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Full text of "Catilina : drame en 5 actes et 7 tableaux"

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<tal  La 


CATILINA 

DRAME    EN    CINQ   ACTES    ET    SEPT   TABLEAUX, 


MM.  ALEXANDRE  DUMAS  ET  AUGUSTE  MAQUET, 

REPRÉSENTÉ,   POUR  LA  PREMIÈRE  FOIS,  A  PARIS,  SUR  LE  THEATRE 
HISTORIQUE,    LE   14   OCTOBRE   1848  \ 


74/, 


7    - 


DISTRIBUTION  DE  LA    PDJîCE, 

CATILLW MM.    Afpnvr.ire 

CÉSAR 

GLINIAS 

LUCULLUS 

CICÉRON, 

VOLENS 

AUFÉNUS 

MaRCIUS 

SYLLA 

GORGO 

CICADA 

CaTON   

STORAX 

CHAR1NUS 

LE  PÉDAGOGUE. . . 

CHRYSIPPE 

Henri. 

RULLUS 

Frédéric. 

LENTULUS 

CÉTHÉGUS 

Beaulieu. 

C\P1T0 

CHVRTNUS 

Mmes  Rey. 

MARCIA 

Lacressonnière. 

AURÉLIA  ORESTILLA 

FULVIE 

Person. 
H.  Jouve. 

NIPHÉ 

Génot. 

NUDIA 

Deval. 

à  M.  Caron,  régisseur  général  du  Thé 

itre 

Ii 

storique. 

AYANT-PROPOS. 


Xous  voulions  donner  une  préface  à  cette  e'dition  ;  mais  la 
pièce  est  un  fait  accompli,  à  quoi  bon  expliquer  ce  fait  ? 

Il  nous  avait  paru  nécessaire  un  moment  d'appuyer  de  notes 
justificatives  l'exactitude  de  quelques  recherches  studieuses 
faites  à  propos  de  Catilina,  sur  la  vie  politique  et  la  vie  inté- 
rieure des  Romains  ,  mais  Fimpéritie  de  plusieurs  critiques 
nous  en  dispense. 

A  quoi  bon  prouver,  par  exemple,  qu'à  Rome,  en  691,  cer- 
taines maisons  avaient  sept  étages,  et  que  l'usage  des  eloclics 
e'tait  établi?  La  censure  d'un  ignorant  ne  vaut  pas  une  note. 
Une  note  n'apprend  rien  à  l'homme  qui  sait. 

Voici  donc,  sans  commentaires,  le  drame  tel  qu'il  a  été  re- 
présenté sur  le  théâtre. 


PROLOGUE. 


PREMIER  TABLEAU. 

LA  MAISON   DE   MARCUS   SALVENIUS. 

L'atrium  ouvert  sur  l'impluvium.  Devant  la  porte,  un  lit  funéraire  ;  aux 
quatre  coins  quatre  esclaves.  L'un  Gaulois,  l'autre  Africain,  le  troi- 
sième Mède  et  le  quatrième  Grec.  Sur  le  lit,  Marcius  couché  ;  costume 
de  tribun  des  soldats,  soixante  ans,  barbe  blanche,  couronne  de  laurier 
sur  la  tête,  branche  de  laurier  à  la  main.  En  avant  du  lit,  l'eau  lustrale 
dans  une  urne  d'argent,  avec  un  rameau  de  cyprès  trempant  dans  l'eau. 
A  droite,  à  l'entrée  de  la  porte,  une  fontaine;  à  gauche,  l'autel  des  dieux 
sur  lequel  brûlent  des  parfums. 

SCENE  I. 

NIPHÉ,  (Les  amis   du  mort  entrent  lentement  et  se  rangent  aux 
deux  côtés  du  lit.  Ils  se  saluent.) 

NIPKÉ. 

Entrez,  seigneurs  ;  quoique  ce  soit  aujourd'hui  la  mort  qui  veille 
a  la  porte,  la  porte  vous  est  ouverte.  Soyez  les  bienvenus. 

AUFÉNUS. 

Bonjour,  cher  Marcius  Népos.  Quelle  douleur  pour  moiqui  viens 
justement  de  Marseille  pour  assister  au  deuil  de  votre  famille  ! 

MARCIUS     NÉPOS. 

Vous  arrivez?..? 

AUFÉNUS. 

Ce  matin,  et  j'accours  comme  vous  voyez.  (Le  prenant  à  part 
et  lui  montrant  J\tphé.)  Quelle  est  cette  femme  qui  fait  les  hon- 
neurs de  la  maison  ? 

MARCIUS    NÉPOS. 

C'est  Niphé,  une  esclave  thessalienne,  que  mon  frère  a  affran- 
chie voilà  déjà  quinze  ans.  Mon  frère  l'aima  beaucoup  quand 
elle  était  jeune,  elle  aima  beaucoup  mon  frère  quand  il  devint 
vieux.  C'est  une  assez  bonne  créature  pour  une  sorcière. 

AUFÉNUS. 

Elle  est  sorcière? 

MARCIUS    NÉPOS. 

Oui,  puisqu'elle  est  Thessalienne.  Ce  sont  môme  ses  philtres 
et  ses  breuvages  qui  ont  soutenu  mon  frère  pendant  ses  trois 


ATIL1NA. 

dernières  années.  Le  pauvre  Marcius,  vous  le  savez,  était  un 
corps  usé  par  les  blessures  et  par  la  fatigue. 

AUFÉNUS. 

Alors  elle  a  rendu  de  grands  services  à  votre  frère,  et  par  con- 
séquent a  vous. 

MARCIUS    NÉPOS. 

Oui,  et  je  saurai  ce  que  ses  services  me  coûteront  lorsqu'on  ou- 
vrira le  testament  de  Marcius.  [A  différents  personnages  nou- 
veaux.)  Salut,  seigneurs,  salut.  Rangez-vous  au  chevet  de  mon 
frère. 

AUFÉNUS. 

Ne  savez-vous  point  à  quoi  vous  en  tenir  d'avance?  Sans  être 
un  des  sept  banquiers  que  Ton  appelle  les  sept  tyrans  de  Rome, 
Marcius  était  riche,  riche  de  son  patrimoine,  riche  du  butin  fait 
dans  ses  campagnes  avec  Sylla. 

MARCIUS    NÉPOS. 

Oui,  vous  avez  raison,  Marcius  était  riche,  riche  à  deux  cents 
talents  cinq  à  six  millions  de  sesterces,  j'en  répondrais. 

AUFÉNUS. 

Eh  bien  !  tout  cela  vous  reviendra  puisque  son  fils  est  mort 
et  que  sa  fille  est  vestale. 

MARCIUS  NÉPOS. 

Cela  devrait  me  revenir  en  effet;  mais  h  la  mort  de  mon  neveu, 
Sylla  son  vieux  général  est  venu  voir  mon  frère,  pleurer  avec 
lui.  Cela  lui  a  touché  le  cœur,  et  l'on  m'assure  qu'il  a  fait  Sylla 
son  héritier. 

AUFÉNUS. 

Sylla  a  pleuré?  Croyez-vous  aux  larmes  de  Sylla? 

MARCIUS     NÉPOS. 

J'ai  un  esclave  nubien  qui  m'a  dit  avoir  vu  pleurer  une  fuis 
un  crocodile. 

AUFÉNUS. 

Chut!.. 

MARCIUS  NÉPOS. 

Bah  !  il  n'est  plus  dictateur. 

AUFÉNUS. 

Non,  mais  il  est  toujours  Sylla...  puis  n'aura-t-il  pas  l'idée 
d'assister  aux  funérailles  de  son  ancien  tribun  ? 

MARCIUS   NÉPOS. 

Sylla  le  moribond,  Sylla  le  goutteux,  Sylla  qui  se  traîne  ou 
plutôt  qui  rampe  vers  sa  tombe...  Sylla  qui  n'est  pas  venu  voir 
le  mourant,  viendrait  aux  funérailles  du  mort...  Soit,  qu'il 
vienne!..  Je  serai  heureux  de  le  revoir,  et  de  mesurer  de  mes 
yeux  à  quelle  distance  il  est  du  sépulcre. 


PROLOGUE,  TABLEAU  I.  o 

AITÉN'US. 

Prenez  garde,  prenez  garde,  Marcius,  le  vieux  Sylla  n'a  pas 
été  détrôné,  il  a  déposé  le  pouvoir  de  sa  propre  volonté,  c'est-à- 
dire  qu'il  s'est  coupé  les  ongles  lui-même  ;  croyez-moi  donc,  il 
ne  se  les  sera  pas  coupés  trop  courts, 

marcius  NÉros. 

Oh  !  ma  foi  tant  pis;  au  risque  du  coup  de  griffe,  je  me  soula- 
gerai le  cœur.  Ces  soldats,  voyez-vous,  Aufénus,  ça  n'a  plus  de 
parents,  ça  n'a  plus  de  patrie.  Ils  ont  un  drapeau  et  un  général, 
voilà  tout".  Mon  frère  n'est-il  pas  rentré  dans  Home  comme  les 
autres  une  torche  a  la  main?  Il  est  vrai  qu'il  s'est  retiré  lors  des 
proscriptions,  il  est  vrai  qu'il  a  cessé  de  voir  Sylla  pendant  sa 
dictature.  Je  les  croyais  brouillés.  Mais  mon  neveu  Marcius 
meurt.  Sylla  calcule  que  c'est  le  moment.  11  tombe  chez  le  père, 
au  plus  fort  de  sa  douleur  :  «  Mon  vieux  tribun  !  —  Mon  vieux 
général  !  —  Te  souviens-tu  d'Orchomène?  —  Te  souviens-tu  de 
Chéronée  ?  —  Je  t'ai  sauvé.  —  Tu  m'as  sauvé.  —  Embrassons- 
nous.  »  Pouah!  je  n'aime  pas  les  soldats,  moi  !...  S'il  avait  laissé 
sa  fortune  à  cette  pauvre  Marcia,  sa  fille,  au  lieu  de  la  faire  en- 
trer au  collège  des  vestales,  je  ne  dirais  rien,  je  ne  suis  que  son 
frère...  mais  me  déshériter  pour  enrichir  de  deux  cents  talents, 
c'est-à-dire  d'une  obole,  cet  illustre  voleur,  ce  glorieux  assassin, 
ce  goinfre  héroïque,  qui  avait  déjà  mangé  la  première  partie  du 
monde,  et  qui  allait  dévorer  la  seconde,  si  les  dents,  grâce  à  Ju- 
piter, ne  lui  eussent  manqué  à  moitié  du  repas  !...  (Un  homme 
entre  et  va,  au  milieu  d'un  cortège  de  clients,  prendre  place  à  la  gau- 
che du  spectateur  ;  ilsetratne,  appuyé  sur  son  bâton  et  sur  l'épaule 
d'un  esclave;  on  lui  approche  un  fauteuil;  cependant  il  reste  de- 
bout et  écoute  Marcius  Néposqui,  emporté  par  la  passion,  ne  Va- 
perçoit  pas.  ) 

AUFÉNUS. 

C'est  désolant,  je  l'avoue. 

marcius  xépos. 

Dites  que  c'est  stupide...  oui,  stupide ,  en  vérité. Voir  les  bois 
de  mon  frère  se  joindre  aux  vastes  forêts  de  cet  homme,  ses  cin- 
quante esclaves  s'ajouter  aux  dix  mille  esclaves  du  vieux  dicta- 
teur, ses  deux  cents  talents  prendre  le  chemin  d'un  coffre-fort 
qui  en  contient  peut-être  deux  cent  mille.  Ah  !  vieil  hypocrite, 
vieil  avare,  tu  n'en  jouiras  pas  longtemps,  voilà  ce  qui  me  con- 
sole. Ah!  tu  dois  venir  aux  funérailles  de  mon  frère.  Eh  bien, 
moi  aussi  j'irai  aux  tiennes  et,  par  Pluton,  je  me  charge  de  l'o- 
raison funèbre. 

SCENE  IL 
Les  Mêmes,  CORNÉLIUS,  SYLLA,  MPHÉ,  s  avançant  vers  lui. 

NIPHÉ. 

Seigneur  Cornélius  Sylla,  c'est  bien  tard. 


6  CATILLNA. 

.marcius,  se  retournant. 
Ah! 

AUFENL'S. 

Je  vous  avais  bien  dit  qu'il  viendrait. 

HARCltlS   NÉPOS, 

Croyez-vous  qu'il  m'ait  entendu? 

AUFÉNUS. 

Croyez-vous  qu'il  soit  devenu  sourd  ? 

sylla,  tranquillement. 
Bonjour,  Xiphé. 

tous  saluent  profondément  Sylla. 

NIPBÉ. 

Asseyez-vous,  seigneur. 
sylla.  écartant  de  la    main  ceux  qui  V empêchent  de  voir  le  lit 
funèbre. 
Mon  pauvre  Marcius  a  donc  vécu  ? 

NIPHÉ. 

Hier,  il  est  mort  en  vous  appelant. 

SYLLA. 

Oui...  depuis  quelque  temps ,  non-seulement  les  mourants 
m'appellent,  mais  encore  les  morts...  Hier,  c'était  ton  maître, 
Niphe...  avant-hier  c'était  mon  fils  Cornélius... 

MPHÉ. 

Votre  fils  Cornélius...  vous  avez  revu  votre  fils,  seigneur? 

SYLLA. 

En  rêve...  il  est  venu  m'inviter  à  l'aller  rejoindre  lui  et 
sa  mère  Métella.  [Avec  un  sourire.)  Et  j'y  vais...  Mais  revenons 
à  ton  maître,  Niphé.  Lui  aussi  m'a  appelé,  dis-tu?  Pauvre 
Marcius... 

NIPHÉ. 

Oui  ;  et  quand  la  nuit  est  venue,  quand  l'obscurité  a  envahi 
la  chambre ,  il  a  cru  voir  apparaître  votre  ombre  au  chevet  de 
son  lit...  Les  mourants  ont  de  telles  visions,  vous  le  savez... 
Alors,  il  a  étendu  la  main  pour  serrer  la  vôtre,  tout  en  murmu- 
rant une  espèce  de  reproche. 

SYLLA. 

Lequel  ? 

NIPHÉ. 

Sylla,  a-t-il  dit,  a  craint  sans  doute  que  la  vue  d'un  mourant 
ne  portât  atteinte  à  son  bonheur. 

SYLLA. 

A  mon  bonheur  !...  11  y  a  plus  de  trois  ans  que  nous  ne  nous 
étions  vus,  et  il  croyait  toujours  à  ma  fortune...  il  voyait  tou- 


PROLOGUE,  TABLEAU  I.  7 

jours  eu  moi  Sylla  l'heureux...  Sylla  l'amant  de  Vénus...  Sylla 
à  qui  l'on  dérobait  un  fil  de  sa  toge  pour  avoir  une  part  de  son 
bonheur...  Il  ne  savait  donc  pas  que  moi  aussi  je  m'en  vais  mou- 
rant, que  je  me  meurs  !... 

MARCltJS  N'ÉPOS. 

Entendez-vous,  Aufénus  ?    il  l'avoue  lui-même  ;  le  froid  du 
tombeau  le  gagne. 

SYLLA. 

Marcia  est  au  logis,  m'a-t-on  dit? 

NIPHÉ. 

Là,  dans  sa  chambre. 

SYLLA. 

Niphé,  tout  le  monde  est-il  réuni  ? 

NIPHÉ. 

Oui,  seigneur  1 

SYLLA. 

Les  parents  du  mort  sont  ici? 

NIPHÉ. 

Nous  n'avons  d'autres  parents  que  le  seigneur  Marcius  Népos. 

SYLLA. 

N'est-ce  pas  lui  que  je  vois  là-bas  ? 

NIPHÉ. 

Oui,  seigneur  ! 

SYLLA. 

Appelez  Marcia,  je  vous  prie,  Niphé. 
Niphé,  va  ouvrir  la  porte  à  gauche  avec  une  clef  qu'elle  porte  à  sa 
ceinture. 

AUFÉNUS. 

Avez-vous  vu  comme  il  vous  a  regardé  ?  Il  a  l'œil  encore  bien 
mauvais. 

MARCIUS  NÉPOS. 

Vous  savez  bien  que  chez  le  serpent  l'œil  est  la  dernière  cho^e 
qui  meure. 

SCENE  XIX. 

Les  Mêmes,  MARCIA.  (Marcia,  en  entrant,  va  embrasser  son 
père  au  front,  puis  elle  revient  sur  le  devant  de  la  scène.) 

SYLLA. 

Salut,  Marcia!  J'aimais  ton  père... 

MARCIA. 

Et  mon  père  vous  aimait,  seigneur. 

SYLLA. 

Je  le  sais,  il  m'a  laissé  tous  ses  biens. 


8  CATILINA. 

MARCIl'S  PŒPOS. 

Par  Hercule,  je  ne  m'étais  donc  pas  trompé. 

MARCIA. 

Ce  n'est  point  la,  seigneur,  une  preuve  d'affection,  mais  de 

respect. 

STLLÀ. 

Qu'elle  soit  d'affection  comme  je  le  crois,  ou  de  respect  comme 
tu  le  dis,  Marcia,  je  ne  puis  accepter  cette  preuve. 

MARCIA. 

Pourquoi  donc,  seigneur? 

SYLLA. 

Parce  que  Marcius  n'avait  pas  le  droit  de  déshériter  sa  fille, 
même  en  faveur  d'un  ami. 

MARCIA. 

Seigneur,  vous  oubliez  qu'il  n'y  a  plus  d'héritage  pour  moi 
en  cette  vie.  J'appartiens  corps  et  âme  à  la  déesse  Vesta...  un 
serment  me  lie...  qui  ne  peut  être  délié  que  par  une  autre  déesse, 
la  plus  puissante  de  toutes,  par  la  mort. 

SYLLA. 

Ce  n'est  pas  ce  que  le  pontife  me  disait  ce  matin  même  : 
Marcia,  quel  jour  es-tu  née  ? 

MARCIA. 

Le  quatrième  jour  des  ides  de  mars,  l'an  G62  de  Rome. 

SYLLA. 

Et  quel  jour  entras-tu  au  collège  de  Vesta  ? 

MARCIA. 

Aux  kalendes  de  janvier,  l'an  de  Rome  673. 

SYLLA. 

Eh  bien ,  il  y  a  une  erreur  de  sept  mois  et  deux  semaines.  Le 
collège  n'avait  pas  le  droit  de  te  recevoir.  Marcia.  Tu  avais  plus 
de  dix  ans  accomplis  lorsque  tu  fus  vouée.  [L'esclave  grec  qui  a 
relevé  la  tête  au  commencement  de  l'observation  deSylla,  se  dé- 
tacite  du  lit  et  écoute.) 

niphé,  vivement. 

Eh  quoi ,  seigneur  !  ma  chère  Marcia  serait  libre? 

SYLLA. 

Libre,  puisqu'elle  n'est  pas  dans  les  conditions  de  la  loi. 

MARCIA. 

Mes  vœux  ? 

SYLLA. 

Ils  seront  annulés. 

MARCIA. 

Mon  serment  ? 


PROLOGUE,  TABLEAU  I.  9 

SYLLA. 

Il  sera  rompu. 

NIPHÉ. 

Oh!  demeurez  encore  longtemps ,  Sylla  l'heureux,  vous  qui 
me  faites  si  heureuse.  {Elle  embrasse  Marcia.) 

marcia,  la  repoussant  doucement. 
Niphé  !  Niphé  ! 

SYLLA. 

Ainsi,  Marcia,  te  voilà  réintégrée  dans  tous  tes  droits.  Lorsque 
le  temps  du  deuil  sera  passé,  rappelle-toi  donc,  si  tu  vis  encore, 
que  tu  as  en  moi  un  second  père. 

MARCIA. 

Merci,  seigneur;  mais  cela  ne  peut  être  ainsi. 

NIPHÉ. 

Pourquoi? 

SYLLA. 

Que  dis-tu  ? 

MARCIA. 

Je  dis  que  dans  deux  heures  j'aurai  quitté  cette  maison;  que, 
légitime  ou  illégitime,  la  déesse  Vesta  a  reçu  mon  serment;  il  fut 
bon  à  prononcer,  il  est  bon  à  tenir.  (L'esclave  va  se  rasseoir  et 
laisse  tomber  sa  tête  dans  ses  deux  mains.) 
niphé,  à  genoux. 

0  Marcia!...  Marcia  ! 

SYLLA. 

Je  reconnais  la  probité  du  père  dans  la  volonté  de  la  fille; 
mais  je  te  rendrai  libre  malgré  toi,  Marcia. 

MARCIA. 

Non,  vous  ne  ferez  pas  ce  déplaisir  aux  mânes  de  votre  ami, 
seigneur;  vivant,  il  voulut  me  consacrer  à  Vesta;  l'âme  survit 
au  corps;  mort,  il  le  veut  toujours. 

SYLLA. 

Réfléchis,  Marcia;  tu  es  rentrée  dans  tes  foyers, tu  as  le  droit 
d'y  rester;  lorsque  tu  auras  quitté  le  seuil  de  cette  maison  et 
franchi  celui  du  temple  de  Vesta,  il  ne  sera  plus  temps;  prends 
garde  aux  regrets,  Marcia,  prends  garde.  [Le  Greclèvc  la  tête  pour 
écouter  la réponse  de  Marcia.) 

MARCIA. 

Lorsque  je  quittai,  il  y  a  quatre  ans ,  la  maison  de  mon  père 
pour  entrer  au  collège  des  vestales,  j'avais  une  colombe  que  je 
tenais  prisonnière  depuis  un  an  seulement  ;  au  moment  de  partir 
j'ouvris  sa  cage,  afin  de  lui  rendre  la  liberté;  elles"envola  d'abord 
joyeuse  et  disparut;  mais,  trois  jours  après,  m'as-tu  dit,  Niphé, 


10  CATILOA. 

elle  revint  d'elle-même  reprendre  l'esclavage  auquel  elle  était 
habituée;  car  n'ayant  ni  père  ni  mère,  elle  avait  trouvé  l'air 
vide  et  les  bois  solitaires.  Je  suis  comme  cette  colombe  ,  Niphé: 
Rome  est  vide,  le  monde  est  solitaire  pour  moi.  Je  retourne  à 
ma  cage  ;  merci ,  seigneur. 

NIPHÉ.  * 

Marcia  ,  je  te  supplie  l 

MARCIA. 

Quand  la  cérémonie  des  funérailles  sera  terminée,  quand  vous 
aurez  tous  ensemble  pris  le  repas  funèbre  ,  et  que  moi  je  l'aurai 
pris  seule ,  moi  qui  n'ai  plus  le  droit  de  m'asseoir  à  la  table  des 
hommes  ,  alors  je  rentrerai  dans  ma  chambre  pour  revêtir  mes 
habits  de  vestale,  et  je  quitterai  la  maison. 

sylla,  regardant  tour  à  tour  Mphé  et  le  Grec. 

Mais  tu  n'es  pas  seule  au  monde  ,  Marcia  ;  on  n'est  pas  seule 
quand  on  est  aimée.  (Niphé  supplie  ;  l 'esclave  cache  sa  tète  entre 
ses  mains.) 

MARCIA. 

Mou  père  a  commandé,  seigneur  ;  j'obéirai  à  mon  père. 

SYLLA. 

C'est  votre  dernier  mot,  ma  fille  ? 

MARCIA. 

C'est  ma  suprême  volonté  ,  seigneur. 

SYLLA. 

Sois  respectée ,  Marcia ,  dans  ta  volonté  suprême;  mais  n'es- 
saye pas  de  rien  changer  à  la  mienne.  Je  te  rends  tes  biens;  avant 
ton  départ  tu  en  disposeras  à  ton  plaisir.  Tu  as  un  testament  à 
faire  toi  aussi ,  puisque  toi  aussi  tu  quittes  le  monde.  Tiens , 
voici  l'anneau  que  ton  père  m'avait  envoyé  en  signe  que  j'étais 
son  héritier.  Je  te  le  rends. 

MARCIt'S    NÉPOS  ,    à    AufèllUS. 

Allons,  allons,  ma  nièce  n'est  pas  un  soldat  de  Sylla  ,  elle... 
et  j'espère  qu'elle  n'oubliera  point  sa  famille. 

sïlla,  à  jViphéf  en  lui  montrant  V esclave  grec. 
Quel  est  ce  jeune  homme  là  près  du  lit  funèbre? 

NIPHÉ. 

Un  Grec,  nommé  Clinias,  recueilli  tout  enfant  par  mon  maître, 
au  milieu  du  pillage  d'Athènes,  où  son  père  et  sa  mère  furent 
tués. 

SYLLA. 

Et  il  a  vu  souvent  ta  maîtresse,  ce  Clinias? 

NIPHÉ. 

Deux  fois  :  la  première  lorsqu'elle  entia  au  collège ,  la  seconde 
lorsqu'elle  en  sortit- 


PROLOGUE,  TABLEAU  I.  il 

SYLLA. 

C'est  bien.  (Aux  assistants.)  Amis,  entourons  ce  cercueil 
vénérable,  et  disons  au  mort  les  dernières  paroles.  (La  moitié 
des  assistants  passe  derrière  le  lit  funéraire  et  revient  au  côté 
gauche-.) 

MARCIA. 

Merci  de  l'honneur  que  vous  faites  à  mon  père.  (La  nuit 
vient.) 

sylla  ,  à  haute  voix. 
Marcius!  Marciusî  Marcius! 

TOUS  LES  ASSISTANTS. 

Marcius!  Marcius!  Marcius! 

SYLLA. 

Il  ne  répond  plus  a  la  voix  de  son  général,  celui  qui  fut  le  plus 
brave  soldat  de  mes  armées,  le  meilleur  citoyen  de  nos  villes, 
le  seul  qui  osa  tirer  l'épée  dans  la  redoutable  forêt  de  Delphes , 
le  seul  qui  osa  laisser  son  épée  au  fourreau  dans  Rome,  quand, 
selon  sa  conscience,  Lucius  Cornélius  Sylla  ordonna  que  toutes 
les  épées  fussent  tirées.  (Ii  tTàrtête  épuisé;  des  amis  le 
tiennent;  il  prend  la  brunch:  .)  Au  revoir,   Marché  ! 

(Ou  jette  Veau  lustrale  et  Von  gagne  le  fond.) 
MARC!"  (S    - 

Après  l'adieu  de  Sylla,  je  sais  que  tu  n'entendras  pas  le  mien , 
Marcius;  mais  n'importe,  ton  frère  Marcius  Népos ,  qui  t'ai- 
mait sur  la  terre  ,  qui  te  respecte  au  tombeau  et  qui  te  reverra 
au  séjour  des  ombres  ,  te  dit  adieu  :  Marcius  Saivenius  ,  adieu  ! 
(Il  jette  l'eau  lustrait  sur  le  cercueil.) 

MARCIA. 

Et   moi  aussi,  Niphé,  je  veux  dire  adieu  h  mon  père.  (Elle 
s'approche  soutenue  par  Niphé ,  prend  la  branche  de   cyprèt 
mains    de  Marcius  Népos.)  Mon  père!...   (Sanglotant.)   Mon 
Père!...  (Elle  se  renverse  dans  h  s  bras  de  sa  nourrice.  Sylla  fait 
un- signe,  on  enlève  le  corps.  La  unit  est  tout  à  fait  ver.ue.) 

NTPHÉ. 

Au  retour  du  Champ  de  Mars,  vous  trouverez  le  festin  préparé, 
seigneurs.  (On  entend  les  trompettes  qui  -«muent  un  air  funèbre. 
Quatre  hommes  enrobe  brune,  la.  (ête  couvertedHm  voile  brun. 
lèvent  le  corps.  Quatre  autres  les  suivent  pour  les  relayer.  Le  cor- 
tège défile.  Un  des  hommes  à  robe  brune  se  glisse  entre  deux  co- 
lonnes, et  pénètre  dans  Vatrium.  Quand  cet  homme  est  seul,  il  va 
droit  à  la  petite  table,  verse  dans  Vamphore  (forgent  b'  coni 
d'un  flacon,  qu'il  tire  de  sa  poitrine  ;  puis  se  rapprochant  de  la 
chambre  de  .)Jarcia,  il  écoute  si  elle  est  déserte.  Le  convoi  qui  a 
suivi  Vimpluvium  reparaît  de  Vautre  côté  et  s'arrête  à  la  porte  de 
la  rue,  placée  en  face  de  la  porte  de  l'atrium.  On  dépose  le  corps. 


12  CATILINA. 

Marcia  s'agenouille  une  dernière  fois  près  de  lui.  L'homme  à  robe 
brune  regarde  cette  scène  à  travers  les  draperies  entr' ouvertes.) 
sylla,  de  Vautre  côté  de  la  cour. 
Adieu,  ma  fille,  rentre  chez  toi.  [Niphê  relève  Marcia  et  la 
soutient;  elles  reprennent  le  chemin  de  l'atrium.) 

NIPHÉ. 

Viens  !...  viens  !  (L'homme  cesse  de  regarder,  pousse  la  porte 
de  la  chambre  de  Marcia,  et  s'y  cache.  ) 

SCÈNE  IV. 

MARCIA  et  NIPHÉ  rentrent. 

MARCIA. 

Voyons,  bonne  nourrice,  que  feras-tu  quand  je  serai  partie? 

NIPHÉ. 

Que  veux-tu  que  je  fasse?  Ton  père  m'a  donné  sa  petite  mé- 
tairie de  Fésules,  je  m'y  retirerai. 

MARCIA. 

Tu  quitteras  Rome  ? 

NIPHÉ. 

Ne  pas  te  voir  ici...  ne  pas  te  voir  ailleurs...  le  supplice  est  pa- 
reil... 

MARCIA. 

As-tu  quelque  argent,  au  moins? 

NIPHÉ. 

Vingt  mille  sesterces  h  peu  près...  je  ne  suis  pas  de  celles  qui 
amassent  les  gros  pécules. 

MARCIA. 

Non,  tu  es  trop  savante  pour  être  riche... Vous  autres  Thessa- 
îiennes,  la  science  est  votre  déesse,  et  non  pas  la  for  tune...  La  ri- 
chesse que  vous  poursuivez  c'est  la  connaissance  du  passé...  c'est 
la  prévision  de  l'avenir...  tu  avais  prédit  la  mort  de  mon  père, 
Niphé...  Oh  !  c'est  un  don  fatal  des  dieux  que  de  voir  ainsi  d'a- 
vance les  malheurs  de  l'avenir. 

NIPHÉ. 

Oui,  c'est  un  don  fatal  quand  ces  malheurs  ne  peuvent  être 
évités;  mais,  lorsqu'au  contraire  les  dieux  permettent  que  l'ave- 
nir nous  soit  révélé,  pour  le  faire  bon  de  mauvais  qu'il  pouvait 
être,  la  science  augurale  est  un  bonheur  divin,  une  révélation 
sacrée. 

MARCIA. 

Hélas  !  on  ne  peut  fuir  son  destin,  Niphé,  et  toutes  les  révéla- 
tions ne  servent  qu'à  faire  voir  aux  hommes  le  précipice  dans  le- 
quel ils  tombent. 


PROLOGUE,  TABLEAU  I.  13 

NIPHÉ. 

Non,  non,  Marcia,  il  y  a  des  malheurs  auxquels  on  peut  so 
soustraire,  crois-moi. 

MARCIA. 

Il  fallait,  Niphé,  écarter  la  mort  du  lit  de  mon  père,  et  je  t'au- 
rais crue. 

NIPHÉ. 

Ne  pleure  pas  la  mort  de  ton  père,  Marcia. 

MARCIA. 

Les  funérailles  de  celui  qui  m'a  douné  la  vie  ne  sont  pas  ache- 
vées, et  tu  me  dis  de  ne  pas  pleurer  sa  mort  ! 

MPHE. 

Je  te  dis  qu'en  ce  moment  même  un  nouveau  malheur  plane 
sur  ta  tête. 

MARCIA. 

Aucun  malheur  ne  peut  me  toucher  en  ce  moment,  où  je  viens 
d'éprouver  le  plus  grand  de  tous. 

MPHÉ. 

Il  y  a  des  malheurs  plus  grands  que  ceux  qui  nous  conduisent 
à  la  tombe;  la  mort  est  une  des  conditions  de  la  vie.  Quitte  cette 
maison,  Marcia. 

MARCIA. 

C'est  mon  intention,  mais  pas  avant  d'avoir  fait  le  partage  de 
mes  biens;  je  te  dois  une  récompense,  bonne  Niphé. 

MPHÉ. 

Tu  ne  me  dois  rien,  pars  vite. 

marcia,  s'approche  de  la  table  et  s'arrête. 

Mais,  Clinias...  pauvre  Clinias...  qui,  quoique  esclave,  aimait 
mon  père...  Clinias  qui  n'a  pas  quitté  son  maître  un  instant,  et 
qui  veillait  au  pied  de  son  lit,  tandis  que  nous  veillions  à  son 
chevet... 

MPHÉ. 

Laisse-lui  deux  ou  trois  poignées  d'or  sur  cette  table;  tu  ne  lui 
dois  pas  plus. 

MARCIA. 

0  Niphé  !  te  croirais-tu  payée  de  ton  affection  par  deux  ou 
trois  poignées  d'or  ? 

NIPHÉ. 

Jette  toute  ta  fortune  sur  cette  table  si  tu  le  veux;  mais,  par 
les  mânes  de  ton  père...  hâte-toi...  hâte-toi... 

MARCIA. 

Mais  enfin,  pourquoi  partir  ? 

MPHÉ. 

3e  ne  sais...  j'entends  une  voix  qui  nie  dit:  qu'elle  parte!.,, 
qu'elle  parte!...  voilà  tout... 


tt  CATILINA. 

MARCIA. 

Illusion. 

XIPHÉ. 

Qu'elle  parte!...  ou  malheur!...  malheur!...  malheur!... 

MARCIA. 

Mphé,  tu  m'effrayes!.,.  (Elle  descend  la  scène.) 

NIPHÉ. 

Je  te  dis  que  l'heure  presse,  Marcia...  je  te  dis  que  le  dieu 
m'avertit...  que  le  dieu  me  tourmente...  je  te  dis  qu'il  ly  a  un 
malheur  dans  la  maison...  hâte-toit...  hâte-toi!...  (Elle  V entraîne 
vers  la  porte.) 

2CÈIVE  V. 

Les  Mêmes  CLINIAS;  les  rideaux  s'ouvrent  et  restent  ouverts. 

MARCIA. 

Rassure-toi,  c'est  Clinias.  Approchez,  Clinias. 

C  LIMAS. 

Me  voici. 

MARCIA. 

Tout  est  donc  terminé,  là-bas? 

CLINIAS. 

Tout. 

marcia,  soupirant. 

Hélas  !  quoi  qu'en  dise  Mphé,  voilà  le  véritable  malheur.  Cli- 
nias, vous  avez  tendrement  soigné  et  fidèlement  servi  Marcius, 
mon  père  et  votre  maître.  Vous  devez  être  récompensé! 

CLIAIAS. 

Je  devais  servir  fidèlement  mon  maître...  je  devais  soigner 
tendrement  votre  père...  J'ai  fait  mon  devoir,  voilà  tout. 

MARCIA. 

Que  voulez-vous  que  je  vous  donne,  Clinias  ? 

CLINIAS. 

Un  esclave  n'a  besoin  de  rien. 

MARCIA. 

Le  descendant  d'une  race  illustre  ne  doit  point  parler  comme 
un  esclave  ;  votre  aïeul  avait  été  archoute.  m'a  dit  souvent  mon 
père.  Demandez,  et  votre  demande  vous  sera  accordée. 

CLINIAS. 

Eh  bien  !  restez  dans  la  maison  de  votre  père,  et  gardez-moi 
près  de  vous. 

MARCIA. 

Pauvre  Clinias  !  tu  me  demandes  la  seule  chose  qu'il  me  soit 
impossible  de  t'accorder!  Je  ne  suis  plus  au  monde,  je  suis  à 
Vesta. 


PROLOGUE,  TABLEAU  I.  15 

CLINIAS. 

Alors,  je  ne  demande  plus  rien. 

MARCIA. 

Pas  même  d'être  libre  ? 

CLINIAS. 

Libre  de  quoi  ? 

MARCIA. 

De  retourner  dans  ta  patrie. 

CLINIAS. 

Dans  ma  patrie,  où  j'ai  vu  tuer  le  même  jour  mon  père  et  ma 
aère...  où  les  pieds  des  chevaux  romains  ont  dispersé  1rs  oen- 
ires  de  mes  ancêtres...  où  je  ne  retrouverais  plus  même  les 
uines  de  ma  maison  '....  Non,  j'ai  deux  patries  comme  tous  ceux 
[ni  n'en  ont  plus;  l'une  est  devenue  un  désert .  l'autre  est  la 
naison  de  Marcius ,  qui  va  devenir  un  désert  aussi.  Marcius 
vait  été  bon  pour  moi,  il  me  plaignait,  il  me  consolait...  Vous 
jtiez  la  fille  de  Marcius,  la  reine  de  cette  maison...  Marcius  est 
nort,  vous  partoz...  De  mes  deux  patries,  comme  je  vous  le  di- 
sais, pas  une  ne  me  reste...  Faites-moi  conduire  au  marché, 
aites-moi  vendre  à  un  autre  maître...  il  commandera.  ôl  m'é- 
pargnera de  penser...  et  si  j'oublie  d'obéir,  eh  bien  !  il  me  tuera, 
ît  m'épargnera  de  vivre. 

MARCIA. 

Nul  ne  vous  commandera ,  nul  ne  vous  touchera  désormais; 
*renez  ici,  Clinias. 

Mo  voici  ! 


CLINIAS. 
MARCIA. 
C  LIMAS. 


A  genoux... 
J'obéis. 

MARCIA. 

En  vertu  du  droit  qui  m'a  été  rendu  de  faire  mon  testament, 
e  vous  constitue  mon  héritier ,  Clinias ,  et  par  conséquent  je 
fous  fais  libre. 

CLINIAS. 

Moi,  votre  héritier... 

acjA. 

Accepte/,  faites-moi  celte  grâce...  vous  savez  que  je  puis 
y  forcer. 

CLINIAS. 

Ordonnez... 

MARCIA. 

Vous  donnerez  la  moitié  de  l'argent,  la  moitié  des  terres,  la 


16  CATILÏNA. 

moitié  des  vignes,  la  moitié  des  bois  à  mon  oncle  Marcius  Né- 
pos...  Vous  partagerez  le  reste  entre  vous  etNiphé...  Cette  mai- 
son est  à  vous.  La  métairie  de  Fésules  est  à  elle.  Si  elle  meurt 
avant  vous  et  sans  faire  de  testament,  vous  hériterez  d'elle  ;  si 
vous  mourez  avant  elle  et  sans  faire  de  testament,  elle  héritera 
de  vous.  Voici  Panneau  de  mon  père  en  signe  que  vous  êtes  mon 
héritier.  (Elle  lui  donne  un  petit  soufflet  sur  la  joue.)  Levez-vous, 
Clinias,  vous  êtes  libre... 

clinias  prend  Vanneau,  le  passe  à  son  doigt,  se  détourne  et  le 
baise. 

NIPHÉ. 

Eh  bien  ! 

MARCIA. 

Me  voici. 

NIPHÉ. 

Pars. 
marcia.  (Elle  va  près  de  la  table,  Clinias  de  Vautre  coté.) 

Tu  as  raison,  rien  ne  m'arrête  plus  ici.  Je  romps  ce  gâteau 
avec  la  douleur  de  ne  pouvoir  le  partager  avec  vous,  mais  Vesta 
le  défend.  Associez-vous  donc  du  cœur  à  mon  dernier  repas.  Je 
lève  cette  coupe  et  je  bois  a  vous.  (Elle  boit.  —  On  revient  des 
funérailles.  —  Entrée  de  quelques  parents.)  Niphé,  voici  nos  pa- 
rents et  nos  amis  qui  rentrent  ;  introduis-les  dans  la  salle  du  fes- 
tin, et  fais-leur  mes  remerciements.  Puis  tu  reviendras  me  cher- 
cher et  tu  me  conduiras  jusqu'au  temple. 

NIPHÉ. 

A  pied  ? 

MARCIA. 

Non  ;  le  char  de  la  grande  prêtresse  doit  m'attendre  à  la  pe- 
tite porte  avec  le  licteur. 

NIPHÉ. 

J'y  vais  et  je  reviens...  Mais  toi...  pendant  ce  temps... 

MARCIA. 

Je  reprends  mes  habits  de  vestale. 

NIPHÉ. 

Tu  me  promets  de  ne  point  sortir  sans  moi? 

MARCIA. 

Je  te  le  promets.  (Niphé  serre  les  mains  de  Marcia,  sort,  et 
ferme  les  rideaux.) 

SCÈNE  VI. 

Les  Mêmes,  moins  MPHE. 

MARCIA. 

Clinias,  voyez  si  le  char  est  à  la  petite  porte  ;  s'il  n'était  point 
arrivé,  allez  au-devant,  et  pressez  les  chevaux. 


PROLOGUE,  TABLEAU  I.  17 

CLINIAS. 

Je  vous  verrai  encore  une  fois,  n'est-ce  pas  ? 

MARCIA. 

Vous  accompagnerez  le  char  jusqu'à  la  porte  du  collège... 
Allez,  Clinias,  allez. 

CLINIAS. 

J'obéis.  (//  sort.) 

SCENE  VII. 

MARCIA,: seule. 

C'est  étrange...  qu'ai-je  donc  ?  11  me  semble  que  mes  yeux  se 
voilent,  que  mes  genoux  fléchissent  sous  moi...  C'est  Niphé  et 
sa  folie...  (Elle  fait  quelques  pas.)  De  noires  vapeurs  pressent 
mon  front...  Dieux  bons,  que  m'arrive-t-il...  Ah!  je  ne  me 
croyais  pas  si  faible...  A  moi,  Niphé  !  à  moi,  Clinias  !  h  moi  !  à 
moi!  (Sa  voix  s'éteint,  la  porte  s'ouvre;  Vhomme  à  la  tunique 
brune  sort,  enlève  Marcia,  la  porte  dans  sa  chambre  et  referme  la 
porte  juste  au  moment  où  \  ipb.ë  rentre  par  le  fond,  Clinias  par 
le  côté.) 

SCÈNE  VIII. 

CLINIAS,  NIPHÉ. 

NIPHÉ. 


Clinias! 
Niphé  ! 
Es-tu  déjà  de  retour? 


CLINIAS. 
NIPHÉ. 


CLINIAS. 

Non;il  m'a  semblé  seulement  que  Marcia  m'appelait.  Je  n'a- 
vais pas  encore  quitté  la  chambre  voisine,  je  suis  rentré. 

NIPHÉ. 

Moi  aussi,  j'ai  cru  entendre  sa  voix. 

CLINIAS. 

Nous  nous  sommes  trompés  sans  doute.  Tout  est  calme,  tout 
est  solitaire. 

NIPHÉ. 

N'as-tu  rien  vu  d'extraordinaire  dans  la  maison? 

CLINIAS. 

Rien. 

NIPHÉ. 

Pas  d'étrangers  suspects  ? 


18  CATIL1NA. 

CLINIAS. 

Aucun. 

NIPHÉ. 

L'orfraie!  entends-tu  l'orfraie? 

CLINIAS. 

C'est  l'oiseau  de  la  mort  !  et  il  y  a  une  heure  la  mort  était  en- 
core ici,  dans  cette  maison. 

NIPHÉ. 

Où  as-tu  quitté  Marcia  ? 

CLINIAS. 

Ici. 

NIPHÉ. 

Quand  cela? 

CLINIAS. 

A  l'instant  même. 

NIPHÉ. 

Elle  t'avait  donné  un  ordre  ? 

CLINIAS. 

Celui  d'aller  voir  si  le  char  était  arrivé. 

NIPHÉ. 

Va  et  reviens. 

CLINIAS. 

Comme  l'éclair.  (Il  sort  par  le  fond.) 

SCENE  XX. 

NIPHÉ,  MARCIA. 

NIPHÉ. 

Marcia!...  Marcia!...  tu  es  dans  ta  chambre,  n'est-ce  pas? 
réponds-moi.  (Elle  veut  ouvrir.)  Marcia,  pourquoi  es-tu  enfer- 
mée? Marcia,  réponds-moi...  Marcia!... 

marcia,  de  sa  cliambre. 
Ah! 

NIPHÉ. 

C'est  sa  voix...  elle  a  poussé  un  cri.  (Secouant  la  porte.)  A 
l'aide...  au  secours... 

SCENE  X. 

NIPHÉ,  L'INCONNU,  sortant  de  la  chambre. 
l'inconnu. 

Silence! 


PROLOGUE,  TABLEAU  1.  19 

N1PHÉ. 

Un  homme  dans  le  gynécée...  profanation! 

l'inconnu. 
La  vieille  Xiphé...  l'Argus  thessalien...  place,  place! 

NIPHÉ. 

Qu'as-tu  fait,  misérable?  (Elle  le  prend  à  la  gorge.) 

l'inconnu. 
Place! 

