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Full text of "Catherine de Bourbon, soeur de Henri IV: soeur de Henri IV, 1559-1604"

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CAÏHERINK 

DE BOURBON 



SOEUR l)K HENRI IV 



Du même Auteur 



LÀ REINE HÂRIE LECRZINSEA 

ÉTUDB BISTORIQUB 

1 Tol. in-lî : 3 fr. 



.*" 



.Nrib. — Impnmerie de P. -A. Boiiudik» ««t r/. rue des Poitevin». 6. 



CATHERINE 

DE BOURBON 



SŒUR DE HENKI IV 

1559-1604 



p:TUDf. HISTORIQUB 



M" LA C" DAHMArLLf: 



PARIS 

LiatlAIRIE ACIDËMIOUE 

DIDIEK ET C", LIBHAIHES-ÉDITKURS 



Raconter l'histoire de Catherine de Bour- 
bon , sœur de Henri IV, en la présentant 
unie à l'existence de son frère par la force 
de son âme, l'étendue de ses sacrifices et la 
persistance de ses idées religieuses : tel est 
le but que nous nous proposons ici. 

C'est beaucoup peut-être de^ consacrer 
un volume à une vie qui a rarement excité 

a 



VI AVERTISSEMENT. 



la curiosité publique. Est-ce trop cepen- 
dant s'il s'agit d'étudier un caractère dont 
le mérite et les épreuves mettent en relief 
d'une façon particulière la ferme politique 
dé Henri IV et son respect pour la liberté 
de conscience? 

De nombreux témoignages contempo- 
rains et d^s documents peu connus nous 
ont permis de suivre Thistoire de Catherine 
de Bourbon au milieu des sanglantes an- 
nales de son siècle. Nous avons également 
profité des recherches faites aux archives 
de Paris, de Rouen, de Pau, de Nancy et 
de Florence, pour appuyer notre récit sur 
les lettres de la Princesse elle-même. 

Ces lettres, auxquelles le vieil esprit fran- 



AVERTISSEMENT. VU 



çais dans toute sa grâce primitive prête un 

charme infini, méritent l'attention de nos 
lecteurs. En nous révélant 1 ame et le ca- 
ractère de Catherine, elles donnent l'idée 
du style familier à une époque dont le lan- 
' gage, comme les mœurs, retrace les pas- 
sions, les vices et les grandeurs. 



CATHERINE 



DE BOURBON 



SŒUR DE HENRI IV 



CHAPITRE I 

Caractère de Jeanne d'Albret et d'Antoine de Bourbon. — Naissance el 
premières années de Catherine. — Son éducation. — Son attachement au 
calvinisme. — Son arrivée à Paris. — Maladie et mort de Jeanne d'Albret. 



Lorsque Charles-Quint traversa la France en 1840 
pour aller soumettre les Flamands révoltés, This- 
toire rapporte qu'il dit « n'avoir vu qu'un homme 
durant son voyage. » C'était Henri d'Albret roi de 
Navarre. 

Ce prince, ainsi jugé par le plus gi^and souverain 
de son siècle, avait épousé l'illustre et chaxvcL^d£&}^ 






CATHERINE DE BOURBON. 



sœur de François I". Sa fille unique Jeamie devint 
duchesse de Vendôme et fut mère du roi Henri IV 
et de la princesse dont nous allons essayer d'esquis- 
ser J^existence. 

La duchesse de Vendôme était Courageuse et spi- 
rituelle comme son père. On L'avait surnommée 
tout enfant la mignonne des rois, parce que Fran- 
çois P"" et Henri d'Albret la chérissaient également, 
tant son humeur était aimable et sa personne ave- 
nante et gracieuse. Devenue reine de Navarre, elle 
montra de véritables talents poUtiques, prépara son 
fils à remplir sa vaillante carrière, et mérita l'éloge 
que d'Aubigné a fait d'elle dans son Histoire uni-- 
perseile : « Royne, n'ayant de femme que le sexe, 
l*âme entière es choses viriles, Tesprit puissant 
aux grands affaires et le cœur invincible es ad- 

verrités* » 

Charles-Quint, dans son testament, avait recom- 
mandé à son fils, Philippe H, d'épouser l'héritière 
d'Albret, « princesse d'une robuste santé^ d'un ad- 
mirable caractère, vertueuse et d'un ccbuv digne 
de sa naissance. » Les intentions du vieil empe- 
reur né s'accomplirent pas, et Jeamie, d'abord alliée 



CHAPITRE I. 3 



au duc de Clèves, coutrairemeiit au vœu de sa fa- 
mille, épousa, après la rupture de ce mariage, An- 
toine de Bourbon, duc de Vendôme K 

Antoine était, selon les auteurs contemporains, 
un prince de belle et rare vertu^ au port imposant, 
aux manières élégantes et majestueuses. Use mon- 
tra toujours brave et vaillant : « cai', de cette race 
des Bourbons, écrivait Brantôme, il n'y en a point 
d'autres. » L'ambassadeur vénitien Tommasio, qui 
l'avait connu, dit qu'il était grand, robuste et bien 
fait; que son courage militaire était hautement 
célébré, quoiqu'il fut plutôt un bon soldat qu'mi 
habile général. Velly, aune époqueplus récente, le 
juge ainsi : «Foncièrement bon, généreux, affable, 
plein de modération, vrai citoyen enfin, s'il n'avait 



!• Antoine de fiourbon, duo de Vendôme, descendait en 
ligne directe et masculine de Robert, comte de Glermont, cin- 
quième fils de saint Louis. Le duché de Vendôme était entré dans 
sa maison par le mariage de Catherine de Vendôme , sœur et lié- 
ritière de Bouchard, dernier comte de Vendôme. Antoine avait 
pour frères : François, comte d*Enghien , qui gagna la bataille de 
CérisoUes ; Charles , cardinal et archevêque de Rouen ; Jean , 
mort à la bataille de Saint-Quenlin , et Louis , prince de Condé , 
qui fut père de Henri de Condé , de François , prince de Conti , 
de Charles « qui Ait cardinal , et de Charles , comte de SQ\«ftQ\i%i 



CATHERINE DE BOURBON. 



suivi gue ses penchants, ou si les intérêts de ses 
favoris s'étaient toujours accordés avec ceux de 
rÉtat. » Les qualités et les défauts essentiels au 
vieux sang français se partageaient son esprit 
agréable, éloquent et léger. Successivement l'idole 
et le fléau des partis qu'il adoptait avec une incon- 
cevable mobiUté, en passant de l'Église à Calvin, 
de Calvin h Luther, de Luther revenant à sa pre- 
mière reUgion, il mérita le surnom de l'eschangeur. 
Enfin sa vie privée reproduisit trop fidèlement le 
désordre de son existence politique et de ses ten- 
dances religieuses. Sa dignité souffrit de son goût 
pour les plaisirs, et l'Estoile n'exagère pas en di- 
sant (( qu'une intrigue d'amour lui faisait aban- 
donner les plus grandes affaires du royaiune. » 

Cinq enfants naquirent du mariage d'Antoine de 
Bourbon avec l'héritière de Navarre. Trois d'entre 
eux moururent en bas âge ' ; les deux autres furent: 

Ce héros qui régna sur la France 

Et par droit de conquête et par droit de naissance ! 

et Catherine qui vint au monde à Paris le 7 février* 

N 

1 . Le duc de Deaumont , le comte de Maries et une priucessto 
appelée Magdelaine. 



^r::APiTRE i. 



15S9 ^ Elle fut baptisée au Louvre avec une grande 
solennité : Catherine de Médicis lui servit de mar- 
raine et le roi de Navarre promit à Henri II d'en 
faire plus tard l'épouse de François, duc d'Alençon, 
troisième frère du Dauphin. 

Jeanne d'Albret était venue en France pour assister 
aux noces du Dauphin avec Maiîe-Stuart, et de- 
mander à Henri II son appui pour obtenir de l'Es- 
pagne la restitution de la Haute-Navarre ^, que 
Ferdinand le Catholique avait envahie en 1512. La 
paix signée à Cateau-Cambrésis, entre l'Angleterre, 
l'Ecosse et la France d'une part, entre la France et 

1. La reine Jeanne d'Albret occupait alors, rue des Francs- 
Bourgeois, n** 7, l'aiie de la maison située entre la deuxième cour 
el le jardin. Au premier étage, au-dessus de l'entresol, il y a en- 
core un salon du temps de la reine Jeanne, décoré de peintures 
et de panneaux en laque et de glaces auxquels on n'a point touché *, 
[Bibliothèque de VÉcole des Chartes y 3, 4® série, 1856-1857. 
Lettres inédites de Callicrine de Bourbon, princesse de Navarre, 
recueillies par Ernest de Fréville.) 

2. C'était une partie considérable du royaume qui s'étendait 
au delà des Pyrénées, du côté de l'Espagne. Pampelune en était 
la principale ville. Le royaume de Navarre avait été fondé au hui- 
tième siècle, par Inigo-Arista, sur les débris de l'empire de LouU 
le Débonnaire. 

/ 

* I.c salon a éUS vendu en l SCi. 



) 



(\ CATHERINE DE BOOTBON. 

TEspagne de l'autre, détruisit Tespoir de la reine 
et contribua en même temps à la faire incliner vers 
la cause de la religion cal\iniste, autrefois encou- 
ragée en Béam par sa mère Marguerite de Valois. 

La chétive apparence de Catherine contrastait 
tristement avec les brillants projets dont la cour de 
France entourait son berceau. Elle était faible, déli- 
cate et un peu boiteuse ; sa santé chancelante inspi- 
rait de continuelles alarmes. Mais la petite princesse 
avait déjà des flatteurs : ils décidèrent que son in- 
firmité était une respectable traditioi^ de famille, 
rappelant que son bisaïeul, le sire Alain d'Albret, 
avait été surnommé Jainbe-Torte, à cause d'un dé- 
faut semblable. 

Le premier événement de l'enfance de Catherine 
fut un malheur dont les suites eurent une grave 
influence sur sa vie entière. Antoine de Bourbon, 
son père, mourut le 17 novembre 1559, d une bles- 
sure àl'épaule qu'il avait reçue en visitant la tranchée 
au siège de Rouen. Jeanne d'Albret n'hésita plus à 
se décider ouvertement pour la religion calviniste, 
vers laquelle son âme inclinait depuis longtemps. 
Elle y était disposée par une austérité naturelle, un 



CHAPITRE I. 



goût particulier pour les études abstraites, plus en* 
core par la nécessité d'échapper à la domination es- 
pagnole et aux intrigues de Catherine de Médicis. En 
i563, elle embrassa le calvinisme avec ses enfants 
dans une cérémonie publique et reçut la cène selon 
le rit de Genève, A cet acte succédèrent des mesures 
intolérantes et cruelles. L'assistance à la sainte 
messe et aux processions fut interdite aux Béarnais 
catholiques sous peine de mort; les biens ecclé- 
siastiques furent confisqués, les autels démolis, 
les images pieuses et les statues des saints lacérées 
et détruites. Dès lors, les révoltes, les conspirations, 
tous les désordres de la guerre civile affligèrent la 
Navarre, où la liberté, la vie même de Jeanne et de 
ses enfants furent presque constamment menacées. 
Une conduite courageuse mais inhabile, un zèle trop 
intolérant, la privaient de Tappui de ses protecteurs 
naturels et motivaient jusqu'à un certain point 
l'inimitié des Guises et la froideur du cardinal 
de Bourbon. 

S'il n'entre pas dans notre sujet de raconter 
ces troubles, nous devons rappeler ici un complot 
dont la princesse Catherine fut bien près d'être 



8 CATHERINE DE BOURBON. 

une des victimes, puisque l'objet de la conspira- 
tion ourdie par les Guises et TEspagne était de 
s'emparer de Jeanne d'Albret et de ses enfants, de 
conduire la reine en Espagne et de la livrer à Tin- 
quisition. Henri et Catherine devaient être enfermés 
séparément dans des forteresses, la Navarre eût été 
envahie par les troupes castillannes, et le Béarn 
offert à Charles IX pour être annexé à la France. 
Les moyens d'exécuter ce plan se préparaient 
activement lorsqu'un hasard providentiel en ré- 
véla le danger, et fit de la jeune reine d'Espagne 
la protectrice de la reine de Navarre. 

Étrangère à la, politique de Philippe II, Elisabeth 
de Valois, reine d'Espagne, vivait paisiblement dans 
le palais de Madrid, partageant son cœur modeste 
entre l'amour maternel et l'exercice d'une charité 
tout évangéUque. Secondée dans ses soins bien- 
faisants par l'abbé de Saint-Étienne son aumônier, 
elle employait encore ses moindres serviteurs à dé- 
couvrir les pauvres dont la misère cachée réclamait 
des secours et des consolations. -De ce nombre était 
un Béarnais, huissier de sa chambre, appelé Anis 
Vespîer, qui avait conservé un profond attachement 



CHAPITRE 1 



pour la maison d'Albret. Un soir, une femme vient 
le trouver, et lui apprend qu'un Béarnais malade, 
anivé depuis quelques jours à Madrid, languit sans 
secours dans le pauvre logement qu'elle lui a loué. 
Vespier parvient aussitôt près de son compatriote, 
lui prodigue les bienfaits de sa royale maltresse, le 
fait transporter dans son propre logis, et gagne 
sa confiance entière. C'est ainsi qu'il découvrit dans 
le pauvre voyageur, l'un des agents du complot qui 
menaçait la reine de Navarre. Le malade, à la fois 
reconnaissant et présomptueux, parla du duc de 
Guise et du duc d'Albe, se vanta des entrevues qu'il 
avait eues avec ces augustes personnages, et ajouta 
que les mesures étaient prises pour qu'avant deux 
mois la reine de Navarre et ses enfants fussent en- 
levés et mis entre les mains de l'inquisition. Pour 
donner plus d'autorité à ses paroles, il montra les 
papiers dont il était porteur. Vespier écouta l'aveu 
en contenant son indignation, et se hâta de le trans- 
mettre à l'aumônier de la jeune Reine. Amené en 
présence d'Elisabeth, « il lui récita par le menu, 
raconte Villeroy, toutes les particularités de ce 
fait si exécrable : elle l'ouït, en eut horreur, et 



10 CATHERINE DE BOURBON. 

dit la larme à Toeil : A Dieu ne plaise, mon maître, 
que telle méchanceté advienne : sur ce, elle résolut 
d'en écrire au roi [son frère et à la Reine sa mère 
pour y remédier. » 

La reine d'Espagne avertit effectivement M. de 
Saint^Sulpice, ambassadeur de France en Espagne, 
qui envoya un secrétaire à Paris, avec des lettres 
pour la reine-mère. Il eut soin, en même temps, 
de prévenir secrètement la reine de Navarre du 
danger qui la menaçait, l'engageant à quitter le 
Béarn et à se réfugier à Nérac, où elle serait sous 
la protection du roi de France. Jeanne reçut la nou- 
velle de son péril avec sa fermeté accoutumée. Au 
lieu de suivre le conseil de l'ambassadeur français, 
elle prit des mesures défensives, visita les forteresses 
béarnaises et s'aventura jusque sur les frontières 
du côté de l'Espagne. Elle se retira ensuite sans 
précipitation dans le château-fort de Navarreins, 
avec ses dames et la petite Catherine, et se pré- 
para à soutenir un siège. Une lettre fut expédiée 
en même temps à la cour de France, pour exposer 
la conspiration de Philippe et demander justice. 
Elle ne l'obtint pas, Catherine étant trop prudente 



CHAPITRE I. il 



pour se brouiller avec le fils de Charles-Quint, au 
sujet de la reine de Navarre. Mais le complot dé- 
joué et découvert avorta, et, le danger cessant 
d'exister, Jeanne reprit une vie plus calme hors des 
sombres murs de Navarreins. 

L'éducation de Catherine devint bientôt l'objet de 
la sollicitude de sa mère. La gouvernante de la 
jeune princesse fut choisie parmi les plus doctes 
femmes de sa cour. Marguerite de Selve, baronne 
de Tignonville était, selon les Mémoires de Turenne, 
<c une femme austère qui ne souffrait ni endurait rien 
de mal, et qui entourait sa maîtresse de continuels 
égards. » Cette digne matrone fut secondée dans sa 
mission par mademoiselle du Perray, par mebaames 
de Fontrailles et de Vaux, toutes femmeSy dit la 
reine de Navarre dans son testament, « dont la 
vie entière est un exemple. » Catherine eut en 
même temps pour compagnes d'études et de ré- 
créations Jeanne du Monceau-ïignonville , mariée 
ensuite au baron de Pangeas, Corisande d'Audoins, 
depuis comtesse de Guiche, et Louise de Châtil- 
lon, qui épousa Téligny, et, restée veuve après 
la Saint-Barthélémy, se remaria au prince d'Orange. 



V2 CATHERINE DE BOURBON. 

Jeanne d'Albret avait composé le plan d'éduca- 
tion suivi par madame de TignonviUe, d'après les 
traditions de sa famille maternelle et les idées de 
l'époque. Le siècle de Catherine de Médicis, de 
Marguerite de Parme et d'Elisabeth d'Angleterre, 
imposait aux princesses de grands développements 
d'intelligence. Presque toutes étaient appelées à 
exercer ime certaine influence sur la politique eu- 
ropéenne, et l'on croyait en cultivant leur esprit 
fortifier leur caractère, en multipUer les séductions, 
et les préparer ainsi à remplir avec plus d'éclat une 
haute destinée. 

Florent Chrestien^ et Palma-Cayet^ furent choisis 
pour enseigner le grec, le latin et l'hébreu à la jeune 
princesse de Navarre. Charles Macrin', fils de ce 
Salmonée de Macrin, surnommé par l'orgueilleuse 
littérature du seizième siècle, l'Horace français, lui 



1. Né à Orléans en 1641. Il fut précepteur de Henri IV, et 
Tutt des auteurs de la célèbre Satire Ménippée, Mort en 1596. 

2. Né h Montrichard en 1535. Élève de Ramus et ami de 
Théodore de Bèze. Ministre calviniste, il se convertit au catholi- 
cisme après Henri IV et mourut en IC05, laissant plusieurs ou- 
Yrages historiques. 

3. Mort au massacre do la Saint- Barthélémy. 



CHAPITRE I. i,\ 



donna des leçons d'histoire et de poésie, et les mi- 
nistres Merlin de Vaux et Espina Tinstruisirent dans 
la religion que lui avait imposée sa mère. Le cé- 
lèbre Théodore de Bèze * planait sur cette savante 
éducation et daignait quelquefois corriger les essais 
poétiques de la jeime Me, qui lui exprima sa re- 
connaissance en lui adressant des traductions fran- 
çaises, des psaumes où Ton remarquait, dit-on,' de 
la douceur et de l'harmonie. 

Des talents agréables furent joints à ces études 
sérieuses. Les mémoires contemporains assurent 
que Catherine jouait très-bien du luth, chantait en- 
core mieux, et brillait par sa grâce modeste dans 
les ballets où l'on dansait les pavannes d'Espagne, 
les pazzamenos d'Italie, les voltes et les courantes. 
Elle n'ignorait pas non plus les danses béarnaises 
et maniait l'aiguiUe et le fuseali avec autant de dex- 
térité que son aïeule et sa mère. 

La première jeunesse de la studieuse enfant s'é- 
coula au milieu des dangers et des intrigues de 

1. Né à Vézelay en 1519 , mort à Genève en ICI 5. Il professa 
la théologie jusqu'en 1600, et décida plusieurs questions de con- 
troverse. Il avait embrassé le calvinisme à Genève en 1548. 



U CATHERINE DE BOURBON. 



Tune des plus orageuses périodes de notre histoire. 
Elle habita avec sa mère les châteaux de Biron, de 
Vendôme, de Nérac et de Pau, et quelquefois les 
forteresses du Béarn, lorsque la guerre devenait 
menaçante et la situation de la reine de Navarre plus 
dangereuse. La lutte commencée contre les catho- 
liques se poursuivait avec' ardeur. U y avait ému- 
lation de cruauté entre les deux partis ; mais on peut 
croire que la reine fut évidemment dépassée dans ses 
intentions, et que des haines particulières s'unirent 
à l'intimidation générale qu'elle voulait établir. 
Sans cette supposition, son nom serait mêlé à de trop 
sanglants souvenirs. Les calvinistes étaient dans le 
Midi les plus forts et les plus ardents. De leur côté, 
les catholiques invoquaient l'appui de la cour de 
France, pour venger la spoliation de leurs égUses, 
la perte de leurs Ubertés. Si Montluc et Terride se 
montrèrent sanguinaires -au nom des catholiques, 
Montgommery, chargé par Jeanne d'Albret de la 
réduction des rebelles, commit en Béarn des excès 
non moins barbares et se livra à des violences 
d'autant plus condamnables, qu'elles frappaient 
les êtres les moins agressifs et ne respectaient 



CHAPITRE I. 15 



même pas les tombeaux. Puis arriva ce massacre 
de onze prisomfiiers sur parole, sans défense et sans 
armes ; cette effroyable scène du château de Pau, 
dont le temps ne saurait effacer le cruel souvenir, 
et que Favyn regardait comme l'une des causes de 
la Saint-Barthélémy, a C'était, raconte Favyn, le 
vingt-quatrième jour d'août, fête de saint Barthé- 

lemy Ces nouvelles faschèrent le roy Charles 

qui, dès lors, résolut en son esprit de faire xme 
seconde Saint - Barthélémy , en expiation de la 
première. » Sans ajouter foi à une assertion qui 
donne à un grand crime une apparence de repré- 
saille, sans supposer non plus que le forfait de 
la saint Barthélémy, fut médité pendant une an- 
née entière, on peut croire que Charles IX, dans un 
accès de trop juste indignation, promit de venger 
les victimes. 

Pendant cette funeste guerre Jeanne d'Albret, 
était devenue l'inspiratrice des actes politiques, et 
on pourrait presque dire miUtaires du parti hu- 
guenot. CoUgny, La Rochefoucauld S Rohan^ et 

1 . Franco!» de la Roche roucauld, beau-frère du prince de Condé. 
3. Le yieomte de Rohan, cousin de Jeanne d'Albret» 



10 CATHERINE DE BOURBON. 

La Noue * agissaient d'après ses conseils et recon- 
naissaient en elle un génie, une audace, une persé- 
vérance capables d'assurer le triomphe de leur cause. 
Jeanne, au milieu de ces vieux guerriers, dominant 
les grandes scènes de Jarnac et de Moncontour, 
devenue l'héroïne de la réforme, l'alUée d'Elisa- 
beth et la rivale de Catherine de Médicis, brillait 
aux yeux éblouis de sa fille d'un éclat presque sur- 
naturel. Pour Catherine, la religion réformée se 
personnifiait dans sa mère. Où la politique et l'am- 
bition agissaient autant que la foi, elle ne voyait 
qu'une mission divine : sa jeune âme exaltée par 
la passion fiUale, adoptait avec enthousiasme les 
nouvelles doctrines, et la réforme religieuse, pré- 
texte pour tant d'autres à des idées d'indépendance 
et d'ambition, était 'pour elle une conviction sans al- 
Uage impur et toute de conscience . Imbue deslecture 
de Calvin, des préceptes de ses disciples, l'enfar 
croyant appartenir à la primitive Église, considén 
les champions de sa cause comme les soldats de la 
et révérait comme des martyrs ceux qui succombai 

1 . La NoUc, surnommé Bras de Fer, né en 1 53 1 , morl en 
au siège de Lamballe, en Bretagne. Il a laissé des Mémoire! 



CHAPITRE I. i7 



eu combattant. De ces impressions si vives résulta 
un attachement profond pour les doctrines reli- 
gieuses qu'elle voyait consacrées par tant d'hé- 
roïsme, de sacrifices et de sang, et une volonté plus 
passionnée que raisonnée de leur demeurer fidèle ! 
Pieuse constance que l'on doit respecter et qui fut 
la cause des cruelles douleurs qui affligèrent ses 
derniers jours. 

En 1S71, la victoire d'Amay-le-Duc assura aux 
réformés une paix honorable. Catherine de Médicis, 
Charles IX et le duc d'Anjou (depuis Henri III) la 
souhaitaient également, et une trêve fut d'abord 
conclue, pendant laquelle Castelneau* et deMesmes^ 
réglèrent avec la reine de Navarre les préliminaires 
de la paix de Saint-Germain. La cour accorda un 
édit aux calvinistes qui le pubUèrent avec solennité, 
et dont Jeanne d'Albret fit la lecture devant une 
assistance nombreuse. Sa fille; alors âgée de onze 
ans, était près d'elle et l'écoutait avec une attention 
qui révélait le vif intérêt qu'elle prenait déjà aux 

1. Né à Mauvissière, en Touraine, en 1518, mort en 1592. 
Homme d'État, bon capitaine et habile négociateur. 

2. Henri de Mesmes, né en 1532, mort en 1596. Conseiller 
d'État et chancelier de Jeanne d'Albret. 



\H CATHERINE DE BOURBON. 

succès de sa cause. Les confédérés obtenaient une 
entière amnistie, la liberté de conscience, le libre 
exercice de leur religion par toute la France, ex* 
cepté à Paris et à la cour, et des avantages qui 
semblaient devoir leur rendre pour longtemps le 
calme et la confiance . 

Mais les passions étaient trop excitées poiu* que 
les hostilités eussent atteint leur terme. Les catho- 
liques murmuraient contre des conditions qui les 
humiliaient, et les huguenots ne désarmaient pas. 
Jeanne d'Albret entretenant leur ambition et leur 
défiance , les retenait à la Rochelle , leur lieu de 
réunion. 

La cour éluda ces difficultés par des accommode- 
ments poUtiques favorables aux deux partis. Ta- 
vannes^ le plus violent et le plus irrité des chefs 
catholiques, fut nommé maréchal de France, et 
Charles IX en épousant Elisabeth, seconde fille de 
l'empereur Maximilien^, se rapprocha par un nou- 

1. Gaspard de Saulx, né ù Dijon en 1509, mort en 1573. II 
16 dislingua pendant les guerres de François I«>^, et prit une part 
sanglante au massacre de la Saint-Barihélemy. 

2. Maximilien II, né en 1527, mort en 1576. Élu roi des 
Romains en 1 558, il succéda, en 1 5G4, à son pèrô Ferdinand l". 



CHAPITRE I. 19 



veau lien de la maison d'Autriche et d'Espagne. 
Catherine de Médicis parut en même temps accueil- 
lir favorablement la demande que lui présentait le 
prince Louis de Nassau en faveur des protestants 
des Pays-Bas, opprimés par Philippe II. Enfin, 
Bfa*on * fut envoyé en Béam pour négocier le 
mariage du prince de Navarre avec Marguerite de 
Valois. 

Quatorze années auparavant cette imion avait été 
projetée par Henri II, ainsi que le dit Favyn, dans 
son vieux langage : 

Antoine de Bourbon avait amené à Amiens son 
fite âgé de cinq ans. « Le roi charmé de sa jolie 
physionomie, lui demanda s'il voulait estre son 
fils. Mais le petit prince lui répondit aussytôt en 
son langage béarnais, se tournant vers son père ; 
Quet es lo seigne pay. Cestuy-ci est monsieur 
mon père. » Le roi, prenant plaisir à ce jargon, 
liiy demanda : « Puisque ne voulez estre mon 



1. Armand de Gontaud, baron de Diron, maréchal de France, 
né en 1524 , mort au siège d'Épernay en 1592. U reconnut 
Henri IV après la mort de Henri 111 , et combattit avec lui à Arques 
«t à Ivry. 



20 CATHERINE DE BOUHBON. 

fils, voiilez-vous estre mon gendre ? » Il respondit 
promptement et sans songer : bé (ouy bien). 
Et dès lors le roy très-chrétien, et les roy et 
reyne de Navarre accordèrent' le mariage de 
leur fils avec madame Marguerite de France. » 

La négociation de Biron fut peu favorisée par 
Jeanne d'Albret. Elle songeait à marier Henri avec 
la reine Elisabeth et à le placer ainsi à la tête de la 
politique anti-espagnole. Si ce vœu s'était réalisé, 
un même sceptre aurait gouverné plus tard l'An- 
gleterre, la France et la Navarre. Mais le conseil 
de Jeanne pensa différemment et l'obligea d'accep- 
ter l'offre de Charles IX. 

Avant de se rendre à Blois pour régler les condi- 
tions du mariage de son fils, la reine publia en 
Béam le Code national, connu sous le nom de Stile 
de la Reine Jehanne, qu'elle avait rédigé quel- 
ques années avant, lorsque, réfugiée à Navarreins ' 
pendant la conspiration espagnole, elle rêvait aux 
moyens d'élever entre son peuple et l'Espagne des 
barrières qu'eUe croyait plus infranchissables que 
les Pyrénées. Ces ordonnances étaient trop austères 
pour être accueillies avec satisfaction par les Béar- 



CHAPITRE I. 24 



liais, et plusieurs articles excitèrent de violents 
murmures. Habituée aux révoltes, la reine contint 
cette opposition avec son énergie ordinaire, quoique 
la constance de la lutte commençât évidemment à 
épuiser sinon son courage moral, du moins ses 
forces physiques. L'amour maternel était alors son 
refuge et sa consolation. Catherine, malgré son 
extrême jeunesse, tenait ime grande place dans 
l'existence de sa mère. On la voyait auprès d'elle 
aux assemblées et aux réunions du conseil, où sa 
figure enfantine formait un singulier contraste avec 
le sérieux de son attitude et la dignité de son main- 
tien. Vive, très-passionnée pour les idées reUgieuses 
de Jeanne, déjà grande admiratrice de son frère, 
dont l«s récents exploits avaient enorgueilli son 
coeur, elle avait, comme on disait alors, un 
gentil esprit, c'est-à-dire de l'instruction, de l'en- 
gouement et du naturel. Jeanne d'Albret avait pour 
ehe une indulgence voisine de la faiblesse, et sa 
dernière occupation avant son départ du Béam est 
une révélation touchante de ce doux sentiment. 
Elle traça le plan et fit élever les murs d'un pavil- 
lon destiné à servir de résidence à âa fille» L'ar^ 



22 CATHERINE DE BOURBON. 

chitecture, selou la mode du temps, devait être 
tout orientale, les salles spacieuses et richement 
décorées, et le nom du château était emprunté 
au patois béarnais : Castel-Beziat, ou Château- 
Chéri, d'enfant gâté. Longtemps les ruines en ont 
subsisté dans le parc des Hormelettes à Pau, luttant 
de durée avec les vieux arbres qui les protégeaient 
de leur antique ombrage. 

Il fallut s'arracher à cette douce et austère exis- 
tence. La petite cour béarnaise quitta le château de 
Pau au commencement de l'année 1S72. Jeanne 
et Catherine, accompagnées du comte de Nassau, 
de TéUgny, de Biron, de Rosny et de la Roche- 
foucauld, furent reçues à Tours par la reine mère, 
qui venait au-devant de ses nouvelles alUées avec 
l'éUte des dames de la cour. Catherine connut alors 

« Geste brillante fleur de l'arbre des Valoys, 
En qui mourut le nom de tant de puissants roys, 
Marguerite, pour qui tant de lauriers fleurirent, 
Pour qui tant de bouquets chez les muses se firent; » 

et la première impression de l'enfant semble avoir 
été toute à l'avantage delà future reine de Navarre, 



CHAPITRE h 23 



car le soir môme de l'entrevue elle écrivait à son 
frère le billet suivant, où elle exprimait, avec la 
naïveté de son âge, son admiration et sa joie : 

ce Monsieur, j*ay veu Madame, que j'ay troué 
fort belle et eusse bien désiré que vous Teusié 
veue ; ie luy ay bien parlé pour vous qu'elle vous 
tinst en [sa bonne grâce ce qu'elle m'a promis, et 
m'a fait bien bonne chère, et m'a donné un bau 
petit chien que jeiûe bien. * » 

De son côté Catherine obtlqt des succès à la cour 
des Valois. «Vous ne sauriea croire comme ma fille 
paraît jolie, » écrivait Jeanne d'AlbretàM. de Beau*^ 
voir, gouverneur du prince de Navarre ; elle était 
effectivement charmante à cette époque, grâce à 
son regard limpide, à sa physionomie animée, à sa 
taille mignonne que dessinait à ravir la forme 
austère de sa robe coupée à la mode huguenote. 
Avec ce costuma rigide, elle eût ressemblé à ces 



] . Ce billet est à la luite de la lettre de la reine de Nararre au 
prince de Navarre. M. S. Bibliothèque impériale. Dupuy, 209 , 
210, 211, fol. 39. Miss Freer l'a donné dans le deuxième volume 
de ion remarquable ouvrage : The lift of Jeanne d*Àiértt , queen 
^Hawrre. London^ 185S. 



'24 CATHERINE DE BOURBON. 

figures mélancoliques retracées alors par le pin- 
ceau d'Holbein, si une expression souriante et fine 
n'eût révélé dans la petite puritaine la fille du joyeux 
Antoine et l'aimable sœur du vaillant Henri. 

L'accueil de Charles IX à la reine de Navarre ne fut 
pas moins empressé que n'avait été celui de sa mère. 
Les huguenots, témoins de ces démonstrations ten- 
dres et respectueuses, pressèrent Jeanne d'Albret de 
céder à presque toutes les exigences de Charles, per- 
suadés que le mariage de Catherine et d'Henri serait 
pour eux un triomphe sur la cause catholique. La 
reine, le comte de Nassau et M. de Rosny (père du 
futur ministre d'Henri IV), doutaient seuls du succès. 
Jeanne se sentait dominée. Son caractère ouvert et 
confiant ne savait rien opposer au génie machiavé- 
lique de Catherine de Médicis, et ne le comprenait 
même pas. Aussi ardente et vive que Catherine était 
patiente et observatrice, elle résistait d'abord aux 
concessions que l'on exigeait d'elle avec une vio- 
lence qui la condamnait ensuite à les adopter sans 
restriction. Elle prévoyait la destruction des plans 
de conduite qu'elle avait formés pour son fils, l'ir- 
résistible influence que prendrait sur lui la reine 



CHAPITRE I. 2.) 



/ 



mère, les séductions de son entourage et les charmes 
de Marguerite de Valois. Multipliant alors les a\is, 
elle écrivait lettres sur lettres au jeune prince, à 
son gouverneur, et révélait ses anxiétés, ses regrets 
et son impuissance. Derniers efforts d'un noble cœur 
contre l'insurmontable destinée sous laquelle il 
fallait fléchir. 

Une autre cause d'inquiétude se joignit aux soucis 
que lui donnaient les longues négociations qui pré- 
cédèrent son consentement à ce mariage. Au com- 
mencement d'avril, Catherine fut atteinte d'une 
pleurésie * dont la gravité ne laissa d'abord aucun 
espoir. Pendant une semaine entière la reine ne quitta 
point le chevet de la jeune princesse presque expi- 
rante entre ses bras, et la soigna avec cette énergie 
désespérée du dévouement maternel qui semble 
parfois conjurer les menaces des plus redoutables 
arrêts du sort. Le dixième jour de la maladie, les 
médecins Gaillard et Desnœuds déclarèrent le danger 
passé ; mais les saignées abondantes qu'ils avaient 
pratiquées selon l'usage de ce temps avaient réduit 

1. Lettre de Jeanne (l*Albrel à Charlotte de Bourbon, abbcsse 
^e Jouarre. 



26 CATHERINE DE BOURBON. 



la princesse à un état d'affaiblissement qui exigeait 
un repos de plusieurs mois. La reine fut cependant 
obligée de partir avec elle pour Paris, car le ma- 
riage de Henri s'était conclu durant la maladie de 
sa sœur, et les lettres répétées de Charles IX n'ad- 
mettaient plus d'hésitation. L'entrée de Jeanne dans 
Paris fut silencieuse ; l'influence des Guises sur la 
future capitale de la Ligue se faisait déjà sentir et 
le peuple accueillit avec une curiosité hostile l'alliée 
d'Elisabeth et des protestants d'Allemagne. Selon 
Favyn, la reine alla demeurer à l'hôtel de Condé, 
rue de Grenelle-Saint-Honoré, et, selon d'autres his- 
toriens, chez Jean G uillard, ancien évêque de Char- 
tres. La santé de Jeanne, affaiblie depuis quelques 
années, éprouvée encore par ses récentes inquié- 
tudes pour sa fille, semblait entièrement détruite. 
A l'énergie fébrile qui l'avait soutenue pendant 
son séjom' à Blois, avait succédé une morne lan- 
guem', un découragement insurmontable. Natu- 
rellement disposée à la rêverie, elle paraissait plus 
que jamais étrangère à ce qui se passait autour 
d'elle et restait plongée dans une triste méditation. 
Ce n'était qu'en lui parlant de ses enfants que ses 



CHAPITRE I. 27 



imis la ramenaient à elle-même, et les larmes qui 
)rillaient alors dans ses regards, révélaient les 
îoucis et les angoisses que lui inspirait leur avenir. 
Cependant les apprêts du mariage de Henri dis- 
sipèrent momentanément sa mélancolie. Une der- 
nère lueur de cette brillante énergie qui tant de 
ms l'avait distinguée, éclaira son esprit, lui inspira 
i'éloquentes paroles et de gracieuses réponses, 
^.ccompagnée du maréchal de Montmorency, gou- 
verneur de Paris, elle visita les ateliers des artistes 
et des armuriers en renom, choisit et commanda 
des bijoux, des parures et des joyaux destinés à ses 

.r 

enfants et à la belle Marguerite, ne voulant rien 
épargner pour égaler le luxe déployé par la cour de 
Charles IX. C'est dans le courant de ces visites 
qu'elle passa chez le parfumeur de la reine mère 
les instants dont les libelles répandus plus tard par 
les protestants de Genève ont parlé avec une si vive 
défiance. Des soupçons sinistres se sont élevés 
contre im étranger que l'on croyait dévoué à Ca- 
therine de Médicis, et capable, même à son insu, de 
servir ses intérêts et ses haines avec un zèle impi- 
toyable. Il est cependant avéré que la maladie à 



28 CATHERINE DE BOURBON. 



laquelle succomba Jeanne la consumait avant son 
entrée dans le laboratoire florentin et touchait à sa 
dernière crise. 

Le 4 juin 1572, elle rentrait à l'hôtel de Condé, 
épuisée par la fièvre et la fatigue ; la nuit se passait 
sans sommeil, et le lendemain, de violentes douleurs 
de poitrine accompagnées d'oppression se décla- 
raient. Effrayés par ces symptômes, ses médecins 
ordinaires appelèrent ceux de Charles IX, et ces 
nouveaux conseils n'obtinrent aucun succès. La 
plus vive consternation , se répandit dans le parti 
huguenot ; l'amiral de Coligny , le comte de Nassau 
et le chancelier de Navarre, prévenus à la hâte, 
ne quittèrent pas les appartements voisins de celui 
de la malade dont ils recueillirent les dernières 
volontés. 

Jeanne, se montrant sublime devant la mort 
comme devant les périls qui tant de fois avaient me- 
nacé son existence , n'exprima d'autre regret que 
celui de quitter ses enfants. La destinée de Catherine 
paraît avoir été surtout l'objet de sa plus vive sollici- 
tude. Malade elle-môme, la jeune princesse ignorait 
l'état désespéré de sa mère, et l'on parvint à lui cacher 



CHAPITRE I. '2\f 



quelque temps le malheur qui la frappait. Ce fut 
madame de Tignonville qui reçut les adieux de la 
reine de Navarre à sa fille : <c Dites-lui que sa mère 
mourante lui recommande de se montrer, dans 
son bas âge, ferme et constante au service de 
Dieu ! qu'elle le prie , qu'elle le serve , qu'elle soit 
soumise à son frère, aux femmes vertueuses qui 
vont diriger ses pas au milieu de tant d'écueils ; 
qu'elle se dise sans cesse à elle-même, qu'en écou- 
tant leurs sages avis, c'est moi-même qu'elle écoute. 
Rappelez-lui le passé, nos entretiens, les exemples 
de vertu et de constance dont elle a été témoin. 
Enfin, dites-lui que je la remets en la garde et la 
protection de Dieu qui la gardera et la protégera si 
elle le sert ^ » 

(( J'engage et je supplie mon fils, disait la reine 
de Navarre dans son testament qu'elle fit dresser 
en présence de l'amiral de Coligny et du cardinal 
de Bourbon, à prendre sa sœur Catherine sous 
sa protection, à être son tuteur et son défenseur, 

1. Vauvilliers, Histoire de Jeanne d* A Ibrel, Teslamentde Jeanne 
! d'Albret, Porlef. Fonlanieu, 324, et M. S. franc. 9438, 7, pro- 
er ! Tenu de Mcsmes. Bib. imp. 



\ 



30 CATHERINE DE BOURBON. 

à lui servir après Dieu de père, à ne jamais ad- 
mettre auprès d'elle d'autres fenunes que la ba- 
ronne de Tignonville, que mesdames de Vaux, de 
Fontrailles , et mademoiselle du Perray , toutes de 
sa religion , et dont la vie entière est un exemple. 
Je lui défends d'user jamais de sévérité envers elle; 
je veux au contraire qu'il la traite avec douceur, 
avec bonté ; que surtout il la fasse élever en Béam 
et qu'elle n'en sorte que lorsqu'elle sera en âge 
d'être mariée avec un prince de son rang, de sa 
religion, et dont les mœurs soient telles, que les 
deux époux puissent en un bon et saint mariage 
vivre pareillement et saintement ensemble. » 

Par un autre article, Jeanne d'Albret donnait k 
sa fille tous ses bijoux, tous ceux que le comte de 
Nassau avait engagés à Paris pour le compte du 
prince d'Orange et qu'elle avait retirés pour le prix 
de 13,000 fr. EUe n'exceptait de ses dons que son 
grand collier engagé en Angleterre, et une pierre 
d'une beauté célèbre, appelée le rubis-balais^ qui 
devait rester dans la maison de Navarre . Elle exigeait 
que la princesse jouît pleinement de sa légitime, 
et terminait en suppliant le roi, la reine mère et 



CHAPITRE I. 31 



les princes de protéger ses enfants, de leur per- 
mettre de pratiquer librement leur religion, en de- 
mandant à la princesse Marguerite d'aimer Cathe- 
rine comme sa sœur, en déclarant le cardinal de 
Bourbon et Tamiral de Coligny ses exécuteurs tes- 
tamentaires, et en leur recommandant, au nom du 
sang et de l'amitié, de servir de protecteurs, de 
pères à Henri et à Catherine, gages de ses plus 
chères affections et de ses regrets les plus amers * . 
La reine de Navarre mourut le 9 juin 1572, as- 
sistée par les ministres Mallot, Merlin de Vaux et 
Espina, tandis que l'amiral de Coligny, penché sur 
sa main défaillante, pleurait la vaillante et noble 
amie dont l'exemple et les conseils avaient tant de 
fois éclairé sa conduite et ranimé son courage. Le 
cérémonial usité aux funérailles des personnes 
royales fut observé à l'égard de Jeanne avec autant 
d'exactitude que le permettait l'austère simplicité 
du culte qu'elle avait adopté. La reine, vêtue d'une 

1. Ces détails, extraits de la pièce intitulée : Testament de la 
reine de Navarre, signé Gaudicher et Goguyer, notaires au Chas- 
lelet de Paris, ont été donnés par M"« Vauvilliers , dans son His' 
toire de Jeanne d'Àlbret , et par Miss Freer, dans The Life of 



32 CATHERINE DE BOURBON. 

robe de satiii blanc brodée d'argent et du manteau 
royal de velours violet, fut exposée sur un lit dans 
une chambre tendue de noir; aucun cierge ne brû- 
lait près d'elle ; nulle voix ne faisait entendre les 
sublimes prières que la liturgie catholique consacre 
h la mémoire des trépassés; tout appareil était 
supprimé. Le public fut admis pendant cinq jours 
a venir s'incliner devant l'illustre défunte. Un sen- 
timent de, pitié profonde, qui s'exhala sous l'empire 
des passions haineuses de l'époque en d'affreux 
soupçons, s'éleva dans le cœur de presque tous ceux 
qui purent contempler ce front austère dont les 
pensées à jamais évanouies avaient souvent troublé 
les projets de ses adversaires. Longtemps on resta 
persuadé que Jeanne avait été empoisonnée par un 
des sinistres secrets laissés par les Borgia aux Mé- 
dieis. L'accusation a été souvent reproduite, et l'on 
doit toujours la repousser comme un résultat fu- 
neste des passions crédules de la France au seizième 
siècle. Si l'Estoile, Olhagaray, de Thou et Mézeray 
n'ont pas craint de joindre leur témoignage à ce 
préjugé vulgaire, il faut se rappeler que le premier 
de ces historiens a tiré son article de l'immonde li- 



CHAPITllIi I. 3.J 



belle intitulé le Discours merveilleux^ et que les 
autres ont plutôt obéi à leur esprit de parti qu'à 
une conviction raisonnée ou appuyée sur des faits 
certains. Contre eux s'élèvent avec l'accent de la 
vérité Cayet, dans sa Chronologie novennaire; 
Favyn, dans son Histoire de Navarre^ le médecin 
Gaillard et le chirurgien Desnœuds dans leurs rap- 
ports. Ces derniers, zélés protestants et auteurs de 
plusieurs écrits contre la cour de Charles IX, n'au- 
raient pas manqué de signaler le crime s'ils avaient 
découvert ou supposé la moindre trace de poison. 

La mort de Jeanne d'Albret rendait Catherine de 
Médicis et Charles IX protecteurs de la jeune orphe- 
line qu'elle laissait séparée de son frère. C'est 
maintenant au Louvre, au milieu des sanglants épi- 
sodes delà Saint-Barthélémy, que nous chercherons 
Catherine de Bourbon. 



i 



CHAPITRE II 



Mariage du roi de Navarre, — La Saint-Barthélémy ; massacre des serri* 
leurs de Henri et de Catherine. — Situation de Catherine au Louvre. — 
Haine de Catherine de Médicis. — Mort de Charles IX. — Avènement 
de Henri III. •— Projet de mariage entre lui et Catherine de Bourbon. — 
Catherine de Médicis le fait manquer. — Évasion de Henri de Navarre.— 
Départ de Catherine. — Son retour à Nérac et à Pau. — Son caractère. 
— Sa situation à la cour de son frère. — Ses rapports avec Sully, Turenne 
et Mornav. 



Deux mois s'écoulèrent entre la mort de Jeanne 
d'Albret et le mariage du jeune roi de Navarre dont 
Coligny avait pressé l'arrivée h Paris. II y entra 
suivi de cinq cents gentilshommes dont l'attitude 
orgueilleuse et agressive mécontenta le public et 
inquiéta la cour. Le 18 août 1572, la sœur de 
Charles IX épousa, avec mi éloignement visible, un 
roi qui, de son coté, ne ressentait pour elle qu'une 
froideur h la fois méfiante et hautaine, te sachant 
dévouée h Charles IX par la crainte, au duc d'A- 
lençon et au duc de Guise par des intrigues mysté- 



CATHERINE DE BOURBON, CHAPITRE II. 35 

îeuses. Cette union, regardée naguère comme un 
gage de paix, attendue longtemps comme une fête 
populaire, devint ainsi ime occasion de scandales 
que le roi de Navarre augmenta en refusant d'as- 
sister à la messe qui fut célébrée à Notre-Dame 
après la cérémonie. 

Catherine de Médicis, issue d'une de ces races 
élevées au pouvoir souverain par la volonté natio- 
nale, avait appris dès Tenfance à redouter le peuple 
et à estimer hautement sa capricieuse faveur. Elle 
croyait avoir doublement besoin de son appui pour 
se défendre du pouvoir croissant des Guises et de la 
force du parti huguenot. Le mécontentement des 
Parisiens lui inspira des craintes que d'autres mo- 
tifs augmentèrent. 

Coligny avait réveillé dans l'âme de Charles IX^ 
par de fréquents entretiens et par de nobles exem- 
ples, des idées guerrières qui tendaient à le sous- 
traire à la domination de sa mère. Une expédition 
contre le joug espagnol en Flandre se préparait à 
l'instigation de l'amiral , et le jeune du Plessis- 
Momay avait môme été envoyé des Pays-Bas en 
Angleterre pour obtenir l'aUiance de la reine Éiv- 



30 CATHERINE DE BOURBON. 

sabeth. Catherine de Médicis trembla pour son au- 
torité ; aucun moyen de la conserver ne l'arrêta ; 
et voulant, de concert avec les Guises, obtenir par 
la terreur et la force des armes ce que la politique 
et l'adresse ne lui accordaient plus, elle demanda à 
son fils la mort des principaux chefs du parti qu'elle 
ne pouvait contenir davantage. 

Charles céda. Le 23 août 1S72, im concilia- 
bule eut lieu au Louvre entre les Guises, les Va- 
lois et leur mère ; les victimes furent désignées. 
Guise, dit-on, demanda la mort du roi de Na- 
varre, de Catherine de Bourbon et du prince de 
Condé. La Reine et le duc de Nevers * s'opposèrent 
à ce vœu barbare, et il fut décidé qu'on leur lais- 
serait le choix de l'abjuration ou du supphce. 
Les préparatifs s'accomplirent pour la nuit sui- 
vante. 

Une proclamation pubUque invita les huguenots 
à se réunir dans le quartier habité par Coligny. Un 
mouvement popidaire était à craindre, disait-on, et 

1. Louis de Gonzague, né en 154G, mort en 1595. II prit 
parU pour la Ligue pendant les guerres de religion et se rallia 
ensuite à Henri IV. 11 a laissé des Slémoires. 



CHAPITRE II. 37 



le roi demandait qu'on prêtât main-forte à l'amiral 
en cas d'attaque ; en même temps, mi régiment des 
gardes était posté devant sa maison. Dans la soi- 
rée, Marcel, ancien prévôt des marchands, et Jean 
Charron , son successeur, placèrent des corps de 
garde sur toutes les places, firent tendre les chaînes 
qui fermaient les rues des seize quartiers de Paris, 
ordonnèrent que les maisons fussent illuminées à 
im signal convenu, et décidèrent que la marque de 
ralliement serait une croix blanche placée sur la 
poitrine. 

L'intérieur du Louvre semblait tranquille pen- 
dant ces funèbres apprêts. Catherine de Médicis 
tenait son cercle comme dans les temps les plus 
calmes, tandis que Charles IX causait gaiement 
avec les seigneurs huguenots. Un spectateur at- 
tentif aurait pu cependant discerner dans cette réu- 
nion paisible quelques signes d'agitation, de crainte 
et même de remords. La duchesse de Lorraine*, 
soeur ainée du roi, était pâle et tremblante, malgré 

i*. 1. Claude de Fiuince, fille de .Henri U ^l de «QaUieriae dé 

ii Médicis, née à Footuiiiebleau en 1541 , remme de Chades 111, 
doc de Lorraine ; morlç en 1575. 



38 CATHERINE DE BOURBON. 



ses efforts pour se contraindre. La reine de Navarre, 
vaguement informée du complot, avait perdu son 
animation habituelle. Lorsque la réception fut ter- 
minée, elle sembla hésiter à retourner chez elle. La 
reine mère lui en donna Tordre. La duchesse de 
Lorraine, ne pouvant retenir ses larmes, s'élança 
vers sa sœur et la supplia de ne pas obéir. « Pour- 
quoi, dit-elle à la reine, l'envoyer sacrifier comme 
cela? Si les huguenots découvrent quelque chose, 
ils se vengeront sur elle. — S'il plaît à Dieu, ré- 
^ pondit froidement Catherine, elle n'aura point de 
mal. Quoi qu'il en soit, il faut qu'elle y aille, de 
peur de lui faire soupçonner quelque chose. » 

Pendant qu'elle parlait ainsi, Charles IX essayail 
de retenir au Louvre son favori, le jeune La Roche- 
foucauld. Il refusa, et le roi le laissa courir au sup- 
plice sans oser insister, de peur qu'une indiscré- 
tionne compromît l'exécution de ses desseins. Res- 
tés seuls, Catherine et son fils éprouvèrent, dit-on, 
un moment d'indicible terreur. Ils redoutaient une 
résistance désespérée. Charles, faible devant le 
crime comme devant sa mère, était tombé épuisé 
sur un fauteuil; sa poitrine haletait; une sueur 



CHAPITBE II. 3î) 



froide mondait son front. Catherine, au contraire, 
animée par l'inquiétude, interrogeait les moindres 
bruits et comptait les instants avec une agitation 
fébrile. Vers deux heures du matin, des pas préci- 
pités retentirent et un messager parut. Il apportait 
la nouvelle de la mort de Coligny : « Besmes l'avait 
frappé le premier, ses restes mutilés étaient ex- 
posés aux insultes des assassins, et ce crime étant 
consommé, le massacre allait commencer.» Le toc- 
sin de Saint-Germain-l'Auxerrois répondit à cette 
annonce comme l'écho funèbre de la fureur popu- 
laire prête à s'assouvir, maintenant que la ven- 
geance des grands était satisfaite, et en quelques 
ÎDStants Paris devint le théâtre d'un carnage dont 
on connaît les affreux détails. 

Le Louvre eut aussi ses massacres et ses scènes 
sanglantes. Les seigneurs attachés au service du 
roi de Navarre et de la princesse Catherine furent 
tués dans leurs chambres ou dans les corridors. Ainsi 
périrent Beauvoir, précepteur de Henri, Macrin, 
maître de poésie de sa sœur, Saint-Martin, Clermont 
de Piles et Ségur Pardaillan, leurs fidèles amis et ser- 
viteurs. L'appartement de la jeune reine de Navarre 



40 CATHERINE DE BOURBON. 

fut «lYahipar des assassins ; coirverte du sang d'u 
fugitif 'qm^'étart jeté sur son lit, ele s'enfuit, vittuc 
im feoiûme devatft elle, ettomiba sans connaissanc 
^irrle|iancfeer. M. deNançay, capitaine des garde? 
la porta ëvanouie chez la duchesse de Lorraine. 

Le massacre cktra trois jours dans Paris et To 
pDrtalê TionAre desinictimes a quatre mille. Peodai 
ce temps, le roi et sa mère changèrent trois fois I 
résolution : ils frent d^afcord répandre le bruit qt 
les discordesientre lesOuises et les Châtillons avaiei 
été la cause de ces Violences. Puis ils expédièrei 
en secreft des courriers pour conmiander aux got 
vemeurs des provinces d'exterminer les protestanat 
îlrifin le Toi tint en grande pompe un lit de justîci 
où accusant Coligny et ses partisans d'une consp 
ration, il déclara que rien ne s'était fart que par si 
ordres. 

Où était iCatherine de BouriDon durant ces vi( 
lences'? Bans quel réduit du LouTre écoutait-elle i 
frémissant le bruit du tocsin, les hurlements d 
Hssassins et les cris des victimes? TSIacrln était-il lo 
de son appartement quand îl périt assassiné ? Qm 
furent ses sentiments et sesfrayeursî'Gomment cei 



CHAPITRE II. 41 



enfa&t dânle, affaiblie par une maladie récente, à 
peine r^tiise d&ehagrin causé par la perte d'une 
m^ ekérie, sii|^orta-4-eUe cette cruelle émotion ? 
C'est ce que nous ne poutons dire exactement^ (ki 
Yoit seubement dans les mémoires contemporains, 
que aoQ frère abjura pour elk durant la nuit terrible 
où Ghaâes IX exigea de Condé et de Henri leur sou< 
iB^sieMiàlafoieathdiqueMlest certain aussi qu'elle 
reçut da cardmal de Bourbon l'absolution exigée, 
et signa la lettre adressée au saint-père^ par son 
frère et son cousin. Ces faits établis, on peut seule* 

t. dliftj m nomme pas Catherfne dans I« récit qu'fî donne âe 
eetit acinM et qu'il lemble plaeer dani» la nuit même de U Saint- 
Barthélémy. « Deux heures avant le jour, dit-il, ils furent resTeillés 
hij et le prhiee de Condé, par grand nombre d'archers de ht garde, 
fai entrèveiit effroaUment dan» leurs ebanitH*es, et leur firent com- 
mandement de par le roy de s'habiller et le venir trouver sans 
«péet; ee qafh furent eoniraints de faire , et, en sortant de leurs 
chidBbreik^ Tirent peteer de leurs gentilshommes de plusieurs coupe 
de halebardes. Ayant esté présentez au roy Charles , il les receut 
STec on vidage faroudu) et des yeux ardents de courroux » et après 
plusieurs blasphèmes , injures et reproches de luy avoir fait le 
guerre» il leur commanda de quitter leur belle religion qu'ils 
SToieni prise pour servir de prétexte à leur rébellion, etc, » Éca^ 
aomies roifaleê eu Ifém. de Stillg, t. l^ p. 242. 

t. Grégoire XIII, Hugo Buoncompagno , né en 1502^ Célèbre 
ptr le réformation du calendrier Julien. 11 a donné son nom à 
eelai qui est adopté aujourd'hui dans presque toute l'Europe. U 



4-2 CATHERINE DE BOURBON. 

ment interroger l'âme indignée de la jeune fille, 
meiu'trie dans ses sentiments les plus respectés, et 
d'autant plus révoltée intérieurement qu'elle était 
condamnée aune soumission apparente. 

