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Full text of "Chansons"

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http://www.archive.org/details/chansonsOOcl 


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CHANSONS 


J.-B. -CLÉMENT 


CHANSONS 


DE 


J.-B.-CLEMENT 


Voilà  trop  longtemps,  compagnons, 
Que  nous  chantons  tous  pour  les  autres; 
Ayons  maintenant  nos  chansons 
Et  ne  chantons  plus  que  les  nôtres. 


PARIS 

IMPRIMERIE     GEORGES     ROBERT     ET     O 

1  p,    rue  du   Fauboiiyg-Sat7it-Dcttis,    ip 
1885 

BIBLIOTHECA 


LA   CHANSON 


Je  n'ai  pas  eu  l'intention,  en  écrivant  ces  lignes, 
de  faire  le  procès  des  chansons  en  vogue,  non-seu- 
lement dans  les  cafés-concerts,  mais  un  peu  par- 
tout. Gela,  du  reste,  ne  servirait  à  rien,  car  il  est 
probable  que  ceux  c[ui  produisent  cet  article  de 
Paris,  comme  ils  se  plaisent  eux-mêmes  à  qua- 
lifier leurs  élucubrations,  n'ont  d'autre  prétention 
que  de  divertir  le  public  habituel  des  cafés-concerts. 
J'ajoute  même  qu'on  se  montrerait  bien  injuste  à 
leur  égard  si  on  ne  reconnaissait  pas  qu'il  faut 
qu'ils  soient  doués  d'une  facilité  prodigieuse  pour 
entretenir  ainsi  leur  répertoire  et  satisfaire  une 
clientèle,  très  friande,  assure-t-on,  de  couplets 
et  de  refrains  aussi  variés  que  choisis. 

Si  je  me  permettais  la  moindre  critique  à  l'adresse 
de  ces  producteurs  infatigables,  j'aurais  l'air,  d'une 
part,  de  vouloir  faire  moi-même  l'apologie  des 
chansons  contenues  dans  ce  volume,  et,  de  l'autre, 
on  pourrait  me  croire  jaloux  de  leurs  nombreux 
succès,  de  leur  verve  intarrissable,  et,  je  l'avoue, 
j'en  serais  désolé. 


—  6  — 

Mon  intention  est,  à  la  fois,  plus  modeste  et  plus 
personnelle  :  J'ai  tenu  à  expliquer  le  but  que  je  me 
suis  proposé  en  éditant  ce  volume  de  chansons 
par  souscriptions,  projet  souvent  difficile  à  réaliser, 
mais  c[ui  ne  l'est  pas  plus  en  somme  que  de  trou- 
ver un  éditeur  disposé  à  se  soumettre  aux  volontés 
de  l'auteur. 

Depuis  bien  des  années  déjà,  des  amis  et  des 
amateurs  insistaient  pour  que  je  fisse  paraître  un 
volume  de  mes  chansons.  Jusqu'ici  j'avais  toujours 
répondu  ou  qu'il  fallait  trouver  un  éditeur  qui  con- 
sentît à  me  laisser  faire  mon  volume  comme  je 
l'entendrais,  ou  m'éditer  moi-même  par  sous- 
criptions, mes  ressources  ne  me  permettant  pas 
de  procéder  autrement. 

A  une  certaine  époque  cependant,  un  éditeur, 
que  je  n'ai  pas  à  nommer  ici,  me  fit  des  offres.  Le 
moment,  du  reste,  n'était  pas  mal  choisi  pour  éditer 
et  lancer  un  volume  de  chansons  signé  du  nom 
d'un  homme  assez  connu  pour  la  part  qu'il  avait 
prise  aux  événements  de  1871,  et  que  les  conseils 
de  guerre  avaient  condamné  à  mort. 

Mais,  malgré  ces  titres  qu'il  considérait  comme 
des  éléments  de  succès  et  dont,  quant  à  moi,  je  ne 
tire  aucune  vanité,  nous  n'arrivâmes  pas  à  nous 
entendre.  Il  voulait  absolument  que  je  misse  dans 
le  volume  qu'il  se  proposait  d'éditer,  non  pas  seule- 
ment les  chansons  c[ue  je  coQsidérais  comme  dignes 
de  prendre  place  dans  un  livre,  mais  encore  et 
surtout  les  chansons  dont  le  seul  mérite  est 
d'avoir  obtenu  quelque  succès,  alors  que  d'autres. 


—  7  — 

de  beaucoup  supérieures,  sont  restées  ignorées 
sinon  des  amis,  mais  du  public. 

Malgré  les  avantages  que  je  pouvais  tirer  de  cette 
oflfre,  aune  époque  où  j'avais  à  arpenter  les  quatre 
coins  de  Londres  pour  gagner  ma  vie  et  me  sous- 
traire ainsi  à  la  condamnation  à  mort  des  conseils 
de  guerre  versaillais,  je  refusai  nettement,  ne  vou- 
lant pas  qu'on  fît  de  la  réclame  autour  de  mon 
nom  en  exploitant  les  fonctions  qu'on  m'avait  assi- 
gnées pendant  la  Commune. 

J'avais  aussi  un  autre  motif  que  tout  le  monde 
comprendra  :  Un  volume  composé  d'une  centaine 
de  chansons  est  une  espèce  d'exposition.  Or, 
lorsqu'on  fait  une  exposition  artistique,  voire  même 
industrielle,  il  est  évident  que  les  exposants  n'y 
exhibent  que  les  œuvres  dont  ils  sont  satisfaits. 

Telle  était  et  telle  est  encore  mon  opinion.  Aussi, 
ne  voulais-je  pas  mettre  dans  ce  volume,  quel  que 
soit  le  succès  qu'elles  eussent  obtenu,  les  chan- 
sons que  l'on  peut  appeler  les  Chajisons  du  mor- 
ceau de  pain,  chansons  qu'on  rimaille  au  courant 
de  la  plume,  sans  effort  et  sans  passion,  sans  joie 
et  sans  tristesse;  qu'on  vend  comme  on  les  a 
faites,  et  qui  seraient  sans  excuse,  si  elles  n'ai- 
daient à  l'enfantement  de  l'œuvre  qu'on  poursuit, 
qu'on  rêve,  qu'on  caresse,  de  l'œuvre  enfin  qui 
donne  de  grandes  et  légitimes  colères,  de  bons 
battements  de  cœur,  des  heures  de  joie  et  de  dou- 
leur bien  intimes. 

A  ce  sujet,  qu'il  me  soit  permis  de  m'étendre  un 
peu  :  les  deux  ou  trois  mille  volumes  de  cette  pre- 


mière  édition  revenant  de  droit  aux  personnes  qui 
m'ont  témoigné  leur  S3^mpathie,  puisque  c'est 
grâce  à  leur  concours  empressé  que  j'ai  pu  m'é- 
diter,  il  m'est  tout  à  fait  agréable,  sans  entrer  dans 
les  détails  minutieux  d'une  biographie  que,  du 
reste,  il  ne  m'appartient  pas  de  faire,  de  les  ren- 
seigner sur  mes  débuts  et  sur  l'origine  de  quelques 
chansons  qui  ne  me  feront  pas  bien  venir,  je  le 
sais,  de  ceux  qui  trouvent  que  tout  est  pour  le 
mieux,  pourvu  qu'ils  n'aient  qu'à  se  laisser  vivre. 

Sortant  de  l'école  ne  sachant  rien,  entrant  en 
apprentissage  à  quatorze  ans  et  n'en  sortant 
qu'après  cinq  longues  années  d'esclavage,  de  mi- 
sères et  de  résignation;  connaissant  mal  mon 
métier,  que  le  patron  s'était  peu  préoccupé  de 
m' apprendre;  n'a3^ant  aucun  goût  pour  ce  métier, 
le  plus  insignifiant  d'entre  tous;  dès  que  je  me 
sentis  grand  garçon,  je  voulus  reconquérir  mon 
indépendance  et  recommencer  la  vie  à  mes  risques 
et  périls. 

C'en  était  fait!  Je  prenaisplacedans  les  rangs  des 
révoltés;  je  m'insurgeais  contre  l'autorité  mater- 
nelle, et  à  là  fois  contre  la  tyrannie  et  l'exploita- 
tion patronales.  Je  dus  donc  passer  par  trente-six 
métiers  et  bien  plus  de  misères,  —  mais  je  n'en 
suis  plus  à  les  compter,  —  cherchant  à  m'ins- 
truire^  à  savoir  ce  c{ue  je  n'avais  pas  eu  le  temps 
d'apprendre,  lisant,  commentant,  pensant,  rê- 
vant, suant,  jusqu'au  découragement,  sur  Noël  et 
Chapsal,  me  retrempant  dans  Musset,  Flau- 
bert, Balzac,  Hégésippe  Moreau,  Béranger,  Pierre 


Dupont,  et  cela,  à  l'aide  de  ressources  tellement 
minimes,  pour  ne  pas  dire  imaginaires,  qu'il  m'ar- 
riva  bien  des  fois,  soutenu  par  la  jeunesse  proba- 
blement et  sa  compagne  inséparable,  l'Espérance, 
de  danser  devant  le  buffet  en  entonnant  la  Capu- 
cine, cette  vieille  chanson  populaire,  que  les  en- 
fants chantent  en  dansant  en  rond,  sans  se  douter, 
les  innocents,  du  côté  social  de  cette  rengaine 
plaintive,  qui  explique  si  bien  la  révolte  des  Jac- 
ques et  les  insurrections  de  la  faim  ! 

Je  n'ai  pas  à  récapituler  ici  toutes  les  étapes  plus 
ou  moins  pénibles  ou  plus  ou  moins  heureuses  que 
j'ai  eu  à  parcourir  pour  arriver  à  gagner  quel- 
ques sous  avec  mes  chansons;  cependant,  je  ne 
puis  passer  sous  silence  l'étrange  émotion  que 
j'éprouvai  le  jour  où  je  vendis  ma  première  chan- 
son ;  j'ai  encore  dans  les  oreilles  le  son  mélodieux 
des  trois  pièces  de  cent  sous  que  l'éditeur  me  mit 
dans  la  main  et  que  je  serrai  fiévreusement,  comme 
si  je  venais  de  commettre  un  abus  de  confiance  ou 
un  vol  avec  effraction  ! 

L'éditeur  et  moi  nous  étions  seuls,  bien  seuls  il  est 
vrai;  mais  je  vous  l'affirme,  et  vous  pouvez  me 
croire,  je  ne  l'avais  nullement  pris  à  la  gorge.  Je 
lui  avais,  au  contraire,  présenté  ma  pauvre  chan- 
son avec  une  extrême  timidité,  avec  cette  émotion 
inséparable  d'un  premier  début.  Il  avait  pris  le 
temps  de  la  lire,  de  la  relire  —  quel  courage  ! 
—  de  me  soumettre  ses  observations,  fort  justes, 
du  reste,  et,  finalement,  de  me  faire  signer  une 
cession    en    bonne  forme  et   en  toute  propriété, 


—  10  — 

cession  qui  fut  à  la  fois  l'acte  de  naissance  et 
de  décès  de  la  sœur  aînée  de  toutes  les  malheu- 
reuses que,  depuis,  j'ai  lancées  dans  la  circulation. 

Cet  éditeur,  ce  serait  de  l'ingratitude  de  ne 
pas  le  nommer  ici,  c'était  M.  Vieillot,  l'éditeur  in- 
telligent et  populaire,  homme  d'initiative  et  de 
flair,  aimant  à  obliger  les  vétérans  de  la  chanson 
qui  avaient  fait  leurs  preuves,  devinant  les  jeunes 
qui  avaient  de  l'avenir,  et  toujours  prêt  à  les  en- 
courager et  à  les  aider. 

M.  Vieillot  est  mort  pendant  que  j'étais  en  An- 
gleterre; ces  sentiments,  que  j'aurais  voulu  expri- 
mer sur  sa  tombe,  je  considère  comme  un  de- 
voir de  les  rappeler  ici. 

Ayant,  à  ma  grande  surprise,  trouvé  la  possibi- 
lité de  gagner  quelques  sous  en  rimaillant  des  cou- 
plets sans  importance,  je  fis  donc,  comme  je  l'ai  dit, 
des  chansons  que  j'ai  appelées  les  Chansons  du 
morceau  de  pain,  —  et  ce  sont  ces  pauvres  folles 
qui  m'ont  permis  de  faire  à  mes  heures  :  La  Chan- 
son du  fou,  Folies  de  Mai,  Fournaise,  etc.,  et  dans 
un  autre  ordre  d'idées  :  Quatre-vingt-neuf  !  Ah  ! 
le  joli  temps,  les  Souris,  et  quelques  autres  que  la 
censure  impériale  interdisait  régulièrement  et  pour 
lesquelles  je  fus  assez  souvent  inquiété,  bien 
qu'elles  n'eussent  jamais  été  chantées  en  public, 
mais  seulement  en  petits  comités  composés  d'amis. 

Chansonnant  et  journalisant,  j'arrivai,  tant 
bien  que  mal,  à  avoir  en  1870  un  peu  de  pain  sur 
la  planche...  en  qualité  de  pensionnaire  de  Sainte- 
Pélagie,  où  j'allais  échouer  à  la  suite  de  sept  ou 


—  n  — 

huit  procès  de  presse,  en  compagnie  de  mon  com- 
plice, ce  pauvre  Vermorel,  alors  rédacteur  en  chef 
du  journal  la  Réforme. 

Expulsé  de  Pélagie  le  4  septembre  par  la  Républi- 
que qui,  du  même  coup,  expulsait  l'empire  du  terri- 
toire français,  après  avoir,  comme  tous  les  cama- 
rades, rempli  mes  devoirs  de  citoyen  et  de  soldat 
pendant  le  siège,  je  devais  tout  naturellement 
courir  aux  armes  le  18  mars  et  prendre  ma  place 
dans  les  rangs  des  combattants  de  la  Com- 
mune. 

Je  rappelle  ces  faits,  sans  m'y  arrêter,  pour  en 
arriver  justement  à  expliquer  le  but  que  j'ai  voulu 
atteindre  en  éditant  ce  volume,  et  définir  ce  que 
j'appellerai  les  Chansons  de  Vavenir. 

Il  n'est  pas  admissible  que  l'homme  qui  pense 
un  peu  puisse  rester  indifférent  à  des  événe- 
ments qui  bouleversent  une  époque  et  qu'il  n'en 
tire  pas  quelque  enseignement  salutaire. 

Les  événements  de  1871,  la  lutte  héroïque  que 
les  combattants  de  la  Commune  soutinrent  contre 
les  armées  Versaillaises,  les  grands  principes  qui 
étaient  en  cause,  les  massacres  de  la  semaine  san- 
glante, rimplacable  vengeance  des  vainqueurs  con- 
tribuèrent bien  plus  encore  que  tous  les  traités 
d'économie  politic[ue  et  sociale  et  que  toutes  les 
théories  des  philosophes  à  me  confirmer  dans  cette 
idée  :  qu'il  n'y  avait  plus  de  réconciliation  possible 
entre  les  vainqueurs  et  les  vaincus,  et  qu'il  fallait, 
par  tous  les  moyens,  par  les  journaux,  par  les 
livres,  par  les  brochures,  par  la  parole,  par  les 


—   12  — 

chansons,  forcer  le  peuple  à  voir  sa  misère,  à  s'oc- 
cuper de  ses  intérêts  et  à  hâter  ainsi  Theure  de  la 
solution  du  grand  problème  social. 

Aussi,  réfugié  en  Angleterre,  songeant  à  notre 
défaite,  à  ces  com.bats  sanglants  de  jour  et  de  nuit, 
aux  trente  et  quelques  mille  communeux  massa- 
crés, à  mes  amis,  les  uns  fusillés,  les  autres  en 
Nouvelle-Calédonie,  je  ne  me  sentis  plus  la 
patience  d'aligner  des  couplets  insignifiants  et  de 
recommencer  la  Chanson  du  morceau  de  pain.  Je 
voulus  mettre  la  chanson,  qui  est  un  moj^en  de 
propagande  des  plus  efficaces,  au  service  de  la 
cause  des  vaincus,  et  c'est  à  cela  que  je  me  suis 
surtout  appliqué  depuis. 

Mais  il  3^  avait  à  craindre  que  des  chansons  à 
thèse  fussent  monotones  comme  un  discours 
d'académicien  ou  ennuyeuses  comme  un  article 
d'économie  politique.  Cet  écueil  qu'on  me  signa- 
lait me  parut  facile  à  éviter.  J'avais,  du  reste,  des 
précédents  :  Dansons  la  capucine.  L'eau  va  tou- 
jours à  la  rivière,  etc.  Il  n'y  avait,  à  mon  avis,  qu'à 
ouvrir  la  huche  des  pauvres  gens  pour  voir  qu'il  n'y 
avait  pas  de  pain  dedans  II  n'y  avait  qu'à  suivre 
l'ouvrier  dans  sa  vie  de  labeur  et  de  misère  pour 
trouver  le  mot  vrai,  la  note  sociale  et  empoignante. 
Il  n'y  avait  qu'à  pénétrer  dans  les  mines,  dans  les 
manufactures,  dans  les  chantiers  pour  dépeindre, 
en  langue  simple,  les  souffrances  des  travailleurs, 
pour  protester  contre  l'esclavage  moderne  et  mettre 
en  chanson  les  revendications  prolétariennes. 

C'est  ce  que  j'ai  essa3'é  de  faire  dans  les  Traîne- 


.-  13  — 

Miscre,  la  Machine,  Comme  je  suis  fatigué!  Ne 
plaignons  plus  les  gueux,  etc.,  etc. 

De  même  que  dans  L'eau  va  toujours  à  la  rivière 
et  Paysan!  Paysan!  j'ai  voulu  faire  comprendre 
aux  travailleurs  des  champs  qu'ils  étaient  les 
frères  de  misère  des  travailleurs  des  villes,  et  qu'ils 
devaient  se  liguer  ensemble  pour  la  défense  de 
leurs  intérêts  et  la  conquête  de  leur  émancipation. 

Il  suffisait  enfin,  pour  frapper  juste,  de  bien  pen- 
ser ce  qu'on  écrivait,  d'y  mettre  sa  passion,  ses  con- 
victions, et,  qu'on  me  permette  de  le  dire,  un  peu  de 
sa  vie.  Car  on  ne  fait  pas  bien  ces  chansons-là  sans 
un  peu  de  fièvre,  sans  serrements  de  cœur,  sans 
éprouver  un  profond  sentiment  d'indignation  contre 
les  bourreaux  et  de  douleur  pour  les  victimes! 

Non  seulement  jusqu'ici  le  peuple  n'a  jamais  tra- 
vaillé pour  lui,  mais  encore  il  a  toujours  chanté 
pour  les  autres  ;  il  est  temps,  comme  je  le  dis  en 
tête  de  ce  livre,  qu'il  ait  enfin  ses  chansons  et 
qu'il  ne  chante  plus  que  les  siennes. 

Oh!  je  sais  bien  qu'on  ne  peut  pas  chanter  que 
des  chansons  ayant  une  portée  philosophique,  une 
idée  politique  ou  sociale.  Gela  finirait,  je  le  com- 
prends, par  fatiguer  et  peut-être  même  par  dé- 
passer le  but. 

Mais  ce  n'est  pas  ce  que  je  demande,  et  je  n'en- 
tends exclure  du  répertoire  des  amis  de  la  chanson 
ni  la  romance,  ni  la  chanson  de  genre,  ni  la  gau- 
driole. Oh! non! 

Vive  la  gaudriole! 
0  gué! 


—  14  — 

Je  serais  désolé,  pour  mon  compte,  de  voir  l'es- 
prit, la  bonne  humeur,  le  sentiment  déserter  la 
chanson.  J'apprécie  trop  pour  cela  les  chansons 
badines  et  si  spirituelles  de  Gustave  Nadaud  ; 
j'aime  trop  les  aimables  gaudrioles  de  Béranger, 
si  fin  et  si  délicat  dans  la  forme.  Ah!  oui!  je 
serais  désolé  qu'on  ne  chantât  plus,  avec  Pierre 
Dupont,  les  grandes  et  belles  choses  de  la  nature  ! 
Il  ne  manquerait  plus  que  cela,  par  exemple,  qu'on 
restât  muet  ou  indifférent  devant  la  mer  aux  vas- 
tes horizons,  devant  les  plaines  fécondes,  les  val- 
lées fleuries  et  les  forêts  grandioses  !  Oui,  certes, 
je  veux  qu'on  chante  les  blés  qui  poussent  et  le 
tic-tac  du  moulin,  la  Bourgogne  plantureuse,  la 
grappe  qui  mûrit,  les  coteaux  pierreux  et  enso- 
leillés, le  vin  nouveau  qui  s'insurge  dans  le  pres- 
soir et  le  vin  vieux  qui  vit  bourgeoisement  en 
bouteille. 

Oui,  oui,  je  veux  qu'on  trouve  encore  et  tou- 
jours des  refrains  passionnés  et  entraînants  pour 
les  amoureux  qui  s'en  vont  au  bois  cueillir  la  vio- 
lette, et  des  couplets  bachiques  qui  fassent  choquer 
les  verres  et  boire  à  la  vigne,  à  l'amour,  à  l'huma- 
nité! Mais  je  prétends  qu'il  faut  renoncer  aux 
vieux  clichés,  donner  aupeuple  des  chansons  qui  ne 
régarent  pas,  en  un  mot  c{ui  ne  perpétuent  pas  des 
préjugés,  des  erreurs  philosophiques,  sociales  et 
religieuses,  dont  le  bon  sens  et  la  science  ont  fait 
justice  depuis  longtemps. 

La  chanson  est  à  la  fois  vulgarisatrice  et  propa- 
gandiste;   les  refrains  de  Béranger  et  de  Pierre 


—  13  — 

Dupont  nous  ont  prouvé  l'influence  qu'elle  pou- 
vait exercer  sur  l'esprit  du  peuple,  tout  pétri  de 
sentiment  et  si  facile  à  entraîner.  Et  je  ne  parlerai 
qu'en  passant  de  la  Marseillaise  que  les  diri- 
geants ont  si  habilement  exploitée,  et  à  l'aide 
de  laquelle  ils  ont  tant  de  fois  électrisé  les  en- 
fants du  peuple  qu'ils  envoyaient  défendre,  à  leur 
place,  leurs  privilèges,  leurs  capitaux  et  leur  pro- 
priété. 

Mais  pour  que  la  chanson  accomplisse  son  œuvre 
de  propagande  salutaire  et  émancipatrice,  il  faut 
au  moins  qu'elle  soit  au  diapason  des  idées  mo- 
dernes, et,  je  dirai  plus,  qu'elle  pressente  l'avenir 
et  le  prépare. 

On  peut  certainement  être  aussi  poétique,  aussi 
sentimental  et  plus  empoignant  même,  en  chan- 
tant les  chefs-d'œuvre  de  la  production  humaine, 
les  merveilles  de  la  nature,  les  fleurs  et  le  ciel,  sans 
en  reporter  toute  la  gloire  à  un  être  suprême  qui 
existe  pour  les  uns  et  n'existe  pas  pour  les  autres, 
sans  promettre  un  paradis  où  les  croyants  eux- 
mêmes  ne  sont  pas  bien  sûrs  d'être  admis  un  jour, 
quoique  niunis  de  tous  les  saints  sacrements  de 
l'église. 

Je  sais  bien  que  les  enfants  terribles  de  la  muse 
qui  troussent  le  fin  couplet  entre  la  poire  et  le  fro- 
mage, à  propos  d'une  noce  ou  d'un  baptême,  di- 
ront que  je  le  prends  de  trop  haut  avec  la  chanson 
et  que  je  lui  impose  une  espèce  de  sacerdoce  peu  en 
harmonie  avec  son  caractère  insouciant  et  ses  allu- 
res de  bonne  fille. 


—  16  — 

Je  me  garderai  bien  de  les  contredire  et  de  faire 
la  moindre  tentative  pour  diminuer  la  notoriété 
qu'ils  ont  si  laborieusement  acquise  dans  le  genre 
qui  leur  est  familier  et  qui  leur  réussit  à  merveille. 
Libre  à  eux  de  faire  de  la  chanson  une  bonne  à 
tout  faire.  Pour  mon  compte,  je  l'aime  mieux 
déesse  de  la  liberté. 

Je  dis  même  qu'il  ne  faut  plus  faire,  en  chan- 
son, de  la  philosophie  évangélique  à  l'usage  des 
pauvres  gens  et  au  mieux  des  intérêts  des  heu- 
reux et  des  égoïstes.  Je  dis  que,  sous  prétexte 
de  bonne  humeur,  d'indifférence,  de  jeunesse,  de 
résignation,  il  ne  faut  plus,  même  sous  une  forme 
aimable,  chanter  au  peuple  comme  l'a  fait  Dé- 
ranger : 

Dans  un  grenier  qu'on  est  bien  i\  vingt  ans. 

Car,  à  cela,  je  répondrai  cju'un  grenier  quel  ciu'il 
soit  ne  fait  pas  le  bonheur,  et  c|u' après  tout  on  est 
aussi  bien  à  vingt  ans,  si  ce  n'est  mieux,  dans  une 
chambre  confortablement  meublée  où  l'on  a  de 
Tespace,  de  l'air  et  du  soleil. 

C'est  également  abuser  de  la  simplicité  du  peu- 
ple que  de  lui  faire  chanter  : 

Les  gueux,  les  gueux 
Sont  des  gens  licureux, 
Ils  s'aiment  entre  eux, 

Vivent  les  gueux! 

C'est  de  la  bonne  humeur  aux  dépens  des  souf- 
frances des   autres.  Reprenant  ce  sujet  qui,  mal- 


—   17  — 

heureusement,  est  encore  d'actualité,  j'ai  cru  qu'il 
était  plus  conforme  à  la  vérité  de  dire  : 

Los  gueux,  les  gueux 
Sont  des  malheureux. 
S'ils  s'aimaient  entre  eux 

Tout  irait  mieux  ! 

Est-ce  qu'on  fait  œuvre  de  penseur,  lorsqu'après 
avoir  parcouru  les  galeries  sombres  des  mines  et 
vu  les  mineurs  travailler,  les  uns  couchés  sur  le  dos 
et  les  autres  à  croupetons,  on  remonte  au  soleil 
poétiser  les  fatigues,  les  privations,  le  dur  labeur 
et  l'estomac  complaisant  de  ces  martyrs  ?  Est-il 
honnête,  pour  leur  faire  supporter  le  joug  qu'il 
subisse,  de  faii'e  briller  à  leurs  yeux  des  espérances 
de  vie  éternelle  et  de  paradis,  alors  c[ue  leur  vie 
est  un  enfer,  qu'il  ne  gagne  même  pas  de  quoi 
vivre  comme  des  hommes,  et  que  la  seule  chance 
qu'ils  aient  de  se  soustraire  à  une  vieillesse  plus 
misérable  encore  est  de  finir  écrasés  sous  un 
éboulement  ou  mutilés  par  le  grisou  cjui  n'a  ja- 
mais, que  je  sache,  défrisé  un  poil  de  la  barbe 
de  l'un  des  actionnaires  des  mines  d'Anzin  ou  de 
la  Grand' Combe? 

N'est-ce  pas  tromper  le  peuple  ou  se  moquer  de 
lui  que  de  pénétrer  dans  les  usines,  dans  les  manu- 
factures, dans  les  chantiers  et  de  s'en  échap- 
per pour  mettre  en  chanson  que  le  travail  c'est 
la  liberté;  alors  que  le  travail,  au  contraire, 
comme  il  a  toujours  été  exécuté  et  comme  il  l'est 
encore,  n'est  qu'un  véritable  esclavage  pour  l'ou- 


—  18  — 

vrier,  un  esclavage  hideux  avec  la  misère  noire 
en  perspective  ! 

Mais  on  dira,  je  le  sais,  que  je  veux  me  faire, 
même  en  chanson,  l'apôtre  de  la  haine  et  de 
l'envie. 

N'est-il  pas  tout  naturel  que  l'homme  qui  tra- 
vaille envie  un  bien-être  qu'il  n'a  pas,  auquel 
il  a  droit  et  que  d'autres  se  procurent  à  ses  dé- 
pens ?  Et  si  je  parvenais  à  inspirer  ces  senti- 
ments humains  à  la  grande  masse  ouvrière, 
j'éprouverais  cette  bonne  joie  que  donne  le  devoir 
accompli. 

Est-ce  donc  ma  faute  à  moi  si  les  misères  immé- 
ritées que  je  rencontre  ne  me  permettent  pas  de 
voir  tout  en  rose,  et  si  l'ordre  social  actuel  m'oblige 
à  constater  des  crimes  de  lèse-humanité  et  des 
iniquités  contre  lesc^uels  la  justice  et  la  raison  doi- 
vent protester  à  toute  heure,  sous  toutes  les  for- 
mes et  par  tous  les  moyens? 

En  fait  de  haine  et  d'envie,  il  n'y  a  dans  les 
théories  que  je  soutiens  qu'un  ardent  désir  d'en 
finir  avec  la  misère,  les  guerres,  les  révolutions, 
et  de  voir  un  jour  la  bonne  harmonie  régner  entre 
tous  les  humains. 

Quand  nous  en  serons  à  cet  heureux  temps, 
nous  pourrons  brûler  en  place  publicj[ue,  avec  bien 
autre  chose  encore,  toutes  les  chansons  du  genre 
c[ue  je  préconise,  —  les  miennes  les  premières, 
si  l'on  veut,  —  et,  autour  des  grands  feux  de 
joie  que  nous  allumerons  pour  fêter  cette  ère  de 
justice,  de  liberté  et  d'égalité,  nous  danserons  tous 


—  19  — 
en  rond  et  en  entonnant  à   pleins  poumons   la 
Mère  Godichon,  si  vous  y  tenez  ! 

Voilà  quel  doit  être  le  devoir  de  tout  homme 
qui  pense  et  qui  a  conscience  de  l'art  qu'il  pro- 
fesse. Propagandiste  par  excellence^  comme  je  l'ai 
dit,  c'est  bien  le  moins  que  la  chanson  suive,  dans 
sa  marche  progressive,  le  développement  des 
sciences  et  du  machinisme. 

Hégésippe  Moreau,  mort  trop  jeune  et  resté 
trop  inconnu,  fut  un  des  premiers  qui  sut  donner 
à  la  chanson  une  note  plus  humaine  et  plus  peuple. 
Il  chante  les  cloches,  non  plus  pour  les  louanger 
du  bruit  qu'elles  font  dans  le  monde  en  carillonnant 
des  noces  et  des  baptêmes,  mais  pour  leur  deman- 
der de  sonner  enfin  le  tocsin  de  l'émancipation 
intellectuelle  et  physique  de  l'homme, 

Pierre  Dupont  eut  aussi  la  même  préoccupation 
quand  il  fit  sa  belle  Chanson  du  pain,  la  Jeune  Ré- 
publique, le  Chant  des  ouvriers.  Et  avec  lui  je 
citerai  Charles  Gilles ,  Eugène  Baillet  et  le 
citoyen  Eugène  Pottier  qui  vient  de  faire  paraître 
un'volume  de  chansons  où  le  sentiment  que  j'in- 
dique est  exprimé  de  main  de  maître. 

Puisqu'on  a  fait  grand  bruit  autour  de  la 
musique  de  l'avenir,  pourquoi  n'aurais-je  pas  le 
droit  d'essayer  d'en  faire  un  peu  en  faveur  des 
chansons  de  l'avenir?  L'oeuvre  est  en  bonne  voie. 
D'autres  viendront  qui  la  continueront  et  qui 
l'achèveront  sans  doute.  Ceux-là  ne  s'égareront 
pas  dans  les  nuages,  ni  dans  les  labyrinthes  d'un 
monde  imaginaire.  Ils  trouveront  la  vraie  poésie, 


—  20  — 

la  poésie  du  travail  !  Ils  chanteront  la  vie  mouve- 
mentée des  usines,  les  outils  et  les  machines,  à 
la  condition  cju'ils  soient  des  agents  d'émanci- 
pation et  non  de  servitude,  qu'ils  servent  au 
bien-être  de  tous,  et  non  de  quelques-uns.  Ils 
chanteront  la  vapeur  et  l'électricité,  toutes  les 
grandes  découvertes  scientifiques  et  toutes  les 
grandes  vérités  sociales  qui  doivent  conduire  l'hu- 
manité à  son  plus  haut  degré  de  perfection,  et 
il  leur  sera  bien  plus  facile  encore  de  trouver  la 
note  émue  et  vraie  et  d'être  les  interprètes  inspirés 
et  éloquents  des  grands  et  généreux  sentiments 
qui  rapprochent  les  humains  et  font  aimer  la  vie. 

C'est  assez  dire  que  je  ne  préconise  pas  un  genre 
à  l'exclusion  des  autres,  et  la  preuve  en  est  dans 
la  façon  dont  j'ai  composé  ce  volume.  Il  contient 
une  trentaine  de  chansons  dans  la  note  amoureuse 
et  sentimentale  du  Temps  des  Cerises,  de  Connais- 
tu  l'amour,  de  Bonjour  printemps.  J'ai  chanté 
dans  d'autres  la  nature,  la  charrue  et  les  bœufs, 
les  blés  et  la  vigne.  Car  je  tenais  aussi  à  donner 
la  note  rustique  et  pastorale  qui  est  éternelle 
comme  la  nature.  Je  n'ai  pas  oublié  non  plus  le 
genre  satirique  qui  est  le  résultat  de  l'observa- 
tion et  qu'on  ne  saurait  trop  apprécier  surtout  en 
ces  temps  de  vanités  grotesques  et  d'ambitions 
éhontées  ! 

A  ces  différents  genres  vient  s'ajouter  celui  sur 
lequel  je  me  suis  longuement  étendu  à  dessein, 
parce  qu'il  avait  été  trop  négligé  jusqu'ici  :  je  veux 
dire  les  chansons  qui  sont  des  cris  d'alarme,  de  dé 


—  21  — 

tresse  et  de* ralliement,  des  refrains  de  combats,  de 
protestations,  en  un  mot  des  chansons  révolution- 
naires, si  toutefois  c'est  être  révolutionnaire  que  de 
vouloir  un  monde  meilleur,  le  bien-être  et  l'égalité 
pour  tous. 

On  m'a  déjà  fait  observer  que  mon  volume  se- 
rait d'un  matérialisme  désespérant,  parce  que  je 
repoussais  dans  mes  chansons  toute  idée  d'un 
dieu  créateur  et  d'une  vie  future. 

J'ai  répondu  à  cette  objection  dans  les  pages  pré- 
cédentes. Ici  il  me  reste  à  dire  que  j'ai  voulu  affir- 
mer une  fois  de  plus  dans  ce  volume  de  chan- 
sons cette  belle  devise  qui  est  celle  de  l'avenir  : 
ni  Dieu,  ni  Maître  !  et  si  l'on  y  rencontre  parfois 
ces  mots,  on  verra  en  effet  que  je  ne  m'en  suis 
servi  que  pour  conclure  à  la  négation  de  l'un  et  à 
la  disparition  de  l'autre. 

Il  ne  me  serait  pas  difficile  de  prouver  que  les 
croyances  religieuses,  loin  d'unir  les  humains,  les 
ont  toujours  divisés.  Et  quant  à  moi,  je  soutiens 
que  plus  nous  nous  détacherons  du  ciel  et  de  ses 
légendes,  plus  nous  ressentirons  la  nécessité  de 
nous  entr'aider  sur  terre  et  de  ne  compter  que  sur 
nous. 

En  somme,  on  ne  chante  guère  dieu  que  parce 
que  les  auteurs,  les  uns  très  fervents  chrétiens, 
les  autres  fidèles  à  la  routine,  acculés  par  les 
exigences  de  la  rime  ou  pour  faire  image,  l'ont 
glissé  un  peu  partout. 

Je  suis  bien  sûr  du  reste  que  les  amoureux  ne 
me  bouderont  pas  de  n'avoir  vu  dans  le  ciel  que 


—  22  — 

le  vide.  Que  leur  importe  qu'il  n'y  ait  ni  dieu, 
ni  diable,  ni  maître  dans  les  chansons  d'amour 
qu'on  chante  si  bien  à  deux,  s'ils  y  trouvent  du 
soleil  et  des  fleurs,  un  bon  rire  et  une  vraie 
larme  ! 

Les  intransigeants  en  matière  de  religion  n'ont 
pas  à  se  plaindre;  jusqu'ici,  les  chansons  qui  leur 
sont  chères  ne  leur  ont  pas  plus  manqué  que  les 
cantiques  ;  c'est  bien  le  moins  que  ceux  qui  ne 
partagent  pas  leurs  croyances  aient  aussi  leur 
répertoire. 

Je  terminerai  en  disant  que  le  peuple  n'a  cessé 
jusqu'à  ce  jour  de  chanter  les  chansons  qui  ont 
été  faites  pour  tout  le  monde,  et  qu'il  est  temps 
enfin  qu'il  ne  chante  plus  que  les  chansons  qui 
ont  été  faites  pour  lui. 

J.-B.-C. 


Paris-Montmartre,  décembre  1884. 


BON    VOYAGE 


Rondeaux  rustiques  et  grivois, 
Nés  au  refrain  de  la  musette, 
Écrits  à  l'ombre,  dans  les  bois 
Où  j'ai  cueilli  la  violette. 
Bon  voyage!  landerira! 
Bon  voyage  !  landerirette  ! 

En  ce  grand  siècle,  mes  enfants. 
Les  vers  n'étant  plus  à  la  mode. 
Je  vous  ai  gardés  bien  longtemps 
Dans  le  tiroir  de  ma  commode  ; 
Mais  ce  tiroir,  sans  doute  étroit. 
Où  vous  vous  plaisiez  tant  naguère, 
A  ce  que  dit  mon  petit  doigt. 
Ne  paraît  plus  vous  satisfaire. 
Comme  d'effrontés  polissons. 
Vous  voulez  visiter  le  monde, 
Paire  bondir  les  pieds  mignons, 
Courtiser  la  brune  et  la  blonde. 
Vous  voulez  qu'au  temps  des  amours. 
On  vous  chante  sous  les  tonnelles 


—  24  — 

Et  que  les  galants  troubadours 
Vous  soupirent  aux  demoiselles. 
C'est,  je  crois,  une  folle  erreur, 
Vous  croyez  à  la  renommée, 
Pauvres  enfants,  nés  de  mon  cœur 
Et  de  ma  muse  bien  aimée  ; 
Vous  le  voulez,  tentons  le  sort! 
De  ce  tiroir  je  vous  délivre 
Et  signe  votre  arrêt  de  mort 
En  vous  enterrant  dans  ce  livre. 

Rondeaux  rustiques  et  grivois, 
Nés  au  refrain  de  la  musette, 
Écrits  à  l'ombre,  dans  les  bois 
Où  j'ai  cueilli  la  violette, 
Bon  voyage  !  landerira  ! 
Bon  vovage  !  landerirette  ! 


II 


L'œil  en  coulisse  et  lèvres  avinées. 
Allant,  trottant,  ie  bonnet  de  côté, 
Poing  sur  la  hanche  et  toutes  dépeignées 
Comme  une  fille  un  jour  de  liberté, 
0  mes  chansons  !  vous  voilà  chez  Grégoire, 
En  train  déjà  de  sourire  au  vin  bleu. 
Le  vin  est  tiré,  faut  le  boire! 

Chansons  à  boire. 
Vous  m'oubliez,  morbleu  ! 

Eh  bien,  adieu  : 


23 


III 


Bon  !  voici  la  chanson  rustique 

Qui  s'en  va  sans  façon 
Voir  si  les  gars  font  la  moisson. 
Bon!  voici  la  chanson  rustique 
Qui  part  avec  ses  gros  sabots, 
Ses  chiens,  sa  charrue  et  ses  faux. 

Bon  !  voici  la  chanson  rustique 

Qui  va  revoir  ses  bœufs, 
Ses  francs  et  rudes  amoureux. 
Bon  !  voici  la  chanson  rustique 
Qui  se  sauve  dans  les  vallons 
Prendre  de  l'air  à  pleins  poumons. 

Bon  !  voici  la  chanson  rustique 

Qui  s'en  va  vendanger 
Et  rire  un  peu  chez  le  berger. 
Bon  voyage,  chanson  rustique. 
Bonjour  à  qui  vous  recevra, 
Landerire,  landerira! 


IV 


Et  quoi!  vous  aussi,  chansons  amoureuses. 
Vous  avez,  dit-on,  pris  la  clef  des  champs; 
Ainsi  les  soupirs  de  mes  nuits  fiévreuses, 
Une  femme  aimée  un  soir  de  printemps, 

1. 


—  26  — 

Tout  enfiD  sera  su  de  tout  le  monde, 
Vous  allez  encor  citer  plus  d'un  nom  ; 
Que  dira  Nandine?...  0  ma  toute  blonde, 
Demande  pour  moi  ma  grâce  à  Ninon  1 

Vous  pouvez  partir,  mes  chères  coquettes, 
Je  vous  abandonne  ;  après  tout,  ma  foi  ! 
A  votre  âge  on  aime  un  peu  les  conquêtes; 
Faites-en  beaucoup,  mais  prévenez-moi. 


Vivent  les  ritournelles  ; 
0  gué,  les  villanelles; 
0  guéj  dites-moi  donc  : 
Allez-vous  aux  charmilles 
Faire  danser  aux  filles 
Un  joyeux  rigodon  ? 

N'allez  pas  aux  charmilles 
Faire  danser  les  filles, 
Restez  encore  ici. 
Non  belles,  non  parées. 
Mais  non  pas  déchirées  ; 
Moi,  je  vous  aime  ainsi. 

Non  belles,  non  parées. 
Mais  non  pas  déchirées, 
Si  vous  restez  chez  nous. 
Vous  n'aurez  pas  à  craindre 


—  27  — 

Des  gens  payés  pour  geindre 
Et  mal  parler  de  vous. 

Vous  n'aurez  pas  à  craindre 
Des  gens  payés  pour  geindre, 
Qui  vous  déchireront 
Et  vous  diront  des  choses 
A  faner  vos  teints  roses, 
A  m'en  blêmir  le  front. 

Mais  vous  voilà  parties 
Comme  des  étourdies, 
S'en-sauve  qui  pourra, 
Villanelle  ou  poète. 
Adieu!  landerirettel 
Adieu!  landerira! 


VI 


Folles  chansons,  rondeaux  grivois, 
Chansons  à  boire  et  villanelles. 
Écrits  à  l'ombre  dans  les  bois, 
Aux  sons  des  douces  ritournelles, 
Bon  voyage!  landerira! 
Bon  voyage  !  landerirette  ! 


VII 

Ah  !  bon  voyage,  à  vous  enfin. 
Chansons  des  grands  jours  de  colère. 


—  28  — 

Où  grondent  la  misère, 
Le  deuil,  la  tristesse  et  la  faim  ! 

Allez,  vaillantes  insurgées, 
Réveiller  les  cœurs  endormis 
De  tant  de  femmes  outragées 
EL  de  tant  d'hommes  trop  soumis  ! 

Allez  de  la  ferme  à  l'usine. 
De  la  mansarde  aux  ateliers. 
Allez  jusqu'au  fond  de  la  mine 
Crier  :  Debout  !  aux  ouvriers. 

Allez  et  portez  à  la  ronde 
Ce  mot  d'ordre  à  l'humanité  ; 
Et  puisse  enfin  l'égalité 
Faire  bientôt  le  tour  du  monde! 

Ah!  bon  voyage  à  vous  enfin, 
Chansons  des  grands  jours  de  colère 

Où  gronde  la  misère  ; 
Et  bon  courage  aux  meurt-de-faim  ! 

Paris,  1884. 


—  29 


MUSE,  CHANTONS  LES  OISEAUX  ET  LES  FLEURS 

Air  :  Si  le  bon  dieu  faisait  parler  les  fleurs. 


A.  M.  L.  Vieillot. 

Muse,  quittons  notre  ville  natale, 
L'air  qu'on  respire  y  devient  trop  malsain  ; 
Ou,  désormais,  sans  crier  au  scandale, 
Faisons  des  vers  qui  rapportent  du  pain. 
Mais  gardons-nous  d'une  pensée  amère, 
Car  je 'suis  pauvre  et  je  crains  les  censeurs. 
Pour  être  en  grâce  auprès  du  ministère, 
Muse,  chantons  les  oiseaux  et  les  (leurs. 

Le  ciel  est  sombre,  on  pressent  la  tempête; 
Les  vents  du  nord  menacent  nos  moissons. 
Ne  laissons  pas  notre  lyre  muette, 
Le  peuple  est  triste,  il  lui  faut  des  chansons. 
Au  nom  du  peuple,  ah  !  déployons  nos  ailes  1 
Nos  gais  refrains  ont  tari  tant  de  pleurs  ! 
Pour  le  doter  des  chansons  immortelles, 
Muse,  chantons  les  oiseaux  et  les  fleurs. 

Reprends  ton  vol,  mais  gardons-nous  de  dire 
Gomment  en  France  on  devient  un  héros  ; 


—  30  — 

Laissons  hurler  la  Pologne  martyre, 
Souffrons  la  faim  et  soldons  les  impôts. 
Et  s'il  est  vrai  que  nous  payons  la  danse, 
Nosvieux  soldatsn'ensontpasmoins  vainqueurs. 
Pour  célébrer  les  gloires  de  la  France, 
Muse,  chantons  les  oiseaux  et  les  fleurs. 

J'ai,  dans  le  fiel  où  s'abreuve  ma  plume. 
De  la  censure  encouru  les  leçons  ; 
Et  ma  Lison  qui  voit  mon  amertume 
Veut  elle-même  y  porter  mes  chansons. 
Non,  non,  restez  !  cela  ne  peut  me  plaire, 
Vos  grands  yeuxnoirsséduiraientmes  censeurs. 
Moi,  je  vous  aime  et  je  bois  dans  mon  verre  : 
Muse,  chantons  les  oiseaux  et  les  fleurs. 

Je  veux  cacher  mon  nid  sous  le  feuillage 
Et  le  suspendre  aux  rameaux  de  l'espoir; 
Là,  les  oiseaux  n'ont  qu'un  môme  langage; 
L'air  est  plus  sain  et  le  pain  n'est  pas  noir. 
J'y  chanterai  ta  main  blanche  et  coquette, 
Ta  lèvre  rose  et  tes  fraîches  couleurs.... 
La  liberté,  c'est  le  pain  du  poète; 
Muse,  chantons  les  oiseaux  et  les  fleurs. 

Août  1863,  Paris. 

Voulant  savoir  pourquoi  plusieurs  de  mes  chansons  étaient 
revenues  de  la  censure  avec  un  non  en  rouge  qui  équivalait  pres- 
que pour  elles  à  une  condamnation  à  mort,  je  me  rendis  un  jour 
au  ministère. 

J'y  fus  reçu  par  un  chef  de  bureau  qui,  après  avoir  écouté  mes 
protestations  avec   une  parfaite  indifférence,  me  répondit  que  je 


—  si- 
ne devais  m'en  prendre  qu'à  moi.  »  Pourquoi  traitez-vous,  ajouta-t-il, 
des  sujets  qui,  etc.,  etc..  Il  vous  serait  si  facile  cependant  de 
faire  de  jolies  choses  en  chantant  les  fleurs,  les  oiseaux,  et  que 
sais-je?  Vous  nous  rendrez  bien  cette  justice  que  vous  n'avez 
nullement  à  vous  plaindre  de  la  censure  lorsque  vous  restez  dans 
le  cadre  que  je  vous  indique.  » 

«  —  Eh  bien,  lui  dis-je,  je  vais  suivre  votre  conseil,  je  serai  peut- 
être  plus  heureux.  » 

A  quelques  jours  de  là,  j'envoyais  à  la  censure  deux  copies 
admirablement  écrites  de  :  Muse,  chantons  les  oiseaux  et  les 
fleurs,  et  j'allais  une  huitaine  après  me  renseigner  sur  son  sort. 

Mais  il  paraît  que  ce  n'était  pas  ainsi  que  mon  Monsieur  enten- 
dait qu'on  chantât  les  oiseaux  et  les  fleurs,  car  ma  chanson  me 
fut  rendue  avec  un  non  en  rouge  bien  plus  grand  encore  que  tous 
les  autres. 

Cette  chanson  n'a  pas  été  éditée. 


—  32 


L'EAU  VA  TOUJOURS  A  LA  RIVIÈRE 


CHAKSON  DU   BERGER 


A  Auguste  Delàtre. 

On  peut,  l'hiver,  chasser  les  loups, 
Soulager  le  pauvre  qui  passe. 
Mettre  du  pain  dans  sa  besace, 

A  ses  souliers  planter  des  clous 

Mais  on  a  beau  dire  et  beau  faire, 
L'eau  va  toujours  à  la  rivière. 

Voilà  pourquoi,  pauvre  troupeau. 

Dame  fermière 
Vit  de  ta  graisse  et  de  ta  peau. 
Bonne  chance  à  dame  fermière; 

Mais  gare  l'eau, 
Quand  l'eau 
Fera  déborder  la  rivière. 

Le  paradis  peut  être  au  ciel, 

Saint  Pierre  ouvrir  à  tout  le  monde, 

La  terre  peut  bien  être  ronde, 

Et  l'abeille  faire  du  miel 

Mais  on  a  beau  dire  et  beau  faire, 
L'eau  va  toujours  à  la  rivière. 


—  33  — 

Voilà  pourquoi,  pauvre  troupeau, 
Dame  fermière,  etc. 

L'arbre  peut  rapporter  des  fruits 
Et  des  fleurs  pour  les  amoureuses, 
Le  moissonneur  pour  les  glaneuses 

Peut  oublier  quelques  épis 

Mais  on  a  beau  dire  et  beau  faire. 
L'eau  va  toujours  à  la  rivière. 

Voilà  pourquoi,  pauvre  troupeau, 
Dame  fermière,  etc.. 

En  plein  soleil  on  peut  dormir. 
Sur  l'herbe  on  peut  faire  sa  couche, 
Pourvu  qu'on  n'ouvre  point  la  bouche 

Tout  en  soi-même  on  peut  gémir 

Mais  on  a  beau  dire  et  beau  faire, 
L'eau  va  toujours  à  la  rivière. 

Voilà  pourquoi,  pauvre  troupeau. 
Dame  fermière,  etc.. 

Ainsi  tout  ira  pour  le  mieux  : 
Les  gueux  iront  à  la  potence, 
Les  malheureux  à  Sainte-Urgence, 

Les  hypocrites  dans  les  cieux 

Mais  on  a  beau  dire  et  beau  faire, 
L'eau  va  toujours  à  la  rivière. 

Voilà  pourquoi,  pauvre  troupeau, 
Dame  fermière,  etc.. 


—  34  — 

Iront  ventrus,  comme  un  pressoir, 
Fermiers  joyeux  boire  rasade, 
Chiens  efflanqués  à  la  noyade, 

Chevaux  fourbus  à  l'assommoir 

Mais  on  a  beau  dire  et  beau  faire, 
L'eau  va  toujours  à  la  rivière. 

Voilà  pourquoi,  pauvre  troupeau, 
Dame  fermière,  etc.. 

Iront  ainsi,  tant  bien  que  mal, 
Loups  affamés  aux  bergeries, 
Moutons  bien  gras  aux  boucheries. 

Berger  bien  maigre  à  l'hôpital 

Mais  on  a  beau  dire  et  beau  faire, 
L'eau  va  toujours  à  la  rivière. 

Voilà  pourquoi,  pauvre  troupeau, 

Dame  fermière 
Vit  de  ta  graisse  et  de  ta  peau  : 
Bonne  chance  à  dame  fermière  ; 

Mais  gare  à  l'eau. 
Quand  l'eau 
Fera  déborder  la  rivière. 

Chailly,  1864. 