NIPHÉ. 

Non;  tu  ne  fuiras  point.  A  l'aide!  au  secours  ! 

l'inconnu. 
Ne  crie  pas. 

NIPHÉ. 

C'est  toi  qui  es  le  malheur,  c'est  toi  qui  es  le  crime.  (Lui  dé- 
couvrant le  visage.)  C'est  toi  qui  es  Lucius  Sergius  Catilina. 
catilina. 
Oh!  malheur  a  toi  puisque  tu  sais  mon  nom  ! 

XIPHÉ. 

Catilina!...  Catilina!...  au  secours. 

catilina. 
Te  tairas-tu  ? 

NIPHÉ. 

Catilina!...  Catilina!...  Catilina!... 

catilina,  la  frappant  de  son  poignard. 
Eh!  bien  alors... 

NIPHÉ. 

Ah  !  (Elle  chancelle.) 

CATILINA. 

Lâche-moi. 

NIPHÉ. 

Oui,  je  te  lâcherai,  car  la  mort  ouvre  ma  main.  Mais  si  tu 
échappes  a  la  justice  des  hommes,  tu  n'échapperas  pas  à  la  ven- 
geance des  dieux. 

CATILINA. 

Soit.  C'est  une  affaire  entre  Némésis  et  moi.  Me  lâcheras-tu  ? 
niphé,  se  soulevant. 

Catilina,  tu  as  semé  le  sang  criminel,  tu  as  versé  le  sang  in- 
nocent :  par  un  crime  tu  as  donné  la  mort,  par  un  crime  lu  as 
donné  la  vie.  Catilina,  tout  ce  que  l'avenir  te  garde  de  malheurs 
sortira  de  cette  nuit...  Catilina,  gare  au  fils  de  la  vestale.  \Elle 
tombe.) 

CATILINA. 

Garo  au  fils  de  la  vestale?...  une  vestale  no  devient  pas  mère, 


20  CATILLNA. 

ou  lorsqu'elle  devient  mère  on  l'enterre  avec  son  enfant!...  le 
fils  de  la  vestale  n'est  donc  pas  à  craindre  pour  moi.  Quant  au 
sang  innocent  ou  coupable,  celui  qui  l'a  versé  n'a  qu'à  s'appro- 
cher d'une  fontaine  comme  je  le  lais,  l'eau  lave  le  sang.  (Il  se 
lave  les  mains  à  la  fontaine.  _Y fuit profonde.) 

SCENE  XI. 

CATILINA,  à  la  fontaine,  NIPHÉ,  mourante,  CLYSIXS,  entrant. 
clinias,  du  fond. 
Oh!  cette  fois,  je  ne  me  suis  pas  trompé...  cette  fois  j'ai  en- 
tendu un  cri  de  détresse.  C'était  la  voix  de  Niphé.  (Heurtant  le 
cadavre.)  Niphé!...  (Il  cherche  à  la  soulever.) 

NIPHÉ. 

Ah  ! 

CATILINA. 

Elle  n'est  pas  morte!... 

NIPHÉ. 

Clinias... 

CATILINA. 

Oh  !...  si  elle  dit  mon  nom,  il  faut  que  je  les  tue  tous  deux. 

clinias,  à  JYiphé. 
L'assassin!...  comment  s'appelle  l'assassin?... 

NIPHÉ. 

C'est...  c'est...  ah  !...  (Elle  expire.) 

CATILINA. 

Inutile  alors...  (Il  fuit.) 
clinias,  apercevant  Catilina  sur  qui  tombe  un  reflet  de  la  lampe 
de  V atrium. 
Je  ne  sais  pas  ton  nom,  mais  je  t'ai  vu... 


ACTE  I. 


DEUXIEME  TABLEAU. 

Le  Champ  de  Mars.  Au  troisième  plan  à  droite,  une  maison  ;  en  face  de  la 
maison,  le  Tibre  faisant  le  coude. —  Au  fond,  le  mur  et  la  porte  Flami- 
nia,  —  A  gauche,  le  tombeau  de  Sylla  ombragé  par  un  grand  pin  et  par 
un  groupe  de  cyprès. 

Au  lever  du  rideau,  des  jeunes  gens  dans  l'espace  compris  à  droite 
s'exercent  à    la  lutte,  au  saut,  au  disque,  à  la  balle  ;  c'est  un  collège 


ACTE  I,  TABLEAU  II.  21 

de   patriciens.  —  A  gauche  est  un  groupe  de  trois  personnes   couchées 
au  pied  du  tombeau  de  Sylla. 

SCENE  I. 

VOLENS,  CICADA,  GORGO,  LE  PÉDAGOGUE. 

LE  PÉDAGOGUE. 

Allons,  la  dixième  heure  est  criée.  Assez  de  récréations  comme 
cela.  Formez-vous  deux  par  deux  et  rentrons  a  la  maison. 

CICADA. 

Bon,  et  le  Tibre ,  on  ne  lui  dit  donc  pas  deux  mots  aujourd'hui  ? 
nous  ne  faisons  pas  un  peu  comme  cela?  {Il  imite  un  homme  qui 
nage.) 

LES  ENFANTS. 

En  effet,  on  nous  avait  promis  le  bain  pour  aujourd'hui. 

LE  PÉDAGOGUE. 

Ce  sera  pour  demain  ;  à  vos  rangs. 

CICADA. 

Et  quand  on  pense  que  nous  sommes  dans  un  pays  libre ,  et 
qu'on  force  des  citoyens  romains  à  obéir  à  un  méchant  péda- 
gogue grec,  qu'on  en  vend  de  pareils  au  marché  pour  cinquante 
sesterces. 

GORGO. 

Tais-toi,  Cicada. 

LE   PÉDAGOGUE. 

Apprends,  drôle,  qu'on  ne  se  baigne  pas  après  avoir  travaillé 
comme  viennent  de  le  faire  ces  jeunes  seigneurs. 

CICADA. 

C'est  cela,  ces  jeunes  seigneurs,  en  voilà  un  travail  qu'ils  ont 
fait.  Bon  ,  je  me  souviendrai  de  cela.  Jouer  à  la  balle,  lancer  le 
disque ,  se  donner  des  crocs-en-jambe ,  cela  s'appelle  travailler. 

LE  PÉDAGOGUE. 

Et  ce  que  tu  fais  là  ,  vautré  comme  un  fine  sur  le  foin  ,  com- 
ment cela  s'appelle- t-il? 

CICADA. 

Cela  s'appelle  se  reposer.  Tiens,  pourquoi  donc  que  je  travail- 
lerais, moi?  est-ce  que  je  suis  patricien?  est-ce  que  je  suis  che- 
valier? est-ce  que  je  suis  noble?  c'est  bon  pour  ces  paresseux-là, 
qui  ont  le  temps  de  suer  toute  la  journée.  Eh  bien,  cela  m'est 
encore  égal  que  les  jeunes  seigneurs  n'aillent  pas  à  l'eau;  mais 
je  veux  que  le  pédagogue  y  aille,  à  l'eau  ;  le  maître  d'école  à  l'eau. 

GORGO. 

Prends  garde,  c'est  le  pédagogue  qui  instruit  les  enfants  des 
sénateurs,  il  appellera  son  esclave  et  tu  te  feras  rosser,  la  Cigale 


2-  CATILL\A. 

CICADA. 

Rosser,  moi  !  allons  donc,  un  citoyen  rormin  '  in  ™„,i    •  v- 
vo>r  un  peu  cela.  A  l'eau  le^ahre^~  éaul  °UdmsbKn 

TOUS. 

Oui ,  à  l'eau ,  à  l'eau  ! 

LE  PÉDAGOGIE. 

Holà  î  Castor. 

t\\  esclave  xom,  accourt  avec  son  fouet 
Me  voilà  ! 

LE  PÉDAGOGUE. 

Attrappe-moi  ce  drôle. 

CICADA. 

Et  des  jambes  ? 

LE  PÉDAGOGUE. 

Allons ,  courage  !  il  y  a  cinq  sesterces  pour  toi,  Castor. 

CICADA. 

C'est  pour  tout  de  bon? 

LE  XOIR. 

Tu  vas  voir.  (Course  dans  le  Champ  de  Mars.  Cicada  emploie 
toutes  ses  ressources  pour  échapper,  et  faut  par  être  pris.) 
cicada,  avant  qu'on  lui  ait  rien  fait. 
On!  là,  là.  Oh!  là,  là! 

v.'Lexs.  vieux  soldats* éveillant 
Qu'y  a-t-il? 

CICADA. 

Au  secours  !  au  secours  ! 

volers,  se  levant  à  demi. 
Esfc-œ  qu'on  ne  va  pas  me  laisser  dormir  un  peu  tranquille? 

CICADA. 

A  moi,  le  vieux,  à  moi  ! 

v  volexs. 

>  eux- tu  lâcher  cet  enfant,  face  de  charbon  ! 

v  CICADA. 

\  eux-tu  me  lâcher  !  A  moi,  Volens,  à  moi  ! 

volexs,  se  soulevant. 
Attends. 

gorgo,  le  retenant.  * 

Prends  garde! 

VOLEXS. 

A  quoi  ? 

GORGO. 

Prends  garde  h  ce  géant,  qui  t'assommera  d'un  coup  de  poin*. 


ACTE  I,  TABLEAU  IL  23 

VOLENS. 

Bah!  j'en  ai  vu  des  Africains  en  Afrique,  et  de  près,  je  m'en 
vante. 

GORGO. 

Oui,  mais  tu  avais  vingt  ans  de  moins. 

VOLENS. 

C'est  vrai. 

GORGO. 

Et  puis,  il  a  tort,  le  petit. 

VALENT 

11  a  tort,  c'est  autre  chose...  Il  paraît  que  tu  as  tort,  la  Cigale, 
tire-toi  de  là  comme  tu  pourras. 

CICALA. 

Comment  !  tu  m'abandonnes...  c'est  bien  la  peine  de  s'appeler 
Volens...  Comment!  vous  m'abandonnez?  Poltrons,  au  secours! 
on  m'étrangle!... 

LE  NOIR. 

Qu'en  faut-il  faire? 

LE  PÉDAGOGUE. 

Puisqu'il  aime  tant  le  ïibre,  fais-lui  prendre  un  bain. 

CICADA. 

Au  secours!...  au  secours!...  on  me  noie!... 
volens,  faisant  un  mouvement. 
Cependant... 

GORGO. 

Il  sait  nager,  sois  donc  tranquille. 

le  noir  ,  jetant  Cicada  dans  le  Tibre. 
Bon  bain,  citoyen  Romain...  bon  bain. 

cicada,  dans  le  Tibre. 
Ohé!  les  sénateurs!...  Ohé!  les  bandes  de  pourpre!...  Ohé  ! 
les  laticlaves!  les  noirs!  les  pédagogues  !  les  Africains  !... 
volens,  avec  mélancolie. 
C'est  égal!  ce  n'est  pas  de  ton  temps,  mon  vieux  Cornélius 
Sylla,  qu'un  de  tes  vétérans  eût  été  obligé  de  reculer  devant  un 
esclave. 

cicada. 
Ni  que  cet  esclave  eût  jeté  à  l'eau  un  citoyen  Romain,  n'est-ce 
pas,  père  Volens? 

GORGO,  puis  TOUS. 

L'eau  était-elle  bonne? 

CICADA. 

Allez  vous-en  jouer,  vous  autres...  Brrrou...  un  pou  de  soleil, 
s'il  vous  plaît  !...  Je  suis  comme  Diogène...  Un  peu  de  soleil,,. 
Merci.  Gorgo.  (Il  se  met  au  soi- 


24  CÀTILES'A. 

VOLENS. 

Mais  patience,  voilà  les  élections  qui  arrivent,  on  va  nommer 
les  consuls.  Tel  nous  dédaigne  aujourd'hui  comme  des  mendiants, 
et  prétend  que  nous  devons  travailler  si  nous  voulons  vivre... 
qui  viendra  demain  nous  baiser  les  pieds  pour  avoir  notre  voix. 

GORGO. 

Alors  nous  leur  dirons  :  Nous  ne  sommes  pas  des  hommes... 
nous  sommes  des  machines  à  élections.  Voulez-vous  être  élus? 
graissez  les  machines. 

C1CADA. 

Tu  vends  ta  voix,  toi,  Gorgo  ? 

GORGO. 

Je  crois  bien,  c'est  le  plus  clair  du  revenu  du  citoyen  romain 
que  sa  voix...  N'est-ce  pas,  Volons? 

VOLENS. 

Nous  n'avons  plus  Sylla  pour  nous  enrichir...  il  faut  bien  plu- 
mer ce  qui  nous  tombe  sous  la  main.  Nous  plumons  les  candi- 
dats... un  tas  de  pies  et  un  tas  de  geais...  la  monnaie  d'un  aigle. 

CICADA. 

Peuh  !  Je  ne  suis  pas  fâché  que  Sylla  soit  où  il  est,  moi... 

VALENS. 

Comment  !  malheureux  !.,. 

CICADA. 

Mais  laissez-moi  donc  finir,  vieux  brave.  Voilà  ce  que  je  veux 
dire  :  Si  Sylla  vivait,  il  ne  serait  pas  mort  ;  s'il  n'était  par  mort, 
il  ne  serait  pas  enterré  ;  et  s'il  n'était  pas  enterré,  nous  n'aurions 
pas  cette  belle  ombre  fraîche  et  noire...  que  fait  son  tombeau  au 
Champ  de  Mars...  de  la  huitième  à  la  douzième  heure.  C'est  si 
bon,  l'ombre...  quand  il  y  a  du  soleil. 

VOLENS. 

Tais-toi,  Cicada. ..  et  cependant  tu  as  raison...  De  Sylla,  de 
ses  victoires,  de  ses  bienfaits...  il  ne  nous  reste  qu'un  peu  d'om- 
bre fraîche  l'après-midi. 

CICADA. 

Ainsi  passe  la  gloire...  comme  aurait  pu  dire  le  pédagogue 
qu'on  aurait  pu  me  donner.  Est-ce  que  je  l'ai  connu,  moi,  Sylla? 

VOLENS. 

Quel  âge  as-tu? 

CICADA. 

J'aurai  seize  ans  aux  prochains  consuls,  dans  deux  jours. 

VOLENS. 

Tu  es  né  justement  l'année  où  son  accès  le  prit...  et  où  il 
mourut, 


ACTE  I,  TABLEAU  II.  2> 

CICADA. 

Son  accès  ou  son  abcès...  Ma  mère  m'a  toujours  dit  que  feu 
Sylla... 

VOLENS. 

Ta  mère  élait  une  Marius...  et  comme  toutes  ces  coquines-là, 
elle  dénigre  notre  dictateur. 

GORGO. 

Dites  donc?  dites  donc,  père  VoLensV  moi  aussi  j'en  suis  des 
Marius.  N'en  dites  donc  pas  de  mal...  Marius,  voyez-vous,  c'é- 
tait un  fier  homme. 

VOLENS. 

Pas  de  comparaison...  il  s'en  faut  au  moins  des  deux  tiers 
que  Marius  ait  tué  autant  que  Sylla. 

GORGO. 

Eh  !  eh  !  il  en  a  tué  pas  mal  aussi,  lui. 

VALENS. 

Et  les  distributions,  donc  !  Est-ce  que  Marius  a  jamais  donné 
comme  donnait  l'autre  ?...  Voyons,  toi  qui  étais  puur  lui,  fa-t-il 
jamais  fait  cadeau  d'une  maison  de  ville  et  de  deux  maisons  d<; 
campagne  ? 

GORGO. 

Non,  je  l'avoue. 

volens,  s' asseyant 
Eh  bien,  Sylla  m'a  donné  cela  a  moi. 

CICADA. 

Vous  avez  trois  maisons,  vous,  père  Volons? 

VOLENS. 

Je  les  ai  eues. 

CICADA. 

Les  propriétaires  de  vos  maisons  devaient  être  joliment 
dites  donc? 

VOLENS. 

Non;  quand  Sylla  donnait  la  maison,  le  propriétaire  n'avait 
plus  le  droit  de  se  plaindre...  on  lui  avait  coupé...  la  parole. 

GORGO. 

On  appelle  cela  la  guerre  civile,  Cicada. 

CICADA. 

Tous  les  combien  cela  revient-il,  les  guerres  civiles?  En  a-t-on 
chacun  une  dans  sa  vie  ? 

VOLENS. 

J'en  ai  eu  quatre,  moi,  et  j'espère  bien,  quoi  que  fasse  le  pois 
chiche,  que  j'en  aurai  encore  une  ou  deux. 

CICAUV. 

Dis  donc  Gorgo,  qu'est-ce  que  c'est  que  le  pois  chiche  ? 


26  CATILINA. 

GORGO. 

Eh!  tu  le  sais  bien,  c'est  ce  méchant  avocat  d'Arpinum,  qui 
dit  toujours  :  sénateurs,  la  justice  ;  sénateurs,  l'ordre. 

CICADA. 

Ah!  oui,  Cicéron,  je  l'ai  entendu  une  fois  parler  trois  heures 
de  suite. 

GORGO. 

Tu  en  as  eu  du  courage,  toi. 

CICADA. 

Je  m'étais  endormi  au  commencement  de  son  discours.  Je 
ne  me  suis  réveillé  qu'à  la  fin  ;  il  avait  parlé  trois  heures,  j'ai  vu 
cela  au  soleil.  Eh  bien  !  père  Volens,  si  le  pois  chiche,  comme 
vous  dites,  est  démoli,  si  j'ai  la  chance  d'une  guerre  civile,  savez- 
vous  ce  que  je  demanderai,  moi?  Je  ne  suis  pas  ambitieux. 

VOLENS. 

Que  demanderas- tu? 

CICADA. 

Je  demanderai  cette  maison  qui  est  là  sous  les  arbres.  Elle  me 
plaît,  elle  est  postée  au  coin  de  la  voie  Flaminia  qui  mène  à  la 
campagne.  Elle  a  vue  sur  le  Tibre,  elle  donne  sur  le  Champ  do 
Mars,  je  la  retiens. 

vôlens,  fronçant  le  sourcil. 

Cette  maison... 

CICADA. 

Eh  bien  !  qu'y  a-t-il?  est-ce  que  vous  en  voulez  aussi  de  celte 
maison?  mais  vous  les  voulez  donc  toutes,  alors? 

VOLEXS. 

Non,  je  n'en  veux  pas. 

CICADA. 

Bon,  vous  voulez  déjà  me  dégoûter  de  ma  propriété. 

VALEXS. 

Maudite  pour  moi,  je  m'entends.  C'est  dans  cette  maison  que 
mon  pauvre  général  a  ressenti  les  premières  atteintes  du  mal 
dont  il  est  mort  :  il  y  a  seize  ans  aujourd'hui. 

CICADA. 

Et  que  venait-il  faire  dans  cette  maison? 

VOLENS. 

Il  venait  à  l'enterrement  du  père  de  cette  vestale  qui  fut  con- 
damnée par  Cassius  Longinus  pour  être  devenue  mère. 

GORGO. 

Marcia?  je  l'ai  vu  enterrer  vive. 
VOLENS. 
Fh  bien  !  c'était  la  fille  du  tribun  Mercùr 


ACTE  I,  TABLEAU  IL  27 

CICADA. 

Raison  de  plus  ;  je  ne  serais  pas  fâché  d'avoir  la  maison  d'une 
vestale,  moi. 

VOLENS. 

Soit,  au  premier  mouvement  viens  me  trouver,  je  te  ferai 
travailler  et  tu  gagneras  la  maison.  {On  ouvre  la  porte.) 

CICADA. 

Tiens,  il  paraît  qu'elle  est  habitée  ma  maison.  (Entrée  de  Cha- 
rinas.) 

SCENE  n. 

Les  Mêmes,  CLINIAS,  sortant  de  la  maison,  puis  CHARINUS, 

puis  MARC1A,  puis  SYRUS. 

'   marcia.  {Longue  stole,  visage  presque  voilé.) 

Mon  fils,  voici  la  couronne. 
charinus,  s'avance  seul  vers  le  tombeau.  Il  accroche  la  couronne  à 
l'un  des  angles  et  s'incline. 

Divin  Cornélius,  bienfaiteur  de  ma  famille,  reçois  cette  cou- 
ronne funèbre,  que  tous  les  ans  à  pareil  jour  je  viens  déposer 
sur  ton  tombeau.  Tu  sais,  divin  Sylla,  qu'à  l'époque  où  j'étais 
éloigné  de  Rome,  que  même  au  temps  où  j'habitais  Athènes  avec 
mon  père  Clinias,  je  m'associais  par  la  prière  à  cette  pieuse 
offrande  que  ma  mère  alors  te  vouait  à  ma  place.  Je  suis  de 
retour,  divin  Sylla,  j'ai  visité  les  champs  de  bataille  d'Orchomène 
et  de  Chéronée,  où  combattit  près  de  toi  mon  aïeul  Marcius,  et 
je  viens  te  dire  :  Du  séjour  des  ombres  où  tu  résides  avec  les 
héros  et  les  dieur,  voille  sur  nous,  divin  Sylla.  {Il  suspend  la 
couronne  à  l'un  des  onglet  du  tombeau.) 

VOLEN>. 

Bien,  jeune  homme,  très-bien.  La  Cigale,  choisis  une  autre 
maison,  car  tu  n'auras  pas  celle  de  cet  enfant. 

CICADA. 

Allons  bon  !  il  faut  déjà  que  je  déménage. 

MARCIA. 

Allez,  Clinias,  je  vous  recommande  Charinus. 

CLINIAS. 

N'est-ce  pas  mon  fil?,  Marcia  ? 

CHARINUS. 

Me  voici,   mon  père.    {Pendant  ce  temps  trois  homm>~ 
entrés  en   scène,  et  après  avoir  marché  de  long  en  large  se  sont 
arrêtés  près  d'un  banc.) 

CLINIAS. 

Regarde  ces  trois  hommes,  Charinus,  et  salue.  L'un  c'est  la 
vertu,  l'autre  c'est  la  richesse,  le  troisième  c'est  l'éloquence. 


28  CATILINA. 

CHARIOTS. 

Et  ils  s'appellent? 

c  LIMAS. 

Caton,  Lucullus,  Cicéron.  Viens,  mon  fils.  (Ils  sortent,  Marcia 
les  salue  de  la  main  tant  qu'elle  peut  les  voir,  puis  elle  rentre  et 
ferme  la  porte.  Caton,  Lucullus  et  Cicéron  s'asseyent.  Un  homme 
entre  et  se  couche  à  quelques  pas  d'eux  au  pied  d'un  arbre.) 

SCENE  III. 

Les  Mêmes,  plus  CATON,  LUCULLUS  el  CICÉRON  assis. 

volens,  se  penchant  pour  regarder  les  nouveaux  venus. 
Caton,  ils  appellent  cela  la  vertu  !  un  brigand  qui  nous  traite 
d'assassins  parce  que  nous  coupions  des  têtes  du  temps  de  Sylla! 
Mais,  imbéciles,  si  nous  coupions  des  têtes,  c'est  que  cela  nous  rap- 
portait quelque  chose;  on  vivait  dans  ce  temps-là,  tandis  qu'au- 
jourd'hui l'on  vivote. 

GORGO. 

Caton  qui  fait  le  sobre  pour  avoir  le  droit  d'être  avare,  qui  se 
nourrit  de  raves  pour  avoir  le  droit  de  nous  laisser  mourir  de 
faim,  qui  se  donne  l'ennui  d'être  vertueux  pour  avoir  le  plaisir 
de  reprocher  leurs  vices  aux  autres.  Par  Jupiter,  j'aime  encore 
mieux  Lucullus,  il  a  volé  celui-là,  c'est  vrai,  et  beaucoup  même, 
mais  pas  à  Rome,  en  province.  (Un  homme  entre  à  gauche,  parle 
à  Cicéron  et  sort.) 

CICADA. 

Et  puis  ce  qu'il  a  volé,  ça  profite  au  moins;  on  dîne  chez  lui,  et 
grassement. 

GORGO. 

Est-ce  que  c'est  là  que  tu  te  nourris,  Cicada? 

CICADA. 

Ma  foi  oui,  c'est  près  de  la  porte  Salutaire,  où  je  demeure. 

GORGO. 

Tu  demeures  donc,  toi  ? 

CICADA. 

Oui,  au  pied  d'une  colonne,  sous  le  portique  d'Ancus  Martius; 
ça  fait  que  je  vois  de  temps  en  temps  son  descendant  Julius  Cé- 
sar. Je  crie  vive  le  noble  Julius  César,  descendant  d'Ancus  Mar- 
tius... ça  le  flatte  et  il  me  donne  des  sesterces...  c'est  pour  jouer 
aux  noix...  Connais-tu  Julius  César,  toi? 

GORGO. 

Si  je  le  connais!...  je  suis  son  client. 

CICADA. 

On  est  bien  nourri  chez  lui? 


ACTE  I,  TABLEAU  IL  29 

GORGO. 

Regarde-moi...  ai-je  l'air  d'un  homme  qui  jeune...  Et  vous, 
Volens,  chez  qui  mangez-vous? 

volens,  secouant  la  tête. 

Oh!  moi...  je  mange  à  une  cuisine  qui  se  refroidit  de  jour  en 
jour.  C'était  cependant  une  belle  marmite...  à  moitié  renver- 
sée ..  c'est  dommage. 

GORGO. 

De  quelle  marmite  parles-tu  ? 

VOLENS. 

De  celle  d'un  riche  ruiné,  d'un  patricien  h  sec...  de  la  mar- 
mite |de  Lucius  Sergius  Catilina,  mes  enfants...  C'était  là  une 
cuisine...  j'y  vais  encore  par  reconnaissance...  Et  puis  de  temps 
en  temps,  il  faut  le  dire,  on  y  attrape  de  bons  morceaux...  Je 
devine  le  moment,  j'arrive  et  je  dis  :  Me  voilà...  L'autre  jour  il 
y  a  eu  festin...  Il  avait  fait  faire  une  grande  charse  dans  les 
Apennins  par  ses  pâtres...  On  a  envoyé  douze  chevreuils,  cent 
lièvres,  cinq  cents  perdrix...  un  dîner  de  gibier...  Et  quel  vin, 
mes  enfants...  Il  n'y  a  qu'un  homme  ruiné  pour  donner  de  pa- 
reils repas  avec  un  vin  si  vieux. 

GOi'.GO. 

Oui...  c'est  quand  il  vide  le  fond  du  sac  cela...  mais  quand  lr 
sac  est  vide... 

VOLENS. 

Ah!  cesjours-là  on  voit  venir  le  pauvre  seigneur.  Il  est  défrisé... 
il  est  pâle...  il  prend  ses  airs  gracieux...  Mes  enfants,  dit-il,  excusez 
Lucius  Catilina  ;  les  créanciers  ont  tordu  le  cou  à  sa  dernière 
poule.  Aujourd'hui  les  croûtes  seront  dures...  mais  soyez  tran- 
quilles; d'ici  à  demain,  je  tâcherai  d'empaumer  quelque  imbé- 
cile, et  nous  aurons  un  festin  royal,  un  festin  de  satrape,  comme 
il  convient  à  de  dignes  Koniaius  tels  que  vous.  Seulement  n'ou- 
bliez pas  que  si  de  temps  en  temps  nous  jeûnons,  c'est  la  faute  do 
sept  ou  huit  gloutons  qui  dévorent  la  république.  Là-dessus, 
comme  c'est  la  vérité,  on  rit,  on  remercie  le  patron,  et  l'on  so 
serre  le  ventre. 

CICADA. 

Bon...  mais  le  lendemain  ? 

VOLENS. 

Quand  Catilina  a  promis,  c'est  comme  si  l'on  tenait.  Quand  il 
a  il  donne. 

CICADA,  GORGO. 

Quand  il  n'a  pas? 

VOf.EN-. 

Quand  il  n'a  pas  il  prend...  De  toute  façon,  vous  voyez  bien 
il  tient  sa  promesse.  Oh!  c'est  un  Romain  celui-là,  et  le  jour  où 


30  CATILÏNA. 

il  sera  consul,  le  vrai  peuple  sera  heureux.  (  Cicéron  se  lève  et 
regarde  l'esclave  couché.) 

GORGO. 

Consul,  Calilina... 

VOLENS. 

Pourquoi  pas?..  Qu'a-t-il  donc  fait  pour  n'être  pas  consul? 
Est-ce  parce  qu'il  a  une  mauvaise  réputation?  Qu'est-ce  que  ça 
prouve?  Caton  en  a  bien  une  bonne. 

CICADA. 

C'est  moi  qui  voterai  pour  Calilina  quand  j'aurai  l'âge. 

cicéron,  se  levant. 
Je  crois  que  cet  homme  couché  sur  ce  banc  et  qui  fait  sem- 
blant de  dormir  nous  écoute...  Venez  ailleurs. 

LUCULLUS. 

Soit...  quoique  nous  ne  disions  rien  qui  ne  puisse  se  dire. 

CICÉRON. 

Ce  qui  peut  se  dire,  Lucullus,  ne  peut  pas  toujours  s'enten- 
dre. (Jpcrccvant  Gorgo,  Cicadact  ralcns.)  Bon,  en  voilà  d'au- 
tres par  ici. 

CATON. 

Laissez-moi  les  chasser,  ce  sont  des  paresseux.  Quand  on 
pense  que  la  république  distribue  tous  les  matins  vingt  sers- 
terces  et  une  mesure  de  blé  a  cent  cinquante  mille  paresseux 
de  cette  espèce  ! 

CICÉRON. 

Pas  de  violence,  Caton.  Croyez-moi,  quelques  paroles  amies 
feront  plus  que  des  injures. 

LUCULLUS. 

Et  une  centaine  de  sesterces  plus  que  des  paroles  amies. 
{Il  s'approche.  )  Citoyens,  la  place  est  bonne  puisque  vous  l'oc- 
cupiez. Cédez-la-nous  un  instant,  et  allez  en  prendre  une  autre 
qui  ne  sera  pas  mauvaise  non  plus  autour  d'une  table  là-bas  à 
la  taverne  de  la  porte  Flaminia.  Voilà  cent  sesterces. 

CICADA. 

Eh  bien  !  quand  je  vous  disais  qu'il  était   généreux,    mon 

patron! 

LUCULLUS. 

Tu  es  donc  mon  client,  toi? 

CICADA. 

Certainement.  C'est  moi  qui  fais  la  roue,  vous  savez  bien... 
quand  vous  soriez  avec  voira  belle  voiture  attelée  de  quatre  che- 
vaux... Ah  !  si  vous  ne  me  non  naissez  pas,  vos  chiens  me  con- 
naissent bien.  Eh  !  Bibrix;  eh  !  Jugurtha.  (//  aboie.  ) 

CICADA. 

Vive  Lucullus  ! 


ACTE  I,  TABLEAU  II.  31 

LUCULLUS. 

Ah!  je  te  reconnais,  c'est  toi  qu'on  appelle  la  Cigale.  Voilà 
cinq  sesterces  de  plus  pour  toi.  (Revenant  aux  autres.)  Char- 
mant sujet,  qui  ira  loin  si  on  ne  l'arrête  pas  en  route. 

CATON. 

Je  ne  vous  comprends  pas ,  Luculius ,  de  prodiguer  votre  ar- 
gent à  de  pareils  gueux. 

LUCULLUS. 

Ces  gueux-là  sont  les  rois  du  monde,  mon  cher  Caton.  —  Ces 
gueux-là  tiennent  dans  leurs  mains  mon  palais  de  Rome  et  ma 
villa  de  Napïes —  votre  ferme  de  la  Sabine,  Caton,  votre  maison 
d'Arpinum,  Cicéron.  Ayez  donc  des  égards  pour  ces  gueux-là. 

CATON. 

Quand  je  verrai  cette  populace  prête  à  disposer  de  mes  mai- 
sons, j'aurai  une  torche  pour  brûler  mes  maisons;  quand  je  la 
verrai  prèle  à  disposer  de  mes  jours,  j'aurai  un  couteau  pour 
en  finir  avec  mes  jours. 

LUCULLUS. 

Vous  êtes  de  l'école  stoïque,  vous,  Caton;  grand  bien  vous 
fasse;  moi,  je  suis  de  l'école  épicurienne,  j'aime  mes  palais,  et 
je  veux  les  garder;  j'aime  la  vie  et  je  veux  vivre  ;  je  laisse  l'ac- 
tion aux  autres,  je  suis  fatigué;  j'ai  amassé  un  peu  de  bien 
dans  ma  questure  d'Asie  et  dans  ma  préture  d'Afrique,  j'en  jouis 
avec  mes  amis,  mes  gens  de  lettres,  mes  artistes.  (Moucement 
de  Caton.)  Et  je  sais  bien  ce  que  vous  allez  me  dire  :  si  vous  lais- 
ser arriver  tous  ces  agitateurs ,  tous  ces  Julius ,  tous  ces  Catili- 
na  ,  tous  ces  Céthégus ,  on  vous  dépouillera  ,  on  vous  proscrira, 
on  vous  égorgera  peut-être;  que  voulez-vous  que  j'y  fasse  ?  Voir 
mes  biens  affichés,  fuir  à  travers  bois  et  plaine,  tendre  ma  gorge 
au  couteau,  c'est  l'affaire  d'un  instant,  c'est  le  désagrément 
d'un  quart  d'heure.  —  Eh  bien  !  faime  mieux  souffrir  un  quart 
d'heure  et  en  finir,  que  de  souffrir  un  an  comme  le  consul  de 
cette  année,  et  qui  n'en  finira  pas,  lui. 

CATON. 

Vous  faites  la  perspective  sombre,  Luculius. 
SCENE  IV. 


Seigneur  ! 


Les  Mêmes,  UJN  AFFRANCHI. 
un  affranchi,  rient  à  Cicéron. 


cicéron,  o  Luculius  et  à  Caton, 
Vous  permettez? 

caton. 
Faites- 


32  CATILIXA. 

LUCILLUS. 

Venez,  Caton  ,  j'ai  une  idée.  (Jls  marchent  en  causant  tandis 
que  Cicéron  reste  sur  le  devant  avec  V 'Affranchi  qui  lui  remet  une 
lettre.) 

cicéron,  après  avoir  lu. 
Es-tu  sûr  qu'il  y  a  réunion  chez  Catilina  ce  soir  ? 

l'affranchi. 
J'en  suis  sûr. 

cicéron. 
Tu  es  sûr  qu'il  se  présente  aux  élections? 

l'affranchi. 
La  réunion  de  ce  soir  n'a  pas  d'autre  but  que  d'assurer  son 
consulat. 

CICERON. 

Sur  combien  de  voix  compte- t-il? 

l'affranchi. 
Il  se  vante  d'en  avoir  déjà  cent  mille. 

cicéron. 
Hier  au  soir  qu'a- t-il  fait? 

l'affranchi. 
Il  a  soupe  avec  Aurélia  Orestilla. 

CICÉRON. 

Et  le  matin  ? 

l'affranchi. 
On  lui  a  apporté  trois  lettres. 

cicéron. 
De  qui  ? 

l'affra>xhi. 
Une  de  César,  une  de  Céthégus,  une  d'Aurilia  Orestilla. 

cicéron. 
Lui  fait-il  toujours  la  cour  ? 

l'affranchi. 
Il  parle  de  l'épouser. 

CICÉRON. 

C'est-à-dire  d'épouser  ses  millions.  A-t-il  répondu  aux  mes- 
sages reçus  ? 

l'affranchi. 
A  celui  de  César,  à  celui  d'Orestilla. 

CICÉRON. 

Sais-tu  ce  que  contenaient  les  réponses? 

l'affranchi. 
Des  rende/- vous  probablement,  car  César  a  demandé  ses  che- 
vaux et  Orestilla  sa  litière. 


ACTE  1,  TABLEAU  11.  33 

CICÉRON. 
Pour  la  mémo  heure  tous  deux  ou  pour  des  heures  différentes  ? 

l'affranchi. 
Pour  la  onzième  heure  tous  deux. 

CICERON. 

Que  fait  Catilina  en  ce  moment? 

l'affranchi. 
Quand  j'ai  quitté  Rome,  il  en  soriait  lui-môme  parla  ruo 
Large. 

CICÉRON. 

Alors  il  vient  ici. 

l'affranchi. 
C'est  probable. 

CICÉRON. 

Va.  [L'Affranchi  s'éloigne,  Cicéron  revient  à  Galon  et  à  Lu- 
cnllus.)  Mille  pardons,  seigneurs;  mais  un  avocat  quand  il  a  des 
clients  est  presque  aussi  occupéjqu'un  grand  général,  Lucullus... 
qu'un  grand  propriétaire,  Caton  .. 
caton. 

Savez-vous  ce  que  nous  venons  de  décider  Lucullus  et  moi  ? 

CICÉRON. 

Non,  en  vérité. 

lucullus. 
Nous  venons  de  vous  nommer  consul  ! 

CICÉRON. 

Bah  !  moi  consul  ? 

CATON. 

C'est  une  affaire  arrangée...  Ah!  ne  secouez  pas  la  tète...  Lu- 
cullus ne  veut  pas  de  César  :  il  flaire  le  tyran  sousjle  débauché. 

LUCULLUS. 

Et  Caton  refuse  obstinément  Pompée,  il  devine  le  dictateur 
sous  le  général.  Nous  vous  faisons  nommer.  D'abord  moi  je  don- 
nerai un  festin  au  peuple. 

CICÉRON. 

Vous  voyez  bien  que  voilà  des  extrémités. 

CATON. 

Et  moi,  s'il  le  faut,  je  me  remettrai  à  jouer  à  la  paume  et  à  lan- 
cer le  disque  avec  toute  cette  populace...  c'est  un  moyen  de  lui 
plaire. 

LUCULLUS. 

Sans  dépenser  d'argent. 

CICFRON. 

Merci. 


3k  CAÏILISA. 

LUCULLUS. 

Moi,  je  réponds  do  douze  tribus  sur  les  trente-cinq. 

CATON. 

Moi,  j'en  aurai  six...  les  plus  purs...  trente  mille  vieux  Ro- 
mains... 

CICERON. 

Vous  croyez  quïl  en  reste  tant  que  cela  à  Rome,  Caton? 

CATON. 

J'en  suis  sûr. 

LUCULLUS. 

Eh  bien  !  douze  et  six  font  dix-huit,  dix-huit  sur  trente-cinq, 
c'est  déjà  la  majorité.  Et  vous,  Cicéron,  de  combien  de  voix  dis- 
posez-vous ? 

CICÉRON. 

De  la  mienne  ! 

CATON. 

Ce  n'est  pas  beaucoup. 

LUCULLUS. 

Au  contraire,  c'est  tout.  Parlez,  Cicéron,  et  vous  ferez  plusavec 
votre  parole,  que  moi  avec  mes  dîners  et  Caton  avec  sa  gymnas- 
tique... Rentrez-vous  avec  nous  en  ville  Tullius? 

CICÉRON. 

Non,  je  vais  à  Tusculum,  je  préparerai  mon  discours. 

LUCULLUS. 

Mes  jardins  sont  sur  la  route  de  Tusculum,  allons  ensemble; 
vous  ferez  un  simple  goûter  avec  moi,  et  vous  continuerez  votre 

chemin. 

CATON. 

Et  moi  je  reste...  Allons,  les  discoboles...  place  pour  moi..  (// 
se  mêle  aux  joueurs.) 

LES  JOUEURS. 

Place  au  seigneur  Caton  ! 

lucullus,  à  Caton. 
Au  revoir.  [Passant  au  pied  d'un  arbre  où  Gorgo,  Volens  et 
décida  boivent  et  mangent.)  Ah!  vous  voilà,  vous  autres  ! 

CICADA. 

Oui,  noble  Lucullus,  nous  avons  préféré  faire  notre  petite  col- 
lation dehors,  au  frais. 

lucullus. 
Bon  appétit. 

CICADA, 

A  votre  santé. 


ACTE  I,  TABLEAU  IL  35 

TOUS. 

A  la  santé  du  seigneur  Lucullus!  (Cicéron  et  LucnUus  sortent.) 

SCÈNE  V. 

Les  Mêmes,  moins  LUCULLUS  et  CICÉRON. 

les  spectateurs,  à  Caton  qui  lance  le  disque. 
Bravo,  seigneur  Caton! 

les  trois  mangeurs,  la  bouche  pleine. 
Bravo  !  seigneur  Caton  ! 

caton. 
C'est  en  s1  exerçant  de  la  sorte  que  les  Romains  commanderont 
toujours  aux  autres  peuples.  Dans  un  corps  vigoureux,  l'esprit 
se  trouve  plus  à  l'aise. 

CICADA. 

Seigneur  Caton,  pendant  que  vous  y  êtes,  vous  devriez  essayer 
de  lancer  le  disque  de  Rémus.  Depuis  six  cent  quatre-vingt-dix 
ans  qu'il  est  sur  là  sur  sa  borne,  personne  ne  l'a  lancé;  vous  en 
auriez  l'étrenne.  [Il  remonte.) 

VOLENS. 

Le  seigneur  Caton  se  nourrit  trop  légèrement  pour  tenter  de 
faire  de  pareils  tours  de  force. 

CATON. 

Rémus  était  un  dieu ,  je  ne  suis  qu'un  homme;  tout  ce  qu'un 
homme  peut  faire,  j'essayerai  de  le  faire  ;  rien  au  delà.  (Il  dispa- 
raît avec  les  joueurs.) 

CICADA. 

Tiens  !  les  patriciens  ne  sont  donc  pas  plus  que  des  hommes, 
seigneur  Caton? 

SCENE    VI. 

Les  Mêmes,  CAT1LINA. 

catilina,  allant  droit  à  l'homme  couché. 
Où  est  Cicéron? 

l'homme  couché. 
11  est  parti  pour  Tusculum. 

catilina. 
Que  faisait-il  ici? 

l'homme. 
Il  causait  avec  Lucullus  et  Caton. 

catilina. 
Qu'ont-ils  dit? 

l'homme. 
Ils  se  sont  doutés  que  je  les  écoutais  et  se  sont  éloignés,  Je 
crois  cependant  qu'il  est  question  de  faire  Cicéron  consul 


36  CATILINA. 

catilina,  laissant  tomber  une  pièce  d'or. 
C'est  bien...  Va  m'attendre  chez  moi...   (L'homme  se  lève  et 
sort.) 

yolens,  se  levant. 

Ah  !  c'est  le  seigneur  Catilina! 

tous,  rentrant. 
Catilina!  Catilina!...  Vive  Catilina!...  [Ils  abandonnent  Caton 
et  vont  à  Catilina.) 

CATILINA. 

Oui,  mes  amis,  c'est  moi...  Bonjour,  mes  amis;  bonjour. 

CATON. 

Braves  gens,  en  voilà  un  patricien  —  et  des  plus  vieux,  sinou 
des  plus  purs  !  Il  descend  de  Sergeste,  le  compagnon  d'Enée  ;  il 
le  dit  du  moins.  11  est  un  peu  pâle,  c'est  vrai;  un  peu  débraillé, 
c'est  encore  vrai;  mais  enfin  —  comme  je  vous  le  disais  —  c'est 
un  patricien.  Demandez-lui  donc  un  peu  de  lancer  le  disque  de 
Bemus,  à  lui? 

CATILINA. 

Mes  amis,  il  m'est  arrivé  cent  chevreaux  tendres  de  mes  ber- 
geries de  Ciytumne.  Ne  manquez  pas  d'en  venir  prendre  votre 
part  demain.  Les  tables  seront  dressées  dans  mes  jardins  du  Pa- 
latin. 

TOUS. 

Vive  Sergius  !  Vive  Catilina  ! 

CATILINA. 

Eh  !  bonjour ,  cher  seigneur  Caton  ;  ne  me  faisiez-vous  pas 
l'honneur  de  m'adresser  la  parole ,  ou  tout  au  moins  de  parler 
de  moi? 

CATON. 

Justement!  Ces  honnêtes  citoyens,  vos  amis,  me  raillaient  de 
ce  que  je  n'ose  me  hasarder  à  lancer  le  disque  de  Bémus...  J'a- 
vouais mon  impuissance;  mais  je  disais  que  vous,  le  descendant 
du  robuste  Sergeste,  vous  seriez  moins  timide  que  moi. 

CATILINA. 

N'avez-vous  point  tout  simplement  répondu  que  c'était  impos- 
sible, seigneur  Caton? 

CATON. 

Oui;  mais  impossible  a  moi.  Je  ne  suis  pas  Catilina;  je  n'ai 
pas  une  réputation  galante  a  soutenir  auprès  des  dames  romaines. 
[Une  litière  entre  à  ce  moment  avec  le  cortège  d'Aurélia,) 


ACTE,  I,  TABLEAU  IL  37 

SCENE  VI. 

Les  Mêmes,  AURÉLIA  ORESTILLA  ,  en  litière  découverte,  CE- 
SAR, à  cheval;  esclaves  portant  le  parasol  et  l'éventail,  esclaves 
portant  le  marchepied,  les  tapis,  les  sièges. 

CATON. 