En quelques mois elle avait passé de la plus douce 
vie à une solitude tourmentée par de cruels souve- 
nirs. Après sa mère, elle avait encore à pleurer ses 
amis, ses maîtres et ses fidèles serviteurs. Madame 
de Téligny, veuve et orpheline, avait gagné la 
Suisse; Jacqueline de Montbel', la jeune et roma- 
nesque femme de l'amiral de Coligny, s'était 
également dérobée au supplice et à l'abjuration 
par un exil qui devait être étemel. Catherine re- 
grettait dans ces nobles dames des amies tendres 
et dévouées, dont les soins auraient adouci ses 
chagrins et consolé son isolement. Elle sembla 
se flétrir sous tant d'épreuves; elle perdit l'en- 

publia le décret de Gratlen, fonda le collège des langues orien- 
tales à Rome , et mourut en 1585. 

1. Jacqueline de Montbel, comtesse d'Entremont; elle avait 
Toulu, disait-elle, en épousant le vieil amiral de Coligny, devenir 
la Marciad*un nouveau Caton.EUe vécut dans l'exil depuis la mort 
de Coligny, et finit par être accusée de sorcellerie par la justice 
de Savoie. Son innocence venait d'être reconnue , quand elle 
mourut prisonnière, en 1594. 



CHAPITRE H. 43 



jouement, la confiance de son âge ; une tristesse 
profonde, une de ces résignations muettes, plus 
effirayantes chez les enfants que les accès d'un 
bruyant désespoir, sembla s'emparer d'elle. Henri 
de Navarre ne la voyait qu'à de rares intervalles et 
en présence de témoins ; le cardinal de Bourbon, 
son seul protecteur depuis la mort de Coligny, 
avait l'esprit trop faible et l'âme trop indifférente 
pour songer à la consoler*, et Marguerite de 
Valois, occupée de plaisirs et d'intrigues, n'avait 
aucun attrait pour une enfant que semblait miner 
une insurmontable langueur*. 

Cependant les massacres de la Saint-Barthélémy 
n'avaient amené aucun des résultats attendus par 
leurs auteurs. On ne reste guère uni dans le crime ; 



1 . Voir la lettre de la princesse Catherine à M. de Saint- Génies, 
Arch, desaff. étrangères^ France, n®xix, fol. 43. 

2. II semble pourtant qu'on ait eu la pensée à cette époque de 
réaliser le projet autrefois formé par Henri 11 et Antoine de Bour- 
bon, de marier Catherine au duc d*Alençon. Elle même l'atteste 
dans les termes suivants: u On me proposa estant encore fort 
jeune, François, duc d'Alençon, lors troisième fils de France, ce 
que le roy, mon frère , n'eusl pas agréable y à cause de la haine 
qu'il lui porloit. » Conversation de Madame avco^SuUy. Mém, de 
Sully, t. Il, p. 444. 



44 CATHERINE DE BOURBON. 

et Ton vit bientôt se former iine faction dans la 
cause catholique. Le duc d'Alençon en devint le 
ch^f ; ^n l'appela le paapti des modérés ou poli-* 
Hques. Dès q«e les calvinistes s'a^perçurent qu'ils 
pouvaient compter sur la protection d'im prince 
du parti cathoHçïe, la guerre reprit avec violence. 
Asse^ promptement ils obtkffent des succès dans 
le eeMre et daais le midi de la France, et se 
retranchèrent dans MoBtauban, la Rochelle et San- 
cerrc. Catherine de Mé^jeis, suivant son plan 
de coodtBfe ordinaii^e, engagea le roi à pubHer 
d'une part un édit de sûreté en leur faveiu*, et de 
Faitttre à s'emparer de la Rochelle. Le roi se rendit 
dsa s^jBfe de cette viUe avec le roi de Navarre et le 
prince de Gondé, aittsi forcés de combattre leinrs 
anciens partisans. La lassitude contraignit bientôt 
la cour à faire la paix. La reine [mère en pressa la 
conclusion, toute occupée qu'elle était alors de faire 
pai^eïïirle duc d'Anjou au trône de Pologne*, que 
les négociations de Montluc ^ venaient de lui assurer. 

1. n éfaît Yacaryt alors par la mort de Sigîsmond-Anguste, 
dernier des Jagellons. 

2. Jean de Montluc, évêque de Valence, frère dn célèbre Biaise 



CHAPITRE II. 45 






Mail» la mort prématurée de Charles IX laissa 
la couroime de France à. $011 frère. Ua nouveau 

règne commença en 1 575 entouré d'espérances, et 
promettant une pacification générale. Avec lui aussi, 
Catherine de Bourbon sortit de l'obscurité dans la- 
quelle s'écoulait son existence, et figura dans un 
épisode négligé de l'histoire, malgré la vive et lu- 
mineuse couleur qu'il jette sur le caractère de Ca- 
therine de Médicis. 

Une nouvelle peu attendue, celle du mariage du 
roi avec la sœur de Henri de Navarre, circula dans 
le parti huguenot avec le retour de Henri III. On 
crut à l'affaiblissement du crédit des Guises et de 
l'autorité maternelle de Catherine. D'où venait cette 
idée du roi qu'il exprimait ouvertement à ses oon- 
8#illerSt et qui parvint à sa mère et h sa sceur, la 
duchesse de I^orraine ? On «ait combien de passions 
avaient déjà consumé son cœur, et nul n'ignore ses 
folles amours avec Marie de Clèves, et son roman 
avec Louise de Yaudemont qu'il couronna ensuite. 
On ne peut donc attribuer au prestige d'un souvenir 

de MonUue ; il remplit d'importantes missions diplomatiques , et 
mninit en 1&79' 



4«5 CATHERINE DE BOURBON. 

le vœu qu'il manifestait d'épouser Catherine de 
Navarre qu'il avait laissée presque enfant à son dé- 
part du Louvre. Croyons plutôt à une pensée con- 
ciliatrice résultant de ses entrevues à Vienne avec 
l'empereur Maximilien, et de conseils reçus de 
Venise et de Turin. Quelle qu'en fût la cause, ce 
projet, s'il fut sincère, honore les intentions du 
dernier Valois, et, s'il eût réussi, aurait amené de 
bons effets. 

Mais une volonté supérieure à la sienne, animée 
d'une force à laquelle on ne résiste guère, celle 
d'une haine superstitieuse, se dressa contre le désir 
du jeune monarque. Catherine de Médicis n'avait 
pas oublié la prédiction menaçante de ce devin des 
jardins de Monceaux qui, lorsqu'elle se croyait une 
mère heureuse et une puissante reine, lui avait fait 
entrevoir l'extinction de sa race et l'appel delà bran- 
che de Bourbon au trône. Si déjà elle avait cédé à la 
politique , en donnant sa fille au roi de Navarre, son 
cœur repoussait l'alliance de son fils avec la sœur de 
Henri, et croyait même reconnaître dans la volonté 
de Henri III un signe non équivoque de la vérité 
de la prédiction. Écoutons Palma-Cayet raconter 



CHAPITRE II. 47 



comment elle fit manquer le mariage de Catherine. 

« Aussi dès auparavant le roi Henri III, revenant 
de Pologne, la désira. Et tient-on que si elle eût été 
au voyage de Lyon à son retour, et que le roy l'eust 
veue, infailliblement il Teust espousée; mais la 
royne-mère, Catherine de Médicis, la lui figura 
naine et contrefaite, ce qui estoit très-faux, car elle 
estoit de stature médiocre et de belle taille ; bien 
est vray qu'elle avoit une jambe un peu courte (qui 
est une note de ceux d'Âlbret, comme estait Alain 
sire d'Albret, père du roy don Juan, bisaïeul de la 
princesse Catherine). La dicte royne-mère fist à sa 
filliole ce bon office, voulant désadvancer le roy de 
Navare qu'elle a hay dès lors qu'il estoit petit, par 
une imaghiation qu'elle en conçeut du dire d'un 
devin italien qui fut dans Monceaux, à sçavoir que 
le roy de Navarre devoit succéder à ses enfants * . » 

D'un autre côté, im récit de Catherine s'accorde 
avec celui de Cayet : 

<« Depuis le roy Henry III, lorsqu'il revint de Po- 

1. Chronologie teptennairCf p. 37t liv. I^^i". Nouv, Collect, des 
Mém, pour servir à V histoire de France, par MM. Michaud et Pou- 
joulat. Paris, 1888. 



48 CATHERINE DE BOURBON. 

loglie, ttie fust aussi proposé ; à quoy la reyne mère 
Cathcfrine s'opposa,taiit elle hayoit notre maison, à 
causl€f que Ton luy avoit dît que le roy, mon frère, 
ftriccéderoit à ses enfans^ » 

Lé témoignage de la princesse prouve de plus 
que Tidéè de Heiiri III fut exprimée assez haute- 
flâeût pour que le mariage lui eût été proposé. Il est 
Jkws de doute qu'elle l'aurait accepté, et que le roi 
éû s'àssuràiit aiusi dès son avènement au trône l'al- 
liance du roi de Navarre, aurait apaisé les discordes 
civile» et combattu l'influence de la maison de Guise. 

Henri épousa peu après, selon le conseil de sa 
mère et de sia gceur (la duchesse de Lorraine), Ma- 
demoiselle de Vdudemont, nièce des Guise, quoique 
leur pouvoir lui parût déjà redoutable; et pour la 
seconde fois depuis la mort de Henri II, une prin- 
cesse alliée à la maison de Lorraine porta la cou- 
l*oniie *. Il est peu d'occasions où la passion supersti- 

1. Écon, royales, t. II, p. 445. 

2i N La reyne, sa mère, et la duehesse de Lorraine, sa sœur, le 
descouragèrent de la recherche quMl désiroil faire de Madame 
Catherine de Navarre, ainsy que nous Tavons dit cy-dessus, et 
Tasseurèrent qu*il ne trouveroit jamais femme plus de son humeur 
que Mademoiselle Louise de Vaudemont. » Cayet, Chronologie 
sûpiennairey liv. llï, p. 14»3, 



CHAPITRE II. 49 



tieuse de la reine mère se soit caractérisée aussi fata- 
lement pour la France et pour sa famille. Elle renver- 
sait un plan sage et conciliateur, affaiblissait le 
pouvoir en aliénant de lui ses appuis naturels , et 
doublait ainsi la force de ses ennemis. Cette aver- 
sion invétérée de Catherine contre Henri et sa jeune 
sœm*, donne encore la mesure du danger qui les 
environnait à la cour, et des intrigues qui allaient 
jusqu'à menacer leur existence. On sait avec quelle 
patiente adresse Henri sut les éviter, comment il 
feignit l'engourdissement et la nullité pour en cU- 
minuer les effets, comment enfin il sembla se noyer 
dans les plaisirs et dans les séductions qui se mul- 
tipliaient à dessein autour de lui. L'attitude de sa 
sœur est moins connue; il semble que Catherine 
de Médicis satisfaite de l'avoir écartée du trône l'ait 
oubliée et négligée. On ne voit point figurer la 
sœur du roi de Navarre dans les fêtes dont la cour 
des Valois fut si prodigue à cette époque. Isolée au 
milieu des intrigues, des galanteries et des conspi- 
rations, il est impossible de savoir avec certitude 
s'il existait entre le frère et la sœur des communi- 
cations secrètes, si Henri prescrivait à Catherine un 



50 CATHERINE DE BOURBON. 

plan de conduite analogue au sien, s'ils entrete- 
naient quelque espérance de s'éloigner ensemble, 
et si la princesse fut instruite du projet de fuite 
qu'il parvint à réaliser en 1S76. L'extrême affection 
qui les unissait dès lors peut faire croire à cette der- 
nière supposition qui nous conduit à l'époque de 
leur mutuelle délivrance. 

La reine-mère, profitant des loisirs de la trêve de 
Champigny, s'efforçait d'absorber Henri dans les 

plaisirs et d'éteindre en lui sa première énergie. 
Cependant il ne tarda pas à déjouer ses projets. Le 
!•' février 1576, Henri s'échappa de Saint-Germain 
pendant ime partie de chasse, et gagna son gou- 
vernement de Guyenne. Bientôt il sut imposer des 
conditions à ses ennemis , dominer ses rivaux sans 
les éloigner de sa cause et rendre ses forces et son 
nom redoutables. Cet événement ouvrit à Catherine 
de Bourbon les portes du Louvre. Peu de semaines 
après le départ d'Henri, M. de Fervaques fut en- 
voyé pour demander la liberté de la princesse de 
Navarre au nom de son frère ^ On l'accorda au 

^ 1. tt La paix se fit trois ou quatre mois après, et suivistes le roy 
de Navarre, lequel fit lors» estant à Touars, nouvelles protesta- 



CHAPITRE II. 51 



mois de mai 1S76, et Henri III publia en même 
temps mi édit de pacification par lequel le» protes- 
tants reçurent huit places de sûreté et la promesse 
d'une réunion des États-Généraux avant six mois. 
Henri III et sa mère revenaient au système qui avait 
été adopté dans les premières années du règne de 
Charles IX; « ils voulaient, dit l'historien d'Avila, 
que les partis fussent d'égale force , espérant en de- 
venir les arbitres, ou les détruire l'un par l'autre. » 
Le départ de la jeune princesse de Navarre coïn- 
cida avec un événement dont les suites furent d'une 
extrême gravité pour le pouvoir royal. L'un des 
articles du traité qui la rendait à son frère, donnait 
le gouvernement de la Picardie au prince de Condé. 
Les habitants de cette province étaient les plus ar- 
dents catholiques du royaume. Ils refusèrent d'obéir 
à un prince protestant, et le duc de Guise profita 

tioDS de vivre en la religion que Ton lay avoit fait quitter par 
force à la Salnct-Barthelemy, d'où il fit partir Farvaques pour 
aller à la cour redemander Madame sa sœur (avec lequel vous 
ftistes pource qu'il estoit fort de vos amys) ; laquelle, dès la pre- 
mière ou seconde Journée^ au partir de Paris, se déclara de la 
relligion , et vous aussi fustes au presche à Cbâteaudun avec elle , 
et plusieurs autres qui avoient changé au massacre. » {Mém,^de 
Sully, t. I, p. î€l, coll. Pelltot.) 



52 CATHERINE DE BOURBON. 

de leur mécontentement pour fonner la première 

association connue sous le nom de Ligue. 

Catherine en quittant le Louvre était accompagnée 

de MM. de Fervaques et de Sully, de M. d'Espalun- 

gue, que les mémoires appellent son premier maître 

d'hôtel, et de la baronne de Tignonville. Henri de 

Navarre la reçut à Parthenay et la conduisit ensuite 

à la Rochelle *, où elle fut accueillie avec éclat par les 

calvinistes dont elle avait repris à Châteaudun les 

pratiques religieuses. Henri établit sa sœur à Nérac, 

petite ville alors bien fortifiée , située dans un pays 

salubre et fertile , qui se trouvait placée au centre 

de ses opérations militaires. 

Devenu maître de la Guyenne, il voulait conser- 
ver cette conquête et réunir autour de lui les chefs 

protestants que décourageaient la faiblesse du duc 
d'Anjou, chef du parti des modérés. Les hostilités 
suspendues par l'édit du 1 4 mai, reprirent avec ar- 
deur. La guerre civile dévasta de nouveau les pro- 
vinces et devint cruellement meurtrière. Quand la 

1 . « Le roy son frère Vattendolt à Parthenay, et vint trois lieues 
au devant d'elle ; puis s'en allèrent ensemble à la Rochelle , où 
ceux de la ville firent entrée au roy de Navarre, n (Mém, de Sully, 
1. 1, p. 261.) 



CHAPITRE II. 53 



lâ6sit!aide o&figemt If s partis à poser les armes, une 
trêve momentaBée succédsat aux kostUités. Le roi 
de NavaiTe rassemblait sa noWesse à Nérac et k 
Pa», eî sa petite cour, présidée paf ime princesse 
de seize ans, oubliait quelquefois tes dangers e<i 
les infortunes de la guerre pour se livrer à des 
drvertisseraents conformes à l'esprit de l'époque et 
siBrtotrt k la vie rude et frugde du pays. Les Mé* 
moires de Turenne et de SoBy en donnent des dé- 
tails; l'ensemble forme un tableau vif et piqwant 
des nïœurs d'alors et de' la situation de Catherine 
de Bourbon y louvoyant aveé une habileté toute 
féminine entre les amours de son frère , les pré- 
tentions et les galanteries des jeunes seignoTirs 
de son parti, sachant déjà comprendre les inté- 
rêts de Henri avec une rare pénétration , et favo- 
riser ses amis les plus puissants avec une adresse 
ingénieuse, qui prouvait qu'elle n'avait pas vécu 
impunément à la cour de Catherine de Médicis. Les 
secrétaires de Sully lui rappeUent dans ses Mé- 
moires le don que lui fit la princeafse de Navarre* 

1. « De l'honneur et des faveurs qu'elle vous avoît au- 

Irefois faites à Pau, de tous avoir mis de son ballet, et pris la 



54 CATHERINE DE BOURBON. 

d'une bague précieuse, à la suite d'une fête dont il 
avait été le héros, et l'emploi de ses soirées au châ- 
teau de Pau en 1576. 

«... Là, commençastes vous à faire le coiulisan, 
Madame, sœur du roi, prenant la peine elle- 
mesme de vous montrer les pas d'un ballet dont 
elle vouloit que vous fussiez; et de fait, vous le 
dançastes huit jours après devant le roy, ainsy que 
nous l'avons ouy dire au sieur d'Yvetot. » 

Les rédacteurs des Économies royales^ n'ajou- 
tent pas que la princesse ait été satisfaite des pro- 
grès de son élève, auquel ce souvenir plut toujours 
singulièrement, puisqu'il se le fait répéter à deux 
reprises* par ses complaisants secrétaire» âans 

peine de vous en monstrer elle-même les |^as et les figures, et 
encor à Corase, chez M. de Miossens, lorsqu'il y fut couru une 
bague , qu'elle s'estoit offerte de donner» laquelle voyant que c'es- 
toit vous qui l'aviez gaignée , et se doutant bien que vous la luy 
viendriez, sans aucun doute, demander, elle ne vous voulustpas bail- 
ler celle qu'elle avoit préparée pour ce mesme effect, qui estoit de 
médiocre valeur , mais elle s'en estoit fait apporter une autre, qui 
valoit bien deux mil escus , qu'elle vous donna , se souvenant de 
la bien-veillance que la reine sa mère portoit à vostre père , qui 
l'avoit portée plusieurs fois entre ses bras. » [Mém, de Sully , 
t. m, p. 57.) 
1. Mém. de Sully, t. 1, p. 269, édit. Pelitot, et t. lll, p. 57. 



CHAPITRE II. 55 



leiirs volumineux manuscrits. Catherine de son côté 
n'oublia pas ces leçons qui furent interrompues à 
son regret non équivoque, par l'expédition *du roi 
de Navarre contre la ville d'Eause, où le jeime 
Sufly obtint des succès d'un genre différent. 

Turenne paraît avoir été plus (brillant encore à 
la coiu" de Catherine. Agé de dix-neuf ans, son 
existence était déjà riche en événements. Petit-fils 
du connétable de Montmorency, et allié de la 
reine-mère, il avait grandi au milieu des cabales 
et des intrigues de la cour. Initié aux affaires les 
plus secrètes à im âge peu avancé , dévoré de la 
soif du commandement et des grandeurs, il avait 
embrassé le calvinisme après la Saint-Barthélémy, 
bieu plus dans l'espoir d'y trouver l'indépendance 
que par aversion pour les excès criminels de la 
cour. Se croyant maître de la noblesse de sa pro- 
vince, pressentant la ruine du parti modéré et 
voyant les princes huguenots prisonniers ou émi- 
grés, il avait conçu le projet de se placer à la tête 
de leur faction. Une fortune considérable, l'éclat 
d'une origine qui remontait aux anciens comtes 
d'Aquitaine, encourageaient cet audacieux projet. 



56 CATHERINE DE BOURBON. 

que l'arrivée du roi de Navarre en Guyenne ne 
tarda pas à confondre. Il tenta néanmoins d'occuper 
ime place importante dans le parti qu'il avait espéré 
conduire, et devint effectivement l'un des chefs 
calvinistes les phis célèlM^es. 

Au prestige d'une réputation brillanîte et méritée, 
Turenne joignait les sédi^tions d'un esprit distin- 
gué, les goûts élégants et fastueux des princes 
de son temps. Il écrivait bien^ parlait encore mieux 
et avait une conversation agréable et même insr- 
tructive ^. Il était difficile qu'avec de semblable 
avantages, il n'occupât pas la première place à k 
cour de Catherine ^. Quant à la nuance de galan- 

1 . « Je prenois plaisir, quand j'estois hors d'auprès du roy de 
NaTsrrtf, soif en aHant par le pays cm dam ma maisott, demestre 
toujours en a?ant quelque question de théologie, de philosophie, 
de politique , de la guerre , de la Taçon de bien parler ou bien 
cserire , de ht ehilité, ayarrt souTent eu qiTefques personnes qui 
avoient du sçavoir : cela me gardoit des mauvaises occupations 
que prennent les esprits oiseux , et me donnoit une superficie de 
conneiMance de la pinspart de» diseoitrs qB*on tient en la fréqueiN 
tation du vulgaire pour es dire bien à propos quelque chose. » 
{Mém, du duc de Bouillon^ p. 157 , coll. Petitot.) 

2. • Le roi de Navarre, la paix faite, s*en vint en Sainfonge et 
Périgueux , où Je l'allay trouver avec un bon nombre de noblesse, 
plus grand qu'il n'en avoit, où j'en receus tout l'honneur et car- 
rosse que Je pouvoifl désirer et de Madame sa sœur, qui lui avoit 



CHAPITRE II. 57 



torie idéËcale ijm e'établit entre la prineesse et le 
brfikmt geB^i(»nme, nous respectons trop la vé- 
fité peur ne pas le laisser nous la révéler lui- 
mlkne : 

« Madame, sœur du roy de Navarre, commença 

à me faSre bon visage : <;'estoit xme chrestienne 

princesse, qui avoit lors Madame de Tignonville 

pour gouvernante, qui estoit une femme austère, 

méfiante, qui avoit un continuel regard sur sa mais- 

laresse, ^ ne souffiroit ny enduroit rien de mal. 

Madame et moy parlions souvent ensemble, de 

façon qu'eDe ccnnmençaiie prendre de la confiance 

enmoy, qui l'honorois fort, ayant ceste princesse 

de fort fcdles qualités, estant jeune et agréable, 

chantaiît des mieux, jouant fort joliment du luth, 

lEdsant quelques rimes, de sorte que luy rendant 

rhonneur que je lui devois, elle me disoit f amiliè- 

tement ses conceptions et moy les miennes. Je ne 

hiy parlois jamais que dans sa chambre et devant 

tout le monde; de sorte que n'y ayant là personne 

qui me précédast, il setobloit qu'eUe suivis t plustôt 

esté renvoyée du roy après le départ du dit roy son frère. » (Méiiit 
Mu duc deBmièloîii p. 153, coït. Petitot.) 



b8 CATHERINE DE BOURBON. 

la coutume d'entretenir les plus grands, que par 
un choix elle m'entretint. Cela a duré longtemps, 
bien l'espace de quatre ou cinq ans, et finit ainsi 
que vous l'entendrez. Le roy son frère ne désa- 
gréoit pas cela, n'y voyant rien de mal séant, et 
jugeant que ce m'estoit un moyen de me retenir 
davantage à luy que la conversation honneste et 
vertueuse de sa sœur avec moy. » 

L'indiscret d'Aubigné ajoute que Turenne aspi- 
rait à im autre honneur que celui de causer fami- 
lièrement avec la princesse de Navarre. Henri le 
laissa, peut-être à dessein, quelque temps dans le 
doute à cet égard et ce fut l'un des moyens les plus 
sûrs de l'attacher à son parti. On sait que dans la 
suite il épousa successivement Charlotte de la 
Marck et ÉUsabeth de Nassau dont il eut le célèbre 
Turenne. 

Momay avait embrassé la cause du roi de Na- 
varre en même temps que Turenne ; mais ses vingt- 
sept ans, son caractère austère et la régularité de sa 
vie privée le rendaient sinon l'exemple, du moins 
le doyen de la jeune cour de Béarn. Né en 1549, il 
avait été destiné à l'état ecclésiastique ; l'exemple 



CHAPITRE II. «9 



de sa mère, les conseils de plusieurs docteurs cal- 
vinistes Tentraînèrent vers la réforme. Il en adopta 
les principes dans toute leur rigidité primitive ei 
devint bientôt le plus ardent de leurs adeptes. Seul 
peut-être des chefs de la noblesse huguenote, ii 
soutenait sa cause par un motif de conscience plus 
que par le désir de s'affranchir de l'autorité souve- 
raine, et dès cette époque aussi, il avait compris les? 
grandes qualités du roi de Navarre. Ses relations 
avec Catherine eurent un caractère entièrement re- 
ligieux ; il révérait en elle la pieuse et savante élève 
de Théodore de Bèze, et ne songeait guère à sa 
grâce et à son '.enjouement, laissant à Turenne, 
à Sully et à bien d'autres le soin de chercher à lui 
plaire. Au reste Catherine paraît avoir accueilli 
l'austère hommage de Momay avec autant de bien- 
veillance que les galantes assiduités de ses autres 
courtisans. Il composa pour elle ses Méditations 
sur F Évangile \ dont elle accepta gracieusement 
la dédicace , qui est un échantillon plus curieux 
qu'attrayant du style contourné de l'époque et de 
^'imagination mélancolique du jeune puritahi. 



1. Voy. Mim» et corresp* de Momay» 



CHAPITRE m 

Conduite polilique de Henri III. — Proposition de Biron à la princesse 
Catherine. — Voyage de la reine-mère à Nérac. — La reine Marguerite 
•éduit \fi& liugueDots. — Silence de rhit»toire6urCath»:ine à Q«tte époque. 

— Elle reçoit Marguerite de Valois à Pau. — Rigidité de Catherine. — 

— La cour de Navarre établie à Nérac. — Plaisirs et galanteries de 
Marguerite de Valois, -rr La Guerre des Amoureia. •>- Retour deXathe' 
rine en Béarn 4près le départ de Marguerite de Valoià. ^r> Elle est^om* 
mée lieutenante générale du Béarn. — Le roi d'Espagne la demande en 
!uariag«.-— Détails sur cette négociation. — Le duc de Savoie la demande en 
mariage. -^ Amour du prince de Condé pour la.priuce^e.-r-i*tropoaition 
de Henri III. — Demande du duc de Lorraine. — Intention secrète du 
-roi-^ Navarre et de Ifomay^Mur la princesse. — • Mission de Ségur en 
Angleterre. -^ Maladle.de Catherine. — Proposition duprince.de Wur- 
temberg Monlbéliard. 

Les États promis aux protestants par 'Henri III 
au moment du départ de la princesse Catherine 
s'étaient ouverts à Blois a la fin de Tannée 1576. 
Les premières séances furent composées de dépu- 
tés presque tous attachés à la ligue catholique de 
Picardie, qui avait pris sous la protection du duc 
de Guise un rapide et redoutable accroissement. 

Les députés demandèrent que ce ^«ejMut décidé 



CATHERINE DE BOURBON, CHAPITRE III. fil 

unanimement dans rassemblée générale eût force 
de loi, ou bien que pour la plus prompte expédition 
ies affaires, le roi nommât un certain nombre de ju- 
^ auxquels les États en joindraient autant, et que ce 
pli aurait été réglé par ce conseil souverain devhit 
rrévocable ; on réclama aussi la publication du con- 
ite de Trente, la révocation des grâces accordées aux 
ingucfnots et la guerre contre eux. Ces prétentions 
e développèrent successivement, tantôt insinuées, 
Mftôt accompagnées de menaces. Le roi éluda les 
IBcultés qu'elles lui présentaient avec sa politique 
r£aaire. 

Il se déclara chef de la Ligue, déconcerta ainsi 
î duc -de Gmse, «t fit dresser un foraiulaire, d'où 
talent retranchées toutes les ambiguïtés dangereuses 
lourle maintien de son autorité. Il répondit aux insi- 
luations contre les hérétiques en ajoutant « qu'il fal- 
ûi auparavant s'assurer de l'intention des princes 
t des seigneurs absents , que peut-être étaient-ils 
lisposés à rentrer dans le sein de l'Église, et que 
2ur rang méritait bien une sommation * . » 

1. AuqueUl^ Esprit de la Ligue, u Histoire des troubles arrivés 
« France, 



62 CATHERINE DE BOURBON. 

Les États, obligés d'adhérer à ces raisons, choisi- 
rent les députés qui devaient être envoyés au roi 
de Navarre, au prince de Condé et au maréchal 
de Damville^ principaux chefs du parti calviniste. 

Ces députés étaient Pierre de Villars^, arche- 
vêque de Vienne, André de Bourbon, seigneur de 
Rubempré, etMesnager, trésorier général de France. 
La reine mère leur avait adjoint im quatrième per- 
sonnage dont la mission toute spéciale n'était pas 
la moins importante : c'était le baron, depuis ma- 
réchal de Biron, le même qui avait négocié le ma- 
riage du prince de Navarre avec Marguerite de 
Valois. Tandis que les députés de Blois devaient 
chercher à convaincre les princes huguenots, il 
comptait voir secrètement la princesse Catherine de 



1. Henri \^', duc de Montmorency, né en 1544, mort en 1614. 
Il s'était signalé au siège de Melz par Charles -Quint, puis en 
Piémont; fUt nommé maréchal, se trouva à la bataille de Saint- 
Denis, se mit, après la Saint-Barthélémy, à la tête des politiques 
dans son gouvernement du Languedoc , où il vécut en souverain. 
Henri IV le nomma connétable en 1593. 11 eut pour fils l'infor- 
tuné duc de Montmorency, condamné à mort et décapité le 30 
octobre 1 632 , à Toulouse. 

?. Pierre de Villars, archevêque de Vienne, négociateur, écri- 
vain ascétique, né à Lyon en f 5n, mort en 1592. 



ciiAPiTRE m. r.3 



Bouibon, la décider à employer son influence sur 
Henri son frère et sur le prince de Condé (qui pas- 
sait pour être épris d'elle), afin de les ramener au 
parti catholique. Biron devait lui offrir, comme ré- 
compense de son intervention, l'alliance du duc 
d'Anjou qui paraissait appelé à hériter d'une cou- 
ronne à laquelle le mariage de Henri III et de 
Louise de Vaudemont ne donnait pas de successeur. 

La tentative échoua. Catherine transmit fidèle- 
ment à son frère les paroles de Biron, et celui-ci 
dut se contenter d'une réponse négative. 

La guerre recommença dès que l'assemblée de 
Blois eut terminé ses séances. Le duc d'Anjou s'em- 
para de la Charité-sur-Loire, et Montmorency, cé- 
^ dant tardivement aux propositions de la cour, prit 
parti contre les huguenots avec les débris de la fac- 
^*\ tion des modérés. Le désordre des finances de 

ÙÉ 



k 
e. 
r- 
a* 
I- 
a- 



Henri III l'empêcha de profiter des avantages de 
^ cette défection, et il ne put continuer une guerre 
heureusement commencée. Biron et Villeroy furent 
envoyés aux chefs des protestants pour négocier 
avec eux; un nouvel édit de pacification fut signé à 
Poitiers et à Bergerac, et aurait produit de bonsré- 



Ici 
k 



Ot CATHERINE DE BOURBON. 

sultats si Henri III avait inspiré de l'estime et de la 
confiance. Il avait perdu toute considération, au- 
tant par sa faute que par Tinfluence des factions 
sur l'opinion publique. L'acte pacifique sur lequel 
il comptait pour reprendre de l'autorité en rétaWis- 
saAt la tranquillité dans son royaume, demeura sans 
effet et oe servit qu'à révéler sa détresse. 

La reine mère , instruite du mécontentement 
général, et voyant que sa politique devenait suspecte 
aux deux partis, songea à regagner l'alliance du roi 
de Navarre qui restait maître de la Guyenne et ne 
désarmait pas. £Ue partit pour le Midi en 1578, 
donnant pour prétexte à son voyage l'obligiifton on 
eUe était de ramener Marguerite de Valois à l'ép^Hn^ 
dont elle vivait séparée depuis deux ans. Des con'^ 
férences pacifiques s'ouvrirent à Nérac dès qu'elle 
fut arrivée dans cette ville, où eUe avait amené un 
briUant cortège de jeunes femmes, espérant sé^uie^ 
le rod de Navarre et s^on entourage. Le Louvre, avec 
$on éclat, ses vices et ses intrigues, paraissait suivre 
ses pas. L^ roi de Navarre ne demanda pas mieux 
que d'oublier la politique et de ne songer qu'à ses 
plaisirs. Marguerite de Valois, toujours disposée 



CHAPITRE III. • 65 



aux conquêtes, entreprit celle de sa nouvelle cour. 
Elle captiva le vieux chancelier Pibrac et le décida 
à favoriser les huguenots dans le traité qu'il rédi- 
geait. Non moins épris, mais plus heureux, Turenne 
Tentoura d'hommages qu'elle ne repoussa pas. A 
son exemple, \e^ dames de l£i cour se disputèrent 
les succès, et maintes finecdotes inutiles à rappeler 
ici apprennent que la réforme religieuse n'avait ré- 
formé ïii la morale ni les mœurs du temps. 

n semble indiscret de chercher Catjierine de 
Bourbon au milieu de ce monde où les grâces de sa 
personne lui assuraient de nombreux succès, où 
tant d'exemples séducteurs devaient ébranler son 
austérité puritaine. Sa figure cependant reste calme 
et pure parmi ces désordres, et les écrits du temps, 
si prodigues en révélations scandaleuses et si peu 
jaloux de l'honneur des princesses, respectent tous 
la noble fille 4e Jeanne d'Albret. Il y a des époques 
où c*est faire l'éloge des femmes que de n'en pas 
parler; et comme ÉUsabeth d'Autriche à la copr de 
Charles IX,' Catherine demeura sans reproche au 
seiii de la corruption la plus effrénée; aussi voyons- 
nous son frère lui confier dès lors le gouvernement 

4, 



Gt) CATHERINE DE BOURBON. 

de son royaume pendant ses fréquentes absences. 
Le résultat des conférences de Nérac fut favorable 
aux protestants qui obtinrent le droit de bâtir des 
temples, de lever des impôts pour l'entretien de 
leur culte et d'avoir quatorze places de sûreté au 
lieu de neuf. La reine mère, à la suite du traité, 
retourna à Paris et laissa Marguerite de Valois en 
Navarre. La reine suivit son mari et sa belle-sœur 
à Pau, où la mésintelligence tarda peu à se déclarer. . 
La religion en fut le prétexte. La sœur de Henri, 
nous devons en convenir, n'était rien moins que tolé- 
rante et ne permettait en Béarn aucun exercice de 
la religion catholique, quoiqu'im grand nombre des 
habitants de Pau fussent restés fidèles à leur ancienne 
croyance. Marguerite de Valois obtint à grand' peine 
défaire dire le dimanche une messe au château, dans 
une petite pièce qui ne pouvait contenir que sept 
ou huit personnes. On levait le pont-levis tant que 
durait la célébration du saint sacrifice. Le jour de 
la Pentecôte 1 579, plusieurs Béarnais catholiques 
s'introduisirent, à l'aide d'un déguisement, dans la 
petite chapelle où ils priaient paisiblement, quand 
•j:n espion révéla leur présence à Le Pin, secrétaire 



CHAPITRE III. «7 



du roi de Navarre. Sans forme de procès, il fit mal- 
traiter les intrus devant Marguerite et les envoya dans 
les prisons du château. L'indignation du secrétaire 
ne résista cependant pas à l'offre d'une forte somme 
promise par les prisonniers. Ceux-ci ne pouvaient 
cependant recouvrer leur liberté sans un ordre du 
Parlement. La colère de la reine aggrava encore 
cette fâcheuse affaire, et Henri trancha la | dif- 
ficulté en transportant la cour à Nérac où l'on de- 
meura quatre ou cinq ans. Catherine, hors du 
manoir paternel, se montrait beaucoup plus accom- 
modante, et Nérac devint bientôt célèbre par le 
charme et l'élégance de la société qui s'y réunis- 
sait. Marguerite était de ces femmes qui savent 
communiquer à ce qui les entoure quelque chose 
de la poésie de leur imagination et de la délicatesse 

• 

de leurs habitudes. Le vieux château prit sous ses 
ordres ime apparence de fête et de jeimesse. Un 
parterre s'étala devant les fenêtres, et des allées de 
lauriers-roses dessinèrent au loin les bords de la 
rivière qui serpentait au milieu des prairies. Une 
chapelle catholique sortit de ces bocages improvisés; 
la reine y entendait la messe, pendant que sa belle- 



68 CATHERINE DE BOURBON. 

sœur allait au prêche. Aux troubles précédents avait 
succédé une douce harmonie entre les deux croyances 
qui se partageaient cette petite cour comme elles 
pfurtageaient alors l'Europe entière. Le latin, la 
musique et la poésie occupaient les matinées des 
princesses ; den bals et de longues promenades le 
reste de la journée. Rien de plus brillant que le ré- 
cit de ces cavalcades où les jeunes seigneurs de la 
cour se disputaient l'honneur d'accompagner Ca- 
therine et de caracoler autour de la litière de Mar- 
guerite, fit quelle litière 1 C'était celle du voyage de 
Flandre, « faite à piliers doublés de velours incar- 
naditi d'Espagne, en broderie d'or et de soie nuée 
à devises, toute vitrée et ayant à la doublure ou 
aux vitres quarante devises toutes différentes, avec 
des mots en espagnol et en italien sur le soleil et 
ses effets * . » Toutes les demoiselles d'honneur 
suivaient à cheval. M. de Tiu^enne avait le privilège 
exclusif d'entretenir la reine à sa portière, tandis 
« que les vingt-cinq gentilshommes de la maison 
de la Tour-d'Auvergne, vêtus de casaques de ve- 

1. Mém, de Marguerite de Valois, 1. H, p. 124-i25. Liège, 



4 « « • 



CHAPITRE III. 69 



lours orange, avec force passements d'argent et 
les armes dorées par bandes, » l'escortaient à quel- 
c[ue distance. Lorsque ce cortège étincelant d'or, de 
pourpre et de elixwjuant traversait les campagnes de 
l'Agenois et brillait sous l'éclat du soleil méridional, 
le peuple ébloui croyait voir apparaître Urgèle et 
Mellusine dans toute leur pompe fantastique. 

Le temps s'écoulait ainsi, dit Marguerite, daus 
ses charmants Mémoire^ a en fêtes , en conversa- 
tions et en plaisirs honnestes , et ma cour de Nérac 
en 1579, était si l;)elle et si plaisante, que nou.. 
n'enviions pas celle de France, y ayant Madame 
la princesse de Navarre , ma sœur * . » 

Mais les personnages principaux de cette illustre 
réunion conservaient cette fois leurs ambitions po- 
litiques, et ne se laissaient pas absorber par les 
plaisirs comme à l'époque du traité de Nérac. 
Henri veillai^ sur son armée et profitait de la paix 
pour augmenter ses forces et rétablir l'ordre dans 
ses financea, Mw*guerite entretenait une corres- 
pondance avec le duc d'Alençon et employait se- 

1. Mém, de Marguerite de Valois, 1. 1H, p. 187. 



70 CATHERINE DE BOURBON. 



crètement son influence sur les seigneurs calvi- 
nistes pour les engager à le suivre en Flandre. Elle 
songeait également à négocier le mariage de ce 
frère trop aimé avec la reine Elisabeth, et elle par- 
venait à lui assurer l'appui d'un grand nombre de 
huguenots. Turenne était l'heureux confident de ces 
projets : tous deux conspiraient de la meilleure 
amitié du monde , dans une maison isolée , près du 
Mas d'Agenais, où Marguerite se rendait réguUè- 
rement. La cour se taisait discrètement sur ces en- 
trevues , auxquelles on donnait un motif tout étran- 
ger à la poUtique. 

Mais Turenne était trop favorisé pour ne pas avoir 
de jaloux. De mauvais propos circulèrent sans 
toutefois alarmer ni surprendre le roi de Navarre. 
Il n'en fut pas de même de Henri III, qui, instruit 
de l'incorrigible légèreté de sa sœur, écrivit de sa 
main au roi de Navarre et troubla malencontreuse- 
ment la sereine quiétude de la co\ir de Nérac. 

A la lecture de cet avertissement, Henri comprit 
promptement que le roi n'avait point été porté à 
cette confidence par le seul intérêt de l'honneur de 
son beau-frère. Il en fit part à la reine, et le vicomte 



CHAPITRE m. 71 



de Turenne en fut également instruit. Les accusés 
se défendirent, protestèrent de leur innocence et 
rejetèrent la calomnie sur la malice du roi. « Il n'a 
intention, dirent-ils au roi de Navarre, que de 
vous brouiller avec vos amis si vous prêtez l'oreille 
à ses insinuations. Un de vos meilleurs serviteurs 
étant disgracié trouvera moyen de vous faire 
éloigner tous les autres. Qui sait même s'il n'a 
pas avancé cette accusation pour avoir une raison 
spécieuse de ne point vous délivrer Cahors et les 
autres villes promises en dot à sa sœur? » Et les 
deux amoureux concluaient qu'il fallait les prévenir 
et s'en emparer de gré ou de force '. 

Henri céda à ces raisons qui lui offraient une 
brillante occasion d'augmenter son pouvoir et prit 
les armes, vivement approuvé par sa noblesse avide 
de combats et déjà lasse de son oisiveté. Le prétexte 
donné à cette nouvelle guerre était l'inexécution de 
la convention de Nérac; mais le nom de guerre 
des amoureux^ sous lequel l'histoire en consei've le 
souvenir, explique sa véritable cause. «On sera, dit 

I . Esprit de la Ligue. 



72 CATHERINE DE BOURBON. 

Momay en rappelant ces événements, bien ei 

barrasse à l'écrire si on veut lui donner quelq 

dignité. Il faudra assigner pour cause d'un effet 

qui ne l'aura pas été, une cause généreuse au K 

de l'amour d'une femme. » 

Le principal fait d'armes de cette guerre fut 

prise de Cahors par le roi de Navarre. Les comb; 

durèrent cinq jours et Henri fit preuve de la pi 
folle témérité. Catherine ée Bourbon et Marguer 

restèrent k Nérac. La ville fut tenue en neutral 

par ordre du roi de France, à condition que le i 

de NavaiTe n'y entrerait pas tant que les hostilil 

se prolongeraient. Mais Henri ne tint pas cet eng 

gement et vint furtivement voir naademoiseUe 

Montmor^ncy-Fosseuse qu'il aimait alors. Le m 

réchal de fiiron, instruit de ce fait, attaqua Nérac 

et son artillerie brisa même quelques vitres ( 

château. Les princesses subirent très-vaillamme 

1. u La reine de Navarre, Madame sœur du roy et toutes 
dames de leur suite vinrent pour voir l'armée ennemie et l'> 
carmouehe, sur les murailles, tours et portaux de la ville, con 
lesquels le maréchal de Diron lit tirer cinq ou six coups de cane 
puisse retira pour aller prendre logis. » {Mem, de Sully, 1. 1, p. 2£ 
édit. Petitot. Mémoires de Marguerile de ValoiSf 1. 111, p. 19 



CHAPITRE III. 73 



ce simulacre d'assaut qu'elles devinaient ne pas 
être sérieux. Biron, jugeant ensuite son honneur 
satisfait, envoya présenter ses excuses à la reine et 
fit retirer ses troupes. 

U en fut de cette guerre comme de celles qui 
l'avaient précédée ; le succès , à peu d'exception 
près, appartint aux catholiques ; mais la faiblesse 
de Henri III et le défaut d'ordre de ses troupes 
Tempêchèrent d'en profiter. Las de cett(» lutte à la 
fois puérile, mineuse et meurtrièiv, il fit com- 
mencer des négociations qui se terminèi'ent au 
château de Fleix par un traité oii le duc d'Anjou 
fut médiateur entre les deux rois. La promesse 
d'être secondé dans l'expédition qu'il préparait en 
Flandre l'avait décidé à accepter cette mission dont 
le résultat fut encore plus favorable aux protestants 
que le traité de Nérac. 

Le roi de Navarre entra en possession de la dot 
de sa femme ^ et le duc d'Anjou s'assura de l'appui 

i. Cette dot formait une valeur dejlrois cent luilie écus d'or 
soleU^ reçu évalué à 54 sous. La reine-mère avait offert 200,000 
livres tournois; les ducs d'Anjou et d'Alençon, 25,000 livres 
chacun. Les sommes , n'ayant pu être payées comptant , furent 
instituées en achat de rentes au dénier 1 2 sur lu ville de Paris. 

%t 



74 CATHERINE DE BOURBON. 

des principaux chefs calvmistes qui le suivii'eut im 
les Pays-Bas. Tm^enne et La Noue fuyent de c 
nombre. Marguerite de Valois i*etoiu*na au LoUi! 
où des intrigues diverses occupèrent sou e^ 
léger et sou âme incoi^ante. La petite cour c 
Nérac se trouva ainsi dispersée par une auti 
guerre . 

Catherine ne resta point à iNérac après le dépa 
de la Reine de Navarre ; elle retourna à Pau où sapf 
sence devenait nécessaii'e, car, à vingt ans, la petit 
sœur du roi, comme il l'appelait par allusion à i 
délicate apparence, était gouvernante et Keuteiiaa 
générale de Béaiii; elle publiait des ordiçs mil 
taires et devait maintenir les places de guerre i 
état de défense dans le pays conlié à sa siu'vei 
lance. Henri lui témoignait alors une confiance q 
révélait l'estime que lui inspirait la fermeté < 
ses principes et de soii caractère. Sa destiiK 
devenait en même temps uu objet de grand inl 
rét pour la diplomatie européenne. Le mariage ( 
son frère restait istérile, et sa religion ne perme 
tait pas d'espérer qu'il obtînt jamais de Ja cour ( 
Rome le droit de contracter un autre hen. Cath 



CHAPITRE ni. 7.') 

rine était considérée comme ruiiique iiéritière du 
roi de Navarre et plusieui^s princes aspinûent à son 
alliance. 

Philippe II , roi d'Espagne, fut au nombre de 
ces prétendants. Il demanda (vers 1580) la main 
de Catherine avec une insistance qui témoigm3 
tout le prix qu'il attachait h cette alliîuice , et il 
entoura sa demande des offices les plus capables de 
séduire l'ambition de Hemi et d'éblouir l'imagina- 
tioa de sa sœm\ Nulle com'omie cilors n'était corn- 
paraWe à celle de cette Espagne, enrichie par ses 
u'ojiquêtes en Amérique, toute-puissante en lUi- 
ie et glorieuse héritière de l'autorité exercée pai' 
'empereur Chaiies-Uuhit siu' la politique euio- 
)éenne. Philippe promettait à lleuri, en échmjge 
le la main de Catherine, des secours suffisants pour 
bnder une monarchie indépeudante dans le sud de 
a France. La Gascogne, augmentée du Languedoc, 
éunie aux deux Navarres, au comté de Foix, aii 
iéam et au Bigorre, aurait composé ce royaume 
uquel la protection de l'Espagne était à jamais as- 
orée. Pour couronner ces propositions par une 
romesse plus solennelle encore, Phihppe se char- 



76 CATHERINE DE BOURBON. 

geait d'obtenir du pape la rupture du mariage de 
Marguerite et d'Henri; il donnait l'infante Clara- 
Eugenia* pour épouse au jeune monarque et poui 
reine à la Navarre. 

Telles étaient les conditions présentées parle 
envoyés espagnols à Mornay et transmises par k 
à Henri et à Catherine . L'indépendance du sud d 
la France, sa destinée même furent donc un instar 
livrées à la décision d'une jeune fille qui pouvai 
en acceptant la plus haute situation de l'Europ' 
amener l'Espagnol au delà des Pyrénées , ralluma 
une gueiTe sanglante entre Henri III et le roi de N 
varre , et aiTéter les progrès de l'expédition con 
mencée par le duc d'Anjou dans les Pays-Bas. 

Cependant la réponse de Catherine ne se fit p 
attendre. Elle-même, dans un entretien particuli 
tenu plusieurs années après avec Sully, donne a\ 
une admirable simplicité les motifs de son refu 
ce II fut question , dit-elle, de me faire épouser 
roi PhiUppe d'Espagne ; mais la différence de 
ligion et qu'il voulait que le roi mon frère se J 

1. Fille d'Elisabeth de t'Vance, sœur de Oharles IX. 



CHAPITRE III. 77 



gnît à lui pour faire la guerre à la France en em- 
pêchèrent l'effet. » 

Lorsque Mornay transmit aux envoyés espagnols 
la réponse de Catherine et d'Henri, ils s'écrièrent 
avec étonnement <( que le roi et la princesse ne sa- 
vaient ôe qu'ils faisaient de repousser leurs offres ; 
que, du reste, les marchands étaient prêts. » (le 
mot décèle, ajoute Y Esprit de la Ligue^ les ressorts 
cachés qui soutinrent si longtemps la Ligue. 

Cependant Philippe ne renonça pas entièrement 
à son projet. Il comptait sur les embarras dans les- 
quels la Ligue allait plonger le roi de Navarre et 
connaissait son manque de ressources pécuniaires ' . 
Une somme de huit cent mille ducats, qui devait 
lui être livi*ée s'il revenait sur sa décision, fut dé- 



1. « Le roy Philippe d'Espagne aussi, en l'année 1580, l'en- 
voya voir, promeltoit au roy de Navarre de grands advancemenls 
(le sa part, jusque-là qu*il luy conseilloit de se Taire roy de Gas- 
cogne, que pour cest effect il luy ayderoit d'hommes et d'argent , 
mesme il tint par longue espace de temps huict cents mil ducats 
dans Ochagany, village de la Haute-Navarre, au-dessus de Ronce- 
vaux , si ledict seigneur roy de Navarre les eust voulu accepter 
pour faire la guerre à la France. « Chronologie septennaire. Voyez 
T. Cayet [1598]. Voyez aussi les Lettres missives de Henn JV, 
par M. Berger de Xivrey, noies. 



78 CATHERINE DE BOURBON. 

posée au village d'Ochagany, dans la haute Navam, 
au-dessus de Roncevaux. De plus, en 1883, Phi- 
lippe profita des relations d'im certain vicomte 
d'Echaus avec un Espagnol nommé Undiano , pour 
faire proposer à Henri une somme de trois cent 
mille écus par mois s'il voulait attaquer la France. 
Mornay et Saint-Geniez *, sénéchal de Béam, refu- 
sèrent cette nouvelle offre, mais prièrent le roi 
d'Espagne de prêter à leur maître, sans condition 
politique, une somme de cinq cent mille écus pour 
laquelle il aurait engagé tous ses biens. PhiUppene 
prêta rien, chercha pourtant à reprendre cette affaire 
et n'obtint aucun résultat ^. 

En 1582, un nouveau prétendant vint s'offrir à 
la main de Catherine. C'était le jeune duc de Sa- 
voie , Charles-Emmanuel I", fils unique d'Emma- 
nuel-Philibert et de Marguerite de France, fille de 
François V\ Mornay, MM. de Bellegarde^ et de 

1. Armand de Gontaud, seigneur de Saint-Geniez, sénéciial de 
Béam depuis 1584. 

2. Collection des Lettres missives de Henri IV, par M. Berger 
de Xivrey, notes. 

3. Lettre conseryée à Montpellier et dans le Manuscrit des 
Carmes de la l^ibliothèque de Tours, p. 105. — Ibid,, InstmciiM 



CHAPITRE III. 79 



Ctervâût conduisirent cette négociation que la dis- 
sidence de religion fit manquer. Elle paraît avoir 
été fort secrète^ bien qu'un passage de la corres- 
[Kmdance de Busbeck * avec lempereur d'Autriche 
iemble prouver que la diplomatie étrangère en ait 
îu connaissance. Cette négociation fut reprise en 
1883 par un autre envoyé, M, de Ser\ain. Mornay 
nit encore pour condition expresse ^ que Catherine 
îonserverait sa religion; et, selon Palma-Cayet, le 
lue de Savoie l'aurait acceptée ^. Il ajoute que son 

Jf. de Clervant. Voyez Mémoires et correspondance de Dtiplessis^ 
!omay, t. U , p. 154. 

1. Bttsbeok (Augier Ohisien de), historien, anUquâire, né ù 
omines en 1522, mort en 1592. 11 fut ambassadeur de Ferdi- 
and I«r, de Maximilien H et de Rodolphe n, en Turquie et en 
ranee. L^Ëurope lui doit l'importation du liias, qu'il avait rap- 
arté d'Orient. Bvsbeq VII omnia quas extant cum privilégia , ex 
Jicina Elzeviriana, anno 1660. Epistoîn VI , p. 475, xv, Auftusti, 
il. 10, Lxxxn. 

2. Responce à l'Inslruction du sieur de Servain, envoyé vers le 
•y de Navarre de la part de M. le duc de Savoie. Mém. et cor- 
^tjpûndance de DupUsêis- Mornay, t. U , p. 270, 271 et 2*2. 

3. « Cela estant failly, le duc de Savoie, l'an 1583, y envoya 
ir deux fois avec promesse de ne luy empescher nullement sa 
tligion. Sou agent arriva à Vifezensac, en BigorrC) donc estant 
eoRduict , ledict agent passa en Espaigne , et par ceste ocaslon 
Bt procédé au mariage de l'infante Catherine-Michelle a\nec lediet 
le, » (Chronologie septennaire y 1598.) 



80 CATHERINE DE BOURBON. 



représentant resta quelque temps à Vic-Fezenzac, 
en Bigorre, attendant une réponse qui ne fut pas 
favorable, car Charles-Emmanuel demanda et ob- 
tint peu après la main de l'infante Catherine -Mi- 
chelle. Mornay avait alors formé un autre projet 
pour la jeune princesse. Nous verrons bientôt à 
quelles intentions politiques il se rattachait ; et le 
roi de Navarre, dans la tendresse que lui inspirait 
Catherine, hésitait à l'éloigner d'une cour dont elle 
était l'honneur et le charme. Il songeait plutôt à la 
marier à un prince de sa famille * et balançait entre 
Condé, le comte de Soissons, son frère, et le prince 
de Dombes^ leur cousin. Condé, veuf de la bellf 
Marie de Clèves, désirait vivement épouser la sœui 
du roi de Navarre. Il hii offrait un cœur chevale- 
resque, une valeur incomparable et un caractèn 
dont les quaUtés rappelaient les vertus antiques 
Mais Catherine repoussa sa demande , et le vaillan 
Condé, après phisieurs mois d'attente et de vain» 



1. Sully, Économies royales ou Mém, de Sully ^1. \, 

2. Henry, prince souverain de Dombes, daupliin d'Auvergne 
ais de Louis, duc de Monlpensier, et de Marie, héritiers d 
Mézières. 



CHAPITRE III. 81 



espérance forma un lien tristement célèbre avec 
Charlotte de La Trémouille * . 

Henri III songeait aussi au destin de (latherine de 
Bourbon. Le projet de mariage qu'il méditait pour 
elle était un témoignage étrange de ses bizarres fai- 
blesses. Il avait créé duc d'Épernon son favori La 
Valette, et voulant mettre le comble à sa générosité, 
il avait l'idée de le marier à la sœur du roi de Navarre 
pour le placer au même rang que Joyeuse qui venait 
d'épouser la sœur de la reine, Louise de Va'udemont. 
Cette ouverture, repoussée avec indignation par 
Henri et par Mornay, est dévoilée par ce dernier 
dans le discours intitulé : « Si le rov de Navarre 
doit aller en cour ou non, » 26 décembre 1582 ^ et 



1 . On sait qu'elle fut accusée d'aToir fait empoisonner Condé , 
et qu'elle subit une rigoureuse prison après la mort de ce prince. 
Le Parlement la déclara innocente. Elle eut pour fils Henri 11, 
père du grand Condé. 