Musique  de  Darcier.  —  Éditeur  :  M.  Vieillot,  32,  rue  Notre-Dame- 
de-Nazareth,  Paris. 


—  3b  — 


FOLIES  DE  MAI 


A  mademoiselle  Lucie  Hanser. 

Ciel!  dit  l'aurore  aux  cheveux  blonds, 

Perlant  sa  robe  virginale, 

Que  la  nature  est  matinale! 

Déjà  tout  est  rire  et  chansons. 

On  ne  dort  plus  dans  les  buissons, 

On  folâtre  sous  les  gazons, 

Ciel!  dit  l'aurore  aux  cheveux  blonds, 

Que  de  baisers  et  de  chansons  ! 

«  ....  Azur  du  ciel!  dit  un  bluet 
Enlaçant  une  pâquerette, 
Oui  da,  pour  vous  conter  fleurette. 
J'ai  dans  le  cœur  plus  d'un  sonnet. 
Je  gage  un  sort  que  l'oiselet 
N'a  pas  un  plus  tendre  caquet. 
Azur  du  ciel!  dit  le  bluet, 
Vous  me  troublez  le  cervelet. 

—  Moi,  dit  la  brise  aux  amoureux. 
Je  veux  courir  toutes  les  belles. 
Folâtrer  sous  leurs  blanches  ailes. 
Me  glisser  dans  leurs  fins  cheveux. 


—  36  — 

—  Tout  beau  !  dit  le  lys  orgueilleux, 

—  Malheur!  dit  le  roseau  quinteux, 

—  Soit  !  dit  la  brise  aux  amoureux  : 
Je  vous  coifferai  tous  les  deux. 

—  Par  saint  Muguet!  dit  un  pinson 
Blotti  sous  l'aile  de  sa  blonde, 

Que  je  suis  heureux  d'être  au  monde, 
J'ai  le  délire  et  le  frisson  ! 
Vive  l'amour  !  0  mon  mignon  ! 
Le  printemps  n'a  qu'une  saison. 
Par  saint  Muguet,  dit  le  pinson, 
Le  printemps  n'a  pas  eu  raison. 

—  Nom  d'un  soleil  !  dit  Tarbre  en  fleur, 
J'ai  de  l'amour  à  pleines  branches. 

—  Naissez,  dit  la  mousse  aux  pervenches, 
J'ai  de  la  rosée  à  plein  cœur. 

—  Rêvons,  dit  le  grillon  rêveur 

—  Chantons,  dit  le  merle  trompeur 

—  Amour  à  tous  !  dit  l'arbre  en  fleur 

—  Amen  !  dit  le  coucou  moqueur.  » 

Fontainebleau,  1866. 


Musique  de  Renard.  —  Éditeur  :  M.  Egrot,  25,  boulevard  de 
Strasbourg,  Paris. 


—  37  — 


LA  MARJOLAINE 


A  monsieur  Jacques  Bouché. 

0  gué  !  0  gué  ! 
0  gué  !  la  marjolaine  ! 

C'est  la  chanson 
Des  enfants  de  la  plaine. 

Ogué!  Ogué! 
0  gué!  la  marjolaine! 

C'est  la  moisson! 

C'est  la  moisson! 

Holà,  les  gars  !  le  vieux  coq  chante, 
Holà  !  qu'on  attèle  les  bœufs  ! 
Les  trésors  que  la  terre  enfante 
Vont  faire  ployer  les  essieux. 

Hé  Ion,  Ion  là! 

Belles  des  belles. 
Gaiement  nous  voilà  revenus, 
Pour  couper  les  gerbes  nouvelles, 
La  faux  en  main  et  les  bras  nus. 

0  gué  !  0  gué  ! 
0  gué!  la  marjolaine!  etc.. 


—  38  — 

Qu'on  mette  à  la  grosse  charrette 
Les  deux  bœufs  roux  en  limoniers, 
Les  gerbes  qui  courbent  la  tête 
Seront  ce  soir  dans  nos  greniers. 

Hé  Ion,  Ion  là! 

Dans  la  prairie, 
Si  le  soleil  chauffe  trop  fort. 
Qu'on  n'ait  pas  peur  de  la  pépie, 
La  gourde  est  pleine  jusqu'au  bord! 

0  gué  !  0  gué  ! 
0  gué!  la  marjolaine!  etc.. 

On  fauche  et  la  caille  babille 
Les  premiers  mots  de  son  réveil, 
La  gerbe  tombe  et  la  faux  brille 
Gomme  un  miroir  en  plein  soleil. 

Hé  Ion,  Ion  là! 

Les  moissonneuses 
Portent  les  gerbes  en  chantant, 
Le  bon  fermier  donne  aux  glaneuses 
Et  les  bœufs  tirent  en  soufflant  ! 

0  gué!  0  gué! 
0  gué!  la  marjolaine!  etc.. 

Holà!  des  bras  et  coupons  ferme! 

Lions,  fauchons  jusqu'à  la  nuit. 
Ce  soir  en  rentrant  à  la  ferme 
Je  promets  de  saigner  un  muid. 
Hé  Ion,  Ion  la! 


—  39  — 

Ouvrons  les  granges 
Pour  entasser  les  blés  nouveaux, 
Et  dès  demain,  jusqu'aux  vendanges, 
Nous  ferons  siffler  les  fléaux. 

0  gué  !  0  gué  ! 
0  gué!  la  marjolaine!  etc.. 

Votre  journée  est  bien  remplie, 
Mais,  halte-là,  les  travailleurs; 
Avant  de  quitter  la  prairie. 
Moissonnons  chacun  dans  nos  cœurs. 

Hé  Ion,  Ion  là! 

Tous  à  la  ronde. 
Les  bras  nus  et  la  faux  en  main, 
Saluons  la  terre  féconde, 
La  nourrice  du  genre  humain  ! 

0  gué  !  0  gué  ! 
0  gué!  la  marjolaine! 

C'est  la  chanson 
Des  enfants  de  la  plaine. 

0  gué  !  0  gué  ! 
0  gué!  la  marjolaine! 

C'est  la  chanson 

De  la  moisson! 

Ermont,  1865. 


Musioue  de  Paul  Hcnrion.  —   Éditeur  :  M.  A.  Leduc,  3,  rue   do 
Graramont,  Paris. 


40  — 


L'ABSTINENCE 


A  Pacra. 

L'abstinence  est,  ma  chère  enfant, 

La  sœur  de  la  philosophie. . . 
Il  faut  savoir,  quand  on  n'a  pas  d'argent. 
Rester  à  jeun  sans  maudire  la  vie. 

Aimer  un  Dieu  puissant  et  bon 
Et  se  nourrir  d'une  sainte  croyance... 
Vite,  Margot,  servez-moi  le  bouillon, 

Ce  soir,  je  prêche  l'abstinence. 

Il  faut  se  contenter  de  peu, 

Se  montrer  humble  autant  qu'austère. 
Un  peu  de  pain  béni  par  le  bon  Dieu 
Suffit  au  corps  et  tient  lame  légère... 

L'estomac  est  ce  qu'on  le  fait  : 
Or,  trop  manger  charge  la  conscience... 
Allons,  Margot,  servez-moi  le  poulet, 

Ce  soir,  je  prêche  l'abstinence. 

La  vigne  est  un  bien  superflu 
Que  le  bon  Dieu  permit  à  l'homme. 


—  4i   — 

Mais  un  peu  d'eau  suffit  à  la  vertu 
Gomme  au  péché  n'a  suffi  qu'une  pomme... 

Or,  le  vin  troublant  nos  cerveaux 
Est  le  poison  de  notre  intelligence... 
Allons,  Margot,  mon  flacon  de  Bordeaux, 

Ce  soir,  je  prêche  l'abstinence. 

Le  bon  Dieu  permet  quelquefois 

Le  pain,  le  vin  à  notre  table... 
Mais  il  défend  les  beaux  fruits  que  je  vois 
Et  qu'on  ajoute  à  trop  de  confortable... 

Ce  luxe-là  corrompt  et  perd 
Tout  ce  qu'en  Dieu  nous  avons  de  croyance. 
Allons,  Margot,  servez-moi  le  dessert, 

Ce  soir,  je  prêche  l'abstinence. 

Or,  on  n'est  pas  bien  vertueux 

Quand  on  a  tout  ce  qui  peut  plaire... 
Car  pour  gagner  le  royaume  des  cieux 
Il  faut  un  droit  qu'on  achète  sur  terre... 

Donc,  l'homme,  avec  humilité, 
Pour  y  monter,  doit  faire  pénitence... 
Allons,  Margot,  une  tasse  de  thé, 

Ce  soir,  je  prêche  l'abstinence. 

Il  faut  savoir  borner  ses  vœux... 

Si  le  bon  Dieu  permet  qu'on  aime, 
Il  ne  dit  pas  d'être  voluptueux... 
Car  les  amours  ont  aussi  leur  carême. 

Pourtant,  sans  le  rendre  jaloux, 
On  peut  parfois  s'aimer  avec  prudence... 


—  42  — 

Allons,  Margot,  venez  sur  mes  genoux, 
Ce  soir,  je  prêche  l'abstinence. 

Paris,  1866. 
Musique  de  A.  Ollivier. —  Editeur:  M.  Gauvin,  place  Valois,  6,  Paris. 


Comme  beaucoup  d'autres,  cette  chanson  eut  maille  à  partir  avec 
la  censure. 

Les  puritains  de  l'empire  ne  permettaient  pas  qu'on  mît  en  scène 
un  curé  un  peu  trop  friand  dos  choses  de  la  terre. 

Cependant,  il  n'en  manque  pas. 

Après  bien  des  refus,  l'éditeur  finit  par  obtenir  le  visa  de  cette 
chanson  en  changeant  le  titre  de  l'Abstinence  par  celui  de  Mon 
grand'pére  et  sa  bonne. 

La  religion  était  sauvée  !... 

A  m  en  ! 


—  43    - 


DANSONS    LA    CAPUCINE 


VIEILLE    CHANSON 


A  ma  gyaiid'nicre  Charlotte. 
I 

Dansons  la  capucine  ! 
Le  pain  manque  chez  nous. 
Le  curé  fait  grasse  cuisine, 
Mais  il  mange  sans  vous. 
Dansons  la  capucine  ! 
Et  gare  au  loup, 
You!... 

Dansons  la  capucine! 
Le  vin  manque  chez  nous. 
Les  gros  fermiers  boivent  chopine, 
Mais  ils  trinquent  sans  vous. 
Dansons  la  capucine! 
Et  gare  au  loup. 
You!... 

Dansons  la  capucine  ! 

Le  bois  manque  chez  nous. 


_  44  — 

Il  en  pousse  dans  Ja  ravine, 
On  le  brûle  sans  vous. 
Dansons  la  capucine! 
Et  gare  au  loup, 
You!... 


II 


Dansons  la  capucine! 
L'argent  manque  chez  nous  ! 
L'empereur  en  a  dans  sa  mine, 
Mais  ça  n'est  pas  pour  vous. 
Dansons  la  capucine! 
Et  gare  au  loup, 
You!... 

Dansons  la  capucine  ! 
L'esprit  manque  chez  nous. 
L'instruction  en  est  la  mine, 
Mais  ça  n'est  pas  pour  vous 
Dansons  la  capucine! 
Et  gare  au  loup, 
You!... 

Dansons  la  capucine! 
L'amour  manque  chez  nous. 
La  pauvreté  qui  lassassine 
L'a  chassé  de  chez  vous. 
Dansons  la  capucine  ! 
Et  gare  au  loup, 
You!... 


—  45  — 


III 


Dansons  la  capucine! 
La  tristesse  est  chez  nous. 
Dame  Misère  est  sa  voisine 
Et  vous  en  aurez  tous. 
Dansons  la  capucine! 
Et  gare  au  loup, 
Youl... 

Dansons  la  capucine! 
La  misère  est  chez  nous. 
Dame  Colère  est  sa  voisine, 
Et  vous  en  aurez  tous. 
Dansons  la  capucine! 
Et  gare  au  loup, 
You!... 

Dansons  la  capucine! 
La  colère  est  chez  nous. 
Dame  Vengeance  est  sa  voisine, 
Courez  et  vengez-vous  ! 
Dansons  la  capucine! 
Et  gare  au  loup, 
You!... 

Ile  du  Moulin-Joly,  1866. 

Musique   de  Marcel  Legay.  —  Editeur  :  M.  Bassereau,    240,  rue 
Saint-Martin,  Paris. 

Bien  que  ma  grand'mèro  soit  morte  depuis  bien  des  années,  je 
pense  souvent  à  elle  et  je  crois  encore  l'entendre  me  raconter  ses 
vieilles  histoires. 


—  46  — 

Son  bon  cœur  et  son  esprit  naturel  lavaient  fait  aimer  de  tous 
ceux  qui  fréquentaient  l'île  Saint-Ouen  ou  l'île  du  moulin  de 
Cage,  comme  on  rappelait  alors  qu'elle  avait  ses  grands  arbres,  sa 
ferme  et  cette  superbe  avenue  qui  conduisait  du  bac  au  moulin. 

Que  d'hommes  illustres  aujourd'hui  dans  les  arts  et  dans  la  litté- 
rature se  sont  rencontrés  là,  griffonnant  ou  crayonnant  leurs  pre- 
mières œuvres,  aj-ant  alors  plus  d'espérances  en  tète  que  d'ar- 
gent en  poche. 

Ils  aimaient  tous  cette  mère  Charlotte  qui  les  recevaient  à  bras 
ouverts,  ayant  toujours  un  mot  pour  rire  et,  ce  qui  n'était  pas  à 
dédaigner,  une  bonne  omelette  au  lard,  un  pichet  de  vin,  du  lait 
au  service  de  ceux  qui  avaient...  par  hasard...  oublié  chez  eux 
leur  porte-monnaie...  vide. 

Ah  !  que  j'étais  heureux  quand,  à  force  de  supplications,  elle 
obtenait  de  ma  mère,  qui,  elle,  n'avait  pas  souvent  le  mot  pour  rire, 
de  m'emmener  passer  doux  ou  trois  jours  dans  son  île  ! 

Le  soir,  après  m'avoir  conté  quelques  histoires,  pour  m'endormir, 
elle  rao  faisait  sauter  sur  ses  genoux  en  me  chantant  la  Capucine. 

11  paraît  que  je  riais  comme  un  bienheureux  et  que  je  criais  : 
Encore!  comme  un  petit  enragé. 

Grand  garçon,  j'ai  souvent  fredonné  la  chanson  de  ma  grand'- 
mère  Charlotte,  et  depuis  je  l'ai  entendu  chanter  bien  des  fois  par 
de  pauvres  petits  enfants  à  peine  vêtus  et  mal  nourris,  qui,  eux 
aussi,  riaient  en  dansant  en  rond. 

J'ai  voulu  rajeunir  cotte  rengaine  pour  que  les  braves  gens  qui 
ont  souci  de  l'avenir  l'apprennent  à  leurs  enfants. 

Ils  sauront,  au  moins,  en  grandissant,  la  cause  de  leur  misère  et 
peut-être  essaieront-ils  d'y  remédier. 


—  47  -- 


CONNAIS-TU  L'AMOUR 


A  Marie  Paulin. 

Pâle  voyageur  connais-tu  l'amour? 
Comme  tout  le  monde,  en  rêvant,  un  jour. 
Je  l'ai  rencontré  fleuri  d'espérances, 
Et  j'ai  pris  ma  place  avec  les  élus... 
J'avais  dans  le  cœur  toutes  les  croyances. 
Il  m'en  a  tant  pris,  que  je  n'en  ai  plus. 

Belle  aux  cheveux  d'or  connais-tu  l'amour?... 
Comme  tout  le  monde,  en  rêvant,  un  jour, 
Il  a  dit  mon  nom  avec  tant  de  charmes 
Que  j'ai  cru  tenir  l'éternel  bonheur.... 
Hélas!  J'ai  depuis  versé  tant  de  larmes 
Que  c'est  par  les  yeux  qu'est  parti  mon  cœur. 

Si,  pauvre  Mignon,  tu  connais  l'amour, 
Fais-le  moi  connaître  en  rêvant  un  jour. 
Selon-moi,  vois-tu,  c'est  l'indifférence 
Qui  blesse  le  cœur  et  le  fait  souffrir. 
Eh  bien,  si  l'amour  est  une  souffrance, 
Donne-m'en,  Mignon,  dussé-je  en  mourir. 

Paris-Montmartre,  1866. 
Musique  de  Renard.— M.  Bassereau,  éditeur,  240,  rue  S'-Martin,  Paris. 


—  48 


QUE    DE   PEINE   ET   MOURIR 


Au  citoyen  Alavoine. 

On  s'associe  une  compagne, 
On  s'établit  aux  quatre  vents, 
On  travaille  pendant  trente  ans, 
On  case  après  ses  enfants 
Et  l'on  va  vivre  à  la  campagne... 
Mon  dieu!  Mon  dieu!  que  de  peine  et  mourir! 
Ne  vivons-nous  que  pour  souffrir? 

On  s'abandonne  à  la  paresse, 
On  se  costume  en  bon  bourgeois, 
On  songe  aux  amis  d'autrefois, 
On  les  héberge  un  jour  par  mois, 
On  mange,  on  dort  et  l'on  engraisse... 
Mon  dieu  !  Mon  dieu  !  que  de  peine  et  mourir  ! 
Ne  vivons-nous  que  pour  souffrir? 

On  se  promène  et  l'on  voisine 
Du  gros  adjoint  chez  le  fermier, 
Du  vieux  garde  chez  le  meunier, 
Du  presbytère  au  bénitier, 
Et  de  la  cave  à  la  cuisine... 
Mon  dieu  !  Mon  dieu  !  Que  de  peine  et  mourir  1 
Ne  vivons-nous  que  pour  souffrir? 


—  49  — 

On  se  réunit  sous  la  treille 
Que  l'on  transforme  en  Monaco, 
On  fait  sauter  le  domino, 
Le  roi  de  cœur  et  le  loto, 
Et  l'on  perd  chacun  sa  bouteille... 
Mon  dieu  !  Mon  dieu!  Que  de  peine  et  mourir! 
Ne  vivons-nous  que  pour  soulîrir  ? 

On  se  met  trois  et  l'on  s'abonne 
Au  journal  du  département; 
On  doit  surveiller  constamment 
Les  fruits,  les  fleurs,  le  bâtiment. 
Les  chiens,  les  chats,  jusqu'à  la  bonne!... 
Mon  dieu!  Mon  dieu!  Que  de  peine  et  mourir! 
Ne  vivons-nous  que  pour  soufTrir? 

Sur  la  berge  on  pince  une  fièvre. 
On  casse,  on  perd  mille  hameçons 
Pour  attraper  quelques  poissons  ; 
On  bat  trois  jours  les  environs 
Pour  tuer  un  malheureux  lièvre  !... 
Mon  dieu!  Mon  dieu!  Que  de  peine  et  mourir! 
Ne  vivons-nous  que  pour  soufTrir? 

On  jase  de  ferme  et  de  terre, 
On  hurle  enfin  avec  les  loups  ; 
Les  croquants  sont  reçus  chez  nous, 
On  les  emplit  comme  des  trous 
Dans  l'espoir  d'être  nommé  maire.... 
Mon  dieu!  Mon  dieu  !  Que  de  peine  et  mourir  ! 
Ne  vivons-nous  que  pour  soufTrir? 


—  oO  — 

On  fait  aux  pauvres  une  rente, 
On  crée  un  pays  dans  les  bois  ; 
Un  jour,  on  exhibe  ses  droits, 
Et  l'on  arrive,  avec  la  croix, 
A  peser  dans  les  deux  cent  trente  ! 
Mon  dieu!  Mon  dieu  !  Que  de  peine  et  mourir! 
Ne  vivons-nous  que  pour  souffrir? 

Paris-Montmartre,  1866. 


Musique  do  V.  Parizot. — Éditeur  :  M,  Gérard,  2,  rue  Scribe,  Paris. 


—  SI  — 


LÀ  MEUNIÈRE  ET  LE  MEUNIER 


A  inadeinoiselle  Marie  Bosc. 

Sous  ce  chaume  aux  grands  volets  verts, 
Où  grimpe  une  vigne  fleurie, 
L'oiseau,  quand  la  mousse  est  jaunie, 
S"y  cache  à  l'abri  des  hivers  : 
Aussi,  dans  leur  langue  sonore, 
De  la  vigne  aux  nids  du  sentier, 
Ses  petits  chantent  dès  l'aurore 
Pour  la  meunière  et  le  meunier. 

Collin,  riche  de  ses  vingt  ans, 

La  joue  encore  enfarinée, 

Presse  sur  sa  lèvre  rosée, 

Jeanne  fraîche  comme  un  printemps  : 

Chez  eux  l'amour  fête  en  caresse 

Tous  les  saints  du  calendrier. 

Ces  papillons  de  la  jeunesse 

C'est  la  meunière  et  le  meunier. 

Le  soir,  si  par  le  grand  buisson 
Le  bruit  d'un  tendre  caquetage 
S'échappe  au  milieu  du  feuillage 
Gomme  une  amoureuse  chanson. 
Le  garde  chasse  qui  les  guette 
Et  n'entend  plus  le  braconnier, 


—  52  — 

Vous  dira  que  c'est  la  cachette 
De  la  meunière  et  du  meunier. 

Médor  joue  et  poursuit  Martin, 
Les  pigeons  lissent  leur  plumage 
Et  les  moineaux  du  voisinage 
Glanent  sur  le  pont  du  moulin; 
Les  gaulois  redressent  leurs  crêtes, 
Les  poules  pondent  au  grenier, 
C'est  que  tout  s'aime  jusqu'aux  bêtes, 
Chez  la  meunière  et  le  meunier. 

L'amour  qui  fait  croire  au  bonheur 
Rend  généreux  ceux  qu'il  protège  ; 
Quand  vient  décembre  et  que  la  neige 
Couvre  le  toit  du  laboureur, 
Dans  la  chaumière  et  dans  l'étable. 
Avec  la  couche  et  le  foyer, 
Les  pauvres  sont  servis  à  table 
Par  la  meunière  et  le  meunier. 

Que  l'on  soit  riche  ou  malheureux, 
Dans  les  hameaux  du  voisinage. 
Quand  on  célèbre  un  mariage 
On  vient  gaiement  trinquer  chez  eux; 
Pour  que  la  fête  soit  complète, 
Quittant  le  chaume  hospitalier, 
Les  époux  font  marcher  en  tête 
Et  la  meunière  et  le  meunier. 

Villcnouve-Saint-Georges,  1864. 
Musique  de  P.  Henrion. —  Éditeur  :  M.  Leduc,  3,  rue  de  GrammoQt. 


53  — 


MONSIEUR  GROSBONNET 


A  MM.  les  Députés  présents  et  futurs. 

Depuis  trente  ans  je  suis  apothicaire, 
Et  fort  goûté,  j'en  suis  certain. 
Je  suis  deux  fois  propriétaire, 
De  plus  ferré  sur  la  grammaire  : 
Je  sais  le  grec  et  le  latin. 
Je  suis  d'une  adresse  incroyable  ! 

Ainsi,  chez  moi,  je  fais  le  menuisier, 
Le  fumiste,  le  tapissier, 
Le  cordon  bleu,  le  sommellier. 

Je  verse  à  boire  et  je  découpe  à  table!... 
Or,  je  crois  que,  sans  vanité, 
Je  ferais  un  bon  député  !... 

Je  suis  d'un  goût  purement  artistique. 

Je  touche  un  peu  l'accordéon... 

J'ai  plus  d'un  titre  honorifique  : 

Je  suis  du  Club  philharmonique 

Et  du  Cercle  de  l'Orphéon. 

Je  dessine  avec  élégance, 
En  un  clin  d'œil  je  vous  trousse  un  portrait; 

Je  hasarde  le  fm  couplet 

Et  je  pousse  avec  un  fausset 
L'air  de  la  Juwe  et  la  douce  romance... 


Or,  je  crois  que,  sans  vanité. 
Je  puis  bien  être  député!... 

Ma  voix  est  forte,  et  j'ai  le  mot  facile; 
Je  parlerais  pendant  deux  jours! 
Je  suis  du  conseil,  et  la  Ville, 
Qui  me  doit  plus  d'une  œuvre  utile, 
N'a  pas  oublié  mes  discours... 
J'ai  fait  percer  deux  ou  trois  rues 

Et  caillouter  deux  chemins  vicinaux. 
J'ai  fait  un  égout  pour  les  eaux. 
J'ai  déjà  fondé  deux  journaux 

Et  trouvé  l'art  de  guérir  les  verrues  !... 
Or,  je  crois  que,  sans  vanité, 
Je  ferais  un  bon  député  ! 

Je  prouverai  que  je  suis  un  légiste, 

Et  que  je  tiens  de  bonne  part 

Que  le  maire  est  légitimiste, 

Que  l'adjoint  est  socialiste, 

Et  que  la  ville  est  en  retard  ! 

Que  nous  faut-il?...  L'intelligence!... 
Que  voulons-nous  ?...  La  marche  du  progrès  ! 

Du  confortable  à  peu  de  frais  !... 

Et  j'ai  dix  volumes  tout  prêts, 
Source  profonde  où  doit  puiser  la  France  !... 

Décidément,  c'est  arrêté, 

Il  faut  que  je  sois  député  ! 

Aucun  danger  n'abattra  mon  courage; 
Ce  que  je  veux,  c'est  votre  bien  ! 


—  55  — 

Accordez-moi  votre  suffrage, 

Je  vous  assure  de  l'ouvrage 

Et  des  médicaments  pour  rien. 

Fouillez  et  retournez  ma  vie  : 
Depuis  trente  ans  que  j'adoucis  vos  maux, 

Que  je  soigne  vos  animaux, 

Ne  suis-je  pas  digne,  en  deux  mots, 
De  prendre  une  place  au  banc  de  la  patrie  ?. 

Décidément,  c'est  arrêté, 

Je  serai  nommé  député. 

Paris,  1867. 


Musique  do  Marcel  Legay.  —  Editeur  :  M.  Basscroau,  240,  rue 
Saint-Martin,  Paris. 


—  56  — 


LA  PAUVRE  GO&O 


A  snadamc  Camille  Bias. 

Avec  ton  enfant  sur  le  clos, 
Sans  coiffe  et  sans  sabots, 
Où  t'en  vas-tu,  pauvre  Gogo? 

Bien  triste  et  bien  abandonnée, 
Gomme  la  feuille  à  1  "automnée, 
Je  m'en  vais  tout  droit  devant  moi. 
Ne  me  demandez  pas  pourquoi  : 
Quand  un  lourd  chagrin  vous  déchire, 
Ça  fait  trop  mal  à  le  redire. 

Avec  ton  enfant  sur  le  dos, 
Sans  coiffe  et  sans  sabots. 
Où  t'en  vas-tu,  pauvre  Gogo? 

Le  cœur  tout  froid,  je  suis  ma  route, 

Et  trouverai,  coûte  que  coûte, 

Ce  que  je  veux  pour  en  finir. 

Mais  laissez  mon  marmot  dormir, 

Il  faut  qu'il  ignore  la  chose, 

Car  le  pauvret  n'en  est  pas  cause. 


—  57  — 

Avec  ton  enfant  sur  le  dos,  i 

Sans  coiffe  et  sans  sabots, 
Où  t'en  vas-tu,  pauvre  Gogo? 

J'ai  mes  peines  et  vous  les  vôtres. 
Pourquoi  chercher  celles  des  autres 
Quand  on  n'y  peut  porter  secours?... 
Moi,  je  m'en  vais  voir  pour  toujours 
Si  les  poissons  dans  la  rivière 
Sont  plus  heureux  que  nous  sur  terre  ! 

Champigny,  1866. 


Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


o8 


MA&LOIRE 


An  citoyen  Choulier. 

Magloire 
Aimait  à  boire. 
Mais  du  raisin, 
Puisque  l'on  fait  du  vin, 
C'est  pour  le  boire  ; 
Donc  il  n'avait  pas  tort. 
Magioire 
Est  mort  ! 
Buvons  à  sa  mémoire. 

Avec  le  vin  il  naquit  en  automne, 
Au  milieu  d'un  refrain^  un  soir, 
Qu'on  dansait  autour  du  pressoir, 

Et  du  vin  doux  qui  chantait  dans  la  tonne, 
De  sa  coque  à  peine  échappé. 
Dans  le  pressoir  il  fut  trempé. 

Magioire 
Aimait  à  boire,  etc.. 

Enfant  précoce,  avec  une  fillette 
On  le  trouva  dans  le  srrenier. 


—  59  — 

On  l'enferma  dans  le  cellier 
Et  dans  la  nuit  il  but  une  feuillette. 
Au  jour,  quand  on  vint  le  chercher, 
Il  s'en  alla  sans  trébucher. 

Magioire 
Aimait  à  boire,  etc.. 

Quand  le  dimanche  il  chantait  à  l'office 

Les  vitres  tremblaient  à  sa  voix; 

Comme  il  fut  pris  plus  d'une  fois 
A  baptiser  le  vin  blanc  du  calice, 

Le  curé  qui  n'aimait  pas  l'eau, 

Le  fit  rosser  par  son  bedeau. 

Magioire 
Aimait  à  boire,  etc.. 

Seul  héritier  quand  il  perdit  son  père, 

Il  vendit  bois,  maisons,  chevaux, 

Pour  acheter  sur  les  coteaux. 
Au  beau  soleil,  quelques  perches  de  terre. 

Il  fit  serment,  le  verre  en  main. 

De  ne  récolter  que  du  vin. 

Magioire 
Aimait  à  boire,  etc.. 

Il  fit  un  trou  qu'il  recouvrit  de  paille. 
Pour  mettre  à  l'abri  ses  outils. 
Ses  grands  pressoirs,  ses  fûts,  ses  muids, 


—  60  — 

Et  fit  sa  couche  à  même  une  futaille. 
Quand  Magloire  était  amoureux, 
On  n'en  était  que  mieux  à  deux. 

Magloire 
Aimait  à  boire,  etc.. 

Son  cousin  Jean  pendant  toute  l'année 
Lui  donnait  du  pain  et  du  bois  ; 
Magloire  fournissait  par  mois 

De  quoi  griser  toute  la  maisonnée. 
Jean  l'aidait  à  boire  son  vin 
Et  Magloire  à  manger  son  grain. 

Magloire! 
Aimait  à  boire,  etc.. 

Il  fit  l'amour  à  toutes  les  fillettes, 

Il  aima  Javotte  dix  ans . 

Avec  Jeanne  il  eut  douze  enfants, 
Tous  élevés  au  lait  de  ses  feuillettes. 

C'est  toujours  quand  on  vendangeait 

Que  la  mère  Jeanne  accouchait. 

Magloire 
Aimait  à  boire,  etc.. 

Un  soir  d'hiver,  il  fit  appeler  Jeanne 
Et  lui  montra  deux  testaments  : 
Ses  biens  furent  pour  ses  enfants, 

Jean  eut  son  vin  et  Jeanne  sa  cabane. 


—  61  — 

A  cent  vingt  ans  il  expira, 
Dans  sa  futaille  on  l'enterra. 

Magloire 
Aimait  à  boire. 
Mais  du  raisin, 
Puisque  l'on  fait  du  vin, 
C'est  pour  le  boire; 
Donc  il  n'avait  pas  tort. 
Magloire 
Est  mort! 
Buvons  à  sa  mémoire. 

Auxerre,  1864. 


Musique  de  Darder.  —  Éditeur  :  M.  Vieillot,  32,  rue  Notre-Dame- 
de-Nazareth,  Paris. 


2. 


—  62  — 


LE  BONHEUR 


A  mademoiselle  Rose  Piconel. 

Hélas!  le  bonheur, 
Est-ce  la  chanson  que  chante  une  belle 
Et  qui  vient  tout  droit  mourir  dans  un  cœur? 

Alors  le  bonheur 

N'est  pas  bien  fidèle. 

Hélas  !  le  bonheur. 
Aux  jours  de  gaîté  tient-il  dans  le  verre 
Que  vide  en  chantant  le  pauvre  buveur? 

Alors  le  bonheur 

N'est  pas  bien  sincère. 

Hélas  !  le  bonheur, 
Est-ce  des  bijoux,  de  fines  dentelles, 
Est-ce  des  rubans  et  des  croix  d'honneur? 

Alors  le  bonheur 

N'est  que  bagatelles. 

Hélas  !  le  bonheur, 
Comme  le  bon  vin,  se  met-il  en  cave 
Dans  les  sacs  de  cuir  d'un  vieil  exploiteur? 

Alors  le  bonheur 

N'est  qu'un  vil  esclave. 


—  63    - 

Hélas!  le  bonheur, 
Est-ce  le  babil  d'un  enfant  aimable 
A  l'âge  innocent  de  la  vie  en  fleur  ? 

Alors  le  bonheur 

N'est  pas  bien  durable. 

Hélas!  le  bonheur 
Que  nous  cherchons  tousautantquenous  sommes, 
Est-ce  les  lauriers  qu'on  jette  au  vainqueur? 
Alors  le  bonheur 
N'est  qu'un  tueur  d'hommes  ! 

Hélas  !  le  bonheur, 
Est-ce  les  bois  verts  et  la  plaine  blonde, 
Le  ciel  étoile,  les  lilas  en  fleur? 

Alors  le  bonheur 

Est  atout  le  monde. 

Hélas!  le  bonheur, 
Est-ce  une  famille  ou  grande  ou  petite 
Et  des  cheveux  blancs  qui  nous  font  honneur? 
Alors  le  bonheur 
Vient  quand  on  se  quitte. 

Hélas!  le  bonheur 
Se  trouve  en  détail  semé  dans  la  vie  ; 
Ce  qui  plaît  à  l'un,  à  l'autre  fait  peur. 

Je  crois  le  bonheur 

Une  fantaisie. 

Paris-Montmartre,  1865. 

Musique  de  Marcel  Legay.  —  Éditeur:  M.  Bassereau,    240,  rue 
Saint-Martin,  Paris. 


—  64  — 


LE    VRAI    NOËL 


A  Edouard  KUinmann. 

Le  pauvre  espère 
Voilà  bientôt  dix-neuf  cents  ans, 
Mais  rien  n'est  changé,  mes  enfants  : 
La  terre 

N'est  que  misère; 
Et  si  vous  ne  montrez  les  dents, 
Vous  attendrez  encor  longtemps  ! 

D'après  les  rengaines  du  monde^ 
Des  hommes  noirs  et  des  savants 
Qui  parlent  de  mille  et  mille  ans 
Tout  comme  nous  d'une  seconde. 
Le  petit  Noël  est  venu 
Par  une  nuit  de  fin  d'année, 
Avec  l'hiver  et  sa  traînée, 
Gomme  vous  et  moi,  pauvre  et  nu. 

Le  pauvre  espère 
Voilà  bientôt  dix-neuf  cents  ans,  etc.. 

C'est,  disent-ils,  dans  une  étable. 
Presque  sous  les  pieds  d'un  ânon, 
Sans  langes  dorés  ni  grand  nom. 


—  65  — 

Tout  à  fait  comme  un  pauvre  diable. 
Mais  il  avait,  disent  les  vieux, 
Beaucoup  d'esprit,  bonne  figure. 
C'était,  ma  foi,  de  bon  augure 
Pour  la  bande  des  malheureux. 

Le  pauvre  espère 
Voilà  bientôt  dix-neuf  cents  ans,  etc. 

Pour  faire  croire  à  la  débâcle, 
On  dit  qu'il  fit  de  beaux  discours, 
Qu'il  guérit  des  fous  et  des  sourds 
Et  des  aveugles  par  miracle... 
Mais  que  ne  vient-il  de  nouveau, 
Ses  miracles  seraient  utiles  : 
N'avons-nous  pas  des  imbéciles 
Et  des  aveugles  au  boisseau! 

Le  pauvre  espère 
Voilà  bientôt  dix-neuf  cents  ans,  etc. 

On  donne  comme  histoires  vraies 
Que  d'une  eau  fade  il  fit  du  vin. 
Que  d'un  mot  il  faisait  du  pain 
Et  guérissait  les  vieilles  plaiôs... 
Je  crois  qu'il  ne  ferait  pas  mal 
De  commencer  son  tour  de  France, 
Car  nous  avons  maigre  pitance 
Et  l'on  meurt  ferme  à  l'hôpital. , 

Le  pauvre  espère 
Voilà  bientôt  dix-neuf  cents  ans,  etc.. 


—  66  — 

Bref,  il  venait  faire  une  ronde 
Par  ordre  écrit  de  l'éternel, 
Et  ne  devait  revoir  le  ciel 
Qu'après  avoir  sauvé  le  monde... 
Je  dis,  malgré  tous  les  Ave, 
Que  le  Noël  de  nos  oracles 
A  fermé  sa  boîte  à  miracles 
Sans  que  le  monde  soit  sauvé. 

Le  pauvre  espère 
Voilà  bientôt  dix-neuf  cents  ans,  etc.. 

Eh  bien  !  si  vous  voulez  en  croire 
Un  gueux  qui  connaît  son  métier, 
Je  dis  qu'un  bon  coup  de  collier 
Vaut  mieux  que  cette  vieille  histoire. 
Je  dis  qu'on  n'est  pas  sous  le  ciel 
Pour  passer  sa  vie  en  carêmes, 
Et  qu'il  faut  nous  sauver  nous-mêmes. 
Voilà,  mes  gars,  le  vrai  Noël  î 

Le  pauvre  espère 
Voilà  bientôt  dix-neuf  cents  ans, 
Mais  rien  n'est  changé,  mes  enfants  : 
La  terre 

N'est  que  misère; 
Et  si  vous  ne  montrez  les  dents, 
Vous  attendrez  encor  longtemps. 

Londres,  18T4. 
Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  67  — 


LÀ    CHANSON   DU   FOU 


Au  père  Piconel. 

Oiselet  sans  nid,  je  chante  à  tous  vents, 
Souvent 
Les  plus  fous  sont  les  plus  savants. 

'  Bedeaux  de  villages, 
Vieux  sacs  à  tous  grains  ; 
Filles  qu'on  dit  sages, 
Troupeau  de  catins; 
Conteurs  de  malices, 
N'en  font  que  bien  peu; 
Mangeurs  de  bon  dieu, 
Boîtes  à  tous  les  vices... 

C'est  des  vérités  pour  qui  les  voudra, 
Bien  plus  fou  que  moi  qui  s'en  fâchera  ! 
Eh  ioup! 

Laïra,  laou! 

Gare  au  loup  ! 

Oiselet  sans  nid,  je  chante  à  tous  vents, 
Souvent 
Les  plus  fous  sont  les  plus  savants. 


—  68  - 

Baisers  d'amourettes, 
Baisers  de  Judas  ; 
Sentiers  à  noisettes. 
Sentiers  à  faux  pas  ; 
Griffes  de  notaire, 
Griffes  d'émouchet  ; 
Prêt  sans  intérêt, 
Prêt  d'apotiiicaire... 

C'est  des  vérités  pour  qui  les  voudra, 
Bien  plus  fou  que  moi  qui  s'en  fâchera  ! 
Eh  ioup  ! 

Laïra,  laou  ! 

Gare  au  loup! 

Oiselet  sans  nid,  je  chante  à  tous  vents, 
Souvent 
Les  plus  fous  sont  les  plus  savants! 

....  Probité  d'avare, 
Sur  l'eau  nova  point; 
Fille  qui  s'égare 
Ne  se  perd  pas  loin  ; 
Crésus  qu'on  enterre 
Ne  fait  pas  pleurer  ; 
Lente  à  se  parer 
Femme  qui  veut  plaire. 

C'est  des  vérités  pour  qui  les  voudra, 
Bien  plus  fou  que  moi  qui  s'en  fâchera  ! 
Eh  ioup! 


—  69  — 

.Laïra,  laou! 
Gare  au  loup  ! 

Oiselet  sans  nid,  je  chante  à  tous  vents, 
Souvent 
Les  plus  fous  sont  les  plus  savants! 

Au  loup  les  histoires. 
L'église  et  les  cieux; 
Au  loup  les  grimoires, 
Le  monde  est  trop  vieux; 
Qu'on  me  trouve  bête. 
On  l'est  tous  un  peu  ; 
Mais  n'a  pas  qui  veut 
Ma  folie  en  tête. 

C'est  des  vérités  pour  qui  les  voudra, 
Bien  plus  fou  que  moi  qui  s'en  fâchera! 
Eh  ioup! 

Laïra,  laou! 

Gare  au  loup  ! 

Toucy-sur-Yonne,  1865. 


Musique  de  Darcier.  —  Editeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—  70  — 


DANSONS  LA  BONAPARTE 


Au  citoyeit  E.  Vivier. 

Les  gens  d'esprit  de  notre  époque 
Qui  lisent  loin  dans  l'avenir, 
Disent  que  l'empire  est  en  loque 
Et  qu'on  va  bientôt  en  finir. 
C'est  une  douce  prophétie  ! 
Faut-il  en  croire  les  savants? 
Car  la  France  a  la  maladie 
De  tournoyer  à  tous  les  vents. 

Dansons  la  Bonaparte  ! 
Ça  n'est  pas  nous  qui  régalons. 
Dansons  la  Bonaparte! 
Nous  mettrons  sur  la  carte 
Les  violons! 

On  dit  l'empire  à  bout  de  forces. 
Que  la  poule  a  couvé  son  œuf, 
Que  le  règne  de  tous  les  Corses 
Doit  finir  en  soixante-neuf... 
Ah  !  puissions-nous  revoir  en  France 
Les  jours  heureux  que  vous  rêvez! 
Au  signal  de  la  délivrance 
Nous  ferons  sauter  les  pavés  ! 

Dansons  la  Bonaparte!  etc.. 


—  71   — 

Après  tout,  ça  pourrait  bien  être. 
Le  vieux  Paris  est  tout  grognon. 
On  est  las  de  ce  méchant  maître 
Qui  nous  mène  à  coups  de  canon. 
Franchement  c'était  bien  la  peine 
De  brûler  tant  de  lampions, 
Et  de  traîner  la  chair  humaine 
Parmi  trois  révolutions  ! 

Dansons  la  Bonaparte!  etc.. 

Le  pain  est  cher,  l'argent  est  rare, 
Haussmann  fait  hausser  les  loyers. 
Le  gouvernement  est  avare, 
Seuls,  les  mouchards  sont  bien  payés. 
Fatigués  de  ce  long  carême 
Qui  pèse  sur  les  pauvres  gens, 
Il  se  pourrait  bien  tout  de  même 
Que  nous  prenions  le  mors  aux  dents. 

Dansons  la  Bonaparte!  etc.. 

Oui,  mais  la  danse  sera  chaude. 
On  criblera  plus  d'un  drapeau  ; 
Car  les  parvenus  de  la  fraude 
Ne  donnent  pas  ainsi  leur  peau. 
Oui,  mais  la  danse  sera  bonne, 
Car  dans  les  temps,  si  l'on  cherchait. 
On  verrait  bien  qu'une  couronne 
N'est  pour  le  peuple  qu'un  hochet! 

Dansons  la  Bonaparte!  etc.. 


—  72  — 

Oui,  mais  la  France  qu'on  délabre 
Se  réveille  au  bruit  des  tambours  ! 
Etouffons  le  règne  du  sabre 
Sous  les  pavés  de  nos  faubourgs  ! 
Plus  de  corses  ni  de  farouches 
Qui  veulent  nous  martyriser  : 
Invitons  nos  bonnes  cartouches, 
Le  quadrille  va  commencer  ! 

-    Dansons  la  Bonaparte  ! 
Ça  n'est  pas  nous  qui  régalons. 

Dansons  la  Bonaparte  ' 
Nous  mettrons  sur  la  carte 
Les  violons  ! 

Paris-Montmartre,  1867  . 


Cette  chanson  n'a  pas  été  éditée. 


—  73 


LÀ  MACHINE 


Aux  filles  dti  peuple. 

Je  viens  de  m'éveiller 
Et  je  suis  déjà  fatiguée. 
Ce  matin,  la  nature  est  gaie. 
Mais  il  faut  aller  travailler, 
Et  douze  heures,  sans  sourciller, 
Le  dos  courbé  sur  la  machine... 
Oh  !  que  j'ai  mal  dans  la  poitrine  ! 

Me  voici  dans  mon  coin, 
Je  manque  d'air,  j'y  vois  à  peine. 
Dire  qu'il  fait  beau  dans  la  plaine  ! 
Ici,  le  soleil  n'entre  point. 
J'en  aurais  pourtant  bien  besoin 
Pour  m'égayer  à  la  machine... 
Oh  !  que  j'ai  mal  dans  la  poitrine  I 

On  sonne  le  dîner. 
Je  n'ai  pas  faim,  je  suis  trop  lasse. 
Voilà  deux  ans  que  rien  ne  passe. 
Et,  j'aurai  beau  me  tisanner, 
Ça  ne  fera  que  couviner 
A  chaque  tour  de  la  machine... 
Oh  !  que  j'ai  mal  dans  la  poitrine  ! 

3 


—  74  — 

C'est  beau  d'avoir  vingt  ans 
Quand  on  est  bien  folle  et  bien  fraîche  ! 
Moi,  dans  ce  coin,  je  me  dessèche. 
J'avais  des  couleurs  dans  le  temps. 
Elles  ont  pris  la  clef  des  champs, 
Elles  n'aimaient  pas  la  machine... 
Oh  !  que  j'ai  mal  dans  la  poitrine  ! 

Ah  !  je  n'y  vois  plus  clair. 
Mais  la  besogne  est  terminée. 
Comme  c'est  long  une  journée  ! 
Comme  le  pain  qu'on  gagne  est  cherl 
Vite,  courons  prendre  un  peu  d'air, 
Bien  loin,  bien  loin  de  la  machine... 
Oh  !  que  j'ai  mal  dans  la  poitrine  ! 

Que  doit-il  advenir 
De  cette  toux  qui  m'a  meurtrie? 
Ah  !  j'aimais  pourtant  bien  la  vie  ! 
Minuit,  je  ne  peux  pas  dormir. 
Ou,  si  je  dors,  c'est  pour  gémir 
Ou  pour  rêver  de  la  machine.... 
Oh  !  que  j'ai  mal  dans  la  poitrine  ! 

Londres,  1874, 
Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


Je  dédie  ces  six  couplets  aux  filles  du  peuple  entassées  pêle-mêle 
dans  CCS  grands  bagnes  industriels  où  elles  travaillent  du  matin 
au  soir  pour  un  salaire  qui  ne  leur  assure  même  pas  le  pain  quo- 
tidien. 


—  7»  — 

Des  milliers  de  pauvres  filles  succombent  tous  les  ans  à  cefte 
vie  de  galères. 

D'autres  viennent  prendre  leur  place  sans  s'inquiéter  du  sort 
qui  leur  est  réservé. 

Et  cependant  il  n'est  plus  besoin  d'écrire  en  grosses  lettres  sur 
la  porte  do  ces  bagnes  : 

ICI,  l'on  tue! 

On  le  sait. 

Mais  qu'importe!  Les  hauts  barons  de  la  féodalité  industrielle  et 
financière  n'ont  pas  le  temps  de  s'arrêter  à  ces  petites  misères.  Il 
faut  avant  tout  bâcler  des  affaires  et  amasser  des  millions. 

Quant  aux  forçats  du  travail,  il  leur  reste  l'hôpital,  le  trottoir  ou 
la  rivière. 

C'est  à  peu  près  le  seul  moyen  qu'ils  aient  de  rompre  leur  ban  ! 

Ah!  il  est  temps,  ce  me  semble,  que  nous  ayons  un  peu  plus  le 
sentiment  de  la  famille  et  que  le  peuple  comprenne  qu'il  ne  doit 
plus  faire  de  ses  enfants  de  la  chair  à  produire  pour  les  capitalistes 
et  de  la  chair  à  canon  pour  les  politiciens  ! 


—  76  — 


FOURNAISE 


A   Sarrus. 

Dès  l'aurore  il  quitte  son  lit, 
Comme  l'oiseau,  c'est  sa  coutume, 
Et  tous  les  jours  jusqu'à  la  nuit, 
Il  frappe  dur  sur  son  enclume  ; 
Il  a  les  bras  comme  du  fer, 
Il  a  du  feu  dans  son  haleine  ; 
Mais  ce  soir  tout  chante  dans  l'air, 
Fournaise  a  touché  sa  quinzaine. 

Ah! 
Gare  à  toi,  Madeleine, 
Tiens  bien  ton  bonnet 
Et  le  souper  prêt  ; 
Ton  homme,  Madeleine, 
Ton  homme  a  touché  sa  quinzaine. 

Quand  on  est  bien  franc  du  collier, 
Malheur!  il  fait  chaud  quand  on  forge! 
Fournaise  est  un  rude  ouvrier 
Et  ça  le  brûle  dans  la  gorge. 


—  11  — 

Au  cabaret  des  Bons  enfants 
Le  vin  fait  oublier  la  peine  : 
Il  invite  tous  les  passants, 
Quand  il  a  touché  sa  quinzaine. 

Ah;! 
Gare  à  toi,  Madeleine,  etc.. 

On  y  chante  bien  des  chansons, 
Avec  vingt  sous  on  fait  ripaille  ; 
Quand  on  ferme  et  que  les  garçons 
Éteignent  tout  pour  qu'on  s'en  aille 
Gomme  on  a  bien  bu,  bien  chanté. 
Quoique  solide  comme  un  chêne, 
Il  va  bien  un  peu  de  côté 
Quand  il  a  touché  sa  quinzaine. 

Ah! 
Gare  à  toi,  Madeleine,  etc.. 

Quand  il  n*a  bu  que  de  bon  vin, 
Gomme  sa  tête  est  plus  légère. 
Il  retrouve  bien  son  chemin, 
Pour  embrasser  sa  ménagère. 
Ça  coûte  cher  de  l'embrasser! 
De  marmots,  la  maison  est  pleine  : 
Il  les  forge  sans  y  penser 
Quand  il  a  touché  sa  quinzaine. 

Ah! 
Gare  à  toi,  Madeleine,  etc.. 


—  /»  — 


Mais  que  le  vin  ne  soit  pas  bon, 
Ou  qu'on  ait  causé  politique, 
Ou,  par  malheur,  que  le  garçon 
Ait  fermé  trop  tôt  la  boutique  : 
Jurant  après  les  maux  d'autrui 
Et  contre  l'injustice  humaine. 
Il  ne  faut  pas  rire  avec  lui 
Quand  il  a  touché  sa  quinzaine. 

Ahl 
Gare  à  toi,  Madeleine,  etc.. 

Quand  on  a  pioché  quinze  jours, 
On  peut  bien  flâner  le  seizième. 
Madeleine,  aimez-le  toujours, 
Aimez-le  bien,  car  il  vous  aime. 
Dam!  c'est  qu'un  rude  travailleur 
Ça  n'est  pas  une  mince  aubaine  : 
Il  a  payé  de  sa  sueur 
Quand  il  a  touché  sa  quinzaine. 

Ahl 
Gare  à  toi,  Madeleine! 
Tiens  bien  ton  bonnet 
Et  le  souper  prêt  ; 
Ton  homme,  Madeleine, 
Ton  homme  a  touché  sa  quinzaine. 

Paris-Montmartre,  1865. 

Musique  de  Darcier.  —  Éditeur  :  M.  Vieillot,  rue  Notre-Dame-de- 
Nazareth,  Paris. 


—  79  — 


VIEILLE  CHANSON 


A  l'ami  Dévé. 


Vous  avez  beau  faire, 
Riche  ou  malheureux 
Sous  six  pieds  de  terre 
Ne  valent  pas  mieux. 
Gare  au  vilain  riche 
Qui  de  son  vivant 
Cache  son  argent 
Et  s'en  montre  chiche. 

Car  il  est  avéré, 

Quand  la  mort  s'en  empare, 
Q'un  méchant  avare 
N'est  jamais  pleuré. 