Or,  en  voici  une  qui  nous  arrive  ,  la  belle —  la  riche  Aurélia 
Orestilla,  qui,  dit-on,  vous  tient  au  cœur;  et  à  sa  suite,  votre 
bien-aimé  Julius  César,  fils  de  Vénus!  Allons,  Catilina,  un  peu 
d'amour-propre...  Faites  pour  tous  ces  beaux  yeux-là  ce  que  je 
ne  puis  faire  moi...  l'impossible!  La  main  à  l'œuvre,  noble  Ser- 
gius;  madame  vous  regarde  et  vos  amis  attendent... 

CATILINA. 

Les  dames  savent  ce  que  nous  valons  l'un  et  l'autre,  illustre 
Caton...  ne  me  demandez  donc  rien  pour  elles...  Mes  amis  nous 
connaissent,  vous  et  moi...  ne  me  demandez  donc  rien  pour 
eux... 

CATON. 

Alors  je  vous  adjure  au  nom  de  cette  noble  populace,  qui  vous 
prend  pour  un  demi-dieu  en  attendant  qu'elle  vous  prenne  pour 
un  roi!  [Murmures.) 

CATILINA. 

Oh!  ceci,  c'est  différent...  Pour  ces  nobles  Romains,  mes  con- 
citoyens, mes  égaux...  pour  ces  fils  de  Rémus,  mes  frères...  — 
j'essaierai  I 

CATON. 

Prenez  garde  à  votre  manteau...  les  plis  vous  gêneront! 

CATILINA. 

Merci!  {Aux  spectateurs.)  Romains,  quand  vos  fils  vous  de- 
manderont ce  qu'est  devenu  le  disque  de  Rémus,  qui  est  resté 
six  cent  quatre-vingt-dix  ans  scellé  à  cette  pierru  et  que  nul 
homme  ne  pouvait  soulever...  vous  leur  direz  ceci  :  «Un  jour, 
sur  le  défi  de  Caton,  Lucius  Sergius  Catilina  s'est  approché  de  ce 
cippe,  a  brisé  la  chaîne  qui  retenait  le  disque,  et  d'ici,  entendez- 
vous  bien,  d'ici...  il  a  jeté  le  disque  dans  le  Tibre...  (A  mesure 
qu'il  parle,  Catilina  fait  ce  qu'il  annonce,  et  jette  le  disque  dans  le 
Tibre.  Acclamations.) 

tous,  regardant  dans  Peau. 

Bravo!  Catilina!... 

CATILINA. 

Qu'en  dis-tu,  Caton?... 

CATON. 

Je  dis  que  si  tu  as  le  cœur  aussi  fort  que  le  bras,  Rome  est 
perdue...  [Il  ramasse  sa  toge  et  sort.) 

3 


38  CATILINA. 

TOUS. 

Bravo!  Catilina  !...  (On  entoure  Catilina  pour  le  féliciter.) 

SCE3SB  VII. 

Les  Mêmes,  moins  CATON:  plus  CHARINUS  et  SYRUS;  puis 
CURIUS,  qui  sont  rentrés  et  ont  vu  lancer  le  disque. 

CHARINUS. 

As-tu  vu,  Syrus,  quelle  vigueur!  quelle  adresse!...  Oh!  que 
mon  père  eût  été  heureux  de  voir  ce  beau  jeune  seigneur  lancer 
ainsi  le  disque  ! 

SYRUS. 

Il  eût  été  bien  plus  heureux  de  vous  le  voir  lancer  à  vous- 
même.  Rentrez-vous,  maître? 

CHARINUS. 

Non  ;  va  rendre  à  ma  mère  la  réponse  de  mon  père,  et  dis-lui 
que  je  suis  ici  h  chasser  les  oiseaux  avec  ma  fronde...  Va  !  (Syrus 
va  vers  la  maison.) 

césar,  $\tpprochant  de  Catilina. 

De  pareils  exploits  sont  brillants,  mon  cher  Sergius;  mais  par- 
fois ils  coûtent  cher. 

CATILINA. 

Bonjour,  Julius  ;  pourquoi  dites-vous  que  de  pareils  exploits 
coûtent  cher? 

CÉSAR. 

Parce  que  l'on  a  vu  des  athlètes  se  rompre  un  vaisseau  dans 
la  poitrine,  ce  qui ,  à  moins  de  très-grandes  précautions,  est 
presque  toujours  un  accident  mortel. 

CATILINA. 

Rassurez-vous,  César,  ce  n'est  rien. 

CÉSAR. 

C'est  que  dans  le  cas  où  vous  souffririez,  j'ai  là  mon  médecin 
Archigènes  et  je  pourrais  vous  l'envoyer...  Mais  que  regardez- 
vous  donc  ainsi ,  Sergius  ? 

catilina  ,  montrant  Charinus. 

Voyez  donc  le  bel  enfant ,  César,  le  connaissez-vous  ? 

CÉSAR. 

Non. 

CATILINA. 

C'est  étrange,  il  me  semble  que  je  le  connais,  et  cependant.,., 
non,  je  ne  l'ai  jamais  vu. 

ORESTIUA, 

f\}  ]>î«-n  .  -ej^nem'  César ?Mt 


ACTE  I,  TABLEAU  II.  39 

CÉSAR. 

Me  voilà,  madame...  Vous  savez  ce  que  je  vous  ai  dit,  Cati- 
lina ,  à  propos  de  mon  médecin. 

CATILINA. 

Merci,  César. 

charinus  ,  s' avançant  vers  Catilina. 
Mais  ,  je  ne  me  trompe  pas ,  on  dirait  qu'il  souffre...  Cnmmo 
il  pâlit...  Oh  !  si  j'osais  lui  parler...  Seigneur  !  seigneur  ! 

CATILINA. 

Qu'y  a-t-il,  mon  enfant? 

CHARINUS. 

Vous  chancelez  ! 

CATILINA. 

Tu  te  trompes. 

CHARINUS. 

Vous  avez  sur  les  lèvres  une  écume  de  sang. 

CATILINA. 

Chut! 

charinus,  lui  tendant  une  gourde. 
Oh!  tenez,  seigneur,  buvez,  buvez,  et  ne  méprisez  pas  le  vase; 
il  a  été  sculpté  par  un  pâtre  du  mont  Olympe. 

CATILINA. 

Merci,  mon  enfant,  merci.,,  (//  boit.)  Veuillez  m'altendre 
un  instant.  (Apercevant  Curius  qui  rause  avec  Orestilla .  il 
sarnte  et  regarde.) 

ORESTILLA. 

Curius ,  vous  me  fatiguez  ;  je  veux  écouter  César,  et  vous  me 
forcez  de  vous  entendre.  Taisez-vous. 

CURIUS. 

Madame,  j'ai  du  malheur  près  de  vous...  Vrai,  je  mérite 
mieux... 

ORESTILLA. 

Si  Fulvie  était  là  ,  me  diriez-vous  tout  ce  que  vous  me  dites  ? 
Fulvie  que  vous  ne  quittiez  pas  plus  que  votre  ombre.  Que  los 
hommes  sont  perfides ,  César!...  Prenez  garde,  Curius  :  Fulvie 
est  jalouse. 

curius. 
Jalouse...  [Il  regarde  autour  de  lui.) 

césar  ,  à  Orestilla. 
Vous  l'avez  fait  pâlir  de  pour  ce  pauvre  Curius...   Ah  !  voilà 
un  homme  qui  aime. 

ORESTILLA. 

Vraiment  !  Je  le  regarderai  de  plus  près  demain.  (A  Catilina.) 
Et  depuis  quand ,  Catilina,  êtes-yous  dov^iu  $\  ,„n. 


Pauvre  Rome  !  Toutes  les  fois  qu'elle  possède  quelque  chose 
beau  ,  cette  chose  lui  vient  de  la  Grèce. 


en 


W  CATIL1NA. 

ment!  vous  accomplissez  un  exploit,digne  d'Hercule,  vou«  lancez 
le  disque  de  Remus,  vous  chassez  Caton  ,  deux  triomphes  et 
vous  ne  venez  point  recueillir  nos  remercîments  et  nos  bravos! 

CATILINA. 

Vous  avez  là,  madame,  un  charmant  flacon. 

ORESTILLA. 

rinthe'  neSt"Ce  paS  ;  *  est  d'or'  et  sculPté  Par  Ephialtes  de  Go- 

CÉSAR 

Pauvre  Rome  !  Toutes  les 
de 

CATILINA. 

Voulez-vous  me  le  céder,  madame?  je  vous  donnerai  c 
échange  le  vase  murrhin  que  vous  daignâtes  remarquer  dans 
mon  vestibule  la  dernière  fois  que  vous  me  vîntes  voir. 

ORESTILLA. 

Prenez.  Continuez  ,  seigneur  Julius  ;  ce  que  vous  me  disiez 
m  interesse  fort.  l™ 

catilina  ,  revenant  à  Charinus. 
Jeune  homme ,  rendez-moi  un  service. 

charinus. 
Volontiers,  seigneur. 

catilina. 

Cette  gourde,  dont  la  liqueur. vient  de  me  rappeler  à  la  vie 
donnez-la-moi.  » 

charinus. 
Avec  bien  du  bonheur.  Gardez-la. 

catilina. 
Mais  à  une  condition  :  acceptez  en  échange  ma  gourde,  à 
moi ,  que  voici.  ' 

CHARINUS. 

Oh  !  seigneur,  ce  flacon  est  trop  précieux...  Je  ne  puis. 

CATILINA. 

Par  grâce  ! 

CHARINUS. 

Je  consulterai  mon  père.  Il  va  venir  :  et  s'il  y  consent    iV- 
cepterai,  seigneur...  ■  J 

CATILINA. 

Je  me  charge  d'obtenir  son  consentement...  Prenez  toujours. 

orestilla,  montrant  à  César  une  litière  qui  entre. 
César,  César,  voyez  donc  ! 


ACTE  I,  TABLEAU  II.  kl 

CÉSAR. 

Fulvie  dans  une  litière  de  louage!  Mais  elle  est  donc  ruinée 
tout  à  fait  ? 

ORESTILLA. 

Elle  s'arrête  !  ah  !  nous  allons  voir  quelque  chose  d'amusant. 
SCÈNE  VIII. 

Les  Mêmes  ,  FULVIE. 
fulvie  ,  de  la  litière  fait  appeler  Curius  par  un  de  ses  gens  ,  et 
lorsqu'il  Va  vue  : 
Bien ,  Curius  !  vous  vous  consolerez  facilement  de  mon  ab- 
sence ;  cela  me  rassure. 

CURIUS. 

Fulvie  !    (Il  court  à  elle.) 

FULVIE.  X 

Laissez-moi!  Adieu. 

CURIUS. 

Mais  ! 

FULVIE. 

Loin  d'ici,  vous  dis-je  !  {A  ses  porteurs.)  Allez  ,  vous  autres  ! 
(Curius  suit  la  litière  qui  s'éloigne.) 

ORESTILLA. 

Oh  !  le  pauvre  Curius  ,  le  voilà  désespéré  ! 

CÉSAR. 

Vous  alliez  me  demander  quelque  chose  quand  Fulvie  est 
arrivée. 

ORESTILLA. 

Oui,  j'allais  vous  demander  si  vous  connaissiez  cet  enfant 
avec  lequel  cause  Sergius. 

CÉSAR. 

Non  ,   c'est  la  première  fois  que  je  le  vois. 

ORESTILLA. 

Il  est  charmant... 

césar,  à  part. 
Ce  que  c'est  que  la  sympathie;  elle  le  déteste. 

syrus,  revenant. 
Me  voici ,  maître  ! 

charinus,  à  Syrus. 
Tiens,  prends  ce  beau  flacon ,  que  je  pourrais  briser  en  faisant 
mes  exercices..  As -tu  ramassé  des  cailloux  pour  ma  fronde  ? 

SYRUS. 

J'en  ai  plein  le  pan  de  mon  manteau. 


42  CAT1LINA. 

CHARIXUS. 

Eh  bien  !  allons  par  la  route  où  doit  venir  mon  père.   (A  Ca- 

lilina.)  Où  vous  retrouverai-je  ,  seigneur? 

CATIL1XA. 

Ici.  [A  Curms.  qui  revient  tout  effaré.)  Eh  bien! 

CURIUS. 

Mon  cher  Sergius  ! 

CATILIXA. 

Oh!  grands  dieux!  que  vous  arrive-t-il? 

CURIUS. 

Un  affreux  malheur.  Fnlvie  va  faire  un  coup  de  tête.  Je  suis 

désespéré. 

CATILIXA. 

A  quoi  puis-je  vous  être  bon? 

CURIUS. 

Il  me  faudrait  quelques  hommes  dont  je  fusse  sûr. 

CATILIXA. 

Courez  jusqu'à  la  porte  Flaminia;  j'ai  là  six  gladiateurs,  pro- 
noncez  le  mot  de  passe  :   Pïgil,  et  ils  vous  obéiront. 

CURIUS. 

Merci,  merci  ! 

orestilla,  à  Catihna  qui  se  rapproche  d'elle. 
En  vérité,  Sergius,  je  commençais  à  renoncer  à  l'espoir  de 
votre  société  pour  aujourd'hui. 

catilixa,  riant. 
Vous  le  savez,  madame,  on  se  doit  avant  tout  aux  malheureux! 

ORESTILLA. 

De  qui  parlez-vous  ? 

CATILINA. 

De  Curius,  qui  vient  de  sortir  désespéré. 

ORESTILLA. 

Et  ce  bel  enfant  que  vous  aimez  si  fort,  est-il  aussi  malheureux? 

CATILIXA. 

Quel  enfant  ? 

ORESTILLA. 

Celui  avec  qui  vous  causiez  tout  a  l'heure. 

CATILIXA. 

Moi,  madame,  je  ne  le  connais  pas. 

ORESTILLA. 

Vous  ne  le  connaissez  pas  ! 

CATILINV. 

Non  ,  par  Castor,  en  vérité,  je  le  vois  aujourd'hui  pour  la  pre- 
mière fois  ;  il  faut  qu'il  soit  depuis  peu  de  temps  à  Rome. 


ACTE  I,  TABLEAU  II.  43 

ORESIILLA. 

Vous  ne  le  connaissez  pas,  et  vous  lui  donnez  mon  flacon. 

CATILINA. 

Vous  le  savez  ,  il  y  a  des  entraînements  dont  on  n'est  pas  le 
maître. 

ORESTILLA. 

Oui ,  c'est  comme  les  répulsions.  [Bas  à  une  femme  esclave  qui 
porte  le  costume  égyptien.)  Nubia,  tu  sauras  quel  est  cet  enfant. 
Continuez,  César.  Oh  !  vous  nous  avez  interrompu  au  milieu  de 
la  plus  intéressante  conversation  ;  César  et  moi  nous  parlions 
pâtes  et  essences.  Sav  z-vous  que  c'est  un  général  de  première 
force  sur  la  toilette! 

CATILINA. 

11  mentirait  a  son  origine  s'il  en  était  autrement;  on  n'est  pas 
petit-fils  de  Vénus  pour  rien. 

ORESTILLA. 

Voyons,  César,  voyons,  comment  vous  faites -vous  ce  teint 
que  toutes  les  femmes  vous  envient? 

CÉSAR. 

Voulez-vous  ma  recette  ?  il  n'y  a  rien  que  je  ne  fasse  pour 
vous  obliger. 

ORESTULLA. 

Sans  intérêt,  au  moins? 

CÉSAR. 

Nous  compterons  plus  tard. 

ORESTILLA. 

En  vérité,  vous  etez  charmant!  quelle  différence  il  y  a  eatre 
vous  et  certaines  gens  que  je  connais...  Décidément  le  seigneur 
Sergius  est  distrait  aujourd'hui. 

CATILINA. 

Pardon,  c'est  étrange...  Mais  ju  regardais... 

ORESTILLA. 

Quoi  donc  ? 

CATILINA- 

Une  tourterelle  d'Egypte  qui  vient  de  se  poser  sur  ce  chêne  ; 
elle  se  sera  échappée  de  quelque  volière. 

ORESTILLA. 

Une  tourterelle  d'Egypte!  il  n'y  a  que  moi  qui  en  aie  deux  à 
Rome. 

CATILINA. 

Et  vous  y  tenez? 

ORESTILLA. 

J'ai  un  esclave  dont  le  seul  soin  est  de  s'occuper  d'elles. 


H  CATILINA. 

SCÈNE  IX. 

Les  Mêmes,  STORAX. 

storax,  entrant  à  petits  pas. 
Chut!  chut!  chut!...  Coco  te,  cocote,  petite...  auriez-vous  par 
hasard  vu  une  tourterelle  bleue? 

cicada,  lui  montrant  la  tourterelle  sur  un  arbre. 
Tiens,  la...  regarde! 

STORAX. 

Oui,  oui,  je  la  vois;  petite,  petite!  [à  Cicada)  viens  ici,  toi 
[il  lui  fait  la  courte  échelle),  viens  ici,    monte  sur  mes  épaules 

{Cicada  monte.) 

orestilla,  se  levant. 
Mais  je  ne  me  trompe  pas  !... 

CÉSAR. 

Qu'y  a-t-il? 

ORESTILLA. 

C'est  ce  coquin  de  Storax  ! 

CATILINA. 

Cet  esclave  est  à  vous? 

ORESTILLA. 

C'est  le  gardien  de  mes  tourterelles. 

CATILINA. 

Je  lui  en  fais  mon  compliment,  il  les  garde  bien. 

ORESTILLA. 

Taisez-vous,  je  vous  déteste. 

STORAX. 

Bon,  la  voila  repartie.  [A  Cicada.)  C'est  ta  faute,  petit  malheu- 
reux ! 

ORESTILLA. 

Ah!  le  misérable!...  ici  Storax. 

STORAX. 

La  maîtresse  !  Bon  Jupiter,  je  suis  perdu. 

CATILINA. 

Oh  !  l'excellente  figure  de  bandit! 

ORESTILLA. 

Que  cherches-tu  donc,  mon  petit  Storax? 

STORAX. 

Rien,  maîtresse...  rien;  je  me  promène. 

ORESTILLA. 

Et  mes  tourterelles  d'Egypte? 


ACTE  I,  TABLEAU  II.  W 

STORAX. 

Aie! 

ORESTILLA. 

Où  sont-elles  ? 

STORAX. 

Aie  l  aie  ! 

ORESTILLA. 

C'est  que,  si  jamais  tu  en  perdais  une...  je  te  plaindrais,  bon 
Storax.  , 

STORAX. 

Aie  t  aie  !  aie  ! 

CATILINA. 

Pas  décolère,  Orestilla...  vous  ne  vous  faites  pas  idée  combien 
la  colère  enlaidit. 

ORESTILLA. 

De  la  colère,  moi,  jamais  I...  Storax  -mes  tourterelles! 

storax,  les  mains  jointes. 
Maîtresse  !... 

ORESTILLA. 

Prends  garde  au  carcan,  Storax...  Mes  tourterelles... 

storax,  à  genoux. 
Maîtresse  !... 

ORESTILLA. 

Prends  garde  au  fouet. 

STORAX. 

Maîtresse...  je  la  rattraperai...  Maîtresse,  il  y  a  des  gens  qui 
courent  après...  Elle  est  là-bas,  sur  un  petit  arbre  pas  plus  haut 
que  cela.  {Se jetant  la  face  contre  terre.)  Ah  !  Jupiter! 

ORESTILLA. 

Qu'y  a-t-il  encore  ? 

CATILINA. 

De  la  générosité ,  Orestilla...  Votre  tourterelle  vient  d'être 
tuée  d'un  coup  de  fronde. 

ORESTILLA. 

Tuée  !...  ma  tourterelle  tuée  !...  et  par  qui? 

CATILINA. 

Par  un  enfant  qui  était  loin  de  se  douter  qu'il  vous  privait 
d'un  bien  si  précieux. 

ORESTILLA. 

Par  ce  jeune  homme  qui  causait  là  avec  vous  tout  à  l'heure? 

CATILINA. 

Je  suis  forcé  de  l'avouer. 

3. 


m  CATILKNA, 

ORBSTILLA. 

Ah  !  (Montrant  Slorax.)  Qu'on  emmène  cet  homme,  et  qu'on 
le  mette  en  croix.  Ma  litière  i  (La  litière  entre;  deux  gladiateurs 
se  tiennent  près  du  disque;  on  relève  les  coussins,  et  l'on  prend- le 
tapis.) 

CATILINA. 

Grâce  pour  lui,  Orestilla. 

orestilla. 
Taisez-vous  ! 

CAT1L1NA. 

En  croix  pour  un  oiseau  envolé  ! 

ORESTILLA. 

En  ai-je  le  droit,  oui  ou  non?  Cet  esclave  est-il  à  moi? 

CATILINA» 

Oh  !  puisque  vous  le  prenez  ainsi  !  (Se  reculant,  à  Slorax.)  Tu 
entends? 

STORAX. 

Je  crois  bien,  que  j'entends. 

CATILINA. 

Debout,  et  sauve-toi. 

STORAX. 

Le  Champ  de  Mars  est  gardé,  je  serai  pris. 

CATILINA* 

Cours  vite. 

STORAX. 

Je  n'ai  plus  de  jambes. 

CATILINA. 

Crève,  alors. 

orestilla,  à  ses  esclaves. 
Emparez-vous  de  lui.  (Aux  deux  gladiateurs.)  Emmenez  cet 
homme,  et  que  daus  une  heure  il  soit  mort.  Ne  m'attendez 
pas  ce  soir,  Sergius. 

catilina,  s'inclinant. 
Votre  place  restera  vide. 

césar,  conduisant  Orestilla-  à  sa  litière. 
En  vérité,  la  colère  vous  va  à  merveille,  et  jamais  je  ne  vous 
ai  vue  si  belle. 

orestilla. 
Venez  voir  demain  l'effet  de  votre  recette. 

CÉSAR. 

Je  n'y  manquerai  pas.  (Il  salue.) 

ntbia,  bas. 
Faut-il  toujours  s'informer  de  ce  jeune  homme? 


ACTE  I,  TABLEAU  il.  n 

ORESTILLA. 

Plus  que  jamais. 

SCÈSSE  X. 

Les  Mêmes,  IX  ESCLAVE. 
l'esclave,  s* approchant  de  Caiilina. 
De  la  part  de  Lentulus. 

CATILINA. 

Qu'est-ce  ? 

l'esclave. 
Une  lettre...  tendez  votre  main. 

CATILINA. 

Impossible,  César  me  regarde...  trouve  moyen  de  la  glisser 
sous  mon  manteau  qui  est  là,  au  pied  du  tombeau  de  S) lia.. 
l'esclave/ 
Bien! 

orestilla,  dans  la  coulisse. 
Ce  n'est  pas  assez  de  la  croix;  qu'on  l'écorche  vif.  (On  conduit 
Storax,  et  on  emporte  la  lï.ière.  ) 

CÉSAR. 

Cette  femme  est  tout  cœur.  (A  Caiilina.)  Quel  bon  petit  mé- 
nage vous  ferez,  Sergius. 

CATILINA. 

Vous  m'avez  abandonné,  César. 

CÉSAR. 

Comment? 

CATILINA. 

Vous  si  miséricordieux...  vous  qui  faisiez  couper  la  gorge  aux 
pirates  avant  que  de  les  pendre...  vous  qui  faites  panser  les  gla- 
diateurs blesses.,  vous  à  qui  on  reproche  d'être  trop  humain, 
vous  n'avez  pas  trouvé  une  seule  parole  en  faveur  de  ce  mal- 
heureux. 

CÉSAR. 

Vous  êtes  charmant,  je  ne  veux  pas  mo  brouiller  avec  Orestilla. 
C'est  bon  pour  vous  qui  épousez...  \dieu  Sergius. 

CATILINA. 


Vous  partez?... 
Je  vais  au  bain. 
Et  du  bain? 
A  un  rendez-vous* 


CESAR. 

CATILINA. 

CÉSAR. 


48  CATILINA. 

CATILINA. 


CESAR. 
CATILINA. 


Servilie  ? 

Eh  !  mon  Dieu!  oui. 

Toujours? 

CÉSAR. 

Il  faut  qu'elle  m'ait  donné  quelque  philtre. 

CATILINA. 

Vous  l'aimez? 

CÉSAR. 

Follement!,..  Que  dites-vous  de  cette  perle? 

CATILINA. 

Je  dis  qu'elle  vaut  un  million  de  sesterces. 

CÉSAR. 

Je  viens  de  l'acheter  douze  cent  mille. 

CATILINA. 

Et...  payée?... 

CÉSAR. 

Allons  donc!...  pour  qui  me  prenez-vous? 

CATILINA. 

Les  bijoutiers  vous  font  donc  encore  crédit? 

CÉSAR. 

Je  leur  ai  donné  rendez-vous  dans  ma  prochaine  préture.  Te- 
nez, Sergius,  un  conseil...  faites-vous  nommer  préteur  !  Le  pré- 
teur, c'est  le  prince,  c'est  le  satrape,  c'est  le  roi!  La  province 
tout  entière  est  à  lui!  Est-il  prodigue?  A  lui  l'or  et  l'argent! 
Est-il  artiste?  A  lui  les  tableaux  et  les  statues!  Est-il  libertin? 
A  lui  les  femmes  et  les  filles  !  Vous  êtes  prodigue,  artiste,  liber- 
tin... Catilina,  faites-vous  nommer  préteur  ! 

CATILINA. 

Non;  je  veux  être  consul. 

L.É5AR. 

Alors,  disposez  de  moi...  j'ai  soixante  mille  voix  à  votre  ser- 
vice. Vous  avez  besoin  d'argent? 

CATILINA. 

Certes! 

CÉSAR. 

Epousez  Orestilla,  vous  m'en  prêterez...  Mais,  hâtez-vous, 
elle  se  ruine...  et  pour  peu  que  vous  tardiez,  vous  n'aurez  plus 
que  des  restes...  Adieu,  Sergius! 

CATILINA. 

Un  mot  encore...  Vous  veira-t-on  ce  soir? 


ACTE  I,  TABLEAU  IL  il 

CÉSAR. 

Où  cela? 

CATILINA. 

Chez  moi. 

CÉSAR. 

Je  ferai  tout  pour  y  aller  ;  seulement  aidez-moi  à  traverser 
tout  ce  populaire. 

CATILINA. 

Prenez  mon  bras. 

LE  PEUPLE. 

Vive  Sergius  î  vive  Catilina  ! 

CÉSAR. 

Ces  gens-là  vous  adorent,  mon  cher  Sergius. 

le  peuple  [mouvement). 
Vive  Julius  César  ! 

CATILINA. 

Et  vous,  donc...  écoutez-les. 

CÉSAR. 

Ma,  foi  oui...  Oh  !  que  nous  avons  mauvaise  réputation,  mon 
cher...  Adieu...  adieu...  (//  se  sauve,  escorté  du  peuple.) 

SCÈNE  XI. 

CLINIAS  et  CHAR1MJS,  puis  CATILINA. 

CLINIAS. 

Mais  où  donc  est  ce  seigneur  qui  t'a  donné  ce  flacon  ? 

CHARINUS. 

Il  était  ici...  il  devait  attendre  ici...  Ehl  tenez,  je  crois  que  le 
voilà. 

CLINIAS. 

Es-tu  sûr  que  ce  soit  lui  ? 

CHARINUS. 

Lui-même ,  mon  père. 

CLINIAS. 

Alors,  venez,  Charinus.  (S avançant  vers  Catilina.)  Permettez, 
seigneur,  que  mon  fils  et  moi...  (S'arrêtant.)  Par  Jupiter!  je  ne 
me  trompe  pas  l 

CHARINUS. 

Qu'y  a-t-il,  mon  père? 

CLINIAS. 

C'est  lui!... 

CATILINA. 

Eh  bien  ? 


m  CâTILESA 

CLINIAS. 

Dieux  vengeurs!  {Il  prend  le  flacon  et  le  jette  aux  pieds  de  Ca- 
tilina.)  Viens,  Charinus...  viens... 

CHARINTS. 

A  la  maison  ,  mon  père  ? 

<:linias. 
Non,  non...  suis-moi.   [Il  s'éloigne  précipitamment  etdmméne 
Charinus.) 

scène  xn. 

CATILINA,^/. 

Pourquoi  donc  cet  homme  me  fuit-il  ainsi?...  Pourquoi  donc 
repous-e-t-il  mes  présents  avec  horreur?...  Il  y  a  quelque  mys- 
tère lb-dessous...  je  le  saurai...  Allons'  me  voilà  seul  !..,  Tous 
sont  partis...  L'esclave  de  Lentulus  a  mis  la  lettre  de  son  maître 
sous  mon  manteau.  {Il  lève  le  côîii  'de  son  manteau.)  Storax! 

SCENE  XIII. 

CATILINA,  STORAX,  sous  le  manteau. 

CATILIXA. 

Storax  sous  mon  manteau  ! 

STORAX. 

C'est  Jupiter  sauveur  qui  m'a  indiqué  cet  asile. 

CAT1LIXA. 

Tu  es  donc  parvenu  à  te  sauver,  enfin  ? 

STORAX. 

Le  divin  Mercure  m'est  venu  en  aide. 

CATILIXA. 

Il  te  devait  bien  cela...  car  tu  me  parais  être  un  de  ses  plus 
fervents  adorateurs...  Et  de  quelle  façon  le  prodige  s'est-il 
opéré  ? 

STORAX. 

En  passant  sur  le  pont... 

GAT1LIXA. 

Oui.  je  comprends...  tu  t'es  jeté  dans  le  Tibre? 

STORAX. 

Justement...  Je  suis  assez  bon  plongeur...  jai  nagé  entre  deux 
eaux,  j'ai  gagné  de  grandes  herbes,  puis  des  herbes  le  rivage, 
puis  du  rivage  votre  manteau...  Il  m'a  semblé  puis  que  vous 
aviez  intercédé  pour  moi  que  je  pouvais  me  confier  a  vous. 

LAIILINA. 

Mai-  si  j'eusse  relevé  mon  manteau  devant  des  étrangers? 


ACTE  1/  T  iBWÀU  II.  ■ 

STOl  ÇAX. 

Oh  !  j'étais  bien  sûr  que  vous    se  le  lèveriez  pas,  seigneur...  11 
cachait  un  objet  trop  précieux. 

CATlt'  Ûfti. 

Et  quel  objet? 

STOR    AX. 

Cette  lettre  du  seigneur  Lentu  lus/.. 

CATII    4NA. 

Tu  l'as  lue,  drôle? 

STO     fcAX. 

Je  n'ai  pas  pu  faire  cKitremer  Ci  dans  la. position  oii  je  me  trou- 
vais ;  j'avais  le  nez  dessus. 

CATI    I.INA. 

Alors  comme  il  fait,  nuit  et  q  j  e  je  ne  puis  pas  la  lire ,  lu  vas 
me  dire  ce  qu'elle  contient. 

STOI    .AX. 

Huit  mots,  mon  cher  seigmî   ur;   pas  un  de  plus,  pas  un  de 
moins. 

CATir;  Wa. 
Et  ces  huit  mot!?? 

STOfl      AX. 

Pois  chiche  est  mur,  il  faut  h,      mawjcr. 

CATILl    TlA. 

Et  cela  signifie  ? 

stopj   ^x. 
Si  je  n'ai  pas  compris? 

catilj:  ha. 
Ce  sera  bien  ! 

stob  a  x. 
Et  si  j'ai  compris? 

CATIL  ,1M    A. 

Ce  sera  mieux. 

STOB    AX    . 

Eh  bien,   mon  bon  seigneur    ,     avec  votre  permission  il  me 
semble  que  le  pois  chiche ,  c'est  ;  ui  i  petit  nom  d'amitié  que  1  ou 
donne  à  un  grand  orateur  nomn  îé  1  vlarcus  Tullius... 
CATII    .in a   . 
Pas  mal. 

STO)    \ax  . 
Cicéron...  Quant  a  sa  maturii    é  il   pourrait  bien  être  question, 
ce  me  semble,  de  son  prochain  (   ions  ulat. 
catij  ;1N\  . 
Bien. 


52  CATILINA. 

STOUAX. 

On  ne  mange  pas  les  hommes ,  seigneur;  mais  les  pois,  quand 
ils  sont  mûrs,  on  les  cueille. 

CATIXINA. 

Très-bien,  sortons  d'ici. 

STOlUX. 

Mon  bon  seigneur,  n'oubliez  pas  qu'on  me  cherche  pour  me 
crucifier. 

CATII.INA. 

Tu  as  raison,  enveloppe-toi  de  ce  manteau,  et  tâche  d'avoir 
l'air  d'un  honnête  homme. 

storax,  avec  vn  soupir. 
Ah!... 

CATILIJN'A. 

Et  maintenant  viens! 

STORAX. 

Où  cela  ? 

CATIt.INA. 

Chez  moi. 

STOB.AX. 

0  fortune  !  est-ce  que  j'aurais  enfin  mis  la  main  sur  tes  trois 
cheveux  ! 


ACTE  IL 
TROISIÈME  TABLEAU. 

LA   MAISON   DE   CATIXINA   AU  PALATIN. 

La  salle  à  manger  donnant  sur  de  vastes  jardins. 
SCENE  Z. 

CURIUS  seul,  regardant,  puis  FULV1E,  apportée  par  les  quatre 
gladiateurs  dans  une  litière. 

CURIUS. 

Oh  !  je  ne  me  trompe  pas,  ils  entrent.  Oui,  ce  sont  bien  eux... 
ils  l'ont  rejuinte,  par  Jupiter!  Savais  peur  qu'elle  n'eût  changé  de 
route.  Je  respire.  [La  litière  entre  et  s'arrête  devant  la  porte.) 

FULVIT. 

Où  m'avez-vous  conduite,  et  quel  est  le  but  de  cette  violence? 

UN  DES  HOMMES. 

Vous  êtes  arrivée,  madame 


ACTE  II,  TABLEAU  III.  53 

curius,  ouvrant  la  porte  de  la  litière. 
Vous  êtes  libre,  Fulvie. 

FULVIE. 

Curius  ! 

curius,  donnant  sa  bourse  aux  porteurs. 
Tenez,  vous  êtes  maintenant  de  cinq  cents  sesterces  plus  ri- 
ches que  moi.  {Les  gladiateurs  s'éloignent.) 

FULVIE. 

Ah!  c'est  donc  de  vous  que  m'est  venu  cet  empêchement  de 
continuer  ma  route  ? 

CURIUS. 

Allez-vous  me  punir  de  n'avoir  pu  supporter  la  pensée  que 
j'allais  vous  perdre? 

FULVIE. 

Pensez-vous  m'avoir  retrouvée,  parce  que  vous  m'avez  reprise? 

CURIUS. 

Fulvie,  écoutez-moi...  Fulvie,  de  grâce... 

FULVIE. 

Oh!  par  Vénus,  je  sais  tout  ce  que  vous  allez  me  dire...  vous 
m'aimez  plus  que  jamais,  n'est-ce  pas?  c'est  tout  simplo,  je  ne 
vous  aime  plus. 

CURIUS. 

Mais  pourquoi  ne  m'aimez-vous  plus,  Fulvie? 

FULVIE. 

Vous  faites  là  une  sotte  question,  mon  cher  Curius.  Ne  savez- 
vous  pas  que  celles  qui  n'aiment  plus  ont  toujours  de  bonnes 
raisons  pour  cesser  d'aimer? 

CURIUS. 

Mais  enfin  ces  raisons  exposez-les-moi,  peut-être  serai-je  assez 
heureux  pour  les  combattre. 

FULVIE. 

Vous  allez  vous  faire  dire  des  choses  désagréables ,  Curius. 
Prenez  garde... 

CURIUS. 

Mais  peut-être ,  si  vous  ne  parlez  pas ,  allez-vous  m'en  faire 
penser  de  plus  désagréables  encore. 

FULVIE. 

Bon!  que  penserez-vous?  je  suis  curieuse  de  le  savoir. 

CURIUS. 

Eh  bien,  je  penserai  que  le  Curius,  qui  possédait  quarante  mil- 
lions de  sesterces,  il  y  a  six  mois,  n'eut  pas  reçu,  il  y  a  six  mois, 
de  Fulvie  l'accueil  qu'il  en  reçoit  aujourd'hui  qu'il  est  ruiné. 


54  CATIL1NA. 

FULVIE. 


Bravo,  Curius! 
Comment  bravo? 


CURIUS. 


FULVIE. 

Eh  bien,  oui,  vous  avez  deviné  juste  et  je  vous  applaudis. 

CURIUS. 

Vous  avouez  que  c'est  ma  mine  qui  vous  rend  indifférente 
pour  moi.  Mais  cette  ruine  que  vous  me  reprochez,  c'est  vous 
qui  en  êtes  la  cause. 

fulvie,  se  levant. 

Ah!  je  m'attendais  à  cela.  En  vérité,  Curius,  on  dirait  que 
vous  me  prenez  pour  une  courtisane  grecque.  Vous  avez  dé- 
pensé avec  moi  quarante  millions  de  sesterces  ;  eh  bien ,  moi , 
j'en  ai  dépensé  trente  millions  avec  vous;  la  différence  n'est  pas 
si  grande,  ce  me  semble.  Vous  êtes  un  Curius,  je  suis  une  Mé- 
tella.  Bref,  vous  m'avez  aimée  et  vous  me  l'avez  dit,  j'ai  eu  du 
goût  pour  vous  et  je  vous  l'ai  prouvé,  nous  sommes  quittes.  Main- 
tenant vous  voulez  que  moi,  qui  suis  jeune,  j'aille  m'embarrasser 
d'un  homme  qui  n'a  rien.  Vous  voulez  que  vous,  qui  n'avez  pas 
trente  ans  ,  qui  portez  un  beau  nom  ,  et  par  conséquent,  pou- 
vez faire  un  riche  mariage,  j'aille  vous  embarrasser  d*une  femme 
ruinée?  En  vérité,  mon  cher,  ce  serait  une  double  sottise.  Je  vous 
en  laisse  ma  part. 

curius. 

J'emprunterai,  Fulvie,  et  nous  vivrons  comme  par  le  passé. 

FULVIE. 

S'il  y  avait  encore  des  prêteurs  d'argent  a  Rome,  mon  cher 
Curius,  je  les  eusse  trouves  aussi  bien  que  vous.  Mais  voyons  , 
avouez-le,  vous  savez  bien  qu'il  n'y  en  a  plus. 

CURIUS. 

Eh  bien,  je  me  ferai  homme  politique.  Je  puis  arriver  a  la 
préture  comme  un  autre. 

FULVIE. 

Et  avec  quoi  ?  c'est  très-cher  la  préture. 

CURIUS. 

Oh!  vous  êtes  résolue,  je  le  vois  bien.  Vous  me  remplacez 
déjà  en  pensée;  et  moi  qui  vous  aimais  malgré  vos  coquetteries, 
malgré  vos  caprices,  malgré  votre  méchante  réputation  ! 

FULVIE. 

Prenez  garde,  Curius,  vous  ne  parlez  plus  comme  un  patri- 
cien, mais  comme  un  paysan  ivre.  Est-ce  que  je  vous  ai  jamais 
rappelé  votre  procès  avec  le  juif  du  forum  ?  Esl-ce  que  je  tous  ai 
reproché  d'avoir  été  chassé  du  sénat?  Est-ce  que...  Tenez,  quit- 


ACTE  II,  TABLEAU  III.  55 

tons-nous,  Curius...  haïssons-nous,  mais  ne  nous  dégradons  pas. 

CURIUS. 

Il  est  impossible  que  vous  soyez  cruelle  à  ce  point...  vous  en 
aimez  un  autr.%  Fulvie  !...  Vous  avez  fort  applaudi  Cicéron,  ce 
me  semble,  et  Cicéron  paraissait  tout  fier  de  vous  avoir  fait  ap- 
plaudir. 

FULME. 

C'est  vrai,  j'air.cie  Cicéron.   Quand  il  parle,  j'oublie  que  i 
un  homme  nouveau.   Il  :-e   peWÏ  bien   qu'il  m'ait  remarquée., 
peut-être  même  m,'a-t-il  suivie... 

ojrius. 

Oh  !  cet  hommve  nouveau  comme  vous  l'appelez  est  riche  à 
millions. 

FUI VIE. 

C'est  vrai  encore  ;  mais  tranquillisez-vous,  ce  n'est  pas  plus  lui 
qui  tous  remplace  »ra  que  Sergius  ou  César.  Ce  soir  quand  vous 
m'avez  fait  arrêter  je  quittais  Rome* 

(MMUfc 

Vous  quittiez  R«  mie? 

FULVIE. 

Mes  équipages    sont  saisis,  ma  maison  va  être  vendue,  je  n'ai 
plus  un  esclave  à.  moi.  Que  voulez-vous  que  je  fasse  a  Rome  f 
curius. 
Et  où  allez-voo  s? 

FULVIR. 

A  Corinthe,  chez  ma  sœur  Métella,  où  j'attendrai  des  temps 
meilleurs. 

CURIUS. 

Un  exil  !  vous*  souffrirez  l'exil  ! 

FULVIE. 

Je  souffrirai  la  mort  plutôt  que  la  honte,  et  c'est  une  honte 
pour  moi  de  voir  qu'il  y  a  à  Rome  des  gens  qui  ne  sont  pas 
encore  ruinés. 

CURIUS. 

0  Fulvie! 

FULVIE. 

Oui,  je  l'avoue,  quand  Aurélia  Orestilla,  quand  cette  ancienne 
affranchie,  quand  cette  veuve  d'un  publicain  qui  avait  a  peine 
le  droit  de  porter  l'anneau  de ''fer,  passe  avec  ses  mule?  africaines 
ses  esclaves  nubiens,  .ses  eunuques  de  Bi'thynip;  qt.and  sur  le 
passage  de  sa  litière  tout  le  monde  se  retourne  tout  le  monde 
s'arrête,  tout  le  monde  admire;  alors  moi,  Curius,  moi  qui 
suis  h  pied,  moi  qni  porte  sur  moi  tout  ce  qui  me  reste  de 
joyaux  d'or,  moi  qui  passe  inaperçue  dans  la  foule  comme  |e 
passais  ce  soir  au   Champ  de  Mars"  où  vons  ne  m'eussiez  pas 


5fi  CATILINA. 

vue  si  je  vous  eusse  touché  Fépau/e,  alors...  mais  je  ne  sais 
pas  pourquoi  je  vous  dis  tout  cela;  dans  deux  heures  je  serai  sur 
la  route  de  Coiïnthe ,  adieu  Curius,  adieu. 

CURIUS. 

Mais  vous  êtes  chez  Catilioa,  restez  au  souper  qu'il  vous  donne 
ce  soir.  11  est  prévenu,  il  vous  attend. 

FULVIE. 

Croyez -eous  que  sur  la  route  je  n'aie  pas  reconnu  ses  gladia- 
teurs? qu'en  arrivant  ici  je  n'aie  pas  reconnu  sa  maison?  Il 
comptait  sur  moi  au  souper,  dites-vous? 

CURIUS. 

Oui. 

FULVIE. 

Remerciez-le  pour  moi,  Curius,  mais  je  n'accepte  pas  uu  festin 
que  je  ne  puis  rendre.  Moi  parasite,  vous  n'y  pensez  pas  !  faites 
pour  moi  mes  compliments  a  la  belle  Aurélia  Orestilla,  la  reine 
du  festin,  moi  je  pars;  adieu,  Curius. 

CURIUS. 

Ecoutez-moi  une  dernière  fois. 

FULVIE. 

Avez-vous  à  me  dire  quelque  chose  que  je  n'aie  point  encore 
entendu? 

CURIUS. 

Fulvie,  ne  partez  que  dans  huit  jours. 

FULVIE. 

Adieu,  Curius. 

CURIUS. 

Ne  partez  que  dans  trois  jours. 

FULVIE. 

Adieu. 

CURIUS. 

Fulvie,  ne  partez  que  demain...  Demain,  ce  soir  même  un 
grand  changement  peut  se  faire. 

fulvie,  revenant. 
Dans  votre  sort  ? 

CURIUS. 


Dans  notre  sort  à  tous. 
Encore  quelque  leurre. 


FULVIE. 


CURIUS. 

Restez,  Fulvie,  restez  deux  heures,  et  dans  deux  heures, 
vous  avouerez  que  tout  votre  patrimoine  perdu,  toute  votre  for- 
tune dévorée  étaient  la  médiocrité,  la  pauvreté,  la  misère  près 
de  l'état  nouveau  qui  nous  attend  tous  les  deux. 


ACTE  II,  TABLEAU  III.  57 

FULVIE. 

Qui  nous  attend... 

eu  ri  us. 
Que  voulez-vous?  qu'ambitionnez-vous?   Parlez,   que  vous 
faut-il? 

FULVIE. 

Prenez  garde,  les  désirs  d'une  âme  comme  la  mienne  n'ont  pas 
de  bornes.  J'ambitionne  tout...  je  veux  tout. 

CURIUS. 

Eh  bien,  souhaitez...  imaginez...  rêvez.  Votre  tout  à  vous,  ce 
n'est  rien.  Mais  attendez,  Fulvie,  attendez,  attendez  deux  heu- 
res... c'est  tout  ce  que  je  vous  demande  de  temps  pour  vous 
prouver  que  je  ne  mens  pas. 