3. « Craignent que le roy, qui aime sans borne le duc d'Éper- 
Don, ne presse le roy de Navarre de lui céder son gouvernement 
de Guyenne, et qui plus est , de luy bailler Madame la princesse 
M sœur en mariage. Ainsy que ci-devant il a fait ce qu'il a pu 
envers M. de Montmorency pour lui faire céder son gouveme- 
ment de Languedoc au duc de Joyeuse , et n'a fait conscience 
d'escrire h M. de Lorraine pour faire espouser audit duc d'Éper- 
non la princesse de Lorraine, sa nièce, rlioses qui sans double 



82 CATHERINE DE BOURBON. 



par un passage de la correspondance de Busbeck 
avec Tempereur d'Autriche*. 

A la même époque le duc de Lorraine, Charles III, 
veuf de Claude de France , offrit sa couronne à h 
princesse de Navarre. Elle répondit sans trop de 
ménagement « qu'il lui semblait trop vieux, et que 
ses héritiers étaient presque de son âge à elle '. » 
Le duc néanmoins ne se découragea pas ; il avait 
pénétré les intentions de Mornay sur l'avenir de 
Catherine et cherchait à les déjouer. Il lui proposa 
son fils le jeune duc de Bar, marquis de Pontrà- 
Mousson, et il envoya en même temps MM. de la 
Motte, de Mayneville et d'Haussonville* en Écos8€ 

ofTenserofent tellement le cœur du roy de Navarre qu'il regrette- 
roit de jamais y avoir mis le pied... » {Délibération sur eun^ 
voyage du roy de Navarre ^ Corresp,j t. H, p. 1T&, 176.) 

1. Busbeck, Epislola XLIX, p. 567, XXV apritU, elo. 10, 

LXXXV. 

2. Mém. et corresp, de Mornay. 

â. Monsieur de la Motfe-Fénelon va sans doute proposer U 
mariage de Madame la princesse de Lorraine avec le roy d'Ëcosseï 
et à mesme Un vont le sieur de Mayneville , que cognoisvey , et 1( 
(ils du baron d'Haussonville de la part de M. de Lorraine, » (Lettre 
À M. d'Angroigne, dernier janvier 1553.) « Geste alliance, h mei 
advis , sera suspecte à l'Angleterre , et pourtant s'offre rocoaeioi 
de leur ramentevoir les propos qu'aultre Tois je leur ai oqverli 
du mariage de Madame la princesse dont peult sortir aultant d< 



CHAPITRE III. 83 



pour négocier le mariage d'une de ses filles avec 
Jacques, fils de rinfortiinée Marie Stuart. Ce double 
projet manqua : Catherine refusa le duc de Bar 
comme elle avait refusé son père, et Moniay profita 
de la mission des envoyés français et lorrains * 
pour entamer avec le gouvernement anglais des 
ouvertures relatives au mariage qu'il préparait de- 
puis longtemps entre la princesse de Navarre (»t le 
roi d'Ecosse*. 
Cette union satisfaisait les prévoyances politiques 

bien que de l'auUre de mal. Il est certain que ce jeune prince 
ne demeurera longtemps sans se marier, car ce qu'il est tant re- 
cherché l'y faict penser. C'est] une princesse chrétienne, bien 
<^levée, sage, beUe, de grande expectation : sf eHe ettst Toulltt tant 
soit peu rabattre de la relligion , eUe épousoit le duc de SaYoie , 
et encore ne s'en rebute-t-il pas du tout. Ce seroit eung heur 
pour rÉcosae , eung repos pour l'Angleterre , et de quelque part 
qu'on se tourne n'y a rien à craindre , ni soubsçonner de cette 
part pour ce qui concerne l'auctorité de la royne. J'en parle pour 
le bien de la chresUenté , et vous prye , par l'advis de M. de la 
Fontaine, en traiter, etc. n [Mém, et Corresp, de Mornay^ t. Il , 
p. 217, 218.) Voy. aussi les lettres à lord Walsingham. 

1. Voy. la note précédente. 

2. a J'estime que le mariage qu'on poursuit en Ecosse, du roy 
avec la fille de Lorraine, mettra les Anglais en alarme, et les fera 
penser à en conseiller quelque autre qui leur soit moins suspa^^t. 
Nos amis s'en souviendront sur ceste oocasion , et le leur faudra 
ramentevoir. (^ar de Savoie, je pense qu'on ne s'y doibst atten- 
dre, etc. » (Lettre à M. de Clervant.) 



84 CATHERINE DE BOURBON. 

de Mornay pour la cause de Henri, son attachement 
pour la jeune princesse et ses sentiments de zélé 
calviniste. Jacques était appelé à régner sur l'An- 
gleterre : il était allié de près à la reine Elisabeth, 
seule souveraine dont le pouvoir indépendant et 
ferme fût en opposition ouverte avec la maison 
d'Autriche, ennemie acharnée de la réforme. Mor- 
nay, dans sa pieuse ferveur, croyait préserver Ca- 
therine de l'influence catholique en la donnant à 
un prince élevé dans les sévères doctrines du puri- 
tanisme écossais. Enfin ce mariage devait être une 
des premières conditions de la Ligue que méditaient 
Henri et ses conseillers entre la reine d'Angleterre 
et les princes protestants d'Allemagne * . 

Cette Ligue, sorte de contre-partie de celle de 
France, était la réalisation d'une idée antérieure de 
beaucoup à l'époque dont nous parlons. Turenne 
l'avait conçue le premier après le siège d^ La Ro- 



1. Instructions originales, signées Henri et Catherine, don- 
nées aux ambassadeurs qu'ils envoient vers la reine d'Angleterre, 
curieuses pour l'article du commerce. Archives de l'Empire, K, 
401, n® 17. Le n** 26 de la même- liasse renferme une procura- 
tion donnée, le l^'juin 1581, par Catherine au sieur du Plessis, 
conjointement avec le roi de Navarre , son frère. 



CHAPITRE III. 85 



chelle. Condé et Montmorency avaient tenté de 
l'exécuter après les États de Blois en 1 576 ; mais 
les circonstances et l'absence des négociateurs y 
avaient mis obstacle. Henri craignait l'ambition du 
vicomte de Turenne et ne pouvait d'ailleurs lui con- 
fier une mission aussi délicate et aussi importante. 
Elle fut réseiTée au surintendant de la maison du 
roi, 'Jacques de Ségur Pardaillan*, « homme dont 
nous connaissons si bien l'incorruptible fidélité, 
disait de lui Henri, le zèle pour nos affaires et 
pour celles des églises, que nous l'avons établi 
surintendant de notre maison et chef de notre 
conseil privé ^. » 

Plus modeste et moins passionné que Mornay, 
Ségur réunissait une distinction réelle, un mérite 

1 . Jacques-François de Séjour, appelé souvent Sé^r Pardail- 
lan, seigneur de Sainte- Aulaye, Montazeau, etc.» flls de Pierre de 
Ségur et dei Catherine de Pellagrue. Nommé, le 14 août 1576 , 
gentilhomme de la chambre du roi de Navarre, il devint surin- 
tendant de ses maisons, affaires et finances et chef de son conseil, 
fat gouverneur de Sainte-Foi, enÂgenais; puis, en 1593, capitaine 
de cinquante lances des ordonnances. Il vivait encore en 1605. A 
l'exemple de Mornay, il avait refusé d'abjurer le protestantisme , 
et s'était retiré de la cour. 

2. Lettre à TÉIectenr de Saxe. Henrici Nararri regh Ephtol»^ 
Utrecht, 1679; in-12, p. 170. 



86 CATHERINE DE BOURBON. 

solide à une simplicité franche et bienveillante. 11 
était honoré de l'attachement du roi et de sa sœur*, 
et considéré de toute leur cour, ce fut à lui que 
Mornay remit l'exécution du projet qu'il préparait 
depuis quelques années. 

Ségur devait se rendre en Angleterre, muni 
d'une instruction relative au mariage de Catherine 
et du roi d'Ecosse-, puis en Suède, en Saxe et eu 

1 . Celte lettre de la princesse en est la preuve : « Monsieur de 
Ségur, j'ay reçu vostre lettre du quatre juillet, ensemble les* nou- 
velles que vous me mandez , de quoy j'ay esté très-aise les voyant 
si bonnes : cela faist paroitre le fruil de vostre peine. C'est une 
chose si juste que le roy mon frère et tous ses amys soutiennent, 
que je m'assure que Dieu finira .leurs peines , et leur fera goûter 
enfin un heureux repos et une vie plus contente que leurs enne- 
mis ne pensent; je l'en prie tous les jours, et qu'il garde ces bons 
serviteurs et mes amis , du premier rang desquels je vous mets. 
J'espère que la peine que vous prenez pour le service du roy mon 
frère ne sera point reconnue ingratement de luy, et la bonne 
volonté que vous m'avez toujours portée ne sortira jamais de ma 
mémoire. Croyez que je me souhaite souvent de pareils amis que 
vous près du roy mon frère , mais puisque son service vous en 
éloigne, croyez que cependant vous aurez en moy par deçà une 
fort asseurée amie ; que je reohercheray toujours les moyens de 
vous en rendre preuve , lesquels attendant, je vous supplie encore 
vous asseurer que je suis , etc. » 

2. « Instruction pour traiter avec la royne d'Angleterre cl 
aultres princes étrangers protestants , baillée par le roy de Na- 
varre au sieur de Ségur, y allant de sa part, en juillet 1583. 
Dressée et minutée par M. du Plessis. » 



CHAPITRE III. 87 



Danemarck. Il commença son voyage en 1S83. La 
cour de France en fut instruite, et Henri III ne ca- 
cha pas son mécontentement et la défiance que 
cette mission lui inspirait. Le roi de Navarre allait 
envoyer Clervant au Louvre pour donner des expli- 
cations, quand un nouveau scandale, produit par 
la légèreté de la reine Marguerite, détourna l'atten- 
tion publique et devint une occasion de négocia- 
tions longues et délicates, dont Mornay fut person- 
nellement chargé. 

Le roi de Navarre s'autorisa de l'affront imposé 
par Henri III à sa femme qu'il avait chassée du Lou- 
vre, pour s'emparer de plusieurs villes en litige 
entre la France et la Navarre. Il força Henri TU à 
lui accorder la suppression des garnisons royales 
dans les places voisines de Nérac, et l'obligea par 
cette attitude hostile à modérer l'opposition qu'il 
comptait mettre au voyage de Ségur, dont la mis- 
sion s'accomplit ainsi sans difficultés. 

Pendant ces négociations, une maladie dange- 
reuse, semblable à celle qui Tavait atteinte à Blois 
en 1572, faillit mettre fin aux grands projets for- 
més sur elle par les politiques de la cour de Na- 



88 CATHERINE DE BOURBON. 

varre. Le roi lui prodigua dans ces moments 
d'épreuve les soins les plus touchants, et négligea 
des affaires importantes pour attendre près d'elle 
que son rétablissement parût entièrement assuré * . 
A cette époque un nouveau prétendant à sa main 
vint s'offrir. C'était le prince de Wurtemberg Mont- 
béliard. Mornay, alors à Paris, accueillit cette de- 
mande et l'exposa au roi de Navarre dans les termes 
suivants : <c Un nommé Vergerius, secrétaire du roi 
de Wurtemberg, nous est venu faire ouverture à 
M. de Chassincourt et à moi du mariage de Ma- 
dame votre sœur avec ledit seigneur duc : c'est à 
la vérité eung prince riche, de grande maison, 
fort allié en Allemagne : il parle français, etc. Les 
mœurs de la nation sont eung peu dissemblables 
et le pays rude. Il a emporté le portraict^ de ma 
dite dame. Nous lui avons respondu en sorte que 
nous ne l'en avons mis hors d'espoir ^ » 

1. Lettre du roy de Navarre au roy de France. — Lettre au 
maréchal de Matignon. (Voy. Collection des Lettres missives de 
Henri IV, par M. Berger de Xivrey, t. IL) 

2. Lettre de M. du Plessid au roy de Navarre , commencée le 
20 février 1584 , lerminéë à la fin de mars. 

3. Il existe au musée du Louvre, salle Sauvageol , B, 3C5 , 



CHAPITRE m. 8M 



Cette proposition n'eut pas de suite et le duc de 
Wurtemberg n'obtint rien de plus que le portrait 
de Catherine. La négociation de Ségur avançait 
alors. Elisabeth l'avait accueiUi avec empressement 
et avait adressé une lettre à la princesse où elle ex- 
primait son désir de la voir se rapprocher d'elle par 
d'autres liens que ceux de la poUtique * . Le mariage 
de Catherine de Bourbon avec le roi d'Ecosse se 
serait vraisemblablement accompU, si un grave évé- 
nement n'avait suspendu, au moins pour quelque 
temps, les négociations commencées. 

une miniature d'une authenticité douteuse , représentant Cathe- 
rine de Bourbon, et qui s'accorde avec cette époque de sa vie. La 
figure annonce vingt à vingt- cinq ans. L'eiécution semble bien 
se rapporter à la date de 1579 à 1 680. C'est de l'école de Clouet , 
déjà bien affaiblie. 

1. Instruction adressée à M. d^Angroignes. (Mém. el corresp, 
de Mornayj t. II, p. 357.) — Idem y M"* Vaiivilliers, Hisioirp de 
Jeanne d'Àlbret, notes. 



CHAPITRE IV 



Mort dtt dnc d'Anjou. — Situation du roi de Navarre. — Puissance de la 
Ligue. — Bulle du pape. — Conduite du roi de Navarre. — La reino 
Marguerite conspire contre lui. — Lettre de Catherine à Saint- Gêniez , — 
La reine àe Navarre s'eafuit d'Agen. — Klie est arrêtée et condnîte à 
Ussoo. — Dévouement de Catherine de Bourbon envers son frère. — 
Elle vend ses bijoux- — Détresse du roi de Navarre. — Marques d'atta- 
chement des Béarnais pour Catherine. — Négociations de Henri H! ave^* 
le roi de Navarre. — Déclaration de guerre. — Bataille de Coutras. — 
Henri part pour le Béarn avec lo comto de Soissons. 



Le 10 juin 1884, le duc d'Anjou, frère unique du 
roi, mourut à Château-Thierry, et transmit au roi 
de Navarre ses droits légitimes à la couronne de 
France. Peu après, Henri III envoya le duc d'Éper- 
non à ce prince pour l'engager à rentrer dans 
l'église catholique. L'acquiescement du roi de Na- 
varre à cette demande aurait désarmé la Ligue et 
évité de longues infortunes à la Frauce. Mornay, 
dans son zèle aveugle pour le calvinisme, la repoussa 
au nom de son maître, et la lutte des Guises et des 



CATHERINE DE BOURBON, CHAPITRE IV. 9i 



BouAons se déclara ouvertement devant l'Europe 
étonnée de tant d'audace d'une part, de tant de va- 
leur et de persévérance de l'autre . 

Appuyée par l'Espagne, depuis le traité de Join- 
ville \ la Ligue proclama le vieux cardinal de Bour- 
bon^ héritier légitime de la couronne au préjudice 
de son neveu : les intrigues de la reine-mère se joi- 
gnirent à ces hostilités en paralysant les derniers 
efforts du. roi contre l'ambition des Guises, et le 
pape Sixte-Quint, sollicité par Claude Mathieu, le 
plus actif agent de la maison de LoiTaine à Rome, 
excommunia le Roi de Navarre et le prince de 
Condé, déclarant Henri « relaps en hérésie, indigne 
de porter son titre, le déposséda lui et sa posté- 
térité, de ses prétendus États et le proclama in- 
habile à toute succession, notamment à succéder 
au trône de France. » 

La buUe du pape, signée par vingt-cinq cardi- 
naux, fut envoyée à l'empereur Rodolphe et au roi 

1. Par ce traité, Philippe II s'unissait au duc de Guise pour 
la défense de la religion catholique et pour empêcher qu*un prince 
hérétique pût jamais succéder à la couronne. 

2. Fils de Charles, duc de Vendôme, et frère d'Antoine de 
Bourbon. 



02 CATHERINE DE BOURBON. 



de France . Celui-ci, malgré sa faiblesse, s'effraya j us- 
tement des conséquences qui résulteraient d'une 
telle sentence portée contre un prince que sa nais- 
sance rendait héritier légitime du trône. Après de 
vives discussions, et le départ simultané de l'am- 
bassadeur de France à Rome et du nonce à Paris, 
un accommodement eut lieu. L'archevêque de Na- 
zareth envoyé près du roi, agit avec une modéra- 
tion qui atténua l'effet de cette bulle. 

Mais Henri III ne pouvait soutenir le roi de Na- 
van'e. Après avoir vainement essayé de dominer la 
Ligue, il dut se soumettre à la pacification de Ne- 
mours qui livrait un grand nombre de places fortes 
aux Guises, défendait l'exercice du culte protestant, 
en bannissait les ministres et déclarait la guerre aux 
calvinistes. 

Cependant Henri de Navarre résistait vaillamment 
aux triples attaques de Rome, de la France et d(^ 
l'Espagne. Il répondait à l'anathème pontifical pai* 
une déclaration éloquente, au duc de Guise par une 
provocation en duel ; à la Ligue en formant une as- 
sociation composée des seigneurs huguenots et des 
nobles français qui restaient fidèles h l'hérédité lé- 



CHAPITRE IV. 93 



gitime. Les princes du sang appuyèrent cette ma- 
nifestation. Enfin, la reine Elisabeth et les princes 
allemands formèrent une association protectrice de 
celle de France, qui promit à Henri de lui fournir 
des secours militaires. Ainsi, grâce à Tactive per- 
sévérance du jeune souverain, les nations étran- 
gères se trouvèrent engagées à maintenir l'ordre 
de succession au trône et à sauver rindépendauce 
de la France. 

Pendant que Henri de NavaiTe luttait avec tant 
d'énergie au dehors, il était loin de trouver du 
cahne dans les États qu'il gouvernait. Depuis le 
retoiu: de la reine Marguerite, et après l'éclatant 
scandale qui l'avait bannie du Louvre, le château 
de Nérac était devenu un théâtre de troubles et d'in- 
trigues. Elle avait repris ses anciennes relations avec 
le duc de Guise, et une correspondance où la poli- 
tique avait autant de part que la tendresse s'était 
établie entre la reine de Navarre et le chef de la 

Ligue. Turenne excité par la jalousie et par le désir 
de servir Henri, se décida à l'en avertir. On arrêta 
Un serviteur de Marguerite qui était porteur de ses 
dépêches mystérieuses. Cet acte de rigueur excita 



•> 



1)4 CATHERINE DE BOURBON. 

le ressentiment de la princesse qui accusa Henri de 
la persécuter. Elle prétendit que Ségui*^ surinten- 
dant de sa maison, avait reçu l'ordi^e de la cons- 
tituer prisonnière et de la conduii'e à Pau. Sous 
ce prétexte, Marguerite quitta Nérac, et, conseillée 
sans doute par le duc de Guise, elle s'empara, au 
nom de la Ligue, de TAgenais et du Oueixîy (p^iys 
qui faisaient partie de sa dot), leva une armée et 
organisa une petite guerre contre son mari. 

L'existence de Henri fut menacée de jH'ès. Un 
ligueur forcené, nommé Gabayet, tenta plusieurs 
fois de l'assassiner. Instruit du désordre qui résul- 
tait de l'indigne conduite de Marguerite, Hemâ III 
oi'donna au marèchal de Matignon^ de s'unii* au 
roi de Navarre contre les factieux, quifureat défaits 
au Bec-d'Ambez, comme on le voit par une lettre 
de la princesse Catherine à M. de Saint-Gemez, 
gouverneur de Navarreins en Béai^n. 

1. Lettre à M. de Ségur. Lecloure XXVil , 1<^'' juin 1585. 
( Lettres missives de Henri IV, t. W, p. 79.) 

2. Jacques de Go^oii dîc Matignon , né à LmiIb^ en (525, 
nommé maréchal de France eu 1579. Lieutenant général de 
la Guiennc; un des premiers à reconnaître Henri IV. Mort en 
1597. 



CHAPITRE IV. 9o 



ft Mooâieui* de Saint-Geniez, il vieut de veuir uu 
laquais du roy mon ft^ère, pai* qui il escrit que le 
maréchal a prins le Bee-d'Ambez^ en a tué et noyé 
et prins quarante-deux, dont Gabayet en est, qui a 
tant de fois voulu tuer le i*oy mon frère. La com- 
pagnie qui estoit de la Ligue, où il avoit envoyé de 
ceulx de sa compagnie de Parabelle, s'est venu 
rendre à luy avec promesse de ne retourner plus à 
Agen, où Ton a beaucoup de nécessité. Il est venu 
UH de mes gens de Tours, qui dit que ceux des 
Ligues étaient près d'Orléans, et font tous lesmauh 
qui se peuvent dire. J'espère que leur méchanceté les 
fera périr. Si je sçay d'auti^es nouvelles, je ne faul- 
dray de vous les mander. Le Roy mou frère, me 
mande tous les jom*s que je ne parte pas d'icy qu'il 
ne m,e le mande. A Dieu Monsieur de Saint-Geniez. 
Je suis et seray toujours votre bien affectionnée et 

assurée amye*. 

Catherine de Navarre. » 

Malgré l'intervention du maréchal de Matignon, 
la guen^e (te TAgenais dura près de doux ims. La 

1. L'autographe de celle letirc apparlienl ù la colleclîon de 
Mi Feuillet de Coiicheft. 



90 CATHERINE DE BOURBON. 

reine, retirée à Agen, se couvrit de ridicule en don- 
nant à son amie madame de Duras, une dignité 
équivalente à celle d'un premier ministre. Le peuple 
accablé d'impôts, réclama l'assistance de Henri III 
et se révolta. Le maréchal de Matignon marcha sur 
Agen d'où la reine et madame de Duras s'échap- 
pèrent à la hâte. Un cavaUer prit la reine en croupe ; 
elle fit ainsi plus de douze Ueues et finit par être ar- 
rêtée par M. de Canillac qui se saisit d'elle au nom 
du roi et la condirisit au château d'Usson en Au- 
vergne, où nous la laisserons éciîre ses Mémoires 
pour charmer l'ennui de sa captivité. 

La conduite courageuse et dévouée de la jeune 
sœur du roi présentait alors un frappant con- 
traste avec les désordres de Marguerite. Constam- 
ment occupée des intérêts de Henri, elle agissait 
avec une modération judicieuse et ferme, qui mérita 
souvent les éloges du roi, et lui fut précieuse dans 
maintes occasions. Les principales ressources mili- 
taires lui étaient confiées, car le fort de Navarreins, 
dépôt de ses armes et de ses munitions, appartenait 
au Béarn. En même temps, pour subvenir aux dé- 
penses de la guerre, elle engageait ses meubles 



\" 



CHAPITRE IV. 97 



et abandonnait à son frère ses revenus et ses pen- 
• sions. Dans ces moments de détresse, Henri, réduit 
aux expédients, alla jusqu'à mettre en gage ses 
joyaux et ceux de sa sœur ' . Un sieur Jean-Baptiste 
Rota, se disant citoyen grisou, prêta 3,000 écus 
d'or au coin de France. Théodore de Bèze fut l'in- 
termédiaire de cette affaire, et il reçut en dépôt, pour 
la garantie de la somme prêtée, les bijoux suivants, 
qui donneront une idée de Técrin de la princesse 
béarnaise : «un grand saphir de coideur d'Orient, 
hors d'œuvre, taillé en table k huit pentes, le des- 
sous en degré ; une grande bague où il y a un 
grand diamant et quatre rubis à mettre au cha- 
peau; une grande table de diamant, garnie de 
quatre rubis en table, et une pièce à chatons^. » 
Les dames de la princesse imitaient son exemple, 
et la plus riche d'entre elles ^, madame de Gra- 

1. Lettre du 8 octobre 1579. — Idem du 5 octobre 1586. — 
Idem du 13 août 1590. 

2. Arch. deFËmpire, sect. Bord., Ch. des comptes. Mém. à 
l'an 1593. Ces bijoux Turent réclamés en 1591 , comme étant la 
propriété de Madame, sœur du roi. 

3. EUe avait apporté 30,000 livres de rentes en dot, sotumc 
énorme pour cette époque. 

6 



98 CATHERINE DE BOURBON. 

mont, vendit ses pierreries et en lit remettre le prix 
au roi. 
L'année 1S86 accrut, par une nouvelle épreuve, 

les difficultés de sa situation. Une famine affreuse 
désola le pays ; la gouvernante fut forcée de dé- 
fendre l'exportation des gi^ains sous peine de mort; 
le prix du vin fut porté à quatorze liards le pot, avec 
ordi'o de n'en vendre qu'un demi-pinton à la fois '. 
Cependant la gueiTe continuait, l'aimée de Henri 
souffrait cruellement et le découragement gagnait ses 
soldats, rebutés par la misère. Dans cette détresse 
générale, on vit la sœur du roi s'efforcer de secourir 
son frère ; et, ses ressources personnelles étant 
épuisées, elle supplia «ses chers jurats de la ville do 
Pau de prêter quinze cents Hatcs. » La chambre et 
le conseil refusèrent. Mais la ville et le peuple appre- 
nant que la requête de leur princesse n'était point 
accueiUie, se réunirent pour lui remettre la somme 
qu'elle avait demandée. Ces dona rassemblés pro- 
duisirent un total de seize mille écus qui furent 
inunédiatement envovés au roi. 

1 . Ârdùves de Pau. Voy. l'otivrage (*€ M. de La^me sur le 



^l,Xi^ J- 1%. 



CHAPITRE IV. flO 



Henri entrait alors dans Tune des époques les 
plus critiques de sa vaillante existence. Il luttait 
contre Mayenne * et contre des intrigues plus dan- 

I gereuses encore que les tentatives des Guises; 

j car Henri HI, décidé à éluder le traité de Ne- 
mours, reprenait le système qu'il avait adopté aux 
derniers Etats de Blois. 

Promettant aux catholiques une guerre prochaine 
contre les huguenots, il fit vendre pour deux mil- 
lions de biens du clergé, sous pi'étexte de pourvoir 
aux frais de la formation d'une armée. Tl entama 
ensidte une négociation avec le roi de Navarre : la 

j reine-mère eut une conférence avec ce prince en 

• 

1886 (18 octobre). Elle lui proposait une alliance 
dont son abjuration était la principale condition, et 
dont k gage eût été un mariage avec sa petite-fllle, 
Christine de Lorraine , se chargeant d'obtenir du 
pape la rupture de l'union de Marguerite avec 
Henri. Elle n'obtint de ce prince que des refus 



1-- 



k 



1. C. de Lorraine, deuxième fllsdu Balafré, né en 1554, mort 
eu 161 1. n s'était déjà fort distingué dans les guerres contre les 
Turcs, au service de la République de Venise, h la défense de 
Poitiers, à Moncotitoiir, h la Rochelle et à la prise de Brotiafré. 



; 



iOO CATHERINE DE BOURBON. 

dont la fierté lui apprit la ruine croissante de son 
pouvoir, l'insuffisance de sa politique, et qui déci- 
dèrent Henri III à commencer la guerre et à s'unir 
à la Ligue. 

Mais, conservant toujours le dessein de garder 
personnellement une sorte de neutralité, il disposa 
ses forces de manière à l'indiquer. Trois armées 
furent rassemblées. La plus considérable, confiée 
au duc de Joyeuse, devait tenir tête au roi de Na- 
varre s'il avançait; la seconde, livrée au duc de 
Guise, empêcherait les reîtres de pénétrer dans le 
royaume pour rejoindre les huguenots ; la dernière, 
conduite par le duc de Mayenne, restait en Guienne, 
se proposait de harceler Henri, d'envahir le Béarn 
et de faire prisonnière la princesse Catherine. Le 
roi se réservait un quatrième corps formé de Suisses 
et de quelques régiments fidèles. 

La politique de Henri III, digne de celle de sa 
mère, éteiit alors de détruire un parti par l'autre, 
quitte à se débarrasser lui-même ensuite de celui 
qui serait resté debout. 

L'armée du duc de Joyeuse était supérieure en 
nombre h celle du roi de Navarre. Mieux équiper 



CHAPITRE IV. 101 






et mieux montée, elle avait encore le prestige de 
l'autorité souveraine et Tassurance des récom- 
penses. Mais les jeunes généraux qui la dirigeaient, 
méprisaient la discipline et Tobéissance. Leurs 
mœurs étaient dissolues, leurs altercations fré- 
quentes; ils se montraient puérils, courageux et 
insouciants comme leur souverain. 

Les deux armées se rencontrèrent le 20 octobre 
1587 entre Libourne et la Roche-Chalais. Henri 
marchait au-devant des trente-six mille reîtres en- 
trés en France par la Lorraine. Joyeuse essayant 
de lui fermer le passage, s'avança jusqu'à Coutras, 
bourg situé sur l'Isle, où s'élevait un magnifique 
château bâti par Odet de Foix, sire de Lautrec. Là 
s'accomplit le grand fait d'armes qui ouvrit à Henri 
le chemin du trône de France et à sa sœur le roman 
de sa vie entière. 

La bataille depuis tant racontée, fut courte et 8é- 
cisive. Les troupes de Joyeuse se débandèrent après 
le premier choc de la cavalerie de Navarre et la dé- 
route devint complète. Henri se signala dans ce san- 
glant désordre par les traits d'une intrépide et témé- 
raire valeur; l'armée royale fut entièrement défaite. 



i02 CATHERINE DE BOURBON. 

rinf^terie taillée en pièces , l'artillerie prise , tous 
les drapeaux enlevés. On rapporte que l'infortuné 
Joyeuse, resté debout parmi les débris de ses troupes, 
contemplait avec stupeur la ruine de tant d'espé^ 
rances, quand un de ses lieutenants lui demanda ce 
qui lui restait à faire. « A mourir, » répondit-il, et 
s'enfonçant aussitôt dans les bataillons ennemis avec 
Claude de Saint-Sauveur sori frère , il termina ainsi 
sa courte et aventureuse existence. Retrouvé parmi 
les victimes, il fut porté à son vainqueur, qui ne 
revit pas sans émotion ces nobles traits dont un san- 
glant trépas n'avait pu diminuer la beauté, 

Après cet éclatant succès, une vive délibéra- 
tion s'établit dans le conseil ^ du roi de Navarre sur 
la marche à suivre. Les plus judicieun^ étaiept 
d'avis de rejoindre les troupes allemandes \ Condé 
proposait de s'avancer sur la Loire et de s'em- 
jÉper de Saumur. On lui répondit : «que les 
troupep étaient chargées de butin, la noblesse 
fatiguée et dépourvue de ce qui était nécessaire 
pour une expédition aussi éloignée ; qu'elle songeait 

l. De Thou, Histoire, Sully. Mém, 



CHAPITRE IV. 103 



à se retirer et à aller se refaire dans ses terres, et 
qu'il était impYnident après iin si heureux succès de 
risquer de perdre la gloire qu'on venait d'acquérir 
au prix du sang de toute une armée. » 

Cette opinion était vivement appuyée par le jeune 
comte de Soissons, dernier prince de la maison de 
Condé. L'éclatante valeur qu'il avait déployée dans 
le combat, l'appui qu'il avait donné à l'armée en 
lui amenant une partie de la noblesse de Beauce et 
de Normandie, le rendait digne d'être écouté. Ce 
n'était, on le verra, ni la pnidence, ni la politique 
qui l'inspiraient ; mais le roi, après quelques entre- 
tiens particuliers avec lui, parut convaincu, et se 
détermina, contrairement à ses intérêts véritables, 
à suivre l'avis de ce conseiller de vingt et un ans. 

Il confia une partie des troupes au prince de 
Condé et lui ordonna de retourner à la Rochelle ; 
chargea M. de la Burthe de porter à Henri III\ine 
lettre avec des propositions pacifiques, et, se sépa- 
rant de la noblesse de Saintonge et du Poitou, il 
partit pour Sainte-Foi accompagné du comte de Sois- 
sons. A peine arrivés dans cette ville, ils abandon- 
nèrent à Turenne le commandement des troupes qui 



104 CATHERINE DE BOURBON. 

restaient, et se dirigèrent vers le Béarn suivis d'un 
détachement de cavalerie qui chassa quelques trou- 
pes de Mayenne. Le but de ce voyage fut bientôt 
connu. Henri allait offrir à sa sœur les vingt-deux 
étendards de Joyeuse, lui présenter le comte de 
Soissons auquel il l'avait promise à l'insu de son 
conseil, et revoir près d'elle une femme qu'il aimait 
éperdument depuis quelques années. 



CHAPITRE V 



Caractère du comte de Soissons. — Sympathie de Catherine pour luf. -> 
Facilité avec laquelle Henri de Navarre dispose de la main de aa sœur.— 
Intrigues de l'abbé d'Elbène. — Promesses de mariage échangées entre 
Catherine et le comte de Soissons. — Regrets de Henri de Navarre. — 
Ses querelles avec le comte de Soissons.—- Révélation mystérieuse contre 
le comte de Soissons. — Rôle de Sully dans cette affaire. — Brouillerie 
et séparation du roi de Xavarre et du comte de Soissons. — Catherine 
refuse le roi d'Ecosse. — Départ du comte de Soissons pour la cour de 
Henri HT. — Mission confiée à ce prince. — Son arrestation par 
les ligueurs en Bretagne. — ' Sa prison au château de Nantes. — > Lettre 
de Catherine. — États de Blois.— Assassinat des Guises. — Alliance du 
roi de Navarre et de Henri IH. — Assassinat de ce prince. — Avènement 
de Henri lY. — Intrigues du comte de Soissons. — Catherine régente de 
NaTarre. — Sa situation en Béam et en Navarre. — Ses rapports avec 
la magistrature et la noblesse. — Ses correspondances. — Goilt de la 
princesse pour la poésie. — S^m portrait. — Antonio Perez. 



11 faut dire maintenant quel était ce nouveau pré- 
tendant de Catherine par le conseil duquel Henri 
sacrifiait tant de gloire : Chaiies de Bourbon, comte 
de Soissons et de Dreux était le plus jeune des 
princes de la branche de Condé. Sa mère, Françoise 



i06 jh CATHERINE DE BOURBON. 

d'Orléans, duchesse de Longiieville, était belle, ai- 
mable et séduisante. Lui-même était déjà célèbre 
par sa vaillance et ses succès à la cour de France. 
Esprit fin et cultivé, cœur intrépide, aimant la 
gloire comme un Bourbon, l'intrigue comme un 
Valois, les arts comme un Médicis, il résumait en 
lui les qualités, les séductions, mais aussi les vices 
des grandes races contemporaines. Son caractère et 
»a conduite étaient agités, souvent inexplicables; on 
reconnaissait en lui un enfant de ces époques terri- 
bles, où selon la remarque de Montaigne, a la na- 
ture humaine est secouée dans tous les sens, » 
Frère catholique d'un prince huguenot, ami de 
Henri III et des Guises, proche parent du roi de 
Navarre, il avait des liens dans tous les partis ; il 
s'associait à leurs passions, partageait leurs dan- 
gers et leurs triomphes, et passait de l'un à l'autre 
avec une légèreté telle que TEstoile, dans son judi- 
cieux journal, l'appelle non sans raison le Protéc de 
son temps. 

Une fortune beaucoup plus considérable que celle 
de ses frères assurait son indépendance. Il l'em- 
ployait libéralement, et son hAt^l à Paris était ce» 



1 — 

CHAPITRE V. 407 



lèke par le grand uombre d'objets d art qu'il y 
réunissait à grands frais. La reine-mère y résidait 
souvent. Elle aimait à retrouver dans cette splen- 
dide demeure les gloires artistiques de Tltalie et les 
triomphes de la Renaissance. ANogent et à Blandy, 
le prince exerçait une hospitalité fastueuse. Pas- 
sionné pour tous les plaisirs, il excellait dans les 
exercices du corps les plus difficiles, brillait dans 
les conversations les plus intelligentes, et portait 
avec une grâce et une noblesse incompai^ables le 
costume éblouissant de cette époque. Les femmes 
avaient pour lui une préférence que justifiaient sou 
esprit, son élégance et son âge. Indulgentes pour 
sa légèreté, enthousiastes pour ses succès, elles 
subissaient toutes l'influence de ce chaime dont la 
nature l'avait doué. Le roi de France lui témoignait 
uoe affection particulière et le peuple qui se plai- 
sait alors^ dfiuis son ignorante misère, à entourer 
ceux qui l'opprimaient d'im merveilleux prestige, 
le croyait en rapport avec le monde invisible. Les 
désordi^es de sa vîe privée, les scènes étranges 
dont les souterrains de Nogent et les tours de 
Blandy étaient, disait-on, le théâtre, au lieu d'exciter 



/ 



108 CATHERINE DE BOURBON. 

la détiauce ou riiidignatiou, inspiraient une timid 
et superstitieuse curiosité. On savait d'ailleurs qu'i 
était ennemi des impôts, disposé à soutenir 1 
faible, à combattre les abus du pouvoir, et Henri F 
en comparant plus tard sa radieuse popularité 
celle du duc de Guise, a donné la mesure de soi 
influence et de son mérite ^ 

Catherine avait connu le comte de Soissons 
l'époque où Jeanne d'Albret et Françoise de Cond 
s'étaient réfugiées à La Rochelle. Enfant, elle aval 
été la compagne de jeu et la première amie di 
prince que plus tard elle avait revu au Louvre 
Ces impressions d'enfance et de jeunesse si tena 
ces au cœm^ , lui étaient restées vives et douces 
La brillante renommée du prince, sa religion, le 
récits de ses galants succès, les traits de son carac 
tère mobile,' de son âme inconstante, les action 
mêmes qui auraient dû exciter le blâme de cell" 
qui naguère refusait le roi d'Espagne à cause d< 
sa foi catholique, toutes ces circonstances lu 
avaient inspiré un intérêt que bien des fois peut 

1. L'Éloile, l. Il, y. 121. La Ha^e, 1741. 



I 



CHAPITRE V. lOV 



être elle s'était reproché, mais qu'elle n'avait pu 
sunnonter. Ce fut un de ces traits de l'étemelle 
histoire, vieille comme le monde, mais toujours 
nouvelle pour le cœur qui subit un premier amour. 

Nous avons raconté la négociation entamée pour 
le mariage de Catherine avec le roi d'Ecosse en 
signalant les grands intérêts auxquels se ratta- 
chait cette alliance. On a vu que ce projet n'avait 
pas empêché Henri, à la même époque, de songer à 
marier sa sœur au prince de Bombes. Peu après, 
voyant la guerre se rallumer, il crut important d'at- 
tacher à sa cause un prince plus entreprenant, 
moins scrupuleux , catholique et influent aussi : 
c'était le .comte de Soissons. Des négociations se- 
crètes, dont nous allons parler et qui se terminèrent 
par la promesse de la main de Catherine, se nouèrent 
alors entre le roi de Navarre et le brillant prince. 

Pressé parles circonstances, obligé pour ainsi dire 
de vivre et d'agir au jour le jour, Henri disposait de 
la sorte du nom et de la fortune de sa sœur, comme 
d'un précieux appât, et il est regrettable de dire 
que jusqu'au moment où il la donna presque mou- 
lante à la Lorraine, il l'avait promise successivement 

7 



l" 
[ 



it- 



no CATHERINE DE BOURBON. 



aux princes, et même aux simples gentilshommes 
qu'il voulait attacher à son parti. Un passage des 
Mémoires de d'Aubigné, ce Philippe de Comminesdu 
règne de Henri IV, im sévère écrit de la duchesse de 
Rohan attestent ce fait avec une amertume trop cruelle 
sans doute, mais malheureusement incontestable. 
Un personnage de moralité fort équivoque, dont 
le nom se trouve mêlé à beaucoup d'intrigues de 
cette époque, l'abbé d'Elbène ou de Bellozanne* se 
chargea de détacher le comte de Soissons du parti 
de la cour et de l'attirer dans celui du roi de Na- 
varre. Il profita d'un moment où Soissons, in- 
digné de la faiblesse de Henri III, se plaignait de 
voir le nom des princes du sang devenir dans 
l'État un titre vain, tandis que le pouvoir des 
Guises augmentait de jour en jour ; d'Elbène lui 
représenta que, dans la guerre qui venait d'éclater 
après la conférence de Saint-Bris, il s'agissait moins 
des intérêts de la reUgion que- de ceux de l'État, 
que l'indépendance du royaume et l'honneur de sa 

1 . 11 y avait alors plusieurs persunnages du même nom : celui-ci 
mourut en 1697 « bon serviteur du roi et des dames » ^ disent 
les Mémoires de l'époque. 




-I 



CHAPITRE V. iH 



famille reposaient sur le roi de Navarre, que s'il 
s'unissait à lui, il pouvait aspirer enfin à la niain de 
Catherine et obtenii' peut-être cette princesse dé- 
sirée par tant de souverains. 

Non content de ces belles propositions, l'abbé 
d'Elbène s'efforce de les rendre plus brillantes 
encore : il s'adresse à l'ambition du prince, il lui re- 
présente que si Catherine de\ient comtesse de Sois- 
sons, elle lui apporte en dot des biens considé- 
rables ; que si le roi de Navarre meurt sans postérité, 
elle hérite de ses États, et que les droits légitimes 
de la maison de Bourbon au trône de France passe- 
ront à son époux et à ses enfants. Il lui promet 
enfin d'obtenir du comte de Stafford, ambassadeur 

^' d'Angleterre en France, des sommes considérables 
pour lever des troupes. Le prince devait céder à 

^^ tant de raisonnements ; il céda en effet, partit alors 

m 

^ pour le Béarn et eut une entrevue secrète avec 
^ Henri. Il écri\it ensuite deux lettres au cardinal de 
^, Boui'bon, son oncle, pour lui iannoncer sa défection 
sans en expliquer la cause, puis, réunissant sa no- 
blesse et ses troupes, il rejoignit les huguenots aux 
Rosiers, passa dans leurs rangs avec éclat, et de- 



» 

L 

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or 

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rt 

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i 



k 



sa 



H2 CATHERINE DE BOURBON. 

vint à la bataille de Coutras Tun de leurs plus ar- 
dents auxiliaires. 

Catherine avait alors vingt-huit ans. Son âge 
était encore celui de l'espoir et des illusions, et le 
royal exil que lui préparait Mornay dans la triste 
patrie de Marie Stuart épouvantait son âme ; ainsi 
disposée, elle devait ressentir plus que de l'intérêt 
pour le jeune et brillant prince qui se montrait assez 
épris d'elle pour lui sacrifier sa cause, plus que de 
l'affection même pour cet ami d'enfance dont la 
lointaine image était restée chère à son cœur, et 
qui venait l'attacher par un lien nouveau à son 
frère et à son pays ! Telle fut l'origine de cet amour 
dont le souvenir répand encore un charme mélan- 
colique sm* la mémoire de la sœur de Henri IV, et 
qui l'entoure du prestige que le roman donne à 
l'histoire, l'infortune à la grandeur ! 

Selon tous les Mémoires contemporains, le comte 
de Soissons et la princesse, en présence de Henri, 
échangèrent alors des promesses de mariage dont 
il remit l'accomplissement à une époque rappro- 
chée. Pendant quelque temps on le vit traiter 
le jeune prince avec une affectueuse confiance 



CHAPITRE V. 113 

t l'associer à ses travaux politiques et à ses ex- 
léditions militaires. Il supporta patiemment la 
iolence, l'insubordination naturelle à son esprit, 
l endura sa hauteur, le dédain qu'il témoignait 
>our la vie rude et frugale du pays, ne s'offensa 
>oint du luxe altier qu'il déployait, de ses façons 
orgueilleuses et froides envers la noblesse de sa pe- 
ite cour et vis-à-vis de ses amis les plus dévoués, 
lette indulgence lui révéla les défauts du caractère 
lu comte, et bientôt il se repentit ouvertement 
l'avoir rapproché de lui cet indomptable jeune 
domme agité des passions les plus contradictoires, 
les plus dangereuses, qui ne cachait pas son 
dessein, de retourner en France après son mariage 
et de jouir avec indépendance des grands biens que 
posséderait sa femme au delà de la Loire ^ 

Le roi de Navarre commença par retarder l'époque 
du mariage sous divers prétextes. Le prince en fut 
violemment irrité ; il osa menacer Henri d'abandon- 
ner son parti s'il ne revenait pas sur sa décision. 
Alors commence le rôle de Sully dans cette triste 
îiffaire ; feignant d'être mécontent du roi il gagna 

1. Sully, Mém., t. II; p. 'éO, édit. Petilot. 



IM CATHERINE DE BOURBON. 



la confiance du prince, pénétra ses desseins et 1 
transmit à Henri. Près de ses familiers, le comte 
Soissons s'exprimait avec son imprudence or< 
naîre : «Le roi croyait-il l'abuser longtemps ainî 
Était-il venu pour servir son ambition et combati 
pour une religion que la sienne condamnait? K 
vait-il donc quitté la France et la cour que pc 
subir ses mépris et devenir le jouet de ses hésil 
tions? n lui avait promis sa sœur; il avait U 
abandonné pour elle, il avait combattu ses amis 
trahi sa cause pour l'épouser. Maintenant, il pi 
tendait la lui refuser et lui dicter des lois ; maiî 
le connaîtrait mieux ; il épouserait Catherine con 
son gré, et dégagé par le manque de parole du 
de toute obligation envers lui, il reviendrait 
France avec la princesse, réimirait ses biens a 
siens et vivrait libre et heureux, loin de lui et 
son égoïste ambition. » 

Une dénonciation mystérieuse augmenta • 
discordes et les rendit assez éclatantes pour an 
ner ime rupture. Un soir, au retour d'une chas 
le roi reçut à son adresse un paquet apporté i 
des inconnus. Il l'ouvrit et s'aperçut qu'il c( 



I 



CHAPITRE V. lis 



i^ 



fer tenait une lettre anonyme. Cette lettre le préve- 
i nait que le comte de Soissons intriguait contre lui, 
qu'il cherchait à corrompre ses serviteurs, qu'il 
avait repris ses relations avec la cour de France, et 
qu'il aspirait à se faire reconnaître et adopter par 
Henri III pour héritier du trône, par l'intervention 
du cardinal de Bourbon son oncle. On citait ses 
paroles, on donnait les preuves et l'on nommait 
ses complices. Il y avait plus : la môme lettre 
accusait le prince de songer à épouser une fille du 
duc de Nevers, tandis qu'il semblait si vivement 
épris de la princesse de Navarre ; elle disait en- 
core qu'il n'avait eu d'autre but en entraînant 
Henri en Béam après la bataille de Centras que de 
l'empêcher de poiœsuivre ses victoires, de rejoindre 
^ les reîtres et d'écraser peut-être l'armée du duc 
|, de Guise comme il avait écrasé celle de Joyeuse. 
La délation était-elle vraie? Était-ce un jeu joué 
entre le roi et son conseil, le résultat d'une conven- 
tion secrète avec ses amis irrités de sa conduite 
après la victoire de Contras? Étai1>-ce encore le ré- 
sumé d'une confidence faite par le comte à Sully 
dans un moment d'emportement? C'est ce que ja- 

} 



liO CATHERINE DE BOURBON 



mais Ton ne pourra établir d'une manière positive, 
quoique les dernières suppositions s'accordent assez 
avec la conduite déployée par Henri et son mi- 
nistre dans la suite de cette triste et singulière 
intrigue. Le roi parut, en recevant cet écrit, plus 
indigné que surpris ; il dissimula d'autant moins 
sa colère, s'il en ressentit réellement, et sa décep- 
tion, si elle exista, qu'il cherchait depuis longtemps 
un prétexte pour rompre ses engagements et obli- 
ger sa sœur à renoncer à l'union qu'il lui avait pro- 
posée. La mort du prince de Condé l'ayant appelé 
à la Rochelle vers cette époque, il exigea que le 
comte de Soissons le suivît et quittât le Béam. 11 
remit ainsi indéfiniment la célébration du mariage 
que la cour considéra bientôt comme rompu sans 
retour. On était habitué à voir la princesse se sou- 
mettre avec une docile abnégation aux volontés du 
roi, et l'on crut qu'elle se résignerait à l'abandon 
de son fiancé. On sait d'ailleurs que les affaires de 
sentiment n'étaient pas l'objet principal des préoc- 
cupations de l'entourage de Henri, et que ses con- 
seillers étaient assez ennuyés de ses propres amours, 
sans aller encore s'inquiéter de celles de sa sœur. 



CHAPITRE V. 117 



h 

lu 

)I1 

le 

D- 
JT. 



Moraay pressa les négociations relatives au mariage 
d'Ecosse, et tandis que Henri achevait sa rupture 
avec Soissons, Jacques VI écrivait lui-même à Mor- 
nay* pour demander à Henri la main de Catherine. 
De graves événements s'accomplissaient alors. 
Henri HI , forcé d'abandonner Paris après la 
journée des Barricades , s'était retiré à Mantes. 
Il cons.entait à se séparer du duc d'Épemon, à 
nommer le duc de Guise généralissime de ses ar- 
mées, et à convoquer les états généraux pour le 
mois d'octobre. Ces nouvelles, transmises au roi de 
Navarre et au comte de Soissons, augmentèrent 
leur brouillerie. Leur rivalité devint plus évidente. 
Le prince voulait retourner à la cour ; il semblait 
se flatter d'y retrouver la faveur dont il avait joui et de 
remplacer peut être le duc d'Épemon. De son côté, 
le roi de Navarre, songeant à négocier avec Henri III, 
et à profiter de la nouvelle situation du trône pour 
s'en approcher plus facilement, envoyait Sully à 
Mantes pour proposer au roi l'appui de ses armes 
et Imder à reprendre sa capitale. A cette nouvelle, 
le comte de Soissons, irrité de ne pas avoir reçu 

1. Mém. et corresp, de Momay, lellre du roi d' Ecosse. 



118 CATHERINE DE BOURBON. 



cette mission qu'il avait convoitée, éclata en repro- 
ches amers et violents contre Henri : il l'accusa de 
l'avoir trompé dès le commencement de leur al- 
liance, de n'avoir eu d'autre pensée, en lui propo- 
sant Catherine, que de briser son avenir politique et 
de détruire son influence à la cour. Il lui prodi- 
gua les plus cruelles invectives, les insultes les 
plus sanglantes, et jura qu'il obtiendrait en dépit 
du roi la main de sa sœur qu'il lui refusait. Mau- 
vaises paroles , dit SuUy, qui amenèrent ime rup- 
ture plus éclatante que toutes les scènes qui s'étaient 
accomplies précédemment. Le comte de Soissons 
partit ensuite pour Mantes, « lassant Sully le long 
des chemins de son mécontentement, de son amour 
et de ses projets de vengeance * . » 

Après cet événement, le roi de Navarre paraît 
avoir instruit sa sœur du départ du comte de Sois- 
sons et des causes de son éloignement. Il ne semble 
pas néanmoins qu'il lui ait ôté tout espoir de récon- 
ciliation ; mais il envoyait en même temps La Burthe 
en Béam pour remettre à la princesse la lettre 
de Jacques VI et la préparer à recevoir favorable- 

1. Voy. Écon, royales, 1. 1, p. 407 et les prëcéclentes. 



CHAPITRE V. 1iî> 



ment l'envoyé écossais Melvil muni d'instructions 
particulières. La princesse l'accueillit avec froideur, 
ajourna sa réponse et donna pour cause à son hési- 
tation une santé qui lui faisait redouter la rigueur 
du climat de l'Ecosse. Après de longues négo- 
ciations entre Momay et Buzanval, envoyé de 
Navarre à Londres, l'affaire se rompit, et Jacques 
épousa l'année suivante la princesse Anne, fiUe de 
Frédéric U, roi de Danemark. 

Cependant le voyage du comte de Soissons à la 
cour de Henri III s'était terminé sans satisfaction 
pour lui. Le roi l'avait accueilli froidement, ne 
pouvant lui pardonner la part qu'il -avait prise à la 
bataille où Joyeuse avait succombé. Une mission^ 
militaire en Bretagne lui avait été seulement ac- 
cordée, n s'en acquitta avec une imprudence dont 
les suites lui furent fatales. Arrêté par les ligueurs 
avec le comte d'Avaugour, il fut envoyé à Nantes 
et y resta plusieurs mois prisonnier. Sa captivité 
servait admirablement les intentions du roi de Na- 
varre, qui, grâce aux ligueurs, se voyait délivré 
pour quelque temps d'un ennemi dont les intrigues 
et l'irritation l'inquiétaient avec raison. Il se flatta 



; 



120 CATHERINE DE BOURBON. 

que cette absence effacerait son souvenir du cœur 
de Catherine. Mais la princesse, trop soumise à son 
frère pour oser braver son autorité, était trop cons- 
tante aussi pour sacrifier son affection et manquer 
aux engagements que son cœur avait dictés. Pa- 
tiente et discrète elle attendit, ne cessant ni d'es- 
pérer le retour de son fiancé, ni de prier pour lui. 
« J'ai su, écrivait-elle dans la joie qu'elle éprouva 

en apprenant son évasion', que mon cousin, le 
comte de Soissons, s'était sauvé de sa prison par 
un merveilleux moyen, car il en a été tiré dans une 
corbeille. Dieu a montré en sa délivrance un effet 
admirable de sa providence. Je le prie qu'il lui 
fasse encore cette grâce qu'il ne soit ingrat, envers 
sa divine bonté, d'un si excellent bénéfice'*. » 

Une des dames de la princesse, appelée à jouer 
un rôle important dans ce grand drame de la vie 
de Catherine, et que n'inspirait pas seulement 

1. a II se mil dans un panier dans lequel on lui apportait à 
manger; les domestiques l*emportèrent Iiors du château au tra* 
vers des gardes qui crurent que c'était la desserte qu'on enlevait. » 
(DeThou, Hist, univ., t. X, 1. 96, p. Gô9. Londres, 1734.) 

2. Lettre de Catlierine à M. do Gontaut. Arch. des aff. 
*itrang., curresp. diplom., France, n. XIX, vol. Inst., lettres 
écriles de la main du roi Henri iV, etc., fol. 17. 



I 

CHAPITRE V. «9« 

son attachement pour elle, servait de confidente 
aux deux amants et s'était chargée de leur corres- 
pondance. C'est par elle que le comte de Soissons 
apprit dans sa prison de Nantes que la princesse 
avait refusé pour lui la couronne que lui offrait l'hé- 
ritier des Stuarts et le futur successeur des Tudor. 
Cependant les États de Blois s'étaient ouverts 
avec éclat. La majorité dévouée au duc de Guise 
abreuva le roi d'humiliations et ne craignit pas de 
proclamer en quelque sorte la souveraineté du 
peuple. Henri III, par sa résignation passive, sem- 
blait accepter ou encourager cette rébellion ; mais 
sa conduite s'accordait trop peu avec son caractère 
pour ne pas inspirer de l'inquiétude. L'événement 
justifia les appréhensions. Le 23 décembre Henri III, 
par im sanglant coup d'État, vengeait son autorité 
menacée jusqu'aux dernières limites et croyait 
écraser la Ligue en assassinant ses rois. Ne sa- 
chant pas profiter de la consternation, suite de la 
terrible exécution qu'il venait d'accomplir, il laissa 
l'opposition se redresser plus furieuse et plus impo- 
sante. Mayenne fut nommé successeur de ses frères ; 
le duc de Mercœur gouverneur de Bretagne se joi- 



ir> CATHERINE DE BOURBON. 

gnit à lui; Lyon suivit son exemple et presque toi 
les parlements de province furent contraints d'en: 
brasser le parti de la révolte. 

Mayenne, chef de la ligue, possédait la bravoui 
du duc de Guise ; sa politique moins exclusive, se 
caractère plus sage lui assuraient des succès pli 
solides, n plaisait aux Parisiens par son nom, i 
clergé par sa dévotion et à la magistrature par i 
douceur et sa modération. Henri III crut pouvoir 
désarmer par des ofires brillantes qu'il méprisf 
voyant l'inutilité de ses efforts, il se décida à : 
réunir au roi de Navarre. L'entrevue des de\ 
princes eut lieu au Plessis-les-Tours (le 30 avi 
1589). Deux mois suffirent à Henri de Navarre poi 
reformer l'armée* A la fin de juillet quarante mil 
combattants étaient réunis, le siège de Paris, qi 
défendait Mayenne, allait commencer, le roi de N; 
varre, retiré à Meudon, tenait Vanvres et Charente 
avec ses troupes, et Henri III occupait SaintrClou 

C'est là que le l^ août 1589, il succomba victin 
du fanatisme de Jacques Clément et que l'antiqi 
prédiction qui promettait à la maison de Bourb< 
la plus glorieuse couronne idu monde, s'accomp 



! 



