   paraître,  (t  jusqu'au 
bout  il  évita  de  répondre  de  vive  voix; 

(3)  Têwa^aç,  géuérfox  ,  iptitpide. 


154 


scu 


SCH 


seulement  il  finit  par  cntr'oiivrir 
comme  furtivement  l'huis  desa  cel- 
lule, alficha  en  dehors  sa  décision,  et 
referma  sa  porte  en  toute  haie.  L'àir 
mystérieux  de  l'ex-grand-juge  ne 
pouvait  qu'ajouter  à  la  curiosité  des 
regardants.  Ils  s'-em pressèrent  de 
lire.  L'aftiche  commençait  par  ces 
mots  :  «  Malheureux  Romains ,  d'où 
vient  que  vous  vous  égarez  ?  » 
et  il  continuait  sur  le  même  ton,  je- 
tant l'anathème  sur  ceux  qui  met- 
taient leur  confiance  dans  les  Latins 
et  qui  répudiaient  la  foi  de  leurs 
pères.  Beaucoup  de  tètes  s'exaltèrent 
à  cette  lecture  :  il  y  eut  des  clameurs, 
des  rassemblements,  des  désordres 
par  la  ville  ^  des  séditieux  dans  les 
tavernes  buvaient  à  la  santé  de  la 
Vierge,  la  suppliaient  de  protéger 
Constantinople  contre  Mahomet  11, 
comme  jadis  elle  l'avait  défendue  de 
Chosroès,  et  vociféraient  contre  les 
azymites.  Au  total ,  toute  cette 
échauffource  n'eut  d'autre  résultat 
que  de  diviser  et  de  désaffèclionner 
plus  complètement  les  Grecs,  qu'au 
reste  rien  ne  pouvait  sauver.  On  a 
souvent  parlé  de  cette  déplorable 
monomanie  théologique  qui  poussait 
les  Grecs  à  dogmatiser,  à  disputer, 
tandis  que  les  Turcs  étaient  à  leurs 
portes  et  assiégeaient  leurs  murailles; 
et  il  y  a  au  moins  quelque  justesse 
dans  ces  reproches.Très-certainement 
Gennadius  fut  un  de  ceux  qui  abon- 
dèrent ainsi  dans  le  sens  des  poin- 
tilleries  inopportunes  et  stériles.  La 
fin  de  1452  et  le  commencement  de 
1453  furent  employés  par  lui  à  écrire, 
à  discourir  sur  l'illégimité  du  schis- 
me, à  prophétiser  la  ruine  de  l'em- 
pire et  la  prise  de  la  ville,  prophétie 
trop  exacte,  mais  dont  l'exactitude 
ne  tenait  point  à  la  fusion  des  deux 
Églises.  Quand  Constantinople  fut 
prise  (29 mai  1453),Genuadius>  ainsi 


que  beaucoup  d'autres,  prit  la  fuite,  l 
et  se  cacha  aux  environs  de  la  capi- 
tale. Mais  bientôt ,  soit  qu'on  eût 
trouvé  le  lieu  de  son  asile,  soit  qu'il 
eût  été  instruit  que  le  sultan,  en 
dépit  des  cruautés  partiellesdont  ses 
Turcs  ne  se  firent  pas  faute  ,  affec- 
tait de  traiter  ses  vaincus  avec  cer- 
taine clémence  et  aspirait  à  rétablir 
l'ordre,  il  regagna  par  contrainte 
plutôt  que  par  persuasion  son  cou- 
vent désert;  il  fut  chargé  d'y  réunir 
ce  qu'il  pourrait  de  moines  ;  ceux  qui 
avaient  été  faits  esclaves  lui  furent 
rendus  sans  rançon. On  lui  fournil  des 
moyens  pour  relever  l'église  détruite^ 
avec  l'autorisation,  si  ce  n'est  par  or- 
drede  Mahomet  H. Puis,  le  patriarche 
Grégoire  s'élant  démis  de  sa  haute 
dignité  pour  se  retirer  à  Rome, 
et  le  siège  étant  resté  vacant,  un  jour 
le  padichah  se  plaignit  à  quelques 
membres  du  clergé  grec  de  ne  point 
encore  avoir  reçu  les  salutations  de 
leur  chef  ;  et  ceux-ci  lui  ayant  ré- 
pondu qu'ils  étaient  sans  chef  pour 
l'instant ,  et  qu'ils  n'avaient  ose  en 
nommer  un  depuis  l'abdication  du 
dernier,  il  ordonna  qu'on  procédât 
sans  délai  à  l'élection  suivant  les 
formes  usitées.  Malgré  ces  caprices 
de  bonté,  de  tolérance  du  conquérant, 
bien  peu  d'ambitieux,  en  ce  moment 
si  voisin  encore  des  horreurs  et  des 
enivrements  de  la  victoire,  pouvaient 
convoiter  un  poste  qui  n'offrait  guère 
que  des  périls.  Le  choix  tomba  sur 
Gennadius.  Vainement  il  essaya,  os- 
tensiblement du  moins,  de  décliner 
cet  honneur.  Il  se  résigna  donc,  et 
un  même  jour  le  vit  recevoir  le  dia- 
conat, la  prêtrise,  le  caractère  épi- 
scopal,  et  finalement  l'onction  pa- 
triarcale. Mahomet  II ,  auquel  il  alla 
rendre  ses  hommages,  aflecta  de  le 
recevoir  avec  respect  et  affabilité, 
déclara  que  le  cérémonial  jadis  usité 


SCH 

h  la  cour  pour  l'investifnre  du  pa- 
triarolio  sorail.   suivi  par  lui  et  par 
ses  successeurs,  sauf  en  ce  qui  dé- 
rogerait à  la  loi  du  prophète  ;  et  le 
jour  de  la  ce'rénionie,   en   effet ,  il 
traita  magnifiquement  Gonnadius,  le 
fit  asseoir  près  de  lui  à  table,  lui  mit 
en   main   un  riche   bâton   pastoral 
d'argent  doré  et  ciselé,  le  reconduisit 
à  la  porte  du  palais  où  il  lui  fit  donner 
un  cheval  blanc  superbement  har- 
naché, et  ordonna  que  plusieurs  de 
ses  pachns  l'accompagnassent   jus- 
qu'au temple  des  Saints  -  Apôtres-, 
et  une    forte     somme    fut    même 
versée  au  trésor  patriarcal.  Malgré 
ces  marques  d'honneur  et  cette  nui- 
îiificence,  Gennadius  ne  tarda  sans 
doute  pas  à  se  trouver  en  dissidence 
avec  ses  nouveaux  maîtres,  car  très- 
peu  de  temps  après,  en  1153  même 
ou  au  plus  tard  dans  le  commence- 
ment de  1454,  il  abandonna  de  re- 
chef Constantinople.  Mais  on  décou- 
vrit sa  retraite,  et  il  fut  contraint 
de  rentrer  dans  sa  ville  métropoli- 
taine. Le  souverain,  au  reste,  vint  en 
personne  lui  rendre  visite,  soit  pour 
adoucir  ce  qu'il  y  avait  de  disgra- 
cieux dans  cette  contrainte,  soit  pour 
s'entretenir  des  griefs  dont  le  pa- 
triarche croyait  pouvoir  se  plaindre, 
soit  enfin  pour  inspecter  par  lui-même 
l'état  des  choses  et  contenter  sa  cu- 
riosité sur  l'Église  grecque.  Le  seul 
déiail  que  nous  ayons  sur  cette  en- 
trevue, c'est  que  Mahomet  questionna 
le  patriarche  sur  la   religion  chré- 
tienne, dont  celui-ci  lui  exposa  les 
principaux  dogmes    et   la   morale, 
absolument  comme  s'il  eût  voulu  le 
convertira  notre  foi.  Cet  exposé,  re- 
manié sans  doute,  existe  encore: 
c'est  Gennadius  même  qui  crut  utile 
aux   fidèles,    et   peut-être   à     lui 
pour  n'être  pas  soupçonné  de  con- 
descendances coupables,  de  donner 


SCH 


365 


h  plein  cette  information  au  publie. 
Sans  doute  on  ne  peut  croire   un 
moment   que   l'orgueilleux   maître 
de  Conslantinople  daignât  simuler 
l'ombre  même  de  disposition  à  em- 
brasser le  christianisme,  ou  que  les 
Grecs  dépossédés  se  laissassent  aller 
à  un  leurre  semblable.  Mais  du  moins 
ils  pouvaient  se  llatter  qu'on  ne  les 
opprimerait  pas,  que  ceux  d'entre 
eux  qui  accepteraient  de  bonne  grâce 
la  domination  turque,  seraient  res- 
pectés dans  leur  existence,  leur  li- 
berté, leurs  biens  et  leur  foi.  Or  il 
y  avait  encore  beaucoup  de  Grecs  à 
soumettre  à  cette  époque. Deux  frères 
de  Jean  Vil  et  de  Dragasès  (jThomas 
et  Démétrius),  gouvernaient  divers 
districts  du    Péloponèse.    Toujours 
fauteurs  de  l'union,  ils  étaient  en 
rapportavecCalixte  V  ,et  il  n'y  avait 
rien  d'impossible  à  ce  que  le  Pélo- 
ponèse devînt  le  rendez-vous  d'une 
flotte  chrétienne  coalisée  pour  l'ex- 
pulsion des  Osmanlis  et  la  restau- 
ration de  l'empire  grec.  Mais  Gen- 
nadius   ne     partageait  point     ces 
idées  flatteuses ,  et  chaque  jour  sa 
situation  lui  semblait  moins  tenable. 
Il  ne  pouvait  protéger  efficacement 
ses  co-religionnaires  contre  l'arro- 
gance et  la  brutalité  de  leurs  vain- 
queurs; et  ces  co-religionnaires  eux- 
mêmes   il  les  trouvait  plus  dérai- 
sonnables, plus  ingouvernables  que 
les  Turcs.   Il   supplia  Mahomet   de 
lui  permettre  d'abdiquer,  et  Mahomet 
y  consentit  enfin  à  regret.  On  rap- 
porte ordinairement  cette  démission 
à  l'an  1459  :  il  est  croyable  qu'on  se 
trompe  d'un  ou  deux  ans,  et  qu'il  y 
eut  comme  un  interrègne  de  Genna- 
dius  à    son   successeur.    Redevenu 
simple  moine,  l'ex-patriarche  se  re- 
tira au  couvent  de  Prodrome  sur  le 
mont    Ménecée  ;  mais  un   ordre  le 
contraignit  de  revenir  dans  la  capi- 


:i66 


SCH 


laie.  Rien  n'indique  an  reste  qu'il  se 
soit  mêlé  (l'attaires  politiques  depuis 
ce  temps  ^  et  le  grand  nombre  d'écrits 
qu'il  semble  avoir  rédigés  depuis  sa 
retraite  ne  permet  guère  de  suppo- 
ser qu'il  se  soit  occupé  d'autre  chose 
en  son  cloître  que  de  ihéologie  et  de 
piété.  Sa  mort  eut  lieu,  suivant  l'opi- 
nion la  plus  répandue,  en  1460  ;  mais 
les  titres  circonstanciés  de  deux  ou 
trois  de  ses  ouvrages  dans  quelques 
manuscrits  nous  engagent  à  reculer 
au  moins  jusqu'à  1464  la  date  de  cet 
événement.  Les  écrits  de  Geuna- 
dius  sont  nombreux;  il  nous  parait 
hors  de  doute  que  nous  les  avons 
presque  tous ,  sauf  pourtant  les 
lettres;  mais  la  liste  qu'en  donne 
Allatius  est  très-incomplèie,  et  il  faut 
recourir  à  l'édition  harlesienue 
delàBibliolh.  grœca  de  Fabricius> 
pour  suppléer  aux  énormes  lacunes 
du  premier  de  ces  savants.  Généra- 
lement on  les  dispose  en  trois 
groupes  selon  qu'ils  ont  été  composés 
avant,  pendant  ou  après  son  pa- 
triarcat. La  division  n'est  point  heu- 
reuse, tant  à  cause  de  l'incertitude 
qui  règne  sur  la  date  de  certaines 
compositions  que  parce  que  les 
lettres  se  répartissent  entre  les  trois 
époques.  Kous  n'indiquerons  ici  que 
les  plus  remarquables  de  ces  ou- 
vrages, en  commençant  par  les  écrits 
dogmatiques  sans  rapport  avec  l'u- 
nion. Ce  sont  :  \.  Exposé  de  la  foi 
chrétienne  (en  24  chapitres) ,  Helm- 
stsedt,  1611,  in -4°  (grec  -  latin  , 
traduction  de  Grégoire  Hermo- 
nyme  de  Sparte),  et  aussi  dans 
ïHœresiologium^  1656,  in-f°,  p.  397, 
et  ôditts  là  Biblioth.patrum,  IV,  950. 
Nous  avons  dit  à  quelle  occasion  fut 
composé  cet  ouvrage,  qui  est  censé 
la  réponse  aux  questi(>ns  de  Maho- 
met Il  sur  le  christianisme,  lors  de 
sa  visite  à  l'église  des  Saints-Apôtres. 


SCH 

Il  f  n  existe  une  traduction,  non  pas  i 
arabe,  mais  turque,  d'un  Ahmed- 
Pacha  (de  Karaveria?),  et  un  abrégé 
grec  qu'on  peut  être  tenté  de  regar- 
der comme  un  simple  extrait  du 
grand  traité,  mais  qui  pourrait  bien 
avoir  été  le  premier  jet,  et  en  quel- 
que sorte  le  canevas  de  Gennadius. 
II.  Demandes  et  réponses  sur  la  di- 
vinité de  Jésus-Christ  Notre  Sei- 
gneur (n"  1289,  Bibl.  royale).  C'est  la 
relation  d'une  discussion  qu'il  eut  à 
Serrhes  avec  deux  Turcs  venus  pour 
l'y  voir  et  converser  avec  lui  après 
son  abdication.  III.  Un  Dialogue 
contre  les  Juifs^  ou  Réfutation  de 
l'erreur  juive  par  l'Écriture  et 
l'histoire  ,  et  Exhortation  à  la  vé- 
rité (u°«  778,  1293,  1294  de  la  Bibl. 
royale,  33  de  Barocci).IV.Pnncipa/e,«î 
prophéties  relatives  à  J.-C.  N.-S. 
(anc.  n'*2959  de  la  Bibl.  royale).  V. 
Contre  les  Automatistes  et  les  Hel- 
lénistes (n°*  1289,  1292,  1294  de  la 
Bibl.  royale).  Cet  ouvrage  fut  écrit 
lorsqu'il  était  au  couvent  de  Prodro- 
me. VI.  Du  culte  primitif  en  Vhon- 
neur  de  la  Divinité  (n^s  1289, 1294, 
2135  de  la  Bibl.  royale).  VIL  Apo- 
logie pour  les  cinq  chapitres  du 
concile  de  Florence  (la  légitimité 
du  Filioque ,  la  prédestination ,  la 
transsubstantiation  dans  les  azymes, 
le  purgatoire,  la  primauié  du 
siège  de  Rome ,  d'où  l'obédience 
de  Constantinople).  VIII.  Deux  vo- 
lumes sur  la  procession  du  S aint- 
Esprit,contre  les  Latins  i\e  premier, 
n°  1290  Bibl.  roy.,  395  bibl.  du 
S.  syn.  de  Moskou,  etc.;  le  deuxième, 
n°*  1291  Bibl.  roy.,  68  bibl.  imp.  de 
Vienne,  17  bibl.  laur.  de  Flor.,  13  du 
S.  syn.  de  Moskou,  et  au  couvent  de 
Saint-Séverin  à  Naples).  Le  premier 
de  ces  deux  volumes  fut  écrit  avant 
la  prise  de  Constantinople  et  après 
son  colloque  avec  l'évêque  de  Cor- 


SCH 

tone  en  présence  de  remperenr 
Jean  VII.  Le  second  fui  composé 
post<^rieurement,  on  ne  peut  dire 
exactement  à  quelle  époque,  mais 
entre  1447etl458,  puisqu'il  est  dédié 
et  qu'il  fut  envoyé  à  l'empereur  de 
TrébizondeJeanIVComnène.Lenom 
de  l'auteur  manque  dans  beaucoup 
de  manuscrits  :  aussi  Barocci,  dans 
son  Catalogue  des  manuscrits  d'An- 
gleterre, l'attribue-l-il  àGennadius, 
archevêque  de  Bulgarie  (4)  ;  et  Mat- 
Ihsei,  dans  ses  Notices  des  manuscrits 
de  Moskou^  n'énonce-l-il  qu'avec  un 
doute  ridée  que  George  Sciiolarius 
en  est  l'auteur.  Mais  l'incertitude 
disparaît  devant  la  note  catégorique 
mise  en  tête  du  manuscrit  1290  de 
Paris.  IX.  Dialogue  sur  le  Saint- 
Esprit  (n°  395 de  la  Bibl.  de  Moskou), 
le  même  sans  doute  qu'un  Dialogue 
sur  la  procession  du  Saint-Esprit^ 
dirigé  contre  les  Latins,  où  il  discute 
surtout  la  doctrine  de  saint  Thomas 
et  de  Scott ,  et  où  les  personnages 
qu'il  met  en  scène  sont  Olbien,  Eu- 
loge  et  Benoît.  X.  De  la  Providence 
et  de  la  prédestination^  en  4  livres 
(le  premier,  n®  1289  de  la  Bibl.  roy.^ 

(4)  11  y  a  eu  plusieurs  autres  Getinadius, 
outre  l'archevêque  de  Bulgitrie  noiitmé 
ici  ;  et  l'on  en  trouve  l'éaumération  dans 
Faliricius  ;  mais  c'est  à  tort  qu'Allatius 
a  cru  qu'jl  y  avait  eu  eu  ces  derniers  temps 
de  l'eiupire  jusqu'à  trois  Genuadius,  les-. 
quels  auraient  tous  trois  porté  d'abord  les 
noms  de  George  et  de  Srliolurius.  Assez 
loug-temps  ou  a  suivi  cette  opinion  ;  mais 
elle  n'est  fondée  sur  aucun  témoignage, 
et  nulle  induction  raisonnable  ne  force  d'y 
avoir  recours:  s'imaginer  que  le  même 
personnage  ne  peut  avoir  été  .>oiiret  contre 
rUuioM  suivant  les  temps,  et  en  conclure 
que  le  Scholarius  du  concile  de  Florence 
ne  peut  être  le  même  que  le  Scholarius 
si  opposé  au  Fihoque,  si  fougueux  contre 
les  Latiur,  est  tout-a-fait  gratuit.  Voy  au 
reste  sur  cette  questio.-a,  qu'il  nous  semble 
inutile  de  discuter  à  fond  ici  et  qui  ne  fait 
plus  doute  aujourd'hui,  la  longue  note  de 
Fabricius  et  Harles  vers  le  i;ommeacemeat 
de  l'art.  Genuadius^ 


SCH 


36T 


les  troisième  et  quatrième,  n°*  2955 
et  2959  ;  le  deuxième  publié  à  Augs- 
bourg  en  1(03,  in-i*»,  par  Hœschel, 
ettrad.  en  latin  par  le  jésuite  Ch. 
Libertinus    ou    Freyiich ,   Breslau, 
1681,  in  4o:  c'est   probablement  le 
premier  qui  a  été  donné  par  Thor- 
lacius  sous  le   titre    de    Gennadii 
Constantinopolitani  de  Providentia 
opus  anecdotum^    Copenh. ,    1825, 
in-4°,  23  pages.  XI.  Deux  livres  sur 
le  purgatoire  (n"  1292,  Bibl.  roy^ 
Allatius  les  regarde  comme  dépour- 
vus d'élégance  et  de  valeur  ;  Harles 
proteste  contre  ce  jugement);  plus 
une  Réponse  sommaire  aux  objec- 
tions des  Latins  contre  ses  opinions 
relativement  au  purgatoire^  et  une 
Lettre  à  Jean    de    Thessalonique 
sur  le  même  sujet.   XU.  Quelques 
mots  contre  l'opinion  des  Latins 

(  26vTO{i.ov  xarà  «J'd^nç   t.  A  )  (n°  1292  , 

Bibl.  royale).  XllI.  Histoire  de  tout 
ce  qui  s'est  passé  à  Ferrare  et 
à  Florence  entre  les  Grecs  et  les 
Latins  ((i"*61,  72,  73  de  la  bibl. 
imp.  de  Vienne).  XIV.  Divers  dis- 
cours en  forme  d'Homélies  (sur  la 
transfiguration  par  exemple ,  sur 
l'assomption  de  la  sainte  Vierge, 
sur  la  décollation  de  saint  Jean- 
Baptiste)  ;  les  tiois  Discours  sur  la 
réunion  des  deux  Églises  (on  les  lit, 
dit-onȈla  suite  de  VHist.  du  concile 
deFerrare  et  FI.  dans  lesmanuscrits 
61,  72,  75  de  la  bibl.  de  Vienne),  des 
Éloges  funèbres  ihi  despote  Théodore 
et  de  Théod.  Sopliien,  la  Monodie 
sur  la  prise  de  Conslantinople,  et 
divers  petits  traités  qualifiés  Xo'-yoi 
(dans  la  Turco-Grœcia  de  Crusius  et 
dans  la  Bibl.patrum)  contre  la  simo- 
nie sur  la  diôérence  des  péchés  mor- 
tels ei  véniels,  sur  ce  qu'il  ne  se  fait 
plus  de  miracles  cumme  autrefois. 
XV.  Des  Lettres  éparses  dans  divers 
manuscrits,  notamnaent  dans  les  ma- 


ses 


SCH 


nusrrils  grecs  1 2r»o,  1 289, 1 202, 1 295, 
1297,  2135,  2051  (le  la  Bibliothèque 
r()yaîc,(lans  Ie30i3olim  Colb.,dans 
celui  qui  était  cot(^  2955  au  temps 
de  Fabricius,  dans  les  105,  179,  180 
de  Turin,  et  qui  roulent,  quelques- 
unes  sur  des  affaires  particulières,  la 
plupart  sur  la  politique,  sur  les  af- 
faires religieuses,  sur  des  questions 
philosophiques  ou  théologiques.  Mê- 
me en  réunissant  tout  ce  que  nous 
donnent  ainsi  les  Mss.,  il  est  à  croire 
que  nous  sommes  loin  de  posséder 
toutes   les  lettres  écrites  par  Gen- 
nadius    et    toutes   celles    qui    au- 
raient mérité  de  passer  à  la  posté- 
rité :  en  effet,  celles  même  qui  sont 
groupées  en  nombre  (n«*  1292  et  an- 
cien n°  2955)  ne  sont  évidemment 
qu'un  choix,  une  sorie  à' Elégants 
extracts.  Nous  remarquerons  princi- 
palement celles  qu'il  adresse  à  Phi- 
lelphe,à  Lipoman,  à  fra  Ambrosio,  au 
grand-duc  (il  y  en  a  deux,  la  deuxiè- 
me contient  une  invective  violente 
contre  les  Latins),  à  l'empereur,  au 
secrétaire  (  {Jt.£aâ5;tov ,  l'une  et  l'autre 
sur  les  affaires  de  Florence),  à  l'em- 
pereur de  Trébizonde,  au  métropoli- 
tain d'Éphèse,    au   moine   Maxime 
(jadis  Sophien),  et  auxSinaïtes,  sur 
divers  points  de  discipline,  sur  le 
droit  d'abdication  des  évêques,  même 
sans  autorisation  du  patriarche,  sur 
la  simonie  qu'il  déplore  et  que  pour- 
tant, dit-il,  la  faiblesse  des  temps 
ordonne  de  traiter  avec  certains  mé- 
nagements, sur  la  réception  k  faire 
aux  Latins  et  aux  Arméniens  qui  se 
rendent  aux  saint  lieux) ,  et  l'ency- 
clique à  tous  les  fidèles,  dans  la- 
quelle il  expose  les  raisons  de  sa  dé- 
mission. De  plus,  Gennadius  est  sou- 
vent nommé  dans  les  Catenœ.  Mais 
c'est  à  tort  qu'on  lui  a  fait  honneur 
d'une  Vie  de  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze.  P— ot. 


SCH 

SCHOMRERGou  mieux  SciiOEN- 
BRRG  (Gaspard de),  père  de  Henri  de 
Schombcrg,  comte  de  Nantciiil,  le 
vainqueur  de  C.istelnaudary  mort  en 
1032(1)01/.  ce  nom,XLl,  220),  était 
originaire  de  Misnie.  Il  commandait 
les  troupes  allemandes  au  service  de 
France  et  joignait  à  ce  titre  celui  de 
chambellan  de  Charles  IX  quand  eut 
lieu  la  Saint-Barthélemi.  Le  gouver- 
nement, après  ce  coup  audacieux, 
se  sentit  cependant   embarrassé  en 
présence  des  puissances  étrangères. 
On  sait  de  quelle  façon  l'empereur 
Maximilien,    quoique    autrichien, 
quoique  catholique  et  beau-père  du 
roi  de  France,  improuva  et  déplora 
la  résolution  à  laquelle  s'était  laissé 
entraîner  son  gendre.  Bien  plus  grave 
encore  était  l'embarras  en  présence 
des  puissances  protestantes, conslau- 
tes  alliées  de  la  France  depuis  sa 
lutte    contre   l'omnipotence   autri- 
chienne sous  François  P"^  et  Henri 
II,  et  garantes  en  quelque  sorte  de 
l'existence  des  protestants  en  France. 
Catherine,  ou  Charles  IX,  prit  à  leur 
égard  le  pire  peut-être  de  tous  les 
partis  et  à  coup  sûr  le  plus  honteux, 
celui  de  mentir  ;  et  Schomberg  fut 
chargé  d'aller  remettre  de  la  part  du 
roi  de  France  aux  électeurs  Palatin 
et  de  Saxe,  au  landgrave  de  Hesse  et 
au  duc  de  Deux-Ponts  un  mémoire 
où,  entre  autres  passages,  se  lisait  le 
suivant  i  «  Avertie  de  la  conspiration 
«  de  l'amiral  et  de  ses  amis  pour  tuer 
«  le  roi  et  toute  la  famille  royale,  sa 
«  majesté  a  été  contrainte  de  lâcher 

•  la  main  à  MM.  de  la  maison  de 

•  Guisequi,  le  24  de  ce  mois  d'août, 
«  ont  tué  ledit  amiral  et  quelques  au- 
«  très  gentilshommes  de  sa  faction , 
«s'étant  la  motion  grandement  ac- 
«  crue  parmi  le  peuple  pour  être  la 

•  jambe  de  ladite   conspiration  et 

•  bien  irrité  d\ivoir  vu  sadite.  m:i- 


SCH 


SCH 


369 


«  jesté  contr;»inte  avec  la  reine  sa 
«  mère  et  messeigneurs  ses  frères  de 

•  se  resserrer  dans  son  château  du 
«  Louvre  avec  leurs  gardes  ,  et  de 
«  tenir  leurs  portes  fermées  pour 
«  s'assurer  contre  la  force  et  violence 
«  qu'on  leur  voulait  faire,  et  pour  la- 
«  quelle  exécuter  aucuns  gentiis- 
«  hommes  dudit  amiral  avaient  passé 
«  la  nuit  dedans  ledit  château  cachés 

•  en  des  chambres  pour  aider  à  ceux 
«qui  devaient  venir  dehors  en  plus 
«  grand  nombre....  ^  de  toutes  les- 
«  quelles  choses  le  peuple  aigri  a 
«  exercé  grande  violence  sur  ceux  de 
«  la  nouvelle  religion,  dont  les  chefs 
«  qui  se  trouvaient  audit  Paris  ont 
«  été  tués  :  ce  qui  est  advenu  au  grand 
«  regret  de  sadite  majesté,  et  toute- 
«  fois  par  l'occasion  qu'ils  en  ont 
«  donnée  eux-mêmes  les  premiers...» 
Puis  un  peu  plus  bas  ses  instruc- 
tions portent  :  •  Et  ce  faisant,  le  sieur 
«  de  Schomberg  les  assurera  (  les 
«  quatre  princrs)...que,en  ce  qui  est 
«  advenu  il  n'est  point  question  du 
«  fait  de  la  religion  ni  de  la  rupture 
«  de  redit  de  pacification  *,  mais  que 

•  la  chose  est  procédée  de  la  malheu- 
«  reuse  conspiration  qu'ils  avaient 
«  faite  contre  sa  majesté,  connue 
«  partant  de  certains  indices  que  l'on 
«  ne  la  pouvait  plusignorer  et  tarder 
«  à  y  pourvoir  sans  le  certain  péril 
«  de  leurs  personnes,  etc.,  etc.  »  Ces 
assertions  ne  trompèrent  personne, 
et  les  princes  qu'on  voulait  dupiT 
répondirent  en  termes  qui  laissaient 
voir  à  nu  leur  incrédulité.  Mais 
tontes  ces  pièces,  presque  inconnues 
pendant  deux  siècles  et  que  Moser 
imprima  le  premier,  t.  IV  de  ses 
Beitrœge  zu  d.  Staais  u.  Vcl- 
kcrrecht,  sont  importantes  pour  faite 
connaître  à  quel  point  la  cour  de 
Charles  IX  elle-même  fut  épouvantée 
de  son  œuvre,  et  manqua  de  courage 

LXXXf. 


Gaspard  de  Schomberg  continua  de 
commander  les  troupes  allemandes 
au  service  de  France,  sons  les  rè- 
gnes de  Henri  III  et  de  Henri  IV.  Il 
mourut  subitement  dans  sa  voiture 
en  1609.  P— OT. 

*  SCHOMBERG( Armand  Frédé- 
ric de),  maréchal  de  France,  né  vers 
1619,  était  d'une  autre  famille  que 
le  précédent,  quoique  son  vrai  nom 
fût  aussi  Schœnberg.  Dans  l'article 
qui  lui  a  été  consacré  (t.  XLl,  p.  225- 
26),  on  n'a  fait  qu'indiquer  ses  cam- 
pagnes de  Portugal,  oii  il  ajouta  ce- 
pendant de  nouveaux  titres  à  sa 
gloire  militaire.  Nous  réparons  ici 
cette  omission.  —  Après  le  traité  des 
Pyrénées  (i 659),  Schomberg,  alors 
lieutenant-général  dans  les  armées 
françaises,  passa  avec  l'agrément  de 
la  cour  de  France  au  service  d'Al- 
phonse VI,  roi  de  Portugal, qui,  sous 
la  tutelle  de  sa  mère,  soutenait  une 
lutte  acharnée  contre  l'Espagne.  Il 
amenaitaveclui  un  corps  de  Français, 
parmi  lesquels  se  trouvaient  d'ex- 
cellents ingénieurs.  Il  fut  reçu  avec 
les  démonstrations  de  la  considéra- 
tion la  plus  haute  pour  son  mérite  et 
son  caractère.  Schomberg,  revêtu  du 
titre  de  mestre-de-camp-général , 
partit  bientôt  pour  l'Alentéjo,  pro- 
vince contre  laquelle  on  savait  que 
les  Castillansdevaient  incessamment 
tourner  tout  l'effort  de  leurs  armes. 
Il  se  hâta  de  la  mettre  en  état  de 
défense,  en  reconnaissant  ses  posi- 
tions et  ses  rivières,  en  garnissant 
ses  villes  de  troupes  capables  de 
soutenir  un  siège.  11  rassembla  en- 
suite, à  Elvas,  un  conseil  de  guerre 
oùil  lit  comprendre  l'impossibilité  de 
conserver  l'Alentéjo  sans  une  armée 
nombreuse  et  aguerrie.  î!  y  avait  à 
peine  six  mois  qu'il  servait  sous  les 
drapeaux  du  Portugal,  et  déjà  des 
bruits  injurieux  ,  fruits  abjects  de 

24 


370 


SCW 


SCH 


l'envie,  circulaient  sur  son  compte. 
Des  ofliciers  portugais ,  oft'usqués 
par  l'éclal  de  s;i  réputation,  publiaient 
qu'il  ne  se  tenait  à  Elvas  que  parce 
qu'il  ne  se  sentait  pas  capable  de 
ranger  une  armée  en  bataille.  Pour 
faire  taire  ces  bruits,  le  brave  Schom- 
berg  rejoignit  l'armée,  et  ne  tarda 
pas  à  donner  des  preuves  irrécu- 
sables de  sa  valeur  et  de  son  ha- 
bileté. A  la  tête  de  huit  cents  che- 
vaux, il  fondit  sur  le  territoire  es- 
pagnol et  le  ravagea  ;  puis,  ren- 
contrant la  cavalerie  ennemie,  guidée 
par  don  Juan  d'Autriche  lui-même, 
il  l'attaqua  et  la  tailla  en  pièces. 
Après  ce  brillant  exploit,  il  reprit  le 
chemin  d'EIvas.  Demeuré  maître  du 
commandement  de  l'armée,  après  le 
départ  du  général  en  chef  (le  comte 
d'Atougia),  il  se  conduisit  à  l'égard 
des  soldats  avec  tant  de  justice  et  de 
bonté,  qu'il  s'en  fit  adorer.  Déjà  il 
possédait  au  plus  haut  degré  la  con- 
fiance de  la  reine-régente  qui  lui 
avait  perm.is  de  choisir  dans  Ja  cava- 
lerie les  officiers  et  les  soldats  qu'il 
estimerait  le  plus  II  se  montra  digne 
de  son  commandement  provisoire 
par  sa  vigilance  et  son  activité.  Un 
corps  de  cavaliers  espagnols  fut  at- 
taqué et  dissipé  par  ses  troupes,  aux 
environs  de  Badajoz.  Peu  de  jours 
après  (1662),  s'étant  mis  en  embus- 
cade dans  un  lieu  nommé  Sagragès , 
avec  une  poignée  de  soldats,  il  en- 
leva un  convoi  considérable  de  mu- 
nitions. Cependant  il  n'avait  pas  en- 
core étouffé  l'envie  ,  car ,  lorsque 
don  Ménésès  vint  le  remplacer  dans 
le  commandement  de  l'Alentéjo,  il 
lui  donna  d'utiles  avis  qui  furent 
rejetés.  Mais  il  força  bientôt  à 
l'admirer  les  Portugais  même  les 
plus  jaloux  de  son  mérite.  Quand 
l'armée  campa  auprès  d'Estremos, 
il  dirigea  cette  opération  avec  une 


si  rare  habileté,  qu'à  son  arrivée 
(12  mai  1062),  don  Juan  d'Au- 
triche, désespérant  de  pouvoir  for- 
cer les  Portugais  dans  leur  camp, 
renonça  au  dessein  qu'il  avait  formé 
de  les  attaquer,  et  se  retira  surBor- 
ba,  bien  qu'il  fût  à  la  tête  d'une 
armée  considérable.  Le  comte  de 
Schomberg  tomba  impétueusement 
sur  l'arrière-garde  des  Espagnols,  et 
lui  fit  plusieurs  prisonniers  impor- 
tants. Dans  la  campagne  suivante 
(1663),  il  fit  exécuter  sur  les  bords 
de  la  Dégèbe  de  savanles  manœuvres 
qui  furent  couronnées  d'un  plein 
succès,  et  obtinrent  l'admiration 
même  de  don  Juan  d'Autriche.  Ayant 
reconnu,  aux  disp'ositions  que  ce 
prince  avait  prises,  qu'il  se  préparait 
à  canonnerlecamp  portugais, Schom- 
berg trouva  moyen  de  rendre  cette 
artillerie  inutile,  en  plaçant  trois  bat- 
teries de  canon  sur  des  hauteurs 
d'où  l'on  découvrait  le  camp  ennemi, 
en  fortifiant  ses  deux  ailes  de  l'élite 
desessoldats,  enfin  en  faisant  éteindre 
les  feux  de  son  armée.Tout  cela  s'exé- 
cuta pendant  la  nuit.  Les  Espagnols 
n'avaient  rien  remarqué.  Le  len- 
demain, quand  ils  voulurentattaquer, 
ils  tentèrent  d'inutiles  efforts,  et  fu- 
rent obligés  deseretirer  sur  Badajoz. 
Schomberg  les  poursuivit  vivement 
et  revint  avec  un  bon  nombre  de 
prisonniers.  De  si  importants  ser- 
vices, tant  de  zèle  et  d'expérience 
dans  l'art  militaire,  au  lieu  de  met- 
tre fin  aux  injurieux  discours  de 
l'envie,  ne  firent  qu'irriter  cette 
vile  passion  \  l'habile  et  sage  ca- 
pitaine garda  le  silence  avec  no- 
blesse, et  continua  de  servir  avec 
dévouement.  Peu  de  jours  après,  il 
se  couvrit  encore  de  gloire  dans  une 
bataille  près  d'Ameyxial,  où  les  Por- 
tugais défirent  les  Espagnols.  Il  y 
montra   son  habileté    ordinaire  à 


SCH 

asseoir  un  camp ,  à  ranger  des  trou- 
pes en  bataille,  ainsi  que  tout  le  cou- 
rage et  l'intrépidité  d'un  soldat.  Le 
comte  de  Schomberg  partit  ensuite 
pour  aller    mettre  le  sie'ge    devant 
Évora  dont,    les  Espagnols  étaient 
maîtres  depuis  quelque  temps.  Par 
les  savantes    dispositions    que   lui 
suggéra  son  génie  militaire,  il  força 
en  peu  de  jours  Tennemi  à  capituler. 
D'Évora  il  courut  visiter  Portalègre , 
Castelvidé ,  et  il  répara  les  retran- 
chements   d'Alter ,    deVeiros,    de 
Fronteira  et  de  Montforté.   Malgré 
tant  d'actions  si  utiles  et  si  hono- 
rables, il  continua  d'être  en  butte  à 
lajalousiedeses  compagnons  d'armes 
et  d'essuyer  de  criantes  injustices. 
Lassé  enfin  de  ces  indignités,  Schom- 
berg se  rendit  à  Lisbonne  pour  s'en 
plaindre.  Ses  ennemis  essayèrent  de 
le  noircir  aux  yeux  de  la  cour,  en  sou- 
tenant qu'il  était  moins  utile  qu'em- 
barrassant, et  ils  lui   reprochèrent 
de  s'arroger  tout  le  commandement, 
et  d'empêcher  les  soldats  étrangers 
(il  y  avait  des  Français  et  des  Anglais 
dans    l'armée   portugaise  )   d'obéir 
aux  officiers  -  généraux    portugais. 
Schomberg  crut    de    son  honneur 
de  répondre  ii  des  griefs  si  nettement 
articulés,  et  il  le  lit  d'une  manière 
à  la  fois  noble  et  victorieuse,  prou- 
vant    qu'il    n'avait    jamais  donné 
d'ordres,  concernant  les  opérations 
militaires,  que  lorsque  les  généraux 
portugais  avaient  refusé  de  le  faire, 
ou  qu'on  avait  exécuté  quelque  fausse 
démarche   dont    il  fallait    prévenir 
les  dangereuses  conséquences,  qu'il 
y  avait  du  péril  à,  affronter  ou  la 
presque  certitude  que  le  succès  ne 
couronnerait  pas  sou  zèle.  Il  soutint 
ensuite  que  les  Anglaiset  les  Français 
lui    devaient    obéissance,    préféra- 
blement  atout  autre  olticier,  puisque 
leurs  rois  les  avaient  placés  sous  son 


SCH 


371 


commandement;  puis  il    loua  leur 
courage  et  leur  conduite.  La  calomnie 
fut  vaincue,  et  la  cour  rendit  justice 
au  vaillant  général.  L'un  de  ses  plus 
opiniâtres  ennemis,  Gilles  Vas-Lobo> 
fut  rappelé  d'Elvasdont  il  était  gou- 
verneur,  et  Schomberg  reçut   lui- 
même  le  commandement  de  Sétubal. 
Cette  juste  satisfaction  le  consola  de 
toutes  ses  peines,  et  l'on   s'aperçut 
bientôt  de  son  retour  à  l'armée  portu- 
gaise. Vers  le  milieu  de  l'année  1665, 
il  prit  part  à  la  mémorable  bataille  de 
Montès-Claros  ou  Villaviciosa,  dont 
le  succès  fut  dû  a  sa  haute  habileté, 
ainsi  qu'à  l'intrépidité  des  Françaiset 
des  Anglais.  Dans  ce   combat,   qui 
avait  duré  huit  heures,  les  Espagnols 
perdirent  quatorze   mille    hommes 
tués  ou  pris,  leur  artillerie,  leurs 
bagages  et  leurs  enseignes.   Voilà 
par    quels    triomphes    Schomberg 
sut  répondre  aux  calomnies.  II  cou- 
rut alors  au  secours  de  la  province 
d'Entre -Douro- et- Minho,  et   en 
chassa  l'ennemi,  après  l'avoir  battu 
dans  plusieurs  rencontres.  A  son  re- 
tour, il  fut  nommé  gouverneur-gé- 
néral de  l'Alentéjo.  Cette  faveur,  qu'il 
méritait  à  tant  de  1itres,redoub!ason 
zèle  pour  la  cause  qu'il  avait  em- 
brassée. Il   fit  une  irruption  dans 
l'Andalousie, où  il  répandit  la  terreur 
de  ses  armes,  et  recueillit  un  butin 
considérable.  De  là  il  se  rendit  à  Aron- 
chès  pour  fortifier  cette  place.  C'est 
alors  que  le  roi  de  Portugal  (Al- 
phonse VI),    voulant  récompenser 
les   importants    services    qu'il    lui 
avait  rendus ,  le  créa  comte  de  Mer- 
tola.   Quelque   temps  après,  il  lui 
confia    le    commandement    général 
de  ses  troupes.  Schomberg  justifia 
pleinement  une  si  haute  confiance  ; 
car  il  sut  toujours  tenir  les  Espagnols 
en  respect,  jusqu'au  moment  où  la 
paix  fut  conclue  (1668)  entre  l'Espa- 

24. 


3:2 


SCH 


SCH 


gneet  le  Portugal.  Alors  Schomberg, 
revenant  en  France,  continua  de  se 
signaler  dans  les  armées  de  LouisXl  V, 
et  reçut  le  bâton  de  niarécbal  en  1675. 
Plus  lard,  ayant  embrassé  la  cause 
du  prince  d'Orange  contre  le  mal- 
heureux Jacques  II,  roi  d'Angleterre, 
il  fut  lue  à  la  bataille  de  la  Boyne 
en  1G90  {voy.  l'art,  précité).  F~a. 
SC^kOPEJVHAIjER  (Jeanne  Tro- 
SïNA,  dame) ,  littératrice  allemande, 
connue  surtout  comme  romancière, 
naquit  en  juillet  17/0,  à  Dantzig.  La 
famille  Trosina  était  à  l'aise;  son  père 
portait  le  titre  de  sénateur.  Son  édu- 
cation [ut  excellente;  douée  des  plus 
heureuses  dispositions,  la  jeune  fille 
répondit  par  de  rapides  progrès  aux 
soins  de  ses  maîtres.  Le  français  et 
l'anglais  lui  devinrent  familiers  com- 
me le  polonais  et  l'allemand.  Elle  ne 
resta  étrangère  ni  aux  sciences  ni  à 
la  musique;  mais  ce  fut  surtout  la 
peinture  qu'elle  cultiva  avec  passion 
et  succès.  Toute  jeune  encore,  elle 
prit  fantaiiîie  de  devenir  une  autre 
Angélica  Kaufmann ,  et  elle  demanda 
avec  instance  d'être  envoyée  à  Berlin 
pour  y  recevoir  des  leçons,  pour  s'y 
livrer  aux  travaux  à  l'aide  desquels 
pouvait  se  réaliser  ce  vœu,  le  plus  cher 
de  son  âme  ;  mais  elle  fut  obligée 
d'y  renoncer,  car  sa  famille  ne  pou- 
vait ni  aller  là  s'installer  avec  elle, 
ni  la  laisser  seule  dans  cette  ville, 
avec  son  inexpérience  et  sa  jeu- 
nesse ;  on  trouvait  incompatibles 
avec  le  rang  d'une  fille  de  sénateur 
les  habitudes  d'une  jeune  artiste  qui 
voulait  s'établir  dans  un  musée  avec 
ses  couleurs  etsespinceaux.  Des  pen- 
sées de  mariage  d'ailleurs  vinrent  la 
distraire  :  elle  était  fiancée  presque 
depuis  l'enfance  avec  Henri-Fioris 
Schopenhauer,  riche  négociant,  qui 
avait  vécu  en  Angleterre.  Cette  union 
eut  lieu  vers  1789.  Très-peu  de  temps 


après,  achevèrent  de  se  démasquer 
les  vues  de  la  Prusse  sur  Dantzig. 
Frédéric-Gui llajime  II,  en  échange 
de  l'alliance  ({u'il  offrait  à  la  Pologne, 
demandait  la  cession  de  cette  ville 
gênée  déjà  depuis  1785  par  les  res- 
trictions que  Frédéric  II  avait  mises 
à  son  commerce,  pour  l'amener  de 
lassitude  à  souhaiter  son  incorpora- 
tion à  la  monarchie  prussienne.  Les 
vues  du  cabinet  de  Berlin  n'abouti- 
rent à  rien  pour  l'instant,  mais  on  ne 
prévoyait  quetrop  leur  prochaine  réa- 
lisation. La  jeune  femme  dont  l'esprit 
avait  beaucoup  de  la  vigueur  et  de 
l'exaltation  ordinaires  à  cette  époque, 
et  sur  laquelle  les  mots  de  républi- 
que et  d'indépendance  exerçaient  un 
grand  prestige,  se  sentit  mal  à  l'aise 
dans  une  cité  qui  allait  perdre  ses 
franchises  et  sa  nationalité  :  elle  en- 
treprit, en  compagnie  de  son  mari, 
un  voyage  de  longue  haleine.  Ils  tra- 
versèrent la  Prusse ,  séjournèrent  à 
Berlin,  visitèrent  diverses  contrées 
de  l'Allemagne  entre  la  province 
brandebourgeoise  et  le  Rhin,  et  fran- 
chissant ce  fleuve  près  de  Strasbourg, 
se  rendirent  à  Paris,  où  ils  virent  de 
leurs  yeux  l'horizon  politique  se 
'  charger  de  nuages  bien  autrement 
noirs  encore  que  ceux  qui  couvraient 
l'horizon  de  Dantzig.  Ils  contemplè- 
rent le  malheureux  roi ,  la  triste 
reine  qui  n'avaient  plus  que  quelque 
quinze  moisà  jouir  des  débris  de  leur 
pouvoir.  Gagnant  ensuite  Calais  et 
Douvres,  ils  allèrent  admirer  les 
magnificences  de  Londres,  qui  eut 
pour  eux  un  grand  charme  s'il  faut  en 
juger  par  le  temps  qu'ils  y  restèrent. 
Ils  avaient  ainsi  passé  deux  ans  hors 
deleur  patrie, quand  en  1793, quittant 
la  capitale  de  l'Angleterre,  ils  pri- 
rent la  route  du  BrabantetdelaFlan- 
dre,  pour  se  rapprocher  successive- 
ment du  Rhin,  de  l'Elbe,  de  l'Oder,  de 


SCH 

la  Vistule.  Mais  Dantzig,  lorsqu'ils  y 
reparurent ,  était  encore  plus  près 
(le  perdre  son  indépendance  qu'au 
moment  de  leur  départ.  La  cession  à 
la  Prusse  venait  d'être  décidée  ;  et 
notre  lière  voyageuse,  de  son  côté, 
soit  républicanisme,  soit  antipathie 
pour  la  Prusse,  décida  en  l'apprenant 
qu'elle  ne  serait  jamais  sujette  du 
roi  Frédéric-Guillaume  il.  Son  mari 
consentit  k  tout  ce  qu'elle  voulut. 
En  vingt-quatre  heures  ils  eurent  fait 
leurs  arrangements  pour  le  départ. 
Elle  put  quitter  la  ville  avant  qu'un 
seul  soldat  prussien  y  eût  mis  le  pied 
pour  l'occuper^  et,  malgré  l'amour 
que  des  âmes  comme  !a  sienne  portent 
au  sol  natal,  elle  n'y  revint  que  deux 
fois,  l'une  quelques  mois  après  son 
expatriation,  pour  présider  ou  assis- 
ter à  la  vente  de  leur  maison  et  de 
leurs  propriétés  ,  l'autre  en  1806. 
Hambourg,  véritable  république  sous 
le  nom  de  ville  impériale,  devint 
alors  sa  résidence,  ou  plutôt  son  do- 
micile, car  elle  ne  résidait  guère.  De 
179i  à  1806,  il  y  eut  peu  d'années 
dont  elle  n'employât  une  bonne  par- 
tie à  satisfaire  son  goût  pour  les 
voyages.  Une  de  ses  pérégrinations 
principales  fut  celle  de  1803:  non 
contente  de  traverser  la  Hollande  et 
de  renouveler  connaissance  avec  Lon- 
dres, elle  visita  une  grande  partie  de 
la  péninsule  anglaise,  poussa  jusqu'en 
Ecosse,  puis  revint  par  les  Pays-Bas 
à  Paris,  oii  tant  de  chefs  -  d'œuvre 
conquis  sur  l'Italie  attiraient  les  amis 
de  l'art.  M"^^  Schopenhauer  s'y  livra 
à  la  miniature  sous  la  direction  d'Au- 
gustin ,  et  chaque  matin  la  trouvait 
dans  l'atelier  d'un  des  peintres  en 
renom.  Elle  s'arracha  cependant  à 
ces  enchantements,  mais  ce  ne  fut 
pas  pour  revenir  en  droite  ligne  k 
Hambourg.  Elle  se  rendit  à  Genève, 
non  sans  faire  un  grand  circuit  pour 


SCH 


373 


voir  la  France  méridionale  ;  puis 
elle  s'enfonça  dans  cette  Suisse  si 
pittoresque:  elle  contempla  de  ses 
yeux  ces  Alpes,  ces  lacs,  ces  vallées, 
ces  cascades  si  souvent  représentées 
par  les  peintres;  et  quand  elle  fut 
sortie  par  le  lac  de  Constance  du 
pays  011  elle  était  entrée  par  le  lac 
Ltinian,  elle  visita  Munich,  Vienne, 
la  Silésie,  le  Riesengebirgt^,  la  Bo- 
hême, la  Saxe,  le  Brandebourg,  Dant- 
zig  enfin.  Mais  cette  même  année 
1806,  oii  elle  revoyait  Hambourg , 
elle  eut  le  malheur  de  perdre  son 
époux.  Alors  M™«  Schopenhauer  re- 
nonça au  séjour  de  cette  ville  désor- 
mais sinistre  pour  elle,  et  elle  alla 
établir  sa  résidence  k  Weimar,  où 
tanid'illustres  génies  avaient  élu  do- 
micile. Elle  y  était  k  peine  bien  in- 
stallée,que  les  Français,  vainqueurs  k 
léna, l'occupèrent,  non  sans  de  grands 
désordres.  Intrépide  et  habituée  aux 
usages  comme  k  l'idiome  des  Fran- 
çais, la  jeune  veuve  dans  ces  moments 
difficiles  fit  preuve  d'une  présence 
d'esprit,  d'une  adresse  peu  com- 
munes; et  non -seulement  elle  sut 
préserver  sa  personne  et  ses  pro- 
priétés de  toute  atteinte,  mais  sa 
maison  servit  d'asile  et  sa  recom- 
mandation de  sauve-garde  k  beau- 
coup de  personnes  qui  sans  elle 
auraient  eu  des  risques  graves  à 
courir.  Lors  même  que  cet  heu- 
reux début  n'eût  pas  fixé  sur  elle  de 
prime  abord  l'attention  et  l'estime, 
les  qualités  qu'elle  déployait  dans 
les  phases  quotidiennes  de  la  vie  lui 
eussent  fait  vite  des  amis  et  des  ad- 
mirateurs. Jeune  encore  et  riche, 
spirituelle  et  gracieuse,  instruite  et 
sentant,  pratiquant  les  arts,  comment 
n'eût-elle  pas  vu  sa  place  marquée 
d'avance  dans  toute  société  d'élite  , 
ou  plutôt  comment  ne  fût-elle  pas 
devenue   le  centre  de  la  meilleure 


374 


SCH 


soeip'td?Gœthe  fut  le  premier  à  pro- 
clamer tout  ce  qu'il  trouvait  de  dis- 
tingué dans  la  nouvelle  lîabitante  de 
Weimar:   Wieland  en  dit  autant^ 
Falk,  Fernow,  Bertuch,  Meier  accla- 
mèrent,de  grandes  dames  iirentécho; 
et  les  autres,  hommes  et  femmes, 
suivirent  lé  torrent.  Bien  peu  de  per- 
sonnes, en  effet,  ont  mieux  réuni  que 
M"fi*  Schopenhauer  toutes   les  con- 
ditions au  moyen  desquelles  le  mon- 
de artiste,  littérateur  et    le    beau 
inonde  peuvent  entrer  en  contact. 
Son  salon  était  un  terrain  limitro- 
phe où  l'intelligence  pouvait  briller, 
où  la  discussion  pouvait  déployer  ses 
ailes,  où  l'art  pouvait  se  livrer  à  ses 
inspirations ,  sans  que  les  distrac- 
tions un  peu  moins  sublimes,  thé, 
paris,  bouillotte,  valse  et  musique 
fussent  exilées.  On  pouvait  à  volonté 
y  inscrire  un  dizain  ou  un  sonnet  sur 
son  album,  y  improviser  sur  le  piano, 
y  croquer  un  paysage  ou  une  charge 
sur  le  vélin.  La  maîtresse  de  Ja  mai- 
son semblait  dans  les  premiers  temps 
n'avoir    point  d'autres  prétentions 
que    celles    d'une    femme    aimable 
comprenant    tout,    s'intéressant    à 
tout  et  avide    d'hommages  comme 
toute  beauté  qui  achève  son  règne. 
Ces  prétentions-là  ont  l'avantage  de 
ne  pas  offusquer  démesurément  la 
susceptibilité  des  lettrés  et  des  ar- 
tistes, ni  même  celle  des  femmes.  On 
sent  qu'à  la  longue  avec  son  esprit 
et  ses  goûts,  et  dans  une  telle  posi- 
tion, M^e  Schopenhauer  ne  pouvait 
guère  manquer  de  devenir  auteur. 
Elle  commença    modestement ,  par 
une  simple  Description  des  portraits 
de  Gœlhe  ,  de  Wieland  ,  de  Schiller 
et  de  Kilgelgen  ;  puis  elle   s'essaya 
dans  le  genre  biographique  en  don- 
nant, à  la   sollicitation  du  libraire 
Cotta,  la  Yie  de  Fernow,  Tubingue, 
1810.  Ensuite  parurent  les  Souve- 


SCH 

nirs  d'un  voyage  en  Angleterre,  en 
Ecosse, etc., pendant  les  années  iSOZ- 
1805,  3  vol.,  dont  les  2  premiers  à 
Rudolstadt  en  1813,  le  3«  (qu'on  a 
aussi  donné  à  part,  sous  le   titre  de 
Voyage  dans  le  midi  de  la  France 
jusqu'à  Chamouni)  en  1817,  et  aussi 
à  Rudolstadt  (2«  édit.,  Leipzig,  1818, 
les  deux  premiers  volumes,  et  Leip- 
zig, 1824,  le  dernier;  3«  édit.,  Leip- 
zig, 1826,  les  deux  premiers).  Cette 
relation  ,  pleine   de   grâce  et  d'in- 
térêt, d'instruction  et  de  (inesse,  est 
fort  au-dessus  des  prétentieuses  ou 
plates  divagations  des  touristes  or- 
dinaires. Mais  où  brillait  plus  encore 
le  talent  de  l'auteur,  ce  fut  dans  un 
petit  volume  intitulé  Nouvelles,  et 
mis  au  jour  a  Rudolstadt  en  1816, 
après  son  deuxième  et  avant  son  troi- 
sième volume.  Elle  ne  tarda  point, 
par  cette  conscience  que  l'artiste  a 
tôt  ou  tard  de  l'aptitude  particulière 
dont  l'a  doué  la  nature,  à  consacrer  au 
roman  toutes  ses  facultés  littéraires  ; 
et  ainsi  se  succédèrent  rapidement, 
au  grand  plaisir  et  à  l'applaudisse- 
ment des  lecteurs ,   une    foule    de 
productions ,  telles   que  Gabrielle 
(1819-20),  \siTante  (Francfort-sur-le- 
Mein,  1823,  2  vol  ,  2«  édit.,  Leipzig, 
1837,2  vol);  5iriome(Leipzig,  1828, 
3  vol.),  ilfa  grandHante,  tirée  des 
papiers  d'un   vieillard  (Stuttgard, 
1830),  le  Voyage  en  Italie  (Franc- 
furt-sur-le  Mein  ,    1836),    Richard 
Wood  (Leipzig,  1837,  2  vol.),  le  tout 
entrecoupé  tantôt  de  petits  recueils 
de  morceaux  plus  courts ,  intitulés 
Récits  (Francfort-sur-le-Mein,  1825- 
28,  8  vol.;    2«  édit.,  1835),  Nou- 
velles (Francfort-sur-le-Mein,  1830, 
2  vol.),  Nouvelles  nouvelles  (Franc- 
fort, 1832,3  vol.),  deux  nouvelles,  le 
Mendiant  de  Sainte  -  Colombe    et 
Marguerite    d'Ecosse    (Francfort, 
1836) ,  tantôt  de  deux  nouvelles  re- 


SCH 

lationsde  voyages,  intitulées,  l'une, 
Excursion  sur  le  Rhin  et  dans  les 
contrées  environnantes,  dans  Vété 
de  la  première  année  de  paix  (  Leip- 
zig, 1818)  ;  l'autre,  Excursion  sur 
le  Bas-Rhin  et  en  Belgique  en  1S28 
(Leipzig,  1831,  2  vol.),  et  enfin  d'un 
opuscule  qui  n'est  pas  sans  impor- 
tance pour  l'histoire  de  l'art  ,  Jean 
d*Eyli  et  ses  successeurs.  De  tous 
ces  ouvrages,  Gabrielle  est  sans 
contredit  le  plus  remarquable.  Le 
caractère  de  la  femme  y  est  saisi 
avec  un  bonheur,  y  est  tracé  avec 
une  fidélité'  sans  égale  :  îe  grand 
monde  y  est  décrit  avec  autant  de 
grâce  que  de  justesse  ;  une  nuance 
d'ironie  y  perce  souvent ,  mais  d'iro- 
nie sans  âcreté,  sans  désespoir,  com- 
me si  sous  les  notes  élégantes  du 
ténor  une  basse  continue  disait  Cosi 
siam  tutti,  La  variété  ajoute  au  char- 
me de  ce  panorama  où  tout  plaît 
également,  tableaux  et  simples  es- 
quisses. Mais  tous  les  autres  contes 
ou  romans  de  notre  auteur  présen- 
tent plus  ou  moins  les  mêmes  quali- 
tés, et  l'on  y  retrouve  la  mêmetouche. 
Les  dernières  années  de  M"«  Scho- 
penhauer  furent  moins  heureuses 
que  les  précédentes  :  elle  perdit  une 
partie  de  sa  fortune  en  1819,  et  peut- 
être  ce  malheur  fut-il  pour  quelque 
chose  dans  la  rapidité  avec  laquelle, à 
partir  de  cette  époque,se  succédèrent 
ses  œuvreslittéraires.  Pourquoi  faut- 
il  que  ce  dont  le  public  aurait,  dans 
cette  hypothèse,  à  se  féliciter  ait  dû 
être  pour  elle  une  source  d'amer- 
tume! Elle  supporta  oe  revers  non- 
seulement  avec  résignation,  mais  avec 
courage,  et  tout  en  restreignant  son 
état  de  maison,  elle  fit  bonne  conte- 
nance devant  la  mauvaise  fortune. 
En  1828  seulement  elle  abandonna 
Weimar,  trouvant  ce  climat  trop 
froid  et  trop  rude  pour  sa  santé , 


SCH 


375 


et  Bonn  dès-lors  devint  son  séjour. 
En  1837,  dans  l'été,  sur  l'invitatio 
du  grand-duc  de  Weimar,  elle  revint 
voir  cette  résidence, sa  deuxième  pa- 
trie, puisque  nous  ne  pouvons  comp- 
ter Hambourgque  comme  un  pied-à- 
terre,  où  elle  fit  halte.  Mais  dès  le  mois 
de  septembre  elle  gagna  ïéna.  C'est 
là  qu'elle  expira  l'année  suivante,  le 
17  avril,  après  avoir  éprouvé  pen- 
dant l'hiver  un  mieux  sensible,  mais 
qui  se  démentit  bientôt.  M"™«  Scho- 
penhauser  avait  à  un  très-haut  de- 
gré le  sens  du  beau ,  du  grand  et 
du  vrai;  pleine  de  droiture  comme 
de  courage,  elle  était  enthousiaste  de 
liberté,  et  jusqu'au  bout  de  sa  vie 
elle  conserva  du  penchant  au  moins 
pour  le  nom  de  république  :  pourtant 
elle  était  aristocratique  de  ton,  de 
manières,  de  prédilections  et  d'habi-f 
tudes  :  le  plat,  le  trivial,  le  vulgaire 
lui  faisaient  horreur.Ce  n'est  certaine, 
ment  pas  elle  qui  eût  divinisé  le  laid, 
et  qui,  lasse  d'admirer  toujours  les 
mêmes  belles  formes,  eût  imaginé 
d'y  substituer  le  difforme  ou  le  bi- 
zarre. Mme  Schopenhauer  était,  dans 
toute  la  force  du  terme,  une  femme  du 
monde;  elle  en  avait  la  pénétration, 
l'amabilité,  l'aisance,  elle  ne  se  sen- 
tait vivre  que  là  ;  mais  ce  qu'elle 
nommait  le  monde  ne  se  composait 
pas  exclusivement  d'hommes  en 
gants  frais  et  de  femmes  ruisselantes 
de  pierreries,  il  lui  fallait  encore  au- 
tour d'elle  les  beaux -arts,  la  conver- 
sation, l'esprit,  le  goût;  elle  était 
encyclopédique,  éclectique.  Le  goût 
multiple  en  même  temps  qu'élevé 
et  pur  se  révèle  aussi  par  ces 
voyages,  où  elle  a  besoin  de  saturer 
ses  yeux  des  pompes  de  la  civilisa- 
tion et  des  merveilles  de  la  nature; 
Londres  et  le  Rhin,  Paris  et  les  Al- 
pes ,  il  faut  qu'elle  fouille  ce  que 
recèlent   leurs   entrailles  ,    qu'elle 


376 


SCH 


y  puise  des  inspirations,  qu'elle  y 
butine  des  tableaux,  qu'elle  en  assi- 
mile quelque  chose  à  sa  pensée,  k  son 
être.  Et  pourtant  elle  ne  ressemblait 
point  à  une  pythonisse  qui  déclame  ; 
vous  vous  fussiez  imaginé,quand  vous 
deviez  être  présenté  chez  elle,  que 
vous  alliez  entendre  du  dithyrambe, 
ou  tout  au  moins  des  périodes  i  au 
contraire,  rien    de    plus  facile,  de 
plus  contant  que  sou   langage-,  elle 
affectionnait  même  lejovial-,  elle  sai- 
sissait à  merveille  en  toutes  choses 
le  côté  comique.  Il  en  élait  de  cela 
comme  de  sa  personne,  que  beaucoup 
de   monde    &e  figurait  d'une    taille 
élevée  et  majestueuse,  tandis  qu'elle 
était  petite   et  un   peu    épaisse.  Sa 
toilette  était  tonjours  riche  et  d'une 
élégance  qui  tenait  de  la  recln-rche. 
Cependant  eiUt  avait  !e  talent  de  pa- 
raître sifiiple.  Outre  les  ouvrages  que 
nous  avons  nommés,  M^^'*'  Schoperi- 
haner  a  fourni  des  articles  (en  assez 
grand  nonsbre,  et  souvent  anohyuies^ 
an  Journal  du  luxe  et  des  modes,  de 
Bertuch,  à  la   Feuille  matinale  des 
gens  du  monde,  à  la  Gazette  du  soir, 
à  VAlmanach  duRhin^  à  la  Cornélie^ 
à  VUranie.  On  a  donné  une  collection 
de  ses  OEuvres  complètes  (moins  la 
plus  grande  partie    des   articles  ci- 
dessus),  Leipzig  et  Francfort -sur- 
le-Mein,  1830  et  1831,  24  petits  vol. 
in-8°.  P— OT. 

SCHOPPER  (Hartmann),  né  en 
1542  àNeumarck,  s'est  fait  connaître 
par  une  traduction  en  latin  du  fameux 
Roman  du  Renart^  qu'il  commença 
en  1565  lorsqu'il  servait  sous  les 
drapeaux  de  l'empereur  Maximi- 
lien  II.  Il  la  termina  en  peu  de  temps, 
et  la  fit  paraître  à  Francfort,  en  1567. 
De  nouvelles  éditions  mises  au  jour 
en  1574,  1579,1589,  1595,  en  attes- 
tent le  succès.  D'après  les  promesses 
dfi  frontispice,  cet  ouvrage  est  écrit 


SCH 

en  un  latin  tout  aussi  élégant  que  celui 
de  Cicéron  (ad  elegantiam  et  mundi- 
liam  Ciceronis  latinitate  donalos). 
Cependant  ce  n'est  pas,  comme  bien 
on  peut  croire,  pour  sa  latinité  que 
les  bibliophiles  de  nos  jours  recher- 
chent encore  ce  volume,  mais  pour 
les  gravures  en  bois  qui  le  décorent 
et  qui  ont  plusieurs  fois,  notamment 
à  Francfort  en  1588,  été  publiées  à 
part  avec    de    courtes  explications 
eu  vers  latins  et  allemands.  Schopper 
composa  de  même  les  vers  latins  qui 
accompagnent   un  curieux   volume 
bien  connu  des  amateurs  sous  le  titre 
de  Panoplia,  omnium  illiber alium^ 
mechanicarum  aut  sedentariarum 
artiuni  gênera  continen s :c\'st,  ou  le 
voit,une  sorte  de  panoramades  divers 
métiers    de   l'époque,    auquel    cent 
trente  joliesgravnresen bois  par  Jost 
Âmmon  donneiit  du  prix.  On  fait  sur- 
tout cas  de  l'édition  latine  de  Franc- 
fort, 1568,  où  les  planches  sont  plus 
belles  qne  dans  les  réimpressions  de 
1573  et  1574.  Le  Manuel  du  Libraire 
indiqueanssi  une  édition  de  Francfort, 
IseSjin  4",  avec  des  vers  al  lemands  de 
Hans  Sachs ,   précédée  d'une  autre 
datée  de  1564,  dont  parle  Singer  dans 
son  bel  ouvragesur  les  cartes  à  jouer 
(Londres,  1817,  in-4°),  et  de  deux 
des    planches  de   laquelle  il  donne 
(p.  115) les  fac-simile.  Schopper  n*ou- 
blie   personne;  depuis   le   pape    et 
l'empereur  jii<5qn'au  vendeur  d'orvié- 
tan, il  fait  défiler  devant  lui  toutes  les 
professions,  et  consacre  dix  vers  à 
chacune,  avec  un  quatrain  au-dessus 
de  l'estampe  et  un  sixain  au-dessous. 
Plusieurs  de  ces  pièces  ne  sont  pas 
mal  tournées  ;  il    faut  toutefois   un 
rare  courage  pour  en  lire  un  certain 
nombre.  B — n — t. 

SCHOTT  (Henri-Augïjste),  un 
des  plus  savants  théologiens  alle- 
mands de  son  temps,  était  né  le  5 


SCH 

décembre  1780  à  Leipzig,  où  son  père, 
jurisconsulte  distingué ,  cumulait 
avec  le  titre  d'assesseur  au  tribunal 
supérieur  les  fonctions  de  profes- 
seurdeDigeste  à  l'université  de  cette 
ville.  Au  soriir  de  l'école  de  Nicolai 
où  avaient  eu  lieu  ses  premières 
études,  le  jeune  Scholt  commença 
par  se  livrer  avec  ardeur  à  la  phi- 
lologie et  à  la  philosophie,  mais  en 
fin  de  cause  la  théologie  l'emporta; 
et  dès  la  troisième  année  de  son  cours 
académique ,  c'est  à  elle  qu'il  consa- 
cra presque  exclusivement  tout  son 
temps.  A  la  vocation  ecclésiasti(iue 
cependant  il  en  joignait  une  autre, 
c'était  celle  du  haut  enseignement. 
Il  mit  ses  soins  à  se  trouver  dans 
les  conditions  qui  pouvaient  lui  en 
ouvrir  les  portes.  Sa  thèse  Ciceronis 
de  fine  eloqueniiœ  senlentia^  etc. 
(I80i)  lui  valut  Taulorisation  défaire 
des  leclurts  acadéiuuiues.  En  1805, 
après  avoir  reçu  divers  (ucoura- 
gements  et  être  devenu  membre 
de  la  Société  anthropologique  diri- 
gée par  Car  us,  il  fut  nommé  profes- 
seur extraordinaire  de  piiilosophie. 
Il  passa  trois  ans  après  avec  le  même 
titre  à  une  chaire  de  théologie,  et 
dès  lors,  s'il  eût  lenu  à  toute  force  à 
être  nanti  sur-le-champ  d'un  titula- 
riat,  il  n'aurait  eu  qu'à  dire  oui,  car  il 
lui  en  fut  olfert  un  à  Kiel  ;  mais  il 
préféra  ne  point  quitter  l'Allemagne, 
et  bientôt,  en  etfet,  il  se  vit  indemni- 
ser du  retard  qu'il  consentait  à  subir. 
Dès  1810  il  put  remplir  àWittenberg 
la  quatriènje  chaire  de  théologie, 
et  en  1812  il  fut  un  des  deux 
professeurs  nommés  à  léna  par  le 
grand-duc  Charles- Auguste  après 
la  mort  de  Griesbach  et  de  Schuiid. 
Il  s'était  à  peine  mis  en  possession 
de  sa  chaire,  que  déjà,  par  une  créa- 
tion éminemment  utile  et  toute  nou- 
velle, il  acquérait  des  droits  à  la  vive 


SCH  37T 

reconnaissance  de  l'Église  protes- 
tante. Cette  création,  c'était. celle 
d'une  école  normale  de  prédication 
(homiletische  Seininar).  Non-seule- 
ment il  en  sortit  un  grand  nom- 
bre de  prédicateurs  habiles ,  mais 
encore  cet  établissement  servit  de 
modèle  à  plusieurs  institutions 
semblables  dont  s'enrichirent  di- 
verses universités.  Schott, jusqu'au 
dernier  moment  de  sa  vie,  resta  di- 
recteur de  cette  école,  et  donna,  tant 
par  sa  direction  que  par  ses  leçons 
et  ses  exemples,  un  élan  prodigieux 
aux  élèves.  Ses  cours  aushi  étaient 
parfaite  a-nt  suivis,  soit  qu'il  com- 
mentai le  Nouveau  ou  l'Ancien  Tes- 
lament,  soit  qu'il  exposûi  ic.  dogme 
ou  bien  qu'il  tournît  le  précepte  et 
l'exemple  de  ce  que  doit  être  l'élocu- 
tioiidu  prédicateur^  aussi  son  renom 
à  léna  el  hors  d'iéna  était-il  extraor- 
dinaire. Il  rrcut  à  diverses  reprises 
des  propositions  pour  plusieurs  uni- 
versités voisines,  ('elle  de  Heidelberg 
entre  autres  montra  par  des  invita- 
tions très-pressantes  à  quel  point  elle 
eût  été  flattée  de  le  compter  parmi  ses 
professeurs.  11  les  déclina  de  même. 
Peut-être  ia  vraie  cause  de  cette  fidé- 
lité à  sa  ville  universitaire,  c'est 
qu'ailleurs  il  n'eût  pas  eu  une  école 
à  diriger.  A  léna  il  enseignait  et 
il  prêchait.  On  comprend  qu'il 
tînt  à  l'un  comme  à  l'autre.  Doué 
à  un  haut  degré  du  talent  de  la  pa- 
role ,  il  se  plaisait  à  l'exercer  :  il 
eût  souffert  d'en  voir  restreindre 
l'exercice.  Remarquons  cependant 
que  cette  rare  facilité  d'éloculion 
avalises  bornes.  Schott  ne  brillait 
pas  par  l'invention,  il  avait  peu  d'i- 
dées originales;  mais  il  avait  du 
savoir,  il  exposait,  il  élucidait  admi- 
rablement ce  qu'il  savait,  et  sa  logi- 
que était  vigoureuse,  irrésistible. 
D'ailleurs  il  avait  toujours  sur  chaque 


378 


SCH 


SCH 


sujet  une  multitude  d'exemples  ,  qui 
en    même    temps  e'claircissaient   la 
matière    et  captivaient    l'attention. 
Quoiqu'il    y  eût   incontestablement 
chez  lui  beaucoup  de  spontanéité, 
l'art  peut-être  avait  fait  plus  que 
la  nature:    il   connaissait    à   fond 
toutes  les  ressources   de  la  rhéto- 
rique anciennes   et  modernes. Per- 
sonne comme    lui  ne   s'entendait  à 
en  développer  les  mystères  aux  jeu- 
nes lévites  du  protestantisme;  per- 
sonne autant  que  lui,  aux  préceptes 
les  plus  secs,  les  plus  matériels  des 
rhéteurs  de  l'antiquité,  ne  joignait 
le  talent  de  mettre  en  relief,  de  faire 
jaillir  tout  ce  que  la  psychologie  et  la 
science  de  la  phe'noménologie  morale 
de  l'homme  peuvent  fournir  d'élé- 
ments  à  l'éloquence  de   la  chaire. 
Schott  mourut  le  29  décembre  1835 
au  retour  des  eaux  d'Ems,  dont  il  re- 
venait assez  bien  portant  pour  qu'on 
le  crût  et  que  lui  -  même    se   crût 
guéri,   quoiqu'en  principe  il  ne  se 
fût  jamais  fait  illusion  sur  la  faiblesse 
de  sa  constitution  et  qu'il  se  fût  tou- 
jours cru  destiné  à  mourir  avant  la 
vieillesse.  On  a  de  lui,  entre  autres 
ouvrages  :  LTe^v/i  p/,Topt>47i  quœvulgo 
intégra  Dionysio  Halicarnassensi 
tribuitur,  etc.,  avec  traduction  la- 
tine et  commentaire,  Leipzig,  1804. 
11.  Esquisse  (Kurzer  Entwurf)  d'une 
théorie  de  Véloquence,  etc.,  Leipzig, 
1807;  2«  édit.,  1815.  lll.  Théorie  de 
l'éloquence  et  son  application  à  l'élo- 
quence de  la  chaire,  Leipzig,  1815, 
(1814),  1824,    1827,    1828,  3  vol,    le 
second  subdivisé  en  2  tom.;  2e  édit. 
(des  deux  premiers  volumes).  1827, 
1833.  Le  tome  premier  pose  les  prin- 
cipes généraux,  tant  philosophiques 
que  religieux,  de  l'éloquence  de  la 
chaire  ;  le  deuxième  est  consacré  à 
l'invention ,    la  première  partie  du 
troisième  à  la  disposition,  et  la  se- 


conde à  l'exposition  et  au  style.  IV. 
Epitome  theohgiœ  ehrislîanœ  dog- 
maticœ  in  nsum  scholar.  academi- 
car,  adornata,  Leipzig,  1811;  "i*  édi- 
tion très-au^mf»ntee  et  modifiée, 1822, 
(1821).  V.  Opuscula  exegelica,  cri- 
tica^dogmatica, etc. ^  Leipzig, 2  vol., 
1817,  1818   VI.  Isagoge  historico- 
critica ,  in  libros  novifœderis^  léna, 
1830.  VII  (en  société  avec  Winzer). 
Libri  sacri  antiqui  fœderis  ex  ser- 
mone  hebrœo  in  latinum  translati, 
etc.,  Altona  et  Leipzig,  1816,  l*""  vo- 
lume. Les  autres  n'ont  pas  paru. On  a 
plus  lard  donné  des  exemplaires  avec 
ce  titre:  Pentateuchus  ex  sermone 
hebrœoin  latinum  translatus. Schott 
etW^inzeront  joint  à  leur  texte  des 
notes  contenant  les  variantes  prin- 
cipales, et  aussi  les  principales  va- 
riétés de  traduction.    VIIÏ  (encore 
avec  Vimzer). Commentariiin libros 
aposlolicos  Novi  Testamenti,  Leip- 
zig, 1833,  l^"^  volume.  IX,  X,  XI  et 
XII.  Discours  chrétiens  et  religieux 
prononcés  à  diverses  fêtes  et  diman- 
ches.^ Leipzig,  1812  (1811)  ;  Prédica- 
tions et  homélies  (geistliche  Reden, 
in-4o),  la  plupart  relatifs  aux  événe- 
ments du  temps,  léna,  lSl5\Nouveau 
recueil  de  prédications  et  d^homélies 
prononcées  à  V église  de  V Académie 
et  à  la  nouvelle  église  de  la  ville^ 
léna,  1832  ;  Nouveau  choix  d'homé- 
lies et  autres  prédications^  Neustadt, 
1830.  XIII.   Exposés  religieux  des 
passages  usuels  et  de  textes  choisis 
(Christl.  Religionsvortrîege  ub.,etc.). 
Gotha  et  Erfurt,  1819  (1818),  2  vol. 
XIV  (avec  Rehkop).  Feuille  des  pré- 
dicateur s, ou  Recueil  périodique  pour 
entretenir    le    sentiment   religieux 
dans  les  fonctions  pastorales  (fiir 
Prediger,   Eine  Zeitschrift  z.  Bêle- 
bung  d.  Religiositœtfd.  Predigtami), 
Leipzig,  1811-1812,  3  vol.  (chacun  de 
3  livraisons).  XV.  Beaucoup  de  pro- 


SCH 


SCH 


379 


grammes  int^^ressants,  dont  toutefois 
la  plupart  se  retrouvent  dans  les 
Opusculacrit.,  etc.  XVI.  Des  articles 
dans  plusieurs  recueils  périodiques, 
particulièrement  dans  les  Memoran- 
dtt  du  prédicateur  (Memorabilien  f. 
das  Studium  d.  Predigers)  de  Tzschi- 
ner  dont  il  publia,  en  l'absence  de 
l'éditeur,  le  tome  IV,  l''^  livraison. 

P— OT. 

SCIIOUISKI.  Voy.  Zouisri,  LU, 
476. 

SCHRADIN  (Nicolas), bourgeois 
de  Lucerne  en  Suisse  et  sous-se- 
crétaire d'État,  est  le  premier  des 
historiens  suisses  dont  Touvrage 
ait  été'  imprimé.  Sa  Description  de 
la  guerre  de  Souabe  parut  en  vers 
allemands,  à  Sursée,  en  1500,  in-4". 
Ce  livre  offre  des  figures  gravées  en 
bois  assez  bien  faites,  et  il  est  infini- 
ment rare.  U— I. 

SCîlRANK  (François  de  Paule 
de),  laborieux  naturaliste  et  poly- 
graphe  bavarois,  naquit  le  21  aoiit 
1747,  à  Varnbach-sur-l'lnn,  où  son 
père  était  juge  du  couvent;  passa 
de  bonne  heure  avec  lui  à  Passau 
et ,  après  avoir  reçu  la  première 
éducation  dans  la  maison  pater- 
nelle, fréquenta  le  collège  que  di- 
rigeaient les  jésuites.  11  trouva 
là  d'excellents  maîtres, et,  répondant 
à  leur  zèle  par  un  zèle  non  moins 
vif, il  acquit  rapidement  des  connais- 
sances. On  remarqua  qu'en  rhéto- 
rique, au  lieu  de  s'en  tenir,  suivant 
l'usage,  au  vers  latin,  il  risquait  des 
essais  de  versification  allemande 
dans  lesquels  il  y  avait  de  la  sou- 
plesse et  de  la  grâce.  Une  pastorale 
qu'il  adressa  au  cardinal-évêque  de 
Lemberg  le  fit  admettre  parmi  les 
jésuites  de  cette  ville,  en  qualité  de 
novice,  et  les  pères,  suivant  leur  cou- 
tume ,  l'envoyèrent  successivement 
dans  diverses  maisons  hongroises  de 


leur  ordre,  à  Choprony,  à  Dieur,  à 
Naguy-Chombath  (Œdenbonrg,Raab, 
Tyrnau).  Le  P.  Sluha,  qu'il  vit  dans 
la  première  de  ces  villes,  lui  inspira 
le  goiit  de  l'histoire  naturelle-,  tou- 
tefois il  ne  s'y  livra  pas  exclusive- 
ment sur-le-champ,  et  à  Naguy-Chom- 
bath surtout  il  donna  beaucoup  de 
temps  à  la  philosophie  et  aux  ma- 
thématiques, aux  belles-lettres  et  à 
la  philologie.  A  Vienne,  où  il  alla 
ensuite,  le  grec  et  l'hébreu  l'occupè- 
rent conjointement  aveclathéologi^^ 
puis  il  fut  chargé  à  Lintz  d'une 
classe  inférieure  (1769).ll  remplissait 
encore  cette  chaire  quand  en  1774 
la  destruction  de  son  ordre  vint  lui 
rendre  la  liberté  d'autant  plus  plei- 
nement qu'il  n'avait  pas  même  encore 
reçu  le  sous-diaconat.  Mais  loin  de 
mettre  à  profit  cette  circonstance,  il 
se  hâta  de  se  faire  administrer  cet 
ordre  mineur  dès  l'automne  de  1774, 
à  Passau,  et  quinze  mois  après  (déc. 
1775)  il  était  ordonné  prêtre  à 
Vienne.  Probablement  il  eût  sou- 
haité trouver  un  poste  de  haut  en- 
seignement dans  l'université  de  cette 
vilie  :  quelques  protecteurs  l'encou- 
ragèrent, et  il  parvint  à  se  faire  con- 
férer le  doctorat  en  théologie.  Mais  à 
mesure  qu'il  faisait  des  pas  vers  le 
but,  il  voyait  les  difficultés  se  gros- 
sir. Bavarois,  il  ne  trouvait  en  Au- 
triche que  très-peu  de  dispositions  à 
le  traiter  suivant  son  mérite,  et  on 
lui  faisait  des  conditions  qui  l'eus- 
sent lié  plus  qu'il  ne  le  voulait.  Il  se 
résignadonc  à  revenir  à  Passau. Mais 
là  même  il  ne  put  trouver  de  place 
immédiatement,  et  il  dut  se  conten- 
ter d'une  chaire  de  physique  et  de 
mathématiques  à  Amberg.  On  le 
vit  ensuite  chargé  de  la  rhétorique 
à  Burghausen,  où  de  plus  il  fut  di- 
recteur rie  la  société  agronomique  et 
conseiller  spirituel  de  l'électeur  de 


380 


SCH 


Bavière.  Il  passa  en  178i  à  Ingols- 
tudt  pour  y  professer  l'agronomie  et 
subsidiaircinent  la  botanique,  l'art 
du  forestier  et  l'art  du  mineur.  Il  y 
joignit  même  la  zoologie  à  partir  de 
1799.  Mais   lorsque  trois  ou  quatre 
ans  plus  tard  on  l'appela  d'Ingolsladt 
à  Landshut,  on  ne  lui  dem.mda  plus 
que  de  la   botanique.   Il  y  compta 
parmi  ses  élèves  le  prince  royal,  dont 
il  eut  le  bonheur  de  se  concilier  les 
bonnes  grâces  et  la  conliance;  aussi 
le    roi  Maximilien- Joseph  lui   ac- 
corda-t-il,  en    1808,   la   décoration 
de  l'ordre  du  Mérite  civil,  et  l'année 
suivante  il  fut  appelé  à  Munich  par 
l'Académie  royale  des  sciences,  pour 
y  disposer  un  jardin  botanique.  Mais 
auparavant  il  fit  un  voyage  scientifi- 
que à  Venise  et  dans  le  royaume  d'I- 
talie, en  compagnie  du  physiologiste 
Tiedemann.  De  retour  en  sa  patrie, 
il  déploya  malgré  son  âge  une  acti- 
vité, une  énergie  extrême  pour  l'exé- 
cution de  l'œuvre  qui  lui  était  con- 
fiée ,   et  secondé  par  son    collègue 
Martius,  il  fit  du  jardin  botanique  de 
Munich  un  des  plus  beaux  établisse- 
ments connus  de  ce  genre.  Il  était 
pi  us  que  sexagénaire  pourtant  à  cette 
époque.  Dix  ans  encore,  cette  vigueur 
de  caractère  et  d'esprit  se  soutint, 
non  sans  étonnement  et  quelquefois 
mécontentement  de  ceux  qui  l'en- 
touraient. Il  n'en  fut  plus  absolu- 
ment  de  même  après  1819  et  sur- 
tout après  1822.  Insensiblement  il 
dérivait  de  l'histoire  naturelle  pro- 
prement dite   vers  des  idées  qui  s'y 
liaient,  mais  incidemment.   La  reli- 
gion n'avait  jamais  cessé   d'exercer 
sur  lui  son  empire,  mais  la  médita- 
tion rel  igieuse  prenait  désormais  une 
plusfortepartdesontemps,absorbaii 
une  plus  forte  part  de  son  attention. 
Ces   préoccupations   nouvelles  s'é- 
taient déjà  fait  jour  dès  1811,  dans  la 


SCH 

Fête  du  Seigneur.  On  les  retrouve 
bien  plus  marquées  dans  ce  discours 
conçu  sous  l'empire  du  Cœli  enar- 
rant  gloriam  Dei,  ainsi  que  l'indi- 
que le  titre  même  :  La  nature  an- 
nonce Dieu^  et  prononcé  en    1826. 
Chronologiquement,  il  clôt  la  série 
de  ses  ouvrages.    N'y  a-t-il  pas  en 
vérité  quelque  chose  de    touchant 
et  de  singulièrement  philosophique 
dans  l'ensemble  de  cette  carrière  in- 
tellectuelle qui  débute  par  la  poésie 
pour  se  livrer  ensuite  à  la  science, 
et  par-dessus  tout  à  une  science  po- 
sitive s'il  en  fut  jamais, l'histoire  na- 
turelle,   et  qui  de  cette  contempla- 
tion des  phénomènes,  des  conditions 
et  des  formes  innombrablement  va- 
riées de  la  vie,  arrive  enfin,  pour  ré- 
capituler tout  ce  qui  s'est  passé  sous 
ses  yeux,  à  la  paraphrase  du  verset 
du  psalmiste  ?  Zoologie  et  botanique, 
insectes  et  entozoaires,  mines  et  fo- 
rêts, en  dernière  analyse,  tout  amè- 
ne à  cette   conclusion  :    «■  Il   est  un 
Dieu  ,  »  et  c'est  le  savant  même,  le 
savant  long-temps  voué  à   d'arides 
recherches  qui  laisse  échapper  ce  cri 
comme  le  résuitat  le  plus  net  de  ses 
immenses  travaux.  Schrank  mourut 
le  23  décembre  1835,  dans  sa  quatre- 
vingt-neuvième   année.   C'était    un 
homme  consciencieux,  probe, inflexi- 
ble et  allant  obstinément  et  droit  au 
but  dès  qu'il  le  croyait  utile  oujuste. 
Plein  de  désintéressement,  il  ne  ca- 
pitulait pas  plus  avec   les  intérêts 
d'autrui  qu'avec  lui-même  :  les  fai- 
blesses, les  sordides   calculs,  tout 
cela  trouvait  en   lui  un  adversaire 
sans  pitié,  ou  pour  mieux  dire  sans 
oreilles.  Très-sensible  à  la  louange, 
il  ne  l'écoutait  pourtant  avec  plaisir 
que  si  elie  venait  de  l'homme  qui  la 
méritait  lui-même  ;  et  s'il  lui  était 
adressé  un  compliment  par  quelqu'un 
qu'il  méprisât,  il  répondait  par  d'à- 


SCH 

cerbes  et  presque  injurieuses  paro- 
les. On  comprend  que  de  cette  façon 
il  devait  avoir  beaucoup  d'ennemis. 
II  eût  peut-être  succombé  à  leurs  at- 
taques, si  son  caractère  de  prêtre 
n'eût  été  pour  lui  un  bouclier  et 
n'eût  aide' à  la  haute  pureté'  de  sa  vie 
pour  le  protéger  contre  la  calomnie. 
Quoi  qu'on  puisse  ou  même  quoi 
qu'on  doive  penser  de  cette  âpreté 
d'un  caractère  énergiquement  trem- 
pé .  mais  raide  et  tranchant,  on 
avouera  qu'il  y  a  là  de  quoi  changer 
un  peu  les  idées  qu'on  se  fait  ordi- 
nairement des  jésuites,  ou  du  moins 
de  quoi  prouver  qiâ'ils  comptaient 
dans  leur  ordre  des  hommes  bien 
incapables  de  ces  ménagements,  de 
cette  adresse  cauteleuse  qu'on  s'est 
plu  à  représenter  comme  insépara- 
bles de  leur  robe.  Voici  les  ouvrages 
de  Schrank,  rangés  non  pas  selon 
l'ordre  chronologique,  dont  on  ne  ti- 
rerait ici  rien  d'utile,  mais  suivant 
un  ordre  méthodique,en  commençant 
par  les  ouvrages  d'histoire  naturelle, 
en  faisant  précéder  le  particulier  du 
général  et  en  réunissant  par  groupes 
vers  la  fin  les  opuscules  de  minime 
importance,  les  articles  épars  et  les 
essais  qui  ont  plus  ou  moins  la  cou- 
leur littéraire.  I.  Sur  la  manière 
d'étudier  l'histoire  naturelle,  Ratis- 
bonne,  1780.  II.  Introduction  à  l'é- 
tude de  l'histoire  naturelle,  Augs- 
bourg,  1783.  111.  Traits  fondamen" 
taux  de  l'histoire  naturelle  prise 
dans  son  ensemble  et  de  la  zoologie 
(en  deux  parties,  à  l'usage  deceux  qui 
suivent  les  cours  publics),  Erlangen, 
1801.1V.  Passe-temps  de  Landshut^ 
Landsh.,  1802  et  1803,  2  livr.,  3  pi. 
(donnés  aussi  sous  le  titre  proba- 
blement ralraîchi  de  :  Recueil  de 
petits  traités  pour  l'extension  de 
l'histoire  naturelle:),  1803,  et  plus 
^ard,  Recueil  de  petits  traités  pour 


SCH 


381 


Vextension  de  Vhistoire  naturelle  et 
Additions  aux  Traits  fondamentaux 
de  Vhistoire  naturelle  des  plantes  et 
de  la  zoologie,  Landshut,  1809,  2 
livr.,  3  pi.  V.  Morceaux  d'histoire 
nafwrei/e,  Leipzig,  1776.  VI.  Traités 
d'une  société  particulière  de  natu- 
ralistes et  de  praticiens  de  l'écono- 
mie rurale  (Œkonomie)  de  la  Haute- 
Allemagne^  Munich,  1792,  6  pi.  VII. 
Lettres  d^un  naturaliste  sur  l'Autri- 
che, sur  Salzbourg,  sur  Passait  et 
sur  Berchtesgaden.  VIII.  Lettres  sur 
Vhistoire  naturelle  et  l'exploitation 
économique  des  marais  du  Danube, 
Manheim,  1795,  1  pi.  IX.  Lettres  à 
H.-B.  Swan ,  sur  Vhistoire  natu- 
relle, la  physique  et  Vexploitation 
rurale,  précédées  de  trois  Traités 
d'histoire  naturelle,  Erlang.,  1802, 
4  pi.  X.  Voyage  en  Bavière,  Munich, 
1786,  grav.  XL  Voyage  dans  lesmon- 
tagnes  méridionales  de  la  Bavière^ 
pour  observer  des  objets  de  botani- 
que et  d'agronomie,  avec  des  notices 
sur  les  mœurs  ,  Vhabillement  et 
autres  particularités  remarquables 
Munich,  1793.  XII.  Fauna  boica, 
1798-1803,  3  vol.  XlII.  Enumtratio 
insectorum  Austriœ  indigenorum  , 
Augsbourg,  1781.  XIV.  Catalogue 
des  espèces  de  vers  intestinaux  jus- 
qu'ici connus,  etc.,  Munich,  1787; 
2«  édit.,  1788.  XV.  Traité  de  la 
nourriture  des  bestiaux  à  Vétable, 
Burghausen,  1780.  XVI.  Éléments 
de  botanique,  Munich,  1785,  et 
Traits  fondamentaux  de  Vhistoire 
naturelle  des  plantes^  Erlangen, 
1803.  Le  second  ouvrage  est,  à  pro- 
prement parier,  un  remaniement 
très-augmenté  du  premier,  X  Vil.  Z)c5 
vaisseaux  latéraux  des  plantes  et  de 
leur  utilité.  Halle,  1794,  3  pi.  XVIll. 
Du  sommeil  des  plantes  et  des  proprié- 
tés phytographiques  en  liaison  avec 
ce  phénomène,  Ingolst,,  1792.  XiX. 


383 


SCH 


Flore  de  Bavière^  Laiiilshut,  1789  , 
2  V.  XX.  Catalugits  plantar.  horti 
acad.  landishulani^  Landsli.,  1805. 

XXI.  Flora monacensis,  seuplantœ 
circaMonachium  nascentes,  Munich, 
1811-1821,92  liv.,  pi.  de  Mayrhofer. 

XXII.  Planiœ  rariores  horti  acad. 
monacensis  descriplœ  et  observatio- 
nibus  auctœ,  lOlivr.  Nurenb.,  1817- 
1822,  10  pi-  par  livr.  XXllI.  Primi- 
tiœ  Florœ  salisburgensis  cum  disser- 
tationeprœvia  de  discrimine  planta- 
runiab  animalibus,  Francfort,  1791, 
2  pi.  XXIV.  Éléments  de  Vart  du 
mineur,  ingolst.,  1793.  XXV.  Essais 
poétiques ,  Augsbourg,  1774.  Ce  fut 
le  premier  de  tous  ses  ouvrages. 
XXVI.  Histoire  succincte  des  esprits 
éminents  de  la  Grèce  et  de  Rome, 
Augsbourg,  1781. XX  VU. Divers  opus 
cules,  discours,  programmes,  etc., 
relatifs  soit  à  des  objets  scientifi- 
ques, soit  à  d'autres  matières,  tels 
que  :  1**  Sur  la  mort  du  roi  de  France 
Louis  XVI,  Ingolst.,  1793.  2°  UFête 
duStigneur,ou  le  Livre  d'édification^ 
etc.,  Landshut,  1811.  L'auteur  s'ef- 
force d'y  montrer  que  l'histoire  de 
chaque  fêle  éclaircit  et  raconte  le 
fond  de  chacune  des  cérémonies  ec- 
clésiastiques que  l'on  y  pratique. 
3^  La  Nature  annonce  Dieu,  Munich, 
1826.  i^  L'Histoire  des  Allemands  en 
Alsace,  Munich,  1793.  5°  Pensées  sur 
l'éducation  de  la  jeunesse  des  cam- 
pagnes, Burghausen,  1779  (dise). 
ij^Discoursen  commémoration  du  doc- 
teur  en  philosophie  et  en  théologie 
Paul  Hupfauer,  Landshut,  1808.  T 
Une  religieuse  peut-elle  être  membre 
d'une  académie  des  sciences  ?  Munich, 
1819.8°  Les  Princes  de  la  lune...  Ce 
n'est  pas  un  roman.  Landshut,  1808. 
XXVIU.  Les  Éphémérides  littérai 
res,  6livr.  (d'abord  avec  Hellersper, 
puis  seul),  Ingolst.,  1799-1801  ;  et 
un  grand  nombre  d'articles  dans  les 


SCH 

recueils  périodiques  et  scientifiques 
du  temps,  tels  que  les  Mémoires  de 
la  Société  des  curieux  de  ta  nature 
de  Berlin,  les  Acla  Erford.,  les  An- 
nales de  la  Société  de  Wétéravie,  les 
Transactions  de  la  Société  économi- 
que de  Burghausen  ,  les  Nouvelles 
Transactions  physiques  de  fAcadé' 
mie  des  sciences  deMunich,\esCurieux 
de  la  nature  de  Halle,  le  Nouveau 
Magasin  entomologique  de  Fuessli, 
les  Annales  botaniques  d'Ustéri,  la 
Gazette  d'horticulture  de  Sprengel, 
VAlmanach  de  physique  de  Salz- 
bourg,de  Hubner,  [es  Notices  d'his- 
toire naturelle, relatives  à  la  Haute- 
Allemagne,  de  MoU,  la  Gazette  bo- 
taniquey  le  Magasin  botanique  de 
Zurich,  les  Mémoires  de  la  Société 
botanique  de  Ratisbonne,  etc.,  etc. 
Quelques-uns  de  ces  articles,  accom- 
pagnés de  quelques  morceaux  nou- 
veaux, ont  été  imprimés  sous  le  titre 
de  Recueil  d'articles  d'histoire  natu- 
relle et  de  physique,  Nurenberg, 
1799,  pi.  Schrank  a  donné  une  nou- 
velle édition,  augmentée  et  à  l'usage 
de  la  Bavière,  du  Catéchisme  d'agri- 
culture, de  Mayer,  Munich,  1785;  et 
de  là  Synopsis  plantarum  succulent, , 
de  Haworth,  pareillement  retravail- 
lée, augmentée  et  modifiée  à  l'usage 
de  la  Bavière,  Nurenberg,  1819. 

P — OT. 

*  SCHRÉBER  (Jean-Chrétien- 
Daniel  de),  naturaliste  allemand,  né 
en' 1739,  k  Weissensee,  en  Thurin- 
ge,  acheva  ses  éludes  à  Halle,  et  s'y 
adonna  principalement  aux  sciences 
médicales;  mais  bientôt  l'histoire 
naturelle  lui  inspira  une  passion 
exclusive.  Frappé  de  la  prodigieuse 
influence  qu'exerçait  alors  Linné 
sur  presque  toutes  les  parties  de 
cette  science,  il  se  rendit,  en  1758, 
à  Upsal,  pour  y  jouir  des  leçons  de 
ce  grand  homme.  Accueilli  dès  lors 


SCH 


SCH 


383 


avec  bonté,  ce  fut  sous  la  présidence 
du  grand  naturaliste  que,  deux  ans 
plus  tard,  il  soutint  sa  thèse  de  doc- 
teur. Schréber  était  sans  contredit 
un  des  disciples  les  plus  distingués 
de  Linné,  et  il  contribua  beaucoup 
à  consolider  ses  doctrines,  noiain- 
ment  l'emploi  et  l'usage  du  système 
sexuel.  11  ne  tarda  pas  à  revenir  en 
Allemagne. Nommémédecin  de  l'école 
du  pœdagogium  de  Lulzen,  il  y  fit 
des  cours  de  médecine.  Il  quitta  cette 
ville,  en  1764,   pour  aller   habiter 
Leipzig,  où  il  venait  d'être  nommé 
membre  de  la  société  économique, 
dont  il  fut  ensuite  secrétaire.  Mais, 
en  1769,  il  fut  appelé  à  l'université 
d'Erlangen,  comme  professeur  ordi- 
naire de  médecine,  d'histoire  natu- 
relle, de  botanique^    avec  le  titre 
de  conseiller    aulique.   Vingt-deux 
ans  après,  il  fut  nommé  président  de 
l'académie  impérialedes  naturalistes, 
conseiller  impérial,  etc.,  et  reçut  de 
l'empereur  d'Allemagne  des  lettres 
de  noblesse.  Schréber  devint  succes- 
sivement membre  de  quarante  so- 
ciétés savantes  en  Allemagne  et  en 
pays  étranger;  et  peu  de  naturalistes 
allemands  ont  joui,  dans  leur  patrie, 
d'une  aussi  grande  célébrité  ;  ce  qui 
s'explique  moins  par  le  mérite  de  ses 
ouvrages  que  par  ses  qualités  socia- 
les, son  obligeance,  son  éloignement 
pour  toute  querelle  littéraire,  sa  ti- 
midité  même,  enfin  par  les  places 
qu'il  a  occupées.  11  mourut  le  10  dé- 
cembre 1810.  Schréber  a  publié:  I. 
Icônes  planlarum  minus  cognita- 
rum  decas,  in-fol..  Halle,  1766.  11. 
Beschreibung  der  Grœser  (  Descrip- 
tion des  graminées),  l'*'  part., in-fol., 
Leipzig,  1769;  2«  part.,  r«   section., 
id.,ibid.,  1710,2-  sect.,  id.,  ibid., 
1774;    2«   part,    (qui    n'est  qu'une 
autre  continuation  de   la  2e  part., 
indiquée  ci-dessus),  id.,  ibid.,  1810. 


Ces  dififérentes  sections  sont  accom- 
pagnées de  cinquante-quatre  plan- 
ches offrant  des  figures  coloriées 
de     graminées.    Cet    ouvrage    est 


destiné    aux    agriculteurs     autant 
qu'aux    botanistes.   La  description 
technique,   déjà    assez   longue,    de 
chaque  plante,  est  suivie  de  détails 
en  général  beaucoup   plus  étendus 
sur  son  histoire,  son   utilité,    etc. 
V Ânthoxanthum    odoratum ,    par 
exemple,  occupe  12  pages.  Néanmoins 
il  ne  satisfait  complètement  aucune 
des  deux  classes  de  lecteurs.  La  partie 
usuelle  contient  d'excellents  rensei- 
gnements, mais  elle  est  loin  de  pré- 
senter toutes  les  espèces  utiles,  et 
la  partie  scientifique  se  compose  de 
descriptions  exactes,    mais  isolées, 
sans  classification,  et  même  sans  fixa- 
tion de  caractères  génériques .  Schré- 
ber a  donc  peu  avancé  la  connaissance 
des  graminéeS;  sous  le  point  de  vue 
classique,  mais  seulement  celle  des 
espèces,  tant  par  les  descriptions  que 
par  les  figures,,  qui  représentent  le 
port  des  objets  très-fidèlement.  Elles 
sontaccompagnées d'analyses  détail- 
lées, médiocres  dans  les  premières 
sections,  beaucoup  meilleures  dans 
la  dernière,  mais  trop  petites  et  bien 
moins  complètes  que  celles  de  plu- 
sieurs ouvrages  de  la  même  époque 
ou  postérieurs.  III.  De  Phasco  ohser^ 
vationes,  Leipzig,  1770,  in-4°.  L'au- 
teur prouve  que  la  coiffe  existe  dans 
toutes  les  espèces  de  ce  genre,  et  met 
en  avant  l'opinion  que  les  paraphyses 
font  les  fonctions  d'anthères.  lY.Spî- 
cilegium  florœLipsicœ, L^ipzig^mi^ 
in-8°;  ouvrage    peu    reclierché.   V. 
Planlarum  verticillatarum  unila- 
biatarum  gênera  et  species,  une  fig., 
Leipzig,  1774,  in-40.  Q^^.^l  ujj^.  ico- 
nographie îrès-déiaillée  des  genres 
Ajuga  et  Teucrium  ,   dans  laquelle 
Schréber  cherche  à  éclaircir  la  syno- 


384 


SCH 


Tiy  tnie  des  anciens,  d  isti  ngiie  les  «leux 
genres,  décrit  leurs  espèces,  et  ex- 
pose leurs  divers  avantages.  Ces 
plantes,  qui  tiennent,  pour  ainsi 
dire,  le  milieu  entre  les  verbe'n.icees 
et  les  labiées,  sont  beaucoup  mieux 
connues  maintenant.  La  présence 
d'un  péricarpe,  que  Schréber  n'ad- 
met pas  plus  que  Linné,  y  est  bien 
plus  manifeste  que  dans  les  autres 
labiéfs.  Sous  plusieurs  autres  rap- 
ports, cet  ouvrage  peut  êlre  utile 
aux  botanistes  qui  s'occupent  de 
cette  importante  famille.  VI.  Ueber 
die  Sœugthiere  (sur  les  mammifères), 
ouvrage  considérable  commencé  en 
1775  à  Erlangen,  in-4°.,  continué 
maintenant  par  M.  Goldfuss,  et  qui 
.n'est  point  encore  près  d'être  termi- 
né. Le  plan  était  de  donner  des  figu- 
res coloriées  de  tous  les  mammifères, 
avec  un  texte  historique  et  explica- 
tif. Le  fonddu  recueil  de  figures  con- 
sista d'abord  en  copies  de  celles  de 
Buffon,  dont  une  grande  partie  n'était 
même  coloriée  que  d'après  h  s  des- 
criptions ;  mais  l'auteur  y  ajouta  en- 
suite toutes  celles  lies  Spicilegia  et 
desGim'^dePallas  et  plusieurs  autres 
qu'il  eut  occasion  de  faire  exécuter 
d'après  nature,  ou  d'extraire  de  di- 
vers ouvrages.  Le  texte  est  compilé 
d'après  divers  auteurs  et  avec  aS'-ez 
de  soin.  Ou  y  trouve  des  faits  tirés 
d'écrits  peu  répandus  ;  et,  bien  que 
les  rapports  naturels  des  animaux  y 
soient  peu  approfondis  et  qu'il  n'y 
soit  pas  question  de  leur  anatoniie, 
c'est  encore,  après  Bnlïon  et  Pallas, 
l'ouvrage  le  plus  utile  à  consulter 
sur  la  première  classe  des  animaux. 
La  continuation  par  M.  Goldfuss  est 
plus  au  courant  de  l'état  actuel  de  la 
science  que  les  premiers  volumes.  Vil. 
Mantissa  editionis  4  materiœ  me- 
dicœ  Linnœi,  Erlangen,  1782,  in-8". 
W\\.   De  Persea  jEgyptiorum ,  V" 


SCH 

diss.,  in-fol.,  Erlangen,  1787;  2*  et 
3«  diss.,  id.,  ibid.,  1788.  Schréber 
prétend  que  la  Persea  est  le  Cordia 
myxa  de  Linné;  mais  le  fruit  de  cet 
arbren'a  point  les  caractères  attribués 
au  Penea  [lar  Théophraste.  Silvestre 
de  Sacy  a  établi  son  identité  avec  le 
Lebakh  des  auteurs  arabes  ;  et  M .  De- 
lile,dans  un  mémoire  lu  ii l'Académie 
des  sciences,  en  1818,  paraît  avoir 
prouvé  que  le  Persea  ou  Lebakh  est 
voisin  du  Ximenia^  et  doit  former 
un  genre  particulier,  qu'il  nomme 
Balanites.  IX.  Enfin  Schréber  est 
auteur  de  la  huitième  édition  du  Gê- 
nera plantarum  de  Linné,  un  vol. 
in-8°.  Cet  ouvrage  a  obtenu  un  grand 
succèsen  Allemagne,  où  il  est  encore 
cité.  Les  éditions  précédentes  y  su- 
bissent de  nombreux  changements. 
Quelques  genres  y  sont  réunis  à 
d'autres,  et  beaucoup  de  nouveaux  y 
sont  introduits,  sans  que  l'auteur  ait 
rendu  compte  de  ses  motifs  autre- 
ment que  par  la  fixation  des  carac- 
tères. Enfin  beaucoup  de  noms  admis 
sont  remplacés  par  d'autres,  sans 
nécessité.  Un  grand  nombre  de  Dis- 
sertations du  même  auteur  ont  été 
insérées  dans  les  Actes  de  l'Acadé- 
miedescurieuxde  lanature.Le  genre 
Schrebera,  de  la  famille  des  Rham- 
noïdeSj  a  été  dédié  par  Linné  à  ce  sa- 
vant naturaliste.  C — v — R. 

SCHREÏBERCAloys-Guillaume), 
poète,  romancier  et  historien  alle- 
mand d'une  fécondité  prodigieuse,  né 
à  Kapel,  dans  le  pays  de  Bade,  en 
1763,  fut  d'abord  maître  à  l'école  de 
Bade,  puis  précepteur  dans  la  famille 
du  comte  de  Westphalen,  ministre 
badois.  En  1798,  lors  du  célèbre  con- 
grès, il  se  rendit  à  Bastadt,  on  ne 
sait  pourquoi.  A  cette  époque  il  avait 
déjà  publié  une  vingtaine  d'ouvrage.«5, 
entre  autres  :  Feuilles  dramatur- 
giqueSy  Francfort,  1788,  6  volumes; 


SCH 

Journal  du   théâtre  de  Mayence  j 
Mayence,  1788  ;  le  Revenant,  comédie 
en  2 actes,  Offenbach,  1789^  la  Fian- 
cée sous  le  voile,  come'die  en  1  acte, 
Francfort,  1789  ;  Pièces  de  théâtre^ 
ibid.,  1789  ;  Livre  de  prières  du  roi 
de  Prusse,  Offenbach ,  1790;  Rhap- 
sodies^ Francfort,  1790  ;  Tableaux 
dramatiques.  Vienne,  1791  ;  Consi- 
dérations pour  les  citoyens    aile- 
mandStk  l'occasion  des  événements 
du  temps,  1792  ;  Scènes  de  la  vie  de 
Faust^  Offenbach,  1192-^  Laharpe, 
opéra-comique,  Offenbach,    1793; 
Lubies^  contes  et  tableaux,  Franc- 
fort, 1793;  Feuilles  dédiées  au  génie 
du  siècle^  Brème,  1793  ;  Remarques 
faites  dans  un  voyage  depuis  Stras- 
bourg jusqu'à  la  mer  Baltique,  Of- 
fenbach, 1793-94,  2part.;  Wollmar, 
Brème,  1793  ;  Scènes  des  derniers 
jours  de  Marie- Antoinette  de  France, 
Offenbach,  179i  ;  la  Constitution  de 
Rome  au  temps  de  la  république, 
avec  une  comparaison  entre  Vanc. 
république  romaine  et  la  nouv.  ré- 
publique française,  Francfort,  1794  ; 
V Ermite  dans  l' Eichthal^Oiknhâch, 
\79i;  la  Conjuration  contreVenise, 
Brème,   1794;    Visions,   dialogues 
et  contes,  ibid.,  1795;  Excursions 
en  Allemagne,  Leipzig,  1795  :  Contes 
romantiques, Francfort,  1795,2  vol.; 
iePe/mw,  Oftenbach,  1796;  Recueil 
de  modèles  du  style  allemand  pour 
les  écoles^  ibid.,  1796;  Lubies  et 
rêveries  d'un  homme  qui  n'est    ni 
cosmopolite,  ni    bourgeois   de  son 
quartier,  Francfort,   1796;  Voyage 
de  mon  cousin  dans  sa  chambre, 
Brème,   1797,  2  vol.;  Marbod  et 
Hermann,  ou  la  première  ligue  ger- 
manique^ Francfort.   Il  avait  entre- 
pris aussi  quelques  feuilles   pério- 
diques ,  telles  que  Musarion  et   la 
Feuille  rouge ;msLis,  faute  de  succès, 
il  avait  fallu  les  laisser  en  chemin  , 

LXXXI. 