Ma  grand'mère  Hélène, 

Morte  l'an  passé. 

Dans  son  bas  de  laine 

Ne  m'a  rien  laissé. 

Des  gens  du  village, 

Aidé  bien  souvent. 

J'ai  de  son  vivant 

Mangé  l'héritage. 
Le  cœur  tout  déchiré 
Je  l'ai  portée  en  terre. 

Et  depuis,  grand'mère, 

Combien  j'ai  pleuré  ! 


—  80  — 

Mon  oncle  Grégoire, 

Un  méchant  Crésus, 

Dans  sa  vieille  armoire 

Cachait  ses  écus. 

A  bouche  affamée 

Implorant  secours, 

Il  laissait  toujours 

Sa  porte  fermée. 
Du  trésor  désiré 
On  a  fait  le  partage, 

Malgré  l'héritage 

Je  n'ai  pas  pleuré. 

Laissons  la  fortune 

Rire  aux  intrigants, 

Et  garder  rancune 

Aux  cœurs  bienfaisants. 

Quand  du  grand  voyage 

On  saute  le  pas, 

Garon  n'aime  pas 

Qu'on  ait  un  bagage. 
Car  il  est  avéré. 
Qu'il  est  bien  préférable 

D'être  un  pauvre  diable 

Et  d'être  pleuré. 

Saint-Ouen,  1866. 
Editeur  :  M.   Labbé,  20,  rue  du  Croissant,  Paris. 


—  81  — 


MI&NON 


A  madame  Bonnet. 

II  est  une  fille  brune 
Que  j'aimais  bien  tendrement, 
Cet  amour  que  j'aimais  tant 
N'a  duré  qu'un  clair  de  lune. 
Elle  avait  un  joli  nom, 
Le  joli  nom 
Que  Mignon  ! 

J'ai  souvent  dans  la  vallée, 
Au  fond  des  sentiers  perdus, 
Baisé  ses  jolis  pieds  nus 
Tout  humides  de  rosée. 
Et  gravé  dans  un  buisson, 
Le  joli  nom 
De  Mignon  ! 

Un  matin  je  l'ai  revue 
Qui  s'en  revenait  du  bois, 
Mais  ça  n'était  plus  sa  voix, 
Ni  sa  tournure  ingénue. 
Elle  avait  bien  la  chanson 
Du  vilain  nom 
De  Ninon! 


—  82  — 

Aujourd'hui  la  fille  brune 
A  des  robes  de  velours, 
Elle  en  change  autant  de  jours 
Que  le  temps  change  de  lune... 
Mais  elle  n'a  plus  son  nom. 
Le  vilain  nom 
Que  Ninon! 

Paris-Montmartre,  1882. 


Musique  de  Marcel  Lcgay.   --  Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue 
Saint-Martin,  Paris. 


—  83  — 


LA  BANDE  A  RIQUIQUI 


Au  citoyett  Candelier. 

Bien  qu'on  nous  dise  en  République 
Qui  tient  encore  comme  autrefois 
La  finance  et  la  politique, 
Les  hauts  grades,  les  bons  emplois, 
Qui  s'enrichit  et  fait  ripaille, 
Qui  met  le  peuple  sur  la  paille... 

C'est  qui?... 
Toujours  la  bande  à  Riquiqui  ! 


Qui  fait  l'assaut  des  ministères 
Pour  s'engraisser  à  nos  dépens, 
Qui  joue  encore  aux  militaires 
Avec  la  peau  de  nos  enfants. 
Qui  ne  rêve  que  plaie  et  bosse 
Pourvu  qu'on  fasse  bien  la  noce... 

C'est  qui?... 
Toujours  la  bande  à  Riquiqui! 

Qui  conspire  avec  la  calotte 
Et  tous  les  mangeurs  de  bons  dieux 
Pour  faire  une  France  bigotte, 
Une  république  de  gueux, 


—  84  — 
Qui  vit  avec  la  sainte  clique 
Aux  crochets  de  la  République... 

C'est  qui?... 
Toujours  la  bande  à  Riquiqui! 

Qui  se  fait  pitre  et  saltimbanque 
Pour  décrocher  le  plus  de  voix, 
Qui  fait  du  prêt  et  de  la  banque 
Comme  Cartouche  au  coin  d'un  bois, 
Et  par  un  train  grande  vitesse 
Qui  file  un  jour  avec  la  caisse... 

C'est  qui?... 
Toujours  la  bande  à  Riquiqui! 

Qui  possède  toutes  les  mines, 
L'outillage  et  les  capitaux, 
Le  sol  fertile  et  les  usines, 
L'air,  le  soleil  et  les  châteaux. 
Et  qui  se  moque  à  panse  pleine 
Que  le  peuple  meure  à  la  peine... 

C'est  qui?... 
Toujours  la  bande  à  Riquiqui  ! 

Qui  dispose  encor  de  l'armée, 
Du  gendarme  et  de  l'argousin 
Pour  sabrer  la  plèbe  affamée 
Quand  elle  demande  du  pain  ; 
Qui  spécule  sur  les  misères. 
Sur  le  travail  et  les  salaires  !... 

C'est  qui?... 
Toujours  la  bande  à  Riquiqui! 


—  83  — 

Qui  rêve  des  guerres  lointaines, 

Guerres  de  spéculation, 

Alors  que  plane  sur  nos  plaines 

Le  spectre  de  l'invasion  ! 

Et  que  les  rois  font  alliance 

Pour  s^abattre  encor  sur  la  France. 

C'est  qui?... 
Toujours  la  bande  à  Riquiqui  ! 

Paris-Montmartre,  1884. 


Éditeur  ;  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  86  — 


EN   COUPANT  LES  FOINS 


A  Léon  Huet. 


Pour  clore  mon  rêve 
De  toute  la  nuit, 
Pour  sauter  du  lit 
Quand  elle  se  lève, 
Et  l'attendre  pour 
Lui  dire  bonjour... 
J'aime  la  clochette, 

Landerirette  ! 
J'aime  la  clochette, 

0  gué! 
La  vieille  clochette  ! 

Pour  rêver  à  l'ombre 
Et  couper  des  fleurs, 
Pour  prendre  à  nos  cœurs 
Des  baisers  sans  nombre  ; 
Pour  jaser  d'amour 
Pendant  tout  un  jour... 
J'aime  la  coudrette, 

Landerirette  ! 
J'aime  la  coudrette, 

0  guél 
La  fraîche  coudrette  ! 


—  87  — 
Pour  lire  en  soi-même 
De  tendres  aveux, 
Pour  combler  les  vœux 
De  celle  qu'on  aime  ; 
Pour  mettre  son  cœur 
Où  l'on  met  la  fleur... 
J'aime  la  fleurette, 

Landerirette  ! 
J'aime  la  fleurette, 

0  gué  1 
La  blanche  fleurette  ! 

Pour  couper  aux  branches 
Les  plus  hauts  lilas, 
Sentir  dans  mes  bras 
Frissonner  ses  hanches; 
Pour  être  en  émoi 
Sans  savoir  pourquoi... 
J'aime  la  cueillette, 

Landerirette  f 
J'aime  la  cueillette, 

0  gué  ! 
La  haute  cueillette! 

Pour  danser  ensemble. 
Se  serrer  la  main, 
Et  sentir  soudain 
Une  main  qui  tremble, 
Enfin,  pour  oser 
Se  prendre  un  baiser... 
J'aime  la  musette, 


Landerirette  ! 
J'aime  la  musette, 

0  gué! 
La  douce  musette  ! 

Quand  la  fièvre  altère 
Nos  cœurs  amoureux, 
Pour  boire  à  nous  deux 
Dans  le  même  verre. 
Pour  se  perdre  après 
Sans  le  faire  exprès... 
J'aime  la  piquette, 

Landerirette  ! 
J'aime  la  piquette, 

Ogué! 
La  tendre  piquette  ! 

Pour  toute  la  vie, 
Vivrais-je  toujours, 
Que  tous  mes  amours 
Seront  pour  ma  mie. 
Le  serment  j'en  fais 
Et  ne  mens  jamais... 
J'aime  ma  Lucette, 

Landerirette! 
J'aime  ma  Lucette, 

0  gué  ! 
Ma  belle  Lucette  ! 

Montfermcil,  1865. 

Musique  de  M.  Frédéric  Wachs.  —  Éditeur  :  M.  Egrot,  25,  boulevard 
de  Strasbourg,  Paris. 


89  — 


LA  FORET 


A  Achille  Turquois. 

Salut  nature,  ô  grande  artiste  ! 
Forêt,  devant  ta  majesté, 
Ah!  que  de  fois  je  suis  resté 
Triste  ! 

Salut  forêt,  œuvre  sublime, 
Fragment  du  poëme  éternel  ; 
Salut  peupliers  dont  la  cime 
Semble  vouloir  percer  le  ciel. 
Salut  ravins,  sombres  collines, 
Rocs  suspendus  et  menaçants 
Qui  ressemblez  à  des  ruines 
Après  un  combat  de  géants. 

Salut  nature,  ô  grande  artiste! 
Forêt,  devant  ta  majesté. 
Ah  !  que  de  fois  je  suis  resté 
Triste! 

Dans  tes  sentiers  je  viens  encore. 
Si  petit  qu'on  ne  m'y  voit  pas, 


—  90  — 

Faire  vibrer  l'écho  sonore 

Et  voir  fuir  au  bruit  de  mes  pas, 

Sous  tes  grands  pins,  à  l'ombre  rousse, 

La  biche  toujours  en  éveil. 

Et  sur  le  roc  couvert  de  mousse, 

Le  lézard  qui  dort  au  soleil. 

Salut  nature,  ô  grande  artiste  ! 
Forêt,  devant  ta  majesté. 
Ah  !  que  de  fois  je  suis  resté 
Triste! 

Je  viens  rêver  sous  tes  grands  chênes 
Qne  des  siècles  n'ont  ébranlés, 
Et  sous  les  ombres  incertaines 
De  tes  saules  échevelés. 
Je  viens  courir  dans  ta  bruyère, 
Libre  comme  un  jeune  étalon 
Dont  le  poitrail  blanc  de  poussière 
N'a  point  frémi  sous  l'éperon. 

Salut  nature,  ô  grande  artiste  ! 
Forêt,  devant  ta  majesté. 
Ah  !  que  de  fois  je  suis  resté 
Triste! 

Salut,  ô  forêt  toujours  belle! 
Chaste  amante  qui,  tous  les  ans. 
Redevient  vierge  et  renouvelle 
Sa  toilette  avec  le  printemps  : 


—  91  — 

En  automne,  grande  coquette, 
Qui  jette  au  vent  son  manteau  vert 
Pour  ne  laisser  que  son  squelette 
Aux  froids  baisers  des  nuits  d'hiver. 

Salut  nature,  ô  grande  artiste  ! 
Forêt,  devant  ta  majesté, 
Ah!  que  de  fois  je  suis  resté 
Triste! 

Grand  spectacle  de  la  nature 
Où  le  rêveur  a  côtoyé 
Le  nid  d'oiseau  dans  la  ramure 
Auprès  de  l'arbre  foudroyé, 
Où  le  soleil  lutte  avec  l'ombre. 
Où  l'orage  a  tant  de  courroux. 
Où  la  lune,  quand  tout  est  sombre, 
Se  fait  soleil  pour  les  hiboux. 

Salut  nature,  ô  grande  artiste! 
Forêt,  devant  ta  majesté, 
Ah  !  que  de  fois  je  suis  resté 
Triste! 

0  chante  encor,  forêt  sublime  ! 
Rien  ici-bas  n'est  immortel. 
Je  suis  venu  jeter  ma  rime 
A  ta  chanson  qui  monte  au  ciel. 
Mais  la  vie  est  près  de  la  tombe, 
Qui  sait  demain  où  nous  serons? 


—  92  — 

Puisqu'il  est  écrit  que  tout  tombe 
Sous  la  hache  des  bûcherons. 

Salut  nature,  ô  grande  artiste  ! 
Forêt,  devant  ta  majesté, 
Ah  !  que  de  fois  je  suis  resté 
Triste! 

Fontainebleau,  1866. 


Musique  de  Darcier.  —  Editeur  :  M.  Vieillot,  32,  rue  Notre-Dame-de- 
Narareth,  Paris. 


—  93  — 


LES    TRAINE-MISERE 


Dédiée  à  ceux  à  qui  l'on  dispute  le  pain, 
l'air,  la  vie...  tout  enfin  ce  dont  ont 
besoin  des  êtres  humains  et  ce  à  quoi 
ils  ont  droit... 

Dédiée  à  ceux  qu'on  exploite,  qu'on 
affame,  qu'on  opprime,  qu'on  mitraille, 
qu'on  garotte,  qu'on  jette  dans  les  pri- 
sons et  dans  les  bagnes,  quand  ils  re- 
vendiquent leur  droit  à  l'existence. 

Dédiée  à  ceux  qui,  après  quarante  et  cin- 
quante ans  de  travail,  arrivent  fourbus, 
désespérés  et  criblés  de  douleurs,  à 
n'avoir  pas  même  un  morceau  de  pain 
sur  la  planche  pour  se  reposer,  ne  fût-ce 
même  que  quelques  jours. 

Dédiée  à  ceux  qui  travaillent  comme  des 
bêtes  de  somme  et  qui  ne  vivent  même 
pas  aussi  bien  ! 

Dédiée  à  ceux  qui  piochent  comme  des 
sourds  dans  les  sombres  profondeurs 
de  la  terre,  avec  la  perspective,  en  y 
descendant,  d'y  être  ensevelis,  ou,  s'ils 
en  sortent,  de  n'avoir  pas  à  manger  tout 
leur  saoul  ! 

Dédiée  à  tous  ceux  dont  la  résignation, 
l'intelligence,  le  courage,  le  travail,  en- 
tretiennent une  poignée  de  parasites! 

Dédiée  à  tous  les  serfs  des  mines,  des 
manufactures,  des  champs  et  de  l'ate- 
lier, courbés  arbitrairement  sous  le  joug 
de  la  féodalité  capitaliste  et  du  salariat, 
mais  dont  il  leur  serait  cependant  bien 
facile  de  s'affranchir! 

Dédiée  enfin  à  la  grande  famille  ouvrière. 


Les  gens  qui  traînent  la  misère 
Sont  doux  comme  de  vrais  agneaux  ; 
Ils  sont  parqués  sur  cette  terre 


—  94  — 
Et  menés  comme  des  troupeaux. 
Et  tout  ça  chante  et  tout  ça  danse 
Pour  se  donner  de  l'espérance  I 

Pourtant  les  gens  à  pâle  mine 
Ont  bon  courage  et  bonnes  dents, 
Grand  appétit,  grande  poitrine, 
Mais  rien  à  se  mettre  dedans. 
Et  tout  ça  jeune  et  tout  ça  danse 
Pour  se  venger  de  l'abstinence  ! 

Pourtant  ces  pauvres  traîne-guêtres 
Sont  nombreux  comme  les  fourmis  ; 
Ils  pourraient  bien  être  les  maîtres. 
Et  ce  sont  eux  les  plus  soumis. 
Et  tout  ça  trime  et  tout  ça  danse 
Pour  s'engourdir  dans  l'indolence  ! 

Ils  n'ont  même  pas  une  pierre, 
Pas  un  centime  à  protéger  ! 
Ils  n'ont  pour  eux  que  leur  misère 
Et  leurs  deux  yeux  pour  en  pleurer. 
Et  tout  ça  court  et  tout  ça  danse 
Pour  un  beau  jour  sauver  la  France! 

Du  grand  matin  à  la  nuit  noire 
Ça  travaille  des  quarante  ans  ; 
A  l'hôpital  finit  l'histoire 
Et  c'est  au  tour  de  leurs  enfants. 
Et  tout  ça  souffre  et  tout  ça  danse 
En  attendant  la  providence  ! 


—  95  — 

En  avant  deux!  0  vous  qu'on  nomme 
Chair-à-canon  et  sac-à-vin, 
Va-nu-pieds  et  bêtes  de  somme, 
Traîne-misère  et  meurt-de-faim. 
En  avant  deux  et  que  tout  danse 
Pour  équilibrer  la  balance  ! 

Londres,  1874. 


Musique  de  Marcel  Legay.  —  Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue 
Saint-Martin,  Paris. 


—  96  — 


MANETTE 


I 


A  madame  Eyben. 

La  pauvre  Manette, 

Soufflant  dans  ses  doigts, 

S'en  revient  seulette 

En  longeant  le  bois  ; 

Son  jupon  de  laine 

Est  court  par  devant, 

Elle  va  pleurant 

Comme  un  cœur  en  peine... 
Ah!  ma  pauvre  enfant,  lui  dit  le  sorcier, 
Que  caches-tu  donc  sous  ton  tablier? 

La  pauvre  Manette, 

Par  le  vieux  moulin, 

Se  sauve  seulette 

Couver  son  chagrin. 

Son  jupon  de  laine 

Est  plus  court  encor, 

Elle  attend  la  mort 

Comme  un  cœur  en  peine,.. 
Ah!  ma  pauvre  enfant,  lui  dit  le  meunier, 
Que  caches-tu  donc  sous  ton  tablier  ? 


—  97  — 

La  pauvre  Manette, 

Par  la  ferme  aux  Loups, 

Se  cache  seulette 

Et  pleure  à  genoux. 

Son  jupon  de  laine 

S'écourte  toujours, 

Car  c'est  dans  neuf  jours 

Que  finit  sa  peine... 
Ah!  ma  pauvre  enfant,  lui  dit  le  fermier, 
Que  caches-tu  donc  sous  ton  tablier? 

La  pauvre  Manette, 

Souffrant  à  mourir. 

Se  sauve  seulette 

Afin  d'en  guérir. 

Et  dans  la  fontaine 

Se  précipitant. 

Elle  dit  pleurant, 

Le  cœur  gros  de  peine... 
Vous  ne  saurez  pas,  ô  méchant  sorcier. 
Ce  que  je  cachais  sous  mon  tablier!!!... 

Bry-sur-Marne,  1864. 


Musique  de  Darcier.  —  Editeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris . 


—  98  — 


0   MA   FRANCE! 


A  Mouren. 

Que  j'aime  ton  ciel  et  tes  vins, 
Que  j'aime  tes  plaines  fertiles, 
Tes  sombres  forêts  de  sapins. 
Tes  hameaux  et  tes  grandes  villes  ! 
Que  j'aime  ces  mâles  débris 
Qui  nous  retracent  ton  enfance, 
Que  j'aime  aussi  ton  vieux  Paris, 
0  ma  France  ! 

Que  j'aime  tes  hardis  penseurs. 
Tes  artistes  et  tes  poètes, 
Tes  légions  de  travailleurs. 
Tes  jours  de  calme  et  de  tempêtes  ! 
Que  j'aime  ces  cœurs  de  lions. 
Tes  fils  nourris  d'indépendance, 
Et  tes  trois  Révolutions, 
0  ma  France  ! 

Mais  ne  crois  pas  que  mon  amour 
S'arrête  juste  à  la  frontière  : 


—  99  — 

Nous  avons  tous  le  même  jour, 
Nous  avons  tous  la  même  terre. 
Français  ou  non,  si  je  restais 
Indifférent  à  la  souffrance, 
N'est-ce  pas,  tu  me  renierais, 
0  ma  France  I 

Va!  laissons  glaner  nos  voisins 
Dans  nos  caves  et  dans  nos  granges  ; 
Qu'ils  aient  quelques  sacs  de  nos  grains 
Et  quelques  crûs  de  nos  vendanges  ; 
Et  le  peuple  déshérité 
Saura  peut-être  en  récompense 
Trinquer  à  la  fraternité, 
0  ma  France  I 

Donne  tes  vins,  donne  tes  blés, 
Puisque  ta  mamelle  est  féconde  ; 
Ouvre  tes  flancs  aux  exilés 
Qui,  pour  patrie,  ont  vu  le  monde  : 
Martyrs  traqués  par  les  tyrans. 
Apôtres  de  l'Indépendance, 
Bien  dignes  d'être  tes  enfants, 
0  ma  France  ! 

Oh  !  qu'on  me  laisse  un  petit  coin 
Quand  viendra  mon  heure  dernière, 
Six  pieds  à  peine,  où,  sans  témoin. 
Chante  l'oiseau  du  cimetière; 
Que  pour  ce  repos  éternel 
Je  dorme  à  l'ombre  du  silence. 


{      fîlELIOTHECA 


—  100  - 

Sous  les  étoiles  do  ton  ciel, 
0  ma  France  ! 

Paris,  1867. 
Musique  de  Darcier.  —  Éditeur  :  M.  Lebaillj-,  2,  rue  Cardinale,  Paris. 


II  est  bien  entendu  que  ce  n'est  pas  un  accès  do  chauvinisme 
qui  m'a  inspiré  cette  chanson. 

Du  reste,  les  sentiments  que  j'y  exprime  le  prouvent  et  l'on 
connaît  trop  mon  opinion  sur  cette  question  pour  le  supposer  un 
instant. 

Je  suis  internationaliste  dans  toute  la  force  du  terme,  c'est-à-dire 
pour  la  coalition  de  tous  les  opprimés  contre  les  oppresseurs. 

Et  si,  dans  cette  chanson,  je  dis  :  0  ma  France!  avec  enthou- 
siasme, ce  n'est  pas,  on  le  sait  bien,  parce  que  je  suis  fier  d'être 
Français,  puisque  c'est  au  hasard  que  je  dois  d'être  né  en  France. 

Je  serais  Allemand  ou  Russe  que,  pensant  comme  je  pense  au 
point  de  vue  philosophique,  j'aurais  chanté  de  même  la  France, 
pour  saluer  en  elle  deux  grandes  révolutions  :  1789  et  1871  ! 

D'où  qu'on  soit,  on  est  bien  obligé  de  reconnaître  que  ça  n'a 
jamais  été  pour  des  questions  purement  locales,  ni  mêmes  natio- 
nales, que  les  Parisiens  ont  fait  sauter  les  pavés  de  Paris. 

Leurs  prises  d'armes  ont  toujours  eu  pour  but  d'affirmer  des 
idées  générales  et  des  revendications  coniDiunes  à  tous  les  opprimés 
de  la  terre. 

Aussi  nous  trouvons-nous  on  avance  de  deux  révolutions  sur  tous 
les  autres  peuples  :  d'une  révolution  philosophique  et  politique  et 
d'une  révolution  sociale. 

C'est  à  ce  titre  seulement  que  je  dis  :  0  ma  France!  comme  je 
dirais  :  O  révolution!  O  humanité! 


—   101  - 


LA  FILEUSE 


A  Gilland. 

File,  file,  ma  Gavotte, 

Pour  le  marmot  qui  grelotte. 

Un  lange  rcchaufîera 

Son  pauvre  corps  qui  tremblote. 

Mais  le  marmot  grandira, 

File,  file,  ma  Gavotte, 

Et  l'homme  te  le  rendra. 

File,  ô  ma  belle  épousée. 
Fraîche  comme  la  rosée, 
De  bon  linge  il  te  faudra 
Quand  va  venir  ta  couvée. 
Bien  du  temps  ça  te  prendra. 
File,  ô  ma  belle  épousée. 
Et  l'amour  te  le  rendra  ! 

File  toujours,  ô  ma  chère! 
On  a  tant  de  mal  sur  terre. 
File  tant  que  l'on  verra 
Des  pauvres  pleurer  misère. 
Le  lin  que  ça  te  prendra, 
File  toujours,  ô  ma  chère  ! 
Le  printemps  te  le  rendra. 


—  102  — 

File,  file,  ô  ma  jolie, 

Le  temps  file  aussi  la  vie, 

Et  le  méchant  te  prendra 

Bien  alerte  ou  bien  vieillie. 

Mais  quand  ton  heure  viendra, 

File,  file,  ô  ma  jolie, 

Ton  linceul  on  filera. 

File,  file  en  souvenance 

Des  rubans  verts  pour  la  France, 

Des  rubans  que  l'on  nouera 

Sur  le  front  de  respérance. 

Le  lin  que  ça  coûtera, 

File,  file  en  souvenance. 

L'avenir  nous  le  rendra  ! 

Pont-sur- Yonne,  1864. 


Éditeur  :  ^I.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  103  — 


SOUVENANCE 


A  mademoiselle  Marthe. 

...J'ai,  le  mois  dernier,  cherchant  le  riiystère, 
Passé  près  de  vous  des  jours  bien  heureux; 
Rêvant  d'un  moulin  et  d'une  chaumière. 
J'avais  fui  Paris  sans  être  amoureux. 
Ah  !  je  voulais  voir  si  j'étais  poète, 
En  courant  les  bois  aux  chants  du  matin; 
Mais  je  n'ai  rien  fait,  car  ma  pauvre  tête 
Me  faisait  tic  tac  comme  le  moulin. 

Je  souffre  aujourd'hui  d'un  mal  que  j'ignore, 
J'ai  devant  les  yeux  vos  saules  pleureurs  ; 
Je  crois  vous  entendre  aussitôt  l'aurore, 
Je  vais  dans  les  joncs  vous  couper  des  fleurs. 
Je  me  vois  rêveur,  tremblant  et  timide. 
N'osant  rien  vous  dire  et  pensant  beaucoup; 
Je  vois  vos  yeux  bleus,  votre  lèvre  humide, 
J'entends  votre  voix  qui  me  suit  partout. 

...  Pourtant,  sans  rien  dire,  ô  chaste  meunière! 
Nous  sommes  tous  deux  venus  bien  souvent 
Regarder  le  soir  couler  la  rivière. 
Assis  sous  un  saule  où  pleurait  le  vent; 


—  104  — 

Et  si,  quand  la  nuit  devenant  plus  sombre, 
J'osais,  en  partant,  vous  donner  la  main  : 
Le  mécliant  hasard,  profitant  de  l'ombre, 
Nous  faisait  toujours  tromper  de  chemin. 

...Ah  !  ces  jours  heureux  qui  font  ma  souffrance 
Me  donnent  la  nuit  des  rêves  bien  doux  ; 
Mais,  peut-être  seul  j'en  ai  souvenance, 
Ou  bien,  comme  moi,  vous  souvenez-vous?... 
...Je  connais  ce  mal  qui  me  désespère. 
Je  sais  bien  pourquoi  je  suis  si  rêveur  : 
C'est  qu'en  vous  quittant,  ô  chaste  meunière  ! 
Par  votre  moulin  j'ai  laissé  mon  cœur. 

Ville  neuve-Saint-Georges,  1865. 


Musique  do  Marcel  Legay.   —   Éditeur  :  M.   Bassoreau,  240,  rue 
Saint-Martin,  Paris. 


—  105  -^ 


LES  SOURIS 


W«  citoyen  Grisel. 

Les  souris 
Ne  sont  pas  b6gueules. 
Aux  souris, 
Gens  de  Paris, 
Laisserez-vous  manger  les  meules... 
Les  meules, 
Aux  riclies  épis. 

Dur  est  le  temps,  cher  est  le  pain, 
Les  enfants  gémissent  la  faim, 
L'homme  travaille  comme  un  nègre 
Et  s'abreuve  avec  du  vin  aigre. 
Cependant  j'ai  vu,  mes  enfants. 
Bien  des  tonneaux  pour  les  vendanges, 
Beaucoup  de  gerbes  dans  les  granges, 
De  grandes  meules  dans  les  champs. 

Les  souris 
Ne  sont  pas  bégueules,  etc.. 

Puisque  le  pain  passe  vingt  sous, 
Que  nous  avons  des  faims  de  loups, 
Aux  gros  fermiers  allons  apprendre 
Que  nous  ne  voulons  plus  attendre. 


—  106  — 

Ho  I  faites  battre  votre  grain  : 
Quand  tiraillé  dans  la  poitrine, 
Le  peuple  crie  à  la  famine, 
Il  faut  répondre  par  du  pain  !... 

Les  souris 
Ne  sont  pas  bégueules,  etc... 

Les  souris  font  joyeux  repas 
Et  c'est  nous  qui  ne  mangeons  pas... 
Qui  dit  peuple,  dit  bonne  bête! 
Oui,  mais  parfois  il  a  sa  tête  ; 
Holà!  des  blés  !  ou,  gros  fermier, 
Crains  que  la  faim,  donnant  les  fièvres, 
Nous  allions  tous  la  mort  aux  lèvres, 
Te  l'arracher  sans  le  payer!... 

Les  souris 
Ne  sont  pas  bégueules,  etc.. 

Souvenez-vous,  accapareurs, 
Que  la  famine  a  ses  horreurs  ; 
Au  peuple  pris  par  les  entrailles 
Il  faut  de  grandes  funérailles! 
Quand  à  sa  faim  on  ne  répond 
Que  par  le  glaive  et  l'insolence, 
Plein  d'une  farouche  éloquence, 
Le  peuple  parle  avec  du  plomb  !... 

Les  souris 
Ne  sont  pas  bégueules,  etc.. 


—  107  — 

Et  le  plomb  ça  rend  bien  méchant, 

Le  plomb  ça  fait  couler  du  sang-, 

Ça  met  la  furie  à  la  bouche, 

Ça  détruit  tout  ce  que  ça  touche! 

C'est  au  plomb,  formidable  voix, 

Qu'il  faut  qu'on  cède  ou  qu'on  réponde, 

Et  que  les  maîtres  de  ce  monde 

Se  brûleront  toujours  les  doigts  ! 

Les  souris 
Ne  sont  pas  bég^ueules,  etc.. 

Ho  !  plus  de  meules  dans  les  champs 
Qui  pourrissent  au  mauvais  temps. 
De  greniers  pleins  jusqu'aux  fenêtres. 
Le  blé  n'a  que  la  faim  pour  maîtres! 
Allons,  gens  de  mauvaise  foi, 
Faites  que  le  pain  diminue 
Ou  nous  descendons  dans  la  rue, 
Dans  la  rue  où  le  peuple  est  roi  !.. 

Les  souris 
Ne  sont  pas  bégueules. 
Aux  souris, 
Gens  de  Paris, 
Laisserez-vous  manger  les  meules... 
,  Les  meules. 
Aux  riches  épis. 

Paris-Montmartre,  1867. 
Editeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


^  108  — 

En  1867,  le  pain  fut  cher  à  Paris.  Les  mères  de  famille  doivent 
s'en  souvenir.  Il  y  eut  même  à  ce  sujet  quelques  rassemblements 
dans  le  faubourg  Antoine.  Le  bruit  courut  qu'un  bataillon  de  ligne 
en  garnison  à  Yincennes  avait  reçu  des  cartouches  et  devait  des- 
cendre sur  le  faubourg.  C'est  toujours  ainsi  qu'on  apaisera  la  faim 
du  peuple,  jusqu'au  jour  où  il  se  fâchera  tout  rouge. 

Rien  cependant  n'avait  motivé  cette  hausse  subite  ;  la  récolte 
avait  été  bonne  en  1866  et  meilleure  encore  en  1867.  et  Ion  savait 
que  les  greniers  étaient  remplis  de  blé.  Il  était  évident  qu'on  spé- 
culait, comme  on  le  fait  encore  aujourd'hui,  sur  la  misère  du  peuple. 
C'est  alors  que  cette  chanson  fut  faite  et,  comme  on  le  pense 
bien,  la  censure  en  refusa  le  visa  et  je  fus  un  instant  inquiété. 

Bien  que  datant  de  quelques  années,  les  chansons  du  genre  de 
celle-ci  sont  encore  d'à-propos.  Les  travailleurs  qui  savent  combien 
le  pain  est  toujours  cher  pour  eux  et  combien,  surtout,  il  est  dur 
à  gagner,  seront  de  mon  avis. 


109  — 


PIMPERLINE    ET    PIMPERLIN 


RONDE 


A  la  petiie  Jeanne. 


...Pimperline  et  Pimperliu 
Sonfallys  au  bois  voisin... 

...Pourtanl  la  bise  est  ben  dure 

Et  siffelle  dans  les  bois  ; 

Il  y  fait  tant  de  froidure, 

Que  ça  cingle  au  bout  des  doigts. 

Les  feuilles  n'y  sont  plus  vertes, 
Les  oiseaux  sont  envolys, 
Les  routes  y  sont  désertes, 
Et  les  buissons  désolys. 

L'arbre  a  si  fret  à  ses  branches, 
Qu'il  en  pleurin  dans  les  airs. 
On  a  coupé  les  pervenches, 
Moissonné  les  lauriers  verts. 


—  110    - 

On  dit  même  qu'on  y  trouve 
Des  grands  loups  et  des  petits, 
Et  que  la  vipère  y  couve 
Dans  le  tronc  des  saules  gris. 

Aussi,  ne  s'en  doutant  guère, 
Pimperline  et  Pimperlin, 
Font  l'école  buissonnière 
Et  se  tiennent  par  la  main. 


II 

Pimperline  et  Pimperlin 
Sont  allys  au  bois  voisin. 

La  petite  Pimperline, 

Entendant  le  cri  d'un  loup, 

Se  sauve  par  la  ravine 

Et  tombe  au  fond  d'un  grand  trou. 

Pimperlin  court  après  elle. 
Pleure  et  la  veut  rattraper  ; 
Mais  la  frayeur  l'ensorcelle 
Et  les  loups  vont  bien  souper! 

Ils  virent  tomber  la  brune 
Et  passer  l'ombre  d'un  loup, 
Qui  cherchait  au  clair  de  lune 
A  descendre  dans  le  trou! 


—  m  — 

Sans  assiette  ni  fourchette, 
Le  loup  allait  les  manger, 
S'il  ne  fût  venu  Trompette 
Le  gros  chien  du  vieux  berger. 

Nos  deux  petits  l'embrassèrent 
Et  Trompette  en  fit  autant  ; 
Loin  du  bois,  ils  se  quittèrent, 
Et  dirent  en  se  quittant  : 

Pimperline  et  Pimperlin 
N'iront  plus  au  bois  voisin. 

Ile  du  Moulin-Joly,  1869. 


Musique  de  Paul  Honrion.  —  Éditeur  :  M.  Labbc,  20,  rue  du 
Croissant,    Paris. 


—  112  ~ 


BONJOUR,    PRINTEMPS 


A  M.  Théodore  de  Banville. 

Bonjour,  printemps! 
Souffrez  que  je  vous  félicite. 
Je  veux  répondre  en  vers  galants 
A  votre  carte  de  visite. 
Ce  matin  avec  le  soleil, 
Les  fleurs  et  les  chants  qu'il  fait  naître, 
Elle  est  entrée  à  mon  réveil, 
Par  la  porte  et  par  la  fenêtre. 

Bonjour,  printemps! 
Enfant  gâté  de  la  jeunesse, 
Vous  avez  chassé  les  autans 
Et  fait  sourire  ma  maîtresse. 
Ah  !  si  j'étais  jaloux  de  vous. 
Je  chasserais  mon  amoureuse. 
Mais  non,  je  ne  suis  point  jaloux; 
L'hiver  l'attriste,  elle  est  frileuse. 

Bonjour,  printemps  ! 
Vous  embaumez  la  violette. 
Le  muguet  et  les  lilas  blancs, 
Le  sainfoin  et  la  pâquerette  ; 


—  113  —  . 

Vous  faites  naître  dans  les  cœurs 
Cet  amour  qui  donne  la  fièvre; 
Vous  paraissez  semer  des  fleurs 
Et  des  baisers  sur  chaque  lèvre. 

Bonjour,  printemps  ! 
Vous  revenez  à  tire-d'ailes 
Donner  des  lits  d'herbe  aux  enfants, 
Des  papillons  aux  demoiselles. 
On  parle  déjà  de  Meudon, 
De  rubans  et  de  robes  blanches, 
Et  votre  effronté  Gupidon 
Met  des  nids  sur  toutes  les  branches. 

Bonjour,  printemps  ! 
Répondrez-vous  de  nos  folies 
Quand  nous  traduirons  dans  les  champs 
Le  secret  de  vos  harmonies?... 
Pourquoi  la  branche  a  des  bourgeons... 
Pourquoi  la  mousse  est  veloutée... 
Pourquoi  le  cœur  a  des  frissons... 
Pourquoi  la  lèvre  est  agitée?... 

Bonjour,  printemps  ! 
Quand  donc  comme  des  aubépines 
Ferez-vous  pousser  des  rubans, 
De  la  guipure  et  des  bottines? 
Au  lieu  d'attendre  sous  les  toits 
Notre  marchande  à  la  toilette, 
Nous  serions  déjà  dans  les  bois 
A  cueillir  de  la  violette. 


—  114  — 

Bonjour,  printemps  ! 
Pour  fêter  votre  anniversaire, 
Pour  conjurer  les  froids  autans 
Et  mettre  enfin  l'hiver  en  terre, 
Si  le  hasard  m'aide  en  chemin, 
Nous  irons  vous  fêter  dimanche 
J'aurai  mon  pantalon  nankin 
Et  ma  mie  une  robe  blanche. 

Meudon,  1864. 


Musique   de  Paul   Henrion.   —  Editeur  :    M.    Lebailly, 
2,  rue  Cardinale,  Paris. 


—  115  — 


L'EMPEREUR    SE   DÉGOMME 


Au  citoyen  Gaisnê. 


L'empereur  se  dégomme, 
Les  Français  vont  à  Rome. 

Ce  joyeux  citoyen 
Après  tout  se  rit  bien 
Que  le  peuple  s'en  plaigne  ; 
Heureux  de  son  passé, 
Il  veut  finir  son  règne 
Gomme  il  l'a  commencé. 

L'empereur  se  dégomme, 
Les  Français  vont  à  Rome. 

Cet  homme  marié, 
Pour  sa  chaste  moitié 
Et  l'amour  de  la  Vierge, 
Veut  avec  nos  écus 
Faire  brûler  un  cierge 
Par  le  roi  des  Jésus. 

L'empereur  se  dégomme, 
Les  Français  vont  à  Rome. 


—  116  — 

Ayant  fait,  ici-bas, 
Quantité  de  faux  pas, 
Faut  bien  qu'il  se  rattrape 
Or,  il  croit,  mes  amis, 
En  assistant  le  Pape, 
Gaener  le  Paradis. 


"■o"^ 


L'empereur  se  dégomme, 
Les  P'rançais  vont  à  Rome. 

Qu'un  ministre  flatteur, 
Hypocrite  et  menteur. 
L'encourage  et  le  prône  : 
Gare  qu'il  gagne  aussi 
Une  chute  de  trône 
Avant  un  an  d'ici  1 

L'empereur  se  dégomme, 
Les  Français  vont  à  Rome. 

Toujours  prêts  aux  combats. 
Nos  valeureux  soldats, 
Après  cette  campagne, 
S'en  reviendront  chez  eux 
Couverts  de  croix  d'Espagne 
Et  de  petits  bons  dieux. 

L'empereur  se  dégomme, 
Les  Français  vont  à  Rome. 

Il  faut  un  homme  noir, 
Un  soldat  d'encensoir, 


—   117  — 

De  rabat  et  de  chape, 
Pour  oser,  en  païen, 
Faire  un  soldat  du  Pape 
Du  zouzou  voltairien  ! 

L'empereur  se  dégomme, 
Les  Français  vont  à  Rome . 

Laissez  faire  le  temps, 
La  rage,  mes  enfants. 
Vous  monte  un  peu  trop  vite 
Il  va,  des  goupillons, 
Pleuvoir  de  l'eau  bénite 
Sur  tous  les  bataillons. 

L'empereur  se  dégomme. 
Les  Français  vont  à  Rome. 

Aussi,  pour  le  grand  jour, 
Nous  prouvant  son  amour 
Et  sa  reconnaissance, 
Sa  bonne  Sainteté 
Pourra  venir  en  France 
Bénir  la  liberté  ! 

L'empereur  se  dégomme. 
Les  Français  vont  à  Rome. 

Paris-Montmartre,  1867. 


Fidèle  à  sa  tradition,  la  papauté,  à  cette  époque,  mettait  tout  en 
çBUvre  pour   agiter  l'Europe  et  renouveler  les  guerres  do  religion. 


—   118  — 

Les  hommes  qui  sont  aujourd'hui  à  la  tête  de  la  République, 
et  l'avocat  Ferrj'  en  particulier,  saisirent  cette  occasion  pour  faire 
une  opposition  des  plus  vives  au  gouvernement  impérial. 

Ces  obstructionnistes  d'alors  mangeaient  tous  les  jours  dn  prêtre 
et  du  Pape  à  la  tribune  et  dans  leurs  journaux. 

Comme  toujours,  le  peuple  se  laissait  prendre  à  ces  fourberies 
d'avocats. 

A  cette  époque,  il  ne  faisait  même  pas  bon  d'oser  mettre  en 
doute  leur  bonne  foi.  Les  citoyens  courageux  et  clairvoyants  qui 
le  tentèrent  furent,  on  s'en  souvient,  assez  maltraités. 

Aujourd'hui,  le  but  que  poursuivaient  ces  hommes  n'est  plus  un 
mj^stère  pour  personne  :  Ils  voulaient  capter  la  confiance  du 
peuple,  s'emparer  du  pouvoir  pour  en  user  et  en  abuser. 

La  farce  est  jouée  !  Farce  sinistre  avec  toutes  les  abominations 
de  l'empire  :  Misères  et  grèves  réprimées  par  le  sabre  ;  républi- 
cains poursuivis  et  emprisonnés;  expéditions  lointaines  pom*  donner 
satisfaction  aux  appétits  des  amis  et  des  parents  des  hommes  au 
pouvoir. 

Et,  bien  que  les  Ferry  et  consorts  aient  demandé,  sous  l'empire, 
la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  etc.,  ils  n'en  ont  pas  moins 
déclaré  en  pleine  tribune  qu'il  fallait  que  la  République  française 
eût  son  ambassadeur  à  la  cour  de  Rome, 

En  somme,  les  coupables  ne  sont  pas  ceux  qu'on  pense. 

Le  seul  :  C'est  le  peuple  ! 


—  119  — 

LE    SAINFOIN 

LÉGENDE    RUSTIQUE 


Ail  citoyen  André  Gèly, 

Faut  s'en  méfier,  le  sainfoin  nouveau 

Ça  monte  au  cerveau... 
Eh  bien,  qu'après  tout,  mon  sort  soit  le  môme, 

J'aimerai  qui  m'aime 

Au  sainfoin  nouveau. 

Dans  la  grange  à  la  mère  Annette 
Porte  ben  close  et  sans  témoin, 
Finet  emmena  Marinette 
Et  la  fit  asseoir  sur  le  foin. 
Dam  !  ça  bat  dru  dans  la  poitrine 
Quand  on  a  là  deux  jolis  yeux  : 
Marinette  avait  belle  mine, 
Finet  était  ben  amoureux... 

Faut  s'en  méfier,  le  sainfoin  nouveau 
Ça  monte  au  cerveau...,  etc. 

Le  sainfoin  frais  sorti  de  terre 
Ça  sent  tout  plein  bon  la  fraîcheur. 
Ça  fait  pousser  du  caractère. 
Ça  met  de  la  folie  au  cœur. 


—  120  — 

Tout  seul  avec  une  jeunesse 
Qui  n'a  pas  l'air  de  vous  chasser, 
Ça  pousse  vite  à  la  tendresse. 
Et  Finet  lui  prit  un  baiser... 

Faut  s'en  méfier,  le  sainfoin  nouveau  ' 
Ça  monte  au  cerveau...,  etc. 

Un  baiser,  ça  n'est  pas  grand'chose, 

C'est  à  peine  si  ça  se  sent. 

La  joue  était  dodue  et  rose, 

Il  en  prit  un,  puis  deux,  puis  cent! 

Alors  on  rencontra  la  lèvre, 

Et,  ces  baisers-là,  c'est  du  feu  ! 

Finet  eut  bien  vite  la  fièvre, 

La  fille  en  avait  ben  un  peu... 

Faut  s"en  méfier,  le  sainfoin  nouveau 
Ça  monte  au  cerveau...,  etc. 

La  grange  close  et  ben  fermée, 
C'était  noir  comme  dans  un  four  ; 
La  nuit  était  comme  embaumée, 
Et  Marinette  faite  au  tour. 
Finet  ne  se  tenant  plus  d'aise, 
Lui  prit  la  taille,  et  serra  bien. 
On  dit  même,  entre  parenthèse, 
Que  la  jeunesse  y  mit  du  sien... 

Faut  s'en  méfier,  le  sainfoin  nouveau 
Ça  monte  au  cerveau...,  etc. 


—  121  — 

Quand  c'est  tout  frais  sorti  de  terre, 

C'est  traître  en  diable  les  sainfoins  ! 

Le  fin  Finet  n'y  songeait  guère, 

Et  la  petite  encor  ben  moins... 

Le  lendemain  la  mère  Annette, 

En  allant  dénicher  les  œufs, 

Trouva  Finet  et  Marinette 

Ben  accouplés...  mais  morts...  tous  deux... 

Faut  s'en  méfier,  le  sainfoin  nouveau 

Ça  monte  au  cerveau.. . 
Eh  bien,  qu'après  tout,  mon  sort  soit  le  même, 

J'aimerai  qui  m'aime 

Au  sainfoin  nouveau. 

Ile  Marante,  1866. 


Musique  de  Darder.   —  Editeur  :  M.  Lebailly,  2,  rue  Cardinale, 
Paris. 


—   122  — 


SANS  LÀ  NOMMER 


A  Tnadatne  I.  M. 

Je  puis  VOUS  dire  que  ma  belle 
Est  un  chef-d'œuvre  de  l'amour, 
Et  que  depuis  trois  mois  pour  elle 
Je  rime  dix  sonnets  par  jour... 

Mais,  c'est  dommage, 
Vous  n'en  saurez  pas  davantage. 
Je  veux  l'aimer 
Sans  la  nommer. 

Je  puis  vous  dire  qu'elle  est  blonde 
Et  que  sa  main  est  un  bijou, 
Je  puis  crier  à  tout  le  monde 
Que  j'en  rêve  et  que  j'en  suis  fou. 

Mais,  c'est  dommage, 
Vous  n'en  saurez  pas  davantage. 
Je  veux  l'aimer 
Sans  la  nommer. 

Je  puis  vous  dire  que  sa  lèvre 
Est  brûlante  comme  un  baiser, 


—  123  — 

Et  que  mon  cœur  a  tant  de  fièvre 
Que  je  mourrai  sans  l'apaiser. 

Mais,  c'est  dommage, 
Vous  n'en  saurez  pas  davantage. 
Je  veux  l'aimer 
Sans  la  nommer. 

Je  puis  vous  dire  que  sa  chambre 
Est  un  boudoir  de  volupté, 
Tout  parfumé  de  rose  et  d'ambre, 
De  poésie  et  de  gaieté... 

Mais,  c'est  dommage. 
Vous  n'en  saurez  pas  davantage. 
Je  veux  l'aimer 
Sans  la  nommer. 

Vous  me  direz  que  ma  maîtresse 
Doit  cacher  bien  d'autres  appâts?.. 
Dame  !  c'est  si  beau  la  jeunesse 
Que,  certe,  elle  n'en  manque  pas. 

Mais,  c'est  dommage, 
Vous  n'en  saurez  pas  davantage. 
Je  veux  l'aimer 
Sans  la  nommer. 

Si  je  vous  tiens  dans  l'ignorance 
De  sa  demeure  et  de  son  nom. 
Mettez  qu'elle  demeure  en  France 
Et  nommez-la  Berthe  ou  Ninon. 


—  124  — 

Mais,  c'est  dommage, 
Vous  n'en  saurez  pas  davantage. 
Je  veux  l'aimer 
Sans  la  nommer. 

Si  vous  venez  à  la  connaître. 
Ne  fut-ce  même  qu'un  moment, 
L'un  de  nous  deux  par  la  fenêtre 
Devra  passer  fort  galamment. 

Mais,  c'est  dommage, 
Vous  n'en  saurez  pas  davantage. 
Je  veux  l'aimer 
Sans  la  nommer. 

Paris,  1867. 


Musique  de  Darder.  —  Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—  123  — 


NE  PLAIGNONS  PLUS  LES  GUEUX 


An  citoyen  Jules  Vaidy . 

Allons,  allons,  c'est  inutile, 

Ne  plaignons  plus  les  gueux! 
Pourquoi  se  faire  tant  de  bile, 

Puisque  les  gueux 
Chantent  comme  des  bienheureux? 

Que  nous  ayons  de  la  misère 
A  n'en  savoir  que  devenir; 
Que  tous  les  monstres  de  la  terre 
Nous  mitraillent  pour  en  finir; 
Qu'on  soit  sans  feu,  qu'il  gèle  à  glace, 
Que  le  pain  manque  à  la  maison, 
Les  gueux,  au  fond  de  leur  besace. 
Trouvent  toujours  une  chanson. 

Allons,  allons,  c'est  inutile. 

Ne  plaignons  plus  les  gueux  !  etc. 

J'entends  chanter  sous  la  futaie 
Le  bûcheron  sec  comme  un  clou. 
Le  mendiant  traînant  sa  plaie 
Et  son  vieux  chien  qui  tend  le  cou, 


—   126  — 

Le  compagnon  battant  la  route 
Le  \ entre  creux  et  les  pieds  nus, 
La  vieille  qui  roule  une  croûte 
Sous  ses  dents  qui  n'en  veulent  plus. 

Allons,  allons,  c'est  inutile, 

Ne  plaignons  plus  les  gueux!  etc. 

J'entends  chanter  devant  la  forge 
Où  riiorame  sue  à  pleine  peau  ; 
J'entends  chanter  à  pleine  gorge 
Les  noirs  mineurs  dans  leur  tombeau  ; 
La  fille  blême  à  la  machine 
Qui  la  tue  à  toute  vapeur 
En  lui  dévorant  la  poitrine, 
Et  sa  jeunesse  et  sa  fraîcheur. 

Allons,  allons,  c'est  inutile. 

Ne  plaignons  plus  les  gueux  !  etc. 

J'entends  chanter,  sans  pain  ni  boire. 
Les  marmousets  tout  engourdis, 
L'idiot  à  la  tète  en  poire, 
Le  musiqueux  dans  son  taudis, 
La  nourrice  aux  mamelles  vides, 
Le  berger  gras  comme  un  galet  : 
Gens  affamés  et  gens  livides, 
Rivés  tous  au  même  boulet. 

Allons,  allons,  c'est  inutile, 

Ne  plaignons  plus  les  gueux!  etc. 


—  127  — 

N'importe  enfin,  n'importe  où  grouille 
Une  misère,  une  douleur, 
Une  voix  maigre  se  dérouille 
Et  chante  pour  tromper  le  cœur. 
Voilà  pourquoi  les  grosses  têtes 
Qui  les  entendent  quelquefois 
Représentent  dans  leurs  gazettes 
Les  gueux  heureux  comme  des  rois  ! 

Allons,  allons,  c'est  inutile, 

Ne  plaignons  plus  les  gueux!  etc. 

La  chanson  qui  nourrit  la  lèvre 
Fait  tomber  l'arme  de  la  main, 
Et  ne  guérit  pas  de  la  fièvre 
Que  donnent  la  soif  et  la  faim. 
Et  puisque  toutes  vos  aubades 
Ne  peuvent  rien  vous  rapporter, 
Je  suis  d'avis,  mes  camarades, 
Qu'il  est  grand  temps  de  déchanter  I 

Allons,  allons,  c'est  inutile, 

Ne  plaignons  plus  les  gueux  ! 
Pourquoi  se  faire  tant  de  bile, 

Puisque  les  gueux 
Chantent  comme  des  bienheureux. 

Londres,  1874. 
Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


128  — 


JAVOTTE 


Au  citoyen  Ruff. 

Comme  un  cri  d'agneau 
La  musette  est  douce, 
Souple  est  le  roseau, 
Fleurie  est  la  mousse  ; 
Dans  les  grands  lilas 
Chante  bien  la  brise. 
Mais,  quoi  qu'on  en  dise, 
Tout  ça  ne  vaut  pas 
La  pauvre  Javotte 
Si  gentille  en  cotte. 
Si  leste  en  sabiots  ; 
La  pauvre  Javotte 
Qui  s'en  revenait  devant  ses  bestiaux, 
Portant  dans  sa  hotte 
Tous  ses  afîutiaux. 