CHAPITRE V. iî3 



au milieu des convulsions de la guerre civile et re- 
ligieuse. Il ne restait plus des Valois qu'une prin- 
cesse prisonnière oubliée dans les murs d'une for- 
teresse d'Auvergne. 

Mais la France catholique ne pouvait reconnaître 
un roi calviniste, et s'il prétendait la gouverner, il 
devait abjurer. Henri IV résista, car l'appui des. 
huguenots lui était encore trop indispensable pour 
se décider. Il promit solennellement de se faire ins- 
truire et satisfit ainsi sa conscience et ses intérêts. 

A cette époque reparut le comte de Soissons à la 
tête d'une faction nouvelle dont les longues intri- 
gues expliquent encore la profonde et persistante 
irritation du roi contre lui. Ce parti, auquel le car- 
dinal de Vendôme donna son nom et le prince son 
courage, son intelligence et sa funeste activité, 
porta le trouble et la défection au sein de la cause 
royaliste et à plusieurs reprises en détacha quelques 
ardents auxiliaires. Rome, l'Espagne et la ligue le 
favorisaient secrètement. Il est évident que le comte 
de Soissons. correspondait avec ces trois puissances; 
il savait habilement s'effacer lorsque Henri triom- 
phiat, se relever avec ses revers. C'est ainsi qu'après 



f24 CATHERINE DE BOURBON. 

le succès inespéré d'Arqués, on vit le prince se 
rapprocher du roi, pour troubler l'armée en pré- 
tendant y occuper la seconde place * ; que plus tard, 
à la veille du combat de Fontaine-Française, il se 
retira du camp avec ses troupes, et que dans l'in- 
tervalle il conmiit un acte dont l'audace romanesque 
faillit enlever la sœur du roi au parti de son frère. 

Catherine apprit en Béam l'avènement de son 
frère au trône de France; Henri avait joint alors 
au titre de gouvernante et de lieutenante gé- 
nérale de Béarn que portait sa soeur celui de 
régente de Navarre, c'est-à-dire du pays qui s'éten- 
dait de l'Espagne à la Dordogne et de l'Océan au 
Languedoc. La plus belle partie du royaiune de 
Henri IV était ainsi confiée à son administration. 
Tandis que par la force des armes, il arrachait le 
nord de la France à la guerre civile, Catherine, par 
l'empire d'une modération intelligente et ferme, 
lui ^conservait une province agitée par les complots 
de l'Espagne et par les passions religieuses. 

La vie de la régente à Pau, ville qu'elle quitta 
fort peu durant cette intéressante période de son 

1. Mém, du duc d*Àngouléme, 



CHAPITRE V. 125 



histoire, est une continuelle attestation de son dé- 
vouement au roi, en même temps que de son atta- 
chement au peuple, à la noblesse et au pays qu'elle 
était fière et jalouse de conserver à son frère. C'est 
une existence à laquelle les mœurs naïves et la 
beauté de la contrée prêtent leur charme et l'anti- 
que splendeur du château de Pau sa majesté. On 
comprend qu'elle l'ait plus d'ime fois regretté au 
Louvre et à Nancy, et que son esprit doux et rêveur 
Tait constamment ramenée vers sa résidence chérie. 
Le château de Pau, bâti, dit-on, au dixième siè- 
cle par les vicomtes de Béam, conservait à l'époque 
où régnait la sœur de Henri IV son caractère de 
forteresse du moyen âge, et elle aurait pu braver 
quelque temps dans ses vieux remparts les attaques 
de l'Espagne et des ligueurs. Du côté oriental, il 
était protégé par des fossés profonds et par le flanc 
de sa principale tour ; du côté du nord et de l'ouest, 
par une enceinte de miu^s et par les eaux du Hédas ; 
du côté du nord, des escarpements naturels, baignés 
par une dérivation du Gave, rendaient la place inac- 
cessible . De sombres preuves de labarbarie du moyen 
âge l'animaient encore. Chacune de ses tours avait 



126 CATHERINE DE BOURBON. 

sa légende, sa prison, ses fantômes et ses sanglant 
souvenirs. Les instruments de torture se dressaien 
encore dans les cachots, et on assurait qu'un sou 
terrain immense s'étendait jusqu'à ime Adlle éloi 
gnée, pour faciliter dans un cas désespéré la fuit 
de la garnison. 

L'intérieur de ce château répondait à son pittc 
resque aspect. Les appartements où l'esprit se pla 
à évoquer la figure austère, mais rempUe de po< 
sie et d'originalité de la régente, étaient décon 
dans le goût de la renaissance, avec ce luxe pr< 
digue longtemps conservé dans les maisons flî 
mandes. Retracer ces chambres antiques, d'apr( 
les anciens inventaires, c'est chercher à reprodxrii 
un tableau de Rembrandt ou de Gérard-Dow* D< 
peintures remarquables, de magnifiques tapiss 
ries les ornaient. Les verreries d'Italie, les faïenc 
de Palissy, les majoliques d'Urbino briUaie: 
sur les dressoirs de noyer. Les armes florentin 
de l'époque de Charles VIII et les dagues \ 
Tolède étincelaient en trophées sur les panneai 
des galeries ; les guipures en point de Venise et i 
toile de Frise voilaient de leiœs déhcats réseaux 1 



CHAPITRE V. 127 



lits de damas, de velours et de satin des Indes. Li 
bibliothèque, dont l'intéressant catalogue existe en- 
core en partie, était l'une des plus curieuses de ces 
ancienstemps. Dans ime pièce appelée le cabinet du 
roi, dix coffres antiques portant les noms d'Abra- 
ham, de Moïse, de David, de Salomon, de Lazare 
et de saint Jean renfermaient le trésor du château, 
c'est-à-dire une profusion de bijoux et d'objets 
d'art dont l'énumération serait trop longue à don- 
ner ici ^ Presque tous ces appartements s'ouvraient 
sur une terrasse de laquelle Catherine pouvait con- 
templer le Gave avec ses eaux limpides et ses loin- 
tains murmures, les vallées de Gan et de Lestelle, 
les coteaux de Jurançon et de Gélos, tantôt resplen- 
dissants de soleil, tantôt noyés dans les brumes va- 
poreuses qui tombaient des Pyrénées avec les dev- 
niers feux du jour et les premières ombres du soir. 
De cette terrasse qui dominait des bouquets d'ar- 
bres dont les cîmes lui jetaient leurs parfums 
et leurs chants d'oiseaux, on descendait dans ces 
jardins tant aimés d'Henri et de Catherine, dont 

1. La plupart de ces détails sont dus aux savants ouvrages de 
H. de Lagrèzc sur le château de Pau. 



i^A CATHERINE DE BOURBON. 



l'entretien coûtait plus de cinq mille écus par an. 
Là, s'élevaient les berceaux de feuillage dont parle 
Auguste de Thou dans ses Mémoires, et les ver- 
gers célèbres qui ont donné à la France septen- 
trionale tant de précieux produits. Dans les terres 
attenantes coupées de bois, de champs et de prai- 
ries, qui dépassaient une étendue équivalente à 
trente-sept hectares, la régente récoltait le blé qui 
devenait le pain déUcat pétri par sa joUe boulan- 
gère Picotine ; les muscats, les melons, les figues 
et les presegs ou pêches réservées à sa table, tandis 
que les troupeaux destinés à l'approvisionnement 
du château s'engraissaient dans les pâturages sans 
se laisser distraire par les nuées de cailles et de 
perdreaux qui venaient à l'automne payer lem» tri- 
but aux cuisines dont le célèbre La Varenne avait 
été longtemps le maître. 

On connaît le caractère des anciens Béarnais par 
les lois que leur avaient données leurs souverains 
et par leur civilisation avancée. Comme toute na- 
tion ancienne et intelligente, qui respecte son passé 
et qui a foi dans son avenir, ils étaient jaloux de 
leiu* Uberté, et pour ce peuple fier et dévoué, 



CHAPITRE V. <2y 



Tobéissance était de l'affection et la soumission 
du respect. Lorsqu'un souverain avait mérité sa 
confiance, l'attachement qu'il inspirait était inal- 
térable. Ainsi s'expliquent et la facilité avec laquelle 
Catherine accomplit une mission qui n'était pas 
sans difficultés à une semblable époque, et la paix 
qui régna en Béam et en basse Navarre pendant 
que les autres provinces françaises étaient en proie 
aux divisions les plus violentes. 

Catherine était dirigée dans son gouvernement 
par MM. de Mesmes de Ravignan^ chef du conseil 
royal de Pau; de Callignon, chancelier de Navarre, 
de Gontaut Saint-Geniès , lieutenant général de 
Béam et gouverneur de Navarreins , et de Benac , 
conseiller et chambellan du roi et gouverneur de 
Bigorre. Dès l'âge de vingt ans où elle avait été nom- 
mée lieutenante générale et régente de Béam et de 
Navarre, elle avait pris une part active à l'adminis- 
tration et veillait avec la plus grande sollicitude à 
la défense du pays. La correspondance dont nous 
donnons quelques parties^ et qu'elle échangeait 

1. Pierre de Mesmes, seigneur de Ravignau, et président du 
conseil souverain de Pau depuis Tan 1S82. Mort en IGOG. 
^. Voir aux pièces justificatives. 



130 CATHERINE DE BOURBON. 



jour par jour avec MM. d'Incamps , de Saint 

(leniès, de Poyanne, de Meslon, d'Espalungue e 

d'autres officiers d'Henri IV, donne de précieu 

renseignements sur les divers mouvements de 

partis ennemis, et montre en môme temps la vigi 

lance et les soins de la Régente. Une eidstenc 

austère et paisible, beaucoup de charité, d'amêni 

dans les habitudes, une sojunission consciencieui 

aux ordres de son frère lui avaient assuré la cons 

dération de ces magistrats distingués et une sor 

de popularité, si l'on peut appeler ainsi le lien p 

triarcal qui existait entre le souverain et le peuple 

cette époque reculée. Calviniste rigide, elle observî 

les pratiques de ce culte avec ime sévère rigueur, mi 

sa conduite envers les catholiques était devenue aui 

tolérante que celle de sa mère avait été cruelle. Loi 

que ses devoirs de princesse et de chrétienne se tro 

vaientremplis, elle aimait à se retirer dans sonchâtei 

chéri, pour se livrer à ses études favorites bien c 

gnes de son temps et de son caractère. C'était d 

traductions des Psaumes en langue française et è 

poésies reUgieuses qui obtinrent une sorte de succi 

Les goûts >ifs et délicats que lui avait donnés s 



CHAPITRE V. 13f 

éducation pour la littérature et les arts, lui procu- 
raient des jouissances élevées et précieuses. Palma 
Cayet devenu son lecteur, l'initiait à la littérature 
naissante sous la plume inspirée de Malherbe, de 
Montaigne, de la Boétie, de Thou et des Yveteaux. 
La poésie française se préparait alors à déployer ses 
pompes, et du Bartas et d' Aubigné accordaient déjà 
la Ivre dont Corneille et Racine devaient tirer leurs 
mélodieux accents. Si Henri, au milieu des hasards 
de sa vie errante et glorieuse, lisait avec plaisir les 
vieux romans à la mode du temps ou les sonnets 
en vogue, avec quel charme sa sœur, retirée dans 
le château de Marguerite de Valois , ne devait-elle 
pas rechercher et accueillir les ouvrages littéraires 
de cette ardente époque ! A ce culte pour les lettres, 
noble héritage de son aïeule, elle joignait encore 
celui des œuvres d'art , des riches peintiures , des 
tapisseries, des objets précieux et même des indus- 
tries plus utiles et moins relevées créées par l'active 
imagination des Béarnais. Les imprimeries , les ar- 
mureries de Pau attiraient son intérêt, et les fabri- 
cants de drap de la petite ville de Nay obtenaient 
d'elle des encouragements. 



'■' ■ ■■'■'■ ■■■^'■l^ 



i'S2 CATHERINE DIS BOUttBON. 

Souvent elle quittait son château pour aller re¥< 
les sites qu'elle préférait dans les environs, les m 
tairies où, durant son enfance, elle aimait à se i 
poser , les ermitages ruinés dont l'aspect solitaire 
mélancolique plaisait à son imagination et lui n 
pelait les souvenirs de sa première jeunesse. Parf 
encore , elle allait porter elle-même ses ordres a 
gouverneurs des forts du pays * , visiter ses amis ai 
leurs châteaux, sans dédaigner l'hospitalité des chi 
mières. Nobles et paysans, catholiques et huguenc 
tous la recevaient avec un égal empressement. Lai 
de cette jeune fenune dont les simples habitudes s' 
liaient à de si grands souvenirs, la douce fermeté a^ 
laquelle eUe accompUssait sa mission, tout en elle 
spirait cette confiance respectueuse, cet attrait ind 
nissable qui excite le dévouement et assure l'affectii 

Catherine avait alors trente ans et il semble que 
crayon de Dumoustier l'ait représentée à cet âge 
à cette époque de sa vie. Ce dessin, conservé h 
BibUothèque impériale', s'accorde mieux que 
autres portraits de la princesse avec le témoigns 

1 . Lettre du 22 août 1592, à M. de Saint-Geniez. 

2. Bibl. imp. , cab. des estampes, communiqué parM. deLaboi 



CHAPITRE V. 433 



de ses contemporains. Ses traits offrent une ana- 
logie frappante avec ceux de Jeanne d'Albret et de 
Henri IV. La bouche est expressive, le teint délicat, 
le nez d'une courbe aquiline, le regard doux et vif, 
rœil du même bleu que celui de Henri. Des che-^ 
veux blonds, crêpés et relevés sur les tempes, enca- 
drent le front ouvert et pur. Le corsage et la taille 
ont de la grâce et de l'élégance, mais l'ensemble 
du portrait est celui d'une femme plus agréable que 
belle, et dont la physionomie intelligente et fine 
devait être le charme principal. 

Telle était, autant que nous pouvons le rappeler 
à trois siècles de distance et avec de rares lumières, 
l'existence de la sœur de Henri IV en Béarn, lorsque 
les journées d'Arqués et d'Ivry immortalisaient son 
frère, et qu'il luttait avec sa pauvre et glorieuse 
armée contre six adversaires , dont Mayenne était 
peut-être le moins redoutable. Mornay transmettait 
ces nouvelles à la Régente de Navarre * en l'ins- 
truisant des desseins du roi qui se rapprochait de 
Paris poiu* en commencer le siège. L'armée espa- 

1. Lettre de M. du Plessis à Madame, 18 septembre 1590. 
(Corre«p. de Mornay, t. VI.) 



iVk CATHERINE DE BOURBON. 



gnole arrêta alors ses succès et la guerre continua 
pendant toute l'année suivante sans apporter de no- 
tables changements dans sa situation. Il tenta de i 
sui-prendre Paris , ne réussit pas , mais parvint à ( 
s'emparer de Chartres et de Noyon. Le jeune duc de J 
Guise, fils du Balafré, s'échappa de Tours où il était 
prisonnier. Les ligueurs formèrent le projet de l'ap- 
peler au trône à la place du vieuic cardinal de Bour- 
bon et de lui faire épouser l'infante fille de Philippe II. 
De son côté , la régente eut lieu de craindre (no- 
vembre 1890) qu'une armée castillanne, forte de 
plus de dix mille hommes de pied, de quinze cents 
hommes de cavalerie légère ou d'arquebusiers à 
cheval, ne pénétrât en France par la Navarre, pour 
essayer de rejoindre l'armée du duc de Parme, de ' 
troubler ainsi les plans de Henri IV, et d'amener 
peut-être l'entier envahissement de la France éga- 
lement attaquée au sud et au nord * . Ces appréhen- 
sions ne se réalisèrent pas ; leur cause même per- 

1. Voy. V. Cayet, Chronologie novennaire, t. U, contenint 
« r histoire de la guerre sous le règne du très chrcstienroy de France 
et de Navarre Henr}* IV, et des choses les plus mémorables adfe- 
nues par tout le monde , depuis le commencement de son règne 
Tan 1589, jusques à la paix faite à Vcrvins, etc. » 



CHAPITRE V. 135 



mit à la régente de rendre im semée important 
à la politique française en attachant au parti de 
Henri IV un homme dont le nom et les infortunes 
étaient alors bien connus : c'était Antonio Ferez. 
On sait qu'il avait encouru la disgrâce de Philippe II 
après avoir été un instant l'égal en faveur, sinon 

(en talents politiques du cardinal Espinosa, du duc 
d'Eboly, du duc. d'Albe et du cardinal Granvelle. 
j Rappelons ici comment Catherine de Bourbon de- 
vint la protectrice de ce célèbre aventurier. 
* Ferez était parvenu à se réfugier auprès du tri- 
I bunal suprême d'Aragon ; il avait été acquitté par 
cette libre justice dont Charles-Quint avait autre- 
I fois respecté l'indépendance et reconnu les droits. 
Mais l'inquisition ayant repris son procès et l'ayant 
condanmé, il fut emprisonné de nouveau. Le peuple, 
animé par les partisans d'Antonio Ferez, se révolta 
contre ime autorité qui violait ses privilèges cons- 
titutionnels et délivra Ferez. Cette sédition provoqua 
la formation de l'armée castiUanne dont l'approche 
I inquiétait la régente de Navarre. Fhilippe craignait 
I d'exciter une guerre civile en déclarant ses inten- 
tions de vengeance contre l' Aragon. Il avait assuré 



I3(» CATHERINE DE BOURBON. 



> 



aux députés de Saragosse « que ses troupes pas- 
soient en France et feroient seulement halte en 
Aragon^. » Mais malgré ces paroles, l'armée était 
entrée dans Saragosse et de cruelles exécutions 
avaient commencé. Antonio Ferez réussit à s'en- 
fuir; il gagna les montagnes et il écrivit ime lettre 
suppliante à la princesse Catherine^ pour obtenir 

1 • a Especialemeutenon intrandocomono elitraniexercitaaexer- 
citar jurisdiccioD sino quœ yendo de paso a su jornada de Franzia. » 

2. a SéréDissime dame, Antonio Perez se présente à Votre 
Altesse par le moyen de celle lettre et de la personne qui la 
porte. Madame, comme il ne peut exister ici-bas de lieu si caché et 
si retiré où ne soit parvenu le bruit de mes persécutions et de mes 
aventures , il est probable que, par suite de ce retentissement, la 
connaissance en sera arrivée jusqu'à des régions aussi élevées que 
celles où Voire Altesse réside. Ces persécutions sont telles, et elles 
durent depuis si longtemps qu'elles m'ont réduit à la plus impé- 
rieuse et absolue nécesiité pour ma défense et ma conservation 
naturelle , de chercher un port où je puisse sauver ma personne 
et la mettre à l'abri de cette mer pleine de tempête que soulève 
avec tant de furie et depuis tant d'années contre elle la passion de 
certains ministres, ainsi que cela est notoire au monde entier. 
Raison suffisante. Madame, pour croire que j'ai été comme une 
borne à l'épreuve du marteau et de tous les chocs possibles. Je 
suiiplie Votre Altesse de me donner sa protection et un sauf- 
conduit qui me fasse parvenir au but que je poursuis, ou, si elle 
le préfère, de m'accorder son appui et un guide pour pouvoir 
passer en toute sûreté près de quelque autre prince de qui je 
puisse recevoir le même bienfait. Votre Altesse fera là une chose 
digne de sa grandeur. » M. Mignet, Antonio Perez et Philippe IL 



CHAPITRE V. 137 



st protection et se réfugier en Béarn. La pitié plus 
CDcore que la politique * décida la régente à lui ré- 
pondre : a qu'il pouvait venir hardiment et à la 
bonne heure et quil trouverait en Navarre toutes 
franchises^ allant, venant^ séjournant avec li^ 
herté entière de sa religion. » Elle lui envoya 
quelques chevaux et une escorte assez nombreuse 
pour sa sûreté. Il arriva àPaule 26 novembre 1S9I . 
Catherine le traita avec égards et accueillit géné- 
reusement ses compagnons d'infortune, condamnés 
à Fexil pour avoir défendu leurs libertés nationales. 
Quatre de ces nobles proscrits conservaient Fes- 
poir de vaincre l'armée castiUanne et de venger le 
grand justicier d'Aragon, Juan de la Nuça, exécuté 
par ordre de Philippe II. Ils demandèrent à la ré- 
gente de leur accorder quelques secours pour exé- 
cuter ce généreux et téméraire projet. Cédant as 
leurs instances, et accomplissant en même temps 
la pensée politique exprimée par Momay : « Nous 

I. La Grande Chronique ancienne et moderne de UoUandt— 
Zéiande, West frise, Utrecht, Frise Overyssel et Groeningen^ reeueiU 
lie tant des histoires desdites provinces que de divers aultres au- 
tears, par J. François la Petit, greffier de Bétliunes, en Artois. 
A.Dordrecht , impress. de Guillaume Guillemot, t. II, p» 604-COS. 



138 CATHERINE DE BOURBOiN. 

exciterons les révoltes d'Aragon *, w elle leur donna 
cinq cents hommes sous la conduite de quelques 
capitaines béarnais et promit des renforts si l'expé- 
dition commençait heureusement. Les montagnards 
furent avertis du passage des soldats et im grand 
nombre de volontaire^ se joignit à cette petite 
armée que dirigeaient quatre seigneurs aragonnais. 
Quelques succès furent d'abord obtenus ; la vallée 
de Tonte fut envahie, la ville de Jaca prise et la jus- 
tice royale chassée des environs. A ces nouvelles, 
Catherine chargea le chevalier de Sales, gouver- 
neur d'Oleron, de conduire mille soldats en Ara- 
gon^; mais diverses circonstances en retardèrent 
le départ. Pendant ce temps, les Espagnols, ren- 
trés dans Jàca, profitèrent des dissensions qui 
s'étaient élevées entre les capitaines aragonnais et 
béarnais pour disperser leurs faibles troupes et 
pour ameuter le peuple contre les huguenots. Ceux- 
ci revinrent en France avec peine, et les Espagnols 
chefs de» l'expédition ayant été pris, furent conduits 

i . Lettre à M. de Buzanval. {Mém, et corresp.) 
2. « Comment Madame Catherine, sœur unique du roytrès 
>chre8tién, estant à Pau, envoya des gens de guerre sur les fron- 
tières d'Aragon ^t ce qui en advint, w {Citron, novennaire, p. 342.) 



CHAPITRE V. 139 



à Saragosse et décapités. Antonio Ferez était resté 
àPau. Philippe II employa vainement divers moyens 
pour le ressaisir ; la vigilance de Catherine exerça sans 
obstacles sa généreuse hospitalité envers l'ancien 
secrétaire d'État espagnol, jusqu'en 1593, époque à 
laquelle il la suivit en France et reçut de Henri IV une 
mission diplomatique auprès de la reine Elisabeth. 
La petite expédition béarnaise en Aragon ne fut 
pas inutile aux intérêts de la France. Elle jeta une 
lumière plus vive et plus odieuse sur la cruelle 
politique de Philippe II et intéressa l'Europe 
entière au sort de ses dernières victimes. Peu 
après, le gouverneur de fiayonne découvrit im com- 
plot espagnol qui semblait être une représaille de 
la tentative de la régente en faveur des Aragonnais; 
il s'agissait d'envahir la Guyenne. Le gouvemeiu* 
de Fontarabie, qui en était le chef, avait pour com- 
plice un médecin navarrais et un Espagnol établi à 
Bayonne. Il s'en fallut de peu que le projet ne réussît, 
car une flotte et une armée étaient prêtes lorsque 
les conspirateurs furent découverts et mis à mort, ' . 

1. Chronologie novennaire. 



CHAPITRE YI 

Amour de Catherine pour le comte de Soissons. — Sa fidélité. — Son 
ignorance des querelles qui s'étaient élevées entre le comte de Soissons 
et Henri lY. — Caractère de la comtesse de Gramont. — Ses intrigues. 
— Sa jalousie contre Henri. — ÀTertissements donnés à Henri par H"* de 
Pangeas. — Lettres à la comtesse de Gramont. *— Siège de Rouen. — 
Promesses de la main de Catherine au duc de Montpensier et au prince 
d'Anhalt. — Le comte de Soissons quitte l'armée. — > Son arrivée à Pau. 
— Situation de Catherine. — Témoignages des auteurs contemporains 
sur sa volonté d'épouser le comte de Soissons. — Lettre de Henri IV à 
M. de Raviguan. — Entrée du conseil souverain chez la régeqjte. — • 
Arrestation du comte de Soissons. — Émeute excitée par le Conseil son> 
▼erain. — Catherine gardée à vue par H. de Ravignan. — Lettre de It 
princesse à Henri lY. — - Sentiments de Henri I Y en la recevant. — > U 
paraît oublier les torts du eomte de Soissons. — Conduite inconsidérée 
de ce prince. — Il insulte le baron de Pangeas. — Catherine quitte le 
Béam pour se rendre à la cour de Henri lY. — Son voyage. — Soo 
arrivée à Saumur. — Elle y trouve mesdames de Rohan et de Homay. — 
Volonté de Henri lY de lui faire épouser le duc deMontpensier.— Stances 
de Malherbe. — Résistance et larmes de la princesse. — Elle avoue au 
roi qu'elle s'est engagée à épouser le comte; de Soissons. — Colère de 
Henri lY. — Sa conversation avec Sully. — ^lly chargé d'exiger une ré. 
tractation de Catherine et du comte de Soissons.— Manière dont il l'obtiçat. 

Telle fut l'active et intelligente administration de 
cette princesse, dont le cœur, aussi vaillant et plus 
constant que celui de son frère, offrit le modèle des 



CATHERINE DE BOURBON, CHAPITRE VI. 141 



plus inébranlables fidélités à son roi, à son parti, 
à sa religion proscrite, enfin, comme on va le voir, 
au seul fiancé que son cœur eût accepté. 

Nous voici parvenus à l'épisode le plus curieux 
et le plus intéressant de ces amours, à l'un des évé- 
nements les plus romanesques de l'histoire du sei- 
zième siècle déjà si riche en aventures de ce genre.. 
Ce n'est pas sans hésitation que nous allons le re- 
tracer. Quand il s'agit de ces sentiments qui ont 
teUement agité une vie entière qu'on pourrait croire 
que l'âme qui en fut si profondément empreinte en 
a emporté le souvenir avec elle, on balance à choi- 
sir entre son propre témoignage et celui de la plu- 
part des historiens, et l'on voudrait n'écouter que 
sa voix aux dépens peut-être de la véritable rela- 
tion. 

Quatre ans s*étaient écoulés depuis l'époque où 
Henri de Navarre, après la bataille de Coutras, 
avait fiancé sa sœur au jeune comte de Soissons. 
Nous savons ce qui était arrivé ensuite : le mécon- 
tentement du roi, ses regrets, sa brouillerie avec le 
prince, les malheurs de ce dernier, sa prison et son 
évasion à Nantes, ses intrigues avec le cardinal de 



442 CATHERINE DE BOURBON. 

Vendôme et ses continuelles difficultés avec Henri lY, 
qui, forcé de l'admettre au conseil et à l'armée, se 
défiait sans cesse et trop justement de lui. 

Les circonstances n'avaient pas altéré les senti- 
ments qui l'unissaient à la sœur du roi. Une corr 
respondance active existait entre Catherine et le 
comte. Tous les deux ne cachaient pas à leurs fa- 
miliers que leur volonté était de terminer par un 
prochain mariage une inclination contrariée depuis 
longtemps. Catherine semble avoir ignoré ou vouli 
ignorer les mécontentements du roi. Le prince n( 
s'en inquiétait guère, ou croyait pouvoir les domi 
ner sans peine. 

Ainsi disposée, Catherine, aveuglée par son pen 
chant, se trouva entraînée dans une sorte de conspî 
ration ou d'intrigue assez sérieuse, ourdie par 1 
vengeance d'une ancienne maîtresse du roi, dé 
voilée par l'attachement d'une autre maîtresse éga 
lement de vieille date, et enfin confondue par 1 
ferme clairv^oyance de Henri et par la soumission d 
ses magistrats à ses ordres. 

H y avait alors en Béarn ime femme célèbre p£ 
ses charmes, son esprit et ses talents, une femme qu 



CHAPITRE VI. 143 



Henri IV avait autrefois aimée au point d'avoir ou- 
blié pour elle les intérêts de sa cause et le soin de 
sa gloire. C'était la veuve du comte Philibert de 
Guiche, gouverneur de Bayonne et sénéchal du 
Béam ; c'était cette Corisande que la Navarre avait 
surnommée la belle, et dont Michel Montaigne, 
plus flatteur encore, a immortalisé l'esprit en lui dé- 
diant les vingt-neuf sonnets d'Etienne de la Boétie. 
Amie d'enfance de Catherine, elle avait été la con- 
fidente de son penchant pour le comte de Soîssons, 
et l'avait favorisé, d'abord par affection pour la 
princesse, ensuite par un sentiment tout diffé- 
rent. 

En 1591, Corisande n'était plus la brillante hé- 
roïne du Béam et la maîtresse du cœur de Henri IV. 
Elle avait perdu et son élégance et sa jeunesse, et 
le roi qu'elle avait adoré, l'oubliait pour mademoi- 
selle d'Estrées. Naturellement ambitieuse et vio- 
lente, et sachant en femme de son siècle, haïr 
autant qu'elle avait aimé, elle chercha tous les 
moyens de montrer au roi qu'elle voulait et pouvait 

ir se venger. 

le A l'époque de la rupture de Henri avec le comte 



144 CATHERINE DE BOURBON. 



de Soissons, elle avait su tous les détails de cetU 
affaire et n'avait pas ignoré les causes de la pro- 
fonde irritation du roi contre ce prince, ainsi que soi 
désir d'écarter un rival aussi dangereux qu'entre- 
prenant. Avec cette prescience que donne la ja 
lousie, elle comprit que l'amour de Catherine pou- 
vait devenir entre ses mains l'arme la plus cruelle 
qu'elle pût employer contre le roi. Presser le ma 
riage de la sœur de Henri avec le comte de Sois- 
sons, lui donner une couleur de rébellion, prouvei 
par là le mépris que l'on faisait de son autorité, in- 
téresser peut-être l'Espagne et la Ligue à sa trahison, 
assurer le bonheur et l'indépendance d'un prince 
justement redouté du roi, tel paraît avoir été soi 
but en engageant Catherine à rappeler son fiancé er 
Béam en 1 892, pendant que Henri assiégeait Rouen. 
Mais tandis qu'elle correspondait activement ave( 
le comte de Soissons, xme autre femme, aimée 
aussi de Henri dans ses jours de jeunesse, lorsqu'elle 
s'appelait Jeanne de Tignonville, et mariée depuis 
au baron de Pangeas, devinait avec une défiante 
inquiétude les projets de son ancienne rivale, et 
transmettait au roi le récit fidèle et circonstancié 



CHAPITRE Vî. 145 



de ses intrigues, heui'euse de lui rappeler un senti- 
ment qu'il avait méconnu depuis de longues années 
et dont elle gardait complaisamment le souvenir. 
Tout autre que Henri IV, dans la crise politique où 
il se trouvait, aurait traité légèrement ces commu- 
nications qui lui rappelaient ses vieilles amours et 
semblaient dictées par une jalousie rétrospective. 
Avec sa lucidité ordinaii'e, sa merveilleuse habitude 
défaire face à toute espèce de péril, il en comprit du 
premier coup Timportance et le danger ; il devina 
l'ensemble de ce complot où devaient agir simul- 
tanément le chaste amom* de sa sœur, Tambitieuso 
passion du comte de Soissons, et Tactive aversion 
de Corisande. Peut-être prévit-il d'autres consé- 
quences à cette affaire, de ces dangers que seul 
il pouvait envisager, de ces déceptions enfin dont 
il n'avait que trop la cruelle expérience. Sa con- 
duite prouve toute l'importance qu'il y attachait. 

Il envoya immédiatement en Béarii un ancien ser- 
viteur de Catherine, nommé la Varenne *, homme 



1. Ancien maître d'hôtel de Catherine, fondai eur du collège 
^lela Flèche. La véritable orthographe de son nom est Lavaranne. 

9 



446 CATHERINE DE BOURBON. 

sans iiiuralité , uiais iutelligeut t?t dévoué au: 
rêtfe de sou maître. La Varenne était chaa 
lettres sévères pour madame de Gramont, d'à 
semants pour M. de Ra^iguau, président du < 
souverain à Pau , et de communications ten< 
eonliantes pour la princesse. Non content. i 
précautions prises dans le courant de janvier 
le roi écrivit encore à mîidame. de Gramo 
mois* de mars, la lettre suivante^ qui proiK 
l'intrigue marchait toujours : 

« Madame, j'avois donné charge à la Vj 
de parler k vous, touchant ce qui s'est passe 
ma sœur et moi. Tant s'en fault qu'il vo 
trouvé capable de me croire, que tous vo 
seins ne tendoient qu'à me blasmer et fosi 
ma sœur en ce qu'elle ne doibt pas. Je n'eus 
pensé cela de vous, à qiii je ne diray que ce 
que toutes personnes qui voudront broidll 
sœur avec moy, je ne leur pardonneray y 
Bar cette vérité, je vous baise les mains* 



{. CoUect. Alpli. de l'Isoi^rapliiç, pubiléu par MAI. dc( 
giion, Uérard et Tréraisol, fac-similé. (Lettres wiss,, t. HJ, 



CHAPITRE VI. U7 



Il accéléra eu même temps le siège de Chartres , 
« jugeant bien, dit de Thou, que le bruit du ma- 
riage de Madame avec M. de Soissons ne se faisoit 
que pour montrer le mépris qu'on avoit pour lui , 
et persuadé qu'il falloit agir avec vigueur et faire 
im coup d'éclat, aiin de rétablir la réputation de 
ses ai'mes * . » 

Peu après la reddition de (Ihartres, il écrivit à sa 
sœur jjour l'engager à se rendi'e à la Rochelle, où 
il espérait la revoir. Ce projet ne se réalisa pas; 
car la régente resta en Béarn, où, comme nous 
FavoMS vu précédemment, elle accueillit Antonio 
Ferez. D'un autre côté, Henri IV, à la tête d'mie 
^orte tU^mée qu'augmentaient ses alliés anglais 
et allemands, commençait le siège de Rouen. Il 
avait appelé le comte de Soissons près de lui, le 
maintenaiit ainsi sous sa surveillance, et l'em- 
ployait à diverses missions. En même temps, il 
laissait dire à ses conseillers que son intention était 
de donner Catherine au duc de Montpensier, et il 
permettait qu'on crut encore à la possibilité de son 
mariage avec It^ prince d'Anhalt ou avec un prince 



148 CATHERINE DE BOURBON. 

de Savoie. Lue expédition, qu'il fut alors contraint 
de faire en Picardie pour marcher au-devant du duc 
de Parme, changea cette situation. 

Aussitôt son départ , le comte de Soissons , 
resté près de Rouen , quitte brusquement Tannée, 
sous prétexte de revoir sa mère alors malade à 
Nogent. Là , changeant de route , il prend un 
nom supposé, un déguisement, et se dirige vers 
le Béarn , s'écartant des villes et des villages, 
se donnant, dans les tournebrides qu'il ne peut 
éviter, là pour un étranger retournant en Espagne, 
ici pour un porteur de dépêches, partout se faisant 
bien venir, grâce à sa bonne mine et à ses ga- 
lantes façons. Arrivé à trois heues de la ville de 
Pau, il laisse une partie de son escorte, entre fière- 
ment dans le château, avec douze cavaliers jeunes 
et vaillants comme lui, surprend et charme la pe- 
tite cour béarnaise et règne un instant en maître 
dans le vieux palais de Gaston de Foix. 

Que se passa-t-il alors entre le prince et la ré- 
gente? Faut-il croire avec la romanesque et peu 
véridique Charlotte de la Force * qu'agenouillé de- 

. Mémoire historique ou Anecdote rjufante et secrète de la rf«- 



Ol 



CHAPITRE VI. U9 



vant elle, il la supplia d'excuser une audace qu'elle- » 
même avait encouragée, de songer qu'il lui sacri- 
fiait son honneur, que si elle repoussait maintenant 
ses vœux il ne lui restait que la mort à chercher ou 
la honte et le châtiment de sa désertion à subir? 
La décida-t-il, comme l'ont assuré Sully \ de Thou '\ 
La Force ^ Mézeray*, Groulard\ les éditeurs de 
l'Étoile^, la princesse de Contidans son roman his- 
torique', et toutes les notices publiées depuis cette 

chesse de Bar, sœiirde Henri IV, roi de France, avec les intrigvefi 
de la cour pendant les règnes d'Honrtj lU et Henry IV. Amster- 
dam, chez Desboi'des, dans le Kelwastraet, 1729. L'auteur est 
Chariot le-Rose de la Force, petite fille du dqc de la Force. Voir 
aussi Bibl., Uist. de France, t. Il, n. 25593. 

1. Snlly, Mém., t. II, p. 71, Pelitot. 

2. De Thou, Hisl , t. XI, p. ^52. 

3. Mém, aulli. de Jacques Nompar de Caumont , duc de la 
Force, publiés par M. le marquis de la Grange, t. I, p. 250 et 
suivantes. 

4. Mézeray, t. III, p. 1047. 

5. Mém. de Claude Grouhird, p. 301, ehap. 3. Édil. Petilot. 

6. Journal de VÉioile, du règne de Henry IV, t. 1, p. 298, 
note 282. La Haye, 1731. 

7. « Le mariage de Palamède et de la sœur d'Alcandre vint à 
tel point que Pierre Cayer, minisire de Grassinde, fut commandé 
de le bénir présentement dont il s'excusa, et sur ce que Palamède 
menaça de le tuer, le ministre dit à Palamède qu'il aimait mieux 
mourir de lu main d'un prince que de celle d'un bourreau. » 
Observ. sur le grand Alcandreet sa clef, 423- r« 4. 



150 CATHERINE DE BOURBON. 

. époque , à combler son unique , sa dernîère espé- 
rance en consentant à un mariage immédiat? Est-i! 
exact d'aflirmer avec Tauteur de la notice sur PalniF 
(layet*, qui n'a fait que répéter d'ailleurs ce qiif 
bien d'autres ont dit, que le comte de Soissonî 
ayant demandé à Palma Cayet de bénir le mariage, 
le ministre aurait refusé et répondu au prince fu- 
rieux les paroles suivantcîs : <( J'aime mieux mourii 
de la main d'un prince que de mériter tomber souj 
celle du bourreau? » Enfin , doit-on admettre encon 
l'accusation portée par le Conseil souverain de Pai 
contre la régente d'avoir tenté de se faire enleverpai 
le comte? De tout cela le seul fait positif, le seul don 
Catherine n'ait pas cherché h se justifier tout ei 
gardant sur ce point un silence absolu, c'est que 1« 
comte et elle-même auraient renouvelé par un act» 
solennel leurs anciennes promesses, et que l'engage 
m^ent dressé et signé en présence do témoins par ui 
homme d'affaires de la comtesse de Gramont lui au 
rait été confié. 

Instruit selon la princesse par elle-même di 

1. Nolice sur Palma Cayet ; Coll. des Mem. relatifs ù VÏUstoir 
de France, (^dil. Petilot, p. 228. 



CHAPITRE VI. iSl 



voyage et de Tarrivée du comte, selon d'autres pav 
madame de Pangeas, Henri IV, vÎYement alartné, 
f- écrivit à M. de Ravignan la lettre suivante : 

(( Monsieur de Ravignan, j'ay reoeu du desplaysir 

de la façon que le voyage de mon cousin le comte 

de Soissons s'est entrepris. Je ne vous en dirays 

aultre chose, sinon que s'il se passe rien où vous 

consentiez ou assistiez contre ma volonté, vostre 

teste m'en respondra * . 

(( Henry. 

« 25 Diars. » 

Le roi avait envoyé en même temps en Béarn le 
baron de Pangeas avec pouvoir d'arrêter le prince 
et de le déclarer prisonnier ^. 

L'ordre n'admettait pas d'hésitation. Le premier 
président prit aussitôt les plus rigoureuses mesures. 
11 convoqua le conseil souverain et fit cerner le châ- 
teau par des troupes. Le même jour entre dix et 
onze heures du sqir, le Conseil souverain se rendit 
en corps chez la régente. Alors, en présence de tous 
les magistrats^ M. de Ravignan l'accusa d'avoir 

1. Lettfes missives de Henri iV, t. lU, p. 688. — Mém, du 
duc de la Force, t. ! , pièces justiflcatives. 

2. Mém, de Sully, t. H, p. 7f , Petitot. 

f 



\n2 CATHERINE DE BOURBON. 

voulu épouser, contre la volonté du roi, le comte 
de Soissons et d'avoir consenti à se laisser enlever 
par lui. Catherine, surprise et indignée, répondit 
avec une fierté dédaigneuse, qu'elle ne devait 
compte de ses actions qu'au roi et qu'elle ne savait 
ce qu'on lui voulait. Le premier président, d'une 
voix émue et tremblante, lui annonça que, prison- 
nière tant que Soissons sera dans le château ou 
dans la ville, il se chargeait du triste soin de la 
garder à vue dans ses appartements. 

Quel tableau à faire que celui de cette scène, 
ayant pour cadre le château de Pau, pour person- 
nages un vieux magistrat courbé sous la rigueur di 
devoir et une femme jeune et belle encore, nian 
énergiquement les torts qu'on hii reproche ei 
s'appuyant sur toute une vie de dévouement et d( 
vertu ! La plume rend mal ces vives et cruelle! 
images auxquelles le pinceau peut seul donnei 
l'éloquence et la \\e. 

Le comte de Soissons, dans son désespoir, es 
saya vainement de braver la volonté toute-puis 
santé de Henri IV. Après une résistance qui rempli 
le palais de trouble et la ville entière de confusion 



CHAPITRE VI. 133 



il rendit son épée à Pangeas et se laissa conduire 
en prison. Des rassemblements menaçants com- 
mençaient à se former autour du château, et des 
propos dignes de la crédulité de Tépoque circu- 
laient dans cette foule. « Le comte de Soissons , 
disait-on, était venu à Pau dans Tintention d'enle- 
ver la régente. Il avait employé pour la séduire un 
de ces moyens magiques révélés par la science 
infernale des Médicis aux courtisans du Louvre. 
Il avait charmé Madame ! sa raison était égarée ! 
11 fallait la venger et la délivrer de son en- 
nemi. » 

Le Conseil souverain qui, lui-même, avait excité 
ces rumeurs, feignit d'en être effrayé et fit partir 
le prisonnier à la hâte. Les cris de fureur de la 
foule arrivèrent jusque dans la chambre où la ré- 
gente, malade et gardée à vue , adressait alors à 
son frère la lettre suivante , fier et touchant récit, 
dont la lecture arracha, dit-on, au cœur de HenrilV 
les larmes les plus amères qu'il eut encore versées 
de saviez 

I. L'Étoile, Journal du règne de Henry IV, p. 298 , t. I, édil, 
Je 1741 , note, par M. le chev. C. B. A., 282. 

9. 



454 CATHERINE DE BOURBON. 

« Au ROY, 

a Monsieur, je vous ay faict entendre ] 
dernière lettre , Tarrivée de M. le comte 
cousin, et l'occasion de son voyage. Ce 
preuve d'amour de laquelle je ne lui puis 
mauvais gré , et crois qu'étant jugée telle d 
qui luy avez permis d'en avoir pour moi, et 
blement représentée que vous l'auriez pour 
ble. Son désir étoit de m'accompagner jusq 
lieu où vous êtes ; et ne me trouvant pas en c 
ni si prête de partir qu'il se l'étoit promis, il 
état de retourner m'attendre au lieu où il n< 
point inutile pour votre service. .Te n'ay r 
connu en lui que du plus fidèle serviteur qi 
ayez ; c'est ce que son arrivée m'a appris . 
principale occasion qui m'ait conviée à lui 
du bien, après le commandement que vou 
avez fait de votre propre bouche. Je lui ave 
mis de l'avertir du temps que je serois pi 
connoissant son affection telle à son matt 
moi, qu'avec votre permission il nomme ma 
je m'étois proposée, selon la liberté qu'il vou 
toujours me donner, de vous parler librer 



CHAPITRE VI. 15S 



VOUS supplier très-humblement lui permettre et à 
moi, en acceptant l'offre qu'il vous a plu me faire 
par M. Esperian, du choix de lui ou de M, le prince 
de Bombes \ trouver bon que je le préférasse à cette 
élection, espérant vous faire connoître, lorsque je 
serois si heureuse d'être auprès de vous, cembien 
j'aurois été soigneuse en cette occasion qui vous 
importe, ne pouvant commettre ces particularités 
au papier ni à un tiers, sur le partement de M. Es- 
perian ^ que je devois despêcher exprès, est arrivé 
qu'une troupe de mutins ^, du Conseil de ce pays, 
sans le sceu de M. de Saint-Geniès *, du moins comme 
il me l'a assuré, ne se voulant pas ressouvenir de ce 
qu'ils me dévoient pour avoir l'honneur d'être votre 
sœur, et de ma vie passée et présente, ont armé la 
ville et les faubourgs de Pau, se sont rendus maîtres 
du château, entre les dix ou onze heures du soir, et 
sans me faire savoir rien de leurs doubtes, sont ve- 



1. Henri de Bourbon, dur de Montpensier prince de Dombes, 
dauphin d'Auvergne. 

3. Théophile Esperian, l'un des secrétaires de layatuBH, 
et depuis du duc de la Force. \ 

3. M. de Ravignan et tout le conseil souverain. 

4. Armand de Gontaud, lieutenant général de Béarn. 






ioi) CATHERINE DE BOURBON. 

nus avec leurs robbes rouges impudemment se 
plaindre qu'ils avoient été avertis que je voulois 
épouser mon cousin, le comte, et qu'ils doutoient 
qu'il ne me voulust enlever. Il me semble, Mou- 
sieur, que nulle de mes actions n'a su fournir de 
ce soupçon, à ceux qui les ont pu voir et connoître, 
et qu'il n'est pas permis à telles gens de noircir la 
réputation d'une personne qui en a préféré le soin 
à toutes choses. La forme et l'heure signalent cette 
insolence, qui me seroit encore supportable s'ils 
n'y eussent ajouté, avec l'accusation de mon cou- 
sin, cette tache à ma réputation. Il étoit entré dans 
ce château avec une douzaine de gentilshommes, 
ayant fait loger ses gardes et une compagnie do 
chevau-légers qu'il avait amenés par escorte trois 
lieues delà le Gave, où ceux de Pau avoient voulu. 
Il ne s'étoit préparé à le vouloir, ni à le pouvoii' 
faire, et moins en jugerois-je, à le penser. Je ne 
fais point de doute qu'il ne vous en ait demandé 
justice. Si j'étois aussi libre que lui, ou que j'eusse 
pu me fier à quelqu'un qui eust porté mes lettres, 
vous l'auriez reçue beaucoup plus tôt; mais mon 
Roy, je suis entre les mains de ces méchants, qui ne 



CHAPITRE VI. 157 



s'accordent en rien qu'ils veulent faire de moi, qu'à 
me donner toutes sortes de peines, et en tel estât, 
que je n'ai su m'assurer que cette lettre vous fust 
fidèlement donnée que par cette voie. Vous m'avez 
toujours aimée ! Je n'ai assurance ni support que de 
vous; pour Dieu! mon Roy, faites paroître à ce coup 
que vous m'êtes bon Roy et bon frère ! Quand je ne 
serois que la moindre damoiselle de votre royaume, 
vous ne me dénieriez pas la justice ! Si par l'im- 
portunité de cet outrage, je me vois abandonnée de 
vous, je ne veux plus vivre ! Je vous en supplie très- 
humblement, les mains jointes et de tout mon cœur ! 
Ce n'est pas sans pleurer, et plût à Dieu que ce fut 
en votre présence ! Je ne cesserai guère cette vie-là, 
jusques alors, si la mort ne me la fait finir, que je 
désire. Je ne me reconnois la continuation de votre 
amitié pour la punition de l'injuste affront qui m'a 
été fait, et dont, de regret, la fièvre double-tierce 
me retient au lit. Hâtez- vous donc de me secourir, 
mon cher frère (si je mérite le nom de chère sœur, 
comme vous m'honorez de me nommer souvent), 
me permettant de vous aller trouver. Accordez-moi 
ma requête, mou Roy, et pardonnez si je vous ai 



158 CATHERINE DE BOURBON. 

importuné de ce long discours. Il est très-véritable, 
et l'offense que Ton m'a faite m'a donné cette har- 
diesse. Pour Dieu, mon Roy, aimez-moi toujours, 
et je ne changerai mon heur à rien qui vive! Je 
vous baise un million de fois en esprits » 

En apprenant ces nouvelles, Henri IV parut re- 
gretter ses rigueurs ; il répondit à sa sœur en l'ap- 
pelant près de lui pour occuper à la cour un rang 
égal au sien. Mais il n'en remercia pas moins M. de 
Ravignan de la fermeté qu'il avait montrée, et re- 
prit avec plus d'ardeur son dessein de marier Ca- 
therine au duc de Montpensier. La lettre qu'il écri- 
vit à M. de Ravignan fut un des motifs d'excuse 
présenté ensuite par le Conseil souverain à la prin- 
cssse, qui conserva toujours un amer ressentiment 
contre lui ^. Henri crovait alors avoir entièrement 

1. Bibl. imp., coll. Dupuy, 88, fol. 166 r», copie du dix- 
septième siîcle, donnée, t. III de VÉcole des Chartes, pai 
MM. de Fréville et Saint-Marc Mévil. 

2. « Monsieur de Ravignan, j'advoue ce que vous avés fait i 
Pau pour un des plus signalés services que m'eussiés su faire, c 
vous prie de continuer ; vous asseurant que je vous serai toujour 
bon maître et qu'il ne se présentera occasion que je ne vous fassi 
paroître la volonté que j'ay de reconnoistre vos services. » (Arch 
de M. le duc de la Force. Mém. auth. de J. N. de Caumont, pu* 



CHAPITRE VI. i59 



dominé cette intrigue et ne soupçonnait pas plus que 
le Conseil souverain l'existence du contrat confié à 
madame de Gramont. Voulant se déclarer satisfait 
par la sévérité avec laquelle le comte de Soissons 
avait été traité, il daigna lui pardonner ses torts et 
souffrit qu'il revint à la cour. Il se présenta devant 
Henri avec son audace ordinaire et ne tarda pas à 
provoquer de nouveau rimpatience du roi par un 
acte d'emportement inexcusable. On dit que, ren- 
contrant un matin chez Henri lY, lo baron do ran- 
geas, qui l'avait désarmé h Pau, il ne piut réprimer 
la colère que lui inspirait un tel souvenir. Après 
l'avoir insulté, il le saisit par le cou et le jeta du 
haut en bas d'un escalier ^ malgré la résistance du 
pauvre gentilhomme, dont l'énorme embonpoint se 
défendait mal contre la \igOLireuse étreinte do l'im- 
pétueux jeune homme. Ces sortes descènes arri- 
vaient trop souvent à la cour guerrière de Henri IV, 
qui en était toujours profondément offensé. Cette 
fois, il en éprouva un vif ressentiment, comprenant 

bliéspar M. le marquis de la Grange, t. I, pièces justif. et notes. 
Lettres missives, t. III, p. G22. 

1. Sully, Econ, roijales, t. II, p. 441. Édit. Petilol. 



160 CATHERINE DE BOURBON. 

trop que l'injure ne s'adressait pas seulement à son 
fidèle serviteur et qu'il en avait sa part. Bientôt en- 
core il apprit, ou prétendit apprendre que le prince 
était entré dans un complot ayant pûiu* but de faire 
relever de ses vœux le cardinal de Vendôme, et de 
lui donner pour épouse la fille de Philippe II. 

Cependant le voyage de Catherine se préparait, 
par les ordres de Henri IV, avec une pompe toute 
royale. Les magistrats des villes qu'elle devait tra- 
verser étaient invités à lui rendre les honneurs au- 
trefois réservés à la reine mère, Catherine de Mé- 
dicis. Momay devait aller l'attendre en Poitou, et 
Henri lui-môme à Saumur. La duchesse de Rohan*, 
sa cousine, la précéderait, et la princesse serait ac- 
compagnée de sa cour béarnaise et de ses ministres 
calvinistes, Lafaye , Dumoulin , Montigni, Fugré et 
la Serizaie. Palma-Cayet et Antonio Perez devaient 
être du voyage. Mais ces brillants préparatifs ne 

]. Catherine de Parthenay, dame de Soubise, vicomtesse de 
Rolian, veuve de René de Rolian, mort à la Rochelle en 158(1. 
« Femme d'un rare mérite, dit de Thou, et, ce qui n'est pas or- 
dinaire à son sexe, aussi remarquable par son érudition que par 
réclai de sa naissance et par ses vertus. • Elle avait eu deux Hls, 
Henri et Benjamin, et trois filles, Henriette, Catherine et Anne. 
(Hist, Univ., t. IX, 1. 35, p. 577. ) 



CIIAPITRK VI. MH 



séduisaient pas Catherine ; elle hésitait à obéir au 
roi ; les soins affectueux de ses dames et la res- 
pectueuse sympathie du peuple ne dissipaient pas 
la profonde tristesse dans laquelle elle était plongée 
depuis les rigueurs dont elle avait été l'objet. Ce 
ne fut qu'au retour d'un voyage dans les monta- 
l?nes, dewt le souvenir est conservé par des inscrip- 
tions gravées sur quelques maisons des Eaux- 
Chaudes, qu'elle consentit à fixer le jour de son dé- 
part ^ 

Cette résolution affligea vivement les Béarnais 
qiii avaient espéré la conserver comme souveraine. 
Ils lui présentèrent phisieurs adresses pour la sup- 
plier de rester. Palma Cayet rapporte h ce sujet 
l'anecdote suivante. «En sa maison de Castel Beziat, 
à Pau, que la royne sa mère avait faict bâtir pour 
elle expressément, à sçavoir, sur une certaine esmo- 
tion là advenue durant ces guerres dernières ; 
voyant qu'il luy failloit venir trouver le roy sou 
frère, ce que lesBéarnois ne consentoient aisément, 

1. Lettre de la princesse à M. d'Éspalun^ne , Bibl. imp., col. 
Dupuy, 407, fol. 08. — Idem au capitaine Incamps, Chronique 
de hourdea. par M. de Lagrùze. 



102 CATHERINE DE BOURBON. 



elle escrivit ces mots : c( Quo me fata vocant, » 
Tout aussitost, s'estant lavée les mains pour se 
mettre à table, elle trouva l'hémistiche tel, a Ne quo 
te fata vocarent, » Or c'estoit un équivoque par 
antiperistase pour la destourner de son voyage ; et 
néantmoins ceux qui firent cela n'y gaignèrent 
rien, car elle estoit toute résolue de venir en France 
trouver le roy son frère à son mandement ^ » 

Elle quitta Pau à la fin d'octobre 1392, et 
la Régente de Navarre fut saluée une dernière 
fois par les acclamations enthousiastes d'une foule 
immense. Les pauvres, qu'elle avait secourus, 
pleuraient amèrement. De vieilles paysannes béar- 
naises paraissaient inconsolables, ce Vous me re- 
verrez, je reviendrai pour vous, leur disait Ca- 
therine avec émotion. — Akhnadamo, plan vedem 
Vanodo, como de boste may^ mes no veyram pas 
la tornada, lui répondit tristement une de ces 
femmes^. Ces paroles se réalisèrent : la sœur de 

Henri IV s'éloignait pour jamais de ce peuple hé- 

■ 

1. Chron. septénaire^ p. 45, 1. U. 

2. «Nous voyons bien votre départ, 'comme celui do voire 
mère, mais nous ne verrons pas le retour, » 



CHAPITRE VI. 163 



roïqiie qiii voyait disparaître a^^ec elle la dernière 
représentante de sa glorieuse indépendance. 