SCH 


385 


ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'en  entre- 
prendre encore  d'autres  dans  la  suite, 
telles  qu'une  Gazette  générale  des 
arts  et  une  Feuille  hebdomadaire 
badoise:  la  dernière  a  duré  un  an  «t 
demi.    Son  séjour  au   congrès    ne 
donna  pas  lieu  à  moins  de  quatre 
ouvrages  nouveaux.  Ce  furent  :   Al- 
manach  du   congrès    de  Rastadt , 
avec  un  plan  de  la  ville  çt  une  vue 
du  château,  Rastadt,  1798  ;  Manuel 
du  Congrès  de  Rastadt,  ib.,  1798-99, 
qu'il  publia  en  plusieurs parliesavec 
le  résident  hanovrien  de  Schwarlz- 
kopf  ;  Lettres  d'un   envoyé  parti- 
culier^ ib  ,  1798,  2  vol.,  auxquelles 
succéda  plus  tard  un  Âlmanach  de 
Rastadt,  Mduheim ,   1801.    Débar- 
rassé du  congrès,  Schreiber  reprit 
le  cours  de  ses  publications  litté- 
raires,   et  donna    successivement  : 
Adélaïde  de  Messine,  Leipzig,  1802  ; 
Tableaux  de  l'enfance  et  du  bonheur 
domestique,  Dusseldorf,    1805;  la 
Conjuration   de  Fiesque    présentée 
dramatiquement^  Zurich,    i804;;a 
Peinture,   Dortmund  ,    1804;  Es- 
quisses et   contes,   Leipzig,   1804; 
Manuel  de  l'Esthétique,  Heidelberg, 
1809;  Biographie  de  Charles-Fré- 
déric, grand-duc  de  Bade,  ib.,  1811; 
Poésies  et  contes^  ib.,   1812  ;   Roses 
d'automne,  Cdvlsruhe,  1814;  l'Ami 
des  ménages  rhénans,  ib.,  1816;  le 
Retour  du  guerrier,  Francfort,  1816; 
Histoire  de  Bade^  Carlsruhe,  1817; 
la  Naissance  du  Sauveur,  ib.,  1817; 
OEuvres  poétiques.  Tu  bingue  ,1817- 
18,  HvoL;  les  chants  allémaniqueset 
les  contes  en  vers  faisant  partie  de 
ce  recueil  ont  été  imprimés  aussi  sé- 
parément ;  Ce  que  la  maison  de  Bade 
a    fait  pour    l'empire    d'Autriche. 
Heidelberg,  1819;2eédir.,  1821;Com- 
ronncs    de    myrtes    et   de   cyprès, 
Stuttgart,  1820,  2  vol.;  V Allemagne 
et  les  Allemands  depuis  les  temps 

25 


386 


8CH 


lexplus  reculés  jusqu'à  la  mort  de 
Charlemagne^  Carisruhe  1823,  4 
cah.  avec  fig.  ^  Du  style  d'affaires  et 
du  débit  mdley  ibid  ,  1824;  Histoire 
et  description  d'Aix-la-Chapelle, 
Borcette,  Spa  et  les  environs^  Heidel- 
berg,  1824;  Rapport  de  la  société 
pour  les  arts  et  l'industrie  dans  le 
grand-duché  de  Bade,  Carisruhe, 
1816;  la  Navigation  à  la  vapeur 
sur  le  Rhin  et  sur  le  lac  de  Constan- 
ce, Heideîberg,  1827;  Nouvelles^ 
Carisruhe,  1839,  2  vol.  On  a  pu  re- 
marquer quelques  lacunes  dans  la 
se'rie  des  années;  on  se  tromperait 
si  l'on  croyait  que  le  fécond  écrivain 
se  soit  reposé  pendant  ce  temps.  Au 
contraire,  il  composa  et  publia  alors 
un  genre  d'ouvrages  que  nous  devons 
signaler  séparément,  et  qui  ont  fait 
connaître  Schreiber  de  tous  les 
voyageurs  qui  visitent  les  bords  du 
Rhin.  Cesont  ces  guides  ou  itinéraires 
dont  on  se  munit  avant  de  monter 
sur  les  bateaux  à  vapeur,  en  wa- 
gon ou  en  diligence.  C'est  d'abord 
le  Guide  des  voyageurs  sur  le  Rhin, 
depuis  S chaffhouse  jusqu'en  Hollan- 
de, é^édit.,  Heideîberg,  1836,  dont  il 
a  été  fait  une  traduction  française  , 
2»  édil.,  1818  ;  le  Choix  des  tradi- 
tions populaires  des  contrées  du 
Rhin ,  de  la  forêt  Noire  et  des  Vos- 
ges^ tiré  de  cet  itinéraire  a  été  im- 
primé séparément ,  Heideîberg  , 
1839-40,  2  vol.  II  a  paru  aussi  un 
extrait  de  l'itinéraire  sous  le  titre  de 
Livre  de  poche  pour  ceux  qui  voya- 
gent sur  le  Rhin^  Heideîberg,  1821  ; 
et,  comme  supplément,  l'auteur  avait 
fait  paraître  dès  l'an  1833  un  No- 
menclateur  topographique  des  rives 
du  Rhin.  A  l'itinéraire  il  fit  succéder 
un  Manuel  des  voyageurs  a  Bade, 
dans  la  vallée  de  Murg  et  dans  la 
forêt  Noire^  Heideîberg,  1818,  avec 
une  carie  et  neuf  vues  ;  un  Gmdç  4^$ 


SCH 

voyageurs  dans  le  grand^duché  de 
/^ade,  qui  avait  été  précédé  15  ans 
auparavant  d'essais  moins  complets, 
et  un  Guide  des  voyageurs  dans  la 
Suisse^  le  Tyrol  et  le  SalzbourÇy  pour 
faire  suite  à  l'itinéraire  sur  le  Rhin, 
Heideîberg,  1836,  avec  une  carte. 
Tous  ces  guides  sont  bien  rédigés  et 
peuvent  être  cités  comme  modèles 
de  ce  genre  d'ouvrages  ,  étant  rem- 
plis de  renseignements  à  la  fois  in- 
structifs et  intéressants.  Schreiber  est 
encore  auteur  de  Vues  du  Rhin^ 
Francfort,  1804-6,  3  cah.;  d'un  ou- 
vrage sur  Heideîberg  et  ses  environs^ 
sur  Griesbach  et  ses  environs ,  et  sur 
les  Tombeaux  impériaux  dans  la  ca- 
thédrale de  9pire,Fnbo\irg^  1815.11  a 
fait  le  texte  de  quelques  ouvrages  à 
gravures,  entre  autres  des  Costumes 
nationaux  de  l'Allemagne,  De  1808 
à  1812,  il  a  publié  VAlmanach  de 
Heideîberg,  et  de  1816  à  1840  il  a  été 
l'éditeur  de  Cornélie,  almanachpour 
les  dames  allemandes.  U  avait  été 
nommé  professeur  au  lycée  de  Bade 
en  1800,  et  à  l'université  de  Heideî- 
berg en  1805.  Dans  la  suite  il  avait 
été  appelé  à  Carisruhe  comme  histo- 
riographe de  Bade,  charge  plus  hono- 
rifique que  réelle,  et  il  avait  fini  par 
s'établir  dans  cette  ville,  oùil  termina 
ses  jours,  le  21  oct.  1841.  D — g. 

SCHRIëCK  (Adrien  van),  ou 
Schrieckius,  savant  des  Pays-Bas,  na- 
quit à  Bruges  le  26  décembre  1560. 
Après  avoir  terminé  ses  premières 
études  dans  sa  patrie,  il  vint  à  Paris 
faire  sa  philosophie  et  son  droit.  De 
retour  en  Flandre,  il  fut  successive- 
ment bailli  de  plusieurs  villes,  et  en- 
fin conseiller  des  archiducs  Albert 
et  Isabelle,  ainsi  que  de  la  ville 
d'Ypres,  où  il  mourut  en  1621,  le  26 
décembre,  jour  anniversaire  de  sa 
naissance.  «  C'était,  dit  Paquot,  un 
homme  fort  versé  dans  les  langues 


SCH 

savantes  et  dans  Tantiquité  tant  sa- 
crée que  profane  ;  mais  il  manquait 
de  jugement  pour  profiter  de  ses  con- 
naissances. »Schrieck  fut  le  véritable 
pendant  de  notre  Pierre  Le  Loyer 
{voy.  ce  nom,  XXV,  322),  et  comme 
ce  visionnaire,  il  donna  dans  tous  les 
excès,  pour  ne  pas  dire  les  folies  de 
la  science  étymologique.  Il  consacra 
une  partie  de  sa  vie  à  la  composition 
d'un  grand  ouvrage,  que  certains 
amateurs  recherchent  encore  comme 
un  monument  des  aberrations  de  la 
pensée  humaine.  Il  s'était  proposé 
de  prouverque  les  Flamands  ont  une 
langue  et  une  origine  beaucoup  plus 
anciennequelesGrecsetlesRomains, 
et  de  plus,  que  les  langues  flamande, 
celtique  et  tudesque  ne  diffèrent 
guère  de  la  langue  hébraïque,  qu'elles 
n'en  sont  qu'un  dialecte,  et  que  les 
peuples  qui  les  parlent  ont  précédé 
les  Chaldéens.  Pour  démontrer  tout 
cela,  il  déploie  une  érudition  im- 
mense, mais  très-mal  digérée,  remon- 
tant au  commencement  du  monde, 
torturant  l'histoire  et  la  géographie, 
et  entassant  les  explications  les  plus 
hétéroclites,  les  étymologies  les  plus 
bizarres  et  les  plus  absurdes  des  mots 
grecs  et  hébreux,  qu'il  rend  dans  un 
flamand  souvent,  barbare,  etc.,  etc. 
On  peut  voir,  dans  les  Mémoires  lit- 
téraires de  Paquot,  un  échantillon  de 
ces  belles  choses,  et  le  long  titre  fla- 
mand du  livre,  écrit  toutefois  en  la- 
tin, et  portant  ce  second  titre  en 
cette  langue  :  Originum  rerumque 
Celticarum  et  Belgicarum  libri 
XXIII,  Ypres,  Franc.  Bellet,  1614, 
in-fol.  d'environ  900  pages.  L'auteur 
a  donné,  même  imprimeur,  même 
ville,  même  format,deux  suppléments 
à  ce  volume,  l'un,  en  1615,  sous  le 
titre  de  Monitorum  secundorum  U- 
Iri  F,  etc.,  et  l'autre,  en  1620,  sous 
QQÏniiï'Adversariorum  libri  IV,  etc. 


SCH 


38T 


Ces  trois  parties  se  trouvent  rare- 
ment réunies.  Avant  de  publier  cet 
ouvrage  singulier,  Schrieck  avait  fait 
paraître  VHistoire  et  origine  de  la 
fête  nommée  der  Thuynen,  à  Ypres 
(en  flamand),  Ypres,  Bellet,  1610,  in- 
12^  réimprimée  aux  frais  de  la  ville 
en  1733,  aussi  in-12.         B— l— u. 
S€HRŒDER,  acteur  ti  auteur 
dramatique  allemand,  fils  d'une  co- 
médienne, né  le  3  nov.  1744,  figura 
dès  l'âge  de  trois  ans  sur  le  théâtre  en 
Russie,  où  sa  mère  était  allée,  et  où 
ellesemariaavecl'acteur  Ackerman. 
Le  nouveau  couple  dirigea  ensuite 
une  troupe  et  fit  jouer  le  jeune  Schrœ  - 
der  dans  le  nombre,  en  diverses  villes 
de  la  Russie,  de  la  Pologne  et  de  la 
Prusse.  Maltraité  et  négligé  par  ses 
parents,    Schrœder    dut    s'estimer 
heureux  d'être  envoyé  au  collège  de 
Kœnigsberg,  pour  apprendre  quelque 
choses  mais  bientôt  après,  l'approche 
de  l'armée    russe    fit  déguerpir  la 
troupe  de  comédiens,  et  M™^  Schrœ- 
der n'eut  pas,  à  ce  qu'il  paraît,  le 
temps  de  penser  à  son  fils.  Un  pauvre 
savetier,  à  qui  la  garde  du  théâtre 
était  confiée,  eut  pitié  de  lui,  et  lui 
apprit  à  raccommoder  des  souliers, 
à  boire  de  l'eau-de-vie.  Après  ce 
savetier,  ce  furent  des  danseurs  de 
corde  qui    eurent    soin  du    jeune 
comédien  abandonné.  A  la  fin,  ses 
parents  semblèrent  se  souvenir  de 
lui  ;  ils  le  mirent  dans  le  commerce  à 
Lubeck,  chez  un  oncle  ;  mais  cette 
carrière  n'était  pas  de  son  goût.  Sa 
paresse,  sa  dissipation,  pour  ne  pas 
dire  sa  mauvaise  conduite,  le  firent 
renvoyer  ;    et  il  alla  rejoindre  ses 
parents   en    Suisse  ,  et  jouer  dans 
leur    troupe.   Tout  ce  qu'il   apprit 
dans   cette   vie   vagaboude,  ce   fut 
la  danse  5  et  en    1764,  quand    la 
troupe  vint  s'établir  à  Hambourg,  ce 
fut  lui  qui  dirigea  le  ballet  5  mais 

25. 


888 


SCH 


comme  il  n'y  avait  pas  bcanconp  à 
diriger,  il  devint  acteur  tragique, 
partngea  la  direction  du  théâtre  avec 
sa  mère  après  la  mort  de  son  beau- 
père  (t770),  et  développa  un  talent 
dramatique  qui  tut  généralement 
admiré.  S'étant  marié  avec  une 
femîue  qu'il  lorma  pour  la  scène,  et 
étant  devenu  seul  directeur  du  théâ- 
tre de  Hambourg,  il  sut  lui  donner 
un  éclat  qu'il  n'avait  jamais  eu  ;  et 
quoiqu'il  eût  mené  jusque-là  la  vie 
d'un  aventurier,  il  introduisit  dans 
sa  troupe  un  ordre  et  des  mœurs 
qui  la  lirent  respecter.  Non  content 
de  jouer  dans  les  pièces  des  autres, 
il  en  composa  lui-même  avec  un 
grand  succès  ;  de  ce  nombre  furent 
le  Testament,  le  Bourru,  et  le  Porte- 
Enseigne.  H  imita  un  grand  nombre 
de  pièces  des  Ihéâtresétrangers, sur- 
tout il  essaya  pour  la  première  fois 
de  mettre  en  scène  quelques-unes 
des  pièces  de  Shakspeare  ;  et  il  est 
hors  de  doute  que  cette  dernière 
tentative,  venant  si  peu  de'  temps 
après  les  rudes  coups  portés  aux 
vieux  systèmes  par  la  Dramaturgie 
de  Hamlourg  de  Lessing ,  n'ait 
contribué  pour  beaucoup  aux  nou- 
velles allures  de  la  littérature  germa- 
nique. S'étant  démis  de  la  direction, 
il  parcourut  avec  sa  femme  l'Alle- 
magne ,  la  France  ,  et  vint  jouer  au 
théâtre  de  la  cour  à  Vienne  ;  puis,  de 
retour  à  Hambourg,  il  reprit  la  di- 
rection, mais  avec  moins  de  bonheur 
qu'auparavant.  En  1798,  il  se  retira 
dans  un  bien  rural  qu'il  avait  acheté. 
Cependant,  comme  après  sa  retraite 
le  théâtre  avait  déchu  rapidement,  il 
céda  en  1811  aux  instances  qui  lui 
furent  faites  pour  reprendre  encore 
la  direction;  mais  il  ne  put  parvenir 
à  rendre  à  ce  théâtre  son  ancienne 
splendeur.  Il  mourut  le  3  septembre 
1816.Schrœder  avait  pris  une  part  ac- 


SCH 

tivp  aHX  travaux  de  la  loge  des  francs- 
maçons  dont  il  était  le  président-, 
aussi  célébra-t-elle  avec  pompe  ses 
funérailles.  Le  poète  Tieck  fait  de 
lui  un  bol  éloge  en  le  considérant 
comme  acltur.  «Schrœder,  dit -il 
dans  son  Phantasus^  avait  cette  ima- 
nation  créatrice  qui  est  la  qualité  la 
plus  indispensable  pour  l'acteur, 
et  sachant  qu'il  la  possédait,  il  était 
capable,  grâce  à  son  esprit  et  à  sa 
sagacité,  de  faire  des  découvertes 
qui  portaient  son  étude  et  son  art  à 
un  développement,  aune  maturité 
parfaite;  de  là  la  diversité  de  son  jeu, 
son  assurance  dans  le  comique,  dans 
le  tragique,  ainsi  que  dans  les  rôles 
à  caractère  ;  de  là  l'exécution  com- 
plète de  tout  ce  qu'il  entreprenait; 
mais  aussi  il  n'entreprenait  rien  de 
ce  qui  ne  pouvait  lui  réussir.  L'école 
de  sa  jeunesse  ne  lui  avait  pas  été 
inutile  :  il  avait  dansé  dans  le  ballet 
et  chanté  dans  l'opéra;  c'est  ainsi 
qu'il  était  devenu  l'artiste  le  plus 
varié,  le  plus  habile,  le  plus  sûr  de 
lui-même;  et,  comme  il  montrait 
toutes  ces  qualités  dans  un  style 
élevé,  il  était  en  ce  sens  le  phis 
grand  acteur  de  sa  nation...  Sa  voix 
était  un  peu  enrouée,  et  venant  par 
le  nez;  son  corps  avait  des  formes 
grêles  et  manquait,  dans  sa  vieillesse 
du  moins, de  belles  proportions  ;  mais 
quand  il  entrait  en  scène,  tout  cela 
disparaissait,  on  voyait  non  plus 
l'acteur,  mais  le  personnage  ;  chaque 
pas,  chaque  accent,  chaque  mou- 
vement était  dans  son  rôle,  et  faisait 
un  trait  du  tableau  qu'il  s'agis- 
sait de  représenter  ;  il  avait  même 
l'art  de  fondre  les  talents  infé- 
rieurs qui  l'entouraient  en  un  tout 
parfaitement  harmonieux...  '  On  ne 
retrouve  pas  cet  artiste  universel 
dans  ses  œuvres  dramatiques ,  qui 
sont  presque  toutes  des  traductions 


SCH 

ou  imitations  d'œuvres  étrangères. 
Il  écrivait  pour  son  théâtre  et  pour 
sa  personne,  et  quiconque  l'a  vu 
dans  divers  rôles  de  ses  pièces, 
a  pu  s'apercevoir  qu'elles  n'étaient 
qu'un  fond  sur  lequel  le  talent  le 
plus  grand  et  le  plus  merveilleux  se 
déployait  avec  hardiesse  et  en  pleine 
liberté.  Toutefois  il  faut  nommer 
parmi  ses  pièces,  outre  celles  dont 
les  titres  précèdent ,  le  Cousin  de 
Lisbonne^  le  Portrait  de  la  mère^ 
le  Bailli  Graumann,  l'Eau  qui  dort 
est  Veau  qui  noie  (StilleWassersind 
lief).  Il  existe  une  édition  complète 
de  son  Théâtre,  donné  par  Bulow, 
Berlin,  1831,  4  vol.  iu-8».  —  Sa 
femme,  Sophie  Burger  ,  était  une 
tragédienne  distinguée  ,  et  faisait 
surtout  l'ornement  de  la  scène 
viennoise.  Elle  avait  divorcé  d'avec 
Schrœder,  et  épousé  l'acteur  Kunst  ; 
mais  bientôt  après  elle  avait  quitté 
ce  second  mari  comme  le  premier. — 
La  fille  des  époux  Schrœder,  appelée 
Minna  Schboeder  Devrient  depuis 
son  union  avec  l'acteur  Devrient,  est 
au  théâtre  dès  son  enfance,  et  après 
avoir  joué  la  tragédie ,  elle  s'est 
adonnée  à  l'opéra,  puis  est  devenue 
la  première  cantatrice  d'Allemagne. 
Paris  et  Londres  ont  eu  occasion  d'ad- 
mirer son  chant  sur  la  scène.  D — g. 
SCHRŒÏER  (J.  -Jérôme)  ,  savant 
astronome  allemand ,  naquit  le  30 
août  1745  à  Erfurt.Ses  parents  le  des- 
tinaient au  droit,  et  c'est  dans  cette 
vue  que  le  jeune  homme  partit  pour 
l'université  deGœttingue.  Mais  bien- 
tôt il  se  dégoiita  des  Institutes  , 
des  Pandectes,  et  il  se  mit  à  suivre 
avec  une  assiduité  croissante  les  le- 
çons du  mathéiiiaticien  Kœstner, 
avec  lequel  il  se  lia  et  qui  fit  naître 
en  lui  le  goiit  de  l'astronomie.  Ce 
goût  ne  tarda  pas  à  devenir  une  pas- 
sion, et  Schrojter  tlevint  ujj  habile  et 


SCH 


389 


trés-ulile  observateur.  Toutefois  il 
ne  s'écarta  pas  entièrement  des 
drapeaux  de  Thémis,  et  après  avoir 
reçu  ses  degrés  en  jurisprudence  il 
enîra  comme  employé  à  la  chambre 
de  justice  de  Hanovre.  Ce  n'est  que 
pendant  ses  instants  de  loisir  qu'il 
appliquait  ses  yeux  de  lynx  au  té- 
lescope. H  eut  ainsi  le  bonheur  de 
signaler  le  premier  aux  astronomes 
beaucoup  de  faits  qui  leur  étaient 
inconnus  sur  le  soleil,  sur  Vénus  (en 
1779  et  en  1780),  et  enfin  sur  la 
lune,  à  laquelle  désormais  il  voua 
une  atleiition  extraordinaire.  Geor- 
ges 111,  en  qualité  d'électeur  de  Ha- 
novre, et  le  duc  de  Brunswick-Lune- 
bourg  nommèrent  Schrœter  grand- 
bailli  {oberamtmann)  de  Lilienthal 
près  deBrême.  Désormais  fixé,  Schrœ- 
ter n'eut  plus  d'autre  ambition  que 
de  vouer  sa  vie  à  la  science.  Tant 
par  sa  fortune  propre  que  par  les 
avantages  de  sa  place,  il  était  à  mê- 
me de  se  livrer  à  ses  goûts.  Il  fit  gra- 
ver sous  ses  yeux  et  chez  lui  par 
Tischbein  les  planches  de  son  grand 
ouvrage  sur  la  lune;  il  avait  fait 
construire  un  très-bel  observatoire, 
et  peu  à  peu  il  le  garnit  des  instru- 
ments les  plus  précis  et  les  plus  par- 
faits. Pour  en  diminuer  le  prix  de 
revient,  il  voulut  en  organiser  une 
fabrication  près  de  lui,  et  il  se  trou- 
va bientôt  qu'il  pouvait  y  gagner. 
Instruit  par  ses  soins,  son  jardinier 
parvint  à  fondre  et  à  polir  des  mi- 
roirs de  télescope  qui  ne  le  cédaient 
guère  à  ceux  des  meilleurs  fabricants 
en  ce  genre,  mais  qui  coûtaient  beau- 
coup moins  cher.  Moyennant  700  fr., 
par  exemple,  on  se  procurait  ce  qu'à 
peine  on  aurait  obtenu  pour  7,000  à 
Londres,  un  miroir  de  15  pieds  de 
diamètre.  Le  télescope  dont  se  ser- 
vait  habituellement  Schrœter  pour 
ses  observations  n*eu  avait  que  13, 


390 


SCJI 


Lalando,  cependant,  le  proclam.'iil  en 
1803  dans  sa  Bibliographie  astro- 
nomique (p.  837)  le  meilleur  peut- 
être  de  tous  ceux  qui  existaient  à 
cette  époque  ,   et  ne'anmoins  ceux 
d'Herschel  jouissaient  d'une  célé- 
brité européenne.  Au  reste,  les  in- 
struments de  Schrœter  n'avaient  pas 
tous  ces  dimensions  gigantesques,  et 
d'ordinaire    les    diamètres    n'excé- 
daient pas  7  pieds.  Schrœter  reçut  le 
titre  de  directeur  de  l'observatoire 
et  eut  pour  adjoint  Harding  d'abord 
et  ensuite  Harding  et  Bessel.  11  fut 
ëlu  en  1792  membre  de  l'Académie 
des  sciences  de  Gœttingue  dont  de- 
puis plusieurs  années  il  était  corres- 
pondant. L'Institut  de  France  (classe 
des  sciences)  se  l'adjoignit  aussi  sous 
ce  titre.  Schrœter  mourut  en  1816, 
avec  le  renom  d'un  des  plus  studieux 
et  des  plus  habiles  observateurs  qui 
aient  aidé  aux  progrès  de  l'astrono- 
mie. Compatriote  d'Herschel,  il  offre 
plus  d'un  trait  de  ressemblance  avec 
lui,  soit  par  le  perfectionnement  des 
instruments ,   soit  parce  qu'il  était 
surtout  observateur.  En  effet,  il  ap- 
porta ,  ce    qui  du  reste    n'est   pas 
exclusivement  leur   mérite    à    eux 
^eux  ,    et    ce  qui  est  éminemment 
dans    l'esprit    de    la   science    ac- 
tuelle, des  soins  extrêmes  et  minu- 
tieux à  tout  ce  qui  peut  rendre  pré- 
cis, exacts  et  incontestables  les  ré- 
sultats  obtenus.   Il    renouvelait   et 
multipliait  les  observations;  il  était 
ingénieux  à  trouver  les  circonstan- 
ces les  plus  propres  à  la  vision  des 
phénomèneset  qui  laissaient  le  moins 
de  chance  à  l'erreur.  Il  ne  se  fiait 
jamais,  pour  quoi  que  ce  fût  d'un  peu 
grave,  à  sa  mémoire,  et  consignait 
sur-le-champ  par  écrit  ce  qu'il  ve- 
nait de  prouver.  Aussi  l'observatoire 
de  Lilienthal  a-t  il  joui  depuis  les 
vingt  dernières  années  duXVIIP  siè- 


SCH 

cle  d'une  célébrité  européenne,  et  le 
nom  de  Schrœter  est  inséparable  de 
celui  de  Lilienthal.  On  peut  être  sur- 
pris qu'il  n'ait  été  le  premier  à  signa- 
ler aucune  des  quatre  planètes  té- 
lescopiques  dont  la  découverte  a 
inauguré  le  X1X«  siècle  et  dont  le 
nombre,  comme  on  sait,  vient  d'être 
augmenté  d'une  cinquième  par  Henc- 
ke.  Mais,  d'une  part,  la  découverte 
de  Junon  semble  rejaillir  en  partie 
sur  lui,  puisqu'elle  fut  faite  à  Lilien- 
thal par  son  collaborateur  Harding; 
de  l'autre,  on  doit  à  Schrœter  un 
grand  nombre  d'observations  capi- 
tales sur  ces  quatre  petits  astres. 
C'est  à  ses  mesures  qu'on  s'en  rap- 
porte le  plus  ordinairement,  tant 
pour  leurs  diamètres  apparents  que 
pour  leurs  diamètres  réels;  c'est 
d'après  ses  remarques  sur  le  chan- 
gement d'éclat  de  la  lumière  de  Ju- 
non qu'on  soupçonna  pour  cette 
planète  une  rotation  exécutée  en  27 
heures.  Les  principaux  écrits  de 
Schrœter  sont:  1.  Mémoires  (Bey- 
traege)  sur  de  nouvelles  découvertes 
astronomiques  f  Berlin,  1788,  in-8'', 
8  pL,  suivis  un  peu  plus  tard  de 
deux  tomes  de  Nouveaux  Mémoires 
sur,  etc.  Entre  antres  parties  impor- 
tantes de  ces  mémoires,  on  remar- 
quera ce  que  Schrœter  appelle  Frag 
ments  hermo  graphique  s.  Ce  sont 
des  observations  sur  la  planète  de 
Mercure.  Il  en  étudie  la  rotation,  les 
montagnes,  l'atmosphère,  et  il  arrive 
sur  tous  ces  points  à  des  résultats, 
ou  déterminés  plus  exactement ,  ou 
tout  nouveaux.  II.  Observations 
sur  les  taches  du  soleil^  sur  sa  lu- 
mière^ etc.,  Erfurt,  1789,in-4%  5  pi. 
(et  dans  les  Acta  eruditorum  d'Er- 
furt).  III.  Fragments  sélénotopogra- 
phiqueSj  Helmstœdt,  1791,  in-4°,  45 
pi.  Cet  ouvrage  se  compose  de  5  par- 
ties ou  sections.  Dans  la  première, 


SCH 

l'auteur  s'occupe  surtout  des  effets 
divers  produits  sur  la  surface  de  la 
lune  par  des  réflexions  différentes  de 
la  lumière  et  fait  connaître  ses  mé- 
thodes d'observation, de  dfssin  et  de 
mesure  :  il  s'y  trouve  d'excellentes 
choses  et  des  détails  très-intéres- 
sants. La  deuxième  partie  contient  la 
topographie  proprement  dite,  avec 
des  cartes  spéciales  de  la  mer  des 
Crises,  de  la  région  de  Cléomède, 
Geminus,  Messala  et  Céphée,  dePiu- 
tarque  et  Sénèque,  etc.,  etc.  Dans  la 
troisième  se  trouvent  décrites  les 
mutations  observées  dans  l'astre 
ainsi  que  diverses  apparitions  dignes 
de  remarque.  Tel  est,  par  exemple, 
un  enfoncement  dans  Hével,  de  îa 
forme  d'un  cratère,  enfoncement  que 
Schrœter  croit  s'être  formé  entre  le 
24  cet.  1787  et  le  27  août  1788  ;  tels 
sont  aussi  les  changements  survenus 
à  la  surface  de  la  mer  des  Crises.  La 
quatrième  est  consacrée  à  des  taches 
lumineuses  observées  à  la  face  noc- 
turne de  la  lune  et  dans  les  régions 
qui  environnent  soit  Aristarque,  soit 
Platon.  Enfin,  la  cinquième  division 
est  relative  à  la  configuration  et  à  la 
constitution  physique  de  la  lune.  Il 
s'y  étend  sur  les  montagnes  et  les 
cratères  de  notre  satellite.  A  celles-là 
il  donne  de  lOOà  8,000  mètres  ;  à  ceux- 
ci  de  320  à  5,800  ou  5,900  mètres.  Il 
regarde  ces  cratères  comme  s'étant 
formés  non  par  dépression,  mais  par 
l'effet  des  éruptions,  la  ceinture  de 
montagnesqui  les  environne^tantun 
produit  rejeté  par  le  volcan.  Le  dia- 
mètre du  cratère  irait  de 4  à  15  milles 
géographiques  (de  30  à  108  kilom.). 
Y  a-t-il  des  rivières,  des  ruisseaux 
dans  la  lune  ?  il  ne  le  nie  pas  ;  mais 
il  nie  formellement  qu'il  s'en  trouve 
d'aussi  considérables  que  ceux  de  la 
terre,  c'est-à-dire  de  1,000  mètres  et 
plus  de  largeur  :  on  les  verrait,  dit-il, 


SCH 


391 


avec  nos  instruments,  surtout  auprès 
de  la  limite  d'illumination.  IV  et  V. 
Fragments  cythéréo graphiques,  V" 
partie,  ou  Observations  sur  les  mon- 
tagnes gigantesques  et  la  rotation  de 
Vénus ,  Erfurt,  1793,  in-4o,  3  pi.,  et 
dans  les  Âcta  academ.  Mogunt. ,  1 794 , 
et  2«  partie  ,  ou  Observations  sur 
V atmosphère  de  Vénus,  et  Fragments 
aphroditographiques ,  Helmstaedt, 
1796,  in -4°,  fig.  Dans  le  premier 
de  ces  deux  ouvrages,  Schrœter  d'a- 
bord réunit  les  résultats  d'observa- 
tions qu'il  suivait  depuis  1779  sur  les 
taches  de  Vénus;  et  déclarant  que 
jamais,  malgré  des  efforts  multipliés, 
il  n'a  pu  les  voir  aussi  distinctes 
que  celles  de  Mars,  de  Jupiter  et  de 
Saturne,  il  prétend  qu'elles  ne  lui 
semblent  pas  propres  à  faire  con- 
naître avec  précision  la  rotation  de 
cette  planète.  Il  est  remarquable, 
cependant,  que  par  l'emploi  des  ob- 
servations qu'il  nous  communique 
on  arriverait  à  peu  près  à  la  pé- 
riode de  rotation  fixée  par  Cassini. 
Quant  à  l'orographie  de  Vénus,  les 
détails  dans  lesquels  il  entre  sont 
trop  nombreux  pour  qu'on  puisse 
en  donner  ici  l'idée  :  beaucoup  étaient 
absolument  nouveaux.  Il  a  notable- 
ment ajouté  aussi  à  ce  qu'on  savait 
sur  l'atmosphère  de  Vénus.  Ce  sujet 
n'avait  encore  fourni  avant  lui  que 
quelques  observations  peu  impor- 
tantes qu'on  peut  trouver  dans  1'^^- 
tronomie  de  Lalande  (t.  11),  et  à  vrai 
dire  l'existence  même  de  cette  at- 
mosphère n'était  pas  rigoureusement 
démontrée.  Schrœter  Tamise  hors  de 
doute;  il  a  vu  de  plus  qu'elle  est 
moins  dense  que  la  nôtre ,  mais 
beaucoup  plus  dense  que  celle  qu'il 
attribue  à  la  lune.  Il  a  de  même  in- 
diqué une  libration  de  la  planète  et 
attiré  Tattention  sur  divers  change- 
ments considérables  survenus  à  sa 


392, 


SCH 


surface.  VI.  Nouveaux  Mémoires 
pour  les  progrès  de  l'astronomie^ 
Gœtfingue,  1798-1800,  2  vol.  in-8°, 
Hg.  VII.  Observations  faites  à  Li- 
lienthal  sur  les  planètes  nouvelle- 
ment découvertes,  Cérès,  Pallas  etju- 
non^  pour  arriver  à  des  notions  préci- 
ces  et  exactes  siir  leur  grandeur,  leur 
atmosphère  et  d'autres  rapports  na 
iurels  remarquables  du  système  so- 
laire, GœUingue,  1805  ,  in-8°,  2  pi. 
Vesta  n'avait  pas  encore  été  décou- 
verte aa  moment  où  Schrœter  don- 
na ce  volume  extrêmement  précieux, 
tant  à  cause  de  ses  propres  observa- 
tions que  par  l'addition  qu'il  a  fait« 
de  la  traduction  du  Mémoire  d'Her- 
schel  sur  Cérès  et  Pallas  (dans  les 
Transact.  philosoph.  ûe  1802).  Du 
reste,  quelque  grande  que  soit  l'au- 
torité du  célèbre  astronome  de 
Slough,  il  faut  avouer  qu'ici  la  palme 
resteaux  deux  observateurs  de  Lilien- 
thal.  Non-seuleinent  Schrœter  etHar- 
ding  ont  plus  vu,  mais  ils  ont  mieux 
vu  qu'Herschel.  Ce  dernier  évaluait 
très -différemment  de  Schrœter  les 
dimensions  du  noyau  solide  des  deux 
planètes  soumises  à  son  examen,  Cé- 
rès et  Pallas.  Schrœter  ne  balance  pas 
à  le  regarder  comme  dans  l'erreur,  et 
il  assigne  même  les  causes  de  cette 
erreur,  due  surtout,  dit- il,  à  ce  que 
le  micromètre  de  projection  était 
trop  loin  de  l'œil  de  l'astronouie.  En 
effet,  dans  les  observations  de  Slough, 
le  micromètre  employé  par  Herschel 
était  à  178  pieds  anglais.  Les  nom- 
breuses observations  qui  suivent 
roulent  non-seulement,  ainsi  que  le 
titre  l'indique,  sur  les  dimensions  et 
l'atmosphère  des  trois  astéroïdes  (le 
troisième  toutefois  où  Junon  n'en  a 
pas  de  visible  à  nos  télescopes),  mais 
aussi  sur  la  forme,  sur  la  grandeur, 
sur  l'inclinaison,  sur  les  nœuds  de 
leur  g  orbites,  sur  leurs  inasëes,  leur 


SCH 

densité,  sur  la  pesanteur  à  leur  sur- 
face, et  surtout  sur  les  relations  qui 
en  résultent  entre  eux  et  les  autres 
astres  du  système.  Ces  relations  sont 
certainement  une  des  parties  les  plus 
curieuses  du  volume  et  une  de  celles 
qui  suggèrent  le  plus  de  réflexions. 
Schrœter  ne  néglige  pas  non  plus  la 
question  cosmogonique  ;  et  tandis 
qu'Olbers  émet  le  soupçon  que  les 
trois  astéroïdes  et  ceux  qui  plus  tard 
pourront  être  découverts  dans  les 
mêmes  régions  proviennent  du  bri- 
sement d'une  planète,  soit  par  une 
force  qui  lui  était  propre,  soit  par  la 
rencontre  d'un  corps  étranger,  d'une 
comète  par  exemple  ,  il  aime  mieux 
présumer  qu'il  existe  dans  des  ré- 
gions de  l'espace,  et  notamment  dans 
la  région  entre  Mars  et  Jupiter,  une 
quantité  de  matière  chaotique  qui 
s'agglonière  en  masses  plus  ou  moins 
considérables,  plus  ou  moins  ellip- 
tiques, et  qui  peut-être  finira  par 
n'être  qu'une  seule  planète.  VIII. 
Fragments  cronographiques,  ou  Dé- 
tails propres  à  donner  des  positions 
plus  précises  sur  la  planète  de  Satur- 
ne^ sur  son  anneau,  sur  ses  satellites, 
Gœtlingue,  1808,  in-8°,  2  pi.  Les 
principaux  points  touchés  ici  par 
Schrœter  sont  la  rotation  de  l'an- 
neau, l'inclinaison  de  ses  deux  an- 
ses l'une  par  rapport  à  l'autre,  la 
détermination  de  la  ligne  de  ses 
nœuds  relativement  àl'écliptique,et 
la  détermination  de  son  épaisseur 
moyenne,  enfin  l'inégalité,  l'aspérité 
de  la  surface.  Cette  inégalitéavait  déjà 
été  soupçonnée  par  les  prédécesseurs 
de  Schrœter;  mais  il  était  réservé  au 
bailli  de  Lilienthal  démontrera  quel 
point  elle  dépasse  tout  ce  qu'on  peut 
imaginer.  Le  mot  de  montagne  est 
beaucoup  trop  faible  pour  désigner 
convenablement  les  hauteurs  qui 
bérisseut  h  mvhcn  de  cet  mimu^ 


SCH 


SCH 


393 


Colles  qu*il  remarqua  d'abord  et  qui 
allaientàlis  m.  géog.  (environ  818 
kiloni.)  d'élévation  perpendiculaire, 
élaient  loin  d'être  les  plus  gigantes- 
ques: il  en  vit  d'autres  que  ses  dé- 
ductions et  SCS  calculs  lui  firent  por- 
ter k  iCO.et  même  à  303  m.  géog.(t'nv. 
1,260  et  2,250  kilom.).  Dans  cette  hy- 
pothèse, les  aspérite's  delasurface  de 
l'anneau  sont  à  son  épaisseur  comme 
3  et  même  comme  5.5  est  à  1.  Ce  ne 
sont  plus  des  montagnes,  ce  sont  des 
masses  plus  volumineuses  que  notre 
lune,  que  plusieurs  des  satellites  de 
Jupiter  et  de  Saturne  ,  que  les  qua- 
très  astéroïdes  réunis.  De  ces  com- 
paraisons à  i*idée  qu'il  y  a  eu  dans  la 
région  de  Saturne  une  grande  quan- 
tité de  matière  chaotique,  dont  le  res- 
te, après  la  formation  de  la  planète, 
s'amoncela  en  gros  amas  irréguliers 
à  peu  près  dans  ie  plan  de  l'équateur 
de  Salurne  ,  il  n'y  avait  qu'un  pas  : 
Schrœter  ne  pouvait  manquer  de  le 
faire.  Toutefois,  rien  n'est  encore  ac- 
quis k  la  science  sur  ce  point.  Une 
autre  assertion  très-extraordinaire, 
très-curieuse  de  Schrœter,  mais  qui 
est  encore  plus  loin  d'être  acceptée 
des  astronomes,  c'est  que  l'anneau 
est  immobile.  Ainsi  Herschel,  ainsi 
Laplace  auraient  erré  en  prononçant 
l'un  d'après  ses  observations,  l'autre 
par  ses  calculs,  que  l'anneau  accoin- 
plitun  mouvement  de  rotation  dans 
la  période  très-courte  de  10  heures  et 
demie,  et  conséquemment  avec  une 
rapidité  extraordinaire  !  11  faut  lire 
dans  Schrœter  même  les  observations 
elles  raisonnements  sur  lesquels  il 
se  fonde  pour  s'inscrire  ainsi  en  faux 
contre  une  assertion  que  lui-même 
long-temps avaitcrue  vraie.  IX. Fra^r- 
ments  hermographiques,  ou  Recher- 
ches pour  faire  mieux  connu Ure  la 
planète  de  Mercure  avec  des  observa- 
tions êu.r  celle  de  Vesta,  GoHtingue. 


1816,  in-8°.  La  principale  portion  de 
ce  volume  n'est  pas,  comme  on  pour- 
rait se  l'imaginer,  une  réimpression 
un  peu  augmentée  et  corrigée  des 
Fragm.  hermog.  que  contenaient  ses 
Beitrœgede  1800:  c'est  une  série  de 
détails  absolument  nouveaux,  très- 
riches,  très-intéressants,  et  qu'il  ob- 
tint de  1801  k  1815  (aussi  ajoute-t-il 
à  l'intitulé  que  nous  avons  donné  les 
deux  mots  :  seconde  partie).  Des  six 
sections  qui  composent  cestragments, 
les  deux  premières  sont  consacrées 
d'abord  à  l'étude  des  aspects  des  ex- 
trémités (]*•■  la  pianète  observée  dans 
sa  phase  Tiiciforme,  et,  comme  alors, 
on  lésait,  une  de  sesextrénsités  est 
tronquée,  aux  corollaires  (ju'il  est 
possible  et  légitiiiie  d'en  tirer,  puis 
aux  bandes  et  aux  taches  (pour  ne 
pas  dire  à  l'absence  de  taches)  que 
peut  présenter  la  surface  apparente 
de  la  planète  pendant  sa  rotation,  et 
enfin,  k  la  constitution  même  de  cet 
aslre.  Dans  la  troisième  section,  il 
recherche  l'inclinaison  de  l'orbite 
sur  l'équateur  et  la  porte  a[)proxi- 
mativement  k  20  ".  Dans  la  quatriè- 
me viennent  des  considérations  sur 
l'égalité  ou  l'inégalité  delà  surface 
de  Mercure;  et  de  la  forme  tronquée 
de  sa  pointe  méridionale  il  conclut 
qu'il  doit  y  avoir  vers  le  pôle  corres- 
pondante cette  pointe  des  montagnes 
énormes, au  moins  égales  pour  la  hau- 
teur k  celles  de  la  lune  et  de  Vénus. 
La  cinquième  est  rempli^  par  des  ob- 
servations sur  l'atmosphère  et  par 
les  conséquences  que  Schrœter  en 
déduit ,  sur  la  grandeur  et  la  rapi- 
dité des  changements  qui  s'opèrent 
danscette  atmosphère,  sur  la  célérité 
de  ses  masses  qui  va  en  moyenne  k  18 
pieds  par  seconde,  sur  la  ressem- 
blance quiconséquemment  existe  en- 
tre cette  planète  et  celle  de  Mars 
ainsi  que  la  notre,  sur  la  fréquencti 


scn 


SCH 


beaucoup  plus  graude  des  nu.iges 
dans  l'hémisphère  m(?ridional,  sur 
la  prohabilité  d'un  clin)at  spécial 
à  cet  héujisphère,  sur  le  peu  d'in- 
fluence que  la  variation  des  saisons 
doit  probablement  y  exercer.  Quant 
à  la  sixième  section,  il  ne  s'y  agit 
que  de  la  rotation  qu'on  portait  à  24 
heures  solaires  moyennes  plus  quel- 
ques minutes ,  et  que,  d'après  ses  prc- 
pres  observations  combinées  avec 
celles  de  Bessel,  il  réduit  à  24  h.  0' 
50".  11  essaie  après  cela  de  dire  par 
quelle  cause  physique  les  rotations 
des  4  planètes  les  plus  voisinee  du 
soleil  et  les  moins  considérables 
(les  astéroïdes  exceptés)  prennent 
presque  deux  fois  et  demie  plus  de 
temps  que  celles  des  deux  grosses 
planètes;  mais  ici  ses  efforts  ne  sont 
pas  heureux,  et  cette  belle  question 
reste  encore  à  résoudre.  X.  Plusieurs 
Mémoires  et  beaucoup  de  notes  ou 
communications  sommaires  éparses 
dans  les  feuilles  scientifiques,  notam- 
ment dans  le  Recueil  de  la  >  société 
des  amis  de  Vhistoire  naturelle^  à 
Berlin,  dans  \esAlmanachs  astrono- 
miques de  Bade,  à  partir  de  1786, 
dans  les  Êphémérides  géographiques 
de  Zach,  etc.,  etc.  P— or. 

SCHRŒTER  (Frédéric -Char- 
les-Constantin), peintre,  né  le  31 
mars  1794,  était  le  fils  d'un  vé- 
térinaire de  régiment  saxon.  On 
voulut  d'abord  en  faire  un  phar- 
macien, puis,  revirement  assez  bi- 
zarre, ou  le  niit  en  apprentissage 
chez  un  menuisier.  Là  on  lui  apprit 
quelques  éléments  de  dessin  linéaire. 
C'est  alors  que  sa  vocation  se  ré- 
véla, et  au  lieu  de  lits,  de  chaises  et 
autres  objets  semblables,  il  se  mit  à 
imiter  des  maisons,  des  arbres,  des 
paysages,  des  figures.  Ses  belles  dis- 
positions n'attendrirent  pas  son  père, 
et  long-temps  encore  il  poussa  la  ver- 


lope  et  le  rabot.  Enfin  pourt;int,  en 
1811,  quand  il  eut  été  déclaréquitte 
des  obligations  militnires de  l'enfant 
de  troupe,  il  put  se  livrer  à  ses 
goûts  et,  conformément  à  l'avis  du 
peintre  Schmalfoss,  visiter  l'Acadé- 
mie de  peinture  de  Leipzig.  11  avait 
alors  seize  ans.  Il  possédait  si  peu  de 
ressources  pécuniaires  que,  ne  pou- 
VJint  payer  le  loyer  d'une  chambre  à 
Leipzig,  il  demeurait  àSkeuditz  avec 
son  père,  et  se  rendait  à  pied  de  là  jus- 
qu'à Leipzig,  plusieurs  fois  par  se- 
maine, pour  y  suivre  les  cours.  Heu- 
reusement le  directeur  de  l'Académie 
et  le  receveur  -  général  de  l'accise 
provinciale  (SchnorretKeyl)  ne  tar- 
dèrent pas  à  le  remarquer.  Keyl  sur- 
tout prit  intérêt  à  lui  au  point  de 
l'envoyer  à  Dresde  avec  son  fils,  afin 
de  s'y  perfectionner  (1818).  Schrœ- 
ter  ne  pouvait  manquer  de  faire  de 
grands  progrès  au  milieu  des  chefs- 
d'œuvre  et  desartistes  de  cette  ville: 
il  remporta  deux  prix  et  fut  admis 
dans  l'atelier  de  Pochmann.  Entre 
autres  talents,  il  avait  celui  de  saisir 
parfaitement  la  ressemblance,  et  il 
résolut  de  l'utiliser  immédiatement. 
Il  revint  à  Leipzig ',61  malgré  le  pro- 
verbe, juste  si  souvent,  qu'on  n'est 
pas  prophète  en  son  pays,  il  eut 
bientôt  de  la  clientèle.  Mais  le  champ 
un  peu  borné  dans  lequel  il  semblait 
s'être  circonscrit  ne  fut  pas  long- 
temps sanss'agrandir.  Il  ad  vintqu'un 
jour  ayant  voulu  réunir  dans  un 
même  cadre  le  portrait  d'une  mère 
et  celui  de  la  fille,  il  les  représenta 
l'une  filant,  l'autre  faisant  de  la  den- 
telle. Ce  groupe  formait  un  tableau 
de  genre  tout  à  fait  délicieux;  etsur- 
le-champ  le  libraire  Knobloch  en 
offrit  100  thalersà  l'auteur.  L'aven- 
ture fit  du  bruit,  chacun  voulut  voir 
l'œuvre  à  son  tour.  Il  en  fut  fait 
exhibition   publique,  et  tandis  que 


SCH 

les   curinix  enchérissaient  les  uns 
sur  les  autres  en  louanges,  Schnorr 
conseillai!  au  jeune  artiste  de  se  li- 
vrer   uniquement    de'sormais    à   la 
peinture  de  genre,  lui  promettant 
dans  cette  voie   honneur  et  profit. 
Schrœter  en  crut  ses  conseils,  et  il 
n'eut  point  à  s'en-  repentir.    Tout 
Dresde  fut  dans  l'enchantement  de 
ses  Petits  Drôles   (1824),  et  ad- 
mira les  gestes,  les  poses,  les  mines 
variées  des  fripons  de   petits   pay- 
sans et  des  ivrognes  auxquels  ils  font 
des   niches  :   personne   surtout   ne 
pouvait    regarder    sans   pouffer   de 
rire  ce  gros  et  robuste  paysan  qui 
semble  ronfler  de  toutes  ses  forces 
et  auquel  ses  malins  persécuteurs,  en 
lui  chatouillant  le  dessous  du  nez 
avec  un  épi  d'orge,  font  faire  une  si 
épanouissante  grimace.  Il  est   vrai 
que  de  tous  les  admirateurs  aucun 
n'acheta  le  tableau.  Mais  par  contre, 
Schrœter  l'ayant,  un  an  et  quelques 
mois   plus  tard,  exposé   à  Berlin, 
avec  un  pendant,  vit  l'une  et  l'autre 
production    sévèrement    critiquées 
par  les  arbitres  du  goût,  mais  re- 
cherchées par   les  amateurs  et  bien 
payées.  Aux  censures,  d'ailleurs,  ne  se 
mêlait  point  d'expression  de  mépris. 
On  le  critiquait  en  artistede  valeur, et 
grâce  à  lui,  la  peinture  de  genre  pre- 
nait dans  les  discussions  une  pl.ice 
plus  considérable  qu'on  n'était  habi- 
tué à  la  lui  accorder.  Schrœter,  par 
suite  de  cette  disposition  des  esprits, 
fixa  sa  demeure  à  Berlin.  Et,  en  effet, 
il  ramena  complètement  à  lui  les  es- 
prits des  Berlinois.  L'exposition  de 
1828  eut  de  lui  quatre  tableaux  :  le 
Maître  de  musique,  VObservateur, 
VAppétit,  le  Sermon.  Très-peu    de 
reproches  et  de  restrictions  se  mê- 
lèrent aux   louanges    qu'ils    obtin- 
rent tous  les  quatre,  et  le  moindre 
se  vendit  à  un  prix  très  -  conve  - 


SCH 


91 


oyo 


nable.  Chaque  année,  à  partir  de  ce 
temps,  ajoutait  à  son  renom,  et  Ton 
recherchait  de  plus  en  pins  ses  ou- 
vrages, qui  furent  encore  au  nombre 
de  quatre  à  l'exposition  de  1830,  sa- 
voir :  V Anniversaire  de   la  mère- 
grand,  la  Cuisine.)  le  Potier  et  son 
voisin,  le  Dîner  de  pain  sec.  Schrœ- 
ter   se  surpassa  encore    quand   en 
1832  il  peignit  sa  Vente  à  Vencan 
après  le  décès  du  peintre.  C'est  sans 
contredit  son  chef-d'œuvre.  La  com- 
position en  est  riche,   les  groupes 
sont    heureusement   disposés,    les 
physionomies  parlent,  et  il  serait  dif- 
ficile de  trouver  un  coloris  plus  déli- 
catement nuancé  :  verve, expression, 
détails,  ensemble,  tout  y  est  vrai- 
ment digne  d'admiration,  tout  décèle 
la  touche   d'un   maître.  Nul   doute 
pourtant  que  Schrœter  n'eût  été  in- 
finiment plus  loin  s'il  eût  vécu,  car 
chaque  année  son  talent  grandissait. 
Mais  déjà  la  mort  avait   marqué  sa 
proie.  Depuis  long-temps  il, avait  la 
poitrine  prise,  quand  en  1833  il  se 
rendit  aux  eaux  de  Salzbrunn.  Cha- 
que épisode  un  peu   intéressant  du 
voyage   fournissait  à   son  facile  et 
jovial    pinceau   des    scènes    pleines 
d'humour  et  de  vérité.  Quel   Alle- 
mand ne  connaît,  grâce  à  la  litho- 
graphie,  le  Paillasse  de    Warm- 
brunn,   la  Fille  de  café,  la  Halte 
juive  en  voyage  et  la  Noce  d'or?  et 
quelque   imparfait  que  soit  l'art  de 
Sennefelder  pour  reproduire  la  pein- 
ture,   qui    n'a    éprouvé   tantôt   un 
charme  puissant  et  intime,  tantôt  un 
accès  de  gaîté  folle  devant  ces  cro- 
quades  délicieuses?  Les  deux  derniè- 
res surtout  ont  quelque  chose  d'ini- 
mitable.  Elles  furent  achevées,   la 
Halte  en   1833,   la  Noce  en    1834. 
L'année    suivante,  Schrœter  expi- 
rait le  18  octobre,  n'ayant  encore 
que  quarante  ans.  Il  fallait  l'appro- 


196 


SCH 


SCH 


che  de  ce  funeste  dt^iiouemeiit  pour 
qu'un  peu  de  mélancolie  vînt  chez 
lui  se  mêler  à  la  jovialité.  De  là  son 
avant-dernier  tableau,  où  l'on  voit 
un  vieillard  assis  devant  une  table 
avecune  jeune  fille  derrière  laquelle 
un  enfant  joue  à  Ja  poupée.  De  là 
aussi  peut-être  le  dernier,  la  Mère 
faisant  entrer  de  force  à  l'école  son 
petit  garçon  qui  regimbe  :  car , 
quoiqueen  un  sens  il  n'y aitlàqu'un 
effet  plaisant  à  saisir,  pour  qui  pé- 
nètre plus  avant,  n'y  a-t-il  pas  dans 
cette  scène  un  avant  goût  et  un 
symbole  de  la  vie,  oii  tout  est  con- 
trariété, où  nous  nous  révoltonscon- 
tre  le  devoir  et  contre  l'utile,  où 
nous  n'obéissons  qu'à  la  force  du 
poignet?  P— or. 

SCIlLliER T  ou  DE  SCHUBERT 
(Frédéric -Théodore),  astronome 
renommé,  naquit  le  30  octobre  1758. 
Bien  qu'il  eût  huit  frères  et  sœurs, 
et  qu'il  fût  le  huitième,  la  position 
sullisamment  lucrative  de  son  père, 
professeur  de  théologicàTufiiversité, 
et  plus  tard  conseiller  ecclésiastique 
eu  chef  à  Greifswalde,  lui  permit  de 
recevoir  une  excellente  éducation, 
tant  par  des  instituteurs  domesti- 
ques qu'au  gymnase  de  Greifswalde. 
H  réunissait  d'ailleurs  le  zèle  et  l'ap- 
titude, et  dès  le  premier  âge  il  ma- 
nifesta les  plus  heureuses  disposi- 
tions. Il  avait  perdu  son  père  (1774) 
depuis  deux  ans,  quand,  très-jeune 
encore,  il  commença  son  triennal 
académique  à  Gœttingue  (1776-1 779). 
Destiné  à  la  carrièrt^  ecclésiastique, 
il  suivit  surtout  le  cours  de  théolo- 
gie ^  mais  à  cette   étude  il  joignit 
celle  des  idiomes  orientaux,  et  il  se 
fit  remarquer  de  Michaëlis,  dont  il 
fut  disciple  assidu.  Forcé  ensuite  de 
se  créer  des  ressources  en  attendant 
qu'il  eût  atteint  Tâge  où  l'on  reçoit 
les  ordres,  il  alld  reconduite  deux 


jeunes  Suédois  dans  leur  patrie,  puis 
quatre  ans  durant  il  habita,  comme 
précepteur  particulier  des  enfants  du 
major  de  Cronhelm  de  Bartelshagen, 
les  environs  de  Stralsund  en  Pomé- 
ranie  suédoise.  Cette  époque  de  sa 
vie  décida  de  son  avenir-,  car  c'est 
dans  cette  maison  qu'il  prit  le  goût 
de  l'astronomie,  à  laquelle  jusqu'a- 
lors il  était  étranger,  et  c'est  dans 
cette  maison  que  plus  tard  il  se  choi- 
sit et  obtint  une  épouse.  Le  major, 
passionné  pour  la  science  des  Kepler 
et  des  Herschel,  possédait  une  belle 
collection  d'instruments  astronomi- 
ques. Les  circonstances  et  l'exemple 
font  tout  le  plus  souvent.  Schubert 
ne  tarda  point  à  partager  les  prédi- 
lections et  les  travaux  de  son  pa- 
tron ;  il  devint  y[i\  très-habile  et  in- 
fatigable  observateur,  et,  voulant 
joindre  la  théorie  à  la  pratique,  il 
ne   recula  point  devant  une  étude 
fort  approfondie  des  mathématiques. 
On  le  vit  ensuite  (1783)  passer  à  Re- 
vel,  toujours  chargé  des  mêmes  fonc- 
tions de  précepteur  particulier.  Mais 
il  ne  les  exerça  que  peu  de  temps,  et 
le  gouvernement  russe,  toujours  en 
quête  des  capacités  étrangères,  se 
l'attacha  comme  inspecteur  du  cercle 
d'Habsal  en  Esthonie.Là  il  se  signala 
en  employant  les  moments  de  loisir 
que  lui  laissait  son  service  militaire 
à  faire  des  cours  aux  jeunes  cadets 
des  provinces  baltiques.  Il  en  résulta 
qu'en  1785  l'académie  des  sciences 
de  St-Pétersbourg  l'appela  dans  celte 
ville  avec  le  litre  de  son  géographe. 
Schubert    s'empressa    d'y    réparer 
les  dommages  causés  par  un  récent 
incendie  au  célèbre  globe  terrestre, 
de  Goff.  Adjoint  dès  l'aimée  suivante 
à  la  classt;  de  mathématiques,  et  bien- 
tôt membre  du  conseil  académique, 
il  ftnit  par  devenir  (en  1789)  mem- 
bre titulaire  de  rdcadémie.  Ctlleci 


SCH 

Pavait  chargé,  en  1788,  de  rédiger 
son  Annuaire  (Kalcnder),  tâche  qu'il 
remplit  ou  fut  censé  remplir  plus  de 
trente  ans.  De  front  avec  ce  travail 
et  avec  ses  fonctions  de  géographe, 
il  faisait  marcher  ses  études  astro- 
nomiques ;  et  son  Traité  d'astrono- 
mie théorique,  en  trois  voluuies,  dé- 
dié au  grand-duc  Alexandre  (1798), 
popularisa  son  nom  comme  astro- 
nome. Il  est  probable  que  cette  pu- 
blication ne  fut  pas  sans  influence 
sur  le  titre  qu'il  obtint  bientôt  après 
d'inspecteur  de  la  bibliothèque  et  du 
cabinet  des  médailles  de  l'académie 
(1799).  Quatre  ans  plus  tard,  Alexan- 
dre le  chargea  de  faire  aux  officiers 
de  rétat-major  un  cours  d'astrono- 
mie pratique,  et,  en  1804 ,  il  devint 
premier  astronome  de  l'observatoire 
de  Tacadémie.  Usant  toujours,  dans 
l'intérêt  de  la  science,  de  la  grande 
considération  qui  l'entourait,  il  fit 
adopter  au  gouvernement  l'idée 
d'attacher  un  astronome  à  la  flotte 
de  Cronstadt,  et  d'en  avoir  un  à  Ni- 
colaïef.  C'est  lui  qui  désigna  les  can- 
didats au  choix  du  monarque  ;  c'est 
lui  qui  fît  le  plan  de  l'observatoire 
de  Nicolaïef.  Il  accompagna,  en  1805, 
l'ambassade  russe  en  Chine,  en  qua- 
lité de  chef  de  la  section  scientifi- 
que, avec  mission  de  recueillir  sur- 
tout les  documents  astronomiques  et 
littéraires.  Il  lui  fut  assuré  à  cet  ef^ 
fet, outre  ses  appointements  qui  cou- 
raient toujours,  8,000  roubles  une 
fois  donnés,  plus  une  pension  de 
1.000  roubles  réversible  à  sa  fa- 
mille, au  cas  où  il  mourrait  pendant 
le  voyage.  Le  bataillon  de  savants 
que  commandait  Schubert  en  cette 
occasion  se  composait  du  colonel 
d'Auvray,  de  cinq  autres  officiers  de 
la  suite  de  l'empereur,  de  son  fils, 
qui  fit  depuis  un  beau  chemin  dans 
l'armée,   du   médecin   Harry,   d'un 


SCH 


897 


comte  Potocki  et  de  quatre  natura- 
listes. De  Kazan,  où  les  voyageurs 
s'étaient  rendus  par  Novgorod-la- 
Grande,  par  Tver  et  par  Moscou, 
l'itinéraire  passait  ensuite  par  Éka- 
térinbourg,les  monts  Ourals,Tobolsk, 
Irkoutsk  et  Kiachta,  sur  laqi^elle 
l'expédition  devait  se  rabattre  au  cas 
où  elle  ne  pourrait  pénétrer  dans  le 
Céleste-Empire.  Mais  tout  se  passa 
heureusement  ;  et  Schubert  put  rap- 
porter, tant  de  la  Chine  que  de  la 
Sibérie,  un  grand  nombre  d'obser- 
vations précieuses.  Les  récompenses 
ne  lui  manquèrent  pas  ;  et  tout  en 
nous  plaisa!it  à  rendre  justice  à  ses 
mérites  divers  et  à  son  activité  infa- 
tigable, il  faut  avouer  qu'il  ne  recu- 
lait pas  devant  le  cumul.  Grâce  au 
patronage  de  l'impératrice-mère,  il 
fut  mis,  en  1808,  à  la  tête  de  la  ré- 
daction de  VÂlmanach  allemand  de 
Saint-Pétersbourg,  qui  sort  du  cer- 
cle des  futiles  publications  du  jour 
de  l'an  par  les  morceaux  d'astrono- 
mie, de  physique,  de  géographie  et 
d'histoire  que  Ton  y  rencontre.  En 
1810,  il  fut  chargé  de  la  partie  alle- 
mande de  la  Gazette  de  Sainl-Pé- 
tersbourg,  ou  Gazette  de  la  cour, 
moins  toutefois  les  articles  de  poli- 
tique extérieure.  En  1813  enfin,  il 
prit  rang  parmi  les  membres  du  col- 
lège de  l'amirauté,  avec  la  mission 
spéciale  de  dresser  les  instructions 
nautiques  et  aussi  de  préparer  1'^^- 
manach  maritime  (Seekalender)  à 
l'usage  des  officiers  de  marine.  Sa 
vie  depuis  ce  temps  n'offre  rien  de 
particulier,  si  ce  n'est  que,  conseil- 
ler de  collège  depuis  1799,  conseiller 
d'État  provincial  depuis  1804,  il  fut 
promu,  en  1816,  au  rang  de  conseil- 
ler d'État  (ce  qui  en  Russie  donne 
droit  au  titre  d'excellence,  et  que 
de  nombreuses  sociétés  savantes , 
tant  en  Allemagne  qu'en  Danemark, 


398 


SCH 


en  Suède,  en  France,  en  Italie  et  dans 
TAmérique  du  Nord,  inscrivirent  son 
nom  sur  la  liste  de  leurs  membres. 
Sa  mort  eut  lieu  le  22  octobre  1825 
(10  octobre  russe),   après  une    ma- 
ladie de  peu  de  durée.  La  veille  en- 
core, non  -  seulement  il  corrigeait 
des    épreuves,     mais    il    méditait 
des  articles.  La  nuit,  des  figures  géo- 
métriques   assiégèrent   en    quelque 
sorte  son  imagination  :  il  ne  put  y 
tenir,  il  se  leva,  sonna,  se  fit  appor- 
ter un  tableau  de  mathématiques, se 
livra  tout  haut  à  quelques  calculs,  et 
traça  quelques  lignes  illisibles,  mais 
formula    distinctement  la   solution 
d'un  problème  difficile,  après  quoi  il 
retourna  au  lit,  pour  ne  plus  se  re- 
lever. vSa  femme  l'avait  précédé  au 
tombeau.   Il  laissait,  outre  un  fils 
dont  nous  avons  dit  quelques  mots, 
et  qu'on  a  vu  à  Paris,  en  1814,  quar- 
tier-maître-général du  corps  russe 
de  Voronzof,  cinq  filles,  dont  l'aînée 
mariée  au  consul-général  de  Russie 
à  Rio-Janeiro,  M.  de  Langs'dorf.  La 
munificence  de  l'empereur  Nicolas 
assura  aux  quatre  autres  une  pension 
de  7,000  roubles  papier.  —  Schubert 
était    principalement    remarquable 
par  la  souplesse  et  la  variété  de  ses 
talents.  Astronome  consommé,  pra- 
tique, il  était  en  même  temps  très- 
habile  mathématicien  ;  il  était  versé 
en  physique  ^  il  était  fort  en  histoire 
naturelle,  en  anatomie.  Il  parlait  le 
français  et  l'anglais  comme  les  natio- 
naux de  ces  deux  contrées  ^  son  style 
allemand  est  classique  ^  fort  différent 
de  la  plupart  des  étrangers  qui  vont 
faire  leur  fortune  en  Russie,  il  pos- 
sédait le  russe.  Il  n'avait  point  ou- 
blié ce  qu'il  avait  appris  des  langues 
orientales  à  Gœttingue.   Il  avait  la 
parole  facile,   lucide,  gracieuse;  il 
aspirait  toujours  à  la  forme  litté- 
raire ;  il  s'élevait  quelquefois  à  l'é- 


SCH 

loquence  lorsque  son  sujet  s'y  prê- 
tait, par  exemple,  s'il  avait  à  parler 
du  système  solaire,  à  en  récapituler 
les  grandes  lois,  l'équilibre,  l'har- 
monie, la  stabilité;  k  en  déduire  les 
corollaires  que  ces  grands  phéno- 
mènes  semblent  appeler.   Il  était, 
comme  ses  compatriotes,  grand  con- 
naisseur en  musique,  et,  qui  plus  est, 
il  jouait  du  piano,  du  violon,  de  la 
flûte  et  du  hautbois,  nous  n'oserions 
dire  «  en  maître,  »  mais  pourtant  on 
l'a  dit  avant  nous.  On  doit  à  Schu- 
Dert    les    ouvrages    qui    suivent  : 
I.    Traité   d^ astronomie    théorique 
(en  ail.),  1798,  3  vol.  gr.  in-4»,  fig.; 
2'^  éd.  (en  fr.),  1822,  3  vol.  in-é",  fig. 
Bien  que  cette  deuxième  édition  ne 
soit  souvent  qu'une  traduction  de 
l'ancien  texte,  les  augmentations  et 
les  rectifications  nécessitées  par  les 
immenses  progrès  de  la  science  y 
sont  si  nombreuses,  qu'on  peut  la 
regarder  presque  comme  un  autre 
ouvrage.   Toutefois    Schubert    y   a 
gardé  les  principaux  linéaments  de 
sa  division  générale.  Ainsi  son  pre- 
mier volume  traite  de  la  sphère  cé- 
leste et  des  mouvements  apparents  ; 
dans  le  second  arrive  ce  qu'il  nomme 
l'astronomie  rationnelle,  ou  exposi- 
tion des  procédés  par  lesquels  des 
effets  observés  et  mesurés  les  astro- 
nomes se  sont  efforcés  de  remonter 
aux  causes  qui  les  produisent.  Dans 
le  troisième,  qu'il  consacre  à  la  géo- 
graphie physique,  nous  trouvons  les 
principes  généraux  de  la  mécanique, 
leur  application  à  la  théorie  newto- 
nienne,  les  effets  de  l'attraction  des 
corps  célestes  les  uns  sur  les  autres, 
la  rotation  des  planètes,  la  précession 
des  équinoxes,  la  nutation,  les  per- 
turbations, enfin  la  théorie  de  la 
lune  et  des  autres  satellites,  notam- 
ment de  ceux  de  Jupiter.  Il  est  cer- 
tain, à  notre  avis,  que  cette  marche, 


SCH 

dans  laquelle  on  laisse  trop  long- 
temps le  lecteur  s'en  rapporter  aux 
apparences,  est  préjudiciable  pour 
l'étude  de   rastronomie,  et  donne  à 
l'esprit  des   habitudes  dont   il    est 
presque  impossible  ensuite  de  pren- 
dre le  contre-pied  ^  mais  il  est  cer- 
tain aussi  qu'elle  a  de  la  grandeur  : 
elle  nous  fait  assister  au  développe- 
ment historique  de  la  science,  et 
c'est  là,  certes,  un  spectacle   ma- 
jestueux que    celui   de    ces   hom- 
mes, de  ces  générations  qui  vien- 
nent  à  tour  de  rô'îe  apporter  leur 
quote-part  à  l'édifice  d'abord  si  hum- 
ble et  si  chancelant  de  la  science, 
de  tous  ces  efforts,  de  tous  ces  sys- 
tèmes qui  se  succèdent  pendant  des 
siècles,  corrigeant  toujours  l'erreur 
antérieure  et  ajoutant  des  faits  nou- 
veaux ;  au  temps  même  où   l'astro- 
nomie n'a  encore  ni  instruments,  ni 
hautes  méthodes,  ni  moyens  expédi- 
tifs,  ni  moyens  de  contrôle,  il  y  a 
plaisir  à  voir  comment  observent  et 
raisonnent ,  conunent  calculent  et 
imaginent  les  Hindous,  les  Chaldéens, 
les  Égyptiens  et  les  Grecs,   les  Phi- 
lolaiis,  les  Méton ,   les  Hipparques, 
les  Callippe ,  les  Aristarque  de  Sa- 
mos  et  les  Ptolémée.  Et  à  vrai  dire, 
pour  qui   n'étudierait  l'astronomie 
qu'en  aniateur,  pour  qui  préférerait 
l'histoire  de  la  science  à  la  science 
même,  la  manière  de  Schubert  serait 
la  meilleure.  II.  Astronomie  popu- 
laire (en  ail.   aussi),    St-Péiersb., 
1808,  3  vol.-,  2«  éd.,   1810,  gr.  in-8°. 
\\i-  Histoire  de  r astronomie  {en  diW  .)^ 
StPélersb.,    1804,  m-S\  IV.   In- 
structions pour  déterminer  astrono- 
miquement  les  longitudes,  et  latitudes 
(enall.),St-Pétersh.,  1806,gr.in-i". 
Cet  opuscule,  composé  pour  les  of- 
liciers  de  l'etat-major  auxijuelsil  Fut 
chargé  en   1803  de  faire  un  cours 
d'astronomie,   fut    immédiatement 


SCH 


â99 


traduit  en  russe,  et  a  eu  plusieurs 
éditions    dans    les   deux    langues. 
V.  De  Vemploi  du  galvanisme  sur 
les  sourds  de  naissance,  Dresde, 
in-8^.  VI.  Divers  Mémoires  ou  Notes 
de  mathématiques,  d'astronomie  et 
de  géographie  dans  les  Nova  Acta 
Ac.  se.  petropoL,  et  dans  les  Mém. 
de  VAc.  des  se,  de  St-Pétersbourg, 
qui  ont  fait  suite  aux  Nova  Acta, 
Les  voici,  au  complet  pour  ledeuxième 
recueil,  à  peu  près  au  complet  pour 
le  premier,  et  suivant  l'ordre  métho- 
dique le  plus  naturel  :  i""  Réflexions 
sur  la  théorie  du  calcul  différentiel 
(t.  V,  1815,  lUpages:  ce  mémoire  est 
capital)  ^  2»  Démonstration  du  théo- 
rème de  Taylor  (VU,  1820)^  3"  Dé- 
monstration générale  du  théorème 
de  Newton  sur  la  relation  qui  existe 
entre  les  coefficients  d'une  équation 
et  la  somme  des  puissances  de  leurs 
racines  (11,  1812  :  cette  démonstra- 
tion  est   plus    commode   que  celle 
qu'on  trouve  chez  Kœstner,  Éléments 
d'analyse  des  grandeurs  infinies, 
§  751);  4°  De  la  sommation  des 
suites  (X,  1826)  ;  5^  De  la  solution 
des  équations  implicites  à  deux  va- 
riables (X,  1826)  ;  6°  Des  maxima  et 
minima  des  fonctions  de  plusieurs 
variables  {Y^  1815);  7^  Réflexions 
sur  les  principes  de  la  mécanique 
(IX,  1824)  ;  8°  Réflexions  sur  les  cas 
de  rebroussement  (VI,  1821)  ^.  9°  De 
curva  loxodromica  in  corpore  quo- 
vis  rotundo  descripta  (XV,  1808). 
Ainsi  que  l'indique  le  litre  même,  ce 
n'est  pas  sur  la  sphère  seulement 
que  Schubert  recherche  la  loi  et  les 
propriétés  de  la  loxodromique.  Il  re- 
cherche ce  que  devient  sur  l'ellip- 
soïde, sur  l'hyperboloïMe,  sur  le  pa- 
raboloïde,  cette  courbe  si   intéres- 
sante en  navigation.  De  la  discussion 
générale  qu'il  institue  ainsi  résul- 
tent, chemin  faisant,  beaucoup  de 


400 


SCH 


propositions  importantes.  Ainsi,  par 
exemple,  la  projection  orlhogriphi- 
quedelaloxodromiquetracéesurune 
sphère  est  une  spirale  logarithmi- 
que ^  et  la  loxodromique  menée  sur 
un  paraboloïde  jouit  de  cetle  pro- 
priété    remarquable    qu'un     corps 
obéissant  à  la  gravitation  seule  par- 
court en  temps  égaux  des  éléments 
de  ladite  loxodromique  (de  sorte  que 
deux  ou  plusieurs  corps  partant  au 
même  instant  d'un  même  méridien 
parabolique,  mais  de  points   diffé- 
remment éloignés  du  pôle,  se  trou- 
veront au  bout  d'un  laps  de  teuips 
placés  sur  un  même  méridien  autre 
que  le  premier).  10^  De  laprécession 
en  ascension  droite  et  en  déclinaison 
(IX,  1825)^  11®  De  l'aberration  des 
étoiles  fixes  (VI,  1818)  ;  12»  Remar- 
ques sur  la  méthode  des  anciens  pour 
déterminer  la  parallaxe  de  la  Lune 
(VIII,  1823)^  13°  Nouvelle  inéthode 
pour  réduire  les  distances  lunaires 
(X,  1826)-,  14°  Deux  propositions 
(VI,  1788),  l'une  pour  la  détermina- 
tion de  l'azimuth  et  de  l'angle  ho- 
raire d'une  étoile,  l'autre  pour  dé- 
terminer   la   hauteur    polaire;   15® 
Animadversiones  de  methodo  de  de- 
terminandi  locum  cometœ  opë  pro- 
jectionis  (XV,  1808)  ;  16°  De  l'usage 
du  micromètre  annulaire  (V,  1815); 
170  De  l'accroissement  des  diamètres 
apparents  du  Soleil  et  de  la  Lune 
causé  par  la  réfraction  {Xi,  1827), 
quatre  mémoires  posthumes  ;  18°  Ta- 
bles de  la  correction  du  midi  (VIII, 
1822)  ;  19°  Observation  de  l'éclipsé 
du  11  fév.  1804  et  des  Pléiades  le 
12  avril  (I,  1809)  ;  20"  Remarques 
sur  quelques  équations  de  la  Lune 
(II,  1810)-,  21°  Des  passages  de  Mer- 
cure sur  le  Soleil  dans  le  XIX'  siècle, 
et  des  deux  passages  de  Vénus  devant 
le  Soleil  le  9  déc.  1874  et  le  6  déc. 
1882  (XIV,  1806)  ^  22°  Théorie  de 


SCH 

Mars,  et  principalement  des  pertur- 
bations qu'occasionnent  dans  sa  ré- 
volution Jupiter,  Vénus  et  la  Terre 
(XIV,  1800);  23°  Des  perturbations 
que  Jupiter  cause  dans  les  mouve- 
ments de  Cérès  (XIV,  1806)  ;  24°  Cal- 
cul de  V  opposition  de  Jupiter  obser- 
vée à  St-Pétersbourg  l'an  1816  (V, 
1817);  25°  Opposition  de  Jupiter  et 
occultations  observées  à  l'obs.  de 
l'Acad.  (VI,  1818)  ;  26°  Calcul  de 
l'opposition  d'Uranus  et  de  Saturne 
observéeà St-Pétersb.,  tS0S{llS09)\ 
27«  Calcul  des  observations  de  la 
grande  comète  de  1807  faites  à  l'obs. 
de  St-Pétersb.  (l,  1809);  28°  Obser- 
valions  de  la  comète  de  1811  faites  à 
l'obs.  de  St'Pétersb.  (IV,   1813); 
29°  Calcul  des  observations  de  la  co- 
mète de  1815  faites  à  Vobs.,  etc.  (V, 
1817);  30°  (avec  Wisniewsky)  Pas- 
sage de  la  comète  de  1819  aw  méri- 
dien, observée  à  Vobs.  de  l'Acad.  des 
se.  (VII,   1822);  31°  Observations 
faites  à  l'obs.  de  VÀc.  de  St-Pétersb, 
(II  1810);  '62"  De  la  projection  stéréo- 
graphique   du  sphéroïde  elliptique 
(deux  parties,  la  l--^,  V,  1789,  la  2^, 
VI,  1790).  Quelque  légère  que  soit  la 
différence  entre   le  méridien  de  la 
sphère  et  celui  d'un  ellipsoïde  à  aussi 
faible  excentricité  que  la  terre,  ce- 
pendant c'est  une  recherche  mathé- 
matique qui  ne  peut  manquer  d'in- 
térêt que  celle  de  cette  différence; 
et  déjà    Lowitz,  dans    le  Deutsche 
Staatsgeog.  de   1753,  avait  donné 
des  formules  pour  la  projection  sté- 
nographique  du  sphéroïde,  mais  sans 
les  démontrer.  Schubert  reprend  ici 
le  problème.  Il  admet  pour  la  rela- 
tion entre  les  deux  axes  le  chiffre 
posé   par  Newton,   que    les    obser- 
vations modernes  ne  tendent  à  di- 
minuer que  d'un  dixième  au  plus,  et 
calcule  ce  qui  advient  alors,  soit 
avec  la  projection  polaire,  soit  avec 


SCH 


SCH 


401 


la  projection  équatoréaie,  soit  enfin 
avec  la  projection   horizontale  ;   il 
trouve  que  pour  des  cartes  spe'ciales, 
c'est-à-dire  ne  représentant  que  peu 
de  pays  sur  de  grands  espaces,  il  est 
bon  d'avoir  e'gard  à  l'ellipticitë;  et 
il  indique  un  procédé  suivi  aujour- 
d'hui  pour  obtenir  les  projections 
des  méridiens  elliptiques.  SS»  Dé- 
termination des  latitudes  et  longi- 
tudes de  divers  points  de  la  Russie 
(d'Europe,  entre  autres  Polotsk,  Ar- 
khangel, Onega, Vitegra)  (XV,  1808)', 
34°  Détermination  astronomique  de 
quelques  villes  de  Vcmpire  russe  (I, 
1806)  ;  35"  Position  géographique 
de  quelques  lieux  de  L'empire  russe 
(II,  1810)  ;  36°  Détermination  de  la 
position  géographique  de  Bacou  (X, 
1826).  VU,  Beaucoup  d'articles  dans 
VAlmanach  de  Bode,  entre  autres  '■ 
VDu  nombre  des  étoiles  fixes  {iSOby^ 
2°  Sur  le  problème  de  Kepler  (1820); 
3"  Des  mouvements  des  planètes  dans 
Véther  (1802)  ;  4°  Calcul  de  la  véri- 
table anomalie  d'une  planète  (1820); 
5"  Calcul  des  passages  des  planètes 
inférieures  sur  le  Soleil  (1803)  ;  6° 
Des  perturbations  opérées  par  l'ac- 
tion de  Jupiter  sur  les  nouvelles  pla- 
nètes (1801)  ;  7"  Sur  la  théorie  de  la 
Lune  selon  Ptolémée  (1805)  ;  8"  06- 
gervations  de  la  comète  d'oct.  1807 
(1812)  ;  9°  Détermination   géogra- 
phique de  quelques  points   de  la 
Russie  d'Asie  (1818,  v.  pins  haut, 
n"33  et  35).  VIII.  10  (dans  les  Mm. 
sur  la  marine,  les  sciences  et  les  let- 
tres, publiés  par  l'Amirauté  russe, 
t.  VIII,  1824)  Opinion  sur  les  obser- 
vations des  lieutenants  Vrangel  et 
Anjou;  2°  (dans  les  n°'  13-16  du 
Vestnik  Erropii  ou  Courrier  de  l'Eu- 
rope de  1 825  )  Sur  l'invention  du 
papier,  en  ail.  ;  3"  (dans  les  n°'  149, 
150,  156,  158,  du  Morgenblatt  de 
1332)  Du  cerveau  et  de  l'intelligence 


des  animaux.  La  plupart  de  ces  ar- 
ticles, mémoires  et  notes  ont  été 
réunis  sous  le  titre  de  Mélanges 
(Vermischte  Schriften),  Stuttgart, 
1823  et  ann.  suivantes,  7  vol.  \\\-\'\ 
—  Un  autre  Schubert  [François) , 
musicien  autrichien  ,  né  a  Vienne 
en  1795  et  mort  dans  cetie  ville  en 
1830,  s'est  fait  un  nom  comnie  com- 
positeur. Ses  parents  avaient  sou- 
haité le  pousser  vers  la  philosophie 
et  le  haut  enseigi  ement  ;  mais  s.i  vo- 
cation en  décida  autrement  :  il  fît, 
presque  sans  maîtres,  derapirles  pro- 
grès en  musique  ;  et  le  chanteur  Vo- 
gel  lui  ouvrit  l'entrée  des  cercles  les 
plus  distingués.  Le  talent  du  jeune 
artiste  fit  le  reste.  Il  excellait  sur- 
tout pour  le  chant  mélancolique  et 
grave*,  el  rien  n'égale  la  su-ivité  de 
quelques-uns  de  ses  chants  ou  mélo- 
dies (en  allemand  lieder  ^  pluriel 
àe;lied).  Il  y  ad'ailleursde  l'origina- 
lité, du  mouvement,  de  la  largeur 
dans  les  motifs.  Le  roi  des  Aunes, 
l'Attente,  V  Ave  Maria,  la  Trinité, 
bien  d'autres  airs  encore  se  recom- 
mandent à  ces  titres.  Aussi,  la  musi- 
que de  Schubert,  après  avoir  été  po- 
pulaire d*un  bout  à  l'antre  de  l'Alle- 
magne, a-t-el!e  franchi  le  Rhin,  et 
commence-t-elle  à  prendre  droit  de 
bourgeoisie,  non-seulement  en  Belgi- 
que, eu  France,  mais  d.ms  des  pays 
encore  plus  rebelles  à  l'harmonie,  en 
Angleterre,  p.  ex.  Ou  a  de  Schubert, 
outre  S(  s  mélodies,  des  tno.ç  et  des 
quatuors  y  ]}\^\ns  de  fantaisie,  de  rê- 
verie, (le  saillies  heureuses,  mais  qui 
ne  sont  pas  toujours  accessibles  à 
tous,  et  qui  pourraient  ne  pas  avoir 
de  prime  abord,  au  milieu  d'un  au- 
ditoire populeux,  autant  de  succès 
qu'une  musique  moins  compliquée 
et  moins  hardie.  Il  faut  y  joindre 
des  symphonies  en  petit  nombre,  tou- 
tes également    du  caractère  le  plus 

26 


402 


SCH 


élevc^,  de  l'instrumenlationla  plus  ri- 
che, du  chant  le  pi  us  pur.  C'est  même  à 
ce  chant  que  les  admirateurs  deSchu- 
bert  le  reconnaîtront  toujours  :  dans 
ses  grandes  comme  dans  ses  ptitites 
compositions,  c'est  l'homme  du  lied; 
et  il  y  a  dans  ses  morceaux  les 
plus  chargés  de  modulations  et  les 
moins  intelligibles  pour  le  vulgaire 
des  phrases  piquantes  ou  rêveuses 
qui  s'emparent  de  la  mémoire  et  de 
la  vogue.  P — OT. 

SCHUCHHARD  (  Loms  Henri), 
grammairien  allemand  ,  naquit  à 
Amorbach ,  en  Bavière,  le  24  sep- 
tembre 1795,  et  fut  destiné  par  sa 
famille  à  la  carrière  commerciale. 
Après  avoir  fait  de  bonnes  études  en 
Saxe,  il  vint  fort  jeune  encore  à  Pa- 
ris, où  il  entra  dans  une  maison  de 
commerce  *,  mais  bientôt  il  se  livra 
exclusivement  à  son  goût  pour  la 
littérature  et  les  études  grammati- 
cales. A  la  connaissance  de  l'alle- 
mand et  du  français  il  joignait  celle 
de  l'anglais  et  de  l'italien,  et  s'était 
nourri  de  la  lecture  des  meilleurs 
auteurs  anciens  et  modernes.  11  fit 
même  quelques  voyages  pour  com- 
pléter son  instruction.  De  retour  à 
Paris  en  1819,  Schuchhard  épousa 
M"^  Ernouf,  fille  d'un  colonel  et  pa- 
rente du  général.  Vers  cette  époque 
le  duc  de  Kent  {voy.  ce  nom,  LXVIII, 
490),  qui  avait  entendu  parler  de  lui 
avantageusement,  voulut  en  faire  son 
secrétaire,  et  l'invita  à  venir  à  Amor- 
bach, lieu  qu'il  avait  choisi  pour  ré- 
sider sur  le  continent  avec  la  prin- 
cesse douairière  de  Leiningen,  fille 
du  duc  de  Saxe-Cobourg,  à  laquelle 
il  s'était  marié,  et  dont  il  eut  la  prin- 
cesse Victoria ,  actuellement  reine 
d'Angleterre.  Schuchhard  pouvait 
craindre  que  le  nom  de  sa  femme  ne 
sonnât  mal  dans  cette  noble  fa- 
mille en  rappelant  celui  du  général 


SCH 

Ernouf,  qui,  en  1793  et  1794,  avait 
combattu  dans  les  rangs  de  l'armée 
républicainecontre  le  prince  de  Saxe- 
Cohourg  {voy,  ce  nom,XL,  G84)  pen- 
dant la  campagne  de  Flandre.  H  n'en 
fut  rien  -,  les  jeunes  époux,  parfaite- 
ment accueillis  à  Amorbach,voyaient 
s'ouvrir  devant  eux  un  avenir  pro- 
spère, lorsque  la  mort  du  duc  de 
Kent  fit  évanouir  toutes  leurs  espé- 
rances ^  et  ils  revinrent  à  Paris. 
Schuchhard  sollicita  et  obtint  une 
place  de  professeur  de  langue  allei- 
mandeàl'école  militaire  de  la  Flèche. 
Abandonnant  les  méthodes  surannées 
employées  jusque-là  pour  l'étude  de 
cette  langue  ;  profitant  des  travaux 
des  meilleurs  grammairiens  français 
sur  les  principes  généraux  de  la  lin- 
guistique ,  science  dans  laquelle , 
d'ailleurs,  il  était  lui-même  très- 
versé,  il  parvint  à  coordonner  un 
système  d'enseignement  clair  et 
précis,  dont  les  progrès  rapides  de  ^j 
ses  élèves  justifièrent  !a  bonté.  Il  ne 
se  contenta  pas  de  le  développer  dans 
ses  leçO'Hs  orales,  il  voulut  encore 
l'expliquer  dans  un  ouvrage  élémen- 
taire qu'on  pût  mettre  entre  les 
mains  des  étudiants.  Malgré  les 
souffrances  que  lui  causait  une  ma- 
ladie de  poitrine  qui  ruinait  sa  santé, 
il  ne  cessa  d'y  travailler  avec  une 
ardeur  excessive;  et,  après  l'avoir 
terminé,  il  le  soumit  à  l'approbation 
du  ministre  de  la  guerre.  MM.  Hase 
et  Letronne,  membres  de  l'Institut, 
nommés  pour  examiner  la  grammaire 
de  Schuchhard,  en  rendirent  le 
compte  le  plus  avantageux,  et  décla- 
rèrent qu'elle  était  supérieure  à  toutes 
celles  qu'on  avait  publiées  jusqu'a- 
lors. Le  4  octobre  1823,  le  ministre 
adressa  à  l'auteur  une  leltre  très- 
flatteuse,  dans  laquelle  il  l'informait 
que  son  ouvrage  était  adopté  pour 
les  écoles  militaires  de  Saint-Cyr 


SCH 

,  et  de  la  Flèche.  Schuchhard  survé- 
cut peu  à  cet  heureux  succès  ;  il  ex- 
pira le  26  janvier  1824,  âgé  seule- 
ment de  28  ans,  et  emportant  les 
regrets  unanimes  de  ses  élèves  et  des 
professeurs  ses  collègues.  Né  dans 
la  religion  protestante,  il  était  fort 
pieux  dans  sa  croyance.  Un  discours 
fut  prononcé  sur  sa  tombe  par  M.  le 
général  d'Aulion,  commandant  de 
l'école  militaire  de  la  Flèche.  La 
grammaire  de  Schuchhard  est  divi- 
sée en  quatre  parties  :  la  première 
traite  de  la  prononciation  et  de  la 
classification  des  lettres  ;  la  seconde 
àts  neuf  parties  du  discours;  la  troi- 
sième, en  forme  de  supplément,  con- 
tient l'analyse  des  deux  premières  ; 
la  quatrième  partie  expose  dans  un 
style  correct ,  et  avec  une  justesse 
remarquable,  les  règles  de  la  syntaxe. 
Ce  livre  fut  publié  sous  le  litre  de 
Grammaire  allemande ,  par  feu 
M.  L.-H.  Schuchhard ,  professeur 
à  Vècole  royale  de  la  Flèche^  ou- 
vrage adopté  par  le  gouvernement 
pour  les  écoles  royales  militaires^ 
Paris,  1825,  in-8**,  précédé  d'une 
Note  biographique  sur  l'auteur,  par 
MM.  Hase  et  Letronne.  Schuchhard 
laissa  parmi  ses  manuscrits  deux 
ouvrages  qui  devaient  servir  de  com- 
plément à  sa  grammaire,  l'un  sur  les 
thèmes j  l'autre  sur  les  versions  ;  mais 
il  n'eut  pas  le  temps  d'y  mettre  la 
dernière  main.  P— or. 

SCHUFFER  (  J. -C.  ),  profes- 
seur allemand ,  du  commencement 
du  dernier  siècle,  mit  au  jour  à 
Amsterdam,  en  1720,  en  deux  tomes 
in-4° ,  un  ouvrage  curieux  et  fort 
peu  connu  en  France,  intitulé  :  Proef- 
nemingen.,.  (  Recherches  sur  l'art  de 
fabriquer  le  papier  avec  diverses 
substances.)  Ctt  écrit  présente  des 
échantillons  de  papier  fait  avec 
IreiJte-lrois  substances   différentes. 


SCH 


403 


Pareils  essais  ont  été  reproduits  avec 
zèle  à  plusieurs  reprises.  Toutefois 
ces  fabrications  d'un  nouveau  genre 
n'ont  pas  été  poussées  bien  loin,  et 
il  n'en  est  guère  résulté  que  quelques 
volumes  auxquels  cette  petite  cir- 
constance donne  un  prix  que  le 
mérite  propre  ne  saurait  leur  faire 
obtenir.  Les  curieux  accueillent  vo- 
lontiers les  OEuvres  du  marquis  de 
Villette,  Londres  (Paris),  1786,  in- 
18,  parce  qu'elles  sont  imprimées 
sur  papier  de  guimauve  ;  ils  recher- 
chent aussi  un  petit  volume  intitulé  : 
Les  Loisirs  des  bords  du  Loing  (par 
Pelée  de  Varennes) ,  1784,  in-12, 
imprimé  sur  divers  papiers  fabriqués 
avec  des  herbes  ,  d'après  le  procédé 
qu'avait  inventé  M.  Léorier  de  l'Isle. 
Nous  avons  eu  connaissance  d'un 
volume  imprimé  sur  bois  à  Châlons, 
en  1835.  B— n— t. 

SCHLLENBOURG  (  Guernabd 
de).  Deux  individus  de  la  famille  de 
Schulenbourg  portant  le  nom  de 
Guernard  (Werner)  se  sont  rendus 
célèbres  dans  le  XV*=  et  le  XVI1«  siè- 
cle. Le  premer,  surnommé  Cor  prin- 
cipis  ^  né  en  1439,  se  consacra 
au  service  des  élecieurs  de  Brande- 
bourg Frédéric  II  et  Albert- Achille. 
11  commanda  leurs  troupes  dans  leurs 
guerres  avec  les  ducs  de  Poméranie, 
et  devint  l'auteur  de  leur  réconcilia- 
tion. La  forteresse  de  Garz  oiî  il  com- 
mandait, ayant  été  surprise  par  le 
duc  Wratislas  X,  en  1474,  Schulen- 
bourg gagna  tellement  la  faveur  du 
duc  de  Poméranie,  dont  il  était  le 
prisonnier,  et  de  son  successeur  Bo- 
gislas  X  le  Grand,  que  ce  fut  sous  sa 
médiation  que  les  deux  parties  con- 
clurent, le  25  mai  1479,  la  transac- 
tion de  Prenzldu,  qui  termina  leurs 
différends.  Il  entra  dès  lors  au  service 
de  Bogislas,  qui  le  mit  à  la  tête  de 
ruduunistralion  de  son  pays.  En  1490, 

26. 


.^0{ 


SCH 


SCH 


i!  r(Mivoyn  avec,  iindpsrs  roiipins,  Ri- 
chard de  Schnienbourg,  maître  pro- 
vincial de   l'ordre  Teutonique,   en 
Brandebourg,  auprès  de  Casimir  IV, 
roi  de  Pologne,  pour   demander  la 
main  de  sa  fil  le  A  n  ne-Lou  ise.  E  n  1490, 
Bogislas,  allant  en  pèlerinage  à  Jéru- 
salem, remit  le  gouvernement  à  Schu- 
lenbourgetà  son  chancelier,  Georges 
de  Kleist.  Giiernard  njoiimt  en  1519. 
—  Le  second  Schulenbourg  du  nom 
de   Guernard  ,  qui  termina   sa  vie 
comme  feld -maréchal  au  service  du 
Danemark,  naquit  à  Apenbourg,  le  3 
juillet  1679.  En  1693,  il  alla  faire  ses 
études  à  l'université  d'Ufrecht.  Dans 
les  années  1700,    1701  et    1702,    il 
voyagea  en  Italie,  en  France  et  en  An- 
gleterre ,  et  leva  en  1703  une  com- 
pagnie de  dragons  pour  le  service  du 
roi  de   Danemark.    Il  fit,  avec  les 
troupes    danoises  qui  étaient   à   la 
solde  des  puissances  maritimes, tou- 
tes les  camp;ignes  de  la  guerre  pour 
la  successitm  d'Espagne ,   dans  les 
Pays-Bas  et  sur  le  Danube,  assista  aux 
batailles  de  Ilochstedt,  deRamillies, 
de  Malplaquet,  à  toutes  les  grandes 
affaires,  et  avança  successivement 
jusqu'au  grade  de  lieutenant-colonel. 
En  1713,  il  obtint  un  régiment  de 
dragons  qui  portait  son  nom  ,  et  en 
1719,  le  grade  de  général-major.  En 
1730,  il  fut  envoyé  comme  ministre 
plénipotentiaire  à  Paris  ,  où  il  resta 
jusqu'en  1739;    pendant    ce    temps 
il    avait    élé    promu  au   grade  de 
lieutenant-général.  En  quittant  cette 
capitale,   il   reçut  l'ordre  de  TÉlé- 
phant.  Alors  il  se  retira  à  SIeswick. 
En  1741,  il  commanda  le  corps  de 
six  mille  hommes  que  le  Danemark 
fournit  à  l'Angleterre  et  qui  faisait 
partie  de  l'armée  destinée  à  combat- 
tre le  maréchal  de  Maillebois;  mais 
comme   la    France  et    l'Angleterre 
s'accordèrent  sur  la  neutralité  du 


pays  de  Hanovre,  cette  armée  fut  dis- 
soute. En  1741,  le  roi  de  Danemark 
l'éleva  au  rang  de  comte;  et  six  ans 
après  il  fut  appelé  à  Copenhague 
comme  chef  de  la  garde  à  cheval, 
puis  nomme  feld-maréchal  en  1748, 
et  ministre  de  la  guerre  en  1753.  Il 
mourut  le  7  septembre  1755,  laissant 
de  son  épouse,  qui  était  une  demoi- 
selle de  Brockdorff,  deux  fils,  dont 
l'aînémourut  en  1803  lieutenant-gé- 
néral, et  le  cadet,  qui  avait  été  minis- 
tre du  Danemark  à  Dresde,  mourut 
en  1810  ,  l'un  et  l'autre  sans  posté- 
rité. ^  S— L. 

SCHULENBOURG  (jACQUEsde), 
feld-maréchal  impérial ,  né  le  25 
mars  1515  à  Betzendorf,  était  frère 
d'Alexandre  {voy.  l'article  suivant). 
Il  fit  ses  études  aux  universités  de 
Prague  et  de  Paris  Son  père  l'avait 
destiné  à  la  carrière  civile,  mais  en- 
traîné par  son  penchant  pour  l'stat 
militaire  il  entra  au  service  de 
Charles-Quint,  et  il  fit  ses  premières 
armes  contre  les  Turcs  sous  le  céi  bre 
Antoine  de  Leyva.  Ayant  été  blessé, 
il  fut  fait  prisonnier  et  vendu  trois 
fois  comme  esclave.  Enfin  Sigismond, 
roi  de  Pologne,  le  racheta  pour  400 
ducats,  et  en  fit  présent  à  sa  fille, 
l'épouse  de  Joachim  II,  électeur  de 
Brandebourg.  11  suivit  en  1542  ce 
prince,  comme  capitaine  de  ses  Tra- 
bans  (  on  appelait  alors  ainsi  les 
gardes),  en  Hongrie,  où  Joachim  II 
commandait  l'armée  impériale.  Il 
y  fonda  sa  réputation  par  le  cou- 
rage qu'il  montra  au  siège  de  Pesth, 
où  il  marcha  à  la  tête  du  premier 
assaut.  Il  eut  le  malheur  d'y  perdre 
son  père  Malhias,  qui  y  assistait 
comme  conseiller  de  l'électeur  de 
Brandebourg,  et  qu'un  boulet  de 
canon  emporta  sans  qu'on  pût  retrou- 
ver son  corps.  Jacques  gagna  dans 
cette  campagne  TafFection  du  duc  Mau- 


8CH 

rice ,  qui  devint  ensuite  électeur  de 
Saxe,  et  auquel  il  s'attacha  dès  lors. 
En  1545  il  fut  nommé  capilaine  de  ca- 
valerie au  service  de  l'empereur,  et 
en  15^8,  par  l'élecieur  deSdxe,  capi- 
taine du  bailliage  de  Gommeon,  place 
lucrative.  Sous  l'électeur  Maurice,  il 
dirigea  le  siège  de  Magdebourg que  ce 
prince  prolongea  plus  d'un  an  pour 
masquer  les  préparatifs  contre  Char- 
les-Quint. En  1552,  il  suivit  Maurice 
dans  sa  marche  sur  le  Tyrol,  et  en- 
suitecontre  les  Turcs.  Dans  la  guerre 
de  l'électeur  contre  le  margrave  Al- 
bert de  Brandebourg  ,  guerre  qui 
coûta,  en  1553,  la  vie  à  Maurice, 
Schiilenbourg  commandait  les  trou- 
pes de  Henri,  duc  de  Brunswick , 
allié  de  Maurice.  Après  la  mort  de  ce 
grand  prince,  il  entra  au  service  de 
l'empereur,  lit  en  1557  une  campa- 
gne contre  les  Turcs,  et  fut  promu 
en  15G6  au  grade  de  feld-maréchal. 
En  cette  qualité  il  commanda  le 
siégedu  château-fort  de Grimmastein 
prés  Gotha,  à  la  tel e  de  l'armée 
d'exécution.  L'empereur  l'avait  élevé, 
ainsi  que  ses  frères,  au  rang  de  baron. 
J.  de  Schulenbourg  mourut  le  jour 
de  Pâjues  1576  à  Magdebourg.  La 
devise  qu'il  avait  prise  de  l'épître 
de  saint  Jacques  :  Sit  omnis  homo 
velox  ad  audiendum,  tardus  au- 
tem  ad  loquendum^el  tardusad  iram, 
peint  très-bien  son  caractère.  S— l. 
SCIIULENBOUÊiG  (Alexandre 
de),  surnommé  de  Jérusalem^  célè- 
bre voyageur,  était  lils  deMathiasde 
Schulenbourg,  conseiller  de  l'élec- 
teur de  Brandebourg,  et  frère  du  feld- 
maréchal  Jacques  (roy.  l'article  pré- 
cédent). Il  naquit  en  1535  àAlten- 
hausen,  et  fut  élevé  d'abord  à  Prague, 
ensuite  aux  universités  de  Franc- 
forl-sur-rOfler  et  de  Wittenberg.  A 
l'âge  de  dix-huit  ans,  en  1553,  il  en- 
tra au  service,  assista  aux  sièges  de 


SCH 


405 


Hesdin  et  de  Thérouanue;  en  1557  il 
accompagna  son  frère  Jacques  contre 
les  Turcs,  et  l'année  suivante  il  fit 
la  campagne  de  Flandre  et  de  Pi- 
cardie sous  le  margrave  de  Baireuth. 
A  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  il  com- 
mença les  voyages  qui  Pont  rendu 
fameux.  11  passa  d'abord  trois  ans 
en  France  ,  parcourut  ensuite 
toute  l'Italie,  et  se  rendit  à  Malte. 
De  cette  île  il  fit  plusieurs  caravanes 
contre  les  infidèles,  et  se  distingua 
par  une  valeur  brillante.  Il  voulait 
après  cela  s'en  retourner  en  Aile- 
magne,  mais  arrivé  à  Venise,  l'envie 
lui  vint  d'explorer  l'Orient.  11  alla  à 
Corfou,  en  Chypre  et  en  Egypte,  et 
de  là  au  mont  Sinaï  en  Arabie;  il 
visita  Jérusalem  et  se  mit  en 
route  pour  voir  le  Jourdain.  Des 
Bédouins  le  pillèrent  et  l'emme- 
nèrent prisonnier.  Lui  et  son  com- 
pagnon de  voyage  tuèrent  les  gar- 
diens qui  leur  avaient  été  donnés, 
et  se  sauvèrent  au  couvent  de  Saba 
oii  ils  furent  guéris  de  leurs  bles- 
sures. Du  port  de  Tripoli  en  Syrie 
il  passa  en  Chypre  et  à  Candie,  et  de 
là  à  Venise.  Arrivé  dans»  cette  ville, 
ayant  appris  que  les  Turcs  étaient 
entrés  à  main  armée  en  Hongrie,  il 
fit  sa  seconde  campagne  contre  eux 
sous  les  ordres  du  comte  Gonthier 
de  Schwarzbourg,  qui  commandait 
l'armée  impériale  en  Hongrie.  L'an- 
née précédente  il  avait  été  élevé 
avec  ses  frères  au  rang  de  baron 
du  Saint- Empire.  Après  la  cam- 
pagne de  1566  il  retourna  par  la  Po- 
logne, la  Silésie  et  la  Saxe  à  Altens- 
tein  ;  en  1567,  il  assista  au  siège  de 
Grimmastein  ,  et  visita  Dantzig  et 
Copenhague.  A  peine  de  retour  dans 
la  maison  paternelle,  informé  que 
le  duc  d'Albe  marchait  contre  les 
Pays-bas,  sur-le-champ  il  alla  joindre 
le  comte  Guillaume  de  Nassau ,  dont 


40G 


SCH 


SCH 


ranriiîe  était  campo'e  sur  les  bords 
(le  l'Eiiis.  Peu  de  jours  après  sou 
arrivée,  le  21  juiu  1508,  rarniée 
hollandaise  fut  nuitamment  surprise 
par  les  Espagnols  à  Jemgum  ;  et  c'est 
dans  cette  affaire  que  Schulenbourg 
perdit  la  vie.  J.  Eschner  a  écrit  en 
vers  latins  la  vie  de  Schulenbourg 
sous  ce  titre  :  Àleœandri  Schulen- 
burgii,  saxonis  equitis^  olim  et  no- 
bilissimi  et  fortissimi ,  vita,  111 
libris  illusirata,  etc.,  a  Johanne 
Fraxineo  Tyrigata,  Witemb.,  1587. 
C'est  un  livre  rare  et  curieux.  vS— l. 
SCHULENBOURG  (Jean  de  ), 
comte  de  Montdejeu^  connu  en  Fran- 
ce sous  le  nom  de  Schulenberg,  des- 
cendait de  Jean  de  Schulenbourg,  qui , 
vers  1406,  quitta  la  Marche  de  Bran- 
debourg pour  se  fixer  dans  le  duché 
de  Luxembourg,  où  il  acquit  pour 
lui  et  sa  famille  la  charge  de  maré- 
chal héréditaire.  Un  de  ses  descen- 
dants, Jean-le-Page,  ayant  acheté  la 
terre  de  Monldejeu,  près  d'Attigny, 
sur  l'Aisne,  la  famille  prit  le  nom  de 
Schulemberg  de  M  ont  de  j  eu.  Eiie  avait 
obtenu,  en  1488 ,  des  lettres  de  na- 
turalisation en  France.  Jean  de  Schu- 
lenberg  naquit  en  1598.  Il  fit  ses  pre- 
mières armes  sous  le  maréchal  de 
Bouillon,  et  se  distingua  aux  tenta- 
tives que  Charles-Emmanuel,  duc  de 
Savoie,  fit  pour  débloquer  Verceil. 
En  1620,  il  fut  envoyé  au  secours  de 
l'électeur  palatin  Frédéric  V,  comme 
capitaine  d'un  escadron  de  cavalerie 
légère,  et  assista  à  la  bataille  de  Pra- 
gue. Aux  sièges  de  Saint-Jean-d'An- 
gely  et  de  Montauban,  en  1621,  il 
commanda  les  régiments  de  Vau- 
demont  et  de  Phaisbourg.  En  1636, 
il  défendit,  comme  mestre-de-camp, 
pendant  quatorze  mois ,  Coblentz 
contre  les  troupes  impériales  et  au- 
trichiennes, puis  la  forteresse  de  Her- 
mannstein  (aujourd'hui  Ehrenbrei- 


stein).  A  son  retour,  il  obtint  les 
gouvernements  des  places  de  Rue  et 
Crotoy.  Au  siège  de  Hesdin,  en  1639, 
auquel  Louis  XWI  assista,  il  fut  nom- 
mé maréchal-de-camp,  se  distingua 
en  1649  au  passage  de  l'Escaut  et  fut 
nommé  lieutenant-général  en  1650. 
Devenu  gouverneur  d'Arras  en  1652, 
il  défendit  cette  place  avec  une  grande 
valeur  en  1654,  jusqu'à  ce  que  le 
maréchal  deTurenne  la  délivrât  par 
la  bataille  du  25  août.  En  1658, 
Louis  XIV  lui  conféra  le  bâton  de 
maréchal  de  France,  le  nomma,  en 
1661,  gouverneur  d'Artois,  et  lui 
donna,  le  31  décembre  de  la  même 
année,  le  cordon  bleu.  En  1665,  il 
échangea  son  gouvernement  d'Artois 
contre  celui  du  Berry,  et  mourut  en 
1671  dans  sa  terre  de  Montdejeu,  sans 
laisser  de  postérité  mâle.      S — l. 