J'aime  bien  ma  sœur 
Comme  on  aime  un  frère, 
J'aime  de  grand  cœur 
Mon  père  et  ma  mère  ; 
Qui  tuerait  mon  chien 
Le  paierait  sur  l'heure  ; 


—  129  — 

Il  faut  que  j'en  meure, 
Car  je  n'aime  rien 
Comme  la  Javotte, 
Si  gentille  en  cotte, 
Si  leste  en  sabiots; 
La  pauvre  Javotte 
Qui  s'en  revenait  devant  ses  bestiaux. 
Portant  dans  sa  hotte 
Tous  ses  afîutiaux. 

De  beaux  troubadours 
S'en  allant  en  guerre. 
Au  bruit  des  tambours 
Longeaient  la  rivière. 
Au  bord  du  grand  pré 
De  la  mère  Annette, 
Revenant  seulette. 
Ils  ont  rencontré 
La  pauvre  Javotte, 
Si  gentille  en  cotte. 
Si  leste  en  sabiots; 
La  pauvre  Javotte 
Qui  s'en  revenait  devant  ses  bestiaux, 
Portant  dans  sa  hotte 
Tous  ses  afîutiaux. 

Sans  voir  les  soldats 
A  longues  moustaches, 
Portant  sur  leurs  bras 
Leurs  méchantes  haches, 


—  130  — 

Laissant  son  troupeau 
Bien  en  train  de  paître, 
Elle  aura  peut-être 
Suivi  le  drapeau, 
La  belle  Javotte, 
Si  gentille  en  cotte. 
Si  leste  en  sabiots  ; 
La  pauvre  Javotte 
Qui  s'en  revenait  devant  ses  bestiaux, 
Portant  dans  sa  hotte 
Tous  ses  afîutiaux. 

Adieu  mon  pays, 
Mes  bois  et  mes  plaines. 
Adieu  mes  amis, 
Rochers  et  fontaines. 
Berceau  de  mes  jours. 
Adieu  mon  village. 
Demain  je  m'engage 
Dans  les  troubadours, 
Pour  voir  la  Javotte, 
Si  gentille  en  cotte, 
Si  leste  en  sabiots  ; 
La  pauvre  Javotte 
Qui  s'en  revenait  devant  ses  bestiaux. 
Portant  dans  sa  hotte 
Tous  ses  afîutiaux. 

Chailly,  i866. 

Musique  de  Darder.  —  Editeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—  131  — 


LA   FLEURETTE 


A  mon  ami  Acelly. 

Tout  en  chantant,  il  suit  sa  pente 
Et  se  perd  au  pied  d'un  coteau. 
Parmi  le  lierre  et  le  roseau, 
Chante, 
Petit  ruisseau. 

Bordé  de  saules  centenaires 
Qui  semblent  geindre  en  frémissant, 
Caché  sous  les  fleurs  printanières 
H  suit  le  bois  en  serpentant. 
Penché  sur  une  fleur  humide, 
L'oiseau  vient  s'y  désaltérer. 
Son  onde  pure  est  si  limpide, 
Qu'une  étoile  peut  s'y  mirer. 

Tout  en  chantant,  il  suit  sa  pente 
Et  se  perd  au  pied  d'un  coteau. 
Parmi  le  lierre  et  le  roseau. 
Chante, 
Petit  ruisseau. 

Quand,  le  cœur  triste,  on  s'y  repose, 
La  fleur  a  de  tendres  frissons. 


—  132  — 

Le  flot  semble  en  dire  la  cause 
Au  vent  qui  pleure  clans  les  joncs. 
De  ce  ruisseau  le  petit  monde 
Connaît  bien  le  bruit  de  mes  pas; 
Sa  solitude  est  si  profonde, 
Que  les  heureux  n'y  viennent  pas. 

Tout  en  chantant,  il  suit  sa  pente 
Et  se  perd  au  pied  d'un  coteau. 
Parmi  le  lierre  et  le  roseau. 
Chante, 
Petit  ruisseau. 

Le  saule  gris  au  tronc  robuste 

Baigne  son  feuillage  argenté  ; 

Le  lierre  s'attache  à  l'arbuste 

Et  l'abeille  au  lys  velouté; 

Les  joncs,  courbés  comme  une  gerbe, 

Baisent  le  flot  capricieux; 

Le  ver  luisant  brille  dans  l'herbe 

Comme  une  étoile  au  fond  des  cieux. 

Tout  en  chantant,  il  suit  sa  pente 
Et  se  perd  au  pied  d'un  coteau. 
Parmi  le  lierre  et  le  roseau, 
Chante, 
Petit  ruisseau. 

Quand  du  printemps  la  tiède  haleine 
Fait  frémir  l'herbe  aux  mille  fleurs, 
Sur  sa  rive  les  cœurs  en  peine 
Viennent  exhaler  leurs  douleurs. 


—  133  — 

Cheveux  épars  sur  leurs  épaules, 
Les  Madeleines  du  canton 
Cherchent  à  l'ombre  des  vieux  saules 
Un  peu  de  calme  et  de  pardon. 

Tout  en  chantant,  il  suit  sa  pente 
Et  se  perd  au  pied  d'un  coteau. 
Parmi  le  lierre  et  le  roseau, 
Chante, 
Petit  ruisseau. 

L'ombre  est  si  pure  et  si  discrète. 
Son  chant  si  doux  au  pèlerin. 
Qu'on  l'a  surnommé  la  «  Fleurette  », 
Nom  triste  comme  le  chagrin. 
Fleurette  chère  à  mes  pensées, 
Souvenir  que  j'ai  retrouvé, 
Que  d'illusions  j'ai  laissées 
Sur  ta  rive  où  j'ai  tant  rôvé  ! 

Tout  en  chantant,  il  suit  sa  pente 
Et  se  perd  au  pied  d'un  coteau. 
Parmi  le  lierre  et  le  roseau, 
Chante, 
Petit  ruisseau. 

Pont-sur- Yonne,  1865. 


Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant,  Paris. 


—  134  — 

LA    SEMAINE    SANGLANTE 

Air  :  Le  Chant  des  Paysans,  de  Pierre  Dupont. 


Aux  fusillés  de  7// 

Sauf  des  mouchards  et  des  gendarmes, 
On  ne  voit  plus  par  les  chemins 
Que  des  vieillards  tristes  aux  larmes, 
Des  veuves  et  des  orphelins. 
Paris  suinte  la  misère, 
Les  heureux  même  sont  tremblants, 
La  mode  est  au  conseil  de  guerre 
Et  les  pavés  sont  tout  sanglants. 

Oui,  mais... 

Ça  branle  dans  le  manche. 
Ces  mauvais  jours-là  finiront. 

Et  gare  à  la  revanche 
Quand  tous  les  pauvres  s'y  mettront! 

Les  journaux  de  l'ex-préfecture, 
Les  flibustiers,  les  gens  tarés, 
Les  parvenus  par  aventure. 
Les  complaisants,  les  décorés, 


—  135  — 
Gens  de  bourse  et  de  coin  de  rues, 
Amants  de  filles  aux  rebuts, 
Grouillent  comme  un  tas  de  verrues 
Sur  les  cadavres  des  vaincus. 

Oui,  mais... 
Ça  branle  dans  le  manche,  etc. 

On  traque,  on  enchaîne,  on  fusille 
Tout  ce  qu'on  ramasse  au  hasard  : 
La  mère  à  côté  de  sa  fille, 
L'enfant  dans  les  bras  du  vieillard. 
Les  châtiments  du  drapeau  rouge 
Sont  remplacés  par  la  terreur 
De  tous  les  chenapans  de  bouge, 
Valets  de  rois  et  d'empereur. 

Oui,  mais... 
Ça  branle  dans  le  manche,  etc. 

Nous  voilà  rendus  aux  jésuites. 
Aux  Mac-Mahon,  aux  Dupanloup. 
Il  va  pleuvoir  des  eaux  bénites, 
Les  troncs  vont  faire  un  argent  fou. 
Dès  demain,  en  réjouissance. 
Et  Saint-Eustache  et  l'Opéra 
Vont  se  refaire  concurrence, 
Et  le  bagne  se  peuplera. 

Oui,  mais... 
Ça  branle  dans  le  manche,  etc. 


—  136  — 

Demain,  les  manons,  les  lorettes 
Et  les  dames  des  beaux  faubourgs 
Porteront  sur  leurs  collerettes 
Des  chassepots  et  des  tambours. 
On  mettra  tout  au  tricolore, 
Les  plats  du  jour  et  les  rubans, 
Pendant  que  le  héros  Pandore 
Fera  fusiller  nos  enfants. 

Oui,  mais... 
Ça  branle  dans  le  manche,  etc. 

Demain  les  gens  de  la  police 

Refleuriront  sur  le  trottoir, 

Fiers  de  leurs  états  de  service 

Et  le  pistolet  en  sautoir. 

Sans  pain,  sans  travail  et  sans  armes, 

Nous  allons  être  gouvernés 

Par  des  mouchards  et  des  gendarmes. 

Des  sabre-peuple  et  des  curés. 

Oui,  mais... 
Ça  branle  dans  le  manche,  etc. 

Le  peuple  au  collier  de  misère 
Sera-t-il  donc  toujours  rivé?... 
Jusques  à  quand  les  gens  de  guerre 
Tiendront-ils  le  haut  du  pavé?... 
Jusques  à  quand  la  sainte  clique 
Nous  croira-t-elle  un  vil  bétail?... 
A  quand  enfin  la  République 
De  la  justice  et  du  travail?... 


—  137  — 

Oui,  mais... 

Ça  branle  dans  le  manche. 
Ces  mauvais  jours-là  finiront. 

Et  gare  à  la  revanche 
Quand  tous  les  pauvres  s'y  mettront  ! 

Paris,  juin  1871. 
Éditeur  :  M.  Basscreau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


J'étais  encore  à  Paris  quand  je  fis  cette  chanson.  Ce  n'est  que 
quelques  semaines  plus  tard  que  je  pus  gagner  la  frontière  et  me 
réfugier  on  Aiif^lctcrro.  Do  lendroit  où  l'on  m'avait  recueilli  et  où 
je  restai  du  29  mai  au  10  août  1871,  j'entendais  toutes  les  nuits 
des  coups  de  fusil,  dos  arrestations,  dos  cris  de  femmes  et  d'en- 
fants. C'était  la  réaction  victorieuse  qui  poursuivait  son  œuvre 
d'extermination.  J'en  éprouvai  plus  do  colère  et  de  douleur  que  je 
n'en  avais  ressenti  pendant  les  longs  jours  de  lutte. 


—  138  — 

LÀ  MUSETTE  ENSORCELÉE 

LÉGENDE    RDSTIQDE 


Au  ciioycn  V.  Pcyrol. 

Pour  musiquer  comme  un  oiseau, 
Pour  égayer  celle  que  j'aime, 

Mon  vieux  chien,  mon  troupeau, 

Et  ma  mère  elle-même, 
Le  cornemusier  du  canton. 
M'a  fait  cadeau  d'une  musette  ; 
J'en  souffle  à  m'en  gonfler  la  tête, 
A  m'en  décrocher  un  poumon; 

Mais  la  méchante 
Embrouille  tout  ce  que  je  chante. 

De  par  le  diable  et  les  follets. 
Qui  sautillent  dans  les  genêts 

De  la  vallée, 
Ma  musette  est  ensorcelée  ! 

Quand  je  viens  au  lever  du  jour 
Lui  souffler  à  pleine  poitrine 
Une  chanson  d'amour 
Pour  plaire  à  Catherine, 


—  139  — 

Catherine  tremble  et  bondit, 
Comme  atteinte  par  cent  abeilles  ; 
Et  puis  se  bouche  les  oreilles, 
Tant  ma  musique  a  vilain  bruit  : 

Que  l'on  me  damne 
Si  ça  n'est  point  comme  un  cri  d  ane  ! 

De  par  le  diable  et  les  follets. 
Qui  sautillent  dans  les  genêts 

De  la  vallée, 
Ma  musette  est  ensorcelée! 

Ma  mère  en  a  gagné  la  peur; 
Mes  moutons,  quand  je  les  appelle, 
En  ont  tant  de  frayeur 
Qu'ils  s'en  vont  pêle-mêle. 
J'ai  beau  chanter  des  mots  bien  doux, 
Et  souffler  clair  comme  eau  de  roche, 
L'oiseau  s'enfuit  à  mon  approche. 
Mes  chiens  hurlent  comme  des  loups. 

Et  dans  l'étable 
Les  bœufs  me  prennent  pour  le  diable. 

De  par  le  diable  et  les  follets, 
Qui  sautillent  dans  les  genêts 

De  la  vallée. 
Ma  musette  est  ensorcelée! 

Musique  d'âne  et  de  païen, 
Vous  épeurez  ma  Catherine, 

Mes  moutons  et  mon  chien, 

Et  lassez  ma  poitrine. 


—  140  — 

C'est  que,  sans  doute,  le  chevreau, 
Dont  la  peau  fit  cette  musette, 
Avait  un  follet  dans  la  tête. 
Ou  bien  le  diable  dans  la  peau. 

Eh  bien,  ma  chère, 
Allez  au  diable  en  la  rivière  ! 

De  par  le  diable  et  les  follets 
Qui  sautillent  dans  les  genêts 

De  la  vallée. 
Ma  musette  est  ensorcelée  ! 
Va-t-en, 
Musette  ensorcelée  I 

Villcneuve-Saint-Georgcs.  1866. 


Musique  de  Darcier.  —   Éditeur  :   M.  Le  Bailly,  2,  rue  Cardinale, 

Paris. 


—  141  — 


NOTRE   BON    SEIGNEUR 


Au  citoyen  Adrien  Mayer. 

Notre  bon  seigneur, 
Pour  nous  faire  honneur, 
Habite  au  village 
Et  n'est  avec  nous  ni  fier  ni  sauvage. 
Merci,  mon  seigneur, 
C'est  bien  de  l'honneur! 

Notre  bon  seigneur 
N'a  qu'un  serviteur 
Pour  sa  suffisance  ; 
Il  le  paye,  à  l'an,  d'une  révérence. 
Merci,  mon  seigneur, 
C'est  bien  de  l'honneur! 

Notre  bon  seigneur, 
En  franc  maraudeur. 
Glane  dans  les  granges 
Et  remplit  sa  cave  au  temps  des  vendanges. 
Merci,  mon  seigneur, 
C'est  bien  de  l'honneur  ! 

Notre  bon  seigneur 
Fait  la  bouche  en  cœur 


—  142  — 

A  nos  grosses  filles, 
Et  prend  le  menton  de  nos  plus  gentilles. 
Merci,  mon  seigneur, 
C'est  bien  de  l'honneur  ! 

Notre  bon  seigneur 
Aime  à  la  rigueur 
La  franche  commère; 
De  son  parrainage  on  flatte  le  père. 
Merci,  mon  seigneur, 
C'est  bien  de  l'honneur! 

Notre  bon  seigneur, 
En  joyeux  buveur, 
Ne  craint  pas  la  gale  : 
Il  boit  avec  nous  pourvu  qu'on  régale. 
Merci,  mon  seigneur. 
C'est  bien  de  l'honneur  ! 

Notre  bon  seigneur 
Mange  bien  sans  peur 
A  môme  une  étable, 
Quand  un  bon  chapon  fume  sur  la  table. 
Merci,  mon  seigneur, 
C'est  bien  de  l'honneur  ! 

Notre  bon  seigneur 
En  bon  emprunteur, 
Le  jour  de  sa  fête, 
Nous  rend  en  baisers  l'argent  qu'on  lui  prête. 
Merci,  mon  seigneur, 
C'est  bien  de  l'honneur! 


—  143  — 

Notre  bon  seigneur, 
Qu'un  vin  bienfaiteur 
Porte  à  la  tendresse, 
Crie  en  trébuchant  :  A  bas  la  noblesse  ! 
Merci,  mon  seigneur, 
C'est  bien  de  l'honneur  ! 

Notre  bon  seigneur, 
Qui  voit  avec  peur 
La  sombre  demeure, 
En  l'y  conduisant  permettra  qu'on  pleure. 
Merci,  mon  seigneur, 
C'est  bien  de  l'honneur  ! 

Bry-sur-Marne,  1865 


Editeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Ci-oissant,  Paris. 


144  — 


CASSE-&RAIN 


Ah  citoyen  Laurent  Graillât. 

L'ivrogne  est  l'homme,  à  mon  avis, 
Le  plus  poétique  du  monde  : 

Qu'on  m'en  blâme  à  la  ronde. 

Ma  foi,  tant  pis! 

C'est  mon  avis. 

Pour  vous  prouver  ce  que  j'avance. 
Entrons  chez  la  mère  Picard, 
Et  la  main  sur  la  conscience 
Esquissons  un  maître  pochard. 
Prenons  ce  gars  à  belle  mine, 
Luron  solide  et  sans  souci, 
Qui  vous  avale  une  chopine 
Le  temps  de  vous  dire  :  merci! 

L'ivrogne  est  ijhomme,  à  mon  avis, 
Le  plus  poétique  du  monde  : 

Qu'on  m'en  blâme  à  la  ronde. 

Ma  foi,  tant  pis! 

C'est  mon  avis. 

Casse-Grain,  ainsi  qu'on  le  nomme. 
Est  gai  comme  plusieurs  pinsons  ; 


—  145  — 

Ça  n'est  pas  seulement  un  homme, 

C'est  un  volume  de  chansons. 

Sa  lèvre  d'un  rouge  cerise 

Est  humide  comme  un  fruit  mûr  : 

Poète,  à  table,  il  improvise 

Des  jurons  francs  comme  un  vin  pur. 

L'ivrogne  est  l'homme,  à  mon  avis, 
Le  plus  poétique  du  monde: 

Qu'on  m'en  blâme  à  la  ronde, 
Ma  foi,  tant  pis! 
C'est  mon  avis. 

Muid  de  vin  dans  un  sac  de  toile, 
S'il  chavire  dans  ses  sabots. 
Il  s'endort  à  la  belle  étoile 
Gomme  les  fleurs  et  les  oiseaux. 
Toujours  solide  à  la  consigne, 
La  soif  n'a  pas  tari  son  cœur  : 
Ses  yeux  pleurent  comme  la  vigne 
Et  son  nez  est  toujours  en  fleur. 

L'ivrogne  est  l'homme,  à  mon  avis. 
Le  plus  poétique  du  monde  : 

Qu'on  m'en  blâme  à  la  ronde, 
Ma  foi,  tant  pis! 
C'est  mon  avis. 

Joigny,  1865. 

Editeur:  M.  Basseroau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 

5 


146  — 


AIMEZ-VOUS 


A  madame  Caille. 

Aimez-vous  ! 
Cachés  dans  vos  alcôves  roses 
Et  dites-vous  de  belles  choses, 
La  poésie  est  née  un  jour 
De  l'éloquence  et  de  l'amour. 

Aimez-vous  ! 
Si  dans  votre  amoureuse  fièvre, 
Les  mots  meurent  sur  votre  lèvre, 
Redoublez  vos  embrassements  : 
Les  baisers  en  amour  sont  toujours  éloquents! 

Aimez-vous  ! 

Aimez-vous  ! 
Dans  les  sillons  et  dans  les  herbes, 
En  portant  les  foins  et  les  gerbes. 
Dans  la  grange  où  l'on  bat  le  grain, 
Dans  la  cave  où  chante  le  vin. 

Aimez-vous  ! 
Et  laissez  rire  les  mignonnes 
Des  gros  baisers  de  vos  luronnes 


i 


—  147  — 

Et  de  leur  taille  sans  atour  : 
Qu'on  soit  pâle  ou  joufflu,  c'est  toujours  de  l'amour! 
Aimez-vous  ! 

Aimez-vous, 
Et  sans  courtiser  la  fortune 
Ne  lui  gardez  pas  trop  rancune, 
Puisqu'elle  fait  des  envieux 
Et  que  l'amour  fait  des  heureux... 

Aimez-vous! 
Nos  pères  ont  aimé  nos  mères, 
Par  l'amour  les  hommes  sont  frères, 
Et  puisqu'ils  ont  fait  comme  nous, 
Le  cœur  des  vétérans  n'en  sera  pas  jaloux! 

Aimez-vous! 

Aimez-vous  ! 
Mais  trouvez  d'ardentes  caresses 
A  faire  crier  vos  maîtresses, 
Et  que  l'amour,  comme  aux  peureux, 
Vous  fasse  dresser  les  cheveux... 

Aimez-vous  ! 
Ne  perdez  pas  en  rêverie 
Le  temps  fugitif  où  la  vie 
Est  un  vaste  pavillon  bleu  : 
C'est  si  beau  la  jeunesse  et  ça  dure  si  peu  ! 

Aimez-vous  ! 

Aimez-vous  ! 
Pour  inspirer  les  grands  artistes, 
Pour  consoler  ceux  qui  sont  tristes. 


—  148  — 

Pour  conserver  un  souvenir, 
Pour  savoir  vivre  et  bien  mourir... 

Aimez -vous! 
Et  que  l'amour  dans  la  nature 
Répande  un  éternel  murmure, 
Que  le  monde  en  soit  enflammé 
Et  qu'il  endiablé  ceux  qui  n'ont  jamais  aimé  ! 

Aimez-vous  ! 

Paris,  1868. 


Musique  de  Darcier.  —  Editeur:  M.  Michaëlis,  45,  rue  deMaubeuge, 
Paris . 


—  149  — 

VIVE   L'EMPEREUR  1 

Air  :  La  bonne  Aventure 


Au  citoyen  Petite. 

Bonjour  au  grand  empereur 
Qui  gouverne  en  France, 

Élu  par  la  voix  du  cœur 
Ou  par  manigance. 

Mais  n'importe,  il  régnera 

Plus  longtemps  qu'on  ne  voudra. 

Vive  l'empereur, 

O  gué! 

Vive  rempereu...eu...re  ! 

A  la  gloire  de  son  nom 

Et  de  tout  le  monde, 
Inventons  une  chanson 

Qu'on  chante  à  la  ronde. 
Si  nos  vers  sont  bien  carrés 
Nous  serons  tous  décorés. 

Vive  l'empereur, 

0  gué! 

Vive  rempereu...eu...re! 


—  150  — 

On  dit  que  sa  majesté 

Et  toute  sa  clique 
Ont  juré  fidélité 

A  la  République. 
Mais  puisqu'ils  sont  parvenus, 
Pourquoi  seraient-ils  pendus? 

Vive  l'empereur, 
0  gué! 
Vive  rempereu...eu...re! 

Prévoyant  les  accidents 

Au  temps  où  nous  sommes, 
On  muselle  en  même  temps 

Les  chiens  et  les  hommes. 
Moins  de  rage  et  plus  d'impôts, 
Et  César  dort  en  repos. 

Vive  l'empereur, 
Ogué! 
Vive  rempereu...eu...re! 

De  vaincre  par-ci  par-là. 
Il  ne  fut  pas  chiche, 

Et  la  France  malgré  ça 
N'en  est  pas  plus  riche. 

Mais  l'on  saura  désormais 

Ce  que  valent  les  Français. 

Vive  l'empereur, 
0  gué  ! 
Vive  rempereu...eu...re! 


—  151  — 

Il  fait  des  quartiers  nouveaux» 
Droits  comme  des  flèches, 

Et  le  jour  où  ses  bourreaux 
Seront  à  leurs  mèches, 

Vous  verrez  qu'au  bon  endroit 

Les  boulets  iront  tout  droit.     ^ 

Vive  l'empereur, 
0  gué  ! 
Vive  rempereu,..eu...re! 

Pour  montrer  au  genre  humain 
Gomment  l'on  gouverne, 

Il  n'ouvre  pas  un  chemin 
Sans  une  caserne. 

La  moisson  manque  de  bras, 

Mais  Paris  a  des  soldats. 

Vive  l'empereur, 
0  gué  ! 
Vive  rempereu...eu...re! 

Ça  n'est  pas,  à  mon  avis, 

Bonne  renommée. 
Que  de  gouverner  Paris 

La  mèche  allumée, 
Et  le  dernier  sacripant 
En  saurait  bien  faire  autant  ! 

Vive  l'empereur, 
0  gué! 
Vive  rempereu...eu...re! 


—  152  — 

Aussi  le  voit-on  chez  nous 

Suivi  par  derrière 
D'un  vilain  troupeau  de  loups 

Armés  comme  en  guerre  : 
Ce  coureur  de  lupanards 
A  la  bosse  des  mouchards! 

Vive  l'empereur, 
0  gué  ! 
Vive  rempereu...eu...re! 

Cependant,  tas  de  coquins, 
Si  j'en  crois  l'histoire, 

Sans  nos  vieux  républicains, 
Il  serait  sans  gloire, 

Puisque  c'est  quatre-vingt-neuf 

Qui  l'a  fait  sortir  de  l'œuf. 

Vive  l'empereur, 
Ogué! 
Vive  rempereu...eu...re! 

C'est  encor  bien  plus  affreux 
De  la  part  d'un  homme. 

De  traiter  des  malheureux 
En  bêtes  de  somme, 

Quand  c'est  au  prix  de  leur  peau 

Qu'on  s'est  fait  un  beau  manteau. 

Vive  l'empereur, 
0  gué  ! 
Vive  rempereu...eu...re! 


—  153  — 

Mais  bah  !  les  iniquités 

Et  les  téméraires, 
Les  voleurs  de  libertés 

Et  les  muselières, 
Lasseront  les  bons  enfants, 
Et  tout  ça  n'aura  qu'un  temps  ! 

Vive  l'empereur, 
0  gué! 
Vive  rempereu...eu...re! 

Paris,  1867. 


Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


154  — 


CHANSON   D'AVANT-POSTE 


Au  citoyen  Georges  Litnoiisin. 

...Au  bois  de  la  Saulette, 
Ma  sœur  baisse  le  dos 
Et  taille  des  fagots 
A  grands  coups  de  hachette  ; 
Elle  en  revient  le  soir 
Bien  triste  et  bien  peinée, 
N'ayant  dans  sa  journée 
Mangé  que  du  pain  noir. 
Au  lieu  d'être  avec  elle, 
J'ai  le  fusil  au  bras 
Et  je  fais  sentinelle, 
Pour  chagriner  des  gens  que  je  ne  connais  pas. 

Sous  les  drapeaux  de  France, 
Que  deviendrait  Jacquot 
Privé  de  souvenance? 
Petite  sœur  Margot, 
Pensez-vous  à  Jacquot? 

Au  bois  de  la  Gerbaude, 
Accroupi  sous  les  houx, 
Pour  qu'on  mange  chez  nous, 
Mon  père  est  en  maraude. 


il 


—  lo5  — 

Courant  à  ses  lacets, 
II  est  suivi  peut-être 
Par  le  garde-champêtre 
Qui  lui  fera  procès. 
Au  lieu  d'être  à  la  guette 
A  sauver  le  carnier, 
Comme  une  grande  bête 
On  m'envoie  en  avant  pour  servir  de  gibier. 

Sous  les  drapeaux  de  France, 
Que  deviendrait  Jacquot 
Privé  de  souvenance? 
Pauvre  père  Pierrot, 
Reverrez-vous  Jacquot? 

Ma  mère  bien  vieillie. 
De  m'avoir  tant  pleuré, 
Va  voir  chez  le  curé 
Si  la  guerre  est  finie  ; 
Le  commis  du  bon  dieu, 
A  propos  de  gibernes. 
Conte  des  balivernes  ; 
Ça  la  console  un  peu. 
La  France  est  votre  mère, 
A  dit  le  général. 
Tout  ça,  c'est  bon  en  guerre, 
Les  petiots  qu'elle  pond  ne  lui  font  pas  grand  mal. 

Sous  les  drapeaux  de  France, 
Que  deviendrait  Jacquot 
Privé  de  souvenance? 


—  lo6  — 

Pauvre  mère  Pierrot, 
Reverrez-Yous  Jacquot? 

Tout  me  paraît  plus  sombre 
En  songeant  au  pays  ; 
J'aperçois  des  esprits 
Qui  sautillent  dans  l'ombre. 
J'ai  cru  voir  un  géant 
Le  fusil  sur  l'épaule, 
Et  ça  n'était  qu'un  saule 
Balancé  par  le  vent. 
Tantôt  je  m'imagine. 
Tant  je  tremble  de  peur, 
Qu'on  m'ouvre  la  poitrine 
Et  qu'à  coups  de  mailloche  on  m'écrase  le  cœur. 

Sous  les  drapeaux  de  France, 
Que  deviendrait  Jacquot 
Privé  de  souvenance? 
Petite  sœur  Margot, 
Reverrez-YOus  Jacquot? 

Si  je  prenais  la  route 
Qui  conduit  au  pays, 
Je  serais  bientôt  pris. 
Et  mis  à  mort  sans  doute. 
Mieux  vaut  tomber  encor 
Dans  une  fusillade 
Et  qu'un  bon  camarade 
Écrive  qu'on  est  mort. 


—  157  — 

Demain  dans  la  bataille, 
En  voyant  le  troupeau 
Criblé  par  la  mitraille, 
Faudra  voir  tout  de  même  à  défendre  sa  peau. 

Sous  les  drapeaux  de  France, 
Que  deviendrait  Jacquot 
Privé  de  souvenance? 
Pauvre  mère  Pierrot 
Reverrez-vous  Jacquot? 

Paris-Montmartre,  1866. 
Musique  de  Darder.—  Éditeur:  M.  Lebailly,  2, rue  Cardinale, Paris. 


On  a  toujours  fait  des  Bmjard  de  tous  les  pauvres  diables  qui 
grelottent  de  froid  et  de  peur  on  sentinelles  perdues  ou  de  fac- 
tion aux  avant-postes.  Les  chauvins  ne  seront  sans  doute  pas  de 
raon  avis,  mais  je  crois  que  tous  ceux  qui  ont  passé  par  cette  émo- 
tion désagréable  ont  eu  la  même  peur  et  les  mêmes  pensées  que 
mon  infortuné  Jacquot. 

Ceci  dit,  cela  n'empochera  pas  Jacquot  de  faire  aussi  bonne  figure 
que  les  camarades. 


—  Ib8  — 


LE  DIABLE 


Au  citoyen  Chantpy. 

Ah!  pauvre  diable,  mon  ami, 

Que  de  bruits  on  fait  sur  ton  compte! 

Plus  on  est  fou,  plus  on  en  conte. 

Ah  !  pauvre  diable,  mon  ami, 

Va,  ton  règne  n'est  pas  fini. 

Par  un  beau  soir,  au  long  des  houx, 
Que  chacun  avait  sa  chacune, 
J"ai  vu  le  diable  au  bois  des  fous 
Qui  faisait  l'amour  à  la  lune. 
Il  avait  des  cornes  de  bœufs. 
Un  œil  tout  vert  et  l'autre  rouge, 
Des  crins  en  guise  de  cheveux 
Qui  carillonnent  quand  il  bouge. 

Ah  !  pauvre  diable,  mon  ami,  etc. 

C'est  un  conte  à  dormir  debout, 
Le  diable  n'est  pas  un  fantôme  ; 


—  159  — 

Le  méchant  rôde  un  peu  partout 
Et  Tenfer  n'est  pas  son  royaume. 
Rapide  et  froid  comme  le  vent, 
Cruel  et  dur  comme  la  guerre, 
Je  l'ai  rencontré  bien  souvent  : 
Le  vrai  diable,  c'est  la  misère  ! 

Ah  !  pauvre  diable,  mon  ami,  etc. 

Chacun  le  voit  à  sa  façon  : 

Les  amoureux  dans  les  charmilles, 

Le  malade  dans  sa  boisson, 

Le  malheureux  sous  ses  guenilles. 

Mais  en  laissant  tomber  un  pleur 

Pour  me  soulager  la  poitrine  : 

Va  donc,  va  donc,  me  dit  mon  cœur, 

Le  vrai  diable,  c'est  Catherine  ! 

Ah!  pauvre  diable,  mon  ami,  etc. 

Le  vrai  diable,  c'est  les  écus. 
C'est  une  belle  qui  se  ride, 
C'est  les  espoirs  qu'on  a  perdus, 
C'est  un  regard  dans  un  sac  vide, 
C'est  le  froid,  la  soif  et  la  faim. 
C'est  la  discorde  où  l'on  demeure. 
C'est  la  moitié  du  genre  humain 
Et  l'autre  qui  n'est  pas  meilleure. 

Ah  !  pauvre  diable,  mon  ami,  etc. 


—   160  — 

Le  diable,  c'est  l'ambition, 
La  jalousie  et  la  vengeance  ; 
C'est  un  pays  sans  union, 
C'est  un  amour  sans  espérance  ; 
C'est  naître,  souffrir  et  mourir... 
Vous  jasez  bien.  0  fantaisie! 
Mais  dites-nous  pour  en  finir, 
Que  le  vrai  diable,  c'est  la  vie  ! 

Ah!  pauvre  diable,  mon  ami, 
Que  de  bruits  on  fait  sur  ton  compte  ! 
Plus  on  est  fou,  plus  on  en  conte... 
Ah  !  pauvre  diable,  mon  ami, 
Non,  ton  règne  n'est  pas  fini. 

Londres,  1873. 


Musique  de  Paul  Henrion.  —Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du 
Croissant,  Paris. 


—  161  — 


niNYASION 


A  M.  Paul  Goutiire. 

En  moins  d'un  siècle  d'existence 
Nous  avons  eu  deux  empereurs, 
Et  trois  fois  notre  pauvre  France 
Fut  livrée  aux  envahisseurs. 
Nous  en  garderons  la  mémoire, 
0  race  des  Napoléon! 
Qu'on  surnommera  dans  l'histoire  : 
Les  Bonaparte-invasion  ! 

Silence  aux  faiseurs  de  conquêtes, 
Aux  bourreaux  de  la  liberté  ! 
Leurs  victoires  sont  des  défaites 

Pour  l'humanité... 

Place  à  la  liberté! 

Trois  fois  l'incendie  et  les  guerres 
Ont  ensanglanté  nos  hameaux  ; 
Trois  fois  les  hordes  étrangères 
Chez  nous  ont  planté  leurs  drapeaux; 


—  162  — 

Trois  fois  les  vieillards  et  les  femmes 
Ont  dû  s'enfuir  à  travers  champs, 
Laissant  leurs  chaumières  en  flammes 
Pour  aller  cacher  leurs  enfants. 

Silence  aux  faiseurs  de  conquêtes, 
Aux  bourreaux  de  la  liberté! 
Leurs  victoires  sont  des  défaites 

Pour  l'humanité... 

Place  à  la  liberté! 

Ceux  qui,  jadis,  courbaient  la  tête 
Devant  nos  soldats  sans  souliers, 
Fiers  aujourd'hui  de  leur  conquête 
Dictent  des  lois  dans  nos  foyers! 
Et. la  France  républicaine 
Qui  les  vainquit  tous  en  un  jour, 
Pleure  l'Alsace  et  la  Lorraine 
Et  porte  le  deuil  de  Strasbourg. 

Silence  aux  faiseurs  de  conquêtes, 
Aux  bourreaux  de  la  liberté! 
Leurs  victoires  sont  des  défaites 

Pour  l'humanité... 

Place  à  la  liberté  ! 

C'est  en  vous  parlant  de  patrie, 
C'est  en  divisant  l'univers, 
Qu'on  nous  mène  à  la  boucherie 
Et  qu'on  nous  jette  dans  les  fers. 


—  163  — 

Courons  tous  autant  que  nous  sommes 
A  la  conquête  de  nos  droits, 
Et  d'esclaves  devenons  hommes 
En  nous  liguant  contre  les  rois  ! 

Silence  aux  faiseurs  de  conquêtes, 
Aux  bourreaux  de  la  liberté  ! 
Leurs  victoires  sont  des  défaites 

Pour  l'humanité... 

Place  à  la  liberté  ! 

Londres,  1874. 


Musique   de    Marcel   Legay.  —  Editeur  :  M.  Bassercau,   240,  rue 
Saint-Martin,  Paris. 


—  164  — 


FANCHETTE 


A  madame  Magnien. 

Notre  palais,  c'est  une  chambre, 
Le  paradis  des  quatre  vents. 
Fanchette  y  chante  en  plein  décembre, 

Landerirette! 

Comme  au  printemps. 
L'amour  qui  rit  de  l'étiquette 
Chez  nous  se  loge  sans  façon, 

Landerirette  ! 

—  Eh,  que  m'importe,  dit  Fanchette, 
Si  la  cage  plaît  au  pinson! 

Sans  meuble,  on  est  mieux  à  son  aise  ; 
Aussi,  quand  nous  rentrons  le  soir, 
Nous  n'avons  qu'une  vieille  chaise, 

Landerirette  ! 

Pour  nous  asseoir. 
L'amour  qui  rit  de  l'étiquette 
Ne  fit  pas  les  fauteuils  pour  nous, 

Landerirette  ! 

—  Il  a  bien  fait,  me  dit  Fanchette: 
Je  suis  bien  mieux  sur  tes  genoux. 

Que  la  terre  tourne  et  soit  ronde. 
Mais  que  le  printemps  ait  des  fleurs, 


—  165  — 

Pour  nous  qui  n'avons  en  ce  monde, 

Landerirette  ! 

Que  nos  deux  cœurs. 
L'amour  qui  rit  de  l'étiquette 
N'en  trouve  point  à  chaque  pas, 

Landerirette  ! 

—  Je  le  sais  bien,  me  ditFanchette, 
J'en  connais  tant  qui  n'en  ont  pas. 

Je  suis  certain  que  la  fortune 
Ne  nous  tombera  pas  des  cieux, 
L'argent  semble  garder  rancune, 

Landerirette  ! 

Aux  amoureux. 
L'amour  qui  rit  de  l'étiquette 
Ne  recherche  pas  sa  faveur, 

Landerirette  ! 

—  Il  a  raison,  me  dit  Fanchette  : 
L'argent  ne  fait  pas  le  bonheur. 

Nous  voltigeons  pleins  d'espérance 
Quand  l'herbe  commence  à  fleurir. 
Tant  pis,  si  c'est  une  existence, 

Landerirette! 

Sans  avenir. 
L'amour  qui  rit  de  l'étiquette 
Ne  nous  mettra  pas  hors  la  loi, 

Landerirette  ! 
Aussi  je  n'aime  que  Fanchette, 
Et  Fanchette  n'aime  que  moi. 

Musique  de  P.  Henrion.  —  Editeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant. 


—  166  — 


LE  MOULIN  NOIR 


A  Clémence  Baudîn. 

La  meule  tourne  et  moud  du  grain 
Au  moulin  noir  du  vieux  ravin... 

...  Il  babille  au  long  des  grands  saules, 

Le  garde-moulin  a  six  pieds, 

Des  bras  noueux  et  des  épaules 

Gomme  des  troncs  de  peupliers  ; 

Il  a  le  chant  des  tourterelles. 

Et  du  velours  dans  les  prunelles... 

...  Au  moulin  noir  du  vieux  ravin, 
C'est  à  qui  portera  son  grain. 

Quand  fillette  porte  son  grain 
Au  moulin  noir  du  vieux  ravin... 

...  Elle  en  revient  toute  épeurée. 
Ayant  de  la  malice  au  cœur, 
La  lèvre  chaude  et  colorée. 
Des  frissons  et  de  la  pâleur; 
Elle  fuit  quand  on  l'amignonne 
Et  ne  veut  plus  aimer  personne... 


—  167  — 

..".  Au  moulin  noir  du  vieux  ravin, 
L'amour  est-il  garde -moulin? 

Quand  un  garçon  porte  son  grain 
Au  moulin  noir  du  vieux  ravin... 

...  Il  en  revient  poitrine  en  rage, 
Tête  affolée,  œil  flamboyant  ; 
Il  ameute  tout  le  village, 
11  se  grise  et  devient  méchant  : 
Il  a  tant  de  i'ouge  aux  prunelles 
Qu'il  en  fait  peur  aux  demoiselles. 

...  Au  moulin  noir  du  vieux  ravin, 
Bien  fin  est  le  garde-moulin. 

Quand  le  curé  porte  son  grain 
Au  moulin  noir  du  vieux  ravin... 

..  Il  en  revient  sur  son  ânesse, 
Niant  la  vierge  et  le  bon  dieu. 
Il  se  trompe  en  disant  la  messe. 
Il  se  grise  de  petit  bleu. 
Et  trouve  alors  que  sa  servante 
Est  une  fille  appétissante... 

...  Au  moulin  noir  du  vieux  ravin 
Bien  fin  est  le  garde-moulin. 

Il  tourne,  tourne,  et  moud  du  grain, 
Le  moulin  noir  du  vieux  ravin... 


—  168  — 

...  Quand  la  meule  agite  la  cloche, 
Le  follet  saute  dans  les  bois  ; 
Pas  un  bigot  ne  s'en  approche 
Sans  faire  un  grand  signe  de  croix. 
Si  les  buveurs  sont  gens  à  croire, 
Jadis,  on  disait  après  boire  : 

...  Qu'au  moulin  noir  du  vieux  ravin 
Le  diable  était  garde-moulin. 

Ile  du  Moulin-Joly,  1864. 


Musique   de  Darcier.   —  Éditeur  :  M.  Lebailly,  2,  rue  Cardinale, 
Paris. 


—  169 


LA   RONDE   DU   PRINTEMPS 


R  0  N  D  E  A  l 


A  madame  Camille  Vesan. 

En  avant  deux, 

Les  amoureux, 
Allez  cueillir  la  violette 
Et  profitez  de  vos  vingt  ans. 
La  nature  est  en  fête. 

C'est  le  printemps! 

Le  voilà  tout  frais  de  soleil, 

De  lilas  et  de  feuilles  vertes, 

Sonnant  la  cloche  du  réveil 

Sur  toutes  les  routes  désertes. 

Le  voilà  couronné  de  fleurs 

Comme  une  jeune  fiancée  ; 

Il  fait  sauver  l'hiver  en  pleurs 

Et  tomber  la  fraîche  rosée. 

Il  met  l'amour  dans  les  buissons. 

Sur  les  branches  et  dans  la  mousse  ; 

Il  fredonne  avec  les  pinsons. 

Il  chante  avec  la  fleur  qui  pousse  ! 

5. 


—  170  — 

Il  habille  en  blanc  les  pommiers, 
Il  met  des  nids  dans  les  charmilles, 
Il  fait  roucouler  les  ramiers 
Et  soupirer  les  jeunes  filles. 

En  avant  deux, 

Les  amoureux. 
Allez  cueillir  la  violette 
Et  profitez  de  vos  vingt  ans. 
La  nature  est  en  fête. 

C'est  le  printemps  1  . 

Il  met  des  étoiles  aux  cieux, 
Il  peint  en  bleu  tous  les  nuages  ; 
Il  endiablé  les  amoureux, 
Il  chiffonne  tous  les  corsages! 
Le  monstre  ne  peut  faire  un  pas 
Sans  semer  une  villanelle, 
Une  chanson  dans  les  lilas 
Et  des  rondeaux  sous  la  tonnelle. 
Le  monstre  ne  peut  soupirer 
Sans  faire  éclore  une  pensée, 
Ou  bien,  s'il  se  met  à  pleurer. 
Il  fait  pleuvoir  de  la  rosée. 
Et  comme  on  aime  nuit  et  jour. 
On  n'entend  plus  que  le  murmure 
D'un  immense  baiser  d'amour 
Qui  fait  frissonner  la  nature  ! 

En  avant  deux, 
Les  amoureux, 


—  171  — 

Allez  cueillir  la  violette, 
Et  profitez  de  vos  vingt  ans. 
La  nature  est  en  fête. 
C'est  le  printemps  ! 

Alors  les  oiseaux  amoureux 

Se  font  de  l'oeil  entre  deux  branches. 

Les  grillons  s'en  vont  deux  par  deux 

Faire  leur  nid  sous  les  pervenches. 

Les  fleurettes  poussent  en  chœur 

Et  soupirent  des  élégies, 

La  terre  ouvre  son  vaste  cœur 

Et  fait  jaillir  ses  mélodies. 

Alors  les  vieillards  rajeunis 

De  secouer  leur  barbe  grise. 

Et  d'aller  prendre  aux  bois  fleuris 

Une  bonne  goutte  de  brise. 

Mais  pour  les  filles  et  les  gars. 

Les  bois  fleuris,  c'est  autre  chose  : 

Ils  y  feront  bien  des  faux  pas 

Et  le  printemps  en  sera  cause  !... 

En  avant  deux, 

Les  amoureux, 
Allez  cueillir  la  violette, 
Et  profitez  de  vos  vingt  ans. 
La  nature  est  en  fête. 

C'est  le  printemps? 

Chailly,  1866. 

Musique   de   M.   Emile  Bouillon.  —  Éditeur  :   Société    anonyme 
7,  rue  d'Engliien,  Paris. 


172 


FRANÇAIS,  RÉVEILLEZ-VOUS  DONC! 


Au  citoyen  J.-B.  Dumay. 

Digue  din  don  !  din  don  !  din  don  ! 
Français,  eh!  réveillez-vous  donc!.  . 

France,  deviendrais-tu  cagote 
Que  tu  dors  comme  une  marmotte 
Quand  on  outrage  ton  honneur  ? 
Car  à  tous  autant  que  nous  sommes 
On  peut  crier  la  rage  au  cœur  : 
Français,  vous  n'êtes  plus  des  hommes  ! 

Digue  din  don  !  din  don  !  din  don! 
Français,  eh  !  réveillez-vous  donc  !... 

Faut-il  pour  que  vous  soyez  braves 

Que  le  clairon  de  vos  zouaves 

Vous  entraîne  comme  un  drapeau? 

Quoi  !  tes  enfants,  France  guerrière, 

Vont  se  faire  trouer  la  peau 

Pour  les  beaux  yeux  du  vieux  Saint-Père 

Digue  din  don!  din  don!  din  don  ! 
Français,  eh!  réveillez-vous  donc!... 


—  173  — 

Êtes-vous  des  polichinelles 
Qu'on  fait  marcher  par  des  ficelles, 
Soldats  du  Rhin  et  d'Austerlitz? 
Et  toi,  vainqueur  de  la  Bastille, 
As-tu  dans  le  sang-  de  tes  fils 
Mêlé  du  sang  de  pacotille  ?... 

Digue  din  don  !  din  don  !  din  don  ! 
Français,  eh!  réveillez-vous  donc!... 

Peuple,  tu  n'as  plus  qu'à  te  pendre 
Si  tu  ne  sais  pas  te  défendre 
Quand  les  esprits  sont  soulevés. 
Si  ta  voix  est  insuffisante, 
Va-t-en  derrière  les  pavés 
Où  ta  colère  est  éloquente  ! 

Digue  din  don  !  din  don  !  din  don  ! 
Français,  eh!  réveillez-vous  donc  !... 

France,  que  doit  dire  l'Europe 
De  te  voir  tomber  en  syncope 
Sous  l'éperon  de  tes  tyrans  ? 
Veux-tu,  qu'échappés  de  leur  antre, 
Les  Prussiens  te  saignent  aux  flancs 
Et  qu'ils  te  passent  sur  le  ventre  ?... 

Digue  din  don  !  din  don  !  din  don  ! 
Français,  eh!  réveillez-vous  donc!... 

Ce  que  tu  dois  porter  au  monde 
C'est  le  progrès,  source  féconde, 


—  174  — 

Et  le  chant  des  républicains. 
Mais,  fils  d'une  même  patrie, 
N'allons  pas  comme  des  Vulcains 
Forger  des  fers  à  lltalie. 

Digue  din  don  !  din  don  !  din  don  ! 
Français,  eh  !  réveillez-vous  donc  !... 

Pourquoi  franchissant  tant  d'abîmes, 
Dans  le  sang  de  tant  de  victimes, 
Avez-vous  fait  quatre-vingt-neuf, 
Si  vous  allez  tous,  d'un  pas  ferme, 
Couver  à  Rome  un  mauvais  œuf 
Dont  il  faut  étouffer  le  germe!... 

Digue  din  don  !  din  don  !  din  don  ! 
Français,  eh  !  réveillez-vous  donc!... 


Assez  de  papes  et  de  corses  ! 
Protestons  de  toutes  nos  forces 
Avant  qu'on  ait  ouvert  le  feu. 
Si  l'on  veut  nous  mener  à  Rome 
Sauver  le  mangeur  de  bon  dieu, 
Levons-nous  tous  comme  un  seul  homme. 

Digue  din  don  !  din  don  !  din  don  ! 
Français,  eh!  réveillez-vous  donc! 

Paris-Montmartre,  1867. 
Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  175  - 


MON  PÂUVR'  PETIOT 


A  madame  Louise  Paulin. 

Etait-ce  possibl'  qu'on  s'imagine 
Qu'il  était  v'nu  pour  si  peu  d' temps 
A  voir  ses  p'tits  yeux  si  vivants. 
Son  doux  sourire  et  sa  bell'  mine  ?... 
Après  r  travail  Jean  n'  flânait  pas, 
Il  était  si  content  d'êtr'  père, 
Qu'y  s'en  r'venait  bercer  1'  tit  gars 
Qu'était  l'espoir  de  notr'  chaumière  ! 
Ah!  petiot! 
Petiot  ! 
Mon  pauvr'  petiot  ! 

Quand  y  f'sait  soleil  dans  la  plaine. 
Mon  Jean  l'emportait  sur  son  dos; 
J'y  f  sions  un  lit  sous  les  rameaux 
Tout  doucett'ment  env'loppé  d'iaine. 
Si  Jean  l'entendait  soupirer, 
Un  coup  d'  couteau  n'était  pas  pire  ! 
L'  bonheur  aussi  ça  fait  pleurer. 
Car  nous  pleurions  en  1'  voyant  rire  ! 
Ah  !  petiot  ! 
Petiot  ! 
Mon  pauvr'  petiot  ! 


—  176  — 

On  a  beau  s'  dir'  faut  du  courage  ! 
Mais  c'est  si  triste  à  la  maison, 
Que  c'est  plus  fort  que  la  raison. 
On  n'a  plus  grand  cœur  à  l'ouvrage. 
Dam  !  il  paraît  qu'  les  pauvres  gens 
N'ont  rien  à  eux  que  leur  misère. 
On  leur  prend  jusqu'à  leurs  enfants. 
C'est  à  n'  plus  croire  à  rien  sur  terre  !... 
Ah  !  petiot  ! 
Petiot  ! 
Mon  pauvr'  petiot  ! 

Maint'nant  y  r'pose  auprès  d'  cett'  pierre, 
Là,  sous  l'herbe  où  qu'y  pousse  un'  fleur. 
C'est  p't-êtr' seul'ment  son  pauvr'  titcœur 
Quel'  soleil  fait  sortir  de  terre? 
Aussi  je  l'aimons  ce  p'tit  r'coin, 
Et  quand  j'  somm's  fatigués  d'  notr'  peine. 
Main  dans  la  main  et  sans  témoin. 
J'y  v'nons  pleurer  comme  un'  Mad'leine!... 
Ah!  petiot  ! 
Petiot  ! 
Mon  pauvr'  petiot  ! 

Ile  du  Moulin-Joly,  1864. 


Musique   de  Victor  Parizot.    —  Éditeur  :  M.    Lebailly, 
2,  rue  Cardinale,  Paris. 


—  177  — 


AU  SECOURS!   AU  SECOURS! 


A  Charles  Lamy. 

Un  jeune  homme  à  la  barbe  brune, 
Tout  rayonnant  d'amour  et  de  beauté, 

Vient  d'escalader  à  la  brune 
Le  petit  mur  du  chalet  d'à  côté  : 

Le  doux  zéphyr  aime  la  rose 

Et  la  jeunesse  les  amours... 
Il  a  volé  le  papillon  de  Rose, 

Au  secours!  au  secours! 