Le voyage de Catherine fut aussi brillant que le 
roi paraissait le désirer. On- raccueillit dans toutes 
les villes avec un vif et joyeux empressement. Le 
\ienx maréchal de Matignon eut l'honneur de 
raccompagner en Guyenne, et Palma Cayet, qui te- 
nait le journal du voyage dont il n'omet pas un 
fait, raconte ainsi la réception de la bonne ville de 
Bordeaux. «San Altesse fut rencontrée sur la rivière 
par toute la maison de ville en corps avec toute la 
noblesse. Le premier capitou luy ayant fait une 
harangue, elle entra dans une barque de parade, 
pinte, dorée, couverte et tapissée de velours de ses 
couleurs, et accompagnée de plusieurs autres bar- 
ques chargées de seigneurs et de plusieurs gentils- 
hommes, dames et damoiselles; elle fut conduite 
à la rame par des espalliers accoutrez de mesme H- 
\Tée que la barque, jusques à l'endroit de la Bas- 
tide, avec toutes sortes d'instruments de musique. 
A l'abordage de sa barque sur le cay de la ville, 
fust incontinent dressé un grand pont fait exprès, 
couvert de drap de pied pour la mettre à terre. En 



ir.4 CATHERINE DE BOURBON. 



mesme temps, la cour du Parlement en corps la 
vinst saliier h la sortie de sa barque et luy fust 
faicte une belle harangue par M. d'Affis, premier 
président de Bordeaux, en laquelle il louoit Dieu de 
ce bonheur de voir en leur ville la perle des princes- 
ses, sœur unique de leurroy. Durant que ces chosej? 
se passoient, on n'oyoit que canonnades, tant des 
chasteaux Trompette et du Hâ, que des navires, 
avec une joye et aplaudissements du peuple. Et fui 

S. A. ainsi conduite et suivie de toute la noblesse e1 
bourgeoisie jusques en la maison du thrésorier gé- 
néral de Pontac, qui estoit le logis qu'on luy avoil 
préparé. Messieurs du clergé de Bordeaux allèrenl 
aussy au devant et luy firent ime harangue à la- 
quelle S. A. répondit fort dignement, les remer- 
ciant de la bonne affection qu'ils luy monstroient ei: 
faveur du roy. Elle eut aussi cest honneur, de fr.in 
ouvrir les prisons, comme il se faict de droit et d( 
coustumes aux entrées royales pour la compassior 
des pauvres misérables * . » 

La princesse trouva moins de sûreté en Poitou ; i 
fallut renforcer son escorte , et l'on apprit que le^ 

1. Chron. novem,, 240, f. U. 



CHAPITRE VI. i65 



Ligueurs avaient préparé des embuscades pour l'ar- 
rêter*. Elle ne s'en effraya pas et rejoignit, après un 
voyage que l'hiver et la fatigue rendaient double- 
ment pénible, Duplessis-Mornay, qui était venu 
l'attendre dans les environs de Parthenay. 11 était 
accompagné de la noblesse royaliste de la province . 
Ainsi protégée, Catherine arriva sans peine à Sau- 
mur. Elle y trouva deux amies dont l'affection 
fidèle ne devait jamais lui manquer. C'étaient la 
duchesse de Rohan et madame de Mornay. L'une 
pénétrante, résolue, altière, éloquente et persua- 
sive, faite pour la lutte et la résistance; l'autre, mo- 
deste et timide, pleine de sérénité, de mansuétude 
et de charité, isolant son aine des passions de son 
siècle, mais toujours prête à en partager et à en 
consoler les douleurs. 

Le roi arriva le 28 de février a par un temps fort 
fascheux et plein de neige, raconte Cayet, mais ce 
fust à cest abordade, tant au frère qu'à la sœur, 
que de se faire paroitre combien ceste entrevue leur 
estoit aggréable . » Henri commençait alors à recueil- 
lir les fruits de sa vaillante et judicieuse conduite. 

1. Chron. novem,, i, IV, p. 250 et suiv. 



<66 CATHERINE DE BOURBON. 

Le roi d'Espagne, par l'excès de ses prétentious, 
perdait son influence et se séparait de la Ligue. 
L'abjuration de Henri était annoncée aux conférences 
de Suresnes, et le roi négociait sans désarmer, sou- 
tenant ses propositions paciliques par des succès de 
guerre , et déployant sa force en laissant pressentir 
sa clémence. 

Ce n'était pas sans dessein qu'il se rendait, dans 
de pareilles circonstances, de Tours à Saumur, où 
Tattendait Catherinii. Il voulait la décider à épouser 
le duc de Montpensier, son cousin, prince estimable, 
et dont l'alliance lui paraissiiit utile à ses intérêts et 
favorable à la pacitication de la France par 3on in- 
Uuence sur la Normandie , dont il était gouverneur. 
Ce mariage lui semblait nécessaire pour anéantir les 
ambitieuses espérances du comte de Soissons, pour 
montrer son autorité sur sa famille, oi pour terminer 
avec éclat l'intrigue dont il \oulait que l'on crut 5a 
sœur victime et non pas complice. 

Mais ce projet ne devait pas se réaliser. Mornay 
en prévit l'impossibilité dès sa rc'ucontn^ avec la 
princesse, dans les plaines'de l^u'thenay. Là, sans 
songer à se repose.j' des fatigues de son voyage, 



CHAPITRE VI. 167 



elle l'avait retenu plusieurs heures auprès d'elle et 
lui avait raconté , avec une ardente indignation , les 
scènes du château de Pau et les rigueurs du Conseil 
souverain: «Jamais, s'était-elle écriée, elle n'ou- 
blierait un pareil outrage ; jamais elle ne pardon- 
nerait tant de scandale ! Si elle venait trouver Henri, 
c'était pour en demander réparation ; s'il la lui re- 
fusait, elle en appellerait à tous les parlements de 
France , elle obtiendrait justice et sacrifierait, s'il le 
fallait, à cette amère satisfaction, le 'repos de son 
existence et les honneurs qui lui étaient dus. » Puis ^ 
au nom du comte de Soissons, sa colère s'éteignant 
soudain, elle avait pleuré devant Mornay, elle avait 
versé des larmes si cruelles que l'austère conseiller 
avait oublié son rôle poU tique pour lui .prodiguer 
des consolations d'une sollicitude presque pater- 
nelle. Il avait obtenu qu'elle ne fît aucun éclat 
avant d'avoir revu le roi , et le prévenant en même 
tenapsy il l'avait engagé à rompre une négociation 
dont le succès lui paraissait plus que douteux. 

Cette communication, loin de décourager Henri, 
I^Urut au contraire fortifier son intention. 11 obligea 
le duc de Montpensier à le suivre à Saimiur, et la 



1(}8 CATHERINE DE BOURBON. 



cour, deviiiaut ses désirs sans en comprendre la 
cause, proclama la nouvelle du prochain mariage 
de Madame. Le duc de Montpensier parut de bonne 
foi très-épris de la princesse et ne lui épargna ni 
les déclarations ni les présents. C'était alors que 
Malherbe lui adressait les stances où, célébrant l'atta- 
chement du prince pour la sœur du roi , il lui fait 
tenir le langage suivant : 

u Beauté par qui les dieux, las de noire dommage, 
Ont voulu réparer les défauts de cet âge, 
Je mourrai dans vos feux ; éteignez-les ou non : 
Gomme le fîls d'Alcmène, en me brûlant moi-môme, 
Il suffit qu'en mourant dans cette flamme extrême 
Une gloire éternelle accompagne mon nom '. » 

En même temps Henri combla Catherine des 
marques de l'affection la plus vive , de la confiance 
la plus entière , et lui parlîi sans détours du projet 
qu'il avait formé pour elle. Son langage fut paternel 
et amical. S'il lui proposait le duc de Montpensier 
pour époux, c'était dans l'intérêt de son bonhem*, 
de sa gloire et de sa tranquillité. Il voulait élever ce 
prince aux premières dignités , augmenter sa for- 

1. Poésies de Malherbe, édit. de Lefebvrc de Saint-Marc. Paris. 
Btrbou, I75T, p. 7, 26 et 27. 



CHAPITRE VI. 169 






tune et assurer à ses enfants un brillant héritagv. 
Il vanta son caractère, rappela les marques de dé- 
vouement qu'il en avait reçues, et se représenta uni 
à lui par le double lien de l'affection et de la recon- 
naissance. Il ne supposait pas enfin que Catherine 
eut d'autre ambition que celle de contribuer à la 
pacification et à la grandeur de la France ! L'asso- 
ciant ainsi à ses hautes pensées, il se flattait de la 
dérober à d'autres sentiments, et cherchait à réveil- 
ler l'àme de Jeanne d'Albret dans le cœur trop pro- 
fondément épris de la fille d'Antoine de Bourbon. 
La princesse recevait ces propositions avec un 
trouble croissant ; sa répugnance paraissait éton- 
ner et affliger Henri. Il en résulta des scènes dou- 
loureuses et violentes dont on trouve quelques 
traces dans la correspondance de Mornay, et dont 
le résultat fut d'instruire le roi de l'existence des 
promesses de mariage renouvelées à Pau entre Ca- 
therine elle comte de Soissons. La dernière et la 
plus vive de ces scènes eut lieu à Tours, où la cour 
de Henri s'était transportée après le séjour de Sau- 
mur. Mornay fut mandé dans le cabinet du roi : 
Catherine était seuje avec lui. Henri avait employé 



10 



/ 



^70 CATHERINE DH BOURBON. 



successivement la douceur et la menace pourroblî 
ger à donner son consentement à son alliance ave 
le duc de Montpensier. Incertaine et timide devai 
sa tendresse, elle s'était redressée, lière et emporté» 
devant sa colère ; elle avait déclaré que sa foi ne li 
appartenait plus , qu'elle l'avait promise au com 
de Soissons , que rengagement existait légalemei 
et qu'elle n'avait plus le droit de se rétracter. Pui 
désespérée elle-même d'avoir laissé échapper c 
aveu, effrayée de la muette pâleur -de Ilenri IV, q 
contenait avec effort l'une des plus violentes colèiN 
de sa vie , elle s'était jetée aux pieds du roi et avi 
imploré. Henri en faveur du comte de Soissoiis m 
une émotion qui révélait combien son cœm' éU 
encore engagé. Elle avait conjuré le roi avec ta 
d'instances d'oublier ces offenses, qu'il avait pa 
ébranlé par ses paroles et touché de sa douleur, 
l'avait relevée avec bonté et avait fait appeler Me 
nay pour essayer de la calmer. Enfin, après Tavt 
reconduite à son appartement, il l'avait aidée àdi 
simuler à ses dames les traces de ses pleurs , et C 
therine, au milieu de ses regrets, avait repris à l'c 
péranee. ; 



CHAPITRE VI. i71 



Mais , après cotte scène , le roi manda Sully chez 
lui , et un entretien qui est rapporté dans les Éco- 
nomies royales eut lieu entre Henri et son ministre. 
Il lui révéla l'aveu de sa sœur et lui déclara que sa 
volonté était de reprendre au prince et à la princesse 
les promesses de mariage échangées entre eux , de 
les détruire , de les annuler par une renonciation 
mutuelle qui serait déposée entre ses mains. Il le 
pria d'y « employer son travail , son esprit et son 
industrie, et d'abandonner, pour terminer cette af- 
faire, toutes celles qui se traiteraient en ce moment. » 
Sully lui objecta leur importance, la difficulté qui 
s'élevait contre la réduction de la Normandie , les 
négociations à achever avec Rome , et lu soumission 
de Paris h effectuer. Henri l'interrompit avec vio- 
lence, en s'écriant que a l'affaire de Madame et de 
M. le comte de Soissons lui importait plus que la 
Normandie tout entière; que Rouen serait à lui 
dès que Paris autait ouvert ses portes , et que 
cette dernière ville n'attendait que son abjuration 
pour se soumettre! » Jamais Sully ne l'avait vu 
parler avec tant de véhémence et s'exprimer avec 
plus d'emportement. Il lui dicta le plan de conduite 



\12 CATHERINE DE BOURBON. 

à suivre, lui commanda une discrétion absolue 
lui permit d'employer la ruse s'il le fallait, la forc( 
si elle était nécessaire, et lui promit de ne désap- 
prouver aucun des moyens dont il se servirait poui 
atteindre son but. Confiant dans l'habileté de Rosny 
il reparut ensuite au milieu de sa cour, le fron 
calme et la figure souriante. 11 revit sa sœur, lu 
parla avec sa tendresse accoutumée , reçut mêm( 
avec quelque bienveillance le comte de Soissons. 
qui était arrivé depuis peu, et parut fermer les yeu> 
sur les entrevues qu'il avait avec Catherine chej 
madame de Gramont. 

Dans la soirée et les jours suivants, Sully, pai 
des confidences adroitement faites aux dames et aus 
amies de la princesse, laissa entendre qu'il savait 
une partie des intentions du roi envers le comte de 
Soissons, et pouvait agir en sa faveur. Ces demi- 
confidences furent répétées à la princesse, qui 
manda Sully chez elle et lui dit avec émption* : 

a Est-il vrai, comme certaines personnes le pré- 

1. Voy. aussi Amours du Grand Alcandre, La princesse est dé- 
signée sous le nom de Grassinde et le comte de Soissons sout: 
celui de Floridor ou de Palamède. 



CHAPITRE VI. <73 



tendent, que vous puissiez aider M. le comte de 
Soissons à regagner les bonnes grâces du roi ? Si 
cela étoit, jevous en aurois une éternelle recon- 



noissance*. » 



Rosny répondit qu'en effet il avait eu plusieurs 
entretiens avec le roi à ce sujet, et qu'il savait par 
quel moyen le prince pourrait obtenir son pardon 
et retrouver sa faveur. Pressé de s'expliquer, il 
ajouta que a Henri lui avait confié ses griefs contre 
le comte de Soissons; mais que, dans la persuasion 
oii il était que ses torts s'effaceraient avec le temps 
et les événements, il les pardonnerait si certaines 
promesses échangées entre Madame et le prince lui 
étaient remises, et s'ils consentaient, dans l'intérêt 
de son autorité et pour l'exemple de la cour, h dé- 
mentir des serments qui ayant été prêtés en son 
absence et ignorance^ l'offensaient comme souverain 
et comme parent; enfin, qu'avant trois mois ils 
s'apercevraient des bons effets de leur soumission, 
les choisirait pour ses enfants, les prierait de se 
vouloir aimer l'un l'autre, le tenir pour leur père, 
et en se mariant ensemble épouser les intérêts de sa 

• 

1. Économie» royales , t. H , édit. Petitol. 



174 CATHERINE DE BOURBON. 



personne et de son État. — Et croyez, Madame, pour 
chose très-certaine, ajouta Sully, que si vous et 
M. le comte voulez suivre ce chemin, les effets 
seront tels que vous pouvez les désirer * . » 

Après une longue hésitation, Catherine ayant 
pris conseil de madame de Gramont, du comte de 
Soissons et de l'évêque d'Évreux, ami du prince, 
adopta le plan suivant : elle remettrait les promesses 
de mariage à Sully et signerait la renonciation pres- 
crite parle roi; ces pièces demeureraient entre les 
mains de Sully qui s'engagerait par un serment 
solennel, au nom du roi, à récompenser cette 
marque de soumission par un prochain mariage. 
Ces dispositions réglées, les promesses furent exa- 
minées par Sully en présence de Catherine, du 
prince, de madame de Gramont et de du Perron, 
frère de Tévêque d'Évreux qui avait signé conune 
témoin au château de Pau. Sully produisit ensuite 
l'acte de renonciation qu'il avait rédigé dans les 
termes suivants: 

« Nous, Catherine, sœur unique du roy, et nous 
Charles de Bourbon, comte de Soissons, de notre 

]. Economies royales, t. H, édit. Pelitot, p. 165, 166. 



CHAPITRE VI. 175 



pure, libre et franche volonté, sans aucune induc- 
tion, force ni contrainte, avons déclaré et déclarons 
par ces présentes toutes et chacune les promesses 
de mariage qui pourront être ou avoir été faites 
entre nous, nulles, de nul effet et valeur, en quelques 
formes et en quelque lieu qu'elles soient ; avons 
consenti et accordé, consentons et accordons, que 
toutes Itîsdites promesses nous soient respectivement 
rendues, demeurant les choses comme non faites 
et non advenues ; renonçant à tout ce que pourrions 
nous prétendre en vertu d'icelles, et que, sans y avoir 
égard, chacun de nous soit libre et délié, et qu'il 
puisse quand et avec qui il lui plaira, faire et contrac- 
ter mariage : en témoing de quoy et pour preuve de 
notre volonté et intention, nous avons signé de 
notre main et scellé de nos armes la présente décla- 
ration, et pour la rendre plus authentique l'avons 

voulu j urer et faire en présence et es mains de » 

La renonciation était, on le voit, bien complète et 
bien formelle. C'était annuler sans retour toute 
espèce d'engagement, livrer la seule arme qui leur 
restait, à la main la plus intéressée à la briser. 
Mais Sully était pour la princesse un ami d'enfance, 



176 CATHERINE DE BOURBON, CHAPITRE VI. 

dont raffection l'avait soutenue dans plusieurs 
épreuves ; en diverses occasions il avait obtenu la 
confiance de Soissons, et tous deux, avec l'aveu- 
glement de l'amour, l'espoir de rentrer plus vite 
dans l'affection du roi, d'arriver rapidement à un 
terme longtemps désiré, signèrent ainsi aveuglé- 
ment l'acte de leur séparation. 



CHAPITRE VII 

Succès de Henri IV. — Son sacre. — Son entrée dans Paris. — Arrivée de 
Catherine dans Paris. — Tentative d'assass'uat de Châtel. — Piété de 
Catherine. — Sa situation entre Henri IV et les calvinistes. — Services 
rendus par la princesse au roi. — Sa charité envers les calvinistes. — 
Cérémonies religieuses autorisées chez la princesse. — Ses rapports 
avec le parti calviniste. — Tolérance de Henri IV.— Lettres de Catherine 
à Homay. — Difficultés et chagrins que lui créent sa fidélité envers sa 
reUgion et son parti. — Impopularitt^ de la princesse. — Privations et 
danpers de son existence . — Dons de Henri IV à sa sœur. 

Cette négociation se termina à Chartres et fut 
suivie d'une réconciliation officielle entre le comte 
de Soissons et le duc de Montpensier. La cour 
oublia promptement ces différends intérieurs, dont 
l'importance était effacée par les événements qui 
s'accomplissaient alors. Henri lY était sacré h 
Chartres à la fin de février 1894. Catherine occupait 
à cette cérémonie la place que l'étiquette réservait à 
la reine de France. Au festin d'apparat elle s'assit 
près du roi, sous un même dais ; elle le servit et fut 
servie elle-même par le comte de Soissons, et Henri 
termina chez elle la soirée de ce jour mémorable. 



178 CATHERINE DE BOURBON. 



Les redditions de Meaux, d'Orléans et de Rouen 
achevèrent d'assurer sa victoire sur la Ligue. 
Mayenne quitta Paris pour rejoindi'e le comte de 
Mansfeldt sur les frontières de Picardie et organiser 
une armée qui devait entrer en campagne le prin- 
temps suivant. La transaction qui livra Paris s'ac- 
complit pendant son absence, et le 22 mars 1594, 
Henri IV entrait en libérateur dans ces murs long- 
temps assiégés. 

L'entrée de la sœur du roi devait suivre celle de 
son frère. Mais la volonté de Henri et les cérémo- 
nies des fêtes de Pâques retinrent Catherine à 
Saint- Germain où elle avait réuni plusieurs fa- 
milles calvinistes. Le 13 avril, enfin, par Une ra- 
dieuse matinée de printemps, Paris reçut dans son 
enceinte Catherine et sa petite cour. La popula- 
tion parisienne, vaincUë par lA misère, soumise pai 
la Clémence de Henri, mais encore frémissante 
de passion, acciieillit Catherine avec une froideui 
significative. On sentait que sur ses pas arrivail 
uri parti, line aristocratie presqtie entière, et que 
cette princesse, en àppat'ence si paisible, rame- 
nait à la cour les adversaires longtemps redoutée 



CHAPITRE VII. ITtf 



(les (iuises, des Tavanues et des Moiitluc. Cette 
impression publique n arriva pas aux raugs plus 
élevés de la société. Ou vit la duchesse de Mont- 
peiisjer^ aussi courtoise pour Catherine que pour 
Ilenri, se rapprocher d'elle comme d'une protec- 
trice et d'une amie et lui offrir çn présent de récon- 
ciliation les guipm-es d'Anne de Bretagne et de 
(iiaude de Valois, riche parm^e que la belle ennemie 
de Henri III avait portée avec orgueil durant ses 
jours de triomphe et de jeimesse. 

Ces homieurs dissimulaient de constantes épreuves 
et des dimgei's incessants. Si Henri avait triomphé 
de ses principaux ennemis, il n'avait pas dominé 
1 esprit d'insubordiuatiou de sa coivr guerrière. Le 
roi et sa sœm* étaient sans cesse obUgés de répri- 
mer des divisions sanglantes et de redoutables pré- 
teutions. Autour du roi c'étaient les princes, le 
comte de Soissons surtout, qui s'agitaient dans une 
turbulente ambition. Près de Catherine il y avait les 
huguenots mécontents, les grandes dames calvi- 
nistes, irritées de la bienveillance avec laquelle Henri 

1 . Catherine-Marie de Lorraine, lille du duc de Guise assassiné 
devant Orléans, nv.a en 1552, morte en 1596 sans postérité. On 
"ait quel rôle elle avait joué durant les guerres de la Ligue. 



^80 CATHERINE DE BOURBON. 

et sa sœui* accueillaient les princesses de Guise *. Il 
fallait ainsi lutter contre les aversions des partis, 
savoir transiger avec ses propres souvenirs, se mon- 
trer à la fois indulgents et fermes. Catherine soute- 
nait moins vaillamment que Henri ce rôle difficile. 
Avec autant d'esprit, plus de constance, moius 
de génie et d'expérience, elle n'acceptait pas sans 
scrupule et sans effroi les difficultés de sa position 
et les exigences de la politique de Henri; le désordre 
des mœurs, le luxe des maîtresses du roi, tout, 
dans cette cour militante l'offensait ou l'alarmait. 11 
y avait encore le peuple si différent de celui de 
Béarn, le peuple toujours agité par les vieilles hai- 
nes du passé, dont la passion se révélait encore pai' 
la menace et l'assassinat. L'année 1394, signalée 
par tant d'événements importants, devait se termi- 
ner par la tentative de meurtre de Jean Châtel sui' 
Henri IV. Catherine apparaît pieuse et imposante 
dans la douleur que lui causa le danger de son frère. 
C'est au pied des autels que nous la voyons incliner 
son front à la fois reconnaissant et affligé^. Austère 

1. L'ÉtoHe, journal, U 11, p. 1 i2. 

2. /(/., ibi(L, p. 107. 



CHAPITRE VII. J8i 



I au milieu d'iine société profondément dissolue, 
conciliante panni tant d'opinions diverses, Cathe- 
rine prenait alors une part importante à la mission 
réparatrice de Henri IV. Nous devons chercher h 
l'apprécier ici, en reconnaissant que, par sa reli- 
gion même, elle contiibua au complet rétablisse- 
ment de la paix en France, à la publication deTÉdit 
de Nantes, et que sa persistance à demeurer calviniste 
après l'abjuration de Henri IV fut loin d'être nui- 
sible aux intérêts de son frère et du gouvernement. 
Les calvinistes, encore imposants par leur nom- 

! bre et leur influence dans presque toutes les parties 

jr i 

du royaume, déploraient hautement la conversion 
' de Henri IV. QUelques-uns avaient abandonné la 
cour ; tous étaient inquiets de leur avenir et regret- 



Ifc 

le 



tiiient leur ancienne influence. Cette sourde rébel- 
lion n'était pas seulement le dépit passager d'une 
faction mécontente ; elle avait son système et î^c^s 
chefs : La Rochefoucauld en Saintonge, la Tré- 
moiiille en Poitou, Rohan à La Rochelle, et Turennti 
à Sedan. 

Henri IV savait que la séduction des honneurs 
et l'oppression d'une autorité rigoureuse n'au- 



£ 



! 



182 CATHERINE DE BOURBON. 

raient aucun pouvoir sur eux. Il soupçonnait I 
Turenne de reprendre le projet qu'il avait autrefois . 
formé d'établir une sorte de république protestante 
dont il eût été le premier magistrat. Mieux que 
personne enfin, il connaissait les causes de ratta- 
chement de son ambitieuse noblesse pour la reli- 
gion réformée. 

La hiérarchie calviniste favorisait singulièrement 
ces intentions rebelles. On sait que tout le pouvoir 
de rÉglise de Genève reposait sur l'assemblée des [ 
anciens, nommée Consistoire, présidée par le pas- i 
teur qu'on appelait Modérateur, accompagné de ses 
ministres ; que, du Consistoire, les affaires se por- 
taient au synode provincial composé des députés . 

fi 

de chaque consistoire, et de là au synode national 
et que ces synodes ne pouvaient se tenir qu'avec 
une permission du roi qui y envoyait des commis- 
saires. Les assemblées particulières ou générales 
ne devaient, dans l'origine, traiter que des matières 
de foi, de morale ou de discipline, sans se mêler 
d'affaires civiles ou politiques. Le droit de faire des 
collectes étendit ses attributions ; les chefs de parti, 
toujours avides d'argent, ne trouvèrent pas de meil- 



CHAPITRE VII. 183 



leurs moyens d'en obtenir que de s'adresser aux 
églises. Les pasteurs et les ministres étaient char- 
gés de représenter les besoins réels ou prétextés, 
qui, étant discutés, faisaient des consistoires et des 
synodes des assemblées politiques. On y statuait 
sur la levée des troupes et sur l'augmentation des 
fortifications, sur les remontrances à adresser au 
roi, les alliances avec l'étranger, les trêves, les rup- 
tures, et tout ce qui regardait la paix et la guerre. 
Les assemblées avaient des agents à la cour, et éta- 
blissaient entre elles une correspondance qui de 
toutes les églises éparses dans le royaume forma 
comme un seul corps plus dangereux pour l'auto- 
rite souveraine que la Ligue et l'Espagne ensemble. 

Les esprits modérés de ce redoutable parti solli- 
citaient du roi un édit qui assurerait lem' situation 
religieuse et civile. Mais il ne pouvait l'accorder 
au moment où il se réconciliait avec le pape et se 
disposait à traiter avec Philippe II. Il aurait sacrifié 
la paix générale à un repos intérieur de peu de du- 
rée, et ce qui devait être une faveur, n'eût été 
qu'une concession. 

Il fut donc précieux au roi d'avoir, en de pareilles 



i84 CATHERINE DE BOURBON. 

circonstances, dans la personne de sa sœur, une re- 
présentante de ces intérêts qu'il fallait ménager, et 
un appui respectable et assuré pour eux. Depuis 
l'abjuration de Henri IV jusqu'à la publication de 
l'édit de Nantes, Catherine servit d'intermédiaire 
entre le souverain catholique et ses sujets protes- 
tants. Elle défendit leurs droits et contribua effica- 
cement à maintenir les chefs dans une sorte de neu- 
tralité. La publicité donnée à ses pratiques de piété 
en est la preuve évidente. En 1593, lorsque l'abjura- 
tion du roi était acclamée par la France catholique 
et désapprouvée par les huguenots, Catherine, alors 
à Mantes, faisait prêcher dans la maison du roi. 
Peu après, elle recevait une députation de religion- 
naires et assistait à toutes les audiences que Henri 
leur avait accordées ; plus tard elle obtenait qu'une 
conférence eût heu au sujet de l'abjuration entre 
l'évêque d'Évreux et un ministre calviniste. A Saint- 
Germain et à Fontainebleau, la princesse faisait cé- 
lébrer la cène en public plusieurs fois par an. Au 
Louvre, des assemblées protestantes avaient lieu 
chez elle trois fois la semaine. Les personnages du 
parti calviniste français, les amies de la princesse, 



CHAPITRE VII. 185 



les grandes dames protestantes y assistaient avec 
empressement. On y voyait la duchesse de Rohan 
et ses trois filles, Rachcl de Cochefilet, duchesse 
de Sully, Charlotte Arbalette, dame de Mornay, 
Madeleine de la Tour d'Auvergne, comtesse de 
Tendes, Henriette de Clèves, duchesse de Ne- 
vers, Diane d'Angoulême, duchesse de Montmo- 
rency, Elisabeth de Nassau, princesse de Bouillon, 
et Louise de ChâtiUon, princesse d'Orange. La foide 
était parfois si considérable que l'on ne pouvait trou- 
ver place. L'Étoile porte le nombre des assistants 
à ces cérémonies pieuses, à sept cents personnes, 
et Mornay à trois mille ' . 

Les aumônes que répandait la sœur du roi 
parmi les pauvres calvinistes étaient considérables, 
comparativement à son peu de fortune et même à 
l'espèce de misère que révèlent ses pressantes solli- 
citations aux ministres de Henri IV et les longs dif- 
férends qu'elle eut avec le roi pour obtenir un revenu 
suffisant pour soutenir son rang. Aussi était-elle 
obligée, poiu" subvenir à ses dons et conserver son 
état de maison, de vendre et d'engager ses meubles 

1. Journal de VEstoile, Correspondance de Mornay. 



186 CATHERINE DE BOURBON. 



et ses joyaux, d'emprunter sur ses terres et do 
maines^ Elle s'occupait avec sollicitude del'édu 
cation des enfants, plaçait les orphelins, mariait e 
dotait les jeimes filles, et réclamait pour les perse 
cutés la justice et la protection qui leur étaier 
dues'^. Sa pieuse charité s'étendait jusqu'à leur se 
pulture, et dans maintes occasions elle adressa d€ 
remontrances et des prières au gouvernement d 
Henri IV pour obtenir que les calvinistes morts fuj 
sent déposés dans ime terre consacrée^. Aucun 
fatigue ne rebutait son zèle. On la vit paiiois nw 
lade, présider de son lit des réunions de religioE 
naires, écouter patiemment leurs longues réclj 
mations * , dominer ses souffrances pour leii 
témoigner plus d'intérêt, surmonter enfin le 

1. Corresp. de Mornay, lettre de Madame à M. Duplessîs. 

2. Voir, aux pièces jusUQcatives , la lettre au connétable c 
Montmorency. 

3. « Madame, sœur du roy, trouve fort eslrange de voullo 
priver les réformés de sépulture, estant ung acte et espèce d'in 
humanité. » (Délibér. du Parlement do Rouen sur les réforméi 
Registres secrets du Parlement de Normandie, 1597, fol. 2 
Archives de la cour imp. de Rouen. ) 

4. Voir, sur Tintervention de Catlierine dans les querelles d 
religion entre le cardinal du Perron et les ministres protestants 
les OEuvres de du Perron, Paris, 1662, p. 309 et suiv. 



CHAPITRE YII. 187 



mécontentements du clergé catholique et Tirrita- 
tion de la population parisienne à laquelle les 
calvinistes inspiraient un profond éloignement. 

Le cardinal de Gondi, le curé de Saint-Eustache 
et d'autres ecclésiastiques se plaignirent souvent 
de Téclat des pratiques religieuses de Catherine, 
flenii IV, fidèle au plan politique qu'il avait adopté, 
leur répondit avec ménagement et se borna à adres- 
ser quelques observations insignifiantes à la prin- 
cesse. En 1594, les huguenots de Saintonge et de 
Poitou, lui ayant adressé ime requête pour la con- 
servation de leurs privilèges, il leur répondit avec 
fermeté d'abord, puis d'un ton plaisant en appa- 
rence, « qu'ils devaient désormais s'adresser à 
Madame, sa sœur, car leur royaume était tombé 
en quenouille. » 

Les lettres de Catherine adressées, vers cette même 
époque, àMomay etàFontrailles*, sont encore des 
témoignages du zèle qu'elle mettait à pratiquer sa 
religion et de la crainte qu'elle éprouvait qu'on ne la 
supposât disposée à imiter la conversion du roi. Elles 
démentent également un bruit qui circulait alors 

1 . Voir pièces justificatives* 



188 CATHERINE DE BOURBON. 

(^t que nous voyons répété par plusieurs auteurs : 
on disait qu'elle avait offert au roi de rentrer dans 
I1^]glise à condition d'épouser le comte de Soissons. 
(latherine commençait ainsi la lutte qu'elle devait 
soutenir pour les croyances de sa mère jusqu'à la fin 
(le sa vie, aux dépens de sa sûreté, de sa tranquillité 
personnelle, en bravant dès lors une impopularité 
menaçante dont les symptômes éclataient sans cesse 
malgré le respect porté à son nom et la protection 
de Henri IV. A son passage à Bordeaux en 1592', 
une émeute avait éclaté à la suite d'un prêche fait 
publiquement chez elle. Avant l'entrée de Henri 
dans Paris, le nom de sa sœur était souvent ou- 
tragé par les prédicateurs de la Ligue. Les plus mo- 
dérés la représentaient ambitieuse, intolérante et 
eruelle. Le fougueux Lincestre l'appelait, dans ses 
sermons, « la Jézabel française, l'accusait d'attirer 
kl colère divine sur le peuple et la traitait de ser- 
pent, de démon sorti des montagnes et traînant à 
sa queue et à ses talons ime douzaine de diables, 
< omme autant de chiens courants^. » 

1. Palma Cayel, Chron. woi;., t. H. Pelîtof. 
'2. ÉtoiL'. journal de Henry IV, t. H. 



CHAPITRE VII. iSO 



Ces injures dont la honteuse grossièreté prouve 
à quel point l'esprit de parti avait profané et envahi 
la chaire, étaient répétées dans les assemblées pu- 
bliques de la ville, dans les promenades et dans les 
carrefoiu's. Les femmes de la bourgeoisie et du 
peuple se montraient surtout acharnées contre la 
princesse. Un matin, elles se réunirent en foule et 
se rendirent à la maison du procureur général Mole 
pour se plaindre des prêches qui avaient lieu chez 
Madame, et d'une distribution d'aliments faite aux 
pauvres en son nom, un jour d'abstinence K Ren- 
voyées de chez lui, elles allèrent au Palais, de là à 
l'archevêché et au logis du premier président de 
Harlay qui les reçut avec une froideur railleuse. 
«Rentrez chez vous, damoiselles, leur dit-il de 
son balcon, et m'envoyez vos maris, à cette fin de 
leur faire commandement de vous tenir enfermées 
dans leurs maisons et de ne vous plus laisser courir 
les rues comme vous le faites présentement. » 

L'irritation publique n'était pas moins vive contre 
les amies de la princesse. Le 30 juillet 1594, la 
duchesse de Rohan écrivait à madame de IMornay : 

1. V Etoile, C H, p. 3C7 et 369. 



190 CATHERINE DE BOURBON. 

« Madame la princesse d'Orange est en ceste ville : 
on se persuade qu'elle et moi désobéissons aux 
édits, encore que nous n y pensions pas, et parle- 
t-on de nous assommer. Sur ceste fort fâcheuse dé- 
libération je vous salue * . » 

La presse parisienne, malgré les défenses du gou- 
vernement, n'épsirgnait pas plus la princesse que 
les ligueurs : des pasquUs*, des sonnets et des sa- 
tires impossibles à reproduire étaient journellement 
répandus contre elle. Au Louvre même, dans les 
galeries qu'il lui fallait traverser pour se rendre 
chez le roi, des placards injurieux^, affichés par 
des inconnus, attristaient ses regards et offensaient 
son cœur. On allait jusqu'à redouter son influence 
sur le roi. Et cependant il la voyait rarement seule ; 
un soir pour avoir écouté chez elle de la musique 
religieuse *, on répandit le bruit qu'il avait assisté à 
une réunion de calvinistes et prié avec eux. 

1 . Corresp. de Mornay, 

2. Entre autres, Tableau en plate peinture de la vie et mœurs 
d'Henri IV. 

3. VÉioile, journal. Voy. les Dix commandements au roi, 
t. II, p. 332. La Haye. 

4. Ibid , t. II, p. 33G. La Haye. 



CHAPITRE VII. 19i 



A ces épreuves s*en joignaient d'autres non moins 
pénibles. Associée à la vie de Henri IV depuis son 
arrivée à Saumur, elle partageait ses privations et 
souvent ses dangers. Au siège de Dreux, elle 
manqua périr à ses côtés pour être venue visiter 
imprudemment la tranchée ; sa robe fut effleurée 
par les baUes, et des officiers furent mortellement 
frappés auprès d'elle. Durant ses voyages, il lui 
fallait se passer souvent du nécessaire et se loger 
dans des masures où elle était à peine garantie du 
froid et de l'humidité. Pendant une expédition 
en Picardie, le roi la trouva malade, couchée sur 
un grabat dans une chambre ouverte à tous les 
vents et dont le plancher était si vermoulu qu'il 
s'affaissa en partie durant la visite de Henri * . 

La mauvaise administration de M. d'O, surin- 
tendant des finances, augmentait la pénurie de cette 
cour errante. La sœur du roi jeûna souvent parce 
que ses pourvoyeurs ne voulaient plus rien fournir 
à crédit, et l'hiver de 1594 la trouva sans feu, pour- 
suivie par les créanciers de Jeanne d'Albret, obligée 
d'abriter sa royale misère chez le connétable de 

1. SuUy, Mém. L'Etoile, journal de Henry IV, t. H. 



<92 CATHERINE DE BOURBON. 

Jîontmorency quand des privations trop longues 1 
chassaient du Louwe. En 1595, Henri, connaii 
sant sa détresse par les demandes qu'elle lui adrei 
sait forcément, lui accorda la recherche desdéche 
(le sel. La sollicitude avec laquelle Catherine n 
commande l'affaire à M. de Baudry, trésorier c 
Touraine^ prouve à quel point elle était nécess 
te use. Cette création de chambre à sel en grenie: 
rencontra cependant une certaine opposition de 
part de la Chambre des comptes de province, et 
pauvre princesse, toujours impatiente, priait etpre 
sait en vain les gens de finance qui se montraiei 
assez indifférents à la misère qu'elle leur étalait 
Plus tard, le roi lui fit don de la seigneur 
d'OUnville, des amendes et confiscations desfai 
monnayeurs ^ et des transports d'or et d'argent ha 

1. Lettre du 20 oclobre 1595. Archives de la cour de Roue 
Lettre du 20 juin 159G , à M. de Motteville , prés, en la Chamli 
(les comptes de Normandie, arch. de la cour de Rouen. Ce 1 
sans doute h roccasion de cette opposition que Catherine se rcn( 
à Rouen. (Voy. arch. municip. de Rouen , délib. A., 21, fol. 21 
v". Ibid., fol. 333.) On y voit qu'elle alla demeurer au logis 
Saint-Ouen. 

2. Ecole des Chartes, t. 111. 

3. Lettre du 23 avril 1597, à Messieurs de la Chambre d 
comptes de Normandie. Lettre du 16 juillet IGOl, aux même 



CHAPITRE Vil. 193 



du royaume. Grâce à ces ressources et à un édit 

d'augmentation dans les corps d'arts et métiers*, 

dont la finance lui fut réservée, elle put enfin vivre 

convenablement et subvenir aux modestes dépenses 
de sa maison. 

Areb. de la cour de Rouen. — Ibid,^ du 15 avril 1599, au con- 
nétable de Montmorency. Bibl. imp., mss. franc., 9083, fol. 9. 

1. Portef. Fonfanieu, 443. Lettre du 15 décembre 1598, à 
M. de la Guesle. 



CHAPITRE VIII 



Espoir de Catherine d'épouser le comte de Soissons. — Conduite de ( 
prince avant le combat de Fontaine-Française. — Henri IV décidé 
détruire l'illusion de sa sœur. — Sully chargé de cette missiov. — S 
scrupules. — Son entretien avec Henri. — Sully à Fontaineblean. - 
Entourage de la princesse. — Conversation de Catherine et de Sully. - 
Colère de Catherine. — Lettres de Henri IV à Sully. — Services rend 
par Sully à la princesse. — Regrets de Catherine. — Sa réconciliati» 
avec Sully. — Persistance de ses regrets. — Reproches adressés p 
Madame de Rohan à Henri IV, — Lettre de Catherine à Henri IV. • 

— Maladie, lassitude et désir de la princesse de quitter la cour. — Letti 
au duc de la Force. — Pénible réconciliation de la princesse avec Henri I 

— Motifs de son retour à Saint-Germain. — Rapports de la prince: 
avec les calvinistes, — Intrigues du parti calviniste. — Surprise d'Amiei 

— Lettre de Henri IV à la princesse. — Succès de Henri. — Désarmemc 
de la Ligue. 

Au milieu de ces épreuves, il restait à la princesi 
une espérance qui allégeait ses peines. Elle se fia 
tait toujours que Henri IV, touché par sa patien( 
et son dévouement, la laisserait épouser le com 
de Soissons, et que, soutenue par Sully, elle arriv 
rait au terme de sa longue attente. Mais Henri d 
meurait inflexible, et ses griefs contre le comte ( 



CATHERINE DE BOURBON. CHAPITRE VIII. 195 

Soissons s'augmentèrent, en iS9S, d'une nouvelle 
faute de ce prince. 

L'Espagne menaçait alors nos frontières et le 
connétable de Castille avait pris Vesoul. Birou dé- 
fendait la Bourgogne. Henri avait rassemblé son 
année pour aller le soutenir, quand le comte de 
Soissons'dérangea ses plans par la plus audacieuse 
prétention. Il voulait commander les troupes im- 
médiatement après le roi, comme grand maître de 
France, et se placer ainsi au-dessus du maréchal 
de Biron. Henri refusa, et le prince, suivi de ses 
hommes d'armes, abandonna, dans sa colère, 
l'année à la veille d'une bataille. 

C'était celle de Fontaine-Française dont Henri IV 
rendit compte à sa sœur dans une lettre que l'his- 
toire a conservée et de laquelle nous ne citerons 
que cette seule phrase : « Ceux qui ne s'y sont pas 
trouvés y doivent avoir bien du regret^ ^ » allu- 
sion évidente faite par le malicieux Henri au cou- 
pable amant de sa sœur. Catherine essaya en vain 
de l'excuser, et le comte de Soissons, se repentant 
trop tard, voulut expliquer sa conduite dans deux 

1. V Etoile, journal, coll. Serieys. 



196 CATHERINE DE BOURBON. 

lettres qu'on lit encore dans plusieurs recueils. Sadé- 
fection s'accordait trop avec ses anciennes relations 
avec l'Espagne pour que Henri dût la pardonner. 
Il résolut alors de donner le coup de grâce à 
l'attachement de sa sœur, de reprendre les négo- 
ciations relatives à son mariage avec le duc de 
Montpensier ou d'en entamer d'autres avec le mar- 
quis de Pont, fils du duc de Lorraine. Sully fu 
chargé de se rendre à Rouen auprès du premier d< 
ces princes et de lui offrir de nouveau la main de 1 
sœur du roi et toutes les assurances capables de 1 
lui faire accepter. Le duc, homme de mœurs dou 
ces et d'im caractère honnête et pacifique , très 
attaché à Henri IV, reçut Sully avec empressemer 

et acquiesça volontiers à ses propositions. Revenu 
Amiens, où le roi était encore, le ministre fut d'à 
bord remercié chaleureusement, puis chargé d'un 
autre mission plus délicate et plus difficile. Les si 
crétaires de Sully rapportent en détail la scène t 
curieuse où Henri lY ayant renvoyé sa cour aprè 
son coucher, fait agenouiller SuUy auprès de son lî 
et lui confie le soin d'aller de sa part trouver Cathe 
rine, de l'assurer de sa bienveillance, de lui témoi 



CHAPITRE VIII. 197 



guer son désir de la voir heureuse, puis de lui re- 
présenter les difficultés qui s'opposent au mariage 
qu elle souhaite contracter, par suite du caractère, 
de la conduite et de la prodigalité du comte de Sois- 
sons ; enfin si elle résiste, de la menacer de lui re- 
tirer sa confiance et ses biens, et de lui proposer 
pour époux le duc de Montpensier enlui exaltant ses 
grands biens, sa douce humeur et ses autres quali- 
tés, « usant, ajoute Henri, de grande prudence et 
circonspection, afin de mieux mepnager l'esprit de 
sa sœur qu'il sçavoit être soudain, dépit et colère*. » 
« Vous vous trouvastes alors en merveilleuse peine, 
disent encore les secrétaires de Sully, et après vous 
être mis à rêver et à gratter votre teste, et que le roi 
vous eut dit qu'il voyoit bien que vous vous grat- 
tiez où il ne yous démangeoit pas, mais qu'il n'y 
avoit pas remède, et qu'il falloit passer par là, 
n'ayant personne qui peut s'acquitter si heureuse- 
ment de cette corvée qu'il savoit bien que vous fe- 
riez, vous le suppliâtes de ne vous surcharger point 
d'affaires tant épineuses. » 

1. Écon. royales, t. II, p. 439, édi!. Pelilot. 



198 CATHERINE DE BOURBON. 



11 objecta ensuite les promesses qu'il avait faites 
à la princesse en exigeant la renonciation signée à 
Chartres, la passion qu'elle éprouvait toujours pour 
le comte, ses serments de la servir, d'obtenir du roi 
qu'il comblât ses vœux. Il supplia Henri de ne point 
charger ses épaules. d'un fardeau si pesant, de lui 
éviter une mission qui amènerait une irréconciliable 
brouillerie entre la princesse et lui. a Sur quoy, 
ajoutent les rédacteurs de ses mémoires, vous eustes 
diverses contestations ensemble près de trois jours 

durant, desquelles toutes les particularités nous 
sont quasi toutes eschappées de la mémoire ;; mais 
tant y a que, nonobstant toutes vos raisons, allé- 
gations et justes appréhensions, il voulut montrer 
qu'il étoit roi et maître absolu, et vous sujet et ser- 
viteur obéyssant, et par conséquent que sa volonté 
fut faite, en vous donnant aussi sa foy et sa parole 
de ne vous abandonner point, mais de vous main- 
tenir envers tous et contre tous, pourvu que vous 
lui fussiez toujours aussi loyal serviteur que vous 
aviez été par le passé, et qu'il voidoit faire valoir 
entre vous deux le vieil proverbe qui disoit, à bon 
maître hardy valet ! » 



CHAPITRE VIII. 199 



Ainsi pressé par Henri IV, Sully partit pour Fon- 
tainebleau où était la princesse. 

La mission en effet bien pénible, devait être rude. 
Catherine était moins disposée que jamais à obéir 
à son frère, et son entourage Vencourageait à la 
rébellion. Corisande était près d'elle, toujours 
animée contre le roi. Les autres dames, lasses 
du long célibat de leur maîtresse, excédées de 
sa pauvreté, peut-être de son dévouement à Henri, 
s'étaient toutes, plus ou moins, rangées dans l'op- 
position depuis sa conversion au catholicisme. La 
duchesse de Rohan, la plus illustre amie de Cathe- 
rine , j oignait une rancune maternelle à ses mauvaises 
dispositions. Henri IV avait aimé un moment sa se- 
conde fille', et celle-ci vertueuse autant que belle, 
avait repoussé la déclaration par cette célèbre ré- 
ponse : « Je suis trop pauvre pour être votre femme, 
et de trop bonne maison pour être votre maîtresse. » 
Madame de Rohan trouvait que la vertu de sa fille 
méritait une couronne ; elle pouvait avoir raison, 
mais Henri n'était pas de cet avis, et se contentait 
de la respecter. C'était là, dit-on. Tune des causes 

1. Catherine, depuis duchesse de Deux-Ponts. 



"V 



200 CATHERINE DE BOURBON. 

de ropposition de la fière duchesse, à laquelle on 
attribue l'un des plus virulents libelles qui aient 
été publiés contre Henri IV. 

L'arrivée de Sully dans cette petite cour fut un 
événement qui en souleva toutes les passions. Un 
moment la princesse, tremblante de joie et d'es- 
poir, crut qu'il venait lui apporter le consentement 
du roi au mariage. Seule avec lui, elle le mit sur 
le sujet de sa visite en l'inten'ogeant sur les dispo- 
sitions du roi et en lui rappelant les promesses qu'il 
avait faites à Chartres, après la renonciation. 

Alors eut lieu, entre Catherine et Sully, la scène 
longuement racontée par les secrétaires du minis- 
tre, dans laquelle se révèle avec une vérité souvent 
trop rude le caractère si passionné et si fier de 
la princesse, hem^tant la politique de Sully, dé- 
jouant ses projets et ses ménagements, et finissant, 
à force de violence, par lui donner l'occasion de lui 
dévoiler les volontés de Henri IV. C'est un long et 
pénible dialogue, empreint de la sauvage origina- 
lité de l'époque, écrit dans un style rude, saccadé, 
où l'on voit Catherine se débattre convulsivement 
contre les raisonnements insidieux de Sully, mais 



CHAPITRE Vlil. 201 



sans pouvoir résister à l'inflexible domination de 
son frère. 

Sully réplique avec une lenteur méditée ; il com- 
mence par énumérer tous les torts du comte de 
Soissons envers le roi, par développer sa conduite 
depuis la bataille de Coutras jusqu'à l'avènement de 
Henri IV ; puis ses tentatives pour former un tiers 
parti et diviser la France ; il ose même rappeler le 
voyage de Béarn, l'audace du prince à son retour, 
l'insulte publique faite à M. de Pangeas, enfin sa 
dernière défection. Il considérait ces actes comme 
[es signes d'une rébellion impardonnable et cita en- 
core d'autres traits qu'il croyait inconnus de la prin- 
cesse , et capables, selon lui, de détruire toute chance 
de réconciliation entre les deux princes. Et cepen- 
dant il ne désespérait pas de la clémence de Henri ; 
mais elle dépendait de la patience du prince et de 
la princesse, de leurs efforts pour lui obéir. Il sem- 
blait, pour conclusion, exiger de Catherine un nou- 
veau délai, donnant pour cause à ses retards, les 
torts récents du comte de Soissons. 

Trompée dans son attente, les mémoires nous 
représentent Catherine chancelante, obligée de se 



Î2l02 CATHERINE DE BOURBON. 

jeter sur un fauteuil, répondant en pâlissant 
qu'elle a peu prévu une telle déclaration, qu'elle 
se voit abusée indignement ; que le roi ne peut 
avoir voulu l'affliger ainsi, et qu'elle est en droit 
d'exiger d'autres explications. Puis s'animant pai* 
degré, passant tour à tour des regrets à l'indi- 
gnation, de l'indignation aux plaintes, elle donne 
la mesure de ses longues épreuves : « Ne sa- 
vez-vous pas, s'écrie-t-elle en parlant du roi, qu'il 
me proposera toujours à chacim et ne me livrera 
jamais à personne, à force d'amour qu'il me porte? 
Pense-t-il que j'aie oublié tant de partis dont à di- 
verses fois il m'a fait parler, desquels je n'en ay pu 
avoir un seul! Premièrement, et je crois que vous 
ne l'ignorez pas, l'on me proposa, étant encore fort 
jeune, François, duc d'Alençon, lors troisième fils 
de France, ce que le roy, mon frère, n'eut pas 
agréable, à cause de la haine qu'il lui portoit. De- 
puis, le roi Henri III, lorsqu'il revint de Pologne, 
me fut aussi proposé ; à quoy la reine mère Cathe- 
rine s'opposa, tant elle hayoit notre maison, parce 
qu'on lui avoit dit que le roi, mon frère, succéderoit 
à ses enfants. Après l'on me parla du duc de Lor- 



CHAPITRE VIII. 203 



raine, dont je ne voulus point, parce qu'il étoit trop 
vieux et que ses héritiers étoient nés ! Ensuite il fut 
quelque bruit de me faire épouser le roi Philippe 
d^Espagne ; mais la différence de religion, et qu'il 
vouloit que le roy, mon frère, se joignit avec lui 
pour faire la guerre à la France, en empêchèrent 
l'effet ; et crois que vous en avez bien su quelque 
chose, car vous étiez alors en Béam. Le duc de Sa- 
voie envoya aussi pour me demander, mais tous 
ceux de la religion s'y opposèrent. M. le prince de 
Condé m'a longtemps désirée, mais sa pauvi'eté, et 
qu'il ne m'agréoit pas, en empêchèrent l'effet. De- 
puis l'on me voulut marier au roi d'Ecosse ; pour 

I celui-là j'avoue que je fus si sotte à cause de fantai- 
sies que j'avois lors dans la tête, que je ne voulus 

j point entendre. Et finalement, en divers temps, trois 
qui ne sont pas de ma qualité, ont eu assez d'audace 
que de prétendre à mon alliance, dont le dernier 

' l'ut le prince d'Enhalt, qui vint devant Rouen, avec 
grandnombre de gens de guerre, auquel j'estime, si 

' j'eusse voulu y entendre, que l'on ne m'eût pas re- 
fusée afin de payer les reîtres à mes despens. Des 
deux autres, dont l'un est de la religion et l'autre 



l 



204 CATHERINE DE BOURBON. 



! 



papiste, et simplement gentilshommes, je ne les 
nomme point parce que j'en ai honte et qu'aussi 
bien vous les connaissez assez, vous ayant quelque- 
fois parlé de leurs folies ; et enfin le pauvre comte de 
Soissons étant arrivé des derniers, parce qu'il m'a 
désirée plus cordialement que tous, et s'est affermi 
à me complaire, il pourra bien advenir que, comme 
je suis malheureuse, il sera aussi rendu malheu- 
reux à mon occasion; et qu'enfin, si nous ajoutons 
foi à votre dire , et d'autres qu'il y a de formés au 
meule du roi mon frère , nous en demem^erons tous 
deux là pour la prisée.... » Et elle terminait ses 
plaintes en exigeant d'autres expUcations, que Sully 
délaya dans une longue, lourde et diffuse allocu- 
tion sm' les devoirs et les attributions des souve- 
rains en général et les mérites de Henri IV en par- 
ticulier, essayant de persuader encore à la prin- 
cesse de convenir des torts de Soissons et d'en 
demander pardon au roi. 

ce Est-ce donc là tout ce que vous aviez à me dire, 
reprit alors Catherine, et les tant excellents conseils 
que vous me voidiez donner ? Vraiment, monsieur de 
Rosny, je crois bien que vous avez de longue main 



CHAPITRE VIII. 205 



étudié votre leçon, et vous êtes rendu plus soigneux 
de faire l'éloquent et le bien disant, pour déguiser 
vos artifices, que de me rendre de bons offices et 
me servir utilement, comme vous m'aviez promis; 
et encore qu'il me soit facile à juger que je ne puis 
pas beaucoup espérer de toutes vos cajoleries et 
discours recherchés, et comme je dois prendre vos 
belles allégations qui m'offensent', néanmoins , afin 
que vous n'essayez de profiter de mes réponses à 
mon préjudice, et voyant aussi bien que vous m'a- 
vez tant amusée à vos beaux discours pleins de 
ruse, qu'il s'en va tantôt nuit, je veux remettre la 
réponse à demain, au sortir de mon dîner, afin que 
j'aye loisir d'y bien penser et de prendre conseil 
avec les miens et le chevet de mon lit. Partant, 
vous pouvez vous retirer en votre logis comme je 
vais faire en mon cabinet. » 

a Et sur cela, racontent les secrétaires de Sully, 
Madame vous^yant quitté, vous aussi, après avoir 
fait de grandes révérences et dit quelques paroles 
de compliment aux dames qui estoient dans la 
chambre et icelles priées de vouloir bien donner 
conseil à Madame, si elle leur en demandoit, et 



206 CATHERINE DE BOURBON. 

VOUS rendre de bons offices près d'elle , vous vous 
en allâtes à votre logis. » 

Le lendemain, Sully, plus embarrassé que la 
veille, trouva Catherine plus irritée encore. Elle 
avait tenu conseil, et la guerre était décidée. Au 
bout d'une heure d'attente , Sully fut enfin admis 
chez la princesse qui, après une violente apos- 
trophe où elle le traita sans pitié de rusé négocia- 
teur, lui reprocha avec hauteur « son insolence de 
la veiUe qui l'avoit porté à lui rappeler ce voyage du 
comte de Soissons en Béarn, auquel elle ne pense 
jamais sans avoir les despits au cœur, les souspirsen 
la bouche et les larmes auxyeux. » — « Et de quel 
droit, Sully, vous mêler de mes affaires, de mes dif- 
férends avec mon frère? Pourquoi mettre le doigt 
entre l'arbre et l'écorce? Est-ce à un petit gentil- 
homme, dont le plus grand honneur est d'avoir été 
nourri en ma maison, qu'il appartient de s'occuper 
de choses plus hautes que sa portée? Que signifie 
ce discours à l'offense du comte de Soissons, où 
vous faites tenir au roi un si impertinent langage? » 
Et elle finit en conseillant à Sully a de se retirer 
sans attendre qu'elle lui baille ses lettres, de ne 



CHAPITRE VIII. 207 



.US songer à ces affaires ni prendre charge de re- 
inir jamais vers elle de la part du roi, et de 
abstenir de paroître désormais en sa maison, ni 
t trouver en lieu où elle soit. » 
Alors., profitant de l'offense pour élever la voix à 
•n tom% suffoqué principalement par Tépithète de 
*tit gentilhomme^ Sully ne dissimule plus àlaprin- 
îsse la rigueur de ses ordres ; il lui déclare que la vo- 
nté du roi est qu'elle renonce à jamais au comte de 
)issons, et que ce n'est qu'à ce prix qu'il rendra 
. faveur au prince ; qu'elle cesse de revenir sur l'acte 
î renonciation signé à Chartres, et qu'elle s'engage 
accepter pour époux le prince qu'il conviendra au 

i de choisir. Il ajoute que, dans le contraire, une 
sgrâce sera son châtiment, et que, bannie de la 
>ur , elle devra se contenter de son partage de prin- 
îsse de Navarre et y retourner en simple vassale. 
Ici, Catherine, exaspérée, interrompt Sully. 
Ètes-vous hors de sens que de vous délecter à 
.'offenser ainsi, à me parler si hardiment de me 
)ntraindre à mariage quand vous savez que c'est 
le action en laquelle chacun doit être libre? 
vez-vous perdu la tête d'oser me parler de la pri- 



208 CATHERINE DE BOURBON. 

vation des libéralités du roi, de mon partage et de 
ma maison? Il faut en vérité que vous ayez le diable 
au corps pour vous charger de m'annoncer de 
telles nouvelles et user de telles offenses. » Et dans 
l'excès de sa colère, elle quitte impétueusement la 
chambre, court écrire ime lettre de plaintes au roi 
contre SuUy, et charge M. de Boisse, son écuyer, 
de la lui porter en toute hâte, tandis que Sully re- 
tournait à Paris pour attendre de nouveaux ordres 
du roi. La dépêche de Catherine était remplie de 
plaintes; elle exigeait une réparation et voulait la 
connaître. Henri écrivit alors à Sully la lettre sui- 
vante, qu'il fit porter à Fontainebleau pour que la 
princesse en prît connaissance et l'envoyât ensuite. 