*  SCIlULEMiOURG  (  Mathias- 
Jean,  comte  de),  un  des  plus  grands 
capitaines  duXVlII^  siècle,  naquit  le 
8  août  1661  à  Emden,  près  Magde- 
bourg.  Son  père,  Gustave-Adolphe 
de  Schulenbourg  ,  était  conseiller 
privé  de  l'électeur  de  Brandebourg, 
et  président  de  la  chambre  des  do- 
maines du  duché  de  Magdebourg.  Le 
jeune  comte  reçut  une  éducation  lit- 
téraire soignée,  d'abord  à  Wolfen- 
buttel  ,  puis  à  l'Académie  protes- 
tante de  Saumur,  qui  était  très-fré- 
quentéepardes  étrangers  de  grandes 
familles;  car,  outre  l'enseignement 
des  sciences  pour  lesquelles  elle 
possédait  des  professeurs  célèbres, 
on  y  trouvait  l'occasion  de  se  perfec- 
tionner dans  la  langue  française, 
qui  était  alors  celle  de  toutes  les  cours 
d  Europe,  principalement  en  Alle- 
magne. Schulenbourg  fut  téuioin  de 
la  destruction  de  cette  école  par 
suite  de  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes,  en  1685.  Après  son  retour 
en    Allemagne  ,    il    entra   comme 


SCH 

gentilhomme  de  U  chambre  et  en 
même  temps  comme  capitaine  chez 
les  ducs  Rodolphe-Auguste  et  An- 
toine-Ulric  de  Brunswick    qui  ré- 
gnaient ensemble.  Mais  la  vie  pacifi- 
que de  cette  cour  ne  convenantguère 
à  son  humeur  belliqueuse,  il  sollicita 
et   obtint    la    permission    de   faire 
comme  volontaire  la  campagne  de 
1687contre  les  Turcs,  sous  le  duc  de 
Lorraine  et  Télecteur  de  Bavière.  Il 
servit   ensuite    pendant    neuf    ans 
dans  les  Pays  -  Bas  et  sur  le  Rhin, 
dans    le    corps  de   Brunswick   qui 
faisait  partie  de  l'armée  des  alliés. 
Nommé  en  1690  major,  puis  lieute- 
nant-colonel, et  enfin  colonel  d'un 
régiment  de    dragons,  dès  1692  il 
fut  envoyé  aux  cours  de  Cassel ,  Bai- 
reuth,  Darmstadt,  Stuttgard  et  Dur- 
lach,  pour  négocier   une  confédé- 
ration de  ces  princes  avec  les  ducs 
de  Brunswick- Wolfenbuttel ,  ayant 
pour  objet  de  s'opposer  à  l'érection 
d'un  9®  électorat   en   faveur  de  la 
maison    de    Brunswick-Lunebourg. 
En  1693  il  fut  envoyé  pour  le  même 
objet  à  Gotha,  en  1694  à  Munster,  et 
l'année  suivante  à  Bruxelles  auprès 
de  l'électeur  de  Bavière.  En  1697  il 
assista,  comme  simple  observateur, 
au  congrès  de  Ryswick.  Ce  fut  là 
qu'il  négocia  avec  les  ministres  de 
Victor-Amédée  son  entrée  au  ser- 
vice de  Savoie  avec  le  grade  de  gé- 
néral-major. Il  amena  au  duc  un  ré- 
giment d'infanterie  qu'il  avait  levé 
en  Allemagne.  Avant  de  se  rendre 
à  Turin,  il  fut  envoyé  par  le  duc  de 
Brunswick,  à  Paris,  sous  prétexte  de 
complimenter  Louis  XIV  sur  la  con- 
clusion de  la  paix  de  Ryswick  et  sur 
le  mariage  du  duc  deBourgogne  ;  mais, 
dans  le  fait,  pour  connaître  les  dispo- 
sitions de   la  France  à  l'égard  du 
neuvième  électorat.  En  1699  il  fit, 
sous  les  ordres  du  lieutenant-général 


SCH 


407 


des  Bayps,  la  campagne  contre  les  re- 
belles Vaudois,  et  se  trouva  au  com- 
bat de  Vico,  le  26  mai.  En  1700,  il  fut 
envoyé  à  Turin  pour  apaiser  une  ré- 
volte, et  de  là  à  Nice  pour  inspecter 
les  troupes  qui  s'y  trouvaient  ré- 
unies. Le  duc  de  Savoie  s'étant  allié 
à  Louis  XIV,  Schuïenbourg  se  vit,  à 
son  grand  regret ,  dans  une  armée 
opposée  au  prince  Eugène,  pour  le- 
quel il  professait  la  plus  grande  vé- 
nération. Grièvement  blessé  à  la  ba- 
taille de  Chiari,  le  l*»"  sept.  1701,  il 
quitta  le  service  de  Savoie  (1)  après 
sa  guérison ,  et  voulut  se  rendre 
auprès  de  Guillaume  III,  mais  en 
route  il  apprit  que  ce  monarque  ve- 
nait d'expirer.  Cependant  sa  ré- 
putation militaire  était  déjà  telle, 
qu'Auguste  II ,  roi  de  Pologne ,  qui 
avait  besoin  d'officiers  expérimentés 
dans  sa  guerre  contre  Charles  XIÏ, 
le  prit  à  son  service  avec  le  grade 
de  lieutenant-général.  C'est  ici  que  ^ 
commence  la  carrière  brillante  de 
ce  général  si  célèbre  par  ses  re- 
traites. Dans  la  bataille  de  Clissow 
(20  juillet  1702), où  Charles  XII  défit 
le  roi  et  le  feld-maréchal  Steinau, 
Schuïenbourg,  à  la  tête  de  l'infante- 
rie saxonne,  disputait  encore  la  vic- 
toire lorsque  la  cavalerie  avait  depuis 
long-temps  pris  la  fuite  ,  et  il  sauva 
cette  infanterie  d'une  déroute  com- 
plète. Steinau,  auquell'infortune  pa- 
raissait s'être  attachée,  ayant  été  sur- 
pris par  le  roi  de  Suède  (1"  mai  1703)  à 
Pultusk  derrière  le  Bog,Schulenbourg 


(i)  On  yoit,par  ce  que  nous  Tenons  de 
dire,  que  le  dernier  biographe  de  Schuïen- 
bourg a  eu  tort  de  supposer  qu'il  quitta  le 
service  de  Savoie,  parce  qu'il  répugnait  à 
ses  principes  religieux  de  marcher  contre  les 
Var:dois.  L'expédition  contre  ces  sectaires 
eut  lieu  en  1699  et  non  en  1702.  Schuïen- 
bourg ne  se  fit  pas  scrupule  de  combattre 
des  rebelles  dont  la  religion  n'était  que  le 
prétexte.  : 


408 


8CH 


SCH 


sauva  les  débris  de  son  corps.  Bientôt 
après  il  reçut  le  coiiiinaiideintMit  de 
10,000  Saxons  qu'Auguste  II  s'était 
engagé  de  l'ouruir  à  l'empenuir.  il 
assista,  le  20  sept.  1703,  à  la  ba- 
taille de  Schweiningen,  où  Tarrnée 
combinée  du  maréchal  de  Villars  et  de 
l'électeur  de  Bavière  battit  le  comte 
de  Slyrum,  qui  commandait  les  Im- 
périaux^ et  ce  fut  encore  lui  qui  cou- 
vrit la  retraite.  Il  eut  quelque  temps 
après  l'avantage  de  s'emparer  d'un 
convoi  français  chargé  d'effets  mili- 
taires et  de  30,000  louis.  Cependant 
la  mauvaise  tournure  que  ies  affaires 
avaient  prise  en  Pologne  engagea 
le  roi  à  Un  ordonner  de  quitter  sur- 
le-champ  l'armée  autrichienne  avec 
son  corps.  Persuade  que  cette  déiec- 
lion  n'était  ni  honorable  ni  facile  à 
exécuter,  il  attendit  un  second  or- 
dre, et  lorsqu'il  l'eut  reçu  il  avertit 
les  généraux  autrichiens  des  dispo- 
sitions de  son  souverain  ;  puis,  sans 
attendre  leur  consentement,  il  se 
mit  en  marche.  Cette  conduite  du 
roi-électeur,  qui  indigna  beaucoup 
la  cour  de  Vienne .  ne  fit  pas  de 
tort  à  l'estime  qu'on  y  avait  pour 
Schulenbourg.  Celui-ci  trouva  l'ar- 
mée saxonne,  toujours  comman- 
dée par  St^inau,  à  Guben,  où  il  la 
joignit  avec  sa  troupe.  Le  feld-uja- 
réchal  passa  l'Oder,  et  s'amusa  à  dé- 
vaster les  possessions  du  roi  Sta- 
nislas. Déjà  l'ordre  était  donné  de 
mettre  le  feu  au  magnifique  château 
de  Reissen,  près  Lissa  ;  mais  Schulen- 
bourg, à  qui  cet  ordre  barbare  fut 
adressé,  différa  de  l'exécuter,  et  ob- 
tint finalement  qu'il  fût  révoqué.  La 
mésintelligence  qui  éclata  entre 
Steinau  et  lui  fit  rappeler  celui  ci  et 
Schulenbourg  eut  un  commandement 
indépendant,  il  s'était  porté  devant 
Po!>naiiie  où  il  tenait  le  général  Mar- 
leld   comme    bloqué.   Sachant   (pue 


Meyerleld,  qui  avec  un  corps  de  3,000 
chevaux  était  venu  au  secours  du  pre- 
mit*r,  campait  sur  l'autre  côté  delà 
Warth^,  en  face  de  Posiianie,  où  il 
attendait  de  nouveaux  renforts,  il 
résolut  de  le  surprendre  avant  l'ar- 
rivée de  ceux-ci.  En  conséquence,  il 
quitta  le  camp  avec  une  partie  de  ses 
troupes,  et  s'éloigna  de  Posnanie. 
Étant  parvenu  à  la  distance  de  deux 
lieues ,  il  passa  la  rivière  et  se  tourna 
subitement  contre  Meyerfeld  ;  mais 
ce  général,  averti  par  un  déserteur, 
était  sous  les  armes,  renforcé  par  de 
l'inJauterie  et  de  l'artillerie  qu'en 
toute  hâte  il  avait  tirées  de  la  ville.  Il 
en  résulta,  le  9  août  170i,  un  combat 
qui  força  le  général  suédois  à  se  jeter 
dans  les  faubourgs  de  Posn<inie,  d'où 
il  se  retira  ensuite  à  Thorn,  laissant 
Mardefeld  avec  une  garnison  dans  la 
capitale  de  la  Grande-Pologne.  Schu- 
lenbourg l'assiégea,  mais  au  bout  de 
quinze  jours  il  fut  appelé  à  Varsovie, 
où  il  se  trouva  de  nouveau  sous 
les  ordres  de  Steinau.  Cette  contra- 
riété le  décida  à  demander  sa  dé- 
mission pour  la  fin  de  la  campagne. 
Cependant  l'approche  de  Charles  Xll 
et  de  Stanislas,  avec  des  forces  supé- 
rieures, obligea  Auguste  H  à  sortir 
de  la  capitale  pour  aller  à  Craco- 
vie  ;  Schulenbourg,  avec  i'infanterie 
saxonne,  eut  ordre  de  se  retirer  par 
Kalisch  en  Saxe.  Charles  Xll  le  pour- 
suivit à  la  tête  de  10,000  hommes  de 
cavalerie,  et  le  força  enfin  à  lui  li- 
vrer bataille  à  Punice,  à  quelques 
lieues  de  Lissa  (7  nov.),  au  milieu 
de  vastes  plaines  dans  lesquelles  il 
semblait  impossible  de  résister  à  une 
nombreuse  cavalerie.  Schulenbourg 
n'en  avait  que  bien  peu  ,  tandis  que 
celle  de  l'ennemi  était  très-forte.  Il 
forma  son  infanterie  en  bataillon 
carré  et  résista  k  cinq  attaques  fu- 
rieuses des  Suédois.  U  reçut  dans 


SCH 


SCH 


409 


celte  journée,  sur  son  corps  et  dans 
ses  habits  ,  huit  balles  dont  trois  le 
blessèrent.   Il  prouva  ainsi  ce  que 
seul  il  avait  soutenu  contre  les  gé- 
néraux d'Auguste  U,  que  l'infanterie 
en  plaine  peut  tenir  contre  de  la 
cavalerie,    même  sans   chevaux   de 
frise,    moyennant  des   dispositions 
habiles  ei  surtout  une  grande  fer- 
meté. Charles  Xll,  qui  se  plaignait 
que  sa  campagne  de  Pologne  res: 
semblât  à  une  chasse  plus  qu'à  une 
gijerre,   trouva  enfin  un  adversaire 
aussi  habile,  plus  habile  peut-être 
qu'il  ne  le  souhaitait.  Dans  la  nuit 
Schulenbourg  continua  d'abord  sur 
Gurau,  puis  au-delà  de  Gurau,  cette 
retraite,  qui  est  regardée  comme  un 
exploit  très-glorieux ,   et  que   tous 
les  tacticiens,  notamment  Foiard,  ont 
vivement  admirée.  Au  moment  même 
où  le  roi  de  Suède  le  croyait  enfermé 
entre  lePorts  et  l'Oder,  il  traversa  le 
grand  fleuve,  après  avoir  fait  cent 
lieues  en  onze  jours,  par  de  très- 
mauvais  chemins,  manquant   sou- 
vent  de  vivres.  Charles  XII  parut 
sur  la  rive  droite  quelques  instants 
après  que  Schulenbourg  eut  touché 
larivegauche:jamaispeut  être  pour- 
suite n'avait  été  plus  acharnée.  Le 
roi  de  Suède,  au  reste,  combla  d'é- 
loges le  général  qui  lui  avait  échap- 
pé (2).  «  Aujourd'hui,  dit-il,  Schu- 
lenbourg   nous    a    vaincus.   »    Au- 
guste 111   le  nomma    général   d'in- 
fanterie  et  colonel   de  sa  garde  à 
pied^  il  lui  refusa  la  démission  qu'il 
demandait   itérativement.    Schulen- 
bourg passa  Tannée  1705  en  Saxe, 
occupé  à  former  une  nouvelle  armée, 


(2)  S<:huIenl)ourg  lui  ayant  f:iit  deman- 
der par  un  trompette  les<;orpb  de  quelques 
officiers  qu'il  voulait  envoyer  à  U-urs  fa- 
injlles,  Charles  XII  lépondi!:  qu'il  ferait 
euterrer  tous  lt;s  morts  t>ui  le  teirain  où  le 
l'omliat  a\;jitc;é  liné,  et  qu'il  ue  poiiv;!it 
pab  y  avou  de  ^epultuie  plus  houorablc. 


qu'il  porta  à   15    bataillons  et  40 
escadrons,  composés  de  Français  et 
de    Suisses    faits    ]>risoni.icrs     de 
guerre,    qui  s'étaient  enrôlés  pour 
mieux  déserter.  Les  officiers  étaient 
ou  inexpérimentés  ou  peu  accoutu- 
més à  la  discipline  sévère  que  Sec- 
kendorlf  voulait  introduire  à  la  place 
de  la  licence  que  Steinau  avait  tolé- 
rée. En  déc.1705  le  ministèresaxon  fit 
arrêter  le  fameux  Patkul,  qui  était  ac- 
crédité comme  ministre  de  Russie  au- 
près d'Auguste  II.  Les  véritables  mo- 
tifs de  cet  acte,  qui  paraît  un  outrage 
au  droit  des  gens,  ne  sont  pas  encore 
bien  connus  (3)*  ils  doivent  avoir 
été  très-graves,  puisque  iong-temps 
après  Schulenbourg   déclara   avoir 
conseillé  cette  démarche.  Dans  une 
lettre  du  roi,  datée  de  Grodno,  !e  2 
janv.  1702,  et  qui  se  trouve  parmi 
les  papiers  que  possède  la  famille  de 
Schulenbourg,  Auguste  II  dit  :  »  Son 
«  arrestation  était  le  seul  moyen  de 
«  prévenir  les  pernicieux    desseins 
«  qu'il   aurait  indubitablement  mis 
«  en  exécution.»  Au  plus  fort  de  l'hi- 
ver, en  janvier  1706,  Schulenbourg 
reçut  l'ordre  de  conduire  son  armée 
indisciplinée  dans  la  Grande-Polo- 
gne, pour  en  déloger  le  général  sué- 
dois Rhenskiœld,  qui  y  commandait 
un  corps  de  15,000  hommes.  Après 
avoir  fait  vainement  des  représenta- 
tions contre  cet  ordre  désastreux,  il 


(3)  Lesvrais  motifs  (puisqu'il  est  question 
ici  de  motifs  et  non  de  prétextes)  sont  bien 
simples.  L'uu,  c'est  la  lâcheté  d'Auguste  II 
qui  savait  à  quel  point  Charles  Xll  exécrait 
Patkul,  et  qui,  à  la  veille  de  signci-  la  hon- 
teuse paix  d'Allraudslœdt,  se  figurait  que 
par  l'extradition  de  Patkul  il  obtiendrait  de 
meilleures  condi;ions  ;  l'antre,  c'est  que  cette 
Livonie,  si  long  temps  pomme  de  discorde 
entre  la  Pologne,  la  Suéde  et  la  Russie, 
Patkul  u'avait  pas  plus  d'euvie  de  la  voir  a 
la  Pologne  qu'a  la  Suède,  et  qu'il  travaillait 
pour  Pierre -le -Grand  et  non  ponr  Au- 
guste II.  P-ox. 


410 


se» 


SCH 


fallut  obéir.  Le  30  janvier,  Schulen- 
bourg  passa  l'Oder^  Rhenskiœld  l'at- 
tendait à  Fraustadl  avec  environ  dix 
mille  hommes.  Sr'lmlenbourg,  qui  en 
comptait  le  double,  mais  qui  savait 
leur  insuffisance  tant  pour  l'expé- 
rience et  la  valeur  que  parce  qu'ils 
e'taient  de  quatre  nations  différentes, 
prit  toutes  les  précautions  qui  pou- 
vaient diminuer  le  désavantage  de 
sa  position,  mais  il  fut  mal  secondé. 
L'engagement  ne  dura  pas  une  demi- 
heure  ;  dès  le  commencement  de  l'af- 
faire, le  général  Dunewald,  qui  com- 
mandait la  cavalerie  saxonne,  prit  la 
fuite;  les  sept  mille  auxiliaires  russes 
qu'épouvantait  le  nom  seul  des  Sué- 
dois jetèrent  leurs  armes  après  avoir 
tiré  un  coup  de  fusil,  et  ils  furent 
imités     par     l'infanterie     saxonne. 
Les  Français ,    ex  -  prisonniers    de 
Hochstedt,  cessèrent  d'agir  dès  qu'ils 
eurent  vu  tomber  leur  colonel,  et  le 
jour  même  ils  prirent  du  service  avec 
transport  dans    les  rangs   suédois. 
A   peine    Schulenbourg ,    qui   était 
grièvement  blessé,  put -il  se  sau- 
ver avec  deux  hommes.  Toute  son 
artillerie  tomba  dans  les  mains  des 
Suédois;  les  bagages  furent  pillés  par 
les  fuyards  mêmes,  et  les  vainqueurs 
trouvèrent  sur  le  champ  de  bataille 
six  mille    fusils    chargés.    L'armée 
saxonne  était  détruite.  Il  fut  fait, 
à  la  demande  de  Schulenbourg,  une 
enquête  sévère  sur  cet  événement, 
par  une  commission  que  présida  le 
comte  de  Zinzendorff,  ennemi  dé- 
claré de  Schulenbourg  Elle  procéda 
avec  la  plus  grande  mollesse  contre 
les  coupables,  et  montra  beaucoup 
de  partialité  pour  les  officiers  qui 
avaient  trouvé  des  protecteurs,  tan- 
dis que  d'autres,  dont  la  faute  était 
moins  grande,   furent   sévèrement 
punis.  Mais  l'opinion  publique  s'était 
trop  fortement  prononcée  en  faveur 


du  général  pour  que  la  commission 
osât  rinciilper.  Le  roi  désapprouva 
hautement  la  procédure,  et  donna  à 
Schulenbourg  un  témoignage  public 
desasatisfaction.Au  mois  d'août  1700, 
Charles  Xll  arriva  en  Saxe;  l'armée 
électorale,  qui  se  trouvait  toujours 
dans  le  plus  pitoyable  état,  ne  put  pen- 
sera lui  résister.  Schulenbourg  ayant 
reçu  ordre  de  la  conduire  sur  le  Rhin 
pour  la  mettre  en  sûretié^  sa  marche 
par  la  Thuringe  et  la  Franconie,  sans 
argent  et  harcelé  par  les  Suédois,  fut 
très-pénible.  Après  la  paix  d'Alt- 
raudslaedt,  il  ramena  les  troupes  en 
Thuringe,  où  elles  prirent  des  quar- 
tiers d'hiver,  et  Schulenbourg  se 
rendit  auprès  du  roi.  Il  éprouva  la 
vérité  du  proverbe  qui  dit  que 
les  malheureux  ont  tort ,  fut  froide- 
ment reçu,  et  eut  la  mortification 
de  voir,  après  la  retraite  définitive 
du  feld-maréchal  Steinau,  Auguste  H 
confier  ses  fonctions  au  général 
russe  Ogilvie,  quoiqu'il  eût  solen- 
nellement promis  à  Schulenbourg  le 
commandementdetoutes  ses  troupes. 
Pendant  le  séjour  que  Charles  XII 
fit  en  Saxe ,  ce  général  le  visita 
plusieurs  fois,  et  fut  reçu  avec  une 
grande  distinction;  ce  prince  ai- 
mait à  s'entretenir  avec  lui  sur  des 
affaires  militaires.  Auguste  II  ayant 
fait  arrêter  ses  ministres  qui  avaient 
négocié  la  paix  d'Altraudstaedt,  et  le 
bruit  s'étant  répandu  que  la  liberté 
de  Schulenbourg  était  menacée,  l'é- 
lecteur de  Hanovre,  qui  avait  pour 
maîtresse  la  sœur  de  celui-ci  ,  lui 
offrit  un  asile  à  sa  cour.  Le  géné- 
ral se  plaignit  à  Auguste  des  bruits 
injurieux  auxquels  il  était  en  butte, 
et  demanda  la  permission  de  visiter 
quelques  cours  d'Allemagne  pour  les 
démentir.  Avec  l'agrément  du  roi 
s'étant  rendu  à  Hanovre,  il  y  trouva 
l'électeur  sur  le  point  d'aller  prendre 


SCH 

le  commandement  de  l'armée  de  l'Em- 
pire sur  le  Rhin.  Ce  prince  demanda 
à  Dresde  pour  Schulenbourg  le  com- 
mandement du  corpsauxiliairesaxon 
qu'Auguste  avait  mis  à  la  solde  des 
États-Généraux ,  ce  qui  ne  lui  fut 
accordé  qu'en  1709.  En  attendant  il 
alla  seul  à  l'armée  des  alliés,  et  y  ar- 
riva assez  à  temps  pour  assister  au 
fameux  siège  de  Lille,  formé  par  le 
prince  Eugène  et  Mariborough,  C'est 
dans  cette  mémorable  opération  et 
aux  autres  sièges  que  les  alliés  en- 
treprirent dans  les  Pays-Bas,  que 
Schulenbourg  acquit  une  grande  ex- 
périence dans  Ja  partie  de  l'art  mili- 
taire ,  qui  par  la  suite  devint  son 
principal  titre  à  l'immortalité.  Au 
siège  de  Tournay  en  1709,  il  com- 
manda une  des  trois  attaques,  et  con- 
tribua puissamment  à  la  reddition 
de  la  place.  Il  eut  encore  une  part 
glorieuse  à  la  victoire  de  Malplaquet 
(11  septembre)  après  laquelle  le 
prince  Eugène  lui  témoigna  haute- 
ment sa  satisfaction.  Pendant  lescam- 
pagnes  de  1709  et  1710,  il  servit  de 
mentor  au  jeune  comte  Maurice  de 
Saxe,  fils  naturel  du  roi,  que  celui-ci 
lui  avait  confié  pour  qu'il  lui  apprît 
le  métier  des  armes.  La  famille  pos- 
sède la  correspondance  du  général 
avec  son  élève.  Lorsqu'elle  aura  été 
publiée,  comme  on  se  propose  de  le 
faire,  il  ne  sera  plus  possible  de  mé- 
connaître la  franchise  et  le  courage 
avec  lesquels  Schulenbourg  repre- 
nait le  jeune  prince  de  son  penchant 
à  s'amuser  à  des  bagatelles  ,  au  lieu 
de  s'appliquer  à  des  choses  sérieuses. 
Ainsi  la  France,  pour  laquelle  ce  hé- 
ros était  élevé,  doit  aussi  de  la  recon- 
naissance à  son  premier  maître.  En 
1710  il  fut,  conjointement  avec  le  gé- 
néral Fagel,  chargé  du  siège  de  Bé- 
thune ,  qu'il  força  à  capituler  le  28 
août.  Comme  le  comte  de  Flemming, 


SCH 


411 


avec  qui  Schulenbourg  avait  eu  des 
altercations,  venait  d'obtenir  le  com- 
mandement général  de  l'armée  saxon- 
ne ,  celui-ci  demanda  décidément  sa 
démission.  Auguste  y  consentit  avec 
peine,  et  lui  remit  une  gratilication 
de  12,000  rixth.  pour  l'indemniser 
des  pertes  qu'il  avait  faites  à  son 
service.  Schulenbourg  passa  les  qua- 
tre années  suivantes  soit  dans  sa 
terre  d'Emden,  près  de  Magdebourg, 
soit  à  Hanovre,  soit  à  Vienne.  En 
1712  il  assista  au  couronnement  de 
Charles  VI  à  Francfort,  et  en  1713 
au  congrès  d'Utrecht.  Vers  la  fin  de 
l'année  1715,  il  s'ouvrit  pour  lui  une 
nouvelle  carrière  de  gloire.  Par  l'in- 
fluence du  prince  Eugène  de  Savoie, 
la  cour  de  Vienne  conclut  avec  la 
république  de  Venise,  que  les  Turcs 
venaient  d'expulser  de  la  Morée,  une 
alliance  en  vertu  de  laquelle  elle  pro- 
mit dedéclarer  laguerre  à  cet  ennemi 
du  nom  chrétien.  A  la  recommanda- 
lion  du  même  héros,  les  Vénitiens 
confièrent  le  commandement  de  leurs 
troupes  au  général  Schulenbourg, 
et  le  5  octobre  il  fut  passé  entre  ce- 
lui-ci et  l'ambassadeur  vénitien  à 
Vienne  un  traité  par  lequel  il  en- 
tra pour  trois  ans  au  service  de 
la  république  avec  le  grade  de  feld- 
maréchal  et  des  appointements  de 
13,000  ducats  d'or  (120,000  francs). 
Pour  témoigner  sa  satisfaction  de  cet 
arrangement,  l'empereur  éleva  le 
feld- maréchal  et  ses  frères  au  rang 
de  comtes  d'Empire,  Schulenbourg 
arriva  à  Venise  avant  la  fin  de  l'an- 
née. La  fermeté  de  son  caractère,  sa 
modestie  et  ses  manières  insinuantes 
lui  gagnèrent  promplement  l'affec- 
tion de  tous  les  membres  de  la  Sei- 
gneurie, même  de  ceux  qui  s'étaient 
opposés  à  sa  nomination.  Il  trouva 
l'armée  de  la  république,  sa  marine 
et  ses  forteresses  dans  un  état  dé- 


•iV2 


SCH 


plorable.  Ses  représentations  en- 
gagèrent le  gouvernement  à  prendre 
à  sa  solde  16.000  hommes  fournis 
par  (les  princes  d'Empire,  et  à  recru- 
ter ses  armées  en  offrant  de  forts  en- 
gagements. Dans  un  mémoire  qu'il 
présenta  au  sénat,  il  exposa  les  mo- 
tifs qui  (levaient  le  faire  renoncer  à  la 
conquête  de  la  Morée  pour  tenter  celle 
de  l'Albanie,  possession  plus  facile  à 
maintenir  et  assurant  à  la  républi- 
que l'empire  de  la  mer  ionienne.  Mais 
avant  qu'on  pût  délibérer  sur  ce 
mémoire,  Scluilenbourg  s'embarqua 
le  2  février  1716,  parce  qu'on  reçut 
l'avis  que  les  Turcs  menaçaient  les 
îles  ioniennes.  Ayant  trouvé  les  for- 
tifications de  Corfou  dans  le  plus 
mauvais  état,  et  les  liabitants  mal  dis- 
posés, il  travailla  avec  la  plus  grande 
activité  à  mettre  la  ville  en  état  de 
(iéfense,  pressa  le  sénat  d'envoyer 
des  secours  considérables  et  n'en  ob- 
tint que  de  médiocres.  Le  Sjuiliet,  les 
Turcs  débarquèrent  dans  l'île  avec 
30,000  hommes  d'infanterie,  3,000 
chevaux  et  une  artillerie  formi- 
dable. Les  seuls  véritables  soldats 
que  Schulenbourg  eût  à  leur  op- 
poser ne  se  montaient  d'abord  qu'au 
nombre  de  1,600;  mais  le  siège 
n'était  pas  encore  commencé  lors- 
que la  flotte  vénitienne  du  prové- 
diteur  Cornaro  attaqua  celle  des 
Turcs  dans  le  canal  de  Corfou,  la 
força  de  se  sauver  à  Butrinto,  et  dé- 
loarqua  1,000  honmies  de  troupes  al- 
lemandes et  beaucoup  de  munitions 
de  guerre.  Le  siège  que  soutint  alors 
Corfou  est  un  des  plus  célèbres  du 
XVill'=siècle,etseulilplaceraitSchu- 
lenbourg  au  rang  des  plus  illustres 
capitaines,  si  tant  d'autres  exploits 
ne  l'y  avaient  également  placé.  Com- 
n)e  tous  les  historiens  en  parlent, 
nous  nous  bornerons  à  dire  que 
tout   ce  qu'une  armée   assiégeante 


SCH 

peut  employer  d'efforts  et  même  de 
fureur,  ainsi  (pie  tout  ce  qu(^  la  dé- 
fense peut  montrer  de  prudence,  de 
bravoure,  de  persévérance  fut  réci- 
proquement épuisé.  Toutes  les  mai- 
sons de  la  ville  furent  détruites  par 
le  leu  de  l'ennemi  Plusieurs  fois  les 
Turcs  se  trouvèrent  en  possession 
d'une  partiedesfortificHtious;  tout  le 
monde  pressait  Schulenbourg  de  se 
rendre,  lui  seul  fut  inébranlable. 
Son  courage  s'affermit  de  plus  en 
plus,  lorsque  des  vaisseaux,  qui 
avaient  pénétré  dans  le  canai,  lui 
amenèrent,  avec  des  munitions  de 
guerre  et  de  boucha- ,  1,500  sol- 
dats allemands  et  suédois  qui,  faits 
prisonniers  en  Poméranie,  s'étaient 
engagés  au  service  de  la  république. 
Le  19  août ,  après  une  sortie  qui 
avait  fait  de  grands  ravages  dans  les 
retrarichements  des  Turcs  ,  ceux-ci 
entreprirent  un  assaut  général  qui 
se  prolongea  pendant  six  heures. 
Déjà  ils  étaient  maîtres  de  tous  les 
ouvrages  extérieurs,  les  forces  des 
assiégés  étaient  épuisées  et  les  rem- 
parts en  partie  dégarnis ,  lorsque 
Schulenbourg  sauva  la  place  par 
un  trait  héroïque.  A  la  tête  de  800 
hommes  il  ht  une  sortie  par  une 
porte  latérale ,  et  tomba  à  l'impro- 
viste  sur  les  derrières  des  Turcs. 
Dans  un  instant,  ceux-ci,  qui  se 
croyaient  déjà  maîtres  de  la  ville, 
furent  mis  en  désordre  et  chassés 
jusqu'à  leurs  retranchements  avec 
une  perte  de  4,000  hommes.  Schu- 
lenbourg,  s'atlendant  à  un  second 
assaut,  employa  le  reste  du  jour  et  la 
nuit  suivante  à  la  réparation  des  for- 
tifications. L'assaut  eut  lieu  en  effet 
le  20,  mais  les  Turcs  étaient  tel- 
lement découragés,  que  le  feu  de 
l'artillerie  suffit  pour  les  repousser. 
Enfin,  la  nature  elle-méfiie  vint  au 
secours  de  la  bravoure.  Le  même: 


SCH 

jour  une  tempête  eifroyable  accom- 
pagnée d'une  averse  couvrit  d'eau  les 
fortifications,  remplit  les  mines  et 
gâta  toute  la  poudre  des  assièges; 
mais  elle  inonda  en  même  temps  les 
trauclie'es  des  Turcs,  renversa  leurs 
tentes,  et  détruisit  entièrement  leur 
camp.  Ils  s'enfuirent  vers  leurs  vais- 
seaux, abandonnant  soixante  bouches 
à  feu,  leurs  chevaux,  mulets,  cha- 
meaux et  vivres.  Outre  la  perte  qu'ils 
avaient  essuyée,  deux  nouvelles 
funestes  précipitèrent  leur  retraite  : 
celle  de  la  destruction  de  leur  grande 
armée  par  le  prince  Eugène  à  Sa- 
lankemen  ,  et  celle  de  l'approche 
d'une  escadre  composée  de  vaisseaux 
espagnols,  portugais  et  pontificaux, 
qui  venait  pour  renforcer  la  flotte 
vénitienne.  Le  siège  de  Corfou  coûta 
la  vie  à  15,000  Ottomans;  en  sau- 
vant cette  place,  Schulenbourg  sauva 
Venise  elle-même;  car  c'était  sur 
cette  ville  qu'aussitôt  après  la  prise 
de  Corfou  le  séraskier  devait  se 
porter.  Le  feld-maréchal,  après  avoir 
fait  réparer  les  fortifications  et  s'être 
emparé,  le  8  septembre,  de  Butrinto, 
se  rendit  à  Venise  où  il  fut  reçu 
avec  des  acclamations  générales,  et 
comblé  d'honneurs  et  de  présents. 
Les  marins  le  portèrent  sur  leurs 
épaules,  depuis  son  vaisseau  jusqu'au 
trône  du  doge,  qui  lui  remit  au  nom 
du  sénat  une  épéegarniede  diamants 
de  la  valeur  de  8,000  ducats  d'argent 
(32,000  fr.).  Outre  son  traitement 
convenu  pour  trois  ans,  on  lui  assura 
une  pension  viagère  de  5,000  ducats 
d'argent  (20,000  Ir.).  On  fit  frapper 
des  médailles  en  son  honneur;  son 
buste  fut  placé  à  l'entrée  de  l'arse- 
nal, et  sastitueen  marbre,  exécutée 
par  Iinbiauchi,  fut  érigée  dans  la 
citadelle  de  Corfou,  où  elle  est  encore 
respectée  par  toutes  les  nations  qui 
x)nt   successivement    possédé    cette 


SCH 


41S 


belle  colonie.  On  a  remarqué  commt' 
une  chose  singulière  que,  dans  le  dé- 
sastre que  cette  ville  éprouva  le  21 
mars  1718  par  l'explosion  d'un  ma- 
gasin à  poudre,  qui  renversa  presque 
toutes  les  maisons  et  coûta  la  vieil 
quelques  milliers  d'hommes,  la  stiitue 
du  feld-maréchal  resta  debout,  quoi- 
que placée  près  du  magasin.  Ce  qui 
acheva  de  gagner  à  ce  héros  le  cœur  des 
Vénitiens,  ce  fut  la  modestie  avec  la- 
quelle il  parla  de  ce  qu'il  avait  fait  lui- 
même,  et  les  éloges  qu'il  donna  aux 
nobles  qui  avaient  partagé  ses  drtn- 
gers.  Nous  devons  encore  rapporter 
cnmme  un  trait  caractéristique,  que 
Schulenbourg  profila  de  l'enthou- 
siasme causé  par  sa  présence  à  Venise 
pour  demander,  en  faveur  de  ses  co- 
religionnaires, des  privilèges  qui  pa- 
raissaient incompatibles  avec  les  lois 
de  la  république  et  qui  tous  furent 
accordés.  Il  s'occupa  pendant  l'hi- 
ver du  plan  qu'il  avait  tracé  pour  la 
conquête  de  l'Albanie.  Au  printemps 
de  1717,  il  se  rendit  à  Rome  où  il 
reçut  l'accueil  le  plus  gracieux  du 
pape  Clément  XI.  Comme,  en  zélé 
protestant,  il  ne  voulut  pas  se  soumet- 
tre à  l'étiquette  de  la  cour  de  Rome, 
le  pontife  le  vit  sans  cérémonie  dans 
le  jardin  du  Vatican,  et  le  fit  trai- 
ter, pendant  son  séjour,  par  un  de 
ses  cardinaux.  Le  feld-maréchal  ne 
fut  pas  moins  bien  reçu  par  le  vice- 
roi  de  Naples,  et  de  celte  ville  il  5e 
rendit  à  Otrante,  d^où  il  s'embarqua 
pour  Corfou  ;  il  y  fut  retenu  pendant 
une  grande  partie  de  la  campagne 
parles  apprêts  que  faisaient  les  Turcs 
pour  renouveler  le  siège.  La  saison 
ne  permettant  plus  d'^xéculer  cette 
année  la  conquête  de  l'Albanie,  il  se 
contenta  de  prendre  Prevesa,Vouitza 
etl'Arta,  dont  la  posses>iou,  avec 
celle  de  Butrinto  ,  assura  celle  de 
Corfou.  Les   Vénitiens,  animés  par 


414 


SCH 


SCH 


Schulenbourg,  tirent  de  grands  pré- 
paratifs pour  la  campagne  de  1718. 
Le  22  juillet  de  cette  année,  le  feld- 
maréchal  mit  le  siège  devant  Duici- 
gno,  première  place  de  l'Albanie.  Il 
était  sur  le  point  de  s'en  emparer, 
lorsque,  le  l^"*  août,  il  reçut  l'ordre  de 
mettre  lin  aux  hostilités,  parce  que  la 
paix  allait  être  signée:  elle  l'était 
effectivement  depuis  le  21  juillet.  Cet 
ordre  jeta  Schulenbourg  dans  un 
grand  embarras ,  car  le  séraskier, 
qui  approchait  avec  des  renforts, 
faisait  semblant  d'ignorer  la  con- 
clusion de  la  paix.  Ce  ne  fut  qu'a- 
vec le  plus  grand  danger,  et  les 
armes  à  la  main,  qu'il  put  gagner  les 
vaisseaux  vénitiens  et  embarquer  ses 
troupes.  Cette  retraite  lui  fit  encore 
un  honneur  infinie  Après  la  paix,  la 
république  de  Venise  n'ayant  plus 
besoin  d'un  feld- maréchal,  s'ho- 
nora en  renouvelant,  de  trois  en 
trois  ans,  le  traité  conclu  avec  lui. 
Ainsi, elle  se  montra  plus  reconnais- 
sante des  services  qu'on  lui  avait 
rendus,  que  ne  le  firent,  à  la  même 
époque,  plusieurs  monarques  pour 
lesquels  des  étrangers  avaient  risqué 
leur  vie  (4).  Schulenbourg  Ht  recon- 
struire les  fortifications  de  Corfou 
d'après  un  nouveau  plan  qui  ne  fut 
achevé  qu'en  1729,  et  s'occupa  pen- 
dant le  reste  de  ses  jours  à  mettre 
toutes  les  places  de  la  république 
dans  un  état  de  défense  respectable. 
Sa  résidence  ordinaire,  dans  les  der- 
niers temps  de  sa  vie,  était  à  Vérone, 
mais  il  fit  souvent  des  absences  assez 
longues.  C'est  ainsi  qu'en  1726  il  alla 
voir  à  Londres  sa  sœur  Ermingarde- 
Mélusine,  que  son  royal  fitiii,  Geor- 
ges 1",  avait  créée  duchesse  de  Ken- 
dale,  et  l'empereur  princesse  d'Eber- 
stein   {voy.    Kendale,    au    second 

(4)    Voy.  uotammeut  l'article  de  SeckeN- 

DORF,  t.  XIII,  ^l'i. 


Supplément).  Jamais  étranger  n'a- 
vait encore  été  accueilli  en  Angle- 
terre comme  il  le  fut.  Le  roi  et  les 
grands  le  comblèrent  d'honneurs;  le 
maréchal  de  Broglie,  qui  se  trouvait 
à  Londres  comme  ambassadeur  de 
France,  se  mettant  au-dessus  de  l'é- 
tiquette, lui  fit  la  première  visite. 
Georges  I"  lui  montra  une  confiance 
particulière,  et  eut  avec  lui  de  lon- 
gues conversations.  A  son  retour  le 
feld-maréchal  passa  par  Berlin,  où 
Frédéric -Guillaume  1"  le  décora  de 
l'ordre  de  l'Aigle-JNoir,  distinction 
qu'il  dut,  non  au  rôle  que  sa  sœur 
jouait  auprès  d'un  monarque  que  le 
roi  de  Prusse  détestait ,  mais  à  l'es- 
time que  ce  prince  avait  pour  sa  per- 
sonne. Schulenbourg  eut  la  sagesse 
de  se  contenter  de  la  part  de  gloire, 
à  la  vérité  assez  belle,  qu'il  avait 
acquise,  et  de  ne  pas  rechercher  un 
autre  service  où  il  eût  pu  cueillir  de 
nouveaux  lauriers.  «Vous  avez,  dit-il 
dans  une  lettre  à  Voltaire ,  qui  lui 
avait  demandé  des  détails  sur  ses 
campagnes  de  Pologne ,  vous  avez 
voulu  faire  briller  encore  une  fois 
mon  épée,  qui  est  enrouillée  par  la 
vieillesse  et  l'inaction,  et  que  je  n'ai 
pas  jugé  à  propos  d'exposer  davantage 
aux  vicissitudes  de  la  fortune  et  à 
l'orage  après  avoir  trouvé  un  bon 
port.  »  Non-seulement  Schulenbourg 
ne  rechercha  pas  une  nouvelle  occa- 
sion de  se  distinguer,  mais  les  papiers 
conservés  par  sa  famille  prouvent 
qu'il  se  refusa  à  celles  qui  s'offri- 
rent d'elles-mêmes.  Après  la  malheu- 
reuse campagne  de  1734  en  Italie,  le 
prince  Pio,  ambassadeur  impérial  à 
Venise,  eut  ordre  de  se  transporter 
secrètement  à  Vérone  pour  offrir  à 
ce  vieillard  plus  que  septuagénaire 
le  commandement  des  arujees  impé- 
riales en  Italie.  Schulenbourg  ré- 
pondit que  sa  capitulation  le  liait 


SCH 


SCH 


415 


encore  pendant  vingt  mois  au  ser- 
vice de  la  république  de  Venise, 
et  qu'il  ne  pouvait  pas  le  quitter  sans 
son  consentement.  Celle-ci  l'ayant 
refusé  ,  l'empereur  s'adressa  au  roi 
de  Prusse,  et  le  pria  d'employer  son 
autorité  pour  rappeler  Schulenbourg 
qui  était  son  vassal.  Le  3  oct.  1734, 
Frédéric  -  Guillaume  P"^  écrivit  au 
feld-maréchal  en  ces  termes:  «  Comme 
je  trouve  votre  présence  fort  néces- 
saire par  beaucoup  de  raisons  pres- 
santes, je  vous  ordonne,  sous  peine 
d'encourir  mon  indignation,  de  vous 
rendre  ici,  sans  faute,  dans  Tannée 
future.  »  Schulenbourg  déclara  alors 
que  rien  au  monde  ne  pourrait  le 
porter  à  violer  les  lois  de  l'honneur 
et  de  la  reconnaissance  en  quittant 
le  service  de  la  république  avant  le 
terme  fixé  par  sa  capitulation.  Le  roi 
de  Prusse  approuva  ces  principes 
dans  une  lettre  du  26  nov.  1734, et  la 
république  de  Venise  changea  sa  ca- 
piiulation  triennale  en  un  engage- 
ment pour  la  vie  :  exemple  unique 
dans  les  annales  de  cette  république  ! 
En  1737  le  roi  de  Prusse  tenta  en- 
core de  fixer  Schulenbourg  à  Berlin  : 
le  feld-maréchal  Grumbkow  lui  offrit 
en  son  nom  la  même  charge  qu'il 
occupait  à  Venise,  en  le  dispensant 
de  tous  les  détails  du  service,  et  pour 
ne  jouir  que  des  avantages  attachés  à 
cet,  emploi.  11  répondit  qu'un  vieillard 
désabusé  du  monde  ne  devait  songer 
qu'à  la  tombe,  etque,  quant  à  lui,  son 
unique  soin  était  de  penser  aux  choses 
futures,  afin  de  voir  approcher  sa  fin. 
comme  le  sage  devait  faire,  sans  la  dé- 
sirer ni  la  craindre.  Cet  illustre  guer- 
rier mourut,  à  Vérone,  le  14  mars  1747, 
à  l'âge  de  87  ans.  Son  corps  fut  trans- 
porté à  Venise  et  enseveli  à  l'arsenal. 
Il  ne  s'était  jamais  marié,  mais  il  avait 
un  fils  naturel  qu'il  fit  élever  sous  le 
nom  de  Gludebeck  ,   et  qui  resta 


imbécile  toute  sa  vie.  Son  neveu 
bien-aimé,  Adolphe-Frédéric,  ayant 
été  tué  à  la  bataille  de  Mollwitz,  Schu- 
lenbourg institua  son  héritier  uni- 
versel Louis-Ferdinand  d'OEynhau- 
sen,  fils  aîné  de  sa  sœur,  auquel  il 
permit  de  prendre  le  nom  de  Schu- 
lenbourg. Il  existe  dans  les  archives 
du  ministère  de  la  guerre  de  Prusse 
un  fragment  de  mémoires  de  Schu- 
lenbourg ,  écrits  en  français ,  qui 
traite  principalement  de  ses  cam- 
pagnes en  Pologne  :  il  l'avait  envoyé 
en  1740  à  Voltaire,  pour  s'en  servir 
dans  sa  vie  de  Charles  XII.  Ce  frag- 
ment a  été  publié  dans  les  Denkwur- 
digkeiten  fur  die  Kriegskunde  und 
Kriegs  geschichte ,  que  des  officiers 
prussiens  ont  fait  imprimer  en  1817. 
Une  notice  sur  Schulenbourg  se 
trouve  dans  le  \o\.L\\{  des  Genealo- 
gisch  historische  Nachrichten,  qui  a 
paru  en  1743*  Les  auteurs  de  cet 
ouvrage  périodique  y  annoncèrent 
par  erreur  sa  mort.  Avec  ces  maté- 
riaux, M.  Varnhagen  a  compilé  la  Vie 
du  feld-maréchal,  insérée  dans  ses 
Biographische  Denkmale  ,  Berlin  , 
1824,  in- 8".  Outre  ces  notices,  nous 
nous  sommes  servi,  pour  la  rédac- 
tion de  la  nôtre,  de  matériaux  inédits. 

S— L. 

SCHULENïiODRG  (Lévin-Fré- 

DÉRic  de),  grand- maître  d'artillerie 
au  service  de  Sardaigne,  né  en  1670, 
entra  en  1686  comme  simple  soldat 
au  service  de  Brandebourg,  assista 
en  1689  comme  caporal  au  siège  de 
Bonn,  fut  fait  prisonnier  à  la  bataille 
de  Fleurus  le  l*"^  juillet  1690 ,  se 
rançonna  lui-même,  et  fit  les  autres 
campagnes  jusqu'à  la  paix  de  Rys- 
wick,  comme  lieutenant.  Son  cousin, 
Mathias-Jean  {voy.  l'art,  précéd.),  lui 
donna  une  compagnie  dans  le  ré- 
giment qu'il  forma  pour  le  duc  de 
Savoie,  en  1698^  et  lorsqu'en  1702 


4U> 


SCH 


SCH 


ce  gént^ral  quitta  le  service  du  duc, 
Levin-Fréderic  fut  nommé   colonel 
de  ce  même  régiment.  Il  se  distingua 
au  siège   d'Ivrée,  qu'il   défendit  en 
1704  contre  le  duc  de  La  Feuillade; 
et  en  170()  par  la  défense  de  la  cita- 
delle de  Turin.  Il  avança  successi- 
vement jusqu'au  grade   de   grand- 
maître  d'artillerie,  et  il  en  est  sou- 
vent question  dans  les  Mémoires  de 
Berwick.  Sur  son  lit  rie  mort,  le  roi 
de  Sardaigne  et  le  prince  de  Piémont 
lui  promirent   de   donner    son    ré- 
giment à  son  neveu  Christophe-Da- 
niel [voy.  ci-dessous) ,  et  de  le  con- 
férer toujours  à   un   Schulenbourg 
tant  qu'il   y  aurait  un  membre  de 
cette  famille  à  leur  service.  Il  mourut 
\v  17  mai  1729,  et  fut  enterré  à  Saint- 
Jean  d'Agrogne,  paroisse  protestante 
de  la  vallée  de  Lucerne.        S— l. 

SCHULENBOURG  (Christophe- 
Daniel,  baron  de),  général  d'infan- 
terie au  service  de  Sardaigne,  né  à 
Angern,  près  de  Magdebourg,  !e  17 
février  1679,  entra  le  27  juin  1701 
dans  le  régiment  de  son  cousin  Ma- 
thias-Jean,  et  fut  nommé  colonel  en 
1729,  à  la  mort  de  son  oncle  Lévin- 
FrédérJc  [voy.  l'article  précédent). 
En    1734    il    fut   promu   au    grade 
de  général -major,  et  en  1742  à  celui 
de  lieutenant-général ,  après  avoir 
pris    la    citadelle    de   Modène.    La 
même   année,    il    commanda    l'aile 
droite    de    Tarmée    de    Sardaigne, 
passa  le  mont  Cenis,  et  repoussa  les 
Espagnols  en  Dauphiné.  En  1744,  il 
obtint  ie  grade  de  général  d'infante- 
rie,  quitta  le  service  en  1754,  et  se 
retira  à  sa  terre  d'Angern,  où  il  mou- 
rut le  22  novembre  1763.         S— L. 
SCHULENBOURG  (Adolphe-Fré- 
déric de),  général  prussien,  naquit 
à    Wollenbultel ,    le     5    décembre 
1685  :  fit  ses  premières  études,  jus- 
qu'en 1701,  à  l'académie  noble  de 


Lunebourg,  et    pendant   les    trois 
années  suivantes  à  Utrecht.  Depuis 
1705,  il  servit  comme  volontaire  dans 
les  troupes  de  Hanovre  aux  Pays-Bas. 
Après  la  bataille  de  Ramillies,  il  ob- 
tint un  escadron  de  cavalerie  au  ré- 
giment du   général    Alexandre    de 
Scbulenhourg,  et  le  commanda  dans 
les  batailles  d'Oudenarde  et  de  Mal- 
plaquet.  Il  reçut  à  la  dernière  une 
blessure  grave.  En  1711,  il  fut  nom- 
mé major.   Après  la  paix  d'Ulrecht, 
il  entra  comme  lieutenant-colonel  au 
service  de  Prusse;  en  1715,  il  assista 
au  siège  de  Stralsund  ;en  1718,  il  fut 
promu  au  grade  de  colonel  ,  et  obtint 
en  1724  un  régiment  de  grenadiers  à 
cheval.  En  1728,  Frédéric-Guillau- 
me !•''■  le  nomma  général-major,  et 
en  1739  lieutenant  général.  Ce  mo- 
narque lui  avait  accordé  sa  confiance 
et  l'admit  dans  sa  tabagie-,  ce  qui 
était  une  grande  marque  de  faveur. 
Schulenbourg,  qui  ne  fumait  pas,  en 
fut  dispensé,  à  condition  toutefois 
d'avoir,    comme     les  autres  ,    une 
pipe  à  la  bouche.  Le  roi  le  choisit  en 
1732  pour  aller  annoncer  à  Vienne 
les  fiançailles  du  prince  royal  avec 
une    nièce  de   l'impératrice.    Cette 
mission  fut  d'autant  plus  agréable 
que  la  cour  de   Vienne   avait  noué 
beaucoup  d'intrigues  pour  faire  réus- 
sir le  mariage.   {Voy.  Seckendorf, 
XLl,  417.)  En  1734  il  fut  désigné  pour 
accompagner  le  prince  royal  dans  la 
campagne  sur  le  Rhin,  et  l'accord  qui 
dès  ce  moment  régna  entre  le  roi  et 
son  fils  fut  en  grande  partie  son  ou 
vrage.  Il  obligea  le  prince  royal  en 
lui  prêtant  de  l'argent  avec  un  grand 
désintéressement  :  on  sait  que  le  roi 
était  très-économe.  Le  rôle  de  favori 
qu'il  avait  joué  auprès  de  celui-ci 
l'engagea  à  se  retirer  lors  de  l'avé- 
nement  de  Frédéric  II,  qui  lui  avait 
donné  quelques  motifs  de  méconten- 


tpment  ;  mais  ce  prince  répara  tout 
en  lui  conférant  l'ordre  de  l'Aigle- 
Noir.  Cette  faveur  et  la  probabilité 
d'une  guerre  prochaine  le  retinrent 
au  service.  A  la  bataille  de  Moliwitz 
(10  avril  1741),  il  commanda  la  ca- 
valerie, qui  fut  plusieurs  fois  repous- 
sée par  celle  de  Marie-Thérèse. 
Schiilenbourg  voyant  le  décourage- 
ment de  ses  troupes,  et  ne  voulant 
probablement  pas  survivre  à  la  tache 
dont  son  régiment  s'était  souillé,  se 
mit  à  la  têle  du  premier  escadron 
(dont  en  qualité  de  colonel  il  était  ca- 
pitaine), et  attaqua  l'infanterie  îiutri- 
chienne.  Lui-même ettousles officiers 
de  l'escadron  périrent  sur  le  champ  de 
bataille.  Il  fut  enseveli  à  Betzendorf, 
dans  le  caveau  de  sa  famille.  Adolphe 
de  Schulenbourg  avait  épousé  une 
demoiselle  de  Bartensleben  ,qui  par 
le  décès  de  ses  frères  devint  Thérilière 
de  sa  maison,  dont  les  riches  posses- 
sions entrèrent  ainsi  dans  la  famille 
de  Schulenbourg.  Il  laissa  quatre  fils 
et  huit  filles.  Son  oncle  maternel  le 
feld-maréchal  Mathias-Jean  leur  lé- 
gua par  codicille  la  moitié  de  sa  ga- 
lerie de  tableaux,  à  condition  qu'elle 
resterait  comme  fiJéi-commis  dans  le 
palais  Schulenbourg  à  Berlin  (aujour- 
d'hui palais  Radziwil).  Lui-même  assu- 
ra le  bien-être  de  sa  descendance  par 
ses  dispositions  testamentaires.  S— L. 
SCHULENBOURG  -  WOLFS- 

BOURG  (GUEBHARD-GUERNABD  de), 

ministre  prussien, fils  d'Adolphe-Fré- 
déric, naquit  le  20  décembre  1722,  à 
Wolfsbourg,terreallodialedesamère 
dont  il  hérita  en  1756,  et  devint  ainsi 
le  fondateur  de  la  branche  de  Schu- 
lenbourg-Wolfsbourg.  Il  étudia  à 
Helmstœdt  et  à  Leipzig  ,  et  entra  en 
1746  au  service  de  Prusse  comme 
conseiller  d'ambassade.  En  1764, 
Frédéric  II  l'envoya  comme  deuxième 
ambassadeur  au  couronnement    de 

Ï.WXÏ. 


SCH 


417 


Joseph  II ,  puis  comme  ministre  k 
Stuttgard,  pour  arranger  en  qualité 
de  médiateur  les  différends  du  duc  de 
Wurtemberg  avec  les  États  (\u  pays. 
En  1769,  à  la  mort  du  dernier  mar- 
grave de  Baireuth,  il  fut  chargé  de 
mettre  le  margrave  d'Anspach  en 
possession  de  la^ principauté  de  Bai- 
reuth, et  en  même  temps  de  négocier 
l'abdication  du  margrave  Alexandre, 
qui  n'avait  pas  d'enfants,  en  f.iveiir 
de  la  ligne  royale  de  Prusse.  Cette 
négociation,  qui  échoua  alors,  réus- 
sit 22  ans  plus  tard  (voy.  Anspach, 
LV!,  352).  En  1776,  Schulenbourg 
fut  nommé  ministre  d'État.  En  1778, 
il  fit  un  riche  héritage.  Sa  tante, 
nièce  elle-même  de  la  fameuse  du- 
chesse de  Kendale  (  grand'tante  de 
Guebhard-Guernard),  et  femme  de- 
puis 1733  de  lord  Chesterfield,  mou- 
rut en  1778  après  avoir  institué 
Schulenbourg  son  légataire  univer- 
sel ^  elle-même,  en  1743,  avait  hé- 
rité de  la  duchesse  de  Kendale. 
Schulenbourg  passa  les  dernières 
années  de  sa  vie  retiré  des  affaires, 
soit  au  château  de  Wolfsbourg,  soit 
à  Brunswick  ;  mais  Frédéric  II  l'ap- 
pela souvent  pour  quelques  semaines 
à  Potsdam,  et  il  appartenait  au  pe- 
tit comité  des  amis  du  monarque. 
Cette  seule  circonstance  suffirait 
pour  lui  accorder  une  place  dans 
cette  galerie  biographique.  Il  mou- 
rut à  WoUsbourg,  le  23  août  1788, 
laissant  de  son  épouse,  néede  Vel- 
îheim,  sept  enfants.  S— L. 

SUHULEXBOUBG  -  WOLFS- 
BOURG(Charles-Guebhard  GuER- 
NARD,  comte  de),  fils  aîné  du  pré- 
céilent,  naquit  le  21  mars  1763  à 
Brunswick,  fit  ses  études  au  gymnase 
de  Klosterbergen  près  Magdebourg, 
ensuite  au  Carolinum  de  Brunswick, 
et  finalement,  de  1782  k  1786,  à  Gœt- 
tingen.  11  conduisit  ensiiite  le  prince 

î?7 


418 


SCH 


SCH 


Iu^r(^ditairfi  de  Brunswick  (qui  mou- 
rut eu  1800,  peu  de  semaines  avant 
son  |)è,re),  en  Suisse  et  dans  la  France 
méridionale,  et  fut  envoyé  plus  tard 
pour  le  chercher  en  Italie  et  le  sui- 
vre à  la  Haye  où  ce  prince  se  maria. 
Lorsque  les  États  du  royaume  de 
Westphalie ,  création  éphémère  de 
Bonaparte ,  furent  convoqués,  Schu- 
lenbourg  fut  d'abord  nommé  prési- 
dent du  collège  électoral  du  dépar- 
tement de  l'Ocker,  et  ensuite  des 
États  mêmes,  place  où  il  se  conduisit 
avec  dignité,  et  se  concilia  l'estime 
publique.  Aussi  la  domination  étran- 
gère eut  elle  à  peine  cessé  en  Al- 
lemagne, que  le  duc  de  Brunswick, 
Frédéric-Guillaume,  le  mit  à  la  tête 
du  gouvernement  en  le  nommant 
ministre  dirigeant  de  ses  États.  Il 
suivit  ce  souverain  au  quartier-géné- 
ral des  alliés  à  Langres.  Certai- 
nes circonstances  l'engagèrent  alors 
à  se  démettre  de  sa  charge,  pour  se 
retirer  dans  ses  terres  ;  mais  ce  qui 
prouve  la  haute  opinion  qu'on  avait 
de  sa  probité  et  de  ses  talents,  c'est 
qu'après  la  bataille  des  Quatre-Bras, 
qui  coûta  la  vie  au  duc  Frédéric- 
Guillaume,  le  prince  régent  d'Angle- 
terre, à  qui ,  comme  au  plus  proche 
agnat^  la  tutelle  du  jeune  duc  fut  dé- 
volue, ne  voulut  sedécharger  de  l'ad- 
ministration du  pays  que  sur  Schulen- 
bourg  qu'il  engagea  de  reprendre 
la  place  de  ministre  dirigeant.  Il 
la  remplit  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le 
25  décembre  1818.  Sa  mémoire  est 
bénie  dans  le  pays.  De  son  épouse, 
née  de  Munchhausen,  il  laissa  une 
nombreuse  famille.  S— l. 

SCHULENBOLRG-  ŒYNHAU- 
SEN  (Louis-Ferdinand,  comte  de), 
grand-rnaître  de  Tartillerie  d'Autri- 
che, fils  de  Raban-Christophe  d'Œyn- 
hausen  et  de  Sophie-Julien ue,  sœur 
de  Mathias-Jean,  comle  de  Schuien- 


bourg,  né  en  1701,  entra  fort  jeune 
au  service  d'Autriche.  En  1723,  son 
oncle  maternel  l'ayant  trouvé  comme 
capitaine  en  garnison  à  Naples,  l'em- 
mena avec  lui  à  Corfou,  et  lui  permit, 
dès  1724,  de  prendre  le  nom  de 
comte  de  Schulenbourg ,  sous  le- 
quel il  s'est  rendu  célèbre.  En  1725, 
il  reçut  le  grade  de  lieutenant-colo- 
nel, et  en  1733  celui  de  colonel.  Il  se 
distingua  à  la  bataille  de  Bifonto,  en 
1734,  et  fut  fait  prisonnier.  L'année 
suivante  il  obtint  un  régiment  d'in- 
fanterie avec  le  rang  de  général-major. 
11  lit  les  campagnes  de  1737  à  1739  en 
Hongrie,  et  acquit  beaucoup  de  gloire 
aux  combats  de Cornia  et  de  Mehadra 
des  4  et  15  juillet  1738,  et  comme 
lieutenant-général  à  celui  deGrotzka 
du  23  juillet  1739.  Au  mois  de  mars 
1741,  il  fut  envoyé  comme  ministre 
plénipotentiaire  à  Turin,  pour  négo- 
cier une  alliance  défensive  qui  devait 
couvrir  les  provinces  autrichiennes 
d'Italie  contre  la  France  etTEspagne. 
Schulenbourg  eut  affaire  à  un  habile 
politique,  ie  marquis  d'Orméa;  il 
fallut  vaincre  bien  des  difficultés 
avant  de  conclure  le  traité  du  1^'  fé- 
vrier 1742.  Schulenbourg  commanda 
l'aile  droite  des  Autrichiens  à  la  ba- 
taille de  Campo-Santo  du  8  février 
1743,  et  fit  la  campagne  de  1744  sur 
le  Rhin,  et  en  Bohême  sous  les  ordres 
du  feld-maréchal  Traun.  En  1745, 
ayant  été  nommé  grand- maître  d'ar- 
tillerie, il  commanda  un  instant  en 
chef  l'armée  autrichienne  en  Italie, 
après  le  départ  de  Lobkowitz.  Au 
commencement  de  1747,  il  fut 
chargé  ,  à  la  place  du  comte  de 
Botta,  de  l'expédition  qui  devait 
châtier  la  ville  de  Gênes.  II  montra, 
en  cette  occasion ,  tous  les  talents 
d'un  grand  général  ;  déjà  il  était 
maître  de  Sestri  di  Ponente  et  de 
YaUri,.et  assez  prèsdelavillepourla 


SCH 

cerner,  lorsque  l'approche  de  l'armée 
du  maréchal  deBelle-Isle  par  le  comté 
de  Nice  l'obligea  de  lever  le  blocus  le 
31  juillet.  Cet  échec  le  fit  tomber  en 
disgrâce,  et  il  fut  rappelé  le  22  août. 
Schulenbourg  embrassa  la  religion 
catholique  en  1753.  Il  mourut  à 
Vienne,  le  16  février  1754,  des  suites 
d'une  chute  de  chevai  qu'il  avait 
faite  devant  Gênes  en  1747.  11  laissa 
plusieurs  enfants  de  la  veuve  du 
prince  Adam  de  Lichtenstein,  fille 
d'un  comte  de  Kottulinsky,  qu'il  avait 
épousée  en  1740.  S— l. 

SCHULENBOURG  -  KEIINERT 
(Frédéric-Guillaume,  comte  de),  mi- 
nistre d'État  de  Prusse ,  né  à  Keh- 
nert,  dans  le  duché  de  Magdebourg, 
le  22  nov.  1742,  reçut  son  éducation 
littéraire  au  gymnase  de  Kloster- 
bergen  et  à  l'académie  noble  de  Bran- 
debourg ;  entra  en  1760  comme  cor- 
nette au  service  de  Prusse,  et  fit  les 
dernières  campagnes  de  la  guerre  de 
Sept-Ans.  Une  blessure  reçue  à  ia 
tête  l'ayant  rendu  incapable  du  ser- 
vice militaire  actif,  il  donna  sa 
démission  en  1765;  mais  Frédéric  II 
le  nomma,  en  1767,  conseiller  pro- 
vincial (place  qui  répond  à  celle  de 
sous-préfet)  du  duché  de  Salzwedel  ; 
en  1769,  vice -directeur,  ensuite 
président  de  la  chambre  des  domai- 
nes, et  en  1771,  ministre  d'État, 
chef  des  provinces  prussiennes  en 
Basse-Saxe  et  en  Westphalie,  chef 
du  département  des  forêts,  mines  et 
usines  de  toute  la  monarchie,  et 
président  du  directoire  de  la  banque. 
H  céda  cependant,  en  1774,  le  dé- 
partement des  mines  et  usines  à  un 
autre  ministre.  En  1778,  le  roi  lui 
confia  le  ministère  de  la  guerre  et 
l'intendance  de  l'armée  du  prince  de 
Prusse^  le  nomma,  en  1782,  chef  du 
commerce  maritime  ;  lui  donna,  en 
1784,  l'ordre  de  l'Aigle-IHoir,  et  l'é- 


SCH 


419 


leva,  en  1786,  au  rang  de  comte. 
Après  la  mort  de  Frédéric  II,  Schu- 
lenbourg se  démit  de  toutes  ses 
charges,  et  se  retira  dans  ses  terres  ; 
mais  lorsque  les  conjonctures  politi- 
ques firent  craindre  une  guerre  avec 
la  Russie,  l'armée  prussienne  étant 
déjà  en  marche,  on  crut  avoir  besoin 
des  talents  administratifs  de  Schu- 
lenbourg, et  Frédéric-Guillaume  II 
le  rappela,  le  17  mai,  pour  le  charger 
du  matériel  de  la  guerre,  du  dépar- 
tement des  provinces  de  Magdebourg 
et  Halberstadt,  ainsi  que  de  la  direc- 
tion de  la  banque  et  du  commerce 
maritime.  Le  5  novembre  de  la  même 
année,  il  rentra  dans  la  carrière  mi- 
litaire comme  lieutenant -général; 
fut  nommé  président  du  collège  de 
guerre,  et  en  1791  ministre  du  ca- 
binet et  des  affaires  étrangères  à  la 
place  du  comte  de  Herzberg,  dont  la 
cour  de  Vienne  exigea  la  retraite, 
avant  de  s'allier  à  la  Prusse  pour 
combattre  la  révolution  de  France. 
Schulenbourg  fut  déchargé  de  pres- 
que tous  ses  départements  civils  , 
mais  il  conserva  le  ministère  de  la 
guerre ,  ainsi  que  la  présidence 
de  la  banque.  En  sa  double  qua- 
lité de  ministre  des  affaires  étran- 
gères et  de  ministre  de  la  guerre, 
il  accompagna  le  roi  pendant  la 
malheureuse  campagne  de  1792 , 
où  la  Prusse  trompa  l'attente  de 
beaucoup  de  Français  et  surtout  celle 
de  l'infortuné  Louis  XVI ,  qu'elle 
devait  sauver  comme  elle  l'avait  an- 
noncé, et  que  loin  de  là  elle  poussa 
à  l'échafaud  par  une  vaine  et  in- 
utile démonstration  {voy.  Dumou- 
RiEZ  ,  LXUI,  160).  Le  comte  de 
Schulenbourg,  plus  loyal  et  plus 
généreux  que  les  autres  conseillers 
de  Frédéric-Guillaume  II  {voy.  Haug- 
wrrz,  LXVI,  477),  voulait  qu'on  mar- 
chât sans  hésilution  au  secours  du 

27. 


450 


SCH 


SCU 


roi  (le  France,  et  il  fut  près  d'en- 
traîner à  cette  de'cision  le  faible 
monarque;  nnais  les  conseils  du  duc 
de  Brunswick  l'emportèrent,  et  les 
partisans  de  la  retraite  et  des  tempo- 
risations parvinrent  à  Hiire  renvoyer 
Schulenbourg  à  Berlin.  Le  roi  lui- 
même  fut  sur  le  point  d'y  retourner 
sous  prétexte  de  quelques  mouve- 
ments d'insurrection  dans  les  provin- 
ces polonaises.  Peu  de  temps  après  son 
retour  dans  cette  capitale,  Schulen- 
bourg  fut  remplacé  dans  le  ministère 
des  affaires  étrangères  par  Haugwitz 
qui  en  prit  possession  le  21  ianv.1793, 
le  jour  même  où  Louis  XVi  mourait 
sur  l'échafaud  !  Schulenbourg,  qui 
conserva  en  apparence  le  portefeuille 
de  la  guerre,  fut  envoyé  à  l'armée  du 
Rhin  qui  venait  de  s'emparer  de 
Mayence  par  une  capitulation  ;  et  il 
passa  toute  l'année  1794  dans  cette 
contrée,  où  obligé  de  défendre  les 
opérations  de  Mœllendorff  et  de 
Kalckreuth,  qui  y  commandaient 
(voy.  ces  deux  noms,  XXIX, ,205,  et 
LXVlll,  391),  il  eut  à  soutenir  avecle 
minisire  anglais,  Malmesbury  (voy. 
ce  nom,  LXXM,  442),  qui  voulait  for- 
cer les  généraux  de  la  Prusse  à  rem- 
plir les  engagements  de  cette  puis- 
sance, des  discussions  très-vives  et 
d'autant  plus  pénibles  qu'au  fond  il 
n'approuvait  point  la  conduite  de 
son  cabinet.  Comme  dans  l'expédition 
de  France  en  1792,  il  fut  encore 
vaincu  par  ses  rivaux,  et  les  intri- 
gues qui  prévalurent  ne  tardèrent 
pas  à  surmonter  les  répugnances  du 
roi.  Le  traité  de  Bâie  fut  conclu,  et 
Schulenbourg,  forcé  de  quitter  le 
ministère  de  la  guerre,  se  retira  à 
Kehnert,  en  conservant  la  direction 
de  la  banque  et  de  la  loterie,  dépar- 
tements auxquels, enl 796,  fut  ajouté 
celui  des  affaires  Hiédicales.  Ces  places 
de  peu  d'importance  ne  l'obligèrent 


pas  k  résider  à  Berlin.  La  confiance 
que  Frédéric  Guillaume  III  avait  tou- 
jours en  ce  minisire,  malgré  les  intri- 
gues du  parti  de  Haugwitz,  l'eng;jgea 
à  le  rappeler  de  nouveau  dans  la  capi- 
taleetàlenon»mer,  le  19  février  1798, 
conttôleur- général  des  finances, 
chef  de  Sa  chambre  des  comptes,  et 
au  mois  de  mai  suivant  général  de 
cavalerie.  En  mars  1800 ,  il  obtint 
l'inspection  du  trésor  royal ,  et  en 
juin,  la  place  lucrative  de  grand- 
maître  des  postes.  Si,  comme  on  l'as- 
sure, il  a  fait  beaucoup  d'améliora- 
tions dans  ce  service,  il  en  a  laissé 
encore  plus  à  faire  à  ses  successeurs. 
Ce  que  personne  ne  lui  conteste, 
c'est  d'avoir  augmenté,  par  ses  rè- 
glements ,  les  revenus  de  la  cou- 
ronne. Lorsque,  en  1801,  la  Prusse 
occupa  l'électorat  de  Hanovre,  pour 
le  sauver  d'une  occupation  française, 
il  fut  chargé  de  l'administralioti  de  ce 
pays, et  s'en  acquitta k  la  satisfaction 
égale  du  gouvernement  et  du  peuple. 
En  1802  et  1803,  le  roi  lui  donna  la 
commission  de  prendre  possession 
des  provinces  assignées  k  la  Prusse 
k  titre  d'indemnités,  et  k  cette  occa- 
sion il  reçut  une  belle  dotation  dans 
la  principauté  de  Hildesheim.  En 
1806  il  prit  pour  la  seconde  fois  l'ad- 
ministraiion  de  l'électorat  de  Hano- 
vre. Après  la  malheureuse  issue  de 
la  campagne  de  cette  année,  il  suivit 
le  roi  k  Kœnigsberg,  mais  se  retira, 
dès  qu'il  le  put,  dans  sa  (erre  de 
Kehnert.  La  paix  de  Tilsit  ayant  privé 
le  roi  du  ministre  qui  jouissait  prin- 
cipalement de  sa  conGancp,  le  baron 
de  Hardenberg,  et  qui  plus  tard  fut 
rappelé  pour  aider  Frédéric  -  Guil- 
laume III  à  sauver  la  monarchie,  ce 
prince  sentant  le  besoin  de  s'en- 
tourer de  conseillers  (idèleset  expéri- 
mentés,désira  Schulenbourg  à  la  pla- 
ce importante  de  président  de  lacom- 


SCH  SCH                    421 

mission  qui  fut  élablie  à  Berlin, pour  taire  chargé  de  dresser  les  acies 
défendre  les  intérêts  du  peuple  con-  publics.  Cet  emploi  ne  pouvant  con- 
tre l'avidité  des  agents  de  Bona-  venir  à  son  activité  turbulente,  il  le 
parte.  Mais  le  comte  refusa  tout  em-  garda  peu  de  temps ,  et  se  livra  à  Pa- 
pîoi  quelconque,  tant  parce  que  sa  griculture.  En  1792,  il  épousa  la 
santé  était  tellement  délabrée  qu'il  iille  du  directeur  des  mines  de 
suffisait  à  peine  à  1  administration  Sainte-Marie,  et  quelques  années 
de  ses  propres  biens,  que  parce  qu'é-  après,  profitant  du  désordre  qui  ré- 
tant  devenu,  par  l'érection  du  royau-  gnait  en  France,  il  se  mit  à  faire  la 
me  de  Westphalie,  vassal  de  Jérôme  contrebande,  industrie  dangereuse, 
Bonaparte,  il  ne  pouvait  servir  plus  mais  lucrative,  qu'il  exerça  bientôt 
long-temps  la  Prusse,  sans  une  per-  sur  une  vaste  échelle.  Lui-même 
mission  expresse  de  celui-là,  per-  ne  cachait  pas  qu'avant  d'être  ob- 
mission  qui  lui  eût  été  sans  doute  servateur  militaire  il  avait  été  chef 
refusée.  Bientôt  après  il  entra  au  ser-  de  contrebandiers,  et  il  disait  que 
vice  de  Jérôme,  et  on  vit  l'homme  la  contrebande  et  la  police  se  res- 
qui  avait  été  honoré  de  la  confiance  semblent  beaucoup.  A  ce  métier  pé- 
d'une  triple  génération  de  rois  de  rillcux  il  posa  les  premières  bases 
Prussepar.iîtreà  cette  cour  de  Cissel,  d'une  fortune  qui,  par  des  moyens 
si  éphémère  et  si  dissolue ,  affublé  aussi  peu  honorables,  devait  s*ac- 
taniôt  du  costume  de  conseiller  d'É-  croître  considérablement  dans  la 
lat,  tantôt  de  l'imifurme  de  général  suite.  En  1800,  il  alla  à  Strasbourg 
de  division  du  royaume  de  West-  établir  une  manufacture;  mais  il  est 
phalie.  Il  survécut  à  ce  royaume,  et  à  croire  que  le  commerce  ne  l'ab- 
mourut  le  7  avril  1815,  laissant  deux  sorba  pas  assez  pour  qu'il  ne  pût 
filles,  dont  l'aînée  a  épousé  un  comte  déjà  s'occuper  d'espionnage  en  Aile 
de  Schweritj,  et  la  cadette  le  prince  magne  et  sur  le  Rhin.  Ce  ne  fut 
de  Hatzfeld,  celui  qui  pensa  en  1806  néanmoins  qu'au  commencement  de 
être  victime  d'un  caprice  de  Napo-  l'empire  qu'on  le  vit  s'y  livrer  d'une 
léon,  et  que  sa  femme  sauva,  si  l'on  en  manière  exclusive.  Venu  à  Paris  en 
croit  les  mémoires  de  celui-ci.     Z.  1804,  il  fut  présenté  par  l'aide-de- 

SCIIULEIl ,    et    non    Schalter  camp  Rapp,  son  compatriote,  à  Na- 

(Georges).  Foî/.  Sabiin,  LXXX,  228.  poléon  ,   qui    lui   conféra  un   grade 

SCHULMKISTER  (Charles),  dans  l'armée,  et  l'attacha  à  Savary, 
l'un  des  agents  de  police  les  plus  dès  lors  suprême  directeur  de  la 
habih;s  qu'ait  eus  Napoléon, prit  une  police  militaire.  Cette  faveur  nous 
grande  part  aux  intrigues  qui,  dans  paraît  la  preuve  évidente  que  déjà 
beaucoup  d'occasions  et  surtout  en  il  avait  eu  occasion  de  montrer 
Allemagne,  accompaj^nèrent  ses  vie-  son  intelligence  en  cette  matière, 
toires  Né  en  Alsace  le  13  août  1770,  Bonaparte  aimait  surtout  les  ca- 
il  était  iils  d'un  sous-intend;int,  qui  ractères  lins  et  rusés,  les  dévoue- 
le  fit  entrer  à  quinze  «ns,  comme  ments  aveugles,  et  Schulmeister, 
cadet,  dans  les  hussards  de  Con-  réunissant  au  plus  haut  degré  ces 
flans  ;  mais  il  quitta  presque  aussitôt  deux  avantages,  fut  dès  ce  moment 
le  service  pour  achever  ses  éludes,  le  plus  habile  et  le  plus  discret 
et,  en  1788,  il  devint  actuaire  au  agent  de  sa  police.  Il  serait  impos- 
bailliage  de  Kork,  sorte  de  secré-  sible   de  dire   toutes    les  missions 


422 


SCH 


de  confiance  dont  il  fui  cliargd,  parce 
qu'elles  Turent  toujours Ircs-sccrèt es. 
La  nature  de  celle  qu'if  remplit,  k 
l'ouverture  de  la  campagne  de  1805, 
auprès  de  Mack,  assiégé  dans  Ulm, 
est  restée  inconnue  ;  on  sait  seule- 
ment qu'il  pénétra  dans  la  place  par 
une  poterne,  sous  un  déguisement,  et 
qu'il  eut  plusieurs  conférences  avec 
le  général  autrichien,  lesquelles 
contribuèrent  beaucoup  à  l'inexpli- 
cable capitulation.  Là,  certainement, 
ne  dut  pas  se  borner  son  action  sur 
l'armée  autrichienne,  dont  il  parlait 
parfaitement  la  langue.  «  Chargé  de 
remettre  une  lettre  à  un  personnage 
important,  dit  Cadet  -  Gassicourt , 
dans  son  Voyage  en  Autriche,  Schul- 
meister  passa  chez  l'ennemi  comme 
bijoutier,  muni  d'excellents  passe- 
ports, et  portant  avec  lui  une  riche 
collection  de  diamants  et  de  bijoux  ; 
mais  il  fut  vendu,  arrêté  et  fouille'. 
Sa  lettre  était  dans  le  double  fond 
'd'une  boîte  d'or.  On  la  trouva,  et  on 
eut  la  sottise  de  la  lire  tout  haut  de- 
vant lui.  Jugé  et  condamné  à  mort, 
il  fut  livré  aux  soldats  qui  devaient 
l'exécuter  ;  mais  il  était  nuit,  et  l'on 
remit  son  supplice  au  lendemain. 
Alors  il  reconnaît,  parmi  ceux  qui  le 
gardent,  un  déserteur  français,  cause 
avec  lui,  le  séduit  par  l'appât  du 
gain,  fait  venir  du  vin,  boit  avec  son 
escorte,  glisse  de  i'opium  dans  la 
boisson,  enivre  ses  gardes,  prend  un 
de  leurs  habits,  s'échappe  avec  le 
Français,  et,  avant  de  rentrer,  trouve 
le  moyen  de  prévenir  celui  pour  qui 
était  la  lettre  saisie  de  ce  qu'elle 
contenait  et  de  ce  qui  lui  était  ar- 
rivé. «  Ce  récit  a  un  peu  l'air  d'un 
«roman,  ajoute  Cadet-Gassicourt5 
«  il  m'a  été  attesté  par  vingt  officiers 
«  supérieurs, qui  reconnaissent  que, 
«  dans  ce  genre,  on  n'avait  jamais 
«  trouvé  un  homme  plus  adroit.  » 


SCH 

Nous  ignorons  si  tous  Ces  détails 
sont  exacts^  mais  ce  qui  est  sflr, 
c'est  que,  fait  prisonnier  par  les 
Autrichiens,  Schulmeister  parvint  à 
s'échapper.  Après  la  prise  de  Vienne, 
Napoléon  le  nomma  commissaire- 
général  de  la  police  de  cette  capitale, 
et  on  lui  doit  cette  justice,  qu'il  sut  y 
maintenir  la  tranquillité  et  le  bon 
ordre  durant  toute  l'occupation , 
bien  qu'il  n'eût  à  sa  disposition 
que  trente -quatre  gendarmes  d'é- 
lite. Il  est  vrai  qu'il  inspirait  une 
grande  terreur  aux  habitants  de 
cette  paisible  cité.  Après  la  paix  de 
Presbourg,  il  se  retira  dans  son  do- 
maine de  Meinau  ,  près  de  Stras- 
bourg; mais  la  campagne  de  Prusse 
le  rappela  bientôt  à  l'armée,  et  ce 
fut  sans  doute  pour  mieux  observer 
et  mieux  agir  qu'il  reçut  le  com- 
mandement d'un  petit  corps  d'a- 
vant-garde, formé  d'une  partie  du 
1^*^  de  hussards  et  du  7*=  de  chasseurs  à 
cheval.  Après  la  bataille  de  Warren, 
dans  le  Mecklenbourg,  où  il  assista, 
il  reçut  l'ordre  de  poursuivre  le  gé- 
néral Usedom,  puis  de  s'emparer  de 
Wismar.  La  manière  dont  il  prit 
cette  ville  mérite  d'être  racontée. 
Escorté  de  sept  hommes,  il  s'avance 
au  milieu  de  la  nuit ,  surprend  le 
poste  qui  gardait  la  porte,  le  désarme, 
contraint  à  se  rendre  quinze  officiers 
et  quelques  centaines  de  Prussiens, 
qui  formaient  la  garnison  ;  et  Wis- 
mar est  en  son  pouvoir...  Attaqué  par 
un  escadron  de  hussards,  lui  et  ses 
sept  hommes  le  repoussent,  et  font 
prisonniers  le  commandant  et  vingt 
soldats.  Le  lendemain  matin,  Savary, 
à  la  tête  de  cinquante  hommes  de 
cavalerie,  marche  contre  le  corps 
d'Usedom,  fort  de  trois  mille  hommes 
avec  une  bonne  artillerie,  et  ce  géné- 
ral met  bas  les  armes  presque  sans 
cojnbaltre.  De  Wismar,  Schulmeister 


SCH 


SCH 


An 


s^avance  sur  Rostock,  suivi  de  vingt- 
cinq  hussards  ^  il  en  prend  possession, 
et  s'empare  de  dix-huit  navires  qui 
se  trouvaient  dans  le  port.  Ces  avan 
tages  presque  incroyables  furent  dus 
plus  encore  aux  habiles  séductions 
de  cet  homme  qu'à  sa  valeur  mili- 
taire. On  sait  que  dans  cette  rapide 
campagne,  comme  dans  celle  d'Au- 
triche, Part  de  la  guerre  n'assura 
pas  seul  la  victoire,  et  que  la  reddi- 
tion des  principales  places  de  la  mo- 
narchie prussienne  ne  fut  pas  moins  le 
re'sultat  desne'gociations  secrètes  que 
de  la  force  des  armes.  Schulmeister 
contribua  beaucoup  à  ce  genre  de 
succès.  II  fut  ensuite  envoyé  au  siège 
de  Dantzig  ,  et  après  la  capitulation 
de  cette  ville  il  vint  rejoindre  la 
grande  armée,  au  moment  où  s'ou- 
vrait la  seconde  campagne  de  Polo- 
gne. Il  assista  aux  batailles  d'Heils- 
berget  de  Friedland  avec  les  fusiliers 
de  la  garde,  sous  le  commandement 
de  Savary,  qui  dès-lors  était  son 
véritable  chef  sous  tous  les  rap- 
ports. Le  lendemain  de  l'occu- 
pation de  Kœnigsberg  (  16  juin  1807), 
il  en  fut  nommé  commissaire-géné- 
ral, fonctions  qu'il  remplit  jusqu'à  la 
paix  de  Tilsit.  L'année  suivante,  à 
l'entrevue  d'Erfurt ,  il  fut  chargé 
de  diriger  la  police  et  de  veiller  a 
la  sûreté  des  deux  souverains.  Du- 
rant la  campagne  de  1809,  il  conti- 
nua d'être  employé  comme  militaire 
et  comme  homme  de  police.  On  sait 
que  les  négociations  secrètes  ne  fu- 
rent pas  plus  négligées  dans  cette 
guerre  que  dans  les  précédentes.  La 
trahison  du  commissaire-général  de 
l'armée  autrichienne,  PafFbender, 
chargé  de  pourvoir  à  la  nourriture 
et  à  l'entretien  des  troupes,  en  est 
un  irrécusable  témoignage  (1).  Ces 

(c)  Ou  lit  dans  V Histoire  de  l'Europe  pen- 


sortes  de  service  n'empêchèrent  pas 
Scliulmeistf^r  de  se  distinguer  dans 
plusieurs  combats,  et  particulière- 
ment à  Landshut,  où  il  pénétra  un 
des  premiers  à  la  tête  des  grenadiers 
du  17«  de  ligne,  en  traversant  l'Iser 
sur  un  pont  embrasé.  Après  la  red- 
dition de  Vienne,  la  police  lui  en  fut 
une  seconde  fois  confiée,  et  il  montra 
encore  dans  ce  poste  difficile  au- 
tant de  sagesse  que  de  modération. 
A  la  paix  de  Vienne,  il  affecta  de  re- 
noncer au  métier  qu'il  exerçait  de- 
puis cinq  ans,  et  auquel  il  avait  ga- 
gné 40,000  fr.  de  rentes.  Désormais 
retiré  à  Strasbourg,  i!  ne  se  mêla, 
dumoins  ostensiblement, à  aucun  des 
faits  ultérieurs  de  l'empire.  Cepen- 
dant, propriétaire  de  plusieurs  ma- 
nufactures, il  put  bien,  sous  prétexte 
de  voyager  pour  ses  propres  affaires, 
accepter  quelques  missions  de  con- 
fiance. Une  chose  certaine  ,  c'est 
que  sous  la  première  Restauration 
il  travailla  au  triomphe  du  com- 
plot qui  avait  pour  but  le  retour  de 
Napoléon.  Ayant  établi  le  centre  de 
ses  opérations  dans  les  départements 
du  Rhin,  il  faisait  parvenir  à  l'île 
d'Elbe  les  observations  qu'il  recueil- 
lait et  le  résultat  de  ses  manœuvres. 
Aussi,  après  le  20  mars,  son  dévoue- 
ment trouva  sa  récompense  j  et  il  re- 
çut encore  diverses  missions  impor- 
tantes, dont  il  s'acquitta  avec  son  in- 
telligence et  son  zèle  habituels.  Ces 
nouveaux  services  appelèrent  sur  lui 
l'attention  des  alliés  en  1815^  son 
nom  était  bien  connu  en  Allemagne, 

dant  le  consulat  et  V empire  de  Napoléon,  par 
M.  Capefigue,  t.  VII,  ch,  2  :  «  Quels  que 
«  fussent  les  soins  de  l'arcbidiic  Charles,  la 
«  corruption  était  parvenue  à  s'infiltrer 
»  même  dans  l'administration  de  l'armée;  le 
«quartier -maître -général  avait  été  arrêté 
«  pour  avoir  vendu  les  secrets  delà  campagne 
«  au  général  Andréossi  et  communiqué  les 
«  états  d'administration  du  couseil  aulique.  » 


À'2A 


SCH 


SCH 


vA  Bliiclier  résolut  de  le  faire  arrtUer. 
Le  27  juillet,  ii  se  rendait  à  une  terre 
qu'il  possédait  sur  la  route  de  Vin- 
ceniies,  lorsqu'un  piquet  de  cavaltrie 
prussienne  s'empara  de  sa  personne, 
feignant  de  le  prendre  pour  le  géné- 
ral Vandamme.  Dans  cette  croyance, 
i!  se  laissa  mener  à  Charonne ,  au- 
près du  général  Kleist,  disant  qu'il 
lui  serait  facile  de  prouver  qu'il  y 
avait  erreur.  Une  fois  là,  on  lui  ap- 
prit qu'on  savait  parfaitement  qui  il 
était,  et  qu'on  avait  ordre  de  le  con- 
duire à  Wesel.   Ce   fut  sans  doute 
une  violation   du   droit   des   gens  ; 
mais  qu'est-ce  que  le  droit  en  pré- 
sence de  la  force  ?  A  son  arrivée  dans 
cette  forteresse,  on  commença  d'in- 
struire son  procès,  et,  après  quelques 
mois  de   détention  ,  on    le  mit  en 
liberté.  Ce  parti  était  le  plus  sage. 
Le  gouvernement  prussien  se  con- 
tenta d'une  foule  de  renseignements 
secrets  sur  les  hommes  et  les  choses 
que  lui  fournit  cette  instruction  ju- 
diciaire. Scliulmeisler  revint  alors  à 
Paris,  où  il  vécut  dans  une  retraite 
fort  douce,  partageant  ses  loisirs  en- 
tre la  capitale,  la  campagne  et  Stras- 
bourg, Possesseur  d'une  grande  for- 
tune, il  donna  des  fêtes  somptueuses 
dans  sa  belle  habitation  de  Boissy- 
Saint-Léger.  C'est  là  qu'il  mourut  en 
1846,  très-regretté  des  pauvres,  aux- 
quels il  distribuait  denombreusesau- 
mônes.  Nous  ne  pouvons  mieux  faire 
connaître  ce  personnage  extraordi- 
naire qu'en  donnant  le  portrait  qu'en 
a  tracé  Cadet -Gassicourt  :  »  D'cine 
intrépidité  rare,  d'une  présence  d'es- 
prit imperturbable  et  d'une  finesse 
prodigieuse,  il  a  l'œil  vif,  le  regard 
pénétrant,  l'air  sévère  et  résolu,  les 
mouvements  brusques,  l'organe  so- 
nore et  ferme  ;  sa  taille  est  moyenne, 
mais  il  est  robuste.  Il  connaît  TAu- 
trichc  parfaitement,   et   dessine  de 


main  de  maître  le  portrait  des  indi- 
vidus qui  y  jouent  un  grand  rôle.  Il 
porte  au  front  de  profondes  cicatri- 
ces, qui  prouvent  (ju'il  n'a  point  re- 
culé dans  les  occasions  critiques.  •  — 
Son  fils  est  mort  à  Paris,  en  1845, 
d'une  chute  de  cheval;  il  se  livrait 
au  coujmerce  de  la  banque,   et  était 
capitaine  d'élat-major  de   la  garde 
nationale.  C— H — n. 

Sr.IIULZ   DE  SCHULZENHEIN  (  DA- 

vid),  médecin  suédois,  né  le  I7  mars 
1732,  était  fils  de  Jacques  Schulz, 
médecin  du  régiment  de  Dalécarlie. 
Il  commença  ses  études  à  Técole  de 
Westeraa  et  alla  les  continuer  en 
1774  à  Kœnigsberg,  dans  la  maison 
du  professeur  Marquard,  puis  au  col- 
lège Frédéric  jusqu'en  1747,  époque 
où  il  devint  étudiant  à  l'uiiiversilé 
de  cette  ville.  Jl  embrassa  la  carrière 
médicale,  et  publia  en  1750,  pourdis- 
sertalion  inaugurale,  un  mémoire 
médico-légal,  intitulé  :  De  medicina 
forensi,  prœler  differentiam,  vulnera 
in  Absolute  kthalia  et  Per  accidens 
distinguentem ,  nullam  prorsus  ag- 
noscente.  Il  subit  peu  de  temps 
après  l'examen  théorique,  et  fut  at- 
taché comme  prosecteur  au  savant 
professeurBiittner.  Déjà  remarquable 
par  ses  talents,  le  jeune  Schulz  reçut 
les  offres  les  plus  avantageuses  pour 
rester  en  Allemagne,  mais  il  préféra 
retourner  dans  sa  patrie  (1751),  où 
il  vint  se  ranger  parmi  les  disciples 
de  Rosen  et  de  Linné.  L'un  et  l'autre 
ne  tardèrent  pas  à  apprécier  les 
heureu.ses  dispositions  de  leur  élève  ; 
et  peu  de  temps  après  son  arrivée 
à  Upsal,  il  fut  chargé  par  le  premier 
de  le  seconder  dans  leprofessorat  de 
l'anatomie  en  général ,  et  obtint 
une  double  chaire  d'anatomie  com- 
parée et  d'art  vétérinaire.  Nommé 
en  1753  prosecteur  au  théâtre  ana- 
tomique  de  Stockholm,  il  ne  cou- 


SCH 

linua  pcis  moins  de  rester  à  Up- 
sal,  où  J'auiiée  suivante  il  soutint, 
sous  ie  tilrecZe^mes/,  une  thèse  très- 
importante,  dans  laquelle,  par  suite 
d'observations  physiologiques,  il  dé- 
fend la  théorie  de  Haller  sur  Tir- 
ritabiliîé  Promu  au  grade  de  doc- 
teur en  1754,  Schulz  fut  chargé,  par 
la  commission  de  santé,  de  se  ren- 
dre en  Angleterre  pour  y  prendre 
connaissance  des  procédés  de  l'ino- 
culation. Muni  de  recommandations 
de  Linné,  il  trouva  l'accueil  le  plus 
honorable.  La  fréquentation  des  hô- 
pitaux et  ses  rapports  avec  les  pre- 
miers praticiens  de  Londres  augmen- 
tèrent encore  ses  connaissances  déjà 
très-étendues.  Leduc  d'Argyl,  qui  se 
trouvait  en  Angleterre  à  la  même 
époque,  lui  offrit  de  visiter  avec  lui 
une  partie  de  l'Europe  et  de  l'Asie  \ 
mais  ,  constant  dans  ses  affections, 
il  crut  se  devoir  avant  tout  à  sa 
patrie.  En  quittant  l'Angietcrre,  il 
passa  sur  le  continent,  visita  Paris  et 
plusieurs  autres  villes  remarquables; 
et,  de  retour  à  Stockholm,  il  publia  la 
Relation  de  son  voyage  sous  lepoint 
devuemédical  etytraitaspécialement 
de  l'inoculation.  Ce  travail,  juste- 
ment apprécié,  fut  bientôt  traduit  en 
anglais  et  en  allemand.  A  partir  de 
cette  époque,  Schulz  fixa  sa  rési- 
dence à  Stockholm ,  désireux  de 
consacrer  tous  ses  soins  au  bien 
public,  et  la  capitale  de  la  Suède  lui 
est  redevable  de  p'usieurs  insti- 
tutions utiles.  Appelé  à  diriger  la 
maison  d'accouchemerst,  il  fut  ho- 
noré du  titre  de  professeur  et  élu 
membre  de  l'académie  des  sciences. 
Pour  sa  réception  il  présenta  une  sa- 
vante dissertation  sur  les  soins  à 
donner  aux  enfants  en  général,  et 
deux  ans  après,  en  quittant  la  pré- 
sidence de  rillustre  compagnie,  il 
piuU'jiK^u  un  discours  6ur  les  moyens 


SCH 


42( 


de  parvenir  le  plus  heureusement  à 
la  vieillesse.  Ces  travaux  ont  été 
traduits  en  allemand,  de  même  que 
son  traité  sur  la  méthode  de  préve- 
nir  et  guérir  le  pourpre.  Il  y  a  aussi 
une  traduction  en  français  et  en  hol- 
landais de  ce  traité,  qui  lui  valut  de 
la  part  de  l'académie  un  honneur 
qu'il  crut  de  son  devoir  de  ne  pas  ac- 
cepter. Chargé  en  1769  d'inoculer 
les  enfants  du  roi,  Schulz  fut,  dans 
la  même  année,  choisi  par  le  prin- 
ce pour  son  premier  médecin  ; 
mais  assujetti  par  là  à  des  fonc- 
tions qui  l'auraient  empêché  de 
remplir  celles  de  professeur,  il  s'ex- 
cusa, et  le  monarque,  appréciant  sa 
franchise ,  lui  accorda  des  lettres 
de  noblesse,  qisi  le  tirent  admet- 
tre au  palais  de  l'ordre  des  nobles 
sous  le  nom  de  Schulz  von  Schul- 
zenheim.  Cependant  sa  santé  com- 
mençant à  s'altérer  par  suite  des  tra- 
vaux auxquels  l'entraînait  un  zèle 
trop  ardent,  il  se  vit  obligé  en  17  78 
dese  démettre  de  toute*;  ses  fonctions 
publiques.  Mais  loin  de  rester  dans 
l'inaction,  il  employa  son  temps  à 
composer  plusieurs  ouvrages  sur 
l'art  de  guérir  et  à  perfectionner  la 
Pharmacopea  suecica.  Si  d'un  côté 
la  science  lui  est  redevable  d'une 
grande  amélioration  sous  le  rapport 
médical,  de  l'autre  il  se  lit  remar- 
quer pav  sa  haute  capacité  et  par  son 
zèle  pour  h»,  bien  public,  dans  plu- 
sieurs diètes  auxquelles  il  assista. 
Toutes  les  occasions  où  il  lui  fut  pos- 
sible de  parler  en  faveur  des  insti- 
tutions médicales,  il  les  saisit  avec 
empressement.  On  lui  doit,  sur  les 
finances  et  l'économie  politique  de  la 
Suède,  un  ouvrage  fort  intéressant, 
dont  la  première  partie  parut  eu  1 79 i , 
et  la  seconde  deux  ans  après.  Ses 
écrits  en  général  se  distinguent  par 
un  style  simple  et  élégant, ei  les  élo- 


426 


SCIÏ 


SCH 


gps  qu'il  a  pronoiiC(^s  h  la  mémoire  de 
plusieurs  fie  ses  concitoyens  portent 
le  carjictère  d'une  véritable  (élo- 
quence. H  assista  comme  membrede 
la  noblesse  aux  sessions  des  États  de 
1789,  de  1800,  de  1809,  de  1812, 
de  1815,  et  il  y  déploya  une  grande 
connaissance  des  affaires  publiques  ; 
ses  principes  étaient  ceux  d'un  libé- 
ralisme sage  et  modéré.  Nommé  en 
1809  président  au  collège  de  santé,  il 
fut  six  ans  après  élevé  à  la  même  di- 
gnité près  des  collèges  royaux,  et 
décoré  de  la  grande  croix  de  l'or- 
dre de  Wasa.  De  son  côté  ,  l' Ara- 
demie  des  sciences  de  Stockholm 
fit  frapper  en  son  honneur  une 
médaille  d'or,  ayant  pour  emblè- 
me le  serpent  d'Esculape  avec  ces 
mots  :  Âcumine  et  vigilantia ,  et 
I)ortant  au  revers  cette  inscription  : 
Claro  per  LIV  annos  socio,  Àcade- 
mia  Reg.  scient. Siieciœ,  1814.  Enfin 
les  médecins  et  les  pharmaciens  de 
Stockholm ,  pour  reconnaître  les 
grands  services  qu'il  avait  rendus  à 
la  science  et  à  l'humanité,  firent  exé- 
cuter son  buste  en  marbre,  et  le  pla- 
cèrent dans  la  salle  des  séances  du 
collège  de  santé.  On  lit  sur  le  piédes- 
tal :  Au  médecin ,  à  Vhomme  d'État 
et  au  citoyen.  Arrivé  à  un  âge  qui 
nécessite  le  repos  et  la  tranquillité, 
Schulx  donna  sa  démission  de  prési- 
dent du  collège  de  santé,  lel5j?m- 
vier  1822.  Il  ne  survécut  pas  long- 
temps à  ce  sacrifice,  et  termina  à 
Stockholm  sa  glorieuse  carrière,  le 
24  avril  1823.  Outre  les  ouvrages  déjà 
cités,  on  a  de  ce  docteur  une  foule 
de  traités  et  de  mémoires  originaux, 
imprimés  séparément  ou  insérés  dans 
lesactes  des  diverses  sociétés  savantes 
qui  le  comptèrent  parmi  leurs  mem- 
bres ,  des  Éloges  fort  bien  écrits  de 
Ch.  Linné  fils,  du  secrétaire  Schrœ- 
der,  du  colonel  de  Pahlen,  du  direc- 


tenr  en  chef  d'vtlrcl,  du  conseiller 
médical  Odlielius,  du  comte  Liljen- 
kr-mtz ,  producticms  auxquelles  il 
faut  ajouter  une  tragédie.  B— l— M. 
SCIIULZ  (Frédéric-Edouard) , 
jeune  professeur  allemand  de  la  plus 
haute  espérance  ,  né  à  Darmstadten 
1799,  fut  nommé  en  1822,  après  avoir 
pris  ses  degrés  de  docteur,  professeur 
de  philosophie  à  l'université  de  Gies- 
sen,  en  Hesse;  mais  pour  compléter 
son  instruction  il  se  rendit  à  Paris,  et 
s'y  adonna  à  l'élude  des  langues 
orientales;  puis  vint  le  désir  de  voir 
l'Orient.  Il  partit  en  1826,  et  voyagea 
aux  frais  et  par  les  ordres  du  roi  de 
France.  Il  avait  mission  expresse  de 
visiter  les  parties  les  moins  connues 
de  la  Turquie  asiatique  et  de  la  Perse, 
dans  un  but  scientifique  et  littéraire. 
Il  devait  particulièrement  aller  jus- 
qu'à lezdjdans  le  centre  de  la  Perse, 
et  y  séjourner,  autant  qu'il  serait  né- 
cessaire, parmi  les  sectateurs  de  l'an- 
tique religion  de  Zoroastre,  dont 
cette  ville  est  le  chef-lieu,  pour  y 
étudier  les  plus  anciennes  langues  de 
la  Perse  et  y  recueillir  ce  qui  peut 
exister  encore  des  ouvrages  de  Zo- 
roastre. Il  était  muni  d'amples  in- 
structions que  lui  avait  données  le 
ministre  des  affaires  étrangères.  La 
guerre  survenue  entre  la  Perse  et  la 
Russie  apporta  de  grands  obstacles  à 
l'exécution  de  cette  entreprise,  mais 
elle  ne  découragea  pas  le  docteur 
Schulz.  Il  sut  njettre  à  profit  le  temps 
qu'il  passa  à  Constantinople  et  dans 
les  provinces  asiatiques  de  l'em- 
pire russe,  dans  le  Caucase  et  sur  la 
mer  Caspienne;  il  traversa  toute 
l'Asie  Mineure  et  les  régions  les  plus 
barbares  et  les  plus  difficiles  de  l'Ar- 
ménie et  du  Kourdistan.  Il  explora 
dans  le  plus  grand  détail  les  ruines 
jusqu'alors  inconnues  de  la  ville  de 
Sémiramis  dans  l'Arménie,  où  il  co- 


SCH 

pia  42  inscriptions  de  la'  phis  haute 
antiquité,  et  la  plupart  d'une  grande 
étendue.  On  avait  lieu  d'espérer  que 
le  séjour  que  ce  savant  devait  faire 
dans  la  Perse  nous  procurerait  une 
ample  collection  d'observations  ex- 
trêmement importantes.  Connaissant 
également  bien  les  langues  turque, 
arabe  et  persane,  très-versé  dans  la 
littérature  de  tous  leis  peuples  de 
l'Orient,  possédant  une  instruction 
classique  forte  et  profonde,  un  esprit 
juste  et  cultivé,  jamais  aucun  voya- 
geur ne  fut  peut-être  aussi  bien 
préparé  pour  visiter  avec  fruit 
les  régions  qu'il  devait  parcou- 
rir. Une  lettre  de  Tiflis,  sous  la  date 
du  1*^'  janvier  1830,  annonça  que 
cet  intrépide  et  intéressant  voyageur 
avait  été  massacré  dans  le  Kour- 
distan,  aux  frontières  d'inalhuerilé, 
entre  les  villages  de  Bash-Kallah  et 
de  Pcrihan  Nichin.  Ce  fut  par  une 
lettre  de  l'envoyé  d'Angleterre  à 
Tauris  qu'on  apprit  ce  cruel  événe- 
ment ;  deux  domestiques,  un  soldat 
et  un  sergent  persan  qui  accompa- 
gnaient le  docteur  Schulz  furent  éga- 
ment  massacrés.  Z. 

SCHUMACHER.  (Christian-Fré- 
DÉRic),  docteur  en  médecine  et  pro- 
fesseur de  chirurgie  à  l'Académie  de 
Copenhague,  naquit  le  15  novembre 
1757,  àGluckstadt,  dans  le  duché  de 
Holstein.  Son  père  était  sous-officier 
dans  un  régiment,  et,  quoique  pau- 
vre, il  fit  tous  ses  efforts  pour  procu- 
rer de  l'éducation  à  son  enfant,  au- 
quel il  avait  reconnu  un  esprit  éveillé 
et  une  intelligence  facile.  C'est  ainsi 
qu'il  parvint,  en  l'envoyant  dans  les 
écoles,  à  lui  faire  donner  les  premiers 
principes  de  la  langue  latine.  D'un 
autre  côté,  le  chirurgien  du  régiment, 
qui  était  un  homme  instruit,  prit 
sous  sa  protection  le  jeune  Schuma- 
cher, et  l'initia  dans  les  connaissances 


SCH 


427 


de  l'anatomie,  de  la  médecine  et  de  la 
chirurgie;  il  lui  donna  aussi  des  le- 
çons de  botanique,  science  dans  la- 
quelle Schumacher  devait  acquérir 
plus  tard  une  réputation  distinguée. 
Celui-ci,  à  peine  âgé  de  16  ans,  de- 
vint chirurgien  d'une  compagnie 
dans  te  régiment  où  servait  son  père. 
Mais  il  avait  un  ardent  désir  d'aug- 
menter la  somme  de  ses  connaissan- 
ces, et  ce  fut  avec  la  plus  grande 
joie  qu'il  obtint,  en  1777..  un  congé 
de  huit  mois,  pour  aller  fréquenter 
les  hautes  écoles  de  Copenhague  et 
profiter  des  leçons  de  Callisen,  de 
Rottbœll,  de  Saxtorph,  de  Tode  et 
autres  professeurs  en  renom.  Son 
congé  expiré ,  i)  fut  obligé  d'aller  à 
Rendsbourg  reprendre  les  fonctions 
de  son  modeste  emploi,  mais  il  avait 
laissé  dans  la  capitale  du  Danemark 
des  souvenirs  qui  devaient  l'éleverà 
une  haute  position.  En  1778.  le  pro- 
fesseur d'anatomie  Rottbœll  lui  écri- 
vit de  quitter  sa  place  et  d'accepter 
celle  de  prosecteur  à  l'université. 
Il  le  prit  tellement  en  affection , 
qu'il  le  reçut  dans  sa  maison  pen- 
dant quelque  temps ,  et  lui  aplanit 
toutes  les  difficultés  pour  compléter 
son  éducation  médicale.  En  1784 , 
toujours  avide  deconnaissances  nou- 
velles, Schumacher  s'embarqua  et 
fit  un  voyage  dans  la  mer  Méditerra- 
née, pour  approfondir  divers  sujets 
d'histoire  naturelle  et  voir  des  pays 
étrangers.  A  son  retour,  il  obtint  Une 
pension.  Lors  de  la  formation  de 
l'Académie  royale  de  chirurgie  (da- 
noise), en  1785,  il  y  eut  le  titre  d'ad- 
joint, puis  devint  chirurgien  de  l'hô- 
pital Frédéric.  En  1786  il  partit  aux 
frais  du  gouvernement  pour  aller  à 
Paris  en  passant  par  l'Allemagne.  Là, 
non-seulement  il  assista  aux  leçons 
de  Desault ,  de  Vicq-d'Azyr,  de  Sa- 
batier,  de  Daubenton ,  de  Louis,  de 


4l>8 


SCH 


Bnudelocque,  mais  comme  il  lui  était 
enjoint  expressément  de  s'adonner 
particulièrement  à  la  chimie  ainsi 
qu'à  la  minéralogie,  de  se  mettre  au 
courant  des  immorielles  découvertes 
de  Lavoisier,  et  de  suivre  les  leçons 
de  Fourcroy,  il  contracta  des  liaisons 
avec  les  célèbres  botanistes  L'Héri- 
tier, Desfontaines,  Jussieu,  et.  par 
des  excursions  botaniques,  il  trouva 
le  moyen  d'augmenter  son  herbier. 
En  1788,  il  quitta  Paris  pour  se  trans- 
porter à  Londres,  dont  il  visita  les 
hôpitaux,  et  où  il  assista  aux  leçons 
de  Baillie,  de  Fordyce,deCruikshank 
et  deLoddes.  11  fit  connaissance  avec 
Banks,  dans  la  bibliothèque  duquel 
il  allait  passer  ses  heures  de  loisir  : 
aussi  lui  témoigna-t-il  sa  reconnais- 
sance en  lui  dédiant  dans  la  suite 
un  de  ses  ouvrages.  En  1789,  il  re- 
vint à  Copenhague,  et  fut  nommé  à 
une  chaire  de  chimie,  qui  était  va- 
cante. En  1795,  il  devint  professeur 
de  l'académie,  et  premier  chirurgien 
de  l'hôpital  Frédéric,  poste  important 
qu'il  remplit  sans  interruption  jus- 
({u'en  1813.  Il  avait  eu  l'occasion 
d'exercer  ses  talents  à  la  mémorable 
bataille  devant  Copenhague  le  2  avril 
1801,  et  au  bombardement  de  cette 
ville  2n  août  1807.  Ses  services  et 
son  dévouement  ne  restèrent  point 
sans  récompense  :  non-seulement  il 
eut  plusieurs  gratifications  considé- 
rables, mais  encore  il  fut  nommé  chi- 
rurgien de  la  cour  en  1811,  conseiller 
d'Éial  etchevalier  de  Tordre  de  Dane- 
brog,  dont  il  reçut  les  insignes  delà 
main  mêmedu  roi.  En  1813,  il  se  démit 
de  toutes  ses  charges,  et  se  retira  à  sa 
maison  de  campagne  non  loin  de  Co- 
penhague, où  il  consacra  ses  loisirs 
aux  sciences.  Cependant  il  quitta  sa 
retraite  en  1819,  pour  accepter  la 
place  de  professeur  d'anatomie  à  l'u- 
niversité de  Copenhague  ainsi  que 


SCll 

cellede  directeur  du  musée  anthropo- 
logique, emplois  dont  il  restaen  pos- 
session jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le  9 
déc.  1830.  En  1828, Schumacher, en- 
core plein  (le  vigueur,  avait  célébré, 
au  milieu  d'un  nombreux  cercle 
d'amis  et  d'étudiants,  son  jubilé 
universitaire.  Lors  du  bombar- 
dement de  Copenhague,  pendant 
qu'il  était  occupé  à  secourir  ses 
compatriotes  blessés,  il  avait  perdu 
tout  ce  (ju'il  possédait.  Il  avait  été 
marié  trois  fois,  et,,  par  son  troi- 
sième mariage  avec  une  riche  veuve, 
toutes  ses  pertes  avaient  été  réparées 
et  suivies  d'une  aisance  qui  le  ren- 
dit indépendant.  Outre  le  muséum 
anthropologique  qui  était  son  ou- 
vrage, il  avait  encore  formé  trois 
autres  collections  qui  consistaient, 
la  première  en  plantes,  minéraux, 
insectes  et  coquilles^  la  seconde  en 
objets  relatifs  à  la  pharmacie,  et  la 
troisième  en  instruments  de  chirur- 
gie. Ses  écriis  sont  nombreux;  nous 
ne  citerons  que  les  principaux.  1.06- 
servations  médico-chirurgicales ^  en 
allemand,  Copenhague,  1800.  IL 
Enumeratio  plantarum  in  partibus 
Sielandiœ  septentrionalis  atque 
orientalis ,  1  parties,  Copenhague, 
1801. La  première  partie  a  ététraduite 
en  1804  par  M.Kielsen,  en  langue  da- 
noise :  cet  ouvrage  contient  un  grand 
nombre  de  dessins  de  champignons, 
que  Schumacher  a  peints  lui-même. 
IIL  Essai  d'un  catalogue  des  mi- 
néraux simples  qui  se  trouvent 
dans  les  États  septentrionaux  du 
Danemark^  en  allemand,  avec  des 
planches,  Copenhague.  1801  ;  c'est 
cet  ouvrage  que  Schumacher  dédia 
au  baronnet  Banks.  IV.  Principes 
d'anatomie,  V"-  partie ,  ostéologie, 
en  allemand  et  en  danois,  Copen- 
hague, 1807.  V.  Médicaments  offi- 
cinaux du  règne  végétal,  qui  crois- 


SCH 

sent  sans  culture  daiu  les  États  da- 
nois, ou  qui  peuvent  y  être  cultivés^ 
Copenhague,  1808:  on  a  joint  des 
planches  à  cet  ouvrage,  qui  a  paru 
en  alleniaud  et  en  danois.  VI.  Esi^ai 
d^un  nouveau  système  des  habi- 
tations des  vers  testacés,  en  français, 
Copenhague,  1817.  Cette  production 
importante,  dédiée  au  roi,  est  ac- 
compagnée de  vingt -deux  planches 
gravées.  VII.  Botanique  médicale^ 
à  l'usage  des  étudiants  en  médecine 
et  en  pharmacie^  2  parties,  Copen- 
hague, 1825-1826.  VIII.  Descriptio 
musei  anthropologici  universitaiis 
hafniensis,Copenh<is;ue,  1828.  Outre 
ces  ouvrages,  Schumacher  a  publié 
plusieurs  mémoires  dans  les  recueils 
de  la  Société  de  médecine,  de  celle 
d'histoire  naturelle  et  de  celle  des 
sciences  de  Copenhague ,  et  dans 
quelques  écrits  périodiques  de  cette 
époque.  Il  était  membre  ou  corres- 
pondant d'un  grand  nombre  de  So- 
ciétés académiques       R— d— n. 