Bontemps  nous  dit,  quand  il  chancelle. 
Que  le  bon  vin  nous  fait  voir  tout  en  bleu  ; 

Qu'il  faut  s'arroser  la  cervelle 
Pour  que  l'esprit  n'y  mette  pas  le  feu... 

Gris  de  bourgogne  et  de  Champagne, 

Il  va  nous  faire  un  long  discours... 
Maître  Bontemps  a  battu  la  campagne, 
Au  secours!  au  secours! 

Madeleine  veut  rester  sage, 
Mais  son  voisin  a  des  charmes  trompeurs; 

L'amour  est  un  oiseau  volage 
Qui  fait  son  nid  au  tic-tac  de  nos  cœurs. 


Du  doux  baiser  qu'on  prend  si  vite 
Naît  le  volcan  de  nos  amours 
Et  ce  feu-là  dévore  la  petite. .. 

Au  secours!  au  secours! 

L'Anglais  que  la  Tamise  altère, 
Encore  en  fleur,  achète  notre  vin  ; 

Depuis  qu'il  boit  dans  notre  verre 
L'odeur  du  spleen  attaque  le  raisin. 

On  vend,  de  patrie  en  patrie, 

La  vieille  mère  des  amours  ; 
Depuis,  en  France,  on  meurt  de  la  pépie, 
Au  secours  !  au  secours  ! 

Aux  premiers  cris  d'indépendance. 
Tout  un  grand  peuple  est  sorti  du  tombeau  : 

La  Pologne  a  crié  vengeance, 
Et  sur  la  brèche  a  planté  son  drapeau. 

Les  chants  de  mort,  lés  cris  d'alarme. 

Le  son  funèbre  des  tambours 
Semblent  nous  dire  :  Ils  sont  nos  frères  d'armes  ! 
Au  secours  !  au  secours  ! 

Pai-is-Montmartre,  186... 


Musique  de  V.  Boullard.  —  Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du 
Croissant,  Paris. 


—  179  — 


QUATRE-VINGT-NEUF! 


A  Théophile  Ferré,  membre  de  la 
Commune  de  Paris,  fusillé  au  pla- 
teau de  Satory  le  22  novembre  1871. 


Avant  Quatre-vingt-neuf 
On  n'était  pas  un  homme 
Sans  titre  et  sans  argent, 
Mais  la  bête  de  somme 
D'un  seigneur  insolent  : 
Et  notre  pauvre  France 
Était  dans  l'indolence 
Avant  Quatre-vingt-neuf. 

Avant  Quatre-vingt-neuf, 
De  quelle  pauvre  race, 
Tonnerre!  étions-nous  donc? 
Mais  de  tout  on  se  lasse, 
Et  lançant  un  juron, 
Le  peuple  débonnaire, 
Dans  un  jour  de  colère. 
Hurla  Quatre-vingt-neuf  I 

Hurla  Quatre-vingt-neuf, 
Et  coupant  les  racines 
Qui  produisaient  les  rois, 
Sur  le  trône  en  ruines 


—  180  — 

Il  inscrivit  ses  droits  : 
Un  trône,  comme  un  saule, 
S'abat  d'un  coup  d'épaule 
Dans  un  Quatre-vingt-neuf. 

Dans  un  Quatre-vingt-neuf, 
La  vengeance  publique 
Marche  à  pas  de  géants. 
Et  c'est  la  République 
Qui  jaillit  de  ses  flancs  : 
Cette  mère  des  mâles 
Qui  fait  peur  aux  gens  pâles 
Depuis  quatre-vingt-neuf  ! 

Depuis  quatre-vingt-neuf, 
On  a  taillé  les  hommes 
A  même  les  granits. 
Ceux  du  temps  où  nous  sommes 
Seraient-ils  plus  petits  ? 
Pourquoi  la  décroissance, 
Et  n'est-on  plus  en  France 
Fils  de  quatre-vingt-neuf  ? 

Fils  de  quatre-vingt-neuf, 
Ardents  comme  la  foudre 
Vous  construisez  des  lois, 
Vous  brûlez  de  la  poudre. 
Vous  châtiez  les  rois, 
Et,  las  de  faux  apôtres. 
Vous  en  reprenez  d'autres 
Nés  de  quatre-vingt-neuf. 


—  181  — 

Nés  de  quatre-vingt-neuf, 
Ils  ont  construit  leur  aire 
Avec  nos  ossements  ; 
Mais  les  flancs  de  la  terre 
En  sont  encor  fumants. 
Si  le  peuple  sommeille, 
Gare  qu'il  se  réveille 
Gomme  en  quatre-vingt-neuf  ! 

Gomme  en  quatre-vingt-neuf. 
Le  peuple  est  au  supplice. 
On  n'a  rien  fait  pour  lui. 
Au  nom  de  la  justice, 
Il  est  temps  aujourd'hui 
Que  les  serfs  des  usines, 
De  la  terre  et  des  mines 
Aient  leur  quatre-vingt-neuf  ! 

Ile  du  Moulin-Joly,  1866. 

Musique  de  Darcier.  —  Éditeur  :  M.  Léon  Langlois,  48,  rue  des 
Petits-Champs,  Paris. 


A  près  d'un  siècle  do  la  grande  Picvolution  de  1789,  le  peuple  on 
est  encore  à  attendre  la  réalisation  des  promesses  qui  lui  ont  été 
faites  par  la  bourgeoisie.  Bien  qu'on  ait  inscrit  en  tête  des  Droits 
de  l'Homme  que  nous  étions  tous  égaux,  il  n'en  existe  pas  moins 
dans  la  société  actuelle  deux  classes  do  citoyens  ayant  des  intérêts 
tout  à  fait  opposés. 

C'est  au  tour  dos  travailleurs  do  poursuivre  l'œuvre  commencée 
et  do  hâter  l'avènement  do  la  révolution  économique,  do  laquelle 
sortira  l'émancipation  humaine  et  l'égalité  pour  tous. 

C'est  ce  que  j'ai  indiqué  dans  le  d(>rnicr  couplet  de  cette  chan- 
son, que  Darcier  n'a  pu  chanter  qu'après  la  chute  de  l'empire. 


—  182  — 


BONJOUR    A   LA   MEUNIERE 


^  t}iadc)Hoiselle  Rose  Choiilicr. 

Sur  le  clos  de  son  bourriquet, 
Si  vous  rencontrez  la  meunière, 
Vous  mettrez  bas  votre  capet, 
Vous  mettrez  vos  genoux  en  terre; 
Mais  prenez  garde  à  son  caquet, 
Elle  est  si  belle  la  meunière  ! 
La  tirelonla, 
Lonlaire, 
Bonjour  à  la  meunière  ! 


Par  les  sentiers  du  chemin  creux. 
Si  vous  rencontrez  la  meunière, 
Vous  en  deviendrez  amoureux 
A  n'en  plus  souffrir  père  et  mère. 
Elle  a  le  diable  dans  les  yeux  ; 
Elle  est  si  belle  la  meunière  ! 
La  tirelonla, 
Lonlaire, 
Bonjour  à  la  meunière  ! 


—  183  ~ 

En  jupon  court,  au  long  des  houx, 
Si  vous  rencontrez  la  meunière, 
Vous  tremblerez  sur  vos  genoux, 
Vous  tomberez  en  long  par  terre, 
Vous  hurlerez  comme  les  loups, 
Elle  est  si  belle  la  meunière! 
La  tirelonla, 
Lonlaire, 
Bonjour  à  la  meunière  ! 


Se  baignant  au  long  des  grands  joncs, 
Si  vous  rencontrez  la  meunière, 
Votre  cœur  aura  des  frissons 
Et  vous  irez,  dans  la  rivière, 
Finir  vos  jours  en  deux  plongeons  ! 
Elle  est  si  belle  la  meunière! 
La  tirelonla, 
Lonlaire, 
Bonjour  à  la  meunière! 


Oui-dà!  cachez-vous  bien  les  yeux, 
Si  vous  rencontrez  la  meunière  : 
Vous  auriez  peur  de  ses  cheveux. 
Je  les  ai  vus  traîner  par  terre  ; 
Mais  elle  a  bien  plus  d'amoureux. 
Elle  est  si  belle  la  meunière  ! 
La  tirelonla, 
Lonlaire, 
Bonjour  à  la  meunière  ! 


—  184  — 

Joyeux  grillons,  petits  oiseaux, 
Si  vous  rencontrez  la  meunière, 
Dites-lui  que,  le  sac  au  dos. 
Vous  m'avez  vu  courant  la  terre, 
Avec  sa  fièvre  dans  les  os  : 
Elle  est  si  belle  la  meunière! 
La  tirelonla, 
Lonlaire, 
Bonjour  à  la  meunière  ! 

Villeneuve-Saint-Georges,  1864. 


Musique  de  Darcier.  —  Éditeur  :  M.  Labbc,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—  185 


LETTRE   A   MIGNON 


A  madame  Blanche  Bloch. 

Mignon,  si  tu  veux  te  donner  la  peine 
De  passer  ce  soir  chez  ton  amoureux, 
Tu  verras  un  drame  avec  mise  en  scène 
Ayant  pour  acteur  un  homme  fiévreux. 

J'ai  la  tête  en  feu,  la  chair  agacée. 
Je  voudrais  pleurer  des  larmes  de  sang; 
Mais  vois-tu,  Mignon,  l'enfance  passée, 
L'homme  le  meilleur  pleure  en  grimaçant. 

Pourtant  je  suis  là  le  cœur  en  alarme, 

Cloué  comme  un  Christ  au  mur  d'un  manoir, 

Et  je  ne  puis  pas  verser  une  larme 

Sur  ce  papier  blanc  que  je  tache  en  noir. 

Je  crois  que  le  cœur  est  d'un  froid  de  neige 
Quand  l'horloge  humaine  a  sonné  vingt  ans, 
Et  qu'alors  les  pleurs  sont  un  privilège 
Qui  n'appartient  plus  qu'aux  petits  enfants. 


—  186  — 

Du  resie,  pleurer  est  une  folie 
Qui  fait,  à  raison,  rire  les  moqueurs; 
On  n'a  pas  besoin  pour  passer  la  vie 
De  se  déguiser  en  saule-pleureur. 

Oh  !  viens,  ma  Mignon,  jai  le  cœur  en  ragel 
Nous  allons  chanter  et  faire  du  bruit. 
Nous  ameuterons  tout  le  voisinage 
Et  les  gens  heureux  qui  dorment  la  nuit. 

Oh!  viens,  nous  allons  causer  politique 
Sans  aucun  égard  pour  les  majestés, 
Et  nous  finirons  par  une  chronique 
Où  tous  nos  amis  seront  éreintés. 

Viens,  tu  me  diras  des  choses  cruelles, 
La  furie  au  cœur  je  t'en  répondrai... 
Nous  casserons  tout,  meubles  et  vaisselles, 
Et  si  tu  me  bats  je  te  le  rendrai. 

Nous  ferons  un  punch  comme  un  incendie. 
Nous  crierons  au  feu  pour  mettre. sur  pieds 
Les  gens  sérieux,  les  gens  en  folie, 
Les  sergents  de  ville  et  tous  les  pompiers. 

Et  si  le  portier,  au  nom  de  son  maître, 
Nous  montre  son  nez,  ne  fût-ce  qu'un  bout, 
Nous  le  flanquerons  par  notre  fenêtre 
Gomme  une  fusée  un  jour  de  quinze  août. 


—  187  — 

Et  campés  tous  deux  dans  ce  beau  désordre, 
Marchant  à  pieds  joints  sur  l'humanité, 
L'amertume  aux  dents  nous  pourrons  nous  mordre 
Au  sein  des  transports  de  la  volupté. 

N'allant  pas  chercher  à  l'heure  où  l'on  s'aime 
Gomment  finira  le  dernier  tableau, 
Ne  serait-ce  pas  le  bonheur  suprême 
Si  la  mort  venait  baisser  le  rideau? 

Mignon,  si  tu  veux  te  donner  la  peine 
De  passer  ce  soir  chez  ton  amoureux. 
Tu  verras  un  drame  avec  mise  en  scène 
Ayant  pour  acteur  un  homme  fiévreux. 

Paris-Montmartre,  1865. 


Éditeur  :  M.  Bassoreau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


188  — 


AH!    LE   JOLI   TEMPS 


Au  citoyen  J.  Joffrin. 

Ah!  le  joli  temps! 
Mes  enfants, 
Ah  !  le  joli  temps! 

Il  pleut  sur  les  vendanges, 
Le  vin  sera  mouillé  ; 
Et  le  blé  mutilé 
Se  pourrit  dans  les  granges. 
Les  humains  se  font  vieux 
Sur  la  machine  ronde, 
Où  le  frisson  des  gueux 
Gagne  un  peu  tout  le  monde. 

Ah  !  le  joli  temps  1 

Mes  enfants, 
Ah  !  le  joli  temps  ! 

Il  pleut  de  la  misère, 
Il  pleut  des  croix  d'honneur, 
Il  pleut  des  gens  sans  cœur 
Et  des  armes  de  guerre. 


—  189    - 

Bismarck,  l'homme  au  canon, 
Proclame  sa  vengeance, 
Et  ses  chevaux,  dit-on, 
Vont  venir  boire  en  France  !... 

Ah  !  le  joli  temps  ! 

Mes  enfants, 
Ah  !  le  joli  temps  ! 

Enjambant  nos  frontières. 
Les  Prussiens  entreront  : 
Les  Français  s'armeront 
De  fusils  et  de  pierres. 
On  verra  le  tableau 
De  sanglantes  batailles, 
Et  l'avide  corbeau 
Déchirer  des  entrailles. 

Ah  !  le  joli  temps  ! 

Mes  enfants, 
Ah  !  le  joli  temps! 

Pour  attirer  le  monde, 
On  expose  à  Paris, 
Et  de  tous  les  pays 
On  se  presse  à  la  ronde  : 
On  expose  des  chiens, 
Des  fusils-à-aiguilles, 
Des  canons,  des  vauriens, 
Des  magots  et  des  filles  ! 


—  190  — 

Ah!  le  joli  temps! 
Mes  enfants, 
Ah  !  le  joli  temps  ! 

Afin  de  nous  instruire, 
On  fonde  des  journaux; 
Les  blancs,  les  libéraux 
Veulent  tomber  l'empire. 
Ils  sont,  comme  pas  un, 
Plus  méchants  que  la  peste, 
Mais  en  temps  opportun 
On  retourne  sa  veste. 

Ah!  le  joli  temps! 
Mes  enfants, 
Ah  !  le  joli  temps  ! 

En  fait  d'art  et  de  gloire. 
Plus  rigide  à  présent. 
On  veut,  pour  son  argent. 
De  quoi  manger  et  boire. 
On  ne  s'incline  plus. 
En  ce  temps  d'aventures, 
Que  devant  les  écus 
Et  les  caricatures  ! 

Ah  !  le  joli  temps  ! 
Mes  enfants, 
Ah  !  le  joli  temps  ! 


—  191  — 

L'empereur  se  réveille, 
Se  drape  en  son  manteau; 
Mais  la  gloire  aussitôt 
Le  tirant  par  l'oreille, 
Il  rôve  cent  combats 
Pour  la  France  héroïque, 
Et  nos  pauvres  soldats 
Vont  mourir  au  Mexique. 

Ah  !  le  joli  temps! 

Mes  enfants, 
Ah  !  le  joli  temps  ! 

En  braves  camarades, 
Les  Français  d'autrefois. 
Pour  défendre  leurs  droits, 
Faisaient  des  barricades. 
Mais  ce  bon  temps  a  fui. 
Et,  traînant  la  misère. 
Les  hommes  d'aujourd'hui 
PoHent  la  muselière. 

Ah  !  le  joli  temps  ! 

Mes  enfants. 
Ah  !  le  joli  temps  ! 

La  bande  impériale 
Fait  noces  et  festins  : 
Ses  Morny,  ses  catins 
Narguent  la  capitale  ! 


—  192  — 

Bien  que  payant  les  frais, 
Le  peuple  s'en  console 
En  lisant  les  hauts  faits 
De  monsieur  Rocambole. 

Ah  !  le  joli  temps  1 

Mes  enfants, 
Ah  !  le  joli  temps! 

Paris-Montmartre,  1867. 


Musique  de  Darcior.  —  Editeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—   193  — 

LA   BRANCHE   DE   MAI 

LÉGENDE 


A  7nadatnc  Claire  de  Rèville. 

Pour  fôter  ma  mio  en  ce  mois  d'amour, 

J'ai  couru  Je  bois  au  lever  du  jour; 

D'un  grand  cerisier  j'ai  pris  une  branche, 

Une  branche  en  fleur, 
J'ai  fait  un  bouquet  d'aubépine  blanche 

Où  j'ai  mis  mon  cœur... 

...Ayant  mis  mon  cœur,  l'ai  bais6  cent  fois, 
Et  toujours  courant  j'ai  quitté  le  bois. 
Comme  un  bienheureux  que  l'amour  emporte 

Je  n'ai  fait  qu'un  bond, 
Et  m'en  suis  venu  le  pendre  à  sa  porte, 

Mon  bouquet  mignon. 

Quand  le  mois  de  mai  fleurit  les  chemins, 

Ma  pâle  ma  mie  a  de  noirs  chagrins. 

On  dit  qu'un  grand  mai  ronge  sa  poitrine, 

Et  la  fait  mourir. 
Si  ma  branche  en  fleur  et  mon  aubépine 

La  pouvaient  guérir! 


—  194  — 

Le  bouquet  pendu,  près  de  la  maison, 
Je  me  suis  caché  derrière  un  buisson, 
Pour  voir  au  réveil  ma  pauvre  ma  mie 

Prendre  son  bouquet, 
Et  mettre  en  dansant  la  branche  fleurie 

A  son  corselet. 

Tout  dans  la  nature  était  bien  heureux, 
Les  arbres  chantaient  des  airs  amoureux. 
Les  petits  oiseaux  jouaient  dans  la  mousse 

Et  se  becquetaient. 
La  brise  était  tiède  et  l'herbe  si  douce 

Que  mes  yeux  pleuraient... 

J'attendis  longtemps,  et,  de  la  maison. 
Je  vis  s'en  sauver  la  mère  Toinon  : 
Elle  sanglotait  que  ça  me  fit  peine 

Et  vins  la  trouver, 
Afm  de  savoir  quand  ma  mie  Hélène 

Allait  se  lever... 

—  Jeannet,  me  dit-elle,  en  pleurant  beaucoup, 
Elle  ne  doit  plus  se  lever  du  tout  : 
Reprends  ton  bouquet  et  vite  lui  porte 

En  bien  l'embrassant. 
Hélène,  mon  fieu,  notre  Hélène  est  morte 

A  minuit  sonnant. 

...Souffrant  à  mourir,  hurlant  comme  un  fou. 
J'ai  couru  la  voir  et  l'ai  prise  au  cou. 


—  195  — 

Mais  le  corps  glacé  de  ma  pauvre  ma  mie 
M'a  fait  tant  de  peur, 

Que  j'en  garderai  pour  toute  la  vie 
Un  froid  dans  le  cœur. 

Ile  Marantc,  1864. 


MuNiquc  de  Darcicr.  —  Éditeur  :  M.  Lcbailly,  2,  rue  Cardinale, 
Paris. 


—  196  — 


QUAND  NOS  HOMM'S  SONT  AUX  CABARETS 


A  Thérésa. 

C'est  aujourd'hui  fête  au  village, 

Tout  est  rangé  jusqu'au  grenier. 

L  ane  a  du  son  et  du  r'moulage 

Et  la  paiir  pend  au  râtelier; 

Nos  vach's  ont  d'  l'herbe  et  d' la  litière, 

Nos  marmots  sont  rougeauds  et  frais; 

Les  dévot's  vont  à  la  prière, 

Et  nos  homm's  sont  aux  cabarets. 

Hé  !  v'nez  donc  Jeann',  Cath'rin",  Julie, 
Les  jours  de  fête  on  n'  Iravaill'  pas  ; 
L'  soleil  qui  dort  dans  la  prairie 
En  f  ra  plus  que  nous  avec  nos  bras. 
J'allons  jaser  d"  bal  et  d' toilette 
Et  nous  raconter  nos  p'tits  secrets... 
J'  pouvons  ben  tailler  un'  bavette 
Quand  nos  homm's  sont  aux  cabarets. 

V'ià  les  trois  grands  gars  à  Jean-Pierre 
Qui  pass'nt  avec  leux  p'tit  cousin; 
Qaatr'  contre  quatr',  c'est  notre  affaire; 
Entrez  donc  qu'on  vous  cause  un  brin. 


—  197  — 
N'  craignez  i-ien,  nous  n'  somm's  pas  bégueules  : 
Ça  s'  devin'  ben  à  nos  caquets, 
Et  j'  n'aimons  pas  à  rester  seules 
Quand  nos  homm's  sont  aux  cabarets. 

J'allons  payer  un  coup  à  boire, 

Vous  verrez  si  notr  vin  est  bon  : 

C'est  moi  qui  s'rai  la  mèr'  Grégoire 

Et  vous  entonn'rez  la  chanson. 

C'est  qu'y  n'  faut  pas  s' rendr' trop  esclave, 

Ni  s' laisser  m'ner  comm'  des  baudets. 

Nous  j' trouvons  ben  la  clef  d' la  cave 

Quand  nos  homm's  sont  aux  cabarets. 

Bon,  v'ià  Collin  qui  t'  pinc'  la  taille: 
Prends  gard',  Jeann',  c'est  un  enjoleux! 
•Bon,  v'ià  maintenant  Gath'rin'  qui  braille  : 
Prends  gard',  Giroux,  qu'a  t' saute  aux  yeux! 
A  la  bonne  heur",  v'ià  qu'  tout  s'arrange, 
Ces  gars-là  n'  sont  pas  des  benêts. 
J'  crois  ben  que  l' diable  est  dans  la  grange 
Quand  nos  homm's  sont  aux  cabarets. 

Paris-Montmartre,  186  . 


Musique  de  Darcicr.  —  Éditeur  :  M.  Lebailly,  2,  rue  Cardinale,  Paris. 


—  198 


LES   AMOURS   D'UN   GRILLON 

BALLADE 


A  Murger. 

Comme  d'un  beau  rève  épris  de  ton  livre, 
Où  j'ai  ri  peut-être  autant  que  pleuré, 
Enterré  dans  l'ombre  afin  d'y  mieux  vivre, 
Je  l'ai  dans  les  bois  cent  fois  dévoré. 

Je  les  aime  aussi,  tes  chères  frileuses, 
Heureux  souvenirs  d'un  ciel  printanier, 
Et  j'ai  tant  rêvé  de  tes  amoureuses 
Que  je  sais  par  cœur  ton  volume  entier. 

C'est  à  chaque  page  un  nom  de  maîtresse. 
Un  jour  du  passé  que  nous  aimons  tant. 
C'est  un  rire  amer  de  notre  jeunesse. 
C'est  un  flot  d'amour  qui  meurt  en  chantant! 

Au  titre  frileux  de  ton  cher  volume, 
On  se  croit  d'abord  dans  un  bois  désert; 
Mais  les  fleurs  de  mai  naissant  sous  ta  plume 
Ont  fait  un  printemps  de  tes  nuits  d'hiver. 

De  rire  et  de  pleurs  mouillant  chaque  feuille. 
Dans  tes  champs  fleuris  j'ai  fait  la  moisson: 
Tu  m'as  donné  l'air,  j'ai  fait  la  chanson, 
Et  t'offre  en. bouquet  tes  fleurs  que  je  cueille. 

Quand  l'oiseau  frileux  qui  craint  les  hivers 
Dira  de  son  nid  que  l'aurore  est  blonde, 
Nous  nous  en  irons  chanter  à  la  ronde 
Tes  joyeux  refrains  sous  les  rameaux  verts. 


Au  temps  bien  heureux  des  fraîches  soirées, 
De  l'amour  dans  l'herbe  et  dans  les  buissons; 
Au  temps  bien  heureux  des  moissons  dorées. 
Des  soupirs  du  cœur  el  des  verts  gazons, 


—  199  — 

Un  grillon  venait,  dans  la  nuit  sans  voile, 
Rêver  tristement  sur  un  épi  mùr, 
Et  chanter  en  vers  une  blanche  étoile 
Qui  peuplait,  dit-on,  les  champs  de  l'azur. 

«  Stella,  disait-il,  l'amour  me  dévore. 
'(  Si  tu  l'ordonnais  je  saurais  mourir, 
«  Et  de  cet  épi  quand  viendrait  l'aurore 
«  Je  t'adresserais  mon  dernier  soupir. 
«  Tu  brilles  là  haut,  je  chante  sur  terre, 
«  Je  suis  bien  petit  et  bien  loin  de  toi  : 
«  De  ton  palais  bleu  veux-tu,  solitaire, 
«  Sur  l'aile  du  vent  venir  jusqu'à  moi 

«  Hélas!  je  suis  noir  comme  la  tristesse 
«  Et  c'est  le  hasard  qui  m'habille  ainsi. 
«  Je  suis  orphelin  et  n'ai  pour  richesse 
«  Que  les  tendres  vers  que  je  chante  ici. 
«  Mais  si  tu  m'aimais,  j'irais  par  le  monde, 
"  Pour  te  le  donner,  voler  un  trésor. 
«  J'irais  dans  les  blés  cueillir  à  la  ronde 
«  L'humble  marguerite  et  le  bouton  d'or. 

«  Déjà  tu  pâlis,  et  les  alouettes 

«  Dans  leur  nid  de  mousse  ont  chanté  deux  fois  : 

«  Déjà  les  pastours  et  les  bergerettes 

<i  Ont  sifflé  leur  chien  pour  aller  au  bois. 

«  Adieu,  ma  cruelle!  et  la  nuit  prochaine 

«  Tu  me  reverras  sur  cet  épi  mûr, 

«  Espérant  toujours  pour  calmer  ma  peine 

«  Que  tu  quitteras  les  champs  de  l'azur.  » 


—  200  — 

Au  temps  desbois  morts  et  des  neiges  blanches, 
Au  temps  où  la  faim  fait  courir  les  loups  ; 
Au  temps  où  le  vent  fait  trembler  les  branches, 
Et  que  les  grillons  chantent  dans  leurs  trous, 
Une  froide  nuit,  aux  yeux  du  poëte, 
De  son  palais  bleu  Stella  disparut. 
Il  pleura  longtemps,  se  cacha  la  tête. 
Et  dans  un  trou  noir  tout  seul  il  mourut. 

Juvisy,  1866. 

Musique  de    Darcier.  —Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


Je  fis  cette  ballade  ainsi  que  0  ma  cousine  Angéîe  et  Tu 
vas  ■m'oublier,  quon  trouvera  plus  loin,  sous  l'impression  que  je 
ressentis  en  lisant  le  volume  de  poésies  d'Henri  Mùrger,  intitulé 
Nuits  d'Hiver. 

Je  le  dis  du  reste  dans  ma  dédicace  : 

Tu  m'as  donné  l'air^  j'ai  fait  la  chanson, 

Et  t'offre  en  bouquet  tes  fleurs  que  je  cueille. 


201  — 


MON  HOMME 

Souvenir  de  mai  71 


Au  citoyen  Martin. 

...Ce  que  je  cherche,  à  bout  d'espoir, 
Sous  ces  pavés,  sous  ces  ruines, 
A  même  ce  sang  rouge  et  noir, 

Parbleu  !  tu  le  devines  : 
C'est  un  gaillard,  et  l'un  de  ceux 
Qui  n'ont  jamais  eu  froid  aux  yeux... 

C'est  Martin  qu'on  le  nomme, 
Soldat,  l'as-tu  vu?...  C'est  mon  homme. 

Je  te  l'ai  dit,  c'est  un  grand  gas  : 
Il  a  près  de  cinq  pieds  six  pouces, 
La  peau  brune,  les  cheveux  ras 

Et  les  moustaches  rousses. 
Il  a  le  cœur  bien  planté  là, 
Et  des  épaules  comme  ça... 

C'est  Martin  qu'on  le  nomme. 
Soldat,  l'as-tu  vu?...  c'est  mon  homme. 

Il  porte  une  cotte  en  velours, 
Une  vareuse  en  laine  bleue  ; 
Le  béret  qu'il  met  les  grands  jours. 
On  le  voit  d'une  lieue. 


—  202  — 

Son  linge  est  propre  comme  un  sou, 
Marqué  J.  M.  et  sans  un  trou... 

C'est  }*Iartin  qu'on  le  nomme, 
Soldat,  l'as-tu  vu?...  C'est  mon  homme. 

'Voilà  Martin...  Quant  au  moral, 
En  dire  long  c'est  pas  la  peine  : 
Il  travaille  comme  un  cheval 

Six  grands  jours  par  semaine; 
Il  est  bon  comme  du  bon  pain 
Et  broierait  du  fer  dans  sa  main... 

C'est  Martin  qu'on  le  nomme, 
Soldat,  l'as-tu  vu?...  C'est  mon  homme. 

Je  le  connais  depuis  douze  ans 
Et  je  l'ai  toujours  vu  le  même. 
J'ai  de  lui  six  jolis  enfants, 

Et  j'ai  là  le  septième  ! 
Qu'est  c'  que  je  leur  dirai  là- bas 
Si  je  ne  le  retrouve  pas  ?... 

C'est  Martin  qu'on  le  nomme, 
Soldat,  l'as-tu  vu?...  C'est  mon  homme. 

Londres,  1874. 


Éditeur  :  AI.  Basseroau.  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  203 


QUAND   J'  MARIERAI   MA   FILLE 


A  Louis  Poulin. 


Je  fais  ma  bours'  depuis  longtemps, 
Et  v'ià  qu'eir  prend  d'ia  corpulence. 
Dame  !  quand  on  a  des  enfants, 
Faut  songer  à  leur  existence. 
J'ai  des  écus  pour  la  doter, 
Ma  petite  grain'  de  famille  ! 
Et  mes  écus,  j'ies  frai  sauter 
Qiiand  j 'marierai  ma  fille. 

J'veux  inviter  les  trois  cantons, 
Et  qu'on  la  mène  à  la  mairie 
Aux  sons  des  flût's  et  des  pistons, 
Et  que  la  route  soit  fleurie. 
Le  soir,  au  bal,  ah!  si  j'pouvais 
Pincer  encore  un  p'tit  quadrille! 
Bah!  je  r'trouv'rai  bien  mes  jarrets 
Quand  j'marierai  ma  fille. 

Je  veux  qu'tout  l'mond'  soit  en  gaîté  : 
Les  plus  bell's  noc's  sont  les  plus  folles. 
J'veux  qu'on  mett'  son  bonnet  d'côté 
Et  que  l'on  chant'  des  gaudrioles. 


—  204  — 

Je  veux  qu'on  vide  mes  tonneaux, 
Et  qu'au  dessert  on  émoustille 
Le  vin  qui  dort  sous  mes  fagots 
Quand  j'marierai  ma  fille. 

Mais  quand  j'pens'  qu'ell'ne  s'ra  plus  là 
A  fair'  marcher  la  maisonnée, 
A  m'app'ler  son  bon  vieux  papa, 
A  m'caresser  tout'  la  journée, 
A  prendr'  son  petit  air  boudeur  : 
Quand  ell'  boude  elle  est  si  gentille  ! 
Ah!  c'est  égal,  ça  m'fendra  le  cœur 
Quand  j'marierai  ma  fille. 

Allons,  allons,  c'est  mal  penser 
Pour  un  bonhomme  de  mon  âge  : 
C'est  un  ch'min  où  faut  tous  passer. 
Et  c'est  si  bon  le  mariage  ! 
Si  je  ne  la  mariais  pas, 
Ça  f  rait  du  tort  à  la  famille... 
Et  puis  quand  on  trouve  un  bon  gas 
Faut  marier  sa  fille. 

Paris-Montmartre,  1865. 


Éditeur  :  M.  Basscreau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  205 


CATHERINE 


A  Alexis  Bouvier. 

Boîte  à  Grésus  ! 
Sac  à  farine  ! 
On  peut  avoir  cent  bœufs  et  plus, 
Des  vins  de  tous  les  crûs, 
Des  fûts 
Pleins  d'écus, 
Mais  on  n'a  point  deux  Catherine! 

Ça  prend  vingt  ans  à  la  mi-août, 
C'est  frais  comme  une  marjolaine, 
Solide  comme  un  cœur  de  chêne, 
Rangée,  et  propre  comme  un  sou... 
Ça  vous  a  trente-deux  dents  blanches. 
Ça  vous  est  campé  sur  ses  hanches... 

Boîte  à  Crésus  ! 
Sac  à  farine  !  etc. 

Ça  fait  la  soupe  avant  le  jour, 
Ça  soigne  les  botes  de  somme. 
Et  ça  vous  mène  comme  un  homme 

6. 


—  206  — 

Nos  deux  grands  bœufs  en  plein  labour. 
Un  sac  de  grain  sur  son  épaule, 
C'est  comme  un  oiseau  sur  un  saule. 

Boîte  à  Crésus  ! 
Sac  à  farine  !  etc. 

Tout  l'été  ça  vit  sans  sommeil, 
Ça  va,  ça  vire  à  droite,  à  gauche  ; 
Ça  se  met  nu-bras  quand  ça  fauche 
Et  ça  travaille  en  plein  soleil; 
Ça  monte  en  cuve  à  la  vendange 
Et  tout  l'hiver  ça  bat  en  grange... 

Boîte  à  Crésus  ! 
Sac  à  farine  !  etc. 

Ça  vous  a  deux  pieds  bien  d'aplomb  ; 
Ses  mains,  c'est  comme  deux  tenailles. 
Ça  n'a  pas  de  ces  fines  tailles, 
C'est  à  pleine  peau...  c'est  tout  rond! 
Quand  son  cœur  bat  la  générale, 
Faut  lui  prouver  qu'on  est  son  mâle! 

Boîte  à  Crésus! 
Sac  à  farine  !  etc. 

Ça  ne  met  point  de  falbalas. 
Ça  se  coiffe  d'une  marmotte, 
Ça  porte  un  an  la  môme  cotte; 


—  207  — 

Quant  aux  bijoux,  ça  n'en  met  pas. 

C'est  avec  ça  qu'on  devient  riche 

Et  qu'on  n'a  point  de  terre  en  friche... 

Boîte  à  Grésus! 
Sac  à  farine!  etc. 

Ho  !  du  collier,  dur  et  longtemps! 
Va,  ma  gaillarde,  en  taupant  ferme, 
Nous  pourrons  acheter  la  ferme 
Avant  qu'il  soit  deux  fois  dix  ans... 
Tiens,  femme,  viens  que  je  t'embrasse 
Et  fais-moi  dix  gars  de  ta  race! 

Boîte  à  Crésus! 

Sac  à  farine  ! 

On  peut  avoir  cent  bœufs  et  plus, 

Des  vins  de  tous  les  crûs, 

Des  fûts 

Pleins  d'écus. 

Mais  on  n'a  point  deux  Catherine! 

Petit-Bry,  1863. 


Musique  de  Darcicr.  —  Éditeur  :  M.  Labbc,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris . 


—  208  — 


LA    &RIVE 


A  Auguste  Caille. 

Vite,  que  diable,  à  bas  du  nid! 

Le  fléau  siffle  dans  les  granges. 

Le  froid  a  cinglé  cette  nuit, 

Et  le  brouillard  sent  les  vendanges  : 

Je  vais  me  gaver  comme  un  muid, 

Car  je  suis  fort  en  appétit. 

Vite,  que  diable,  à  bas  du  nid! 

Ce  brouillard-là  sent  les  vendanges  ! 

Quand  le  jour  est  triste  et  brumeux, 
Ah  !  que  je  plains  les  poitrinaires  ! 
Ceux  qui  s'en  vont  le  ventre  creux, 
Soupant  d'espoir  et  de  chimères. 
Ces  beaux  raisins  en  manteaux  bleus. 
Ça  rend  grivois  et  généreux. 
Quand  le  jour  est  triste  et  brumeux, 
Ah  !  que  je  plains  les  poitrinaires  ! 

Choisissons  le  grain  velouté. 
Comme  l'oeil  noir  d'une  fauvette  ; 
Quant  au  grain  vert  et  picoté. 
L'homme  en  fera  de  la  piquette. 
Diable!  je  vais  tout  de  côté... 


—  209  — 

La  terre  tourne  en  vérité... 
Quant  au  grain  vert  et  picoté, 
L'homme  en  fera  de  la  piquette. 

Ah  !  je  l'avoue  en  tout  honneur  : 
A  part  le  monde  à  forme  impure, 
Les  chiens,  la  poudre  et  le  chasseur, 
Rien  n'est  beau  comme  la  nature  ! 
Gorbleu  !  je  nage  en  plein  bonheur, 
Vivent  les  vignes  du  seigneur  ! 
Ah  !  je  l'avoue  en  tout  honneur. 
Rien  n'est  beau  comme  la  nature  ! 

Hé!  là-bas,  monsieur  l'oiseau  gris 
Qui  ne  buvez  que  le  dimanche  ! 
Vous  m'avez  l'air  d'être  assez  gris  : 
Tenez-vous  bien  sur  votre  branche. 
Gapon,  j'ai  bu  comme  deux  muids 
Et  je  n'ai  point  le  cerveau  pris. 
Hé,  là-bas,  monsieur  l'oiseau  gris, 
Tenez-vous  bien  sur  votre  branche  ! 

Je  suis  prête  à  tous  les  ébats 
Si  mon  maître  est  d'humeur  maligne. 
Qui  le  verra?...  N'avons-nous  pas 
Un  rideau  de  feuilles  de  vigne. 
Qui  fait  tourner  les  échalas  ? 
Qui  donc  me  met  la  tête  en  bas  ? 
Je  suis  prête  à  tous  les  ébats. 
Même  sans  la  feuille  de  vigne! 

Argenteuil,  186^). 


—  210  — 


SŒUR  ANNE 


A  mon  ami  Valnay. 

Sœur  Anne,  ma  sœur  Anne, 
Ne  vois-tu  rien  venir?... 

J'aperçois  à  l'horizon  sombre 
Des  tas  d'iiommes  épouvantés; 
Ils  cherchent  à  traverser  l'ombre 
Où  la  haine  les  a  jetés. 
Cette  ombre-là,  c'est  l'ignorance, 
Et,  fatigués  d'un  lourd  sommeil, 
Ils  tendent  les  bras  à  la  France 
Où  le  progrès  s'est  fait  soleil. 

Sœur  Anne,  ma  sœur  Anne, 
Ne  vois-tu  rien  venir?... 

Je  vois  la  Pologne  meurtrie 

Râlant  sous  le  poids  de  ses  fers. 

Et  pour  pleurer  son  agonie, 

Le  tocsin  hurle  dans  les  airs. 

Les  pavés  sautent  dans  la  rue, 

Et  le  faible  mordant  le  fort. 

Le  trône  où  le  peuple  se  rue 

Roule  à  ses  pieds  comme  un  chien  mort. 


—  2H  — 

Sœur  Anne,  ma  sœur  Anne, 
Ne  vois-tu  rien  venir?... 

Je  vois  un  grand  peuple  en  déroute 
Reconduit  à  coups  de  fusils, 
Laissant  tout  le  long  de  la  route 
Un  ruisseau  du  sang  de  ses  fils. 
Je  vois  l'Italie  en  carnage, 
N'ayant  plus  ni  sous  ni  soldats, 
Et  le  pape  qui  déménage 
Avec  ses  bons  dieux  sous  le  bras. 

Sœur  Anne,  ma  sœur  Anne, 
Ne  vois-tu  rien  venir?... 

Je  vois  le  progrès  qui  révèle 
La  marche  d'un  monde  futur  ; 
Je  vois  son  aurore  immortelle 
Qui  se  reflète  dans  l'azur. 
Je  vois  la  terre  plus  féconde. 
Et  la  déesse  Liberté 
Qui  va  faire  le  tour  du  monde 
Avec  son  bonnet  de  côté. 

Sœur  Anne,  ma  sœur  Anne, 
Ne  vois-tu  rien  venir?... 

Je  vois  succéder  aux  batailles 

La  paix  pour  tout  le  genre  humain  ; 

Car  le  vin  coule  des  futailles 

Et  l*on  vient  mordre  au  môme  pain. 


—  212  — 

Le  progrès  a  fait  la  conquête 
De  tous  les  points  de  l'univers  ; 
La  paix  qui  préside  à  la  fête 
Sème  partout  des  lauriers  verts. 

Paris,  1866. 


Éditeur  :  M.   Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


213 


LA   COQUETTE 


A  M.  Armand  Silvestre. 

Soit  qu'elle  ait  ouï-dire  ou  qu'elle  devine 

La  rare  beauté  de  ses  pieds  mignons, 

En  les  trempant  nus  dans  la  mare  aux  joncs 

Un  profond  dépit  agite  Fantine... 

...  Et  les  recourbant  comme  deux  roseaux  : 

Ah!  dit  la  coquette, 
Il  ne  se  peut  pas  que  toujours  on  mette 
De  si  jolis  pieds  dans  de  gros  sabots. 

Je  comprends  le  bat  sur  le  dos  de  l'àne, 
La  blouse  de  toile  au  garde-moulin. 
Les  souliers  ferrés  au  chercheur  de  pain, 
Le  Chaume  noirci  sur  une  cabane... 
...  Et  cueillant  un  lys  au  sein  des  roseaux  : 

Mais,  dit  la  coquette, 
Il  ne  se  peut  pas  que  toujours  on  mette 
De  si  jolis  pieds  dans  de  gros  sabots. 

Quand  on  voit  des  nids  et  des  fleurs  nouvelles, 
Des  étoiles  d'or  briller  dans  les  cieux  ; 
Quand  on  voit  le  monde  avec  de  grands  yeux, 
Lorsqu'en  soupirant  on  se  sent  des  ailes... 


—  214  — 

...  Et  jetant  son  lys  au  sein  des  roseaux  : 

Ah  !  dit  la  coquette, 
Il  ne  se  peut  pas  que  toujours  on  mette 
De  si  jolis  pieds  dans  de  gros  sabots. 

Je  comprends  la  vase  et  l'anse  à  la  cruche, 
La  laide  chenille  aux  fleurs  des  pommiers, 
Les  airs  langoureux  des  cornemusiers 
Et  le  gros  pain  bis  moisi  dans  la  huche... 
...  Et  dans  son  dépit,  tordant  les  roseaux  : 

Ah!  dit  la  coquette. 
Il  ne  se  peut  pas  que  toujours  on  mette 
De  si  jolis  pieds  dans  de  gros  sabots. 

Quand  on  cache  en  soi  tant  de  belles  choses, 
Quand  on  a  la  peau  comme  du  velours, 
Un  cœur  qui  soupire  au  temps  des  amours. 
Dix  ongles  bien  faits,  dix  petits  doigts  roses. 
...  Et  la  volupté  sortant  des  roseaux 

Dit  à  la  coquette  : 
Venez,  ma  mie,  il  ne  faut  plus  qu'on  mette 
De  si  jolis  pieds  dans  de  gros  sabots. 

Ile  Marante,  1865. 


Musique  de  Darcicr.  —  Éditeui-  :  M.  Labbo,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—  213  — 


SAINT  MÉDARD  ET  SAINT  VINCENT 


A  M.  Gustave  Nadaud. 

...  Saint  Môdard  est  un  petit  homme 
Qui  n'a  que  la  peau  sur  les  os. 
Saint  Vincent,  rond  comme  une  pomme, 
Est  gai^  joufflu,  frais  et  dispos. 
Saint  Médard  inonde  le  monde, 
Mais  n'a  ni  souffle,  ni  poumons. 
Saint  Vincent  promène  à  la  ronde 
Son  gros  ventre  et  ses  deux  mentons. 

Mais  aussi, 
Bonnes  filles, 
Joyeux  drilles, 
Mais  aussi, 
Biribi  ! 
Saint  Médard 
Est  un  pendard  ! 
Et  saint  Vincent 
Un  bon  vivant  ! 
Et  gai  !  préparons  les  fûts  et  les  tonnes, 
Gercions  le  ventre  des  tonneaux, 
Le  soleil  dore  nos  coteaux, 
Et  les  vendanges  seront  bonnes  ! 


—  216  — 

...  Saint  Médard  est  un  méchant  diable 
Qui  met  de  l'eau  dans  le  raisin. 
Saint  Vincent  roule  sous  la  table 
Plutôt  que  de  noyer  son  vin. 
Saint  Médard  avait  des  béquilles, 
Habits  râpés  et  rien  dedans. 
Saint  Vincent  courtisait  les  filles 
Et  fut  père  jusqu'à  cent  ans. 

Mais  aussi,  etc. 

...  Saint  Médard,  le  jour  de  sa  fête. 
Frappa,  dit-on,  au  paradis. 
Saint  Vincent,  la  vendange  faite, 
S'y  fit  hisser  entre  deux  muids. 
Saint  Médard  offrit  à  saint  Pierre 
Un  verre  d'eau  qu'il  refusa. 
Saint  Vincent  lui  prêta  son  verre, 
Et  le  bonhomme  se  grisa. 

Mais  aussi,  etc. 

...  Saint  Médard,  chez  dame  Abstinence, 

Pleura  quarante  jours,  dit-on. 

Saint  Vincent,  chez  dame  Indulgence, 

Alla  demander  son  pardon. 

Saint  Médard,  dévoré  de  haines, 

Jeta  son  écume  au  raisin. 

Saint  Vincent  se  perça  les  veines 

Et  mit  son  sang  dans  chaque  grain. 

Mais  aussi,  etc. 


—  217  — 

...  Saint  Médard  l'a  prouvé  lui-même, 
Les  buveurs  d'eau  sont  des  méchants. 
Saint  Vincent  qu'on  chante  et  qu'on  aime, 
Est  le  patron  des  bonnes  gens. 
Saint  Médard,  aux  peuples  de  l'onde, 
Prêche  un  déluge  sans  pareil. 
Saint  Vincent,  pour  doter  le  monde, 
Maria  la  vigne  au  soleil! 

Mais  aussi,, 
Bonnes  filles. 
Joyeux  drilles, 
Mais  aussi, 
Biribi! 

Saint  Médard 
Est  un  pendard! 
Et  saint  Vincent 
Un  bon  vivant! 
Et  gai!  préparons  les  fûts  et  les  tonnes. 
Gercions  le  ventre  des  tonneaux. 
Le  soleil  dore  nos  coteaux 
Et  les  vendanges  seront  bonnes  ! 

Paris-Montmartre,  1865. 


Musique  (le  Darcier.  —   Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—  218  — 


LE   DERNIER   MORCEAU   DE   PAIN 


A  mon  camarade  Desmonteix 

Allons,  mon  pauvre  vieux  Médor, 
Le  vent,  ce  soir,  est  en  pleine  abstinence. 

Je  m'y  suis  laissé  prendre  encor, 

J'ai  trop  courtisé  l'espérance. 

Par  conséquent  notre  dîner. 

Va  ressembler  au  déjeuner. 
Si  tu  m'en  crois,  bannissons  l'étiquette 
Le  sans-façon  vaut  mieux  quand  on  a  faim  ; 

Et  nous  saurons  bien  sans  assiette, 

Manger  notre  morceau  de  pain. 

Depuis  que  Ninon  m'a  quitté, 
Tous  mes  pinceaux  dorment  sur  la  palette  ; 
Tous  les  amours  ont  déserté 
Et  le  deuil  est  dans  ma  chambrette  : 
N'est-ce  pas  qu'en  perdant  Ninon 
On  peut  bien  perdre  la  raison? 
Au  souvenir  que  nous  laisse  la  belle, 
Oh  !  viens  pleurer  la  tête  dans  ma  main^ 
Et  nous  aurons,  mon  vieux  Fidèle, 
Une  larme  avec  notre  pain. 


—  219  — 

Pas  de  tabac  et  pas  d'argent 
Pour  attraper  le  bonhomme  décembre, 
Qui  s'amuse  à  souffler  le  vent 
Par  les  fentes  de  notre  chambre. 
Mais  bah!  consolons-nous,  Médor, 
Ninon  reviendra  bien  encor; 
Et  tous  les  trois,  pour  fêter  l'infidèle, 
A  Fontenay  nous  irons  un  matin, 
Nous  régaler  sous  la  tonnelle 
De  vin  clairet  et  de  bon  pain. 

Soyons  philosophes  ce  soir, 
Gai  compagnon  de  m.es  jours  de  bohème; 
Le  pain  qu'on  arrose  d'espoir 
N'est  pas  un  trop  maigre  carême. 
Pour  se  consoler,  ici-bas, 
J'en  connais  tant  qui  n'en  ont  pas. 
Rêvant  ce  soir  à  ma  Ninon  chérie. 
Sans  trop  souffrir,  j'attendrai  bien  demain 
Mais  toi,  voyons,  prends  je  t'en  prie, 
Notre  dernier  morceau  de  pain. 

Paris,  1864. 


Musique  do  Darcior.  —  Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant 
Paris. 


220  — 


0    MON   MARTEAU! 


A  Carjat. 

Un,  deux,  trois,  quatre! 
Pour  battre 
Le  fer  quand  il  est  chaud, 
11  ne  faut  pas  être  manchot. 

Un,  deux,  trois,  quatre! 

0  mon  marteau, 

Avec  ce  manche, 

Vous  voilà  beau 
Gomme  mes  gamins  le  dimanche  ! 
Ah  !  vous  n'êtes  pas  un  outil 

De  petit  maître, 
Et  vous  valez,  dans  tout  votre  être, 

Mieux  qu'un  fusil... 

Un,  deux,  trois,  quatre! 
Pour  battre,  etc. 

Oh!  dépêchons, 
Mon  camarade, 
Et  turbinons  : 
Ça  vaut  mieux  que  d'être  malade. 


—  221  — 

Faut  des  biceps  et  le  restant 

Quand  on  a  charge  : 
Nos  six  gars  ont  l'estomac  large, 

Vas-y  gaîment  ! 

Un,  deux,  trois,  quatre  ! 
Pour  battre,  etc. 

Voici  le  froid, 

Et  l'autre  année, 

Il  faut  de  droit 
Remettre  à  neuf  la  maisonnée. 
Faut  une  robe,  et  cœtera, 

A  la  bourgeoise. 
Montrons  qu'on  n'est  pas  de  Pontoise, 

Forgeons  tout  ça!.. 

Un,  deux,  trois,  quatre! 
Pour  battre,  etc. 

Mais,  c'est  égal, 

Le  cœur  m'en  tremble! 

Qu'on  a  de  mal 
A  mettre  les  deux  bouts  ensemble, 
Quand  faut  trouver  pour  le  loyer. 

Pour  la  buvette, 
Tout  ça,  sans  faire  un  sou  de  dette 

Dans  son  quartier. 

Un,  deux,  trois,  quatre! 
Pour  battre,  etc. 


—  222  — 

Mais  un  bobo 

A  la  marmaille, 

Qu'un  lumbago 
Me  couche  neuf  jours  sur  la  paille, 
Bédame!  on  s'aime,  et,  supposez 

Une  seconde 
Qu'il  faille  madame  Tirmonde, 

C'en  est  assez!.. 

Une,  deux,  trois,  quatre! 
Pour  battre,  etc. 

Pas  de  grands  mots 

De  rhétorique. 

Nos  six  marmots 
Veulent  du  pain,  c'est  la  logique, 
La  logique  d'un  temps  nouveau 

Et  des  vrais  hommes  : 
Un  jour,  on  verra  qui  nous  sommes, 

0  mon  marteau! 

Un,  deux,  trois,  quatre  ! 
Pour  battre 
Le  fer  quand  il  est  chaud, 
Il  ne  faut  pas  être  manchot. 

Un,  deux,  trois,  quatre!.. 