« Monsieur de Rosny, je suis en peine et gran- 
dement étonné de n'avoir reçu aucunes lettres de 
vous, depuis votre partement, qui me pussent in- 
former de ce que vous avez advancé touchant les 
affaires dont je vous avois donné charge vers ma 
sœur, et principalement pour ce que j'ay receu de 
ses lettres par lesquelles elle se plaint merveilleu- 
sement de vous ; disant en avoir été tellement offen- 




CHAPITRE VIII. 209 



sée et en tant de sortes qu'elle ne vous le sçauroit 
jamais pardonner, et partant, me prie de lui en 
vouloir faire raison et justice. Bien est-il vray que 
par sa lettre elle ne spécifie aucunes particularités , 
ce qui me fait estimer qu'il n'y a pas peut-être tant de 
mal qu'elle en fait de bruit ; mais, en général , elle 
dit que vous lui avez tenu tant d'insolents langages 
que je ne lui en voudrai pas avoir usé de semblables. 
Vous sçavés bien qu'une telle procédure seroit 
contre votre devoir, mon désir et la forme que je 
vous ai ordonnée à votre partement de vous com- 
porter envers elle, lui parlant avec le même honneur, 
respect et déférence que vous fériés à moi-même, 
luy donnant des asseurances de ma bienveillance , 
luy remonstrant en de certaines choses doucement 
son devoir, les obligations qu'elle m'a, les advan- 
tages que je luy veux faire si elle me sait complaire, 
et ce qui est de mon intention sur toutes ces parti- 
cularités : partant, pensez à ce que vous avés dit 
et fait, et s'il y a la moindre chose qui l'ait peu 
justement fascher, allez la retrouver, lui en faites 
d'honnêtes excuses, voire la prier de vous pardon- 
* ner si la chose le mérite, ce qu'elle fera aussitôt et 

i2. 



210 CATHERINE DE BOURBON. 

ii*y serez pas mal reçu, car j'y ay pourveu comme 
il faut. Mais quoi qu'il y ait, donnez-luy satisfac- 
tion, car je ne vouldrays pas souffrir, estant ce qu elle 
m'est, qu'un seul de mes sujets l'offençast sans le 
chastier, s'il refusait à user des submissions qui 
luy sont deues. Et sur cela, je prieray Dieu, Mon- |»i 
sieur de Rosny, qu'il vous ayt en sa garde. 

o D'Amiens ) ce 15 de may 1&96*. » 

Quatre heures après avoir reçu cette lettre, qiii 
fit faire au ministre des réflexions assez curieuses 
sur les difficultés que l'on trouve à servir les rois, 
un autre courrier remit directement à Sully une 
seconde dépêche, entièrement à son éloge, et dans 
laquelle Henri parlait de la première comme d'une 
concession accordée à l'extrême mécontentement 
de la princesse. 

« Mon ami, lui disait-il, je ne doute point que 
cette lettre ne vous trouve en colère du stile de ma 
précédente, que Boesse vous aura rendue , laquelle 
je n'ai faite que par son importunité et pour me 

1. Économ, royal. , t. H, p. 463, édil. Petitol. T^foi/d, jour- 
nal de Henry IV, p. 120, t. H, édil. delà Haye. 



CHAPITRE VIII. 2H 



délivrer de celles de ma sœur, et pour apaiser les 
premiers bouillons de son courroux. Vous la con- 
ttoissez aussi bien que moi. Nous sommes tous 
deux prompts et mutins, mais nous revenons aussi- 
tôt. N'ayez donc crainte que je vous désavoue ni 
souffre vous estre fait desplaisir. Servez-moi tou- 
jours à ma mode. Aymez-moi comme je vous veux 
aimer, venez me trouver au plus tôt pour m'in- 
former encore plus particulièrement de tout ce qui 
s'est passé en votre voyage , et vous asseurés d'être 
aussi bien reçu de moi, que vous ayez jamais été 
quand je devrois prendre la vieille devise de Bour- 
bon : Qui qu'en grongne. 

c( Henry. » 

Cette lettre fut suivie du rappel du ministre à 
Amiens et d'un redoublement de confiance du roi. 
Pendant l'assemblée de Rouen, Sully rendit plusieurs 
services à la princesse Catherine en lui facilitant le 
payement d'assignations qui , depuis longtemps , 
augmentaient les embarras de sa position. Ces 
marques de dévouement, données après la scène 
presque injurieuse qu'elle lui avait faite, excitèrent 
dans le cœur de la princesse des regrets qui la dis- 



212 CATHERINE DE BOURBON. 

posèrent à une réconciliation. Les détails qui lui fu- 
rent donnés en même temps sur la peine avec la- 
quelle Sully avait accepté la triste mission qu'il avait 
remplie, lui prouvaient qu'il n'avait agi que par les 
volontés d'Henri, et, comme pour attester la vérité de 
cette parole du roi : a Nous sommes prompts et mu- 
tins, mais nous revenons aussitôt, » elle ne tarda 
pas à revoir madame de Sully ;" elle lui confia en 
pleurant ses déceptions, et se plaignit avec douceur 
de la conduite de son mari. Se souvenait-il de ses 
bontés passées, de leur jeunesse écoulée ensemble? 
avait-il oublié ce jour où, rempli de reconnaissance 
et de joie, il avait reçu d'elle ime bague précieuse 
qu'il avait juré de garder toute sa vie? De tels sou- 
venirs, joints à la confiance qu'elle lui témoignait, * 
auraient dû le rendre moins cruel à son égard et 
plus attentif à servir ses intérêts ! Ces entretiens, 
les conseils du duc de la Force et même de ma- 
dame de Rohan, qui en voulait à Henri lY et 
non à son ministre, se terminèrent par le rappel 
de Sully à Fontainebleau. «EUé vous envoya quérir, 
racontent les secrétaires du ministre, et donna toute 
asseurance d'oublier le passé, de vous bien race- 



CHAPITRE VIII. 213 



voir, VOUS aimer et tenir au nombre de ses bons 
serviteurs et meilleurs amis. » 

Catherine eut plus de peine à se réconcilier avec 
son frère. Elle avait cru jusque-là qu'il ne renon- 
çait nullement au projet de lui laisser épouser le 
comte de Soissons et que la jalousie et les intrigues 
de l'entourage du roi avaient causé ses chagrins. 
Quelque peu vraisemblable que paraisse cette longue 
erreur, il est certain qu'elle exista chez la princesse 
et ne se dissipa qu'après les tristes scènes de Fon- 
tainebleau. La violence de sa doideur et l'état de 
souffrance qui en résulta, excita dans le parti cal\i- 
niste ime certaine irritation contre Henri. C'est à 
cette époque que parut le célèbre libelle intitulé 
Apologie de Henri IV envers ceux qui le blâment 
de ce quil gratifie plus ses ennemis que ses servi- 
teurs. La duchesse de Rohan, la vaiUante mère 
du héros de La Rochelle, cette même femme dont 
nous avons déjà rappelé l'ambition maternelle, 
était l'auteur de cet écrit où la conduite de Henri 
envers Catherine est retracée avec une injurieuse 
amertume dans les termes suivants : 

(( C'est le prince du monde qui sçait autant 



214 CATHERINE DE BOURBON. 

faire beaucoup de peu. En voulez-vous une preuve? 
11 n'a qu'une sœur; il en a déjà fait une douzaine 
d'amis et en fera mille, s'il trouve autant de princes 
dociles qui veulent suivre ses enseignements. Mais 
avec quel jugement pensez-vous qu'il ait conduit 
tous ces mariages? Quelle proportion y a-t-il tenue 
pour garder que pas un^ de tous ces princes n'eût 
avantage l'un sur l'autre et les rendre à la lin éga- 
lement contents? 

« Ne l'a-t^il pas offerte à cinq ou six en même 
temps; à peine que je ne dis en même jour, en 
mandant à l'un : «venez-moi trouver, je vous don- 
nerai ma sœur ; » à l'autre : « faites faire la paix par 
ceux de votre parti, je vous donnerai ma sœm^; » à 
l'autre : « gardez-moi votre province favorable , je 
vous donnerai ma sœur. » Et n'étoit-il pas dès lors 
pourvu de difficultés qui lui dévoient faire trouver à 
l'un la diversité de la langue du pays, à l'autre la 
différence de religion , à l'autre le parentage, à 
l'autre la volonté de sa sœur, afin que par cet égal 
contentement il leur ôtât tout sujet de querelle ou 
dispute à l'avenir. 

« prince vi'aiment politique! Et puis direz-vous 



CHAPITRE VIII. 215 



que ce soient-là des efforts d'une âme qui ne sache 
autre chose, sinon cette vieille routine de promettre 
et puis tenir, d'observer ime parole quand elle est 
donnée? artifice d'État beaucoup plus déUé, leçons 
du docte Machiavel dextrement pratiquées, digne 
observation des maximes de la reine mère du feu 
roi, qui ne faisoit jamais la paix avec les huguenots 
qu'elle n'eût déjà résolu le moyen delà rompre! 

(( Mais quoi ! disent là-dessus quelques cérémo- 
nieux, n'y va-t-il point de la conscience de pro- 
mettre ainsi et ne tenir point? Ne vaudroit-il pas 
mieux faire un peu moins bien ses affaires? Et puis 
n'est-ce point faire tort à sa sœur que de se servir 
ainsi d'elle comme d'un appât pour tromper tous 
les princes de la chrétienté? pauvres ignorants et 
oublieux de ce que je vous ai dit tant de fois ! Ne 
vous ai-je point assez avertis que ce prince se gou- 
verne d'une façon rare et extraordinaire ? que ses 
vertus diffèrent autant de celles des autres princes, 
comme font les choses visibles des invisibles, les in- 
tellectuelles des matérielles? Et cependant vous le 
voulez toujours mesurer à l'aune des autres, comme 
si vous aviez affaire ici à un roi Louis XII ou à un 



216 CATHERINE DE BOURBON. 

grand roi François P% princes vraiment vertueux, 
mais non de la façon de celui-ci.... Il sait (pour- 
suit la satirique duchesse), quand il faut promettre 
et quand il faut tenir ; puis il ne fait rien pra- 
tiquer à sa sœur qu'il n'ait pratiqué le premier; il 
la traite en cet endroit comme sa propre personne. 
N'est-ce pas lui témoigner qu'il l'aime comme soi- 
même? 

(( Oui bien, disent les autres, si après celailfaisoit 
quelque chose pour elle ; mais il semble qu'il ne 
s'en soucie point, qu'il cherche seidement par ces 
moyens de lui faire passer la fleur de son âge sans 
être mariée ; il lui dénie toute autorité, il ne lui 
donne rien et même lui diminue en tout ce qu'il 
peut ce qui lui appartient. Ce ne sont pas là, 
ce me semble, de grandes marques de son ami- 
tié. esprits grossiers et âmes terrestres, qui 
appelez biens ces choses corporelles et sensibles, 
comme les richesses , les honneurs et le conten- 
tement ; qui ne savez pas goûter que le seul sage 
est heureux, que le souverain bien gît en l'âme 
et la parfaite félicité consiste en la seule vertu! 
qui si vous aviez des yeux spirituels poiu* con- 



CHAPITRE VIII. 2n 



)ître les invisibles effets par lesquels il oblige 
tte sœur bien-aimée, combien vous la jugeriez 
, redevable ! 

«Les autres rois (ajoute avec éclat madame de 
)han * ), ont gratifié leiu*s sœurs, leurs filles, leurs 
irents de dons, d'apanages, de grandeur et d'au- 
rité ; celui-ci fait bien de plus riches présents à sa 
3ur, il l'enrichit de vertus, d'honneur et de répu- 
tion ; il l'instruit à la patience et à la tolérance de 
utes sortes d'incommodités; il lui enseigne la 
ugalité, la lui fait pratiquer tous les jours; il lui 
)prend à se contenter de peu, et quelquefois de 
en du tout. N'est-ce point l'obliger que cela? Et, 
on content encore, il lui fait acquérir la réputa- 
on (aux dépens de la sienne propre) d'être la plus 
'leine de patience, respect et obéissance que nulle 

* 

utre qui soit sur la terre , et enfin d'être la prin- 
esse qui sait le mieux ployer sous les volontés 
lupins rigoureux frère du monde. Et puis vous 

1. Apologie pour le roy Henri /F, etc» , par M"* la duchesse 
ieRohap, la douairière, mère du grand duc de Rohan, xxiii-xxix, 
Journal de Henri III, par M. Pierre de l'Esloile, t. IV, La Haye, 
'hez Pierre Gosse, mdcgxliy. D*Âubigné attribue faussement ce 
ibelle à Palma Cayet. 

13 



218 CATHERINE DE BOURBON. 



kl 



direz que ses bienfaits soient communs, qu'ils 
se puissent comparer à ceux des autres rois qui 
ont aimé leurs sœurs et leurs proches. rares 
obligations, marques d'amitié inouïes et dignes ,j 
seulement du rare naturel de Henri Quatrième ! » 
Ce libelle circula rapidement dans le parti cal- 
viniste, arriva jusqu'à la connaissance de Cathe- 
rine, et fut révélé au roi, qui s'en montra profon- 
dément blessé. Si quelques parties de l'accusation 
étaient vraies, combien d'autres étaient menson- 
gères et injurieuses? Que de chagrins, de souvenirs 
cruels, de déceptions cachées ces reproches ne ré- 
veillaient-ils pas dans la grande âme de Henii! 
Etait-ce seulement par ambition ou par égoïsme 
qu'il semblait négliger et opprimer sa sœur? N'y 
était-il pas condamné autant par les circonstances 
que par le caractère de Soissons? Pouvait-il en- 
richir Catherine quand lui-même manquait du né- 
cessaire? N'avait-il pas aussi pour excuse suffi- 
saute les difficultés de sa situation, la grandeur de 
sa mission? Qu'était-ce, après tout, que les cha- j 
grins romanesques de sa sœur comparés à ses 
vastes préoccupations, à ses desseins, aux obstacles 



S 



CHAPITRE VIII. 219 



qu'il avait à surmonter? L'écrit de madame de 
Rohaû, hâtons-nous de le dire, eut le sort qu'il 
méritait, celui d'exciter un blâme général, et, loin 
d'adoucir les peines de Catherine, il fournit à Henri 
une occasion toute naturelle de s'expUquer sans 
détours avec sa sœur, de lui déclarer ses volontés , 
et de lui reprocher la part qu'il lui supposait dans 
l'ouvrage de madame de Rohan. 
A cette lettre , Catherine réphqua ainsi : 

(( Monsieur , 

<( J'ai ouy ce que ce porteur m'a dit de votre 
part, à quoi je répondray avec tout l'honneur et le 
respect que je' vous dois. Il m'a dit, Monsieur, que 
vous vous offensiez contre moi d'un certain écrit que 
madame de Rohan avoit fait, disant que je l'avais 
Ml, sans vous en avertir; à cela répondray s-je que 
je ne l'ay jamais lu n'y touché ; bien lui ai-je ouï 
dire (juelque chose où j'étois nommée, et depuis 
quelques dames et gentilshommes m'en ont appris 
davantage. 

(( Je ne vous ai point celé, quand vous m'en avez 
parlé, ce que j'en savois, ni tout ce que j'ai cuydé 



I- 



220 CATHERINE DE BOURBON. 



être pour votre service ; mais, Monsieur, tout le 
profit que vous en avez tiré, et tout le gré que vous 
m'en avez sçû, a été de me brouiller avec ceux de 
qui je vous avois parlé, et leur donnant, par ce 
moyen, un désir de se venger de moi, lorsqu'ils se 
sont essaies de le faire, et même auprès de vous, 
comme vous me l'avez dit souvent : vous avés été 
plus disposé à croire et favoriser leurs calomnies, 
qu'à reconnoître la vérité de mes paroles et ma 
passionnée affection en ce qui vous touchoit. 

« Il semble Monsieur, que ne pouvant trouver 
nul sujet d'offense envers mes actions, vous me 
vouliez charger de celles des autres. Si madame de 
Rohan vous a offensé, elle ne m'a laissée sans en 
pouvoir dire autant, comme je vous pourrois faire 
voir si je n'avois maintenant un autre sujet qui me 
poinct plus l'âme. C'est donc à elle. Monsieur, à 
vous répondre de ses actions, et à moi à vous faire 
ressouvenir des miennes passées et présentes, fai- 
sant ce discours à part. Croyant vous avoir satisfait 
sur ce point, je viendrai à un autre, qu'il m'a aussi 
dit de votre part et qui me presse le plus, c'est qu'il 
vous plaît que je me résolve, lequel je veux élire 



iÀ 



CHAPITRE VIII. 22! 



pour mary ou de M. de Montpensier, ou de 51. le 
marquis du Pont. 

« Pour M. de Montpensier il vous plaira, Mon- 
sieur, de vous ressouvenir que, lorsqu'il me serv oit, 
vous m'avez souvent dit, qu'il ressembloit à son 
père qui n'étoit pas bon mari, et mille autres choses 
en riant, qui ne pouvoient que me le faire dédai- 
^er, même n'étant nuDement disposée à avoir de 
l'amour pour lui. Vous savez aussi ce qu'en ce 
temps-là vous lui disiez pour l'en dégoûter; je m'en 
suis séparée l'aimant comme un de mes meilleurs 
parents, et l'estimant comme im brave et galant 
prince, tel qu'il est. 

c< Je sais. Monsieur, que vous avez la mémoire si 
bonne, que vous ressouvenant de la suite de plu- 
sieurs années, vous n'aurez pas oublié ce qui s'est 
passé cette dernière passée en ce lieu de Saint-Ger- 
main un soir que vous me fîtes l'honneur de me ve- 
nir voir ne menant avec vous que M. de la Force, 
vous me tîntes ces propos, que je me plaignois que 
vous ne me voidiez pas marier, et que c'étoit la 
chose du monde que vous désiriez le plus. 

« Ce que pour me témoigner, vous me juriez de- 



222 CATHERINE DE BOURBON. 

vant Dieu de me donner celui que je choisirois, 
dehors ou dedans votre royaume, pourvu qu'il 
prince et point ennemi, ne réservant que M. le 
comte de Soissons que vous ne vouliés et M. de 
Montpensier, reconnoissant bien que je n'avois pu 
Faimer, vous me promîtes avec serment de ne m'eu 
parler jamais, me disant aussi que vous aviez ré- 
pondu aux siens, qui vous en pressoient, encore 
qu'ils n'y espérassent plus, et que vous ne le vou- 
liés pas, ne m'étant pas agréable ; si bien Monsieiu*, 
que je le croyois maintenant marié en Lorraine ^ » 

.... Après avoir rappelé au roi ce qu'il lui avait 
dit du mauvais état de la santé du prince de Lor- 
raine, la princesse reprend encore à son sujet : 

« Je vous représentai les malheurs qui me pou- 
voient arriver, tombant entre les mains d'im prince 
souverain qui me pourroit contraindre ea ma con- 
science, le peu de support que je pourrois espérer 
de vous, qui pour n'être accusé du pape d'être en- 
core huguenot, n'oseriez m'aider en cette peine, 

]. 11 épousa, en etfet, peu après, Catherine de Joyeuse dont il 
eut Marie de Bourbon Montpensier qui, mariée à Gaston d'Or- 
léans, fut la mère de la grande MademoiaeUe. 



CHAPITRE VIII. 223 



étant bien souvent empêché pour ce sujet de le faire 
pour ceux qui vous ont bien et fidèlement servi. 

« Vous me montrâtes d'avoir mes raisons agréa- 
bles, et me séparay de vous la plus contente du 
inonde, croyant que j'étois à la fin de mes peines; 
mais l'arrivée de ce porteur m'a fait voir qu'il faut 
que je me résolve à une plus extrême misère que 
celle en laquelle j'ay vécu depuis un si longtemps, 
que certes je ne la puis supporter sans m'en plain- 
dre, car je recognois bien, Monsieur, que votre des- 
sein est de ne me marier jamais, ne m'offrant que 
ce que vous avés sçu de certain que je ne pouvois 
aimer. 

« Eh ! bien, s'il ne vous reste que cette dernière 
preuve à tirer de mon obéissance, je ne vous de- 
mande plus de mari, et ne vous nommerai plus ce 
nom de mariage qui vous est si désagréable ; mais 
je vous requiers, les mains jointes et de tout mon 
cœur, de me permettre et donner congé de me re- 
tirer en quelque heu le plus éloigné de la cour et 
■choisir laquelle de vos maisons il vous plaira que ce 
5oit, puisque je suis si désastrée qu'en l'âge où je 
suis je ne puis dire en avoir une seule à moy, et 



221 CATHERINE DE BOURBON. 



n'ayant que par provision et par emprunt ce que 
mes père et mère m'ont laissé, n'étant point bâ- 
tarde. 

<c Accordez-moy, Monsieur, cette demeure, qiii 
me sera agréable en ce que je ne vous importu- 
neray plus de ma vie, qui ne vous est, comme je 
reconnois par vos actions, qu'une charge, et n'au- 
rai plus de déplaisir de voir avancer ceux qui bâ- 
tissent la ruine de votre maison et se plaisent à ma 
nécessité, et ne souffrirez plus les indignités que 
M. le chancellier me fait souvent, refusant pour 
moi seule ce qu'il fait pour des personnes si infé- 
rieures à moi , que je crois qu'il n'auroit pas la 
hardiesse de me faire s'il ne savoit bien qu'il le vous 
plaît ainsi. Ne croyez pas. Monsieur, que le congé 
que je vous demande soit désiré de moy depuis 
peu ; car je vous jure qu'il y a déjà longtemps que 
je vous l'eusse requis si je ne me fusse repue de 
vos belles paroles, et aussi que je croyois que mes 
obéissances et soumissions vous pourroient rendra 
plus doux ; mais reconnoissant que l'absolu pouvoir 
que je vous ay donné sur mes volontés ne vous peut 
faire changer, et que n'ayant mis rien en résene 






CHAPITRE VIII. 225 



pour VOUS plaire, soit aux dépens de mon âme et de 
mon contentement, soit au péril de ma vie, vous 
suivant par toutes sortes de temps, pressée de ma- 
ladies qui eussent été à une plus fortunée que moi 
mortelles, comme celle avec laquelle je partis de 
Paris, chacun me représentant la mort et moy votre 
rolonté qui me guidoit. 

« Bref, Monsieur, tout ce que j'ay pu imaginer 
)u savoir de vos serviteurs les plus privés qui me 
}ouvoient rendre aimée et agréable à vous, je Fay 
'ait et en appelle Dieu à témoin et votre conscience, 
lyant la mienne fort déchargée devant Dieu et de- 
vant les hommes du devoir que je vous ay rendu, 
ît fort contente d'avoir souffert tous mes ennuis 
jans sujet et avec toute sorte de patience n'ayant 
Dour désespoir où vous m'avez pu mettre depuis 
^rois ans que je vous suis venue trouver, jamais 
manqué à l'honneur et le respect que je vous dois 
îomme à mon roi, ni à l'amitié à quoi le nom de 
wur m'obUgeoit. 

« Cette lettre vous sera, j'ai peur, ennuyeuse à 
ire ; ce m'est un extrême déplaisir. Monsieur, de 
i?ous être importune, ne désirant partir en votre 

i3. 



226 CATHERINE DE BOURBON. 



mauvaise grâce ; mais ma juste douleur et un cœur 
que j'a\ois et auray toute ma vie plus disposé à 
vous servir fidèlement qu'à recevoir des riguenrs 
et des dédains, m'a guidé la main que j'arrêterai, 
vous suppliant très-humblement de croire que mon 
malheur m'arrache de votre vue avec tant de re- 
gret que la mort me seroit plus douce que cet éloi- 
gnement ; mais,' Monsieur, il le faut, puisque je ne 
puis avec votre honneur et le mien être toujours 
en état où vous avez agréable que je demeure. 

<( Faites-moi l'honneur de me mander bientôt si 
vous m'accordez mon congé, et un heu à faire une 
vie religieuse, puisque désormais celle du monde 
me sera si désagréable. Je vous eusse envoyé un 
autre homme pour vous porter cette lettre, mais 
j'ai crû que vous auriez cettui-ci plus agréable, lui 
ayant déjà fait l'honneur de l'avoir déjà employé 
pour me dire votre volonté ; quant à la mienne, 
elle sera jusqu'au tombeau guidée de la révéreace 
et obéissance que je veux vous rendre étemdU% 
ment, et sur cette vérité je vous baise très-humUe- 
ment les mains. Adieu, Monsieur. » 

On voit par cette lettre que la princesse, forcée 



CHAPITRE VÎII. 227 



de renoncer à l'espoir d'épouser le comte de 
Soissons, s'effrayait de l'alliance que lui proposait 
son frère avec le prince de Lorraine, issu d'une 
maison célèbre par son dévouement à la religion 
catholique. Rien de plus affligeant que son existence 
à cette époque, où la raison, le devoir et la nécessité 
lui commandaient l'obéissance, où l'amour froissé, 
le vide profond qui succède aux déceptions la por- 
taient à s'éloigner du roi. Deux lettres de Henri lY 
et de Catherine au duc de la Force jettent une vive 
et triste lueur sur cette époque désolée de la vie de 
la princesse, où son cœur souffrait sans pouvoir re- 
tenir ses plaintes et ses gémissements. 

Le BOi A M. DE LA Force. 

a .... De mes serviteurs m'avoient bien mandé 
que ma sœur étoit malade, mais qu'elle avoit dé- 
fendu à tous les siens de me l'écrire, si bien que je 
croyois que l'envoyant visiter, je ne lui ferois pas 
liaisif et que cela lui feroit redoubler son mal, 
c'est ce qui m'a empêché de le faire; cependant j(? 
ne vous cèlerai pas que je trouve fort mauvais que 
madame de la Barre, quelque défense qu'elle eût de 



228 CATHERINE DE BOURBON. 



I 



sa maîtresse, ne me Tait écrit, ce que je lui ferai 
connaître, lorsque je la verrai, qui sera bientôt, 
Dieu aidant. Je vous dirai que j'ai reçu ces jours 
passés une lettf e de ma sœur, par un des siens, qui 
m'offense fort, où après une quantité d'injures fort 
humbles, elle fait connoître son mauvais naturel, 
car elle se plaint de moi le plus cruellement qu'D 
lui est possible, avec douces paroles en apparence, 
mais toutes autres, comme je vous ferai voir par 
sa lettre que je vous montrerai; avec tant de des- 
plaisir qui me traversent maintenant, je n'en ai 
senti un plus sensible, que désirant son bien, m'en 
savoir si peu de gré ; les ingratitudes seront punies 
du ciel, et là je la remets. Quoi qu'elle fasse et die, 
je ne laisserai d'être son père, son frère et son roi, 
et de faire mon devoir, encore qu'elle ne fasse lé 
sien, ce que tout le monde ne fait pas aussi à cette 
heure ; mais Dieu me fera la grâce que je ferai le 
mien. Croyez que cela m'offense fort. J'enverrai 
demain Roquelaure * vers elle, instruit fort partieu-' 

1 . Antoine, baron de Roquelaure, grand maître de la garde- 
robe de Henri IV, l'un de ses plus fidèles serviteurs ; il joignait 
au caractère le plus honorable et le plus désintéreasé une gaieté 



CHAPITRE VIII. 229 



lièrement de mes volontés et intentions, lesquelles 
il vous communiquera.... Vous me verrez tout 
amaigri, non de maladie, car je ne me portai ja- 
mais mieux ; mais de fascherie, et de voir que tout 
le monde fait si mal son devoir. 

« 13 septembre 1595. » 

Catherine était alors très-souffrante d'une nou- 
velle atteinte de la maladie de poitrine qui la tour- 
mentait depuis son enfance. Elle avait été forcée 
de rester à Compiègne où des intérêts divers l'avaient 
appelée, car des préoccupations inséparables de la 
vie se mêlaient à ses chagrins et les rendaient plus 
difficiles à supporter. C'est de Compiègne qu'elle 
écrivait à la même époque au duc de la Force, de- 
venu gouverneur de Béarn et vice-roi de Navarre : 

« Vous ne direz pas que je suis paresseuse, car 
voici la troisième lettre que j'ai écrite depuis huit 
jours. Je suis toujours ici à Compiègne; je ne sais 
quand j'en partirai, ni où j'irai. Dieu veuille me 
conduire et me donner patience ; j 'en ai plus de 

inépuisable. Créé maréciial de France par Louis XUI, il mourut 
en 1625, dans sa quatre-yingt-deuxième année. 



230 CATHERINE DE BOURBON. 

besoin que jamais de la façon dont je suis traitée; 
si je le vous pouvois mander, vous en auriez pitié; 
plût à Dieu être où vous êtes ; je pourrois au moins 
donner quelque remède au mal de mon corps ^ 
Voilà ce que je puis pour cette heure vous mander, 
et pour la fin de cette lettre, je vous assurerai que, 
quoi que m'arrive, je serai votre affectionnée amie. 
Bonsoir. Faites mes recommandations à mon ca- 
binet et à mon allée ^. » 

Elle se flattait de pouvoir se retirer en Béam et 
y achever paisiblement sa vie trop agitée. Ces idées 
de retraite sont conununes aux âmes qui ayant 
subi de grandes déceptions, s'imaginent avoir ob- 
tenu le calme aux dépens du bonheur. Catherine 
avait à apprendre que le repos sur cette terre 
n'existe pas plus dans le chagrin que dans la pros- 
périté, et qu'à peine tombé, il faut se relever prêt 

1 . Le duc de la Force , gouverneur du Béarn depuis le départ 
de Catherine, était alors à Pau, et la princesse, affaiblie et malade, 
regrettait la douceur du climat. 

2. Il s'agit ici du cabinet d'études de Catherine au Castd- 
Béziat, dans le parc du château de Pau et de l'allée qui y condui- 
sait, promenade favorite de la princesse pendant qu'elle habitait 
le Béarn ; son chiffre avec celui de Corisande était, dit-<m, gravé 
sur les arbres qui la bordaient. 



CHAPITRE VIII. 231 



pour de nouvelles luttes. La vie réelle n'a pas d'ho- 
rizons tranquilles, et les héroïnes de roman ont 
seules le privilège de pleurer avec recueillement 
leurs déceptions. Catherine, terminant son existence 
en Béam, entourée de ses souvenirs de jeunesse et 
d'amour, aurait sans doute plus de charme pour 
nous ; mais elle perdrait aussi le grand intérêt qui 
devait la suivre jusqu'au tombeau et la présenter à 
l'histoire constamment dévouée à son roi, à sa re- 
ligion et à sa patrie. 

Autant que l'on peut s'en assurer par les lettres 
du temps, la réconcihation du frère et de la sœur 
fut l'œuvre assez laborieuse du duc de la Force, de 
M. de Roquelaure et de l'inévitable la Varenne. La 
princesse se rendit surtout à l'espoir de réconcilier 
le comte de Soissons avec le roi, et d'activer la pu- 
bhcation de l'édit de Nantes en retrouvant son in- 
flufâice à la cour. 

Elle parait avoir réussi dans le premier de ces 
vœux, car le comte de Soissons, à compter de cette 
époque, vécut en bonne intelligence avec Henri. 
Lé ressentiment du prince contre Sully fut cepen- 
dant la révélation du chagrin qu'il nourrissait inté- 



232 CATHERINE DE BOURBON. 

rieurement. N'osant plus s'attaquer au roi, il cher- 
chait en maintes occasions à se venger du ministre 
qui l'avait trompé. Cette haine ne s'éteignit qu'à la 
faveur des années et par la force des événements. 
Catherine revint ainsi à la cour, où la réclamaient 
les intérêts de sa religion et ses anciens amis. 
Henri avait appelé un grand nombre d'entre eux à 
toutes les charges et dignités du royaume. Plus que 
jamais la présence de sa sœur devenait par cela 
même nécessaire au Louvre. L'éclat imprudent que 
donnait le roi à sa liaison avec Gabrielle d'Estrées 
excitait les murmures d'un peuple qui, après s'être 
livré lui-même pendant huit années aux excès po- 
litiques les plus désastreux, ne s'en montrait pas 
moins impitoyable pour une faiblesse. Si telle était 
l'impression du public éloigné de la cour, combien 
devait être plus vive encore ceUe de ces familles 
austères, presque puritaines, dont Mornay, Rosny, 
IIurault-Dufay , Soffroy de Callignon, Auguste 
de Thou, Caumont la Force, Turenne, Sancy, Par- 
daillan, la Trémouille, Rohan, Lesdiguières étaient 
les chefs. Henri n'avait pu réprimer non plus la 
sévère improbation des grandes dames du parti 



CHAPITRE VIII. , 233 



calviniste, dont la sincère rigidité de principes 
s'unissait ainsi aux passions ambitieuses de leurs 
époux, de leurs frères et de leurs fils. Cathe- 
rine était im lien entre ce monde imposant et 
son frère. Ce n'était pas seulement, comme nous 
1 avons déjà montré, par la sympathie religieuse 
qu'elle se rattachait ces familles; c'était par un 
continuel échange d'égards, de soins assidus, de 
charité commune et de gracieuses prévenances. 
Dans les cours, comme dans les familles, les femmes 
n'ont de véritable empire que par la conciliation et 
la douceur. La sœur du roi joignait à son austère fer- 
veur les inspirations d'un esprit ingénieux et d'ime 
àme naturellement ouverte à l'amitié et au désir de 
plaire. C'était chez elle, àFabri des désordres de la 
cour de Henri IV, cpie les filles du duc de Rohan, 
du duc de la Force, de madame de Mornay, révé- 
laient au monde lem* beauté, leur grâce et leur 
modestie ; que leur jeunesse inspirait à la princesse 
un attrait mélancolique en la reportant à Tépoque 
où dans la fleur de son âge, elle abordait la vie 
avec la même confiance et le même espoir. 
« J'ai vu ce matin vos enfants, écrivait-elle en 



234 CATHERINE DE BOURBON. 

plaisantant au duc de la Force, que je ne vois pas 
de bon œil haïssant tant le père que je fais; je 
m'assure que vous croyez bien cela ; aussi le devez- 
vous. Je vis hier au soir votre fille en peinture; 
certes elle est fort belle, et si elle continue en crois- 
sant, elle fera bien friser les cheveux aux galants 
de son temps ; voilà ce que j'en crois, et sur ce bon 
mot qui peut vous contenter, je finirai en vous 
donnant le bonsoir*. » 

La situation de Catherine entre son parti et sou 
frère augmentait ainsi d'importance. Chaque évé- 
nement annonçait aux calvinistes l'entière réconci- 
liation du gouvernement avec Rome et le déclin 
progressif de leur influence tant qu'un édit ne 
garantirait pas leur existence et leur liberté. 

Le pape Clément VIII avait alors absous Henri IV. 
Le roi s'était engagé à fonder plusieurs monas- 
tères, à rétablir le culte catholique en Béarn, àpu- 
bUer dans tout le royaiune le concile de Trente qui 
condamnait la réforme, à faire élever dans le sein 
de l'église le jeune prince de Condé héritier pré- 

i. Arch. du duc de la Force, Mém. publiés par M. le marquli 
de la Grange, t. 1 , p. 266. 



CHAPITRE VIII. 23o 



somptif de la couronne, et à rappeler les Jésuites 
bannis de -France depuis l'attentat de Jean fllhâtel. 
Réconcilié avec Rome, Henri soumettait d'un 
autre côté le duc d'Épernon en Provence, traitait 
avec Mayenne, dissolvait la Ligue et satisfaisait les 
prétentions des princes lorrains par la convention 
de Folembray. La Bretagne seule restait à sou- 
mettre, et la paix semblait prête à se rétablir, 
quand, au milieu d'un joyeux ballet, la cour apprit 
que les Espagnols avaient surpris Amiens et s'en 
étaient emparés. Henri quitta aussitôt le Louvre 
pour secouiir la ville investie. Ses conseillers et plu- 
sieurs de ses généraux désapprouvèrent sa précipi- 
tation; mais Catherine, malgré l'anxiété qu'elle 
éprouvait et les larmes, que lui arrachaient le dan- 
ger que Henri allait affronter, encouragea son frère. 
Peu après il lui adressait la lettre suivante, bientôt 
répandue dans Paris. 

« A Madame. 

« Ma chère sœur, vous aurés les premières nou- 
velles de l'heureux succès que Dieu m'a donné au- 
jourd'hui ; il estoit venu mille chevaux des ennemis. 



236 CATHERINE DE BOURBON. 

conduits par tous leurs vieux capitaines, pourrecon- 

noître le logis de leur arpiée et le moyen de secourir 

Amiens. Avec deux cents che;iraux et cent cinquante 

carabins je les ays défaits, n'ayant perdu que deux 

arquebusiers à cheval. Il y a trois cents des ennemis 

morts, et plus, deux cornettes prises. Les noms des 

prisonniers ne se peuvent savoir que demain. Il est 

minuit et ne fait que venir ; faites part à mes bons 

serviteurs de ces bonnes nouvelles. Je vous baise 

cent mille fois les mains. 

« Henry. 

« 30 aoûl 1597.» 

Henri IV éprouva durant le siège d'Amiens un 
grave sujet de mécontentement contre, les ré- 
formés : au moment de la surprise d'Amiens, les 
Espagnols furent à la veille de piller la Normandie 
et d'arriver jusqu'aux portes de Paris. Le roi appela 
vainement à son secours les chefs du parti protes- 
tant, alors réunis à Saumm' pour l'une des assem- 
blées dont nous avons parlé. Ils s'étaient donné 
tout récemment une nouvelle organisation ; ils 
avaient présenté l'année précédente, durant le siégé 



CHAPITRE VIII. 237 



de la Fère, une requête pleine d'exigence et de repro- 
ches; depuis ce temps, ils continuaient leurs as- 
semblées sous différents prétextes et s'abstenaient 
de paraître à l'armée ' . Ils répliquèrent froidement 
à l'appel de Henri qu'ils ne marcheraient qu'après 
avoir reçu satisfaction de leurs demandes. Henri se 
passa de leiu* aide, mais avec peine. Il y a des allu- 
sions transparentes à cette sorte de défection, dans 
une seconde lettre adressée à Catherine le 28 sep- 
tembre^, et destinée à être communiquée à son 
parti . 

« Ma chère sœur, il faut que les déplaisirs talon- 
nent toujours les constentements. Vouspouvés pen- 
ser quel plaisir je debvois avoir du succès d'Amiens, 
et quel regret j'ai dans l'âme de voir le cours de 
ma bonne fortune arrêté par un débandement gé- 
néral de mon armée, qui, l'argent à la main, n'a 
su être empêchée , tant la légèreté des Fran- 
çois est grande ! et l'exemple pernicieux des grands 



1. Poirson, Hist, dn règne de Henri ÎY ^ l. 1, ch. v, p. 319. 

2, Voir aussi de Thou, Mém.^ t. XI, p. 367. Sully, c. 80, 
t. I, p. 273. B. édit. Micliaud, Tiistoire de l'Édit de Nantes, 

lîw IV ♦- 1 »» 100 



238 CATHERINE DE BOURBON. 

a été suivi. Je ne me plains de personne, mais je me 
loue de peu. S'ils disent que je leur ai donné congé, 
me le devoient-ils demander? J'avois, jeudi au soir, 
cinq mille gentilshommes, samedi, à midi, je n'en 
ai pas cinq cents. De l'infanterie, le débandement 
est moindre, bien que très-grand. Le conseil avoit 
été bien tenu, les résolutions bien prises, les sujets 
de bien faire très-beaux, les soldats ennemis éton- 
nés, leiu"s villes effrayées ; mais qui, ainsi que Dieu, 
peult faire quelque chose de rien ! Pour avoir la 
connoissance de tout ce que dessus plus que nul, 
et pour y être plus intéressé en l'honneur et au 
profit que nul , j'en porte plus de regret. Je monte 
k cheval, et vais faire reveue de mes restes, puis 
prendre résolution de ce qui me reste à faire, de 
quoi je vous avertirai. Bonjour ma chère sœur, 
deux qui n'ont point été à Amiens doivent être bien 
honteux; jugés que doivent être ceux qui m'y ont 
laissé. Je vous baise cent mille fois. 

« Henry. » 

Cette reprise d'hostiUtés ne fut pas inutile à la 
conclusion de la paix. Henri ne dictait jamais mieux 



CHAPITRE VIII. 239 



ses conditions que les armes à la main; et dans 
ces temps de défections sans cesse renaissantes, il 
était nécessaire de soutenir les négociations par des 
triomphes militaires. La situation du roi en face de 
ses ennemis se dessina plus nettement aussi. Il lui 
restait à réduire le parti du duc de Mercœur en 
Bretagne, dernier reste de la Ligue, celui des 
Espagnols et celui des Réformés, représenté par 
la Trémouille et Bouillon. 

Henri IV pouvait tenter de soumettre la Bretagne 
parles armes; mais, toujours économe du sang 
de ses sujets et des ressources de son royaume, il 
préféra la voie des négociations. Il traita avec le 
duc de Mercœur, dont la fille fut fiancée au fils de 
Gabrielle d'Estrées. Cet enfant, alors âgé de quatre 
ans, fut légitimé , et le roi s'accorda avec Catherine 
pour lui donner le duché de Vendôme , tandis que 
le duc de Mercœur se démettait en sa faveur du 
gouvernement de Bretagne. A ce traité succéda 
celui de Vervins qui, terminant la guerre avec 
l'Espagne, assura enfin une paix durable à la 



CHAPITRE IX 



Édit de NaDtes. — Part de Catherine à cet édit. — Effet produit par l'édit 
sur les catholiques. — Conduite de Henri IV. •— Projet de mariage entre 
Catherine et le duc de Bar. — Motifs de Henri IT et du due de Lorraine. 
— Obstacles à Taccomplissement de ce mariage.— Persistance de Cathe- 
rine à demeurer calviniste. •— Conférences religieuses. — Contrat et 
paroles de Catherine et d'Henri IV.— Respect de Henri pour la liberté 
de conscience. — Arriifée du duc de Bar. — Caractère de ce prince. — 
Conférences religieuses. — Opposition du clergé français à la célébration 
du mariage. 



Le traité conclu avec Mercœur avait achevé de 
désarmer la Ligue et terminé la guerre civile du 
côté catholique. Mais il restait à soumettre mie 
opposition plus dangereuse encore, dont nous avons 
expUqué précédemment l'organisation et l'impor- 
tance. r4'était celle des calvinistes, que les amélio- 
rations apportées dans leur situation par Henri , et 
dont plusieurs étaient dues h l'active intervention 
de sa sœur, n'avaient pas rendue moins agressive. 
Une nouvelle guerre religieuse et politique atten- 
dait un État sortant de trente-huit années de guerre 



CATHERINE DE BOURBON. CHAPITRE IX. 241 



civile et étrangère , et arrivé à ce degré d'épuise- 
ment où une dernière crise suffit pour décider la 
mort. Le roi sauva cette fatale épreuve à la Frtiice 
en accordant l'édit de Nantes aux calvinistes. La 
part active que, selon l'historien Mathieu, Cathe- 
rine de Boiurbon avait prise à la rédaction de ce 
pacte célèbre , auquel elle avait travaillé deux an- 
nées entières , exige que nous en rappelions som- 
mairement les principaux points. 

« L'édit de Nantes , nous dit M. Poirson , dans 
son intéressant travail sur le règne de Henri IV, 
fut la charte des réformés français pour près d'un 
siècle. Ils obtenaient la liberté la plus entière de 
conscience, ne pouvaient être ni recherchés dans 
leurs maisons pour leurs croyances et les pratiques 
non publiques de leur culte, ni astreints à faire au- 
cun acte contraire à leur religion. Ils en obtenaient 
l'exercice dans trois espèces distinctes de lieux ; 
l'État leur permettait d'avoir des temples dans 
les localités fort nombreuses comprises dans cette 
triple division, pourvoyait aux appointements de 
leurs ministres et des régents de leurs collèges, leur 

permettait de recevoir des donations, legs pour 

14 



2^1 2 CATHERINE DE BOURBON. 



cet usage , développant largement les concessions 
déjà faites par les édits et traités subséquents. Si 
Teiercice public du culte fut interdit dans plusieurs 
grandes villes, cette restriction fut approuvée, 
presque demandée , pour divers motifs, par les ré- 
formés eux-mêmes. Ils jouissaient' des mêmes droits 
civils que les catholiques, en tout ce qui concer- 
nait leur domicile dans le royaume; des disposi- 
tions particulières leur garantissaient certains droits 
et les protégeaient contre des dangers qu'ils avaient 
longtemps courus. Il était défendu aux prédicateurs 
et aux professeurs de leur adresser des qualifica- 
tions injurieuses et de soulever les peuples contre 
eux; il était -interdit à leurs parents de les déshé- 
riter pour cause de religion, de leur enlever leurs 
enfants par force ou par captation pour les élever 
dans la religion catholique. Leurs enfants pouvaient 
être admis dans les collèges, leurs malades dans 
les hôpitaux, sans distinction avec les catholiques. 
Une justice impartiale leur était assurée dans tous 
les parlements du royaume et leurs causes étaient 
portées à une chambre spéciale , établie pour eux 
et nommée Chambre de l'édit. Ils étaient déclarés 



in 
ï 



CHAPITRE IX. 243 



capables de tenir et d'exercer tous les états et di- 
gnités tant royales que seigneuriales et munici- 
pales. Sous le rapport de l'aptitude, ils étaient mis 
sur le pied d'une parfaite égalité avec les catholi- 
ques. L'édit leur laissait, sous le rapport de leur 
organisation politique , deux espèces d'assemblées, 
l'une religieuse et l'autre politique, mais avec des 
restrictions qui limitaient l'usage des dernières. Ils 
conservèrent, aux termes de l'édit, les deux cents 
villes que les traités et la guerre avaient mises entre 
leurs mains. » 

<c L'édit de Nantes, ajoute M. Poirson, après en 
avoir relevé les vices et les conséquences inévitables, 
donna au principe de la tolérance religieuse la force 
et la durée dont il avait manqué jusqu'alors : par sa 
vertu propre, par son efficace puissance, il assura 
aux réformés, pour près d'un siècle, la liberté civile 
et la liberté de conscience. La merveilleuse sagesse 
de Richelieu vainqueur l'ayant respecté dans sa 
partie religieuse, en lui enlevant sa partie politique, 
parasite et dangereuse annexe, le mit à l'état de loi 
pure qui protégeait une classe entière de citoyens 
sans dommage pour la chose publique. Par un 



24i CATHERINE DE BOURBON. 



excès sans nom de l'absolu pouvoir, Louis XIY put 
bien révoquer l'édit, proscrire les calvinistes, et 
frapper ainsi la France d'une plaie plus profonde 
(]ue toutes celles que lui firent les désastres réunis 
(le la fin de son règne. Mais le scandale surpassa 
('ncore le mal. Ce fut, au moment même, une cla- 
meur et une malédiction dans l'Europe entière. Ce 
fut plus tard en France une réclamation permanente, 
passionnée, de la raison et de la justice , contre l'in- 
tolérance de cet acte inouï. L'édit de Nantes servit 
peut-être autant au triomphe définitif de la liberté de 
conscience par sa suppression que par ses quatre- 
vingt-six années d'existence. Une chose bonne et 
salutaire ne dure pas impunément un siècle au sein 
d'une nation. Quand on la rase au sol, elle vit dans 
ses racines, et pousse bientôt après au dehors des 
rejets d'une telle vigueur, que nulle main humaine 
n'a plus la puissance de l'arracher * » 

Cet édit, qui sauva la France d'une ruine et d une 
désorganisation imminentes, qui lui ouvrit une ère 
de liberté éternelle, termina aussi la mission con- 
ciliatrice de Catherine de Bourbon à la cour de son 

1. Histoire du règne de Henri IV, 1. 1, p. 374. 



( 



CHAPITRE IX. 243 



frère, récompensa les sacrifices qu'elle avait faits 
pour y conserver son influence, et unit son nom à 
l'un des plus grands actes du règne de Henri IV. 
Cependant la part qu'elle y avait prise semblerait 
moins complète, si par ses suites, l'édii de Nantes 
n'eût amené l'événement qui acheva de la dévouer 
entièrement aux intérêts de la France. 

Le roi n'avait, on Ta vu, prévenu une révolte et 
une prise d'armes de la part des calvinistes qu'en 
leur accordant l'édit de Nantes. Mais la publication 
et l'enregistrement de cet édit faillirent exciter un 
soulèvement chez les catholiques exaltés. Vaine- 
ment Henri, dans le dessein de les gagner et d'assu- 
rer la liberté de conscience à ses sujets de Tune 
comme de l'autre reUgion, avait stipulé en même 
temps que le catholicisme serait rétabli dans les 
lieux où la violence l'avait aboli durant les troubles; 
vainement il leur montrait qu'il relevait ainsi leurs 
autels dans cent villes closes et dans mille paroisses. 
Insensibles à cet avantage, ils proclamaient la reU- 
gion en péril depuis que l'édit de Nantes allait con- 
sacrer et étendre les droits des calvinistes par des 
dispositions dont la puissance du roi, chaque jom^ 



240 CATHERINE DE BOURBON. 

plus affermie , assurerait partout l'exécution. Le 
clergé dénonçait la prédication libre et rexercice 
public du culte comme des moyens actifs de propa- 
gande livrés aux réformés. Il appréhendait surtout 
que redit, en leur ouvrant l'accès aux charges et 
dignités, ne leur fournît un moyen d'accroître leur 
puissance, et qu'ils ne l'emportassent enfin sur les 
cathoUques par leur nombre et par leur crédit. Les 
cathoUques, exaltés, opposèrent les plus violents 
murmures à l'acceptation et à l'exécution delà nou- 
velle loi ; des processions furent célébrées à Tours 
et au Mans pour soulever le peuple contre l'édit et 
inspirer à la magistrature la résolution de le rejeter. 
,De séditieux sermons retentirent en chaire, et les 
passions qui avaient amené les barricades et le 
meurtre de Henri III se trouvèrent rallumées. 

A cette irritation Henri opposa d'énergiques re- 
montrances adressées au parlement, des ^drdres ri- 
goureux, le concours de quelques bons citoyens, 
une active intervention en faveur du Saint-Père 
pour la restitution du duché deFerrare, et enfin une 
alliance étroite avec la Lorraine dont les princes 
étaient connus par leur attachement au Saint-Siège. 



CHAPITRE IX. 247 



On comprendra facilement qu'en de telles cir- 
constances, et venant , en comblant les vœux des 
calvinistes, de satisfaire leur plus illustre représen- 
tante à la cour, Henri ait songé à réaliser un projet 
qu'il mûrissait depuis longtemps. C'était de donner 
sa sœur en mariage au marquis de Pont, duc de 
Bar, héritier présomptif de Charles III, duc de Lor- 
raine . Il y voyait des avantages dont seul il était 
capable d'apprécier la profonde importance. En 
s'alliant de si près au duc de Lorraine, il calmait et 
rassurait la France catholique et les anciens li- 
gueurs; il prétendait amener Catherine à rentrer 
comme lui dans le berceau de l'ÉgUse de Jésus- 
Christ; enfin il favorisait les vastes desseins qu'il 
méditait pour la gloire et l'agrandissement de la 
France. 

Il fallut cette réunion d'événements pour le déci- 
der à montrer à sa sœur, pour la seconde fois , 
son énergie sévère et son impitoyable volonté. Vai- 
nement Catherine objecta la répugnance et la crainte 
que lui inspirait le mariage avec le prince de Lor- 
raine. Plus inutilement encore, elle montra com- 
bien ce sacrifice coûtait à son cœur. « Ma sœur, écri- 



•24'^ CATHERINE DE BOURBON. 



vait confidentiellement Henri au duc de la Force, est 
en la même mauvaise humeur qu'elle étoit à Com- 
piègne, qui m'est une affliction insupportable. C'est 
pourquoi je me dépêche le plus qu'il m'est pos- 
sible de la marier et de me donner ce contentement 
après tant d'autres que Dieu m'a donnés, comme 
de la paix générale en mon royaume , et la particu- 
lière avec ceux de la religion. » 

Résister à Henri IV lorsqu'il s'agissait des inté- 
rêts de la France, n'était pas chose facile. La moitié 
de l'année 1398 se passa à lutter d'une part, à do- 
miner de l'autre. Henri convoqua ses anciens amis, 
Mornay surtout, pour soumettre sa malheureuse 
sœur. Ce fut un ennemi intérieur à vaincre, et non 
pas le plus facile. Lorsque enfin, l'inégahté du 
combat, la lassitude, et osons même l'avouer, la 
misère, cette royale misère qui poursuivait toujours 
la princesse et la mettait dans la dépendance du 
roi et de ses ministres, eut justice de Catherine, la 

victoire de Henri ne fut pas complète. La sœur du 
roi de France était soumise ; mais la fille calviniste 
de Jeanne d'Albret demeura indépendante , et sur 
les ruines de la liberté du cœur et de la personne , 



CHAPITRE IX. 249 



la liberté de conscience s'éleva dans son plus im- 
posant éclat. 

Les négociations du mariage marchèrent rapi- 
dement. Le duc de LoiTaine était aussi empressé 
que Ilemi IV de le conclure. Comme Elisabeth et 
Sixte-Quint, il avait compris le génie de Henri IV 
et apprécié la profonde portée de sa politique. L'in- 
corporation définitive de ses États à la France lui 
parut en être une conséquence inévitable, et il crut 
la retarder par une étroite alliance avec son redou- 
table voisin. Une autre pensée le dirigeait encore. 
On doutait que Henri IV réussît à obtenir la disso- 
lution de son mariage avec Marguerite de Valois ; 
ainsi privé d'héritiers légitimes, ceux de sa sœur 
pouvaient un jour mettre en avant quelques pré- 
tentions à la couronne de France. Telles furent les 
causes de la persévérance de Charles III et de Henri IV 
à réaliser un proj et contre lequel s'élevaient de graves 
obstacles. Le premier était l'éloignement non équi- 
voque de Catherine pour le prince de Lon^aine, 
éloignement dont on connaissait la cause, et que 
la sombre inimitié de Soissons pour Sully expH- 
quait fort clairement. Le second obstacle existait 



2y0 CATHERINE DE BOURBON. 

dans la différence de la religion des fiancés; le 
duc de Bar était fervent catholique et la princesse 
Catherine se montrait de plus en plus attachée au 
calvinisme. De plus, ils étaient alliés à un degré 
qui ne leur permettait de contracter mariage que 
moyennant dispense ; et il paraissait peu probable 
que le pape l'accordât tant que Catherine resterait 
hors de TÉglise. Une année entière se passa à cher- 
cher à vamcre ces difficultés sans obtenir de solu- 
tion satisfaisante. Henri lY et Charles III songè- 
rent alors à les décider comme Us l'entendaient, 

c'est-à-dire le plus promptement possible * . 

