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Full text of "Chansons grises"

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PQ 
2623 

. E22C5 

1896 


UN 


U  dVof  OTTAWA 

mu 

39003003739389 


MAI  2  9  1972 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/chansonsgrisesOOIebe 


Chansons    Grises 


IL  A  ETE  TIRE  DE  CET  OUVRAGE 


2  5o  exemplaires  sur  hollande 
4         —  sur  chine 

4         —  sur  japon  impérial. 


ANDRE    LEBEY 


/&- 


Chansons 


Grises 


PARIS 

ÉDITION  DV  MERGVRE  DE  FRANCE 

XV,   RVE   DE    l'ÉCHAVDÉ-SAINT-GERMAIN,    XV 
M    DCCC    XCVI 


E-  ^  u 


A 

JEAN   DE  TINAN 


Aus   meinen  grossen  Schmerzen 
Mach*  ich  die  kleinen  Lieder. 

Heinrich  Heine. 


La  chimère  a  volé  vers  les  lointains  d'azur, 
Et  j'ai  réglé  mon  vol  d'après  son  envergure, 
Tenace  à  me  traîner,  fugitif,  derrière  elle, 
Par  l'espérance  enfin  de  sentir  mes  deux  ailes 
Plus  vastes  et  mon  âme  hautaine  et  solitaire, 
Dédaigneuse  des  fruits  que  mûrissait  la  terre, 
Demeurer  calme  le  long  des  routes  de  vie, 
Forte  dans  sa  sagesse  et  sa  mélancolie; 
Mais  le  vol  que  j'avais  cru  longtemps  invincible 
Aux  /lèches  des  archers  servit  un  jour  de  cible, 
Et,  tandis  que,  les  yeux  tournés  vers  l'orient, 
Je  regardais  sous  moi  le  mirage  éclatant 
Des  dômes  cuivrés  d'or  qui  dominaient  les  villes, 
Je  sentis  l'air  vibrer  dans  la  nue  immobile, 
Puis  tout  à  coup  l'oiseau  m' entourer  de  ses  ailes 
Et,  blessé,  tournoyant  avec  un  dernier  cri, 
Loin  de  l'azur  perdu  vers  l' ici-bas  cruel, 
Dans  sa  chute  et  sa  mort  m'entraîner  avec  lui. 


Une  voix  chante  dans  nos  cœurs 
Tous  les  refrains  de  nos  désirs, 
Désirs  d'amour  et  de  bonheur... 

—  Une  autre  dit  nos  souvenirs, 
Souvenirs  d'attente  et  de  pleurs. 

Les  voyageurs  qui  sont  passés 
Étaient  mornes  et  fatigués. 

La  brise  emporte  la  chanson 

Où  s'alanguissaient  nos  tendresses 

Pour  celle-là  que  nous  voulions... 

—  Le  vent  rapporte  des  tristesses 
Et  n'y  mêle  plus  de  chansons. 

Dans  le  parc  sombre  et  déserté, 
L'enfant  Amour  est  renversé. 


1 1 


Tout  est  donc  vide  et  n'est-il  rien 
Le  long  des  routes  monotones, 
Rien  à  cueillir  ou  désirer  ?... 
—  Et  l'écho  du  val  qui  résonne  : 
Rien  à  cueillir  ou  désirer. 

Les  voyageurs  qui  sont  passés 
Étaient  mornes  et  fatigués. 


CHA  NSONS  M  AL  A  DES 


Las  des  autres  et  de  moi-même, 
Las  de  toujours  lire  ou  penser, 
Las  de  tout,  même  de  ce  que  j'aime, 
Je  crie  au  ciel  :  «  Ayez  pitié  !  » 

Ayez  pitié  du  pauvre  malade, 
Enfant  d'un  siècle  fatigué; 
Pardonnez-lui,  le  temps  est  fade, 
On  ne  sait  plus  que  des  risées  ; 

J'ai  trop  tendu  mes  faibles  bras 
Vers  un  royaume  insaisissable, 
Pas  un  écho,  pas  une  voix, 
Pas  une  trace  sur  le  sable. 

Où  donc  partir  i  Où  donc  aller 
Pour  entrevoir  l'antique  étoile 
Au  ciel  encore  une  fois  briller 
Devant  nos  yeux  couverts  de  voiles  ? 

—    1=5    — 


Où  découvrir  les  certitudes  ? 
La  mer  submerge  les  rochers, 
Le  sable  encombre  les  vastitudes 
Où  toute  tour  s'est  écroulée. 

Et  dans  mes  songes  j'aperçois 
Un  catafalque  mortuaire 
Où  mon  pauvre  rêve  solitaire 
Est  enfermé  mort  de  froid. 


—   ib 


II 


Puisque  plus  rien  n'est  demeuré 
De  ce  qu'adoraient  nos  cœurs  moins  las, 
Ne  cherchons  pas  d'autres  clartés, 
D'autres  cloches,  ni  d'autres  glas. 

Ce  sera  l'éternel  ennui 

Tout  le  long  des  jours  monotones, 

Et  l'appel  du  masque  qui  rit 

En  prétendant  l'heure  encor  bonne. 

Nul  remède  à  nos  maladies  : 
La  douleur  fut  notre  nourrice 
Dès  que  nous  crûmes  aux  paradis 
Préparés  par  la  Béatrice. 

Le  temps  s'écoule,  le  temps  s'enfuit; 
C'est  le  même  soleil,  c'est  la  même  lune, 
La  même  aurore  et  la  même  nuit, 
Et  le  même  crêpe  à  notre  infortune. 

-   17   - 


III 


Oh  !  ces  orgues  de  barbarie 
En  hiver  le  long  des  rues 
Avec  les  faces  amaigries 
De  tous  les  souffrants  inconnus! 

Oh  !  ces  vieux  refrains  revenus 
On  ne  sait  pourquoi  parmi  la  vie, 
Choses  d'enfance  ressouvenues, 
Laides  et  belles  au  gré  de  la  vie. 

Oh!  ces  nerfs  qui  sont  tendus 
Tandis  que  les  airs  ne  sont  jamais  finis. 
Et  tournent,  rauques,  le  long  des  rues 
Comme  une  danse  de  mélancolies  ! 

Elle  tourne,  elle  tourne  la  manivelle, 
Et  fait  qu'on  pleure  et  fait  qu'on  rit... 
—  Valse  des  roses  pour  les  demoiselles 
Oh  !  ces  orgues  Je  barbarie  ! 

—    18  — 


IV 


Mélancolie!  Mélancolie  ! 
Ton  manteau  noir  est  ridicule, 
Nous  voudrions  une  autre  vie 
Loin  de  l'ombre  et  du  crépuscule. 

Mais  le  soleil  est  si  brutal, 
Les  rues  sont  si  pleines  de  bruit, 
Le  monde  est  devenu  si  banal  !... 
Cela  sera-t-il  bientôt  fini  ? 

L'avenir  s'éloigne,  le  passé  recule  ; 
Nous  attendons  sans  espérer 
Que  devant  nous  un  astre  brûle, 
Mais  l'astre  meurt  aussitôt  né. 

Et  c'est  l'horizon  immobile 
Où  pas  même  un  oiseau  ne  fuit 
Vers  les  mirages  inutiles 
Que  nous  créons  dans  l'infini. 


Ah  !  nos  génies  !  Ah  !  nos  génies  ! 
La  mer  fut  sombre  où  ils  voguèrent  ; 
Leurs  lauriers  d'or  se  sont  flétris, 
Des  voiles  de  brume  les  ont  recouverts. 

Sortir  ?  Sortir  ?  Mais  où  aller  ? 
Qui  comprendra  nos  désespoirs  ? 
Nous  n'avons  pas  de  bien-aimées 
Pour  faire  fleurir  d'autres  espoirs. 

La  vie  a  tué  l'amour  un  soir 
Qu'il  appela  nos  destinées 
Et  nous  laissa  dans  un  bois  noir 
Pleurer  nos  âmes  dédaignées. 

A  tous  les  vents  ses  flèches  jetées 

Se  sont  fichées  en  d'autres  terres  ; 

Son  carquois  sert  à  jouer  aux  dés  : 

A  qui  perd  gagne  I  —  On  gagne,  on  perd  ! 

—  20  — 


VI 


Ah  !  la  folie  !  Ah  !  la  folie  ! 
Entends-tu  dans  ton  cerveau, 
Don  Quichotte  d'infini, 
Tinter  son  hochet  à  grelots  ? 

Quand  sera-t-elle  enfin  finie 
La  farce  du  pauvre  univers  ? 
Qu'il  blasphème  ou  bien  qu'il  prie, 
Les  cieux  n'en  sont  pas  plus  ouverts. 

Tombez  !  Tombez  brouillards  et  pluies  ! 
Fermons  les  portes  de  nos  chambres, 
Et  dans  moi-même  tombez  aussi 
Averses  de  brumes,  chutes  de  cendres. 

Comme  le  vaisseau  démâté 
Qui  s'abandonne  à  la  tourmente, 
En  attendant  quelque  mort  lente 
Je  laisse  ma  vie  s'achever. 


VII 


La  chair  est  belle  quoiqu'ils  en  disent  ; 
Dénoue  tes  cheveux,  ne  parle  pas  ; 
Je  doute  de  tout,  mon  âme  est  grise, 
Ou  si  tu  parles,  parle  bas. 

Puisque  c'est  seul  qu'il  me  faut  vivre, 
Remplace  celle  qui  ne  vient  pas; 
Ta  chair  est  douce,  ta  chair  délivre... 
A  quand  l'amour  en  d'autres  bras  ? 

N'importe  !  Il  faut  aimer  ces  choses. 
Sais-tu  de  fortes  voluptés  ? 
Je  n'ai  que  faire  de  l'âme  des  roses 
Et  veux  un  monde  en  ton  baiser. 

Serre  bien  fort  ;  l'alcôve  est  sûre. 
Que  la  vie  gronde  loin  de  nous  ! 
Fais  ton  métier,  fille  d'aventure; 
La  nuit  est  bonne  à  mes  dégoûts. 


VIII 


Tout  est  si  terne,  tout  est  si  gris, 
Que  c'est  vers  toi,  toujours  encor 
Que  nous  revenons,  vendeuse  d'oubli, 
Consolatrice  avant  la  mort. 

Bien  que  ta  bouche  et  tes  yeux  mentent, 
Ne  sois  pas  pour  moi  sans  tendresse, 
Qu'à  travers  toi  je  voie  l'absente 
De  loin  sourire  à  ma  détresse. 