SCÏIURIG  (Martin),  médecin  al- 
lemand, après  avoir  reçu  le  doctorat 
à  Erfurt  en  1688,  alla  exercer  sa  pro- 
fession à  Dresde,  où  il  obtint  la 
placede  physicien,  et  mourut  en  1733. 
Outre  des  traductions  en  langue  al- 
lemande, on  a  de  lui  :  I.  Dissertatio 
de  hœmoptysi ,  léna,  1688,  in-4'*. 
H.  Spermatologia,  seu  de  semine 
humano^  ejusque  natura  et  usu,  si- 
mulque  opus gêner ationis  pertinens, 
de  castratione  et  de  hermaphrodi- 
tis,  etc.,  Francfort,  1720, 1721,  in- 
4".  C'est  un  traité  de  la  génération 
de  l'homme  et  de  tout  ce  qui  contri- 
bue à  sa  propagation,  oii  l'auteur 
aborde  non-seulement  les  questions 
de  niédecine  légale ,  mais  encore 
celles  qui  se  rapportent  à  la  théolo- 
gie morale  et  aux  cas  de  conscience. 
Par  execnple,  il  condamne  expressé- 
uu^nt  l'emploi  de  remèdes  qui  viole- 


SCH 


429 


raient  les  règles  de  la  continence, 
même  quand  il  s'agirait  d'éviter  la 
mort.  III.  Chylologia ,  seu  succi 
hominis  nutritii  consideralio  phy- 
sico-medico  forensis.  De  appetitu 
nimio,  voracitate,  rerum  etesculen- 
tormn  coritupiscentia ,  nausea  et 
inedia  diurna  farragine  rerum  prœ- 
ter  naturam  in  ventriculo  et  intes- 
Unis  latilantium  aut  vomitu  rejec- 
tarum  De  merdœ  usu  medico^  Dres- 
de, 1725,  in-4".  IV.  Sialographia, 
seu  salivœ  humanœ  consideratio , 
ejus  natura  et  usus^  simulque  mor- 
sus  brutorum  et  hominis  rabies , 
Dresde,  1727,  in-4*'.  V.  Muliebria, 
morborum  genitalium  muiiebrium 
consideratio,  Dresde,   1729,  in-4o. 

VI.  Parthenologia,  hoc  est  virgini- 
tatis  consideratio,  qua  ad  eam.  per- 
tinentes puberlas  et  menstrualio , 
necnon  de  partium  muiiebrium  pro 
virginilatis  custvdia^  etc.,  tradun- 
fur,  Dresde  et  Leipzig,  1729, 1734, in- 
4''.Ce  trailé, comme  le  titre  l'annonce, 
est  divisé  en  trois  parties,  dont  la 
première  concerne  l'âge  de  puberté, 
la  seconde  la  menstruation,  et  la  troi- 
sième les  signes  de  virginité.  Schu- 
rig  pense  qu'il  n'y  en  a  point  de  cer- 
tains, et  il  se  borne  à  rapporter  les 
divers  sentiments  des  auteurs  sur  le 
passage  du  22*^  chapitre  du  Deutéro- 
nome,  relatif  à  ce  sujet:  mais  il 
n'en    adopte  aucun   en  particulier. 

VII.  Gynœcologia,  hoc  est  congres- 
sus  muliebris,  qua  utriusque  sexus 
salacitas  et  caslitas^  necnon  coilus 
ipse,  ejusque  voluptas^  cum  obser- 
vationibus ^  etc.,  eœhibentur^  Dresde 
et  Leipzig,  1730, 1734,  in-4".  C'est 
un  traité  de  médecine  légale  de 
l'habitation  de  l'homme  avec  la  fem- 
me par  rapport  aux  fins  du  mariage. 

VI II.  Syllepsiologia^  hoc  est  concep- 
tusmuliebris  consideratio,  de  gra- 
viditate  vera^  falsa,  occulta^  diu- 


430 


SCH 


turna^  de  gravidarum  privilegiis, 
animi  paihematis  et  impressioni- 
bus,  Dresde,  173J,  in-4«.  \X,  Em- 
bryologia^  hoc  est  infantis  humant 
consideralio  :  partus  prœmaturus  et 
serotinu4  ;  partus  per  vias  insolilas; 
partus  supposititius,  Dresde,  1732, 
in-é'*.  X.  Lilhologiay  seu  calculi  hu- 
mani  consideratio,  effectusmorbosiy 
symptomata,  eoccretio,  anaiysis  li- 
thonlriptica ,  calculi  brutorum , 
bezoar ,  etc.,  Dresde,  1744,  in-4°. 
Xi.  Uœmalologia  ^  seu  sanguinis 
consideralio,  quantitas  ,  defectus  , 
excretio  prœttrnaturalis.  De  corde 
varia,  Dresde,  1744,  in-*".  Tous  ces 
ouvrages,  d'après  la  Biographie  du 
Dictionnaire  des  sciences  médicales, 
aimonceut  un  homme  très-érudit, 
mais  un  écrivain  sans  goût.  Il  faut 
néanmoins  excepter  de  ce  jugement 
sévère  1^  la  Lithologia,  qui  contient 
des  observations  propres  à  l'auteur, 
et  qui,  suivant  Haller,  n'est  point  dé- 
pourvue d'utilité  ;  2"  VHœmatolo^ia^ 
où  l'on  rencontre  des  faits  patholo- 
giques d'une  certaine  valeur  pour  le 
médecin  pratricien.  R — d — ^n. 

SCHUSTER  (Ignace),  un  des 
plus  célèbres  acteurs  comiques  de 
l'Allemagne,  et  en  quelque  sorte  le 
Potier  de  l'Autriche,  naquit  le  20  juil- 
let 1779,  à  Vienne.  Il  dut  sa  pre- 
mière éducation  musicale  à  la  collé- 
giale de  Schotten,  où  son  père  était 
employé  et  où  il  resta  de  1787  à 
1796.  Eibler,  le  maître  de  chapelle 
de  la  cour,  remarquason  talent,  et  le 
recoujmanda.  U  en  résulta  pour 
Schuster  l'admission  dans  plusieurs 
grandes  et  riches  maisons  ;  et  celles- 
ci  le  produisant  à  leur  tour,  il  arriva 
au  bout  de  quelques  années  à  voir 
parfois  Marinelli,  le  directeur  du 
théâtre  de  Léopolstadt.  Ce  dernier 
sentit  bientôt  qu'il  y  avait  là  une 
précieuse  acquisition  à  faire,  et  il 


SCH 

engagea  le  jeune  homme.  Schuster 
lit  ses  débuts  sur  le  théâtre  de  Vien- 
ne, le  U  décembre  1801,  dans  le  rôle 
de  Jean  Schneck,  et  peu  de  soirées 
lui  suflirent  pour  devenir  dans  le 
comique  un  des  favoris  du  parterre. 
Dans  les  commencements  cependant 
il  fallait  qu'il  se  contentât  des  petits 
rôles  ou  de  rôles  fort  secondaires. 
Mais  un  soir  enfin  ayant  paru  pour  la 
première  fois  comme  l'hiérophante, 
dans  la  parodie  intitulée  la  JVow- 
velle  Âlceste,  l'originalité  de  son 
jeu  comique  fut  si  saisissante  et 
provoqua  si  complètement  un  rire 
inextinguible,  que  ceux  même  de 
ses  camarades  que  sa  supériorité 
tendait  à  remettre  dans  l'ombre  ne 
purent  lui  refuser  leurs  suffrages,  et 
que  le  quinteux  Baumann  lui-même 
dit  avec  un  assez  piètre  calembour  : 
«  Voilà  un  Schuster  (cordonnier)  qui 
ne  travaille  pas  sur  les  formes  com- 
munes. »  En  effet,  à  la  beauté,  à  la 
souplesse  de  la  voix,  Schuster  unis- 
sait un  jeu,  un  talent  de  mimique 
tel  qu'on  le  trouve  rarement  chez  un 
chanteur.  A  partir  de  ce  moment, 
tous  les  premiers  rôles  de  farce  fu- 
rent de  son  emploi.  Les  Périnet,  les 
Kringstein,  dans  leurs  parodies  et 
autres  folies  ou  caricatures  drama- 
tiques, inséraient  toujours  un  rôle 
pour  Schuster  ;  et  son  nom  devint 
populaire ,  il  dépassa  de  beau- 
coup l'enceinte  de  Vienne  comme 
inséparable  de  l'idée  des  Croquemi- 
taine  et  des  Pandolfe.  Son  triomphe 
était  le  rôle  de  M.  de  Hirschkopf 
(tête  de  cerf),  dans  H  ans  à  Vienne  ^ 
et  dans  Bans  en  ses  foyers.  Cette 
sphère,  un  peu  étroite,  malgré  les 
bellesqualités  qu'y  déployait  Schuster 
et  les  bravos  qui  l'accueillaient  tou- 
jours, s'agrandit  en  1812.  Deux  nou- 
veaux auteurs,  BœurleetCh.  Meisle, 
eurent  le  mérite  de  comprendre  que 


SCH 

l'artiste  si  goûté  des  Viennais  était 
d'étoffe  à  jouer  autre  chose  que  la 
charge,  la  parodie  et  le  bas  comique. 
Ils  écrivirent  pour  lui  des  pièces  d'un 
genre  un  peu  plus  relevé.  La  pre- 
mière fut  le  Bourgeois  de  Vienne. 
Schuster,  dans  le  rôle  de  Staberl,  y 
enleva  les  applaudissements,  et  ce 
qu'il  y  eut  de  plus  remarquable,  son 
public  habituel  ne  fut  pas  seul  à  lui 
prodiguer  les  témoignages  de  ses 
admirations  frénétiques;  beaucoup 
d'étrangers,  et  du  plus  haiit  parage, 
et  d'un  goût  très  difdcile,  parce  que 
l'élite  de  tous  les  théâtres  avait 
passé  sous  leurs  yeux,  qualifièrent 
Schuster  de  grotesque  inimitable. 
Les  représentations  du  Bourgeois 
de  Vienne  remontent  à  1813,  mais 
on  le  représentait  encore  souvent 
en  1814  :  il  sembla  que  le  con- 
grès de  Vienne  lui  donnait  une  vie 
nouvelle.  Ministres  et  têtes  couron- 
nées, Anglais  et  Russes,  tous  vinrent 
écouter  et  dérider  leurs  fronts  mo- 
narchiques ou  diplomatiques  aux 
gaucheries  prétentieuses  et  aux  ba- 
lourdises de  Staberl.  Le  ciel  nous 
préserve  d'énumérer  les  tabatières, 
les  montres,  les  bagues  ornées  de 
brillants  et  les  rouleaux  d'or  dont  le 
comblèrent  à  l'envi  les  excellences, 
les  éminences,  les  altesses,  voire  les 
majestés,  à  commencer  par  Sa  Ma- 
jesté Prussienne!  Il  suffit  de  dire  que 
c'est  depuis  ce  temps,  et  grâce  sans 
doute  aux  indélébiles  souvenirs  de 
gaîié  qu'il  laissa  aux  auguiftes  et  sé- 
rénissimes  personnages,  que  sa  i'é- 
putation,  par  un  nouvel  essor,  fran- 
chit les  bornes  de  l'Autriche  et  se 
répandit  par  tout  le  Nord.  On  l'appe- 
lait fréquemment  à  Presbourg ,  à 
Pesth,  à  Prague,  à  Briinn,  à  Grœtz,  à 
MunicU,  à  Dresde,  k  Bade,  à  Trop- 
pau,  à  Berlin,  à  Aix-la-Chapelle;  et 
partout  il  excitait  les  mêmes  trans- 


SCH 


431 


ports  que  dans  son  pays,  partout,  ce 
qui  ne  manquait  pas  d'importance,  il 
moissonnait  avec  les  lauriers  de  for- 
tes sommes  pour  de  très-courts  en- 
gagements ,  plus,  des  bénéfices  et 
autres  primes  très-rondes.  En  un 
mot,  bien  peu  d'acteurs  en  Allema- 
gne avaient  su  comme  lui  mettre  en 
pratique  le  précepte  d'Horace  ,  Utile 
dulci.  Il  faut  dire  que  chaque  jour 
il  semblait  gagner  en  verve,  en  pro- 
fondeur, en  originalité.  Indépen- 
damment de  son  Staberl,  où  toujours 
on  se  plut  à  le  revoir,  il  créa  un  grand 
nombre  de  rôles  où  il  suffisait  de  le 
voir  paraître  pour  pouffer  de  rire, 
tant  il  saisissait  habilement  le  côté 
plaisant  de  chaque  chose  et  de  cha- 
que homme,  tant  il  le  mettait  en  sail- 
lie, en  n'ayant  pas  l'air  de  s'en  aper- 
cevoir, tant  il  déployait  de  vérité, 
tant  il  graduait  toutes  les  nuances  et 
arrivait  naturellement  de  ce  que 
vous  voyez  tous  les  jours  aux  situa- 
tions, aux  énormités,  aux  extrava- 
gances exceptionnelles,  sans  qu'on  y 
vît  une  charge.  Il  excellait  dans  l(;s 
rôles  de  parasite,  et  nous  en  citerions 
une  demi-douzaine,  qui  tous,  lors- 
qu'il s'en  acquittai  t,ét  aient  plusdiver- 
tissants  les  uns  que  les  autres.  Pour 
l'ivresse,  il  était  inimitable  dans  le 
chaussetier  de  Wiirfel  de  la  Saint- 
Léopold^  il  en  rendait  toutes  les 
phases,  depuis  le  premier  épanouisse- 
ment jusqu'au  sommeil  et  au  réveil, 
entrecoupé  de  bâillements  et  de  ho- 
quets, avec  une  perfeci  ion  sans  égale: 
ce  qu'on  en  rapporte  et  ce  que  nous 
sommes  forcé  d'en  croire  fait  pâlir 
les  anecdotes  si  connues  sur  le  jeu 
(le  Garrtck  dans  ces  rôles.  Autant 
Garrick  y  surpassait  Préville ,  de 
l'aveu  même  dé  Préville,  autant 
Schuster  y  surpassait  Garrick.  C'est 
peut-être  qiiesi  Garrick  trouvait  dans 
son  île  nébuleuse  de  plus  nombreux 


432 


sr:H 


riiodèlf  s  que  nous  n'en  avons  dans  no- 
tre  France,  en  revanche  l'Allemagne 
en  fournit  encore  plus  qu'Albion  et  de 
plus  complets.  Maison  Schuster  était 
au-dessus  de  tout  éloge,  c'était  dans 
la  Fausse  prima  donna.  Il  faut,  pour 
atteindre  à  l'idéal  du  grand  rôle  de 
cette  pièce,  unir  au  talent  d'un  ac- 
teur qui  ne  charge  qu'avec  goût  et 
pour  ainsi  dire  avec  noblesse,  tout 
en  déployant  de  la  verve  ,  le  larynx 
et  la  science  d'une  cantatrice.  C'est 
justement  ce  que  l'on  trouvait  dans 
Schuster  et  ceque  l'on  aurait  en  vain 
demandé  à  bien  des  acteurs.  Ni  trilles 
ni  roulades  ne  pouvaient  l'effrayer; 
l'aisance,  la  grâce,    la  vélocité,    la 
justesse  avec  lesquelles  il  exécutait  le 
caprice  (quodiibet)  du  premier  acte,et 
dans  la  scène  d'un  concert,  les  va- 
riationsde  M"'<^Catalani  passent  tout 
ce  que  l'on  peut  imaginer  5  et  chez 
un   peuple  musical  par  excellence, 
les  tré[)ignements,  les  applaudisse- 
ments, les  feux  croisés  de  bravo  et 
Irava   ne  finissaient    pas.    On   en 
était  à  se  demander  très-sèrieuse- 
ment  si  le  parodiste  le  cédait  en  ta- 
lent à  la  parodiée.  Lu  reine  du  chant 
elle-même  voulut  eutendreSchustcr, 
et  l'on   assure  qu'elle  rit  véritable- 
ment de  bon  cœur  et  mêla  très-sin- 
cèrement ses  éloges  à  ceux   de  la 
foule.  Nous  indiquerons  encore  par- 
mi les  rôles  dont  l'honneur  revient 
bien  plus  à  Schuster  qu'aux  auteurs 
mêmes  qui  les  ont  tracés,  Tancrède, 
dans  la  parodie  opéra  de  ce  nom;  le 
gouverneur ,    dans    Olhello    ou     le 
More  de  Ff«ise  ;  Purgantius,  dans 
Roch  Pimpernickel  ;  \e   maître  d'é- 
cole, dans  le  Grenadier  autrichien; 
Fabien,  dans  la  Fée  Gracieuse  et  la 
Fée  Hargneuse  (  Fee  Sanftmuîh  u. 
Fee     Gallsucht);     l'administrateur 
Wolferl,  dans  la  Sylphide;  le  souf- 
fleur, dans  la  Représentation  à  &é- 


SCH 

néfice;  le  Jupiter,  ât  Jupiter  à  Vienne: 
le  maître  de   chapelle  Croquenote, 
dans    la    Répétition    générale  ;    le 
cordonnier  Chauvesouris  ,    dans   le 
Manteau  du  docteur  Faust  ;  le  l.osé- 
nius  du  Gouverneur  dans  Vembar- 
ra5, ou  du  Misogyne  entre  l'enclume 
et  le  marteau  (d.  Weiberfeind  in  d. 
Klemme);  M.  de  Springerl,  dans  le 
Boucher  d'OEdenbourg  ;  K ramper), 
dans  Gisperl  et  Fisperl  ;  Schieberl  , 
dans  le  Mariage  par  loterie ;D'\G^hï\e, 
dans  Diogène  et  Alexandre.  Malheu- 
reusement pour  lesamis  de  l'art  dra- 
matique, Schuster  n'était  pas  d'une 
forte  constitution.  Déjà  la  perte  de  sa 
femme  (Rosine  Weiss)  qui,  elle  aussi, 
avait  joué  au  théâtre  de  Vienne,  mais 
qui  avait  renoncé  à  cette  carrière 
depuis  son  mariage,  avait  ébranlé  sa 
santé  (1817).  En  janvier  1824,  il  fut 
assez  malade  pour  donner  de  sérieu- 
ses inquiétudes.  Quoiqu'il  n'eût  en- 
core que  quarante-quatre  ans  à  cette 
époque,  il  lui  eût  fallu  durepos.  Les 
fatigues  de  la  vie  théâtrale,  de  la  vie 
aux  lumières  le  minaient  peu  à  peu, 
comme  elles  minent,  un  peu  plus  tôt 
un  peu  plus  tard  ,  ceux  qui  s'y  sont 
voués.  Et  il  ne  lui  était  guère  loisi- 
ble d'y  renoncer;  car,  d'une  part,  il 
avait  la  conscience  d'un  talent,  sinon 
croissant,  du  moins  toujours  égala 
lui-même,  et  chaque  année  il  créait 
des  rôles  nouveaux  \  de  l'autre,  cou- 
rant de  Troppau  àBerlin,  de  Pesth  à 
Aix-la  Chapelle,il  voyait  sinon  gran- 
dir, du  moins  se  multiplier  les  sym- 
pathies du  public,  et  dans  ce  public  il 
comptait  les  plus  hauts  personnages, 
et  l'empereur  d'Autriche  lui-même 
qui  l'avait  nommé  un  des  chanteurs 
desa chapelle,  et  qui  souvent  le  dési- 
gnait pour  venir  jouera  son  théâtre 
deLachsenbuurg.  Schuster  continua 
ainsi,  sans  autres  incidents  dans  sa 
vie  que  les  pérégrinations  lucratives 


SCH 

et  les  bénéfices  dont  nous  avons 
parlé.  Il  mourut  le  6  novembre  1835. 
La  Gazette  générale  des  théâtres  de 
Vienne  proposa  pour  lui  l'épitaphe 
suivante  :  «  Ci-gît  Ignace  Schuster 
le  comique,  qui,  trente  ans  durant,  a 
fait  rire  des  milliers  de  spectateurs 
et  ne  les  a  fait  pleurer  qu'une  fois,  le 
jour  de  sa  mort,  le  6  nov.  1835.  » 
Schuster  était  aussi  habile  musicien 
que  bon  acteur  et  bon  chanteur.  11 
entendait  la  composition,  et  ses  mo- 
tifs étaient  des  plus  heureux.  Nul 
doute  que  si  sa  voix  et  sa  mimique  ne 
l'eussent  appelé,  puis  fixé  sur  la  scè- 
ne, il  ne  fôt  devenu  un  des  maestri 
les  plus  distingués  de  l'Allemagne. 
On  lui  doit  la  musique  du  Monde  re- 
tourné, du  Voyage  en  Souabe,  delà 
parodie  d^Othello^  le  More  de  Venise, 
du  Peintre  Klex,  de  Hamlet,  prince 
de  Flanemark ,  de  Maître  Cou- 
rage! à  l'ouvrage!  de  ïd  Sorcellerie 
naturelle^  de  la  Voix  de  la  nature, 
de  Jupiter  à  Vienne^  et  une  partie  de 
celle  de  la  Représentation  à  béné- 
fice. Il  fut  aussi  le  collaborateur  de 
Told  pour  les  paroles  du  Jupiter  ;  et 
diverses  allocutions  comiques  qu'il 
adressa  au  parterre  de  Vienne,  et 
dont  on  a  gardé  mémoire,  prouvent 
qu'il  eût  tout  aussi  parfaitement  que 
Meisle  etBaeurle  écrit  les  pièces  dans 
lesquelles  il  paraissait.  11  existe 
beaucoup  de  portraits  de  Schuster. 
Un  des  plus  frappants  et  des  plus 
agréables  certainement,  c'est  celui 
de  Schrœder,  qui  le  montre  dans  le 
rôle  de  la  fausse  Prima  donna,  au 
moment  où  la  prétendue  dame,  en 
grande  parure  à  la  Catalani,  darde 
coquettement  ses  œillades  du  côté 
des  loges.  P— ot. 

SCHUTZ  (Chrétien-Godefroi) 
était  im  homme  de  lettres  plutôt 
qu'un  savant,  et  un  honune  d'esprit 
.encore  plus  qu'un  hunjme  de  lettres, 

LXXXI. 


SCH 


433 


Ce  fut  par  les  agréments  de  l'esprit, 
joints  à  ceux  du  caractère ,  qu'il  se 
(it  une  position  que  l'érudition  ne 
donne  pas  toujours.  H  naquil  le  19 
mai  1747  à  Dederslsedt,  dans  la  par- 
tie prussienne  du  comté  de  Mans- 
feld,et  il  était  l'aîné  de  huit  enfants. 
Bien  jeune  encore  ,  il  vit  la  maison 
paternelle  pillée  de  fond  en  comble 
pendant  la  guerre  de  Sept-Ans.  Ja- 
mais son  père,  quoique  appelé  plus 
tard  à  Aschersleben  comme  premier 
pasteur,  ne  put,  malgré  les  avanta- 
ges de  cette  position  supérieure,  ré- 
parer le  désastre  qu'il  avait  éprouvé 
et  suffire  convenablement  aux  dé- 
penses de  sa  trop  nombreuse  famille  ; 
et  finalement,  il  mourut  en  1772,  la 
laissant  dans  une  gêne  bien  voisine 
de  la  misère.  Chrétien-Godefroi  se 
trouva  ainsi  avoir  de  grands  et  oné- 
reux devoirs  à  remplir.  De  l'école  des 
orphelins  de  Halle  il  avait  passé  de 
bonne  heure  à  l'université,  et  là, 
comme  dans  ses  premières  études,  il 
s'était  fait  admirer  par  ses  talents, 
par  la  précoce  richesse  de  ses  cou- 
naissances.  Outre  la  théologie  néces- 
saire pour  la  carrière  ecclésiastique 
qu'il  comptait  suivre  à  l'exemple  de 
son  père,  il  cultivait  la  philosophie, 
les  langues  savantes.  Semler  i'avail 
pris  en  amitié  et  lui  avait  ménagé 
une  petite  place  de  professeur  de 
mathématiques  à  l'Académie  des  ca- 
dets {Ritterakad,)  de  Brandebourg 
(17()8),  d'oii  l'année  suivante,  quand 
Schirach  fut  forcé,  par  suite  des  fâ- 
cheuses affaires  qu'il  se  mit  sur  les 
bras ,  d'abandonner  sa  position , 
Schiitz  était  venu  occuper  sa  chaire 
aux  appointements  de  150  th.  Là,  par 
son  débit  facile, animé,  par  son  en- 
thousiasme communicatif  pou  ries  an- 
ciens et  surtout  par  l'élégance  des 
traductions  qu'il  improvisait,  les  mê- 
lant à  ses  explications;  il  avait  con- 

28 


434 


SCH 


quis  de  primo  abord  l'estime  de  ses 
élèves  et  jouissait  déjà  de  certain  re- 
nom. C'est  en  cet  état  que  le  trouva 
révénement  qui  faisait  de  lui  le  chef 
de  sa  famille.  Il  n'en  déclina  point 
les  obligations  et  n'en  déploya  que 
plus  de  zèle  et  de  ténacité  au  travail. 
Il  en  fut  récompensé  d'abord  par  la 
chaire  de  philosophie  qui  lui  fut 
donnée  en  1775,  mais  à  titre  extraor- 
dinaire, puis  (1778)  par  le  titulariat 
d'une  chaire  de  même  noiïi  à  l'école 
normale,  créée  à  la  sollicitation  de 
Semler  près  le  séminaire  théologi- 
que, et  enfin  par  la  possession  de  la 
chaire  de  poésie  et  d'éloquence  à  l'u- 
niversité d'Iéna  (1779).  Alors,  enfin, 
pour  la  première  fois,  il  se  sentit  un 
peu  à  l'aise  et  heureux.  Son  traite- 
ment, qui  naguère  encore  ne  se  mon- 
tait qu'à  300  thalers,  était  plus  que 
doublé;  il  venait  de  se  marier  (à  la 
fille  du  feu  professeur  Danovius), 
et  l'université  à  laquelle  il  apparte- 
nait était  réputée  pour  le  mofnent 
une  des  plus  riches  de  l'Allemagne 
en  capacités.  Il  faut  avouer,  Cepen- 
dant, qu'il  n'en  rehaussa  pas  beau- 
coup l'éclat  dans  les  commencements. 
Ses  ennemis  auraient  pu  dire  même 
qu'il  ne  se  montra  pas  à  la  hauteur 
de  sa  tâche.  Il  lisait,  ce  que  font 
sans  doute  beaucoup  de  professeurs, 
mais  c'était  toujours  se  confondre 
dans  la  foule  ;  il  oubliait  parfois  de 
se  rendre  à  son  poste,  et  parfois  il 
était  malade  :  somme  toute,  l'audi- 
toire était  fort  peu  nombreux,  et  il 
eût  été  possible,  sans  grand  inconvé- 
nient, de  supprimer  la  place.  Heureu- 
sement, il  prit  idée  à  un  M.  de  Stroth, 
directeur  du  gynjnase  de  Gotha,  de 
fonder  un  recueil  périodique  où  se- 
raient analysées  toutes  les  œuvres 
littéraires,  et  il  jeta  les  yeux  sur 
Schiitz  pour  en  être  le  directeur 
(1784).Wieland,Griesbach,  Bertuch, 


SCH 

Ilufeland,  approuvèrent  le  projet  et 
promirent  leur  concours:  la  revue 
prit  le  litre  de  Gazette  universelle 
de  littérature.  Peu  d'hommes  ont 
possédé  plus  que  S(  hiitz  les  qualités 
essentielles  au  critique  journaliste. 
Joignant  à  une  grande  facilité  de 
langage  des  connaissances  profondes 
el  variées,  il  était  à  même  d'écrire, 
vite  sans  juger  superficiellement;  et 
d'autre  part  il  était  impartial  par  ca- 
ractère comme  par  l'habitude  de 
comparer.  Rédacteur  principal  de  la 
Gazette univ.  delitt.  d^Iénay  bientôt 
il  la  vit  en  pleine  voie  de  prospérité. 
Ce  résultat,  auquel  il  avait  incontes- 
tablement la  plus  grosse  part,  re- 
jaillissait sur  ses  cours  :  le  profes- 
seur en  lui  était  rehaussé  par  l'écri- 
vain. Quelque  négligence  qu'il  ap- 
portât fréquemment  à  ses  fonctions 
académiques  ,  l'auditoire  voyait  en 
lui  l'ami,  le  correspondant  de  Gœthe, 
de  Schiller,  de  Herder,  de  Humboldt, 
de  Paulus,  de  Wieland  ,  le  Reviewer 
qui  tenait  le  sceptre  ou  la  férule  de  la 
renommée,  le  conseiller  aulique  (car 
le  duc  deWeimar  l'avait  décoré  de 
ce  titre  en  1780).  Sa  maison  était,  en 
quelque  sorte,  une  des  plus  agréables 
de  la  ville,  et  l'aménité,  les  grâces 
de  madame  Schiitz ,  bonne  ména- 
gère le  matin,  le  soir  dame  élégante 
et  spirituelle,  y  contribuaient.  On 
était  sûr  à  peu  près  de  rencontrer 
toujours  chez  lui,  danslecours  d'une 
journée,  quelque  notabilité  de  l'Alle- 
magne ou  de  l'étranger.  Finalement 
pourtant,  il  survint  à  notre  heureux 
couple  des  rivaux  dans  la  personne 
de  Frédéric  Schlegel  et  de  sa  femme, 
qui  en  1800  s'établirent  à  léna.  Mais 
la  rivalité  ne  dura  pas,  et  la  constel- 
lation habituée  à  briller  sous  le  ciel 
de  Berlin  ne  put  long -temps  s'ac- 
commoder d'une  université  de  pro- 
vince.  Schiitz  vit  donc  bientôt  les 


SCH 

arrivants  repartir  et  s'élancer  vers 
Paris;  seulement  il  eut  le  regret  de 
sentir  qu'aux  yeux  de  bien  des  gens, 
même  d'iéna,  celui  qui  s'éclipsait  de 
leur  ville  avait  de  quoi  l'éclipser,  et 
que,  s'il  désertait  la  place ,  c'était 
pour  faire  ses  évolutions  dans  une 
sphère  supérieure.  Il  ne  tarda  guère 
lui-même  à  s'éloigner  des  lieux  où 
s'étaient  passées  ses  plus  belles  an- 
nées, et  il  se  transporta  en  1804  à 
Halle,  où  l'appelait  le  roi  de  Prusse. 
Le  gouvernement  prussien  lui  fit 
même  présent,  à  cette  occasion,  de 
10,000  thalers  en  or,  sans  doute 
comme  indemnité  de  déplacement; 
et  moyennant  ce  dédommagement 
magnifique  ,  il  acheta  la  maison 
de  son  ancien  professeur  et  pro- 
tecteur Semler.  Pour  comble  de  bon- 
heur, il  avait  réussi  (non  sans  lon- 
gues et  difficiles  négociations)  à  se 
faire  donner  par  le  duc  de  Weimar 
l'autorisation  de  conserver  la  rédac- 
tion en  chef  de  la  Gazette  univ,  litt., 
et  qui  plus  est  de  la  faire  paraître  à 
Halle.  Ces  prospérités  furent  inter- 
rompues par  l'explosion  de  la  guerre 
entre  Napoléon  et  la  Prusse.  léna  fut 
pillé;  aucune  maison  peut-être  ne 
fut  aussi  complètement  vidée  que 
celle  de  Schiitz  ;  puis  l'université  fut 
supprimée  par  l'empereur  des  Fran- 
çais, et  les  professeurs  restèrent 
11  mois  sans  traitement,  tandis  que 
les  feuilles  littéraires  ressentaient 
les  atteintes  de  cette  maladie 
qu'on  a  nommée  le  désabonnement. 
Schiilz  pensait  à  se  rendre  à  Berlin 
pour  s'y  procurer  des  ressources  sous 
la  protection  du  moïiarque,  quand 
l'université  de  Halle  fut  réorganisée, 
mais  par  le  gouvernement  de  West- 
phalie.  11  y  reprit  alors  sa  place  avec 
l'agrément  du  prince  dont  il  cessait 
momentanément  d'être  le  sujet,  et  il 
vit  encore  quelques  beaux  jours.  Son 


SCH 


435 


fils  épousa,  en  1808,  la  jeune  veuve 
<lu  docteur  Hendel  de  Stargard.  La 
présence  dans  sa  maison  d'une  bru 
spirituelle  et  gaie,  qui  avait  été,  sous 
le  nom  de  madame  Meyer,  une  des 
actrices  favorites  du  public  deBerlin, 
fil  renaître  dans  la  demeure  du  sexa- 
génaire Schiitz  la  joie  et  les  divertis- 
sements qu'en  avaient  bannis  les 
tristes  péripéties  des  deux  dernières 
années.  On  y  jouait  aux  tableaux 
dramatiques,  on  y  représentait  même 
le  proverbe,  la  comédie,  la  parodie 
ou  la  scène  lyrique.  L'aristarque,  le 
conseiller,  le  professeur,  ne  dédai- 
gnait pas  de  prendre  part  à  ces  fêtes, 
sinon  comme  acteur,  du  moins 
comme  ordonnateur  en  même  temps 
que  spectateur.  Les  événements  mar- 
chaient pendant  ce  temps  ;  le  royau- 
me de  Westphalie  tomba  en  ruines 
après  la.  bataille  de  Leipzig,  et  en 
1814,  l'université  de  Halle,  fondue 
avec  celle  de  Wittemberg,  redevint 
prussienne.  Schiitz  eut  grande  part 
dans  tout  c^  qui  se  fit  à  celte  occa- 
sion ;  et  il  eut  l'art  de  garder  sa  po- 
sition dans  la  faculté  remaniée,  bien 
qu'il  lût  reconnu  que  ses  leçons  et 
lectures  n'étaient  plus ,  si  elles 
avaient  jamais  été,  de  grande  utilité. 
Le  roi  Frédéric-Guillaume  111  ajouta 
même  200  th.  à  ses  appointements  en 
1817  ;  et  l'année  suivante,  quand  eut 
lieu  le  jubilé  du  professeur  en  tant 
que  docteur,  il  lui  envoya  la  décora- 
tion de  l'Aigle-Rouge ,  3«  classe. 
Schiitz  survécut  quinze  ans  encore  à 
celte  cérémonie.  Mais  insensiblement 
il  voyait  disparaître  tout  ce  qui  avait 
charmé  sa  vie.  En  1823,  mourut  sa 
femme  qui,  même  dans  un  âge  avancé, 
avait  beaucoup  de  la  vivacité,  de 
l'amabilité  de  ses  jeunes  années.  Son 
fils  ensuite  fut  obligé  de  quitter  Halle, 
et  finalement  sa  bru  alla  rejoindre  sa 
fille  qu'elle  avait  mariée  en  Poméra- 

28. 


436 


SCH 


SCH 


nio.  Les  ])laisantprips,  les  bons  mots 
que  Iflchnit  encore  alors  de  trouver 
Schïitz  octogénaire  étaient  empreints, 
à  son  insu  peut-être,  de  certaine 
amertume  ,  et  navraient  le  cœur 
parce  qu'elles  p^irtaient  d'un  cœur 
blessé,  souflVant  de  l'ingratitude 
d'antrui.  Loçon  poignante  et  qui  se 
renouvelle  tous  les  jours  :  on  s'est 
habitué,  on  a  habitué  les  siens  à 
chercher  partout  le  plaisir,  on  est 
quitté  dès  qu'on  a  cessé  d'en  fournir 
son  contingent  à  la  communauté! 
Schlitz  expira  le  7  mai  1832.  On  peut 
s'étonner  de  cette  longue  carrière  en 
pensant  qu'il  n'était  pas  vigoureuse- 
ment constitué.  A  deux  reprises  dif- 
férentes, en  1796  et  1802,  il  avait  été 
dangereusement  malade.  On  a  vu  par 
ce  qui  précède  que  son  caractère  était 
très-gai  :  il  l'était  peut-être  trop  ;  et 
même  au  milieu  des  désastres  de 
1806,  des  incertitudes  de  1807,  au 
milieu  des  alertes  de  1813,  partout  il 
trouvait  le  mol  pour  rire.  Ce  rire, 
au  reste,  était  toujours  bienveillant, 
et  jamais  il  ne  se  fût  permis  la  satire 
sur  une  personne  de  sa  connaissance. 
Il  avait  aussi  sa  source  en  partie  dans 
une  conscience  pure  et  dans  un  vrai 
courage  :de  là  une  sérénité  inaltéra- 
ble, ou  du  moins  qu'altéraient  à  peine 
les  plus  fâcheux  événements.  Schiitz 
avait  d'ailleurs debeiles  et  charman- 
tes qualités  :  il  était  adroit,  délié;  il 
était  conciliant,  il  savait  ménager  les 
amours-propres;  il  savait  avertir, 
refuser,  restreindre  sans  offenser;  il 
aimait  et  pratiquait  l'équité.  Rien  de 
plus  touchant  que  la  reconnaissance 
qu'il  eut  toujours  des  bontés  deSem- 
leràson  égard.  Ce  sentiment  survécut 
môme  au  coup  qui  enleva  ce  patron 
de  sa  jeunesse,  et  devint  comme  un 
culte.  Nous  avons  dit  qu'à  Halle  il 
habitait  la  maison  habitée  par  Sem- 
ler,  et  professait  dans  la  salle  où 


Semler  avait  professé;  souvent  au 
nom,  à  l'idée  de  Semler,  ses  yeux  se 
remplissaient  de  larmes.  Comme  in- 
telligence, Schiitz  aussi  mérite  une 
place  fort  élevée.  Nous  n'avons  point 
dissimulé  les  insuffisances  de  ses 
cours.  Mais  la  cause  de  ces  insuffi- 
sances ,  c'est  qu'il  n'en  prenait  qu'à 
son  aise,  comme  sont  trop  enclins  à 
le  faire  messeigneurs  des  revues  et 
feuilletons. Très-certainement  Schiitz 
avait  beaucoup  d'esprit,  d'entrain  et 
de  piquant  pour  un  savant,  et  beau- 
coup de  savoir  pour  un  journaliste. 
Cette  érudition,  il  est  vrai,  n'est  pas 
ce  qu'on  peut  imagmer  de  plus  pro- 
fond, pour  l'Allemagne  surtout  :  évi- 
demment Schiitz,  comme  érudit,  n'est 
que  de  seconde  force.  Comme  philo- 
logue, tantôt  il  s'élance  6U  delà, 
tantôt  il  reste  en  deçà  du  texte;  il 
corrige  trop  aisément  et  introduit 
trop  gratuitement  des  corrections 
dans  le  texte  (ce  défaut  surtout  de- 
vint extrême  dans  sa  vieillesse),  et 
plus  souvent  encore  il  saute  à  pieds 
joints  sur  des  difficultés,  soit  d'in- 
terprétation, soit  de  texte,  comme 
sans  les  soupçonner,  il  interprète  de 
travers,  il  n'opère  pas  des  corrections 
faciles  :  il  n'a  pas  en  métrique  les 
connaissances  essentielles,  et  surtout 
ce  tact  sans  lequel  on  se  fourvoie 
même  avec  des  connaissances  très- 
réelles.  Enfin ,  il  n'a  pas  comme 
Heyne  un  sens  très-large  de  l'anti- 
quité, comme  Gœthe  et  les  Schlegel 
un  .sens  large  de  l'art  :  il  est  instruit, 
spirituel,  équitable,  il  aime  le  beau, 
il  comprend  certaines  formes,  mais 
il  ne  s'identifie  pas  à  elles,  à  tout 
encore  moins,  il  n^atteintqu'à  denji- 
hauteur,  il  se  heurte  sans  cesse  aux 
angles.  Les  principales  œuvres  phi- 
lologiques de  Schiitz  sont  ses  éditions 
d'Eschyle  et  d'Aristophane.  La  pre- 
mière {jEschyli  tragœdiœ,  etc)  est 


SCH 

en  5  volumes,  qui  parurent  à  Halle 
de  1782  à  1821,  et  comprend  un 
commentaire  qu'on  réimprima  sous 
un  titre  particulier  :  les  tomes  1,  2, 
3  ont  eu  les  honneurs  dkme  2^  édi- 
tion. 11  avait  préludé  à  ce  grand  tra- 
vail :  1^  par  son  Commentationum  in 
JEschyli  tragœdiam  quœ  inscripla 
est  Âgamemnon  libellus  1,  léna, 
1779-80, 2  part.;  2°  par  son  Jischyli 
Promelheus  vinctus^  Halle,  1781.  Il 
a  donné  depuis,  sans  commentaire, 
JEschyli  tragœdiœ  denuo  recens, ^ 
léna,  1800, 2  v.,  et  A^schyli  irag.  in 
us.schoL^  Halle,  1827.  Quanta  l'édi- 
tion d'Ari-slopliane,  il  ne  s'y  mit  que 
dans  sa  vieillesse,  et  il  n'eut  pas  le 
temps  de  l'achever.  Elle  ne  se  com- 
pose que  d'un  volume  en  deux  parties 
intitulé  Aristophanis  comœdiœ^  Leip- 
zig, 1821.  Il  avait  auparavant  traduit 
les  Nuées  en  allemand,  Halle,  1798, 
2^  édition.  On  doit  de  plus  à  Sehulz 
une  Chre<tomathie  grecque,  Halle  , 
1772,  3  v.:  une  édition  des  Phéni- 
ciennes d'Euripide,  Halle,  1772;  Xe- 
nophontis  memorahilia  Socratis, 
Halle,  1780-,  3«  éd.,  1822  ^M.  T.  Cice- 
ronùOj?erar/teïonca,  Leipzig,  1804, 
3  v.,  M.  r.  Ciceronis  Epistolœ  Um- 
poris  ordinecomposilœ,  Halle,  1809- 
1812,  3  vol.,  M.  T.  Ciceronis  Opéra 
quœ  supersunt  omnia,  Leipzig,  1814- 
1820,  20  V.,  dont  les  quatre  derniers 
tirés  à  piiri  sous  le  titre  de  Lexicon 
Ciceronianum  ^  plus  des  Opuscuia 
philologica  et  philosophica,  Halle, 
1830,  au  nombre  de  31;  Doctrina 
parlicularum  latinœ  linguœ,  Dessau 
et  Leipzig,  1784,  et  une  édit.  de  la 
Doctr.  parlicularum  grœc,  de  Ho- 
geveen,  Dessau,  1782  (dont  il  parut 
un  extrait  à  l'usage  des  écoles,  Leip- 
zig, 1788;  2«  éd.,  1806).  Parmi  ses 
autres  écrits,  indépendamment  de  la 
loule  de  recensions  cl  autres  articles 
qu'il  a  donnés  à  son  propre  journal 


SCH 


437 


la  Gaz.  univ.  litt  d'Iêna  (et  aussi  à 
la  Gaz.  des  savants  de  Halle^  de 
1772  à  1778,  puis  à  l'ancienne  Gaz, 
d'Iéna,  depuis  1779),  se  remarquent 
les  ouvrages  suivants  :  I.  Manuel 
pour  la  formation  de  Vesprit  et  du 
goût,  Halle,  1776-1778,  2  v.  II.  In- 
troduction à  la  philosophie  spécula- 
tive ou  métaphysique,  Lemgo,  1775. 
111 .  Éléments  de  logique  (Grundsaeze 
der  L.),  Lemgo,  1773.  W .Correspon- 
dance sur  l'éducation  et  la  littérature 
(paedagogische  u.  liter.  Briefwech- 
sel),  V^  (et  unique)  partie.  Halle, 
1781.  Y.  Les  échantillons,  ou  pièces, 
actes,  etc.,  léna  et  Leipzig,  1803. 
C'est  une  brochure  contre  Aug.-G. 
Schelling,  et  ce  que  Schiitz  nomme 
le  schellingianisme.  Le  titre  alle- 
mand est  ainsi  conçu  :  Species  facti 
nebst  Aktenstiicken.,  etc.  VI.  Prome- 
nades littéraires,  Halle,  1784.  VII. 
Divers  opuscules  tant  en  allemand 
qu'en  latin,  comme:  1°  Orbis  huma- 
niorum  studiorum  breviter  delinea- 
ius^  léna,  1779  ;  2°  Diss.  super  Aristo- 
telis  deanima  sententia, Halle,  1770; 
3°  D.  de  origine  ac  sensu pulchritu- 
dinis.,  Halle,  1768;  4"  Sur  le  génie 
et  les  écrits  de  Lessing,  Halle,  1781  ; 
5°  Catéchisme  du  droit,  du  devoir 
et  de  la  sagesse,  à  l'usage  des  écoles 
bourgeoisies  et  rurales;  6"  Discours 
prononcés  au  séminaire  en  l'honneur 
de  Semler,  Halle,  1776;  7"  Memoria 
Jo.  Miilleri,  Halle,  1809.  Schiitz  a 
édité  la  traduction  par  Danovius  des 
Lettres  de  Roustan  pour  la  défense 
de  la  religion  chrét.,  Halle,  1783, 
V Académie  des  grâces  (Lemgo,  1774- 
1780,  5  V.),  à  laquelle  de  plus  il  a 
lourni  beaucoup  de  morceaux.  Enfin 
il  a  traduit  du  français  VEssai  ana- 
lytique de  Bonnet  sur  les  forces  de 
l'âme  (Brème,  1770,  2  vol.  in-8°), 
ainsi  que  les  OEuvresde  Marmoniel. 
—  Parmi  les  homonymes  du  journa- 


438 


SCIl 


SCK 


liste  d'I(^na,  se  distingue  Charlef'(\c, 
SciiuTZ,  excellent  militaire,  ne'  le  19 
mai  1784,  àSaalbach,piès  Hof, mort 
le  28  septembre  1833,  à  Marseille, 
au  retour  d'une  excursion  faite  en 
Catalogne  pour  le  rétablissement  de 
sa  santé.    Il  était  entré  de  bonne 
heure  au  service  dans  le  régiment  de 
Zweifel,  avait  eu  part  à  la  triste  cam- 
pagne de  1806,  s'était  ensuite  fait 
admettre  dans  le  nouveau  régiment 
des  gardes,  avait  été  élève  assidu  de 
l'école  de  Scharnhorst  ;  puis  pendant 
les  campagnes  de  1813  et  1814,  de- 
venu major  à  l'état-major-général  de 
la  brigade  du  prince  Charles  de  Meck- 
lenbourg,  il  avait  assisté  aux  batailles 
de  Grand-Govschen,  de  Bautzen,  de 
la  Katzbach ,  de  Wartenbourg,  de 
Leipzig,  de  Montmirail,  de  Laon,  de 
Paris.  A  Leipzig,  il  avait  été  blessé 
très-grièvement.  Ses  services  furent 
récompensés  par  la  collation  de  di- 
vers ordres,  par  le  grade  de  lieute- 
nant-colonel, par  le  titre  de  com- 
mandant-général de  la  Saxe^  puis 
(en  1821)  par  celui  de  général  de  la 
7^  brigade  d'infanterie  ^  enfin  (1829), 
par  celui  d'inspecteur  des  troupes 
prussiennes  des  forteresses  de  Mayen- 
ce  et  de  Luxembourg.  Dans  l'inter- 
valle de  1814  à  1821,il  lit  des  voyages 
de  longue  haleine  en  Angleterre ,  en 
Danemark ,  en  Suède  et  en  d'autres 
contrées.  Mais  son  titre  principal  à 
l'attention  de  la  postérité ,  c'est  une 
admirable  flîsïoere  des  changements 
politiques  survenus  en  France  sous 
le  règne  de  Louis  XVI.  C'est  un  mo- 
nument de  la  perspicacité  comme  de 
la  persévérance  et  du  talent  de  re- 
cherches   de    l'auteur.    La    France 
même  pourrait  beaucoup  apprendre 
par  la  traduction  de  cet  ouvrage  qui 
contient  une  foule  de  renseignements 
inédits  et  qui  met  en  lumière  des 
particularités  inconnues.  L'auteur  y 


est  très-impartial ,  monarchique  du 
reste,  mais  peu  charmé  de  la  conduite 
des  monarques  et  surtout  de  leurs 
ministres.  Aussi  ne  pouvant  guère  le 
démentir  et  n'osant  le  disgracier, 
prit-on  le  parti  de  traiter  son  ou- 
vrage comme  sans  conséquence,  — 
ou  ,  comme  dit  Gœthe  pour  expri- 
mer ce  procédé,  de  le  «  tenir  au  se- 
cret" (sekretiren)^ —  nous  dirions, 
nous .  depuis  1840  ,  «  de  l'enter- 
rer. "  P — OT. 

SCHUYLER  (Philippe),  major-gé- 
néral américain,  né  en  1731,entrafort 
jeune  dans  la  carrière  militaire,  et 
passa  successivement  par  tous  les 
grades.  Quand  la  guerre  de  l'indé- 
pendance éclata,  il  était  officier  supé- 
rieur et  jouissait  d'une  haute  consi- 
dération. S'étant  prononcé  pour  la 
cause  de  l'émancipation,  il  fut  chargé 
en  1775,  par  le  congrès  de  Philadel- 
phie ,  de  concert  avec  Monlgom- 
mery  (voy.  ce  nom,  XXIX,  575) 
d'envahir  le  Canada  avec  un  petit 
corps  de  troupes  insurgées,  pour  en 
chasser  les  Anglais.  11  tomba  ma- 
lade en  route,  et  Montgommery  con- 
tinua seul  cette  expédition.  Après 
sa  guérison,  Schuyler  reçut  le  com- 
mandement de  l'armée  du  nord  ;  en 
1777,  lorsque  Eurgoyne  s'avança  sur 
lui,  tous  ses  efforts  consistèrent  à 
retarder  la  marche  du  général  anglais; 
mais  à  ce  moment  il  fut  remplacé 
par  Gates,  et  se  vit  contraint  de  quit- 
ter le  commandement  à  la  veille  de 
combattre.  Le  congrès,  peu  satisfait 
de  sa  conduite  qui  paraissait  faible, 
ordonna  même  une  enquête  ;  mais  il 
n'eut  pas  de  peine  à  se  disculper. 
Néanmoins  il  ne  fut  plus  employé 
dans  l'armée  et  se  livra  tott  entier  à 
la  vie  politique;  il  devint  membre  du 
congrès  de  New- York,  puis  en  1789, 
lors  de  l'établissement  du 'gouverne- 
ment actuel  des  États-Unis,  il  fut  élu 


SCH 

sénateur,  titre  qu'il  possédait  encore 
quand  il  mourut  à  Albany,  en  1804. 
C'était  un  homme  d'un  caractère  plein 
de  vigueur,  avec  une  grande  sagesse 
de  vues  et  d'idées.  C— h— n. 

SCHWABE  (Jean  -  Gottlob  -  Sa- 
muel), philologue  allemand,  néàNie- 
derrosla,  aux  environs  de  Weimar, 
le  27  nov.  1746,  avait  pour  père  un 
savant  et  honnête  prédicateur  avec 
neuf  frères  et  sœurs.  Pour  comble  de 
malheur,  les  dix  enfants  restèrent  or- 
phelins lorsque  Schwabe  était  à  peine 
âgé  de  huit  ans.  Cependant  son  édu- 
cation ne  fut  pas  négligée  :  il  fré- 
quenta le  gymnase  de  Weimar  à  par- 
tir de  1762,  puis  l'université  d'iéna 
pendant  les  cinq  années  de  1765  à 
1770.  Les  professeurs  Millier,  Riedel 
et  Walch  s'intéressèrent  à  lui  ;  di- 
vers essais  philologiques  achevèrent 
de  le  recommander;  et   il    lui   fut 
permis  de  faire  quelques  lectures 
publiques   sur  les   odes    d'Horace. 
Bientôt  il  obtint  un  emploi  à  la  bi- 
bliothèque et  au  cabinet  de  médailles 
du  duc  de  Weimar.  Les  100  florins 
que  lui  valait  cette  modeste  position 
ne  lui  procurant  pas  de  quoi  vivre, 
pour  combler  le  déficit  il  fut  obligé 
de  donner  des  leçons.  Mais  la  con- 
versation du  savant  Bartholomae  et  la 
facilité  accordée  à  Schwabe  de  feuil- 
leter à  loisir  les  trésors  de  la  biblio- 
thèque,   compensèrent  amplement 
pour  lui  les  soucis  de  sa  gêne  pécu- 
niaire. Toutefois,  et  quoique  d'abord 
son  ambition  fût  de  succéder  comme 
bibliothécaire  au  titulaire  de  cette 
époque,  il  accepta  en  1774  la  direc- 
tion de  l'école  latine  de  Buttstaedt, 
moyennant  une  allocation  bien  mince 
encore,  et  il  y  resta  douze  ans  en  dé- 
pit de  propositions  plus  avantageuses 
qui  lui  furent  faites,  soit  pour  Riga, 
soit  pour  Halle  ou  Mersebourg.  Son 
zèle  et  son  habileté  améliorèrent  les 


SCH 


439 


revenus  de  l'école,  qui,   de  douze 
élèves  qu'elle  comptait  lors  de  son 
entrée,  arriva  graduellement  au  chif- 
fre de  trente-quatre  ;  et  quoique  pres- 
que tout  son  temps  fût  absorbé  par 
six  heures  de  classes,  par  les  soins 
matériels  de  l'institution  et  par  d'au- 
tres occupations  inhérentes  au  pro- 
fessorat, il  trouvait  moyen  encore 
de  vaquer  à  des  travaux  d'érudition. 
Mandé  enfin  à  Weimar  même,  en 
1786,  il  ne  tarda  point  à  y  recevoir, 
à  la  mort  de  Nolde,le  titre  de  co-rec- 
teur  ;  et,  bornant  là  dorénavant  son 
ambition,  il  en  remplit  38  ans  les 
fonctions,  au  milieu  des  vicissitudes 
qui  bouleversèrent  l'Allemagne,  mais 
qui  n'atteignirent    point   l'Athènes 
saxonne,  et  moins  encore  le  gymnase 
dont  Schwabe  était  le  vizir.  Il   ne 
comptait  alors  pas  moins  de  50  an- 
nées d'exercice.  Le  gouvernement, 
en  lui  donnant  sa  retraite,  lui  laissa 
ses    appointements    complets;    le 
collège  venait  de  lui    faire  un  su- 
perbe jubilé  (1820);  la   faculté  de 
philosophie   d'iéna  lui   conféra^  !e 
grade  de  docteur  ;  le  grand-duc  lui 
décerna  la  médaille  d'argent  de  l'or- 
dre du  Mérite.  Quoique  presque  oc- 
togénaire à  cette  époque,  il  survécut 
encore  onze  ans  à  ces  honneurs,  et 
jusqu'au  dernier  moment  il  ne  cessa 
de  s'occuper  de  ses  études  favorites. 
Toutefois,  un  affaiblissement  de  la 
vue  avait  fini  par  gêner  infiniment 
ses  travaux  ;  et  dans  les  quatre  ou 
cinq  dernières  années  de  sa  vie  il  en 
était  réduit  à  se  faire  faire  la  lecture 
et  à  dicter.  Sa  mort  eut  lieu  le  20 
septembre    1835.    Schwabe    n'était 
pas  seulement  un  fort  habile  lati- 
niste, il  avait  étudié  avec  amour 
l'histoire  et  les  antiquités   de  son 
pays,  il  était  numismate  passable,  il 
avait  de  la  finesse  et  de  l'élégance 
d'esprit.  Son  ouvrage  capital  est  sans 


440 


scu 


contredit  son  (édition  de  Phèdre  sous 
le  litre  de  Phœdri  Aug.  Ub.  fab. 
libri  V  ad  codd.  mss.  etoptimas  edi- 
tiones  recognovit,  varietatem  lectio- 
nis  et  commentarium  perpetuam  ad- 
jecit  J.-G.-S.  Schwabe^  accedunt 
Romuli  fabular.  œsopiar.  libri  IV 
ad  cod.  divionemem  et  perantiquam 
editionem  ulmcnsem  nunc  primum 
emendati  ettabulis  illustrati^Bruns- 
wick,  1806,  2  vol.  Il  avait  préludé  à 
ce  travail  par  une  réimpression  du 
P/ièdr(j  de  Burmann,  avec  des  notes 
Variorum,  et  avec  les  siennes,  Halle, 
1779-1781,  3  parties,  et  par  un  pro- 
gramme intitulé  :  De  nova  Phœdri 
editione  addito  specimine  observa- 
tionum,  Weimar,  1805.  Il  faut  y 
joindre  quatre  Dissertations  sur 
Vauthenticiié  {khha.x\AUmgen  iib.  d. 
Aechlheil...)  des  fables  de  Phèdre^ 
accompagnées  de  remarques  sur  la 
bibliographie  moderne  de  Phèdre  et 
le  mss.  de'Peroîto,  dissertations  qui 
furent  l'ouvrage  de  son  extrême  vieil- 
lesse, et  qui  parurent  dans  lesNouv. 
archives  de  philologie  et  de  pédago- 
gique de  Seebod  (2e  ann.,  3«  !iv.; 
3e  a.,  1"^^  1.;  3«  a.,  4«  1.-,  4«  a.,  n^s  46 
et  47),  avec  un  appendice  (5"  a.,  nos 
43  et  44  du  même  recueil,  et  Gaz. 
génér.  des  écoles,  2e  partie,  1831, 
n»  126;  1832,  n"'  66  et  67).  Le  Phè- 
dre de  Schwabe  a  été  sur-le-champ 
regardé  comme  le  meilleur  texte  et 
le  meilleur  commentaire  de  cet  au- 
teur. Valpy  en  a  reproduit  le  texte, 
la  préface,  la  vie  de  Phèdre  et  VAp- 
paratus  criticus  dans  la  grande  col- 
lection latine,  et  J.-B.  Gail  l'a  in- 
corporé tout  entier  dans  la  Biblio- 
thèque classique  dç  Lemaire,  avec  des 
additions.  Les  autres  écrits  princi- 
paux de  Schwabe  sont:  I.  De  apparaiu 
critico  qui  prodest  Juvenali  vel 
emendando  vel  interprctando,  Wei- 
mar.  1791.  C'est    un  simple  pro- 


SCH 

grAinme,  mais  qui  décèle  des  études 
approfondies  sur  Juvénal  ;  en  ellet 
Schwabe  aurait  voulu  donner  un  tra- 
vail sur  cet  auteur,  et  il  avait  re- 
cueilli dans  ce  but  de  nombreux  ma- 
tériaux qui  passèrent  à  Gurlitt.  II. 
Éclaircissements  (en  ail)  sur  Ana- 
créon^  auxquels  nous  joindrons  ses 
Animadversiones  criticœ  in  Ana- 
creontis  carmina,  Weimar,  1778,  2 
progr.,  Weimar,  1781-1783.  III.  De 
Deo  Thoro  commentatio ,  léna,  1767, 
1  planche  (ce  fut  son  premier  tra- 
vail). IV.  Notice  historique  (en  ail.) 
sur  les  nombreux  monuments  relatifs 
à  Luther  qui  se  trouvent  dans  le 
grand-duché  de  Saxe-Weimar-Ei- 
senach,  etc.,  Weimar,  1817,  3  grav. 
L'auteur  y  entre  dans  des  détails  in- 
téressants sur  l'origine  et  la  marche 
de  la  réforuie,  et  donne  des  anec- 
dotes peu  connues  ou  absolument 
inconnues  sur  la  jeunesse  du  fameux 
réformateur.  V.  Notice  historique 
sur  la  ci-devant  ville  palatine  de 
Dornbourg-surSaale^^eimair, 1825 
(en  ail.).  Cet  opuscule  contient  aussi 
beaucoup  de  choses  neuves  au  point 
de  vue  archéologique,  et  aide  à  com- 
prendre la  vie  des  villes  au  moyen 
âge.  Il  est  tiré  en  partie  de  chroni- 
ques et  autres  sources  inédites.  VI. 
Plusieurs  articles  d'archéologie  tels 
que  :  l**  De  monumentis  sepulcrali- 
bus  sachsenburgicis  comm.^  in  qua 
diversaantiquitatumgermanicarum 
argumenta  penitius  illustrantur.^ 
Leipz.,  1770,  pi.;  1° sur  une  amulette 
allemande  (dans  le  Geschichtsfor' 
scher,  ou  Indagateur  historique  de 
Meusel ,  ire  p.^  Halle,  1775);  3°  sur 
diverses  antiquités  déterrées  près  de 
Fliihrstadt,  dans  le  duché  de  Wei- 
mar, en  1774  (même  rec,  2*  p..  Halle, 
1776).  VIL  Sur  Galliène,  prétendue 
femme  de  Charlemagne  (même  rec, 
5c  p.,  Halle,  1777).  VlII.  Matériaux 


SCH 


SCH 


441 


pour  la  biographie  du  duc  de  Saxe 
Jean-Guillaume^  rédigés  sur  des  do- 
cuments inédits,  en  2  parties,  la  Ire, 
qui  n'était  qu'un  simple  programme, 
Weimar,  1774,  réimp.  dans  VÂllgem. 
thuring.  Valerlandskunde,  nos  20  et 
27,  p.  158,  etc.;  la  2e  dans  le  Ges- 
chichtsf.  de  Meuse!,  Fe  part.  IX.  1*^ 
Historia  scholœ  buttstadiensis  lit- 
teraria.prog.,  Weimar,  1775;  et  2° 
Solennia  sœcularia  gymnasii  Wil- 
helmoernestini....addita  comm.  de 
schola  vimariensi  oppidana  et  pro- 
vincialii  etc.,  Weimar,  1816,  prog. 
X.  Quelques  traductions  de  Théo- 
crite,  léna,  1769  ;,de  Pline  le  Jeune, 
Weimar,  1778.  XI.  Des  Poésies  de 
circonstance,  tant  en  allemand  qu'en 
latin.  Xll.  Des  articles  de  critique, 
tant  dans  les  Betrachtungen  ub.  d. 
neuesten  hist-  Schiften  (ou  Consid.  sur 
les  ouv.  historiq.  modernes)  de  Meu- 
sel  (ÂKenbourg,  5  v.),  que  dans  la 
Gaz.  des  savants  d'ie'na  et  d'Erfurt. 
On  a  fait  honneur  à  Schwabe  d'un 
prog.  en  ail.  sur  la  lecture  d'Homère 
dans  les  écoles  ;  cet  opuscule  est  de 
Schmidt,  son  successeur.     P — ot. 

SCHWARTZ  (François-Xavier), 
général  français,  était  né  en  Alsace 
le  8  février  1762.  Entré  très-jeune 
ftu  service,  la  révolution  française  le 
trouva  sous-officier  aux  hussards  de 
Chamboran  ;  il  devint  bientôt  capi- 
taine dans  ce  même  régiment,  avec 
lequel  il  fit  les  guerres  de  la  répu- 
blique. En  1797  il  en   fut  nommé 
lieutenant-colonel,  puis  colonel.  Il 
était  à  la  tête  du  5^  hussards  à  la 
bataille  d'Austerlitz,  et  Ja  bravoure 
qu'il  déploya  dans   cette  glorieuse 
journée  lui  valut  la  croix  de  com- 
mandant de  la  Légion  -  d'Honneur. 
Élevé  l'année  suivante  au  grade  de 
général  de  brigade, il  continua  de  se 
distinguer  dans  toutes  les  campagnes 
deTenipire,  et  lorsque  laKestama- 


tion  arriva  il  commandait  le  grand 
dépôt  des  remontes,  à  Amiens.  Il  fut 
fait  alors  chevalier  de  Saint-Louis  ; 
mais  ayant  servi  durant  les  Cent- 
Jours,  il  fut  mis  à  ia  retraite  en 
vertu  de  l'ordonnance  du  4  septem- 
bre 1816.  Il  mourut  en  1826.  Napo- 
léon l'avait  créé  baron.       C— H— N. 

SCHWEDÏAUR.  Yoy.  Swediaur, 
XLIV,  262. 

SCHWEÏCKART    (Jean-Adam), 
graveur,    naquit  à  Nuremberg    en 
1722,  et  fut  élève  de  Georges-Martin 
Preisler.   Il  alla  se  perfectionner  en 
Italie,  et  pendant  un  séjour  de  dix- 
huit  ans  à  Florence,  où  il  fut  reçu 
membre  de  l'académie   des  beaux- 
arts,  il  travailla  à   la  gravure  des 
pierresantiquf  s  du  cabinet  de  Stosch. 
De  retour  dans  sa  patrie,  il  grava  un 
grand  nombre  de  pièces  d'après  les 
tableaux   et   dessins    des    premiers 
maîtres.  Ses  portraits  sont  exécutés 
d'une  manière  ferme  et  hardie,  mais 
ils  montrent  un  peu  trop  le  métal,  et 
l'on  y  désirerait,  avec  un  arrangement 
de  tailles  moins  compassé,  un   peu 
plus  de  cette  fonte  admirable  de  cou- 
leurs que  possédait  si  éminemment 
Edelinck.  Mais  ce  qui  doit  assurer  la 
réputal  ;on  de  Schweickart,  c'est  qu'il 
est  l'inventeur  de  la  manière  d'imi- 
ter par  la  gravure  les  dessins  au  lavis. 
C'est  d'après  ce  procédé  qu'il  a  gravé 
plusieurs  dessins  de  Gabbiani,  pour 
la  collection  d'Hugford  ,   parmi  les- 
quels on   distingue  la  Vierge  avec 
Venfant  Jésus,  à  qui  le  Père  éternel 
montre  la  croix.  P— s. 

SCHWEIGHiEllSER  (Jean),  cé- 
lèbre philologue,  né  à  Strasbourg  le 
26  juin  1742  ,  était  d'une  famille  qui 
a  présenté  le  phénomène  de  trois 
générations  distinguées  dans  la  phi- 
lologie. Le  grand-père  (Jean  George), 
pasteur  de  l'église  de  Saint-Thomas 
à  Strasbourg  ,  fut  très   versé  dans 


U2 


SCH 


l'h('breii  et  dans    d'autres   langncs 
orientales.   Son   fils ,    sujet  de  cet 
article,  le  surpassa  en  érudition,  et 
son  petit-fiis  soutint  dignement  la 
gloire   de   cet   illustre    non).   Jean 
Schweighœuser,   marchant    sur  les 
traces  de    son  père ,  fit  un   cours 
complet  d'études  à   Strasbourg,    et 
coîume  il  se  destinait  à  la  même 
carrière,  il  s'essaya  dans  la  prédi- 
cation ^     mais    avide    d'apprendre 
encore ,  après  avoir  épuisé  la  philo- 
sophie et  la   théologie ,  il  pénéîra 
dans  les  sciences,  telles  que  l'astro- 
nomie, la  botanique  et  l'anatomie. 
On  eût  dit  que  son  esprit  voulait 
embrasser  toutes  les  connaissances 
humaines;  mais  il  paraît  que  la  phi- 
losophie avait  sa  préférence,  et  que 
s'il  avait  été  maître  de  sa  destinée,  il 
serait  devenu  décidément  philosophe. 
Ayant  déjà  suivi  les  cours  de  presque 
tous  les  professeurs  de  Strasbourg, 
il  al  la  étudier  en  1 767  l'arabe  et  le  sy- 
rien chez  De  Guignes  à  Paris,  l'hé- 
breu chez  Michaëlis  à  Gœttingue,  le 
grec  chez  Reiske  à  Leipzig,  et  che- 
min faisant,  il  vit  les  principaux  sa- 
vants d'Allemagne,  se  rendit  de  là  en 
Angleterre,  et  revint  par  les  Pays-Bas 
dans  sa  ville  natale, après  avoir  beau- 
coup profité  des  bibliothèques  et  de 
la  conversation  des  philologues  de 
tous  ces  pays.  Comme  la  philosophie, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit,  était  sa 
science  favorite ,  il    demanda    une 
chaire  pour  l'enseigner;  mais  n'obtint 
d'abord    qu'une   place  d'adjoint  ou 
suppléant.  Il  publia   alors   succes- 
sivement plusieurs  dissertations  par 
lesquelles  on  voit  que  c'était  surtout 
l'école  écossaise  qui  avait  son  assen- 
timent.  La  première  est  intitulée  : 
An  clarior  pleniorque  homini  data 
sit  rerum  corporearum  quam  pro- 
priœ  mentis  cognitio  ?  Strasbourg , 
1770.  La  seconde  traite  De  sensu  mo- 


scn 

rali,  1773  *,  elle  fut  suivie  de  Senten- 
tiarum  philosophicarum  fasciculi 
i//,  1774-75.  Il  mit  une  autre  disser- 
tation, sur  l'origine  de  la  philosophie 
morale  des  Écossais,  à  la  tête  d'une 
réimpression  du  Compendium  logicœ 
de  Hutcheson  ,  Strasbourg,  1771. 
Bientôt  après  il  fut  nommé  professeur 
titulaire  de  lachaire  de  philosophie, 
et  à  l'occasion  de  son  installation  il 
prononça  un  discours  sur  les  rap- 
ports entre  l'étude  de  la  philosophie 
et  celle  des  langues.  Il  y  a  encore  de 
la  philosophie  dans  un  recueil  de 
Lectures  allemandes  qu'il  publia  à 
l'usage  du  gymnase  de  Strasbourg, 
afin  de  familiariser  les  écoliers  avec 
les  notions  des  choses  naturelles  et 
surnaturelles.  Dans  la  seconde  partie 
de  la  carrière  de  Schweighœuser  la 
philologie  prédomina,  et  c'est  dans 
celle-là  qu'il  s'est  rendu  célèbre,  il 
s'était  lié  avec  Brunck,  commissaire 
des  guerres,  qu'un  penchant  irrésis- 
tible portait  vers  la  littérature 
grecque.  Il  mit  les  résultats  de  ses 
recherches  à  la  disposition  de  l'érudit 
strasbourgeois.  Schweighaeuser  dé- 
buta dans  la  carrière  d'éditeur  et  de 
critique  par  deux  petites  éditions 
avec  notes  ,  intitulées  :  Sophoclis 
Electra  et  Euripidis  Àndromache^ 
Strasbourg,  1779,  in-8o,  et  Sophoclis 
OEdipus  tyrannus  et  Euripidis 
Orestes,  ibid.  Une  entreprise  bien 
autrement  importante  fut  sa  grande 
édition  de  l'histoire  romaine  d'Ap- 
pien,  pour  laquelle  Musgrave  lui 
avait  légué  ses  notes,  et  qui  avait 
exigé  la  collation  des  anciens  codices 
qui  se  trouvaient  dans  les  diverses 
bibliothèques  de  l'Europe  :  Âppiani 
quœ  super sunt  novo  studio  conqui- 
sivit,digessit^  adfidemcodd.  mss.re- 
censuit,  supplevit,  emaculavit,  va- 
rietatem  lectionum  adjecit,  latinam 
versionem  emendavit,  adnotationi- 


SCH 

bus  tiariorum  suisque  illustravit^ 
indic.  instruxit  J.  Schweighœuser , 
Leipzig, 1785,3  vol.  in-8o.Ce  long  titre 
indique  exactement  les  divers  genres 
de  travaux  auxquels  il  avait  fallu  se 
livrer  pour  donner  une  édition  sa- 
tisfaisante de  l'historien    de  Rome. 
Le  savant  éditeur  avait  appelé  l'atten- 
tion du  public  sur  cette  entreprise 
par  deux  dissertations  préliminaires 
en  forme    de  thèses  académiques  : 
Eœercitationes  inAppiani  Alexandr. 
Romanas  historias^  et  De  impressis 
ac  manuscriptis  historiarum  Appia- 
ni  codicibus^  imprimées  toutes  deux 
à  Strasbourg  en   1781.    Pureté  du 
texte,  classement  bien  entendu  des 
livres  d'Appien,  complément  des  la- 
cunes, voilà  ce  que  tfette  édition  doit 
au  savant  de  Strasbourg.  Il  procéda 
avec  le  même  soin,  la  même  sagacité 
et  la  même  érudition  à  la  publication 
du  texte   de  Polybe.  Gronovius  et 
Casaubon  avaient  déjà   préparé   le 
terrain;  cependant,  grâce  aux  ma- 
nuscrits consultés   et  aux    travaux 
particuliers  de  l'éditeur,  Polybe  ga- 
gna à  être  édité  de  nouveau:  Poly- 
bii  historiarum.  quidquid  superest, 
emendatiore  interpretatione,  varie- 
tate  lectionis,  adnotationibus,  indi- 
cibus  illustravit  J.Schw.,  Leipzig  , 
1789-1795,   8  parties  en  9  volumes 
in-8°.  La  révolution  française  éclata 
pendant  cette  publication.  Schweig- 
haeuser  sortit  d'abord  de  son  cabinet 
pour  aider  k  la  réforme  de  l'État,  fit 
partie  du  conseil  de  la  commune,  et 
vit  prendre  les  armes  à  son  fils  sur 
lequel  il   fondait   tout  son    espoir 
pour  la  continuation  de  ses  travaux  ; 
mais   les  excès  révolutionnaires  ne 
tardèrent  pas  à  le  dégoûter,  et   sa 
modération  finit  par  le  rendre  sus- 
pect, au    point  qu'il  fut  arrêté.  11 
avait  épousé  une  femme  charmante 
par  son  esprit  enjoué^  elle  fut  assez 


SCIH 


443 


adroite  pour  obtenir  la  conversion 
de  la  prison  en  un  éloignement. 
Toute  la  famille  alla  s'établir  dans 
une  petite  ville  de  Lorraine,  et  là  le 
philologue,  autant  par  goût  que  par 
nécessité,  reprit  activement  son  Po- 
lybe^  et  y  travailla  jour  et  nuit. 
Un  voisin  le  voyant  écrire  pendant 
que  d'autres  dormaient,  le  dénonça 
comme  un  homme  entretenant  des 
correspondances  secrètes.  Heureuse- 
ment l'arrivée  d'une  lettre  de  remer- 
cîment  du  gouvernement  révolution- 
naire, auquel  il  avait  fait  hommage 
des  premiers  volumes  de  son  Polybe, 
le  sauva  du  danger  d'une  nouvelle 
incarcération  ,  et  après  la  chute  de 
Robespierre  il  put  retournée-  dans 
ses  foyers.  Dès-lors,  il  ne  se  mêla 
plus  que  de  la  littérature  classique. 
Appien  et  Polybe  l'avaient  conduit 
à  Suidas  qui  cite  souvent  ces  deux 
auteurs  pi  donna,  sous  forme  de  dis- 
sertations académiques,  Emendatio- 
nes  et  observationes  in  Smdam, Stras- 
bourg, 1789.  Puis  vint  une  petite 
édition  de  VEnchiridion  d'Épictète, 
qui  fut  immédiatement  suivie  d'une 
plus  grande  :  Epicteti  manuale  et  Ce- 
betis  tabula,  grœce  etlatine,Le\pi\^, 
1798,in-8°;  et  enfin  unegrande  édi- 
tion des  œuvres  du  même  philosophe 
avec  le  commentaire  de  Simplicius, 
pourlequel  il  avait  eu  la  satisfaction 
défaire  collationner  neuf  manuscrits 
de  la  bibliothèque  de  Paris  par  son 
fils  Godefroi,qui  fit  là  son  début  dans 
la  carrrière  de  l'érudition.  Cet  ou- 
vrage est  intitulé:  Epicteteœ  philo- 
sophiœ  monumenta,  Leipzig,  1799- 
1800,  5  vol.  (en  six  parties),  dont 
les  trois  premiers  contiennent:  Epic- 
teti dissertât,  ab  Ariano  digest.  U- 
brilV,  ejusdemEnchiridion  et  exde- 
perditis  sermonibus  fragmenta ,  avec 
version  latine,  notes  et  index;  et  les 
deux  derniers  Simplicii  commentarii 


AU 


SGH 


in  Epicteti  Enchiridion ,  Enchiridii 
paraphrasis  christ  iana  et  Nili  En- 
chiridion.Dàns  un  codex  de  Paris  qui 
lui  avait  été  confié,  Schweighaeuser 
avait  découvert  un  passage  à  peu 
près  inédit  sur  le  devoir  du  philoso- 
phe de  s'abstenir  de  fonctions  pu- 
bliques sous  un  mauvais  gouverne- 
ment, et  même  de  quitter  la  patrie. 
Dans  les  circonstances  où  l'on  se 
trouvait,  ce  passage  parut  si  piquant 
à  son  fils  alors  à  Paris  et  auquel  il 
le  communiqua,  que  celui-ci  en  fit  le 
sujet  d'une  notice  pour  l'Institut 
national  qui  le  fit  insérer  dans  le 
tome  1^'^de  ses  Mémoires^  imprimés 
en  l'an  IV.  Dans  la  suite,  le  père 
publia  encore  séparément  une  édi- 
tion de  Cebetis  tabula ,  Strasbourg, 
1806,  in- 12,  avec  des  corrections 
provenant  en  partie  de  la  collation 
de  quelques  codices  de  Paris,  faite 
par  son  fils.  D'Epiclète  Schweig- 
haeuser passa  aux  Deipnosophistes 
d'Athéuée,  dont  il  se  chargea  pour  la 
collection  de  Deux -Ponts,,  après 
avoir  travaillé  jusqu'alors  pour  la 
librairie  de  Weidmann  à  Leipzig  : 
Athenœi  Deipnosophistarum  libri 
XV ex  optimis  codic-  mss.  emendavit 
acsupplevity  nova  latina  versione  et 
animadvers.  Casauboni  aliorumque 
et  suis  illustravit  et  Indic.  instruxit 
J.Schw.^  Strasbourg,  1801-1807,  14 
vol.  in-8°,  dans  lesquels  il  n'a  pour- 
tant pas  inséré  toutes  les  notes  de 
Casaubon;  V Index  grœcitatisy  man- 
que aussi.  Les  cinq  premiers  volumes 
comprennent  le  texte  avec  la  version 
latine,  et  les  neuf  volumes  suivants 
sont  réservés  aux  notes  et  aux  ta- 
bles. Schweighaeuser  recueillit  en- 
suite ses  petites  dissertations  et  les 
publia  sous  le  titre  â^Opuscula  aca- 
(iemica,Deux-Ponts,1806,2vol.  con- 
nant,  le  premier,  celles  qui  se  rap- 
portent à  la  philosophie,  et  le  second 


SCH 

les  thèses  philologicjues.Lorsde  l'or- 
ganisation des  écoles  centrales  il 
avait  été  chargé  d'enseigner  les  lan- 
gues anciennes  à  celle  deStrasbourg, 
et  l'Institut  national  l'avait  nommé 
son  correspondant  pour  la  3«  classe. 
En  1802,  la  suppression  des  écoles 
centrales  le  priva  d'une  partie  de  ses 
appointeuieuts,  et  il  eut  la  douleur 
de  perdre  sa  femme  ;  en  1806  il  suc- 
céda en  qualité  de  bibliothécaire  à 
son  ancien  collègue  Oberlin,  dont  il 
avait  honoré  publiquement  la  mé- 
moire au  nom  de  l'Académie  proles- 
tante par  un  discours  latin  :  Me- 
moriam  Oberlini  commendat  acad. 
argent.  (1807),  et  comme  il  y  avait 
dans. cette  bibliothèque  des  codices 
des  lettres  deSénèque,  il  en  donna  une 
édition  nouvelle  pour  la  collection 
dite  de  Deux  ?on\s:  L.  Ann.  Senecœ 
Epistolœ  morales^  adfidem  veterum 
librorum,  in  his  3  mss.  argentorat. 
recognovit.  emendavit,  notis que  cri- 
ticis  illuslravit  J.  Schw.,  1809,  2 
vol.  in-S".  Lors  de  l'organisation  de 
l'Université  impériale,  Schweighaeu- 
ser fut  nommé  professeur  de  littéra- 
ture grecque  et  doyen  de  la  faculté 
des  lettres  dans  sa  ville  natale.  Cet 
hommage  rendu  à  son  mérite  ne  tarda 
pas  à  être  troublé  par  la  perte  de  son 
second  fils  Charles,  officier  d'artille- 
rie, qui  avait  été  blessé  mortellement 
à  la  bataille  d'EssIing.  Il  lui  resta 
cinq  enfants,  dont  l'aîné  marchait, 
comme  on  a  vu ,  sur  ses  traces  ; 
une  fille  encore  jeune  se  voua  entiè- 
rement aux  soins  qu'exigeait  son  iso- 
lement. C'était,  comme  il  disait,  sou 
Antigone,  et  ces  soins  lui  avaient  été 
recommandés  vivement  par  sa  mère 
mourante.  Schweighaeuser  chercha 
selon  .sa  coutume  des  distractions 
dans  l'étude  :  malgré  son  âge  avan- 
cé il  entreprit  la  tâche  immense  de 
publier  Hérodote  à  l'iuslar  desautres 


SCH 

grandes  éditions  qu'il  avait  données; 
et,  non-seulement  il  acheva  cette  édi- 
tion, fferorfoh'  Historiarumlibri  JA', 
cum  nova  versione  latina,  varias 
lectiones,  ex  b  codd.mss,eme'ndatas 
et  locupletatas,  Wesselingiiet  Walc- 
kenarii  aliorumque  annotationes  et 
suas  adjecit  cum  indic.  J.  Schw., 
Strasbourg,  1816,  6  vol.  in-8%  dont 
les  quatre  premiers  contienne I;  le 
texte,la  version  latine  et  les  variantes, 
et  les  deux  derniers  les  notes  critiques 
et  Fancien  glossaire;  mais  il  donna  en- 
core un  Lexicon  Herodoteum  quo  et 
styli  Herodotei  universa  ratio  enu- 
deateexplicatur^e\c.,iS2i^'îvo\.m- 
8°  à  2  colonnes,  à  la  tête  desquels  le 
libraire  plaça  le  portrait  de  l'auteur. 
Ces  travaux  immenses  ne  l'empêchè- 
rent pas  de  fournir  des  matériaux 
pour  l'édition  du  Thésaurus  linguœ 
grecœ  préparée  en  Angleterre.  Dès 
l'an  1810,  Schweighœuser  eut  pour 
suppléant  dans  ses  cours  de  grec  son 
fils  aîné,  qui  le  suppléa  aussi  à  la  fa- 
culté protestante.  Dahler  le  remplaça 
comme  professeurd'hébreu  à  ia^même 
faculté.  En  1824  il  renonça  à  la  place 
de  doyen,  et  il  fut  assez  heureux  l'an- 
née suivante  de  pouvoir  cédera  son  lils 
sa  place  de  bibliothécaire.  Schwei- 
ghœuser était  doué  d'une  forte  con- 
stitution et  d'une  sanlé  très-ro- 
buste. Après  des  travaux  forcés  il 
cherchait  une  récréation  dans  des 
excursions  pédestres  au  milieu  des 
Vosges. Mais  pendant  les  grands  froids 
de  l'hiver  de  1830,  il  succomba  le  19 
janvier  à  une  fluxion  de  poitrine.  Il 
avait  défendu  toute  pompe  pour  ses 
funérailles;  cependant  Dahler,  au 
nom  du  séminaire  protestant,  pu- 
blia une  ample  biographie  du  défunt 
(Memoriœ  J.  Schw.  sacrum^  Stras- 
bourg, 1830)-,  et  le  professeur  Cuvier 
prononça  en  son  honneur  un  discours 
devant    les    autorités    académiques 


SCH 


445 


(  Éloge  historique,  etc.,  ibid.,  1830). 
Schweighaeuser  avait  été  nommé  en 
1821  chevalier  de  la  Légion -d'Hon- 
neur, et  cinq  ans  après,  la  société  de 
littén'ittire  classique  de  Londres  lui 
avait  décerné  une  médaille  d'or.  D— g. 
SCHWEIGHAEUSER  (  Jean  - 
Geoffroi),  philologue  et  antiquaire, 
iils  du  précédent,  naquit  à  Strasbourg 
le  2  janv.  1776.  Atteint  par  la  pre- 
mière réquisition,  il  fut  enrôlé  dans 
un  corps  qui  devait  défendre  le 
Rhin  ;  mais  au  milieu  du  tumulte 
des  camps  il  n'en  conserva  pas 
moins  le  goût  des  lettres  que  son 
père  lui  avait  inspiré,  et  dès  qu'il 
fut  dégagé  de  ses  devoirs  militaires, 
il  s'adonna  tout  entier  à  la  philo- 
logie. A  l'âge  de  vingt  ans  il  se  ren- 
dit à  Paris  pour  collationner,  ainsi 
qu'il  a  été  dit  dans  l'article  précé- 
dent, les  manuscrits  grecs  pour  les 
éditions  de  son  père,  et  il  donna  à 
l'Institut  la  notice  sur  le  fragment 
de  Simplicius  découvert  dans  un 
manuscrit.  Ayant  accepté  la  mis- 
sion délicate  de  diriger  l'éducation 
des  enfants  de  M.  Voyer  d'Argen- 
son,  il  accompagna  celui-ci  k  sa  terre 
des  Ormes,  près  de  Poitiers,  où  il 
passait  tous  les  étés.  L'hiver  on  re- 
venait à  Paris.  Lorsque  M.  d'Argen- 
son  fut  nommé  préfet  à  Anvers,  il  le 
suivit  dans  cette  nouvelle  résidence, 
et  ne  revint  à  Strasbourg  qu'après 
avoir  accompli  sa  tâche,  qui  ne  dura 
pas  moins  de  douze  années.  Schwei- 
ghœuser eut  aussi  l'honneur  de  con- 
tribuer à  l'éducation  du  duc  de  Bro- 
glie.  Ses  premiers  essais  l'avaient 
fait  connaître  avantageusement  des 
savants  philologues  de  la  capitale; 
il  acheva  de  conquérir  leur  estime 
par  la  publication  d'une  nouvelle 
édition  des  Caractères  de  Théo- 
phraste,  traduits  par  La  Bruyère 
(Paris,  stéréotypie  d'Herhao,  an  X 


44G 


SCH 


SCH 


(1802),  3  vol.  in-12).  Les  notes  inté- 
ressantes dont  elle  est  enrichie  sont 
en  partie  consacrées  à  ramener  la 
version  de  La  Bruyère  à  un  sens  plus 
littéral,  à  explnjucr  par  là  des  usages 
qu'on  ne  pourrait  concevoir  si  l'on 
traduisait  autrement,  enfin  à  rap- 
procher des  différents  textes  donnés 
par  les  éditeurs  de  Théophraste  la 
véritable  leçon  qui  convient  aux  pas- 
sages les  plus  difficiles  du  livre  des 
Caractères,  Dans  la  comparaison  des 
variantes  et  des  remarques  de  Ca- 
saubon,  de  Fischer,  de  Schneider,  de 
Coray ,  etc.,  Schweighaeuser  fait 
preuve  de  la  plus  grande  sagacité  et 
d'une  profonde  connaissance  de  la 
langue  grecque.  Le  commentateur  a 
ajoute  à  ses  notes  un  Aperçu  de  l'his- 
toire de  la  morale  en  Grèce  avant 
Théophraste  et  la  traduction  de  Ca- 
ractères tirés  de  différents  auteurs 
anciens,  tels  qu'Aristote,  Dion,Ghry- 
sostôme.  Ses  travaux  littéraires  et 
philologiques  s'étendaient  encore  à 
d'autres  objets.  C'est  ainsi  qu'il  en- 
treprit, sous  la  direction  de  Vis- 
couti,  la  description  des  Antiques  du 
musée  Napoléon,  gravés  par  M.  Pi- 
roli,  in-4**.  Mais  une  maladie  grave 
le  força  d'interrompre,  à  partir  de  la 
cinquième  livraison,  cette  publica- 
tion, qui  fut  continuée  par  Petit- 
Radel.  Il  fournissait  aussi  des  articles 
au  Magasin  encyclopédique,  aux  Ar- 
chives littéraires  y  au  Publiciste  ^ 
journal  quotidien,  auquel  travail- 
laieut  alors  MM.  Suard ,  Vander- 
bourg,  Guizot,  de  Barante,  Dupont 
de  Nemours,  etc.  A  peine  en  conva- 
lescence, il  fit  paraître,  sous  le  titre 
de  Dernier  don  de  Lavaler  à  ses 
amis,  Paris  (Treuttel  et  Wurtz), 
anXUl  (1805),  pet.  in-12  de  72  pages, 
une  traduction  de  cent  maximes  ou 
sentences  que  le  célèbre  physiogno- 
nioniste  n'avait  fait  imprimer  que 


pour  ses  amis,  et  dont,  peu  de  temps 
avant  sa  mort,  il  avait  donné  un 
exemplaire  à  Schweighœuser,  qui, 
dans  sa  version,  se  lit  une  règle  de 
conserver  autant  que  possible  les 
tours  de  phrases  de  l'original.  Dans 
quelques  observations  préliminaires, 
il  apprécia  parfaitement  et  en  peu 
de  mots  le  caractère  religieux  et 
moral  du  philosophe  de  Zurich. 
M.  Quérard,  qui,  dans  sa  France 
littéraire,  a  donné  d'ailleurs  une 
notice  fort  bien  faite  sur  les  travaux 
de  Schweighaeuser,  n*a  pas  parlé  de 
cet  écrit.  Il  a  également  omis  la 
mention  de  la  Vie  de  Christ. -Guill. 
Koch,  professeur  d'histoire,  etc., 
publiée  par  Schweighaeuser ,  au 
nom  du  séminaire  protestant,  Stras- 
bourg, 1814,  in-8o  de  78  pages. 
Dès  1810  il  fut  adjoint  à  son  père 
pour  la  chaire  de  littérature  grecque 
à  Strasbourg  dont  il  devint  profes- 
seur titulaire  après  la  retraite  de 
son  père ,  auquel  il  succéda  aussi  en 
qualité  de  bibliothécaire.  Le  sémi- 
naire protestant  de  cette  ville,  oii  il 
était  professeur  de  littérature  latine 
depuis  1812,  lui  confia  les  mêmes 
fonctions.  Les  Recherches  et  anti- 
quités du  Bas-Rhin,  sur  lesquelles 
il  publia  une  Notice  en  1822,  lui  va- 
lurent la  première  médaille  que  l'A- 
cadémie des  Inscriptions  et  Belles-Let- 
tres eut  à  décerner  dans  ses  séan- 
ces publiques,  et  quelque  temps  après 
il  fut  nommé  associé  correspondant 
de  ce  corps  savant.  Ayant  rédigé 
ensuite  un  Mémoire  sur  les  antiquités 
de  Strasbourg  (1822),  il  entreprit 
avec  M.  de  Golbéry  un  grand  ouvrage 
pittoresque  sur  les  Antiquités  de 
l'Alsace,  en  un  vol.  in-fol.  Il  fit  pa- 
raître encore  une  Explication  du 
plan  topographique  de  Venceinte 
antique  appelée  le  mur  païen,  située 
autour  de  la  montagne  de  Sainte- 


SCH 

Odile,  et  une  Énumération  des  mo 
numents  les  plus  remarquables  du 
département  du   Bas-Rhin^  Stras- 
bourg, 1844,  in-8°,   avec  planches, 
ouvrage  composé  pour   le  congrès 
scientifique  qui  avait  été  tenu  dans 
cette   ville   deux    ans    auparavant. 
D'autres  travaux  archéologiques  de 
ce  savant  suât  disséminés  dans  divers 
recueils.  Ainsi,  le  Magasin  encyclo- 
pédique contient  de  lui  une  descrip- 
tion   des    arènes    de    Poitiers  ;   le 
Kunstblatt  de  Stuttgart,  une  notice 
de  la  peinture  sur  verre  encaustique 
(1820),  une  autre  de  la  partie  tech- 
nique de  la  peinture  sur  verre  (1830), 
et  une  troisième  concernant  la  danse 
des  morts  figurée  à  Strasbourg  (1824). 
11  y  a  encore  dans  le  tom.  11  des  Mé- 
moires de  la  société  des  sciences  de 
Strasbourg  un  mémoire  de  lui  sur 
Fancien   Argentoratum.     Enfin    les 
Mémoires  de  la  société  roy,  des  an- 
tiquaires de  France,  dont   il  était 
correspondant,  contiennent  dans  le 
tome  Xll  un  Mémoire  sur  les  monu- 
ments celtiques  du  département  du 
Bas- Rhin  et  de  quelques  cantons 
adjacents,  et  dans  le  tome  XVll,  des 
observations  sur  la  poterie  romaine, 
objet  qu'il  avait  beaucoup  étudié  de- 
puis la  découverte   d'une  ancienne 
fabrique  de  cette  poterie  dans  la  pe- 
tite  ville  de  Rhein-Zabern  ,  située 
entre  Lauterbourg  et  Spire.  11  avait 
acquis  sur  les  lieux  une  quantité  as- 
sez  considérable    de   vases  rouges 
gallo-romains  qu'il  croyait  provenir 
(le  cette  poterie.  Il  se  proposait  d'en 
publier  la  description ,  mais  il  n'a 
tait   graver  que  quatorze  planches 
représentant  les  figures  et  les  bas- 
reliels  les  plus  remarquabies  de  celte 
colleclion,  quicomprenau  aussi  plu- 
sieurs   stalueites    en    bronze.    Ces 
planches  forment  un  cahier  in-4o, 
sous  le  titre  d'Antiquités  de  Rhein- 


SCH 


447 


Zabern,  lequel  ne  paraît  pas  avoir 
été   livré  à   la    pubHcité.  Schwei- 
ghaeuser  a  contribué   en   outre    à 
V Annuaire  du  Bas- Rhin,  il  s'était 
essayé  quelquefois  dans  la  poésie^  on 
cite  de  lui  entre  autres  un  poème  sur 
la  marche  de  la  civilisation,  dont  le 
premier  chant  seul  a  été  imprimé  à 
Brunnen  1821.  Douze  ans  avant  sa 
mort,  qui  arriva  le  14  mars  1844,  il 
avait  été  atteint  d'une  paralysie  qui 
rendit  la  fin  de  sa  vie  très-séden- 
taire   sans  toutefois  l'empêcher  de 
travailler.  Il  avait  épousé  mademoi- 
selle Sophie  Lauth,  fille  du  médecin 
distingué  de  ce  nom,  connu  par  plu- 
sieurs ouvrages  estimés ,  laquelle  a 
prodigué  à  son  mari  les  soins  les 
plus  touchants  jusqu'à  l'heure  de  la 
séparation   dernière.    Au   savoir  le 
plus  étendu,  Schweighaeuser  joignait 
une  aménité  parfaite  ;  des   mœurs 
douces   et  un  caractère  obligeant. 
Aussi   s'était-il   concilié  d'illustres 
amitiés,  et  se  rappelait-il  avec  jouis- 
sance  les    marques    d'intérêt  qu'il 
avait  reçues  de  Suard,de  Camille  Jor- 
dan, de  de  Gerando,  de  Vanderbourg, 
de  Rossel,  etc.      D— g.  et  L— m— x. 
SCHWEIGH/EUSER  (Jean),  pa- 
rent des  précédents,  naquit  à  Stras- 
bourg en  1753,  fit  de  bonnes  études, 
et  seconda  Basedow  {voy.  ce  nom , 
111,  473)  dans  la  direction  du  collège 
que  celui-ci  avait  fondé  à  Dessau , 
sous  le  tiire  de  Philanthropinon. 
En  1781  il  obtint  l'emploi  de  con- 
seiller Ue  légation  du  duché  de  Bade, 
et  en  1782  il  entra  comme  professeur 
au  gymnase  de  Bouxviller,  où  il  en- 
seigna les  sciences  et  la  littérature. 
Pendant  la  révolution  il  fut  nommé 
secrétaire  interprèle  du  département 
du  Bas-Rhin,  et  plus  tard  garde  des 
archives  à  la  préfecture  de  Stras- 
bourg, où  il  mourut.le  8  avril  1801. 
C'était  un  homme  probe,  laborieux 


448 


SCH 


et  plein  de  zèle  pour  rinstriiclion  de 
la  jeunesse.  On  a  de  lui  :  I.  Des  Cours 
d'astronomie^  de  mathématiques  et 
de  géographie  historique ,  à  l'usage 
du  gymnase  de  UouxvUler  (eu  alle- 
^  niand),  imprimt^s  à  Pirmasens,  de 
1784  à  1785,  en  4  vol.  in-8°.  H.  In- 
struction élémentaire  sur  la  langue 
française  (en  allemand),  Strasbourg, 
1790-91,  2  volumes  in-8°.  III.  In- 
strucliôn  raisonnée  sur  les  calculs 
d'une  utilité  générale ,  adaptés  aux 
nouveaux  poids  et  mesures,  Stras- 
bourg et  Paris,  an  IX  (1801),  in-t2, 
et  quelques  autres  écrits  relatifs  à 
l'e'ducation.  Z. 

SCHWENDI  (Lazare),  baron  de 
HoHENLANDSBERG ,  géne'ral  autri- 
chien, né  en  1525  au  château  de 
Schwendi ,  dans  l'Autriche  supé- 
rieure, entra  à  l'âge  de  vingt  ans  au 
service  de  l'empereur  Charles-Quint. 
Au  commencement  de  la  guerre  de 
Schmalkalde  en  1546,  ce  prince  l'en- 
voya â  Strasbourg ,  à  Augsbourg  et 
dans  d'autres  villes  iuipériales  pour 
sonder  leurs  dispositions.  Revenu  de 
cette  mission,  et  nommé  colonel, 
Schwendi  amena  au  mois  de  sep- 
tembre 1546,  à  l'empereur,  qui  cam- 
pait près  d'Ingolstadt,  un  renfort  de 
.12,000  hommes  qu'il  avait  levés 
en  Autriche  et  dans  le  Tyrol.  Après 
la  bataille  de  Muhlberg  (24  avril  1547), 
et  la  convention  de  Wiltenberg  par 
laquelle  Jean-Frédéric  fut  obligé  de 
céder  l'électorat  de  Saxe  à  son  cousin 
le  duc  Maurice,  Schwendi  occupa 
Gotha,  dont  il  fit  raser  les  fortifica- 
tions. Pendant  le  siège  de  Magde- 
bourg,  que  le  prince  Maurice  dirigea 
en  1551,  au  nom  de  Charles-Quint, 
il  remplit  pour  l'empereur  les  fonc- 
tions de  couîmissaire.  De  1553  à  1556, 
il  servit  en  Hongrie  contre  les  Turcs. 
En  1557,  employé  à  l'armée  de  Phi- 
lippe il  dans  les  Pays-Bas,  il  se  dis- 


SCH 

tingua  à  la  bataille  de  Saint-Quentin, 
et  en  1558  à  celle  de  Gravelines.  A  la 
prière  de  Tempereur  Maximilien  II, 
le  roi  Philippe  lui  permit  de  rentrer 
au  service  de  la  maison  d'Autriche. 
Nommé  lieutenant-général  et  com- 
mandant en  chef  de  l'armée  autri- 
chienne en  Hongrie,  Schwendi  fut 
chargé    de     soumettre    le    prince 
Jean  de  Zapoly  et  de  repousser   les 
troupes  que  le  Grand-Seigneur  avait 
envoyées  à  son  secours.  Les  succès 
qu'il  obtint  dans  les  campagnes  de 
1564, 65  et  66  justifièrent  la  confiance 
que  Maximilien  avait  mise  en  se^  la- 
lents.  Bathor,  Ujhanga   (Ungrisch- 
Neustadt),  Szendred,  Saagh,  Pelsœg, 
Krasnahorka  et  plusieurs  autres  pla- 
ces furent  emportées  d'assaut.  Le  sul- 
tan Soliman  était  alors  occupé  devant 
Malte  dont  il  ne  put  s'emparer,  quoi- 
qu'il y  eût  développé  toutes  les  forces 
de  l'empire  ottoman.  Ce  siège  ne  lui 
permit  point  d'envoyer  des  secours 
en  Hongrie  ;  mais  ayant  été  obligé 
d'abandonner  Malte ,  il   résolut  de 
s'en  venger  sur  l'Autriche.  Schwendi 
se  rendit  en  toute   hâte  à  Vienne 
pour   représenter    à  l'empereur    la 
grandeur  et  l'imminence  du  danger 
auquel  les  États  héréditaires  étaient 
exposés.   Pendant    son  absence,  les 
Turcs  prirent   Erdoed  et  Neustadt. 
11  leur  enleva  plus  tard  la  dernière  de 
ces  places  ;  en  1566,  il  défendit  Tokay 
contre  Zapoly  et  s'empara  de  Mont- 
gatz  où  il  fit  un  riche  butin.  De  là  il 
vint  se  placer  sur  la  Theiss,  vis-à-vis 
le    camp   de    l'ennemi.    L'empereur 
Maximilien,  ses  frères  Ferdinand  et 
Charles  amenèrent  de  puissants  se- 
cours à  Tarmée.   Cependant  on  ne 
put  délivrer  Sigeth  ,  que  le  brave 
Zrini  défendit  jusqu'au  dernier  mo- 
ment. Soliman  était  mort  le  4  septem- 
bre 1566,  tt  deux  ans  nprès  .sou  suc- 
cesseur Sélim  U  conclut  un  armi- 


SCH 

stice  avec  Maxiir.ilif'n.  D'après  cpKp 
convention,  l'empereur  resta  eu  pos- 
session des  conquêtes  que  Schwendi 
avait  faites  en  Hongrie.  A  cette  épo- 
que se  termine  la  carrière  militaire 
de  ce  général  ;  il  déposa  le  comman- 
dement de  l'armée  ainsi  que  le  gou- 
vernement de  Kasovie  ,  l'empereur 
voulant  l'employer  dans  la  diploma- 
tie. Aprèsavoiraccompagné  ce  prince 
aux  diètes  de  Ratisbonne,  il  se  retira 
sur  ses  terres  en  Alsace  et  dans  la 
Souabe,  où  il  écrivit  les  ouvrages  sui  - 
vants  qui  ont  paru  après  sa  mort  : 

I.  Gouvernement  de  l'empire  germa- 
nique (en  allem.),  Francfort,  1612. 

II.  Organisation  d'une  armée,  fonc- 
tions que  les  chefs  ont  à  y  remplir 
(alL),  Dresde ,  1576.  III.  De  bello 
contra  Turcas  gerendo.  Pendant  que 
Schwendi  était  en  quartier  d'hiver 
ea  Hongrie,  1565-1566,  il  rédigea 
pour  l'empereur  Maximilien  des  ob- 
servations sur  rorgunisulion  de  Tar- 
mée  ottomane ,  sur  celle  de  l'armée 
autrichienne,  sur  la  conduite  qu'il 
convenait  de  tenir  envers  les  Turcs, 
sur  les  dangers  auxquels  on  s'ex- 
posait en  les  poussant  à  la  guerre. 
Ce  uïémoire,  compose'  en  allemand, 
a  été  publié  dans  le  Journal  mili- 
taire d'Autriche,  t.  XXI.  Schwendi 
mourut  dans  sa  terre  de  Kilchhofen, 
le  28  mai  1584.  G— y. 

SCHWERIN  (OïTON  de),  diplo- 
mate allemand,  né  le  8  mars  1616  en 
Poméranie ,  d'une  ancienne  et  no- 
ble famille,  où  naquit  plus  tard 
l'illustre  maréchal  de  Frédéric  II 
(  voy  .  ScHWERiN  ,  XLI ,  283) ,  fut 
nommé  en  1638  gentilhomme  de 
la  chambre  de  Georges-Guillaume, 
électeur  de  Brandebourg  ;  en  1640, 
directeur  de  la  chambre  des  do- 
maines de  ce  prince^  en  1645, 
conseiller  privé  du  grand-électeur; 
quelque  temps  après,  grand-maître 

Ï.XXXI. 


SCI 


449 


de  l'éiectrice,  et  plus  tard,  gouver- 
neur des  deux  fils  de  l'électeur , 
Charles-Emile  et  Frédéric,  lequel  fut 
par  la  suite  premier  roi  de  Prusse. 
En  1648  ,  l'empereur  le  nomma 
baron  de  l'empire  ,  et  Frédéric- 
Guillaume  lui  conféra  la  charge  hé- 
réditaire de  caniérier  de  la  Marche  de 
Brandebourg.  Ce  prince  l'employa 
aux  négociations  les  plus  impor- 
tantes et  l'envoya  comme  ministre 
aux  cours  de  Pologne  et  de  Suède.  H 
négocia  et  signa  les  traités  de  Kœnigs- 
berg,  du  6  janvier  1656,  de  Liban, 
du  10  novembre  1656,  et  de  Walau, 
du  19  septembre  1657,  qui  font  épo- 
que, les  deux  derniers  surtout,  dans 
l'histoire  de  la  Prusse,  dont  ils  ont 
brisé  les  liens  de  vassalité.  Le  13 
octobre  1658,  l'électeur  le  nomma 
premier  ministre  et  président  du 
conseil  privé  pour  toutes  les  affaires 
d'Etat,  de  justice  et  de  féodalité.  Il 
paya  ses  services  par  de  riches  dota- 
tions situées  dans  la  Prusse,  en  Po- 
méranie ,  dans  le  duché  de  Clèves, 
et  lui  conféra  la  seigneurie  de  Vieux- 
Ladsburg  dans  la  Marche  électorale. 
Schwerin  mourut  le  14  novembre 
1679.  —  Son  fils,  nomrné  également 
Otton,  né  le  14  avril  1645,  et  mort  en 
1705,  fut  élevé  en  1700  au  rang  de 
comte  du  saint-empire  romain.  Il  fut 
ministre  de  Prusse  auprès  des  cours 
de  Londres  et  de  Vienne,  et  conseil- 
ler privé  d'État.  S— L. 