Le mariage fut conclu à la fin de décembre 1S98. 
Les contrats réglèrent que la princesse, nommée 



1 . « Presque tous ]cs princes sont en cette ville, écrivait le duc 
de la Force en septembre 1598; Madame aussi n'en bouge point. 
11 est certain que son mariage est arrêté, et parle- t-on de faire 
noces h. Noël. Après avoir pris résolution de mes affaires avec un 
conseil, je lui irai baiser les mains, et ferai le reste des visites 
que je pourrai, pour après aller trouver le roi, où je ne demeu- 
rerai que deux jour». L'on m'a arrêlé un logis assnz commode et 
assez près du Louvre, contre la rue Saint -Honoré, où nous pou- 
vons tous loger ; ils fournissent linge, lits et vaisselle, et ont ar- 
rêté prix à quatre livres par jour, et ce pour le temps que je 
voudrai. » (28 septembre 1598, le duc de la Force à M*°« de la 
Force, Mém., t. I, p. 293. Mém., id., p. 297.) 



CHAPITRE IX. 251 



dans les actes duchesse d'Albret, comtesse d'Arma- 
gnac et de Rhodez, vicomtesse de Limoges et Fezen- 
zaguet,^ aurait pour apanage annuel une somme de 
cent mille écus ; que ses enfants porteraient les 
mêmes titres et en seraient pourvus, et que pour 
douaire, en cas de décès de son mari, elle aiirait 
Tétat et duché de Bar en BaiTois, dont elle jouirait 
avec une pension ammelle prise sur le domaine de 
Lorraine. Ces articles furent lus au roi et à la prin- 
cesse au château de Monceaux, en présence des 
princes du sang, des membres du conseil, des of- 
ficiers de la couronne et de toute la cour. Henri IV, 
avant de présenter la plume à sa sœur et de signer 
hii-même, déclara ne la contraindre c<ew façon que 
ce fut^ ni audit mariage, ni à être catholique, se 
contentant pour Tune et pour l'autre de lui propo- 
ser et procurer son bien et lui en laisser après la 
liberté et eslection^ » 

Catherine répondit « qu'elle recevoit le mariage 
à très-grand contentement et honneur, mais que 
pour sa religion, la tenant avec sa vie de la feue 
renie Jeanne de Navarre sa mère, dont elle tenoit 

1 . Mém, de Chevcnvj^ chancelier de France. 



252 CATHERINE DE BOURBON. 

toutes les actions imitables, elle ne s'en pouvoit dé- 
partir légèrement et sans instructions suffisantes ; 
que néanmoins, elle promettoit au roi et à M. le duc 
de Bar, son futur mary, de rechercher et se porter 
à la dite instruction, autant qu'il lui seroit possible, 
les suppliant tous deux très-humblement de ne la 
vovdloir cependant contraindre davantage. » 

Satisfait de cette réponse, Henri fit terminer im- 
médiatement la rédaction de l'acte, et peu de jours 
après, le prince de Lorraine, accompagné de M. de 
Vaudemont son frère, et de trois cents gentils- 
hommes arriva au Louvre, « où il salua, ajoute 
Cheverny, Madame sa maîtresse et son accordée, 
qui le receut avec tout l'honneur et bon visage qu'il 
se peut. » 

On savait cependant qu'elle ne se soumettait 
qu'avec peine aux volontés du roi et que du Plessis 
Mornay seul était parvenu à la décider à obéir. 
La malheureuse piîncesse se sentait peu capable 
d'aborder la nouvelle destinée qui lui était offerte, 
et d'ajouter d'autres devoirs à ceux qui pesaiegfit 
déjà sur elle. Une mélancolie inquiète et maladive 
la minait lentement. Comme Henri IV, elle pouvait 



CHAPITRE IX. 253 



dire en montrant son front flétri avant Tâge : a Le 
souffle des adversités a passé là! » et ses traits dé- 
licats, dont le charme avait autrefois exercé un si 
doux prestige, portaient déjà l'empreinte doulou- 
reuse et résignée d'une souffrance continuelle et 
d'une mort prochaine. 

Le duc de Bar était au contraire dans la splen- 
deur et dans la force de la jeunesse. Beau, élégant 
et brave comme les princes de sa maison, il 
s'était signalé dans les guerres de la Ligue par 
des actions d'éclat. Les Lorrains lui donnaient le 
surnom de Bon, à cause de la générosité de son 
cœur et de la piété de son âme. Mais sa timidité, 
sa faiblesse de caractère et son irrésolution natu- 
relle nuisaient à ses qualités et le rendaient victime 
des intrigues de son entourage , lorsqu'il n'était 
pas l'esclave de l'ambition d'un père trop absolu. 

L'instruction catholique à laquelle Catherine avait 
promis de soumettre sa conscience fut immédia- 
tement commencée. Les conférences s'ouvrirent 
au Louvre au commencement de janvier 1599. 
La princesse, souffrante ce jour-là, entendit de son 
lit le théologien Duval, prêtre de la Sorbonne, 

15 



251 CATHERINE DE BOURBON. 

et le ministre Tileniiis Daniel, professeur de Se- 
dan , qui firent assaut de science et d'érudi- 
lion. Ils n'oublièrent qu'un seul point, celui de 
la clarté , condition première de toute explica- 
tion, surtout s'adressant à une princesse que le 
respect pour les volontés maternelles plus que le 
raisonnement retenait hors de l'Église. Catherine, 
étourdie par leur violente polémique , se fatigua de 
leurs longs discours et congédia les docteurs. 

Les conférences suivantes ne furent pas plus 
concluantes. La princesse persista dans ses idées 
religieuses , à la grande satisfaction de ses coreli- 
gionnaires. On lui rappela que le roi son frère 
s'était contenté des mêmes instructions avant d'ab- 
jurer le calvinisme. « L'exemple du roi, répondit- 
elle, est une loi pour moi, mais en tout ce qui ne 
touche pas la loi de Dieu. Je sais sur ce point 
où doit aller mon obéissance. » On lui représenta 
que son obstination serait peut-être un obstacle à 
l'accomplissement de son mariage. c< Je n'ai jamais 
songé, répliqua-t-elle vivement, à gagner un époux, 
comme mon frère a gagné un royaume, c'est-à-dire 
en renonçant à ma foi I x> Puis, craignait sans doute 



i 



CHAPITRE IX. 255 



d'avoir parlé trop violemment, elle reprit avec plus 
de douceur : a On peut rappeler au prince de Lor- 
raine que la différence de religion ne saurait être 
une cause de désunion entre des époux , et que le 
roi mon père et la reine ma mère ont vécu en bonne 
intelligence, quoique leurs croyances ne fussent 
pas les mêmes. » 

Les conférences achevées , la princesse dit au roi 
que n'ayant rien compris aux discussions de Tile- 
nius et de Daniel, elle ne pouvait, en conscience se 
déclarer convertie , et qu'il lui fallait du temps , de 
la réflexion et d'autres exhortations. Le roi, vive- 
ment irrité de cette résistance, lui parla avec une 
vivacité qui provoqua ses larmes sans ébranler sa 
résolution. Cependant il n'insista pas davantage. 
Un des traits remarquables du grand caractère de 
Henri était son respect pour la liberté de conscience. 
A une époque où les souverains se montraient si 
peu tolérants à cet égard, il n'agit jamais contre 
elle ; et lorsqu'il croyait devoir disposer du cœur, 
des sentiments de la personne môme de sa sœur, il 
s'arrêtait devant l'indépendance de sa foi, quelque 
impatience qu'il en éprouvât. En effet , il savait que 



23ft CATHERINE DE BOURBON. 

la cour de Lorraine avait déjà reçu im avertis 
ment du pape pour défendre au duc de Bar de s' 
lier sans dispense à la princesse, et que les évêqi 
de France refusaient de célébrer le mariage en 
telles conditions. D'un autre côté, le synode ré 
à Montpellier le condamnait également. He 
craignit les conséquences d'une telle lutte , et t 
mina les négociations par un acte de vigueur, d 
l'audace presque sacrilège eut, comme nous le ^ 
rons, les plus tristes résxiltats pour Catherine. 



CHAPITRE X 

Caractère de l'archevêque de Rouen , frère naturel de Henri lY . — Conver- 
sation de Henri avec le baron de Roquelaure.—^ Il obtient de l'archevêque 
de Rouen la célébration du mariage. — Catherine épouse le duc de Bar. 
•— Fêtes de la cour. — Libéralité de Henri. — Portraits de la princesse. 
— Estampes. — • Reconnaissance de la princesse pour le duc de Lorraine. 
—-Son départ de France. — Correspondance de la duchesse de Bar avec 
Henri IV. 

L'Église de France et le clergé calviniste s'oppo- 
saient ainsi à l'union de Catherine avec le duc de 
Bar. Le scandale éclatait de toutes parts, et les 
gentilshommes huguenots venus pour la célébra- 
tion des noces commençaient à murmurer haute* 
ment contre des lenteurs qu'ils ne s'expliquaient 
pas. L'année 1599 s'ouvrit au milieu de ces mur- 
mures. Jusqu'au milieu de janvier, Henri parut 
soucieux et indécis. A cette époque, sa résolution 
fut prise. Tout récemment il avait élevé au siège 
archiépiscopal de Rouen, à la soUicitation du baron 
de Roquelaure, son frère naturel, Charles, fils 
d'Antoine de Bourbon. C'était un homme de plaisir. 



2*i8 CATHERINE DE BOURBON. 

sans considération , et que la faveur avait seule ap- 
pelée à la situation éminente qu'il occupait indigne- 
ment. Ces sortes de caractères sont ordinairement 
d'une merveilleuse docilité lorsqu'un ordre supérieur 
leur impose l'oubli de leurs serments . Cependant lors- 
que l'archevêque fut appelé , le 28 janvier, à Saint- 
Germain, et que seul avec Henri il reçut de lui 
l'ordre de célébrer l'imion de Catherine et du duc 
de Bar, la justice oblige à dire qu'il résista et rap- 
pela sans crainte au roi l'opposition de l'ÉgUse. 
Henri, cette fois, ne s'emporta point; il fut plus 
sévère encore, car il railla le prélat, et, s'il faut en 
croire Sully, le congédia en lui annonçant que sa 
résistance ne tiendrait pas longtemps. Le baron de 
Roquelaure fut mandé à son tour, et le roi, avec 
une liberté d'expressions que nous ne pouvons rap- 
porter, lui raconta l'opposition du prélat, ajoutant 
que par ces refus sa sœur demeurait à marier. «Ah! 
pardieu, sire, interrompit le facétieux courtisan, 
cela ne va pas bien, car il est temps, au moins se- 
lon mon opinion, que notre sœur Catelon com- 
mence à goûter les douceurs de cette vie , et ne 
crois pas que dorénavant elle en puisse mourir par 



CHAPITRE X. 259 



trop grande jeunesse. » Puis , continuant sur le 
même ton, il promit au roi de soumettre l'arche- 
vêque; ce qu'il fit, en effet, après des entretiens 
aussi peu châtiés que le reste du récit, et qui révè- 
lent l'incroyable désordre des mœurs et du langage 
de l'époque. 

Enfin, le 29 janvier, entre cinq et six heures du 
matin, Henri fit secrètement appeler chez lui l'ar- 
chevêque, envoya prévenir avec le même mystère 
le duc de Lorraine et le duc de Bar, et se rendit, 
après leur arrivée, chez sa sœur, laquelle avertie dès 
la veille était déjà prête. Il la conduisit seul, sans 
paraître s'apercevoir de son émotion, à travers les 
froides et silencieuses galeries du château, jusqu'au 
salon où l'attendaient les princes et quelques té- 
moins, entre autres le baron de Roquelaure, qui, par 
son regard narquois décontenançait l'archevêque 
de Rouen. La réunion offrait un triste et singulier 
aspect. Le duc de Bar, visiblement troublé, se tenait 
près du prélat dont le visage pâle et l'attitude mal 
assurée trahissaient la crainte et la confusion. La 
princesse , vêtue d'une simple robe du matin sans 
aucune parure, paraissait plus fluette et plus déco- 



2e0 CATHERINE DE BOURBON. 

lorée qu'à rordinaire, et s'appuyait en frissonnant 
sur Henri, qui seul conservait son calme et son 
assurance habituelle. Après avoir jeté sur l'assem- 
blée un rapide et imposant coup d'oeil , il s'adressa 
au prélat et lui dit à haute voix : « Mon frère , je 
désire que vous fassiez tout actuellement ledit ma- 
riage de ma sœur et de M. le duc de Bar, par pa- 
roles de présent ^ » 

L'archevêque répliqua qu'il ne pouvait obéir 
sans procéder aux solennités accoutumées en pa- 
reille occasion. «Ma présence, reprit Henri, est plus 
que toutes les solennités ordinaires, et mon cabinet 
rempli de tant de personnes de qualité est un lieu 
sacré et assez public pour cela. Je vous prie donc et 
commande absolument de passer outre et faire le 
dit mariage, nonobstant toutes les difficidtés qu'il 
pourrait supporter, desquelles, et de l'événement 
d'icelles je demeure chargé et garant. » 

Le prélat obéit alors immédiatement et donna la 
bénédiction nuptiale aux illustres fiancés. La céré- 

]. Mém, de Cheverny, Palma Cayet, Chronologie ieptennaire^ 
VEstoile, journal de Henry IV, t. II. Sully, Économies royaUt^ 
t. m. De Thou, Hisi. Péréfîce, Hitt. de Henry IV.^Uém. delà 
Force f U I. Cérémonial français, par GodeCroy, t. II. 



CHAPITRE X. 26i 



moniô terminée, le duc et la duchesse, sans s'a-* 
dresser une seule parole , s'agenouillèrent et restè- 
rent quelque temps en prière. La clarté blafarde 
d'une matinée d'hi\er remplaçait celle des bougies 
à demi consumées et jetait des reflets livides sur le 
front de la malheureuse princesse. Pensait-elle alors 
au jour lointain, où jeune encore et rempUe d'es- 
pérance et de bonheur, elle avait supplié Cayet de 
bénir son union avec celui qu'elle aimait? Deman- 
dait-elle au ciel le courage et la résignation? L'i- 
magination trouve ici un champ libre ; Catherine 
était à l'un de ces instants dont la solennité fait de 
la vie entière un ensemble émouvant dans lequel se 
confondent les souvenirs du passé, les impressions 
présentes et les vagues prévisions de l'avenir. 

La cour apprit avec une joie mêlée de surprise 
l'événement qui s'était accompli, et la duchesse, 
reconduite à son appartement par le roi, reparut 
bientôt dans le riche costume sous lequel le peintre 
Darlay l'a représentée, et- que Thomas de Leu a 
reproduit dans les nombreuses estampes qui cir- 
culèrent alors dans Paris. Ce luxe de perles, de 
joyaux et d'étoffes, ce manteau de cour estimé 

15. 



202 CATHERINE DE BOURBON. 

plus de quarante mille écus *, tout cet ensemble 
éblouissant faisait ressortir tristement la mai- 
greur, les traits usés, fatigués de la duchesse, 
dont le regard conservait seul son charme et sa 
vivacité. Une suite de fêtes réunit an Louvre pen- 
dant plusieurs jours toute la noblesse présente à 
Paris. « Je vous dirai, écrivait le duc de la Force, 

comment Madame épousa M. de Lorraine ; il n'y a 
eu magnificence que de beaia habits qui ont fort 
paru au grand bal qui s'est dansé trois soirs de 
rang et grands festins servis en cérénaonie ^. » 

La plupart des portraits de la princesse datent de 
cette époque de sa vie ^. La Bibliothèque impériale 
en possède plusieurs épreuves gravées par Thomas 
de Leu d'après Darlay. Là ressemblance de Cathe- 
rine avec son frère y est frappante, soit qu'elle existât 
en effet , soit qu'on l'ait forcée à dessein. C'est la 
même coupe de visage, le nez aquilin fortement 



1. Mbs Dupuy, 407, fol. 27» 

2. Mém, du duc de la Force, 1. 1, p. 304. Cérémonial français, 
par Godefroy. 

3 . Un autre portrait de Cactheriûe atipartenànt à la oolleetioo da 
château d'Eu, a été reproduit dans la galerie de Versailles par 
Garard. 



CHAPITRE X. 263 



accentué, les yeux .vifs et perçants du roi béar- 
nais. Nous en avons compté quatre reproductions 
toutes enrichies de quatrains différents*. Nous les 
donnons comme échantillons de la poésie popu- 
laire deTépoque. 

a Qui voit ce beau portrait, cette auguste apparence , 
Voit tout rhonneur du monde et l'abrégé (Jps cieux. 
C'est le plaisir de Tâme et le miroir des yeux, 
Princesse des vertus aussi bien que de France. 

« Voicy Tunique sœur du plus brave monarque, 
Que le paissant Atlas peut porter sur son dos. 
Voicy celle de qui l'impérissable loz 
Se trace sur le lis pour éternelle marque. 

« D'une Sémyramis le renom ou la gloire , 
Ou bien une Hébraïque en sa pudicilé. 
Contre un Assyrien n'a onc tant mérité 
Que ceste sœur de roy, vraye fille de Mémoire. » 

Une médaille fut frappée en commémoration de 
ce mariage. D'un côté est représenté le profil de 
la princesse , coiffée à peu près comme dans 
les estampes de Thomas de Leu ; de l'autre sont 
gravées les trois Grâces, avec cette exergue assez 
peu compréhensible pour qui se rappelle les qua- 



264 CATHERINE DE BOURBON. 

I III.» il.. 

rante ans de la duchesse et son peu de beauté : 
« Une ou quatre. » 

L'éditeur Jean Le Clerc, rue Saint- Jean-de-Latran, 
à l'enseigne de la Salamandre , publia en même 
temps une estampe qui eut alors un grand succès 
et attira longtemps la curiosité publique. Cette es- 
tampe, qui existe encore à la Bibliothèque impé- 
riale dans la collection Hennin, est de Léonard Gau- 
thier ou de Thomas de Leu. Le sujet représente 
un pont que l'Amour achève de construire. D'un 
côté , im personnage figurant l'Hymen en robe 
de grand prêtre, imit les fiancés ; Catherine, en 
robe à fraise et à vertugadin, tient un caducée; 
le duc de Bar est habillé à la dernière mode du 
temps de Henri IV ; le roi lui-même est représenté 
drapé en héros antique armé d'une branche de 
laurier. Au bas de l'estampe, les vers suivants 
apprenaient aux incrédules combien le mariage de 
Catherine était heureux pour la France : 

• 

« De ce couple sacré qui conjoinct hymënée, 
Des merveilles du siècle en leur fleur sortiront; 
Les douceurs de leurs fruits aux peuples serviront 
Pour préserver leurs biens de la guerre effrénée. • 



\ 



CHAPITRE X. 2H5 



Trois quatrains et deux tercets suivent ce début 
poétique et roulent entièrement sur une sorte de 
jeux de mots fournis par le titre de marquis de Pont 
que portait le duc de Bar, sur le bonheur de l'hy- 
men, les mérites de la princesse et la grandeur de 
Henri IV. 

L'autre estampe, appartenant aussi à la collection 
Hennin sur le même sujet, est due à J. Théodore et 
J. Israël de Bry, et a été publiée à Francfort^sm'-le- 
Mein, en 1598. Le pont y est formé de deux pal- 
miers, et au lieu de poésie, l'éditeur a inscrit au- 
dessous en latin une longue et ridicule dissertation 
sur ces arbres dont Pline a expliqué les sympathies, 
et sur les avantages de l'état du mariage. La pre- 
mière de ces estampes, moins fine de gravure, a sur 
la seconde le mérite d'être une expression histo- 
rique des sentiments du public sur le mariage de la 
sœur du roi, considéré comme le véritable terme 
des longues rivalités entre les maisons de Lor- 
raine et de France. 

Le duc de Bar ne fut pas oublié des artistes de 
l'époque. Le burin de Thomas de Leu a reproduit 
avec un égal talent sa figure ouverte , animée , 



2(36 CATHERINE DE BOURBON. 

jeune encore et agréablement éclairée par un regard 
intelligent et bon . On lit au-dessous les vers suivants : 

il A Tunique princesse , honneur de notre France , 
Digne sœur d*un grand roy, ce prince généreux 
A fait pour sa Lorraine une double alliance , 
Par un sainct hy menée également heureux. » 

La duchesse de Lorraine soutint avec grâce et 
dignité sa situation nouvelle. Le caractère affec- 
tueux et doux de son époux, Tesprit élevé de son 
beau-père lui inspirèrent assez promptement, sinon 
une vive tendresse, du moins une sympathie recon- 
naissante dont ils se contentèrent. Catherine, malgré 
les orages de son existence, n'avait rien perdu de 
sa grâce et de son enjouement. Elle possédait sur- 
tout au plus haut degré ce besoin de plaire qui do- 
mine les femmes, à tel point qu^elles s'oublient 
parfois à séduire ceux mêmes qu'elles ne peuvent 
aimer. On dit que dans un accès de ce genre, elle 
avait été jusqu'à dire au duc de Lorraine que 
l'heure agréable de sa vie était arrivée : « Grata su- 
perveniat quœ non sperabitur hora. Ladite dame, 
remarque Palma Cayet, étant fort bien instruite 
en latin. » 



CHAPITRE X. 267 



Cependant elle cacha peu ses regrets de quitter 
son frère et de s'éloigner de son pays. La douceur 
avec laquelle Henri avait traité sa constance reli- 
gieuse ajoutait une reconnaissance enthousiaste à 
ses sentiments naturels. Dans une lettre adressée à 
la duchesse delà Trémouille, la princesse d'Orange 
s'exprime ainsi : « Madame part jeudi. Vous n'avez 

jamais vu tant de regret de laisser la France ! » Et 
dans une autre lettre , elle raconte le départ : 

« Votre sœur (la duchesse de Bouillon) a vu les der- 
niers adieux du Roi et de Madame, qui ont été pi- 
toyables 5 car Madame s'évanouit en disant adieu 
au Roi qui pleura fort aussi. » 

Malgré ces tristes pressentiments, l'existence de 
la duchesse de Lorraine fut heureuse durant la pre- 
mière année de son mariage, La vie paisible, les 
habitudes simples et bienfaisantes de la maison de 
Lorraine, convenaient au caractère et aux goûts 
de Catherine. Dans ses lettres, on voit qu'elle se 
plaisait à comparer la beauté agreste de quelques 
parties des États de son beau-père à son Béarn et à 
ses Bïontagnes natales. A Nancy et à Sans-Soucy *, 

1 . Aujourd'hui la Malgrange. ^ 



«2C8 CATHERINE DE BOURBON. 



elle s'entoura de souvenirs de sa jeunesse et orna 
plusieurs salons des tapisseries et des meubles de 
Pau, de Navarreins et de Vendôme. Elle faisait 
venir également les arbres et les plantes capables 
de résister au climat lorrain, et s'attacha plusieurs 
vieux serviteurs qui jusque-là l'avaient patiemment 
attendue en Béarn. Cette heure de calme, accordée 
à sa triste vie après tant d'agitations et d'épreuves, 
acheva de mettre en relief toute la grâce de son 
esprit et la tendresse de son cœur. Jamais ses amitiés 
ne furent aussi vives qu'à cette époque, jamais la 
tendre admiration que lui inspirait son frère, devenu 
pour elle im père et un confident après avoir été un 
juge si sévère, ne s'exprima avec plus de charme. 
Ses lettres forment alors un récit fidèle et circon- 
stancié de son existence à Nancy, im tableau exact 
de ses relations avec Henri lY, et de l'immense 
empire qu'il exerçait sur elle. Elles sont ingé- 
nieuses, écrites d'un style vif et piquant, égayées 
d'une manière presque continue par un badinage et 
une plaisanterie de bon ton. On voit même que la 
princesse avait beaucoup plus que son frère de ce 
que Ton nomme proprement esprit; et lorsque enfin 



CHAPITRE X. 20(1 



elle abordera les dernières épreuves de sa vie, nous 
reconnaîtrons qu'il était difficile de cacher plus de 
sérieux sous autant d'enjouement. Parcourons cette 
correspondance préférable à tout ce que Ton pour- 
rait raconter des dernières années de la princesse : 

« Mon cher roy, 

« Je ne veux faillir de vous rendre très-humbles 
grâces par M. d'Attichy des offres qu'il m'a faites 
de votre part; je m'assure, mon roy, que l'hon- 
neur que vous me témoignez me rendra toujours 
mieux traitée de Monsieur mon beau-père et de 
Monsieur mon mary ; il vous a toujours plu me pro- 
mettre que lorsque vous seriez paisible et que je 
serois mariée , vous me fériés ressentir les efiets de 
votre bon naturel ; l'un et l'autre sont maintenant , 
dont je loue Dieu et connois, par ce que m'a rap- 
porté de votre part M. d'Attichy, que vous voulés 
exécuter cette promesse. 

« J'en ay bon besoin, mon cher roy, étant bien 
fort eh peine , à cause des frais qu'il m'a falu faire 
à mes noces et pour mon voyage , de plus que les 
quarante mille écus qu'il vous avoit plu me donner, 



270 CATHERINE DE BOURBON. 

comme vous dira M. d'Attichy. La nécessité où je 
me trouve cette amiée , à cause de cela , me con- 
traint de vous importuner, encore que Monsieur 
mon beau-père m'assiste de ce qu'il peut; mais, 
Monsieur, il est fort endetté , et ne pourroit pas con- 
tinuer longtemps ; quant à ce que M. d'Attichy m'a 
dit aussy , touchant le partage qu'il vous plaît voul- 
loir me donner, que votre volonté étoit que j'élusse 
quelqu'un pour regarder à ce qui m'appartient, 
ayez agréable, mon brave roy, l'élection que j'ay 
faite pour cet effet, m'assurant d'avoir choisyune 
personne si capable que mes affaires n'en peuvent 
que réussir à mon avantage ; c'est vous, mon cher 
et brave roy, que je prends poiu* mon avocat, mon 
arbitre et mon juge , et votre bon naturel pour me 
faire la part telle qu'il vous plaira ; car , quoi que 
vous me donniez avec votre bonne grâce, j'en seray 
plus contente que si j'avois plus par la dispute d'au- 
tre ; disposez donc de tout comme il vous plaira, 
et vous souvenez que tout ce que j'aiiray jamais vous 
y aurez toujours plus de pouvoir que moi-même. 
Je suis à vous, tout ce que j'ay en sera toujours de 
même; j'ai le mari que vous m'avez choisi ; faites- 



CHAPITRE X. 27i 



moi paroître que cette obéissance vous est agréa- 
ble ; je n'espère qu'en vous, mon roy , car vous seul 
me pouvez rendre heureuse ou bien misérable. Or, 
maintenant , puisque je vous prends pour mon avo- 
cat auprès de vous , gagnés la cause de votre petite 
sœur et très-humble servante , et soyés assuré que 
tant que je vivrai vous n'aurez, entre toutes vos 
sujettes , une qui, avec plus d'honneur, de respect 
et d'obéissance , reçoive la loy de vos volontés que 
moy, qui vous baise cent mille fois , mon roy. 

« Je vous supplie très-humblement de témoigner 
à M. d'Attichy que vous avez le service qu'il m'a 
fait agréable , et vous souvenir de luy quand il se 
présentera quelque occasion pour son avancement.» 

a Mon cher bot, 
« Mérange vous contera comme tout va icy ; je 
De m'amuseray donc à vous le dire par cette lettre, 
me remettant à luy ; je vous diray seulement que je 
me porte fort bien. Dieu merci, et que je désire 
autant que vivre d'avoir l'honneur de vous voir. 
J'attends La Varenne avec impatience, qu'à jusques 
à ce que vous m'ayez fait cette faveur de me man- 
der que vous me l'envoyerez. 



272 CATHERINE DB BOURBON. . 

« J'ai cru que tous m'aviez oubliée, ce qui me 
donnoit tant de déplaisir que j'eusse voulu estre 
morte ; maintenant, je reçois autant de contente- 
ment, me voyant honorée de votre souvenir que je 
tiens cher à l'égal de ma vie : croyés-le, mon cher 
et brave roy, et m'aimes moy bien toujours. Adieu, 
Monsieur; je suis votre servante très-humble. » 

« Mon cher roy, 

« Si je n'étois fort asseuréede l'honneur que vous 
me faites de m'aimer, j'aurois peur de vous être 
importune, vous écrivant si souvent; mais, mon 
roy, 'cela, et la crainte que j'ay que l'absence ne 
m'éloigne de cet honneur, me rend plus soigneuse 
à vous ramentevoir petite sœur, qui a reçu un con- 
tentement extrême d'avoir reçu par la lettre que 
vous m'avés fait l'honneiur de m'escrire par Bour- 
lemont, que c'estoit plustost paresse qu'oubli qui 
retenoit votre main de m'asseurer que vous me 
continuez en vos bonnes grâces ; ne m'ôtez jamais 
cette faveur, ou ôtez-moi la vie, car sans cela, je 
ne la veux pas conserver. 

a Ce porteur vous contera comme tout ce qui se 



CHAPITRE X. 273 



passe icy, qui est comme je le saurois désirer, aussi 
suis-je bien votre commandement, leur rendant 
tout l'honneur et tout le respect que je leur dois. 
Voilà, mon brave roy, ce que je vous puis accorder. 
Ce porteur m'a tant fait de peur avec sa grosse 
voix, que, pour le faire taire, je lui ai promis de 
vous supplier très-humblement d'avoir pitié de lui ; 
il vous en dira davantage, car ce n'est pas mon 
dessein de vous importuner. Adieu donc, mon cher 
et brave roy. Je vous embrasse mille fois] en esprit. 
Plut à Dieu que ce fut en effet. » 

<c Mon cher roy, 

<« Morel, présent porteur, vous va trouver pour 
vous supplier très-humblement de commander que 
justice iuy soit faite sur de quoy il a été accusé ; 
s'il est coupable, il se soumet à telle pimition qu'il 
vous plaira; quant à moi, je ne l'ay jamais trouvé 
en faute, et parce qu'il avoit sçu que l'on l'avoit 
accusé de m'avoir desrobé, il m'est venu trouver, 
mais je n'ay rien perdu de ce que l'on Iuy a baillé 
pour moi. Je fîniray ce discours, pour vous dire que . 



274 CATHERINE DE BOURBON. 



j'ay une passionnée envie de vous voir ; je porte 
bien envie à tous ceux qui ont cet honneur. 

<c Monsieur mon mary est allé à la chasse ; on lui a 
dit qu'il y avoit un fort grand cerf. En partant il m'a 
dit que, s'il est tel qu'on luy a dit, qu'il vous en- 
verra la tête ; mais s'il n'est plus heureux que de 
coutume, je crois que vous n'aurez pas ce présent; 
mais s'il le prend, et que ce soit chose digne de 
vous être présentée, je voudrois bien en être le 

porteur. 

c( . . . Mon Dieu, mon cher roy , quand vous ver- 
ray-je? Je reviens toujours à cela, car je n'ay point 
de plus violent désir, ce sera quand vous l'aurez 
agréable, et le commanderez à monsieur mon beau- 
père. Bonsoir, mon brave roy, je vous embrasse 
cent mille fois en esprit. » 

(( Mon cher roy , 

« Mathurine ^ vous saura si bien représenter tout 
ce qui se passe icy, que je n'en allongeray cette 

1 . Mathurine était une Béarnaise attachée au service de Cathe- 
rine, et connue par la joyeuse liberté de son langage. Henri IV 
l'appelait sa folle ; elle était près de lui lors de l'attentat de Jean 
Châtel. 



CHAPITRE X. 275 



lettre ; seulement, je vous asseureray que je con- 
tinue toujours à être très-bien avec ceux de cette 
maison, et que j'ay le meilleur mary du monde ; 
aussy m'y gouverneray-je bien comme vous me 
l'avez commandé. Que je vous ai souhaité à Lu- 
néville, où nous avons été ces jours ! 

« Mathurine vous dira bien comme il a fait beau 
pour toutes sortes de chasses. Mon Dieu , mou 
brave roy , que j'ay envie de vous voir, et quand 
auray-je cet honneur, et ce contentement, de vous 
pouvoir embrasser les yeux aussy guays que je les 
avois pleins de larmes quand je pris congé de 
vous ; ce sera quand vous témoignerez à Monsieur 
mon beau-père et à Monsieur mon mary que vous le 
désirez. 

c( Pardonnez-moy si je vous importune si souvent 
de ce discours, j'ai tant d'envie de vous voir, que je 
ne puis empêcher de le vous témoigner souvent. 
Pour la fin de cette lettre, je vous supplie très-hum- 
blement, mon cher roy, de me continuer l'honneur 
de votre amitié, et que l'absence ne m'en éloigne 
non plus que je m'esloigneray pour chose au 
monde du respect, de l'honneur et de la soubmis- 



276 CATHERINE DE BOURBON. 

sion que je vous dois, et à quoy mou inclination me 
porte du tout. Ayez cette créance de moy, mon 
brave roy, et me permettez de vous embrasser mille 
fois en l'esprit, jusqu'à ce que j'aye le bonheur que 
ce soit en efiet. » 

« Mon cher rot, 

« Je n'ay voulu laisser partir ce porteur sans 
vous rafraischir la mémoire de petite sœur, qui se 
meurt d'envie de vous voir. Je porte bien envie à 
tous ceux qui ont cet honneur. Mon cher roy, si je 
demeure encore longtemps, je crois que je devien- 
dray folle, attendant ce bonheur; faites-moy cette 
grâce de me continuer l'amitié que vous m'avez 
promise ; c'est im trésor qiie je veux conserver 
aussi chèrement que ma propre vie, que je n'es- 
timerois jamais heureuse si vous ne m'aimiez. 

« Dans deux jours, je vous renvoieray Vaginer 
avec les despesches que vous m'avez commandées 
de Limousin : en cela, et en toutes vos volontés, 
vous trouverez mon obéissance et submission, toute 
telle qu'il vous plaira. Je réponds aussi pour mon- 
sieur mon mary qu'il en fera de même ; car, mon 



CHAPITRE X. 277 



brave roy, vous n'avez point de serviteur et ser- 
vante de qui vous pouviez plus absolument dis- 
poser que de nous deux, et c'est vérité : je vous em- 
brasse mille fois, d 

a Mon cher rot, 

« Je vous envoie ce porteur, désirant avoir Fhon- 
neur de savoir de vos nouvelles. J'avois espéré 
pouvoir vous mander une nouvelle de moy que vous 
m'avés témoigné désirer : mais depuis deux jours 
j'ay reconnu que ce n'étoit qu'une fausse grossesse, 
dont je suis si malade que je n'ai pas la force pres- 
que d'achever cette lettre. J'ai donné charge à ce 
porteur de vous dire force choses de ma part, et 
sçavoir de vous comment il vous plaira que je me 
gouverne à l'arrivée de l'infante ' . » 

« Mon cher roy, 

c< Ce portew vous dira comme s'est passée ici la 
réception de l'infante ; elle m'a été plus courtoise 
que le pays ne me le faisoit espérer, c'est une hu- 
meur qui, à mon avis, vous seroit agréable. Elle 

1. FiUe de Philippe II, mariée à l'archiduc gouverneur des 

I^ajB-Bas. 

16 



278 CATHERINE DE BOURBON. 

aimé fort là chasse ; rarchiduc est aussi fort cour- 
tois : je remets tout à La Varemoie à vous conter; je 
Tay retenu pour voir la compagnie ; je vous y ai 
souhaité. Quand auray-je cet honneur, mon cher 
roy, de vous voir? envoyez-moi quérir où me venez 
voir. Pardonnez-moy si je vous parle si librement; 
aimez-moy mon brave roy, car je vous aime plus 
que moy-méme. 

« La Varenne vous dira comme moij^mary et 
moy vivons. Il n'y a point d'altesse entre nous 
deux, mais pour cela, je crois qu'il n'y a pas moins 
d'amitié. J'ay prié La Yarenne de vous parler pour 
Houdoyer. La cour de Parlement l'a condamné, ce 
qu'ils n'ont pas fait pour GabeUn ; faites-moy l'hon- 
neiu* qu'il sente l'effet de la promesse que vous 
m'avez faite le jour de mes nopces. Je vous sup- 
phe très-humblement d'avouer ce porteur de ce 
qu'il a dit de votre part à Monsieur mon beau-père 
et à Monsieur mon mary, car je reconnois que cela 
me sert du tout à me rendre à mon aise et à me faire 
bien traiter. 

(c Faites-moi l'honneur de continuer à leur mon- 
trer que vous m'aimez, et leur sente bon gré du 



CHAPITRE X. 279 



traitement qu'ils me font ; venez me commander, 
mon roy, de vous donner un petit page ; car je crois 
que si vous-même ne me le dites je n'y arriverai 
point. La vérité est que je me suis blessée... On ne 
l'a' osé dire à Monsieur mon mary : j'en ay bien 
pleuré. C'est trop vous importuner; adieu, mon * 
brave roy. r> 

« Mon cher roy, 

a Ce porteur vous contera tout ce qu'il a veu à 
l'arrivée de cette infante, que vous pouvez avoir 
déjà sue par La Yarenne. Ce mot sera pour vous 
supplier très-humblement de m'aimer toujours, et 
de croire que rien m'est plus à vous que petite sœur 
qui est demi-morte de la fièvre qui m'a toujours 
tenue durant que l'infante étoit icy , et m'a fallu 
contraindre, de sorte que j'en suis maintenant fort 
mal. Bonjour, moucher et brave roy, que j'aime 
plus que ma vie. » 

Pendant que Catherine entretenait ainsi avec son 
frère cette correspondance que nous allons bientôt 
reprendre, les malheurs qui menaçaient ses der- 
nières années se préparaient à l'accabler. En arrivant 



'280 CATHERINE DE BOURBON. 

à Nancy, le duc de Bar avait reçu par rentremise 
de révêque de Toul un bref pontifical * qui annulait 

son mariage et le frappait d'excommimication. Le 
duc de Lorraine avait appris en même temps que 
Clément VIII, dans son mécontentement, défen- 
dait toute relation politique et religieuse entre le 
saint-siége et le duché, tant que durerait le scan- 
dale causé par Thérésie de la princesse. Elle- 
même apprenait de son côté que le synode calvi- 
niste de Montpellier avait condamné son mariage. 
Charles III ne se dissimula pas la gravité 
de ces redoutables arrêts. Il avait augmenté le 
pouvoir de Rome dans ses États en multipUant les 
établissements religieux, en favorisant les Jésuites, 
et en se montrant le plus dévoué des princes ca- 
tholiques. C'était donc se démentir en face de son 
peuple que de braver, comme il l'avait fait, les vo- 
lontés du saint-père ; c'était commettre aussi une 
faute capitale dans le sens politique de ses intérêts 
nationaux, car il s'aliénait le plus puissant aj^ui de \ 
sa maison, brisait le lien qui unissait depuis tant d, 

À 

ri 



1. Lettre CGXXX, adressée aa roi, Correspond, du eardiaal 
d'Otsat, t. IV, p. 16, note. 



\ 



CHAPITRE X. 281 



d'années les princes lorrains à l'Église et augmen- 
tait l'influence de Henri IV sur les affaires de l'Eu- 
rope. 

Ce désappointement devait s'accroître encore. 
On voit, par les lettres de la duchesse, qu'elle n'a- 
vait pu supporter les fatigues d'un commencement de 
grossesse ; une grave indisposition, qu'elle essaya de 
cacher, en était résulté. Cet événement fut bientôt 
connu de la cour de Lorraine et du peuple , qui le 
considéra comme un premier effet de la vengeance 
du ciel , et l'accueiUit par des murmures peu con- 
tenus. Enfin, la nouvelle de la mort subite de Ga- 
brielle d'Estrées, suivie du consentement au divorce 
de Marguerite de Valois, vint détruire le chimé- 
rique espoir que Charles III avait conçu, celui de 
voir ses enfants hériter d'un droit au trône de 
France. Catherine pressentait vaguement ces dé- 
ceptions qui neluilaissaient plus d'appui que la ten- 
dresse de Henri IV et la timide affection de son 
mari, qui, s'il faut en croire Sully, l'aimait éper- 
dument. C'était alors qu'elle écrivait au roi les 
lettres suivantes, à l'occasion de la mort de Ga- 



282 catherine de bourbon. 

« Mon cher roy, 

tt Je sçay qu'à l'extrême ennui que tous avez les 
paroles ne peuvent apporter de remède ; voilà pour- 
quoy je n'en emploieray que pour vous assurer que 
je le ressens aussi vivement que l'affection extrême 
que je vous porte, et la perte que j'ai faite d'ime si 
parfaite amye ^ m'y oblige . J'eusse bien désiré d'estre 
auprès de vous pour vous rendre en cette affliction le 
très-humble service que je vous dois. Croyez, mon 
cher roy, que j'aimeray toujours et servirai de mère 
à mes neveux et nièces , et vous supplie très-hum- 
blement vous ressouvenir que vous m'avés promis 
ma nièce ^ S'il vous plaît de me la donner, j'y 
apporteray la mesme amitié et soin que si c'étoit 
ma propre fille. Monsieur mon mary vous témoigne 
son regret par celui qu'il vous envoie. Plût à Dieu, 
mon roy, pouvoir alléger votre douleur par la perte 
de quelques années, le souhaiterois de toute mon 

1 . Cette expression de parfaite amie venait sans doute de ce 
que GabrieUe n'avait pas été étrangère à la réconciliation de Ca- 
therine et d'Henri, après la rupture du projet de mariage entre 
elle et le comte de Soissons. 

2. Catherine-Henriette y mariée plus tard au duc d'Elbeuf, 
morte en 1C25. 



CHAPITRE X. 283 



affection; et, sur cette vérité, je vous embrasse 
mille fois, mon cher et brave roy. » 

Henri IV répondit ainsi à la lettre de sa sœur : 

«Ma chère sœur, j'ay receu à beaucoup de con- 
solation vostre visite. J'en ay bien besoin, car mon 
affliction est aussi incomparable comme Tétait le 
sujet qui me la donne : lés regrets et les plaintes 
m'accompagneront jusques au tombeau. Cepen- 
dant, puisque Dieu m'a fait naître pour ce royaume 
et non pour moy, tous mes sens et mes soins ne 
seront plus employés qu'à l'avancement et conser- 
vation d'iceluy . La racine de mon amour est morte ; 
elle ne rejettera plus ; mais celle de mon amitié est 
toiqours verte pour vous, ma chère sœur, que je 

baise un million de fois. 

« Henry. 

« Fontainebleau, 15 ayril 1599. » ** 

« Mon cher rot, 

« Je n'ay pas voulu partir d'icy sans vous en- 
voyer ce laquais pour avoir l'honneur d'apprendre 
de vos nouvelles , étant extrêmement marrye que 



2S* CATBERINE DE BOURBON. 

devant que vous éloignez, je n'aye eu ce bonheur 
de vous voir, si vous l'eussiez commandé à Mon- 
sieur mon mary et à moy , nous n'eussions pas failly 
d'y aller en diligence. Ce m'est un extrême regret ;de 
ne vous avoir pu rendre le service très-humble que 
je vous dois, car, mon cher roy, je n'ay de plus 
violent désir que de vous témoigner l'extrême ami- 
tié que, comme à mon cher frère, je vous porte, et 
ma continuelle servitude et obéissance comme 
mon roy. 

« Ayez cette créance de petite sœur qui vous sup- 
plie très-humblement de l'aimer toujours. Madame 
de Pangeas va à Paris, je lui ai commandé de voir 
ma nièce , et s'il vous plaisoit me l'envoyer, me 
l'amener ; moy-même l'iray bien quérir quand il 
vous plaira, car je suis résolue de l'aimer et chérir 
comme ma propre fille, et bien que je les veuille 
tous aimer extrêmement, il me semble que je suis 
plus obligée à celle-là comme étant ma filleule. Je 
m'en vais demain à Nancy. Madame la princesse 
ma belle-sœur s'en veut aller trouver son mary 
dans cinq ou six jours... » 



CUAPITRE X.. 28a 



a Mon cher rot , 

« Je ne puis demeurer plus longtemps sans en- 
voyer savoir de vos nouvelles : je porte bien envie 
à ce laquais qu'il ait l'honneur de vous voir et que 
j'en sois privée, mais je veux croire pour ma con- 
solation que ce sera bientôt, car tout le monde dit 
que vous vous mariez et je m'asseure que vous me 
ferez l'honneur de me convier à vos noces ; plût h 
Dieu, mon roy, cela fut-il déjà, et que je me visse 
si heureuse et honorée que d'être tante d'un beau 
dauphin, et luy pouvoir donner un petit page de sa 
chambre qui ait l'honneur d'être son germain, ce 
serait le comble de ma féUcité ; j'en prie tant Dieu 
que j'espère qu'il m'exaucera. 

a Je vous ay mandé par esprit comme j'étois 
heureuse et contente icy ; je continue et semble que 
l'amitié de mon beau-père et de mon mary 
mente ; je sais, mon roy, que vous m'aimez tant 
que vous en réjouirez; aussi est-ce vous qui 
m'avez donné ce bon mary ; certes, mon roy, il faut 
que je vous avoue que je l'aime passionnément, car 
il m'en donne sujet extrêmement. Bref, je vous 



286 CATHERINE DE BOURBON. 

puis assurer qu'il ne fut jamais un plus heureux 
mariage ; Dieu vous rende aussy content quand vous 
serez eu ce saint lien que nous le sommes. Ayez 
agréable mon roy, que je tous parle avec cette li- 
berté que je continueray autant que je connottray 
que vous l'aurez agréable. 

« Ouant à notre fQle, permettez-moy de l'appeler 
ainsi, quand il vous plaira me l'envoyer, je Fai- 
meray et la tiendray aussi chère qu'une propre fille. 
Il faut que je vous die qu'il y a icy une peinture de 
vous à une galerie qu'a Monsieur mon beau-père, 
que je crois vous voir, et non sans avoir les larmes 
aux yeux, songeant de vous avoir laissé. Ayez envie 
de me voir, mon brave roy , et cela sera, car le 
moindre commandement que vous en ferez à Mon- 
sieur mon beau-père et à Monsieur mon mary, ils 
l'exécuteront ; car Monsieur mon mary vous affec- 
tionne si extrêmement que toutes vos volontés luy 
serviront de loix. 

<( Il memt d'envie de vous aller baiser les mains 
et de renouveler les vœux de sa très-hiunble ser- 
vitude ; quant à moy , je suis tout à vous. Le change- 
ment de condition ne me rend moins assujettie à 



CHAPITRE X. 287 



tous VOS commandements, à l'exécution desquels 
je ne trouveray jamais rien de difficile. Croyez-le, 
mon cher et brave roy. Je vous importune d'une 
longue lettre; mais il me semble que je parle à 
vous. » 




CHAPITRE XI 

DifBcuUés de la situation de Catherine à la coar de Lorraine. — NouveUe» 
conférences religieuses. — Inquiétudes du duc de Lorraine. — Lettre 
de la duchesse à Mornay. — Jubilé de 1600. -— Départ secret du due 
de Bar pour Rome. — Refus du pape Clément Y(II d'accorder la dis- 
pense de son mariage. — Décision et conseils du pape envers la duchesse. 

— Retour du duc de Bar en Lorraine. — Il Tit séparé de la duchesse.— 
Douleur de Catherine. — Son Toyage à Paris. — Conférences présidées 
par Tévèque d'Évreux. — Persistance de la duchesse et joie de ses amies. 

— Lettre de Catherine au pape. — Lettres de Henri lY au pape et au 
cardinal d*Ossat. — Efforts du cardinal d'Ossat. — Intérêt du pape pour 
la duchesiie. — État de santé de Catherine. — Conditions sous lesquelles 
la dispense est obtenue. — • Ses lettres au roi. -« Sa maladie, sa mort, 
ses funérailles. — Dernières vues sur son caractère. 

Ces lettres donnent une idée précise de l'existence 
de la duchesse de Lorraine, de son dévouement à 
Henri IV et de la parfaite intelligence qui régnait 
entre elle et le duc de Bar. Cependant quelques 
chagrins affligeaient déjà son âme. Arrivée à Nancy 
avec ses dames et ses serviteurs calvinistes, et dé- 
cidée à conserver sa croyance, elle avait essayé de 
la pratiquer sans éclat, mais avec sa rigidité ordi- 
naire. Ne pouvant le faire dans le palais ducal, elle 



CHAPITRE XI. 289 



retirait dans ce but au château de Sans-Soucy, 
es de Nancy. Là, dans une ancienne grange 
msformée en chapelle, elle assistait réguliè- 
oient aux offices de sa religion. La population 
rraine s'irrita de ces pratiques, et le surnom de 
algrange^ qui fut donné au château de Sans-Soucy 
ipuis cette époque , est encore maintenant un té- 
oignage de cette impression publique. 
La tolérance du duc de Lorraine envers sa belle- 
le ne pouvait être longue. Nous savons combien 
î déceptions avaient suivi son mariage. D'un autre 
S\k le duc de Bar, très-épris de sa femme, devenait 
issi dévoué qu'elle-même aux intérêts français. 
3S circonstances alarmaient la cour de Lorraine, 

Charles III regrettait de plus en plus d'avoir con- 
înti à l'union de son fils avec la sœur de Henri IV. 
a duchesse, vaguement informée de cesméconten- 
îments, s'efforçait de les dominer en redoublant de 
révenances et de grâces et en resserrant les liens 
ui unissaient le duc à Henri IV. Cédant aux sup- 
lications du prince, dont les scmpules religieux s'é- 
eillaient avec l'attachement conjugal, elle demanda 

recevoir de nouvelles instructions catholiques. 

Kl 



2;i0 CATHERINE DE BOURBON, 



Les théologiens du collège de Pont-à-Moussonfu- ;| 



9 



rent appelés à Nancy, et le duc de Bar désigna le 
père Jésuite Conunelet, pour instruire la duchesse, 
qui de son côté avait nommé le ministre Couët du i^ 
Vicier pour lui répondre. La conférence n'eut 5 
aucun résultat. On peut en juger par un billet de la j 
duchesse à Duplessis-Momay, où elle dit que ces i 
entretiens n'avaient pu la convaincre , et qu'elle ^ 
n'avait pas été satisfaite des raisonnements du père 
Commelet. 

La correspondance échangée entre la duchesse 
et Mornay, durant l'année qui suivit son mariage, 
révèle l'agitation que produisait la différence de re- ;$ 
ligion entre les deux époux , et l'influence que 
Mornay avait conservée sur Catherine, a Je vous di- h 
rois, lui écrivait-elle à la fin de 1399, que j'ai de 
rudes combats à soutenir, non pour estre forcée eu 
ma religion, mais pour voir les peines auxquelles ou |^ 
met Monsieur mon mary, pour ne pouvoir obtenir 
du pape l'absolution de m'avoir épousée estant sa j - 
parente. Cela l'afflige si fort que je ressens sa dou- ï;^ 
leur, et n'y puis apporter remède que la plainte. ^ 
La douceur de quoy il me traite me fait souhaiter 



i 



b 



il 



\ 



CHAPITRE XI. 291 



qu'il n'y allât de ma vie pour Tôter de la créance où 
Dû le met qu'il est damné. On lui a défendu de faire 
ses Pâques. Tout cela le rend extrêmement affligé, 
ouais non pas m'aimant moins ; et me dit sa peine 
me tant d'amoureuses paroles, qu'à toute heure 
t'ai les yeux pleins de larmes, mais pourtant 
Men résoleue de vivre et mourir en la crainte de 
Meu. Je vous écris librement comme à mon ami. Je 
^ous prie que cela ne passe pas outre, que là où 
^ous jugerés que cela ne pourra servir pour m'aider 
mous sortir tous deux de ceste peine, sans laquelle 
e serois la plus heureuse femme du monde. Je 
imroy, etc. » 

A ces plaintes si touchantes et si douces, Mornay 
épondait par les encouragements les plus capables 
e confirmer la duchesse dans ses résolutions *. D'un 
utre côté, la duchesse de Rohan et ses deux filles, Ca- 
ifârine et Anne ^, la princesse d'Orange, la duchesse 

1. Lettres de M. du Plessis à Madame. Voy. Correspondance, 

2. Anne de Rohan soutint ensuite avec courage les affreuses 
Urémités du siège de La Rochelle, et refusa, ainsi que sa mère, 
être comprise dans la capitulation. Demeurée prisonnière de 
aerre, elle fut conduite au château de Niort. Ses stances sur la 
lort de Henri IV eurent une juste réputation. Elle mourut à 



i 



I, 



292 CATHERINE DE BOURBON. 

de Bouillon et la princesse de Nassau, achevaient de 
la maintenir dans ses idées religieuses. Elle entra 
ainsi dans la plus cruelle période de sa triste vie, et 
se créa des infortunes dont elle ne put, au premier 
abord, mesurer toute la profondeur. Le duc de Bar, 
dominé par sa tendresse pour elle, dévoré par les 
remords, n'osait ni la contraindre, ni la protéger ï 
contre Tanimadversion croissante de la cour. Ses 
conseillers politiques et ses directeurs spirituels, 
craignant évidemment que dans cette lutte la prin- 
cesse ne s'emparât seule de l'esprit de son faible et 
tendre époux, formèrent alors un projet auquel on 
peut croire que le duc Charles III lui-même ne fut 
pas étranger. >î 

On touchait aux premiers jours du dix-septième 
siècle, et un jubilé solennel allait s'ouvrir à Rome. 
Cette grâce de l'ÉgUse permettait au prince de Lor- 
raine de gagner le pardon du pape et d'obtenir la 
rémission de sa faute. Un moine cordeUer qui diri- 
geait sa conscience, soutenu par les avis du marquis <t 



Paris sans aUiance, le 20 septembre 1646, après avoir vu le ma- 
riage de Marguerite de Rotian, Tunique héritière dé son fnVe, 
avec Henri de Cliabot. 



S 






CHAPITRE XI. 29;j 



Beauvaii, son premier gentilhomme, lui conseilla 
partir pour l'Italie et de solliciter lui-même l'ab- 
ution qu'il désirait si ardemment. Après quelques 
sitations, le prince quitta Nancy , accompagné de 

de Beauvau, du moine son confesseur et d'un 
îrétaire intime du duc de Lorraine son père. Le 
étexte ostensible du voyage était d'aller solliciter 
dispense nécessaire à la légitimation du mariage; 
motif secret, celui d'obtenir du pape l'ordre de 
pudier la princesse, de rompre le mariage et de 
rmettre au duc de contracter une autre union. 
Arrivé à Rome, le duc descendit en Mmple pè- 
în au couvent de la Trinité-du-Mont, et conserva 
ndant quelques semaines un strict Jûcognito. Il 
saya de se mêler aux étrangers qui étaient chaque 
maine admis à recevoir collectivement l'abso- 
don pontificale ; mais, soit que sa présence eût été 
vélée à dessein, soit que le hasard l'eût fait re- 
nnaître, il fut éloigné du pape et forcé de confier 

demande à des intermédiaires. Le marquis de 
lauvau l'exposa au cardinal Bellarmino * , et le 

1. Bellarmino (Roh.), célèbre théologien et canoniale, né fi 



294 CATHERINE DE BOURBON. 

confesseur du prince au cardinal d'Ossat^ envoyé 
de France à Rome. 

Le cardinal accepta cette mission ayec une ex- 
trême répugnsmce. H blâma la conduite du prince 
et en témoigna son mécontentement à la cour de 
France. Le langage des conseillers du duc alar- 
mait sa franchise, et sa faiblesse excessive déplai- 
sait à son esprit actif ei ferme. Il devina prompte- 
ment les intentions de la cour de Lorraine ; puis, se 
rappelant Thésitation de la duchesse au moment 
de son mariage, il crut qu'elle-même désirait trou- 
ver un prétexte pour quitter un époux qu'elle n'ai- 
mait pas et dont elle n'était pas aimée. Prévoyant 
néanmoins le trouble qu'im tel divorce causerait 
dans la politique française, il résolut de s'y opposer 
par tous les moyens possibles, et consacra pen- 
dant plus de deux ans à cette négociation une ac- 
tivité qui, dit-on, fut l'une des causes de la mort 
subite qui le frappa au printemps de 1604. 

Monte-Pulcîano, en 1542. D'abord jésuite et ensuite archeYêque 
de Capoue, cardinal et biblfSthécaire da Vatican, mort en 1641. 
1. Arnaud d'Ossat, né à Laroque, diocèse d'Auch, en 1536, 
chargé d'affaires à Rome depuis Henri m. H mourut en 1604. 
Corresp, du cardinal d'Ossat , t. IV, 1. 228. 