FULVIE. 

Vous  êtes  fou,  Curius,  ou  bien... 

CURIUS. 

Ou  bien... 

FULVIE. 

Ou  bien  ce  que  l'on  dit  de  Catilina  est  vrai. 
SCENE  II 

Les  Mêmes,  CATILINA. 

CATILINA. 

Et  que  dit-on  de  Catilina,  belle  Fulvie  ? 

FULVIE. 

On  dit  qu'il  donne  ce  soir  une  fête  charmante  à  laquelle  il  a 
bien  voulu  m'inviter,  et  dont  je  prends  ma  part  avec  grand  plai- 
sir... pourvu  qu'il  me  soit  permis  de  continuer  d'y  quereller  à 
mon  gré  Curius. 

catilina,  montrant  le  jardin. 
A  droite  vous  trouverez  l'allée  des  querelles,  Fulvie...  à  gau- 
che vous  trouverez  la  grotte  des  raccommodements,  Curius. 
curius. 


Venez,  Fulvie. 
Vous  me  direz  tout  ? 
Oui.  (  Ils  sortent.  ) 


FULVIE. 
CURIUS. 

SCÈNE  III. 


CATILINA,  seul. 
Va,  pauvre  fou...  pour  un  jour,  pour  une  heure  d'amour  de 
plus  trahis  tes  amis.  Ce  que  tu  devrais  cacher  même  à  la  femme 
qui  t'aimerait,  dis-le  a  la  femme  qui  ne  t'aime  plus.  On  ne  craint 


58  CATILINA. 

pas  les  dénonciateurs  quand  on  a  le  peuple  romain  tout  entier 
pour  complice.  (A  des  serviteurs.  )  Mon  barbier  et  mon  méde- 
cin. Viens,  Slorax. 

SCÈNE  IV. 

CATILINA,  STORAX,  pin»  LE  BARBIER. 

STORAX. 

Nous  sommes  arrivés  ? 

CATILINA. 

Oui,  tu  n'as  plus  rien  à  craindre,  tu  peux  jeter  là  ce  man- 
teau. 

LE  BARBIER. 

Vous  m'avez  demandé,  maître  ? 

CATILINA. 

Change-moi  la  tête  de  cet  homme-là. 

STORAX. 

Ah  !  oui,  si  c'est  possible. 

CATILINA. 

Tout  est  possible  à  mon  barbier...  c'est  un  faiseur  de  miracles. 
Entrez,  Chrysippe...  toi,  emmène  cet  homme  et  fais  vite.  (Slorax 
et  le  barbier  sortent. 

SCENE  V. 

CATILINA,  CHRYSIPPE,  entrant. 
CATiLiNA,  donnant  la  main  à  Chrysippe  qui  lui  tûte  le  pouls, 
Eh  bien  ? 

CHRYSIPPE. 

Eh  bien,  vous  avez  la  fièvre. 

CATILINA. 

Tu  ne  m'apprends  rien  de  nouveau.  Mais  d'où  me  vient  cette 
fièvre  ? 

CHRYSIPPE. 

Vous  vous  serez  encore  déchiré  la  poitrine  en  faisant  quelque 
effort* 

CATILINA. 

J'ai  lancé  le  disque  de  Rémus. 

CHRYSIPPE. 

C'est  cela,  toujours  le  même.  Quand  les  autres  boivent  la  coupe 
d'Hercule,  vous  videz,  vous,  l'amphore  tout  entière.  Quand  aux 
fêtes  de  Vénus,  les  autres  veillent  trois  jours,  vous  veillez,  vous, 
toute  la  semaine.  Quand  les  autres  lancent  le  palet  ordinaire, 
vous  lancez,  vous ,  le  disque  de  Rémus,  Vous  avez  craché  du 
?ang,  n'est- e 


ACTE  II,  TABLEAU  III.  59 

CATILINA. 

Oui. 

CHRYSIPPE. 

Un  autre  se  fût  tué  sur  le  coup. 

CATILINA. 

Tandis  que  moi  je  ne  mourrai  que  dans...  voyons  dans  com- 
bien de  jours,  Chrysippe? 

CHRYSIPPE. 

Oh!  dieux  merci... 

CATILINA. 

Dans  combien  de  mois? 

CHRYSIPPE. 

J'espère  mieux  encore. 

CATILINA. 

Un  an  alors...  Et  de  quoi  te  plains-tu,  et  quel  est  l'homme  qui 
est  sûr  d'avoir  un  an  devant  soi...  un  an...  tu  dis  un  an,  n'est-ce 
pas? 

CHRYSIPPE. 

Je  crois  que  vous  pouvez  compter  sur  un  an." 

OATILIW. 

Merci.  Un  an  î...  le  temps  d^  me  marier,  d'avoir  un  fils ,  de 
laisser  sur  cette  terre,  où  peut-être  on  parlera  de  moi,  un  héi  i- 
tier  de  mon  nom,  glorieux  ou  sinistré 
CHRYSIPPE. 

Vous  êtes  bien  fatigué,  bien  vieilli  depuis  quelques  années. 

CATILINA. 

J'ai  trente-sept  ans  a  peine. 

CHRYSIPPE. 

Oreste  était  vieux  à  vingt-cinq.  Pourquoi  vous  marier? 

CATILINA. 

N'as-tu  pas  entendu  ce  que  je  viens  dire?  je  veux  un  enfant. 

CHRYSIPPE. 

Ne  vous  mariez  pas,  car  vous  n'aun/  pas  d'enfant,  car  vous 
ne  laisserez  pas  d'héritier  de  votre  nom.  Vous  avez  tari  en  vous 
les  sources  de  la  vie.  Agissez  désormais  comme  si  vous  étiez  seul 
au  monde.  Pensez  à  vous. 

CATILINA. 

Ainsi  voilà  ton  arrêt. Tu  me  condamnes,  toi  le  juge  infaillible. 

CHRYSIPPE. 

Je  prononce  la  sentence,  mais  vous  L'avez  exécutée  vous-même. 

CATILINA. 

Tas  d'enfant! 

CHRYSll'l'K. 

C'est  cela»  Cette  sentence  va  devenir  votre  tourment,  i. 


CO  CÀT1LINA. 

pas?  C'est  assez  qu'une  chose  soit  déclarée  impossible  pour  que 
vous  la  désiriez.  Soyez  donc  ambitieux  pour  vous-même,  c'est 
déjà  bien  assez.  Un  fils  !...  à  quoi  vous  servira  un  fils? 

CATILINA. 

A  avoir  quelqu'un  à  aimer  et  qui  m'aime  en  ce  monde.  A 
quoi  me  servira  un  fils?...  demande  à  l'ombre  du  vieux  Corné- 
lius Sylla,  qui  posséda  le  monde ,  s'il  n'eût  pas  donné  la  moitié 
du  monde,  le  monde  tout  entier  pour  racheter  cette  larme  qu'il 
versa  sur  le  tombeau  de  son  fils  Cornélius.  Eh  bien ,  les  dieux 
eurent  pitié  de  lui.  Il  eut  d'un  troisième  mariage  Faustus.  Pour- 
quoi les  dieux  seraient-ils  donc  plus  sévères  pour  moi  que  pour 
Sylla.  Un  fils  continue  notre  vie ,  et  quand  le  feu  qui  anime  cer- 
tains hommes  s'est  éteint  sous  l'aile  de  la  mort,  une  étincelle  se 
réfugie  au  sein  de  leur  enfant.  Une  étincelle  recommence  un 
incendie. 

CHRYSIPPE. 

Adoptez  quelqu'un  que  vous  aimerez  et  qui  vous  aimera. 

CATILINA. 

Me  prends-tu  pour  un  sot,  Chrysippe  ?  crois-tu  que  l'adoption 
remplace  la  naissance  ?  Je  veux  aimer  selon  la  nature  et  non  de 
par  la  loi.  Va,  mon  savant  médecin ,  je  serai  sage  et  le  temps 
me  guérira. 

CHRYSIPPE. 

Je  me  retire. 

CATILINA. 

Surveille-moi  pendant  le  souper.  J'ai  besoin  de  toute  ma 
vigueur  et  de  toute  ma  gaieté  ce  soir.  Au  reste,  (riant)  je  ne 
me  suis  jamais  senti  en  meilleure  disposition. 

CHRYSIPPE. 

Et  vous  ne  voulez  pas  qu'on  en  doute  ? 

CATILINA. 

Non,  certes. 

CHRYSIPPE. 

Alors  mettez  du  rouge  de  Péluse  sur  vos  joues ,  car  vous  êtes 
pâle  comme  la  mort. 

CATILINA. 

J'en  mettrai.  Adieu,  Chrysippe. 

CHRYSIPPE. 

Au  revoir,  seigneur. 

SCÈNE  VI. 

CATILINA,  seul. 
Qu'a-t-il  voulu  dire  par  ces  mots  :  Oreste  était  vieux  h  vingt 
ans,  Oreste  était  souillé  ,  Oreste  avait  des  remords,  Oresle  était 


ACTE  1I,TABLEAI  HT.  Gl 

poursuivi  par  les  Euménides  ?  Moi  je  n'ai  rien  à  faire  avec  les 
noires  déesses.  Allons,  allons,  Catilina.  du  découragement, 
du  dégoût,  au  moment  où  tu  es  prêt  de  toucher  le  but?  Tes  ge- 
noux faiblissent,  ta  main  tremble.  Pauvre  machine  humaine! 
Si  j'en  arrive  à  me  mépriser  moi-même,  que  penserai-je  des 
autres  ?  (A  Storax  qui  entre.)  Qui  va  là  ?  qui  êtes-vous  ? 


SCENE   VII- 

STORAX,  CATILINA. 

STORAX. 

Allons,  il  paraît  décidément  que  j'ai  changé  de  tète. 

CATILINA. 

Oui,  par  Janus,  tu  as  deux  visages. 

STORAX. 

Oh  !  deux  !...  Je  ne  vous  en  ai  pas  encore  donné  le  compte. 

CATILINA. 

Avance  ici  et  causons.  (Il  s'assied.) 

STORAX. 

Je  ne  demaude  pas  mieux  ,  la  langue  me  démange.  De  quoi 
allons-nous  parler  ? 

CATILINA. 

Eh  bien!  parlons  de  toi. 

STORAX. 

De  moi  ?  j'ai  peur  d'être  trop  indulgent. 

CATILINA. 

Je  tiendrai  compte  de  la  partialité.  D'abord,  comment   un 
homme  d'esprit  comme  toi,  car  tu  as  de  l'esprit... 

STORAX. 

Trop. 

CATILINA. 

Eh  bien,  comment  un    homme  qui   a  trop  d'esprit  s'expose- 
t-il  à  être  crucifié  pour  une  tourterelle  ? 

STORAX. 

On  ne  pare  pas  un  coup  de  fronde. 

CATILINA. 

C'est  vrai. 

STORAX. 

Tout  ce  que  je  pouvais  faire,  c'était  de  me  sauver  une  fuis  pris. 

CATILINA. 

Oui. 


62  CATILINA. 

STORAX. 

Eh  bien,  je  me  suis  sauvé  ,  ne  m'en  demandez  pas  davantage. 
Quand,  placé  dans  une  situation  mauvaise,  on  tire  de  la  situation 
tout  le  parti  qu'on  peut  en  tirer,  il  n'y  a  Tien  à  dire. 

CATILINA. 

Voilà  de  la  logique,  ou  je  ne  m'y  connais  pas...  donc  si  tu 
n'as  pas  paré  le  coup  de  fronde ,  cela  ne  veut  pas  dire  que  tu 
n'eusses  pas  paré  autre  chose. 

STORAX. 

J'ai  paré  Caton. 

CATILINA. 

Explique-moi  cela,  je  ne  comprends  pas  bien...  Quelles  af- 
faires as-tu  pu  avoir  avec  Caton,  toi  ? 

STORAX. 

Des  affaires  politiques. 

CATILINA. 

Allons  donc  !  la  politique  ne  regarde  pas  les  esclaves, 

STORAX. 

Les  esclaves,  c'est  vrai,  mais... 

CATILINA. 

Car  je  ne  suppose  pas  que  tu  sois  ciloyen  romain. 

STORAX. 

Eh  bien,  voilà  ce  qui  vous  trompe. 

CATILINA. 

Tu  es  citoyen  ? 

STORAX. 

Comme  vous,  comme  César,  comme  Crassus.  Seulement  je  suis 
moins  noble  que  vous,  moins  débauché  que  César,  et  moins  ri- 
che que  Crassus. 

CATILINA. 

Mais  alors,  si  tu  es  pitoyen  romain,  tu  n'avais  qu'à  crier  tout 
à  l'heure  :  Halte-là,  maîtresse  Orestilla.  Je  me  nomme  Storax, 
je  suis  citoyen  romain...  et  tu  sortais  d'embarras  tout  naturelle- 
ment. 

STORAX. 

Brrrrr,  comme  vous  y  allez,  vous,  seigneur  Sergius! 

CATILINA. 

Sans  doute. 

STORAX. 

Voilà  justement  l'affaire...  Je  me  débarrassais  d'avec  Orestilla, 
mais  je  m'embarrassais  avec  Caton. 

CATILINA, 

f\\  bien,  parle?  expiique4oj. 


ACTE  II,  TABLEAU  III.  63 

STORAX. 

Chacun  a  ses  petits  secrets. 

catflina,  se  levant  sw  sw  séant. 

C'est  ce  que  je  n'admets  pas,  maître  Storax.  Je  vous  ai  sauvé 
la  vie,  vous  êtes  h  moi...  Or  si  votre  corps  seul  m'appartient,  ce 
n'est  point  assez...  S'il  ne  s'agit  que  de  votre  corps,  j'ai  cinq 
cents  esclaves  plus  beaux  et  mieux  tournés  que  vous.  Votre  con- 
fiance, au  contraire,  m'est  précieuse.  Je  vous  prie  donc  dp  me 
l'accorder,  ou  sinon  je  me  verrais  forcé,  n'ayant  aucun  besoin 
de  votre  corps ,  de  le  rendre  a  Aurélia ,  ou  même  de  le  donner 
à  Caton  à  qui  ye  n'ai  jamais  rien  donné.  Voyons,  ce  que  je  vous 
dis  là  fait-il  effet  sur  vous,  aimable  Storax  ? 

STORAX. 

Beaucoup  d'effet. 

CATILINA. 

Eh  bien,  voyons.  (/(  se  recouche.  ) 

STORAX. 

Vous  le  voulez? 

ihhhl 

Absolument. 

STORAX. 

Vous  saurez  d'abord  que  je  ne  me  suis  pas  toujours  appelé 
Storax. 

CATILINA. 

Ah! 

STORAX. 

Non.  Du  temps  des  proscriptions  je  m'appelais  Quintus  Pugio, 
j'étais  tanneur. 

CATILINA. 

Très -bien! 

STORAX. 

Sylla,  vous  en  savez  quelque  chose,  vous  qui  étiez  son  ami, 
Sylla  mit  un  certain  nombre  de  tètes  a  prix.  Je  n/avais  pas  d'ou- 
vrage, la  tête  valait  quatre  mille  drachmes.  J'en  coupai  quelques- 
unes,  mais  honnêtement,  je  vous  jure. 

CATILINA. 

Qu'appelles-tu  honnêtement? 

STORAX. 

C'est-à-dire  que  je  n'imitais  jamais  ces  ?ens  de  mauvaise  foi, 
qui,  pour  s'épargner  des  recherches  fatigantes,  coupaient  la  lêtfl 
de  leur  voisin...  quand  celui-ci  ressemblait  au  proscrit  demandé. 
Non,  avec  moi,  bon  argent,  bon  jeu. 

CVITLLNA. 

C'était  de  la  probité. 


Ci  CATIL1M. 

STORAX. 

Oui,  jusque-là  je  sais  bien,  tout  va  à  merveille...  Mais  voilà 
qu'un  jour,  Sylla  eut  la  malheureuse  idée  de  changer  le  mode 
de  payement,  et  qu'au  lieu  de  compter  tant  par  tête,  il  se  mit  à 
acheter  les  têtes  à  la  livre.  Chacun  alors  de  chercher  les  plus 
lourdes.  Mes  associés  eurent  de  la  chance...  Les  uns  prirent  des 
têtes  de  savants,  de  magistrats,  les  autres  des  têtes  de  philoso- 
phes... toutes  têtes  de  poids...  11  ne  me  resta  plus  qu'un  beau... 
qu'un  élégant...  un  fils  de  sénateur. 

CATILIN'A. 

Tète  légère,  n'est-ce  pas  ?  et  que  tu  laissas  vivre. 

STORAX. 

Non.  J'imaginai  un  moyen.  Je  m'avisai  de  lui  couler  du  plomb 
fondu  dans  l'oreille  pour  réparer  l'injustice  du  sort...  Je  vous  le 
disais,  j'ai  trop  d'esprit. 

catilina. 

En  effet,  j'ai  entendu  parler  de  cela...  C'était  ingénieux. 

STORAX 

N'est-ce  pas?...  Malheureusement  la  main  me  tourna,  j'en 
mis  trop...  la  tète  devint  si  lourde  que  c'était  invraisemblable... 
L'intendant  après  avoir  payé  s'aperçut  de  la  supercherie.  Sylla, 
qui  était  de  bonne  humeur  ce  jour-là,  me  fit  grâce  de  la  vie... 
mais  il  voulut  que  je  rendisse  l'argent.  Je  l'avais  dépensé.  On  me 
déclara  banqueroutier,  et  comme  tel  je  fus  mis  à  l'encan  et  vendu 
au  vieux  mari  d'Aurélia  Orestilla...  Le  mari  mort,  j'échus  à  la 
femme.  Aujourd'hui,  vous  le  savez...  Caton  recherche  curieuse- 
ment, pour  en  faire  collection,  les  têtes  de  ceux  qui  se  sont  dis- 
tingués dans  les  proscriptions.  Je  sais  que  mon  trait  du  plomb 
fondu  l'occupe  et  qu'il  a  fort  envie  de  connaître  particulièrement 
le  citoyen  Quintus  Pugio.  Voilà  pourquoi  tant  que  Caton  vivra, 
je  préfère  m'appeler  Storax.  Auriez-vous  quelque  chose  contre 
ce  désir,  seigneur  Sergius  ? 

CATILINA. 

Moi,  pas  le  moins  du  monde. 

STORAX. 

Voyez-vous,  si  vous  êtes  assez  bon  pour  me  protéger  et  con- 
tre Caton  et  contre  Aurélia,  je  tâcherai  de  vous  rendre  à  mon 
tour  quelque  service.  J'ai  beaucoup  vu,  beaucoup  observé...  Je 
sais  beaucoup  de  choses  qui,  inutiles  .;à  moi,  peuvent  être  fort 
utiles  aux  autres...  Voulez- vous  que  je  vous  dise  quelques  mots 
de  vos  amis? 

CATILIN'A. 

Mes  amis,  je  les  connais. 

STORAX. 

Et  vos  ennemis? 


ACTE  II,  TABLEAU  III.  Go 

CATILNA. 

Inutile,  je  m'en  défie.  Ecoute:  te  chargerais-tu  de  me  re- 
trouver quelqu'un  ? 

STORAX. 

Où  cela  ? 

CATILINA. 

Dans  Rome. 

STORAX. 

Donnez-moi  son  signalement. 

CATILINA. 

Tu  l'as  vu. 

STORAX. 

Je  i'ai  vu,  et  vous  me  demandez  si  je  retrouverai  quelqu'un 
que  j'ai  vu  ? 

CATILINA. 

Je  te  le  demande. 

Où  l'ai-je  vu  ? 

Au  Champ  de  Mars. 

Quand  cela  ? 

Il  y  a  deux  heures... 

Mettez-moi  sur  la  voie. 

CATILINA. 

Le  jeune  homme  à  la  fronde... 

STORAX. 

Qui  a  tué  ma  tourterelle. 

CATILINA. 

Justement. 

STORAX. 

Comme  cela  tombe!  Je  m'étais  promis  de  le  retrouver  pour 
mon  compte.  Je  ferai,  comme  lui,  d'une  pierre  deux  coups. 

CATILINA. 

Storax,  ce  jeune  homme  te  sera  sacré...  Ta  vie  me  répondra 
d'un  de  ses  cheveux!  Tu  le  retrouveras  pour  moi  seul. 

STORAX. 

Soit. 

CATILINA. 

Combien  te  faut-il  de  temps  pour  le  retrouver? 

STORAX. 

rVélait-ee  pas  à  lui  ce  petit  gueux  d'eida\e  jaune  qui  le  sui- 
vait? 


STORAX. 
CATILINA. 
STURAX. 
CATILINA. 
STORAX. 


66  CATILINA. 

CATILINA. 

C'était  à  lui. 

STORAX. 

En  ce  cas,  il  me  faut  une  heure.  Laissez-moi  sortir,  et  dans 
une  heure... 

CATILINA. 

Tu  es  libre. 

storax  fait  trois  pas  et  revient. 

Ah  !  pardon ,  seigneur  Sergius  ;  mais  il  y  a  une  chose  qui 
m'inquiète?  (Il  va  s'appuyer  sur  le  bras  du  fauteuil.) 

CATILINA. 

Serait-ce  par  hasard  cette  lettre  de  Lentulus.  que  tuas  trouvée 
sous  mon  manteau  et  que  tu.as  su  si  habilement  déchiffrer? 

STORAX. 

Non. 

CATILINA. 

Non  !  C'est  grave,  cependant,  un  secret  de  cette  importance  ? 

STORAX. 

Aussi  m' a-t-il  préoccupé  un  instant.  En  revenant  du  Champ 
de  Mars,  nous  avons  côtoyé  un  vivier  plein  de  grosses  lamproies, 
qui  dévoreraient  dix  Storax  et  quinze  Pugio  en  un  quart  d'heure. 
Ces  bêtes,  en  me  voyant  passer,  levaient  leurs  fins  museaux  à  la 
surface  de  l'étang,  et  me  couvaient  d'un  œil  affamé.  Vous  m'a- 
viez fait  prendre  le  bord  de  l'eau.  Ah  !  ah  !me  suis-je  dit,  il  paraît 
que  c'est  ici  que  mon  nouveau  maître  va  enterrer  Storax  et  le 
secret  de  Lentulus.  Mais,  pas  du  tout,  vous  avez  passé  outre... 
Alors  je  me  suis  dit  :  Il  faut  qu'il  ait  bien  besoin  de  moi...  sans 
quoi... 

CATILINA. 

Sans  quoi? 

STORAX. 

Sans  quoi  vous  m'eussiez  poussé  dans  le  bassin  aux  lamproies. 

CATILINA. 

J'y  ai  bien  pensé. 

STORAX. 

Je  l'ai  bien  vu. 

CATILINA. 

Ce  n'est  donc  plus  cela  qui  t'inquiète? 

STORAX. 

Vous  êtes  chargé  de  ma  toilette;  bien!...  la  tête  est  bonne. 
Vous  vous  êtes  chargé  de  mon  costume,  et  je  ne  me  plains  pas 
de  l'habit;  mais... 

CATILINA. 

Mais  quoi? 


ACTE  Iï,  TABLEAU  III.  67 

STORAX. 

Quel  doit  être  l'usage  de  cet  anneau  qu'on  m'a  rivé  à  la 
jambe? 

catilina. 

Cet  anneau  ,  c'est  pour  y  mettre  cette  chaîne.  {Il  lui  remet 
une  chaîne.) 

STORAX. 

Ah!  ah!... 

CATILINA. 

Tu  es  mon  confident,  mais  je  t'élèvo  à  la  dignité  de  portier  — 
dans  tes  moments  perdus.  Sois  tranquille ,  dans  une  heure  tu 
seras  libre. 

STOR\X. 

Donc,  je  me  mets  à  la  piste  dujeune  homme. 

CATILINA. 

A  l'instant  même...  Songe  que  j'en  veux  avoir  des  nouvelles 
cette  nuit. 

STORAX. 

Je  vous  ai  demandé  une  heure. 

CATILINA. 

Ah  !  voilà  quelqu'un  qui  nous  arrive. 

STORAX. 

C'est  Orestilla. 

CATILINA. 

Eh  bien  !  ne  vas-tu  pas  faire  quelque  imprudence?  Puisque  tu 
lu  ne  te  reconnais  pas  toi-même,  elle  ne  te  reconnaîtra  pas. 

SCENE  VIII. 

CATILINA,  STORAX,  ORESTILLA. 

CATILINA. 

Salut,  Orestilla!  Je  vous  attendais. 

ORESTILLA. 

Est-ce  parce  que  je  vous  avais  dit  que  je  ne  viendrais  pas? 
[Elle  s'assied.) 

CATILINA. 

Justement  ;  mais  je  me  suis  dit  :  Storax  pendu,  la  colère  pas- 
sera, et  Orestilla  ne  voudra  pas  me  faire  cette  douleur  de  priver 
ie  sa  présence  une  fête  donnée  pour  elle.  11  a  donc  été  pendu 
:e  malheureux  Storax? 

ORESTILLA. 

Non;  le  drôle  n'a  pas  voulu  me  donner  ce  plaisir;  en  passant 
?ur  le  pont,  il  s'est  jeté  dans  le  Tibre. 

CATILINA. 

Où  il  s'est  noyé  y 


68  CATILINA. 

ORESTILLA. 

On  me  l'a  dit,  du  moins:  mais  comme  je  tiens  à  en  être  sûre, 
j'ai  donné  l'ordre  aux  pêcheurs  de  chercher  son  corps. 
catilina,  a  Storax. 
Va  où  je  t'ai  dit. 

ORESTILLA. 

Qu'est-ce  que  cet  homme  ? 

CATILINA. 

Un  nouvel  esclave  dont  j'examinais  les  mérites.  [Storax  sort.) 

SCENS  IX. 

CATILINA,  ORESTILLA. 

ORESTILLA. 

Bien.  Sommes-nous  seuls? 

CATILINA. 

A  l'exception  de  Curius  et  de  Fulvie,  qui  se  disputent  ou  se 
raccommodent  dans  les  jardins,  je  ne  sais  trop  lequel. 

ORESTILLA. 

Verrez-vous  longtemps  encore  une  société  pareille? 

CATILINA. 

Cela  dépendra  de  vous,  Orestilla.  Sommes-nous  d'accord? 

ORESTILLA. 

Parfaitement.  Je  ne  vous  aime  pas,  vous  ne  m'aimez  pas,  nous 
nous  épousons;  n'est-ce  point  cela? 

CATILINA. 

Il  est  impossible  de  mieux  établir  la  situation. 

ORESTILLA. 

11  y  a  dans  la  vie  d'un  homme,  fût-il  homme  de  mérite,  fût-il 
homme  de  talent,  fût-il  homme  de  génie,  un  de  ces  moments  où 
tout  avenir  peut  se  briser  devant  un  mot...  l'argent  manque  ! 

CATILINA. 

Moins  le  génie,  je  suis  en  effet  dans  un  de  ces  moments-là. 

ORESTILLA. 

Il  en  résulte  que,  faute  de  quelques  milliers  de  sesterces,  une 
destinée  avorte,  une  fortune  croule... 

CATILINA. 

C'est  ce  qui  faillit  arriver  à  César  au  moment  de  partir  pour 
l'Espagne...  Il  rencontra  Crassus  qui  le  sauva. 

ORESTILLA. 

Et  c'est  ce  qui  vous  arriverait  à  vous  si  vous  ne  m'aviez  pas 
rencontrée...  Je  serai  votre  Crassus.  Crassus  donna  la  préture  à 
César,  je  vous  donnerai  lo  consulat.  Combien  vous  faut-il  pour 
assurer  votre  élection?  Calculez  largement. 


ACTE  II,  TABLEAU  III.  C9 

CATILINA. 

Vingt  millions  de  sesterces. 

ORESTILLA. 

Vous  pouvez  les  faire  prendre  chez  moi  cette  nuit. 

C ATI LIN A. 

De  mon  côté,  vous  savez  que  je  ne  vous  apporte  rien.  Mes 
terres  et  mes  prairies  sont  grevées  d'hypothèques,  mes  esclaves 
sont  engagés,  le  séquestre  est  mis  sur  mes  maisons...  vous  épou- 
sez Lucius  Sergius  Catilina...  ou  plutôt  son  nom...  et  rien  de 
plus. 

ORESTILLA. 

Soit.  C'est  à  un  homme  tel  que  vous  qu'il  me  convient  de  lier 
ma  destinée.  Maintenant  vous  savez  toute  ma  vie.  Je  ne  cherche 
point  à  me  farder.  J'abjure  mon  passé.  J'oublie  ce  que  je  fus... 
Votre  avenir  politique,  c'est  le  mien.  Pour  la  réussite  de  vos 
désirs,  pour  le  triomphe  de  votre  ambition,  pas  de  trêve,  pas 
d'obstacles.  Je  n'ai  plus  de  famille,  je  n'ai  plus  d'amis,  je 
n'ai  plus  de  sentiments...  Je  suis  votre  associée,  votre  instru- 
ment, s'il  est  besoin,  votre  complice,  s'il  le  faut...  Je  suis  à 
vous,  tout  à  vous. 

CATILINA. 

J'accepte. 

ORESTILLA. 

Les  serments  que  les  époux  se  font  entre  eux...  dérision!  Ce 
n'est  point  un  mariage,  c'est  un  pacte  que  nous  concluons  au 
pied  des  autels.  Le  jour  où  vous  me  direz  :  Aurélia,  pour  que 
je  sois  plus  riche,  pour  que  je  sois  plus  grand,  pour  que  je  sois 
le  premier  de  Rome,  ce  n'est  pas  assez  qu'il  y  ait  entre  nous 
un  pacte,  il  faut  qu'il  y  ait  un  crime!...  Ce  jour-là  je  vous 
dirai  :  Associée,  je  partage  le  mal  et  He  bien,  complice,  je  me 
mets  à  l'œuvre,  instrument,  je  frappe  !... 

CATILINA. 

Bien. 

ORESTILLA. 

Est-ce  là-dessus  que  vous  comptiez? 

CATILINA. 

Tout  à  fait. 

ORESTILLA. 

A  votre  tour...  Que  faites-vous  pour  moi? 

CATILINA. 

Je  croyais  cette  question  résolue  entre  nous...  Où  je  vais,  je 
vous  mène.  Seulement,  tant  que  je  monte,  vous  pouvez  me  sui- 
vre... si  je  tombe,  vous  avez  le  droit  de  m'abandonner...  Je  ne 
vous  dois  que  ma  bonne  fortune. 


70  CATIL1M. 

ORESTILLA. 

Je  n'aime  point  Catilina  comme  ou  aimo  un  homme...  je 
l'aime  comme  on  aime  sa  propriété.  Je  vous  veux  exclusivement, 
entièrement...  C'est  vous  dire  que  je  ue  permettrai  pas  que 
rien...  entendez-vous?  que  rien  surgisse  entre  nous...  J'ai  ac- 
cepté la  seconde  place  dans  votre  fortune  et  dans  votre  vie... 
mais  réfléchissez-y...  je  refuserais  la  troisième.  Vous  d'abord... 
moi  ensuite. 

CATILINA. 

C'est  convenu. 

ORESTILLA. 

Ainsi,  vous  n'avez  rien  dans  le  cœur,  Catilina  ? 

CATILINA. 

Rien. 

ORESTILLA. 

Vous  n'aimez  aucune  femme  ? 

CATILINA. 

Aucune. 

ORESTILLA. 

Pas  un  regard  que  vous  cherchiez  avec  plaisir  ? 

CATLLINA. 

Pas  un. 

ORESTILLA. 

Pas  une  main  que  vous  pressiez  avec  affection? 

CATILINA. 

Pas  une. 

ORESTILLA. 

Pas  d'enfant  d'un  premier  mariage  ? 

CATILINA. 

Non. 

ORESTILLA. 

Pas  d'enfant  d'adoption? 

CATILINA. 

Non. 

ORESTILLA. 

Pas  d'enfant  naturel? 

CATILINA. 

Non. 

ORESTILLA- 

Réfléchissez-y  bien.  En  me  disant  que  vous  n'aimez  rien  au 
monde...  que  tout  vous  est  indiffèrent...  en  me  disant  que  je 
dois  passer  avant  tout  et  avant  tous,  vous  vous  ôtez  le  droit  de 
défendre  qui  que  ce  soit  contre  moi...  vous  me  donnez  le  droit 
de  disposer  souverainement  de  tout  et  de  tous. 


ACTE  II,  TABLT'.U    III.  71 

CATIUXA. 

Je  vous  le  donne. 

ORESTILLA. 

Voifci  l'anneau  d'Orestillus,  mou  premier?  mari,  le  cachet  au- 
quel obéissent  mon  intendant  et  mes  esclaves.  Il  représente  qua- 
rante millions  de  sesterces  ..  et  ma  liberté.  Votre  main.  (Elle  lui 
passe  l'anneau  au  doigt.) 

CATILINA. 

A  vous,  voici  l'anneau  de  Sergeste,  mon  ancêtre,  le  cachet  qui 
régnait  sur  tous  mes  biens,  quand  j'avais  des  biens.  Aujourd'hui 
il  n'est  plus  que  le  gage  de  ma  volonté.  Mais  ce  que  je  veux, 
c'est  cent  fois,  c'est  mille  fois,  c'est  un  million  de  fois  ce  que 
j'ai  perdu.  C'est  ce  qu'a  voulu  Marius  ;  c'est  ce  qu'a  accompli 
Sylla. 

ORESTILLA. 

Votre  associée  peut  le  prendre  ? 

C\TIL1NA. 

Le  voici.  (Orestilla prend  Vanneau.) 

SCENE  X. 

Les  Mêmes,  NUBIA;  puis  LENTULl's  Rï'LLI IS,  < TTHh.l  - 
CAPITO,  CURIL'S,  FULVIfi,  et  un  Intendant,  etc.,  " 
UHna  va  au-devant  d'eux  jusque  dans  le  jardin.) 

nubia,  paraissant  à  la  porte  de  côté. 
Maîtresse... 

ORESTILLA. 

Ah!  c'est  toi,  Nubia? 

NTBIA. 

Puis-je  parler? 

ORESTILLA. 

Oui. 

NUBIA. 

Le  jeune  homme  s'appelle  Charinus;  le  pore  Clinias,  la  mère 
Erys. 

ORESTILLA. 

Où  demeurent-ils? 

NUBIA. 

Au  Charap-de-Mars,  près  de  la  voie  Flaminia. 

ORESTILLA. 

Bien.   (Entrent  Catilina  et  ses  amis.)  Prends  mon  manteau, 
Nubia. 
catilina,  rentrant  avec  Capito.  et  allant  au-devant  de  lenuilu*, 

J?ento!n«!  snliit, 


^2  CATILINA. 

LENTULUS. 

Avez-vous  reçu  ma  lettre  ? 

CATILINA. 

Oui,  et  soyez  tranquille.  On  veillera  a  ce  que  le  pois  chiche 
soit  cueilli.  Bonjour,  Céthégus. 

CÉTHÉGUS. 

Bonjour.  Avons-nous  du  nouveau? 

CATILINA. 

C'est  à  vous  qu'il  faut  demander  cela  ;  à  vous,  notre  futur 
édile.  [Entrent  Fulvie  et  Curius.) 

CETHEGUS.       « 

Par  Hercule  !  le  sénat  se  remue  comme  une  fourmilière  sur 
laquelle  un  cheval  a  mis  le  pied.  Toutes  les  baudes  de  pourpre 
veulent  nommer  Cicéron.  Sera-t-il  nommé? 

CATILINA. 

Vous  le  savez,  amis.  C'est  un  coup  de  dés  sur  le  tapis  vert  des 
comices.  Nul  ne  peut  répondre  s'il  fera  le  coup  de  Vénus  ou  le 
coup  du  chien. 

FULVIE. 

0  Sergius!  Pourquoi  les  femmes  ne  votent-elles  pas? 

CATILINA. 

Merci ,  belle  Fulvie  ;  mais  si  les  femmes  ne  votent  pas ,  elles 
font  voter. 

ORESTILLA,  ttSSÎSe. 

C'est  presque  une  déclaration,  savez-vous.  Dites  donc  à  Ful- 
vie que  nous  nous  marions...   séparés  de  biens. 
curius,  à  Catilina. 
Bon  !  voilà  les  femmes  qui  se  disputent  à  présent. 

catilina,  intervenant. 
L'une  ou  l'autre  de  vous  deux  a-t-elle  vu  César,  mesdames? 

TOUTES  DEUX. 

César?  Non. 
Voyons,  Orestilla? 
Voyons,  Fulvie? 
Eh  bien  !  quoi  ? 
Qu'y  a-t-il? 

CÉTHÉGUS. 

César,  c'est  un  Janus  ;  il  a  deux  visages.  Par  Hercule  !  défiez- 


CATIL1XA. 

CURIUS. 

ORESTILLA. 

FULVIE. 


ACM-  H,  TABLEAU  III.  73 

vous  de  lui,  Sergius.  L'un  qui  sourit  à  Catilina,  l'autre  qui  sou- 
rit à  Cicéron. 

catilina,  à  Orestilla. 
Si  César  vient ,  retenez-le  ,  et  qu'il  ne  sorte  sous  aucun  pré- 
îeute.  Ah!  vous  voilà,  Rullusî  Que  tenez-vous  la?  Est-ce  un 
chapitre  des  dix  premières  années  de  votre  Histoire  de  Sylla? 

RULLUS. 

Non;  c'est  un  projet  d'orgauisation  dont  je  compte  faire  Fes- 
sai, si  jamais  j'arrive  au  pouvoir. 

capito,  à  Catilina. 
Eh  bien!  qu'attendons-nous  pour  souper? 

CATILINA. 

César. 

l'intendant. 
Une  lettre  du  noble  Julius... 

catilina. 
Il  ne  viendra  pas. 

ORESTILLA. 

A-t-il  une  bonne  raison  au  moins? 

CATILINA. 

Excellente.  (//  lit.)  Jugez-en...  «  Yivî  belle  dame  vient  de  me 
faire  avouer  que  l'on  dîne  mieux  h  deux  qu'à  douze.  Pardonnez- 
moi;  elle  ne  me  pardonnerait  pas.  » 

fulvie,  à  Curius. 

Si  César  ne  vient  pas,  c'est  mauvais  signe. 

CURIUS. 

Par  Vénus!  Fulvie,  César  donne  une  trop  bonne  excuse  pour 
que  je  ne  trouve  pas  qu'il  est  dans  son  droit. 

1-TLVIE. 

Niais  que  vous  êtes! 

CATILINA. 

Seigneurs ,  nous  tâcherons  de  nous  passer  de  César. 

LENTULUS. 

N'importe,  c'est  fâcheux.  César!.,  c'est  unbeau  nom. 

RULLL'S. 

Et  laissez  là  vos  patriciens,  Lentullus.  Invitez  le  peuple  et  il 
viendra,  lui.  Je  réclame  la  part  du  peuple,  Catilina,  du  peuple  ! 
toujours  oublié  dans  les  révolution;. 

CATILINA. 

C'est  bien  ,  Kullus,  c'est  bien;  on  lui  fera  justice  cette,  fois  nu 
peuple,  et  c'est  vous  qui  serez  chargé  de  la  lui  faire. 

TOUS. 

Bravo!  Catilina,  bravo!  5 


74  CATILTSA. 

CÉTHEGUS. 

.T'attend? ,    pour  crier  vive  Catilina  !  que  Calilina  ait  fait  se* 

largesses. 

CATILIXA. 

Soyez  tranquille,  il  les  fera.  J'ai  regardé  l'aigle  romaine,  et 
j'ai  mesure  son  vol;  elle  part  du  mille  d'or,  centre  de  la  ville, 
et  décrit  un  cercle  gigantesque  autour  du  monde.  L'Europe  au 
ciel  sévère,  à  la  terre  féconde;  PAsie  aux  plaines  pmbaumée* 
aux  fleuves  semés  de  paillettes  d'or,  aux  villes  opulentes  \ 
1  Afrique  avec  ses  mines  d'argent  et  de  pierres  précieux  avec 
ses  déserts,  vaste  peau  de  tigre  tachée  d'oasis;  voilà  en  que 
domine  l'aigle  de  nos  légions;  du  haut  du  ciel  son  œil  voit  s'agi- 
ter cent  cinquante  millions  de  tributaires  ,  fumer  quarante 
mille  cités;  l'ombre  de  ses  deux  ailes  s'étend  sur  les  deux  mers 
qui  embrassent  son  domaine  .  comme  une  ceinture  ruisselante 
de  lumière.  Enfin,  lorsqu'elle  est  fatiguée,  elle  peut  reposer 
son  vol  sur  une  montagne  d'or  aussi  haute  que  l'Atlas.  Comptons- 
nous.  Nous  sommes  six!  Coupons  la  montagne  en  six  tranches- 
taillons  le  monde  en  six  parts  :  voilà  ,  mes  amis .  la  largesse  que 
nous  fait  le  roi  du  festin. 

TOUS. 

Vive  le  roi  du  festin  ! 

CATILINA. 

Le  roi,  ce  sera  le  consul  de  demain.  Criez  vive  le  consul  ! 

CÉTHEGUS. 

Pas  de  détours  ,  pas  d'apologues.  Ne  crions  ni  vive  le  roi  '  ni 
vive  le  consul!  crions  vive  Catilina  ! 

CDWOS ,  à  Falvie. 
Comprenez-vous  maintenant? 

FULVIE. 

Je  comprends. 

C  CRI  US. 

Et  êtes-vous  fàcnéè  d'être  restée  ? 

FULVIE. 

Je  ne  m'engage  que  jusqu'à  demain. 

.  CATILIXA. 

Maintenant  parlez.  Il  n'y  a  pas  de  trop  vastes  désirs,  il  n'y  a 
pas  de  trop  grandes  ambitions;  ce  que  les  autres  osent  à  peine 
rêver,  demandez-le  et  vous  l'aurez.  A  vous,  Lentulus.  prenez. 

LENTULUS. 

A  moi  l'Asie. 

CATILINA. 

Rullus,  vous  l'organisateur  de  nos  majorités,  demande?, 


ACTE  II,  TABLEAU  III.  75 

RU  L  LU  S. 

A  moi  Rome,  et  avec  Rome  l'Italie. 

CATILINA. 

Soit.  Céthégus,   vous,    le   bras  de  l'entreprise,  que  vous 
faut-il  ? 

CÉTHFJ,l>. 

La  Gaule,  la  Germanie  ,  le  Nord. 

CA.T1LI.NA. 

C'est  dit.  Capito,  que  désirez-vous? 

CAPITO. 

L'Afrique  ! 

CATILINA. 

Accordée.  Vous,  Curius? 

CURIUS. 

Que  dites-vous  de  l'Espagne,  Fulvie? 

FULVIE. 

Elle  est  un  peu  ruinée  par  César. 

CURIUS. 

Bah!  nous  trouverons  bien  à  y  glaner  un  milliard  de  sesterces. 

{Se  tournant  vers  CatUvita.)  L'Espagne  ! 

CATILINA. 

Vous  l'avez. 

ORESTILLV. 

Ils  vous  oublient  et  prennent  tout.  Chacun  a  sa  province  ,  que 
vous  restera-t-il,  à  vous? 

CATILINA,  6fl». 

Tout.  Ne  faut-il  pas  des  proconsuls  à  un  dictateur  ?   [Haid.) 
Et  maintenant,  amis,  à  table. 

CAPITO. 

Mais  la  table  n'est  pas  dressée. 

CATILINA. 

Oh!  ce  sera  bientôt  fait;  j'ai  pour  me  servir  des  génie*  ton 
intelligents,  quoique  invisibles. 

FULVIE. 

Et  de  quelle  façon  leur  tiansui«n,z-vous  vos  commandements . 

CATILINV. 

Frappez  dupied,  madame,  avec  l'intention  qu'ils  vous  envoient 
à  souper,  et  ils  vous  obéiront. 

FULVIE. 

Combien  de  fois? 

CATILINA. 

Trois  fois,  c'est  le  noml" 


76  CATILm. 

fulvie  frappe  du  pied  trois  fois,  une  table  somptueusement  servie 
sort  de  terre  avec  les  lits  de  pourpre. 
C'est  par  magie. 

ORESTILLA. 

Envoyez  chercher  chez  moi  vingt  millions  de  sesterces. 

CATILINA. 

Rien  !  placez-vous.  Amis,  à  table,  à  table  ! 

SCÈNE  XI. 

Les  Mêmes  ,  STORAX. 

STORAX. 


CATILINA. 

STORAX. 
CATILINA. 


Maître  ! 

C'est  toi  ! 
Je  sais  tout. 
Parle! 

STORAX. 

,  Le  jeune  homme  s'appelle  Charinus  ,  le  père  Clinias,  la  mère 
Erys. 

CATILINA. 

Où  demeurent-ils  ? 

STORAX. 

Au  Champ  de  Mars,  près  de  la  voie  Flaminia,une  petite  maison 
isolée. 

catilina,  vivement. 
La  maison  de  la  Vestale  ! 