SCÏARPA  (Gherardo  Curci,  dit), 
l'un  des  plus  fameux  chefs  des  ban- 
des royalistes  dans  la  guerre  napoli- 
taine de  1799,  exerçait  les  fonctions 
de  commandant  des  troupes  de  la  po- 
lice de  la  province  de  Salerne,  lors- 
que les  Français,  sous  le  général 
Championnet,  firent  la  conquête  du 
royaume  de  Naples.  Plein  d'ardeur 
et  d'un  noble  enthousiasme  pour  la 
cause  royale,  Sciarpa  réunit  un  grand 

29 


450 


SCI 


SCI 


nombre  d'insurg^'S ,  se  mit  à  Ipmt 
h'ie  et  concoiinit  piiissaiirment  ,iii 
soulèvement  gener.il  de  ia  Fouille, 
ainsi  qu'à  la  formation  de  Tarmee  de 
\à  Sainte- Foi ^ dont  lecHrdinal  Ruffo 
tut  le  géne'ral  en  ehef.  Ce  prcMat  lui 
ayant  donné  iecommamlement  d'une 
division,  il  y  déploya  la  plus  infatiga- 
ble énergie,  sans  se  montrer  aussi 
cruel  que  Fra-Diavolo,  et  les  succès 
qu'il  obtint  contre  Schipani  {voy.  ce 
nom  dans  ce  vol.,  p.  293)  contribuè- 
rent beaucoup  à  la  chute  de  l'éphémère 
république  parthénopéenne.On  peut 
lire  dans  V Histoire  de Naples,  deCol- 
letta,  lerécitde  ses  valeureuses  ac- 
tions. Après  s'être  emparé  successive- 
ment de  Campistrino,  de  Salerne  et 
de  Castellamare,  il  suivit  la  marche 
yictorieuse  de  Ruffo  sur  Naples,  et 
dans  les  combats  qui  eurent  lieu  sous 
les  murs  de  cette  ville,  on  le  vit  faire 
preuve  du  plus  grand  courage.  Si 
le  roi  Ferdinand ,  rétabli  sur  son 
trône,  laissa  un  libre  cours  à  la  san- 
glante réaction  ,  il  n'oublia  point 
ceux  qui  avaient  participé  à  la  res- 
tauration de  sa  maison  ;  tous  reçu- 
rentdes  récompenses.  Sciarpa  eut  le 
litre  de  baron  et  le  grade  de  colonel 
avec  4,000  ducais  de  pension  et  des 
terres.  11  fit,  ensuite  partie  de  la  pe- 
tite armée  que  Ferdinand  IV  envoya 
contre  Rome  pour  en  chasser  les 
Français,  et  (jui  se  dispersa  sous  les 
murs  de  l'antique  cité  au  premier 
coup  de  canon  du  général  Grenier, 
qui  y  copnmandait  alors.  Depuis  ce 
moment,  il  ne  fut  plus  question  de 
Sciarpa,  et  à  la  seconde  chute  des 
Bourbons  de  Naples  ,  il  se  retira  en 
Sicile,  où  il  vécut  et  mourut  dans 
une  complète  obscurité.  C— h— n. 
SCILLATl  (Nicolas),  médecin 
et  philosophe  de  la  fin  du  XV« 
siècle,  composa  divers  traités  de  mé- 
decine, un  entre  autres  sur  la  mala- 


die vénéiKMiue  (|u'il  écrivit  à  Barce- 
lonne  en  1401,  et  un  autre  sur  les 
avantages  de  la  pauvreté.  De  (dioi 
philosophorum  paupertate  appeten- 
da,t'19('),in  r,  sans  imiirai  ion  de  lieu. 
Quehjues  écrivains  plus  modernes, 
Tilenius,  Bartoli,  etc.,  ont,  comme 
Scillati  ,  célébré  les  douceurs  de  la 
misère,  qui,  en  dépit  de  ses  panégyris- 
tes, restera  long-temps  encore  plus 
commune  qu'ambitionnée.  B-n-t. 
SCINA  (l'abbé Dominique),  savant 
littérateur,  né  à  Palerme  en  1765, 
reçut  l'éducation  que  pouvait  lui 
donner  une  famille  pauvre  et  ob- 
scure, dans  un  pays  alors  séparé  pour 
ainsi  dire  du  reste  du  monde.  Des- 
tiné à  l'état  ecclésiastique,  le  seul  où 
les  enfants  du  peuple  pouvaient  ob- 
tenir de  la  considération,  il  faisait 
les  études  qu'on  croyait  nécessaires 
pour  un  prêtre,  lorsque  son  profes- 
seur de  théologie  le  chanoine  Grego- 
rio,  historien  distingué,  lui  fit  lire 
l'essai  de  Hume  Sur  V entendement 
humain.  Scinà  entra  dans  les  ordres 
pour  se  faire  une  position,  mais,  se 
bornant  désormais  aux  sciences  où 
l'intelligence  peut  marcher  toute 
seule  et  d'un  pas  assuré,  il  s'adonna 
spécialement  à  la  physique  et  à  l'his- 
toire. Pendant  les  premières  quarante 
années  de  sa  vie  il  s'abstint  de  toute 
publication.  On  ne  le  connaissait  que 
comme  un  excellent  professeur  de 
l'académie,  depuis  université  de  Pa- 
lerme, où  il  fut  le  premier  à  donner 
un  cours  complet  de  physique  expé- 
rimentale, et  où  il  remplaça  souvent 
le  professeur  de  littérature  grecque. 
Personne  peut-être  ne  devinait  le 
travail  qui,  à  cette  époque,  se  faisait 
dans  son  intelligence,  et  que  nous 
retrouvons  aujourd'hui  si  nettement 
dans  ses  ouvrages.  Après  avoir  plané 
sur  toutes  les  connaissances  humai- 
nes, tant  science  que  tradition»  il  en 


SCI 

avait  saisi  les  rapports ,  los  avait 
classds  dans  son  esprit,  et  en  avait 
tiré  (les  principes  ge'nëraux;  il  ne 
s'agissait  que  de  porter  ces  princi- 
pes sur  les  faits  matériels  ou  moraux. 
Scinà  ne  voulut  entrer  dans  l'arène 
que  quand  il  sentit  toutes  ses  forces. 
II  débuta  par  une  introduction  à  la 
physique,  imprimée  à  Palerme  en 
1803.  Dans  cet  ouvrage  remarqua- 
ble, qu'il  appelait  la  logique  des 
sciences  naturelles,  il  établit  trois 
époques  pour  leur  développement; 
et  après  avoir  dessiné  d'une  main 
ferme  les  caractères  des  deux  pre- 
mières, qu'il  appela  de  Galilée  et  de 
Newton,  il  annonça  la  troisième  dans 
laquelle  la  physique  et  la  chimie  ne 
devaient  faire  qu'une  seule  science; 
et  il  alla  jusqu'à  tracer  la  marche  de 
cette  innovation.  Hommage  donc  à 
son  génie  pour  cette  prophétie  qui  se 
vérifie  déjà!  Dans  le  reste  de  ses 
œuvres  scientifiques  nous  ne  voyons 
plus  le  même  talent.  Aucune  décou- 
verte ne  lui  est  due.  On  admire  ce- 
pendant la  méthode,  la  force  et  la 
clarté  de  l'expression  dans  son 
cours  de  physique,  publié  peu  de 
temps  après  V Introduction,  et  réim- 
primé en  1828  et  1829,  parfaitement 
au  niveau  de  la  science,  et  adopté 
dans  plusieurs  collèges  d'Italie.  Sa 
topographie  de  Palerme  (1818),  vrai 
modèle  de  l'application  de  toutes  les 
sciences  naturelles  à  l'étude  spéciale 
d'un  pays,  n'est  pas  sans  défauts.  Ses 
autres  écrits  de  circonstance.  Sur  les 
tournants  du  détroit  de  Messine,i8\i  ; 
Sur  une  éniplion  de  l'Etna  (même 
année);  Sur  les  tremblements  de  terre 
des iUadon/es,  1819;  Sur  l'îlot  volca- 
nique formé  en  1831,pm  de  la  Sicile; 
Sur  les  os  fossiles  des  environs  de 
Palerme,  1831,  etc.,  frappent  tou- 
jours par  la  grande  justesse  des 
idées,    mais   ne    présenlent  ni   des 


SCI 


4M 


théories  ni  des  faits  nouveaux.  Aussi 
n'aurions  -  nous    eu  à    parler  que 
d'un  génie  manqué,  s'il  n'avait  pas 
réalisé  en   histoire  la  pensée  qu'il 
lui  était  impossible  de  suivre  jus- 
qu'au  bout  dans  les  sciences  phy- 
siques. Dans  celles-ci  il  ne  pouvait 
pas  étudier  les  faits  de  manière  à  sa- 
tisfaire son  esprit  sévère  et  positif, 
puisqu'il  se   trouvait  presque  sans 
instruments,  et  en  dehors  du  com- 
merce des  savants ,  d'abord  à  cause 
de  la  guerre,  et,  depuis  1815,  parce 
qu'une  réaction  politique  s'appesantit 
sur  la  Sicile.  Son  premier  essai  his- 
torique publié  en  1808  ne  s'écarta  pas 
des  sciences  naturelles  :  ce  fut  la 
Biographie  de  Maurolicus,  grand 
mathématicien  de  Messine  au  XVh 
siècle.  Cet  ouvrage  fut  suivi  de  près 
(1813)  par  deux  volumes  sur   Em^ 
pédocle.  où   l'auteur  put  s'étendre 
sur  toutes  les  sciences  physiques  et 
philosophiques  ,   sur  la   littérature 
et  la  politique,  qui  occupèrent  tour 
à  tour  la  vie  du  grand  philosophe 
d'Agrigente.  Depuis   cette  publica- 
tion, Scinà  ne  songea  sérieusement 
qu'à  l'histoire  littéraire  de  la  Sicile. 
Là  il  avait  devant  lui  un  but  plus  no- 
bleque  lasimple  science, caril  s'agis- 
sait de    retremper  par  l'histoire  le 
courage  d'un  peuple  qu'il  croyait  op- 
primé. Ce  fut  une  mission  qu'il  tâcha 
de  remplir  sans  compromettre  sa  per- 
sonne ni  ses  places,  ni  les  bénéfices 
ecclésiastiquesdont  il  jouissait.  Aussi, 
bien  que  nommé  historiographe  du 
royaume  de  Sicile,  voulant  esquiver 
l'entreprise  trop  hardie  d'une  his- 
toire politique,  il  se  retrancha  dans 
l'histoire  littéraire  pour  porter  ses 
coups  sans  danger.  Après  s'être  mêlé 
un  peu  plus  ouverleaient  à  la  politi- 
que en  1821  ,  et  avoir  rempli  une 
mission  de  la  ville  de  Palerme  au- 
près du  roi  Ferdinand  F"*,  à  l'occa- 

29. 


452 


SCI 


SCI 


siori  (lu  congrès  de  Laybach,  il  reprit 
son  travail, en  pubUanUa  Biographie 
d' Archimède  (IHTi);  ensuite  une  tra- 
duction en  vers  italiens  des  Frag- 
ments d^Archcstrate,  Paleruie,1825, 
et  V Histoire  littéraire  de  la  Sicile  au 
XVI 11^  siècle,  1 825k  1 827,3  vol.  in-8^ 
Enfin  il  réunit  dans  un  tableau  ma- 
gnifique toutes  les  notices  littéraires 
des  Grecs  siciliens;  mais  il  n'arriva 
pas  à  donner  la  dernière  main  à  cet 
ouvrage,    dont    quelques   morceaux 
avaient  paru  de  1832  à  1836,  et  qui 
ne  fut  imprimé,  presque  complet  et 
en  un  seul  volume,  qu'en  1840,  après 
la  mort  de  l'auteur.  Les  œuvres  his- 
toriques de  Scinà  se  distinguent  par 
cette  lucidité  qui  était  inséparable  de 
son  intelligence;  elles  sont  un  mo- 
dèle d'histoire  littéraire.  Après  avoir 
établi  les  faits  par  une  critique  à  la- 
quelle rien  n'échappe ,  il  en  découvre 
les  liens,  il  devine  la  marche  de  l'es- 
prit d'un  homme  d'abord,  ensuite 
de  toute  une  époque:  ici  il  recon- 
struit un  système  sur  quelques  frag- 
ments épars,  là  il  explique  les  pro- 
grès des  lettres  ou  des  sciences  par 
les  événements   politiques;   et  une 
fois  sur  ce  terrain,  il  commence  à 
frapper  de  sa  rude  main  quiconque 
a  fait  le  moindre  tort  à  sa  patrie, 
n'importe  k  quelle  époque.  L'fl^isfoî're 
littéraire  delà  Sicile, dontil  illustra 
les  deux  périodes  extrêmes,  et  qu'il 
avait   l'intention  de  compléter  par 
des  traités  sur  les  temps  romains,  sur 
le  moyen  âge,  et  la  renaissance  jus- 
qu'au XVUP  siècle,  est  donc  l'ou- 
vrage   d'un    bon    citoyen    et    d'un 
philosophe.  Sous  le  rapport  de  la 
forme  ,  Scinà  peut  figurer  au  nom- 
bre des  premiers  écrivains  de  l'Italie 
moderne.  S'il  ne  brille  point  par  les 
finesses    de   l'élocution ,   par  cette 
souplesse,  qu'il  ne  put  pas  donner 
à  son  style,  n'en  ayant  jantais  eu 


dans  .son   caractère,    il  se  fait  re- 
marquer par  la  force,  la  précision,  la 
dignité  et  l'élégance.  Jouissantd'une 
haute  considération,  il  fut  chargé 
de   plusieurs    commissions    perma- 
nentes ou    temporaires ,  dans    les- 
quelles il  rendit  de  grands  services 
à  l'instruction  publique.  Nous  cite- 
rons un  projet  d'instruction  publique 
fait  pour  le  parlement  de  1813,  et  par 
lequel  chaque  paroisse  aurait  eu  une 
école  primaire  à  la  charge  des  moi- 
nes, si  nombreux  et  si   riches  en 
Sicile  ,  chaque  commune  une  école 
de  géographie  et  d'histoire,  et  chaque 
district  un  collège  aux  frais  des  évê- 
ques.  Les  deux  universités  de  Palerme 
et  de  Catane  eussent  été  mieux  or- 
ganisées, et  l'on  aurait  placé  au  som- 
met de  la  pyramide  (c'est  ainsi  qu'il 
s'exprimait),  une  académie  qui  eût 
réuni    les   fonctions    partagées    en 
France  entre  l'Institut  etl'Université. 
Ce  projet  resta  sans  suite;  mais  l'au- 
teur, appelé  plus  tard  au  conseil  uni- 
versitaire, tacha  d'organiser  l'ensei- 
gnement laïque  en  Sicile,  autant  que 
le   permettait   le   gouvernement.  Il 
restaura   la    bibliothèque    commu- 
nale de  Palerme  qui  est  devenue  si 
utile.  Chargé  de  la  direction  de  plu- 
sieurs établissements  d'éducation  pu- 
blique ,  il    porta  dans  les    affaires 
d'administration     la    capacité    qui 
le  distinguait  dans  les  études.  L'en- 
vie de  certaines  personnes  ,   l'inté- 
rêt individuel    de    bien    d'autres , 
l'esprit   de    classe    qui  lui    susci- 
tèrent des  désagréments,  étaient  ai- 
guillonnés, à  vrai  dire,  par  le  carac- 
tère de  l'abbé  Scinà,  homme  aussi 
dur  qu'honnête,  excessivement  fier, 
prêt  en  toute  occasion  k  se  brouiller 
et  à  engager  une  bataille.  Il  ne  savait 
pardonner  le  talent  qu'à  ses  amis,  et 
ne  pardonnait  la  vanité  à  personne. 
Du  reste,  il  était  bienfaisant,  dévoué 


SCI 

à  sa  famille  ,  à  ses  atnis  et  d'une 
conduite  irréprochable.  Ses  opinions 
politiques  se  prononçaient  pour  un 
gouvernement  représentatif  modéré, 
mais  il  voulait  avant  tout  la  na- 
tionalité sicilienne.  Aigri  par  les 
atteintes  portées  à  la  constitution 
du  pays,  il  allait  jusqu'à  l'injustice 
contre  les  idées  d'unité  italienne, 
dont  la  réalisation  lui  paraissait  bien 
éloignée.  En  général  l'espérance, 
cette  grande  vertu  du  citoyen,  était 
morte  dans  son  cœur.  Si  quelqu'un 
de  ses  amis  lui  tenait  des  propos  de 
politique,  il  répondait:  siamo  hirhi 
(  nous  sommes  des  coquins  ),  as- 
sertion vague  et  mauvaise  excuse 
qui  d'ailleurs  n'était  pas  étonnante 
chez  un  homme  s'attristant  toujours 
sur  le  sort  de  sa  chère  Sicile,  avec 
ia  persuasion  qu'on  ne  pouvait  pas 
l'améliorer.  Avancé  en  âge  et  devenu 
presque  aveugle ,  il  fut  frappé  au 
cœur  en  voyant  paraître  à  Palerme 
le  choléra,  dont  il  pressentit  les 
funestes  conséquences.  Atteint  par 
le  tléau,  il  y  succomba,  malgré  son 
tempéramentdefer,  le  13  juillet  1837, 
à  l'âge  de  72  ans.  Son  corps,  jeté  sur 
un  corbillard,  fut  inhumé  sans  hon- 
neurs et  pêle-mêle  avec  quinze  ou 
seize  cents  victimes  du  même  jour. 
Ce  ne  fut  qu'après  la  disparition  de 
l'épidémie  que  sa  famille  lui  éleva  un 
modeste  monument  dans  le  cimetière 
deSantO'Spirito,  et  que  l'Académie 
des  sciences  et  lettres  de  Palerme 
lui  rendit  les  honneurs  funèbres 
dans  une  séance  où  éclatèrent  d'une 
manière  fâcheuse  de  mauvaises  pas- 
sions politiques.  Z. 

SCIO  (ÉTiE!NNE),violoniste  et  com- 
positeur musicien,  né  à  Bordeaux  en 
1766,  suivit,  dès  son  enfance,  la  pro- 
fession de  son  père.  Ses  progrès  y 
furent  si  rapides,  qu'en  1788  il  était 
premier  violou  au  grand  théâtre  de 


SCI 


453 


Marseille.  Ce  fut  là  qu'il  épousa  l'ac- 
trice dont  la  célébrité  avait  déjà  com- 
mencé sous  le  nom  de  Crécy.  Bour- 
sault-Malherbe,  qui  était  alors  ac- 
teur et  directeur  de  ce  théâtre,  ayant 
fondé  à  Paris  celui  de  Molière,  dans 
la  rue  Saint-Martin,  y  engagea  les 
deux  époux  en  1791.  Scio  y  fut  chef 
d'orchestre  et  composa  la  musique 
de  quelques  opéras  de  circonstance, 
tels  que  la  France  régénérée,  qui 
obtint  un  succès  de  vogue  ;  le  Réveil 
de  Camaillaka,  le  Sofa^  etc.,  qui 
furent  moins  bien  accueillis.  Le  théâ- 
tre Molière  étant  tombé  en  décadence 
sous  une  nouvelle  direction,  en  1792, 
Scio  fut  engagé  avec  sa  femme  au 
théâtre  Feydeaii,  où  il  ne  fut  plus 
que  le  chef  des  seconds  violons.  Il  y 
donna  la  même  année  :  Lisidore  et 
Monrose^  et  en  1793  Lysia.  Il  com- 
posa aussi  pour  le  théâtre  de  la 
Cité  :  le  Tambourin  de  Provence 
(1793).  Le  premier  de  ces  opéras 
obtint  plus  de  succès  que  les  autres. 
Atteint  de  phthisie  pulmonaire.  Scio 
mourut  à  Paris  le  21  février  1796,  à 
l'âge  de  29  ans.  —  Scio  {Claudine- 
Angélique  Legrand,  femme) ^  célèbre 
actrice  el  cantatrice  de  l'Opéra-Co- 
mique,  épouse  du  précédent,  na- 
quit à  Lille  en  1770.  On  a  dit 
que  ses  parents  n'appartenaient  pas 
aux  dernières  classes  de  la  société, 
et  qu'ils  soignèrent  son  éducation. 
Comment  donc  négligèrent-ils  ses 
dispositions  naturelles  pour  la 
musique,  et  pourquoi  ne  s'opposè- 
rent-ils pas  à  sa  vocation  pour  le 
théâtre,  lorsqu'elle  se  consacra  à  cette 
carrière?  On  ignore  l'époque,  le  lieu 
de  ses  premiers  débuts  et  les  motifs 
qui  la  déterminèrent;  mais  il  est 
certain  qu'en  1787  elle  était  attachée, 
sous  le  nom  de  M"*'  Crécy,  au  théâtre 
de  Montpellier,  et  qu'elle  y  tenait  un 
des  premiers  rangs  dans  la  troupe  ly- 


454 


SCI 


riqiie,  lorsqu'on  1788  ell«  obtint  un 
con{T(^  pour  aller,  avec  son  camarade 
Gaveaux,  donner  des  représentations 
à  Avignon,  où  elle  joua  et  chanta 
avec  tant  de  succès  Agathedans/Mmt 
de  la  maison,  et  Colette  dans  le  De- 
vin du  village,  qu'on  lui  jeta  sur  le 
théâtre  une  couronne  et  nn  couplet, 
lequel  fut  sans  doute  k  début  poétique 
d'Auguste  Gilles,  qui  prit  depuis  le 
nom  de  Saint-Gilles,  en  devenant 
le  beau -frère  du  second  consul 
Canibacérès.  En  1789,  M"«  Crécy 
fut  engagée  au  grand  théâtre  de 
Marseille,  où  elle  remplit  avec  un 
talent  supérieur  les  premiers  rôles 
dans  divers  opéras-conhques,  tels 
qii'Azémia,  Michel  dans  les  Petits 
Savoyards ,  Zerbine  dans  la  Ser- 
vante maîtresse,  etc.  Elle  quitta  le 
nom  de  Crécy  en  épousant  Scio, 
qu'elle  suivit  en  1791  à  Paris  au  théâ- 
tre Molière,  dont  le  répertoire  mé- 
diocre n'empêcha  pas  M™^  Scio  d'y 
acquérir  assez  de  réputation  pour 
obtenir,  en  1792,  un  engagement  au 
théâtre  Feydeau.  Là  son  talent  fut 
mieux  apprécié  et  utilisé.  Après  avoir 
débuté  par  les  rôles  de  LodoïsJca  dans 
l'opéra  de  Cherubini, de  Velbina  dans 
le  Marquis  de  Tulipano,  de  Belinde 
dans  la  Colonie,  elle  y  créa  ceux  de 
Louise  dans  l'Amour  filial ,  ou  la 
Jambe  de  bois,  de  l'amoureuse  dans 
Lisidore  et  Monrose,  et  d'Euphémie 
dans  les  Visitandines.  On  ne  put  y 
admirer  que  le  beau  timbre  et  la  pu- 
reté de  sa  voix;  mais  bientôt  elle  se 
fi  t  applaudir  comme  actrice  et  comme 
cantatrice  dans  des  rôles  plu»  impor- 
tants :  Séraphine  dans  la  Caverne, 
Juliette  dans  le  Roméo  de  Steibelt, 
Claudine  dans  le  Petit  commission 
nairey  Calypso  dans  Télémaque,  Fui 
bert  dans  le  Petit  matelot,  Léonore 
dans  V Amour  conjugal^  Médée  dans 
l'opéra  de  ce  iium ,  Talma  dans  le 


SCI 

Voyage  en  Grèce,  Constance  dans  les 
Deux  journées,  etc.  Si  M""®  Scio  con- 
tribua au  succès  de  plusieurs  de  ces 
ouvrages  et  à  la  réputfition  de  leurs 
auteurs ,  on  peut  dire  aussi  que 
quelques-uns  de  ces  rôles,  tels  que 
Calypso,  Médée  et  Constance,  écrits 
pour  elle  par  Lesueur  et  Cherubini, 
sur  un  ton  trop  haut  et  pour  une 
voix,  sinon  plus  étendue  et  plus 
sonore,  du  moins  plus  robuste  que 
la  sienne,  l'usèrent  de  bonne  heure 
et  abrégèrent  ses  jours,  en  flattant 
son  amour -propre,  car  elle  s'en  était 
chargée  par  ambition  plutôt  que  par 
complaisance.  M'"*'  Scio  n'était  pres- 
que pas  musicienne,  maison  ne  pou- 
vait s'en  apercevoir,  tant  elle  avait 
l'oreille  délicate,  tant  elle  avait  d'a- 
plomb pour  la  mesure  et  de  justesse 
dans  la  voix.  Malgré  ses  succès  dans 
les  ariettes  de  bravoure  et  à  roula- 
des, elle  at)andonna  ce  genre  insi- 
gnifiant pour  se  borner  au  chant  no- 
ble et  sentimental  dans  lequel  elle  ex- 
cellait. Sans  être  jolie,  M""*  Scio  avait 
une  taille  et  une  physionomie  qui  ne 
manquaient  ni  de  dignité  ni  d'ex- 
pression. A  une  âme  ardente,  elle 
joignait  beaucoup  d'intelligence  et 
une  parfaite  connaissance  de  la  scène. 
Un  mot  de  Steibelt  est  le  plus  bel 
éloge  de  cette  actrice.  Dirigeant  k 
Londres  une  répétition  de  sa  Ca- 
milla^  et  peu  satisfait  des  cantatrices 
italiennes  chargées  des  principaux 
rôles,  il  se  rappela  son  Roméo  et 
Juliette,  et  s'écria  :  Où  est  madame 
Scio?  Lôrs  de  la  réunion  des  deux 
troupes  d'Opéra-Comique,  en  1801, 
elle  fit  partie  de  la  nouvelle  société 
dramatique  et  du  comité  d'admini- 
stration. Elle  joua  avec  succès,  au 
théâtre  Favart,  le  principal  rôle  de 
femme  dans  plusieurs  opéras  anciens, 
Pierre-leGrand^  FéHx^  ou  l'Enfant 
trouvé,  Raoul  Barbe-Bleue^  et  sur- 


SCO 

iouiàsins  Zoraïmeet  Zulnar.  kccueW- 
lie  avec  la  même  bienveillance,  elle 
parut  dfpuisavec  moins  d'éclat  sur  les 
théâtres  Favart  et  Feydeau  et  tit  de 
fréquentes  absences.  Ses  efforts  sur- 
naturels, et  surtout  l'irrégularité  de 
sa  conduite,  avaient  épuisé  sa  santé. 
Passionnée  pour  son  art,  elle  était 
quelquefois  forcée  par  une  subite 
hémorrhagie  d'entrer  dans  la  coulisse 
et  reparaissait  bientôt  sur  la  scène 
avec  moins  d'effroi  que  les  témoins 
de  cet  accident.  On  lui  avait  toujours 
reproché  une  déclamation  un  peu 
emphatique  qui ,  s'éloignant  de  la  dic- 
tion naturelle,  aurait  pu  paraître 
choquante  si  sa  pantomime  n'eût  pas 
été  l'expression  vraie  de  la  nature. 
Trois  ou  quatre  ans  avant  sa  mort, 
elle  n'était  plus  que  le  soleil  cou- 
chant, et  ne  se  faisait  remarquer  que 
comme  actrice.  En  général  elle  était 
mieux  sous  l^^s  habits  d'homme  que 
sous  ceux  de  son  sexe.  Elle  eut  tou- 
jours beaucoup  de  succès  dans  les  tra 
vestissements,  notamment  en  1803 
dans  la  Jeune  prude  de  Dupaty,  où 
elle  passait  et  repassait  d'un  sexe  à 
l'autre  avec  une  rapidité  prodigieuse. 
Devenue  veuve  en  1796,  elle  avait 
épousé,  le  18  juillet  1802,  un  em- 
ployé du  trésor,  et  joignant  les  noms 
de  ses  deux  maris,  elle  se  fit  appeler 
depuis  Scio- Messie.  Mais  ayant  di- 
vorcé ,  le  18  septembre  1806,  avec 
son  second  époux,  Antoine -Louis 
Messie,  et  non  pas  Messier,  elle  avait 
repris  le  nom  du  premier,  lorsqu'une 
phthisie  pulmonaire  causée  par  ses 
excès  termina  ses  jours,  le  14  juillet 
1807,  à  l'âge  de  37  ans.        A— t. 

SCOUBIA<,(Bruiso-Cas!iviir),  pré- 
dicateur et  inslitulrur  français  , 
né  le  i  mars  1706  à  Montauban  , 
d'une  famille  noble  et  riche ,  reçut 
une  éducation  toute  chrétienne,  d'a- 
bord dans  la  maison  de  son  père,  puis 


SCO 


4&5 


dans  l'institution  de  l'abbé  Liautard. 
On  le  destinait  à  l'école  polytech- 
nique et  il  avait  déjà  fait  toutes  ses 
études  préparatoires,  lorsqu'il  renon- 
ça tout-à-coup  à  ce  projet  pour  em- 
brasser l'état  ecclésiastique.  Il  entra 
au  mois  d'octobre  1815  au  séminaire 
deSaint-Sulpice,et  s'y  fil  remarquer 
parsa  piété  etlesqualités  de  son  cœur 
et  de  son  esprit.  Lrsqu'il  eut  reçu 
le  diaconat,  l'évêque  de  Quimp-r, 
M.  Crouseilhes,  qui  était  son  oncle, 
demanda  et  obtint  pour  lui  un  cano- 
nicat  dans  son  diocèse;  mais  le  jeune 
abbé,  comprenant  tout  ce  qu'aurait 
d'insolite  une  semblable  nomination, 
refusa  le  bénéfice,  et  même,  après 
avoir  été  ordonné  prêtre,  résista  aux 
nouvelles  instances  qui  lui  furent 
faites,  et  entra  (1820)  dans  la  mai- 
son des  missionnaires  fondée  par 
l'abbé  de  Rauzau.  Le  succès  de  ses 
prédications  suggéra  à  Frayssinous, 
alors  ministre  de  l'instruction  pu- 
blique, de  l'attacher  à  l'instruction 
religieuse,  et  il  créa  pour  lui  un  nou- 
vel emploi  ,  celui  d'aumônier  de 
l'université,  spécialement  chargé  de 
donner  des  retraites  dans  les  collèges. 
C'était  en  1823,  et  Scorbiac  exerça 
ces  fonctions  jusqu'au  moment  où 
l'évêque  d'Hermopolis  quitta  le  mi- 
nistère de  l'instruction  publique. 
Quelques  années  avaientsuffi  à  l'abbé 
de  Scorbiac  pour  visiter  la  plupart 
des  collèges  de  France,  où  sa  parole 
pleine  d'onction  produisit  sur  un 
grand  nombre  d'élèves  les  plus  salu- 
taires effets^  et ,  si  depuis  1830  on  a 
remarqué  un  retour  sensible  aux 
idées  religieuses  dans  les  générations 
naissantes,  on  peut  dire  san<  crainte 
que  l'abbé  deScorbiaca  beaucoup  C'^n- 
tribué  à  ce  mouvement.  Dansh^s  ra- 
res intervalles  de  ses  missions,ii  de- 
meurait à  Paris,  et  continuait  en 
quelque  sorte   sou    œuvre,  en  réu- 


456 


SCO 


SCO 


Hissant  dans  l'appartement  qu'on  lui 
avait  donné  à  la  Sorbonne  une  foule 
de  jeunes  gens,  avocats,  médecins, 
professeurs,  ecclésiastiques,  qui  dis- 
cutaient entre  eux  les  questions  reli- 
gieuses et  philosophiques  auxquelles 
les  circonstances  pouvaient  prêter 
le  plus  d'intérêt.  L'abbé  de  Scorbiac 
dirigeait  ces  utiles  débats  et  y  pre- 
nait lui-même  une  part  fort  active. 
Lorsque  l'emploi  d'aumônier  de  l'uni- 
versité eut  été  supprimé,  le  pieux 
missionnaire,  qui  comprenait  tout  le 
besoin  que  la  jeunesse  de  France 
avait  de  son  influence,  s'associa  avec 
son  ami  M.  l'abbé  de  Salinis,  pour 
rendre  au  collège  de  Juilly  son  an- 
cienne splendeur.  Ce  fut  en  1828 
qu'ils  en  prirent  possession,  et  dès 
la  première  année  ils  comptèrentun 
grand  nombre  de  pensionnaires.  De 
toute  part,  dit  M.  l'abbé  Cœur  [voy. 
V Univers  religieux  du  8  octobre 
1846),  on  y  vit  accourir  la  plus  bril- 
lante jeunesse  du  royaume.  Les  élè- 
ves étaient  étonnés  deretrouv'erune 
imagede  la  famille  dans  les  mursd'un 
collège.  C'est  le  caractère  particulier 
que  Scorbiacet  M.  de  Salinis  avaient 
donné  à  leur  maison.  Ils  avaient  re- 
marqué que  dans  la  plupart  des 
maisons  d'éducation,  où  l'on  exige 
chaque  mois  le  billet  de  confession, 
où  tout  le  monde  à  certaines  époques 
est  tenu  d'approcher  de  la  sainte 
table,  rélève  finit  par  considérer  les 
pratiques  religieuses  les  plus  sacrées 
comme  de  purs  devoirs  de  collège, 
dont  il  se  hâte  de  s'affranchir  à  la  pre- 
mière occasion.  Malheureusement, 
Scorbiac  et  l'abbé  de  Salinis  furent 
obligés  de  renoncer  à  la  direction  de 
ce  collège  en  1841,  et  quelque  soin 
qu'ils  aient  mis  dans  le  choix  de  leurs 
successeurs,  il  ne  semble  pas  que 
ceux-ci  aient  pu  conserver  sur  les 
élèves  le  même  ascendant,  car  on  n'a 


sans  doute  pas  oublié  les  désordres 
qui  y  éclatèrent  un  peu  plus  tard  et 
qui  eurent  du  retentissement  dans  la 
presse.  L'abbé  de  Scorbiac  se  retira 
à  Bordeaux,  (»ù  il  lut  nommé  vicairt!- 
général  et  chargé  de  la  direction 
d'une  maison  religieuse.  Là,  il  conti- 
nua, comme  par  le  passé  ,  à  se  livrer 
à  la  prédication, et  à  réunir  chez  lui, 
dans  des  soirées  littéraires,  l'élite 
de  la  société.  Avant  de  se  fixer 
dans  cette  ville,  il  fit  avec  son  as- 
socié le  pèlerinage  de  Rome  et  fut 
accueilli  avec  une  bienveillance  toute 
particulière  par  le  pape  Grégoire 
XVÎ  alors  régnant. Dans  l'étéde  1846, 
il  fut  appelé  auprès  de  son  frère,  le 
baron  de  Scorbiac,  qui  était  ton)bé 
gravement  malade^  lui-même  fut 
atteint  en  route  d'une  dyssenterie, 
et  il  était  à  peine  arrivé  à  Montau- 
ban  qu'il  fut  obligé  de  s'aliter.  Il 
mourut  peu  de  jours  après  (le  1^'  oc- 
tobre 1846),  eu  laissant  des  regrets 
universels  et  la  réputation  d*un 
saint  homme.  L'abbé  de  Scorbiac 
avait  le  titre  de  vicaire- général 
de  Monlaub.in,  et  il  était  chanoine 
honoraire  de  Meaux.  Ses  sermons 
n'ont  point  été  publiés,  mais  ils  mé- 
riteraient de  l'être,  si  l'on  peut  ju- 
ger de  leur  mérite  par  la  profonde 
impression  qu'ils  ont  laissée  dans 
l'esprit  de  ceux  qui  les  ont  entendus. 
Ce  prédicateur,  dit  M.  l'abbé  Mel- 
chior  Dulac  dans  la  notice  qu'il  lui 
a  consacrée  {voy.  ['Université  catho- 
lique de  janvier  1847),  avait  un  véri- 
table talent  oratoire.  Ne  perdant 
jamais  de  vue  son  sujet ,  l'unité, 
cette  loi  suprême  des  œuvres  de 
l'esprit,  régnait  dans  ses  discours  ; 
l'ordonnance  en  était  simple  , 
exempte  de  toute  confusion,  les  di- 
visions naturelles  et  fortement  uiar- 
([uées.  C'était  surtout  cet  accent  de 
foi  qu'on  ne  peut  traduire  et  qui  par  • 


SCO 


SCO 


457 


taitde  son  àme,ces  rayons  de  candeur 
et  de  loyauté  qu'on  ne  saurait  pein- 
dre et  qui  illuminaient  son  visage, 
c'était  ià  ce  qui  subjuguait  ses  jeu- 
nes auditeurs.  Tout  ce  qu'on  pos- 
sède aujourd'hui  de  l'abbé  de 
Scorbiac  consiste  dans  une  Histoire 
de  la  philosophie  (?àr'\s^  1836,  in-S''), 
qu'il  publia  sous  le  voile  de  l'ano- 
nyme, avec  M.  de  Salinis.  Il  fut  aussi 
l'un  des  fondateurs  de  V Université 
catholique  f  mais  il  s'occupa  beau- 
coup plus  de  la  direction  que  de  la 
rédaction  de  cette  revue.       A— y. 

SCOTT  (Thomas),  théologien  an- 
glais, natif  du  comté  d'York,  s'en- 
rôla, très-peu  de  temps  après  avoir 
reçu  les  ordres,  sons  la  bannière  du 
presbytérianisme  le  plus  fervent,  ce 
qui  le  fit  nommer  chapelain-adjoint 
de  l'hôpital  Lock,  quand  le  révérend 
Martin  Madan  fut  obligé  de  renoncer 
à  cette  place  pour  avoir  publique- 
ment défendu  la  polygamie.  Il  avait 
pour  collègue  dans  ce  poste  un  M.  de 
Coetlogon ,  non  moins  ardent  que 
lui  ;  et  les  deux  prédicants  en  vin- 
rent bientôt  à  laisser  éclater  leurs 
dissentiments  sur  divers  points  plus 
ou  moins  graves  de  doctrine.  Les  an- 
ciens de  l'église  ne  voulurent  donner 
raison  ni  à  l'un  ni  à  l'autre,  et  l'on 
sépara  les  deux  zélés  champions  en 
les  envoyant  argumenter  chacun 
dans  une  paroisse  séparée.  Scott  de- 
vint ainsi  vicaire  d'Olney,  et  plus 
lard  recteur  d'Aston-Sandford,d'oii 
linalemeiit  il  passa  en  qualité  de 
cure  à  Weston,  Underwood  et  Raven- 
stoke.  On  a  de  lui  :  I.  La  Bible  de 
famille^  avec  des  notes,  1796,  4  vol. 
in-4°;  5,  éd.,  1810.  II.  Tables  chro- 
nologiques de  la  Bible  avec  des 
cartes,  18tl,  in-l».  III.  Essais  sur 
les  sujets  religieux  les  plus  impor- 
tants,1190,  in-12  ;  4e éd.,  1800,  in-8^ 
IV.  Traité  sur  l'accroissement  de 


Vétat  de  grâce,  ïn-%'^.  V.  De  l'inspi- 
ration de  la  Sainte  Écriture  en 
réponse  à  l'Age  de  raison,  de  Paine, 
1796,  in -8°.  VI.  Les  droits  de  Dieu, 
1793,  in-12.  VII.  La  doctrine  de 
l'Écriture  sur  le  gouvernement  civil 
et  sur  les  droits  des  sujets^  1792, 
in-12.  VIII.  Considérations  sur  les 
garanties^  et  la  nature  de  la  foi^ 
1798,  in-8°.  IX.  Sur  les  signes  du 
temps^  1799,  in-8o.  X.  Remarques 
sur  la  Réfutation  du  Calvinisme,  de 
l'évêque  de  Lincoln,  1812,  2  vol. 
iit-8".  XI.  La  force  de  la  vérité^  ou 
Narration  merveilleuse  de  ma  vie^ 
1779,  in-12;  8«  éd.,  1811.  XII.  Des 
Sermons  qui  n'ont  pas  été  réunis.  Th. 
Scott  a  donné  une  édition  du  Pèlerin 
de  Bunyan ,  avec  des  notes  et  une 
vie  de  l'auteur,  1801,  in-8«.       Z. 

SCOTT  (sir  Walter),  poète,  an- 
tiquaire, historien  remarquable  et 
romancier  du  premier  ordre,  le  pre- 
mier peut-être  de  tous  les  roman- 
ciers dont  se  glorifie  la  littérature, 
était  issu  d'une  des  familles  écos- 
saises les  plus  honorables  de  la  fron- 
tière, ou,  comme  disent  nos  voisins, 
du  Border.  Grand  ami  des  généalo- 
gies par  goiit,  par  conviction  et  par 
calcul  (par  goût,  puisqu'il  était  ido- 
lâtre (le  toute  vieille  chose  ;  par 
conviction,  puisque  le  torysme  avait 
en  lui  un  fervent  champion  ;  par 
calcul,  puisque  la  parenté  des  Scott 
avec  les  ducs  de  Buccleugh  faisait 
de  ceux-ci  les  patrons  naturels  et  les 
puissants  appuis  de  ceux-là),  Walter 
Scott  n'a  pas  manqué  de  nous  initier 
à  la  chronique  de  ses  ancêtres.  Mais 
eût-il  gardé  le  silence  sur  ce  point 
(et  c'eût  été  un  tort,  car  plus  d'une 
fois  son  sujet  amenait  l'obligation 
d'en  parler),  les  admirateurs  de  sou 
talent  auraient  (enté  d'y  suppléer,  cl 
certainement  ils  auraient  réussi.  Ce 
coup  d'œil  rétrospectif  sur  les  Scott 


458 


SCO 


SCO 


ne  iiianque  an  reste  pas  d'intérêi  :  il 
y  a  cliarriie  et  profit  à  retrouver 
epars  cIm'z  ces  horumes  <lii  passé,  que 
nous  ignorerioris  à  jamais  sans  leur 
glorieux  (iesrendarit,  les  pririci();:ux 
linéaments,  les  grands  traits  carac- 
téristiques que  présente  la  physio- 
nomie de  l'immortel  écrivain.  —  On 
vient  de  voir  que  les  Scott  étaient 
du  pur  sang  des  Buccleiigh.  L'aïeul 
paternel  de  notre  auteur  était  un 
simple  fermier.  Ce  paysan,  ainsi  que 
le  duc, remontait  incontestablement, 
à  ce  qu'on  nous  assure,  à  sir  Walter 
Scott  de  Branxholme,  le  chef  du  clan. 
A  plusieurs  degrés  plus  bas  se  re- 
trouve un  Michel  Scott,  dit  le  Mer- 
lin écossais,  qui,  comme  l'auteur  des 
Purilaim  et  d'ivanhoe,  a  été  qualifié 
de  romancier  magicien  {wizard  ro- 
mancer) ;  car,  nous  dit  sa  légende, 
«son  Coursier  magique  ébranlait  les 
tours  de  Notre-Dame  jusqu'en  ses 
fondements,  quand  il  piaffait  dans 
son  écurie  de  Drummeizier  ;  »  et 
quelques-uns  de  ces  modernes  qui 
s'acharnent  à  transformer  le  mer- 
veilleux en  raretés  possibles  ont  vu 
dans  Michel,  au  lieu  d'un  Merlin,  un 
second  Roger  Bacon.  Un  autre  Scott 
a  été  comparé  à  Chaucer,  comme 
notre  Scott  à  Shakespeare.  Y  eût-il 
de  l'exagération  dans  ces  assimila- 
tions hasardeuses,  ii  est  clair  que 
tout  n'est  pas  faux  dans  ces  tradi- 
tions, que  ces  Scott  tranchaient 
avec  leurs  entours  par  l'intelligence, 
qu'une  fée  semblait  leur  avoir  prêté 
la  baguette  qu'elle  abandonnerait 
quelques  générations  plus  tard  au 
plus  digne  représentant  de  leur  race. 
Surviennent  ensuite  ces  luttes  ci- 
viles, où  ce  n'est  plus  à  l'intc-lli- 
gence  qu'est  le  rôle  principal,  où  la 
volonté,  la  foi,  se  posetil  avec  éclat. 
Parmi  les  iils  de  sir  William  Scott 
de  Hudcn  se  distingue  Walter  Scoti 


de   Haeburu,    le    troisième    d'entre 
eux.  Walter  em])rasse.  le  quak/risme, 
qui  com menée  à  trouver  des  adeples 
en   Ecosse.   Mais    l'iustani  est  mal 
choisi.  La  restauration,  fraîche  en- 
core, redoute  toute  dissidence  reli- 
gieuse; elle  aperçoit  dans  le  renon- 
cement du  gentleman  à  la  foi  de  ses 
pères  un  attentatau  premierchef,  et 
le  pauvre  Walter  éprouve  des  persé- 
cutions ;  il  est  jeté  en  prison,  et  voit 
ses  trois  fils  livrés  à  son  frère  aîné  , 
afin  d'être  élevés  dans  les  principes 
de  l'Église  d'Ecosse,  le  tout  à  ses 
frais,  et  moyennant  de  fortes  soui- 
mes  prélevées  sur  ses  biens  (1065). 
Il  n'obtient  son  transport  de  laTol- 
boolh  d'Edimbourg  à  une  geôle  plus 
douce,  celle  de  Jedbourg,  qu'en  fai- 
sant paraître  des  dispositions  à  re- 
prendre ses  anciens  errements.  Des 
trois  fils  qu'il  laisse  en  mourant,  le 
deuxième  est  le  bisaïeul  de  notre  il- 
lustre écrivain.  Ainsi  que  lui,  il  a 
nom  Walter  Scott  ;  mais  il  n'a  ni 
terre  bironiale,  ni  sir  devant  son 
nom  :  du  reste,  il  a  étudié  au  collège 
de  Glasgow;  il  est  l'ami,  le  corres- 
pondant du  docteur  Piteairne;  il  est 
zélé  jacobite;  il  a  fait  vœu  de  ne 
couper    sa    barbe    que    quand    les 
Stuarts  auront  recouvré  leur  cou- 
ronne :  aussi  le  rasoir  n'effleure  t-il 
jamais  cette  large  barbe,  el  Walter 
esî-il    surnommé    Walter  le-Barbu. 
Nous  arrivons  au  fermier,  l'aïeul  pa- 
ternel du  seigneur  d'Abbotsford.  Ro- 
bert Scott  (tel  était  son  nom)  avait 
sa  demeure  dans  le  comté  de  Rox 
burgh,a  Sandyknow,  près  de  Smail- 
hoim-Tower.  C'était  un  vieillard  aux 
mœurs   fortes   et    patriarcales,   in- 
struit, érbiirè,  .s'eniendant  à   mer- 
veiile  eu  agriculture,  et  dont  la  uié- 
moire,  lung-tempsen  honneur  dans 
la  vallée  de  la  l'éviot,  n'a  pas  eueort 
j)éri.  Le  vieux  Deau,  i\àU)>  la  /'r/*on 


f 
à 


SCO 


SCO 


45Ô 


d'Edimbourg,  a  quelques-uns  de  ses 
traits;  et  la  lerme  que  lui  donne,  dans 
le  roman,  le  duc  d'Argyle,  en  considé- 
ration d«'  sa  fille,  est  l'idédlisalion  du 
paisible  manoir  de  Sandyknow.  Grâce 
à  l'honorable  aisance  qu'avait  ac- 
quise par  ses  travaux  le  vénérable 
Robert.  Walter,  son  fils  el  le  père  de 
notre  Walter,  put,  en  1755  et  à 
l'âge  de  vingt-cinq  ans,  acheter  une 
charge  de  writer  to  the  signet  (1);  et 
peu  de  temps  après  il  obtint  la  main 
de  miss  Rulherford,  tille  d'un  profes- 
seur de  médecitje  de  l'université  d'E- 
dimbourg, et  sœur  de  Daniel  Ruther- 
ford,  habile  médecin  et  chimiste, 
auquel  les  Anglais  attribuent  la  dé- 
couverte de  l'azote. De  ce  mariage  na- 
quirent six  fils  et  une  fille  (2). Walter 
était  le  Iroisième.  Il  vint  au  monde  à 
Edimbourg,  le  15  août  1771,  et  l'on 
a  remarqué  celle  coïncidence  d'anni- 
versaire entre  Napoléon  et  lui.  La 
maison  où  il  vit  le  jour  n'existe  plus. 
C'était  un  mesquin  édifice  donnant 
sur  une  allée  quiconduisait  à  la  porte 
du  collège  de  Wyud.Le  wriler  en  ha- 
bitait le  troisième  étage*,  mais  quel- 
ques mois  après  la  naissance  de  son 
troisième  fils  il  la  quitta  pour  aller 
demeurer  dans  George's  Square,  puis 
il  la  vendit,  et  comme  elle  se  trouvait 
sur  ralignemcnt  d'une  nouvelle  rue 
qui  devait  longer  la  façade  nord  des 

(i)  On  nomme  aiu<i  dus  liummes  de  loi 
qui  out  seuls  le  droit  de  rédiger  les  actes 
soumis  au  sceau  ro}al. 

(a)  Jean,  l'aîné,  devint  capitaiue  d'infan- 
terie ;  mais  la  délicatesse  de  sa  santé  le  con- 
traignit à  quitter  le  servite,  Daniel,  le  a^, 
prit  du  service  sur  mer,  mais  fut  enlevé  à 
la  fleur  de  l'âge.  Thomas,  le  4e,  suivit  la 
carrière  de  sou  jjere,  et  fut  quelques  an- 
nées durant  l'homme  d'aftaires  du  marquis 
d'Abercoru  :  plus  tard  il  fut  nommé  payeur 
du  70*  I  cgimeut  et  j»uss  1  au  Caua.la  où  il 
mourut  eu  1822.  (l'était  un  homme  de  ta- 
lent; et  nous  verrous  <ju'il  fut  un  de  ceux 
que  l'eu  ion|)(()iiiia  <]'<'lic  ou  de  pouvoir 
Mie  l'auteur  de  H autilej . 


nouveaux  bâtiments  de  l'Université, 
on   l'abattit.  Il  est  fâcheux  que  Ton 
ne  pût,  à  cette  époque,  prévoir  k  cé- 
lébrité du  jeune  Walter.  Probable- 
ment ou  eût  changé  les  plans  plutôt 
que  de  sacrifier  la   maison  -,  ou  si 
enfin  le  sacrifice  eût  été  jugé  néces- 
saire, on  l'eût  reconstruite  pièce  à 
pièce  avec  les  mêmes  matériaux,  sur 
quelque  autre  e.?iplacement,  comme 
la  maison  de  Shakespeare ,  que   les 
Anglo-Américains  viennent  d'acheter 
et  transplantent  dans  le  Nouveau- 
Monde.    C'est     donc    partie    dans 
George's-Square,   partie  aussi   à  la 
ferme  de  Sandyknow,  que  s'écoula  la 
première  enfance  de  Scott.  Son  père 
ne  s'occupait  de  lui  que  fort  peu. 
C'était  un  excellent  homme,  régulier, 
probe,  bienveillant ,  sincère,  mais 
qui  n'avait  rien  de  transcendant,  et 
qui, tiré  des  devoirs  de  sa  profession, 
ne  trouvait  que  peu  de  choses  à  dire 
et  à  faire.  Il  en  était  tout  autrement 
de  sa  femme.  Élevée  dans  un  milieu 
où  l'intelligence  tenait  plus  de  place, 
mise  de  bonne  heure,  el  malgré  son 
jeune  âge,  à  la  tête  de  la  maison  de 
son   père;  habilifée  à  s'entretenir 
avec  des  savants  et  des  hommes  qui 
maniaient  habilement  la  parole  *,  for- 
mée aux  meilleures  manières  (ma- 
nières qu'au  reste  on  trouverait  bien 
gauches,   bien   inélégantes  aujour- 
d'hui (3))  parles  mistrissEuphémia 


(3)  Un  seul  exemple  va  mettre  à  même 
de  juger.  Du  temfis  de  mistriss  Ogilvie  il 
était  de  bjn  ton  de  ne  jamais  ^'appuyer  le 
dos  eoutre  le  dos  d'uu  siège,  La  digue  Ecos- 
saise n'avait  pas  manqué  de  recommander 
cette  précaution  à  ses  élèves;  et  telle  était 
la  force  de  l'habitude  que  nli.^tliss  Scott, 
âgée  de  quatre  -  viugts  ans,  n'uV  voulu, 
pour  neu  au  monde,  se  laisser  aller  eu  ar- 
rière sur  sa  Ja-rgèie  on  sur  sa  <  aiiseuse,  et 
qu'elle  se  tenait  ferme  et  raide  sur  son 
séauldes  heures  entières,  comme  si  l'œil  de 
la  sévère  Og'lvic  tut  cm  ore  clé  la  hj.it|uc 
*!!!  elle. 


460 


SCO 


SCO 


Saint-Clair  el  les  mistrissOgilvie,qne 
Ton  regardait  comme  sans  égales,  la 
dernière  surtout,  pour  l'éducation  des 
jeunes  personnes,  la  mère  de  Walter 
Scott  était  véritablement  une  femme 
supérieure,  tant  par  le  caractère  que 
par  l'esprit.  On  sait  combien ,  la 
plupart  du  temps ,  les  (ils  tiennent 
de  la  mère,  tandis  que  le  père  se 
reflète,  au  moral  et  au  physique, 
dans  sa  tille.  Très -certainement 
Walter  Scott  est  un  exemple  de  plus 
de  ce  fait  :  on  peut  reconnaître  en 
lui  un  peu  du  writer  to  the  signet , 
mais  on  y  reconnaissait  bien  mieux 
encore  l'humeur,  les  tendances  qu'il 
avait  puisées  avec  le  sang  chez  sa 
mère,  et  que  corroborèrent  bientôt 
ses  leçons,  ses  exemples.  Au  bon  sens, 
à  la  prudence,  elle  unissait  l'instinct 
poétique  et  artistique.  Elle  ne  faisait 
point  de  vers  (ceux  qui  l'ont  dit,  et 
que  réfute  suffisamment  la  dénéga- 
tion de  Walter  Scott,  ont  été  abusés 
par  une  double  homonymie,  celle  de 
mistriss  Scott  de  Wauchope,  née  Ru- 
therford,  qui  effectivement  a  publié 
des  poésies  de  sa  composition  )  ; 
mais  elle  était  l'admiratrice  et  l'amie 
de  cet  Allan  Ramsay,  vivant  réper- 
toire des  légendes  du  Border ,  et 
le  restaurateur  de  la  poésie  écossaise, 
l'auteur  d'une  pastorale  dont  nulle 
langue  ne  possède  l'équivalent.  Elle 
s'honorait  de  recevoir  le  pauvre  et 
sublime  Burns,  le  chantre  de  Tom 
O'Shanter^  le  peintre  du  Samedi 
soir,  dans  une  chaumière;  elle  cau- 
sait des  heures  entières  avec  l'aveu- 
gle Blacklock,  dont  l'enveloppe  bril- 
lait encore  moins  au  milieu  du  beau 
monde  que  celle  de  Burns.  Évidem- 
ment pour  éprouver  autant  d'attrait 
qu'en  éprouvait  la  mère  de  Scott 
pour  la  conversation  de  tous  ces 
poètes,  il  fallait  être  leur  sœur  en 
poésie.  Le  fils  hérita  de  ces  goûts,  et 


l'atmosphère  du  salon  maternel  dé- 
veloppa ce  germe  précieux  qu'il  ap- 
portait à  sa  naissance.  Le  séjour  à 
Sandyknow  y  fut  aussi  pour  beau- 
coup. Nous  avons  dit  qu'entre 
George's-Square  et  la  ferme  du  bon 
Robert  se  partagèrent  les  ébats  de 
la  première  enfance  de  Scott.  La 
rustique  demeure  était  dans  une 
situation  ravissante,  sur  une  hau- 
teur, à  peu  de  dislance  de  la  belle 
nappe  d'eau  dite  Leader-Water,  et 
dominait  presque  toute  la  vallée  de  la 
Tweed  ;  à  peu  de  distance  s'aper- 
cevait ,  bâtie  sur  un  roc ,  la  petite 
forteresse  de  Smailholm-Tower,  des- 
tinée dans  le  passé  à  protéger  la 
frontière,  et  riche  en  souvenirs  de 
guerre,  d'amour  et  de  magie.  Scott 
lui-même,  dans  l'introduction  au 
3"  chant  de  Marmion ,  raconte 
comme  quoi  «  ces  rochers  qui  s'éle- 
vaient dans  la  nue  et  cette  tour  de  la 
montagne  charmaient  l'éveil  de  son 
imagination  ;  »  comme  quoi  «  cette 
tour  chancelante  lui  semblait  le  plus 
grand  ouvrage  de  la  puissance  hu- 
maine;» comme  quoi,  «  bien  qu'il 
n'y  eût  là  ni  large  fleuve  qui  appelât 
la  muse  héroïque,  ni  bosquets  où 
soupirassent  des  brises  d'été ,  to 
prompt  of  love  a  softer  taie,  et  qu'à 
peine  un  humble  filet  d'eau  provo- 
quât l'hommage  du  chalumeau  d'un 
berger,  un  instinct  poétique  lui  fut 
donné  par  ces  vertes  collines,  par  ce 
ciel  clair  et  azuré,  etc.,  etc.  (4).  » 

(4)     Tlien  risp  ihose  crags,  that  moumain  lovrer 
Which  charmed  niy  f.iinj's  wakening  hour; 

puis  un  peu  plus  bas  : 

And  slill  I  thougbt  lliat  shaltei'd  lower 
Tbe  mightiest  woik  of  liuinan  power  ; 

et  en  remoataufc  de  quelques  lignes, 

Theugh  no  broad  river  swept  along 
To  claiiu  percbaiice  heroic  song, 
Thougli  sigli'd  110  groves  in  sinniiier  gal(s 
To  prompt  of  love  n  ^oftc^  laïc  , 
Tbougli  scarce  a  puny  slrcamlel's  spssd 
C.laim'd  bornage  froai  a  sbepbuid's  leeJ, 
Yel  was  poelic  iiiipulie  giveii 
B^  ihe  gieenhill  and  clear  Llue  heafcu. 


SCO 

Si  donc  l*enfant,  qu'on  avait  mis  Jà 
surtout  pour  fortifier  sa  santé  par 
l'air  pur  de  la  campagne,  ne  s'en 
trouva  pas  beaucoup  plus  vigoureux 
au  physique,  nui  doute  au  moins 
qu'il  n'en  soit  revenu  l'imagination 
plus  fleurie,  i'impressionnabilité  plus 
vive,  l'esprit  plus  ouvert.  Mais  tout 
cela  ne  pouvait  tenir  lieu  de  l'édu- 
cation du  collège,  et  bientôt  sonna 
pour   lui    l'heure    des   tribulations 
scolastiques.  11  fut  d'abord  mis  en 
pension  à  Musselbourg,  sur  la  côte,  à 
quelques  milles  seulement  d'Edim- 
bourg ;    puis ,   entre  huit  et    neuf 
ans,  il  entra  à  l'École-Supérieure  ou 
grand  collège  d'Edimbourg,  où  bril- 
laient alors  les  noms  des  Ruddiman, 
des  Grey  ,  des  Adam  ,  etc.   Fraser, 
sous  qui  Scott  passa  d'abord   deux 
ans,    était   un  des  plus  rudes  fla- 
gellants de    l'ancien   régime.   Rien 
n'indique  toutefois  qu'il  ait  souvent 
usé  de  son  système  sur  Scott  ^  mais 
il  paraissait  encore  plus  loin  d'être 
enthousiasmé,  soit  de  son  travail,  soit 
de  ses  dispositions  naissantes.  II  y 
avait  même  au  nombre  des  profes- 
seurs un  docteur  Paterson,  tout  cousu 
de  grec,  aux    yeux  duquel  Walter 
était  un  enfant  stupide,  vu  qu'il  avait 
osé  donner  à  l'Arioste  la  préférence 
sur  IIomère.Bîairfut  plus  clairvoyant, 
et  annonça  la  future  célébrité  de  celui 
qui,  pour  le  moment,  n'était  qu'un 
médiocre  écolier,  manquant  le  thè- 
me  et  s'entendant  mal  à  retourner 
le  vers  latin.  Toutefois,  il  sympathisa 
davantage  avec  ce  genre  d'enseigne- 
ment, quand,  après  avoir  deux  ans 
répété  le  rudiment  avec  Fraser  (car 
le  même  professeur  faisait  parcou- 
rir à  ses  élèves  toute  une  série  de 
classes),  il  eut  pour  maître  le  doc- 
leur   Alexandre  Adam,  l'auteur  des 
Anliquités   romaines  ,   si  connues. 
C'est  qu'Adam  ne  se  bornait  pas  à 


SCO 


461 


l'explication  sèche  des  auteurs  :  il 
l'assaisonnait    de    détails    sur    les 
mœurs  et  coutumes  des  anciens  5  ces 
détails,  il  les  donnait  avec  amour, 
avec  abondance  ;  il  avait  de  la  bon- 
homie   et   de    la  magie  de  Plutar- 
que  5  il  faisait  revivre  les  siècles,  les 
hommes  et  les  usages  dont  il  par- 
lait; antiquaire,  il  éveillait  en  Scott 
la  fibre  de  l'antiquaire.  Aussi  ses  pro- 
grès dans  cette  phase  de  son  éduca- 
tion scolaire  furent-ils  sensibles  ;  et, 
tandis  qu'auparavant  il  occupait  en 
moyenne    la  vingt-cinquième  place 
parmi  ses  condisciples,  sous  Adam  il 
était  classé  onzième.  Malgré  ce  suc- 
cès relatif,  la  véritable  éducation  de 
Scott  était  celle  qu'il  se  donnait  par 
lui-même  :  il  lisait  beaucoup  déjà,  et, 
doué  d'une  facile  et  forte  mémoire, 
il  se   meublait  ainsi  la  tête  d'une 
foule  de   connaissances  historiques 
ou  d'idées  parlant  à  l'iviiagination. 
II   cultivait  instinctivement  en   lui 
cette  faculté.  Un  de  ses  plaisirs  les 
plus  vifs  était  de  conter  et  d'enten- 
dre conter,  ce  qu'il  faisait  à  tour  de 
rôle,  lorsqu'il  avait  rencontré  un  ca- 
marade qui  partageât  son  goût  pour 
ce  genre  de  joute.  Il  en  eut  deux  de 
cette  espèce,  l'un  dont  il  nous  a  caché 
le  nom,  l'autre  J.  Leyden,  qui  mourut 
jeune  en  Inde,  après  avoir  publié  de 
magnifiques  poésies,appris  huit  ou  dix 
langues,  et  couru  des  aventures  mer- 
veilleuses. Son  talent  p»ur  la  narra- 
tion avait  fini  par  percer,  et  l'avait 
rendu  populaire  parmi  ses  camarades, 
qui  quelquefois,  pendant  les  heures 
de  récréation,  faisaient  cercle  autour 
de  lui,  écoutant  un  de  ces  beaux  con- 
tes qu'il  brodait  si  bien.  11  n'aimait 
guère  moins  les  exercices  du  corps, 
et  de  cette  façon  surtout  il  brillait , 
comme  il  le  dit,  beaucoup  plus  dans 
la  cour  que  dans  la  classe.  Toutes  les 
fois  qu'il  s'agissait  de  déployer  de  la 


{^? 


S€() 


sm 


force,  i\e   l'agilifr,  de  l'.iHrossp,  on 
«'•l.iit  sûr  (!<'  le  trouver  de  l.i  partie. 
Il  ne  manquait  p.is  une  des  batailles 
parfois  s;ingl.mtfs  (pie  se  iivriienf 
alors  ies  élèves  du  grand  eollège  et 
la  jeunesse  des  ruelles  et  des  fau- 
bourgs, conduite  par  rindoinptable 
Culottes  -  vertes  (  Green  -  breeches  ), 
(ju'un  jour  pourtant  les  aristocrati- 
(pies  amis    de    Walter,  substituant 
l'épée   aux  armes  ordinaires,    fail- 
lirent tuer.  W  marchait  les  neuf  pas 
sur  la  saillie  angul.iire  du  roc  qui 
soutient  le  château  d'Edimbourg  (5), 
et  il  fit  le  même  tour  de  force  sur  les 
rochers  ^VArthur's  Seat  ^  tous   ex- 
ploits fort  à  la  mode  parmi  les  jeunes 
écervelésde  l'époque,  et  sur  lesquels 
Scott  est  pins  tard  revenu  avec  com  - 
plaisance,  soit  dans  la  dernière  pré- 
face des  Waverley  Novels,  soit  lors- 
qu'il trace  le  caractère  de  l'opiniâtre 
Callum-beg ,  soit  lorsqu'il  décrit  le 
site  de  Muschat'sCairn  où  a  lieu  l'en- 
trevue  de  Robertson  et  JÎe  Jeanie- 
Deans.  On  ne  s'étonnera  pas  qu'avec 
ces  habitudes  et  avec  ses  notions  en- 
core un  peu  enfantines  de  la  chevale- 
rie et  de  la  vie  d'aventures  il  songeât 
à  embrasser   la  carrière  militaire  , 
d'autant  plus  qu'au  nombre   de  ses 
oncles  était  un  capitaine  Scott  dent 
plus  d'une   fois  les  récits  l'avaient 
charmé.  Byrou  aussi,  quinze  ans  plus 
tard,  devait  avoir  de  ces  pensées  en 
son  enfance,  mais  elles  se  colorèrent 
chez  lui  de  teintes  voyantes  et  ter- 
ribles: il  commandait  en  imagination 
de  graves  cavaliers  à  noires  armures, 
qu'il  nommait  par  anticipation  les 

(5)  Cela  s'appelait  kitlle  nine  steps  .-  killle 
fest  un  mot  intraduisible  spécialement  em- 
ployé pour  désigner  la  marche  du  chat, 
'moelleuse,  lesre  et  circonspecte.  Les  neuf 
pas  en  (piestion  devaient  se  faire  -mr  un 
étroit  ourlet  de  roc  occupé,  a  une  largeur 
de  main  près,  par  une  tour  qui  surplombe 
le  sol  à  une  effrayante  hauteur. 


hnuznrih  noirs  de  Byrnn.  Malheu- 
reusement pour  Scott,  (|uoi(pie  ses 
parents  penchassent  assez  à  le  laisser 
suivre  sa  fantaisie,  il  fallut  bien  se 
rendre  aux  observations  de  ceux  qui 
lui  déclarèrent  que,  pied-bot  comme 
il  l'était,  jamais  il  ne  serait  admis 
dans  les  rangs  de  l'armée.  Cette 
infirmité ,  nouveau  rapport  avec 
Byron,  provenait, suivant  les  uns,  des 
maladies  de  son  jeune  âge,  selon  les 
autres  de  ce  que  sa  nourrice  l'avait 
laissé  tomber  de  ses  bras  à  deux  ans. 
Ce  n'était  donc  pas  un  mal  de  nais- 
sance, et  Scott  ne  pouvait  pas  comme 
Byron  maudi  re  à  ce  proposia  pruderie 
de  sa  mère,  bien  que  comme  Byron  il 
pût  se  plaindre  d'être  vainement 
livré  aux  soins  des  Gavin-Wilson, 
des  Graham.  Elle  ne  l'empêchait  ni 
de  courir  ni  de  sauter,  ni,  comme 
ou  l'a  vu,  de  marcher  les  neuf  pas. 
Lors  donc  qu'il  entendit  l'arrêt 
prononcé  contre  ses  prétentions  à 
la  gloire  de  héros,  il  éprouva 
une  mortification  cruelle,  il  alla 
se  suspendre  par  les  poignets  au 
volet  de  la  fenêtre  de  sa  chambre 
à  coucher,  comme  Cervantes  nous  re- 
présente le  chevalier  de  la  Triste 
Figure  accroché  aux  volets  par  la 
perfide  Maritorne;  et  quand,  au  bout 
de  cinq  quarts  d'heure  ou  plus, 
l'ayant  découvert  dans  cette  gênante 
posture,  on  lui  demanda  ce  que  si- 
gnifiait cette  étrange  fantaisie  :  «  Cela 
signifie,  répondit-il,  que  si  Je  n'ai  pas 
lajambe,  j'ai  \ebrrrrasd\)n  soldat.» 
Ne  pouvant  donc  plus  se  bercer  de 
l'espoir  des  épaulettes  et  du  plumet, 
Scottcontinua  ses  éludes. et  del'Éco- 
le-Supérieure  il  passa,  n'ayant  que 
douze  ans  (1783),  à  l'Université oii  il 
devait  en  rester  trois.  Là,  ses  études 
furent  très-irrégulières,  parce  que  sa 
santé  très-délicate  l'obligeait  à  de  fré- 
quentes absences.  11  y  eut  un  moment 


SCO 

surtout  où  s'dtant  rompu  un  vaissfiu 
sanguin,  il  lut,  cliosecrtidl»*  jioiir  lui, 
condaïuno  par  l«  rnédeciu  à  ganlcr 
une  iujniobilité  absolue  et  le  silence. 
Celte  longue  sécjuestratiou  fut  une 
<Ies  e'poques  décisives  (Je  sa  vie.  C'est 
alors  que  son  goût  pour  la  lecture  ne 
trouvant  plus  de  contre- poids  dans 
la  possibilité  des  exercicrs   i^hysi- 
ques,  il  s'y  livra  sans  réserve.  Le  fa- 
meux cabinei  littéraire  fondé  par  Al- 
la n  Ramsay  fut  couiuie  un  océan  où 
il  se  plongea  du  matin  au  soir,  et  par- 
fois du  soiraunntin.  Romans,  pièces 
de  théâtre  ,  poèmes  ,    voyages ,  es- 
sais moraux  ,  tout  l'attirait  à   tour 
de  rôle.  Non-seulement  \e  Spectateur^ 
le  Jaseur,  le  Rôdeur,  le  Connais- 
seur, etc.,  etc.  lui  passèrent  sous  les 
yeux  ;  il  dévora  les  Amadis  ,  digéra 
>s  Cyrus  et  les  Cassandres.  L'Orient 
comme  l'Occident,  le  vieux  monde  et 
le  moyen  âge,  la  chevalerie  comme 
les  temps   modernes  passaient,    se 
pressaient  sous  ses  yeuv.  Une  telle 
consommation  d'œuvres  d'imagina- 
tion devait  avoir  pour  effet  de  déve- 
lopper en  lui  la  fibre  Imaginative, 
pour  peu  (ju'il  en  eût,  et  il  en  avait. 
Mais  il  en  résultait  un  inconvénient 
grave,  c'est  qu'il  s'habituait  à  ne  pas 
(lisiingucr  assez  sérieusement  le  fic- 
tif d'avec  le  réel,  et  le  romanesque 
d'avec    l'historique.     On    pourrait 
bien  en  signaler  un  autre,  c'est  que 
lisant  toujours  et  n'écrivant  jamais, 
toujours   passif    par  conséquent  et 
rarement  actif,  notre  jeune  glouton 
de  livres  ne    se  formait  point   un 
style,  et  ne  pouvait  savoir  ce  que 
C'est  que  composer.  L'art  de  la  corn- 
position  suppose  surtout  le  choix  et 
le  frein  :    or,  le  choix  ,    le  frein, 
voilà  surtout  ce  qui  manquait   aux 
études  toutes  volontaires,  toutes  so- 
litaires (lu  pauvre  malade.  Il  ne  faut 
pas  perdre  de  vue  cependant  que  par 


SCO 


ÂC,?, 


m  trait  tout  particulier  à  Scott,  ce 
n'est  pas  uniquement  la  liclion  qui 
le  captivait;  elle   ne   venait  même 
qu'en  seconde  ligne;  c'était  l'aspect 
historique  incorporé  à  la  fiction  et 
retrouvable   sous   la  fiel  ion  qui  le 
séduisait  principalement;  non  qu'il 
aimât  l'histoire  en  elle-même,  l'his- 
toire comme  histoire,  telle  que  nous 
nous  la  sommes  long -temps  figu- 
rée, consistant  surtout  en  faits  et 
en  dates.  Ainsi  réduite  à  l'état  de 
squelette,  l'histoire  était   pour  lui 
aride  et  repoussante  :  il  la  voulait  vi- 
vante et  formant  tableau.  Et  de  là  un 
peu  plus  tard  ses  prédilections  d'an- 
tiquaire: à  défaut  du  tout  vivant  que 
n'CODstitue  la  synthèse,  il  allait  du 
moins  cherchant  tantôt  le  principe 
de  vie,  tantôt  les  formes  extérieures 
encore  empreintes  de  vie  par  les- 
quelles ce  principe  se  manifeste.  Ce 
passage  de  la  lecture  pure  et  simple 
à  l'archéologie  ne  tarda  pas  à  se  ma- 
nifester chez  Scott.  Sitôt  qu'il  put 
être    regardé  comuie   en   convales- 
cence, il  dut,  par  ordre  du  médecin, 
aller  chercher  une  atmosphère  moins 
épaisse  que  celle  d'Edimbourg:  il  se 
rendit  auprès  de  son  oncle  le  capi- 
taine, qui  vivait  paisibleujeut  de  sa 
retraite  dans  les  délicieux  et  pitto- 
resques environs  de  Kelso.  Ce  res- 
pectable uiilitiire  n'avait  que  peu  de 
livres,  mais  le  pays,  indépendamment 
de  la  beauté  de  ses  sites,  avait  bon 
nombre  de  monuments  et  surtout  de 
souvenirs;  ici  les  ruines  de  l'abbaye 
de  Kelso,  là  la  place  de  l'ancienne 
ville  <le  Roxbourg, à  quelques  milles 
au-delà   les  abbayes    de    Jedbourg 
d'un  côté,  de  Melrose  de  l'autre, plus 
loin  encore  les  clochers  et  les  tou- 
relles des  Carrel  des  Douglas,  puis 
encore  le  château  de  Fleurs,   et  le 
beau  pont  sur  la  Tweed  au  point  où 
elle  reçoit  la  Teviot,  puis  enfin  l'ab- 


464 


SCO 


SCO 


l)aye  de  Dry  bourg,  le  terme  alors  de 
ses  pins  longs  pèlerinages,  terme 
qu'il  pouvait  atteindre  en  une  mati- 
née. Et  tous  ces  noms,  Roxbourg, 
Jedbourg,  Dryboing,  Kelso,MeIrose, 
les  Carr,  les  Douglas,  provoquaient 
de  sa  part  des  interrogations  sans  tin, 
auxquelles  les  vieilles  gens,  les  sub- 
alternes oisifs,  les  mendiants  no- 
mades avaient  toujours  des  re'ponses 
toutes  prêtes  ,  réponses  brodées  de 
bizarres  traditions,  de  merveilleuses 
légendes,  et  parfois  de  ballades.  La 
contrée  au  milieu  de  laquelle  s'évo- 
quaient ainsi  les  héros  et  les  événe- 
ments des  anciens  jours  s'harmo- 
niait  admirablement  à  ce  que  l'on 
contait,  et  par  elle-même  était  pleine 
de  charmes.  Les  hauteurs  de  Ruber- 
shaw  et  le  triple  sommet  des  co- 
teaux d'Eldon  semblaient  la  barrière 
d'un  champ  clos  où  tout  était  en- 
chantement et  délices,  La  Tweed  dé- 
roulait ses  eaux  capricieuses  au  mi- 
lieu d'une  valléeriche en  romantiques 
et  sauvages  aspects.  Non  loin  de  là 
était  le  village  d'Ednam,  patrie  de 
Thomson, et  au  pied  de  la  Hundilee, 
la  scène  du  bain  de  Musidore.  Il  y  a 
plus,  la  société  ne  manquait  pas  ab- 
solumentàWalter.AKelso  habitaient 
lesBallantyne,  parmi  lesquels  il  de- 
vait trouver  un  imprimeur  et  des 
relations  d'amitié  qui  furent  du- 
rables ;  et  non  loin  de  Kelso,  sa  patrie, 
vivait  une  mislressHenderson,  qua- 
keresse, qui  mit  k  sa  disposition  sa 
bibliothèque,  à  condition  qu'il  por- 
terait toujours  sur  lui  au  moins  un 
des  discours  de  la  Société  des  Amis. 
Scott  ne  se  convertit  point  pour  cela, 
mais  l'accueil  qu'il  avait  trouvé  dans 
cette  maison  grava  pour  toujours 
en  son  cœur  un  souvenir  gracieux  , 
témoin  les  riantes  et  paisibles  cou- 
leurs desquelles  il  a  peint  dans  Red- 
gauntlet  un  ultérieur  de  quakers, 


couleurs  si  douces  au  fond,  malgré 
une  légère  teinte  de  moquerie,  que 
les  adeptes  eux  mêmes  ne  sauraient, 
nous  ne  dirons  pas  s'en  fâcher,  il  est 
entendu  qu'ils  ne  se  fâchent  jamais, 
mais  lui  en  garder  rancune.  Cepen- 
dant, au  milieu  de  ces  distractions 
et  de  ces  études  vagabondes,  la  santé 
de  Scott  devint  enfin  ce  que  l'on 
voulait,  à  ceci  près  que  l'infirmité 
de  son  pied  lui  resta.  On  peut 
même  dire  qu'il  devint  robuste. 
Byron,  sans  être  un  Adonis,  tenait 
un  peu  de  l'Adonis  ;  Scott,  sans  être 
un  Hercule,  se  rapprochait  un  peu 
du  type  d'Hercule.  Il  était  de  haute 
taille.  Nous  avons  vu  un  échantillon 
de  sa  force  de  poignet.  H  aimait  l'é- 
quitation,  et  l'on  comprend  qu'il  fut 
meilleur  cavalier  que  marcheur.  Si- 
tôt que  son  père  le  vit  apte  à  sui- 
vre régulièrement  des  études,  sans 
l'envoyer  davantage  au  collège  rat- 
traper le  temps  perdu  et  s'appro- 
visionner de  ce  qui  lui  manquait 
évidemment  du  côté  du  latin  et  sur- 
tout du  grec,  il  le  jeta  vers  la  ju- 
risprudence, ou  pour  mieux  dire  dans 
la  cléricature,  car  tout  en  allant 
entendre  Dick  et  tel  autre  savant 
professeur  commenter  les  lois  civi- 
les, le  jeune  Scott  faisait  les  fonc- 
tions de  clerc  chez  son  père,  et  se 
familiarisait  avec  ce  qu'il  y  a  de  plus 
spécial,  de  plus  caractéristique  dans 
la  chicane.  Si  c'est  en  forgeant  qu'on 
devient  forgeron,  dans  une  contrée 
et  chez  une  race  processive ,  c'est 
en  transcrivant  des  actes  qu'on  ap- 
prend aies  rédiger,  en  les  rédigeant 
qu'on  arrive  à  posséder  la  science  des 
nullités  et  des  garanties,  des  délais 
et  des  mises  en  demeure,  des  excep- 
tions, des  provisions,  des  prescrip- 
tions, etc.  Walter  ne  sourcilla  point 
devant  ce  vocabulaire  que  tant  de 
jeunes    incompris  eussent  déclaré 


SCO 

ne  pas  vouloir  ou  ne  pas  pouvoir  com- 
prendre. II  sentait  que,  bien  que  pou- 
vant compter  sur  quelque  fortune  de 
ses  parents,  il  devait  en  attendre  de 
lui-même  le  complt^ment,  et  que  ce 
complément  il  ne  lai  lait  pas  le  deman- 
der à  l'imagination,  aux  rêves  poé- 
tiques et  à  sa  plume.  Et  pourtant, 
quoique  loin  alors  d'être  ce  qu'il  de- 
vint depuis,  il  y  avait  déjà  en  lui 
plus  d'instincts  poétiques ,  plus  de 
fantaisie  que  chez  beaucoup  de 
jeunes-France  ou  de  jeunes-Albion 
que  nous  avons  vus  décliner  toute 
occupation  matérielle  et  positive 
incompitibleavec  leur  génie...  Scott 
a  donné  plus  d'un  bel  exemple  aux 
artistes,  aux  écrivains  :  un  de  ceux 
qu'on  ne  saurait  trop  admirer  et  re- 
commander à  la  foule  des  jeunes 
gens ,  c'est  cette  parfaite  docilité 
avec  laquelle  il  se  soumit  aux  exi- 
gences de  sa  position,  aux  désirs  de 
ses  parents,  abandonnant  ou  suspen- 
dant, pour  les  reprendre  tout  au  plus 
aux  heures  de  récréation,  des  études 
pour  lesquelles  il  devait  avoir  cer- 
taine prédilection ,  et  les  sacri- 
fiant sans  hésiter  aux  poudreuses 
liasses  de  dossiers.  La  législation 
écossaise,  à  cette  époque,  était  un 
dédale  plus  inextricable  et  plus  ab- 
surde que  celle  de  l'Anglelerre.  Il 
fallait  donc  double  dose  de  courage 
à  notre  jeune  clerc.  Mais  bientôt  le 
travail  même  porta  en  lui  sa  récom- 
pense. Ce  qui  pour  d'autres  eût  été 
tout  simplement  aride  devint  pour 
Scott  une  source  de  jouissances.  La 
loi  écossaise  n'était  si  bizarre,  si  fa- 
vorable à  la  chicane  qu'à  cause  des 
vieux  usages  dont  elle  portait  la 
trace;  et  ces  usages  le  plus  souvent 
se  perdaient  dans  les  profondeurs  du 
moyen-âge,  ou  se  liaient  à  une  foule 
de  phénomènes  et  de  faits  curieux. 
L'ardeur  avec  laquelle  naguère  l'é- 

LXXXI. 


SCO 


465 


colier  cloué  au  lit  avait  dévoré  lé- 
gendes, fictions,vieux  chants  et  voya- 
ges ,  l'étudiant  en  procès  l'apportait 
maintenant  à  scruter  les  iusiilulions 
féodales,  les  privilèges,  les  coutumes 
des  anciens  jours,  les  vieux  dictons, 
tout  ce  qui  exhalait  un  parfum  de 
vieille  relique,  toutes  les  empreintes 
visibles  encore  des  civilisations  fos- 
siles. La  science  en  droit  y  gagnait 
quelque  chose,  mais  plus  encore  la 
science  de  ce  qu'avait  été  la  vie  an- 
cienne. Ce  n'était  pas  le  légiste,  c'é- 
tait le  curieux  de  vieilleries,  législa- 
tives ou  autres,  qui  butinait  apis 
matutinœ  more  modoque^  des  do- 
cuments dans  le  guêpier  de  Thémis. 
La  physionomie  toute  particulière 
de  l'Ecosse  à  cette  époque  ajou- 
tait à  la  portée  des  renseignements 
qu'il  récoltait  ainsi.  On  était  com- 
me sur  les  limites  de  deux  mondes, 
de  deux  ordres  de  pensées  tout  diffé- 
rents, l'un  qui  se  mourait ,  l'autre 
qui,  vivant  depuis  long-temps,  mais 
lent  à  faire  son  chemin,  était  enlin 
à  la  veille  d'un  plein  triomphe.  Les 
souvenirs  jacobites  n'étaient  désor- 
mais qu'une  ombre;  les  vieilles  idées 
de  clan  expiraient  ;  la  puissance  des 
chefs,  le  dévouement  de  leurs  hommes 
avaient  perdu  presque  toute  leur 
force  et  ne  gardaient  que  peu  de 
prestige,  sauf  à  l'extrême  nord;  les 
velléités  d'indépendance,  devenues 
brigandages  ou  contraventions,  dis- 
paraissaient devant  la  loi,  qui  chaque 
jour  gagnait  du  terrain.  11  restait  en- 
core assez  du  passé  pour  qu'un  esprit 
délié,  subtil,  flairât  la  piste  et  refît  le 
chemin  suivi  pendant  des  siècles  par 
les  générations;  il  n'en  restait  point 
assez  pour  que  ce  passé  se  perpétuât 
même  dans  ces  débris.  C'est  là  ce  qui 
frai»pait  le  jeune  clerc,  non-seule- 
ment lorsqu'il  feuilletait  les  vieux  et 
les  modernes  répertoires  du  droit, 

30 


m> 


SCO 


SCO 


rnflis  lorsqu'il  fallait  proc(^(ler,  instni 
ineiilrr.  Assez  souvent,  (piaF)d  il 
s'agissait  de  mettre  un  mandat  à 
exécution  sur  terres  nn  peu  loin- 
taines, un  peu  reculées,  le  magistrat 
ou  l'homme  d'aflaires  devait  prendre 
ses  précautions  comme  pour  une  pe- 
tite guerre.  Notre  jeune  clerc  lui- 
même,  un  jour,  pour  remplir  une 
formalité  légale  qui  devait  parfaire 
une  transaction  entre  les  Maclaren 
et  leurs  parties  adverses,  transaction 
convenue  à  l'avance  par  tous  les  in- 
téressés, n'y  procéda  qu'en  compagnie 
d'un  sergent  et  de  six  hommes  du 
régiment  en  garnison  à  Stirling, 
parce  que  les  Maclaren,  sans  refuser 
de  remplir  leurs  obligations, avaient 
déclaréqu'ils  ne  souifriraient  pas  que 
la  formalité  en  question  s'accomplît 
sur  leursterrestantqu'iis y  seraient. 
La  présence  d'un  suppôt  de  la  loi  tran- 
chant du  maître  chez  eux  leur  sem- 
blait un  outrage  à  leur  dignité.  N'en 
doutons  donc  pas,  ce  temps  qui  chez 
bien  d'autres  n'eût  été  véritablement 
passé  qu'à  creuser  un  sillon  dans 
l'ornière  de  la  routine  grossissait 
le  trésor  de  Walter  Scott  et  lui  ré- 
vélait plus  que  ses  lectures  pré- 
cédentes les  mystères  des  anciens 
jours,  les  raisons  d'être  grâce  aux- 
quelles tout  a  éié,  en  son  temps,  les 
ressorts  et  les  conditions  de  la  vie 
d'autrefois.  La  pratique  et  l'actualité 
ne  lui  étaient  pas  moins  utiles  :  le 
positif  des  affaires  à  suivre,  la  nature 
spéciale  de  chaque  procès,  les  noms 
propres  et  la  biographie  plus  ou 
moins  morcelée  de  ceux  pour  qui , 
contre  qui  ou  sur  qui  l'on  plaide, 
tout  cela  offrait  souvent  des  éléments 
romanesques,  et  cependant  corri- 
geait, par  le  fait  même  de  la  réa- 
lité, la  tendance  à  se  perdre  dans 
l'impossible,  si  fréquente  chez  les 
esprits  romanesques.  Ce  mélange  de 


réel  et  d'idéal,  nue  des   premières 
conditions  d'une  belle  œuvre  d'ima- 
gination, nulle  pari  peul-èlre  <>n  ne 
l'acquerra    plus     sûrement     qu'en 
voyant  de  près  comment  se  régissent 
les  affaires  humaines  :  respirez  un  an 
ou  deux  l'air  de  la  chancellerie  ,  des 
camps,  des  coulisses,  des  bureaux  et 
du  barreau,  pour  peu  qu'il  y  ait  en 
vous  verve  imaginative  et  conteuse, 
vous  conterez  et  imaginerez  beau- 
coup, mais  vos  imaginations  et  vos 
contes  se  joueront  dans  le  sens  de  la 
réalité.  Que  de  romans  inspirés  par 
les  Mémoires  de  l'Étoile,  de  Saint- 
Simon,   de   Bassompierre  ou  par  la 
Chronique   de    Froissart!    Que  de 
volumes   de    feuilletons    dans    les 
Causes  célèbres  ou  la  Gazette  des 
Tribunaux,  ou,  ce  qui  revient  au 
même,  dans  les  dossiers  et  les  sacs 
à  procès  !   Veut-on  avoir  la  preuve 
que  dès  ces  temps  même  les  incidents 
de  la  vie  procédurière  du  légiste  lui 
fournissaient  des  éléments  dont  plus 
tard  profiterait  le  romancier,  qu'on 
se  rappelle  les  scènes  si  plaisantes  de 
Redgauntlet,   oii  figure    le  pauvre 
Peter  Peebles,  et  surtout  l'instant 
auquel  il  montre  le  jeune  Allan  plai- 
dant pour  son  déplorable  client,  et 
gagnant,  à  la  grande  surprise  des  plus 
vieux  conseillers,  une  cause  réputée 
perdue  par  tout  le  barreau  d'Edim- 
bourg ;  eh  bien  !  et  le  fait  et  le  nom 
même  sont  réels.  La  cause  par  la- 
quelle Scott  débuta  au  barreau  en 
1792  fut  justement  celle  de  cet  in- 
décrottable Peebles ,   et   s'il-  ne   la 
gagna   complètement ,  s'il  brillante 
un  peu  son  rôle  en  s'idéalisant  sous 
le  nom  du  jeune  Kairford,  du  moins 
mit-il  l'affaire  en  bonne  voie.  Il  était 
alors  très-près  de  vingt-un  ans,  et 
il  y  en  avait  cinq  qu'il  se  préparait. 
Les  examens   qui  précédèrent   son 
admission  ne  furent  pas  sévères  \  et 


SCO 

k  en  juger  par  les  registres  de  la 
faculté  il  n'eut  pas  même  la  peine  de 
soutenir  de  thèse  sur  les  Pandectes , 
comme  c'était  généralement  l'usage  : 
il  en  fut  quitte  pour  la   harangue 
latine  que  les  récipiendaires  pronon- 
çaient en  présence  de  la  cour  réunie. 
Apres  quoi  il  prit  un  logement  dans 
Castle-Street ,  qui  passait  alors  pour- 
un  des  beaux  quartiers  de  la  ville, 
donna  de  sa  faconde  et  de  son  talent 
en  allai res  l'échantillon  dont  nous 
venons  de  parler,  puis  attendit  les 
clients.  Soit  qu'ils  n'abondassent  pas, 
soit  plutôt  qu'au  bout  de  quelques 
essais  il  ne   se  sentît  pas  cette  flui- 
dité de  paroles  et  cet  entrain,  celte 
chaleur,  cette  dextérité  de  discussion 
persuasive  sans  laquelle   un  avocat 
ne  s'élève  jamais  au-dessus  du  second 
rang,  soit  entin  que  ses  goûts  poé- 
tiques et  buissonniers  reprissent  le 
dessus,   et  qu'après  avoir   complu 
à  ses  parents  pour  le  choix  d'un 
état,  il  crût  le  temps  venu  de  faire 
ce  qui  lui  plaisait,.il   ne  plaida  que 
fort   peu,   et  presque  toujours  aux 
assises  provinciales  de  la  cour  cri- 
minelle.  Un   jour   pourtant   il    fut 
presque     éloquent ,    et    il    enleva 
les  suffrages  de  tout  son  auditoire, 
y  compris  les  magistrats,  en  rele- 
vant un  vice  de  forme  dans  le  ver- 
dict du  jury  :  il  y  mit  tant  de  véhé- 
mence et  coula  si  bien  à  fond  le  point 
de  droit  que  l'accusé  fut  acquitté. 
Mais  il  faut  l'avouer,  ces  moments 
furent  rares  dans  sa  courte  carrière 
d'avocat:  son  père,  brave  tabellion 
de  la  vieille  roche,  et  les  amis  de 
son  père,  hochaient  la  tête  en   le 
voyant  quitter   le  solide  pour   les 
brouillards    de    l'Hélicon  ,  et   pré- 
voyaient dans  leur  sagesse  qu'il  vé- 
géterait toujours^  ce  fut  bien  pis 
quand  le  vieux  wriler  to  the  signet 
étant  mort,  le  tils  abandonna  tout- 


SCO 


467 


à-lait  la  pratique  du   barreau.  Mais 
fort  positif  au  milieu  de  ses  rêves, 
Scott    avait    pris  de   bonne  heure 
la  résolution   d'arriver  à  un  poste 
judiciaire  ou   quasi -judiciaire   qui 
n'exigeât    pas     en    quelque     sorte 
tous  les  jours  exhibition   de    bril- 
lantes   facultés    et    lutte   acharnée 
dans  le   champ   clos   du   tribunal. 
Nous  le  verrons  atteindre  ce  but  en 
1799.  Kn  attendant,  de  front  avec  les 
travaux  de  sa  profession,  il  mena  ceux 
qui  devenaient  de  plus  en  plusde  son 
goût.Lebesoinde  composer  le  travail- 
lait à  son  insu.Mais,  chose  étonnante, 
ou  tout  au   moins  remarquable  !  il 
commença  par  des  vers.  Déjà,  anté- 
rieurement à  sa  réception  comme  avo- 
cat, il  en  avait,  à  ce  qu'il  paraît,  en- 
voyé quelques-uns    à    V Abeille    du 
docteur  Anderson,  car  on  y  trouve 
sous  la  rubrique  du  9  mai  1792  la 
mention  suivante:  «  L'éditeur  regrette 
que  les  vers  de  W.  S.  soient  trop  défec- 
tueux pour  être   publiés.  »  Suivant 
lui-même,  il  avait  éprouvé  à  l'École 
Supérieure  un  autre  mécompte  tou- 
jours à  propos  de  poésie  :  il  avait  com- 
posé une  dizaine  de  verssur  un  orage, 
et  ses  camarades,  ses  maîtres  même 
lesavaientassez  admirés, quand  tout- 
à-coup  la  femme  d'un  apothicaire  voi- 
sin déclara  qu'il  avait  copié  sa  pièce 
da[is  un  vieux  Magazine.  Ce  n'était 
pas  vrai,  mais  l'assertion  prit,  et  il 
en  ressentit  un  tel  dépit,  qu'il  jeta 
les  vers  au  feu  (6),  et  il  fut  quelques 


(6)  On  lit  dans  une  feuille  de  Greenock 
(juillet  1825  )  que  d'autres  vers  compo- 
sés à  i3  ans  par  Scott,  au  luomeut  où  il 
arrivait  daus  cotte  sauvage  et  romantique 
contrée  de  la  Tweed  qui  produisit  sur  sa  pen- 
sée tant  d'impressiou  ,  écliappcrent  aux 
flammes,  et  elle  les  douue  comme  autlieu- 
tiijues.  Les  voici,  bien  ei;itendu  que  uous 
ne  les  garantissons  pas  . 

Cheeiful  woke  the  inorn  o'er  rugged  Glencoi- 
Culessan  seem'cl  smiling 


30. 


468 


SCO 


SCO 


années  sans  essayer  un  Iw'mislirhe. 
Tel  était  son  peu  d'iiabitude^  que 
quand  la  corde  poétique  se  réveilla 
eu  lui,  II  crut  d'abord  que  la  lacilité 
matérielle  lui  manquait  absolument. 
Il  parcourait  un  jour  en  bateau  avec 
un  autre  gentleman  un  de  ces  beaux 
lacs  que  plus  qu'un  autre  il  a  con- 
tribué k  immortaliser.Les  deux  amis, 
d;ins  ces  hours  ofidleness,  imaginè- 
rent de  se  mettre  à  faire, chacun  deson 
côléjie  plus  de  vers  qu'ils  pourraient. 
Au  bout  de  trois  heures  environ  ils 
n'en  avaient  encore  fait  que  six  à  eux 
deux  ;  et  Walter  dit  k  son  camarade  : 
«  Je  vois  bien  que  nous  ne  saurions  ni 
l'un  ni  l'autre  gagner  notre  vie  k  ver- 
silierî»  Prophétie  bien  singulièrement 
démentie  quelques  années  après  !  Une 
des  occupations  surérogatoires  de 
Scott,  pendant  les  dernières  années 
de  son  noviciat, avait  été  d'apprendre 
l'allemand.  Un  article  lupar  Macken- 
zie  k  la  société  royale  d'Edimbourg 
en  1788  lui  avait  révélé  l'existence 
par  delà  le  Rhin  d'une  littérature 
toute  neuve,  riche,  sympathique  avec 
les  arcanes  du  moyen-âge  ;  et  comme 
d'autre  part  l'allemand  offre  plus  en- 
core de  rapports  avec  le  dialecte 
écossais  de  la  langue  anglaise  qu'avec 
le  pur  et  classique  anglais  même,  il 
entama  résolument  en  compagnie 
de  quelques  amis  l'élude  de  cet  idio- 
me, regimbant  du  reste  assez  sou- 
vent contre  leur  initiateur  commun, 
un  docteur  Willich,  qui  voulait  qu'on 
sût  la  grammaire  avant  d'aborder 
les  explications,  et  qui  pour  premier 


Âi'dgartan  L^guiling 
Sofily  muimur'd  Lochlong's  ruflled  wa?cs  bclow. 

Mac  Farlane's  lone  scat  lay  open    to  the  scène, 

Thp  cobbicr  wildly  glooniing, 

Its  base  «weetly  blnoming, 
The  berring-bussej  moor'd  on  the  sea-lakc  of  preen. 

Uow  sweei  to  behold  Ihee,  dear  part  of  our  Isie  ! 
Thy  mouiiiains  pieice  the  cloiids 
Witb  unnunibcr'd  fleecy  crowds, 

And  Iby  lochs  leeni  witb  wealtli  for  oui-  loil. 


ouvrage  à  traduire  mit  aux  mains  de 
ses é[è.\vs la  Mort  d' Abel.  Ileûl  voulu 
nager  lout  de  suite  en  plein  Kant  ou 
en  plein  Gœthe.Maisl'imperturbable 
instituteur  tint  bon,  et  force  fut  de 
patienter.  Du  reste,  on  riait  beaucoup 
k  ces  petites  conférences  ;  et  si  les 
progrès  furent  lents,  ils  furent  réels. 
Scott  comprenait  passablement  l'al- 
lemandleplusrelevé,leplusdifficile, 
quand  arriva  dans  la  capitale  de 
l'Ecosse  le  fameux  auteur  du  Moiney 
Lewis  qui,  ayant  une  connaissance 
profonde  de  la  littérature  allemande, 
avait  donné  des  ballades  imitées  de 
l'allemand  et  frappantes  par  l'ori- 
ginalité comme  par  le  mérite  du 
style,  des  scènes  et  des  peintures. 
Présenté  à  Lewis  par  lady  Charlotte 
Campbell ,  Scott  crut  qu'il  y  avait  de 
la  renommée  à  gagner  sur  les  traces 
de  cet  énergique  littérateur.  Loin  de 
lui  pour  le  talent  poétique,  c'est 
ainsi  qu'il  se  jugeait  lui-même,  il 
l'emportait  pour  la  richesseet  l'exac- 
titude du  répertoire  où  il  comptait 
puiser  idées  et  couleurs,  tableaux 
et  sentiments.  Il  prit  donc,  quelque 
étrange  que  cela  nous  paraisse,  la 
détermination  de  se  former  un  style 
sur  celui  de  Lewis.  Il  ne  lui  res- 
tait plus  qu'à  rencontrer  un  sujet 
qui  stimulât  sa  veine.  C'est  ce  qui  ne 
manqua  pas  ;  et  la  fameuse  ballade 
de  Lénore  en  eut  l'honneur.  Un  soir 
qu'il  était  chez  Dugald  Stewart  (1793 
ou  94), il  entendit  mistriss  Barbauld, 
alors  en  visite  k  Edimbourg;  lire  une 
traduction  en  vers  anglais  de  l'étran- 
ge œuvre  de  Bûrger.  L'impression 
produite  sur  lui  par  cette  composi- 
tion fut  prodigieuse:  il  n'eut  point 
de  repos  qu'il  n'eût  fait  venir  de 
Leipzig  le  volume  qui  la  contenait, 
et  une  fois  qu'il  l'eut  entre  les  mains, 
il  se  mit  involontairement  k  la  tra- 
duire, lui  aussi,  en  rimes  anglaises, 


i 


SCO 

et  il  ne  désempara  que  lorsqu'il  eut 
fini  sa  tâche  :  il  y  passa  la  nuit,  et 
plus  alerte  cette  fois,  sans  doute 
parce  qu'il  était  plus  inspiré  que  le 
jour  de  sa  promenade  sur  Teau,  il 
acheva  le  matin  avec  l'aurore  la 
66*  des  stances  commencées  la  veille 
après  souper.  II  ne  s'en  tint  pas  là, 
et  il  mit  encore  en  vers  anglais  quel- 
ques autres  morceaux  de  Biirger, 
notamment  le  Sauvage  chasseur. 
Assez  long-temps,  soit  à  cause  de  sa 
robe,  soit  crainte  du  grand  public, 
Walter  ne  laissa  courir  de  ces  essais 
que  des  copies  manuscrites  ;  mais  il 
est  dans  la  nature  du  poète  de  ne 
pouvoir  garder  long-temps  le  huis- 
clos,  et  Scott  céda,  sans  grande 
peine,  aux  sollicitations  de  ses  amis 
lettrés  ,  lesquels  l'engageaient  à 
lancer  son  ballon  d'essai.  Il  n'impri- 
ma pourtant  que  Lénore  et  le  Sau- 
vage chasseur  (sous  le  titre  de  la 
Chasseet  Guillaume  et  Hélène,  1796). 
Mais,  hélas  !  il  ne  retira  pas  ses  frais. 
Ayant  donné,  suivant  l'usage,  beau- 
coup d'exemplaires,  il  n'en  vendit 
que  quelques-uns;  le  reste  alla, 
commeilleconfesse  candidement  lui- 
même,  chez  le  layetier  doubler  des 
malles.  Il  ne  pouvait  guère  en  être  au- 
trement de  l'ouvrage  d'un  débutant, 
d'un  provincial,  d'un  intrus  qui  ve- 
nait en  robe  et  en  konnet  carré  chez 
les  Muses,  et  cela  au  moment  où  la 
place  était  inondée  de  traductions,  et 
où  Taylor  venait  de  faire  paraître, 
dans  le  Monthly  Magazine^  cette 
imitation  qui  avait  provoqué  celle 
de  Scott.  Aussi  cet  échec  ne  le  décou- 
ragea-t-il  pas.  Mais  d'autres  soins 
l'empêchèrent  de  le  réparer  immé- 
dialemant.  Pendant  les  quatre  ou 
cinq  ans  de  1790  à  1795,  le  contre- 
coup de  la  révolution  française  s'é- 
tait fait  vivement  sentir  en  Ecosse 
comme  en  Angleterre,  et  l'horizon 


SCO 


469 


politique  avait  été  chargé  de  nuages 
gros  de  tempêtes  !  Il  y  avait  eu  des 
clubs,  des  banquets  égalitaires,  des 
discours  contre  la  tyrannie  et  l'aris- 
tocratie, et  surtout  on  avait  parlé 
d'un  partage  plus  rationnel  du  sol  de 
la  patrie...  Mais  en  ce  moment  tout 
changeait;  le  ministère  anglais,  à  la 
veille  d'une  explosion  interne,  avait 
été  sauvé  par  ce  qui  aurait  pu  le  per- 
dre, l'imminence  d'une  invasion  de  ' 
la  part  de  la  France.  Il  avait  fait  re- 
tentir très  haut  cette  nouvelle  par  la 
grosse  caisse  du  Times,  et  tous  les 
échos  dans  la  presse  et  dans  les 
chambres  grossirent  encore  le  péril. 
Ce  fut  comme  un  révulsif!  l'irri- 
tation des  esprits  se  répercuta  sur 
un  autre  point:  on  ne  parla  plus 
que  d'indépendance  nationale  me- 
nacée; les  neutres,  les  tièdes,  se 
rallièrent  aux  chefs  du  gouverne- 
ment. Aux  préoccupations  de  li- 
berté se  substituèrent  celles  d'invio- 
labilité (\y\  pays  :  s'armer  et  veiller 
partout  où  un  débarquement  était 
possible ,  tel  fut  le  cri  de  la  popula- 
tion habilement  inquiétée.  La  tac- 
tique était  parfaite:  crier  «  Aux 
armes,  citoyens!»  c'était  toujours 
donner  pâture  à  ce  besoin  fébrile  et 
factice  d'émotions  qui  travaillait  les 
massesetqui  ne  pouvait  disparaître  en 
un  instant.  De  tous  côtés  se  multi- 
plièrent les  enrôlements  volontaires 
et  se  formèrent  des  milices.  Le  Midlo- 
thian  finit  par  avoir  la  sienne  à  l'in- 
star de  tant  d'autres  comtés,  et  natu- 
rellement les  gentlemen  ne  pouvant  se 
confondre  avec  la  tourbe  se  réunirent 
en  un  corps  de  cavalerie  (1797)  au- 
quel on  donna  le  nom  de  régiment. 
Walter-Scott,  dès-lors  tury  extrême- 
ment pronncé,  dut  à  la  protection  du 
duc  de  Buccleugh  d'en  être  nommé 
adjudant  ;  et  la  manière  dont  il  s'ac- 
quitta de  ses  devoirs  acheva  de  le 


470 


SCO 


mettre  dans  les  bonnes  pjraces  de  son 
noble  parent.  Il  sut  aussi  d'ailleurs 
se  faire  goûter  de  tout  le  monde  au 
régiment  :  il  était  d'humeur  facile, 
affable»  serviable  et  gai,  fort  bon 
écuyer  malgré  sa  jambe,  nous  l'avons 
dit,  et  alerte  officier  quoique  homme 
de  loi.  Toute  cette  popularité  n'em- 
pêcha pas  qu'ayant  voulu  trancher  du 
Tyrtée  ou  du  Rouget  de  Lille  en  com- 
posant un  Chant  de  guerre  de  la  ca- 
valerie de  Midlothian,  il  ne  réus- 
sit point  à  conquérir  les  suffrages 
comme  poète  :  au  contraire  même, 
à  ce  que  nous  assurent  des  témoins 
oculaires  très  amis  de  Scott,  les  of- 
ficiers firent  gorges  chaudes  de  la 
poésie  de  leur  camarade,  et  ils  en 
répétaient  les  vers  avec  des  in- 
flexions et  des  gestes  burlesques, 
qu'ils  accompagnaient  d'un  déluge 
de  quolibets  et  de  lazzi.  Les  mots 
Tohorse!  to  horse!  (7),  début 
de  sa  première  stance,  ne  se  pro- 
nonçaient plus  sans  exciter  un  rire 
malin.  Et  cependant  il  s'en  faut  de 
beaucoup  qu'il  y  ait  rien  de  ridi- 
cule dans  cette  pièce,  si  ce  n'est 
que  les  dangers  rimes  par  le  poète 
n'existèrent  que  dans  la  cervelle  des 
patriotes  écossais,  que  ses  batailles 
se  réduisirent  à  des  parades,  qu'il  y 
eut  encore  moins  de  coups  d'épée  sur 
les  rives  du  Frith-de-Forth  que  d'eau 
sous  le  pont  du  Mançanarès,  que 
MM.  les  gentlemen  riders  auraient 
aussi  bien  fait  d'aller  chasser  le  re- 
nard, et  que  le  poète,  qui  plus  tard 
aima  tant  les  épigraphes,  qu'il  en 
place  une,  ou  deux ,  ou  trois  en  tête 
de  chaque  chapitre  de  ses  romans, 
aurait  bien  pu  donner  pour  devise  à 
son  chant  de  guerre  cette  ligne  fa- 
meuse ,  «  Tant  tués  que  blessés,  per- 
sonne de  mort!  »  Que  des  imperti- 

(7)  A  cheval  !  à  cheval  ! 


SCO 

nonces,  plus  ou  moins  semblables 
à  celles-ci ,  aient  ou  non  frappé 
souvent  l'oreille  de  Scott,  il  était 
en  ce  même  moment  trop  occupé 
de  relations  plus  douces  pour  être 
très-sensible  à  ces  petits  mécomptes 
de  l'homme  de  lettres.  Il  recherchait 
la  main  d'une  jeune  Lyonnaise  émi- 
grée,  mademoiselle  Charpentier  (qui 
sous  la  plume  des  biographes  anglais, 
un  peu  trop  littéralement  copiés  par 
quelques-ims  des  nôtres,  s'est  trans- 
formée en  miss  Carpenter).  La  jeune 
personne  avait  alors  perdu  son  père 
et  se  trouvait  sous  la  tutelle  de  lord 
Downshire,  à  Gilsland,  dans  le  Cum- 
berland.  C'est  dire  qu'elle  était 
encore  en  deçà  de  ses  dix-huit  ans. 
Quoique  un  peu  pâle,  une  belle  peau, 
une  taille  svelte,  une  profusion  de 
cheveux  noirs,  les  grâces  et  la  viva- 
cité françaises  faisaient  de  la  jeune 
étrangère  le  point  de  mire  de  bien 
des  prétendants,  d'autant  plus  qu'elle 
joignait  à  ces  qualités  aimables 
10,000  francs  de  rente  qui  étaient  à 
elle  dès  ce  moment.  Si  épris  qu'il 
pût  être,  le  futur  n'était  point 
homme  à  négliger  ce  chapitre  in- 
téressant. Le  mariage  eut  lieu  à 
Carlislele24  décembre  1797.  Moins 
astreint  que  jamais  à  chercher  des 
causes  pour  vivre ,  Scott  com- 
mença bientôt  après  à  mener  la  vie 
qu'il  avait  rêvée.  Au  lieu  de  rester  à 
Edimbourg  pendant  les  vacances  du 
tribunal,  il  alla  les  passer  dans  une 
charmante  retraite  à  Lasswade  sur 
les  bordsde  l'Esk,  à  cinq  milles  de  la 
capitale.  Il  faisait  de  fréquentes 
tournées  dans  le  sud  de  l'Ecosse,  re- 
cueillant les  traditions,  les  prophé- 
ties, les  dictons,  les  ballades,  et  en- 
suite notant  les  sites,  explorant  les 
monuments,  analysant  les  mœurs,  et 
de  cette  façon  réunissant  encore 
mieux  que  par  ses  livres  et  par  le 


SCO 


SCO 


471 


coup  d*œil  fugitif  qu'il  jetait  sur  le 
monde  du  vasistas  de  son  étude,  les 
éléments  de  ses  futures  compositions. 
Un  de  ces  voyages  fut  fait  en  com- 
pagnie de  Stoddart  qui,  dans  ses  Re- 
marques  sur  les  paysages  et  les  cou- 
tumes de  l'Ecosse,  nous  a  dépeint 
sous  des  traits  enchanteurs  le  cot- 
tage de  Lasswade  et  conservé  de  cu- 
rieuses particularités  sur  l'excursion 
même.  Nous  y  lisons  entre  autres 
traits  inattendus  que,  si  le  seigneur 
du  lieu  lui  servait  de  cicérone   au 
milieu  de  contrées   comme  il   n'en 
avait  point   vu  et  de  mœurs  qu'il 
n'eût  point  comprises,  en  revanche 
il  l'initiait  lui,  fils  de  Londres,  au 
mouvement  de  la  littérature  britan- 
nique contemporaine  et  lui  révélait 
l'école   lakiste   dont  ,   jusqu'alors  , 
notre    Écossais    ignorait  le    nom  : 
ainsi  Byron  à  dix-huit  ans  ne  savait 
ce  que  c'était  qu'une  Revue!  Mais  le 
compagnon  de  voyage   habituel  de 
Scott  était  le  substitut  du  shérif  du 
comté,  un  M.  Shortreed  de  Jedburgh, 
qui   connaissait  à  fond  le  pays,  et 
qui  long-temps  resta  surpris  de  voir 
le  curieux  avocat  d'Edimbourg  lors- 
qu'il entendait  quelque  longue   lé- 
gende ou  ballade,  lorsqu'un  événe- 
ment ou  un  trait  de  mœurs  digne  de 
mention  arrivait  a  sa  connaissance, 
pratiquer  des  coches  de  formes  va- 
riées sur  de"  petits  morceaux  de  bois 
semblables  aux  tailles  des  boulan- 
gers, ou,  si  l'on  trouve  cette  assimi- 
lation triviale,  aux  runes  des  anciens 
Scandinaves:  c'étaient  autant  de  notes 
hiéroglyphiques  dont  lui  seul  avait 
le  sens,  comme  les  Péruviens  jadis 
avaient    celui   de  leurs  quipos  ^  et 
grâce  auxquelles,  sans  perdre  grand 
temps   et  sans  avoir  ni   crayon  ni 
plume  et  encre  sur  lui,  il  fixait  des 
données    fugitives    et    multipliées. 
Parfois  il  confiait  de  ces  tablettes 


aux  goussets  et  aux  poches  de  son 
ami  qui  finissait  par  en  avoir,  disait- 
il,  en  appliquant  ici  l'hémistiche  de 
Burns,    «  de  quoi  raccommoder  un 
moulin  (8).  «Nous  présumons  cepen- 
dant que  cette  algèbre  de  nouvelle 
espèce  n'avait  de  sens  pour  lui  que 
dans  un  laps  de  temps  très-court,  et 
que  le  soir  ou  le  lendemain  il  repor- 
tait sur  le  papier  ce  qu'il  avait  gros- 
sièrement mnémonisésurses  bâtons. 
Tout  en  amassant  ainsi  les  notions 
les  plus  détaillées  et  les  plus  profon- 
des sur  sa  terre  natale,  Scott  ne  né- 
gligeait    ni    l'allemand    ni    l'Alle- 
magne. C'est  ce  qu'on  put  voir  quand 
en  1799  il  publia  une  traduction  de 
cette  pièce  par  laquelle  Gœthe  appa- 
rut si  brillamment  sur  la  scène  dra- 
matique, Gœtz  de  Berlichingen.  Si 
de  tels  travaux  n'étaient  pas  de  ceux 
qui  pouvaient  donner  beaucoup  de 
poids  à  son  nom  parmi  les  sévères 
attorneys  et  les  membres  de  la  cour 
d'Edimbourg,  ils  n'empêchaient  pas 
que  les  recommandations  du  duc  de 
Buccleugh  et  l'appui  de  Dundas  ne 
lui  fissent  obtenir,  en  quelque  sorte 
comme  étrennes  (au  mois  de  décem- 
bre  1799  ),   le  titre    de   shérif  du 
comté  de  Selkirk ,  accompagné  de 
7,500  francs  d'appointements.  Le  ciel 
nous  préserve  de  dire  qu'un  emploi 
rétribué  de  cette  façon  était  une  siné- 
cure !  Mais  il  est  du  moins  permis  de 
répéter  après  et  d'après  les  anns  de 
Walter  Scott  que  les  fonctions  de  sa 
charge  n'étaient  pas  écrasantes.  Il  les 
accomplissait  toutes  consciencieuse- 
ment, nous  en  sommes  convaincu  : 
mais   quand  toutes  étaient  accom- 
plies, il  lui  restait  bien   encore  les 
trois  quarts  de  son  temps  pour  se 
livrer  aux  distractions  archéologi- 


(8)  Might  \ià\e  uieodt'd  a  mill. 