CHAPITRE XI. 295 



Clément YIII refusa d'abord la dispense d'une 
manière positive. « Jamais, dit-il, elle ne serait 
donûée tant que la duchesse demeurerait dans ses 
opinions. Il ajoutait qu'il se ferait plutôt mettre en 
quatre quartiers que de valider un mariage dont 
l'un des conjoints ne le reconnaissait point pour 
pasteur de l'Église ni pour avoir puissance de le 
dispenser, et outre cela ne croyait point que le ma- 
riage fût un sacrement , ni qu'il fût illicite de le 
contracter entre proches parents, comme Tétaient 
te du<; et la duchesse ; que, selon les cas de con- 
science qui se pratiquaient en TÉglise romaine, l'on 
ne donne pas l'absolution pour le passé si celui qui 
la demande ne promet de se désister du péché pour 
l'avenir*.!) 

Mais en même temps, le pape montrait une ad- 
mirable sollicitude pour l'auguste hérétique. Il of- 
frait d'a/fer la catholiser Im-mème^ et nommait les 
théologiens les plus capables de la convertir. Il lui 
proposait, entre autres, le savant et spirituel audi- 
teur Sérafin Olivieri^, qui passait pour avoir obtenu 

1. Carresp. du cardinal (TOssat , 1. cccLxvi, à M. de Vflleroy. 

2. Olivieri (Séraphin), fiU de Jacques OUvieri, professeur de 



296 CATHERINE DE BOURBON. 

. I— 



de lui qu'il se décidât à absoudre Henri IV en 1595. 
Loin de fixer un terme à Tépoque de sa conversion, 
il laissait à la duchesse tout le temps qu'elle pomait 
désirer ; il promettait môme d'accorder la dispense 
si elle s'engageait simplement à rentrer tôt ou tard 
dans le sein de l'Église. Il invitait aussi le duc de 
Bar à retourner en Lorraine, et il lui permettait de 
gagner le jubilé et de participer désormais aux sa- 
crements. Quelques sages et prévoyants avis étaient 
ajoutés à ces conseils, et prescrivaient au duc d'é- 
loigner sans éclat de sa femme les personnes dont 
l'influence était nuisible aux progrès de sa con- 
version. 

Cette décision était loin de ^répondre à l'espoir de 
la cour de Lorraine. Le duc quitta Rome et revint 
à Nancy, où les scrupules de sa conscience, un in- 
stant calmés par de pieuses pratiques, se réveillèrent 
plus violents. Il vécut séparé de la duchesse, en 
proie à une mélancohe profonde, et parlant quel- 
droit canon, puis cardinal , né à Lyon en l/îSS, mort à Rome 
en 1G09. Il passait pour avoir été le seul capable, à la cour de 
Rome, d'avoir décidé Clément VIII à absoudre Henri IV. L'opi- 
nion générale élail, à Rome, que s'il pouvait s'entretenir avec It 
duchesse de Dar, elle se con ver lirait. 



CHAPITRE XI. 297 



quefois, dit-on, d'échanger son titre contre Thiim- 
ble et solitaire existence d'un disciple de saint Fran- 
çois d'Assise. De son côté, la duchesse, inquiète et 
souffrante, humiliée de cet abandon, restait livrée 
aux soins et aux conseils de ses dames calvinistes, 
Bt aux exhortations de Mornay, dont le zèle reli- 
gieux redoublait de ferveur. Henri IV, instruit de sa 
situation et offensé de l'isolement dans lequel on 
laissait sa sœur, écrivit à Rome pour presser ses 
ministres d'obtenir la dispense, condition première 
d'un rapprochement entre les deux époux. «Ma 
sœur (disait-il dans sa lettre au cardinal d'Ossat), 
ayant vu revenir son mari sans rapporter ce qu'il 
avoit demandé, s'en %&i tellement affligée qu'elle est 
tombée gravement malade; elle commence à se 
mieux porter. Mon cousin, je vous prie donc d'ai- 
der à secourir cette famille de cette consolation au 
besoin qu'elle en a, et j'aurai bonne part au repos 
qu'elle en recevra. » 

Il désira en même temps revoir la princesse, qui 
vint à Paris avec le duc de Bar peu de semaines 
avant la naissance du dauphin, depuis Louis XIII, 
dont elle fut témoin à Fontainebleau en 1602. C'est 

17. 



■20S CATHERINE DE BOURBON. 

pendant le séjour de Catherine en France qu'eut lieu 
la dernière et la plus célèbre des conférences reli- 
gieuses réunies pour sa conversion au cathdidsme, 
IVIieuï inspiré que le duc de Lorraine, Henri IV 
avait choisi le célèbre cardinal Duperron pour pré- 
sider la conférence. La réputation européenne Ai 
prélat, sa brillante éloquence, sa récente victoire 
sur du Plessis-Mornay lui donnaient des avants^ 
presque certains sur l'esprit de la duchesse. On 
instant on la crut soumise. Elle l'écoutait avec u» 
attrait qui alarmait les calvinistes et satisfaisait vive- 
ment Henri lY, quand une autre influence renversa 
ce nouvel espoir. A l'époque diU mariage de Cathe- 
rine, le roi avait choisi Ann^ troisième Me de la 
duchesse de Rohan, pour accompagner sa soBur en 
LoiTaiue. Éloquente et vive comme sa mère, Anne 
avait de plus la séduction de ses vingt ans, de sa 
beauté, de son imagination enthousiaste. Les exhor- 
tations du cardinal Duperron échouèrent devant sa 
voix jeune et ardente, et Catherine, entraînée par ses 
raisonnements, refusa encore de se soumettre. «Ma 
sœur écoute bien l'évêque d'Évreux, écrivait le roi 
à M. de Béthune, ambassadeur à Rome, mais elle 



CHAPITRE XI. 29îï 



e tait encore aucune démonstration de Touloir 
oquiescer à ses raisons/ de quoy je suis très des- 
laysant. » D'un autre côté, ia duchesse de Bouilion 
crivait à ia duchesse de la Trémouille : « La con - 
kience offerte à Mgr d'Évreux est encore, je croy, 
UT le bureau. Le voïage du roi avec le peu d'envye 
u'il a cpie Ton en tire des preuves pour la vérité la 
unpra. L'on a douté de Madame qui s'est fort raf- 
îrmîe et promet constance. Elle a gagné un grand 
Mip si elle peut s'en retourner en L(MTaine sansavoh* 
échi. Dieu la fortifie par la grâce* !» — Et dans 
ne autre lettre, datée du 30 décembre : — «Pour 
)ute nouvelle, de Maurier me mande la grande 
Dnstance de Madame, qui est une très-bonne^ et 
oit être ressentie de tous ceux qui font mesme 
récession que celle pour laquelle elle a eu tant à 
3uf6îr. » 

La résistance de Catherine excita plusieurs fois 
ifiipattaice du roi. Lassé de son obstination à la 
lâte d'une scène orageuse pendant laquelle il avait 

1. Lettre datée de Langenis, 1«^ décembre, éerile par Élifta- 
3lli de Nassau , ducliesse de Bouillon , à sa sœur la duchesse de 

Trémouîlle. {Hcole des Chartes^ p. 135, t. IH, 4« série. Com- 
HMiqnée par M. Marchegay.) 



300 CATHERINE DE BOURBON. 

employé vainement les raisonnements et les supplica- 
tions, il s'unit au duc de Barpour lui déclarer qu'elle 
compromettait le destin et la paix des États du duc 
son beau-père : « Hélas, répondit la duchesse, je 
sais bien que ma religion vous est préjudiciable; 
laissez-moi donc retourner en Béarn, où du moins 
je n'importunerai personne et vivrai tranquille ! » 
Puis, s'adressant au roi, elle reprit en pleurant : 
« Sire , ils veulent que je croye que notre mère est 
damnée ! » Henri, ému, se détourna pour cacher 
les larmes qui le gagnaient, et dit brusquement au 
duc de Bar : c< C'en est assez, mon frère, je renonce 
à la dompter. C'est à vous d'y essayer ! » 

Après son retour en Lorraine, la situation de la 
duchesse devint déplorable. On en jugera par la 
lettre qu'elle écrivit au roi le 28 novembre 1602 : 

« Mon cher roy, 

c< Si votre authorité auprès du pape et les justes 
raisons qu'il a de mettre mon mari hors de peine» 
eussent produit les effets qu'elle devoit, je ne serois 
contrainte de vous importuner si souvent sur ce 
même sujet, qui est maintenant en tel état que je 



CHAPITRE XI. 301 



vois mon mary en un tel désespoir, se voyant plus 
éloigné que jamais d'avoir sa dispense, que s'il ne 
vous plaist avoir pitié de lui ou de moi, nous ne 
pouvons que vivre avec toutes sortes de misères, 
luy pour le trouble que cela apporte en son âme, 
moi, pour voir pâtir à mon occasion ce qui m'est 
plus cher que ma vye. Ne permettez donc, moucher 
roy, que lui étant donnée de votre main, je sois le 
sujet de ses peines. Apportez votre autorité à son 
repos, qui n'est maintenant troublé que par vos 
anciens ennemis les Espagnols, comme vous pour- 
rez savoir particulièrement par M. de Champvallon. 
Votre bon naturel et votre promesse vous obligent 
à m'assister de cette cruelle peine où je languis avec 
la moitié de moi-même, et à soutenir mon honneur 
qui ne pourroit être taché de ce nom de mariage ; 
nul que le votre n'eut part à ma honte ; je n'ai rien 
fait que par votre commandement, auquel je res- 
terai la plus obUgée femme qui vive, si je me vois 
déUvrée des appréhensions que les douleurs de mon 
mari et les longueurs du pape m'apportent. Ce sera 
quand, par votre moyen, qui est le seul où j'ay 
toute ma fiance, vous ferez avoir ce que, humiliée à 



302 CATHERINE DE BOURBON. 

VOS pieds, je vous requiers très-humbteniKit, nous 
aurons notre dispense, le ne doute pas, mon cher 
roy, que s'il vous plaît honorer tant que de faire ce 
queM.de Champvalionvous suppliera de nos parts, 
nous ne jouissions de l'espérance que nous avons 
en votre pouvoir^ lequel Dieu Teuille rendre absolu 
sur tout le monde avec Tentière félicité que vous 
désire votre très-humbk et très-obéissante sujette 
et servante, petite sœur, qui embrasse mille fois 
son cher et brave roy * . 

ti Ëorit le XEVirj noveosbre 1SÛ!2. n 

Non contente de s'adresser à Henri IV, la duchesse 
écrivait presque à la même époque la lettre suivante 
au pape Clément VIII : 

«c Très-saint ï^re, 

((Ayant cesj ours passés pour satisfaire aux exhor- 
tations de Votre Sainteté et aux prières du roy, moD 
frère, et de M. le duc de Bar, mon mary, de recher- 

1. Ba>l. imp^. , trad. Aranç., 89^8, M. 2. TcMit ce yolumeest 
rempU des procédures faites en cour de Rome pour la validation 
du mariage de Gattierine avec le due de Bar. Voir aussi École des 
Charles 1 1. lU, 3« série. 



CHAPITRE XL 303 



cher les voies de m'éclaircir de la vérité de la doc- 
trijie, laquelle il vous plaît me convier de suivre, il 
est arrivé que le sieur évêque d'Évreux et ceux que 
j'avois mandés pour conférer avec lui sur ce sujet, 
n'ont pu tomber d'accord des moyens de leur con- 
férence; en quoi néanmoins il me semble et me 
suis résolue d'en appeler d'autres qui se trouvent 
avec lui aux mêmes conditions qu'il leur a offertes, 
et sur leur approche ou refus, suivre l'inspiration 
qu'il plaira à Dieu de me donner, promettant à Votre 
Sainteté que je n'y apporterai de ma part aucune 
passion, résistance ni opiniâtreté; ains serai très- 
aise de pouvoir trouver la vérité en une cause à la- 
quelle les exhortations de V. S., les prières du roy, 
mon frère, et le contentement de M. le duc de Bar, 
mon mary, m'invite. Cependant, très-saint Père, 
d'autant que la conscience de mondit sieur le duc, 
mon mary, demeure en peine pour n'avoir pu 
obtenir de Votre Sainteté la dispense de notre ma- 
riage, j'ai osé m'assurer tant de votre bonté que de 
joindre, en ce cas, mes prières avec les siennes, et 
vous supplier très-humblement la nous voulok 
accorder et croire que cette obligation ajoutera en- 



30V CATHERINE DE DOURBON. 

core un poids aux autres considérations qui me 
convient à rechercher les moyens de vous donner 
contentement et vous témoigner que je suis, très- 
saint Père, de Votre Sainteté, 

a Très-humble fille et servante * . » 

Cette touchante lettre, les malheurs de la prin- 
cesse, l'agitation évidente dans laquelle se trouvait 
son âme, émurent vivement le pape et toute la cour 
de Rome. Clément VIII, dans ses conférences avec 
le cardinal d'Ossat, laissait entrevoir sa sollicitude 
et sa pitié ; mais il blâmait la conduite tenue envers 
elle. «Pourquoi, demandait-il, laisse-t-on à la du- 
chesse les dames qui ne peuvent que fortifier son 
cœur par leurs discours et parleurs conseils? Pour- 
quoi Tauditeur Sérafin, que j'avois désigné comme 
le plus capable de la catholiser, n'a-t-il pas été ap- 
pelé en Lorraine ? » 

Le cardinal répondit que la duchesse était si lan- 
guissante, qu'il était impossible de la priver de 
personnes dont les soins lui étaient nécessaires, et 

1. Bibl. imp., Irad. franc. 8958, fol* 3, ro,audo8. « Copie de 
la lettre que Madame, sœur du roy, a escrltto au pape, et de 
celle qu'elle m'a eBcrilte de sa main. » 



CHAPITRE XI. 30:i 



dont réloignement lui causerait une émotion dan- 
gereuse. Il ajouta que la même raison Tempéchait 
de recevoir l'auditeur Sérafin. Le pape^ après quel- 
ques autres entretiens, consentit à remettre l'affaire 
de la dispense à une congrégation de neuf cardi- 
naux, qui prononceraient si elle était possible à ac- 
corder avant l'abjuration de Catherine. 

Tandis que le cardinal d'Ossat hâtait par une in- 
fatigable activité la décision qui devait rendre une 
tardive tranquillité au duc de Bar et à sa malheu- 
reuse épouse, elle recevait Henri lY à Metz, où l'a- 
vaient appelé diverses affaires*, et présidait à des 
fêtes dont l'éclat formait un amer contraste avec sa 
douloureuse existence. Luttant contre la tristesse 
que lui causait l'abandon de son mari, qui, sous 
prétexte d'une indisposition, avait refusé de l'ac- 
compagner à Metz, elle s'occupa encore de plusieurs 
négociations relatives au mariage de sa filleule, Ca- 
therine de Rohan, avec le duc de Deux-Ponts, et du 
jeune duc de Rohan avec Marguerite de Béthunes, 
fille aîné de Sully. Au mois de septembre 1603, 

1. Celles des Soboles, 



306 CATHERINE DE BOURBON. 

elle fit un dernier voyage en France, et cette fois 
se sépara pour jamais de son frère. 

Enfin, le 12 décembre 1603, quatre consulteurs 
se réunirent à Rome aux neuf cardinaux Ascoii, 
Borghese, Baronio, Bianchetto, Mantuça, Arrigone, 
Yisconti, San-Marcello et d'Ossat; etaçrèsune der- 
nière délibération, la dispense fut accordée dans les 
conditions suivantes: 

(( Le Roi, Monsieiu" de Lorraine et Monsieur le duc 
de Bar promettront et s'obligeront, chacun à part, 
par leurs lettres patentes, de procurer, aussitôt 
que faire se pourra, l'instruction de ladite dame 
en la religion catholique, comme elle-même s'est 
offerte à la recevoir après ladite dispense, par des 
lettres qu'elle a écrites au pape, à M. de Béthune, 
ambassadeur du roi, et au cardinal d'Ossat, et, en 
tout événement, que les enfants qui naîtront de ce 
mariage seront nourris et élevés dans la rehgiou ca- 
tholique, apostoUque et romaine. Quant à la façon 
de contracter le mariage de nouveau, si le Concile 
de Trente était pubUé en Lorraine, il faudroit qu'il 
fût contracté en présence du curé de la paroisse et 
de deux témoins. Que si ledit condle n'y était pu- 



CHAPITRE XI. 307 



blié, il suffiroit qu'ils coasentissent de nouveau en 
leur mariage, d'autant que le premier consentement 
est nul, à cause de leur parenté en degré prohibé 
par les canons et saints décrets K » 

Cette importante décision rendit au duc de Bar 
une tardive tranquillité, et préserva la princesse 
des humiliations d'un divorce imminent. Peu après 
l'avoir reçu, elle écrivait à Henri : 

c(La Varenne vous aura conté ce qui s'est passé 

ici Monsieur mon mary m'aime de plus en plus. 

Croyés, mon roy, que je suis la plus heureuse et la ' 
plus contente femme qui vive. Vous m'avés mis en 
œ paradis; permettez-moy, mon cher roy, qu'à 
toute heure je vous en rende très-humbles grâces.» 

Et dans deux autres letfa^s, on suit encore la vie 
de la duchesse, s'éteignant sans cesser d'aimer, de 
croire et d'espérer toujours. 

<c Mon cher rot, 

a Le porteur vous dira comme il fait beau en ce 
pays, et même comme il y a trouvé de la ressem- 

1. Correspondance du cardinal d'Ossat , t. V, 1, ggclxvi , à 
M. de Villeroy. 



30S CATHERINE DE BOUUBON. 

blance à celui de Béarn. Je voudrois que nous eus- 
sions cet honneur, que vous en vinssiez juger; le 
bruit qui coui't ici nous en donne espérance ; mais, 
ne Tayaut pas par vous, je ne la puis bien prendre. 
.Pattends Vaginer et la Fourcade pour savoir de vos 
nouvelles. Ils seroient bien venus, s'ils m'apportoient 
la nouvelle que vous venez ou que vous m'envoyez 
quérir. 

« Nous avons ici ma belle-sœur, la duchesse de 
Bavière, qui est une fort honnête princesse et de 
fort gaie humeur. Elle eût bien désiré que vous 
ayiez à venir ici ; c'eût été ce pendant qu'elle y est. 
Elle n'y demeurera guère. Je finiray cette lettre, 
vous suppliant très-humblement, mon cher roy, de 

m'aimer toujours, et que l'absence ne m'éloigne 

* 

point de votre bonne gi'âce ; car sans cela je ne 
voudi'ois pas vivre. 

« Je boirai des eaux que j 'ai fait venu' de Béarn : je 
commenceray demain. Je verrai si cela me fera plus 
tôt vous donner un petit page où une petite fille 
pour servir celle que vous aurez. Mais j'ai bien opi- 
nion que je n'en aurai point, que je n'aie l'honneur 
de vous voir; car on dit qu'il faut être contente 



CHAPITRE XI. 309 



pour en avoir, etvje ne le puis être sans cela. 
Adieu, mon cher roy. » 

Enfin, une dernière lettre de Catherine, empreinte 
d une profonde et tendre mélancolie, termine la 
correspondance de la sœur et du frère, et semble 
annoncer leur séparation prochaine. 

« J'ay été si malade tous ces jours, que j'ay été con- 
trainte de demeurer ici deux jours, ayant tant de 
faiblesse, que dès que je me lève, je m'évanouis et 
ay la fièvre ; toutefois je ne laisserai de partir de- 
main pour aller à Bar, où Monsieur mon beau-père 
m'attend; delà, mon cher roy, je vous manderay 
comme je me serois portée. Je me persuade que 
vous n'aurez pas désagréable que petite sœur vous 
fasse ressouvenir d'elle, et de son immuable affec- 
tion, service très humble et obéissance qu'elle vous 
a vouée pour tout le reste de sa vie. 

« Ah ! mon cher roy, que je ressens votre ab- 
sence; je crois que la cruelle douleur que je res- 
sentis en vous disant ce mot d'adieu est cause du 
mal que j'ay ; je prie Dieu que je puisse dans peu 
de temps avoir l'honneur de vous voir ; cependant 
honorez-moi toujours de la continuation de votre 



310 CATHERINE DE BOURBON. 

bonne grâce, et me permettez qu'en finissant cette 
lettre, n'ayant plus de force pom' l'allonger, je vous 
donne le bonsoir, mon cher et brave roy. » 

Catherine avait lutté depuis sa première jeunesse 
contre les menaces d'une maladie de poitrine, qui 
s'était révélée à plusieurs reprises par de violentes 
atteintes qu'elle n'avait surmontées qu'avec peine. Le 
climat de Pau, malgré sa douceur, avait souvent été 
trop sévère pour elle. On voit par ses correspon- 
dances et celles de son frère que sa santé était d'une 
délicatesse extrême, et que des souffrances peu or- 
dinaires ne lui avaient pas été épargnées \ Ces cir- 
constances ne l'empêchaient pas de conserver, à 
quarante-deux ans, l'espoir de devenir mère, et les 
longues tristesses de sa vie l'attachaient à cette 
pensée comme à sa dernière chance de bonheur. 
Un médecin lorrain, ou plutôt un empirique de ce 
pays, lui conseilla de suivre dans ce but un traite- 
ment de sa façon ^, auquel la malheureuse duchesse 



1 . Dana une de ses lettres, elle parle d'une migraine qw dura 
quatorze mois. 

2. Voy. Palma Cayet, Chronologie seplennaire, L'Etoile ^ jour- 
nal de Henry IV, t. 11. De Thou, iiist., t. XIV. 



CHAPITRE XI. 3!l 



joignit, comme on Ta vu, l'usage plus salutaire 
des eaux de Béarn. Le résultat de ce traitement fut 
d'amener dans sa santé un changement attribué à 
un commencement de grossesse. Les souffrances 
qui l'accompagnèrent et les longues syncopes aux- 
quelles la princesse devint sujette, excitèrent l'in- 
quiétude de sa famille et des personnes qui l'en- 
touraient. Au lieu d'accepter leurs conseils, elle 
les repoussa, dans la crainte de nuire à l'état dans 
lequel elle croyait enfin se trouver. Henri IV, effrayé 
des récits que l'on faisait de la situation de sa 
sœur qui s'aggravait de jour en jour, lui envoya l'un 
des premiers médecins de Marie de Médicis. Il re- 
connut avec douleur que les symptômes qui avaient 
abusé la duchesse, étaient ceux d'une hydropisie 
augmentée par le régime qu'elle persistait à suivre. 
Il indiqua plusieurs moyens capables de retarder les 
progrès de la maladie. Catherine les refusa, et des- 
cendit rapidement vers la tombe, charmant encore 
ses amis et sa famille par la grâce de son esprit, en 
même temps qu'elle les attendrissait par son cou- 
rage et sa résignation ^ Elle acceptait fivec une 

1. Chronique de Lorraine. 



312 CATHERINE DE BOURBON. 

pieuse recoimaissance les consolations de ses dames 
calvinistes, mais loin de repousser les prières du duc 
de Bar, elle s'y associait et désira même que des in- 
vocations en sa faveur et en celle de l'enfant qu'elle 
croyait porter fussent faites à la sainte Vierge dans 
toutes les églises de Lorraine. Elle s'éteignait ainsi, 
soutenue et consolée par les deux croyances entre 
lesquelles s'agitait son âme, et peut-être éclairée par 
cette foi catholique dont elle était si digne d'être la 
pieuse et croyauite fille. Au commencement de février 
1604, une lente et cruelle agonie se déclara. A de 
profonds évanouissements succédaient des accès de 
délire et d'affreuses convulsions. Plusieurs fois 
on la crut morte, et cette triste nouvelle arriva au 
Louvre, où l'on parvint à la dérober au roi malade 
d'un accès de goutte. Enfin, dans la matinée du 
13 février 1604, la duchesse de Bar rendit à Dieu 
son âme fervente et pure, bénissant d'un der- 
nier geste de reconnaissance et d'amour l'incon- 
solable époux agenouillé près d'elle, heureuse de 
mourir absoute par l'ÉgUse catholique, et fidèle 
aux souvenirs et aux serments de son enfance. 
C'était au château de Sans-Soucy, aujourd'hui la 



CHAPITRE XI. 313 



Malgrange, que sa dernière maladie Tavait atteinte. 
Le doute entoure le lieu de sa tombe. Palma-Cayet 
assure que, selon le vœu qu'elle avait manifesté, ses 
restes furent ramenés en France et déposés près de 
ceux de Jeanne d' Albret, dans la cathédrale de Ven- 
dôme. Une autre version affirme que la sœur de 
Henri IV reçut la sépulture dans le parc même de 
Sans-Soucy, exilée du tombeau des ducs de Lor- 
raine à cause de la religion qu'elle avait professée, 
et que les débris du monument, plus que modeste, 
qui lui fut élevé existaient encore en 1840. 

La douleur de Henri IV, en apprenant la mort de 
Catherine, est racontée par le Journal de rÉtoile. 
Sully, et plusieurs personnages parmi lesquels se 
trouvaient le comte de Soissons, s'étaient réunis 
pour le préparer à recevoir la nouvelle attendue de- 
puis quelques jours. Il les éloigna, voulant, dit-il, 
rester seul avec Dieu et ses regrets, et, s'enfermant 
dans sa chambre, il se jeta sur le lit «pour pleurer 
plus librement et adoucir sa douleur par la liberté 
de soupirer. — J'aimois ma sœur si chèrement, 
écrivait-il le lendemain à M. de Beaumont, son 
ambassadeur en Angleterre, que je ne pouvois 

18 



314 CATHERINE DE BOURBON. 



faire perte plus grande et plus sensible ; elle ayoit 
été compagne de toutes mes aventures bonnes et a 
mauvaises, et avoit plus constamment supporté 
celles-ci qu'elle n'a eu loisir de participer aux autres. 
C'est mon très-grand regret, lequel durera aussi 
longtemps que le souvenir qui me sera éternel des -î 
signalées preuves que j 'ai faites en tout temps de son î 
affection très-entière et très-cordiale. » i 

Les regrets de Henri étaient fondés. Il perdait ï 
dans sa sœur sa plus digne et sa plus fidèle amie. 
Elle lui rappelait les souvenirs de sa vaillante jeu- 
nesse, de ses jours de danger, de triomphe et d'a- 
mour. A elle encore se rattachaient ses vastes des- 
seins, ses hautes prévoyances politiques. Il l'avait 
en plus d'ime occasion sacrifiée à son patrio- 
tisme , et le premier moment de douleur écoulé, il 
avait trouvé constamment en elle l'obéissance et 
l'attachement. Pour lui Catherine avait le mérite du 
dévouement le plus complet et le plus désintéressé; 
pour nous elle a le charme étemel qui s'attache aux 
femmes qui ont rempli sur la terre la mission de foi 
et d'amour qu'elles ont reçue du christianisme avec 
l'existence. Puisse-t-elle, entourée de ce doux près- 



CHAPITRE XI. 315 



tige, occuper dans nos annales la place élevée que, 
durant sa vie, elle tenait auprès du prince qu'elle ap- 
pelait avec tant de grâce et de vérité son cher et 
brave roy ! 

Trois années avant la mort de la duchesse de Bar, 
et pendant im de ses voyages en France, elle avait 
vu se conclure un mariage dont elle avait suivi les 
négociations avec un intérêt mélancolique. C'était 
celui du comte de Soissons qui s'unissait à la jeune 
et spirituelle fille du prince de Conti. Après ce ma- 
riage, le comte de Soissons quitta la cour et se retira 
dans son château de Blandy, en Brie, où la chasse 
devint sa principale occupation. C'est là qu'il apprit 
la mort de Catherine en 1604, et en 1610, celle de 
Henri IV, et qu'il succomba lui-même le V^ novem- 
bre 1612, conservant, dit-on, jusqu'au tombeau, 
un profond attachement pour le souvenir de la sœur 
du roi. Il laissa deux enfants, un fils, auquel il trans- 
mit son nom, son esprit distingué et son caractère 
aventureux, et une fille qui épousa un prince de 
Savoie et fut la mère du célèbre prince Eugène. 

En terminant l'histoire de Catherine de Bourbon, 
nous avons à craindre d'avoir rappelé avec trop 



316 CATHERINE DE BOURBON. CHAPITRE XI. 

d'étendue les événements souvent racontés de 
l'existence de Henri IV, et surtout d'avoir insisté 
trop vivement sur sa sévérité envers sa sœur. 
Mais rien de ce qui touche à un tel homme ne 
saurait être indiflérent, et Henri IV, sacrifiant sa 
sœur aux intérêts de la France, prend à nos yeux 
une grandeur plus imposante et plus nationale en- 
core. Si d'ailleiu^s il courba le cœur et la personne 

de Catherine sous sa volonté toute-puissante, on 
reconnaîtra qu'il sut avec une pieuse et loyale abné- 
gation respecter en elle la liberté de conscience et 
TinflexibiUté de la pensée. 



APPENDICE 



I 



UTTRE DE CATHERINE DE NAVARRE AU CAPITAINE D^INCAMPS, 
GOUVERNEUR DU CHATEAU DE LOURDES. 



Cappitaine Tncamps, 

Combien que je suis asseurée du soing et diligence 
qu'avez à bien conserver et garder le château de 
Lourdes, selon le commandement que le Roy monsieur 
mon frère vous a donné, et de rechef réitéré, au der- 
nier voyage qu'il a fait en ce pays, toutesfois affin de 
vous ramentevoir la volonté de mon dit frerc, j'ay bien 
voulu vous escripre cesle-cy, et vous prier par ycelle de 
vous tenir tousiours sur vos gardes, de peur qu'aucune 
embusche ou surprise, puisse être exécutée sur ledit 



318 CATHERINE DE BOrTRBON. 

château par aucuns turbulans et séditieux, procureurs 
du mal et non du bien. En ce faisant ung chacun sera 
incité à croire que vous estes très fidelle exécuteur de 
votre charge. — Sur ce^ je prie Dieu, cappitaine In- 
camps, qu'il vous veuille tenir en sa garde. 

Votre bonne amye, 

Catherine de Navarre. 

De Pau, ce xyiii« jour de juing 15S2. 



II 

COMMISSION DE LA PRINCESSE CATHERINE. 
De par Madame ^ sœur unîcque du roy. 

A notre cher et bien amé le cappitaine Incamps, 
commandant au château de Lourdes, salut : Il auroit 
cy devant esté ordonné pour la garde et seureté dudit 
chasteau, vingt cinq soldats en garnison qui y auroient 
esté entretenus et soudoyés par long temps et jusques 
à ce qu'on a pensé que les troubles venoient à prendre 
quelque fin tant en ceste souveraineté qu'en la comté de 
Bigorre, et à présant qu'au lieu de cesser ils saugmen- 
tent toujours par la malice desbordée de ceux qui tien- 



APPENDICE. 319 



oent le party de la ligue qui ne taschent qu'à surpren- 
dre et enyahir les villes, chasteaux, places et forteresses 
tenues par les bons et fidelles subjets du roy notre très 
honoré seigneur et frère, il est nécessaire pour le bien 
de son service soulaigement et conservation de ses 
subjets de remettre au présent estât la dite garnison ; à 
ceste cause nous vous ordonnons par ces présentes de 
incontinant faire aller audit chasteau le nombre com- 
plet de soldats que cy devant avoient acoustumé d'y 
estre mis pour y tenir garnison, au payement et solde 
desquels sera cy-après pourveu ainsy que cy devant a 
esté fait. De ce faire nous avons donné et donnons plain 
pouvoir, authorité, mandement et commission spécialle 

par ces présantes. 

Catherine de Navarre. 

Par Madame , 

De ItAFOKT. 

Donné «u ^làteau de Pau, le l^c jour de juing Fan mU cinq 

cens quatrevingtz et dix. 

III 

Cappitaine Incamps, 

Je délibère de partir dé ceste ville pour m'acheminer 
en France et aller desuite à Tholose de lundy prochain 



320 CATHERINE DE BOURBON. 

en huit jours qu'il me faut vous dire que ne faillez 
d'assembler et faire tenir prest autant d'arquebusiers à 
cheval que pourrez et avec y ceulx vous rendre le di- 
manche vint-cinquième du présent mois au lieu de 
Sauvatgnon ou autre village des environs ou estant je 
vous feray entendre ce qu'il faudra que vous faictes. A 
tout je prie Dieu cappitaiae Incamps qu'il soit votre 
garde. 

Vostre bonne amye, 

Catherine ^ 

A Pau, ce sabaiedy, xvhi octobre 1592. 



IV 



A MONSIEUR DE SAINT-GENIES. 



Monsieur de St Génies, mes subjects du lieu de Ris- 
cles se sont venus plaindre à moy de ce que Beauregard 
qui est à M. de Castelno, vostre gendre, les menace 
d'aller loger audict lieu avec ses trouppes, ce que je 
trouve si très estrange que je ne puis vous sceller que 
si cela advient que je chercheray toutes les occasions 
que je pourré pour me vanger de ce desplaysir. Le dict 

1. Chronique du château de Lourdes, par BI. de Lagrèze. 



APPENDICE. 321 



sieur de Casteloo se doibst constanter d'y avoir esté par 
cy devant et de ce qu'il a tué de mes dicts sujets, et 
aussy de ce que je luy en ay escript. Et oultre ce, doibt 
croire que j'ay bien le moyen d'empescher qu'on ne 
ruine mes subjects. Et pour ce que vous êtes vieux et 
scavez avec quelle discrétion on doibt se gouverner 
avec personnes de ma quallité, j'ay bien voulu vous 
donner adviz de cecy, m'asseurant que ne le tairez 
audict sieur de Castelno. Et qu'il ne trouve estrange, 
si ses gens vont au dict Riscles, si je les en fais retirer 
par force et traitter en ligueurs, puisqu'ils mesprisent 
mes commandements es biens qui m'appartiennent. Sur 
ce je prie Dieu, Monsieur de St Génies, qu'il vous 
tienne, etc. 

Voslre bien affectionnée et plus assurée amye. 

De Pau, ce vi* jour de janvier 1592. 

P. S. autog. — Je vous escrys comme à mon amy 
et vous prie de faire ce que doibt en prudent beau-père ; 
c'est de faire que son gendre respecte ce qu'il doibt. Car 
oultre ce que je suis je luy ay fait office d'amie, mais il 
me le reconnolt mal. 



322 CATHERINE DE BOURBON. 



AU CONNÉTABLE DE MONTMORENCY. 

Novembre 1595. 

Mon cousin^, je ne vous ay touUu rien mander démon 
parlement jusques à ce que j'en fusse résolue. Je pars 
anuit et vas coucher à Louvre et demain à Senlis, où 
selon que vous m'avés promis, j'espère de vous voir. 
Mandés-moy ce qui en sera. Croyés, mon père, que je 
me resjouis infiniment de vous voir, comme une des 
personnes du monde que j'aime et estime le plus et de 
qui j'espère de meilleurs offices. Aymés-moy donc, mon 
père, et croyés que je vous rendroy autant d'amytié 
que si j'étois vostre propre fille. Permettes que je bayse 
les mains à madame la connestable ^ et que, par ce 

1. Henri l^^, duc de Mon(morency, fils du connétable Anne 
de Montmorency et de Madeleine de Savoie de Tendes. Conné- 
table depuis 1593. Mort en 1614. Il avait rendu d'important» 
services à Henri IV, qui l'appelait son compère. 

2. Louise de Budos. Déjà mère de Ctiarlotte -Marguerite , 
mariée, en 1609, au prince de Gondé, la connétable venait 
d'accoucher, à Chantilly, de Henri de Montmorency, fillenl de 
Henri IV, le même qui périt sur réchafaud le 30 octobre 1632, 
dernier de la branche cadette de sa maison et de la première 
branche ducale des Montmoreney, Le connétable auquel les lettres 



APPENDICE. 323 



mot, je l'asseure du désir que j'ay de la servir, et que, 
finissant cette lettre, vous y trouviés un serment que je 
vous fais encore un coup, de vous aymer comme peu, à 
quy je bayse les mains et vous donne le bonsoir. 



VI 



AU CONNETABLE DE MONTMORENCY. 

Mon cousin, je suis contrainte de me plaindre à vous 
des outrages que les habitants de vostre terre de Mont- 
morency, et nommément le juge d'icelle, font à une 
povre femme du lieu mesme, à cause de la relligion 
dont elle fait profession depuis longtemps. Cette femme 
s'appelle Laurence Terrier, qui, après s*estre veue 
traîner par les cheveux dans vostre dicte terre de Mont- 
morency, avec tous les difEames et injures qu^on se 
peult imaginer eu un peuple qui n'est retenu de Tau- 
thorité de son juge et supérieur, a esté enfin contrainte 
d'abandonner sa maison et quatre petits enfants qu'elle 
a pour se retirer en ceste ville, afin d'y vivre avec plus 
de seureté, et d'y rechercher quelque support contre 

de Catherine de Bourbon sont adressées , perdit Louise do Budos 
peu d'années après, et se remaria à Laurence de GIermont« 
Montoison. 



32i CATHERINE DE BOURBON. 

les violences de voz subjectz ; lesquels sont mesmes si 
malicieusement effrontez de dire que le traitement qu'ils 
ont fait à ceste povre femme est de vostre propre com- 
mandement et suivant vostre intention de ne souffrir 
aucun huguenot dans vostre dicte terre. Et pour ce que 
je sçay, mon cousin, que vostre voUonté est toute autre, 
j*ay bien voullu vous en escrire, pour vous suplier bien 
afifectueusement de faire sentir à vos dicts subjects le 
tort qu'ils vous font d'employer vostre authorité pour 
favoriser leurs propres passions et outrages, leur dé- 
fendant au reste (et nommément à vostre juge de 
Montmorency) de plus molester la dicte Laurence Ter- 
rier, mais au contraire, la laisser vivre en paix en sa 
maison, et luy rendre bonne justice en touttes ses 
affaires. Vous m'obligerez beaucoup par ce plaisir^ que 
la pitié de cette povre femme afligée et mon debvoir me 
font requérir de voUs, mon cousin, auquel je prie Dieu 
donner en santé heureuse et longue vie. 

P. S. autog. — Je vous prie de favoriser cette povre 
femme contre les injures qu'on luy fait injustement. 
Vostre bien affectionnée cousine et parfaite amye, 

Catherine. 

De Paris, ce xn j« j. d'octobre 1697. 



APPENDICE. :J25 



VII 

A MON COUSIN M. LE CONNNÉTABLE. 



N 



Mon cousin, je suis extrêmement marrye contre vous, 
de ce que vous me voullôs recevoir en estrangôre chés 
vous, cela me fait croire que vous ne m'aymés pas 
comme je m'étois promise. Je vous suplie vivre plus 
librement avec moy, et ne vous mettes en nulle peine 
pour ce qui me touche, car je serai assôs pourveu que 
vous me témoignés par un bon visage que je ne vous 
fâche point de passer chés vous. Je n'ignore point les 
incommodités que la guerre apporte, bien marrye que 
vous les ayés ressenties. J'espère d'estre demain à 
Paris, ou j'auray ce bien de vous voir. Je crois que mes 
affaires m'y retiendront un jour ou deux plus que je ne 
pensois. A demain donc. Cependant aymés-moi et me 
croyés du tout disposée à vous aymer et servir. 

Catherine. 

VIII 

A M. DE FONTRAILLES *. 

M. de Fontrailles, je suy bien aise de voir (}ue Tes- 

l. Michel d'.Vslaraiî, baron de Mareslang cl de FontrailleB, 
st^néchal d Armnîrnac. 



:i2t) CATIIKUINE DE BOUUBON. 



loignemeût.des lieux ne diminue point Taffection que 
vous me portés, et que la mémoire de la feue royte, ma 
mère, vous la nourrit. Croyés, je vous prie aussi, que 
j'hérite de la bonne volonté qu'elle vous portoit, et 
(ju'en tout ce qui vous touschera et aux vôtres, je tous 
rendray office de vraye amie. Ce porteur- vous dira 
toutes nouvelles de deçà. Pour la IBn, je vous prye de 
croire et d'assurer tous les gens de bien que quelque 
chose qui puisse arriver, soit pTospéritô ou adversité, 
je ne changeray jamais la profession que je fais de 
suy vrc la vraye religion. Et sur ceste vérité, je me re- 
commande bien-fort à vous et suis votre affectioDBée et 
asseurée amye. 



Catherine. 



IX 



A MADAME DE M0N6LAT, GOUVERNANTE DES ENFANTS 

DE FRANCE. 

Madame de Montglat, ayant ouy des rumeurs de 
guerre et trouvant de jolies petites armes, j'ay cru qu'il 
les falloit envoyer à M. le Dauphin*, mons. mon neveu, 
pour s'opposer aux mauvais desseins de ceux qui veul- 
lent brouiller. Je les luy envoie pour sa foire de saint 

1. Depuis Louîfl XIIT. 



APPENDICE. ;i27 



Nicolas, et ay commandé à M. de Pardaillande les vous 
porter de ma part, avec celle-cy, pour les luy offrir et 
conserver, et de savoir particulièrement de ses nou- 
yelles. 

X 

A DUPLESSIS-MORNAY. 

Juniet 1594. 

Monsieur Duplessis, je suis très ayse de ce que vous 
ayez si boune opinion de ma constance, en laquelle je 
Yeux tellement persévérer que vous, ni tous ceulx qui 
font mesme profession n'y seront trompés. C'est sur ce 
sujet que j'adresse à Dieu mes pryères ; et vous pouvés * 
croire que j'y employé les plus belles heures du jour et 
de la nuit. Je ne doute point que le changement dont 
TOUS oyés parler ne vous attriste ^. Pour moy, j'en porte ' 
eung tel ennuy, que je vous le puis représenter. Mais 
j'espère que Dieu, qui jusques icy nous a rendu tant de 
témoignages de sa bonté, ne vous délairra point, ni par- 
ticulièrement celuy qui, pour le bien de son peuple, ne 
craint de relascher quelque chose de sa conscience, 
laquelle je m'asseure que Dieu lui rendra après l'assou- 
pissement de ses confusions aussy par nos larmes et 

1. La conversion du roy. 



328 CATHERINE DE BOURBON. 



pryères. Si vous ne vous hastés, rassemblée et la ba- 
taille, s'il en (loibt donner, seront finies. Vostre présence 
en Tune et en Tautre seroit plus requise. Quoi qu'il 
arrive, croyés, Monsieur Dnplessis, que je serois tou- 
jours vostre bien humble et affectionnée amye. 

Catherine. 

XI 

A MONSIEUR DUPLESSIS. 

1594. 

Monsieur Duplessis , je n'ay voulleu laisser aller 
Vicose, sans vous asseurer par mes lettres combien je 
vous suis toujours amye. Il vous contera toutes nou- 
velles de deçà et des miennes,^ plus que Je ne vous en 
sçaurais escrire. Je vous dirois ce seul mot que vous 
asseuriés, quoique Ton die que Ton m'ait veue à la 
Messe, que je n'y ai esté de faict, ni de pensée. Je 
me réserve à y aller que vous soyés Pape, comme disoit 
M. le prince de Conty. Asseurés vous donc et tous les 
gens de bien que je suis toujours très résoleue en ma 
relligion. Dieu me veuille continuer ceste saincte vol- 
lonté et me donne le moyen de vous témoigner que je 
vous suis, et à madame du Plessis, vostre bien affec- 
tionnée amye. 

Cathebim?. 



APPENDICE. 329 



BREF DU PAPE CLEMENT VIII, ENVOYE AU DUC DE BAR 

A l'occasion de son mariage. 



Comme nous vous aimoDS paternellement et que nous 
désirons ardemment votre vraye gloire, nous ne pouvons 
nullement consentir à une chose par laquelle la splen- 
deur de votre très illustre famille seroit obscurcie. Le 
zèle de l'honneur de Dieu, le devoir de notre charge 
pastorale, et le danger auquel vous nous exposez, nous 
contraignent de crier : Il n'est pas permis, il n'est pas 
expédient. Il est bien vrai, comme vous nous l'écrivez, 
que Dieu nous a donné la puissance, mais il nous Ta 
donnée pour édifier et non pour détruire ; pour sauver 
les âmes, mais non pour les perdre ; pour la conserva- 
tion de la foi catholique, et non pour sa destruction. 
Car y-a-t-il personne qui ait quelque connoissance des 
affaires du monde qui ne voye le danger manifeste au- 
quel la foi catholique est exposée dans la province de 
Lorraine, si la peste de Thérésie est introduite dans 
votre maison qui a toujours été le rempart et le boule- 
vard de la foi ? La connoissance que nous avons de votre 
piété, nous fait espérer que vous ne ferés rien d'indigne 
de vous et de vos prédécesseurs. Quant à nous, nous ne 
donnerons jamais notre dispense apcstolique pour ce 



330 CATHEUhNE DE BOURBOiN. 



mariage, auquel vous ne devez jamais entendre, tant 
que cette dame sera hors de l'Eglise et ne fera profes- 
sion de la foi catholique. Car où Dieu est offensé, rien 
ne peut prospérer 1 II ne sert de rien de gagner tout le 
monde, si l'on se perd soi-même. Il ne nous convient 
pas d'user avec vous de paroles dures, nous qui n'en 
devons dire que de salutaires... Etes-vous donc si aveu- 
glé que vous alliez de gaîté de cœur vous perdre, vous 
et les vôtres ? Où est votre vertu, où est votre prudence? 
Où est la crainte de Dieu qui vous a comblé de tant de 
biens ? Avisez bien une et deux fois à ce que vous allez 
faire : on ne se mocque point de Dieu 1 Gardez-vous 
bien de le courroucer, et de ruiner votre maison dont 
vous ébranlez vous-même les fondements. Ne vous 
attendez point que nous dispensions jamais de notre 
autorité apostolique un tel mariage. Car nous ne je 
ferons jamais : nous souffrirons plustôt que notre corps 
soit déchiré et écartelé, membre pour membre. Et si 
vous passez outre (ce qu'àDieune playse), nous protes- 
tons de nouveau et pour toujours que nous n'avons rien 
omis envers vous de tout ce que notre devoir exigeoit 
et que nous sommes innocents de ce péché. Âinsy votre 
sang retombera sur votre tête. 



FIN. 



TABLE DES MATIERES 



l'ASES 
ÂTCRTISSKinUfT , V 



CHAPITRE 1 

Caractère de Jeanne d'Albret et d'Antoine de Bourbon. — • Naissance 
et premières années de Catherine. — Sun éducation. — Son atta- 
chement au calvinisme. — Son arri?ée à Paris. — Maladie e( mort 
de Jeanne d'Albret i 

CHAPITRE II 

Mariage du roi de Navarre. — La Saint-Barthélémy ; massacre des 
serviteurs de Henri et de Catherine. ~- Situation de Catherine au ' 
L<NiTre. — Haine de Catherine de Médicis. — Mort de Charles IX. 
— Avènement de Henri III. — Projet de mariage entre lui et 
Catherine de Bourbon. — Catherine de Médicis le fait manquer. — 
Évasion de Henri de Navarre. — Départ de Catherine. -— Son 
retoar à Nérac et à Pau. — Son caractère. -^ Sa situation à la 
cour de son frère. — Ses rapports avec Sully, Turenne et Momay. 3 i 



332 CATHERINE DE BOURBON. 



CHAPITRE III 

Conduite politique de Henri lU. — Proposition de Biron k la princesse 
Catherine. — Voyage de la reine-mère à Nérac. — La reine Margue- 
rite séduit les huguenots. — Silenee de l'histoire sur Catherine à 
cette époque. — Elle reçoit Marguerite de Yalois à Pau. — Rigidité 
de Catherine. — La cour de Navarre établie à Nérac. — Plaisirs et 
galanteries de Marguerite de Yalois. — La guerre des Amoureux. 

— Retour de Catherine en Béam après le départ de Marguerite de 
Yalois. — Elle est nommée licutenante générale du Béam. •— Le 
roi d'Espagne la demande en mariage. — Détails sur cette né- 
gociation. — Le duc de SariTie la demande en marii^. -> Amour 
du prince de Condé pour la princesse. — Proposition de Henh III. 

— Demande du due de Lorraine. — Intention secrète du roi de 
Navarre et de Momay pour la princesse. — Mission de Ségur en 
Angleterre. — Maladie de Catherine. — Proposition du prince 

de Wurtemberg-Montbéliard ^^ 

CHAPITRE IV 

Murt du duc d'Anjou. — Situation du roi de Navarre. — Puissance 
de la Ligue. — • Bulle du pape. — Conduite du roi de Navarre.— 
La reine Marguerite conspire contre lui. — Lettre de Catherine à 
Saint-Geniez. — La reine de Navarre s'enfuit d'Agen. — • Elle 
est arrêtée et conduite à Usson. — Dévouement de Catherine 
de Bourbon envers son frère.— Elle vend ses bijoux. — Détresse 
du roi de Navarre. — Marques d'attachement des Béarnais pour 
Gatlyerine. — Négociations de Henri III avec le roi d)e Navarre. — 
Déclaration de guerre. — Bataille de Coutras. — Henri part pour 
le Béam avec le comte de Soissons ^^ 

CHAPITRE V 

Caractère du comte de Soissons. — Sympathie de Catherine ponr 
lui. — Facilité avec laquelle Henri de Navarre dispose de la mais 



TABLE DES MATIÈRES. 333 



de sa sœur. <— Intrigues de l'abbé d'Elbène. — Promesses de ma- 
riage échangées entre Catherine et le comte de Soissons. — Regrets 
de Henri de Navarre. '— Ses querelles avec le comte de Soissons. 

— RéTélation mystérieuse contre le comte de Soissons. — Rôle 
de SoUy dans cette affaire. — Brouillerie et séparation du roi de 
Nayarre et du comte de Soissons. ~- Catherine refuse le roi d'Ecosse. 

— Départ du comte de Soissons pour la cour de Henri III. — 
mission confiée à ce prince. — Son arrestation par les ligueurs en 
Bretagne. — Sa prison au château de Nantes.— Lettre de Cathe- 
rine. — États de Blois. — Assassinat des Guises. — Alliance du 
roi de Nayarre et de Henri III. — Assassinat de ce prince. — Avè- 
nement de Henri lY. — Intrigues du comte de Soissons. — Cathe- 
rine régente de Navarre. — Sa situation en Béam et en Navarre. 
— ■ Ses rapports avec la magistrature et la noblesse. — Ses corres- 
pondances. •— Goût.de la princesse pour la poésie.— Son portrait. 
Antonio Ferez 105 

CHAPITRE VI 

mour de Catherine pour le comte de Soissons. — Sa fidélité. — Sou 
ignorance des querelles qui s'étaient élevées entre le comte de 
Soissons et Henri IV. — Caractère de la comtesse de Gramont. — 
Ses intrigues. — Sa jalousie contre Henri. — Avertissements donnés 
à Henri par M"*' de Pangeas. — Lettres à la comtesse de Gramont. 

— Siège de Rouen. — Promesses de la main de Catherine au duc 
de Montpensier et au prince d'Anhalt. — Le comte de Soissons 
quitte l'armée. — Son arrivée à Pau. — Situation de Catherine.— 
Témoignages des auteurs contemporains sur sa volonté d' épouser 
le comte de Soissons. — Lettre de Henri lY à M. de Ravignan. — 
Entrée du conseil souverain chez la régente. — Arrestation du 
comte de Soissons. — Émeute excitée par le conseil souverain. — 
Catherine gardée à vue par M. de Ravignan. — Lettre de la prin- 
cesse à Henri lY. -» Sentiments de Henri I Y en la recevant. — Il 
paraît oublier les torts du comte de Soissons. •— Conduite inconsl- 



334 CATIIEHINE DE BOURBON. 



dérée de ce prince. — Il insulte le comte de Pangeas. — - Catherine 
quitte le Béam pour se rendre à la cour de Henri lY .— Son voyage. 

— Son arrivée à Saumur. — Elle y trouye mesdames de Rohan et 
de Momay. — Volonté de Henri lY de lui faire épouser le doc de 
Montpensier. — Stances de Malherbe. — Résistance et larmes de 
la princesse. — Elle avoue au roi qu'elle s'est engagée à épouser le 
€omte (le Soissons. — Colère de Henri lY. — Sa conversation avec 
Sully. — Sully chargé d'eiiger une rétractation de Catherine et du 
comte de Soissons. — Manière dont il l'obtient 140 

CHAPITRE VII 

Succès de Henri IV. — Son sacre. — Sdh entrée dans Paris.— Arri- 
vée de Catherine dans Paris. — Tentative d'assassinat de Châtel. 

— Piété de Catherine. — Sa situation entre Henri IV et les cal- 
vinistes. — Services rendus par la princesse au roi. — Sa charité 
envers les calvinistes. — Cérémonies religieuses autorisées chez 
la princesse. — Ses rapports avec le parti calviniste. — Tolérance 
de Henri IV.— Lettres de Catherine à Momay. — DifRcultés et cha- 
grins que lui créent sa fidélité envers sa religion et son parti. — 
Impopularité de la princesse.— Privations et dangers de son exis- 
tence. — Dons de Henri IV à sa sœur 177 

CHAPITRE VIII 

Espoir de Catherine d'épouser le comte de Soissons. — Conduite de 
ce prince avant le combat de Fontaine-Française. -^ Henri IV dé^ 
ddé à détruire l'illusion de sa sœur. — Sully chargé de cette mis- 
sion. •— Ses scrupules. — Son entretien avec Henri. — Sully à 
Fontainebleau. — Entourage de la princesse. — Conversation da 
Catherine et de Sully. — Colère de Catherine. — Lettres de Henri IV 
à Sully. — Services rendus par Sully à la princesse. — Begrets 
de Catherine. — Sa réconciliation avec Sully. — Persistance de 
ses regrets.— Reproches adressés par Madame de Rohan à Henri IV« 



TAULE DES MATIÈRES. 33;» 



— Lettre de Catherine à Henri IV. — Maladie, lassitude et désir 
de la princcnc de quitter la cour. — Lettres au duc de la Force.— 
Pénible réccnciliatiou de la princefse avec Henri IV -~ Motifs de 
son retour à Saint-Geriiiniri. — Rapports de la princesse avec 
les calTinistes, — Intripies du parti caNinistc. — Surprise d'Amiens. 

— Lettre de Henri IV à la princesse. — Succès de Henri. — Désar- 
mement de la Ligue 194 

CHAPITRE IX 

Édil de Nantes. — Part de Catherine à cet édit. — Effet produit par 
l'édit sur les catholiques. — Conduite de Henri IV. — Projet de 
mariage entre Catherine et le duc de Bar. — Motifs de Henri IV et 
du duc de Lorrain»». — Obstacles à l'aeconiplissement de ce ma- 
riage. — Persistance de Catherine à demeurer caWiniste. — Con- 
férences religieuses. — Contrat et paroles de Catherine et d'Henri IV. 

— Respect de Henri pour la liberté de conscience. — Arrivée du 
duc de Rar. — Caraclèro de ce prince. — Conférences religieuses. 

— Opposition du clergé français à la célébration du mariage. , . . 240 

CIIAPITUE. X 

'aractcrc de l'archevêque de Rouen , firère naturel de Henri IV. — 
r^nversatiou de Henri avec le baron de Roquelaurc. — Il obtient 
de rarchcvèque de Rouen la célébration du mariage. — Catherine 
épouse le duc de Rar. — Fôtes de la cour. — Libéralité de Henri. 

— Portraits de la princesse. — Estampes. -— Reconnaissance de 

la princesse pour le duc de Lorraine. — Son départ de France.f4»>vMM 
Correspondance de la duchesse de Bar avec Henri IV Î5 j 

CHAPITRE XI 

DifGcultés de la situation de Catherine à la cour de Lorraine. — Nou- 
telles conférences religieuses. — Inquiétudes du duc de Lorraine. 



336 CATHEIUNK DE lîOURHO.N. 



— Lettre de la duchesse à Mornay. — Jubilé de 1600. — Départ 
secret du duc de Bar pour Rome. — Refus du pape Clément YIII 
d'accurder la dispense de son mariage. •— Décisiuu et conseils du 
pape adiHîssés à la duchesse. — Retour du duc de Bar en Lorraine. 

— Il vit st^paré de la duchesse. — Douleur de Catherine. •— Son 
Toyage à Paris. — Conférences présidées par l'évâque d'ÉTreux.— 
Persistance de la ducliessc et juie de ses auiics. — Lettre de Cathe- 
rine au pape.— Lettres de Henri lY au pape et au cardinal d*Ossat. 

— Efforts du cardinal d'Ossat. — Intérêt du pape pour la du- 
chesse. — État de sauté de Cuthcriuu. — Couditious sous lesquelles 
la dispense est obtenue. — Ses lettres au rui. — Sa maladie, sa 
mort, ses funérailles. — Dernières vues sur sou caractère 288 

Appbjidicb 317 



FIN !iE LA TAIlL'i DES MATIKHES. 




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- .«p Paris. -- Iruprimerie de P. -A. ïiOlu:>lKî{ o' C», i-.u» d«î!t Poitevins, 6. 

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