STORAX. 

Justement  ! 

CATILINA. 

Qu'on  apporte  un  manteau  d'esclave  dans  cotte  chambro  ;  da  ns 
dix  minutes  je  sors. 

ORESTILLA. 

Eh  bien ,  Catilina,  nous  n'attendons  plus  que  vous  et  les  cou- 
ronnes. 

CATILINA. 

Voici  Vénus,  votre  sœur,  qui  vient  vou  s  les    apporter.  (Peu 
scîaves  vêtues  en  nymphes  et  une  Ténu  s   demandent  du  îambri 
sur  un  nuage,  avec  des  couronnes  et  des  guirlandes.) 

TOUS. 

Vire  Catilina ,  le  roi  du  festin  ! 


e 


ACTE  III,  TABLEAU  IV.  77 


catilina,  levant  sa  coupe. 
Amis ,  au  partage  du  monde  ! 

TOUS. 

Au  partage  du  monde  ! 


ACTE  m 


QUATRIÈME  TABLEAU. 

La  maison  de  la  Vestale.  Même  décoration  qu'au  prologue. 

SCENE  X. 

MARCIA,  sur  le  canapé,  CLINIAS. 
marcia,  à  Clinias. 
Pourquoi  prenez-vous  cette  peine  de  porter  vous-même  les 
bagages  dans  le  souterrain,  Clinias? 

clinias,  s'approchant  de  Marcia. 
Parce  que  je  me  défie  de  tout  le  monde  et  même  de  Syrus; 
puis  il  y  a  près  d'une  année  que  la  porte  extérieure  n'a  été  ou- 
verte. J'avais  peur  que  la  serrure  ne  fût  rouillée  et  que  nous 
n'éprouvassions  quelque  difficulté  au  moment  du  départ.  Heu- 
reusement tout  va  bien. 

MARCIA. 

Voyons,  Clinias,  pour  me  séparer  encore  une  fois  de  mon  en- 
fant, le  danger  est-il  aussi  grand  que  vous  le  croyez? 

CLINIAS. 

Le  danger  est  immense,  Marcia. 

MARCIA. 

Ainsi,  vous  ne  vous  êtes  pas  trompé...  vous  êtes  sûr  d'avoir 
reconnu  cet  homme? 

CLINIAS. 

Marcia,  trois  figures  vivent  incessamment  dans  mon  souvenir; 
l'une  y  éveille  l'amour,  la  seconde  la  pitié,  la  troisième  la  haine. 
Vous  que  le  ciel  nous  a  donnée,  Niphé  que  la  mort  nous  a  prise, 
cet  homme  que  l'enfer  nous  renvoie. 

MARCIA. 

C'est  bien,  Clinias;  prenez  cette  bourse.  J'ai  mis  quatre  talents 
d'or  au  fond  du  coffre.  Rien  ne  s'oppose  plus  maintenant  à  ce 
que  je  sois  séparée  de  mon  fils.  Rien,  pas  même  ma  volonté. 

CLINIAS. 

Marcia,  vous  avez  encore  une  heure. 


78  CAT1LINA. 

MARCIA. 

Elle  passera  bien  vite. 

CLIMAS. 

Elle  passera  trop  lentement.  Marcia.  Je  l'avoue,  je  ne  respi- 
rerai à  Taise  qu'une  fois  hors  desmu-s  de  Rome,  quand  nos  mu- 
les nous  entraîneront  au  galop  vers  Naples. 

MARCIA. 

Alors,  partez  tout  desuiie. 

CLIMAS. 

Il  m'a  fallu  le  temps  de  faire  prévenir  nos  esclaves.  Je  leur 
ai  douné  rendez-vous  à  la  fin  de  la  seconde  veille  seulement. 

MARCIA. 

Où  doivent-ils  nous  attendre? 

CLIMAS. 

Au  premier  mille  de  la  voie  Appia.  Us  seront  vingt,  conduits 
par  Senon  le  Gaulois,  bien  armes,  bien  montés/ 

MARCIA. 

Et  quand  pourrai-je  vous  rejoindre  ? 

CLIMAS. 

Aussitôt  que  nous  vous  aurons  annoncé  notre  arrivée  à  Alexan- 
drie. Pardon,  si  je  dispose  ainsi  de  vous,  Marcia,  si  je  vous 
pousse  ainsi  dans  l'exil  :  mais  c'est  pour  suivre  votre  iils.  Vous  y 
perdez  la  patrie,  mais  vous  y  gagnez  le  bonheur. 

MARCIA. 

Merci,  Clinias. 

CLIMAS. 

Ah  !  voici  Charinus  qui  vient.  D'ici  à  l'heure  du  départ,  Mar- 
cia, pas  un  mot  à  votre  fils...  qu'il  n'apprenne  qu'il  vous  quitte 
que  lorsque  le  moment  de  vous  quitter  sera  venu. 

SCENE  II. 

Les  Mêmes,  CHARINUS. 

CHARIXTS. 

Pardon,  ma  mère,  je  me  suis  laissé  entraîner  par  le  travail,  et 
j'avais  peur,  en  entrant,  de  ne  plus  vous  trouver  ici.  Il  est  tard, 
n'est-ce  pas? 

CLIMAS. 

On  vient  de  crier  !a  cinquième  heure  de  la  nuit. 

MARCIA. 

Qu'as-tu  fait,  Charinus?  Tu  as  dessiné  ou  traduit? 

CHARIMJS. 

L'un  et  l'autre,  ma  mère. 


ACTE  III,  TABLEAU  IV.  79 

MARCIA. 

Es-tu  content  de  ce  que  tu  as  fait? 

CHARINTS. 

Je  serai  content  si  vous  êtes  contente,  ma  mère.  Syrus,  va 
chercher  dans  ma  chambre  un  dessin  qui  représente  des  hommes 
à  cheval,  et  un  rouleau  de  papyrus  couvert  de  lignes  inégales. 
Ce  n'est  point  par  paresse  ,  ma  mère  ,  que  j'envoie  Syrus,  c'est 
pour  ne  pas  vous  quitter. 

MARCIA. 


Cher  enfant  !. 
Du  courage  ! 


comas,  bas  à  Marcia. 


CHAKINTS. 

Votre  cœur  bat...  votre  poitrine  se  gonfle...  qu'avez-vous,  ma 
mère  ? 

MARCIA. 

Rien. 

syrus,  rentrant. 
Jeune  maître,  est-ce  là  ce  que  vous  demandez  ? 

CHARINTS. 

Oui.  Tenez,  ma  mère,  voyez...  ceci  est  la  copie  d'une  frise  du 
Parthenon. 

MARCIA. 

Laisse-moi  ce  dessin,  mon  enfant  ;  je  le  garde. 

CHARINUS. 

0  ma  mère!  vous  lui  faites  beaucoup  trop  d'honneur. 

CL1NIAS. 

Qu'as-tu  traduit  aujourd'hui,  Charinus? 

CHAR1NLS. 

Quelques  vers  du  chef-d'œuvre  d'Euripide  ;  un  fragment  de 
Phèdre  :  l'invocation  à  Diane. 

CLINÉAS. 

Voyons. 

MARCIA. 

Attends,,  que  je  t'écoute,  mon  enfant...  Attends  surtout  que  je 
te  voie. 

CHARIMS. 

Fille  de  Jupiter,  déesse  au  front  changeant, 

Qui  mires  dans  les  flots  ta  couronne  d'argent, 

Et  traces  à  ton  char,  quand  la  nuit  prend  ses  voiles, 

Une  route  nacrée  au  milieu  des  étoiles, 

Toi  qui  chasses  le  jour,  et  que  j'entends  partui- 


80  CATILKVA. 

En  excitant  les  chiens,  troubler  la  paix  des  bois, 
Qui  sondes  des  forêts  l'épaisseur  inconnue, 
Quand  ton  frère  Phœbus,  éclatant  dans  la  nue, 
Te  conseille  d'aller  au  milieu  des  roseaux, 
Livrer  ton  corps  divin  à  la  fraîcheur  des  eaux: 
Diane  chasseresse,  ô  fille  de  Latone, 
Rerois  d'un  cœur  ami  cette  blanche  couronne 
Que  je  t'offris  hier,  et  que  d'une  humble  main, 
Avec  les  mêmes  vœux,  je  t'offrirai  demain. 
J'en  ai  ravi  les  fleurs... 

CLiiUÀS,  bas  à  Marcia. 
Marcia!...  (Geste  de  désespoir  de  Marcia.) 

CHARINUS. 

Mais  qu'avez-vous  donc,  ma  mère?  je  ne  vous  ai  jamais  vue 
ainsi. 

clintas,  retournant  le  sablier. 
Marcia,  c'est  l'heure. 

CHARINUS. 

Quelle  heure,  mon  père?  celle  de  me  retirer,  sans  doute? 

CL1MAS. 

Oui...  Dites  adieu  à  votre  mère,  Charinus. 

char  in  us. 
Bonsoir,  ma  bonne  mère...  bonsoir,  ma  mère  chérie. 

MARCIA. 

Adieu!...  adieu  î... 

CHARINUS. 

Mais  vous  ne  me  dites  pas  bonsoir,  vous  me  dites  adieu,  ma 
mère. 

marcia,  sanglotant. 
Adieu  !  oh  !  oui,  adieu  ! 

CHARINUS. 

Ma  mère,  vous  pleurez;  mon  père,  vous  détournez  la  tête... 
Qu'y  a-t-il,  par  grâce,  qu'y  a-t-il? 

CLINIAS. 

11  y  a,  Charinus,  que  vous  partez,  ou  plutôt  que  nous  partons 
celte  nuit. 

charinus. 
Nous  partons?  et  où  allons-nous,  mon  père? 

CLINIAS. 

En  Egypte. 

CHARINUS. 

En  Egypte? 


ACTE  III,  TABLEAU  IV.  81 

CLINIAS. 

Oui;  votre  éducation  n'est  pas  finie,  Charinus...  L'Egypte  est 
un  de  ces  pays  qu'un  jeune  homme,  destiné  comme  vous  l'êtes 
aux  arts  et  aux  sciences,  doit  visiter. 

CHARINUS. 

Ohl  je  serais  bien  heureux  de  voir  l'Egypte,  si  ma  mère  pou- 
vait nous  y  suivre. 

CLINIAS. 

Avant  trois  mois,  Charinus,  elle  nous  aura  rejoints. 
charinus,  allant  à  sa  mère. 

Oh!  bonne  mère!  Mais  puisque  tu  dois  venir...  pourquoi  ne 
viens-tu  pas  avec  nous?  pourquoi  n'avances-tu  pas  ton  départ? 
ou  pourquoi  ne  retardons-nous  pas  le  nôtre? 

CLINIAS. 

Parce  qu'il  faut  que  tu  partes  a  l'instant  même,  Charinus. 

CHARINUS. 

Mais  ce  n'est  pas  un  voyage  alors...  c'est  une  fuite. 

marcia,  pleurant. 
Oui,  mon  enfant,  une  fuite. 

CHARINUS. 

Il  y  a  donc  un  danger?...  pour  qui?...  pour  moi?... 

MARCIA. 

Oui,  pour  toi. 

CHARINUS. 

Ma  mère,  serait-ce  donc  ce  seigneur  que  nous  avons  vu  au 
Champ  de  Mars?...  Mon  père,  ce... 

CLINIAS. 

Silence!  je  vous  dirai  tout  cela  en  route,  Charinus  :  prenez  ce 
coffret. 

charinus. 
Dois-je  appeler  Syrus  ou  Byrrha?  [Il  va  près  du  coffret.) 

CLINIAS. 

Non,,  non!  gardez-vous-en,  au  contraire.  Il  faut  que  tout  le 
monde  ignore  notre  départ.  (71  monte  au  fond.) 

CHARINUS. 

Mais  quelque  précaution  que  nous  prenions,  le  portier  nous 
verra  sortir. 

CLINIAS. 

Il  ne  nous  verra  point,  car  nous  sortons  par  le  souterrain.  Dis 
adieu  à  ta  mère,  Charinus. 
charinus  s'élance  dans  les  bras  de  sa  mère  assise  sur  le  canapé. 

Mais  ma  mère  se  meurt!  vous  le  voyez  bien,  je  ne  puis  la 
quitter  dans  cet  état.  »>* 


82  CATILINA. 

CLINIAS. 

Charinus  ,  il  faut  que  le  jour  nous  trouve  aux  Marais  Pontins. 

charinus,  à  genoux  devant  Marcia. 
0  ma  mère  !  ma  mère  ! 

syrus,  entrant. 
Maître  ! 

clinias,  à  Syrus  qui  entre. 
Qui  vient  ici  sans  être  appelé  ? 

MARCIA. 

C'est  un  instant  de  plus  que  les  dieux  me  donnent.  Sois  le  bien 
venu,  Syrus. 

syrus,  prenant  Clinias  à  part. 
Maître,  un  esclave  est  là-bas  qui  demande  à  vous  parler. 

CLINIAS. 

Je  n'attends  personne,  je  ne  veux  recevoir  personne  en  ce  mo- 
ment. (Syrus  sort.)  Allons,  embrassez  votre  fils,  Marcia. 

CHARINUS. 

Tu  viendras,  n'est-ce  pas,  bonne  mère  ? 

MARCIA. 

Oh  !  oui,  le  plus  tôt  possible. 

syrus,  rentrant. 
Maître  ! 

clinias  s'apprête  a  ouvrir  le  passage  secret. 
Encore  ! 

SYRUS. 

Maître  !  cet  esclave  insiste. 

clinias. 
Chasse-le. 

syrus. 
Il  demande  seulement  à  vous  remettre  un  billet. 

CLINIAS. 

Qu'il  attende.  (A  Marcia.)  Vous  verrez  ce  que  c'est ,  Marcia, 
lorsque  nous  serons  partis. 

SYRUS. 

-Maître,  à  ce  que  dit  l'esclave,  le  billet  vous  prévient  d'un  grand 
danger. 

MARCIA. 

D'un  grand  danger!  Vous  entendez,  Clinias. 

CLINIaS. 

Voyons,  que  dis-tu?  de  quelle  part  vient  ce  danger? 

SYRUS. 

De  la  part  de  Sergius  Catilina. 


ACTE  IIJ,  TABLLAL    IV  83 

CLINIAS. 

De  Sergius  Catilina? 

MARCIA. 

Catilina!...  Grands  dieux  ! 

CHARINUS. 

Mon  père ,  c'est  ce  patricien  que  nous  avons  rencontré  au 
Champ  de  Mars,  qui  m'avait  donné  ce  beau  flacon,  et  loin  de  qui 
vous  m'avez  entraîné  si  vite? 

CLiNiA?,  à  Syrus. 

Amène  l'esclave,  je  veux  lui  parler.  (Syrus  sort.  A  Marcia.) 
Dans  votre  chambre...  pas  un  suuffle,  pas  une  parole. 

MARCIA. 

Et  Charinus!... 

CL1N1AS. 

Dans  le  souterrain,  afin  qu'il  soit  tout  prêt  à  partir...  Dans 
votre  -chambre,  dans  votre  chambre  !  Marcia ,  je  vous  en  supplie. 
(Montrant  le  souterrain.)  Et  vous,  Charinus,  là,  la.  (Il  le  fait  en- 
trer dans  le  souterrain.)  Ne  vous  écartez  point,  ne  bougez  pas, 
n'ayez  point  peur...  Seulement,  fermez  la  trappe  en  dedans  avec 
cette  barre  de  fer.  (A  Marcia.)  Allez,  Marcia.  (A  Charinus.) 
Allez,  Charinus...  Il  était  temps  ! 

SCÈNE  III. 

CLINIAS ,  SYRUS,  l'Esclave. 

SYRUS. 

Voici  l'esclave. 

CLINIAS. 

C'est  bien  ;  laisse-nous  seuls.  (A  V Esclave.)  Tu  as  une  lettre  a 
me  remettre?  (L'Esclave  la  donne.) 

climat  lisant. 

«  Tu  as  aujourd'hui,  au  Champ  de  Mars  insulté  Lucius  Sergius 

Catilina.  11  désire  savoir  la  cause  de  cette  offense.  »  C'est  bien  : 

demain  je  la  lui  ferai  savoir.  Je  ne  puis  la  dire  qu'à  lui-même. 

l'esclave. 

Alors,  parle  ;  le  voici...  (Il  lève  son  capuchon.) 

CLINIAS. 

Catilina  !...  Catilina  dans  cette  maison... 

CATILINA. 

Eh  bien  !  cette  réponse?  Je  l'attends. 

CLINIAS. 

Je  n'ai  pas  de  réponse  à  te  faire. 

catilina. 
Tu  n'as  pas  de  réponse  à  Sergius  Catilina  ,  quand  aujourd'hui 


8fc  CATILINA. 

même  (u  l'as  offensé  cruellement?  Voyons,  quel  sentiment  t'a 
fait  agir  vis-à-vis  de  moi...  Etait-ce  un  sentiment  de  haine  ,  de 
mépris  ou  de  terreur  ? 

CLIXIAS. 

Crois  à  tous  les  sentiments  que  lu  peux  m'inspirer,  Catilina, 
excepté  à  la  terreur. 

CATILINA. 

Je  ne  dis  pas  que  tu  as  eu  peur  pour  toi...  Ne  connaissant  pas 
ce  sentiment,  je  ne  suppose  jamais  qu'il  existe  chez  les  autres. 

CLIXIAS. 

Et  pour  qui  craignais-je  donc,  si  ce  n'était  pour  moi  ? 

CATIL1XA. 

Mais  pour  ce  jeune  homme  qui  t'accompagnait,  peut-être. 

CLIXIAS. 

J'ignore  de  quelle  terreur  vous  voulez  parler  et  de  quel  jeune 
homme  il  est  question...  L'heure  s'avance...  J'ai  besoin  d'être 
seul...  laissez-moi... 

CATILIXA. 

Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  ont  des  yeux  pour  ne  pas  voir,  qui 
interrogent  pour  ne  pas  apprendre,  qui  vontsans  raisons  d'aller... 
Je  t'ai  vu  au  Champ  de  Mars  agir  d'une  façon  qui  adroit  de  m'é- 
tonner...  Je  suis  venu  dans  cette  maison  pour  savoir  ce  qu'il 
importe  que  je  sache...  Je  ne  m'en  irai  point  que  tu  ne  m'aies 
répondu. 

CLIXIAS. 

Ma  réponse,  la  voici  :  Regardez  ce  portique  silencieux  et  som- 
bre... regardez  cette  voûte  où  le  bruit  de  vos  pas  fait  un  écho 
funèbre... 

CATILIXA. 

J'ai  vu  ce  portique...  j'ai  vu  cette  voûte...  après  ? 

CLIXIAS. 

Luoius  Sergius  Catilina,  la  dernière  fois  que  tu  entras  dans 
cette  maison,  ne  trouvas-tu  pas  sous  ce  vestibule  un  tombeau? 

CATILIXA. 

Peut-être  ! 

CLIXIAS. 

Lucius  Sergius  Catilina,  la  dernière  fois  que  tu  sortis  de  cette 
maison,  ne  laissas-tu  pas  à  cette  place  un  cadavre? 

CATILIXA. 

Cela  se  peut. 

CLIXIAS. 

Ce  n'est  pas  tout,  car  le  meurtre  fut  ton  moindre  crime  î... 
Cette  nuit  ne  l'avais-tu  pas  destinée  à  tous  les  forfaits...  n'avais- 


ACTE  III,  TABLEAU  IV.  85 

tu  pas  outragé  la  tille  au  pied  du  cercueil  du  père...  souillé  la 
prêtresse  à  la  face  de  la  divinité...  et,  non  content  d'avoir  assas- 
siné l'affranchie,  dont  le  sang  rougit  l'eau  de  cette  fontaine...  ne 
laissas-tu  pas  lâchement  condamner  à  mort,  lâchement  ensevelir 
vivante,  le  jour  où  elle  devenait  mère,  la  vestalp,  victime  de  ta 
brutale  passion...  J'ai  donc  raison  de  te  dire  :  Traverse  en  cou- 
rant ce  vestibule,  sacrilège  !...  fuis  de  cette  salle  sans  regarder 
en  arrière,  assassin  ! 

CATILINA. 

Tu  es  cet  esclave  qui  se  précipita  sur  moi  au  moment  où  je 
quittais  la  maison  ? 

CLLNIAS. 

Eh  bien!  oui,  c'est  moi. 

CATILINA. 

Alors,  plus  de  détours,  plus  de  mystères...  Charinus  a  quinze 
ans...  Charinus  est  le  fils  de  la  vestale,  enterrée  mante...  Cha- 
rinus est  mon  fils  ! 

CLINIAS. 

Tu  te  trompes,  c'est  le  mien  ! 

CATILINA. 

Tu  es  donc  marié  ? 


Oui! 

Où  est  ta  femme? 

Que  t'importe! 


CLINIAS. 

CATILINA. 
CLINIAS. 


CATILINA. 

Oh!  je  te  l'ai  dit,  quand  je  soupçonne...  quand  je  désire... 
quand  je  veux...  rien  ne  me  distrait.0.,  rien  ne  m'arrête...  tu  le 
sais  bien...  Charinus  existe...  je  l'ai  vu...  Charinus!  cher  petit... 
Tu  as  bien  fait  de  l'appeler  Charinus...  car  je  l'aime,  car  au  pre- 
mier coup  d'œil,  je  l'ai  aime...  Ne  dis  pas  que  tu  «s  bon  père, 
ne  dis  pas  qu'il  est  le  fils  de  ta  femme...  Je  l'ai  reconnu,  comme 
on  reconnaît  une  ombre...  Charinus  est  le  fils  de  Marcia.  le  flls 
de  mon  amour,  la  seule  chose  que  j'aime  en  ce  monde.  (7/  s'as- 
sied.) Je  resterai  jusqu'à  ce  qu'on  me  l'ait  rendu...  rends-le-moi, 
et  je  m'en  irai. 

CLINIAS. 

Oh  !  tu  fais  bien  de  m'irriter ,  tu  fais  bien  de  provoquer  ma 
violence. 

CATILINA. 

Tu  fais  bien  de  me  menacer,  tu  fais  bien  de  porter  la  main  à 
ton  épéo  1 


86  CATILLNA. 

CLINIAS. 

Hors  d'ici  ! 

CATILINA. 

Prends  garde  ! 

clixias,  tirant  son  épée. 
Hors  d'ici  !  ou  tu  es  mort. 

CATlLIXA. 

Tiens,  je  n'ai  que  ce  poinçon  d'acier  avec  lequel  j'écris  sur 
mes  tablettes  ;  mais  au  besoin  il  peut  devenir  un  poignard  ; 
prends  garde  ,  eau  avec  cette  aime  misérable  je  vais  combattre 
pour  un  bien  plus  précieux  que  ma  vie,  je  vais  combattre  pour 
mon  fils.  Prends  garde,  tu  succomberas  et  je  le  prendrai. 

SCENE  IV. 

Les  .Mêmes,  MARCIA. 
marcia,  sortant. 
Vous  me  prendriez  mon  enfant,  vous!... 

CATILINA. 

Dieux  immortels!  est-ce  une  apparition,  est-ce  un  rêve  Plai- 
da, Marcia  la  vestale  ! 

MARCIA. 

Oh  !  tu  l'as  reconnue  ? 

CATILINA. 

Marcia,  Marcia  ! 

MARCIA. 

Oui,  quand  par  un  crime  cette  vierge  pure  donnait  le  jour  à 
un  fils,  quand  par  le  dévouement  généreux  d'un  ami,  la  morte 
revoyait  le  jour  qu'elle  ne  devait  jamais  revoir,  quand  les  dieux 
ont  permis  tout  cela,  croyez-moi,  ils  ne  peuvent  permettre  que 
mon  fils  me  soit  ravi  par  vous .  que  mon  sauveur  soit  assassiné 
par  vous ,  par  vous,  qui  êtes  la  cause  de  tous  mes  malheurs,  et 
que  cependant  je  vois  pour  la  première  fois,  et  dont  cependant 
je  prononce  le  nom  pour  la  première  fois,  Lucius  Sergius  Cati- 
lina!... 

CATILINA. 

Marcia  vivante  ! 

CLIXIAS. 

Marcia,  vous  nous  avez  perdus;  il  sait  notre  secret  mainte- 
nant !  11  peut  le  revêler  aux  magistrats.  Marcia,  laissez-nous  en- 
semble ;  et  quand  je  vous  rappellerai,  vous  n'aurez  plus  rien  à 
craindre  de  lui. 

MARCIA. 

Clinias,  retirez- vous  ! 

CLIXIAS. 

Seule  !  vous  voulez  que  je  vous  laisse  seule  avec  cet  homme  ! 


ACTE  III,  TABLEAU  IV.  87 

MARCIA. 

Je  vous  en  prie. 

CLINIAS. 

Oh  !  vous  savez  bien  que  vos  prières  sont  des  ordres.  Je  rue 
retire,  Marcia.  (Il  sort  par  le  fond.) 

SCÈNE   V. 

càtiuna,  marcia. 

MARCIA. 

Lucius  Sergius  Catilina,  asseyez-vous  dans  ma  maison. 

catilinv,  se  laissant  tomber  sur  un  fauteuil. 
0  dieux  bons... 

marcia,  Rapprochant  lentement  de  lui. 
Vous  avez  dit  tout   a  l'heure  que  vous  veniez  chercher  ici 
votre  fils  Charinus,  votre  lils  qui  n'avait  pas  de  mère;  mainte- 
nant vous  voyez  que  Charinus  a  une  mère,  que  demandez-vou-? 

CATILINA. 

,:li  !  c'est  donc  vous,  Marcia? 

MARCIA. 

Non  ce  n'est  pas  Marcia,   la  Marcia  que.  yotts  avez  connue 
autrefois  et  que  vous  essayez  de  reconnaître  aujourd'hui  :  i 
une  mère  à  qui  vous  avez  dit  :  Je  vais  te  prendre  ton  enfant  ! 

CATILINA. 

Je  ne  sais  ce  que  j'ai  dit,  Marcia. 

MARCIA. 

Oui ,  je  comprends ,  mon  apparition  vous  a  troublé  ;  co  n'est 
point  une  chose  ordinaire  que  la  résurrection  des  morts,  n'est-ce 
pas?  et  vous  deviez  croire  ensevelie  à  jamais  cette  Marcia  que 
vous  avez  perdue.  Voyons,  est-ce  au  nom  de  Marcia  deshonorée 
par  votre  crime ,  est-ce  au  nom  de  Marcia  assassinée  par  votre 
abandon  que  vous  venez  redemander  Charinus? 

CATILINA. 

Ah!...  Isolons  les  deux  crimes  que-  vous  me  reprochez,  lais- 
sez-moi porter  le  poids  du  premier,  si  lourd  qu'il  courbe  mon 
front  devant  vous  lorsque  vous  me  regardez;  mais  ue  m'accusez 
pas  du  second,  c'est  une  lâcheté  que  je  n'ai  pas  commise.  Lors- 
que le  juget!  ent  de  Cassius  Longinus  vous  frappa,  je  combattais 
en  Espagne,  la  nouvelle  de  votre  mort  m'urriva  deux  mois  après 
l'exécution  do  la  sentence;  je  nu  pus  ni  vous  défendre  ui  vous 
sauver.  Charinus  ne  saurait  donc  reprocher  à  son  père  autre 
chose  que  le  crime  auquel  il  doit  la  vie.  [Il  se  lève.) 

MARCIA. 

Charinus  n'a  pas  de  père,  seigneur;  il  n'a  qu'une  mère,  près 
de  laquelle  il  a  vécu  depuis  sa  naissance  cl  qui,  le  jour  où  il  sera 


88  CATILIM. 

devenu  un  homme ,  lui  révélera  le  malheur  qui  pèse  sur  sa  vie. 

CATILINA. 

Pour  qu'à  partir  de  ce  jour  il  me  haïsse,  n'est-ce  pas? 

MARCIA. 

Je  ne  veux  lui  inspirer  pour  vous  ni  bons  ni  mauvais  sentiments, 
}ene  sais  de  vous  que  tout  ce  que  le  monde  en  dit;  vous  ne 
m'avez  été  révélé  que  par  votre  crime;  vous  êtes  entré  la  nuit 
dans  la  maison  de  mon  père ,  je  dormais  lorsque  vous  avez 
franchi  le  seuil  de  ma  chambre;  vous  avec  abusé  d'un  sommeil 
préparé  par  vous,  quand  je  nie  suis  réveillée  vous  n'étiez  plus 
là  et  j'étais  mère.  (Elle  s'est  éloignée  de  Catilina.) 

CATILINA. 

Marcia ,  pas  un  mot  de  plus,  je  vous  en  conjure  (s' approchant 
de  Marcia)',  je  ne  suis  pas  homme  à  moduler  des  soupirs  et  à 
nourrir  des  remords ,  et  cependant  bien  des  fois  le  souvenir  de 
cette  nuit  terrible  est  venu  me  faire  tressaillir  et  trembler. 
Mais  à  quoi   bon   tout   cela?   Quand  on  a  ruiné  la  fortune , 
l'honneur,  la  vie  d'une  femme,  quand  on  a  fait  tomber  sur  sa 
tête  les  plus  épouvantables  malheurs,  on  ne  vient  pas  lui  dire  : 
Pardonnez-moi,  je  me  repens;  mais  on  vient  lui  dire  :  Ecoutez- 
moi,  pauvre  victime  de  ma  folie,  de  mon  amour,  de  ma  brutalité, 
écoutez-moi;  si  j'ai  été  méchant,  c'est  que  j'étais  seul,  c'est  que 
je  voyais  le  vide  autour  de  moi ,  c'est  que  le  néant  qui  précède 
l'existence  et  qui  suit  la  mort,  vivant  je  Pavais  déjà  dans  le  cœur. 
Oh  !  il  est  facile  d'être  bon,  croyez-moi,  quand  on  aime  et  quand 
on  est  aimé.  Pourquoi  toutes  ces  orgies  ardentes  qui  usent  mes 
nuits,  tous  ces  rêves  fiévreux  qui  brûlent  mes  jours?  Parce  qu'au 
lieu  d'un  sentiment  réel  qui  fait  aimer  la  vie,  j'ai  été  obligé  de 
vouer  un  culte  aux  passions  factices  qui  la  font  oublier.  Pourquoi 
mon  patrimoine  perdu  ,  pourquoi  ma  fortune  jetée  aux  vents , 
pourquoi  mes  jours  dépensés  au  hasard?  Parce  que  je  ne  répon- 
dais à  personne  de  mon  patrimoine,  de  ma  fortune,  de  mes  jours. 
Donnez-moi  un  hériter  de  tout  cela,  Marcia,   et  je  conserverai 
tout  cela  pour  mon  héritier.  Donnez-moi  un  enfant,  et  je  grou- 
perai le  passé,  le  présent  et  l'avenir  autour  de  cet  enfant.  Eh  bien , 
Marcia,  comprenez-vous?  A  l'heure  où  il  est  temps  encore  pour 
moi  de  m'arrêter  ,  quand  peut-être  je  puis  écarter  la  fatalité  qui 
me  poursuit  en  épouvantant  cette  fatalité  avec  le  présent  que 
les  dieux  viennent  de  me  faire;  je  retrouve  Charinus,  je  retrouve 
votre  enfant,j"  retrouve  mon  fil?  ;  mon  cœur,  que  je  croyais  mort, 
ressuscite,  l'espoir  que  je  croyais  éteint  renaît.  Marcia,  Marcia  ! 
il  y  a  là  pour  moi ,  devant  moi,  je  le  sens,  un  monde  nouveau, 
inouï,  inconnu,   pareilà  ces  jardins  enchantes  que  gardait  le 
serpent  de  Jason  ou  le  dragon  d'Hespérus.  Ce  monde,  c'est  vous, 
Marcia  qui  en  tenez  l'entrée.  Marcia,  au  nom  de  tous  les  dieux, 


ACTE  HT,  TABLEAU  IV.  89 

ne  me  repoussez  pas  du  seuil  sauveur  :  Marcia ,  ne  me  fermez 
pas  la  porte  sacrée  ! 

MARCIA. 

Et  vous  voulez  que  je  croie  à  cet  amour  paternel  venu  en  un 
instant,  ignoré  hier,  tout-puissant  aujourd'hui? 

CATILINA. 

Que  voulez-vous  que  je  vous  dise,  Marcia?  A  peine  si  j'y  crois 
moi-même  ;  c'est  une  chose  qui  vivait  en  moi  et  que  j'ignorais. 
Tout  ce  que  je  croyais  aimer,  c'était  l'émanation  de  cet  amour 
inconnu  auquel  l'apparition  de  mon  enfant  a  donné  un  nom, 
uneforme,  une  existence.  J'ai  vu  Charinus,  et  mes  yeux  n'ont  pu 
se  détacher  de  lui.  Il  buvait  dans  une  gourde  de  bois  de  frêne,  et 
j'ai  souhaité  qu'il  but  dans  l'or.  Il  était  brillant  de  jeunesse,  de 
beauté,  de  grâce,  et  j'ai  souhaité  qu'il  fût  mon  fils.  Les  dieux 
ont  permis  que  l'impossible  devînt  une  réalité,  et  j'ai  dit  aux 
dieux  :  Eh  bien!  c'est  tout  coque  je  désirais;  dieux  immortels, 
donnez-moi  mon  enfant,  et  je  n'ai  plus  rien  à  demander  de  vous. 

marcia;  elle  se  soulève  sans  quitter  sa  place. 
Je  voudrais  vous  croire,  Çatilina;  mais  je  me  souviens,  et  je 
me  défie.  Je  voudrais  avoir  confiance  en  vous:  mais  je  me  sou- 
viens, et  j'ai  peur.  (Elle  retombe  assise.) 

CATILINA. 

Voyons,  Marcia,  comment  supposez-vous  que  je  cherche  h 
voir  cet  enfant  en  ce  moment,  où,  au  compte  de  mon  ambition, 
les  minutes  valent  des  jours  et  les  jours  des  années,  si  je  ne  l'ai- 
mais de  toute  mon  Ame?  Ma  fortune,  ma  renommée,  ma  vie,  se 
jouent  demain.  Je  devrais  m'occuper  à  préparer  ce  grand  combat 
qui  doit  être  le  triomphe  ou  la  mort  de  ce  qu'il  y  a  deux  heures 
encore  j'appelais  mes  espérances.  Eh  bien!  j'apprends  que  cet 
enfant  que  j'ai  vu  ,  que  ce  Charinus  qui  m'a  parle,  habite  cette 
maison  funesie.  Je  quitte  tout;  j'accours.  Ce  vague  espoir  ne 
m'avait  pas  trompé.  Cependant,  la  troisième  veille  va  s'accom- 
plir ;  mes  partisans  m'attendent,  m'appellent,  me  maudissent. 
Le  sablier  a  la  main,  ils  voient  le  temps  qui  fuit,  l'heure  qui  s'é- 
chappe. Où  suis-je?  Je  vous  le  demande,  Marcia?  Ici  :  que  fais-je? 
J'implore,  je  prie,  car  je  ne  menace  plus,  Marcia.  Je  n'ai  plus  de 
courage  pour  la  haine,  plus  de  force  pour  la  colère.  Je  suis  tout 
amour!  Le  monde  m'attend,  et  je  perds  le  monde!...  Eh  bien! 
Marcia,  que  voulez-vous  pour  votre  lils  et  pour  le  mien?  Est-ce 
le  monde?...  Montrez-moi  mon  fils;  laissez-moi  embrasser  mon 
fils...  Laissez  Charinus  m'appeler  son  père,  et  je  cours  lui  con- 
quérir le  monde...  Est-ce  un  coin  obscur  dans  la  Sabine?...  Une 
pauvre  maison  dans  les  Apennins?  une  chétive  cabane  au  bord 
de  la  mer?  Eh  bien!  cette  chétive  cabane,  cette  pauvre  maison, 
ce  coin  obscur,  mettez-y  mon  fils,  et  il  me  tiendra  lieu  du  monde  ! 


90  CATILINA. 

MARCIA. 

Inutile,  Sergius...  l'enfant  que  vous  cherchez  n'est  plus  ici. 

CATILINA. 

Prenez  garde  !  Voilà  que  tous  ne  me  comprenez  point,  Marcia, 
et  voilà  que  vous  allez  essayer  de  me  tromper.  Charinus  n'est 
point  sorti  d'ici...  Charinus  est  caché  dans  la  maison...  Vous 
n'étiez  pas  prévenue  de  mon  arrivée,  d'ailleurs  ;  comment  eussiez- 
vous  songé  à  éloigner  votre  fils  ? 

MARCIA. 

Ne  l'avez-vous  pas  rencontré  au  Champ  de  Mars?  Clinias  ne 
vous-a-t-il  pas  reconnu  ?  N'avons-nous  pas  dû  songer  que,  sé- 
paré violemment  de  'cet  enfant  sur  lequel  vous  aviez  jeté  les 
yeux  avec  curiosité,  vous  essayerez  de  vous  rapprocher  de  lui? 
Puis  ce  jour  est  un  jour  néfaste.  Catilina  n'est  pas  le  seul  qui 
cherche  Charinus.  {Elle  tombe  assise  sur  le  canapé.) 

CATILINA. 

"  Je  ne  suis  pas  le  seul? 

MARCIA. 

Non:  avant  que  votre  esclave  interrogeât  Syrus,  Syrus  avait 
déjà  été  interrogé  par  une  femme. 

CATILINA. 

Tu  dis,  Marcia,  qu'on  a  interrogé  Syrus,  n'est-ce  pas? 

MARCIA. 

Oui,  une  esclave. 

CATILINA- 

Nubienne? 

MARCIA. 

Oui. 

CATILINA. 

C'est  cela.  Elle  aussi  est  à  sa  recherche. 

MARCIA. 

Elle!... 

CATILINA. 

Marcia...  plus  que  jamais  rends-moi  notre  enfant  que  je  le 
sauve... 

marcia  ;  elle  se  lève. 
Et  pourquoi  penses-tu  que  je  ne  le  sauverai  pas  bien  seule? 

CATILINA. 

Marcia,  si  elle  m'a  suivi,  si  elle  a  découvert  que  je  venais  dans 
cette  maison,  si  elle  sait  pourquoi  j'y  viens,  Charinus  est  perdu. 

MARCIA. 

Perdu! 

CATILINA. 

Si  elle  a  deviné  cela,  fusses- tu  la  sombre  Hécate  qui  enfouit 


ACTE  III,  TABLEAU  IV.  01 

ses  trésors  dans  les  abîmes  de  la  terre ,  tu  ne  saurais  dérober 
Charinus  à  la  colère  qui  le  poursuit. 

MARCIA. 

Grands  dieux  !  Mais  qui  peut  donc  haïr  mon  Charinus? 

CATILINA. 

11  existe  des  esprits  jaloux,  farouches ,  sanguinaires  ,  qui  dé- 
truisent quand  ils  aiment  tout  ce  qu'on  aime  plus  qu'eux.  Et 
bien  une  femme  m'a  demain. lé  s'il  était  quelqu'un  que  je  pré- 
férasse à  elle,  et  moi,  qui  nu  savais  point  alors  que  Charinus 
fût  mou  fils,  je  lui  ai  répondu  :  non.  Si  celte  femme  sait  que  Cha- 
rinus existe,  que  Charinus  est  mon  fils,  mon  unique  amour ,  à 
cette  heure  elle  aiguise  le  poignard,  elle  distille  le  poison!... 

MARCIA. 

Grands  dieux! 

CATILINA. 

Ainsi, tu  le  vois  bien,  Marcia,  ce  n'est  plus  pour  moi  seul,  c'est 
pour  toi,  c'est  pour  lui,  pauvre  enfant,  que  je  prie,  que  j'implore. 
Mais  au  nom  de  tous  les  dieux!  au  nom  de  ton  père  mort  !  au 
nom  de  notre  enfant!  Marcia,  a  genoux,  a  tes  pieds,  je  te  le  de- 
mande, mets-le  auprès  de  moi,  ou  mets-moi  auprès  de  lui,  jus- 
qu'à demain,  jusqu'à  ce  que  je  sois  consul,  jusqu'à  ce  que  je  te 
dise  :  Dors  tranquille,  Marcia  ;  je  te  réponds  de  notre  enfant. 

MARCIA. 

Oh!  l'on  ne  trompe  pas  avec  cet  accent...  Oh!  l'on  ne  trahit 
pas  avec  cette  voix...  Viens,  Catilina,  viens... 

SCÈNE  VI. 

Les  Mêmes,  CLINIAS,  puis  CICERON. 

CLINIAS. 

Sergius  Catilina,  voici  Cicéron  qui  veut  vous  entretenir  un 
instant. 

catilina,  se  relevant. 
Cicéron... 

clinias,  à  Marcia. 
Il  n'a  pas  vu  Charinus? 

MARCIA. 

Non. 

CLINIAS. 

Il  ne  sait  pas  où  il  est? 

MARCIA. 

Non. 

CLINIAS. 

Et  vous  n'avez  rien  avoué? 


92  CATILLYA. 

MaRCIA. 

Non . 

CLTN1AS. 

Dieu  merci!...  j'arrive  à  teraps.  (Il  va  fermer  les  deux  portes 
latérales  à  la  clef.)  Marcia,  venez.  (Il  éloigne  M arda.) 

SCENE  VII. 

CICERON,  CATILINA. 


Salut,  Sergius. 
Vous  ici? 
Vous  le  voyez. 
Que  me  voulez-vous? 


CICERON'. 

CAT1L1NA. 
CICERON. 
C ATI  LIN  A. 


CICERON. 

Clinias  ne  vous  a-t-il  pas  dit  que  je  voulais  vous  entrenir  un 

instant? 

CAT1L1NA. 

L'heure  est  mal  choisie,  le  lieu  du  rendez-vous  n'est  pas  con- 
venable... A  demain,  Cieéron...  Ah!  la  porte  est  gardée? 

CICERON. 

Oui,  je  suis  venu  accompagné. 

CATILINA. 

Je  comprends. 

CICERON. 

Vous  vous  présentez  au  consulat.  Sergius? 

CATILINA. 

Pourquoi  pas?...  vous  vous  y  présentez  bien...  Suis-je  de  moins 
bonne  famille  que  vous,  par  hasard?  Il  faut  deux  consuls  à  Rome, 
vous  serez  le  premier,  je  serai  le  second.  Vous  voyez  que  je 
suis  modeste. 

CICERON. 

Eh  bien  !  c'est  justement  dans  celte  hypothèse  que  je  désirais 
causer  avec  vous.  Deux  collègues  qui  ne  s'entendraient  pas... 
quel  détriment  pour  la  république  ! 

CATILINA. 

Raillez-vous  toujours,  Ciceron? 

CICERON. 

Non,  sur  ma  parole  de  chevalier,  et  la  preuve,  Sergius,  c'est 
que,  si  vous  voulez  sur  certaine  question  m'engager  votre  foi  de 
patricien,  je  suis  votre  homme. 


ACTE  UT,  TABLEAU  IV. 

CATILINA. 

Impossible,  Cicéron  ;  mes  engagements  sont  pris. 

CICERON. 

Vous  refusez  ? 


Je  refuse. 

C'est  votre  dernier  mot? 

C'est  le  dernier. 


CATILINA. 


CICERON. 


CATILINA. 


CICÉRON. 

Prenez  garde,  Sergius.  (Il  s'avance  près  de  Catilina.)  Nous 
avons  décidé  que  si  vous  n'acceptiez  pas  mes  propositions,  vous 
ne  seriez  pas  consul. 

CATILINA. 

Et  comment  empêcherez-vous  mon  élection  ? 

CICÉRON. 

Oh  !  d'une  façon  bien  simple.  Pour  être  nommé  consul,  n'est- 
ce  pas,  il  faut  se  trouver,  le  jour  de  l'élection,  dans  l'enceinte 
des  murs  de  Rome  ? 

CATILINA. 

J'y  suis,  ce  me  semble. 

CICÉRON. 

Oui  ;  mais  cette  maison,  où  nous  vous  avons  suivi,  où  nous 
vous  tenons  enfermé;  cette  maison,  qui  appartient  à  Clinias, 
c'est-à-dire  a  un  de  mes  amis,  touche  à  la  porte  Flaminia.  En 
dix  minutes,  nous  vous  emportons  par-delà  les  murs  ;  en  six 
heures,  nous  vous  conduisons  à  bord  d'un  bâtiment  qui  attend  a 
Ostia;  en  quinze  jours,  ce  bâtiment  vous  conduit  en  Gaule,  en 
Espagne,  en  Egypte.  Pendant  ce  temps,  les  élections  se  font,  et 
comme  vous  n'êtes  pas  à  Rome,  vous  n'êtes  pas  nommé. 

CATILINA. 

""Ah  !  voilà  donc  le  moyen  que  comptent  employer,  pour  se  dé- 
barrasser d'un  adversaire  qui  les  gène,  Caton,  Locullns,  Cicéron, 
c'est-à-dire  les  gens  vertueux  !  L^s  gens  vertueux  appellent  cela 
un  moyen,  à  ce  qu'il  paraît;  moi,  qui  ne  suis  pas  vertueux,  j'ap- 
pelle cela  un  guet-apens. 