172 


SCO 


ques  et  littéraires  qu'il  préférait  à 
toutes  les  autres,  et  dont  il  semble 
qu'à  celte  époque  le  goût  croissait 
chez  lui  d'année  en  année.  C'est  à  ce 
moment  où  le  siècle  des  Walpole  et 
des  Akenside  allait  céder  I4  place  au 
nôtre  que  Scott  devenait  antiquaire 
dans  l'acception  littérale  du  mot,  et 
se  mettait  k  explorer  les  magasins  de 
bric-à-brac  et  les  arrière-boutiques 
des  bouquinistes  Nous  ne  le  suivrons 
pas  dans  ses  allées  et  venues,  dans 
ses  chasses  aux  médailles  et  aux  po- 
teries ébréchées,  dans  ses  colloques 
avec  les  détenteurs  de  manuscrits  et 
d'éditions  rares,  d'autographes  et  de 
vieilles  complaintes.  Si  l'on  veut 
voir  tracé  de  main  de  maître  le  por- 
trait de  Scott,  comme  curieux  et 
comme  fureteur,  on  n'a  qu'à  lire 
dans  le  premier  tome  de  V Antiquaire 
tout  ce  que  Pauteur  y  dit  du  vieil 
Oldbuck:  pas  un  coup  de  pinceau 
qui  ne  soit  exact,  exact  sans  carica- 
ture. C'est  aussi  vers  cette  période 
de  sa  vie  qu'il  commença  ses  rêves, 
très-modestes  d'abord  ,  sur  Abbots- 
f'ord,  qu'il  n'avait  pas  encore  à  lui, 
mais  qu'il  voyait  de  ses  fenêtres. 
Obligé  par  sa  nouvelle  place  de 
résider  au  moins  une  partie  de 
l'année  dans  le  comté  de  Selkirk  , 
il  avait  été  se  fixer  au  manoir 
d'Ashesteil  près  du  confluent  de  la 
Yarrow  avec  la  Tweed  et  l'Ettrick,  à 
peu  de  distance  de  ia  ville  de  Sel- 
kirk. Sur  la  rive  opposée  était  au 
milieu  de  ses  pauvres  domaines, 
comme  il  les  nommait,  un  ancien 
château  délabré  auquel  sans  doute 
la  résidence  d'un  abbé  jointe  au  voi- 
sinage d'un  gué  commode  (double 
souvenir  qu'il  a  glissé  dans  le  Mona- 
stère) avait  valu  autrefois  le  nom 
d'Abbotsford(9).    Il  se   pritdeten- 


(())  On  dit  puurljut  qu'Abbotsfoid  est  un 


SCO 

dresse   pour   ce    vénérable  débris , 
qui  d'ailleurs  avait  le  mérite  d'être 
à  lui,  et  il  résolut  de  le   remettre 
un  jour  en  état.  Mais  auparavant  il 
était  nécessaire  de  battre  monnaie, 
ce  qui  ne  pouvait  se  faire  qu'en  ob- 
tenant un  autre  poste  plus  lucratif 
que   son  humble  shérifat  ou  qu'en 
découvrant  un  filon  argentifère  sous 
les  sables  de  la  littérature.  Sous  l'un 
comme  sous  l'autre  rapport,  bientôt 
il  devait  être  servi  à  souhait;  mais 
force  fut  d'attendre  encore  un  peu. 
En  1800  parurent  les  Histoires  mer- 
veilleuses (Taies  of  the  wonder)  de 
Lewis;  et  de  ces  récits  en  vers,  deux 
avaient  été  fournis  par  Scott,  la  Veille 
de  la  Saint' Jean  et  GlenfUas.  Mais 
le  livre  n'eut  pas  tout  le  retentisse- 
ment sur  lequel  on  comptait;  et  les 
deux  morceaux  poétiques  de  Scott, 
quoique  remarqués  de  quelques  juges 
compétents  et  impartiaux,  ne  lui  va- 
lurent que  de  tièdes  approbations. 
Nul  son  de  trompe  n'avait  à  l'avance 
proclamé  son  nom  :  les  lecteurs  an- 
glais ne  pouvaient  de  prirne-abord 
sauter  aux  vers  écrits  par  un  Écossais: 
et  tant  de  noms  fameux  venaient 
avant  et  après  lui  dans  ce  recueil 
bigarré,  que  le  sien  en  était  dans  le 
cône  d'ombre.  Il  eut  plus  de  chance 
deux  ans  après,  lorsque,  réunissant 
en  un  même  corps  d'ouyragetoutce 
que  lui  avaient  fourni  de  précis  et 


nom  (le  l'invention  deVV:ilter  Scott,  du  riioius 
comme  tjom  du  lieu  qu'il  a  rendu  si  ccièlire 
en  l'haljitant.  Le  noyau  de  ses  propricfésen 
ces  parages  fut  une  ferme  dite  Cartley-Hole, 
qu'il  acheta  du  D""  Douglas,  ministre  de  la 
paroisse  de  Galashiel.Au  basdes  terres  coule 
la  Tweed,  remarquable  en  cet  endroit  p.'.r 
un  gué  ;  et  comme  l'abbaye  de  Melrose  est 
là  tout  près  de  l'antre  côté  du  fleuve,  l'ima- 
gination de  Scott  vit  là  le  gué  de  l'abbé  et 
son  domaine  devint  la  terre  du  gué  de  l'ahbé. 
— -  Abbotsford  est  à  3  kilomètres  de  Mcl- 
robe,  petite  ville  du  coraiô  de  Roxbouig, 
elle-raérae  à  5  kilomètres  d'Edimbourg. 


SCO 


SCO 


473 


d'intéressant  ses  minutieuses  recher- 
ches sur  le  Border,  ses  lectures  et  ses 
pc'régrinations,  il  publiasousle  titre 
de  Chants  des  ménestrels  de  la  fron- 
tière écossaise   (Minstrelsy,  etc.), 
trois  volumes  de  prose  et  de  vers,  de 
traditions  et  de  réflexions,  d'éthique 
et  d'histoire,  d'œuvres  anciennes  et 
d'imitations  modernes,  dont  le  titre 
indique  suffisamment    le  sujet.  On 
reconnut,  en  Ecosse  surtout,  que 
cetle  publication  décelait  une  con- 
naissance   approfondie   de  tout  ce 
qui  regarde  ce  pays  et  que  l'auteur 
avait  groupé  une  multitude  de  faits 
qui  s'illuminaient  mutuellement ,  et 
dont    la   plupart   n'étaient  connus 
que  d'un  petit  nombre  de  curieux. 
Il  figurait  lui- même   comme    mé- 
nestrel dans   cette  longue  galerie, 
car  il  n'avait  point  oublié  d'y  réim- 
primer sa    Marseillaise   des   cava- 
liers de  Middiothian.  Somme  toute, 
Scott,  par  sa  Minstrelsy^  prit  rang 
parmi   les  lettrés   et  les  archéolo- 
gues   en   réputation   d'Aberdeen  à 
Glasgow,  et  dont  le  nom  n'était  pas 
absolument  ignoré  à  Londres.  Tou- 
tefois   ce    n'était  là    qu'un   succès 
d'estime.    Cependant,   il    se  sentit 
assez  encouragé  pour  faire  un  pas 
de  plus.  Il  y  avait  dans  la  biblio- 
thèque   des    avocats    d'Edimbourg 
un  manuscrit    unique   au    monde , 
contenant  le   roman  ou    poème  de 
sirTristremdeThomarsd'Ercildoune, 
vulgairement  dit  Thomas-le-Rimeur. 
Ce  poème,  le  plus  ancien  monument 
de  la  poésie  écossaise,  est  le  fond  de 
notre  Tristan  de  Léonais,  mais  il  est 
infiniment  plus  court,  et  nul  doute 
aussi  qu'il  ne  l'ait  précédé.     Scott 
en  publia  une  analyse  sous  le  titre 
de  Précis  de  Vhistoire  de  sir  Tris- 
<rem  (1804),  et  comme  avec  lastance 
xcv  du  chant  troisième  le  manuscrit 
déchiré  laissait  les  lecteurs  en  sus- 


pens, il  ajouta  une  conclusion  dans 
laquelle  il  a  imité  le  vieux  langage 
et  l'extrême  concision  de  Thomas-le- 
Rimeur  avec    un  bonheur  extraor- 
dinaire.   Chatterton    n'a    pas    fait 
mieux  dans  ses  imitations  du  vieux 
Rowley,  ou  plutôt,  s'il  faut  tout  dire, 
Chatterton  a  fait  moins  bien,  car  il 
n'a  guère  saisi  que  le  langage  et  la 
forme  extérieure  du  vieux  temps,  il  ne 
s'en  était  point  assimilé  à  fond  l'es- 
prit; le  XVni«  siècle  paraît  souvent 
chez  lui.  Scott  est  plus  maître  de  lui, 
et  d'ailleurs  il  connaissait  plus  inti- 
mement ce  qu'il  voulait  simuler:  et 
comment  s'en  étonner?  il  avait  deux 
fois  l'âge  du  pauvre  écolier  de  Bris- 
tol ,  et  il  appartenait  à  un  pays  où 
tout  est  plus  caractérisé  qu'en  An- 
gleterre.   Le    public   cepcfidant   ne 
s'intéressa  que  médiocrement  à  la 
nouvelle  production  de  notre  auteur, 
et  eut  presque  l'air  de  ne  pas  la  com- 
prendre. Le  petit  poème  dont  il  l'ac- 
compagna, et  qui  tout  entier  était  de 
sa  composition,  Thomas-le-Rimeur, 
passa  de  même  presque  inaperçu.  Il 
n'en    est   que   plus  surprenant    de 
voir   avec   combien    de    laveur  fut 
accueilli  l'année  suivante  le  Lai  du 
dernier  ménestreL  Sans  contredit  il 
y  a  là  bien  autrement  de  talent  que 
dans  tout  ce  que  l'auteur  avait  donné 
jusqu'alors.    Désormais    il    a   cessé 
d'être  traducteur,  imitateur,  compi- 
lateur :  voici  un  ouvrage  tout  en- 
tier de  lui  ,  qui  est  presque  de  lon- 
gue  haleine  ,  sans  être  trop    long 
(il  n'a  que  six  chants).  La  forme  est 
celle  du  vieux  roman    en   vers,  le 
rhythme  peut    changer    et  tour-à- 
tour  avoir  l'allure   héroïque  ou  fa- 
milière. Jamais  d'emphase  dans  le 
style,  du  merveilleux  en   très-forte 
proportion  ,   mais    un    merveilleux 
qui    s'harnionje    à     des   croyances 
populaires   dont     les    traces    sont 


474 


SCO 


SCO 


vivantes  encore,  et  des  nuances 
dVsprit  moderne  parfaitement  jus- 
tifie'es  par  le  cadre  qu'a  choisi  le 
poète.  En  effet,  dans  qnelle  bouche 
place-t-il  son  récJt  ?  dans  celle  d'un 
vieux  me'nestrel,  le  dernier  de  la  ra- 
ce, cfu'il  suppose  avoir  survécu  h  la 
révolution  dont  fut  témoin  son  en- 
fance. Sa  manière  d'ailleurs,  tout  en 
reproduisant  avec  une  certaine  fidé- 
lité les  façons  et  !a  physionomie  anti- 
ques ,  rappelle  celle  des  Lakistes  qui 
étaient  toujours  à  la  mode  en  pro- 
vince, et  qui  comptaient  encore  en 
poésie.  C'étaient  sans  doute  des 
éléments  de  succès.  Cependant  y 
a-t-il  là  de  quoi  expliquer  tout  le 
succès  ?  Nous  sommés  tenté  de 
croire  que  non.  Il  nous  semble 
que  Scott  apparaissant  pour  la  pre- 
mière fois  sur  la  scène  littéraire 
armé  de  son  Lai  du  dernier  mé- 
nestrel n'eût  pas  trouvé  la  popu- 
larité qui  cette  fois  récompensa  son 
travail.  C'est  que  ses  publications 
précédentes,  malgré  leur  peude  re- 
tentissement, avaient  préparé  le  pu- 
blic à  l'entendre  :  il  avait  familiarisé 
d'avance  Ecosse  et  Anp^leterre  à  ce 
dont  il  comptait  les  entretenir  :  ce 
n'est  pas  son  éducation  à  lui  seul  qu'il 
avait  faite  parde^rés,c'étaitaussi  celle 
de  ses  amis  et  entours,  c'était  aussi 
celle  de  ses  compatriotes  et  de  ses 
voisins.  Nous  verrons  plus  tard  com- 
bien en  général  les  introductions  de 
Walter  Scott  sont  longues  et  ternes: 
eh  bien,  il  en  fut  de  sa  fortune  litté- 
raire comme  de  ses  romans  :  les  pre- 
miers échelons  n'annoncent  rien 
d'éclatant  et  d'extraordinaire  ,  au 
contraire;  et  pourtant  c'étaient  des 
assises  solides,  en  quelque  sorte 
des  pilotis  cachés  dans  l'eau  et  du 
milieu  desquels  devait  enfin  sur- 
gir aux  yeux  de  tous  un  édifice  in- 
submersible. Inscrit  nomen  famœ , 


cette  spirituelle  expression  de  Tacite 
semble  avoir  été  créée  pour  les  gens 
qui  vont  à  la  e:Ioire  par  le  procédé 
Scott.  On  vt'ndit  dans  l'espace  de 
quelques  mois  deux  mille  exem- 
plaires in  4°  ,et  six  millo  exemplai- 
res in -8"  du  Dernier  méne!(trel^  ce.  qui 
produisait  presque  200,000  francs , 
et  la  vogue  ne  se  ralentit  pas  , 
puisque  douze  autres  éditions  se 
succédèrent  en  huit  ans  (la  13^  in- 
8°  est  de  1812).  A  coup  sûr,  c'était  là 
une  vente  prodigieuse  pour  le  temps, 
et  pour  un  ouvrage  sortant  des  pres- 
ses d'Edimbourg,  nous  ajouterions 
volontiers  «  et  pour  un  poème,  » 
surtout  en  songeant  que  ce  poème  ne 
roulait  sur  rien  de  moderne.  Aussi 
à  partir  du  Dernier  ménestrel,  les  li- 
braires eurent-ils  les  yeux  fixés  sur 
Walter  Scott,  et  son  nom  fut  un  de 
ceux  qui  peuvent  servir  de  passe-port 
à  tout  ce  qu'on  veut,  et  même  à  des 
compilations  qui  n'ont  rien  de  com- 
mun avec  les  œuvres  d'art.  Il  usa  de 
ce  privilège  prudemment,  c'est- 
à-dire  qu'il  attendit  trois  ans  encore, 
et  que,  lorsqu'il  crut  le  moment  ve- 
nu, il  entremêla  toujours  avec  l'ou- 
vrage de  pacotille  la  composition 
qui  devait  ajouter  à  ses  titres  de 
poète  ou  d'artiste.  Ainsi,  ses  Ballades 
et  Pièces  lyriques  virent  le  jour  en 
1806,  ses  OEuvres  poétiques  {5  vol.  in- 
8o)  où  à  beaucoup  de  morceaux  con- 
nus s'en  trouvaient  joints  plusieurs 
tout-à-fait  inédits  parurent  dès  1806; 
et  1807  fut  absorbé  par  la  composi- 
tion de  Marmion,  qui  vit  le  jour  en 
1808,  et  qu'accueillit  une  triple  salve 
d'applaudissements ,  avec  lesquels 
tranchaient  à  peine,  soit  les  lignes 
satiriques,  soit  qiielques  lazzi  équi- 
voques de  Byron  (10).  Si  cette  même 


(lo)  Dau!)  ces  vers  à  peu  près  iutradrii- 


I 


SCO 


SCO 


475 


année  1808  il  laissa  placer  son  nom  en 
tète  d'une  réimpression  des  OEuvres 
complètes  de  Dryden ,  auxquelles, 
il  ajouta  la  vie  de  l'auteur  et   des 
notes,  si  les  Mémoires  du  capitaine 
Georges   Carleton    et    l'édition  de 
la  Reine  Hoo-Hall,  de  Strutt,  re- 
montent pareillementà  1808,  en  1808 
aussi  parut   le  drame  des   Anciens 
temps,  et, il  faut  remarquer  que  Strutt 
ayant  laissé  son  roman  inachevé  Jes 
derniers  chapitres  furent  écrits  par 
notre   auteur.  S'il   participait  à   la 
rédaction  de  IdQuarterly  Rewiewei 
de  VEdinburgh  Review,  et  s'il  four- 
nissait des  chapitres   historiques  à 
V Ànnual  Register  de  1808,  si  nous  le 
trouvons  éditeur  des  Traites  delord 
Somers  en  1809,  si  en  1810  il  donne 
les  Pièces  et  documents  officiels,  de 
sir  Ralph  Sadier  (avec  Ciifford),  et 
les  M ém.  désir  Robert  Cary ^  si  en- 
fin il  paie  un  dernier  tributaux mânes 
de  la  spirituelle  Anna  Seward,  en  soi- 
gnant l'édition  de  ses    OEuvres  poé- 
tiques ,  si  l'on    ne   veut  voir  dans 
V Iconographie  illustrée  du  Lai  du 
dernier  ménestrel  {iS0S,m-4c'')  qu'un 
travail  matériel,  tout  aussi  peu  lit- 
téraire que  des   notes,  la  Dame  du 
lac,  en   1810  même,  vint  protes- 
ter   contre    ceux   qui    auraient  pu 
supposer  qu'il  s'endormait  sur  ses 
lauriers,  et,   sans   avoir   autant  de 
débit  que  le  Lai,  obtint  encore  plus 
de  popularité  :   imitée,  dramatisée, 
découpée  en  romances,  citée  par  ex- 
traits, on  la  mil  en  musique,  on  en 
donna  le  nom  k  des  robes,  à  des  cha- 
peaux.  Deux  autres  [^ùcmes,  la  Vi- 


sibles sur  les  nouvelles  littéraires  du  jour: 

Pretty  miss  Jacqueline 
lliis  a  nose  nquilin« 
And  would  as»erl  rude 
Tliiiigs  of  mis!>  Gerlriide; 
Wbile  Scott  and  Rlarmiun 
Shall  le.id  an  arniy  on 
And  will   Rt'liama  look 
l.iku  a  tivii't;  Mamcliike. 


sion  de  Rodrigue  et  Rokeby,  se  suc- 
cédèrent en  1811  et  1813, et  précédè- 
rent l'édition  des  OEuvres  de  Swift, 
qui,  dans  la  même  année,  fut  suivie 
du  Lord  des  Iles.  Ces  compositions 
nouvelles  étaient-elles  de  nouveaux 
fleurons  à  la  couronne  de  Scott,  ou 
bien  décelaient-elles  la  décadence? 
justifiaient-elles  l'enthousiasme   de 
quelques-uns  de  ses   fervents  admi- 
rateurs ,  ou  bien  l'homme  de  goût 
devait-il  faire  chorus  avec  les  nom- 
breuses   parodies    et   bouffonnerie^ 
des  poètes  populaires  tant  hors  du 
théâtre  qu'au  théâtre  ?(ll)Nt)US  y  re- 
viendrons. Mais  d'abord  notons  que 
la  parodie  ne  s'adresse  qu'au  succès 
et  à  la  célébrité.  Le  succès,  il  aug- 
mentait encore,  et  c'est  lors  de  la 
publication  de  Rokeby  que  Scott  en 
vit  l'apogée  pour  sa  poésie.  Il  fut 
vendu    de  cet   ouvrage  huit    mille 
exemplaires  en  trois  mois(240,000fr.); 
il  s'en  écoula  encore  de  sept  à  huit 
mille  depuis,  et  l'on  citait  prover- 
bialement alors   le    poète    écossais 
comme  celui  auquel  ses  vers  avaient 
valu  les  profits  les   plus  fabuleux. 
Bientôt,  il  est  vrai,  cette  gloire  de- 
vait passer  à  l'auteur  de  Childe~Ha- 
roîd  (12) ,    mais    alors     et    même 
quatre  ou  cinq  ans  après ,  quoique 
Childe-Harold  et  bien  d'autres  su- 
blimes boutades  du  seigneur  de  New- 
stead  eussent  vu  le  jour,  c'était  en- 
core le  portefeuille  de  Scott  qui  était 
le  plus  reçu.  A  cette  époque,  dureste, 


(ir)  On  compterait  peut-être  vingt  pa- 
rodies faites  sur  les  œuvres  poétiques  de 
Scott;  et  Colman  le  jeiiuc  lui-même  lui 
administrait  le  coup  de  patte. 

Haru  of  the  Pats,  tliat  roilliig  long  lias  lahi 
In  thf  dai'k  bossoni  of  S.iint-Allan's  bojf. 
Will  nobody  be  gÏTing   you  a  jog. 

(12)  Eu  ne  considérant  que  les  succès  de 
Scott  comme  poète,  car,  par  .sesrofu^nis,  par 
ses  éditions,  il  recueillit  certes  iufiuimcnt 
plus  que  lord  pyron. 


476 


SCO 


il  y  avait  long-temps  que  les  profits 
de  ses  œuvres  littéraires  ne  ligu- 
raient  que  pour  la  plus  faible  partie 
dans  son  budget  des  receltes.  Tou- 
jours patroué  par  le  duc  de  Buc- 
cleugh,  il  avait  ;ijouté  à  son  shérifat, 
en  1806,  la  charge  de  greffier  en 
chef  à  la  cour  des  sessions.  Ce  titre, 
qui  n'a  rien  de  retentissant,  donnait 
pourtant  bon  an,  mal  an,  à  l'heureux 
titulaire,  qui  en  encaissait  réellement 
les  émoluments,  au  moins  40,000  fr., 
et  par  la  suite  il  produisit  des  re- 
venus peut-être  triples  ou  quadru- 
ples. La  nomination  de  Scott  à  cette 
place  lucrative  fut  un  des  derniers 
actes  du  troisième  et  dernier  mini- 
stère de  Pitt,  qui  nous  semble  bien 
lin  peu  avoir  ici  récompensé  le  tory 
déterminé, mais qiii,s'il  fint  en  croire 
les  paroles  qu'on  lui  prèle,  ne  vit  en 
cette  occurrence  que  l'homme  de  let- 
tres et  Tauteur  du  Lai  du  dernier 
ménestrel.  Toutefois  la  nomination 
n'était  point  encore  expédiée,  quoi- 
que Georges  111  l'eût  signée, lui  aussi, 
en  manifestant  comme  son  ministre 
le  plaisir  qu'il  éprouvait  à  donner  ce 
témoignage  de  son  estime  à  un 
homme  de  génie;  mais  Scott  n'avait 
point  acquitté  les  droits,  et  dès  lors 
ne  pouvait  encore  avoir  en  poche  le 
royal  warrant,  quand  tout  à  coup  la 
mort  du  célèbre  lord  de  la  tréso- 
rerie amena  la  dissolution  du  cabi- 
net. Heureusement  Fox,  en  arrivant 
aux  affaires,  ne  voulut  point  mettre 
obstacle  à  l'avancement  d'un  écri- 
vain pour  lequel  il  avait  plus  d'une 
fois  marqué  de  l'admiration;  et  le 
numéro  de  la  Gazette  qui  annonça 
les  nominations  d'Erskine  et  de 
Clerk  aux  postes,  l'un  d'avocat-gé- 
néral, l'autre  de  solliciteur-général 
(8  mars  18U6),  contenait  aussi  la 
mention  officielle  de  l'élévation  de 
Holre  auteur.  Ainsi  Tou  peut  dire 


SCO 

que  whigs  et  tories  coopérèrent 
à  sa  nouvelle  situation ,  et  que 
deux  opinions  toujours  hostiles  fu- 
rent unanimes  sur  son  compte.  A 
vrai  dire,  cependant,  ce  que  lit  Fox 
en  cette  occasion  ne  fut  qu'une  for- 
malité :  c'eût  été  une  énormité  que 
de  revenir  sur  un  acte  consommé, 
quoique  non  porté  au  journal  offi- 
ciel ;  et  le  ministre  whig  lui-même 
le  reconnut  en  disant  gracieuse- 
ment :  «  Ce  que  je  fais  n'est  qu'une 
justice  ;  j'eusse  souhaité  que  ce  fût 
une  faveur.  »  Il  est  vrai  que  trois 
ou  quatre  années  se  passèrent  pen- 
dant lesquels  les  droits  de  la  charge 
furent  touchés  par  son  prédécesseur 
et  cédant.  Mais  enfin,  d'assez  bonne 
heure  encore,  son  tour  vint.  La  pé- 
riode de  1804  à  1813  fut  donc  pour 
Scott  ou  la  plus  belle  ou  une  des 
plus  belles  phases  de  sa  vie  :  loisir, 
richesses,  sécurité,  labeurs  selon  son 
goût,  consciencedesontalent,  gloire, 
rien  ne  lui  manquait,  d'autant  plus 
qu'il  arrondissait  ses  propriétés  au- 
tour d'Abbotsford  (13),  qu'il  faisait 
Tacquisilion  du  vieux  manoir  (1805), 


(i3)  Abbotsford  et  les  terres  qu'y  joi- 
gnit riuccessivement  W;ilter  Scott  lui  coû- 
tèrent un  peu  moins  de  cinquante  mille 
liv,  sterl.,  c'est-à-dire  environ  douze  cent 
cinquitnte  raille  francs.  Il  falluit  avoir  ainsi 
qu'il  l'avait  la  manie  de  la  propriélé,  de 
la  getulemanship  (que  Messieurs  les  gent- 
lemen nous  permettent  de  forger  ce  mot  ) 
pour  conclure  de  ces  marcbés.  Tout 
le  bien  ue  rapporte  j)iis  plus  de  dix-buit 
mille  francs,  ou  à  peine  un  et  demi  pour 
cent.  Le  sol  en  est  pauvre,  et  il  le  doit  eu 
grande  partie  à  ce  que  tout  ce  pays  était 
grevé  en  faveur  des  villages  de  Dornick  et 
«le  Mclrose  d'une  servitude  ou  redevance 
dite  ofleal and  divot  et  qui  consistait  eu  ceci, 
que  l'on  venait  s'y  approvisionner  périodi- 
quement de  certaine  quantité  «le  ferre  végé- 
tale. A  la  longue,  presque  tout  l'bumus  a 
été  enlevé.  La  situation  d'ailleurs  n'est  pas 
belle  :  la  vallée  de  la  Tweed  est  monotone  ; 
ses  eaux  embellissent  le  paysage  sans  l'ani- 
mer, et  de  tous  côté*  des  muntagucs  peu 
pittoresqueb  borneut  la  vue. 


SCO 

qu'il  le  relevait,  l'embellissait,  l'en- 
toiirait  de  plantations,  le  transfor- 
mait en  musée  d'antiquités  et  de  cu- 
riosités :  il  vint  l'habiter  en  1811, 
ei  ce  fut  depuis  ce  temps  sa  résidence 
ordinaire.  Nul  événement  grave, 
nulle  calamité  ne  venait  interrompre 
le  cours  de  cette  vie  heureuse.  On 
eût  dit  que  le  malheur  pouvait  l'ap- 
procher, le  menacer ,  mais  non  l'at- 
teindre. Au  temps  où  il  composait 
son  Lord  des  Iles,  dans  l'été  de 
1814 ,  s'étant  embarqué  avec  les 
commissaires  du  Northern -Light- 
House -Service  et  avec  les  shérifs 
des  divers  comtés  maritimes  de 
rÉcosse,  pour  faire  aux  Orcades  un 
voyage  qui  fut  délicieux,  il  advint 
qu'au  retour  ils  rencontrèrent  dans 
les  parages  des  îles  Hébrides  un  ar- 
mateur américain ,  fort  disposé  à 
capturer  le  navire  et  à  conduire  la 
lumineuse  compagnie  à  New- York. 
Mais  en  définitive  que  se  fit-il?  John 
Yankie  fut  plein  de  courtoisie  pour 
John  Bull  ;  et  au  moment  où  Scott  se 
voyait  déjà  en  perspective  colon  for- 
cé dans  l'Amérique  septentrionale , 
le  pirate  patenté  laissa  voguer  vers 
leurs  foyers  shérifs  et  servants  du 
Light-House.  Néanmoins  lout  a  un 
terme  et  tout  s'use.  Lors  même  que  no- 
tre poêle  aurait  toujours  entendu  des 
louanges  égales  bercer  son  oreille,  il 
s'en  serait  lassé  peut  -  être  ;  mais  les 
louanges  perdaient  de  leur  force. 
Cette  popularité,  qu'il  avait  con- 
quise par  le  rajeunissement  de  vieil- 
les légendes,  toujours  monotones, 
froides  si  on  ne  les  anime  par  la 
multiplicité,  par  la  variété  des  inci- 
dents, à  la  manière  de  l'Arioste,  ou 
par  l'emploi  des  ressorts  modernes 
ne  pouvait  avoir  qu'un  temps,  parce 
que  l'étonnenient  dure  peu.  De  là 
les  rudes  attaques  des  parodistes, 
incapables  de  dire    avec  précision 


SCO 


477 


ce  qui  manquait  à  Scott,  mais  sen- 
tant à  merveille  que  quelque  chose 
luijmanquait  pour  prendre  rang  par- 
mi les  princes  de  l  art.  Quoique  ces 
attaques  fussent  comme  un  hom- 
mage, quoique  Scott  gardât  encore 
le  haut  du  pavé  sur  les  assaillants, 
il  n'était  pas  impossible  de  prévoir 
que  les  traits  finiraient  par  porter 
coup  -,  qu'on  se  rappellerait  quelques- 
unes  de  ces  épigrammes  qui  corrodent 
les  renommées  et  les  percent  à  jour, 
enfin  qu'un  reflux  énorme  suivrait  !a 
haute  marée.  Il  avait  eu  un  moment  de 
stérilité  après  Marmion  et  surtout 
après  la  Dame  du  lac.  Un  incident 
acheva  de  lui  ouvrir  les  yeux.  Son 
libraire  Ballantyne  disait  un  jour  en 
plaisantant  ce  que  nous  avons  dit 
plus  haut  :  «  Il  ont  beau  faire,  tant 
que  Votre  Honneur  mettra  son  nom 
sur  la  première  feuille  du  livre,  le 
livre  se  vendra.  »  Loin  d'être  flatté 
de  l'éloge,  notre  auteur  se  trouva 
froissé  de  passer  pour  un  ex-génie, 
vivant  en  quelque  sorte  sur  sa  répu- 
tation, sur  son  passé,  grâce  à  la 
constance  routinière  d'un  public  (|ui 
n'examinait  plus,  et  il  se  promit  de 
sonder  ce  qu'il  en  était  en  publiant 
ses  prochaines  poésies  sous  le  voile 
de  l'anonyme.  Il  ne  le  fit  pas  immé- 
diatement cependant.  Le  Lord  des 
/fes  parut  sans  déguisement  (18t4), 
ainsi  que  son  Champ  de  bataille  de 
Waterloo  (1815).  Nous  ne  disons 
rien  des  Lettres  de  Paul,  qui,  mal- 
gré l'époque  à  laquelle  elles  se  rap- 
portent, ne  sont  que  de  l'année  sui- 
vante,et  qui  d'ailleurs  sont  en  prose, 
non  plus  que  des  Antiquités  de  la 
frontière  anglo-écossaise,  avec  des- 
criptions et  illustrations,  lesquelles 
remontent  à  l'année  précédente.  Mais 
vers  le  môme  temps  il  lança  sur 
l'océan  de  la  publicité  deux  petites 
felouquos  si\ns  mettre  son  nom  à  la 


478 


SCO 


SCO 


poupe,  les  FiançaUles  de  Triermain 
cl  Harold  l'indomptable.  Si  les  pau- 
vres esquifs  ne  liretil  point  tout  à 
l'ait  naufrage,  ils  (irenl  eau  sous  le 
souffle  orageux  de  la  critique,  et 
âme  qui  vive  ne  soupçonna  pour  lors 
de  quel  chantier  ils  sortaient.  Scott, 
après  cette  épreuve ,  eut  le  bon  es- 
prit de  ne  pas  regimber  comme  l'ar- 
chevêque de  Grenade  contre  la  sen- 
tence du  public  i  seulement,  puisque 
ce  rebelle  public  déjà  blasé  ne  goû- 
tait plus  ce  qu'il  lui  offrait  sous  une 
forme,  il  résolut  de  la  lui  présenter 
sous  une  autre. Pendant  seize  ans  en 
core,siron  nous  permet  d'imiter  une 
locution  parlementaire  fameuse,  il 
joua  le  même  air,  essayantde  lejouer 
accompagné  d'agréments,  ou,  si  on 
l'aime  mieux,  il  servit  le  même  mets 
à  une  sauce  différente.  Waveriey, 
ou  l'Ecosse  il  y  a  soixante  ans,  si- 
gnale le  point  de  départ  de  cette  nou- 
velle carrière. Nous  ne  répéterons  pas 
ce  que  l'on  sait,  qu'il  avait  déjà  quel- 
que dix  ou  douze  ans  auparavant 
écrit  les  sept  premiers  chapitres  et 
tracé  l'esquisse  du  plan  de  Waveriey 
d'après  un  passage  de  l'histoire  de 
Thoinas-le-Rimeur  (14).  Mais,  même 

(14}  Suivaut  Scott  lui-mêiue,  il  avait 
romraencé  Waverlej  au  temps  où  il  s'occu- 
pait de  Thoinas-le-Rimeur  (  donc  vers  1802  ), 
mais  il  n'avait  f)as  achevé  le  premier  cha- 
pitre. Uu  peu  j)lus  tard,  vers  x8o5,  il  se  re- 
mit à  l'œuvre,  et  sept  chapitres  se  trouvaient 
faits,  quand,  eu  ayant  lu  le  ccuameucement  à 
un  aini  qui  avait  un  uora  en  littérature,  il 
l'ut  assez  découragé  par  ses  avis  pour  jeter 
cet  es.'.ai  d.ms  les  tiroirs  d'un  vieux  pupitre 
qu'il  relégua  eu  x8ii  avec  les  vieux  meu- 
bles dans  uu  grenier  d'Abbotsford.  A  di- 
verses reprises  cepeirtlant  il  s'était  senti 
l'envie  de  revenir  a  ce  travail  eu  dépit  de 
l'anatlième  de  son  ami,  mais  il  ne  savait  où 
trouver  ses  vieux  cahiers,  et  il  ne  pouvait  se 
résoudre  a  récrire  ce  qu'il  avait  déjà  couche 
sur  le  papier, Un  hasard  le  remit  enfin  sur  la 
voie. Un  de  ses  amis  ayant  envie  de  pécher  a  la 
ligne  dormaute,  il  alla  chercher  de  la  ficelle 
et  autres  objets  au  grenier,  et  il  mit  la  main 
sur  ces  feuillets  si  long-temps  égarés. 


abstraction  faite  de  cette  origine, 
l'identité  fondamentale  des  idées  est 
sensible.  Sans  doute  Waveriey  est 
un  roman  et  non  plus  un  poème,  un 
ouvrage  en  trois  volumes  et  non  plus 
un  mince  livret  où  domine  le  papier 
blanc,  un  tissu  d'aventures,  d'épi- 
sodes, de  péripéties,  de  scènes  filées, 
enchevêtrées  avec  art,  et  non  plus 
un  simple  canevas,  où  tout  flotte, 
où  tout  est  décousu  ,  un  tableau 
dont  les  traits  sont  rapprochés  de 
nous,  et  où  se  reflète  le  monde  mo- 
derne. Mais,  malgré  les  différences, 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  là, 
comme  dans  les  poèmes  par  lesquels 
il  préludait,  c'est  l'Ecosse  surtout 
qui  est  décrite,  c'estdaiis  le  Border  ou 
à  peu  de  distance  de  cette  zone  anglo- 
écossaise  que  se  passent  les  événe- 
ments,c'est  par  la  fidélité  avec  laquelle 
palpitent  les  mœurs,les  superstitions, 
les  prédilections  et  les  haines  an- 
ciennes, les  querelles  de  clans,  le 
jacobitisme,  les  idées  chevaleresques, 
héroïques  par  une  face,  burlesques 
par  l'autre,  que  la  nouvelle  produc- 
tion de  Scott  tranche  avec  la  foule 
des  insipides  Novels  que  chaque  jour 
voyait  éclore  a  Londres,  Paris  et 
Leipzig,  C'est  Bradwardine,  c'est 
Flora  Mac-lvor,ce  n'est  pas  Waveriey 
qui  captive  et  qui  émeut  dans  Wa- 
veriey :  ce  livre  n'est  que  le  pré- 
texte d'une  septième  ou  huitième 
pérégrination  que  l'auteur  nous  fait 
faire  à  sa  suite  du  Northumberland 
au  comté  de  Slirling.  Partout  on 
retrouve  avec  le  souffle  poétique 
et  l'art  de  faire  revivre  les  âges  pas- 
sés tiette  science  immense,  infailli- 
ble et  minutieuse  des  choses  de  l'E- 
cosse, que  personne  au  monde  ne 
possédait  au  même  point  que  le  docte 
Écossais.  Aussi  est-ce  en  vain  que 
toujours  sous  le  coup  de  la  pa- 
role de  Ballantyne,   ei  ne  voulant 


SCO 


SCO 


479 


devoir  de  succès  qii'h  l'ouvrage  Ini- 
meme,  il  lit,  pour  Waverley  connue 
pour  les  Fiançailles  et  pour  Ha- 
rold,  c'est-à-dire  ne  signa  point  le 
roman,  et  même  plus  tard, au  fort  du 
succès  des  autres  Novels  ,  ne  laissa 
pas  transpirer  son  nom.  Dès  que 
la  question  fut  à  l'ordre  du  jour, 
les  habiles,  les  connaisseurs  e1  la 
masse  du  public  le  désignèrent  im- 
médiatement comme  l'auteur,  quoi- 
qu'il ne  manquât  pas  de  gens  d'un 
autre  avis.  Du  reste,  l'ënigme  ne  fut 
point  agitée  avec  passion  dans  les  pre- 
miers temps.  Bien  qu'au  bout  de  six 
semaines  ou  deux  mois,  car  il  fallut  ce 
temps  pour  gou) penser  l'effet  de  l'ab- 
sence de  nom,  TFauerZe?/  à  Londres 
encore  plus  qu'en  Ecosse  ait  eu  un 
vrai  succès,  témoin  les  douze  mille 
exemplaires  qui  s'en  débitèrent,  ce 
n'était  pas  là  de  l'extase  et  de  la  fré- 
nésie, ce  n'était  pas  cet  engouement, 
cet  entraînement, ce  ravissement  que 
le  peuple  le  moins  entraînable  du 
globe  exprime  si  bien  par  le  mot  de 
rapture^  et  il  y  eut  des  protestations 
en  vers  et  en  prose  (15).  Cette  exal- 
tation de  l'enthousiasme  n'atteignit 
son  paroxysme  que  par  degrés,  Guy 
Mannering  et  V Antiquaire {tSib  et 


(i5)  On  lui  conseillait  d'en  revenir  au  plus 
tôt  à  la  forme  poétique  :  la  rime  et  la  me- 
sure, lui  disait-ou,  font  tolérer  bien  des 
fautes,  mais  de  la  prose  comme  la  sieuue, 
c'était  du  travail  eu  pure  perte. 

Ail  you  Write  now  oniy  lesseus  jour  crédit  ; 
And  how  could  you  tliiiik,  too  of  takinj,'  lo  edit? 
A  good  deal's  endured  where  tbere's  mcasure   and 

rhyme  ; 
Bu»  prose  such  as  yours  is  a  pure  wast  oftime. 

Et  un  autre  le  faisant  parler  lui-même,  non 
sans  force  de  scolismes ,  commence  eu  ces 
termes  : 

Flocks,  wander  where  you  like,  I  dinna  care  : 
ru  break  niy  reed  aiid  nerer  wbistle  naair. 

Qu'on  nous  permette  de  remarquer  eu  pas- 
sant que  ce  dinna  écossais  u'est  autre  que 
le  verbe  do  avec  la  négative  not  devenue  na 
(  not  déjà  se  proaon^^t  presque  nat  ). 


to)  ajoutant  à  l'impression  de  Wa- 
verley^ la  première  série  des  Contes 
démon  Hôte  (181G)  à  celle  qu'avaient 
produite  Guy  et  V Antiquaire,  puis 
Rob-Roy  en  1818  venant  y  mettre  le 
comble.  A  cet  instant  la  sensation 
qui  n'avait  cessé  d'aller  martinga- 
lant  fut,  véritablement  extraordi- 
naire. L'admiration  était  extrême , 
et  la  curiosité  piquée  de  mille  ma- 
nières. Déjà  les  ouvrages  précé- 
dents avaient  donné  lieu  à  nombre 
de  conjectures.  La  plupart  des  per- 
sonnages passaient  pour  des  por- 
traits plus  que  pour  des  types.  Jona- 
than Oldbuck  était  ou  Skœneou  Scott 
lui-  même,  ou  tel  autre  bibliomane  en 
renom.  Le  manteau-bleu  Ëdie  Ochil- 
tree  était  un  vieux  mendiant  connu 
dans  tout  le  pays,  et  l'on  ne  jurait 
que  par  lui  d'un  bouta  l'autre  du 
Mearns ,  du  Moray  et  du  comté 
d'Aberdeen.  Par  Fairport  il  fallait 
entendre  Arbroath  ou  Aberbrodith 
dans  le  comté  d'Angus;  le  vieux  châ- 
teau d'Eltangowan  que  vous  cher- 
cheriez en  vain  sur  la  carte  topo- 
graphique  la  plus  détaiyée  était,  au 
dire  des  experts,  le  mandez  de  Caer- 
lavreek.  Mais  les  rapprochements , 
les  interprétations  et  les  hypothèses 
prirent  bien  un  autre  essor  quand 
Rob-Roy  pnrut.  On  ne  voulait  pas 
voir  là  un  romau,  c'étaient  des  mé- 
moires dont  on  n'avait  que  changé 
les  noms  pro[)res.  Dans  les  Osbal- 
distones  on  trouvait  les  Selbys  de 
Biddlestone^  et  ainsi  de  suite  pour 
tous  les  personnages,  même  pour 
l'excellenl  bailli  Nicol  Jarvie  dont  on 
suivait  la  généalogie  bien  des  degrés 
au-delà  de  son  père  le  diacre  (16),  et 

(l6)  Le  célèbre  acteur  Maclcriu,  un  des 
favoris  du  public  d'Edimbourg,  se  plaisait 
à  improviser  eu  société  dans  le  rôle  du  bailli 
Nicol  Jarvie,  en  s'inspiraut  du  dialogue  de 
Walter  Scott,  et  eu   le  brodant  de  mainte 


480 


SCO 


aussi  pour  les  localités,  tant  des 
Higlilaiuls  que  des  Lowlands.  Ainsi, 
par  exemple,  on  montre  aujourd'hui 
au  voyageur  la  colline  du  haut  de  la- 
quelle Diana  Vernou  fait  voir  à  son 
cousin  l'horizon  bleu  que  dessinent 
les  monts  de  lÉcosse,  et  l'on  vous 
dirait  le  nom  du  lac  où  1%  terrible 
Hélène  fait  précipiter  l'espion  qui  a 
livré  son  mari.  Sous  l'impression  de 
cette  nature  grandiose  et  âpre,  si 
largement  peinte,  et  avec  laquelle 
viennent  s'harmoniser  si  heureuse- 
ment les  Rob-Roy,lesMac-Gregor  et 
toute  cette  population  fauve  que  meut 
un  de  leurs  signes,  les  touristes  com- 
mencèrent à  dévier  de  l'autre  côté 
de  Berwick  beaucoup  des  courses 
que  jadis  ils  dirigeaient  du  côté  de 
la  Manche  ;  on  fut  curieux  de  visiter 
ces  montagnes  du  Perthshire,  de 
l'Invernesshire,  si  sauvageiîlent  ha- 
bitées naguère.  Cette  admiration  en 
commun,  ces  pèlerinages  poussés  du 
sud  au  nord  par  les  tils  de  Sassenachs 
chez  les  héritiers  des  Gaëls,  ont  plus 
fait  pour  le  rapprochement  des  An- 
glais et  des  Écossais  que  ries  centai- 
nes de  statuts  et  des  milliers  de  pala- 
bres, tant  des  philosophes  que  des 
célébrités  et  nullités  parlementaires. 
Comment  eût-il  été  possible  qu'en 
se  préoccupant  à  ce  point  des  héros 
et  des  sites,  on  ne  se  fût  pas  aussi 
enquis  de  l'auteur?  11  s'est  toujours 
Irouvé  des  amateurs  de  charades, 
et  c'en  était  une  que  ce  nom  qui  si 
souvent  revenait  frapper  les  yeux, 
«  l'auteur  de  Waverley.  »  On  n'a- 


et  mainte  charge,  qui,  une  fois  comprise 
1:>  primitive  donnée,  coulèrent  de  source 
comme  dans  les  commedie  deW  arte  de  l'Italie; 
et  l'ou  a  souvent  vu  notre  romancier  à  l'abri 
sous  son  pseudonyme,  rire  aux  larmes  des 
comiques  propos  et  des  lazzi  au  milieu  des- 
quels revient  s;itis  cesse  ce  refrain  ;  Mon 
pire  le  diacre. 


SCO 

vait  pas  été  long-temps  k  deviner 
quand  le  romancier  avait  voulu 
s'adapter  un  second  masque  en  met- 
tant le  Nain  noir  et  Vieille-mor- 
talité sur  le  com\)\c  ùe  son  hôte f  que 
le  facétieux  Jédediah  Cleisbolham 
n'était  que  Vduteurôe  Waverley  [il). 
Mais  là  revenait  toujours  la  grande 
question,  l'auteur  de  Waverley  qnel 
est-il?  Chaque  production  nouvelle 
venait  fournir  de  nouvelles  raisons 
en  faveur  de  Scott,  mais  quelques- 
unes  contre.  On  ne  pouvait  croire, 
par  exemple,  que  l'ardent  antiquaire 
eût  persiflé  si  résolument  les  croyants 
aux  vieilles  médailles  et  aux  vestiges 
de  castramétation  romaine,  jusque 
dans  Id  personne  d'Oldbuck  qu'il 
ne  représente  pas  pourtant  comme 
un  niais,  comme  un  sir  Arthur 
Wardour.  La  description  de  la  pa- 
nique de  Fairport  à  la  nouvelle  d'une 
prochaine  invasion  de  Français 
passait  à  Kelso  pour  l'ouvrage  de 
l'imprimeur  Ballantyne,  à  Fraser- 
bourg  pour  celui  d'un  Saltown.  Le 
comte  de  Home  aussi  avait  ses  par- 
tisans, et  plus  tard,  lors  de  l'appa- 
rition de  Péveril  du  PiCj  il  devint 
évident  pour  quelques  personnes 
que  l'auteur  de  tous  ces  récits  était 
un  frère  de  Walter,  le  capitaine  Tho- 
mas, alors  en  Amérique ,  mais  qui 
avait  résidé  dans  l'île  de  Man  et  avait 
puisé  aux  registres  de  cet  ex-royau- 
me. Quelques-uns  pensaient  à  un 
triumvirat  composé  d'un  homme  de 
loi,  d'un  homme  d'église  et  d'un 
homme  du  monde  quelque  peu  vir- 
tuose et  quelque  peu  maniaque.  Les 
plus  avisés,  reconnaissant  sous  la  va- 


(17)  Scott  avait  même  eu  l'idée  de  s'en 
adapter  un  troisième  lorsqu'il  composait 
Ivanhoe,  celui  de  Laurent  Templeton;  mais 
il  y  renonça,  vu  que  déjà  l'ou  publiait  sous 
le  nom  de  «  l'auteur  de  Waverley  »  une 
troisième  série  des  Contes  de  mon  hôte. 


SCO 

riétë  des  tableaux  ridentit<^  de  la 
touche,  l'assimilai  ion  des  matériaux 
à  une  seule  et  même  pensée,  allaient 
chercher  l'artiste  sous  le  rabat  d'un 
ministre  presbytérien  d'Éiiimboiirg, 
homme  de  haut  talent,  mais  que  des 
imputations  odieuses  avaient  cou- 
tidiul  à  quitter  la  ville  et  pouvaient 
engager  à  ne  pas  laisser  tomber  au 
frontispice  d'un  livre  un  nom  qui  n'é- 
tait plus  qu'un  triste  passe-port. Mais, 
en  déliiiitive  ,  c'est  sur  Scott  que 
se  concentraient  généralement  les 
soupçons.  Byron,  à  qui  jamais  le  se- 
cret ne  fut  révélé,  n'en  doutait  pas, 
et  quelques-uns  peut-être  de  ceux 
qui  ostensiblement  semblaient  d'un 
autre  avis  dissimulaient  leur  vraie 
croyance  par  jalousie,  par  lassitude 
d'entendre  nommer  the  great  un- 
known  (grand  inconnu)  un  homme 
qui  avait  déjà  des  titres  de  gloire  sans 
celui-lk.  Telle  était  la  force  de  l'opi- 
nion sur  ce  point  que  Scott,  sans  ja- 
mais avouer  qu'il  lut  l'auteur  de 
Waverley,]ugedïik  propos,  pour  évi- 
ter les  dénégations  et  discussions 
sans  fin,  de  répondre  quelquefois  aux 
civilités  adressées  à  l'auteur  de  Wa- 
verley.Hn  jour,  par  exemple,  qu'il  dî- 
nait à  la  cour,  le  prince  régent  or- 
donna de  présenter  une  corbeille  de 
fruits  k  l'auteur  de  Waverley^  et 
Scott  prit  une  grappe.  Un  soir  au 
théâtre  d'Edimbourg,  à  l'instant  où 
il  prenait  place  avec  lord  Erskine,  la 
salle  retentit  d'applaudissemeuts,d'a- 
bord  pour  le  right  honourabte  lord , 
ensuite  pour  l'auteur  de  Waverley.ei 
Scott  s'avança  jusqu'aubord  de laloge 
comme  s'il  acceptait  le  compliment 
et  remerciait.  Quelque  signilicative 
que  semble  d'abord  cette  attitude 
en  présence  du  cri  public,  il  faut  bien 
reconnaître  qu'au  fond  elle  ne  prou- 
ve rien  j  dès  que  celui  qui  a  rendu  de 
bonn»'  grâce  politesse  pour  politesse 

LXXXI. 


SCO 


481 


h  ses  concitoyens  déclare  qu'il  n'y  a 
eu  là  de  sa  part  que  condescendance, 
et  peur  d'.être  de  mauvais  goût  en 
faisant  la  sourde  oreille.  Jamais,  de 
quelque  manière  que  s'y  prissent  ses 
intimes  amis,  sauf  les  trois  ou  quatre 
personnes  qui  connaissaient  le  mys- 
tère, on  ne  parvint  à  le  laire  sortir  de 
ce  langage.  «Je  reconnaisquec'estmoi 
qu'on  prétend  désigner,  mais  je  ne 
reconnais  point  avoir  droit  à  cette 
désignation.  »  Ce  qu'il  y  a  de  pro- 
digieux dans  cet  incognito  qui  dura 
près  de  douze  ans,  c'est  qu'il  n'en 
était  pas  ici  comme  pour  les  Lettres 
de  Junius  qu'on  pouvait  commodé- 
ment jeter  dans  une  boîte  de  jour- 
nal, et  qui,  vu  leur  brièveté,  pou- 
vaient toujours  être  rédigées  de 
manière  à  ne  pas  avoir  besoin  de 
révision.  Mais  Scott  donna  plus  de 
soixante  volumes  de  romans  sans  que 
l'on  en  sût  davantage.  La  copie  était 
transcrite  par  des  mains  sûres  avant 
d'être  remise  au  compositeur  ;  on  ti 
rait  de  chaque  épreuve  deux  exeui- 
plaires;  sur  le  second,  Ballantyne 
ou  un  confident  reportait  les  cor- 
rections que  la  main  de  Walter  Scott 
avait  opérées  sur  le  premier.  Il 
est  des  princes,  des  ministres  dont 
les  autographes  sont  rares  sur  le 
marché  ^  mais  ceux  de  l'auteur  de 
Waverley  l'étaient  bien  autrement  : 
on  n'en  trouvait  à  aucun  prix,  per- 
sonne ne  pouvait  se  vanter  d'en  pos- 
séder, et  pourtant  que  n'eussent  pas 
donné  les  curieux  poyr  en  avoir!  11 
fallait  voir  les  journalistes  et  tout  ce 
qui  avait  accès  dans  l'imprimerie  pri- 
vilégiée, rôder  autour  de  la  casse,  ca- 
joler le  metteur  en  pages,  jouer  au  tin 
avec  le  prote,et  entreprendra'  juscju'à 
l'insouciant  petit  porteur  d'épreuves. 
Tactique  perdue  !  car  personne  d'en- 
tre eux  ne  savait  le  mot  et  n'avait 
d'indices  écrits.    Les  vrais   indices 

31 


482 


SCO 


liaient  ceux  qu'avait  flairt^s  \p  bon 
sens  de  la  inajoritc^ ,  cette  connais- 
sance si  exquise  de  l'Ecosse,  dos  an- 
tiquités et  de  la  chicane ,  cette  rail- 
lerie bienveillante  ,  ce  scepticisme 
adouci  à  l'endroit  de  légendes  com- 
plaisamment  racontées  cependant  ; 
c'étaient  aussi  les  dépenses  d'Ahbots- 
lord,  dépenses  auxquelles  n'eussent 
pu  suflire  les  émoluments  de  ses  deux 
places  si  chacun  de  ses  romans  n'eût 
été  un  ruisseau   venant   grossir  le 
fleuve  de  sa  fortune.  Mais  on  ignorait 
le  chiftVe  exact  auquel  montaient  ses 
prodigalités   pour  ce  beau    lieu.  Et 
eulin  il  est  loisible  à  chacun  de  bâtir, 
de   planter,    d'improviser  un   com- 
mencement de  musée  à  crédit,   et 
quelques-uns  croyaient  que  telle  était 
la  conduite  de  Scott,  quoique  géné- 
ralement l'Ecossaissoit  parcimonieux 
et  prudent.  Notre  romancier,  d'ail- 
leurs, avait  trouvé  un  excellent  moyen 
pour  faire  prendre  le  change  à  ceux 
qui  pensaient  qu'il  pouvait  alimenter 
son  Pactole  en  dérivant  un  iiletdela 
caisse  du  libraire,   c'éîait   de  con- 
tinuer     à    mettre    ostensiblement 
son   nom   en    tête    de   publications 
qui,  quoique  quelques-unes  d'entre 
elles    fussent    simplement  des  édi- 
tions ou  réimpressions,  ne  laissaient 
pas  d'exiger  assez  de  temps ,  indé- 
pendamment d'articles  divers  four- 
nis à  V Encyclopédie   britannique  ^ 
aux  deux  Revues  déjà  nommées  et 
même  à  d'autres  recueils  de  moindre 
renom.    Entre    Guy  Mannering  et 
VAntiquaire  au  commencement  de 
1816   et  à   l'issue  d'un    voyage  en 
Belgique    et  en    France  il   donna , 
non-seulement    son  Champ  de  ba- 
laiUe  de  Waterloo^  simple  effusion 
lyrique   de  quelques   centaines    de 
vers,  mais  aussi  ses  Lettres  de  PauU 
qui  forment  un  volume  de  poids, 
sinon  de  valeur  ^  et  très-peu  de  temps 


SCO 

après    paraissaient    les    Antiquités 
d'Islande,   gros   in-4'*    dont    l'idée 
peut-être  ne  venait  pas  de  lui,  mais 
dont    il    avait    consciencieusement 
élaboré  sa  part,  tandis  que  Jameson  et 
Weber  faisaient  le  reste.  Il  en  fut  de 
même  après  l'apparition  de /?o6  Roy 
et  de  la  2®  série  des  Contes  de  mon 
hôte,  qui  comme  Rob  Roy  vit  le  jour 
en  1818.  A  peu  près  en  même  temps 
que  la  3^  série,  1819,  fut  mise  au  jour 
la  Description  des  Regalia  (insignes 
et  objets  de   prix  de   la   couronne 
royale)  d'Ecosse.  Ivanhoe,  qui  vint 
ensuite  et  qui  signale  le  commence- 
ment de  1820,  se  composait  et  se  tirait 
tandis  qu'il  fabriquait,  au  vu  et  au  su 
de  tous, des  textes  sur  les  Antiquités 
et  beaux  sites  des  provinces  de  VÊ' 
cosse,Tro\s  autres  romans,  le  Mona- 
stère., VAbbé^  Kenilwqrth  sesuccédè- 
rent  rapidement,  les  deux  premiers 
cette  année  même,  le  3«  en   1821  ; 
et  cependant  le  romancier,  alors  souf- 
frant et  assujetti  à  un  régime,  trouva 
le  temps  d'être  publiciste  et  de  don- 
ner dans  la   Gazette  hebdomadaire 
d'Édim&ourgfCEdinb.weekly  journal) 
trois  articles  contre  la  réforme  par- 
lementaire.  Avec  le    Pirate  et  les 
Aventures  de  Nigel  en   1822  ,  coïn- 
cidèrent   l'édition  des  Poésies   po- 
pulaires et  triolets  de  Carey,  et  son 
poème  d^Halidon  Uill,  L'année  sui- 
vante vit  paraître  d'une  part,  sans 
nom  comme  leurs  aînés,  Péveril  du 
Pic  et  Quentin  Durward,  de  l'autre, 
la  Croix  de  Macduff  par  sir  Walter 
Scott,  baronnet  (cartel  était  son  titre 
depuis  1820).   Il   venait  d'ajouter  à 
cette  liste  ^^5  Eaux  de  St-Ronan  et 
Redgauntlet  (1824),  plus  les  Contes 
des  Croisades  (1825),   quand  tout  à 
coup  la  crise  commerciale  de  cette 
année  vint   jeter   un   voile  sombre 
sur    sa    destinée ,   et    le  river  en 
quelque  sorte  à  la  chaîne  pour  toute 


SCO 


SCO 


483 


s.i  vie.  Son  librairo,  Constahlf,  dont 
jusqu'alors  la  fortune  avait  semblé 
inébranlable,  fut  entraîné   par  les 
catastrophes  qui  se  succédaient ,  et 
Scott  s'y  trouva  compris  pour  deux 
millions  (qu'il  faut  lui  pardonner  d'a- 
voir, par  une  exagération  de  roman- 
cier, portés  à  trois).  A  l'accent  avec 
lequel  s'expriment  quelques-uns  de 
ceux  qui  ont  parlé  de  celte  phase  de 
la  vie  de  Scott,  on  devrait  croire  que 
dans  toute  cette  affaire  il  n'y  aurait 
eu  qu'abnégation  et  dévouement  de  la 
part  de  notre  auteur,  lequel,  voyant 
Constable  dans  l'embarras,  lui  au- 
rait prêté  son  endos  jusqu'à  concur- 
rence des  deux  ou  trois  millions. 
D'autres,  s'ils  arrivaient  à  formuler 
leur  idée,  seraient  plutôt  d'avis  que 
la  somme  représentait  ce  dont  le 
libraire  était  redevable  à  l'écrivain 
pour  ses  travaux.  Nous  pensons  qu'il 
ne  faut  admettre  ni  l'une  ni  l'autre 
de  ces  hypothèses  dans  sa  totalité  et 
que  toutes  deux  réunies  ne  suffisent 
pas  encore  à  rendre  compte  du  gros 
chiffre  auquel  se  montaient  les  eifets 
de  commerce  dont  Scott  demeurait 
responsable.  En  combinant  ses  pro- 
pres aveux  tirés  de  ses  lettres ,  de 
ses  préfaces,  et  ceux  de  quelques- 
uns  de  ses  amis,  voici  ce  qui  nous 
paraît   ressortir   incontestablement 
des  faits  connus.  Scott  avait  besoin 
de  trop  d'argent    et  en   dépensait 
trop    (  nous   n'entendons  point  ici 
l'en  blâmer,    mais    nous    mainte- 
nons l'expression)  pour  qu'on  puisse 
supposer  que  son  libraire  fût  ex- 
cessivement arriéré  avec  lui.  D'au- 
tre part  pourtant  le  libraire  ne  pou- 
vait le  satisfaire  avec  autant  de  cé- 
lérité que  Scott  le  souhaitait.  Qu'en 
résulta-t-il?  Ce  que  nous   voyons 
tous  les  jours  sur  une  échelle  un  peu 
moins  colossale   pour  l'ordinaire  : 
complaisances  mutuelles ,    effets  à 


longs  termes  et  dont  l'échéance  ne 
viendrait  sans  doute  qu'après  la  fin 
des  travaux  promis,  mais  dont  la 
confection  et  la  mise  en  circulation 
précédaient  de  beaucoup  l'exécution 
des  travaux,  renouvellements,  et  en- 
fin soit  pour  faciliter  les  paiements  à 
vue  des  billets  échus,  soit  comme 
bon  office  en  reconnaissance  d'un 
bon  office,  endos  par  Scott  d'effets 
qui  n'entraient  pas  dans  son  porte 
feuille. Ceci  posé,  les  sommes  dont  il 
avait  à  tenir  compte  aux  créanciers 
de  la  faillite  se  rangent  d'elles-mê- 
mes  en    trois    classes,   celles  qui 
payaient  des  travaux  effectués,  celles 
qui  étaient  réglées  à  l'avance;  pour 
des  ouvrages  encore  sur  le  chantier 
ou  dans  les  brouillards  de  la  Yarrow, 
celles  dont  la  contre-valeur  n'avait 
profité  qu'à  Constable.  Autant  il  est 
indubitable  que  celles-ci  et  les  pre- 
mières   constituaient     des    pertes 
réelles  pour  l'écrivain  laborieux  et 
pour  l'ami  confiant,  autant  il   est 
clair  que  les  secondes  ne  peuvent 
sérieusement  être  regardées  comme 
telles.  Il  y  avait  là  mécompte,  nous 
l'avouerons,  et  mécompte  d'autant 
plus  inopportun, que,  contrairement 
à   la   circonspection  écossaise  bien 
connue,    le    romantique  baronnet 
avait  dépensé  à  l'avance   ce    qu'il 
n'avait    pas    encore   gagné  ;   mais 
désappointement  n'est  pas    perte  : 
Constable  avait  signé,  Scott  avait 
donné  en  paiement,  mais  Constable 
ne  payait  pas  et  Scott  n'avait  rien 
fait  ;  au  total  donc  les  créanciers 
seuls  étaient  en  risque  de  perdre. 
Que  l'on  mette  à  présent  en  ligne  de 
compte  le  tant  pour  cent  que  Scott  ou 
ses  ayants  cause  tirèrent  desdébris  de 
Constable,  on  sera  porté  à  réduire  les 
deux  ou  trois  millions  de  perte  à 
quinze  ou  treize  cent  mille  francs. 
C'est  encore  un  total  immense  ;  et 

3t. 


484 


SCO 


SCO 


Ton  aurait  tort  dMmaginer  que  nous 
cluMolions  à  diminuer  Scott  parce 
que  nous  rauuMious  son  malheur  aux 
proportions  qui  nous  semblent  avoir 
été  les  seules  vraies:  bien  que  nous 
fassions  la  biographie  d'un  roman- 
cier, nous  n'entendons  pas  faire  un 
roman.  Il  en  sera  de  même  dans  notre 
jugement  sur  la  conduite  qu'il  tint  en 
cette  occasion.  Il  annonça  hautement 
qu'il  paierait  tout,  principal  et  inté- 
rêts, bien  entendu  qu'il  aurait  du 
temps,  et  il  se  mit  vaillamment  en 
mesure  de  satisfaire  à  ses  promesses. 
A  noire  avis,  les  panégyristes  et  les 
gens  à  la  suite  ont  semblé  trop  frap- 
pés de  la  probité  de  cette  annorice  ; 
comme  si  c'était  en  quelque  sorte 
excès  de  probité,  cou^me  si  par  déli- 
catesse excessive  Scott  ici  se  fût 
chargé  des  dettes  d'un  autre.  Sans 
doute  il  faisait  acte  de  probité,  mais 
il  remplissait  un  devoir  :  des  dettes, 
lesunes  lui  étaient  personnelles,  pour 
les  autres  il  avait  répondu,  et  quel- 
que cruel  qu'il  fût  de  payer  pour  au- 
trui, en  équité  comme  en  justice  il 
était  débiteur.  Et  d'autre  part,  com- 
ment comprendre  que, membre  d'une 
cour  de  justice,  il  eût  pu,  nous  ne 
disons  pas  avec  honneur,  mais  avec 
espoir  de  conserver  son  poste,  dé- 
serter l'obligation  de  solder  ses 
créanciers,  comme  il  le  disait,  jus- 
qu'au dernier  pJackPCe  dont  il  faut 
le  louer  sans  restriction,  c'est  de  son 
courage.  S'il  pâlit,  s'il  chancela,  il 
ne  tomba  point  sous  le  coup  qui  en 
eût  écrasé  tant  d'autres,  pas  plus 
qu'il  ne  conçut  d'amertume  contre 
ceux  qui  le  méconnaissaient,  qui 
blâmaient  ou  calomniaient  sa  con- 
duite, qui  tendaient  à  le  décourager. 
Suivant  les  uns,  en  effet,  il  avait 
connu  le  trisle  état  des  affaires  de 
Consiable,  et  il  l'avait  aidé  à  tromper 
ses  créanciers  j  selon  les  autres,  qu'il 


eût  des  torts  ou  qu'il  n'eût  que  du 
malheur,  jamais  il  ne  viendrait  à 
bout  de  se  libôrer.  Quelques  uns  re- 
maniuaient  inalignenient  (pi'il  avait 
marié  son  fils  aîné,  l'année  précé- 
dente, à  une  héritière  de  soixante 
mille  livres  st.,  et  qu'a  celte  occa- 
sion ii  avait  cédé  à  ce  fils  ou  tous  ses 
domaines  ou  la  nue-propriété  d'Ab- 
botsford,  et  que  le  château  qu'il  se 
réservait  comme  propriété  person- 
nelle n'eût  pas  produit,  si  on  l'eût 
vendu,  plus  de  250,000  francs.  Pour 
dire  ce  que  nous  en  pensons,  nous 
soupçonnons  que  la  ruine  de  la  grande 
maison  d'Edimbourg  n'avait  pas  été 
pour  Scott  un  événement  tout  à  fait 
inattendu,  et  que  bien  résolu  à  faire 
face  au  malheur  s'il  venait  le  frap- 
per, et  à  ne  frustrer  personne,  il 
n'avait  toutef<)is  pas  voulu  que  ses 
créanciers  pussent  immédiatement 
et  impitoyablement  tomber  sur  des 
biens  au  soleil.  Il  savait  qu'évidem- 
Hîent  on  s'entendrait,  on  l'attendrait 
quand  on  ne  lui  verrait  de  fortune 
propre  que  jusqu'à  concurrence  de 
12  pour  cent  de  ses  dettes;  mais  si 
l'on  eût  eu  sous  la  main  assez  d'im- 
meubles pour  se  couvrir  de  tout,  on 
n'eût  pas  attendu.  La  liquidation 
de  Constable  fut  terminée  en 
janvier  1826.  Mais  dès  novembre 
de  l'année  précédente,  Scott  avait 
commencé  à  préparer  sa  libéra- 
tion, qu'il  ne  voulait  devoir  qu'à 
lui  -  même.  Un  banquier  de  Lon- 
dres lui  avait  fait  parvenir  une 
forte  somme,  remboursable  à  une 
époque  indéterminée  :  il  n'accep- 
ta pas.  Il  eût  accepté,  peut-être, 
si  une  souscription  gigantesque, 
comme  celle  qui  dota  les  enfants  du 
général  Foy,  eût  immédiatement  ré- 
pondu à  l'annonce  de  son  malheur,  si 
la  générosité  européenne  eût  réalisé 
ce  beau  mot  d'un  noble  duc:  «Scott 


SCO 

endetté  de  2  millions  !  Que  chacun 
rie  ceux  qui  lui  doivent  des  heures 
déhcieuses  lui  donne  une  pièce  de 
six  pences  et  sa  dette  est  payée!» 
Mais  les  hommes  sont  ingrats ,  et 
Scott  necomptapassur  des  souscrip- 
tions. II  commença  par  faire  assurer 
sa  vie  pour  vingt-deux  mille  iiv.  st. 
(550,000  fr.)  au  profit  de  ses  créan- 
ciers ,  et  promit  au  reste  de  tout 
payer  en  dix  ans.  II  fit  vendre  à  l'en- 
chère sa  maison  d'Édiaibourg  et  son 
mobilier  pour  habiter  un  second 
étage  dans  cette  rue  du  Château  ,  et 
dans  cette  maison  oii  tout  jeune 
encore  et  nouvellement  reçu  avocat 
il  avait  fixé  ses  pénates  ,  et  qui 
n'était  plus  du  beau  quartier 
d'Edimbourg.  Il  livra  comme  gage 
tous  les  meubles  et  effets  d'Ab- 
botsford  à  réméré.  Enfin,  pendant 
les  séjours  qu'il  faisait  dans  cette 
demeure  chérie,  il  ne  recevait  plus 
comme  par  le  passé.  Cette  hospita- 
lité grandiose  et  féerique  qui  si 
Iong-tem;»>s  avait  été  un  de  ses  plai- 
sirs les  plus  doux,  il  y  renonça  au 
grand  préjudice  des  touristes  et  des 
curieux  plutôt  qu'au  sien.  Du  reste, 
cette  solitude  qu'il  s'imposait  ne  se 
trouva  bientôt  que  trop  eu  harmonie 
avec  une  perte  plus  cruelie  peut- 
être  (15  mai  1826).  Lady  Scott, 
qui  n'avait  jamais  cessé  de  lui  être 
chère,  bien  que  son  extrême  irrita- 
bilité nerveuse  l'eût  souvent  fait 
souffrir,  succomba  la  même  année. 
Renfermé  dans  son  cabinet,  ne  se 
laissant  que  rarement  interrom- 
pre par  les  visites,  il  barrait  en 
quelque  sorte  le  passage  à  la  douleur 
en  s'absorbant  corps  et  âme  dans  le 
labeur  en  même  temps  intellectuel 
et  matériel  d'im;jginer  etd'écrire.  Le 
premier  résultat  de  cette  herniétique 
réclusion  fut  Woodstock^  où  l'on  ne 
îjent  que  trop  la  contrainte  d'un  tra- 


SCO 


485 


vail  mécanique,  où  rien  ne  s'épanouit 
et  ne  rit  au  soleil,  où  la  fantaisie  ne 
donn.e  pas  de  coup  d'aile.  Woodstock 
avait  été  promis  à  Çoustable  et  réglé 
en  billets.  Les  créanciers  deman- 
daient en  conséquence  que  le  manu- 
scrit leur  en  fût  livré  gratis  et  que 
îes  bénéfices  en  fussent  pour  eux.  En 
droit  strict,  ils  avaient  raison.  Mais 
Scott  s'y  refusa  péremp^toi rement,  et 
ils  furent  forcés  d'abandonner  leurs 
prétentions.  C'eût  été  un  grand  mal- 
heur s'il  eût  cédé  :  Us  exigences  se 
fussent  sans  doute  accrues,  et  du 
roman, qui  n'était  qu'une  bagatelle, 
se  seraient  étenduesà  une  œuvre  plus 
importante,  arrêtée  déjà  en  conseil 
secret  avec  Constable  et  à  laquelle 
peul-être  Scott  avait  déjà  porté  la 
main  dès  1825,  la  Vie  de  Napoléon. 
En  effet,  son  dessein  d'éerire  !'his- 
toire  était  déjà  ancien,  puisqu'il  le 
déclare  nettement  dans  la  préface  de 
la  Fiancée  qui  remonte  à  1819;  et 
il  est  présumable  que  Georges  IV, 
dans  les  conversations  qu'il  eut  avec 
lui  à  Edimbourg  en  1822,  le  fortifia 
dans  sa  résolution.  On  a  souvent  ré- 
pété dji  moins  que  c'est  à  la  sollicita- 
tion de  ce  Inonarque  que  Scott  se  fit 
l'historiographe  de  la  révolution 
française  et  de  Napoléon,  et  on  le 
comprend,  l'ex  prince-régent  ayant 
si  bien  profité  de  l'une  et  tant  poussé 
à  la  perte  de  l'autre.  !l  est  d'ailleurs 
hors  de  doute  que  nombre  de  pièces 
officielles  importantes  et  de  rensei- 
gnements précieux  furent  rais  par  le 
gouvernement  britannique  à  la  dis- 
position de  l'écrivain.  Mais  aupara- 
vant il  crut  à  propos  de  faire  un  tour 
en  France,  soit  pour  recueillir  des 
documents  et  fixer  des  dates,  soit 
pour  se  distraire  et  rétablir  sa  sauté 
délabrée.  Déjà,  en  1818,  une  fièvre 
bilieuse  de  la  nature  la  plus  maligne 
l'avait  long-tey^ps  cluué  au  lit   et 


186 


SCO 


avait  porte  un  coup  à  sa  constitution 
si  robuste  pendant  les  trente  années 
précédentes.  Il  s'en  était  relevé; 
mais,  quoique  n'ayant  plus  besoin  de 
garder  la  chambre,  il  avait  encore 
souffert  deux  ans  et  plus,  et  de  loin 
en  loin  il  sentait  tourner  autour  de 
lui  son  ennemi.On  comprend  donc  que 
dans  le  moment  actuel,  tant  de  com- 
motions, tant  d'inquiétudes,  tant  de 
peines,  tant  de  veilles  et  tant  de  la- 
beurs l'eussent  prostré;  et  il  fallut 
ou  secouer  ce  faix  en  changeant  de 
lieu  ou  périr  sur  place.  H  vint  donc 
à  Londres  d'abord,  où,  conformément 
aux  propositions  qui  lui  avaient  été 
faites,  les  archives  du  ministère  lui 
furent  ouvertes.  Puis  laissant  der- 
rière lui  son  île  nébuleuse,  que 
nous  appellerions  volontiers  l'île  du 
spleen  ,  il  alla  passer  une  partie  de 
l'automne  de  1826  à  Paris,  en  com- 
pagnie de  la  plus  jeune  de  ses  filles 
(l'aînée  était  mariée  et  restait  en 
Ecosse).  Il  y  reçut  un  accueil  bril- 
lant et  flatteur,  et  il  eût  été  ravi  lui- 
même,  il  l'avoue,  s'il  n'eût  tenu 
alors  à  passer  inaperçu,  sauf  près  de 
quelques  privilégiés,  tels  que  son 
éditeur  français  de  la  rue  Saint- 
Germain-des-Prés,  le  maréchal  Mac- 
donald,dont  le  nom  atteste  assez 
l'origine,  le  duc  de  Raguse,  toujours 
fort  mal  avec  les  bonapartistes  aveu- 
gles, et  qui  n'en  était  que  mieux  au- 
près de  ceux  qui  ne  virent  dans  Napo- 
léon que  le  soldat  heureux.  Ce  der- 
nier, non-seulement  lui  communiqua 
des  particularités  importantes  pour 
l'histoire  de  son  héros,  mais  encore 
voulut  le  présenter  à  Charles  X. 
Scott  vit  donc  aux  Tuileries  cet  in- 
fortuné monarque  que  plus  tard  il 
devait  retrouver  exilé  à  Holyrood  : 
lui  qui  a  tant  jeté  de  fleurs  sur  les 
Stuarts,  il  s'entendit  adresser  de 
gracieuses  et  chevaleresques  paroles 


SCO 

par  celui  des  Stuarts  do  France  qui 
rappelle  le  pins  Jacques  II.  Mais  ce 
qui  valait  mieux,  l'exercice,  la  nou- 
veauté des  objets ,  le  mouvement 
du  voyage  et  aussi  la  beauté  du 
ciel ,  la  douceur  du  climat ,  l'amé- 
nité des  mœurs,  opérèrent- heureu- 
sement stir  son  moral,  et  détendirent 
son  esprit  toujours  monté  au  diapa- 
son le  plus  fatigant.  H  en  convint 
lui-même  dans  une  conversation  : 
«  Mon  office  (de  greffier)  et  ma  Vie 
de  Napoléon,  dit-il,  harassaient  ma 
pensée  et  mon  corps,  mon  insomnie 
était  perpétuelle,  je  n'ai  recommencé 
à  dormir  qu'à  Paris.  »  Ce  compte 
rendu,  où  respire  la  vérité  même, 
ne  semble-t-il  pas  la  paraphrase  de 
l'exclamation  du  Bonhomme,  quand 
il  dit  : 

Si  Dieu  me  prête  vie, 

Je  le  verrai  ce  pays  où  l'on  dortt 

Et  dès  son  retour,  plein  de  tout  ce 
qu'il  avait  vu,  lu,  appris,  respiré  en 
quelque  sorte  et  absorbé  par  tous 
les  pores,  rendu  à  la  plénitude  de  la 
santé,  de  la  force  et  de  la  vie,  il  se 
mit  à  dicter  les  neuf  volumes  de 
cette  histoire  impériale  si  merveil- 
leuse, si  compliquée,  si  difficile  à 
coordonner,  plus  difficile  çncore  à 
voir  du  vrai  point  de  vue  et  à  domi- 
ner. Nous  parlerons  plus  tard  du  mé- 
rite intrinsèque  de  la  nouvelle  pu- 
blication. Ici,  où  nous  nous  occu- 
pons des  événements  de  la  vie  de 
Scott,nous  devons  dire  que  l'ouvrage, 
qui  eût  été  si  beau  s'il  eût  été  à  la 
hauteur  du  sujet,  mais  qui  ne  pouvait 
guère  l'être,bâclécommeil  le  fut  avec 
une  célérité  plus  que  napoléonienne 
(car  l'auteur  ne  mit  pas  un  an  à  l'é- 
crire), ne  souleva  pas,  même  aux 
bords  de  la  Tweed  et  de  la  Tamise,  ks 
applaudissements  que  les  habitants  du 
Hoyaume-Uni  auraient  été  heureux 


SCO 

de  lui  donner.  A.  plus  forte  raison 
en  frit-il  de  même  en  France,  et  nous 
doutons  que  Téditeur,  enrichi  par 
les  romans  qu'il  écoulait  à  tant  de 
milliers  d'exemplaires  depuis  dix 
ans,  et  qu'il  réimprimait  toujours  en 
variant  les  formats,  se  soit  félicité 
d'avoir  grossi  de  ce  colis  sa  car- 
gaison. Quant  à  l'Angleterre,  ce  fut 
et  ce  devait  être  différent;  s'il  n'y 
eut  point  de  hourra,  il  n'y  eut  point 
non  plus  de  haro  ;  et  pécuniairement 
la  première  édition  du  Napoléon  fut 
pour  Scott  ou  plutôt  pour  ses  créan- 
ciers une  brillante  affaire.  Le  ma- 
nuscrit leur  valut  350,000  francs. 
Après  ce  bel  à-compte  si  lestement 
payé,  et  qui  démontrait  que  les  pro- 
messes de  l'écrivain  n'excédaient 
pas  les  bornes  du  possible,  il  crut 
pouvoir  revenir  à  quelques-unes  de 
ces  habitudes  dont  l'interruption 
avait  été  une  de  ses  souffrances  les 
plus  vives.  L'antique  hospitalité  re- 
naquit, vivante  image  de  celle  du 
clan.  Les  embellissements  d'Abboîs- 
ford  continuèrent.  Il  grossit  encore 
ses  riches  collections  d'armures,  de 
meubles,  de  ÇMCffc/is  (18) et  de  livres. 
Il  n'y  voyait  nulle  témérité  ,  l'in- 
térêt qu'avait  éveillé  son  malheur 
se  manifestant  au  moins  aussi  vif 
depuis  le  commencement  de  sa  li- 
bération qu'au  moment  même  de  la 
catastrophe,  et  la  confiance  d'ail- 
leurs devant  s'accroître  encore  de- 
puis sa  déclaration  publique  au  dîner 
de  VEdinburgh  theatrical  fund  (27 
fév.  1827).  Le  nom  de  l'auteur  de 
Waverley  avait  cessé  d'être  un  mys- 
tère depuis  que,  par  suite  du  sinistre 
de  Constable ,  les  syndics  avaient 
trouvé  dans  les  papiers  du  failli  les 
manuscrits  des  fameux  romans  ano- 
nymes tous  écrits,  ou  de  la  même 
liiain    que    les    poèmes   de   Walter 

(i8)  Espèces  de  tasser  antiques. 


SCO 


487 


Scott,  ou  de  celle  de  son  secrétaire, 
J.  Lyddiard,etquemême  on  en  avait 
vendu  à  l'encan  pour  d'assez  bons 
prix,  quoique  fort  au-dessous  de  ce 
que  l'on  comptait  en  tirer.  Mais  que 
l'on  juge  par  là  de  l'inconstance  et 
de  la  versatilité  du  public  !  tant  que 
Scott  avait  refusé  de  se  recon- 
naître l'auteur  des  romans  ,  c'est 
à  lui  que  l'opinion  dominante  les 
attribuait  exclusivement  ;  depuis 
qu'il  ne  niait  plus,  on  lui  adjoignait 
volontiers  des  collaborateurs,  on  ju- 
geait impossible  qu'il  eût  tout  fait, 
on  citait  telle  ou  telle  portion  con- 
sidérable de  Péveril  ou  de  Kenil- 
worth  qui  était  sortie  de  la  plume 
de  tel  ami,  ou  commensal,  ou  parent, 
ou  même  étranger.  Ce  fut  pour  en  fi- 
nir avec  ces  bruits  que  Scott,  en  pré- 
sence de  tant  de  convives  lettrés,  fit 
cette  déclaration  solennelle,  qu'on 
a  bien  pu  prendre  pour  un  aveu  ar- 
raché à  sa  modestie,  mais  qui,  au  fond, 
n'était  que  la  revendication  de  ses 
droits  exclusifs  au  titre  d'auteur  des 
Waverley  Novels.  C'était  à  la  fois 
défendre  sa  gloire  et  diminuer  d'au- 
tant l'éternelle  inquiétude  des  créan- 
ciers ;  car  la  fécondité  du  débiteur 
leur  promettait  la  moisson  riche  et 
des  dividendes  pour  eux  seuls.  Nul 
doute,  en  effet,  bien  que  l'esclavage 
tue  l'inspiration,  qu'il  ne  fût  venu  à 
bout  de  tout,  sans  autres  aides  que 
les  gouttes  d'encre  tombées  de  sa 
plume,  s'il  eût  pu  dix  ans  encore  la 
faire  courir  sur  le  papier.  Sans  met- 
tre en  ligne  de  compte  ses  autogra- 
phes, que  plus  d'une  fois  les  étran- 
gers couvrirent  d'or  (19),  les  recueils 
périodiques  les  mieux  places  sollici- 
taient sa  collaboration  avec  ardeur  : 
la  Quarterly  Review,  dirigée  par  son 
gendre,  recevait  et  payait  splendide- 

l'io)    Le   manuscrit    de  V Antiquaire    fut 
acbeté  ;Vo  Uv.  st.,  ou  laSo  ii\ 


488 


SCO 


ment  ses  articles;  il  écrivait  succes- 
sivement les  trois  volumes  de  ses 
Contes  d^un  grand-père  (1828,  1829, 
1830);  il  réimprimait  Ses  OEuvres 
complètes  par  livraisons  mensuelles, 
en  ajoutant  par  an  un  nouveau  ro- 
man, et  abandonnait  à  ses  créanciers 
la  moitié  des  bénéfices  de  cette  édi- 
tion (ainsi  parurent  les  deux  séries 
des  Chroniques  de  la  Canongate,  en 
1827  et  1828,  Anne  de  Geierstein,  en 
1829)  ;  il  refondait  la  matière  des 
Contes  d'un  grand-père  en  deux  vo- 
lumes, dont  s'emparait  VEncyclopé- 
die  du  docteur  Lardner  (1830),  en  les 
intitulant  Histoire  d'Ecosse,  landis 
qu'une  autre  collection,  la  Biblio- 
thèque de  Famille  (Family  Library), 
s'enrichissait  de  ses  eu  rieuses  JLef/r«5 
sur  la  démonologie  et  la  sorcellerie; 
et  que,  comme  pour  protester  par 
quelque  œuvre  d'art  contre  ceux  qui 
ne  voyaient  plus  en  lui  qu'un  com- 
pilateur à  la  vapeur,  il  réunissait  en 
un  volume  le  Jugement  de  Devorgoil 
et  la  tragédie  (VÂuchidrane.  Ce 
n'était  sans  doute  pas  une  réponse 
bien  péremptoire,  et  nous  somuies 
obligé  (l'avouer  qu'à  part  quelques 
exceptions  dont  nous  reparlerons, 
les  nouvelles  productions  de  Scott 
ôtaient  plus  qu'elles  n'ajoutaient  à  sa 
gloire.  Le  grand  et  presque  unique 
avantage  qu'il  en  retirât  était  d'avoir 
sans  cesse  à  jeter  de  nouveaux  lin- 
gots dans  le  gouffre  du  déficit.  Con- 
formément à  ses  engagements,  il  l'a- 
vait déjà  comblé  à  peu  près  à  moitié 
à  la  fin  de  1830,  puisqu'il  avait  payé 
à  cette  époque  1,350,000  fr.,  ce  qui, 
défalcation  faite  des  intérêts  décrois- 
sants, laissait  bien  près  d'im  million 
sur  le  principal.  Mais  ce  perpétuel 
labeur,  le  souci  et  enfin  l'âge,  plus 
irrémédiable  que  le  reste,  se  réunis- 
saient pour  l'accabler,  et  lui-même 
il  sentait  de  temps  en  temps  souffler 


SCO 

sur  lui  par  bouffées  le  vent  du 
découragement.  En  novembre  1830, 
il  résigna  cette  place  de  greffier  en 
chef  dont  depuis  vingt-quatre  ans  il 
remplissait  les  fonctions; toutefois,  à 
l'exemple  de  son  prédécesseur,  il 
"^arda  une  forte  quote-part  des  émo- 
luments. L'hiver  suivant,  il  éprouva 
des  symptômes  de  paralysie  :  la 
jambe  gauche  s'affaiblissait  graduel- 
lement, et  le  faisait  souffrir;  sa  lan- 
gue était  moins  prompte  à  expri- 
mer sa  pensée.  11  était  loin  de  croire 
cependant  qu'elles  dussent  sitôt 
lui  refuser  le  service.  Se  promenant 
au  commencement  de  1831  avec 
Wordsworth,  il  lui  détaillait  le  plan 
d'un  ouvrage  qui  commençait  à 
prendre  forme  dans  son  cerveau. 
«  Comment  !  s'écria  son  interlocu- 
teur, vous  pensez  à  donner  encore 
quelque  chose  au  public!  —  Si  j'y 
pense!  répondit  Scott.  Oh  !  j'ai  en- 
core vingt  ans  de  pensée  et  de  santé 
par-devers  moi.  »  Effectivement,  il 
n'avait  pas  tout  à  fait  soixante 
ans  ;  mais  il  ne  faisait  pas  attention 
que  pour  la  constitution  un  médecin 
lui  en  eût  donné  soixante-dix.  Ce- 
pendant il  comprit  qu'il  était  néces- 
saire d'user  de  plus  de  ménage- 
ments; et  il  crut  faire  merveille  en 
prenant  de  l'exercice  encore  plus 
que  par  le  passé,  en  allant  aux  as- 
semblées de  comté,  en  courant  aux 
meetings,  etc.  Ce  n'était  point  là  ce 
qu'une  sage  hygiène  lui  eût  recom- 
mandé. Il  aurait  fallu  au  contraire 
qu'il  évitât  les  agitations  morales. 
Déjà  la  révolution  de  1830  avait  été 
pour  lui  une  secousse  violente.  La 
vue  de  Charles  X  à  Holyrood  l'avait 
énm  profondément.  L'imminence  de 
la  présentation  du  bill  de  réforme 
par  lord  Russell  porta  son  mécon- 
tentement au  comble.  Profondément 
attaché  à  1^  lettre  de  la  vieille  cou 


SCO 


SCO 


489 


stitution  britannique,  il  voyait  dans 
la  moindre  atteinte  au  svstèrne  la 
décadence  de  la  Grande-Bretagne, 
et  il  croyait  du  devoir  de  tout  loyal 
et  fidèle  sujet  de  s'opposer  à  ce 
malheur.  Il  ne  balança  donc  pas, 
malgré  sa  faiblesse,  à  se  rendre  au 
meeting  de  Roxburgh  (en  mars 
1831) ,  et  il  écouta  non  sans  impa- 
tience les  harangues  des  ministé- 
riels presque  jusqu'au  bout  de  la 
séance.  Mais  enfin  il  denmnda  la  pa- 
role, et,  s'animant  à  mesure  qu'il  en 
disait  davantage,  il  excita  plus  d'une 
fois  des  murmures  par  la  véhémence 
avec  laquelle  il  caractérisa  la  pré- 
tendue absurdité,  l'iniquité,  l'in- 
constitutionnalilé  des  améliorations 
réclamées.  Il  tendait  le  bras  si  raide 
qu'il  semblait  montrer  le  poing  aux 
auditeurs.  Frappant  les  hustings  à 
grands  revers  de  main,  il  disait  : 
«  Oui,  eussé-je  dû  rougir  ces  ais  de 
mon  sang,  j'aurais  voulu  rendre  le 
dernier  soupir  en  combattant  ces 
mesures,  »  puis  les  démonstrations 
énergiques  et  la  sonorité  toujours 
fort  grande  de  son  poignet  ne  produi- 
sant que  peu  d'eftét  :  «  A  quoi  bon, 
dit-il,  copier  les  modt^s  politiques  de 
la  France?  car  dans  ces  innovations 
que  nous  nommons  réformes ,  il 
n'y  a  que  mode  et  caprice,  et  d'où 
vous  viennent  ces  caprices?  de  la 
France.  »  Et  enfin  ,  pour  terminer  : 
«  11  tant  que  je  prenne  congé  de  vous, 
gentlemen,  et  je  le  ferai  avec  le  mot 
bien  connu  du  gladiateur  à  l'empe- 
reur :  Monfwrus  vos  saiutai  1«  Cette 
péroraison  ne  toucha  pas  l'assem- 
blée; elle  exaspéra  même  quelques 
assistants ,  à  tel  point  qu'il  partit 
des  rangs  quelques  coups  de  sifflet. 
Scott  affecta  de,  ne  pas  s'en  aperce- 
voir, mais  il  les  entendit  fort  bien  ; 
et,  après  qu'un  autre  orateur  rut 
exprimé  son  opinion ,  il  p^rut  dere- 


chef à  la  tribune,  et  dans  cette  seconde 
allocution  il  déclara  ne  pas  plus  se 
soucier  d'entendre  siffler  certaines 
gens  que  d'entendre  braire  un  âne 
dans  les  champs.  On  voit  assez  au 
ton  de  cette  réponse  que  ,  malgré 
cette  impassibilité  apparente,  Scott 
avait  été  blessé  au  cœur,  et  que  quel- 
que mépris  qu'il  affectât  pour  les  ré- 
formistes, c'était  pour  lui  un  rude  dis- 
appointement  que  de  ne  pas  se  voir, 
même  dans  l'arène  politique,  égale- 
ment vénéré  par  ses  compatriotes  de 
toute  nuance,  presbytériens  comme 
anglicans  ,  radicaux  comme  ultra- 
tories. Et  pourtant  il  connaissait, 
car  qui  l'a  mieux  rendue?  la  furie 
des  passions  politiques.  Mais  la  va- 
nité aveugle  toujours  ,  même  quand 
elle  est  fondée:  on  se  croit  pré- 
cieux, aimé;  hélas!  qu'on  serait 
heureux  de  n'être  qu'oublié,  in- 
différent! La  belle  saison  suivante 
fut  triste  pour  Walter  ScoU.  On  ne 
saurait  dire  si  c'étaient  les  fuogrcs  de 
la  question  de  reforme  ou  les  progrès 
de  sa  mauvaise  santé  qui  le  tour- 
mentaient le  plus.  Mais,  contraire- 
menf'a  ses  habitudes  passées,  il  était 
devenu  quinteux,  morose,  inégal  : 
la  susceptibilité  de  feu  lady  Scott 
paraissait  revivre  en  lui  :  il  semblait 
qu'il  eût  un  fantôme  devant  les 
yeux,  le  fantôme  de  la  révolution 
française  passant  les  mers  et  venant 
secouer  ses  lorches  sur  l'Angleterre. 
Tout  cela  ne  l'empêcha  pas  de  pu- 
blier encore  ,  dans  le  courant  de 
cette  année  si  douloureuse ,  deux 
autres  romans,  Robert,  comte  de 
Paris j  et  le  Château  périlleux^  for- 
mant la  quatrième  «éiie  des  Contes 
de  mon  hôte.  Évidemment  Tinlen- 
tion  de  So(jtt  n'était  pas  de  s'en  te- 
nir là.  11  fit  à  L'udres  une  apparition 
en  octobre  l83i,  pour  compulser 
des  manuscrits  au  ISritish  Musam, 


490 


SCo 


méditant, on  n'en  peut  douter,  ou  un 
vingt-neuvième  roman  ou  une  his- 
toire, bien  que  nous  ne  puissions 
décider  lequel,  l'un  et  l'autre  peut- 
être.  Mais  dès  qu'il  fut  de  retour 
en  son  pays,  les  médecins  lui  dé- 
clarèrent qu'il  ne  pouvait  songer 
à  passer  Je  rude  hiver  en  Ecosse,  et 
qu'il  devait  aller  chercher  son  réta- 
blissement sous  un  ciel  plus  doux. 
II  opta  pour  l'Italie.  Le  cabinet,  tout 
whig  qu'il  était,  et  quelque  violent 
adversaire  qu'il  eût  trouvé  dans 
Scott,  s'honora  en  mettant  à  sa  dis- 
position un  navire  de  l'État,  le 
Barham ,  qui  faisait  voile  pour 
Malte,  et  qui,  après  un  court  séjour 
dans  cette  île,  le  débarqua,  le  27  dé- 
cembre., à  Naples.  Il  y  avait  deux 
mois  jour  pour  jour  qu'il  avait  quitté 
Portsmouth.  Sa  santé  avait  paru  s'a- 
méliorer dans  la  traversée,  et  cer- 
tainement le  beau  ciel,  le  doux  hi- 
ver napolitains,  n'empirèrent  pas  sa 
situation.  Il  put  même  écrire  quel- 
ques pages  d'un  roman  qu'il  intitu- 
lait Bizarro,  et  jeter  le  plan  d'un 
autre  qui  roulait  sur  ce  siège  de 
Malte  au  souvenir  duquel  est  attaché 
indissolublement  le  grand  nom  de 
Parisot  de  la  ValeHe.  Mais  rien  ne 
pouvait  réparer  des  ravages  aussi  pro- 
fonds que  ceux  dont  l'âge  et  le  cha- 
grin Pavaient  rendu  victime.  Il  vit 
Rome  au  mois  d'avril,  et  Tivoli,  et 
Albani,  et  Frascati  ;  mais  ni  ses  jam- 
bes ni  même  ses  yeux  ne  suffi- 
saient à  visiter  la  centième  partie 
de  ces  merveilles  ,  qui  jadis  eussent 
fait  bondir  son  cœur  de  poète  et 
d'antiquaire.  11  renonça  même  bientôt 
à  les  voir  :  ne  goûtant  plus,  n'en- 
tendant pas  les  explications,  rien  ne 
l'intéressait.  A  quoi  bon  se  charger 
de  souvenirs  quand  la  vie  s'en  va?  Il 
sentit  lui-même,  malgré  les  flatteuses 
eiipérances  dont  essayaientdeleber- 


/SCO 

cer  ses  amis,  et  quoique  la  lamp<» 
semblât  se  ranimer  quelquefois,  que 
l'huile  était  bien  basse.  Il  donna 
l'ordre  de  repartir  pour  l'Ecosse,  et 
voulut  mourir  dans  sa  patrie.  Le 
voyage  se  fit  un  peu  plus  rapidement 
peut-êlrequ'il  n'eût  été  à  propos  dans 
son  éiat  de  santé  :  du  reste,  il  fit 
lui  même  tout  ce  qu'il  fallait  pour 
accroître  son  mal^  il  travailla  un 
jour  dix-sept  heures.  Aussi  fut-il  en 
danger  de  périr  :  il  tomba  aux  envi- 
rons de  Nimègue  dans  un  état  d^n- 
sensibilité  complète  *,  et  si  un  de 
ses  domestiques  ne  l'eût  saigné,  on 
n'eût  ramené  en  son  pays  que  sa 
dépouille  mortelle.  Enfin  pourtant 
on  arriva  au  mois  de  mai  à  Londres, 
où  sa  fille  aînée,  sou  gendre,  ses 
amis  eurent  la  douleur  de  le  voir 
apathique,  sans  parole,  sans  mé- 
moire, presque  sans  pensée,  les  lè- 
vres inertes,  les  yeux  mornes,  et 
dans  cet  état  déplorable  où  les  amis 
ne  savent  plus  s'ils  doivent  souhai- 
ter la  prolongation  de  la  vie  de  celui 
qui  n'est  plus  que  l'ombre  de  lui- 
même.  Il  avait  prédit  que  telle  serait 
pour  lui  la  période  la  plus  voi- 
sine de  la  mort  ;  car  ainsi  avaient 
fini  son  aïeul,  son  père  ;  et  il  fallait 
qu'il  eût  observé  ce  déclin  signifi- 
catif de  l'être  avec  un  bien  sinistre 
attrait,  car  il  l'a  représenté  d'une 
manière  saisissante  dans  les  Chro- 
niques de  la  Canongate.  Parfois 
pourtant  la  pensée,  la  parole  lui 
revinrent  à  l'aide  du  repos,  et  il  en 
profita  pour  demander  à  revoir 
«  l'Ecosse  !  l'Ecosse  !  •  Rien  ne  pouvait 
désormais  le  sauver  -,  on  s'empressa 
d'accéder  à  ce  cri,  à  ce  vœu  su- 
prême, avec  toutes  les  précau- 
tions imaginables  pour  le  trans- 
port. On  quitta  Londres  le  7  juillet, 
on  atteignit  Edimbourg  le  9,  Abbots- 
lord  le  11.  Les  nuages  qui  pesaient 


SCO 

sur  sa  pensée  s'éclaircirent  alors  un 
peu  :  il  reconnut  à  Fushiebridge  sa 
vieille  hôtesse,  type  supposé  de  Meg 
Dodds;  il  pressa  la  main  de  son  ami 
Loidlaw.  Un  moment  on  eut  l'espoir 
qu'il  pourrait  se  rétablir  un  peu  ;  ce 
fut  pendant  un  long  somme  qu'il  fit, 
et  qui  ne  dura  pas  moins  de  vingt- 
sept  heures.  Mais  ce  faible  espoir  fut 
trompé  ^  et  il  acheva  de  mourir  le  21 
sept.  1832.  A  l'auptopsie  son  cerveau 
présenta  des  indices  frappants  du 
trouble  que  trop  de  travaux  avaient 
apporté  dans  la  faculté  de  penser:  plu- 
sieurs parties  de  l'encéphale  étaient 
affaissées  sous  des  globules  aqueux. 
De  Vix  cette  prostration,  cette  mélan- 
colie dont  il  ne  pouvait  secouer  le 
nuage.  Un  cercueil  de  plomb  revêtu 
de  drap  noir  à  ornements  dorés  reçut 
son  corps.  Le  convoi  fut  moins  nom- 
breux qu'on  ne  l'avait  présumé  :  sur 
trois  cents  personnes  conviées  par 
lettres  à  la  triste  cérémonie,  un  tiers 
peut-être  fit  défaut,  et  il  ne  vint 
spontanément  d'Edimbourg  que  dix 
ou  douze  étrangers.  Soixante  voitures 
de  toutes  sortes  et  quelques  cavaliers 
composèrent  donc  tout  le  cortège. 
L'atmosphère,chargée  des  brouillards 
si  communs  en  Ecosse,  était  lugubre 
et  comme  en  deuil  du  grand  peintre 
de  la  nature  écossaise.  Le  long  de  la 
roule, à  Selkirk  et  Melrose,  paysans 
et  citadins  marquaient  assez ,  sans 
suivre  les  obsèques,  leurs  sympathies 
pour  l'illustre  compatriote.  Tonte 
transaction  commerciale  fut  suspen- 
due, et  les  enseignes  voilées  de  noir. 
On  atteignit  ainsi  Drybourg  à  la  nuit 
tombante.  Les  Scott  avaient  là  un 
caveau  de  famille  au  milieu  des  ruines 
de  l'abbaye.  Le  vénérable  principal 
(le  l'université  d'Edimbourg,  G.- 
George Baird,  presque  nonagénaire, 
avait  prononcé  sur  les  restes  de  son 
aucieii  élève,  avant  de  «juilter  Âb- 


SCO 


[91 


botsford,  une  prière  presbytérienne: 
à  Drybourg,  l'office  funèbre  fut  cé- 
lébré selon  le  rite  anglican  par  un 
autre  ecclésiastique  (J.  Williams, 
recteur  de  l'académie  d'Edimbourg). 
A  Glascow,  tous  les  navires  mirent  le 
pavillon  en  berne.  Un  peu  plus  tard 
on  lui  érigea,  sur  la  place  Saint-Geor- 
ges de  cette  ville,  une  colonne  dont 
la  première  pierre  fut  posée ,  le  2 
oct.  1837,  par  le  lord-prévôt ,  au 
milieu  des  magistrats,  avec  proces- 
sion des  francs-maçons  et  accompa- 
gnement du  9«  de  lanciers.  On  lui  a 
érigé  aussi  un  beau  monument  à 
Edimbourg. —  L'extérieur  de  Walter 
Scott  était  sans  grâce,  même  dans  sa 
jeunesse,  et  sans  distinction  ,  même 
quand  il  se  vit  recherché  des  som- 
mités du  grand  monde.  Le  ménestrel 
de  la  frontière ,  le  baronnet  de  la 
vallée  de  la  Tweed  ressemblait  à  un 
rude  paysan,  à  un  gros  et  âpre  fer- 
mier, ou  tout  au  plus  à  un  régisseur 
de  biens  ruraux  ou  à  un  notaire  de 
campagne.  Ses  vêtements  étaient 
communs.  Il  avait  de  haut  six  pieds 
anglais  ;  il  était  gros  de  poitrine, 
sans  tendance  h  l'obésité,  du  moins 
jusqu'à  quarante-cinq  ans.  Mais  il 
y  avait  dans  tout  son  air,  dans 
ses  allures,  quelque  chose  de  gauche 
et  presque  de  souffrant.  Ou  sentait 
comme  de  l'inharmonie  dans  sa  per- 
sonne. Évidemment  la  cause  de  cette 
étrangeté,  c'était  sa  jambe,  ou  plutôt 
la  disposition  organique  dont  pro- 
venait l'infirmité  de  cette  jambe.  En 
effet,  bien  qu'il  n'en  eût  qu'une  de 
difforme  (la  droite),  l'autre  se  termi- 
nait par  un  pied  démesurément  long. 
La  tête  était  mieux  et  sans  défaut  de 
conformation.  Aussi  n'existe- 1 -il 
guère  de  lui  que  des  portraits  et 
des  bustes.  On  cite  comme  le  plus 
beau  de  ces  derniers  celui  de  Chan- 
trey,  qui  u  rendu  magnifiquement 


493 


SCO 


rexprcssioii  de  la  lête  dn  pocic.  Il 
Tant  en  dire  autant  de  sou  porlrait 
p;ir  Watsoti  Gordon,  qui  Ta  fixé  sur 
la  toile,  souriant  d'un  rire  gracieux 
k  quelque  pensée  comique  et  l'œil 
ferme,  non  par  l'abaissement  de  la 
paupière  supérieure,  mais  parce  que 
l'inférieure  s'est  relevée.  Cette  par- 
ticularité rare,  et  qui  demeura  ina- 
perçue pour  presque  tous  les  autres 
artistes,  était  un  trait  caractéristique 
de  la  physionomie  de  Scolt,  ainsi 
que  la  forme  ronde  et  peu  agréable 
de  son  nez,  et  la  distance  un  peu  forte 
de  son  nez  à  sa  bouche,  et  la  hauteur 
de  sa  tête  an-dessus  des  sourcils , 
avec  cette  différence  que  ces  derniers 
traits  étaient  constants,  et  que  ce  re- 
lèvement des  paupières  inférieures  ne 
l'était  pas.  Souvent,  en  effet,  il  avait 
une  expression  solennelle,  par  exem- 
ple quand  il  parlait  d'un  objet  ou 
d'un  être  qui  lui  inspirait  de  la  vé- 
nération, et  plus  souvent  encore  son 
expression  était  tout-à-fait  nulle. 
Ses  yeux  mêmes  étaient  pour,rordi- 
naire  petits  et  presque  sans  regard, 
ce  qui,  avec  des  cheveux  dNin  blond 
très-pâle,  qui  furent  blancs  de  bonne 
heure,  des  joues  pleines,  de  gros 
sourcils  gris,  quelque  chose  d'in- 
certain dans  le  port  de  la  têle,  ache- 
vait d'empreindre  un  stigmate  de 
vulgarité  sur  une  face  qu'on  eût 
souhaitée  plus  rayonnante  ou  plus 
labourée.  Nous  ne  nous  en  étonnons 
point  pour  notre  part;  jamais  l'ac- 
cent, le  style  et  la  couleur,  jamais  la 
marche  de  la  pensée  chez  Scott  ne 
nous  avaient  fait  imaginer  qu'il  eût 
habituellement  du  volcanique  en  soa 
regard,  et  quiconque  a  observé  ces 
yeux  émoussés  et  ternes  que  lève  sur 
vous  le  mathématicien  interrompu 
dans  une  intégration  ,  pourra  con- 
clure par  induction  ce  que  devait 
émettre  d'éclairs  et  d'étincelles  l'ceil 


SCO 

de  Tantiqnaire  se  repliant  sur  l'in- 
terne  et  fouillant  le  passé.  Il  était 
des  moments  cependant  où  Scott  avait 
le  regard  moins  éteint;  et  on  l'a  vu, 
même  à  son  bureau  de  greffier,  quand, 
arrêté  soudainement  et  cessant  de 
faire  courir  sa  plume  ,  au  bout  de 
deux  ûu  trois  niinuîes  il  trouvaitou 
le  souvenir  fugitif  ou  la  solution 
cherchée  ,  lever  un  instant  ia  têle 
avant  de  reprendre  le  travail.  Ses 
yeux  étaient  comme  inondés  d'un 
fluide  lumineux  en  même  temps  qu'à 
sa  mémoire  oii  à  son  intelligence 
affluait  le  torrent  des  pensées,  et  sa 
bouche  souriait  comme  celle  de  l'ora- 
teur au  moment  qui  lui  découvre  un 
vaste  horizon  d'idées.  Sa  conversa- 
tion était  de  même  :  jamais,  pour  les 
étrangers  du  moins  et  les  siujples 
connaissances,  elle  n'offrait  l'incan^ 
descent,  le  piquant,  l'émouvant  de 
Shéridan  ou  de  Coleridge^  à  peine 
même  offrait -elle  de  loin  en  loin 
ce  que  vous  vous  fussiez  attendu  à 
y  trouver,  quelque  chose  du  gra- 
cieux de  Goldsmith  ou  de  l'humour 
d'Addison.  En  vain  vous  mettiez  la 
conversation  sur  ce  qu'il  connaissait 
le  mieux  ou  affectionnait  le  plus, 
sur  son  Ecosse,  sur  la  minstrelsy, 
sur  les  quaichs,  sur  les  Kelpies,  sur 
les  objets  d'art  et  d'antiquité  qui 
l'entouraient,  sur  ses  propres  ouvra- 
ges*, il  arrivait  même  que,  voulant 
plaire,  il  n'échangeait  des  heures 
durant  que  des  lieux  communs,  sans 
rien  de  saillant,  d'intéressant  ou 
d'instructif.  Nul  doute  à  nos  yeux 
qu'il  n'en  fût  pas  et  surtout  qu'il 
n'en  eût  pas  toujours  été  ainsi.  Plus 
jeune  et  quand  il  était  en  sympa- 
tiiie,  en  confiance,  qu'il  recueillait 
des  matériaux,  qu'il  interrogeait, 
qu'il  n'était  point  censé  poser,  il  de- 
vait y  avoir  parfois  profit  et  plaisir 
à  l'entendre.  Mais  tout  cela  en  défi  - 


SCO 

nitive  nVst  qu'exception  ,  et  l'on 
pent,  toujours  regarder  deux  points 
comme  incontestables  :  l'un,  que 
cette  conversation  qui  mousse  et  pé- 
tille, qui  tantôt  s'élève  au  drame  ou 
au  lyrisme,  tantôt  sVffile  en  épi- 
grammes,  ou  s'effeuille  en  madri- 
gaux, ou  s'éparpille  en  bluettes, 
n'était  ni  dans  les  moyens  ni  dans  les 
goûts  de  Walter  Scott;  l'autre,  que 
même  pour  la  conversation  unie  et 
sensée  sans  vulgarité,  peu  d'interlo- 
cuteurs trouvaient  en  lui  l'homme 
qui  voulût  ou  qui  sût  leur  tenir  tête. 
En  réalité  il  y  avait  en  lui  ce  qu'un 
de  nos  amis  nommait  un  jour  plum 
heum  quid,  certaine  lourdeur  qui 
nuisait  à  l'essor  de  la  pensée  :  de 
là  sa  parole  comme  embourbée,  pâ- 
teuse, incolore,  sans  sonorité.  La 
plume  à  la  main,  au  contraire,  il 
cause  à  ravir,  il  jette  le  niot,  il  re- 
lève la  réplique,  il  laisse  et  reprend 
la  parole  avec  bonheur,  il  est  vigou- 
reux, précis,  incisif,  il  est  bonhomme 
et  homme  d'esprit,  et,  s'il  y  a  iieu, 
il  devient  éloquent.  Voilà  pourquoi 
so!i  dialogue  est  généralement  ad- 
mirable, pourquoi  ses  préfaces  le 
plus  souvent  égalent,  quand  elles  ne 
surpassent,  ce  qu'il  y  a  de  plus  'îx- 
quis  dans  le  Spectateur,  pourquoi 
ses  lettres  présentent  au  plus  haut 
degré  la  réunion  de  tout  ce  qui 
consiitue  la  perfection  épistolaire. 
On  retrouve  quelque  chose  de  ce 
mélange  d'insuffisance  et  de  qualités 
dans  les  résultats  de  .ses  études  lin- 
guisl  iques.  Doué  d'une  très-heureuse 
mémoire  et  pouvant  retenir  de  lon- 
gues tirades  de  vers  entendues  une 
ou  deux  fois,  il  n'avait  pourtant  pas 
poussé  très-loin,  lui,  antiquaire, 
l'étude  (lu  gaélique  et  de  l'anglo 
saxon.  Il  savait  très- passablement 
l'espagnol  et  l'italien,  bien  l'alle- 
mand^ très-bien  le  français;  dans 


SCO 


49: 


aucune  de  ces  langues  cependant  il 
n'eût  pu  converser  long-temps  avec 
élégance,  aisance  et  fiiiesse.  Le  fran- 
çais même,  qu'il  avait  cultivé  plus 
particulièrement,  qu'il  possédait  au 
point  d'entendre  peut-être  mieux 
que  beaucoup  de  nos  compatriotes 
nos  vieux  chroniqueurs  et  nos  vieux 
poètes,  il  le  parlait  ou  le  prononçait 
assez  incorrectement  pour  qu'un  de 
ses  admirateurs  de  ce  côté-ci  de  la 
Manche  s'écriât  :  «  Ah  !  comme  il  es- 
tropiait le  français  du  bon  sire  de 
Joinville  !  »  Phénomène  du  reste 
fort  peu  surprenant  en  un  pays  où 
Shéridan  et  Burke,  citant  à  la  cham- 
bre des  communes  je  ne  sais  quel 
pnssage  français  où  était  le  mol  mal- 
heureux, se  reprenaient  mutuelle- 
ment sur  leur  prononciation,  l'un 
prétendant  qu'il  fallait  dire  méluru, 
l'autre  tenant  bon  pour  moiirou, 
Walter  Scott  était  doué  d'un  grand 
courage  moral.  La  manière  dont  it 
prit  le  revers  qui  l'accabla  en 
1825  en  fournit  une  preuve  à  la- 
quelle nous  en  ajouterons  une  autre, 
c'est  que  ce  fut  pendant  les  terribles 
accès  qui  suivirent  sa  maladie  bi- 
lieuse de  1818  qu'il  dicta  les  aum- 
santes  scènes  où  figure  la  burlesque 
figure  deCaleb.  Quelquefois,  au  mo- 
ment le  phis  plaisant  du  dialogue, 
une  crise  coupait  la  vojx  au  malade; 
il  s'arrêtait  un  instant,  puis,  se  fai- 
sant répéter  le  dernier  mot,  il  re- 
prenait le  fil  du  récit.  Cet  éloge  ba- 
nal, gravé  sur  tant  de  tombes  et  la 
plupart  du  temps  si  hors  de  propos, 
«  bon  fils,  bon  frère,  bon  père,  bon 
époux...,"  Scott  le  méritaaussi  da/js 
toute  la  force  du  terme;  et  l'éloge 
doit  être  d'autant  plus  vif  que  bien 
souvent  il  lui  en  coûta  pour  s'en 
montrer  digne.  Nous  l'avons  vu  ob- 
tempérer aux  goûts  de  son  père  plu- 
tôt que  de  suivre  les  siens  en  se  met- 


494 


SCO 


tant  à  copier  des  minutes  et  à  li^diger 
lies  actes  ;  il  eut  souvent  besoin  de 
patience  avec  les  nerfs  de  lady  Scott  ; 
il  ne  balança  pas  à  faire  de  très- 
grands  sacrifices  pour  son  fils  aîné, 
et  ce  fut  surtout  à  cause  de  sa  tille 
cadette  qu'en  1827  il  consentit  à  res- 
susciter en  quelque  sorte  pour  la  vie 
mondaine.  Ce  fut  d'ailleurs  le  désir 
de  laisser  aux  siens  une  fortune  in- 
contestée qui,  après  1825,  le  préci- 
pita dans  les  travaux  qui  accélérè- 
rent le  terme  de  sa  vie.  Il  fut  de 
même  bon  maître,  bon  collègue  et 
bon  ami.  Il  était  comme  un  père  pour 
ses  vassaux  ;  il  veillait  à  leur  bien- 
être,  mettait  leurs  enfants  en  ap- 
prentissage, leur  fournissait  des  tra- 
vaux. Presque  tous  les  ornements 
gothiques  d'Abbotsford  furent  exé- 
cutés par  des  paysans  formés,  in- 
struits sous  ses  yeux,  et  qui  la  plu- 
part devinrent,  grâce  à  lui,  d'excel- 
lents ouvriers.  Ainsi  Voltaire  à  Fer- 
ney.  Il  peut  se  faire  que  l'un  et 
l'autre  y  aient  trouvé  leur  compte  ; 
mais  la  population  y  trouvait  aussi 
le  sien.  La  bienveillance  était  eui- 
preinte  sur  son  visage,  à  tel  point 
que  ceux  même  qui  d'abord  auraient 
été  tentés  de  le  croire  hostile  se  sen- 
taient rassurés  en  l'apercevant.  Un 
jour  qu'il  faisait  au  Liddesdale  une 
(le  ces  excursions  poétiques  par  les- 
quelles il  se  retrempait  l'imagina- 
tion, et  que,  sous  les  auspices  de 
Shortreed ,  il  commençait  à  s'in- 
staller chez  un  brave  fermier  absent 
alors  pour  quelques  moments,  son 
compagnon  de  voyage,  voulant  don- 
ner une  plus  haute  idée  de  l'étranger 
àWilIie  O'Milburn  (c'était  le  nom  du 
paysan),  lui  dit  aussitôt  qu'il  fut  re- 
venu :  «  Hé  !  hé  !  nous  avons  ici  un 
avocat...  Il  est  en  cet  instant  à  l'é- 
curie, donnant  un  coup  d'œil  à  son 
cheval.  "Grand  effroi  de  la  part  du 


SCO 

fermier;  car,  à  cette  époque,  loi  et 
homme  (!e  loi  étaient  des  mots  fort 
mal  sonnants  à  l'oreille  des  gens  de 
la  vallée,  souvent  brouillés  avec  la 
justice.  Le  prudent  Écossais  ne  dit 
rien,  mais  il  alla  pousser  une  recon- 
naissance autour  de  l'écurie  pour  sa- 
voir à  quoi  s'en  tenir  sur  la  férocité 
du  loup-cervier.  Il  en  revint  la  face 
épanouie  :  «  C'est  là  l'avocat  ?  dit-il. 
—  Oui,  Willie.  —  Diantre  soit  de 
ma  peur!  C'est  tout-à-fait  un  enfant 
de  notreîcoin  (20)  !  »  Ses  amis,  qui 
furent  nombreux,  et  même  de  simples 
connaissances,  le  trouvaient  obli- 
geant, dévoué.  Son  commerce  était 
sûr,  son  affection  inébranlable.  Il 
était  si  droit  que  dans  une  circon- 
stance donnée  on  pouvait  prédire 
avec  exactitude,  le  connaissant,  ce 
qu'il  allait  faire.  Des  étourderies, 
des  fautes  même  ne  l'aliénaient  pas  : 
quand  une  fois  on  l'avait  conquis,  on 
le  possédait  pour  la  vie.  D'excellent 
conseil,  il  n'imposait  pourtant  pas 
ses  avis  ;  et  s'il  grondait,  il  aidait, 
quoique  avec  prudence,  comme  le 
vieil  Oldbuck,  dont  il  a  saisi  à  mer- 
veille la  nuance  de  parcimonie  et  de 
générosité ,  parce  que  c'était  la 
sienne.  Au  total,  on  peut  dire  qu'il 
n'était  guère  avare  que  de  son 
temps  :  time  is  money,  et  il  eût  pu 
dire,  lui,  au  taux  qu'avaient  atteint 
ses  ouvrages,  second  is  silver,  mi- 
nute is  gold.  C'est  à  lui  qu'on  attri- 
bue l'invention  de  ces  cadrans  dont 
les  aiguilles,  adaptées  à  la  sonnette, 
s'arrêtent  sur  tel  ou  tel  point  de  la 
circonférence, selon  l'ordre  adonner, 
de  façon  que  le  domestique  ne  vienne 
pas  interrompre  le  maître  pour  re- 
cevoir de  lui  un  ordre  verbal.  Du 
reste,  quoique  ainsi  économe  des  mi- 
nutes, Scott,  dont  la  devise  était  de 

(20)  Yun's  jiist.  a  cliicld  like  omsells. 