Mon  cœur  m'est  trop  lourd  à  garder, 
Je  te  sais  bonne  hospitalière  ; 
D'autres  déjà  te  l'ont  donné  ; 
Peut-être  suis-je  plus  sincère. 

Ensevelir  ma  vie  dans  les  plis  de  sa  robe 

Sans  rien  entendre  ni  rien  écouter 
Que  le  bruit  des  heures  qu'on  dérobe 
Au  néant  de  l'éternité  ! 


IX 


Regards  d'aurore,  sanglots  râles, 
Sueur  des  joues,  écume  des  lèvres, 
Et  lassitudes  désespérées 
Après  les  minutes  trop  brèves. 

Dormir  longtemps...  Ah!  toi  seul  donne 
Un  peu  d'ivresse,  prostituée, 
Je  ne  veux  plus  croire  à  la  madone 
Que  petit  enfant  j'ai  tant  priée. 

Laisse-moi  rêver  sur  ta  poitrine, 
Mets  tes  mains  fraîches  sur  mon  front  las, 
Donne-moi  l'oubli  des  formes  divines 
Et  des  chemins  bleus  où  butent  les  pas; 

Donne-moi  l'oubli,  car  rien  n'est  bon 
Qu'user  le  temps  auprès  de  toi, 
Perdu  dans  le  vide  sans  fond 
Où  plongent  ceux  qui  furent  des  rois. 


24 


X 


Rois  des  domaines  abolis 
Où  nulle  honte  n'enténèbre 
Les  âmes  fières  de  la  folie 
Où  se  détend  enfin  leur  fièvre. 

Les  âmes  fières  qui  se  lient, 
Parjle  malheur  de  leur  destin, 
Le  long  des  jours  où  pleure  ou  rit 
Le  Dieu  qui  sur  elles  pose  la  main. 

Le  long  des  jours  où  pleure  ou  rit 
La  voix  si  douce  du  refrain 
Dont  l'écho  jette  vers  leur  envie 
La  chanson  d'or  des  rêves  lointains. 

Que  la  mort  vienne  vite  après  ; 
Vidons  la  coupe  sans  la  lie... 
Rien  n'est  faux,  et  rien  n'est  vrai 
Que  ce  qui  berce  un  peu  la  vie. 


XI 


Vivre  entre  leurs  bras  infinis 
Sur  les  corps  tièdes  qu'on  enlace, 
Sans  s'inquiéter  si  c'est  la  nuit 
Ou  si  la  nuit  suit  le  jour  qui  passe. 

Vivre  et  mourir  tout  grisé  de  fleurs, 
Dans  des  parcs  aux  murailles  hautes, 
Sentant  les  âmes  qui  s'effleurent 
Sous  l'ardeur  des  haleines  chaudes. 

Eau  fraîche  jaillie  parmi  l'ombre  ! 
Suivre  le  flot  de  la  mer  qui  monte 
Toujours  plus  forte  et  s'y  confondre 
Sans  peur  des  gouffres  qu'on  affronte. 

Lorsque  la  nuit  suit  le  jour  qui  passe, 
Sans  s'inquiéter  si  c'est  la  nuit, 
Sur  les  corps  lassés  qu'on  enlace 
Croyant  étreindre  l'infini. 

—  26  — 


XII 


Mais  tout  est  vain,  ce  n'est  pas  l'oubli  ; 
L'image  est  là  qui  m'épouvante, 
Et  c'est  à  jamais  dans  ma  nuit 
La  face  d'aurore  de  l'absente. 

En  quel  pays  >  En  quel  pays  ? 

Par  quels  de'serts  et  par  quelles  sentes  ? 

N'éclaireras-tu  pas  ma  vie  ? 

Faut-il  encor  que  l'espoir  chante  r 

Trop  longue  et  lourde  fut  l'attente  ; 
Ne  serais-tu  qu'au  paradis  ? 
Ah  !  l'amour  faux  de  toutes  ces  passantes, 
Ombres  menteuses  de  ce  qu'on  envie  ! 

Et  songer  qu'on  devrait  voiler 
Sous  le  deuil  d'un  crêpe  éternel 
L'image  de  rêve  tant  espérée 
Pour  vivre  enfin  dans  un  peu  de  ciel  ! 


_  27  — 


MANDOLINES  A  LA   PASSANTE. 


Ton  amour  qui  s'approche  de  ma  route  aride 

S'en  vient  trop  tard  hélas  !  pour  que  je   m'y  abandonne, 

Et  les  vœux  oublie's  que  ton  sourire  couronne 

Sont  morts  depuis  longtemps  d'être  reste's  sans  guide. 

Il  y  a  trop  de  fleurs  cueillies  en  parfums  dans  le  vent 

Le  long  des  jours  et  le  long  des  anne'es, 

Toutes  à  jamais  effeuillées, 

Et  trop  d'autres  aussi  naissent  dans  le  printemps. 

A  quoi  bon  ?  A  quoi  bon  puisque  nul  n'est  heureux, 
Et  que  mes  lèvres  un  jour  devront  quitter  les  tiennes  ? 
Laissons  l'amour  chanter  tout  bas  son  humble  antienne 
Loin  de  nos  cœurs  défiants  à  la  fois  jeunes  et  vieux. 

Nous  n'aurons  point  ainsi  l'amertume  des  pleurs 
Ni  des  adieux  trop  longs  qu'attriste  encor  l'ennui  ; 
Et  nos  âmes  hélas  !  où  ne  se  reflète  que  la  nuit, 
S'écarteront  sans  regret  d'un  inutile  bonheur. 

—  3*  - 


n 


J'aurais  voulu  d'autres  chansons 
Pour  endormir  ton  âme  tendre, 
Mais  mon  cœur  est  un  amas  de  cendre 
Que  n'illuminent  nuls  tisons. 

J'aurais  voulu  d'autres  décors 
Et  des  jardins  plus  merveilleux. 
—  J'ai  perdu  la  clef  des  trésors 
Et  des  palais  miraculeux. 

J"aurais  voulu  tout  mon  passé 
D'âme  légère  et  sans  douleurs... 
Est-il  un  temps  pour  le  bonheur  ? 
Peut-on  revivre  moins  lassé  ? 

Ah  !  prends  mon  cœur  dans  tes  mains  douces  ! 

Songe  à  l'oiseau  partout  chassé 

Qui  cherche  un  nid  parmi  les  mousses 

Où  fuir  ceux-là  qui  l'ont  blessé. 

—  32  — 


III 


Je  sais  des  extases  sanglotantes 
Où  nos  deux  cœurs  s'énerveront 
Dans  l'extase  des  grands  frissons 
Prolongés  par  la  longue  attente. 

Je  sais  des  rythmes  et  des  sons 

Où  bercer  toute  rêverie 

Au  fond  de  vagues  nostalgies, 

Loin  des  regrets  dont  nous  souffrons. 

Je  sais  des  parcs  tout  de  féerie, 
Sans  porte  pour  les  étrangers; 
Nous  y  resterons  nous  aimer 
Dans  une  seule  et  même  vie. 


—  33 


IV 


Partout  dans  l'air  de  longs  crêpes  noirs 

Pour  on  ne  sait  quel  enterrement. 

Est-ce  pour  l'amour  ?  Est-ce  pour  l'espoir  ? 

—  On  dit  qu'il  y  a  des  cœurs  souffrants... 

Au  fond  des  tombes  aux  jaspes  noirs 

Te  retrouverai-je,  ô  apparue  ? 

Est-ce  de  l'amour  ?  Est-ce  de  l'espoir  ? 

—  On  dit  qu'il  y  a  des  âmes  nues... 

Ma  barque  s'égare  en  la  nuit  noire 

Sur  la  mer  forte  qui  nous  sépare. 

C'est  bien  l'amour  !  Ce  n'est  pas  l'espoir  ! 

—  On  dit  que  nos  cœurs  sont  deux  grands  phares. 

C'est  ma  chanson  qui  pleure  ce  soir. 

Te  reverrai-je,  ô  apparue  ? 

Hélas!  c'est  l'amour  ;  hélas  !  sans  l'espoir!... 

—  On  dit  que  nos  âmes  se  sont  perdues. 

—   34  — 


Tes  yeux  sont  grands, 
Ton  teint  est  pâle. 

—  Dis-moi,  enfant, 

Des  choses  nuageuses  comme  des  lueurs  d'opale. 

Tes  yeux  sont  grands, 
Tes  mains  sont  belles. 

—  Chante-moi  l'antan 
En  ritournelles. 

Tes  yeux  sont  grands, 
Ta  chair  est  lasse. 

—  Aime  tant  et  tant 
Que  le  temps  passe. 

Tes  yeux  sont  grands, 
Les  étoiles  loin. 

—  Écoute  le  vent., 

Et  jettes-y  tes  rires  et  tes  refrains. 

—  35  — 


VI 


La  lune  glisse  sous  les  bois 

Sa  pâleur  douce  et  opaline. 

Écoutes-tu  toutes  les  voix 

Monter  du  fond  de  toutes  les  ravines  ? 

Sois  silencieuse  ;  écoute!  écoute! 
Une  flûte  prélude  au  fond  du  bois. 
Je  rêve  de  formes  sur  la  route 
Faisant  revivre  l'autrefois. 

Entends-tu  tout  près  de  nous  rire 
Et,  te  regardant  sans  que  tu  le  voies, 
Cornes  au  front,  un  petit  satyre 
Chanter  la  vie  et  toutes  ses  joies  ? 

Oublierons-nous  que  l'heure  est  brève 
Et  que  l'aurore  feviendra  ? 
Les  fleurs  de  nuit  versent  un  rêve, 
Mais  le  soleil  les  refermera. 


-36 


vn 


Sois  le  passé 
Des  voluptés, 

La  Salomé 

De  mes  baisers, 

Dis-moi  l'amour 
Des  troubadours, 

Dans  la  folie 

Des  morts  inouïes, 

Les  mots  si  bas 
Qu'on  n'entend  pas, 

Et  les  ennuis 
Tous  évanouis; 

Dis-moi  les  fleurs 
Que  tu  effleures, 

Encor,  encor 

Vers  d'autres  bords, 

—  37   - 


Toujours,  toujours 
Vers  d'autres  tours, 

Là-bas,  là-bas 
Vers  le  trépas, 

Parmi  l'aurore 
Aux  gerbes  d'or, 

Parmi  les  jours 
Aux  silences  lourds, 

Parmi  les  nuits 
Aux  longs  minuits, 

Sois  la  voilée 
Des  mers  rêvées, 

Sois  le  passé 
Des  voluptés! 