Londres,  1873. 
Éditeur  :  M.  Basscrcau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


J 


—  223  — 


CHANTE-MALHEUR 

LÉGENDE  RUSTIQUE 


A  la  cousine  Aurêlie  Beauçrand. 

Que  le  follet  roucoule, 
Que  le  chat  noir  se  roule, 
Le  diable  en  prendra  soin  ; 
Mais  quand  le  coq  chante  la  poule, 
Le  malheur  n'est  pas  loin. 

Les  moutons  de  la  mère  Eustache, 

Son  taureau,  son  mulet, 

Son  cochon  et  sa  vache, 
Et  même  aussi  son  cervelet, 
Tout,  pour  mieux  dire,  avait  la  transe, 
La  tête  folle  et  la  malchance, 
A  ce  point  que  le  vieux  bedeau. 
Qui  ne  craignait  ni  Dieu  ni  diable, 
Fit  serment  de  garder  l'étable 
Avec  son  chien  et  son  fléau. 

Que  le  follet  roucoule, 
Que  le  chat  noir  se  roule, 
Le  diable  en  prendra  soin  ; 
Mais  quand  le  coq  chante  la  poule, 
Le  malheur  n'est  pas  loin. 


—  224  — 

Il  attendit  la  nuit  entière, 
Buvant  dur  et  souvent; 
Mais,  bah  !  en  cette  affaire 
Le  diable  était  bien  innocent. 
Un  matin  que  la  mère  Eustache 
Frottait  l'échiné  de  sa  vache, 
Dans  un  panier  en  jonc  tout  neuf, 
Elle  vit  que,  cachant  sa  crête. 
Son  coq  noir  des  pieds  à  la  tête, 
Chantait  la  poule  et  pondait  l'œuf. 

Que  le  follet  roucoule, 
Que  le  chat  noir  se  roule. 
Le  diable  en  prendra  soin  ; 
Mais  quand  le  coq  chante  la  poule, 
Le  malheur  n'est  pas  loin. 

Dam!  c'est  connu  de  tout  le  monde 
Avoir  dans  sa  maison 
Un  coq  qui  chante  et  ponde, 
Gest  de  la  malchance  à  foison. 
On  jeta  l'œuf  dans  la  rivière, 
Et  le  coq  noir  eut  son  affaire  : 
Le  bedeau  lui  coupa  le  cou; 
Et,  comme  il  aimait  la  volaille, 
Il  promit  de  faire  ripaille. 
Et  surtout  de  boire  un  bon  coup. 

Que  le  follet  roucoule, 
Que  le  chat  noir  se  roule, 


Le  diable  en  prendra  soin  ; 
Mais  quand  le  coq  chante  la  poule, 
Le  malheur  n'est  pas  loin. 

Alors  tout  revint  à  la  joie  : 

Le  mulet,  le  taureau; 

Et  l'habillé  de  soie 
Refit  du  lard  à  pleine  peau. 
La  mère  Eustache,  bien  calmée, 
Reprit  sa  mine  accoutumée. 
Le  vieux  bedeau,  sans  grand  fia  fia, 
Aurait  mangé  toute  la  bête. 
Mais,  il  commença  par  la  tête. 
Et  la  chantoire  l'étrangla. 

Que  le  follet  roucoule. 
Que  le  chat  noir  se  roule, 
Le  diable  en  prendra  soin; 
Mais  quand  le  coq  chante  la  poule. 
Le  malheur  n'est  pas  loin. 

Juvisy,  1866. 


Musique  de  Darcier.   —  Éditeur  :  M.  Le  Bailly,  2,  rue  Cardinale, 
Paris. 


—  226  — 


NOUS   N'IRONS   PLUS   AU   BOIS 


A  Rosine  Compoint. 

Cousine,  voici  le  printemps 
Qui  fredonne  sur  chaque  branche, 
Et  l'aubépine  en  robe  blanche 
Cause  amourette  aux  lilas  blancs. 
Je  viens  de  voir  une  hirondelle 
Portant  de  la  mousse  à  son  nid... 
Et  cependant  c'est  bien  fini... 
Nous  n'irons  plus  au  bois,  ô  ma  cousine  Angèle  ! 

Jadis,  levés  de  grand  matin, 
Quand  le  printemps  naissait  à  peine, 
Nous  comptions  les  fleurs  dans  la  plaine. 
Et  les  nids  dans  le  bois  voisin. 
Ce  temps  heureux,  ça  me  rappelle 
Votre  chanson  que  j'aimais  tant... 
J'en  ai  la  fièvre...  et  cependant, 
Nous  n'irons  plus  au  bois,  ô  ma  cousine  Angèle  ! 

Nous  étions  enfants  tous  les  deux. 
De  même  taille  et  du  même  âge  ; 
Les  bonnes  femmes  du  village 
Nous  appelaient  les  amoureux. 


—  227  — 

On  disait  que  vous  étiez  belle, 
Et  que  j'étais  déjà  galant... 
J'en  rêve  encor...  et  cependant... 
Nous  n'irons  plus  au  bois,  ô  ma  cousine  Angèle  ! 

Pourquoi  cela?  me  direz-vous, 
J'irais  encor  sans  défiance 
Revoir  les  bois  de  notre  enfance 
Et  m'endormir  sur  vos  genoux... 
C'est  que  vous  ôtes  chaste  et  belle, 
Trop  chaste,  hélas!  En  attendant 
Je  vous  adore...  et  cependant... 
Nous  n'irons  plus  au  bois,  ô  ma  cousine  Angèle! 

C'est  qu'aujourd'hui  je  suis  rêveur, 
C'est  vous  qui  m'avez  fait  poète  ; 
J'ai  trop  de  souvenirs  en  tête, 
Et  trop  de  fièvre  au  fond  du  cœur. 
C'est  que  je  vous  trouve  si  belle... 
J'ai  tant  rêvé  des  jours  passés... 
C'est  que...  les  lauriers  sont  coupés! 
Nous  n'irons  plus  au  bois,  ô  ma  cousine  Angèle! 

Saint-Ouen,  1865. 


Musique  de  Darder.  —  Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—  228  — 


NEIGE   ET   BOIS   MORT 


A  l'ami  Faillet. 

La  nature  va  sendormir, 
Le  fagot  pétille  dans  Tàtre. 

On  n'entend  plus  gémir 

La  musette  du  pâtre. 
La  neige  et  le  bois  mort 
Tombent  avec  le  vent  du  nord. 

Le  loup  des  bois  hurle  la  faim, 
Il  rôde  autour  des  bergeries  : 
Gare  aux  pauvresses  mal  nourries 
Qu'il  va  trouver  sur  son  chemin. 
La  nuit  est  longue  et  le  protège, 
Il  flaire  une  côte  d'agneau  ; 
Il  a  beau  marcher  sur  la  neige, 
Quand  le  berger  veille  au  troupeau 
Le  loup  doit  y  laisser  sa  peau. 

La  nature  va  s'endormir,  etc. 

Pour  appauvrir  les  malheureux, 
La  terre  a  mis  sa  nappe  blanche; 
Le  givre  pend  à  chaque  branche, 
Gomme  des  larmes  à  nos  yeux; 


—  229  — 

Les  mendiants  vont  à  la  brune 
Chercher  quelques  brins  de  bois  mort; 
Le  braconnier,  au  clair  de  lune, 
Quand  le  garde  ronfle  bien  fort, 
Condamne  plus  d'un  lièvre  à  mort. 

La  nature  va  s'endormir,  etc. 

Eq  souvenance  des  beaux  jours, 
Des  rendez-vous  sous  la  feuillée, 
On  entretient  à  la  veillée 
Les  gais  propos  et  les  amours. 
Un  vieux  raconte  aux  jeunes  filles 
Des  histoires  de  revenants 
Qui  font  casser  bien  des  aiguilles. 
Beugler  bien  des  petits  enfants 
Et  roupiller  les  grand'mamans. 

La  nature  va  s'endormir,  etc. 

L'oiseau  frileux  quitte  son  nid 
Et  vient  s'abriter  sous  nos  chaumes 
Qui  sont  blancs  comme  des  fantômes 
Ayant  pour  robe  un  drap  de  lit  : 
Que  deviendront  les  pauvres  mères 
Qui  n'auront  pas  quelques  fagots 
Pour  brûler  la  barbe  aux  misères, 
Faire  gonfler  les  haricots 
Et  ravigoter  les  marmots. 

La  nature  va  s'endormir,  etc. 


—  230  — 

Oui,  mais  bientôt  disparaîtront 

L'iiiver  et  son  triste  cortège; 

La  terre  avalera  la  neige, 

Les  loups  au  bois  se  sauveront. 

Quand  feront  signe  à  la  nature, 

Soleil  aimable  et  gai  printemps, 

Plus  de  neige  ni  de  froidure, 

Mais  des  fleurettes  à  pleins  champs, 

De  la  besogne  et  du  bon  temps. 

La  nature  va  s'endormir, 
Le  fagot  pétille  dans  l  atre. 

On  n'entend  plus  gémir 

La  musette  du  pâtre. 
La  neige  et  le  bois  mort 
Tombent  avec  lèvent  du  nord. 

Chcnno\'ières,  186... 


Éditeur  :  M.  Bassorcau,   240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


231  - 


LIBERTÉ  -  ÉGALITÉ  -  FRATERNITÉ 


A  Blatiqtii. 

Liberté, 
Égalité, 
Fraternité. 

Lorsque  nous  sapons  par  ses  bases 
Votre  édifice  mal  d'aplomb, 
Vous  nous  répondez  par  du  plomb 
Ou  vous  nous  alignez  des  phrases. 
En  attendant,  cher  est  le  pain, 
Longs  la  misère  et  le  chômage... 
Hier,  en  cherchant  de  l'ouvrage, 
Hier,  un  homme  est  mort  de  faim  ! 

Liberté, 
Égalité, 
Fraternité. 

Vous  pouvez  couvrir  les  murailles 
De  ces  mots  vides  et  pompeux  : 
Ils  ne  sont  pour  les  malheureux 
Que  synonymes  de  mitrailles. 


—  232  — 

Nous  connaissons  le  prix  du  pain 
Et  vos  doctrines  libérales... 
Hier,  sur  le  carreau  des  halles, 
Une  femme  est  morte  de  faim  ! 

Liberté, 
Égalité, 
Fraternité. 

Pour  qui  s'en  va  lestomac  vide, 
Ayant  chez  lui  femme  et  marmots. 
On  peut  traduire  ces  trois  mots  : 
Chômage,  Misère,  Suicide. 
Les  mots  ne  donnent  pas  de  pain, 
Car  nous  voyons  dans  la  grand'  ville 
De  vieux  travailleurs  sans  asile 
Et  des  enfants  mourir  de  faim. 

Liberté, 
Égalité, 
Fraternité. 

Ces  mots  sont  gravés  dans  la  pierre 
Sur  les  frontons  des  hôpitaux, 
De  la  Morgue  et  des  arsenaux 
Et  sur  les  murs  du  cimetière. 
Avec  le  temps,  il  est  certain 
Que  la  bourgeoisie  en  délire 
Finira  bien  par  les  inscrire 
Sur  le  ventre  des  morts  de  faim. 


—  233  — 

Liberté, 
Égalité, 
Fraternité. 

Hommes  libres  nous  voulons  être, 
Mais  il  nous  faut  l'Égalité. 
Nous  voulons  la  Fraternité, 
Mais  il  ne  faut  ni  Dieu  ni  Maître. 
Moins  de  phrases  et  plus  de  pain, 
Et,  surtout,  moins  de  politique. 
Car  nous  disons  qu'en  République 
On  ne  doit  pas  mourir  de  faim. 

Liberté, 

Égalité, 
Fraternité. 

Paris-Montmartre,  1884. 


J'ai  dédié  cette  chanson  h  Blanqui,  la  plus  grande  victime 
peut-être  de  ces  trois  mots,  pour  losquels  il  a  lutté  toute  sa  vie 
avec  un  stoïcisme  qui  ne  scst jamais  démenti. 

Je  lestimais  vivant,  je  le  salue  dans  la  tombe  ! 


—  234  — 


LA   FLEURÀISON 


A    la  citoyenne  Varenne. 

Ce  doux  frisson, 
Ce  rustique  murmure, 
C'est  le  printemps  qui  prédit  la  moisson. 
C'est  la  chanson 
Que  chante  la  nature. 
Ce  doux  frisson, 
C'est  l'œuvre  immense  en  pleine  fleuraison  ! 

L'herbe  frémit  près  de  la  fleur  qui  pousse, 
Humide  encore  des  brouillards  du  matin  ; 
Le  mois  d'amour  a  velouté  la  mousse 
Où  sont  blottis  les  oiseaux  du  chemin  ; 
Le  flot  inonde  et  caresse  la  berge 
Où  le  mûrier  près  du  saule  est  planté: 
C'est  la  nature  en  sa  robe  de  vierge 
Portant  les  fleurs  de  sa  fécondité. 

Ce  doux  frisson, 
Ce  rustique  murmure,  etc. 

La  terre  s'ouvre  et  le  blé  qu'elle  enfante 
Sort  frémissant  aux  yeux  des  laboureurs  ; 


—  235  — 

L'arbre  se  tord,  la  sève  est  palpitante, 
Et  les  sainfoins  sont  émaillés  de  fleurs; 
Le  cep  noueux  se  cramponne  à  la  terre, 
Car  de  ses  fruits  il  pressent  le  fardeau  ; 
Tout  se  remue  et  le  marbre  et  la  pierre, 
Tout  chante  et  pousse  avec  le  renouveau. 

Ce  doux  frisson, 
Ce  rustique  murmure,  etc. 

Les  bois  sont  verts,  venez,  garçons  et  filles, 
Chanter  en  chœur  la  ronde  des  beaux  jours. 
Le  gai  soleil  a  fleuri  les  charmilles  : 
Le  temps  des  fleurs,  c'est  le  temps  des  amours  ! . . 
Qu'on  se  prépare  et  qu'on  cercle  à  la  ronde 
Des  muids  ventrus  et  des  tonneaux  géants, 
Et  que  nos  vins  fassent  le  tour  du  monde  : 
La  vieille  vigne  a  partout  des  enfants. 

Ce  doux  frisson, 
Ce  rustique  murmure. 
C'est  le  printemps  qui  prédit  la  moisson. 
C'est  la  chanson 
Que  chante  la  nature. 
Ce  doux  frisson. 
C'est  l'œuvre  immense  en  pleine  fleuraison  ! 

Ermont,  1865. 
Musique  do  J.  Quidant.  —  Éditeur  :  M.  Gérard.  2,  rue  Scribe,  Paris, 


—  236  — 


L'AMOUR   DE   MA   MIE 


VIEILLE     CHANSON 


A  madame  LauretU. 

Le  roi,  pour  son  royaume 
Et  tous  ses  environs, 
Peut  demander  mon  chaume; 
Il  peut,  de  nos  valions, 
Conjurer  le  fantôme 
Qui  mange  nos  moutons  ; 
Il  peut  me  faire  vendre 
Ma  houlette  et  mon  chien  ; 
Il  peut  me  faire  pendre 
Et  je  n'en  pourrai  rien... 

Je  donnerai  ma  vie 
Pour  ce  qu'on  voudra. 
Mais  l'amour  de  ma  mie 
Le  roi  ne  l'aura. 

Le  roi  peut  en  ce  monde 

Précipiter  longtemps 

La  course  furibonde 

De  ses  beaux  coursiers  blancs: 


—  237  — 

Mais  qu'il  prie  ou  qu'il  gronde, 
Tout  règne  n'a  qu'un  temps. 
Dans  sa  course  insensée, 
S'il  veut  passer  un  jour 
Où  ma  mie  est  passée 
Avec  tout  son  amour.. . 

Je  donnerai  ma  vie 
Pour  ce  qu'on  voudra, 
Le  roi  de  chez  ma  mie 
Ne  s'en  reviendra. 

La  nuit,  à  ma  couchette, 
Je  dis  mon  désespoir; 
J'ai  mis  à  ma  houlette 
Un  petit  ruban  noir; 
Et  ma  pauvre  musette 
Pleure  avec  moi  le  soir  : 
Au  retour  des  fougères 
J'irai  couper  des  fleurs, 
Si  la  voix  des  bergères 
Se  mêle  à  mes  douleurs... 

Je  donnerai  ma  vie 
Pour  ce  qu'on  voudra, 
Mais  ça  n'est  point  ma  mie 
Qui  me  répondra. 

Le  printemps  sur  la  terre 
Fait  l'amour  à  l'été; 
Déjà  sur  ma  chaumière 
Les  oiseaux  ont  chanté  ; 


—  238  — 

Un  grand  manteau  de  lierre 
Couvre  sa  vétusté. 
Le  soleil  vient  nous  rendre 
Les  fleurs  et  les  beaux  jours, 
Que  l'hiver  doit  reprendre 
Avecque  nos  amours... 

Je  donnerai  ma  vie 
Pour  ce  qu'on  voudra, 
Mais  l'amour  de  ma  mie 
Qui  me  le  rendra? 

Montargis,  1865. 


Musique  de  Darder.  —  Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


239  — 


LE  BONHOMME  MISÈRE 


Au  citoyen  F,  Gambon. 

Haro! 
Voici  le  bonhomme  Misère, 
Livide,  décharné,  malsain, 
Tortillard,  cagneux,  poitrinaire. 
Honteux,  hardi,  rampant,  câlin. 
Menaçant,  farouche,  assassin  ! 
...  Voici  le  bonhomme  Misère, 

Haro  ! 

Haro  ! 
Voici  le  bonhomme  Misère 
Avec  sa  clique  et  ses  truands. 
Marchant  sans  but  et  sans  bannière. 
Gomme  un  troupeau  de  loups  errants 
Que  la  faim  presse  par  les  flancs. 
Voici  le  bonhomme  Misère, 

Haro! 

Haro! 
Voici  le  bonhomme  Misère 
Avec  ses  filous  de  tripot 
Et  ses  détrousseurs  de  barrières  : 


—  240  — 

Gibier  de  bagne  et  d'échafaud, 
Professeurs  de  crime  et  d'argot. 
Voici  le  bonhomme  Misère, 
Haro! 

Haro  ! 
Voici  le  bonhomme  Misère 
Et  ses  impudiques  amours, 
Ses  fils  sans  patrie  et  sans  mère, 
Ses  jongleurs,  ses  faiseurs  de  tours 
Et  ses  filles  de  carrefours. 
Voici  le  bonhomme  Misère, 

Haro  ! 

Haro! 
Voici  le  bonhomme  Misère 
Et  ses  enfants,  sans  feu  ni  lieu. 
Philosophes  courant  la  terre. 
Amoureux  quand  le  ciel  est  bleu, 
Doutant  de  tout,  surtout  de  dieu. 
Voici  le  bonhomme  Misère, 

Haro  ! 

Haro  ! 
Voici  le  bonhomme  Misère 
Avec  ses  martyrs  efflanqués, 
Portant  tous,  sur  leur  front  austère, 
La  griffe  qui  les  a  marqués 
Des  noms  de  pauvres,  de  toqués. 
Voici  le  bonhomme  Misère, 

Haro  ! 


—  241  — 

Haro! 
Voici  le  bonhomme  Misère 
Et  son  troupeau  déshérité, 
Chair  d'hôpital  et  de  rivière, 
Grande  et  sinistre  majesté 
Des  forçats  de  l'adversité  ! 
Voici  le  bonhomme  Misère, 

Haro  ! 

Haro! 
Voici  le  bonhomme  Misère 
Que  le  vice  tient  aux  cheveux 
Et  fait  rouler  dans  son  ornière, 
Puis  l'ogre  Or  qui  rit  auprès  d'eux 
De  leur  mine  et  de  leurs  flancs  creux. 
Voici  le  bonhomme  Misère, 

Haro! 

Haro! 
Voici  le  bonhomme  Misère, 
Vieux  comme  l'égoïsme  humain, 
Sec,  endurci  comme  une  pierre  ; 
Il  suit  une  route  sans  fin. 
Comme  il  a  froid!.,  comme  il  a  faim! 
Voici  le  bonhomme  Misère, 

Haro! 

Haro  ! 
Voici  le  bonhomme  Misère 
Qui  voit  dans  des  mondes  nouveaux 
La  fin  de  son  rude  calvaire. 

7. 


—  242  — 

Tais-toi,  vieux  fou!  Porte-fardeaux! 
L'ogre  Or  va  te  rompre  les  os! 
Voici  le  bonliomme  Misère, 
Haro! 


Haro  ! 

Voici  le  bonhomme  Misère, 
Qui  se  fait  homme  et  révolté  ! 
11  a  jeté  son  air  de  guerre 
Et  conduit  son  monde  irrité 
A  l'assaut  de  l'Égalité  ! 
Voici  le  bonhomme  Misère, 

Hourra  ! 

Hourra  ! 

Paris-Montniartro,  186S. 


Éditeur  :  M.  Labbé,  20.  rue  du  Croissant,  Paris. 


—  243 


LE   TEMPS   DES   CERISES 


A  la  vaillante  citoyenne  Louise,  Vam- 
bulancière  de  la  rue  Fontaine-au- 
Roi,  le  dimanche  28  mai  1871. 


Quand  nous  en  serons  au  temps  des  cerises, 
Et  gai  rossignol  et  merle  moqueur 

Seront  tous  en  fête. 
Les  belles  auront  la  folie  en  tête 
Et  les  amoureux  du  soleil  au  cœur. 
Quand  nous  en  serons  au  temps  des  cerises, 
Sifflera  bien  mieux  le  merle  moqueur. 

Mais  il  est  bien  court  le  temps  des  cerises, 
Où  l'on  s'en  va  deux  cueillir  en  rêvant 

Des  pendants  d'oreilles, 
Cerises  d'amour  aux  robes  pareilles 
Tombant  sous  la  feuille  en  gouttes  de  sang. 
Mais  il  est  bien  court  le  temps  des  cerises, 
Pendants  de  corail  qu'on  cueille  en  rêvant. 

Quand  vous  en  serez  au  temps  des  cerises, 
Si  vous  avez  peur  des  chagrins  d'amour 

Évitez  les  belles. 
Moi  qui  ne  crains  pas  les  peines  cruelles, 


—  244  — 

Je  ne  vivrais  pas  sans  soufîrir  un  jour. 
Quand  vous  en  serez  au  temps  des  cerises, 
Vous  aurez  aussi  des  chagrins  d  amour. 

J'aimerai  toujours  le  temps  des  cerises  : 
C'est  de  ce  temps-là  que  je  garde  au  cœur 

Une  plaie  ouverte, 
Et  dame  Fortune,  en  m'étant  offerte, 
Ne  saurait  jamais  calmer  ma  douleur. 
J'aimerai  toujours  le  temps  des  cerises 
Et  le  souvenir  que  je  garde  au  cœur. 

Paris-.Montmarlre,  1866. 

Musique  de  Renard.  —  Éditeur  :  M.  Egrot,  25,  boulevard  de 
Strasbourg,  Paris. 


Puisque  cette  chanson  a  couru  les  rues,  j'ai  tenu  à  la  dédier,  à 
titre  de  souvenir  et  de  sympathie,  à  une  vaillante  fille  qui,  elle 
aussi,  a  couru  les  rues  à  une  époque  où  il  fallait  un  grand  dé- 
vouement et  un  fier  courage  ! 

Le  l'ait  suivant  est  de  ceux  qu'on  n'oublie  jamais  : 

Le  dimanche,  28  mai  1871,  alors  que  tout  Paris  était  au  pouvoir 
de  la  réaction  victorieuse,  quelques  hommes  luttaient  encore  dans 
la  rue  Fontaine-au-Roi. 

Il  y  avait  là.,  mal  retranchés  derrière  une  barricade,  une  vingtaine 
de  combattants,  parmi  lesquels  se  trouvaient  les  deux  frères  Ferré, 
le  citoyen  Gambon,  des  jeunes  gens  de  dix-huit  à  vingt  ans  et  des 
barbes  grises  qui  avaient  déjà  échappé  aux  fusillades  de  48  et  aux 
massacres  du  coup  d'État. 

Entre  onze  lieures  et  midi,  nous  vîmes  venir  à  nous  une  jeune 
fille  de  vingt  à  vingt-deux  ans  qui  tenait  un  panier  à  la  main. 

Nous  lui  demandâmes  d'où  elle  venait,  ce  qu'elle  venait  faire  et 
pourquoi  elle  s'exposait  ainsi? 

Elle  nous  répondit  avec  la  plus  grande  simplicité  qu'elle  était 
ambulancière  et  que  la  barricade  de  la  rue  Saint-Maur  étant  prise, 
elle  venait  voir  si  nous  n'avions  pas  besoin  de  ses  services. 


—  24S  — 

Un  vieux  de  48,  qui  n'a  pas  survécu  h  71,  la  prit  par  le  cou  et 
l'embrassa. 

C'était  en  effet  admirable  do  dévouement  ! 

Malgré  notre  i-efus  motive  de  la  garder  avec  nous,  elle  insista 
et  ne  voulut  pas  nous  quitter. 

Du  reste,  cinq  minutes  plus  tard,  elle  nous  était  utile. 

Deux  de  nos  camarades  tombaient  frappés  l'un,  d'une  balle  dans 
l'épaule,  l'autre  au  milieu  du  front. 

J'en  passe!  !... 

Quand  nous  décidâmes  de  nous  retirer,  s'il  en  était  temps 
encore,  il  fallut  supplier  la  vaillante  fille  pour  qu'elle  consentît  à 
quitter  la  place. 

Nous  sûmes  seulement  qu'elle  s'appelait  Louise  et  qu'elle  était 
ouvrière. 

Naturellement,  elle  devait  être  avec  les  révoltés  et  les  las-de- 
vivre  ! 

Qu'est-elle  devenue? 

A-t-elle  été,  avec  tant  d'autres,  fusillée  par  les  Vcrsaillais? 

N'était-ce  pas  à  cette  héroïne  obscure  que  je  devais  dédier  la 
chanson  la  plus  populaire  de  toutes  celles  que  contient  ce  volume? 


—  246  — 


QUE  LA  TERRE  A  DE  BONNES  CHOSES  ! 


A  inadtmoiscUe  Henriette  Gcslin. 

A  part  ]a  peste  et  les  fripons, 
Les  mauvais  dîners  de  rencontre, 
Les  sots  qui  taillent  des  chansons, 
Les  affamés  qui  font  la  montre... 

A  part  les  grippe-sous, 
Les  jaloux, 
Les  buveurs  d'eau,  les  gens  moroses, 

Ah! 
Que  la  terre  a  de  bonnes  choses! 

A  part  tous  les  fléaux  humains, 
La  nature  est  une  merveille! 
La  Bourgogne  a  de  si  bons  vins, 
C'est  si  bavard  une  bouteille  ! 

A  part  les  grippe-sous. 
Les  jaloux, 
Les  buveurs  d'eau,  les  gens  moroses, 

Ah! 
Que  la  terre  a  de  bonnes  choses! 

Et  que  dirai-je  du  soleil 

Qui  fait  mûrir  la  grappe  ronde, 


—  247  — 

Qui  met  la  jeunesse  en  éveil 
Et  dit  :  Aimez!  atout  le  monde. 

A  part  les  grippe-sous, 
Les  jaloux, 
Les  buveurs  d'eau,  les  gens  moroses, 

Ah! 
Que  la  terre  a  de  bonnes  choses  ! 

Je  parle  du  vin  comme  un  vieux, 
Mais  l'amour  a  sa  poésie  : 
C'est  si  tendre  deux  amoureux 
Et  ma  Ninon  est  si  jolie! 

A  part  les  grippe-sous, 
Les  jaloux, 
Les  buveurs  d'eau,  les  gens  moroses, 

Ah! 
Que  la  terre  a  de  bonnes  choses  ! 

On  a  fait  plus  d'une  chanson 
Sur  le  vieux  sujet  qui  m'inspire. 
Ces  couplets  seront  pour  Ninon, 
Pour  Ninon  qui  m'a  tant  fait  dire  : 

A  part  les  grippe-sous. 
Les  jaloux. 
Les  buveurs  d'eau,  les  gens  moroses, 

Ah! 
Que  la  terre  a  de  bonnes  choses  ! 

Paris,  1866. 


248  — 


LA   NOURRICE   A   PIERROT 


A  i'atni  Eiig'cnc  Baillet. 

Un  jour  ou  l'autre  on  va  m'ie  r'prendre, 
Aussi  je  n'veux  plus  d'nourrisson. 
Ça  fait  trop  d'mal  quand  y  faut  l'rendre, 
C'est  comme  un  mort  dans  la  maison. 
Mais  c'qu'on  n'rend  pas  c'est  ce  gai  ramage 
Qu'les  p'tits  enfants  font  dès  l'matin; 
C'est  c'bon  sourir'  du  premier  âge 
Qu'est  si  finaud  et  si  câlin. 

Fais  do  do, 
Do  do, 
Pierrot, 
T'auras  tantôt 
Du  bon  lolo. 
Hé,  Ion  Ion  la,  faites  do  do, 
Ou  ben,  Pierrot, 
Votr'  bon  lolo 
S'ra  pour  Jacquet. 
Do  do,  petiot. 
Mon  pauvr'  Pierrot. 

Tout  l'mond'  sait  comme  il  était  frèlo 
Quand  je  l'ons  pris  pour  le  nourrir. 


—  249  — 

Il  s'accrochait  à  ma  mamelle 

Comme  pour  dir'  :  Ne  m'iaiss'  pas  mourir. 

J'iai  mis  dans  Tmêm'  berceau  que  ma  fille 

Et  je  m'suis  dit  en  l'embrassant  : 

C'est  un  gars  d'plus  dans  la  famille, 

Nourrissons-le  comm'  notre  enfant. 

Fais  do  do,  etc. 

A  Paris,  t'auras  ben  d'ia  peine... 
Si  tu  restais  dans  not'  pays, 
T'épous'rais  notr'  fiU'  Madeleine 
Et  t'aurais  là  d'bons  vieux  amis. 
.J'vous  donnerions  en  mariage 
L'peu  d'bien  qu'j'avons  en  plein  soleil, 
Et  la  maisonnett'  de  c'village 
Où  tout  sourit  à  ton  réveil. 

Fais  do  do,  etc. 

S'y  t'arriv'  jamais  d'ia  souffrance, 
0  p'tiot!  quand  tu  s'ras  bien  loin  d'moi, 
Au  fond  d'ton  cœur  gard'  la  souv'nance, 
Qu'chez  nous  j'aurons  toujours  pour  toi  : 
Dans  notr'  foyer  un'  bonn'  gross'  bûche. 
Un  bon  lit  d'plum'  pour  te  r'poser. 
Un  morceau  d'pain  bis  dans  la  huche, 
Pour  te  recevoir  un  gros  baiser. 

Fais  do  do,  etc. 


—  250  — 

Ta  bouch'  rose  a  ben  d'ia  malice, 
Tu  ris  en  d'dans,  mon  beau  p'tit  gas. 
Ah  !  quand  tu  s'ras  loin  d'ta  nourrice 
Comm'  tous  les  autr's  tu  l'oublieras... 
On  frapp'  !...  c'est  p't'être  déjà  ta  mère! 
Avec  eir  tu  vas  t'en  aller... 
Endors-toi  vit',  mon  p'tit  gars  Pierre, 
Eir  n'os'ra  pas  te  réveiller  ! 

Fais  do  do, 
Do  do. 
Pierrot, 
T'auras  tantôt 
Du  bon  lolo. 
Hé,  Ion  Ion  la,  faites  do  do, 
Ou  ben,  Pierrot, 
Votr'  bon  lolo 
S'ra  pour  Jacquot. 
Do  do,  petiot, 
Mon  pauvr'  Pierrot. 

Ormcsson,  1865. 


Musique  de  V.  Parizot.  —  Éditeur  :  M.  Lebailly,  2,  rue  Cardinale,  Paris. 


251  — 


LES  VOLONTAIRES 


A  Ba^eux-Ditmesnil 

Comme  ils  étaient  fort  entêtés 
Quand  ils  avaient  leurs  volontés 

Nos  vaillants  pères! 
Les  gas  à  poil  de  ce  temps-là 
Voulurent  qu'on  les  appela 

Les  volontaires , 

Au  pays  où  l'on  fait  du  vin, 
Où  la  vigne  est  le  médecin 

Des  poitrinaires, 
Les  hommes  sont  si  bien  bâtis 
Que  tous,  un  jour,  grands  et  petits, 

Sont  volontaires. 

Mal  équipés,  en  gros  sabots,,  ' 
Ils  coururent,  le  sac  au  dos, 

A  nos  frontières, 
Avec  la  Marseillaise  au  cœm^ 
Et  du  courage  à  faire  peur, 

Des  volontaires. 


—  252  — 

On  ne  voyait  point  de  musards, 
Point  de  poussifs,  point  de  traînards 

Dans  les  ornières. 
La  Liberté  donnait  du  nerf, 
Des  pieds  et  des  jarrets  de  cerf 

Aux  volontaires. 

Aussi  ce  ne  fut  pas  bien  long 
De  reclouer  le  pavillon 

Sur  nos  frontières. 
Liberté,  mère  des  héros, 
Ils  avaient  du  feu  dans  les  os, 

Tes  volontaires. 

Liberté,  c'était  en  ton  nom 
Qu'ils  se  faisaient  chair  à  canon 

Et  de  civières  ! 
0  patronne  !  quand  vous  hurlez. 
Ça  fourmille  comme  les  blés, 

Les  volontaires. 

Londres,  1873. 


Musique  de  Marcel  Legay.  —  Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue 
Saint-Martin,  Paris. 


233  — 


FLEURS   ET   FRUITS 


A  madotioiselle  E.  Canat. 

Apprêtez,  fillettes, 
Vos  petits  paniers  et  vos  corselettes, 
Voici  la  saison  des  fleurs  et  des  fruits. 
La  fraise  est  au  bois  à  côté  des  nids  ; 
La  cerise,  aux  champs,   attend  les  cueillettes. 

0  gué,  les  fillettes  ! 
Voici  la  saison  des  (leurs  et  des  fruits. 

Feu  dans  les  prunelles 

Qui  brille  et  fait  peur, 

Fraîches  demoiselles, 

La  poitrine  en  fleur. 
Des  bruns  et  des  blonds  toutes  les  promises 
S'en  vont  en  dansant  aux  rouges  cerises  ; 
Et  rouges  si  bien  qu'en  les  reg-ardant 
Ça  vous  semble  aux  yeux  des  gouttes  de  sang. 

Apprêtez,  fillettes,  etc. 

Tiédeur  sur  la  joue, 
Par  malice  un  peu, 
Pour  voir  ce  qui  noue 
Le  petit  bas  bleu. 


—  254  — 

Le  gars  le  plus  dru  fait  la  courte  échelle 
Au  tendron  léger  comme  une  hirondelle. 
Tout  ça  c'est  si  prompt  et  se  fait  si  bien, 
Qu'ouvrant  de  grands  yeux  même  onn'y  voit  rien. 

Apprêtez,  fillettes,  etc. 

L'oiselet  volage, 

Tout  vêtu  de  gris. 

Vient  du  bois  sauvage 

Avec  ses  petits. 
Sans  s'épouvanter  du  garde  qui  braille, 
Ni  du  mannequin  au  fusil  de  paille, 
Il  dîne  au  bel  air,  aux  frais  du  printemps, 
Et  dort  sur  la  branche  à  l'abri  du  temps. 

Apprêtez,  fillettes,  etc. 

Vive  comme  un  lièvre, 

Fillette,  au  corset 

Ou  bien  à  sa  lèvre 

Porte  un  blanc  muguet. 
Pour  un  baiser  pris  sur  lèvres  vermeilles. 
On  lui   donne  en  gage  un  pendant  d'oreilles  : 
Pendant  de  corail,  cerises  d'amour, 
Qu'on  laisse  dans  l'herbe  à  la  fin  du  jour. 

Apprêtez,  fillettes,  etc. 

Puis  le  cœur  à  l'aise 
D'avoir  bien  aimé, 
Quand  paraît  la  fraise 
Au  bois  embaumé, 


—  253  — 
Sous   les  grands  buissons  d'aubépine  blanche, 
Avec  sa  promise  on  vient  le  dimEinche 
Mettre  en  son  panier  le  fruit  velouté, 
Qu'avec  le  soleil  enfante  l'été. 

Apprêtez,  fillettes,  etc. 

Aimables  cueillettes 

Des  bois  d'alentour, 

Gentilles  fillettes,    • 

Fleurs  et  fruits  d'amour. 
Le  cornemusier,  assis  sous  un  chêne. 
Pour  faire  danser  souffle  à  perdre  haleine. 
Laissez  vos  paniers  au  long  des  buissons, 
Mais  prenez  bien  garde  à  vos  cotillons. 

Apprêtez,  fillettes. 
Vos  petits  paniers  et  vos  corselettes, 
Voici  la  saison  des  fleurs  et  des  fruits. 
La  fraise  est  au  bois  à  côté  des  nids  ; 
La  cerise,  aux  champs,  attend  les  cueillettes. 

0  gué,  les  fillettes  ! 
Voici  la  saison  des  fleurs  et  des  fruits. 

Ermont,  1864. 


256 


LE    SONNEUR   DE   MADRID 


Au  citoyen  J.  Bonifay. 

Bandes  noires,  videurs  de  poclies, 
Noyez-vous  dans  vos  bénitiers. 
Au  pays  des  gais  muletiers, 
La  liberté  se  pend  aux  cloches. 

Ah!  ah! 
Noyez-vous-y  donc! 
Din  don. 

La  liberté  sera  marraine 
Des  poupenotsnés  en  cctemps. 
Elle  en  avait  un  tous  les  ans  : 
C'est  bien  dommage  pour  la  reine. 

Ah!  ah! 
Baptisez-les  donc! 
Din  don. 

Les  rois  auront  beau  se  défendre, 
Nous  leur  ferons  toujours  la  loi . 
La  grosse  reine  est  sans  emploi  : 
Encore  une  couronne  à  vendre. 


—  2S7  — 

Ah!  ah! 
Mais  venez-y  donc! 
Din  don. 

Gobeurs  d'hostie  et  d'eau  bénite, 
Cafards  dorés,  gens  à  plumets, 
Mangeurs  d'impôts,  pitres,  valets 
Qui  prenez  la  femelle  au  gîte... 

Ah!  ah! 
Déménagez-donc  ! 
Din  don. 

Le  peuple  est  la  grande  canaille 
Qu'on  corrige  à  coups  de  bâton. 
Et,  si  l'on  en  croit  les  dit-on, 
Sa  colère  est  un  feu  de  paille. 

Ah!  ah! 
Eteignez-le  donc  ! 
Din  don. 

Si  nos  voisins,  fiers  d'une  époque 
Qu'on  appelle  quatre-vingt-neuf. 
Essayaient  de  remettre  à  neuf 
Leur  pavillon  qui  tombe  en  loque... 

Ah  !  ah  ! 

Que  l'on  rirait  donc  ! 

Din  don. 


—  238  — 

Ce  n'est  pourtant  pas  difficile 
De  rester  le  maître  chez  soi  : 
Quand  le  peuple  se  fâche,  un  roi 
Ça  fait  son  bagage  et  ça  file... 

Ahl  ah! 

Souvenez-vous  donc  ! 

Din  don. 

Vous  avez  ri  de  nos  poètes  : 
Mais  ces  amoureux  du  soleil 
Vous  ont  prouvé  par  leur  réveil 
Qu'ils  ne  craignaient  pas  les  tempêtes. 

Ah  !  ah  ! 

Réveillez-vous  donc  I 

Din  don. 

On  peut  chanter  des  sérénades 
Aux  belles  "qu'on  attend  le  soir, 
Ça  n'empêche  pas  de  savoir 
Danser  aux  sons  des  fusillades. 

Ah  !  ah  ! 
Imitez-nous  donc  ! 
Din  don. 

La  liberté  rend  la  jeunesse  : 
Sonnons,  sonnons  à  tour  de  bras 
Pour  étouffer  tous  les  sabbats 
Des  cloches  qui  sonnent  la  messe. 


—  -2S9  — 

Ah  !  ah  ! 
Carillonnez  doncl 
Din  don. 

Amen  pour  la  sainte  boutique  ! 
Je  suis  fort  comme  trois  géants 
Depuis  un  mois  que  je  me  pends 
Aux  cloches  de  la  République  ! 

Ah  !  ah  ! 
Ecoutez-les  donc  ! 
Din  don. 

Pai-is-Montmavtrc,  1868. 
Éditeur  :   M.    Bassoroau,  2i0,  rue   Saint-Martin,  Paris. 


On  SG  souvient  des  événements  qui  éclatèrent  on  Espagne  en 
1868  et  à  la  suite  desquels  la  reine  Isabelle  et  ses  Marlbris  durent 
prendre  la  poudre  d'escampette. 

Malheureusement,  les  prophéties  de  mon  sonneur  ne  se  sont  pas 
réalisées.  Un  autre  Alphonse  a  remplacé  les  Marforis. 


260  - 


TOINON-CABOCHE 


Au  docteur  Goisct. 

Figurez-vous  une  marmotte 
Rouge  comme  le  vrai  drapeau, 
Une  paupière  qui  clignote 
Et  du  sang  jaune  sous  la  peau. 

Voilà  Toinon-Gaboche 
Qui  se  traîne  clopin-clopant, 
Et  qui  n'a  même  pas  en  poche 
Les  cinq  sous  du  vieux  juif-errant. 

Un  front  creusé  comme  une  ornière, 
Sur  les  tempes  trois  cheveux  blancs. 
Des  yeux  qui  pleurent  la  misère, 
Une  joue  et  des  trous  dedans. 

Voilà  Toinon-Gaboche 
Qui  se  traîne  clopin-clopant. 
Et  qui  n'a  même  pas  en  poche 
Les  cinq  sous  du  vieux  juif-errant. 


—  261  — 

Un  menton  maigre,  osseux  qui  danse 
La  Carmagnole  avec  le  nez, 
Un  dos  en  forme  de  potence 
Et  les  deux  genoux  couronnés. 

Voilà  Toinon-Caboche 
Qui  se  traîne  clopin-clopant, 
Et  qui  n'a  môme  pas  en  poche, 
Les  cinq  sous  du  vieux  juif-errant. 

Une  voix  triste  et  nasillarde, 
Pleurant  des  ah!  et  des  hélas! 
Une  vieille  enfin  qu'on  regarde 
En  hurlant  :  Ça  ne  se  doit  pas! 

Voilà  Toinon-Caboche 
Qui  se  traîne  clopin-clopant  : 
Prudhomme,  gras  comme  une  loche, 
Boit,  mange,  chasse  et  vit  content. 

Paris-Montmartre ,  1 882 . 


Editeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  262 


TOURNE,  TOURNE,  MON  MOULIN 


^4  Abcl  Boisseau . 

Tourne,  tourne  mon  moulin 
Sous  tes  grands  rubans  de  lierre. 
Tant  que  nous  aurons  du  grain 
Et  de  l'eau  dans  la  rivière. 
Tourne,  tourne  mon  moulin. 
Va  plus  vite  que  la  faim! 

Tourne,  tourne  mon  moulin, 
Songe  que  ton  bavardage 
Promet  la  miche  de  pain 
Aux  enfants  du  voisinage. 
Tourne,  tourne  mon  moulin, 
Les  enfants  ont  toujours  faim! 

Tourne,  tourne  mon  moulin, 
Que  la  vieille  qui  mendie 
Trouve  son  pichet  de  vin 
Et  ma  huche  bien  garnie. 
Tourne,  tourne  mon  moulin, 
Les  pauvres  ont  toujours  faim! 


—  263  — 

Tourne,  tourne  mon  moulin, 

Les  méchants  sont  en  grand  nombre, 

Mais  souvent  un  peu  de  pain 

Déride  un  visage  sombre. 

Tourne,  tourne  mon  moulin. 

Le  crime  vient  de  la  faim  ! 

Tourne,  tourne  mon  moulin 
Pour  apaiser  tout  le  monde, 
Car  la  guerre  est  en  chemin 
Quand  tu  dors  une  seconde. 
Tourne,  tourne  mon  moulin. 
On  se  bat  quand  on  a  faim  ! 

Tourne,  tourne  mon  moulin 
A  faire  des  étincelles! 
Prends  ta  course  à  fond  de  Irain, 
Car  la  famine  a  des  ailes. 
Tourne,  tourne  mon  moulin, 
Va  plus  vite  que  la  faim  ! 

Petit-Biy,  1869. 


Editeur:  M.  Basscrcaa,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


264 


SI   vous   M'AIMEZ 

BALLADE 


A  madaine  Dratnard. 

—  Si  VOUS  m'aimez,  ma  dit  ma  belle, 
Assise  sous  les  palmiers  verts, 
Allez  chercher,  amant  fidèle, 

La  perle  fine  au  fond  des  mers. 
Demain  soir,  j'en  veux  une 
Dont  l'étrange  couleur 
Mette  l'envie  au  cœur 
D'Adji  la  brune... 
Pour  lui  ronger  le  cœur, 
Demain  soir,  j'en  veux  une  ! 

—  Si  vous  m'aimez,  m'a  dit  ma  belle, 
En  m'inondant  de  ses  cheveux, 
Allez  chercher,  amant  fidèle, 
L'étoile  blanche  au  fond  des  cieux. 

Et  soulevant  mon  voile 
Afin  de  l'y  poser. 
Vous  aurez  un  baiser 
Pour  une  étoile. 
Si  tu  veux  ce  baiser. 
Il  me  faut  une  étoile  ! 


-  265  — 

—  Mais,  si  pour  vous,  m'a  dit  ma  belle, 
Trop  profond  est  le  fond  des  mers, 
Trop  haut  le  ciel,  amant  fidèle. 
Tuez- vous  sous  les  palmiers  verts... 

Maudissant  l'infortune, 

Je  me  tuerai  demain. 

Mais  avant,  je  viendrai. 
Ici,  ma  brune, 

Et  je  vous  séduirai 

Au  premier  clair  de  lune  ! 

Paris,  186  . 


Éditeur  :  M.  Bassercau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


266  — 


JEAN   MAR&OUSIN 


Au  citoyen  Parlât. 

Quand  le  fermier  Jean'Margousin 

Partit  pour  le  marclié  voisin, 

La  lune  se  mirait  encore 

Dans  les  flots  noirs  du  grand  étang, 

Et  le  sonneur,  guignant  l'aurore, 

Se  réveillait  en  se  grattant... 

...Mais  Jean  Margousin,  pour  sa  peine, 

S"en  reviendra  sacoche  pleine. 

Quand  le  fermier  Jean  Margousin 

Partit  pour  le  marché  voisin, 

Il  était  sur  sa  poulinière, 

Ayant  en  longe  son  baudet, 

Faro  devant,  et  par  derrière 

Sa  pouliche  qui  gambadait... 

...Mais  Jean  Margousin,  pour  sa  peine, 

S'en  reviendra  sacoche  pleine. 

Quand  le  fermier  Jean  Margousin 
Partit  pour  le  marché  voisin. 
Quatre  grands  bœufs,  presque  sans  taches. 
Le  suivaient  liés  deux  à  deux, 


—  267  — 
Puis  trente  moutons  et  deux  vaches 
Quasi  fortes  comme  ses  bœufs... 
...  Aussi  Margousin,  pour  sa  peine, 
S'en  reviendra  sacoche  pleine. 

Quand  le  fermier  Jean  Margousin 

S'en  revint  du  marché  voisin, 

La  route  du  bois  était  sombre; 

Il  était  seul  et  trébuchait. 

A  chaque  pas,  prenant  son  ombre 

Pour  un  voleur,  il  frissonnait!... 

...  C'est  que  Margousin,  pour  sa  peine, 

S'en  revenait  sacoche  pleine. 

Heureusement  que  Margousin 
Se  rendit  au  marché  voisin 
Sans  emmener  sa  femme  Ursule, 
Sa  fille  Annette  et  son  fils  Jean, 
Car  je  crois  bien  que,  sans  scrupule, 
Le  bonhomme  en  eût  fait  argent... 
...  Il  eut  grand'peur,  il  eut  grand'peinc, 
Mais  sa  sacoche  était  si  pleine! 

Noisy-lo-Scc,  1864. 


Musique  de  Darder.  —  Éditeur  :  M.  Labbc,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris . 


—  268  — 


MUSE,   REPRENDS   TON   VOL 


A  A.  Royer. 

Gomme  un  gai  rossignol, 
Muse,  reprends  ton  vol! 
La  loi  devient  plus  charitable 
Et  nous  promet  des  jours  meilleurs. 
Va,  quoi  qu'en  disent  les  railleurs, 
Le  gouvernement  est  bon  diable. 

0  fille  du  printemps, 

Achetons  des  rubans! 
Tu  vas  pouvoir,  chère  maîtresse. 
Te  parer  de  tes  beaux  atours, 
Puisque  l'on  donne  libre  cours 
A  la  liberté  de  la  presse. 

A'Iuse  des  malheureux. 
Plus  de  chants  langoureux! 
Que  ta  lyre,  longtemps  muette, 
Réveille  le  peuple  qui  dort  !... 
Mais,  chut!  ne  parlons  pas  trop  fort. 
Je  vois  un  mouchard  qui  nous  guette. 

0  filles  des  Gaulois, 
Chantons  à  pleine  voix 


—  269  — 

Que  la  liberté  court  le  monde 
Et  que  l'avenir  est  à  nous!... 
Chut!  on  pousse  les  verroux, 
C'est  le  geôlier  qui  fait  sa  ronde. 

Muse  sans  feu  ni  lieu, 

Rêvant  sous  le  ciel  bleu, 
Soulevons  le  masque  du  prêtre 
Et  dévoilons  sa  fausseté... 
Mais,  chut  !  voici  l'autorité 
Et  la  voiture  de  Bicêtre. 

0  muse  de  l'honneur, 

Fille  de  la  pudeur. 
Faisons  respecter  la  morale 
Par  les  margots  et  leurs  vauriens  !... 
Mais,  chut!  en  voici  les  gardiens 
Qui  vont  se  soûler  à  la  Halle. 

Muse  de  l'équité 

Et  de  la  liberté, 
Disons  que  la  misère  est  grande 
Et  que  le  siècle  tourne  à  mal... 
Mais,  chut  !  les  gens  du  tribunal 
Pourraient  bien  nous  mettre  à  l'amende! 

0  muse  des  faubourgs, 
Au  bruit  de  cent  tambours 
Viens  planter  sur  les  barricades 
Le  drapeau  des  républicains... 
Mais,  chut!  voici  les  assassins 
Qui  commandent  les  fusillades. 


—  270  — 

Gomme  un  gai  rossignol, 
Muse,  reprends  ton  vol  ! 
Quand  à  la  saison  printanière. 
L'oiseau  redira  ses  chansons, 
A  pleine  voix  nous  chanterons 
Sans  prendre  garde  au  commissaire. 

0  fille  du  printemps, 

Achetons  des  rubans, 
Achetons  les  noirs  pour  la  France, 
Encore  en  deuil  de  ses  revers. 
Mais  conservons  les  rubans  verts 
Que  nous  a  laissés  l'espérance. 

Paris-Montmartre,  1868. 
Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


Le  gouvernement  impérial  eut,  à  cette  époque,  des  velléités  de 
libéralisme  incompatible  avec  son  origine.  On  retapa  les  lois  dra- 
coniennes sur  le  droit  de  réunion  et  sur  la  liberté  de  la  presse, 
et  bien  dos  naïfs  s'y  laissèrent  prendre. 

La  promulgation  de  ces  fameuses  lois  ouvrit,  h  nouveau,  l'ère 
des  persécutions,  des  arrestations  et  des  condamnations  pour  les 
orateurs  des  réunions  publiques  et  pour  les  écrivains. 

Ce  libéralisme  nous  valut,  à  Vermorel  et  à  moi,  sept  ou  huit 
condamnations  pour  délits  de  presse,  se  chiffrant  par  des  amendes 
énormes  et  deux  ou  trois  ans  de  prison. 