CICÉRON. 

Appelez  cela  comme  vous  l'entendrez,  Sergius  ;  mais  regar- 
dez-vous dès  à  présent  comme  déporté  en  Gaule,  en  Espagne  ou 
en  Egypte. 

CATILINA. 

Soit;  mais  on  revient  de  la  Gaule,  de  l'Espagne,  de  l'Egypte. 


•ft  CATILINA. 

On  en  revient  pins  fort,  par  cela  même  qu'on  a  été  persécuté. 
Je  reviendrai  d'Egypte,  d'Espagne  et  de  Gaule;  je  démasquerai 
les  hommes  vertueux,  et  comme  on  nomme  des  consuls  tous  les 
ans,  je  serai  nommé  consul  l'année  prochaine. 

CICÉRON. 

Voyons,  je  me  place  en  face  de  toi  et  je  te  regarde  :  je  vois 
un  homme  que  la  divinité  a  doué  d'une  intelligence  supérieure, 
d'un  génie  éclatant.  Cette  intelligence  brille  encore  sous  la  cou- 
che épaisse  de  tes  débauches,  ce  génie  transparaît  encore  sous  le 
masque  sanglant  de  tes  crimes!  Tu  aimes  tout  ce  qui  est  beau, 
tu  aimes  tout  ce  qui  est  bon,  tu  aimes  tout  ce  qui  est  grand  ;  ne 
le  nie  pas.  Tu  sais  bien  aussi  que  je  ne  suis  pas  un  homme  vul- 
gaire, un  grossier  paysan  d'Arpinum ,  un  bourgeois  encroûté, 
un  citadin  bouffi  d'orge,  de  figues  et  de  vin;  tu  sais  que  je  ne 
veux  pas  la  religion  comme  un  augure,  Tordre  comme  un  cen- 
turion, la  prospérité  comme  un  marchand  d'étoffes',  tu  n'ignores 
pas  que  j*aime  les  arts,  que  j'aime  les  poëtes,  que  j'aime  la 
gloire  !...  Tu  es  bien  convaincu  que  la  postérité  est  à  moi,  que 
ce  titre  de  consul  que  j'ambitionne  n'ajoutera  rien  à  ma  renom- 
mée d'orateur,  n'est-ce  pas?  Quand  je  me  suis  décidé  à  ne  pas 
te  perdre  de  vue  depuis  un  mois,  à  te  suivre  ici  le  soir,  à  te 
tenir  enfermé  dans  cette  maison,  tu  devines  que  je  n'ai  pas  cédé 
au  besoin  de  te  faire  un  discours...  non  :  j'ai  voulu  te  voir  face  a 
face,  j'ai  voulu  te  dire  de  toi  à  moi  :  Catilina,  plus  de  prétextes  ! 
Expose-moi  ce  que  tu  penses,  demande-moi  ce  que  tu  veux.  Tu 
me  hais,  moi,  Cicéron,  impossible  !  je  ne  t'ai  fait  aucun  mal... 
Tu  hais  mes  principes,  ce  n'est  pas  vrai,  tu  n'en  as  aucun...  Tu 
as  besoin  d'argent,  tu  en  auras;  tu  as  soif  d'honneurs,  je  te  ferai 
asseoir  sur  la  chaise  d'ivoire  des  consuls;  tu  es  ambitieux  de 
gloire,  nous  te  ferons  général  comme  Lucullus  et  comme  Pom- 
pée !..  Mais  écoute-moi  bien,  Sergius,  j'ai  étudié  mon  époque, 
Rome,  le  monde...  Nous  sommes  arrivés  à  cette  heure  solen- 
nelle des  accomplissements  où  chaque  homme  a  reçu  des  dieux 
une  tâche  à  remplir.  Ma  tâche,  à  moi,  est  sinon  d'imprimer,  du 
moins  de  régler  le  mouvement  de  mon  siècle.  Eh  bien  !  je  ne 
veux  pas  que  ma  marche  vers  le  bon,  vers  l'utile,  vers  le  grand, 
—  ma  marche  vers  le  bien,  enfin,  soit  relardée  par  la  crainte  ou 
pressée  par  la  cupidité,  Et  comme  nous  devons  tous  partir  du 
même  point  pour  atteindre  a  un  même  but,  c'est-à-dire  de  l'hu- 
manité,  qui  est  en  bas,  pour  arriver  à  la  divinité,  qui  est  en 
haut,  vous  marcherez  avec  moi  vers  ce  but,  Catilina:  vous  y 
marcherez,  je  l'espère  librement,  de  bon  cœur,  avec  toutes  vos 
forces,  et  si,  pour  que  vous  ne  trébuchiez  pas  en  regardant  en 
arrière,  il  ne  faut  que  vous  tendre  la  main  loyalement,  je  vous 
la  tendrai...  Voici  ma  main,  Sergius. 

CATILIXA. 

Merci,  Cicéron  ;  niais  je  ne  veux  partager  avec  personne  ce  que 


ACTE  TU,  TABLEAU  IV.  95 

je  poux  rnuqut'iir  seul.  La  vertu  est  pour  vous  un  prétexte,  un 
moyen  d'action  ;  avec  un  mot  vous  vous  faites  un  levier;  avec 
ce  levier,  vous  soulevez  les  masses  ;  mais  j'ai  mon  levier  aussi, 
moi,  Cicéron.  Le  vice  I  ou  plu  lot  oe  que  vous  appelez  le  vice  !... 
Vous  dites  à  vos  partis-ans  :  Travaillez  ,  ménagez,  endurez...  Je 
dis  à  mes  prosélyte  :  Prenez,  prodiguez!,  jouissez.  Quand  nous 
aurons  parlé  tous  deux  en  ce  sens,  sur  la  place  publique..*, 
comptez  vos  clients ,  je  comptent]  I  ;  en  vérité  ,  je  suis 

curieux  de  savoir  ce  que  pourra  contre  moi  cette  force  de  résis- 
tance, à  laquelle,  depuis  le  commencement  du  monde  les  Cicéron 
de  tous  les  temps  ont  prêté  leur  concours.  Je  suis  comme  vous, 
Tulliusje  crois  que  l'heure  des  accomplissements  est  arrivée  .  ap- 
portant à  chacun  sa  tâche,  et  je  vais  te  dire  quelle  sera  la  mienne. 
Souvent  tu  t'es  promené  dans  Rome,  et  tu  as  pu  voir  deux  choses 
qui  ne  devraient  jamais  se  rapprocher  et  qui  cependant  se  heurtent 
incessamment  dans  les  rues  de  celte  cite,  qu'un  appelle  la  cite 
reine.  Ces  deux  choses,  c'est  la  suprême  richesse  et  la  sup1 
misère,  des  hommes  en  tunique  brodée  d'or  et  en  manteau  de 
pourpre,  qu'on  appelle  les  patriciens;  des  cadavres  vivants  a  moi- 
tié nus,  qu'on  appelle  le  peuple. 

CICÉRON. 

Eh  bien,  a  ce  peuple  nu,  ne  jetons-nous  pas  souvent  un  man- 
teau de  pourpre,  a  ces  cadavres  vivants  ne  donnons-nou-  pas  h 
sportule  et  ne  faisons-nous  pas  l'aumêi 

CATILINY. 

C'est  cela,  tu  fais  l'aumône  parce  que  tu  es  riche  ;  mais  moi 
je  ne  suis  plus  riche  et  je  me  suis  dit  :  Est-ce  qu'au  lieu  de  faire 
l'aumône,  je  ne  pourrais  pas  faire  la  justice...  car  sache  bien 
une  chose,  ces  hommes  en  manteau  de  pourpre  n'ont  rien  fait 
de  bon  pour  être  riches  ;  ces  cadavres  vivants  à  moitié  nus  n'ont 
rien  fait  de  mauvais  pour  être  pauvre^  11>  ont.  suivant  1"  hasard 
qui  a  présidé  a  leur  naissance,  vu  1<-  four  les  uns  dans  un  palais 
de  la  voie  Flaminia  ou  de  la  porte  Capène,  les  autres  dm-  quel- 
que mauvaise  impasse  de  la  Suburra  ou  de  L'Esqailin  ,  et  alors, 
selon  qu'ils  ont  ouvert  les  yeux  sous  le  marbre  ou  sous  le  chaume, 
l'inexorable  Fatum,  ce  dieu  de.-  rois,  ce  roi  des  dieux  leur  a  oit  : 
Pour  toute  ta  vie  tu  es  voue  au  luxa  ou  condamne  a  la  mis 
Et  cela  ce  n'est  pas  depuis  hier,  ce  n'est  pas  depuis  un  mois,  ce 
n'est  pas  depuis  un  an,  mais  depuis  des  siècles  ;  et  depuis  des  siè- 
cles, les  cris  de  ces  malheureux  déshérités  do  destin  ont  inutile- 
ment monté  de  l'abîme  au  ciel.  Aussi  L'Italie  se  dépeuple  ;  Hume 
a  depuis  cinquante  ans  élevé  trois  temples  a  la  Fièvre.  Encore  si 
la  mort  frappait  également,  il  n'y  aurait  rien  à  dire  ;  mais  la 
mort  a  pris  parti  pour  les  patriciens  qui  ont  des  palais  bien  aérés, 
des  villas  bien  fraîches,  des  fermes  bien  saines...  A  l'époque  des 
chaleurs,  au  temps  des  débordements  du  Tibre,  quand  te  riche 
fuit  Rome,  la.  mort  se  garde  bien  de  le  suivre.  Non  :  hôtesse  fn- 


96  CATILLYA. 

nèbre,  elle  a  ses  quartiers  de  prédilection,  elle  visite  le  taudis  du 
pauvre  et  va  s'asseoir  au  chevet  du  mendiant.  Là  elle  fait  tran- 
quillement son  œuvre,  elle  sait  bien  que  le  médecin  grec,  cher  à 
Esculape,  ne  montera  pas  cinq  étages  pour  lui  arracher  sa  proie. 
La  mort,  que  l'on  représente  aveugle  et  impassible,  est  devenue 
haineuse  et  partiale...  Eh  bien,  j'ai  vu  cela,  moi,  et  je  me  suis 
dit  :  La  société  est  mal  faite  ainsi  ;  les  dieux  ont  créé  l'air  du  ciel 
et  les  biens  de  la  terre  pour  tous,  il  est  temps  que  tous  aient  part 
aux  biens  de  la  terre  et  à  l'air  du  ciel...  Eh  bien,  ma  tâche  à  moi, 
Cicéron,  c'est  d'ouvrir  l'univers  au  torrent  qui  gronde  ;  je  veux 
voir  l'expansion  de  cet  océan  qui  rugit,  je  veux  entendre  l'explo- 
sion de  ces  millions  de  volcans  humains  qui  ne  demandent  qu'à 
éclater. 

CICÉRON. 

_  C'est-à-dire  que  tu  veux  détruire  ce  qui  est,  n'est-ce  pas?...  Eh 
bien,  soit,  si  tu  as  quelque  chose  de  mieux  à  mettre  à  la  place. 

CATILINA. 

Quand  nous  en  serons  là ,  nous  verons. 
cicéron. 

Ah  !  pauvre  aveugle  qui  joue  avec  les  hommes  et  les  choses  , 
les  institutions  et  les  lois,  les  révolutions  et  les  empires!  Pauvre 
insensé  qui  entasse  les  uns  sur  les  autres,  vices  et  besoins,  cri- 
mes et  misères,  haines  et  passions,  comme  faisaient  les  Titans 
de  Pelion  sur  Ossa  pour  escalader  le  ciel...  et  qui,  lorsqu'on  lui 
demande  quel  nouveau  monde  il  compte  tirer  de  l'ancien,  quel 
univers  il  veut  pétrir  avec  le  chaos...  pauvre  aveugle  !  pauvre  in- 
sensé qui  se  contente  de  répondre:  Quand  nous  en  serons  là, 
nous  verrons  !  Encelade  a  tenté  ce  que  tu  veux  faire,  et  Ence- 
lade  foudroyé  est  enseveli  sous  l'Etna. 

CATILINA. 

Eh  bien,  Catilina  et  Cicéron  recommenceront  la  lutte  d'En- 
celade  et  de  Jupiter,  et  nous  verrons  à  qui  cette  fois  demeurera 
la  victoire. 

CICERON. 

Ah  !  la  victoire  n'est  pas  un  doute  pour  moi,  Catilina,  pour  moi 
qui  ne  crois  pas  au  hasard,  mais  aune  forée  motrice,  intelligente, 
supérieure.  Oh  !  non,  ce  n'est  pas  pour  reculer  devant  ce  qui  lui 
reste  à  faire,  que  Rome  a  fait  ce  qu'elle  a  fait  ?  Non,  quand  elle 
est  sortie  de  l'enceinte  de  Homuluspour  s'emparer  du  Latium, 
du  Latium  pour  s'emparer  de  l'Italie,  de  l'Italie  pour  s'emparer 
du  monde;  quand  elle  a  pris  à  Cartilage  son  commerce,  à  Athènes 
ses  arts,  à  Sardes  ses  richesses,  à  Mcmphis  sa  science  ;  quand, 
pareille  a  ces  divinités  de  l'Inde,  qui  ont  dix  mamelles,  elle  fait 
boire  à  dix  peuples  a  la  fois  le  lait  de  l'avenir,  ce  n'est  pas,  crois- 
moi  ,  pour  que  sa  gigantesque  destinée  avorte  selon  le  caprice 
d'un  homme!...  Non, Sergius ,  prends  le  feu!  prends  l'épéc  ! 


ACTE  III,  TABLEAU  IV.  97 

prends  la  torche  !  Tu  ne  pourras  rien  contre  Rome  ,  Rome  est 
immuable,  Rome  est  éternelle,  Rome  est  sous  la  main  des  dieux  ! 

CATILINA. 

Eh  bien!  si  Rome  est  sous  la  main  des  dieux,  ce  que  j'aurai 
détruit,  les  dieux  se  chargeront  de  le  reconstruire. 

C1CÉRON. 

Vous  allez  voir,  Catilina,  qu'il  y  a  un  Dieu...  J'ai  voulu  vous 
ramener  au  bien... 

CATILINA. 

C'est-à-dire  à  votre  avis. 

C1CÉROX. 

Ne  m'interrompez  pas ,  le  moment  est  suprême.  Je  vous  ai 
parlé  le  langage  de  la  fraternité...  C'est  un  mot  que  vous  ne 
comprenez  pas...  il  n'est  pas  dans  le  vocabulairede  noire  société, 
et  malheureusement  il  faudra  verser  encore  bien  du  sang  pour 
l'écrire  au  livre  de  l'humanité.  Je  vous  ai  dit  partageons...  Je 
vous  ai  dit  améliorons...  Je  vous  ai  dit  aimons-nous...  mais  vous 
avez  fermé  votre  oreille  à  mes  instances,  votre  cœur  à  mes  priè- 
res... Vous  avez  persévéré  dans  votre  folie  furieuse...  Eh  bien  ! 
Catilina,  c'est  maintenant  un  arrêt  rendu  contre  vous. 

CATILINA. 

Vous  m'exilez  ? 

C1CÉR0X. 

Non!  C'était  bon  tout  à  l'heure,  j'espérais  encore. ..Mainte- 
nant, vous  m'avez  ouvert  l'abîme  de  votre  cœur.  J'ai  réiléchi... 
je  ne  vous  exile  plus...  je  vous  tue. 

CATILINA. 

Ah  !  voilà  donc  la  péroraison  de  l'homme  vertueux,  de  l'hon- 
nête citoyen,  du  clément  orateur  qui ,  devançant  les  siècles,  a 
inventé  le  mot  fraternité  pour  me  séduire...  Capito  le  boucher 
ne  parle  pas  si  bien...  Mais  il  faut  lui  rendre  justice,  il  ne  tue- 
rait pas  mieux. 

C1CKR0N. 

Eh  bien!  c'est  justement  parce  que  je  suis  tout  ce  que  tu  dis , 
qu'il  faut  que  tu  meures. Deux  grands  principes  luttent  l'un  con- 
tre l'autre  depuis  le  commencement  du  monde...  l'ordre  et  le  dés- 
ordre, le  bien  et  le  mal,  la  vie  et  le  néant...  Moi  je  suis  l'ordre, 
je>suis  le  bien...  je  suis  la  vie...  Toi  tu  es  le  désordre...  tu  es  le 
mal...  tu  es  le  néant.  Nous  combattons  ,  je  te  tuerai...  Car  si  je 
ne  te  tuais  pas,  peut-être  tuerais-tu  là  société. 

CATILINA. 

Ainsi,  à  toi  l'homme  de  la  fraternité ,  à  toi  aussi  il  te  faut  du 
sang  pour  accomplir  ton  œuvre  de  fraternité...  Tu  vois  bien  que 
tu  n'es  pas  meilleur  que  moi ,  Cicéron  !  6 


98  CATILINA. 

CICERON. 

Tu  te  trompes:  car  si  tu  sors  d'ici,  Catilina,  ce  n'est  plus  une 
lutte  entre  Sergius  et  Cicéron...  c'est  une  guerre  entre  le  peuple 
et  le  sénat.  Demain,  après-demain  peut-èlre  ,  dix  mille  hommes 
égorgés  rougiront  de  leur  sang  les  rues  ,  le  Forum  ,  la  Voie  Sa- 
crée... En  te  tuant  aujourd'hui ,  en  te  tuant  ici,  j'économise! 

c ATI LIN  A. 

Et  sans  doute  la  même  main  qui  m'aura  frappé  se  chargera 
d'écrire  mon  histoire  ? 

CICÉRON. 

Ton  histoire?...  et  à  quoi  bon  ?  Prends  tes  tablettes  et  assieds- 
toi  a  cette  table.  Ecris  ton  testament...  Ajoute  que  c'est  moi... 
moi,  Marcus  Tullius  Cicéron  qui  te  tue...  Et  ce  que  tu  auras  or- 
donné sera  accompli  ;  ce  que  tu  auras  écrit  sera  lu...  lu  au  sé- 
nat, lu  au  Forum,  lu  au  peuple,  d'un  bout  à  l'autre,  hautement, 
publiquement...  Mais  hàte-toi,  je  te  donne  cinq  minutes. 

CATILINA. 

Merci,  Cicéron,  j'accepte  tes  cinq  minutes,  et  que  le  ciel  te  les 
rende  à  l'heure  de  ta  mort. 

cicéron,  s' avançant  au  milieu  de  la  cour. 
Hors  du  fourreau  les  épées... 

SCÈNE  IX 

CATILINA  seul ,  CICERON  et  les  chevaliers  dans  la  cour. 
catilina,  allant  à  la  porte  à  droite  du  spectateur. 
Fermée  !...   (H  traverse  le  théâtre  et  secoue  la  porte  à  gauche.) 
Fermée  aussi...  Oh  ! 

charincs  -,  une  lampe  à  la  main  soulevé  la  trappe  du  souterrain. 
Venez,  mon  père  !  (Catilina s1  élance  dans  l'ouverture  et  dispa- 
raît avec  Charinus.) 


ACTE  IV. 


CINQUIÈME  TABLEAU. 

Le  Champ  de  Mars  au  jour  des  Comices. 
SCÈNE  Z. 

CICADA,  GORGO,  UN  ESCLAVE,  Bourgeois  se  promenant  et 
attendant. 
cicada  ,  à  cheval  sur  le  tombeau  de  Sylla, 
Combien  as-tu  déjà  déjeuné  de  fois,  Gorgo  ? 


ACTE  IV,  TABLEAU  \.  W 

GORGO. 

Trois  fois. 

CICADA. 

Et  combien  de  fois  dînei  as-tu? 

GORGO. 

Toute  la  journée. 

CICADA. 

Ce  que  c'est  que  de  n'avoir  pas  l'âge  de  voler  !  Moi,  j<    «rais 

encore  à  jeun  sans  Volens  qui  m'a  donné  un  pâté  d'alouettes  et 
une  amphore  de  vin.  Quel  est  celui  qu'on  vient  de  te  servir 
à  toi? 

GORGO. 

Du  massique ,  à  ce  que  Ton  ma  dit. 

CICADA. 

Moi  je  déguste  du  ccecube.  Envoie-moi  du  tien,  je  t'enverrai 
du  mien. 

gorgo  ,   à  V Esclave. 
Fais  goûter  de  ta  liqueur  à  ce  jeune  citoyen  qui  est  là  sur  le 
tombeau  de  Sylla. 

l'esclave. 
Mais  il  n'a  pas  l'âge  de  voter. 

GORGO. 

Il  est  mon  ami. 

l'esclave. 
Oh  !  alors,  c'est  autre  chose.  (Il  sert  à  boire  à  Cicada.) 

GORGO. 

Et  Volens  ,  où  est-il  ? 

CICADA. 

11  place  des  bulletins  pour  Catilina.  Catilina  lui  a  fait  distri- 
buer du  vin,  et  pour  engager  les  électeurs  à  boire,  il  boit.  Il  en 
a  déjà  enrôlé  plus  de  cinq  cents  et  grisé  plus  de  mille. 

,    GORGO. 

Aussi  sa  voix  s'enroue.  Ecoute;  on  l'entend  si  on  ne  le  voit 
pas. 

volens,  dans  la  coulisse. 
Arrivez  par  ici,  les  forgerons;  arrivez,  les  fondeurs;  arrivez, 
les  taillandiers.  Vive  Sergius  Catilina  ! 
tous  répètent  : 
Vive  Sergius  Catilina! 

SCÈNE  XI. 

Les  Mêmes,  VOLENS. 

VOLENS. 

Rangez-vous  la  et  attendons.  Serrez  les  rangs,  front.  (Aperce- 
vant Cicada,)  As-tu  bien  bu,  petit?  as-tu  bien  mangé? 


100  CATILINA. 

un  homme,  dans  les  rangs. 
C'est  bon  de  boire,  c'est  bien  de  manger,  mais  on  nous  avait 
promis  vingt  sesterces  par  homme.  Où  sont  les  sesterces? 

VOLENS. 

Sois  tranquille,  ils  viendront. 

LE  MÊME. 

Où  sont-ils?  voyons. 

VOLENS. 

Silence,  ivrogne.  Arrive  ici,  Gorgo...  Arrive  ici,  Cicada. 

CICADA. 

Moi  aussi? 

VOLENS. 

Tiens,  il  faut  que  tu  gagnes  ton  pâté  d'alouettes.  Ecoutez-moi 
tous  les  deux.  Vous  allez  vous  promener  autour  des  ponts  où  les 
électeurs  viennent  déposer  leurs  bulletins.  Ceux  qui  votent  pour 
un  seul,  vous  tâcherez  de  les  faire  voter  pour  Catilina...  ceux  qui 
voteront  pour  deux,  vous  tâcherez  de  les  faire  voter  pour  Cati- 
lina et  Antonius...  ceux  qui  ne  sauront  pas  écrire,  vous  leur 
donnerez  des  bulletins  tout  faits.  11  y  en  a  plein  mon  casque, 
prenez. 

CICADA. 

Mais  s'ils  veulent  qu'on  mette  Cicéron? 

VOLENS. 

Eh  bien,  vous  écrirez  Catilina,  et  vous  direz  que  vous  mettez 
Cicéron. 

CICADA. 

C'est  vrai,  cela  commence  par  un  C. 

VOLENS. 

Vous  entendez,  qu'il  n'en  soit  pas  question,  de  Cicéron.  C'est 
Catilina  qu'il  nous  faut,  un  capitaine  et  non  un  avocat. 

CICADA. 

Mais  où  est-il  donc  Catilina  ? 

VOLENS. 

Probablement  où  il  a  besoin  d'être.  Cela  ne  nous  regarde  point. 
(Bruit  dans  la  coulisse,  a  gauche  ) 

CICADA. 

En  attendant,  voilà  le  seigneur  pois  chiche  qui  vient,  lui...  il 
ne  dort  pas,  il  a  recruté  les  bourgeois. 

VOLENS. 

Où  donc  le  vois-tu,  toi? 

CICADA. 

Là  bas,  en  robe  blanche.  Tenez,  tenez,  en  a-t-il  après  lui... 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  101 

Mais  si  on  lui  laisse  comme  cela  récolter  toutes  les  voir,  il  non 
restera  plus  pour  les  autres. 

VOLENS. 

Tais-toi,  jeune  homme;  tu  n'entends  rien  au  gouvernement. 

GORGO. 

Par  Jupiter,  Cicada  a  raison...  ce  n'est  pas  un  cortège,  c'est 
une  armée. 

VOLENS. 

Tout  cela  se  dissipera  quand  on  jouera  du  bâton. 

GORGO. 

Vous  croyez? 

VOLENS. 

A  vos  rangs  I...  une  bonne  huée  pour  l'avocat  d'Arpinum... 
ho!  Cicéron... 

les  bourgeois  répondent. 
Vive  Cicéron!...  {Huées,  applaudissements.) 
SCENE  III 

Les  Mêmes,  CICÉRON  entre  du  fond,  côté  gauchi . 
cicéron 
Merci ,  merci ,  mes  amis.  Vous  savez  ce  que  je  veux ,  n'est-ce 
pas?  En  me  nommant,  vous  aurez  l'ordre,  la  tranquillité,  le 
commerce. 

LES  BOURGEOIS. 

Bravo  ! 

volens,  à  gauche,  dans  le  fond. 
N'écoutez  donc  pas  ce  bavard  qui  parle  pour  de  l'argent...  qui 
dit  blanc  et  qui  dit  noir,  selon  qu'on  le  paye  en  or  ou  en  ruivre, 
ou  plutôt  qui  ne  dit  rien  quand  on  le  paye  en  cuivre.  A  bas 
Cicéron,  à  bas! 

cicéron  ,  descendant  la  scène. 
Oh  !  oh  !  je  n'ai  rien  de  bon  a  faire  par  ici,  je  suis  en  plein 
Catilina...  ah  !  ah!  Caton. 

volens,  aux  partisans  de  Catilina  qui  rentrent. 
Bon,  voilà  du  renfort  qui  lui  arrive.  Il  va  perdre  son  temps  a 
bavarder  avec  Caton...  allez  vite  distribuer  les  bulletins  et  re- 
venez. Ne  vas  pas  me  perdre  mon  casque,  toi. 

CICADA. 

N'aie  pas  peur!...  (Il  sort  avec  Gargo.)  Vive  Catilina  !..  (Tous 
les  Catilina  sortent  par  la  gauche.) 

SCENE  IV. 

Les  Mêmes,  CATON,  entrant  par  la  droite. 
cicéron,  allant  au-detant  de  Caton. 
Eh  bien,  Les  cntendcz-vou5  comme  ils  crienl  ?  <j, 


102  C4TILITU 

CATON. 

Laissez-les  crier,  les  choses  vont  au  mieux. 

CICÉRON. 

Comment  cela? 

CATON. 

Nous  avons  trois  cent  mille  voix,  toutes  celles  de  la  bour- 
geoisie et  du  commerce...  tout  lés  bons  Romains  sont  pour  nous. 

CICÉRON. 

Les  jours  d'élection,  Caton,  les  voix  sont  des  vuix,  ils  ont  eu 
celles  du  peuple  et  de  tous  les  nobles  ruinés. 

CATON. 

De  sorte  que  les  soixante-quinze  mille  voix  de  César,  à  votre 
avis,  feront  la  majorité? 

CICÉRON. 

Oui,  selon  qu'elles  se  porteront  sur  Catiiina  ou  sur  moi. 

CATON. 

Avez-vous  un  moyen  de  communiquer  avec  César  sans  le  com- 
promettre ? 

CICÉRON. 

J'ai  Fulvie,  la  maîtresse  de  Curius. 

CATON. 

Curius  est  a  Catiiina  ! 

CICÉRON. 

Oui,  mais  Fulvie  est  à  nous. 

caton,  montrant  un  papier. 
Eh  bien  !  voilà  les  soixante-quinze  mille  voix  de  César;  je  vous 
les  donne,  Ciceron. 

CICÉRON. 

Dans  ce  billet  ! 

CATON. 

Lisez  la  signature. 

CICÉRON. 

Servilie!...  votre  sœur!...  vous  avez  employé  ce  moyen!.-. 

CATON. 

Comprenez,  Cicéron,  et  que  ceci  reste  entre  nous. 

ciceron,  remontant. 
Soyez  tranquille!  (Cris  dans  la  coulisse.) 

cicada,  retournant  le  casque. 
Plus  un,  père  Volens  ;  tout  est  distribué. 

VOLENS . 

Bien,  petit  :  et  toi,  Gorgo  ? 

gorgo. 
En  a?ez-vous  d'autres? 


ACTE  ÏV,  TABLEAU  V.  103 

VOLENS. 

Il  va  en  venir. 

C1CADA. 

Dites  donc,  seigneur  Caton,  et  le  disque  de  Rémus? 

GORGO. 

Vous  qui  nagez  si  bien,  vous  devriez  l'aller  chercher  au  fond 
du  Tibre  ;  foi  de  citoyen  Romain,  je  donne  ma  voix  au  seigneur 
Cicéron,  si  vous  faites  cela. 

VULENS. 

Seigneur  Caton,  une  coupe. 

CATON. 

Tu  ignores  donc  que  je  ne  bois  pas  de  vin? 

VOLEN-. 

Bah!  une  fois  n'est  pas  coutume. 

CATON. 

Eh  bien!  donne. 

PARTISANS  DE  CATILINA. 

A  Catilina  !  a  Catilina  ! 

PARTISANS  DE  CICÉRON". 

A  Cicéron  !  à  Cicéron  ! 

caton,  levant  sa  coupe. 
A  Rome!  (Il  boit;  applaudissements  ;  tumulte  au  fond.) 

cicéron,  se  retournant. 
Qu'y  a-t-il  là-bas? 

SCÈNE  V. 

Les  Mêmes,  L'AFFRANCHI,  du  premier  acte. 
l'affranchi. 
Seigneur  Tullius  !  seigneur  Tullius  ! 

CICÉRON. 

Lui  !  par  ici  ! 

l'affranchi. 
Bonne  nouvelle. 

CICÉRON. 

Parle  bas;  ces  gens  sont  nos  ennemis. 

l'affranchi. 
Oh  !  ce  que  j'ai  à  vous  dire,  dans  di.v  minutes  sera  connu  de 
tout  le  monde. 

CICÉRON,    CATON,   LLCULLLS. 

Eh  bien  !  quoi  ? 

l'aefranchi. 

Tout  une  tribu  qui-avait  engagé  ses  voix  à  Curius  et  qui  devait 
voter  pour  Catilina  et  Antonius,  a  voté  pour  Antonius  et  pour 
vous» 


104  CATIHNA. 

CATON. 

Comment  cela  s'est-il  fait? 

l'affranchi. 
Il  paraît  que  les  bulletins  ont  été  changés,  et  comme  ils  votaient 
de  confiance,  les  électeurs  ont  voté  pour  vous. 
cicéron,  bas. 
Fulvie  m'a  tenu  parole. 

l'affranchi. 
C'est  douze  ou  quatorze  mlllej  voix  sur  lesquelles  vous  ne 
comptiez  pas  et  qui  vous  arrivent. 

CtCÉRON. 

Elles  sont  les  biens  venues. 

volens,  aux  siens. 
Ils  se  réjouissent  !...  est-ce  que  cela  irait  mal  pour  nous?..  Eh! 
eli  !  que  se  passe-t-il  donc  la-bas  ?  (Bruit,  rumeurs.) 

GORGO. 

On  dirait  une  bataille. 

cicada. 
S'il  y  a  bataille,  un  peu  de  patience,  les  autres...  attendez-moi. 

cicéron. 
Allez  donc  voir  ce  qui  se  passe,  Caton.  (Tous  le  monde  so>-l.) 


SCENE  VI. 

CICERON,  FULVIE,  voilée. 

FULVIE, 

sans  lever  son  voile. 

Ce  n'est  rien. 

CICÉROX. 

Est-ce  vous,  Fulvie? 

FULVIE. 

Oui  ! 

CICÉRON. 

Que  fait-on  là-bas  ? 

FULVIE. 

On  s'extermine. 

CICÉROX. 

Qui  cela? 

FULVIE. 

Mes  votants.  Quand  ils  ont  vu  qu'ils  étaient  trompés,  ils  ont 
voulu  annuler  l'élection  ;  le  questeur  s'y  est  opposé...  les  che- 
valiers ont  soutenu  le  questeur,  de  sorte  que  les  coups  pleuvent 
comme  grêle. 

CICÉRON. 

Bien  joué,  Fulvie!  Et  Curius  ne  se  doute  de  rien?  il  ne  vous 
soupçonne  pas? 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  105 

FULVIE. 

Il  soupçonnerait  plutôt  sa  main  droite.  Je  vous  le  conduirai 
quand  vous  voudrez  dans  le  Tibre. 

CICERON. 

Les  yeux  bandés? 

FULVIE. 

Les  yeux  ouverts. 

CICÉRON. 

Maintenant,  pouvez-vous  causer  avec  César  ? 

FULVIE. 

Pourquoi  pas? 

CICÉRON. 

Il  faudrait  le  voir  avant  l'élection. 

FULVIE. 

Rien  de  plus  facile.  Il  n'y  a  qu'à  l'attendre  ici...  il  va  venir. 

CICÉRON. 

Eh  bien,  attendez-le.  [Il  regarde  autour  de  lui.)  Et... 

FULVIE. 

Et?... 

CICÉRON. 

Remettez-lui  ce  billet.  (Il  s'éloigne.) 

FULVIE. 

Bien. 

CICÉRON. 

Oh  î  oh  !  voici  tous  nos  ennemis.  Laissez-moi  me  retirer  et 
retirez-vous  vous-même,  vous  pourriez  être  reconnue.  (Cicéron 
s'éloigne  d'un  côté,  Fulvie  de  Vautre.) 

SCENE  VII. 

Les  Mêmes,  moins  CICÉRON  et  FULVIE ,  plus  CURIUS,  CE- 
THÉGUS,  CAP1TO,  LENTULUS  et  la  Foule. 

CURIUS. 

C'est  une  trahison!  c'est  une  infamie!...  L'élection  doit  être 
annulée. 

lentullus. 
Mais  comment  cela  s'est-il  fait  ? 
tous. 
Oh  !  à  mort  les  traîtres  ! 

CURIUS. 

Comment  cela  s'est  fait?  le  sais-je?  puis-je  le  savoir?  Je  donne 
des  bulletins...  les  deux  noms  y  sont  écrits  par  moi,  et  par  mon 
secrétaire,  devant  moi. ..  et  quand  on  dépouille  le  scrutin,  un 
des  noms  est  changé. 


106  CAT1LLNA. 

CÉTHÉGUS. 

Par  Hercule!  lu  as  du  malheur,  Curius.  Pour  une  tribu  oue 
t«  fais  voter  elle  se  trompe.  J'en  ai  fait  voter  sx  Soixan  e- 
quinze  mille  hommes,  et  pas  une  erreur,  w>MMW 

CDBIDS. 

Qu'est-ce  à  dire?  m'accuses-tu? 

CETHEGUS. 

-Non;  mais  je  dis,.. 

LEXTULUS. 

Assez!  Voyons,  c'est  un  malheur...  mais  réparable  avec  de 
1  activité.  Avez-vous  vu  Catilina? 

-T  CURIUS  et  CÉTHÉGUS. 

Nonj 

„,  LEXTLLUS,  à  /^bfe/lS. 

Et  vous  autres? 

~  VOLEXS. 

ras  aperçu. 

,.         ,  GORGO. 

Wous  le  demandions  tout  à  l'heure. 

CICADA. 

Oui;  et  puis  l'on  demandait  aussi  les  sesterces. 

CAPITO. 

cenSnVraiir;1,argent!-  IInous  avait  dit  de  passer  chez  lui 
m,if  /    personne  pour  nous  recevoir...  Y  a-t-il  au  moins 

quelqu'un  de  sa  maison  ici? 

storax,  ë avançant. 
Il  y  a  moi,  seigneur. 

,,    .  CAPITO. 

Oui  es-tu,  toi? 

STORAX 

Je  suis  son  nomenclateur. 

n         j„  LENTULCS. 

Quand  1  as-tu  quitté? 

TT.  .  STORAX. 

Hier  soir. 

CURIUS. 

Et  depuis  hier  tu  ne  Tas  pas  revu? 

,T  .  STORAX. 

Won,  seigneur;  non. 

CAPITO. 

Et  l'argent?  tu  n'en  a  pas  entendu  parler? 

STORAX. 

tendant)  ^^  dU  m°nde'  (Z*  peUpk  rem0nt£  au  *****  de  Vin' 


ACTE  IV,  TABLEAl    V.  107 

SCENE  VIII. 

Les  Mêmes,  un  Homme  conduisant  un  mulet. 
l'intendant,  avec  les  Esclaves. 
Voici  l'argent  promis  par  le  seigneur  Catilina. 

LENTULUS.  * 

C'est  toujours  quelque  chose. 

STORAX. 

L'intendant  d'Orestilla  !...  Cache-toi,  Storax  !  cache-toi  ! 

CDRIUS. 

Et  as-tu  des  ordres? 

l'intendant. 
Pas  d'autres  que  de  remettre  en  son  absence  cet  argent  aux 
nains  de  ses  amis.  Vous  êtes  ses  amis,  je  vous  remets  l'argent. 
capito. 
Vive  Catilina,  alors  ! 

curius. 
Citoyens,  c'est  cent  vingt  sesterces  par  tête,  n'est-ce  pas? 

tous. 
Oui  !  oui  !  oui  î 

cicada,  prenant  le  mulet  par  la  bride. 
Oh  !  le  joli  mulet!  (Il  le  baise  sur  le  nez.  Chacun  s<:l<>i<ii<e.  On 
partage  l'argent  de  Catilina.) 

SCENE  IX. 

ORESTILLA,  L'IMFNDA  NT. 

ORESTILLA. 

Eh  bien  ? 

l'intendant. 
il  n'est  pas  ici,  comme  vous  voyez. 

ORESTILLA. 

Et  chez  lui  ? 

l'intendant. 
Non  plus. 

ORESTILLA. 

Ses  amis  savent-ils  où  il  est? 

l'intendant. 
Ils  le  cherchent  comme  vous. 

ORESTILLA. 

Qui  a  envoyé  l'or  cette  nuit? 

l'intendant. 
L'intendant. 

ORESTILLA, 

En  ilisant9 


108  CATILINA. 

l'intendant. 
En  disant  qu'il  vous  remerciait,  mais  qu'il  n'en  avait  pas 

besoin. 

ORESTILLA. 

Il  y  a  quelque  chose  d'étrange  là-dessous.  Cherche  Nubia,  et 
envoie-la-moi. 

l'intendant,  passant  devant. 
Où  dois-je  l'envoyer? 

ORESTILLA. 

Ici.  {Elle  abaisse  son  voile  et  demeure  adossée  au  tombeau.) 

SCENE  X. 

Les  Mêmes,  RULLUS,  LENTULUS. 

LENTULUS. 

Comprenez-vous,  Rullus? 

RULLUS. 

Le  vote  de  toute  cette  tribu? 

LENTULUS. 

Non,  l'absence  de  Catilina. 

RULLUS. 

Catilina  absent? 

LENTULUS. 

Sans  que  personne  puisse  dire  où  il  est. 

RULLUS. 

Et  l'argent  ? 

LENTULUS. 

L'argent  est  venu,  par  bonheur. 

RULLUS. 

C'est  qu'il  m'en  faut  pour  mes  hommes,  et  beaucoup. 

LENTULUS. 

On  vous  en  a  mis  une  sacoche  à  part. 

RULLUS. 

Bon. 

capito,  revenant. 
Eh  bien!  Catilina? 

LENTULUS. 

Absent  toujours,  tandis  que  Cicéron  parle,  s'agite,  pérore.  Le 
voyez-vous,  là-bas,  avec  Caton  etLucullus? 

CÉTHÉGUS. 

Par  Hercule  !  l'auraient-ils  assassiné? 

VOLENS. 

Assassiné!  Qui  cela?  Si  Catilina  est  assassiné,  nous  brûlons 
Rome  :  les  funérailles  seront  dignes  du  mort  ! 


RULLUS. 

LENTULUS. 

RULLUS. 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  109 

CRIS  DU  PEUPLE. 

Catilina!  Où  est  Catilina?  (Bruit,  confusion.) 

CET  H  ÉG  US. 

Faites-leur  un  discours,  Rullus  ;  cela  leur  donnera  un  peu  de 
patience. 

Soit. 

Monte  sur  ce  banc. 

Romains! 

TOUS. 

Chut!  chut!  écoutons  Rullus. 

rullus,  monté  sur  un  banc. 

Romains!  vous  appelez  Catilina,  ot  vous  avez  raison.  Cati- 
lina,  c'est  votre  ami,  c'est  notre  patron  à  tous.  Nommez-le,  el 
la  première  loi  que  nous  rendrons,  c'est  le  partage  du  champ 
public,  ce  champ  qui  appartient  au  peuple,  et  que  les  consuls 
louent  à  vil  prix  à  des  publicains  comme  Métellus,  comme  Lu- 
cullus,  comme  Caton. 

TOUS. 

Bravo  !  bravo  ! 

RULLUS. 

Rien  que  dans  le  partage  des  champs  qui  environnent  Romo, 
et  qui  sont  affermés  aux  éleveurs  de  bestiaux,  il  y  a  de  quoi  en- 
richir cent  mille  familles. 

TOUS. 

Oui,  oui,  le  partage  du  champ  public!  La  loi  agraire!  La  loi 
des  Gracques  ! 

RULLUS. 

Puis,  il  y  a  encore  le  territoire  de  Capoue  qui  est  libre,  et  que 
le  sénat  se  réserve  ;  un  million  d'arpents  de  terres  et  des  meil- 
leures de  l'Italie  ;  les  jardins  qui  ont  arrêté  Annibal,  et  qui,  aux 
mains  de  nos  administrateurs,  sont  devenus  un  désert. 

TOUS. 

Bravo!  bravo! 

RULLUS. 

Votez  donc  pour  Catilina  !  pour  Catilina,  qui  vous  promet  tout 
cela,  qui  veut  que  le  peuple  soit  maître  et  roi,  oui,  maître 
et  roi  à  son  tour.  Votez  pour  Catilina!  Je  réponds  de  lui,  je  me 
porte  garant  pour  lui. 

TOUS, 

Vive  Catilina! 

7 


110  CATILINA. 

RULLUS. 

Vous  fiez-vous  h  ma  parole? 

TOUS. 

Oui  !  oui  ! 

RULLDS. 

.Me  croyez-vous  votre  ami? 

TOUS. 

Oui,  oui. 

rullus,  tirant  des  bulletins. 
Eh  bien  !  pour  Catilina!  amis,  pour  Catilina  !  (7/  distribue  les 

bulletins.) 

LENTULUS,  CAP1T0,  VOLEXS. 

Pour  Catilina  !  amis ,   pour  Catilina  '   (  On  porte  Rullus  en 
triomphe.) 

CETHEGUS. 

Ils  sont  tout  préparés,  vous  n'avez  qu'à  les  mettre  dans  l'urne. 

TOUS. 

Allons  voter!  allons  voter!  [Tout  le  peuple  sort.) 

rullus,  sf essuyant  le  front. 
Encore  une  bataille  gagnée  ! 

céthégus,  embrassant  Rullus. 
Vous  êtes  l'éloquence  en  personne,  mon  cher  Rullus;  une 
bouche  d'or  ! 

RULLUS. 

Oui,  mais  je  ne  les  quitte  pas. 

CÉTHÉGUS. 

Par  Hercule!  je  crois  bien.  Poussez-les,  poussez-les! 

RULLUS. 

Je  ferai  de  mon  mieux;  mais  si  Catilina  n'arrive  pas,  je  ne 
réponds  plus  de  rien. 

CÉTHÉGUS. 

Allez  toujours!  (Rullus  sort.) 

LEXTULUS. 

Il  a  raison,  Catilina  nous  perd. 

CAPITO. 

Il  faudrait  gagner  du  temps. 

CÉTHÉGUS. 

J'ai  une  idée. 

LEXTULUS. 

Laquelle  ? 

îgt  pa?  icida  •  fnjWteç  »« 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  111 

LENTULUS. 

Eh  bien? 

CÉTHÉGUS. 

Ce  cher  Rullus  î  il  est  l'idole  du  peuple... 

CAPITO.  f 

Vous  le  proposez  à  la  place  de  Catilina  ? 

CÉTHÉGUS. 

Allons  donc  !  ce  serait  une  infamie...  Xen,  je  le  fais  tuer  dans 
un  coin... 

lentulus,  stupéfait. 
Qui,  Rullus? 

CÉTHÉGUS. 

Nous  ferons  venir  un  char,  on  le  traînera  au  milieu  de  la 
foulo...  Nous  crierons  vengeance  !  nous  dirons  que  le  crime  vient 
de  Cicéron,  et  nous  ferons  voter  d'enthousiasme  pour  Catilina. 

LENTULUS. 