-38- 


VIII 


La  nuit  s'oublie 

Avec  ma  vie 

Et  la  tienne  aussi... 

L'e'toile  voile 
Une  autre  étoile 
Et  d'autres  voiles... 

Le  nuage  nage 
Vers  les  grandes  plages 
D'un  très  vieil  âge... 

Je  voudrais  vivre 
Toujours  plus  ivre, 
Tu  me  délivres... 

L'eau  est  profonde 
Et  c'est  sous  l'onde 
La  terre  blonde... 

-  39  — 


Viens  dans  la  nuit, 
Viens  par  ici, 
Viens  où  l'on  prie. 

Pour  que  j'oublie 
Ma  pauvre  vie 
Et  la  tienne  aussi. 


—  40 


IX 


Nous  vivrons  la  vie  monotone  des  campagnes 
Dans  les  landes  où  tout  bruit  se  sera  tu  ; 
Ce  sera  là-bas  sur  la  terre  de  Bretagne 
Où  la  solitude  est  grave.  —  Veux-tu  ? 

Au  coin  des  routes  des  vierges  de  pierre 
Sourient  aux  voyageurs  fatigués, 
Pâles  et  tristes  sous  la  poussière 
Que  leurs  pas  lourds  ont  soulevée. 

Des  souvenirs  d'époque  morte 
Reculent  le  temps  d'aujourd'hui  ; 
C'est  là  qu'on  lit  sur  les  portes 
Des  devises  en  patois  du  pays. 

Nous  rêverons  aux  processions 
Et  dans  la  fraîcheur  des  chapelles 
Le  pèlerinage  du  bon  pardon 
Nous  apprendra  des  joies  nouvelles. 

—  41   — * 


Vie  de  rêve  et  de  paresse 

Dans  l'oubli  bleu  des  jours  anciens, 

Que  ta  caresse  et  ta  tendresse 

Comme  des  coups  d'ailes  chassent  au  loin. 


—  42  — 


X 


La  rivière  luit  dans  les  pre's 
Le  long  des  arbres  qui  s'y  mirent  : 
Écoute  là-bas  tous  nos  souvenirs 
Frémir  comme  la  brise  dans  la  feuille'e. 

Le  battement  clair  des  battoirs 
Sur  les  linges  alourdis  d'eau 
Rythme  les  chansons  douces  d'espoir 
Que  mon  cœur  tout  bas  dit  en  e'cho  ; 

Et  les  trilles  longs  des  oiseaux 
Mettent  un  son  de  flûte  claire 
Dans  l'hymne  qui  s'envole  là-haut 
A  travers  le  vague  de  l'air. 

Restons  longtemps  ici,  —  veux-tu  ?  — 
Jusqu'aux  derniers  vents  froids  d'hiver, 
Dans  le  plaisir  vrai  par  nous  élu 
Que  bercent  au  loin  les  lavandières  ? 

-  43  ~ 


XI 


La  neige  recouvre  la  plaine, 
Les  sentiers  nous  sont  défendus. 
Pourquoi  faut-il  qu'on  se  souvienne 
De  tous  les  bonheurs  disparus  ? 

Plus  de  ruisseaux  ni  de  fontaines  ! 
Nous  resterons  dans  le  manoir 
A  regarder  des  ombres  vaines 
Danser  sur  un  fond  rose  et  noir. 

Ombres  vaines  de  nos  joies 
Comme  de  pâles  tapisseries, 
Pourquoi  rechercher  l'autrefois 
Et  croire  qu'il  est  d'autres  vies  ? 

L'été  n'est  plus  qui  fut  si  beau, 
Les  fleurs  sont  fanées  qu'on  cueillit. 
Que  de  pétales  au  fil  de  l'eau  ! 
Que  de  tombes  dans  ma  vie  ! 

—   44  — 


Chante-moi  de  lentes  ballades 
Comme  on  en  sait  au  delà  du  Rhin, 
Et  berce  mon  cœur  de  malade 
Dans  un  songe  de  clavecin. 


—  45  — 


XII 


Notre  amour  était  de  ceux  qui  meurent 

Parce  qu'on  les  épuise  trop  vite  ; 

Nous  n'avons  pas  su  vivre  notre  bonheur. 

Nous  nous  sommes  beaucoup  trop  aimés 

Et  nous  n'avons  pas  su  nous  attendrir  ensuite  ; 

Tout  notre  avenir  est  déjà  fané. 

Mais  ton  souvenir  chaud  à  mon  cœur 
Fait  la  chambre  si  vide  et  triste 
Que  sans  courage  j'attends  et  pleure. 

Entendrai-je  encore  ta  voix  lassée 
Un  soir  ici  m'appeler  vite  ?... 
Mais  nous  nous  sommes  déjà  revus  et  nous  sommes  passés  ! 


—  46  — 


XIII 


Ton  image  encor 
Flotte  dans  la  chambre... 
Oh  !  ce  vent  de  novembre 
Qui  siffle  dehors  ! 

Reviendras-tu  pas 
Craintive  et  plus  tendre  ? 
Je  ne  peux  me  défendre 
Tout  seul  et  si  las. 

Les  voix  sont  si  tristes 
Qu'il  me  faut  entendre, 
Voix  d'un  passé  de  cendre 
Qui  pleure  et  s'attriste... 

Ton  image  encor 
Flotte  dans  la  chambre. 
Oh  !   le  vent  de  novembre 
Qui  siffle  dehors  ! 


—  47  _ 


XIIII 


Je  tresserai  nos  heures  en  couronnes 
Pour  en  fleurir  l'ombrage  des  années  ; 
Ce  seront  à  ton  mur  les  vieux  trophées 
Des  heures  passées  moins  monotones. 

Je  tresserai  nos  rêves  en  couronnes 
Pour  en  enguirlander  ton  cœur  désert  ; 
L'été  s'enfuit,  voici  venir  l'hiver, 
Entends- tu  déjà  la  faux  qui  moissonne  ,; 

Je  tresserai  nos  joies  en  couronnes 
Pour  en  couronner  notre  bonheur  mort 
Qui  dans  la  chambre  funèbre  où  tout  dort 
Dresse  un  cercueil  qu'aucune  rose  n'orne. 

Et  dans  ton  parc,  près  des  fleurs  effeuillées, 
Nous,  vieillards  heureux  de  ne  point  mourir, 
En  nous  jouant  le  jeu  du  souvenir, 
Jouerons  aux  grâces  avec  les  années. 

-  48  - 


RYTHMES  DANS  LA  NUIT 


C'est  la  douceur  du  crépuscule 

Aux' premiers  soirs  des  jours  d'été  ; 

A  l'horizon  décoloré 

Les  nuages  sont  comme  des  voiles  de  tulle. 

Le  même  rêve  abandonné 
Chantonne  un  refrain  nostalgique 
Dans  l'àme  pleine  de  musique 
Hantée  des  jours  qui  ne  sont  pas  nés. 

On  se  souvient  de  vieux  baisers, 
Et  l'on  regrette  un  peu  l'aimée  ; 
Mais  le  souvenir  de  ce  qui  n'a  pas  été 
Rend  l'âme  plus  douce  et  réservée. 

Ce  n'est  presque  pas  de  la  mélancolie  ; 
Cependant  malgré   toute  raillerie, 
Malgré  l'orgueil  d'être  enfin  fort, 
On  souhaiterait  souffrir  encore. 

—  51   — 


S'abandonner!  S'abandonner 
A  la  fraîcheur  du  soir  qui  monte, 
Puisque  rien  ne  sera  moissonné 
Après  les  luttes  qu'on  affronte  ! 

On  se  sent  vieux  d'avoir  quitté 
Toutes  celles-là  qui  nous  eussent  aimé, 
Et  rien  que  pour  une  tâche  folle... 
Et  les  yeux  vers  les  femmes  passées 
Dans  la  brume  comme  voilées 
On  espère  un  regard  qui  console. 

Mais  la  nuit  vient  et  puis  l'on  rentre, 
Tout  aussi  las,  tout  aussi  seul, 
Et  dans  le  vide  de  sa  petite  chambre 
On  fait  des  songes  de  linceul. 

A  quand  la  veille  sous  la  lampe 
Près  de  toi  qui  sommeillerais 
Avec  des  rêves  bleus  d'attente, 
,  Tandis  qu'en  ne  travaillant  plus  j'écouterais 
Tout  près  de  moi  battre  ton  cœur  ?.. 
On  voudrait  tant  un  peu  de  bonheur! 


52  — 


II 


C'est  la  douleur  des  chansons  mortes 
Où  soupire  un  air  de  tristesse 
Que  l'écho  lourdement  apporte 
Vers  nous  et  dont  il  nous  caresse. 

C'est  la  douceur  des  soirs  lassés 
Où  sur  la  mer  les  voiles  tombent 
Sans  brise  même  pour  gonfler 
Les  voiles  blanches  qui  tombent. 

C'est  la  lenteur  du  vol  des  mouettes, 
Coup  d'aile  encor  pour  arriver 
Jusqu'à  la  côte  où  l'on  s'arrête 
De  courses  longues  fatigué. 

C'est  la  pâleur  du  ciel  bleuté 
Où  les  nuages  blancs  s'effilent, 
Vagues  archipels  essaimes 
Dans  des  horizons  tranquilles. 

—  53  — 


Et  c'est  la  peur  des  lendemains 

Où  le  soleil  va  revenir, 

Et  la  vie  et  ses  actes  vains... 

Ton  cœur  est  trop  las  pour  mourir. 


—  54 


III 


C'est  à  nouveau  le  refrain  des  souvenirs 
Montant  d'on  ne  sait  où  vers  on  ne  sait  où  non  plus, 
Voix,  lente  et  lourde  de  soupirs 
Que  l'e'cho  porte  et  atténue. 

L'oiseau  parti  n'est  pas  revenu 
Siffler  joyeux  à  la  fenêtre 
Et  de  son  vol  dans  l'inconnu 
Montrer  Tailleurs  où  l'on  peut  renaître. 

Dans  les  ruines  nous  n'irons  plus 
Cueillir  des  roses  entre  les  tombes  ; 
Nos  cœurs  sont  las  d'avoir  battu 
Vers  des  néants  et  vers  des  ombres. 

Mais  les  passés  de  gloire  splendide 
Comme  les  mirages  des  firmaments 
N'ont  plus  de  prestige  et  ce  n'est  que  le  vide 
Du  vaste  ennui  dont  on  se  défend. 

—  55  — 


Ah  !  si  la  vie  avait  voulu... 
Mais  en  moi-même  j'entends  encor 
Tous  les  sanglots  trop  longtemps  tus 
Heurter  leur  chute  en  rythmes  d'or. 