Le  4  septembre  nous  ouvrit  les  portes  de  Pélagie. 


—  271  — 


MUSIQUE 


A  mon  ami  Rouen. 

Sapin  qui  cliante 
Des  airs  tristes  qui  font  pleurer, 
Sanglots  d'une  plaintive  amante 
Qui  soupire  sans  espérer! 
Herbe  qui  pousse  et  qui  frissonne, 
Roseau  qui  tremble  et  qui  bourdonne. 

C'est  la  musique  des  amours, 
De  nos  cœurs  et  de  la  nature. 

C'est  l'éLernel  murmure 
Et  l'écho  des  nuits  et  des  jours. 
C'est  la  musique  des  amours  : 
0  Marinette,  aimons  toujours! 

Flot  qui  murmure, 
Saule  qui  gémit  quand  le  vent 
Eparpille  sa  chevelure, 
Ruisseau  qui  roule  en  serpentant. 
Chansons  d'oiseaux  sous  le  feuillage. 
Chêne  qui  gronde  et  bruit  d'orage... 


—  272  — 

C'est  la  musique  des  amours, 
De  nos  cœurs  et  de  la  nature. 

C'est  l'éternel  murmure 
Et  l'écho  des  nuits  et  des  jours. 
C'est  la  musique  des  amours  : 
0  Marinette,  aimons  toujours! 

Chants  de  la  plante, 
Des  blés  qui  font  craquer  le  sol, 
Bruissements  de  la  sève  ardente, 
Chansons  des  nuits  du  rossignol. 
Soupirs  de  tout  ce  qui  bourgeonne, 
Chants  du  printemps  et  de  l'automne... 

C'est  la  musique  des  amours. 
De  nos  cœurs  et  de  la  nature. 

C'est  l'éternel  murmure 
Et  l'écho  des  nuits  et  des  jours. 
C'est  la  musique  des  amours: 
0  Marinette,  aimons  toujours! 

Cette  musique 
Amoureuse  à  rendre  amoureux, 
Simple,  farouche  et  poétique. 
Triste  comme  tes  grands  yeux  bleus  ; 
Cette  musique  tendre  et  douce 
Donnée  à  l'herbe,  aux  brins  de  mousse. 

C'est  la  musique  des  amours, 
De  nos  cœurs  et  de  la  nature. 
C'est  l'éternel  murmure 


—  273  — 

Et  l'écho  des  nuits  et  des  jours. 
C'est  la  musique  des  amours  : 
0  Marinette,  aimons  toujours  ! 

Plus  près  encore, 
0  Marinette,  approchez-vous  ! 
Un  bon  baiser  tendre  et  sonore, 
Des  mots  bien  pensés  et  bien  doux; 
Cœur  qui  soupire,  amour  qui  mine 
Et  chante  bien  dans  la  poitrine... 

C'est  la  musique  des  amours, 
De  nos  cœurs  et  de  la  nature. 

C'est  l'éternel  murmure 
Et  l'écho  des  nuits  et  des  jours. 
C'est  la  musique  des  amours: 
0  Marinette,  aimons  toujours  ! 

Vallée  d'Hyères,  1864. 


Musique  de  Darder.  —  Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—  274 


ALLONS  FAIRE  UN  TOUR  A  LA  BANQUE 


An  citoyen  Bouty. 

Le  travail  manque! 
Il  est  grand  temps, 
Les  enfants, 
D'aller  faire  un  tour  à  la  Banque. 

Voilà  des  mois  qu'on  ne  fait  rien. 

Cependant,  comme  un  galérien 

On  arpente  la  capitale, 

Et  sans  une  croûte  à  ronger, 

L'estomac  bat  la  générale 

A  la  porte  du  boulanger. 

Le  travail  manque! 
Il  est  grand  temps, 
Les  enfants, 
D'aller  faire  un  tour  à  la  Banque. 

La  faim  a  gagné  les  faubourgs  ; 

Ça  ne  peut  pas  durer  toujours, 

Car  les  femmes  crieraient  :  Tant  pire! 

Quand  nos  enfanfs  veulent  du  pain, 


C'est  pas  possible  de  leur  dire  : 
Nous  vous  en  donnerons  demain. 

Le  travail  manque  ! 
Il  est  grand  temps, 
Les  enfants, 
D'aller  faire  un  tour  à  la  Banque. 

On  jeûne  et  l'on  est  endette, 
Tout  est  au  Mont-de-piété  : 
On  couche  à  môme  la  litière, 
On  a  mis  jusqu'aux  draps  de  lit  ! 
Et  l'on  a  beau  pleurer  misère, 
Les  marchands  ne  font  plus  crédit. 

Le  travail  manque  ! 
II  est  grand  temps, 
Les  enfants. 
D'aller  faire  un  tour  à  la  Banque. 

Il  paraît  que  les  hnanciers, 

Les  commerçants,  les  usiniers 

Sont  logés  à  la  môme  enseigne. 

Ils  font  faillite  à  qui  mieux  mieux. 

Les  pauvres  gens  !  le  cœur  m'en  saigne  ! 

Si  nous  pouvions  faire  comme  eux  ! 

Le  travail  manque  ! 
Il  est  grand  temps, 
Les  enfants. 
D'aller  faire  un  tour  à  la  Banque. 


—  276  — 

Ne  serait-il  pas  plus  moral, 
Pour  mieux  remédier  au  mal, 
De  troubler  un  peu  l'existence 
Des  crésus  et  des  ripailleurs, 
Qui  condamnent  à  l'abstinence 
La  famille  des  travailleurs?... 

Le  travail  manque  ! 
Il  est  grand  temps, 
Les  enfants, 
D'aller  faire  un  tour  à  la  Banque. 

En  bonne  comptabilité, 

Il  est  de  toute  utilité 

Qu'on  nous  ouvre  un  peu  ce  «  Grand-Livre  » 

Pour  que  nous  connaissions...  en  cas... 

Ceux  que  nous  faisons  si  bien  vivre 

Alors  que  nous  ne  vivons  pas. 

Le  travail  manque! 
II  est  grand  temps. 
Les  enfants, 
D'aller  faire  un  tour  à  la  Banque. 

Tous  les  gouvernements  défunts 
Ont  bien  contracté  des  emprunts. 
Puisque  la  crise  est  générale, 
Faisons  notre  emprunt  ouvrier... 
La  République  sociale 
Signera  les  bons  à  payer! 


—  277  — 

Le  travail  manque, 
Il  est  grand  temps, 
Les  enfants, 
Daller  faire  un  tour  à  la  Banque. 

Paris-Montmartre,  1884. 
Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


En  1848,  les  ouvriers  firent  à  la  République  le  sacrifice  de  trois 
mois  de  misère  pour  donner  aux  hommes  du  gouvernement  provi- 
soire le  temps  de  s'installer  aux  affaires  et  de  leur  donner  du 
travail. 

Deux  mois  plus  tard,  on  les  récompensait  de  leur  admirable  dé- 
vouement à  la  République  et  de  leur  sacrifice  surhumain  en  les 
massacrant  dans  les  rues  de  Paris. 

Voilà  quatorze  ans  que  les  travailleurs  de  la  République  actuelle 
font  le  sacrifice  d'attendre  que  les  hommes  qui  se  succèdent  au 
pouvoir  daignent  soccuper  de  leur  misérable  situation. 

Aux  cris  de  détresse  que  la  faim  leur  a  fait  jeter  de  temps  en 
temps,  les  dirigeants  ont  invariablement  répondu  par  des  menaces, 
des  déploiements  de  troupes  et  de  police. 

Cependant  on  sait  en  haut  lieu  que,  depuis  plus  d'un  an,  cent 
à  cent  cinquante  mille  ouvriers  de  Paris  ont  à  lutter  contre  le 
chômage,  et  que  la  situation  est  la  même  en  province. 

Néanmoins  les  dirigeants  continuent  leur  petit  train-train  parle- 
mentaire et  laissent  le  mal  s'aggraver. 

Aussi  voit-on  tous  les  jours  des  milliers  de  pauvres  diables  qui 
arpentent  les  rues  de  Paris  cherchant  du  travail  et  du  pain. 

Qu'on  prenne  garde  :  les  travailleurs  pourraient  bien  se  lasser 
d'avoir  faim  et  d'aller  en  vain  faire  un  tour  à  la  grève  et  dans  les 
ateliers,  puisqu'on  n'y  embauche  pas. 


—  27J 


CHIEX   D'TEMPS 


A  Moitsseaii. 

Allons,  Trompette,  mon  vieux  chien, 
L'temps  a  parfois  cVmauvais's  idées. 
Voilà  j'espèr'  de  bell's  ondées, 
Ça  tombe  comm'si  ça  n'coùtait  rien! 
Ah  !  bah  !  mouiir-nous  comm'  trois  vieiH's  souches, 
Gomm"  trois  conscrits  de  vingt-cinq  ans  ; 
Mais  respecte  au  moins  nos  cartouches... 
Chien  d'temps  ! 

En  roule,  en  route,  hé!  mauvais'  troupe, 
Nous  n'arriv'rons  pas  pour  la  soupe. 
Chien  d'temps! 

Si  l'on  nous  punit  pour  un  jour 
Que  j'  maraudons,  c'est  ben  sévère! 
Quand  les  Russ's  nous  laiss'nt  à  rien  faire. 
Faut  ben  s'battre  avec  leur  bass'  cour. 
Fil'  droit,  Trompette,  et  du  courage, 
J'ai  six  canards  qui  m'batfnt  les  flancs... 
Ils  étaient  douze,  c'est  dommage! 
Chien  d'tempsl 


—  279  — 

En  route,  en  route,  ho!  mauvais'  troupe. 
Nous  n'arriverons  pas  pour  la  soupe. 
Chien  d'temps! 

J'allais  pincer  mes  douz'  canards 
Quand  j'  vis  paraître  un'  brune  fille. 
Miir  bomb's,  elle  était  si  gentille 
Qu'  ça  m'  fit  lâcher  les  six  gaillards. 
J'  voulais  lui  dir'  :  Foi  d'  militaire, 
Les  Français  sont  brav's  et  galants  ! 
Mais  la  p'tite  eut  peur  du  tonnerre. 
Chien  d'temps  ! 

En  route,  en  route,  hé!  mauvais'  troupe. 
Nous  n'arriv'rons  pas  pour  la  soupe. 
Chien  d'temps! 

Au  risque  mêm'  d'être  éventré, 
Je  suivis  la  brune  fillette. 
Et  dans  la  grang',  mon  vieux  Trompette, 
On  s"est  passé  d'  maire  et  d'  curé. 
Brave  en  amour,  comme  à  la  guerre, 
Je  n'ai  pas  compté  les  instants... 
Ça  s'ra  d'  ta  faute,  si  j'  deviens  père. 
Chien  d'temps! 

En  route,  en  route,  hé!  mauvais'  troupe. 
Nous  n'arriv'rons  pas  pour  la  soupe. 
Chien  d'temps! 

Camisard,  t'as  pas  l'air  joyeux 

De  c'  que  l'orag'  nous  débarbouille  : 


—  280  — 

G'est-y  parc'  que  tu  r'viens  bredouille. 
La  gourde  vide  et  1'  ventre  creux? 
On  n'  fait  pas  toujours  de  bonn's  prises  : 
D'main,  tu  ratrap'ras  les  instants, 
Et  m'ssieurs  les  Russ's  en  verront  d'  grises 
Chien  d'temps! 

En  route,  en  route,  hé!  mauvais'  troupe, 
Nous  n'arriv'rons  pas  pour  la  soupe. 
Chien  d'temps  ! 

Paris-Montmartre,  1866. 


Musique  de  Darcier.  —  Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant. 
Paris. 


281  — 


LA   BALLADE   DU   PAUVRE 


A  Charlotte  Pjiiliu. 

Bonsoir,  bonne  fermière, 

Bonsoir  à  vos  petiots, 

Bonsoir  au  grand  Jean-Pierre, 

Amour  et  bon  repos. 

Mais  dans  votre  demeure 
A-t-on  quelque  chagrin,  ou  bien. 

Pourquoi  si  l'on  n'a  rien. 
S'est-on  couché  de  si  bonne  heure? 

Bien  las  de  la  journée. 

Je  venais,  bonnes  gens, 

La  bouche  enfarinée, 

Souper  à  vos  dépens. 

A  votre  bonne  table. 
Tous  les  lundis  je  viens  m'asseoir, 

Et  pourquoi  donc  ce  soir 
Oubliez-vous  le  pauvre  diable? 

Vos  petits  gars,  ma  mie. 
N'aiment-ils  plus  autant 
Le  pauvre  Jérémie 
Qui  les  berce  en  chantant? 


—  282  — 

M'ont-ils  gardé  rancune 
Parce  qu'un  soir  je  leur  ai  dit 

Que  j'étais  trop  petit 
Pour  aller  décrocher  la  lune? 

Je  voulais,  après  boire, 
Vous  conter  en  chantant 
La  longue  et  vieille  histoire 
Du  pauvre  Juif-errant. 
Dans  cette  nuit  sans  voile, 

A  part  qu'il  fait  un  froid  de  loup, 
Faut-il,  comme  un  hibou, 

Que  je  chante  à  la  belle  étoile? 

J'entends,  bonne  fermière, 
Les  cris  de  vos  marmots  : 
Le  vieux  porte-misère 
A  troublé  leur  repos. 
Et  vous  venez  joyeuse 

Ouvrir  à  votre  vieil  ami... 
Ah!  fermière,  merci! 

Soyez  heureuse,  bien  heureuse  ! 

Juvisj',  1865. 


Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant,  Paris. 


283 


RAGE   D'AMOUR 


Alt  citoye7i  Marlclct. 

J'ai  vu  sortir  la  nuit  dernière 

Dodu  Bonbec  de  chez  Manon  : 

Que  le  vent  rase  sa  moisson  ! 

Que  r  feu  dévore  sa  chaumière  ! 

Que  son  vin  se  change  en  poison  ! 

Qu'il  s'en  gave  et  roui'  comme  un'  pierre 

Au  fond  d'un  trou  dans  la  rivière, 

Et  qu'  ça  fass'  rir'  la  bell'  Manon  ! 

Ah  !  nom-d'un  nom  !  que  tout  ça  vienne 

Et  que  s'en  sauve  qui  pourra  ! 

Ah  !  nom  d'un  nom  !  que  tout  ça  vienne, 

Et  qu'à  ça  n'  tienne, 
Qu'on  fass'  de  moi  tout  c'  qu'on  voudra  ! 

L'autr'  jour,  Bell'-Rose  a  sur  sa  bouche 
Posé  sa  lèvre  en  la  quittant  : 
Qu'il  ait  l'cauch'mar  en  y  rêvant! 
Qu'il  donn'la  gale  à  ceux  qu'il  touche  ! 
Qu'un  chien  d'  berger  1'  morde  en  passant  ! 
Qu'il  devienn'  fou,  cagneux  et  louche  ! 


—  284  — 

Que  r  tonnerr"  Técras'  comme  un'  mouche  ! 
Et  que  la  Manon  rie  en  l'  voyant  ! 

Ah  !  nom  d'un  nom!  que  tout  ça  vienne,  etc. 

Hier,  Friset  l'a  pris'  par  la  taille 

Et  la  Manon  a  r'çu  sa  fleur  : 

Qu'un'  bêt'  malsain'  lui  rong'  le  cœur 

Et  qu'il  rôd'  comme  un  rien  qui  vaille  ! 

Que  ses  parol's  sèm'nt  le  malheur  ! 

Qu'  sa  cerveir  brùl'  comme  un  feu  d'  paille  ! 

Qu'il  meur'  broyé  dans  un'  tenaille  ! 

Et  qu'  la  Manon  fass'  bouche  en  cœur  ! 

Ah  !  nom  d'un  nom  !  que  tout  ça  vienne,  etc. 

Que  les  baisers  des  amoureuses 
Ensorcell'nt  tous  les  amoureux  ! 
Que  les  étincell's  de  nos  yeux 
Marqu'nt  sur  le  front  tout's  les  trompeuses! 
Qu'on  sèm'  des  fleurs  pour  les  heureux, 
Et  des  chardons  pour  les  moqueuses! 
Que  r  cœur  de  ces  empoisonneuses 
Soit  rongé  d'insect's  venimeux  ! 

Ah  !   nom  d'un  nom  !  que  tout  ça  vienne 

Et  que  s'en  sauve  qui  pourra  ! 

Ah!  nom  d'un  nom  !  que  tout  ça  vienne, 

Et  qu'à  ça  n'  tienne, 
Qu'on  fass'  de  moi  tout  c'  qu'on  voudra  ! 

Musique  de  Darcier. 


283  — 


JE    SUIS   ÉLECTEUR 


Au  citoyen  Louis  Balin. 

Gai  chansonnier,  ma  guitare  est  à  moi, 
C'est  tout  mon  bien  sur  cette  terre, 
Et  me  voilà,  de  par  la  loi, 
L'égal  de  mon  propriétaire  ! 
Aussi,  j'ai  lu  tous  les  noms  ce  matin 
Des  candidats  qui  convoitent  la  pomme. 
Je  suis  Français,  et  puisqu'enfm 
Il  est  un  âge  où  l'on  est  homme... 

Je  suis  électeur  ! 

Ah!  quel  bonheur! 

Ah!  quel  bonheur! 
Je  suis  électeur! 

Renseignons-nous,  lisons  tous  les  journaux, 

Étudions  la  politique... 

A  bas  les  chansons,  les  rondeaux, 

Mon  éditeur  et  la  musique! 
En  citoyen  plein  de  sincérité, 
Je  veux  agir  selon  ma  conscience 

Et  voter  pour  un  député 

Digne  de  nous  et  de  la  France  ! 


—  286  — 

Je  suis  électeur! 

Ah!  quel  bonheur! 

Ah!  quel  bonheur! 
Je  suis  électeur  ! 

Je  ne  veux  pas  m'arrôter  aux  écrits, 

Prospectus  sots  et  ridicules 

Dont  on  empoisonne  Paris, 

Pour  amorcer  les  gens  crédules. 
Je  veux  connaître,  en  électeur  prudent, 
L'âge,  l'esprit,  la  vie  et  la  morale 

Du  candidat  qui  se  prétend 

Apte  à  décrocher  la  timbale! 

Je  suis  électeur  1 

Ah!  quel  bonheur! 

Ah  !  quel  bonheur! 
Je  suis  électeur  ! 

Quinze  journaux  sont  pour  monsieur  Machin, 
Et  quinze  autres  pour  monsieur  Chose. 
L'un  passe  pour  un  vrai  coquin 
Et  l'on  dit  l'autre  un  pas  grand'chose. 

Chose  en  furie  exécute  Machin  ; 

Machin,  en  rage,  éreinte  monsieur  Chose... 
Pour  qui  voter?  Pour  le  coquin  ! 
Mieux  vaut  encore  un  pas  grand'chose... 

Je  suis  électeur  ! 

Ah  !  quel  bonheur  ! 

Ah!  quel  bonheur! 
Je  suis  électeur! 


—  287  — 

Pour  les  débats  d'un  jeune  citoyen, 
La  lutte  est  par  trop  acharnée, 
Et  je  crois  que  je  ferais  bien 
D'attendre  une  meilleure  année. 

Mais  s'abstenir,  ça  n'est  pas  protester. 

Si  je  mettais  :  Vive  la  République  ! 
C'est  ça,  courons  vite  voter... 
Trop  tard  !  on  ferme  la  boutique. 

Je  suis  électeur! 

Ah!  quel  bonheur! 

Ah!  quel  bonheur! 
Je  suis  électeur! 

Ghers  députés,  faites  votre  chemin; 

Lisette  a  repris  ma  guitare 

Et  va  chanter  dans  mon  jardin 

Où  le  soleil  n'est  point  avare  ; 
Car  sur  la  route  où  naissent  nos  moissons. 
J'entends  au  loin  comme  un  chant  d'espérance. 

Vive  Lisette  et  mes  chansons. 

Le  soleil  et  les  vins  de  France! 

Je  suis  électeur  ! 

■Ah  1  quel  bonheur  ! 

Ah  !  quel  bonheur  ! 
Je  suis  électeur  ! 

Paris-Montmartre,  180... 


288  — 


POÉSIE    ET    LABOUR 


Sans  cess'  le  maîtr'  pousse  au  labour, 
Quand  tout  sur  terr'  pousse  à  l'amour... 


Au  citoyen  P.  Geofroy. 


Holà  !  mes  bœufs,  arrctons-nous. 

J'ai  r  cœur  en  feu,  je  n"  puis  plus  m' taire. 

Ruminez,  je  vais  m'  mettre  à  g'noux 

Pour  s'mer  des  larmes  dans  la  terre. 

C'est  p't-ôtr'  les  larmes  qui  vienn'nt  du  cœur 

Qui  font  pousser  Taubépin'  blanche. 

Et  qu'  le  matin  le  saul'  pleureur 

En  suspend  mille  à  chaque  branche... 

Ah  !  si  mes  larm's  poussent  un  jour, 

Qu'ça  soit  pour  Jeanne  un'  (leur  d'amour  ! 

—  Aign'  donc,  Jean,  aign'  donc,  hue  ! 
A  que  pens's-tu,  grand  paresseux? 

Tes  bœufs 
Vont  minger  1'  bois  de  m'na  charrue... 
—  Hou  la,  hou!  mes  bœufs, 
L'  maître  a  dit  :  hue  ! 
Fait's  crier  la  charrue. 
Hou  la,  hou!  mes  bœufs. 
Hue  ! 


—  28'J  — 

Holà  !  mes  bœufs  et  mes  pensers  : 

Les  bonii's  larm's,  c'est  la  source  aux  perles. 

Les  fleurs,  c'est  la  s'menc'  des  baisers... 

Les  chalumeaux,  c'est  1'  cri  des  merles... 

L'épi  qui  pouss',  c'est  le  berceau... 

L'épi  doré,  c'est  la  jeunesse... 

L'épi  ventru  port'  son  fardeau... 

L'épi  courbé,  c'est  la  vieillesse... 

Buissons  sans  nid,  terr'  sans  soleil. 

C'est  moi  sans  Jeanne  à  mon  réveil. 

—  Aign'  donc,  Jean,  aign'  donc,  hue! 
A  que  pens's-tu,  grand  paresseux?  etc. 

Holà!  mes  bœufs...  Enfant  des  champs 
A  qui  l'on  n'apprit  point  à  lire, 
J'  dois  étouffer  tout  c'  que  je  r'ssens, 
J'dois  pleurer  tout  c'que  j'voudrais  dire. 
C'est  en  plein'  terr'  qu'  nous  écrivons. 
Nos  chansons,  c'est  un  nid  dans  l'herbe  ; 
Et  nos  livr's  c'est,  dans  les  moissons, 
L'  volum'  d'épis  qui  fait  un'  gerbe. 
J'ai  plus  d'amour  qu'ell'  n'a  d'épis, 
Jeann'  qui  sait  lir'  n'  l'a  pas  compris. 

—  Aign'  donc,  Jean,  aign'  donc,  huel 
A  que  pens's-tu,  grand  paresseux?  etc. 

Holà!  mes  bœufs...  L'  printemps  fleurit 
Dans  la  poitrin'  comm'  dans  la  mousse  ; 
Chaque  toufl"  d'herb'  nous  cache  un  nid, 
L'  soleil  caress'  la  fleur  qui  pousse. 

9 


—  no  — 

Mon  gros  bœuf  noir  s'  déchir"  le  flanc, 
L'air  qu'on  respir'  vous  donn'  le  rêve, 
L'arbr'  s'  couronn'  de  rose  et  de  blanc, 
De  fleurs  qui  naiss'nt  quand  vient  la  sève... 
Mais  rien  ne  pousse  où  j'ai  pleuré. 
J'aime  trop  Jeanne  et  j'en  mourrai  5 

—  Aign"  donc  Jean,  aign'  donc,  hue! 
A  que  pens's-tu,  grand  paresseux?  etc. 

Holà!  mes  bœufs...  Entendre  et  voir  : 
L'oiseau  s'  blottit  sous  son  plumage... 
La  louve  hurle  aux  chants  du  soir... 
Le  sapin  s'  perd  dans  un  nuage... 
Le  flot  qui  roui'  berce  les  houx, 
Le  saule  y  baign'  sa  longu'  chev'lure... 
Pareils  aux  saul's,  mes  longs  ch'veux  roux 
Pouss'nt  comm'  les  plant's  de  la  nature. 
Sans  cess'  le  maîtr'  pousse  au  labour. 
Quand  tout  sur  terr'  pousse  à  l'amour. 

—  Aign'  donc,  Jean,  aign'  donc,  hue! 
A  que  pens's-tu,  grand  paresseux  ? 

Tes  bœufs 
Vont  minger  1'  bois  de  m'na  charrue. 
—  Hou  la,  hou  1  mes  bœufs. 
L'  maîtr'  a  dit  :  hue  ! 
Fait's  crier  la  charrue... 
Hou  la,  hou  !  mes  bœufs, 
Hue! 

Musique  de  Darcicr.  —  Éditoui-  :  .M.  Labbc,  20.  rue  du  Croissant. 


291  — 


COMME  JE   SUIS   FATIGUÉ! 


Aux  Sans-Métier,  qu'on  utilise  à  tout  : 
à  porter  les  fardeaux,  à  traîner  la  voi- 
ture, à  casser  les  cailloux,  à  tourner  la 
roue. 

C'est-à-dire  aux  milliers  de  parias  qu'on 
désigne  vulgairement  sous  le  nom  de 
manouvriers,  d'hommes  de  peine,  et 
qui  sont  en  réalité  beaucoup  plus  mal- 
heureux que  les  galériens  et  beaucoup 
plus  maltraités  que  les  bêtes  d  e  somme. 


Mon  père,  un  fils  de  la  Bourgogne, 
Solide  et  franc  comme  son  vin. 

Mourut  à  la  besogne, 
D'un  chaud  et  froid,  dit  le  médecin. 
Alors  vous  voyez  la  corvée 
D'une  veuve  seule,  ici-bas, 
Avec  quatre  enfants  sur  les  bras, 
Qui  lui  demandent  la  becquée... 

Tout  ça,  ça  n'est  pas  gai. 
Oh!  comme  je  suis  fatigué! 

A  dix  ans,  je  tournais  la  roue 
Chez  un  cordier  des  environs. 

A  cet  âge  où  l'on  joue 
J'avais  dé)à  des  durillons... 


—  iOi  — 

Je  fus  berger,  garçon  de  ferme, 
Manœuvre,  casseur  de  cailloux... 
Des  quinze  heures  pour  trente  sou  5 
A  se  fatiguer  l'épiderme... 

Tout  ça,  ça  n'est  pas  gai. 
Oh  !  comme  je  suis  fatigué! 

Après  ça  vint  le  mariage, 
La  maladie  et  les  enfants. 

Ajoutez  le  chômage. 
Le  pain  cher  et  les  accidents. 
Enfin,  quarante  ans  de  misère 
Ou  l'on  s'en  va,  tant  bien  que  mal, 
Du  boulanger  à  l'hôpital, 
De  l'atelier  au  cimetière. 

Tout  ça,  ça  n'est  pas  gai. 
Oh  !  comme  je  suis  fatigué  ! 

Vint  ensuite  la  soixantaine, 

Age  où  l'on  n'est  plus  propre  à  rien. 

Je  suis  homme  de  peine, 
En  bon  français  :  un  galérien  ! 
Faut  être  honnête  et  se  suffire 
Avec  cinquante  sous  par  jour! 
Cinquante  sous,  ça  n'est  pas  lourd, 
Mais  soixante  ans,  c'est  encor  pire  ! 

Tout  ça,  ca  n'est  pas  gai. 
Oh  !  comme  je  suis  fatigué! 


—  29;{  — 

Pourtant  j'en  vois  on  ce  bas  monde 
Qui  s'en  vont  frais,  joyeux,  dodus 

Et  la  bourse  bien  ronde... 
Où  donc  pêchent-ils  leurs  écus?.. 
Ceux-là  n'ont  qu'à  se  laisser  vivre 
Et  sans  génie  et  sans  effort. 
Nous  autres,  c'est  jusqu'à  la  mort 
La  guerre  au  pain,  cher  à  la  livre!.. 

Tout  ça,  ça  n'est  pas  gai. 
Oh!  comme  je  suis  fatigué! 

J'ai  vu  dix  l'ois  des  barricades. 
Trois  grandes  révolutions. 
J'ai  vu  les  camarades 
Se  battre  comme  des  lions... 
J'ai  travaillé  fête  et  dimanche. 
Au  chaud,  au  froid,  à  tous  les  temps, 
Et  n'ai  pu  mettre  en  soixante  ans 
Un  morceau  de  pain  sur  la  planche! 

Tout  ça,  ça  n'est  pas  gai. 
Oh  !  que  je  suis  donc  fatigué! 

Paris-Montniai'tiv,  1830. 


Éditeur  :  M.  Bassoreau,  249,  nio  Saint-Martin,  Paris. 


—  294 


JE  VAIS   CHEZ   L4  MEUNIÈRE 


Les  gars  de  cheux  nous 
Ont  moins  peur  des  loups, 
Des  loups, 
Que  des  filles... 

Et  pourquoi,  vraiment? 
Nos  filles,  pourtant, 
Nos  filles 
Sont  gentilles... 

C'est  ben  ce  qui  fait 
Que  nos  grands  benêts 
Ont  plus  peur  des  filles, 
Des  filles 
Que  des  loups. 


A  madetnoisc/li  Amélie  Hanser. 

Sur  le  dos  à  Martin, 
Je  vais  chez  la  meunière, 
En  suivant  le  chemin 
Qui  long-e  la  rivière. 
De  l'échiné  à  Martin 
J'ai  brossé  la  poussière. 
Brillant  comme  un  satin, 
Je  vais  chez  la  meunière. 

Brillant  comme  un  satin, 
Je  vais  chez  la  meunière: 
Sans  lui  porter  de  grain, 
Que  diable  y  vais-je  faire? 


—  295  — 

Le  sorcier  le  plus  fin 

Ne  s'en  douterait  guère.  • 
Pour  jcLser  du  moulin, 
Je  vais  chez  la  meunière. 

Pour  jaser  du  moulin, 
Je  vais  chez  la  meunière. 
J'ai  mis  mon  sarrau  fm. 
Mon  bonnet  en  arrière  ; 
Je  rumine  en  chemin 
A  me  tirer  d'affaire. 
Plus  penaud  que  Martin, 
Je  vais  chez  la  meunière. 

Plus  penaud  que  Martin, 
Je  vais  chez  la  meunière. 
Ayant  plus  de  chagrin 
Que  d'eau  dans  la  rivière. 
Que  ne  suis-je  en  chemin 
Tombé  dans  une  ornière  ! 
Sur  le  dos  à  Martin, 
Je  vais  chez  la  meunière. 

Sur  le  dos  à  Martin 
Je  vais  chez  la  meunière, 
Mon  cœur,  qui  fait  grand  train, 
Est  lourd  comme  une  pierre. 
Va  moins  vite,  Martin  : 
Tu  fais  trop  de  poussière. 
Pour  demander  sa  main. 
Je  vais  chez  la  meunière. 


—   290  — 

Pour  demander  sa  main, 
Je  vais  chez  la  meunière; 
xMais  voici  le  moulin 
Dans  ses  rubans  de  lierre, 
Et  j'ai  trop  de  chagrin 
Pour  me  tirer  d'affaire... 
Le  courage  à  demain, 
A  demain  la  meunière. 

Cliàtoau-Ronard.  186  i. 


Éditeur  :  M.  Bassoreau,  240,  rue  Saint-^Iartin.  l'avis. 


—  297  — 


MOIS    VENTRU 


A  l'ami  Armand  Richard. 

Pan,  pan,  pan  ! 
Le  mois  ventru,  c'est  le  présent 
Du  soleil  et  de  la  rosée. 
Pan,  pan,  pan  ! 
La  vigne  est  leur  enfant 
Pur  sang. 
Pan,  pan,  pan! 
C'est  la  pressée. 
Vive  Bacchus  et  saint  Vincent! 
Pan,  pan,  pan! 

Holà,  Bacchus!  Holà,  Grégoire! 
Tous  les  piliers  de  cabarets. 
Holà,  nous  tous  qui  savons  boire 
Sans  chanceler  sur  nos  jarrets! 
Holà!  chantons  comme  des  chantres 
Qui  boivent  du  matin  au  soir; 
Chantons  en  cerclant  le  pressoir 
Et  les  muids,  ronds  comme  nos  ventres! 

Pan,  pan,  pan! 
Le  mois  ventru,  c'est  le  présent 
Du  soleil  et  de  la  i-osée,  etc. 


—  298  — 

Comme  les  yeux  des  jouvencelles, 
Comme  la  mousse  en  plein  été, 
Comme  une  branche  de  prunelles, 
Le  vin  en  robe  est  velouté. 
Remplaçons  sa  robe  vermeille, 
Brodée  au  soleil  du  printemps. 
Par  nos  pressoirs  aux  larges  flancs, 
Par  nos  tonneaux  et  la  bouteille. 

Pan,  pan,  pan! 
Le  mois  ventru,  c'est  le  présent 
Du  soleil  et  de  la  rosée,  etc. 

Il  faut  que  tout  le  monde  vive  ; 
Mais  l'oiseau  n'en  laissera  pas  : 
Il  fait  ribote  avec  la  grive 
Et  roule  sous  les  échalas. 
Apprêtons-nous  pour  les  vendanges  : 
Sortons  les  bachoux,  les  paniers  ; 
Ouvrons  les  caves,  les  celliers; 
Préparons  même  jusqu'aux  granges! 

Pan,  pan,  pan  ! 
Le  mois  ventru,  c'est  le  présent 
Du  soleil  et  de  la  rosée,  etc. 

Jeunes  et  vieux,  buvons  rasades  : 
Le  vin  rend  les  hommes  gaillards. 
A  demain  les  douces  œillades, 
Les  chants  et  les  mots  égrillards. 


—  299  — 
Pour  vendanger  les  vins  de  France, 
Il  faut  des  gars  et  des  lurons, 
■  Des  fillettes  et  des  chansons, 
Et  des  musettes  pour  la  danse  ! 

Pan,  pan,  pan! 
Le  mois  ventru,  c'est  le  présent 
Du  soleil  et  de  la  rosée,  etc. 

Demain,  à  l'aube,  les  fillettes 
Couperont  la  grappe  à  genoux. 
Les  vieux  conduiront  les  charrettes, 
Les  gars  porteront  les  bachoux. 
A  l'appel  de  nos  vigneronnes, 
Nous  goûterons  dans  les  sentiers. 
Nous  souperons  dans  les  celliers, 
Et  danserons  autour  des  tonnes  ! 

Pan,  pan,  pan! 
Le  mois  ventru,  c'est  le  présent 
Du  soleil  et  de  la  rosée. 
Pan,  pan,  pan! 
La  vigne  est  leur  enfant 
Pur  sang. 
Pan,  pan,  pan! 
C'est  la  pressée. 
Vive  Bacchus  et  saint  Vincent! 
Pan,  pan,  pan  ! 

Noyen-sur-Sartho,  1806. 
Éditeur  :  M.  Bassorcau,  240,  ruo  Saint-Martin.  Paris. 


_  non 


L'ENFANT    PAUVRE 


Au  citoiicn  A/p/tonsc  Fourmer. 

Quelle  horreur! 

Je  dédie  cette  chanson  à  un  réprouvé,  à  un... 
disons  le  mot,  à  un  forçat  !  Au  citoyen  Foumier, 
condamné  par  la  justice  bourgeoise  à  huit  ans  de 
travaux  forcés  ! 

Je  l'ai  connu  lors  de  la  grève  des  tisseurs  qui 
éclata  à  Roanne  en  1882. 

Fournier,  cependant,  ne  s'était  pas  fait  re- 
marquer parmi  ceux  qu'on  appelle  les  violents. 
Lorsque  la  grève  fut  terminée,  il  chercha  du  tra- 
vail et  n'en  trouva  pas. 

Se  voyant  repoussé  de  partout,  ayant  sa  famille 
à  soutenir,  sachant  qu'un  M.  Bréchard  était  le  chef 
de  la  coalition  patronale  et,  par  contre,  des  affa- 
raeurs,  l'exaspération  l'envahit  :  il  s'arma  d'un 
pistolet,  tira  sur  M.  Bréchard  et  le  manqua. 

Mais  la  justice  bourgeoise  ne  manqua  pas 
Fournier! 

Il  avait  à  peine  vingt  ans. 

Il  appartient  à  la  grande  foule  des  martjTS 
obscurs,  des  exploités  et  des  affamés. 

Notre  mauvaise  organisation  sociale  et  l'égoïsme 
des  possédants  ont  fait  du  citoyen  Fournier,  l'ou- 
vrier honnête  et  laborieux,  un  révolté,  un  exas- 
péré, un  forçat  ! 

Mais  nous  n'en  sommes  plus  à  compter  les  cri- 
mes qui  se  commettent  journellement  au  nom  de 
ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  l'ordre. 

Cependant,  si  leurs  facultés  cérébrales  et  diges- 
tives  le  leur  permettent,  que  les  heureux  r.t  les 
indifférents  méditent  un  peu  le  dernier  couplet  de 
la  chanson  que  je  dédie  à  mon  camarade,  le  forçat 
Alphonse  Fournier. 

Les  mains  dans  ses  poches  percées 

Et  les  coudes  pareils, 
Traînant  des  savates  usées 

D'où  sortent  ses  orteils; 


—   301   — 

Sans  lit,  sans  pain,  sans  sou,  ni  maillos. 
Il  longe  les  vieilles  murailles, 
Claquant  des  dents  et  l'œil  vitreux... 

...  Ah  !  vous  ne  savez  pas,  vous  autres, 

Qui  n'êtes  pas  des  nôtres, 
Comme  on  a  froid  le  ventre  creux  ! 

Il  trotte,  flairant  une  borne 

Pour  s'y  croupetonner; 
Un  coin  où  l'ombre  d'un  tricorne 

N'ira  pas  le  gêner... 
Il  va  passer  une  nuit  blanche. 
Avec  la  Morgue  sur  la  planche, 
Seul  gîte  ouvert  aux  malheureux... 

...Ah!  vous  ne  savez  pas,  vous  autres. 

Qui  n'êtes  pas  des  nôtres, 
Comme  on  a  froid  le  ventre  creux  ! 

Mais  n'a-t-il  pas  une  famille? 

A  quoi  bon  y  penser  : 
On  ne  traîne  pas  la  guenille, 

Quand  on  peut  s'en  passer. 
Et  s'il  s'en  va,  cherchant  fortune, 
Souper  d'un  maigre  clair  de  lune. 
C'est  qu'on  manque  de  tout  chez  eux... 

...  .\h  !  vouz  ne  savez  pas,  vous  autres, 

Qui  n'êtes  pas  des  nôtres, 
Comme  on  a  froid  le  ventre  creux! 


—  302  — 

Et  maintenant  que  l'on  devine, 

Chez  les  bien  élevés, 
Pourquoi  le  jour  où  la  famine 

Fait  sauter  les  pavés, 
Un  enfant,  la  mine  farouche, 
Vient  aussi  brûler  sa  cartouche 
En  entonnant  le  chant  des  gueux!... 

...  Ah  !  vous  ne  savee  pas,  vous  autres, 
Qui  n'êtes  pas  des  nôtres, 
Gomme  on  a  froid  le  ventre  creux! 

Londres,  1873. 


Editeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  303  — 


Ml   JEANNE 


A  Darder. 


H6!  v'nez  ici,  les  p'tits  enfants! 
Vous  qui  rôdez  dans  1'  voisinage, 
J'vais  vous  montrer  dans  l'bois  sauvage 
Des  nids  d'fauvett's  et  d'  merles  blancs. 
J'  vous  donn',  pour  aller  à  la  fête, 
Des  gros  sous  plein  vos  tabliers... 
Ou  ben  j'  vous  pends  aux  peupliers! 
J' prends  des  cailloux,  j' vous  fends  la  tôle! 

Holà!  dit's-moi, 
Avez-vous  vu  ma  Jea  iine  ? 

Jeanne, 
La  fille  à  Marianne. 
Jeanne, 
Quoi! 
Ma  Jeanne 
A  moi  ! 

Ho,  vous  là-bas,  louves  et  loups  ! 
J'viens  à  l'affût,  j'vous  prends  au  piège. 
Ou  ben  quand  les  bois  s'ront  blancs  d'neige, 
J'nourris  vos  p'tits,  j'braconn'  pour  vous. 


—  30  î  — 

Toi  qui  nous  lais  manger  d'ia  terre, 
Avaaee  ici,  pèr'  Mathurin! 
N"  las-lu  pas  rencontrée  en  ch'min, 
Toi  qu'as  ton  nid  dans  notr'  cini'tièro? 

Holà  !  difs-moi, 
Avez-vous  vu  ma  Jeanne? 

Jeanne, 
La  fille  à  Marianne. 
Jeanne, 
Quoi! 
Ma  Jeanne 
A  moi! 

Hé!  toi,  Fidèl',  quelle  aimait  tant. 
Toi,  vieux,  qui  peux  flairer  sans  peine 
Un  loup  à  mill'  pas  dans  la  plaine, 
Pour  qu'a  t'répond'  cherche  en  hurlant. 
Hé  !  précipic's  de  la  vallée 
Où  j'allais  lui  couper  des  fleurs, 
Quand  l'amour  chantait  dans  nos  cœurs 
Et  les  oiseaux  sous  la  feuillée... 

Holà!  dit's-moi, 
Avez-vous  vu  ma  Jeanne? 

Jeanne, 
La  fille  à  Marianne. 
Jeanne, 
Quoi! 
Ma  Jeanne 
A  moi! 


—  :}Uo  — 

Hé!  toi,  rivière  où  nous  plongeons 
Quand  le  chagrin  nous  martyrise, 
C'est  p't'-ètr'  ben  toi  qui  me  l'as  prise 
Et  qui  la  cach's  sous  tes  grands  joncs. 
Et  ben  !  c'est  bon!  J'brûl'  ma  chaumière, 
J'coup'  tout's  les  fleurs,  je  n'iaisse  rien.. 
J'emport'  ma  faux,  j'emmèn'  mon  chien 
Et  j'y  descends  dans   la  rivière!... 

Fidèle  et  moi, 
J'y  r'trouv'rons  ben  ma  Jeanne, 

Jeanne, 

La  fille  à  Marianne... 

Jeanne, 

Quoi  ! 

Ma  Jeanne 

A  moi  ! 

Paris-Montmartro.  186  t. 


Musique  de  Darcior.   —  éditeur:  M.  Girod,  16,  boni.  Montmartre 
Paris . 


-  :j06 


AU   BOIS   JOLY 


A  Hippolytt  et  Anatole  Lionnet. 

Au  bois  joly, 
On  s'en  va  cueillir  la  noisette, 
Et  l'on  y  prend  de  l'amourette. 
Le  chemin  creux  est  si  petit, 

Au  bois  joly  ! 

Au  bois  joly, 
En  arrivant  sous  les  feuillées, 
Les  filles  sont  comme  endiablées. 
Avec  Suzon  je  suis  ally, 

Au  bois  joly  ! 

Au  bois  joly, 
Un  entend  plus  le  bruit  des  lèvres 
(Jue  le  carillon  de  nos  chèvres. 
Tous  les  buissons  cachent  un  nid. 

Au  bois  joly  ! 

Au  bois  joly, 
On  voit  plus  de  cornettes  blanches 
Que  de  rossignols  sur  les  branches. 
Ça  sent  si  bon,  c'est  si  gentil, 

Au  bois  joly  ! 


—  307  — 

Au  bois  joly, 
L'herbe  est  douce  et  les  fleurs  sont  belles, 
L'amour  embrouille  les  cervelles. 
Tout  vous  enflamme  et  vous  sourit, 

Au  bois  joly  ! 

Au  bois  joly, 
Je  veux  dire  à  Suzon,  ma  mie, 
Qu'il  faut  nous  aimer  pour  la  vie, 
Puisque  notre  amour  a  fleuri. 

Au  bois  joly  ! 

Cueilly,  1865. 


Musique  d'Aristide  Mignard.  —  Éditeur  :  M.  Heugel  et  C'o,  2  bis, 
rue  Vivienno,  Paris. 


—  308  — 


UÂN&ELUS 


A!ipc:ntyc  J.-F.  Millet. 

Forçats  de  la  mine  et  mangeurs  de  terre, 
Serfs  de  l'atelier,  frères  de  misère, 
Je  vais  vous  conter,  sans  parler  latin, 
Ce  que  l'angelus  nous  dit  le  matin. 

Qu'il  pleuve  ou  qu'il  gèle, 

Lève-toi  bétail, 

Quitte  ta  femelle 

Et  cours  au  travail. 
Le  maître  a  le  droit  de  faire  son  somme, 
Il  a  des  écus  et  tu  n'en  a  pas. 
Mais  Dieu  qui  te  guide  et  qui  t'a  fait  homme, 
Pour  gagner  ton  pain  t'a  donné  des  bras! 

Forçats  de  la  mine  et  mangeurs  de  terre, 
Serfs  de  l'atelier,  frères  de  misère, 
Je  vais  vous  conter,  sans  parler  latin. 
Ce  que  l'angelus  nous  dit  le  matin. 

Debout  dans  la  ferme, 
Courez  au  labour. 
Et  travaillez  ferme 
Tout  le  long  du  jour. 


—  3U9   — 

Ne  gémissez  pas  si  la  lâche  est  lourde, 
Si  la  terre  est  basse  et  n'est  pas  à  vous  : 
Allez  au  ruisseau  remplir  votre  gourde 
Et  bénissez  Dieu  qui  veille  sur  nous! 

Forçats  de  la  mine  et  mangeurs  de  terre, 
Serfs  de  l'atelier,  frères  de  misère, 
Je  vais  vous  conter,  sans  parler  latin, 
Ce  que  l'angelus  nous  dit  le  matin. 

Homme  de  la  mine, 

Saule  à  bas  du  lit, 

Homme  de  l'usine, 

Reprends  ton  outil. 
Travaillez  sans  haine,  honorez  vos  maîtres! 
Si  peinant  beaucoup  vous  n'amassez  rien, 
Soyez  siirs  qu'au  ciel,  où  vont  tous  les  êtres, 
Dieu  vous  gardera  votre  part  de  bien  ! 

Forçats  de  la  mine  et  mangeurs  de  terre. 
Serfs  de  l'atelier,  frères  de  misère, 
Je  vais  vous  conter,  sans  parler  latin, 
Ce  que  l'angelus  nous  dit  le  matin. 

0  vous,  les  minables, 
Les  chercheurs  de  pain, 
Et  vous,  pauvres  diables 
Qui  pleurez  la  faim. 
Mères  allaitant,  les  mamelles  vides, 
Filles  au  teint  blême  et  vieillards  perclus, 
Suivez,  d'ici-bas,  les  sentiers  arides. 
Agenouillez-vous  et  priez  Jésus! 


—  iilU  — 

Forçats  de  la  mine  et  mangeurs  de  terre, 
Serfs  de  l'atelier,  frères  de  misère, 
Disons  tous  ensemble  :  Amen  au  latin! 
Assez  d  angélus,  sonnons  le  tocsin  ! 

Paris-Montmartre,  1884. 
Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


Je  ne  connais  rien  de  plus  lugubre  que  le  tintement  mono- 
tone de  l'angelus  le  matin  1 

Comme  il  dit  bien  aux  uns  :  Misère,  servitude,  résignation. 

Comme  il  dit  bien  aux  autres  :  soyez  heureux  et  dormez  en 
paix!  On  travaille  pour  vous. 

Comme  la  cloche  de  l'angelus  est  bien  la  digne  sœur  de  la 
cloche  de  l'usine  et  de  l'atelier! 

Depuis  quelles  existent,  ces  bavardes  tapageuses  qu'on  a 
toujours  poétisées  n'ont  cessé  d'être  les  complices  des  ennemis 
de  la  raison,  du  progrès,  de  la  justice  et  de  la  liberté. 

Les  cloj.i  ;s  n'ont  sonné  pour  le  peuple  que  dans  los  grands 
jours  :  c'est  qu'alors  il  sonnait  lui-même  ! 


~  311  -^ 

LE   CHIEN   DU   RÉGIMENT 

RÉCIT    DE    BIVOUAC 


AJ.  Perrin. 

Il  eut  pour  mère  Marting-alle, 
Blessée  à  mort  au  champ  d'honneur; 
Son  père  était  un  vieux  vainqueur, 

Dont  l'habit  à  longs  poils  fut  troué  par  la  ba'1 3. 

Sa  mère,  en  vieux  soldat  qui  connaît  son  métier, 
Nous  déposa  le  camarade 
Dans  un  bonnet  de  grenadier, 
Au  milieu  d'une  fusillade. 

Ran  plan! 
N'est-c'  pas,  tapin. 
Que  l'Obus,  c'était  un  lapin? 
Ran  plan, 
Au  champ  ! 
Il  valait  bien  un  roulement, 
L'Obus,  le  chien  du  régiment. 
Ran  plan  ! 
Chut!.. 

Ce  n'est  rien  :  c'est  le  sergent  qui  tousse  comme  les  habillés  cic 
soie  de  chez  nous 


—  312  — 

C'est  Fonlalard-la-Gicatrice 

Qui  se  chargea  d'en  faire  un  gas, 

Et  le  petit  ne  mentit  pas  : 

A  dix  mois  et  cinq  jours,  il  faisait  l'exercice. 

Le  soir,  on  l'envoyait  rôder  aux  alentours 
Pour  n'en  pas  perdre  la  coutume; 
Et  le  gaillard  trouvait  toujours 
Où  l'ennemi  mettait  sa  plume. 

Ran  plan  ! 
N'est-c'  pas,  tapin, 
Que  l'Obus,  c'était  un  lapin?  etc. 

Rion,    c"cst   Dur-à-cuire    qui   r'vient  de    la  maraude.    Paon'  de 
Russe  !  il  ea  a  plein  son  sac. 

Il  mangeait  bien  un  peu  nos  bottes, 
Quand  par  hasard  on  en  avait; 
Bah!  l'Anglais  nous  dédommageait  : 

Il  essuyait  ses  crocs  sur  leurs  fonds  de  culottes. 

Mais  quand  il  faisait  chaud  comme  dans  un  brasier 
Et  qu'on  se  taillait  des  doublures, 
L'Obus  n'était  plus  rancunier  : 
Il  léchait  toutes  les  blessures. 


Ran  plan  ! 
N'est-c'  pas,  tapin, 
Que  l'Obus,  c'était  un  lapin?  etc. 

Rien,   c'est  des   blessés   qu'on   porte   à  l'ambulance  :    quéqus 
clampins  qui   n'savcnt   pas  avaler  un'  prune  sans  s'trouvcr  mal. . . 


—  313  — 

C'est  le  jour  d'une  grande  afTairo 
Que  Fontalard  le  baptisa  : 
L'Obus,  du  lalin,  mords-moi  ça! 

Et  du  grec,  as  pas  peur,  c'est  le  fds  de  son  père. 

Quand  dans  la  fusillade  on  gagnait  le  gros  lot, 
Qui  n"a  pas  vu  l'Obus  en  tète, 
Toujours  le  premier  à  l'assaut 
Et  le  dernier  à  la  retraite? 

Ran  plan  1 
N'est-c'  pas,  tapin, 
Que  l'Obus,  c'était  un  lapin?  etc. 


Attention  1    C'est   1'  général  qui   passe.  Il  a  r'gardc  les  anciens 
d'cotc.  C'est  bon,  ça  chauff'ra  d'main. 


L'Obus  avait,  dans  la  mêlée. 
Sauvé  cinq  ou  six  camaros. 
Pris  des  poules  et  des  drapeaux: 

11  avait  eu  la  peau  deux  ou  trois  fois  trouée. 