SCO 

ne  céder  en  rien,  trouvait  des  heures 
à  donner  à  la  socie'té,  à  la  prome- 
nade :  il  ne  travaillait  que  le  matin, 
avant  et  après  le  déjeuner  jusque 
vers  une  heure  ;  il  se  trouvait  alors 
(les  jours  où  la  besogne  taillée  à  l'a- 
vance se  réduisait  à  conter,  à  dialo- 
guer, à  décrire,  à  exécuter  en  un 
uiot)  avoir  achevé  à  peu  près  une 
feuille  d'impression,  d'où  environ 
vingt-cinq  feuilles  ou  un  volume 
tous  les  mois,  s'il  ne  se  relâchait 
point  de  sa  ponctualité  habitiielle. 
Il  avait  été  un  peu  gastronome  avant 
l'âge  de  quarante  ans  ;  à  mesure  qu'il 
avançait  vers  la  vieillesse,  il  le  de- 
venait de  moins  en  moins  :  cepen- 
dant il  ne  faisait  point  comme  Vol- 
taire, que  paraître  et  disparaître  à 
table.  La  séance  levée,  on  passait 
dans  la  bibliothèque,  où  la  conver- 
sation, la  harpe  de  mistriss  Lockhart 
ou  le  piano  de  Scott,  de  superbes 
collections  de  gravures  à  feuilleter, 
occupaient  les  hôtes  qui  là  encore 
savouraient  sans  s'en  apercevoir  une 
création  de  Walter  ;  car  tout  chez 
lui  émanait  de  lui  :  sa  demeure  était 
un  petit  royaume  où  tout  était  em- 
preint de  sa  volonté  calme  et  sans  fra- 
cas, mais  efficace  et  impulsive  (21). 


(21)  Voici  de  quelle  maoière  M.  d'Haussez 
léfiit  le  «hâteau  d'A!)botsford  :  «  La  route, 
que  nous  mîmes  sept  heures  à  parcourir, 
traverse  uu  pays  montagneux  sans  être 
pittoresque,  cultivé  quoique  dépourvu 
d'iiahitations ,  et  qui  n'est  remarquable 
que  par  la  monotonie  d'une  vallée  dont 
la  route  occupe  le  l'ond,  à  quatie  milles 
d'Abhotsford.  On  passe  a  peu  de  distance 
de  Melrose,  petite  ville  baignée  par  une 
rivière  qui,  dans  son  cours  rapide,  met 
en  mouvement  de  nombreuses  machines. 
Deux  milles  plus  loin  on  trouve  la  Tweed, 
et  on  arrive,  par  une  pente  rapide,  à  un 
château  d'architecture  gothique,  situé  au 
pied  d'une  colline  fort  élevée,  sur  laquelle 
<les  ])lantations  récemment  faites  entou- 
rent uu  parc  fortva.ste.  Eu  avant  du  châ- 
teau se  trouve  une  cour  peu  spacieuse, 
formée  par   un    mur  crénelé  de  l'autr» 


SCO 


495 


Tout  dans  le  château  comme  dans 
ses  romans  allait  de  soi-même  et  au 


côté.  La  vue,  bornée  par  des  moutagnes, 
ne  peut  se  développer  que  sur  uue  prai- 
rie, à  l'extrémité  de  laquelle  coule  la 
Tweed,  dont  les  eaux  tranquilles  eui- 
bellisseut  le  paysage  sans  l'aijitncr.  Ce 
n'est  que  de  la  cour  que  l'on  j)eut  saisir 
l'ensemble  du  bâtiment  et  se  rendre 
compte  de  la  bizarrerie  de  son  architec- 
ture. Sir  Walter  Scott,  qui  a  puisé  les 
sujets  de  ses  principaux  ouvrages  dans  le 
moyen  âge,  s'est  attaché  à  reproduire  le 
style  des  édifices  de  cette  époque  dans 
toute  sou  originalité,  dans  tous  ses  défauts, 
jusque  dans  ses  nombreux  ia<;onvénienls. 
A  Pextérieur,  l'originalité  que  l'on  re- 
proche aux  châteaux  des  onzième  et  dou- 
zième siècles  apparaît  dans  toute  son  ex- 
travagance. L'architecte  a  dû  faire  des 
frais  extraordinaires  de  mémoire  ou  d'ima- 
gination pour  varier  comme  il  l'a  fait  la 
forme  et  la  dimension  des  croisées  et  des 
ornements  disparates  dont  il  a  surchargé 
les  façades  de  plusieurs  corps  de  logis 
appliqués  les  uns  contre  les  autres  pour 
en  coinjmser  une  habitation  unique.  Un 
péristyle  en  saillie  conduit  à  une  pièce 
assez  vaste  dont  les  murs  sont  entière- 
ment couverts  d'armes,  d'armures,  de  tous 
les  pays,  de  tous  les  âges,  et  d'objets  de 
curiosité  de  tous  genres.  A  gau<'he  une 
porte  étroite  ouvre  sur  un  palier  très- 
resserré,  d'où  l'on  passe  dans  une  salle  à 
manger;  de  celle-ci  dans  un  salon,  à  la 
suite  duquel  une  pièce  immense  |)résente 
une  bibliothèque  précieuse  par  le  nom- 
bre et  le  choix  des  livres  encadrés  avec 
beaucoup  de  goût  dans  une  décoration  de 
style  gothique.  Sur  un  des  côtés  de  la 
bibliothèque  se  trouve  une  porte  qui  fait 
communiquer  avec  le  cabinet  de  travail. 
Un  escalier  étroit,  rapide,  à  marches  très- 
éîevées,  mène  à  l'étage  supérieur,  «lans 
lequel  on  a  pratiqué  plusieurs  chambres 
peu  spacieuses,  communiquant  entre  elles 
par  uu  corridor  dont  la  dimension  se 
refuse  au  passage  de  deux  personnes 
man-hant  de  front.  L'ameublement  de 
celte  étrange  habitation  en  compense  l'in- 
commodité par  sou  originalité.  Presque 
tous  les  meubles  qui  le  composent  sont 
historiques,  et  leur  destination  primitive 
est  indiquée  par  des  iuscrijjtions  gravées 
sur  des  plaques  en  cuivre  incrusté.  Pour 
se  faire  une  idée  de  la  richesse  et  de  la 
variété  de  celte  collection,  il  faut  savoir 
que  tous  les  seigneurs  des  trois  royaumes 
se  sont  fait  une  sorte  de  devoir  de  l'en- 
richir des  objets  les  plus  curieux  que  ren- 
fermaient leurs  châteaux,  cl   qu'elle   est 


4% 


SCO 


nii<Mix  comme  pA  cnclianlement , 
laiit  (lu  fouri  de  son  cabinet,  sans 
faire  un  pas  lui-même,  il  faisait  ha- 
bilement mouvoir  les  rouages  ei  les 
ressorts!  Jamais  d'apprêts,  moins  de 
luxe  que  de  comiort,  mille  petits 
soins,  une  propreté  féerique,  une 
température  égale  et  tiède  en  dépit 
du  50'=  ou  57^  degré  de  latitude  et 
d'une  rivière  marécageuse  ;  des  do- 
mestiques glissant  les  pieds  envelop- 
pés de  flanelle  le  long  d'immenses 
galeries  et  prévenant  vos  désirs  sans 
attendre  l'appel  de  la  sonnette  ;  dans 
chaque  chambre  une  fourniture  com- 
plète de  bureau,  crayons,  bibliothè- 
que en  miniature,  cahiers  d'estam- 
pes, petite  horloge,  tuyau  de  bronze 
donnant  ad  libitum,  par  un  seul  tour 
de  vis,  une  éclatante  lumière.  S'il  est 
vrai  que»  loger  un  ami  c'est  se  char- 
ger de  son  bonheur  pour  tout  le 
tiinps  qu'on  le  possède,  »  soit  faste, 
soit  cœur,  soit  bon  goût,  jamais  per- 
sonne mieux  que  Walter  Scott  ne 
réalisa  ce  programme.  JNé  irritable, 
ou  nous  l'assure,  ou  du  moins  assez 
impressionnable  pour  qu'il  ne  tînt 
qu'à  lui  d'avoir  un  caractère  très- 
difficile  (22),  il  atténua  si  bien,   la 


«  ainsi  d<!veuue  une  espèce  de  musée  con- 
"  sacré  à  1;)  réuuion  de  tout,  ce  que  le  pays 
«  où  le  régime  féodal  s'e^t  perpétué  le  plus 
<c  loi)g-tein[)S  avait  conservé  de  précieux 
«  dans  ce  genre.  »  Par  exemple,  un  miroir 
d'Anne  de  Boleyn,  deux  fauteuils  de  Marie 
Stuart,  etc.,  etc.,  —  et  <ette  urne  de  por- 
pli yre  recueillie  eu  Grèce  par  Byrou,  et  con- 
teuaut  des  ossements. 

(22)  En  effet,  nous  avons  vu  que  Scott, 
quand  l'afflictiou  l'atteignit,  devint  moins 
facile  à  vivre.  Il  est  à  remarquer  qu'il  a 
peint  admirai)Ipinent  cette  dis[)osition  à  s'ir- 
riter de  tout  quand  un  malheur  est  proche: 
témoin  sir  Arthur  Wardour  à  la  veille  d'être 
arrêté  pour  dettes,  et  le  duc  de  Rothsay 
quand  il  croit  aller  a  une  partie  de  plaisir- 
et  qu'il  marche  a  la  mort  en  comp  iguie  de 
sir  John  Ramorny. 


SCO 

bonne  santé  aidant  et  peut-être  aus.si 
le  bien-être,  ces  fâcheuses  disjmsi- 
tions,  qu'on  vantait  son  égalité  d'hu- 
meur, sa  douceur,  son  esprit  de  con- 
ciliation et  de  tolérance.  Il  était 
tolérant  en  effet,  quoique  homme  à 
principes  et  quoique  ferme  pour  ne 
pas  dire  opiniâtre,  étroit  et  un  peu 
partial  sur  ce  qu'en  politique,  en  re- 
ligion et  en  fait  d'organisation  so- 
ciale il  croyait  au-dessus  de  la  dis- 
cussion. Généralement  toute  polé- 
mique lui  déplaisait ,  même  sur 
des  points  de  littérature  et  d'anti- 
quités. Aussi  ne  répondit-il  jamais 
à  aucune  des  critiques  portées  sur 
ses  ouvrages.  Il  n'eût  tenu  qu'à  lui 
sans  douie  de  rendre  blessure  pour 
blessure  :  mais  il  a  gardé  tout 
entière  sa  verve  d'ironie  pour  les 
personnages  moqueurs  de  ses  ro- 
mans. «  J'ai  toujours  laissé  tomber, 
dit-il,  les  parodies  et  les  plaisante- 
ries dirigées  contre  moi,  me  gardant 
bien,  quand  quelques-unes  de  ces 
fusées  sifflaient  sous  mes  pieds,  de 
les  ramasser  comme  font  les  éco- 
liers pour  les  rejeter  à  ceux  qui  les 
avaient  lancées,  me  rappelant  sage- 
ment qu'on  peut  les  voir  éclater  en 
ses  mains.  »  C'est  ce  que  l'on  re- 
marque surtout  à  propos  du  Mo- 
nastère, dont  nous  ne  contesterons 
pas  la  faiblesse  comme  œuvre  d'art 
et  comme  peinture  de  mœurs,  mais 
où  l'on  a  blâmé  trop  sévèrement  les 
apparitions  et  ie  rôle  de  la  Dame 
bianche  d'Avenel.  Le  romancier  ne 
réclama  point  ^  la  Dame  blanche  tint 
peu  de  place  dans  VÂbbé,  qui  fit 
suite  au  Monastère ;^u\s  immédiate- 
ment après  il  passa  de  l'Ecosse  à 
l'Angleterre,  de  la  reine  Marie  à  la 
reine  Elisabeth,  en  écrivant  Kenil- 
worth.  Il  est  très-probable  que  cette 
appréhension  des  vaines  querelles 
fut  l'une  des  grandes  raisons  qui  le 


SCO 

déterminèrent  à  commencer  en  quel- 
que sorte  une  seconde  existence  lit- 
téraireà  l'abri  derrière  le  nom  d'  «au- 
teur de  Waverley,  »et  que  le  charme 
d'un  mystère  analogue  à  celui  de 
Chatterton,  étonnant  les  curieux  pur 
ses  Rowley^s  Reliques,  ou  de  Wal- 
poie,  donnant  le  Château  d'Otranie, 
ne  venait  qu'en  seconde  ligne.  Grâce 
à  cette  longanimité  ou  à  cette  insou- 
ciance de  ce  qu'on  pouvait  décocher 
de  désagréable  sur  son  compte,  Scott 
se  maintint  en  paix  avec  le  genus  ir- 
ritabile  comme  avec  les  gentlemen 
ses  collègues  et  ses  voisins.  Ceux-ci, 
jamais  il  ne  les  effarouchait,  parce 
que  jamais  il  n'apportait  en  société 
de  prétentions  à  l'esprit,  parce  qu'il 
restait  bonhomme,  parce  qu'il  avait 
toujours  l'air  bon  rentier,  ou  maî- 
tre-greffier, ou  paisible  fermier,  et 
parce  qu'il  ne  redevenait  littéra- 
teur que  dans  sa  bibliothèque  ou 
avec  les  littérateurs.  Et  les  litté- 
rateurs eux-mêmes  étaient  forcés 
de  ne  plus  lui  être  hostiles,  ou  du 
moins  l'étaient  infiniment  moins 
qu'ils  ne  l'eussent  été,  et  cela  parce 
qu'il  souriait  au  talent,  fût-il  encore 
en  herbe ,  parce  qu'il  distribuait 
avec  plaisir  l'éloge  ou  l'encourage- 
ment à  tout  ce  qui  le  méritait  sans 
acception  d'école  ou  de  nuance  poli- 
tique. Southey  et  Shelley,  Jeffrey  et 
Gifford,  Wordsworth  et  Campbell , 
Lewis  et  Joanna  Baillie  avaient  cha- 
cun, à  titres  divers,  part  k son  admi- 
ration et  à  ses  louanges,  qui  pourtant 
n'étaient  pas  des  louanges  banales  et 
qui  surtout  n'impliquaient  pas  ap- 
probation des  écarts  de  quelques- 
uns  d'entre  eux.  Byron  lui-même, 
qui  l'avait  d'abord  compris  dans 
ses  anathèmes  contre  les  Scot- 
tish  Reviewers,  parce  qu'il  apparte- 
nait à  la  Revue  (V Edimbourg ,  et 
dont  le  courroux  n'était  pas  encore 


SCO 


497 


tout-à-fait  éteint  lorsqu'il  publia  sou 
second  recueil  de  poésies  mêlées^ 
sut  ensuite  que  Scott  n'avait  été 
pour  rien  dans  le  fameux  article  de 
1807  et  se  lia  avec  lui  d'une  amitié 
aus.si  cordiale  que  pouvaient  le  per- 
mettre la  distance  des  lieux  et  la 
diversité  des  humeurs.  (1  lut  avec 
délices  les  Waverley  Novels ,  van- 
ta sans-arrière  pensée  comme  sans 
réserve  le  caractère  de  l'auteur, 
et  lui  dédia  Caïn.  Cette  aménité 
de  Scott,  cette  absence  de  morgue 
et  de  jalousie  ;ne  se  bornaient 
point  à  des  paroles,  il  agissait  aussi 
en  faveur  de  ceux  qui  annonçaient 
quelque  talent.  C'est  lui  qui ,  ap- 
préciant de  prime-abord  le  mérite 
de  Bertram,  recommanda  Maturin 
à  Byron,  alors  membre  du  comité  de 
Drury  -  Lane.  Il  aplanit  à  Jacques 
Hogg,  si  connu  sous  le  nom  du  barde 
d'EttricJCf  les  obstacles  que  le  man- 
que de  fortune  et  l'infériorité  de 
rang  multipliaient  autour  de  lui. 
Bien  d'autres  débutants  sur  la 
scène  littéraire  lui  durent  leur  en- 
trée et  quelques  bravos  et  droits 
d'auteur  ^  bien  d'autres  vétérans 
dans  la  détresse  lui  durent  une  as- 
sistance pécuniaire  dont  son  em- 
pressement et  sa  délicatesse  de  pro- 
cédés doublaient  le  prix;  et  quand 
son  propre  désastre  le  mit  dans  l'im- 
possibilité de  rendre  ce  genre  de 
service  à  ses  confrères,  il  essaya 
fréquemment  par  les  recensions  qu'il 
faisait  de  leurs  ouvrages,  dans  la 
Quarterly  ou  ailleurs,  d'améliorer 
leur  position  :  on  pourrait  même 
dire  que  quelquefois  ses  intentions 
charitables  l'entraînèrent  un  peu 
avant  dans  la  voie  de  l'indulgence, 
et  il  le  sentit,  il  l'avoua  peu  chari- 
tablement peut-être  :  «  Je  fais  de 
«mon  mieux,  disait -il,  mais  ils 
«  me   démentent    par    de    mauvais 

.32 


498 


SCO 


-  oiivra^rs.  Il  est  des  grns  qui  se 
«  donnent,   pour   se    damner  eux- 
.  niriîios,  une  peine  incroyable;  rien 
«  ne  peut  les  sauvrr!  >-  (Damn  si- 
gnifie siffler^  aussi  bien  que  dam- 
ner.) Ku  reste,  quelque  soin  que  sem- 
blât prendr«*  Scott  de  s'effacer,  de 
rechercher  Tobscurité,  il  est  de  fctit 
qu'il    s'arrangea    fort    dexlrement 
pour   s'attirer    la  célébrité.  Volon- 
tairement ou  non,  il  se  trouve  qu'il 
conduisit    l'affaire    de    sou    renom 
comme  la  plupart  de  ses  romans.  En 
général  ses   débuts  sont  peu  bril- 
lants, le  style  d'abord  est   lourd, 
le  coloris  terne,  l'allure  vulgaire;  on 
est  tenté  de  croire  l'ouvrage  pres- 
que mauvais ,   c'est-à-dire  insigni- 
fiant: cependant  on  tient  le  livre, 
on  tourne  quelques  feuillets;  l'inté- 
rêt naît,  il  grandit,  le  tableau  s'a- 
nime quoique  peu  brillant  encore, 
les  personnages  vivent ,  quoique  le 
plaisir  seul  de  voir  la  vie  si  bien  re- 
présentée attache  sur  eux  l'œii  des 
regardants,  puis  peu  à  peu,  indé- 
pendamment du  talent  avec  Jequel 
le  magicien  les  a  fait  revivre,  ils  va- 
lent la  peine  d'être  regardés,  on  les 
cotiteniple  pour  eux-mêmes;  le  récit 
nous  captive,  les  scènes  nous  ravis- 
sent, et    nous   sommes  transportés 
d'admiraîiwn.  Certes  ,  ni  les  traduc- 
tions de  Biirger  et  de  Goethe,  ni  les 
éditions  des  State  papers  et  des  trai- 
tés de  Somers  ne  préparaient   à  la 
Dame  du  Lac;  et  la  vogue  un  peu 
factice  du  poète  ne  donnait  à  pré- 
voir, nous  ne  disons  pas  la  popula- 
cité,   mais  l'immense  talent,  l'im- 
mortalité du  romancier.  Le  mystère 
dont  il  s'environnait,  si   diaphane 
qu'il  fût,  ajoutait  au  succès  en  irri- 
tant la  curiosité.  Puis  venaient  les 
merveilles  d'Âbbotsford  devenu  châ- 
teau, devenu  musée,  devenu  enfin 
un  but  de  pérégrination,  pour  les 


SCO 

élégants  de  Piccadilly,  pour  les  tou- 
ristes de  toutes  les  classes.  En  vrai  lils 
de   l'Ecosse,  en  homme  des  anc.irris 
jours,    Wail»*r  Scott  aimait  à  ex<!r- 
cer    en    son     palais    des   Mille    et 
une  Nuits  une  hospitalité  tenant  à 
la  fois  de  l'antique  par  la  cordialité, 
du    moderne  par   le  comfort  et  la 
part  faite  à  l'intellectuel,  mais  cette 
hospitalité  on  la  lui  rendait  au  cen- 
tuple.   Non-seulement    tout    grand 
seigneur,    tout    riche    étranger    se 
croyait  tenu  en  conscience  à  recon- 
naître l'accueil  de  l'illustre  proprié- 
taire   par  quelque    don    selon   son 
cœur  et  qui  venait  ajouter  soit  à  la 
beauté  du  manoir,  soit  à  la  splen- 
deur des  collections,  mais  chaque 
visitant  allait  répétant  ses  impres- 
sions et    faisant  sa  partie   dans  la 
symphor.'ie   à  grand   orchestre   qui 
retentissait   alors  de  la  pointe  de 
Caithness  au  Spartivento,  ou  plus 
loin,  en  l'honneur  de  l'inépuisable 
conteur;  et  la  célébrité  qu'on  aurait 
crue  à  son  apogée  croissait  encore. 
Scott-Hall,  Scott-Castle,  Soott-Ma- 
nor   ou   Scott-House  ,  par  quelque 
dénomination  que  nous  voulions  la 
désigner,  la  résidence  du  baronnet 
romancier  devenait  de  plus  en  plus 
comme  une  autre  Médine  où  tout 
croyant  en  Robin -Hood   devait   au 
moins  faire  un  pèlerinage.  Bien  que 
rien  ne   lasse  si  vite  que  l'admira- 
tion, bien  qu'on  s'ennuie  d'entendre 
nommer  «  le  grand ,  »  comme  d'en- 
tendre nommer  «  le  juste,  »  bien  que 
dès  1820  on  eût  crié  (après  le  Mona- 
stère et  VAbbé),  au  déclin  et  à  l'é- 
puisement, clameurs  réfutées  avec 
tant  d'éclat    par  le  rapide  enfante- 
ment de  Kenilworih,   du  Pirate, 
de  Nigel,  de  Péveril ,  de  Quentin  et 
des    Récits    des    Croisades,    bien 
qu'enfin  Woodstock  eût  donné  lieu 
aux  vieilles  imputations  de  se  re- 


SCO 


SCO 


499 


produire,  rerithousiasme  ne  liaiss.i 
sensiblement  qu'à  parlir  de  la  pu- 
blicatioR  de  V Histoire  de  Napoléon, 
qu'en  Angleterre  même  on  ne  trouva 
ni  à  la  hauteur  du  sujet,  ni  sufOsam- 
ment  iînpartiale.  Scott  fit  de  la  cen- 
dre du  grand  lionime  des  guinées  et 
un  premier  service  pour  la  grosse 
faim  de  ses  créanciers  ,  mais  ce  fut 
tout.  Ni  la  Fille  du  Médecin ,  ni  la 
Jolie  fille  de  Perth,  qui  toutes  deux 
mériient  rang  parmi  ses  plus  no- 
bles créations  après  les  Puritains 
et  Ivanhoe ,  qui  semblaient  pro- 
mettre une  nouvelle  série  d'énergi- 
ques et  ravissants  chefs-d'œuvre, 
ne  relevèrent  sa  réputation  de  cet 
échec.  La  locomotive  depuis  ce 
temps  ne  fonctionna  plus  qu'à  vitesse 
expirante;  mais  comme  pourtant, 
même  sans  addition  de  vapeur,  on 
marche  quelque  temps  en  vertu  de  la 
vitesse  acquise, Abbotsford,grâceaux 
touristes  et  surtout  aux  touristes  de 
l'étranger,  ne  chôma  pas,  et  Scott  put 
croireque  son  opinion  politique  seule 
le  dépopularisait.  Sa  vanité  réelle,  si 
dissimulée  qu'elle  fût,  se  trahit  d'un 
autre  côté.  Né  de  très-petite  famille, 
malgré  sa  descendance  du  pur  sang 
des  Buccleugh,  et  ne  pouvant  se  qua- 
lifier de  gentleman  que  parce  que 
quiconque  n'exerce  pas  d'état  ma- 
nuel est  gentleman,  il  tenait  immen- 
sément à  paraître  tout  de  bon  de  la 
gentry  ;  et  comme,  surtout  aux  yeux 
d'un  tory,  on  n'est  dûment  de  la 
genlry  qu'en  étant  propriétaire,  ac- 
quérir ou  agrandir  des  propriétés  fut 
le  rêve  de  son  jeune  âge  ;les  embellir, 
les  faire  admirer  fut  le  bonheur  de 
son  âge  mûr  et  de  sa  vieillesse. 
D'ailleurs  le  notable  propriétaire,  le 
squire,  est  juge  de  paix  en  son  dis- 
trict (riiez  nos  voisins),  la  juridiction 
est  comme  le  signe  et  la  sanction  de 
la  propriété,  vieil  us  féodal,  puisque 


la  féodalité,  comme  toutes  les  civili- 
sations naissantes,  identifie  presque 
la  propriété  à  la  souveraineté,  et  ré- 
duit la  souveraineté  à  trois  points, 
guerroyer  ,  juger ,  lever  des  taxes. 
Notre  antiquaire,  qui  pouvait  se  (tire 
quelque  peu  clerc  d'ailleurs,  se  vit 
donc  servi  à  souhait  quand  un  par- 
chemin ministériel  vint  l'autoriser  à 
prendre  le  titre  de  squire,  et  qu'au 
lieu  de  Scott  il  s'entendit  appeler  sir 
Waller;  et  ce  fut  encore  bien  mieux 
quand  au  commencement  de  son  rè- 
gne Georges  IV  lui  écrivit  avec  cette 
suscription  «  sir  Walter  Scott  baron- 
net, »  galanterie  d'autant  plus  flat- 
teuse que  c'était  le  premier  titre  con- 
féré par  l'ex- régent  depuis  qu'il 
était  roi.  On  a  dit  que  Scott  était 
plus  fier  de  ce  titre  que  de  ses 
ouvrages,  et  que  même  c'est  parce 
qu'il  croyait  déroger  en  parais- 
sant dans  l'arène  littéraire  qu'il 
s'était  tenu  caché  si  long-temps 
pendant  sa  carrière  de  romancier. 
Il  y  a  du  vrai  au  fond  de  ces  as- 
sertions, bien  qu'il  faille  en  modi- 
fier l'expression  :  par  exemple,  puis- 
que c'est  en  1820  que  Georges  IV 
monta  sur  le  trône,  ce  n'est  pas  le 
baronnet  qui  eût  dérogé  en  signant 
les  premières  Waverley  Novels^ 
c'eût,  tout  au  plus  été  le  squire  ou 
le  gentleman.  Nous  soupçonnerions 
aussi  que  peut-être  Scott  dans  les 
commencements  s'imagina  qu'un 
gentleman  ne  descend  pas  en  se  fai- 
sant poète,  mais  que  le  roman  ternit 
l'écusson.  Et  enfin  la  noblesse  de 
robe  a  toujours  été  un  peu  plus 
vaine  que  celle  d'épée  :  le  mot 
Novel  jure  avec  la  robe  noire  et  le 
bonnet  carré.  Scott  l'aviil  senti 
quand  on  augurait  si  mal  de  lui 
parce  qu'il  passait  plus  de  temps 
à  glaner  des  ballades  et  à  lire  de 
l'espagnol  qu'à  balayer  de  sa  loge 

32. 


500 


SCO 


la  s:ill»>  (les  Pas-Perdus-  et  il  nous 
l'a  (lit  à  sa  façon  (juand,  dans  l'intro- 
duction aux  Chroniques  de  la  Canon- 
gate ,  il  met  aux.  prises  le  flâneur 
Croftangry  et  maître  Fairscribe. 
Dans  celte  hypothèse,  il  aurait 
sacrilié  moins  à  ses  propres  idées 
qu'à  celles  d'autrui.  C'est  bien  en 
ell'et  ce  que  nous  retrouvons  chez 
lui.  Il  heurte  rarement,  il  ne  fronde 
jamais;  il  cède,  mais  il  cède  dans  des 
limites  à  lui  connues ,  et  en  der- 
nière analyse  il  ne  fait  que  ce 
qui  convient  à  ses  goûts.  Il  y  a 
mieux,  il  rit,  avec  mesure  et  sotto 
voce,  le  plus  souvent  sans  en  avoir 
l'air,  mais  il  ril  des  choses  devant 
lesquelles  il  baisse  pavillon,  et  qu'il 
semble  respecter,  nous  dirions  même 
qu'il  respecte.  Car  c'est  là  un  des 
traits  les  plus  particuliers  de  son 
génie  ;  nous  n'avons  pas  dit  assez 
lorsque  nous  disions  :  «  Il  se  rit  des 
légendes  qu'il  aime  et  des  vieilles 
institutions  qu'il  vénère,  »  il  faut 
dire  aussi  :  «  Il  aime,  il  vénère 
ce  dont  il  rit.  »  Oui ,  il  est  aussi 
sceptique,  aussi  moqueur  que  qui 
que  ce  soit,  il  apprécie  parfaite- 
ment !a  barbarie  des  temps  féo- 
daux, l'inhumanité  des  uns,  la 
fréquente  hypocrisie  et  la  licence 
des  autres,  l'ignorance  de  tous. 
Il  préfère  mille  fois,  non-seulement 
à  ce  vieux  régime ,  mais  à  tous  les 
ordres  de  choses  qu'il  est  possible 
d'entrevoir  dans  l'avenir,  l'ordre 
actuellement  existant,  la  succession 
protestante,  la  septennalité,  etc., 
sans  Miodification  de  quelque  genre 
que  ce  soit.  Et  cependant  ce  vieux 
régime,  si  différent  de  ce  qui  est  à 
présent,  ce  vieux  régime  qu'il  a  fallu 
ruiner  aux  trois  quarts,  si  ce  n'est 
de  fond  en  comble,  pour  obtenir  la 
civilisation  normale  moderne  et  in- 
troniser la   maison  d'Hanovre  avec 


SCO 

ses  corollaires,  il  le  porte  dans  son 
cœur,  il  s'intéresse  aux  houunes  de 
sac  et  de  corde  avec  lesquels  il  nous 
met  en  contact;  il  a  du  tendre  pour 
la  chanteuse  errante,  et  il  offrirait 
l'aile  de  la  plus  délicieuse  grouse  des 
Lowlands  au  plus  ignorant  des  frères 
qui  lui  content,  d'après  la  Bible  sans 
doute ,  mais  avecques  moult  varia- 
tions, les  prouesses  par  lesquelles 
se  signalent  es  tournois  les  jeunes 
chevaliers  du  clan  de  Benjamin.  Com- 
ment concilier  une  contradiction  si 
flagrante?  On  le  peut,  ce  nous  sem- 
ble, si  l'on  pense  que  Scott,  essen- 
tiellement homme  de  patience  et  de 
tempérament ,  d'ailleurs  sachant 
l'histoire  à  fond,  et  habitué  par  la 
pratique  des  tribunaux  à  calculer  le 
pourquoi  et  le  comment  des  événe- 
ments humains,  devait  penser  que 
chaque  forme  en  son  temps  avait 
été  à  sa  place,  avait  rempli  son 
objet ,  avait  fonctionné  utilement, 
quitte  à  disparaître  quand  elle  se- 
rait usée,  faussée  ou  dépassée.  D'une 
part  donc  il  est  à  mille  lieues  de 
ce  rationalisme  étroit  qui  ne  veut 
rien  admettre  de  bien  que  ce  qui  se 
fait  chez  nous  et  de  notre  temps,  et 
qui  voudrait  la  monarchie  constitu- 
tionnelle à  Saint-Pétersbourg  et  le 
jury  parmi  les  Béloutches;  il  aime  et 
vénère  des  formes  qui,  liées  au  culte 
des  ancêtres,  se  sont  trouvées  en 
harmonie  avec  les  âges  où  elles  ont 
fleuri,  et  ont  d'ailleurs  produit  de 
beaux  fruits,  non  pas  sans  mélange 
il  est  vrai  ;  de  l'autre,  se  transpor- 
tant en  idée  à  ces  époques  qu'il  dé- 
crit, il  y  voit  et  les  individus  et  les 
masses  aussi  persuadés  de  leurs  per- 
fections, de  la  justesse  de  leurs  idées, 
de  la  nécessité,  de  la  légitimité  de 
l'ordrede  choses  en  vigueur, de  l'im- 
possibilité d'être  autrement, que  les 
plus  tranchants  des  modernes  peu- 


SCO 

vent  rétro  de  la  supériorité  de  l'ère 
actuelle  sur  toutes  les  autres,  et  s'il 
raille  il  ne  raille  en  quelque  sorte 
qu'en  famille,  et  comme  on  rirait  des 
travers  d'une  mère-grand,  impertur- 
bablement satisfaite  des  modes  an- 
tiques, qu'elle  crut  et  croit  encore 
un    effort   du  bon  goiil.    Un   der- 
nier trait  couronne   le  caractère  de 
Walter  Scott,  c'est  la  pureté  morale 
de  toutesses  œuvres.  Tandisque  tant 
d'autres  croient  tout  justifier  en  di- 
sant avec  le  bel  esprit  de  Bilbilis: 
Lasciva    est  nobis    pagina  ,  vita 
proba  est  ;  tandis  que  tant  d'autres, 
et  c'est  l'usage  de  nos  jours,  affichent 
la  vie  d'excentricités,  de  dissolution 
et  de  folie,  et  transportent  dans  leurs 
ouvrages  les  tableaux  dans  lesquels 
ils  se  révent  acteurs, corrompus, nous 
l'avouerons,  par  la  société  actuelle, 
mais  corrupteurs  à  leur  tour,  Scott 
déploie  partout  le  sens  moral  le  plus 
pur,  et  réussit  à  ne  jamais  blesser  la 
pudeur.  Serait-ce  parce  qu'il  ignore 
l'art  de  peindre  ou  de  faire  parler 
l'amour?  qu'on  se  rappelle  Rcbecca, 
Fenella,  Conachar!   Ou  bien  parce 
qu'il  se  refuse  à  mettre  en  scène  des 
passions  illégitimes,    des    appétits 
brutaux,  des  trafics  honteux?   mais 
qu'est-ce  donc  alors  que  la  Bégom  et 
Richard  Middiemas?  qu'est-ce   que 
lady   Bingo   et  lord    Etherington? 
qu'est-ce  que  Warner?  qu'est-ce  que 
Bois-Briant  et deBracy,  lorsque  pour 
la  première  fois  ils  s'adressent  à  leurs 
prisonnières  dans    le    château    de 
Front-de-Bœuf?    qu'est-ce   surfout 
que  Chyffinch    et    sa  -compagne? 
Qu'on  étudie  bien  les  scènes  aux- 
quelles  nous  faisons  allusion,   et 
l'on  verra  comment  on  peut  tout 
indiquer  et  ne  jamais  froisser  l'o- 
reille la  plus  sévère,  la  plus  déli- 
cate, que  dis-je,  comment  un  peut, 
en  injprégnant  le  style  de  tous  les 


SCO 


ÔOl 


feux  de  la  passion  la  plus  ardente,  y 
tenir  sans  cesse  associée  une  ex- 
pression de  chasteté  délicieuse!  Le 
même   tact,  la  même  mesure  pré- 
sident aux  autres  peintures.  H  nous 
intéresse    vivement    parfois  à    des 
êtres    hideux ,  tyranniques  ou  fu- 
nestes;   il    n'a  jamais   l'accent  de 
l'approbation  pour  la  ligne    qu'ils 
suivent ,    et  il  ne  fait  pas  germer 
en  nous  cette  pensée  :  «  Eh  mais  !  ces 
habiles  gens  ont  raison  î  Le  succès, 
la  puissance  sont  tout.  »  On  a  beau 
trouver     adorables    la    finesse ,   la 
force  d'esprit  et  la  science  profonde 
de  Dwining,  jamais  personne  n'est 
tenté  de  souhaiter   qu'il  triomphe 
(sauf  quand  il  démontre  par  le  fait 
comme   quoi  l'on   peut  pendre  un 
homme    sans   que   mort  s'ensuive) 
et  personne  ne  s'identifie  avec  lui. 
—  Examinons  exclusivement  à  pré- 
sent les  œuvres  mêmes   de  Scott, 
et  tachons  de  caractériser  son  talent. 
Nous    reconnaîtrons    d'abord    que, 
bien  qu'on  puisse  distinguer  en  lui 
trois  hommes,  le  poète,  le  romancier 
et  l'historien  (on  pourrait  dire  cinq  en 
ajoutant  l'archéologue  et  le  critique), 
le  romancier  éclipse  le  reste.  Évi- 
demment il  était  de  première  force 
sur  certaines  parties  de  l'archéolo- 
gie du  moyen  âge  ;  il  s'est  montré 
critique  éclairé,  consciencieux,  fin 
quelquefois  et  généralement  de  bon 
goût  dans  un  grand  nombre  de  re- 
censions, dans  ses  préfaces,  en  tête 
des poètesou beaux  espritsqu'il  citait 
dans  sa  Biographie  des  Romanciers. 
Il  y  aurait  mauvaise  foi  et  l'on  aurait 
mauvaise  grâce  à  lui  refuser,  outre 
des  connaissances  historiques  très- 
variées   et  très-profondes,  quoique 
irrégulièrespeut-être  et  incomplètes, 
sauf  pour  les  annales  de  son  pays, 
plusieurs  des  belles  qualités  de  l'his 
lorien,  la  pénétration,  le  désir  du 


502 


SCO 


vrai,  la  recherche  des  causes  et  des 
ressorts  an  jeu  desquels  sont  dus  les 
événements,  et  enfin  du  talent  pour 
conter  et  pour  décrire.  Sa  poésie 
est  pleine  de  grâce  et  de  facilité, 
sa  phrase  coule  limpide  et  pure, 
ses  descriptions  sont  fleuries,  ses 
récitsont  de  l'animation,  de  l'intérêt, 
de  la  variété  *,  archaïsmes  et  style 
moderne,  vieux  tons  gris  féodal  et 
nuances  dix-neuvième  siècle  s'y  ma- 
rient, ou  s'y  opposent,  ou  s'y  suc- 
cèdent avec  bonheur  et  non  sans 
certain  charme.  De  tout  cela  cepen- 
dant ne  sort  ni  grande  poésie,  ni 
grande  histoire, ni  haute  critique,  ni 
science  complète.  Un  des  caractères 
de  l'esprit  de  Scott,  et  celui  qu'on 
retrouve  partont,  même  dans  ce 
qu'il  a  produit  de  plus  parfait,  c'est 
Timpossibililé  d'embrasser  des  en- 
sembles. En  archéologie  il  ressemble 
à  celui  qui  connaîtrait  quatre  ou 
cinq  faces  d'un  hécatontaèdre  et  qui 
sur  chaque  face  sculpterait  à  satiété, 
à  l'infini  des  facettes  nouvelles.  Sa 
critique,  toute  de  détail,  ne  laisse  pas 
apercevoir  les  principes  premiers  sur 
lesquels  repose  l'arrêt  qu'il  prononce; 
elle  n'a  ni  largeur,  ni  fécondité,  ni 
grande  portée.  De  même  en  histoire, 
il  avance  au  jour  le  jour,  il  tourne 
sans  cesse  à  l'anecdote,  il  détaille 
des  minuties, il  ne  sait  pas  donner  les 
grands  coups  de  pinceau;  l'ensemble 
échappe;  puis  l'idée  du  merveilleux 
le  possédant  toujours,  il  en  outre 
l'expression  s'il  en  trouve  sur  sa 
route;  s'il  n'en  trouve  pas,  il  en  fa- 
brique en  différenciant  un  peu  la 
couleur  de  ce  qui  n'est  qu'extraordi- 
naire. Ce  merveilleux,  au  reste, 
même  dans  les  plus  grands  sujets, 
n'excède  javnais  les  proportions  de 
celui  auquel  il  est  habitué  ;  c'est 
le  merveilleux  des  romanceros  et 
des  ballades,  iiu  merveilleux  fami- 


sco 

lier,  demi- bourgeois,   demi -jon- 
gleur, qui   ne  vous  fait    pas  peur, 
qui   uf!   vous  dépasse  pas  de  trente 
coudées,  que  vous  pétrissezà  volonté, 
qui  pousse  à  rire.  Que  l'on  passe  à  sa 
poésie,  où  ni  ce  genre  de  merveilleux 
ni  la  prédominance  que   lui  donne 
l'auteur  ne  constituent  un  défaut , 
on  est  pourtant  forcé  de  reconnaître 
que  dans  ces  poèmes  tout  gracieux 
les  qualités  qui  font  le  grand  poète, 
le  feu,  la  verve,  la  rapidité,  l'énergie, 
la  hardiesse,  la  fierté  de  dessin,  l'é- 
blouissante richesse  de  coloris  n'exi- 
stent qu'à  faible  dose.   Aucune  ne 
manque,  mais  aucune  n'abonde  assez 
pour   vous   dominer,    vous    trans- 
porter; même  dans  le  Lai  dudernier 
ménestrel,  dans  Marmion  et  dans  la 
Damedu  Lac^il  y  adu  talent,beaucoup 
de  talent,  il  y  a  surtout  du  savoir- 
faire,  il  n'y  a  pas  de  génie;  c'est  de 
la  gravure  au   pointillé,  c'est  de  la 
lithographie  sur  une  pierre  trop  pâ- 
teuse ;  tout  est  posé,  rien  n'est  jeté  : 
Scott   poète  cisèle,  il   ne  coule  pas 
en  bronze;  il  vous    électrise  tout 
doucement  avec  son  petit  conduc- 
teur, il  ne  vous  foudroie  pas  avec  sa 
batterie  électrique.  Aussi  la  vogue 
réelle,   nous  l'avens  dit,    dont  il 
jouit  et  dont   il  continua  de  jouir 
après  avoir  à  peu  près  cessé  de  courre 
la   rime  ne  se  serait  sans  doute  pas 
prolongée  Jong-temps  s'il  eût  persé- 
véré k  suivre  sa  voie  poétique,  sur- 
tout en  présence  de  Byron,  Caglios- 
tro    qui  magnétise  et  galvanise  si 
vigoureusement  son  monde.  Et  il  y 
avait  du  vrai  dans  ce  qu'il  nous  dit 
quelque  part,  «  qu'il  cessa  de  poétiser 
quaud  il   s'aperçut  que  Byron  allait 
s'emparer  du  sceptre  de  la  poésie.  » 
Est-ce  à  dire  que  si  Byron  n'était  venu 
il  aurait  continué  d'être  le  premier? 
Non-seulement  nous  ne  le  croyons 
pas,  nous  qui  regardons  et  Crabbe, 


.SCO 

et  Wordsworth,  et  Coleridge,  et  Sou- 
they,  comme  de  plus  grands  poètes 
que  Scott;  mais  nous  ne  croyons  pas 
que  Scott  le  crût.  Ou  nous  nous  trom- 
pons, ou  il  commençait  à  s'aperce- 
voir qu'il  était  dans  une  impasse 
dont  il  avait  touché  le  boui  ^  que  s'il 
continuait  à  s'y  mouvoir,  ce  serait 
toujours  faire  la  même  route,  en 
d'autres  termes,  que  lors  même  qu'il 
essaierait  d'un  autre  genre,  d'une 
autre  forme  poétique ,  soit  longue 
épopée,  soit  drame,  d'une  part,  la 
tournure  de  son  esprit  et  ses  prédi- 
lections le  ramèneraient  toujours  au 
type  de  M armion;  de  l'autre,  la  gêne 
de  la  rime  ,  de  la  mesure  l'eujpê- 
cherail  de  déployer  toute  la  lar- 
geur de  ses  ailes,  d'étaler  toute  la 
richesse  de  son  écrin.  Dans  le  ro- 
man, au  contraire,  il  est  à  l'aise,  il 
est  tout  lui-même,  il  est  prodigue 
de  richesses  descriptives  ,  il  est 
poète  de  la  même  façon  que  l'auteur 
du  Lorddes  lies,  et  il  l'est  de  dix  au 
très  pi  us  originales  et  plus  libres;  de 
plus  il  est  peintre,  il  est  historien,  il 
est  psychologue,  aussi  délié  que  La 
Bruyère,  aussi  enjoué,  aussi  profond 
que  Le  Sage.  Il  a  surtout  fait  voir 
que  le  roman  est  une  épopée,  il  y  a  ré- 
vélé des  ressources  inaperçues,  il  l'a 
relevé,  dignifié  en  quelque  sorte.  Il  a 
fourni  le  modèle  du  roman  histo- 
rique tel  qu'il  se  fait  aujourd'hui 
quand  on  le  lait  bon,  et  en  ce  sens 
il  a  créé  toute  une  école,  tout  un  art. 
Ce  n'est  pas  qu'il  soit  au-dessus  de 
la  critique  ou  que  nul  ne  le  sur- 
passe. Don  Quichotte  sera  toujours, 
comme  œuvre  typique  et  comme 
œuvre  comique,  le  roman  hors  ligne; 
Gil  Blas,  par  l'inlinie  variété  des 
tableajix  condensés  dans  une  même 
œuvre,  nous  semble  aux  plus  belles 
études  morales  de  Scott c»^  qtj'est  l-'al- 
cool  au  liquide  qui  le  fournit,et  l'idéal 


SCO 


50 


du  roman  biographique;  Clarisse 
enfin,  par  la  hauteur  de  la  concep- 
tion, par  la  puissance  d'exécution, 
par  la  persévérance  de  l'idée  se  per- 
pétuant une  et  multiforme  au  tra- 
vers des  trois  phases  de  l'action 
(Clarisse  chez  son  père,  Clarisse  en 
lutte  avec  Lovelace,  Clarisse  après 
sa  chute) ,  reste  encore,  m  dépit  du 
style  et  des  fautes  de  Richardson,  le 
premier  des  romans  qui  ne  sont 
ni  symboliques  ni  cycliques.  On 
peut  comprendre  que  la  Nouvelle 
Héloïse^  et  même  l'étrange  épo- 
pée de  Rabelais  semblent  émaner 
aussi  d'une  sphère  supérieure  à  celle 
où  se  meut  notre  auteur.  Mais  ces 
exceptions  faites,  nous  ne  voyons, 
en  tenant  compte  à  la  fois  de  la  fé- 
condité de  l'artiste  et  de  la  valeur 
des  œuvres,  etaussi  de  l'originalitéde 
la  manière,  nul  romancier  qui,  même 
de  loin,  égale  Scott.  Pareillement  en 
fait  de  défauts,  si  nous  sommes  forcé 
d'en  apercevoir  beaucoup,  d'éminen- 
tes  qualités  les  rachètent  et  s'y  lient. 
Sans  doute  la  composition  laisse  pres- 
que toujours  à  désirer  ;  la  diffusion 
et  la  minutie  des  détails  sont  impa- 
tientantes, les  proportions  sont  mal 
gardées  ;  les  introductions  sont  len- 
tes, lourdes,  ennuyeuses:  habituel- 
lement le  style  se  sent  de  la  préci- 
pitation avec  laquelle  le  custos  ro- 
tulorum  bâclait  ses  seize  pages  in-S» 
tous  les  matins,  comme  un  sous- 
greffier  le  plus  de  rôles  possible  de 
ses  grosses;  il  ne  prend  de  noblesse, 
de  fermeté,  de  coloris,  de  précision, 
d'éloquence  que  quand  la  force  des 
situations  le  maintient  au  -  dessus 
de  son  niveaii  habituel.  Mais  con- 
venons aussi  que  ces  siiuaiions  , 
dont  l'effet  est  si  puissant,  revien- 
nent souvent.  Reconnaissons  que 
quelquefois  de  vives  et  saisissan- 
tes   introductions    nous    amènent 


504 


SCO 


immédiatement  au   cœur  des  faits. 
Tel  est,  par  exemple,  ce  dramatique 
début  de  la  Fille  du  médecin,  trans- 
porté presque  mot  pour   mot   sur 
la  scène  française  dans  le  prologue 
de  Richard  Dariington;  tel  est  le 
dialogue  initial  de  l'Écossais  Kenuelh 
et  de  l'Arabe  près  de  la  fontaine  de 
l'oasis  dans  Richard  en  Palestine; 
tel  est  celui  du  capitaine  Dalgetty  et 
de  deux  cavaliers  dans  Une  Légende 
de  Montrose^  pour  peu  qu'on  laisse 
de  côté  le  i*"'  ch.^lel  esldans  Quen- 
tin Durward  le  danger  du  jeune  hé- 
ros, appréhendé  au  corps  par  Trois- 
Échelles  et  son  camarade,  et  sur  le 
point  d'être  accroché  à  la  potence, 
parce  qu'on  le  prend  pour  le  bohé- 
mien dont  Louis  XI,  après   l'avoir 
chargé  d'une  mission  secrète,  veut 
ainsi  s'assurer  le  silence.  Souvenons- 
nous  enfin  que,  lors  même  qu'il  n'en 
est  pas  ainsi,  lorsque  la  prolixité  de 
Scott  nous  rebute  à  l'entrée  de  l'ou- 
vrage, et  que  nous  sommes  tentés  de 
sauter  quinze  ou  vingt  feuillets  de 
peur  de  rester  embourbés,  nous  ne 
tardons  pas  à  nous  apercevoir  que  si 
nous   cédons  à    la  tentation,  nous 
comprenons  moins  en  quel  milieu 
va  se  jouer  le  drame*,  que  si  au  con- 
traire nous  prenons  patience,  peu  à 
peu  tout  semble  calqué  sur  nature, 
tout  se  revêt  de  réalité,  comme  dans 
un  panorama  où  d'abord  nous  n'a- 
percevons que   des   cartons   infor- 
mes, barbouillés  avec  un  manche  à 
balai;  bienlôt  l'impression  change, 
la  fascination  commence,  au  bout  de 
quelques  minutes  l'illusion  est  com- 
plète. Peu  d'hommes  ont  porté  aussi 
loin  et  aussi  fréquemment  que  Wal- 
ter  Scott  cette  faculté  de  doter  de 
réalité  ses  tableaux  ;  et  quelque  ha- 
bile qu'il  soit  à  décrire,  c'est  surtout 
lorsqu'il   ne  décrit  pas  qu'on  croit 
avoir  les  sites,  les  moiuinients,  lesob- 


SCO 

jets  matériels  sous  les  yeux.  Les  êtres 
vivants  à  leur  tour  (mais  ici,  bien 
que  nous  retrouvions  le  même  ta- 
lent, nous  le  retrouvons  à  une  plus 
haute  puissance),  chez  lui  les  êtres 
vivants,  disons-nous,  vivent,  mar- 
chent,   sentent,    respirent;     nous 
croyons  voir  palpiter  leur  sein,  fré- 
mir   leurs    lèvres,  scintiller   leurs 
yeux.  Le   récit  n'est  pas  un  récit, 
c'est  un  drame,  c'est  une  représenta- 
tion scénique  vivante,  comme  tout  à 
l'heure  la  description  n'était  pas  une 
description ,    c'était    un    décor.  Le 
dialogue  ajoute  encore  à  cette  magie. 
De  temps  en  temps  sans  doute  Scott 
donne  un  peu  trop  à  la  subtilité,  aux 
poétiques  ou  romantiques  souvenirs, 
au  bonheur   de  décocher  un  petit 
sarcasme;  mais,  en  général,  le  dia- 
logue est  admirablement   conduit, 
phrasé,  nuancé,  eu  égard  aux  situa- 
tions et  au  caractère,  aux  passions 
ou  au  but  des  interlocuteurs,  surtout 
à  mesure  que  les  scènes  sont  fortes, 
les  péripéties  graves,  les  émotions 
profondes,  les  crises   décisives,  car 
alors    surtout  l'expression  s'élève, 
s'épure,  se  précise,  se  colorie  et  se 
passionne  :  plus  de  vulgarité,  plus 
un  mot  d'inutile,  pas  un  même  qu'on 
puisse  remplacer  :  chaque  terme  cal- 
que la  pensée  et  frappe  au  but  avec 
la  justesse  de  la  flèche  de  Tell.  Il 
n'est  pas  rare  qu'en  ces  occasions 
Scott  atteigne  à  la  plus  haute  élo- 
quence ,  à  cette  éloquence  démosthé- 
nienne  qui  jaillit  des   faits  comme 
sans  le  vouloir  et  comme  leur  plus 
simple  formule.  Le  flegme,  le  ton  de 
procès-verbal  qu'il  garde  même  alors, 
ajouientsingulièrementà  l'effet.  Nous 
n'en  voulons  citer  qu'un  exemple, 
mais   il  en  vaut  mille!  En  quelle 
langue  existe-t-il  paroles  plus  cor- 
rosivement éloquentes  que  dans  cette 
allocution  suprême  du  vieux  Mdc- 


SCO 

Eagh  a  Tunique  fils  q»ii  lui  reste  : 
«  Kenneth,  écoute  bien  les  dernières 
paroles  de  ton  père ,  etc.  »  Nous 
ne  pouvons  transcrire  tout  ,  mais 
on  conçoit  bien  que  dès  les  pre- 
miers mots  le  jeune  homme  prenne 
un  air  plussombreet  plusfaroucheà 
mesure  que  Mac-Eagh  lui  parle,  et 
qu'il  tienne  fixé  sur  lui  un  regard 
expressif,  en  portant  la  main  sur  le 
poignard  passé  dans  la  ceinture  de 
cuir  qui  attache  son  plaid  en  lam- 
beaux. Mais  le  vieillard,  'sûr  d'une 
vengeance  plus  simple  et  plus  sa- 
vante: «  Non,  ce  n'est  pas  de  ta  main 
«qu'il  doit  périr!  11  te  demandera 

•  fies  nouvelles  du  camp.  Dis- 
«  lui,  etc..  N'attenjls  pas  sa  réponse, 
«  mais  disparais  rapide  comme  l'é- 
«  clair  qui  vient  de  sortir  d'un  nuage 
«  noir.  Pars  à  l'instant,  mon  entant 
«  chéri  !  pour  moi,  je  ne  reverrai  pas 
«  tes  traits,  je  ne  reconnaîtrai  plus 
"  le  bruit  de  ta  course  légère.  Un 
«  moment  pourtant!  écoute  les  der- 
«  niers  avis  de  ton  père...  Ne  recon- 
■  nais  point  de  maître,  ne  reçois  la 
«  loi  de  personne,  ne  te  mets  aux 

•  gages  de  qui  que  ce  soit.  Ne  bâtis 
«  point  de  maison,  ne  cultive  pas  la 

•  terre, que  les  daims  des  montagnes 
«  soient  tes  troupeaux  ;  ou  si  tu  en 

«  manques,  fiiis  ta  proie  de  ce  que. 

•  possèdent  les  Saxons  ou  ces  High- 

•  landers,  Saxons  par  le  cœur,  qui 
«  estiment  plus  leurs  bœufs  et  leurs 
«  moutons  que  l'honneur  et  la  li- 
«  berté  ;  mais  tant  mieux!  nous  n'en 
«  avons  que  plus  de  moyens  de  ven~ 
«  geance.  N'oublie  pas   les  amis  de 

•  notre  race...  Si  un  Mac  lan  vient 
«  à  toi  la  tcte  du  fils  du  roi  à  la 
«  main,  donne-lui  asile,  protége-le, 
«  combats  pour  lui,  eiil-il  une  ar- 
«  méc  à  sa  poursuite  :  ce  clan  a  été 
«  i'ami  du  nôtre  de  temps  immémo - 
f  riai...  Adieu,  enfant  bien-aiméj 


SCO 


505 


«  puisses-tu  mourir  comme  tes  an- 
«  cêtres,  avant  que  les  infirmités, 
«  les  maladies,  la  vieillesse  t'aient 
«  privé  des  forces  du  corps  et  de 
«l'énergie    de  l'âme/  Pars!    pnrs! 
«  mais  conserve  ta  liberté  et  n'oublie 
«  jamais  ni  un  service  ni  une  injure.  » 
Ainsi  ceCeltedevieilleroche,qui  voit 
les  idées  modernes  gagner  du  terrain, 
use  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré  dans 
le  cœur  humain,  la  piété  filiale,  pour 
perpétuer,  autant  qu'il  est  en  lui,  la 
vie  sauvage,  la  déprédation,  la  jus- 
tice sommaire,  la   vendette!    Ainsi 
un  jour,   quand   la   civilisation  eu- 
ropéenne et  chrétienne  importée  par 
la  France  étreindra  le  Maroc,  le  der- 
nier représentant  de  la  nationalité 
barbare  qui  ne  croit  qu'au  Koran  et 
au  poignard   sera  éloquent ,  pathé- 
tique, impérieux  pour  recommander 
à  ses  fils,  comme  l'héritage  le  plus 
précieux,  la  barbarie  de  ses  pères. 
Ce  qui  achève  de  rendre  superbe  ce 
langage  si  véhément,   dont  chaque 
coup  porte,  dont  chaque  syllabe  va 
s'incruster  indélébilement  au  coeur, 
c'est  qu'il  moule  trait  pour  trait  le 
caractère  et  achève  de  mettre  en  re- 
lief  la   physionomie    de  celui   qui 
parle  ;  c'est  là  ce  qu'on  retrouve  sans 
cesse  dans  Scott    Jamais  personne, 
même  Shakspeare  ou  Molière  dans 
ses  plus  beaux  passages,  n'a  possédé 
plus  complètement  l'art  de  retléter 
le  cjractère  par  les  expressions  ,  et 
surtout  ne  l'a  manifesté  si  constam- 
ment. La  peau  n'accuse  pas  plus  fi- 
dèlement la  forme  des  chairs  et  ne 
s'adapte  pas   plus  hermétiquement 
aux  muscles  que  la   parole,  dans  le 
dialogue  ou  monologue  de  Scott,  ne 
révèle  l'homme  intérieur  et  ne  sem- 
ble en  faire  partie  intégrante.  Les 
mots  ]>rétés  à  chacun  sont  tellement 
trouvés,  que  l'on  croirait  impossible, 
une  [ois  |d  situation  donnée,  qu'il 


506 


SCO 


puisse  s¥noncer  autrenieiif ,  et  sur- 
tout que  hieti  peu  de  lecteurs  com- 
prennent qu'il  y  ait  (nu'itjiie  chose  de 
dinieile  à  Taire  ainsi  parler,  à  repré- 
senter ainsi  au  vif  l'individu  :  c'est 
que  plus  le  portrait  est  re'ussi,  moins 
reiïort  s*'  montre.  Ceux-là  seuls  qui 
savent  peindre  peuvent  supputer  ce 
que  le  tableau  a  coûté  au  peintre.  On 
ne  s'élonnerd  plus,  ceci  posé,  que 
jamais  chez  Scott  on  ne  voie  le  ca- 
ractère se  démentir  sans  bonne  et 
valable  raison  :  et  même  alors  il  est 
évident,  témoin  Mowbray  dans  les 
Eaux^  que  la  variation  n'est  qu'ap- 
parente. Ce  qui  s'en  va  n'était  qu'ac- 
cidentel et  tenait  aux  circonstances, 
tandis  que  ce  qui  survit,  c'est  l'in- 
time de  l'âme  mis  à  nu  par  la  mar- 
che du  temps  ou  par  les  événements 
qui  déteignent  sur  elle,  mais  ne 
changent  pas  ses  principes  consti- 
tuants. L'insecte  passe  par  divers 
états,  et  chaque  forme  subséquente 
est  l'inévitable  conséquence  de  celle 
qui  précède;  de  même  l'âme  hijmaine 
subit  parfois  des  altérations  si  fortes 
qu'elles  semblent  des  transsubstan  - 
tiations,  et  ce  ne  sont  que  (les  trans- 
t'ormaiions  tout  au  plus.  Shakspeare 
n'est  pas  toujours  irrépréhensible 
dans  ces  métamorphoses  à  vue,  qu'il 
fait  subira  ses  héros  (et  dans  les  DcMo; 
gentilshommes  de  Vérone^  par  exem- 
ple, Protée  a  beau  se  nommer  Protée, 
on  ne  saurait  comprendre  pourquoi 
ses  trahisons,  ses  crimes).  On  aurait 
grand  tort,  ce  nous  semble,  d'adres- 
ser le  même  reproche  à  Scott.  Au 
reste  rarement  il  otfre  le  spectacle 
de  ces  variations,  et  l'on  pourrait 
même  dire  que  lors(|u'il  s'en  trouve 
chez  lui  ,  il  les  indique  plutôt 
qu'il  ne  les  peint  :  en  réalité  il 
a  laissé  à  traiter  à  d'autres  ce 
magnifique  et  difficile  sujet ,  l'é- 
volution   d'un    caractère  ,   c'est-à- 


SCO 

(lire  la  série  des  transformations 
d'un  caractère  qui,  le  même  au  fond, 
revêt  au  travers  de  phases  diverses 
des  aspects  divers.  C'est  surtout  leur 
persistance  qii'il  a  mise  en  sjiillie: 

Naturam  expel/as  fiirca,tamen  usquerecurret 

Voilà  ce  qu'il  se  plaît  et  ce  (ju'il 
excelle  à  rendre  sensible.,  el  son- 
vent  en  quelques  traits  comme  je- 
tés au  hasard,  témoin,  vers  la  fin 
de  la  Prison  d'Edimbourg,  l'épisode 
du  Siffleur.  Quant  aux  caractères  en 
eux-mêmes,  abstraction  faite  de  la 
constance  avec  laquelle  il  les  main- 
tient et  de  la  puissance  avec  laquelle 
il  les  exprime  et  les  développe,  fai- 
sant s.sns  cesse  découler  visiblement 
les  actes  du  car;iclère  eî  burinant  de 
plus  en  plus  le  caractère  par  les  ac- 
tes, leur  beauté,  leur  variété,  leur 
groupement  sont  généralement  au- 
dessus  de  tout  éloge.  C'est  une  im- 
mense galerie  d'originaux,  apparte- 
uant  à  des  contrées,  à  des  opinions,  à 
des  races  diverses,  et  tout  est  peint 
avec  la  même  fidélité,  la  même  verve, 
la  même  profondeur,  la  même  ptiis- 
sance  de  pathétique  on  de  burlesque; 
et  nous  ajouterons  avec  la  n^ême  phi- 
losophie, car  la  philosophie  de  la  vie 
est  là  toutentière.  Tantôt  ce  sont  de 
grandes  ou  âpres  figures  touchées 
avec  la  vigueur  et  la  sublimité  cor- 
nélieiines  (Bois-Briant,  Balfonr  de 
Burleigh,  Ravenswood,  Torquil  du 
Chêne,  lady  Ashton,  lady  Glenallan, 
la  SaxonneUlrique);  ailleurs  au  con- 
traire éclate  toute  la  finesse  du  ci- 
seau de  Benvenuto,  soit  qu'il  fasse 
passer  devawt  nous  de  suaves  et 
pur(/s  physionomies,  les  Minna,  les 
Brenda,  les  miss  Hériot,  les  Amy 
Robsart,  les  Rose  Bradwardine,  les 
Jeanie  D;'aus,  soit  que  nous  nous 
trouvions  en  face  d'êtres  ou  perlides 
ou  funestes,  l'envieuse  Ailsie,  l'é- 
goïste Leicesler,  l'impassible  Clavcr- 


SCO 

house,  le  faux  Warner,  l'hypocrite 
Rashieigh,  le  brillant  Etheririgton, 
l'astucieux  Christian  ,  le  venimeux 
Dwining,  l'infâme  Middlemas.  Mais 
des  créations  plus  belles  encore  sont, 
celles  où  à  Icji  (inesse  d<'  touche,  à  la 
vigueur, à  la  correction,  il  a  fallu  que 
l'artiste  joignît  la  sensibilité,  !a  ma- 
gie du  pinceau  et  la  faculté  d'idéali- 
sation la  plus  rare  (Fenelia,  Rebecca 
tiennent  le  premier  rang  dans 
cette  classe,  et  s'il  est  possible  de 
dire  que  Tune  procède  en  partie  de 
la  Mignon  de  Wilhelm  Mdster,  l'au- 
tre est  tout  entière  lille  de  l'imagi- 
nation de  Scott).  Dans  ce  dioramade 
personnages  de  toute  sorte  figurent 
aussi  de  hautes  célébrités  histori- 
ques :  les  unessout  représentées  avec 
un  art  exquis,  et  peut-être  y  eutre- 
t-il  un  peu  de  fantaisie,  parce  que 
Scott  a  plutôt  voulu  en  faire  des 
types  que  des  portraits,  pourlanl 
elles  sont  éminemment  reconnaissa- 
bles  (Claverhouse,  Richard,  Saladin), 
les  autres  sont  de  strictes  portrai- 
tures, telles  que  l'histoire  elle-même 
n'en  a  pas  fait  (Jacques  I*"",  Char- 
les Il  etBuckingham,  Élisabelh,  Ma- 
rie Stuart ,  Alexis  et  Anne  Comnène, 
et  surtout  Louis  XI,  que  toutefois  il 
aurait  encore  mieux  représenté  s'il 
avait  retouché  son  ouvrage  au  bout 
de  quelques  années).  Un  lecteur  su- 
perficiel pourrait  troiiver  que  beau- 
coup de  ligures  se  ressemblent,  que 
les  vieilles  lenHues  à  mine  sibylline 
reviennent  trop  fréquemment,  qu'il 
nous  fait  voir  trop  long-temps  mau- 
vaise compagnie  en  nous  tenant 
parmi  des  meiidiants,  des  gens  de 
rien,des  bandits,  desidiots,  etc.,  etc. 
Mais  qu'on  examine  plus  à  fond,  on 
sentira  qu'au  contraire  Scott  s'en- 
tend a  merveille  à  distinguer  autant 
qu'ils  doivent  èîro  disi indues  les 
personnages  qu'il  y  a  chance  de  con- 


sco 


507 


fondre  (  par  exemple  les  six  Osbaldis- 
hnni.ThornhiUet  les  autres  comme 
dit  le  père),  et  que  même,  quoique 
appartenant  à  deux  romans  distincts, 
ce  qui  lui  fournissait  une  excuse, 
Meg  Merrilies  n'a  rien  de  Norna.  On 
sentira,  pour  peu  qu'on  se  rappelle 
Édie  Ochiltrie.  que  quelques-uns  des 
personnages  subalternes  qu'il  intro- 
duit jouent  le  rôle  le  plus  impor- 
tant,  et  souvent  ce  sont  eux  qui 
donnent  lieu  aux  plus  grands  effets, 
(ainsi  les  scènes  déchirantes  qui  ac- 
conipagiient  les  funérailles  de  Stee- 
nie  Mueklebackit).  On  sentira  enfin 
que  si  Scott  nous  ramène  un  peu 
souvent  des  êtres  dont  Pintelligence 
n'est  plus  saine  ou  n'est  pas  com- 
plète, en  fin  de  compte  on  n'en  énu- 
mérerait  guère  plus  d'une  demi-dou- 
zaine dans  quatre-vingt-quatre  (ou 
cent  douze)  volumes  de  romans, que 
ces  infortunés  diffèrent  tous  les  uns 
d<  s  autres,  soit  par  le  mode  et  Tin- 
terisité  de  leur  trouble  intellectuel, 
soit  par  leurs  habitudes,  leur  sexe, 
leur  rang  (quoi  de  plus  éloigné,  par 
exemple,  que  Gillatleyet  Allan,  que 
MegWiidfire  et  Clara  Mowbray  ou 
Lucie  Ashton,  que  Norna  et  la  vieille 
Etspeîh?)  et  que  cette  peinture  de 
la  plus  triste  des  dégradations  hu- 
maines est  précisément  une  de  celles 
qui  sont  devenues  sous  sa  plume  les 
plus  émouvantes,  les  plus  riches  en 
leçons  de  tous  les  genres.  Quoi  de 
plus  poignant  et  de  plus  instructif 
que  Lucie  lentement  assassinée  dans 
son  intelligence  par  l'aveugle  et 
impitoyable  politique  de  sa  mère  et 
par  sa  clairvoyante  complice  Ailsie? 
Et  sous  un  autre  rapport,  quelle  ma- 
gnifique étude  que  cette  Lucie,  dou- 
ble et  incomplète,  tenant  de  son  père 
par  sa  faiblesse,  par  l'impuissance 
où  elle  est  de  dire  non  à  ce  (|ui  l'op- 
prime, icnaui  de  sa  mcie  par  l'iuva- 


508 


SCO 


riabilité  de  ses  volontés,  en  consé- 
quence incapable  d'articuler  un  mot 
en  présence  de  lady  Ashton,  mênie 
quand  Ravenswood  est  là  prêt  à  la 
sauver,  bien  déterminée  cependant 
à  n'être  jam.iis  à  Bucklaw  et  entraî- 
née ainsi  à  l'acte  homicide  qui  forme 
la  catastrophe  !  N'oublions  pas  une 
dernière  classe  de  caractères,  classe 
qui  revient  souvent ,  mais  qui  est  si 
éminemment  diversifiée  que  jamais 
la  monotonie  ne  s'y  fait  sentir  :  ce 
sont  les  comiques,  les  burlesques. 
Chose  étrange  ]  quelques-uns  ,  tout 
en  étant  bafouables,  nous  attendris- 
sent jusqu'aux  larmes  (Caleb,  par 
exemple),  ou  nous  commandent  la 
vénération  (  le  baron  de  Bradwar- 
dine),  pour  ne  pas  parler  de  ceux 
que  nous  nous  bornons  à  aimer  (le 
bailli  Nicol  Jarvie  )  ou  à  suivre,  à 
écouter  d'un  œii  curieux  (  le  capi- 
taine ou  major  Daigetty).  Il  faut 
joindre  à  cette  liste  le  sempiternel 
Peter  Peebles,  l'imperturbable  Mo- 
niplies,  Dominie  Sampson  le  solen- 
nel, le  bonnetier  Proudfute,  si  pol- 
tron ,  si  travaillé  de  la  manie  de 
paraître  brave,  sir  Mungo  Malagrow- 
ther,  le  nabab  Touchwood,  le  paci- 
ficateur Hector  Maesurk.  Bien  que, 
comme  nous  l'avons  dit,  les  carac- 
tères et  le  dialogue  soient  ce  qui 
l'emporte  chez  Scott,  l'action  en 
général  n'est  pas  sans  mérite.  Le 
plus  souvent  elle  n'offre  pas  par 
elle-même  un  intérêt  très-puissant. 
Nous  en  excepterons  pourtant  la 
Fiancée  de Lammermoor y  et  jusqu'à 
un  certain  point  Ivanhoe^  là  Fille  du 
médecin,  V Antiquaire,  U  Prison 
d'Edimbourg.  Mais  en  réalité  c'est 
surtout  dans  les  détails  que  réside 
l'intérêt,  et  comme  il  est  extrême- 
ment vif,  non-seulement  dans  ceux 
<les  cinq  ouvrages  (juc  nous  venons 
de  nommer,  mais  dans  presque  tous 


SCO 

les  autres,  on  est  porté  à  l'attribuer 
à  la  conception  fondamentale  même. 
Dans  quelques-uns,  du  reste,  l'ac- 
tion est  presque  nulle,  et  pendant 
un  volume  rien  ne  bouge,  ne  vient 
secouer  le  staiu  quo  :  n)ais  c'est 
l'exception.  Généralement,  sans  que, 
la  fable  soit  surchargée  d'incidents, 
sans  que  l'intrigue  soit  multiple  et 
compliquée,  sans  imbroglio  à  l'es- 
pagnole, sans  nœud  à  proprement 
parler,  on  a  des  événements ,  dos 
péripéties,  des  scènes  fort  variées , 
et  certainement  dans  chaque  roman 
(sauf  deux  ou  trois  )  il  y  a  de  quoi 
tailler  plusieurs  scénario  :  il  en  est 
même  de  véritablement  riches, /tan- 
hoe,pav  exemple.  Quanta  l'intérêt 
de  curiosité,  ce  n'est  pas  celui  qui 
domine  chez  Scott  :  cependant  il 
ne  lui  est  pas  étranger  et  il  sait  l'é- 
veiller au  plus  haut  degré'dans  plus 
d*un  cas,  dans  le  Monastère  .^  par 
exemple,  et  dans  les  Eaux.  La  nar- 
ration est  parfaitement  ce  qu'elle 
doit  être  et  l'est  toujours.  Le  ton, 
sans  cesser  d'être  simple,  est  très- 
varié;  il  n'est  pas  rare  qu'il  s'y 
élève  au  sublime ,  et  là  ,  comme 
dans  le  développement  de  certains 
caractères ,  se  retrouvent  de  nou- 
veau les  grands  traits  à  la  Cor- 
neille, le  modelé  de  Buonarolti.  Ces 
expressions  ne  sembleront  pas  trop 
fortes  à  qui  se  rappellera  la  descrip- 
tion de  l'émeute  d'Edimbourg,  le 
siège  et  l'incendie  de  Front-de-Bœuf, 
le  tournoi  du  dimanche  des  Ra- 
meaux où  retentissent  tant  de  fois  : 
Air  son  Eachin  !  Avec  tout  cela , 
Scott  brille-t-il  par  l'invention?  A 
notre  avis,  oui,  bien  quetrès-souvent 
il  ait  puisé  des  inspirations,  des 
idées  premières,  dans  les  Causes  cé- 
lèbres, dans  celles  qui  se  vidaient 
lui  présent,  ctdansles  légendes, tra- 
ditions et  ballades;  bien  que  même 


SCO 


SCO 


509 


quelquefois  il  ait  fait  des  emprunts 
à  ries  œuvres  d'art.  Ainsi,  par  exem- 
ple, outre  Feneila,  copie  de  Gœthe, 
nous  signalerons  le  sublime  tableau 
où  Ton  voit  Torquil  dévouer  à  la 
mort ,  qu'ils  subissent  tous  les  uns 
après  les  autres,  neuf  fils  pour  sau- 
ver son  chef  Hector  et  ensuite  périr 
lui-même.  (N'y  at-il  pas  là  imita- 
tion évidente  du  vieux  Diègue  Arias 
envoyant  ses  fils  les  uns  après  les 
autres  mourir  pour  l'honneur  de 
Zamora ,  quand  le  traître  Vellido 
Dolfos  a  tué  don  Sanche?)  Nous 
signalerons  deux  superbes  scènes 
à  Ivanhoe:  celle  où  la  belle  Israé- 
lite, qui  «aime  mieux  confier  son  âme 
à  Dieu  que  son  honneur  à  un  Tem- 
plier, »  s'élance  sur  la  haute  plate- 
forme d'où  elle  peut  en  un  clin  d'œil 
se  précipiter  sur  les  pavés,  et  tient 
ainsi  l'audacieux  chevalier  à  dis- 
tance, et  celle  où,  garde-malade 
d'ivanhoe  forcément  immobile,  elle 
examine  au  travers  des  meurtrières 
les  manœuvres  des  assiégeants  et 
des  assiégés  et  les  lui  détaille. Celle- 
ci  est  évidemment  la  seconde  scène  de 
l'acte  premier  ùes  Phéniciennes  d'Eu- 
ripide; dans  celle-là  les  admirateurs 
de  Richardson  reconnaîtront  Clarisse, 
quittant  pour  la  première  fois  sa 
chambre  depuis  la  nuit  du  soporifi- 
que,et  au  moment  même  où  Lovelace, 
entouré  de  ses  immondes  et  dociles 
alliés,  la  croit  en  son  pouvoir,  lui 
échappant  par  cette  simple  circon- 
stance qu'il  y  a  six  pas  des  coalisés 
à  elle,  et  qu'elle  tient  appuyée  sur 
son  sein  lu  pointe  d'un  petit  canif 
prèteàs'enpercer  s'ils  avancent,  s'ils 
tentent  de  l'empêcher  de  sortir. 
Scott  s'est  gardé  de  nous  prêter  à 
rire  avec  le  petit  canif,  mais  au  fond 
la  situation  est  identique,  à  ceci  près 
que  Rebeeca  n'a  pas  pris  de  sopori- 
licpie  et  n'est  pas  de  cel  les  qui  eu  pren- 


nent. Un  autre  mérite  de  Scott,  c'est 
que  par  cela  qu'il  reflète  si  scrupu- 
leusement la  réalité,  même  lorsqu'il 
imagine,   il  ne   donne  point  d'idée 
fausse  de  ce  que  c'est  que  le  inonde. 
La  vertu  n'est  pas  toujours  triom- 
phante, ou  du  moins  n'a  pas  toujours 
la  meilleure  part  des  richesses  et  des 
honneurs.  Jeanie  Deans  est  la  femme 
d'un   pauvre   ministre  de  village; 
Euphémieest  grande  dame,  est  fêtée 
à  la  cour, est  toute  une  saison  la  lionne 
de  Londres.  Lady  Ashton  survit  à 
tous  les  siens,  à  sa  fille,  à  ses  fils,  à 
son  époux,  et  morte  repose  sous  des 
marbres  magnifiques,  tandis  que  ses 
victimes  n'ont  ni  tombe  ni  inscrip- 
tion.  Feneila  n'est  point  aimée,  ni 
Rébecca  ;  elles  ne  sont  pas  préférées 
du  moins  ;  et  de  pâles  créatures,  des 
Alice,  des    lady    Rowena,   espèces 
d'idoles  muettes,  l'emportent   sans 
lutte  sur  des  rivales  qui  leur  cèdent 
bien  peu  en  attraits  et  qui  les  sur- 
passent mille  fois  par  l'héroïsme,  par 
le  dévouement,  par  les  dons  de  l'es- 
prit. Toutefois,  qu'on  n'aille  pas  ima- 
giner que  Scott  ait  pour  système  de 
représenter  la  vertu  malheureuse,  la 
perversité    ou    l'incapacité    triom- 
phante, et  donner  le  prix  Montyon 
à  ceux  que  réclame   le  bagne.  Au 
contraire,  il  croit  et  fait  croire  que, 
même  moins    brillamment    récom- 
pensée aux  yeux  du  vulgaire,  la  vertu 
trouve  en  elle-même  une  félicité  in- 
terne qui  vaut  le  bonheur  extérieur. 
Jeanie  Deans  est  plus  heureuse  que 
lady  Staunton.  Et  souvent  du  fond  du 
récit  jaillissent  à  Timproviste,  pour 
qui  sait  les  comprendre,  des  leçons 
profondes,  d'autant  plus  aptes  à  ren- 
dre prudents  que  Tauteur  ne  semble 
pas   le   moins  du  monde  les  avoir 
prévues,  et  songer  à  prêcher  le  lec- 
teur. Ainsi,  par  exemple,  le  Siffleur, 
ce  fils  d'un  amour  illégitime,  a  sucé 


510 


SCO 


SCO 


avec  le  lait  «le  i.i  bolif^inienne!  les 
ii.ceiirs  zif^ennes,  est  «levenii  le  pu- 
pille du  i)rigaH(l  Duuacha-Dhu ,  et 
probableineni  est  le  meurtrier  de 
sou  père  qi/i  s'épuise  eu  recherches 
pour  le  trouver.  Ainsi  Flora,  dont 
l'exaltation  royaliste  n'a  jamais  con- 
nu de  limites,  Flora,  qui  verserait 
sou  sang  pour  son  frère,  ainsi  que 
pour  la  causé  sainte  des  Stuarts  , 
Flora,  au  dernier  itiouient  et  quand 
Fergus  va  être  exécuté,  est  assiégée 
non  par  le  remords,  mais  par  l'idée 
,  que  sans  elle  Fergus  ne  périrait  pas, 
qu'il  n'eiit  pas  pris  les  armes  pour  ses 
maîtres  proscrits,  que  son  ardeur  se 
serait  éparpillée  sur  vingt  objets.' 
Voilà  la  pensée,  voilà  le  vautour  qui 
silencieusement  et  sans  relâche  lui 
dévorera  le  cœur  au  fond  du  couvent 
catholique  où  elle  va  passer  ses 
jours  :  «C'est  moi, c'est  moi  qui  l'ai 
tué.»  Quelle  leçon!  leçon,  donnée 
sans  que  l'auteur  intervienne  «l'un 
mot,  sans  blâme  même  et  sans  qu'on 
cesse  un  seul  moment  de  reconnaître 
ce  qu'il  y  avai  t  de  grandiose  et  de  beau 
dans  cette  surexcitation,  dont  le  dé- 
nouement est  si  funeste!  Les  détails 
dans  lesquels  nous  venons  d'entrer 
sur  les  particularités  du  génie  «ie 
Scott  permettent  de  comprendre 
comment  on  a  pu  fréquemment  le 
comparer  à  Shakspeare  ;  ils  nous  per- 
mettent aussi  d'être  bref  sur  ce  paral- 
lèle, et  de  lui  appliquer  à  lui-même 
ce  qu'il  dit  de  ce  grand  maître: 
«  C'était  un  homme  universel  ^  ses 
«  regards  embrassent  tous  les  as- 
«  pects  variés  de  la  vie,  et  sou  ima- 
a  gination  a  peint  avec  le  même 
«  talent  le  roi  sur  son  trône  et  le 
-  paysan  qui  mange  des  châtaignes 
«  au  feu  de  N<'ël.  »  Les  ressem- 
blances sont  nombreuses,  frappan- 
tes ,  tant  pour  les  qualités  que 
pour  les  fautes,  tant  pour  la  variété. 


la  vérité,  l'agencement  des  caraclè- 
res  que  pour  l'action.  Mais,  «l'une 
part,  le  drame  sera  toujours,  par  sa 
forme,  par  la  succession  obligée  des 
scènes,  des  actes,  par  la  nécessité 
où  est  le  poète  de  s'effacer  pour  lais- 
ser agir  et  parler  les  personnages,une 
œuvre  à  la  fois  plus  artistique  et  plus 
virile;  de  l'autre,  Shakspeare  n'a 
pas  la  prolixité  de  Scott,  il  plane  plus 
haut  que  lui  et  plus  long-temps  dans 
les  régions  d'en  haut;  un  feu  latent  le 
consume  et  ne  se  consume  jamais; 
celui  de  notre  greffier  ne  manque 
pas  de  force  et  d'éclat,  mais  il  faut  le 
rallumer  souvent.  Ne  comparons  pas 
une  planète  au  soleil!  Quant  a  des 
rapprochements  avec  les  hommes 
contemporains,  i!  n'en  est  qu'un  qui 
puisse  trouver  place  ici,  c'est  celui 
qui  leplaceen  face  et  comme  émule  de 
lord  Byron.  Scott  et  Byron  sont  sans 
contredit  les  deux  plus  grands  noms 
de  la  littérature  britannique  au 
XIX^  siècle ,  et  neuf  dixièmes  au 
moins  de  la  littérature  française  ac- 
tuelle relèvent  de  tous  deux.  Peu 
d'hommes  cependani ,  soit  comme 
hommes, soit  comme  littérateurs,sont 
plus  différents  eu  politique.  L'un  est 
whigdes  plus  avancés,  pour  ne  pas 
dire  radical  au  moins  à  moitié, l'autre 
est  tory  des  plus  étroits  :  et  quel  est  le 
tory?  celui  qui  n'a  qu'un  mince  pa- 
triuioine,qui  vit  en  partie  du  plumitif 
et  de  sa  plume,  qui  s'habille  de  gros 
drap,  monte  le  poney,  et  n'a  ni  gran- 
des manières,  ni  jargon  d'Almack  ; 
quel  est  le  whig  ?  celui  à  qui  sa  nais- 
sance assigne  place  dans  la  chambre 
haute,  qui  raffole  au  moins  pour  un 
temps  de  la  high-life,  qui  veut  qu'on 
l'appelle  •  le  Beau,  »  qui  devient  le 
roi  de  la  mode  à  Londres  pendant  un 
an  (1813),  et  qui  ne  pardonna  ja- 
mais au  tsar  (  car  inde  irœ,  quoique 
bien  peu  s'en  aperçoivent)  de  l'avoir 


SCO 

supplanté  en  1814  (Jans  l'admiration 
(le  la  intîtiopole.  Comme  hoiiimcs 
privés,  même  opposition.  A  nos  yeux 
Byron ,  malgré  ses  bootades,  ses 
coups  de  boutoir  et  certaine  per- 
versité dans  so'/f  mélier  de  Lovelace, 
avait  peut-être  autant  de  bonté  que 
Scott;  mais  cette  bonté,  pour  la  plu- 
part de  ceux  qui  avaient  les  yeux 
fixés  sur  lui,  n'était  pas  plus  visible 
que  s'il  eût  habile  la  Nouvelle-Zé- 
lande: sa  vie  n'était  qu'excentriciié, 
désordres  fougueux  ,  défis  jetés  à  la 
terre  et  au  ciel,  aux  hommes  et  aux 
choses.  Scott  roule  des  eaux  plus 
paisibles,  il  n'envoie  de  cartel  à  rien 
ni  à  personne;  le  papier  sur  lequel  il 
grossoie  n'est  pas  mieux  réglé  que 
lui.  L'orgueil  de  Byron  irrite  et 
froisse,  il  est  tout  en  dehors, il  exi^e 
l'adoration,  il  se  complique  de  mé- 
pris, notamment  pour  les  Anglais, 
pour  les  Anglaises,  pour  l'Angle- 
terre, pour  les  ministres,  pour  le 
régent.  L'orgueil  de  Scott  est  plus 
ïnoelleux,  plus  rentré;  il  savoure 
réloge  in  petto,  à  buis  clos,  en  gour- 
met; Écossais  jusqu'au  bout  des  on- 
gles, il  n'eu  est  pas  moins  idolâtre 
de  la  vieille  Angleterre  et  de  la  mo- 
derne ;  surtout  il  se  garde  bien  de 
voir  des  taches  à  l'hermine  du  ré- 
gent. Cette  diversité  d'humeur  ne 
pouvait  manquer  de  passer  dans  les 
œuvres  littéraires.  Partout  Byron 
laisse  prédominer  son  individualité  ; 
c'est  lui  qu'on  voit ,  qu'on  entend  , 
qu'on  a  posant  en  face  de  soi;  ce 
sont  ses  propres  impressions,  ses 
sensations  ,  ses  indignations  ,  ses 
ambitions  qu'il  fait  retentir  à  vos 
oreilles.  S'il  vous  peint  le  monde, 
ce  n'est  pas  le  monde  tel  qu'il 
est ,  c'est  le  monde  tel  qu'il  le 
rêve  ou  qu'il  le  convoite  ;  un  site 
même  ou  un  monument,  il  y  met  de 
lui  par  un  iugement  ou  par  un  sou- 


SCO 


5tl 


venir.  Généralement,  au  contraire, 
Scott  s'etface  ou  du  moins  se  place 
au  second  plan,  comme  le  bras  qui 
fait  mouvoir  les  marionnettes  :  c'est 
des  autres  qu'il  nous  parle  et  qu'il 
met  en  relief  les  pliysionomies,  les 
actes;  il  vise  à  l'exactitude  et  Tob- 
tient  ;  il  est  portraitiste  en  même 
temps  que  peintre.  Il  résulte  de  cette 
première  différence  que  les  héros  de 
Byron  et  Byron  lui-même  au  fond 
éveillent  peu  de  sympathies  ,  tandis 
que  ceux  de  Scott  en  excit»  nt  beau- 
coup; que  Byron  est  toujours  lyrique, 
même  hors  de  l'ode,  tandis  que  Scott 
l'est  rarement;  que  Byron  n'a  ni  le 
talent  de  conter  (à  moins  qu'on  ne 
prenne  Beppo  pour  un  conte  et  Don 
Juan  pour  une  épopée),  ni  la  faculté 
dramatique  (quoique  Sardanapale 
soit  une  fort  belle  chose),  tandis 
qu'en  Scott  nous  avons  reconnu  le 
conteur  éminent  et  dramaiiste  du 
premier  ordre  ;  que  Byron  n'est  pas 
exempt  de  monotonie  et  ne  nous  a 
guère  présenté  que  trois  beaux 
types,  dont  il  a  beaucoup  varié  les 
noms,  nous  l'avouons,  et  cinq  ou  six 
situations,  tandis  que  chez  Scott  les 
situations  et  les  types  se  comptent 
par  centaines.  Un  second  trait  carac- 
téristique de  Byron,  c'est  d'être  ex- 
trême :  de  là  les  plus  hautes  qualités 
et  de  graves  défauts.  Extrême,  il  est 
passionné,  il  est  chaleureux,  il  est 
rapide,  il  est  fébrile,  il  coule  à  pleins 
bords,  bondissant,  inondant  la  rive; 
il  reflète  à  profusion  de  riches  ima- 
ges ;  son  coloris  est  vif,  suave,  pro- 
fond ;  son  style  palpite;  son  vers 
est  frappé.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai 
non  seulement  que  toute  cette  ma- 
gnificence fatigue,  mais  qu'il  y  a  au 
fond  de  tout  cela  du  faux  et  du  vide. 
H  a  beau  nous  placer  dans  un  cou- 
rant galvanique ,  il  émotionne  et 
n'émeut  pas  ;  il  est  chaleureux  et  il 


ois 


SCO 


SCO 


ost  froid  comme  ces  glaciers  des  Al- 
pes qui  semblent  flamboyer  au  so- 
leil ;  il  est  abondant  et  il  dit  peu, 
comme  la  musique  où  l'inslmmenla- 
tion  est  admirable  et  le  chant  peu 
de  chose  :  luxe  et  indigence.  L'illu- 
sion même  ou  ne  naîi  pas,  ou  ne 
dure  pas  ce  que  durent  les  illusions 
d'art  :  ces  enchantements,  dont  sa 
muse  est  si  prodigue,  ce  faste  orien- 
tal, ces  pachas,  ces  noires  prisons, 
ces  Gulnare,  ces  Haïdée,  ces  volup- 
tés, ces  dévouements  exceptionnels, 
on  ne  s'approprie  pas,  on  ne  s'assi- 
mile  pas   véritablement   tout  cela 
comme  il  le  faudrait  pour  que  le 
charme  fût  complet.  Vous  éprouvez 
en  lisant  quelque  chose  de  l'impres 
sion   que  vous   causent   des  expé- 
riences de  fantasmagorie  :  le  poète 
est   un  prestidigitateur;  ou   plutôt 
vous  vous  élevez  au  ciel  des  liouris 
comme  si  vous  mâchiez  la  pastille  de 
hachich,  mais  il  y  a  dans  votre  vo- 
lupté même  quelque  chose  de  verti- 
gineux, et   vous  retombez  à  terre 
atrophié.  Byron,  d'ailleurs,  voit  le 
monde  à  faux  :   hypocondre,  blasé, 
insatiable  et  malconlent,  il   trouve 
mesquin,  ou  insigniiiant ,  ou  misé- 
rable, ou  stupide,  ce  que  les  autres 
ou  vantent  ou  supportent;  tout  lui 
donne  des  nausées  ou  met  en  ébul- 
lition  sa  bile  ;  il  dédaigne  et  dénigre  ; 
il  est  acerbe,  inique  et  intolérant  ; 
mieux  placé  que  tant  d'autres  con- 
vives au  banquet  de  la  vie,  il  trouve 
fades  les  ananas  dont  il  a  trop  goûté. 
C'est  lui  qui  mêle  la  strychnine  à 
son  sorbet,  et  il  le  déclare  amer  ;  et 
même  lorsqu'il  ne  l'est  pas,  il  s'ima- 
gine  qu'il   l'est  :  le  pli  d'une  rose 
lui  fait  jeter  les  hauts  cris.  Enfin, 
et    c'est   un    tort    plus  grave  (car 
être  pessimiste  et  misanthrope  est 
plutôt  un  malheur  qu'un   tort,  et 
c'est   au  plus   un  vice  d'esprit,  ce 


n'est  pas  un  vice  de  coeur),  le  sei- 
gneur de  Newstead  ,  s'il  est  bon  au 
fond  de  l'âme,  est   immoral  et  Test 
toujours:  le  plaisiretl'orgueil, voilk 
les  grands  articles  de  sou  code.  Ses 
héros  foulent  tout  aux  pieds,  et  s'ils 
font  le  bien,  c'est  qu'il  leur  plaît  de 
le  faire,  ils  n'y  sont  pas  tenus  :  ce 
n'est  pas  pour  des  hommes  comme 
eux  (c'est-à-dire  «  ce  n'est  pas  pour 
un  homme  comme  moi,  lord  Noël- 
Gordon  Byron  »),  que  la  morale  est 
faite  ^  jus  et  fas,  mots  vides  de  sens 
pour  les  Lara,  les  Caïri,  les  Manfred  : 
giaours,  renégats,  pirates  ou  fratri- 
cides, ces  êtres  pétris  de  kaolin  peu- 
vent-ils compter  pour  quelque  chose 
la  vie  d'un  homme,  l'honneur  d'une 
femme  ?  Charmants  et  funestes  mé- 
téores, ils  brisent  ce  qu'ils  touchent  ; 
mais  quel  honneur  d'être  brisés  par 
eux!  Ne  vous  en  faites  pas  faute,  mes- 
seigneurs,  et  laissez  dire  ;  de  stupides 
jurés  vous  condamneront,   mais  le 
verdict  de  Byron  est  not  guilty. Sous 
tous  les  rapports,à  l'intellectuel  et  au 
moral,  le  baronnet  est  l'antipode  du 
noble  lord. Ce  serait  nous  répéter  que 
de  détailler  trait  pour  trait  l'opposi- 
tion fondamentale  qui  ressort  si  clai- 
rement de  ce  que  nous  avons  dit  tout 
au  long  pour  l'un,  en  abrégé  mais 
suffisamment  pour  l'autre.  Que  l'on 
prenne  le  contre-pied  de  tout  ce  qui 
précède  sur  le  chantre  de  Manfred, 
et  l'on  saura  ce  que  c'est  que  le  pein- 
tre   de   V Antiquaire  et  de  Jeanie 
Deans.  Cherchera  qui  des  deux  doit 
être  donnée  la  préférence  est  chose 
oiseuse  s'il  en  fut  jamais  :  chacun, 
lorsque  l'on  agite  des  questions  sem- 
blables, a  ses  prédilections  et  se  dé- 
cide par  elles.  On  aura  beau  mettre  en 
relief  cette  inépuisable  forcecréatrice 
qui  brille  chez  Scott,  et  insister  sur  la 
variété  de  ses  tableaux,  répéter  qu'il 
sait  conter,  (pi'il  est  dramatique,  et 


SCO 

indiquer  ciiKfnante  passages  où  il  le 
dispute  en  verve,  en  énergie,  en  nia- 
gnilicence,  en  sublime  aux  plus  grands 
poètes,  aux  plus  éloquents  orateurs, 
il  y  aura  toujours  des  milliers  de 
personnes  qui  trouveront  que  le  ly- 
risme byronien  est  d'une  sphère  su- 
périeure à  celle  du  drame;  qu'il  ci- 
sèle octaves  et  stances  à  la  Spenser 
avec  une  maesfn'a  et  en  même  temps 
avec  une  facilité  que  n'a  pas  son  ri- 
val en  griffonnant  la  simple  prose  ; 
que,  pour  la  prose  même,  c'est  Vol- 
taire seul,  ou  Rabelais,  ou  Beaumar- 
chais, ou  Quevedo,  ou  Aristophane, 
qu'il  est  permis  de  lui  comparer  ; 
que  nui,  sauf  ces  vieux  aveugles, 
princes  de  l'épopée,  Homère,  Milton 
et  Camoëns,  ne  manie  si  impériale- 
ment le  vers  et  ne  porte  si  royale- 
ment le  laurier;  qu'il  y  a  en  lui  du 
César  et  du  Napoléon,  du  lion  et  de 
l'aigle.  Nous  ne  disputerons  pas,  et 
dès  qu'il  plaira  au  ciel  de  nous  oc- 
troyer un  peu  de  farniente,  nous 
passerons  une  heure  à  relire  la 
Fiancée  d'Àbydos,  un  jour  à  renouer 
avec  la  Fiancée  de  Lammermoor,  — 
Bien  que  nous  ayons  donné ,  chemin 
faisant,  les  titres  de  presque  tous  les 
écrits  de  Walter  Scott,  nous  croyons 
indispensable  de  les  réunir  ici  tous, 
non  dans  l'ordre  chronologique  de  la 
composition  ou  de  la  publication, 
ordre  qui  ne  nous  importe  plus,  mais 
méihodiquement,d'après  les  matières 
traitées  et  le  genre  auquel  appar- 
tiennent les  ouvrages.  Ils  se  dis- 
tribuent naturellement  en  quatre 
groupes  :  Poésie,  Roman,  Histoire, 
Critique,  plus  les  éditions  qu'il  a 
soignées  ou  enrichies,  soit  d'é- 
claircissements et  de  notes,  soit 
d'une  notice  biographique.  Commen- 
çons par  énumérer  ceux-ci  ;  ce  sont  : 
T.  OEuvres  de  J.  JDryden  (avec  no- 
tice et  notes),  Edimbourg.  t808, 

LXXXI. 


SCO  513 

18  vol.  in-8^  11.  OEuvres  de  Jona- 
than  Swift  (aussi  avec  notice  et 
notes),  Édimb.,  1814,  19  vol.  in-8". 
Swift  a  été  à  notre  avis  fort  utile  à 
Walter  Scott,  qui  nulle  part  ne  pou- 
vait mieux  s'initier  à  l'art  du  sar- 
casme, bien  qu'il  n'ait  jamais  été 
aussi  acerbe.  111.  OEuvres  poétiques 
de  miss  Anna  Seward,  Édimb.,  1810, 
3  vol.  in •8'^.  C'est  cette  même  miss 
Seward  qui,  en  1797,  lisait  un  soir 
ch?z  Ferguson  la  traduction  de  la 
ballade  de  Lénore,  et  qui  de  tous  les 
bavardages  vrais  ou  faux,  qu'elle  re- 
cueillait, a  formé  une  correspondance 
qui  ne  manque  pas  d'intérêt.  ÎV.  Mé- 
moires de  Gwynne  sur  la  grande 
guerre  civile,  années  1653  et  54, 
1822.  V.  Mémoires  de  La  Roche - 
jaquelin  (avec  préface),  Édimb.,  1827. 
VI.  En  société  avec  Clifford,  Pièces 
et  documents  officiels  (State  Papers), 
de  Ralph  Sadier,  et  ses  Lettres  ^ 
Édimb.,  1810,  2  vol.  in-i».  Vîl.  Re- 
cueil des  Traités  de  lord  Somers, 
Édimb.,  1809-1812,  3  vol.  in-4<'.  On 
verra  un  peu  plus  bas  que  bon  nom- 
bre des  morceaux  qui  appartiennent 
en  propre  à  Scott  dans  ces  publica- 
tions ont  été  réédités  plus  tard,  et 
sont  devenus  parties  intégrantes  de 
ses  volumes  formés  de  pièces  et  mor- 
ceaux. Nous  aurions  pu  à  toute  force 
joindre  à  cette  liste  des  ouvrages 
édités  la  Minstrelsy  (voy,  plus  bas)  ; 
mais  l'empreinte  du  génie  de  Scott 
y  est  trop  fortement  marquée  pour 
que  nous  ayons  dû  nous  y  décider,  et 
comme  d'ailleurs  ce  travail  a  été  ré- 
imprimé tout  au  long,  tant  en  anglais 
qu'en  français,  dans  les  OEuvres  com- 
pièfes  de  notre  auteur,  nous  l'y  lais- 
sons. Des  quatre  classes  dont  se  com- 
posent, nous  l'avons  dit,  ces  OEuvres 
complètes,  lespoésies  se  présentent  les 
premières.  Les  unes  sont  antérieures 
à  1814  et  à  l'apparition  de  Waverley: 

33 


14 


SCO 


SCO 


1rs  autres  ont  été.  composées  poslé- 
rieurenicnt,  et  suitout  dans  les  der- 
nières années  de  la  vie  de  Scotl.  On 
peut  aussi  les  subdiviser  d'une  autre 
façon,  Romans  poétiques,  Drames, 
Poésies  diverses  :  celles-ci  se  réfèrent 
à  toutes  les  périodes;  de  ceux-là, 
au  contraire,  les  uns  sont  anté- 
rieurs à  1814  (ce  sont  les  Romans 
poétiques)^  les  autres  sont  tous  des 
années  suivantes  (ce  sont  les  Dra- 
mes). Les  Romans  poétiques,  pour 
nous  servir  d'un  nom  qui  est  devenu 
fort  usité  en  ces  derniers  temps,  sont 
au  nombre  de  neuf,  si  Ton  y  com- 
prend Tristrem,  et  de  onze,  si  l'on 
veut  y  joindre  les  deux  chants  épi- 
ques, Rodéric  et  Waterloo.  Le  drame 
ne  fournit  à  proprement  parler  que 
qtiaire  pièces  (qui  porteront  les 
n°5  Xl-XV).  On  en  aura  cinq,  si  l'on 
n'écarte  pas  Gœtz,  qu'effectivement 
notjs  classerons  au  n»  XVL  Sous  le 
XVI1«  et  dernier  se  réuniront  tous 
les  autres  vers,  à  moins  que  le  hasard 
ne  nous  découvre  un  autre  drame  ou 
roman  poétique. Voici  donc  la  nomen- 
clature complète  des  OEuvr es  poéti- 
ques de  Scot  (.[.Le  Lai  du  dernier  mé- 
nestrel, Èdimh.,  1805,  in-4°;  1808, 
in-8"  ;  l.i'^  éd.,  1812,  in-8"  (1808  vit 
paraître  de  plus  \  es  Descriptions  and 
illustrations  ofihe  Lay,  etc.,  in-4°). 
II.  Marmion,  Édimb.,  1808,  in-4°. 
m.  La  Dame  du  Lac,  Édimb.,  1810, 
in-4«.  IV.  Harold  l'indomptable. 
V.  Rokeby,  Éd  ,  1813,  in-4°.  VI.  Le 
Lord  des  lies,  Éd.,  1814,  in-4°.  Vil. 
Thomas-le-Rimeur.  Vlll.  Précis  de 
l'histoire  de  Tristrem,  Éd.,  1804, 
in-8°;  2«  éd.,  1806.  IX.  Les  Fian- 
çailles de  Triermain  (dans  les  OEuv. 
poét ,  1806).  X.  La  Vision  de  Rodé- 
ric (le  dernier  roi  goth  d'Espagne), 
1811,  in-8°.  C'est  un  fort  beau  poème, 
tout  entier  original  (ce  qui  le  distin- 
gue de  Tristrem)  et  du  reste  inspiré 


par  ce  beau  roman.  XI.  Le  Champ  de 
bataille  deWaterloo,Lom\.,  I8ir),in- 
8".  XII.  Halidon  Uill,  Éd.,  1822.  Ce 
n'est  qu'une  esquisse  Cw.  drame,  mais 
très-belle  :  l'héroïque,  le  pathétique 
s'y  combinent  de  manière  à  produire 
de  grands  «iïéts.  XIII.  La  Croix  de 
Macduffiddus  la  collection  de  Joanna 
Baillie)  Encore  un  drame  de  petite 
dimension,  mais  qui  ne  manque  pas 
de  mérite.  XIV  et  XV.  Le  Tribunal 
de  Devorgoil  ,  drame,  et  Auchi- 
dranCf  ou  le  Comté  d'Âyr,  tragédie. 
XVI.  Gœtz  de  Berlichingen  à  la 
main  de  fer,  trad.  de  l'ail,  de  Gœthe, 
Éd.,  1799.  XVII.  Poésies  diverses, 
c'est-à-dire  Chants  lyriques,  bal- 
lades, élégies,  fragments,  etc.  On  ne 
les  trouve  toutes  que  dans  le  Sir 
Walttr  Scott' s  poetical  works,  qu'on 
peut  adjoindre  comme  tome  IX  aux 
huit  volumes  de  la  grande  édition 
in-8°  c(»mpacte  à  deux  colonnes  de 
Galignani.  Scott  lui-même  avait 
donné  :  1°  Ballades  et  Pièces  ly- 
riques, Édimb.,  1806,  in-8o.  On  y 
trouve,  en  assez  nombreuse  et  bonne 
compagnie,  les  deux  ballades  imitées 
de  Biirger  (c'est-à-dire  Lénore,  mé- 
tamorphosée en  Guillaume  et  Hélène, 
et  le  Sauvage  chasseur,  très-recon- 
nasssable  sous  son  nouveau  litre,  la 
Chasse),  les  deux  chants  fournis  aux 
Taies  oftltewonderôe  Lewis  {Glen- 
finsal  et  la  Veillée  de  Saint-Jean),  et 
[eïàineuxChantdurégimentdecava- 
lerie  de  Midlothian.  2  '  Quelques  au- 
tres pièces  de  ce  genre  dans  le  recueil 
de  ses  OEuvres  poétiques,  Éd.,  1806, 
5  vol.  in-8''.  Il  serait  intéressant  d'y 
réunir  les  effusions  plus  ou  moins 
lyriques  dont  il  a  semé  quelques- 
uns  de  ses  romans,  par  exemple,  le 
Joyeux  Frère  (Vlvanhoe^  le  Tu  dois 
mourir  de  la  Jolie  fille  de  Perth. 
Les  romans  de  Scott  ou,  comme  on 
dit,  ses  romans  historiques  ne  vont 


SCO 

pas  à  moins  de  v'ingt^sept,  si  d'une 
part  nous  comptons  pour  un  le  Nain 
noir  ainsi  qu'on  doit  le  faire,  malgré 
sa  brièveté,  tandis  que  de  l'autre 
nous  ne  tenons  pas  compte  des  quatre 
récits  qui  dans  la  première  série  des 
Chroniques  de  la  Canongate  précè- 
dent La  Fille  du  médecin  (ou  que 
nous  transformions  en  quelque  sorte 
ce  titre  en  celui  de  LaFille  du  mé- 
decin et  quatre  petites  nouvelles). 
Du  reste  on  peut  regarder  le  Miroir 
de  ma  tante  Marguerite  comme  un 
vingt-huitième  roman.  Des  vingt- 
sept  premiers,  quinze  se  rapportent  à 
l'Ecosse  et  aux  Orcades  :  les  six  qui 
viennent  ensuite  nous  conduisent  en 
Angleterre,puis  sur  le  continent,  mais 
sans  nous  écarter  bien  loin  encore, 
tant  que  nous  lisons  les  trois  suivants 
dont  les  événements  se  passent  en 
France,  en  Belgique,  en  Allemagne, 
et  finalement  nous  nous  élançons  avec 
les  héros  des  trois  derniers  à  Constan- 
tinople,  en  Palestine,  dans  l'Inde,  en 
un  mot  en  Orient.  Notons  pourtant 
que,  toujours  fidèle  à  l'idée  nationale 
ou  peut-être  par  un  procédé  d'art  qui 
lui  facilite  sa  tâche  de  portraitiste, 
Scott,  qui  semble  connaître  la  Fran  ce, 
la  Belgique,  l'Allemagne,  Byzance,  la 
Syrie,  le  Dékhan,  presque  aussi  par- 
faitement que  son  Ecosse,  jette  tou- 
jours un  Écossais  au  milieu  de  cette 
contrée  étrangère  qu'il  a  choisie  pour 
théâtre  des  événements-,  ainsi  Nigel, 
Péveril ,  Quentin,  Kenneth,  Middle- 
mas,  etc.  Grâce  à  la  baguette  féerique 
du  wizard  d'Abbotsford,  et  du  reste 
la  fiction  ici  est  conforme  à  la  réalité, 
il  en  est  des  Écossais  comme  des 
Gascons,  ils  prennent  partout  (nous 
voulons  dire  ils  s'implantent):  l'Écos- 
sais chez  lui,  l'Écossais  chez  les  au- 
tres, voilà  l'alpha  et  l'oméga,  voiià 
le  résumé  des  vingt-sept  romans. 
L'auteur  est  fort  pour  les  épigraphes. 