56  - 


IV 


Mon  cœur  est  un  parc  d'autrefois 
Plein  des  débris  de  mon  bonheur; 
On  y  entend  d'étranges  voix 
Chanter  la  tristesse  des  heures. 

Des  jets  d'eau  montent  et  retombent 
En  gouttes  d'eau  comme  des  pleurs; 
Sur  des  berceaux  ou  sur  des  tombes, 
Que  pleurent-ils  et  quels  malheurs? 

La  mousse  recouvre  les  marbres 
Dont  les  faces  ne  sourient  plus; 
Le  lierre  cache  sur  les  arbres 
Les  traces  des  serments  élus. 

Et  là-bas  le  palais  en  ruine 
Dresse  sa  splendeur  désertée 
Vers  où  quand  même  s'achemine 
Un  essaim  d'ombres  oubliées. 


>/ 


Oh  !  la  chute  des  feuilles  mortes 
Sur  les  vastes  lacs  immobiles?... 
Que  n'est-il  un  flot  qui  m'emporte 
Vers  d'autres  parcs  et  d'autres  îles  ! 


5S  - 


Oh  !  les  sanglots 
A  la  dérive... 

Réel  brutal 

Qui  nous  avale 

Dans  sa  bouche  ivre... 

Quels  coups  de  fouets 
Du  sort  mauvais 
Parmi  la  vie  ! 

Être  un  héros 
Bravant  très  haut 
L'horreur  de  vivre  ? 

Oh  !  les  sanglots 
A  la  dérive... 


59 


VI 


Encor  des  larmes  de  malheur! 
Ah  t  ce  dégoût  d'attendre  encor! 
Encor  des  larmes  et  des  douleurs  ! 
Encor  fcuj  cœur  qui  saigne  et  pleure  ! 

Encor  des  rêves  dans  des  barques  d'or  ! 
Ah  !  ces  espoirs  sans  nulle  ardeur 
Du  fond  de  l'ombre  où  l'on  s'endort 
Loin  des  efforts  et  près  de  la  mort  ! 

Encor  !  Encor  ma  pauvre  sœur  ! 
Ah  !  quel  silence  au  loin  dehors  ! 
Pas  même  d'e'cho  consolateur! 
Rien  que  le  rythme  berceur  de  l'heure. 

Encor  !  Encor  ma  lèvre  t'implore! 

Ah!  les  caresses  et  leur  douceur! 

Nos  deux  petites  âmes  chercheuses  d'aurore 

S'effleurent,  s'étreignent  encor,  encor... 

—  60  — 


VII 


La  lune  presque  d'or 
Dans  le  ciel  clair  encor 
Arrondit  sa  corne. 

O  voyageur  si  las  et  morne 
Brave  le  vent  qui  te  flagorne 
Et  berce  un  peu  ta  pauvre  vie. 

Au  loin  regarde,  tout  s'endort; 
Les  voiles  tendent  vers  le  port... 
Ce  sera  de  la  mélancolie. 

Le  sable  est  si  doux  sous  l'étreinte 
De  celles-là  qui  sont  sans  plainte 
Lorsque  notre  amour  les  oublie. 

Et  si  fraîche  et  bonne  est  la  nuit 
Pour  endormir  sous  la  lune  d'or 
Le  rêve  que  tu  veux  encor. 

—  61  — 


VIII 


Comme  des  barques  sur  la  mer 
Mes  espérances  sont  allées 
Vers  des  infinis  d'outre-mer 
Par  delà  les  terres  rêvées. 

Comme  des  barques  dans  l'aurore 
Matinales  et  pavoisées 
Sur  les  vagues  qu'un  soleil  dore, 
Elles  crurent  aux  traversées. 

Comme  des  barques  dans  la  nuit 
Elles  errèrent  incertaines, 
Regrettant  déjà  d'avoir  fui 
La  rade  pour  des  côtes  vaines. 

Comme  des  barques  dans  l'orage 
Loin  des  refuges  espérés, 
Elles  luttèrent  de  courage... 
La  plupart  furent  submergées. 

—  62  — 


Comme  des  barques  dans  le  port, 
Les  quelques-unes  retrouvées, 
Craintives  d'aller  vers  la  mort, 
Attendent,  voiles  repliées. 


^63  - 


IX 


Au  pont  chancelant  de  la  rivière 
Des  spectres  pâles  sont  passés. 
Regarde-les  !  regarde-les  ! 
La  plaine  est  grise  et  c'est  l'hiver. 

Ils  ont  fixé  l'onde  et  la  nuit 
En  élevant  leurs  bras  tendus, 
Puis  silencieux  ils  sont  partis  — 
N'espère  plus  !  N'espère  plus  ! 

Ils  s'en  sont  allés  lentement 
A  travers  l'étendue  glacée 
Comme  vers  un  enterrement 
Dont  le  catafalque  serait  caché  ! 

Regarde-les  !   Regarde-les  ! 
La  plaine  est  blanche  à  l'horizon  : 
La  neige  tombe  à  gros  flocons  ; 
Les  spectres  pâles  sont  pressés. 

-  64- 


—  Mais  tout  devint  si  blanc,  si  blanc 
Qu'ils  disparurent  évanouis.  — 
Ne  regarde  plus,  mon  pauvre  enfant, 
Tes  rêves  perdus  dans  la  nuit. 


-65   _ 


X 


Mes  vieux  amours  comme  en  un  bal 
Tournent  au  rythme  des  violons 
Et  c'est  au  travers  de  la  salle 
Un  refrain  de  vieilles  chansons. 

Ils  tournent  lents  en  couples  pâles 
Avec  des  airs  désespérés, 
Et  leurs  bouches  sentimentales 
Echangent  des  aveux  glacés. 

Les  veux  regardent  étonnés 
D'anciens  bouquets  dans  les  corsages 
De  celles  qui  furent  aimées 
Pour  leur  sourire  et  pour  leur  âge. 

Rien  n'est  donc  plus  de  ta  folie 
O  voyageur  si  morne  et  las  ? 
Neuve  encore  et  belle  est  la  vie 
Et  même  si  tu  n'y  crois  pas. 

—  66  — 


Mais  à  quoi  bon,  puisque  tout  sombre  ! 
Bien  que  d'autres  veuillent  danser, 
J'aime  mieux  ne  rien  tenter, 
Toute  femme  n'étant  qu'une  ombre.  . 

Mes  vieux  amours  comme  en  un  bal 
Tournent  au  rythme  des  violons, 
Et  c'est  au  travers  de  la  salle 
Un  refrain  de  vieilles  chansons. 


67 


XI 


J'écoute  en  moi  des  chœurs  de  rêveuses 
Glorifier  l'au-delà  promis 
Que  cherchent  les  nefs  aventureuses 
Errant  sur  le  bleu  des  flots  éblouis. 

Oh!  leurs  chansons  vagues  d'amoureuses 
Vers  celui-là  qu'elles  ont  voulu 
Et  qu'elles  implorent,  chuchotteuses, 
Dans  l'ombre  d'où  nul  n'est  revenu  ! 

J'écoute  en  moi  des  chœurs  de  tisseuses 

Tisser  le  fil  de  tapisseries 

Où  vit  un  récit  d'âmes  heureuses 

A  travers  les  campagnes  fleuries. 

Oh  !  ces  chansons  douces  des  fileuses 
Qui  sous  l'ombrage  des  avenues 
Se  bercent  de  plaintes  dorloteuses 
En  revivant  les  choses  vécues  ! 

—  68  — 


J'écoute  en  moi  des  chœurs  de  pleureuses 
Dire  les  tristesses  trop  connues 
Qui  dans  les  âmes  trop  langoureuses 
Font  souvenir  des  joies  perdues. 

Oh!  leurs  chansons  lentes  et  berceuses 
Vers  d'autres  cieux  et  d'autres  pays 
Aux  brumes  de  gazes  vaporeuses 
Créatrices  de  rêves  inouïs  I 

J'écoute  en  moi  les  chœurs  se  taire, 
Toutes  ne  sont  plus  que  dormeuses, 
Et  dans  les  ombres  ténébreuses 
C'est  mon  cœur  qui  se  désespère. 


XII 


A  certains  soirs  de  lassitude, 
Toutes  les  douleurs  de  loin  moins  rudes 
Chantent  en  nous  d'une  voix  lointaine, 
Et,  par  les  prés  de  nos  rêveries, 
Toutes  les  anciennes  joies  flétries 
Errent  en  ombres  incertaines. 

Comme  quelquefois  les  mendiantes  visiteuses 

Qui  frappent  aux  portes  des  villages 

Et  s'assoient  tremblantes  au  foyer 

Avec  des  contes  d'un  autre  âge, 

Elles  frappent  aux  chambres  silencieuses 

Dont  nous  avions  perdu  les  clefs. 

Elles  nous  montrent  des  sites  de  nous-mêmes 

Où  nous  n'avions  jamais  été; 

Leur  tristesse  est  alors  si  douce  qu'on  l'aime 

Et  leurs  larmes  sur  nos  vœux  lassés 

Y  sont  des  gouttes  de  rosée 

Comme  en  un  matin  de  campagne  sur  les  prés. 


Et  puis  c'est  la  nuit.  Une  à  une  elles  disparaissent 

Et  leur  départ  lent  en  nous  laisse 

La  volupté  du  regret  et  de  la  mélancolie. 

Et  puis  le  lendemain  ce  sont  les  mêmes  luttes  ; 

On  oublie  les  obstacles,  on  oublie  les  chutes  ; 

Et  c'est  Tabandon  encore  à  la  vie. 


—  71  — 


XIII 


Un  peu  de  ma  vie 

Reste  sur  toutes  les  routes  — 

Ah  !  que  de  déroutes 

Le  long  de  ma  vie  ! 

Un  peu  de  mon  sang 
Saigne  sur  tous  les  chemins  — 
Ah  1  que  de  chagrins 
Malgré  les  printemps  ! 

Un  peu  de  mon  cœur 
Sanglote  à  toute  halte.  — 
Qu'on  dresse  une  tombe  de  basalte 
Pour  y  enterrer  mon  bonheur  ! 


—   /■ 


XIV 


Dans  le  soir  vaporeux 

L'essaim  des  heures  bleues 

Tourne  en  formes  d'ombre  sous  la  ramée. 

Le  souvenir  des  voix  aimées 

Chuchotte  à  travers  les  feuilles 

Des  musiques  vagues  presque  de  deuil. 

Où  sont-elles  toutes  allées  ? 