Tous,  jusqu'au  général,  connaissaient  ses  exploits. 
Et  ses  coups  de  crocs  à  la  guerre  ; 
Et  l'Obus  n'avait  pas  la  croix. 
Quand  tant  de  gens  l'ont  à  rien  faire  ! 

Ran  plan  ! 
N'est-c'  pas,  tapin, 
Que  l'Obus,  c'était  un  lapin  ?  etc. 

Rien,  c'est  1'  blanc-bec  de  colonel   qui   fait  sa  ronde.  Ça  sent  la 
pommade  à  quinze  pas!  Qu'on  brùlc  du  sucre  ! 

9. 


—  314  — 

C'était  un  crâne  et  joli  mâle, 

Moitié  barbet,  moitié  griffon, 

Aux  poils  bronzés  comme  un  canon, 

Digne  enfin  de  son  père  et  de  la  Martingalle. 

Homme  ou  chien,  tôt  ou  tard,  faut  payer  son  écot 
L'Obus  s'est  fait  graisser  les  bottes 
Dans  les  plaines  de  Marengo, 
Avec  bien  d'autres  sans-culottes. 

Ran  plan  ! 
N  est-c'  pas  tapin 
Que  l'Obus,  c'était  un  lapin? 
Ran  plan. 
Au  champ  ! 
Il  valait  bien  un  roulement, 
L'Obus,  le  chien  du  régiment. 
Ran  plan  ! 
Salut! 

Paris-Montmartre,  186. . . 


Musique  de  Darcier.  —  Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—  31o  — 


LA   CHANSON  DU   SEMEUR 


A  Vialla. 

Landéri  Ion  la  ! 
Je  sème  du  blé,  qui  le  mangera?... 

Est-ce  encor  le  corbeau  vorace, 
Celui  qui  revient  tous  les  ans 
Se  faire  la  panse  bien  grasse 
Avec  le  blé  des  pauvres  gens? 
Ah!  si  c'est  ça,  mauvaise  troupe, 
J'en  mettrai  plus  d'un  dans  ma  soupe. 

Landéri  Ion  la! 
Je  sème  du  blé,  qui  le  mangera?... 

Est-ce  encor,  comme  de  coutume. 
Les  bien-portants  et  fins  matois. 
Oiseaux  à  gros  becs  et  sans  plume 
Qui  ne  font  rien  de  leurs  dix  doigts? 
Alors  que  ce  blé  que  je  touche 
N'ait  pas  d'épi  sans  sa  cartouche! 

Landéri  Ion  la! 
Je  sème  du  blé,  qui  le  mangera?... 


—  ;uo  — 

Si  c'est  vous,  les  in.'alig-ables, 
Si  c'est  vous,  les  francs  du  collier, 
Les  afTamés  et  les  minables 
De  la  terre  et  de  l'atelier? 
Alors  pousse  comme  de  l'herbe  ! 
0  crain  de  blé,  fais  une  gerbe! 

Landéri  Ion  la! 
Je  sème  du  blé,  qui  le  mangera?... 

Est-ce  les  bandes  alTamées 

Dont  l'appel it  nous  guette  encor? 

Est-ce  les  nombreuses  armées 

De  tous  les  despotes  du  nord? 

Ah!  pour  le  coup,  dans  leurs  entrailles, 

0  grain  de  blé,  fais-toi  mitrailles! 

Landéri  Ion  la! 
Je  sème  du  blé.  qui  le  mangera?... 

Londres,  1S70. 


Masiqiio  d^   Marcel   Legay.   —   Éditeur  :  M.  Bassereau,   2i0,   me 
Saiiit-Martir),  Paris. 


Mon  semeur  est  un  brave  homme  :  11  voudrait  aussi  que  les 
peuples  ne  fussent  plus  di>isés  pour  des  questions  de  frontière». 

Mais  pour  que  les  peuples  soient  pour  nous  des  frères, 
comme  l'a  clianté  Pierre  Dupont,  il  faut  qu'ils  cessent  d'être  les 
esclaves  des  rois  et  des  empereurs  et  qu'ils  renoncent  à  les  suivre 
dans  leurs  guerres  de  conquêtes  et  d'extermination. 

Si  je  suis  do  ccu\  qui  réclament  l'armement  du  peuple,  c'est 
que  je  veux  que  nous  soyons  à  même  dedcfonirc  nos  libertés, 
taiit  que  nous  aurons  des  ennemis  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur. 

Il  faut  désarmer  tous  ensemble  ou  pas  du  tout. 


LE   PLANT   D'AMOUR 


V"là  pas  longtemps  d'çà, 

La  Pi'-rinp 
Faisait  triste  mine, 

Lon  Ion  la. 

Mais  l'amour  poussa, 

Et  P.rine 
Reprit  belle  mine... 

Et  voilà! 


A  Ccrau/t  Richard. 


Le  sorcier  de  la  Gavotle, 
S'en  allant  au  point  du  jour, 
A  semé  du  plant  d'amour, 

0  guél 
A  semé  du  plant  d'amour. 
Il  en  avait  plein  sa  hotte, 
Il  en  a  semé  trois  fois 
Sur  la  route  et  dans  les  bois, 

0  gué  ! 
Il  en  a  semé  trois  fois. 

Avec  la  blanche  aubépine 
ICt  le  nid  de  l'oiselet. 
Aussi  tlru  que  le  genêt, 
0  gué  ! 


—  ?,\H  — 

Aussi  dru  que  le  genêt, 
Le  plant  il  a  pris  racine, 
Aux  racines  sont  venus 
Des  bouquets  blancs  et  touffus, 

0  guo  ! 
Aux  racines  sont  venus. 

Au  temps  des  rouges  cerises. 
Aux  bouquets  blancs  et  touffus. 
Des  fruits  nouveaux  sont  venus, 

0  gué! 
Des  fruits  nouveaux  sont  venus. 
Les  promis  et  les  promises, 
Pour  manger  des  fruits  nouveaux, 
Sont  allés  dans  les  bouleaux, 

0  gué  ! 
Pour  manger  des  fruits  nouveaux, 

Avec  les  gars  et  les  filles, 

Le  rossignolet  chanta, 

Des  fruits  nouveaux  on  goûta, 

0  gué! 
Des  fruits  nouveaux  on  goûta. 
Ainsi  que  dans  les  charmilles, 
Sur  la  route  où  l'on  passait. 
Tout  le  monde  s'embrassait, 

0  gué! 
Sur  la  route  où  l'on  passait. 

Périne  y  fut  la  première. 
Elle  y  fit  bien  des  détours. 


—  319  — 

Et  n'en  sortit  de  trois  jours, 

0  gué  ! 
Et  n'en  sortit  de  trois  jours. 
Avec  le  goulu  Jean  Pierre, 
Périne  en  a  tant  croqué, 
Que  sa  cotte  en  a  craqué, 

0  gué  ! 
Que  sa  cotte  en  a  craqué. 

Plougastel,  186.. 


Air  breton  reciioilli.  —  Editeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


■^■2o 


PAYSAM    PAYSAN! 


A  Tnny  Rcvillon. 

Paysan  !  Paysan! 
Pour  tant  de  fatigue  et  de  peine, 
Que  mtîts-tu  dans  ton  bas  de  laine, 

Bon  an,  mal  an. 

Au  bout  de  l'an? 

Paysan  !  aussitôt  le  jour, 

La  terre  t'appelle  au  labour. 

Sans  geindre  tu  vas  à  l'ouvrage, 

Que  le  temps  soit  mauvais  ou  beau. 

Le  soleil  te  brûle  la  peau, 

Le  froid  te  mord  en  plein  visage. 

Paysan!  Paysan  ! 
Pour  tant  de  fatigue  et  de  peine, 
Que  mets-tu  dans  ton  bas  de  laine. 

Bon  an,  mal  an, 

Au  bout  de  l'an  ? 

Paysan!  toujours  au  travail. 
Après  les  champs,  c'est  le  bétail  : 


—  Mi  — 

Vite  ii  faut  faire  la  litière. 
Donner  l'herbe  et  le  picotin, 
Gaver  les  porcs,  brosser  Martin, 
Puis  c'est  les  vaches  qu'il  faut  traire. 

Paysan  !  Paysan  ! 
Pour  tant  de  fatigue  et  de  peine. 
Que  mets-tu  dans  ton  bas  de  laine, 

Bon  an,  mal  an, 

Au  bout  de  l'an? 

Paysan  !  voici  la  moisson, 

Coupe  des  blés  et  fenaison  ! 

En  automne,  c'est  la  vendange 

Et  de  la  besogne  à  pleins  bras. 

On  mange  mal,  on  ne  dort  pas. 

Et  tout  l'hiver  faut  battre  en  grange. 

Paysan  !  Paysan  ! 
Pour  tant  de  fatigue  et  de  peine, 
Qne  mets-tu  dans  ton  bas  de  laine. 

Bon  an,  mal  an, 

Au  bout  de  l'an? 

Paysan  !  es-tu  bien  certain. 
Quand  va  venir  la  Saint-Martin, 
De  pourvoir  aux  frais  de  l'année?.. 
N'as-tu  pas  peur  qu'un  Harpagon 
Ne  t'expulse  de  la  maison 
Où  toute  ta  famille  est  née? 


—  ;v22  — 

Paysan  !  Paysan  ! 
Pour  tant  de  fatigue  et  de  peine, 
Que  mets-tu  dans  ton  bas  de  laine, 

Bon  an,  mal  an, 

Au  bout  de  ]'an? 

Paysan  !  tu  n"es  sûr  de  rien. 
Les  usuriers  guettent  ton  bien  ; 
Il  a  grêlé,  c'est  mauvais  signe  ! 
Demain,  vaches,  chevaux,  ànon, 
Peuvent  tous  mourir  du  charbon... 
Un  insecte  a  rongé  ta  vigne! 

Paysan!  Paysan! 
Pour  tant  de  fatigue  et  de  peine, 
Que  mets-tu  dans  ton  bas  de  laine. 

Bon  an,  mal  an, 

Au  bout  de  l'an  ? 

Paysan  !  tu  baisses  le  dos 
Sans  espérance  et  sans  repos, 
Depuis  janvier  jusqu'en  décembre  ; 
Et  tout  courbé  sur  tes  genoux, 
Sec  comme  une  branche  de  houx, 
Tu  meurs  perclus  de  chaque  membre. 

Paysan  !  Paysan! 
Pour  tant  de  fatigue  et  de  peine. 
Que  mets-tu  dans  ton  bas  de  laine, 

Bon  an,  mal  an. 

Au  bout  de  l'an? 


—  323  — 
Paysan  !  un  peu  d'union  : 
La  grande  Révolution 
A  voulu  que  tu  sois  un  homme. 
Si  l'on  veut  encore  une  fois 
Te  traiter  comme  au  temps  des  rois, 
Réveille-toi,  Jacques  Bonhomme! 

Paysan  !  Paysan  ! 
Pour  tant  de  fatigue  et  de  peine, 
Que  mets-tu  dans  ton  bas  de  laine, 

Bon  an,  mal  an, 

Au  bout  de  l'an? 

Paysan  !  songe  à  l'avenir, 
Le  vieux  monde  est  près  de  finir. 
Si  tous  ceux  qui  piochent  la  terre 
Donnaient  la  main  aux  artisans, 
Nous  pourrions  voir  avant  dix  ans 
La  République  égalitaire! 

Paysan!  Paysan! 
Pour  tant  de  fatigue  et  de  peine. 
Que  mets-tu  dans  ton  bas  de  laine, 

Bon  an,  mal  an, 

Au  bout  de  l'an? 

Paris-Montmartre,  1867. 


Éditeur  :  M.  Bnsscreau,  240,  rue  Saint -Martin,  Pari 


324  ~ 


MÀM'ZELU    ROSE 


.■i  L.  Ponliii  />crc. 

Aussi  vrai  que  j'  m'appell'  Poinchoux, 
Entre  nous, 
Micloux, 
Mam'zeir  Rose, 
Eh  ben,  vrai,  c'est  un'  pas  grand'chose! 

Elle  est  co'mm"  nous  des  paysans, 
Et  quand  on  s'  sent  un  peu  d'courag-e. 
On  n'doit  pas  connaîtr'  d'autre  ouvrage 
Que  d'soigncr  sa  vigne  et  ses  champs. 
On  a  beau  m'dir"  qu'elle  est  fluelte 
Et  qu'elle  a  d'I'ordre  et  du  bon  ton. 
Qu'elle  est  ben  douce,  ben  proprette, 
Et  qu'a  soign'  ben  son  pèr'  Simon  ; 
Mais  moi,  j'aim'  mieux  un  coup  d'binette, 
Qu'cent  coups  d'balai  dans  la  maison! 

Aussi  vrai  que  j'  m'appell'  Poinchoux, 
Entre  nous,  etc. 

Quand  elle  a  tout  rangé  chez  eux, 
Qu'elle  est  pincée  et  bichonnée, 


—  325  — 

Mam'zeir  s'en  va  faire  sa  tournée 

Et  soulager  les  malheureux; 

A  fil'  pour  eux  la  s'maine  entière, 

Leux  taiir  des  rob's  pour  leux  enfants, 

Leux  donn'  du  bois,  des  pomm's  de  terre, 

De  la  tisane  et  des  vôt'ments; 

Ça  fait  qu  l'argent  que  gagn'  son  père 

Sert  à  nourrir  des  fainéants  ! 

Aussi  vrai  que  j'  m'appell'  Poinchoux, 
Entre  nous,  etc. 

J'  veux  ben  qu'on  aim'  les  animaux. 

Mais  faut  pourtant  pas  qu'ça  nous  gruge  ; 

Et  leux  maison,  c'est  le  refuge 

Des  chiens,  des  chats  et  des  oiseaux. 

Les  malheureux  puis'nt  dans  leux  grange, 

Les  animaux  dévor'nt  leux  bien  ; 

Aussi  l'on  dit  :  c'est  un  p'tit  ange, 

Et  r  pèr'  Simon  un  bon  chrétien. 

Tout  ça,  c'est  beau,  mais  tout  ça  mange, 

Et  v'ià  tout,  ça  n'  rapporte  rien! 

Aussi  vrai  que  j'  m'appell'  Poinchoux, 
Entre  nous,  etc. 

Nous  deux,  Micloux,  j'avons  d' l'argent 
Et  les  plus  bell's  ferm's  du  village; 
Je  Tons  d'mandoe  en  mariage, 
Et  j'ons  été  r'fusés  nett'ment. 

10 


—  326  — 

Ah  dam!  nous,  j'sentons  l'écurie, 

J'  somm's  des  croquants  et  des  lourdauds; 

Elle  aim'  ben  mieux  ITiIs  à  Julie, 

Il  est  pâle  et  sait  d' jolis  mots  ! 

Eh  ben,  c'est  bon,  qu'on  les  marie, 

Y  n'  manqu'  pas  d' fiU's  dans  nos  hameaux! 

Aussi  vrai  que  j'mappell'  Poinchoux, 

Entre  nous, 
Micloux, 

Mam'zeir  Rose, 
Eh  ben,  vrai,  c'est  un'  pas  grand'  chose  ! 

Rosny-sous-Bois.  1866. 


Musique  de  Darcier.  —  Éditeur  :  M.  Labbé,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


327  — 


JEAN    RAT 


A  E.  Mathon. 

Un  chapeau  gris  de  l'an  quarante, 
Une  veste  en  peau  de  mouton, 
Un  brin  de  culotte  indécente. 
Nouée  aux  flancs  par  un  cordon  ; 
Les  pieds  fourrés  dans  des  galoches 
Qui  tiennent  par  des  fils  de  fer... 
Les  bras  pendants,  le  nez  en  l'air  ; 
Rien  dans  les  mains,  rien  dans  les  poches. 
Voilà 
Jean  Rat. 

Vivant  d'un  os  ou  d'une  croûte. 
Il  va  tout  droit  et  n'importe  où. 
Flânant  le  jour  sur  la  grand'route, 
Dormant  le  soir  dans  quelque  trou  ; 
Les  nuits  d'hiver  tendant  sa  voile 
Sur  le  fumier  d'un  maraîcher, 
Les  nuits  d'été,  sur  le  plancher, 
A  l'hôtel  de  la  belle  étoile... 
Voilà 
Jean  Rat. 


—  328  — 

On  ne  saurait  dire  son  âge  : 
Il  a  soixante  ou  cent-vingt  ans. 
Est-ce  un  coquin  de  bas  étage, 
Un  freluquet  de  l'ancien  temps? 
Est-ce  le  vice  ou  la  bêtise, 
Est-ce  un  philosophe,  un  rêveur? 
Je  ne  suis  pas  son  confesseur, 
Que  voulez-vous  que  je  vous  dise. 
Voilà 
Jean  Rat. 

Cueilly,  1881. 


Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  329 


LE   CAPITAINE   «  AU-MUR  » 


Au  citoyen  J.  Allemanc. 

Au  mur! 
Disait  le  capitaine, 
La  bouclie  pleine 
Et  buvant  dur, 

Au  mur  ! 

—  Qu'avez-vous  fait?  —  Pardon,  mon  brave, 

Vous  avez  faim,  vous  déjeunez, 

Vous  ne  voulez  pas  être  esclave 

Ni  conduit  par  le  bout  du  nez. 

Tout  ça,  c'est  bien,  et  c'est  d'un  homme! 

Mais  si  l'on  m'oecit,  mon  ami, 

Dès  lors  que  nous  pensons  tout  comme. 

Vous  devez  l'être  aussi. 

Comprends-tu  ma  logique? 

Vive  la  République! 

Au  mur  ! 
Disait  le  capitaine, 
La  bouche  pleine 
Et  buvant  dur, 
Au  mur! 


—  330  — 

—  Qu'avez-vous  fait?  —  Je  suis  des  vôtres, 
Je  suis  vicaire  à  Saint-Bernard. 

J'ai  dû,  pour  échapper  aux  autres, 
Rester. huit  jours  dans  un  placard. 

—  Qu'avez-vous  fait  ?  —  Oh  !  pas  grand'chose. 
De  la  misère  et  des  enfants. 

Il  est  temps  que  je  me  repose, 
J'ai  soixante-dix  ans. 
Allons-y  tout  de  suite 
Et  fusillez-moi  vite. 

Au  mur! 
Disait  le  capitaine, 
La  bouche  pleine 
Et  buvant  dur, 

Au  mur  ! 

—  Qu'avez-vous  fait?  —  Voici  deux  listes 
Avec  les  noms  de  cent  coquins: 
Femmes,  enfants  de  communistes. 
Fusillez-moi  tous  ces  gredins!... 

—  Qu'avez-vous  fait?  —  Je  suis  la  veuve 
D'un  officier  mort  au  Bourget... 

Eh  !  tenez,  en  voici  la  preuve  : 

Regardez,  s'il  vous  plaît... 
—  Oh  !  moi  je  porte  encore 
Mon  brassard  tricolore. 

Au  mur  ! 
Disait  le  capitaine, 


—  331  — 

La  bouche  pleine 
Et  buvant  dur, 
Au  mur! 

—  Qu'avez-Yous  fait?  —  Quatre  blessures, 
Six  campagnes  et  deux  congés  ! 

Je  leur  en  ai  fait  voir  de  dures  ! 
Je  suis  Lorrain...  Ils  sont  vengés  ! 

—  Moi,  j'étais  dans  une  ambulance  : 
Les  femmes  ne  se  battent  pas... 

Et  j'ai  soigné  sans  différence 
Fédérés  et  soldats. 
—  Moi,  je  m'appelle  Auguste, 
Et  j'ai  treize  ans  tout  juste! 

Au  mur! 
Disait  le  capitaine, 
La  bouche  pleine 
Et  buvant  dur, 

Au  mur! 

—  Qu'avez-vous  fait?  —  Oh!  je  suis  morte! 
Un  soldat,  sans  doute  enivré, 

A  tué  mon  père  à  la  porte, 

Et  mon  crime  est  d'avoir  pleuré  !... 

—  Qu'avez-vous  fait?  —  Sale  charogne! 
Fais-moi  vite  trouer  la  peau. 

Car  j'en  ai  fait  de  la  besogne 
Avec  mon  chassepot. 
Et  d'un',  tu  vois  la  lune! 
Et  d'  deux  :  viv'  la  Commune! 


—  332  — 

Au  mur! 
Disait  le  capitaine, 
La  bouche  pleine 
Et  buvant  dur, 

Au  mur! 

Londres,  1872. 
Éditeur  :  M.  Bassorean,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


Beaucoup  de  ceux  que  le  hasard  ne  fît  pas  tomber  sous  la  coupe 
des  bourreaux  qui  ordonnaient  les  massacres  entre  la  poire  et  le 
fromage,  furent,  comme  les  citoj'ens  Allemane,  Brissac,  Humbcrt 
et  tant  d'autres,  envoyés  au  bagne. 

Les  générations  futm-es  auront  peine  h  y  croire  ! 

Des  républicains  éprouvés,  des  hommes  honnêtes,  des  ouvriers 
laborieux  qui  avaient  lutté  pour  le  salut  de  la  République,  pour 
la  cause  du  droit  et  de  la  justice,  furent  accouplés  à  des  scélérats 
de  grands  chemins  et  à  des  escrocs  de  la  finance. 

Ces  titres  qui  les  honorent  devaient  les  désigner  tout  particu- 
lièrement à  la  férocité  des  dignes  exécuteurs  des  basses-œuvres 
des  Thiers  et  consorts. 

Beaucoup  sont  morts  là-bas,  coiffés  du  bonnet  de  forçat,  des 
suites  des  mauvais  traitements  qu'ils  subissaient  et,  aussi,  de 
colère  et  de  désespoir. 

Pour  ceux-là,  le  bagne  aura  été  leur  Panthéon! 

Quelques-uns  nous  sont  roven'us  et  ont  repris  courageusement 
leur  poste  de  combat  pour  délivrer  tous  ces  forçats  volontaii-es  qui 
traînent  leur  boulet  d'usine  en  usine,  de  manufacture  en  manu- 
facture . 


—  333  — 


CHAGRINS  D'AMOUR 


A  Riassc. 

Cruelle,  sais-tu  qu'il  est  en  ce  monde 
.     Des  chagrins  d'amour  qu'on  n'apaise  pas, 
Et  que  bien  souvent,  dans  la  nuit  profonde. 
On  rêve  aux  heureux  qui  s'en  vont  là-bas? 
Ton  cœur  te  dit-il  qu'il  est  en  ce  monde 
Un  amour  qui  veille  et  baise  tes  pas? 

Ce  profond  amour,  derrière  ton  ombre. 
S'attache  à  tes  pas,  pensif  el  rêveur. 
Semant  ton  chemin  de  baisers  sans  nombre 
Et  dévorant  seul  sa  lente  douleur. 
Mais  tu  n'entends  pas  derrière  ton  ombre 
La  chanson  d'amour  que  chante  mon  cœur. 

Mais  ne  craignez  plus,  je  n'en  veux  rien  dire, 

En  ce  temps  affreux  le  monde  en  rirait. 

De  ce  mal,  hélas!  j'aime  le  martyre 

Et  nul  ne  saura  jamais  mon  secret. 

Mais  pour  que  ton  cœur  n'ait  rien  su  te  dire, 

II  faut  qu'il  soit  mort  ou  qu'il  soit  muet! 

Paris-Montmartre,  1868. 

Musique  de  Marcel  Legay.  —  Editeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue 
Saint-Martin,  Paris, 


—  334 


MOIS   FRILEUX 


A  /'ami  Barra/. 

Digue  din  don  ! 
On  sonne,  sonne  à  tour  de  bras 
Toutes  les  cloches  des  villages. 
Ahl  bon  sang!  que  de  mariages! 

Digue  din  don  1 
Ah!  que  de  messes,  que  d'antiennes! 
Le  mois  frileux  a  fait  des  siennes  : 
Le  bedeau  sonne  à  tour  de  bras! 

Digue  din  don  ! 
Ah! ah! 

Digue  din  don! 

On  a  fini  d'emplir  la  grange, 
Les  blés  nouveaux  sont  au  moulin  ; 
On  a  fini  de  la  vendange, 
En  futaille  on  a  mis  le  vin. 
Adieu  l'ombrage  et  les  cueillettes. 
Le  gai  soleil  et  le  ciel  bleu; 
Les  grands  garçons  et  les  fillettes 
Vont  se  blottir  au  coin  du  feu. 


—  335  — 

Digue  clin  don! 
On  sonne,  sonne  à  tour  de  bras, 
Toutes  les  cloches  des  villages,  etc. 

Les  fleurs  sont  mortes  dans  la  plaine. 

Le  curé  fait  rentrer  du  bois. 

Les  moutons  ont  tapis  de  laine, 

Le  berger  souffle  dans  ses  doigts, 

Ses  grands  chiens  noirs  ont  fait  peaux  neuves. 

Auront  bien  froid  les  pauvres  gens. 

Auront  bien  froid  toutes  les  veuves. 

Les  oiseaux  et  les  mendiants. 

Digue  din  don, 
On  sonne,  sonne  à  tour  de  bras. 
Toutes  les  cloches  des  villages,  etc. 

Les  petits  gars  de  nos  fermières 
Ont  mis  du  foin  dans  leurs  sabots. 
Là- bas,  nos  pauvres  lavandières 
Ont  de  la  glace  à  leurs  museaux. 
Dans  l'àtre,  où  les  sarments  pétillent, 
On  entend  la  bise  gémir 
Et  les  grillons  qui  s'égosillent 
A  nous  empêcher  de  dormir. 

Digue  din  don! 
On  sonne,  sonne  à  tour  de  bras. 
Toutes  les  cloches  des  villages,  etc. 


—  336  — 

De  paille  on  tapisse  l'étable 
Pour  veiller  à  côté  des  bœufs  ; 
Le  fermier,  parfois  charitable, 
Y  laisse  entrer  un  malheureux! 
Les  poules  ne  pondent  plus  guère, 
Les  coqs  cessent  de  surveiller  ; 
Et  la  fouine,  armée  en  guerre, 
Monte  à  l'assaut  du  poulailler. 

Digue  din  don  ! 
On  sonne,  sonne  à  tour  de  bras 
Toutes  les  cloches  des  villages,  etc. 

Les  gars  rougeauds  vont  à  la  danse, 
Couverts  d'une  peau  de  mouton  ; 
Les  gueux  s'en  vont,  sans  espérance, 
Humant  du  froid  à  plein  poumon. 
A  la  messe,  les  demoiselles 
Vont  couvertes  d'un  bon  manteau  ; 
Les  pauvrettes  restent  chez  elles, 
Les  doigts  gelés  sur  leur  fuseau. 

Digue  din  don! 
On  sonne,  sonne  à  tour  de  bras 
Toutes  les  cloches  des  villages,  etc. 

C'est  décembre  à  la  barbe  grise 
Qui  nous  dit  son  âge  en  passant  ; 
De  ses  poumons  nous  vient  la  bise, 
De  ses  cheveux  le  givre  blanc  : 


—  337  — 

Passe,  vieillard,  car  sur  sa  route 
Si  le  printemps  te  rencontrait, 
Il  te  rajeunirait  sans  doute, 
Mais  son  soleil  t'aveuglerait! 

Digue  din  don! 
On  sonne,  sonne  à  tour  de  bras 
Toutes  les  cloches  des  villages. 
Ah  !  bon  sang  !  que  de  mariages  ! 

Digue  din  don  ! 
Ah!  que  de  messes,  que  d'antiennes  ! 
Le  mois  frileux  a  fait  des  siennes  : 
Le  bedeau  sonne  à  tour  de  bras  ! 

Digue  din  don  ! 
Ah! ah! 

Digue  din  don! 

Chelles,  1865. 


Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  338 


MON    PAUVRE   ANTOINE 


Au  citoyen  J.-B.  Périn. 

Debout  à  la  pointe  du  jour, 
Pendant  douze  mois  de  l'année, 

Il  bûche  comme  un  sourd 
Pour  le  pain  de  sa  maisonnée... 
Les  autres,  pendant  ce  temps-là, 
Font  leur  somme  à  pleine  paupière, 
Et  quand  ils  mettent  pied  à  terre, 
Le  pauvre  Antoine  est  las  déjà- 
Ah  !  que  t'es  couenne, 
Mon  pauvre  Antoine  ! 

Il  déjeune,  en  un  tour  de  main, 
D'un  mauvais  verre  de  piquette 

Et  d'un  morceau  de  pain. 
Parfumé  d'ail  ou  de  civette... 
Les  autres,  devant  un  chapon. 
Du  vieux  bordeaux  ou  du  bourgogne. 
Qui  rougit  auprès  de  leur  trogne, 
Sont  attablés  jusqu'au  menton. 
Ah  !  qu  t'es  couenne, 
Mon  pauvre  Antoine  ! 


—  339  — 

Il  habite  un  mauvais  taudis 
Où  sa  maisonnée  enfouie 

Comme  un  tas  de  souris 
Se  dispute  l'air  et  la  vie. 
Les  autres  ont  trent'-six  maisons, 
A  trent'-six  places  différentes, 
Beaucoup  d'air,  du  soleil,  des  rentes, 
Et  des  fleurs  en  toutes  saisons. 
Ah!  qu'  t'es  couenne, 
Mon  pauvre  Antoine  ! 

Il  se  croit  fait  pour  la  douleur, 
Pour  le  travail,  pour  la  besace. 

Las  d'être  au  monde,  il  meurt. 
Et  ses  enfants  prennent  sa  place... 
Les  autres  meurent  gras  à  lard, 
Laissant  de  quoi  rouler  voiture 
A  leur  digne  progéniture. 
Qui  se  croit  d'une  pâte  à  part. 
Ah  !  qu'  t'es  couenne, 
Mon  pauvre  Antoine  ! 

Londres,  1874. 


Éditeur  :  M.  Basscrcau,   240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  340 


UN   DE   MOINS 


vœux  DE   MATELOTS 


A  O.  Mèlra. 

Nous  coulons  comme  un  vrai  galet, 
Ventre  de  chien!  vieille  carcasse! 
A  pas  besoin  de  gobelet, 
Nous  allons  boire  à  la  grand'  tasse. 

Un  de  moins!... 

Ho!  hiss!  ho! 

—  Qu'on  m'en  sauve!  et,  sur  les  cailloux, 
Je  vais  pieds  nus  à  Notre-Dame... 

—  Moi,  je  m'enrôle  aux  gabelous... 

—  Et  moi,  je  ne  bats  plus  ma  femme.. 

Ho  !  hiss!  hol 
Potence  à  l'ail  !  hé  !  timonier, 
Viens  boire  un  coup,  c'est  le  dernier. 

Ho!  hiss!  ho!  du  courage, 

Et  pas  d'  clampins... 
Malheur!  de  vieux  lapins 

Ne  font  pas  naufrage 

Gomme  des  galopins! 


—  341  — 

La  lune  a  mis  son  éteignoir, 
Le  diable  a  mangé  les  étoiles. 
Piaillards,  faites-vous  un  mouchoir 
Avec  ce  qui  reste  des  voiles. 

Un  de  moins!... 

Ho!  hiss!  ho! 

—  Qu'on  m'en  sauve!  et,  foi  de  Breton, 
Je  mange  un  Anglais  sans  moutarde... 

—  Je  me  fais  moine  ou  marmiton... 

—  J'épouse  la  vieille  camarde... 

Ho!  hiss!  ho! 
Boyaux  d'acier,  boîte  à  malheur! 
Les  requins  nous  font  bouche  en  cœur. 

Ho!  hiss!  ho!  du  courage,  etc. 

Gagne!  on  danse  sans  violon... 
Mais  c'est  égal,  ça  me  dépite. 
Nous  ferons  de  mauvais  bouillon, 
Elle  est  trop  grande,  la  marmite! 

Un  de  moins!... 

Ho  !  hiss!  ho! 

—  Oh  !  qu'on  m'en  sauve  !  et  mes  enfants 
Broderont  un  voile  à  la  vierge... 

—  Pour  qu'il  brûle  pendant  dix  ans, 
Je  lui  fais  fabriquer  un  cierge... 

Ho!  hiss!  ho! 
Ciel  de  papier!  Soleil  fourbu! 
La  carcasse  a  bougrement  bu... 

Ho!  hiss!  ho!  du  courage,  etc. 


—  342  — 

Gale  à  Gain!  mille  sabords! 
Les  requins  ont  mangé  la  quille. 
On  a  signé  nos  passeports, 
Qui  veut  écrire  à  sa  famille?... 

Un  de  moins!... 

Ho  !  hiss!  ho! 

—  Qu'on  m'en  sauve  !  et  je  fais  serment 
De  mendier  ma  vie  entière... 

—  Je  ne  bois  plus,  foi  de  Normand!... 

—  Tout  mon  or  sera  pour  ma  mère!... 

Ho!  hiss!  ho! 
Gornes  de  bœuf!  moi,  les  enfants, 
Je  prends  la  lune  avec  les  dents! 

Ho!  hiss!  ho!  du  courage, 

Et  pas  d'  clampins... 
Malheur  !  de  vieux  lapins 

Ne  font  pas  naufrage 

Gomme  des  galopins! 

Honfleur,  1865. 


Musique  de  Darcicr.  —Éditeur  :  M.  Labbc,  20,  rue  du  Croissant, 
Paris. 


—  343  — 

LES   GUEUX 

Air  :  Les  Gueux,  de  Déranger. 


Les  gueux,  les  gueux 
Sont  des  gens  heureux  : 
Ils  s'aiment  entre  eux, 

Vive  les  gueux. 


^■i  mon  ami  Achille  Delcoiirt. 


Les  gueux,  les  gueux 
Sont  des  malheureux  : 
S'ils  s'aimaient  entre  eux, 

Tout  irait  mieux. 

On  n'en  est  plus  aux  rengaines, 
Aux  refrains  de  l'ancien  temps, 
Car  Je  sang  bout  dans  nos  veines 
Et  nous  sommes  mécontents  ! 

Les  gueux,  les  gueux 
Sont  des  malheureux  : 
S'ils  s'aimaient  entre  eux. 

Tout  irait  mieux. 


—   344  — 

Les  gueux  sont  nombreux  en  France, 
Mais  ils  ne  comptent  pour  rien, 
Car  ils  ont  maigre  pitance 
Et  les  autres  vivent  bien. 

Les  gueux,  les  gueux 
Sont  des  malheureux  : 
S'ils  s'aimaient  entre  eux, 

Tout  irait  mieux. 

Las  d'ensemencer  la  terre, 
De  fabriquer  des  outils, 
Ils  récoltent  la  misère 
Et  de  bons  coups  de  fusils. 

Les  gueux,  les  gueux 
Sont  des  malheureux  : 
S'ils  s'aimaient  entre  eux. 

Tout  irait  mieux. 

Ils  fabriquent  pour  leur  maître 
Des  habits  et  des  souliers; 
Mais  ils  n'ont  rien  à  se  mettre. 
Et  leurs  enfants  vont  nus  pieds. 

Les  gueux,  les  gueux 
Sont  des  malheureux: 
S'ils  s'aimaient  entre  eux, 

Tout  irait  mieux. 


—  343  — 

Pour  tous  ces  gueux  à  plat  ventre, 
L'amour  même  est  hors  saison, 
Car  lorsque  la  misère  entre, 
L'amour  quitte  la  maison. 

Les  gueux,  les  gueux 
Sont  des  malheureux  : 
S'ils  s'aimaient  entre  eux, 

Tout  irait  mieux. 

On  leur  prône  la  patrie, 
La  gloire  et  la  charité, 
Pour  qu'ils  supportent  la  vie, 
Le  jeune  et  la  pauvreté. 

Les  gueux,  les  gueux 
Sont  des  malheureux  : 
S'ils  s'aimaient  entre  eux. 

Tout  irait  mieux. 

Pour  bien  finir  leur  carrière, 
Lorsqu'ils  sont  vieux  et  fourbus. 
Il  leur  reste  la  rivière 
Ou  la  corde  des  pendus. 

Les  gueux,  les  gueux 
Sont  des  malheureux  : 
S'ils  s'aimaient  entre  eux, 

Tout  irait  mieux. 


—  346  — 

Mais  un  beau  jour  la  famine 
Les  chassera  de  leurs  trous 
Pour  danser  la  capucine 
Et  faire  comme  les  loups! 

Les  gueux,  les  gueux, 
Sont  des  malheureux  : 
S'ils  s'aimaient  entre  eux, 

Tout  irait  mieux. 

Paris-Montmartre,  1884. 
Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


Je  rappellerai  ici  ce  que  je  dis  dans  ma  préface  à  propos  de 
deux  chansons  de  Béranger,  qui  eurent  un  immense  succès  :  Dans 
un  grenier  qu'on  est  bien  à  vingt  ans  et  les  Gueux. 

Je  soutiens  que  c'est  faire  de  l'esprit  aux  dépens  des  souf- 
frances du  peuple  que  de  lui  dorer  ainsi  les  misères  qu'il  endure. 

Non,  l'amour  et  la  gaieté  ne  sont  pas,  comme  il  le  dit,  les 
hôtes  habituels  des  mansardes  et  des  greniers  ;  et,  s'il  est  vrai 
qu'on  peut  bien  manger  sans  nappe  et  que  sur  la  paille  on  peut 
dormir,  je  crois  qu'on  ne  mange  pas  plus  mal  sur  une  nappe  et 
qu'on  n'en  dort  pas  moins  bien  dans  un  bon  lit. 

Et,  si  les  gueux  s'aimaient,  comme  l'a  prétendu  Béranger,  ou 
comprenaient,  ce  qui  vaudrait  mieux,  il  est  bien  certain  que  tout 
irait  mieux  pour  eux. 


—  347  — 


CHANSON    D'AMOUR 


A  madame  Macé-Montrotigc 

Dans  le  courant  de  l'autre  année 
J'avais  de  la  joie  à  plein  cœur, 
Je  chantais  toute  la  journée, 
Ma  vie  était  comme  une  fleur. 
J'allais  au  vent  comme  à  la  pluie. 
Je  riais,  je  me  portais  bien. 
Au  jour  d'aujourd'hui  je  m'ennuie. 
Je  n'ai  plus  de  courage  à  rien. 

Jamais  je  ne  faisais  la  moue, 
Au  petit  jour  j'étais  debout; 
J'avais  la  santé  sur  la  joue 
Et  j'étais  forte  comme  tout. 
Je  vous  portais  comme  une  plume 
Une  hottée,  un  sac  de  grain; 
Mais  maintenant  je  me  consume  : 
C'est  trop  lourd,  un  cœur  en  chagrin  ! 

Comme  on  a  des  peines  sur  terre  ! 
Avant  j'étais  bien  n'importe  où. 
Avec  du  pain  et  de  l'eau  claire, 
J'aurais  bien  vécu  dans  un  trou. 


—  348  — 

Que  je  voudrais  être  hirondelle 
Pour  me  cacher  dans  quelque  coin... 
Mais  si  j'emportais  sous  mon  aile 
Mon  cœur,  je  n'irais  pas  bien  loin... 

L'angélus  sonne  trop  bonne  heure... 
Le  travail,  c'est  bien  ennuyeux... 
Les  nuits  sont  longues  quand  l'on  pleure 
Et  le  grand  jour  fait  mal  aux  yeux... 
Ah!  j'ai  trop  mal,  qu'on  m'en  délivre; 
Vivre  ainsi,  c'est  des  jours  perdus. 
A  quoi  ça  me  sert-il  de  vivre, 
A  quoi,  puisqu'il  ne  m'aime  plus! 

Avant  j'avais  dans  la  poitrine 

Des  frissons  doux  comme  un  velours... 

Maintenant,  j'ai  mauvaise  mine 

Et  je  dépéris  tous  les  jours. 

A  bout  de  peine  et  de  souffrance. 

Meurt-on  d'amour  quand  on  est  las?... 

Je  vis  avec  cette  espérance  : 

Quel  malheur  si  l'on  n'en  meurt  pas  ! 

Londres,  1874. 


Éditeur  :  M.  Bassereau,  2i0,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


—  349  — 


LA  VIEILLE   A   LA   MARMOTTE 


Au  citoyen  E.  Vaughan. 

Elevée  au  faubourg, 
Elle  est  peuple  comme  la  rue  ; 
Et  quoiqu'elle  fut  très  courue, 
Elle  n'eut  qu'un  amour. 
Moins  on  est  riche. 
Moins  on  est  chiche  : 
Aussi,  de  vingt  à  quarante  ans. 
Elle  eut  sa  douzaine  d'enfants, 
La  vieille  à  la  marmotte 
Qui  trotte 
Avec  sa  hotte. 

Son  vieux  est  au  dépôt 
Dans  un  des  trous  de  Montparnasse. 
Le  pauvre  homme  était  moins  tenace. 
Il  est  parti  plus  tôt. 
Et,  de  sa  graine, 
Sur  la  douzaine, 
Comme  on  avait  eu  faim  chez  eux, 
Elle  en  a  sept  avec  son  vieux, 
La  vieille  à  la  marmotte 
Qui  trotte 
Avec  sa  hotte. 

10. 


—  3oO  — 
Les  plus  durs  à  mourir, 
Qu'elle  a  sauvés  de  la  famine, 
Ont  un  grand  trou  dans  la  poitrine 
Et  du  monde  à  nourrir. 
On  ne  peut  guère 
Aider  la  mère, 
Mais  pourtant  on  fait  ce  qu'on  peut  ! 
Et  puis,  elle  mange  si  peu, 
La  vieille  à  la  marmotte 
Qui  trotte 
Avec  sa  hotte. 

Les  membres  rabougris, 
Le  teint  jaune,  la  peau  ridée. 
Le  dos  courbé  sous  sa  bottée, 
Elle  arpente  Paris, 
Criant  à  peine  : 
Cresson  dïonlaine  !... 
Car,  le  cœur  plein  de  tous  ses  morts. 
Elle  vend  la  santé  du  corps, 
La  vieille  à  la  marmotte 
Qui  trotte 
Avec  sa  hotte. 

Londi-es,  1874. 


Musique  de  Marcel  Legay.  —  Éditeur:  Société  Anonyme,  7,  rue 
d'Engbicn,  Paris. 


—  331  — 


AUX   LOUPS 


Au  citoyen  Ba/ioJtneau  et  à  tous  les  bons 
camarades  de  Trélazé  qui  savent,  par 
expérience,  combien  le  pain  est  dur  à 
gagner  et  qui  sont  las  de  voir  une  poi- 
gnée de  parasites  vivre  grassement  aux 
dépens  des  travailleurs  qui  meurent  à 
la  peine. .  . 

Oui,  mais... 

Ça  branle  dans  le  manche. 
Ces  mauvais  jours-là  finiront. 

Et  gare  à  la  revanche 
Quand  tous  les  pauvres  s'y  mettront. 


Avec  sa  neige  froide  et  blanche, 
La  terre  est  d'un  pâle  de  mort; 
Le  loup,  tortillant  de  la  hanche, 
Fait  la  chasse  au  gibier  qui  dort. 
Vite,  un  bon  feu  de  paille, 
Ou  gare  à  la  volaille!... 

Eh!  oh  !  eh  !  les  gens  de  chez  nous! 
Aux  loups  !  aux  loups  !.. 

Nous  sommes  sous  la  République, 
Mais  tout  est  encore  à  changer. 


—  3o2  — 

On  fait  beaucoup  de  politique 
Et  nous  n'avons  pas  à  manger... 

Tout  ça,  c'est  pas  nature 

Et  le  peuple  murmure  !.. 

Eh  !  oh  !  eh  !  les  gens  de  chez  nous  ! 
Aux  loups!  aux  loups!.. 

Plus  de  piquette  dans  la  cruche, 
Plus  de  laine  pour  les  fuseaux, 
Plus  de  farine  dans  la  huche, 
Plus  de  chansons  pour  les  berceaux. 
Si  triste  est  la  demeure 
Que  la  marmaille  en  pleure  ! 

Eh  !  oh  !  eh  !  les  gens  de  chez  nous  ! 
Aux  loups!  aux  loups!.. 

Il  faut  payer  l'air  qu'on  respire, 

Payer,  payer,  toujours  payer! 

On  gruge,  comme  sous  l'empire, 

Le  paysan  et  l'ouvrier... 

Et,  quand  l'ouvrage  manque, 
C'est  du  plomb  qu'on  nous  flanque  ! 

Eh  !  oh  !  eh  !  les  gens  de  chez  nous  ! 
Aux  loups!  aux  loups!.. 

La  haute  clique  fraternise. 

On  conspire  au  Palais-Bourbon; 


—  353  — 

Et  le  peuple  qu'on  tyrannise 

Sert  encor  de  chair-à-canon! 

Nous  pleurons  la  misère, 

Et  l'on  parle  de  guerre!.. 

Eh!  oh!  eh!  les  gens  de  chez  nous! 
Aux  loups!  aux  loups!.. 

Il  est  visible  que  les  traîtres, 
Qui  pressurent  les  pauvres  gens, 
Nous  préparent  de  nouveaux  maîtres 
Pour  nous  reculer  de  cent  ans... 

On  bat  la  générale!... 

Vive  la  Sociale! 

Eh!  oh!  eh!  les  gens  de  chez  nous  ! 
Aux  loups  !  aux  loups!.. 

Trélazc-Malaquais,  1884. 


Éditeur  :  M.  Bassereau,  240,  rue  Saint-Martin,  Paris. 


CETTE    PREMIERE    EDITION 

destinée  à  mes  souscripteurs 
A    ÉTÉ    TIRÉE    A    TROIS    MILLE    EXEMPLAIRES 


TABLE 


La  Chanson 3 

Bon  voyage 23 

Abstinence  (L') 40 

Ah  !  le  joli  temps  ! 188 

Aimez-vous  ! 146 

Allons  faire  un  tour  à  la  Banque 274 

Amours  d'un  grillon  (Les) 198 

Amour  de  ma  mie  (L') 236 

Angélus  (L') 308 

Au  bois  joly 306 

Aux  loups  I 331 

Au  secours  ! 177 

Ballade  du  pauvre  (La) 281 

Bande  à  Riquiqui  (La) 83 

Bonheur  (Le). 62 

Bonhomme  Misère  (Le) 239 

Bonjour  à  la  meunière 182 

Bonjour,  printemps 112 

Branche  de  mai  (La) 193 

Capitaine  Au-Mur  (Le) 329 

Casse-Grain 144 

Catherine 203 

Chagrins  d'amour 333 

Chanson  d'amour 347 


—  356  — 

Chanson  d'avant-poste  (La) 154 

Chanson  du  fou  (La) 67 

Chanson  du  semeur  (La) 315 

Chante-Malheur 223 

Chien  d' temps 278 

Chien  du  régiment  (Le) 311 

Comme  je  suis  fatigué  ! 291 

Connais-tu  l'amour  ? 47 

Coquette  (La) 213 

Dansons  la  Bonaparte 70 

Dansons  la  Capucine 43 

V  Dernier  morceau  de  pain  (Le) 218 

Diable  (Le) 158 

Eau  va  toujours  à  la  rivière  (L'j 32 

Empereur  se  dégomme  (L') 115 

En  coupant  les  Foins 86 

s/Enfant  pauvre  (L') 300 

Fanchette 164 

Fileuse  (La) 101 

Flem'aison  (La) 234 

Fleurs  et  fruits 253 

Folies  de  mai 35 

Forêt  (La) 89 

..    Fournaise 76 

Français,  réveillez-vous  donc  1 172 

Grive  (La) : 203 

Gueux  (Les) 343 

Invasion  (L') 161 

Javotte 128 

Jean  Margousin 266 

Jean  Rat 327 

Je  suis  électeur 285 

Je  vais  chez  la  meunière 294 

vy  Lettre  à  Mignon 185 

•^  Liberté,  Égalité,  Fraternité 231 

V  Macliine  (La) 73 

Magloire S8 


—  357  — 

Ma  Jeanne 303 

Mam'zeir  Rose 324 

Manette 96 

Marjolaine  (La) 37 

Meunière  et  le  meunier  (La) 51 

Mignon 81 

Mois  frileux 334 

Mois  ventru 297 

Mon  homme 201 

Mon  pauvre  Antoine 338 

Mon  pauvr'  petiot 175 

Monsieur  Gros-Bonnet 53 

Moulin  noir  (Le) 166 

Muse,  chantons  les  oiseaux  et  les  fleurs 29 

Muse,  reprends  ton  vol 268 

Musette  ensorcelée  (La) 138 

Musique 271 

Neige  et  bois  mort 228 

Ne  plaignons  plus  les  gueux 125 

"v Notre  bon  seigneur. 141 

ViVourrice  à  Pierrot  (La) 248 

Nous  n'irons  plus  au  bois 226 

0  ma  France  ! 98 

0  mon  marteau  ! 220 

Pauvre  Gogo  (La) 56 

(/Paysan  !  Paysan  ! 320 

PimperUne  et  PimperHn 109 

Plant  d'amour  (Le) ," 317 

Fleurette  (La) 131 

VPoésie  et  labour 288 

Quand  j'  marierai  ma  fille 208 

^  Quand  nos  hommes  sont  aux  cabarets 196 

Quatre-vingt-neuf  ! 179 

Que  de  peine  et  mourir 48 

Que  la  terre  a  de  bonnes  choses 246 

Rage  d'amour 283 

Ronde  du  printemps  (La) 169 


—  3o8  — 

Sainfoin  (Le) 119 

Saint  Médard  et  saint  Vincent 215 

Sans  la  nommer 122 

:,,  Semaine  sanglante  (La) 134 

Si  vous  m'aimez 264 

Sœur  Anne ' 210 

Sonneur  de  Madrid  (Le) 256 

Souris  (Les) 105 

Souvenance 103 

Temps  des  cerises  (Le) 243 

Toinon-Caboche 260 

v^ourne,  tourne,  mou  moulin 262 

Traîne-Misère  (Les) 93 

Un  de  moins 340 

Vieille  à  la  marmotte  (La) 349 

Vieille  chanson 79 

Vive  l'empereur  ! 149 

Volontaires  (Les) 251 

V  Vrai  Noël  (Le) 64 


ERRATA 


Page  17.  —  13«  et  14«  lignes,  lire  :  «  qu'ils  subissent  »,  au  lieu 
de  «  qu'il  subisse  ».  —  16^  ligne,  lire  :  «  qu'ils  ne  gagnent  »,  au 
lieu  de  «  qu'il  ne  gagne  ». 

Page  67.  —  l«r  couplet,  dernier  vers,  lire  :  «  boîte  ",  au  lieu  de 
«  boîtes  ». 

Page  93.  —  Dédicace,  7«  ligne,  lire  :  «  garrotte  »,  au  lieu  de 
«  garottc  ». 

Page  112.  —  Dernier  vers,  lire  :  a  pâquerette  »,  au  lieu  de  pâque- 
rette ». 

Page  152.  —  5«  vers,  lire  :  »  lupanars  »,  au  lieu  de  «  lupanards  ». 

Page  195.  —  1er  vers,  lire  :  «  de  ma  pauvre  mie  »,  au  lieu  de 
<i  ma  pauvre  ma  mie  ». 

Page  213.  —  l'=r  vers,  lire  :  «  qu'elle  ait  ouï  dire  »,  au  lieu  do 
«  soit  qu'elle  ait  ouï  dire  ». 

Page  242.  —  8'=  vers,  lire  :  «  son  crï  do  guerre  »,  au  lieu  do 
<>  son  air  de  gucri-e  ». 

Page  2ôl.  —  5«  vers,  lire  :  »  appelât  »,  au  lieu  do  »  appela  ». 

Page  280.  —  4«  vers,  lire  :  «  rattrap'ms  »,  au  lieu  do  »  ratrap'ras  ». 


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La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Échéance 


The  Library 

University  of  Ottawa 

Date  due 


CE    PQ      2207 

.C65C4    1835 

COO       CLEMENT,    JEA    CHANSONS 

ACC#    1221182 


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