Mais  encore  faut-il  que  Catilina  soit  ici,  ou  l'élection  sera 
nulle. 

SCENE  !XI. 
Les  Mêmes,  CATILINA,  puis  CI/MUS. 

catilina,  escorté  par  la  foule. 
Me  voici,  mes  amis,  me  voici  1 

tous. 
Ah  !  ah  !  Vive  Sergius  !  vive  Catilina  ! 

CÉTHÉGLS. 

Par  Hercule  !  vous  avez  bien  tardé,  Sergius. 

CATILINA. 

Bonjour,  mes  amis,  bonjour  î  Oui,  j'ai  tardé,  c'est  vrai;  nulle 
embarras  sont  survenus;  j'avais  mon  accord  à  faire  avec  Anto- 
nius...  Eh  bien,  comment  va  le  vote? 

LENTULUS. 

A  merveille!  Heureusement  qu'en  ton  absence  l'argent  est 
venu;  il  a  parlé  pour  toi.  (On  entend  sonner  V  argent.)  Tiens,  en- 
tends-tu? il  parle  encore... 

CAPITO. 

Allons,  tu  as  bien  fait  les  choses,  Catilina,  et  il  n'y  a  rien  à 
dire. 

CATILINA. 

Ah  !  j'ai  bien  fait  les  choses,  soit.  Et  César,  Ta-t-on  vu  ? 

CURIUS, 

Oh  !  César  votera  pour  nous, 


112  CATILINA. 

CATILINA. 

Oui,  comme  votre  tribu.  {Il  lui  tourne  le  dos.) 

CÉTHÉGUS. 

Que  voulez-vous?  c'est  une  différence  de  quatorze  h  quinze 
mille  voix. 

CATILINA. 

Qui  n'a  pas  d'importance,  si  nous  avons  les  soixante-quinze 
mille  voix  de  César. 

CÉTHÉGUS. 

Qu'il  vienne  seulement ,  et  nous  les  aurons. 

TOUS. 

Oui,  oui. 

CATILINA. 

Ceci  vous  regarde.  Vous  vous  chargez  de  César,  n'est-ce  pas? 

CAPITO  et  LENTULUS. 

Nous  nous  en  chargeons. 

CATILINA. 

Avez-vousvu  mon  nomenclateur? 

LENTULUS. 

Il  était  là  tout  à  l'heure,  travaillant  de  son  mieux  pour  toi. 

CATILINA. 

Hola!  maître! 

storax,  vivement. 
Me  voilà. 

CATILINA. 

Viens. 

Deux  mots,  seigneur  ? 

Parle. 

Elle  est  là. 

Qui? 

STORAX. 

Ne  vous  retournez  point...  Orestilla 

CATILINA. 

Où? 

STORAX. 

Auprès  du  tombeau. 

CATILINA. 

C'est  elle  qui  a  envoyé  l'argent? 

STORAX. 

Oui. 


STORAX. 
CATILINA. 

STORAX. 
CATILINA. 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  113 

GATIL1NA. 

Je  m'en  doutais.  Commençons  par  ces  groupes. 

STORAX. 

Mais  nous  allons  de  son  côté  ? 

CATILINA. 

Pourquoi  pas? 

STORAX. 

Bon  Jupiter  I 

CATILINA. 

N'es-tu  pas  déguisé  de  telle  façon  à  ce  que  les  Parques  elles- 
mêmes  ne  te  reconnaissent  pas  ? 

STORAX. 

Je  l'espère  ! 

CATILINA. 

Allons,  redresse-toi  et  parle.  Quels  sont  ces  gens-là? 

STORAX. 

Le  bleu  ou  le  violet. 

CATILINA. 

Le  bleu? 

STORAX. 

Publius  Pudens,  marchand  bonnetier  dans  le  vicus  Toscanus. 
Chef  de  centurie,  deux  enfants,  un  garçon  et  une  fille  ;  le  gar- 
çon boite. 

CATILINA. 

Publius  Pudens,  salut!  [Les  partisans  de  Catilina  s'approchent.) 

PUDENS. 

Salut,  seigneur  Catilina  ! 

CATILINA. 

Il  est  arrivé  de  belles  laines  de  Judée,  cette  année? 

PUDENS. 

Mais  oui,  seigneur. 

CATILINA. 

Vous  savez  que  je  nourris  bon  nombre  de  brebis  ;  je  puis  vous 
envoyer  quelques  échantillons. 

PUDENS. 

A  quel  prix? 

CATILINA. 

Oh  !  mes  échantillons,  je  ne  les  vends  pas,  je  les  donne.  S'ils 
vous  conviennent,  vous  viendrez  prendre  livraison  à  ma  maison 
de  campagne.  En  môme  temps,  amenez  votre  fils  qui  boite.  En 
le  voyant  passer,  l'autre  jour,  mon  médecin  me  disait  qu'il  y 
aurait  peut-être  moyen  de  le  guérir.  11  se  mettra  tout  à  votre 
disposition. 

PUDENS. 

Merci. 


114  CATILLNA. 

CATILIXA. 

Si  vous  n'avez  pas  de  répugnance  à  voter  pour  moi,  Pudens, 
je  me  recommande  à  vous  et  à  vos  amis. 

PUDEXS. 

Nous  verrons,  seigneur  Sergius. 

catilixa.  l'embrassant. 
J'attendrai  respectueusement.  [A  Storax.)  Et  cette  face  blùmc? 

STORAX. 

Le  violet? 

CATILIXA. 

Oui. 

9T0RAX. 

Marcus  Bino,  charcutier,  cent  vingt  voix;  marié  depuis  trois 
mois. 

CATILIXA. 

Salut ,  Marcus  Bino.  J'ai  cent  beaux  porcs  dans  ma  métairie 
de  Féciale,  je  veux  vous  en  envoyer  une  douzaine  à  titre  de  ca- 
deau ;  si  ceux-là  vous  conviennent,  nous  traiterons  des  autres  à 
un  prix  raisonnable,  je  vous  le  promets. 

BINO. 

Merci. 

CATILIXA. 

Vous  avez,  par  Hercule,  une  figure  de  prospérité;  c'est  sans 
doute  le  mariage? 

storax,  bas  et  vivement. 
Ne  lui  parlez  pas  de  sa  femme,  bon  Jupiter. 

CATILIXA. 

Pourquoi  cela,  puisqu'il  Ta  épousée  depuis  trois  mois? 

STORAX. 

Elle  est  accouchée  hier. 

CATILIXA. 

Votez  pour  moi,  mon  ami. 

BIXO. 

Peut-être. 

CATILIXA. 

Je  me  confie  à  votre  amitié.  (Les  partisans  de  Catiliiia  veulent 
prendre  Bino,  il  refuse;  il  sort  avec  les  autres.) 

STORAX. 

Voici,  de  ce  côté,  Furius  Cappa  et  Tonstrinus  Glabrio;  l'un 
est  cabaretier,  l'autre  tondeur. 

CATILIXA. 

Mariés  ? 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  llo 

STORAX. 

Cappa  est  veuf;  il  a  laissé  tomber,  dit-on,  du  haut  de  l'esca- 
lier, un  broc  de  plomb  sur  la  tête  de  sa  femme. 

CATILINA. 

EtGlabrio? 

STORAX. 

Glabrio  est  célibataire.  Aie!  voilà  Aurélia. 

aurélia,   bas. 
Je  n'y  puis  plus  tenir.  [Haut  et  relevant  son  voile.)  Bonjour, 
seigneur  Sergius. 

CATILINA. 

Oh  !  chère  Aurélia ,  bonjour  ;  que  vous  me  faites  plaisir  en  me 
venant  joindre  ici  I 

AURÉLIA. 

J'étais  là  bien  avant  vous,  Catilina,  et  je  commençais  à  m'in- 
quiéter,  je  vous  l'avoue. 

CATILINA. 

Et  de  quoi  ? 

AURÉLIA. 

Mais,  d'abord,  de  ce  renvoi  d'argent  que  je  n'ai  pas  compris, 
après  ce  qui  était  convenu  entre  nous. 
catilina. 
Mes  amis  m'avaient  assuré  que  c'était  une  dépense  inutile. 

AURÉLIA. 

J'ai  pensé  qu'il  y  avait  quelque  malentendu,  j'ai  envoyé  l'ar- 
gent et  l'ai  fait  remettre  à  vos  amis,  qui  l'ont  parfaitement  ac- 
cepté ;  sans  doute  ce  matin  ils  avaient  changé  d'avis  :  la  nuit 
porte  conseil. 

catilina. 

Merci,  Aurélia. 

AURÉLIA. 

Mais  ce  n'était  pas  seulement  cela  qui  m'inquiétait. 

CATILINA. 

Qu'était-ce  donc? 

AURÉLIA. 

Ce  matin,  pensant  que  je  pouvais  vous  être  utile,  je  me  suis 
présentée  chez  vous. 

CATILINA. 

A  quelle  heure? 

AURÉLIA. 

A  la  première. 

CATILINA. 

En  effet,  j'étais  déjà  sorti. 


116  CATILINA. 

AURÉLIA. 

Ou  plutôt  vous  n'étiez  pas  rentré. 

CATILINA. 

Et  c'est  cela  qui  vous  a  inquiétée  ? 

AURÉLIA. 

Oh  !  non  ;  mais  on  m'a  dit  qu'à  la  fin  de  la  troisième  veille  , 
vous  aviez  envoyé  chercher  votre  médecin  Chrysippe,  qu'on 
l'avait  fait  lever,  et  qu'il  était  parti  sans  dire  où  il  allait;  j'ai 
craint  qu'il  ne  vous  fût  arrivé  quelque  accident. 

CATILINA. 

Chrysippe,  cet  hiver,  a  donné  en  mon  nom  des  soins  aux  gens 
pauvres  de  la  Suburraue  et  du  Yelabre.  Je  l'ai  mis  en  campagne 
pour  faire  récolte  de  voix. 

AURÉLIA. 

De  sorte  qu'il  moissonne  pour  vous  à  cette  heure? 

CATILINA. 

Probablement.  Voulez-vous  permettre  que  je  continue  mes 
suppliques?  Croyez  que  j'aimerais  mieux  causer  avec  vous  que 
d'aller  serrer  toutes  ces  mains  sales  et  baiser  toutes  ces  barbes 
mal  faites.  (Clinias  est  entré  depuis  un  moment.) 

AURÉLIA. 

Allez,  d'autant  plus  qu'il  y  a  là  quelqu'un  qui  vous  attend, 
ce  me  semble. 

SCENE  XII. 

Les  Mêmes  ,  CLINIAS,  sur  le  devant  de  la  scène,  MARCIA  dans 
la  foule.  CATILINA,  en  se  retournant,  se  trouve  en  face  de 
Clinias. 

CLINTAS. 

Demeure  ! 
Qui  es-tu? 
Clinias  ! 
Que  me  veux-tu  ? 

CLINIAS. 

Je  viens  te  redemander  mon  fils  ! 

CATILINA. 

Je  ne  te  comprends  pas. 

CLINIAS. 

Mon  fils  que  tu  m'as  enlevé  là ,  cette  nuit ,  dans  ma  maison  ! 

ORESTILLA. 

Charinus! 


CATILINA. 

CLINIAS. 

CATILINA. 


ACTE  V,  TABLEAU  V.  117 

CAT1LINA. 

Je  ne  sais  ce  que  vous  voulez  dire. 

CLINIAS. 

Oh  !  je  me  doutais  bien  que  tu  nierais.  Heureusement  Cicéron 
était  là,  Cicéron  et  ses  douze  chevaliers.  Ils  affirmeront  au  peuple 
que  tu  as  violé  ma  maison  et  enlevé  mon  enfant. 

LE  PEUPLE. 

Allons  donc  ! 

CATILINA. 

Laissez-moi  passer,  vous  êtes  fou. 

CLINIAS. 

A  moi ,  Romains ,  à  moi  !  (Les  Catilina  et  les  bourgeois  des' 
cendent  en  scène.)  Ce  misérable  qui  se  présente  à  vos  suffrages, 
qui  vient  demander  vos  voix;  ce  misérable  s'est  introduit  cette 
nuit  dans  ma  maison,  dans  cette  maison  que  vous  voyez  là,  là  ! 
et  il  m'a  enlevé  mon  enfant,  Cicéron  y  était,  Cicéron  me  rendra 
témoignage.  (Deux  hommes  s'emparent  de  Clinias.) 

CATILINA. 

Amis,  il  a  prononcé  le  nom  de  Cicéron,  et  le  nom  de  Cicéron 
est  aujourd'hui  une  mauvaise  recommandation  pour  Catilina. 
(Les  bourgeois  disent  Non,  non;  les  Catilina  s'emparent  de 
Clinias.) 

CLINIAS. 

Ecartez  de  moi  cet  homme.  Oh!  misérable! 

CATILINA. 

Qu'on  ne  lui  fasse  aucun  mal,  vous  comprenez,  mais  qu'on 
le  mette  en  lieu  de  sûreté  jusqu'à  ce  que  les  élections  soient 
finies.  (On  entraîne  Clinias.) 

ORESTILLA. 

Ah  !  voilà  donc  à  quoi  il  a  occupé  sa  nuit  ! 

catilina,  se  rapprochant  des  électeurs. 
Vous  ne  croyez  pas  à  un  mot  de  ce  qu'il  dit  ? 

CAPPA. 

Non ,  seigneur  Sergius.  D'ailleurs  c'est  un  étranger  ;  il  n'est 
pas  Romain. 

catilina. 

Non  ,  c'est  un  Grec ,  et  vous  le  savez,  il  est  d'une  race  à  la- 
quelle on  fait  faire  tout  ce  qu'on  veut  pour  cinquante  sesterces. 

TOUS. 

Oui ,  oui  ;  c'est  un  Grec  !  A  mort  le  Grec  ! 

CATILINA. 

Amis,  pas  de  violences  ! 

marcia  ,  tombant  à  genoux. 
Mon  fils  !  Sergius,  mon  fils  ! 

7. 


CATIL1XA. 

C'est  vous!  Silence  ,  pas  un  mot. 

3IARCIA. 

Vous  le  voyez,  à  mon  tour  je  ne  menace  pas,  je  supplie. 

CATILINA. 

Un  homme  se  présentera  ce  soir  chez  vous  de  ma  part,  celui 
que  vous  voyez  là  à  ma  droite  :  il  dira  ce  seul  mot  :  CJiarims  ; 
vous  le  suivrez ,  il  vous  conduira  près  de  votre  enfant. 

MARCIA. 


Vous  le  jurez  ? 
Par  les  dieux  ! 


CATILIXA. 
MARCIA. 


Merci.  (Elle  s'éloigne.) 

orestilla,  à  Xubiaqui  la  rejoint. 
C'est  la  mère  j  n'est-ce  pas  ? 

NUBIA. 

Oui. 

catilixa,  élevant  la  voix. 

Pauvre  femme  !  Son  père  était  un  soldat  de  Sylla,  et  on  lui  a 
tué  son  père  ;  son  enfant  était  sa  seule  consolation ,  et  on  lui 
a  enlevé  son  enfant.  Nous  ne  pouvons  lui  rendre  son  père  ;  mais 
par  les  dieux  ,  nous  lui  rendrons  son  enfant  !  Mes  amis ,  votez 
pour  moi,  et  que  je  sois  consul,  vous  verrez,  vous  verrez: 
nous  réparerons  bien  des  injustices.  (Il  s'éloigne  vers  le  fond.  Le 
peuple  crie  vive  Catilina!  en  le  reconduisant.) 

ORESTILLA. 

Va  chez  Ephialtes;  il  faut  que  dans  une  heure  il  m'ait  fait  un 
anneau  pareil  à  celui-ci ,  un  anneau  auquel  on  puisse  se  tromper 
pour  la  ressemblance.  Va;  tu  me  retrouveras  aux  enviions. 

XLBIA. 

Attendrai-je  l'anneau  ? 

ORESTILLA. 

Oui.  (Suivant  des  yeux  Storax.  Maintenant  assurons-nous  que 
le  nomenclateur  est  bien  celui  que  je  crois. 

CÉTHÉGUS. 

Bon ,  voici  Catilina  qui  fait  sa  besogne  lui-même.  Je  n'ai 
plus  besoin  ici  :  je  vais  à  la  vingtième  tribu. 

RULLUS. 

Moi ,  à  la  trentième. 

capito. 

Moi,  je  rejoins  les  taillandiers  ;  il  paraît  qu'on  va  se  battre. 
Je  ne  serais  pas  fâché  de  frotter  un  peu  les  bourgeois.  (César 
parait.)  Ah!  César! 


ACTE  IV,   ÏÂ^EEÀU  V.  ^ 

SCÈNE  XIII. 

Les  Mêmes,  CESAR. 

CÉSAR. 

Que  je  ne  vous  retienne  pas,  amis. 

CÉTHÉGUS. 

Vous  n'êtes  pas  venu  hier  soir,  César. 

CÉSAR. 

J'ai  écrit  à  Catilina  pour  m'excuser. 

CAF1TO. 

Mais  tu  viens  le  matin  ? 

CÉSAR. 

Oh  !  ce  matin,  c'est  autre  chose  ,  c'esfun  devoir  sacré. 

RULLUS. 

Et  vous  votez  avec  nous  ,  Julius  ? 

CÉSAR. 

Je  vote  avec  ceux  qui  votent  pour  Catilina. 

CAPITO. 

Alors  César  vote  pour  nous.   Vive  Julius  ! 

TOUS. 

Vive  César  !  ' 

CETHEGUS. 

C'est  sérieux  ce  que  vous  dites,  n'est-ce  pas? 

CÉSAR. 

A^to     ie  vous  promets  de  ne  voter  que  devant  vous  :  mais 

JT^^^-ÎWS  ave,  Air  de  céder  a  la 
contrainte.  ^^ 

Où  vous  retrouverons-nous? 

CÉSAR. 

Ici  ;  je  n'en  bouge  pas. 

1  CAPITO. 

Au  revoir,  alors.  (Ils  sortent.) 

SCENE  XIV. 

2  ZZ  ^-BES^grtEi- RULIXS'  p'"s 

césar,  à  son  affranchi. 
Eulvic  nous  suit-elle  toujours  ? 


^20  CATILISA. 

l'affranchi. 

Elle  est  là. 

CÉSAR. 

Tu  es  sûr  que  c'est  elle  qui  a  changé  les  bulletins  de  Curius  ? 

l'affranchi. 
J'en  suis  sur;  vous  m'aviez  dit  de  ne  pas  la  perdre  de  vue. 

CÉSAR. 

Je  me  doutais  qu'elle  était  à  Cicéron.  Donne-moi  des  lettres  à 
lire...  je  veux  avoir  l'air  occupé.  (Tout  en  décachetant  une  lettre.  ) 
C'est  embarrassant,  sur  ma  foi... Voter  pour  Catilina,  ce  sauvage 
qui  brûlera  tout...  Voter  pour  Cicéron...  cette  borne  qui  conser- 
vera tout. 

l'affranchi. 

Avez-vous  décidé  quelque  chose  ? 

CÉSAR. 

Ma  foi  non,  rien  encore... 

l'affranchi. 
Vos  sept  tribus  attendent. 

CÉSAR. 

Et  elles  obéiront  a  mon  ordre  ? 

l'affranchi. 
Elles  obéiront  à  un  signe. 

CÉSAR. 

Va  les  rejoindre...  je  t'enverrai  mes  tablettes...  celles-ci...  ïu 
les  reconnaîtras? 

l'affranchi. 
Parfaitement. 

CÉSAR. 

S'il  y  a  deux  noms  écrits  dessus,  fais  voter  pour  ces  deux 
noms...  S'il  y  a  un  seul  nom,  fais  voter  pour  un  seul. 
l'affranchi. 
Bien. 

CÉSAR. 

Attends!...  Enfin,  si  tu  recevais  mes  tablettes  sans  aucun 
nom... 

l'affranchi, 
Alors? 

CÉSAR. 

Fais  jeter  dans  les  urnes  soixante-quinze  mille  bulletins  blancs. 
Va..  (L'Affranchi  s'éloigne.)  C'est  cela;  Fulvie  n'attendait  que  son 
départ. 

SCENE  XV. 

CÉSAR,  FULVIE. 

FULVIE. 

Bonjour,  César. 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  121 

CÉSAR. 

Ah!  vous  venez  aux  comices...  C'est  d'une  bonne  citoyenne. 

FULVIE. 

Je  vous  cherchais. 

CÉSAR. 

Vous  me  cherchiez? 

FULVIE. 

Oui...  Pour  qui  votez-vous? 

CÉSAR. 

Vous  me  demandez  cela  comme  si  c'était  chose  facile  a  ré- 
pondre... 

FULVIE. 

Vous  n'avez  donc  pas  encore  pris  de  décision  ? 

CÉSAR. 

Je  l'avoue. 

FULVIE. 

Voici  une  lettre  qui  vous  tirera  d'embarras. 

CÉSAR. 

Une  lettre...  de  qui? 

FULVIE. 

Voyez. 

CÉSAR. 

De  Servilie  ? 

FULVIE. 

Je  crois  que  oui. 

CÉSAR. 

Et  de  qui  tenez-vous  cette  lettre? 

FULVIE. 

De  Cicéron. 

CÉSAR. 

Qui  la  tenait  ? 

FULVIE. 

De  Caton. 

CÉSAR. 

De  Caton!...  (77  lit.)  «  Dans  ma  famille,  on  aime  la  vertu...  Si 
»  vous  laissez  Catilina  devenir  consul,  ne  vous  présentez  plus 
»  chez  moi...  Si  vous  faites  nommer  Cicéron,  venez  ce  soir,  que 
»  je  vous  remercie. 

»  Servilie.  » 

Oh!  rigide  Caton...  voilà  donc  pourquoi  tu  m'as  fait  sortir 
cette  nuit  par  la  fenêtre  de  ta  sœur,  tandis  que  tu  entrais,  toi, 
par  la  porte!  C'en  est  fait,  le  sort  en  est  jeté,  je  me  décide  pour 


122  CÀilLLNA. 

la  vertu...  Oui,  mais  le  vice  nr égorgera...  et,  si  le  vice  m'é- 
gorge, je  ne  souperai  pas  ce  soir  chez  la  vertu. 

FULVIE. 

Eh  bien? 

césar,  à  lui-même. 
Mais  voyons...  peut-être  y  a-t-il  moyen  de  tout  concilier. 

FULVIE. 

Dépêchez-vous,  César...  Voilà  les  amis  de  Catiliua,  et  Curius 
avec  eux. 

CÉSAR. 

Ma  chère  Fulvie,  il  est  impossible  que  vous  veuillez  mon  mal- 
heur... et  mon  malheur  est  immense  si  je  ne  revois  pas  Servilie. 

FULVIE. 

Rassurez-vous.  César;  je  ne  veux  pas  votre  malheur. 

CÉSAR. 

Vous  ne  voulez  pas  ma  mort  non  plus,  n'est-ce  pas,  Fulvie?... 
et  ma  mort  est  sûre  si  je  ne  vote  pas  pour  Catilina. 

FULVIE. 

Je  ne  veux  pas  votre  mort. 

CÉSAR. 

Alors,  ne  perdez  pas  une  parole  de  tout  ce  qui  va  se  dire... 
Comprenez  à  demi-mot,  et  tirez-moi  d'embarras.  Les  tablettes 
sont  remises  à  Curius. 

FULVIE. 

Si  les  tablettes  sont  remises  à  Curius,  je  réponds  de  tout. 

SCE2TE  XVI. 

Les  Mêmes,  CAPiTO,  CETHEGUS,  CURIUS. 

CURIUS. 

Vous,  Fulvie  ? 

FULVIE. 

Oui,  moi,  qui  vous  cherchais,  et  qui,  tout  en  vous  cherchant, 
décidais  César  à  voter  pour  Catilina. 
césar. 

Et  avouez  que  vous  n'avez  pas  eu  grande  peine  a  me  décider, 
belle  Fulvie.  Eh  bien!  amis,  ou  en  sommes-nous  des  élections? 

CÉTHÉGUS. 

Elles  vont  à  merveille;  tout  le  monde  a  voté,  excepté  vos 
soixante-quinze  mille  clients,  qui  attendent  vos  ordres. 

ri?  ar. 
Et  a-t-ou  relevé  les  votes? 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  12b 

CAPITO. 

Oui. 

CÉSAR. 

Comment  se  sont-ils  répartis? 

CAPITO. 

Cicéron  a  trois  cent  vingt  mille  voix,  Catilina  trois  cent  dix 
mille,  Antoine  cinq  cent  soixante-dix  mille. 

CÉSAR. 

De  sorte  que,  jusqu'à  présent,  c'est  Antoine  et  Cicéron  qui  se- 
ront consuls? 

clrius. 

Oui,  sans  doute...  mais  vos  soixante-quinze  mille  voix  vont 
donner  une  majorité  énorme  à  Catilina. 

FLLVIE. 

Faites  attention,  César,  que  si  vos  gens  ne  votaient  pas... 

CÉSAR. 

Par  Castor  !  je  comprends  bien...  si  mes  gens  ne  votaient  pas, 
la  majorité  resterait  a  Cicéron. 

CÉTHÉGUS. 

Allons,  César,  décidez-vous. 

CÉSAR. 

.Mais  je  suis  tout  déi  idf...  \  ■[  i  oinnie  j'agis  franchement  avec 
vous,  je  veux  vous  mettre  nu  courant  des  ordres  que  j'ai  donnés 
à  mon  affranchi.  Voici  mes  tablettes;  si  j'écris  deux  noms  sur 
mes  tablettes,  mes  soixante-quinze  mille  clients  votent  pour  ces 
deux  noms  ;  si  j'écris  un  seul  nom,  ils  votent  pour  ce  nom  seul  ; 
si  je  n'écris  rien  du  tout,  ils  votent  en  blanc.  Quels  sont  les  noms 
que  vous  voulez  que  j'écrive? 

tois,  h  César. 

Catilina  et  Antoine. 

césar,  écrivant. 

Catilina  et  Antoine...  voici.  Est-ce  bien  cela? 

CKTHÉGCS. 

Bravo  !  César,  bravo  ! 

césar. 
Pour  que  vous  ne  doutiez  pas  de  moi,  amis,  Curius,  voici  ni'  s 
tablettes  ;  vous  les  porterez  a  mon  affranchi  ;  vous  les  lui  remet- 
trez à  lui-même.  Il  saura  ce  qu'il  a  a  faire.  Tenez,  Curius. 

tous. 
Merci,  César. 

CÉSAR. 

Vous  êtes  tous  témoins  que  j'ai  tenu  ma  promesse. 

CHU  15. 

Oui,  César,  et  bravement. 


124.  CATILINA. 

CÉSAR. 

Fulvie,  vous  rendrez  témoignage. 

FULVIE. 

Je  vous  le  promets.  (A  Capito  et  à  Cèthégus.)  Suivez-le,  afin 
qu'il  ne  donne  pas  contre-ordre. 

CÉTHÉGUS. 

Vous  avez  raison. 

CÉSAR. 

Au  revoir,  amis;  mes  compliments  à  Catilina. 

CAPITO. 

Nous  vous  reconduisons,  César. 

césar. 
C'est  trop  d'honneur  que  vous  me  faites.  (Ils  sortent.) 

SCÈNE  XVII. 

CURIUS ,  FULVIE. 

CU  R  ILS. 

Eh  bien  !  Fulvie,  nous  tenons  l'Espagne. 

FULVIE. 

Oui,  si  César  a  bien  réellement  écrit  les  noms  de  Catilina  et 
d'Antoine. 

curius,  lui  donnant  les  tablettes. 
Regardez  plutôt. 

FULVIE. 

Voyons...  (Elle  ouvre  les  tablettes.)  Ma  foi,  oui.  (Laissant  tom- 
ber le  poinçon.)  Ah!  ramassez-moi  donc  ce  poinçon,  Curius. 
(Pendant  que  Curius  se  baisse,  elle  efface  avec  son  pouce  les  deux 
noms  écrits  sur  la  cire.)  Merci.  (Elle  ferme  les  tablettes  et  les  re- 
met à  Curius.)  Allez...  il  n'y  a  pas  un  instant  à  perdre. 

curius. 
Où  vous  reverrai-je? 

FULVIE. 

Ce  soir,chez  vous. 

curius. 
0  Fulvie  !  vous  faites  de  moi  un  dieu.  (Il  lui  baise   la  main 
et  sort  en  courant.) 

SCENE  XVIII. 

FULVIE,  L'AFFRANCHI  DE  CICÉRON. 

FULVIE. 

Psit!  psitî 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  125 

l'affranchi. 
Que  dois-je  dire  à  Cicéron? 

FULVIE. 

Que  les  soixante-quinze  mille  clients  de  César  voteront  en 
blanc  i  et  que  les  consuls  de  l'an  691  de  la  république  romaine 
sont  Marcus  Tullius  Cicéron  et  Caïus  Antonius  Nepos.  (Elle  sort 
d'un  côté,  V Affranchi  de  Vautre.) 

SCENE  XIX. 

CATILINA,  STORAX. 

CATILINA. 

Fulvie  avec  l'affranchi  de  Cicéron,  que  veut  dire  cela?  Après 
tout,  qu'importe  à  cette  heure?  le  coup  est  joué,  et  ce  qui  doit 
être,  est  déjà.  Viens ,  Storax. 

STORAX. 

Me  voici,  maître. 

CATILINA. 

Tu  vois  bien  cette  petite  maison  ? 

STORAX, 

La  maison  de  la  Vestale. 

CATILINA. 

Quand  la  nuit  sera  venue,  tu  frapperas  à  la  porte. 

STORAX. 

Oui. 

CATILINA. 

Une  femme  viendra  ouvrir. 

STORAX. 

Bien. 

CATILINA. 

Tu  prononceras  ce  seul  mot  :  Charinus. 

storax. 
Après? 

CATILINA. 

Tu  marcheras  devant  elle  et  elle  te  suivra. 

STORAX. 

Où  me  suivra-t-elle  ? 

CATILINA. 

A  ma  maison  du  Val  d'Egérie. 

STORAX. 

Est-ce  tout? 

CATILINA. 

Absolument.  J'y  serai. 

STORAX. 

La  chose  est  faite. 


Jff  CAT1LLNA. 

CATILIXA. 

Silence  i  Voilà  Céthégus  et  Capito. 


SCENE  XX. 

Les  Mêmes,   CETHEGUS,  CAPITO,  puis  successivement  tous 
les  autres. 

CAPITO. 

Victoire  !  Sergius,  victoire  ! 

CATILINA. 

Comment  victoire? 

CAPITO. 

César  a  voté  devant  nous. 

catil:na. 
Pour  moi? 

CAPITO. 

Pour  toi  et  pour  Antoine. 

CATILIXA. 

A  ous  avez  vu  les  deux  noms? 

CÉTHÉGUS. 

A  us  sur  les  tablettes  qu'il  a  envoyées  à  son  affranchi. 

CATILINA. 

Par  qui  les  a-t-il  envoyées? 

curius,  entrant. 
Par  moi,  qui  les  lui  ai  remises. 

CATILIXA. 

A  l'affranchi  ? 

CURIUS. 

A  lui-même. 

CATILIXA. 

Et  qu'a-t-il  dit  ? 

CURIUS. 

Il  s'est  incliné  ,  disant  :  il  sera  fait  selon  la  volonté  du  noble 
Julius  César. 

CATILIXA. 

Et  ces  tablettes  ne  vous  ont  pas  quitté,  Curius,  du  moment  où 
César  y  a  inscrit  les  deux  noms? 

CURIUS. 

Pas  un  instant. 

CATILIXA. 

Personne  n'y  a  touché  ? 

CURIUS. 

Personne. 

CATILINA. 

Pas  même  Fulvie  ? 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  127 

GU  RI  US. 

Si  fait,  Fulvie  s'est  assurée  que  les  deux  noms  étaient  inscrits. 

CATIL1XA. 

0  malheur  ! . . .  malheur  ! . . . 

TOUS. 

Quoi?...  quoi  donc?...  qu'a-t-il?... 

CATILINA. 

Quand  je  suis  revenu  ici,  là  tout  à  l'heure,  Fulvie  causait  avec 
l'affranchi  de  Cicéron...  Merci,  Curius,  si  je  suis  perdu  ce  sera 
par  toi. 

SCÈNE  XXI. 

Les  Mêmes,  VOLENS,  GORGO,  CICADA. 

TOUS. 

Victoire!...  victoire!... 

GORGO. 

Eii  bien!  ce  brave  César,  il  a  donc  vote  pour  nous? 

CICADA. 

Il  me  l'avait  promis. 

TOUS. 

Vive  Catilina  consul  ! 

CATILINA. 

Un  peu  de  patience.  (La  cloche  sonne  Le  peuple  remonte.) 

CETHEGLS. 

Voici  la  cloche  qui  sonne,  on  va  proclamer  les  noms. 

VOLENS. 

Le  conseil  a-t-il  une  bonne  voix ,  au  moins ,  pour  bien  crier 
Lucius  Sergius  Catilina  ? 

CATILINA. 

Patience!  patience!  (On  entend  la  cloche.) 

CICADA. 

Tiens!  c'est  drôle;  cela  me  fait  de  reflet  comme  si  cela  me 
regardait,  moi. 

GORGO. 

Et  à  moi  aussi. 

VOLBNS. 

Et  à  moi  aussi. 

CÉTHÉGLS. 

En  vérité,  le  cœur  me  bat. 

CATILINA. 

Il  ne  me  bat  plus. 


128  CATILINA. 

STORAX. 

Orestilla  ! 

CATILINA. 

Où  cela? 

STORAX. 

A  son  poste,  près  du  tombeau. 

CATILINA. 

Mauvais  augure. 

CICADA. 

Silence  !  {Trompettes,  rumeurs,  puis  silence.) 

orestilla,  à  A'ubia. 
As-tu  les  deux  anneaux  ? 

nubia.. 
Les  voici. 

orestilla,  les  regardant. 
Bien  ;  c'est  à  s'y  tromper. 

curius. 
Voici  qu'on  nomme.  {Nouvelles  fanfares.  Proclamation.) 

une  voix. 
Les  deux  consuls  élus  par  le  peuple ,  pour  l'an  de  Rome  691, 
sont  :  Caïus  Antonius  Népos. 

CETHEGUS. 

Celui-là ,  c'était  sûr. 

la  voix. 
Et  Marcus  Tullus  Cicéron. 

CATILINA. 

Que  t'avais-je  dit,  Curius?  {Trompettes ,  cris  ,  huées,  applau- 
dissements, sifflets.) 

CÉTHÉGUS. 

Oh  !  vengeance  I  vengeance  ! 

LE  PEUPLE. 

Vengeance  !  ! 

rullus  ,  accourant. 
Nous  sommes  trahis  !  Les  électeurs  de  César  ont  voté  en  blanc. 
75,000  bulletins  ont  été  perdus. 

CAPITO. 

Impossible!  J'ai  vu  les  deux  noms  sur  les  tablettes. 

CÉTHÉGUS. 

Et  moi  aussi. 

CURIUS. 

Et  moi  aussi. 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  129 

CATILINA. 

Et  Fulvie  aussi. 

CURIUS. 

Que  veux-tu  dire  ? 

CATILINA. 

Que  Fulvie  a  eu  les  tablettes  entre  les  mains  assez  longtemps 
pour  en  effacer  les  deux  noms,  et  que  tu  as  porté  à  l'affranchi 
des  tablettes  blanches.  Quand  nous  conspirerons  ,  et  que  vos 
maîtresses  seront  du  complut ,  avertissez-moi,  seigneurs.  (Il  re- 
monte.) 

lentulus,  entrant. 

Où  va  donc  Fulvie,  Curius?  Je  viens  de  la  rencontrer  fuyant 
au  grand  galop  d'un  cheval.  Mes  compliments  à  Catilina,  a-t-elle 
crié  en  riant,  et  elle  a  disparu. 

CURIUS. 

Par  quelle  route  ? 

LENTULUS. 

Par  la  route  de  Tibur. 

curius,  s' élançant  hors  du  théâtre. 
Oh  !  un  cheval  !  un  cheval  ! 

LENTULUS. 

Pauvre  fou. 

ORESTILLA. 

Cours  a  la  maison,  Nubia  ,  et  envoie-moi  mes  quatre  gladia- 
teurs. Ils  se  cacheront  dans  les  roseaux  au  bords  du  Tibre,  et  y 
attendront  mes  ordres. 

NUBIA. 

J'y  vais. 

CÉTHÉGUS. 

Oh  !  cela  ne  se  passera  pas  ainsi...  Il  y  a  eu  trahison...  An- 
nulons les  votes ,  ou  bien  aux  armes  ! 

TOUS. 

Oui,  aux  armes  !  Tes  ordres,  Catilina  ! 

CATILINA. 

Moi  je  n'ai  plus  d'ordres  à  donner.  Je  ne  suis  plus  rien. 

CAPITO. 

C'est  ce  que  nous  allons  voir.  (Ils  se  forment  en  groupe  ;  dans 
le  fond  il  agite  le  peuple.) 

orestilla,  s'avançant. 
Salut,  Sergius. 

CATILINA. 

Vous  étiez  là,  Orestilla?  Vous  avez  entendu  la  proclamation? 
Cicéron  triomphe.  Je  suis  un  homme  ruiné. 


fiM  CATILINA. 

ORESTILLA. 

Le  croyez-vous  réellement  ? 

CATILINA. 

Je  serais  un  insensé  si  je  me  faisais  illusion. 

ORESTILLA. 

Donc  vous  n'avez  plus  aucun  espoir? 

CATILINA. 

Aucun,  Orestilla.  Je  vous  avais  dit  :  Tant  que  je  monterai,  sui- 
vez-moi: si  je  tombe,  abandonnez-moi.  Je  suis  tombé,  Orestilla  ; 
vous  êtes  libre. 

ORESTILLA. 

Je  devais  partager  votre  bonne  fortune;  je  suis  prêt  à  parta- 
ger la  mauvaise,  Sergius. 

CATILINA. 

Ma  dernière  consolation,  Orestilla,  est  d'avoir  le  droit  d'-liv 
malheureux  tout  seul. 

ORESTILLA. 

Ainsi,  vous  me  rendez  ma  parole? 

CATILINA. 

Je  vous  prie  de  la  reprendre. 

ORESTILLA. 

Ce  n'est  pas  moi  qui  m'éloigne  de  vous  :  c'est  vous  qui  vous 
éloignez  de  moi. 

CATILINA. 

Voici  le  cachet  d'Orestillus ,  votre  premier  époux,  Panneau 
auquel  obéissent  vos  esclaves  et  vos  intendants. 

ORESTILLA. 

Voici  le  cachet  des  Sergius,  le  gage  de  vos  volontés.  Vous  pou- 
vez encore  garder  cet  anneau,  et  moi  celui-ci. 

CATILINA. 

Voila  votre  anneau,  Orestilla;  rendez-moi  le  mien. 

ORESTILLA. 

Le  voici. 

CATILINA. 

Merci. 

ORESTILLA. 

Adieu,  .Sergius  !...  Le  mal  qui  t'arrivera  tu  l'aura*  voulu! 
(Elle  sort.) 

CATILINA, 

Adieu  \ 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  131 

SCÈNE  XXIÏ. 

Les  Mêmes,  moins  ORESTILLA. 

CETHEGUS . 

Avons-nous  bien  entendu,  bien  compris?  et  abandonneriez- 
vous  la  partie,  par  Hercule  ! 

CATILINA. 

Êtes-vous  assez  sots  pour  le  croire ,  assez  lâches  pour  le  dé- 
sirer ? 

LENT  C  LUS. 

A  la  bonne  heure  !  Voilà  comme  j'aime  que  Ton  me  réponde. 

RLLLUS. 

Si  tu  eusses  reculé,  je  ne  te  reconnaissais  plus. 

CÉTHÉGUS. 

Si  tu  eusses  renoncé,  je  te  tuais.  (Bravos  dans  la  coulisse  au 
fond.) 

volens. 

Les  vainqueurs  chantent  là-bas,  et  disent  que  tout  est  fini.  Fh 
bien  !  je  dis,  moi,  qu'au  lieu  que  tout  soit  fini,  tout  commence. 

CATILINA. 

Est-ce  votre  avis  à  tous  ? 

TOUS. 

Oui,  oui,  oui! 

CATILINA. 

Vous  m'obéirez  donc  si  je  commande? 

TOUS. 

Jusqu'à  la  mort. 

CATILINA. 

Eh  bien!  écoutez...  J'ai  dans  ma  maison  du  Val  d'Egérie  une 
centaine  d'amphores  d'un  vieux  vin  qui  remonte  au  consulat 
d'Opimius;  ce  sont  les  dernières.  Nous  les  boirons  jusqu'à  la 
liç  cette  nuit,  pour  fléchir  les  dieux  qui  uous  ont  abandonnés... 
Venez,  et  amenez  tous  vos  amis. 

CAPITO. 

Où  je  n'ai  pas  soif  de  vin,  j'ai  soif  de  sang. 

CATILINA. 

Venez,  vous  dis-je,  il  y  aura  à  boire  pour  tout  le  monde. 

volens. 
En  sommes-nous,  nous  autres  plébéiens  ? 

CATILINA. 

Oui  ;  vous  surtout  vous  en  êtes...  Toi,  Volens;  loi,  Gorgo  ;  ve- 
nez ;  c'est  demain  le  premier  jour  des  saturnales  ;  demain ,  à 
Rome,  les  esclaves  sont  maîtres,  et  les  maîtres  sont  esclaves,  Y°- 
nez,  venez, 


132  CATILINA. 

C1CADA. 

Et  moi  aussi? 

CATILINA. 

Toi  comme  les  autres;  n'es-tu  pas  citoyen  romain?  Allez  cher- 
cher vos  amis,  Volens.  Allez  chercher  les  vôtres,  Gorgo.  Amène 
les  tiens,  Cicada.  Et  vous,  faites-moi  bonne  compagnie  jusqu'à 
ma  maison  du  Palatin  ;  les  rues  ne  sont  pas  sûres  pour  moi  ce  soir. 

CAPITO. 

Mais  pour  te  rendre  au  val  d'Égérie  ? 

CATILINA. 

J'ai  mes  gladiateurs. 

TOUS. 

Vive  Catilina  ! 

CATILINA. 

Vous  avez  trop  crié  aujourd'hui  et  pas  assez  agi.  Désormais 
criez  moins,  et  agissez  plus.  Venez,  amis.  A  cette  nuit ,  vous 
autres.  (Ils  sortent.) 

VOLENS. 

Oui,  à  cette  nuit  ;  soyez  tranquille,  nous  ne  manquerons  pas 
au  rendez-vous. 

GORGO. 

Qui  amenez-vous,  Volens  ? 

VOLENS. 

J'ai  bien  deux  ou  trois  cents  vétérans  de  Marius  et  de  Sylla  que 
la  misère  a  réunis  et  qui  ne  demandent  pas  mieux  que  de  jouer 
de  l'épée.  Je  vais  les  prévenir.  (Il  sort.) 

GORGO. 

Moi  j'amène  une  centaine  de  gladiateurs  sans  emploi  qui  se 
cachent  dans  les  carrières  le  jour  et  qui  travaillent  la  nuit.  Je 
sais  où  les  trouver. 

CICADA. 

Et  moi  j'amène...  la  fortune  si  je  la  rencontre.  (Ils  sortent.) 

SCENE  XXIII. 

ORESTILLA,  sur  le  devant  du  tombeau,  quatre  Gladiateur?, 
cachés. 

ORESTILLA. 

J'ai  cru  qu'ils  ne  s'en  iraient  pas.  Etes-vous  au  poste  que  je 
je  vous  ai  indiqué? 

quatre  voix  répondent  successivement. 
Oui,  oui,  oui,  oui. 

ORESTILLA. 

Silence!  On  vient:  c'est  lui. 


ACUE  IV,  TABLEAU  V.  133 

SCENE   XXIII. 

Les  Mêmes,  STORAX. 

:rroRAX,   tremblant,   chantant,   hésitant  à  chaque  pas  et  regardant    tout 
autour  de  lui. 
Jupiter  sur  la  dune, 

Un  soir, 
Flânait  au  clair  de  lune 

Pour  voir 
Si  son  auguste  épouse, 

Junon, 
D'Europe  était  jalouse 

Ou  non. 

Décidément,  je  crois   que  je  suis  seul.  (Il  s'approche  de  la 

maison.) 

Affectant  les  airs  mornes 
D'un  veuf, 
n  rencontre  un  gladiateur.  Il  essaie  de  sortir  de  l'autre  cùté. 
Il  avait  pris  les  cornes 
D'un  bœuf, 
Il  rencontre  le  second  gladiateur.  Il  s'avance  sur  le  devant  du  théâtre,  à 
gauche. 
Soudain,  que  nul  n'en  rie, 
Voilà 
Il  rencontre  un  troisième  gladiateur.  Il  essaie  de  sortir  du  côté  opposé. 
Une  voix  qui  lui  crie  : 
Holà! 
Il  rencontre  le  quatrième  gladiateur.  Il  se  trouve  pris  entre  les  quatre. 

orestilla,  paraissant. 
Bonsoir,  Storax. 