Vers  quelles  aumônes  de  baisers 

Pour  l'apaisement  de  l'éternelle  fièvre  >... 

Mais  les  lèvres  sur  d'autres  lèvres 
Nous  essayons  d'autres  heures  bleues 
Dans  le  soir  encore  vaporeux. 


—  73  — 


XV 


A  travers  la  brume  du  soir 
Le  cortège  des  rêves  morts 
Emmène  mon  vieux  désespoir. 

La  plaine  sous  la  neige  est  blanche 

Et  les  grands  arbres  comme  morts 

Dans  les  lointains  dressent  leurs  branches. 

L'heure  est  si  douce  qu'on  oublie, 

— Pourquoi  pleurer  ou  rire  encore  ?  — 

Si  c'est  la  mort  ou  bien  la  vie. 

O  voyageur  plus  vague  et  blême 
Que  cette  brume  où  tu  t'endors, 
Si  lassé  même  de  toi-même, 

Il  est  des  cieux  et  d'autres  soirs 
A  l'orient  d'autres  décors.  — 
Écoute,  écoute  ton  espoir  I 

—  74  - 


XVI 


La  route  est  blanche  dans  la  nuit 
Sous  la  lune  qui  l'éclairé  — 
O  pauvre  âme  d'où  tout  a  fui, 
Espère  !  Espère  ! 

La  route  est  blanche  dans  la  nuit 
Teintée  de  vagues  lueurs  stellaires  ; 
L'azur  sera  sans  nuage  aujourd'hui, 
Espère  !  Espère  ! 

La  route  est  blanche  dans  la  nuit, 
L'ombre  s'est  faite  éphémère  — 
O  pauvre  âme  qui  pleure  et  rit, 
Espère  !  Espère  ! 


—  75  — 


xvn 


O  bonne  nuit, 

O  bonne  lune, 
Toutes  deux  sur  mon  infortune 
Faites  tomber  le  bon  oubli  ! 

Je  suis  le  pauvre  du  logis 

Que  dans  mon  cœur  l'amour  bâtit. 

J'ai  vu  danser  toutes  les  danses 
De  toutes  celles  qu'on  encense. 

J'ai  roulé  dans  de  nombreux  bouges, 
Et  défait  bien  des  robes  rouges. 

J'ai  payé  sur  des  tas  de  comptoirs 
Les  vins  que  je  venais  de  boire. 

Et  j'ai  teté  tous  les  cigares  I 
Et  j'ai  couru  toutes  les  gares  ! 

_76  - 


Mais  bien  que  j'aie  peur  qu'on  sourie, 
Bien  que  je  doive  être  réjoui, 

Je  suis  le  pauvre  du  logis 

Que  dans  mon  cœur  l'amour  bâtit. 

O  bonne  nuit, 

O  bonne  lune, 
Toutes  deux  sur  mon  infortune 
Faites  tomber  le  bon  oubli. 


-  77  — 


XVIII 


Le  long  des  routes  du  hasard 

Que  de  destins  se  sont  liés  ! 

Que  de  passants  morts  d'avoir  aimé  ! 

Que  de  passants  las  d'être  venus  trop  tard  ! 

Les  uns  ont  ri,  les  autres  ont  chanté, 
Mais  tous  sont  partis  mêmement  ; 
Le  mensonge  succède  au  serment, 
L'avenir  efface  le  passé. 

Que  de  caresses,  que  de  tendresses 
Partout  où  mon  cœur  a  glané  1 
Et  malgré  son  vœu  de  ne  pas  pleurer, 
Pour  quelques  joies,  que  de  tristesses  ! 

De  tout  cela  rien  n'est  resté, 
Et  le  souvenir  n'est  qu'un  crépuscule  ; 
Les  châteaux  d'or  que  le  soir  annule 
Croulent  à  l'horizon  refoulé. 

-78- 


Cependant  sous  cette  nuit  qui  tombe 
Je  revois  les  fantômes  d'oublie'es, 
Et,  surpris  près  de  tant  qui  furent  aimées, 
J'écoute  leurs  voix  là-bas,  dans  l'ombre. 

Sont-elles  mortes  de  volupté 
Dans  leurs  printemps  insoucieux, 
Ou  promènent-elles  des  souvenirs  vieux 
A  travers  des  misères  fardées  ?... 

Le  long  des  routes  où  ils  venaient  trop  tard, 
Que  de  rêves  j'aurai  bercés, 
Morts  d'avoir  été  trop  cherchés 
Dans  des  étreintes  de  hasard  ! 


—  79  — 


XIX 


Les  jours  sont  longs,  mais  l'heure  est  brève. 
De  tous  les  destins  qu'on  achève 
En  est-il  un  qui  soit  bien  nôtre  ? 
Tout  notre  espoir  en  vain  se  lève, 
La  houle  n'est  plus  qui  nous  enlève 
Vers  l'autre  monde  où  vivre  apôtre... 

Qu'as-tu  fait,  qu'as -tu  fait  de  ton  rêve  ? 

Des  vieux  amours  nul  n'est  sans  blâme, 
Et  nous  avons  souri  aux  femmes 
Alors  que  nous  voulions  pleurer  ; 
Rien  n'a  vécu  de  l'e'pithalame, 
Et  nous  sommes  reste's  sans  dictame 
Avec  nos  fleurs  toutes  effeuillées... 

Qu'as-tu  fait,  qu'as-tu  fait  de  ton  âme  ? 
—  80  — 


Dans  l'ombre  douce  de  la  nuit 

C'est  la  fuite  des  jours  enfuis 

Vers  quelle  autre  ombre  ou  quelle  lumière  ? 

Le  même  deuil  les  ensevelit; 

Ils  sont  morts  d'être  sous  un  ciel  gris 

Loin  des  extases  printanières... 

Qu'as-tu  fait,  qu'as-tu  fait  de  ta  vie  ? 


—  81  — 


XX 


La  faux  vole  dans  la  plaine  ; 
Souvenons-nous  de  l'autrefois  ; 
Les  voix  sont  devenues  si  lointaines 
Que  rien  ne  s'entend  au  fond  du  bois. 

Souvenons-nous  de  l'autrefois; 
Les  bouches  d'antan  sont  sans  haleines  ; 
Les  blés  coupés  ne  repousseront  pas  ; 
Nous  serons  seuls  avec  nos  peines. 

La  faux  vole  et  fauche  dans  la  plaine  ; 
Faut-il  écouter  l'autrefois? 
Ce  qui  n'est  plus  est  chose  vaine, 
Le  regret  masque  d'autres  joies. 

La  nuit  tombe  souveraine  ; 

Que  l'oubli  tombe  en  nos  cœurs  las  ! 

Souvenons-nous  de  l'autrefois, 

Mais  que  nos  âmes  demeurent  sereines. 

—  82  — 


XXI 


C'est  le  silence  et  c'est  la  lune... 
Une  angoisse  flotte,  on  ne  sait  d'où, 
Des  nuages  viennent  on  ne  sait  d'où, 
Des  gouttes  d'eau  tombent  une  à  une 
D'ici,  de  là,  de  n'importe  où... 
C'est  le  silence  et  c'est  la  lune. 

Pleut-il  ainsi  des  pleurs  partout  ? 
Lèvent  frissonne  bien  lentement 
Et  chuchotte  des  choses  étranges  ; 
Est-ce  mon  passé  qui  pleure  dans  le  vent 
Sous  le  regard  des  mauvais  anges  ? 

Comme  il  est  pâle  le  sable  des  dunes  ! 
Comme  ils  sont  loin  les  phares  des  côtes  ! 
Comme  la  mer  est  forte  et  haute  ! 

Pleurs  oubliés  et  voix  étranges 
Dans  le  silence  et  sous  la  lune. 


—  8*  — 


XXII 


Comme  elle  est  lente  l'heure  qui  sonne 
Au  vieux  cartel  de  mon  logis, 
L'heure  qui  passe  et  qui  résonne 
En  un  glas  triste  de  minuit! 

Comme  le  vent  pleure  et  frissonne 
Promenant  mon  âme  avec  lui 
Aux  champs  où  ne  va  plus  personne, 
Où  agonise  le  dernier  bruit  ! 

Comme  elle  tremble  l'âme  et  s'e'tonne 
D'être  emportée  si  loin  d'ici, 
Ne  sentant  plus  qu'elle  était  morne 
Et  quelquefois  joyeuse  aussi  ! 

L'heure  est  passée,  l'heure  qui  sonne 
Au  vieux  cartel  de  mon  losis. 


84 


XXIII 


Sous  la  lampe  j'ai  pleuré  ; 
Combien  de  nuits  ?  —  Je  ne  sais  plus  ; 
Las  des  livres,  sur  le  papier, 
Avec  mon  cœur,  oh  !  j'ai  pleuré 
Tant  et  tant  que  je  ne  sais  plus. 

Toutes  les  larmes  écoulées 
Sur  les  rieurs  perdues  ou  fanées 
Et  les  espoirs  qui  ne  viennent  plus 
Avec  leurs  rires  et  leurs  gaietés, 
Sur  les  espoirs  qui  se  sont  tus, 
Oiseaux  bleus  qui  furent  tués 

A  coups  de  flèches  sous  la  ramée 
Par  les  passants  durs  et  bourrus 
Dont  la  course  méchante  est  passée 
Et  ne  reviendra  plus 
Tirer  des  flèches  sur  mes  pensées... 

Sous  la  lampe,   j'ai  pleuré  ; 
Combien  de  nuits  ?  —  Je  ne  sais  plus. 

-85    - 


XXIV 


Passage  le  long  des  routes 

De  faces  de  joie  ou  de  tristesse  ; 

Robes  claires  en  de'route, 

Robes  sombres  que  rien  ne  presse. 

Les  unes  sourient,  les  autres  pleurent; 
Quelques-unes  parlent  des  lendemains; 
Celle  qui  danse  montre  mon  cœur 
Passer  dans  l'une  et  l'autre  main. 

«  Ote  mon  voile  »,  me  dit-elle  ; 
La  lune  éclaire  des  cheveux  blancs. 
«  Ne  t'attarde  pas,  je  ne  suis  plus  belle, 
Tu  viens  trop  tard,  il  n'est  plus  temps.  » 

Ah  !  que  de  lèvres  chuchotteuses 
Tout  autour  de  mon  destin, 
Lèvres  flétries  et  douloureuses 
Où  le  malheur  a  mis  la  main. 

—  86  - 


XXV 

a  Jacques  E.  Blanche. 