SCO 


Ô15 


comme  on  sait;  il  en  met  en  tête  de 
chaque  chapitre,  il  en  met  en  tête  de 
chaque  ouvrage,  il  eut  dû  en  prendre 
une  pour  toute  la  collection  :  c'eût  été 
L^ Ecosse  quand  même.  Le  grand  ro- 
mancier, le  grand  inconnu  est  aussi 
le  grand  patriote.  Son  nom  même, 
son  nom  de  famille  bien  entendu, 
semble  l'y  avoir  prédestiné,  car 
Scott  a  voulu  dire  Écossais,  et  si  au- 
jourd'hui l'on  dit  Scotman^  au  temps 
ancien  l'on  a  dit  les  «  Scots  »  et  les 
Pietés,  et  cette  survivance  de  la  forme 
antique  ne  peut  que  flatter  un  anti- 
quaire. Terminons,  avant  de  passer 
au  tableau  des  romans  de  Scott  ran- 
gés dans  cet  ordre,  mi-chronologi- 
que et  géographique,  mi -idéologi- 
que qui  nous  semble  naturel,  par 
nous  débarrasser  de  l'ambiguïté  des 
titres  collectifs  Contes  de  mon  hôte. 
Chroniques  de  la  Canongate^  Récits 
des  croisades.  Ces  derniers  n'ont  ja- 
mais formé  qu'une  série  en  quatre 
volumes  (1825),  contenant  le  Conné- 
table de^Chester  et  Bichard  en  Pa- 
lestine. Les  Choniques  de  la  Canon- 
gate au  contraire  en  forment  deux  de 
trois  volumes  qui  se  succédèrent  sans 
interruption  en  1827,  1828,  et  dont 
la  r«  comprend  avec  la  Fille  du 
médecin  les  quatre  petits  récits  an- 
nexes, tandis  que  la  2«  se  réduit  à  la 
Jolie  Fille  de  Perth.  Enfin  les  Contes 
û(e  mon /lofe  se  composent  de  quatre  sé- 
ries données  au  public  en  1816,  1818, 
1819,  1831,  et  composées  de  trois 
et  de  quatre  volumes  (dans  la  pri- 
mitive édit.  angl.).  Le  Nain  noir,  les 
Puritains  forment  la  V^  série  ;  ta  2"^ 
est  remplie  par  la  Prison  ;  dans  la  a»" 
viennent  la  Fiancée  et  Une  Légende  ; 
à  la  4^  appartiennent  le  Comte  de 
Paris  et  le  Château  périlleux.  Ceci 
posé,  voici  comment  s'échelonnent 
les  vingt-huit  romans.  I.  LaSaint- 
Valenlin^  ou  la  Jolie  fille  de  Perth 

33. 


510 


SCO 


(i>'=sériedesC/<r.dcfaCan.),Édimh., 
1825.  Ici  les  acteurs  sont  contem- 
porains de  Jacques  T",  c'est-à-dire 
que  nous  sommes  encore  au  moyen 
âge.  Peut-être  manque-t-il  quel- 
que chose  à  la  peinture  de  l'état 
social  et  des  mœurs  de  ce  temps 
pour  qu'elle  soit  parfaite.  Mais, 
somme  toute,  le  roman  est  excel- 
lent :  quoique  appartenant  à  cette 
dernière  pe'riode  de  la  vie  de  Wal- 
ter  Scott  qu'on  se  représente  non 
sans  raison  comme  haletante  et 
donnant  des  signes  visibles  de  fai- 
blesse ,  il  peut  prendre  rang  auprès 
de  Waverley  ^  de  Kenilworih^  de 
Quentin  Durward,  et  au-dessus  de 
Woodstock,  de  VÂbbé,  du  Monastère^ 
peut-être  même  de  l'Antiquaire, 
II,  llf.  Le  Monastère  et  l'Albé  , 
suite  du  Monastère,  Edimbourg, 
1820,  3  vol.  in-12.  On  regarde  ces 
deux  productions  comme  les  plus 
faibles  de  l'auteur  après  les  trois 
ouvrages  de  sa  vieillesse.  Quant  à 
nous,  nous  les  préférons  non-seu- 
lement à  ces  trois  derniers,  mais  en- 
core à  Woodstock.  Nous  ne  nions  pas 
du  reste  que  Scott  n'y  soit  inférieure 
lui-même,  et  c'est  pour  nous  un  regret 
d'autant  plus  vif  que  l'infortunée 
Marie  Stuart  y  joue  un  rôle ,  et  que 
nous  souhaiterions  à  cette  gracieuse 
et  si  touchante  physionomie  un  cadre 
digne  d'elle.  Trop  de  rapidité  nuit, 
quoi  qu'on  en  puisse  dire,  même  au 
génie;  et  il  n'est  pas  étonnant  que 
celui  qui,  en  douze  mois  (de  1820  et 
21),  écrivait  et  imprimait  les  douze 
volumes  d'Jtjan/ioc,  du  Monastère, 
de  l'Abbé,  de  Kenilworth^  n'ait  pas 
toujours  été  à  la  même  hauteur.  IV. 
La  fiancée  de  Lammermoor,  Édimb., 
1819,  2  vol.  in-12  (ou  2  vol.  et  demi). 
C'est,  comme  il  a  été  dit,  une  partie 
de  la  3®  série  des  Contes  de  mon  hôte. 
L'ouvrage  est  trop  connu,  et  nous  en 


SCO 

avons  même  trop  parlé  déjà,  quoique 
accidentellement  et  sans  toucher  les 
choses  essentielles,  pour  qu'il  con- 
vienne d'en  essayer  l'analyse.  C'est 
certainement,  malgré  sa  médiocre 
dimension,  un  des  chefs-d'œuvre 
de  Scott.  On  sait  avec  combien  de 
transport  le  théâtre  en  tout  pays 
s'est  emparé  de  ce  sujet ,  qui  a 
fourni  drame,  vaudeville  et  opéra. 
Comme  l'événement,  trop  malheu- 
reusement réel,  dont  Scott  nous 
offre  le  tableau  idéalisé  se  rapporte 
aux  premières  années  du  XVll®  siè- 
cle, nous  avons  laissé  l'ouvrage  à 
la  place  qu'il  occupait  dans  les  Con- 
tes de  mon  hôte,  avant  le  suivant, 
V.  Une  Légende  de  Montrose,  ou, 
comme  on  l'a  intitulée  souvent  en 
français,  VOfficier  de  fortune  (fin  de 
la  3®  série  des  Contes  de  mon  hôte), 
Édimb.,  1819,  1  vol.  in-12  (ou  1  vol. 
et  demi).  Rien  ne  ressemble  moins 
au  précédent  récit  que  cette  compo- 
sition éminemment  originale.  Quoi- 
quemoins  longue  que ia  Fiancée,  elle 
est  encore  peut-être  plus  admirable  : 
la  vie  de  soldat  pendant  la  première 
moitié  du  XVII®  siècle  et  la  vie  du 
clan,  la  guerre  civile,  sont  rendues  de 
main  de  maître.  Dalgetty  est  dessiné 
encore  avec  plus  de  vigueur  que  le  ba- 
ron de  Bradwardine  :  son  ambassade 
surtout  et  la  mort  de  son  cheval  Gus- 
tave sont  quelque  chose  d'inimagi- 
nable. Molière  lui-même  n'a  jamais 
rencontré  comique  plus  franc.  VI. 
VII.  Le  Nain  noir  et  Vieille-morta- 
lité (  ou  dans  les  traductions  fran- 
çaises les  Puritains  d^Écosse,  ou  la 
Bataille  du  pont  de  Bothwell), 
Édimb.,  1817,  3  vol.  in-12.  Ces  deux 
ouvrages  forment  la  3®  série  des 
Contes  de  mon  hôte  :  le  premier  est 
fort  court  et  n'a  rien  de  très-remar- 
quable; le  second,  au  contraire,  est 
un  des  romans  les  plus  carrés  par  la 


SCO 

base,  les  plus  hardis  de  dessin,  les 
plus  chauds  de  couleur  qu'on  ait  ja- 
mais écrits.  11  dispute  la  palme  à 
Ivanhoe^  et  bien  des  artistes  le  préfè- 
rent. Il  n'en  a  pas  les  beautés  raci- 
niennes,  le  pathétique  déchirant,  le 
comique  de  bon  goût,  les  délicatesses 
infinies,  la  variété;  mais  l'impres- 
sion en  est  plus  âpre,  plus  profonde. 
Le  nom  de  pont  de  Bolhwell  indi- 
que assez  à  quelle  époque,  de  si- 
nistre mémoire,  se  passe  l'action. 
VUl.LeCœur  de  M idlothian,  ou,  dans 
la  traduction  française,  la  Prison 
d'Edimbourg,  Le  premier  de  ces  deux 
mots  est  proverbialement  le  syno- 
nyme de  l'autre.  C'est  encore  une  des 
plus  belles  compositions  de  l'auteur, 
quoique  tout  n'y  soit  pas  delà  même 
force.  La  trop  fameuse  émeute  Por- 
teous  en  1737,  qui  est  un  fait  réel,  et 
le  caractère  deJeanie,  sont  ce  que 
l'on  y  admire  le  plus.  IX  (bien  que 
l'événement  soit  antérieur  au  sujet 
de  la  Prison).  Rob-Roy  (mot  k  mot 
Rob  le  Rouge^  c'est-à-dire  le  Roux)^ 
Édimb.,  1818,  a  vol.  in-12.  On  se 
rappelle  que  c'est  par  cet  ouvrage, 
le  sixième  en  date  parmi  les  ro- 
mans ,  que  Scott  prit  définitivement 
le  haut  rang  dont  il  ne  devait  pas 
descendre.  C'est  effectivement  un 
chef-d'œuvre.  Là  se  trouvent  Diana, 
Rashleigh,  NicolJarvie,  André  Fair- 
service,  Helena,  Mac-Grégor,  l'Es- 
pion ,  tous  groupés  si  curieusement 
autour  de  Rob-Roy  ;  et  Rob-Roy  lui- 
même,  quoiqu'il  ne  serve  guère  que 
de  prétexte  aux  tableaux,  ne  figure 
pas  d'une  manière  trop  indigne  de 
l'idée  qu'en  donnaient  les  innom- 
brables récits  populaires  qui  cou- 
raient encore  sur  son  compte  au 
temps  où  Scott  courait  les  légendes, 
du  Liddesdale  aux  Grampians.  Rob- 
Roy  mourut  eu  1737;  il  avait  pris 
part,  comme  de  raison,  à  la  grande 


SCO 


51T 


insurrection  de  1715  en  faveur  du 
Prétendant,  et  c'est  avec  cette  in- 
surrection que  coKicident  les  der- 
niers chapitres  du  roman,dans  lequel 
on  pourrait  voir  la  première  pièce 
d'une  trilogie  dont  Waverley  serait 
la  seconde  partie, comme  Redgauntlet 
en  serait  la  troisième.  X.  Waverley ^o\i 
VÉcosse il  y  a  soixante  ans, Édimb., 
1814,3  V.  in-8  On  se  rappelle quede 
tous  les  romans  historiques  ou  vrais 
romans  de  Scott,  Waverley  fut  chro- 
nologiquement,le  premier;  puis,que 
l'auteur,  pour  être  exact,  aurait  dû 
dire  soixante-huit  ou  en  nombre  rond 
soixante-dix  ans.  Nous  avons  d'ail- 
leurs parlé  avec  éloge  de  cet  ouvrage. 
Qu'il  nous  suffise  ici  d'ajouter  non- 
seulement  qu'il  se  classe  très-avanta- 
geusement parmi  les  romans  de  Scott, 
mais  encore  que  ,  sans  égaler  ses 
chefs-d'œuvre,  il  laisse  apercevoir 
le  germe  de  toutes  les  belles  quali- 
tés qu'il  a  déployées  depuis.  H  y  est 
peintre  admirable,  le  récit  y  devient 
souvent  de  l'épopée,  le  rôle  comi- 
que est  un  des  meilleurs  qu'il  ait 
jamais  produits,  et  il  en  a  produit 
beaucoup  ;  quelquefois  enfin  il  at- 
teint le  sublime.  Waverley  de  plus 
présente  ceci  de  particulier  qu'on  ne 
saurait  dire  si  c'est  la  face  histori- 
que qui  domine  dans  l'ouvrage  ou 
si  c'est  la  description  des  mœurs 
écossaises  (tant  s'en  faut  que  ce  soit 
un  défaut)  :  de  telle  sorte  que  pris 
comme  œuvre  presque  historique,  il 
forme  comme  une  trilogie  naturelle 
{voy.  plus  haut)  avec  celui  qui  le 
précède  et  celui  qui  le  suit,  et  qu'en- 
visagé comme  description  de  mœurs, 
il  se  range  dans  la  même  classe  que 
V Antiquaire ,  Guy  et  les  Eaux.  XI. 
Redgauntlet,  Edimb.,  1824, 3  v. in-12. 
Le  sujet  est  l'apparition  de  Charles- 
Edouard,  alors  Prétendant,  sur  les 
côtes  d'Ecosse,  en  1761.  On  sait  que 


518 


SCO 


SCO 


cette  tentative  lut  sans  résultnt  et 
n'amena  pas  d'effusion  de  sang.  Le 
roman,  sans  être  égal  à  Waverley 
et  snrtont  à  Rob-Roy,  est  intéres- 
sant et  comme  étude  de  l'adoucis- 
sement des  opinions  jacobites  au 
moment  où  venait  de  monter  sur  le 
trône  le  troisième  prince  de  la  mai- 
son d'Hanovre,  le  premier  qui  fût 
né  en  Angleterre,  et  par  un  certain 
nombre  de  faits  spéciaux  qu'on  con- 
naissait peu  ou  qu'on  avait  perdus  de 
vue  quand  Scott  fixa  sur  eux  l'at- 
tention, par  exemple,  sur  le  rôle 
de  mistriss  Walkenshaw  auprès  du 
prince.  XII.  Guy  Mannering^ou  l'As- 
trologue, Edimbourg,  1815,  3  vol. 
in -12.  Ici  commence  la  série  des 
peintures  qu'on  peut  nommer  con- 
temporaines. Le  fait  capital,  c'est-à- 
dire  la  reconnaissance  de  Brown 
comme  IJenri  Bertram  d'Ellango- 
wan,  se  place  de  1761  à  1796,  puis- 
que l'aïeul  de  Henri  a  pris  part  dans 
sa  jeunesse  à  la  révolte  de  1715,  et 
que  le  jeune  homme  sert  dans  l'Inde 
en  un  temps  où  le  nom  de  IVlahrattes 
est  populaire.  L'intrigue  est  traitée 
négligemment ,  et  bien  des  détails 
sont  un  peu  faibles,  ujais  la  vie  des 
(Contrebandiers  et  des  bohémiens  est 
souvent  bien  peinte.  Gossiin  est  le 
précurseur  de  Rashleigh  ;  Hazlewood 
demeurera  l'inimitable  type  des  Bri- 
doison  seigneurs  de  château  ;  dans 
PIcydell  est  incarnée  toute  la  basoche 
de  la  vieille  Edimbourg  ;nous  ne  re- 
parlerons pas  de  Dinmont  et  de  Meg^ 
et  enfin,  même  malgré  le  peu  d'art 
avec  lequel  la  fable  est  construite, 
on  voit  le  gertue  d'une  reconnais- 
sance d'un  genre  neuf  dans  ce  sachet 
que  porte  toujours  Henri  depuis  l'en- 
fance ,  et  qui  contient  l'horoscope 
tiré  jadis  par  le  colonel.  XIII.  L'An- 
tiquaire, Édmibourg  ,  1816,  3  vol. 
!!j-r4,  Les  scènes  décrites  dans  Tiln- 


liquaire  sont  censées  avoir  lien  <»n 
1796  et   1803,  en  un  temps  où  l'on 
redoutait    une    invasion    française. 
Il  y  a  très-peu  d'action  dans  l'Anti- 
quaire ,  qui  n'offre ,  avec    de    su- 
perbes descriptions  et  de  curieuses 
scènes  de  mœurs,  que  des   épiso- 
des très -lâchement  réunis  les  uns 
aux  autres,  pour  ne  rien  dire  de  la 
nouvelle  contée  par  miss  Wardour,  et 
qui  est  un  hors-d'œuvre  à  l'espagnole. 
Toutcel*a  n'empêche  pas  qu'il  n'y  ait, 
dans  la  tragique  aventure  d'Elisabeth 
Néviile ,   l'esquisse   d'un   admirable 
drame.  La  rieuse  et  imprudente  nnss 
Néviile,  l'altière  et  avide  comtesse 
de  Glenallan,  la  vindicative  et  forte 
EIspeth, séide  femelle  de  la  comtesse, 
quels  éléments  et  quel  groupe!  Quels 
repoussoirs,  que  descènes  délicieuses 
et  sombres,que  de  pathétique  pouvait 
en  éclore,  si  Scott  n'eût  passé  à  côté 
du  vrai  sujet  pour  nous  parler  des 
félicités  et  des  tribulations  de  ses 
amis  les  antiquaires  dont  plusieurs, 
il  est  vrai,  se  blousent  ou  se  laissent 
attraper  quelquefois,  mais  ce  ne  sost 
pas  les  habiles,  ce  n'est  pas  Oldbuck  ! 
ce  n'est  pas  lui  !  ou  c'est  si  rare,  si 
rare!...  XIV.  Les  Eaux  de  Saint- 
Ronan,  Édimb. ,  1824,  3  vol.,  in-12. 
Les  tableaux  que  renferme  cet  ou- 
vrage doivent  être  considérés  comme 
contemporains  dans  toute   la  force 
du  terme.  On  a  souvent  dit  et  im- 
primé  que   c'est    un   des  ouvrages 
les  plus  faibles  du  romancier,    que 
la  décadence  y  est  sensible  ,  etc., 
etc.  Rien  n'est   plus  faux.   L'action 
sans  doute  est  peu  de  chose  dans  les 
Eaux^  et  on  ne  la  raconte   à  la  fin 
qu'en  abrégé  et  comme  un  proces-ver- 
bal.  Mais  c'est  là  un  procédé  fréquent 
chez  Scott,  et  même  dans  des  romans 
fort  admirés,  particulièrement  dans 
V Antiquaire;  puis  c'est  comme  pein- 
ture de  mœurs  que  doivent  être  con- 


SCO 


SCO 


519 


sidért'es  les  Eaux  de  Saint- Ronan. 
Sous  ce  rapport,  c'est  son  chef-d'œu- 
vre; et  l'auteur  de  Gil  Blas  et  du 
Diable  boiteux  {on  par  parenthèse  il  y 
a  vingt  fois  moins  d'ëvénemenls  que 
dans  les  Eaux),  s'honorerait  d'avoir 
tracé  cet  inimitable  tableau  de  genre. 
On  ne  saurait  rien  troaver  de  plus 
achevé,   de  plus  varié,  de  plus  sa- 
vamment contrasté,  que  ces  nom- 
breuses figures  crayonnées  ou  buri- 
nées par  l'artiste.  11  y  a  là  de  tout, 
des  croquis  et  des  tableaux,  des  por- 
traits et  des  types,  de  l'exact  et  de 
la  caricature.  Il  y  a  surtout  de   la 
satire,  satire  des  buveurs  d'eau  et 
des  médecins,  des  patrons  el  des  pa- 
trones,  des  néophobes  et  des  cou- 
reurs  de  nouveautés  ,  des    savants 
et  des  ignares,  du  beau  sexe,  hélas  ! 
après  la  saiire  du  sexe  fort,  feu  de 
file  de  satires  qui  ne  corrigera  per- 
sonne, mais  qui  n'en  est  pas  moins 
réjouissant  à  contempler  d'une  place 
de   sûreté.  XV.  Le  Pirate ^tdimb., 
1822,  3  vol. ,  in-8°.  C'est  encore  en 
grande  partie  un  tableau  de  mœurs, 
au   milieu  duquel  pourtant  il  a  jeté 
du  fantastique  et  de  l'action.  Tout 
n'en  est  pas  également  heureux,  mais 
l'hospitalité  du  vieux  Magnus,  l'as- 
saut de  la  baleine,  l'agronome,  sont 
encore  de  ces  amusantes  peintures 
où  s'empreint  l'humeur    de    Scott. 
Le  groupe    ravissant  que   forment 
Minna  et  Brenda  est  connu  de  ceux 
même  qui  n'ont  jamais  lu  ses  ouvra- 
ges. Norna  est  peinte  avec  des  traits 
grandioses  en  harmonie  avec  la  sau- 
vage puissance  des  vagues  qui  battent 
l'archipel  du  septentrion,  des  tempê- 
tes qui  fouettent  ces  vagues.  La  scène 
est  presque  d'un  bout  à  l'autre  aux 
Orcades,  et  c'est  l«'.  seul  roman  où 
Scott  nous  ait  ouvert  le  tableau  de  ces 
îles,  de  ces  mers  loiulaines.  11  est 
visible  qu'il  s'est  plus  d'une  fois  in- 


spiré des  Sfigas  dont  quelques-unes 
sont  encore  dans  la  mémoire  des  ha- 
bitants de  Feroc,   et   nous  verrons 
d'ailleiirs  plus  bas  des  traces  visibles 
de  l'étude  qu'il  avait  faite  de  la  lit- 
térature islandaise  dans  l'ordre  chro- 
nologique d'après  les  époques  aux- 
quelles l'écrivain    place  les  événe- 
ments. XVI.  Jvan/ioe,  Édimb.,1820, 
3  vol.  in-12.  Nous  n'ajouterons  rien 
aux  aperçus  que  çà  et  là  nous  avons 
jetés  dans   le  cours  de    la   biogra- 
phie sur  quelques-uns  des  éléments 
et  des  tableaux  de  ce  roman,  et  sur- 
tout  à  ce    que   nous    venons   d'en 
dire  à  propos  des  Puritains.  On  le 
regarde   habituellement   comme    ce 
que  Scott  a  produit  de  pl'is  parfait. 
La  scène  est  en  Angleterre  et  sous 
Richard  Cœur-de  Lion,  peu  après  son 
évasion  des  cachots  de  l'Autriche. 
XVll  Les  Fiancées,  ou,  dans  nos  tra- 
ductions, le  Connétable  de  Chester, 
Édimb.,  1825,  2  vol.  in-12  (dans  les 
Récits  des  croisades).  La  scène  est  sur 
les  confins  de  l'Angleterre   et  des 
principautés  de  Galles.    L'auteur  y 
peint  admirablement  la  misère  des 
pays  à  l'abandon,  tandis  que  les  ba- 
rons, chevaliers  et  hommes  d'armes 
sont   en    Palestine.  XVIII.    Kenil- 
worth,  Édimb.,  1821,  3  vol.  in-12. 
Elisabeth  et  sa  cour,  et  surtout  ce 
misérable  et  imbécile  dandy  de  Lei- 
cester,  n'ont  jamais  été  mieux  repré- 
sentés. La  tragique  aventure  liée  à 
cette  description  ne  semble  avoir  été 
que  trop  réelle,  quoique  Scott  l'ait 
fort  modiliée.  XIX,  XX,  XXI.   Les 
Aventures  de  Nigel,  Édimb.,  1822, 
3    vol.;   Woodstock,  Éd.,    182G,  3 
vol.-,  Pevm/  du  Pic,  Éd.,   1823,  4 
vol.  Ces  trois  ouvrages  ont  cela  de 
commun   que    les   événements  qu'y 
raconte  Scott  sont  censés  avoir  lieu 
sous  Jacques  1«' , sous  Cromwell, sous 
Charles  11.  Nous  n'avons  pas  besuiit 


Ô20 


SCO 


de  répéter  combien  le  second  est  fai- 
ble. Quant  aux  deux  autres,  ils  sont 
du  plus  grand  mérite,  mais  particu- 
lièrement Péverily  que  nous  plaçons 
parmi  les  chefs-tl'œuvre,  malgré  les 
longueurs  du  commencement.  La 
cour  de  Charles  11  et  Charles  II 
lui-même  y  sont  daguerréotypes  au 
vif,  plus  parfaitement  encore  peut- 
être,  plus  agréablement  qu'Elisabeth 
et  ses  entours  dans  Kenihoorth -^ 
et  à  cuki  des  portraits  si  frappants 
de  Tilus  Oates,  de  JeftVries,  de 
Chiffinch,  de  Buckinghatu,  où  tout 
est  réel,  où  presque  tout  est  justi- 
ciable de  la  satire,  l'imagination  et 
la  sensibilité  trouvent  à  mi-route 
cette  péri,  née  du  cerveau  de  Gœthe, 
et  qui,  sous  la  plume  de  Scott,  a  pris 
le  nom  de  Fenella.  XXII,  XXIII. 
Quentin  Durward,  Édimb,,  1823, 
3  vol.  in-S*',  et  Anne  de  Geierstein, 
ou  la  Fille  du  brouillard,  intitulée 
aussi  (en  français)  Charles- le-Témé- 
raire,  Édimb.,  1829,  3  vol.  in-8°.  Ce 
dernier  titre  indique  l'époque  et,  jus- 
qu'à un  certain  point,  un  des  héros 
de  l'action  qui  se  passe  généralement 
dans  les  contrées  limitrophes  de 
l'Allemagne ,  de  la  France  et  en 
Suisse.  Dans  Quentin  Durward , 
la  grande  physionomie  que  le  poète 
a  tenté  de  reproduire,  c'est  celle  de 
Louis  XI.  Nous  avons  dit  que  le  por- 
trait laisse  à  désirer;  il  ressemble  ce- 
pendant, et  au  total  c'est  un  des  plus 
jolis  romans  de  Scott,  un  des  plus 
relus.  XXIV.  Le  Château  dangereux, 
Édimb.,  1831,  2  vol.  in-12(dans  la 
4*^  série  des  Contes  de  mon  hôte). 

XXV.  Robert  comte  de  Paris  .^  dans 
cette  même  4®  série,  3  vol.  in-12, 

XXVI.  Le  Talisman^  traduit  en  fran- 
çais sous  le  titre  de  Richard  en  Pa- 
lestine (seconde  partie  des  Récits 
des  croisades),  Édimb.,  1825,  2  vol. 
iu-t'i.  Nous  regardons  cet  ouvrage, 


SCO 

nn  peu  moins  long  que  la  plupart  des 
romans  de  Scott,  comme  ce  qu'il  a 
produit  de  plus  lin,  de  plus  achevé. 
Nous  n'entendons  pas  dire  par  là  qu'en 
doive  le  préfér*M"  aux  chefs-d'œuvre 
de  grandiose,  de  pathétique  caractéri- 
sés plus  haut,  mais  nous  ne  craignons 
pas  de  formuler  notre  admiration  par 
deux  mots  :  Richard  est  une  perle 
comme  Ivanhoe  un  diamant  de  la 
plus  belle  eau  et  sans  tache.  XXVll. 
La  Fille  du  médecin,  Édimb.,  1827, 
à  peu  près  1  vol.  et  demi  de  la  l'"^  sé- 
rie des  Chroniques  de  la  Canongate: 
quatre  autres  contes  occupent  le  vo- 
lume et  demi  restant,  mêlés  de  cau- 
series. Celles-ci  sont  pleines  du 
charme  humorique  habituel  à  l'é- 
crivain. Les  quatre  premiers  récits 
ne  valent  que  par  les  détails  :  la  Veuve 
des  Highlands  pourtant  commence  à 
sortir  de  ligne.  Mais  la  Fille  du 
médecin  surpasse  tout  le  reste.  La 
narration  est  facile  et  l'intérêt  des  plus 
vifs  :  peu  de  romans  de  notre  auteur 
l'égalent  sous  ce  rapport.  L'introduc- 
tion, la  mort  de  la  mère  de  Middiemas 
exhalantson  âme  aveclechantsur  les 
touches  du  clavier,  l'hôpital  de  Port- 
smouth  ;  puis,  dans  l'Inde,  les  intri- 
gues du  Pekouah,  l'astuce  profonde 
de  la  Begom,  menant  de  front  les  vo- 
luptés et  les  affaires,  et  plus  forte 
que  son  perfide  favori;  enfin  Tippou, 
Haïder-Ali,  l'éléphant,  tout  y  est  dra- 
matique. XXVIll.  Le  Miroir  de  ma 
tante  Marguerite  et  autres  contes, 
Édimb.,1830,1  vol  in-12. Passons  aux 
ouvrages  hi.storiques,en  commençant 
par  l'histoire  politique, l'histoire  litté- 
raire devant  nous  servir  de  transition 
pour  arriver  au  quatrième  groupe 
(  Critique  et  Mélanges  ).  Dans  le 
troisième  nous  trouvons  doncri.  Vie 
de  Napoléon  Bonaparte,  précédée 
d'un  tableau  préliminaire  de  la  ré- 
volution française,  tdimb»  et  Luud. 


SCO 

1827,  9  vol.  in-8».  L^apparition  dans 
les  eaux  de  la  Seine  de  ce  pamphlet 
de  haut  bord,  tout  barbouillé  des 
couleurs  l)ritanniques,  souleva  le 
courroux  de  la  vague  bonapartiste. Le 
gc'uc'ral  Gourgaud  fit  feu  de  toute 
son  artillerie,  et  pointa  juste  quel- 
quefois, quoique  trop  e'chauffé  pour 
y  voir  toujours  bien  clair  (23);  l'ex-roi 
de  Hollande,  plus  maître  de  lui,  lança 
des  grenades  sur  tous  les  points  à  sa 
portée  (24);  un  anonyme, M.***,  avait 
ouvert  lafusillade,et  continuait  d'en- 
dommager les  œuvres  du  commodore 
Waltcr  (25),  tandis  qu'un  autre  ano- 
nyme, C***,  manœuvrait  autour  de  lui 
avec  un  petit  brûlot.  Hélas  !  ce  n'é- 
tait pas  la  peine  de  se  donner  tant  de 
mouvement.  Le  navire  était  trop  mal 
doublé,  trop  mal  conduit  pour  bien 
siller  à  la  mer.  Métaphore  à  part, 
comme  nous  n'aimons  pas  à  flageller 
les  morts,  nous  ne  dirons  que  peu  de 
chose  et  de  ce  Tableau  de  la  révo- 
lution française  si  au-dessous  de  sa 
Vie  de  Napoléon,  et  de  cette  Vie 
même  de  Napoléon^  si  oubliée  au- 
jourd'hui. Et  d'abord  ce  sera  pour 
confesser  que  cet  oubli  peut-être 
est  trop  complet.  Le  livre  de  Scott 
nous  est  précieux  à  deux  titres. 
Nous  l'avons  déjà  remarqué,  il  con- 
tient des  documents   (noyés,  il  est 

(aS)  Réfutation  de  la  Vie  de  Napoléon,  par 
Scott^  par  le  général  G.,  Paris,  1827,  2  par- 
ties in-S". 

(24)  Réponse  à  sir  Waher  Scott  sur  son 
histoire  da  Napoléon,  Paris,  182S;  2e  édit., 
1829. 

(25)  Réfutation  de  la  Vie  de  Napoléon  de 
sir  Waher  Scott,  par  M  '*%  Paris,  1827,2 
vol.  iu-12.  Cet  ouvrage  anonyme,  le  pre- 
mier en  date,  si  nous  ne  nous  trompons, 
de  tous  cenx  que  fit  cdore  la  compilation 
deScotf,  est  l'œuvre  d'un  homme  très-fort, 
et  sff  recommande  par  un  ton  de  parfaite 
modération.  Il  rend  justice  a  ce  qu'il  y  a 
do  luii.ildt;  dans  Scott,  et  souvent  même 
le  resi)C(t  pour  un  beau  talcut  qm  s'éc.u'C 
JLii  a  douué  trop  d'iadulyeucc. 


SCO 


o21 


vrai,  dans  un  océan  de  vulgarités) 
sur  la   politique   britannique ,    sur 
ses  méfaits  ou  désappointements  de 
la  politique  napoléonienne.  Puis   il 
est  curieux  de   l'étudier   pour  voir 
quels  bruits  vrais  ou  faux ,  et  par- 
mi ces  derniers  quelles  niaiseries , 
quelles     pauvretés    couraient     sur 
le  compte  de  Napoléon  parmi  nos 
judicieux    voisins.     Nous     savons 
bien  ce  qu'on  a  fait  avaler  de  poufs 
au   peuple   le    plus  spirituel  de   la 
terre;  mais  il    n'est  pas  mal  de  sa- 
voir de  quelle  taille  sont  ceux  que 
digère   John    Bull,   et    Scott    nous 
rend  le  service  de  prouver  qu'il  di- 
gérerait le  bœuf  Béhémoth  à  la  seule 
condition     qu'on    le    lui  serve  pi- 
menté de  grosses  insultes  aux  dogs 
frenchmen.  Puisque  l'opinion  est  une 
force  ,  puisqu'elle    se    compose   de 
croyances,  les  unes  peut-être  raison- 
nables, les  autres  absurdes,  etpuisque 
ces  dernières  vont  bien  à  80  ou  90 
pour  100  du  total,    nous  avons  de 
l'obligation    à   celui    qui  nous  fait 
connaître   ces  éléments  d'une  force 
dont  se  sont  manifestés  si  cruelle- 
ment   les    gigantesques    effets.   Or, 
personne  mieux  que  Scott  ne  pou- 
vait remplir    cette   tâche    par    son 
habitude     des     légeufles  ,     sagas, 
complaintes  et  vieux  chants  popu- 
laires qui,  comme  les  chœurs  dans  la 
tragédie  antique  et   mieux  que  les 
chœurs,  reflètent  non  seulement  les 
prouesses  ou  les  crimes  des  anciens 
jours,  mais  les  sensations,  les  idées 
qu'elles    ont     fait    naître   chez    les 
masses.  Mais,  il  faut  le  dire,  ce  genre 
de  mérite  est  dangereux.  Le  devoir 
de  l'historien  est  d'être  au-dessus  de 
ces  idées  qu'il  aperçoit  et  nous  fait 
apercevoir,  de  ne  pas  se  laisser  aller 
au  fantastique  et  au  patriarcal,  de  ne 
pas  tourner  au  bonhomme,  de  ne  i»as 
changer  l'histoire  eu  une  longue  bal- 


522 


SCO 


hule.  CVsl  là  le  tort,  l'inexcns.ihle 
tort  de  Scotl.  Nous  laissons  décote  ses 
routes, dotit  quelques-unes  si  grossiè- 
res, son  ignorance  des  partis  de  la  ré- 
volution, et  même  de  tonte  la  révo- 
lution, ses  appréciations  fausses,  sa 
partialitéde  tory  et  d'Anglais  si  forte 
qu'elle  l'a  fait  accuser  de  mensortge 
volontaire  (bien  à  tort  sans  doute, 
car  rien  n'était  plus  loin  de  son  ca- 
ra(^tère  probe  et  droit,  mais  avec  des 
apparences  de  raison);  nous  laissons, 
dis-je,  de  côté  toutes  ces  censures  ; 
mais  il  est  an  fond  de  tout  l'ouvrage 
un  vice  plus  grave  et  qu'on  a  moins 
aperçu,  c'est  que  Scott  n'est  jamais 
historien  dans  cette  histoire  ;  il  n'est 
pas  romancier  non  plus  :  il  est  lé- 
gendaire. Il  parle  de  faits  contempo- 
rains, mathématiques  en  quelque 
sorte  ei  dont  les  arêtes  sont  si  vives 
que  les  angles  peuvent  se  mesurer 
par  degrés ,  minutes  et  secondes , 
comme  d'aventures  ossianiques  dont 
les  brumes  des  Grampians  efface- 
raient les  contours.  Les  maréchaux 
de  Pempire  ont  l'air  des  douze  pairs 
de  la  Table-Ronde,  et  le  César,  le 
Gengis  du  XIX*"  siècle  devient  chez 
lui  tantôt  un  sir  William  Wallace, 
tantôt  un  ogre  courant  de  Léoben  au 
Caire  et  du  Caire  au  Kremlin  avec 
ses  bottes  de  sept  Wiues.Al. Histoire 
de  l'Église  d'Angleterre.  Ul. Histoire 
d'Ecosse,  Édimb.,  2  vol.  in-8<^  (dans 
VHist.  gén.  des  lies- Britanniques, 
qui  fait  partie  de  la  Cabinet  cydope- 
dia^  de  Lardner,  et  à  laquelle  Mac- 
kintosh  fournit  VHist.  d'Angl.,  et 
Moore,  celle  d'Irlande).  11  faut  se 
garder  de  confondre  cet  ouvrage 
avec  le  suivant.  IV.  Contes  d'un 
grand-père  sur  l'histoire  d'Ecosse, 
Édimb.,  1828,  1829,  1830  (3  vol.  for- 
mant 3  séries).  C'est  une  véritable 
histoire  d'Ecosse  contée  n  l'enfance, 
ei  bien  contée.  On  regrette  qu'elle 


SCO 

n'aille  pas  au  delà  de  l'avènement 
de  Jacques  VI  au  trône  d'Angleterre 
sous  le  nom  de  Jacques  I-'  (l'enfant 
auquel  Scott  conte  et  même  déilie 
cet  abrég(\  c'est  son  petit-fils,  Hugh 
Lockhart,  qu'il  appelle  Hugh  Little- 
john  ou  Petit-Jean)  V.  Contes  d'un 
grand  père  sur  l'histoire  de  France. 
VI.  Bon  nombre  d'articles  publiés 
après  sa  mort  par  les  éditeurs,  sous 
le  titre  d'Etudes  historiques  et  Mé- 
langes d'histoire,  de  biographie  et  de 
littérature.  Ce  sont,  en  défalquant 
l'Histoire  d'Ecosse^  ['Histoire  de 
l'Église  d'Angleterre  et  les  articles 
sur  Ralph  S  ad  1er.,  sur  LordSomer- 
ville,  sur  les  OEuvres  de  Hume,  sur 
les  Mém.  de  Sepys,  sur  Lady  Suf- 
folk):  1°  un  Essai  sur  la  chevalerie  ; 
2°  Amadis  des  Gaules;  3"  la  Chro- 
nique  du  Cid;  4^  Froissart  ;  5^ 
Mémoires  sur  Vannée  1745;  6°  les 
Vendéens  de  France  et  les  High- 
landers  d'Ecosse;  ?„  Procès  d'É- 
tat et  procès  criminels.  Vil.  Bio- 
graphie littéraire  des  romanciers 
célèbres,  Edimbourg,  1829.  Il  aurait 
dû  ajouter»  de  l'Angleterre,  »  cardes 
romanciers  célèbres,  Lesage  est  le 
seul  qu'il  ait  nommé.  Quant  à  ses 
compatriotes,  nous  trouvons  là  Ri- 
chardson,  Fielding,  Smolleti, Sterne, 
Johnstone  ,  Johnson  ,  Goldsmilh  , 
Anne  Radclifïè,  Walpole,  Macken- 
zie,  Clara  Reeve,  Bage,  Cumberland, 
et  dans  les  dernières  éditions  Swift, 
Maturin,Charlotte  Smith  et  Daniel  de 
Foe.  VIII.  Mémoires  biographiques, 
2  vol.  in -12  ;  ce  sont  encore  de  sim- 
ples biographies, mais  de  personnages 
très-Hivers,  Swift,  Charlotte  Smith, 
sir  R.  Sadier,  J.  Leyden  ,  Arme 
Seward,  De  Foe,  le  duc  de  Buccleiigh 
et  Qupensberry,  lord  Somerville, 
Georges  IH, lord  Byron, le  duc  d'York. 
IX.  Diverses  autres  t)iograpliies  qu'où 
aurait  [)u  joindre  à  celles  du  u"  7; 


SCO 


SCO 


523 


la  Vie  de  Molière,  un  article  Kemhle, 
un  art.  Mistriss  Kelley,  les  art.  God- 
win,  Hoffmann,  miss  Husten,  etc. 
X.  Ce  que  l'on  trouve  de  ses  Lettres 
dans  les  Mémoires  et  correspon- 
dance, Londres,  1833,  publie's  par 
les  soins  de  M.  Lockhart.  Dans  la 
quatrième  rubrique  des  OEuvres  de 
Scott,  c'est-à-dire  parmi  les  ouvra- 
ges ou  travaux  critiques  et  les  miscel- 
lanées,  se  rangent  :  1.  Les  Chants  des 
ménestrels  de  la  frontière  de  V Angle- 
terre et  de  V  Ecosse,  1802,  3  vol.  in-8o. 
Il  n'en  avait  d'abord  paru  que  deux, 
lesquels  ne  contenaient  que  des 
chants  anciens  avec  les  remarques 
et  introductions  nécessaires^  dans 
le  troisième  figurèrent  les  imitations 
modernes.  Le  travail  de  Scott,  tarrt 
pour  souder  les  uns  aux  autres  que 
pour  élucider  ces  divers  morceaux, 
est  excellent,  à  tel  point  qu'un  cri- 
tique qui  est  aussi  un  biographe  de 
notreauteur,  Allan  Cunningham, pré- 
fère ces  notes  aux  chants  eux-mê- 
mes. Notre  admiration  ne  va  pas  jus- 
que-là. n.  Antiquités  de  la  frontière 
anglo-écossaise  avec  descripitions  et 
illustrations,  Londres,  1814,2  vol. in- 
8°.  III.  Notions  sur  les  magnificences 
royales  del'Écosse,Èd\n)h.,\S19.iy, 
Antiquités  et  sites  pittoresques  des 
provinces  d'Ecosse,  Èdimb.,  1819.  V 
(en  collaboration  avec  Rob.  Jame- 
son  et  H.  Weber),  Les  Antiquités  is- 
landaises, Éd.,  1815,  in-4°.  VI.  Es- 
sai sur  le  drame,  ou,  au  plus  long, 
Essai  sur  le  théâtre  et  l'art  drama- 
tigue(d'abord simple  article  de  revue 
comme  VEssai  sur  la  chevalerie 
et  le  suivant,  puis  réimprimé  ,  soit 
comme  volume  à  part,  soit  dans  les 
OEuvres  complètes).  VII.  Essai  lit- 
téraire sur  le  roman  -,  plus  tard 
on  l'a  mis  eu  tête  de  la  Biogra- 
phie des  romanciers  célèbres.  VIII. 
Divers  articles,  dont  les  éditeurs  pos- 


thumes ont  fait  une  Histoire  de  la 
poésie  anglaise.)  et  dont  les  sujets 
sont  :  1"  les  vieux  poètes  anglais  ; 
2°  les  romans  en  vers;  3®  les  an- 
ciennes ballades;  4°  les  chants  po- 
pulaires; 5»  et  6"  Chaucer,Spenser: 
7°  et  S^  Chatterton,  Burns;  9"  Ley- 
den  (placé  aussi  dans  les  Mémoires 
biographiques)  ;  10",  11«  et  12°  Sou- 
they,Campbell,  Byron;  13°  lespoètes 
vivants;  14^  la  poésie  islandaise  et 
ses  rapports  avec  la  poésie  anglaise  ; 
15^  l'Eyrbiggia  saga,  etc  IX.  Let- 
tres sur  la  démonologie  et  la  sorcel- 
lerie, Londres,  1817-1830.  X.  Lettres 
de  Paul  à  ses  parents.  XI  Discours 
religieux.  XII.  Miscelianées  :  1°  sur 
la  Pêche  du  saumon  ;  2°  sur  les  Fo- 
rêts ;  3°  sur  les  Jardins;  4°  sur  la 
Cui sine ^e\c.  On  a  cru  quelque  temps 
et  tout  à  fait  à  tort  que  Scott  était 
Vàiiteur  delà  Belle  sorcière  deGlass- 
lyn,  du  Château  de  Pontefract  et 
de  Walcadmor,  lous  romans  qui  ont 
été  traduits  en  notre  langue, les  deux 
premiers  par  M'"*  Collet,  Paris, 1821, 

2  vol.  in- 12,  et  1821,  4  vol.  in  12 
(2^  édit.,  1823),  le  dernier  par  De- 
fauconpret  (le  plus  connu  des  tra- 
ducteurs de   Scott),   Paris,    1825, 

3  vol.  in-12.  Parmi  les  meilleures  édi- 
tions anglaises  de  Scott,  la  première 
place  ap[)artient  à  celle  dont  il  fut  !e 
réviseur  et  qu'il  nommait  sonOpus 
magnum  Elle  a  pour  titre  familier: 
Waverley  Novels.,  ou,  plus  au  long  , 
Sir  Walter  Scott's  complète  Novels, 
Taies  and  Ilomances,et  contient  tous 
les  romans,  plus  des  introductions, 
préfaces  et  notes.  La  publication  com- 
mença dès  1829,  mais  ne  fut  achevée 
qu'en  1834.' Elle  se  compose  de  48  vo- 
lumes in-12,  lesquels,  tirés  à  12,000 
exemplaires  ehacun,  forment  un 
total  de  570,000  volumes.  l.'Athc- 
nœum  dès  1830,  ne  comptant  que  sur 
40  volumes  (sur  180,000  par  couse- 


624 


SCO 


quent  pour  toute  l'édition),  en  esti- 
mait le  profit  à  2,500,000  fr.  On  l'a 
rééditée  eu  1837  et  années  suivantes. 
li  existe  une  autre  édition  en  52 
vol.  in-8°,  moins  belle,mais  plus  com- 
plète. Les  presses  françaises  ont  pu- 
blié aussi  un  nombre  prodigieux 
de  volumes  de  Scott,  tant  en  an- 
glais qu'en  français  (26).  Pour 
commencer  par  les  éditions  et  textes 
anglais,nous  plaçons  en  tête  celled'.A. 
etW.  Galignani  {The  complète  works 
ofWalter  Scott)^  de  1827  à  1 834  :  elle 
est  grand  in-8<^  à  deux  colonnes,  et  se 
compose  de  huit  volumes  de  prose 
(dont  un  supplémentaire  avec  por- 
traits). De  bonnes  notes  et  un  glos- 
saire des  mots  écossais  ajoutent  à  sa 
valeur.  Non  seulement  les  OEuvres 
poétiques  forment  un  vol.  à  part , 
mais  encore  pour  la  prose  il  y  a  deux 
sortes  d'exemplaires,  les  uns  de  cinq, 
les  autres  de  huit  volumes.  Les  pre- 
miers ne  contiennent  que  dix  romans. 
Dans  les  seconds,  le  tome  V  offre 
avec  Woodstock^  la  Vie  de  Dryden, 
les  Biographies  des  romanciers,  les 
Lettres  de  Paul,  Gœtz,  les  Essais  sur 

(26)  L;i  première  traduction  d'uu  ou- 
rrage  de  Scolt  eu  français  est  due  à  M.  Jos. 
Martin  et  celle  de  Guy  Mannering,  1816. 
Ensuite  vint  celle  de  PÀnliquaire,  par  Ma- 
dame Maraise,  18 17.  M.  Defauconpret  ne 
parut  que  le  troisième  en  1818,  comme  tra- 
ducteur des  Pan/a/nf  (ae  édition,  1820); 
et  l'on  revit  encore  M.  Jos.  Martin  la  même 
année  comme  traducteur  de  fVaverley 
(9.*"  édit.,  182  f,  3c  édit.,  1822.  Il  avait  été 
sitnulé  dès  1820  une  2^  édit.,  de  telle  sorte 
que  celle  de  1821  serait  la  troisième,  celle 
de  1822  la  quatrième  ).  A  partir  de  1819, 
le  libraire  NicoUe  commença  le  monopole 
îles  œuvres  de  Scott  eu  acheliint  la  pro- 
priété des  traductions  de  V Antiquaire  et  de 
(lUjr,  en  enlevant  lorsqu'il  les  réimprima 
l(;s  noms  de  la  traductrice  et  du  traducteur. 
Toutefois  il  faut  dire  que  M.  Defauconpret 
ou  refit  ou  retoucha  celle  de  l'Anti- 
quaire. Quant  à  la  question  posée  par  quel- 
«jijcs  curieux  :  M.  A.-J-D.  Defaucoupict  est- 
il  ou  uon  l'auteur  uuiquu  des  autres  traduc- 
tious  ?  elle  uous  semble  oiseuse. 


SCO 

le  drame,  sur  la  chevalerie  et  le  ro- 
man. Le  tome  VU  s'ouvre  par  les  deux 
séries  des  Chr.  de  la  Canong.^  et  par 
Anne^  pour  finir  par  les  Contes  sur 
Vhistoire  d^Écosse.  Le  tome  VIII,  au 
contraire,  finit  par  les  Contes  et  Es- 
sais^ et  par  deux  tomdns{ Robert  et  Le 
Château)^  et  le  glos.saire;  VHistoire 
d'Ecosse^  les  Contes  sur  celle  de 
France,  les  Mém.  biograph.,  précè- 
dent, plus  les  Sermons,  la  Maison 
d'Aspen,  le  Tribunal  de  Devergoil 
et  la  Démonologie.  On  voit  par 
cette  énumération  que  les  OEuvres 
complètes  ne  sont  pas  absolument 
complètes.  11  faut  en  dire  autaiit 
d'une  autre  édition  donnée  aussi  par 
la  librairieGalignani,  de  1820  à  1832, 
en  115  vol.  în-12  (qu'habituellement 
on  relie  en  54);  les  OEuvres  poéti- 
ques y  sont  comprises,  mais  le  carac- 
tère, le  papier,  la  justification  ne  sont 
pas  les  mêmes.  L'édition  de  Baudry, 
si  tant  est  qu'on  puisse  nommer  édi- 
tion deux  séries  de  volumes  qui  ont 
chacune  leur  numérotation  à  part , 
contient  un  peu  davantage  ,  mais 
n'offre  pas  tout  encore.  La  première 
série  (en  28  vol.  in-8'^),  ne  contient 
que  les  romans  historiques  (24  vol.), 
plus  tout  un  volume  de  Notices 
and  Anecdotes  illustrative  of  tho 
incidents,  etc.,  (t.  25)  et  les  Contes 
d'un  grand -père  sur  l'histoire 
d'Ecosse  {t.  26-28);  dans  la  2«  masse, 
intitulée  :  Completion  of  sir  Wal- 
ter  Scott's  works,  se  trouvent  1°  les 
Poésies^  y  compris  les  essais  dra- 
matiques (t.  1-6);  2°  sept  vo- 
lumes dits  Miscellaneous  prose 
Works  (ou  Vie  de  Dryden,  de  Swift, 
des  Romanciers,  les  Mém.  biograph., 
les  Lettres  de  PauU  les  articles  criti- 
ques sur  la  poésie  et  le  roman,  les 
Essais  sur  la  chevalerie,  sur  le  ro- 
man, sur  le  drame,  les  Antiquités 
prov.,  la  Démonologie)-.  a"  la  Vie 


SCO 

de  Napoléon,  en  6  vol.,  total  t  19. En 
joignant.!  ces  deux  masses  d*ouvra- 
ges  les  trois  volumes  de  la  Vie  de 
Scott^   par  Lockhart,  on   arrive   à 
50  volumes.  Toutes  les  autres  entre- 
prises pour  donner  un  Scott  complet, 
même    comme    remaniement ,   ont 
e'choué  successivement  :  la  collection 
Glaclîin,  qui  devait  avoir  60  vol.  in- 
18,  s'est  arrêtée  après  le  13«,  et  ne  se 
compose  que  de  4  romans  ;  celle  de 
Ledoux  et  fils,  1830-31,  in-8o,  n'en  a 
que  trois,  Waverley,  Guy  et  l'Anti- 
quaire.  La  totalité  des  œuvres  de 
Scott  existe,  traduite  en  français,  et 
a  paru  chez  Ch.  Gosselin,  portant 
en  tête  (sauf  pour  le  Miroir  de  ma 
tante  M ar guérite, (\m  est  de  M™*  Gos- 
selin), le    nom   d'A.-J.-B.    Defau- 
conpret,  comme  traducteur  :  elle  ne 
comprend  pas  moins  de  161  volumes 
dont  101  de  romans  historiques , grâce 
à  notre  habitude  de  chasser  plus  que 
les  Anglais  en  typographie,  et  d'é- 
tirer les  trois  volumes  usuels  qu'af- 
fectionnent chez  eux  Romances  et 
Novels,  de  façon  à  en  tailler  quatre 
dans  trois  ;  mais  tous  ces  volumes 
réunis  ne  forment  pas  réellement  des 
œuvres    complètes.    Ils   sortent  de 
presses  différentes  *,  ils  n'ont  de  com- 
mun que  d'être  tous  de  fort  laids  in- 
^      12,  la  plupart  ayant  paru  séparément. 
A  partir   de  1821,  une  fois  le  goût 
du  public  prononcé  en  faveur  du  ro- 
mancier écossais,  chaque  production 
de  sa  plume  parut  le  même  jour  à 
Londres  ou  à  Edimbourg  en  anglais, 
et  à  Paris  en  français  :  il  y  avait  en- 
tente cordiale  entre  le  libraire  d'ou- 
tre-Manche et  celui  de  la  rue  Saint- 
Germain-d es-Prés.    A   mesure   que 
Scott  donnait   le  bon  à  tirer  d'une 
feuille,  elle  était  traduite  à  Londres, 
et  la  copie  française  était  livrée  au 
cojîjpositeur.  Quand  plus  tard  naquit 
l'idée  de  faire  un  tout  de  cette  masse 


SCO 


52.' 


d'ouvragesisolés  et  analogues,  on  leur 
donna,  indépendamment  du  numéro 
particulier  à   chaque   volume  d'un 
même   ouvrage,  une   numérotation 
générale,  dans   laquelle    on    suivit 
l'ordre   chronologique    de  publica- 
tion en  Angleterre.  Il  faut  d'ailleurs 
savoir  gré  à  l'éditeur   d'avoir   tenu 
à  donner  tout  Scott,  même  ce  qui 
devait  le  moins  se  vendre.  Il  est  vrai  , 
qu'il    lui    devait   cette    galanterie , 
puisque    dès    avant    1836   il  avait 
vendu    de    ses    romans   et  de  son 
iYa^oieon  1,452,000  volumes,  tant 
d'autres  éditions  plus  ou  moins  de 
luxe  que  de  celle-ci.  Mal  lieu  reusr- 
ment  il  n'est  pas  une  de  ces  autres 
éditions  qui  soit  complète,  quoique 
toutes    portent   cette   étiquette    au 
frontispice.    La  plus  jolie,  celle  de 
Gosselin,  que  nous  trouvons  du  goût 
le  meilleur,  est  grand  in-18  (on  a  dit 
à  tort  in-12),  sur  vélin,  avec  gra- 
vures, cartes    géographiques,   fac- 
similé,  portrait,  et  se  compose  de 
84  vol.  C'est  après  l'écoulement  de 
cette  édition,  heureusement  conçue, 
que  l'ancien  et  le  nouvel  éditeur  se 
réunirent  (avec  un  tiers)  pour  don- 
ner l'éd.  en  30  vol.  ou  230  liv.  in-S» 
à  121  grav.,  dont  il  a  été  parlé  plus 
haut.  Bientôt  ils  en  entreprirent  une 
autre  :  celle-là  eût  été  compacte, 
grand  in-8^  à  2  col.  ^  mais  il  n'en  pa- 
rut que  2  livraisons  de  10  pages  cha- 
cune (1835).  Pagnerre  et  Furne  repu- 
blient aujourd'hui  l'édition  in -8"  en 
30  vol.  Après  les  diverses  éditions 
de   la  traduction  de  Defauconpret, 
il  faut  nommer  en  première  ligne, 
en  fait  d'éditions  collectives,  celles 
d'Armand  Aubrée,  dont  la  traduc- 
tion passe  aussi  pour  être  due    à 
une  seule  et  même  plume,  celle  de 
M.  Alb.  de  Montémont  :  elle  ne  vaut, 
tout  bien  examiné,  ni  moins  ni  plus 
que  celle  de  Defauconpret;  s'il  s'en 


526 


SCO 


est  moins  vendu,  le  libraire  et  le 
traducteur  ne  peuvent  s'en  prendre 
qu'à  ce  qu'ils  venaient  trop  tard , 
et  à  ce  que  la  place  était  prise  près 
de  notre  public  roulinier.  Leur  5^ 
édition  collective  remonte  à  1829- 
32,  et  se  compose  de  27  vol.  in-8°  ; 
la  2%  loin  d'être  complète,  n'en  a  que 
18  in-18,  et  parut  en  1830  ;  la  3«  est 
de  27  vol.  iu-80  à  2  col.,  et  porte  le 
millésime  de  1835,  etc.  :  elle  a  été 
suivie  d'une  quatrième  (1837,  30  vol. 
in-8<^),  qui  est  meilleure, et  contient 
VHist.  d'Ecosse,  les  Lettres  sur  la 
Démonologie,  et  les  OEuvres  poéti- 
ques avec  addition  de  morceaux  qui 
n'avaient  paru  dans  nulle  collection. 
Dès  1832,  M.  Alb.  de  Montémont 
avait  donné  à  part  les  OEuv.  poét.^ 
mais  moins  complètes,  et  ne  formant 
qu'un  volume.  Dans  l'éd.  de  1837,  les 
OEuv.  poét,  remplissent  2  vol.,  et  le 
traducteur  accole  à  son  nom  celui  de 
L.  Barré  comme  collaborateur  Vien- 
nent ensuite,  et  l'éd.  in- 18  de  Le- 
cointe,  1829-30,  qui  devait  se  com- 
poser de  30  ouvr.  formant  38  vol.,  et 
qui  s'est  arrêtée  au  8%  n'ayant  donné 
que  r  Antiquaire,  Guy,  la  Jolie  Fille, 
le  Nain,  la  Prison,  les  Puritains, 
Rob-Roy,  Waverley  (elle  est  assez 
jolie,  et  ses  grav.  sont  celles  de  l'éd. 
in-18  de  Gosselin),  et  les  quelques 
vol.  de  l'éd.  gr.  in-8°de  la  trad.  de  M. 
Vivien, 1837 et  ann.suiv.,qui  promet- 
tait de  nous  donner  enfin,  en  26  vol., 
Scott  tout  entier,  y  compris  les  mé- 
langes et  les  moindres  fragments, 
mais  qui  jusqu'ici  n'a  livré  au 
public  que  partie  des  romans  ;  et 
les  prétendues  OEuvres  choisies  de 
Scott,  par  les  frères  Chaillot,  les- 
quelles ne  sont  que  les  romans  qu'ils 
ont  traduits  sans  choix  sérieux 
{l^ Antiquaire,  Guy,  Ivanhoe ,  la 
Jolie  Fille.,  Kenilworth,  le  Nain,  la 
Prison^les  Puritains;  cette  éd.  est 


SCO 

in-18,  à  4  vol.  par  roman  le  plus  sou- 
vent, et  sort  des  presses  avignonaises, 
mais  porte  en  bas  la  double  indication 
Avignon  et  Paris);  et  les  réimpres- 
sions assez  jolies  et  fort  commodes 
de  la  trad.  de  Defauconpret,  format 
Charpentier,  chez  Gustave  Barba, 
réimpressions  qui  jusqu'ici  ne  com- 
prennent que  12  à  15  romans, savoir: 
V Antiquaire,  Guy.^  Ivanhoe^  les  Pu- 
ritains, la  Prison,  Quentin,  Nigel, 
Péveril^  Kenilworth^  RobRoy,  etc. 
A  tous  les  noms  qui  viennent  de  pas- 
ser sous  nos  yeux  (Defauconpret,  de 
Montémont,  Chaillot,  Barré,  Jos.  Mar- 
tin, M'n«  Maraise,  M""»  Collet,  Mn™«  Ch. 
Gosselin),  doivent  s'ajouter  comme 
traducteurs  de  Scott,  ceux  de  Cohen 
{Anne  de  Geerstein),  de  H.  Villemain 
{Rob-Roy  qu'il   appelle  Robert  le 
Rouge  Mac- Greg or),  àe  J.-T.  Pari- 
sot  {Kenilworth,  1821,  4  vol.  in-12, 
avec  notices  sur  le  château  de  Kenil- 
worth  et  le  comte  de  Leicester),  de 
J.-J.  B.  {Marmion,  1820,  2  vol.  in- 
12),  d'Am.  Pichot  {Lettres  de  Paul, 
1822  ou  1834,  3  vol.  in-12.  Romans 
poétiques,  1820-21,  8  totn.  en  9  vol. 
in-12),  d'Artaud  {Chants  populaires 
des  frontières  méridionales  de  l'E- 
cosse, 1826,  4  vol.  in-12),  de  Loëve- 
Weimar    (  Ballades ,   Légendes    et 
Chants  populaires  de  l'Angleterre, 
par  Scott,  Moore,  Campbell  et  les 
anciens  poètes,    1825,    in-8<>),  de 
}lim^  Louise  Swanton-Belloc  {Maison 
d'Aspen,  dans  le  Keepsake  français- 
anglais  publié  par  Soulié,  1830,  in-8<>). 
Il  existe  des  traductions  des   romans 
et  de   quelques   autres  ouvrages  de 
Scott   dans   toutes   les  langues    de 
l'Europe.  Dès  1823  on  traduisait  ses 
œuvres  en  allemand.  Les  Poésies,  des 
fragments  de  son  Redgaunilet  et  la  Fie 
de  Lesage,  ont  eu  les  honneurs  de  la 
traduction  russe.  En  France  même  on 
a  donné  la  traduction  en  espagnol  de 


SCO 

dix  au  moins  de  ses  romans,  isolé- 
ment d'abord  (  à  Bordeaux,  à  Perpi- 
gnan, à  Paris),  puis  on  les  a  repro- 
duits à  Perpignan  ,  dans  une  édition 
générale  qui  contient  15  romans  avec 
la  Vie  de  Napoléon^  et  qui  devait 
^ller  à  80  vol.  Les  ouvrages  les  plus 
curieux  sur  Scott,  outre  les  Mémoi- 
res et  Correspondance  de  Walter 
Scott,  par  Lockhart  (Paris,  Bauciiy, 
5  vol.  Jii-8",  traduits  en  français  par 
Defauconpret,  chez  Gosselin),  sont  : 
Walter  Scott  et  lord  Ryron,  ou 
Voyagea  Ahbotsfordet  àNewstead, 
par  W.  Irwing  (traduit  en  fiançais 
par  madenioiselleSobry,1835,  in-8"); 
Walter  Scott  et  les  Écossais  , 
par  Leitch  Bitchie,  traduction  fran- 
çaise anonyme,  Paris,  1835,  in-S»^, 
21  gravures  d'après  les  dessins  de 
Catterniole.  Ensuite  viennent  et 
la  Notice  biographique  et  litté- 
raire sur  sir  Walter  Scott,  d'Allan 
Cunningham,  1833,  in-8'',  176  pages 
(réinip.  dans  l'édition  en  30  volumes 
in-8",  Furne  et  Gosselin,  et  dont  il 
existe  mie  traduction  libre  dans  la 
Bibliothèque  universelle  de  Genève^ 
lom.  m  de  1832,  pages  168-190),  et 
le  Caractère  littéraire  de  sir  Walter 
Scott,  par  sir  Edgerton  Brydges 
(traduit  en  français  dans  la  Biblio- 
thèque universelle  de  Genève,  t.  III, 
de  1832,  pages  351-365).EnfînM.  Am. 
Pichot  a  publié  un  Essai  sur  la  vie 
et  les  ouvrages  de  Walter  Scott,  en 
tête  de  la  traduction  des  ouvrages 
poétiques  ;  et  ses  Soirées  d'Âb- 
bots.^ord  contiennent  beaucoup  de 
renseignemenis  précieux  qu'il  avait 
été  puiser  à  la  source.  —  Des  quatre 
enfants  que  Scott  a  laissés  vivanis, 
les  deux  fils  sont  morts  aujour- 
d'hui, et  tous  deux  sans  postérité 
mâle.  Le  plus  jeune,  Charles  Scott, 
après  avoir  travaillé  au  Foreig^p,- 
Office^  avait  été  attaché  à  la  légation 


SCO 


527 


de  Naples  ;  l'aîné,  sir  Walter  Scott, 
que  nous  avons  vu  investi  par  notre 
auteur  de  la  nue-propriété  d'Abbots- 
ford  lors  de  son  mariage,en  1825, avec 
la  riche  miss  Jobson,  était  major- 
général  au  moment  de  sa  mort.  On 
assure  qu'il  n'avait  jamais  lu  un 
des  ouvrages  de  son  illustre  père. 
La  baronnie  s'est  éteinte  en  sa  per- 
sonne, mais  les  biens  ont  trouvé  un 
maître  dans  cet  enfant  aujourd'hui 
jeune  homme  et  cornette  au  10«  de 
lanciers,  auquel  Scott  a  dédié  ses 
Contes  d'un  grand-père  et  donnait 
familièremeni  le  nom  de  Little-John. 
C'est  maintenant  sir  Hugh  John 
Walter  Scott  Lockhart.      P— ot. 

SCOTT  (JoHN),ditScoTT  Waring, 
du  nom  d'une  propriété  considérable 
qu'il  hérita  d'un  de  ses  parents  dans 
le  comté  de  Chester ,  naquit  sinon  à 
Shrewsbury,  du  moins  dans  le  comté 
de  Shrop,enl737oul738.  La  famille, 
homonyme  de  tant  de  Scott  que  pré- 
sente l'Ecosse,  semble  effectivement 
avoir  été  originaire  de  cette  contrée  ^ 
et  comme  Walter  il  se  vantait  d'une 
consanguinité  lointaine  avec  le  duc  de 
Buccleugh.  11  avait  quatre  frères  dont 
trois  s'engagèrent  et  prospérèrent 
au  service  de  la  compagnie  des  Indes. 
Il  fit  comme  eux,  et  des  cinq  jeunes 
Scott  un  seul  resta  en  Angl,eterre  et 
alla  se  fixer  à  Londres,  où  nous  ne 
le  suivrons  pas.  John  ne  faisait  que 
d'entrer  dans  l'adolescence  lorsqu'il 
prit  le  parti  des  armes  et  mit  la 
mer  entre  sa  patrie  et  lui.  H  occupa 
d'abord  un  rang  des  plus  subalternes 
et  n'avança  que  par  degrés.  Il  était 
doué  d'un  vrai  talent  pour  écrire,  et 
n'occupant  encore  qu'uu  grade  infé- 
rieur à  Faltegour,  il  formula  sa  pen- 
sée sur  l'administraiion  de  Hastings 
en  termes  acerbes  et  offensants,  mais 
calculés  habilement  pour  produire 
de    Peffet.    Le   gouverneur-général 


m 


SCO 


SCO 


du  Bengale,  au  [ieii  de  faire  peser  sa 
vengeance  sur  l'audacieux,  comprit 
qu'il  y  avait  là  un  homme  de  talent, 
et  qu'il  fallait  le  convertir  à  sa  cause. 
Comment  s'y  prit-il,  quels  furent  les 
arguments  irrésistibles  dont  il  fit 
usage  pour  le  convaincre  de  sa  justice 
envers  et  contre  tous,  de  sa  douceur 
pour  les  naturels  du  pays,  de  son 
désintéressement  avec  les  princes,  de 
son  horreur  pour  toute  mesure  arbi- 
traire, pour  la  guerre,  les  massacres 
et  le  pillage?  Nous  l'ignorons^  mais 
le  fait  est  qu'il  sembla  le  convain- 
cre pleinement,  puisqu'il  devint  un 
des  familiers,  des  commensaux  du 
gouverneur.  Le  fait  est  aussi  que  no- 
tre gentleman  du  Shropshire  devint 
de  lieutenant  capitaine,  de  capitaine 
commandant,  décommandant  major. 
H  eût  fini  sans  doute  par  conquérir  la 
double  épaulette  si  Hastings  n'eût 
jugé  à  propos  de  lui  faire  quitter 
le  militaire  pour  le  civil.  Voyant  les 
nuages  grossir  et  s'amonceler  à  l'ho- 
rizon, il  savait  que  ce  ne  seraient 
ni  les  populations  ni  les  princes 
de  l'Inde  qui  viendraient  à  son  se- 
cours par  des  témoignages  ;  il  com- 
prenait que  ses  morauxxîompatriotes, 
tout  en  ne  lâchant  ni  une  roupie, 
ni  un  pouce  de  terrain,  s'indigne- 
raient au  récit  abrégé  des  moyens 
qu'il  avait  mis  en  œuvre  pour  en 
venir  là  *,  enfin  il  ne  pouvait  se  dissi- 
muler que  maître  Junius  Francis, 
qu'il  forçait  à  quitter  la  péninsule 
cisgangéiique  pour  aller  rêvera  l'âge 
d'or  dans  l'innocente  Albion,  saurait 
dès  son  arrivée  battre  la  grosse  caisse 
et  sonner  le  tocsin  contre  sa  manière 
de  faire  rentrer  le  budget  de  la  dé- 
vanie  du  Bengale.  Comment  parer, 
comment  rabattre  les  coups?  11  lui 
fallait  un  agent  en  Angleterre,  et  il 
fallait  que  cet  agent  eût  de  la  fa- 
conde,de  l'activité,  de  l'audace.  Scott 


était  son  homme,  car  Scott  savait  ma- 
nier le  pistolet,  l'épée  et  la  pande.  Il 
se  hâta  de  l'envoyer  sur  les  pas  de  son 
ambitieux  antagoniste,  en  attendant 
qu'il  lût  lui-même  forcé  de  revenir. 
Ce  n'est  pas  tout,  c'est  à  la  tribune  du 
parlement  qu'allaient  se  produire  les 
imputations  accusatrices,  c'est  donc 
sur  les  bancs  du  parlement  que  devait 
siégt^r  l'avocat  qu'il  chargeait  de  sa 
défense.  Cette  difficulté  en  ce  pays 
de  bourgs-pourris  n'était  point  faite 
pour  arrêter  le  pacha  millionnaire 
qui,  enchérissant  sur  Verres,  avait 
piraté  pour  ses  juges,  pour  ses  élec- 
teurs, pour  son  défenseur  et  pour 
lui.  Scott  alla  représenter  nous  ne 
savons  quels  freemen  à  la  chambre 
des  communes.  11  ne  tarda  point  à  s'y 
poser  en  champion,  en  agent  avéré  de 
Hastings,  et  on  le  reconnut,  non  offi- 
ciellement, mais  formellement  et  de 
fait  en  cette  qualité.  Les  ennemis 
du  gouverneur-général,  malgré  leur 
haine,  différaient  toujours  l'attaque. 
Scott ,  las  de  celte  longue  halte 
sous  les  armes,  prit  intrépidement 
l'initiative  et  jeta  en  face  de  tous  le 
gant  dans  la  lice,  un  peu  avant  le 
moment  où  Hastings  rentrait  en  An- 
gleterre. On  a  varié  sur  l'à-propos  de 
cette  mesure.  Les  uns  n'y  ont  vu 
qu'un  coup  de  tête,  et  prétendent 
que  c'est  ce  défi  qui  fit  de  Burke  un 
adversaire  si  violent  et  si  tenace  de 
Hastings  ;  les  autres  pensent  que  la 
lutte  aurait  eu  lieu  un  peu  plus  tôt  un 
peu  plus  lard,  et  que  dès  lors  il  était 
mieux  de  l'engager  sur-le-champ. Scott 
d'ailleurs  avait  préparé  les  voies  j  il 
avait  distribué  de  l'argent  jusque 
chez  des  ministres;  il  avait  intéressé 
au  succès  de  Hastmgsde  grandes  fa- 
milles, qui  trouvaient  dans  la  protec- 
tion du  gouverneur  du  Bengale  des 
débouchés  pour  leurs  cadets.  Il  avait 
surtout  agi  sur  l'opinion  au  moyeu 


SCO 

de  la  presse  ,  et.  il  ne  cessait  de  faire 
usage  de  cette  arrne  puissante  monfft- 
ly^  comme  on  dit,  daily  and  almost 
hourly.  li  faut  avouer  qu'il  s'enten- 
dait, comme  un  homme  du  XIX"  siè- 
cle, à  la  manier  :  gazettes  ou  revues, 
journaux  de  ville  ou  journaux  de  pro- 
vince, feuilles  quotidiennes,  hebdo- 
madaires ou  mensuelles,  il  avait  de 
tout  aux  ordres  de  sa  caisse,  toujours 
abondamment  garnie.  Tantôt  il  fai- 
sait donner  en  même  temps  toute 
sa  périodique  escouade ,  tantôt  les 
louanges,  les  apologies,  la  discussion 
grave,  la  polémique  légère ,  les  let- 
tres, dialogues,  anecdotes ,  réclama- 
tions, démentis,  pouffs,  calembours 
se  succédaient  comme  un  feu  de  file. 
Ayant  ainsi  d'avance  chauffé  l'opi- 
nion, stimulé  les  intérêts   particu- 
liers, la  vanité,  la  cupidité,  l'opiniâ- 
treté nationales,  chatouillé  les  oisifs 
et  les  rieurs ,    après  ces  préludes , 
qui   certes    atteignaient   bien   leur 
but    en  empêchant  que  le  public 
n'entendît  qu'un  son,  celui  de  l'ac- 
cusation, il  eut  raison,  ce  nous  sem- 
ble, d'engager  enfin  un  débat  inévi- 
table ;  et  la  preuve  qu'il  eut  raison, 
c'est  que  des  charges  plus  claires  que 
le  jour,  et  dont  en  bonne  conscience 
la  dixième  partie  devait  suffire  pour 
écraser  un  prévenu,  restèrent,  as- 
sez douteuses  ou  assez  légères  pour 
que  ^Hastings  pût  toujours  avoir  des 
espérances  et  finît  par  l'emporter.  Il 
nous  est    impossible,  et   il   serait 
de  médiocre  intérêt  aujourd'hui,  de 
suivre  pied  à  pied  Scott  dans  toutes 
les  marches  et  contre-marches  de  sa 
tactique  aux  couloirs  et  à  la  tribune 
de  la  chambre,  aux  avenues  des  mi- 
nistères, aux  bureaux  des  journaux 
aux  clubs,  aux  salons,  aux  eaux  de 
Bath  et  partout;  mais,  en  somme,  il 
'  faut  reconnaître  que  sa  vigilance,  son 
adresse  et  son  audace  ne  se  démenti- 
rwxi. 


SCO 


629 


rrnt  jamais.  Souvent  il  faisait  sa  par- 
tie dans  le  concert  à  grand  orchestre 
qu'il  dirigeait  ad  majorem  gloriam 
de  son  client,  et  il  se  tirait  fort  pas- 
sablement du  solo,  soit  pamphlet,  soit 
discours  à  la  chambre,  bien  que  ses 
adversaires,  les  Fox,  les  Burke,  les 
Shéridan  n'en  convinssent  pas,  et 
que,  plaisantant  souvent  les  autres, 
il  prêtât  parfois  lui-même  le  flanc  à  la 
plaisanterie.  Ainsi,  par  exemple,  se 
plaignant  de  ce  que  les  ministres, 
dans  cette  lutte,  n'agissaient  pas  de 
bonne  guerre  et  cherchaient  des  res- 
sources où  la  loyauté  leur  interdisait 
d'aller  en  chercher,  il  dit  qu'un  qui- 
dam avait  reçu  25  guinées  pour  déni- 
cher dans  ses  publications,  à  lui  Scott, 
des  passages  que  l'on  pût  donner 
commeoutrageux  et  sentant  le  libelle. 
Lord  JNorth  répondit  que  s'il  s'était 
trouvé  un  homme  au  monde  capable 
de  lire  tout  ce  que  le  major  avait  écrit, 
^il  avait  bien  gagné  ces  malheureuses 
vingt -cinq  guinées;  et  Shéridan 
ajouta  que,  si  le  fait  était  vrai,  ce 
devait  être  une  consolation  pour  le 
major  d'être  sûr  que  ses  brochures 
avaient  au  moins  un  lecteur!  De  sem- 
blables saillies,  au  reste,  ne  prou- 
vent rien;  il  sera  toujours  loisible  de 
dire  à  un  écrivain  qu'on  ne  le  lit  pas, 
et  quelque  prompt ,  quelque  heureux 
qu'il  puisse  être  à  la  riposte,  le  sar- 
casme aura  toujours  été  détaché.  Les 
ennemis  de  Haslings  trouvaient  in 
petto  que  Scott  était  encore  trop  lu. 
Aussi  ne  se  bornaient-ils  pas  aux  sim- 
ples saillies  pour  en  avoir  raison.  Le 
général  Burgoyne  monta  un  jour  à  la 
tribune  pour  dénoncer  les  libertés 
prises  par  le  major  Scott  dans  une 
lettre  adressée  au  Diary  (16  mai 
1790),  et  il  eut  le  plaisir  de  le  faire 
admonester  par  la  chambre  comme 
ayant,  par  un  écrit  scandaleux,  par 
un  vrai  libelle,  violé  ses  devoirs  de 

34 


530 


SCO 


SCO 


rnemhrede  la  chambre  ett^ncouni  la 
privation  du  privilège  parlemenlaire. 
Il  n'en  continua  que  plus  ardemment 
sesefforts^il  contrecarra  sans  relâche 
les  manœuvres  de  ses  ennemis;  il 
empêcha  la  production  des  documents 
qu'il  croyait  de  mauvais  effet  pour 
la  cause  de  son  client  ;  il  mit  admi- 
rablement en  relief  ces  deux  faits, 
l'un  que  Taccusé  avait  laissé  la 
compagnie  dix  lois  plus  riche  et 
maîtresse  de  territoires  dix  fois  plus 
vastes  qu'elle  ne  l'était  avant  qu'il 
fût  à  la  tête  de  ses  affaires,  et  que, 
grâce  à  son  administration  et  à  cette 
habile  conduite  qu'on  récompensait 
par  un  impeachment^  la  Grande-Bre- 
tagne avait  gagné,  k  l'est,  plus  que  les 
North  et  les  Burgoyne  ne  lui  avaient 
fait  perdre  dans  l'ouest  pendant  le 
même  temps;  l'autre,  que  ces  mesures 
financières,  que  l'on  qualifiait  d'exac- 
tions, de  tyrannie,  les  successeurs  de 
Hastings  les  continuaient ,  et  que 
l'Aoude  et  le  Bengale  rendaient  de 
jour  en  jour  davantage,  de  telle  sorte 
que  de  deux  choses  l'une,  ou  Has- 
tings ne  les  avait  pas  pressurés  outre 
mesure,  ou  il  ne  fallait  pas  le  mettre 
seul  en  cause.  Il  tenait  ainsi  dans 
une  fausse  position  et  dans  l'impos- 
sibilité de  nuire  autant  qu'il  l'eût 
voulu  le  cabinet  fort  tiède  et  fort 
équivoque  ami  de  Hastings,  et  qui 
plus  d'une  fois  avait  été  sur  le  point 
de  le  sacrifier.  H  avait  visé  d'abord 
et  réussi  à  traîner  en  longueur  le 
procès,  sachant  le  proverbe  tempo 
è  galanVuomo;  mais  maintenant  que 
les  antagonistes  voulaient  user  eux- 
mêmes  de  ce  moyen,  dans  l'espérance 
d'un  nouveau  ministère,  il  s'appli- 
qua de  toutes  ses  forces  à  raccour- 
cir les  débals.  Finalement  le  verdict 
fut  prononcé  après  neuf  ans  de  con- 
testations et  d'incertitudes,  non  sur 
les  pi  océdés  du  gouverneur-général, 


n)ais sur  la  qualification  politique  que 
l'égoïsme  anglais  devait  dormer  a  ces 
procédés,  sur  l'impunité,  la  punition 
ou  la  récompense  qu'elle  accorderait 
à  l'auteur  des  méfaits  dont  elle  tenait 
opiniâtrémentàmoissonner  les  fruits. 
Clive  avait  été  condamné  pour  bien 
moins  que  Hastings!  il  y  avait  progrès: 
du  moins  la  Grande-Bretagne  avait 
la  pudeur  de  ne  point  marquer  à 
l'épaule  celui  qui  volait  pour  elle.  La 
vie  politique  de  Scott  se  termina  avec 
ce  procès.  On  eût  dit  qu'il  n'attendait 
que  ce  moment  pour  se  vouer  à  la 
retraite  et  à  l'hyménée.  Bien  qu'ap- 
prochant de  la  soixantaine,  il  con- 
duisit k  l'autel  une  ex -actrice  de 
quelque  célébrité  ,  miss  Hughes , 
acheta  une  belle  propriété  aux  envi- 
rons de  Folham,  et  fixa  ses  pénates 
dans  une  charmante  habitation  qui 
en  faisait  partie.  Miss  Hughes,  ou 
plutôt  lady  Scott-Waring,  périt  en 
1812  par  accident  :  le  pied  lui  man- 
qua au  moment  où  elle  voulait  des- 
cendre de  nuit  un  escalier  ;  son  corps 
roula  du  haut  en  bas  des  degrés,  et 
quand  on  le  retrouva  le  lendemain, 
elle  avait  cessé  de  vivre.  Le  major  se 
hâta  de  recommencer  un  second  ro- 
man en  épousant  mistriss  Eston  qui 
avait  long-temps  auparavant  renoncé 
k  la  carrière  dramatique.  Il  n'avait 
alors  pas  moins  de  soixante-seize  ans, 
et  il  survécut  encore  six  ans  k  cette 
union.  Sa  mort  arriva  le  5  mai 
1819.  Voici  la  liste  de  ses  écrits  :  I. 
Courte  revue  des  événements  qui  ont 
eu  lieu  au  Bengale  pendant  les  dix 
dernières  années^  1782,  in-8°,  H.  Ex- 
posé des  événements  survenus  au 
Bengale  pendant  V administration  de 
M,  Hastings,  1784,  in-8°.  111.  Deux 
Lettres  à  Vhonorable  Edm.  Burke^ 
en  réponse  aux  insinuations  et  aux 
faux  exposés  palpables  que  contient 
son  pamphlet  mtifM/e  Neuvième  Rap. 


SCO 

port  du  comitd  choisi,  1783, in-S".  IV. 
Lettre  à  M.  Fox  sur  le  Mil  de  Vlnde, 
1783^m8°,W .  Réplique  audiscours  de 
M.  Burke  sur  le  MU  des  Indes  orien- 
tales, 1784,  in-8«.  VI.  Considéra- 
tions sur  l'influence  que  la  conduite 
des  ministres  de  Sa  Majesté  a  exer- 
cée sur  la  compagnie  des  Indes  orien- 
tales et  sur  M.  Hastings^  1784,  in -8°. 
Vil.  Discours  à  la  chambre  des 
communes  sur  le  MU  de  Déclaration^ 
1788,  in-8°.  VIII.  Observations  sur 
l'État  comparatif  de  M.  Shéridan, 
1788,  in- 4°.  IX.  Accusation  contre 
M.  Burke,  1788,  in-8o.  X.  Dix  Let- 
tres au  peuple  de  la  Grande-Bretagne 
par  lin  whig,  1789,  in-8".  XI.  Lettre 
à  l'honorable  Ch.-J.  Fox  sur  les 
hors-d'œuvres  et.matériaiix relatifs 
aux  affaires  étrangères  que  pré- 
sente le  discours  tenu  par  M.  Burke 
à  Westminster -Hall ,  1789,  in-8°. 
XII.  Deuxième  Lettre  à  M.  Fox, 
contenant  la  décision  dép.mtive  du 
gouverneur- général  et  du  conseil  du 
Bengale  sur  les  charges  articulées 
contre  le  radjah  Deby-Sing,  1789, 
in-8°.  XHl.  Troisième  Lettre  à  M. 
Fox  sur  le  même  sujet,  1789,  in- 8°. 
XIV.  Discours  prononcé  à  la  cham- 
bre des  communes,  démontrant  V ac- 
croissement des  revenus  du  Bengale 
sous  l'administration  de  M.  Has- 
tings,  1791,  in-8«.  XV.  Lettre  à  M. 
Dodsley,  à  l'effet  de  réfuter  certains 
faits  mis  sousun  faux  jour  dans  la 
partie  historique  de  TAnnual  Regis- 
ter,  1791,  in-8o.XVI.  Lettre  à  sir  Phi- 
lip  Fraj[tcis^  esq.,  1791,  in  8'^.  XVII. 
Deux  Lettres  à  Georges  Hardinge^ 
esq.,  1791,  in-8\  XVIII.  Lettre  à 
l'honorable E dm.  Burke,  1791, in-8». 
XIX.  Observations  sur  les  mémoires 
du  règne  de  Georges  III,  par  Bels- 
/iam,1796,  in-S».  XX.  Observations 
sur  l'état  présent  de  la  Compagnie 
des  Indes  orientales,  i""  éd.,  1808, 


SCO 


OO  I 


in -8".  XXÏ.  Réponse  â  une  Lettre 
adressée  à  3.  Scott  Waring,  esq.^et 
Réfutation  des  Observations  ilUbé- 
rales  et  inexactes  de  l'écrivain  ano- 
nyme, 1808,  in-8".  XXII.  Lettre  au 
révérend  J.  Owen  en  réponse  aux 
Objections  que  soulèvent  de  sa  part 
les  Observations  mr  Vétat  présent 
de  la  Compagnie  des  Indes  orien- 
tales ^  1808,  in-8°.  XXIII.  Remar- 
ques sur  deux  sermons  prêches  de- 
vant l'université  d'Oxford  sur  la 
probabilité  de  la  conversion  des  na- 
turels de  l'Inde  aux  idées  du  chris- 
tianisme, 1808, in-S".  XXIV.  Lettres 
à  l'éditeur  de  la  Revue  d'Édimbouro;^, 
e?i  réponse  à  la  critique  de  l'ouvrage 
de  lord  Lauderdale .  intitulé  Aperçu 
sur  la  Compagnie  de.s  Ih'Ips  orien- 
tales, 1808.  in  8".  WY.  Supplément 
à  la  Lettre  ci-dessus.  î8i0.  in-R". 
XXVI  Remarques  sur  les  R^'cher- 
ches  chrétiennes  en  Asie  du  jy  Ru- 
chman,  1812,  in-8„.  XXVIl,  Re- 
marques sur  la  Lettre  de  M.  Wey- 
land  à  M.  Hiis^h  Inglis,  concernant 
l'e'tat  de  !a  religion  dans  l'Inde,  1813, 
in-8„  (1).  —  Jonathan  Scott  ,  son 
second  frère,  e'tait  né  en  1753  ou  an 
commencement  de  1754.  Il  reçut  les 
premiers  éléments  d'éducation  clas- 
sique à  Shrewsbury,  sa  ville  natale  , 
à  l'école  royale  libre  de  grammaire  ; 
puis,  n'ayant  encore  que  douze  ans, 
il  fut  expédié  dans  l'Inde,  où,  tout 
en  suivant  la  carrière  de  la  guerre, 
il  acquit  des  connaissances  linguis- 
tiques dont  ch-ique  jour  le  besoin  se 
faisait  sentir. Conmiemilitaire  il  n  at- 
teignit que  le  grade  de  capitaine  au 


(i)  tl  ne  faut  pa.s  t-onfondre  le  défeii'ieur 
de  Uiistings  avec  un  autre  .Scott  Waring, 
liistorien  iet  voyageur  remarquable,  autour 
d'un  Tour  à  C/iiras,  d'un  Vojrage  de  l'Inde 
(Bombai,  iSo;"),  «;t  Londres,  1807,  «"-4").  ^t 
d'une  Histoire  de  l'empire  maliratte  ,  rom- 
pobéc  principalement  d'après  les  auteurs 
peràdUb  de  l'Inde,  Loudies,  iSoomd-I". 


532 


SCO 


service  de  la  Compagnie  des  Indes  ^ 
mais  le  gouverneur-général  du  Ben- 
gale, appréciantson  mérite,  le  nomma 
secrétaire  du  bureau  de  la  Perse.  De 
retour  en  Angleterre,  il  fut  nommé 
professeur  des  langues  orientales  au 
collège  royal  militaire  et  à  celui  de 
la  Compagnie  des  Indes.  D'utiles  et 
savantes  publications  montrèrent 
combien  il  était  à  sa  place  dans 
ce  poste  difficile  ;  et  l'université 
d'Oxford,  afin  de  lui  témoigner  son 
estime,  lui  envoya  le  diplôme  de 
docteur  en  droit  (26  juin  1805). C'est 
qu'effectivement  Scott  n'était  pas  un 
de  ces  linguistes  qui  ne  savent  que 
des  mots:  il  savait  aussi  les  luis,  et 
avait  étudié  à  fond  l'histoire  de 
l'Orient ,  c'est-à-dire  ce  qu'il  est 
possible  de  savoir  de  cette  histoire 
dont  les  indigènes,  et  surtout  ceux 
qui  habitent  entre  le  Sindh  et  le 
Ho-ti-Kiang,  sont  si  peu  soucieux. 
Est-il  besoin  d'ajouter  qu'il  avait 
été,  dès  le  temps  de  Hastings,  mem- 
bre de  la  Société  asiatique  de- Cal- 
cutta? Ce  qui  double  le  mérite  de 
Scott  l'orientaliste,  c'est  qu'il  était 
le  meilleur  et  le  plus  simple  des 
hommes.  Sa  mort  eut  lieu  le  11  fé- 
vrier 1 829.  On  a  de  lui  :  I.  Une  traduc- 
tion des  Mémoires  d'Éradut-Khan^ 
1786,  in-é"  (  Irédeut-Khan  était  un 
noble  Hindou  contemporain  des  em- 
pereurs Aureng-Zeb,  Chah-Allom  et 
Djihandar-Chah.  Son  ouvrage  con- 
tient des  anecdotes  qui  expliquent 
le  rapide  progrès  de  l'empire  mon- 
gol, après  la  mort  du  premier  de  ces 
princes.  II.  Une  traduction  du  Livre 
complet  de  Férichthâh,  c'est-à-dire  de 
l'histoire  du  Dékhan  par  cet  homme 
d'État  et  d'une  continuation  par  di- 
vers savants  hindous,  2  vol.  in-é". 
L'ouvrage  de  Ferichthâh  va,  comme 
on  sait,  des  commencements  de  la  con- 
quête mahométane  à  1630  ;  les  con- 


sco 

tinuateurs  poursuivent  jusqu'à  la  ré- 
duction (les  royaumes  et  principautés 
particulières  en  provinces  mongoles 
par  Aureng-Zeb.  L'auteur  y  a  joint 
un  aperçu  des  règnes  suivants  jus- 
qu'à l'époque  de  la  publication,  et 
l'histoire  du  Bengale  depuis  l'avè- 
nement d'Ali  verdi-Khan  jusqu'à  1780. 
Le  travail  de  Scott  se  recommande 
d'ailleurs  par  des  notes  qui  jettent 
beaucoup  de  jour  sur  l'histoire  et 
sur  les  usages  des  habitants  du 
pays.  Quant  à  la  traduction  même, 
elle  a  été  dépassée  en  ces  derniers 
temps  par  celle  de  Briggs  (1829), 
mais  il  est  assez  visible  que  si  Scott 
n'avait  défriché  le  terrain,  Briggs  ne 
l'aurait  pas  exploité  ensuite  avec  tant 
de  bonheur.  III.  Bahar  - Danouch 
(c'est-à  dire  Jardin  des  connaissan- 
ces), roman  oriental  traduit  du  per- 
san d'EwaintOullah,  1799,3  vol.  in- 
8°.  IV.  Contes  ,  anecdotes  et  lettres  , 
traduits  de  l'arabe  et  du  persan, 
1800,  in-8o,  446  pages.  V.  Les  Nuits 
arabes ,  avec  un  choix  de  contes 
arabes  inconnus  et  inédits  jusqu'ici 
pour  les  Européens,  Londres,  1811, 
6  vol.  in-S".  Le  texte  arabe  a  été  revu 
et  corrigé  sur  des  manuscrits  ;  une 
traduction  accompagne  le  texte  ; 
tous  les  contes  additionnels  étaient 
inédits,  ainsi  que  l'indique  le  ti- 
tre; en  tête  s'offre  une  introductiqri 
instructive  et  riche  de  faits;  enfin, 
des  notes  excellentes  élucident  tout 
ce  qui  pourrait  rester  d'obscur  sur 
les  usages  et  la  religion  des  .Orien- 
taux. Les  nouveaux  ctm.es  ont  été 
traduits  de  l'anglais  en  français  par 
M"^«  Alex.  Aragon,  sous  le  pseudony- 
me de  M™«  Renée  Roger,  pour  l'édi- 
tion des  Mille  et  une  Nuits,  de  M.  Ed. 
Gautier,  Paris,  18V3.  VL  Coup 
d^œil  historique  et  politique  sur  le 
Dekhan,  1798, in-S».  C'est  le  seul  ou- 
vrage de  l'auteur  qui  ne  soit  paii  uuê 


SCO 

Iraduction  du  persan  ou  de  l'arabe. 
On  y  remarque  principalement  une 
esquisse  sur  retendue  et  les  revenus 
du  royaume  de  M.iïssour,  tel  qu'il  était 
sous  Tippou,  au  commencement  de 
1798.  Quelques  exemplaires  ont  de 
plus  un  appendice  avec  réponse  aux 
objections  faites  contre  les  résultats 
proclamésdanslabrochure. Ces  objec- 
tions proviennent,  dit-il,  de  ce  qu'on 
ne  se  rend  pas  compte  des  change- 
ments survenus  dans  le  Maïssour,  de 
1792  à  1798  ;  qu'on  se  pénètre  bien 
du  traité  de  partage  de  1792  et  des 
effets  matériels  qu'il  a  produits,  on 
verra  que  tous  les  chiffres  sont  inat- 
taquables.— Richard  Scott,  frère  des 
deux  précédents  et  l'aîné  de  Jonathan 
en  même  temps  que  le  cadet  de  John, 
passa  aussi  un  temps  considérable 
de  sa  vie  dans  l'Inde.  Il  était  entré 
au  service  comme  cadet  en  1768,  et 
iJ  se  signala  comme  excellent  ofticier 
et  brave  soldat,  sous  sir  Eyre  Coote, 
dans  la  lutte  contre  Haïder-Ali,  puis, 
sous  le  marquis  de  Cornwallis,  dans 
la  guerre  contre  Tippou.  L'épaulette 
de  lieutenant-colonel  fut  la  récom- 
pense de  ses  services,  et  il  se  retira, 
en  1797,  avec  la  retraite  complète. 
H  paraît  que,  depuis  son  arrivée  jus- 
qu'en 1793,  il  avait  tenu  un  journal 
de  tout  ce  qui  se  passait  de  remar- 
quable dans  l'Hindoustan,  tant  sous 
le  rapport  politique  qu'au  point  de 
vue  militaire.  A  sa  mort,  qui  arriva 
vers  1825,  uu  quatrième  frère,  Henri 
Scott,  qui,  lui  aussi,  avait  été  nanti 
assez  long-temps  d'une  position  im- 
portante au  Bengale,  mais  qui  était 
revenu  rapporter  sa  tête  au  comté 
natal,  conçut  l'idée  de  publier  les 
manuscrits  du  lieutenant-colonel,  et 
sonda  les  libraires  qui  sondèrent  le 
public  à  cet  effet.  Il  faut  croire  que 
lohu  Bull  en  dvakt  assez  des  Mah- 
rattes,  d'Hdïder-Ali,  de  Tippou,  des 


SCR 


538 


campagnes  deComwallis  et  de  Coote, 
des  triomphes  sur  les  Français  et  les 
Hollandais,  qu'enfin  il  regardait  tous 
ces  événements  comme  du  prétérit 
passé.  Il  est  peut-être  à  regretter  qu'il 
ait  si  peu  mordu  à  l'hameçon,  et 
que  sir  H.  Scott,  esq.  of  Beslow- 
Hall,  co.  Salop,  ait  été  dans  la  né- 
cessité d'abandonner  ses  projets. 

P— OT. 

SCROFANI  (Xavier),  historien 
et  économiste  italien,  naquit  le  21 
novembre  1756,  à  Modica  en  Sicile, 
et  fut  élevé  par  un  de  ses  oncles  ma- 
ternels, monseigneur  Alagona,  évê- 
que  de  Syracuse.  Il  se  destinait  à  la 
carrière  des  autels  et  prit  en  effet  les 
ordres  sacrés,  mais  il  n'exerça  jamais 
aucune  fonction  du  saint  ministère, 
et  il  paraît  même  que  dans  la  suite 
il  cessa  de  porter  l'habit  ecclésiasti- 
que. A  rage  de  trente  ans,  il  alla  vi- 
siter l'Italie  et  s'arrêta  particulière- 
ment à  Florence,  où  il  se  lia  entre 
antres  avec  le  chanoine  Zucchini,  di- 
recteur du  jardin  expérimental  d'a- 
griculture. Il  vint  ensuite  à  Paris  et  se 
mit  en  rapport  avec  Raynal  dont  il 
avait  étudié  les  ouvrages,  et  avec  Ro- 
zier,  auteur  du  Dictionnaire  d'agri- 
culture. Témoin  des  événements  qui 
préparèrent  et  firent  éclater  la  révolu- 
tion,il  ensuivit  les  phases  avec  la  plus 
grande  attention,  et  lorsqu'en  1791 
il  eut  quitté  la  France  pour  retour- 
ner à  Florence,  il  se  hâta  de  publier 
dans  cette  dernière  ville  une  bro- 
chure intitulée  Tous  ont  tort^  ou  Let- 
tres à  mon  oncle  sur  la  révolution 
française.  Ce  livre,  écrit  avec  beau- 
coup de  modération  et  de  convenan- 
ce, fit  une  grande  sensation,  et  l'on 
devine  par  le  litre  même  que  l'au- 
leur  se  constitue  eu  quelque  façon 
juge  entre  les  différents  partis  qui 
agitaient  la  France,  et  qu'il  se  mon- 
tre également  sévère  pour  chacun 


534 


SCR 


d'eux.  Deux  ouvrages  sur  «les  sujets 
d'économie  politiquequ'il  publia  suc- 
cessivement  lui  valurent  d'être  ad- 
mis à  l'Académie   de  la  Crusca,   et 
d'être  appelé  à  Venise  où  il  fut  d'a- 
bord  nommé   professeur  d'agricul- 
ture, puis  surintendant- général  de 
l'agriculture  et  du  commerce  avec 
le  Levant,  fonctions  qui  l'obligèrent 
à  un  long  voyage  pour  recueillir  sur 
les  lieux  mêmes  les  renseignements 
nécessaires.  Ce  fut  ainsi  qu'il  visita 
tour  à  tour    l'Archipel,    la   Morée, 
l'Asie-Mineure,  TAnatolie,  la  Syrie  et 
l'Egypte.  A  son  retour,  il  écrivit   la 
relation  de  son  voyage.  Elle  a  reçu  les 
plus  grands  éloges  de  M.  de  Chateau- 
briand dans  la  préface  de  rJfmeraî're, 
et  de  Malle-Brun  dans  sa.  Géographie. 
Lorsque  Napoléon  retrancha  Venise 
du  nombre  des  nations,  Scrofani  vint 
se   fixer  à  Paris  et    y    fut  nommé 
membre  correspondant  de  l'Institut. 
Il  y  reprit  avec  ardeur  ses  études  fa- 
vorites, et  publia  plusieurs  ouvrages 
qui  ajoutèrent  à  sa  réputation  d'his- 
torien et  d'économiste.  En  1809  il  ren- 
tra dans  le  royaume  de  Naples ,  mais 
tant  que  Murât  resta  sur  le  trône,  il 
n'obtint  aucun  emploi. Ce  fut  proba- 
blement à  cet  oubli,  qui  ressemblait 
à  une  disgrâce  et  l'était  peut  -  être 
en  effet,  que   Scrofani    dut   d'être 
nommé  en  1814  par  le  roi  Ferdinand 
directeur  de  la  statistique  et  du  re- 
censement.  H  conserva  cet  emploi 
jusqu'en  1822,  mais,  à   cetteépoque, 
il  fut  mis  à  la  retraite  à  cause  de  la 
sympathie  qu'il  avait  montrée  pour 
les  idées  constitutionnelles  pendant 
'  lepeu  de  temps  qu'elles  avaient  triom- 
phé dans  le  royaume.    Il  se  retira 
alors  à  Palerme,  et  il  ne  cessa  de  s'oc- 
cuper des  études  qui  avaient  fait  sa 
gloire ,  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le 
7  mars  1835,  et  non  en  1829,  comme 
l'assure  la  Biographie  des  contem- 


SCIl 

porains.  On  a  de  lui  :  I.   Tous  ont 
«or/,  Florence,  1791,  in-8®,  sans  nom 
d'auteur.  Ce  livre  est,  comme  nous 
l'avons  dit,  unehistoireetune  appré^ 
ciation  des  événements  survenus  en 
France  pendant  les  années  1788,  89  et 
90.  Les  faits  y  sont  racontés  avec  la 
plus  scrupuleuse  vérité,  et  jugés  avec 
la  siigacité  d'un  homme  qui  voit   les 
choses  de  haut  et  ne  se  passionne 
pour  aucun  parti.   H  serait   curieux 
de  lire  auj ourd'hui  comment  Scrola u i 
jugeait   dès  1791    les    hommes  qui 
faisaient  tant  debruità  cette  époque, 
et  ses  portraits,  quoique  peu  flattés, 
n'en  paraîtraient  pas  moins  ressem- 
blants. On  peut  dire  qu'il  a  pris  la 
nature  sur  le  fait,  et  en  sa  qualité  de 
témoin  complètement  désintéressé, 
sonjugementestdu  plus  grand  poids. 
Son  livre  fut  traduit  en  français , 
puis  réimprimé  en  italien  avec  quel- 
ques additions  ;  mais  il  nous  a  été 
impossible  de  vérifier  ce  fait,  mal- 
gré l'opiniâtreté  de  nos  recherches. 
Peut-être  cette  traduction   a-t-ello 
paru  en  Suisse  ou  en  Italie  même,  ce 
qui  aura  empêché  qu'elle  parvînt  à 
la  connaissance  de  notre  savant  bi- 
bliographe, M.  Quérard.  H.  Essai 
sur  le    commerce  en    général    des 
nations  de  VEurope^avec  un  aperçu 
sur  le  commerce  de  la  Sicile  en  par- 
ticulier, Y  enise^^n  92,  in-8''-,   trad. 
en  français,  Paris,  1802,  in-8°  Le  mi- 
nistre Roland  avait  aussi  commencé 
une  traduction  de  cet  opuscule,  mais 
il  n'eut  pas  le  temps  de  l'achever.  La 
seconde  partie  av^iit  paru  sf^parément 
sous  le  titrê'de  Hilan  du  commerce 
de  la  Sicile  fondé  sur  une  observa- 
tion décennale  de  1773  à  1782,  et 
tiré  des  registres   des  douanes  de 
l'Europe,  11 1.  La  Vraie  richesse  de  la 
campagne,  ou  Cours   d'agriculture, 
Venise,  1793,  tom.  l^S  in-8°.  [V.Rê 
flexions  sur  les  subsistances ,  tirées 


SCR 


SCR 


de  faits  observés  en  Toscane.  Elles 
lurent  iinpriruf^es  k  Florence  en 
1795,  à  la  suite  tle  la  Comparaison 
de  la  richesse,  etc.,  du  sénateur 
Bilfi  Tolomis.  Aux  Réflexions  il  faut 
ajouter  un  Mémoire  sur  la  liberté 
du  commerce  des  grains  que  Scrofani 
avait  présenté  au  roi  de  Naplespour 
lui  prouver  que  la  liberté  absolue  du 
commerce  était  lameilleure  garantie 
de  la  prospérité  agricole  de  la  Si- 
cile. V.  Voyage  en  Grèce,  fait  en  1794 
et  1795,  avec  la  relation  de  l'état  ac- 
tuel de  l'agriculture  et  du  commerce 
des  îles  vénitiennes,  de  la  Moréeetde 
la  Basse -Romélie,  Londres,  1799- 
1800, 3  vol.  in-80.  Scrofani  commence 
par  peindre  la  Grèce  telle  qu'elle 
était  à  l'époque  de  son  voyage,  et  il 
décrit  tous  les  monuments*  qu'elle 
possédait  encore  ;  mais  il  ne  se  bor- 
ne pas  à  constater  les  faits,  il  les  ac- 
compagne de  réflexions  où  éclate 
une  exquise  sensibilité  et  une  gran- 
de élévation  de  pensées.  Il  a  su 
ainsi  allier  l'exactitude  des  recher- 
ches et  des  documents  avec  le  char- 
me du  récit,  et  par  ce  dernier  carac- 
tère il  rappelle  parfois  quelques-uns 
de  nos  plus  charmants  touristes  con- 
temporains. Le  troisième  volume  est 
tout  entier  consacré  à  la  statistique 
commerciale  et  agricole,  et  présente 
tous  les  détails  qu'on  devait  atten- 
dre d'un  voyageur  aussi  conscien- 
cieux. Cet  ouvrage  a  été  traduit  en 
français  par  M.  J.-F.-C.  Blanvillain, 
Paris.  1801,  3  vol.  in-8°.  VI.  5ur  Za 
valeur  et  la  transmission  des  biens 
immeubles  en  Europe,  depuis  la  dé- 
couverte de  l'Amérique.  VIL  Une 
description  des  Fêtes  de  Vénus,  que 
M.  Qiiérard  ,  trompé  par  la  Biogra- 
phie des  conlemporains,  a  pris  à  tort 
pour  une  nouvelle.  VIII.  Mémoires 
sur  les  braux-arts,  dédiés  au  cheva- 
lier Kjuiius-Quirinus  Visconti,  1800, 


2  vol.  in-8o.  IX. /.a  guerre  des  es- 
claves en  Sicile  du  temps  des  Ro- 
mains, suivie  de  la  guerre  des  trois 
mois^  Paris,  1806,  in-8<*;  traduite  en 
français   par   M.  J.   Naudet,    1807, 
in-S^'.La  guerre  contre  les  esclaves  de 
Sicile  est  une  des  plus  longues  et  des 
plus  terribles  qu'ait  eues  à  soutenir 
le  peuple  romain,  car  elle  dura  plus 
de  vingt  ans  et  coûta  un  million 
d'hommes  à  la  république.  On  n'a- 
vait cependant  .sur  ces  événements 
que  des  relations  sommaires  et  in- 
complètes ou  des   fragments  épars 
dans  Dion-Cassius,  Diodore  de  Sicile, 
Valerius,  Athénée,   Tacite  et  quel- 
ques autres.  Scrofani  a  comblé  les 
lacunes.  Il  a  rassemblé,  classé,  ana- 
lysé et  éclairci  par  la  confrontation 
tous  les  passages  qu'il  a  pu  trouver 
dans  les  historiens,  et  avec  ces  maté- 
riaux il  est  parvenu  à   former  une 
histoire  dans  laquelle  il  explique  et 
développe  avec  clarté  les  causes,  les 
commencements,  les  progrès  et  la 
fin  de  ces  guerres  longues  et  dévas- 
tatrices. Quant  à  la  Guerre  des  trois 
mois,  c'est  le  récit  de  la  campagne 
d'Austerlitz.  X.  Mémoire  sur  un  vase 
étrusque  (en  français),  lu  à  l'Institut  et 
imprimé  dans  le  Moniteur  de  1806, 
p.  236.  —Autre  Mémoire  sur  le  mê- 
me sujet,  aussi  inséré  dans  le  Moni- 
teur ,dnnée  1809,  pag.  1099  et  1892. 
XL  Mémoire  sur  les  poids  et  mesu- 
res d'Italie,   comparés  au  système 
métrique   de  France  ,  Paris,  1808  , 
in-8".  Ce  travail  avait  été  demandé  à 
l'auteur  par  le  ministre  de   l'inté- 
rieur. Xll.  Lettre  sur  un  paysage  de 
Claude  Lorrain,  Naples,  1809,in-8°. 
XIIL  Parallèle  des  dames  françaises 
et    italiennes^   Gynopoli     (Naples), 
1810,  in-80.  XIV.  De  la  domination 
des  étrangers  en   Sicile,  Palerme, 
1823.  in-S»;  réimprimé  à  Paris  l'an- 
née suivante.    L'auteur  dans    cette 


530 


SCK 


liistoirft  remonte  aux  temps  les  plus 
reculées  et.  s'arrêfe  un  règne  de  Char- 
les III  (l'Espagne.  XV.  Mémoires 
d'économie  politique^  Pise,  1820, 
in-8°.  On  a  réuni  sons  ce  titre  :  Opus- 
cule sur  la  liberté  du  commerce,  les 
Réflexions  donl  nous  avons  déjà  parlé 
et  deux  écrits  qui  ont  pour  objet, 


SCft 

Tiin,  le  système  desimpôtsdansPan- 
liquile  et  dans  les  temps  modernes, 
l'autre,  des  considérations  sur  les 
manufactures  de  l'Italie.  On  doit  en- 
core à  Scrofani  une  notice  sur  l'as- 
tronome Piazzi ,  et  un  éloge  du 
grand -duc  de  Toscane  Léopold,  qui 
depuis  parvint  à  l'empire.    A — y. 


FIN  DU  QUATRE-VINGT-UNIEME  VOLUME. 


rw?r 


v)^,,...        ^.  -^'r/X     a 


Jft  ■  t'. 


■û?^^ 


'■n  ^  . 


■j^^s^f^f^'*}^-^'