STORAX. 

Je  suis  mort! 

ORESTILLA. 

Mais  je  crois  que  oui. 

STORAX. 

.  Maîtresse! 

ORESTILLA. 

A  moins  que  tu  ne  répondes  franchement. 
storax,  joignant  les  mains. 
Ah! 

ORESTILLA. 

Pas  de  gestes,  pas  de  prières,  pas  de  cris...  tout  serait  inutile. 
Réponds. 

STORAX. 

Interroge,  bonne  maîtresse. 

8 


1.U  CATILINA. 

ORESTILLA. 

Où  vas-tu  ? 

STORAX. 

A  cette  maison. 

ORESTILLA. 

Que  vas-tu  y  faire? 

STORAX. 

Y  chercher  quelqu'un. 

ORESTILLA. 

Qui  cela? 

STORAX 

Une  femme. 

ORESTILLA. 

De  la  part  de  qui? 

STORAX. 

De  la  part  de  Sergius  Catilina. 

ORESTILLA. 

Où  dois-tu  conduire  cette  femme? 

STORAX. 

Au  Val  d'Égérie. 

ORESTILLA. 

Et  quel  est  le  mot  d'ordre  auquel  elle  doit  reconnaître  que  tu 
viens  de  la  part  de  Catilina? 

STORAX. 

Charinus. 

ORESTILLA. 

C'est  bien,  tu  es  un  serviteur  fidèle.  Fais  ta  commission,  mon 
bon  Storax. 

STORAX. 

Comment? 

ORESTILLA. 

Oui.  (Lui  donnant  nnc  bourse.)  Ht  yqî\1\  pour  l'ourc,ui,.:ei  à 
l'accomplir  de  point  en  point. 

STORAX. 

Qu'est  cela  ? 

ORESTILLA. 

Une  bourse. 

STORAX. 

De  l'argent? 

ORESTILIA. 

De  Vor! 


ACTE  IV,  TABLEAU  V.  135 

*         STORAX. 

Ainsi.,. 

•  ORESTILLA. 

Tu  peux  frapper  h  cette  porte,  emmener  cette  femme  et  la  con- 
duire au  Val  d'Egérie...  seulement,  comme  tu  pourrais  ne  pas 
faire  la  commission  de  point  en  point,  mes  quatre  gladiateurs 
te  suivront...  et  écoute  bien  ce  que  je  vais  te  dire,  Storax. 

STORAX. 

J'écoute. 

ORESTILLA. 

Si  tu  essaies  de  dire  un  mot  a  celle  que  tu  conduis,  voici  mon 
porte-glaive  qui  te  fendra  la  tête  d'un  coup  d'epée...  si  tu  essaies 
de  fuir,  voici  mon  retiaire  qui  te  jetera  le  filet...  si  tu  échappes 
au  filet ,  voici  mon  frondeur  qui  te  cassera  la  tête  d'un  coup  de 
pierre...  enfin  si  mon  frondeur  te  manque,  voici  mon  archer  qui 
te  passera  une  flèche  au  travers  du  corps.  Tu  vois  bien  que  tu  n'as 
pas  grande  chance  à  tenter  de  t'échapper,  et  qu'il  vaut  mieux 
gagner  honnêtement  l'argent  que  je  te  donne. 

STORAX. 

Mais,  parvenu  à  la  porte? 

ORBSTILLA. 


STORAX. 

ORESTILLA. 

STORAX. 


Tu  entreras. 
Vos  gladiateurs? 
Ils  reviendront. 
Et  ce  sera  tout? 

ORESTILLA. 

Tu  es  bien  curieux  !  Frappe  à  cette  porte. 

STORAX. 

Hum!...  Je  dois  donc... 

ORESTILLA. 

Frapper  à  cette  porte.  Oui. 

storax,  frappant. 
Holà  ! 

ORESTILLA. 

Tu  te  souviens  de  tout  ce  que  je  t'ai  dit? 

STORAX. 


Il  n'y  a  pas  de  danger  que  j'en  oublie  un  mot  :  le  porte- 
-glaive,  le  retiaire,  le  frondeur  et  l'archer... 


136  CATILINA. 

ORESTILLA. 

C'est  cela. 

marcia,  dans  la  maison. 
Qui  frappe  ? 

STORAX. 

Ue  la  part  de  Sergius  Catilina.  Ouvrez. 
marcia,  ouvrant. 
Le  mot  d'ordre? 

STORAX. 

Charinus. 

MARCIA. 

Marchez  devant,  je  vous  suis. 

orestilla,  aux  gladiateurs. 

Allez.  (Storax  s'avance  le  premier;  Marcia  ensuite;  les  quatre 
gladiateurs  ferment  la  marche;  Orestilla  reste  immobile  contre  la 
muraille.  La  toile  tombe.) 


ACTE  V. 


Même  décoration  qu'au  deuxième  acte. 

SCENE  Z. 

CATILINA ,  CHARINUS.  Des  gladiateurs  se  promènent  au  fond. 
catilina  sur  un  fauteuil,  Charinus  debout. 
D'abord,  Charinus,  mon  enfant,  mon  fils  bien-aimé...  laisse- 
moi  te  regarder  [il  l'éloigné  comme  pour  V admirer) ,  t'embrasser, 
te  serrer  contre  mon  cœur. 

charinus. 
Seigneur  I 

catilina. 
M'as-tu  dit  seigneur  quand  tu  m'as  sauvé  la  vie?...  Non...  tu 
m'as  dit  :  Venez,  mon  père. 

CHARINUS. 

Mon  père  ! 

CATILINA. 

Tu  me  pardonnes,  n'est-ce  pas  ? 

CHARINUS. 

Quoi  donc? 

CATILINA. 

De  t'avoir  pris  dans  mes  bras,  de  t' avoir  emporté...  Il  me  sem- 
blait que  je  volais  l'Asie  a  Mithridate,  le  ciel  à  Jupiter. 


ACTE  V,  TABLEAU  VI.  137 

CHARINUS. 

Ai-je  résisté,  ai-je  appelé, ai-je  même  dit:  Laissez-moi?...  Non, 
j'ai  jeté  les  bras  autour  de  votre  cou...  j'ai  fermé  les  yeux  ,  et  je 
me  suis  laissé  emporter. 

CATIL1XA. 

Dieux  bons...  comme  l'homme  passe  éternellement  près  de 
son  bonheur!  Il  y  a  seize  ans  que  tu  existes,  et  je  t'ai  vu  hier 
pour  la  première  fois. 

CHAR1NUS. 

Il  y  a  seize  ans  que  je  vis,  et  j'ignorais  que  vous  existez. 

CATILINA. 

Eh  bien  ,  voyons...  dis-moi,  cher  enfant,  ma  vue  a-t-elle  ré- 
pondu au  besoin  de  ton  cœur? 

CHAR1NUS. 

Que  vous  dirai-je?  Jusqu'à  hier  je  n'avais  connu  que  ma  mère... 
je  n'avais  aimé  que  ma  mère...  je  savais  que  Clinias  m'avait 
servi  de  protecteur,  je  l'appelais  mon  père,  n'ayant  per- 
sonne à  appeler  de  ce  nom.  Mais  ce  que  j'éprouvais  pour  lui, 
c'était  de  la  reconnaissance  et  non  de  l'amour  filial...  J'ai  l'air 
de  répéter  vos  propres  paroles,  car  de  ce  souterrain  j'entendais 
tout  ce  que  vous  disiez.  Eh  bien,  en  vous  apercevant,  j'ai  tres- 
sailli :  quand  le  seigneur  Caton  vous  a  adressé  ce  défi ,  je  l'ai  pris  en 
haine  de  ce  qu'il  vous  proposait  une  chose  qui  me  semblait  im- 
possible. Quand  je  vous  ai  vu  approcher  du  cippe...  briser  la 
chaîne  de  fer  avec  la  même  facilité  qu'un  autre  eût  fait  d'une 
guirlande  de  fleurs...  j'ai  adressé  tout  bas  une  prière  à  Castor, 
le  divin  discobole,  et  quand  vous  avez,  semblable  à  Ajax  Tela- 
mon,  lancé  cette  masse,  qu'un  héros  d'Homère  pouvait  seule 
soulever,  au  milieu  du  frissonnement  de  joie  que  m'inspirait  votre 
triomphe...  j'ai  ressenti  là  une  vive  douleur,  comme  si  quelque 
chosese  brisait  dans  ma  poitrine...  Aussi,  quand  je  vous  ai  vu  pâlir, 
quand  j'ai  vu  comme  une  frange  de  sang  rougir  vos  lèvres,  j'ai 
été  près  de  crier,  d'appeler  au  secours  ;  il  me  semblait  que  votre 
vie  défaillante  emmenait  la  mienne...  Vous  me  demandez  de 
vous  appeler  mon  père.  Oh  !  oui ,  oui,  mon  père,  tant  que  vous 
voudrez,  car  à  coup  sur  je  suis  plus  heureux  de  dire  mon  père, 
que  vous  n'êtes  henreux  de  l'entendre...  Mais  qu'avez-vous? 

CATILINA. 

Rien,  rien,  ou  plutôt  tout...  oui,  tout...  Enfant,  sais-tu  que  je 
pleure,  moi  l'homme  aux  yeux  arides,  aux  paupières  desséchées? 
sais-tu  que  les  deux  larmes  qui  coulent  le  long  de  mes  joues , 
et  que  tu  me  donnes  pour  rien,  toi,  sais-tu  que  ce  sont  deux 
diamants  pour  lesquels  j'eusse  donné  le  monde?...  Oh  !  regarde 
ces  deux  larmes.  Cicéron...  Cicéroo,  vois  plumer  Catilina,  et  dis 
encore  que  je  suis  le  désordre,  que  je  suis  le  mal,  que  je  suis  lo 

8. 


US  CÂTÏLÏM. 

néant,  As-tu  entendu  tout  ce  que  m'a  dit  cet  homme,  Charinus  ? 

CHARINUS. 

Mais  pourquoi  Cicéron  voulait-il  donc  vous  tuer,  mon  père?... 
3 'ai  toujours  entendu  parler  de  Cicéron  comme  d'un  homme 
juste. 

CATILINA. 

Ah!  ne  me  force-pas  à  te  dire  des  choses  que  tu  ne  pourrais 
pas  comprendre;  à  ton  âge,  la  vie  est  une  oasis  pleine  d'ombre 
et  de  fraîcheur,  où  les  passions  n'ont  pas  encore  laissé  leur  trace 
brûlante.  Comment  veux-tu  (me  je  te  parle  de  choses  que  tu 
ne  connais  pas.  que  j'explique  l'incendie  à  celui-là  qui  sait  à 
peine  ce  que  c'est  qu'une  étincelle...  que  je  découvre  l'océan  ora- 
geux à  l'enfant  quis'esteontonte  d'effeuiller  des  roses  dans  le  bas- 
sin de  marbre  d'un  jardin?...  Non,  mon  bien-aii  né  Charinus,  laisse- 
moi  le  dire  seulement  :  [il  se  lève  et  relève  doucement  Charinus) 
Je  tente  une  œuvre  immense,  j'essaie  à  soulever  un  monde... 
peut-être  ce  monde  en  retombant  sur  moi,  m'écrasera-t-il...  non 
point  parce  que  j'aurai  entrepris  une  œuvre  impie  et  impossible, 
mais  parce  que  le  temps  de  |  accomplir  ne  sera  point  venu...  En 
attendant,  comme  c'est  le  succès  qui  fait  le  nom...  si  je  suc- 
combe, mon  nom  sera  flétri,  déshonoré..  Ui  bien,  mon  en- 
fant, garde  dans  ton  cœur  la  religion  du  nom  paternel,  aime-mui 
quand  on  me  maudira ,  souviens-loi  qu'en  échouant  je  n'aurai 
qu'un  regret,  celui  de  ne  pas  te  léguer  la  royauté  du  monde; 
qu'en  mourant  je  n'aurai  qu'une  douleur...  celle  de  t'avoir  re- 
trouvé si  tard  et  de  te  perdre  sitùt. 

CHARINUS. 

Mais  alors ,  mon  père,  pourquoi  ne  faisons-nous  pas  ce  que 
vous  disiez  n  ma  mère?...  pourquoi  ne  quittons-nous  pas  Rome? 
Pourquoi  ne  nous  éloignons-nous  pas  du  monde...  Vivons  l'un 
près  de  l'autre,  l'un  pour  l'autre. 

catilina. 

Hélas!  hélas!  mon  enfant,  il  est  trop  tard.  Si  je  t'eusse  connu 
il  y  a  Un  an,  il  y  a  six  mois,  il  était  temps  encore;  si  ta  douce 
voix  m'eût  dit  avant-hier  ce  que  tu  me  dis  aujourd'hui,  je  pou- 
vais m'arrêfer,  peut-être;  mais  aujourd'hui,  les  dieux  ont  décidé; 
n'allons  pas  contre  la  velouté  des  dieux...  Voyons,  Charinus, 
maintenant,  que  veux-tu?  que  desires-tu?  que  demandes-tu? 

CHARINUS. 

Quand  reverrai-je  ma  mè 

CATILIXA. 

Enfant!  j'ai  donc  deviné  ce  que  tu  désirais...  j'ai  donc  été  au- 
devant  de  ton  vœu...  Tu  viens  d'entendre  refermer  la  porte... 
ce  doit  être  la  mère. 


ACTE  V,  TABLEAU  VI.  139 

CHAR1NUS. 

Ma  mère  ici?... 

CATILINA. 

Je  viens  de  l'envoyer  chercher. 

CHÀRINUS. 

0  mon  père  !  je  vois  bien  que  vous  m'aimez  véritablement. 
SCÈNE  II. 
Les  Mêmes,  MARCIA,  STORAX. 

MARCIA. 

La  voix  de  mon  Charinus,  de  mon  enfant...  il  est  ici  !  le  voilà! 
(Martiale  presse  contre  son  cœur.  Puis  tendant  la  main  à  Ca- 
tilina.)  Catilina,  merci! 

CHARINUS. 

Ma  mère!... 

CATILINA. 

Sauvés  tous  deux  ! 

STORAX. 

Tous  trois  même. 

CATILINA. 

Oui,  tous  trois,  bon  Storax...  Mais  comme  le  voila  blême!.., 
grands  dieuxL.. 

STORAX. 

Vous  trouvez? 

CATILINA. 

Est-ce  que  tu  aurais  eu  peur,  par  hasard,  Storax? 

STORAX. 

Peur  de  quoi? 

'  CATILINA. 

Eh  bien  !  mais  de  cette  foule  de  choses  dont  Storax  peut  avoir 
peur. 

STORAX. 

Oh  !  mon  Dieu  ,  non,  au  contraire...  Je  n'ai  de  ma  vie  été  si 
rassuré. 

CATILINA. 

Tu  n'as  vu  personne  ? 

STORAX. 

Pas  une  ombre. 

CATILINA. 

Et  personne  ne  t'a  vu? 

STORAX. 

Personne. 

CATILINA, 

Cependant,  Orestilla... 


140  CATILÏNA. 

STORAX. 

Elle  dort  probablement. 

CATILIXA. 

Et  pourquoi  penses-tu  qu'elle  dorme? 

STORAX. 

Par  Castor  !  elle  doit  être  fatiguée  ;  toute  la  journée  elle  s'est 
promenée  au  Champ  de  Mars. 

catilixa,  allant  à  Marcia. 
Marcia,  avez-vous  été  contente  de  cet  homme  ? 

marcia. 
Oui,  c'est  un  guide  fidèle,  vous  le  voyez;  un  peu  taciturne. 

CATILIXA. 

Il  avait  raison  de  garder  le  silence  ;  la  moindre  parole  pou- 
vait vous  trahir. 

MARCIA. 

Vous  avez  eu  pitié  des  angoisses  d'une  mère,  Sergius;  les 
dieux  vous  récompenseront.  (Charinus  se  lève  et  prend  la  main 
de  son  père.) 

CATILIXA. 

Charinus  vous  a-t-il  dit  qu'il  m'aimait  ? 

MARCIA. 

Oui. 

catilixa,  passant  au  milieu. 

Eh  bien  !  les  dieux  sont  quittes  envers  moi.  Maintenant,  écou- 
tez, Marcia.  Vous  voilà  réunie  à  votre  fils,  rien  ne  pourra  plus 
vous  en  séparer  tant  que  vous  ne  songerez  point  à  le  séparer  de 
moi.  Tant  que  nous  resterons  ici,  et  nous  n'y  resterons  pas  long- 
temps, vous  habiterez  là-bas,  dans  la  maison  des  bains.  C'est 
une  retraite  impénétrable,  où  quarante  gladiateurs  vous  garde- 
ront. Ils  sont  à  moi,  j'ai  acheté  leur  vie;  ils  se  feront  tuer  pour 
défendre  Charinus.    . 

MARCIA. 

Mais  vous  m'épouvantez  avec  cet  appareil  de  précautions.  Cha- 
rinus court  donc  de  bien  terribles  dangers? 

catilixa,  descendant  la  scène  avec  Marcia. 

Marcia,  défiez-vous  de  votre  ombre.  Que  Charinus  ne  prenne 
rien  que  de  votre  main  ou  de  la  mienne...  Appelez  au  moindre 
bruit...  Veillez  tandis  qu'il  dormira,  et  quand  vous  serez  lasse 
de  veiller,  appelez-moi...  Mais  à  personne,  entendez-vous,  pas 
même  à  Clinias,  ne  confiez  Charinus  un  seul  instant. 

MARCIA. 

Oh  î  soyez  tranquille. 

CATILIXA. 

Et  cependant  il  faut  tout  prévoir,  Marcia;  il  est  possible  qu'ici, 


ACTE  V,  TABLEAU  VI.  141 

cette  nuit,  il  se  passe  des  choses  terribles.  Il  est  possible  que  je 
sois  forcé  de  faire  partir  Charinus  au  galop  de  mon  plus  rapide 
cheval...  Il  est  possible  enfin  que  je  ne  puisse  l'aller  chercher 
moi-même ,  et  que  je  sois  obligé  de  le  faire  prendre  par  quel- 
qu'un... Marcia,  regardez  bien  cet  anneau. 

MARCIA. 

Le  vaisseau  de  Sergeste,  votre  ancêtre. 

CATILIXA. 

Vous  le  reconnaîtrez  bien,  n'est-ce  pas  ? 

MARCIA. 

Oh  !  oui. 

CATIL1NA. 

Eh  bien  !  ne  le  confiez  qu'à  celui  qui  vous  remettra  cet  an- 
neau. 

MARCIA. 

Alors  doublez  ,  triplez  les  précautions...  Joignez-y  un  mot 
d'ordre  que  me  dira  l'homme  en  me  remettant  cet  anneau. 

CAT1L1NA. 

Il  vous  dira  ;  De  la  part  de  Sergeste,  ami  d'Enée. 

MARCIA. 

Bien. 

CAT1L1NA. 

Oh  t  c'est  à  cette  heure  seulement  que  je  pourrai  vous  dire  : 
Marcia...  les  dieux  soient  loués,  nous  avons  sauvé  Charinus. 

STORAX. 

Maître,  tandis  que  vous  êtes  en  train  de  sauver  tout  le  monde, 
est-ce  que  vous  ne  me  sauverez  pas  un  peu  aussi,  moi? 

CAT1L1NA. 

C'est  vrai,  pauvre  Storax,  je  t'avais  oublié...  Tiens,  l'or  est  la 
meilleure  sauve  garde  que  je  connaisse.  Prends  cette  bourse... 
elle  est  à  toi. 

STORAX. 

Merci,  noble  Sergius,  merci. 

MARCIA. 

Cet  homme  a  tout  entendu ,  Catilina. 

CATIL1NA. 

Oui ,  mais  sans  mon  anneau,  cet  homme  ne  peut  rien. 

MARCIA. 

C'est  vrai...  (On  entend  du  bruit.)  Quel  est  ce  bruit? 

CATILINA. 

Ce  sont  les  gens  que  j'attends ,  qui  frappent  à  la  porte...  11  ne 
faut  pas  que  ces  gens  vous  voient...  Venez,  Marcia. 


Ii2  CATILLNA. 

MARCIA. 

Mais  pourquoi  ne  les  recevez-vous  pas  ailleurs  et  ne  restons- 
nous  pas  ici  ? 

CATION  A. 

Dans  la  salle  des  festins,  ouverte  de  tous  les  côtés?  Non,  non. 
La  maison  des  bains  est  seule  une  retraite  sûre. 

MARCIA. 

Vous  nous  accompagnez? 

CATILIXA. 

Je  referme  moi-même  la  porte  sur  vous.  Vous  avez  les  clefs 
de  cette  porte:  qu'elle  ne  s'ouvre  qu'au  mot  d'ordre.  Que  Chari- 
nus  ne  vous  quitte  qu'en  échange  de  l'anneau.  Couvrez  la  tête 
de  Charinus  avec  votre  voile  et  venez,  Marcia,  venez. 

MARCIA. 

Viens,  mon  enfant.  (Ils  sortent.) 

SCÈNE  III. 

STORAX,  seul. 

Dieux  trompeurs  !  qui  eût  dit  au  pauvre  Storax,  lorsque  la 
douce  voix  d'Aurélia  criait  :  Pendez  Storax!  Mettez  Storax  en 
croix  !  Ecorchez  vif  Storax!  Qui  eût  dit  que  c'était  le  commen- 
cement de  sa  fortune?  (Il  tire  de  sa  ceinture  la  bourse  d'Orestilla.) 
Bourse  d'Orestilla.  (Il  montre  Vautre.)  Bourse  de  Sergius.  11  y  a 
bien  là,  dans  les  deux  bourses,  quatre  talents  d'or,  c'est-à-dire 
plus  que  je  n'ai  jamais  eu  à  la  fois  en  ma  possession.  Ce  que 
c'est  que  d'être  honnête  homme,  pourtant.  Je  n'aurais  jamais 
cru  que  ce  fût  d'un  si  bon  rapport.  Décidément,  l'honnêteté  est 
la  route  de  la  fortune  ;  d'abord,  il  y  a  moins  de  concurrence 
que  sur  l'autre.  Continuons  donc  à  être  honnête.  Après  les  ser- 
vices rendus  à  Sergius  et  à  Orestilla,  ils  ne  peuvent  manquer, 
pour  récompense,  de  m'accorder  ma  liberté.  Puisque  ma  liberté 
ne  peut  pas  me  manquer,  je  puis  alors  me  considérer  comme 
libre.  Comme  cela  tombe!  juste  au  moment  des  saturnales; 
juste  au  moment  où  les  esclaves  courent  les  champs,  sans  qne 
les  maîtres  aient  la  moindre  chose  à  leur  dire.  Comme  tu  vas 
courir  les  champs,  mon  petit  Storax!  Comme  tu  ne  t'arrêteras, 
une  fois  sorti  de  Rome,  que  quand  tu  te  sentiras  bien  loin  de 
ton  bon  maître  Sergius,  de  ta  bonne  maîtresse  Aurélia  et  du 
vertueux  Caton. 

t-ne  voix. 

Le  voici* 

storax,  bondissant. 

Hein?  j'ai  entendu  une  voix.  (Il regarde  tout  autour  de  lui.)  Je 
me  trompais..,  personne!  Ma  foi,  à  présent,  l'avenir  m'appa- 


ACTE  V,  TABLEAU  Vï.  143 

ratt  rose  comme  l'aurore  des  poètes.  Bonne  Orestilla...  petite 
maîtresse...  je  dis  bonjour  à  ton  porte-épée...  je  dis  bonsoir  h  ton 
frondeur...  je  dis  bon  voyage  à  ton  sagittaire,  et  j'envoie  mille 
baisers  à  ton  aimable  filet. 

voix. 
Si  tu  dis  un  mot,  tu  es  mort.  (Au  même  moment  deux  hommes 
bâillonnent  et  enlèvent  rapidement  Storax\  et  il  disparaît.) 

SCENE  IV. 

CATILINA,  VOLENS,  paraissant  au  fond. 

CATILINA. 

Tu  as  raison,  Yolens,  il  y  a  assez  longtemps  qu'ils  attendent. 
Fais-les  entrer  ;  pas  d'exceptions ,  entends-tu  !  ma  maison ,  mes 
galeries,  mes  jardins,  tout  au  peuple  ;  puisque  le  peuple,  dis-tu, 
est  tout  à  moi...  il  est  bon  que,  moi,  je  sois  tout  à  lui.  [Revenant, 
et  ouvrant  la  fenêtre.)  Chrysippe,  ce  que  j'ai  ordonné  a-t-il  été 
exécuté  ? 

CHR1SIPPE. 


CATILINA. 


CHRYSIPPE. 


Oui. 

La  coupe  sera  prête? 

Oui. 

CATILINA. 

La  femme  qui  doit  représenter  Némésis  est  prévenue? 

CHRYSIPPE. 

Oui. 
Bien. 


CATILINA. 


SCENE  V. 

Les  Mêmes,  VOLENS,  GORGO,  CICADA,  Romains. 

CATILINA. 

Soyez  les  bien  venus  chez  moi,  Romains...  Je  vous  l'ai  dit  : 
c'est  aujourd'hui  les  saturnales,  c'est-à-dire  le  jour  où  les  es- 
claves sont  maîtres,  le  jour  où  les  maîtres  sont  esclaves.  Mais  il 
nous  manque  des  amis,  ce  me  semble? 

VOLENS. 

Il  nous  manque  ceux  qui  n'avaient  pas  encore  assez  faim. 

Nous  étions  pressés,  nous  autres,  et  nous  sommes  venus.  Mais 

sois  tranquille,  ceux  que  tu  attends  nous  suivent.  Je  t'ai  amené, 

pour  mon  compte,  cent  cinquante  vétérans  des  guerres  de  Grècn 

Bithvnie  ...,  et  je  t'en  promets  <leux  mille  antres, 


1H 


CATILINA. 


CATILINA. 


GORGO. 


CATILINA. 


Bien,  Volens,  bien. 
Salut,  seigneur. 
Salut,  ami. 

GORGO. 

Je  t'amène  deux  cents  gladiateurs  et  soixante  esclaves;  ils  sa- 
vent dans  quelle  carrière  de  la  Sabine,  dans  quelle  montagne  des 
Apennins,  trouver  trois  mille  compagnons.  Quand  Usera  temps, 
ils  les  feront  prévenir. 

CATILINA. 

il  est  temps. 

CICADA. 


Qu'ils  les  préviennent. 
Bonjour,  ami  Sergius. 


CATILINA. 

Bonjour,  seigneur  Cicada...  Compagnons,  entrez,  entrez  !  Oh  ! 
la  maison  est  à  vous,  bien  à  vous...  Prenez,  usez,  abusez!  ce 
n'est  que  le  commencement,  mes  hôtes.  Je  m'exécute  d'abord... 
Nous  verrons  si,  plus  tard,  les  banquiers  et  les  bourgeois  s'exé- 
cuteront d'aussi  bonne  grâce  que  moi. 

TOUS. 

Vive  le  roi  Catilina! 


\  ive  le  peuple  romain  ! 
Vive  le  peuple  romain  ! 
Du  vin  et  des  fleurs! 


CATILINA. 


TOUS. 


CATILINA. 


CHANT  DES  CONJURES. 

I 

GORGO. 

Allons,  robuste  œnophore, 
Embrasse  l'énorme  amphore; 
Dans  les  coupes  du  Bosphore, 
Buvons,  au  nez  des  Catons, 
Le  vin  de  tous  nos  cantons. 
Coulez,  Cécube  et  Falerne  ! 
Que  l'ivresse  nous  gouverne  ! 
Borne  est  la  grande  taverne  I 
Chantons  ! 


ACTE  V,  TABLEAU  VI  145 

il 

A  nous  donc  lout  ce  qui  souffre  ! 
Tout  ce  qui  hait!  Flamme  et  soufre;  ! 
Oh!  nous  allons  faire  un  gouiïrt*  ! 
A  nous,  hideux  bataillons. 
Les  guenilles,  les  haillons! 
Rome  flambe»,  elle  chancelle! 
Tout  l'or  que  son  flanc  recèle, 
Voyez-vous  comme  il  ruisselé? 
Pillons  ! 

III 

Dans  cette  large  fournaise, 
Que  chacun  tue  à  son  aise  ! 
Le  sang  n'éteint  pas  la  braise  ! 
Tibre,  tu  vas,  j'en  réponds. 
Monter  par-dessus  tes  ponts! 
Vieux  Romulus,  sur  ta  tombe 
Que  la  victime  enfin  tombe! 
Amis,  Rome  est  l'hécatombe  ! 
Frappons  ! 

SCENE   VI. 

Les  Mêmes,  CURIUS,  entrant. 

CURIUS. 

Vous  riez,  vous  chantez  ici!...  là-bas,  l'on  se  bat  et  l'on  brûle  : 
la  maison  de  Lentulus,  celle  de  Céthégus,  celle  de  Lecca  sont  en 
flammes,  et  les  bourreaux  de  la  prison  Mamertine  sont  à 
l'œuvre. 

CATILINA. 

Que  dis-tu  là  ? 

CURIUS. 

Je  dis  que  n'ayant  pu  rejoindre  Fulvie,  je  suis  rentré  dans 
Rome,  et  de  loin,  j'ai  vu  ma  maison  aux  mains  des  licteurs  ;  j'a- 
cours  au  Forum,  on  venait  d'y  arrêter  Lentulus,  Rullus  et  Céthé- 
gus. Je  dis  que  tout  est  perdu  là-bas,  et  que  nous  n'avons  plus 
qu'à  gagner  la  montagne  et  à  nous  faire  bandits. 

CATILINA. 

Voyons,  Curius,  n'exagères-tu  pas  ? 

CURIUS. 

Je  te  dis  la  vérité  tout  entière. 

CATILINA. 

Lentulus  !.. .  un  sénateur  arrêté  ! . .. 

9 


U6  CATIUNA. 

CURIUS. 

Arrêté!  je  l'ai  vu,  te  dis-je. 

CATILINA. 

Rullus  1  un  tribun  ! 

CURIUS. 

Bâillonné,  lié  comme  un  esclave. 

CATILINA. 

Céthégus,  Bestia,  Capito,  Lecca? 

CURIDS. 

Capito  combattait  encore,  disait-on...  les  autres  étaient  déjà 
dans  la  prison  Mamertine. 

CATILINA. 

Eh  bien  !  amis,  voilà  l'heure  suprême  venue...  Je  suis  toujours 
à  vous...  êtes-vous  toujours  à  moi? 

TOUS. 

Oui!  oui! 

CURIUS. 

Comment,  Sergius ,  tu  en  appelles  a  de  pareils  hommes.  Je 
suis  patricien,  moi,  je  ne  conspire  pas  avec  le  peuple. 

TOUS. 

0  Curius!...  Curius,  prends  garde!... 

CATILINA. 

Silence...  Il  n'y  a  plus  ici  ni  patriciens  ni  peuple...  il  y  a 
des  hommes  qui  vont  jurer  de  détruire  et  de  brûler  Rome...  .!<• 
m'appelle  poignard,  tu  t'appelles  flambeau... 

TOUS. 

Oui...  oui... 

CATILIXA. 

La  bataille  est  engagée. 

TOUS. 

Des  armes  1  donnez-nous  des  armes  !  il  est  temps. . .  [Des 
esclaves  apportent  et  jettent  des  amas  d'armes  aux  pieds  des  con- 
jurés qui  s'en  saisissent.) 

CATILINA. 

Etes-vous  armés,  compagnons?... 

TOUS. 

Oui...  oui... 

catilina,  dans  la  mêlée. 

Rentrons  dans  Rome  comme  Sylla  y  rentra  il  y  a  vingt  ans, 
l'épée  d'une  main  et  la  torche  de  l'autre.. ,  marchons  droit  au 
sénat ,  les  sénateurs  seront  nos  otages...  ils  nous  répondront  de 
nos  amis  tête  pour  tête... 


ACTE  V,  TABLEAU  VI.  1W 

TOUS. 

Oui!...  oui!... 

SCE3ME  VII 

Les  Mêmes,  CAPITO,  se  précipitant  en  scène  les  habits  déchirés, 
une  ïiache  à  la  main. 
capito* 
Nos  amis...  ils  ont  vécu... 

TOUS. 

Morts?... 

CAPITO. 

Étranglés  par  l'ordre  de  Cicéron... 
catilina. 
Ont...  à  Rome!...  à  Rome!... 

TOUS. 

A  Rome!... 

CAPITO. 

Impossible!...  les  portes  sont  fermées...  quatre  légions  avaient 
été  réunies  dans  la  prévision  de  ce  qui  vient  d  arriver...  elles 
sont  sous  les  armes. . . 

CATILm. 

Et  comment  es-tu  sorti  alors  si  les  portes  sont  fermées? 

CAPITO. 

J'ai  sauté  du  haut  des  remparts,  poursuivi  par  les  bourgeois  cl 
les  chevaliers...  Ta  tête  est  mise  a  prix  a  un  million  de  ses- 
terces!... 

CATILINA. 

Oh'  i'espère  bien  qu'elle  leur  coûtera  plus  cher  que  cela  ... 
Maintenant,  amis,  ce  n'est  plus  pour  la  richesse  que  nous  allons 
combattre...  c'est  pour  la  vie. 

CÀP1T0. 

Oui-  et  comme  nous  allons  combattre  pour  la  vie,  et  que  la 
vie  d'un  homme  vaut  celle  d'un  autre,  il  faut  des  enjeux  égaux, 
il  faut  que  patriciens  et  peuple,  qui  désormais  vont  faire  cause 
commune,  boivent  à  la  même  coupe...  il  *****  ^** 
contienne  une  liqueur  terrible...  il  faut  que  sur  cette  liqueur  un 
serment  infernal  nous  lie. 

CATILI>"A. 

Tu  le  veux  donc  ,  Capito  ? 

CAPITO. 

Je  le  veux!...  As-tu  fait  ce  que  je  t'ai  demandé,  Catilina? 

OAT1LINA. 

Oui. 


U8  .  CATILLNA. 

CAPI10. 

La  coupe  est-elle  prête  ? 

CATILINA. 

Oui. 

CAP1TO. 

La  coupe  est-elle  pleine  ? 

CATILINA. 

Oui. 

CAPITO. 

Hue  la  coupe  vienne  donc  ! 

CATILINA. 

Place  alors  !  (Il prend  le  milieu  de  la  scène.  On  forme  un  cercle 
autour  de  lui.)  Némésis  !  déesse  des  vengeances,  apporte-nous  la 
coupe  sur  laquelle  nous  devons  jurer  !...  [Tontes  les  lumières 
s'éteignent.  Une  femme,  vêtue  en  Némésis,  vient  du  dessous.  Elle 
a  près  d'elle  un  trépied  où  brûle  un  feu  rouge,  qui  seul  éclaire  la 
scène.) 

SCENE   VIII. 

Les  Mêmes,  NÉMÉSIS. 

NÉMÉSIS. 

Voici  la  coupe  ! 

catilina,  prenant  la  coupe  et  la  levant  au-dessus  de  sa  tête. 

Pluton!  Vejovis  !  Mânes,  sombres  divinités  qui  inspirez  la 
terreur,  Lucius  Sergius  Catilina  vous  invoque.  Vous  le  savez, 
dieux  vendeurs  !  j'ai  une  armée  de  vingt  mille  hommes  en  Étru- 
rie...  j'ai  dix  mille  conjurés  à  Rome...  j'ai  mille  pâtres  dans  les 
Apennins!...  Eh  bien!  au  nom  des  absents  comme  au  nom  des 
présents,  je  dévoue  Rome  aux  dieux  infernaux!...  Je  jure  qu'il 
Lui  sera  fait  comme  elle  a  fait  à  Carthage...  qu'il  n'en  restera  pas 
pierre  sur  pierre...  que  la  charrue  passera  sur  les  fondations  du 
Capitole...  que  je  sèmerai  du  sel  dans  le  sillon  de  la  charrue,  et 
qu'il  sera  bâti  une  ville  qui  sera  la  ville  de  Catilina,  sur  un  autre 
emplacement  que  celui  où  fut  bâtie  la  ville  de  Romulus...  0  ville 
perverse  !  ville  vénale ,  qui  déjà  au  temps  de  Jugurtha  n'atten- 
dais qu'un  acheteur  pour  te  vendre  !  Rome,  sois  maudite  ! 

TOUS. 

Rome,  sois  maudite  ! 

CATILINA. 

A  toi,  Capito. 

capito,  tenant  la  coupe. 

Maudit  soit  celui  qui  ne  marchera  pas  en  avant  jusqu'à  ce 
qu'il  rencontre  l'ennemi  ;  maudit  soit  celui  qui  reculera  pendant 
la  bataille;  maudit  soit   celui  qui  sortira  vivant  de  la  défaite! 


ACTE  V,  TABLEAU  VI.  149 

Mais  avant  tout,  maudite  soit  Rome.  (Il  passe  la  coupe  à  Cu- 
rius.) 

TOUS. 

Maudite  soit  Rome! 

CURIUS. 

Rome,  soit  maudite  !  (Il  passe  la  coupe  à  Folens.) 

TOUS. 


Maudite  ! 

Maudite  soit  Rome  ! 


VOLENS. 


TOUS. 

Maudite  soit  Rome  !  (La  coupe  passe  de  mains  en  mains,) 

CATILINA. 

Et  maintenant,  amis,  comme  on  pourrait  nous  surprendre  ici 
et  nous  y  enfermer,  gagnez  la  plaine.  CapitoetCurius,  prenez  les 
commandements;  Volens,  mon  vieux  centurion,  forme  les  pha- 
langes, prenez  la  route  d'Etrurie  ;  dans  dix  minutes  je  vous 
rejoins. 

TOUS. 

Mais,  toi,  toi? 

CATILINA. 

Oh  !  soyez  tranquille ,  je  serai  la  a  l'heure  où  vous  aurez  besoin 
rie  moi.  (On  ferme  les  rideaux  à  la  sortie  du  peuple.)  Allez  ! 
(Tous  sortent.)  Toi ,  Chrysippe,  cours  à  la  maison  des  bains  et 
dis  à  travers  la  porte  que  je  m'arme,  qu'on  s'apprête  ,  qu'on 
m'attende,  que  je  viens;  va!  (Chrysippe  sort.)  0  nuit!  nuit 
sacrée!  nuit  ma  sœur!  nuit  ma  complice,  mon  amie!  tu  es  la 
dernière  obscurité  de  ma  vie;  demain,  météore  de  feu  ,  c'est  moi 
qui  ferai  le  jour.  Allons  ,  allons  revoir  Charinus.  Merci,  Némésis, 
voilà  ta  coupe.  (Il  rend  la  coupe  à  la  Némésis.  La  Némésis 
s'enfonce  dans  la  terre,  niais  en  s' enfonçant  elle  relève  son  voile.) 

ORESTILLA. 

Malheur  à  toi,  Sergius ,  je  suis  Némésis  Orestilla.  [Elle  dis- 
paraît.) 

SCÈNE  XX. 

CATILINA,  seul. 
Oh!  Orestilla  ici...  Orestilla  dans  cette  maison...  Dieux  im- 
mortels, qu'est-elle  venue  y  faire?...  Ce  sang...  ce  sang  que  nous 
avons  bu...  horreur...  (Tonnerre.  Il  passe  à  gauche  et  tombe  sur 
le  canapé.)  Qu'est-ce  cela?...  des  plaintes,  des  gémissements  dans 
Pair  ?...  La  terre  tremble...  Présages  néfastes,  je  vous  reconnais, 
c'est  vous  qui  annoncez  les  apparitions  des  morts...  (Le  bassin 
du  fond  se  couvre  de  fumée.  La  fumée  se  dissipe.  On  voit  Chu- 


150  CATILINA. 

rinus  sortir  lentement  de  terre  et  monter  vers  le  ciel.  De  sa  main 
droite,  il  montre  une  blessure  qui  lui  a  ouvert  la  veine  du  col.) 
Dieux  bons,  dieux  immortels,  qui  donc  vais-je  voir  apparaître? 
Oh!  c'est  toi,  Charinus?...  Charinus,  mon  enfant  bien  aimé, 
n'es-tu  plus  qu'une  ombre?...  Charinus,  parle-moi  ?...  Cette  bles- 
sure, qui  te  l'a  faite?...  ce  sang,  qui  l'a  versé?... 
charixtts,  tfune  voix  lente. 
Orestilla!...  {La  vapeur  Venveloppe  de  nouveau.  Il  disparaît.) 

CATILIXA. 

Malheur!  malheur!... 


SCENE  X. 


MARCIA,  CATILINA. 

marcïa,  à  droite. 
Que  me  faites-vous  dire?...  de  vous  attendre?... 

CATILIXA. 

Marcia,  où  est  mon  fils  ? 

MARCIA. 

Charinus  ? 

CATILIXA. 

Oui,  Charinus...  qu'en  as-tu  fait?...  réponds. 

marcia. 
Mais  je  l'ai  remis  à  votre  envoyé  qui  est  venu  de  votre  part 
avec  le  mot  d'ordre,  avec  l'anneau. 

CATILINA. 

L'anneau  ne  m'a  pas  quitté...  l'anneau,  le  voilà  !... 

marcia,  lui  en  donnant  un  second. 
Et  celui-ci,  d'où  vient-il  donc?  tenez... 

CATILIXA. 

Oh  !  Orestilla  en  avait  un  second,  et  Storax  sera  retombé  euire 
ses  mains. 

MARCIA. 

Oh!  courons!  courons!...  il  en  est  temps  encore  peut  être  !... 
Sergius,  viens,  viens!... 

CATILIXA. 

Inutile...  Regarde!...  voici  le  dernier  présent  que  me  font  les 
dieux!...  Clinias  apporte  le  cadavre  de  Charinus  et  le  dépose  sur 
un  Ut  de  repos.) 

Mon  Cliaiinus  !  mon  enfant!... 


EPILOGUE.  151 

CATILINA. 

Marcia,  je  voudrais  pouvoir  mourir  à  l'instant  même  ;  mais  je 
ne  m'appartiens  plus,  et  mon  sang  ne  doit  se  tarir  que  dans  le 
combat...  .Mais  jurez-moi,  Marcia.  partout  où  je  tomberai,  de 
venir  relever  mon  corps  et  de  mêler  mes  cendres  à  celles  de  mon 
enfant  bien-aimé...  afin  que  n'ayant  pu  vivre  avec  lui  dans  ce 
monde,  je  repose  au  moins  avec  lui  .pendant  l'éternité  ! 

MARCIA. 

Je  vous  le  jure  ! 

CATILINA. 

Oh  !  Charinus  !  Charinus  !  nous  ne  serons  pas  longtemps  sans 
nous  revoir  ! 

ORESTILLA,  ÙU  fond. 

J'avais  droit  sur  tout  et  sur  tous  «... 


EPILOGUE. 


SEPTIEME  TABLEAU. 

Le  champ  de  bataille  de  Pistoie. 

Une  vallée  immense  jonchée  de  morts.  — Un  pont  brisé  au  fond.  Des  tentes 
renversées.  Les  cadavres  viennent  jusque  sur  l'avant-scène.  —  Au  pre- 
mier plan,  Cicada,  Gorgo,  Volens,  morts  ensemble. — On  entend  les  clai- 
rons de  l'armée  victorieuse  qui  s'éloigne.  —  Le  silence  se  fait  sur  le 
champ  de  bataille  éclairé  seulement  par  la  lune.  —  Au  fond,  Marcia 
apparaît  comme  une  ombre.  Elle  est  vêtue  d'une  longue  stole.  Elle  a  un 
voile  sur  la  tète.  Elle  s'avance  au  milieu  des  cadavres,  en  hésitant  pour 
poser  le  pied. 

marcia  ,  à  voix  basse. 
Sergius...  Sergius...  Sergius...  (Bienne  répond,  elle  s'avance.) 

Sergius...   (Elle  s'avance  encore.)  Sergius... 
catilina,  se  soulevant  au  milieu  d'un  monceau  décadaires.) 
Me  voici. 

MARCIA. 

Je  vous  ai  promis  de  venir  vous  chercher  partout  où  vous 
tomberiez,  Catilina...  Je  tiens  mon  serment. 

CATILINA. 

Je  vous  ai  promis  de  mourir  pour  ne  pas  survivre  à  Charinus; 
je  meurs!  (Il  tombe  mort.  Marcia  jette  sur  le  cadavre  son  voile 
blanc,  et  fait  un  signe  comme  pour  appeler  ses  esclaves.  La  toile 
tombe.) 

FIN. 

Imprimerie  dfl  HT  Ve  DONBEY-DUPRÉ,  rue  Saiul-Louis,  46,  au  I 


_a  Bibliothèque 
Lversité  dfOttawa 
Echéance 


The  Library 
University  of  Ottawa 
Date  Due 


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I9  0d'85. 
21   JUI 


P.l 


M 


l.U- 

7  2007 


CE  PQ   2225 

.C27  184B 

COO   OUMAS,  ALEXA  CATILINA 

ACC#  1221733