Vers  le  bord  de  l'étang  où  miroite  la  lune, 

Toutes  trois  elles  s'en  sont  allées, 

Ombres  très  lasses,  une  à  une, 

Tristes  de  leurs  désirs,  tristes  de  leurs  pensées. 

Leur  course  est  lente  et  vaguement  ondule 
Dans  la  blancheur  des  robes  plissées, 
Ombres  légères  sous  la  lune 
Des  bonheurs  enfuis,  des  bonheurs  rêvés. 

Leur  face  est  pâle,  elles  ont  pleuré  ! 
Et  les  voici  réunies  une  à  une, 
Amours  enfuis,  amours  rêvés  — 

La  nuit  est  bleue,  elles  sont  passées  ! 

Mais  dans  mon  âme  pleine  de  passé 
Où  vit  encore  ce  qui  n'est  plus, 
Leurs  ombres  blanches  jettent  la  pureté 
Des  premiers  rêves  non  disparus  — 

La  nuit  est  bleue,  elles  sont  restées  ! 

-   87  - 


XXVI 


Ce  sont  les  ombres 
Le  long  du  flux. 
La  nuit  est  sombre, 
Écoutes-tu  ? 

Ecoutes-tu 

Les  cris  sans  nombre 

De  ceux  qui  sombrent 

Sous  le  reflux  ? 

Ce  sont  les  phares 
Dans  la  brume. 
Qui  donc  si  tard 
Monte  et  allume  ? 

Hélas  !  Le  flot 
Porte  un  débris. 
Holà  !  Là-haut, 
Vers  qui  ces  cris  ? 


Vers  qui  ces  cris 
Sans  nul  écho  ? 
Où  la  vigie 
Qu'on  dit  là-haut  ? 

Ce  sont  les  ombres 
Le  long  du  flux. 
La  nuit  est  sombre, 
N'e'coute  plus. 


89  — 


xxvn 


Et  toi,  bienfaitrice  des  oubliés, 
Qui  luis  toujours  par  nos  fenêtres 
Avec  ton  calme  nous  tenter, 
Ou  nous  railler,  peut-être, 

Bonne  déesse  des  affligés 
Qui  sais  verser  des  songes  aux  fenêtres, 
Vaguement  venus  sur  tes  clartés, 
Vrais  ou  faux,  vrais,  peut-être, 

Vieille  Tanit  des  temps  passés, 
Passe  toujours  par  nos  fenêtres, 
Emporte-nous  comme  exilés 
Rêveurs  ou  non,  morts,  peut-être, 

O  chère  amante  des  oubliés  ! 


—  90  — 


XXVIII 


Les  rêves  oubliés,  là-bas, 

Dans  les  pays  d'où  l'on  ne  revient  pas 

Jettent  leur  ombre  encore  ici, 

Mais  l'ombre  est  trop  noire  de  la  nuit 

Pour  qu'on  les  aperçoive  encore... 

Il  n'est  plus  rien  sous  la  lune  d'or. 

Les  femmes  aimées  jadis, 
Vaines  ombres  mortes  aujourd'hui, 
Reviennent  murmurer  leurs  caresses, 
Mais  le  temps  est  trop  loin  maintenant 
Où  nous  nous  nommions  leurs  amants. 
Nous  avons  épuisé  nos  tendresses. 

Les  orgueils  casqués  d'ailes  au  vent 
Ont  reployé  leur  envergure  ; 
Ils  sont  morts  de  la  vieille  aventure 
Qui  sut  vaincre  leurs  airs  arrogants; 
Ils  sont  morts  d'avoir  été  trop  forts... 
Il  n'est  plus  rien  sous  la  lune  d'or. 

—  91   — 


XXIX 


Nous  avons  trop  pleuré  sur  la  misère  humaine, 
Et  nous  ne  savons  plus  aimer  l'heure  qui  fuit; 
Nos  rêves  sont  partis  sur  des  mers  trop  lointaines, 
Et  nous  ne  savons  plus  les  suivre  dans  la  nuit. 

Nos  cœurs  ont  trop  battu  vers  une  ombre  infidèle, 
Et  nous  ne  savons  plus  aimer  comme  il  faudrait  ; 
Le  ciel  vers  où  jadis  vibra  notre  coup  d'aile 
Demeure  inaccessible  à  nos  mains  à  jamais. 

Nos  vœux  ont  trop  voulu  ce  dont  ils  devaient  rire, 

Et  nous  n'avons  pas  su  rester  au-dessus  d'eux 

Dans  la  sérénité  que  nous,  devions  élire 

Pour  tenter  comme  autrui  quelque  essai  d'être  heureux. 

Nous  avons  trop  aimé  la  tristesse  et  nos  pleurs, 
Et  nous  ne  savons  plus  que  la  mélancolie  ; 
Le  regret  est  trop  doux  qui  chante  nos  malheurs, 
Et  nous  ne  savons  plus  vivre  selon  la  vie. 

—  92  — 


XXX 


Dans  les  forêts  abandonnées, 
Le  long  des  routes  de'sertées,     . 
J'écoute  les  voix  de  l'automne 
Chanter  des  airs  lourds  de  sanglots 
Qui  dans  le  lointain  monotone 
Éveillent  les  anciens  échos. 

La  brise,  à  travers  l'air  atone 
Et  les  feuilles  qu'elle  moissonne 
En  tas  jetées  près  des  portes, 
Mêle  aux  sanglots  ses  plaintes  lentes 
Selon  le  hasard  qui  l'apporte 
Les  murmurer  au  gré  des  sentes. 

Oh  !  les  soupirs  des  choses  mortes 

Où  la  vie  traîne  l'escorte 

De  tous  les  restes  d'autrefois 

Qu'enguirlande  le  souvenir 

De  l'heure  heureuse  où  sous  ton  toit 

Nous  ne  vivions  qu'en  un  sourire  ! 

—  93  - 


Et  c'est  ton  image  de  joie 
Si  bonne  encor  à  mon  cœur  froid 
Qui,  paresseux  sans  un  souhait, 
Loin  des  rayons  du  vieux  soleil, 
Cherche  à  perdre  tout  son  regret 
Dans  le  néant  d'un  vain  sommeil. 


—  94 


CHANSONS  LE  LONG  DE  LA  ROUTE 


LEGENDE 


Ils  s'étaient  aimés  toub  les  deux 
Sans  croire  leur  amour  sincère 
Parce  qu'ils  le  voulaient  trop  bleu. 

Un  soir  d'automne,  ils  se  quittèrent 
Avec  des  sanglots  longs  d'adieu.  — 
La  vie  est  pleine  de  misère. 

Vers  d'autres  routes  tous  les  deux 
Pour  s'oublier  ils  s'en  allèrent.  — 
Ce  fut  toujours  le  même  vœu. 

Après  l'automne,  un  soir  d'hiver, 

Ils  eurent  de  nouveaux  aveux, 

Et  leurs  promesses  recommencèrent. 

Hélas  !  il  la  crut  mensongère, 
Et  elle  le  crut  oublieux.  — 
Tout  ici-bas  est  éphémère. 

—  97  — 


Alors  un  soir  où  tous  les  deux 
Étaient  allés  jusqu'à  la  mer, 
Elle  s'offrit  à  l'onde  bleue. 

Depuis,  près  des  rocs  caverneux. 
On  entend  passer  des  prières 
Dans  le  vent  des  soirs  orageux. 


98- 


L  OFFRANDE 


Veux-tu  mon  cœur  pour  tes  mains  douces  ? 

Je  veux,  des  repos  sur  les  mousses 

Au  fond  des  bois  de  solitude. 

Je  suis  lasse'  de  ma  tristesse; 

La  vie  est  courte,  la  vie  est  rude, 

Enveloppe  ma  tète  dans  tes  tresses. 

—  Je  ne  connais  plus  les  vieilles  tendresses; 
La  vie  a  pris  mon  pauvre  cœur 

Un  soir  que  j'avais  eu  trop  de  pleurs. 

Veux-tu  l'amour  que  tu  ne  sais  plus? 
Je  sais  la  prière  éperdue 
Qui  peut  te  rendre  ta  jeunesse  ; 
Le  printemps  mort  n'est  qu'en  allé, 
Nous  aurons  de  divines  paresses 
Sous  les  clairs  de  lune  étoile's. 

—  A  quoi  bon  vouloir  le  passé  ? 
Parle  plus  vite  et  comprends-moi  : 
Je  ne  suis  pas  celle  d'autrefois. 

—  99  — 


Veux-tu  des  bagues,  des  bracelets  ? 
J'ai  des  coffres  dans  mon  palais 
Pleins  de  perles  et  de  colliers, 
J'ai  des  étoffes  lourdes  de  joyaux  ; 
Marchande  d'amour  sans  pitié, 
Ne  pleurons  pas  de  vains  tombeaux. 

—  Pourquoi  n'avoir  parlé  plus  tôt  ? 
Je  ne  comprends  pas  les  mots  d'amant, 
Le  mien  est  mort  il  y  a  trop  longtemps. 

Roule  l'amour  mort  dans  ton  manteau  ! 

Loin  de  l'abri  de  mon  château 

Où  son  image  seule  est  restée, 

Elle  ausssi,  loin,  s'en  est  allée... 

Sois-moi  comme  elle  :  avec  ton  corps, avec  la  nuit 

Ce  sera  peut-être  un  peu  d'oubli. 


ioo  — 


RONDE 


Les  feuilles  nouvelles  dans  la  brise 
Tremblent  aux  branches  rafraîchies, 
Les  oiseaux  chantent  dans  les  prairies 
Ils  se  sont  vus,  ils  se  sont  ri  ; 
Leurs  voix  ont  vibré  dans  la  brise. 

La  fuite  des  tristesses  anciennes 
Dit  son  adieu  dans  leur  antienne. 

Le  soir  est  doux,  l'heure  rêveuse; 
La  lune  glisse  un  rayon  doux 
Dans  la  chambre  du  rendez-vous  — 
Des  baisers  suivent  un  froufrou  ; 
L'amour  étend  les  heures  rêveuses. 

Tout  le  printemps  les  a  bercés, 
Tout  le  printemps  et  tout  l'été. 

—   101   — 


Les  feuilles  mortes  dans  le  vent 
Tombent  des  branches  dénudées 
Dans  la  forêt  abandonnée  — 
lisse  sont  bien  longtemps  aimés, 
Mais  leurs  voix  pleurent  dans  le  vent. 

Tout  est  fané,  n'est-ce  pas  l'automne  ? 
Tout  décor  s'est  fait  monotone. 

L'aurore  filtre  une  lueur  grise 
Dans  l'ombre  vague  de  la  nuit 
D'où  toute  étoile  est  évanouie  — 
Leur  amour  las  les  a  conduits 
Sur  une  route  longue  et  grise. 

Et  d'une  voix  lasse  d'aveux 

Où  sanglotaient  des  sanglots  vieux. 

Tous  deux  ils  se  sont  dit  adieu. 

Le  soleil  luit  dans  le  matin, 
Le  ciel  est  pur  comme  d'être  heureux, 
Immensément,  si  bleu,  si  bleu  — 
C'est  l'heure  d'autres  amoureux 
Qui  s'aiment  encor  dans  le  matin. 


102 


L  EXILE 


Je  m'en  suis  venu  trop  fort  et  vrai 
Vers  vos  villes  de  fumées, 
Sans  comprendre  les  mois  de  mai 
De  vos  passions  fades  et  sucrées. 

Vous  m'avez  dit  que  j'étais  niais, 
Mais  j'ai  ri  de  vos  billevesées; 
Je  sais  les  sources  qui  ne  tarissent  jamais 
Et  les  tempêtes  dans  les  nuées. 

Sur  d'autres  chairs  aux  langueurs  brunes 

J'ai  connu  l'étreinte  des  grands  bras, 

Et  vos  amours  de  clair  de  lune 

Feraient  rire  les  yeux  qui  me  pleurent  là-bas. 

Oh  !  les  brouillards  au-dessus  des  gares  ! 
Fuir  emporté  sur  des  rails  de  feu 
Vers  les  soleils  des  mers  barbares 
Dans  mon  pays  tout  or  et  bleu  ! 

-   103  — 


O  mon  pays  I  O  mon  pays  ! 
Dormir  encore  sous  tes  palmiers... 
Mais  le  disque  croule  et  c'est  la  nuit 
O  vous  les  serviteurs  d'ici 
Qui  m'insultez  quand  je  suis  ivre, 
Versez  l'eau  verte  qui  délivre. 


104  — 


LA  CHANSON  DES  FLEURS,  DES  CLEFS 
ET  DE  LA  LAMPE 


Voici  la  fée  aux  trois  fleurs  d'or  1 
Elle  les  porte  dans  le  soir 
Et  sur  la  lande  va  s'asseoir. 

«  O  donne  à  mon  rêve  tes  belles  fleurs  !  » 
L'enfant  qui  passe  veut  les  avoir 
Pour  les  planter  dans  son  cœur  noir. 

Elle  les  cache  sous  son  voile  ; 
L'enfant  regarde  les  étoiles. 

c  O  belle  Dame,  vois  comme  je  pleure  !  » 
Les  rocs  sont  hauts  et  la  mer  profonde, 
Des  vaisseaux  sombrent  sur  les  ondes. 

Elle  s'envole  belle  et  pâle  ; 

Des  sons  de  harpe  au  loin  s'exhalent. 

—  io5  — 


L'enfant  tend  les  bras  et  l'appelle  encore, 
Malgré  l'abîme  et  le  gouffre  noir. 
Le  ciel  est  troue'  d'étoiies  encore... 
Il  est  tombé  sans  le  savoir. 

Voici  la  fée  aux  trois  fleurs  d'or  ! 

Elle  les  porte  dans  le  soir. 

La  mer  est  forte  et  la  nuit  noire. 


II 


Voici  la  fée  aux  deux  clefs  d'or  ! 
Elle  les  porte  dans  le  soir 
Et  vers  les  portes  va  s'asseoir. 

«  O  donne  à  mes  mains  toutes  tes  clefs  !  » 
L'homme  qui  passe  veut  les  avoir 
Pour  voir  malgré  les  portes  noires. 

Elle  les  cache  sous  son  voile; 
L'homme  regarde  les  étoiles. 

«  Femme  au  voile  bleu,  vois  comme  j'attends!  » 
La  porte  est  haute  et  le  fer  épais, 
Tous  les  béliers  se  briseraient. 

Elle  s'envole  lente  et  lente  ; 

Des  voix  au  loin  chantent  et  chantent. 

—   106  — 


L'homme  tire  son  glaive  et  l'appelle  encore  ; 
Mais  le  fer  est  vain  sur  les  portes  noires  ; 
Elles  s'éclairent  d'un  reflet  encore... 
Il  s'est  tué  sans  le  savoir. 

Voici  la  fée  aux  deux  clefs  d'or  ! 

Elle  les  porte  dans  le  soir. 

La  porte  est  haute  et  la  nuit  noire. 


III 


Voici  la  fée  à  la  lampe  d'or! 

Elle  la  porte  dans  le  soir 

Et  près  des  grottes  va  s'asseoir. 

«   O  donne  à  mon  doute  ta  belle  lampe!   » 
Le  vieillard  qui  passe  veut  l'avoir 
Pour  éclairer  les  routes  noires. 

Elle  la  cache  sous  son  voile  ; 
Le  vieillard  cherche  les  étoiles. 

«  Fée  de  la  nuit,  vois  comme  je  pleure!  » 
La  route  est  sombre,  l'ombre  profonde  ; 
Il  n'est  plus  de  feux  sur  les  ondes. 

Elle  s'envole  belle  et  pâle; 

Des  voix  s'éteisnent  dans  des  râles. 


Le  vieillard  tombe  mais  l'appelle  encore 
Du  fond  de  l'ombre  aux  cavernes  noires. 
Le  ciel  a  perdu  tout  reflet  encore... 
La  faux  a  fauché  sans  savoir. 

Voici  la  fée  à  la  lampe  d'or  ! 
Elle  la  porte  dans  le  soir. 
L'abîme  est  calme  et  la  nuit  noire. 


108  — 


LA  CHANSON    DE   LA   FEE 


Les  fils  d'or  de  ma  chevelure 
Sont  faits  des  rayons  du  soleil 
Et  les  crépuscules  vermeils 
Ont  teint  l'acier  de  mon  armure. 

Le  sang  des  roses  écrasées 
Vit  sur  mes  lèvres  irréelles/ 


—   109  — 


/ 


JËJ  les  ténèbres  dans  mes  prunelles 
Ont  mis  leurs  profondeurs  voilées. 

Ma  chair  sort  de  l'onde  marine 
Qui  se  moire  au  soleil  couchant 
D'un  reflet  chaud  et  chatoyant 
De  pourpre  rose  sous  l'hermine. 

Et  c'est  l'âme  des  vieilles  lunes 
Que  je  porte  sur  mes  bras  pâles, 
Dans  l'eau  morte  de  mes  opales, 
Perles  de  la  lune,  une  à  une. 


10 


Passant,  pourquoi  vouloir  m'aimer  ? 
Entends-tu  des  pas  lourds  de  deuil  ? 
L'azur  s'éclipse  à  mon  baiser... 
Mais  tu  prépares  ton  cercueil. 


—   1 10  — 


LES  NOYES 


Au  cours  d'un  fleuve  à  l'eau  trop  bleue, 
Parmi  la  flottaison  des  algues  brunes, 
Plus  blêmes  sous  l'argent  froid  de  la  lune 
Qui  leur  tisse  un  linceul  de  feu, 

Les  yeux  ouverts  vagues  comme  l'onde 
Dont  la  caresse  clapoteuse 
Semble  leur  chanter  l'autre  monde 
Où  s'envole  l'âme  ténébreuse, 

Ils  passent  l'air  calme  et  heureux, 
Frères  unis  par  divers  destins, 
Qu'un  même  désir  d'astres  lointains 
Aux  ors  vulgaires  fit  dire  adieu. 

Ont-ils  déjà  vu  d'autres  rayons 
Filtrer  dans  l'ombre  mystérieuse 
Dont  près  de  nous  leurs  chansons 
Disaient  la  splendeur  lumineuse  i 


Débarrassés  des  songes  creux, 
Ils  passent  et  gagnent  les  lagunes 
Où,  sans  plus  souci  de  leur  fortune, 
Ils  disparaissent  peu  à  peu. 


1 12 


RETOUR 


A  l'ombre  du  bord  du  chemin, 

Tous  deux  rêveurs,  main  dans  la  main, 

Ils  rêvaient  d'un  pays  lointain. 

Ils  s'aimaient  depuis  bien  longtemps 
Et  ils  s'aimaient  encor  pourtant.  — 
On  ne  peut  aimer  tout  le  temps. 

Un  chevalier  vint  à  passer. 
Il  était  pâle  et  cuirassé  ; 
Il  était  pâle  et  fatigué. 

«  Je  l'aime  plus  que  toi,  dit-elle  ; 

Il  me  restera  plus  fidèle. 

—  Beau  passant,  me  trouves-tu  belle  ?    » 

Sans  amour,  il  l'aima  de  suite  ; 
L'amant  ne  troubla  pas  leur  fuite, 
Tandis  qu'ils  s'en  allaient  bien  vite. 

—    113   — 


Ils  ne  s'aimèrent  pas  longtemps. 

Elle  rêva  d'autres  passants 

Et  mit  ailleurs  son  cœur  souffrant. 

Elle  eut  les  mêmes  mots  d'enfant, 
Mêmes  vœux  et  mêmes  serments, 
Mais  nul  ne  resta  son  amant. 

Et  elle  en  aima  tant  et  tant 
Qu'un  soir,  en  songeant  à  l'absent, 
Elle  pleura  son  premier  temps. 

Lui  seul  l'avait  aimée  vraiment. 
Mais  lui  l'aimait-il  maintenant  ? 
L'anne'e  n'a  qu'un  seul  printemps. 

Elle  reprit  tout  en  pleurant 
La  route  triste  de  l'antan.  — 
Les  gens  riaient  en  la  voyant. 


Au  fond  du  parc  abandonné, 

Dans  un  cadre  de  peupliers, 

La  maison  blanche  était  fermée. 

Après  être,  lasse,  restée 

S'asseoir  au  bord  de  quelque  allée, 

Elle  frappa  sans  espérer. 

—   114  — 


Le  coup  sonna  profondément. 
Quelqu'un  vint  ouvrir,  chancelant, 
Pâle  avec  de  longs  cheveux  blancs. 

«  Nous  nous  sommes  aimés  longtemps...  » 
Il  la  prit  dans  ses  bras  tremblants  : 
«  Moi  je  suis  resté  ton  amant.  » 

Leur  tombe  est  au  bout  du  chemin. 
Ils  y  dorment  main  dans  la  main, 
L'âme,  peut-être,  au  ciel  lointain. 


—   115 


CHANSON   DU   PAGE 


En  quel  pays  trouver  les  fleurs 
Que  je  voudrais  pour  ta  tète  chère  ? 

Veux-tu  les  fleurs  de  mes  douleurs  ? 
Elles  sont  violettes,  noires  et  grises  ; 
Elles  sont  nées  sur  de  vieilles  terres 
Où  jamais  n'est  venue  souffler  la  brise, 
Mais  elles  seront  bonnes  à  ton  cœur, 
Et  leurs  parfums  sont  doux  le  soir. 

Veux-tu  les  fleurs  de  mes  espoirs  ? 
Elles  sont  vertes,  rouges  et  bleues  ; 
Leurs  tiges  s'élèvent  droites  dans  l'air 
Comme  pour  monter  jusqu'aux  cieux  ; 
Elles  ombrageront  nos  désespoirs 
Et  couronneront  nos  deux  paresses. 

Veux-tu  les  fleurs  de  mes  tendresses  ? 

Elles  ont  refleuri  toutes  pour  toi  ; 

Mais  prends  garde  !  Elles  sont  éphémères 

Et  elles  se  faneraient  sous  ta  loi 

Si  tu  te  montrais  sans  caresses  ; 

Il  faut  m'aimer  bien  plus  d'un  jour  ! 

—   u6   - 


Veux-tu  les  rieurs  de  mon  amour  ? 

Elles  ont  des  couleurs  d'arc-en-ciel 

Qui  feront  douce  ta  moue  trop  rière, 

Leurs  pétales  sont  irréelles. 

Elles  resteront  écloses  toujours. 

Mais  sont-elles  assez  belles  pour  notre  bonheur? 

En  quel  pays  trouver  les  fleurs 
Que  je  voudrais  pour  ta  tête  chère  ? 


—   117  — 


ROMANCE 


Le  soir  était  d'oubli  sur  nos  deux  destinées... 
Tu  penchais  au  balcon  la  grâce   surannée 
De  ton  profil  lointain  comme   sur  une  estampe; 
La  lune  était  d'argent  sur    la  mer  reflétée; 
Nous  avions  voilé  l'éclat   trop  dur  des  lampes... 

Le  soir  était  d'espoir   sur  nos  deux  destinées... 
Tu  rêvais,  presque  heureuse,  être  près  de  l'année 
Où  la  terre  enfin  belle  accueillerait  tes  vœux  ; 
L'air  était  tiède  et  lourd  d'odeurs  de  fleurs  fanées  ; 
Nous  rêvions  la  vie  en  un  paradis  bleu... 

Le  soir  était  d'amour  sur  nos  deux  destinées... 
Ta  tête  se  faisait  plus  douce  à  mes  pensées, 
Et  la  mienne,  rêveuse,  appelait  ta  tendresse  ; 
Au  large  de  la  nuit,  c'étaient  des  voix  voilées  ; 
Nous  vécûmes  l'amour  des  divines   caresses... 

Le  soir  était  d'adieu  sur  nos  deux  destinées... 
Tu  t'en  allas  pensive  et  comme  chagrinée 
Et  je  ne  connus  plus  ta  pâleur  effacée  ; 
La  brise  se  leva  sur  l'aurore  lassée... 
Le  soir  était  d'oubli  sur  nos  deux  destinées... 

—    1 1 8    — 


CHANSONS 


Chansons  vagues  !e  long  des  rues 
Chantées  par  de  vagues  chanteurs  blêmes 
Qui  soupirent  jusqu'aux  sixièmes 
Où  des  jeunes  filles  rêvent , qu'on  les  aime. 

Chansons  vagues  des  caboulots 

Où  les  mêmes  refrains  idiots 

Endorment  ceux  qui  ne  veulent  pas  dormir  tôt 

Parce  qu'ils  rêvent  de  femmes  nues. 

Chansons  vagues  de  l'autrefois 
Retenues  au  hasard  des  rêveries, 
Comme  les  voix  du  passé  flétri 
Qui  revient  peser  sur  notre  vie. 

Chansons  vagues  de  l' aujourd'hui 
Où  toute  notre  misère  crie, 
Où  l'on  pleure  quand  on  rit, 
Où  l'on  se  cherche   quelque  loi. 

—    119  — 


Toutes  lointaines  quelquefois, 
Elles  reviennent  vers  mon  ennui 
Comme  des  cloches  dans  la  nuit, 
Comme  du  vent  dans  les  grands  bois. 


AUTANT  EN  EMPORTE  LE  VENT 


On  jette  son  cœur  à  tous  les  vents 

—  Autant  en  emporte  le  vent!  — 
On  jette  son  cœur  à  toutes  les  lèvres., 
On  le  retrouve  tout  sanglant 

Et  l'on  maudit  les  heures  brèves. 

On  veut  aimer  encor  pourtant, 
Maigre  l'espoir  qui  s'est  fait  las 
De  n'avoir  battu  que  des  glas... 

—  Autant  en  emporte  le  vent  !  — 
On  ne  sait  plus  que  des  hélas  ! 

Et  puis  un  jour  enfin  l'on  veut 
Soit  rire  soit  pleurer  un  peu. 
Mais  l'on  est  dans  les  mains  du  temps 
De  trop  jeune  on  s'est  fait  trop  vieux. 

—  Autant  en  emporte  le  vent  !  — 


—    121    — 


FINALE 


La  vie  vient  frapper  à  ta  porte, 
Ouvriras-tu,  vieux  songe  creux  ? 
Laisse  pleurer  ton  âme  morte 
Dans  son  pays  tendu  de  bleu. 

Accueille  la  joie  qu'on  t'apporte 
Même  mensongère  à  tes  yeux; 
Les  vœux  sont  tue's  que  ton  rêve  escorte 
Dans  les  décors  dont  nulle  ne  veut. 

Ici-bas  pourquoi  tant  de  larmes? 
N'est-il  pas  temps  d'être  homme  enfin  ? 
Les  amours  tristes  que  tu  blâmes 
Te  laissent  calme  et  sans  chagrin. 

L'oubli  vit  sur  la  bouche  des  femmes, 
Et  que  t'importe  un  songe  vain  ? 
Il  est  d'autres  routes  en  ton  âme 
Que  celles  dont  tu  t'entretiens. 

12  2    — 


Demeure  sans  pleurs,  cris,  ni  sourires 
Devant  l'arrêt  de  ton  destin; 
Quitte  l'étreinte  de  ton  souvenir 
Pour  t'en  aller  vers  les  matins. 

Que  la  beauté  puisse  te  suffire 
A  rester  fort,  doux  et  serein; 
Salueur  t'empêchera  de  souffrir  — 
Drape  ta  douleur  dans  ton  dédain. 


123 


Mon  cœur  était  fait  pour  aimer, 
Je  l'ai  offert,  on  l'a  laissé... 
La  fleur  qu'on  cueille  reste  fanée. 

Ma  bouche  était  faite  pour  rire, 
Mais  maintenant  elle  est  crispée... 
Trop  de  deuil  couvre  mon  souvenir. 

Mes  yeux  voulaient  pleurer  de  joie, 
Toutes  mes  larmes  sont  versées... 
Rien  ne  demeure  de  l'autrefois. 

Ah  !  ma  tendresse,  la  donner! 

Je  l'ai  offerte,  on  l'a  laissée... 

Le  vent  froid  émonde  la  feuillée. 

Mon  cœur  aurait  souhaité  s'ouvrir, 
Une  l'ouvrit  et  s'est  penchée... 
Hélas!  Elle  ne  sut  que  rire. 

Mon  cœur  était  fait  pour  souffrir, 
Mais  maintenant  je  l'ai  fermé 
Et  dans  la  mer  j'ai  jeté  sa  clef. 

—   125   - 


L'ombre  s'est  faite  claire.  Au  loin  des  vols  s'espacent. 

Et  c'est  presque  l'aurore,  et  la  nuit  comme  lasse 

D'avoir  été  si  longue  à  couvrir  mon  destin 

Recule  lentement  vers  l'au-delà  lointain 

Où  son  mystère  couvre  un  autre  continent. 

Délivré  des  regrets  et  calme  maintenant 

Devant  le  décor  bleu  qui  s'éclaire  et  s'allume, 

Resté  victorieux  du  charme  de  la  brume, 

Debout  près  de  la  mer  nouvelle  où  je  me  songe 

De  voir  partir  un  jour  tenter  un  nouveau  songe, 

Je  regarde  la  chute  éparse  des  étoiles 

Dont  les  rayons  tissaient  les  fils  dorés  du  voile 

Où  j'espérais  ta  face,  amante  trop  aimée; 

Et  j'aperçois  là-bas  sur  la  mer  éclairée 

Vers  le  soleil  surgi  par  delà  les  nuages, 

Dédaigneux  aujourd'hui  des  temps  et  des  orages, 

Monter  majestueux  et  beau  de  son  essor 

L'antique  oiseau  divin  dont  j'avais  dit  la  mort, 

Et  je  sens  dans  mon  âme  au  fond  de  mon  ennui 

Quelque  chose  qui  bat  de  l'aile  et  qui  frémit 

Et  qui  semble  frôler  vers  la  terre  ou  partir 

Les  cordes  en  appel  d'une  lointaine  lyre 


127  — 


TABLE 


La  chimère  a  volé  vers  les  lointains  d'azur     ...        9 
Une  voix  chante  dans  nos  cœurs 11 


Chansons  malades i3 

Mandolinks  a  la  tassante 29 

Rythmes  dans  la   nuit 49 

Chansons  le  long  de  la  route  : 

Légende 97 

L'Offrande 90 

Ronde 101 

L'Exile io'i 

La  Chanson  des  rieurs,  des  clefs  et  de  la  lampe  io5 

La  Chanson  de  la  Fée 101 

Les  Noyés 1 1 1 

Retour 1 1  3 

Chanson  du  Page 117 

Romance 118 

Chansons 119 

—    m    — 


Autant  en  emporte  le  vent 121 

Finale ]22 

Mon  cœur  e'tait  fait  pour  aimer -  .  i25 

L'ombre  s'est  faite  claire 127 


12 


ACHEVE   D'IMPRIMER 


LE  DIX   NOVEMBRE    MIL    HUIT    CENT    QUATRE-VINGT-SEIZE 


MERCVRE  DE  FRANCE 


56 


mr 


La  Bibliothèque 
Université  cMOttawa 
Echéance 


The  Lïbrary 
Universïty  of  Ottawa 
Date  Due 


a39003  003739389b 


CF  PQ   2623 
•E22C5  1896 
COO   LEBEY»  ANDRE 
ACC#  1236668 


CHANSONS  GRI 


U  D'/OF  OTTAWA 


COLL  ROW  MODULE  SHELF 

333    06       08        02 


BOX   POS 
04     12